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DÉMOCRATIE
FT


·LIBERTÉ




1'\1:1", -- lllPHITlJEIUE 1 .. l'Ol'I',\I{f-DAYYL. RFE lll' n,,~, 30.




,


DEMOCRATIE
ET


,


LIBERTE
PAR


M. EMILE OLLIVIER


PA~lS
LIBRAIRIE INTERNATIONALE


15, BOULEVARD MONTMARTRE, 15


A. LA CROIX, V ERB O ECKH O VEN & ce, ÉDITE U l{S
01 ~ruxelles, el Leip;¡ig (f el Livourne


1867
T lit; s 1IH \) 1 I os 11 L T nA TJ ~ e T J u:'f 1:: T lJ L hE l' l. u t. I 4 r I \: ~ H E ~ E 1\ V t i




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AUX ÉLECTEURS
DE LA TROISIEME CIRCONSCRIPTIOI~


llU [)I~I'ARTE:\I E0iT DE LA SEl\ E


.J (~ VULi;:) dédi(~ ce yolume (Iui cOllticllt mes pnnClp[lUX
d¡~CULlr.s, ml'S dí\(~l'SCS pro1'cssions de foí, mes l~l'tide6 de
jUUl'llallX Jrpui;-; UW1. Si jc n' a yaís consulté (IUC mUll
amUlll'-pl'Oprc IjllL~l'a¡rc, je n'aul'ais pas usé .clltn:prendl'e
celCc pllblicat [Oll, cal' je me l'ends comptc mil'Hx que pct'-
;,OllIle de LOllt ce (1U.'Olll de défecineux et de peLl digne dt~
la plcirl(~ ILlJJlil~rC des discoul's le plus sOllycnL illlPl'O\ isé::; ~~
lit lill el' 111l(~ S(~allCe ou au milieu des ardeul's el' Ulle dj~)­
Clb:-ÜUII. C'cst l(: d(~~il' de COllSCl'VCl' et de l'es::;(l,rrcl' ie:.; ["(tp-
¡Hld::; de S~' 1l1pathic eL d' cstinlC, depuis si lOliglclllps th~j¡t
dabli::; entre llOlLS, (lui a tl'iOlllphé de tous mes sCl'upulcs el
l1l~ a décid6 ~t n'~lltlil', pour vous en faire h0ll1mage, les témui··
gllagcs les plus impul'tants de mon action politique, depuls
le décrct du ':2/1 llovembre. AUCUll signe 11e m' a jamai::;
indiclué que l' accol'd de scntiments et de pcnsécs qui llOUS a
rapprochés ait ccssé el' exister ou se soit atraibli. J e n 'ignore
pas cependant que, pour vous clétachcr de moi, on YOUS éL
dénollcé llles val'iations; les plus empol'tés ont dit : 1WL
det'cdioll. Si, apres la puhlication des documents que je
.VÜU::i sOUllleLs, (lUelqu'Ull persistait. a vous dire que je n'ai




\'1 AGX ELEC'l'ECUd


pas été inv~ríablement attaché a la lllClllC cause, íntlC\l-
blement dévoué ~L la meme id<Se, demandez-Iui de pl'éciscl'
le jOUl', 1'11eUI'8, 1'OCC<1S1011 Oll ron m'i1 \U flée]¡ir. .Ie pro-
voqU(; h yoix haute toutes les contradictions, lll<}llli; cC'ik~;-;
de la l1ll\u.\'~jsc foi ct de la llaine, et j8 les ~~ttclld:) ,~all:-)
Cl'ailltc .


.le ¡¡'al petS l'infatuatioll de Gl'oil'c (Iue je 118 111e bOlS ja-
liliLís trompé, ni la, ~ottise de pl'étendre que je 118 i'cctitierai
janmls aueunc de mes OpilliollS. SculeulCllL je ,"uus atlil'llW
q Lle :Ji r élude ou l' expéricllce, devell ue plus longuc, modí-
tialL mes príncipes d'une malliere fondi1melltale, je ll'hé-
sitel'alS pas il vous en i1ve1'ti1' moi-m0Ille~ et ¿l déposel' cntre
vos muins Ull l11allUrÜ que jc lW saurais plus COllserver a vce
dignité, sal1S une llOuvelle cUlls~cratioll. Mais jusqn~á pré-
sent, l' expérience et l' étude n' ont raít que m' cllracínel' da-
vClntage d,U]s les convictions qui m'ont valu vos ~ulrragcs, ct
plus que jamais c'est de l'étroite alliallee de li1 démocratie et
lh; b liberté que j'attends la pacification, le développellleJlt,
la splenclcur de notre patrie.


Dans des jours de défaillance, alors que persolllle Jle l'C-
chercllait un poste sans gloire et llOll sans p(~ril, VULlS~ ()
mes chers électeurs, dont le CCBur intrépide n\lja!l1ais COllIlH
les défaillances, "Vous m' él vez confié la missioJl de rcpré-
sente]' la grallde ca.use du gourerllclllenL librc el d'ctllpc-
che1' que la, clwjne de llOS traditiollS parleruentaires ne fút
interrompue faute de quelq LlCS anneaux. NOll-seulelllellt
j'ai été un des Cli\Q, mais j'en ai été le premier e11 date, d
mes dcux compagnons les plus "Vaillants ll'étaiellt poilJL
encore tL la Cbambre, lorsque j' ai attaqué li1 loi de sUl'eté
générale. Qui done a pu espérer que je devielldl'ai~ il1íidele
~L uu te! passé? Qui done a pu le eraindre?




". .
..... '~


"


A ux l~:LECTEURS


Lorsqu~ il en sera temps, jo YOUS expliquerai quel a ét6
trlon rille 101's des rMormes de jallvier dernirr. c,royez en
:lttendant, sur ma simple parole, qu~il a été digne de YOUS et
de moi, et que je n~ai ríen fait, rien clit qui ne se puisse a\'011e1'
devant les juges les plus SéVl'J'CS.


r ,a voie que jI' me fraíe <lyce tant de peine est clifficile,
mais au bout se trollve le succes et surtout l'hol1ncur,
r¡noi qu'il arrive. Jusqll'il, pn"sent, il est vraí, jI' n\ ai
renc,onlr¡\ que des amertullH'S. "Mais n'est-ce pas la COI1-
rlition dp tons les 11om111rs politiqlles quí poursuiyent. les
longs des~-.;eills? \Vasllillgtol1 n'a-t-il pas été traitp cornme


(( un vil ijlon)) ,La Faycl te comme un niai8, Carnot cornmr
1lI1 d(~I1HtgOgUC, BClljarnill COl1stant cornme un renégat,
Casimir Pc'Ticr connnn Ull rJ1isérable. Lamartine comme
llll déclamatclll', Cavoui' comnw une dllpe? D<1nicl ~ranin
n'a-t.-i1 pas (~l(j mcnacé du couteau italien et Deak suspecté
de connivcnc.r avec l' Autriche? Cambien les épreuves les
plus dures me sembleraient douces, si elles m' obtenaient de
n'(]tre pas trop indigne ele ces beallx modeles!


.Te vous prie d'agn"cr r<1SSl1l'alH'e ele mOl! nffectUf'llX dé-
rOllernclll.


Pínis, \f' ~ I ma i 1 S(i: .




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D]~~IOCRATIE & LIBERTÉ
(1861 -18(7)


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DISCOURS SUR LE DÉCRET DU 24 NOVEMBRE 1860


(11 mu rs lflFjl)


.J e commence, messieurs, par remercier M. le président
du eonseil d'Ihat de la franchise, et aussi, qu'il me per-
mette Je le lui Jire, de la modération avec laquelle il a
répondu au ,liscours de mon ami Jules Favre. Je m'effor-
eerai de suivre le double exemple qu'il m'a donné. Telle
est, jc erais, messieurs, la vraie maniere, la maniere sin-
cere et efficace de témoigner notre reconnaissanee pour le
décret du 24 novembre, dont nous désirons certainement
l'extension, mais dont nous reconnaissons le courage, la
gém;rosité ot le bienfait. (Tres-bien! tres-bien!)


Nous avons, dans cette assemblée, une situation diffieile
quí nous dOllne a la fois une force et une faiblesse : une fai-
blesse, car nos paroles sont aisément accueillies avec dé-
fiance; une force, paree que, dans notre isolement, ne
pouvant avoir la prétention J'influer sur les votes, nous ne
saurions etre suspectés de manquer de franchise quand nons
exposons Jes príncipes ou que nous faisons des professions
de foi.




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DÉ:\IOCRATIE ET LIBERTÍ-:


Ainsi, messieurs, je ll'hésite pas ú anlrlller, aY8C tonte la
force de la convÍction, ponr répondre ~l la dernierc ob8er-
-ration de 1'1. le préside~lt du cOllsell (n~tat, q ne, dans notre
pensée, examiner (les lois, l'echerel1er si elles Ile sOllt pas
susceptibles de rdonnes, ce n'est pas i>i¡'(; acte de ,,,(~(1i­
tinn : c' est pj'()ilter loyalement, sinC('l'í'ltlelll, d'1l1W oceasion
nnique (lui llOUS eSI ()iferie Ú'lluliqucl' ~Ul SuuH'raill ce que
llC>US cOll:-.:idc"l'()íl,:':; eomnw le" YénLX <tu r;lY>; (,j r1(-; l1ti si~llaler


. 1 • ~


le~ illstitUti()ll~; (lUC, selull llOUS, i1 '" a lÍó'u I[';ulidiol'cr. Ne
, .


~:erlolls-llOUS pas, el1 effet, (les illSCllS('lc:, ~dúl'S quc' 1(~ suffl'age
. l' '1' '[ . .. (~. UlllyerSe est L~. IJase (e nos lllstitllCW:l;., \~(~ ~;lil~'age nfll-


yersel dont p¿;Ilc1L~~nt tnnt d'all11(~,)(S C('11X '1Ul 11f¡ilS ()llt pL'é-
cédós dallS la lutte od l)OUl'~;uiyi 18 L'l¡)lllj¡]:,\: !1C.~ :-;81'i;)11S-
nous ras in:-;c~ll:~és (L'(.Yo~e (1'nt~~I'e d(:";l)', 1\'a:!Cl',,;.; illl(;lItiullS


1 1 1" "" 1 '1' 'J ,>} tille (e n 1,f:l',C('l-,lOfil.iel', de l(j ítt;\C (;1 ~:('i'~ i¡!\ 1 (\ ~U¡¿~lr~
J- ~ • , 1 " • , 1
l..:U:!:lllenf pOí;l'l'lUílS-llun:.; :)()llgl'l' éL 1(' i,li'¡llj',;, ;: e :.;aper;
¿l le luill'd J(~ e1'01S dOllC (p.w l1(~lh a\(ll"; In d!'(¡it (r&tre
entell(lu~ C11;,'[flIl2 ailll("¡J, lor,";ll1[(', dall:" de,.., i'í)I'J1:(I:< (ino 1lOns
t:it'h(T()Il~ (1(~ j'('nd1'8 le; plm:i resllcda(~¡:>cs P()~:,i1)lü ponr la
loi~ eil les llLtilltelía~lt tres-fel'llH~:), nous \i(,!idl'Oll:-i <1il'e cc
(,np 1l1)1'~ l\Ci'';'Hl';: L"ll' le" ,)'>"., .• (1[" l',¡+¡",¡,,\js tltl 1)'\1'o.! 1 lA_ ..-/ - do '- 1-" :. ~ \ '- ¡.J l ,) b 1 1-.1,.11 '.. ~ 1 \.--' '-,~" ( ~,} .).
,~i ~n: '¡';e11 ;t'l~,i~ ~:::lo ...., ~fj~t '~) 1"'1· ~,.1 ~,., j"""}' 1 ')1 -1, l'
v (:;,>1 Ji e (1),;, JL 118 ... , Ji(¡l"¡¡,,l P'l,'" ,,;, "L:-i- 1<.l)l e UIS-


CClUl's qHe\'()ll~; V811t'Z (renü~llilrc, lit tú 'he ";C'f'air. ü'oplourde;
je cOllcelltrerai lllAS obSCI'Y,ttiollS ~;ur 1m :';l'ul püinL qui me
pal'ait fOl1¡}ament:::.l : la qllestioll de la pl'n<~().


Je S!lis bioll (FW sur cccte qn(l:)tiolljc Slli . .; eh <1i,,:-;elltimcnt,
,1:tus 12.. Chambre, avcc Lles e:3prit~; !Oy;ll:X el; S¡Ij(:{~I'CS ílui
tUfendraÍellt la liberté s'iIs n'étaielll séri(;::S(~Iíl(lllt d[rayés
Úes dangc'rs (1011t OIl les menace; e 'est ¿\ C(~:-; cspl'its que j'e
'~ 1 , t" 't 1 1 . t t III <i.Ul'e~:-:c; e es a eux que Je c.8maJl( 8 (llW :lUJS lll:-i ctri S


d'attention.
D'ctGol'd., mcssieul's, quand 011 s'eng;¡r2,'(:J (lans une cEs-
el~.'):3ion et q n' 011 yeut la. meller ~t des <'one 1llsiollS utiles, la
prom i ¿~re cn II di tlon, e' est d e bien ti é tp rn: i !lel' le suj et de la
cOl1troverse, de fa<:on qu'aueune équiYoqll(~ ne soit po~,ible,
c;: que eelnÍ q ui attaq ne, comme celui q ni r?polld, s(:it par-
i'~;.:terllent Hxe sur 1ct pensée ue son ~t1hel'::;ai.l'l'. Eh \úen !




D~CRET DU 24 ~0YE~BRE 18Gu


['''tur jugar le régime (le la presse, YOUS ayez c1eux choses Ú,
Y(lnS demander : la pl'emÍel'e, ce qui existí"; la s0concle, ce
GtW llOl1S voulons; ce (luí existe en l'éaliLP, san~, C'xa~'é-


::.!. - 1. ) "----'


rat iOll, ~allS ae(~Usatioll menslillgere et passiollué2; ce que
t::Jll~ delllallclolls alls:-:;i en 'yél'ité, sallS aucune suPPOSitiOIl
i;i(;xaGtc et préconsne,


Ce (lui existe! Vous avez elltendll 1\1, le président (In
C(J;lseil cl'l~tat, ele la sincél'iü~ (lUirlel je nA c10ute nnllement;
y;;US <lieo (IUC la circnlaire 'de l'hollOrcdJlo ::\1. de Fi~l''3iglly
ll'~L\':tit pas inauguré un cleoit nouveau, qu'elle mait lllail1-
tC.:ll les princi pes qui cxi:-;Ütie:lt avan t lui, J e sui::; fé1(~h8 (1:='
Le ras (j!',l'e (le l'Opilliou (le ::U, le prési(l(mt <In consei1
crl::tat; lI1ai::i l'llOnol'ahle -:\1. (le Persigny, awp181 crrtaille-
l"i.~;llt un lW rCfLlS(~ra pas le mérite de <lire tres-nett,ement ce
(~;:'J pe:l-;e, .. (I~ires approlJatiL;), cblls une lcttl'C crIe je
l'e.:':'i'dtc, lJuoiqllc je JW :"ois llulle!l1ent enneEü ni des A:l!_d:üs
n ; ¡)" 1",111"1]1('0 <lJlo-lqi",e (1'111'1 11 n p 18 i,t"e <l¡1 1,p..:se'e .', '(i') 1'("1]'-.1\","-/ L1" (l..J (lbLL._, (.,_ ~L--,\.....LL- (t.l,-,"_, L"1.~_.J._ .......
lLdi:-:: \) <luglais l)ou1' jtlstiíié)r un acte flrü ,,'était llC;"',J',', Cl:
l ,"")'!":('I" l'llllll()l",])ln i\f lId PPP"';(¡"lr (lit c,.,,,i' "T;" dl'i);+ .L (l ~,~ '-./ , ~ (l 1 v ..1. -"-. L V -'.;. ,¿..L;::, l y,' _ ' 1,-' '--. "-' 1 .. , ~
('J': i'()¡t..:!it"" ll;¡C ipl'OY<1ti(lll ·~')]lc.:i,lép·+le (1"11:; 1" ",','j"""
-1,.1 v' ~._J,-,., {L\,. ~ .. J.. ( ,~ ~"- .. '-./, • ..l(L J L(l _ ~\ -< '_~~ .1 ... ,_/
1 "t' ". + 1 l' l' 1 l' , Cll~ lWS lw-;tl tu IOns a ute e L:.lU 1", " ce III {.C (h{'Ft.'l' leS
ac!(!;; da C()1L\'()fllelllCllt, ~\ill:~i rllOllOl'ahl(; ll1illistr'e de l'in-
t(',:'ieni' et i\I, 1(' présiclcnt du ('011:-;e11 d'État ne ;:~i~lt pas


1" l' , C"" '1 '1 l' {, ,,,
e!. ;i!jJ!i~r.elllC'llt ( ac(~Ol'(l. ,""'11.1 :n'¿\l:'; .a mOllH.re nUl',:C 1.';:1. n:),
il 1'],\ ,'-;Ct:j! fadIe (rOpp:)",e¡' le llúlli:-;L'e c1ient :llt mi:li:-;tre
,--"--r, l, ;- ,'""'\. .... -." , ~-0·1 y rire'\ et (l<t(ill t-ir~r 'l,TarL',lr;'e l{lll"L·,O l"lnQ-Llo • oC , 1 " !,.' :\,11 t \, '. 1.1., ' .') J ' .. l, ~ L \ ce ,¡ L,,_ C' e" ... J v i l .. ~
.).l"I";"'l (1",' 11'¡i 1ll',,11'('o;., S')[1" nOI,)C',f"lúlle' rr1ais J'o "rél'!\"., n('


,1. ':.~.,¡"Jl_ \..) .1. .'\" _'v ~ (" '--' l' \_.1(, , .... \J 1'_ >-\.." V c~"
• 1 l' 1 1 ' 1 ' 1.' d' , '( . " l;'~' sol'tll' {¡(~ 01'( 1',; (e me" l(;,'(;S eL .le lS Sll1Tl'l1l~'\lt ~,


l\!, le P~'(";-;l;lC'llt du eCllseíl (rE~at : Vous y\)yez ]Ilc:ll C;U;:;
1 · 1 1 1 '1 fl{JU::; !:8 SOinllleS pas ( e SI ~T~U-;'([S COU1J(lO;,c;S, 1il (,:'~ 0ITO-


sallts si t('~mérair('s, en c1eElandant UlW mo(lif1catlCll ([,i re-
gime (le la pl'esse, pnisque ::'Ir. le millistl'8 de rint¡C,l'i..:'u:·
a~tuellel1lellt en fonctions a illal1gnn~ son mini:--;t(,l'() ral' ce
(i't'il a appd(~ lui-meme une illllOyatiol1 ~érieu~G, 1c T'.2 imlO-
'\:'Iidll gravc, par ectte (l¿dar,ltion tl'UllC impOl't:l llC8 ll1a-
j~Olll'(" que ce qni cxi~tait jusrFl"ú ce jour n'ayait pas satisfait
1 "'t" t' ffi 1 1 e 112tYs, fJll Ull naVal pas mscu e su sammcnt es actes ü.~1




DÉ:.lOCRATl E El' LIBE rrTí~


Gouvernement, puisqu' en accorclant en fait Ulle liherté qu'iI
serait injuste de méconnaitre, ce meme ministre a donné ¡t
la presse des allures qui HOUS étaient inconnues depui~
longtemps, et a permis aux journaux de s'expliquer sur les
prlllcipaux actes de l'administration aussi bien que sur nos
discussions. Je 1'en remercie; sculement, si la pratique est
changée, la loi reste la m8me, et l'adoucissement que .le
constate n'est l'effet que d'ulle tolérance. 01', un gralld
orateur et un grand génie politique qu'il fant citer souvent,
paree que personne plus que lui n'a contribué ~i l' ólllan-
cipatiull de 178U, notre immortel Mirabeau, c1isait :
" L'existence du pouvoir qui tolere est une atteinte portée
a la liberté de penser; cal', par cela merne qu'il tolere, iI
pourrait ne plus tolérer. " Qui est-ce qui me dit, en effet,
que, ),1. le ministre de l'intérieur remplacé par Ull autre,
nous ne reviendrons pas aux pratiques de la l'récédente
administration? Qui est-ce qui m'assure que lui-meme, en-
trainé} (lominé par certaines passions, ne pourra pas etre
aussi amené un jonr a appesantir sa main sur la presse '?
e'est parce que nous avons cette crainte que HOUS avons
présenté notre arnenelement et proclamé la nécessité d'ulle
réforme.


l\lais quelle est cette réforme? e' est le second point eles
vives explieations qui vienllent el'etre échangées devant la
ehambre! Cette réforme, est-ce, ainsi que 1'a dit 1\1. le pré-
sielent du conseil cl'Etat, la liberté absolue de la pl'esse?
Oh! c'est un grand mot, messieurs, que ce mot de liberté
absolue, et je partage c?mplétement l'opillion de l'llOnorable
président du conseil d'Etat : je tiens ponr un homme qu'on
doit écarter de la politique celni qui demande J'absolu. La
politique est la science c1U relatif; elle consiste précisément
a rechercher dans q uelle mesure l'ídéal que porte dans sa
pensée quiconqne aspire aux IlIJhles desséins et aux hautes
ambitlons, dans quelle mesure, (lís-je, cet idéal pent se com-
biner avec les possibilités présentes, ayec la réalité des
faits. Il faut le coup d'reil du génie pour opérer cette union
~ans sacrifier l'idéal ni méconnaitre la réalité, pon!' réaliser




D~CRET DU 24 NOVEMBRE 1860 5


cette coneiliation si diffieile, de laquelle cependant dépend
la marche, le progres, la prospérité des soeiétés. (Tres-
bien! tres-bien!) Voi};i pourquoi, messieurs, quoique tou t
le monde parle de politique, eomme si re n' était pas la
science la plus aride et la plus difficile, les génies poli-
tiques sont si rares; voila pourquoi, quand il s'en rencontre
un, les sieeles le saluent de leurs longues aeclamations.


A vec cette pensé e et le sentiment que j'aí de mon humi-
lité, j'éprouve un véritable soulagement de trouver, sur une
question de eeUe importance, des principes fixés, reconnus,
établís partout, a toutes les époques.


Depuis 1789, on a été d'aceord sur deux vérités : e' est
que, pour que la liberté de la presse existat~ il fallait, en
premier líeu, qu'aueun obstacle préventif ne s'opposat a la
naissance d'un jourlJal ou á la publication d'un lívre; en
seeond lieu, que tout délit de la presse fut jugé par le jury.


J e no veux pas mettre sous vos yeux l'article de la con s-
titution de 1,91; je ne veux vous lire qu'un seul texte
qui me paralt tres-important, paree qu'il ne sera pas désa-
voué assurément par mes honorables collegues qui pro-
fessent et défemlent les traditions impériales. Dans la cons-
titution de l'an VIII, il ll'avait rien été di t sur la liberté
de la presse; l'on ealomnie la fameuse commission séna-
toriale de la liberté (le la presse lorsqu'on lui attribue tout
ce qui a été fait sous l'Empire a l'égard des journaux : les
journaux étaient soustraits asa juridietion.


Dans l'acte additionnel de 1815, on voulut revenir aux
prmcipes de 88. Voici dans q uels termes le fit Napoléon Ier;
e'est une autorité, je erois. (Oui! oui!) " Tout citoyen a le
droit d'imprimer et de pubJier ses pensées, en les signant,
san s aucune censure préalable, sauf la responsabilité légale
apres la. publi(:ation, par jugement par jurés, quand meme
il n'y aurait lieu qu'a l'application d'une peine correction-
nelle (1). "


Tenes sont nos idées. On peut discuter sur le plus ou


(1) Article 1; l de l'acte adllitionnel.




6 DÉ~IOCRATIE ET LIBERTÉ


sur le moills qU'Oll accordera a la presse; mais nous disons,
nous (cela peut etre une erreur, mais c'est notre convic-
tion), nous disons que, si ron veut etre fiueIe aux prin~ipes
de 1789, il faut satisfaire aux deux conditions que l' em-
pereur lui-meme indique dalls 1'acte que je vien!:' ue citer.
Nous ne demandons donc, monsieur le président du cOllseil
d'État, nons ne demandons rien d'absoln; nous demanclons
une loi quelle qn'elle soit, pOUfYU qu'elle ne s'éIoígne pas
des príncipes que je viens de résumer (1).


J'aurais terminé, si j e ne croyais pas indispen:::able de
réfuter un arg'ument (Iue j' entends répéter sans eesse, que
je ne trouve nullemcllt fondé, et quí consiste it dire : 11 y
aurait péril ponr le Gouvernemcnt á accor(lcr 11, liberté; il
Y aurait imprudellce de sa part a se laisser outrager, a
laisser discuter son principe . .le d'pomls :t l\I. le prési-
dent du conseil d 'État : Permettez! nous 118 tlcmamlons
pas le droit de TOUS outrager ni de discuter votre príncipe;
nous réclamons simplement que Tons ne soyez pas 110S juges,
YOUS que nons pouvons atteinclre dans nos éCl'its; nous ne
nous plaignons pas ü'etre poursuiYis, (l'etre COll(lamn(:s sí
-aous attaquons la constitntioll, ~í nous manqllolls au respect
dli aux pe1'sonnes, si nOllS élllployons eles paroles ínsurrcc-
tionnelles. Dans ces cas, que la lui nons ~oit appliquée, nous
la subírons, c~ YQUS aurez raison (le nous l'appliquer; ce
que nous yonlons, c'est ene jugés, et non pas ccnsul'i~s.
C~Iouvel1lent. "


Quand je consulte l'histoire, que je lui (lemanrle s'il l"st
vrai qu'un seul gouvernement ait péri par la presse, l'llÍs-
toire me répond toujours : ~on, aucun. ))énógatiollS !'iur
un grand nomLre de bancs. - Interruptioll prolungl~e.)


M. le ministre Billault vous disait hier avec Ulle expé-
rience particuliere, et j"applaudis~ais á ses paroles, qu'il
avait vu tom ber plusieul's gCJUvernernents, que tons ('~taient
tombés par leut' fante : il a\ait raiSOll. AillSi, est-c8 par la


(1) Voir comme redil1ea1ioll) el! ;:e ,¡ni elll1Ct'l'ne le .Iur)', 1" disco!!!':; 'du
22 janvier 180!) sur le droit eonmnlll ·~ll mutiérc de l'rcssp.




DÉCRET DU 24 NOVEMBRE 1860


liberte de la presse qu'a peri l'aneienne monarchie fran-
~aise? Est-ce par la liberté de la presse qu'ont été sueees-
sivement renversées les dictatures qu' on appelaít la Con-
vention, le Dlreetoire, l'Empire? Est-ee par la presse qu'a
été détruite la monarchie de Juillet, le dernier gouverne-
ment eonstitutionnel que HOUS ayons eu? (Sur un grand
nombre de hanes : Guí! oui! - Agitation.)


Je eharge l'honorable M. Billault de vous repondre. Il
vous dira, en se rapp8lant ses discoul's éloquents qui ont
été la passion, une des passions de ma jeunesse (On l'it), íl
vous dira que le gouvernement de Juillet a suceombé, eomme
tous les gouvernements, poul' avoir voulu lutter a tort eontre
l'opinion publique et n'avoil' pas su opérer a temps des re-
formes néeessaires.


Un iIlustre homme politique d'Angleterre, M. Cobden, me
racolltait quc, 101's(lue la llouvelle de la réyolutiün de Février
al'ri-ra au parlerncnt anglais, on était en séance; dans un eüÍn
isolé se trouvait un llOmme d'État bien célébré par l'histoire
mais qui, a ce moment, était délaissé, paree qu'il avait eu
le eourage (le se séparer de son parti pour réaliser le bien,
Robel't Peel. 1\1. CoLden s'approeha de lui et lui annow;a que
le roi Louis-Philippe était en fuite; que cette 1l10narchie (le
.Juillet, dont quelques jours auparayant un ministre de
Prusse eomparait la solidité a celle du diamant, que cette
monarchie 11 '('~tait plus. Sir Robert Peel, avec le sourire
d'Ull homme experimenté, ayec la mélancolie de eelUl qm
a vu tant de clwtrs et qui ne s'étonne plus, lui répondit :
" M. Guii:ot c.:;i; un grand homme d'État, malS il est
tomb(~ pOUl' av()ir m('~connu cette vérité élémentalre, que,
meme avec la majorité légale, il ne faut jamais lutter
contre l'opinion publique cl'ulle nation. " C'est ainsi qu'un
véritaule humIlle !l'État expliquait la cbute du gouverne-
ment de JUlllet. (:\1011Yements diverso - Agitation.)


Puisque nous en sommes aux exemples historiques, qu'on
me permette d'en citer ene ore un seu1.


En 1811, lorsque l'empereur Napoléon prellait la route
de l'ile d'Eluc, (lU'il tra-yersait la France, vaineu par




8 DÉMOCRATIE ET LIBERTÉ


1'étranger, abattu par cette fortune qu'il avait trop tentée,
íl croyait qu'il luí restait dans le Ciliur des populations une
affection universelle, du moins ses conseillers le luí disaient;
aussi son étonnement fut- iI profond de se sentir, a mesure
qu'il s'avanºait vers le mieli de la France, accablé par eles
malédictions qui étaient déplacées alors, cal' 011 (lcvait le
respect a cette immense infortune. (Tres-bien! tres-bien!)
PIusi~urs fois iI ne put, nous elit son historien, retenir des
larmes qui coulaient silencieusement de ses yeux, et qu'iI
dérobait aux regarels des coumissaires étrangers, ses gar-
diens. Aussi quand, apres quelrlues mois de re traite a l'ile
d'Elbe, iI rentra, par un coup de fortune inespéré, dans ce
palais des Tuileries qu'il avait quitté quelques moi.s aupa-
ravant, il y appela Benjamin COllstant, jusque-lá un de ses
plus intraitables ennemis, mais quí ne l'avait détesté que
par amour pour une puissance encore plus élevée e1: plus
noble, la liberté. Les premieres paroles par lesquelles il
l'accueillit furent celIes-ci : " Des discussions publiques,
des éIections libres, des ministres responsables, la liberté
de la presse surtout : j e veux tout cela; la liberté de la
presse surtout. L'étouffer est absurde. "


Plus tard, lorsque encore plus éprouvé par l'adversité,
lorsque, apres avoir été broyé avec la France sur le champ
de bataille de Waterloo, il fut arrivé sur ce rocher Olt ses
douleurs ont fait oublier ses fautes, alors, messieurs, c'est
l' emperenr actuel lui-meme qui me l'a appris (l); alor8 iI
écrivit a son frere Joseph, retiré aux États-Unis, cette belle
parole que je voudrais voir inscrire iei : " Dites a mon fils
qu'il donne a la France autant de liberté que je luí ai douné
d'égalité. " (i\iouvement.) Voila, messieurs, ce que nons de-
mandons a l' empereur. Si notre parole pouvait avoir sur
lui une influence quelconque, nous lui dirions : Quand on
est le chef d'une nation de 36 millions d'hommes; quand OIl
a été acclamé par elle, ainsi qu'oll nons le dit chaque jour;
quand, grace a la force de cette nation héro'ique, on dispose


(1) CEttvres completes <le Louis-Xapoléon Bonaparte, Notice sur .Joseph,




DÉCRET DU 24 NOVEMBRE 1860 9


du monde en ce sen s que, de quelque coté qu'on se penche,
on y amene la fortune; quand on est le plus puissant parmi
les souverains; quand la destinée a épuisé pour vous toutes
ses faveurs; quand tout vous a été accordé; quand, dans une
existellce légendaire, on est sorti de prison pour monter
sur le trcme de Franee, apres avoir traversé l' exil! quand
on a connu toutes les douleurs et toutes les joies, il reste
ene ore une joíe ineffable a gouter, quí dépasserait toutes
les autres et donnerait une gloire éternelle : c'est d'etre
l'initiateur courageux et volontaire d'un grand peuple a la
liberté (Tres-biell! tres-bien!), e' est de repousser des con-
seillers pusillanimes et sans foi, de se mettre directement
en présence de la nation. J'en réponds, le jour ou cet appel
serait fait, iI pourrai t bien se trouver encore dans le pays
des hommes uniq uement fideles aux sou venirs du passé, ou
trop absorbés par les espérances de l'avenir, mais le plus
grana nombre approuverait avec ardeur. Et quant a moi. ..
(Bruit; plusieurs membres agauche: Parlez! parlez!) quant
a moi, j'admirerais, j'appuierais, et mon appui serait d'au-
tant plus efficace qu'il serait complétement désintéressé.
(Marques d'approbation. - l\Iouvements divers.)




lO DÉMOCRATlE ET LIBERTÉ


II


DE L'ÉQUILIBRE DU BUDGET ET DE LA PAIX


(Ii jnin 18fH)


Messieurs, j'imHerai l' exemple quí vient de n011S &tre
Jonné par l'honorable préopinant. J e n 'irai 11i en t'ologne
ní en Russie, j e resterai en France et je ne sortirai point
de la question financiere du lJudget. Le langage qui -vient
d'etre tenu par un orateul' quí parlait pour le lmdget mOa
encouragé a prenure la parole et a vous présenter quelques
réflexions. Il est éyident qu'une telle critique aboutissant a
un yote favorable donne une grande latitulle il ceIui qui,
comme moi, vient parler contre. (\Iouvemcll t.)


Dans la discussion ue l'Adresse, toutes les (luestion;-.; de
politique généraIe et la situation financiere cOll~idér<'~e dans
son ensemble ont été traitl~es aycc <llllpleur, et j e no cruis
pas fIue des evéncments nonveaux ü'une grande illlpOl'tallce
se soient produi ts ponr q u 'il paraisse nócessairc, en exalllinant
le burlget, de rev8nir sur des sujets u<';ja abord(1s. Je peux
donc limiter les obseryations que je vais vous soumettre.


On nous présente un budget; ce lJUdget est-il eH equi-
libre?


Le mot d'é(lUilibre est U11ll10t magique. Tant qu'Oll ne 1'a
pas pronol1cé, le pays est irlrluiet; quanu il a été dit, tour
le monde se rassure. Qu'est-ce clonc que l'équiliLre cl'un
budget? En quoi consiste-t-il? Deaucoup de ceux qui s"?n
enquiel'ent au dehol's l'ignorent; le mot n'en protluit pas




DE I/ÉQl!ILlBRE DTj BUDGET ET DE LA PAIX 11


moins son effet; e' est, dans la discussion du budget, le
point sur lequel le pays a les yeux, sur lequel il nous de-
mande, a llOUS ses représentants, de lui dire la vérité.


Eh bien! messieurs, puisqu'il en est ainsi, puisque la
question d'équilibre a une si grande importance, recher-
chons si l'équilibre existe.


Pour cela, demandons-nous d'abord, en laissant de eóté
toute érudition financiere, en nous servant du langage ha-
bituel d'un !lomme du monde, demandons-nous ce qu' est
l'équilibre du buclget.


Un budget est en équilibre lorsqu"il n'y a ni découvert ni
déficit; ce sont les seuls mots spéciaux que je me per-
mettrai, et je les explique a l'instant meme.


Lorsque, dans le budget d'un État, les dépenses ont été
déterminees, une prellliere (luestion se présente : A-t-on de
quoi les pa'ypr? Quels sont les llloyens a l'aide Jesyuels on
y sulrriendra? Si, examen et addition faits ele toutes les
ressources du pays, on a1'1'ive Ú cette réponse : Les dé-
penses, telles gu"elles Ollt été précísées, peuyent etl'e payées
par un ce1'tain nornhre de ressources inc1iquees el'avance,
on dit que les (ll~penses du budget sont eouvertes. Si, au
eontraire, 011 a1'1'ive a un résul tat négatif, si tOlltes les clé-
penses ne trouvcnt pas leul' équivalent en ressources, on
dit qa'il existe a11 budget un Jécouvert.


Cette p1'emiljre question résolue, une seconde se pré-
sente, et I11Ú est aussi d'une ímportance réelle. Il ne suffit
pas, en eIfct, d"ayoÍr trouvé les ressources pou!' payer les
dépenses; il faut examiner quelle est la nature deS 1'es-
sources qu\m s"cst procurées, et, quancl ectte nature de
ressources a été détermince, la rapprocher de la nature des
dépenses auxquellcs elles Joíyellt faire faee. Ainsi, par exem-
pIe, les dépcnses ordinail'eii et permanentes sont-ellcs 801-
dées par des rcssources permanelltes et ordillaires? Ou bien,
au contrairc, 11e sont-elles soldées que par des dépenses
passage1'es, cxtraordinaires, quí ne pem:ent se produire que
dans des cas exceptionnels? Si on réponcl affirmatiyement,
c' est-~l-dirü si lt~s clépenses permanentes et ordinaires sont




12 DÉ;\IOCRATIE El' LIllERTÉ


soldées par des ressources également permanentes et ordi-
naires, on a non-seulement un budget qui n'a pas de décou-
vert, mais un budget qui n'a pas de déficit budgét<1ire. Si,
au contraire, on est obligé de recourir au crédit, aux
emprunts, aux ressources extraordinaires, alo)'s on a un
budget sans découvert, mais qui présente un déficit bud-
gétaíre.


Pour rendre cela tres-clair par un exempIe vuIgaire, sup-
poseí': un homme qui, le 1er janvier, établit son blldget pour
l'année qui ya commencer, et qui se <lit: J'ai hesoin de
dépenser 20,000 francs! Ceci fixé, il ajoute : Ayec quoi
les payerai-je? Si, ses ressources additionnées, iI arrive
a ce résultat qu'il n'a que 15,000 franes de disponi1Jles, son
budget présentera un découvert de 5,000 fraIles. Mais iI
a un ami; il va le trouver et lui demande de lui pl'eter
5,000 francs. Grace a ce pret, ll~ découvert disparait : les
5,000 francs, ajoutés aux 15,000 francs, lui donnent les
20,000 francs quí luí sont necessaires, il arriye ainsí a une
balance. l\laís il a un déficit proeluit par les 5,000 [rancs
qu'il a été obligé d'emprunter et qu'il devl'a l'estituer.


01', la situatioll (l'un État doit etre examinée exactement
d'apres le~ memes príncipes que cellX clu particlllier (!ue je
viens de citer a titre d'exemple.


Cela était utile a poser, cal' je n'aime pas Ulle discussion
dont les points ele départ n'ont pas été mathématirluement
déterminés. Je llUis maintenant appliquer ces prillcipes au
budget de 1862, et me faire utilement cette double de-
mande : Le budget de 18G:2 présente-t-il un (l(~couvert?
présente-t-il un déficit budgétaire?


Je réponds affirmativemcnt aux deux question:-::. Le hudget
de 18G2 est a la fois en découvert et en déficit.


Je le démontre.
D'abord le clécouvert.
Si ron en croit le rapport qui vous a été pré~enté, bien


loin ele présenter un découvert, le huelget de 18G2 se sol-
derait par un excédant de recettes de 10 millions et les
fractions; mettons 11 miHions.




DE l~'ÉQUTLrBRE DU BUDGET ET DE LA lJAIX 13


Eh bien! jesoutiens qu'on n'est arrivé a ce résultat qu'en
employant un double procedé qui n'est pas réguIier : le
premier a été de forcer les recf>ttes, et le second a été de
dissimuler les dépenses. Je pourrais entrer dans des détails
inflnis, car l'opération a été faite en grand; mais je ne veux
m'attacher qu'a un ou deux points, certains et saisissants,
de maniere a donner corps el mes reproches et el ne pas fati-
guer la bienveillante attention de la Chambre .


.le dis (rabord qu'on a forcé les recettes! Vous savez
mieux que moi que, dans toute espece de budget, il est des
recettes dont le chiffre n'est pas déterminé et inyariable;
tels sont les revenus indirects : une année ils atteignent
tel chiffre, l'année suivante ils s' élevent ou s'abaissent.
Tou tefois l' observation constate q u' en général, dans une
situatioll régnliere, qui n'est troublée ni par une famine, ni
par une disette, ni par aucun acnident imprévu, les revenus
illdil'ects ont une ten dance el s 'accroltre avec le bien-etre
de la population. Malgré cette probabilité, par un sentiment
dont vous appréciez journellement la sagesse, les financiers,
nos maitres, ceux (1 ui ont posé les principes que nous es-
sayons de sauvegarder, ont étabIi cette regle: que, dans la
fixation des recettes, il ne fallaitjamais escompter l'avenir;
qU'Oll devait s'en tenir aux faits accomplis, prendre pour
bases des éyaluations sur lesfl ueUes on établissait le budget
la réalité des faits accomplis au moment Ol! on présente le
budget, et non les espérances que ron pouvait concevoir
pour les années futures. Ainsi~ ii s'agit de voter le budget
de 1862; il ne faut pas spéculer sur les augmentations quí
peuvcnt se produire en 1862; il faut examiner les faits tels
qu'ils existent en 1860, et les prendre comme base d'appré-
ciation dans l'établissement du bwlget de 1862.


Voici, messieurs, dans queIs termes excellents l'hono-
l'able M. Magne, avec cette c1arté, avec cette pertinence
de langage que nous nous plaisons el reconllaitre dans ses
discours, voici en quels termes l'honorable M. Magne ex-
plique cette regle salutaire dans un de ses rapports sur l'un
des budgets des années précédentes : " Quallt aux recettes,




14 DÉMOCRATIE ET LIBERTÉ


contrairement a la marche suivie dans ces derniers temps,
elles ont été évaluées d'apres les résultats obtenus et d'apres
les prévisions de 1856, sans égard pour les accroissements
ulterieul's. Ces augmentations d(~ proclnits a peu pres cer-
taines sont reservees pour faire faec aux dépellses supple-
mentaires que des cas de force majeure pourront ucca-
sionner. 1\e pas escompter l'aveni1' et ga1'der les recettes
éventuelles pour eouvrir les depenses imprévues me paralt
etre la pratique la plus efficace ponr arriyer a un équilibre
serieux. "


Assurément, il est impossible de dire mieux, dans des
termes plus yrais, pourq noi il faut s' en tenir ú. la regle des
faits accomplis. Vous sayezqV8, c1¡~s qne yons serez rdonrn(~s
dans vos départements, les rrédits extraordinai1'es yont
fono1'e sur le budget et l'éel'aser. ~\ l'henre oil je vous parle,
avant meme que vous soyez partis, on YonS a apporté des
loís pour 9 á 10 milliolls de cró(li ts extl'abudg¡"taires.
Dans eette situation, ce serait l'ade (l'hommes pn~\()yallts
et sages, si vous ne pouvez arreter pl11' -"OS eonsrils les
erédits snpplémentaire~. <iu moins, par (Jes d(;cisiollS plus
impérienses, de en~el' des ressonrecs pour les payer, en
maintenant les evaluations des impC)ts imliroets d'aprús les
regles yerita11es.


Or: qu'a-t-on fait ecHe année-ei? Je ne parle pas de ce
qni est d()utenx~ pour ]le pas eompli(pcr l'argnlllentaLiol1;
je ne parle pas des evaluatiol1s snr les sueros et de eer-
taines reeettes qu'on a g1'ossies ]e plus po:.:sible : e'est tout
simple, je passe Ll-dessus. 1\lai8 pon1' les vins, il y a (lad(Iue
chose de eertain. En 1860, les Yins ont pro(hüt 173 rnil-
liOllS. 11 fallllrait done meUre au hudget ue 18b2, comme
prévisioll de ce que rendra l'imp6t sur les boissOllS, 1,;) mil-
lions. Mais qu'ar1'ive1'ait-il si ron acloptait ce ehiiTl'8? C'est
que l'exeédant se ehangerait en un déeouvert. Alor8, que
fait-on? On clit : e'est it cause de la rnauvaise réeoltc que
les vins n'ont procluit que 175 milliol1s en 18GO ; il est pro-
bable que ectte aunée sera, llolllle, (1ne, g1'aee a la ehaleur, ú
l'absence de la malaclie de la vIgne, les vins produÍront




DE I,'ÉQUILIBRE DU nUDGET ET DE LA PAIX 13


200 millions. On porte done 200 millions aux recettes de
1862; on se procure ainsi un surcroit de 25 millions, qui
convertit en un excédant de 11 milliom; un déficit réel de
14 millions. VoiL't un exemple sur lequel j'appelle des expli-
cations claires, nettes; voil<'t un exemple qui établit com-
nlent~ en for('::mt les recettes, on change un découvert en
un excédant .


.le passe m:üntenant, pour ne pas abuser de vos moments,
á la seeollde partie de ma démollstration : fétablis qu'apres
::¡;\oir forcé la recette, on a dissimulé la dépense. Ic~i encore,
messieurs, j e cil'conscris mon argumenta tion dans un seul
faiL de fa('on á ce qu'il n'y ait pas d' échappatoire possible.


Quoique cette anllée, dans le lJllclget, Ol1llons ait demandé
d'aHgml~nteJ' l'eff0ctif bll(lgétaire normal de notre armée, et
de le portel' Ú 400,000 hommes, au lieu de 380,000 hommes,
la cOlllltlis:-:ion du l)U(lget a acquÍs la certítude que, au mo-
ment Olt nO!lS discutons, on a sous les drapeaux, en outre
de cet effeetif, G7,000 hOlllll1eS, 12,000 cheval1x; (Iue la
m:lrinc a 110 navires et 12,000 marins qni ne SOllt pas
compris clans le hu(1get, c10nt 011 ne '\'OU3 a pas c1it un mot
dans le rapport. 01', messiellrs, si nOllS appróciolls les dé-
pCllses (111e repr<'~selltent ces dissimulatiollS blúmables, 110US
arrivons ~ cn ralcul,mt de 1:1 far>'on la plus étroite, a un
chif!'!'!' de 110 a 1.20 millions Vous comprenez ctes lors
pOl\rquoi Oll. ne VOus en a 1'1(>1:. (1it dans le bmlget ni dans le
filpport trop complaisant qui YOUS a été fait. .. pIurmures.)
:;'\lcssirurs, j'exprime mon opiniol1. Je ne crois pas le mot
111rss:mt ~ une appré(~i<1tion de cette n<1ture est dans mon
(¡miL Je repr~nds. n est évidellt que si cette vérité avait
(;tl~ d(~\oilée, on se réjouirait moins de 1'excédant du
hüdget.


Objectera-t-on ceci : Nons ne so mm es encore qu'au moís
de juin i 11 est possible que~ (riei ~t la fin ele l'année, HOUS
ayons le bonheUl' de pouyoil' congéllier ces 67,000 hommes ;
nous n'avons pas voulu les mettre dans le buclget pour
ne ras nous imposer en quelq ne sorte l' obligatiol1 de les
garcler?




16 nÉMoCRATlE ET LIBERTÉ
Je réponds qu'en fait le Gouvernement, qui est au couraut


de la politique étrangere mieux que moi, sait qu'il ne peut
etqu'il ne veut pas congédier ces hommes avant la fin de
l'année. J'ajoute qu'il ne faut pas oublier quel est le carac-
tere d'un budget. Un budget est une prévision. On doit y
tenir compte des faits probables autant que des fai ts cer-
tains. Quand vous inscrivez des ressources au chapitre des
recettes, vous les mettez en présumant qu'elles auront lieu,
paree que le passé vous dit qu'elles ont eu lieu jusque-Ia.
Il serait étrange, messieurs, que pour les dépenses on suivlt
un systeme diamétralement opposé, et qu' 011 vlnt dir'e :
Tandis que nous comptons les recettes probables, nons ne
youlons inscrire que les dépenses certaines. Dans tous les
cas, quand on expliquait au pays sa situation financiere, il
y avait la un fait capital sur lequel il était llécessaire d'ap-
peler son attelltion et qui ne pouvait [~tre omis dans un
examen Sll1cere.


Je n'en dis pas dayantage : je crois etre arrivé, sur ce
second point comme sur le premier', a la meme conclusion
et a la meme évidence, et avoir établi que le budget se pré-
sente en découvert, non pas en équilibre, et encore moins
en excédant.


Ai-je besoin d'insister sur ma secomle pl'oposition? Ai-je
besoin de prouvcr, en admettant meme que l'excédant fan-
tastique qu' on nous a montré existát, qu'il y aurait cepen-
dant un déficit budgétaire? Mais vous venez d' etltendre
l'honorable M. Kolb-Bernard, vous avez entendu 1\1. Koo-
nigswarter, les discours de M. Devinck et de 1\1, Gouin ne
SOllt pas sortis de vos mémoires. Que vous ont-ils dit tous
avec l'autorité de leur parole, de leur expérience, de leur
modératioll, de leur dévouement au pouvoir? Que vous ont-
ils dit? !ls vous ont dit que vous ne couvrez vos dépellses
ordinaires que par l'emprunt, que par des impóts nouveaux,
que par la suspension de l'amortissement, que par le décime
de guerre, continué d'année en année malgré l'état de
paix, que par la surtaxe sur l'alcool, en un mot, par des
ressources quí sont extraordinaires ou transitoires. Consé-




DE L'ÉQUILIBRE DlJ BUDGET ET DE LA PAIX 17


quemment, le déficit existe aussi bien que le découvert; iI
faut avoir le courage de le voir et de le dire.


Pour moi, messieurs, rai considéré comme de mon devoir
de le faire; je ne jetterai pas pour cela un cri de détresse
ni un cri d'alarme; je ne viendrai pas annoncer au pays qu'il
est perdu, paree que ses bnagets sont en découvert et en défi-
cit. Non, un p8yS comme la France ne se pera pas aussi fa-
cilement; et il est certaín qu'il a une telle puissance que, la
paix durant, ii pourrait, pendant de longues annécs encore,
supporter une administration financiere encore plus mau-
vaise. (Interruptions et rumeurs.) l\Iais, messieurs, notre
devoir est d'avertir a temps, de rechercher le míeux, de
l'indiquer au Gouvernement, et de le contraindre, s'íl ré-
siste a nos clésirs. Quand nous parlons de politíque étran-
gere, nous donnons des conseils : quand nous parlons du
budget, nous prenons des décisions. Il clépend de vous, par
une décision tr(~s-énergique, de notifier au Gouvernement
que -rous entendez que les regles financie res soient obser-
vées . .le fais la part des circonstances; je sais qu'on vient
de faire un traité de commerce qui augmentera, j'en suis
convaincu, la prospérité du pays, mais qui produit un
trouble momelltané dans nos finances; je sais aussi que
quand on va en Chine, en Cochinchine, en Syrie, que quand
on parcourt le monde, on se eré e une cause de dépenses
tres-sérieuse. Aussi je considérerais l'expression de mon
opinion comme incomplete si, apres avoir insisté sur la
néces~ité pour le Gouvernement d'entrer dans les regles
financieres, je n'insistais pas avec la me me énergie sur la
nécessité de rentrer clans les voies de la paix.


Permettez-moi queIques explications.
Assurément, l'opinion a laquelle j'appartiens n'est pas


suspecte de marchander quand iI s'agit de l'honneur du
pays ... (lnterruption.)


V OlX DlVERSES. Ni nous non plus! Personne! Personne!
Je suis convaincu qu'en cela nous sornmes tous de la


meme opinion. Seulernent, ce que je considere comme né-
faste pour le pays) pour sa prospérité, pour son repos inté-


2




18 DÉ:.\IOCRATIb: ET LIBERTÉ


rieur, c'est cettp, paix. ilHlécise et san:::; sécurité, c'est c:ette
paix. <1'oü ron craint toujours de yoir surtir la g'uerre, qui
cepen<1ant n' est pas la guerre ; cette paix qui ressemble aux.
temps orageux oil les nuages, chargés de tell1pete et cl'élec-
tricité, passent au-elessus de notre tete. sallS éelater, mais
en fatignallt, eH énerY<.tnt, eu ütant les forces . .Te (lemancle
clonc au G;)Uyern8ll1ent, et je 1mis le faire sans etre chimé-
riqne, cal' clans les questiolls europécllnes (j'ai cet orgneil
pOui' hú CUl11ll1e pour mon pays:', il a une telle infiuence
que lOl'::'ia'il ycut résolúment une chose, il y a nne gramle
eSpt~rallr,~(~ (liF~ cette CllOS8 soit ... .Te demande an Gouver-
nellleliL flu'apl'¿'s avoi1' conclu ües traités de COlllmerce, il
pose nettcment iL rEurope la question des traitt'~s de elé~ar­
mement. Que la France sache queHe est sa situatioll! S'il y
a des (luestions d'honneur, des questions ele liberté ¿t vider
rar le-..; arnles, nous S0111me8 prets ¿L les soutplJir; le pays
[era eles eiforts énerglques, vigoureux. Si, au cOlltr::lire,
nous clevons, gráce au respect des principes de non-inter··
vention, gráce ~\ une politique expansive, libérale, mais non
armée, si HOUS cleyons surtout songer ú développe1' la puis-
sance, la liberté, la secu1'ité intérieUl'es, eh lJien! ato1's,
apres avoir fait les traités de commerce, faites les traités
d8 désarmement.


le considere comme d'une importance égale qu' on s'a1'-
rete enfin dans cette voie de constructions a outrance quj
convertit la France en un yaste atelier de ma~·ollnpríe. (Ou
rit.) Certainement, quand on nous propose des traV:lUX pro-
ductífs, des chemins de fel': nous les accueillol1s avec em-
pressement. }'aire passel' dans un paJs un chemin de 1'61',
c'est COlllme si clans le désert de Sallara Oll faisait subitement
coulel' un heau fteuve; tout aussitot la richesse, l'abon(lance
se déyeloppent et produisent la prospérité. (ApprolJation.!
Lorsqu'au coniraire, animé par le fanatisme sans mesure de
la liglle droite (Rires), on 11e songe qu'a élever eles cons-
tructions que les motifs d'hygH~ne publique ne justifienr,
me me plus, a101's, messieurs, on crée nn danger só'ieux
pour les finances d'un pays.




DE ~-,'J~QU1LIBRE DU BUDGET ET DE LA PAIX 1 ~4


Vous savez tous les malheurs qui out terminé le reglH de
Lonis XIV. Ce monarque, Y(~ritahlement grand asa derniere
heure, ;:;entant s'approcher le moment supreme, fit appeler
"on j eune successeur aupres ele luí; en présence de quelques
familiers, il le fit mettrc sur son lit ~ l'embrassa) leva les
mains et les yeux au cíel, le llÁnit, et, les larmes dans les
nmx, raconte Saint-SimOll, luí dit : ,; ::\Ion fils, vous :1llez
0t1'o un grand roi; no m 'imitez pas c1ans le goút que raí eu
pCJlll' les batiments ni dans celní que rai en pour la guerre ~
rt'tchez de soulager' YOS peuples, ce que j'ai été assoz llul.llh'U-
relEo pon1' n'avoir pu faire. "


J e 1'ecolDmalHle ces conseils au Gouvernement.
SUR QCELQUES BANCS. Tres-hien! tres-bien!




In


SUR LA R1hoLUTION


(10 jnill 181il)


Messieurs, en entendant notre honoralJ1e coll¡'.gue M. Kel-
ler, j'avais demandé la parole. La réflexion n'a fait que me
montrer plus évidente la nécessité de répondre au discours
qu'il a pronollcé devant vous.


Ce discours contient des attaques contre le GOllYernement
(Bruit), des invecüyes contre la révolution, des insinuations
contre nous et nos amis du dehors.


Aux attaques contre le GOlrrernement, e'est ¿t ~IlVI. les
ministres d'État qu'il appartient de répondre : ils ont en-
tendu et recueilli les faits; nons jugerons leurs expli-
cations.


Quant a moi, messieurs, iI m 'a paru impo:"sible de garder
le silence en présence du systeme et du parti pl'is el'injurier
la révolution, et de nous reprt~senter, nous ses défenseurs,
comme les ennemis éternels de l'ordre et de la société. Je
serai modéré, la délicatesse du sujet rexige, et je serai
bref.


La révolution ! ... Demandons-llous, avant tout, tres-paisi-
blement, demandons-nous ce que signifie ce mot, puisqu'il
excite ehez les uns tant de terreur, et tallt d'amour chez
les autres. On l'a dit depuis longtemps : dans ce monde, le
plus souvent, on ne combat que pour des mots. Il est done
essentiel, atln que les coups ne soient pas donnés dans




SUR LA RÉVOLUTION 21


l'ombre, de bien préciser le sujet du différend avant d'en
. . Yelur aux mams.


Qu' entend-on par la révolution? Veut-on dire par la un
systeme politique et social qui glorifie le désordre, le bou-
leversement, l'injustice, la spoliation? Dans ce sen s , je
n'hésite pas a le déclarer, je ne eonnais pas dans ee pays de
parti de la révolution (Trt~s-bien 1 tres- bien 1); et s'il est
quelques cerveaux troublés ou quelques CCBurs corrompus
qui puissent obéir a des mobiles de cette nature, ils appar-
tiennent ;\ la conr d'assises et non pas a la politiqueo (Vive
approbation.) .


Veut-on, par réyolution, entendre la glorification exaltée
des erreurs, des entrainements, des exces de la révolution
fran(\aise? .Te dis encore que cette signification est inaccep-
table; ma premiere parole en me levant dans cette enceinte
a été, e11 padant du tribunal révolutionnaire, de l'appeler
le tribunal réyolutionnaire d'~xécrable mémoire. (Tres-
bien!) Et en cela je n'exprimais pas une pensée isolée, je
répoudais aux sentiments de ceux qui m'ont envoyé ici.


Ah! messieurs, voyez, voyez OU nous serions entralnés
s'il pouyait etre légitime de juger une doctrine quelconque
par les exees qui l' ont déshonorée!


Est-ce (lue la révolutioll frangaise seule a présenté ce
spectacle affligeant d'actes odieux ou blamables se melant a
des vérités admirables? Est-ce que dans tous les mouve-
ment.':: qui out été l'amvre des hommes ne se rencontrent
pas, á c6tó des iuspirations sublimes qu'excitent les prín-
cipes généreux, des actes houteux qui naissent des passions
basses de l'humanité égarée? Est-ce que dans l'histoire du
chri:stiani:srne nons ne comptons pas, je ne dirai pas cinq
années, six anllées, sept années, dix années de trouble
comme dans la révolution franyaise, mais trois longs siecles
de désordre, d'incertitude, de douleur et d'agonie? Est-ce
qn'alors on n'a pas vu un monde entier s'écrouler sous les
coups des chrétiens, les temples abattus, les cités détruites,
les pai'ens persécutés, les barbares appelés et se répandant
sur le monde comme un torrent dévastateur qui entraine


,




DÉMOCRATIE ET LIBERTÍ<:


tout deyant luí? Est-ce que, pour cíter un bit spécial, Cha-
teaubríand, (1yec cette poésie quí immortalise tout ce qu'elle
touche, n'a pas raconté l'histoire d'Hypathie, de cotte lJelle
et noble jeune filIe qui, llalls la yi1l0 lL\.lexanul'ie, ensei-
gnait la philosophie de Platon? Elle était si belle flu'elle
était obligée (le cacher par un yoile la splellc1eur (lo son
visage, afin (1UO ses auditeul's ellthousiasm(;;; lúmuliassent
pas le plülosophe pOLl!' la fomme. Une tolle propaganue
excita la fUrelll' des chl'étiens : 1m jmll', elle fut saisie,
écartelée, portée clans un temple ct clócllÍ(l11eÜ~o ayec (l(~s
coquilles de noix. Est-cc q ne j' on fais Uli crime au chris-
tianisme? Est-ce que je lui dis anath¿~mc paree (IU'a son
origineje rCllcontrc de paroib actes? NOll; jo ll';1ccuse (pie
la passion 1nullaine. C'est ce qu'exigont r(~quiU~ d l"impar-
tiale histoire.


En nous n:pprocJLlllt de:-- temps (¡ui Hons tOllchcll t, est-ce
llue vous croyez, nWl: huno1'2JJle alhcl'~airC', YOll.S (l1Ü ayez
écrit l'hi.-,tuil'e (le France, bt-cr que YUUS ero}l'z (Iue les
abominables jom'!!l~8"; (1(, ~eptelllbre aient (Luelquc chosc a
enrie1' a la S,tint-lJanhélelll)'c Est-ce (iue ymlS pCllsez que
1\faillard, qui se tenait ú b porte de la pl'iSOll pour juger
les prisonlliers, ;-:oit plus odieux. (lile ce Tholllas {lui flt ltor-
reur ú Charles IX lui-~llelU( e11 :-:e vantant (raYO!r, tlalls Ulle
nuit, tué qnatre-yingts hnf!'llCllOts? on que cet nbofllinaldr.
Coconnas (ce nom {loit (~tre conser\(~: IJlti <lyait acllebi du
l)euplo trente lwgncnots: et (lui, apl'c.'l 10([1' (l\'uil' proIllis la
yie s'i1s abjuraient, les tu[tit it l'etits CUllp:c. ck lloigllilnl?
Est-ce qn'on peut jug'er le cathoJicisll1e l'~u' ces i'aits? Est-
t:e quo, pour prononcer sur le cO.lcile de Trente, sur 13os-
::met~ Fénelon, Gl't~goire VII, j'aurais le (lroit {1'illH)(lllel' le--
souyenir~~ de Thomas ot de Coconnas? NOIl, l'(~(luité et l'irn-
partiale histoÍl'e me le défellLlent.


J'en finis ayec ces accusations contre la réyolution, tou-
jOUl'S l'eprodnites et toujours injustes, en YOUS lisant qucl-
ques paroles de i\apoléon ICl'; de Napoléon ICl', non }las dan...;
ses années de jeullesse et d'entrainemont, alors que les
impressions sont facile:::, (lue1quefois éto1ll'(lie'l, l1UÚS (le




SUR LA RÉVOLUTIO};" 23


Napoléon en 1808, au moment Oll il préparait l'expéelition
d'Espagne, a101's qu'i1 avait expérimenté les hommes, et
les choses, et la vie. Il avait été frappé, depnís plu~,i8urs
années, de la pécessité el'avoir une histoi1'e de France de
la(lUelle pút résulte1' une réconciliation des pa:'tis; mais
dans un premier essai. il avait en la main malhenreuse. En
180-1, iI s'était adressé (\ 1\1. ele l\lontlosier, qni, contre ce
qu'on atten(lait ele luí, arriva it ccUe conclnsíon : (llW, sur
le sol de llot1'e patrie, iI ,Y avait c1eux peuples (1ni (ley::üent,
quoi (lU'Oll nt, rester éternellement hostiles. Présel1té en
1807, le liyl'c fut refnsé. Alors l' empe1'eur o1'(lonna a un
de ses ministres de diriger la continuation de rIüstoire de


. ,


V ély nt <le eelle du prési(lent Hénault. l~. cet effet, il dicta
une note de ¡aquelle j'extrais ceci :


" On doit 8tre juste envers Henri IV, LOl1is XIII,
Loni5 XIV et LOllis XV, mais s<:tns etre (trlulatem'. On doit
peindl'c l(IS lll:1SSaCTCS de septemhre et les hmT2nl'" de la
réyolutioll (lu nH~llle pínceau que l'inriuisition et le 111I1.S-
sacro des Seize. 11 fallt «yoir soin d'cYiter tonto ré['~(~rion
en parlallt de la róvolntion: aucnn hamme ne pOllvait s'y
oppose1'. Le llL\nw n'app,wtient ni ú cens. fIni out pél'i ni a
ceux quí ont, snrY(;(·,n. Il n'ét;¡,ít ras de forcA indiYidl1elle
cap::t1lle (le' c1wnger Ie~ éléments et de préyellil'ies f-yé-
nements (lni llais!'aient (le la nature de:o: choses d des cir-
COllshll1Ces. "


Apl'i l '; ces petrolee;, je m'adress8 Ú l'hnnnl'ahle contra-
dirtOI!l', dOllt j(' l'e."pccte les conyiction-.; et le cl)uras~'e, et
je lui di:-; : :\()l/S ;;;ommes jeulles tous le~ denx:. tons les
deux 1l0llS sommes probablement arpelé::.; :'t yoir encore
notro rays traYC1'S:111t <1(, sérienses cliffiLulf(;s on engagé
dans d'ardelltm.; Illttes politiques. Eh bien, (iU'il m'on cl'oie:
s'i1 veut honorer la can:o:e :..\ laquelle il arpartleilL qu'il aban-
donne a tout jmpais le s}steme des reérill1inations misé-
rables. Que l'histoire scrute le passé, (In'elle 1mrin8 la con-
damnation ues coupables ave e une plume c1'ail'ain, i.t la bonne
heure! San;;; cela, elle cesserait d' etre la maitres~e de la
.,ie Ilumain8, et ron ne pourrait plus aller chereher des




24 DÉMOCRATIE ET LIl3ERTt


enseignements pon!' le présent uans le passé qu'elle raconte,
Mais dans nos débats aetuels renonC;OIlS a ces arguments sn-
rannés. Nons ne somrnes séparés, nous les lutteurs du jour,
que par trop de causes nées des événements quí se produi-
sent, n'allOllS pas joind1'e ú l'amertume de nos divisions
présentes ceHe de nos haines passées. ,~T1'es - bien! t1'es-
bien !)


Si nous 1la1'10ns des temps écoulés, essayons enfin de
trouyer des paroles de paix et de conciliation sur des
homIlles quí se sont combattus, rnéconnus, mais qui n'en
sont pas mOlns les enfants d'une meme patrie; et tout au
rnoins, quand nous rappelons leurs crimes, n'oublions ia-
mais les g1'andeurs qui s'y sont melées!


Ainsi, la révolution, pour nous, ce ne sont pas des exces,
Ce sont des yérités, ce sont les sublimes prillcipes de 8D,
ces principes qui sont pou!' tout établisselllellt politique et
pour toute constitution ce que l'áme est au corps : la raison
d'etre, la fiamrne yiye sans laquelle rien ne dure; ces prin-
cipes de 8D qui ont donné a notre pays morcelé l'unité, qui
ont fait d'tllle llation divisée en castes une nation d'égaux;
ces príncipes de 88 quí ont proclamé que les nations n'ap-
partiennent pas a quelques homrnes pouyant en disposer
comrne <le troupeaux, rnais que, maltresses d'el1es-memes,
elles choisissen t et élevent elles - memes ceux rluí sont
chargés de conduire leurs destinées; ces principes que
Joseph de Maistre, yotre maitre peut-etre, a en le tort
d'appeler sataniques, et que j'appel1e, moi, proyidentiels;
ces principes quí font le tour du monde et qui, par un mí-
racle des éyénements par lequelllotre foí serait rafferlllie ~í
elle a,ait pu etre ébranlée, llOUS montrcllt en un meme
jou!' l'Halie victorieuse et l'Autriche vaincue allant cher-
chel' l'une la consoli(lation de ses victoires, l'autre la COIl-
solation de sa d~faite clans la liberté que ces principes (le
89 out donnée au monde. (Tres-bien! tres-bien 1) Voili:t ce
qu'est pour nous la révolution! .Maintenant l'asselllhlée com-
prend quel sentirnellt ele surpríse et de douleur nous éprou-
vons quand nous l' entendons attaquer,




SUR LA RÉVOLUTION 25


Avant ele termiqer, mon honorable contradicteur, votre
sincérité m'oblige a vous indiquer quels sont les deux points
radicaux qui nous sépal'ent, et pourquoi nous nous trouvons
si souvent opposés elans notre conduite politique, quoiq ue
nous ayons l'air ele prononcer les memes mots. D'abord,
nous ne sommes pas arri vés ici, nou~, COlllme des can-
didats du Gouvernement. (On rit.) Apres notre entrée,
nous avons compris que notre présence dans cette as-
semblée impliquait l'abanclon de cAtte doctrinA d'impuis-
sance et de fatigue qu'on appelle l'abstention. Ayant aban-
donné l'abstention, nous aurions eru manque!' a notre
devoir d'honnetes gells si nous nous étions réfugiés dans
une opposition systématique qui est la forme elerniere et
la pllls honteuse de l'alJstention. (Tres-bien! tres-bien 1)
Aussi, ouJ¡liant nos douleurs, nos hlessures, nos ressen-
tünellts, les }CUX ulli(!uement fixés sut les príncipes, nous
aVOllS approuvé le Gouvetnement quand iI s'y est con-
formé; llOUS l'avons blárné quarHl iI s'en est éloigné.
11 en a dé auLrernellt de vous. Philippe de Comines ra-
cante que, visitant la Chattreuse de Pavie, il se trouva en
préSell{~e du tumbeau ue Jeall Galéas, le premier des clucs
de .i\Iilall. 11 était tout absorbé par la splendeur de ce mo-
numcllt fLllHdJre, lorsque le chartl'eux qui l'accompagnait
prulloll~'a plusieurs fois cleyallt lni le nom de saint, en l'ap-
pliqmlllt au due défunt. Philippe de Camines se pencha
ver.'1 luí d lui dit ;'t l'ul'eil1e : " Pourquoi l'appelez-yous
~aillU Illll(~ sC'lllble (IUP, je yois autour de son 110m les armes
de plusicur-; "illes quí ne luí appartenaícnt pas et qu'il a
USuI'P(~(\S; ceci n'est pas d'un saint! " ,; Que voulez-yous !
rép\Jllclit tonto has le chartl'eux, dans ce pays-ci nous appe-
10m; saín ts tous ceux quí nous font clu hien. " "Rires.)
Vous voili.t, lUon honorable coll(\gue, pei.llts au vif vous et
"otre parti. Quand un gouvernement vous fait du bien, e' est-
á-uire quand il reste entre vos mains un instrument docile,
vous trouvez de sa part tout saint; le jour, au contraire, oil
il rc;siste a ce désir de domination qu'au nom du ciel YOUs
voulcz cxercer sur la terre, alors vous trouvez tout mal.




26 DÉ:\IOCRATIE ET LInERT.f:
(Rires approbatifs.) VoiHt ce qui nous sépare. (Tres-bien!)


L'autre différence entre nous résulte de la maniere tres-
dissemblable clont vous et nous comprenons la liberté. l\ous,
nous ne COnCeYOllS pas notre liberté sans cclle de nos a(lV81'-
saires, et nous croyons que, si la latitu(le la plus com-
plete de 110US comlmttrc n'est pas reconnne ú ceux qui pen-
sent autrcrne1\t que !lOUS, nous somllles illdigll(~S de jouie
nous-memes (le la liberté. ,Nouyelle et vive appl'obation.)
Pour vous, il n'en est point ainsi : d<111S Hile de ces COll-
versations oú les idóes s' épanchent aH'e beaucollp plus de
pittoreStlue que dans les discours acadé,itli(lneS, un de vos
chefs les plus réputés prolloll~'ait Ull jour nne pal'ole qui
s'est gravée en lettres ele feu dans mon Ct'l'ycau? C:lr rlIt' cst
admirablement l'expression de votre s}sU'rne: il disait :
" Quanc1 mes adyersaires sont au pomuir, jo IAm' demande
la liberU·, paree que; c'est lenr principe; qU(lwl,i'y :'mis, jo
la leur refus(~, paree que c'est le míen: " ~Hires lll'1t,yant::;.)
Cela reYicnL ~t ce (lue vos philosophe,'< ot vos pllbliclstes,
parlant Ull langage' p1u:,; reley('), appellellt la liberté da
bien, c'e~t-<\-dire la liberté de ce qu'ils cC)]lsicl(~1'ellt comme
le bien.


l\Iaintemmt, 1110n honorable contrac1icteur, entcll(lez 1>i8n
ceci et retenez-le : Quancl vous serez yéritalJlemcnt pcrs8-
cutés, YOllS llons trouyerez au premier rang parmi vos dé-
fenseurs; raais qnalltl vous YOU8 plaindrez d' t)tre lJrr:,(~elltés
unifluement paree que YOUS ne poul'1'ez plns }l()l':'i·('tÜ()I' les
autres~~Ol.HeaUX 1'i1'es), a101's, C0ll11110 ali.lOUl',l'lwi, vous
nous trouverez <1n pl'cmier rang' parllli '1'0:) i¡¡rloIllllütlJles
ad VCl'S,Ü res. (:\ Ianplcs llomln'euses d 'appro ]lat.io 11.)


La di~;cu:-siotl reste U11 lllClll1Cnt suspendue,




IV


SUR LA QUESTIO~ RO:'fAINE


112 mars 18G2


.le n'ai pa~; l'illtention Ile reprendre dans tous ses détails
la qne:-:tioIl iblielllle, ni memo la W::'8stion de Hume. ~Ion
honorabL~ ami .:\I. .Jules Favro a exposé hier nos id(~es eom-
munes; d COlllllle jC' ne puis ras avoir l'cspl>rance (le le~
reproduire avec autant (l'élofluence, je ne YflUX. pa~ courir
le risqlle dE' les affaihlil'. Jo erois d'aillenrs <1n'il hut, pour
que le~ (liseussions avancent, so borner ;\ réponcl 1'8 aux.
idées llollvcl1es qni OH1: ('~té introduites c1ans le clébat au mo-
mellt o!t ron y pr(>lHl pal't soi-meme. e'ost (lone ;\ l'argu-
mcnÜÜloll de l'llOl1oralJlo .:\1. 1\.ellor que jo vais oppose1'
quc1(11l0:-! ()bj(~ctions. Son cliscours remarquable, rrmarquable
eL tallt dn tih'es, l"a (~t(', sudod par la franehise, la sincérité
et la 1lettet(: an~c l('srtuelles il a exposé ses principos, ses
d(~sirs. H>S espérancrs. J e (lomande ,\ la Cham bre la perm is--
SiOll (fetre aus:--i SinC(~l'O (lne lui, (le poserla qllestion telle
qu'elle m'appal'alt, ayec autant de netteté quo l"a fait mon
honOl'able coll¿~glle.


Dans le discoul's de l'llOnorahle M. Keller: il est une
partie a larluelle je n'attaehe (lu"tme importance secondaire,
e'est. celle qni contient des attaques contre le Piémont et
contre l'uriité de l'Italie. Beaucoup de ces attaques qui
.'Qtúcnt t1éj~\ produites ont déja été réfutées; quant a




28 DÉ~IOCRATLE ET LIBERTÉ


celles qui se produisent pour la premiere foís, il me suffira
de peu de paroles pour les repousser.


On nous a lu quelques proclamations publiées dans le
royaume de Naples, a propos de la répression du brigan-
dage. Ces proclamations horribles dans leurs termes, je les
fiétris. (Tres-bien! tres-bien!) J'ajoute seulement que le
gouvernement italien les avait flétries avant M. Ke11er et
avant moi; or, illle fautjamais 1'oublier, messieurs, iI n'est
pas juste de rendre tout un gouvernement responsable
d'actes déplorables de quelques individus isolés. (Bruits
divers). J' engage les catholiques qui blament avec tant
d'énergie la ~onduite du Piémont, a se rappeIer qu'a Tnrin,
comme partout dans les États italiens, on peut librement
aujourd'hui, a l'heure OU je parle, recueillir le denier de
Saint-Pierre.


Voila tout ce que j'avais a cljre, en ce qui eoncerne le
Piémont. •


Je ne m'étendrai guere plus relativement a l'unité italienne.
Je considere que, lorsqu'il s'agit de Rome, on accorde él
eette derniere question une importance trop eonsidérable.
Seulement, l'honorable M. Keller se trompe lorsqll'il fait a
un homme, quel qu'il soit, l'honneur d'avoir eréé, soutenu et
propagé ee qu' on a ppelle l'unité italienne. Tout patriote
italien trouve eette foi dans son bereeall; elle a été ensei-
gnée dans les chants sublimes de Dante; et Machiavel, de
sa plume immortelle éerivant sur les ehoses de la politiq'ue,
1'a montrée a l'Italie il y a plusieurs E'ieeIes, eomme le but
vers lequel elle devait mareher sans s'arreter jamais.
L'unité de l' Italie n' est done ni une idée mazZÍnienlle ni
une idée républieaine, e' est une idée patriotique. (Assenti-
ment sur plusieurs banes.) Et savez-vous, mon honorable
contradieteur, pourquoi eette idée exeite les enthousiasmes
et les dévollements? Paree qu' elle répond a la grande et
douee idée de la patrie !


Il Y a eu un temps aussi ou notre pays ne se composait
que de provinees divisées, en .guerre les unes avec les
autres, menaeées par l' étranger : nous avions un due de




SUR LA QUESTION ROMAINE 29
Bourgogne, un duc de Bretagne, etc.; tant de désastres
naissaient. de cette situation, de toutes ces luttes, que la
pauvre unité franc;aise ne pouvait se constituer qu'avec dif-
ficulté. Alors jl surgit une pauvre filIe du peuple; elle se
leva, elle prit dans ses mains l'étendard de la nationalité,
l'étendard de l'unité, et elle fit sacrer, a Reims, son roi et
sa patrie. (Tres-bien! tres-bien!) Et depuis, la France a
été puissante, forte et glorieuse. Pourquoi ne voudrions-
nous pas que l'Italie devienne, a son tour, puissante, forte
et glorieuse? (Marques d'approbation. ) Pourquoi éprouve-
rions-nous des inquiétudes, de Fombrage, paree que, a nos
cótés, d'autres s'élevent et se civilisent? Je comprends au-
trement la grandeur de mon pays, auquel je suis aussi
profondément attaché que vous. Ce que je veux pour lui, ce
que noas devrions tous vouloir pour lui, c'est, non pas qu'il
soit granel au milieu des faibles, mais qu'il soit grand parmi
des forts (Tres-bien! ); non pas qu'il soit puissant au milieu
de nations partagées et diYisées, mais qu'il soit puissant au
milieu de nations compactes et affranchies; de maniere que
l'Europe soit semblable a la lyre aux sept cordes dont parle
le poete antique, dont toutes les cordes vibraient harmo-
nieusement unies !


Mais en voila assez sur le Piémont et sur l'unité. Je
veux etre d'une sincérité égale á celle de mon hono-
rable collegue, et je déclare que, dans la question romaine,
le Piémont, l'unité de l'Italie, ne sont que des idées acces-
soires, des accidents. En effet, messieurs, l'histoire nous
enseigne que, tandis que le Piémont n' était encore que le
bras le plus dévoué du saint-siége, alors que l'unité italienne
n'était qu'un reve perdu dans les lointains de l'horizon, qui
semblait ne ,iamais devoir se rapprocher des réalités; qu' en
1822, en 1830, en 1833, en 1846, dans tous les temps, a
toutes les époques, a toutes les années écoulées depuis 1815,
iI Y a eu a Rome des tressaillements violents, des actes
énergiques, pour ne pas dire quelque chose de mieux; des
troubles tels, que toujours il a fallu que des armées étran-
geres fussent appelées pour maintenir l' ordre; ce qu' on est




30 DÉMOCRATIE ET LIBERTÉ


convenu d'appeler l'ordre! Pour les hommes impartiaux, il
Y a la quelque ehose de nature a fixer l'attention, a faire
naitre la réflexion, et qui force a se demander le comment,
le pourquoi. Il ne s'agissait pas de Victor-Emmanuel; il ne
s'agissait pas de Mazzini ni de Gal'ibaldi; ni les uns ni les
autres n' étaient eneore sur la seóne tlu mondo; cnpClldant,
la lutte qui nous oecupe, qui HOUS passiol1ne ct (iui nous
inquiete tous a des degrés eli yers, ébit cornmencée ú Home;
elle était aussi violente et aussi ardcllte qn'elle rest aujour-
<fhui : je vais plus loin, ~fazzini disparaitrait, Vietor-Em-
malluel et l'unité sel'aient bl'isés, jo vous le (lis ayer certi-
tude, eette lutte durel'ait, elle cOlltinuerait jusqll'~l ce que
la solution eut été obtenue. Pourquoi ? POllrquoi! ah; vous
l'avez compl'is, paree qu'a Rome ce (lui S8 présollte pour
demander satisfaction, ce qui 1'1'ap118 a la porte d(~ la viIle
éternelle, e'est la révolution. Oui, la révolutioll. Je ne
recule ni deyant l'idée, ni devant le mot; de la vient (1 ue
le combat est si vif et d'un si palpibnt illtérd.


Seulement, messieurs, qu'est-ce qne la révolution? MOll
honorable cOlltradicteur est enfill soni du nuage dans lequel
on tenait ce mot enfermé. Il y a Üéj~l deux. ou trois ans
qu'ú tOLIS les arguments que les hornIlles les plus moclé1'és
produisent en faveur de l'Italie, réponll ce el'i retcnTÍssant
et uniforme quí circule ~t travers lt~ monde eatllOlique : la
réyolution ! N' écoutez aUCUlle démonstl'ation, e' est la l'évo-
lution; soyez inflexible a la plainte de ces malheul'eux. qui
tendent les mains vers vous, e' est la révolutioll; défi('z-vous
de Victor-Emmanuel, e'est la rérolutioll ! (~uaJl(l ce mot a
été dit aree énergie ou qu'il a été crié, on se croit dispensé
de toute autre raisoll! Eh bien, messieurs, gl'úce LLU cíe], le
eharme a été détruit hiel'; je dois pOUl' cela une profonde
reconnaissance it ~I. Kelle1'. (On l'it.) La révolution, a-t-il
dit, se reeonnalt aux earact(\res sui yants : elle veut l' omni-
potence de l'État et une eentralisation excessive; elle pro-
fesse toujours le respect du fait aeeompli : le vainqueur,
elle le salue; le vaincu n' est pour elle qu'un fOl'ball; elle
hait ou n'aime que tres-peu la liberté; enfin, pom' elle, il




SUR LA QUESTlOX nmIAINE 31


¡l'ya que la, souveraineté du but, et la finjustifie les moyens.
Ah! messieurs, qmmd j' entendais 1'honorable M. Keller,
~lvec son accent convaincu, exposer les caraeteres de la
révolution, j'éprouvais en moi un trouhle étrange et un
tressaillement inconnu. Comment! .i\lais, comme vous, je
11e vellX pas de l' omnipotence absolue de l'État. J'aime la
lilJerté . .Je ne respecte le fait accompli (111e lorsqu'il est légi-
time, et je dc"clare que la, maxime impie : " La fin justifie
les moyens, " est un(~ ¡les erren1'8 les plus funestos, les plus
néfastcs flu'aient léguée? a notre génération présente les
désonlres des temps que nous avons traversés! Il existe
done entre nous un ét1'ang-e malcntendu. Il faut que ee mal-
entendu finissn, iI faut qU(~ tout s'explique; ii faut que nous
cessíolls de cOlnhattre dans l'équivoque et de nous adresser
des reproches q ni n8 doiyent nous atteindre lli les uns ni
les autros! I)'l'cs-hicn!) Chercbons done, messieurs, et
dcmandolls-llOUS ou, (lans qUdlle eontrée, (bns (iUel pays
ct dan s quelle éeole se trouyent enseignées et pratiquées
les maxÍmes que nous déte::;tons également.


La prcmióre ~ c'e~)t le gouvernernent absolu, la cen-
tralisation excessivC. Vous ayez tous lu les J1Iémoi1'es de
Lonis "11 V:' dans ces mémoires se trouye eette proposition:
" Que les rois sont des seigneurs absolus, et out naturelle-
11lellt la disposition pleine et entiere de tous les 1Jiens quí
SOllt possédés aussi llÍell par les gens d'églíse que par les
séculiers. ~, ()ü saisir mieux l'olllllipotence absolue de
l "E;t r t·~ . d.' ...


U;\E VOIX. Et de la réyolutioll !
M. É),lILE OLLIvmn. Le commentaire en fut u.orlllé un JOUl'


par le marquis (le Villeroi, lorsque, montrant a Louis XV,
enfant, la multitucle quí se pressait sons les fen('tres des
Tuileries, il lui disait : " Sire, tout ce peuple est it vous! "
L' ümnipotence de l'État, savez-Yous OÜ elle est? Dans le
I'nlité de la Politique saeTee de Bossuet, oü se trouve en-
~;eignée la doctrine que" le pouyoir du roí est absolu " !
L'omnipotenee de l'État, saYez-Yous Oll elle se trouve sur-
tout ? .A I~ome, á Rome, qui est une théocratie, e' est-a-dire




32 DÉMOCRATIE ET LTBERTR


un gouvernement confondant en ses mains tous les pouvoirs,
et gouvernant égaIement les ames et les corps, les pensées
et les actes.


Nous avons assisté, de nos jours, c\ une révolution inte-
ressante et bien grave pour quiconque s'attache a suivre 1e
développement et l'histoire des idées. L 'l':glise est ün-
muable dans son dogme; ce qu'elle a enseigné une 10is,
elle l' enseigne toujours j US(lU 'it la consornmation des siecles.
Tel est son langage, et iI est conforme il' la réalité. Mais, a
coté de la partie immu'lble, immobile, iI est dans l' organi-
sation ecclésiastique une partie toute terrestre, sans cesse
ehangeante, que 1'Église, avec une sagacité hien (ligne d'etre
louee, a toujours modelée sur le temps, en suivant ]e mou-
vement progressif des événements humains. Ainsi, son orga-
nisation matérielle débute par etre une v{~rita1Jle d(>ll1oc1'a-
tie. A cette démocratie suceede l'aristoeratie des éveques,
puis une monarchie tempérée palo les cOllciles. Il nons était
réserve d'assister ~l l'abandon de eette sage politique, de
voir l'Église se modifier toujours, mais, contraircment a ses
traditions les meilleures, pou!' se mettre en contradiction
avec le progres des idées et la situation des faits. Tandis
que la liberté gagnait partout, elle s'est transformée en Ulle
monarchie absolue. Jusqu'a nos t.emps, dans tous les pays
eatholiq ues, en France surtout, les eroyants, tout en restant
attachés, unis a l'Église universelle en ce quí touehait au
dogme, conservaient de vieilles libertés , nos antiques f1'an-
ehises. C'était notre honneur. Nos céIelJl'es ju1'iscollsultes,
apres les avoir promulgué es , les défendaient, et, dans le
sein meme cIu clergé, aucune voix ne s' éIevait jamais que
pour leur rendre hommage. Aujourd'hui, toutes ees tradi-
tions sont eonsidérées eomme des reliques d'un autre age.
011 les rejette, on les dédaigne. L'ultramontanisme regne
en souverain. L'empire que Rome s'est créé s'étend par-
tout; toutes les différenees loeales sont abolies, effacées, et
le vieux bréviaire gallican, dans lequel nos ancetres ont
prié Dieu, est fermé; le bréviaire romain le remplace dans
les églises de Franee. (Mourement.)




S"CR LA QUESTIO"N ROMAINE


Partout oü eette unifieation de l'Église s' opere, ce qu'il
y a de plus frappant, ee qui est un signe des temps, ce qui
j ette, a mon sens, sur toutes les questions les clartés les
plus vives, partout les propagateurs ardents de ces nonteau-
ü;s, eomn18 dirait notre vieux Pithou, ne sont pas des eeclé-
siastiques ~ ce sont surtout des la'iques. Ce sont eux qui,
cantollllés uans des journaux. qu'on aprelle eles institu-
t'ious ca t7wlir¡ 1t es ; qui, reyetus des dignités eee1ésias-
tiques qu'on appelle les prélatures J ou qlli J installés (lans
les secrétaireries d'État, dans lesquelles on peut atteindre
le premier rallg, meme sans etre pretre, ce sont eux qui
propagent, rél\anuent et étendent partout cct esprit in-
flexible (1'uniformité !


Voulez-Yous vous donller le spectac1e de la plus terrible
ullit~ qui jamais ait été cimentée? A11ez á Rome, c'est le
centre; jetcz un regard sur l'irnmense circonférence qui
s'étend autour d'e11e, dans le monde entier; puis, de ce point
central, a,Yancez-Yous ve1's un point quelconque de b cir-
conférence, le plus éloigné; abordez le pretre le plus oasenr,
le plus ImmlJle; interrogez-le; il -rous répondra que, sur
toutes les questions possilJles, il est ohlíg{~ d'accepter, d'en-
seigner et de défenclre la yérité quí a (:té promnlgnée ~l
HOIlle par le pape seul ! (I3ruít.) ()u je me trompe étrange-
ment, ou je crois avoir le clroit de clire : L'omnipotence, la
ccntl'alisatíon excessiye, elle est;\ Rome; si elle est quel(1L18
parL e' cst 1;\. Helati"rement;\ Y01 re premi¿~re accusation, je
~mis dOlle rassuré sur le compte de la réyollltion !


Vons avez soutenu, en seeond líeu) que la r/~volution est
sans llloralité, paree qu'elle accepte toujours le fait aceom-
pli, meme lorsql1'il n' est pas légitime. En vérité, COIll-
ment peut-on tcnir un pareil langagc au nom (le l'Église?
Vous avez donc oublié sa pratique? - Et ici remarquez,
mes"ieurs, je ne conteste ras, je ll'appré~ie rien, je cons-
tate. - Vous avez donc oublié que l'Eglise a toujOUl'S
r{~pété la parole de saint Panl, a savoirJ que Tout J)OnVOiT
v~~ent de ]Jien1 Ce qui a été formul{~ dans cettc maxime :
J1Ios .llcclesúe est appella1'e 1'egem 'luí 1'egnmn occ1tpat;


3




3-1


" 1<1 COlltum.e (le rl~:;'li::e 0::t ll"al'rp1er rlij (:(']lli (1'1; (j("'Uj'Ó'
le tl'llllC. " YnllS ;\\ez done ()lJ)lil'~ les f'aits ("('(;1!:,"; í!e-
pais U~OO? Quel eST le pouyoir qu(' l'J:~g1i:,n Jl'ait l'as
reconl1i


'
d8pnis ce temp~-L\ llarllli r:CllX <}ui s(~ :-;on1; :;uc("'ll(~


en Frallce '? Est-ce (lu"elle l1'a }1,1"; l'(;C()]lllll, ]()11(~ i1 <:\(",', 1"
premicr rn:jlerenr? ESt-C8 (ln'clL; Jl'est 1);1'; ~dl<"i;. ¡', ~();;
e~()· ... p(l ill'-""l":' ('11.;;:nio'110 P d'll);:: <';:(\11 ("tt¡"I'}:i''';Jl'(' ('11" (,(,1,,; (1"; t:' LLi t, .) . . . L' (,-, ~ . ,. 1 e ~ ..... '- L - -, ' ' .'.' , < " , - ( '--, ~ , " ' 1 \, - . " 1 1 1 •
ll'l' ,1()'J\IJ,');,;<:)i~ (lll(,{)ll,",i ¡, 1," ('1'11'1\]""1'1")1] (":'(']'l'(']j'(,2 (\,,,, I ! 1- ~,-,.,II\ .. ,·.~_v J''-'-' ~..i.(,.,"-'-') " (""'i'(" '< ,~1_ .•• ,~:,t·_,
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t "'11p;:ot-J'()112 P"t--ce (!11'¡O'il n :1'e,,+ 1)'''':' ~'I'll:'(:l "'I"\('lil'O" ,;, "~o (, Ll '--""- ,-'~ L _. .L_.,J L' .Jo. Llo.. ' J. ',," _ 1 " lJ j \ \ ' r' / .. _ ,t " ,~ I ~,~ ~ ~ • \ ~ 'L t \, ~ [j .
1 ' . '. t . 1 1 1" '()" ~ -, . • 1 1 ' J' 1'01 CCllS:ltllclor:nc, le li""h ( l'.:-:l:-e" (il, C'I,(~ l¡ a 1::'~ i:(lil-
sentí ¿\ bé~;il' les :-'l1'l1'8S 111c' lll)crU: (1c~ b rl"~\il1:!ir¡ll'; :1,· 1 ~~ L-:?


.1. '11' . . 1 - . 1 ~ _ 1 • CSL-CO (In el e }l a p~I,S rfOllC>llC(' ;~ lt~I[¡'~) 1:1('(1:'; ,:i'~ (¡¡<f'I:¡;}'"
rour Fl'OEYer (f.J8 la l'('~:lnlJli(:l;e l~:l.~,,~;:)it ([(; ]'::Y;\jí::;:"¡
( 'l' )l'l'e~ ('+ '1",,,:1-'1 T;"¡J~,, ',·:'._'._r,~11n, '"" (1,',(,1",,'" 1',';:""" ,\. J:) \1 '1.- '~l1.",., J--l.t~ __ 1:" __ • ~-..... l'''-l:) "' j-'f.~> ' ., 1.1 :',1


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(1~' Cr;wll'e en <.-SU'~ll('? q:~'i1 l"1ÍsS(~ etre ;.;onLe;nn, je IW 1(1 1:10
,'.--;.:.:,- 1-:1"l~ ..... ~ i 1 \~í~l;~ 1')01"1(1 1 1~)1 \~n1111'~ ~'~ ')l,¿t'-(l1)(11l (l f1jl(}, (I~¡\<r ]'1 l/l, . -, ~ - .. , '- ~ . - ~ .1. ,1_, l '_ .... ' ___ .. ~ 1 ., "'..L ,"", ,,-. ,,-', ," 1 \... "--- - ~ L , ) \ l \ ~ J • I '-
1,"\Olllfio" (111; 'l."nnn!'," t'· ,iO'll'" 1(., (,its ac('o']'nlis ' , l..l. ...J'!. 1 \. _.1 { , Iv \ .... 1); \ ,_' '''-',; \ '-) \ " L'- 1 (_ " ~ 1 i 11..


Vous ;'Lrz clit, e~l t;'(ii:i0)~W E1 oíl, (ille l'EglíSf' ]'('P1'("'(;1:-
l' it la 11;1\e['L,~ ('l'n 1., 1'('''-01" . 11 l' '~)inv' 1)~':' (,'c..;+ ('!, í¡lli llli'


.... J....), u\~, l,-\j..1 .. v .... l l, -_ .. "-~.'-' {' ': - '.11 /'J. ~"-._


:-;'l:S (1:, l'a1~icl'itl~ (1~ :\1. 1\.'."11e1' :-:13 tl'()l:\C ('nl~{; dlJ chd (lí~
1':;;"'11'"", lp~-,·,t"rn Jo 'le l'a'l"lil1"li 1':'", ,1p, 1 ;i,-, I"\~ 'j" >";'li,' ('" ...L...o G - ~_,C d ... J.l1.,,--.I;'~.L'-. , ) 1 ' : \/1 ( _ ~",.l '.'" e\.. ~ ti" , (l ,) /v


" , l' 1- I' , ' , l ' , ' A' ' 1 1 fIn Olll'epOl1( i':'..L: i::t ete co:nn:.',I'. 01Te~(' (l:l.l;:~ :--:rs .)(~¡mi':S
intentiullS. en Illel}.rtl'e Cl1lC YOU.S a'.'r:~ LíCll r~;,i:--:()lí (ic: d('Tlol'(~r
et qU(? je r1~"Flore aubllt riFe '\I'n~!. le lnenl'ire (l'Ull 1l0lf)1!Je
"1,.",,· ~~1'~"ó)""l,t,)i)~11'eC'1"\"¡i+ (·~~{:¡l· 'd-"~T"'\í l,)nc;"l' ó) 1\11 ... ~-;~ ~11<~')11f'
d l'·' ~ 1 P II '_ ,c él. l, ' 1 el J. .o ~'" ~ 1Jll e 'J e L el. 'J ",1, ",.",.' . ,e i'" u,. ,,-. .", '-
t!~ol11JleT' ses l)ellSeCs ~ ct illle ~;er,:1it 1}e~lt-0t~~(~ ~1;~< j·~::'t~! ele:




SUR L\. QGESTIO~ LO,_\L\.I:\ E


chcrchm' les iloetl'in.::'i de 1a p~p~ulté (bll;; 18::; Cl~(:,':~~1l(FlC3
(':critns llar Pie IX en lS-lD, a1cl's que sen CmL!~' {l,üt (1¿-
clli,'!'\ (liLe la guerre sr':Yis:3ait ~'vutour de lni, (lU'il 6 it oLlig,',
de; prencl1'8 le chelllin ele r cxil et (le ::; Ctire~':";cr dalls une
(', -;'\ r' G' '~~\'T ' 1 ' 't ' (' , [ ()l'i"(,l'",_",n H' ('118 rC(i'('lfC \.. 1. son '11',)1 r>c,'c.:c.:nl'''' " ."t lill'-L-


- ,~-' ,~,)"\,,. LL, ::_",J ..../..- ~, 1 I.--,\~,-" ... .IIJ • ..)I.. . -' \. ... '1 ,-_ULll'J \.1


(",l'11C' ~1)1!\_' <.:()'l 1) l)ntl1'1(' c'lt l n c.: rpl?i1liül''' ,,'¡"t";e ll + 1-'''S ( ~J • ~ ._ \l,l • 1 J ,), vu J. ~ _" ... .L~ ..Lv J. • .J 1 .... "-- ~\¡~ /..1..LU JCl ..
tri 01llpll ('cll1:-; , (J'wl(lUC~ patriOll:S ()l¡SCLll'S, eh:;; (!itTérents
C'():'l" (1,· 1';('11:" r"]'I,\,,1"[;'}1'+ -;,,,,1-: f),' -"-"",, 'n-' -'.,"n' J ,11 ,") 'j 1 -.l...l,~..I 1\ ~ ~J.ll)\)\.-:LI.I. _L.lll >~\ :... .. 1.. ~ !~,1_ L",-\,~_\, \ ¡_~'- ~·,~;.l;-:'<¡


1 • l. , .. ~ .¡.. - L 1 ""! • 1 ,1 l' . ." qnc~ la pl'eSCl'lll:lO;l s a~'c()¡n]):lt, C()a"~'8 1:1 ll¡:2~'-,' ,-:.- i lllrte-


'l{'n'l()'t')f~ (11l "() 1,)f\1'1{"11)¡' (..·.)~·r)\;''l .\ "'e+- ,. /7~ :,~/J(Jí) /,~V~,"(I ,'\)'1 r·t)~-(t.~¡i ;-;\,'--' v \" ..... ll~/¿,..l',.l,_. ,',,-,\, _l, .... L, :.) (" ev l,,¡,,; i.-'JI I,}.,".' ,1,_', \ U
. . . o,. I ""1 1 ", I • • () 1 ) 1 n 1 () 11 1; e 11 y (~ r ~ C~ ~ J ; 1 1 ~~ (;:) ¡, l' (: l ; r~ 11 c. n e (: t- e 1, ; ~- ,.\ ,~. ~.~. : ') ~,{:. ~ ~L ~' L 1-
n(~e~ des lu[~cl1::~1lt.S, (l'¿l¡;r,>~~ 1:;~:'jl1e11e I ... ~( q-, ,"" , q - .. ! 'l. ')


. i.. 1 UL" ij·'~·~, L:'_,_ ,\"\..)'l!~(.'111
L) ,~.,l11t t',tnl'lll'l'-j'\l' (-1'lln1.",1') 1y,(.t""<;·i" ('" e\,,: .- -'(\ ,'1' ~(}.;i-~'" ,J(~iC-l ,U\.,' j 1"'--" \ .1'1 ,-' .. 1.1 './l· ,"',_ ~' .. i "l', i.' '_ "-./ f..' .1.'>0.1,
pourvll (1 He le:-; llHCUl'S s;liC'nt (l '·,de.- (, l jI !:~~:;'


•• 1)8 cett~.'~ SOttl"'t~ infecte· 11:3 }'¡¡,ItZ\',' ,'/.J" -,,) "{~1~10


(Iil('!{'l-(\'-'-I'[' -;; l,('\!\,"::I"( ')'. ce '1111> C'''t.''''''':t'-' ;,.,1\'-'\'."'(' rll1'íl 1 ,,~ .... ' 1. \. ~. 1 , •• k- , 1.' \ ... '- ~ L u \,' ,~ '-. ~ '- / _ ..... l.l '-.~ ~ ~ -'- i .1 ~ ~- i. J ~ t . '-, ... \, ~ 'i ~ ..... ...L
, I ¡ 1 1 '" ~., l' . Pl' 1""'1], (' fl'l" (i1l " 'n"'l'!" (C'·'J"l"lP '~"Ü:""")" ,. ': ..... l'l"~::rt-/ 1 ",")(,L¿,I.... '1\ '- A \.~ (l.,~1. .1,_, \, i./ 'l_ .. ..'-L,-, l\. ........ .lt....,l\J~-' • • _,_, >...), "- ,_~~._ I


<'::lil'+ \] )'",liE (!i/¡ 1)c;r i 'Í lil"7' {7iJJ';¡eí' l,,! ¡jii:'/:\ 1'(1~1C; que
'-.. .. 1 u......, ,l· \,. "' J' 1 . v L J - v l 'J___ V ¿ , ( l L _ ....


la lil)!~rt~'~ de rCl'l'l~nl'? "
Le p (¡ II ti ~'e e 011 ti II U e lJ In s 10 i n
" L." se l'c'll)l-J'('l'.f- l" Cn++l' e lill"l't\·., i'l'l"FH),!-n '1 ',)-_.-:t' ",,, 1)'0 'l)Q11 1-. el. ,_ ,J 1....'.' .. '--_ L ' .1..' '-..... . 1 '- \. ..i.. J" U '-.-/ ~ \..._ _ J ~! _ '-, \.j _ '--


'l"Ol'r 'lc''-'eZ (l'1101"1'f"'1' 1,) li 1,:qd e' ele 1" 11'l"p')1't';r. "(,,.-- '''1'111ie1'
.( , ("J,.) J , ..l "lt, .1.( ... ~-,-t'\,..I. '-' ~ -1.(\, .... ¡_~(l, 1/1) '\-12 1.' L,'


quelclun écrit que ee soit, lil¡er'l;é Cl'-l~-' (rLlel(l;~('~-LL::s osent
solliciter et étemlre ::1.yec ttllt (Le lH'uit ct cLU"I,l -,T. Nous
<:OJ11111('';' ("lj"'l'\-'1l1+L(; \"1"1' /,,,,1,'1, oc.: fi"~"'e" en e",l",; ,l(}'''illt (1 e '_' J'). \.fL L .... ,\.. ... :" \.. .L..I.\.)..t.(.1,",,' v.-, ..1. '-- .... ,.:), ~.l \. ..l ... ', L\.. '--.1.(,,- .•




36 DÉ~IOCRATTE ET LIBERTÉ


quel1es doctrines ou plutot de quelles erremos lllonsü'upuses,
nons sommes accablé, et en Yoyant qu' elles se propagent au
101n et partont, par une lllultitude de livres et par d(~s
écríts de toute sorto, quí sont pen de chose pour le 'voIurno.
mais quí sont remplis de malice, et (rOÚ il sort UJl(~ malédi(~­
tion qui, nous le déplorons, se répand sur la face de Ja
terreo "


A propos de ces passages) il est utile (1~ placer la lettre
tlu cardillal Pacca, adressée a cenx auxquels l'Ellcydi1llle
était destinée; elle complete et lllOntrc flans son eJlti(~r la
tlu\orie de l{ome sur la liberté :


" Les doctrines de fA i'eniT sur la libel't é des e Id tes et la
liúerté de la pl'esse ont été traitées avec tant (l'exag(;ration
et poussées sí loín, que 1\1-;\1. les rédactcurs sont ~\galel1lellt
tres-répréhensibles et en oppositioll avec l'enseignement,
les maximes et la pratique (le ll~glise. Elles Ollt beaucoup
étOllllé et afíligé le saint-pere; cal', si dan s ccrtn illo;:; cir-
\~oll:::tances, la prudence exige de les tolérer COlltme Ull
ll10imlre mal. de telles doctrines ne peuvellt jamais etre
préselltées par un catholique cornme un bien ou COIllllle Ulle
chose c1ésil'able. "


J'ajoute seulement, pour etre juste, qu'il est un groupe
de catholiques tres-honorables, qni, malgré cette Ency-
clique, n' ont pas renoncé a opérer la réconc:iliation de
l'Église, on plutót du pouvoir temparel et Je la liherté. Ces
hOl1l111eS, je les connais et je les vént~'c; seulenJellt, qu 'ils
me laissent leur dire que, si leur parole a une autol'i té toute-
puissante quancl elle exprime une opinion inr1iYÍduelle~ et si
j e puis Jire ainsi, une hérésie qui vise a se faire accepter
COlllllle un dogme, elle n'a plus aucune force lorsqu'il s'agit
de recllercller quelle est la doctrine orthodoxe, cette doc-
trine müverselle que l'Église enseigne et lllaintient.


La révolution, suívant M. Keller, a pour dernicr carac-
tere qn'a ses yeux le butjustifie tonjours les moyens. Assu-
rément, je manquerais souvel'ainement d'équité~ je mérite-
rais que ma parole perdlt toute autorité, si j e ne recon-
naissais pas, en le déplorant, que la révolution, elle aussi,




SUR LA QUESTION ROMATNE 37


a quelque'fois obéi a la raison d'État, et qu'une certaine
école qui a exercé le pouvoir J tantót au nom des masses,
tantot au nom d'un seul, professe que les moyens sont tou-
jours justifiés par le but. Mais j'affirme que ce n'est pas la
l'esprit général, l'esprit véritable de la révolution, pas plus
qu'un brin d'herbe emporté par un fleuve n' est le fleuve
~ lui-meme! Unissqlls-nous tous pour condamller cette maxime.


l\1ettons-la hors de tous les partis. Cela vaudra mieux, mon
honorable collegue, cela vaudra beaucoup mieux que de
rechercher a quel partí elle appartient plus spécialement.
Reconnaissons que tous nous y avons sacrifié, et promet-
tons-nous de nous en préserver a 1'avenir. Non, le but ne
justifie pas les moyens. Que la doctrine contraire tombe
dans le passé a coté des théories des casuistes ou des dé-
magogues anarchistes, et qu' elle disparaisse a jamais de la
langue de la liberté! (Tres-bien! tres-bien! )


La révolution, messieurs, n' étant pas ce que 1'honorable
1\1. Keller croit, cOffimeut la définir? Quel est son caracterc
principal, la maxime maitresse, comme dirait Montaigne,
dans laquelle nous pouvons la résumer et l'incarner en vue
d'un débat de cette nature? Vous avez la écrite (1' orateur
désigne l'inscription qui est au-dessus du fauteuil du présí-
dent) une phrase qui est dangereuse paree qu'elle est géné-
rale et vague: Vox populi 1;OX .Dei ! 11 vaut mieux dire,
8elon le langage politique, que la principale formule de la
réyolution, c'est la souveraineté du peuple. La souveraineté
du peuple, entendons-nous sur sO'n sens; cela ne veut pas
(lÍre, Illessieurs, - loin de ma pensée ce blaspheme! -
qn'un peuple rende innocent tout ce qu'il veut, et légitime
tuut ce C],u'il faít. Non, pour les natíons comme pour les


'l!lilivi¡lus, il n'ya de légitime que ce qui est conforme a la
jU::ltíce. Uúi jnstitia non est iúi j~(S esse non potest : ou il
n'y a pas de justiee ii n'y a pas de droit. SeLllement, dans les
méeanismes ineomplets de nos sociétés actuelles, il n' existe
nulle part un pouvoir eonstitué de teJle 80rte q u'il puisse
intervenir pour imposee par la force aux nations égarées le
respeet de la justice; e' est a elles-me mes , a leur propre


l
{


i
,


-,


~,
'.:!.




38 DÉ;\rQCRATIE ET LIBEHTÉ


conscience, que ceUe obligation est confiée. Comme l'a dit
un phílosophe, la souveraineté de leur volonté n'a d'autre
limite que la 80uyeraineté de leur raisan; maitresses d'ac-
complir ce qu' elles veulent, elles ne rencontrent la sanction
du bien ou du mal q u' elles operent que dans les destinées
heureuses ou malheureuses qu'elles se préparent.


VoiHt, messieurs, quelle est la doctrine qui frappe a la
porte de Rome depuis trente ans. Voilit la doctrine qui de-
mande a y etre écoutée; et pour que vous soyez compléte-
ment convaincus qu' en présentant la question sous cet aspect
je ne cede pas ~t une préoccupation étroite ou passionnée,
je mets sous vos yeux un court passage de l'Encyclique
dans laquelle Pie IX explique pourquoi il résiste aux pré.
tentions de l'Italie : " Kons ne pouyons pas abdicluer les sns-
dites provinces de notre domination sans affaiblir ]e droit
llon-seulement des princes cl'Italie qui ont été dépouillés
injustement de leurs domaines, mais encore de tous les
princes de l'uni ve1's chrétien, q ui ne pourraient voir avec
indifférence l'introduction de certains principes tres-perni-
cíeux. " (Encyclique du ID janvier 1860.)


Un tel langage a été compris aussitot par le prince qui
représente particulierement en Europe ce principe de la
légitimité. M. le comte de Chambord, dans UIle lettre ren-
due publique (san s celaje ne me pcrmettrais pas ele la citer),
dan s une lettre rendue publique et adressée a un écrívain
qui avait pris, d'une maniere inattendue, la dMense de la
papauté temporelle, écrivait : " Dépouiller le souverain dans
la personne du successeur de saint Pierre, c'est dépouiller
tous les souverains, et renverser son trone dix fois séculaire,
c'est saper la base de tous les trones. "


Voih\, messieurs, qui est d'une évídente clarté, et vous
comprenez tres-bien maintenant que deux príncipes opposés
sont en lutte en Italie. La cour de Rome, c'est ce qui renel
sa résistance respectable, représente un principe que je
erois faux, mais un principe qui a eu ses grandeurs et qui
certainement est défendu aujourd'hui encore par de tres-
honnetes et de tres-nobles esprits; elle se réfugie dans la




SUR LA QUESTION RO~IAINE 39


doctrine de la légitimité. Pour elle, toute autorité vient
d' en haut, et tous les faits de la terre ne se con<;oivent
qu' autant q u'ils sont en quelque sorte l' écoulement de cette
autorité venue d'en haut.


En face de Rome, la société moderne, la révolution,
l'Italie, la France, tous les pays d'Europe successivement,
soutiennent que l' origine des gouvernements, ce n' est pas
quelque chose qui vient d'en haut, mais quelque chose qui
vient d' en bas : le consentement et la volonté des peuples;
selon eux, lá est la seule base solide, la seule base vraie, la
seule base légitime des sociétés; les peuples se créent le
gouvernement qui leur convient, et les gouvernements sont
obligés d' etre les interpretes fideles de leurs élésirs, de leurs
devoirs, de leurs intérets. La lutte entre ces deux. principes
dure depuis que la révolution franraise a commencé; elle se
poursuit a travers le monde, avec des phases (liverses de
succes et de reverso Tantot on voit la révolution céder un
instant, et en apparence reculer; une sainte alliance, par
exemple, se dresse devant elle, mais la révolutioll reprenc1
son élan, brise la sainte alliance et marche en avant. Au-
jourd'hui, á Rome, ce qui arrete la révolution, au point de
vue temporel, c'est la doctrine de la légitimité. Je n'hésite
pas a le dire, la question réduite a ces termes, en France,
je n'ai aucun doute, personne n'hésitera a se prononcer;
personne n'hésitera, je l'aftirme, -paree que, de plus en plus,
j' en suis convalncu, et les paroles qui ont été prononcées
dans le parlement italien ne sont pas des paroles vaines,
la lumiere se fait dans les esprits et dans ces ames pie uses
dont il faut respecter les susceptibilités, et auxquelles je
serais désolé tI' apporter une blessure; car, j e le déclare
bien fortement, meme s'il se plaint a tort, je ne connais
ríen de plus sacré dans ce monde qu'un etre humain qlÍi,
mettant la main sur son CCBur, vient dire : Je suis blessé,
ou je me erais blessé dans ce qui constitue mon étre entier,
dans la foi qui me fait entrer des ce monde dans l'infini, qui
crée un líen indissoluble entre mol et les générations qui
m'ont précédé et celles qui suivront et ne sont pas encore !




40 DÉMOCRATIE ET LIBERTÉ


Je respecte toujours un tel langage, et, quand je le contre-
di~ pour remplir un devoir, j' essaye de le faire avec des
paroles douces et légeres, d\me maniere charitable et fra-
ternelle. (Tres-bien! tres-bien! )


Oui, messÍE;urs, quand les consciences catholiques seront
éclairées, elles comprendront que le pouvoir teh1porel est
·un instrument vermoulu et compromettant; qu'entre la foi,
chose immatérielle, et les intérets temporels, chose ter-
restre, il n'y a aucun líen nécessaire. Et a ceux qui soutien-
llent l'opinion contraire, je n'hésite pas á dire : o hornrnes
de peu de foí (Rires et rumeurs sur quelques ballcs), corn-
ment pouvez-vous croire, au dix-neuvieme siecle, alors que
la liberté, qu' on la conteste ou qu' on la nie dans telle ou telle
application, est vivante au fond des camrs, alors que vous
étes, ainsi que vous l'avez dit, 200 rnillions de catholiques,
et qu'indépendarnrnent de ces 200 rnillions de catholiques
vous avez pour vous défendre, si vos drojts étaient violés,
toutes les ámes libéraIes da monde, comment pouvez-vous
croire que la conservation de la foi, que l'intégrité du
dogme, que l'unité catholique soient attachées a ces quel-
ques lambeaux de terre que vous etes ouligés de défendre
par les armes étrangeres?


'PLUSIEURS VOIX. Tres-bien! tres-bien!
M. ANeEL. Personne n'a dit cela.
M. É. OLLlVIER. Oh! que Tertullien était mieux inspiré et


plus croyant que vous, lorsqu 'iI s' écriait: " Ríen de ter-
restre n'est nécessaire a la foi, rien, ausolument rien ! " et
qu'il est plus religieux que vous, le pretre quí vient de se
lever dans l'Italie régénérée pour commencer l'alliance quí
se forme dans tous les esprits droits entre la liberté et la
religion ! et qu'il est fort et noble son langage á Pie IX :
,t Saint-Pere, vous avez comrnencé votre regne en disant :
Je pardonne ! terminez-le en disant : Je bénis) et consentez
A etre dans le monde comme le président de l'assemblée des
peuples : partout présent, partout étranger, partout indé-
pendant, comme la conscience et comme la vérité. "


PLUSIEURS MEMBRES. Tres-bien! tres-bien!




SUR , . L IMPOT


(21 juin 1862)


Messieurs,
Le plan que vous a proposé M. le ministre des finances


peut se di viser en q uatre parties distinctes. Il contient
d'abord l' exposition de la situation financiere; ensuite la
proposition d'un mécanisme financier destiné a sauvegarder
l'avenir; en troisieme lieu, la proposition d'un certain
nombre d'impóts dans le but d' établir un équilibre sérieux,
soit dans le budget ordinaire, soit dans le budget extraor-
dinaire; enfin, un moyen de finance pour atténuer 1'impor-
tance du découvert : la conversion.


Les deux premieres parties de ce plan ont été examinées
soit dan s la discussion générale, soit dans le débat appro-
fondi qui viellt de se terminer sur les dépenses publiques.
Mon intention, messieurs, serait d'arreter quelques instants
votre attention sur les deux dernieres parties, de jeter avee
vous un coup el' reil général sur ce qu' on nous propose poul'
assurer d\me maniere sérieuse les recettes de nos budgets.
Je resterai dans les principes généraux; je laisserai a mes
collegues ayant une expérience de ces matieres plus
ancienne que la mienne, le soin d'entrer dans les explica-
tiOllS de détail qui sont nécessaires. -


Avant d'aborder ce qui constitue l'objet direct des consi-
dérations que je veux vous soumettre, permettez-moi de
répondre d'abord a quelques observations de l'honorable




42 DÉMOCRATlE ET LIBERTÉ
M. Magne, en réponse au discours ele mon ami M. Picard, et
aussi de vous dire quelle est ma pensée relativement a
l'impot sur le revenu, a l'impot sur certains revenus mobi-
liers dont vous avez entendu l'exposHion animée dans une
de vos premieres séances.


L'honorable M. Magne a reproché a mon honorable ami
1\1. Picarc1 de n'avoir pas ass~z eompris ee qu'il y avait a la
fois de légitime et de bienfaisant dans l'impot public; il est
entré a cet égarc1 dans des explieations pleines de netteté, et
auxquelles je m'associe complétement. Il est en effet évident
que dans toute soeiété coexisteut deux ordres de serviees di s-
tincts, les services publics et les services privés. Les uns sont
aussi nécessaires que les autres; si la préférenee uevait etre
accordée a l'uu des deux, évidemment ee serait aux services
publies qu'il faudrait la donner. C'est grace a eux que la
justice est rendue, que l' ordre est maintenu; e' est graee au
mouvement général dont ils sont les moteurs, que les intérets
privés peuvent naltre, se produire et se fail"€ respect€l". Or,
qu'est-ce que l'impot? L'impot n'est rien autre ehose que
la quote-part que ehacun de nous apporte dans les caisses
de l'État eu éehange des inappréciables bienfaits qu'il nous
accorde et nous assure. L'impot est done non-seulement
utile et néeessaire, il est híenfaisant; il ne doit jamais etre
attaqué dans son príncipe. Il est la condition meme de la
vie sociale. (Vive approbation.)


Seulement, messieurs, dan s ee monde, pas plus en matiere
d'impots qu'en toute autre, il n'existe ríen ni d'absolument
bon ni d'absolument mauvais; il est tres-possible que les
services pubIies ne soient remplis que d'une maniere trop
dispelldieuse, ou bien encore que les services publies aient
le tort d'empiéter et d'accaparer ce qui doit etre réservé
aux services privés; dans ce eas, l'impot est un malheur.


eL'impot mal employé ou exeessif est un malheur par cette
raisan profonde que Vauban donnait dans la IJír¡ne 1'oyale,
et qui, en quelques mots, exprime exaetement notre pensée :
" Il est constant, dísait-il, que plus on tire des peuples,
plus on ote d'argent du commerce, et que celui du royaume




SUR L'UIPÓT 43


le mieux employé est celui qui demeure entre leurs mallls,
oü jamais il n' est inutile ni oisif. "


Conséquemment, quand les services publics sont assurés,
faire que l'impot pese le moins lourdement 'possible sur les
populations afin que le capital ne soit pas diminué dans les
mains de l'industrie, du commerce, de l'agriculture, voila
ce que la science demande anx hommes politiques. Pour
atteindre ce résultat, il est nécessaire qu'on discute sévere-
ment la quotit,é et l'assiette de l'impot, qu' on le contienne,
qu' on l' emp€lche de s'accroit1'e démesu1'ément, et qu' on
veille a ce que son emploi ait toujours líeu pou1' un office
publico Cenx qui se sont écartés de cette direction et quí
ont soutenu que, quelle q n' en fut la quotité, il était un
excellent placement, ont eu tort.


UN J\IEl\lI3RE. Personne ne dit cela! personne ne peut le
soutenir!


1\1. É~IILE OLLIVIER. Quanel j'entends dire que personne
ne le sontient, c'est possible dans cette assemblée, et tant
mieux! cela pro uve que les idées économiques sont en p1'o-
gres dans le pays. :Mais j'aí lu eles liv1'es, desjonrnaux, dans
lesquels cette opinion était exprimée. Mon honorable ami a
voulu répondre á cette erreur. Tels sont les termes dans les-
quels sa pensée doit €ltre contenue; elle ne doit etre éten-
due ni en derá ni au clelc't, sous peine de la faire aboutir
á une these inaelmissible.


Ce p1'emier point établi, je m'explique sur les proposi-
tions d'impdts nouveaux qui n'ont pas trouvé accueil aupres
des commissions du buclget, mais qui, chaque année, sont
tres-énergiquement défendues dans cette Chambre; je veux
parler de l'impdt sur le revenu et de l'impot sur certaines
valeurs mobiliéres. Quand des qucstions de ce genre sur-
gissent souvent, qu'elles s'imposent a l'attentioll d'une
grande assemblée et d'un granel pays, tous les hommes qui.
représentent une opinion doivent en dire leur pensée. (Tres-
bien 1)


Ceux qui ont soutenu ou préconisé l'impot sur le revenu
ont toujours tourné lellrs yeux vers l'Angleterre. L'income






44 nÉMOCRATIE ET LIBERTÉ
tax qui fonctionne, et tel qu'il fonctionne en Angleterre,
voil<\ ce qu'ils nous proposent, ce qu'ils nons conseillent
d'introduire dans nos institutions financieres.


Les personnes qui soutiennent un pareil projet ne se SOllt
pas rendu compte de la différence radicale, fondamentale,
qui existe entre 1'income tax tel qu'il est en Angleterre, et
l'income tax tel qu'i1 serait si ron venait a l'introduire dans
notre mécanisme financier, en le superposant aux taxes que
nous supportons déja. Lorsqu'en 1842 Robert Peel fit
admettre l'imp6t sur le revenu, il se trouyait en présence
d'une aristocratie puissante et nombreuse, jouissant, pres-
que a 1'égal de notre ancienne nob1esse franºaise, J'une
foule d'exemptions d'imp6ts. En Ang1eterre, en effet,
comme 1'a tres-bien dit notre honorable collegue 1'11. Au-
guste Chevalier, l'année derniere, il n'existe ni imp6t fon-
cier, ni rien qui ressemble á nos contributions directes, si
ron en excepte l'imp6t sur les maisol1s. Rouert Peel, YOU-
lant améliorer le sort des classes populaires, qui suppor-
taient presque toutes les dépenses publiques !:lOUS la forme
de contributions indirectes, se crut dans le droit et cbns la
nécessité d'atteindre l'aristocratie par 1'imp6l sur le
revenu, et pou!' la soumettre aux charges comm unes, il
introduísit l'income tax non pas comme un imp6t perma-
nent, mais a titre de mesure extraordinaire et coml1lü un
impót temporaire ...


PLUSIEURS ME1IBRES. C' est cela! Tres-bien!
M. ÉMILE OLL1VIER .... quí jamais n'a pris une place défi


nitive et incontestée dans les institutions <1uglaise:-::.
Ces deux circonstances de fait établies, et elles scmt


incontestables, je oís aux novateurs qui nous offrent l'illlP()t
sur le revenu : La premiere conditioll pour que vous saye!.
écouté~, pour que vos projets soient cliscutés, c'est que vous
ayez, dans vos plans de réforme, un premier artic1e ()jnsi
con9u : Toutes les contributions directes actuelles sont
abolies; toutes les formes par lesquelles le revenu f'st
actuellement atteint sont détruites. Ceci fait, vous propo-
serez un impót unique et général sur tous les revellUS .




, .
Sl.!R L IMPüT


PLUSIEURS VOIX. Tres-bien!
UNE VOIX. C' est radical.


45


M. ÉMILE OLLIVIER. Ah! je comprends .cette attitude! En
la prenant, on ne tire pas, comme disait Vauban, OIl ne tire
pas d'un sac deux moutures, ou, comme le disait Turgot,
on ne fauche pas plus que l'herbe. On se place dans un sys-
teme net, et, je l'avoue, quoique je ne l'admette pas, tres-
séduisant a son premier aspect ...


M. GRANlF.R DE CASSAGNAC. Je demande la parole.
M. ÉMILE OLLIVIER .... et qui ne m'inspire aucune des ter-o


reurs que M. Segris a exprimées avec tant d' éloquence, que
je serais désolé qu'il ne les eut pas éprouvées, encore bien
que je ne les partage pas. Sans etre ni un démagogue ni un
homme de désordre, on peut non-seulement discuter l'impot
sur le revenu toutaussi bien que les autres impOts, mais en-
eore l'admettre en compagnie d'hommes aussi considérables
que 1\1. Passy, M. de Parieu, l'honorable vice-président du
conseil d'État. Quant a moi, j'avoue que je ne suis pas en-
core converti par cette raison, entre autres, d'une force et
d'une évidence jusqu'a présent irréfutables, qu'on n'a pas
encare proposé un moyen acceptable de pratiquer l'impot sur
le revenu. Il n'y a qu'un seul moyen commode et je diraí
satisfaisant pour la digníté humaine : la déclaration per-
sonnelle du contribuable; quelque chose d'analogue, sinon
d'identique, a ce qui se pratiquait autrefois a Geneve a
propos de la taxe des gardes, alors que chrque citoyen se
présentait a l'hc>tel de ville et déposait dans un coffre fermé
la taxe qu'il estimait proportionnelle a son revenu. Heureux
les peuples chez lesq úels de pareilles institutions peuvent
fonctionner! (On rit.)


UNE VOIX. Combien de gens qui ne donneraient rien du
tout!


M. ÉMILE OLLlVIER. Mais je crois pouvoir dire, sans etre
;~ 'cusé d'un scepticisme excessif, que nous n'en sommes
point encore la ... (Nouveaux rires.)


M. KCENIOSWARTER. Ma1heureusement non!
M. ÉMILE OLLIVIER. Si on s'en tenait á la déclaration des




46 nÉMoCRATIE ET LIBERTÉ


contribuables, l'impót sur le revenu deviendrait, par son
inégalité, le plus monstrueux de ü;ms les impots; l'honnete
homme venant déclarer la vérité et supportant ainsi tout le
fardeau, et le fripon mentant et se déchargeant de sa part
équitable dans la eontribution sociale. (Marques d'approba-
tion. )


11 faudrait done, á eoté de la déelaration personnelle,
établir un controle, et, par une imitation de ce qui a lÍfm
ponr l'impot sur les boissons, organiser un exercice sur les
personnes, une vérification de la déclaration personnelle. Je
ne snis pas pour ces procédés. N otro systeme d'impots est
vicieux en bien des points : l'égalité qui est son idéal ration-
llel est loin c1'avoir été atteinte. Aussi, chaque fois qn'on me
proposera des moyens pratiques d'amélioration, je les étu-
dierai etje les appuierai des qu'iIs devront réalisel' un pfO-
gres matériel et suetout un progres moral. l\lais je ne trouye
pas ces conditions réalisées clans l'impot sur le reV81lU, un
1110ins c1ans les propositions formulées jusqu';i présent.


Je suis confirmé d<lllS cette opinioll, quand je me rappelle
le systeme auquel sont arrivés en Angleterre les esprits les
plus éminents, soit dan s l' orore pratique, soit c1ans l' o1'dre
purement scientifique. 1\1. Stuart Mill est un des hommes
les plus éminents dans la science économique. Son traité
d' économie politique est une merveille de pénétration, de
science; il jouit en Angleterre et partout ailleurs el'une <lnto-
rité incontestée; c'est de plus un esprit tres-lilJre, ouvert Ú
tout, llullemeñt effrayé par la considératioll qu'il s'agit
d'une nouveauté. 01', M. Stuart Mill est arriyé a cette con-
clusion sur l'impot du revenu, qu'il faut le conserver uni-
quement comme un moyen extraordinaire, pour les circons-
tances exceptionnelles; qu'il ne peut devenir une institutiol1
réguliere. Je suis tres-frappé quand, a coté de l' opinion de
1'homme de la théorie, je vois l'homm~ de la pratique,
M. Gladstone, ce financier dont on ne peut pronolleer le
110m qu'ayec une respectueuse admiration, cet homrne
d'État éloquent dont les exposés sont chaque année ac-
cueillis par de justes applaudissements; qnand je· yois





1\1. Gladstone arriver a la melle conclusion que 1\1. Stuart
Mill et l1'admettre l'impot sur le revenu que comme un
expédient, une ressource exceptionnelle, et non comme un
rouage normal.


Ces témoignages considérables sont pour moi des raisons
décisives. L'impot sur le revenu appartient encore a la
théorie; jusqu'á ce qu'elle ait résolu des objections aux-
quelles je ne vois pas de réponse, je ne crois pas que des
hommes d'État puissent le prendre en considération et ten-
ter son établissement.


J'arrive, messieurs, a ]a proposition de nos honorables
collegues MM. Granier de Cassagnac et Roques-Salvaza.


Il faut avant tout etre juste enver:s ces messieurs, recon-
naitre qu'évidemment leur projet n'est pas un impot sur le
revenu. Je dis plus, je suis convaincu qu'ils sont d'une 81n-
cérité parfaite lorsqu'ils se défendent vivemellt d'avoir youlu
établir quoi (1 ue ce soit qui flit meme un acheminement vers
ce genre d'impót. Non-seulement ils ne proposent pas un
impot général sur le revenu, mais ils ne veulent meme pas
un impót"sur une espece de revenu, le revenu mobilier; ils
n'atteignent pas toutes les valeurs mobilieres; parmi les
valeurs mobilieres, ils distinguent celIes qui peuvent etre
matériellement saisies de celles qui échappent á la vision
directe. Ces dernieres, par exemple les créances chirogra-
phaires, les titres qui sont en portefeuille, qu'on ne pourrait
connaltre que par recherches inquisitoriales, nos honorables
collegues dédarent q u'ils ne veulent pas les soumottre a
len!' imput; ils ne veulent atteindre que les valeurs en
quelquo sorte publiques, comme la rente, les obligatiol1s de
chemins de fe1', quí no peuvent pas se clissimuler et (PÜ
n' ont pas b080in d' étre recherchées. J e crois remIre tres-
ficlHement leur pensée.


'M. ROQUES-SALVAZA. Parfaitement!
M. ÉMILE OLLIVIER. Apres avol1' résumé la pensé e de nos


honorables collegues, rajoute qu'il ne faut pas la traiter
ayec un clédain trop superbe; qu'il ne faut pas la repousser
sallS examen et de sentiment, si j'ose dire ainsi, car au fond




48 nÉMoCRATIE ET LIBERTÉ
de eette proposition, il y a une pensée bonne et une pensée
juste. La pensée bonne et la pensé e juste, la voici: Notre
organisation n.nanciere a pris naissanee en meme temps
que notre organisation législative .. Les éléments en ont
été élaborés par la Constituallte, et la forme actuelle
en a été précisée sous l'Empire. A eette époque, parmi les
juriseonsultes eomme parmi les n.naneiers, il était un axiome
eourant et qui ne subissait guere de eontradietion : l1Iooi-
lÍ1t7n vilis possessio, les meubles, possession de peu d'impor-
tanee. De sorte que quand il s' est agi, par exemple, de
déeider, dans les mariages eélébrés sans qu'un eontrat de
mariage les préeédat, ce qui ent~erait ou non dans la com-
munauté, on a distingué suivant que les époux possedent
des immeubles ou des meubles. Les immeubles ne tomhent
pas dalls la eommunauté. Les meubles, au e011traire, y
tombent, paree qu'en général ils sont présumés de peu
d'importanee. Le meme raisonnement a été fait en matiere
n.nanciere; le législateur, apres etre parti de cette idée que
toutes les espeees de revenus devaient etre atteintes, aussi
bien les revenus immobiliers que les revenus mobiliers, a cru
que la contribution personnelle et mobiliere suffirait pour
atteindre les revenas mobiliers dans une proportion exacte-
ment proportionnelle a celle dont les revenus immobiliers
sont atteints par la contribution foneiere et les reve'nus des
consommateurs pauvres par les contributions indireetes.
Depuis ce temps les situations ont bien ehangé; la fortune
mobiliere a grandi au dela de toute espérance. Aujour-
d'hui, on doit reeonnaltre que, soit l'impót direet, soit les
impots qui la frappent d'une maniere indireete, ne pesent
pas sur elle dans des proportions aussi considérables que
l'impot foncier pese sur la propriété ... (C'est vrai! c'est
vrai!) et que l'impót de eOllsommation pese sur la génér~­
lité des eitoyens. Loin de nier eette vérité évidente, il faut
que, dans la Chambre eomme dans le pays, tous les bons et
sages esprits reeherchent sans se lasser les moyens les plus
éq uitables de faire disparaitre une disproportion qu' on a exa-
gérée, mais qui manifestement existe. (Tres-bien! tres-bien!)






SUR L'IMPÓT 49


Des projets divers ont été présentés; leur examen m' écar-
terait du plan que je me suis tracé; je dois me borner
aujourd'hui ajuger le projet présenté par MM. Roques-Sal-
vaza et Granier de Cassagnac. Il n'atteint pas le but légi-
time que leurs auteurs se sont proposé. Les raisons princi-
pales en ont été fournies avec une grande clarté par
rhonorable M. Segris et par l'honorable 1\1. Magna. Y reve-
nir serait superfluo Tous les deux ont établi, d'une maniere
flui a du vous satisfaire, que l'impót qu'on vous proposait
avait le premier inconvénient de consaerer une inégalité,
puisque, atteignant eertains capitaux, il en respeetait


• d'autres; qu'il était contraire a la eonvention, puisque, soit
qu'il s'agisse de valeurs industrielles, soit qu'il s'agisse de
la rente, un eontrat existait, contrat dont le respect s'im-
posait a tous. Ils ont ajouté enfin que, dans l'avenir, en pré-
senee d'un État qui a besoin de maintenir son erédit, en
présenee de soeiétés, de compagnies de chemins de fer qui
sont obligées de faire un appel incessant au publie, il était
téméraire de songer a un impót qui porterait atteinte au
crédit sous toutes les forn1es.


A ces raisons, messieurs, je n'ai rien a ajouter; je veu~
seulement les corroborer par deux considérations qui me
paraissent devoir écarter toute espece d'hésitation dans les
esprit.s q ni pourraient 11' etre pas convaincus encore.·


La premiere considération est que, lorsqu'il s'agit de la
rente, par exemple, iI y a, si je pouvais me servir d'un
terme philosophique, antinomie, incompatibilité, impossibi-
lité d'accoupler ces deux idées : la rente et un impót. Sur
la rente, on peut faire tomber une confiscation, mais non un
impot. Supposez un gouvernement quelconque décidant par
une loi que tous les porteurs d'un coupon de rente de
1,000 francs auront a supporter un impót de 50 francs. Que
se passera-t-il lorsque le porteu!' se présentera a la Bourse
avec sa rente nominative de 1,000 francs et qu'il voudra la
vendre? L'acheteur lui répondra : Je veux bien l'acheter,
mais déduction faite de l'impót que je vais supporter; votre
titre quí valait, avant l'impót, 1,000 francs ne vaut plus


"




50 DÉ.MOCRATIE ET LIBERTÉ
que 950 franes; par eonsequent, j e ne veux le payer que
950 franes. Désormais ee titre se transmettra ainsi de
main en main, au taux réel de 950 franes. Quel sera done
eelui sur lequel sera tombé exclusivement l'impot? Le
détenteur aetuel de la rente, au moment OU l' on aura établi
eet impót. Lui seul subira sur sa ereanee une eonnseation
de 50 franes. Les détenteurs postérieurs en seront exempts.
(C' est eela! Tres-bien!)


J'aborde l'autre eonsidération. Ce qui fait la puissanee
d'une nation, quoiqu'on l'ait dit souvent, iI faut le rappeler
toujours, e' est l'abondanee du eapital. Le eapital, e' est le
travail; le travail, e' est la riehesse et l' ordre. Ceei étant, •
eroiriez-vous prudent de troubler les eapitaux par un imp6t
de ee genre? Ah! la terre est immobile; vous pouvez la
frapper, elle ne s' enfuira pas; mais le eapital, il a des ailes;
pour lui, il n'y a pas de patrie ni de frontieres; quand OIl
le frappe c1ans un pays, il émigre clans un autre; il va ou il
trouve des profits supérieurs et s11rs. Il est done bien dange-
reux de touchel' légel'ement a. ces matieres. Il n' en existe
pas de plus délieates. C'est surtout dans ee domaine que se
déclarent les paniques irrésistibles; c'est dans ee domaine
qu'on voit tout a eoup a l'abondanee et a la eonfiance suecé-
del' la pénurie et la frayeur. (Tres-bien!)


D'ailleurs ees idées ne sont pas nouyelles; llon-senlement
elles ont été souvent présentées dans les assemblées, mais,
il est malheureux qu'on soit obligé de le dire, elles ont été
pratiquées. L'abbé Terray, qlli a laissé a eause de eela une
triste célébrité, établit sous l'aneienne monarchie une rete-
nue du dixieme sur les rentes, sous le nom d'imposition. Seu-
lement, messieurs, e'était un cynique, et, en eette qualité, il
appelait les eho~es par leur nom, meme quand e' était lui
qui les faisait. (On rit.) Il rencontra un jour un des créan-
ciel's qui avaient été victimes de sa retenue : '" Oh! monsei-
gneur, lui dit ce malheureux, quelle injustiee vous nous
avez faite! - Eh! (lui vous parle de justice? " répon-
dit l'abbé Terray. Il jugeait ainsi sa mesure! (Nouveaux
rires. )






, A


SUR L IMPOT 51
Sous la Constítuanto, la proposition d'imposer les rentes


[ut également présentée. L'Assemblée la rejeta. Mirabeau
s'était fait inscrire; son tour n'étant point venu, il voulut
laisser par écrit son opinion, illa fit imprimer . .le l'ai dans
les mains, cet admirable discours; j' engage tous ceux que
cette question peut préoccuper a le lire, et je demande a la
Chambre la permission de mettre sous ses yeux les belles
paroles qui en sont en quelque sorte le résumé . .le suis heu-
reux de placer ainsi un granel principe d'honneteté publique
sous la protection du génie le plus éclatant de la révolution
fran0aise.


" La nation, dit-il, peut etre envisagée sous deux rap-
ports, qui sont absolument étrangers l'un a l'autre. Comme
souveraine, elle regle les impots, elle les ordonne, elle les
étend sur tous les sujets de l'empire; comme débitrice, elle
a un compte exact a rendre a ses créanciers, et ses obliga-
tions, a cet égard, ne different point de celles de tout elébi-
teur particulier. Cependant, nous voyons ici qu'on abuse de
cette double qualité réunie elans la nation : el'un coté, elle
doit; de l'autre, elle impose. Il a paru commode et facile
(lU'elle imposat ce qu'elle doit; mais iI ne s'ensuit pas de ce
qu'une chose est a notre porté e , de ce qu'elle est aisée á
exécuter, qu' elle soit juste et convenable; souyent meme
cette facilité ne fait que rendre l'injustice d'autant plus
choquante, et c'est précisément le cas dont il s'agit (1). "


Voila, messieurs, le clerllier mot sur la question . .le vous
demande pardan d'y avoir insisté . .le n'avais pas a vous


(1) A l'argnment tiré dn poic1s de l'impGt foncíe1', ::.\Ií1'al)ean répondaít :
\( 1° Quall<l lEoS terres s'acl1etcll t, quancl elles se tritnsmettent elans les rar-


tages, 011 eompte sur la taxe qn'elles payent : et c'est eléduetioll faite de leur
taxe qu'on énüuQ lenr reyenu et le capital qu'il représente, ele sorte qu'il est
Hai de dire que les impositiolls territoriales SOllt plus a la cl1arge du foncls que
ues propriétaires;


(\ 20 Lit valeur numérique des rentes est toujonrs la meme, tandís que la
valenr relative de tontes choses augmente ;


« 3° Celuí qui consomme est aussi ntile que celui quí procluit. ))
A l'argument souvent reprodllit clu prl-,:ílége eles rentiers, :Jlirabeau répOlldait


que les rentiers ne « sont pus mienx privilégiés que ne le sont tons les autres
~ré,mciers (luí funt frnctifier leurs capitaux en cl'uutres mains. ))




52 DÉMOCRATIE ET LIBERTÉ


convaincre; mais fai parlé ici pour que ma parole soit
accueillie au dehors par ceux qui partagent mes opinions,
qui ont des tendances et des aspirations semblables aux
miennes; je ne veux pas, s'ils n' ont pas le temps d'appro-


'fondir ces difficiles matieres, qu'ils se laissent entrainer, par
des apparences spécieuses, a soutenlr de mauvais projets ...
(Tres-bien! tres-bien!) Dans toutes les opinions, dans tous
les partis, iI faut ne jamais oublier que les longues défaites
sont préférabIes au succes li uand on le demande a des
moyens équivoques. Sur nos programmes, - je desire qu'il
en soit ainsi sur les programmes de tous ceux qui se res-
pectent, - je ne veux jamais voir iuscrits que des prín-
cipes légitimes et d'une application possible. (Nouvelles
marques d'approbation.)


Si la Chambre veut bien me continuer encore son atten-
tion (Oui! oui! - Parlez !), j'entrerai maintenant dans un
autre ordre el'idées; je me retournerai vers la commission,
et j'examinerai rapidement les imp6ts qu'elle propose a
votre vote.


D'abord, je me joins au sentiment de tous en la remer-
e iant d'avoir écarté l'impot sur le sel; je la felicite d'une
Lonne résolution sagement prise et fermement poursuivie.


Mais les imp6ts qu'elle nous propose n'offrent-ils pas,
tous, des ineonvénients tels qu'elle aurait dú. les rejeter
<tU meme titre que l'impot sur le sel? C' est mon opinion.


Le douLle déeime sur l'enregistrement se presente le pre-
miel'. M. le ministre des n.nanees avai t proposé une réforme de
llotre. sJsteme d' enregistrement; il avait surtout paru tres-
preoecupé de trouver des augmentations de recettes dans la
répression des fraudes, quí, an vu et au su de tout le monde,
se pratiquent largement en matiere ¿'ellregistrement. A cet
effet, il vous ayait proposé une serie de mesures, de ser-
ments, de déclarations, que vous avez parfaitement bien fait
de repousser. Savez-vol1s, - messieurs, j'entre dans ce
détail, paree que cette ]oi est encore a l'étude et fIu'elle
pourra se présenter devant vous, - savez-yous que1 est le
seul moyen d'aceroitre les produits ele l' enregistrement et




SUR L'IMPOT 53


d'empecher la fraude? Il n) en a qu'un, tout simple: c'est,
au lien d'augmenter les droits, de les diminuer.


PLUSIEURS VOlX. e' est vrai!
M. ÉMILE ÜLLIVIER. eonsultez tous les hommes d'affaires,


tous ceux qui de pres ou de loin sont initiés au mouvement
des transactions, ils vous diront que la fraude qui a tant
d'inconvénients pour ceux qui la pratiquent ne se commet
qu'a cause de l' exorbitance du droit. Affaiblissez-Ie; a 1'ins-
tant meme, les actes innombrables quí se soumettent d'une
maniere incomplete al' enregístrement, ou q ui se dissi-
mulent, viendront acquitter volontaírement les droits; alors
vous verrez, messieurs, les ressources infinies qui résultent
des quantités petites, fréquemment additionnées. (Tres-
bien! tres-bien!)


Pensant que telle est la direction dans laquelle il convient
de chercher les réformes, vous ne vous étonnerez pas que
je ne veuille pas voter ce double décime qui pese si lourda.-
ment sur les transactions. lci, messieurs, je m'associe a
M. Roques-Salvaza (car je prévois sa pensée), je m'associc a
ses préoccupations pour la propriété fonciere. Ah! vous
avez raison, la propriété fonciere est trop grevée; ajoutez
seulement que c' est précisément par des impóts tels que le
double décime. Quand l' enregistrement pese trop lourde-
ment sur les mutations a titre onéreux, il devient un véri-
table fiéau pour la propriété fonciere, et il en empeche la
circulation facile et prompte; on voit alors des propriétés
demeurer pendant de longues années entre des mains
impuissantes, qui ne peuvent pas les faire valoir, faute des
capitaux nécessaires. Puis, apres etre demeurées longtemps
abandonnées ou a moitié cultivées, quand ces propriétés
trouvent un acheteur, le vendeur aux ahois est obligé de'
supporter, en diminution sur le prix, le droit d'enregistre-
ment et de payer, lui obéré, la bienvenue de son succes-
seur (1). e'est la un mauvais impót dont il faut etre sobre,


(1) Sur 13 millions de cotes foncieres, 7 millions sont au-dessous de 5 fr.,
2 millions de 5 a 10 fr. - ~ur 1 million de ventes, 800,000 n'exced.ent pas
l,OnO fr.




54 DÉMOCRATIE ET LIBERTÉ


si ce n' est dans quelques circonstances extraordinaires :
je ne puis actuellement en admettre la résurrection.


Le double décime de l'enregistrement ne pese pas seule-
ment sur la propriété fonciere, iI a un autre inconvénient
que, au poínt de vue social, je trouve aussi tres-grave; cet
inconvénient, iIIe partage avec l'impót sur le timbre et l'im-
pot sur les actes de procédure. En effet, l'enregistrement,
comme le timbre, comme l'impot sur les actes de procé-
dure, a pour résultat de rendre la justice plus chere. 01'
rendre la justice plu.s chere, c'est accorder une prime a
l'iniquité. Bien loin' de rendre difficíle l'acces des tribu-
naux, il convient de le rendre tres-facile pour que, devant
lajustice, il n'y ait pas de différence entre le pauvre et le
riche, pour que chacun puisse, par la possibilíté (l'un recours
a l'arbitrage social, obtenir le respect de son droit. L'hono-
rabIe M. Segris fait remarquer c1ans son rapport, que dans
les comptes des avoués, ce qu'on paye est le triple, quel-
quefois le quintuple des honoraires alloués; dans une
pareille situat1on, je m'oppose a ce qu'on aggrave, par l'im-
pot du timbre, par l'augmentation du clroít sur les actes de
procédure et par l' enregistrement, une reuevance déja trop
considérable.


L'impot sur le sucre vient s'ajouter au double c1écime de
l'enregistrement. lei je trouve que la Chambre est intéressée
a opposer une résistance tres-vive au projet du Gouverne-
mento Il n'y a pas deux ans, le Gouvernement est venu nous
proposer de dégrever le sucre, en nous faisant entrevoir
quels seraient les avantages considérables qai en résulte-
raient pour certaines parties de la population. Qu'objec-
tait-on alors? On disait : Mais vous vous privez d'une source
considérable de revenus, vous ten tez une expérience dont
le succes est douteux; il se peut que la consommation n'aug-
mente paso L' expérience a réussi; l'augmentation de la
consommation se produisaít chaque jour, elle allait eu pro-
gressant : ce quí avait été douteux, lorsque le GouverJle-
ment s'était adressé a nous, était devenu certain; c'était,
par conséquent, le cas de prentlre patience, de laisser a ce




SUR L'IMPOT 55


mouvement ascensionnel le temps .d'atteindre sa derniere
limite, et de nous rell('lre, par la consommation plus abon-
dante, ce que nous avions perdu par le droit devenu plus
baso Le Gouvernement n'a pas pensé ainsi; il nous propose
un projet qui releve l'impót sur le sucre. Je le repousse par
les memes raisons qui m'avment fait adopter le dégreve-
ment et voter les propositlOns du Gouvernement a ce sujet.


Combien je trouve le Gouvernement mal inspiré d'ajou-
ter cet exemple de mobilité de plus a tous ceux qu'íl nous
a déja donnés en matíere financIere! Nous en convenons
tous, et l'honorable M. Segrí s l'a dit avec énergie: en
matiere de finances, il faut avoir Ulle conduite, un plan, il
faut savoir ce qu'on veut, et ce qu'on veut, le poursuivre
avec persévérance et résolutíon. Or, que voulez-vous, vous
Gouvernement, en matiere de finances? Chaque allnée vous
changez de langage et de proj ets : vous préconisez les vire-
ments, puis vous les abandonnez, puis vous les reprenez.
En 1838, vous rétablissez l'amortissement, 1'année suivante
vous le supprimez; 1'an derníer, vous nous présentez les
obligations trentenaires comme une merveille financiere;
cette année-ci vous les convertíssez. En 1860, vous dégre-
vez 1'ímp6t sur le sucre, vous relevez les c1roits en 1862.
Et pour que ces contradictions soient permanentes, vous
avez touj ours en présenc8 cleux ministres des finances, le
ministre tant mieux et le ministre temt pis (On rit.); 1'ho-
norab1e 1\1. J\Iagn8, avec un talent quí me cOJlvainc toujours,
prouve que les finances sont (bns le meilleur état; 1'hono-
rabIe 1\1. Fould, avec une conviction qui m' émeut, établit
qu'elles sont uans une situation pitoyable. (Rire général.)


M. BEL1IONTET. C'est 1\1. 1\Iagne quí a raison!
M. ÉalILE OLLIVIER. Je vous demande pardon, messieurs,


d'etre si long ... (Non! non! - Parlez!)
Aussi se produit-il, a propos de cette questioll des sucres,


un faít qui, je crois, n'a pas eu son précédent. Vous aug-
mentez le tarif sur les sucres; les négociants et les commer-
~ants en sucres sont atteints par cette mesure. Quelle
devrait etre leur préoccupation? De conserver a la surtaxe




56 DÉMOCRATIE ET LIBERTÉ


le caractere temporaire. avec lequel le Gouvernement vous
l'offre pour vous la faire accepter? D'approuver l'honorable
M. 'Fould, qui l'avait placée dans le budget extraordinaire1
Pas du tout; les négocÍants sont tellement effrayés de la
mobilité ~l laquelle on a coutume de s'abandonner, qu'ils
sont venus devant la commis~ion du budget et luí ont dit :
Frappez-llous, mais pour toujours, pour que nous soyons
surs que cela ne sera pas changé (On rit.); au líeu de mettre
la surtaxe sur le sucre dans le budget extraordinaire, met-
t.ez-la dans le budget ordinaire; YOUS direz, si YOUS voulez,
que par cette transposition elle ne perdra pas son caractere
temporaire; mais on sait ce que parler veut dire; nous sau-
rons que la surtaxe durera toujours, et nous serons rassu-
rés. La commission du budget a été fort embarrassre; si elle
n'eCtt consulté que l'intéret général eles contrilJlla]¡Ies, elle
aurait dit aux négociants du Havre et de Nantes : Non!
non! Pour étre surs que la surtaxe ne sera que temporaire,
nous la maintenons ~u budget extraordiuair·e. l\htis nos
honorables collegues ont été vaincus par la priere des arma-
teurs, des négociants. Ils leur ont ~ccordé d'etre frappés
d'une maniere durable. Ils ont mis la surtaxe SUl' le sucre
au budget ordinaire. N' es.t-ce pas qu'un cas de ce genre est
rare et qu'il ne se rencontre pas souvent clans l"histoire
financiere de llOtre pays? (On rit.)


Me voici parvenu au granel et aa petit imptJt : gTand,
paree qu'il préoccupe beaucoup; petit, parce (IU'iI rapporte
peu : je veux dire a l'imp6t sur les yoítures.


L'impót sur les voitures ... Je commence par Jire qu'a-
vant de le voter ou de ne pas le voter, je voudrais sayoir ce
qu'il est; je !'ignore encore. Est-ce un impot somptuaire?
Non. Tout le monde se leve pour elire non! le Gouverne-
ment, la commission et moi (1). Qu'est-ce done?


(1) « L'idée de l'imp6t somptuaire cst sortie des bas-fonüs (le la médioerité
cnvieuse et impuissante ... Le fise 1'<1 aecueilli d'a1Jor<1 comIlle \lile de ces satis-
factio,ns illusoires que la politique aecorde a la rile multitllrle, p1lis, parce que le
fise, étant toujours besoigneux d'argent, est toujours pret á se senil' des moyens
qu'on lui indique de s'en proeurer ... Luxe est synouyme de progres; e'est 1\




SUR L'IlIPÓT 57


Le conseil d'État avait présenté un premier systeme :
selon lui, l'impót sur les voitures devenait une annexe ele
la contribution mobiliere. Pour savoir quel est le revenu


ed'une personne, on examinait quel est le prix du loyer ele
son habitation, et aussi, comme c'est le locataire qui paye
presque toujous l'impót des portes et fen8tres, on comptait
le nombre des portes et fenetres qui aerent son logement.
Le conseil d'État ajoutait une troísieme manifestation aux
deux manifestations qui existent déja de la richesse mobi-
liere, les voitures; et en cOllséquence il les imposait sui-
vant un tarif progressif : Dans une grande ville avoir une
voiture suppose plus de fortune qu'en avoir une dans une
petite ville; celui qui a une voiture dans une grande ville
payait donc une somme plus considérable que celui qui en a .
une dans une petíte bourgade, paree que ce dernier peut
etre considére comme sacrifiant moins au luxe qu'a la
nécessíté de n' etre pas captif dans sa propriété. Le sys-
teme du conseíl d'État est logique. L'impót sur les voi-
tures est a laisser ou a prendre tel qu'íl a été présenté. Il
n'y a pas une maniere de renvisager et de le comprendre,
autre que celle du cOllseil d'État.


La commission n'est pas de cet ayis; elle a trouve une
nouvelle maniere de motiver l'impót; elle a cherché un
analoglle dans la loi de 1836 sur les chemins vicinaux :
ce]ui qui a des voitures use les routes beaucoup plus que
celuí qui n'en a pas (()n rit.); voilala base rationnelle de l'ím-
p<Jt. L 'imp<3t sera payé par les propriétaires de voitures
parce qu'ils ablment les routes plus que ceux qui n'ont pas
de voitures .


. raí été tl'es-étonné quand j'aí lu ces motifs; car a ce sys-
chaque instant <le la vie sociale l'expression du maximllm de lJien-etre réalisé
par le travail, et auquel jI est c1u llroit comme (le la destinée c1e tous de parve-
nir ... C'('~t lorsque, par la coml1lUllauté c1u luxe, les 1'angs se rapprochent et se
cOllfonc1ent, que vous creusez plus profollc1émellt la ligne d.;) déma1'catioll et que
vous rehaussez vos gradins. L'ouy1'jer sue et se pre5su1'e ponr acheter une parure
i1 sa fiancée, un coUier 11 sa pe tite filIe, une montre 11 son fils; et vous luí inter-
c1isez ce Lonhenr, a moins toutefois qu'il ne consente it payer votre impot, c'est-
a-c1ire votre amenc1e. » (PROUDHO~, De l'ImprJI, 1861, p. 158 et suiv.)




58 nÉMoCRATIE ET LIBERTÉ


teme, a eette explication, il n'y a que deux petites objee-
tions, qui sont celles-ci : Si le motif de votre impót est de
faire que eelui qui abime la route la répare, vous avez tres-
grand tort d'en exeepter les voitures qui servent a l'agricul-'
ture, car ee sont celles qui écrasent le plus les routes.


UN MEMBRE. Évidemment.
M. ÉMILE OLLIVIER. En outre, vous avez le tort encore


plus granel d'exonérer de l'impot eeux qui habitent les com-
munes de 1,200 ames; les routes s'abiment dans les eommunes
de 1,200 ames aussi bien que dans celles de 20,000 ames.


Je sais bien que la commission répond que, dans les COffi-
munes de 1,200 ames, on est presque t~)Ujours déja soumis
a la prestation en nature, paree que, les communes étant
pauvres, la prestation s' opere en nature. La réponse n' ~st
pas concluante : ceux qui fournissent la prestation en nature
dans les petites communes n'ont pas de voitures et ne la
fournissent que pour leur personne, ou s'ils ont des yoitures
destiné es a l'agriculture, ils sont exemptés pOar votre loi eles
impóts. Quant a la voiture de luxe ... (Interruption.) La voi-
ture de luxe, que vous en dispensez elans les petites com-
munes, elle n'y paye pas plus qu'ailleurs la prestation en
nature ... (Nouvelle interruption.)


M. GRANlER DE CASSAG~AC. C'est une erreur!
M. ÉMILE OLLIVIER. Pardon, monsieur Granier de Cassa-


gnac, je vous prie de tacher de me comprendre avatlt de
m'interrompre.


1\1. GRANIER DE CASSAGNAC. Je comprends que vous YOUS
trompez : la voiture de luxe paye la prestation comme le
tombereau.


M. É:MILE OLLlVIER. Dans les commUlles de 1,200 ames
eomme dans les autres, les prestations en nature sont en
général converties en argent par les propriétaires des voi-
tures de luxe.


M. GRANIER DE CASSAGNAC. Je sais ce qui se passe a cet
égard dans mon conseil général.


M. ÉMILE OLLIVIER. Permettez, vous répomlrez si je COll1-
mets une erreur.






SUR L'IMPÓr 59
M. LE PRÉSIDENT. le prie la Chambre de laisser l'orateur


s'expliquer. Les débats nes'éclairent pas par des interrup-
tions. On aura la parole apres M. Ollivier pour lui
répondre.


M. É~nLE OLLIVIER. Je continue. La commission, selon
moi, explique mal l'exemption de l'impót dans les com-
munes de 1,200 ames; elle consacre sans motif sérieux une
inégalité de nature a produire un tres-mauvais effet.


Q UELQUES VOIX. e' 8st vraí!
M. };~MILE OLLIVIER. Dans les communes de 1,200 ames iI


est un grand nombre de chateaux, de grandes habitations,
ou l' on va précisément chercher, dans la solitude et le
calme, la vie de campagne. Eh bien! vous ne nous ferez pas
comprendre comment, dans ces communes, il y aura, pour
l'homme riche, exemption ele l'impót que seront obligés de
payer, dans eles communes de 4 a 5,000 ames, des notaires,
des méuecins elans une position modeste.


Cet impót a été mal remanié par la commission; si on
vcut le voter, il faut le yoter tel que le conseil d'État l'a
présenté. Ainsi établi, il est logique, iI est bien coordollné,
je l'accepterais si je n'étais pas décidé a voter contre tout
imp6t nouveau; mais tel qu'il est présenté par la commis-
sion, il est tellement incohérent, que je ne crois pas qu'il
puisse €:Jtre adopté. (Assentiment sur quelques hancs.)


Je regrette d'autant plus la nécessité dans lafluelle la
cummission s' est crue placée, de voter les imp6ts nouveaux,
que je voi~ a-rce frayeur la situation dans laquelle nous
nous trouverons l'année prochaine. On distingue le buc1get
en oruinaire et en extraordinaire. En réalité, je vous prie
de ne jamais oublier cette vérité : le hudget extraorclinaire,
quoiqu'il s'appelle extraordinaire, est aussi ordinaire que le
budget ordinaire (On rit.); car il comprenu, d'une part, des
travaux indispensables, des chemins de fer votés, par
exemple, ou des travaux commencés, la reconstruction des
Tuileries ou de 1'Opéra; il comprend les dépenses qui, en
dehors de l' effectif, doivent €:Jtre supportées par nos budgets
pour les cas imprévus et pour les expéditions lointaines .


..




60 nÉMOCRATIE ET LIBERTÉ


Nous aurons done chaque année, et l'année prochaine par
conséquent, a voter un budget extraordinaire. Or, mes-
sieurs, dans les ressources du budget extraordinaire de cette
année-ci, qui sont de 121 millions comme les dépenses,
combien y en a-t-il qui se reproduiront? Il n'y a que les
51 millions de rentes de l'amortissement. Tout le reste,
l'indemnité chinoise, le restant des obligations trentenaires,
la yente des terrains, de l'Opéra, totlt cela disparaltra.
Comment ferez-vous donc pour aligner votre prochain bud-
get extraordinaire en présence surtout d'un budget ordi-
naire qui ne s' équilibre lui-meme qu'a l'aide de ressources
exeeptionnelles, temporaires?


Vous serez obligés d'avoir recours a de nouveaux impóts.
Aussi, l'honorable M. Le Roux, dal1s un rapportqui con-
tient tant de mots heureux, en a-t-il trouyé un profond
lorsqu'il a dit : " La commission entre dans un systeme
nouveau! " Oui, le systeme des impóts apres le systeme
des emprunts ! Moi, j e reste dans le víeux systeme, dans le
systeme des économies ..


J'examine en peu de mots, pour terminer, la derniere
partie du programme de l'honorable M. Fould, - la con-
versíon. Je n'ai pas a le discuter, le fait est accompli; je
n'en aurais absolument rien dit si le rapport de l'honorable
M. Le Roux n'avait contenu cette phrase : " La conversion
a réussi. "


Eh bien! je viens dire, quant a moi : Non, la cOllyersiol1
n 'a pas réussi! "


L'honorable M. Magne, avec son habileté et sa connais-
sance profonde des finances, a bien compris que, sur cette
question de la conversion, iI ne pouvait ni se taire ni tout
dire. 11 ne pouvait ras se taire, car, enfin, il est nécessaire
que nous sachions comment s' est concIue une opération que
nous avons récemment votée. Il ne pouvait tout dire, parce
qu'il aurait fallu, pour cela, nous présenter un eompte que
je erois embarrassant a produire. Aussi s' est-il borné a di re :
" La conversion a produit 150 millions, q ui seront employés
a diminuer d'autant notre dette flottahte! " C'est bien;




SUR L'!MPÚT 61


malS Je veux savoir davantage; je ne me contente pas du
compte net de la conversion, je désire connaitre le compte
bruto Je veux savoir, -j'en ai le droit, - ce que vous avez
donné au syndicat des banquiers, dont l'honorable M. Ba-
ro che a confessé l'existence; je vous demande comment
vous vous étes arrangés avec vos auxiliaires : alors seule-
ment je saurai si votre affaire a été bonne ou mauvaise au
point de vue du Trésor. Il faut que vous nous appreníez ce
que la conversíon a rapporté dans vos maíns, et ce ~ue vous
avez été obligés de mettre directement ou indirectement
dans les mains des banquiers. Quand nous aurons ces termes
de comparaison, quand vous les aurez produits avec vérité,
alors, au point de vue des finances, nous saurons si votre
opération a réussi.


Je n'ignore pas qu'on a fait a cet égard des calcuIs
approximatifs, je les connais; mais ce sont vos chiffres que
je vous demande.


Laissant ce cóté financier que je ne puis pas aborder,
considérant l' opération au point de vue apparent, en prenant
pour point de départ ce qui frappe tous les yeux, je dis :
Non, vous ne pouvez pas affirmer que la conversion ait
réussi.


Qu'est-ce que vous avez voulu? Faire entrer dans les
caisses du Trésor 150 millions? Si telle a été votre pensée
principale, si vous n'avez vouIu uvoir recours qu'a un expé-
dient pour soulager une situation embarrassée, vous avez
réussi, puisque vous avez les 150 millions. Mais vous nous
avez dit et répété maintes fois dans vos paroles' et dans vos
exposés des motifs, que ce n'est pas 150 millions que vous
vouliez, mais quelque chose de bien plus important : l'uni-
fication de la dette, et par suite la rente q ui monte, l'intéret
qui baisse; voila le but eonsidérable que vous vous étiez
proposé. Eh bien, je dis que jusqu'a ee moment-ei vous ne
l'avez pas atteint. Vous n'avez pas créé l'unífication de la
dette; il Y a, en effet, 39 ou 40 millions de rentes dont les
porteurs n'ont pas consentí a v.otre conversíon; et vous
n'avez pas pu, vous n'avez pas voulu, vous n'avez pas osé,




62 DÉ:M9CRATIE ET LIBERTÉ
j'ignore laquelle de ces expressions il faut employer, -
vous n'avez ni pu, ni voulu, ni osé proposer la conversion
avec remboursement au pairo Votre unification n'existe
done paso


Vous avez promis que la rente monterait, et les partisans
ardents de la conversion, non pas comme ceux, comme
beaucoup que je comiais, qui la votaient avec résignation,
mais ceux qui la votaient avec enthousiasme, nous disaient :
Vous allez voir la rente s' élever, ce sera la réponse a vos
prévisiots de mauvais augure! QUE? s'est-il passé? La
rente a baissé; elle était a 71 le jour OU la conversion a été
votée, elle est aujourd'hui a 68 ou 69 avec le coupon.


S. Exc. M. BAROCHE. Sans le coupon.
YOIX NOMBREUSES. Oui! oui! sans le coupon!
:JiI. É:mLE OLLIVIER. Pendant ce temps-Ht, les valeurs de


placement qui pouvaient falre concurrence a la rente, telles
qu'obligations de chemins de fer, emprunts itallens et
autres valeurs, haussaient dans une proportion égale, en
sen s inverse, a la proportion dont votre rente baissait. De
telle sorte que vous avez atteint ce résultat qui devrait etre
désolant pour un gouvernement; parmi les rentiers de
4 1/2 p. 100, il Y a eu deux catégories; il y a eu ceux qui
ont eu confiance en vous et ceux qui se sont méfiés. Ceux
qui ont eu confiance ont été déQus; ceux qui se sont méfiés
ont obtenu un résultat favorable!


Avez-vous au moins réalisé la derniere de vos promesses,
l'intéret baisse-t-il? Dans ce moment il ne se fait pas d'af-
faires. Alors, que se passe-t-il? Un tres-grand nombre de
eapitaux attendent a la Banque, inquiets et oisifs; l'escompte
conséquemment est a un taux tres-baso Mais supposez que
la crise américaine se termine; supposez que par une raison
quelconque il y ait dans les affaire s un mouvement de
reprise que nous attendons, que nous espérons, que HOUS
voulons tous; a l'instant les capitaux sortiront violemment
de la Banque, se lanceront dans les affaire s ; alors vous ver-
rez si l'intéret aura baissé!


Non, votre conversion n'a pas réussi; et vous avez dan s




SUR L'Il\IPOT 63


un jour non-seulement détruit votre amvre, mais détruit
l'ceuvre de plus de vingt années. A quoi, en effet, s'étaient
appliqués tous les gouvernements depuis le baron Louis?
A avoir une grande partie des fonds publics classés, c'est-a-
Jire détenus par de petits capitalistes qui ne songeaient ni
a spéculer ni a vendre, qui gardaient et qui devenaient ainsi
les premiers intéressés a la prospérité de l'État, quí for-
maient cette réserve imposante de ressources que le crédít
de l'État retrouvait dans toutes les crises. - Qu'est-ce que
vous avez fait de tout cela? Vous avez pris des mains de ces


. hommes vos rentes, et vous les avez jetées sur le marché.
Elles y sont, ne trouvant pas d'acheteurs, pesant sur les
cours, les empechaut de s' élever ... Vous avez désaffec-
tion~lé les petits capitalistes de votre rente!


Vous n'avez pas détruit seulement l'amvre de vos prédé-
cesseurs, vous avez détruit la v6tre. Vous aviez eu une pen-
sée politique, une pensée féconde et neuve, lorsque vous
avez démocratisé le créclit, lorsque, pour vos emprunts,
vous vous Hes adressés directement a tous les capitalistes et
que vous avez rejeté l'entremise des banquiers. 01', qu'avez-
vous fait a cet égard par votre conversion? Vous étes allés
de nouveau, par une inconséquence inexplicable, vous
mettre sous la tuteUe des banquiers; vous avez éloigné,
découragé les petits capitalistes. La encore, je rencontre
l'incertitude et la mobilité, et je dis avec énergie : Non!
non! votre conyersion n'a pas réussi. (L' orateu.r, en retour-
nant á sa place, re00it les félicitations de plusieurs de ses
collegues. )


(La séance reste suspendue pendant un quart d'heure.)


,.


\.,






VI


SUR L'ENSEMBLE DE LA POLITIQUE DU GOUVERNEMENT
DEPUIS 1851


(4 féHier 1863)


lVIessieurs,


Il ya deux manieres d' examiner la conduite cl'un gouyer-
nement : la premiere consiste a saisir chaque acte isolément,
a le considérer en luÍ-meme et á le juger; la seconde con-
siste a s'élever davantage, a grouper un certain nombre de
faits contenus dan's un certain nombre d'années et a recher-
cher l'inspiration générale, le principe supérieur qui les a
amenés et qui a présidé ~t leur évolutiou-/successive.


Quand on emploie la premiere méthode, messieurs, a
moins d'etre un esprit déloyal, on est bien obligé de recon-
naitre qu' on trouve un mélange de bien et de mal. En effet,
les plus mauvais gouvernements prennent de bonnes mesures
et les meillenrs comrnettE nt des erreurs: de telle sorte
qu'on peut etre momentanément d'accord avec un gouver-
nement, en restant fondamentalement séparé de lui, de
meme qu'on peut se ~éparer d'un gouvernement sur une
question spéciale) en lui gardant un dévouement réel.


Au contraire, quand on examine le principe inspirateur
el'une politique, on a devant soí un faít simple, unique, índé-
composable, en présence duq uel on peut asseoir un jugement
d'ensemhle et déclarer qu'il est bon ou qu'il est mauvais,




POLITIQUE DU GOUVER~EMENT DEPUIS 1851 65
suivant qu'il est conforme ou qu'il est eontraire a l'idéal
qu' OIl porte en sOl et aux regles de eonduite pratique qu' on
en déduit. J'ai l'ambition d' examiner la politique du Gou-
vernement a ce dernier point de vue. J'y suis eneouragé
par le discours du Tróne lui-meme, qui vous l'a dit avee
raison : e' est en envisageant la poli tique pendant un eertain
nombre cl'années qu'on peut savoir si un yéritable esprit de
eonduite y a présidé. La táche est délicate. elle est diffieile.
J'essayerai de la remplir avee la plus complete netteté dans
la pensée et dans l'expression, mais aussi, j'espere, avec la
plus eourtoise modération.


L'observateur impartial de la eonduite du Gouvernement
impérial est amené a diviser. en deux périodes parfaitement
distinctes l'histoire de l'Empire, suivant qu'il considere les
événements qui se sont aeeomplis ayant la proclamation de
Milan, lors de la guerre d'Italie, ou bien qu'il porte son
attention sur eeux qui ont suivi cet aete important. Dans
la premiere période de l'Empire, dans eeHe qui précede la
guerre d'Italie, la proclamation de Milan, tout se présente
avee un earactere de simplieité et d'unité incontestable.
Le trait saillant, eelui qui se dégage et s'aeeuse ayee le
plus de précision, est celui-ci : un gouvernement fort, un
gouvernement exerQant toute l'initiative, au-dessus d'une
nation qui lui a délégué tous ses droits et qui aeeepte tous
ses actes.


Voyez, en effet, messieurs, dans le détail, examinez les
di verses manifestations de la vie politique : partout vous
relleontrez le meme signe, partout le meme earaetere.
La législation sur la presse : e' est le pouvoir administratif
diserétionuaire, selon l'expression de M. le ministre de
l'intérieur. Aussi, les journaux suppriment-ils par prudenee
tout ce qui est discussion ou artiele de fondo Le bulletin
s'introduit, le journaliste se réduit a etre ]e narrateur dis-
eret des faits; le supreme de son art est de chereher des
allusions. S'jl peut parler de l'empire romain, eiter Taeite a
propos des Césars, le triomphe est eomplet; les journaux
doivent etre lus entre les lignes, et une méthode nouvelle


rs




CG DÉ~lccnATm ET LIBEr..TÉ


de les compremlre corresponu ¿t la méthode nom-elle de les
composer. La liberté individuelle est garantie par la loi de
sureté générale et la loi du colportage. La vie municipale
est détruite : le Gouvernement décide que les maires peu-
vent etre choisis en dehors du conseil municipal. Les préfets
prOn0l1C8nt la dissolution des conseils municipaux des (IU'ils
leur resistent, et l'an des ministl'es-orateurs, l'honorable
:NI. Billault, alors ministI'e de l'intérieur, est obligé d' écrire
une circulaire pour moderer l'ardeur des préfets et leur'
rappeler que les conseils municipaux ne c10ivent otre dis-
sons que q uancl une nécessi té impéri ellse l' exige. Est-il
nécessaire que je vous rappelle ce qui nous concerne, nous
les représmltants de la nation? Est-il néce8saire que j e YOUS
rappelle ce compte rendu a la troisieme per80nne, publié le
seconc1 j out, apres qu'un comité avait arreté au passage toute
expression suspecte? Est-il nécessaire que je vous rappe11e
combien était insuffisant notre controle financier, ainsi (lue
vous l'a dit, el'une maniere tres -nette et sans ménagement,
l'honorable M. Achille FouId '? Dois-je vous répéter apres
lui que vous n'étiez qu'une chambre d'enregistrement char-
gée d'entériner les décisions prises par le conseil d'Etat?


Au point de vue social, ce qui se passe dans cette premiere
période est encore plus gntve : le Gouvernement, céc1ant a.
son impulsion générale, détruit dans le pc.ys tout ce qui con-
stitue l'inclépendance indiYiduelle, partout le concours est
abolí, l'illamoyibilité de la magistrature cst atteintc par le
décret sur la re traite a soixante-dix ans, l'initiative inclivi-
tluelle est interdite, le Gouvernement ne vent avoir en face
de lui que des individualités sans lien, sans cohésion, sans
force, et qui ne soient que cornme de la poussiere dans sa
main! La graYité ele cette situation est rendue plus redou-
table encore par cette circonstance que ce pouvoir si fort
est en meme temps un pouyoir irresponsable. Irresponsable
a la base, car les fonctionnaires ne peuvent pas t'ltre atta-
qués; irresponsable au milieu, cal' les ministres n' ont a
rendre compte ele leurs actes qu'a l'Empereur; irresponsable
au sommet, car, loin qu'il soit possihle d'exercer un controle




POLITIQUE D"8 GO{;VERNE~1ENT DEPUIS 1851 67


effectif sur les actes du pouvoir supreme, le Corps législatif
est privé ffieme du droit de les eonnaitre et de les discuter.


Dans cette premiere période, a l'extérieur se place une
guerre, une guerre glorieuse et utile, la guerre de Crimée :
glorieuse, paree qu'elle a montré qu'a l'impétuosité qu'on a
toujours reconnue aux armées fran~ai'3es nos soldats savaient
joindre la constance néeessaire aux longues entreprises, ce
flui nous donne le droit, a ccité de la furie fran0aise, de
parler avec orgueil de la soliclité franyaise. (Tres-bien!
tres-bien!) Guerre utile, paree qu'elle a été la réalisation
d'une pensée politique, poursuivie par tous les gouverne-
tnents depuis quarante ans; qu'elle a enlevé rOrient a l'in-
fluence exclusive de la Russie, et au protectorat ambi-
tieux de ce peuple qui, depuis le testament de Pierre Ier, l'mil
fixé sur l'Orient attend l'heure de s'en emparer, elle a subs-
titué la surveillance et le controle des grandes puissanees
européennes. De tels résultats sont considérables; mais cette
guerre de Crimée était une guerre purement politique, et
dans les dépeches qui la préeéderent, l'honorable ~1. Drouyn
de Lhuys, alors ministre, eerivait des phrases comme celle-
ei, adressee a l'empereur ele Russie : " Kos priEcipes et nos
intérets sont les memes. "


La !Z'uerre d'Italie commence; elle s'annonce d'abord
v


comme une simple guerre diplomatique et militaire. Les
,\utrichiens ont franchi le Tessin. Le Tessin cst comme la
frontiere ele la France, e' est notre premie re ligne de dé-
fen:-;e; nous allons protéger notre allié et repol1sser jusqu'a
L\elriatirlue la puissanee assez téméraire pour avoir voulu
s'avancer jusqu'aux Alpes. A Milan, messieurs, un langage
qu'on n'avait pas entelldu elepuis longtemps se fait entendre.
La guerre prenel un earaetere nouveau : elle était purement
politique, militaire, défensive; elle devient nationale et
libérale. On s'adresse h un peuple malheureux qui dermis
trois sieeles attendait le signal du réveil, et ee signal on le
luí donne et on lui dit : " Dehout! soldats aujourd'hui et
rlemain eitoyens d'un pays libre. " Et l'Italie se leve ...


GNE YOIX. Elle ne s'est pas levée du tonto




68 DÉ:MOCRATIE ET LIBERTÉ


M. EMILE OLLIVIER. Et une immense acclamation accueille
ces paro]es, et de toutes les ~oitrines s' éleve un cri d'assen-
timent, de reconnaissance et de dévouement. Presque aus-
sitüt on s'arrete, a Villafranea; mais l'Italie, qu'on avait
réveillée, ne s'arrete pas: elle poursui t avee une sagesse
et une prudenee ... (Dénégations sur plusieurs banes.), ayec
une sagesse et une prudence ... (Nouvelles rlénégatiolls.),
avec une audace et une modération ... (Guí! ouí! - Non!
non !), ayec un respect pour ]a liberté, qui la rend dig'ne
·d'etre offerte en exemple aux autres nations. Le Gouver-
nement fran<;ais résiste d'abord; puis il comprend qu'il n'est
pas sage de résister au droit, et apres avoir pris justement
ses suretés, par l'annexion de Nice 8t de la Savoie, iI donne
la main au mouyement italien; illaisse faire l'annexion de
Naples; il ne s' oppose pas a l'anllf~xion des duchés, des
Marches 8t de l'Ombrie; il rend a l'Italie le dauble service
de ne pas em pecher qu'elle a~~comp1isse ce qui est dans ses
uestinées et u'arre.ter l.'Autriche mena<:ante. Elle lui assure
ainsi la liberté de se transformer au milieu de la paix !


ARome, messieurs, le Gouvernement fran<;ais résiste,
l'ésiste a l'Italie, qui, en vertu uu droit des nationalités,
yeut s'attribuer Rmne; mais, en meme temps, i] résiste ~t
l'Espagne et a l'Autriche, qui, au nom (le je ne sais que1
ul'oit divin, veulent déclarer Rome un bien de mainmorte,
p'opriété de tous excepté de ses habitants, et il pose nette-
ment ce príncipe que Rome n'est ni aux catho]iques, ni aux
Italiens, qu'elle est aux Romains.


Ces actes, messieurs, que je rappelle ayec satisfaction, je
les approuve: nous ne sommes pas seulement des hommes
de critique, mais surtout des hommes de justice.


Cette conduite a l'extérieur ne pouvait pas etre sans
retentissement et sans conséquence a l'intérieur. En effet,
elle a amené des actes nouveaux, que j'indique seulement,
car ils sont récents. L'amnistie d'abord, puis une politique
commerciale libérale, progressive. Pour nous, la parole
retrouvée avec la publicité de nos débats désormais repro-
duits dans leur intégrité, grace a un systeme qui certai-




PULITlQUE DU GOUVERNEMENT DEPUIS 1851 69


nement a encore les imperfections des choses humaines,
qui cependant, je n'hésite pas a le déclarer, est un des
meilleurs qu'il y ait jamais eus dans les assemblées délibé-
rantes. Enfill le décret du 24 novembre, en nous donnant le
droit de discuter une adresse, en ramenant dans cette assem-
blée des ministres-orateurs, opere une innovation plus con-
sidérable et commellce la responsabilité. Désormais nous
pouvons savoir, nous pouyons questionner, nous pouvons
critiquer; le premier degré de la responsabilité, qui est la
discussion, est conquis; si nous n'en faisons pas usage dans
l'intéret du pays, a nous la responsabilité! N ous avons le
droit de parler et de faire prévaloir ce que nous considérons
cbmme la vérité.


Ces divers actes ont eu pour conséquence que tous
les hommes qui aiment la liberté et le progres, et
guí savent subordonner leurs désirs et leurs aspieations
personnelles au bien de la patrie, que tous ces hommes ont
ressenti un mouvement d'espérance, et cette espérance nous
ravons manifestée publiquement.


Malheureusement, pourquoi faut-il ajouter que, parallele-
ment a la politiq ue dont je viens de vous indiquer les prin-
cipaux traits, il s' est produit des actes politiques aussi
rétrogrades que ceux-la étaient libéraux, de telle sorte que
l'esprit se perd a saisír la politique actuelle du Gouver-
nement impérial : il semble q u'il ait pour but de glisser
entre les idées contraires sans en froisser trop ni en satis-
faire pleinement aucune.


En Italie, tout a coup la politique hésite, trébuche; aux
dépeches fermes, éloquentes de l'honorable M. Thouvenel
succedent des dépeches vagues, indécises, flottantes, dans
lesquelles rien n'est indiqué avec la netteté quí convient a
la politique d'un grand pays ; si nous n'entendons pas encore
l'honorable M. Drouyn de Lhuys déclarer avec l' Autriche
et l'Espagne que Rome appartient au catholicisme, du moins
il ne repousse pas la doctrine, et il l'admet a titre d'hypo-
these acceptable dans un passage de ses dépeches. A l'inté-
rieur, l'amnistie n' est pas complétée; on persiste a maintenir




70 DÉMOCRATIE ET LIBERTÉ


la loi de sureté générale, la loi du colportage, toutes les me-
sures d' exception qu'il faudrait enfin effacer de natre légis-
lation pénale. Relativement a la liberté de la presse, YOUS
avez entendu les faits indiqués dans les remarquables dis-
cours de l'honorable M. Plichon et de l'honorable 1\1. Le-
mercier. Sans y revenir, je me borne a remarquer que lVI. le
ministre de l'intérieur, dan s un programme auquel nous
avons cru, avait dit " que toutes les fois que l'État 011 la
dynastie 11e seraient pas attaqués, la discussion des actes de
l'administratio11 serait libre". Depuis que cette lettre a été
écrite, je défie les honorables organes du Gouvernement,
parlant au nom de M. le ministre de l'intérieur, d'indiquer
un journal, un livre, une publication quelconque, daos les-
quels le principe du Gouvernement ait été attaqué ou con-
testé. Cependant les avertissements 11e cessent de se multi-
plier a l'infini; vous n'avez done pas été fideles a votre
programme. Vous nous aviez pro mis beaucoup, et vous nons
donnez tres-peu !


J'ai essayé de me remIre compte du procedé en vertn
duquel les avertissements sont donnés, et quand j'ai voulu
les grouper autour d'une idée, il m'a semblé reconnaitre
ceci: en général, dans la discussion des questions majeures,
telles que la question d'Italie, la question du l\Iexique, ou
tou te autre qui releve plus particulierement de l'initiative
du Chef de l'État, j'en conviens, une certaine liberté de
langage a été accorclée. Mais des qu'il s'agit du moiwlre
acte administratif du ministre de l'intérieur, d'une mesure
quelconque d'un préfet, toute discussion est impussij)le. De
telle sorte qu'en fait, il se passe exactement le contrairc de
ce qui nous avait été annoncé. On ne nous a pas pennis
d'attaquer l'État, ce que personne n'a eu l' envie de faire.
On nous a laissé discuter certaines mesures de l'Empereur,
nais on llons a formellement interdit de ne pas trouver


parfaits les actes de l'administration.
Pour les élections, vous avez entendu nos honorables


collegues : qu'ajouterai-je a ce qu'ils ont dit si hien? Les
élections, vous avez appris maintenant comment on les pré-




POLITIQUE DU GOUVERNE~I1E~T DEPUIS 1851 71


pare; dans ce moment-ci, j' en suis convaincu, vous ne clou-
tez pas que l'épreuve accomplie dans les conditions qu'on
annonce ne sera pas un appel au pays, mais une lutte inégale
dans laquelle, autant qu'on le pourra, on empechera l'opi-
nion publique de se manifester. (Réclamations sur un granel
nombre de bancs.)


De telle sorte, messieurs, que si, résumant ma pensée
sous une forme vive, j e voulais peinc1re la situation telle
qu'elle a été et telle qu'elle me paralt etre, jo dirais: L'Em-
pire a été d'abord un gouvernement absolu; il est aujour-
d'hui un gouvernement contradictoire. J e lui. demande de
devenir un gouvernement régulier, un gouvernement consti-
tutionnel. (Bruit.)


·Or., iL l'intérieur, la responsabilité des agents du pouvoir,
la presse soamise au t!roit commun, les élections libres, la
vie municipale achre, l'État contenu dans ses véritables
attributions et ne considérant plus la eléfense pour les
citoyens cl'agir ú leu1's risques et périls comme la conclition
du bien qu'il réalise, les finances gérées avec écollomie,
sans emprunts ni impclts nouveaux; a r extérieur, la paix et
le respect elu principe ele non- intervention; en d'autres
termes, la liberté politique, la liberté religieuse, 1a liberté
civile, la liberté d'enseignement, la liberté commel'cia1e, ou,
mieux encore, la liberté sans épithete; la JiLerté comme
remede a cleux causes d'anarchie, ~t celle qui naH du pou-·
voÍr d'un seu1 et a celle qui nait des mouvements tumu1tueux
ele tous, la liberté comme ayant seule la puissance de mettre
un terme a des cOllYulsions intermittentes dans lesquelles
nos forces vives s'usent sans qu'aucune solution soit obte-
nue; la liberté cornme moyen el'aborder pacifiquement, sans
violellce ni utopie, le difficile prob1eme quí domille tous les
autres dans ce siecle, a savoir, l'amélioration moral e et ma-
térielle da sort du plus grand nombre; la liberté sans
le désordre, mais l' ordre sans le despotisme : telles
sont les réformes que nous réclamons ~ (Mouvements di-
verso )


Si ce but, messieurs, n'a pas été atteint ju~qu'a ce jour,




72 nÉMOCRATlE ET LIBERTÉ
cela tient a une lutte qui remonte tres-haut, a un malentendu
qui dure depuis longtemps et qui doit cesser. Cette lntte et
ce malentendu durent entre les démocrates et les libéraux
depuis 1789. Tous ont eu des torts. Les libéraux out eu le
tort graye de s'opposer a la transformation démocratique
que subissent les sociétés modernes; les démocrates ont eu
tort, de leur cóté, de vouloir que cette transformation s'opé-
rat a l'aide des doctrines étroites et stériles du jacobinisme.
(C'est vrai! tres-J)ien!) Il fant désormais que les démocrates
deviennent lihéranx, et que les libéraux deviennent démo-
crates. (Bruit confus.)


UNE VOlX. Cela ne changerait ríen an fond des choses.
M. Él\IILE OLLIVIER. Il faut que les libéraux prennent


leur parti de l'avénement du peuple, et que, ponr lui, ils
aient amour et dévouement; il f(fUt que les démocrates
sachent que tout n' est pas fini quand on a pris sa part dans
la constitution du pouvoir collectif, et qu'il est des droits
individuels, primordiaux, au-dessus de la Ioi des majorités.
et qui, toujours, doivent etre respectés !


Pourquoi le Gouvernement, au líeu de faciliter une amvre
pareille, s'y oppose- t-il? Q.uelles sout les raisom: qu'il donne
et les objections qu'il oppose au programme qu.e je déve-
loppe devant vous? Nous l'entfmdrons vous les ex.primer
avec éloquence; mais, telles qu'elles résultent pour moi des
débats antérieurs qui ont eu lieu, soit icl, soit dans la presse,
toutes peuvent se ramener ~l deux arguments, qui sont, en
quelque sorte, le lieu commun actuel des discussiollS pu-
bliques, et auxquels, poul' cette raison~ vous me permettrez
d'essayer une réponse.


Le premier argument est celui-cí : Mais nous nous glori-
fions précisément de ce dont vous faites une accusation
contre nous; vous dites que nos actes sont contradictoires,
que tantót ils sont dans un sens, et que tantót ils sont dans
un sens qui parait opposé; au fond, votre ohservation est
juste, la qualification senle que vous employez est inexacte;
nous ne sommes pas contradictoires, nous sommes prudents,
nous sommes modérés, nons ne voulons nous abandonner a




POLIT1QUE DU GOUVERNEl\lENT DEPUIS 1851 73


aucun des partis extremes qui nous sollicitent de les suivre
dans de folles entreprises .


.le concede le pointde départ de l'argument, et je dis a
mon tour: Oui, un gouvernement ne doit jamais suivre les
partis extremes; s'il les suivait, il cesserait d' étre un gou-
vernement, il deviendrait une aventure. On a comparé la
société, avec raison, a. une caravane en marche : les uns
vont trop vite, les autres s'attardent trop ; entre les deux est
le gouvernement, retenant les uns et excitant les autres .
.J e concede meme davantage, messieurs : toutes les fois
qu'un dissentiment existe entre une opposition et un gou-
vernement sur la mesure des choses, sur l' opportnnité des
actes, eh bien, je le dis hardiment, moi, député de 1'oppo-
sition, iI est supposable que e' est h~ Gouvernement quí a
raisoll; iI á une responsabiIité que llOUS II 'avons pas, et quí
peut lui faire trouver extremement difficile ce qui nous
pa¡'ait <lisé. N ous ne répondons que de paroles; il répond,
lui, ce quí est beaucoup plus sérieux, de faits auxquels sont
attachées les destinées d'une nation! C' est la, messieurs, le
sen s profond d'une parole de Mirabeau dan s laquelle on a eu
tort de ne dlercher qu'une épigramme, et qui contient une
profonde vérité, e' est la vraie portée ele la maxime connue :
" Un jacobin ministre ne set'ait pas un ministre jacobino "
(Rires.)


Aussi, messieurs, chaque fois qu'entre le Gouvernement
et nous iI n'y aura ({u\me question d'opportunité et de me-
sure, je consens a. avoir tort. 1\1ais telle n'est pas la nature
clu sentiment actuel; la prétention qu'a le Gom;ernement
ne consiste pas seulement a vouloir marcher, tandis que
nous voudriolls qu'il courut; non! sa prétention est plus
difficile a concilier avec nos idées et avec la réalité; elle
consiste á vouloir marcher a la fois c1ans deux routes quí se
tourneht le dos. Oh! cela est impossible !


J'arrive a la seconde objection, a. l'argument historique
(lue M. le ministre de l'intérieur 11e llOUS épargne pas, qui
est le fond de toutes ses circulaires. Il consiste ~t dire ceci :
Nous admirons beaucóup comme vous la liberté anglaise,




74 DÉMOCRATIE ET LIBERTÉ
nous voulons VOUS l'accorder, mais aux conditions selon les-
quelles existo la liberté anglaise, a savoir : que la Dynastie
sera acceptée, reconnue par tous, qu' elle sera placée au-
dessus de toute attaque. Ce n'est qu'apres que ce résultai
important a été assuré que l' Angleterre a obtenu la liberté.
Jusque-HL, cornme nous, elle a été gouvernée par des décrets,
par des avertissements et par des lois de sureté géné-
raleo


Cet argument, messieul's, n'est pas nouveau : j'ai été bien
souvent frappé, dans mes études, de le voír périodiquement
reproduit, chaque fois que les gouvernemen ts présentent des
lois séveres contre la liberté ou repoussent ses exigences.
On parlait ainsi en 1822 et en 184ü. Alors, comme aujour-
d'hui, on opposait a l'argument des réponses que je erois
déeisives. La principale, c'est que la base en e~t historic1ue-
ment inexacte.


J e comprends tres-bien, messieurs, que tous les esprits,
dans les partís les plus divel's, se reportent vers l'Angle-
terre 10rs{llúl s'agit de la liberté. On a vu 1:\, en effet, s'ac-
complir une expérience tellement saisissante, qu'a ne la pas
consulter il y aurait a la fois témérité et ignorance. Les
Anglais ne sont pas plus parfaits que nous; je crois meme
qu'ils sont heaucoup plus violents. Pendant une certaine
partie de leur histoire, tant qu'ils ont été obligés de lutter
contre des rois qui leur contestaient la lilJerté, iIs ont,
comme nos peres, fait des révolutions, et, dans ces rél'olu-
tions, ils sont 10in d'etre restés irréprochables, pas p1ns que
nous. Aux révolutions ont succédé des réactiolls. Des doc-
trines excessives dans tous les sens ont été proposées; les
uns voulant tout détruire, les autre::, youlant tout conserver,
deux prétentions également chimérlques. Au contraire, du
jour que la liberté a définitivement pris droit ele cité dans
leurs institutions, tout a changé. Oh! sans doute, l'Angle-
terre n' est pas devenue un paradis; elle contient touj ours
des esprits mal faits, des natures violentes s'y rencontrent,
qui n'aiment pas la société, qui déclament ou qui conspirent
contre elle; des doctrines dangereuses s'y produi~ellt; le




POLITIQUE DU GOUVERNE1IIENT DEPUIS 1851 75


gouvernement a sonvent, comme ailleurs, rencontré des dif~
ficultés et traversé des crises; mais jamais on n'a Vil de
révolutions, jamais on n'a assisté a des bouleversements;
tout s'est habituellement passé dans une sphere moyenne;
jamais ne se sont reproduites les convulsíons qui avaient
amené la chute et la fuite del:) Stuarts. Est-ce que pour
accorder la liberté le gouverncment anglais a attendu qu'il
n' eut plus aucun ennemi? Oh! messieurs, la révolution
anglaise est de 1688, et des 1694 la liberté de la presse existe
dans toute son étendue ; quant aux autres li~ertés, la liberté
politique, la liberté de ré'v1l1ion, elles avaient été la conclition
me me dh couronnement de Guillaume lII, qui avait ajouté a
sa devise: " Je- maintiendrai " ces mots " la religion pro-
testante et les liberté s de l' Angleterre. "


Depuis, lorsque de nombreuses années s' étaient éeoulées,
savez-vous eomment on parlait de la dynastie et du roí?
Veuillez me permettre de vous faire, a ce sujet, une eourte
eitation, et remarquez que je ne choisis pas quel(lue pam-
phlet obscur, j e prencls un des livres quí ont eu le sucees le
plus éelatant, qui, traduit devant le j ury pOUl' une eles
lettres qu'il contient, fut aequitté par acclamation, et qui
auj ourd 'hui reste en Angleterre comme une CBuvre cIas-
siclue : je veux pader des fameuses Lettres de Junius, sous
Georges III. Voici dan s quels termes Junius parlait de la dy-
nastie : " Le peuple el' Angleterre est fidele a la ma1son ele Ha-
novre, non pas paree qu'il préfere vainement une famille
a une autre, mais paree qu'il est convaincu que l'établisse-
ment de eette famille ét~t nécessaire au maintien ele ses
libertés civiles et religieuses. Le prince quí imite la conduite
des Stuarts doit etre averti par leur exemple, et penc1ant
qu'il se glorifie de la solidité de son treme, il fera bien ele se
souvenir que si sa couronne a été acquise par une révolu-
tion, elle peut etre perdue par une autre. " Sur la personne
du roí lUl-meme, Junius, écrivant au duc de Grafton, mi-
nistre en septembre 1771, s'exprimait ainsi :" L'attention
que j'aurais portée sur vos fautes est involontairement attirée
sur la maín quí récompense (le roí); et, bien que ma par-




76 DÉMOCRATIE ET LIBERTÉ


tialité pour le jugement royal n'aille pasjusqu'a dire que la
faveur d'un roi peut faire disparaitre des montagnes d'infa-
mie, elle sert au moins á diminuei' le fardeau en le divisant.
Quand je me rappelle tout ce qui est dú. a son caractere
sacré, je ne puis plus sans injustice et sans inconvenance voir
en vous le dernier et le plus bas coquin du royaume. " (Bruit.)


Ce n'est pas seulement sous Georges IlI, au commence-
ment de la maison de Hanoyre, qu'un pareil langage a été
tenu; de nos jours, en 1839 et 1840, la reine Victoria était
une jeune femme, elle montait sur le trone, elle avait vingt
ans; entourée jusque-Ia par les whigs, elle éproufait pour
eux un penchant naturel, elle eut le tort de l' exprimer pu-
bliquement. Écoutez comment parlerent alors certains jour-
naux, non des démagogues ou des socialistes, mais des
tories, des conservateurs : " La cour est un lieu pestilen-
tiel. .. (On rit.) dont 1'ordure doit éloigner tous ceux qui
savent distinguer la vertu du vice et la pureté de l'impureté.
L'innocence est bannie du palais, tandis que le vice, assis
a la table royale, s'y livre aux plus honteuses orgles. "
(Interruption. )


PLUSIEURS MEMBRES. Qui est-ee qui dit cela?
"NI. ÉMILE OLLIVIER. C'est un journal du dimanche du


parti tory. Un peu de patience, messieurs. Je ne fais pas
ces citations pour le plaisir de les faire, je concluraí. Per-
mettez-moi seulement d'insister encore un momento Non-
seulement le langage en Angleterre est d'une extreme liberté
sur la dynastie et sur la personne du roi, il l' est aussi dans
ce qui est relatif, selon le langa~e usuel, aux bases fonda-
mentales de la société. Il y a en Angleterre un partí socia-
liste qui était puissant en 1840. Savez-vous quel était le
programme qu'íl développait dan s de nombreux meetings et
qu'il faísait défendre dans une foule de sociétés? 11 était
contenu dans les paroles suivantes de M. Owen: " Si véri-
ablement il ya un Satan dans le monde, c'est la religion, le


mariage et la propriété, trinité formidable et monstrueuse,
source inépuisable de crimes et de maux. " (Exclamations.)


VNE VC)JX. Il y a eles fous partout!




POLTTIQUE DU GOUVERNEME~T DEPUIS 1851 77


M. ÉMILE OLLlVIER. La eonstitution elle-meme est tous
les jours attaquée par le parti ehartiste, dont le but est de
supprimer la ehambre des lords, qui en Angleterre est eer-
tainement, dans le jeu des institutions, aussi néeessaire que
la royauté, d'introduire le suffrage universel, le vote seeret,
les éleetions annuelles, la répartition des membres du par-
lement se10n la population, et d'abolir tout eens d' éligi-
hili té.


La eonelusion de tout eeei, e' est que l' Angleterre n 'a pas
obtenu la liberté paree qu'elle a respecté la maison de Ha-
novre; elle a respecté la maison de Hanovre, paree que
eelle-ci s' est manifestée á elle eomme la meilleure sauve-
garde de ses libertés. Vous déplaeez done la question,
lorsque vous venez offrir a. la nation un eontrat qui ne se
eomprend pas et qui nous ramEme aux pratiques du droit
divin, au temps oü un monarque traitait avee son peuple.
Aujourd'hui rien de pareil. Les nations ehoisissent pour leurs
représentants eeux qui peuvent le mieux les faire glorieuses,
prosperes et libres. La meilleure foree pour un gouverne-
ment est dans la reeonnaissanee du peuple. Or, ce ne sont
pas des paroles, ce sont des bienfait s qui forcent l'adhésion,
les sympathies et la reeonnaissance du pays.


Voila ee qui s'est passé en Angleterre. Voila ce qu'aueun
Gouvernement n'a compris en France. Tous les souverains
se sont préoeeupés de fonder leur d)"nastie, et leur dynastie
a été emportée; s'ils s'étaient préoccupés de fonder la
liberté, la liberté les eút gralldis et affermis.


QUELQUES VOIX. Tres-bien!
lVI. ÉMILE OLLIVIER. L'argument repoussé historiquement,


je me retourne vers le Gouvernement et je lui dis : Qui vous
inquiete? Qui vous menaee'? Voyons! avez-vous jamais vu
dans toute notre histoire poli tique un pouvoir qui ait ren-
eontré une adhésion comparable a eeHe dont vous vous
vantez? Vos éleetions se font partout a. l'unanimité, per-
sonne 11e contredit; la presse est tout entiere dans vos
mains; vous dites dans vos rapports offieiels, dans vos dis-
eours, dans vos programmes, que les mas ses sont ealmées,




78 DÉ:\IOCRATIE ET LIBERTÉ


que el' exeitables qu' elles étaient elles sont devenues clociles
paree qu'elles sont eonfiantes; vous dites que le parti de
l'anarchie est vaineu; e' est le premier mot que vous adresse
l'Empereur; il vous explique eomment il n'a pas prononcé
la dissolution de cette assemblée, parce qu'aujourd'hui que
tout le monde vote, les. masses ne son t pas a la merci el tl
moil1(lre souffle, qu'elles ont une fixité et une constance
qu'elles n'avaient pas autrefois. Eh bien! ces cllOses étant
(vous les affirm'ez, vous les publlez), je vous demande quand,
aquel moment, dans quelles eirconstanees, aureZ-VOLlS des
forces plus imposantes que celles qui sont en votre pouvoir?
Qmmd yotre dynastie sera-t-elle mieux assise qu'aujour-
d'hui, apres cfouze années pendant lesquelles pas une voix
ne s'est élevée contre vous, pendant lesquelles vous n'avez
point rencontrtÍ sur vos pas une opposition quelconque,
pendant lesquelles vous Mes restés maitres du pays c1'un
bout a l'autre; pendant lesqu.elles l'opposition malgré tous
ses effods n'est parvenue a envoyer dans cette chambre que
einq députés, impuissants et sans influence sur aucune de
vos décisions? Voyons, dites-nous quel sera le signe auquel
nons reconnaltrons que votre dynastie est établie?


Vous nous parlez des aneiens partis. Les anciens part.is!
QuanJ je cherche et quand j'essaye de trouver ee que vous
entendez par ces mots " anciens partis ", ma pensée se
reporte yers quelques hommes presque tous fatigués de la
vie publirlue, et qui, dans leur verte vieillesse, honorent
encore la France en fai:3ant succéder aux beaux discours
qu'ils ne peuvent plus prononcer de beaux livres dont nous
sommes tous fiers; ma pensée se reporte, quand vous parlez
des anciens partis, vers des hommes tellement écartés de
la lutte) tellement óloignés de l'action, que comprenant quel
serait le profit qu'il y aurait pour vous a les y ramener, vous
avez, par l'organe de M. de Persigny, ministre de l'inté-
rieur, dan s une de ses premieres circulaires, écrit a vos
préfets pour leur recommander de tenter ee qui se pouvait,
afin ele convaincre ces nobles individualités qu' elles ont tort
de se tenir dans l'isolement et qu' elles devraient parer le




POLITIQ"CE DU GOUVERNE:\IENT DEPUIS 1851 79


Gouvernement nouyeau de leurs noms et de leur gloiJ'e. Ce
que vous appelez les anciens partís, ee n'est qu'un fantóme!


Sans doute, il y a et il y aura toujours des hommes qui
ne partageront vos opinions ni sur la eonstítution ni sur
beaucoup rfautres questions; il Y en aura toujours; si 'vous
attenc1ez leur extinction pour nous laisser jouir de la liberté,
oh! croyez-moi, votre attente pourra etre tres-longue! Ce
n' est pas prudent.


Je termine, rnessieurs, et rna derniere parole sera un
retour triste sur les efforts infruetueux que nous avons faits
depuis six ans c1ans eette assemblée pour défendre des prin-
eipes auxquels, nous en sornrnes convaineus, la Franee c10it
revenir un jour. Nous espérons que les éleetiolls nouvelles
rnarqueront un pas déeisif en avant. Nous ne demandons
pas au pays, apres avoir tout supporté, de ne plus rien sup-
porter du tout : une politique de eette nature ne servirait
ni ú la liberté ni au progres; nous ne le provoquons pas a
une ceuvre de eonspiration, maisa une amvre d'émaneipa-
tion constitutionnelle; nous l'engageons a bien se rappeler
que, quand on a des rnoyens légaux a sa disposition, il Y a
quelque chose de plus sur et de plus digne que d'attendre
la liberté, e' est de la prendre ; nous lui cOllseillons de ne pas
oublier que si s' opposer toujours est un aete de rnauvaise
foi, approuver quancl rneme est une erreur, une faiblesse, un
mauvais ealeu!.


Ainsi, ni opposition systématique, ni approhation systé-
matique; mais l'inclépendanee et la justiee pour etre dignes
de la liberté.


PLUSIEGRS VOIX. Tres-bien! tres-bien!




SUR LA LIBERTÉ, EN RÉPO~SE A M. BAROCHE


(5 février 1863)


Messieurs,
Des discussiollS comme celles qui nous retiennent 11ono-


rent une assemLlée et sont utiles a un pays. Il faut done
les pousser ;\ bout. Vous me permettrez de répondre, par
conséquent, a l'éloquent díscours que \·ous venez d'entendre.
Je ne puis le faire) n'ayant pu méditer le disCOU1'3 de l'hono-
rabIe I\I. Baroche comme l'honorable M. Baroche a pu mé-
diter le míen ... (Interruption.) Vous etes, messieurs, beau-
coup trop susceptibles, et vous prenez une demande modeste
d'indulgence ... (C'est vrai! c' est vrai !) pour UIle provoca-
tion. (Parlez ! parlez!)


Je dis que, n'ayant pu méditpr le discours de l'honorable
1\L Baroche, j'omettrai d' en discut8r beaueoup de parties;
j'essayerai seulement de ~aisir, de dégager l'idée principale,
et d'y répondre.


Je m'cxplique d'abord, messíeurs, sur les erreu~ de faits
qU8 j'ai commises, selon l'honorable M. Baroche, dalls mon
discours d'hier. J'avoue que je suis tres-sensible a des re-
proches de cette nature; je pense qu'il faut toujours etre
8ftr de la vérité des faits qu'on produit devant une assem-
blée, et, ;\ moins d'une erreur excusable, on est en f~ute
quand on n' est pas pret a justifier ses allégations.


M. le ministre m'a reproché d'avoir méconnu la liberté




SUR LA LIBERTÉ, RÉPONSE A M., BAROCRE 81


réelle, entiere selon lui, dont la presse a joui en France
depuis le commencement du régime impérial. Lorsque, no-
tamment, il a discuté mes appréciations sur la premiere
période du Gouvernement impérial, il s'est étonné que faie
pu soutenir qu'a cette époque les journaux n'aient pas été
libres des ce moment, et en possession du droit de djscuter
avec une complete indépendance toutes les questions poli-
tiques. Ma réponse a M. le ministre-orateur va etre con-
cluante; ce sera son client qui la fera. (On rit.) En effet,
l'honorable M. de Persigny, en prenant possession du mi-
nistere, écrivait a un de ses amis anglais: " J'ai favorisé
du mieux que j'ai pu le droit de discuter librement les actes
du Gouvernement, un droit qui constitue une innovation
considérable dans le régime de nos institutions. "Jen'étais
done pas téméraire, monsieur le ministre, lorsquej'affirmais
qlle jusqu'a l'avénement de M. de Persigny, du moins, on ne
pouvait discuter les ades du Gouvernement .. puisque le
ministre de l'intérieur signale cette liberté accordée par lui
comme une innovation considérable dans le régime de nos
institutions. Ceei est net et péremptoire. (Mouvements
diverso )


Dans les développements que j e vous' ai soumis relative-
ment a la liberté de la presse en Angleterre, l'honorable
ministre-orateur a également contesté mes assertions. Il a
prétendu que la liberté de la presse n'a été introduite en
Angleterre que tres-récemment; que jamais elle n'a été
consacrée par une loi; que, dans tous les cas, elle n'a
jamais été concédée sous Guillaume nI, alors que les jaco-
bites mena9aient sans cesse la dynastie.


Ma réponse ne sera pas moins péremptoire que la précé-
dente, elle me sera fournie par l'autorité juridique la plus
considérable d'Angleterre, par Blackstone. Écoutez dans
quels termes Blackstone, auquel j'avais emprunté les rensei-
gnements que je vous ai fournis, écoutez en quels termes
Blackstone s' exprime sur la liberté de la presse en Angle-
terreo Il explique d'abord comment des bilIs restrictifs de la
liberté de la presse avaiellt été portés par les Stuarts, par


e




82 DÉMOCRATIE ET LIBERTÉ


Cromwell, par le Long-Parlement, par tous ces pouvoirs
sllccessifs qui avaient demandé au despotisme les moyens
d'empecher Tavénement de la liberté. Quand Guillaume III
eut été couronné, il ne trouva pas de loi sur la presse, il
n'y en a jamais eu en Angleterre, par cette belle raison qui
honore ce peuple pour qui.la liberté n'est pas une conquete
nouvelle, par cette raison que tout ce qui n'est pas dMendu,
en rnatiere de liberté, est de droit commun, et existe in dé-
pendamment de toute loi. Mais si Guillaume III ne trouva
pas de loi sur la presse, il trouya le dernier bill restrietif
des Stuarts qui expirait en 1692; il en proposa au parlement
la continuation. Blackstone nous apprend ainsi ce qui advint
de cette proposition : " Quoique le gouvernement flt plu-
sieurs tentatives subséquentes pour le faire reviyre, le par-
lement y résista si fortement, qu'íl expira enfin san s retour.
et la presse c1evint lihre dans le sens propre GU rnot en 1G94~
et l'a toujours été depuis. "


Dans ce cas, pas plus que dans l'autre, je n'ai été témé-
raire; je n'ai pas voulu surpreRdre Uli succes d'un momento
en affirmant des faits de la vérité desquels je n'étais pas
certain. Et puisqu'en les contestant on m'y ramene, laissez-
moi retenir un instant votre attention et vous faire remar-
quer quelles étaient les circonstances, et combien elles
rendent imposante l'autorité de l'exemple. Quelle étaít
donc la situation de ce gouvernement qui, en 1694, accep-
tait la liberté de la presse, le droit de réunion, le con-
trole el'un parlement libre, représentant un peuple fiel'
er prompt a b1<:\mer les actes quí ne luí p1aisaient pas? Son
chef était un prince étranger a l'Angleterre, ha'i par les
tories paree qu'il ne voulait pas persécuter les dissidents,
haY par les whigs paree qu'il ne voulait pas perséeuter
les tories, serví par des ministres qui ne eherchaient qu'a
se supplanter les UllS les autres, et dont quelques-uns,
comme Russell et Godolphin,. le trahissaient; un prince
entouré d'une armée étrangere, d'amis étrangers, qui par1aít
mal la langue du pays, qui était menacé non pas, comme
vous retes, par une fronde mélanco1ique des sa1ons, .. (On




SUR LA LIBERTÉ, RÉPONSE A M. BAROCHE 8:3


rit.) par quelques mots qui vous troublent outre mesure,
mais qui était attaqué, messieurs, par les armees de
~ouis XIV, par nos puissantes fiottes, et dont le príncipe
dynastique était diséuté les armes a la maill. C'est dans ces
circonstances que Guillaume III maintint la liberte, et c'est
parce qu'il se confia a la liberté qu'il devint puissant et qu'il
triompha de ses ennemis.


Mon profond dissentiment avec l'honorable M. Baroche,
ce qui fait que jamais nous ne pourrons !lOUS entendre dan s
des discussions de ce genre, c' est qu'il ne croit pas á la
liberté, c'est q u'il n'a pas foí, lui, dans son efficacité toute-
puissante. (Interruptiolls diverses.)


M. JULES FAVIlE. Il y a cru autrefois, mais il s'est con-
verti!


M. BAROCHE, minist're. Vous m' en avez bien vite gueri!
M. JULES FAVRE. Ce n'est pas moi; vous avez été mon


maitre! (Rires sur plusieurs banes.)
M. LE MINISTRE. Je n'ai jamais été votre maUre, cal' dan s


les anciennes assemblées, avant 1848, nous ne siégions pas
sur les memes bancs.


M. JULES FAVRE. C' est vous qui avez fait la révolution
de 1848 eependant! (Exclamations.)


M. LE MINISTRE, en soztriant : En tOllS cas, pas moi
• seul.


M. ÉMILE OLLIVIER. Je dis, messieurs, et assurement les
honorables membres de cette assemblée qui ne partagent
pas mon opinion me permettront de conserver la mienne, et
de la manifestel' ; je dis que l'hoflorable :\1. Baroche ne eroit
pas a la puissance de la liberté, parce qu'il n' en voit que les
exces; ees exces, moi anssi je les connais eomrne lui, et
comme lui je les déteste. (Tres-bien!) Mais de meme qu'on
ne pl"oscrit pas le feu paree qu'il brúle en me me temps "qu'il
rechauffe, de meme qu'on ne l'epousse pas la l'eligion paree
qu'elle a de mauvais pretres et lajustice paree qu'elle rend
de mauvais arrets; de meme qu'on ne conciamne pas le ma-
riage paree qu'il y a des adulteres; de meme qu'on ne
refuse pas de eornmeneer une navigation paree que, sur






84 nÉ:\10CRATIE ET LIBERTf:


la mer, l'on peut trouver les tempetes au lieu des vents
propices et des nuits étoilées... (lnterruption.) Oh! mes-
sieurs, vous ne m'empecherez pas de ponrsuivre.(Parlez! par-
lez!) De meme je ne comprends pas qu'on proscrive la liberté
parce qu'elle a ses exces! Dans toutes les choses qui sont
de ce monde, messieurs, a coté du bien se trouve le mal. Il
faut avoir le courage viril, quand on poursuit le bien, d'ac-
cepter les conditions difficiles de luttes, d'efforts qui sont
la beauté, la gloire, la dignité des hautes entreprises.
Royer-Collard l'a dit, ce n'était pas un démagogue pourtant:
Les constitutions ne sont pas des tentes dressép-s pour le
sommeil; les gouvernements ne sont pas des lieux de repos
dans lesquels on puisse voir couler tranquillement ses jours
sans préoccupations ni soucis; ce sont .des postes d'hon-
nenr, paree que ce sont des postes de combat et de péril!


D'ailleurs, je vous le demande, a vous qui nous contestez


,


la liberté, a vous qui prételldez que les bienfaits peuvent en
etre refusés aux nations, a qui donc, je vous le demande,
confiez-vous la direction des gouvernements? Ne la confiez-
vous pas a ~es hommes? Est-ce que ces hommes ont été
créés d'une autre maniere que nous? Est-ce que dans la
Genese il est écrit que Dieu, apres avoir créé les sujets, a
créé ceux qui les gouverneraient? Est-ce que, comme nous,
ils ne sont pas exposés a l'erreur, aux défaillances, a l'éga- •
rement, a toutes les causes qui entrainent nos volontés, qui
corrompent notre jugement, qui nous empeChellt ou de
poursuivre la vérité, ou de la voir, ou de l'appliquer illtré-
pidement? Est-ce que vous, vous qui avez le redoutable
honneur, la périlleuse mission de dirigel' les autres, est-ee
(lue vous ne trouvez pas dans votre élévation meme une
cause plus dangereuse de faiblesses? Est-ce que vous n'avez
pas lu, entendu les avertissements qui circulent a travers
les siecles, dans les écrits de tous les politiques et de tous
les moralistes? Est-ce que vous n 'avez pas appris que plus
on est élevé au-dessus des autres, plus on est trompé, parce
que plus que les autres on est entouré d'ambitions person-
nelles, de flatteurs, d'hommes intéressés a ce que.la vérité




SUR LA LIBERTÉ, RÉPONSE A M. BAROCHE 85


ne soit ni eonnue ni aeeueillie? Est-ee que vous ne sayez pas
ce qu'il y a de terrible et de faseinateur a la fois dans la
solitude de la toute- puissanee? Est-ee que vous pouvez
ignorer qu'il n'y a qu'un remede a un tel mal, et que ce
remede e'est la liberté? La liberté non pas sans frein:
eomme vous l'avez dit, non pas la liberté absolue, mais la
liberté eomme l'a dit l'Empereur, dont vous avez pour
mandat de nous porter la parole, la liberté sans restrietion,
la liberté réelle, la liberté entiere, non la liberté anglaise,
mais la liberté fran<;aise, eelle de nos peres, eelle de 89, la
liberté, souree de maux, mais aussi souree intarissable de
grandeur, de prospérité et de biens!


QUELQUES VOIX. Tres-bien! tres-bien!
M. ÉMILE OLLIVIER. Il me reste maintenant a répondre a


la question que vous m'avez adre'ssée. Vous m'avez dit, apres
avoir lu les paroles que j'avais prononeées hier : Voyons le
tableau que vous avez tracé, est-ee une ironie ou est-ee une
réaIité? Soyez sincere, nous avons tous le droit d'exiger des
déelarations loyales.


La réponse que vous me demandez, iI n'est pas en mon
pouvoir de vous la donner. A vous seul il appartient de la
faire entendre avee autorité; voiei pourquoi : je suis eon-
,-aineu, e' est l'inspiration ardente de mes eonvietions poli-
tiques, qu'il n'y a oe vrai en ce monde que ce qui peut subir
la eontradietion, e' est pour cela que j"aime la liberté. Si
votre GOllvernement est aussi fort que vous le prétendez,
s'il est soutenu par une adhésion unanime, vous n'avez
qu'une preuve á en donner: permettez a la liberté une eon-
tl'adiction réelle. Si vous la supportez,. alors ma parole ne
~(~ra pas une ironie, elle sera un tahleau fidele. Si, au con-
üaire, vous reeulez deyant la liberté, si vous ne voulez pas
affronter son regard, alors ma parole n'est pas une vérité,
elle est une ironie amere! A vous de ehoisir le sens dan s
lequel vous voulez l'entendre. (Mouvement divers.)


Je complete ma pensée en vous disant que vous avez fort
, mal eompris ce diseours que vous avez qualifié d'admirable


et d'éminent. Dans ce diseollrs admirable et éminent, ce




86 DÉMOCRA.TTE ET LIBERTÉ


sont VOS expressions, que disait l'Empereur aux exposants
réunis autour de lui? Disait-il qu'un gouvernement fort doit
se eomplaire dans les béatitudes de la eontemplation? Non,
il disaitqu'un gouvernement ne doit s'assurer la force que
pour se eouronner par la liberté; e'est l'expression qu'il a
employée dans un de ses premiers manifestes a la nation,
e'est eelle qu'il développait réeemment. Si done vous voulez
qu'on eroie réellement a votre force, eouronnez votre édi-
fiee par la liberté, ainsi que vous l'avez promis, et eessez de
nous effrayer des révolutions.


Une révolution est un mal, paree qu' elle est un désordre,
paree qu'elle entraine une interruption de travail, et surtout
paree qu'elle lance dans un redoutable inconnu. Mais re-
tenez-le bien, messieurs, les véritables coupables d'une ré-
volution, ce ne sont pas ceux qui l'accomplissent (Bruit) ; ce
sont eeux qui, par leur rési~tanee obstinée I l'ont rendu e
né eessaire !




VIII


CIRCULAIRE AUX ÉLECTEURS DU VAR


(15 mai ] 863)


:Mes chers amis,


J'aurais désiré vivement venir vous remercier moi-meme
de m'avoir choisi pour votre candidat aux prochaines élec-
tions; mais, vous le savez, dans les gros temps le pilote
reste au gouvernail : ni mes collegues, ni moi, ne pouvons
en ce moment quitter Paris, d'ou part et ou aboutit le mou-
vement électoral de la France entiere.


Je veux du moins que vous sachiez combien je suis re-
connaissant et touché du souvenir fidele que vous m'avez
gardé.


Laissez-moi vous dire que vous ne pouviez choisir per-
sonne quj fút avec vous dans une plus complete communion
de sentiments et d'idées. Ne suis-je pas un enfant de votre
admirable pays? Ne lui ai-je pas confié ce que j'ai de plus
cher? Depuis 1848, n'ai-je pas partagé toutes vos vicissi-
tudes, et les joies et les douleurs ne nous ont-elles pas été
communes'?


J'accepte done la eandidatur~, mais a une condition :
c'est qu'elle sera pour vous le signal du réveil, et que, dans
l'intéret général, vous ne reeulerez devant aucun effort pour
qu'elle triomphe.


Vous devez me rendre la justiee que je ne vous ai jamais
donné que des conseils (te sagesse et de modération; qu'en




88 DÉMOCRATIE ET LIBERTÉ


vous demandant d'etre fermes je ne VOUS ai pas rendus im-
prudents, et que jamais aucun de ceux qui ont écouté mes
paroles n'a été compromiso


Croyez-moi donc 10rsqtÍe je vous assure que vous pouvez
voter pour moi et défendre ouvertement ma candidature,
sans eourir aueun danger.


Je ne vous prémunis pas eontre les promesses électo-
rales; -vous savez ce qu'elles valent : ee sont des bulles de
savon; la lutte terminée, il n'en reste ríen.


Maís je veux vous rassurer contre les menaees.
Depuís l'amnistíe , tous eeux quí ont été frappés en 1852


sont replacés dans la situation des autres citoyens : ni la loi
de sureté générale, ni aueune autre roi spéciale ne peut les
atteind re.


Or, maintenant que j'aí déposé mon serment a la préfec-
ture et rempli les formalités légales, tout citoyen peut, sans
etre inquiété, annoncer, soutenir, propager ma candidature:
répandre cette cireulaire, distribuer des bulletins de vote
soit imprimés, soit écrits a la maín.


Ne vous eontentez pas de braver les menaces : si on vous
en fait, eonstatez-les, afin qu'elles soient punies. Ainsi, si
ron vous dit que les cnamo1'ées de eeux qui ne voteront pas
pour le candidat offieiel seront fermées, ne vous laissez pas
intimider; assurez-vous la preuve du propos par des témoim;
dignes de foi, et je vous 1'affirme, nous en obtiendroIls j us-
tice.


Si ron vous demande ee que vous voulez, répondez : LA
LIBERTÉ par les MOYENS LÉGAUX ET CONSTITUTIONNELS, le cou-
ronnement de l' édifice, selon les paroles memes de l'Em-
pereur.


Si l' on vous demande 'pourquoi vous me nommez , répon-
dez : parce que vous me eonnaissez et paree que je vous
alme.


Si l' on vous demande quels sont mes principes, répondez :
que depuis 1848 je veux la liberté sans le désordre, mais
l'ordre san s le despotisme; - que depuis 1857, également
éloigné de 1'approbation systématique et de l'opposition




CIRCULAIRE AUX ÉLECTEURS DU VAR 89
systématique, je n'ai pratiqué que l'indépendanee et la jus-
tiee, pour eonquérir la liberté.


En avant done, mes ehers eoneitoyens; en avant, mes
braves amis ! vous avez une vieille réputation de libéralisme
dont il faut que vous vous montriez dignes; en avant, avee
résolution, et si vous le voulez, la vietoire est a nous.


Quoi qu'il arrive, je suis heureux de saisir eette oeeasion
de vous donner une assuranee nouvelle de mon inaltérable
dévouement.


, .


. '~ ~~




IX


CIRCULAIRE AUX ÉLECTEURS DU HAVRE


(22 mai 1863)


ÉIecteurs,
J'ai été l'un des cinq. Ces simples mots vous disent queIs


sont mes principes.
J'ai été l'un des cinq : c'est-a-dire qu'également élo"igné


de toutes les exagérations, ferme, mais modéré, j'ai pour-
suivi infatigablement, pendant six années, l'alliance de la
démocratie et de la liberté.


Sans la démocratie, la liberté n'est qu'un privilége pour
quelques-uns;


Sans la liberté, la démocratie n'est qu'oppression pour
tous.


J e ne veux ni privilége ni oppression.
J e veux que les démocrates deviennent libéraux et que


les libéraux deviennent démocrates .
.Te veux que les libérau:x prennent leur parti de l'avéne-


ment du peuple, et que pour lui ils aient amour et dé-
vouement.


Je veux que les démocrates sachent que tout n'est pas
flni quand on a participé a la constitution du pouvoir social,
et que, sans la consécration des droits individuels par la
liberté, il n'y a, pour une nation, ni dignité morale, ni
prospérité matérielle assurée.




CIRCULAIRE A UX ÉLECTEURS DU HA YRE 91


Éleeteurs,
Un réveil de l'esprit publie se manifeste dans la Franee


entiere. J e vous demande de prendre part a ce mouvement,
je vous adjure de faire ces ser une trop longue abstention.


L'abstention, e'est la désertion ou le suicide.
Debout done! Qu'aueun de vous ne manque au serutin des


31 mai et 1 er juin. Il est temps d'opposer une résistanee lé-
gale aux entralnements du pouvoir.


Vous, cultivateurs, rappelez-vous que la liberté seule peut
empeeher l'augmentation des dépenses et l'aggravation des
impóts qui en est la suite; qu'elle seule peut rendre impos-
sibles les expéditions lointaines et stériles eomme eelle du
Mexiq ue; qu' elle seule enfin peut permettre de ramener a
quatre-vingt mille hommes le eontingent annuel de cent
mille hommes, et de eonserver ainsi au travail des ehamps
des bras dont il a besoin.


Vous, négoeiants, armateurs, dont les navires sillonnent
l'Océan, rappelez-vous bien que la liberté est l'ame meme
du eommeree : e' est par la liberté que la eommer<:ante An-
gleterre est devenue puissante; e'est la liberté qui vous don-
nera les moyens de lutter avec elle et de la vainere. Quand
la liberté manque, des déerets imprévus modifient sans
eesse les tarifs de douane, les aggravent ou les abaissent,
de telle sorte qu'une ineertitude redoutable plane sur les
affaires. Et ne eroyez pas que la liberté eommereiale suf-
tise; les libertés sont des sceurs dont la puissanee est a ce
prix qu' elles soíent toujours uniese


Debout done, sans hésitation et avee ensemble! Et vous
triompherez.


Quoi qu'il arrive, du reste, un líen sérÍeux sera établi
entre nous. Vos intérets maritimes, eommereiaux, agrieoles
sont tellement importants, que les défendre, e' est défendre
l'intérét général. Mais désormais, ils seront l'objet de mes
études et de mes préoeeupations spéeiales, je les soutien-
drai avee autant d'ardeur que si j'étais l'un de vous.


Votre tout dévoué.




x


CIRCULAIRE A UX ÉLECTEURS DE LA SEINE


(25 mai 1(63)


Electeurs,
Je n'ai plus á vous raconter mes actes et a vous exposer


mes doctrines.
Vous connaissez notre but : l'alliance de la démocratie e t


de la liberté.
Vous n'avez pas oublié notre moyen : la justice.
Sans la démocratie, la liberté n'est que le privilége pour


quelques-uns; sans la liberté, la clémocratie n'est que l'op-
pression pour tous; Je ne veux ni le privilége ni l'op-
presslOn.


Admirer toujours est servile; bIamer quand meme est
injuste: je ne veux ni l'approbation systématique, ni 1'op-
position systématique.


Qui oserait nier maintenant les succes de cette poli-
tique?


NoU's sommes entrés trois au eorps législatif; l'année
suivante nous étiollS cinq; aujourd'hui, qui He désire imiter
notre exemple?


Depuís 1852, l'abstention nous énervait; l'acUon nous a
rendu des forees. Aujourd'hui, la Franee se réveille, se
eherehe et se retrouye.


A vous, électeurs de París, l'honneur d'ayoir eommencé
ce mouvement! A vous le devoir de le contínuer!




CIRCULAIRE A UX ÉLECTEDRS DE LA SEn\fE 93


Poul' cela, il faut de la fermeté et de l'union. La fel'-
meté, je suis certain que vous l'avez; sachez aussi etre unis.
On recherche ce qui nous sépal'e, ne voyez que ce qui nous
rapproche.


Oublions nos divisions passées, nos ressentiments, nos
coleres, nos fautes.


Qu'au 1 er juin, il n'y ait plus que deux partís: ceux qui
appellent la liberté et ceux qui la repoussent; ceux qui la
croient inutile a la prospérité des peuples et ceux qui sont
surs que sans elle, sans les résistances, sans les ardeurs,
sans les élans qu' elle suscite, les caracteres s'abaissent, les
intelligences se stérilisent et la moralité d'une nation di-
minue, ainsi que son énergie et sa richesse.


Les dépenses augmentent, les imp6ts s'aggravent, le
commerce languit, les villes s'endettent, les conseillers qui
surveillent vos finances ne sont pas élus; il est temps qu'un
controle légal arrete les entrainements du pouvoir.


Électeurs! c' est parce que j'aime la liberté que vous
m'avez élu. Si j'ai mal combattu, abandonnez-moi : ma s
n'abandonnez pas la cause sacrée. Soyez-lui fideles; affir-
mez-la avec résolution, affirmez-Ia avec ensemble. Que par
vous elle obtienne un nouveau triomphe !


11 Y a six ans, je vous disais : " Ce qui se passe aujour-
d'hui est pour la liberté comme une aube; a vous de faire
que cette aube aille sans cesse en grandissant et devienne le
jour. " Mon espérance n'a pas été trompée; l'aube est allée
sans cesse en gralldissant; encore quelques efforts et ce sera
le jour. .




XI


SUR LE RESPECT DE LA LOI. -SUR LES Hm,rMES DES ANCIENS
PARTIS


(13 novembre 1863)


Messieurs,
Je VOUS demande pardon de vous fatiguer si souvent de


nos observations; mais l'élection dont on vous propose la
validité souleve, selon moi, une des eontroverses légales les
plus graves. Or, messieurs, dans cette assemblée, - et c' est
la ce qui doit vous empecher de regretter le temps consacré
aux vérifications de pouvoirs, - s'opere un double travail :
l'examen d'abord de la question matérielle de savoir si une
élection est valable, ou si elle doit etre déclarée nulle; en-


. suite la constitution d'une jurisprudence parlementaire d'oil
puisse résulter une regle fixe a l'avenir pour les cas dou
teux. Aussi j'attache une véritable importance a ce que la
Chambre examine avec maturité la protestation que je vais
lui soumettre.


Vous savez, messieurs, que l'article 25 de la loi électorale
dispose que le scrutin doit etre ouvert depuis huit heures
du matin jusqu'h quatre heures de relevée le premier jour,
etjusqu'a six heures le secondjour.


PLUSIEURS VOIX. Non! C'est l'inverse!
M. ÉMILE OLLIVIER. Vous avez raison : depuis huit heures


du matin jusqu'a six heures du soir le premier jour, et jus-
qu'a quatre heures le second.




LE RESPECT DE LA LOr. - LES HOMMES DES ANCIENS PARTIS 95


Dans le département du Gers, en vertu d'une circulaire
confidentiel1e de M. le préfet, le scrutin, au líeu d' etre
ouvert le matin a huit heures, 1'a été, dans la plupart des
communes, tantót a cinq, tantót a six heures.


M. ACHILLE JUBINAL. Eh bien, vous ne pouvez pas vous en
plaindre; c' est tant mieux pour vous: abondance de bien ne
nuit paso


M. ÉMILE OLLIVIER. Quelles sont les conséquences de
cette décision'? quelle influenee doit-elle avoir sur l'élec-
tion? 11 est incontestable, si la 10i n'est pas une vaine pa-
role, si les termes doivent en etre respectés, qu'en avanc¡ant
1'heure du scrutin on a commis une illégalité. Les termes de
1'artjcle 25 sont formels et ne supportent aucune équivoque :
l'heure de huit heures est indiquée impérativement comme
étant celle ::\ laquelle le scrutin dolt etre ouvert.


Je viens d'entendre dire, par un honorable interrupteur,
ce mot q ui a été souvent répété avant lui : abondance de
bien ne nuit pas; ce qui peut se traduire logiquement ainsi :
l' essentiel n' est pas de considérer l'heure a laquelle le seru-
tin commence, mais bien celle 011 il finito S'il était clos avant
l'heure légale, le vice serait radical; mais comment se plain-
dre que 1'ouverture ait été avancée et que la facilité d'a-
border le scrutin ait été accordée a un plus grand nombre?


Messieurs, je ne suis pas de cet avis, et je considere qu'il
est aussi important de respecter l'heure légale quand iI
s'agit de l' ouverture du scrutin que lorsqu'il s'agit de sa cló-
ture. Je vous en donne les raisons.


La loi attache de 1'importance a la constitution régulíere
du bureau ... (Bruit.) Si la Chambre est éclairée sur cette
question, je n'insisterai paso (Parlez! parlez!) Je crpis
que la question est extremement grave, et je continue.
La loi attache de 1'importance a ce que les bureaux soient
légalement constitués; c'est la surveillance exercée par les
hureaux quí assure le secret du vote, la sincérité du dé-
pouillement du scrutin. Vous savez, de plus, que chaque
candidat a le droit de dístríbuer ses bulletins a la porte de
chacune des salles désignées pour la votation. Si l'heure est




96 DÉMOCRATIE ET LIBERTÉ
irrégulierement changée sans qu'il soit averti, il est privé
de cette faculté. Ces deux motifs imposent le respect des
prescriptions de laloi élector al e.


Quand la violation en sera constatée, la nullité de l'élec-
tion devra-t-elle en résulter llécessaírement? faudra-t-il,
dans toutes les circonstances, décider que l'irrégularité étant
substantielle, la volonté des électeurs est considérée comme
non avenue, et que l'épreuve électorale doit etre reCOffi-
mencée? J e ne le pense paso


Quand le changement de l'heure a été publiquement an-
noncé, tous les électeurs ayant été instruits que le scrutin,
au lieu de commen~er a rheure légale, huit heures, s'ou-
vrira, par exemple, a cinq ou a six heures, l'irrégularité sub-
siste, mais la fraude électorale ne se montre paso Tous les
citoyens ont eu la faculté de se présenter au scrutln, et
l'exercice de leur droit peut n'etre pas paralysé par le chan-
gement dangereux de l'heure. Lorsque, au contraire, ce
changement a été opéré subrepticement, lorsqu'il n'a pas
été annoncé, lorsque le maire a agi la veille ou le jour du
scrut.in, alors a l'irrégularité s'ajoute la fraude, et l'élection
doit tomber : a une condition toutefois, car je ne veux rien
exagérer dans les termes, et j e désire que mes doctrines
restent irréprochables, - a une condition, c'est que le fait
se soit produít dans le plus grand nombre des communes.
Le changement, ffieme irrégulier, opéré dans quelques com-
múnes seulement, ne pourrait pas amener l'infirmation de
l'élection, mais seulement la llullité du scrutin des com-
munes dans lesquelles la violation de la loí serait prouvée.


Ces príncipes ne constituent pas de notre part une pré-
tention douteuse; ils sont certains; je les retrouve dans
deux documents qui l'un et l'autre ont une autorité que vous
ne pouvez pas récuser. D'abord le conseil d'État, par une
jurisprudence constante) ,,<.unanime , dans des arrets rendus
sous la présidence de M. le ministre de l'intérieur actuel,
annule les élections municipales dans lesquelles l'ouverture
du scrutin a été avancée. De telles décisions ne sont pas
seulementl'opinion d'un corps considérable par ses lumieres;




LE RESPEOT DE LA LOI. - LES HOMMES DES ANOIENS PARTIS 97


comme elles ne sont exécutoires qu'apres l'approbation du
chef de l'État, elles constituent des décisions souveraines.
Voici les termes d'un arret du conseil d'État rendu quelques
jours avant les élections parlementaires : " Considérant
qu'aux termes de l'article 31 de la loi du 5 mai 1835 les deux
plus agés et les deux plus jeunes des électeurs présents a
l'ouverture de la séance doivent remplir les fonctions de
secrétaires;


" Considérant qu'il résulte de .,J'instruction que l' ouver-
ture du scrutin a été fixée etannoncée pour huit heures du
matin; que, néanmoins, le bureau a été composé avant sept
heures, et que le scrutin a été ouvert a sept heures; que,
des lors, les électeurs ont été privé s du droit q ui leur appar-
tient de concourir a la formation du bureau, et de la ga-
rantie résultant pour la sincérité des opérations électorales
de la composition réguliere du bureau; que, par suite, les
opérations électorales auxquelles on a procédé doivent etre
annulées;


" Notre Conseil d'État entendu,
" Les opérations électorales de la commune de Mansle


sont annulées. " Il Y a mieux. Vos prédécesseurs ont
décidé de meme. Vous n'avez rien de nouveall a introduire,
mais seulement a etre logiques et fideles a vos précédents.
Lors d'une élection de la Savoie, a propos de laquelle
toutes ces questions de droit se sont posées, c311e de notre
honorable collegue M. Bartholoni, aucun candidat n'ayant
obtenu la majorité au premier tour de scrutin, M. le préfet
de la Savoie prit un arre té en vertu duquel, dan s la quin-
zaine, on devait procéder a un second tour de scrutin; seu-
lement, il trouva commode de limiter le vote a un seuljour.
Il fit afficher son arreté publiquement, partout. L'article 25
était méconnu dans cette circonstance comme il l' est au-
jour(l'hui, puisque c'est cet article qui accorde les deux
jours de vote et qui regle les heures d'ouverture et de clo-
ture du scrutin. Une protestation se produisit et une discus-
sion s'engagea. L'on dit ce que votre rapporteur a proba-
blement opposé dans son rapport que je n'ai pas entendu,


,




98 DÉhlOCRATIE ET LIBERTÉ


ce qu'on m'objectera pent-étre apres lui, on dit qu'nne
pareille attaque ne pouvait étre sérieuse contre un eandi-
dat qui eomptait 22,000 voix, une majorité considérable,
tandis que son coneurrent n'avait réuni qu'un nom1Jre de
suffrages imperceptible. Une pareille irrégularité, ajoutait-
on, ne pomait avoir porté atteinte a la libre manifestation
de la yolonté des électeurs. Tout en lÜamant Ulle irrégula-
rité regrettable, la Chambre devait done passer outre, et
non pas, cédant aux exigences el'un formalisme ex<:essif,
déranger de llouveau les électeurs et les fatiguer de nou-
vean par des convocations trop souvent rellouve1ées. Ce
langage, messieurs, était tenu ici par 1'honora11e 11. Greffié
de Bellecombe. Alo1's l'un des membres ele votre majorité,
qui, & juste titre, jouit parmi vous d'une légitime antorité,
M. O'Quín, prenant la parole, répondait a l'objection en
des termes que je vous prie de me laisser vous rappeler :
" Les irrégularités el'une élection, vous disait-il, sont de
deux natures : elles sont relatives ou elles SOllt absolues.
Les irrégularités relatiyes peuvent étre couyertes par l'ap-
préciation du résultat de l' élection et des clrconstances di-
verses qui ont pu les motiyel'. Les irrégularités absolues
sont, au contraire, d'ordre pubhc. Celle dont il s'agit en ce
moment est, selon moi, du nombre de ces dernieres. La loi
est formelle; elle a été violée. Quant ~t moi, je demande a
la Chambre d'adopter les conclusions de son bureau et de
donner elle-meme l'exemple uu respect de la loi. " Ces
conclusions, messieurs, furent adoptées. L'élection de 1'ho-
norable M. Bartholoni fut cassée; la loi fut respectée.
Eh bien, messieurs, je vous demande de ne pas ou blier le
respect scrupuleux ue la loi, que vous ayez avec raison té-
moigné uans la circonstance que je YÍens de rappeler; je
vous demande, mettant de coté tout esprit de parti, de
montrer aujounfhui la meme susceptibilité.


Dans ::::on allocution prononcée a l' ouverture de nos tra-
vaux, :M. le présidelit nons faisait remarquer que ce qni
constitue la solic1ité de cette liberté anglaise, si pleille, ú
laquelle ríen ne fait obstacle, c' est qu' elle a constamment




LE RESPECT DE LA LO!. - LES HOMl\IES DES A~CIENS P ARTIS 99
pour correctif et pour frein le respect de la loi, ce qui luí
permet d'etre complete, sans que l'ordre cesse d'etre main-
tenu. M. le présiclent du corps législatif avait raison de par-
ler ainsi. Nous croyons, nous aussi, que, sans un ordre so-
lídement et régulie rement établi, il n'y a pas de liberté
stable. L'habitude de respeeter la loi nous apparait comme
la condition préalable de toutes les institutions libérales.
Pour q u' une nation soit yraiment libre, iI est nécessaire
que, dans l' esprit de tous, des plus puissants comme des
plus humbles, il soit écrit : que lorsqu'une loi a été exami-
née, discutée, adoptée et régulierement promulguée, elle
doit obtenir la soumission. Le droit de critique subsiste,
pourvu qu'il soit exercé eomme il convient; mais il est in-
terdit de precher la désobéissance, et surtout de la prati-
quer. Ce qui .est de devoir étroit pour tous est de devoir
encore plus rigoureux pour ceux qui sont les dépositaires
memes de la loi, pour ceux qui sont chargés de la préparer,
de la promulguer, de la défendre et d'en assurer partout
l'application. Comment pouvez-vous exiger d·un humble ci-
toyen, ignorant, emporté par b passion d'un }¡:oment, qu'il
respecte une loi qui le contrarie, une loi dOllt iI ne com-
prend pas la légitimité et 1'importance, si vous, YOUS-memes
qui l'avez faite, au líeu de vous incliner devant elle, vous
donnez l'exemple de la violer audacieusement des qu'elle
vous gene!


Les considérations, les nécessités pratiques ne sont ici
(l'aucun poíds. Que m'importe qu'il soit plus commode aux
Ilaysans, aux halJitants de la campagne de voter apres la
premíere messe, a einq ou six heures plutot qu'a huít? C' est
affaire du législateur et non la votre. Au lieu ue lancer
une circlllaíre occulte, n' est-il pas plus régulier et aussi
simple de présenter un proj et de loi au corps législatif, de
venir nous exposer que l'heure de huit heures est une heure
trop tardive, qu'il vaudrait mieux permettre de la de-
vancer et de commencer les opérations électorales a
cinc¡ heures du matin? Nous aurions trouvé vos raisons
bonnes, nous VOl1S aurions accordé la loi que YOUS deman-




100 DÉl\WCRATIE El' LIBERTÉ
diez, et le pays n'aurait pas assisté au spectacle de la loi
méconnue partout, et méconnue partout par vous!


J'espere que la Chambr~ comprend maintenant que la
question méritait d'etre sérieusement examinée.


Dans l'élection de l'honorable M. Léonce de Lavergne,
le changement de l'heure n'a pas été précédé d'un aver-
tissement officiel, et il a eu líeu dans la généraIité des com-
munes. On nous oppose souvent que llOUS ayangons des alléga-
tions sans preuves. Les inyestigations sont bien difficiles en
pareille matiere; nous ne négligeons rien pour découvrir la
vérité, et lorsq ue les faits qu' on allegue ne HOUS paraissent
pas établis, nous sommes les premiers a les écarter. Mais
nous nous trompons comme les autres; ayant des moyens
d'information si restreints, iI n' est pas étonnant que nous
considérions quelquefois comme démontrés d~s griefs chi-
mériques. Aujourd'hui j'ai entre les mJ.ins une preuve maté-
rielle et qui ne redoute aucnne contradiction. Ce sont les
cartes memes envoyées aux électeurs de la circonscription.
Ces cartes d' électenrs sont ainsi conc;ues : " Le scrutin ue-
meurera ouvert le dimanche 31 mai courant, depuis huit
heures du matinjusqu'a six heures dn soir. " Les maires de
b pIupart des communes n'ont fait publier que le scrutin
eommencerait a Cillq ou six heures que la veille au soir seu-
lement, a onze heures. Cúnséquemment, il y a dans l' espece
nOll-seulement l'íllégalité, mais la fraude. Je demande, a
eet égard, des explications formelles, et si elles ne sont pas
satisfaisantes, je vons propose d'illvalider l'élection.


J'aurais terminé si je ne trouvais uans les actes adminis-
tratif:5 une circulaire du préfet dont il m'est impossible de
ne pas parler; chaque fois que je rencontrerai de sem-
blables abus, je considérerai comme un devoir étroit de les
relever.


Le préfet a combattu la canclidature de M. Léonce de La-
vergne : ríen de mieux, étant admis le príncipe des candi-
datures officielles. Mais il a expliqué, dans une lettre adres-
sée a tous les électeurs, les motifs pour lesquels l'honorable
M. Léonce de Lavergne devait etre écarté. Je cite textuelle-




LE RESPECT DE LA LO!. - LES HOMMES DES ANCIENS PARTIS 101


ment: " La lutte a laquelle vous assistez présente un earaetere
d'hostilité ehaque jour plus marqué. A voir les hommes qui
dans les eommunes out aeeepté le mandat de l' opposition,
vous ne pouvez pas douter du but qu'ils se proposent : ils
veulent a tout prix renverser ce que votre patriotisme a si
glorieusement édifié. Fidelr,s a leurs préeédents, ils se gar-
dent bien de vous initier a leurs espéranees, paree qu'ils
savent trop que vous ne sauriez les partager. Habiles a dis-
simuler leurs véritables sentiments, ils s' évertuent a rame-
nel' la lutte aux propol'tions d'un simple débat sur des inté-
rets seeondail'es. " Il termine en disant: " Voter pour le
eandidat de l'opposition, e'est voter pour la eoalition qui l'a
fait surgir, e' est voter eontre l'Empire. " (Interruption.)


Vous trouvez cela naturel? moi, j e le trouve exorbitant, et
non-seulementje le trouve exorbitant, je le trouve en outre
souverainement maladroit et impolitique. Je trouve d'abord
exorbitant que, lorsqu'un homme 'honorable a déposé son
serment, lorsqu'il a déclaré qu'il aeeeptait loyalernent un
mandat et que dans l'exereie'e de ee mandat il respeetera
la loi constitutionnelle de son pays, je trouve exorbitant
qu'une autorité queleonque se permette ele publier qu'il
ment et qu'il dissimule sa véritable pensée. Je trouve exor-
bitant que le Gouvernement s'attribue le elroit de plaearder
dans toutes les eommunes de Franee que eles eitoyens qui
ont preté serment sont eles parjures el'avanee; que leurs
paroles sont eles paroles mensongeres; que ce que leurs
levres prononeent, leur camr le désavoue; que leur oppo-
sition n' est qu'une misérable comédie, paree que, au líeu
de se dire révolutionnaire, elle s'intitule légale! J e n'ad-
mets pas, messieurs, que le Gouvernement s'arroge ainsi
le droit d'insulte vis-a-vis ele ses aelversaires! (Bruit.) J e
n'admetspas que nous, HOUS qui vous avons donné des
preuves de notre fidélité a la loi et de notre respeet de
la eonstitution, nous sOyOijS traités eomme des rebelles
sur lesquels il est permis dr, eourir sus, qu'on nous mette
hors la loi et qu'on nous désigne aux populations ... (Mur-
mures.) Vos murmures ne m'arreteront pas.




102 DÉMOCRATIE ET LIBERTÉ


M. GRANIER DE CASSAGNAC. Je demande la paro le.
M. ÉMILE OLLIVIER .... Qu'on nous désigne, disais-je, aux


populations comme préparant une révolution. Non, mes-
sieurs, nous ne voulons ni les uns ni les autres une révo-
lution. Non, nous ne voulons ni les uns ni les autres porter
atteinte a. la loi constitutionnelle; nous ne voulons ni les
uns ni les autres nous convertir en minorité factieuse,
tentant de renverser ce que la nujorité a édifié. (Nouveau
bruit.) Nous ne voulons ni les uns ni les autres mentir,
dissimuler nos sentiments, soutenir des doctrines auxquelles
nous ne croirions pas et donner au pays q ui nous écoute le
spectacle honteux d'un parjure perpétuel. Ni les uns ni les
autres nous ne sommes entrés dans cette enceínte pour jouer
un róle aussi misérab1e. Le Gouvernement, pas plus qu'au-
cuu membre de cette assemblée, n'a le droit de nous accu-
ser d'une attitULle (1 ue nous désavouop..s et que ríen ne per-
met de nous attríbuer.


Le langage contre .lequel je proteste n' est pas seulement
d'une sOllYeraine inj ustice, il est d'une inconcevable impru-
dence et d'une inqua1ífiable maladresse. Comment! lorsque
l'honorahle :JI. de Persigny, ministre de l'intérieur, prit
possession de son ministere en 1860, la premiere par01e
qu'il adressa il ses préfets fut celle~ci : " Tachez de ramener
les hommes quí jadis ont honoré la France; faites·lenr com-
prendre qu'il n'est pas bien de se tenir a l'écart, fIn'iI Y<tut
mieux qu'ils entrent dans les iDstitutiollS (la pays et qn'i1s
nous aident des conseils de leur expérience. " Aussi (1 ne
d'applandissements! combien partout on célébr'ét :lnssiWt le
patriotisme, le libéralisme, rintelligeuce de i\I. le ministre
de l'intél'ielll'! Les journaux n'étaient pleins que de ses
louange8. Comment done, par quelle espece de revirement
imprévn, lorsque ces hommes considérables répondent a
votre appel, lorsqne, comme vous l'aviez désiré, ils rentrent
dans l'arene, lorsqu'ils arrivent. dans cette assemblée pour
faire entendre une voix que la France ne connalt pas de-
puis tres-longtemps et fIu' elle accueillera encore avec lJon-
heur; comment se fait-il que vous les traitiez en rebelles et




LE RESPECT DE LA LO!. - LES HOl\HJES DES ANCIEX3 PARTIS 103


que vous les accueilliez par des injures? Comment se fait-il
que vous ayez oublié a ce point votre premier langage et
permis des circulaires telles que celles dont.ie viens de vous
donner lecture? Quelle était donc votre pensé e ? Est-ce que
par hasard vous espériez que les hommes politiques émi-
nents qui, a diverses époques, ont dirigé nos affaires, entre-
raient dans la lutte éleetorale avec des paroles de soumis-
sion abjecte et en répudiant un passé ou iI peut y ayoir des
fautes, mais ou iI y a encore plus, autant pour eux que pour
notre pays, de la gIoire et de la grandeur? Est-ce (lue vous
espériez. qu'ils se présenteraient la tete basse, pour faire une
soumission quí ne vous aurait pas meme donné la force que
vous en attendiez? cal' s'ils avaient eu la faiblesse d'agir
ainsi, vous ne les auriez eus que déshonorés! (Bruit.) Ils
ont agi comme il cOl1Yenait a des hommes de cceur. Ils sont
venus la tete haute, ne désavouant rien du passé, ne dissi-
mulant rien de ¡'avenir. Ils ont placé la main sur la consti-
tution et sur la loi, et ils vous ont dit : Vous ayez, par le
décret du 24 novembre, déclaré ¿pIe votre Gouvernement
n'était pas entouré d'un controle suffisant, et qu'il était dé-
sirable que les affaires publiques fussent discutées avec une
liberté plus étendue. Eh bien, nous répOllrlons;\ votre ap-
pel; nous voil~t, HOUS sommes prets á disCllt el'. Si vous
Hviez eu <le la m(;moire, si vous aviez été illtelliaents et


L-


prévoJünts, vous les auriez accueillis avec respect; vous
auriez c'~té l¡eurtmx (le laisser" anx haines al'dentes des
partís snccéder une esp('ce d'apaisemAnt constitutionnel;
vous aUl'iez dú vous féliciter ¡}'avoir en face de vous, alllieu
d'un pal'ti r(~pul)licain acharllé, au lien d' un parti orléauiste
intraitalJle, au lieu d\m parti légitímiste ne voulant rien ou-
blier, d"ayoir ell présence de vous un partí nouyeau, unicllle,
démocratique, liberal, légal et constitutionnel, pret á etre
pour vous quand YOUS aurez rais l)l1, coutre vous quand vous
aurez tort, mais préoccupé uní quement des intérets géné-
raux du pays. Vous avez manqué de mémoire, de sages3e
politique.; vous ayez violé la loi; vous avez oublié tout ce
que votre situation vous commandait, et je suis convaincu




104 DÉ:;\WCRATlE ET LIBERTÉ


qu'en signalant ainsi VOS fautes, je suis l'écho du sentiment
public ...


VOIX NOMBREUSES. Non! non!
S. Exc. M. ROUHER, ministre d'Etat. Il se manifeste ici,


le sentiment publico
M. ÉMILE OLLlVIER. Je suis sur qu'il n'est personne quí


ne regrette des circulai!'es sem blables a celle écri te contre
M. Léonce de Lavergne, ou á celle dirigée a Paris contre
une candidature célebre. Il ne fallait pas procéder de la
sorteo Si vous voulez fonder quelque chose de durable,
si vous ne voulez pas étre simplement une majorité qui
profite de son nombre pour opprimer ... (Vives récIamations.)
Je ne vous dis pas que vous le soyez, je vous demande de
ne pas le devenir. Je dis que si vous ne voulez pas étre Ulle
majorité q ui profite de son nombre pour opprirner, si vous
voulez etre une réunion de députés défendant avec autant
de loyauté et sans doute plus de talent que nous, des prin-
cipes di±férents eles nutres, vous devez désavouer de pa-
reilles manifestations et' vous rappeler sans cesse que, puis-
que vous étes les plus forts, vous etes obligés de rester les
plus justes. (l\Iouvements divers.)


M. ÉMILE ÜLLlVIER. Je demande la parole.
Messieurs, j e vcux répondre d'abord á l'honorable M. Gra-


nier de Cassagnac. 11 est des expressions qu'iI ne faut ja-
mais accepter; il ne faut jamais laisser dire q u' on a déna-
turé un acte. J'ai donné lecture a la Cham bre de la circulaire
du préfet. Elle a pujuger elle-meme si j'ai attribué aux pa-
roles un sens qu'elles n'ont paso


Relativement au comité sur lequel M. Granier de Cassa-
gnac a fait tomber les qualifications acrimonieuses de la cir-
culaire préfectorale, qu'il me permette de lui répOlldre ceci :




LE RESPECT DE LA Lor. - LES HOMMES DES ANCIENS PARTIS 105


.fignore si parmi les personnes qui ont pris part aux opéra-
tions éleetorales dans le Gers se trouvent en effet des trans-
portés ele Lambessa.


M. GRANIER DE CASSAGNAC. Moi, je l'affirme.
M. ÉMILÉ OLLIVIER. Je dis que je l'ignore. Seulement


j'ajoute, et M. Granier de Cassagnae devrait ne pas l'avoir
oublié, qu'une amnistie solennelle a effacé des condamna-
tions ...


M. ROUHER, ministre d'j!/tat. Ils auraient dú étre les pre-
miers a s'en souvenir!


M. ÉMILE OLLIVIER. Permettez .... Te dis qu'une amnistie
solennelle a effacé des eondamnatitms qui n'étaient pas ju-
diciaires. Dans une telle situation, ee qu'il y a de plus poli-
tique et de plus sage, si on ne veut pas réveiller des senti-
ments qu'il est plus prudent de lait'ser s'assoupir, e' est de
He pas rappeler de tels faits .


. 1\1. GRANIER I:E CASSAGNAC. L'amnistie ne supprime pas
l'histoire.


M. ÉMILE OLLIVIER. e' est de ne pas rappeler (le tels faits,
qui réveillent des souvenirs bien amers; e' est de ne pas ou-
blier que ces hornmes elont vous parlez, citoyens comme vous,
ayant la capacité d'exercer leurs droits politiques comme
vous, ne peuvent pas plus étre attaqués pour avoir été vie-
times que nous ne pourrions, oubliant pouY' la justice les
convenances de ce moment-ci, vous attaquer pour les avoir
cOlldamnes. .


N'écoutez done pas les accusations de ce genre; repous-
sez. des qU'OIl vous la propose, eette méthode inquisitoriale
de vous décider el'apres la cOllsidération des personnes, et
non el'apres l' examen des aetes. N'acceptez pas, au lieu de
juger nniquement le fait, ce qui est selon la justice, de
rechercher qui :1 fait, ce qui est se10n la passion. C'est par
les procédés qu'on vous propose que les discordes civiles
restent éternelles et que les haines ne s'effacentjamais.


Voila ce que j'avais a répondre a M. Granier de Cassa-
gnac.


(M. Granier de Cassagnae se leve pour prendre la parole.)




108 DÉMOCRATIE ET LIBERTÉ


Je n'ai pas l'habitude de cacher des épigrammes dans mes
expressions. Quand je veux attaquer quelqu'un, je le faisen
face et sans déguísemellt. Lors done que je dis agressif, je
parle au point de vue logique et non pas au point de vue
personnel. M. Gouin est devenu agressif dans ce sens
qu'il a, a son tour, critiqué et blamé ceux qui ne trouvaient
pas le sénatus-Qonsulte irréprochable. Mon expression n'a
pas d'autre portée. Je disais que l'honorable M. Gouin a
compris lui-meme que comparer est le véritable procédé de
discussion quand il s'agit de finances, et pour défendre et
justifier le sénatus-consulte, il a, lui aussi, iI faut qu'il le
reconnaisse, rapproché ce qui était avant de ce qui s'est
produit depuis. L'honorable M. Berryer a done usé d'un
procédé parfaitement légitime.


Ce point relevé, je rappelle en quelques mot;:; les quatre
propositions qui constituent l'argumpntation de l'honorable
M. Gouin.


Il a dit, d'abord, que nos finan ces seraient excellentes si
nous n' étiOllS pas engagés dans la guerre du Mexique, si les
dépenses des expéditions lointaines ne pesaient sur elles. Sur
ce point, nous sommes complétement de son avis. Aucun de
nous n'a jamais dit, paree qu'aucun de nous n'a jamais pensé
qu'il put y avoir la moindre inquiétude a concevoir sur la
puissance financie re de la France. Ses ressources sont non
pas inépuisables, comme on a eu tort de le dire, mais d'une
telle fécondité que, avec Ulle bonne administration et une
sage politique, elles peuvent, apres avoir suffi a toutes nos
charges, nous permettre d'ajouter a la prospérité générale
par des diminutions progressives d'impots. Quand un pays
s'appelle la France, quand sa comptabilité est parfaite,
quand son mécanisme financier ne laisse presque ríen a dé-
sirer, ce qui rend les finan ces bonnes ou mauvaises, ce ne
peut e1re évidemment que la bonne ou la mauvaíse politique
qu' on les oblige a suppo'rter; aussi, des que nous avons en-
tendu parler des expéditions lointaines, des que nous avons
su qu'on allait soit en Chine, soit au Mexique, nous n'avons
pas attendu les résultats, et, faisant moins bien avant ce que




SUR LE SÉNATUS-CONSULl'E FINANOIER 109


vous faites mieux apres, nous avons dit : Voila un écueil
pour notre situation financiere. ArrMez-vous! Toute guerre
qui n'est pas une guerre d'honneur ou de devoir se réduit a
un calcul d'arithmétique ; vous allez vous battre pour déve-
lopper le commerce; mais étes-vous surs que le fardeau que
vous imposerez a nos finances ne dépassera pas de beaucoup
l'extension que vous procurerez a notre commerce? Arretez-
vous! Lorsque nous parlions aiusi pour la premiere fois, vous
n'étiez pas de notre avis; aujourd'hui vous confirmez nos pa-
roles. Je ne m'en targue pas, je vous en remercie, etrai lu,
comme tout le monde, avec satisfaction, le rapport a la fois
si net, si concluant et si énergique de l'honorable M. Lar-
rabure. Les assemblées s'honorent lorsqu'elles parlent ainsi,
et soyez-en súrs, messieurs, quoi qu'on puisse vous dire,
!lOUS n'avons pas un secret plaisir a diminuer ceux de nos
collegues quí ne pensent pas comme nous et qui constituent
la majoríté ; bien loin de Ht : chaque fois que nous trouve-
rons une occasion de nous rapprocher de vous, de vous ap-
puyer dans les actes que nous croirons légitimes, commandés
par l'intéret du pays, nous ne vous ferons pas défaut. Au-
jourd'hui nous vous envoyons de camr notre complete et
sincere approbatíon.


La seconde proposition de l'honorable M. Gouin a été une
défense de la conversíon. Sur ce sujet je serai tres-sobre.
Quand la mesure a été proposée, je vous ai dit pourquoi je
ne la trouvais pas bonne. Je persiste dans mon opinion, etje
crois qu'un débat rétrospectif serait inutile. Je ne puis cepen'-
dant omettre de faire remarquer a l'honorable M. Gouin
qu'il n'a pas réfuté notre principale critique contre la con-
version. A cóté de l'effet financier discutable, disions-nous,
il y a un effet poli tique indiscutable; pour vous assurer une
ressource relativement insignifiante, 157 millions, vous ame-
nez un mal immense. vous déclassez votre rente. Le danger
que nous avions prédit s'est réalisé : le 4 lj2 OJO a été dé-
classé, et si on ne vous avait pas arretés dans votre entre-
prise, vous auriez déclassé le 3 OjO; ce quí eut été d'un effet
incalculable. Vous n' a vez pas, mon collegue, refuté cette




no nÉMOCRATlE ET LIBERTÉ


objeetion, paree que vous savez qu'elle est des plus graves
et qu' elle est toujours debout.


Votre troisieme proposition a été une théorie sur l'amor-
tissement. Je ne puis introduire une discussion dans une
diseussion, et rochereher les eonditions d'existence de l'amor-
tissement; eette question viendra ailleurs. Quant a moi, je
l'avoue humblement, tout en reconnaissant que mon opinion
ne doit pas avoir 1'autorité de celle de l'honorable M. Der-
ryer et des financiers éminents qui pensent autrement que
moi, je n'ai pas dan s la puissance de 1'amortissement la COIl-
nance que j' entends exprimer ... (Approbation sur plusieurs
bancs); je ne pense pas que le taux éIevé des cours publics
qu'on a signalé, soit pendant la Restauration, soit a la fin de
la monarchie de Juillet, ait eu pour cause principale et déci-
sive le fonctionnement de la caisse d'amortissement. (Nou-
velles marques d'assentiment sur les memes ballcs.) La
caisse d'amortissement y a certainement aiclé, mais aujour-
d'hui, si l'amortissement ne fonctionne pas, l'État trouve
dans l'assistance des établissements de crédit qui n'existaient
pas alors un moyen de suppléer, et de trop suppléer, hélas !
sons ce rapport, a 1'action que l'amortissement n'exerce plus;
ponr expliq uer l' élévation des conrs publics, il faut avoir
recours a d'autres raisons et invoquer des considérations
différentes.


J'arrive maintenant a ce que je considere comme étant de
beaucoup le plus important dans le débat actnel, a ce qni
concerne le sénatus-consulte. A cet égard, qne man hono-
rable collegue M. Gouin me permette encore de lni dire
qu'avant de discuter il faut bien défillir ce qu'on discute. Je
ne le contredirai nullement, lorsqu'il déclare d'une maniere
générale que le· sénatus-eonsulte a introduit des améliora-
tions. Rien de plus vrai. Il est certain, d'une part, que le
retour opéré par le sénatus-consulte a une certaine spécia-
lit~, il est certain, d'autre part, que la latitude plus grande
qui nous a été accordée d'exercer le droit d'amendement,
latitud e que nous n'ayions pas auparavant, constituent deux
améliorations heureuses que nous avons accueillies avec






SUR LE SÉNATUS-CONSULTE FINANCIER 111


plaisir et dont la Chambre s' est servie avec profit. Mais ce
n'est la que la partie secondaire du séuatus-consulte; la
partie essentielle est relative aux crédits supplémentaires ;
c'est de plus celle qui constitue l'innovation. La premiere
partie, celle que je viens d'appuyer, a été un retour a l'an-
cienne regle, tandis que celle, que je yais examiner est une
création de M. le ministre des finances. J ene veux pas l'aHa-
quer, ce n'est pas icí le lieu. Mon intention.est d'examiner
son exécution et de c.onstater comment fonctionne ce sé-
natus-consulte dont l' effet sur nos finances devait etre si
merveilleux.


Il est inutile que je vous expose longuement les prescrip-
tions de la loi, vous les connaissez. Des qu'une dépense ne
trouve pas dans le budget ordinaire ou extraordinaire un
.crédit régulierement ouvert, elle ne peut etre engagée, je
ne dis pas payée, j e dis engagée, sans qu' on y ait pourvu par
une ouverture de crédito Le crédit ne peut étre ouvert
que de l'une de ces deux manieres : ou une loi rendue
dans les f()rmes que vous savez, ou un virement précédé
de l'avis de M. le ministre eles finances, d 'une déJibération
du conseil d'État, d'un décret de l'empereur et inséré au
Bltlletin des lois, avec la double signature du ministre com-
pétent et du ministre des finances.


VoiUt le droit. Quel a été le fait? Je n'ai point a le recher-
cher, je n'ai qu'a rdproduire les énonciations du rapport de
l'honorable M. Larrabnre. Le fait est que la plupart des dé-
penses, llotamment celles réclamées pour la guerre et la
marine, ont été engagées sans qu'il y ait eu préalablement
ni une loi, puisqu'on nous la demande aujourd'hui, ni un vi-
rement, puisqu'on n'en justifie paso Le sénatus-consulte est
donc violé, c'est matériel. Et par malheur il ne l'est pas
pour la premiere fois. Il n'a que deux années crapplication,
et il a été violé deux fois. A cette occasion s' est engagée,
l'année derniere, une discussion que vous n'avez certainement
pas oubliée. Votre commission, par l'organe de l'honorable
11. Segris, se présenta devant vous et dit: " Il ya une irré-
gularité, et cette irrégularité, il ne faut pas qu'elle recom-




112 nÉMoCRATIE ET LIBERTÉ


menee. " L'honorable M. Magne, qui parlait alors au nom
du Gouvernement, se leva et dit: " Ouí, e' est vrai, il ya une
irrégularité, mais l'irrégularité ne reeornmeneera paso " Je
me levai a mon tour, messieurs, et je dis : " Oui, il y a
irrégularité, mais l'irréguIarité reeommeneera. " (Rires sur
quelques banes.) Me suis-je trorppé?


Apres notre diseussion, le projet de loi fut porté au
sénat; l'honorable rapporteur M. Casabianca examina la
difficulté constitutionnelle, et dans son travall je lus, non
sans étonnement, mais avec satisfaetion, la confirmation de
ma trop facile prédietion, et l'aveu que dans tous les cas
analogues le sénatus-consulte ne serait pas appliqué. L'ho-
norable M. FouId était présent; il venait de réfuter lUon
diseours, ce que' j'ai regretté c,n'il n'ait pu faire dans cette
enceinte, cal' cela eut été beaucoup plus profitable ponr tons;.
il a gardé le silence. D'ou je conclus qu'il trouvait l'inter-
prétation exaete, Sa conduite l'a eneore mieux prollvé que
son silenee, pnisqu'en 1863 eomme en 1862 iI a ,'iolé son
sénatus-consulte.


Était-ee nécessaire? était-ee légitime? En fait, au point
de vue des circonstances particulieres qui ont amené les
dépenses: vous avez entendu l'honorable M. Berryer. Ses
affirmations sont restées jusqu'a, préseIlt sans réponse. Il
vous a prouvé que des mai 1863, il était possible de pré-
voir et de préciser les dépenses extraordil1aires et d'obte-
nir de vous les crédits suffisants. Mais si, en dehors de ce
point de vue queje réserve, nous considérons les exigences
de la pratique des choses et les nécessités invincibles des
situations, 1\1. le ministre des finances ne pouvait faire
autrement, j'en eonviens; il ne pouvait pas faire autre-
ment, et pourquoi? Par deux raisons dont l'une vaut l'autre,
et toutes les deux sont excellentes. La premiere, c'est
que dan s ce monde, meme en vertu des sénatus-consultes
nnanciers, on ne peut que. des choses possibles. 01', quel est
le moyen que vous donnez au Gouvernement, lorsqu'il se
trouve inopinément plaeé en présence d' exigences finan-
cieres qu'il n'avait pu prévoir? Une loi! Pour cela la réu-





SUR LE SÉNATUS-CONSULTE FINANCIER 113


nion du corps législatif est indispensable, et vraiment on
comprend qu' elle n'ait pas eu lieu. Vous figurez-vous le
corps législatif convoqué a l'improviste parce qu'il n'y a pas
assez d'argent pour payer les drawbacks du sucre ou pour
continuer l' expédition du Mexique! Vous figurez-vous l' é- .
tonnement, le trouble du pays! (Marques d'adhésion.) Cette
sorte de convocation n'étant pas entrée encore dans nos
habitudes, certainement si nous avions lu un jonr au l1foni-
teU1' un décret annonoant la convocation du corps législa-
tif, certainement nous nous serions déja vus sur les bords
du Rhin ou en Pologne.


PLUSIEURS VOIX. C'est vrai!
M. ÉMILE OLLIVIER. Le virement n'est pas plus pratique


que la loi. A q Ilelle époque serait-il nécessaire de recourir
á des virements pour satisfaire aux nécessités financieres
imprévues? Toujours vers la fin de l'année. Dans la pre-
miere partie de l' exercice, c' est in utile, nous sommes en
session; si une nécessité imprévue surgissait, le Gouverne-
ment obtiendrait instantanément satisfaction; le ministre
des finances apporterait un projet de loi et nous le vote-
rions. La nécessité de recourir aux moyens extraordinaires
se présente alors que 1l0US 11e sommes plus en session, dans
le dernier mois de l'exercice. Or, a cette époque, les vire-
ments sont devenus sinon impossibles, du moins tres-diffi-
ciles; alors les dépenses sont non-seulement ordonnées,
mais engagées, faites. Sans doute on peut liquider et payer
les dépenses d'un exercice jusqu'au 31 aout de l'année sui-
vante; a la condition toutefois qu' elles aient été faites
avant le 31 décembre: sans cela elles devraient etre attri-
buées a un autre exercice. La conséquence est forcée:
quand le virement est nécessaire, quand iI faut des mil-
lions, que fait le ministre des finances? Oh! certainement,
il ne demanderait pas mieux que de respecter son reuvre :
il s'adresse aux autres ministres, aux chefs de service; il
leur rappelle sa belle théorie, que le virement peut opérer
non-seulement sur l' excédant, mais encore sur le dispo-
nible, non-seulement a titre définitif, mais encore a titre pro-


s




114 DÉMOCRATIE ET LIBERTÉ


visoire; non-seulement par économie, mais ene ore par em-
prunt. Puis il leur dit : " Donnez-moi de l'argent. " -
" Nous n'en avons plus, répondent les chefs de service, ou
s'il nous en reste, nous allons en avoir besoin si prochaine-
ment que nous ne pouvons vous le donner sous peine de
mettre nos services en souffrance. " Le ministre des finan-
ces est bien obligé, avec son bon sens, de reconnaltre que
le ministre a raisan, que le chef de service n'a pas tort, et
il ne vire pas, pas plus qu'il ne convoque le corps législatif;
il engage la dépense sans autorisation, il viole la loi , iI
méconnalt son propre sénatus-consulte.


Vous comprenez maíntenant, messieurs, combien j'avais
raison de dire que ~L le ministre des finanees a agi eette
année comme il a agi l'année derniere, paree que ce He
année, r,omme 1'année derniere, il 11e pouvait pas faire au-
trement; j'ajoute que l'annpe proehaine, pou!' pea que des
événements imprévus se produis8nt encore, il Dgira de
meme.


Seulemellt, autant j'ai été facile a répondre : Ouí, il y a
eu nécessité, autant je s11is énergique a répondre :' Non, il
n'y a pas eu légalite. Non, non, non, sans contestation;
M. Segris 1'a dit, M. Larrabure le répete, 1\1. Magne en est
convenu; c'est l'évidence. Et ne VEnez pas dire : L'imprévu,
les nécessités! OIl ne pouvait pas abandonner nos braves
soldats; nous ne suppOSiOIlS pn,s que le drawback fut aussi
élevé, etc. Mauvaises rai80n8 que tout cela; c'est précisé-
ment contre l'imprévu, contre l'inopiné, cOlltre ce que vous
n'attendez pas que le virement a été institué. Lorsqu'au sé-
nat on faisait les objections que je vous ai présentées, pour
les réfuter on prenait natürellement les cas les plus impré-
vus : a l'intérieur, on supposait des inondations; a l' exté-
rieur, on se plaºait dans l'h,}'pothese d'une guerreo C'est
en prévision de ces deax ealamités que M. Troploiig, que
M. Vuitry répondaient : Voih\ le cas du virement; le vire-
ment suffira a tout en attendant la convocation du corps
législatif. Vous n'avez aU('une excuse. Ne croyez pas que le
plaisir vulgaire de triompher d'une erreur soit mon seul mo-




SUR LE SÉN ATUS-CONSULTE FINA~CIER 11G


hile dans cette discussion ! N'y eut-il qu'une vioJ.ation de la
loí, cela suffirait a justifier mon insistance. Ce qui l'expli-
que encore mieux, ce sont les conséquences Géplorables,
criantes, de la conduite que je signale.


Voyons-les d'abord an point de vue technique. Un yire-
w .


ment ne peut pas etre fait sans toutes les garanties que j'm
indiquées : avis du ministre des finances, délibération du
conseil d'État. décret de l'Empereur, insertion au Bulletin
des Zois. Un crédit extraordinaire s'éleYant ¿\ plusieurs rnil-
lions est éviuemment pour nos finances un fardeau plus
lourd qu'un simple virement, puisque ce crédit extraordi-
naire n'a pas de limite et que le virement est renfermé dan s
les infranchissables limites d\m bmlget. Eh bien, tandis que
pour les virements, fait moins grave, vous accumulez les
garanties, ponr le créclit sUl?plémentaire ou extraordinaire,
fait bealH~oup plus grave, il n'y a plus aucune espece de ga-
ranties. (~Iarq ues d'approbation sm' plusjeurs banes.) De
telle sorte que, tandis ()u\m ministre ne pent pas, dan s l' ln-
térieur de son ministere, disposer u'une somme de 100,000 fr.
sans que toutes les précautions que je vous ai indiquées aient
été accumulées, le ministre des finances peut engager des
millions sans aucune précaution. Est-ce logique?


11 Y a plus: quand vous avez proposé le séllatus-collsulte,
n'avez-vous pas dit que vous augmentiez les gal'anties finan-
cieres, que nous aurions plus que nous n'avons eu antécé-
demment) Qu'est devenue yotre promesse? ATant le séna-
tus-consulte" on ne HOUS demandait la ratification que dellx
ans apres les faits accomplis par des raisuns tiré es de la
théorie des viremellts; quant aux crédits extraordinaires,
ils devaient etre soumis a v0tre examen a la prochaine ses-
sion. En nutre, ils devaient, avant d'etre ouverts, avoir Até
approuvés par le ministre des finances, le conseil d'État, et
ils étaient contenus dans un décret. Depuis le sénatus-con-
suJte, on ouvre des crédits supplémentaires sans formes,
sans regles, sans conditions, de teHe sorte que tandis que
VOl'.llS promettiez plus, c'est beaucoup rnoins que nous
avons eu. Cela est d'autant plus regrettable, que vous n'avez




116 DÉMOCRATIE ET LIBERTÉ


pas oublié le préambule dusénatus-consulte. L'honorable mi-
nistre des finances n'est pas venu avec empressement ou-
vrir sa main~ sans demander quelque chose pour ce qu'il
nous apportait; il nous a demandé beaucoup ; il nous a dit:
Voyons, faisons un compromis; j'abandonne, moi, le pou-
voir d'ouvrir librement des erédits supplémentaires en de-
hors du budget, mais vous allez, vous,. augmenter les res-
sources que vous m'allouez, vous pourvoirez 1ibéralement a
tous les services, de sorte que tous les services étant riehe-
meut dotés, le crédit supplémentaire ou le erédit extraor-
dinaire devienne une vieillerie dont on perdra le souvenir.
Nous avons augmenté le budget, nous avons donné ce qu'on
nous demandait, mais on ne nous a pas donné en échange
ce qu'on HOUS avait promis. (Approbation sur quelques
banes.)


Une derniere conséquenee, que je considere comme en-
core plus faeheuse que les autres, c'est la mauvaise éduea-
tion que de telles dispositions donnent au pays; il est mau-
vais que tous les ans régulierement uOn ministre des
finances, une commission d'une assemblée viennent dire au
pays: Nous avons violé la loi.


M. ROQUES-SALVAZA. Je demande la parole.
M. ÉMILE OLLIVIER. C'est d'un mauvais exemple; s'íl est


vrai de dire que sans le respeet de la loi il n'y a pas de so-
eiété solidement assise, il est ene ore plus exact d'ajouter
que, lorsque ce sont les dépositaires memes du pouvoir qui
sont les coupables, le désordre moral est a son comble.


J e vous dis donc avec énergie ceci : Ou votre sénatus-
consulte est excellent, alors appliquez-1e; ou bien votre sé-
natus-consulte est mauvais, alors ne vous obstinez pas dan s
un entetement dommageable a tous. (Interruption.) Recon-
naissez votre erreur, demandez-en l'abolition, et, dan s tous
les cas, que vous preniez ce parti ou que vous en preniez ur~
autre, ayez une situation réguliere et une attitude digne.


Je crois, messieurs, avoir répondu complétement aux
affirmations qui constituent le discours de l'honorable
M. Gouin. Si je n'étais pas avertl par l'heure que je dois me




SUR LE SÉNATUS-CONSULTE FINANCIER 117


restreindre, il me serait bien facile de continuer un peu de
temps encore ce débat; je ne le ferai pas; cependant, je ne
puis me résigner a le terminer sans vous retenir un moment
encore. .


J'ai Iu, avec le plus sérieux intéret, le rapport de 1'hono-
rabIe M. Larrabure. Il a excité en moi des sentiments bien
diverso J e vous en ai exprimé un, laissez-moi vous en com-
muniquer un autre quí a été non moins vif. Lorsqu'on écrit
des paroles de cette gravité, il faut se rendre un compte
exact de l'engagement qu'on prend; lorsqu'on soutient un
gouvernement, 11 n'est permis, il n'est prudent de v~nlr
aussi durement qualifier ses actes que lorsqu'on est non
moins énerglquement résolu a les empecher. Apres l'avoir
blamé, lui permettre de continuer, c'est le déconsidérer et
l'affaiblir sans profit pour le pays. Quand on blame, il faut
exiger que les faits qu' on blame ne se reprofiuisent plus. De
puis que je suis dans cette assemblée, messieurs, j'ai tou-
jours été frappé de l'injustice du public pour vo::; efforts
dans les questions de finances. Il suffit de lire les rapports
de vos commisslons de budget, de se reporter aux dlscus-
sion8 qui les ont suivies, pour se convaincre que toujours,
toujours, vous avez dit la vérité en matiere de finances.
Qu'on lise le rapport de l'honorable M. Schneider. le rap-
port de l'honorable M. Le Roux et ceux de notre anclen et
honorable collegue M. Devinck, on y ve~ra que, depuis 1852,
la marche des finan ces a été suivie pas a pas, que les écueils
ont été signalés, les embarras prévus. Cependant, ce que
vous avez dit n'a servi de rien; vous etes restés impuis-
sants; pourquoi? Paree que vous vous en etes tenus a vos
rapports et a vos discours, paree que vous ne vous etes pas
rendu compte de ce que la situation exigeait de vous, paree
que vous avez dit et vous n'avez pas fait. Si vous vou]ez que
vos finances s'améliorent, que ces discussions ne se repro-
duisent plus, ne vous contentez pas de gémir sur ce mal
quand il est accompli; empechez-le tandis qu'il se prépare,
et déclarez que vous l' empecherez quand il se reproduira.


L'honorable M. Larrabure a soutenu avec insistance que




118 DÉMOCRATIE ET LIBERTÉ


le remede a notre embarras financier était dans l' écollomie.
Je suis de son avis. Si nous n' obtenons pas des éeonomies,
nous sommes réduits a oseiller sans ce~se de l'impót a l' em-
prunt, ou plutót nous sommes réduits a passer toujours par
l'emprunt pour arriver a 1'impót. Mais quand l'honorable
M. Berryer, répétant ce VffiU de M. Larrabure, disait : Il
faut des économies! plusieurs interrupteurs lui ont de-
mandé: Indiquez lesquelles! Je renvoie la meme objection a
1'honorable M. Larrabure, et je lui dis : Vous voulez des
économies? Lesquelles? Indiquez-les. Il n'y en a qu'une de
possible, vous le savez bien; et e' est pour cela qu'apres avoir
demandé l' économie, vous conseillez la paix! Oui! e' est bien
raisonné et c'est bien dit. Moi au:ssi, je veux la paix.


Pourq uoi vous etes-Yous arreté la dalls vos décluctions
logiques et dans vos conseils? Au point ou vous etes resté,
il est une question que je vous pose, ainsi qu'aux membres
de la majorité, et que je vous prie de résoudre. Comment
avoir la paix? Il ne suffit pas de prononcer ce mot magique,
d'applaudir a l'idée d'avoir appelé dans un congres tous
les souverains pour obtenir d' eux des sacrifices et un désar-
memento L'idée d 'un congres universel, pacifique, est une idée
généreus~ qui, depuisl'abbé de Saint-Pierre jusqu'a MM. Cob-
den et Emile de Girardin, a séduit les nobles esprits. Le
mérite n'est pas de la reproduire, mais de la rendre pratíque
et de la réaliser. Il n'y a pour cela qu'un moyen, qui HOUS
assurera en melle temps la plus effieaee des économies,
e' est de réduire l'armée, de désarmer le premier, eoura-
geusement et sineerement. (Mouvement.)


Veuillez, messieurs, m' écouter eneore un instant.
11 y a deux manieres d'etre qui eompromettent toujours


l'influenee sur les autres peuples : la premiere, e' eRt d' etre
trop faíble; la seeonde, e'est d'etre trop fort. Quand on est
trop faible, on est méprisB, et 1'opinion qu'on soutient n'a
pas de poids. Quand OIl est trop fort, on est craint, et alors
eeux qui naturellement seraient désunis, par un sentíment
de prudenee se rapprochent et se réunissent eontre eelui
qu'ils redoutent. Savez-vous le péril de la Franee en Eu-




SUR LE SÉNATUS-CONSULTE FINANCIER 119


rope aujourd'hui? C'est qu'elle est trop forte. (Interrup-
tion.) Il en résulte que toutes les fois qu'elle traite, toutes
les fois qu'el1e agit, toutes les fois qu'elle propose, OIl est
tenté de supposer en elle un calcul perRonnel, de ne pas
croire a son désintéressement. Faites qu'on croie au désin-
téressement de la France, alúrs toutes les difficultés s'apla~
niront, notre i.nfluence ne rencontrera plus d'opposition, et
en meme temps que vous augmenterez notre prestige dans
le monde, vous aurez trouvé le seul, le véritable remede
aux embarras de nos finances.


Seulement, je vous en préviens, vous serez oondamnés a
un dernier sacrifice, car il ne suffit pas de l' économie, iI
ne suffit pas de la paix, il ne suffit pas du désarmement,
tout cela serait inefficace et dangereux si vous n'accordez


. pas la liberté. (Interruptions diverses.)
UNEVOIX. Connu!
M. ÉMILE OLLIVrER. Une voix me dit : Oonnu! Je ne me


trouble pas de cette interruption, et je fais remarquer a
l'honorable interrupteur qu' elle est le meilleur témoignage
qu'il puisse me rendre, a moi et a mes honorables amis.
Quand les oppositions sont taquines, misérables, sans ave-
nir, saYez-vous comment elles procedent? Elles n'ont pas
de but, pas de plan systématique; elles marchent au ha-
gard, elles vont partout OU elles peuyent déposer une cri-
tique ou une injure, puis elles changent de direction, cher-
chant comment elles pourront recommencer. Quand les
oppositions sont honn8tes, consciencieuses, yivaces, elles se
donnent un but, et ce but, elles le poursuivent sans s'en
laisser jamais clistraire. La liberté est notre but; jamais
uous ne nous lasserons de le poursuivre et de vous ]e rap-
peler. '


Sans la liberté, vous disais-je, il ne faut pas compter sur
la paix. Pour vous le prouver, je me bornerai a vous citer
une parole profonde. L'emrereur actuel, dans un livre bien
remarquable a divers titres, a recherché pourquoi les
Stuarts avaient succombé, tandis que Guillaume III avait
fondé une dynastie; entre autres raisons, iI a donné la sui-




120 DÉMOCRATIE ET I.IBERTÉ
vante: " On ne peut pas longtemps réprimer la liberté a
l'intérieur sans donner la gloire au dehors. ., Cette
maximé, messieurs, eontient une des vérités les plus fon-
damentales de l'art de gouverner. A une nation ardente,
puissante, généreuse eomme la nótre. il faut qu'un ali-
ment soit sans eesse donné. Si vous n'offrez pas a son in-
fatigable aetivité, au dedans, les satisfaetions progressives de
la liberté, il faut que vous .lui proeuriez, au dehors, les satis-
faetions héro'iques de la gloire. Le ehoix est entre ces deux
politiques. En dehors de l'une ou de l'autre, je ne eon<;ois
rien de possible. Choisissez : ou la gloire ou la liberté; ou
la gloire, qui ne s'aceommode pas des éeonomies, qui exige
et aime les gros budgets; ou la liberté, qui rend la gloire
inutile. (Approbation sur plusieurs banes.)




XIV


QUE LE DROIT COMMUN DOJT ~TRE LE RÉGIME DE LA PRESSE


(22 janvier 1864)


Messieurs,


Je n'essayerai pas de répondre a toutes les parties du
discours que vous venez d'entendre : je n'en ai ni la volonté
ni la puissance. Je veux me borner, dan s les termes les pías
rapides que je pourrai, a en saisir les idées principales, a y
opposer les réponses qu'elles appellent et qui, a mon sens,
seront satisfaisantes.


L'Angleterre est un heureux pays. Quelle que soit la
pensé e de ceux qui portent la parole devant vous, qu'ils
revent l'extension de nos libertés ou qu'ils en désirent, si-
non la restriction, du moins l'immobilité, qu'ils soient pres-
sés de marcher ou plus disposés a s'arreter, c'est toujours
l'Angleterre qu'ils invoquent et les précédents anglais qu'ils
citent.


Je vous demande, messieurs, quant a moi, de ne pas
suivre ces exemples. Je ne réclame pas la liberté anglaise,
liberté de privilége, fundée sur l'inégalité, je veux la liberté
franc¡aise, celle de 89, fondée sur l'égalité et la démo-
cratie.


SUR PLUSIEURS BANCS. Tres-bien! tres-bien!
M. EMILE OLLlVTER. Aussi je repousse également les


vreux de l'honorable M. Granier de Cassagnac et ceux qui




122 , , DEMOCRATIE ET LIBERTE
ont été émis par d'ilIustres personnages po1itiques avec 1e8-
quels je sympathíse davantage. Je ne veux pas, pour fixer
mes príncipes sur la presse, accepter l'autorité des Guil ...
laume IlI, des Jacques II et des Stuarts, pas plus que je ne
veux, lorsque je reeherehe de quelle maniere la liberté doit
etre étendue, proposer le régime parlementaire anglais
comme étant la forme néeessaire de ses développements.
Parce que le despotisme du gouvernement s'est exereé en
Ang1eterre sur la presse, je ne me erois pas obligé de dé-
sirer qu'il en soit ainsi en France. Paree que la liberté en
Angleterre est garantie par des institutions d'une certaine
nature, je ne me considere pas comme obligé de penser
qu'en France elle ne peut en revetir d'autres. Mon idéal n' est
point que la Chambre, celle-ci ou toute autre, soit appelée a
ressaisir le gouvernement. Je n'admets pas que les assem-
blées aient droit, mission et capacité pour gouverner.
(Marques d'assentiment sur un grand nombre de banes.)
Elles manquent pour cela de deux conditions essentielles:
elles ne sont pas responsables, et elles sont passionnées ...


VOIX DIVERSES. C'est tres-vrai!
M. ÉMILLE OLLIVIER. Elles ne sont pas responsables, ear,


leur décision prise, le faisceau se détruit, l'assemblée s' éva-
nouit, et personne ne reste plus 1ft pour répondre de la dé-
cision qui s'exécute. (Nouvelles marques d'adhésion.) Elles'
sont passionllées, et par eonséquent dans toutes les mesures
qu' elles adoptent, elles ne font pas une distillction néces-
saire, qui est l'art meme-de la poli tique; elles ne distin-
guent pas l'effet direct, irnmédiat, qu'on touehe, de 1'effet
indireet, médiat, qu'on ne touche pas, et qui cependant est
définitif; leurs décisions, presque toujours dietées par l'im-
pression du moment, répondent a la passion du jour et sa-
crifient quelquefois les nécessités permanentes des gouver-
nements et des soeiétés. (Tres-bien! tres-bien!) Diseuter et
juger, voiUt leur véritable role, eelui dans lequel elles ne
peuvent etre remplaeées.


Je ne désire pas davantage., messieurs, ressusciter dans
ce pays, qui ne 1'a jamais eomprise, la nction en vertu de






LE DROIT COMMUN RÉGIME DE LA PRESSE 123
laquelle celui qui gouverne est inviolaLle et indiscutable.
J'admire, quant a moi, l'instinct profond de cette nation
qui, dans le fait comme dans la logique, a toujours placé la
responsabilité la OU elle a vu ou supposé l'action. Je désire
que le chef de l'État, quelque 110m qu'il porte, soit et reste
responsable. (Mouvements divers.) Le développement que
je demande a notre constitution, le perfeetionnement que
i'espere: c'est qu'a la responsabilité naturelle, légitime, 10-
gique, démocratiq ue du chef de l'État s 'ajoute la responsa-
bilité logique, nécessaire, utile pour tous, des ministres qui
sous ses ordres dirigent les affaires publiques. .


PLUSIEURS VOIX. Tres-bien!
M. ÉMILE OLLIVIER. Je réclame Ja responsabilité des mi-


nistres, mais sans exclnre celle du chef de l'État.
Messieurs, en exprimant ces pensées, je ne me fais pas


l'organe d'un sentiment personnel.
1\1. GLAIS-B IZOIN. Si! si!
M. ÉMILE OLLIVIER. J'ai le bonheur d'exprimer la pensée


d'un grand nombre de mes amis.
M. GLAIS-BIZOIN. e' est la vótre. (Exclamations et rires.)


Que le pouvoir soit responsable, s'il est a temps; non, s'il
est héréditaire.


M. ÉMILE OLLlVIER. Je n'ai pas dit de tous.
VOIX NOMBREUSES. Continuez!
M. ÉMILE OLLIVIER. Cette déclaration, que je ne puis


développer en ce moment, ayant été faite, je reviens a la
question spéciale qní nous occupe, j'examine la these qui a
été soutenue devant vous. L'honorable M. Granier de Cas-
sagnac a divisé ses développements en deux parties; i1 a
exposé des principes et i1 a rappelé des faits hü;toriques; et
des deux ordres de considérations il a conclu a la nécessité
de maintenir le régime actnel de la presse.


Son argumentation historique peut se résumer en ces
termes: la liberté de la presse n'a jamais été qu'une cause
de bouleversement social et de ruine; aucun pouyoir ne l'a
tolérée, quand il a été fort et résolu; quand il a été assez
faíble pour étre obligé de la subir, il a succombé; et, re-




124 DÉMOCRATlE ET LIBERTÉ


marque bien digne d'attention, eeux qui ont le plus énergi-
quement réprimé et détruit la liberté de la presse sont
préeisément eeux qui l'avaient d'abord le plus fortement
affirmée, défendue, de telle sorte que leurs aetes, mis en
eontradiction avec leurs principes, fournissent la condam-
nation la plus décisi ve qu'on puisse prononcer contre la vé-
rité d'une doctrine.


Je réponds ~t l'honorable 1\1. Granier de Cassagnac, d'a-
bord, que son argument aboutit directement a un résultat
opposé a celui qu'il espere .. Les gouvernements faibles,
a-t-Ú dit, ont supporté la liberté de la presse et out suc-
combé; les gouvernements forts l'ont réprimée. Mais, je le
lui demande, n'ont-ils pas succombé également? Quels sont
ces gouvernements que vous avez cités eomme ayant, d'une
main ferme, réprimé la liberté de la presse? Vous avez cité
le Comité de salut public, n'a-t-il pas succombé? Vous avez
cité le Directoire, n'a-t~il pas succombé? Vous avez cité le
gouvernement du général Cavaignac, n'a-t-il pas succombé?
Vous avez cité la Restauration, n'a-t-elle pas succombé?
Done, si des gouvernements ont succombé apres avoir ré-
primé la presse, et si d'autres ont succombé quoique ne
l'ayant pas réprimée, ne faut-il pas conclure de ce résultat
identique. précédé de eonduites si différentes, q'le s'il est
des gouvernements qui tombent, et s'il en est d'autres qui
se maintiennent, ce ll'est pas paree que les uns respectent
et que les autres détruisent la liberté ele la presse, c'est par
une raisoll étrangere a la presse elle-meme, par cette rai-
son de bon sens qu'il est des gouvernements qui se condui-
sent bien, tandis qu'il en est d'autres qui se conduisent mal.
(Mouvements divers.) Paree que la presse a quel(lUefois si-
gnalé l'écueil, par une confusion perpétuelle vous l'aecusez
de l'avoir créé; vous etes en cela semblable a l'ignorant qui
rendrait le fil électrique, qui transporte une nouvelle, res-
ponsable de ce que la nouvelle est bonne ou mauvaise.


SUR PLUSIEURS BAl'CS. Tres-bien! tres-bien!
M. É~IILE OLLIVIER. Je réponds en outre (\ l'honorable


M. Granier de Cassagnac que les exemples qu'il a choisis







LE DROIT COMMU~ RÉGIME DE LA PRESSE 125


m'ont causé la plus réelle surprise. Oil les a-t-il pris? Il a
toujours choisi des époques troublées, des époques de lutte,
d'anarchie, de guerre civile ou de barbarie; il est remonté
jusqu'a Rome. (On rit.)


UN MEMBRE. Mais Rome, ce n'est pas la barbarie (Bruit.)
M. ÉMILE OLLIVIER. C'est-a-dire que, lorsque nous discu-


tons les institutions d'un gouvernement qui a plus de douze
ans d'existence, qui déclare dans tous ses manifestes, dans
tous ses actes, dan s tous ses discours que le pays l'ac-
clame perpétuellement, l'approuve avec passion, le soutient
unanimement, a nos raisonnements vous venez opposer,
quoi? - les nécessités de la guerre civile, de la barbarie,
les exemples des gouvernements contestés a main armée.
(Rumeurs diverses.) .


J'ai écouté l'attaque, messieurs, veuillez écouter ma ré-
ponse. - Je ne crois pas qu'il puisse y avoir pour un gou-
vernement des amis plus maladroits que ceux qui le défen-
dent ainsÍ.


QUELQUES MEMBRES. Tres-bien!
M. ROQUES-SALVAZA. Non pas tres-bien!
M. ÉMILE OLLIVIER. J'écarte tous les détails, je m'en


tiens aux idées principales; j'ajoute en troisieme lieu que je
suis tres-frappé d'un fait. L'honorable M. Granier de Cas-
sagnac dit que tous les gouvernements ont été tués par la
presse. Or, il n'est pas au dix-neuvieme siecle un homme
éminent, ayant pris une part sérieuse aux affaire s de son
pays, qui n'ait terminé sa carriere par une affirmation so-
lennelle et énergique de l'indispen~ble nécessité de la
liberté de la presse. Je n'en connais pas un seul quí n'ait
cru devoir rendre ce témoignage a la grande liberté mo-
derne. Et saus vous fatiguer par de longues citations, pre-
nant celui dont vous contesterez le moins le témoignage,
l'empereur Napoléon, je vous rappellerai les paroles que l'on
vous signalait hier et que je n'ai pas besoin de répéter, et
j'y ajouterai ces mots, par lesquels il accueillit Benjamín
Constant a son retour de 1'ile d'Elbe : " Étouffer la liberté
de la presse est absurde, " et ses déclarations de Sainte-Hé-




126 , , DEMOCRATIE ET LIBERTE
!Eme, si souvent reproduites, " que la liberté de la presse
s'imposait comme un fait nécessaire qu'il fallait accep-
ter ... " (Interruption et rumeurs.)


Vous contestez L.. (Non! non!) Permettez : ce témoi-
gnage est important. Voici ce que dit, dans les Idées napo-
léoniennes, l'empereur actuel : " Nous voyons encore l'em-
pereur manifester son mécontentement de ce qu'on n'ait
pas fait de loi sur la presse; et, ce qu'il est surtout utile ne
remarquer, c'est que l'empereur pronon0ait souvent ces pa-
roles rnémorables: " J e ne veux pas que ce pouvoir reste a
" mes successeurs, paree qu'ils pourraient en abuser. "


Voila l' exemple le plus éclatant. Mais combien n' en trou-
verais-je pas en descendant dans la catégorie dJlOmmes
éminents qui ont tous gouverné avec éelat le pays ou parti-
cipé A ses affaires! Rappelez-vous Royer-Collard : en 1814,
il prépara une loi presque semblable au décret actuel, qui
ex!geait l'autorisation du Gonvernement pour la publica-
tion d'un journal, et sa derniere parole dan s cette enceinte
a été une admirable revendication de la liberté de la presse.
Vous avez entendu rhollorable M. Thiers, avec son inimi-
table talent, avec son autorité, affirmer aussi la liberté de
la presse. Et celui qui a été si longtemps son rivaL M. Gui-
zot, dan s ses mémoires ou il résume sa vie, OU il raconte
les événements auxquels il a assisté et les le<;ons qu'il en a
tirées, M. Guizot établit dans un noble langage que la liberté
de la presse est nécessaire, qu' on ne peut pas gouverner
dignement sans elle. (Mv''1vements en sens divers.)


M. DE GOILLOUTET. Je dis, moi, qu'il est impossible de
gouverner avec elle.


M. ÉMILE OLLlVIER. Je trouve donc étrange que 1'on
vienne soutenir que tous les gouvernements ont péri par
une liberté confessée par tous ceux qui étaient les pilotes
du vaisseau lorsqu'il a fait naufrage.


UN MEMBRE. On a dit : " les capitaines! "
M. ÉMILE OLLlVIER. Et, s'il faut vous di re toute ma pen-


sée, je ne désespere pas de voir les hommes d'État emI-
nents du régime actuel, s'ils écrivent un jour leurs mé-




LE DROlT COM1\WN RÉGIME DE LA PRESSE 127


moires, nous faire des aveux semblables. (On rit.) Et quand
je me rappelle que l'honorable M. Rouher a voté, a l'assem-
bIée législative, cOlltre la proposition de M. Sainte-Beuve
sur la liberté commerciale, et qu'il est devenu depuis le pro-
moteur le plus actif et le plus intelligent de la liberté com-
merciale, je conserve encore l'espoir qu'en ce qui coneerne
la liherté de la presse aussi, il nous dounera le spectacle
d'une variation semblable, qu'j} sera éclairé par l'expérience
de la vie et la pratique des choses, et qu'un jour nous l' en-
tendrons éloquemment défendre ce qu'il a trop séverement
attaqué. (Bruit.) •


SUR QUELQOES BANCS. Tres-bien!
M. h:\IILE OLLIVIER. Je termine, messieurs, sur l'argu-


mentation historique de 1'honorable M. Granier de Cassa-
gnac, et YOUS voyez que je n'abuse pas trop longtemps
de yotre patience. Il me serait permis, si, dans un débat de
cette nature, je pouvais conserver quelque susceptibilité
personnelle, de m' expliq ner sur mes erreurs historiq ues, re-
levé es par l'honorable M. Granier de Cassagnac, et de prou-
ver que ces prétendues erJeurs sont de bonnes et réelles
vérités. L'année prochaine, peut-etre, je le ferai. (Rires
d'adhésion sur plusieurs bancs.) En ce moment, je ne veux
vous entretenir que de la presse, et j'arrive a l'argument de
prlllclpe.


On peut le résumer ainsi : une certaine école considere
le droit d' écrire comme un droit naturel supérieur a la loi ;
l'honorable M. Granier de Cassag~ac ne peut que s'élever
contre cette prétention irrationnelle, absurde; il n'a pas
ménagé les qualifications. En effet, a-t-il dit, - voyez
quelle contradiction inacceptable! - la presse est un pou-
voir et de tous le plus terrible. Or, seule parmi tous les
pouvoirs de ce monde, elle échapperait a la 10i d'une orga-
nisation, d'une responsabilité. Pour étre député, il faut étre
nommé. Le journaliste se saisirait tout seul de son droit
redoutable: Une fois nommé, le député ne peut parler que
pendant quelques mois de session, dans des formes déter-
minées, et le journaliste garderait la parole toute l'année!




128 DEMOCRATIE ET LIBERTÉ
Les pouvoirs de l'État, quels qu'ils soient, sont subordonnés
a une condition, la capacité. Le journaliste, il n'a qu'c\ s'af-
firmer; son affirmation constitue son droit. Il est impossible,
a-t-il dit, d'admettre qu' en face de la souveraineté natio-
nale, il y ait la souveraineté du journalisme, et qu'au-dessus
de tous les pouvoirs, on place la dictature inacceptable de
quelques journalistes.


L'honorable M. Granier de Cassagnac a fait a la presse
trop d'honneur, pour mieux la tuer; ill'a faite beaucoup plus
puissante qu'elle ne l'est.


VOIX NOMBREUSES. Non !.non!
M. ÉMILE OLLIVIER. Messieurs, il parait assez difficile que


vous jugiez un argument que je ne vous ai pas ene ore exposé.
Ill'afaite beaucoup plus puissante qu'elle ne l'est, et sur-
tout ill'a inexactement définie. Voyons! comment procéde-
rai-je pour exprimer clairement ma pensée? J e vous adres-
serai une question et j e vous dirai ceci : Quand les débats de
la Chambre sont elos, que chacun de vous est rentré dans
son département, cesse-t-on de penser en France, cesse-
t-on de s'intéresser a la poli tique ? Le Gouvernement cesse-
t-il de prendre des mesures graves? Lorsque votre sessiol1
est terminée, et que les vacances ont commencé, y a-t-il
une suspension immédiate d~-la vie publique, et attend-on,
pour reprendre la respiration, que vous soyez de nouveau
convoqués? Lorsque vous n'etes plus la, les langues fran-
<;aises, qui sont d'ordinaire tres-agiles, sont-elles coupées?
N'y a-t-il plus de conversations? N'y a-t-il plus de commu-
nications d'idées ~ N'y a-t-il plus d' opinion publique? Vous
répondrez évidemment que non. Or, qu'est-ce que la presse?
La presse n'est pas un pouvoir; la presse n'est pas, comme
on l'a dit, un sacerdoce; la presse n'est pas une fonction :
la presse, c'est l'opinion publique. (Dénégations sur plusieurs
bancs). Dans un pays ou la presse est libre, ou toutes les
doctrines sont représentées, la presse est la manifestation
des diverses forces de l'opinion publique.


n n'est done pas exact de dire, comme l'a fait l'honorable
M. Granier de Cassagnac : Voila un pouvoir qui se crée tout




LE DROIT COMMUN RÉGIME DE LA PRESSE 12)
seul sans délégation. Je vous ai dit d'abord que ce n'était pas
pouvoir; j'ajoute que l'infiuenee de la presse, lorsqu'elle
existe, est le résultat d'une délégation bien sérieuse. Quelles
que soient les lois que vous fassiez sur la presse, alors meme
que YOUS trouveriez les moyens les plus nouveaux pour que
le Gouvernement en flit absolument le maUre, vous n'empe-
eherez jamais que le journalisme ait un maltre eneore plus
impérieux, le publie, le publie qui le fait vivre, le publie
qui lui donne ses abonnés. (Mouvements en sen s divers.)
VoiHl la délégation permanente qui erée son droit. Un jour-
nal ne représente pas seulement ses rédacteurs; il repré-
sente ceux gui s'associent a lui et qui, par eette association,
indiquent gu'ils les aeeeptent eomme les' interpretes de leurs
pensée.'3 et de leurs sel \timents. (R¿elamations sur plusieurs
banes.)


Je trouve cette idée ü'lllement simple, que je ne peux pas
saisir sur q uoi porte la contradictioll; si quelqu'un veut la
formuler, je lui en donne le droit. Le seul mot que j'aí pu
saisir clans l'interruptioll est celui-ci : les annonces. Les an-
llonees, ou toute autre facilité du meme genre, sont tout a
fait inSllffisantes pour faire prospérer un journal et le rendre
influent. Il ne suffit pas, pour qu'un journal existe, q u'il ait
l'autorisation du Gouvernement, qu'il soit écrit par des ré-
daeteurs tres-intelligents, qu'il obtienne meme beaueoup d'an-
nonees; il faut que le publie le trouve de son gout, et mon
honorable collegue, M. Granier de Cassagnae, expert en
matiere de journalisme , me permettra bien, puisqu'il a rap-
pelé les naufrages politiques, de lui parler des naufrages du
journalisme. (Hilarité prolongée.) Il a été plus heureux que
moi : j'avais demandé l'autorisation de fonder un journal;
on me l'a refusée par eette raison qu'étant député je u'avais
pas besoin d'un journal pour di re ce que je pensais. M. Gra-
niel' de Cassagnae, qui dit fort bien également ce qu'il pense
et quí est député eomme moi, a cependant obtenu l'autori-
::mtion qui m'avait été refusée. 11 a done fondé un joul'nal, iI
a pris un titre ~ titre superbe, la lVation; lui et ses amis y


. ont déployé beaueoup de talent, et, eomme vous le disait
9




180 DÉ:'IlOCRAT~E Er LIBERTÉ


ruon éloquent ami M. Picard, ils ont, au moment des élec-
tions, répandu le journal a 30,000 exemplaires dans plu-
sieurs des circonscriptions de París; malgré tout cela, le
journal est mort. (Dénégation.) Depuis, íl a revécu sous le
meme nom, en changeant absolument de drapeau; alors, il
a trolH'é les abonnés quí jusque-Ht luí avaient manqué : ce
qui prouve bien qu'ilne suffit pas de vouloil' se faire journa-
liste pour le de"venir; qu'il faut, en outre, le consentement
de quelqu'un, que ce quelqu'ull est quelquefois fort diffleile a
gagner, que ce quelqu'un, e' estle publico (Tres-bien! tres-bien!)


Veuillez bien remarquer la r,onfirrnation que mon raison-
nement a re¡;ue, au sénat, de l'honorable président du con-
seil d'État. N'y a-t-il pas dit : Vous vpus plaignez a tOl't
que la presse ne soit pas libre; rnais tous les jourllD.UX, sauf
deux, sont dans l'opposition. L'observation est vraie, mais
ils n 'y étaient pas il y a trois ans. Que s' cs1:-il done passé?
e'est que J\laítre public a parlé ... (Héclamatiuns et l'il'es.) Il
a dit : Je veux etre sage; je ne soulmite pas faire dI? l'évolu-
tion, comme on m'en accuse méchamment; je respecte toutes


. les lois, mais enfin j e tl'ouve que j e suis assez émallci pé pour
jonir d'un peu plu~ de liberté. - Et cornmc les journ:lllX sa-
vent tres-bien qu'ils ne sont pas un pouvoir, qu'ib n'ollt
d'autorité qu'autant qu'ils retletent l'opinion, ils ne se ~ORt
pas piqués d'une résistance qui n'aurait p~s été du gout de
leurs caissiers et de leurs directeurs d'anllOll(~eS; ils ont fait
un peu d'opposition. Vous comprenez maintenant pourquoi
je considere le fait vrai, invoqué par M. le présidellt du con-
seil d'État, comme tres-significatif, comme de llature a
prouver combien est fausse la théorío quí signale dans les
journaux de véritahles épouvantails. Ils ne sont rien de
pareil .. J e vais vous dire rationnellement et constitution-
nellement ce qu'ils sont.


Dans tout pays il existe des courants permanents et mul-
tiples d'actions, d'idées, de contradictioIlS, de luttes, de dis-
cussions, de polémiques, d'approbations, de critiq11es, d'im-
pressions, de sentiments qu'on appelle l'opinion publique.
Ces courants ont leur représentation réguli(~re et légale, et




LE DROIT CO~I:.\1UN nÉGIME DE I,A PRESSE 131


aussi leur representatioll irréguIiere et libre : vous etes la
représentation réguliere et légale, les journaux sont la re-
présentation irréguliere et libre. Sans l'accord de ces deux
manifestations de l' opinion publique, il n'ya pas de gouverne-
ment fort, il n'y a pas de gouvernement régulier. Si l' opinion
extérieure domine seuIe, 011 a la confusion, l'incertitude. Si
l' opinion légale prevaut seule, on se tient souvent dans une
imrnobilite satisfaite qui amene tót ou tard un divorce 1'e-
doutable entre l'opinion légale et l'opinion reelle.


QUELQUES MEMBRES. Tres-bien! tres-bien!
M. ÉMILE OLLIVIER. Les journaux, messieurs, ne sont pas


vos ennemis; ils ne sont pas les ennemis des pouyoirs consti-
tués, car, lorsqu'ils ont cette prétention outrecuidante, ils
tombent clans le neant, ils perdent toute action. lls sont vos
auxiliaircs, vos éclaireurs (Ah! ah !), vos porteurs de nou-
velles; ils recueillent pour vous et font luire devant vos
yeux les faits uont vous avez besoin pour asseoir vos déci-
sions. Sans eux, le mécanisme légal de tout gouvernement
fonction1l8 mal.


J'ai répondu, je le crois, le mfellx que j'aí pu á la double
argumentation de l'honorable M. Granier de Cassagnac.
Permettez-moi, avant de terminer, de vous Jire, a mon
tour, ce que je considere comme la verité.


Je ne trouve pas loyal, messieurs, quand OH demande des
concessiolls ú un gouverllement, de le tromper sur les con-
sequences nécessaires que produiront ces concessions, 10rs-
qu' on les voit c1airemen t. (Tres-bien!) J e demande au Gou-
vernemenc la lrbel'té de la pl'esse. Hiel', mon honorable ami,
M. Jules Silllon a reclame, nOll pas des lois séveres, mais
plutOt des lois severes que 1 'arbitraire ue l'avertissemellt.
Je suis de son avis. 1\Iais je tromperais le Gouvernement si
je n'ajoutais que, se10n moi, aucune loí sur la pn~sse, quelque
severe qu' elle soit, ne peut avoir d'action efficace. J e par-
tage, a cet egard, l'opinion de l'llOl1orable M. Rouher.
Apres lui, je considere l'impuissance de tous les systemes
pOllr dominer et refréner la pre~.se, comme un fait compléte-
ment démontre. Quelle que soit la juridiction chargée" de




132 DÉMOCRATIE ET LIBERTÉ
réprimer les actes de la presse, que ce soit le jury ou le tri-
bunal de police correctionnelle, dans tous les cas, les pour-
suites ont un effet favorable a la presse et nuisible au Gou-
vernement qui les intente.


VOIX DIVERSES. C'est vraí !
1\1. ÉMILE OLLIVIER. S'il ya un acquittement, le pays et la


magistrature semblent adhérer a la doctrine ineriminée; s'il
y a eondamnatioll, le journaliste passe a l'état de martyr,
et il devient tout-puissant de l'intéret qui s'attaehe toujonrs
a eeux qui souffrent perséeution pour une cause qu'ils eOll-
siderent eomme juste. Il faut done, mp,ssleurs, quand OH
parle de la presse, avoir le courage et la résoIution de la
vérité, et dire et. reeonnaitre que tout systeme répressif est
ineffieaee. Que faut-il done faire? (lVIouvements divers.) Que
f aut-il done faire ?


A mon sens, trois réfo1'mes qui, opé1'ées, eonstitueront la
seule légíslation possible sur la presse.


La premiere, e' est de dét1'uire le monopole des journaux,
en rendant aussi faeile que possible la eonstitution cl'un
j ournal, en supprimant toutes les entraves qUl s'opposent a
sa e1'éation. Quand une publicatíon quotidienne en est arri-
vée a l'état de monopole, elle eonstitue véritablement eontre
tous une force redoutable; eH~ devient la senle forme que
puisse revetir r opinion publique, et toutes les pensées L·,di-
vidueIles quí n'entrent pas exactement dans la doctrine du
journal qui a le monopole sont réduites ou a etre écrasées,
ou a se taire, ou a etre inexaetement représentées. (Marques
d'adhésion sur quelques banes.) Au coutraire, si vous détrui-
sez le monopole, qu'a1'rive-t-il? A l'instant disparaissent les
inconvénients que vous signalez avec juste raison nans la
presse, telle qu'elle a été organisée jusqu'a ce jour. Il se
produit un phéllomene analogue a eelui qui se rnanifeste a
chaque instant dans la nature, ou aueune force u' est jarnais
détruite, - cela n'est pas possible, - mais OU toutes les
forees se eontiennent et s' équilibrent réciproquement. G1'i'.ee
a la diffusion de l'opinion publique, a la rnultiplicité desjour-
miux, la force éc1'asante qlli appa1'tenait aux journaux 101's-




LE DROIT COl\B1UN RÉGDIE DE ~A PRESSE 133


qu'ils étaient uniques ou peu nombreux s'affaiblit, et la
liberté trouve son remede dan s la liberté elle-meme.


M. BELMONTET. C' est assez juste.
M. ÉMILE OLLIVlER. Je ne puis prétendre a 1'autorité de


faire prendre en considération une opinion qui me serait
exclusivement personnelle. Aussi vous me permettrez, mal-
gré ma fatigue et la votre, ,de vous lire un admirable passage
el'un homme qui, dans les événements contemporains, n'a
tenu qu'une place secondaire, mais qui en a pris une
immense dans le domaine des idées, et dont le nom, pur,
honorable, respecté par tous, ira éternellement en grandis-
sant; je veux parler de M. de Tocqueville. Voici ce qu'j}
disait apres ]830, dans son livre sur la démocratie en Amé':'
rique : " Les Américains pensent que pour pouvoir agir effi-
cacement sur la presse, il faudrait trouver un tribunal qui
non-seulement mt dévoué a 1'ordre existant, mais encore
pt,t se placer au-dessus de 1'opinion publique qui ~'agite au-'
tour d\q lui, un tribunal qui jugeat sans admettre la publi-
cité, pronon(',at sans motiver son arret et prenant ses inten-
tions plutot encore que ses paroles ... En matiere de liberté
de la presse, il n'y a réellement pas de milieu entre la ser-
vitude et la licence. Pour recueillir les bien s inestimables
qu'assure la liberté de la presse, il faut savoir se soumettre
aux maux inévitables qu'elle fait naltre ... Le seul moyen de
neutraliser les journaux, c'est d'en multiplier le nombre. "
(l\louvements divers.)


La deuxieme conclition nécessaire de toute législation sur
la presse, e 'est de distinguer deux idées qu' on a toujours
confondues jusqu'it ce jour. En effet, dan s un journal, il ya,
en quelque sorte, deux éléments qui jouent deux roles com-
plétement différents, et dont cependant 1'un est indispensable
a l' autre. Un j ournal est á la fois une manifestation de l' opi-
nion d'un certain nombre de citoyens et un instrument de
publicité pour tous. Or, si je peuse que la loi répressive ne
peut rien sur la premie re partie du journal : la polémique,
je crois flu'elle peut et qu'elle doit pouvoir tout sur la se-
conde: la publieité ~ Aussi j'approuve beaucoup le systeme




134 DÉMOORATIE ET LIBERTÉ
actuel· de reproduction de nos débats, malgré l'avis de notre
tres-cher ami, l'honorable M. GIais-Bizoin. (On rit.) Pourquoi?
paree que la reproduction des débats est du domaine de la
publicité. Anciennement, la maniere dont les débats par-
lementaires étaient reproduits était un vrai scandaIe. (C'est
vrai ! tres-bien! ) Chaque journal ne donnait en détail que
l' opinion de ses orateurs et rendait absurdes a pIaisir les dis-
cours des contradicteurs. (C'est vrai! ) Aujourd'hui, nous
avons au moins une publicité impartiaIe, sinon tout a fait
dans son résultat, du moins dans ses intentions. Toutefois,
je crois qu'a cet égard le progres n'est pas encore complet, et
qu'il faudrait interdire aux journaux de publier un compte
rendu qui ne serait pas la reproduction du A!oniteur tout
entier (PLUSIEUHS VOIX. e'est cela !), sauf de la part du Gou-
vernement á rencIre cette eharge suppnrtable par la reno n-
ciatíon aux clroits de timbre. (Marques cl'apprchation.)


lVl. LE PRÉSIDENT. l\Ionsieur Ollivier, les suppléments ne
payent pas de droit de timbre en ce momento


M. É~IILE ÜLLIVIER. Je demande la remise du timbre sur
l'ensemble du journal. Vous comprenez~ en effet, messieurs,
que le véritable danger, le danger reel pour un gouverne-
ment et pour les individus qui prennent part anx discussions
politiques, n' est pas d' etre plus ou moins bien appréciés
dan s l'article d'un journal : autant en emporte le yenL Ce
qui est grave, e' est q u' on ne reproflulse pas le:-; paroles de
l'orateur teHes qu'elles ont été prono!lcees, (iU'O;} ne donne
l'aete du Gouvernement que défigur() par l' 8~prit de partí.
Ce quí est grave,' c'est qU'OIl protlonce un jugenlent, qu'on
entralne le lecteur dans une opinion q uelco!Hlue, ~ans avoir
expo~é 011 apres avoir alteré les faits sur lesquels cette opi-
nion prétend reposer.


La legislation n' ftant point encore telle, je comprends
tres-bien que mes honorables callegues, eeux-Ht memes dont
l'esprit est le plus o~vert au progres, me disent : Mais
voyez, jugez la situation d.'un nomme lsole (tu lonu ~~un de-
partement, et qui, tous les jours de toutes les 3IllleeS de sa
vie, lit le meme articledu meme redacteur : eowment. vOU-




LE DHOIT COl\BlU~ RÍWL\m DE LA PHESSE 1:33


lez-vous qu'il ne soit pas de l'avis de son journal ? Incontes-
tablement, s'il ne lit que l'article du journaliste; mais s'iI
trouve a. coté les discours ou les actes sur lesquels le jour-
naliste écrit, savez-vous ce qui arrivera bien sonvent?
tandis que le journaliste critiquera le discours, le lecteur,
apres l'avoir lu, l'applaudira et sifflera l'article. (Interrup-
tion.) Et, dans la suite des temps, il se produira ceci, - je
vous en prie, laissez-moi me permettre une prophétie, -
dans la suite des temps iI se produi'a ceci : que tous les
journaux, non pas seulement les journaux violents, excessifs
par le langage, - l'honorable 1\1. de Cassagnac a dit lui-
meme que ces productions ne prenaient pas racine dalls ce
nobl(j pays de France, - iI arrivera que lorsque tous les
journaux modérés mfUl1e dans les ternies, mais exclllsifs
dans leurs jugements, auront été pris plusieurs foís en fia-
grant délit d'injustice par leurs lecteurs, éclairés par la pu-
blicité impitoyable qu' on leur aura im posée, iIs seront peu
a peu ~\handollnés par le public; et alor8 il se formera en
France ce qni s'est formé en Angleterre, un grandjournal,
tel que le Times, q oi est le journal universel de l' Angle~
terre, paree qu'iI est le journal le mieux et le plus complé-
tement informé, et qu'il présente tour a tour a ses lecteurs
le ponr et le contre de chaque question, de telle ::;orte que,
quand on se rend dans la Cité le matin, on pet:t rencontrer
un négociant qui vous di t en vous abordant : Quel admi-
rable article dans le Times.' On rencontre le lendemain le
meme négociant qui vous clit : Quel misérable article le
Times a (lonné ce matin! Excellent journal qui off1'e ainsi
sans eesse llli-m€mJe les moyen3 de juger, et qui oblige ses


"lecteurs ~\ se former une opinion par eux-memes !
Veuillez réflechir a cette idée, et soyez bien convaincus


que toute la législation de la presse est L1 : la publicité assu-
rée et la polémique libre. (Marques d'approbation sur plu-
sieurs banes.)


Le troisieme poiut que je considere comme constitutif
d'une législation de la presse, c'est l'application aux délits
commis par la voie de la presse de la juridiction établie




136 Dí-:~lcCnATlE ET LlBERTf;


pour les délits de droit C0mmun : l'outrage, la provocation á
la révolte ou ~t l'assassinat, la diflamation, ces délits que je
ne puis pas me permettre par paroles, il n' est pas supposable
qu'ils soient im punís lorsque la presse se les pe1'met; mais,
c1ans ces c:ts-la, comme vous le disait l'hollorable .M. Jules
Simon, on ne poUrSUi\Ta pas en vertu (le la loi sur la presse,
on agira en vertu du droit commun; des lors cesseront les
interminables querelles sur le point de savoir s'il faut saisi1'
le jury ou la poliee correctionnelle. Le code prononcera.
Quand on aura commis un crime, le jury sera saisi; quand
il ne s'agira que d'un délit, la police correetionnelle sera
compétente : le droit commun, et rien que le droit commun.


Ces trois principes établis, il ne restera plus qu';'t ajou-
ter: Iln'y a plus de délit de presse. Ce jour-lá, IlOUS aurOllS
la meilleure des loi:;: sur la presse.


J'ai terminé, rnessieurs; j 'ai exposé ce que j e eonsidérais
comme la yérité.


Le Gouvernement doit etre averti, non pas seulement par
ce que llOUS disons, mais surtout par ce que disent les mem-
bres qui composünt la majorité. Vous avez entendu leí 1'110-
norable ;\1. Latour-clu-Moulin; le pays a Iu l'aclmirable
discoul's prolloncé dans une autre enceinte par M. de la Gué-
ronniere. (Héclamatíons.) Ce quí"-vous prouve que n011S sa-
yons louer meme nos adversaires ... (~ouyelle interruption.)
Tous les deux ont prouyé que le régime des avertissements
devait étre abandonné.


Pour moi, messieurs, je ne demawle rien au Gouverlle-
mento J'ai une foi inébranlable dans la toute-puissance de
l'opinion publique. Les journaux peuvent l'aider ú se pro-
duire, mais elle n'a pas besoin d'eux; elle peut s'en passer.
Tous les journaux fussent-ils supprimés, quand elle youdra
fermement quelque chose, elle saura tres-bien manifester sa
yolonté souveraine; ceux qui esperent l'arréter par des 10i~
sur la presse et des avertissements ressemblent, selon la
belle image d'un poete, a cet insensé qui fermait les portes
de son parc pour empecher les oiseaux de s' 8llYoler !


PLUSIEURS i\1EMBRES. Tres-bien! tres-bien!




xv


R.UPORT S1.m LA LIBERTÉ: DES COALITIO~S DE PATRONS ET
D'OUVRIERS


(22 avril 1864)




l\Iessieurs,


.le vÍens vous renclre compte des trayaux de la commis-
sion que vous avez chargé~d'examiner le projet de loi rela-
tif a l'abrogation des articles 414, 415, 416 du Code pénal
et á leur remplacement par de nouvelles dispositions. Bien
que trois articles seulement nous aient été soumis, nous
a-yons dú. consacrer a leur étude de nombreuses séances,
tant sont importants et délicats les intérets politiques,
économiques, sociaux qui se rattachent a la question des
coalitions de patrons et d'omTiers. Je ne puis avolr l'espé-
rance de reproduire toutes les idées qlj ont été exprimées
durant les consciencieuses discussions de votre commissÍon.
J'essayerai du moins de ne rien omettre d' essentiel. Avant
el'aborder l'explication meme de la loi, j'exposerai les prin-
cipes qui l' ont inspirée. Comme l' origine des peines contre
les coalitions se retrouve dans le régime des anciennes cor-
porations d'arts et métiers, dont quelques personnes revent
encore la résurrection, je m'arreterai un instant devant
cette organisation, afin que les intéressés soient en mesure
de déeider eux-meme-s si c'est du rajeunissement de ce sys-
teme qu'ils doivent attendre 1'amélioration de leur sort.




138 DÉ1\lOCRATIE ET LIBERTÉ


1


En 1789, a cóté de la révolution politique et sociaJe,
s'est opérée une révolution économique. La révolution poli-
tique a couvert de sa grandeur et du retentíssant ée1at de
ses événements la révolutíon économique, et cepelldant la
seconde a été aussi profonde, aussi radicale, aussi fécollíle
qu~ la premiere. Elle peut se résumer et se caractériser
d'un mot : elle a substitué) en prineipe du moins, le régime
de la liberté du travail et de l'inclustr'i8 a ceIuí de la régle~
mentation, des monopoles et des pririléges.


Turgot avait dit magnifiquement : " Dieu, en donnant el
1 'homme des besoins, en lui rendant nécessaires les res-
sources du travail, a fait du droít de travailler la propriété
de tont homrne, et cétte propriété est la premiere, la plus
sacrée, la plus imprescriptible de toutes. " Adam Smith avait
exprimé la meme idée avec une égale énergie : ., La plus
sacréé"et Iél plus Íl1Yiolable de toutus les propriétés est eelle
de son propre travail, paree qu'elle est la source crigillaire
de toutes les autres propriétés. Le péltrimoine du paU\Te
est délllS sa force et dalls l'adress9 de ses main5, et l'empé-
cher d'employer cette force et eette éldresse de la maniere
la plm; cOllvenable, tant qu'il ne porte dornmage a personne,
est une violation manifeste de eette propriétéprimitive. "
Ces belles maximes n'avaient pu, malgré les efforts de
quelques hommes de bien et la bonne volonté de Louis XVI,
descendre des livres des philo,sophes et des économistes
dans les prescriptions pratiq ues de la loi. La Révolution
frall/¡aise osa croire que ce qui était vrai, juste en soi, ne
pouvait devenir nuisible dans l'application, et réalisant ce





SUR LA LIBERTÉ DES COALITIONS DE PATRONS ET D'OUVRIERS 139


que Turgot et Adam Smith avaient con9u, elle affirma. que
la faculté de travailler est un des premiers droits de
l'homme et que « l'ame de l'industrie est la liberté. "
(Séance du 15 février 1791.)


On se figure malaisément, aujourd'hui que ces vérités
sont devenues les lieux communs de nos esprits, par quelles
dures entraves la liberté du travail était gellée dans l'ancien
régime. L'agriculture elle-meme-, de laquelle il est exact
de dire, avec Boiguilbert, que la liberté y est la commis-
sionnaire de la nature, n'avait pas échappé aux reglements.
En 1692-93, on ordonnait d'ensemencer; en 1709, on;'e dé-
fendait. Tout changement a l'assolement était interdit
comme portant atteinte a la subsistan ce publique. En 1747,
on releve encore un édit qui défend de plantel' des vignes
sallS autorisation.


Toutefois, le commerce et l'industrie étaient le domaine
préféré de la réglementation. La, elle s' était donné libre
cal'rit~re. La constitution des corporations d'arts et métiers
a été son muvre la plus parfaite.


A l'origine, les corporations, appelées autrement 'uni-
versites, avaient été une organisation défensive contre les
oppressions diverses, qui, sous le régime féodal. pesaient
sur le faible, et aussi, iI faut le recol1naitre, Ulle école de
discipline, d'ordre, de sage hiérarchie pour les travailleurs,
une cause d'excitations profitables pour les maUres, le
point de clépart d'Ul.e ere de perfectionnement et de pros-
périté pour findustrie nationaie.


A la longw'l, elles étaient devellues un moyen d'exploita-
tion, une occasion (le monopole, un motif d'infériorité pour
l'inunstrie et un prétexte á des abus intolérables. Les rois
en ayaient fait un instrument de fiscalité, un procédé pour
hattre monnaie ou pour percevoir plus facilement la taille.
Les maitres, de leur coté, par la diminution du nombre des
maitres, par l'augrnentation des frais de l' éducation profes-
sionnelle, s' étaient assuré la certituue des gains faciles, la
faculté de restreindre la concurren ce, d'amener la hausse
factice des prix, de raIl(jonner a rnerci le consommateur et




140 DÉ~IOCRATlE ET LIBERTÉ


de tenir, sous une sujétion commode, le pauvre peuple des
tra vailleurs.


Les développements de ce systeme sont curieux ~t étu-
dier. Au treizieme siecle, Louis IX chargea le prév6t de
Paris, " le prud'homme " Étienne Doileau, d'ouvrir une
enquete au Chatelet et d'y recueillir les us et coutumes des
corporations alors existantes. Les regles de cent profes-
sions, apeu pr~s, nous s~nt ainsi parvenues. Elles présen-
tent la prus grande diversité, notamment en ce quí concerne
l'apprentissage. Tout differe suivant les professions : le
nombre des apprentis qu'on peut recevoir, le tcmps d'ap-
prentissage, le prix. Il n'y a d'uniformité que sur queIques
poínts, tels que l' obligation réciproque lJOur le maltee et
l'apprenti de ne pas se quitter avant l'expiratiollllu temps
fixé, et la dispense, pour le fils du maltre, de se soumettre
aux exigences communes. Du reste, les femmes ne sont pas
exclues des métiers; la broderie était exercée par les b1'ou-
deresses aussi bien que par les broudeurs, etc.


Dans les clernieres années de la monarchie, au contraire,
1'esprit d'exclusion a tout envahi : une uniformité tyran-
nique se marrLue dans toutes les regles de 1'apprentissage,
devenu pour 1'appt'ellti, comme 1'a dit avec raison Rossi,
une sorte de sel'vitude temporaire. Les artisans, pOU1' de-
venir maltres, sont obligés de supporter des dépenses exees-
sives. Apres les longues années de 1'apprentissage, cinq,
sept, huit ans, ils doivent consacrer un an et quelquefois
plus a confectionner ce qu' on appelle le chef-d'muvre. Si ce
travail est trouvé mauvais ~ il est rompu; et la décision
favorable ou contraire est moins assurée par le mérite que
par" les infinis présents et banquets ". Aussi, malheur au
pauvre; il se trainera perpétuellement dans la mécliocrité,
" besognant en chambre ".


Une fois admis dans une corporation, le travailleur y est
rivé : il ne peut exercer un autre métier sans un nouvel
apprentissage. Quand les circonstances créent un déficit de
travail d'un coté en meme temps qu'un excédant de l'autre,
le déplacement et la circulation des travailleurs étant ínter-




SUR LA LIBERTÉ DES COALITIONS DE PATRONS ET D'OUVRlERS 141


dits, les uns étaient accablés de demandes qu'ils ne pou-
vaient satisfaire, tandis que les autres cherchaient en vain,
dans une profession en souffrance, le salaire indispensable
a leur subsistance et a celle de leur famille. Quant aux
femmes, elles n'étaient plus admisés il la maitrise, meme
comme brodeuses, marchandes de modes ou coiffeuses. Ce
qui semblait, en les condamnant a une misere inévitable,
seconder la corruption et la dé bauche (1). Dans certaines
con1nlunautés, le mariage était aussi un motif d' exclusion.


L' oppression du travailleur entrainait, par une consé-
quence nécessaire, l'oppression du travail. Chaqué profes-
sion était renfermée dans des limites séverement détermi-
nées et assujettie a des regles étroites de fabrication. n
était prohibé dans la plupart des métiers de travailler á la
lumiere, paree qu' on supposait que l' ouvrage ainsi fait se-
rait défectueux.


La distindion entre les métiers étant arbitraíre, four-
nis5ait matiere ¡'t el'interminables proceso On a évalué a
800,000 1i v res les sommes que les cornmuIÍantés dépensaient
annuell ement en proceso Les contestations " que ce régime
occasionnait étaient une des sources les plus abondantes
des profits des gens du Palais ". Si on a pu déterminer les
dépenses des proces, on n'a pas pu évaluer les obstac1es de
tous genres que de teHes genes opposaient á l' introduction
des industries nouvelles. La liberté n'existait qu'a titre de
privilége, au profit de ceux que le roi prenait spécialement
sous sa protection, ou qui l'obtenaient implicitement en ve-
nant se fixer dans des lieux réservés, tels que les enelos du
Temple et du Louvre, le faubourg Saint-Antoine.


Ces contraintes ne lésaient pas uniquement des intérets
privés : la richesse nationale était atteinte. La liste serait
longue des b ranches de nos inel ustries q ne les exigences de
la réglementation officielle ont cOI1!promises ou tuées. Je
n'en donnerai qu'un exemple. Les Levantins et les Persans


(1) JI Y avait c~pend.1nt cncorJ d~3 corpomt:on;¡ U~ bo~tquetier2s, fleUl'istes
et fruitieres.




142 DÉMOORATIE ET LIBERTÉ


achetaient des ciseaux non trempés qui étaient fabriqués
dan s plusieurs villages du Forez. On s'avisa un jour d'exiger
que toute la coutellerie fut trempée, paree que sans cela
elle n'était point bonne. Les Orientaux ne furent point
de l'avis de nos grands maitres des manufactures; ils consi-
dérerent eomme déplaisant de payer plus cher un produit
qui leur convenait moins : ils s'adresserent aux Allglais,
qui s'empresserent de leur fournir des couteaux non trem-
pés, et les villages jusque-la prosperes du Forez furellt ruinés.


Sous le régime que je viens de décrire, il va de soí que
les coalitions étaiellt interdites. Les salaires étaient fixés
par les reglements ou par la volonté toute -puissante du
maltre. Lorsque les ouvriers se concertaient, ce qui arrivait
meme alors, ils étaient poursuivis en vertu de l'antique
loi 1, au code de J1Ionopoliis. Quand cela ne suffisait pas,
on renuait contre eux des éclits spéciaux. Il nous en reste
plusieurs. Une ordonnance de Franc;ois Ier, de 1541, sur
l'imprimerie, défend " aux compagnons apprentifs d'iceluy
état d'imprimerie de s'assembler hors les maisons et portes
de leurs maistres, ll'ailleurs en plus grand nombre que cinq,
sans congé et authorité de justice, sur peine d' etre empri-
sonnés, bannis et punís comme monopoleurs et autres
amendes arbitraires (art. 1 er). ,,- " Lesdits compagnons
continueront l'ceuvre commencé et ne le lairront qu'il ne
soit parachevé et ne feront aucun trie, qlli est le mot par
lequel ils laissent l'ceuvre. S'il prend vouloir a un compa-
gnon de s'en aller apres l'ouvrage terminé, il sera tenu
d' en advertir le maistre huit jours devant, afin que durant
ledit temps, ledit maistre et les compagnons besognant avec
lui se puissent pourvoir (art. 6). "


Les lettres patentes du 2 janvier 1749, renouvelées
en 1781, déclarent qu'il est fait défense " a tous compa-
gnons et ouvriers de s'assembler en corps, sous prétexte de
confrérie ou autrement; de cabaler entre eux pou!' se pla-
cer les uns les autres chez des maUres, ou pour en sortir,
ni d'empecher, de quelque .maniere que ce soit, lesdits
maitres de choisir eux-memes leurs onvriers, soi t frangais




S\:R LA LIBERTÉ DES COALITTONS DE PA,\RONS ET D'OUVRIERS 143


ou étrangers, sous peine de pareille peine de 100 livres
contre lesdits compagnons ou ouvriers. »


Nos anciens rois avaiént senti souvent ce qu'il y avait de
vieieux, de contraire a l'humanité et a la justiee, dans une \
pareille organisation. Ces reglements, avait dit Charles IX
dans une ordonnance de 1358, " sont faits plus en faveur
et profit des personnes de ehacun mestier que pour le bien
commun. " Philippe le Bel avait essayé d'arreter cet
égo'isme corporatif; enfin Louis XVI, s'abandonnant aux
magnanimes inspirations de Turgot, abolit solellnellement,
par l' édit de février 1776, " les dispositions bizarres, tyra:n-
niques, contraires a l'hurnallité et aux bonnes mrours dont
sont remplis ces espeees de codes obscurs rédigés par l'avi-
dité, adopté s sans examen dans des temps d'ignorance, et
auxquels il n'a manqué, pour etre l' objet de l'indignation
publique, que d'étre COl1nus. " Cet édit déeida qu'a l'avenir
le droit de travailler l1e serait plus eonsidéré comme un
droit royal que le pril1ce pouvait vendre et que les sujets
devaient aeheter, et en cOl1séquence il supprima les mai-
trises et les jurandes.


Cette réforme était l'une de ceUes que Turgot essaya pour
arreter la ruine de 1'ancienne monarchie. Transporté a la
fois et cffrayé par son courage, Voltaire s' était écrié : " Il
fera tant de bien, qu'il finira par avoir tout le monde contre
lui. " Turgot eut en effet tout le monde cont.re lui; il fut
obligé de quitter le pou, oir. Des arrets du Conseil révo-
q uerent ses admirables édi ts; la foule égarée ou indifférente
applaudit, Presque seul, le philosophe qui avait prédit le
coup ne put retenir, en l'apprenant, un cri de douleur que
l'histoire, plus juste que les contemporains, a répété: " Je
ne vois plus que la mort depuis que M. Turgot est hors de
place. Ce coup de foudre m'e~t tombé sur la úervelle et sur
le crour. "


Il fallut en effet une révolution pour que la pensée de
Turgot flit reprise et réalisée. La loi du 2 mars 1791 abolit
arto 2) " les brevets et lettres de maltrise, les droits per-
~. us pour la réception des maitrises et jurandes ... et tous





144 DÉMOCRATIE ET LIBERTÉ
priviléges de profession, sous quelque dénomination que ce
soit. " La. loi des 28 septembre-6 octobre 1791 (titre ler,
section 5, arto 1 er) " déclara tout propriétaire libre de faire
sa réco;te, de quelque nature qu'e11e soit, avec un instru-
ment et au moment qui lui convielldra, pourvu qu'il ne
cause aU8un dommage au,," propriétaires voisins. "


Depuis ces deux décrets, le travail est devenu vraiment
libre en France. Chacun peut l'offrir, en débattre, en fixer
les conditiol1s a son gré, l'aceorder ou le refuser, le consa-
crer sans l'agrément de personne a un art ou a une profes-
sion quelconque, passer d,'un métier a un autre ou en exer-
cer p1usieurs a la fois, sans aucune condition d'apprentissage.
Le droit de chacun Il'a d'autre limite que le droit d'autrui.
De la nait le principe de la libre concurrence.


Des deux. principes combinés de la liberté du travail et
de la concurrence découle comme une conclusion nécessaire
le droit ponr les patrons et pour les ouvriers de se coaliser
entre eux. Qu'est-ce en effet qu\me coalitioll ? L'accord lll-
tervenu entre plusieurs patrons ou ouvriers d'exercer simul-
tanément le pouvoir, qui appartient a chacun d' eux en 1'ar-
ticulier, ele déLattre le salaire, de refuser ou d'offrir le
travail. Si un ouvrier peut, san s s' exposer a aucune répres-
sion, débattre les conditions de son travail, l'accorder ou
le refuser, pourquoi plusieurs ouvriers réunis ne pourraient-
ils pas faire de meme? Comment concevoir que le me me
acte, illllocent quand iI est accompli par un seul, deviellne
coupable des q u'ill'a été par plusieurs? Stationner seu1 dans
la rue est licite : aussi stationner plusieurs n' est pas cou-
pable. Sans doute, ainsi que 1'a remarqué l'auteur d'une
be11e étude sur les coalitions, M. Deroi~n, si l'ordre 1'ublic
l' exige, le Gouvernement peut interdire le stationnement
co11ectif qu'on appelle rassemblement; ii peut de meme, e
par la meme raison, interdire dans des situations détermi-
nées le stationnement individuel. Dans les deux cas, la peino
est attachée au trouble apporté a l' ordre public, au mépris
manifesté de la loi, non au fait de stationner, soit seul, soit
a plusieurs.




SUR LA. LIBERTÉ DES COALITIONS DE PATRONS ET D'OUVRlERS 145


Quelquefois un fait coupable est aggravé quand il est le
résultat d'une entente : ainsi l'article 110 du code pénal
punit plus séverement celui qui aura empeché un ou plu-
sieurs citoyens d'exerr Jr leurs droits civiques, lorsque ce
crime aura été commisen vertu d'un plan concerté. Un fait
innocent, a moins d'un péril social tout a fait exceptionnel,
ne peut pas etre déclaré coupable, a raison de cette cir-
constance unique que plusieurs se s01lt entendus pour l'ac-
complir. Lorsq u'une action commise par plusieurs apres un
concert préalable est répréhensible, on en doit conc1ure se-
Ion la regle légale, conforme en cela a la regle philoso-
phique, qu' elle n'est pas innocente, sauf une simple diffé-
rence de degré dans 1 .. culpabilité, lorsqu'elle a été commise
par un seul. Vou)ez-vous apprécier la légitimité d'une ac-
tion : " Voyez, a écrit Kant, si, en généralisant l'action que
vous allez faire, vous pouvez la considérer comme une loi
de l'ordre général dont vous faite s partie. ,;


Cette these n'est pas contredite par l'article 126 du code
pénal, qui punit comme coupables de forfaiture les fonc-
tionnaires publics qui auront, par délibération, arreté de
donner des démissions dont l'objet ou l'effet serait d'empe-
cher ou de suspendre soit l'administration de la justice, soit
l'accomplissement d'un service quelconque. Le me me fait
accompli par un seul fonctionnaire public serait coupable.
Seulement dans ce cas, le péril social étant nul, la loi con-
sidere la privation de la fonction comme une peine suffisante
contre celui qui en a mésusé. A cette premiere peine spé-
ciale elle en ajoute une autre, quand il y a multiplicité
d'agents et concert préalable, non pas paree qu'alors d'in-
nocent l'acta devient coupable, mais paree que de coupable
et non dangereux il devient tres-coupable et dangereux.


Pour déconsidérer les coalitions on affecte de les con-
fondre avec les greves, comme pou!, les défendre on s'ob-
stine a les assimiler aux association'S: Aucune de ces affir-
mations n'est exacte. La greve est sans doute un effet
possible de la coalition, mais elle n'est pas la coalition. Se
coaliser, c'est proprement, au sens exact, s'entendre, se


10




146 nÉMOCRATIE ET LIBERTÉ


concerter, prendre une décision en eommun sur les eondi-
tíons du travail. La greve peut suivre, ou ne pas suívre;
elle est la sanction de la coalition, elle ne constitue pas la
eoalition elle-meme. La coalitíon peut etre amenée a em-
ployer ce moyen extreme; elle peut aussi se dénouer sans
y recourir, et, grace a une transaction ou a l'abandon de
prétentions irréfléchies, ne pas sortir de la période toute
pacifique de l'accord et des négociations. Il n'est pas plus
exact de dire : La coalition e'e~:c1 greve) qu'il ne le serait,
paree que' le gendarme peut etre appelé a preter main-forte
a la loi violée, de définir la loi : 1 'intervention du gen-
darme.


La coalition n' est pas non plus l'association. On s'associe
pour poursuivre, a l'aide d'une action commune continuée
pendant un certain temps, la réalisation d'une amlire ou
d'une idée; on se coalise pour obtenir par une action com-
mune d'une durée restreinte un changement dans les condi-
tions du travail. L'association suppose nécessairement une
orgauisation, la coalition n'exige qu'une entente momenta-
née; l'association erée un intéret collectif, distinct de l'in-
téret des associés, la coalition donne simplement plus de
force a l'intéret individuel de ehaque coalisé; l'assoeiation
entre tous et un seul suscite l'etre moral, la eoalition n'opere
~u'un rapprochement fortuit entre des individus quí ne se
fondent pas ensemble. Dans l'assoeiation, la majorité arrete
des résolutions quí lient eeux qUÍ n'y ont pas pris part ou
quí les ont combattues. Dans les eoalitions, l'adhésion de
chaque individu est indispensable; eeux-Ia seulement sont
liés quí ont expressément consentí, et ils sont toujours les
maUres de retirer leur eonsentement. Sans doute l'assoeia-
tiOll peut s'unir a la eoalition, en devenir le résultat, le
moyen ou l'origine, elle n'en est pas l'élément essentiel. La
eoalition trouve en elle plus de force, elle peut naltre et
agir sans elle.


Si la eoalition n'est vraiment que l'aceord intervenu entre
plusieurs personnes pour exercer en eommun le droit qui
appartient incontestablement a ehacune d' entr"eHes, iI




SUR LA LIBERTÉ DES COALITIONíI DE PATRONS ET D'OUYRIERS 141


semblait aller de soi que le droit de se coaliser fut déclaré
légitime, naturel, primordial, par ceux qui affirmaient le
droit de disposer librement du travail; et de meme que l'all-
cien régime, partant de la conceptíon de communautés fer-
mées, était arrivé a la défense des coalitiolls, il paraissait
logique que l'assemblée constituante, ayant pris pour prin-
cipe la liberté du travail, arri vat a la reconnaissance du
droit de se coaliser.


Il n'en a point été ainsi. Presque au me me moment qu'elle
affirmait la liberté du travail, soit industrie1, soít agricole,
l'assemblée constituante édictait les prohibitions les plus
séveres contre les coalitions des ouvriers des villes dans la
loi des 14-17 Juin 1791, contre celles des ouvriers eles cam-
pagnes dans la loi des 28 septembre-6 octobre 1791
(art. 19 et 20, titre II). Loin de considérer le droit de se
coaliser comme la conséquence de la liberté du travail pro-
c]amée, l'assemblée constituante l'envisagea comme la néga·
tion meme de cette liberté. Elle crut ne rien faire de
contradictoire en introduisant en méme temps dan s la légis-
lation ces deux idées, en considérant l'une comme le corol-
laire, la garantie, la condition de l'autre. Et qu'on ne s'y
méprellne pas, ce n'est pas la greve seulement qu'elle pros-
crit, c'est l'accord, la coalition saisie dan s ses éléments pri-
mitifs, c'est l'entente entre ouvriers, avant meme qu'elle
ait produit aucun effet et qu'elle ait amené le chómage.
Voici, en effet, quels sont les termes formels de la loi des
14-17 j l1ia : "Art. 4. - Si, cont're les príncipes de la liberté
et de la cOllstitution, des citoyens attachés aux memes pro-
fessions, arts et métiers, prenalent des délibérations ou fai-
saient entre eux des conventions tendant a refuser de con-
cert, ou a n'accorder qu'a un prix dé terminé le secours de
1eur industrie ou de leur travaux, lesdites délibérations ou
conventions, accompagnées ou non de serment, sont décla-
rées inconstitutionnelles, attentatoires a la liberté et a la
déclaration des droits de l'homme et de nul effet. Les corps
administratifs et municipaux sont tenus de les déclarer
telles. Les auteurs, chefs et instigateurs qui les auront pro-




148 DÉMOCRATIE ET LIBERTÉ


voquées, rédigées OU présidées, seront cités devant le tri-
bunal de police, a la requete du procureur de la commune,


, condamnés chacun en 500 fr. d'amende et suspendus pen-
dant un an de l' exercice de tous droits de citoyens actifs et
de l'en~rée des assemblées primaires. "


La loi de nivose an II, exceptionnelle d'ailleurs, ue mo-
difie en rien ces dispositions : elle les aggrave plutót. La
loi du 22 germinal an XI, sur les manufactures, fabriques et
ateliers, pour la premiere fois, subordonne la culpabilité a
l'exécution ou a la tentative d'exécution. Le code pénal
de 1810 et la loi de 1849 ont maintenu ces prescriptions.
Tout le progre s de 1791 a 1863, en ce qui concerne la dé-
termination du délit, a donc consisté en ceci : la loí de
1791 punissait la coalition a tous ses degrés, a son début
meme, quand elle existait a l'état de simple accord, avant
meme que la cessation du travail ait été produite ou tentée;
la loi de 1849, conforme en cela au code pénal et a la loí
de l'an XI, permet la délibération, l'entente; elle ne frappe
que s'il y a cessation de travail, tentative d'amener cette
cessation. Joignez a ce changement des modifications de
termes et de pénalités, ayant pour hut d'établir l'égalité, au
moins apparente, entre les patrons et les ouvriers, vous au-
rez le résumé exact du mouvement de la législation. Du
reste, pas plus aujourd'hui qu'en 1791, le juge n'a le droit
de rechercher les causes de la coalition, sa justice ou son
iniquité. Ainsi que l'a décidé, avec hon sens et vérité (1), la


(1) « Les mots injustement et aousivement n'auraient pas dfr etre écrits dans
l'article 414. Comment admettre, en effet, qu'une coalition formée entre des
chefs d'atelier, et ayant pour but de forcer l'abaissement des salaires, puisse ne
pas etre injuste et abusive? Le mot seul de coalition implique l'idée d'un pacte
répréhensible. Forcer l'abaissement des salaires, c'est produire, par un pacte
aussi illicite que contraire a l'humanité, un abaissement de salaire qui ne serait
pas résulté des circonstances industrielles et de la libre concurrence. D'ou iI
suit que l'emploi des mots injustement et abusivement choque le bon sens. Ces
expressions doivent. disparaitre, soit qu'on les considere comme Une simple re-
dondance, soit qu'on les considere comme pouvant avoir pour effet de détruire la
criminalité d'une coalition formée entre des chefs d'atelier pour forcer l'abais-
sement des salaires, résultat qui blesserait lo. raison et l'équité.


e Si les mots inj'Ustemen' et abusivemen' ont été mal a. propos insérés dans




SUR LA LIBERTf; DES COALITIONS DE PATRONS ET D'OUVRIERS 149


cour supreme, la loi punit la coalition indépendamment de
ses motifs, par cela seul que les ouvriers qui se sont con-
certés agissent collectivement, avec le but, en suspendant
ou en tentant. de suspendre le travail des ateliers, dé forcer
les patrons d' en modifier les conditions. (Arret du 24 fé-
vrier 1859.)


Les modifications a la ]oi de 1791, dont l'effet a été de
mettre sur la meme ligne les patrons et les ouvriers, ou de
mieux équilibrer les peines, constituaient des perfectionne-
ments et non des affaiblissements. Il n'en a point été ainsi
du pouvoir concédé a la coalition de s'avancer jusqu'a la
tentative. Cette modification, dont la portée n'a pas été
signalée, impliquait la négation virtuelle de la loi de 1791.
En effet, n'est-il pas déraisonnable d'autoriser des ouvriers
a se concertel', a nommer des délégués, a entrer en pour-
parlers avec ]eur8 patrons, a arreter un ultimatum, a le
débattre pendant plusieurs mois (1), puís de les poursuivre,
quand leurs pourparlers ayant échoué, leur ultimatum ayant
été repoussé, ils donnent par leur re traite des ateliers un
caractere sérieux a leur concert, une sanction a leurs de-
mandes? N'est-ce pas, apres avoir approché la coupe des
levres, la retirer brusquement ? Interdisez le concert a un
degré quelconque, meme au rlébut, comme la loi de 1791,


l'articIe 414, iI est évident qu'iI n'y a pas líen de les introJuire dans 1'ar-
ticle 415. Il ne se trouveront done nnlle part, et sons le rapport de la défini,
tion, l'égalité sera parfaitement étalJlie. » (Vatimesnil, Rapport.)


(1) ~I. l\lorin vous :1 dit : « Les ouvriers ne pourront donc pas se réunir·
venir chez leurs patrons et débattre honorablement avec eux leur salaire?


« Pardonnez.moi, ils le pourront parfaitement. Ils le pourront. soit en ve·
nant tous, soit en nommant des commissaires pour traiter avec leurs patrons.
Le délit ne commenee que quand il y a eu tentative ou commeneement d'exé-
('utioo de coalition, c'est-a-dire lorsqu'apres avoir débattu les conditions on dit:
Mais apres tout, comme vous ne nous donnez pas tout ce que nous demandons,
malgré l'esprit de concilíation que les patrons, dans leur propre intéret, appor-
tent toujours dans ces sortes d'affaires; comme vous ne nous donnez pas tout ce
que r;ous demandons, llOUS allons nous retirer, et nous allons, par notre infiuence,
par des itlfiuences qui sont bien connues, DOUS allons déterminer tous les autres
ouvr:ers des autres ateliers a se mettre en chomage. C'est la la tentative, c'est
la le commeucement d'exécution, c'est le chomage qui est le commencement
d'exécution de la coalition. » ~Vatimesnil, séance du 11 octobre 1849.)




150 , , DEMOCRATIE ET LIBERTE


ou autorisez-Ie a tous les degrés, meme quand il aboutit a
la greve. Entre l'abrogation de la législation actuelle et le
retour aux regles de 1791, il n'existe pas de systEnne inter-
médiaire. La loi contre les coalitions a re<;u l'atteinte mor-
telle depuis que, n'osant pas maintenir la rigueur de la
législation de 1791, on a toléré une entente quelconque.
En vous demandant l'abrogation de la 10i contre les coali-
tions, le Gouvernement obéit a une nécessité logique. Sa
prop osition est-elle aussi raisonnable qu' elle est logique?
Pour le savoir, recherchons les motifs qui ont amené l'in-
troduction, puís le maintien, sous ses diverses formes, de
la 10i de 1791. Si ces motifs sont sérieux et encore actuels,
la loi doit etre rejetée; elle doit etre adoptée s'ils sont faux
ou surannés.


L'assemblée constituanfe a interdit les coalitions par
deux. rai:;ons : l'une transitoire, tirée des nécessités du
moment; l'autre permanente, conséquence de ses théories
générales, La crai'nte de la reconstitution des corporations
qu' elle venai t de détruire a été le motif transitoire; la dé-
fiance que lui inspirait l'action collective en dehors de
l'État a été le motif permanent.


Nous n'avons plus a redouter aujourd'hui la reconstitu-
tion des anciellnes communautés d'arts et métiers. Quelques
utopistes caressent encore ce reve; c'est pour cela que j'ai
cru opportun d'indiquer, au début de ce rapport, les consé-
quences désastreuses du systeme de la corporation; mais
nos lois, nos mceurs, nos habitudes d'égalité, les pratiques
bientot séculaires de la liberté industrielle, opposent des
obstades invincibles a cette restauration du passé. Sj¡
quelques ouvriers la réclament vaguement, la plupart ac-
ceptent, comme les typographes, le principe fecond de la
COnCl(;1'1'enCe; ils appellent des facHités plus grandes pour
l'association, ils ne songent pas a ressusciter l~ 'corpora-
tions fermées (1). Nous ne saurions done plus étre arrétés


(1) Deuxieme pro:-:es des typographes, p. 52.




SUR LA LIBERTÍ~ DES COALITIONS DE PATRONS ET D'OUVRIERS 151
par cette considération, qui, pour l'assemblée constituante,
avait une importance déclsive.


Devons-nous du moins persister dan s les préventions
contre l'action collective? Turgofet Adam Smith l'ont con-
damnée en des termes presque identiques. " La source du
mal, dit Turgot dans le préambule de l'édit de 1776, est
dans la faculté meme accordée aux artisans d'un meme mé-
tier de s'assembler et de se réunir en communauté. " " n
est rare, a écrit Adam Smith, que des gens du meme métier
se trouvent réunis, flit-ce pour quelque partie de plaisir ou
pour se distraire, sans que la conversation finisse par quelque
conspiration contre le public ou par quelque machination
pour faire hausser les prix. Il est impossible, a la vérité,
d' empecher ces réunions par une loi qui puisse s' exécuter
ou qui soit compatible avec la liberté et la justice; mais si
la loi ne peut pas empecher des gens du meme métier de
s'assembler quelquefois, au moins ne devrait-elle rien faire
pour facili ter ces assem blées, et bien moins encore pour les
remIre nécessaires. " (Liv. Ier, ch. 10.)


Voici en quels termes Chapelier, parlant au nom du
comité de constitution, a traduit l'opinion des deux écono-
mistes: " 11 doit etre san s doute permis a tous les citoyens
de s'assembler; mais il ne doit pas etre permis aux citoyens
de certaines professions de s'assemblAr pour leurs prétendus
intérets communs. 11 n'y a plus de corporations dans l'État;
il n' y a plus que l' intéret particulier de chaque individu et
l'inté1-ét général. Il n'est permis a personne d'inspirer aux
citoyens un intéret intermédiaire, de les séparer de la chose
publique par un esprit de corporation. - Les assemblées
dont il s'agit ont présenté, pour obtenir l'autorisation de la
muuicipalité, des motifs spécieux; elles se sont dites desti-
nées a procurer des secours aux ouvriers de la meme pro-
fession, malades ou sans travail; ces caisses de secours ont
paru utiles, mais qu'on ne se méprenne pas sur cette as ser-
tion; e'est a la nation, c'est aux o(ficiers publics, en son no'm,
a (ournir des travaux a ceux qui en ont besoin pour leur exis-
tence, et des secours aux infirmes." (Séance du 14 juin 1791.)




152 nÉMoCRATIE ET LIBERTÉ


Nous saisissons a son origine, dans cette théorie expose.e
par Chapelier, l'erreur fondamentale de la révolution fran-
9aise. De la sont nées les mauvaises lois sur l'association,
les décrets rigoureux contre les compagnies financieres, les
caisses d'escompte, les compagnies d'assurances, de com-
merce ou de manufactures. (Décrets des 14 aout 1790,
24 aout 1793, 17 vendémiaire an II, 13frimaire anIII, etc.)
De Ht SOl1t sortis les exces de la centralisation, l' extension
démesurée des droits sociaux, les exagérations des réforma-
teurs socialistes; de la procedent Babeuf, la conception de
l'État-Providence, le despotisme révolutionnaire sous toutes
ses formes. La trouve son origine le préjugé contre l'initia-
tive individuelle; la se découvre, comme le fruit dans la
fleur, la doctrine de l' omnipotence souveraine des gouver-
nements qui nous a envahis presque tous, et dont l'action
continue, quoique souvent insaisissable, a produit la confu-
sion dans les idées, le trouble dans les conduites, et la per-
version des saines idées de pouvoir et de liberté. N'y
aurait-il contre les lois prohibitives des coalitions que d'étre
llne conséquence de cette théorie, que leur abrogation devrait
etre accueillie comme un bienfait 1


Il n' est pas vrai qu'il n'y ait que des individus, grains de
poussiere san s cohésion, et la puissance collective de la
nation. Entre les deux, comme trallsition de l'un a l'autre,
comme moyen d'éviter la compression de l'individu par
l'État, existe le groupe, formé par les libres rapprochements
et les accords volontaires. C'est a lui qu'il est réservé d'ac-
complir les amvres de travail, d'assistance, d'expansion, de
progres, qui excedent la puissance individuelle et qui devien-
draient impossibles ou oppressives si elles ne pouvaient étre
que par la force des pouvoirs publics. C' est lui qui a créé les
merveilles du monde moderne, les compagnies de chemins
de fer, les diverses associations industrielles ou commer-
ciales, les écoles gratuites, les sociétés de secours mutuels;
c' est lui qui déploiera dans l'avenir des puissances incon-
nues de prospérité, de richesse, de travail, d'orrlre et d'apai-
8ement!




SUR LA LIBERTÉ DES COALITIONS DE PATRONS ET D'OUVRIERS 153


Le point de départ de Chapelier admis, son raisonnement
est irréprochable. Si en dehors de l'individu il n'existe que
l'État, l'entente doit etre interdite, le concert constitue un
danger et la coalition un délit. Mais a quelles conséquences
n'est-on pas aussitot conduit? On refuse aux ouvriers le
moyen de défendre leur salaire ou d' en obtenir l'augmenta-
tion légitime. Tout droit cependant doit etre protégé, et,
plus que tout autre, le droit sacré de retirer de ses sueurs une
rémunération équitable. L'ouvrier ne pouvant se protéger
lui-meme, comment l'État refuserait-il, sans commettre un
déni de justice, de défendre ceux qu'il a désarmés. Les tra-
vailleurs ne s'y sont pas mépris : ils ont toujours considéré
la prohibition de se coaliser comme impliquant le devoir
pour les gouvernements d'intervenir dans la fixation des
salaires. Vous ne voulez pas que nous nous concertions,
ont-i!s dit, soit; mais alors ramenez a la raison nos
patrons; tout au moins soyez arbitres entre eux et nous.
Plus d'une foís le Gouvernement a accueilli cette priere.
Lors de la greve des typographes, supplié de nouveau d'in-
tervenir, il a compris le péril de ses condescendances, la
responsabilité qu'elles le for9aient d'assumer, la perturba-
tion qu'elles ameneraiellt tat ou tard, et qu'apres avoir dit :
Aidez-nous, un jour les ouvríers diraient : Faites-nous "i"re;
et M. le ministre Rouher a répondu qu'il ne pouvait interve-
nir dan s le reglement des conditions du travail. (Lettre du
2 mai 1862 aux ouvriers typographes.)


Cette réponse est conforme aux principes. Il fut un temps
en Angleterre OU les juges de paix avaient mission de fixer
les gages des journaliers. Ces errements sont abandonnés
partout. L'État n'est certainement pas sans inftuence sur le
taux des salaires : 1'impat étant la forme sous laquelle iI
participe a la distribution des produits, plus sa part est res-
treinte, plus s'accroit celle des autres copartageants, le capi-
taliste, l' entrepreneur et l' ouvrier; par conséquent, suivant
que l'État aggrave ou allége l'impat, il augmente ou il dimi-
nue le salaire. D'une maniere plus générale, l'administra-
tion, suivant qu'elle est bonne ou mauvaise, agit sur la rétri-




154 nÉMOCRATIE ET LIBERTÉ


bution du travail, en ce qu'elle facilite ou qu'elle arrete le
développemen~ du capital consacré a la demande des bras.
L'action de l'Etat est plus efficace encore lorsqu'il est entre-
preneur et payeur de salaires; alors il contribue a fixer, en
hausse ou en baisse, le taux courant du marché. Toutefois
dans ces cas, dans le dernier aussi bien que dan s les autres,
l'action de l'État n'est qu'illdirecte, et la réponse de M. Rou-
her reste vraie, paree qu' elle avait en vue une action directe.


Seulement, du jour OU l'État déclarait ouvertement son
incompétence, il ne lui était plus permis, sans contradiction,
de tenir les mains des ouvriers liées, et la grace aceordée par
l'empereur a la plupart des ouvriers atteints par la Ioi des
coalítions, ainsi que la loi actuelle, ont été la conséquence
prévue de la lettre de M. le ministre des travaux publlcs.


La premie re des raisons de l' Assemblée constituante est
sans actualité; la seconde, lo in de nous encourager a inter-
dire les coalitions, nous déciderait plutót a les permettre.
Aussi, lors de la discussion de 1849, l' éminent rapporteur,
M. de Vatimesnil, eut-il recours a d'autres considérations.
Il invoqua deux arguments, tirés, l'un de la nature écono-
mique de la coalition, 1'autre, des effets de tout genre qu'elle
produit.


La coalition, soutint-il en premier lieu, est par sa nature
la contradiction des lois économiques les plus constantes.
Le prix du travail se détermine par la proportion entre
l'ofi're etla demande. Quand le travail est beaucoup demandé,
il se paye cher; il se paye bon marché quand il est beau-
coup offert. En d'autres termes, " le salaire baisse quand
deux ouvriers courent apres un maUre; il hausse quand deux
maltres courent apres un ouvrier. " Cette loi n'a son libre
jeu que si allcun obstacle artificiel n' empeche le concours
entre ceux qui offrent les bras et ceux qui les demandent.
C' est précisément le résultat que les coalitions produisent.
Organisées par les patrons ou par les ouvriers, elles consti-
tuent l'atteinte a la libre concurrence. Celles qui sont for-
mées entre ouvriers sont particulierement destructives de la




SUR LA LIBERTÉ DES COALlTIONS DE PATRONS ET D'OUVRIRR3 155


liberté des patrons, et plus encore de celle des ouvriers.
Des qu'elles éclatent, personne n'a plus la faculté de se
rendre dans les ateliers. La coalition constitue par sa nature
une menace implicite qui contraint tous les ouvriers, meme
les plus paisibles; un fallx point d'honneur les pousse aussi.


Depuis Adam Smith, les partisans des coalitions écartent
cet argument en disant : Serait-il vrai que la coalition fUt
une atteinte a la libre concurrence, il ne serait pas juste que,
possible aux maltres, elle restat défendue aux ouvriers. Or,
les maltres étant en moindre nombre, peuvent se concerter
aisément; " ils sont en tout temps et partout dan s une sorte
de ligue tacite mais constante et uniforme, pour ne pas éle-
ver les salaires au-dessus du taux actuel. " Ne serait-ce qu'a
titre défensif, comme moyen d' opposer une force a une force,
il serait j aste de supprimer une prohibition qui, dirigée
contre les patrons aussi bien que contre les ouvriers, n'est
en réalité efficace que contre ces derniers.


Sans nier qu'il y ait beaucoup de vérité dans cette obser-
vation, je ne crois pas qu'elle soit absolument exacte. So u-
vent les ouvriers dans leurs ateliers, dans les lieux oil ils
prennent leur repas en commun, ont autant de facilité pour
se concerter que les patrons dans leurs cercles ou dans leurs
salons. En outre, si dans certaines industries, un concert per-
manent existe entre les patrons, dan s combien d'autres au
contl'aire, mis aux prises par les nécessités de la concur-
rence, se disputant les procédés de fabrication, les débou-
chés, les capitaux, l' esprit san s cesse tendu aux moyens de
ne pas succomber, dans combien d'industries ne les voit-on
pas isolés, ne pouvant ni s'entendre, ni se détruire, en pré-
sence d'une masse travailleuse que tout rapproche, que rien
ne divise et qui est touj ours disposée a une action commune?
L'histoire des coalitions démontre a tout observateur impar-
tial que, lorsqu'une greve générale éclate, presque toujours
un certain nombre de patrons l' évitent en cédant aux pré-
tentions des ouvriers; quand la greve est partielle, et diri-
gée contre une usine en particulier, non contre l'ensemble
d'une industrie, les autres patrons, loin d'accourir empres-




156 DÉMOORATIE ET LIBERTÉ
sés, secourables, s'applaudissent tout bas d'etre pour un
temps débarrassés d'un rival; ils développent avec ardeur
leurs affaires, s'offrent a la clientele libre, et ne voient dans
le désastre du confrere que le succes devenu plus facile de
leur intéret personnel. Il a toujours fallu que la coalition des
ouvriers, par ses prétentions exorbitantes, par son déve-
loppement, par ses violences, prit un caractere menaQant
vis-A-vis de la société industrielle tout entiere, pour que ces
patrons, qu'on représente eomme naturellement coalisés,
aient songé a opposer leur entente a celle des ouvriers. Je
crois meme qu'avant la célebre greve des mécaniciens, en
1851, les maitres n'avaient jamais, en Angleterre, formé
entre eux une coalition sérieuse, alors que les exemples des
unions ouvrieres ne se com ptaient déja plus.


L'infériorité de situation de l'ouvrier a l'égard du patron
s'explique sans supposer des coalitions parfois cilimériques.
Indépendamment de l'avantage que lui donne son instruction
plus développée, l'habitude de manier les grandes affaires et
d'en courir les risques, le patron, alors meme qu'il n'est pas
coalisé avec ses confreres~ constitue, a lui seul, une orga-
nisation puissante qui se suffit a elle-meme. Cela est certain
quand 11 n'opere qu'avec son propre capital. Combien n'est-
ce pas plus "rai lorsqu'i1 est l'agent d'une association, d'une
entreprise privilégiée. Que pese alors un ouvrier? Quelle
force peut avoir sa réclamatioll isolée? II n' est rlans une po-
sition a peu pres égale au maitre que si, uni a ses cflmarades,
il présente une surface résistante. Le patron non-seuIement
est plus fort, iI n'est pas pressé par ]a nécessité. Si ce n'est
dans des cas rares, il peut attendre; il perdra : du moins il
ne sera pas réduit aux dernieres extrémités. L'ouvrier, au
contraire, perd sans retour son travail, des qu'il ne le vend
paso Et aussitót arrivent la gene, la dette, la misere. Au
bout de quelques jours, il est obIigé de venir a composition.
Adam Smith est ici aussi énergique que vrai: "Il se peut a
'la longue que le maitre ait autant besoin de l' ouvrier que
celui-ci ait besoin du maitre; mais le besoin du premier n'est
pas aussi pressant. " J. -B. Say complete tres-bien Adam




SUR LA LIBERTÉ DES COALIEONS DE PA.TRONS ET D'OUVRIERS 157


Smith : " Nous avons vu comment est en général limité le
nombre des entrepreneurs qui, dans chaque branche d'indus-
trie, s'offrent a pourvoir aux besoins de la société; et nous
venons de voir que le nombre des ouvriers, au contraire, ne
cesse de s'éteudre que lorsque leur salaire ne leur permet
plus de subsister eux et leur famille selon les mamrs du
pays. Il en résulte que les entrepreneurs exercent toujours
un monopole a l'égard des ouvriers. Ceux-ci ne trouvent pas
autant de maUres qu'ils veulent; mais les maltres ont tou-
jours le nombre d'ouvriers dont ils ont besoin, s'ils peuvent
leur fournir les nécessités de la vie. "


La proposition de M. de Vatimesnil doit done etre renver-
sée. Loin d'etre un obstacle a la concurrenc.e et une atteinte
a la liberté d.es maltres, le droit de se coaliser est pour l'ou-
vrier la condition meme du libre débat.


Est-ce a dire que lorsque, de faible qu'il était, l'ouvrier
sera devenu fort par l'union, il ne sera pas tenté d'abuser de
sa force, de demander plus qu'il ne lui est du, d'entreprendre
a son tour sur la liberté du maUre? Pour le nier, il faudrait
n'avoir jamais lu l'histoire d'une greve. Qu' est-ce, par
exemple, que cette insoutenable prétention des ouvriers
mécaniciens anglais dans leur greve de 1851, et des typo-
graphes parisiens dans leur greve récente de s'opposer a
l'admission des apprentis, si ce n' est une tentative d' empié-
tement sur le droit légitime du patron? Et comment quali-
fier les procédés des ouvriers de Preston qui s'étaient cons-
titués en tribunal pour juger les motifs pour lesquels le
fabricant congédiait ses employés, et qui, lorsque le motif
leur paraissait illégitime, mena<;;aient d'une cessation de
travail, si le camarade, injustement renvoyé selon eux,
n'était pas réintégré dans l'atelier? Un trait des ouvriers
mécaniciens de Liverpool, en 1859, est cependant plus
étrange encore. Un constructeur de vaisseaux avait établi
une machine destinée a forer le cuivre des chaudieres et a
les préparer ainsi a recevoir les clous. Ses ouvriers firent
greve et l'obligerent a payer quelques-uns d'entre eux comme
s'ils faisaient en réalité le travail déj el opéré par la machine


..




158 DÉMOCRATIE ET LIBERTÉ


On ne peut nier davantage que trop ~ouvent les ouvriers
les plus ardents n' exercent dans les coalitions une véritable
contrainte sur les plus timides. Certains ouvriers mineurs
anglais ont donné a cet égard des exemples fameux : iIs ont
établi une journée de travail d'un certain prix, qui ne doit
jamais etre dépassée par personne; les jeunes, les -vieux, les
célibataires, les hommes mariés, ceux qui ont des enfants
aussi bien que ceux qui n'en ont pas, ne peuvent gagner
qu'un meme salaire, inflexiblement déterminé. Si quelqu'un
manque au reglement, un tribunal s'assemble dan s la mine
et prononce une amende. En cas de récidive, la peine de-
vient terrible; souvent le coupable est maltraité, jusqu'a
rester mort sur la place. On a souvent cité le cri de déses-
poir arraché par ces drames violents a un pau.vre mineu!' :
" Malheur aux ouvriers s'ils n'avaient pas de maUres au-
dessus d'eux : cal' il n'y a pas de pires maUres ponr eux que
leurs pareils! " Et la parole d'O'Connell recueillie d:ms une
enquete parlementaire est devenue historique : " L(~s coa-
litions ont établi un dp~!"l0tisme incroyable sur 1'enspmble des


. ouvriers. Il n' en est pas de plus dur et de plus dé~radant
que celui exercé par une partie deR ouvriers sur l'autrf'. Au-
cun gouvernement absolu ne fournit l' exemple d 'une pareille
sujétion. Si le czar Pierre ou le sultan Mahmoud ayuient
ainsi abusé de leur puissance, il:; auraient été détróné~. " Le
danger le plus réel des coalitions est dans cette pre~~ion
exercée par les ouvriers les uns sur les autres. Au commen-
cement, a la rigueur, ils ont le moyen de résister; quand
la greve est dans son plein, ils ne le peuvent plus. Victimes
résignées, iI faut qu'ils marchent, qu'ils souffrent jusqu'a ce
que leurs chefs, découragés eux-memes, leur disent : C'est
assez!


Le tort de M. de Vatimesnil a été de convertir l'accident
en regle générale et de soutenir que des ouvriers ne sont
jamais libres par cette unique raison que la coalition est une
gene, un lien. A ce compte, tous les contrats devraient etre
déclarés illieites, car tous genent, liento La création voJon-
taire d'nn contrat est un des usages les plus incontestables




SUR LA LIBERTÉ DES COALITIONS DE PATRONS ET D'OUVRTERS 159


de la liberté qui s'affirme meme lorsqu'elle s'enchaine,
puisque c'est sa propre spontanéité qui crée le lien que
l'honneur et la loi lui font ensuite un devoir de respecter.
La liberté n'eS1 détruite que lorsqu'on subit des contrats
imposés par la violell':~e ou la fraude. Il en est souvent ainsi
dans la coalition.Mais la coalition n'implique pas nécessaire-
mellt cette contrainte. Des que le concert n'a plus pour but
d'assurer le libre débat de la demande par les ouvriers, ou
de 1'offre par les. patrons, iI cesse d'etre le fait économique
innocent qui s'appelle la coalition; il devient le fait écono-
miq ue coupable qui s'appelle l'atteinte a la libre concur-
rence. Des que les ouvriers sont. conduits a se coaliser par
la force et par la fraude, il y a oppresslon et non plus con-
cert. Le remede se trouve aussitot a coté du mal. Les ou-
vriers ont la coalition pour se protéger contre la force du
maUre; les maUres l'auront aussi pour résisfer a l'injustice
des ouvriers. Quant aux violen ces et a la fraude, elles mo-
tivent l'intervention de la justice; des peines séveres doi-
vent frapper eeux qui, sons prétexte d'assurer leur liberté,
portent atteinte a la liberté des autres.


La coalition, j ugée en elle-meme, ramenée a ce qui la
constitue, dégagée des éléments étrangers qui la vicient,
distinguée de l'atteinte a la libre concurrence et des con-
certs créés par la pression, ne rnenace par sa nature aucune
loi économique, ainsi que l'a pensé M. de Vatimesnil; elle
doit etre laissée libre.


J'examine maintenant si le second argument du rappor-
teur de 1849 est mieux fondé que le premier, et si les effets
de la coalition sont d'une telle conséquence pour l'ordre
social, qu'iIs ne puissent etre tolérés sans danger.


Quand un fait n' est que par la création de la loi, qu'il
n'implique en lui rien de nécessaire, i1 est simple qu'on le
permette ou qu'on le défende, selon qu'on augure bien ou
mal des conséquences qu'il produira. Des qu'un fait est du
droit naturel, qu'envisagé en lui-meme il a été reconnu inno·
cent, iI est peu compréhensible que, pour l'autoriser ou pour
l'interdire, on s'attache a l'étude de ses conséquences. D'au-




160 nÉMOCRATIE ET LIBERTE


tant plus qu'a ceux qui les trouvent mauvaises, on a presque
toujours le droit de répondre qu'elles ne sont pas néces-
saires, qu' elles peuvent etre conjurées ou rattachées a d'au-
tres :faits, ou que pour les condarnner on n'a considéré que
l'effet prernier et négligé l'e:ff'et déRnitif, irnitant en cela. ce-
Iui qui déclarerait la lurniere Illauvaise paree qu'elle oifense
les yeux de l'enfant nouveau-né. Toutefois, j'en conviens,
une réponse aussi sommaire ll'est pas suffisante, et il faut
aller au fond meme des choses.


Je vais exposer la doctrine économique en vertu de la-
quelle M. de Vatimesnil a soutenu que les effets des coali-
tions sont toujours dangereux. Ensuite je mettrai en regard
la réponse de ceux qui pensent que ces effets peuvent etre
quelquefois utiles.


Il fut un temps OU les politiques pensaient que laisser le
peuple dan::; une situation misérable était le moyen súr de
le contenir. " Si les peuples étaient a l'aise, disait Richelieu
dans son testament, difficilement resteraient-ils dans les
regles. Il faut les comparer aux mulets qui, étant accoutumés
a la charge, se gatent par un long repos plus que par le tra-
vail. " A grand'peine trouverait-on aujourd'hui une seule


. personne partageant cette opinion du grand ministre. L'amé-
lioration du sort des classes laborieuses est devenue l'objet
de la préoccupation générale. Il est d'axiome que la hausse
des salaires n'intéresse pas seulement les ouvriers, que la
prospérité publique en dépend. Lorsque les ouvriers sont
bien rémunérés, ils consomment; par la ils impriment un
mouvement ascensionnel a la production : la circulation
s'accélere, le crédit se développe, la richesse s'accroit, la
moralité s'éleve, l'ordre se consolide, l'humanité atteint un
degré supérieur de puissance, de civilisation et de bien-atre.


Il y a dans tous les cas un mínimum au-dessous duquel
il serait désirable que le salaire ne descendit jamais : c'est
la somme indispensable pour que le travailleur puisse se
procurer les subsistances nécessaires au soutien de la víe et
a l'éducatioll de sa famille. Ce minimum constitue le prix




SUR LA LIBERTÉ DES COALITIONS DE PATRO~S ET D'OlJVRIERS 161


natu1'el du travail. Dans la réalité, le contraire arrive trop
souvent : les subsistances s'abaissent au taux des salaires.
On vit cela en Angleterre pendant les guerres de l'Empire,
les produits de l'industrie agricole ayant haussé de 138 p.
100, tandis que les salaires n'augmenterent que de 110 p.
100. C'est le prix courant du travaíl en opposition avec son
prix nat7t?'el. Quand il eu est ainsi, si les rapports de l' offre
et de la demande sont respectés, les 10is de l'humanité sont
en souffrance. Alors, dans les pays qui professent avec le
plus de ferveur le laisseJ'-fai1'e, les gouvernements essayent
de suppléer a l'insufi1sallce des produits du travail par des
peocédés empiriques, ters que ceux de la 10í des pauvres. Le
mieux serait que l'industrie elle -meme trouvat dans l'ac-
croissement de ses forces. dans son organisation propre les
ressonrces pour rémunérer dignement ses indispensables
auxiliaires; cal' tout ce que l'ouvrier re(joit de la société
exige une contribution qui réduit le capital disponible et a la
longue les salaires.


La tendance de la ci vilisation a hausser les salaires n' est
pas inconciliable avec cette autre obligation de l'industrie
de produire au meilleur marché possible, ce quí est encore
une maniere de venir en aide aux classes laborieuses. Le bon
marché, en effet, peut s'obtenir autrement que par la dimi-
nution du prix de la main-d'reuvre. JI peut résulter de la
simplification des moyens de production, de l'accroissement
des forces mécaníques, ele la diminution de ce qu'on a appelé
heureusement les frais décroissants (ceux qui sont d'autallt
plus faíbles relativement que le débit est plus étendu), de
l' ouverture ele llouveaux débouchés, de la diminution des
profits exagérés, etc., etc.


L' élévation des salaires ayant été posée ainsi d'un commun
accord, comme le but a poursuivre, on est bien obligé ele re-
connaitre, disent le:;; économistes hostiles aux coalitions,
alors meme que le travail ne serait pas une simple marcharr.-
elise, ce qui est en effet contestable, que des loís certaines,
invariables, président ¿\ l' établissement du taux des salaíres.


Le salaire peut etre dit nominal ou réel.
11




162 DÉ~1OCRATIE ET LIBERTÉ


Le salaire nominal exprime la quantité d'argent re~ue par
l'ouvrier en échange de son travail.


Le salaire réel désigne la q uanti té d' o bj ets de consomma-
tion, variable suivant les temps et les lieux, que l' ou Hier se
procure avec l'argent qu'il a touché.


Qu'il soit envisagé comme nominal ou comme réel, le sa-
laire est assujetti a des regles certaines.


Le salaire nominal ne se proportionne d'une maniere abso-
lue ni a la richesse générale ni au revenu social, il s'éleve
ou s'abaisse suivant le rapport qui s'établit entre le fonds
destiné au' payement des salaires et les travailleurs en con-
cours pour le partager. En d'autres termes, iI est cornme
le travail demandé et comrne le nomhre des travail-
leurs.


Lorsque la part du capital consacré <'t solcler le !ravail
s'accroit dans Ulle proportion plus rapicle qne n'augmente le
nombre de 0eux qui s' offrent pour travailler, ]e salaire llomi-
llal s' éleye. Te] est depuis longtemps la situation de la France.
Des 1842, M. Moreau de Jonnes écávait (JO'll1'naZ des Éco-
nornistes, janvier 1812) : " Les populations de rEurope réu-
nies se sont accrues en moins de l'espace d'un demi-siecle (a
partir de 1788) de 75 p. 100. Trois puissances : la Russie,
la Prusse et la Grande-Bretagne ont dépas:.::é considérable-
ment ce terme moyen général; deux autres : l'Autriche et
la Suisse, l'ont atteint'sans a11e1' au (lel~t; lmit sont demeu-
rées au-dessous plus ou moins : l'accroissement de la France'
ne s' est pas élevé á la moitié du terme moyen général de
l'Europe; il est inférieur a celui de tous lAS autres pays ex-
cepté trois : la Suisse, le Portugal et la Turquie. "


La meme situation s' étant perpétuée üepuis, tandis que les
capitaux s'augmentaient, la richesse pulJlique sous toutes ses
formes, sauf des temps d'arrets passagers, n'a cesse de s'ac-
croitre, et, en général, les salaires de s' é]en~r. En Angle-
terre, un résultat identique s' est produi t dans les villes ma-
nufacturieres depuis 1'illvention de Watt et el' Arkv\Tight.
Grace a l'impulsion donnée a la fabrication du coton, le
capital s' est accru comme 4, tandis que la population n'a


1 1




3UR LA LIBERTÉ DES COALlTlONS DE PATRONS ET n'OUVRIERS 163


augmenté que comme 2; il en est résulté une hausse des
salaires.


Lorsque le nombre des travailleurs s'accrolt plus vite que
le capital, ou lorsque le capital reste le meme, les travailleurs
deyenant plus nombreux, le salaire diminue. On cite, a
l'appni d~ cette observation, la Chine, qui contient trois
cents habítants par mille anglais earré. (L'Angleterre n'en
llourrit (ilie 6::) sur une égale éteurlue de territoire). Afin de
procurer anx homrnes de quoi yivre, on a beau repousser
l'emploi des animanx et des machines~ la nation contient ele
la richesse sans étre rIche; " ron yoit des familles quí n' ont
pour tontp, ktbitation il ue quelque petite barqne sur les es,-
llaux et sur les riyi{~res; des affarnés qui repeehent avee dé-
lices les restes d{~goutants jetés a la mer par quelque yaisseau
d'Europe. " ~l. Villermé assure qu'un speetacle de meme
natl1re, qUOifp12 beaueoup ll10ins affligeant~ s'est YU autrefois
dans le canton de Zurieh, apres les événements Ile 1814 et
1815, l'aecroissement considérable de l'industríe et du eom-
merce a~~ant suscité un cléyeloppement de popuJation plus
cons;dérahle encore.


LOI'sque la multiplication des travailleurs et (~plle du r,8.-
pital yont du meme pas, le salaire demeure statíonllaire.


Ql1ant au salaire réel, il est élevé OH has, suiyant qu'avee
la meme somme on se procure une q uantitf~ plus ou moins
gran(le el' ol)jets de premiel'e nécessité. Il est bas quand, le
prix des ohjets étant éJevé, on ne peut s'en proeurer que
tr(~s-peu ayee une ~:omme c1011née. Il est haut qnand, le prix
des objets (;tant 1m8, on peut avec la meme somme donnée
s' en proeurer beaucoup. Le blé, je le sl1ppose, est a yingt
franes; il monte a quarante franes: le prix nominal du sa-
laire restant le meme, a deux franes, par exemple. Le sa-
laire réel a diminué de moitié, L'ouvrier ne peut plus obte-
nir qu'av8c un franc la quantité de blé ql1'il avait moyennant
cinquante eentimes; il devra, par suite, retraneher sur ses
autres consornmations ou ralentir son épaf'gne. Au eontraire,
de vingt fralles le blé tombe a dix franes, le salaire conti-
nuant a etre nommalement de deux franes; le salaire réel a




164 DÉMOCRATIE ET LIBERTÉ


haussé de moitié, puisque avee einquante eentimes l' ouyrier
pelJ.t aeheter autant de blé qu'antérieurement avee un frane;
il emploiera l'exeédant en consommation d'une autrE) nature
qu'il était obligé de se refuser, ou il aeeroltra son épargne.


Aucune volonté humaine ne pout rien contre ces 10is aussi
fatales que celles qui reglent le cours des astres ou qui dé-
terminent la chute des corps. Augmenter le capital indus-
triel destiné aux salaires plus que n'augmente la populatioll,
ou diminuer la population plus que ne diminue le capital, OH
n'a pas découvert d'autre moyen d'augmenter le taux nomi-
nal des salaires. Réduire au meilleur marché possible les 00-
jets de premiere consommation, il n'y a )as d'autre procédE:'
de releve1' le taux 1'ée1 des salaires.


Quelques écrivains ont bien a tort, a une certaine époq ue,
rendu la concurren ce re~ponsable du j eu de ces principes,
et enseígné qu'elle était la roause de la baisse eles salaires et
que sa suppression les ferait hausser. Supposez qu'il existe
du capital disponible pour payer cent ouvriers a raison de
deux franes; tout ú coup le nombre des ouvriers est réduit
a cinquante. La libre concurrence, si son action s'exerce
seule, sans qu'aucune cireonstanee economique n'en modifie
l' effet, n' empeehera pas le prix du salaire de s' éleyer et cl'ar-
1'iver a quatre franes, Au contraire, le nombre des ouvriers
monte de eent ¿l deux cents : si la puissance de la eOl1cur-
rence n'est pas g€mée dans ee eas plus que dans le préeédent,
de deux ehoses l'ulle, ou les salaires s'abaisseront jusqu'ú ce
qUA tous les ouvriers aient obtenu une part clans le fonds
qui leur est destiné, et alors ehaeun d'eux ne reeevra que
un frane; ou bien un eertain nombre eontinuera a gagner
quatre franes : ce sera paree que plusieurs demeureront sans
emploi. Du jour OU iIs retrouveront leur part de travail, les
salaires diminueront. La COlleurrence n'a done que l'effet
bienfaisant de répartir entre la totalité des travailleurs la
totalité du capital destiné aux salaires, Elle ne tend d'une
maniere nécessaire ni a les abaisser ni a les élever, Elle les
é1eve chaque fois que la concurrence de ceux quí demandent
le travml est plus active que la coneurrence de eeux qUl




SUR LA LIBERTÉ DES COALITIONS DE PATRONS ET D'OUVRIERS 165


l' offrent; elle les abaísse chaq ue fois que la concurrence de
ceux quí demandent est 1l10in:-; active que la concurrence de
ceux qui offrent. Le moyen d'empecher les salaíres de s'avi-
lir n'est pas de détruire la concurrence, c'est d'agir sur 1'offre
et sur la demande.


La coalition n'a sur les salaires qn'une action analogue a
celle de la concurrenco. Pas plus que celle-ci elle n'aug-
mente le capital destiné aux salaires ou ne restreínt le
nombre des part.icipants; elle n'a d'action efficace que sur le
mode dont le fonds général se répartit entre la totalité des
ouvriers; elle en modifie la distribution équitable, attribue
beaucoup aux uns, tandis que d'autres n'ont point assez;
voiUt tout. Les victimes de ses succes sont les ouvriers faibles,
non les patrons, contre lesquels elle est en apparence diri-
gée. Ainsi, en Angleterre, les ouvriers fileurs, profitant de
ce que, sans eux, ríen ne marche, ont obtenu, au moyen de
leurs coalitions, des salaires exceptionnels, tandis que la ré-
tribution des tisserands dill1inuait des trois quarts. Ces mal-
heureux, du moins, voudraient se diriger vers d'autres mé-
tiers faciles a apprendre, et qui leur assureraient des salaires
plus rémunérateurs, Les ouvriers de ces métiers se coalisent
pour les tenir parqués, comme au dernier cercle de l' enfer,
dans leur ll1isérable profession. Ils interdisent aux patrons
de les recevoir. .


En dehors de cette action mauvaise, les coalitíons ne pro-
duisent ríen. Il est aisé de le démontrer, Que les patrons se
concertent entre eux pour faire baisser les salaires aü-des-
sous du taux déterminé sur le marché par la combinaison de
l' offre et de la' demande, les capitaux oisifs, nouvellement
créés ou employés ailleurs, toujours en quete de placements
productifs, affiueront vers l'índustrie, qui, par la baisse des
salaires, aura augmenté ses profits; 1'effet de cette concur-
renee multipliera la demande; l' offre ne tardera pas a re-
prendre l'avantage et a relever le salaire au taux momenta-
nément perdu. Si la concurrence entre les capitalistes n'ame-
nait pas ce résultat, les ouvriers abandonneraient un travail
trop peu rémunéré et refiueraient vers les industries plus


..




166 nÉMOCRA.TIE ET LIBERTÉ


lucratives; s'ils s'obstinaient, la misere finirait. par produire
une diminution de la population. D'une maniere Oil de l'autre,
l'offre ayant été ainsi réduite, la demande serait coutl'ainte
d'élever ses prix, les salaires retrouveraient le taux ancien,
et la coalition des maltres n'aurait eu pour résultat que
d'amene~ des luttes stériles, des déplacements onéreux de
capitaux ou de travailleurs, des malheurs inutiles.


En sen s inverse, que les ouvriers se coalisent pour élever
leurs salaires au-dessus clu taux normal, ce qui arrivera
n'est pas difficile non plus a déterminer. Un homme sensé
ne reste dans une affaire que s'íl préleve sur le produit brut
l'intéret, une prime d'assurance et la rémunération de son
travail. 11 pouvait consommer son capital, il le ]iyre a 1'in-
dustrie; l'intéret est le prix de son abstinence. Par cela qu'il
confie son capital a l'industrie, il s'expose a le perdre; pour
ce risque, il préleve une prime d'assurance. Entin, il donne
son temps, il doit etre rémunéré. Si ulle hansse forcée des
.salaires compromet ces trois prélevements Oll l"un úes trois,
l'entrepreneur aura recours á tous les moyens pour l'empe-
cher; il s' eÍTorcera d'itltroduire des travailleurs amellés d'un
pays oil les salaires sont tres-bas; il essayera par des ma-
chines de restreindre le róle de la main-cl'<Euvre. S'il ne
réussit pas, ou il sera ruiné, ou il retirera ses capitaux et son
intelligence d'une industrie qui n'offre plus des ayantages
suffisaEts. Dans les deux cas, l' ouyrier expiera son sucees
d'un momento Il a voulu avoir trop, il n'aura plns rien. Privé
de salaire, il sera bien heureux de "ivre en cassall t des
pierres sur la route. S'il se transplante ailleurs, ::-:011 salaire
sera faíble; ce qui est pis, il produira la baisse uu s:.11aire
des camarades auxquels il fera concurrence. Les ouvriers
anglais ont appris a leurs dépens la vérité de cette a~sertion.
Dans l'histoire de la greve de Colne, .\\1. \Vatts raconte
ceci : " Nous avons fait cette question a l'un des meneurs:
Pourquoi n'avez-yous pas dirigé les travaille,urs sur une 10-
c.alité ou les salaires étaient plus élevés? - n nous fut ré-
pondu : Nous en avons effectivement dirigé une pal'tie sur
Blackburn, mais cela nous a val u une remontrauce que nouS





SUR LA LIBERTÉ DES COALITIONS DE PATRONS ET D'OUVRIERS 167


encombrions le marché, et que nous y causions une baisse de
salaires. " 11 se peut enfin que, pendant la lutte, le consom-
mateur ait provoqué l'importation de produits étrangers, et
que des hahitueles, des préférences se soient ainsi créées,
qUl, survivant a la fin de la grfwe, constitueront un élément
nouveau ele concurrence.


La majorité des économistes déclare a l'envi que les coali-
tions n' ont jamais réussi. Aux patrÜ'ns, elles ont, tout au
plus, procuré l'avantage rl'un taux uniforme de salaire pour
une meme industrie, dans un me me líeu. Aux ouvriers, elles
n'ont été I~tiles que dans les co'rps d'état concentrés dan s une
meme localité et composés d'un petit nombre; elles forti-
fient ou étalJlissent la situation privilégiée de quelques-uns;
elles n'élevent pas la, situation générale de la classe labo-
rieuse tout entiére.


Si les vidoires des coalitions sont peu désirables) que dire
de leurs désastres, et du plus terrible de tous, que dire du
fléau qui s'appelle une grElVe? Tous les inconvénients s'y
rencontrent a la fois : l' ordre public est compromis, l'intéret
individuel est lésé, les patrons souffrent, l'industrie péri-
clite, les travailleurs manquent de pain, les haines sociales
s'attisent, le pauvre s'arme contre le riche. A mesure que
les souffrances augmeútent, les ouvriers s' exasperent; quand
les cotisations oont épuisées, les caisses de ch6mage vides,
jIs ne respe€tent plus rien; dans le délire des espérances
trompées, ils s'emportent jusqu'au crime, et, semblables a
des furieux, ne reculent ni clevant l'incendie, ni devant
l'aveuglemellt par le vitriol, ni devant l'assassinat, comme
on l'a vu en Irlande et en Écosse.


On me renclra la justice que j'ai exposé sans l'aífaiblir le
systeme qui reCuse tout effet salutaire aux coalitions. Il me
reste ~1. vous pré:3enter l'opinion opposée. Pas plus c1ans cette
partie de mon travail que dans la précédente, je n'aurai la


. prétention de vous dire quoí que ce soit quí n'ait été mieux
exprimé par d'autres avant moi. J e contümerai a mettre sous
vos yeux les passages décisifs des écrivains compétents, afin
que mon rapport átteigne son but, qui est moíns de trancher




168 nÚlIlOCRATIb; ET LIBERTÉ


un débat de cette importance que d'en réunir avec fidélité
sous vos yeux les éIéments multiples.


Les lois économiques qu'invoquent les adversaires des
coalitions sont incontestables; mais, comme les lois phy-
siques, celles de la pesanteur, par exemple : en tant que
lois générales. EJles sont vraies idéalement, si on les suppose
agissant dans le vide, sans les mille obstacles qu' oppose la
résistance des milieux, des événements, du temps. Dans la
réalité, elles sont ~t chaque instant sinon contredites, du
moins contenues, modifiées, retardées. Les faits contingents
les régissent autant qu'ils en sont régis. Considérées comme
des abstractions, résultat d'un tres-grand nombre d' événe-
ments contenus dans un long espace d'années, elles sont
vraies. Prises comme regle concrete des évolutions journa-
1ieres ele la vie sociale, elles sont trompeuses. Ainsi, la
science affirme que l'introduction- des machilles contribue a
l'amélíoration du sort des travailleurs. La machine, en efI'et,
conduit au bon marché; le bon marché du produit permet
l'épargne du consommateur; l'épargne du consommateur se
résout el'une malliere ou a'une autre en une demande de
travail, et l'accroissement de la demande de travail se tra-
duit en une hausse de salaice; tout cela est exact. Il est ce-
pendant non moins exact que lorsque l'imprimerie a été in-
troduite, tous les copistes ont été ruinés, et que, pour la
plupart d'entre eux, cette invention n'aura été qu'une catas-
trophe san s compensatíon. De m8me, iI est certain que le
prix du travail est le rapport existant entre le capital affecté
au payement des salaires, la demande, et le nombre des tra-
vailleurs qui offrent leurs serYÍces, l'offre. Mais ce n'est pas
instantanément que le prix des salaires se proportionne ainsi
aux exigences réelles de l'offre et de la demande. C'est a la
suite d'une oscillation incessante, d'un va-et-vient perpétuel.
Le taux moyen, le prix courant, est une ligne idéale sur 1a-
quelle le taux réel passe et repasse, sans jamais s'y arreter
immobile. Souvent l' état du marché j ustifierait une hausse
ou une baisse que la coutume toute-puissante ici, comme




SUR LA :::..mEUTÉ DES COALITIONS DE PATRONS ET D'OUVRIERS 169


clans toutes les autres manifestations de la vie humaine, em-
peche ou retarde. Dans ce cas, la coalition des maitres en
attaquant la coutume qui tient le taux des salaires trop éle-
vés, ou celle des ollvriers en contestant la coutume qui les
tient trop has, n' entreprend rien qui soit contre le bon sens.
Leur succes ne. sera pas factice; au lieu de faire obstacle a
la loi économique, ill'aidera.


Les économistes n'ont pas tort lorsqu'ils enseígnent'que
le développement ele la production est un moyen tres-efficace
d'améliorer les salaires. Toutefois, ce n'est pas le seul. Une
meilleure répartition des produits peut y servir aussi. Il est
certain que le caractE\re des rapports vrais entre le travail
et 18 capital est l'harmonie et non l'hostilité, le concours et
non l'antagonisme; quel que soit le contrat intervenll entre
le patron et l'olnTier, qu'on l'appelle salaire 011 participa-
tíon : au fond, le mot vrai est association. Le salaire n'est
qu'une forme perfectionnée ele la collahoration primitive, la
sllbstitution el \m benéfice fixe a forfait au henéBce mobile
et aléatoire. Le véritahle rival du capital, c'est le capital
quí lui fait concurrence, et non le travail qui le féconde; le
compétiteur sérieux du travail, c'est le travail qui s"offre en
meme temps, plus encore que le capital qui l'assiste. :Meme
a y regarder de pres, le capital n'est que l'autre nom du tra-
vail.: le travail proprement dit, c'est le travail actuel; le
capital n"est que le travail accumulé. Aussi tout ce qui pro-
tite au travail profite au capital, et le capital s' enrichit de
tout ce dont hélléficie le travail. Chaque progres, ainsi que
l"a remarqué Bastiat, augmente la part absolue de chacun
rl' eux dans le partage du produit de la collaboration; la seule
différence est que la part proportionnelle du capital diminue
sans cesse comparativement a celle du travail. Je ne veux
me servir d'aucune parole équivoque ou de nature a éveiller
de mauvais sentiments, toutefois j e dois ajouter que l'har-
monie finale qui s'établit entre le capital et le travail ne
s'opere pas par enchantement, sans efforts. L'entrepreneur,
désireux que ~on profit soit aussi considérable que possible,
se trouve en présence de trols personnes: le vendeur des




170 DÉMOCRATIE ET LIBERTÉ


rnatieres premieres, le consommateur des articles manufac-
turés et l'ouvrier. Ainsi que 1'a remarqué excellemment
M. Dupont-Whité, il lui est difficile d'ímposer la loi au ven-
deur. des matieres premieres et au consommateur. L'un est
rnaitre de ne pas vendre, 1'autre de ne pas acheter, a des condi-
tions désavantagenses. L' ouvrier est moins fort, paree que la
nécessité le contraint a offrir ses services. C'est sur lui que
l' entrepreneur essayera de gagner; il s' offorcera de tenir le
salaire bas, meme au deL! de ce que l' état du marché comporte.


Par quel moyen l'ouvrier se défenllra-t-il contre les pré-
tentions avides ou les entrainemeuts égo'istes, par q uel
moyen obligera-t-il les entrepreneurs a. restreindre les pro-
fits dans des límites raisonnables, s'il ne peut se concerter
avec ceux qui ont un intéret semblable au sien? COl1l111ent!
tout pouyoir humain rencontre un controle qui 1'empeche de
devenir oppressif, et celui des entrepreneurs serait sallS frein?
Les princes, les peuples, les pontifes sont surveillés, con-
trólés, contenus : les entrepreneurs seuls sel'aient déclarés
infaillibles; tout ce qu'ils décident serait considéré comme
juste! l\I. L(~on Faucher lui-meme, quoique tres-hostil e aux
coalitions, ne pense pas qu'il soit sago de le décider, puisqu'il
affirme " que les coalitions n' ont pas toujours tort, et qu'a
dire vrai le Ilroit est rarement Llu coté du maltre. " (JJtlldes
S1t1' l'AngleteJ'1'e, t. II, p. 33.) ,


Qllelques exemples rendront ces pensées plus saisissahles.
Supposez que, dan s un pays quelconque, les cow1itiOllS nor-
males de 1'industrie soient tout ~l coup challg'écs par un
nouveau tarif, et qu'au !ieu d'etre ¡léfeliCius par des prohibí-
tiOllS OH eles droits éleyés les prouuits n' Gbticnnent plus au-
cune proÜ~ction. Transitoirement, au 111oins, ce changement
de régirne pesera sur les profits des industriels, et, toutes
choses demeurant égales, lenrs gains seront moindres. Le
moyen d'empecher ou Üe moclifiel' ce résultat, c'est d'abais-
ser les salaires. Craindre que si le maltre est tout-puissant,
il impose au travailleur une récluction plutot que de se con-
tenter d'un profit réduit, est-ce se montrer trop défiant en-
"ers la nature humaine? Dal1~: ce cas, la coalitiol1 possilJle des




SUR LA LIBERTÉ DES COALITIONS DE PATRONS ET D'OUVRIERS 171


ouvriers n'aidera-t-elle pas les mouvements secrets de la
conscience, pour conseiller un sacrifice mornentané, dont le
dédornmagernent ne se fera pas attendre?


Un entrepreneur sans capitaux suffisants, ou présomp-
tueux ou malhabile, se fait adjuger au rabais une entreprise
considérable. Le prix qu'il a accepté est insuffisant. Il est
menacé de ne réaliser aucun bénéfice, d'etre en perte, Est-il
bien improbable qu'il essaye de fajre tomber les salaires au-
dessous du tallx normal, ann de retrouver ses profits sur
ce qu'il enlevera au travail? La coalition, dans cette hypo-
these, ne sera-t-elle pas, de la part de l' ouvrier, l' exercice
le plus naturel du droit de légitime défense et non une ré-
volte contre les lois inflexibles de la répartition?


Une révolution monétaire a lieu dans un pays. L' 01' devient
tout a coup tres-abondant, par conséquent il se produit, non
une hausse dans la valeur, mais une hausse dans le signe de
la -valeur, une hausse dans le prix des objets. Le prix du tra-
vail doit participer a ce rnouvernent ascensionnel. Il en est
ainsi, rnais a la lon,que. Voila un petit Ínot plein d'angoisses.
En effet, l'observation dérnontre que la hausse ne se produit
pas d'abord sur les salaires; elle cornrnence a se mani-
fester sur les denrées de prerniere nécessité, puis elle gagne
les produits rnanufacturés~ ce n' est qu' en dernier líeu qu' elle
s létend aux salaires. En quoi des coalitions formées pour
accélérer un rnouvemellt nécessaire, dont le retard est une
cause de souifrances cruelles pour des multitudes; en quoi
des coalitiolls qui agissent dans le sens de la natnre des
choses, sont-elles répréhensibles; en quoi sont-elles témé-
raires? Le succes ne serait-il pas le rétablissement et non
la négation des lois éconorniques'?


Les memes raisonnemellts en sens inverse pourraient etre
faits en faveur de la coalition des patrons, si ron suppose
une dépréciation du signe monétaire et une baisse des prix.


La nécessité de lutter contre la coutume, de contenir la
tendance du capital a exagérer au détriment du salaire sa
part de profits, sont des considérations économiques qui ex-
pliquent comment, sans se mettre en contradiction avec des







172 DÉMOCRATIE ET LIBERTÉ
loís certaines, les coalitions quelquefois améliorent la situa-
tion de ceux qui les organisent. Voila pourquoi les char-
pentiers out réussi en 1832 a élever leur salaire ele 3 fr. a
3 fr. 50; en 1833, ele 3 fr. a4 fr.; en 1845, de4 fr. ¡t5fr.;
pourquoi les typographes ont obtenu la modification d'un
tarif qui, remontant a 1843, n'avait subi que quelques modi-
ficatións en 1850; pourquoi les bouchonniers du Val' ont fait
monter de 25 centimes le mille de bouehons, qui dcpuis des
années était a 1 fr. 25; pourquoi les ouvriers chapeliel's de
Lyon ont obtenu, en 1842, 35 centímes au líeu de 30 pour
une fa90n de feutrage qui se paye aujourd'hui 50 centimes;
pourquoi, enfin, en Angleterre, de Hombreuses coalitions
énumérées par un recueil digne de foi, la Revue de TVest-
minste'J' (juillet 1860), ont réussi en 1836, 18·18, 1859;
pourquoi, en 1853, il Y a eu dans le meme pays urw hausse
générale ele 10 p. 100, meme de 15 p. 100 ponr les minenrs
du pays ele Galles. Et remarquez qu'il ne s'agit pas ele ces
succes remportés par quelques privilegiés au détriment de
la masse, mais de suc'ces de bon aloi, au profit \1'un grand
nombre, quí, apres avoir été obtenus, ont duré, paree qu'ils
étaient conformes a l'équité, telle qu'elle résultait de la
situation géuérale et ele l' état particulier ele charp18 marché,


De quelq ues-uns ue ces faits ou a d'autres analogues
M. Mac-Culloch a conclu ce qui suit : " Non-seulement une
coalition volontaire, quand la violence ne s'y joint pas, est
l'exercice du droit qu'ont les ouvriers de décider par eux-
memes; mais quand elle a pour objet d'élever les salaires
qui ont été indúment réduits, elle est opportune et ii est a
propos qu'élle se forme. On ne trouve pas beaucoup de
maUres qui consentent a augmenter les salaires; ii Y a fort
a parier que les réclamations d'un ou de plusieurs individus
ne recevront aucun aecueil, aussi longtemps que leurs eama-
rades continueront a travailler au prix contre lequel l1s
protestellt. C' est done seulement q uanu tous les ouvriers ou
la plupart des ouvriers qui appartiennent a une usine ou a
une industrie se eoalisent entre eux ou qu'ils agissent par
un coneert qui équivaut a une eoalitíon, et refusent de con-




SUR LA LIBERTÉ DES COALlTIONS DE PATRONS ET D'OUVRIERS 173


tinuer le travail a moins d'obtenir une augmentation de
salaire, qu'il devient de l'intérét immédiat des maitres de
faire droit a la demande qui leur est adressée. Il en résulte
évidemment que, sans l'existence d'une coalition, soit haute-
ment avouée, soit tacite, ces ouvriers ne parviendraient
jamais par leurs propres efforts a une hausse de salaires et
t{u'ils resteraient a la discrétion des maUres dont la COIlcur-
rence en fixerait le taux. "


J'ai supposé jusqu'a présent la coalition défendant le sa-
laire contre le profit. La difficulté augmente si le profit est
c1escendu a son mínimum, le salaire restant encore trop baso
Le soulagement ne peut venir alors que d'une élévation de
pri:t imposée au consommateur. La tentative est périlleuse,
tonte augmentation de prix pouvant produire un resserre-
ment de la consommation, par suite une restriction de la
demande, une diminution de travail. Il n' en est pas cepen-
dant toujours ainsi, sur certains objets la consommatioll
n' est que légerement arrétée par une augmentation de prix,
et ce (lU'elle demande en moins est compensé par ce qu'elle
paye en plus. Une coalition qui éleve le salaire dan s ces cir-
constances ne violente pas les lois économiques." Il est
vrai, dit M, Stuart-Mill, que le consommateur fait les frais
de cette hausse, mais le bon marché des marchandises n'est
désirable que lorsqu'il a ponr cause une dépense moindre de
travail dans Ieur production, et non lorsqu'il vient de ce
que le travail employé a la production est mal rémunéré. "


Les coalitions ont encore réussi, san s se mettre en con-
tradiction avec les lois inflexibles des salaires, lorsqu'elles
étaient motivées par des raisons de salubrité ou par le désir
de se soustraire a des reglements abusifs. En 1854, les ou-
vriers fondeurs demanderent qu'on employ:'tt la fécule
comme agent séparateur, au lieu du poussier de charbon
dont ils redoutaient l'infiueilce délétere. Les patrons refu-
serent en prétextant l'excédallt de dépense qu'occasionne-
rait cette substitution. Les ouvriers se mirent en greve, ils
furent poursuivis, quelques-uns condamnés a cinq ans de
prison. On leur fit grace quinze jours apres, et aujourd'hui




174 DÉMOCRATIE ET LIBERTÉ
la fécule est partout employée, sans que les dépenses de
fabrication soient allgmentées. Il y a eu des greves d'ou-
vriers fileurs pour obtenir un meilleur mode de mesurage.
M. Rouher avait en vue des demandes de cette nature lors-
qu'il disait, en 1849, que la coalition peut etre morale, res-
pectable meme dans son principe.


~e voulant flatter dans ce travailles passíons de personne,
et mon but unique étant l'exposé scrupuleux de la vérité,
j'ai dli rapporter les arguments favorables aux coalitions
avec autant de franchise que j'aí présenté ceux (luí leur
sont contraires. Cette méthode me parait plus efficace que
la dissimulation prudente qui n'indiquerait que des reyers,
sans- tenir compte des succes, ou que la confiance optimiste
qui ne dirait que les avantages sans montrer les périls. Si
les uns et les autres ne se contre-balancent pas toujours dans
une meme coalition, il est du moins d'une extreme Jifiiculté
d'indiquer la limite insaisissable qui sépare le revers du
succes et l'a"yantage du péril. Lorsque la greve réussit, les
économistes n'ont point assez reconnu, a mon gré, que la
société trouye une ample compensation a un trouble mo-
mentané dans l'impnlsion féconde imprimée a l'industrie par
toute hausse normale des salaires. Ils n' ont du 1110ins rien
dit qui no soit d'une triste exactitud e c1ans leur clescríp-
tion des maux sans nombre qui sont pOUl' les ouvriers la
conséquencf; d'une coalitioll, meme juste et heureuse, ni
exagéré les c1ésastres qui suivent une coalitioH illjuste et
malheureuse. On a fait en Angleterre, une felllllle surtout(l),
dans un roman célebre, des récits poignants ele la détresse
des ouvriers engagés dans des greves téméraires ; la fiction,
quelque éloquente qu'on la suppose, n'atteint pourtant pas
le pathétique de la réalité. Si j.e n' étais arret.é par la néces-
sité de me restreindre, j e raconterais (lUelques-uns des
épisodes des Iuttes anglaise~, de celles notarnment (luí ont
écIaté a Londres en 1859 et 1861, dan s l'industrie da


(1) Jlarie Barton, par 1\:1- Gaskell.




SUR LA I.1BERTÉ DES COALITlo'NS DE PATRONS ET D'OUVRlERS 175


batimento Je ne puis cependant négliger tout a fait les utiles
enseignements qni résultent de ces expériences. Je m'arre-
terai un instant aux célebres greves de Preston en 1853, et
de Colne en 1860.


Les ouyriers de Preston se coaliserent afin d'obtenir dans
toutes les manufactures une augmentation de 10 p. 100;
trente-deux patrons, quoique trouyant les prétentions des
ouvl'Íers excessives, y accéderent; quatl'e senlement résis-
terent. Poul' les vaincre, les ouvriers eurent reconrs a des
moyens de pression tcls qne les manufacturiers qui avaient
cédé comprirent que la cause de leurs quatre confrel'es de-
venait la leur; ils retirel'ent leurs concessions et, oppo-
sant c\ la coalition partielle des ouvriers une coalition géné-
rale, ils fermerent leurs ateliers et 25,000 individus se
trouyrrent sans travail. De ce jour commen<;a entre les pa-
trons et les ouvriers une lutte qui dura six mois. L'.Angle-
terre entiere y prit part; les oll\Tiers de toutes les villes
-rillrent en aide aux ouyricl's, les manufacturiers de tous les
districts secoururent les industriels. De part et d'autre on
fit des efforts gigantesques. Les ouvriers snrtout furent pro-
digiellx d'activité et de résignation. Guidés par un chef
intelligent, Georges Cowel, un des plus parfaits orateurs
populaires qu'il y ait eus, ils employerent toutes les res-
sources des luttes légales; les meetings succédaient aux
?neetings; des délégués arelcllts circulaient clans le pays
entier; on les voyait partout, elans les voitures publiques, a
la porte eles ateliers ou eles boutiques, dans les foires, dans
les réunions, la main tendue, les récits enflammés a la
bouche. Sur les murs eles villos les affiches les plus émou-
yantes arrétaient les inclifférents. "Un mois s'est éconlé,
disait l'une el'elles, clepuis que trente mille ouvriers sont
sans ouvrage et réduits a ,-ivre de la charité publique.
Depuis ce temps, les pleurs versés par la veuve aux piecls
de l'oppresseur ont été recueillis dan s le vase de la justice
de Dieu. Les cris de l'orphelin affamé sont montés aussi haut
que ceux des Juifs esclaves en Egypte. Pour ces veuves,
pour ces orphelins, nous implorons votre pitié. " La poésie




176 nÉMoCRATIE ET LIBERTÉ
venait en aide a l' éloquence, et les larmes coulaient de tous
les yeux, lorsqu' on chantait la complainte .de la Mere qui a
perdu sa Fille : " Venez et consolez-moi dan s ma douleur.
Je reste a gémir setlle sur cette terreo .MOll enfant chéde
m'est ravie, et je dois maintenant pleurer a jamais. Elle
était pour moi tout ·ce que je pouvais souhaiter. Si elle
m'avait été conservée j'aurais été contente. Mais, hélas:
elle est morte martyre de la cause du dix pOlW cent. " -
Tout fut inutile. Quand ils travaillaient, les onvriers tou-
chaient par semaine 12,000 a 13,000 livres sterling, les co-
tisations, les quétes, les secours ne dépasserent jamais
4,000 livres par semaine. Les épargnes s'épuiserent; il fallut
vendre les vetem,~llts, les meubles; la faim arríva a vec son
hideux cortége. Alors commen<;a le découragelllent, la dé-
nance; les chefs furent d'abord rnoins obéis, puis ce fut
contre eux. et non contre les patrons que la poésie popu-
laire dirigea ses traits : ;, Co\vel n'a pas la pensée dt~ re-
prendre jamais S011 travail soit avec le fuseau ou la Ilavette,
soit avec la pioche ou la beche. Il appal'tient aujoul'cl'llUi Ú
une bande d'hommes qui s~nent bien que la meilleure be-
sogne est celle ele l'orateur. Co\vel a une langue dangereuse,
il nous a dit que nous aurions de plm; beaux salaires; mais
Cowel nous a trompés, car cette lutte san s esperance ne
finit paso Nous mourons de faim; mais qu'importe a nos
délégués? Réunis autour d'une table bien garnie, chaque
jour ils deviennent plus gras et nous devenons plus maigres. "
Enfin, un jour parut sur les murs de la ville une afficlH~
signée par les directeurs de la coalition qui clisait: "N o u::;
erlgageons les ouvriers a reprendre leur travail jusqu'ú une
occasion plus opportune. " Seulement les patrons avaient
perdu approximativement 163,000 livres sterling (4 millions
125,000 fr.), et les ouvriers certainement 250,000 livres
(6 millions, 250,000 fr.). Et quelques jours apres on lisait
dan s un journal de Preston : " Les résultats de la terrible
catastrophe que nous venOI1S de traverser dépassent les plus
sinistres prévisions. Nos rues sont encombrées de malheu-
reux qui demandent vainement du travail; leul' pJace est




SUR LA LIBERTÉ DES COALI1'IONS DE PATRONS ET D'OUVEIERS 177


prise par (les oll\Tiers étrangers ~ ou de nouve11es machines
suppléent au défaut de hras. D'ici a longtemps ils sont con-
damnés el rester sans occupation. Des milliers de familles
ont enduré les plus séveres privations; elles ont contracté
des dettes qu'une génération ne parviendra pas a éteindre
et quelque déplorable que 80it l'état présent de notre ville'


.


,


nous. ,so111111es ,convall1cus que nous n'en sommes pas aux
dermeres consequences de ce mouvement insensé. "
L~ gre;ü .de Colne ~ ~u l~eu"en 1860. Les exigences des


ouvners etalent : une elevatlOn de salaire, l'établissement
d'un tarif uniforme sans aucun allégement en raison de l'ex-
cédant de dépense imposé a certains patrons par les désa-
vantages de la localité ou du matériel employé, enfin le droit
reconnu aux ofticiers de l'union oU\Tiere d 'intervenir dans
les (lébats entre maltres et ouvriers. Les maUres refuserent.
Le 7 juin, quatre mille métiers lllrent arret.es et qu1.uz.e
cents ouvriers se trouverent sans travail. La lutte dura
pendant cinquante semaines ! apres quoi les ouvriers vaincus
durent se sou111ettre et subir, a la suite des miseres de tous
genres, les conditions qu'au elébut ils avaient rejetées avec
mépris. Les pertes que cette greve leur avait occasionnées
étaient telles, qu'en supposant l'augmentation de salaire
obtenue, ce n'est qu'au bout -ele vingt-huit ans qu'ils
eussent retrouvé la position elont ils jouissaient avant la
greve!
O~ons le dire, la certitude des rueles épreuves réservées


a ceux q ui entreront elans des greves est un eles motifs prin-
cipaux en faveur de la liberté des coalitions. L 'idéal serait
de permettre celIes qui sont justes, d'interdire ceUes qui ne
le sont paso Malheureusement il n' existe aucun moyen de
distinguer les unes eles autres; iI faut les permettre toutes
ou les défendre toutes. Les défendre toutes est contraire
aux principes; les permettre toutes serait contraire a la
prudence", si la société restait sans garantie. La garantie,
HOUS la pla<;ons dans le mal que se feront a eux-memes
les imprudents qui abuseront du droit de se coaliser ..
Loin d'etre insuffisante, la peine sera souvent plus sévere 1.


·~ ,!.,




178 DÉMOCRATIE ET LIBERT[,:


qu'il ne serait désirable. Ceux q ui appéllent la li hel't(~
eomme eeux qui la repoussent oublient trop que It'S pOllyoir:3
qu'elle eonfere sont au prix de la plus sérieuse reslionsahi-
lité. L'esclave devient serf, puis homme libre; íl se réjollit,
et il a raison, cal' l'homme qui n' est pas lihre, aillsí qne 1'a
dit Homere, a perdu la moitié de son ame: mais ~;i la YÍe
est désormais plus haute, combien aussi n'est-el1e pas plus
difficile! Personne ne le contraint plus, mais persolllle 110n
plus n'a le droit légal de l'assister; ii est seul, exposé anx
incertitucles du travail, sallS refllge, s'il n'a été préyoyant
eontre les ch6mages, les malaclies~ la vieillesse. La respon-
sabilité a CilÍ. en qtison de la liberté. De m{~me, Cl3Tte lCiÍ
promulgllée, les oU\Tiers poutront organiscf de.') gl'¡~YeS
sans crainte (1' éb'e poursui yis. Ils auront aillsi un pOLrroil'
nouvcau, et (1clllS lel1r existence de trayailleur, ave\; plus de
liberté, il y aura, sinon plus de hien:"etre matériel, dn ¡llOins
plus de dignité. Cependant, qu'ils hésitent lOllgtelllI!:~ :lYL1nt
de se servir du droit qu' on lcmr donne. Qu'ils n'y aient rc~cours
qu'a la derniere extrémité, en désespoir ele caUSE, quan(l
toute chance d'arran!!,'ernent sera définitivemel1t évanonie.
Tous ceux qui leur s;nt dévoués de camr et ntn (les levres
les en supplieront: qu'ils ne se précipitent pas en avel1g1es
dans les coalitions, qu'ils ne se confient pas trop aux pro-
messes de la greye. Des dangers les menacent d(~sol'mais
dont ils ne connaissaient pas la graYité. En l1leme telll)iS que
1eur liberté s'est accrUt~, se sont accrues aussi les occasÍOllS
de faillir. Et toute faute, qu'ils y pensent bien, retomlJera
en malheul's, en larmes, sur eux, beaucoup plus que sur les
patrons qui peuvent attendre, beaucoup plus que sur la
société qui sait se défenc1re !


La greve, c'est la guerre avec ses nécessités, avec son
earactere destructeur, ses duretés, ses violences, ses em-
portements, ses coleres, avec son aCGompagnern~nt ohligé
de deuils, de dévastations. Cornme á la guerre, dans les
greves, les innocents sont atteints pour les coupables;
les femmes, les enfants, les vie-illards supportent les maux
qu'ils n'ont point eausés. De la greve comrne de la guerre


!'




il sort quelquefois du bien, mais un bien melé d':1rnertume,
q Ul laisse apres lui les longs ressentiments, dont on ose a
peine se réjouir, mais un bien tellement semblable au mal
que 1'historien 2 peine ¡t 1'en distinguer et que le philosophe
n'y parvient paso Seulement, de meme que la guerre ne sera
vaincue qu'~1. force de civilisation et de lumiere, la gl'eve aussi
n8 sera vaincue qu'~t force de liberté et d'instruction. L'expé-
riellC8 c1u passé le prOUY8" la clMenclre c 'est en allum0l' le
désir, L:t permettre ce sera CE inspirer la terreur. Avec le
telllps la lilJertp tles coalitions tuera la greve. Quanc1 les ou-
vriers auront touché c1e leul's propres mains les limites infran-
chissahles (le la yolenté hum.aine; quanc1 iIs se seront exercés
au maniemcnt lles fuits, ú la connaissallce des lois écono-
Illiques; quancl iIs auront plusieurs fois eneouru ponr leul's
entreprisr:s injustes les C811SUl'eS de l'opinion puLlique, tou-
jours disposee el les soutellir tant qu'ils sont desarmes;
quanJ, de leur c()té, les patrons avcrtis des eprelJ_V8S au:,:-
qnelles ils son;; exposés auront redoublé ele bi81rreillance et
de sagesse, les grev8s devlendront plus rares, et d\m anta-
gonisme passager naltra sinon l'accord sans nur¡ges, da
moins l'habitude des discussions lorales et concilian tes. En
Angleterre, la liberté des coalitions a co;¡clnit cm famoux.
meeNng de Dolton, dan s lequel les ou \TieL'S eux-memes ont
fOl'tement <léduit les raisons pour lesquelles la greve était
mauvai"e. Si ron était resté sons l'empire de la loi prohibi-
tlve, aUl'ait-on jamais entendu Ull ouvrier tenir á ses cama-
raJes des discours tels que ceux de MM. John Bre\'·;er et
Samuel Hill :


" Qoant á la condition de l'ouvrier, il reste encore oeau-
coup il faire ponr l' élever el son niveau naturel; mais l'ou-
vrier en a les moyens dans ses propres mains, et s'il néglige
de les employer, il n'en doit accuser que lui-meme. De tous
les maux qui affiigent les classes laborieuses, l'ignorance est
décidément le plus grand. L'ignorance les expose a étre
trompées et ne leur permet pas de se former une opinion
exacte sur les choses qui intéressent le plus leal' bien-étre.
(Applaudissements.) Ce n'est point des manufacturiers que




180 DÉ~ICCRATIE El' LIBt:J!TE


dépend le taux des salaires. Dans lrs ("I\()(ll1eS de dépression,
les rnaít?'es ne sont pou?' ainsi eliTe r¡ne le jemet dont s'arme
la nécessité, et qu'ils le veuilleilt on 'ilOn, il faut qn'ils
frappent. Le príllcipe régulateur est le rapport de l'offre
avec la demande, et les maUres Jl'ont pas ce pouyoir.-
Qltant aux coalitions et aux g?'(J'ces, il fané bien se gaJ'deJ'
de les encozwager : elles ne p?'od1fisent que dlt )í2rt!. Supposel
500 fileurs, promenant leur oisiveté (1an8 les rues; ils ne
se1'on t pas J es seuls a souffrir, eux ct lenrs familles; car ils
met.tront dans la meme position 3,000 oU\Tiers ele la manu-
facture, qui n'avaient rien á d(~meler avec cette querelle, e ¡;
la communauté industrielle tout entiere s'en rcssentira plus
ou moins. llvitons done les coalüions {l l"{U;eni1'. " Tant que
les coalitions étaient interdites, les ~:rcves furent violentes.
Les premieres formées apres les lois de 1824 eurent aussi
('e caractere. En 1829 et en 18-10 le meurtre, le pillage,
l'incendie en étaient les épisodes !labí tuels. En 1853, dans
la greve de Preston, aucun crime n'a été comrnis : sept per-
sonnes seulemént ont été poursuivies paree qu'elles s'étaient
opposées a l'arrivée d'ouvriers étrangers. Cette lutte dou-
lourease s' est déroulée sans que le gouvernement central
ait été obligé de recourir a aucune mesure de répressioll
extraordinaire. Pendant les cinquailte semaines de la greye
de Colne, aucun acte de violence n'a été commis ; 011 n'a pas
poursuivi une seule personne! Dans la préface d'un livre
dirigé tout entier contre les greves, nI. ,Yatts déclare
" qu'on ne doit pas oublier que la position actuelle de l'An-
gleterre, comparée a celle d'il y a vingt <1ns, déllote une
amelioration des plus satisfaisantes dans la conduite des
classes lahorieuses en gÁnéral. "


Aussi les économistes les moins favorables aux coalitions
sont· ils presque tous d'accord en ce point que le législateur
00 peut pas les interdire, et qu'p,n les supposant funestes, la
liberté aura seule la vertu d'en guérir les ouvriers. Voici
comment M, Stuart-Mill exprime cette opinion : " :Mais bien
que les coalitions destinées a maintenir l'élévation des sa-
laires soient rarement heureuses et que, pour les motifs que


"




Sl:R LA LIBERTÉ' DES COALITIOXS DE I'ATRO~S ET D'01;VRIERS 181


je viens c1'indi(lUer, leur SLlCCeS soit peu (lésiralJle, le droit
de se coaliser ne peut etre refusé a aucune portio n de la
cJasse ouvriere sans trop grande injustice, ou sans l'exposer
a se tromper be<1ucoup sur les causes desquelles dépend sa
condition. 'rant cIue 10s coalitions pour faire hausser les
slllaires on t été prohi bées par la loi, les ouvriers ont cru
clne la loi était la cause reelIe de l'abaissement des salaires~
quí avait eté, en effet, le hut c1u législateur. L'expérience
des greves a, mieux que tOl1te autre chose, appris aux ou-
'\Tiers les rapports quí existent entre les salaires et l'ofl're
ct la demawle Ju travail, et il est tres-important que cet
enseignernent ne soit p:1S troublé. :JIais on ne doit tolerer
les coalitiolls qu',\ 1<1 cOlldition qu'elles soient tout a fait vo-,
lontaires. On ne JJe1tt poussel' tí'Op loin la sévérité 1ttile
contre eeua; qu¿ ~'oltdraientjo?'ee?' Zes OltvrieTs (t sejoindre {{lt
cOJ'Ps d' état et el prend1'e pa1't Zt une !/?'eve pa1' des menaces O1t


J)({?' des violences. La loi n8 devrait pas punir la sim pIe con-
traillte morale résultant el'une expression d'opiniol1 ; c'est a
l'opinioll plus (~cL:tirée a diminuer cette contrainte en recti-
liant les sontimellts moraux de la populatioll. Indépendam-
ment de toutes les considérations de liberté constltution-
nelle, les intérets les plus élevés de l'humanité exigent que
toutes les expériences économiq ues, entrepriscs volontaire-
ment, puissent avoir pleine carriere, et que la YIOLEi\'CE ET
LA. FHAUDE soient, ue tons les moyens tl'améliorer leur COIl-
ditiol1, les ::i8uls qui suient intenlits aux classes les plus
pau vres (lE~ la société. "


Il n'y a aucune téméritl~, je crois, a affirmcr que 1\1. Léon
Faucher lui-meme serait aujourd'hui de l'avis de 1\1. Stuart-
MilI. Lorsqu'íl demanda a l'assemhlée législative l'ajourne-
ltlent et nOll le rejet de la proposition faite par l'honorablB
:JI. Morin (dont il serait illjuste de 11e pas rappeler avec re-
connaissance l'initiative intelligente et généreuse), la raison
a laquelle il parut s'attacher surtout était tirée de notre ré-
gime commercial. La lihel'té des coalitions, disait-il, existe
en Angleterre ~l ceetailles conuitions. Ces ,conditions, les
voiei : " C'est qn\:' l(~s ports d'Angleterre soient entierement




182 DÉMOCRATIE ET LIBERT~


ouverts a l'industrie étrangere, et que quand une conlltlon
a frappé de stérilité les ateliers nationaux, qUemd il n'y a
plus d"ouvriers pour remuer les machines, les ouvriers
étrangers produisent des marchanclises qui viennent encom-·
brer les marchés de l'Angleterre; c'esL la une ressource,
une compensation pour le consommateur. l\lais chez nous,
nous avons un régime prohibitif, un régime protecteur, si
vous voulez que j'atténue l' expression, et ce régime interdit
l'acces de nos marchés aux produits étrangers. Eh 1ien,si
vous admettez les coalitions et qu'il en résulte que l'indus-
trie nationale soit frappée l)endant huit jours, quinze jours,
un máis., cinq mois de stérilité, alors qui remplira vos mar-
chés, qui les approvisionnera?" Le nouveau systeme C0111-
mercial sous lequella France a été placée aurait détruit les
craintes de M. Léon Faucher. Notre marché est ouvert
aujourd"hui a peu pres autaut que celui de l'Angleterre ; si la
gr{we frappait de stérilité une branche de notre industrie,
la cOl1sommation ne serait pas compromise; les marcbandises
étrangeres, appelées plus que de coutume, comlJleraient le
vide accidentel. Les coalitions ont perdu en danger tout ce
que notre marché a acquis en étendue.


L'incapacité des ouvriers á exercer un droit redoutable
pour eux et pour la société, leur ignorance encore trop
grande, la nécessité de prolonger une tutelle salutaire, sont
les seuls motifs que l'économie politique laisse aux gouver-
nements qui veulent refuser la liberté des coalitions. En
d'autres pays, ils ont peUt-etre leur valeur. lIs ne sauraient
etre invoqué s chez un peuple dont toutes les institutions
reposent sur le suffrage universel. Serait-il compréhensible
qu' on refusat la faculté de se concerter sur le salaire, e' est-
a-dire sur la question qu'ils peuvent connaitre le mieux, a
ceux qui par l'autorité de leur nombre et le poids de leur
suffrage, exercent une influence considérable sur la marche
des affaires publiques et qui, par leur sagesse ou leur folie,
leur modération ou leur emportement, contribuent a nous
faire des destinées heureuses ou malheureuses?


Ainsi, pour condure, liberté absolue de la coalitioll a tous




SUR LA LIBERTÉ DES COALITIONS DE PATRONS ET D'OUVRJERS 183


ses degrés; repressíon rigoureuse de la violence et de la
,fraude, tels sont les donnees organiques que fournit la


science. Tels sont aussi les deux principes qui résument la
loi dont iI me reste a vous présenter l'explication analy-
tique.


II


Désormais la coalition des patrons ou celle des ouvriers
est absoIument libre, c'est le point de départ de la loi. On a
proposé de distinguer entre les coalitions justes et les coali-
tíons abusíves; nons n'ayons pas admis cette distinction.
Abusive ou non, juste ou injuste, la coalition est permise.
D'autres ont demandé que la séparation fut établie entre les
coalitions factices, yiolentes ou frauduleuses, et les coali-
tions naturelles, paisibles et sinceres, et que les secondes
étant licites, les premieres ne le fussent pas; nous n'avons
pas davantage accepté cette distinction. La coalition vio-
lente, factice, frauduleuse, ne tombera pas plus sous le coup
de la loi que la coalition naturelle, paisible et sincere. Les
auteurs des violen ces et des fraudes seront poursuivis et
punis; la coalition sera respectée. Nous n'avons pas voulu
que, sous prétexte de rechercher le caractere d'une coaI¡-
tion et de s'enquérir si elle est juste ou injuste, abusive
ou équitaLle, violente ou paisible, frauduleuse ou sincere,
l'autorité j udiciaire ou administrative püt reprendre indi-
rectement ce qui lui est retiré directement. Ni la com-
mission ni le Gouvernement, q ui s' est associé a ses vues,
n'ont voulu faire une CBuvre équivoque, retenir en ayant
l'air de donner, cacher des piéges sous des apparences de,
liberté. Cette loi est loyale et sans arriere-pensées, elle
accorde ce qu'elle promet, elle réalise avec courage un




184 DÉMOCRATIE ET LIBERTÉ


progres considérable, poursuivi en vain depuis la révolu-
tion. Les anciens articles 414 et 415 sont abrogés : l'ar-
ticle 1 er le proclame en termes formels. Ceux qui les
remplacent ne modifient pas rancien délit de coalition; ils
en créent un nouveau : l'atteinte a la liberté du trayail.
Loin d'€Jtre une restriction du droit de se coaliser, ils en
sont la garantie. Que dirait-on du propriétaire qui croirait
son droit compromis paree qu'on punit le vol? C'est ce qu'iI
faudrait penser de ceux qui trouveraient la liberté de se
coaliser menacée paree qu'on punit les violences et les
fraudes.


Des personnes étrangeres aux Átudes juridiques se sont
étonnées qu'avant de déterrhiner les peines contre l'atteinte
a la liberté du travail, la loi n'ait pas affirme cette liberté;
elles ont pris ombrage de ce qu'aucun articIe ne consacre~
en paroles explicites, le droit de se coaliser. L'oubli des
caraeteres de la loi pénale explique ces critiques. Tout ce quí
n' est pas défendu étant permis, la loí pénale se borne a dé-
cider ce qui est un délit. Elle ~onstitue bien une declaratioll
des droits, mais en sens inverse des déclarations ordinaires,
elle permet en gardant le silence. Ce qui échappe a ses for-
mules précises est du domaine de la liberté. Si la loi pénale
déclarait ce qui est permis, tout ce qu'elle n'aurait pas au-
torisé resterait défendu, et iI est difficile d'imaginer l'arbi-
traire dans lequel nous serions précipités.


L'atteinte a la liberté du travail peut étre grave, elle peut
€Jtre légere : punie dans les deux cas, elle le sera plus dans
le premier que dans le second. C'est ce quí explique la dif-
férence entre la pénalité prononcée dans les articles 414 et
415 qui s'appliquent aux atteintes graves, et celle établie
dans l'article 416, qui n'a trait qu'aux atteintes légeres.
Les deux hypotheses doivent etre examinées isolément.


Art. 414. lo Atteintes g'raves pwrtées {{ la liberte dzt t1'atail, OU, en
d'autres termes, au libre exercice lIe !'industrie et du tra-
vail. Comprenons bien l'hypothese. Un OU\Tier ou 1l1eme




SUR LA LIBERTÉ DES COALITIONS DE PATRONS ET D'OUVRIERS 18b


un individu quelconque pense que tel corps de métier, auquel
il appartlent ou auqueI iI n'appartient pas, devrait poser cer-
taines.conditions au patron et, en cas de refus, se mettre en
greve. En conséquence, iI s'adresse a pIusieurs membres de
ce corps de métier, iI les persuade. Les conditions sont
proposées au patron, et sur son refus, le travail est simulta-
nément abandonné. Les ouvriers qui se sont mis en greve
sont a l'abri de toute poursuite, pllisqlle la coalition ne
constitue plus un délit. Celui qui les a entralnés ne peut
davantage etre inqlliété : il a usé d'un droit. De meme si,
stimuIés par l'un d' entre eux, les patrons ferment a la fOls a
leurs ouvriers les portes de lenrs ateliers, ils n' ont aucun
compte a rendre de leur condnite, et celui qui a tout mis
en mouyement ne sera pas atteint plus que ceux qui ont
suivi son impulsion.


JIais supposez que l'organisatellr de la greve des ouvrier'3
ou ele celle rles patrons n"ait réussi qu"en trompant eléloya-
lement et scÍemmellt cellX qui ont eu confiance en luí, ou
bien que, rencontrant de la résistance, il se soit irrité, et
qu'il ait menacé, frappé : alors la situation change. Les
personnes qui, ~t la !::iuite de ces actes répréhensibIes, sont
entrées dans la coalition, cenes quí, les ignorant, s',r sont
adjointes, sont ~t rabri de toute recherche, puisque la loi
respecte la coalition en elle-meme~ quels que soient son
origine, SOll caractere, son but. ::\1ais ceux qui se sont ren-
dus coupables de la violenC:G et Je la frauJe seront trarluíts
devant la justice, nna p;:¡,rce llu'ils auront provoqué une coa-
lition, ce qui est lic:ite; m;:¡,is paree qu'ils ont, en la proYo-
quant, commis des violences ou des frauues et porté atteinte,
par eles moyens répl'éhensibles, a la liberté d'autrui.


L'article !1l4 11e laisse aUCU11 doute sur ces solutions; il
. est impossible de se méprendre sur la portée qu'il peut avoir.
Le délit qu'iI crée est suhordoIlné iL rexistence de deux
conclitions :


10 Il fallt qu'il y ait ues violellces, des voies de fait, des
menaces, des man<Euvres frauduleuses cOllsommées et prou-
vées; - 2° il faut que ces violences consommées et prou-






, 186 nÉl\IOORATIE ET LIBERTÉ


. vées aient eu pour but de porter atteinte, par une cessation
simultanée de travail, a la liberté, soit du patron, soit de
l'ouvrier. - Des que 1'une de ces deux conditions manque,
le délit de l'article 414 n'existe pas.


La premiere condition est clairement exprimée par les
mots de violence, yoíes de fait, menaces, manmuvres frau·-
duleuses. Nous avons cherché les termes les plus précis;
nous n'en avons pas trouvé dans la langue du droit pénal
qui le fussent davantage. Pour qu'aucun doute ne pút exis-
ter en pareille matiere, nous aurions défini nous-memes
chaque expression, si nous n'avions été arretés et par l'im-
possibilité de le faire et par le Janger qu'il y aurait a le
tenter. " Nous sommes convaincu, a écrit Hossi, dans son
TI)'aüé de dl)'oit JJ(jnal, que, si ron adopte comme regle
absolue la méthode, soit de substituer une définition a l' ex-
pression propre, naturelle, généralement re0ue du délit, soit
de joindre la définitioll au mot, on s'expose, entre autres
inconvénients, au danger de s'écarter de la vérité. 11 est
trop difficile de trouver des phrases générales et précises
en meme temps, des expl'essions qui ne disent absolument
rien de plus ni de moins que ce qui est enfermé dans le mot
indicatif du délit ... Le sens commun a parlé avant le légis-
lateur. Il a yu des hommes s'emparer malieieusement du
bien d'autrui, et illes a appelés vo1eurs. Il a vu des hommes
oter la vie a lenr semblab1e, et il1es a appe1és meurtriers,
et il n'a jamais confondu avec eux celui qui tue son agres-
seur pour défendre sa vie, ni celui qui tue un animal. Qu'est-
ce qu'un vol? qu' est-ce qu'un meurtre? Tont le monde le
sait. Mettez a la place une définition, la plus grande partie
du public ne saura plus de quoi 1'on parle. "


L'ímpossibilité dans laquelle se trouve le législateur de
procéder d'une maniere différente, de rendre inutile l'inter-
prétation du juge, est précisément ce qui dorme tant d'im-
portance él l'organisationjudiciaire d\111 paJs, ce qui en fait,
selon les publieistes, la garantie supérieure de la liberté et
du droit. Quand le juge est corrompu ou faible, aucune loi
pénale ne peut étre bonne, car aucune loi pénale ne peut




SUR LA LIBERTÉ DES COALITIOXS DE PATRONS ET D'OUVRIERS 187


étre assez Ilrévoyante pour prévellir les interprétations
forcées, les jurjsprudences complaisantes. Le remede dans
ce cas ne saurait étre dans la recherche vaine de définitions
dangereuses~ encore moins dans l'impunité assurée aux faits
coupables, de erainte que la disposition qui les atteillt puisse
etre éte.ndue a des faits innocents : il ne peut s'obtenir que
d'une organisation meilleure de la justice crimillelle. Si les
juges ne vous inspirent pas confia11ce, réclamez-en d'autres;
maÍs n'énervez pas la loí pénale, ne lui demandez pas de
tomber dans. des circonlocutions dont la lourdeur ne eorri-
gerait pas l'impuissance.


Fortifiés par ces considérations, nous avons suivi le pré-
cepte donné par Rossi, nous avons choisi des exp,ressions
dont la signification fút séculairement fixée dans la langue
juridique et sur la portée desquelles le sens commun parlat
comme le législateur. Qu' est-ce q u'une violence? qu'est-ce
qu\me fraude? Tout le monde le sait. Si nous avions mis a
la place une définítion, elle eut été fausse, incomplete, élas-
tique, dangereuse, et la plus grande partie du public n' eut
pas su de quoi nous lui parlions.


La violence doit en général se manifester par des coups
et blessures, elle peut aussi exister saus cela. Ainsi on se
rend eoupable de violence lorsque, sans frapper, on saisit
au eorps, on jeite aterre, on arraehe les cheveux, on craehe
au vlsage. Avant la révision de 1863, il était au moins dou-
teux que ces víolences dites légeres, ou non qualifiées,
fussent atteintes par la loí. :Merlin pensait qu'il devait en
etre ainsi. " Supposons, dit-il, une réunion nombreuse de
personnes, soit dans un édifice pub1ie, soit dans une maison
partieuliere : une de ees ,personnes, qui en yoit une autre de
mauvais reil et la juge, sans en ríen dire, indigne de faire
partie de eette réunion, la saisit et la jette de¡hors : ce n'est
la sans doute qu'une violenee légere, mais, quoiq u' elle ne
soit aeeompagnée d'aueune injure verbale, en compromet-
elle moÍns l'honneur de eelui sur qui .elle est exercée? "
(Répertoire, VD Violence). Henrion de Pansey opinait au.¿tre-
mento (Oompétence des jupes de paix, e. XIX.) Le nouvel




188 DÉl\IOORATIE ET LIBERTÉ
, ,


article 311, par l'adelition des mots Olt a1tt1'es 1'ialences Ol{
1/oies de jait, a tranché la elifficulté selon l':wis (le Merlin.
Les termes généraux de notre article embrassent les vio-
lences Jégeres aussi bien que les violences graves et C).uaIi-
fiées.


La menace peut etre verbale ou écrite, etre faite avec ou
sans ordre, avec ou sans conelition, avec l'ordre ele faire ou
avec l'orelre ele ne pas faire.


Les manamvres franeluleuses supposent la réunion de
quatre circonstances. lo D'aborel la fraude, c'e:st-a-dire,
comme dit :Mcrlin, la troínpe1'ie, l'actian fa~te de 1nauvaise
foi. " La loi n'a youIu atteindre ni les projets téméraires
et hasa.rdeux ni les entreprises insensées. Si l'agent a cru
au SUCC2S, s'il a été lui-meme dupe de sa folie, s'iI s'est
trompé de bonne foi, il cesse d'etre responsable, aux yeux
de la loi pénale, des efforts qu'il a faits pour ontl'alller les
tiers elans son crreur. " (Fallstin Hélie, t. V, p. ::311.);.¿n Des
actes combinés artificieusement pour surprendre la COll-
flance. " Les paroles artificieuses, les allégatiolls mellSOll-
geres, les promesse.;;, les espérances ne sont point isolées de
tout fait extétieur, des manffiU\Tes; il faut qu'elles soient
accompagnées d'un acte quelconque destiné ~t les appuyel' et
a leur elonner crédito " (Faustin Hélie, p. 308.) 3° Les ma-
l1ffiUVreS f!'auduleuses doivent etre de nature il faire imprc:::-
sion, c'est-a-dire n'etre pas el'une telle grossi(~reté <}u'e118s
n'aÍent pu raisonnablement agir sur ceux qu' elles a;\'aient
en vue d'entrainer. (Faustin Hélie, p. 315.) 4° EllDn elles
doivent ~tyoir été dét~'1'minantes, c'est-i\-dirc ayoit' porté
atteinte, par le mO)'Gi;, d'une coalition, ;\ la lilJerté ues pa-
trons ou des ouvrier..-:.


Le mot ?Jla¡UlJZt?yres cOlúp{tbles, trop Yague, ll'exprimait pas
la nécessíté d.e ces quatre conditions; e'est pourquoi nou::.;
l'avons rejeté et remplacé par celui de 1nanmU1/1'eS /r({udn-
leuses, qui, en rcstant général, n'est ni vague, ni équiH)qu,_~,
ni susceptible d'étre indéfiniment étendu.


Ainsi une coalition :l lieu : les coalisés :38 cotisput ellÜ'(~
eux: des ouvriers d'OH ar·tre état, des étrangers lllómc, cblls




seR LA L1BERTÉ DES COALlTIO.:\s DE PATRO.:\S El' n'OUVUIERS 180


une pensée (le commisération ou parce qu'ils sont convaincus
Ju bon droit de ceux q ui font greve, fournissent des sommes
d'argent ;'t la coalitioll, cette assistance ne constitne pas une
manreUITC frauduleuse. L'institution des caisses de chómage
n·a pas clavantage ce caractere. Tombe-t-elle sons le coup ele
1:1 loi (les associations? Nons n'avons pas a ·le décider; iI
llOUS snffit ele constater qu'elle n'est pas atteinte par le mot
de manCBuvres frauduleuses. Afin qu'il n'existat aucun doute
sur ces deux solutions, nous avons écarté du projet les
mots dons et prornesses.


Des ouvriers travaillent en paix; plusieurs de leur cama-
rades, ayant résolu de faire greve, les attendent a la sortle
de lenr atelier; ils les pressent d'imiter leur exemple, pro-
mettent leur assistance, étalent avec exagération les chances
de succes, le nombre des adhérents, exaltent la justice de
leur cause; elans tous ces actes ou autres anaIogues, iI y a
l'exercice bon ou mauvais d'un droit, et non l' emploi de
manreuvres frauduIeuses.


Au contraire, un chef d'industrie, voulant ruiner son
cOllcurrent, ou des agitateurs politiques désireux de jeter
dans la rue, a un jour donné, une quantité considérable de
peuple, soudoient des ouvriers afin qu'ils fassent cesser
simultanément le travail dans un ou plusieurs ateliers; des
organisateurs d'une greve, pour triompher des résistancess
affirment des faits qu'ils sayent mensongers; lIs attribuent
aux patrons des résolutions quí n'ont pas été prises; ils
annoncent le succes dans la yille voisine de prétentions
analogues aux leurs, aIors qu'iI n'en est rien et qu'ils le
savent. Ces divers actes constituent des manreuvres frau-
uuleuses.


Les memes hypotheses renversées indiqueront en quoi
consistent les manreuvres frauduleuses de la part des
patrons.


La deuxieme condition qui doit s'ajouter aux menaces,
. violences, manreuvres frauduleuses pour constituer le délit,


'est l'atteinte a la liberté du travail ou, en d'autres termes,




"


190 DÉ.MOCRATIE ET LIBERTÉ


au libre exercice de l'industrie ou du travail. Orelinaire-
ment cette atteinte consistera, ele la part des patrons, a
vouloir injustement abaisser le salaire; de la part eles ou-
vriers, a tenter abusivement de l'élever. Elle pourra porter
sur les antres conditions du travail : sur le travail a la túche
substitué au travail a la journée, sur la durée des henr~s
de travail; elle se manifestera quelquefois par la ré:o.:istallcf~
opposée a l'introduction d'une lloLlvelle maehine ou Ú L.Hl-
mission des apprentis.


Entre ces deux conditiolls que nous venons d' expli(lUer~
il y a une différence essentielle : le délit n' existe pas si la
violenee, la fraude n'ont pas été consommées; la telltative
ne suffirait paso Il existe si l'atteinte ;\ la liberté du tr,lyail,
par l'abandon simultané des ateliers, a été simplelllfllt tell-
tée. La g-rayité du dan[~eI' social, le earactE're sacré clll d ruit


L. ~~


violé nons ont décidés a admettre sur ce dernier point b
criminalité de la tentative. Il est bien entemlu que la tenUt-
tive prén18 par nous est celle définie par rarticle :: du eode
pénal : celIe qui aUL' (':té "mallifestée par un commenC8-
ment d'exéeution et qui n'a été suspenclue que par eles eir-
constances innépendantes de la volonté de son auteur ,,;
eelle qui a été définie par un criminaliste qui fai t aut()J.~ité
dans la science , r éminent professeur de la faculté de Pari::;:,
M. Ortolan : " La tentative n' ex.iste en droit pénal [1 ue lo1's-
qu'il y a un acte ou une série (factes, 1l0n-seulemPllt exté-
rieurs, mais actes de mainmise tendant ~t l'aecomplisselllent
du délit. - D' OU la conséquence que ni la menace, ni la njso-
lutíon concertée et arretée entre plusieurs, ni la proyoeatiol1
par paroles ou par écrit a commettre un (lélit. n8 saul'aíent
etre qualifiées de tentative; une telle qnalification serait COIl-
traire a la nature meme des ehoses, serait une falsification
des faits et des termes: il n'y a pas encore eu main mise ú
l'ceuvre. - Lorsque l'agent en est venu aux actes prépara-
toires, peut-on dire qu'il y ait tentative? .. A vraí dire, les
actes préparatoires ne tendent pas a produire par eux-
memes le mal du délit; ils ne sont qu'un préalable, qu ·une.
préparation a agir; ce n'est pas au délit lui-meme que l'agent




SUR LA LlnERTÉ DES COALITIONS DE PATRONS ET D'OUVRIERS 191


a mis la main, iI ne l'y mettra que par le premier aete d'exé-
cntion. " "Droit pénal, n° 989. V. aussi nO 1031). Afin qu'il
n'existe <lucun nonte sur cette signification de la loi, nous
avons écarté le mot de jJTo¡;ocation, qui lle se référait qu'a
des aetes préparatoires, et nous n 'a"ons pas reproduit les
expressiolls de rancien article 414 : 8ui1jie d'u,ne tentative
Ul! {(1m cormnencement d'exécution, dont le jurisconsulte
Carnot (Commentaire du eode péllal, II, p. 412), avait pris
texte ponr soutenir qu'elles caraetérisaient une tentative
spéeiale, pouvant se manifester autrement que par un com-
mencernent (l'exécution.


Nous ayons ajouté au mot wmene?' une cessation de tra-
yai 1 celní de mai;ltenií'. Amener une greve qui n'existe pas
011 en lllaintenir une qui existe, c'est accomplir une aetion
if1811tiqllC.
~\pr(\; a\'oir (U~crit le clélit, il nons reste ú indiquer la peine.


Le ?/WXi1FW)n est de trois ans de prison, et de 3,000 francs
cl'amencle. Dans le projet (ln conseil d'Etat, il pouvait etre
de cinq ans ue p1'ison et de 10,000 fumcs d'ameude. Le
1nin'¿?n1t?n est de six jours de prison et de 16 francs
d'amende. Sachant combien la prison est une peine cruelle
pour l'ouvrier, dont la famme se trouve privée de pain par
la détention de son chef, nous avons youlu que le mínimum
püt desceml['e jusqu'~t n'etre qu'une simple amende. Dans le
projet du eOllseil d'État, ]e mínimum était de six mois de
prison et de 500 franes d'amende, sauf raction des círcons-
tanees atténuantes.


La distance qui sÉ:pare le minimum de la peine de son
maximurn nous a semhlé suffisante ponr que le juge pút pro-
portionncr la peine a l'imputation personnelle de chaque
coupable, et frapper plus 011 moins sllivant le degré de l'in-
tention pervcrse, de l'intelligence et de l"infinence exercée.
11 ne nous a pas semblé ton d' édicter une aggravation par-
ticuliere contre les meneurs. S'il y a des meneurs pour ex-
citer, 11 Y en a pour retenir. En essayant d 'atteindre les
premier::;, 011 s'expose a déeourager les seconds. Nousn'avons
pas voulu que, lorsque des ouvriers pleins de bonne volonté




192 DÉ:'IlOCRATiE ET LIBERTÉ


auront été choisis par leurs camarades comme étant plus
capables que d'autres de débattre avec les patrons des ques-
tions de travail, ils soient nécessairement punís avec une
sévérité particuliere si plus tard, la lutte les ayant entrai-
nés, ils se sont abandonnés a quelque acte de violence ou
de fraude.


Art. 416 L'article 416 prévoit une circonstance aggravante du
délit puni par l'article précédent. Dans l'article 413, la
violence ou la fraude est l'acte d'un seul ou de plusieurs qui
ne s'étaient pas préalablement cOllcertés. Dans l'article 416,
elle est l'acte de plusieurs qui s'étaient préalablement enten-
dus et cOllcertés pour la commettre. Cette entente constitue
une aggravation de la culpabilíté, devant entralller une
aggravation de peine. L'article 109 du code pénal punit de
six mois de prison au moins et de deux aus de prison au
plus celui qui, par attroupement, voies de fait ou menace,
aura empeché un ou plusieurs citoyens d'exercer leurs droits
eiviques. L'articJe 1] O ajoute aussit0t: " Si ce crime a été
commis par suite d'un plan concerté pour etre exécuté SJit
dans tout l'Empire, soit dans un ou plusieurs départements,
soit dan s un ou plusieurs arrondissements communaux, la
peine sera le bannissement. " L'article 415 est analogue a
l'article 110. L'aggravation de peine qu'il prononce consi~­
tera en la fiZC1tlté pour le juge de placer le coupable sous la
surveillance (le la haute police pendant deux ans au moins,
cinq allS au plus. Cette peine spéciale est d'ailleurs limitée
a ce cas unique. Le projet du conseil d'État l' étendait aux
auteurs de provocations suivies d'effets et aux chefs ou
moteurs.


2° Atteinte legere pO?,tée (t la liberté du t?'avail. Elle
résuHe, aux termes de l'article 416, des amendes, défenses,
proscriptiollS, interdictions prolloncées soit par les patrons
contre les ouvríers, soit par les ouvriers contre les patrons,
soit par les ouvriers les uns contre les autres. Ces mots,




SUR LA LIBERTÉ DES COALITfONS DE PATRONS ET D'OUVRIERS 193


n'ayant jamais donné lieu a aucune difficulté, n'exigent pas
d' explications.


Dans le projet du conseil d'État, ainsi que dans le nutre,
le délit n'existe que si les amelldes, défenses, proscriptions,
interdictions sont prononcées en exécution d'un accord préa-
lable, d'un concert. Nous avons exigé, comme seconde eon-
dition, que les amendes, défenses, proscriptions, interdic-
tions, aient porté atteinte a la liberté du travail. La tentative
ne suffirait pas, ni meme le jJ1'ononcé, ainsi que le disait
l'ancien article 416. Au pronollcé doit se joindre la preuve
qu' en fait le libre exerciee de l'industrie et du travail a été
empeché.


La peine sera de six jours a trois mois de prison, de 16 a
300 franes d'amende, ou de l'une de ees deux peines seule-
mento


Depuis la premiere constituante, les coalitions des ouvriers
agricqles sont réprimées par les articles 19 et 20 du titre 2
de la loi des 28 septembre et 6 octobre 1791, ainsi congus :


" Art. 19. - Les fJropriétaires ou les fermiers d'un
meme canton ne pourront se coaliser pour faire baisser ou
fixer a vil prix la j ournée des ouvriers ou les gages des
domestiques, sous peine d'une amende du quart de la con-
tribution mobiliere des délinquants, et meme de la détention
de poliee municipale, s'il y a lieu.


" Art. 20. - Les moissonneurs, domestiques et ouvriers
de la eampagne ne pourront se liguer entre eux pour faire
hausser et déterminer le prix des gages ou des salaires, sous
peine d'une amende qui ne pourra excéder la valeur de
douze journées de travail, et, en outre, la détention de
poliee munieipale. "


En 1849, on demanda que les coalitions des ouvriers des
campagnes fussent assimilées a celles des ouvriers des villes.
La eommission s'y refusa. " Les peines prononeées par le
code rural, dit M. de Vatimesnil, sont moins séveres que
celles qui ont été établies par le code pénal contre les
patrol1s et les ouvriers de l'industrie. Cette différence de


13




1~4 DÉMOCRATlE E1' LIBERTÚ


pénalité est raisonnable, paree que les' coalitions qui peu-
vent se former d<tns les campagnes entralnent des désordres
moins graves que celles qui naissent dans les centres d'in-
dustrie. Il n'y a done pas lieu d'] nnover relaürement a
l'agriculture. " 11 Y a lieu d'innover aujourd'hui ; il serait en
effet contradictoire que, permettant les coalitions réputées
les plus dangereuses, on continuát a interdire celles que l'on
présume inoffensives. La loi de 17Dl est done ahrogée aussi
bien que les articles 414,415 et 416.


La violence et la fraude n' étant pas plus licites a la cam-
pagne qu'a la ville, les dispositions de la nouvelle loi s'ap-
pliqueront aux ouvriers des ehamps aussi hien qu'á ceux de
l'industrie.


Le projet de loi dont je viens d'analyser les dispositiollS a
subí dans la commission les critiques de deux minorités
placées a deux points de yue opposés. L'une a pensé qu'il
était inutile, l'autre a soutenu qu'iI était insuffisant.


L'argumentation de la minorité qui croit le p1'ojet de loi
inuti1e, quoique ayant été appuyée par de 10ngs développe-
ments, peut se résumer en quelques mots. Nous ]le VOU1011S
pas, a-t-on dit, que la violence, la menaee ou tous autl'es
crimes OH délits commis ~ll'occasion d'une coalitioll, restent
impunis; mais les ¡olisposi tions générales de la loi pénaIe
suffisent a empecher ce 1'ésultat. Elles atteignent tout ce quí
doit etre atteint; une loi spéciale est inutile; elle sera im-
populaire. Le mieux serait done d'abroger simplement les
articles 414, 415, 416, et de laisser au droit COlllmun la
répression des délits qui se méleront it b coalition.


La majo1'ité ele votre commission n'a pas adopté ce sys~
teme. Voici ses raisons : iI n' est pas exact de (lire, en p1'e-
mier lieu, qu1une loi spéciale soit inutile. Dans le droit civil,
tout dol est pris en consielération par le jnge; dans le droit
criminel, le dol caractérisé pent seul etre recherché. A dé-
faut d1une disposition spéciale, la plupart des faits eontenus
sous Pexpression de manceuvres frauduleuses échapperaien t




SUR LA LIBERTÉ DES COALITIONS DE PATRONS ET D'OUVRIERS 195


a la répression. 01', tous les publicistes et tous les législa-
teurs ont toujours pensé que la fraude, lorsqu'elle est accom-
pagnée de manamvres, était aussi coupable que la violence.
Il y a mem e dans la fraude un caractere de Hlcheté et de
bassesse, ele persistance et de préméditation, par conséquent
une nuance de culpahilité quí ne se rencontre pas au meme
degré clans b violence, c10nt P explosion est touj ours franche,
si je puis.elire ainsi. souvent subite ou passagere. J'ai cité le
fragment dans lequell\I. Stuart Mill enseigne que la violence
et la fraude doivent etre interdites. Le dernier :lete du parle-
ment anglais, du G aoút 1861, punit " quiconq ue fera usage de
MA::·wmVRES !i'R.-1.UDULEUSES ET DÉLOYALES pour arriver a Paug:-
mentation des salaires, quiconque emplolera des MAr\CEUV~ES
FRAUDULEOSES ET DÉLOYALES contre le comrnerce, l'industrie
ou les manufactures, ou contre les personnes qui s'adonnent
a ces professions (1). "


ene disposition spécialc contre la vlolence et la menace
ne sera pas davantage inutile. La peine a deux limitas
qu'elle ne peut jamais dépasser, qu'elle (loit toujours
atteindre: celle de la jnstice ou du ~al moral, .celle de
l'utilité ou du TIlal social. Or, la justice n' est-elle pas
atteinte davantage lorsqu'au faít déj~t coupahle de la yio-
lence s'ajonte rintention plus coupable encore de porter
aUcinte 2t la liberté c1u trayail? Si Hn oUvTier est hlámable
de frappc!' un de ses camarades dans une rixe, ne l'est-il
pas plus encare (le le f1'appc1' pour que, malgré lui, il quitte
l' atelier, e 'est-~t-(1ire cllúl abanrlonne son gagne-pain, qu'il
lilTe a la mis¡':ro une femme~ des enfants qui ne peusent
attenare sans donte la fln (rUne greye peut-étre injuste?
Punir égalcment ces faits, n' est-ce pas contraire á la jus-
tice? La violence ou la menace dirigée contre le travail ne
proauit-elle pas anssi plus de dommage social que n' en
occasionne la violence ou la mena<..:e née d'.Ull moment de
colbre ou d'un sentiment de yengeance? Est-ce. gradúer la


(1) Toute In, lég-islation étrallgere est analysée clans le l'cmarquaHe exposé
des motifs ue 1\1. COl'lmuct.





196 DÉMOCRATIE ET LIBERTÉ


peine selon l'utilité sociale que de frapper l'une autant que
l'autre?


Les dispositions qu' on invoque sous le nom de droit com- .
mun confirment ces solutions, par voie d'analogie. Est-ce
que, pour punir la menace ou la violence, il n' existe dans
ce droit commun qu'un article embrassant toutes les hypo-
theses par l'ampleur de ses termes? Nullement. Chaque
situation particuliere est prévue par une disposition spé-
ciale. La peine de la violence varie suivant la perversité de
l'intention (art. 295 a 305,310, 311 § 2), la gravité du préjn-
dice individuel (art. 309, 311), du dommage social (art. 186,
209,228,263, 381), la qualité des victimes (art. 312, 354),
les circonstances qui ont accompagné le délit (art. 313,279).
- La meme gradation s' observe dans la répression des me-
naces, dont la peine oscille de six jours a trois mois jusqu'a
cinq ans (are. 305, 306, 307, 308, ·430, 381 5°).


Les nouveaux articles 414, 415, 416 introduisent une
distinction de plus parmi ces distinctions. A l'échelle ascen-
dante selon laquelle sont classées les violences ou les me-
naces, ils ajoutent un échelon de plus; ils ne s'écartent pas
du droit commun, 'ls le completent. Les lois pénales sont
d'abord générales a l'exces; sous une meme qualification,
elles embrassent beaucoup de faits inégaux en culpabilité.
L'esprit humain débute la comme ailleurs par des générali-
sations mal faites. A mesure que les intelligences se délient,
les nomenclatures primiti-res sont abandonnées; on distingue,
on sépare, on analyse, OH classe. Chaque action, examinée
de pres, est traitée selon ce qui est réellement et non selon
des observations superficielles. Aussi le progre s scientifique
consiste-t-il a diviser des articles et non a les réunir, a spé-
cialiser des délits et non a les généraliser. Avant la révision
de 1863, la peine prononcée contre les coups et blessures
dépendait de la durée de l'incapacité de travail qui en était
la suite. S'était-elle prolongée plus ou moins de vingt jours?
Il n'y avait rien autre a rechercher. Si la maladie n'avait
pas dépassé vingt jours, les coups et blessures, eussent-iIs
produit la cécité ou une mutilation permanente, étaient




SUR LA LIBERTÉ DES COALITIONS DE PATRONS ET D'OUVRIERS 197


punis moins que la contusion passagere qui interrompait le
travail pendant plus de vingt jours. Cette bizarrerie, blamée
par les j urísconsultes, était la conséq aence d'une générali-
sation vicieuse. La divísion du meme articIe en deux para-
graphes, pronoll<.)ant deux pénalités différentes, l'a fait dis-
paraitl'e sans que personne ait pensé qu'on sortit par la du
droit commun. Ce qui était naturel alors l' est encore aujour-
d'hui. Vouloir que deux actes diversement coupables soient
punis de meme, créer ainsi un privilége au profit de l'un
d'eux, voila qui est vraiment se placer dans le droit excep-
tionnel. Vouloir que la punition de chaque délit soit pro-
portionnée autant que possible au mal moral et au mal social,
c' est rester dans toute la pureté du droit commun, c'est le
perfectionner, le ,rapprocher un peu plus de la forme tou-
jours fuyante de la justice abstraite.


Le savant rapporteur de la loi beIge, M. Pirmez, a dé-
fendu cette doctrine dans les termes suivants :


" Faut-il porter des peines spéciales contre les faits qui
portent atteinte a la liberté d u travail? Ouí, l'inj ure, la vio-
Ience sont par elles-memes des infractions contre l'honneur
ou la sureté de ceIui qui en est l'objet; ce caractere leur est
essentiel; si elles sont commises pour le contraindre a un
acte auquel il n' est pas astreint, un nouvel élément de cri-
minalité s'ajoute a leur caractere principal; le fait n'attente
plus seulement a l'honneur et a la sureté, il attente encore A
la liberté. Le mal commis est done plus grand et la peine
doit· etre plus forte. Par la meme considération, des actes
qui ne sont pas par eux-memes au rang des délits peuvent y
etre placés, parce qu'ils sont dirigés contre le droit d'au-
trui. Quelque légere qu'elle solt, quelque forme qu'elle
revete, la contrainte doit etre réprimée; c'est une voie qu'il
faut fermer complétement, des faits peu importants con-
duisent a de plus graves, et la grandeur du droit lésé com-
pellsera d'ailleurs tres-amplement l'exigu'ité de l'offense. "


En 1849, on introduisit dans la loi organique Iilu 15 mars
les deux articles suivants :




198 DÉMOCRATIE ET LIBERTÉ
"Art. 106. - Ceux qui, par voies de fait, violences ou


menac.es c.ontre un éledeur ... l'auront déterminé ou auront
tenté de le déterminer a s'abstenir de voter, ou auront soit
INFLUENCÉ, soit TENTÉ D'INFLUENCER son vote seront punis
d'un emprisonnement (i'un mois a un an et el'une amende de
100 francs a 2,000 francs.


"Art. 107. - Ceux qui, a l'aide de fausses nouvelles,
bruits calomnieux ou autres l\IANCEUVRES FRAUDULEUSES, au-
ront surpris ou détourné, tenté de surprendre ou de détour-
ner, déterminé ou tenté ele déterminer un ou plusieurs élec-
teurs a s'abstenir, seront punis el'un emprisonnement d'un
mois a un all,. " etc., etc.


n n'est aucune des objections précéclentes qui ne pút etre
opposée a ces deux articles : le prétendu vague des expres-
sions, l'inutilité d'une dérogation au droit commun, le dan-
ger de créer un droit spécial, la nécessité de remIre la loi
agréable a ceux qui doivent la subir. Les jurisconsultes, les
orateurs prets a empecher, a elénoncer tout au moins la vio-
lation des principes, étaient nombreux dans la seconde as-
semblée constituante; cepenclant aucune réclamation ne
s'est élevée, et ces articles transmis el'une loi a l'autre sont
devenus, san s que personne s'y soit opposé, une regle habi-,
tue}le de la législation électorale.


La loi, du moins, a-t-elle a redonter l'impopularité ~ Nous
le regretterions, paree que cette impopularité serait une
injustice. A parler net, nous ne le craignons paso Le mot de
droit commun, mal compris, a troublé quelques ouvriers. La
réflexion les ramenera, et plus encore l' expérience. Quand
ils auront comparé ce q u'iIs pourront a ce qu'ils no pouvaient
pas, íl faudra bien qu'ils reconnaissent l'efficacité de la loi;.
lorsqu'ils se seront conyaincus que les nouveaux articles ont
pour but de les protéger contre le11rs patrons ou contre le
despotisme de leurs camarades, autant que de protéger les
patrons et la société contre eux, ils ropousseront les pensées
de défiance. Quelle que soit en réalité leur impresslon pre-
miere, nous ne redoutons pas leur jugement définitif.


" Demandez au premier venu, disait Bastiat en défendant




SUR LA LIBERTÉ DES COALITIONS DE PATRONS ET D'OUVRTERS 199


a l'assemblée législative la proposition Morin, demandez
a qui vous voudrez si la loi est injuste, partiale, lorsqu'elle
se contente de. réprimer 1'intimidation, la violen ce ? Tout le
monde vous dira : Ce sont de vrais délits. Supposez, aj.outait-
il, le procureur de la république disant: Nous ne .vous
poursuivons pas parce que vous vous etes coalisés : vous étiez
parfaitement libres. Vous avez demandé Ulle augmentation
de salaire, nous n'avons rien dit; vous vous etes concertés,
nous n'avolls rien dit; vous avez voulu le chómage, rous
n'avons rien dit; vous avez cherché á agir par la per~uasion
sur vos camarades, nous n'avons ríen dit. Mais vous avez
employé les armes, la violence, la menace, nous vous aVOllS
traduits devant les tribunaux. L' oU"\Tier que vous poursuivrez
ainsi courbera la tete, paree qu'il aura le sentiment de son
tort et qu'il reconnaltra que la justice a ¿té impartiale et
juste. " Nous avons la meme confiance que Bastiat. Nous
espérons davantage : nous espérons que la majorité des pa-
trons et des ouvriers ne rendra pas nécessaire l'application
de ces articles et que leur action sera bien plutót préventive
q ue répre~sive.


La minorité qui croit la loi insuffisante a surtout insisté
sur le danger des greves subites et intempestives. Dans cer-
tains moments, a-t-elle dit, une suspension de travail non
prévue, e' est la ruine de l'industriel. Puisque vous accordez
á l'ouvrier le droit de se coaliser, exigez au moins qu'il en
use avec loyauté, q u'avant de se mettre en greve il avertisse
le patron et lui accorde un certain délai, ou bien adoptez le
systeme beIge, érigez en délit la rupture des engagements,
lorsqu'elle a lieu en exécution d'un coneert préalable.


La majorité de votre eommission, apres múr examen, n'a
pas eru qu'il fUt sage d'adopter ces idées.


HIui a paru contraire aux principes de retarder par un
délai Iégal l' exereice du droit des ouvriers. Les contrats ne
naissent que de la volonté des parties; le législateur peut
en subordonner l'existence á des conditions déterminées; il
n 'a pas la paissanee d'intervenir dans le domaine réservé a
la liberté contraetuelle et d'édicter d'office une condition




200 DÉMOCRATIE ET LIBERTÉ
dans un contrat d'ailleurs régulier. Si les ouvriers sont en-
gagés a la journée, on n'a pas le droit de leur imposer l'obli-
gation de continuer le travail malgré eux, durant un certain
nombre de jours. S'ils ont contracté des engagements, il est
inutile de créer un délai légal, puisque de l' engagement lui-
meme nait un délai contractuel. Il en est de meme, en l'ab-
sence de tout contrat expres, lorsque la coutume établV
tacitement un lien d'une certainedurée entre le maUre et
l'ouvrier.


Le systeme beIge (1) accepte pour point de départ les
idées que je viens de rappeler. Il reconnait le droit de se
coaliser sans aucun avertissement, avant l' expiration de tout
délai, lorsqu'il n'existe aucun ellgagement expres ou tacite.
n ne propose de peine contre la coalition subite que lors-
qu'elle est formée pour vi oler des engagements préexis-
tants.


Aucun principe essentiel, on doit le reconnaitre, n'est
méconnu par ce systeme. La ruptnre d'un contrat donne
ouverture a une action en dommages-intéréts devant les tri-
bunaux civils; mais le législateur peut prendre en considé-
ratio n l'inefficacité présumée de l'action civile, le dom-
mage social causé, et attacher une peine a la violation de
certains engagements civils. La théorie du stellionnat, celle
de la banqueroute simple ou frauduleuse n'ont pas d'autre
base. " Le droit de propriété a dit, avec raison, le rapporteur


(1) PROJET DE eODE PÉNAL BELGE.
Art. 347. - « Sera punie d'un emprisonnement lle huit jours i1 trois mois et


d'une amende de 26 fr. i1 1,000 fr., ou de l'une de ces deux peines seulement,
toute cessation de travail, non notifiée quinze jours a l'avance, et résultant
d'une coalition, soit entre ceux qui travaillent, soit entre ceux qui font tra-
vailler, et en violation d'usages locaux ou de conventions; le clélai de notin.ca-
tion est porté a un mois pour les industr~els que protégent des engagements
comportant au moins cette durée.


« Sera punie deS memes peines toute cessation générale de travail faite sltns
ces avertissements par un ou plusieurs chefs d'ateliers ou d'usine, meme sans
coalition, mais en dehors des cas de force majeure et en violation des memes
usages ou contrats.


( Ces peines pourront etre élevées jusqu'au double a l'égard de chefs ou
moteurs. »




SUR LA LIBERTÉ DES COALITION"S DE PATRONS ET D'OUVRIERS 201


de la loi beIge, M. Pirmez, est le meme sur les immeubles
que sur les meubles. En général, pourtant, 1'usurpatioll
d'un fonds de terre ne donne pas lieu a 1'application d'une
peine, tandis que l' enlfwement d'un objet mobilier est puni;
et cette différence trouve sa complete j ustificatiol1 dans cette
double circonstance que le premier attentat est aussi facile
a constater et a réprimer que l'autre l'est peu; de la résulte
l'inutilité de la protection pénale pour la propriété immo-
biliere et sa néeessité pour la propriété mobiliere. " Notre
législation industrielle contient des précédents qu'on pour-
rait invoquer. Un édit du 27 décembre 1729 interdit aux
ouvriers et voituriers de quitter le haut fourneau pendant
qu'il est en feu, sous peine de 300 livres d'amende. Un
reglement du 29 janvier 1739 et un arreté du 16 fructidor
an IV édictent des dispositions semblables relativement aux
papeteries. La cour de Bourges, par arret du 21 décembre
1837, a jugé que l'édit de 1729 était maintenu par l'article
484 du Code pénal. (Sirey, 1837, 2, 166.) Le tribunal de
Saint-Omer, par jugement du 30 mars 1841, a décidé que le
reglement général sur les manufactures du 22 germinal
an XI avait abrogé les reglements spéciaux sur les papete-
ríes; cependant un magistrat, M. Bourdon, a soutenu l'avis
contraire. (Revue de Législation, jUill 1841. Voir aussi
Morin, Répertoi1'e, VO Ollvriers.)


Si le systeme beIge est irréprochable en droit, il est criti-
quable en fait. Nous ne méconnaissons pas l'embarras de
l'industrieI surpris par une greve imprévue, et nous trouvons
indigne la conduite d'ouvriers qui profiteraient d'une situa-
tion engagée pour rompre leurs contrats. Mais nous ne
croyons pas que le systeme beIge puisse rien contre un pareil
danger. En général, les ouvriers, tous les prud'hommes que
nous avons entendus l'ont déclaré, observent leurs engage-
mentsavec loyauté. Si l'on suppose que, malgré cette louable
habitude, ils se coalisent dans un cas exceptionnel pour les
violer, il est a présumer qu'une passion impétueuse s'est
emparée d'eux, les maitrise et les entraine. Dans ce cas,
1 'intéret bien entendu des patrons est, au líeu de les retenir,




202 nÉMoCRATIE ET LIBERTÉ
de les renvoyer le plus tot possible. S'ils restent, ils travail-
leront mal, troubleront ceux de leurs camarades qui ne par-
tagent pas leur ardeur, causeront peut-etre du dommage a
l'outillage de l' établissement. Inutile dans les coalitions
honnetes, le systeme beIge est inefficace et dangereux dans
les coalitions inexorables. Il a en outre 1'inconvénient de
présenter des difficultés presque insurmontables dans l'ap-
plication. Si l'engagement a une dure e assez longue, on est
obligé de n'en punir l'inexécution que pendant une période
déterminée, a moins de creer, sous prétexte de protéger le
maUre, la quasi-servitude de l'ouvl'ier : ce qui conduit a
l'inconsequence, puisqu'on n'attachB pas la peine a 1'inexe-
cution pendant toute la durée du contrat; a 1'arbitraire,
puisqu' on détermine sans le consent~nent des intéresses le
délai dont l'illobservation sera punissable. De plus, on s'ex-
pose a ce (IUe l'ouvrier, peu familier avec la distinction du
ul'oit civil et du droit criminel, supposant licite ce qui
echappe a la peine, arrive peu a peu a ne plus considerer
comme obligatoire civilement la partie de l'engagement dont
la violation n' entraine pas une intervention de la justice
correctionnelle, et qu'ainsi ne s'affaiblissent en lui les sen
timents d'honneur, qui en l' ennoblissant donnent aux patrons
leur meilleure garantie. Enfin, pour établir une égalité au
moins apparente entre les patrons et les ouvriers, le projet
beIge a dú. déclarer punissable la violation de tous les enga-
gements envers les ouvriers commise par un seul patron, en
dehors de toute coalition. País, comme cette concession,
dans certaines hypotheses, conduisait a des résultats 111ons-
trueux, il a corrigé aussitút ce qu'il venait d'accorder, en
ajoutant: " En dehors des cas de force majeure. " Ces mots
suffiront pour couvrir les patrons dans la plupart des cas ; ils
ne les soustrairont pas cependant aux tracasseries, aux pro-
ces. Les patrons sont intéressés autant que les ouvriers au
rejet du systeme helge.


La majorite de yotre commission, dans son désir de
donner satisfaction a tous les intérets legitimes, n'a pas eru
que déclarer impraticables les propositions de la minorité,




SUR LA LIBERTÉ DES COALlTlO~S DE PATRONS ET D'OUVRIERS 203
ce flit avoir tout a fait rempli son devoir : elle a cherché •
elle--meme s'il ne serait pas possible d'organiser un préser-
vatif contre l'explosion instantanée des greves.


Avant de plaider, on est obligé de comparaitre en conci-
liation dev::mt le juge de paix; la tentative d'ordre amiable
se place avant l'ordre judiciaire; d'apres le congres de Paris,
la guerre doit etre précédée d'un essai de médiation. Pour-
quoi, s' est dit la maj orité de votre commission, la guerre
indnstríel1e ne serait-elle pas, comme la guerre judiciaire,
comme la guerre politique, précédée d'un essai de concilia-
tion? Souvent la clivision nait d'un malentendu que des pro-
pos mal rapportés enycnirnent, que l'arnour-proprc rellcl IL la
fin irréconciliable. L'obligation de comparaitre devant des
tiers désintéressés, d'expliquer les griefs réciproques aurait
tout au moins l'avantage de dissiper les malentendus, de ne
laisser debout que les motifs réels de désaccord. Un peu de
temps serait ainsi gagné. A l"emportement des premieres
impressions succéderait peut-etre le (',alme des dispositions
cOllcilialltes. Si, malgré tous les efforts, la réc011ciliation ne
s'opérait pas, la coalition du moins serait une lutte á armes
loyales et non une surprise organisée dans des conciliabules
souterrains. Les conseils des prud'hommes semblent créés
ponr remplir cet office. A leur origÍlle; de 1806 a 1810, ils
n'avaient ras d'autre r61e que celui ele conciliateurs. Depuis
que lenrs c1écisions sont devenues obligatoires, ils ont tou-
jours mis lenr honneur á concilier beaucoup plus qu'ajuger.
Ouvriers et patrons les respectent également. Aucune inter-
vention ne saurait etre plus efficace. Le seul danger serait
qu' elle voulut le devenir trop, q n' elle tendit a la constitution
d'un trillUllal des salaires. On rendl'ait cette tentative im-
possible en défendant aux prud'hommes d' émettre un avis,
en cas de non-col1ciliation. lis se horneraient a dresser un
proces-verbal, constatant sans aUCUll détail que les parties
ayant comparu n'ont pu s'entendre. Pour augmenter encore
les chances de rapprochement, on· pourrait ne considérer
l'intervention des prud'hommes que comme une nécessité
subsidiaire, et autoriser les parties a choisir elles-memes les




204 DÉMOCRATIE ET LIBERTÉ


personnes devant lesquelles elles désirent comparaitre. En-
fin, le systeme serait complété par une peine pluült morale
qu'afHictive prononcée contre ceux quí commenceraient une
coalition sans s'étre préalablement soumis a la tentative de
conciliation. L'article suivant nous avait paru une formule
suffisante de ces diverses idées :


" Seront punis d'une amende de 16 francs a 200 francs et
de la privation des droits politiques pendant un an au IYloins
et six ans au plus tous ouvriers ou entrepreneurs d'ouvrage
qui, par suite d'un plan concerté, auront cessé ou fait cesser
le travail sans avoir eu préalablement recours a une tenta-
tive de conciliation.


" La tentative de conciliation aura lieu devant les per-
sonnes désignées d'un comrnun accord par les parties : a
défaut d 'accord, devant le conseil des prud'hommes; ]ors-
qu'il n' existera pas de cOllseil de prud'hommes, deyant une
commission mixte, composée en nombre égal de patrons et
d'ouvriers, e,t forrpée par le président du tribunal de com-
merce.


" Si la tentative de conciliation échoue, soit parce qu'il a
été lmpossible de s' entendre, soit parce que les parties ap-
pelées n'ont pas comparu, il sera dressé proces-verbal fai-
sant sommairement mention que les parties n'ont pu s'ac-
cordero "


Le Gouvernement et les commissaires du conseil d'État
ont repoussé ce proj et. Autant, nous ont-ils dit, une tenta-
tive de conciliation volontaire est désirable, autant une ten-
tative de cOllciliation obligatoire répugne aux principes. La
liberté guérira elle-meme les maux que causera la liberté.
Reconnaltre un droit pour le limiter aussitótest une mauvaise
pratique. Ce qui a surtout motivé l' opposition de MM. les
commissaíres du gouvernement a notre projet, c'est la
crainte que le tribunal des salaires ne fut contenu en germe
dans la tentative de conciliation. Ils verraient un danger a
flatter, meme indirectement, la tendance qu'ont que]ques
ouvriers a poursuivre la fixation officielle du salaire.




SUR LA LIBERTÉ DES COALITIONS DE PATRO~S ET D'OUVRIERS 205


Ces raisons ont paru graves a la majorité de votre com-
mission et l'ont décidée, quoique a regret, a ne pas insister
pour l'adoption de son projet.


A l'occasion de la liberté des coalitions, on a soulevé la
questian du droit de réunion et celle du droit d'assoeiation.
La commission a eru qu'un examen de cette nature n'entrait
pas dans le mandat que vous lui aviez confié, et elle n'a pas
vauJu sortir du cerele que lui tra<;ait le projet de loí ..


111


Les explieations que je vous ai données me permettront,
sans manquer de déférence envers nos collegues, d'appré-
cíer, en peu de mots, les divers amendements qu'íls nous
ont soumis.


L'honorable M. Darimon nous en a présenté un ainsi
con<;u :


AIj'ticle 1tnique : " Les articIes 414, 415 et 416 du cocle
pénal, rebtifs aux coalitions des maitres et des ouvriers
sant abrogés et remplacés par les dispositions suivantes :


" Art. 414. Sera puni d'un emprisonnement de sixjours a
trois mois, et d'une amende de 16 a 500 fr., ou de l'une de
ces deux peines seulement, toute personne q ui, a la suite
d'un concert ou meme indépendamment de tout concert,
aura commis des violenees, proféré des menaces, prononcé
des amendes, des interdictions ou toute proscription quel-
conque, soit contre eeux qui font travailler, soit contre
ceux qui travaillent, q uand ces actes auront eu pour effet de
porter atteinte a la liberté des maUres ou des ouvriers.


" Art. 415. Seront punis des memes peines, ou de l'une




206 DÉMOCRA TIE ET LIBERTÉ
d'elles seulement, les moteurs de rassemblements tumul-
tueux pres des établissements ou s'exerce le travail ou pres
de la demeure de ceux qui le dirigent, quand ces rassemble-
ments auront été provoqués dans le but d'attenter a la
liberté du travail.


" Art. 416. Seront considérés comme faisant usage d'un
droit légitime, et par conséquent ne seront point passibles
des peines portées aux deux articles précédents, NI D'AUCU~E
AUTRE, les directeurs d'ateliers ou les ouvriers qui se seront
réunis librement et pacifiquement pour s'entendre et arreter
des résolutions communes soit sur le prix, soit sur les con-
ditions du travail, meme quand ces résolutions auraient eu
pour effet de suspelldre et d'interrompre pour un temps le
travail dans un ou plusieurs ateliers. "


Les idées principales contenues dan s l'amendement de
l'honorable M. Darimon sont conformes it celles que la com-
mission a acloptées. Les points de dissidence portent sur
l'affirmation que fait l'honorable :\1. DarilllOll (lans l'article
416 du droit ele se coaliser et du (lroit (le se réunir. Bien
qu'admettant comme luí le clroit de se coaliser, nons a yons
dit pourquoi les exígences de la loí pénale ne nous permet-
taient pas de l'affirmer directement. Qnant au uroit de réu-
nion, il n'était pas l'objet de nos délibératiolls; nous n'avons
pas a nous en explir]uer.


L'honorable M. Jérome Dayid a, le premier, pl'is l'initia-
tive devant la commission du systeme dit du droit commun,
qui consiste ~t supprimer purement et silllplemellt les ar-
ticles 414, ~1l5, 416. Il n'a pas tardé ú comprendre l'imper-
fection de ce systeme, il a retiré son premier amendement,
pour en proposer un secolld dont yoici les termes:


" Chacun a le droit de disposer <le son travail de la ma-
niere la plus absolue, pouryu qu'il se conforme aux lois et
reglements.


" Quiconque, par voies de fait, menaces, manamyres ou
intimidations exercées sur une ou plusieurs personlles, aura
mis des entraves a la libre disposition du trayail d'autrui




SUR LA. LIBERTÉ DES COA.LITIO~S DE PA.TRONS ET D'OUVRIERS 207
sera puni d'un emprísonnement d'un moís a deux ans, et
d'une amende de 100 fr. a 500 fr. "


Sauf dans les détails, ce seGond amendernent est, comme
celui de l'honorable M. Darimon, conforme au projet de la
cornmission. Il ne s'en écarte que par l'affirmation doO'ma-
ti.que qui co?stitue s,on premier paragraphe. Nous avonsOdéja
dIt ponrquol nous n aVlOns pu admettre aucune déclaration
de princi pes de ce genre.


L'honorable M. Napoléon de Champagny nous a proposé
de " remplacer !'in titulé A1'ticle 'ltnique par A1'ticZe JJ1'emie1',
et, apres cet artiele unique, qui comprend les trois articles
modifiés du code pénal, ajouter :


.. Art. 2. La loi n'accorJe ancune action pour l'exécution
des engagements réciproques pris dans une coalition entre
patrons ou ouvriers, ayant ponr but de forcer l'abaissement
ou la hausse des salaires, alors meme (In e cette coalition
ne tomberait pas sous l'application des articles 414:, 416
et 416 c1u cocle pénal.


" Le paragraphe 2 de l'article 1235 du code Napoléon est
applicable a ces conventions. "


La q l18stion souleyée par cet amendement est sans llul
doute (l'un sérieux. intéret, mais comme elle se raUache au
droit civil et non an droit pénal, nons n'ayons pu, a notre
grand regret, l' examiner ayer 1'attentioll qu' elle méritait.


Les honorables ::\DI. Perras, Dechastelus, Le Clerc d'Os-
monl'il1e, Charlerrwgne, Terme, Bonchetal-Laroche, nous
Ollt soumis l'amenclement qui suit :


" La coalition simple, soit de la part des patrons, soit de
la part des ouvriers, sera punie d 'un empl:ison,nement ,de ....
et d'une amende de ... si la fermeture de 1 ateher ou 1 aban-
don des trayanx a lieu en violation el' engagements préexis-
tants, ou n'a pas été notifié ,\ l'avance. Les dé~ais et les
formes de la notification seront fixés par le consell des prn-
d'hommes de chaqne centre industriel ou du centre industriel
le plus voisin de l'atelier. "




;


208 DÉMOCRATlE ET LIBERTÉ
Nous ne pouvions qu'accueillir avec une réelle sympathie


l'amendement de nos honorables collegues: il répondait a
des préoccupations que nous avons eues nous-memes. Mal-
heureusement, nous croyons que, malgré la bonté de l'in-
tention, le systeme n'est pas acceptable. En combattant
l'opinion d'une des minorités de la commission, j'ai déja
indiqué -les raisons qui s' opposent a l' établissement d'un
délai légal.· On ne saurait non plus admettre l'idée d'attri-
buer aux prud'hommes le droit d'établir en fait un délai dont
la loi aurait reconnu la nécessité en principe; ce serait con-
férer aux prud'hommes un droit qui n' entre pas dans leurs
attributions. Une détermination de ce genre exige une loi
ou un reglement d'administration publique. Un tribunal,
quel qú'il soH, ne saurait etre admis ~ s'ingérer dans une
décision qui releve du pouvoir législatif, ou du pouvoir ad-
ministratif lorsque la loi lui en fait la délégation.


Enfin les honorables MM. Osear Planat, Garnier-Pages,
Carnot, Pelletan, Glais-Bizoin, Jules Simon ont produit un
amendement semblable a celui qu'avait abandonné l'hono-
rabIe M. Jéróme David; ils ont proposé que la loi se compo-
sat d'un seul article ainsi conyU :
{~ Les articles 414, 415 et 416 du code pénal sont abro-


gés. "
J'ai longuement expliqué pourquoi nous avons repoussé


cette proposition.


IV


Ce projet a inspiré beaucoup d'appréhensions et fait naitre
des espérances illimitées. Les UDS y ont vu la perturbation
de l'industrie, les autres, la solution du probleme social. Ces




SUR LA LIBERTÉ DES COALITIONS DE PATRONS ET D'OUVRIERS 209


appréhensions ne sont pas plus fondées que ces espérances.
La liberté des coalitions ne produira ni autant de. bien ni
autant de mal.


Toutes les fois qu'une innovation s'est opérée dans l'ordre
économique, elle a toujours été accueillie par quelques-uns
comme le remede souverain, par d'autres comme le, dé sastre
irréparable. L'expérience a confondu l'exagération des pre-
miers comme celle des seconds, et prouvé que l'accroisse-
ment des franchises industrielles n'a jamais ni tout guéri ni
tout perdu. Ce qu'on peut affirmer, c'est qu'au prix de quel-
ques souffl'ances individuelles, l'industrie, quoique restant
soumise a de nombreuses causes de crise, a toujours gagné
en puissance ce qu'on lui a accordé en liberté, et que, si les
promesses des réformateurs n' ont pas été réalisées toutes,
un progre s durable a été le résultat constant des innovations
libÁrales; tandis que les prophéties des défenseurs de l'im-
mobili'té n'ont presque toujours été que de vaines menaces.
Que d'exemples on en pourrait citer! Lorsque Turgot eut
fait re11dre l'édit sur les maitrises et jurandes, le parlement
résista, et dans le lit de justice convoqué le 12 mars 1776 a
Versailles pour l' enregistremént, l'avocat général Séguier
disait : " Le but qu'on a proposé a Votre Majesté est d'é-
telldre et de multiplier le commerce en le déli vrant des
genes, des prohibitions introduites, dit-on, par le régime
réglementaire. Nous osons, Sire, avancer a Votre Majesté
la proposition diamétralement contrair6; ce sont ces genes,
ces entraves, ces prohibitions qui font la gloire, la sureté,
l'immensité du commerce de la France ... La liberté indÁfinie
fera bientót évanouir cette perfection qui est la seule cause
de la préférenee que nous avons obtenue... Le commerce
deviendr~ languissant, il retombera dans l'inertie d'ou Col-
bert a. eu tant de peine a le faire sortir ... Les meilleurs
ouvriers, fixés a Paris par la certitud e nu travail, par la
promptitude du débit, ne tarderaient pas a s' éloigner de la
capitale ... Non-seulement le commerce en général fera une
perte irr'~arable; mais tous les corps en particulier éprou-
veront une secousse qui les anéantira tout a fait. Les maltres


14




210 DÉ::\IOCRATII~ I~T LIBERTÉ


actuels ne pourront plus continuer leur négoce, et ceux. q~i
viendront á embrasser la me me profession ne trouveront
pas de (luoi suhsister; le bénéfice trop partagé empechera
les uns et les autres de se soutenir; la diminution du gain
occasionnera une multitucle de faillites, etc. "


Lorsqu'en liDI l'assemblée eonstituantc cut renouvelé
l'édit de Turgot, "l\hrat dénon('a eette loi comme le triomphe
de l'intl'igue, de la fripormerie et la perte de la France. " Je
ne sais si jo m'abuse, disait-il, mais je ne serals pas étonné
que dans "\'Íngt ans on ne trouvat pas a París un seu1 ouvrier
qui sut faire un chapeau ou une pairo de souliers. "A la gros-
sicl'eté In'8s, le raisonnement ne diffcre pas de celui que
l'avocat general Séguier enveloppait de phrases élegantes.
~ ous sayons tous comment se sont réalisées ces prophétics
de malheur. Vingt ans arres l'2.bolitiol1 des ma,itrises et eles
jurandes, le commerce et l'industrie s' étaient perfectionnés
plus qu'ils ne l'ayaient fait auparaYant en un siecle, et
ChapbJ é1yait le di~oít d' écrire : " 11 faut que le régime de la
liberté soit bien favorable a l'inclustrie, puisqne, au milieu
des éyénemen ts qui paraissent elevoir en étouffer tous les
gel'mes, on l'a yue s'étendre, se perfectionner et prospé-
re1'. " (Inclttst1'ie (ranraise, t. n, p. 325.)


La liberté des coalitíons, complément si longtemps attendu
de la Jestruction des maitrises et des juranJes, n'entrainera
pas plus de dé~astres que n' en a entrainé la suppression des
anciennes communautés d'arts et métiers. Elle ne sera ras
la panaeée universelle quí gué1'ira tous les maux. des ou-
"\TÍers; souyent meme elle ajoutera des (loulenrs de plus a
eeHes qu'ils epl'ouvent déja; elle n'entrainera pas du moins
les catastrophes dont les pessimistes nous menacent. Nous
sommes loin de eontester que eertains moments SBfont dif-
ficiles a passer, nous n'avons pas l'illusion de eroire qu'il ne
se forme1'a jamais que des greves inoffensives ou légitimes.
~Iais nous avons l' espéranee que nous ne verrons rien dans
notre pays de semblable aux premi8res 'ltnions anglaises.
La nature bénigne des coalitions formées en France, malgré
la loi qui les interdit, rapprochée de la vtolenee sauvage de




"


SUR LA LIBERTÉ DES COALlTIONS DE PATRON:3 ET D'OUVlUERS 211


celles qui ont en lieu en Angleterre dans les mémes con di-
tions, permet de présumer que les greves fran<:aises 11 'auront
pas le caractere de ténacité yiolente, de décision implacable,
de cruauté qu'ont déployé les greves anglaises dans les pre-
miers temps de la liberté des coalitions. L'ouvrier fran<;ais
est moins concentré, et des lors moins yiolent que 1'ouvrier
anglais. Son intelligence yive et ouverte accueille plus vite
une bonne raison. I1 est beaucoup plus que l' Angiais disposé
aux négociations et aux compromiso L'un se coalise pour
vaincre, l'autre ronr traiter. Veut-on fiatter l' ouvrier an-
glais, on lui dit qu'il a un cam!' de lion; veut-on l'insulter,
on lui dit qu'il a un CCBur de chene. Nos ouvriers ont un
CCBur d'homme. Leurs erreurs naissent presque toujours de
1'exag8ratíon qui gate les bons sentimAllts ou de l'ignorance
qui les pervertit. Ce sont des defauts qu'il dépend de nouS
de corriger. I\I. l\1ichel Chevalier a dit dans un discours de


,·1851 : " Il est indíspens,:tlJle aujourd'hui que les pensées
d'amélioration populaire occupent dans l' esprit des riches et
des puissants la meme place qu'y remplissait, il y a quelques
siecles, la fondation !les monasteres 011 la délivrance des
lieux saints. " Cette pensée est admirable, Que l'inspiration
quí l'a dictée passe en nous; qu'elle n011S excite, qu'elle
nous anime a chercher, a trouver les CBuvres d' amélioration
populaire! Témoignons, sous toutes les formes, aux tra-
vailIeurs que leurs maux nous tourmentent, et que 1'impuis-
sauce seule et non la mauvaise vo.lonié nous empeche de
réaliser davantage; sans ostentation ni arriere-pensée, fai-
80ns tous notre affaire principale du combat contre la mi-
sere; instruisons, aimons ceux qui, soit dans les yilles, soit


, aux champs, portent une part si lourde du fardeau commun;
et mieux que par tous les autres moyens, nous amenerons
ainsi les transactions nécessaires entre le capital et le tra-
vail, l'apaisement des haines, le développement harmonieux
de l'industrie et la fin des greves!




212 DÉMOCRATIE ET LIBERTÉ


Projet de loi portant aorogation des articles 414, 415 et 416
du code pénal, et des articles 19 et 20 du titre 11 de la loi
des 28 septemlJre-6 octobre 1791, et remplacement desdits
articles par de nou'Velles dispositions.


(Kouvelle rédaction adoptée par la commission et le conseil d'État.)


ARTICLE PREMIER.


Les articles 414, 415 et 416 du code pénal sont abrogés. 11s
sont remplacé s par les articles suivants :


" Art. 414. Sera puni d'un emprisonnement de six jours a
trois ans, et d'une amende de 16 francs a 3,000 francs, ou de
l'une de ces deux peines seulement, quiconque, a l'aide de vio-
lences, vOles de fait, menaces ou manreuvres frauduleuses, aura
amené ou maintenu, tenté d'amener ou qe maintenir une ces-
sation concertée de travail dans le but de forcer la hausse ou l~
baisse des salaires ou de porter atteinte au libre exercice de
'industrie ou du travail.


" Art. 415. - Lorsque les faita punis par l'article précédent
auront été commis par suite d'un plan concerté, les coupables
pourront étre mis, par l'arret ou le jugement, sous la surveil-
lance de la haute police pendant deux ans au moins et cinq ans
au plus.


" Art. 416. Seront punís d'un emprisonnement de sixjours a
troís mois, et d'une amende de 16 francs a 300 franes, ou de
l'une de ees deux peines seulement, tous ouvriers, patrons et
entrepreneurs d'ouvrage qui, a l'aide d'amendes, défenses, pros-
criptions, interdictions prononeées par suite d'un plan concerté,
auront porté "atteinte au libre exercice de l'industrie ou du
travail.


ARTICLE 2.
Les arto 4141 415 et 416 ci-dessus f::ont applicables aux pro-


priétaires et fermiers, ainsi qu'aux moissonneurs, domestiques
et ouvriers de la campagne


Les arto 19 et 20 du titre II de la loi des 28 septembre-
6 octobre 1791 sont abrogé,.,.




XVI


DISCUSSlO~ DE LA LOI SUR LES COALITIONS


(29, 30 avril et 2 mai 1864).


Messieurs,


La Chambre doit eomprendre que la diseussion engagée
devant elle ne porte pas sur un rapport, qu'elle a pour
objet un projet de loi. Je laisserai done sans réponse la der-
niere partie du discours que vous venez d' entendre, et je me
bornerai a dire a mon honorable eollegue qu'il a peut-etre
eonfondu l'impartialité qui dit tout avee l'indéeision qui ne
sait eonclure (Tres-bien !); qu'íl a YU de l'hésitation oil il n'y
avait que de la"justice, qu'il a trouvé de la timidité ou iI
n'aurait dú. reeonnaitre que le désir de ne pas irriter, de ne
pas passionner, de ne pas rendre impossible a résoudre une
question qui ne contient en elle-meme que trop de difíkul-
tés! (Tres-bien! tres-bien!)


Ceci éearté et arrivant au projet de loi lui-meme, la
Chambre me permettra de mettre un peu d'ordre dans eette
discussion, de négliger tout ce qui est détails, applieations,
décisions secondaires. Dans toute diseussion de ce genre,
l'esprit logique doit d'abord reehercher le principe, le déga-
ger et le juger. Le principe dégagé et accepté, commence
un autre examen important aussi, mais a un moindre degré,




214 DÉ~IOCRATIE ET LIBERTÉ


qui consiste a rechercher si la mise en amvre, si les moyens
d'exécution correspondent a la vérité du principe. Si le
principe lui-meme est repoussé, il est évident que ce se con u
examen devient superfiu.


Je vais done, messieurs, examiner quel est le principe
de la loi, quelle en est la valeur, et s'il convient ou de l'ad-
mettre ou de la repousser.


Vous avez entendu des discours tres-remarquables pro-
noncés par des hommes compétents et convalncus, et dont
les arguments assurément méritent d'etre pris en tre~­
sérieuse considération. Seulement, que les honorahles
membres auxquels je réponds me permettent de le leut' dire,
ils ont, dan s leurs raisonnements] péché en général, non
pas par inexactitude, mais par omission. En présence d'une
question qui avait deux aspects, ils en ont adrnirablement
indiqué un; ils ont involontairement négligé l'autre. Cepen-
dant ce n' est que du rapprochement de ces deux aspects que
pouvait résulter une conviction raisonnée; de telle sorte,
messieurs, que mon rOle consistera moins a contredire qu'ú
compléter, molns a détruire ce qui a été dit (lU'a mettre ú
coté ce qui a été omis, moins a discuter qu'a faire uispa-
raitre quelques ombres, et a ajouter un peu de lumiere, afin
que la q uestion apparaisse en son plein j our.


• L'honorable 1\1. Seydoux a cornmencé sa puissante et
vigoureuse argumentation en vous signalant une circolls-
tance qui, selon lui, doit prodllil'e sur vos esprits une
infiuence décisive. Les lois sur les coalitions, vous a-t-il dit,
ne sont pas récentes; elles datent de la premiere révolu-
tion. Les gouvernements se sont succédé les uns aux autres,
différents d'origíne, de príncipes, de pratiques, (l'aspira-
tions, ue dllrée; tous ils se sont accordés a interdire les
coalitions. N'y a-t-il pas dans ce fait historique un argu-
ment d'une incontestable puíssance? Que s' est-il done pro-
duit de nouveau pour qu'on revienne sur une tradition qui
s'accentue avec une telle énergie? Pourquoi ne pas respec-
ter le passé quand il se munifeste avec une unanirnité telle
qu' on doit y voir Ulle preuve de la vérité?




DISCUSSION DE LA LO! SUR LES COALITIONS 215


Je n'affaiblis pas 1'argument en le reproduisant. J e réponds
a l'honorable M. Seydoux que depuis les temps auxquels il
a fait allusion se sont passés des faits tres-graves que je lui
demande la permission d'indiquer.


Le premier, c'est l'établissement du suffrage universel.
Ce fait immense, dont nous voyons tous les jours le déploie-
ment, ne peut étre sans conséquences sur le régime indus-
trie1. Ceux qui jadis étaient réputés ineapables de participer
aux affaires publiques sont arpelés aujourd'lmi á les tran-
cher. Or, ainsi que votre esprit judicieux 1'a bien compris,
refuser aux ouvl'iers le droit de se eoaljser, cela éoui vaut a


...


leur dire : " Ouvriers, vous éte!:> incapables! vous ne savez
pas! votre esprit n' est pas suffisamment éclairé! Remcttre
dans vos mains une arme pareille, e' est vous blesser plutót
que de vous aíder! " Ce langage, je le eomprellais 3vant 1848,
avant le suffrage universel. Aujourd'hui ]l ne peut plus étre
gu'un souvellir évanoui. (Mouvement en sens divers.) Il Y
aurait une eontrac1ictiol1 singulierc á reconnaitre a des
hommes la capacité de se prOnOIlC(;r sur les affLlÍres les plus
graves de lenr pays, et á les déclarer en méme temps inca-
pables de c1écider sur la. question qui est 18m' affaire pers0n-
ne11e de tous les j our8, sur celle qu'ils connaissellt plus que
toutes les autres, et sur laquelle ils ont une eompétence
spéciale. (Interrnption.)


Le second fait dont je vous signale l'influence, et qui, e"n
modifiant la situation, a permis une conuuite nouvelle, c'est
le traité de commerce. Le traité de commerce a produit un
double résultat : en ouvrant notre marché, il a écarté le
principal danger des coalitions. Des que la France n'est pas
close en quelque sorte, les greves ne peuvent plus compro-
mettre la consommation, et ainsi disparait un des plus
sérieux périls de la liberté des coalitions.


M. AUGUSTE CHEVALIER. C'est vrai! c'estjuste!
UN MEMBRE. Et les producteurs?
M. LE PRÉSIDENT DE MORNY. N'interrompez pas!
M. LE RAPPOR'rEUR. Je ne me plains pas de l'interruption ;


je fais seulement remarquer aux honorables interrupteurs




216 DÉMOCRATIE ET LIBERTÉ


que je tache de reproduire, sous la forme la plus breve, les
arguments contenus dans des discours que je viens a peine
d'entendre, ce qui me serait impossible si je ne conserve
pas tonte ma liberté d'esprit. Je me propose de répondre a
tout ce qui a été dit d'essentiel : pour cela il me faut du
temps, je ne peux exami.ner chaque argument que l'un apres
l'autre, et, si j'en omets un d'essentieI, je suis pret a me le-
ver pour répondre a ce que j'aurai passé sous silence.


Le traité de commerce, ai-je dit, a fait disparaitre un dan-
gel'; iI a produit davantage, il a introduit dan s l'industrie
le principe de la liberté. Or, tout se tient; iI était assez
logique, lorsqu' on déclarait l'industrie franQaise incapable
de stipuler seule avec les autres nations, lorsqu'on pensait
qu'une main prévoyante devait intervenir pour faciliter les
conditions du combat et ménager les situations favorables,
on comprend tres-bien que cette protection en haut entrai-
nat la protection a tous les degrés. Mais, du jour que vous
avez introduit le princípe de la liberté comme regle des
évolutions industrielles, du jour OU vous avez cru que l'in-
dustrie fran~'aise, considérée en masse, pouvait etre livrée a
ses seules inspirations, abandonnée a ses propres efforts, et
laissée maitresse de choisir elle-meme ses conditions de
combat, ce jour-la vous avez, par une conséquence inévi-
table, décrété en bas l'avénernent de cette liberté que vous
aviez accordée en haut.


Enfin, messieurs, il s' est produit un troisieme fait, un
troisieme fait ignoré de beaucoup, et qui est d'une gravité
telle que vous me perrnettrez d'y insister un instant. Dans le
monde poli tique, comme dans le monde moral, les événe-
ments n' éclatent pas avec la rapidité de l'imprévu. Les
choses grandes commencent par etre petites, et ce n'est
qu'a la suite d'un développement mystérieux, insaisissable
pour qui n'observe pas avec une attention minutieuse, que
se procl.uisent les explosions considérables d'idées ou de faits.
Dans l'année 1862, il s'est passé un événement petit, in a-
per<;u, duquel, je n'hésite pas a le dire, il naltra d'impor-
tantes conséquences. Une cxposition universelle a eu lieu a




DI3CUSSlON DE LA LO! SUR LES COALITIONS 217


Londres. Les ouvrÍers qui, jusque-Ia, étaient restés étran-
gers a ce mouvement, ont demandé a y participer. L'autori-
satíon qu'ils sollieitaient leur a été accordée. Des réunions
ont eu lieu 'avec un tel calme que personne ne les a soup-
ºonnées. 100,000 ouvriers ont été mis en mouvement sans
que l'ordre de la cité ait été compromiso Ces 100,000 ou-
vriers, sous l'reil de l'autorité qui avait donné l'autorisation,
ont nommé des délégués chargés d'aller a l' exposition uni-
verselle se rendre compte de la situation de leur industrie,
examiner les perfectionnements opérés et ceux qui étaient
désirables. Ces délégués ont accompli leur mission. Les
résultats en ont été consigné s dans un certain nombre de
petits volumes qui circulent dans les mains de la population
ouvriere, et dont l' étude a une importance de premier
ordre. Eh bien, savez-vous, messieurs, quelle est la conclu-
sion unanime écrite dans ces cahie?'s de la classe ouvriere,
cornme résultat de la comparaison entre la situation de l' ou-
vrier franºais et celle de l' ouvrier anglais? SaYez~vous ce
qui s'y trouve a toutes les pages? C'est que la situation de
rouvrier anglais est meilleure que celle de l' oU\Tier fran-
ºais; que son salaire est plus élevé, en général, de 25 OjO ...
(Interruption. )


Vorx DIVERSES. Voila OU il íallait arriver! C'est une
erreur! La loi des pauvres!


M. ÉMILE OLLlVIER, rapporte1lr ... De 25 OJO en moyenne,
et que la vie matérielle n' est pas plus chere en Angleterre
qu'en France. (Nouvelle interruption.)


M. ERNEST PICARD. C'est vrai!
PLUSIEURS VOIX. C' est une erreur!
M. ÉMILE OLLIVIER, rapp01·teur. Il s'agit bien évidem-


ment, selon le rapport, de la vle rnatérielle de 1'ouvrier. -
Je suis désolé de ne pas étre de votre avis; toutefois, per-
rnettez-moi d'insister sur mon idée, et de vous faire
remarquer que, dans ce mornent-ci, je raconte ce que
d'autres ont écrit plutót que je n'en affirme la réalité.


Les rapports des délégués ouvriers affirment done que la
vie pour les ouvriers n'est pas plus chere en Angleterre




218 Dlh"wCRATIE ET LIBERTÉ


qu'en Franee, et que meme les loyers y sont a meilleur
marché. Et tous ces résultats merveilleux, les oU\Tiers
anglais les doivent, toujours c1'apres les memes c1ocuments,
a la faculté de débattre eollectivement les salaires, et de
constituer des coalitions quand ils ne sont pas contents des
offres q u' on leur fait. (Rumeurs diverses.)


M. GRANJER DE CASSAG~AC. VoiHi la loi! Il faut olJtenir
ces 25 O/0.


1\1. ÉMILE OLLlvmr.., l)'{tppo1'teu1'. Il y a, messieurs, dans
cette conviction qu'une comparaison plus ou moins bien faite
a inspirée a nos ouvriers, une consiclération bien grave et
qui rend vain l'argument tiré de leul' incapacité. Je ne erois
pas qu'il soit sage de résister ~t un désir manifesté ave~ une
telle force, avec une telle unanimité, avcc une telle persis-
tance, et de refuser a une telle mas:,e la reforme qu'elle
considere comme rinstrument certain d'une amélioration
de son SOft.


Le Gouvernement, se10n moi, a bien fait de se préoccupel'
des trois granels faits que je viens de rappeler, ,et de con-
dure de leur étude qu'il convenait ele changer une législa-
tion surannée.


Voilá ma réponse it la premiere considératioll de rhOllO-
rabIe M. Seydoux. 11 a, cn seconcllieu, insisté beaucoup sur
reffet désastreux des gT~ves : effet doublement désastreux,
puisqu'íl atteint r ouvrier d'aboru, UOllt nOU3 deyons surtout
nous préoccuper, puis la prospérité ue rinclustrie, a laq ueUe
nous sommes tous intéressés. L'honorable 1\1. Kolb-Bernarcl,
reprenant avec sa puissance de concentration eet argument,
vous a montré l'ouvrier exposé par la loi elle-meme a la
terrible tentation d'un com1Jat, dans leq uel il uoit de toute
necessité rester le v<lincu.


Je voudrais d'aborcl répondre directement a cet argument
et, a cóté des effets funestes que j'ai signalés moi-meme,
indiquer les effets favorables qu'il n'est pas juste de nier;
mais malgré moi, me rappe1ant d'autres discussions, je
m'éloigne ele cet aspect de la question et je me sellS attiré
ailleurs. Comment, en effet, n' etre pas frappé de ce que la




DISCUSSION DE LA LO! SUR LES OOA:::'ITIONS 219


généralité de ces arguments enleve a leur force? 11s n'ont
pas la puissance qu'on leur suppose en les produisant, parce
qu'ils prouvent tropo En effet, messiellrs, il y a dans le
monde économique deux lois principales dont on ne peut
contester la fatalité bienfaisante et contre lesquelles s'éle-
vent toutes les objections dirigées contre les coalitions. Ces
deux 10is sont celle de la concurrence et cellc de la substi-
tution tous les jours plus générale des machines au travail
de l'homme.


Écoutez l' ouvrier peu instruit, lisez les livres el'une cer-
taine catégorie d'écon0ll1istes, vous retrouyerez tous les
raisonnell1ents de l'honorable M. Seydoux et de l'honorable
M. Kolb-Dernard contre les coalitions. COll11l1e ils l' ont fait
eux-memes, on vous montrera le pauvre ouvrier isolé en
présence de la puissance du capital qui s'avance contre lui.
Ne YOUS rappelez-vous pas tous une image restée céle bl'e,
11e vous rappelez-vous pas ce cri qui a retenti a un certain
moment? Vous prétendez, disait-on, que sous l'empire de la
10i de la concurrence l' égalité existe entre le maltre et
l'ouvrier? Supposez qu'au commencement (rUne route vous
placiez un paralytique a coté d'un homme ingambe, suffit-il
que vous leur disiez : Allez, la route est ouverte, le champ
est libre; cela suffit-il pour que l' égalité soit établie entre
les deux? L'inégalité n'est-elle pas au contraire criante? Et
la société n' est-elle pas une maratre lorsqu' elle Illet ainsi en
présence tant de force et tant de faiblesse? E t la 10i ne
manque-t-elle pas d'humanité, lorsqu'elle tolere eette con-
currence homicic1e, et le elésordre qu'elle engemlre par un
respect superstitieux ele l'individualisme?


Quand on vous parlait aillsi, qu'ayez-vous réponclu? Je
vous entends encore. Aveugles que vous étes, ayez-yous dit,
le mal que vous signalez est cerLain; mais pourquoi n'aper-
cevez-vous pas le bien qui le corrige? Ne comprenez-vous
pas que 1'humanité croupissante n'aurait fait ancune des
conquetes qui l'ont enrichie, qui l'ont honorée, qui l'ont
grandie, qui 1'ont transformée, si elle n'avait été poussée
par l'aiguillon de cette loi salutaire de la coneurrence?




220 DÉMOCRATlE ET LIBERTÉ
Paree que des inconvénients se produisent, parce que des
malheurs individuels se manifestent, parce que des douleurs
et des larmes sont causées par la loi de la concurrence,
pourquoi vous obstinez-vous a méconnaitre les bénédictions
qui, par elle, ont été répandues sur la société et les progres
immenses q ui, par elle, on t été réalisés? (Tre~-bien! tres-
bien !)


Je vous réponds, moi, aujourd'hui, a vous adversaires des
coalitions, ce que vous répondiez aux adversaires de la con-
currence. Puisque vous adoptez le langage de vos anciens
adversaires contre vous, je reprends le vótre contre eux;
puisque vous opposez aux autres ce qu'on vous opposait a
vous-memes, je vous réponds ce que vous répondiez vous-
memes!


Vous avez beaucoup insisté sur les malheurs occasionnés
aux ouvriers par les greves. Vous avez montré les usines
fermées, le pauvre ouvrier dans la détresse, sa femme, ses
enfants dan s l'abandon. Écoutez-moi! A l'heure qu'il est, il
ya une pe tite ville de France qu'on appelle Lodeve; je reQois
tous les jours des lettres d'ouvriers. Savez-vous ce qu'ils me
disent? Le voici : " N ous sommes de pauvres tisserands;
jusqu'a présent nous travaillions avec des métiers abras;
nous gagnions ainsi notre vie, lorsque tout a coup un
désastre inattendu est venu fondre sur nous : on a mis uans
le cahier des charges du ministere de la guerre cette clause,
que désormais on ne recevra que les draps fabrjqués avec
des métiers mécaniques, et qu'on rejettera ceux qui pro-
viennent des métiers abras. Voila Ilotre gaglle-pain perdu.
Venez a notre aide : parlez a rEmpereur, parlez au ministre,
priez, suppliez; il s'agit de l' existence d'un grand nombre
de familles. " Que pouvais-je répondre? Ai-je écrit a ces
malheureux : Anatheme a la machine! Je m'unirai a vous
pou!' arréter, empecher ce progreso Non; je leur ai dit : Je
sympathise a vos douleurs, je voudrais les adoucir; j'appelle
sur votre situation l'assistance de tous les cceurs généreux,
elle ne vous manquera paso Mais contre la cause de tant de
maux je ne puis rien, et c' est le désespoir dans l'ame que




DlSCUSSION DE LA LO! SUR LES COALITIONS 221


je vous le dis; je ne puis rien eontre les eonséquenees qui
se sont toujours produites lorsqu'une transformation indus-
trielle s'est opérée. Je ne puis rien eontre la mobilité pro-
gressive des moyens de travail. .


Eh bien, je vous le demande maintenant a vous, hommes
puissants par la fortune, a vous, hommes généreux q ui
oceupez des ouvriers, et qui n'attaquez eette loi des eoali-
tions que paree que vos entrailles sont émues des maux
qu' elle leur prépare; je vous le demande: quand une inven-
tion nouvelle a transformé vos industries, la perspeetive
des maux qu'endureraient les ouvriers vous a-t-elle empe-·
chés d'introduire dans vos usines les machines nouvelles?
Non! Et vous avez eu raison; vous avez subi la loi fatal e du
progres industriel, a laquelle, sous peine de périr vous-
memes, vous ne pouviez vous soustraire. Aujourd'hui nous
venons vous demander, au nom des ouvriers, au nom de
leurs réclamations unanimes, de subir a votre tour une
nécessité fatale; vous ferez ee que vous pourrez pour en
adoueir la rigueur, mais aceeptez-la, paree que e' est bon,
'paree que e' est juste. Soyez les premiers a voter la loí. Il Y
a un préjugé; est-il fondé ou ne Pest-iI pas? Je l'ignore. Dans
tous les cas, il est populaire; e' est que, si vous vous opposez
a la loi aetuelle sur les eoalitions, vous manufacturiers, c'est
paree qu'elle serait trop efficace contre vous. (Interruption.)
Je ne le crois pas, je suis me me convaincu de la sineérité de
vos bonnes intentions. Cependant, messieurs, veuillez con-
sidérer que ces lois d'économie politique qui nous sont eon-
nues, elles sont, dan s l' esprit du peuple, enveloppées d'un
nuage et d'un brouillard; ee qui est elair pour nous ne l' est
pas pour l' ouvrier, qui pense que vous pourriez, pour aug-
menter ses salaires, ce que, en réalité, vous ne pouvez paso
Eh bien, je vous demande, messieurs, pour que l' éducation
se fasse par l'expérience, pour que ceux qui implorent le re-
mede touchent de leurs propres mains les dífficultés des
choses, pour que les sentiments de haine, d'antagonisme et
d'antipathie ne se perpétuent pas, je vous demande de n~
pas vous opposer a cette loi, d' etre les premiers a l'approuver.




222 DÉMOCRATIE ET LIBERTÉ


Sans doute acMé du rlroit que nous proposons d'accorder
anx travailleurs, il y a un c1anger. Ce dangerJ \'ous avez bien
f<lit de le signaler; mais accordez ce droit pour qu'ils ne
puissent pas suppaser que si vous le lenr refusez, c'est que
vous y Hes intéressés. (Mouvements divers) . .le suis con-
vaincu, messienrs, qu'en vous faisant cette priere, j'accom-
pEs une ceuvre de bon citoyen, et qu'assurémellt 1'acte de
confiance généreuse que je réclame de vous, s'il peut avoir
que1rlues inconvénients, est préférable a une défiance qui
pourrait étre mal interprétée et devenir dallgereuse. (Récla-
mations et bruit,)


J'ai répondu a 1'honorable ~I. Seydoux. J e ne vou(lrais pas
trop abuser de votre patience; cepen(lant je ne puis omettre
l"argumentation de l'honorable M. Kolb-Bernar(l et la lais-
ser :::ans réponse. J'ai écouté avec la plus sérieuse attention
l'argnmentation de l"honorable ~I. Kolb-Bernard; son dis-
conl'S m'a paru cOlltenir une telle contradiction que je 8Up-
f!Cise que je l'ai mal compris. L'honorable M. Kolb-Bernard
a commencé par s'élever contre ce qu'il appel1e les malheurs
de l'inclividualisme; il vous a représenté les G1l'\Tlel'S lsolés,
grDin Lle poussiere humaine que le moindre vent sou18ve,
subissant, - ce mot dans sa bouche m'a étonné, - subissant
la llépelldance clu salaire! ... la dépendance du salaire, ayant
de 'Yagues aspirations que, jusqu'a présentJ la fraternité a
essaJé de calmer, et que l'association aura sen]e la puis-
sance de satisfaire.


Malheureusement, l'honorable 1\1. Kolb-Bernard a clos la.
la série ele ses développements, et je le regrette. II est tres-
facile de prononcer ces mots magiques sur les imaginations :
la rlépenc1ance du salaire, la toute-puissance ele r association!
Ces mots produisent de l' émotion, ils se répandent, exaltent
des espérances; mais il n' est pas bon de les prononcer quand
on ne les définit paso Il n'est pas bon de dire a l'ouvrier: Tu
es sous une loi de souffrance : la loi du salaire; mais il y a
une loi de salut: la loi de l'association; il n' est pas bon d' ouvrir
ces horizons sans indiquercomment de la loi douloureuse du
salaire l' ou\'rier passera a la loi bienfalsante de l'association.




,


DISOUSSION DE LA LOI SUR LES OOALITIONS 223


Quant a moí, je ne partage ras le sentiment de répulsion
de -l'honorable M. Kolb-Bernard ponr ce qu'il a appelé la
dépendanco cln salaire. Je crois que le sa]aire a constitué un
progre s considérable dans la condition de l' ouvrier. Voici
.comment : c1ans les rapports prímitifs tels qu' on les con¡;oit,
tels qu'iJs s'ét(1)lis8ent en réalité entre le capital et le tra-
vail, que se passe-t-il? Le capital s'unit au travail. L'un ap-
porte la force accumulée, l'autre la force actuel1e : puis, le
bénéfice de l'opération :se partage entre les deux collabora-
teurs. Mais l'affaire peut etre bonne comme elle peut etre
mauvaise; elle peut se liquider tout de suite, comme elle
peut ne se liquider qu'apres quelque temps : Of, si ron s'en
tient au paru~ge on nature des bénéfices~ que se passera-t-il?
C'est (iue s'il n) a 1'28 de bénéfice~ on si le bénéfice se fait
attendre, cebú des rleux collaborateurs qui n'a d'autre pro-
priété que son travail se trOllYera dans la détresse. Alors in-
tervient une nonvelle convention entre le capitaliste et l' ou-


. vrier. Le premier (lit au second : Tu vas me vendre a forfait
ta .part de bell~dlce, et en échélnge, j e te payerai une somme
fixe a laqnelle tu auras eh'oit, quand meme l'affaire serait
mauvalse ou se liquiderait trop tardo Volla ce qu' est le sa-
laire. (Tres-hien!)


Que le salaire soit le dernier mot des rapports entre le ca-
pital et le trayail, je ne le crois pas; que l'association sous
une certaine forme puisse ajouter a la part fixe réservée a
l'ouvrier une part dans les bénéfices, je l'admets et je le dé-
sire. Mais apres avoir signalé avec tant d' éloquence les in-
convénients de la coalition, vous eusflíiez dú., mon honorable
contradicteur, indiquer que si l'association présente pOllr
.l'ouvrier une perspective magique,. en ce sens qu' elle luí fait
entrevoir la possibilité c1'une participation a des bénéfices
qu'il suppose etre toujours tres-considérables, elle recele
aussi ce danger : que si elle devenait la forme des rapports
entre le capital et le travail, l'ouvrier subissallt les risques
de l'opération retomberait dans l'íncertain et l'aléatoire,
dont le salaire l'avait fait sortir pour lui assurer le certain et
le fixe. (Marques d'adhésion.) Il aurait dli dire aussi que,




224
, ,


DEMOCRATIE ET LIBERTE


quand l' ouvrier pasRera de la situation de salarié a la situa-
tion d.'associé, il se produira un effet analogue a celui qui
s'est vü quand de serf il est devenu salarié: il a eu plus de.
droits, plus de dignité, mais aussi plus de peines et plus de
responsabilité. De meme il aura la chance des bénéfices, mais
il sera exposé au risque des pertes. Et, en vérité, quand je
vois dans ce pays-ci toute une portion de la société se préci-
piter vers les emplois et les fonctions publiques, et recher-
cher pour ses enfants, au líeu des profits féconds de l'indus-
trie, les profits réduits des places du Gouvernement, paree
que, dit-on, iI y a dans une place quelque chose de fixe et
de certain ... (On rit.) il est permis d'avoir quelque doute sur
les bienfaits sans mélange de l'association. (Tres-bien! tres-
bien !)


Je reproche a l'honorable M. Kolb-Bernard d'avoir fait un
discours de désespoir. n nous a dit que l'individualisme sté-
rilise, que l'assocíatíoll vívifie; puis il a ajouté qu'elle était
aussi impossible qu' elle est désirable, ou tout au moins il ne
nous a pas dit comrnent elle pourrait se réaliser; et la con-
clusion de tous ces raisonnements a été une attaque éner-
gique contre la coalition, qui n'est cependant que le commen-
cement de l'association. (Mouvements divers.) La coalition
n'est pas une association permanente, mais c'est une associa-
tion temporaire, dev:\llt conduire a la premiere, et je ne peux
pas m'expliquer comment, vous qui condamnez l'individua
lísme par amour de l'association, vous condamniez la coali-
tion qui en est le commencement.


J e termine en examinant une considération commune aux.
trois discours qui ont été prononcés, au discours de l'hono-
rabIe M. Seydoux, au discours de l'honorable M. Kolb-Ber-
nard et au discours de l'honorable M. J. David. Ces hono-
rables oratel!rs ont pensé que nous accordions trop ou trop
peu, et, saisis tout a coup pour le droit de réunion et d'asso-
ciation d'un amour qu'ils n'avaient pas manifesté jusqu'alors,
ils nous reprochent de n'avoir pas ajouté a la loi sur les
coalitions le droit de réunion et d'association. Ma réponse
sera double. Je dirai d'abord que, l'eussions-nous pu, Hons




DISCUSSIOX DE LA LOr se R LES COAL1TIO~S '223


n':'Hll'iOilS pn agil' ain8i sans faire une loi de pl'iy~lége. On
nous (1cman(10 une 101 sur les coalitions (le patl'ons et d'ou-
vrier:-s. 01', nons ne supposons pas qu'on puisse cOllsidórer
COlnme dÓlllocratiq ue et libéral, comme prudent snrtout,
d'etal,lir le ul'oit de réunion pon!' les ouvriers, tanllis qu'on
contimwrait;\ le refuser aux antres portions (le let société. Le
droir 11e róunion est un et indivisible. Il faut l'accor(ler;\
tous ou le refuser ¿\ tous. L'accorder ~t q uel(lUeS-Ulls en le 1'e-
fllsant a d'autres, ce serait constituer un priyilég~ : ce que
nons ne youlons pas adn;.ettre. (Tres-bien! tres-l1ien!) Que
dans la discussion ~le 1'Adresse l'honorahle :;VI. J érome DaYic1,
qui ne 1'a pas fait jusqu'a présent, présente un amen(lement
en f:1Yeur (Iu droit de réunion et duo droit d'association, je
le soutien(lrai sans épigramme et ele bon cmur; jusq ue-Ia,
(lu'ilnous permette de trouver que son argument est trop de
circollstall ce .


. 1'etjoute ell seconcl lieu que c'est une mauvaise maniere
(ragir (iue ele refuser un progres sous prétexte qu'il €:-:t in·,
complet. Oh! je cOllllais cette théorie et je 1'ai yue (lécrite
avec un art admirable dans les l\1émoires (lr=~ I\Iallet- Dllpall
sur la premi(~1'e révolutioll. C'est la théorie dll pes:-:imisme.
Elle consiste, lorsqu'ull gouvernement déplalt en principe
ou qu'on n'ag1'ée pas sa marche générale, au líeu de faire ce
qne doit faire 8eloll moi tout homme d'honneur et de bon
SCllS, el 'approuver ce qui est bien et de blamer ce quí est
mal, elle consiste il tout critiquer, a tout attaquer, surtout
]e bien, paree que le bien pourrait profiter a ceux qui 1'ac-
complissent. (:\larques cl'adhésion.) Aínsi agissaient les émi-
grés lorsqu'au líeu de rester clans le pays, de se rend1'e aux
assemhlées, aux. sectiolls, pour empecher la domillation des
mauvais, ils allaient á l' étranger pou!' rendre plus facUe un
triomphe qui par ses exagérations devait amener leur suc-
ces. Ainsi ont trop souyent agi les partis qui se sont succédé
parmi nous. Aussi, messieurs} que reste-t-il dans notre pays
apres tant d'agitations? Beaueoup de ruines, beaucoup de
heaux et grancls discours, et pas d'institutions libérales; et
tous, a quelque passé que nous appartenions, nous sommes


Ir;




DÉ:\10CR .... TIE ET LIBERTÉ


con traints de regrettel' souvent de n'avoil' pas, au lieu
de n011S et1'c laissé 311so1'1)e1' par des querelles stériles, <le
u'avoir pas sontcnn les ]¡om1llcs ele lJOlllle y010nté qui <laus
11U temp~ ::;appebient Rollaml, :\brtignac dans un autre, ou
plus tanl (le tour antre nom, ct (le ll'(tVOll' pas accepté les
réfol'llWS partielles cl1ú1s 110ns cffraient, et (l'ayoir trop sa-
crifi(; a t'im placalJle satisfac lio11 de 110S nl11cuncs personnelles,
(ViYe appr01atioll,)
Quall~ ú mui, messieuf:S, jo H'~-tprartiellS pas il ecHe école,


Je He ::mis p<13 pessil1liste, je l'n·¡¡ds le líen de qucl(i11e main
(lU'il me v1enlle, .Je 110 (lisjaLl:,i.:i : " TOIlG nu 1'1011, " maxillle
factieu:~e et l'c(lcmt:11Jle, .ro \li~; : " un pon ~t cJli1 rpC joUl'; "
t · , 1)" . 1 '1'] 1 \' . f e JO 11 oU,:Ji18 }!.ll1:l1S a ,ce e )1'8 paro (~: "'~ ca:lljae J'lUl' Sll-


lit sa !Je:illC. " Aujoul'd'hni la loi des cO;tliti()llS, dl;lll;/iil ce1le
tles a3~()ei,-~ti()llS. Et pnisqu.e l'honorrt1Jc :01. J(!l'()!lle David
mc UCil1<.111Je ecUe ll(~c1aratioll, je n'lu.;:,itc p<ts a la l'aire :
i)ans LLe~e (la (~(nl\"enlrmcllt .i(~ !le yois P;lS :,(;Ul(;:llr'llt ce
qui ll'y (;<:. p,l~: le (ll'oit (le réUlliuil ei: L: (ll'uit (l'a:<;-ocüttiol1;
j'y yoí-, a'l.'."i Cc~ (l1.Ü cst : la liLcrté lle \~():lliti()n. Je 11C lllC
bUl'Ile P:1:):l Cl'itiqnel' ce (luí mc :l1rmr¡ne; jc l'21ll0!'cie de ce


, , . rl" l' ". l' , \ 1 ,. t qu OH Il;8 UOlllH', \..i 1'1;3- )lell. tres- )H;ll, - ~. pl'¡;LUmSSemCllS
pl'OlOJlg(~S, - Du lwmbl'el1SC>i f¡"lÍl'iroJiollS :-'Ollt adl'essées ~t
l'orateUl'.)


Le pl'ojet (le loi ql1i est soumis ayos délihél'ations 8oule-
vait tl'ois ol'dres diyel's ,le eonsidél'ations: des consídél'a-
tiOllS politi(lnes, (les consiclérations économiques, des consi-
Jérations pnrcment jUl'idiques, Je me 8ui3 expliqué sur les
deux premiel's onh'cs d'iclées, et la cliscussion générale c10sel
ll}'interdit de reyenir S 111' un dóbat épuisé. Je demande srn-
lernent ~t la ChallllJre de me laisser, na1' un mot, lldl'llÍl'e


.L


l'(~quivO(lue que certain'~s ele mes par01es ont pu invololltai-




DISC"(:SSIO)i" DE LA 1,01 SUR LES COALITIO~S 227


rement faire naltrc et de c1éclarer que, lor~que j'ai parlé
(1'une dirrércnce entre le salaire déS onvriel's anglais et le
salalre des ouvl'iers frn,l1~~ais, j e 111 8 suis borné a raconter et
a rapporrer un [ait (ImI'iel, n8 le sachant pas ele ~cience per-
50nnc118: je n'entencls llltllemcnt me poder g:lrant.


ecue premiere explication cIue je me (lcyais ~t moi-meme
, t I 1 ' " '. l' J • ., • , e anG ( onnec, JO ClrCOlF~Cnl'm es OUS8f'Y:loilOnS quc J ~ll a YO'.1S
sournettre dnons la partin jUl'ic1i:FlC (In débrlt.


\T OHS me permcttrc:-: de croll'c) (}Lúl est inntile (PO j'af-
firnFJ moi-menw :1!Oll llOnmmr et llla cOllscionce ... rViyo
appro 1¡aÜOll.)


DI. .J m,ES FA nm. PerSOllnc no les conteste!
~I. 1~~rrLr: o r:LlVIEH , .. ,et j'aí le légitimc orgaeil de croire


(lue j(~ lluis, IOl'sclun je snis en lnix a\'ec moi-rl.leme, no me
so t·o I \r(ll\l~l~ ~~ l\~)lJ ~~l('ll"C 1"11"-)1,, (r'f1¡~)~S 1, ;1)11 1\ Jn 1'O/~Y\O~l 1 "la' ,c,n,n Cdt\,,,~C '\e 'ho; 11 l}(o, ,.,,,. i.,~, -!Ji'o' ,). v cpJllU10l


1 ~ , l' , 'i' '1 . 1 seu cnWlll. a ('.(ldll (¡w: Je P!'l'::;l';~r;r;}! a [lppe,Cl' mun C'lOCl1tCnt
•• , l·' 1" I 1 1 • T T'" 1'"


"tlll ¡¡e, 1'C'1)/):IO["'1 '¡ 1 i~l\li"":"'o:' ", 1:'1"s ""r,'!) r,l' ("lni)~o"lt ((, ','.' -" • .i ,l~ (u ~l\/' ~'_'J'\.'J_'./ ~,..L • • J1...\. ,,, .l. (L;.l-V ,--,,-1 'llJ\..."-{ 1
U11 0 ('¡'(;(']"J",h')l' ,', ]" !1,',,1.,~.00,¡01{'''1 (,,11' ,-(,¡,n -\'O"'ln of 01,-" "~"¡'Dl'L r; . --Il,l (tu~\ 1 (t, ."-'~ ' ... ,- \...-,l,,~ (",~\,~i. '1 .~) '1 _!~l,:) "J_I~,-,f" "--L\..-- lvV,.lv 1.
11'1' }'¡1" I'C('i)ll ' P' _ ',1,) 1\" ",'('.i-n1':11'" '!~I<:" (1,,, c"¡ -)".,10 r:,L '-'oUe • Llo ~ J '-- ~ { .l , ' '--'" ... ~ ,j .1 i 1. ..1,.' ., ,..l... \...' J.! ... I. • .:" 1.. ',-, f) Lv l L~.L IJ, v u V J ,: .~
'lt;('1"l'''tifll1 111"1 1':\:0: 1 1' --- (1,,';1 ;':, 11;:j-l- 'l~':-'::"~'l!' '1;'1'-:-' "0",0
\ ,'-" j c{ (.(",,_,¡ ~L (.., ..1.. \,.1 '_., ¡ti .. ..1.. ~,.il.'-,".Ll; L'''' .}, ..... \~~_'---' (\.,~l J 1)'--1


f' ¡ , _ l ' - l' • - • 1. ('f1
verse pou!' l'e:ll'o:c~l' 10 V'()!_:'¡'('~: 1,,[1' tl ¡"lO Cíe la niomn 'iUl UIIl'e.
'Tp ~.;,: 1 1° "'l) ,', -r" l"1 ~" (') 1) l) n 1"'"" f") \ - '~ ,;o ~: 1 ~ ! I l' 1'1 '1' G -, ~- 1)'-' " J'", \~' .J. '..::l • - n \ Li::,,_,-,j eL.). 1, ,lo ,,_,i,,') ct,t>" ;::1 ,~'. 1 ::í<., 1"':> l,.)',O~ 1J"n
IJlu::s de :3',1.b(l.nrlonllCf 0.UX. npprc;j:l:i(ll.s facilc:s f~ni perll1cttcnt
t i "1 [' ~ t ' 1 . 1 '1" 1 OlH; qnl lant· vonJ Oi.ll'::: , an-(leSSl1S ([OS c~;:pC( lCll'CS que e
, , 1 1" 1 1 1 ' J01ll' amellO, (1'10 lr, (,l~(l('mcun COIllL


'
11111C, P¡¿).C;21' es pi'ln-


ci pos (l11C 18 GUll!''; c1n tcm ps connl' m e et q UJ, q nclrl ucfois
1 . 1 '11 tI' .,. () ¡ ):-:'Cti.l'C J:; par ue .. 3 n l! ag8s q n mllcmee . en (. es m él 111 S lE Ll\ res-
• ", , J t ' 1 . '1 t 1, '11 l' sees, 111llS~'C1U. ollJ\)m's pm' se í 8\'01.081' e - un el' c. un 1'::1-


dieux. éd;:ct, (Tl'(ls-bioll : trc's-hien: I
J" "t 1 1 '1' l' . e0p(~l'e (IU a cll(-"l1(tl'C Eles paro (~.; 1 epl'Oll\"Cra la llL'DO


. , '. ' t'" + l' I '" JOle cille ') al l'8SSen -le' ~L ecutlLer es :~lelllles. ce CiU 11 y Y81Til 9 I .... ,J
la p1'8UVO (l1lC ni l'Lm :lÍ l'i.l.HC1'O, gr<'tee aa cíel, ll()1.]S ll'HYOllS
abandonné ce quí (:~st lo bOíl S811S, Lt ','crlté et L:. jU..;tiC8, et
que si un clésaccor(l ex.iste, il porte SUl' Ull8 appd~ciati()n de
fait, :1 u' un examen logh 118, (1 u'ttne diseussioll impadiale
peuvellt, je cl'ois, <1onne1' au pl'e:niel' VGnu le moyen ele tt'an-
cher avec équité.




228 DÉ:\IOCRATIE ET LIBERTÉ
Puisque llOUS sommes l'un et l'autre d'acC'CJl'c1 sur les prin-


cipes et sur ]e point de départ, illle reste plus ClU'2t recher-
cher si la loi qui vous est proposée, flue jo m'l1Ono1'e de dé-
fendre, est un progre:;:" ou hiell si elle est \In pü;gc in-
digne tendu aux oU\Tiers, non pas par notro lllanvaise fni,
- puisqu'on Y8ut hien nous accorc1el' que nous mOllS (;té
loyaux, - mais par llotre sottise et l10tre inilltelligencc; de
tellc sorte que les oUYl'iers de Frallce, (llle l'atelier llatjo-
nal, pOU1' Jequel on <1 parl(~ hiel' et qui éconte anx portes,
puisse di re (bns un langage fll1e YOUS me permcttrez de re-
pl'odnire avec toute la yiguem' dcs hahitudes populaires,
précisément paree que moi aussi j'ai horreur ele l'éqnivoque;
de telle sorte, dis-je, que les ouvriers puissent diré: Ah! si
la loi (lU'On nous prépare est telle qn'on le dit, si le:" objec-
tiOllS qui lui SOllt opposées sont vraics, en v(~l'ité, les
memlJres ele]a cOlllll1issioll qni l'ont préparée ne peuvent etre
que des eoquins Oll quP (les idiots. (Interruptions sur qne1-
ques banes.)


Permettez, lllessieurs! je n8 venx exeédel' en ríen ce qui
est exactement vrai: je me hate de (léclarel', pnis(1u'on
m'interrompt, que j e veux rester eonyaineu qu'l1n tel lan-
gage, qui n' est pas dans les habitudes de ce]ui auquel je
m'adresse~ n'est pas davantage dans ses intelltions, je ne le
prodnis fIne eomme étant la traduction populaire qui sera
faite eles objeetions que vous avez entendnes hiel'.


Peut- on eoneeyoir que des ~lOmmes qui sont cOllscien-
cieux, cllLÍ ont re~'u un rayon qllelconque d'intelligellce,
puissellt aceept81~ la situation étrange, inoui'e, qu'on yeut
HOUS faire? Comment, des hommes qU'Oll appelle l\I. Che-
vandier, M. Buffet, des hommes que YOUS eonnaissez, des
eollegues dont YOUS appréeiez les Iumieres et la bonne
yolonté, se sont enfermés pendant deux mois, quatre heures
par jour, c1ans une commissioll; puis leur travail a été sou-
mis a une assem bléc eonsidérable de jurisconsultes, d'admi-
nistrateurs, cl'hommes politiques, qui s'appelle eOllseil cl'É-
tat; les uns et le.s autres ont voulu, avee une égale fermeté
et une égalc honne foi, intro(lnire la liberté des eoalitiolls,




DISCUSSIO~ DE LA LOI SUR LES COA.LITI()~\S 22g


et ils ont été á ce point inintelligellts, jgnorants de la langue
ordinaire et de la langue juridiql1e, égarés a ce point par je
ne sais quclle inft uencc mystérieuse qui a pesé ::sur eux et
engourdi leurs yolontós, (lU'apres avolr accepté pour point
de départ la liberté, ils ont été amenés ú YOUS proposer un
article qui la nie et qui ne c1ifferu ele 1'anciennc législation,
qu 'JI.) prétenclen t abroger, qu' en ce point : q ne tandis que
l'ancienne législation appelait le délit coalition, ils l'ont ap-
pelé plan concerté!


VoiLl notre ccuvre; on 1'a dit, c'est écrít au Jionifen1',
c'est répété dans tous les journ::mx qui s'associent aux at-
ta(iueS eontre la 10L C'est un brl1it qui, sous les formes les
plus cliverses, conrt par la France entiere! Et moi qui, au~si~
ai mon patrimoine d'honneur ú conservel', je suis, plus en-
coro que llles coIlhg118s, tous les j 01.1rs accl1sé de cette entre-
prise insellsée, si elle n'était pas crimínelle, (1'3.voi1' fait une
10i ,.;;m' le frol1tispic8 de laquelle iI est écrit : Les coalitions
sont lilJres; et qni se termille par cette c1isposition : Elles
sont clefell(ll1es! Ma bOlllle foi étan t respectée, mOll intelli-
gence est ;\ ce point olJüEe, que je n'ai point compris qu'il
n'y avait aucune différenee á tlire : La coali tion est défen-
due, ou bien ]0 COílcert est intertlit!


Telle est, messieurs, sel'rée et ramenée á (lUelques termes
el'une précisioll mathématique, telle est la pal'tie palpitante,
prineipale c1u dúbat entre nous. Tout le reste est l'elative-
mellt secunclaire et me touche bien l11oins. Qu'on soutienne
(Iue le mot de man03uvres fral1duleuses n' est pas c1air : sans
le eroire, je le comprends; les meilleurs esprits peuvent
etl'e diYisés sur de pareilles (lUestions. Je con90is meme,
sans l'admettre, (lll'On soutienne que la 10i est olJscnre. Je
11e dissimule pas que j'ai été surpris d'ontenclre conclure
cette ObSCUl'ité de ce CIue pour comprendre, iI fallait étudier.
J e ne sache pas, messieurs, que jamais philosophe ait invo-
(Iné contre le systeme de Descartes cet argument : que pour
le 8avoi1' il fallait l'étudier. Quant a nous, jurisconsultes qui
cons acrons notre vie a l'étude c1u droit que nous ne saV011S
jamais, no us ne ~al1rions trouver étrange qn'on SOlt obligé


___ J




230 DÉlIlOCRATIE ET LIBERTÉ


d' etudier ponr la lJiell comprendre Ulle loi fluí a coúte deux
mois de préparation! Et je me rappelle ;\ propos de ce sin-
gulier argument une anecdote clwrmante attrilJUéo ~t un
homme qui est une ele nos gloire:3 et l'hollllcur de 1:t juris-
prudence fran(~aise, á ce :Merlin, immense par le g6nie et
par la science, qu'on pcut san;;.: exagération .COlllll<ll'cr au
granel jurisconsulte romaill Papillien, clont les doctGurs (lu
moycm úge ne prol1onraient j<1iilais le nom sans se (léc()u"\TÍr.
:Merlin, eonsulté IIp jour sur la (limculU~ de droit la plus éJé-
mentaire, n;pOl:clait á cclui qui ]e com~ultalt et S'(:'~onllait
qu"il demalHlút iL penser: ¡: ':"1011 alni, je cr()i~; qne si OH me
demandait (pel ost le premie]' article <In cuele li \il: ayaut
d '1 • 'l" t . . t t' " I~ , e repOnCil'eJe SOl '-el eraiS nng -f111a Te llCUl"e::~ C~; r('lii~XJOn."
Il est tout sim pie que, pour 0tre COllllUe, une lci :-::ci: «lldi(~e"
Mais, je le répetc, ces olJ.iections et tmt cLwtl'C:'; ~lux'lLlelks
il s e r a i t ~ 11" c, l' " 1: " ~ u',~ l' 1_', 1\ n ~ 1 1-11' (' C' o 111- " e (' (ll ' ¡ h : l' P " 1 :- ¡ J LIl' 1 ó) e ("L o ... ') Ll ,..J'---; t./ \..lJ~I.I._\..i. ~;::, '-.,) ',--_ .a.lt- L 1 ,._. \.. L'\:
Chamhl'e, pom' h:, comu::issioll COlllIllC pour moi, le "if L1u
débat, .10 poine oü l'honncur est intél'ossé est odui-ci :
Asons-lJou:3 on lÚ1vons-nous pas accordé la liberU'~ des CO(1-
litions?


L'holloral)le :;'<,1. J ules F<-1;nc llÚl renrochó c1'ayoir été se-
l.


dnit et entraillé par los créatio~lS fanta~.t¡ques (le mon ima-
gination, (l'ayoir con0u ce qu'il a 1l01lltll8 Ü\ll1C ele ces
expressioIls heul'Guses qu"iI tt'OUYC touj ours, une coalition
métaphysique, une coalitioll S,1llS aUC\lllü existellce; l'éellc,
qu'on peut autorisGl' sans lllél'itc parco (lll'·dll~ lL' se yerra
jamais, et de m'etre ainsi r~~:)en'<.') le lll'oit {~(~ :l,';'lOc'Jl' LO¡¡tC3
les l'igueurs contee la coalitioll pl'atirjlle, cOlltn' cdle (llLÍ se
produira en réalité.


VOJUi1S ce qu'il en e~:t, cC pour ceh je SOl'.:> des a1Jstrac-
tions, j'enüo clans les faits ct je -rou::.; cite uu excmple pra-
tique ele coalition; ecl1e (lUi3je dlOisis est la plus récente.
An. nOm1;1'8 des c1éf8I1SeUr's était l'honorable NI. Bel'I'yer, qlli
a trouvé, dans cetto affaire, l'occasion de déploycl' une foís
de plus son éloquence elouée de l'éternelle jeun8sse. 11 est
Ht; sije me trompe, i1 pourra me repremlre. Je veux parler
de la coalition des oUITiers tvno(rr~lI)hes. J e vais vous Ere


';.1. "




DISCUSSTO?\" DE LA LOI SUR LES COALITIOXS 231


l'arret ren(lu. V 81.1111ez 1Jien pretel' ~t ceUe lecture une pa1'-
ticuliére attention; vous pourrez, aussi bien que le plus obs-
tiné eles ouvriers qui constituent ce qu'on a appelé l'atelier
national, acquérir ainsi une iclée nette des caracteres el'une
coalition.


" L.a cour,
" COllsiclérant que ele l'instruction et des débats résulte la


preuye que, dans le cornmencement (le 18G:!, une commis-
SlOll mixte de patrons et (l'íllt\'riers s'est réunie ¿\ París ponr
examiner s'il y avait lieu ele reviser le tarjf qui, (lepuis 1830,
r¡~gle le saLtil'C' des otnTiers t,rpogTaphes;


" COllsid(;l':lllt (Ine les COnf21'enCeS de cetto commissioll
mixto Ollt (;té l'ompnes dans le COUl'aIlt de ma1's dernier, les
118rtic:--i n 'ayallt pu tomber cl'acconl Slll' leui's pl'étentions
respectiyes ct contr::t<lictoires;


" COllsÍ(h"rant (l1lC la com' n'a pas ~t se p1'ononce1' sur le
méI'Íte (les prétentiolls élcyécs, soie p81' les patrolls, soit
rar los oU\Tiel's) 2l l' occasicm ü'une questioll de crttG na-
t 11re ;


" COllsidérant que de l'insü'uctiOl1 et des déhats ·résulte
b. pl'cuYe ql1e les Olnricl';3 typographes ont résnln d'obtenir,
an mo}cn d'une pression, partie des aYét:1Llges sur Je;-;clue1s
un aecorü mnialJlc n'ayait 1'n interY8nll' entre eux et les pa-
tl'ons;


" Qu'en effet, dans le courant <la nlOis de juillet, les typo-
bTnplws cll1ployés (lans llll granel nombre Ü'imprimeries, no-
t~mjlllcllt cheí: les sieurs l\ppÜl't, DOllnaucl, Diyry, l\úolet9
"\Vittcl'sheilll, Yallée, Chaix et autl'es, ont presenté a leurs
patrollS lles c1cmamles écrites et collectiyes tendant a l' é1é-
·vation de leurs salaires et prescrivant une solution ayant le
14 da meme mois;


" Qu';\ la suite du rejet de leUl' demande ainsi formulée,
les ouvri('1's out déserté ensemble et de COllccrt les ateliers
oil ils étaient employés;


" Que ces faits cOllstituent le délit de· coalition suivi d'ul1
comrnencemont d' exécution, tendant ¡t faire enchérir les
tl'ayallx:




232 Dl~:.',loCHATm ET I.IBERTl~


" COll~idcrallt cIne les pn~Yenus Jourlicr, Aunay, Guio-
nie, Helll'i, ~lusset et \Viart y ont pris Ulle part acti \"C, sa-
voir: AUll()Y (1<111S l'imprimerie ~-\ppert, Cuiollic el; Hellri
dans l'impl'imerie Vallé e , .l\Iussct (lallS l'iillprilE(~l'ie de
::\Iourg'ue:::, "rüu,t c1ans l'imnrimerie Chaix., 8t Jourlicl', ayec


G l.


plus cLlnleul' encore, (la118 l'imprimel'ie -:\I()l'tillct;
" Considérant (llúl est, en ontro, établi qne la (l(~::iertion


simultanée et presque ú jour fixe (les atelicrs dOllt il s',lgit
s'est nwuifestée a la snitc (1'un8 circulaire (ln'2ü jUill der~
nier, (bllS laquelle les anciens merrdJres de la sectiun ou-
\Tiel'e (lans la commission mixte cV'clal'ent que, " les patrons
ayallt relloussC toute cOl1ciliation, il y <lY;',it lien de penser
qu'ils aclmettraient les dernieres propositinlis dc';" cU\Tiel'~;,
du m01ll8nt que chacull de ceux trayaillall t cüez ('U',;. leul'
aurait 1ll:1llifesté (llú1 y (1(l11e1'e; "


" 'C()n~i(lérant que cette circulaire ll'est autro chnse 'lu'un
mot (l'ul'tlre auqnel les ouvriers ont ohéi ayec (Lllltant plus
(l"accol'll (p'clle 8manait d8~; pl'incipaux 11lClllbrcs de la :30-
ciété de :sccours mntllcls de lel t}'pogl'aphie, laq ucllc;, llé-
tonrnée de ;:;on lmt exclusÍvement cllaritalJle, a, pal' ~on at-
titmle e;t ses actes, proyoqué et encouragé 1:1 coalitioll;


" COllsi(lérant que cette circalaire est signee llar Ie~ pré-
venus Alfonsi, Daraguet, Coutant, Ganthier~ Hnet, :\Iolli-
net, Parmentier ~ Parrot et Vi,::;'uier;


.¡ Que 1 es neuf prevelH1s sont, eles lors) cOllvaincus :l'a\oil'~
par la rédaction et la distribution de hu1ite Cil'Clllaire, pro-
YO(ltl() les auteu1's du (lélit ci-dessns (lUaliilé 2l le COllllllt'ttt'e,
et que, p,lr suite, iIs se sont rcnclns complices ([11 (léllt,


" COllfil'1ll8,


" Onlull1l8 que le jllgement (lont est appc:d sortír:l .son pleill
et elltier cffet; condamnG les appelants aux [raís de leur
appel. "


Ah! 110US sortons ici du metaphysique et da platoni'lue,
nOll:3 touchOllS de nos propres mains la réalité. Or, cette réa-
lité, quelle est-el1e? Des oU\Tiers typographcs (l'Ulll3 1l10l'(i.-
lité, d\llle intelligence, c1'nne :c::agesse ,\ ]acluellc, LLws le
prOCt~S, tont le monde él rellcln llOmmage, s'imaginent, ú tnrt




DISCLS;'5iO~ DE LA LOI SUH LES COALITl :\s 233


OH a 1'aison, (1U'i1 y a lieu tle moc1ifler des ta1'ifs clont l"exis-
tence est déja ancienne; i1s ac1ressent une deillamle col1ectiye
a 1eurs patrons, sans menace, sans Yi01ence, san s 2:ncnne
amenc1e, défense, inte'rdiction, man<EUlTeS frautluleuses,
sans aucuno de ces aménités qn' on nons uit eüe ele coutume
dall:':: les ateliers. Leu1' demandp. est rejetée; silencieusement,
ils se rctirent ensemble, sans troubler 1'o1'([1'e public, ils
rentl'ent chez ellX; mais la, la justice viellt les :,aisi1' et leu1'
<lit : Vous etes coupables de coalition. Eh biell. supposez
notre loi aussi détestable (lue vous le YOllclrez, supposez
(1U'e11e soit 1'muvre de jurisconsultes aussi in8xperim:mtés
qu'on 1'a prétenclu, que le mot '1 manCCU"\Tes fraucluleuses "
dise tout ce cIU' on yeut, qu\m article SU); la violence soit de
trop; Sllpposez yraies toutes les critj(lneS que YOUS pourrez
imagÍllCl'; jo vous le demallde, d'apr~~s la 10i nouyelle, le f<lit
(IU0, je úell,s de décrire sera-t-iJ pe1'mis ou sera·-t-il (léfclldn?
Voilú tonte la (]1l0:-;tiOll. (Tres-biell!)


Si le fait queje ,ions ele elécrire est pennis 1'8.1' b loi ac-
taeUe, \'os critillucs, fnsscnt-elles ju')tes, cnssiez-Yol1s aux
trois quarts raison contre notre loi, fút-il sense ele (lésirer
l'ahancloll du mot de ¡( manceuvres fnuululel1ses ", 'OHS se-
re¡: hiell olJligés (raYOnOr c1ue la loi réali::;e un pl'ogres
enorme. (C'est eviclent!) Vous serez lJien obligé-s ¡l'ayono1'
tllle dalls tOllS les cas (1 ni seront analogu8s 2t la coalition eles
typogl'aplws, - ct j'ajoute ayec une fiel'té patl'ioti(lue qu'en
Frall(~O les eoalitiollS ont pres(lue toujonrs en ce caracter0,
et (lile, ll1tm18 en 1~40, quaml cent mille ouvriers en greye
étaient campes dans la plaine Saint-Denis, 011 n'a eu it pour-
sniyre CIllO tres-peu de faits de violence, - YOUS serez hien
ohligés tLtyouer clue désormais toutes les coalitiolls <lui se-
ront semlJlalJles el celle des typographes obtiendl'ont (le la
loi que nous aVOllS faite, quelque détestable Ciue YOUS la trou-
y tez, l'impunité qu' elles n'auront pas si la loi est refusée.
Est-ce clair?


Supposez <lúe YOS efforts obtiennellt le rejet (le la loi et
(pe le lelldemain de yotre yoto il se passe ce que je yiens de
vous l'ac,mter dans la coalitioll des typogl'aphes, et qU'Oll




234 D:r:::\ICCRAl'IE El' LIBERTÉ


conelnise les 011\TlerS t1CvaIlt le trilnmal, (lile lenr clira-t-on?
" La loi ayant dé l'efnsée, YOu~ l~tes coup:llJlrs dll tlélit de
coalitioll et nons vous appli(llWllS les artlclcs 4:14 et 415,
<lmell(les, prison, etc. " Supposez~ ;m cOlltrail'e, qne la Ioi
cllw 1l0US proposons soit yotée, qLl';1_rriYera-t-il~ C'pst que
llOn-seulement les oU\Tiers ne seront pas traduits c1cvallt la
justice, cal' i1 1) 'y a pas en Fnmce (le mag'istrats assez illS8n-
~d;~: pmll' le 1'ai1"e, mai8 p8rso11118 ll'm1l'a ridée de Ü'OllYCI'
lenr aete étl'allge. EL le" 11'io!!lpl1c (le lajnstiec, aLlli(~ll d'utre
assLll'é par la tulér,lnec cl¡¡ G()nH~rilemcllt, -" ce (lui e~ot ton-
jours rn:wy,llS, cal' la tolé'l'ancc (li~ 1Jiell C'llgcllllrc b i.olé-
ranee ¡b r:;~ll, tuntrs Ir;; clrux elle:' cOllstiüwnt l'al'lJitraire,
- l'f'su1tpl'" (1,:-. 1,\ lni p1],0_'n;''Il[' re r¡lll r~:t un sIlecbcle an-~ .L ~ .... L\._ ...lLt ..L~_ ,.&. .... "- 1. '-,1_ .... ', __ / "..l. ~ .-1'_ )_ -,)( _
quel eles légi:-Úd('~n's (1oiYt?ilt (~tr(' sCll<iLl(ls, ::\"e v()n~, apl'0l'-
terÍons-nous quc ce pl'()gl';'~;, lloirc lui S21',l1t llll ljlellf;l.it!


.le yai0 nlus 10in encore : ie SUl'r().o:e (1118, nous j l'ouy;mt
L t.J 1 ~


en lJl<'sellce eles COiÜrOYOrsc:-; si pas.'-ll)ll]l(~t':-: (rIO sonlt"yc un
L1élJat ele cett8 natn1'e, Yoyant d'Ull r(,c,' le~; ()1iy)'j"l'S (llle
110US ainlOlls de toute notre úmc, (le rantre les patl'OllS que
llOUS n8 rl(;t,Jstons pas .. , (Rires et mOUYClllCiÜS c1iYcl's), ot
clont llOHS ü(;sirons la pl'ospórit(~ ; pcsant les Íllt('~l'(~ts si di-
"\"81'::; (pe llDGS somm. es olJlj~;·(,S de sauYegill'der, j e suppose
fInc nous llOUS SI)}OllS dit: Ccttc 10i inspire (le vin',..; cl'aintcs,
ces crailltes SOltt exngérées; mais enfin elles sont sinc¿~res,
ccux (luí les e~primellt le:< 1'e:,:so11t8nt et ils l'ppl'(~Selltent
un G parti e co llsit1(:ra ,) le el e ce t t<:~ soeió h'~ fl'a Jl(: "li .: e ú la-


11 tI· + 1 j.' 1 \. • (1 U8 e 110cl'C eH C:;v (tC:3CE1CC; 0:1. I)W'L ,1(' ~:1:,1'('>:; (111(' l1()i¡~~
'(re n :.: f'.lit (JllC}(l"" CllO'"!' ,)(,,11' ("'111'1("1' cet'e Ü·",o(,lU' l'()'ll' 1'1
'- ~. ) ..l..l '_ ..... ( . ~ ;. l t.I 1 _ ,::," v 1 / t ~ .' { " .. .el i _" ' -' ,l., '- t.


l
, " L (.


c1issipel'; quc, llOUS rappelani~ que non') Jl(; SOlllme~ pas les
h:Q'isLtt(~al'~; (les nns et non les lé! .. 6~·Jatcul'S (1es autres, mais
'-~ v-'


les 1("dsh1tenrs ele tons, nous ;1\"ons, en accordant amnlement (, v .1.
la liberte anx. oU\Tiurs, tenclu aux pntrons une main (llÚ les
rasSul'út, j'affil'llle (F1e de...; conccssions (le ce geml'c n'cussent
rien en que (rutile et de loyal. (Tres-1Jien ~)


Ces propositions, mes:·;ieurs, vous paraiSscllt ct me pa-
raissent a ll1oi-meme tellcment (';vi(lentes, (lue je n'y insis-
terais pas si elles n';waicllt étú contestées avse une teIle




DISCl'SSIO~ DE LA. LOl SUR LES COALITIO:\'S 233


persistance (pl'il faut que vous me permettiez c1'épuiser 1'a1'-
gumcntation, quoique la conviction soit, j'cn suis certaln,
déju faite en vous,


Ce que jo (lis est éyiclent. Comment peut-oll le contester,
cal' je ne doute pas (le la bonne foi de ceux qui m 'attaquent;
COllll1lCnt lJCut-Oll le conteste!'? Par quel enchainement
d'itlé8:; cst-on a1'rÍ"yé it cette cl'oyance cllúlpres <1YU11' pel'lllis
la coalitioll, la loi la défendait? .. Vaici comrnellt 011 1'a ex-
plicl11(~ hiero Jc lis, mes:úeurs, les paroles pronüllGée~, pour
etre bien Gertain que jo les reprodllis fidelement :


" Ce n'c;)t pas tout,llOllS a (lit hiel' rllOlloralJle ;;1. Juies
Simon), ce ll'est pus tout. Voiltt une loi que ron dit abl'ogée
et dont jc retrollve lo texte merno clans la nouvelle loi, qUl,
suivallt vons, la remplace. J'y ÜOUY8 aussi, SOllS un 110m
nOlr\"cal1, l'illtenlictioll de la e()aliüon. Il est vraí que la coa-
1, t' . 1 " l' , 11 1 • . ' 1 1O1l a l)C;'Ul ;-lOil llom eL (iU e 18 ;-l é:pp81 era CleSOl'lllalS un
)Jh:íZ (,(:ílC'Cí't/. En Y(;l'it.(;, quel :r'\<1ntage tl'OLlYCZ-','ou;,; ~,,(Jter
le moL e!.:\ le l'Clllldc~ccr rai' l'(!(luiyalent?" Plus loin, lo
IIl0111C oraklll', exalllinallt toujOUl'S eet al'ticle ·11G (le la loí
aduellc, rancIen al'ticlcllCl de la loi tillO llon::; abrogeolls, a
die: " Il ¡: él. l'al'ticle "113 qni déci\le (lile, dalls L: cas OH les
ouyriel's G();:tlisés <llll'aici-lt pl'OllOllC('\ ce qn'oll apJwlle <lerense
ou pl'osCriptioll, ctc., il Y aur~tlt en líen ,\ l"al1plicatioll de la
peille, ll!l~me sans qn'il ;-;oit besoin ü\m. commencement
l oo Jo ... ,: 1 1 1- • J\. 1 e t:XtJ.l, dudo "


\ ' .. ,. l' . '(' ,. Tl 1 1 l' üi!Hi Jt~ ll('li:, .l 'U';.>:ltL1Cll [. it1 (i 1 : 1l " a Cll1:) él. 01 un
L" \ I • ., l' . .". , . . 't l' . 1 ' 1""


an.ll:k "..i.i\; <¡lU 11:'.lJe' i <.1llC'Eíll;1l~ lul CUll.:(lLmU al'tli~ e -1 o;
ccC artlcL;~](¡ dl"cLtl'c) qt • .r) k.-.; amen,.les, d éfCll::' es , prohibi-
tiullS S81'UilL pUllies, irHl('~pell(lammellt ele tout com1ll8nce-
miél1t ü'ex/cutiull, par cela seul (p1'elle;,; aUl'Ollt eté 1))'011011-
Ct;es en yertu d'Ull plan cOllcerté. Plan concerU~ yeut (lire
la memo cllO::;8 que coalition; la coalitioll ost clolle punie.


Je ferai ü'ahonl remarqller ~l l'llOllOl'aLle oratclll' que s'il
a\ait lu aycc un peu d'attentiotl lllOll rapport, il se serait
épargné la deuxieme de ses allégations. En effet~ messieurs,
\oiGi dans quels termesje m'explique ~l la page 78 sur 1'ar-
ticle ·41 G : " Nous aYOllS exigó cornme se conde eondition


u




236 Df::,lOCRA'LE El' LlLJEUl'É


que les amen(les, déf211S0S, proscl'iptions, inL'l"Hllltio]l:) aient
porté atteinte ú la lilJ81'té du travail; la telltatiyO 111' .-.:uf'fi-
rait pas, ni ll10me le jJ1'OJtOíICJ, ail1si lllle le (lisait j'aí](~ien
article Olí; an prononcé doit se jnüHlre la pl'elly(~ (Ju'en l'ait
le lilll'e exercice de l'industrie ct dll trayail a dI! (\l!!r)(\'ll('~, "
C'est done exactement le contraire ele ce qn'oH a dit (lllÍ ost
la vérité; la yérité est que nons ayons réfol'lli(; 1':t!lcicll a1'-
ticle dn cOlle, en ce sens que, üans l'ancien éll'Licle 'lH" la
loi n'exigeait que la prollonciatioll cl'une défens(~, (l\lllC
alllenc1e on d'une intel'c1iction puur punir, et clue nous, nous
ayons youln cIue le pl'olloncé ne fl'tt pllli que si, en l'~'nlité,
il ayait prodnit une aUeinte a la libel't!) da tl';\yail.


Si l'objection seconc1ail'e ne y;tut rien, l'ollj('dioll Il1'inci-
pale n'est pas plus solide. L'article attcint un cel't;lin llUl11-
bl'e de faits d'intimiebtion; c'est la cal'aetó'isa[ioJl g(:Jl(~l'ale.
Ces faits d'intilllid::üion SOllt des a1ll811<les, (les dM'ellse...;, des
prohil)itions, des proscriptions OH c1e~) illtcnlídiolls, expres-
sions qui, (lans le langage tlcs ateliel's, ont une sigllificatioll
tellelllent claire qu' elles 11' ont jamais donné lieu ;\ la lUoill-
(Ire clifficulté. Quand ces faits se seront pl'ocluits, l'artiele
ellG sera-t-il applical)le? Non, messienfs, il [{lucIra Ulle se-
conde conelition: e'est qu'en réalité~ ils aient porté attei1lte
a la liberté du travail; c'est-á-dire qne l'intimidatioll llOll-
seulement ait été tentée, 111ais qu'elle ait pro(luit ses rósul-
tats. Cela n'est pas tout. Le (lélit n'existera pas mellle alor",
quoique le fait ait déj~t tous les c~ll'acü~res snfR"allts [lour
motive!' l'établissement d'une peine, Il [audra) en üoisi¿'llle
lieu, que l'interdiction, que la dófense, que l'illtilllidatioll
soient le résultat fi'un concert établi entre plusieurs per-
sonnes, ponr porte!', par ce moyen, atteinte a la liberté du
trayail, et llotamment Ú, la liberté eles ouvriers. Quel 1'ap-
port y a-t-il entre cette disposition et l'ancien délit de coa-
htion? Le f<lit tle s'etre concerté était, c1ans l'ancienne lé-
gislation, l'élt)IllCllt ullique llu clélit; aujouril'hui, iln'est pas
meme l'élélllent qui le détermine, il n'est que la cOllllition
qui doit s'ajouter a des élements préexistitllts et cnnpahles
pour motiver lit creatioll du (lélit llouveau d'atteillte il la li-




l11;:;.:cessIO:\ DE L,\ UJI SUR LES COALlTIO:\S ;23í


uel'té c1u travail. Dans rancienne législatio11, on se concer-
tait; 011 avait raison, on avait tort; 011 employait la ,-iolence
et l'intilllil1atio11 ou on ne l'employait pas} il importait peu:
le fait simple de (luittel' simultanément le travail en vertn
d'nlle entente était déclaré coupable et punissable. Dans
notre loi, 011 se concerte, on se coalise, on quitte les ate-
liers; le fait est innocent; seulement, si le COllcert a lien.
non pour cOllquél'ir les cOllditíons légitimcs dn travail, mais
pou!' porter atteinte á la liberté cl'al1trui au moyen d'inti-
midations lég(:rcs, tolles qu'amendes, proscriptions, dans ce
cas, on ost coupable; de quel délit? du délit de coalition?
Non, mais du délit d'atteinte a la liberté da travail. Aussi
ne Ser(¡ll t poursuivis que ceux qui se seront spécialement
concerté~:l pou!" prononcer les amendes ou les interdictions,
et llon les participants a la coalition qui auront ignoré cette
entente 8p{~ciale, OH (11ú n'y aurollt pas concouru.


De memc, dan s cel'tains attentats sur les personnes, la
"iolence est considérée, non pas comme la circonstallce
cOllstituürc flu (lélit, mais comme sa circonstance a,Q'gTa-


vU


vante. Dans l'art. 10G uu cocle pénal, on punit l'atteinte au
droit électoral, puis 011 ajoute : " Si ratteinte est portée en
vertu cl'un plan concerté, la peine sera plus forte. " Le plan
concerté est parfaitement innocent, mais il donne une plus
grande gravité a l'atteinte portée a la liberté électorale, et
iI motive l'aggrayation de la peine.


En vérité, messieurs, iI faut avoir éU~ sous l'influence
d'une pl'éoccupation que je ne m' explique pas pour avoir
confondu del1x orl1res cl'idées aussi distincts et avoir vu
dans l'art. 41(; une résurrection des peines contee le délit
de eoaliti011.


J e erois que, sous ee rapport, ma démonstration est com-
plete. J'y ai insisté, paree qu'iI importait á cet égard de ne
permettre aueune espece cl'obscurité. Non, il n'est pas vrai
de dire que nons ayons indirectement, sons le nom de con-
eert, puní le fait qu' on appe1ait autrefois le fait de coalition :
le úlit de coalition est licite; ce quí ne l'est ras, c'est le
fait d'atteinte á la liberté du travail. (C'est cela! tres-bien 1)




238 DÉ"1IIOCRATIE ET L1BERTl':


Voila terminé ce premier ordre el' cxplications. Il me reste
cependant a sollieiter yotre bienycillallte a!.t I3ntioll penc1ant
quelqnes momellts Cllcore ...


VOIX VO"Dl''''~"C;~'' }'e1)""0" ,"()¡r.! ... .... 1 ~H). \ J..!.J L, k ~~;::,. '- " 1:::; '--, [, - , L:"-:i • 'l'('l')()"r"-"O¡l < , '1 . ;. \ .".
(La S¡;::lllCC c..:t sl1spelHlue ;\ einq lleul'e~; Ciii!l ll:imti.es et


est l'r'11'~"" ,') ClOl'(j 1 1 ('11 prH; P}1 'Iu~rt ) J' 1 l"~\j '"-~ I 1 1.. , . .1. ~_ .... _ ,l "- l .... ,'--~ •
1\1. LI': P11t:;~InF=<:T r_~I~ ~~ro~::~-'-~". I~;l


:\1. le rapporJcul'.
:;\1. I~'m,E OU,1\'IEIL -:;'[essieul's, je 11';[[ p;:ts l'hal Jitwlo de


:-:.:ol1ieiter pell(hnt;i longtcmps y(,tre attentioll; mai,: cl"oyez- .
m o i , i 1 e~.; t u ti 1 n (1 u e y o ll~; m 8 1'" í' C o r 11 i e z, (P ;1.1'}c' í:! 11 a 1'1 (' z ! )


Je 111e sl1is, (l(m:~ la premiórc P:li·tit' (1(; jlla dis('L1'-;-;;nl, t(\nu.
1"11S 'l'}'" Qltll'1+1°(\11 {l-'~r'-'ll'~;"'~O .:(), ,'('11""'- ·)t't')(-í~~01'l·\ 1\-1("1 J'U'll' (Ll .. el., ""',,\'" ". cJ,,~ .,-l\ .. "J' \ lo.\. (, <lll,v ,l .1J 1I L, ...
-:'11 - jC' l~""i~ -:;,\"1 .• )+" - '\1\ .- 1 ~ ""t'" r\,,(:.\ ,1(\1 )(11 ,1 ,,~ ... .' 1,\ -, ~r-< ~,arquE,., ([ "~"lL .. ,:L,d()",' JC \CiL\. ,",,!dLl \1\.d""lll(~ ,L ('. :-:.'.y:


ti'lI1e' (lJl rt l 'cil 1~()n"11l'1' ,ni) "n';1 ¡,-:.;t ('1)\\11'''',',>]' ,o,. ((,l'j] ji('i1t:'
, .'. ,L/,' ........ .I.1 ... '-lV~..I'1't.....I.,",-'·, "~~1·'~,l~~\_\"1.~ ,j..L '-1J


e 1" ('1' l' i 1 1 ',1' '\ n', ,'0 j .
./ J. \.. -- 1 \ 1.;. .. -.J' •


"~O\~(;11~~! Y('·n~~ il~)nro~_¡llC:Z ~-~.ll r';lj(Jl, {:_l~ ]¿-!,¡ (~C11111:i:~:-.:i('\11 d~(~·trn
"- ..L .1 d


";;-¡gU8, (~C ]\LCC'l' ~8S ()nYri(~l's (1:1[\3 rjl11p:)~:-;:,hilité (18 COll-
[l"" 1 +Ll'e ('" \1 1'; le".11" '«1'''1 d (',fe l' 11" '1'1 ,'n Cl'tÚ 1 ¡311]' ;in ]"1. 1) {'l' n


'
1° ~ LtJ ,\./ l' 1..1. ..:.. ~_ ,~L ',_~ L ( - -' J J..' \..1. \ / ! L './ \.... '-/, _ J ( \ / ~ f..J.


Ul', pom' (,Oijj::tl~i'C 18, llonYcll~ L"Sisbti()ll it };:tilllnlle ils \'ont
, , o, J o 1 o o t 01 " lO J rl' o JO ÜeSOl"lJl:ll;~; ,'C:\' :: (1.D.1l':i, CInc ¡!()1Y(


'
i1 -1 S etlH Wl'o J. i'01S ;-¡rCl-


eles, lli l'lu~; llÍ l:l~)i¡l·'. Quancl ib les alIfont coml'ri", l~l1allil
01 1 'f'" 1" 1 t 1 o '01 1 S es anrollt ~U-:Clles uan) C'1ll',"; aC;lCl':3, (IU l:~ en ~ml':)ll:;
demandé ct olJtcnu lo commclltaire, et j'ni essayé (le leUl'
elite1' ectte peine 1181' les longues rXl'lie:,tíol1~; de mOll }';lP-
po1't, ib 8anront, ue fac;oll ,\ no s'y P~lS llH'~pre}l(11'(" ('() í{ ¡¡'jL;
pcuyent et ce qll'ils no p8uvc~nt pace .. \.11. (,()lltl'ail'i', ~;uppo~'cz
admis le systúme <Iu 11roit commUlL connwllt Hil Oll\TiCl' 0U
U11 patrull saul'a-t-il ce qui lui est penui:..; 01l ce qni lui est
d¡"fc 11 (1 u ~ JI Lmll\l, ü'(1)orcl qu'il lise tOllt le code p()nal
pour y décOll\Tir Lll'ficle (luí :·;app1iquc a SOlí caso Ce ll'est
pas touL ii ran:~l'a qn'!l liso la 10í (10 18H~ sur la prnsse, la
lo i el e 181 D tI u i P U 11 i tIa d i ffa ! n a t i o 11 ,In ( 1 ('. c. r ¡J t (1 e 1 8;) 2 q 11 i
atteillt les fauss('s HonYelle~:; 811 íl'anh'.:;s 181'111('8, me;i~ieul'.s.
ii faudra 011 qu'il f(l~se UlW éllncaticn c()mlJl¿~te de jl1rl~:pru­
dpnee~ en qu'il ait toujOl1l'S ~t ses cut/·s Hn pro['r,o.;o.;(lllC Ile
grE;ye (llires cl'ac1hé:-:.:ion~ pon1' rin~tr!1irc ólc C(~ (ln'il peut




DISCUSSION DE LA Lor SUR LES COALITh>NS :2:39


fail'e, Ainsi done, nos articles, fussent-i1s inutiles, auraient
pour les ouvrlers ectte premie re commoc1ité de 1em' ap-
pren(lre en pen de paro1es la vérité de ]eu1' situation,


J\Iais, ll1essicurs, marchans un pen plus en 2,Yant. Ces
trols articles, (1ans lesqnols nons :1\-ons essayé do meUre
tnute la cbrté p03si1)lc, sont-iL-; dOlle lJcancoup plus va-
gues qnc le droit comm\1ll ~ Est.-ce que non;.; c111111l0l1S aux
juges, dans les articles "11-1,113 ct '110, 11118 fac~llU d'in-
terpi'etatioll ct il'arbitl'a:re (lli'iis ~18 üOUYC~t'Ollt }i,J_s (lé1l1S le
1 ' t ? I T ' 1" 1 1 . 1 " (rOl commun; Jwr, HOllon:U.l12 Ol'at,'Ul', UU1S ~()ll enUille-
ratio n des (liH~1';3 (lélits ~aisis par le 111'oit C0Il111lUB, a cité
l'injure, l'ontrage, la diffamation, les fL~nsses llouyelles. Eh
1 ' " , j 1 • f" 1 . f )18n, 1m COllSClOllCC, lllJUl'e:,;, oacrage, Ulnama:JOl1, lélusses
llouyell()s, est-ce plus clait' OH plns ol);~cur, je vous en
prir, qun lllélllO'llVl'l'S fra11!hli~uscs~ ~'2st-il pas 2.l1.ssi pos-
si1)le d(~ ti¡,('l' tOllt ce f[il.\m Yl':1fll'<l (Ir:,..; mots : L~nsses llOU-
,'nlJ('~ (l¡Il"'lll"<l"l'(\ll ')11tl"'()'" ;":I:","~ (",,,1,.; ]')'(1+" n,"'[1"-:'('_
,'-;: _~._, ! 11((.. (4., ,1J., \, &{\,~ ,tl1.; ~1,-._" 1,1.<,' \_'_' __ .... "_'_' • .l..:'ACt .J.t.t" t


'-rns r'''11111111nll('n<::'~ í,',"L"-"" ('1!(' r "l,,:c' ¡",,, "'-""-""';'~l!-~ ;",, 'C;l' '\-("\'1" \ \.,j"- 1.L<.-,,~ .. \; <-.)\.J'J_ j~._, ',-' 1 .. ', \.1.'/(_') ~L .~.L<j'-lY)" '-' G~_·.L', ,,_ \../l0
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, ] t "7 ! 0-' JT 1 '1 ..


! iU aYGC e 11100 í¡¡((}W!Ul"í'CS Jí'{íZio.,g_ Ci:ses.' , e U 1:-; pl\1:~, ce ElOt,
jíWí/(('.UI.')'cs/nwdl,zcltscs él. une Cb.l'té (lui ne ~8 trouye dans
:lucun eles 1ll0tS 111i'Oll a in(liqlll~~';, parce lllúl imillirlue uno
('il'constance 3m' brl1wlle le donte ne PC~¡;t 8xistor. Vous
pourcz discuter sur la limite exade ele la m::lllu~n"T(~ fl'<1udu-
lcnsc'. Tuntefois elle n'existe pas sans uno circonstance sur
la(luelln la conscience ne pent s(~ tromper : la mallCBU'ITe
frauchdeusr sllppose un menwnge accom pE scÍemment.


Aussi je n'hésite pas t\ m'applaudil' d'avoir dit aux. on-
vriers, ne fút-ce qu'it titl'e (fnllseignement moral: La
1ibel'té YOUS est (10nné8; US8Z-8n it yos risques et périls, au-
tant que vous vOUlll'ez, mais arretez-Yous au point OÜ com-
mence le mellsonge fait SCiell1111ent. POlll' Sél\'OÍl' oü ce
point commence, il est inutilü que yons consultiez (léS juris-
consultes ou des philosophes; écoutez votre conscience, et
vous le üouverez sans l'aide des commentaires et san s le
seccurs des définitions.,Tres·bien!)




2-10 DÉ110CHATIE ET LlBERTf:


Ne Hons créon:-; pas de faussc,3 iclées sur les eal'ad("res de
la loí pénale : si elle ne cloit pas étre Yague, elle est C011-
damnée :\ restel' genérale, ce qlli est tout c1ifférent. l/ho-
norable orateur auquel je réponc1s vous en a dOl1né lui-nH~me
la preuye par une citation de Rossi :


,,; Oü ÜC)Hver, a dit l'éminent crirÍ1ina1iste, une limite si
l' 011 pose sans l'e~triction cette maxime : q u' on transfol'l118rn
en ([éLts spécümx tous les faits qui peuvent devenir faeile-
ment des occasiolls ele délits? Il n'y a pres(lue pas d'acte de
la YÍe hUllHtir18 qui pút échapper á l'al1atherne, C'est par
l'abus de ces príncipes (lue périssent les libertés pulJliques :
e' est au nom ele l' orclre q u' on encllaine les bras et qu' OH
étouffe l'esprit de l'homme. "


L'id("al n'est donc pas tle spécialisel' dlaque eas indiYi-
duel; ii fant eonstituer des eatégories bien faites, grouper
sons une meme loi eles séries d'aetes analogues, Deux
éeueils sont á éyiter : si on reste elans eles généralités indé-
finies, la loi c1evient vague, elle est mauyaise; si on dis-
tingue cha(lue hypothese, la loi est minutieuse, elle est ::les-
potique. Si on reste dans l'intermédiaire, si on a soin de
rapvrocher des faits ayant vraiment un caractere se m-
blable, la loi n' est plus ni vague ni minutieuse; elle est gé-
nérale et des 101'S conforme aux exigenees de la seienee.
lndépelldarnment de la eitation de Rossi, mon éloquent ad-
versaire me fournira encore un argument a l'appul ele la
these que je soutiens; et qu'il me permette, san s qu'iLy ait
de ma part aucune intention malicieuse, de lui rappeler les
paroles qn'il a prononcées dans la discussion sur le code
pénal. Ces paroles, je les ai retenues, paree que je retiens
ce qn'il clit. Il les a prononcées dans la discussion sur le
eocle pénal, l'année elerniere, á propos du mot outl'age.


" Il s'agit iei, yons a-·t-il dit~ d'un délit dont la définition
est impossible. " On sent l'outrage; quant a le caractéri-
ser, e'est impossi1Jle. L'outrage, e'est l'aeces qui allume
dan s le eOJUl' de celui qui le reyoit un sentiment si tumul-
tueux, qn'il eourt á la yenge3,nce, et que la répression est
néces~aire clans un in téret social. L 'hollorable 1\1. Jules




DISCUSSION DE LA LOI Slm LES COALITIO"\"S 241


Favre conclaait de cette impossibilité d\me définition, qu'il
était mal de c10nller au délit d'outrage une extension déme-
surée; mais son esprit était trop sensé pour en conelare que
l'outrage dút rester impuni; il ajoutait, au contraire, que
la répression est nécessaire dans un intéret social. Eh
bien, si pour le délit d'outrage, dont on peut faire sortir
tout ce qu'on veut, la répressión est nécessaire dans un in-
téret social, est-ce que pour le délit de la fraude, clont on
ne peut pas faire sortir tout ce qu'on veut, la. répression
n' e~t pas également nécessaire dans l'intér8t social? (Tres-
bien! tres-bien!)


Ainsi, messieurs, j'ai prouvé que notre systeme était plus
commode et qu'iI n'était pas plus vague que le systeme du
droit commun. Il me reste a établir que ce qu'on appell~ le
droit commun est un abus de mots dont il faut débarrasser
ce débat, qlle le clroit commun est avec nous; que le droit
exceptionnel, c'est ce que nos adversaires réclament.


Guí, il y a une clifférence a établír entre ce qu'Oll appelle
le droit commun et ce qU'Oll désigne du nom de droit excep-
tionnel et de droit spécial. Mais la différence ne l'ésulte
pas de ce fait secondaire que le délit est puni par tel article
du code pénal ou par tel autre, ou pa.r UlW loi particuliere ;
elle nait de la détermination du type idéal sur lequel s'est
modelée la loi qu'on veut caractériser. Ces types sont au
nombre de deux. 11 y a le type de la justice, il y a le type
du salut publico Montesquieu a dit, et apres lui beaucoup
d'autres ont répété : Dans certaines circonstances, il est
permis de voiler la statue de la justice ou la statue de la
liberté. En conséquence, a cdté des lois selon la justice, 011
a fait des lois motivées par les seules exigences du salut
publie. Lorsque vous voulez savoir s'il faut dire d'une loi
qu'elle est de droit commun ou qu'elle n'en est pas, deman-
dez-vous ceci : Est-elle selon la justice, elle est da droit
commun. Est-elle selon le salut public, elle est du droit ex-
eeptionnel.


Dans lequel de nos deux systemes est done le droit de la
justice? dans lequel le droit da salat public? Les lois rlu




DÉMOCRATIE ET LIBERT.B:


salut public, e1les sont dans votre systeme. Ne proposez-
vous pas, en effet, d'appliquer aux ouyriers les 10is d'excep-
tion faites en 1848 contre la l,re;,:;se et contre lt~~ attI"01Jpe-
ments? Ne proposez-Yous raC'. (lC 1es placer S(;U~ le cr.l1p du
décret de lR52 sur]a presse, lúi d'ex('ppljO[l !'coi] en fut,
et qui, de YOtl'A cuté, a été sor:-y-cnt attaqnée aH'C élo(l1l('I;ce?
Qu' est-ce q:!e nons V8nons, nons, demanuel' d ';1 ppI ¡quer?
Xl' l' l' , , 1
.;..lOus "";e11on3 vous ceman(je~' e app lquer urll(1tH)1t1ell~ ,es
príncipes Je justice du droit P[\1l~11 oi.'dinaire : Ilons SOIYlWl"S
done dans le cornmun, (M2.rlH·3:S d'aclhésion.)


1\- t 1 • , l' +' ,., 1,e nons .enons pas ~C!JJ\)U:"J a:lX. conSluér[ltWnS sliperll-
'elle~' l]'l'r)'l'ton~ T!f")C't t"\Q~ l(J-::--';:- ,1{\!'~¡_)"I"'rC'l (l(~~+ "'-'\1--.1e FJ·,""j , ... 1 el 1 :S, • d 1.:' x,a.:) Ct~~· C., __ ... Ll,!, ,·· •• L,,;:-, \. Ji." ¡)'el. <.l~C<Á~


. '1 1').. , 'l 7' Qm sa )01'( alen\; gyee le ce.: '>c' Ji"'eiI1'C 'YJ)'or¡¿(: i í! en ,- atta-
.L .1-".,


cllnrlt '111 C10110 +0 1 1i.. Cll·fi"¡(~p,,,-:-:~'-· l'''''~'-'(';''-''''lc le>' e'il'l!l1CffD.'< e.,l- .... 11 ,,1'" o. L L:-', .. .1 "JL,L .L H~·. r:;c,~ ~ ... L·"'·.Jl .J 1:S • ., .", '''~ .·1, ,t,h.,l'''''
a "'! f'--",)f


1 1,)" c'lnC C\ .. -.. O 10 -:~ '-·ln-;,¡~;.J 1,) J'l''''t~ 'l(} <1<J' --.. 1n l{'.r- Jo t_ U 1,)".1 ( •. 0 L~··'.,.'. ·"lü; (., ,L,' .. , <, .,. • .. d':", L< 1...., l,t (.'. ,.el
mi·,rt+iOll (l'llH (L';¡;~'?' 0,001" 1)"':,;; .~r:;L.()qi('>J\r"",r()')Ol'tin¡;11ée
......... "'-~_ ... L ~ .... ._~-'.l.").:.~ _\1 l, ~ ~,_t~.·_ "- -) '"'~~J" - ~ .. 1 t...-. _.&. ,
:, ,~c· ("11' nc,L ,"".)'C\ e·.L .\ r~, ,-.-; 1" 11+;1" 01' ,·]·1 lq 1l r l'l,r 1¿
u. O~' lL.L c.)" .JLL~'C'C. "u (. ~'c; (i''--' ,.:.1:':::. ~ "".'. " '! .,,; (c-
T\"r.::..:,-~ 1.¡ "'-'!\C'11Vlp (111 ~ll("L() (:,11-1 ,~\-¡r ~~l~(ll'e Q'l"l"l "'11 A (l.-!·"l\'l";'e l'(C,~ .. e H" 1:1'. ,:eL! C" < J .oL_. e e :.l·:- . .:;:)'.; j Ll .. !'. l Cl 1\- c.,' t l',k:'
la L:é'S:11'8 de 1'1ttile, elle ser ~~t'. (bmaille de la loi, elle
on{-P8 (l·,n .. cn1ni (le 11" rl~'l" 1,':), ':",.¡J-l ... J... Ll,~l"_l \....l\.. .... ~ "" 0. ... ~i lJ .... L~ .... '--".


1,.'). l!l';P. Y'~"ll··I+eJ''':\~-'+ lo" C11'~'''~('¡''(' ie nrl' pI:>" p<lrtl·""llS le"
, '-''" lu .cId .ce lO.!u ,.,,~ L, ~ 1'-;" .. '~ J 1 0 e;j L "Lt ~,


plus paSSiOLl(~:S eh clrc~t C",llmrm de me répowlre .. le rasse
d"I1" I'~ r"'l ir.> Y'oncon'¡'po nn 1l(nnyne n'1~ D'(' l'el'l'te 1·é·1", \..t ,J (,\1 L1'--" .. jV .i..,--1 'Lt.,'_'C .. _____ " _ .... __ ~~ , '..L~~'" 11 J 1 .. " • . ' .... ' '- G
fi,~nlle p'lic' CíPI~lí''''''p~: 1)¡o·;-nn~,t.:1 C""'\rl~(\' 1"("'+1'" Cl"lllr. ""1/) au, ..... l.,~v, i· 'c.1v_c.lll ~U ~d L.Cd" <-1) ,~, ." l ,,- ,,-' 'll,
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e' o'lise' un D'l'e' he Dc.:i'. t"11 C;'" :"" ,'(\'·1 (l'jCJ'f) 111'';: p¡.,,, cl("r',1 .... i t t) L , .... 1 "'.... c,'-.JV 1. -'L .... ,_\~. ~.' ., - • '.,\.\_ ( 'J 1 1,_ ,'-4. ... J_
,..., +- ' ,. 1 '+ 1" '1 .... - J 1 l' , 11
've" acces (lont pnTúUu 1 J..!.C:1üL:'Lt' :\1. . llle:' 'a\TC:";: t1';~e
en '"lC·· J· D 1"-'8 1)I~eJcly:t(:J. e'l'"!r"l lo. -:',~:--.r"_",+;"f), J-' ln lf')·...,"l~" e 1" 't c~ ,~ d Jl. 'J u '1:)1 u ",- 1u 1·' '_ .. '. e, e .L· . "i'1'~' J:-C' - .t-"
que (lans le:,; deux Cil'Cm1~t~~l"~:'e~ ll!a culpahiliT(~ ese 1;1
mérne? Est-cc qr':.8 b illeme rei~1e doit attein(lt'e l'nete (le
l'homme Cll.A: frappe un pass<lnt (llli le heurte oans la rue, et
l'ade de eelui c:¡ni, san" re:::pect pour lo lieu saint, ftappe le
prétre uans ~)a chu.il'e? Fst-cc qne je ne :mis ras cJans le cJroit
eommun, est-c:e qne je 118 respecte pas ses impérieuses
prescriptions lCJrsql,8 j'étahJis, entre "es cleux cas différents,


,des c1ii-férellce.'; de pénaEté ?
l-)Q, 1I-1'\r')0 T)'Ir.,.;;. ; n 11 Ir.';l l.·c,,~l.:\ 11 r'l ("·1\TPl·8l-- - t1 '"' c1¡'lnflll(·11e "11 v~l·~l,-,~de~ .• ~, .]~. ÁCL~ ~ )L .I..~., <1, 1 "t .. , •. ~u..


c;:¡,:¡aret, Jn.lL3 une ~>ix.c :1','2;: .'3on camar::ul(J, 1J le frappe, Un


J




DlSCUSSION DE LA. LOI SUR LES COALITIO~S 243


autre organise une gdwe, il dit a son camarade : " SUls-
moi! - Je ne veux pas te suivre, répond l'autre, je trouve
ta querelle mauvaise; j'ai une femme et des enfants dans
une mansarde, il faut que je gagne leur pain. " L;\-dessus
l'autrc le bat. Est-ce qu'il n'est pas plus coupable que l'ou-
vrier (!lÜ, dans un moment d' émotion au cabaret, a éga-
lement fr:~ppé? (e' est cela ! tres-bien!) La raisnIl n' existe
plus au monde, ou il ya El, deux cas diffél'ents qui jnstifient
l'existence de delÍx peines différentes. Lorsq118 jo üis un a1'-
ticle pour une hypotllese et nn autre article pou!' Lwtre
hypothesc, est-ce que je ne reste pas dans les regles les
plus inviolables de l'éternelle justice? Est-ce que je ne cons-
titue pas le tlroit commun? Et n'ai-jo pas le (hoit de vous
dire, au contntil'e, que frapper également ces deux [¡lits qui
sont si dissern b!aLles uans leur imputaLilité criminelle,
c'est vrainlPnt érablil' un droit exceptionnel, U!l dl'oit pri-
vilégié, pui:-:que par la peine égale le fait le plus GOUFlble
est atteillt llloins s(;v(~rement que rautl'(~?


Ainsi, mes:siellrs, je :mis (bns le droit commUll, et je le
constitne. Le droit commUll n'a ras été f<lit un jOUI' pour
l' éternité, il se rait perpétuellement; (1 ne de j Oill' en j nul' iI
s'ételH1e, qn'il se pprfectionne, qu'il détnlÍse cetU~ pbnte
parasite qui q nelcl1lCfoís l' étouffe ct qn' OH appelle le dl'oit
exceptionnel; qu'ill'l\gne, tl'iomphe, éclate, c:c)mine pétrtont,
yoilá mon buL Nous no 110ns on écartons Das (1;.ns la loí


.L


que nOllS nOU3 pl'oposons, nous faisons un pas ,'er:3 lui. Lois
spéciale!", 'lui,,) e~::.(~eutiol1nelles! ce sont la. des expressions
mau\'aises, (le>; ré,¡Jitós funestes, des doctrines que llOUS
n'avons voulu lli lavoriser ni pratiquer. (Tres-Líen! trh::-:-bien!)


J'aí prouvé qne notre loi était plus commode que le sys-
teme de nos a(hersaires, qu' elle n' était pas plus vague; j"ai
établiqu'elle était conforme au droit commU11. Il me reste
a vous démontrcl' qu' elle est extre.mement utile et d'une
utilité dont vous ne pouvez pas soup(onner assez l'impo1'-
tance.


011 a dit un mot dans eette diseussio11, - c'est je erois
M. Seydoux, et c'est d'une incontestable vérité pour qui a




244 DÉMOC'RATIE ET LIBERTÉ
lu, comme je viens de le faire, tous les doeuments sur les
greves anglaises, - on a dit que les malheurs qui ont suivi
l'établissement de la liberté des coalitions en Angleterre ont
été amenés par l'idée fausse cow:me par l'ouvrier que, dans
les greves, l'impunité était assurée a tous les actes de vio-
lence ou de fraude, qu'il ponvait contraindre ses camarades
á entrer c1ans les coalitions sans courir aucun risque légal.
Aussi, apres avoir débuté, ainsi que le veulent mes honora-
bles eontradicteurs, par la proclamation du droit commun,
011 a été obligé, chaque année, de faire une loi particuliere a
coté du droit commun. On en fait une en 1859, on en fait
une autre en 1861. En Amérique, on a commencé de meme
par le c1roit commnn. On en arrive ~n ce moment a l'imita-
tíon de l'Angleterre et aux lois particulieres.


Ne croyez pas que les craintes que je vous exprime ne
soÍent motivées que par des consic1érations tirées des expé-
riences étrangeres; non, j'ai dans mes maillS un certain
nombre de pétitions qui ont été remises a la commission.
Ces pétitions sont tres-curieuses. Je ne puis pas vous les
lire tontes; j'appelle <Iu moins votre attention sur deux
d'entre elles, qui vous montrent, messieurs, le fond d'admi-
rabIe bon sen s qui, malgré tant d'excitations, se trouve
dans les classes ouvrieres. La premiere est couverte d'un
nombre considérable de signatures; elle a été faite par les
ouvriers imprimeurs en papiers peints, qui sont a l'état de
greve chronique. Ils demandent le droit commun, et lIs
ajoutent ceci: "Nous vous demandons l'abrogatioll pure et
simple des trois articles et. de renvoyer toute pénalité au
code pénal. Nous repoussons de toutes nos forces toutes
n:wes de fait, violences et manomvres. (Ils ont trouvé le mot
meme de manmuvres.) Nous demandons l'application du
code péllal pour tout agent proYocateur ... " - Vous voyez
que nous ne leur accordons pas tout ce qu'ils demandent
(On rit), cal' ils accepteraiellt le mot de manomvres, nous
ajoutons celui de (rauduleuses,. ils demandent de punir les
agents provocateurs, et nous avons repoussé cette partie
du projet du cOllseil d'État.




DISCUSSIOX DE LA LOI SUR LES COALiTIOi\S 245


La seconde pétition nous a été présentée comme émanant
des ouvriers les plus intelligents; en effet, parmi eux il en
est qui ont comparu devant la commission et qui nous ont
frappés par leur noblesse, par leur intelligence et par la
vibration convaincue de leur parole. Dans cette pétition, les
ouvriers protestent contre la loi, et voici un de leurs grands
arguments. Il s'agit de l'article 414: " Prétendra-t-on qu'il
faut que l'amende soit d'un chiffre assez élevé pour produire
de l' effet sur l~s patrons? Mais comment croire que les pa-
trons, qui échappaient déja si facilement aux articles 414,
415 et 416, seront jamais gEmés par les articles modif1és?
Ce serait une erreur de le penser, car ils auront toujours
assez d'adresse pour se maintenir dans la légalité; la coali-
tion calme leur suffirait complétement. Au contraire, s'il
arrivait qu'il y eut violences ou voies de fait de la part d'ou-
vriers, ce sera le plus souvent, sinon toujours, le résultat
d'une erreur, d'un malentendu ou de préventions adroite-
ment suscitées par quelque séicle du patron pour les com-
promettre. "


Qu'ils se réjouissent clone cle la loi, puisqu·elle frappera
les séides cles patrons qui veulent les compromettre et non
pas eux.


Puis ils ajoutent, et voici, messieurs, le clanger :
" ... Quant aux menaces, on 11e pourrait pas inscrire c1ans
la loi un mot plus dangereux. En effet, qui ne sait que,
dans les ateliers, la menace est formulée ~L chaque illstant et
n'a, la plupart du temps, que le caractere d'une plaisanterie
plus ou moins ironique, SOUY81lt de mauvais goüt? Eh bien,
si la malveillance ou la jalousie p·ouvaient recueillir ces me-
naees pour les faire retomber en pénalités sur leurs au-
teurs, Oll regretterait bien, cedes, d'avoir introduit ce mot
dans la loi, qui aurait bient6t des conséq uences aussi fá-
cheuses qu' en av~ient lee; mots c7~ejs ou auteu1's, qui ne
servaient qu'a faire punir ceux qui le méritaient le


. .


mOlllS. "
Ainsi voilá des ouvriers, et les plus intelligents parmi


eux, qui SOllt cOIrraincus que si YOUS abrogez purermmt et




2-16 DÉMOCRATIE ET LIBERTÉ


simplement les articles sur les coalitions, la menace sera
impunie. Vous touchez du doigt l'utilité ele les détromper,
vous comprenez aussi la nécessité, apres avoir fait l'alUvre
libérale, de ne pas négliger l'muvre fraternclle, et apres
avoir accordé el ces ouvriers qui le demandent le (lroit qui
leur sera, quel(l uefois utile, quelquefois llul::;iblc, de les
avertir des dangers qu'ils courént, de les proü>ge1' contre
leur errenr, de ne pas les laisser aux prises avec une loí
C}u'ils croiront désarmée, tandis qu' elle a en réserve des ri-
gueurs nom breuses.


Enfin, messieurs, une eonsidération d'un caraetere plus
élevé me paralt justifier l'utilité de la loi. On parle sans
cesse de la nécessité d'instruire le peuplc3. On a raison;
mais l'instruction, messieurs, se eommulliq nc de mille ma-
nieres: la plus profitable, la plus féeon(le ll'e~t pas toujours
eelle qu'on trouve sur les banes des écoles; cC:'lJe que don-
nent la vie, le malIleur, les contads, l'exercice ele L1 Tic po-
litique, celle que procure l'habitude de COl1ll<lltre ct de res··
pecter les lois, a une efficacité incess<lnte et toute-puissante.
(Approbatioll. )


M. LE DUC DE MAmnER. Et la prison par-dessus le mar-
ché. (Rires et brnit.)


M. É1IILE OLLIYIER, Puisque nous sommes oblig6s par les
prineipes de la science d'écarter toute esp¿:c8 de formule
déchrative de la loi pérmle, de donner aux cllseignements
gu' elle contient la for];ne amere de la peine, servonS-llOUS
pour instruir e meme de ceUe forme; et elle an1':1 anssi son
utilité el coté du droit indirectement acconlé; proclamons,
affirmons c1irectement par la loi pénale le ueyoir qui y cor-
respondo (Tres-bien! tres-bien!) J'ai toujonrs admiré la ma-
niere clont les livres bibliques affirment la propriété. N ulle
part il n'est écrit : " La propriété est un droit; " il est
seulement clit : "Tu ne voleras opas, " c'est-a-dire tu rem-
pliras le devoir d' oil est né le droit de propriété. Notre loí
aussí crée un droit par l'affirmation cl'un devoir. Elle n'est
done pas inutile : votez-la.


En me résumant et en embrassant d'un coup el'mil toute




DISCüSSIO~ DE LA LOI SUR LES CO-" .. LITIO~\S 247


eette discussíon, je (lis a ceux. que je rencontre comme ad-
versall'es : Je crois que vous vous trompcz. Vous, qui etes
en face de moi, vous pellsez que la loi accol'de tropo Vous.
mes arnis, vous ero}ez (1 tI'dle n'accorde pas assez. Vos deux
assertions se Ilt;tnlÍsent r :1118 par l' autre; elles ne peu-


't ., 1 ('. 11 t" l' . vent pas e 1'8 \TaleS el a l();~: el es ne son vrales 111 une ni
l'autre. P.Iarques J'as:)en(ill>'n~.) La loi accorde, mais elle
l1'accol'de pas trop; elle <iGcut'de :<3 j Este et le 112cessaire. A
vous quí etcs 8n face (tc; ~:';l:\i, j(3 dis, avec la plüs pl'ofonde
cOllvlction : Votez la lui; r~ar, SlJj' cette ruaüere, il n'y en
a pas en EUl'ope quí :-;c,it plus :""~lB'emellt l'réYoyante. Et a
-vous, mes ami~, je dis: Y utez la loi, car i1 n'y en a pas en
Europe qui soit plus H~ribLlGmel1t libérale. (C'est vrai!
c'est vraí!)


Ql1ant :'t moi, lllessiem', C;Hí ercis que le but Eupreme de
la politíque e~it, non pas de natter et ll'exciter le peuple,


. 1 1" 1 '1 1 Ir1" l' 1\ t ' . . malS t e e eYC1' eL; (e :'::011((l8'e1' \ feS-lilen.); qli.aü a mOl
qui ai voué tt ceUe cause tout ce que j'aí de forces, je suis
certain de n\ ayolt· jam::::'~ été plus fid~le que hrsque j'ai
travaillé ~t la loi actuelle; e e, pour le prés8nt, coimne pOlir
l'avenir, c'est a,yec confiance que je l'e';(~nclique, lJautement
et fierernent, ma pal't de. collaboratioll! (Tl'es-bien! tres-
bien! - .:\pplaudíssements su:' un granel nombre de
banes. )


:MessieUl'S~
Un des priviléges de lavél'lté, c'est qu·elle eommunique ,1.


ceux qui la défendent le ealIne qui résic1e en elle et qui la
rend toute-puissante. Aussi, quel qne soit l'étonnernent dou-
loureux que m'aient causé certaines paroles du discours que
vous venez d'entendre, je persisterai a ne répondre, ainsi
que je l'ai fait jusqu'c't ee moment, qu'en prouvant que j'ai
raison, et que les adversail'es de la loí ont tort. (Tres-bien!
tres-bien n


¡




248 DÉMOCRATIE ET LIBERTÉ


Quels sont, en effet, les reproches qui nous ont été
adressés?


On a commencé par reprendre la discussion de 1'a1'-
ticle 414 voté par vous.


QUELQUES MEMBRES. e'est vrai!
M. ÉMILE OLLIVIER. Ce débat, étant rétrospectif, doit


etre bref. Je dirai á mon éloquent contradicteur, relati-
vement a l'article 41·4, qu'avant de combattre mon opinion,
il eut dil en mieux. saisil' le sens, et ponr avoir 1'avantage
d'une réfutation facile, ne pas me preter des propositions
que je n'ai pas émises.


Ainsi l'honorable M. J ules Favre s' est écrié : " eomment !
vous avez dit qu'il était impossible de supposer qu'il y eút
jamais sur les siéges de la justice des hommes assez mal-
honnetes pour qu'on puisse redouter de leur livrer des
expressiolls vagues telles que ceHes de 11utnrE'lttTeS (1'au-
cl?tleuses! " Messieurs, je n'ai ríen dit de pareil. Jeme
rappelle, dans une discussion a laquelle j'aí déjá fait allu-
sion, avoir entendu mon honorable contradicteur reprocher
ameremeilt a un 'projet de loi sa défiance envers la magis-
trature, dont on restreignait le droit dans l'application des
circonstances atténuantes. En ce qui me concerne, je me
suis borné á dire, dans le discours que j'ai prononcé a votre
derniere séance, et voici mes expressions t~x.tuelles : qu'en
supposant la malhonneteté assise au tribunal, elle pourrait
tout aussi bien faire sortir des interprétations forcées des
mots in jures , ontrage, di(j'arnation qu'aooptent mes ho-
norables adversaires, que du mot man(mC1JJ'es jhludulezcses
qu'ils repoussent (e' est le mot vrai! c' est vrai!); que, des
101's, leur accusation manquait son but, parce qu'elle ne
s'adressait pas au seul mot manreU1J1'eS, et- qu' elle attei-
gnait toutes les qualifications contenues dans le code pénal.
(Tres-bien! tres-bien!) J'ajoute que 1a magistrature est la
garantie :3upéríeure de la liberté, précisément parce que,
malgré toutes les précautions que les esprits les plus dé-
fiants peuvent prendre, la loi péna1e conserve nécessaire-
ment une généralité qui permet la latituc1e abusive de l'in-




DlSCUSSlON DE LA LOI SUR LES COALITIO~S 249


terprétation. Je m'étonne done qu'on reproche ayee tallt
d' opiriifitreté a une loi en partieulier ce qui est le earaetere
et la condition de la loi pénale tout entiere.


Messieurs, pour ne rien aigrir, et pour rester toujours
dans le domaine sérieux et élevé des prineipes, je n'ai pas
ajouté, non plus, ce que je vais dire en ce moment pour ré-
pondre a une question. Oil est-il ce mot de manceuvres frau-
dule'llSes? m'a-t-on demandé. Dans quelle loi l'avez-vous pris~
Dans la loi de 1849 sur la liberté éleetorale. Apres avoir
proclamé le droit éleetoral, eette loi aj oute: "Seront pu-
nís ... eeux qui, a l'aide de manamvres frauduleuses, au-
ront influeneé ou tenté d'infiuencer le vote d'autres ei-
toyens. " Voila ou nous avons pris ce mot; et e' est paree
que nous l'avons trouvé la, mis par des mains qui ne
peuvent etre suspeetes a eeux auxquels je réponds, que
je m'étonne du reproche qu'ils nous adressent. (Vive ap-
probation.)


Je n'ai rlen de plus a dire sur la portion rétrospeetive de
la diseussion. - J'arrive maintenant a l'artiele 415. Je
l' examine avee une égale netteté; - ear, messieurs, et
e'est le seul mot que je veuille dire de moi, si je me suis
trompé dans eette discussion, vous me rendrez tous eet
hommage que je n'ai pas péehé par défaut de netteté. (Mar-
ques d'adhésion.) Eh bien! quelles sont les deux dispositions
qui, d'apres mon honorable eontradicteur, feraient de la loi
actuelle une monstruosité parmi les monstruosités? Il y a
dans la loi, vous a-t-on dit en premier lieu, une peine, la
surveillance de la haute poliee, dure, monstrueuse et dont
on a décrit complaisamment les eonséquences. 01', eette
peine dans une loi que vous proclamez libérale et que vous
présentez comme un bienfait, est non-seulement maillte-
Hue, mais rajeunie.


Comment peut-on s'abuser a ce point sur l' ffiU\Te de la eom-
mission? Avait-elle á établir la peine de la surveillanee} a
se demander si e'était une peine bonne ou mauvaise, a re-
ehereher quels étaient ses mérites ou ses démérites? Assu-
rément, si eet examen avait dú etre fait, j'ignore quelle




250 DÉMOCRATIE ET LIBERTÉ


eut été l'opinion de mes autres collegues, mais personne de
vous ne doute que l'opinion du rapporteur eút été défavo-
rabIe a l'établissement de cette peine.


M. J ULES FAVRE. Alors, pourquoi ne l'avez-yous pas
abrogée?
M~ É~nLE OLLIVIER (s'adressant a :M. Julos 1'a\Tc). Jc


vous suppUe ¿'imiter ...
Vorx NmIBREUSES. Parlez a la Chambre, ne répondez pas


aux interruptíons.
M. É:mLE OLLIVIER. Je vous supplie (!'imiter roon calme et


el' écouter mon raisonnement.
M. J ULES FAVRE. J e vous demande pardon.
M. ÉMILE OLLIVIER. Vous n'avez pas a. me demander


pardon.
Je reprends mon raisonnement, et je dis que, pour la


commíssion, iI ne s'agissait pas d'établir la peille de la ~JUr­
veillance : elle existe. Il s'agissait simp1emcnt (1'en détermi-
ner l'application plus ou moins étendue ~l un cas particulier.
Le projet du conseil (fÉtat l' étendait trop : llOUS 1'avo118 res-
treintB. ::\Jais est-ce que par hasardles adversaires auxquels
je réponds n'ont pas aussi accepté la surveillance de la haute
po1ice? Est-ce qne par hasard le systeme de rctonr an droit
commun entraine l' excIusion de la surveillancc? E8t-ce
qu'en admettant que nons SO}OllS battus, llOUS, melllbres
de la commission, battus et que, grúce aux eiforts de
~I. Jules Favre, vous acceptiez ce qu'on appelle impro-
prement le droit commUll, est-ce que la surveillance aurait
disparu?


M. JULES FAVRE. Oui!
M. ÉMILE OLLIVIER. Ouí? ..
l\L JCLES FAVRE. Je demande la parole.
QUELQUES VOIX. N'interroinpez pas!
M. ÉMILE OLLIVIER. Quand vous dites ouí, vous commet-


tez une erreur, et vous ne pouvez pas prétendre¡ que vous
péchiez par ignorance, car voíci ce que je trouve dans le
discours de l'honorable M. J ules Simon : " Quand vous
menacez de mort, etc.) on a le droit de placer le coupable




mSCUssIO~ DE LA. LOI SUR LES COALITIOr\'S 251


sous la survei1lance de la haute pollee pendant une durée
de cinq á dix. ans. " Vous savez done que votre systeme
n'exeluait pas la surveillance de la lumte ,poliee, d'autant
l)lu'3 qu'un de vos orateurs l'a dit. Le systeme de votre
amendcment, aussi bien que le systeme de la loi, comporte
l'application dans eertains eas de la slll'vcillance de la haute
l)()liee. Je le répete : eette peine existe. Les uns l'aeeeptent,
les autrcs la subissent, mais per~onile ne l'introcluit. Voila
la vérité. (Tres-1Jien! tres-bien!) Pas plus dans ce point que
dans tout autre, nous n'avons été infid(~les au droit eom-
mun; nous ne nous en sornrnes écartés que poue en atloueir
les rigueul's, et puisqu' on me ramel1'e a eet orc1re d'idées,
je suis bien aise ele vous le prouver par quelques arguments
que j'aí oubliés dans mon dernier discours.


AillSi, messieurs, supposez adrnis ce qu'on appelle le droit
COIlllllUIl : il est incontestable que la fausse nouvelle sera
atteÍnte par le déeret de 1832, soit qu'elle resulte d'un
éerit, soÍt qn'elle resulte de paroles, ainsi que l'ajugé la
conr supreme. 01' la fau:,'"Se nouvelle - cela a été également
jugé - est punissable, meme 10rS(lu'elle a été répanelue de
bonne fui. Dans notre projet !le loi, au contraire, le délit
d'atteinte h la liberté du travail n 'exi:-;te c¡ue s "íI y a eu in-
tention méehante, mauyaise foi. De tclle surte qu' en' le
rapproehant (lu décl'et de 1832, nous a YOllS le droit de dire
que ce que nous apportolls, e'est un allégement et non une
aggravation. (Trcs-1Jien! tres-bien!)


J e vous (lonne un autre exemple. Dans y,otre systeme, la
loi sur la diffamation serait appli~able aux ouvriers, et vous
l'avez citée dans votre énumération. Vous n'ignorez pas ee-
pendant les eonditions séveres , on peut dire cruelles, de la
loi sur la diffamation. Vous savez que l'accusé ne peut pour
sa défense fournir la preuve des faits allégués, ce qui con-
duit a eette conséquenee : qu'on peut etre traduit devant un
tribunal et condamné pour avoir attribué a quelqu'un un
fait dont il serait faciIe de démontrer la vérité. Dalls notre
projet de Ioi, au contraire, l'atteinte a la liberté du travail
ne pouvant résulter que de manCBuvres frauduleuses, e' est-




252 DÉi\10CRATIEET LIBERTÉ


a-dire de faits qui impliquent la mauvaise foi, les ouvriers
ne pourront etre punís pour des accusations de ce gem'e
qu'autant qu'ils ne pourront pas en démontrer la vérité.
Dans ce cas encore, en respectant ce qu 'iI y a de fon-
damental dans le droit commun, nous en avons adouci la
rlgueur.


Pour prouver le contraire, mon honorable contradieteur
a été obligé de me preter une hérésie légale, qu'iI s' est
dOllné le plaísir commode de réfuter. Il a soutenu que j'avais
consídéré le simple mensonge eomme eonstituant une ma-
n02uvre frauduleuse.,Non, le simple mensonge He suffit pas
poue constituer la man02uvre frauduleuse; aussi n'ai-je ríen
dit de pareil. Voici quelle a été ma pensée, je me la rap-
pelle tres-bien. J'ai dit qu'jl ne pouvait pas y avoír de ma-
l102Uvre fraudulcuse sans la constatation ¿'Ull fait sciemment
mensonger. D' OU je concluais que quelques (lifficultés q u'iI
put y avoir a déterminer les limites de la manmU\Te frau-
duIeuse, il n'en pouvait exister aucune sur la comlition fon-
damentale sans laquelle elle ne peut exister, et que des lors,
~n se consllltant eux-memes a la lueur de la flamme inté-
rieure quí brille en chacun de nous, les oU\Tiers pouvaient
se rendre un compte exact de ce qui leur est permis et de
ce qui leul' est défendu, sans avoir recours anx légistes ou
aux philosophes. :YIais je n'ai pas c1it elu tuut que le men-
songe suffit et qu'il ne fút pas nécessaire que el'antres élé-
ments vinssent s'y joindl'e poul' constituer la malW)llVi'(~
frauduleuse complete.


Je me résume sur ce premier chef d'attaque. En ce qui
conce1'ne la surveillance, nous n'avons ríen créé ni ríen ra-
jeuni; nous n'avons fait ni plus ni moins que vous, qui nous
attaquez avec tant el'ardeur. Que dis-je? iI Y a entre vous
et nous une différellce. Dans yotre systeme du droit com-
mun, vous avez trouvé la surveillance, vous avez passé á
coté sans rien tenter contre elle; 1l0US avons bien été obligé;;
de passer outre comme YOUS, mais nous avons essayé de cir-
conscril'e SOll terrain; nons avons passé outre, mais en e~-




llISCüSSION DE LA Lor SUR LES COALlTlOXS '2;):3
sayant Je faire qu' elle frappat pendant un temps moins long
et dans un nombre de cas plus restreint.


:¡',e second argument qui me reste a réfuter, je l'avoue,
m'a plus surpris encore que le premier. Vous faites, nous
a-t.-on dit, une CBuvre ineompréhensible; vous établissez
dans votre rapport, vous établissez dans le projet de loi
le principe que la coalition est permise. Ce principe acl-
mis, vous punissez des violences, des menaces, des ma-
1102UV1'es frauduleuses, lorsqu'elles ont pour but de porter
atteinte a la liberté du travail. 01' il est, pour ainsi dire,
inévitable que les fait.3 de violences, manceuvres, etc.,
se produisent dans p1'esque toutes les coalitions. Si donc,
apres avoi1' permis la coalition, et avoir puni les vio-
Jences, vous ajoutez, dans un article spécial, une aggra-
'vation de peine contre les violences, ou les menaces, ou les
manceuvres frauduleuses commises dans les coalitions,
comme il y aura des faits de ce genre ou du moins des faits
qui en auront l'apparence dans toutes les coalitions, en réa-
lité vous punirez toujours la violence, etc., selon l'art. 415,
et non pas 8elon l'art. 414. Vous ferez plus encore, vous
atteindrez la coalition elle-meme, que vous avez cependant
déclarée licite.


Comprenons bien, messieurs, l'article qui a suggéré ces
cl'itiques, et vous verrez ce qu'il en faut penser. L'art. 414,
que vous avez voté, suppose des violenees, des manceuvres
frauduleu~es, eommises par un ouvrier ou par le premier
yenu, de sa propre inspiration, sans s' etre concerté ayec
personne pour les commettre. Les menaces, les violences
sont punies avee plus de sévérité que dans les eas ordinaires,
paree qu'elles ont ce but coupable de porter atteinte, par
la constitution d'une coalition, a la liberté dutravail. Tout
est clair dans ce premier article. Pour qu'il y ait délit, il
faut un but coupable : l'atteinte par une coalition a la liberté


I du travail, des moyens coupables, l'emploi de la violence,
des 'Voies de fait, des manoouvres frauduleuses. Seulement
les moyens coupables sont employés par des individus, 011-
yrier8 OH non, mais isolément et par suite d'une eoú1cidenc e




254 DÉMOCRATIE ET LIBERTÉ


fortuite, san:::: la circonstance d'une entente préalab1e ponr
les commettre.


L'article 415 suppose cl'abord l'existence de tous les élé-
ments que je yjens d'ana]yser. Le but doit &Jtre toujours :
l'atteinte á la liberté du travail au moyen Cl'U1l8 co:¡}ition.
Les moyells SOllt touj ou1's : la violence, la menace, les ma-
llffiuvres franclllleuses. Selllement, it ces éléments s'en joint
un de plus : la yiolence, les manffiuvres frauduleuses, au
líen d'érnanel' d'un senl, sont le résultat d'une entente entre
plusieurs; au lien <1' émaner de l'initiatiYf~ individuelle, elles
sont le résultat d'une espece de complot. 11 s'est pass{~ ceci:
plusieurs 1'e1'sonnes, apre::; avoir vainement tenté de 1'ro-
duire une coalition, se réunissent et disent: L'o]Jsbcle ~t
nosprojets, c'e:-;t 1<1. résist;:;,nce de td per~;onnagr" oU\Tier
Oil llon, qui exerC8 une certai1l8 influence sur les autres; 11e
pouvant le vaincre autrement, aJons rce.:ours enspmble <'t tel
ou tel moyen, a la violence, ,\ la menace, h la fr"ude. Le
concert ne porte pas, YOUS le saislssez bien, sur Ulle (lUCS-
tion de travail, sur l'abandon simultallé des atrliel's, ce qui
est licite. 11 porte sur l'emploi, par pll1sieurs, ne la violence,
de la menace ou (le la manCCl1"'\T8 fral1cluleuse, ponr con-
trainclre des ouvl'iers quí résistent á entrer (bns une greve.
L'ade coupable qne l'article' :114 snppose accompli en v(~rtn
d'une initiative l~Hli-Yiduelle se produit, dans l'hypoth(~se
de l'article 415, apres une délibératioll, 11!1 concert, une
entente.


N' est-il pas éyiclent que, cbns le second C:1S, la cu1l,abi-
lite est plus grande que dans le premier? N'e:st-il l'as évÍ-
dent que lorsque plusieurs personnes commettent UIle vio-
lence apres s'étre entendlles, leu1' aete est plus coupable et
plus dangereux que lorsque le délit est le fait c!'un8 seule
personne on de plusiel1rs qui ne se sont pas préalablement
concertées? (C'est vrai!)


L'article 415 ne sigl11fie rien autre, et si on l'avait Iu sans
préoccupation, on n'aurait pu s'y méprendre. 11 est ainsi
coneu: ,( Lorsque les faits punís par l'article 1'récité auront
été commis pa1' s;rite cl'nn plan eoncerté ... ." Il ne clit pas : •




DISCUSSION DE LA LOI SUR LES COALITIO"NS 2:5;)
Lorsque les faits auront été commis dans U~le coalition , ou
bien lorsqu'ils seront la conséquence d'un plan concerté pour
étrréter le travail. Non! lorsque les faits auront été commis
par suite d'un plan concerté, les coupables pourront etre
punis, etc. A une telle dispo:::':tion, on ne peut faire aucune
objectiol1 raisonnable ..


Je vais me me plus loin . .Te suppose que l'aggravation pro-
noncee dans l'article 415 soit motivée par cette circonstance
que les violences., les manCBuvres frauduleuses ont été e111-
ployées pendant clue clure une coalition et par ceux q ni en
font padie. Cela n'est paso l\Iais cela serait-il, ríen ne serait
plus légitime et pll1::; conforme aux principes, etje vais vous
1'enore cette opinion saisissable par un exemple. Portel' une
arme llwlll'tricre est un délit; un attroupement a lieu sur la
yoie puL!iqne, je m'y 1'e11(ls avec mOll arllle; par cfla seuI,
- c'est encore une loi de 1848 qui 1'a décidé ainsi, - par
cela seul que jc me trom-e armé dans l'(tttroupement, le
délit cllallgn, s'aggrave; ce n'est plus le délit de port illég~:tl,
d'armes, c 'est le déli t d'attroupement armé.


Nos ;llhersaires n'auraient pas eu le clroit de nons repro-
cher une pareille décision. l\Iais nous, nons lÚlYOnS youlu
rien faire de pareil. Dans l'article 415, je le n')pete, non8
n'a1,'ons puni avec une sévérité plus grande que le concert,
non pour cesscr le travail: non la coalitioll, mais le concert
pour se sen"ir (le manceU\TeS [nwduleuses OH de violences
cOlltre ceux qlli 11e veulent pas se meler 2l la coalition, le
COl1cel't ponr poder atteinte par eles moyens coupables a la
libert(~ d'autrnÍ. La seconde eles objections que vous venez
d'entenclre ne résiste pas plus que la premiere au moindre
examen.


Plus on attaquera cette loí, plus 011 éleyera contre elle de
critiques, plus elle sortira triomphante et des attaques et
des critiques, parce que non-seulement elle a été faite avec
honneteté, mais paree qu'elle respecte et met .en pratique
les véritables principes. Et si yotre rapporteur pouvait dé-
sirer une compensation á certaines parolesprononcées dans
eeHe eliscnssion, en dehors de la bienveillanee doat vous




'256 DÉ~!OCRATIE ET LIBERTÉ


l'avez honoré, iI la trouyerait dans le jugement que portera
l'impartiale histoire sur les uns et sur les autres, quand elle
jugera ces débats et quand elle rapprochera de la loi la vio-
lence des contradictions qu'elle a eue á subir. (Marques
nombreuses d'approbation.)





XVII


PAROLES PRONONC~ES SUR LA TOMBE DE MEYERBEER


(6 mai 186-1)


Cette triste cérémonie serait incomplete si, apres que
vous avez entendu les paroles offlcielles, celles de l'art, de
ramitié, de la religion, une voix ne se faisait entendre au
nom du grand public fran<;ais que Meyerbeer a pendant
tant d'années charmé, ému et fortifié.


Oui, messieurs, bénissons d'un camr reconnaissant et
attendri les hommes illspirés qui, pendant que nous sommes
aux prises avec les luttes, les difficultés, les douleurs, les
amertumes de la vie, s'absorbent dan s leur génie, s' élevent
par luí jusqu'aux régions sereines ou ils trouvellt pour nous
les rapporter les chants d'apaisement et de consolation.
lIs ne donnent pas seulement aux ames fatiguées la rosée
qui rafralchit : entre les nations, ils sont des médiateurs.
L'intéret les divise: ils les unissent dans une admiration
commune. La passion les éloigne : de la passion ils font
jaillir des accents divins qui partout rapprochent les cmurs
et leur créent comme Ulle patrie commune. Prophetes mé-
lodieux des destinées pacifiques de l'humanité, ils sont en-
voyés parmi nous pour que l'amour l'emporte sur la haine.


Réjouissons-nous, - si un tel mot peut étre prononcé




258 -DÉMOCRATIE ET LIBERTÉ


dans une telle circonstance, - que ce soit un enfant de l'har-
monieuse Allemagne qui ait depuis longteml)s enchanté de
ses accents souverains notre noble France. Entre les deux.
pays, c'est une cause de plus de sympathique accord. Que le
nom de Meyerbeer, que le souvenil' de notre (leuil se melallt
a ce1ui qui ya accueillir au delá du Rhin cette précieuse dé-
pouille, que tous ces tristes et pieux souvenirs soient un
gage d'union entre deux nations smurs que ríen ne devrait
divi:-:er, et qu'un líen fort et dnralJ]e s'établisse de plus e11
plus entre la patrie de Mozart et de Becthoven ~ et celle
tl'Hérold, d'Halévy et d'Auber!




LETTRE ADRESSÉE A 1.:::-;- ÉLECTEUR DE PARíS.


(15 mai 18b.!)


:Monsieul' ,


Laissez-moi VOUS dire douC3ment, sans amertumü III
colere, que votl'e lettre est née tl\m mauvais sentiment. IJ
n'est pas bien, quanc1 un homme honorable, qui a durant ,le
longues années c10nné des preuves de dóvouernent ~ une
cause, pense autrement que 1l0US, de lui snppo~er ele::.; 1110--
l)jles l1011tCUX. Ces illjures ne me troublent pas plus que lo
;..;ouffle de l' cnfant ne trouble la mer, quand elle est paisilJle;
maÍs elles me fnnt de la peine pour ceux qui s'}- ah:l11-
(10nnent .


. Te vous ai (lit, clans llliL pl'ofession <1e foi : ni ar)prol)ai ¡¡¡el
systématique, ni opposition systématique. En ::cmtcnant ll:18
loi que l'avenir pl'oclamera bOllne, raí (10nc l'empli la ptll'lllp-
que je vous avais dom)(~e.


Nos amis s'engagent dans une yoie au bnuf de laquelle lIs
ne trouveront que déceptions . .re reste ildt"ll' Ú la politique
:les ciwj, etj'espere hien que la, force de la raisol1 ~- rami~nera
tout le monde.


Vous yoterez contre mm aux prochaines élections et




260 D¡;;~IOCRATIE ET LIBERTÉ


vous ferez bien, des que je ne représente pas \"os idées. Si
]a majorité de mes électeurs pensait comme vous, ce dOllt
j'aí de bonnes raisons de douter, je reprelHlrai avec sérénité
l'exercice ]ucratif de ma profession que j'ai négligée pour
mes devoirs publics. Maisjamais ni le désir de ]a popu]arité~
ni la craillte de n'etre pas renommé ne me feront aban-
donner une seule des idées que je crois justes, 11i entrel'
dans les voies périlleuses de la démagogie.


Je vous fais envoyer mon rapport (sur les coalitions),
pour que vous puissiez étudier une que:;;tion que vous pa-
raissez juger sans la bien connaltre; et je vous engage dé-
sormais a respecter les autres, autant que vous désirez qu' OH
vous respecte vous-meme, et a laisser a l'ignorance ou it la
mauvaise foi les déclamations iujurieuses que je regrette de
Ere dan s la lettre d'un de ceux qui m'ont honoré (le lelll':'
suffrages.


Recevez m~s salutations cordiales.




XIX


LETTRE ADRESSÉE AU RÉDACTEUR E~ CHEF
DE L'BrPARTIAL DAUPHINOIS


(:23 maí 18(4)


.JIonsieur,


.J e vous remercie cordialement de l'article équitable et
bienveillant que vous me consacrez dans votre excellent
j ournal. Vous avez déterminé a merveill e ma situation.
L'ignorance ou la calomnie tentera en vain de la dénaturer.
Il n'est pas un homme sensé et de bonne foi qui puisse s'y
méprendre. Conquérir la liberté, si cela se peut, sans cou-
rir l'aventure d'une révolution : voila mon but. La justice
la plus rigoureuse et la plus impartiale : voila mon moyen.
En politique, on est l'otage de ses idées. Aussi, aucun
homme politique sérieux, ayant l'esprit de gouvernement,
ne peut dire qu'il ne sera jamais dans la nécessité d'accepter
le pouvoir. Ce qll'il peut du moins affirmer, c'est que cette
nécessité de participer au gouvernement n' existe qu'autant
qu'on peut le faire avec dignité, avec honneur, en restant
Relele a ses principes.


Il faut l'aveuglement de la haine pour me supposer d'autres
visées. Voih\ plus de quinze ans que je suis dans la politique,
défenclant la m¡~me cause par les memes moyens. Ce n'est




262 DÉMOCRATIE ET LIBERTÉ.
pas lorsque j'ai trouvé dan s l'estime publique la seule récolll-
pense dont faie besoin que j'irai donner aux honnetes gens
le désolant spectacle d'une faiblesse qui serait encore plus
sotte que coupable.


Depuis longtemps je sais opposer la plus imperturbal)le
indifférence aux attaques et aux dénigrements systéma-
tiques; mais je n'ai pas perdu l'habituc1e, et je ne veux pas
la perclre, de témoigner ma reconnaissance a ceux quí, sans
meme me connaltre, défendent la loyauté de mes il,ltention~
et la rectitude de ma politiqueo


Agréez, etc., etc.




xx


CIRCULAIRE AUX ÉLECTEURS DE TOULON


(8 juin 1864'


Électeurs~
J'accepte la candidature q ui m' est offerte par d 't:mcíens


et chers amis; je suis pret a étlldier et a défendre les in-
térets spéciaux de votre ville.


Il Y a q uinze ans, vous avez accueilli asec effusioll le
commissaire;' accueillez aujourd'hui avec hienveillance le
candidato


Parmi nos belles fetes du temps passé, vous rappelez-
YOUS le banquet c1u Champ-de-l\lars? Vous rappelez-vous
avec quelle arcleur, debout a la place me me ou s'étaient
faites les exécutions de 93, je vous demandais a tous d'ou-
hIier les souvenírs de discorde, de désavouer les théories
cruelles, et de ne plus vouloir pour notre patrie q u\m ave-
nir de concorcle~ d'harmonie, de civilisation, de prog1'8S et
de liberté? Vous rappelez-vous l' émotion, les cris enthou-
siastes, les applaudissements par lesquels vous répondites a
mes paroles?


Si vos sentiments sont restés les memes, nommez-moi,
cal' tel que je fus alors, tel je suis encore. L'expérience




264 nÉ1\IOCRATIE ET LIBERTÉ


et l' étuc1e n' ont fait que me renc1re plus eher l'idéal deviné
par ma jeunesse.


En 1864, eomme en 1848, je erois fermement que la eon-
fianee et la générosité servent la c1émoeratie mieux que la
défianee et l' enYie ;


En 1864, eomme en 1848, je erois que pour devenir forte,
la démoeratie doi t s' élargir et non se fermer, se transformer
et non se répéter, se déterminer par la jristiee et non par
la haine; qu' elle doit préférer les idées aux phrases, 1'amé-
lioration partielle quí se réalise a l' espéran.ce vague d'une
réforme totale; poursuivre la liberté et non les bonlever-
sements, le progre s et non les révolutions. Les att:tques et
les soupc;,ons, je vous en prends a témoin, ne m'ont pas
arrété dans ma voie lorsque j'étais parmi vous, ils ne m'ar-
réteront pas davantage aujourd'hui. Je n'avais ponr appui
alors que la force de ma eonviction; je suis soutenu main-
tenant par l'approbation qu' ont donnée Jeux fois :\ ma eOl1-
anite les éleeteurs de Paris.


La politique, je le sais, ne doit ohtellir qn'un8 place seCOll-
daire dans les élections da conseil général; mais comment
pouvais-je m'adresser a vous, apres taút d'années, (¡ mes
chers eoncitoyens, sans vous entretenir de nos SOUH'lIirs
communs!




XXI


SL'f" CE QUE DOIT ETRE L'ATTITUDE DU PARTI LlBÉRAL
EN EUROFE


lJiSCOlt1'S prononcé el Turin


(20 jnin 18(4),


1I. J..:milc OlliYicl' étant allé défcndre nn intéret fran<;ais consiclé-
rabIe dcyant le conseil d'État de Turin, les membres clu parlement
italien de tontes les nnanccs lni offrirent nn banquet. C'est en ré-
ponso ~nl toast qui Iui fut pOl'tc. qne ~1. Ollivicl' prononC;!1 le disconrs
suivant :


:;\Iessieurs,


C'est avec une' émotion que vous me permettrez ele ne
pas cléguiser que j'aí entendll les éloquentes paroles pro-
noncées par 1110n ami Broff~rio sur moi, sur mon pere, sur
mon pays. J'y réponds en portant un toast a l'Italie et au
roí Victor-Emmanuel!


.:lu noble pays qui se releve!
Au capitaine intrépide, au roi qui comprend que de nos


jours la liberté seule· peut soutenir un tróne !
E Y a longtemps, messieurs, que j'aime l'Italie. Les sou-


yenírs les plus durables ont depuis longtemps rendu mon
ame ú moítié italienne, Durant llotre premiere révolution,
apres (11l8 B()naparte eut repris Toulon, une famille s' échap-




DÉMOCRATIE ET LIBERTÉ


pait de la vi11e et prenait la route de l'exil, entrainée par
des convictions qui ne sont pas les miennes, mais dont l'ar-
deur était sincere. A Livourne, nne fille naquit comme
une consolation dans le malhellr, c'était celle qni devaít
etre ma mere.


Bien des années apres, quand mon pere dut a son tour
prendre la ronte de l'exil, et apprendre combien est dur U.
montel' l'escalier d'autrui, il choisit pour refuge votre pays,
et c'est dans la donce et charmante 'roscane qu'il a passé
les années pendant lesquelles la patrie lui a été fermée.


D'autres souvenirs plus ehers encore, mais qu'il me serait
trop amer de rappeler, me rattachent encore a vous. Vous
le voyez, je suis presque un des vótres, et vous avez raison
de m'accueillir comme te!. .


Je ne me suis pas contenté d'al111er votre pays : j'ai tou-
jours affirmé que ses destinées s'accompliraíellt. .Te me 1'ap-
pelle le temps OU pendant que YOS cités étaient pleines el'une
foule indifférente livrée au plaisir, quelques hommes hé-
rOlques veillaient seuls dans l'ombre, prél'arant par leurs
écrits, par leurs actes, par l'intrépidité de leurs espérances,
la délivrance prochaine. Qu'y a-t-il de llouveau dans votre
chere ltalie? me disaient ceux qui ne contemplaient que la
foule. Comment pouyez-vous croire, ó reveur, qu'on 1'8-
vienne el'un tel assoupissement? - Et moi, quí ayais sentí
hattre le CCBur des apótres de l'unité, je répondais : Raillez,
raillez, sceptiques superficiels, et moi je vous dis CIne l'heure
viendra, qu'elle approche; déj2l l'llOrízon blanchit : bíenWt
la lamiere souverainc éc]aiera. N" c parlez pas de résnrrec-
tiOll, ajoutai-je : les morts seuls ressuscitent, et l'Italic n'a
jamais été morte. Une plante ne peut croltrc toujours avec
la meme force dans le meme champ. j~ussi pour que la terre
se repose sans devenir stérile, chail ue année le cultivateur
intelligent fait snccéder nne culture a u·ne autre. Il en a été
ainsi pour l'Italie : le jour Olt elle eut épuisé la politillue, elle
produisit l'art; la peinture d'abord, c'est-~t-dire ces hornrnes
divins qu'on n'a jamai.s égalés, et dont les noms seront aussi
éternels que le culto du beau; les Léonard, les l{apltael, les




SUR CE QUE DorT ETRE L'ATTITUDE DU PARTI LIBÉRAL 267


Michel-Ange. Apres la peinture, la musique eut son heure,
et a10rs parurent Palestrina, Cimarosa, Rossini.


Tandis qUA les nations modernes s'arlollnaient aux affaire s ,
l'Italie opprimée, au lieu de succom ber, trouvait dans ses
propres souft'rances la puissance de s' élancer en haut, de
prendre possession da monde idéal, de le parcourir, d'y
régner, et de dominer de Hl. ces profands poli tiques qui, ne
]a trouvant plus a terre a cdté. d'eux, et ne la soap00n-
nant pas si haut, proclamaient, dans lenr infaillible sagesse,
qu'elle n'était plus qu'une expression géographique.


Qui pourrait dire que meme alors la part de l'Italie ne
flit la rneilleure? L'art n' est-il pas, en effet, le sommet des
choses humaines? Non-seulement 11 rapproche, iI rrcon-
cilie, il tempere, mais seul il a le pouvoir de donner l'im-
mortalité.


Ayez autant que YOUS youdrez les procédés de la logique,
la correction des formes, la soup]esse de la discussion, je
ne vous appellerai pas un grand oratenr tant que vous ne
serez pas parvenu en haut, dans la région sereine, dans la
région sublime de l'art!


Soyez aussi habile que vous le vouclrez, ,aussi instruit que
vous le pourrez des lois, des institutions, eles pratiques du
gouvernement, je ne vous appellerai pas un grand homme
d'Etat tant que vous ne serez pas panenu en haut, dans la
région sereine, dans la région snb!ime de l'art !


Accumnlez formules sur formules; découyertes sur décou-
Yertes, je ne YOUS appellel'ni pas un grand sayant tant que
yotre ~cíence ne sera pas cleyenue poésie, tant qu' en me
déroulant scientifiquGlllent le spectacle des mOlic1es, ou (le
leurs phénolllE'lles, YOUS ne m'aurez p3S procuré les raYÍsse-
ments que jn trouye dans les psaumes de DaYÍd, tant que
YOUS ne serez pas parvenu en haut, dans la région sereine ~
dans la région sublime ele l'art !


D'autres destinées ont commencé aujonrd'hui pour vous.
De l'3rt, vous voil~l redescellclus dans la politique, vous voila
tous devenus les ouvriers ele votre unité. C'est ici que je
rencontre les paroles de mon ami Brofferio sur la questioll




268 DÉMOCRATIE ET LIBERTÉ


romaine. Je vais m'expliquer nettement avec vous sur ce
clifficile sujet, afin que vous jugiez exactement des diffi-
cultés de notre situation en France.


Votre erreur a presque tous est de cOllsiclérer la question
romaine comme une r¡uestioll de la politique étrangóre de la
France, tandis que c'est une question de la poli tique inté-
rieure ; je dirais plus, la question capitale de la politir¡ue
intérieu1'e.


Un gouvernement ne peut se soutenir qu'appuyé sur un des
groupes el 'hommes qui constituent un parti; sans cela, iI 1'es-
terait en l'air, suspendu dans le vide, et ii ne tarderait pas a
s'écrouIer. Le gouvernement impérial, tout en ménageant
et,jusqu'a un certain point, tout en servant la démocratie,
a cherché son appui dan s le partí conseryateur. e'est á ce
partí q u'iI a demandé des maires, des préfets. des juges,
des ministres. Ce parti consel'vateur n'aime pas l'unité de
l'Italie, et croit, bien ~\ tort, r¡ue le maintien du p011voir
temporel importe il la liberté de la religion catholique.
Aussi des le commencement de la guerre ü'Italie manifesta-
t-il des inquiétudes. Quand le pOUyoÍl' temporel du pape
fut menacé, il éclata en violentes coleres, et par la bouche
de ses orateurs, de ses journalistes, e1e ses hommes d'État,
iI adressa au Gouyernement les plus pressantes sommations,
le mena<;ant de ses hostilités s'il ne persistait pas dans la
politique qui avait inspiré la déplorable expéditioll de Home.
La cliscussion s'alluma it ce point que, pendant plusieurs
sessions, Jules Favre ou moi, nous fumes amenés, apres
a"voir reproché au Gouyernement ses défaillances et ses
hésitations, it le défendre, nous les lléputés de l'opposition,
eontre les attaques des députés officiels! A eette époque, la
(lémocratie fran<:;aise eut un moment de véritable espé-
ranee; les imaginations ne s'arreterent pas dans leurs
réyes; elles YOJaient déFt la liberté franc:.aise sortant de
la question romaine résolue.


Yous savez combien amere, combien profonde~ com bien
imprévue a été la cléceptioll qui a suivi ces espéranees. Un
llloment meme il semhla que la réaction allait tout 8])1-




SUR CE QUE DúIT ETlm L'ATTITUDE DU PARTI LTBÉRAL 2G9


portero Illle suffit pas, disaient déja quelques-uns, de pro-
téger le pape, il faut briser une amvre qui n'est pas sérieuse.
Ce n' est pas un mariage d'inclination, mais bien un mariage
forcé qui a uni Naples á Turin : pronoll<;ons le divorce entre
des conjoints mal assortis. On n'est point alIé jusque-la.
On ne l'aurait pas pu. Quelque docile que soit un peuple, il
~. a (les limites a sa soumission. Apres avoir demandé a la
France le sang de ses meilleurs enfants pour créer l'Italie,
lni demander un nouveau sacrifice pour la detruire! apres
lu! avoir montré l'Italie comme une SCBur, la luí dénoncer
comme une ennemio; apres avoir fait appel a toutes les
passions généreuses pour une ceuvre qu' on disait d'affran-
chissomollt, présenter cette CBlnTe accomplie comme une
folie ou comme un danger : c'eut été dépasser la limite de
ce qui est permis au plu3 puissant, ou de ce qui peut etre
tenté par le plus imprudent!


Aussi le gouvernement imperial n' essaya-t-il rien de
pareil. Il s'arreta vite dans la réaction comme il s' etait
arreté uans l'action. Il en est la aujourd'hui; hésitant, in-
certain, n'osant parlor de la question, ne l'ayant ni résolue
ni abandonnée, ne donnant satisfaction ni aux uns ni aux
autres ..


Dans le gouvernement imperial pas plus que dans 1'op-
position, il n'existe pas un esprit éclairé qui n'admette que
l'occupation (le Rome est une violation des principes. Mais
quitter Romo, c'est rompre avec le parti conservateur;
1'omp1'e a vec le parti conservateUl' est dangereux, si on ne
~e 1'approche pas aussitot du parti démocratique. Se 1'ap-
proche1' du parti démocratique est impossible si on ne
change pas de politique, si on ne 1'entre pas dans les voies
de la liberté, que le parti démocratique ne yeut abandonner
, .
a aucun pnx.


Ainsi tenez pour ce1'tain, messieurs, que tant qu'onn'aur3.
pas couronné l' édifice, pour me servir du langage consacré;
tallt qu'on ne sera pas décidé a s'appuyer resolumellt sur
la seuIe force (1 tÚ ne fasse jamais c1éfaut, la seul~ qui sache
et puisse vaincre tous les obstacles, la seule qui triomphe




270 nÉMOCRATIE ET LIBERTÉ


de tous et de tout, meme du temps, - la liberté; - tant
qu'on n'aura pas abandonné le systeme de la tutellA et de
la compression, n'espérez ras cIlle le gou~Y'ernement fraIl<;ais
pense un seul moment a retirer ses tronpes de Home!


Aussi, bien que je n'aie PJ,s pris cette année la p:trole en fa·
veur de l'Italie, je crois 1'ayoi1' servie en rec10ublant d'efforts
pour obten!r la liberté, et en accentuant avec plus de lletteté
que je ne l'ayais fait jUSqU'¿'L présent la politiquc quí, 8elo11
moi, peut seule la ramener. e'est ce qu'on a apre1é, comme
vous le saurez sans (loute vous aussi, la ,grande trahisUll
,~


d'Émile 01livier. Laissez-moi vous dire en quoi a cOllsisté
ma trahison.


Pendant bien longtemps, les démocrates ont <-TU ciue les
moyens réyolutionnaires étaient seu1s efficaees : ils 'avaient
raison lorsqu 'il s' agissait de peuples aUX(1 ueIs tout antre
moyen d'acti~~était intcrdít, et quí n ';waient qu'h choÍsÍl'
qu'entre la soumíssion et la révolte. Ils ont (meore raisoll,
partout oü la sitimtion est encore semb1ab1e. lIs ont tort
partout ou il existe une constitution, (~t1'oite ou large, quí
institue un sJsteme d'action légale. Dans ce cas, sans mé-
dire du temps passé ni méconnalt1'e l'hé1'o'isme de ceux qui
nous ont dev:Á.l'lCÓS d::ms la lutte de l' oppression Gontre la
liberté,je erois que les pro.céc1és révolutionnaires, loin d'etre
effieaees, sont nuisilJles, et que l'aetion legale, eonstitution-
nelle, est seule puissante, sure, déeisive.


Aecepter les institutiollS de son pays, lors memo qu 'OH
les aurait voulues meilleures, pHis se senil' de tous les
moyens légaux pour les améliorcr, les moditler, les trans-
former, voila le devoir du vraí patriote; yoiL\ la politíque
eles temps aetuels !


Voyez les cOl1séquenees du systeme contraire, de celui
qui procede par la voie des conspirations, des secousses
yiolentes, et qui invoque les moyens révolutionnaires. Si
l' on échoue, ce qui a lien le plus souvent, on augmente la
force du pouvoir qu'on a tenté vainement d'ébranle1'. Si 1'on
réussit, l'embarras n'est pas moindre. Les procéd8s révoln-
tionnaires se pretent aux cellvres de destruction, i1s sont




SUR CE QUE DOn ETRE L'ATTITUDE DU PARTI LTBÉRAL 271


absolument incompatibles R\eC les exigenees d'un gouver-
llement quelconque. Les vainqueurs ne peuvent done satis-
faire les passions qu'ils ont surexcitées. Ils les combattent.
Alors on leur oppose leurs anciennes déclamations, leurs
excitations passées. Le partí vaincu se joint aux yainqueurs
mécontents, et dans peu de temps a un triomphe éphémere
succede une longue cléfaite ~ de l'anarchie on retombe
dans le despotisme, et, sembIable á un 11ayire sallS lest
qu'une vague abat d'un coté et clu'une autre Yague releve
d'un autre, la nation se précipite eles extremes anx extremes
sans trouver de poirlt fixe; et pendant que les caractc~res
s 'abaissent au milieu de tous ces changements~ les améliora-
tions l'éelles 11e s'operent pas, les esprits se dégoútent de la
liberté, fju'ils eonfondent avee le clésordre, et pour avoir
youlu avancer trop vite, on 11'a 'lance pas du tout.


L'action cOllstitntíonnelle et légale au contraire est lente,
maÍs súre : elle réalise peu ~t la foís, mais les progre s
(11018 réalise sont définitifs. Elle sauve les gouyernements
qui~en acceptent les résultats, et si elle renverse ceux qui
s'y montrent rehe11es, elle les rellverse d'une maniere défi-
nitive sans leur laísser ouverte la ehance des rest<lurations.
Que (l'un hout de l'Europe a l'autre tous les vraí.., libéraux
soient done du parti eonstitutionnel et légal, de teIle sorte
qu'iln'y ait plus dans le monde Cine deux écoles : ceHe qui
croit que les institutiolls, les lois sont descendues toutes
faites Iren haut, et qu'elles s'imposent a nous eomme une
Jlécessité divine, immuable; eelle quí pense au eontraíre
que toutes les institutions sont le résultat du déyeloppement
humain, qu'elles ont leur origine dans les entrailles de l'hu-
manité, semhlables a ces gr:tnds al'ures dont les branches
se baignent dans le ciel, mais dont les magnifiqLles om-
hrages sortent de raclnes enfoncées dans la terre! Quand la
fjuestion sera ainsi réduite, eHe sera víte tranehéé.


Du reste, quand nos príncipes généraux seront conformes,
ne soyons pas intolérants les uns pour les autres; n'ayons
pas la prétention que nos voix réso nnent de meme : rappe-
lons-nous que la beauté d'une harmonie résulte de la variété




DÉMOCHATIE ET LIBERTÉ


des illstruments qui compos81tt l'orchestre, et qu'elle clispa-
raltrait si tous répétaient a l'unisson la meme note.


En !talie, vous avez eu la bonne fortune de ne pas €Jtre
dans une de ces situations terribles, (luí entrainerent nos
peres aux mesures de salut public, et qui vous eussent peut-
etre amenés a imiter leur exemple : vous ayez un rol loyaL
qui a compris son devoir d'honnete homme, exposé sa vie
sur les champs de bataille pour l'indépendance de SOll
peuple, et touj ours respecté les nécessités constitutionnellcs;
vous avez eu de grands ministres qui, différents en certains
poinís, :::e sont tous trouvés semblables dans leur amour
pour la constitution ; vous avez eu aussi le rare privilége <1(-:
faire une révolution par la liberté! Oh! ne vous montr.ez pas
indignes de cette favtmr de la Pro,-idence ! COllse~ez avec
soin votre constitution, et ne vous abandonnez pas aux ten-
tations révolutionnaires. Je vous le demande pour~ vous
d'abord, pour nous ensuite, afin que les droits tlont -vous
jouissez, et dont nous sommes privés, nous soient comme un
remords. :Kous, de notre cüté, nous continuerons notre com-
b-át, et nous conquerrons aussi la liberté, pour nous d'abord,
pour vous ensuite, afin que nous ne vous aidions plus seuIe-
ment par la force de nos armes, et qu'apres avoir. unis
sur les champs de bataille, nous le soyons aussi dans les
luttes pacifiques de la civilisation!


S'il nous manque, a nous Frangais, beaucoup en liberté,
a vous autres Italiens iI vous manque beaucoup trop encore
en unité! Ayez foi néanmoins dans vos destinées. Si vous le
voulez, elles sont certaines. Quand vous YOUS sentirez at-
teints par l' impatience ou par le découragement, pour re-
lever vos courages, ne regardez pas seulement devant vous,
regardez aussi derriere; ne songez pas seulement a ce qu'ü
vous reste a cOllquérir~ songez aussi a ce que vous avez con-
quís! Ne Yoyez pas uniquement ce qu'íl vous reste a faire,
Yoyez ce que vous ayez faít depuís trois ou quatre ans!


Pendant mon séjour a Florence, il m'est bien souvent ar-
rivé de rever pendant de longues heures dans 1'incomparable
chapelle des ~Iédicis, rendlle sacrée par le génie de l\Iichel-




,


SUR CE QUE DOIT ETRE L'ATTITUDE DU PARTI LIBÉRAL 213


Ange. Des quatre statues couchées aux pieds des tyrans flo-
rentins, deux seules sont terminées, celles qui représentent
la douleur, la mélancolie, les larmes. Mais quand 1'ar--
tiste voulut toucher ~t celles qui devaient etre animées
par les expressions joyeuses de la force et de la vie, le
ciseau lui tomba des mains, et illaissa son muvre inachevée,
en térnoignage ue la poignan te détresse de son áme et de
l'inconsolable désespoir de sa patrie suhjuguée. Eh bien.
fluand vous vous sentirez découragés, venez par b pensée
dans cette c.hapelle, venez aux pieds des statues inacherées,
et dites-vous : Si Miehek\.nge yivait, s'il était des n6tres,
les eut terminées !


A l'Italie !




XXII


LETTRE .-\.DRESSÉE A ~I. CH. DUVEYRIER, A L OCCASIO:i
,


DU VOLUME " L AVENIR ET LES BO~APARTE "


/1-1 décembre 18(j4)


.... Tont ceci dit, il ne faut ni s'impatientel' ni se dépitel'
Je comprends tres-bien que ceux qui, sous un bean pro-
gramme, cachent des visées personnelles, s'irritent de tout
retanl et tournent vite a l'aigreur. Quancl on n'a en vue qlW
le bien de son pays, iI est aisé d' etre patient, de ne pas
s'emporter, d'accorder beaucoup au temps, de .conserver
systématiquement l'espérance ;.,si les raisolls n'operent pas,
cle compter sur le chapitre des acciuents, selon la paroJe de
Retz; si le chapitre des accidents reste fermé, de se 1'a-
hattre encore sur celui des raisons. (Jui sait? Ce quí parai t
tont perdre est souvent ce qui sauve tout, et c'est quallu
on est parvenu au pied d'une montagne qu'on cesse ele l'aper-
cevoir. Ne pas réussir, au surplus, est ce qui peut advenir
de pis. 01', iI est des ent1'ep1'íses auxquelles le succes n'e:-;t
pas nécessaire. Les avoir tentées avec conscience est un
titre ,1'11onneu1' suffisant. Libre a d'aut1'es de recherche¡'
eomme une gloire cl'avoir préparé ou consommé une révo-
htion. Si jamais l'histoire me consacre une Iígne, je YOU-




A L'OCCASIO~ DU VOLU"'IE "L'AYE~IR ET LES BIJX_U)ARTE" 215


drais qu'elle flit ainsi : Jeté tout jeune aux affaires a la suite
cl'une révolution légitime, il vit les désastres que les meil-
leures font peser sur le peuple, et il a t out tenté pour en
écarter de nouvelles ...


'{i~_~\
cij,




XXIII


QuE LE MOMENT EST VENu POUR L'EMPIRE DE DON:\ER
LA LIl3ERT}<~


(:27 mar3 18(j,)


l\Icssieurs.


11 serai t pOU p1'ofitable de 1'amene1' touj ou1's les di::;cus-
sions politíques a des géné1'alités qni pourraient elre hril-
lantes et solennelles san::; de\-enie fécondes; mai::; il serait
reg'rettable aussi ele les rédmre tonjours ~t des contl'overses
spéciales qni pourraient etre utilcs S:1ns deyenir :..;uffisantcs.
Il est quelr]uefois nécessaire de s'éleyer h des vues ¡['en-
semble, afia de mieux s'affirmer it soi-meme ct de míeux.
montrel' aux autres la direction dans laquelle on s'ayance.
(Tres-bien! tres-bien~) Je considere COlllllle étant Velille
1'11eu1'<; trUne de ces générLllisations nécessaires, et je vous
prie ele me la permettre.


Tout esprit non préyenu, quí étudie ayec so in la politique
da gouvet'nement imp(lrial, est amené a reconnaltre que,
depuis sa fondatiorL denx événements ont eu une ínflnence
graH~, soit sur' le mécanisme constitutionnel, soit !:ur les
procédés gouvernementaux : ces deux éyénemellts ont été,
ü'aljord la guerre cl'Italie, ensuite les élections de 18(;3.




, 21-1r"1 QUE LE ilIOlIIE~T EST VE~U DE DONNER LA LIBEllTE ~o I I


.rai cssayé, autrefois, de démontrer devant la Chambre
(~omment de la guerre d'Italie étaient résultés, par 1Jne con-
..;ellllellce obligée, l'amnistie, le c1écret du 24 novembre, le
commencemellt de la 1i berté de discussion, puís les innoya-
tions nnancieres illtrocluites par l'hollorable ~I. Fould. J e
YOildrais aujourd'hui rechercher quelles sont les conse-
(!llences flllA les élcctions de 1863 ont prnduites, et aussi
fjuelles sont celles que, selon moi, elles doivellt entrainer
encore.


Pour que cet examen soit fait ayec pl'oflt, iI fauí préala-
blement se demander dan s q uelle situ<.'..tion 1l0US nous trou-
vions 101'811 ue le pays a été appelé a nomlller la Chambre
devant laquelle je parle.


Vons ne 1'a y e;/, point oublié, messieurs, a l'activité passa-
gere qui :rvait, ~t l'íntérieur, suiyi le décret clu 24 novembre,
ayait SUCC(~(:~, je ne eraiEs pas de le dire, une époque de
JlollchalaIlce; nos sessions s' ecoulaient languissClmmont de
la tliscussion de 1',u1ros3e á la discussion du lJudget, ¡t tra-
vers quelques projets de loís présentés presrlue toujours ú la
derniere heure; toute l'activité paraissait portée a l'exté-
rieur; ct c'était, en effet, de ce coté que notre attention
était sans cesse appelée, cal' nos soldats cOilllJaHaient suc-
cessivement, ou tour a tour, en Chine, en CocllÍllchine, en
Syrie, au Mexique.


Les élections faites dans ces circonstances eurent un ca-
ractere (lll'elles n'avaient offert ni en 1862 ni en 1857. La
lutte fut vive partout; dans beaucoup de colléges, l' opposi-
tion ohtint des succes; oü elle fut vaincue, ses minorités
furent imposantes. París, qui pl'esque toujours se divise en
deux, fut unanime dans son üpposition. Les éIections par-
tielles qui ont suivi ont montré que ces résultats n' ont point
été, ainsi que 1'a cru l'ancien ministre de l'intérieur, dus a
une surprise. Le mouvement y a continué, et la lenteur ré-
guIiere avec laquelle il se développe prouve a la fois, et sa
force actuelle, et celle qu'il doit acquérir encore avant
11'avoir atteint son apogée.


Dll moins il ne peut exister, des maintenant, aucun doute




278 DÉMOCRATlE ET LIBERTÉ
sur sa significatioll. Si, d'apres les circulaires répandues
alors par les candidats, on youlait dresser en quelque sorte
le cahier des VCBUX de cette élection, on arriverait a une
formule nette et peu discutable. Voici les paroles qu'on sai-
sirait dans ce que dit a lors la grande yoix du peuple : " Pas
de révolution! 1'acceptation sincere du gouvernement ac-
tuel;mais la paix et la liberté; la paix, pour que nos finances
s'améliorent et que nos libertés intérieures se développent ;
la liberté, pour que la nation ait ú la fois sécurité et di-
gnité. "


Ce lallgage, c' est ce qui me frappe, ne se lit pas seule-
ment dans les circulaires des candidats de l'opposition : il se
retrouve encore dans le langage indépendant d'Ull granel
nombre de memb1'es de la majo1'ité, avec cette diffé1'ence
cependant, avec cette nuance, que les candidats de l'opposi-
tion apímyaient davantage sur la liberté, et que les candi-
dafs du Gouvernement insistaient surtout sur la paix.


Qu'en présence d'un fait de cette importance, il y eút pOUl'
le Gouverllement 1'0bligatiol1 ele changer d'allure, c'est ce
qui, dans ce premier moment - alors que les impressions
SOl1t d'autant plus sures qu'elles sont plus vives, - c'est ce
qui, dans ce premier moment, n'a été douteux pour per-
sonne. La difficulté fut de savoir de quelle maniere il fallait
changer. Dans la polémique des cercles officiels, deux opi-
nions opposées se heurterent.


Tout le mal, elisent les uns, provient du décret du 24 no-
vembre. Ce décret a été une imprl1clence.ll fallait s'en tenir
a l'ancienne constitution, avec les comptes rendus prudents
et censurés q ui parlaient a la troisieme personne, et deux
jours apres la séance, avec les discussions purement d'af-
faires guí mettaient en présence des députés et des conseil-
lers d'État, et non pas des députés et des ministres. Puis-
qu' on a eu l'imprudence d'avancer témérairement, il n'y a
qu'a revenir sur ses pas, sauf, si cela crée des embarras, á
se jeter dans des expéditions brillantes au dehors, et a créer
ainsi une ombre assez grande pour dissimuler les difficultés
(le l' arrangement intérieur.




QUE LE .i\lO~lE~T EST YE~U DE DO~NER LA LIBERTÍ<; 279


1\ 011, répondirent les autres, le mal ne vient pas du décl'e t
du 21 nOVOmU1'8. Le décret du 24 llovembre a été, de la
pal't un Souverain, un acte d'initiative bienfaisante et cou-


• raQ:ense. Seulement ce décl'et est insuffisant: il a accordé c~
trop ou trop peno Il a accordé trop si ron yeut s'y tenir; i 1
a accordé trop pen si l' on yeut arriyer véritablement á un
régime constitutionnel. Le retirer est impossible et le com-
pleter est indispensable. Ce que la saine politique conseille,
c'est donc' de maintenir la pais. autant que notre honneur
et nos intérets lo permettront, et, ú l'intérieur, de se ré-
soudre frallchcmellt, sans aucune espece d'hésitation, ayec
prudenco, si Oll le veut, mais ayec résolution, de se résouclre
sans tanler, Ú opél'er se10n le langage convenu, le cOllron-
nelllent ele l't;difice. Dans cette transformation salutaire, le
Gouvernement trouvera une l10uvelle force et cornme une
eSl'ece ele rajeunissement. Ainsi pensait, pourquoi ne le cli-
rais-j epas it titre cl'hommage affectueux rendll a sa mé-
moit'e (Trf!s-bien ~), ainsi pensait celuí clont, par un mouve-
ment Íl1Yolontaire, clepuis que je parle, je ne puis m'empe-
cher de chercher il eette place (LO oratenr désigne le fauteuil
de la presi(lence.) le visage attentif et biellveillallt. .. (1'res-
bien! tres-bien: 1, celui qui pendant tant cl'allllées a présiclé
cette assemblée avee une si grande élévation, une si rare
sagacité (lholl1ltlc (1'Étl,t, et qui surtau:; s'est montré le dé-
fenseur si cun~t[lIlt et si ferme des dr'oits de la minorité
et. des franelli.-.:es de la (1Í:scussion. (Vive et unanime adhé-
sion. )


Plac(; aill':il elltro ceux. que j'appellerai les conseillers
dallgAreUs. et ceux (1 ue j'appellerai les cünseillers sages,
qu'[l fait le Gomernement? Pour lesqueIs a-t-il opté? 1\les-
sieurs, renclons-lui justice : iI a complétement éearté l'aYÍs
des cOllseillers dangereux; il l'a écarté a l' extérieur, iI l'a
ecarté a l'intérieur.


A l' extérieur d'abord. J usque-l~l la politique du GouYer-
nement était ellveloppéee d'UIl certain vague. Il pronolHjait
yolontiers le mot de gloire de la France, mot que le3 na-
tions étrallg(~reS traduisent ayec facilité par le mot de




280 DÉilIOCRATIE ET LIBERTÉ


cOílquéte; OH bien encore il parlait des 1wtionalitl:s, mot
vague, idée progressiye ou rétrogl'ade, SUiY~.Hlt le sen s qu'on
y attache. Al1jounl'hui iI ne peut plus y ayoir de (loute. Le
Gouyernement, par ses tlel'niers actes, a rarLtitem(~llt ex- •
pliqué et rendu manifeste qne, par le c1roit des natiollalités,
iI n'ellteIltt que lo droit cjlli appartient a clwque pcnple (le
régler libremellt ses (le~:tin(;es. D'oú il a conclu qne le prín-
cipe dorninant (le sa politique {~trangel'e c1c;yait etre le prül-
cipe de llOll-intel'Y8ntion; il a r(~gll~ en cOllsécl1.wnee sa
eonduite dans le:::; 2.fTaires cl'Allemagne, c't iI :1 concln le traité
du 15 septembre.


Par une contl'adiction qu'cn 'Y(~ritéje ne ¡mis comprel1c1re,
les memes pe1'so11nes (lui c1emanc1aiellt au GOllyerllcment de
reconnaltre anx Eomains le l1roit ele dispo~::ier el' eux-memcs,
rOllt pl'essé, dLU1~'; les affaires d'Allcmagne, d'ai(ler le Dane-
111<:\.l'k iL lllaintenir une tlornination (létc.st,~e, Slli' des popula-
tíon:s quí deplli:s 1818 liyrent, au :\01'(1, un cOIlll)at ponr
l'indépeIl<1allcc) semlJlable Ú celui 'lee le:., Italiells soutien-
nellt; depuis la 1lleme (~poque, au J\Iilli. Le G'ouvernement a
été plus sage que ces cOllseillers. 11 n'a, p::'.-s cru qn'illui fút
permis en Allemagne ele Yioler le principe '1u 'il respectait
en Italie; et, au Konl comme au ~\Iic1i, il a subol'(lo1111Ó sa
politique au prillcipe tle nori-interycntion. ,Te l'en félicite
hautement. Je le félicite aussi de 110ns a\oir pl'omis que
nos troupes allaient etre rarnen("es clu :\Ie'\.ique, que toutes
les expéditions lointaines cesseraient, et de s' ctre replacé
ainsi luí-meme dans la condition ele tons les gOHverllements
sérieux qui c10nnent toujours aux questions intÓrieures le
pas sur les questiolls extérieures, et qui recherr.hent les
améliorations pacifiques beaucoup plus que les entreprises
guerríeres.


A l'intérieur, le GOlrrernemcnt a declaré clu'il ne revien-
drait pas sur le c1écret du 24 novembre. Puis, se .décidant a
une marche en avant, il a réalisé un certain nombre de
réformes utiles et qui depuis longtemps étaient attendues
par la démocratie. Au premier rang, je place la loi sur les
coalitions, qui aujourd'hui est jugée. Depuis plusieurs moÍs




QUE LE ~IOl\lENT EST VENU DE DONNER LA. LIBERTÉ 281


elle fonctionne, eHe a produit des résultats, tantót bons,
tant()t mauvais, ainsi que nous nous y attendions tous. Mais
d'une part l'ordre ll'a pas été troublé, ,comme le craignaient
les uns, et :lUCUll pi('lge n'a été tendu á personne, comme le
cr:li~Jwiellt les autres. (Tres-bien! tres-bien!)


Clle loi Slll' les associations coopératives donnera a cette
10i un des eompléments qu' elle appelle. l\l. le ministre de
ril:~;truction l'ubliq ue, avec le úle qu'il apporte au dévelop-
pell:ent de l'in:.;trudion populaire, en a préparé un autre, et
des plus importants. 011 peut ne pas étre d'aecord avec lui
sur les moyens q u'il conseille, mais iI est impossible de na.
pas applalldir a SOll aetiyité intelligente et en particulier a
son illitiatin; en favenr de (~es cours libres, si favorables au
développement de l'instn,ct1on populaire et a la propagation
des ]";l(~es sél'i(~uses.


Le OOllYC1'ilrlllr'llt lW s'est }las Larné aux réformes popu-
lai¡'e:-: .. rai \IL ;tyce :-al i"factioll qu'd cOllrinuait a se montrer
plrin (le :-:ol¡ieltl[(L~ 1)()l11' le déyeIoppement lle la liberté indi-
vicluellp, cl\'ile, cOllllUerci;11e, sociale; les lois sur la déten-
tian préventiye, sur la. contraillte par COl'pS, sur les sociétés,
sur les conseiL; généraux, l'enquete sur le pret :J. intérét,
SU1' lA eourtage et sur les banques, les traités de COl11merce
signés avee diyerses nations, en sont' les témoignages non
éqllivoques . .le s:1Ís (111e certain,;; esprits sont peu sensibles a
ce gellre do pl'ogres : ils me touchellt beaucoup. Aussi ne
}JOlllT,ü-je lll'"s'locier a l'all1endement présenté par un cer-
taill llOl1llJre (le nos callegues de la gauche, dans lequel íls
affirment que, " loin ele marcher vers la liberté, le Gou-
vernement s' en éloigne. " Cette appréciation tient sans
doute a l'opirliun cantenue dans un autre amendement : que
" c' est Ulle illusian de chercher le progres aillenrs que dans
la liberté, et la liberté ailleurs que elans la liberté poli-
tique. " .


J'approuve la premie re propositian, je rejette la seconde;
selon moi, elle contient une erreur fondamentale (C'est
vrai!) et dont le temps devrait étre enfin passé. (Tres-bien!)
La liberté polltique en elle-meme n'est ríen: elle n'est




282 DÉMOCRATIE ET LIBERTÉ
qu'une garantie. La ou les libertés Gh-iles, sociaIe:::, n' exis-
tent pas, les libertes politiques ne sont que eles c1angers et
des inutilifés (Tres-bien ! tres-bien!) Les libertés poli-
tiques, messieurs, ce sont les remparts qui protégent une
viHe; mais s'iI n'y a pas de ville, á quoi seryent les rem-
parts? (Tres-bien!)


Il me semble des lors qu'en développant les libertés
sociales, en déveIoppallt les libertés ciyiles, en développanl
les libertés inc1ividuelles, le Gouvernement se rapproche tle
la liberté plus qu'il ne s'en éloigne. (Mouvement marqué
d'approbation.) SeuIement, - cal' j'ai l'habitucle de toujoars
dire toute ma pensée et vous ayez la bienveillance de me le
permettre,·- je trouve, et c'est l~l-c1essus que quant á moi
je fais porter le reproche, je trouve qu'il a tort, par un
sentiment de défiance (Ine je ne comprends pas, (le maechcl'
ve1's la liberté á pas trop lents, et ele ne pas se résoLulre
enfin, puisque ses réformes nous ont donll(~ (luelque chose ú
garantir, (le ne pas se resouc1re 2t faiee pour les lilJeetés
pohtiques autant qu'il a fait pour la liberté civile et sociaIe.
Je regrette profolldément qu'apres avoir repoussé les con·-
seillers dangereux, il 11' ait pas écouté complétement les
conseillers sages. A cet égard, le Gouvel'nement mérite les
reproches qu'on lui adresse. Si, en effet, nous exal11inom:
notre situatioll au point de ,"ue purement politique, quelles
critiques ne pourI'ait-on légitimement ell faire? Depuis le
décret du 24 novembre, elle n'a subi aucnlle llloujflcaticm,
ni au point de vue de la législation de la presse, ni élU poillt
(le yue des rapports entre la Chambre et lc~ GOUY81'1l8lUellt.
ni au point de vue des élections. Sous tous ces rapports
l'immobilité a été complete.


Voyons d'abord ce qui concerne la presse.
Oh! certainement, et je ne le contesterai pas, en fait le


régime de la presse s' est aclouci : elle a conquis la latitude
de discuter, la plllpart du temps, avec liberté, les l1uestions
graves et les problemes gOlrrernementaux, et de s'en expli-
quer ayec véhémence et sans courir de dangers. SeulemenL
messieurs, et c' est ce qui gftte tout, cette lilJerté est une




QUE LE l\IO~IENl' EST VEi\U DE Dm-;);ER LA LIBERTÉ 283


litlcrté eapricieuse, une liberté interrnittente. Un cedain
j our, on ne sait pourquoi, on lit tout a coup dans le Jfoni-
tele?' un avertissement donné a un article relativement inno-
cent, talHEs (lU'Oll avait lu la veille, avec émotion, UH
article plein de hardiesse quí était resté impuni. L'on pour-
rait définü' l'état actuel de la presse en disant qu'elle jouit
(l'tllle certaine liberté tell1pérée par 1'arbitraire. Il suit de
lit qu'on ne sait aucun gré au Gouvernement d'une tolérance
qn'on attribue á l'insouciance ou a la faiblesse. On dirait
qu'll ne maíntient en principe sa législation que pour jonir
plus longtemps de 1'impopularité qu' elle lui Yaut. Ainsi que
1'a dit justemellt .Jlirabeau, tout peut se soutenir excepté
l'incollséquence . .J e dis donr, au Gouvernéme11t : Voyons,
prr'l1cz un parti; 11e restez pas dans 1'indécision ou vous etes
depuis trop longtemps. La presse esto un allié dangereux,
j'cn conviens; c'est un v01sin qui n'est pas toujours COll1-
11lúcle, vous le savez, et je ne l'ignore pas ... (Hilarité sur
plusienrs banes \ mais il faut en prendre son partí : ou bien
essayez l' entreprise impossiblc de la détruire; n'ayez qu'un
.J.1Ioniteu1' ou une série de l1fonite1/;1'S; ou bien renoncez a la
prétentíon chimérique de vouloir contenir ce (luí échappe a
toute prise, n'essayez plus de diriger un instrull1ent d'autant
plus redoutable aujourd'hui que le monopole lui donne une
force que la liberté lui enleverait.


Dans les reJations entre le Gouvernell1ent et l'assemblée,
Ull changement s 'est opéré; ce changement est de peu d'im-
portance; eependant 11 mérite d'etre signalé, parce qu'il
démontre que le Gouyernement est en travail perpétuel sur
ce sujet, et qu'il n'est pas encore arrivé a la solution, toute
simple cependant, qu' on lui indique de tous les c6tés.
Qu'a-t-on fait '? Trouyant les vice-présidents du conseil
el 'État un peu trop oisifs, pour les faire travaille1', on leu1' a
attribué la présidence d'une section. Cela est-il régulier?
cela ne l'est-il pas? Notre honorable collegue, M. Latollr-du-
l\Ioulin, prétend, dans son cornmentaire sur la constitution,
que e' est irrégulier. N'y insistons pas. JJe 1nininús non
C1t1'at )J1'mto1' ! :Mais ce n' est pas la une modification sérieuse,




284 DÉMOCRATTE ET LIBERTÉ


ce n'est pas une modification de nature a satisfaire le pays.
Ce que le pays désire, c'est l'envoi des milli~tres a la
Chambre pou!' qu'ils Yiellllent enX-Illell1eS cléfenure leurs
projets de 10is; ce qni peut :"8 faÍl'c ;"(iliS pl)l'tel' aucune
atteinte Ú, la constitution, puisqu'on pcut les (~ll\oyer en
{pIalité de comrniss'lires. Je dirai me me qu'en pl'jllcipe nons
ayons déj\ JIain (le CilUse dermis qu'on nous a 8m'(),"() i~i le
rnini'3tre d'Etat. En (~ffd, qu'est-cn (lue:JI. le minislrE' d'Etat
c1e"',<111t la Clwrn bre? U 11 ministere á lui tout seul. Que
1:l () \ 1 ' l' ' '1.' , üem~nrons-nous~ ~--\.u ~leu e ua mlíll::-;v'n~ en une senj(~
pel'sonne, un ministel'e en plllsieurs l}m'solllle~" yoila tOLlt.
Quelque pnissantes (lue soi~nt les facul te'.., l'0litil:l1CS d ora-
toires de M. le ministre Il'Etat, et persollne nc l(~ur 1'0111 un
plus sincere hommüge que moi, il me permettra de lni (lire
(lue la combinüison que j'indiqne yalldrait ltIi(ln-x. }l0U)' tout
le mOl:(h~, pOllf le pays, pOUl' le GOlnernPlIJ('llt, ponl' lui-
meme. De la prrsence des ministres ú la ChaJl;]¡¡'c; dl;coule-
rait la respollsabilité ministérielle dans ce qu'elle él de com-
patible ayec 110S institutions et dans la mesure nécessaire a
la bonne gestion (le la chose pulllique.


Sur la questioll éledol'ale, si souvent débattue ici, je serai
sobre et je me bOfnrrai ;\ constater que beaucoup <les abus
qui ont été justement releyés continuent ú se cummettre
sans qu'on paraisse en p1'8n<1ro sonó. Le systeme (les can-
didatures officielles a ele tels cntrainemellts, que jo connais
un préfet qui, ayant a combattre (lans les élediolls dn con-
seil general un candidat dont 11 désirait pas::-:í0I111ément
l' échec, s' est avisé de lui reprocher, par ses agell ts de police
et meme par son journal officiel, - vous ne devineriez
jamais qnoi! - ¿'ayoir été le rapporteur d'une loi que vous
avez votée. Voila vu les préfets peuvent etre entralnés par
l' excitation que leur donne necessairement la maniere dont
ils interviennent dans les élections. CL\1ouvements divers.-
Interruption prolongée.)


Tandis que le pouvoir administratif n'abandonne rien de
son action, le pouvoir judidaire, par un arret (1 ue je n 'hé ~
site pas a qualifier de regrettable, dans l'affaire eles I?'eize,




QUE LE MO:\IE~T EST YENU DE DON~ER LA LIBERTÉ 28G


vient d'apporter de nouvelles restrietions aux droits, qui ne
sont eependant pas trop étendus ~ des eandidats et des
eitoyens ... (Interruption.) •


Je ne comprends pas l'ínterruption ..
V OIX 11IVERSES. N'attaquez pas la justice! - Respectez


les déeisions de la justice!
M. LE PHÉSIDEl\T SCH:'mIDER. L 'orateur n'a nullement l'in-


tentíon de critiquer la j ustice ni les trihunaux. Il appréeie
:.\ sa fcH)On, sans avoir assul'ément l'intention de porter une
eritiq ue sur les décisions des tribunaux.


M. É:-'ULE OLLlVIER. A votre hienveillante explicatiolL
monsieur le présic1(~nt, j'ajoute que je parle en jurisconsulte,
hahí tué ;\ respecter les arrets ·de la j ustice, mais aussi a les
eritiqucr quelq ncfois vertement. Il est éviclent que je n'ai en
aueuno lntention offensante.


Entln, m8ssieurs, e'est la le dernier trait que je veux.
indiquer dans la situation générale, je regrette que le Gou-
vernement ll'arrive pas a ahandonner la mauvaise habi-
tudo dan s laquelle il persiste, je ne sais pas pourquoi, de
toujours meJer un pen d'arbitraire meme aux bonnes c1lOses
qu'il fait. Ainsi, je l'ai dit, aucune mesure n'esi plus digne
d'éloge et n'honore plus M. le ministre de rinstruetion
publique quc l'institution des cours libres. Il y en a sept
eents répandus en France : c'est excellellt. POUr(l1lOi donc~
lorsque des homIlles (je les llomme, parce que mon objec-
tio11 pl'ellu sa force (les 110ms que je vais eiter), pourquoi,
lor:';(l ue eles llOll1111eS tels q ne l\lM. Léonce de Lavergne,
.Albert dc Bl'oglie et Coehin, c1emandent la permission de
par:ler ualls Ull pays ou tant d'autres qui ne les valent ras
ont obten u ce (lroit, pourquoi la leur a-t-on refusée?


Le ternps me parait arrivé de renoncer, d'une part, ~t des
lois quí out perdu leur prestige, d'autre part a des habi-
tudes q ni nuisent au Gouvernement sans lui procurer aucun
proflt. Les raisons les pius di verses se réunissent pour eon-
seiller cette détermination. Je touehe iei, je le sens, a des
:sujets (!(~licats; je m'efforceraí d'indiquer ma pensée sans
bl~sser al1cune convenanee.




286 DÉ~lOCRATIE ET LIl3ERT~:


1111e serait pas exaet, messieurs, de dire que le pays est
effrayé de l'avenir; mais c' est rester dans la verité la plus
"raie que de dire ql1'il ne lui Jhspire pas une eonfinnee suf-
fisante. 11'y a partol1t un sentiment vague d'inquiétlllle, (le
malaise; et, pourcluoi ne repéterais-je pas lei ce qui se (lit
tout haut partout, dans tous les salons, sur tmItes les p]aces
publiques? on voit avee appréhensioll que nos i11"titlltions
restent organisees de telle fa~,on q u' elles 11e puissent 'etre
mises harmonieusement en mOUYClllent que par une yolonté
toujours sure d' elle-meme et touj onfS clans sa pléuitude. Le
pays, pOl1r etre rassure, désirel'ait etre assoeié c1avantage Ú
raction impulsive, afin de poU\'oir an hesoin en suppléer les
(léfaillanees. Et ce Jésir, D,1essieurs, ne llal t pas cl'une
Iléfianee irréfléchie contre le pouvoir, cal' il n'est aueun
esprit sage qni ne comprenne qu'it UlH~ démocratie aussi
puissante, mais aussi inexpérirnentée qne la ll()tre, il faut
le eOiltre-poids (1'Un pouvoir énergiqne et concentré ... (..-\s-
sentiment sur plusieurs hanes.) Ce (lésir nait, el 'tllle pensee
(le prévoJance et d'un sentimellt de fierté. La pensée de pré-
Yoyanee est aisee a j ustifier, sans faire mt~me indirectement
allusion it des eyentualités que je souhaite les plus Ulüignées
que possible, mais qui cependant sont eertaines. Qnelle est
pour un pa3-s, quelle est pour un peuple la meilleure, la pre-
miere, la plus imlispensahle des garanties? e'est la vél'ité
Llans ]'esprit <lu prince. 01', la yérité, qui la lui dil'a? Ceux
quí l'entourent? lIs 11e la ;;:aY8nt paso La saclwnL ib penvellt
lúlvoir pas toujours le eourage de la (lire, et il ll·C;.;t pas
aclmissible que la c1estinée (l'nn pa)'s puisse dépendre dl1
courage tle quelqucs hommes. L'Empcreur Lr\'ait tellement
compl'is qu 'au début (le son regne, dans une cireulaire reri1ar-
(lUable et que je vous engage a relire, recloutant lni-meme
eette wlitnde du pouvoil' q ni <'-carie la vérité, il avait inventé
un ministere de la poliee, afin ele pouyoir toujonrs connaltre
par des agcnts ciissc;minés sur tous les pOillts da territoire
l'opinion clu paJs. Iln'a pas tardé ;\ eomprcllllre que ce re-
mede etait pire que le lllal; il a sllpprimé le ll1illist(,l'c de la
pulice et aecorclé la rliscussion de l'adl'psse. Cela Yallt




'~UE LE .:\IO~IE~T EST YE:'\U DE DO~¡";ER LA LIBEmÉ :287


mieux. Seulement ne l' oublions pas, la discussion dans Ulle
Ch::llnbre n'a toute sa vérité que lorsqu'elle a toute sa liberté
dans le pays. D'ailleurs, la discussion de l'adresse est la p<lr-
tic el 'un ensemble qu'il faut adopter tout entier ou rejeter
tout entier, et dont on ne saurait san s danger maintenir
longtemps une seule partie.


Le selltiment de fierté! Est -ce qu'il est nécessaire tle le
j u.::;tifier? Gomment! nous sommes entourés de peuples qui
nous sont illférieurs en développement intellectuel, ou dn
lllOins qui ne sont entrés qu'apres Hans dans les voies de la
liberté. Ces peuples nous enveloppent; d'un pas nous POll-
YOn8 frallchir leur frontiere et etre chez eux, et, ce pas
franchi, nous trouvons partout des institutions qui n'exis-
tent pas chez nous pour les citoyens. Oui, il existe en
Snisse, en Belgique, en Hollande, e11 Italie, des droits dont
nOI1S, qui ayons en 1780 promulgué pour tous la charte eles
Jihertés, dont 110ns, en France, nous sommes encore privés.
~\Ie.,,:;:ieurs, quand 011 p,'ouverne un peuple comme le natre,
l}1ti pst gEÍllél'cux, qui est fier, qui est susceptible sur le
point <1'honneur, 11 ll'est pas sage, il n'est pas prudent, ii
n'est pas (ligne ele le condamnel' toujours ú des paralleles
qui, a la longne, lui paraltront bien humiliants!


.J'ajonte une derniere considtération qui, pOUl' moi, rem-
porte sur toutes celles que je viens de vous soumettre. Il se
pl'oc1uit autour de nous un changement auquel je regrette
<in'OJl ne prete pas une attention suffisante, Les nations ne
se composent pas el'une seule génél'ation, elles se composent
(le génératiolls successives qui se suivent et se remplacent.
OI', la génél'ation qui a vu la chnte de Louis-Philippe, c81le
qui a trrtrersé les épreuyes de la république, qui a assisU~
au conp d'I~tat et ~ll'inaugLlration du régime impérial, elle
disparalt ou elle se fatigue. A sa place surgissent des géné-
rations nouvelles, pleines de yigueur, pleines d'illusions,
~¡Jeilles de force, qui n'ont pas trayersé ce.s épl'euves qui
!ilJur n011S ont été une le00n peut-etre trop dure; ces géné-
l'arions tlemallllent a vivre, elles (lemandent ú entrer á leur
km' rbns rar(~ne, et elles étouffent sons les contraintes du




288 DÉMOCRATTE ET LIBERTÉ


régime politique actue1. (Mouvement.) Ah! messieurs, vous
n'étes pas éternels (et il semble que dermis quelque temps la
mort se r.harge de nous le rappeler bien souvent!), songez a
vous préparer d~s snccesseurs. Vous YOUS etes forrnés dilns
les luttes de la liberté; ouvrez cette (;cole it ceux qui vieu-
nent arres vous. Dan:,; l'oisiveté OU elle vit, la jPlltlPsse se
corrompt ou s'Írrite; dans l'activité oü la liL~rté l'app(~llera,
elle s'apai~era et repoussera des impressions qui la trou-
blent. (Mouvemenís divers.) Votre expérience rnodérc¡';l son
ardeu!'; son élan stimulera votre prudence : et ainsi s 'opé-
rera, avec profit pour tous, l'union de ceux quí viellllellt
avec ceux qui s'en Yont. Nous avons, en France~ la manie
de faire des lois; nos co(les en sont encombl'{~s. Ce n'est pas
cependant l' CBUyre princi pa1e des gouvernements. Ce 11e
sont pas surtout des lois qu'ils doivent faire, ce sont des
homrnes. Si vous ne faites pas des hommes, vous aurez cl'éé,
si vous le voulez, Ulle machine que les théor;ciens trouve-
ront superbe, mais qni, un beaujour, s'anctera fante d'rme
force motrice suffisante. Et n'ayez pas d'illusion! YOHS el18r-
cherez en vain tous les moyens, VOHS aurez en vain recours
a tous les procédés pour élargir votre cerele : tallt que YOUS
n'accordel'cz ras la liberté, tout sera vaín, vous n'amenerez
pas a vous les natures d'éli'te qui consument l(~Llr jeullcsse
dan s l'oisiveté et les désirs impuissants, qui, aidées, for1ll8cs
par vous, pourraient etl'e d'tllle si grande utílité aa pf1ys,
Tant que vous n'aurez pas dOllné la liberté, quoi qne YOUS
fassiez, entre ceux qui gouvernent et les g(;llératicllls nou-
velles, un vide immense existera que rien He pouna com-
bIer. (l\:Iouvement prolongé.)


(A la demande de l' orateur, qui réclame la permission de
se reposer, la séance est suspendue. Elle est reprise au
bOllt de dix minutes,)


M. LE PRÉSI:JE;,\T SCH~EIDER. J'invite M. Ollivier a 1'0-
prendre la parole pour contillUer son discours.


M. É\ULE OLLIVIER. Je vais, messieurs, examiner les
objections qui peJIvent etre présentées aux iclées (111e jo YOUS
ai soumises. J'ai entendu dire par de bons esprits : Vos iJées




QUE LE MOMENT EST VENU DE DONNER LA LIBERTÉ 289


sont généreuses, rnais úlles ne sont pas pratiques; si le Gou-
vernement se rendait aux conseils que vous donnez, il s' en-
gagerait dans une voie qui pourrait lui etre fatal e ; résister,
voila le principe de l'art de gouverner. Messíeurs, je crois
exactement le contraire; et j~ suis assuré que gouverner,
c'est l'art de céder, l'art de céder san s paraitre obéir, l'art
de céder a pro pos aux légitimes aspirations d'un peuple. En
voulez-vous la preuve? Consultez l'histoire. La politique est
une science ex périmentale, dans laquelle on n'arrive a aucun
résultat en se bornant aux abstractions; l'expérience seule,
telle qu'elle résulte des faits bien observés, y peut jeter
quelque clarté. Eh bien, rnessieurs, que vous dérnontre l'ex-
périenee? Pour le savoir, comparez ce qui s'est passé en


. Angleterre et ee qui s'est passé en Franee.
En Allgleterre, vous avez vu pendant tres-Iongiemps des


gouvernements qui disaient aussi : Il ne faut pas eéder; pas
de eoncessions. La révolution les a emportés. A partir
de 1688 s'est établie une dynastie qui, d'aeeord avec l'aris-
tocratie, a mis son habileté et sa gloire a céder. Des diffi-
eultés ont pu surgir, mais il n'a plus été question de révolu-
tions.


Dalls un homme d'État, sorti cependant des classes
moyennes, semble s'etre incarné le génie de l'aristocratie
anglaise : je veux parler de sir Robert Peel. Il était entré
dans la vie politique comme mernbre du parti tory; il avait
épousé tous les préjugés, adopté toutes les opinions de ses
compagnons de lutte; avec eux il combattit successivement
a la tribune la réforme électorale, l'entrée des juifs au par-
lement; avee eux iI soutint que le systeme protecteur était
le salut de l'Angleterre. Mais plus tard, éclairé par l' expé-
rience, eonvaineu par l'étude, inspiré par le désir d'épargner
des malheurs a son pays, il parla pour l'admission des juifs
au parlement, ne fit aucune d~fficulté d'aider la réforrne
éledorale quanrl elle eut été votée, et enfin, ce fut sous les
eoups de son bras puissant que tomba le systeme protec-
teur!


Chaque fois, meSSleurs, e' étaient des clameurs; tous les
19




290 DÉl\lOCRATIE ET LIBERTí~


hommes de parti s'indignaient; on l'accusai t de trahison;
ses amis s'éloígnaient de lui. Le temps lui a rendu justice. Il
est en ce moment un des 110ms les plus populaíres et les
plus respeetés de l'Angleterre; il a une statue a Westmins-
ter; et ce qui vaut mieux, messieurs, tous ceux dont le lot
en ce monde est le travail, tous eeux qui gagnent lenr pain
a la sueur ele leur front, lorsque, dans leur pauvre demeure,
ils mangent une nourriture abondante et exempte d'impót,
ils ne prononcent qu'ayec bénédiction le nom de celui qui a
eu le eourage ele leur assurer ee bienfait! (Tres-bien! tres-
bien !)


Combien en France le spectacle est autre! La nous ne
voyons que des rois ou des ministres qui veulent nous gou-
verner a la mode des Stuarts et non pas a la mode de sir
Robert Peel. Nos révolutions suceessiyes n'ont ras en d'autre
cause. Tenez ceci pour une maxime incontestable: jamais,
jamais aucun gouvernement n'est tombé sous l'effort des
partís extremes. Tous ils ne sont tombés que lorsque fati-
guee, poussée a bout paree qu'on lui refusait des réformes
justes demandées depuis longtemps, la partie modérée de la
nation s'est retiré e d'eux et les a abandonnes. Alors, mes-
sieurs, au milieu de l'émotion générale, les hommes des par-
tis extremes se sont glissés a portee et ils ont donné le coup
mortel. Mais tant qu'un gouvernement a la sagesse de rester
uni a la portion modérée du pays et de l' écouter, car elle ne
demande jamais que des coneessions raisonnables, les partís
extremes restent impuissants. Il est tres-facile, lorsqu' 011
examine notre histoire moderne, qu'on en parcourt les
eliyerses périodes, il est tres-faciJe de déterminer le mo-
~ment préeis ou la séparation s'est opérée entre un gouver-
nement et le pays, le moment précis ou, avec moins d'obs-
tination, il eut pu etre sauvé.


Si Louis XVI n'avait pas sacrifié Turgot a l'égo'isme de sa
cour, si plus tard il avaít écouté les conseils que Mirabeau
luí donnait dans ses notes admirables, il aurait pu prévenir
pui;; dirige!' la révolution.


f:¡ Lt r8yolution elle-meme s'était arretée avant les jOUl'-




QUE LE ~ImlE:-;T EST VENU DE DONNEH L~ :r:ffiERTlf ;¿91


nées mau(}ites de septembre; si elle avait écouté Bailly OH
V ergniaud, si elle no s' était pas laissé emporter a des exces
dont le souvenir nous afflige encore, elle eut abouti a la
liberté et non a une clictature, et Bonaparte, malgré tout
son géllie, n'aurait pu etre (lu'un "\Vashington!


Si N¿¡poléon, apres avoír charmé et conquis la France et
le mO!1(le, ayait vouln s'attacher cenx. qu'il avait séduits, si
au lien de répondre comme iI le faisait a Mayence, meme
apres Bautzen: "Tant que cette épée pendra a mon coté,
vous n'aurez pas la liberté apres laquelle vous soupirez! "
s'il eut donné l'acte additionnel avant rile d'Elbe, avant la
campagne de Russie, au lien de s' éteindre dans les tortures
de Sainte-HéIene, il aurait fini a Paris au milieu d'Ull peuple-
satisfait.


Si Charles X n'avait pas tenté un coup d'État contre sa
propre constitution; si, en 1829, iI avait repris la belle po-
litictue ue 1819; si, au lieu de suivre Polignac, il avait
écouté Chateaubriand, Royer-Collard ou Guizot, il n'aurait
pas appris une deuxieme fois combien est amer le pain de
l' étranger. (Mouvement.)


Si Louis-Philippe n'avait pas gaté tant de nobles qualités.
par une obstination sénile, s'il ne s'était pas refusé a l'ad-
jonction des capacités, a la l'éforme électorale, a l'abaisse-
ment du cellS; s'il n'avait pas répondu a un député pIe in
d'illtelligence qui lui conseillait la réforme: " La France est
un pays qu'on mene avec des fonctionnaires publics; " s'il
avait été plus soucieux. de la gloire franQaise et aussi des
souffrances et des droits populaires, il n'aurait pas retrouvé
clans ses dernieres années les épreuves de sa jeunesse, et
tout le mouvement de 1847 et de 1848 se serait terminé par
un ministere Odilon Barrot et Thiers, et non par une révo--
lution. ,


Plus je réfléchis, plusj'étudie, plusj'arrive a cette eonvic--
tion que, ce n'est pas eomme certains professeurs de poli-
tique nous le disent, pour n'avoir pas as.sez résisté que les-
gouvernements passés sont tombés ; ils sont tombés pour-
a\Toir trpp résisté, pour n'avoir pas céc1é i.t temps. (Bruit.)




292 DÉMOCRATIE ET LIBERTÉ
Seulement, permettez, pas d'exagération, pas d'exagéra-


tion! Céder ne suffit pas, il faut céder a propos, ni trop tut
ni trop tardo (Chuchotemeuts.)


M. LE DUC DE MARMIER. Cela fut toujours plus facile a
dire qu'a faire.


1\1. r~l\lILE OLLIVIER. Ni trop t()t, ni trop tardo Quand on
cede trop tut, on a tort, parce qu'on accorde á une agitation
superficielle ce qui ne doit etre concédé qu'a un mauvement
profond. Les nouveautés ne doivent pas étre trap aisément
accueillies : il faut les obliger a un stage. Quand une opi-
nion ne sait pas attendre, quand elle ne peut pas survivre
aux. premiers refus, elle ne mérite pas d'etre prise en consi-
dération. (Tres-bien.)


Mais il ne faut pas non plus céder trop tardo Quand on
cede trop tard, messieurs, a la col ere s'ajoute le mépris; et
la chute n'en est que plus profonde, et elle est sans dignité.


Pour l'Empire, j e le crois, quant á moi, il n' est pas trop
tut; il n'est pas trap tard : c'est le momento (Mouvement.)


Si mon opinion devenait celle de ceux quí peuvent déci-
der, si le Gouvernement cédait aux VCBUX de l'opinion
publique, savez-vous ce qui arriverait? J'en suis sur, et je
vais vous le dire.


Que s' est-il passé, messieurs, au lendemain du Jécret du
24 novembre? J usqu'alors l' opposition avait conservé une
attitude hautaine qu'elle manifestait par le refus de serment
ou par l'abstention. Apres ]e décret du 24 novembre, sa
conduite a changé; aussitót tous les hommes politiques de
tous les partis se sont décidés a l'action. Tous n'ont pas été
nommés, mais tous ont preté le serment, meme ceux qui
avaient dit qu'en donnant cet exemple, nous quí 80mmes
venus ici les premiers; nous nous étions montrés des traitres
et des homme8 de peu ... (Tres-bien! tres-bien!)
E~t-ce que vous croyez, messieurs, est-ce que vous croyez


que le Gouvernement n'ait pas trouvé une véritable force
dans la présence au milieu de vous, a titre d'auxiliaires, par
l'opposition, je le veux bien,- mais l'opposition est souvent
la meilleure maniere d'aíder un gouvernement, - est-ce




QUE LE "MOl\1ENT EST VENU DE DONNER LA LIBERTÉ 293


que vous eroyez que le Gouvernement n'ait pas trouV9 une
véritable force dans 1'adjonction a titre d'auxiliaires de
l'éminent orateur qui a si longtemps soutenu la légitimité,
du grand historien qui a présidé le eonseil des ministres de
Louis-Philippe, de plusieurs membres ou ministres du gou-
vernement provisoire? Est-ee que vous eroyez que le Gou-
vernement n'ait pas augmenté de ce jour son prestige, sa
force, sa séeurité?


Savez-vous ce qui arrivera? .. (Interraption.) Oh! je sais
que je touehe a des questions brúlantes, mais je persisterai
a m'y avaneer d'un pas ferme. (Tres-bien! tres-bien!) Savez-
vous ce qui arrivera lorsqu'un nouveau déeret du 24 no-
vembre sera venu réjouir les amis de la liberté? Aujour-
el'hui, en présenee du Gouvernement, se déploie une eoalition
qui erie : Liberté! Mais tous eeux qui rép€tent ce mot sont
loin d'y attaeher le meme sens et surtout d'avoir des inten-
tions identiques. (Mouvements divers.)


M. GRANIER DE CASSAGNAC. Cela, e' est bien vrai!
M. ÉMILE OLLIVIER. Il en est qui elemanclent la liberté


paree qu'ils l'aiment et paree qu'ils savent que e' est a son
triomphe que sont attaehées les destinées glorieuses de notre
pays ;il en est qui la poursuivent parce qu'íls la eonsiderent
eomme le moyen le plus effieaee de fortifier le Gouverne-
ment; il en est enfin qui la désirent paree qu'ils supposent
que c'est l'arme la meilleure pour le renverser. (Rires ap-
probatifs sur un granel nombre de bancs.)


Tout cela est bien connu; cependant tant que ríen n'aura
été obtenu, eette coalition ira sans cesse en grossissant; suc-
eessivement tous les hommes quí sont attachés aux príncipes
libéraux s'y enróleront, et il en résultera tót Oil tard une
force impuissante pour éelifier, mais toute-puissante, sinon
pour détruire, écartons si vous le voulez ces mauvais au-
gures, du moins pour embarrasser et arreter.


Supposez, au contraire, le couronnement de l' édifice
opéré, a l'ínstant meme eette eoalitíon se dissout et se divise
en deux groupes bien distincts :


Ceux qui estiment le bien irréalisable en dehors d'une




D~~~IOCnATIE ET LIBERTÉ


certaine forme de gOllYernement tlemeureront toujours hos-
tiles.


Ceux. quí pensent que la questioll de gouyernement n'est
'que d'un intéret secondaire, que ce qui importe surtout ce
sont les institutions fondamentales et les CBuvres populaires,
'ceux-la en restant indépendants deviendront favorables.


Mais iI y aura entre les deux groupes cette différence que
derriere le premier groupe il n'y aura presque personne,
tandis que la nation elltiere sera derriere le second. \ T1'(;s-
r~ien! tres-bien l) Aussitot iI se formera en faY8Ur du Gou-
-vernement une coalition semblalJle a celle q l1i ex.iste en ce
moment contre luí, et il gagnera en stabilité tout ce qu'il
aura abandonné en responsalJilité. Jamais il" n'aura eu une
telle puissance! Alors nous pourrons nous li'Ter vraiment
aux travaux de la paix; alors nous pourrons, par des me-
sures financieres énergiques, terminer l' outillage incomplet
de la France; nous pourrons répandre a flots l'instruction
publique sans recourir a 1'hl1miliante nécessité de la renclre
obligatoire. (Appí'obation sur plusieurs bancs.) Alors nous
assisterons dans le pays a la renaissance d'une ere véritable


.. de prospérité.
Et a l'extériellr, quel ne sera pas notre prestige? Plus de


dépeches a écrire, plus de notes di plomatiques a exp(~dier
pou!' rassurer sur nos projets. Les nations étrangeres, sa-


" chant qu'un peuple en travaiI de liberté n'a plus de désirs
". de conquetes, cesseront de nous redouter; et la France sera
aimée autant qu'elle est respectée; et les peuples repren-
dront l'habitude d'apprendre notre langue afin de com-
prendre ce quí se dit avec le plus d'élaquence en fayeur des
droits de l'humaníté. Vaila ce quí arrívera, voila ce quí est
certain. Et on hésite ... Dieu veuille que, cette hésitation ne
dure pasl .


rQuant a moi, messieurs, mon partí est pris : le jour aü le
. Souverain entrera dans la voie libérale, au point de vue pa-
litique, avec autant de décision qu'il y est entré au point de
vue civil et social, ce jour-la je ne serai pas du premier
groupe, mais du second; je ne serai pas hostile, je serai




favorable. Car, je n'hesite pas a le déclarel' halltemellt tlós
aujourd'hui, mon V(BU le plus sincere, mon Y(BU le plus
ardent, c'est que le Gouvernement de l'Empereur se conso-
lide par la liberté. (Brayos répétés sur un grand nomlJre de
bancs. )


J'ai crll pendant un temps que la forme du gouvernement
importait au plus haut point, et qu' elle primait toutes les
autres questions : c'était une erreur. Le meilleur gouverne-
ment est celui qui existe des que la nation l'a accepté.
(Tres-bien! tres-bien! C' est vrai!)


Messieurs, la raison profonde qui m'a entrainé si ré:::;olu-
ment dans ce sentiment, c'est que lorsque, par malheur, on
subordonne le progres a une forme de gouyernement déter-
minée, qui n'existe pas, fllt-on l'esprit le plus modéré, on
est obligé d'avoir recours aux moyens révolutionnaires; et
par les moyens révolutionnairesje n'entends pas seulement
les séditions et les violences auxquelles certains esprits ne
se décidentjamais,j'entends aussi le dénigrement, l'eJ~agé­
ration des griefs et l'amoindrissement des réparations, la
critique pour déconsidérer et non pour redresser, et toute'3
ces mille man(Buvres subalternes a 1'usage, dans tous les
temps, de ceux qu'animent des hostilités implacables. (Tres-
bien! tres-bien!) Or, je suis convaineu que si la bonne
cause, en Europe et en Franee, a subi tant d'échecs, c'est
par suite de cette habitud'e fatale de toujours discuter revo-
lutionnairement. (Assentiment sur un grand nombre d.e
banes.)


Il en résul te cecí :
Si le Gouvernement l' emporte, sa victoire le laisse tout


irrité, enclin a tomber dans 1'arbitraire.
. Si le Gouvernement succombe, les vainqueurs, ne pou-
vant gouverner avec les moyens dont íls se sont servls pour
vaincre, sont obligés de se contredire, d'appeler á leur aide
tous les mauvais expédients pour masquer leur faiblesse,
pour retarder, a peine d'un instant, leur chute, qui malheu-
rensement devient aussi celle de la liberté. (Tres-bien!
tres-bien !)




296 nÉl\IOCRATIE ET LIBERTÉ


J'ose le dire, messieurs, et j'accepte sans crainte la res-
ponsabilité de cette opinion, la liberté ne s'établira jamais
au milieu des effervescences, des agitations, des tumultes
qui suivent une révolution. (C'est vrai! c'est vrai!) D'une
révolution ne peut surgir qu'une dictature. La liberté ne
naUra qu'au milieu du calme et sous l'égide d'un gouverne-
ment tutélaire, súr de son lendemain. (Tres-bien! tres-
bien !)


Pour donner a ces sentiments la confirmafion d'un acte,
quoique je n'approuve pas complétement le projet d'adresse,
quoiquej'eusse désiré plus de force et de netteté dans l'ex-
pression d'aspirations libérales qu'il indique, je ferai ce que
je n'ai pas encore fait depuis que je suis entré dan s cette as-
semblée, je voterai pour l'adresse. Mon vote aura une
double signification : a votre égard, messieurs de la majo-
rité, ce sera un vote de réciprocité. Vous avez, l'an dernier,
choisi un membre de la minorité comme rapporteur d'une
loi importante; cette année, vous avez égalemeut pris dan s
cette meme minorité un de vos secrétaires. En cela vous
avez donné un exemple de tolérance, de conciliation et de
vrai libéralisme. Je tiens a vous prouver que je n'ai point
été insensible a un tel procédé. J e serai heureux chaque
fois que mes convictions et l'honneur me permettront de
marcher avec vous. (Tres-bien! tr:es-bien!)


A l'égard du Gouvernement, mon vote, vous le compre-
nez sans peine, apres mes critiques, ne peut pas etre un vote
de satisfaction entiere. Je n'ai pas une auíorité suffisante
pour dire que c'est un vote d'encouragement; je me bor-
nerai a dire que c'est un vote d'espérance.


Cette espérance se réalisera-t-elle? Beaucoup en doutent.
Messieurs, je ne partage pas cette impression. L'Empereur,
dans son discours, nous a dit qu'il maintiendrait les bases de
la constitution, mais qu'il était pret a accueillir toutes les
réformes que l'expérience démontrerait justes et que l'opi-
liion publique accepterait. Or, l'expérience démontre qu'au
dix-neuvieme siecle une nation ne peut vivre san s liberté,
et l'opinion publique non-seulement .accepte, mais demande




QUE LE MOMENT EST VENU DE DONNER LA LIBERTÉ 297


d'une maniere respectueuse l'extension des franehises pu-
bliques.


L'Empereur a ajouté qu'il voulait susciter en France 1'es-
prit d'initiative individuelle et d'association. Or, la loi est
impuissante pour cela; elle ne peut que détruire les en-
traves; la liberté seule peut susciter l'initiative individuelle
et l'esprit d'association. Il est démontré que, meme dans les
atfaires privées, l'initiative individuelle et l' esprit d'asso-
ciation sont d'autant plus développés que les libertés pu-
rement politiques le sont davantage ; les États-Unis et l'An-
gleterre en fournissent la preuve convaincante.


L'Empereur a encore dit : " Fermons le temple de la
guerre! " Cette parole a été accueillie dans toute l'Europe
avee bénédietion. Mais comment en méeonnaitrait-on l'in-
fluence sur notre politique intérieure? La p~ix est la sreur
ainée de la liberté. Oh la paix existe, la liberté ne peut
tarder a arriver.


En 1862, 1'Empereur a écrit dans une lettre a M. Thou-
ven el : "Nous allons en ltalie pour concilier la religion et
la liberté. " On ne conciliera pas, en ltalie, la religion et
la liberté, tant qu'on n'aura pas préalablement en France
uni l'Empire et la liberté.


En 1863, l'Empereur, dans un discours célebre aux expo-
sants, nous a présenté comme modele la liberté sans 1'es-
t1'ictions dont jouit le peuple anglais. Il est impossible q u'il
emploie toute sa force á nous empecher d'atteindre l'idéal
que lui-meme nous a montre.


Pour moürer mon esperance, j'invoque plus que des pa-
roles, j'iuvoque des actes. L'Empereur est le premier sou-
verain qui ait déclaré sa com~titution perpétuellement
modifiable; et il ne s'est pas contenté de l'écrire, il a agi
en conséquence, et déja ii ne reste presque plus rien de la
constitution primitive.


L'Empereur est le premier aussi qui n'ait jamais hesite a
accorder satisfaction a toute expression vive d'un sentiment
publico Puis-j e oublier qu'il est allé en ltalle avec le dessein
d',établir une fédération et qu'il y a laissé l'unité? Puis-je




298 DÉ~CCRATIE ET LIBERTÉ


oubliel' qu'apres avoir débuté en protectionniste, il a fait le
traité de commerce? Puis-je oublier que, tandis que son
premier ministre de l'instruction publique semblait avoir
pour mission de comprimer l'instruction populaire, son mi-
nistre actuel, M. D uruy, en a porté l'amour jusqu'au su-
perflu? (Hilarité et mouvements divers.) Puis-je oublier
qu'apres avoir méconnu au Mexique et en Italie le principe
de non-intervention, aujourd'hui il le revendique plus en~
core que I'Angleterre? Puis-je oublier qu'apres avoir fait
soutenir que la loi contre les coalitions était parfaite,
qu'une loi sur les associations ouvrieres étatt inutile, q u'une
enquete sur la banque serait dangereuse, il nous a fait pré-
sellter une loi qui autorise les coalitions, il nous a promis
une loi qui favorise les associations ouvrieres, et il a or-
donné une ellquete sur la banque?


Enfin, messieurs~ si l'Empereur n'est pas entrainé par ses
paroles, par ses actes antérieurs, est-il possib1e qu'il reste
plus longtemps insensible a ce que lui conseille sa propre
tradition? Ah! je eomprellds tres-bien que les contempteurs
de Napoléon Ier prétendent que l'aete additionnel n' était
que la ruse d'un tyran aux abois, que les conversations de
Sainte-Hélene ne sont que les hypocrisies d'un vaincu qui ~
apres avoir éehoué dans le présent, essaye de séduire et de
tromper l'histoire. :Mals eeux qui sont les héritiers de son
nom ne peuvent pas penser ain81. Pour eux~ l'acte addi-
tionnel doit etre la pensé e organique du grand homrne, tout
ce qui a précédé n'étant considéré que eornme une conces-
slo11 faite aux nécessités passageres de la guerreo Or, l'acte
additionnel contient toutes les garanties que nous récla-
mons, et comme l'a dit I'honorable M. Thiers, e'est la meil-
leure eonstitution que la Franee ait obtenue dans la longue
série de ses révolutions.


M, THIERS. C'est vrai.
M. ÉMILE OLLlVIER. J e veux done espérer. Si j e me


trom pe, messieurs ~ si la défianee qui perd l' em porte s ur la
confianee qui sauve; SI nous avons encore le douloureux
spectaele d'une nation qui s'impatiente, puis qui s'irrite en




QUE LE ~IO~1ENT EST VENU DE DONNER LA LIBERTÉ 299


présence d'un gouvernement qui reste inerte, puis qui s'obs-
tine; si ele nouveau llOUS devons opter entre la force quí
comprime et la force quí renverse; sí ces mauvais jours
doivent revenir ou les amis de la justice, ne trouvant plus
de place tenable entre les extremes, sont obligés de se re-
tirer de la lutte ou d.e s'abandonner a un courant dont ils
ne sont plus les maitres; si nous devons voir encore notre
paJs passer de la fatigue des mouvements trop lents a la
rapidité trompeuse des mouvements déréglés; si nous de-
"ons encore etre ballottés du trop au trop peu, de l'action a
la réaction, du désordre a l'arbitraire; si cette déception
nous est réservée J mon ame en sera déch·írée. Mais, meme
alors je ne regretterai pas la tentative que je poursuis avec
obstination depuis 1861; je ne regretterai pas - c1ussé-je
pendant un temps etre considéré par les uns comme un po-
litique naYf, par les autres comme uR,ambitieux vulgaire -
jo ne regretterai pas d'avoir employé toutes les forces de
ma volonté a provoquer la conclusion paisible d'une al-
liance durable entre la démocratie et la liberté par la main
(run pouvoir fort et national. (Tres-bien! tres-bien! -
Applaudissements. -- L' orateur re<;oit les félicitations de
bcaucoup de ses collegues.)









XXIV


SUR LES AFFAIRES ALLEMANDES. - RÉPONSE A M. JCLES FAVRE


(10 avril 1865)


Toutes les paroles qui se prononcent dans cette enceinte
ont une grande gravité et un long retentissement, surtout
lorsqu'elles tombent de la bouche de l'éminent orateur auquel
je désire répondre, malgré ma fatigue. Dans l'intéret de la
politique généraIe de mon pays, je serais désolé qu'on put
croire en Allemagne que l'opinion du parti libéral franQais,
sur la question danoise, est celle qui a été exprimée par
l'éloquent M. Jules Favre. A l'entendre, le Gouvernement
roérite les critiques les plus vives; il n'a cessé de flotter de
l'incertitude a la contradiction. 8elon moi, il 11e mérite que
des remerciements pour la logique et la sagesse de sa con-
duite. (Tres-bien! tres-bien 1)


Sans entrer dans les détails épineux d'une question di-
plomatique allemande, et en ne sortant pas d' explications
toutes franQaises, je crois qu'il me sera facile de justifier
roon opinion. Je rechercherai d'abord ce que la France a
fait jusqu'a ce jour, je me demanderai ensuite ce qu' elle doit
faire.


Qu'a fait la France dans la question allemande? Quelque
chose de bien simple, qui, ptmr etre compris, ne demande




SUR LES AFFAIRES ALLEMANDES 301


aucun développement. Elle a laissé s'opérer la séparation
des duchés et du Danemark en restant passive, sans y con-
tribuer, mais sans s'y opposer non plus. J'affirme qu'elle
n'avait pas d'autre conduite a tellir. (Tres-bien! tres-bien!)


D'abord, messieurs, paree que cette séparation était. légi-
time, conforme a la justice et a nos principes. Dans l'affaire
des duchés, il y a eu, en effet, longtemps en présence une
force et une faiblesse; mais la force c' était le Danemark, la
faiblesse c'étaient les Allemands des duchés. Cette faiblesse
ne s'est convertie en force qu'apres des années d'épreuves,
lorsque la Prusse et l'Autriche, pour des raisons que je n'ai
pas a examiner, pratiquant ce qu'elles ne sont pas accoutu-
mées a pratiquer J ont mis de gros bataillons au service de
la justice ct du droit des peuples. - Depuis 1815, il se pas-
sait dalls les duché s un drame comparable a celui qui se
déroulait en Lombardie. Dans l'un et l'autre pays, c'étaiellt
des populations opprimées, écrasées par des dominateurs
étrangers. Dans l'un et l'autre pays, un divorce existai t
€ntre les gouvernants et les gouvernés, les langues étaient
différentes, les habitudes dissemblables, les traditions sans
origine commune. Les Danois, du reste, sentaient aussi
bien que les Allemands des duchés l'impossibilité d'une
union paisible. Ce qui seulement était débattu, c'était de
savoir si les Danois s'étendraient jusqu'a rEider, ou si les
Allemands deviendraient libres jusqu'a la Kamigsau.


Un premier déchirement a eu lieu en 1848: mais alors
ces mouvements émancipateurs ne réussissaient pas, et sur
l'Elbe il y eut une déroute comparable a celle qu'a subie
l'Italie apres la bataille de Novare. Dans ces dernieres an-
nées, l' amvre a été reprise, et cette fois avec un succes
d'autant plus certain q \1' elle a eu pour auxiliaires ceux qui
l'avaient traversée, comprimée en 1848. Voila le mouve-
ment qu'on reproche a la France de n'avoir pas empeché.
Oui. messieurs, dans le me me discours OIl regrette que le
traité de Villafranca, qui était bien aussi signé par la France,
n'ait pas été suffisamment déchiré, puis on se plaint que le
traité de Londres l'ait été trop!




302 nÉI\IOCRATIE ET LIBERTÉ


Soyons logiq ues, messieurs, et ne changeons pas de poli-
tique selon la latitude. A l' étranger, apres la sauvegarde
énergique de nos intéréts et de nos droits, nous ne devons
avoir qu'une regle, e' est de faeiliter le mouvement général
qui pousse les peuples partout a se mettre en possession du
droit de régler leurs destinées. Nous avons done sagement
fait d'aider les Italiens au Midi, mais nous n'avons pas en
tort de n'apporter aucun obstaele a l'émancipation des Alle-
mands du Nord. - VoiHt pour le passé.


Maintenant, qu'ya-t-il a faire? lei il ne suffit plus de cri-
tiquer, il faut prévoir.


L'honorable M. Jules Favre me permettra de n'etre pas
de son avis encore sur cette se conde partie de la discus-
sion. II a demandé qu'on pr'it un parti énergique, et, autant
que j'ai pu comprendre ce flui était contenu dans son beau
langage, ee parti énergique, ce serait une intervention di-
plomatique, je crois, mais a travers laquelle on laisserait
voir la pointe de l' épée.


Et pourquoi une intervention diplomatique? Paree que,'
dit-il, une grande iniquité est sur le point de se commettre;
qu'apres avoir aidé a 1'affranchissement des duehés, la
Prusse veut s'annexer le peuple qu'elle prétend avoir déli-
vré; l'iniquité va se consommer, M. de Bismark essaye ainsi,
par un coup d'éelat a l'extérieur, d'esquiver les diffieultés
de sa politique intérieure.


L'honorable M. Jules Favre a raison : M. de Bismark
poursuit le projet d'opérer 1'annexion des duehés, ce qui
serait inique, puisque cette annexion ne pourrait s'opérer
que contre la yolonté manifestée mille fois des populations.
l\lais saY\'~z-vous ce qui lui aurait rendu cette pensée facile
il exéeuter? C' eut été l'intervention maladroite de la diplo-
matie fran<;aise. (Tres-bien! tres-bien 1) Du jour ou elle eut
été connue, cette grande Allemagne si souPQonneuse et si
défiante quand il s'agit de ces voisins belliqueux auxquels
elle suppose la pensée de s'étendre vers le Rhin, 1'1\.l1e-
magne tout entit3re eút été emportée par la ferveur patrio-
tique. Le bon sellS et la raison eussent penlu le POUYOüo de




SUR LES AFFAIRES ALLEMA"XDES


se faire entendre au milieu de l'exaltation des esprits.
L' étranger! l' étranger! eút-on crié de toutes parts. Et pen-
dant qu'on se fut 6ccupé de 1'étranger, M. de Bismark se
fut définitivement établi a Kiel, eüt mis la main sur les du-
chés et les eüt gardés. (Tres-bien! tres-bien!)


Au contraire, la France s' étant abstenue, qu'arrive-t-il?
C'est que l'Allemagne elle-meme, entrainée par le senti-
ment du droit, réagit contre une annexion injuste; et tan-
elis que M. de Bismark, il Y a quelques mois, était sur le
point de réussir, il est aujourd'hui tout pres d'échouer.
Comptez en effet les forces qui s'élevent contre son des-
sem.


Ce sont d'abord les Etats secondaires de l' Allemagne, et
les États secondaires de l' Allemagne sont une des parties
les plus démocratiques, les plus libérales, les plus cul-
tivées de l' Allemagne. Cette opinion des États se~on­
daires a été tellement violente, d'une force tellement
irresistible, que la pesante Autriche elle-meme .en a été
ébranlée : elle vient de laisser tomber dans l'urne des
votes de la diete de Francfort un vote qui a rencontré
celui des États secondaires, et la Prusse est restée en mi-
norité.


La Prusse, du moins, est-elle unanime? est-elle rangée
tout entiere derriere le ministre? et, en désaccord avec lui
sur la politique intérieure, le suit-elle dans la politique
étrangere et veut-elle comme lui l'annexion? Je ne veux
pas le croire. Le partí libéral prussien donne en ce mo-
ment au monde un spectacle admirable de courage, de
résolution et de force, de persévérance et de civisme. Il ne
voudra pas déshonorer sa gloire en favorisant une íniquiié.
Non, nous ne verrons rien de pareil. La chambre prus-
sienne n'oubliera pas qu' elle a, il Y a moins d'un an, affirmé
le~ droits du duc d'Augustenbourg en invoquant a la fois le
vje~ux droit, et, ce qui vaut mieux encore, la volonté l1na-
nime des hahitants des duchés. Elle n' ollbliera pas qu'il r
autait contraclictioll a soutenir contre ~\I. de 13ismark que
le roí ne peut, sans l'assentiment des élus de la nation prus-




304 nÉMOCRATIE ET LIBERTÉ


sienne, disposer d'un centime ou d'un homme, et a soutenir
avec M. de Bismark que le meme roi peut obliger les duchés
a subir, malgré eux, non plus seulement un budget de la
guerre, mais un gouvernement tout entíer. La chambre
prussienne, je l'espere, se rangera ti l'avis de MM. Vir-
chow et Simson. L'inspiration équitable quí a entrainé
l' A utriche gagnera le parlement prussien, ses hommes
d'État, son peuple : de telle sorte qu'iI n'y ait plus en lutte,
aux yeux de l'Europe entiere, que M. de Bismark et le
droit. Alors je ne craindrai ríen pour le droit. (Nombreuses
approbations. )


Voila la question tout entiere. J e demande au Gouverne-
ment de ne pas s'écarter de la ligne sage et prudente qu'il
a suivie. Oh! je ne nie pas qu'il n'y ait dans les dépedles
des contradictions et des obscurités. Je ne prétends pas que
toute se soit du premier jour dégagé avec une netteté par-
faite. Je ne soutiens pas que la diplomatie de M. Drouyn de
Lhuys ne puisse etre prise en défaut dans telle ou telle oe-
casion. La défendre n 'est paR mon affaire. Je n'ai el. me pré-
occuper que des intérets de la Franee et des droits de la
justiee. Or, dans l'ensemble de la conduite, je pense que les
intérets de la Franee n' ont pas été compromis, et que les
lois de lajustice ont été sauvegardées.


Les effets de cette attitude se montrent déja : pour la
premiere fois depuis 1851, les Allemands prononeent le
nom de la Franee sans colere, et iIs parlent un peu moins
bien de leur ancienne amie l'Angleterre. Il est Don d'aimer
fItalie, je l'aime beaucoup aussi, mais en politique il ne faut
pas s'absorber Gans un amour exelusif. Les intérets d'un
pays flont complexes; nous aVOllS besoin au Midi de l'al-
liance itaIienne, mais il nous est non moins nécessaire de
compter au Nord sur l'amitié de l'Allemagne. Contre la
Russie, contre cette puissanee colossale qui s'avancerait en
Europe si 011 la laissait faire, l' Allemagne est notre rem-
part, notre véritable avant-garde. (Marques d'appro-
batíon.)


Pour que cette union entre l'Allemagne et la France, quí




SUR LES AFFAIRES ALLEMANDES 305
importe tant a notre sécurité, existe toujours, la premiere
condition ou plutot l'unique condition, c'est que l'Allemagne
soit bien convaincue de notre désintéressement, c'est qu'elle
soit bien persuadée que nous n'avons pas le dé sir d'un
agrandissement de son cóté. Nous demandons qu'elle n'éta-
blisse pas a nos portes, comme une menace contre nous,
une unité factice, qui serait dangereuse par cela meme
qu'elle serait factice; mais qu'elle se développe, qu'clle se
fortifie, et son indépendance n'étant pas menacée, qu'elle
ne renonce pas a sa belle variété, qu' elle soit prospere et
puissante: voila ce que nous lui souhaitons d'un camr sincere
et sans arriere-pensée. Dujour ou cette politique sera bien
nette, bien accentuée et qu'au dela du Rhin on en sera bien
pénétre, nous pouvons compter sur l'alliance de l'Alle-
magne. L' équilibre général sera alors mieux assis, et en pré-
sence de la Rp.ssie, ayant a nos flanes l'Angleterre qui se
défie, l'Italie qui se forme, nous aurons quelqu'ull pour nous
assister. (N ouyelles marques d'adhésion.)


Apres avoir essayé de réduire aux termes les plus sim-
ples une 'question qu'il serait facile d'allonger et de compli-
quer, je désire répondre un dernier mot au eliscours de l'ho-
norable M. Jules Favre. Il a dit qu'un granel pays comme la
France ne pouvait pas se désintéressel' eles querelles qui
s'agítent autour de lui, qu'il devaít les surveiller toutes et
se meler a toutes des que les droits de la justice l'exi-
geaient. Mon príncipe, a moi, est diamétralement opposé :
je crois que si la France doit surveiller ce qui se passe au-
tour d'elIe, elle ne doit se meler des querelles étrangeres
que le moins possible. (Tres-bien!) Et j'estime que le véri-
table principe de la poli tique étrangere est le principe de
non-intervention, précisément paree que c'est le principe
pacifique.


Je ne saurais m'étonner assez, messieurs, qu'on vienne a
la fois demander a l'extérieur ce qu'on appelle une politique
d'expansion, et a l'intérieur ce qu'on appelle une politique
de liberté. Le~ deux termes s' excluent. La politique d' ex-
l)anSlOn a l'extérieur a pour conséquence et pour tiécessité


2(1




DÉMOCRATTE ET LIBERTÉ


une politique de compression a l'intérieur. Quand on veut
agir au dehors, quand on veut se meler des affaires des au-
tres, il faut etre pret a tout, il faut avoir une armée sur le
pied de guerre, il faut de temps a autre montre1' que eette
belle apparenee n'est pas vaine, et jeter son a1'mée sur les
ehamps de bataille. La guerre a l'extérieur, c'est néeessai-
rement, a l'inté1'ieur, une eertaine coneentration des pou-
voi1's. C'est ce qu'avait bien eompris l'un des souverains, je
ne dirai pas des plus éminents, mais eertainement des plus
avisés qui aient jamais manié les affaire s humaines, Come Ier
de Médieis. Il éerivait a Charles IX, apres la Saint-Bar-
thélemy : "Maintenant que vous avez nettoyé et purgé
votre royaume, oeeupez les Fran<;ais, nation mobile et
avide de nouveautés, a une guerre eontre les Tures ... " Eh
bien, messieurs, je ne veux pas que la Franee puisse a tout
propos etre oeeupée a une guerre eontre les Tures. (Rires
approbatifs.) Je ne veux pas que nous soyons toujours sur le
point d'intervenir dans les affaire s qui se traitent autour de
nous. Quand nos intérets sont menaeés, défendons-les avee
énergie, mais ne les eroyons pas eompromis a tout instant,
et par cela seul qu'il se passe quelque part quelque chose
qui ne nous eonvient paso


La politique de non-intervention, e' est la vraie politique
de la Franee, non-seulement paree qu'elle eontribue plus
que toute autre a sa prospé1'ité, mais paree qu'aueune ne
sert mieux son influenee. Aa eommeneement de la 1'é\'olu-
tion fran<;aise, a la fin du regne de Louis XVI, la France
exer<;ait sur le monde entier une vé1'itable royauté. Ses
grands hommes étaient 'les grands hommes de tous les
pays; son influenee était sans rivale. Pourquoi? Paree qu'a-
101's elle ne mena<;ait personne; elle était forte, elle était
respeetée, a l'abri de1'riere ses belles frontieres que luí avait
faites Vauban; protégée au midi par le pacte de famille,
elle pouvait tendre la main a la jeune Amérique. Ses idées
rayonnaient de toutes parts; et quand la 1'évolution éclata,
ce ne fut pas la révolution fran<;aise, ce fut la révolution
européenne.




SUR LES AFFAlRES ALLE~IANDES 307


~1. EUaENE PELLETA~. Le traité de Paris! La perte du
Canada!


PLUSIEURS VOIX. N'interrompez pas ! •
M. ÉMILE OLLIVIER. Quelques années apres, au eontraire,


la France était beaueoup plus puissante; elle s' étendait jus-
qu'au Hhin. (Dénégations sur quelques banes.)


.Te demande a eomprendre l'interruption.
QUELQUES VOIX. Al' ordre les interrupteurs !
M. LE PRÉSIDENT SCHNEIDER. Je prie l'orateur de conti-


lmer et de ne pas répondre aux interruptions.
M. ÉMILE OLLlVIER. Je n'ai pas entendu l'interruption.
M. CHEVANDIER DE VALDROME. Parlez a la Chambre et ne


répondez pas.
M. LE PRÉSIDENT SCHNEIDER. J e suis heureux que l'hono-


rabIe M. 01livier n'ait pas entendu l'interruption : iI n'y
répondra paso


]\1. ÉMILE OLLIVIER. Quelques années plus tard, la Franee
avait une force matérielle bien plus eonsidérable; elle allait
jusqu'au Rhin.1 elle s'avan~ait dans le eamr de l'Allemagne,
mais elle n'avait plus eette autorité morale qui eonstitue sa
force invineible; elle était admirée san s doute, mais aussi
redoutée ou détestée. Oui~ je désire que notre. France soit
influente dans le monde; mais j e désire qu' elle soit in-
fluente paree qu'on l'aime et non paree qu'on la eraint.
(Marques nombreuses d'approbation.)






xxv


SUR LA QUESTION ROMAINE. - RÉPONSE A M. THTERS


(13 avril 1865)


Messieurs,


Lorsqu'une cause qu'on aime et qu'on croit juste vient
d'etre puissamment attaquée, c'est un devoir de la défendre,
sans se laisser arreter par la crainte du péril personnel
qu'on 'peut courir en s'engageant dans une lutte inégale.
Aussi n'ai-je pas hésité a vous demander de m'eútendre
apres l'admirable discours sous le charme duquel je me
trouve encare. Je sens combien ma tache est difficile, diffi-
cile a cause du sujet, difficile a cause de l'immense talent
avec lequel il vient d'etre parcouru dans toutes ses parties,
difficile enfin parce que je suis obligé de me mettre en con-
tradiction avec des collegues a l'estime et a l'affection des-
quels je tiens particulierement; mais si je blesse leur opi-
nion, qu'ils soient certains que je n' en parlerai qu'avec
respect, et j' espere ne pas froisser leurs sentiments. (Tres-
bien!) Cela ne me sera pas difficile, car je m'associe avec la
plus sérieuse conviction a ce qu'a exprimé si admirable-
ment l'honorable M. Thiers sur le devoir de respecter les
croyances religieuses.· Elles sont la source de tout bien:
salls elles les sociétés, semblables a des navires en perdi-




SUR LA QUESTION ROMAINE 309


tion" flottent sans aucune regle fixe, et peuples et individus
marchent au hasard. Quand on a pratiqué depuis quelque
temps les choses humaines, quand OIl connait les douleurs,
les souffrances, les amertumes qu'amenent toujours apres
elles les années devenues plus nombre uses, on n'est pas en-
olín a venir troubler, quel que soit son nom, sa forme, un
sentiment sans l'assistance duquel tant d'etres humains ne
pourraient pas traverser les épreuves pesantes de la vie!
(Tres-bien! tres-bien !)


Aussi je ne veux pas plus que l'honorable M. Thiers es-
sayer, d'une maniere meme indirecte, une attaque contre
l'Église, contre le catholicisme. Le débat n'est pas la. S'il
ne pouvait pas etre poursuivi ailleurs, je garderais le si-
lence. Si c'était sur le dogme catholique que la convention
du 15 septembre dut le faire porter,je ne me sentirais ici ni
le courage ni la volonté de le discuter. Mais, a mon avis, il
ne s'agit que d'une question politique, d'une question a exa-
miner, a discuter, a résoudre, d'apres des principes qui
sont de notre compétence, d'une question sur laquelle nous
pouvons différer, sans qu'aucun article de foi puisse etre
inyoqué de part ou d'autre, et ma conclusion fut-elle que le
pouvoir temporel doit etre livré a lui-meme et abandonné á
ses destinées malheureuses : en soutenant cette these, en
exprimant cette conviction, en expliquant ce sentiment, je
ne ferais rien qui put etre considéré comme une atteinte a
la conscience religieuse du catholique le plus fervent.


Si la nécessité du pouvoir temporel n' est ni un article de
foi, ni un point de dogme, c'est une opinion libre, aban-
flonnée a la discussion, selon la maxime de l'Église : In du-
biis libertas! dans les questions douteuses la liberté! Con-
séquemment, ó catholiques qui etes dans cette assemblée,
et vous aussi catholiques qui etes au dehors, vous tous qui
entendrez ma parole sur ce difficile sujet, quelle qu'elle
soit, ne la considérez pas comme une agression contre votre
foi : elle n'est que l'exercice de la liberté que l'Église m'a
laissée. In dubiis libertas! je discute librement une ques-
tion libre. (Tres-bien! tres-bien!)




310 nÉMoCRATIE ET LIBERTÉ


De quoi s'agit-il? Une conventíon a été conclue entre le
gouvernement fraw;ais et l'Italie le 15 septembre dernier.
Quelle est la valeur de cette convention? Quelle en est la
signification? Devons-nous~ dans notre conscience de chré-
tiens et de législateurs, l'adopter? Devons-nous, dans notre
conscience de chrétiens et de législateurs, la repousser?


Cette convention, messieurs, a produit deux effets parfai-
tement distincts : le premier de ces effets, c' est de relldre
définitive et de consolider d'une maniere durable l'unité
italienne; le second de ces effets est de changer aRome
l'attitude de notre gouvernement, de l'Italie et du pape, et
d'introduire des éléments nouveaux dans cette affaire, de-
puis tant d'années débattue et en suspenso De telle sorte que
l'émillent orateur auquelje réponds a obéi a]a logique et a la
nécessité de son suj et .. lorsque, ayant a apprécier la conven-
tion du 15 septembre, il a d'abord examiné ce qu'il fallait
penser de l'unité italienne et puis ce qu'il était nécessaire
de croire du pouvoir temporel du pp-pe. Je ferai comme lui,
et sans avoir la prétention d'avoir retenu et de pouvoir ré-
sumer tous les merveilleux arguments de cet incomparable
discours, j' essayerai cependant de répondre a ce qui me pa-
ré<.!t décisif et d'opposer aux raisons qui sont sérieuses des
réponses qui, je l'espere, ne le seront pas moins.


L'unité italienne! L'honorable M. Thiers n'a pour elle
aucuÍle tendresse; je crains meme qu'il ne manque de jus-
tice autant an moins que de tendresse. Pour l'attaquer, i1 a
pris son point de départ dans deux ou trois faits que j e lui
demande la permission de contester absolument.


Je comprendrais son aversion ponr l'unité de l'ltalie, s'íl
appartenait a l' école de M. de Metternich, qui écrivait au
cardinal Consalvi : " Nous autres qui sommes du grand
partí du repos ... " Mais M. Thiers fait profession de ne pas
etre un des suivants de ce partí du repos, et} a. la satisfac-
tiOll de nous tous, les amis de la liberté, il professe d'etre
un des nótres. Aussi a-t-il tres-bien compris qu'un discours
sur l'Italie qui ne commencerait pas par un veeu en favear
de la liberté italienne, par l'expression du désir de -roir ce




SUR LA Q,UESTION ROl\IAINE 311


noble peuple réaliser enfin les destinées apres lesquelles il
soupire depuis tant de siecles, il a tres-bien eompris qu 'un
tel diseours serait sans aueune autorité, sans aueune force.


Il a done dit : " Je veux la liberté italienne, " exeepté
apparemment pour la malheureuse Venise, qu'il a eondam-
née a une oppression éternelle. Mais, ajoute-t-il aussitót,
eette liberté, il était possible de Pobtenir pour l'Italie sans
avoir recours a l'unité. L'unité, selon lui, a été le résultat
de la guerre de 1859; sans cette guerre, il n'y aurait pas eu
d'unité, et au grand profit de l'Italie, car a ce moment il
s'opérait partout un développement naturel, progressif des
libertés constitutionnelles. Naples était gouvernée par un
jeune souverain qui, n' étant plus retenu par les traditions
paternelles, s' élan9ait en avant. En Toscane, iI y avait un
prince éclairé qui voulait faire le bien par lui-meme, mais quí
voulait faire le bien. La guerre a détruit tous ces germes
quí eussent d'autant mieux fructifié qu'on leur eut laissé le
temps de le faire. Maintenant l'Italie ne présente plus que
le spectacle du désordre, de l'anarchie; l'incertitude est
partout, les emprunts se succedent, l'incohérence est sou-
verame.


Le mouvement libéral de Naples et de la Toscane ou de
tout autre pays, au commencement de la guerre, est une
pure création de l'ímagination de l'honorable M. Thiers.


A Naples régnaít unjeune roi auquel M. de Cavour, au-
quel le roí Victor-Emmanuel adressaient les supplicatíons
les plus amicales pour qu'il écartat, par de sages réformes.
le danger qu'ils voyaient avancer. (Mouvements en sens
divers.)


M. ACHILLE JUBINAL. C'est parfaitement exact!
M. ÉMILE ÜLLIVIER. Je ferai remarquer aux honorables


interrupteurs que, répondant a l'imprúviste a un discours,
je n'ai pas les pie ces dans les mains; mais je leur affirme
que les dépeches existent, et qu' elles constatent que Víc-
tor-EmmanueI, ainsi que M. de Cavour, ont multiplié les
exhortations aupres du jeune .roí de Naples, que l'un et
l'au!re l'ont pressé, qu'ils n'ont cessé de lui dire: " Unis-




312 nÉMoCRATIE ET LIBERTÉ


sez-vous a nous, et vous éviterez la révolution qui vous me-
n~ce et qui vous emportera. Décidez-vous a accomplir
l' CBuvre nécessaire, inévitable, de la liberté. ". Tout fut
vain. Le roi de Naples n'a rien voulu entendre. Il s' est
confié aux vieillards quí avaient entouré les dernieres an-
nées de son pere. Aussi a-t-il suffi d'un chef de volontaires
se présentant devant les portes de Naples pour que, malgré
une immense population, une flotte, une armée de trente
ou quarante mille hommes, la royauté s' évanoult, en qp.el-
ques heures, comme un fantóme. Il ne fut pas meme néces-
saire de la pousser du doigt.


Quant a la Toscane,il y existait un désaccord radical que
rien ne pouvait concilier entre le souveraín et les sujets.
Savez-vous pourquoi? En 1848, au lendemain meme des ré-
volutions qui eurent líeu en Italie, la réaction qui triompha
partout en Europe n' épargna pas l'Italie. En Toscane, elle
fut opérée par l'aristocratíe unie au peuple, sous la direc-
tion des Rícasoli, des Peruzzi, de tous ceux que vous avez
vus depuis a la tete des affaires ita1iennes. Ces hommes
d'État avaient eux-memes ramené le grand-duc, mais iIs
avaient mis a son retour une conditioIl I c'est qu'il n'appelle-
rait pas les Autrichiens. " Nous vous avons ramené dans
votre palais, lui avaient-ils dit. Sachez vous y maintenir
sans l'appui de l' étranger. " Le premier acte de Léopold fut
d'appeler les Autrichiens, d'abord a Livourne, puis ~t Flo-
rence; il en résulta une désaffection dont le temps n'avait
pu triompher. Le vide s'était fait autour du souverain. Bien
10in de songer, au commencement de la guerre, a dévelop-
per la liberté, il ne s'occupait que de serrer tous les freins.
Il avait voulu, maIgré le VCBU du pays, rétablir la peine de
mort, abroger les 10is léopoldines, et son ministre de l'in-
térieur était l'objet de l'impopularité générale.


Si M. Thiers s'est trompé sur Naples et sur la Toscane, il
n'a pas meme osé parler des ducs de Modene, de tous ces
petits pays qui, victimes de petits tyrans, étaient dans
l'impossibilité d' opérer les. réformes matérielles les plus
élémentaires.




SUR LA QUESTION ROMAINE 313


Comment! l'Italie marchait vers le progres; quelle
amere dérision! Mais on ne pouvait meme pas conduire a
bout un chemin de fer; toas les trajets étaient intermina-
bIes; pour a11er de Turin a Florence, il fallait montrer
quatre ou cinq fois son passe-port, etre arreté par cinq
douanes, et ron n'était pas sur, par-dessus le marché, de
ne pas etre dévalisé par les brigands ávant d'arriver.


VOIX NOMBREUSES. Oai, c' est la vérité !
UN )IEMBRE. VoWt quel était l'état de l'Italie.
(:M. Thiers adresse a l'orateur quelques mots quí ne par-


viennent pas jusqu'a nous.)
M. ÉMILE OLLIVIER. Ah! je vous en supplie, monsieur


Thiers, ne m'interrompez paso Il est déja assez difficile de
répondl'e a votre discours. .


Voilit quel était l' état de 1'Italie. Sans la guerre que la
France a faite, tel iI serait encore. Nous entendriol1s tou-
jours les artistes et les poetes nous réciter des élégies ins-
pirées par cette terre de la mort; l~s élégies aujourd'hui
sont finies ; ce beau pays n' est plus la terre de la mort, c'est
la tene de la vie. Un peuple y grandit, qui a, sans doute,
les inexpériences et les défauts de la jeunesse, mais qui a
aussi sa force, ses espérances et son avenir. (Tres-bien!
tres-bien !)


Voyons maintenant, apres que la guerre a été arretée
par la paix de Villafranca, ce qui s'est passé. Je vous de-
mande de vouIoir bien m'écouter ici avec une attention par-
ticuliere; je vais vous faire bien saisir comment s' est pro-
duit le phénomEme ele l'unité italienne.


L'Emperear, ayec une bonne foi parfaite, voulut réaliser
une fédération. Une fédération! mais comment? Cette fé-
dération devait se constituer entre le royaume de Naples
,-assal de rAutriche, la Toscane vassale' de l'Autriche, le
duc de ModEme vassal de l'Autriche, le duc de Parme vas-
sal de 1'Autriche, la. cour de Rome dont les espérances
étaient toujours tournées vers Vienne, et qui venait d'en
obtenir ce concordat inou'i qui prouve que les prétentions
ultramontaines ne survivent pas seulement sur le parche-




314 nÉMoCRATIE El' LIBERTÉ


min de l'encyclique. De plus, dans cette confédération, a
coté de ces serfs de l'Autriche devait se placer Venise, e'est-
a-dire l'Autriehe elle-meme. Supposez done, messieurs, que
l'ItaJie eut eu la démence fatale d'aeeepter eette fédé-
ration ...


QUELQUES VOIX. Comment! e'est l'Empereur qui la pro-
posait! (Bruit.)


M. ÉMILE OLLIVIER. Je ne veux point répondre aux in-
terrupteurs. Ils savent bien que je n'ai point l'habitude de
caeher des épigrammes dans mes paroles. Je les prie done
de me laisser suivre mon raisonnement. (Parlez! parlez!)


Si l'ltalie avait eommis la faute déplorable d'aceepter la
confédération que nous luí offrions, savez-vous ee qui seraít
arrivé? Nous serions allés en ltalie pour y détruire l'in-
fluenee de l' Autriche, que les traités de Vienne avaient
établie a notre porte avec le roi du Piémont, son ami alors,
comme une tete de pont, par laquelle la coalition pouvait
déboueher sur Toulon et sur Lyon; et apres avoir perdu cín-
quante mille soldats sur les ehamps de bataille de Magenta
et de Solferino, nous auríons laissé l'Autriehe plus forte,
plus puissante qu'avant la guerre! (Al)probation sur plu-
sieurs bancs.)


Je n'hésite pas a le dire, l'Italie nous a prouvé sa re con-
naissanee en éeartant de nous ce malheur, en n'aeeeptant
pas le traité de Villafranea, en le déehirant. Quel speetacle
elle a donné alors! D'un bout de la Péninsule a l'autre, on
vit un peuple tout entier saisi d'un esprit de prévoyance po-
litique si admirable que, dans le moindre citoyen, on eut pu
supposer qu~lqu'un ayant lu et médité Machiavel. On vit ee
peuple tout entier proclamer 1'unité, eomme par suite d'une
inspiration soudaine. Et ses chefs et ses guides ne furent
alors ni Mazzini, ni Garibaldí, ni personne autre du partí
d'aetion, du partí qui avaít eon<;u, propagé la doctrine.
Non, l'unité fut adoptée, protégée, réalísée par ceux qui,
jusque-la, g'étaient montrés ses plus intraitables adver-
saires. Ce furent les Manin, les Salvagnoli, les Ricasoli, les
Peruzzi, qui tous avaient passé la plus grande partie de leur




SUR LA QUESTION ROMAINE 315


vie a lutter contre l'idée de l'uuité, a soutenir qu'elle était
irréalisable; ce furent ces hommes qui avaient, par leurs
écrits ou leurs conseils, entrainé l'Empereur a tenter une
confédération, ce furent ces hommes qui, cessant tout a
coup de combattre les doctrines de Mazzini, assurerent leur
triomphe; ce furent eux qui, éclairés par le danger immi-
nent, comprirent qu'il fallait résolument opérer un de ces
revirements subits qui honorent et illustrent ceux qui n'hé-
sitent pas a les opérer quand la conscience les dicte et que
l'intéret public les exige. Aussitot sur toutes les levres, sur
ceUes des femmes comme sur celles des enfants, dans la
bouche des jeunes gens aussi bien que dans celle des vieil-
lards, en Piémont comme en Toscane, comme dans les du-
chés, un cri ullanime s'éleva : Unité! unité! Et l'unité ita-
lienne fut faite! (Tres-bien! tres-bien !)


Voila son origine. Elle n'est l'amvre de personne; elle a
été fatale, nécessaire, et j'ajoute, elle est bienfaisante. Et,
en vérité, je ne pouvais contenir mon étonnement, lorsque
j' entendais l'honorable M. Thiers nous di re : Qu'y a-t-il de
commun entre les différentes provinces italiennes? Qu'y
a-t-il de commun entre Naples assise au bord de la mer,
Florence couchée au pied des Apennins, et Venise étendue
le long de ses lagunes? Mais leurs peintres n'ont-ils pas un
génie opposé? n'obéissent-ils pas a une inspiration diffé-
rente? le ciel, le génie, tout ne les sépare-t-il pas? Com-
ment leur réunion dans une unité ne serait-elle pas factice?


L'honorable M. Thiers s'est chargé lui-meme de répondre
a son interrogation, lorsqu'il vous a dit, dan s une autre
partie de son discours, voulant peindre la haine que les Pié-
montais, selon lui, inspiraient aux. Napolitains, qu'on les ap·
pelle Tedesclti, Autrichiens, ce nom détesté par tous les Ita-
liens! Qu'il ne me demande plus ce qu'il ya de commun entre
les Italiens! Ce qu'il y a de commun, c'est la haine pour
l'étranger, cette haine que tout enfant qui ouvre les yeux en
Italie apprend dans les yeux. de sa mere, qui, plus tard, se
fortifie par la lecture de Dante, de Pétrarque, de Machiavel
ou d'Alfieri. Ce qu'il y a de commun entre les Italiens, e' est




316 DÉMOCRATIE ET LIBERTÉ


le désespoir de la patrie divisée, foulée sans pitié par l'op-
presseur étranger. Ce qu'il y a de commun entre les lta-
liens, c'est la similitude des joies et des douleurs; c'est la
tristesse dans tous les CCBurs a l'anniversaire de Novare; la
joie sur tous les visages a l'anniversaire de Magenta, de
Solferino et de San Martino. Ce qu'il y a de commUll entre
les Italiens, c'est l'horreur des mís8res d'hier a coté des
souvenirs du passé glorieux et des espérances de l'avenir.
Voila ce quí, malgré les différences de munícipalités, de
dialectes. de législations, de gouvernements, a réuni tous
les Italiens dans un meme sentiment, ce qui les a jetés dans
une meme actíon. (Tres-bien! tres-bien!)


Comment, avant de présenter cet argument, l'honorable
1\1. Thiers n'a-t-il pas songé qu'il ya, je ne dis pas un siecle,
mais seulement cinquante ans, Oll aurait pu appliquer a la
France le meme raísonnement q u'il venait d 'invoquer si
inexorablement contre l'Italie? N'aurait-on pas pu dire
alors: Qu'v a-t-il de commun entre l'Alsacien et le Pro-


,;


venc:al? - L'honorable M. Thiers sait tres-bien que, dans la
ville qui s'honore de lui avoir donné le jour) il n'y a pas
bien longtemps, on disaít, en parlant de ceux qui sont de
París: Ce sont des Franyais! par oppositíon aux habitants
du pays qui restaíent des Provenºaux. - Qu'y avaít-iI de
commUIl, je le lui demande, iI y a cinquante années, entre
le Breton, qlli aujourd'hui entend a peine notre langue, et
l'habitant du Languedoc,qui alors ne la comprenait guere
plus? N' est-ce pas précisément cette harmonie q ui nait (lu
mélange des contraires, ce qui constitue la beauté et la
vitalité de l'unité franc:,aise? N'est-ce pas cette vigueur
qui résulte de l'uníon des diversités? Les races les plus
variées ne se sont-elles pas rencontrées et melées sur
notre sol? L'élément germain n'est-il pas venu rajeunir,
corriger, perfectionner-l'élément gaulois, puis l'élément ro-
main, qui constituent notre fond? S'iI en était autrement,
serions-nous devenus la nation sympathique, la nation dont
le génie rayonne de tous cótés, la nation qui attire a elle et
exerce son prestige sur le monde entier? (Approbation.) Ce




SUR LA QUESTION ROMAINE 317


qui fait notr-e grandeur, notre force, notre charme, fera
aussi la force, la grandeur et le charme de l'Italie. (Tres-bien!.
tres-bien !)


L'honorable M. Thiers a dit qu'une autre considération
de nature a faire envisager l'unité de l'Italie comme un mal,
c'était que cette unité formait un obstacle a notre alliauce
intime avec l'Autriche. Oh! je m'excuse de mettre sans
houte mon expérience limitée a coté de la longue exp8-
rience et du talent de M. Thiers; mais qu'il me permette
de lui dire que mon etre entier se souleve contre son affir-
mation. Soit que je revienne sur le passé, soit que je consi-
dere le présent, mon etre entier s'insurge contre cette
pensée que les destinées de la France soient attachées a
l'alliance intime avec l'Autriche. (Mouvement.)


Tous nos grands rois, Henri IV comme Louis XIV, ont eu
pour poli tique d'abaisser la maison d'Autriche. Quel histo-
rien n'a blamé cette malheureuse guerre de Sept ans, due a
raccord capricieux de deux femmes, qui nous enlevait a
l'alliance de la Prusse pour n011S engager dans celle de
l'Autriche? Si j'avance et que j'arrive au premier Empire,
un sentiment populaire encore vívant ne m'avertit-il pas
que les malheurs de la France ont commencé au jour OU elle
a mis sa main dans la main de l'Autriche? (Approbation sur
quelques bancs.) Si j'avance encore plus, est-ce que je ne
trouve pas dan s les remarquablesinstructions que LouisXVIII
envoyait aux plénipotentiaires du congres de Vienne, que
le premier but de la France devait etre d' empecher que
l'influence de l'Autriche ne devlnt prépondérante en ltalie?
Si j'avance encore plus, et que j'arrive a un souvenír en-
core bien vivant de ma jeunesse, que j'arrive au regne de
Louis - Philippe, ne puis-je pas dire que, lorsqu'apres
l'affaíre des mariages espagnols, l'alliance autrichienne
s'est substituée a l'alliance anglaise, elle n'a guel'e porté
bonheur a Ceux qui s'y engageaient? Si enfin je considere
le présent, est-ce que je n'ai pas le droit de dire que,
tant que la politique fraw;aise sera de faciliter partout
l'essor des nationalités, d'aider partout ce mouvement qui




318 nÉMoCRATlE ET LIBERTÉ


amene les peuples a asseoir sur des bases nouvelles leur or-
ganisation intérieure, il ne saurait y avoir une amitié du-
rable et sincere entre l'Autl"iche et nous? Pour que nous
nous rapprochions de l' Autriche, il faut que la V énétie ait
cessé de tendre vers nous ses mains suppliantes, il faut
que la Hongrie ait cessé de souffrir et de gémir. Nous
sommes dans la nécessité malheureuse de voir souffrir ces
peuples sans les assister, mais du moins donnons-leur cette
consolation de ne pas nous allier avec ceux quí les oppri-
ment. (Nouvelle approbation.)


11 reste le dernier argument de l'honorable M. Thiers :
L'unité italienne est une menace pour la France, pour la-
quelle la sage politique doit consister a empéeher les petits
de devellir forts et les grands de devenir dominants. J e ré-
ponc1s en employant une expression, dont je n'anrais pas
l'impolitesse de me servir s'il ne m'en avait donné l'exemple,
je réponds que c'est de la vieille politiqueo (Assentiment sur
plusieurs bancs.) Je ne puis, quant a moi, placer la gran-
'deur de la France dans l'abaissement et dans la faiblesse
des autres nations. (Tres-bien! tres-bien!) Je ne puis croire
que pour étre forte elle ait besoin d' étre entourée el'une
ceinture c1'États faíbles; j'ai cet orgueil pour elle c1e croire
qu'elle peut étre grande entre les grands. (Tres-bien! tres-
bien !)


Mon argumentation est terminée sur la premiere partie
da c1iscours de l'honorable M. Thiers. Je mp, résurne en di-
sant que j'approuve la convention du 15 septembre, sous ce
premier rapport, qu' elle consacre d'une maniere détiniti ve
l'unité italienne.


J'arrive a la seconde partie de la question, a la partie la
plus délicate, a celle quí concerne l'influence que la con-
vention italienne exercera sur le pouvoir temporel du pape.
Poul' s'en rendre compte, il est nécessaire de préciser, avec
plus d'exactitude que ne l'a fait l'honorable M. Thiers, la 8i-
tuation dan s laqueUe on se trouvait, en Italie, relativemellt
a la question romaine, lol'sque la conyention du 15 sep-
tembre a été concIue.




SUR LA QUESTION ROMAINE 319


Deux opinions se partageaient les esprits. La premiere
était celle du parti unitaire italien. Elle consistait ~L dire :
Rome appartient a l'Italie. Dans tous les pays OU l'on pro-
nonce la langue italienne, le droit de la nationalité pré-
existe; et que les habitants le veuillent ou qu'ils s'y oppo-
sent, sans qu'on ait hesoin de les consulter, tout pays
circonscrit dans le territoire italien est italien. C' était la
doctrine de Mazziní, de Garibaldi et de ce qu'on appelle le
parti d'action.


Le partí modéré, celui des hommes politiques attachés a
M. de Cavour, aboutissait au meme résultat, mais par un
chemin et des arguments tout différents. M. de Cavour, qui
était un homme d'État de premier ordre, ne se piquait pas
de faire des théories; il se contentait de poursuivre son but
par les moyens qu'il croyait les mieux adaptés aux circons-
tances. Or, il avait cru, a tort se Ion moi, qu'il faciliterait et
haterait la solution de la qllestion romaine en affirmant que
la possession de Rome était nécessaire a l'Italie, que sans
Rome, l'unité italienne, ayant un corps sans tete, ne pour-
rait se réaliser, au grand détriment de la sécurité euro-
péenne. Il demandait done Rome, comme le parti d'action,
mais seulement en vertu d'une prétendue nécessité poli-
tique, tandis que les unitaires purs la réclamaient au nom de
leur principe de la naüonalité.


Tant que la questioll restait posée dans ces termes, il
était bien évident qu'aucune transaction ne pouvait interve-
nir entre la France et l'Italie. Aussi combien de fois, cau-
sant avec les hommes d'État italiens, mes amis, ne leur ai-je
pas dit : Votre politique est mauvaise! Vous croyez dire
quelque chose d'irrésistible en invoquant les nécessités de
vatre unité. Mais vous allez vous attirer de la part des ca-
tholiques une répanse formidable et qui sera sans réplique.
La nationalité italienne veut Rome, vous diront-ils : eh
bien, la catholici té ne peut s' en passer. Et il est certain
que si, pour prononcer entre les deux prétentions, la rai-
son d'État doit etre seule consultée, l'intérét du catholi-
cisme, ne serait-ce que par le nomhre de ses adhérents,




320 nÉMOCRATIE ET LIBERTÉ


l'emportera sur celui de l'Italie. Tant que vous poserez la
question dans ces termes, vous la rendrez insoluble; elle ne
pourra faire uri pas, et vous serez toujours condamnés;\ des
déclamations creuses ou a des attentes stériles. Le moyen
de sortir d'embarras n'est pas la. Il est dans l'acceptation
de cette maxime que le pape a une souveraineté, que vous
devez reconnaitre, accepter, protéger, a une condition~ c'est
qu' en retour elle sera placée dans la condition ordinaire de
toutes les souverainetés humaines. Voila la solution, leur
disais-je, elle est la et pas ailleurs. (Mouvements divers.)


S'il me fallait un argument pour confirmer la these que je
posais ainsi et que je reproduis devant la Chambre, le dis-
cours de l'honorable M. Thiers lui-meme lne le fournirait.
N'a-t-il pas reCOllllU, apres avoir soutenu qu'on ne pouvait
rien en général contre la souveraineté temporelle du pape,
que cependant, si on le saisissait dans une alliance avec nos
ennemis, on pourrait exercer les droits légitimes que don~e
la- guerre? C' était, en effet, difficile ú contester apres le
traité de Tolentino, qni supprime une grande partie des
possessions du pape, en présence des mouvements d'accrois-
sement ou de diminution opérés a diverses époques dans l~
patrimoine de saint Pierre.


La convention du 15 septembre n' est plus maintenant clif-
ficile a expliquer : la souveraineté temporelle du pape 1'e-
connue, mais replacée aussitüt dans les conditions de toutes
les souverainetés, voila en deux mots ce qu'elle signifie.
Elle repousse la solution des unitaires et de ~r. de Cavonr ;
elle obtient de l'Italie la déclaration que désormais l'Itali8
ne prétendra plus a Rome en vertu du droit des nationa-
lité s ou en vertu de la nécessité de sa constitution inté-
rieure. ~lais en échange, elle reconnalt que la souveraineté
temporel1e du pape sera désormais dans la condition des
souveraiuetés ordinaires.


Voila la véritable signification de la convention du 15 sep-
tembre; aucune autre interprétation n' est soutenahle. Cette
convention sigllifie ce que je viens de dire ou elle ne si-
gnifie rien. Ce qui embrouille cette question, c'est qu'en




STJR LA QUESTION ROMA1NE 321


l' examinant, les esprits courent tout de suite aux extrémités
et recherchent les conséquences. N ous y viendrons. Dans ce
moment, ne nous occupons que de l'acte lui-meme. Pour le
comprendre, je me suis bien gardé de m' occuper des inter-
prétations de M. Drouyn de Lhuys, qui s'est en effet trouvé
bien embarrassé pour concilier sa politique d'il y a deux ans
avec sa politique de cette année. Je ne me suis pas davan-
tage occupé des interprétations des ministres italiens quí
éprouvaient un non moindre embarras a mettre d'accord
leur poli tique unitaire avec leul' politique nouvelle. J'ai
laissé de coté, je ne veux pas dire les bavardages, mais les
phrases obscures a dessein des ministres embarrassés de
France et des ministres embarrassés d'Italie. J'ai interrogé
la convention en' elle-meme, je l'ai examinée, abstraction
faite de tout commentaire. Quiconque imitera mon exemple
arrivera aux me mes conclusions et sera contraint de recon-
naitre que la convention dn 15 septembre ne peut signifier
que ceci : l'Italie n'a pas un droit particulier sur Rome, mais
la catholicité n'a pas davantage un droit particulier et ex-
ceptionnel sur cette yille. (Mouvement prolongé en sens
divers.)


Je n'ai aueune contradietion a concilier, je n'ai jamais
varié dans mon opinion ; je puis done sans ambages dire a la
Chambre ce que je vois; et ce que je vois, c'est que la con-
vention ayant écarté toutes les prétentions excessives, le
patrimoine du saint-siége n'appartiendra ni aux catholiques,
ni aux Italiens. Il constituera une souveraineté indépen-
dante sur le sort de laquelle n'auront plus a se prononeer
que le pape et ses sujets. (Rumeurs diverses.)


Un mot maintenant sur les garanties stipulées. L'Italie
s' est interdit toute attaque contre la souveraineté reconnue
indépendante du saint-siége; et iI ne s'agit passeulement
desattaques venant d'elle, mais aussi des attaques de tout
corps irrégulier, et meme de ces menées que M. Thiers a
reproché á tort a l'Italie de se réserver, sous les expres-
sions d'action morale du progre s , d'aspirations nationales.
Si l'Italie a recours aux armes pour troubler le territoire


21




nÉMoCRATIE ET 1..TBERTÉ


pontifical, si elle permet l'envahissement de bandes ar-
mées, si elle Qnvoie des agents révolutionnaires dans le but
de soulever les populations, elle violera la cOllvention, elle
manquera au devoir qu'elle s'est imposé de ne pas attaquer
et d'empécher qu'on n'attaque le patrimoine du saint-siége.


Telles sont les garanties extérieures.
Les garantíes intérieures que .la convention a établies ...


(Bruit.) Si la Chambre est fatiguée, je m'arreterai. (Non,
non! - Parlez! parlez !) J e tache de retrouver les idées
que je viens d'entendre exprimer; je demande pardon
a la Chambre d'etre si long ... (Parlez! parlez!) Je disais
que les garanties intérieures que la convention du 15 sep-
tembre assure uu saint-siége sont les suivantes : La faculté
pour lui de se décharger d'une portion de sa dette", plus
le droit, sans avoir a subir aucune réclamation de la part
de l'Italie ,de constituer une armée pour protéger l' ordre
intérieur dans ses États.


Apres avoir examiné la convention dans son ensemble, je
recherche ses conséquences. Que produira-t-elle? Sauvera-
t-elle le pouvoir temporel, ou bien le perdra-t-elle? Je n'en
sais rien ... (Interruption prolongée.)


UN MEMBRE. C'est pourtant la question!
U N A UTRE MEMBRE. Vous devriez le savoir!
M. ÉMILE OLLIVIER. Je n'en sais rien ... (Nouvelle inter-


ruption.) Cela dépendra de la bonne ou de la mauvaise con-
duite du gouvernement du pape. (Rumeurs confusas.) Je de-
manderai encore la. preuve de mon opinion au discours de
l'honorable M. Thiers. L'honorable M. Thiers a dit que, s'il
contestait le droit des Romains a l'indépendance, du moins
reconnaissait-il qu'ils avaient le droit qui appartient a tout
pel1ple d'etre bien gouverné. Mais qu'est-ce que signi,re
cette formule: etre bien gouverné? M. Thiers lui-meme me
l'apprendra encore. Il l'a dit dans un discours mémorable,
prononcé l'an dernier devant vous : étre bien gouverné,
c'est avoir les libertés nécessaires, liberté de la presse,
liberté de3 élections, liberté parlementaire, etc. POllrq Iloi
M. Thiers a-t-il appelé ces libertés " libertés nécessaires "?




SUR LA QUESTION ROMAINE 323'


Est-ce simplement pour donner plus de force a son attaque·
contre le Gouvernement? Non. 11 les a nommées ainsi, d'Ull
nom qui leur restera, paree qu'il pense qu'en effet, au dix-
neuvieme siecle, en Europe, aucun gouvernement civilisé
ne peut exister dignement sans ces libertés. Or les libertés
nécessaires existent-elles aRome? Je ne répondrai pas moi-
meme, ma réponse pourrait etre contestée. J'interrogerai
le témoignage d'un des catholiques les plus iIlustres, les
plus libéraux et les plus purs, les plus dignes d'admiration
qui aient existé; j'interrogerai le pere Lacordaire, l' élo-
quent prédieateur et l'éminent éerivain : " Le gouverne-
ment du pape, dit-il, et c' est son infirmité, est un gou-
vernement d'aneien régime, " c' est-a-dire, messieurs, un
gouvernement qu{ n'accorde pas les libertés néeessaires.


La eonséquence va de soi. Les destinées de la papauté' ne
sont ni dans les mains de la France, nidans les mains de
l'Italle; elles sont dans ses propres mains.


SUR PLUSIEURS BANCS. Tres-bien!
M. ÉMILE OLLlVIER. Si le pape se conduit se10n les regles


imposées a tous les gouvernements civilisés au dix-neuvieme
siecle, s'íl donne a son peuple les satisfaetions qu'il a droit
d' exiger, s'il lui concede les libertés nécessaires, le pouvoir
temporel pourra durer. Mais si le pape s'obstine dans une
résistance qui dure déja depuis plus de dix-sept ans; s'íl se
refuse aux eOllseils quí luí viennent non-seulement des libé-
raux comme M. Thiers, mais des catholiques comme M. de
Montalembert; si, au líeu d'accueillir les prieres de ses en-
fants pieux et dévoués, il leur répond par des aetes comme
l' encyelíque, qui déconcertent toutes les espérances et
troublent toutes les consciences, dan s ce cas le résultat de
la convention du 15 septembre sera tot ou tard la chute du
pouvoir temporel, et alors, quant a moi, j'applaudirai a
cette chute. (Mouvemellts divers.)


Mais je veux exprimer ma pensee jusqu'au bout.
L'honorable M. Thiers a dit qu'il était entrainé a dé-


fendre le pouvoir du pape surtout par cette considération
que les destinées de la liberté paraissaient attachées a son




324 DÉMOCRATlE ET LIBERTÉ
maintien. Je lui réponds que, si le gouvernement temporel
du saint-siége ne se réforme pas, s'il reste dans les doc-
trines de l'ellcyclique, les intéréts de la liberté réclament
que sa chute ne 80it pas empechée. J'ai entendu l'honorable
M. Thiers, --etren ai été étonné de la part d'un esprit doué
d'une telle sagacité politique, - dire que l'encyclique était
un acte regrettable. La cour de Rome, messieurs, se com-
pose d'hommes éminents, d' esprits· prudents et perspicaces
qui pesent leurs actes. Le siége de Saint-Pierre est occupé
par un des pontifes les plus vénérables qui aient jamais porté
la tiare, et il ne fait pas des actes qu'on puisse qualifier de
regrettables. L'encyclique n'est pas un acte regrettable,
c'est un acte de nécessité. (Interruption.)


Oui, messieurs, un acte de nécessité ... et voici pourquoi.
Le gouvernement temporel du saint-siége est un gouverne-
ment théocratique et absolu. Tant qu'il a été entoUl'é, dans
l'Europe elltiere, ae gouvernements qui avaient le meme ca-
ractere que lui, illeur a été préférable parce qu'il était a la
fois plus humain et plus progressif qu'eux. Le jour, au con-
traire, ou tout autour de lui les gouvernements absolus ont
été remplacés par des gouvernements constitutionllels et
libres, le gouyernement temporel du saint-pere, qui était le
premier en civilisation, est devenu le dernier; et alors a
surgí pour lui cette nécessité inévitable, ou bien de changer
son propre systeme pour se conformer aux nouveaux prín-
cipes en vigueur autour de lui, ou bien de condamner, d'ana-
thématiser et, s'il pouvait, de détruire les systemes nou-
veaux dont l'application était la condamnation du sien.


PLUSIEURS MEMBRES. C' est vrai!
M. ÉMILE OLLIVIER. De la, messieurs, - car aRome on ne


fait rien légerement, - de la cette nécessité pour tous les
papes qui se sont succédé depuis la révolution fran<;aise,
cette nécessité pour Pie VI, cette nécessité pour Pie VII,
cette nécessité pour Grégoire XVI, cette nécessité pour
Pie IX, de faire chacun une encyclique dans laquelle, re-
prenant exactement la doctrine des prédécesseurs, ils con-
damnent la civilisation moderne, les idées de la révolution,




SUR LA QUESTION ROMAINE 325
les principes nouveaux. Le pouvoir temporel ne pouvant ou
ne voulant pas se réformer, iI faut bien, s'jI ne veut pas etre .
détruit légitimement, qu'iI censure les principes qu'on in-
voque pour forcer sa résistance. Voila pourquoi l'encyclique
n'est pas un acte regrettable, mais un acte nécessaire. Cette.
nécessité projette sur la situation du catholicisme, sur la
situation politique du pouvoir pontifical une lueur qu'iI a bien
fallu voir. Et quant a toutes ces atténuations, toutes ces chi-
canes de mots, tous ces commentaires auxquels personne ne.
croit, ils n'ont pu détruire dans l'opinion publique l'émotion
profonde du premier momento


Pour que l'argumentation de M. Thiers soit vrai, il faut
que le souverain de Rome soit amené, par les exigences de
ses sujets ou par tout autre événement, a avoir besoin de la
liberté. Alors, soyez-en certains, les encycliques changeront
de ton. Gn y retrouvera le lallgage du P. Lacordaire, et non
celui de M. Veuillot. Elles deviendront des affirmations de
la liberté. Alors iI ne sera pas au monde un esprit libéral,
quelles que soient sa foi, sa rtature, sa communion reli-
gieuse, qui ne soit disposé a devenir, selon le conseil de
M. Thiers, un défenseur du pontife auguste et désarmé, quí
représentera alors véritablement pour la conscience humaine
la liberté dans sa plus haute et sa plus sainte expression.
(T.res-bien! tres-bien!) .


Que ce jour vienne, je l'appel1e de toutes les ardeurs de
mon áme et je le saluerai avec émotion. Je ne désespere
pas de le voir se lever. Ceux qui examinent superficielle-
ment le monde physique ou moral n'y aper~oivent qu'anta-
gonisme; ceux qui l' étudient profondément n'y découvrent
qu'harmonie. L'apparence est· que les forces répandues de
tQutes parts se heurtent pour s' entre-détruire; la réalité est
qu'elles se heurtent pour se contenir 1 afin que de leur équi-
libre résu1te l' ordre final. Quand la lutte est trop bruyante
et trop prolongée, c'est que la fQrme n'est point encore
trouvée, dans laquelle l'accord se réalisera. Il n'y a aucune
incompatibilité radicale qui empeche la religion de se conci-
lier avec la liberté. Cette conciliation aura líeu. La religion




~26 DÉMOCRATIE ET LIBERTÉ
et la liberté sont eomme deux flammes qu'on ne peut pas
éteindre : l'une éelaire les espéranees de la cité future,
l'autre éelaire les travaux de la eité présente. Elles s'uniront
un jour; et alors, messieurs, il en résultera une elarté nou-
velle et éclatante dont le monde sera réjoui! (Tres-bien!
tres-bien! - Applaudissements sur plusieurs banes.)






XXVI


STJR LES SENTIMENTS DES CLASSES OUVRltRÉS
RÉPONSE A M. MARTEL


(22 juin 1865)


Messieurs,


Il est toute une partie de l'argumentation qui vient de
vous etre soumise par l'honorable M. Martel, a laquella,
pour ma part, je n'ai a faire aucune objection. Il a eu
raison de dire qu'il était nécessaire de répandre par tous
les moyens possibles, dans ]e peuple, l'instruction et la
connaissance des saines doctrines économiques. Le moyen
qu'il a proposé peut contribuer dans une certaine mesure
a ce résultat fort souhaitable. Je ne le combats pas; seule-
ment je me permets de lui faire remarquer que, si la situa-
tion est dans notre pays telle qu'il l'a dépeinte, il y a une
effrayante disproportion entre le mal qu'il dénonce et le
remede qu'il propose. (Mouvement.)


Si nous sornmes véritablement en état de guerre sociale
sourde; si dans les classes ouvrieres, sous les formes les
plus diverses, existent, se fomentent, se répandent, éclatent
les doctrines les plus subversives, les plus menaºantes, et
pour notre industrie, et pour l'ordre, et pour les principes




328 DÉMOCRATIE ET LIBERTÉ


sans lesquels il ne peut pas exister de société durable, oh!
assurément, que l'honorable M. Martel me permette de le
lui dire, ce n'est pas en exemptant du timbre quelques bro-
chures qua les ouvriers ne liront pas, qu'il aura conjuré cet
immense danger social. (C'est vrai! - Tres-bien! tr.es-
bien !)


Aussi je regrette profondémellt que, pour justifier une
mesure d'aussi mince importance, un esprit aussi loyal, aussi
juste, et aussi distingué que l'honorable M. Martel, se soit
laissé entralner a exprimer des terreurs auxquelles il croit,
car sans cela il ne les aurait pas manifestées, mais que dans
ma conscience, et avec une conviction profonde, je consi-


. dere comme tres-exagérées, sinon comme dénuées de fon-
demento


UN MEMBRE. Ce sont des faits!
M. ÉMILE OLLIVIER. Non, messieurs, iI n'est pas exact de


di re qu'il y ait en ce moment-ci, dans l'esprit des classes
ouvrieres, cette perturbation et ce désordre profond qu'on
vient d'indiquer. Oh! sans doute, je ne le nie point, il existe
dans le peuple une véritable ignorance de certaines Iois
économiques; mais, je vous le demande, est-ce seulement
parmi les cIasses ouvrieres qu' on peut regretter cette igno-
rance? Lorsqu'on discute les questions de traitós de com-
merce, les questions de tarifs, ne se manifeste-t-il pas ail-
leurs que dans le peuple des erreurs et des préjugés que la
science économique condamne, et que la saine théorie n'ap-
prouve pas?


M. MARTEL. Je l'ai dit.
M. ÉMILE OLLIVIER. Je ne prétends pas que vous ne I'ayez


pas dit. L'honorable M. Martel a cité, et iIles a condamnées
avec raison, certaines prétentions excessives qui se sont
produites et ont momentanément triomphé dans certaines
greves. Je pense comme lui, et je n'ai pas attendu cette
occasion pour le dire; il Y a longtemps que j'ai exprimé


. cette opinion a ceux memes qui mettaient en avant des pré-


. tentions exagérées, et qui venaient me demander mon avis.
Mais, a cause de quelques prétentions exagérées, est-il




SUR LES SENTIMENTS DES CLASSES OUVRIERES 329


juste d'oublier ta,nt de greves conduites avec calme et)ns-
pirées par la justice r Il y en a eu un grand nombre, a Paris
notamment; je les ai suivies avec beauco-up d'attention, et
je ne crains pas de soutenir qu'en général elles ont révélé la
sagesse des c1asses ouvrieres et démontré le progres qui
s'accomplit dans leur esprit. (Réclamations sur plusieurs
bancs.) .


Je vais vous dire en quoi consiste ce progreso (Nouvelle
interruption. - Parlez! parlez!)


En 1848, toutes les manifestations des c1asses ouvrieres
se distinguaient par des caracteres toujours les memes et'
qu'on peut résumer ainsi : des blasphemes contre la concur-
rence, la haine de la liberté, le recours a l'État pour en
obtenir ce que les ouvriers appelaient une protection et ce
que j'appellerai, moi, une oppression sur tous a leur profit.
Examinez, au contraire, les manifestes actuels de la classe
ouvriere, examinez tous ses actes, scrutez l'expression pu-
blique ou secrete de ses pensées : voús y verrez le principe
de la libre concurrence accepté et affirmé p~rtout; vous y
trouverez partout la légitimité de la liberté reconnue et affir-
mée. (Rumeurs.)


M. DELAMARRE. Dans les paroles, mais pas dan s les
,actes!


M. ÉMILE OLLlVIER. Partout vous y trouverez cette con-
viction, que les ouvriers ne doivent compter, pour améliorer
leur situation, que sur leur propre énergie, sur leur pré-
voyance, sur leur bonne conduite, et nullement sur le secours
de l'État. Et enfin, messieurs, vous y trouverez ce qui
devrait rassurer certaines sllsceptibilités dans cette assem-
blée: l'éloignement le plus réel pour les greves, si ce n'est
quand on y est contraint; le sentiment le plus vif de ce
qu'elles ont de regrettable, et, dans certains cas, de déplo-
rabIe .
. Oui, messieurs, a l'heure oü je parle, des brochures se


publient, brochures que je regrette que mon honorable,col-
legue et ami M. Martel n'ait pas lues, brochures dans 1es-
quelles des ouvriers démontrent avec un véritable ta]ent a ~.;
jf~'" .


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330 DÉMOCRATIE ET LIBERTÉ
leurs camarades qu'ils ne doivent pas trop se confiér aux
promesses trompeuses des greveR.


A coté des paroles, voyons les actes, puisque j'entends
dire que les sentiments que je signalais étaient dans les
paroles, et non pas dans les actes.


M. DELAMARRE. e'est moi qui l'aí dit!
M. ÉMILE OLLIVIER. Les actes sont en général conformes


,aux paroJes.
Dans ces classes ouvrieres, il se produit, en ce moment-ci,


un mouvement admirable. (Exclamations et mouvements
divers.)


M. DARIMON. Ceux qui le nieraient ne connaitraient pas
les populations ouvrieres.


M. ÉMILE OLLIVIER ... Un mouvement admirableet digne
,de toute approbation. (Nouvelles exclamations.)


QUELQUES VOIX. Attendez! attendez le silence!
M. ÉMÚ.E OLLIVIER. Je ne me laisserai pas arreter par les


interruptions, et je dirai ma pensée tout entiere sans l'exa-
gérer, mais aussi san s l' amoindrir. (Tres-bien!) ... Un mou-
vement admirable, digne de toute approbation : (j'est le
mouvement des associations ouvrieres.


On peut différer d' opinion sur les associations ouvrieres,
soit au point de vue économique général, soH au point de
vue de leur aptitud e a s'adapter aux faits de la production
- et je ne voudrais pas, par des paroles imprudentes,
inspirer des espérances exagérées - mai9 quoi qu'on pense
des associations ouvrieres en elles-memes, iI est impossibIe
de nier qu'elles ne soient jusqu'a présent pour I'ouvrier une
:~xcitation a la bonne conduite, a la prévoyance, a I'épargne,
-€t un moyen qu'il a saisi avec empressement d'éJever son
niveau moral et matériel. Allez dans les ateIiers, mettez-
vous en contact avec ceux qui dans le peuple se préoccupent
·de ces pro bIemes; tous vous diront : N ous voulons tuer la
greYe par l'association. Grace a l'association, nous voulons
-que. le travail ne soit plus interrompu, ni par le ch6mage
volontaire que provoque la greve, ni par le chómage forcé
.qu'entraine la crise industrielle. Est-ce la un mouvement de




SUR LES SENTIMENTS DES CLASSES OUVRIlmES 331


guerre sociale? Est-ce la un mouvement de désordre? et y
a-t-il vraiment líeu de s' épouvanter?


J e vous ai exposé ce q u i me sem ble la pensée de la
presque unallimité des ouvriers. (Mouvements diyers.)


Que parmi eux un certain nombre pense différemment et
agisse en conséquence, il n'y a pas a en douter. Mais est-il
légitime de s'armer, contre un mouvement en général excel-
lent, de quelques abus blamables qui peuvent. s'y meler?
Est-il juste de détruire la liberté de tous a cause des exces
de quelques-uns? Oh! en vérité, iI faudrait effacer la liberté
des langues humaines; iI faudrait s'interdire, dans 1'ordre
poli tiq ue eomm e dans l' ordre social et dans l' ordre écono-
rnique, de l'invoquer jamais; il faudrait considérer son avéne-
ment comme impossible et comme nullement désirable, si elle
devait etre rendqe responsable des paroles folles, des actes
répréhensibles, des aberrations de tout genre dont certai-
nement elle facilitera toujours 1'expression ou la réalisa-
tion. Pour juger la liberté, dans le domaine des coalitiollS
comme ailleurs, qu'on lui ouvre un compte sévere, je le
veux bien, qu'on mette a son passif tout le mal qu'elle a
perm;s, tout le mal qui sans elle n'aurait pas été possible.
j'y eonsens encore, car sans cela il n'y aurait pas de j ustice,
Mais qu'on n'omette pas, je le demande en grace, qu'on
n'omette pas d'inscrire a son actif le bien qu' elle produit,
les nobles pensées qu' elle inspire, les généreux sentiments
qu'elle provoque, les bons mouvements qu'elle suscite! Le
compte ainsi préparé, qu'on fasse la balance. Je suis sans
crainte. En matiere de coalition, comrne en matiere poli-
tique, cornme partout, 1'actif l'emportera sur le passif!
(Approbation sur plusieurs banes.)




XXVII


LETTRE ADRESSÉE A M. D ••• A L'OCCASION D'ARTICLES
I~JURlEUX INSERÉS DANS U~ JOURNAL


(11 juillet 1865)


.Mon cher ami,
En m'envoyant un numéro d'unjournal étranger qui con-


tient, dites-vous, un article plein d'insinuations contre moi,.
a propos de ma nomination comme conseil judiciaire du
vice-roi d'Égypte, vous m'engagez vive~ent a répondre;
vous citez pour m'y décider la paroJe de l'Ecriture : IJe bono
nomine cura.


J e vous remercie bien tendrement de la pensée q ui a
inspiré votre lettre, mais je ne puis me résoudre a suivre
votre conseil, et, pour ne pas en avoir la tentation, j'ai
déchiré sans le lire l'article que vous me communiquez.


La meilleure punition qu'on puisse infliger aux diffama-
teurs, c'est de ne pas s'occuper d'eux. Pourquoi leur ferait-
on une réponse? Pour les convaincre? Ils sont bien décidQS
a ne pas se rendre meme a l'évidence. Pour éclairer l'opi-
nion publique? Il n'est pas aussi aisé qu'on le croit de l'éga-
rer. Quand elle est égarée, il faut savoir attendre qu'elle se
ravise elle-meme : ce qui arrive toujours.


Un ancien a écrit un beau livre sur l'utilité des ennemis.




A L'OCCASION D'ARTICLES I~JURIEUX 333


Il n'y a pas assez insisté. Les ennemis seuls nous tiennent
en haleine, nous oblígent a tirer de notre fond tout ce qu'il
contient, a élever sans cesse notre ame, a purifier de plus
en plus notre vie, a devenir chaque jour un peu moins im-
parfait. Remercions-Ies done au líeu de les maudire. Profi-
ions de leur haine au líeu de la leur rendre .....




XXVIII


LETTRES SUR LA RÉVOLUTION FRANQAISE PAR E. QUINET


(9, 14, 19 janvier 1866)


I. - Un des traits du temps aetuel qui me frappe le plus,
e' est la dispersion intel1ectuelle dans laquelle nous vi vons
presque tous. Je découvre bien quelques groupes auxquels
on donne, beaueoup plutót qu'ils ne se le donnent a eux-
memes, le nom de partis: quand j'y regarde de PI'eS, sous
l'unité apparente je n'aperc;ois q [le dissentiments et confu-
sion. Un me me mot est prononeé d'ensemble, mais il n'est
pas une preuve d'aeeord, pas plus que ne 1'était entre les
thomistes et les jésuites, le mot de pOllvoir ]J1'ochain, qu'ils
invoquaient a la fois contre les jansénistes, aústl'al~endo aú
omni senSlt. Cependant l'isolement n' est point désirable si
ce n'est provisoirement, comme une transition plus ou moins
longue, et ron ne doit négliger aueun moyen honorable
d'en sortir, Il en est un toujours facile a pratiquer : iI con-
siste a saluer tout haut, sur quelque sillon que ron soit
eOUY'bé soi-meme, les hommes au eceur vaillant qui expri-
ment avec force des pensées auxquel1es on adhere, surtout
lorsque, par cela meme, ils s' exposent aux raneunes intolé-




LA RÉVOLUTION FRAN~~AISE PAR E. QUINET 335


rantes des vieux préjugés. Voila pourquoi je désire exprime~
puhliquement mon admiration poul' le beau livre de M. Ed
gar Quinet sur la révol ution.


Je Il'hésite pas a affirmer que ce livre sera une des dates
de la pensée démocratique. Ne l'envisageat-on qu'en artiste,
OIl ne saurait le louer assez. Depuis les travaux désormais
classiques de Tocq ueville, j e n'ai rien lu de ciselé avec
une aussi imposante simplicité. Par certains cütés, M. Quinet
l' emporte me me sur l'auteur de la IJémocraiie en Ame-riqtle.
En Tocqueville, l'p,sprit seul est en reuvre : íl scrute, dé-
couvre, cOIlseille. En M. Quinet, la passion a sa part : elle
ranime, réchauffe, élEwe, emporte. La placidité géométrique
des déductions est a tout instant interrompue par un accent
de douleur, d'autant plus poignant, qu'il est étouffé et qu'il
é~happe a l'auteur malgré lui. Tocqueville contemple sa
pensée; M. Quinet en vit et surtout il en souffre. Tous ceux
qui sont familiers avec le langage contenu des sentiments
profollds m'ont avoué que l'émotion avait plus d'une fois
interrompu leur lecture. Aussi, quoi qu'on pense des opi-
nions de l'écrivain, iI serait malaisé de refuser sa sympa-
thie a l'h'omme. Se flit-il quelquefois trompé, il faudrait
encore lUl savoir gré d'avoir, luí ami éprouvé du peugle,
osé prononcer avec indépendance sur des sectaires, que, par
crainte ou par faiblesse , par ignorance ou par erreur, on a
habitué le peuple a considérer comme ses législateurs et
comme ses martyrs.


La partie du Iivre qui a pour objet les événem ents reli-
gieux de la révolution est celle qui me semble la moins
heureuse. On y doit reprendre, a mon sens, moins les con-
clusions, bien qu' elles soient en partie contestables, que
l'indécision avec laquelle elles sont formulées. Combattant
la terreur contre les aristocrates, il eut été contradictolre
de conclure a la ilécessité d'une terreur contre les catho-
liques. Quelques passages cependant, si OIl les lisait sans pré-
caution, autoriseraient a supposer que telle a été la pensée
de l'auteur. 11 serait désirable que, dans une prochaine édi-
tion, cette série d'idées flit revue et élucidée; alors olÍ




336 DÉMOCRATIE ET LIBERTÉ


pourrait mieux la juger. La partie politique du livre me
semble au contraire irréprochable.


Il regne sur la révolution deux préjugés répandus l'un
par les conservateu!s, l'autre par les radicaux, et qui tour a
tour victorieux dans les esprits puis dans les événements,
SOllt cause qu'incapables de nous fixer, nous oscillons sans
cesse d'une résignation honteuse a une impatience folle,
semblables, selon la comparaison de Luther, a ce paysan
ivre a cheval qui ne se releve d'un cóté que pour retomber
de l'autre. Le préjugé conservateur, c'est que la révolution
a été opérée pour conq uérir la liberté civile et non la liberté
politiqueo Le préjugé radical, c'est que le jacobinisme a
sauvé la France, et qu'il reste, malgré tout, l'expression la
plus réelle, et, comme on dit dans un certain monde, la plus
llvancée du mouvement de 89. Ces deux vues sont égale-
ment inexactes.


Sans la liberté civile, j'en demeure de plus en plus per-
suadé, la liberté politique est dangereuse et inutile au
peuple ; mais aussi, sans la liberté politique, la liberté civile
n'est ni féconde ni assupée. Je trouve bien, dans l'histoire
moderne, des libertés politiques OU manquent les libertés
civiles; je n'y ai va nulle part des libertés civiles dévelop-
pées ou la liberté politique est absente. Pourquoi les asso-
ciations populaires, si prosperes au dela du Rhill, en sont-
elles encore chez nous aux tatonnements? Ce n'est pas a
cause de la différence des législations; car, tandis que notre
code, meme dans son état actuel, n'oppose aucun obstacle
insurmontable aux tentatives des ouvriers, la législation al-
lemande, défectueuse et beaucoup plus genante, leur en op-
posait de nombreux. Les ouvriers allemands n'ont pris
l'avance que grace a la liberté de la presse et au droit de
réunion dont nos ouvriers sont privés ou du moins dont'
ils ne jOUlssent qu' en ver tu d'une tolérance intermittente.


Quant au jacobinisme, il n'a pas plus sauvé la révolution
que l'inquisition n'a sauvé le catholicisme : ill'a déshonorée.
Il a jeté dans la conscience humaine une impression d'hor-
'reur 9.ui, apres tant d'années , n' est point encore effacée.




LA RÉVOLUTION FRANCAISE PAR E. QUINET 337
~


Qu'un clérieal jaeobin, eomme Joseph de Maistre, n'ait pas
refusé son admiration a nos jaeobins révolutionnaires, je le
cOn<;ois. Que des esprits loyaux, sineerement é¡)rís de la
liberté, aient pu s'assoeier a eet hommage, ou meme ne pas
protester eontre lui, e'est ce qui m'étonne toujours. Les
jacobins, il est vrai, prononeent sans eesse, avee emphase,
le nom de liberté; meme au lendemain de la loide prai,ríaJ,
ils déclarent qu'ils veulent l'a/!e1'?JÚ?', maís ce n'était dans
leur bouehe qu'un artífice de rhétorique. En réalité, ils l'ont
toujours différée, apres la mort du tyran d'abord, puis
apres la eonstitution, puis apres la paix. Ils sont, dans la
langue politique moderne, avant M. Veuillot, les inventeurs
de la libeJ,té du bien, e' est-a-dire de la liberté pour soi et
non pour les autres. Si vous n'en voulez pas croire leurs ad-
versaires, éeoutez-les eux-memes. Voiei ce que disait un des
princípaux initiés, Robespierre le jeune, en répondant aux
girondins, dans la séanee du 20 mai 1793 : " Ils ont vouIu
égarer l' opinion publique en disant qu'ils n' étaient pas
libres: quelle liberté leur faut-il done:? Ils ont été trop
libJ'es pour faÍJ'e le mal. (Applaudissements.) Plilt a JJi'eu
qu' on les elU toujOUJ'S forcés el (aire le bien.l ... Vils ealom-
niateurs, renoncez a ce systeme bas et perfide! Vous
étes lib?'es de faiJ'e le bien, vous l'arez pro1tvé en pronon-
r;ant la 'J1W?'t du tyran. " - Aux jaeobins appartient ene ore
l'honneur d'avoir inventé la fameuse distinction entre les
bOJls et les mauvais : les bons, auxquels tout est permis; les
mauvais, eontre lesquels rien n' est défendu; et e' est encore
un Robespierre, cette fois-ei 1'alné, quí a le premier pro-
noncé cette phrase homieide, rajeunie par toutes les dicta-
tures : O'est la terrellJ' du crime qui fait la sécurité de
l'innocence.


Dans la révolution, la liberté n'a été comprise, aimée,
servie que par les constitutionnels, par Mirabeau, et apres
eux, par le groupe glorieux au miIieu duquel s'éleve Ver-
gniaud. " La eonstitution, disait 1'orateur de la Gironde, a
pour objet essentiel d'assurer la libe1,té politique du peuple
et la libe?'té civile des citoyens. - La constitution aura'


22




"338 nÉMoCRATlE ET LIBERTÉ


compromis le oonheur de la société et celui des individus si
elle gene dans leur développernent les (acultés intellectuelles
des individus, ou meme si elle ne seconde pas les élans de
leur génie. " (8 mai 1793.) -Aussi n'est-ce vraiment que
de ce cóté qu'on recueille quelque chose d'imprévu et d'ori-
ginal; ailleurs, on ne retrouve que les procédés de l'ancien
régime mis au service d'intérets nouveaux. Robespierre
ll'est apres tout qu'un Torquemada politiqueo


Tout progre s sera entravé tant que les deux préjugés que
je viens de caractériser n'auront pas été déracinés. Or le
livre de M. Quinet en est une réfutation éloquente, pres-
sante, irrésistible. Il n' épargne pas plus }'un que l'autre, et il
les détruit irrévocablement tous les deux. "Si les Fran<;ais,
dit-il avec raison, n' eussent voulu que la rénovation maté-
rielle et l'égalité civile, la révolution se trouvait terminée
le 5 aout 1789. Ils poursuivaient un bien plus précieux, la
liberté; c'est pourquoi iIs se sont jetés dans la tempete. "
Il ajoute ensuite: " Une chose a perdl}. les hommes de la
révolution. Ils se sont trompés sur la puissance de la mort;
ils ont cru qu'elle finit tout; ils n'ont pas soup<:onné, au
contraire, qu'elle engendre l'immortel, et que chaque vic-
time enfante son vengeur. " Le puissant publiciste n 'admet
pas meme, a la décharge de la Terreur, la résistance a }'in-
vasion. Le mérite en revient, selon lui, a nos héro'iques ar-
mées, a nos volontaires, a nos généraux patriotf~s, aux
Hoche, aux Marceau, aux Moreau, aux ~1asséna, a,ux I3ona-
parte, et surtout a Carnot, que la proscription n'eut pas non
plus épargné si le 9 thermidor n'avait débarra~sé la con-
vention du triumvirat sinistre de Robespierre, de Couthon
et ele Saint-Just!


La tache que vient d'accomplir M. Quinet avait déja été
entreprise par d'autres. Grace a vous, Émíle de Girardin,
A Tocqueville, a M. Laboulaye, elle était terminée, en tant
qu'il s'agissait d'établir la connexion de la liberté politique
et de la liberté civile. Contre les théories jacobines, au con-
traire, le coup décisif n'avait point encore été porté. Non
·qu'on n'eut tenté de le faire ; M. Guizot, par exemple, ne




LA RÉVOLUTIO~ FRAN<;AISE PAR E. QUINET . 339


s' est pas lassé, dans sa longue carriere, de démontrer qu'au-
cun gouvernement, monarchique ou républicain, n' était
conciliable avec les idées jacobines, que, dans son langage,
il appelle les idées révolutionnaires. Malheureusement, iI a
paru croire en meme temps que la démocratie était inca-
pabIe de s'affranchir d'un teI servage, et qu' elle était des
lors fataIement condamnée, sinon a la défaite, du moins a la
stériIité. La partie erronée de sa doctrine a compromis
celle qui était vraie, et le poison jacobin a continué a s'in-
sinuer. Le pays n'en pouvait etre préservé que par des
hommes qui, ayant adopté les principes de la démocratie et
partagé ses épreuves, eussent acquis le droit de ne pas ins-
pirer d'ombrage et d'etre écoutés san s défiance. Depuis que
l'esprit pubIic se réveille~ les démocrates libéraux ont com-
pris qu'aucune CBuvre n' était plus urgente. Ils s'y sont portés
a l'envi. M. Lanfrey a commencé dans un livre qui l'a placé
parmi nos publicistes éminents; M. Quinet vient d'achever
en maUre: apres lui, il n'y aura plus a y revenir. San s
doute, il re·stera encore quelques esprits attardés qui, meme
de bonne foi, croiront aux sophismes anciens; mais la jeu-
nesse, cette jeunesse intelligente et généreuse que je sens
de toutes parts autour de moi, prete a s' élancer vers 1'ave-
nir, elle accueillera avec respect l' enseignement que lui
donne un de ses maUres les plus dévoués et elle en profi-
tera : cela suffit. Nous pouvons maintenant attendre avec
confiance : des que la démocratie aura renoncé au jacobi-
nisme, la liberté sera fondée en France.


n. - J'ai essayé, dans une premiere lettre, de dégager la
:pensé e qui domine dans le livre de M. Quinet; je voudrais
maintenant le suivre dan s q uelques détails et examiner, si
j' en ai le temps, les jugements qu'il porte sur les principaux
acteurs de la révolution et sur les événements auxquels
ils ont participé. Je parlerai d'abord de Mirabeau et de Ver-
gniaud. Je commence par eux, parce que, je l'avoue, ce sont
les deux personnalités qui m'attírent le plus. Tant qu'ils




340 DÉMOCRA.TIE ET LIBERTÉ


restent sur la scene, il y a nu soleil; des qu'ils en disparais-
sent, on entre pour n' en plus sortir dans les teintes grises.
A l'inverse de ce qui a líeu dans le poeme de Dante, dan s
la révolution on ne va pas de la nuit a la lumiere; de In:
lumiere on tombe dans la nuit. On s'étonne qu'il y ait a peine
quelques années entre les premiers jours si beaux de la
constituante et les derniers jours si tristes de la conyen-
tion.


Mirabeau et Vergniaud peuvent etre rapprochés malgré
la diversité de leur nature. Tous deux ont aimé la liberté;
tous deux ont cherché l'inspiration d'une éloquence qui,
égalée peut-etre, n'a jamais été surpassée, uans .les mouve-
ments spontanés d'un CCBur bon et dans les élans d'une
pensée courageuse; ni l'un ni l'autre n'ont jamais haY ni
tremblé; ni l'un ni l'autre n'ont enveloppé leurs passions
personnelles des apparences du bien public, ou saerifié leurs
amitiés ou leurs devoirs a la crainte de perdre une popula--
rité enviable seulement lorsqu'elle a été obtenue san s avoiI"
été recherchée. A Mirabeau il faut pardonner ses souillures,
a Vergniaud son indolence. Mais les souillures de Mirabeau
tiennent a ses malheurs plus qu'a sa perversité; l'indolence
de Vergniaud n'était que le détachement d'un esprit trop
élevé pour s' employer tout entier dans les petites agitations'
des affaires de ce monde. Les erreurs de Mirabeau s'expli-
quent par Vincennes et par le chateau d'If ; les mollesses de
Vergniaudsont la marque des poésies de sa nature. Il était,
a Bordeaux, avoeat peu achalandé, lorsqu'un procureur yint
lui demander son assistance dans un proces fort important.
Tandis que l'homme de loi lui contait le cas, Vergniaud
tendait la main vers le tiroir de son secrétaire et l'ouvrait.
Yayant aper<;u encore quelques louis: " Décidément, répon-
dit-iI sans avoir écouté, le proces est mauvais, je ne puis
m'en charger. " Tel il était demeuré dans la vie publique.
Qu'importent, au surplus, les faiblesses des grands hommes ?
Seraient-ils de notre espece, s'ils ne trainaient apres eux
une ombre d'autant plus épaisse que brille davantage la
clarté dont elle est le rachat? Ne nous arretons done qu'un




LA RÉVOLUTION FRANQAISE PAR E. QUlNET 341


instant a leurs défauts et regardons surtout a leur génie. Y
en a-t-il eu souvent d'égal a celui des deux hommes queje
compare? On ne tarit pas sur'I'éloquence de Mirabeau: sa
capacité d'homme d'État est supérieure encore. Si Marie-
Antoinette avait été touchée par lui comme elle le fut par
Barnave, la vieille monarchie se sauvait en se transformant.
Une idée ne se répand que lorsqu'elle a été revetue d'U1te
formule populaire. L'idée de la liberté a certes été con<;ue
avant Mirabeau : il l'a formulée, sauf dans quelques cas,
avec une telle sécurité, gu'apres un demi-siecle de contro-
verses et de révolutions nous n'avons rien a changer a ses
formules. Je ne saurais mieux le comparer qu'a ces réser-
voirs de montagnes qui ne sont pas des sources , mais qui
les recueillent, et qui, apres les avoir réunies, les répandent
en ileuves dan s les plaines.


Vergniaud n'a pas eu le temps de s'enrichir d'autant
d'expérience que Mirabeau; il n'a pas sa précision, sa vi-
gueur et son étendue, il a plus de pureté et d'élévation; il
est moins soudain, il est plus harmonieux; il terrasse
moins, il charme davantage; la passion de Mirabeau nait de
la force de la dialectique; celle de Vergniaud de la profon-
deur du sentiment; en Mirabeau, le fond est d'un penseur;
j} est d'un artiste en Vergniaud. On peut dire de ce dernier
qu'il est l'Alldré Chénier de la tribune ; j e me le représente
semblable a l'un des orateurs dont l'antiquité nous a légué la


. statue, la tete éclairée par l'inspiration, le geste sobre et
imposant, laissant tumber sans effort de ses levreB a peine
entr'ouvertes, le flot non-interrompu des paroles de feu Otl
de miel!


M. Quinet ne s'arrMe pas longtemps a Vergniaud; il ne
l'isole pas, pOtlr l' étudier, de ses nobles compagnons; il ne
se rappelle pas assez, selon la belle expression de Lamar-
tine, que" tant que Vergniaud n'avait pas parlé, les grandes
choses n'avaient pas été dites. » En revanche, il s' étend a
loisir sur Mirabeau. Tant qu'il ne considere· que ses dis-
conr~, il ne trouve aucun. éloge au-dessus de lui : c'est 1'es-
prit le plus droit, le plus projond, le plus beau génie de la




342 nÉlUoCRATIE ET LIBERTÉ
teNe; des qu'il examine ses relations avec la cour, aucune
condamnation ne lui parait trop dure: c'est le Judas de la
révolution, un colosse d'infarmie autant que de gloire; il est
aussi IJJwnstrueux que Machiavel, en étant moins logique.
J'adhere a la premiere partie de ce jugement; sans m'élever
absolument contre la seconde, j'y regrette l'absence de
quelques atténuations, de certaines réserves, et, en défini-
tive, je la trouve trop sévere.


Il n'y a aucune excuse pour l'argent re<;;u de la cour. Par
ce honteux marché, Mirabeau ne se dégradait pas seulement
lui-meme, il abaissait la révolution devant ceux qu'il dési-
rait y convertir. Quel respect Marie-Antoinette et Louis XVI
pouvaient-ils concevoir pour une cause dont l'interprete le
plus puissant tendait la main, ainsi que l'eüt fait le plus vil
courtisan de l'(Eil-de~B(Buf? Il a fallu qu'a ce moment le
pauvre homme de génie ait été bien fourvoyé pour n'avoir
pas senti que ce n'était que par la hauteur du caractere, la
force du désintéressement, par l'ascendant de la probité
qu'il pouvait s'imposer aux répugnances mesquines d'une
cour frivole, ignorante ou aveugle, a régoYsme de conseil-
lers sans clairvoyance ou sans loyauté. M. Quinet n'a rien
dit de trop a ce sujeto


II n'est également que juste lorsqu'il réprouve les moyens
que Mirabeau proposait : l'avilissement de l'assemulée, la
corruption de la presse, l'audace de la scélératesse. 11 ap-
partient sans doute a la Providence de tirer le bien meme
du mal, les hommes n' ont le droit de demander le bien
qu'au bien. Seulement, M. Quinet n'a pas assez reconnu, ce
qui ne peut plus etre douteux apres la tres-remarquable
étude de M. Vermorel, que Mirabeau ne se faisait payer que
pour etre de son avis. Le loyal et véridique La Fayette l'a
déclaré dans ses mémoires : Pour aucune somme d'argent
il n'aurait S01(;tenu 1tne opinion qui eut détr1(;it la liberté et
déslwn01'é son esprit. " Je sais, disait Mirabeau lui-meme
dans une note du 24 oc'tobre 1791, que j' ai tout jJro1nis,
mais aí-je promis aut1'e clwse que de serví?' selon mes prín-
cipes? " Il tendait, en effet, a une contre-constit1ttion et




LA RÉVOLUTION FRAN~:AISE PAR E. QUINET 343


non a une cont1'e-1'él;olution, qu'il proclamait aussi dan-
gereuse qlle criminelle; il voulait bien rétahllr l'ordre, mais
non l' ancien orrd1'e. Il écrivait dans une note de décem-
bre 1790 ces paroles prophétiques : " Je regar de tous les
effets de la révolution et tout ce qu'il faut conserver
de la constitution comme des eonquetes tellement irré-
vocables, qu'aucun uouleversement, a moins que l'empire
ne fut démembré, ne pourrait plus les détruire. Je n'ex-
cepte pas meme une contre-révolution armée; le royaume
serait reconquis, qu'il faudrait eneore que le vainqueur
eomposat avec l' opinion publique, qu'il s'assurat de la bien-
veillance du peuple, qu'il consolidat la destruetion des abus,
qu'il admit le publie a la confection de la loi, qu'illui laissat
ehoisir ses administrateurs; e' est-a-dire que, meme apres
une guerre eivile, il faudrait eneore en revenir au plan qu'il
est possible d'exécuter sans secousse. "


Quoi qu'il en soit, la vénalité flétrie, les moyens condam-
• nés, reste le dessein en lui-meme : il consistait a réconcilier


la royauté avec les idées nouvelles, a s'appuyer sur le parti
populaire, celni qui n'est ni populacier, ni al'istocrate:'
a seconder la majorité de l'assemblée, a sauver la révolu-
tion de l'anarchie par la royauté, et la royauté de la chute
par la révolution. Ce dessein était patriotique et sensé.
S'il avait réussi, que de malheurs eusseIlt été evités et que
de progres se fussent réalisés! Supposez la France n'ayant
eu a traverser ni les guerres de la révolution ni celles de
l'empire, ayant économisé le million d'hommes et les millions
d'écus qui s'y sont engloutis : quelle nation jouirait d'une
prospérité, d'une liberté comparables! Que de problemes
résolns qui n.'ont pas été abordés! Cnmbien de champs ne
seraient plus en friehe! Que d' écoles fondées! Combien de
nos freres rache tés de la misere! Et pour quelques pages
qu'il faudrait regretter dan s notre histoire, combien il en
est que nous serions trop heureux de n'y point lire !


La mort a empeehé Mirabeau de poursuivre son expé-
rience jusqu'au bout. Il eut échoué, il le pressentait lui--
meme, et cette crainte lui arrachait des cris superbes de-




344 nÉMoCRATIE ET LIBERTÉ


eolere: " La reine eajole La Fayette et le déjoue; le roi
niaise et s'abstient; Jfonsieu?' mollit et ne se réjouit d'un
sueees me me que eomme on se félieite d'une bataille gagnée
qui néeessite a faire un siége tres-douteux : enfin, tout cela
est infiniment· nébuleux. Il n'y a qu'une ehose de claire :
c'est qu'ils voudraient bien trouver, pour s'en servir, des
etres amphibiE;S qui, avee le talent d'un homme, eussent
l'ame d'un laquais. Ce qui les perdra irremédiabIement, e'est
d'avoir peur des hommes et de transporter toujours les
petites répugnanees et les freles attraits d'un autre ordre de
ehoses dans eelui OU ce qu'il y a de plm; fort ne l'est pas
eneore assez; ou ils seraient tres-forts eux-memes, q u' ils
auraient besoin pour l'opinion, de s'entourer de gens forts. "


Malgré eet éehee, la politique de Mirabeau, purifiée de
tout ce qui l'a compromise, est la seule qu'il eOIlvienne
d'adopter dan s tous les pays OU des idées nouvelles se trou-
vent aux prises avee un souverain qui leur résiste. L'ora-
teur de la révolution sera éternelleme!tt grand pour l'avoir
eompris. Tout mouvement brusque est suivi de l'anarehie,
et aussitót apres, d'un despotisme d'autant plus absolu qu'il
nait avee l'assentiment d'une natíon épouvantée. Le~ amé-
liorations, meme lentes, réalisées par des gouvernements
sur lesquels l'opinion publique pese, mais qu'elle ne ren-
verse pa~, eonduisent en avant d'un pas bien plus rapicle. On
m' objeetera, je le sais, que le progres meme lent est irnpos-
sibIe soit a obtenir, soit a arraeher de eertains gouverne-
ments. En fut-il ainsi, je l'admets par hypothese, il n'en
faudrait pas moins suivre les eonseils de Mirabeau. Il est
des entreprises que la probabilité de l'insueees ne dispense
pas de tenter: e' est la lettre d'avis qu' OIl envoie meme au
débiteur insolvable. Lorsqu'un gouvernement agit au re-
bours des volontés d'une nation , tót ou tard, d'une maniere
ou de I'autre, il est destiné a périr. L'armée la plus docile
est aussi impuissante a prolonger ses jours que l'est une
troupe de médec:ins d'élite a retenir vivant le malade ehez
lequeI une lésion organique est arrivée a son dernier terme.
Mais iI11e saurait etre indifférent a un homme politique que




LA RÉVOLUTION FRAN~'AlSE PAR E. QUINET 345


le pouvoir qui tombe ait été précipíté ou qu'il se soit préci-
pi.té : on a autant de force pour gouverner une révolution
dont d'autres sont responsables, gu'on en a peu pour diriger
celle qu'on a provoquée.


III. - On m'écrit : Le jacobinisme n'est qu'un fantóme;
les peureux seuls s' en épouvantent; personne ne le con-
tinue; il est des démocrates qui le défendent dans le passé,
il n' en est pas qui veuillent le recommencer et surtout en
renouveler les cruels expédients.


Je me garderai de contredire, sur ce dernier point, mon
honorable correspondant; Robespierre avait eu l'audace de
dire : " Quand les mceurs sercmt plus pures, l'amour de la
patrie plus ardent, des accusateurs généreux s' élEweront
contre nous, et nous reprocheront de n'avoir pas montré
assez de fermeté contre les ennemis de la patrie. "


Cette espérance, insultante pour l'humanité, a été dé9ue ;
aucun homme sérieux n'oserait de nos jours faire 1'éloge de
la loi de prairial et regretter qu'un plus grand nombre de
tetes ne soit pas tombé a coté de celles de Lavoisier, d'An-
dré Chénier, de Lucie Desmoulins, de Madame Élisabeth,
de Marie-Antoinette et de madame Roland.


Mais le jacobinisme ne consiste pas a élever des écha-
faucls; les exécutions. sanglantes de 93 en ont été une des
manifestations; elles n'en sont pas la substance. Le jacobi-
nisme n 'est pas meme l' expression d'une opinion politique
déterminée. Ainsi que l'a remarqué Proudhon, dont le té-
moignage contre les jacobins ne saurait etre plus suspect au
peuple que celui d'Edgar Quinet : Robespierre désavouait
en 90, de peur de se brouiller avec la cour, une plaisanterie
tombée de ses levres et rapportée par Desmoulins ; en DI, iI
disait encore : " J e ne suis pas républicain. " 11 Y a des ja-
eobins parmi les républicains; mais il y en a aussi parmi les
impérialistes, parmi les royalistes, parmi les catholiques,
parmi les protestants, et, qui le croirait? parmi les athées .
. Le jacobinisme est une métkode et non une opinion,· toutes




346 DÉMOCRATlE ET LIBERTÉ


les opinions s'-en sont servies. Attaquer le jacobinisme, ce
n'est done attaquer spécialemellt ni la républi\lue, ni la mo-
narehie, ni r empire, ni le eatholicisme, ni le protestan-
tisme, ni l'athéisme; e' est attaquer ceTtains républicains,
ce1'tains royalistes, certains im périalistes, cCl'tains catho-
liques, certrlins protestants, certa'ins athées, qui, diffé-
rant entre eux quant au but qu'iIs poursuivent, se res-
sembIent par 1'identité des moyens qu'ils emploient pour
l'atteindre.


Quiconclue propage une doctrine croit, s'il n' est pas un
trafiquant de phrases, qu' en elle seule est la vérité. Mais on
peut empIoyer deux manieres tres-opposées pour communi-
quer a d'autres eette convietion .


• Les uns s'efforcent de démontrer, non d'imposer, et ils
ne recherehent que l'assentiment yolontaire. Saehant, selon
la parole de Rancé, " que les paroles languissalltes ne per-
suadent pas, " ils ne s'interdisent aucune des ressourees que
la passion fournit, mais ils n' ont jamais recours a aueune de
celles que suggere la mauvaise foi; ils n'attaehent pas aux
petits dissentiments l'importance qu'il ne convient d'aecor-
der qu'aux grands; ils sont frappés de ce qui rapproche
beaucoup plus que de ce qui divise. lIs ont l'esprit hospita-
líer; ils y logent les idées avant de les juger, afill de les
voir de pres et dans cette intimité familiere ou tout se dé-
couvre. Se prononcer sur une doctrine avant de la bien con-
naltre leur semble une légereté; l'altérer leur parait une
friponnerie. I1s eroient qu'il y a une probité de l' esprit, et
ils y tiennent d'autant plus qu'en général on la pratique peu.
Jugeant les autres par eux-memes:. ils n'expliquent jamais
un désaccord par une bassesse; ils peuvent eombattre un
acte sans en outrager l'auteur. A leurs yeux, aucun succes.
ne vaut qu'on l'achete par une violence, par une duplicité
ou meme par un mauvais procédé. Ils respeetent, au besoin
ils défendent la liberté de leurs adversaires : ils estiment
qu' elle est la condition néeessaire de leur propre liberté.


Les autres, au contraire, ne songent qu'a se procurer la
force néeessaire ponr entrainer les indécis et soumettre les




LA RíWOLUTlO~ FRANC'AISE PAR E. QUINET 347


indocUes. Contraindre leur paralt plus sur que persuader.
I1s ne discutent pas, ils condamnent, et si l' on persiste, ils
excommunient. Quiconque ne pense pas comme eux. est tout
au moins un traltre; ils lui pretent les intentions les plus
yiles, sans qu'on puisse dire qu'ils le caIomnient, tant ils
sont convaincus que penser autrement qu' eux est une dé-
chéance morale. Des saints, tout est saint, et aux purs rien
n'est défendu. Aussi tres-naYvement créent-ils des regles a
leur usage. Un argument les embarrasse-t-il? Ils le tron-
quent, ou ils l'omettent, ou ils feignent de ne pas l'avoir
eompris. Comme ils trouvent qu'apres tout ~ parler seul
est le meilleur moyen d'avoir raison, ils n'aiment pas ee
qui est publieíté, réunions, débats contradietoires, et ils
écartent ees dangers par les lois d' exception quand ils
le peuvent, par les procédés d' exception q uand ils n' ont pas
d'autre ressource. Ils ont un droit pour eux, et un droit
pOUl' leurs adversaires, une doctrine pour la défaite et une
doctrine pour la victoire. Quand il s'agit d'eux, iln'y aja-
mais assez de liberté; il Y en a toujours trop quand il s'agit
des autres; quand ils sont les plus faibles, ils crient a la
persécution; ils oppriment quand ils sont les plus forts. Ils
s'accommodent du despotisme tant qu'ils en profitent. Quel-
quefois, il sembIe que l'Envie soit leurdivinité; aussitót
apres on dirait que c'est l'Intolérance : ce n'est certaine-
ment pas la Justice.


Les premiers sont des libéraux, quel que soit leur parti;
Les seconds sont des jacobins, quelle que soit leur cocarde.
Je le demande maintenant a roon honorable correspon-


dant : Pense-t-il qu'il n'y a plus de jacobins en Franee?




XXIX


DISCOURS SUR LES AFFAIRES ALLEMA~DES


(2 mars 1866)


Messieurs,


Quoique je ne veuille présenter a la Chambre que quelq ues
courtes observations, j'insiste pour etre entendu a cause de
la gravité de la question. Cette gravité n'apparait pas ac-
tuellement; mais lorsqu'on y songera le moins, elle peut se
révéler avec une intensité redoutable.


Il me semble, messieurs, que, quant au fond des choses,
tout a ét~ dit. L'honorable M. de Parieu a expliqué les ori-
gines de la guerre, ses causes; il a justifié l'attitude du
gouvernement fran<;ais en termes excellents et que j 'ap-
prouve complétement. L'honorable M. Jules Favre s'est
élevé avec une éloquente indignation contre la convention
de Gastein. Je m'associe non moins complétement a ses im-
pressions. (Chuchotements.)


Ouí, messieurs, je m'associe a ce qu'ont dit ces deux ho-
norables orateurs, et ne croyez pas qu' en cela il y ait une
contradiction. Depuis que les affaire s du Danemark ont com-
mencé, il s'est cOllsonnné un acte juste et un acte inique.
L'acte juste, c'est l'affranchissement des deux duché s alle-
mands qui, si l'on en excepte un petit groupe an nord,




SUR LES AFFAIRES ALLEl\IANDES 349


étaient opprimés par une nation qui 11e parlait pas la meme
langue, qui n'avait ni les memes intérets, ni la meme ori-
gine. L'acte inique, c'est la Prusse et l'Autriche, apres
avoir, au nom des souffrances des duchés, déchiré un traité,
apres avoir fait une guerre au nom d'un principe de droit,
violant le príncipe meme qu'elles avaient invoqué, pOUll'
s'attribuer, contre le droit des nationalités, deux malheu-
reux duchés qu'au nom des nationalités elles avaient vio-
lemment arrachés au Danemark. (Approbation.) Je ne tro.uve
nullement contradictoire, apres avoir approuvé la déli-
vrance des duchés, de blamer leur confiscation. (Tres-bien.)


Voila ce qu'il importait d'affirmer dans cette assemblée,
parce que ce q ui se dit iei retentit partout.


Maintenant, messieurs, qu'il ne peut y avoir aucune .dif-
ficulté sur le fond des choses, je vous demande quelques
minutes d'attention pour examiner avec vous le point de
vue pratique et rechercher la regle de conduite. Que faut-iI
faire? Le droit a été violé; nous le disous; c' est une pre-
miere satisfaction. Est-ce suffisant? Faut-il, par un amen-
dement conc;u dans des termes séveres; faut-il, dans une
dépeche écrite avec aigreur, ou avec dureté, exprimer que
le droit a été violé outrageusement par la force; faut-il
sortir de la mesure dam; laquelle s'est tenu jusqu'a ce jour
le gouvernement franc;ais? Je ue le crois pas, messieurs, et
voila pourquoi, bien que partageant les sentimellts si élo-
quemment exprimés par l'honorable M. Jules Favre, je
voterai contre son amendement.


L'opinion que j'exprime devant la Chambre, et que 1'ho-
norable M. Jules Favre exprimait avant moi, est unanime
en Allemagne : elle est celIe des duchés d'abord, qu'aucune
des pressions prussiennes n'a pu ployer; elle est celle. de
tous les États secondaires, elle est ceHe de l' Autriche, dont
la conduite est loin d'etre aussi répréhensible que ceHe de
la Prusse; elle est ceHe de la Prusse entiere, sauf M. de
Bismark. (Mouvement.)


M. GRANIER DE CASSAGNAC. O'est quelque chose!
M. ÉMILE OLLlVIER. 1a chambre des députés prussiens,




350 DÉMOCRATIE ET LIBERTÉ
appelée a s' expliquer par un vote solennel a déclaré que
" l'honneur et l'iniéret de l' Allemagne exigent que tous les
États allemands protégent le droit des duchés, qu'ils re con-
naissent le prince héritier duc d'Augustenbourg comme
duc de Slesvig-Holstein et lui pretent une aide efficace pour
le rpcouvrement de ses droits. "


Supposez que le Gouvernement sorte de la réserve dans
laquelle iI se maintient. Croyez-vous que cette unanimité de
l'Allemagne ne serait pas troublée? Pour vous rendre
compte de cc.qui arriverait alors, consultez vos propres senti-
ments. Rappelez-vous ce que vous éprouvez lorsque, ayant a
discuter une affaire qui nous est propre, celle du Mexique,
par ex.emple, une puissance étrangere, a tort ou a raison,jette
dan~ nos délibérations le poids de ses dépeches? (Marques
d'adhésion.) Est-ce qu'a l'instant meme notre liberté d'es-
prit n'est pas déconcertée? Est-ce que nous ne sentons pas
une susceptibilité nationale qui nous oblige a taire ce que
nous voudrions dire, ou a voiler ce que nous voudrions dé-
couvrir? Est-ce que, grace a 1'ombre que jettent sur les
éyénements les exigences de ce sentiment légitime, et sans
lequel il n'y a pas de grande nation, on ne voit pas ceux qui
conduisent les mauvais desseins s'acheminer d'un pas plus
sur vers le succes? Est-ce que ce ne serait pas une impru-
dence grave que d'amener parmi ceux qui pensent comme
nous en Allemagne une protestation contre les conseils,
contre l'immixtion de la France? Est-ce que ce ne serait pas
nous éloigner du but que nous voulons atteindre? Est-ce que
ce ne serait pas fournir a M. de Bismark le prétexte qu'il
cherche pour couvrir sa coupable conduite, et lui donner
une force contre ces admirables citoyens qui, malgré les
outrages, malgré les violences, malgré les violations de la
loi, se tiennent et se tiendront, s'il plait a Dieu, debout, jus-
qu'a ce que le triomphe ait couronné une résistance que je
trouve d'autant plus belle, d'autant plus digne d'admiration,
qu'elle est légale, qu'elle n'invoque pas la violence et qu'eHe
ne connait d'autres armes que ceBes fournies par la loi.


Oh! que le parlement prussien persévere; qu'il prouve




SUR LES AFF AIRES ALLEMANDES 351


que pour réduire un ministre despote il n' est pas nécessaire
de descendre dans les rues d 'une ville, de soulever les pa-
vés, d'établir des barricades; qu'il suffit de se retrancher
derriere la loi et d'invoquer le droit. La victoire peut étre
plus tardive, les difficultés peuvent étre plus pénibles, 1'ef-
fort peut étre plus long et exiger une force d'ame plus
éprouvée, mais la victoire est aussi certaine, et quand elle a
été obtenue, elle est sans tache et durable. (Tres -bien!
tres-bien!)


Voila, messieurs, pourquoi je dissuade énergiquement
notre gouvernement de toute interventioll. Mais, si j'ap-
prouve la réserve, je ne conseille pas l'indifférellce. A
l'heure actuelle, maintenons-nous dans cette attitude de
prudente neutralité; ne croyons pas cepelldant que nous
n'ayons rien a faire et que nous ne devions pas jeter un re-
gard sur l'avenir, prévoir les éventualités qu'il porte en
luí et nous y préparer.


L'intéret de la France est trop considérable pour que
nous n'en prenions souci. Depuis des siecles, notre politique
n'a pas varié : chaque fois que les petits États en Alle-
magne ont été menacés dans leur indépendance, la France
les a soutenus.


M. I3ELMO:-¡-TET. C'est vrai! c'est vrai!
M. É:\IlLE OLLlVIER. C'est sous cette inspiration que le


gouvernement de la restaur!1tion a donné en 1815, au con ..
gres de Vienne, un des spectacles qui honorent le plus la.
diplomatie fran0aise. Déja les hommes d'État prussiens
montraient cette convoitise dont M. de Bismark a l'epris la
tradition. Alors ils voulaient étendre la main sur la Saxe et
commencer l'muvre d'usurpation sur les petits États du
nord de l'Atlemagne. Le roi Louis XVIII, représentant
d'un pays vaincu, comprit qu'il ne pouvait se rele'ver que
par la défense du droit, et, avec une noblesse, un désinté-
ressement, une sagacité, une divination de l'avenir vrai-
ment remarquables, il ne donna a M. de Talleyrand, , son
plénipotentiaire, que deux instructions : Opposez- vous a
ce que la Pologne soit tout entiere dans les mains de la





352 DÉMOCRATLE ET LIBERTÉ


Russie, et a ce que la Prusse s'empare de la Saxe. 11 avait
compris que si ·nous permettions, pouvant l'empecher, que
la Prusse, sous un prétexte quelconq ue, violemment, contre
la volonté des populations, s'attrihuat un seul de ces petits
États qui constituent la Confédération germanique, nous
commettions ·une faute impardonnable, nous ahandonnions.
les yéritables intérets fran0ais, et nous nous préparions pour
ravenir de redoutables difficultés .


. Il arriya alors ceci : c'est qu'on offrit a la France, selon
l'expression de l'honorable M. Thiers, les royaumes de la
terre pour abandonner le droit; les diplomates prussiens et
russes dirent a M. de Talleyrand : Mais que vous importe un
petit État de plus ou de moins annexé a la Prusse? - comme
le disait tout a l'heure notre honorable collegue M. Morin;
-le seul objet de vos ptéoeeupations, ce doit etre la gran-
deur de la Franee. Voici done ce que llOUS vous proposons
pour l'assurer: On nous offre les bords du Rhin, afin que
nous y soyons eomme une sentinelle vigilante a vos portes;
nous les donnerons au roi de Saxe, a titre d'mdemnité.
Laissez-nous commettre la spoliation; nous vous la payerons
en abandonnant la part qu'on nous offre dans vos dépouilles~
La tentation était grande, et il est plus el'un historien qui,
raeontant cet épisode du congres de Vienne, a hlamé M. de
Talleyrand et blamé Louis XVIII de n'y avoir pas cédé. A
notre~ frontiere, disent-ils, au lieu d'un grand État comme
la Prusse, nous aurions un petit pays r,omme la Saxe, ce
qui, pour la France, vaudrait beaueoup mieux. Quant a moi,
j'approuve et j'honore M. de Talleyrand et le roi Louis XVIII
d'avoir en cette grandeur d'ame~ stipulant au nom de la
France, de préférer le respect du droit et des príncipes a
une satísfaction matérielle. (Tres-bien! sur quelques bancs.)


L' offre fut done repoussée. On défendit énergiquement
les droits du roi de Saxe; on fit meme, pour les sauvegar-
der, un traité d'alliance offensive et défensive avec l'Au-
triche et avec I'Angleterre; grace a cette louable obstina-
tion, la cause du droit l' emporta, la Saxe resta séparée de
la Prusse, et la France ne dévia pas de sa politique séculaire~





SUR LES AFFAIRES ALLEMANI'ES 353


politique que je ne vous rappelle, messieurs, que paree
qu'elle doit demeurer notre regle. Comme au temps de
Louis XVIII, nous devons ~ous porter les défenseurs vigi-
lants et énergiques des Etats secondaires d' Allemagne.
(Assentiment autour de l'orateur.)


Le moyen? Le voiei. Lorsque la Prusse et l' Autriehe
écarterent la Confédération germanique de la guerre contre
le Danemark, pour en prendre la direction exclusive, elles
dirent: La question n'est pas une question allemande, c'est
une question internationale. Il y a, en effet, un traité de
Londres, signé en 1851 ; ee traité de Londres est en jeu, et
c'est a titre de signataires de ce traité, eomme puissances
européennes, que nous prenons la place de la Confédération.
En eonséquenee, a la date du 31 janvier 1864, une note
identique de la Prusse et de l'Autriche déclara qu'elles s'en-
gageaient a soumettre a l'appréeiation des grandes puis-
sanees les engagements définitifs qui devraient etre signés
pour remplacer le traité de 1852. Cette note, messieurs, je
regrette que tout le monde l'ait oubliée dans cette discus-
sion; je regrette que l'honorable M. Drouyn de Lhuys, dans
la circulaire d'ai1leurs si éllergique qu'il a opposée a la con-
vention de Gastein, ne l'ait pas rappelée; elle fournit le
theme que la Franee doit développer. En l'invoquant, nous
pouvons rappeler a la Prusse et a I'Autriche qu'elles n'ont
pas le droit de disposer d'une maniere définitive des duehés
sans nons avoir eonsultés, ainsi que l'Angleterre. Il ne peut
pas appartenir a deux des puissances qui ont signé un traité
de le déehirer seules, sans avoir consulté ce1les quí sont as-
soeiées dans la constitution de cet acte international.


Que la Franee ne s'oppose done pas en ce moment a la con-
velltion de Gastein, mais qu'elle déclare que, dujour OU de ce
provisoire on voudra tirer une situation définitive, elle inter-
viendra, armée de la circulaire du 31 janvier 1864; qu'alors
elle se rappellera la politique séculaire de la France, nos
droits, nos intérets, et que, ne considérant que ce que les
traités d'une part, les exigences de notre politique del'autre
lui conseillent, elle emploiera tous les moyens qui seront né-


23




354 DÉMOCRATlE ET LIBERTÉ


cessaires, qui seront utiles, qui seront legitimes, pour empe-
cher que l'iniquite provisoire de Gastein ne devienne, au
profit de M. de Bismark, une iniquité définitive. (Marques
d'approbation sur plusieurs banes.)




xxx


SUR L'AMENDEMENT DES QUARANTE-CINQ. - RÉPONSE
A M. ROUHER


(19 mars 1866)


Messieurs,


A cette heure de la séance, ayant a répondre au discours
considérable et éloquent que vous venez d'entendre, j'é-
prouve un embarras que je ne me dissimule pas, embarras
qui ne vient pas seulement du sentiment que j'ai de la diffi-
culté de ma tache, mais qui nalt aussi et surtout de l'incer-
titude dans laq uelle je me trouve de savoir a quoi je dois
répondre. (Mouvements divers.)


Placé, quand je suis arrivé a cette séance, dan s un doute
pénible qui résultait pour moi du langage différent que j'avais
trouvé dans deux discours d u Souverain, j' espéraisdu moins
que, grace a M. le ministre, toute hésitation disparaltrait,
et qu'enfin, nous trouvant en présence d'une politique nette,
accentuée, qui s'appellerait franchement de son nom vrai,
ceux qui ne cherchent dans ces débats, que la vérité, qui ne
sont entrainés dans un sens ou dans un autre par aucun
parti pris exclusif, seraient enfin en mesure de répondre a
une exposition sans nuages, par une approbation ou par un




356 DÉMOCRATIE ET LIBERTÉ


bh\me. Eh bien, je regrette de le dire~ je ne trouve pas
dans le diseours de M. le ministre d'Etat eette elarté ...
(Réelamations.) Permettez! si vous m'interrompez avant
que j'aie formulé ma pensée, vous ne la eomprendrez paso
Je ne ·trouve pas, dis-je, dans ce diseours, eette clarté,
eette eohérenee, eette logique, sans lesquelles il n'y a pas
de politique forte, de politique qui puisse s'imposer a un
grand pays. (Interruption.) Je le prouve.


La partie de beaueoup la plus eonsidérable du diseours de
l\I. le ministre d'État peut se résumer ainsi: Sous l'empire
de la eonstitution de 1852, tout est bien; il n'y a rien a
perfeetionner paree qu'il n'y a rien de défeetueux. De telle
sorte que, depuis 1789, l'histoire de notre pays se divise en
deux parties : l'une qui expire en 1851, et l'autre qui eom-
menee alors. Jusqu'en 1851, on a eu un régime qu'on appe-
lait le régime parlementaire, so urce de mal, de réyolutions,
de eonfusions, d'erreurs, sous lequel, pour quelques beaux
diseours, on reneontre une série d'actes néfastes et de bou-
leversements a jamais déplorables. A partir de 1851, au
eontraire, tout est bien: on parle peu, mais on agit a mer-
veill e. (In terru ption.)


M. GLAIS-BIZOIN. e'est bien cela!
M. ÉMILE OLLIVIER. Il n'existe plus de ces assemblées


bavardes, au milieu desquelles des ministres sar.s soIidité
viennent disputer, chaque jour, un pouvoir qui ne leur per-
met aucune vaste entreprise. Nous jouissons de ministres
appliqués, surs de leur lendemain, et qui, graee ú la séeurité
dont iIs. sont assurés, produisent san s interruption de
grandes amvres.


Quant aux libertés que l'on réclame, ou elles ne sont pas
eomprises dans les príncipes de 1789, ou, si elles y sont
comprises, on a depuis découvert qu' elles étaient dange-
reuses. Avant de les obtenir iI faut done attendre. Attendre
quoi? Le mystérieux et insondable avenir. Il faut attendre
que, dans cette nation, je ne sais comment, je ne sais grace
aquel miracle, a quelle inspiration surnaturelle, tout a coup
l'habitude de la liberté et les mreurs de la liberté aient été




SUR L'AMENDEl\1ENT DES QUARANTE-CINQ 357


aequises sans avoir été pratiquées. (Tres-bien! sur quelques
hanes.)


Ce langage, messieurs, vous l'avez applaudi; je respecte
profondément votre eonvietion, je n'ai nullement l'intention
de nier ni votre mandat ni votre droit; mais je demande
a exprimer avee énergie une pensée eontraire a la vótre.
(Parlez! parlez !)


Ce langage, messieurs, pourctuoi ne le dirais-je pas, il m 'a
déeoneerté, il m'a troublé, iI m'a ému, et, j'en suis sur, iI
~ausera dans le pays une émotion semblable a eelle que
j'éprouve moi-meme. J'ajoute : Vous n'y persévérerez paso
(Réelamations nombreuses.) Je n'en veux pour preuve que
les dernieres paroles de votre diseours ... (Interruption.)
Je suis parmi les faibles, je suis dans la minorité, respec-
tez ma parole. (Rumeurs diverses. - Parlez!) Je n'en veux
pour preuve que les dernieres paroles de votre discours.
Oh! vous avez eompris que vous ne pouviez pas envoyer
cluns le pays toutes vos déelarations sans y joindre un
eorr~etif ... (Interruption.) Et, apres nous avoir dit, en
prenant eh acune des libertés par le menu et isolément :
Vous ne l'aurez pas, ear nous ne vous la devons pas, ou
vous n'y €tes pas préparés, vous avez terminé en disant :
N ous eontinuerons a porter le drapeau libéral. Qu~ est-ee
done que ce drapeau sur lequel il n'ya rien d'éerit? (Mou-
vements en sens divers.) Pourquoi done eontinueriez-vous
a porter le drapeau libéral, si vous ne devez rien a la liberté?
(Tres-bien! autour de l'orateur.)


UNE, VOIX. Tout y est inserit!
M. EMILE OLLIVIER. Comment! si toutes les libertés sont,


ou aeeordées, ou dangereuses, pourquoi di tes-vous que vous
voulez persister dans la politique libérale? Me voila de nou-
veau empeehé de vous eomprendre, et retombant, apres
votre diseours, dans le doute que j'éprouvais avaut. (Inter-
ruption.)


Ne m'interrompez pas. C'est inutile, ríen ne me trou-
bIera. (Parlez! parlez!)


Non, votre diseours, a cause de la eontradiction par la-




358 nÉMOCRA.TIE ET LIBERTÉ


quelle il se termine, ne nous place pas en regard d'une
politique claire et bien définie, et cela seul justifie l'amen-
demento Quelle a été, en effet, la pensée de ceux qui l'ont
préparé et soutenu? N'est-ce pas précisément d'établir avec
clarté et certitude la politique qu'il convient de suivre dans
les circonstances actuelles ?


L'honorable M. Jérome David, dans un discours auquel je
ne ferai que cette réponse, leur a dit d'un ton dur: Qui
etes-vous? nous voudrions savoir qui nous avons devant
nous. Je vais le lui apprendre. (Ah! ah!) Toutes les fois
qu'un gouvernement se fonde, dans les premiers temps de
son existence, les hommes politiques se divisent en deux
groupes. Les uns veulent aider a sa fondatiou, les mitres
tentent de s'y opposer. Alors ancune nuance intermédiaire
n'est possible. Le philosophe pourrait la désirer, mais le
politique, qui est habitué a tenir compte des passions hu-
maines, ne la recherche pas. L' excitation réciproqne est
trop vive, l'emportement trop irrésistible pour que chacun
ne dépasse pas le but : en conséquence, les uns approuvent
tout, les autres condamnent tout.


Quelques années s'écoulent ainsi : l'apaisement se faite Il
devient enfin évident aux plus passionnés qu'il est aussi chi-
mérique de craindre que téméraire d'espérer un renverse-
mento Alors, messieurs, un certaill nombre d'hommes se
détachent, les uns de l'opposition, les autres de la majorité.
Ils se reconnaissent, s'allient, constituent un groupe inter-
médiaire, et, adressant la parole au Gouveruement, ils lui
disent, les premiers : Jusqu.'a ce jour, nous ll'avons affirmé
que la liberté et le progres; dans l'avenir nous affirmerons
ausSi la dynastie; -les seconds : Jusqu'a ce jour, nous
n'avons affirmé que la dynastie; nous affirmerons désormais
la liberté et le progreso (Mouvements divers.) Puis les pre-
miers ajoutent: Nous vous acceptons (Rumeurs diverses.);
- les seconds : Nous vous restons fideles; et tous les deux
a la fois ils concluent en disant: Nous vous demandons
seulemellt de marcher en avante


UNE VOIX. Eh bien, c'est ce qu'il fait!




SUR L' AMENDEMENT DES QUARÁNTE-CINQ 359


M. ÉMILE OLLIVIER. Les institutions étroites qui ont pu
se concevoir au lendemain des commotions civiles, alors
qu'on est encore c9uvert de la poussiere du combat> elles ne
se justifient plus lorsque la paix, le calme, sont rétablis
dans les esprits. (Chuchotements.)


Oui, cert~inement, lorsque, ainsi que dans l' Amérique du
Sud, des armées s' organisent contre le Gouvernement pour
le combattre; lorsque, ainsi qu'en Irlande, l'insurrection
gronde, descend dans la rue et se hisse jusque sur les bancs
des accusés pour y braver les juges; que dans ces cas on su-
bordonne la liberté au salut public, quelques sages peuvent
le regretter, mais iI ne serait pas juste de ne pas le tolérer
de la part des politiques. (Mouvements.) Mais lorsque plu-
sieurs milliers d' électeurs se meuvent sans que l' ordre soit
troublé; lorsqu'on est arrivé a ignorer ce que c'est qu'une·
répression poli tique ; lorsque, de toutes parts, le pouvoir est
aidé, soutenu, et que pour lui trouver des ennemis íl faut
créer des fantomes dont on s' effraye soi-meme (Exclama-
tions ironiques.), quelle force peuvent avoir de tels exemples
et quelle autorité peut-on attribuer a de tels précédents?
Et au nom de quelle nécessité se croit-on permis de dire :
Nous restons ímmobiles ¡dans les institutions des jours de
combat! Un tellangage est imprudent, illégitime.


C'est ce qu'affirme l'amendement soumis a vos délibéra-
tions. Comment a donc procédé M. le ministre d'État pour
le repousser? Il a résumé toute son argumentation ainsi:
Vous voulez passer du systeme de la constitution de 1852
au gouvernement parlementaire, nous ne le voulons pas.
D'ou il suit, messieurs, qu'a l'entendre, la question sur la-
quelle vous auriez a voter serait éelle-ci : Voulez-vous, ouí
ou non, préférer le régime parlementaire a la constitution
de 1852?


Ah ! je comprends tres-bien 1'artífice; je comprends tres-
bien que pour triompher plus facilement d'une opinion on
l' exagere, on lui crée des défauts dont on triomphe ensuite
avec éloquence. Je comprends encore tres-bien que, sen-
taut dans l'esprit des membres de cette Chambre comme




360 DÉMOCRATIE ET LIBERTÉ


dans le pays, la volonté tres-ferme de condamner tout ce
qui semblerait une doctrine de renversement, de révolution,
on grossisse le débat et qu' on lui donne un aspect révolu-
tionnaire. (Marques d'assentiment sur quelques bancs.)
Mais, messieurs, les signataires de l'amendement ne sau-
raient accepter une pareille maniere de défigurer leur opi-
nion. Ils ne reconnaissent leur pensée ni dans l'une ni dans
l'autre des deux propositions que M. le ministre d'É tat a
mises en présence et discutées; ils ne disent ni ceci : Nous
voulons sortir de la constitution de 1852, ni ceci: Nous
voulons entrer dans le régime parlementaire. C'est une
troisieme affirmation, différente de deux précédentes, qui
exprime leur sentlment.


UNE VOIX. Le tiers parti, enfin!
M. ÉMILE OLLIVIER. Ils disent : La constitution de 1852


a été abrogée dans sa partie substantielle, fondamentale,
par le décret de novembre 1860. Nous n'avons pas a de-
mander au Gouvernement d'en sortirJ puisqu'il en est sorti
1 ui-meme. Nous lui demandons de ne pas rester dans la po-
sition illogique, compromettante, dans laquelle il se trouve
depuis que cette évolution a été opérée. Il a un pied sur la
constitution de 1852 et un pied en l'air; nous voudrions qu'il
les pla<;at tous les deux sur un terrain solide, et qu'il com-
plétat sa réforme. (Mouvements divers.)


VOIX DlVERSES. A demain! a demain! - Non! non!-
Parlez! parlez!


M. ÉMILE OLLIVIER. Je demande pardoll a la Chambre de
la retenir; quant a moi, je suis a ses orJres aussi longtemps
qu'elle le voudra ... (Parlez! parlez!)


PLUSIEURS MEMBRES. A demain! a demain !
VOIX NOMBREUBES. Non! non! - Parlez! parlez! (Bruit.)
M. LE BARON DE JANZÉ. M. le ministre d'État désire sans


doute qu' on lui réponde complétement. Notre honorable
collegue M. Ollivier a bien encore a parler pendant une
heure ou une heure et demie. Plusieurs membres demandent
la remise de la discussion a demain ... (Non! non! - Oui! a
demain! )




SUR L' AMENDEMENT DES QUARANTE-CINQ 361
PLUSIEURS MEMBRES. Que M. Ollivier parle! nous l'écou-


terons!
UNE VOIX. Il n'est que six heures !
M. LE MARQUIS DE TALHOUET. Nous demandons que le


renvoi a demain soit mis aux voix. (Non! non! - Si! si!)
M. ACHILLE JUBINAL. La question est de savoir si nous


finirons la discussion de l'adresse aujourd'hui. Si vous ne
devez pas finir, il n'y a pas nécessité de prolonger la discus-
sion aussi tardo Si vous voulez flnir auj ourd'hui, a la bonne
heure 1 (Bruit.)


PLUSIEURS MEMBRES. A demain ! a demain!
D'AUTRES MEMBRES. Non! non! Laissez parler!
M. LE MARQUIS DE TALHOUET. Consultez la Chambre,


monsieur le président !
M. LE PRÉSIDENT WALEWSKI. Je vais consulter la Chambre


sur le renvoi de la discussion a demain. (Oui! - Non! non!)
Ceux qui ne voudront pas le renvoi a demain voteront
contre. C'est bien simple.


(Le renvoi a demain de la discussion est mis aux voix. )
M. LE PRÉSIDENT WALEWSKI (apres avoir consulté le bu-


reau). La Chambre décide que la discussion continue.
Monsieur Émile Ollivier, veuillez reprendre la parole.
Je prie la Chambre d'écouter l'orateur sans l'inter-


rompre.
M. ÉMILE OLLIVIER. Je veux bien parler, mais a une con-


dition, c'est qu'on m'écoute. (Parlez! parlez 1)
Je disais : Vous etes sortis par le décret de 1860 de la


constitution primitive de 1852.
UN MEMBRE. Faudrait-il done le retirer?
V OIX NOMBREUSES. Écoutez! écoutez done! n'interrompez


pas!
M. ÉMILE OLLIVIER. Vous etes sortis de la constitution


de 1852, vous en etes sortis d'une maniere fondamentale, et
voici en quoi : avant le décret de 1860, -je puis parler
de ces temps, je les ai connus aussi, - le corps législati
ressemblait beaucoup plus a un grand conséil général qu'a
une assemblée politique; il n'avait aucune communication




362 DÉMOCRATlE ET LIBERTÉ
réelle avec le dehors; jamais, ce qui était plus grave, si ce
n'est dans des cas tres-rares, il n'entendait aucune parole
politiqueo Les discussions étaient soutenues par le président
du conseil d'État, par les différents conseillers rapporteurs
des lois; si nous avions eu l'indiscrétion de leur adresser une
question pareille a celles auxquelles M. le ministre d'État
répond quotidiennement) ils nous eussent répondu : je n'en
sais pas plus que vous; comment vous répondrions-nous ?


Qu'a fait le décret de 1860? Il a ouvert les portes a notre
parole; illui a permis de pénétrer partout, telle qu'elle s'est
produite ici; il a surtout introduit cette innovation que
j'appelle fondamentale, qui a consisté a amener devant vous
la politique, le ministere. Par cela meme, le caractere du
corps légíslatif a été modifié, et il est devenu une assemblée
politiqueo


lci, messieurs, je rencontre une partie de l'argumenta-
tion de l'honorable ministre d'État, que j'aceepte pIeinement.
Oui, je considere, ainsi que lui, qu' en réaIité cette assem-
blée a tous les pouvoirs nécessaires pour faire prédominer
sa volonté dans les affaires de l'État; oui, je erois que,
gráce a l'adresse, vous avez, dans une mesure suffisante, le
droit d'initiative, le droit d'interpellation; que, graee au
vote sur le budget, sur le contingent, vous avez le droit
d'empeeher les expéditions lointaines, si elles ne vous con-
viennent pas, d'arreter les armées quand elles partent poul'
-l'Italie ·ou quand elles s'embarquent pour le MexiquB. Si
vous ne l'avez pas fait, e' est que vous .ne l'avez pas voulu,
c'est que vous avez, de votre gré, accepté la responsabilité
des actes que le Gouvernement, ainsi que vous l'a dit avee
raison l'honorable ministre d'État, vous a soumis a temps
pour que vous puissiez les blamer ou les approu~er, les au-
toriser ou les empecher. (C'est vrai!)


Je vais plus loin; j'affirme meme que quand vous serez per-
suadés qu'il importe a l'intéret général qu'un ministre dispa-
raisse des conseils de l'Empereur, vous avez le pouvoir de l' en
faire sortir. Il y a en effet trop de sagesse dans le Souverain,
trop d'intelligence des besoins réels du pays et de ce qui




SUR L'AMENDEMENT DES QUARANTE-CINQ 363


constitue la force d'un gouvernement, pour qu'il s'obstine
jamais a conserver un ministre que vous considéreriez
eomme impopulaire, comme maladroit, et eomme nuisible
a la ehose publique. Vous le voyez, messieurs, si influer
puissamment sur les affaire s publiques, et quand on le vou-
dra sur le ehoix meme des ministres, e' est entrer dans le
régime parlementaire, HOUS y sommes en plein. (Mouve-
ment.)


Il est erroné de croire que les assemblées ne puissent
exereer d'action sur les souverains que si elles ont les
ministres dans leur sein. Quelle assemblée a tenté contre
le pouvoir exécutif des elltreprises plus audacieuses que
l'assemblée constituante? Cependant les ministres n'y ve-
naient pas . .ce qui ne l'a pas empechée de se débarrasser des
ministres qui lui déplaisaient, d' exiger le rappel de Necker,
d'interdire la lecture d'un mémoire des ministres sur le
,'éto suspensif. Aussi, écoutez ce qui arriva. La démonstra-
tion me semble nouvelle. Il se passa dans l' opinion des
esprits sensés qui composaient le parti royaliste, le parti
constitutionnel, le partí libéral de la constituante, une
transformation d'esprit que j'ai vue se produire dans un
tres-grand nombre d'entre vous. Lorsque Mirabeau proposa
que les ministres pussent non-seulement avoir entré e a la
Chambre, mais encore rester députés, Barnave, de Noailles,
tout ]e parti modéré et constitutionnel de l'assemblée s'op-
posa a la motion. " Ce seraít un danger public, dirent-ils;
le pouvoir exécutif est déja trop puissant; comment lui ré-
sisterions-nous, si, a l'influence extérieure et occulte, il
joignait une influence intérieure et apparente fLes ministres
étant parmi nous, ayant la facilité d'aborder chaque jour
les membres de l'assemblée, de s'expliquer avec eux, de les
dominer par les insinuations des conversations privées ou
par l'éloquence des discours publies, c'en serait fait de la
liberté. " L'assemblée -constituante céda a cette argumen-
tation, et malgré l'insistance du grand orateur, elle décida,
- ce qui est dan s la constitution de 1852, - que non-
seulement les ministres ne pouvaient pas etre députés, mais




364 nÉMoCRATIE ET LIBERTÉ


qu'ils n'auraient pas séance parmi les députés. Un an ou
deux s'écoulerent; Mirabeau n'était plus 11:1., mais l'expé-
rience avait travaillé pour son idée. Lors de la révision de
la constitution, ce meme Barnave, ces memes constitutíon-
neIs qui avaient repoussé l'article autorisant les ministres
a venir a la Chambre, le proposerent eux-memes. a l'as-
semblée constituante a titre de garantie, de protection
pour le pouvoir exécutif. Et savez-vous qui se leva alors,
qui s'opposa a la mesure par des raisons exactement
semblables a celles que VOllS entendez tous les jours? Celui
qui porte dans la révolution le 110m de plus sinistre mé-
moire, l' orateur des jaco bins, Ro bespierre! V oici ses pa-
roles : " Dans les principes de la constitution est la sépara-
tion des pouvQirs; or, l'article qui vous est prop~sé tend a le
confondre en quelque maniere : il donne aux ministres
non-seulement le droit d'assister aux délibérations du corps
législatif, mais le droit de parler sur tous les objets soumis
a la discussion .... Or, quel est l'intéret des ministres? Il
n'est pas que leurs voix soient comptées, car une ou deux
voix de plus n'ont pas beaucoup d'effet; mais ils ont intérét
a influencer les délibérations, et c'est sous ce point de vue
que je dis que l'article est contrairp. a l'esprit de la consti-
tution. Ce n' est pas une petite chose que d'introduire dans le
corps législatif un homme qui a l'influence de ses moyens
et de son éloquence ajouterait celle du grand caractere dOllt
il serait revetu. Lorsque les ministres pourront diriger les
délibérations, craignez qu'on ne les voie sans cesse, non-
seulement altérer la pureté du corps législatif, mais venir
consommer dans l'assemblée le succes des mesures qu'ils
auront prises au dehors. L'article tend évidemment a con-
fondre le pouvoir exécutif avec le pouvoir législatif, non en


. ce qu'il donne le droit de pouvoir faire compter sa voix,
mais avec le pouvoir législatif, en ce qu'il confere aux
membres qui en sont revetus le droit de diriger les délibé-
rations et d'exercer une influence directe sur la fOl'mation
de la loi. Je demande la question préalable. "


Ainsi, messieurs, condamnez nos propositions, trouvez-





SUR L'AMENDEMENT DES QUARANTE-CINQ 365


les inopportunes, mais ne vous arrogez pas le droit d'affir-
mer que nous les introduisons pour affaiblir le pouvoir.
Non, rien de pareil n'est dans notre pensée. Quand nous
demandons que les ministres viennent iei, ee n'est pas pour
affaiblir le pouvoir, ear nous savons que nous n'y réussi-
rions pas par ee moyen; e'est pour lui eréer une foree har-
monieuse, pour le mettre naturellement en rapport avee eétte
assemblée et le faire sortir de eette foree solitaire qui est
un danger pour lui et un danger pour la nation. (Approba-
tion sur quelques banes.)


Si on voulait eontenir le développement de 1'influenee
lJarlementaire, iI fallait y songer avant le déeret du 24 no-
vembre. Maintenant il n' en est plus temps. Nous sommes en
pleine possession de eette influenee, mais elle s'exeree mal.
C' est la partie de ma démonstration a laquelle il faut que
. , . J arnve.


Elle s' exeree mal. Vous allez comprendre pourquoi. Assu-
rément, messieurs, s'il est un reproehe que ne mérite pas la
eoilstitution aetuelle, e'est de n'etre pas soucieuse des pré-
rogatives du pouvoir souveraill. Or, avee le systeme inau-
guré par le déeret de 1860, on est arrivé a eonstituer, non
pas, eomme l'a dit l'honorable M. Latour-du-Moulin, un
grand visir, e'est une mauvaise expression, (On rit.) mais un
premier ministre.


l\L LATOUR-DU-MoULIN. C'est préeisément ee que j'ai voulu
expnmer.


M. ÉMILE OLLIVIER. Aussi, voyez le beau chemin qu'a fait
le ministre d'État depuis que nous le voyons fonetionner
parmi nous. D'~bord, e'est un orateur platonique défendant
tous les ministres, et ll'ayant sur eux qu'une influenee dé-
tournée. Aujourd'hui le ministre d'Etat évidemment a une
influenee prépondérante dans toutes les affaires, autant que
nous pouvons en juger du dehors. Ainsi, par exemple, e'est
maintenant une habitude, pour ma part je la trouve natu-
relle, que le ministere de l'intérieur ne soit plus qu'une divi-
sion ou une grande sueeursale du ministere d'État. (Excla-


• mations et rires. - Murmures sur quelques banes.)




266 nÉMOCRATIE ET LIBERTÉ
M. LE PRÉSIDENT W ALEWSKI. J e ne erois pas avoir besoin


de rappeler a l'orateur qu'il doit éviter tout ee qui pourrait
ressembler a des personnalités.


M. ÉMILE OLLIVIER. Votre observation, monsieur le pré-
sident, est tres-juste; les personnalités sont toujours bla-
mables, je vous assure que dans ma pensé e il n'y en a au-
cune. Je eonstate un fait, et je suis eonvaincu qu'il est dans
la pensée du ministre d'État. Si eette organisation dure,
il réussira a étendre aussi la main sur le ministere des
affaire s étrangeres et a le plaeer vis-a-vis de lui dans la
me me situation que le ministere de l'intérieur. Qlli pourrait
s'en étonner? Quelque puissant que soit un orateur, il ne
saurait exposer bien ou défendre avec force les affaires lors-
qu'il ne les a pas vues naitre, lorsqu'il ne les a pas dirigées.
Que peut-on lui répondre lorsqu'il dit dans les délibérations
communes: Je m'oppose a cette mesure, car je ne pourrai~
pas la défendre ; le corps législatif la repousserait, elle est
contraire a son esprit? Done fatalement, si vous n'amenez
pas les prineipaux ministres a la Chambre ou si vous ne les
excluez pas tous, vous serez conduits a concentrer l'influence
dirige ante dans un seul, vous donnerez au ministre d'État
une force qu'aueun ministre n'a eue depuis Louis XIV.


Et, messieurs, ce qu'il y a do plus étrange, c'est que, -
c'est le seul mot que je veux dire de l'Angleterre, ear j'en
suis fatigué ... (On rit.) - il est des pays, comme l'Angleterre,
pardonnez-moi cette fois la citation, OU il y a, en effet, un
premier ministre, et, par une bizarrerie étrange, dans ees
pays de bavards, e' est-a-dire dans les pays parlementaires,
le premier ministre, c'est celui qui sans doute parle eomme
les autres, mais qui agit plus que les autres, ou du moins
dont l'aetion est la plus importante, le premier lord de la
trésorerie.


M. LE COMTE DE JAUCOURT. C'est une erreur! (Bruit.)
M. ÉMILE ÜLLIVIER. En Franee, dans un pays OÜ tout est


dirigé eontre le parlementarisme, le premier ministre est
celui qui se borne a parler et qui n'agit pas du tout.


M. LE COMTE DE JAUCOURT. En Angleterre, le premier




SUR L'Al\1E~DEl\1ENT DES QUARANTE-CI~Q 367


lord (le la trésorerie est touj ours leader dans une des
charnbres, et par conséquent parle plus que tous les autres
ministres.


M. ÉMILE OLLIVIER. Ceci, messieurs, n'est que bizarreo
.J'arriye a ce qui est dangereux. La constitution dé cIare que
l'Empereur est responsable. J'ai déja dit, en ce qui me con-
cerne, que cette disposition me plaisait, et je persiste dans
cette opinion. OUl, j'aime a voir a la tete des affaire s un
esprit actif et ne renon~ant pas a sa part de responsabilité
dans les choses, d'autant plus que, lorsque la constitution
ne la lui crée pas, les événements la lui imposent. Toutefois,
messieurs, gardons-nous des exceso S'il est bon de faire que
le Souverain puisse agir pour sa part, et qu'en conséquence
il soit responsable, il est détestable de permettre qu'en
dehors de lui, il existe des personnes qui, agissant, ne
soient pas responsables. Les deux theses ne s'excluent paso
Il n'y a rien Ut de contradictoire, quand on a éta.bli la
responsabilité dans la personne du chef de l'État, de
1'établir dans la personne des ministres et des agents infé-
rieurs, et il est tres-important qu'il en soit ainsi.


Un illustre publiciste italien, voulant déterminer a quoi
tiennent les faveurs de la fortune, a fait une observation
pleine de sagacité. Selon lui, la bonne fortune résulte du
rapport de co'incidence qui existe entre le caractere, les
facultés, les aptitudes de ceux qui agissent et l' exigence
meme des évenements. Aínsí, a un certain moment, la len-
teur prudente, la patience imperturbable est de saison; met-
tez en mouvement Ul: audacieux, un impétueux, r échec est
au bout. A d'autres moments, au contraire, la décision
prompte, le coup d'reil rapide, la marche en avant instan-
tanée est requise; confiez-vous aux tergiversations et aux
lenteurs d'un flegmatique, l' échec est au bout.


Lors donc qu'un souverain, du sommet d'une constitutioll,
met en branle soli immense machine, s'il veut que le sucees
accompagne toujours ses entreprises, il faut que, tout en
gardant. son initiative, sa responsabilité, il prenne l'habitude
d'incarner dans des hommes déterminés les phases succes-




368 nÉMoCRATIE ET LIBERTÉ


sives de sa politique, de fa<;on que, toujours respecté,
il puisse, tour a tour, a l'impétuosité des choses présenter
le politique impétueux, comme, a leur lenteur, le politique
circonspect; changer d'allures, selon que les circonstances
changent elles-memes, et étre sans cesse comme nouveau
et rajeuni. Tout fonctionne alors avec facilité; ceux qui
combattent une politique sont aussi a l'aise que ceux qui la
soutiennent; et, par-dessus tout, le souverain a une latitude
de mouvements qu'il ne saurait obtenir autrement.


VOIX DIVERSES. A demain! - Non! non!
M. ÉMILE OLLIVIER. Aujourd'hui, au contraire, il ne peut


changer de politique sans qu'on crie a la contradiction, a
l'inconsistance, et que quelquefois on ne prononce de plus
rudes paroles. Ce n' est bon pour personne.


L'Empereur a dit dans son discours qu'on ne pouvait pas
songer au couronnement d'un édifice dont les bases étaient
perpétuellement ébranlées. Il a eu raison. Seulement, ce
qui ébranle l' édifice, ce ú' est pas la revendication libérale,
c'est le faux systeme parlementaire qu'a introduit le décret
de 1860, et qui sera nMaste, si on ne le complete pas.
(Bruit.)


PLUSIEURS MEMBRES. A demain ! a demain!
AUTRES MEMBRES. Parlez! parlez !
M. THIERS. On ne peut pas flnir ce soir!
QUELQUES ME11BRES. Reposez-vous, monsieur Ollivier!
M. HAENTJENS. Je demande une séance du solr.
:1\1. E~lILE OLLlVIER. La Chambre sait que je n'ai ni le


gout ni l'habitude des longues haranglles; cependant, mal-
gré l'heure avancée, elle comprendra que, lorsque pour la
premiere fois depuis trois semaines le représentant du.
Gouvernement s'est expliqué devant cette assemblée, je nc
puis, san s m'étendre un peu, répondre a un discours qui a
duré plusieurs heures.


V OIX DE DIVERS COTÉS. A demain! a demain! Il est six
heures et demie ! - Non! non!


(Plusieurs députés se levent et s'appretent a quitter la.
salle. )




SUR L'AMENDE:MENT DES QUARANTE-CINQ 369
PLusmURS MEMBRES. eonsultez la chambre, monsieur le


président!
AUTRES MEMBRES. On l'a déja consultée. Aux voix !
M. LE PRÉSIDENT WALEWSKI. Je consulte de nouveau la


Chambre sur le renvoi a demain. (Ouí! oui! - Non! non!)
(La ehambre consultée décide que la discussion con-


tinue. )
QUELQUES MEMB~ES. On jamais n'a vu cela!
M. MARTEL. L'appel nominal.
M. J ULES FA VRE. e' est de la violence!
M. HAEISTJENS. Une séance de nuit alors!
M LE PRl~SIDENT WALEWSKI. Voulez-vous continuer votre


discours, monsifmr Ollivier?
M. ÉMILE OLLIVIER. Quoique cette rigueur de la ehambre ...


(Non! nOIl! - Si! si!) me soit nouvelle et pénible, je con-
tinuerai, et je désire que votre attention se maintienne aussi
longtemps (lue mes forces. (Tres-bien! - Parlez! parlez!
- Bruit.)


M. LE PRESIDE'iT \VALEWSKI. Veuillez écouter, messieurs.
Si vous ínierrompez achaque instant, l' orateur ne pourra
achever son di~cours. La ehambre a décidé que la discus-
sion continuerait, elle doit continuer. J'invite la. ehambre
au silence et M. Ollivier él parlero


M. ÉMILE OLLIVIER. J'ai terminé la premiere partie de
ma réfutation. J'ai établi que les signataires de l'amende-
ment ne rédarnaient pas la destruction d'une constitution .
qui p'exi:-;te pllls sur le point auquel se rapporte leur amen-
dement. Lent' sf~lll V(BU est qu' on développe, qu'on complete
le décret de lloyembre 1860; rien de plus.
J'étahli~ rnaintellant que M. le ministre d'Etat s'est éga-


lement trompé lor~qu'il nous a accusés de vouloir restaurer
le régirne pariementaire. Je ne puis pas, en ce moment, exa-
miner ce qUt~ valait le régime parlementaire, ni rechercher
s'il ne sera pas ramené par l'impossibilité de se tenir a
d'autres corllhina,islms. e'est une haute et grave question
politique, rn;tis l'heure n'est pas propice pour la débattre. Je
YOUS ferai !'clllement remarquer que, si le régime parlemen-


24




370 nÉMOCRATIE ET LIBERTÉ
taire a subi des échecs, s'il en a subi en 1830, s'il en a subi
en 1848, il ne serait pas juste de les attribuer au méca-
nisme constitutionnel lui-meme.


D'abord, messieurs, quand on parcourt l'histoire, on
découvre d'autres régimes que le régime parlementaire qui
sont tombés, comme le dit Bossuet, d'une grande chute. Les
peuples n'ont pas attendu ] 789 pour renverser les gouver-
ments et changer les dynasties. D'autre part, d-e nos jours,
il existe autour de nous des gouvernemetlts constitutionnels
qui prosperent, qui se maintiennent et quí donnent aux.
populations la satisfaction, la paix et la liberté. Quelque
parfait ou quelque imparfait que soit un mécanisme consti-
tutionnel, il n' est jamais que la deuxieme cause de la chute
des gouvernements. La premiere, c'est leur incapacité, leur
mauvaise conduite. Quand un gouvernement tombe, c'est
qu'iI n'a pas écouté les VCBUX du pays ou qu'il !l'a pas accom-
pli l'CBuvre qu'on lui avait confiée. Depuis le commencement
du siecle, la France a posé un probleme a ses gouverne-
ments successifs. Elle leur a dit: Je veux que le pouvoir
soit fort, mais je veux que la liberté soit ample; je n'en-
tends pas séparer ces cleux puissances; elles sont aussi néces-
saires l'une que l'autre. Oit l'on a le pouvoir sans la liberté,
on va a la corruption. Oil l'on a la liberté sans le pouvoir, on
va aux saturnales. Le probleme du clix-neuvieme siecle,
c'est de concilier, c'est de faire vivre ensemble ces deux
puissances qui sont indestructibles, clont l'une ne peut pas
plus disparaltre que l'autre. La France pose le proLleme a
chacun des gouverne-ments qui se présentent pour le ré
soudre; elle leur accorde des mois et des années de patience ,
puis, quand elle a acquis la conviction que le probleme n'est
pas résolu, elle se détourne d' eux, elle les abandonne, elle
les livre a leur sort, et elle tente avec d'autres une llOU-
velle ex.périence.


Je suis blessé, je l'avoue, dans mon sentiment d'orgueil
national, et dans ce que je considere comme la vérité,
lorsque j'entends a travers le monde et jusque dans ce pays
cireuler comme une these indiscutable l'inaptitude du peuple




SUR L' AMENDEl\lENT DES QUARANTE-CINQ 371


fran<¡ais a la liberté. 11 est de mode de dire que e' est un
peuple indoeile ou endormi, qui passe toujours de l'abjection
a la révolte. Non, ee portrait n'est pas ressemblant, il n' est
pas vrai, (Tres-bien! tres-bien!) Philippe de Commines,
disait déja dans son siecle: " Ce tant obéissant peuple de
France "; et Stuart-Mill, un observateur tres-perspicace, a
écrit récemment: " Quand en Angleterre quelque ehose va
mal, la premiere parole, c'est de s'écrier: Quelle honte!
quand en France quelque chose va mal, le premier mot est
de dire : Il faut de la patience. " Seulemellt, quand ce peuple,
apres avoir donné son CCBur, sa confiallce, apres s'étre livré,
apres avoir espéré, découvre un jour avec évidence que sa
confiance est mal placée, qu'on abuse de son CCBur, que l'es-
poir qu'il avait ne se réalisera pas, alors il se redresse, et
il fait justice. Voila l'histoire de la révolution de 1848.


Mais laissons ces souvenirs rétrospectifs, laissons ces
souvenirs qui irritent et n'éclairent pas, et notons qu'entre
le systeme que vous présente l'amendement et le systeme
parlementaire, il y a les différences suivantes : lo nous ne
demandons pas que le chef de l'Etat cesse d'étre respon-
sable et actif; 2° nous ne demandons pas qu'il y ait entre les
ministres cette solidarité critiquabIe qui faisait qu'un excel-
lent ministre des finances était sacrifié parce qu'un maladroit
ministre de l'intérieur avait écrit de mauvaises circulaires;
3° nous ne demandons pas la résurrection des questions de
confianee et des questions de eabinet. Nous croyons que les
débats, autant que possible, doivent porter sur les ehoses et
non sur les personnes; que ee qu'il faut examiner toujours,
ee n'est pas si un personnage plait ou dépialt, mais unique-
ment si racte qu'il aeeomplit est juste ou s'il ne l' est paso
Qu'indirectement la censure de l'aete atteigne la personne,
c'est manifeste; que, si un eertain nombre d'actes d'un mi-
nistre étaient rejetés, on arrive a atteindre le ministre lui-
meme, c'est évident, mais e'est un effet indirect et de rico-
ehet. Ce que nous ne voulons pas, c'est qu'on puisse dire :
Voila une loi qui est bonne, dont nous approuvons les dis·
positions; mais elle est prés~ntée par M. X ... , qui nous dé-




372 DEMOCRATIE ET LIBERTÉ
plait, nous la repoussons. Un tellangage serait d'un mauvais
exemple pour le pays. Quand une mesure est bonne, de quel-
ques mains qu'elle tombe, accueillons-la avec reconnaissance
et défendons-la. Qu'on ne puisse jamais croire que ce sont
des sentiments persollnels, des sentiments inférieurs, 1'am-
bition ou le dépit qui dirigent notre vote ou animent notre
parole. (Tres-bien! tres-bien!)


Maintenant, si on peut estimer que les auteurs de 1'amen-
dement sont dans l' erreur, il ne sera plus permis de se
méprendre sur ce qu'ils veulent. Je le répete, dans les
limites du plébiscite initial, ils veulent étendre, compléter,
organiser le systeme créé en novembre 1860. (Approbation
sur quelques bancs.)·


Voila pour les droits de la Chambre ... (lnterruption.)
QUELQUES VOlX. A demain! a demain ! - Non! non!
M. ÉMILE OLLIVIER. J e vais tacher de flnir.
Pour le pays, que demandons-nous? lci encore, n'exagé-


rez pas notre pensée. Nous n'ignorons pas que les progres
durables sont les progres lents et mesurés. Nous ne vous
demandons pas un coup d'État de liberté, comme on a fait
jadis un coup d'Etat d'autorité, HOUS demandons un déve-
loppement progressif, mais résolu, mais constant. Ainsi,
par exemple, relativement au droit de réunion, nous ne
vous demandons pas d'ouvrir les clubs, nous les détestons
autant que vous; HOUS ne désirons pas que la France se
couvre de meetings politiques , agités et effervescents. Non,
nous ne voulons rien de pareil. (Tres-bien!) Nous ne désirons
que la liberté et la sincérité des élections. Vous pensez
que les candidatures officielles n'y sont pas un obstacle, soit,
nous ne discuterons pas cela aujourd'hui, je vous passe
les candidatures officielles. (Oh 10h! sur quelques banes.)


M. LE GÉNÉRAL ALLARD, président de section au conseil
d'État. e'est heureux!


M. EMILE OLLIVIER. Quoique je ne les admette pas, je vous
les passe, a 'condition que les élections soient vraiment
libres pour tout le monde. Or ~ que faut-il pour que les
élections soient libres? Consul~ez. non pas les constitutions




SUR L'AMENDEMEi'\T DES QUARANTE-CINQ 373


ue tel ou tel peuple, non pas les usages parlementaires,
mais le bon sens, et vous n'y trouverez pas une réponse a ce
que je vais dire. JI n'y a pas d'élections libres sans deux
conditions : la premiere, que ceux qui élisent puissent se
concerter et entendre les candidats, les interroger sur leurs:
pensées et savoir s'ils peuvent les approuver; (Mouvement.)
la seconde, c'est qu'il y ait une presse libre, discutant, pro-
pageant les candidatures.


M. le ministre a beaucoup parlé du suffrage universel; il
a lu des paroles de M. Guizot hostiles au suffrage universel,
paree qu'ille considérait comme incompatible avec la liberté.
On le croirait en vous entendant. (Mouvement. - Vive
approbation sur plusieurs bancs.)


M. JULES FAVRE. Et a la fa<;on dont on le pratique.
M. ÉMILE OLLIVIER. Et franchement, s'il en était ainsi,


si eette eonviction envahissait mon esprit que le suffrage
universel est une cause de désordre, une impossibilité, des
qu'il est aceompagné de la liberté, soit de la liberté de réu-
nion, soit de la liberté de la presse, je le maudirais comme
le plusméprisable instrument de despotisme ... (Mouvement.)
Heureusement, je n'en erois rien, et c'est paree que je suis
persuadé que, loin d'étre un obstacle a la liberté, il fournit
un argument de plus en sa faveur, que je l'aime, que je lui
suis fidele.


Je eo:::nprends en effet que, lorsqu'un gouvernemellt a été
improvisé, comme en 1814, dans les casernes d'une armée
envahissante, ou, comme en 1830, dan s les salons de
quelques députés, je comprends qu'il n'ait pas souci d'affron-
ter le regard de la nation, de laquelle il n'a pas regu la
]?ermission d'étre. Car enfin, il faut bien le dire, qu'il s'ap-
pelle empereur ou roi, tout souverain, dans les temps mo-
dernes, n'est rien autre qu'un délégué de la nation, délégué
perpétuel, inamovible, tandis que nous sommes des délégués
temporaires; délégué cependant qui n' existe que par la
volonté souveraine du peuple.


Aussi aucun des gouvernements qui n'ont pas été une éma-
nation du suffrage populaire n'a pu supporter le regard de




374 DÉMOCRA TI E ET LIBERTÉ


la multitude; ils n'ont songé qu'a se protéger contre elle,
ils ont créé un suffrage restreint; ils ont réuni leurs élec-
teurs dans de petites salles fermées, OU l' on parlait a voix
basse, de fa<.;on a ce que ceux q ui passaient dans la rue
n'entendissent pas et ne fussent pas tentés de s'arreter,
I{}' écouter et d' enfoneer la porte pour entrer. (Nouveau mOu-
vement.)Mais qu'un gouvernement issu du suffrage universel,
acclamé une fois, deux fois, trois fois, éprouve les memes
craintes; qu'il considere le suffrage universel libre comme
une cause de faiblesse, qu'ille redoute comme un désordre,
~'est a la fois de l'ingratitude et de la pusillanimité .. (Inter-
ruption.) Rappelez-vous done, monsieur le ministre, que vous
parlez au nom d'un Napoléon, au nom d'un souverain grand,
puissant, populaire, connu dan s les chaumieres autant que
dans les salons. N'ayez done pas les terreurs de ces gouver-
nements dont vous avez pris l'esprit a force de Jire les dis-
cours des ministres qui les ont perdus. (Rires d'adhésion sur
1uelques bancs.)


Je termine. Le pays est calme a la surface; mais au fond,
dans tous les esprits regne une anxiété mystérieuse qui tient
au dissentiment radical qui existe entre les hommes politi-
queso Les uns disent: Ce gouvernement, a cause de son
origine, de ses traditions, de sa nature, ne peut pas donner
la liberté. Le voullit-il, iI ne le pourrait pas. Les autres ré- .
pondent : Précisément a cause de son origine et de la force
qu' elle lui assure, il peut donner la liberté plus surement
qu'aucun autre; le pouvant, il ne le veut paso


PLUSIEURS VOIX. C'est cela! Vous avez raison!
M. ÉMILE OLLIVIER. L'avenir de la dynastie impériale


dépend de la solution qui sera donnée a cette controverse.
Si ceux qui pensent que 1'Empereur peut donner la liberté
triomphent, la dynastie sera fondée et assise sur le roe;
(Sensation. - Tres-bien! tres-bien!) si ceux qui soutiennent
que l'Empereur ne peut donller la liberté l'emportent, la
dynastie est condamnée aux aventures. (Rumeurs diverses.
- Adhésion sur quelques bancs.)


Avec vous, mes chers collegues signataires de l'amende-






SUR L' AMENDEMENT DES QUARA~TE-CINQ 3'75


ment, je désire que la dynastie devienne solide; mais,
eomme vous, je erois que cela est impossíble sans la liberté.
eomme vous, je suis déeidé a eombattre énergiquement
tous eeux qui se poseront devant nous eomme des obstaeles
a l'avénement de la liberté. Aussi, quoique je n'aie pas signé
votre amendement, j'en veux partager la responsabilité, et
je sors de mon isolement pour me placer au milieu de vous.
(:\Iouvement marqué.)


Ayez eonfianee. Quoi qu'il arrive, ne vous déeouragez
paso Quelles que soient les péripéties, quelles que soient les
diffieultés de la lutte, persévérez, ear, soyez-en surs, l'ave-
nir vous appartient. (Nouveau mouvement.) On nous refuse
le présent; on ne saurait nous enlever le pouvoir de prend:re
par l'espéranee posses~ion de l'avenir. (Tres-bien! sur
quelques banes.) Oui, l'avenir nous appartient. Pour le
hater, reeonnaissons-nous, rapproehons-nous, eoneertons-
nous, aun que notre union fasse l10tre force en attendant
qu'elle fasse notre vietoire; et si, dans les diffieiles eombats
qui vont eommeneer pour nous, nous devons !lOUS garder de
la violenee qui rend les causes justes odieuses, évitons avec
un soin égal la faiblesse qui les avilit. (Marques d'approba-
tion et applaudissements sur plusieurs banes.)




XXXI


DÉCLARATION FAITE EN PRENANT LA DIRECTIO~ DE la Presse



(24 mars 1866)


Il en est qui souhaitent la révolution afin d'obtenir d'elle
la liberté;


Il en est qui veulent la liberté sans la révolution.
J'ai depuis longtemps opté, a la tribune, entre ces deux


politiques, et pris parti pour la liberté san s la révolution.
Voici ma raison : Quand une nation rencontre dans l' exis-


tence d'un gouvernement une impossibilité a l'accomplisse-
ment de ses destinées, elle u'a d'autre ressource que l'op-
position systématique ou révolutionnaire. Quand elle n'y
trouve qu'une difficulté , elle n'a d'autre droit que l'oppo-
"lition constitutionnelle.


Aujourd'hui, que voulons-nous? L'alliance de la démo-
tratie et de la liberté. Est-ce impossible a obtenir constitu-
tiollnellement? Non, ce n'est que difficile. L'opposition cons-
titutionnelle est donc seule opportune et seule légitime.


La liberté a l'intérieur implique la paix a l'extérieur.
Sans la paix, il ne saurait y avoir de liberté paisible. Il faut
encore se résigner a la guerre que l'honneur ou la süreté
exige; mais aucune raison n'excuse les guerres de conquete,





DÉCLARATION EN PRENANT LA DIRECTION DE LA PRESSE 377


les guerres d'influence, les guerres de parade, les guerres
de diversion.


Ces idées étaiellt celles de l'éminent publiciste, de l'am
qui a créé la Presse et qui en a fait la gloire. Aussi ma di-
rection n'entrainera-t-elle aucun changement de doctrine;
quels que soient les périls de sa situati~n actuelle, ce jour-
nal n'abandonnera pas la grande cause qu'il a toujours dé-
fendue et dont les divers aspects peuvent se résumer en ces
mots : lJémocratie, Paix et Liberté.




XXXII


SUR LE DISCOURS DE r.'EMPEREUR


(25 mal'S 1866)


Il Y a quelque temps, nous eussions accueilli ce discours
comme une promesse, a cause de ces paroles : " La France
veut ce que nouÉ; voulons tous, la stabilité, le prog1'es et la
lioe1,té. "


Aujourd'hui, nous n'y voyons qu'un nouvel ajournement
de la liberté, aussi indéfini que les précédents.


Pourquoi, d'ailleurs, ne l'avouerions-nous pas? Des actes
seuls pourront désormais HOUS rendre l' espérance que les
dernieres déclarations de M. Rouher, au corps législatif,
ont décidément déconcertée.


Objectera-t-on que nous sommes des impatients?
Sans dout.e, l'impatience est le premier péché mortel du


politique; toutefois, autant que de l'impatience, il faut se
défier de cette patience molle et complaisante, dOllt Tacite
a dit : Patientia se1'vilis. Cette patience, nous ne voulons
pas l'avoir. Quoi qu'on dise et quoi qu'on fasse, nous ne
nous écarterons pas de la voie légale, constitutionnelle;
mais dans cette mesure, nous serons persévérants, infati-
gables, impatients, si on le veut, jusqu'a ce que nous. ayons
obtenu ou conquis la liberté.




XXXIII


OU EN SOMMES-NOUS?


(27, 29, 31 mars et 8 avril 1866)


1. - Pour le savoir il importe avant tout de poser avec
rigueur les termes memes du probleme. I1s sontrestés en par-
tie tels qu'ils étaient sous les gouvernements alltérieurs; en
partie ils se sont modifiés et ont pris un aspect nouveau.
Je voudrais déterminer en quoi ils 'sont restés les memes,
en quoi ils se sont modifiés.


Les relations entre le pouvoir -' ou mieux l'État, - et
la liberté - ou mieux l'indi'vid'lt, - soulevent deux que s-
tions:


La premiere est celle-ci : Quels sont les droits dont l'É-
tat est autorisé a priver l'individu, soit pour assurer la paix
publique, soit pour accomplir des taches que l'individu seul,
ou associé a d'autres, n'aurait ni les moyens ni la capacité
de remplir?


Les droits que l'État a retirés a l'individu et qu'il s'attri-
bue, ne sont appréhendés par lui qu'a la condition qu'illes
fera servir a l'utilité générale. Qui veillera a l'accomplisse-
ment de la condition? L'individu lui-meme. Mais par quels
moyens? Telle est la recherche qui, la premiere questioil
tranchée, s'impose aussitót.




380 nÉl\IOCRATIE ET LIBERTÉ
Les droits que l'individu conserve et qui échappent a


l'appréhension de l'État constituent ledomaine de la liberté
civile ou sociale.


Les droits que l'indi vidu exerce comme contróleur du
pouvoir de l'État forment le domaine de la liberté poli-
tique.


Oh commence et ou finit la liberté civile? OU commence
le droit de l'État? ou celui de l'individu? Il n'y a pas de
théorie plus délicate, plus ardue et aussi d'une plus sérieuse
conséquence, puisque de sa détermination dépend le régime
de l'industrie, des arts, des professions, de la religion, de
l'enseignement, des communes, des départements. Les plus
grand~ esprits se sont exercés et s'exercent encore sur ces
matieres. Sous le gouvernement actuel, le probleme n'est
pas différent de ce qu'il était auparavant. Quelques beaux
livres de plus ont été publiés, un peu plus de clarté s' est
faite: le fond des choses est demeuré le meme.


La théorie des libertés politiques, au contraire, a tout a
fait changé d'aspect. Avant 1848, elle paraissait terminée.
La pratique, sans doute, ne réalisait pas toutes les indica-
tions de la science. Celle-ci, du moins, était fixée. La
liberté politique consistait, d'un commun accord, dans la li-
berté parlementaire, la liberté électorale, la liberté de la
presse, le droit de réunion et d'association, dans les limites
que l'ordre public autorise, la responsabilité des fonction-
naires.


Apres ] 848 s'est opérée une révolution radicale et dont
les conséquences ont survécu a la réaction, suite habituelle
d'une révolution. La nature du pouvoir ou de l'État a changé.
D' oligarchique~ il est devenu démocratique. A u líeu d' éma-
ner de la volonté de quelques-uns, il émane de la volonté
de tous et il est entour.é de conseils périodiquement renou-
velés par le suffrage universel.


Ce fait considérable, loin de modifier ou d' ébranler pour
certains esprits les anciennes théories de la liberté politique,
a" rendu plus manifeste l'urgence de leur réalisation pratique.
Nécessaire a tout gouvernement, la liberté est essentielle




ou EN SOMMES-NOUS 381
aux gouvernements démocratiques. Comme a dit Guicciar-
dini, elle est en substallce, la sustantialita. Toute démocra-
tie, a moins d'etre la forme la plus abaissée de la décadence,
doit etre une démoc'ratie libérale.


D'autres ne sont pas de cet avis. Il leur a paru que,
le peuple ayant choisi lui-meme son gouvernement et con-
servant· le droit de suffrage, les autres garanties deve-
naient inutiles, qu'elles devaient etre supprimées Oil tout au
moins réduites, et ils ont pris comme type de la démocra-
tie, la démocratie 1'oyale ou mieux la démocratie césarienne.


Ainsi posée, la question de la liberté,politique s'est rajeu-
nie, a recommencé, tandis que celle de la liberté civile de-
meurait la meme. De la 1'ardeur avec laquelle, quoique la
liberté civile soit aussi désirable que la liberté politique, les
esprits se sont tournés et se tournent surtout vers la reven-
dication des libertés politiques. Mais quand on scrute avee
impartialité une situation, iI n' est pas permis de s' en tenir
ú des vues incompletes; et rechercher OU nous en sommes,
e'est examiner d'abord ce que le gouvernement a fait pour
la liberté civile, puis ce qu'il a fait pour la liberté politique,
et eomment il a opté entre la démoeratie libérale et la dé-
mocratie césarienne.


n. - Aueun gouvernement n'a accordé plus que le gouver-
nement actuel a la liberté civile ou sociale, toute.s les fois
qu'il a eru donner ainsi satisfaction a un intéret populaire.
De meme que la paix maintenue sera, selon la belle expres-
sion de Lamartine, la glorieuse amnistie du gouvernement
de Juillet contre ses erreurs : la cause du peuple aimée, ser-
vie, défendue, restera le titre impérissable du gouvernement
impérial. Depuis la loi des coalitions, qui dans l'ordre social
a été pour les elasses travailleuses une. conquete égale a
celle du suffrage universel dans l'ordre politique, jusqu'a
l'évacuation de la Roquette, il n'a rien négligé. S'il n'a pas
opéré davantage, c'est que le savoir lui a manqué plus que
le vouloir. Cette année encore, le peuple doit a l'Empereur





382 DÉMOCR.A.TIE ET LIBERTÉ
l'enquete sur les associations ouvrieres, marque certaine de
faveur donnée au mouvement coopératif, indice. de la vo-
lonté qu'un bon régime légal lui soit préparé. Illui doit
aussi l'autorisation accordée d'avance a toutes les réunions
industrielles et commerciales. Sans doute, une loi eut rendu
la concession plus populaire et surtout plus assurée; mais,
meme a titre de faculté, elle est importante, nouvelle et, on
peut l' espérer, définitive. Il est des droits qu'il est possible
de refuser et dont cependant il ne serait pas sage de retirer
la jouissance, des qu'elle a été concédée pendant un certain
tp-mps, a un titre quelconque.


La liberté politique n'a pas obtenu du gouvernement im-
périal les ffiemes faveurs que la,liberté civile. Des l'origine,
elle a été considérée par lui comme une suspecte et traitée
en conséquence. On lui a mesuré l' air, la lumiere, l' espace.
Aux précautions anciennes on en a ajouté de nouvelles. Le
décret sur la presse est au premier rang de ces inventions
défiantes; la conception en est propre au deuxieme empire;
dans le passé on n'a ríen connu d'analogue. On pourrait de-
venir plus brutal; tant qu' on tiendra a garder les apparences,
on n'inventera ríen de plus efficace.


Unjour cependant, on parut comprendre qu'a moins d'en-
trer en vainqueur dans toutes les capitales de 1'Europe, ce
que le développement de l'esprit public européen ne permet
meme pas de rever, il yavait de la témérité, au dix-neu-
vieme si~cle, a gouverner sans se parer un peu du beau nom,
du nom auguste de la liberté; et le décret du 24 novembre
fut rendu.


On sait aujourd'hui a ne plus s'y méprendre, apres tant de
discussions, ce qui se trouve dans ce décret et ce qui y man-
que. Le décret du 24 novembre rétablit non pas toute la liberté
parlementaire, mais l' essentiel, le suffisant de. cette lib.erté.
Sans nul donte, il est désirable que les ministres aient en-
trée et séance dans la Chambre des députés, que le droit
d'interpellation soit introduit, qUé le droit d'amendement,
sans etre étendu outre mesure, ce qui a été reconnu dom-
mageable a la bonne confection des lois, soit débarrassé




OU EN SOMMES-NOUS 383


d' entraves inutiles et purement réglementaires. Il n' en est
pas moins certain que des maintenant, grace a la liberté de
la parole, au pouvoir de voter le budget et les lois, gra'ce
aux franchises exceptionnelles de la discussion de l'adresse,
le corps législatif est en possession de tout ce qui est néces-
saire pour influer puissamment sur la direction des affaire s
et meme sur le choix des ministres. Si les éléments qui cúm-
posent la majorité se modifient, et il n'est plus chimérique
de le supposer, on yerra sortir un jour du dé.cret du 24 no-
vembre les conséquences qui y sont virtuellement contenues.
Aussi, s'il est surprenant que quelques esprits aient mis dans
les libertés parlementair.es le principal de leur revendica-
tion, il est moins compréhensible encore que d'autres yaient
placé le plus vif de leur réslstancE'. Des deux cótés, une telle
insistan ce surprend.


Le décret de novembre n'a rien accordé aux libertés gé-
nérales du pays. Il ne contient rien pour la liberté de la
presse, rien pour la liberté de réunion, rien pour la liberté
électorale. Cela ne saurait etre contesté si on ne regarde
qu'aux institutions. Toutefois, a cóté des institutions, il y a
les pratiques, dont il ne serait pas équitable de ne tenir au-
cun compte. Si le décret de novembre a laissé les institu-
tions intactes en ce qui concerne la liberté de la presse, la
liberté de réunion, la liberté électorale, il a eu un effet de
réverbération sur les pratiques, et illes a rendues sensible-
ment plus libérales. M. de Persigny, a la loyauté, a la sin-
cérité, au talent duquel il ne me c01Ite pas de rendre hom-
mage, a donné l' ex.emple, et i1 a le ~remier attribué a la
presse monopolisée le droit, inconnu jusqu'a lui, de discuter
avec une liberté relative les actes publics. M. Boudet a
rendu le monopole moins pesant en accordant avec libéra-
lité des autorisations nouvelles, et il a engagé le mouvement
municipal dans la voie que M. de la Valette a eu la sagesse
de Buivre.


Mais le progres accompli ainsi est instable, intermittent;
achaque illstant ce qui paraissait assuré est a l'improviste
remis en qU8stion. Pendant que M. de Persigny se faisait




384 DÉMOCRATIE ET LIBERTÉ


d~bonnaire pour la presse, il appesantissait ruuement sa
main sur les eommunes. M. de la Valette s'est adouei sousee
dernier rapport, mais eontre la presse il a égalé les plus ri-
goureux. De telle sorte que, tout bien .pesé, si on voulait dé-
terminer d'un mot l'effet de ces pratiques mobiles, eapri-
cieqses, on pourrait dire qu' elles ont créé l' excitation et
non la satisfaetion. Semblables a ces lueurs faibles qui, lais-
sant apereevoir a peine le con tour léger des objets, inspirent
autant que l'obscurité le désir d'une pleine lumiere, elles ont
animé l'opinion plus qu'elles ne 1'ont désarmée.


Il n'est pas supposable, quelle que soit la bonne chanee
assurée ehez nous au provisoire, que le gouvernement puisse
demeurer longtemps et surtout avee séeurité dans une sitna-
tion aussi battue de toutes parts. S'il répugne a s'engager
en avant, iI est non moins décidé, je le sais, a ne pas se ris-
quer en arriere. Néanmoins, la force de la logique fera flé-
chir sa volonté et, tüt ou tard, il sera obligé de s'avancer
jusqu'a l'aete additionnel ou de recnler j usqu'á la constitu-
tion primitive de 18f2. S'il ne veut pas se confier a la dé-
nzoc1Yltie libé1'ale, il n'aura ponr refuge que la démocratie
césarienne. Il ne pourra pas longtemps s'arreter, comme au-
jourd'hui, a mi-route entre les deux.


Il reste a savoir si une démocratie césarienne est réali-
sable en Franee.


IlI. - Quelles SOllt donc les eonditions auxquelles ponr-
rait s'établir une démoeratie eésarienne?


Il faudrait au sommet un chef d'une intelligenee surna-
turelle, puisqu'il devrait penser pour plusieurs millions
d'hommes; d'une volonté infaillible, pnisqu'il serait le mo-
teur duquel tout recevrait le branle; d'une sagesse imper-
turbable, puisque la moindre de ses erreurs clevienclrait un
malheur public; dans la jeunesse, d'une maturité de vicil-
!ard, dan s la vieillesse d'une vigueur de jeune homme.


Quel appui aurait ce chef? Il ne pourrait pas eompter sur
la portion éclairée de la natioll. Tant qu'on n'aura pas bruJé




OU EN SOIIBIES-NOUS 385


les bibliotheques, renversé les statues des grands hommes,
aboli dans la mémoire les traces vivantes de leurs enseigne-
ments, la France qui pense et qui sait ne se déprendra pas
de la liberté. De loin en roin quelques défaillances indivi-,
duelles se produiront; on n'obtiendra pas l'apostasie de l'in-
telligence nationale. Une seule conduite serait alors indi-
quée : chercher en bas l'assistance qu' on ne trouverait pas
en haut; contenir les aspirations de cenx qui pensent par la
brutalité de ceux qui ignorent; contre-balancer les plus éclai-
rés par les plus nombreux; au lien d'appeler la lumiere a
eonduire l'ignoranee et la force, convier l'ignorance et la
force a éteindre la lumiere ; ne pas se borner a améliorer le
sort des plus malheureux, ce qui est le devoir de tout gou ..
vernement, mais affeeter de s'oceuper uniquement d'eux, de
n'avoir nul autre souci, et nulle autre mission ; joindre aux
aetes la séduction des paroles flatteuses; partout, toujours,
sous toutes les formes, devenir révolutionnaire afin d'éviter
d'etre libéral.


Mais pour que ce systeme réusslt, il faudrait que le peuple
s'y pretat, qu'il n'aper<;ut pas l'artifice, qu'il füt isolé du
mouvement général, cantonllé dan s ses appétits, sans admi-
ration pour les supériorités intellectuelles de son pays et
aussi incapable d'etre libre que satisfait de ne l'etre paso -
Ainsi un chef infaillible, impecea1le, infatigable, une nation
incapable ou indigne: voila aquel prix est une démocratie
césarienne!


Le chef infaillible, impeccable, infatigable, renon<;ons a
]e trouver en Franee, pas plus qu'ailleurs. Quelquefois, il est
vrai, des ehefs absolus ont étonné le monde par la fécondité,
la sureté de leur initiative : e'est qu'ils venaient au lende-
main d'une révolution qui avait préparé les solutions, remné
les idées et formé les hommes. Cette premiere exubérance
d'activité ne tarde pas a se ralentir; la provision d'idées
s' épnise et ne se renouvelle plus. On en est alors réduit aux
petites réformes qu'on opere avec fracas, afin que le vul-
gaire, qui ne juge que sur l'enseigne, les croie importantes;
cnfin, survient la stérilité, et tout le mouvement des pre-




386 DÉMOCRA TIE ET LiBERTÉ


miers jours aboutit a l'immobilité ou aux folies. Ce sont les
miseres, les humiliations, les épreuves des années dures,
stériles dé la fin de Loms X IV, ou les emportements et les
catastrophes gigantesques des derniers jours de Napoléon ler.


En meme temps, par un contraste que l'expérience nous
montre inévitable, la natíon, quí avait été d'abord silen-
cieuse ou charmée, devient d'autant plus exigeante qu'elle
s'écarte davantage du commencement heureux des choses.
Son désir d'activité se réveille, alors que commence la fa-
tigue de son chef, et les espérances nouvelles se forment en
elle, alors que ceux. qui la conduisent ne sont plus capables
que des souvenirs anciens. Aussi devient-elle impatiellte,
querelleuse, et snrtout sans pitié pour les el'reurs. On a beau
lui représenter que les gouvernements ont le droit de com-
mettre des fautes. - Sans doute, répond-elle, pourvu qu'ils
ne prétendent pas a l'infaillibilité. Qu'ils deviennent consti-
tutlOnnellement modestes, et nous deviendrons équitable-
ment indulgents!


Bientót de la sévérité pour les erreurs on ne tarde pas a
glisser jusqu'a l'ingratitude pour les services. Qui s'en éton-
nerait? Les plus réels de ce~ services se sont produits comme
des coups d'autorité bien plutót que comme des actes de
justíce. Ceux dont les prétentions ont été condamnées ou
les intérets froissés crient a la persécution; ceux. dont les
désirs ont été satisfaits, ayant éprouvé ou devant éprouver
bientót un sort pareil en d'autres matieres, ne les contre-
disent pas d'abord, pnis se joignent a eux; et a la longue
tout le monde est mécontent. Enfin, eomme iI n'a pas man-
qué de courtisans qui ont fait un mérite a leur maitre de ce
qu'arres plusieurs mois de pluie le soleil a brillé unjour de
fete, ou de ce que le blé et ]e vin se sont vendus cher, s'il
pleut mal a propos ou si les prix s'avilissent, on l'en rend
responsable, et, par un juste retour, a eelui qui s'est ré-
servé le droit de tout faire on impute a la fois tout ce
qui survient de mauvais, tout ce quí 11e s'accomplit pas
de bon.


Si, malgré la mauvaise dispositio11 des esprits, le chef se




ou EN SOM.MES-NOUS 387


maintient, protégé qu'il est par son ancien prestige, par le
souvenir de la popularité de ses débuts, il est du moins cer-
tain qu'il ne plantera pas en terre souche q\1.i dure, car,
ainsi que 1'a démontré excf'llemment M. Dupont-White, quL
dit pouvoir absol1t dit pouvoi1' viager.


Non, il n'existe pas d'homme, s'appelat-il César> Riche-
lieu, Louis XIV, Napoléon Ier ou Napoléon JII, de taille a
suffire longtemps seul aux dévorantes élaborations d'idées,
que suppose la direction dictatoriale d'une grande démocra-,·
tie moderne !


Ce qu'iI est possibIe de reneontrer, au contraire, c'est unr
peuple trop peu civilisé ou trop corrompu pour se régir lui--
illeme et pour lequel un pouvoir, meme absolu, malgré ses:
imperfections et son insuffisance, soit préférable a une li-
berté qui dégénérerait aussitót en une lieence tmultueuse et
stérile.


Les étrangers, les Anglais surtout~ affectent de r-épétel"
que nous en sommes la. " Les FranQais, ont-ils l'habitude de
dire, sont nés pour marcher en troupeaux; la liberté est un
privilége de la race anglo.-saxonne. Les FranQais ne sont
bons que pour'la guerreo " Les Allemands ont souvent parlé
de meme; iIs ne sont un peu moins bruyants en ce moment
que paree qu'ils sont courbés sous le fouet de M. de Bis-
mark. Les uns et les autres ont souvent comparé notre
peuple a la plebe de Byzance ou de Rome.


Ces paroles sont dures a enterrdre; ce qui en augmente
l'amertume, c'est qu'en France meme elles Ollt été souvent .
répétées soit par ceux qui détestent la liberté, soit par ceux
qui souffrent d'en etre privés. Heureusement pour notre
dignité et pour notre honneur, elles sont fausses. Les rap-
prochements entre l'empire romain et notre temps, auxquels
OIl s'est trop aisément complu-, sont superficiels et reposent
sur des analogies trompeuses. Entre cette époque et la natre
se placent deux faits : l'un dans l'ordre religieux, le chris-
tianisme; l'autre dans rordre politique, la révolution fran-
Qaise. Ces deux faits non-seulement ont renouvelé la face
extérieure du monde, mais, ce qui est d'une importance bien




388 nÉMoCRATIE ET LIBERTÉ


supérieure, ils ont régénéré et ennobli l'ame humaine. De-
puis, il est des élévations qui lui sont devenues plus acces-
sibles, des abaissements qui lui sont interdits, et une cer-
taine vigueur de conscience qui ne se rencontrait que dans
les Thraséas, les Séneque ou les Labéon, alliée a la culture
la plus avancée; elle se retrouve spontanée et toute-puis-
sante dans les natures les plus incultes. Aussi tenterait-on
vainement d'établir une hostilité permanente entre la par-
tie cultivée de la nation et sa partie populaire. Le peuple,
qui a vu dans ce siecle tous ceux dont le génie fait notre
gloire commencer ou finir par servir sa cause, au lieu de s-
séparer des supériorités intellectuelles, les admire, les res
pecte, les seconde, les défend; et, quoi qu'on tentat, dan~
les villes d'abord, puis dans les campagnes, ceux que l'ins-
tinct dirige finiraíent par opiner avec ceux que la réflexion
détermine.


Il n'y a done pas de place en France pour une démocratie
césarienne. C'était par sagesse que Marc-Aurele se disait a
lui-meme : Ne césa'rise paso C'est par sagesse, sans doute,
mais aussi par nécessité que les sbuverains modernes doivent
se le répéter.


Personne, dans le Gouvernement, j'en ai la ferme convic-
tion, n' est enclin a essayer d'une démocratie césarienne.
L'Empereur y songe moins que tout autre. S'il ne veut pas y
etre conduit malgré lui, par la force des choses, qu'il ne
tarde pas a nouer le pacte définitif d'amitié avec la démo-
cratie libérale. Ah! sans doute il ya dans le gouvernement
par la liberté des difficultés et des périls. Dans queI mode de
gouvernement n'y en a-t-il pas? Quand on a accepté la mis-
sion rude et peu enviable de conduire les hommes, on n'a
que l'option entre les difficultés et les périls. Seulement, il
ya les difficultés qui grandissent ceux qui les affrontent, il
y a les difficultés qui les amoindrissent. Il y a les périls qui
laissent a la défaite un air triomphant, il ya les périls qlli,
a la victoire meme, n'ótent pa~ un air de bassesse. Les périls
'du gouvernement par la liberté ont toujours de la gran-
deur, et ses défaites sont encore des triomphes.




ou E~ SOMhlES-NOUS 389-


Que le Gouvernement nous donne done la liberté! non LA
LIBERTÉ ANGLAISE, qu'il peut juger a son gré sans que nous
en prenions souci, mais LA LIBERTÉ FRANQAúm, celle que nos
peres ont conquise a la sueur de leur front, qui a sa rae in e
dalls les assemblées du Champ de Mai, dans les municipa-
lités méridionales, dans les états généraux, daus les assem-
blées provineiales, et son épanouissement immortel dans les.
décrets de la constituante , cette liberté que dans le monde
on appelle de notre nom, et dont nous sommes responsables
au regard des peuples qui l' ont re<.me de nous autant que la.
source l'est du fieuve qu'elle a produit!


IV. - Je ne veux pas terminer cette étude sur notre
situation politique sans écarter l'argument principal qu'on
oppose aux revendications libérales : - Les anciens partis.


Tel est, en effet, le moyen scénique le plus en faveur dans
la phase gue nous traversons. C'est le ])eus ex machina au-
quel on demande le dénoument qu'une inspiration épuisée
n'apporte paso Lorsqu'on se sent pressé de trop pres, a bout
de réponses, on s'en tire avec ce grand mot : les anciens
partis.


A toutes les époques, les gouvernements ont inventé ainsi
une qualification courante qui les dispensat de s'expliquer
et d'avoir raison. Pendant un temps, ceux qui gtmaient par
lellrs critiques furent des aristocrates, plus tard des giron-
dins, plus tard des jacobins, plus tard des ídéologues, plus
tard des rouges, ou, en langage plus relevé, des ennemis de
la famille, de la religion et de la propriété. Aujourd'hui, ce
sont des hommes des anciens partís.


Oil sont-ils done ces hommes des anciens partis? Oil sont
les hornrnes prets, comme le furent les jacobites apres la
chute des Stuarts, a sacrifier leur bien, leur repos, leur vie,
Ú supporter l'exil, la pauvreté, la mort, pour rétablir le
souverain légitime, et, en attendant, pour faire cortége a
son infortune? Oli sont les conspirateurs décidés, comme le
furent les sergents de la Rochelle ou le général Vallée, a




"390 nÉMoCRATLE ET LIBERTÉ
jouer leur tete pour renverser un gouvernement dont ils
considéraient l' existence comme une humiliation ? Oli sont-lls
les combattants tels que furent les Jeanne, les Guinard, les
Godefroi Gavaignac, capables de tenir en échec pendant
plusieurs jours, dan s les rues d'une ville, toute une armée
réguliere? Oh sont-elles ces bandes intrépides et muettes
qui, pendant les journées de juin, de sinistre mémoire, se
ruerent sur la société? Oli sont-ils les ennemis aeharnés,
héroYques, indestructibles? J e ne vois partout que résigna-
tion, soumission, obéissance, respeet; nulle part une orga-
nisation, nulle part des chefs acceptés; tous les aneiens
groupes en dissolution, les nouveaux a peines formés. e' est a
qui pretera le serment, a qui renouvellera, apres l'avoir
preté, les déclarations dynastiques les plus loyales. " Quant
au droit de la dynastie, disait M. Thiers, il est indiseutable :
aucun de nous ne songe a le diseuter, parce qu'aueun de
nous ne songe a le mettre en question. (Approbation.) Nous
sommes gens de bon sens et de bonne foi. (Nouvelle appro-
bation.) Le but que nous poursuivons, c'est le rétablisse-
ment de la liberté en France, ce but uniquement, et nous
savons que toute révolution nouvelle serait pour la liberté
un nouvel ajournement et une difficulté, une diffieulté eapi-
tale, cal' ce qui rend en France la liberté si diffieile, ce sont
les nombreuses révolutions que nous avons traversées. " Et
aussitót M. Jules Favre d'ajouter: " Quant a moi, je ne de-
mande qu'a etre réfuté, je ne demande qu'a etre confondu,
je ne demande qu'une chose : e'est que demain, les minis-
tres viennent nous apporter des lois qui mettent les prin-
cipes de 89 en appliéation, qui fassent que la com;titution ne
'soit pas en complete opposition avec la législation qui est
censée l'appliquer. Qu'ils fassent ces choses, et alors, mes-
sieurs, je déserterai les banes de l'opposition, et alors je
comprendrai que mon devoir est d'appuyer ceux quj doivent
rétablir la liberté en Franee! "


Si quelques-uns, par dignité ou par fatigue, se tiennent
rencore a l' écart, leurs fils, leurs parents, leurs amis re m-
plissent notre armée, nos ambassades, nos tribunaux, nos




OU EN S01\1:MES-NOUS 391


chaires publiques, nos administrations, notre eonseil d'État!
Oli sont-ils done ces hommes des anciens partis? Qu'on


nous les montre. A la guerre, quand un général sait des en-
nemis embusqués derriere un bois, il le faít abattre, afin qlle
ceux qui se cachent soient contraints de se découvrir. Si les
anciens partis existent, ils se cachent derriere la libert~.
Enlevez-leur cet abrí: accordez-Ieur les droits que vous leur
refusez, ils seront aussitót affaiblis : que dis-je affaiblis1 dé-
truits; car ils seront obligés, s'ils existent, de se démas-
quer ~t d'agir comme des fauteurs de révolutions. Or, l'ex-
périence enseigne que des q u'un pays est placé en présellce
d'une question de révolutions; il abandonne aussitót ceux
quí la lui posent, les eftt-il suivis jusque-Ia, et il se range
derriere son gouvernement, fftt-il mauvais. A plus forte rai-
son se rangerait-il derriere un gouvernement libéral ~ssu du
suffrage universel.


En 1852, le Gouvernement redoutaít si peu les anciens
partis, qu'avant le vote sur l' empire, il insérait au Jlfoni-
teu1' la déclaration digne du comte de Chambord ainsi que
les protestations violentes des comités révolutionnaires. A
quí persuadera-t-oll qu'il soit, apres quatorze ans de durée,
plus faíble qu'a ses débuts?


Non, il n'existe pas d'anciens partis organisés et redouta-
bIes. Sans doute, il y a encore, comme il y a eu dans le
passé, comme il y aura dans l'avenir, a cóté de ceux qui sont
toujours satisfaits et dont aucune faute ne décourage l'ap-
probation, ceux qui ne sont jamais satisfaits et dont aucun
service ne désarme l'hostilité; et par opposition a ceux qui
ont le fanatisme de la routine, ceux qui ont l'amour de l'in-
COllnu et qui appellent les tempétes. Il est puéril d'espérer
qu'on pliera ces esprits aventureux et désordonnés; il n'y a
qu'a les contenir, et s'ils deviennent séditieux, a les répri-
mer. Mais subordonner l' établissement de la liberté a la
disparitíon d'une minorité indestructible, c\~st, en réalité,
la refuser irrévocablement, et, comme l'a dit ave,c force
mon ami M. Philis, c'est cacher, sous un prétexte d'inoppor-
tunité, un refas définitif. L'Empereur lui ... meme $era. ici mOll




392 DÉMOCRATIE ET LIBERTÉ


autorité: " Ne donnons pas plus longtemps, a-t-il dit en
" ouvrant la session de 1864, une imp01'tance factice a l' esprit
" suoversi( des anciens partis, en JWllS opposant pal)O d' étroits
" calC1tls aux légitimes aspirations des peuples. "


Les défenseurs de l'immobilité commencent a com-
prendre eux-memes que l'argument des anciens partis a fait
son temps, et il semble qu'a ce fantóme, qui ne prete plus
qu'a rire, ils en veuillent substituer un nouveau, et qui soit
un peu plus effrayant. L'amendement des quarante-cinq le
leur a fourni. Depuis sa présentation, ils ne parlent .que de
la pression irrespectueuse, défiante, hostile que quelques
impaiients prétendent exercer sur les résolutions de l'Em-
pereur. Je ne suis vraiment pas obligé de discuter une aussi
pauvre invention. J'y répondrai par une anecdote :


En, 1861, je rencontrai un de mes amis, fort bon homme,
tout dévoué au gouvernement impérial et tres-vif dans ses
sentiments.


- Ah! lui dis-je en le quittaut apres une longue conver-
sation politique, l'Empereur deviendrait bien grand, s'il pre-
nait lui-meme l'initiative résolue du développement pro-
gressif des libertés publiques.


- Il Y est tout disposé, me répondit-il; mais, il faut le
reconllaitre, l' opinion ne le lui demande paso Qu' elle se pro-
nonce, il n'hésitera pas a la satisfaire.


Je rencontrai le meme personnage le lendemain de la dis-
cussion sur l'amendement des quarante-cinq.


- Eh bien! lui criai-je tout joyeux d'aussi loin que je l'a-
per<;us, l'opinion se prononce.


- Trop, reprit-il d'un ton colere. Comment voulez-vous
maintenant que l'Empereur aceorde quelque ehose sous le
coup d'une pression aussi manifeste? Il ne le peut pas, il ne
le doit pas; sa dignité le lui interdit.


- Ainsi, lui dis-je, quand l'opinion sommeillait, vous ne
vouliez pas de la liberté, paree qu'on ne la demandait pas;
vous n'en voulez pas, paree qu'on la demande, maintenant
que l'opinion s'est réveillée. Comment done s'y prendre?
Me voila bien en peine.




OU EN SO:MMES-NOUS 393


Mon ami se tira d' embarras en me racontant que Casimir
Périer avait commencé l'expéditíon d'Ancone sans consulter
les Chambres, et que M. Thiers avait ouvert des crédits sup-
plémentaires en 1840 ...




XXXIV


LA MODÉRATION INSIDIEUSE


(13 avril 1866)


Il est des ll].ots qu'il ne faut pas laie.::ler perdus dan s les
replis d'un discours, qu'il faut en extraire, qu'il faut
mettre en pleille lumiere, afin qu'ils n'échappent a l'atten-
tion de personne. Le mot de modération insidie use appliqué
par M. Delangle a certains orateurs du corps législatif est
de ce nombre.


Que de fois n'ai-je pas entendu dire : Il est malheureux
que les orateurs de l'opposition s'expriment avec tant de
véhémence et d' emportement; que ne sont-ils plus calmes?
Au lieu d'éloigner, ils attireraient, et on pourrait prendre
leurs arguments en considération. Un certain nombre de
députés ont trouvé le conseil bon, et ils l' ont suivi. Ils se
sont étudiés a etre modérés dans les pensées et dan s les
désirs autant que dans le langage, et a la modestie des
prétentions ils out ajouté la douceur et presque la suppli-
cation des parales. - Vous etes des faurbes, leur dit M. De-
langle, votre modération est insidieuse !


Nous pourrions a notre tour, monsieur, qualifier votre
contentement. Nous préférons ne pas vous imiter, et, pour
toute réponse, nous vous citerons cete maxime de Joseph




LA MODÉRATION INSIDlEUSE 395


de Maistre : " La vérité, en combattant l'erreur, ne se fache
. . JamalS. "


Je comprends, du reste, fort bien que notre modération
vous embarras se ; YOUS nous préféreriez violents, injustes,
agressifs; si meme nous étions un peu conspirateurs et un
peu démagogues, cela vous accommoderait a merveille. Vous
pourriez plus aisément nous combattre, nous réduire; vous
pourriez, avec la chane e d'etre cru, évoquer la révolution
et tous les spectres terribles, écarter denous les honnetes
gens, les citoyens paisibles, et arreter le mouvement tous
les jours plus prononcé qui entralne les esprits vers la
liberté!


N'espérez pas que nous vous donnions jamais cette sa-
tisfaction. Notre modération est trop sincere, elle est le
résultat d'une exigence de conscience trop impérieuse pour
qu'il nous soit possible de nous en départir a notre gré. Mél.iS
eussions-nous cette tentation et la possibilHé morale d'y
obéir, nous en serions empechés par la certitude du déplai-
sir que notre prudence vous cause. Prenez-en done votre
parti, monsieur le sénateur; nous resterons modérés, con-
stitutionnels, pas du tout révolutionnaires, et désireux seu-
lement des réformes possibles et des progres raisonnables.
Nous avons été· imperturbable quand les attaques nous
venaient du coté gauche; jI nous sera d'autant plus aisé de
l'etre, en présence des attaques du coté droit, que nous
n'aurolls plus a vaincre notre camr. Et si, désormais, iI plai-
sait a quelqu'un de renouveler contre nous et contre nos
amis, le procédé que nous relevons aujourd'hui a cause de
l'autorité et du talent de celui qui l'a employé, nous ne ré-
pOlldrions plus que par l'indifférence du dédain.




xxxv


UN ARTICLE DU CONSTITUTIONNEL


(17 avril 1866)


Nous pensons que les insultes et les injures ne nuisent
qu'a ceux qui se les permettent. Aussi reproduirions-nous
en entier, si le défaut d'espace ne nous en empechait,l'ar-
tic]e que le Oonstitutionnel, a la suite du Pays et de la:
F1'ance, consacre a M. Émile Ollivier. Cet artic]e, hatons-
nous de le dire, n'est pas signé par l'honorable M. Limayrac.
Le signature de M. Boniface indique bien qu'il s'agit d'un
écrivain requis pour la cirCoIlstance. On le nomme autour
de nous. Quoi qu'il en soit, ne pouvant insérer tout l'ar-
ticle, nous en extrayons les principales aménités qu'il
contient:


" M. Émile Ollivier est un vaniteux rempli de' prétentions
réjouissantes ; - son discours au corps législatif, en réponse
a M. Rouher, n'a été qu'une pénible harangue; -sonarticle
sur M. Delangle n'est qu'une inqualifiable diatribe; - d'un
bout a l'autre de cet article M. E. Ollivier invente les
textes et fausse les roles; - il fabrique un faux compte
rendu de la séance du sénat; - il a offert au tiers-parti, en
sa personne, un général assez compromettant et qu'il ne de-




UN ARTICLE DU CONSTITUTIONNEL 397


mandait pas; - sa renommée repose tout entiere sur un
éclatant retour d'opinion, etc., etc. "


Il ne nous deplait pas de trouver un tel langage dans les
colonnes d'un journal officieux et dans un article ayant la
solennité de la signature Bonijace. '


On n'accusera plus lesjournaux de l'opposition de donner
l'exemple' des personnalités violentes ou grossü3res; et
puisque ce n'est plus que dans les journaux officieux qu'on
releve de telle fa<;ons de parler, il sera facile au Gouverne-
ment, en ramenant les écrivains qu'il inspire a plus de mo-
,~ération et d'urbanité, de détruire la principale objection
qu' on oppose a la liberté de la presse.




XXXVI


DE L'AMORTISSEMENT


(8 juin 1866)


Malgré l'heure avancée, et quoique la discussion soit
épuisée, je demande a la Chambre la permission de répondre
au discours qui vient d'étre prononcé par M. le commissaire
du Gouvernement. Cela me fournira l'occasion d'exprimer
une opinion qui ne s'est pas encore produite dans ce
débat.


Les raisons que vient de donner 1\:1. le commissaire du
Gouvernement pour décider la Chambre a adopter le projet
de loi sont précisément celles qui me décident a le repousser.
(Mouvements en sens divers.)


M. le commissaire du Gouvernement vous a dit que ce
projet devait étre accueilli par la Chambre avec d'autant
plus d' empressement qu'il constituait une véritable restau-
ration de l'amortissement, un retour aux principes de la loi
de 1816, qu'il organisait une caisse d'amortissement selon
les idées et les principes qui avaient prévalu en 1816.
Je reconnais que cette observation est juste, que l'idée
fondamentale du projet de loi ne s'écarte pas sensiblement




DE' L' AMORTISSEMENT 399


de l'idée fondamentale qui a amené la constitution de l'amor-
tissement en 1816, et c'est pour cela que je repousse la
loi.


En 1816 l'amortissement fut constitué d'apres cette idée
qu'un État en empr~ntant contractait vis-a-vis de ses créan-
ciers une double obligation : la premiere, celle de leur servir
exactement les intérets; la deuxi<~me, celle d'amortir suc-
cessivement le capital.


Dans cette donnée, l'amortissement était pour l'État une
charge ordinaire de son budget, une charge obligatoire au
meme titre que le service des intéréts. Chaque année, lors-
qu'on établissait le budget de l'État, on devait obligatoire-
ment, a titre de charge ordinaire, inscrire a la fois le ser-
vice des intéréts et l'amortissement du capital, et il n'était
pas plus permis de se soustraire a l'un de ces devoirs qu'a
l'autre.


Ce systeme, quoi qu'on en pense aujourd'hui, a été pour
les finan ces de la France un véritable bienfait. En 1816,
messieurs, cette valeur si répandue aujourd'hui, qu'on ap-
pelle la rente, n'avait pas de marché; il fallait le lui consti-
tuer; les circonstances étaient difficiles; on offrait done
avec profusion les garanties aux preteurs.


On croyait d'aillellrs avec connance a la puissance de
l'amorti,ssement par voie d'intérét composé. Le but qu'on se
proposaIt en ] 816 a été atteint : les difficultés ont été sur-
montées, le marché de la rente a été constitué~ Mais des
1825 la clarté commen<;,ait a se faire sur l'efficacité et sur
l'utilité d'une caisse d'amortissement. Un ministre qu'on a
a;p'Pelé un grand ministre, mais, selon moi, en ne donnant
pas la véritable raison de cet éloge, M. de ViIlele, qui en
effet mérite d'étre eonsidéré cornme un ministre éminent,
non pas paree qu'il a respecté la üaisse d'amortissement,
mais au contraire paree qu'il a le premier levé la main pour
la détruire ; M. de Villele, en 1825, avec une intuition mer-
veilleuse, comprit que c'était une idée fausse que de mettre
sur la meme ligne, comme constituant pour l'État une charge
d'une égale nature, le service des intéréts et l'amortissement




400 r , DEMOCRATIE ET LIBERTE


du capital. Il pensa que pour l'État il n'y avait d'obligatoire
abflolument que le service de I'intéret, que, quant al'amortis-
sement, s'il était désirable, il n' était cependant que faculta-
tif; qu'il pouvait etre subordonné, dans son application, a des
considérations de genres différents, et que l'État qui aurait
manqué a tous ses engagements, s'il s'était présenté devant
vous en ne portant pas, inscrite dans son budget, l'intégra-
lité des intér8ts de la dette, n'1 manquerait pas en prenant
une portion de la dotation de l'amortissement pour l'appli-
quer a des dépenses d'ordre publico M. de Villele don na un
€xemple hardi de cette conception lorsqu'apres avoir créé,
a titre d'indemnité pour les émigrés, 30 millions de rentes
3 p. 100, il fit décider que l'amortissement ne fonctionnerait
plus sur le 5 p, 100, que toutes les forces seraient concen-
trées sur le fonds nouveau, et qu' en outre, toutes les
rentes rachetées du 22 juin 1822 au 22 juin 1830 seraient
annulées.


16 millions, sije ne me trompe, furent ainsi annulés. A quoi
équivalait done l'opération de M. de Villele? A faire suppor-
ter au fonds de ramortissement une portion de l'indemnité
des émigrés et en déeharger d'autant le budget. Or, com-
ment cela auraít-il été possible, si <lans l' esprit de M. de
Villele l'amortissement eut été obligatoire? Au ministre des
finances de la restauration remonte done 1'honneur d'avoir
compris que l'amortissement n' est pas obligatoire, qu'il est
simplement facultatif!


M. GARNIER-PAGES. M. de Villele n'a pas dit cela.
M. ÉMILE OLLIVIER. Évidemment M. de Villele n'a pas


exprimé cette opinion avec la clarté que je puis lui donner
maintenant que l'évolution de l'idée est terminée ; mais il a
établi par un fait le point de départ de cette doctrine, il en
a semé le germe. Depuis elle n'a cessé de se développer; a
mesure que le progres des idées économiques s'est étendu,
elle a gagné de la force, et, qu'on s'en soit rendu compte ou
non, de plus en plus on a été conduit a considérer l'amortis-
sement comme facultatif et non comme obligatoire.


Sans doute pour se cacher cette vérité, et pour avoir l'aír




DE L'AMORTISSEMENT 401


de respecter ce qu'on détruisait en réalité, on a créé des
fictions habiles et des sysUmies ingéni~ux. Ce n'est pas le
moment d' entrer dans tous ces détails, mais en fait, sous
Louis-Philippe on n'a presque pas arnorti, on n'a amorti
que pour une sornrne insignifiante sur le 5 p. 100, tres-peu
aussi sur le 3 p. 100, et on a pris l'habitude d'appliquer aux
dépenses publiques la plus grande partie des ressources de
l'amortissement. On a fait de merne en 1848, en 1849; on a
faitlA plus habituellernent ainsi sous le gouvernement actuel
Seulernent, pendant longtemps, - permettez-rnoi cette ex-
pression a laquelle je ne veux pas donner un caractere bles-
sant, rnais qui se présente seule a mon esprit pour exprimer
ma pensée, - pendant longtemps on a supprimé le caractere
ohligatoire del'amortissement, d'une maniere honteuse, en
respectant beaucoup en apparence l'institution qu'on détrui-
sait en réalité. (Mouvements et bruits divers.)


Sous ce gouvernement les idées ont paru se dégager avec
plus de netteté, et la résolution a paru devenir plus grande.
Vous avez entendu, - et pour ma part ce langage m'a
inspiré la plus réelle satisfaction, - vous avez entendu les
rapporteurs de vos budgets, vous avez entendu l'honorable
1\1. Magne, et., apres lui, l'honorable M. Vuitry, répondant
a ceux qui se plaignaient de ce que l'amortissement ne fonc-
tionnat pas : " L'amortissement, - c'est une regle générale,
- ne peut etre pratiqué que lorsqu'il y a des excédants de
recettes réalisés! " ce qui veut dire, en d'autres termes:
1 'amortissement n' est pas obligatoire, il est facultatif.


L'État, sans doute~ a le devoir de s' efforcer de créer le
plus qu'il peut d'excédants de recettes; mais, meme quand
ces excédants sont réalisés, rien ne s'oppose a ce qu'au líeu
de les employer a amortir, il leur donne un autre emploi
plus avantageux pour la fortune publique.


Ainsi, la dette flottante est-elle trop lourde? Quoi de
plus sensé que d' employer les excédants a alléger la dette
exigible au lieu de les consacrer a amortir la dette non
exigible?


Des travaux tres-productifs, tels qu'achevement de routes,
26




-102 , , DEl\10CRATIE ET LIBERTE


de canaux, sont tres-urgents! Quoi de plus naturel, que
de consacrer les excédants a l'amortissement par la créa-
tion de richesses nouvelles, au lieu de les employer a
l'amortissement par rachat de la dette?


Ainsi, pas d'amortissement sans excédants réa1isés de re-
cettes, et meme a10rs pas d'amortissement lorsque les excé-
dants peuvent etre employés d'une maniere plus avantageuse
qu'au rachat de la dette.


Telle est la théorie que, pendant des années, j'aí entendu
développer, et surtout que j'ai vu appliquer. Cette théorie,
c'était la vérité.


Aussi ai-je été étonné de la présentation du projet de loi.
Je le considere comme un retour vers les idées abandon-
nées de 1816, comme une coneession faite au préjugé.
Sans doute, il y avait quelque chose a faire pour que la
théorie de 1'amortissement fut complete. 1\1ais le projet de
la loi a présenter était tout autre que celui sur lequel 110ns
délibérons. Il devait se composer de deux articles. Le pre-
mier eut été ainsi congu : " A l'aveni/, il n'y aura plus de
caisse d'amortissement. " Non pas, je le répete, qu'il soit
mauvais d'amortir, mais il ne faut pas amortir quand meme.
Amortir, c'est une opérationutile, c'est une opération sage,
c'est une opération dont je ne conteste pas 1'importance,
pourvu qu' elle soit pratiquée avec opportunité et dans des
conditions raisonnables. (Interruption.)


Je sais tres-bien, messieurs, que je heurte des idées tres-
re<)ues dans cette assemblée, que je me sépare de tres-bons
esprits dont je respecte beaucoup l' opinion; mais j' exprime
sans hésitation ma pensée, paree que je suis tres-sur que
1'aveni1' lui appartient et que tout le monde y arrivera un
jour. Mais pour qu'il n'y ait aucun doute sur ma pensée, je
répéterai qu'en soutenant qu'il serait bon de détruire la
caisse d'amortissement, je n'entends pas soutenir qu'un État
ne doive pas amortir. Je pense tout le contraire. Quand on
a subvenu aux dépenses ordinaires, extraordinaires, aux
travaux productifs urgents, a l'allégement de la dette flot-
tante, qu'on a des excédants de recette, racheter sa dette




DE L' AMORTISSEMENT 403


c'est utile, c'est nécessaire, c'est un des préceptes du
bon gouvernement des finances publiques. Aussi mon pro-
jet de loi contient-il un article second ainsi con<;u : "Lors-
qu'il y aura des ressources disponibles, ii sera proposé une
loi pour que ces ressources soient employées en rachats de
rentes. Apres leur rachat, les rentes rachetées seront
annulées. "


Telle est, se10n moi, la véritable législation de 1'amortis-
sement; tout autre n'est qu'une complication inlJtile, une
espérance qui ne se réalisera pas, une chimere qu'on ne
tardera pas a voir se dissiper. Oui, messieurs, vous avez
beau déclarer 1'amortissement obligatoire, dans 1'avenir aussi
bien que dans le passé, toutes les fois que vous vous trouve-
rez S0US l' empire de circonstances urgentes et im prévues,
vous n'amortirez pas, vous suspendrez le fonctionnement de
votre caisse, et par cela meme vous la détruirez, et vous
ajouterez une preuve de plus a la doctrine de l'amortisse-
ment facultatif.


Au surplus, si on revient vers le passé, si on consulte les
faits, qu' on le11r demande ce qu' on doit a cette caisse d'amor-
tissement tant vantée, on s'assurera que, si on lui doit quel-
que chose, ce n'est pas la diminution de la dette. Aussi les
défenseurs d'une caisse d'amortissement en sont-ils réduits,
quand on les presse, a deux considérations que je n'accepte
ni l'une ni 1'autre, mais que je veux loyalement vous rap-
peler.


La premiere peut se résumer ainsi : Vous avez raison;
mais quand nous constituons une caisse d'amortissement,
nous savons bien que si les dépenses obligatoires ne sont
pas couvertes, la caisse d'amortissement ne fonctionnera
paso Nous savons bien qu'une caisse d'amortissement ne peut
etre efficace que si elle saisit des excédants de recettes; nous
savons tout cela; mais nous voulons contraindre 1'État a
l' économie, nous voulons le forcer, par l' espece de pression
qu'une caisse constituée exercera sur lui, a opérer des éco-
nomies auxquelles il ne s'astreindrait pas sans c~tte pre8-
81On.




404 DÉMOCRATIE ET LIBERTÉ


Voila l'argument.
Eh bien, messieurs, je m'étonne qu'on le produise avec


eonfianee dans une te11e diseussion. Des idées bien diver-
gentes ont été émises assurément, mais tous les orateurs
ont été d'aeeord, en pronon<;ant l'oraison funebre de l'aneien
amortissement, a reeonnaitre que, malgré SOll aneienneté,
le earaetere solennel des lois qui l'ont établi et sa puis-
Sallee, a laquelle ne saurait etre eomparée la puissanee de
votre eaisse nouvelle, il a été impuissant a exercer cette
pression que vous youlez organiser.


UN MEMBRE. La pression était trop forte !
M. ÉMILE OLLIVIER. On dit, - j' entends l'interruption,-


la pression était trop forte, la eaisse d'amortissement avait
Ulle trop grande puissance.


Mais j'ai In votre rapport et j'ai écouté vos explications;
qu'en résulte-t-il? Qu'a eeux qui vous opposent l'impor-
tallce minime d'une somme de 20 millions ou l'in~ertitude des
ressources de votre eaisse, vous répondez : Sans doute eette
somme de 20 millions est peu importante, eertaines res-
sourees sont incertaines; mais les ressourees de la ~aisse
grandiront, et, pour qu'il en soit ainsi, nous immobilisons
pendant dix ans les rentes raehetées et nous interdisons de
les annuler; mais les eharges de notre eaisse disparaltront,
tandis que ses ressources s'aeeroitront. De telle sorte que
vos souhaits de bapteme pour cette eaisse qui vient au
monde, e'est qu'elle grandisse comme eelle que vous enter-
rez. (Mouvement.)


Ne répondez done pas que si la eaisse ancienne a été in.ef-
ficaee, c'est parce que son action était trop forte, puisque
votre reve, votre espérance, votre désir pour la eaisse nou-
velle, e' est de lui assurer au~-t de force qu'en avait eelle
qu'elle remplace.


Lorsque Jean-Baptiste Say enseignait ce que je répete
beaucoup plus mal que lui, lorsqu'il disait qu'une eaisse
d'amortissement est du pur charlatanisme, alors, on pouvait
n'étre pas de son avis et douter. Aujourd'hui l'expérience a
prononcé, et quoi qu'on fasse, rien ne prévaudra contre elle.




DE L' AMORTISSEMENT 405


Se confier a la pression d'une caisse d'amortissement cons-
stituée d'une maniere quelconque, c'est croire que les mots
sont plus puissants que les réalités. La seule pression "qui
puisse contraindre un gouvernement a l' économie, c' est celle
qu'exercellt sur lui, par leurs résolutions, les députés de la
natíon. Oil celle-la fait défaut, aucune autre ne saurait etre
efficace.~·


Je n'admet~ doncP'a,s cette premiere raison.
La seconde, je le reconnais, a quelque chose d'infiniment


plus spécieux. On peut la résumer dans les termes suivants:
L'utilité d'une caisse d'amortissement ne consiste pas a opé-
rer l' extinction de la dette, mais bien plutot a soutenir les
cours ... (Interruption.)


UN MEMBRE. On ne 1'a pas fait valoir, cette raison!
M. ÉMILE OLLIVIER. On me dit : on n'a pas fait valoir


• cette raison ! Si on ne 1'a pas fait valoir ici, on 1'a fait valoir
ailleurs, et je vous prie de croire que ceux qui l' ont fait
valoir sont des esprits bien dignes qu'on se préoccupe de
leurs objections, et dont je regrette beaucoup de me séparer
en cette circonstance.


J e continue donc, en m' effor9ant, malgré les interrup-
tions, de resserrer mon raisonnement. (Parlez! parl~z!)


Une caisse d'amortissement, a-t-on dit, a surtout pour
utilité de soutenir le cours des effets publics. Pour que
l'État ait du crédit, il ne suffit pas qu'il paye exactement
les arrérages; il faut qu'il donne au rentier un moyen de se
prq¡;arer a tout instant le remboursement qui, vu l~ perpé-
tuité de la dette~ ne saurait etre exigé de lui, Etat. Le
moyen qu'a le rentier c'est de se présenter sur le marché
des fonds publics et de réaliser son titre.


Telle est la forme pratique, journaliere et facile du rem-
boursement, compatible avec la nature de notre dette. Mais,
pour que cette opération ne soit pas dommageable pour le
rentier, qu' ene n' entraine pas une destruction partielle de
son capital, il est souhaitable qu'il soit sur de vendre tou-
jours a un taux avantageux. L'office d'une caisse d'amortis-
sement est de veiller a ce qu'il en soit ainsi. Pour cela, elle


'""~




406 DÉMOCRATIE ET LIBERTÉ


se constitue, ainsi qu'on l'a dit un jour, en acheteur mysté-
rieux, attentif a se substituer a l'acheteur réel, des qu'il ne
se présente paso Ainsi on est certain de maintenir a un
certain niveau le cours de la rente.


VoiHll'objection.
En fait, il serait facile de démontrer que le cours de la


rente peut etre élevé alors meme que la caisse d'amortisse-
ment ne fonctionne pas, et qu'il peut rester bas maigré l'in-
tervention d'une caisse d'amortissement. On pourrait ajouter
qu'en présence de tant'de valeurs diverses, il ne suffirait pas
de 20 millions pour soutenir les cours. Mais la réponse que
je veux faire est plus radicale : je ne crois pas qu'un État
doive violenter le cours naturel des choses, établir par des
opérations habiles un taux factice. Mon Dieu! j' en conviells,
roa morale est un peu naYve, et nullement financiere. ·::rais ..
que voulez-vous? j'en suis encore la. Je considere comme
une mauvaise pratique l'agiotage que les caisses d'amortis-
sement exerc'ent au nom des États. Faut-il meme que je
vous dise toute ma pensée, - ici vos réclamations vont re-
doubler, car je vais m'écarter encore plus que je ne l'ai fait
jusq u'ici des idées courantes. - Il ne me déplait pas que le
cours de la rente soit baso (Marques de surprise et chucho-
tements.)


Je savais bien que vous réclameriez, mais laissez-moi
flnir. (Parlez! parlez!) .


M. ERNEsT PICARD, a mi-voix. Alors ga va bien, mainte-
nant!


M. ÉMILE OLLlVIER. J'entends un interrupteur qui me dit :
Qa va bien, maintenant!


QUELQUES MEMBRES. Ne répondez pas!
M. ÉMILE OLLIVIER. Je répondrai par une raison qui peut


s'appliquer a beaucoup de cas analogues. Certains de nos
collegues font des interruptions que l' on retrouve au jJfoni-
teur du lendemain, mais que l'orateur n'a pas entendues et
auxquelles, par conséquent,jl n'a pas répondu. L'orateur
parait alors avoir été décont~iancé par une objection qui ne




DE L' AMORTlSSEMEN'r 407


lui est pas matérieIlement parvenue. Comme j'entends ceHe
qu'on me fait~ réponds.


Cela va bien maintenant, dit-on ~
Entendons-nous, et n'équivoquons pas. Je ne parle pas


d'un cours bas, survenu non-seulement sur la rente, mais,
sur l'ensemble des valeurs publiques, a la suite de malheurs
imprévus, la guerre ou tous autres événements de cette na-
ture. Ces baisses-Ia sont déplorables. Je ne parle pas meme:
d'un cours absolument bas de la rente. Je suppose qu'il y ait
dan s le pays un grand développement d'affaires, que des
entreprises industrielles, fécondes et bien conduirtes, aient
captivé la confiance publique; je suppo&e qu'un tres-grand
nombre de capitaux, préférant a un intéret sur mais fixe
l' éventualité de bénéfices considérables, au lieu de se con-
vertir en des coupons de rentes, se placent en actions indus-
trielles. Je suppose qu'en cOI1séquence, par la suite naturelIe
de ces choses, la rente soit relativement délaissée et que
son cours soit baso J e prétends que le Gouvernement ne doit
pas artificiellement modifier cette situation. Salls doute elle
a des inconvénients quand on veut emprunter, mais cela ne
saurait déplaire a ceux qui veulent rache ter la dette. Ces
inconvénients, en outre, sont compensés par de nombreux.
avantages, notamment par un accroissement de la richesse
publique dont l'État profite le premier.


" M. Laffitte a prononcé jadis une belle parale ~ " La
rente, a-t-il dit, devrait etre les- invalides du capital, ..
c'est-a-dire qu'il ne devrait y avoir dans les rentes que le
capital qui ne peut plus se tenir sur le champ de bataille de
l'industrie. On ne verrait plus alors· ce que j'appelle l'affiux
du sang au cmur, la concentration des capitaux entre les
mains de l'État.


Il se passe dans notre pays un fait économique qui m'in-
quiete. L'État fait-il un emprunt? les souscripteurs accou-
rent; le capital qui pourrait rester actif accourt aux invalides.
Que l'industrie ait recours aux capitaux! qu'elle les appelle!
Demandez-lui s'ils se présentent aussi vite? - Tót ou tard




,


'408 nÉMoCRATTE ET LIBERTÉ
on sera amené a se préoeeuper de ees phénomenes éeono-
miques.


Mais toutes ees eonsidérations mériteraient de longs dé-
veloppements, et je ne puis que les indiquer. Je ne les
effieure que paree que j'y ai été entrainé pour repousser
la seeonde raison invoquée par les partisans d'une eaisse
d'amortissement.


En résumé : amortir est une opération financiere exeel-
lente; mais eréer une eaisse d'amortissement n'implique pas
néeessairement qu'on amortira. n est des pays ou, malgré
l' existenee d'une eaisse d'amortissement, on n'a pas amorti.
n en est d'autres dans lesquels on a amorti, quoiqu'il n'exis-
tat pas une eaisse d'amortissement.


Le vrai serait de renoneer a eette vieillerie qu'on appelle
une eaisse d'amortissement, d'abandonner résolument
l'amortissement obligatoire, de s'en tenir a l'amortisse- •
ment faeultatif, de n'admettre 1'utilité d'amortir que s'il y a
des exeédants réalisés, et si ees excédants n'ont pas été
appliqués soit a 1'allégement d'une dette flottante, soit a
des travaux produetifs urgents, de ne racheter les rentes
que pour les annuler 'aussitót.


Le projet de loi est loin d' etre dans ees données. Au lieu
de développer l'idée de l'amortissement faeultatif, que le
Gouvernement paraissait avoir aeeueillie, il reeonstitue un
amortissement obligatoire qui semblait abandonné. De la
part du Gouvernement, eela eonstitue une contradietion,
dans tous les cas une erreur. J e repousse done la loi, non pas
paree qu'elle est trop audacieuse, mais paree qu'elle est
trop timide; non pas paree qu'elle s'éearte du passé, mais
paree qu'elle s'en rapproehe. (Tres-bien! sur quelques
banes. )






XXXVII


LA GUERRE


(24 juin 1866)


Lorsque les gradins du Colisée étaient couverts par la
plebe romaine, que les personnages consulaires, les vestales
et César avaient oecupé leurs places, s'il arrivait que les
betes féroces ou les gladiateurs se fissent attendre, l'impa-
tience s'emparait de l'immense assemblée, des murmures
éclataient, et le frémissement d'émotion n'en était que plus
long et plus intense lorsqu' on entendait grincer sur leurs
gonds les portes d' OÜ devaient sortir les victimes et les
acteurs du jeu sanglant. Tel est le spectacle que l'Europe
nous offrait depuis plusieurs semaines: l'amphithéatre était
comble, des spectateurs nombreux et pressés attendaient,
les narrateurs avaient déja taillé leur plume, et les victimes
et les acteurs ne paraissaient pas ! Les voila maintenant dans
l'arene : les impatients sont satisfaits, les peuples vont se
heurter et s' égorger, et le sang coulera a flots! Plus d' un
a souri aujourd'hui pour la derniere fois, et tel qui s'avance en
frappant la terre d'un air vainqueur sera couché demain dans
la poussiere des champs de bataille, et cette supreme pelletée
de terre, que le plus misérable de nous est sür d'obtenir da
fossoyeur, personne n'y peut plus compter parmi ces milliers




410 DÉMOCRATIE ET LIBÉRTÉ


d'hommes qui, sans amour ni haine la plupart, vont se ruer
les uns sur les autres !


Maintenant, en Italie, en Prusse, enAutriche, en Baviere,
dans toutes les langues et selon tous les rifes, des prieres
s' élevent vers le Dieu des armées pour lui demander avec
supplications des hécatombes humaines bien completes.
N ous ne j oignons pas notre voix a ces voix qui blasphement.
Nous ne croyons pas au Dieu des armées. Nous ne croyons
qu'au Dieu de la justice et de la paix. A ce Dieu qui tient
dans sa main le CCBur des princes et des peuples, et qui les
incline ou il veut, nous demandons qu'il garde le chef entre
les mains duquel nos destinées sont placées des résolutions
précipitées et des desseins inj ustes! Le droit est manifeste.
Il l'est en Allemagne autant qu'en Italie. En Italie, il est
avec l'armée qui s'avance pour délivrer Venise. En Alle-
magne, il est avec l'armée qui, guidée par la diete et par
l'Autriche, s'avance pour protéger Francfort et délivrer
Dresde. Le droit nous défend de mettre la main sur les pro-
vinces rhénanes, comme il défend aux Prussiens de briser
la Confédération, de s'emparer du Hanovre, de la Hesse,
des Duchés, et aux Autrichiens d'opprimer Venise. Ne HOUS
lassons pas de le répéter, pour qu'on ne l'oublie pas au
milieu des convoitises et des passions déchainées ue toutes
parts.


La France, a dit Skakespeare, est le soldat de Dieu.
Qu'elle mérite de nos jours encore le surnom glorieux que
lui a donné le poete anglais; qu'au milieu du conflit actuel
elle ne soit vraiment que le soldat de Dieu et qu'elle se
borne a empecher partout finiquité. Et je l'affirme, les
acclamatiolls du peuple ne serollt ni plus rares ni moins en-
thousiastes, si, au retour d'une campagne, ou mieux, si a la
fin d'une négociation, l'Empereur, au lieu de nous dire :
"J'ai conquis ou obtenu telle ville, telle province, tel
fleuve, " nous disait : "J'ai fait respecter la justice au bord
de l'Elbe comme sur les lagunes de l'Adriatique; je n'ai pas
recherché une part des dépouilles opimes. Agissant au nom
de la France, je n'ai voulu etre que le soldat de Dieu' "




XXXVIII


DES PRINCIPES DE LA POLITIQUE EXTÉRIEURE ET DE L'UNITÉ
ALLEMANDE


DES ANNEXIONS PRUSSIENNES ET DE LA CONFÉDÉRATION
DU NORD


(15 mars 1867)


Messieurs,
J'entretiendrai la Chambre uniquement des affaires d'Alle-


magne (1).
L'honorable M. Thiers nous a dit hier que, l'unité de l'Al-


lemagne consommée, la Franee deseendrait, du premier
rang qu'elle oeeupe, au troisieme; que l'unitéaUemande'a
été faite par l'unité italienne; que l'unité italienne aété
l'muvre deja Franee; que la Francea étéconduite a l'ac-
complir par un principe chimérique, fatal, puéril ou machia-
vélique qu' on appelle le principe des nationalités; que si
nous voulions nous arreter sur la pente fatale ou nous mar-
chons, il fallait faire un violent effort sur nous-memes,


• abandonner le pr1neipe qui, depuis plusieurs années, inspire,
dirige et dominenotre .politique, rompre définitivement avec


(1) L'importance du sujet m'a déterminé a ajouter quelques développements au
discours original; presque toujoursje l'aifait en note; quand j'ai opéré une inter-
calation dans le texte lui-meme, je l'ai indiquée en la playant entre deux asté-
riques.




412 DÉMOCRATIE ET LIBERTÉ


des idées néfastes, ne pas recourJr a la guerre, qui serait
une extravagance; mais, par une conduite sage et prudente,
reconquérir, en Europe, le crédit que nous avons perdu,
nous rapprocher insensiblement de l'Angleterre qui nous
regarde avec froideur, de l' Autriche q ui ne nous pardonne
pas ses revers, des puissances secondaires, disséminées de
toutes parts, que nos doctrines épouvantent; et alors, sans
réagir contre les événements accomplis, nous préparer, en
reconstituant vigoureusement nos forces a l'intérieur, a les
arreter ou a les suspendre au moins dans leurs conséquen-
ces. Tel est, messieurs, d'une maniere fidele, le résumé du
systeme qui vous a été présenté dans votre derniere séance,
avec une modération pleine d'élévation, avec une merveil-
leuse richesse de développement et dans ce beau langage
qui vous charme toujours. (Marques d'assentiment et d'·ap-
probation. )


Je crois, quant a moi, messieurs, que personne en Europe
ne menace la France. Je crois que, si la concentration réelle
des forces qui vient de s'accomplir en Allemagne présente un
fait nouveau, elle ne crée pas un péril, et que l'unité ita-
lienne qui l'a préparée et devancée, la contre-balallce et
fait disparaitre ce qu' elle peut offrir d'inquiétant. (Mouve-
ments divers.) Je crois que, bien loin de renoncer a la poli-
tique qu'il suit depuis plusieurs années, le Gouvernement
doit y persévérer, en l'expliquant seulement de maniere a ce
que personne ne puisse se méprendre sur la véritable signi-
fication qu'il y attache. Je crois enfin que, quelle que soit la
prédilection de M. Thiers pour la paix, le résultat de son sys-
teme sera ou une inconséquence humiliante, ou une guerre
nécessaire et prochaine.


PLUSIEURS MEMBRES. C'est vrai t
M. ÉMILE OLLlVIER. Je demande a la Chambre de me per- •


mettre le développement de ces idées. (Parlez! parlez!)
Je sais tres-bien que je vais me mettre en contradiction,


ici et au dehors,' avec de nobles esprits, et que je froisserai
involontairement peut-etre des opinions vives a s'alarmer;
mais dans la situation actuelle des esprits dans notre pays




DES PRINCIPES DE LA POL lTIQUE EXTÉRIEURE, ETC. 413


et en Europe, il n' est permis a aucun de ceux qui sentent
une conviction profonde de la tenir captive en eux. De toutes
parts en effet éclate un trouble réel, une anxiété qu' on ne
peut pas se dissimuler. Il n'y a qu'un moyen de triompher
de ces sentiments, c'est d'épuiser les explicatiolls, c'est
de sonder sous toutes ses faces cette situation, et de nous
efforcer de prouver que ce qu'elle semble avoir de mena-
~ant, ce ne sont pas des réalités, ce sont des apparences;
que ce qu'elle semble avoir d'inquiétant, ce ne sont pas des
périls, ce sont des fantomes. (Tres-bien! tres-bien!)


Lorsqu'on veut juger d'une CBuvre d'art, il faut se placer
devant elle d'une certaine maniere et rechercher ce que les
artistes appellent le point de vision; sans cela, tout est
vague et trouble. De meme, pour juger une politique, il
faut, usant d'un procédé identique, rechercher le point de
vision, ou, en d'autres termes, déterminer la regle supé-
rieure dont le respect ou la violation constituera la bonne ou
la mauvaise conduite.


Cette regle supérieure, a dit l'honorable M. Thiers a la
fin de son remarquable discours, c'est l'événement. L'événe-
ment, voila le juge infaillible, le juge sans appel d'une poli-
tique. Avez-vous réussi dans votre politique, elle est bonne;
avez-vous échoué, elle est détestable. L' événemellt, voila
votre juge!


J'en demande pardon a l'honorable M. Thiers, mais je ne
partage pas son avis. Je pourrais me contenter, pour donner
du poids a mon dissentiment, d'invoquer l'autorité de notre
Bossuet qui, apres avoir accumulé toutes les épithetes pour
célébrer la grandeur du sénat romain, ajoute ces mots
magnifiques: " Combien iI a condamné de mauvais desseins
qui avaient eu d'heureux succes! " (Tres-bien! tres-bien!)
Mais on répondrait peut-etre que Bossuet était un théolo-
logien ou un moraliste, et que les politiques pensent diffé-
remment; j'y joindrai le témoignage du cardinal de Retz.
Dans ses mémoires, en faisant le portrait de l'autre cardinal,
<lu grand, du cardinal de Richelieu, il rapporte qu'une de ses
maximes était " qu'il ne faut pas juger des choses par l'évé-




414 DÉMOCRATIE ET LIBERTÉ


nement. " Castlereagh, le ministre pratique de la pratique
Angleterre, parlant, le 20 février 1816, a la tribune de la
chambre des communes, sur le traité de Vienne, disait :
" Quel est l'arrangement humain qui puisse etre jugé par les
événements ~ a Enfin, I'honorable M. Thiers me permettra
de lui dire, - cal' apres de si hautes autorités on ne déchoit
pas en le citant lui-meme~ - l'honorable M. Thiers me
permettra de lui dire que si l'événement seul doit etre le
juge d'une politique, il a déja prononcé entre la politique
des nationalités, qu'il reproche au Gouvernement de suivre,
et la poli tique d'État, qu'il lui conseille d' adopter. Voici,
en effet, ce qu'il disait lui-meme, le 13 janvier 1841, dans
un remarquable rapport sur les fortifications de París, qui
fut alors un événement : " Depuis dix années, qu'a fait le
Gouvernement qui put justifier les hostili tés patentes ou ca-
chées de l'Europe? Il a admis tous les traités existants, il
n'a favorisé nulle part les tentatives populaires; quand il a
donné asile aux réfugiés de tous les pays, 0'a été ~L la con-
dition de ne point troubler leur propre gouvernement. Au
dedans il a maintenu l'orc1re et n'a donné aucun des spec-
tacles reprochés a la révolution de 1789. En un mot, a-t-il
été perturbateur ou ambitieux? Assurément non. Et cepen-
dant, en ce momellt, il est seul encore en Europe, cornme au
temps des coalitions de 1792 et de 1813. " L' événement a
prouvé que la politique d'État n'était pas plus efficace que
la politique des nationalités pour empécher, a certains mo-
ments, la France d' étre isolée.


Sans doute, le succes est désirable dans les affaires hu-
maines) mais il n'est pas nécessaire; et ce qui fait la nobles se
et la puissance des causes justes, c'est précisément qu'elles
ne cessent pas d'etre telles, meme apres un échec. Quand
une conduite a été bonne, le succes ne l' eut-il pas cou-
rOl1née, illa faut approuver, et quand elle a été mauvaise,
un succes apparent l'elÍt-il encouragée, il la faut flétrir.
(Tres-bien! tres-bien!)


.A défaut ele l' événement, prendrons-nous comme prín-
cipe supérieur de la politique el'un peuple l'intéret? On l'a




DES PR1NCIPES DE LA POLITIQUE EXTÉRlEURE, ETC. 415


soutenu; et, achaque lnstant, dans cette discussion, revien-
nent ces paroles : " L'intéret de notre pays avant tout, l'in-
téret ele la France, l'intéret de tel ou tel peuple. " Eh bien,
messieurs, je ne suis pas encore convaincu de la valeur de
ce principe. Qu' est-ce que l'intéret? en quoi consiste-t-iU
(Interruption. - Parlez.) En quoi consiste-t-il? L'intéret du
jour n'est pas l'intéret du lendemain, puisque vous voyez les
memes politiques YOUS demander, a un certain moment, de
vous allier avec l'Autriche, et, a d'autres époques, vous in-
citer a la combattre. Pour les nations, comme pour les indi-
vidus, je ne connais qu'une chose facile a saisir, fixe, im-
muable, certaine, et a quoi, par cette raison, on se doit
obstinément tenir : c'est la justicel (Tres-bien! tres-bien!)
Pour une nation comme la France, il n'y a qu'une atti-
tuele digne: c'est d'etre partout l'observateur d'abord, le
défenseur ensuite de ce qui est juste (1). (Tres-bien! tres-
bien !)


Mais, messieurs, quel sera done ce principe, ce principe
juste auquel nous nous attacherons? Le respect des trai-
tés? Il serait regrettable qu'on parlat légerement des
traités; si le respect de la parole humaine était aboli
dans . ce monde, il n'y aurait plus de sécurité et le droit
des gens ne serait plus qu'un odieux brigandage. On lie
les bmufs par les cornes et les hommes par les paroles, a
dit notre jurisconsulte Loysel. Les traités! il les faut res-
pecter, mais a une condition: c'est qu'il y en ait. (Bruits
divers.) Les traités de 1815 ont été pendallt de longues an-
nées la charte de l'Europe : les droits de chacun y étaient
déterminés; il Y avait la un droit publico Mais vous connais-
sez leu!' histoire : contestés en Allemagne au lendemain
meme de leur signature, successivement déchirés et détruits


(1) « Si je savais quelque chose utile a ma patrie qui fUt préjudiciable a l'Eu-
rope et BU genre bumain, je le regarderais comme nn crime. »


(:\10NTESQUIEU, Pensées diverses.)
• L'injustice est un mauvais fondement sur lequel le monde nesaurait batir


que pour sa ruine. »
(TALLEYRAND. Au congrcs de Vienne.)




416 nÉMOCRATIE ET LIBERTÉ


en Italie, en Belgique, a Cracovie, a Varsovie, niés en prin-
cipe, sinon en fait, par le gouvernement de 48, tenus comme
non avenus par l'élection d'un Napoléon, rectifiés par les
plébiscites italiens et fran0ais : leurs derniers lambeaux
viennent d' etre dispersés dans l'air par le canon de Sadowa.
Il n'y a plus de ~raités de 1815! et, pour ma part, je m'en
applaudis ... (Tres-bien r)


M. BELMONTET. Nous aussi !
M. ÉMILE OLLIVIER. Car, si ces traités contenaient, ainsi


que l'a dit hier l'honorable M. Thiers, quelques principes
de justice, ils avaient un vice inexpiable. Ils étaient dirigés
sans doute contre la puissance matérielle de la France; de,
plus, comme iIs impliquaient nécessairement l'absolutisme-
dans les gouvernements, ils étaient dirigés contre sa puis-
sance morale, et c'était leur plus grand tort. Aussi, dans'
tous les temps, y a-t-il eu én France un sentiment constant~
unanime, que rien n'a pu apaiser, pour les maudire, les dé-
tester et souhaiter qu'iIs fussent déchirés. (Tres-bien! tres-
bien !)


En attendant, messieurs, qu'une nouvelle charte soit
faite pou!' l'Europe, puisque nous n'avons plus de traités, a
quoi nous attacherons-nous? Renouvellerons-nous, comme
sous Louis XIV, cornme a la fin du regne de Napoléon ler,
le re ve d'une dornination universelle? Ah! messieurs, si
une pareille aberration pouvait s'emparer de quelqu'un, je
le renverrais, pour l'en guérir, a la réfutation admirable-
que l'honorable M. Thiers a faite de cette folle utopie.


Restreindrons-nous notre ambition, et nous preposerons-
HOUS comme regle, comme but a atteindre, la revendication
de ce qu'on a appelé les frontieres naturelles? Eh bien! ici
je rn'associe au langage de l'honorable M. Garnier-Pages et
je dis : Non! non! la France ne doit pas donner pour but a
sa politique extérieure une extension de territoire, la re-
vendication de prétendues frontieres naturelles ; elle ne doit
pas se constituer a l' état de menace perpétuelle contre ses
voisins et avoir toujours une main tendue d'un coté pour
atteinore le Rhin, et une main tendue de 1'autre cóté pour




DES PRINCIPES DE LA POLlTIQUE EXTÉRIEURE, ETC. 417


saisir Bruxelles. Il y a pour ne pas le faire bien des raisons
que j e pourrai s donner; j e m' en tiens a une q ui dispense de
tout autre: e'est que, pas plus que les provínees rhénanes,
la Belgique ne veut en ce moment devenir fran<;aise. (Mou-
vements divers.) Notre pays a éprouvé des vietoires et des
revers, il a eu des journées heureuses et des journées né-
fastes; i1 a commis des fautes, éprouvé des défaillanees : il
a eu du moins la bonne fortune de ne trainer apres lui ni
une V énétie ni une Irlande, ni aueun de ces pays quí sont,
selon l'expression clu ministre autrichien Thugut, eomme
une meule autour du cou. Tous eeux qui vivent sous son so-
leil y sont d'un eamr joyeux et libre. Ne perdons jamais
eette force: rien au monde ne pourrait la remplacer! (Vive
approbation sur plusieurs banes.)


Les frontieres naturelles éeartées, adopterons-nous pour
principe de notre politique l'envie? L'envie, messieurs, ah !
oui, e'est malheureusement un sentiment démocratique ...
(Rires sur plusieurs banes. - Rumeurs sur d'autres.)


QUELQUES ~1E~IBRES. Ouí! ouí! e'est bien vrai!
M. ÉMILE OLLIVIER. l\Jais l'envie· peut-elle etre le prineipe


de la politique d'une nation eomme la Franee, et devons-
nous mettre notre point d'honneur a empecher les petits de
devenir grands et les grands de deyenir plus grands? Non,
messieurs, non! (Mouvements en sens divers.) Je ne eesse,
dermis plusieurs années, de m'élever contre eette politíque,
et je continuerai de le faire tallt que cela sera néeessail'e.
La haute estime que j'ai pour mon pays, l' orgueil qu'il
m'inspire, m'empecheront toujours d'admettre que sa gran-
deur ne puisse etre faite que de la petitesse des autres.
(Nollveau mouvement.) 8'il en était autrement, si la France
ne devait le rang qu'elle oceupe dans le monde qu'a des
combinaisons artificielle~, qu'a la division des États, qu'it
l'émiettement des races, ne serait-il pas chimérique c1'espé-:
rer que nous maintiendríons, au prix des injustices et des
violenees, un pouvoir dont la fin serait visiblement mar-
qué e ? Il n'y aurait gu'a se préparer a iUre adieu bientüt a


21




418 nÉMoCRATIE ET LIBERTÉ


une suprématie qui, grace au ciel, n'est pas ene ore prete a
s'éclipser.


>t Avant la révolution, la prédominance de la classe arís-
tocratique était fondée sur une théorie pareille. Sois petit,
disait-elle au vilain et au roturier, afin que je sois certaine
de te <lépasser. Sois mon égal, a ajouté Jacques 13onl1Ol11Ul8
apres <les siecles de patience, tu me surpassel'as si tu le
peux. Il n'est pas admissible que la France puisse raisollller
auj ounl'hui contre les autres peuples comme les nobles raí-
sonnaient jadis chez elle a l' égard des vilains.


L'honorable :i\'L Thiers, dans son discours sur la question
romaine, a soutenu qu'il deyait y avoir une politique 1l0U-
velle á l'intérieur, mais q u' a l' extérieur il fallai t El' en tenir
a eeHe de tous les temps, a ceHe de Polybe, de Guicciarclin.
Je ne puis me ranger a cet avis. La politique étrangere, bien
lo in de subsister et de se régir par des regles imlépelldantes
de la politique intérieure, n'en est qu'une cOllséquence; l'nne
donnée, l'autre suit, et cela est si vrai que r OIl peut se
rendre compte de l' état intérieur d'un peuple par l' examen
de sa politique extérieure. 11 Y a, en effet, une politique
extérieure de l'absoluti~li1e et une politique extérieure de
la liberté, et quoique les Russes et les Américains se COll-
gratulent réciproquement, on cOll(joit la polítique extérieure
d'une maniere différente ;\ la Maison-Blanche et a Saint-
Pétersbourg. >t


Enfin, messieurs, ehoísirons-nous pour principe de not!'€;
politique étrangere le príncipe de~ llationalités? (Ah! ah:)


Sur ce mot, il est nécessaire de bien s'entendre, cal' le
príncipe <les nationalités, qu'on a le tort <l'illYoquer souvent,
soit pour l'admettre, soit pour le repousser, sans l'avoir
préalablement défini, le principe des nationalités, suivant
la maniere <lont Oil le comprend, est une idée rétrograde,
inadmissible, dont ancun gouvernement, ainsi que l'a dít
l'honorable 1\1. Thiers, avec une justesse Imrfaite, ne peut,
Sal!S se déshonorer, faire la base de sa politique; ou bien,
au contraíre, ]e príncipe des nationalités est un príncipe
scnsé, légitime, nécessaire, et qu'aucun gouvernement ne




DES PRIXCIPES DE LA POLlTTQUE EXTÉRIEURE, ETC. 419


peut, sans s'affaiblir, répudier dans sa politique extérieure.
Au lieu de recourir a une definition abstraite et obscure,


pour rendre mon idée saisissable, je vais l'expliquer par un
exemple. En Italie, OU le principe des nationalités s'est dé-
battn, s' est étalé, s' est controversé sous tous ses aspects,
existent deux parti~ qui le comprennent et l'appliquent de
deux manieres différentes. Le parti d'action dit cecí : La
contrée comprise entre les deux mers et les Alpes appar-
tient a la meme formation géographique, a la meme tradi-
tion, a la meme langue; elle doit former un meme État. En
conséquence, si it une extrémité quelconque de la péninsnle,
un groupe se rencontre rebelle a cette loi géographique,
historique, il fant le soumettre et le courber. La ]oi de
l'unité n'admet pas de résistance, c'est une loi fatale; si on
l'aecepte yolontairement, tant mieux; sí on y résiste, ene
s'arme et elle subjugue. Aussi, messieurs, ce parti d'action
a-t-il repoussé la convention du 15 septembre et l'a-t-il re-
prochée au ministre qui l'ayait signée comme constituant
une trahison envers la patrie italienne. Le meme parti s'est
agité lorsque le gouvernement franQais a exigé qu'un plé-
biscite précédát l'annexion de la V énétie au royaume ita-
lique : de nouveau on l' entendit erier a la trahisOIl, a la si-
monie, a l'humiliation!


Mais, messieurs) a coté de ce parti, il en est un second =
e' est le parti constitutionnel et modéré, le parti qui a eu
ponr chef l'iIlustre Cavour et qui est représenté aujonrd'hui
par un ministre d'un noble earactere, le baron Ricasoli. Ce
parti a toujours tenu un autre langage, il a dit : Sans doute
la communauté de langue, l'identité de situation· géogra-
phique, la communauté de traditions hjstoriques, sont des
éléments a prendre en sérieuse considération, mais qui ne
sont pas en eux-memes déterminants : le yrai titre de l'Ita-
lie a l'unité, ce qui légitime, ce qui justifie sa formation en
un État nouveau, c'est la libre volonté des populations, ma-
nifestée par les écriyains, par les martyrs, par les votes
unanimes. (Tres-bien!) Aussi le partí modéré a-t-il proposé
et défendu la eónvention du 15 septembre 1 qui reeonnait le




4'20 DÉMOCRA TIE ET LIBERTÉ


droit de la population romaine et du gouvernement romain
comme égal au droit de l'Italie. Récemment il a accepté la
responsabilité du plébiscite vénitien, et il l'a fait exécuter.


Entre ces déux manieres de voir, il ne peut y avoir aueun
doute ponr les esprits sérieux; et ici je me rencontre ayec
la these que l'honorable M. Thiers asoutenue, et je l'ap-
prouve de toutes mes forces: Le principe des nationalités,
compris --dans le premier sens, aboutit a quoi? A l'idée de
race, e'est-a-dire a une idée barbare, rétrograde, a une idée
antiprogr~ssive. Il y a mille ans que les races se sont fon-
dues, et ce n'est pas aujourd'hui qu'il faudrait tenter de dé-
truire ce mystérieux travail, qui a produit les belles na-
tions qui s'épanouissent autour de nous. (Tres-bien! tres-
bien!) L'idée de nationalité, comprise dans le second sens,
aboutit a l'idée de patrie, c' est-a-dire a une idée humaine,
civilisatrice, large, étendue. La race a des limites qui ne
peuvent pas etre dépassées, la patrie n'en a aueune; elle
peut s'étendre, se développer sans cesse; elle pourrait deye-
nir le genre humain comme sous l' empire romain. (MOllYe-
ment.)


Apres ces explications, nous voila en mesure de détermi-
ner la valeur du principe des nationalités.


Entend-on par la un droit de race supérieur a toute jus-
tice et a tout consentement des populations, combattons-Ie
et rej etons..,le. .


Entend-on, au contraire, un droit des populations supé-
ríeur aux fatalités de race et aux combinaisons artifieielles,
saluons-le comme le principe auqueIle monde et l'avenir ap-
partiennent. (Tres-bien!)


En résumé, sur ce point, la regle souveraine de la poli-
tique étrangere el'un grand peuple au dix-neuvieme siecle, .
oe n'est ni le respect des traités, puisqu'il n'en existe plus
ayant autorité, ni la poursuite de la domination universelle
ou des frontieres naturelles, ni 1'envie, ni le droit de la
race, c'est le droit de la nationalité, c'est-a-dire de la libre
volonté des populations. (Mouvements divers.)


Pour repousser ce princjpe nouveau, ne lui rattachons




DES PRINCIPES DE LA POLITIQUE EXTÉRlEURE, ETC. 421


pas de fausses conséquences. Il n'est pas exact de dire que
la nécessité des grandes agglomérations en découle. La vo-
lonté des peuples produit, si elle veut, de grandes agglomé-
rations; mais si elle veut aussi, elle en maintient de petites.
J etez un regard autour de vous, examinez les ceuvres déja
nombreuses qu'a produites ce principe encore si récent, et
vous constaterez que si, en effet, il a quelquefois constitué
de grands groupes, souvent aussi il en a divisé de grands
pour en former un certain nombre de petits. Tel se présente
le petlt État roumain, telle la petite Grece, détachés tous
les deux de la grande Turquie.


Quelque opinion qu'on ait done sur les grands ou sur les
petits États, sur la question de savoir si l'Europe gagnerait
a etre ramassée en trois ou quatre puissantes aggloméra-
tions, ou s'il est préférable qu' elle soit partagée entre de
noz:nbreux petits États, il n'y aurait ríen a en conclure pour
ou contre la théorie des nationalités. Elle s'accommode
d'une combinaison aussi bien que de l'autre, et il n'est pas
équitable de la rendre responsable de ce qui n' est pas son
fait. (C'est vrai!)


La seule conséquence nécessaire qui découle de la théorie
des nationalités, c'est la regle diplomatique de la non-inter-
vention, qui condamne a la fois la propagande révolution-
naire et la sainte alliance. Des que les peuples sont maltres
de leurs destinées, nul n'a le droit de les gener par une in-
tervention : la conséquence est iuyincible. (Tres-bien!) Per-
sonne, a n'envisager que les paroles, ne l'a contestée.
Depuis longtemps déja, les esprits libéraux professent le res-
pect du principe de non-intervention (1). Seulement, apres


(1) La. prétention d'intervenir dans les affaires intérienres d'un penple an
mépris de ses droits remonte, selon Royer-Coliard, au partage de la Pologne.
J'ell ai retrouvé la trace bien avant. Linguet, dans ses Vindicix contra Tyrannos,
admet le droit d'intervention, ponrvu qu'il soit désintéressé et pur de toute pensée
d'agrandisseme~t; et, joignant la pratique au précepte, un autre écrivain protes-
tant dédiait a Elisabeth d'Angleterre un pamphlet publié contre la Saint-Bar-
thélemy sous le titre de Réveille-Matin des Franl}ais. l\lais de la part d'esprits
libéraux, ces aberrations ont toujonrs été passageres. « Le fait, dit M. Guizot,
c'est que l'illterventioll par les armes, dan s les affaire s d'une nation étrans(ere,




422 DÉ~OCRATIE ET LIBERTÉ


l'avoir proclamé, ils le font disparaitre sous les exceptions.
Que de fois n'avons-nous pas entendu des hommes d'État
monter a cette tribune et dire : Il n'y a rien de plus respec-
table que le principe de non-interv€ntion, et puis, ce salut
[espectueux donné, ajouter : ::\Iaintenant nous vous deman-
dOllS la permission d'intervenir dans tel ou tel pays?


Nous ne voulons pas violer le príncipe d'interventlon, di-
sait Pitt en 1791, pour justifier son attaque contre la révo-
lution frarH;aise; et Chateaubriand, en 1823, pour défendre
l'expéclition d'Espagne : Nous voulons uniquement protéger
notre sécurité compromise par des théories pernirieuses ;
nous ne voulons pas empecher la natioll fran('aise ou espa-
gnole de se Llo11ner les institutions qu' elle préferü; nous ne
visons (lU'c\ nous protéger nous-memes.


D'autres, venus ensuite, ont introduit une secowle excep-
tion. C'est un grand ministre, Casimir Périer, qui en a été
l'ü1Yenteur, a propos des affaires italiennes. Il a!lpreml un
jour que les Autrichiens sont entrés clans les Légations. Qu'y
ayait ·il a faire? De deux choses l'une : ou s'abstenir, ou ar-
reter les envahisseurs. C'était trop simple. Il imagina non
11as de les laisser faire, non pas de les arreter, mais de les
imiter. Et il dit : Si l'Autriche témoigne sa force en env(t-
hissant les Légations, prouyons que notre vigueur n'est pas
moindre que la sienne, envahissons-les a notre tour. En


n'y tOlHne presque jamais au profit de la jllstice et de la liberté. Talltút <.:ctte
intcrvelltioll donn€ it un parti une dominabon factice et passag0re 1 f:li.)[l1l1 :IU
se in rl'ull mtll1c peuple des vainqueurs et des yaillcns par l'drangl'l"; t:lntut elle
ranime les snsccptibilités nationales, les élhe au-dessns ,les (11lcrcll,'s intéricllres,
et rallie cOlltre l'étrallger les vainqueurs et les vaincns qu'il a faits. Et en dén-
llitive, la puissallce inter\'ei1allte se trOlH'e presque toujours obligl'e ou de se re-
tirer ímpnissallte devant l'obstination du mal auquel elle voulait mettre un terme,
ou d'opprimer elle-méme le peuple qu'elle était vellUe ¡;ecourir. » (M. Guizot,
JIémoires, tome JI, page 256.)


C'cst an 110m du príncipe de non-intervention que La Fayette demandait, en
1831, qu'on secourut la Pologne. L'entrée des Rnsses dans le royaume créé en
1815 constituait, selon lui, une atteinte au principe de non-intervention que
la France ne deyait pas toJérer. Les partisans de l'absolutisme senls ont défcDllu
en these générale le dl'oit d'intervention, et la fameuse encycliquc de 1864 dit en
termes formeIs : « C'est une errenr de proclamer et d'obser"er le príncipe de
non-interventioll. D




DES PRINOlPES DE LA POLITIQUE EXTÉRTEURE, ETC. 423


conséquence, Ancone fut occupée, et cela fut considéré
alor:::; comme un acte admirable. (Mouvement marqué.)


jI. GLAIS-DlZOIN. Il l'était aussi, il arreta l'armée autri-
1 .• (B' \ e 11enn,e. l rUlt.)
jI. E~IILE OLLlVIER. jI. Guizot, en 1847, en présence d\me


pareille situation, tint le meme langage dans ses dépeches a
M. Rossi : ., " Si les Autrichiens entrent dans les États ro-
mains san s le gré du pape, nous sommes prets a entrer de
notre c()té, sauf á voir par quel point. " Peut-on concevoir
une conduite aussi bizarre? Un malheureux git par terre,
sous un brigancl quí le poignarde. Que faire? passer san s
ríen dire, sí on est trop faible ou trop craintif, 011 bien le
secourir. Non, ont dit les politiques; il faut s'arreter, se
placer a c(jté du premier agresseur, porter le meme coup
que luí, puis lui dire d'un air triomphant : Tu le vois, je
suis aussi fort que toi! .o-


Enfin aujonrrl'hui cl'autres libéraux disent : Nous respec-
tons beaucoup le principe de non-intervention, mais nous
demandons une troisieme exception. Nous ne nous oppo-
sons pas a ce que les peuples disposent de leurs destinées
comme ils l'entendent, nous y mettons toutefois une condi-
tion: c'est qu'ils n'y troublent pas cette chose insaisissable,
un peu fantastique, qu'on appelle l'équilibre eUl'opéen. Je
m~ garelerai bien de vous fatiguer el'un long débat sur l' é-
(luilibre européen; je me bornerai a faire remarquer aquel
singulier usage on l' emploie. Quelle est la raison que l'ho-
norab1e M. Thiers et asa suite tous les défenseurs de l'équi-
libre européen ont invoquée pour justifier l'équilibre euro-
péen? La néeessité de sauyegarder l'indépendanee des
peuples. Or, a quoi emploient-ils cet équilibre européen?
.-\. empecher les peuples de faire ce qu'ils veulent, e' est-a-
dire qu'ils ne se préoceupent de leur indépendance que
pour la méconnaitre. (Mouvements en sens divers.)


M. BELMONTET. Oui! oui! c'est vrai! e'est évident!
M. ÉMILE OLLIVIER. lIs leur disent : Vous ferez ce que


YOUS voudrez, puisque vous Mes indépenilants, mais a une
condition, e'est que vous ferez ce qui nous eonvient. Quand




424 DÉMOCRATIE ET LIBERTÉ


ce langage a été tenu dans des discussions sur la presse, sur
la liberte interieure, je l'ai repousse; je le repousse quand
il est tenu dans les questions exterieures.


UN MEMBRE. On n'a jamais dit cela.
M. ÉMILE OLLIVIER. Et en cela je suis logique.




Je n'accepte auc1,lne des exceptions qu'on a voulu appor-
ter au principe de non-intervention (1). Sans doute un cer-
tain equilibre doit exister en Europe, mais ce n'est pas
dan s le balancement des forces materielles qu'iI faut le
chercher; il naitra (le la ponderation des forces morales et
de ]a satisfaction, et non de la compression des aspirations
nationales (2).


Maintenant que je suis en possession d'un point de dé-
part certain, je puis avec sureté apprécier les affaires d'AI-
lemagne (Mouvements divers.), rechercher ce qu'on doit
penser de la conduite de la Prusse et de la conduite de notre
gouvernement.


On ne peut se prononcer en bloc sur les derniers ere-
nements d'Allemagne. Dellx ordres de faits doivent étre
distingues: ce que j'appellerai les annexions, et ce que j'ap-
pellerai la Confédération. En effet, le roi de Prusse a com-
mencé par incorporer a ses anciens États deux ou trois pro-
vinces. Ensuite iI a établi une confédération entre la Prusse
ainsi agrandie et les différents autres É tats d u nord de
l'Allemagne.


Sur les annexions, iI ne saurait exister deux avis. Les an-
nexions du Hanovre, de la ville de Frallcfort, de la Resse


(1) Il ne l'ésulte pas de lit qu'une nation n'ait jamais le droit de faire la guerreo
Sans parler des invasions ou des outrages, elle a le droit d'imposer par les armes
le respect du principe de non-intervention au fort qui le viole au détriment du
faible. Aussi la guerre d'Italie de 1859 n'a-t-elle pas été de notre part la violation
du principe de non-intervention; elle en a été la l'evendication au profit de l'Italie,
notre alliée. La France avaít, d'ailleurs, un intéret pel'sonnel á l'indépendance dn
Piémont. Des 1833, 1\1. de Broglie, ministre des affail'es (~tl'angl~res, déclaraít tí
l'Autriche que le Piémollt était, ainsi que la Belgique el la Suisse, un terl'itoire
sacré dont it aucun pl'ix la France ne tolérel'ait l'inyasion.


(2) « Un peuple libre est une garantie pour un autre peuple libre. »
(CHATJ<a{TnRu~D.)




DES l'RIKCIPES DE LA POLITIQUE EXTÉRIEURE, ETC. 425


et surtout des duchés ont été faites contre le droit. (Tres-
bien!) Elles sont une violation outrageante des principes de
justiee et d'honneur. (Assentiment sur un grand nombre de
banes.) M. de Bismark a exhumé en vain pour se justifier le
(lroit de eonquete. Le droit de conquete constitue un ana-
chronisme d'autant plus inaeeeptable, qu'il est incompatible
avec l'idée de patrie. S'il y a une patrie allemande qu'on
veut organiser, on n'a pas a en eonquérir une partie. On ne
eonquiert que l'ennemi et l'étranger. (C'est vrai! Tres~
bien !) M. de Bismark n'a pas ·eu davantage raison lorsque,
a défaut du droit de conquete, il a invoqué le principe des
nationalités. Il s' est trompé de mot; il a voulu dire le droit
de la raee. C' était le seul qu'il pút revendiquer, cal' saris le
libre assentiment des populations, il n'y a pas de droit des
nationalités. Des que le ministre prussien invoquait le droit
de la race, il aurait dú se rappeler qu'il y a, en Prusse, un
pays qu'on appelle Posen, qui n'est pas allemand, qui veut
cesser de l'etre, et il aurait dli reconnaitre aux autres,
contre lui, le droit qu'il réclamait aux autres pour luí.
(Tres-bien!) Cette seconde justification n'est done pas plus
aceeptable que la premiere. (Mouvement.) * M. de Bismal'k
n'est rien autre qu'un jacobin qui, a eoup de fouets, fait en-
trer l'Allemagne dans l'unité. Qu'y a~t-il, en effet, de plus
révolutionnaire que de chasser un roi et de détruire vio-
lemment deux États? Metternich, qui s'y connaissait, écri-
vait, en 1846, dans un memorandum secret adressé au ca-
binet des Tuileries : " Les États sont en révolution quand ils
passent des mains des gouvernements constitués dans celles
d\m autre pouvoir, quel qu'il soit. ". La loi du salut pu- .
blic, la nécessité de l'action révolutionnaire, tel est le seul
argument que puisse alléguer M. de Bismark pour se dé-
fendre! J'ai méprisé tous les principes du juste, pourrait-il
dire, pour ne m'oecuper que de la souveraineté du but. Ap-
pro uvera qui voudra ce langage; quant a moi, je le repousse
de toutes les forces de mon ame. (Tres-bien!) Partout oa je
rcneontrerai sur mes pas la souveraineté du but, soit chez
moi, soit hors de chez moi, soit contre moi, soit en ma fa-





426 D"ÉMOCRATIE ET LIBERTÉ


veur, je la combattrai. (Tres-bien! tres-bien! sur quelques
banes.) L'Allemagne, disons-le a sa gloire, ne pense pas
autrement que moi. Dans les parlements, dans les journaux,
partout, les consciences honnetes se sont élevées contre les
procédés de M. de Bismark et les ont condamnés, et beau-
~oup ont dit que l'honneur allemand en avait été souillé.
(Tres-bien! sur qu dques bancs. - Mouyements diyers.)


Je ne parlerai pas de la Confédération comme des an-
nexions. La Confédération est un fait légitime et un fait
inattaquable. De quoi résulte-t-elle? En premier líeu, des
traités entre souverains volontairemellt eonsentis C:\Iouve-
ment); en second líeu, ene va bientót résuf""er des délibé-
rations d'un parlement .nommé par le suffrage nniversel.
Ainsi, a la volonté des princes manifestée par untraité s'u-
nira la volont~ des populations manifestée par la délibé-
ration el'une assemblée. Que ce résultat nous contrarie ou
qu'il nous satisfasse, que llOUS ayolls lien (le nons en préoc-
cuper ou de le craindre, il est légítime, no comporte ancnne
objection, et il s'impose a notre respect. Aussi, dans toute
discussion sur ces affaires si compliquées, qu'il s'agisse
d'apprécier le passé ou de préparer l'avenir, la justice exige
qu'on distingue deux ordres de faits : les annexions coupa-
Lles, illégitimes. contre le droit; la Confédératiol1 honnete,
légitime, selon le droit. (Mouvements prolongés en sen s
diverso )


PLUSIEURS MEMBRES. Et la Saxe?
M. É~IILE OLLIVIER. Aux honorables interrupteurs (lui me


disent : la Sax.e, je réponds que les députés saxons cllvoyés
an par]ement du Nord sont en grande majorité favorables
a la Confédération du N ord. (Interruptions.)


M. LE DUC DE MARMIER. C' est la légitimité des ba'ion-
nettes ~ue vous proclamez. (On rit.)


M. El\-IILE OLLlVIER. Il me reste a m'expEquer sur la con-
duite de notre gouvernement. (Monvement,)


Quel a été son principe d'action? L'honorable M. Thiers
a été injuste envers lui. (Chuchotements a la gauche de
l' orateur .)




DES PRI~CIPES DE LA POLITIQUE EXTÉRIEURE, ETC. 427


Si eette appreeiation ne plait pas ú. quelques-uns de mes
eollegues, j' en Sllis bien fáehe, mais elle exprime ma pen-
see. (.:\louvements diverso - Parlez 1) Je répete : ~,1. Thiers
a ete ínjuste envers le Gouvernement, lorsqu'íl a voulu le
rendre soljdaire du príncipe des nationalites eompris dans
le sens du droit des raees. Il ne l'a jamais entendu de la
sorteo Par le droit des nationalités, il n'a voulu exprimer
que le droit qn' ont les peuples de manifester leu!' volonté et
de regler librement leurs clestinees. (Mouvement.)


QUELQUES VOIX. C'est tres-vrai 1
M. LÉOPOLD JAVAL. Et le .Mexique? .
I\I. ÉMILE OLLIVIEH.. On me críe: Et le Mexique? L'inter-


ruption ne me cause aueun embarras, et je repondrai a l'in-
terrupteur que e'est paree qu'au J\lexique le Gouvernement
a méconnu les vrais principes, que j'ai condamne et que je
eOlldamne son expéditioll. (Tres-bien! sur plusieurs banes.)
U~ ME~IDHE. Alors :JI. Thiers n'a pas eu tort.
:JI. I~~iILE OLLIVIER. J e ne parle que de l'Italie et de


l'Allemagne. Ce ll'est pas la premiere fois, au surplus, que
j'approuve la politiclue extéríeure du Gouvernement. Depuís
plusieurs années, ehaque fois qu' on a agité la question
d'Italie, je me suis levé pour le défendre et pour soutenir
qu'il était dans le vrai.


eN MEMBRE. Allons done!
UN AUTRE MEMBRE. C'est vrai!
PLUSIEUHS VOIX. Parlez! parlez! Ne répondez pas aux in-


terruptionsl
:JI. É~IILE OLLIVIER. :JIessieurs, les interruptions me fati-


gueront, elles ne me troubleront pas (Tres-bien! tres-bien !),
et je développerai ma pensée sans me laisser distraire ni en-
trainer.


PLUSIEURS ME'MBRES. Vous avez raison!
M. ÉMILE OLLIVIER. Seulement, je fais appel aux senti-
~lents d'équité de la Chambre. (Parlez! parlez!) Je sais
tres-bien que les opinions que j'exprime ne sont pas celles
d'un tres-grand nombre de mes collegues; mais que signifie
done cette tribune et qu' est-ce done que la liberte, si elle




4'28 DÉMOCRATIE ET LIBERTÉ


ne donne pas a chacun le droit de dire ce qu'il pense, meffie
quand il pense autrement que ceux auxquels il s'adresse?
(Ouí! oui! - Vive adhésion.)


Je ne crains nulle contradiction en affirmant que dans les
affaires d'Italie et d'Allemagne, le Gouvernement n'ajamais
attribué au principe des nationalités la signification rétro-
grade et fausse de la race. Dans la lettre écrite a l'hono-
rabIe M. Drouyn de Lhuys, si l'Empereur a peut-etre eu le
tort de faire entrevoir le désir de certaines compensations,
il a cependant pris le soin d'ajouter que tout était subor-
donné a la volonté des populations. L'originalité du gouver-
nement actuel dani:! la politique étrangere, et aussi sa
gloire, consistera a avoir proclamé, poursuivi, respecté le
droit des peuples, et je ren honore. (Tres-bien! tres-bien!)


Chaque congres a introduit dan s le droit européen un
principe nouyeau. Au congres de Westphalie remonte la
liberté de conscience; au congres de Vienne, l'abolition de
la traite; au congres de Paris, l'introduction du principe
des nationalités. La Franee n'a pas adopté son principe de
politique extérieure d'une maniere imprévue, et eomme a la
dérobée; elle l'a affirmé deux fois devant rEurope réunie.
La premiere fois, j e viens de le dire, e' était apres la guerre
de Crimée, au congres de París. On s'occupait de régler le
sort des deux principautés danubiennes. L'honorable prési-
dent qui dirige nos débats et qui présidait a:lors les tl'avaux
du congres, fit entendre pour la premiere fois une proposi-
tion que la diplomatie trouva étrange, paree qu'elle n'avait
jamais résonné a ses oreilles : Pour organiser les princi-
pautés, dit-il alors, ne nous préoccupons pas avant tout de
ce que pense la Porte, de ce que désire l'Autriche, de ce
qui est écrit dans des parchemins surannés; recherchons ce
que désirent les populations, et puisqu' elles veulent etre
réunies, laissons-les se réunir. Deux élections furent ordon-
nées, et ces élections ayant été faussées par M. Vogoddes,
le caYmacan de Moldavie, aussitót la Franee intervint, et
pour prouver qu'elle n'entendait pas se rendre complice
d'un jeu puéril et machiavélique, et pour que personne ne




DES PRIXCIPES DE LA POLITTQUE EXTÉRTEURE, ETC. 429


put se méprendre sur sa probité et son honneur, elle me-
na<)a la Sublime-Porte de la retraite de son ambassadeur 'et
d'une rupture des relations diplomatiques, si les électiollS
n' étaient pas annlllées : elles le furent.


A propos des duchés de l'Elbe, une conférence se réunit
a Londres. Apres qu'on eut longtemps discuté sur le traité
de 1852, pour trancher le différend, la Prusse, tenant un
langage q u' elle a oublié depuis, proposa de consulter les po-
pulations. Aussitot M. de Brunno\V, le représentant russe,
de protester; lord Clarenclon, le ministre anglais, de se
récrier et de dire : Mais c'e:st h\ un príncipe bien clangerellx
et nouveau! La France répondit tranquillement : Je pense
comme la Prusse; j'ai déja défendll rette politique au COll-
gres de Paris, et j'y persiste dans la conférence de Lon-


,dres; consultez les populations ... On blame le Gouverne-
ment de cette attitude ; je l' en félicite. (Tres-bien! tres-bien!)


Le principe d'actioll que le Gouvernement a adopté dans
les affaires allemandes est irréprochable. Ses actes méritent-
ils une semblable approbation? J e continue a m'expliquer
avec une entiere franchise, et ne redoutant pas plus d'ap-
prouver le bien que de blamer le mal.


Je me place au début de l'affaire. L')'l.llemagne arme,
l'Europe S'inqlliete, la Frallce s'interroge. Que fait le Gou-
vernement? il appelle les puissances riyales á une confé-
rence : Venez, leur dit-il, sallS contracter d' engagement,
vous vous expliquerez, YOUS discuterez devant l'Europe, et,
apres ce débat solellnel, il est a supposer que les préten-
tions condamnables seront réduites a l'impuissance et que
les réclamations légitimes triompheront. Qui donc a refusé
de venir a la conférence? qui l'a fait avorter? C'est l'Au·
triche,celle qu'on aappelée la sage Autriche. Et dans 1'ordre
dujour par lequel l'archidllc Albert annonce a ses troupes
<lue les hostilités vont commencer, il dit : " Le jour, depuis
si longtemps attendu, est enfin arrivé. " - L'Autriche, qui
youlait la guerre ... (1) (Exclamations bruyantes et longue
interrllption.)


(l) ~\u J01.)11t des aff,\ireci, iI est manifeste que c'est 1a Prusse q~i youlait la




430 DÉMOCij.ATIE ET LIBERTÉ


PLUSIEURS MEMBRES. Comment! eomment!
M. EMILE ÜLLIVIER. L'Autriehe qui, alors, vOlllalt la


guerre, paree qu'elle-eroyait que son honneur militaire ne
luí permettaít pas de eéder sur la question de la V énétie ...
(N ouvelle interruption.)


Si vous interrompez mes phrases au milieu, comment vou-
lez-vous les eomprendre !


V OIX NmIBREUSES. Parlez!
2\1. ÉM~LE ÜLLIVIER. Si ma parole déplait dans eette en-


ceinte a eertaines personnes, je sais qu'elle répond ~t l'opi-
nion d'une tres-grande partie du pays. A ussi m' exprimerai-je
imperturbablerrlellt jusqu'au bout. Mais je ne saurais trop
m'étonner qu'on veuille juger la pensée d'un orateur sur une
phrase qu'on coupe au milieu et qu'on n'a pas la patienee
d'attenclre j usqu'a la fin.


DE DlVERS COTÉS. Tres-bien! Parlez!
M. É~nLE OLLIVIER. J e le répete, l'Autriehe youlait alors


la guerre, paree qu' elle eroyait que son honneur militaire
ne lui permettait pas de eéder sur la questioll de la V énétie,
et paree qu' elle ne doutait pas d'avoir faeilement raison des
bataillons inexpérimentés de la land"wehr prussienne. (C'est
vrai! e'est vrai!)


Mais on clit : La cOlwocation d'une conférenee n' était pas


guerre et qui y poussait. A ce deruier moment, ee fut l' Autriche qui se refusa
a toute négociation. Elle l'a, du reste, ayoné frallchpmcnt: « Le gouvernement
autrichien ne se <lissimule pus gn'il fa:t llépendre son aúllesi0n ;1 la reuníon du
con gres projeté d'une conrlition qui peut aisément la faire avorter. II ]JI'é(érernit
peut· cIte qu' ii en (ut ainsi, cal' plus il examine b. situation, plus il 1 ui parait cer-
tain que l'Autriche n'a que peu ele résultats a attcndre lles délibérations que les
puissances neutrcs se proposfmt d'ouyrir. Il est cIair également que, quels que
soient les ménagements apportés a la rédaction du programme, l'examen dn dif-
férend italien ne sanrait avoir pour signification qu'une demande de cession uc
la V énétie. L' Autriclle ne pourrait opposel' a une pareille demande qu'un refus
ausolu. Céder une province devunt une pl'ession morale, une provine e de eette
importance au triple point de vue militaire, mari time et politique, équivaut :'t
un acte de suicide, qui ferait déchoir la monarchie a toutjamais lle son rang de
grande puissanee. Le gouvernement impérial l1e sanrait aecepter une inc1emnité
pécuniaire; son honneur et sa digllité s'y opposeraient. » ClnstructiollS ans: ambas-
sarlenrs de l'Autriche, prl:s les COUl'S de Paris. Londres et Saint-Pétersbonrg,
accompagnant la répol1se llu gOllnrncmellt autriehicn ~t la propositiün d'ull COll-
gres a París, en date du ler juin 1866.)




DES FRINCIPES DE LA POLlTIQUE EXTÉRIEURE, ETC. 431


une intervention assez effieace; il eut fallu défendre a l'Ita-
líe de s'unir a la Prusse. L'ltalie est notre alliée, elle n'existe
que par nous, nous pouvions luí elire : " Nous ne voulons pas
que vous deveniez l'allié de la Prusse! ,,- Kous aurions eu
tort de tenir ce langage a l'Italie. Préeisément paree que
nous avons répandu notre sang pour elle, nous sommes
obligés de veiller a ee que ce sang n'ait pas été versé en
vain. ?\ ous devons emp8cher que des résultats douloureuse-
ment acquis ne soient compromis, et agir pour flU'ils portent
tous leurs fruits. D'ailleurs nous étions intéressés, nous
aussi, a ce que l'Italie fUt libre des Alpes a l'Adriatique, et
notre expéditioll n'avait pas été faite uniquement pour les
autres. Si, en eífet, la guerre de Crimée est digne d'admira-
tion, paree qu' dIe a protégé la Turq uíe eontre les empié.
tements du czar, eomhien la guerre d'Italie n'est-elle pas
phis digne d'admiration, puisqu'elle a protégé la France
elle-meme eontre les entreprises possíbles de l'Autriche !
(Exclamations sur un certain nombre de banes! - Appro-
batíon sur d'autres.)


Puisqu'on parle avec tant de eomplaisance de l'Autriche,
pourquoi a-t-on oublié que ee qu'on a appelé le parti 'ele la
grande Al1emagne n' est pas une ceuvre prussienne? Le parti
de la grande Allemagne, e'est le parti ele l'Autriehe. Pour-
quoi a-t-on oublié que e'est le prinee de Sclnvarzenberg
quí, en 1851 J apres l'humiliation de la Prusse a Olmütz,
voulut organiser une confédération de 70 millions d'hommes
contre nous, en introduisant dans la confédération m8me
les provinces non allemandes de l'Autriehe? Pourquoi a-t-on
oublié que l'empereur Fran<)ois Joseph tendait au meme but
lorsqu'en 1863 il proposait a Franefort la réforme du paete


. fédéral (1 j"? Et pourquoi a-t-on oublié qu'antérieurement,


(1) L' Autriche a, plus encore que la Prusse, préparé la fin de la Conf¡ldération
germanique Qu'a-t-on jamais dit ele plus violent contre elle que ce qui est contenu
dans le IrH'moire l'emis a Gastein, le 3 aoút 1863, par l'empereur d'Autriche au
roi de Prusse ; «La marche entiere du eléveloppement de l'Allemagne, pendant
ces dernieres années, a produit l'effet le plus désavantageux possible sur l'institu·
tion de la Confédération sous sa forme actuella. Le sta/ti quo est absolument un




432 DÉ:M.OCRATIE ET LIBERTt


en 1815, si l'Autriehe avait agrandi le Piémont, si elle
s'était installée elle-meme a Milan, e'était afin de pouvoÍl'
en quelques heures arriver au eamr de la Franee? La domi-


chaos. Le tel'rain des COnUllti01ls {édérale$ t'acille SOllS les pieds de 'lui s'y pose;
l'édi(tce de l'ordre comentionnel allemand montre, dans toutes ses parties, des CTeeasscs
et des (entes, et le simple t'O'u qtte les murs lézardés puissent encore résister a lllte
tempete prochaine ne pellt point relldre ti ces mttrs la solidlté néce:<sai1'e. " Ce la11-
gage parut si excessif a la Prusse elle-meme qu'elle signala, daw; une dépeche
du 15 septembre 1863, l'inconvénient de saper la confiance dans les institu-
tions en vigueur et meme de les ¿branler avant qu'on ait la certitude d'oLtellir
quelque chose de mieux.


L'Autriche ne s'est pas contentée de parler contre la Confédération, elle a agi
contre elle. Le 14 janvier 1864, la Diete ayant repoussé la proposition qu'elle
avait faite conjoilltement avec la Prusse, elle déclara qu'elle se substituerait a hL
Confédération dans le Slesvig. Elle ne tarda pas a l'exclure également du
Holstein. Et alors l' Autriche commen9a, contre les l~tats secondaires , une
campagne semblable a celle que la Prusse commen9a plus tard cantre elle.
Elle déclara qu'elle ne voulait pas se laisser majoriser, qu'eIle sortirait plutút
de la Confédération; elle répéta a sa fagon la parole de .JI. de Bismurk que les
questions politiques ne sont pas des questions de droit, l1Iai" des qucstions l1e
force. Aussi l'indignation était-elle si générale contre elle, dalls tonte l'Alle-
magne, qne les· troupes uestinées pour le Slesvig l1urent faire le détour pal'
Breslau et Berlin pour ne pas s'exposer it des manifestatiolls hostiles en Baviere
et en Saxe. Le résnltat d'une telle conl1uite parut alors si évident h, tous que
le représentant ang1ais écriyait apres le vote au 14 janvier : « La déclaration
des deux gra11l1es puissances germaniques est une violation flagrante de la con-
stitntion fédérale. Les États secondaires poussent de hauts cris : 11s disent que
la Diete est rirlllellement dissottte. » Ainsi la Prnsse n'a pas en iL llriser les portes
pour sortir de la maisoll : elles n'existaient plus!


Quant aux projets hostiles contre la France qui ont toujours guidé l'Autriche
dan" sa politique allemande, qui pourrait les contester'! .JI. Thiers a dit que,
dans le différend danois, l'Autriche ,wait suivi la Prusse pour la modérer. Ce n'est
pas exacto Elle l'a suivie pour s'assurer des alliances contre naus. Dós les pre-
miers mois de 1864, le général prussien de ::\Ianteuffel apporta it Viellne un
projet de cOl1Yention stipulant la mobilisation de l'année prussiclllle dans le cas
u'une attaque l1e la V énétie par les Italiens seuls, - la coopératioll chus le cas oü
la France interviendrait. A pres la eonvention un 15 septemore, le cabinet de
Vienne invoqua la convention Manteuffel. :\1. de 13ismark répondit que la conven-
tiOn n'était pas applicable á ce cas, et e'est ce qni amena la chute ue M. ue ltec:]¡-
berg. Notre diplomatie ne s'y est, uu reste, jamais méprise; elle accueillit fort
mal la tentativede Frédéric-Joseph á Francfort, et c'est un memorandnm péremp-
toire de :.\!. Hrenier, en date du 5 mar" 1851, qui arreta le priEce Sclnyartzellberg
apres Olmutz.


L'Autriche nons a secondés l~n moment 101's de la guerre de Crimée, mais elle
nous í1 combattus uans tons les arrangements qui out suiyi, dall5 l'ajfaire eles
principautés comme dans cene du Monténegro.


Dans l'affaire de Pologne, elle Ilúns a leunés. Tant que notre alliance ave e In
Russie n'n, pas été brisée, elle a plnt0t fan'risé l'insnr1'ection; l1es que l'}¡ostilitú




DES PRINCIPES DE LA POLITIQUE EXTÉRIEURE, ETC. 433


nation de l' Autriche en Italie était une menace perpétuelle
contre nous. La guerre d'Italie a détruit cette situation.
(Assentiment sur plusieurs bancs.) Pour cela elle mérite
d'etre appelée une guerre glorieuse, une grande guerre,
aussi grande que la guerre de Crimée. (Nouvel assentiment.)
Et, en vérité, si apres avoir relevé d'hier un noble pays,
apres l'avoir formé de ses propres mains, notre gouverne-
ment l'avait traité avec violeuce, sans respect, s'il s'était
opposé a l'occasion qui s'offrait a lui de se compléter, il se
fUt montré imprévoyant, coupable, et nous aurions le droit
de lui demander compte du sang et de 1'argent que nous
aurions prodigués pour une ffiuvre devenue vaine!


PLUSIEURS MEMBRES. Vous avez raison!
M. ÉMILE ÜLLIVIER. La guerre commence. lei, messieurs,


pas d'hésitation sur le jugement a prononcer. Tout dépend
du but que nous voulions atteindre. Avions-nous une arriere-
pensé e d'agrandissement? Désirions -HOUS arrondir notre
frontiere? Il ne fallait pas rester neutre. Il fallait se placer
avec résolution soit du coté de la Prusse, soit du coté de
l'Autriche, occuper un certain nombre de territoires, et, el.
la paix, dire : " Comptez avec nous! " et le vainqueur, quel
qu'il fllt, ellt compté. Mais cette politique, elle ellt été im-
morale!


Restait alors a se prononcer pour celui des deux com-
battants qui avait raison; mais ils avaient également tort.
Nous ne pouvions prendre partí pour l'Autriche, qui oppri-
mait Venise; ni pour la Prusse, qui opprimait les duchés.
Nous pe pouvions que rester neutres! C'est ce que nous
avons faite (Tres-bien! tres-bien!)


Sadowa arríve. En retour de l'abandon de Venise, on de-
mande notre médiation; nous l'accordons. Nous sauvons
Vienne, nous empechons la ruine complete de l'Autriche.
nous stipulons en favéur des États secondaires vaincus, en


entre le cabinet des Tuileries et celui de Saint~Pétersboul'g s'e3t produite,
elle a écrasé les malhcureux Polonais par la mise en Mat de siége de la Galicie.


Espérons que les nécessités salutaires de l'adversité modifieront cette poli-
tique!


'8





434 DÉMOCRATIE ET LIBERTÉ


faveur des V énl tiens au midi et des Danois des duchés au
nord. Pouvions-nous faire plus? Il faut répondre netternent
a cette question ; nous sommes au vif des choses. Ouí! on le
pouvait! Oui, on pouvait adopter pour politique d'empecher
les annexions iniques de la Prusse. Et el'apres ce que j'ai dit,
vous en etes, j'espere, convaincus, les prétextes et les rai-
sons légitirnes n'eussent pas manqué; ils n'eussent pas
manqué surtout en faveur des duchés! Le traité de 1852
avait été déchlré par la Prusse et par l'Autriche, mais
en le déchirant, ces deux puissances ayaient déclaré qu'elles
s'engageaient a ne rien établir de (léfinitif dans les duchés
<lyant d'avoir consulté les puis~anees signataires du traité
de Londres (1). Ríen ne s'opposait done a ce que nous
dissiol1s au roi de Prusse: " Vous ne vous annexerez pas le
Hanovre et Franefort, qui ne veulfmt pas de vous, et si vous
vous y obstinez, nous nous opposerons a l'iniquité par la force
des armes. " Nous le pouvions, nous en avions le droit, -
devions-llous le faire? S'il y a quelqu'un dans cette aSSAm-
blée qui le pense, qu'il se leve, et qu'il ose le dire!
(Mouvement.) Oui, qu'il se leve, dans cette assemblée, eelui
qui osera soutenir que nous devions allumer une conflagra-
tion universelle ! Pourquoi? pour empecher les duché~ d'ap-
parten ir a la Prusse! Le droit s'y opposai t; mais en quoi
cela nous mena('ait-il? Les cleux puissances uniquernent in-
téressées a ce que les duehés n'appartiennent pas a la Prusse,
ne sont-ce pas la Russie et l'Angleterre?


M. MORIN (de la Drorne). Et la France?
M. ÉmLE OLLIVIER. Vous me répondrez, monsieur Morin;


mais, au 110m du eíel, laissez-rnoi parlero
La Russie est intéressée a ne pas yoir dans les mains d·up.e


puissanee forte le port de Kiel. L' Angleterre est intéressée
a ne pas voir le nombre des marines s~eondaires s'aeeroitre.
Nous n'avons aucun intéret de ce genre (2;. Notre gouver-


(1) Note col1ectivc dn 31 j::mvier 1864.
(2) Et ceci n'cst pas en contradiction avec ce que j'ai dit plus haut sur la


justice Cornrne príncipe d'une politiqueo Aueun intéret ne doit etrc pris en cOllsi-
dération s'il n'est couforrne a la justice. jlais une nution 118 ,10it pas s'armer pour




DES PRINC1PES DE LA POLITTQUE EXTÉRIEURE, ETC. 435


neme.nt a clone eu raison, apl'es avoír tout fait pour arreter
le -vainqueur, - et M. de Bismark a attesté que ces efforts
n'avaient pas été méeliocres, - ele ne pas pousser sa ré-
sistance jusqu'a la guerre, jusqu'a une guerre terrible.


Le passé est apprécié : regarelons maintenant l'avenir.
Les faits sont regrettables, mais ils sont consommés,


nous aVOllS du les laísser s'accomplír. Quelle attituele de-
Yons-nous prendre désormais? Telle est l' interrogation a
laquelle il me reste a répondre résolument, san s équivoque,
sans tergivérsations, ni dans la pensée ni dans la parole.


POlir éIucler la difficulté, ne nous faisons pas d'íllusions.
::\1. Garnier-Pages vient ele vous dire que ce que fait M. de
Bismark ne Jurera paso Eh bien, il se trompe; ce que fait
::\1. de Bismark durera, et non-seulement ce qu'íl fait du-
rera, mais ce qu'il fait s' étendra. (Mouvemellts prolongés
en sens divers.) Ce que fait 1\1. de Bismark s'étenelra; et un
jour va arri rer, jour plus ou moins prochain, mais certain,
üu, la Confédération du Sud s' étant organisée militairement
it la prussienne, la Confédération du Nord étant définitive-
ment constituée, les eleux confédérations iront l'une vers
l'autre et se tenelront la main, a travers le Meill, malgré le
traité de Prague. (Nouveaux mouvements.) Messieurs, les
interpellations qui se discutent aujourd'hui n'auraient aucune
signification si elles n'amenaient pas des explications et un
elébat sur ce faít. \. C' est \'rai! - Parlez! parlez!) Oui ! un
j our viendra ou la Confédération du Sud organisée voudra
s'unir a la Confédération du Nord organisée! Ce jour-Ia,
que ferons-nous? Ce jour-la, que devrons-nous faire? (Mou-
vement el'attention.)


Je n'hésite pas a elire que c'est le probleme le plus grand
qui se soit imposé, depuis longtemps, a la méditation et a la
responsahilité du gonvernement fran<;ais, et suivant la ma-
lliere dont il sera résolu, nous irons a la paix ou a une série
de luttes interminables. Nous ne saurions trop nous péné-


tout ce qui est juste; il est encore nécessaire que la satisfaction a'un intérH
national grave s'y joigne.




436 n:éMocRATIE ET LIBERTÉ


trer de l'importance de cette situation, et trop nou~ repré.
senter la lourde responsabilité qu'une erreur ferait peser sur
chacun d'entre nous ... (Interruptions.)


QUELQUES MEMBRES. Laissez done parler l'orateur!
M. HENRI DIDIER. C'est un parti pris d'interrompre.
M. ÉMILE OLLIVIER. Je sais bien que c'est un parti pris de


la part de quelques membres ... (Non! non! - Parlez! par-
lez!) N'importe, cela ne m'arr€tera pas.


On ne pourra pas du moins me reprocher de n'etre pas
dalls le débat. (Parlez! parlez!)


Pour moi, une politique inadmissible, c'est celle qui con·
siste a dire : Ce qui s'est passé a humilié, abaissé la France;
subissons-Ie avec résignation; essayons seulement d'empe-
cher que l'amvre commencée ne se termine.


Je ne puis pas m'associer a ce langage. Si la France a été
abaissée ...


QUELQUES MEMBRES. Mais non! mais non!
AUTRES MEMBRES. Mais laissez donc parler!
M. É~IILE OLLIVIER. Si la France a été humiliée, si la


France a été diminuée, je ne comprends pas qu'elle accepte
l'outrage, je ne comprends pas qu'elle accepte l'hu.miliation,.
je ne comprends pas qu'elle accepte la diminution. Si l'éta-
blissement de la Confédération est un péril, si elle est un
affaiblissement, je dis a mon pays : o mon pays! ne recule
pas devant le péril, ne courbe pas la tete sous l'humiliatioll;
tire l'épée, venge ton honneur et rétablis ta puissance! (Vif
mouvement d'approbation.) Oui, mes3ieurs, je críe cela dl1
fond de mon ame, car si je n'ai pas aimé mon pays depuis
d'aussi longues années que l'honorable 1\1. Thiers, je l'aime
aussi ardemment que lui.


QUELQUES MEMBRES. Et nous aussi nous l'aimons arde m-
ment.


M. ÉMILE OLLIVIER. OuU je le dis du fond de mon ame,
si l'agrandissement prussien est une humiliation pour nous,
a quoi done occupons-nous notre temps? Chaque minute
d'hésitation, c'est trop! chaque minute de retard, c'est trop!
Effac;ons immédiatement l'outrage, détruisons cette Confé-




DES PRINCIPES DE LA POLITIQUE EXTÉRIEURE, ETC. 437


dération qui nous menace, demandons au pays, qui ne noue
les r~fusera pas, les sacrifices qu'une telle résolution exige.
Et qu'on ne me réponde pas qu'il faut se réserver pour le
moment ou la Confédération du Sud voudra se fondre dans
la Confédération du Nord. Mais alors il n' en sera plus temps;
mais alors l'unité que vous voulez empecher sera irrévo-
cable; mais alors les armées du Midi, équipées, disciplinées,
s'uniront contre nous a l'armée prussienne elle-meme, com-
pacte, frémissante,' pleine de patriotisme et d'ardeur; cette
Allemagne que vous voulez empecher de ... (Bruit.)


M. GRANIER DE CASSAGNAC. Qu'est-ee que cela nous fait?
Pourquoi faites-vous cette évocation? Croyez-vous qu' elle
nous effraye?


M. LE PRÉSIDENT WALKWSKI. Je vous prie, messieurs, de
pas interrompre.


M. ÉMILE OLLIVIER. Vous ne me troublez pas par vos
interruptions calculées ... (Parlez! parlez 1) Je laisse a l'opi-
nion publique le soin d'apprécier cette tactique, et je con-
tinue. Cette Allemagne, que vous voudrez empecher d'etre,
sera. Pour arreter la Prusse, il n'yaura pas de moment
plus favorable.


QUELQUES MEMBRES. C'est évident!
M. ÉMILE OLLIVIER. Rien n'est terminé encore; les mé-


contentements de la premiere heure existent encore dans les
pays annexés; dans les pays du Sud on hésite; dans le Nord
on délibere; partout on se reconnait et on se cherche. Si
vous voulez agir, c'est l'heure. Attendre, sachez-le bien, et
mes parales seront recueillies et rendront témoignage de la
vérité, attendre., etre patient comme vous le conseillez,
c'est consolider l'unité allemande, la rendre définitive, sans
avoir le bénéfice de l'assistance que cependant vous lui
aurez donnée en laissant faire ! (Mouvements en sens divers.)


A mon avis, ce n'est pas de la bonne politiqueo Je ne vois
qu'une conduite qui soit digne, qui soit sage, quí soit habile,
c'est d'accepter sans arriere-pensée . .'.


].\L <!RANIER DE CASSAGNAC. Je demande la parole. #<~.~ t ..
M. EMILE OLLIVIER .... C'est d'accepter sans arriere-pen- /~a~i(I' .. .,,' .... j>


. ~ . "'''} '1.4" . (1 p.r...,~ " '¡' j "*~~ I
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438 nÉMoCRATIE ET LIBERTÉ


sée, c'est d'accepter sans pusillanimité, c'est d'accepter sans
inquiétude, c'est d'accepter avec confiance une ceuvre qui,
j'en suis convaincu, n'est pas dirigée contre nous. (Mouve-
ment.)


>!- Si YOUS saviez aquel point l'unité est devenue une pas-
sion profonde au cceur de l'Allemagne! Depuis le jeune
homme qui se passionne pour les abstractions orgueilleuse s
de la phiIosophie jusqu'a la jeune filIe qui d'une voix basse
répete nn lied ému, tous désirent', appellent, attenclent
l\mité de la patrie. Dans le peuple, ce sont des légendes
qui expriment le sentiment commun. Le vieux Barberousse
n'est pas mort : il yit retiré avec sa cour dans une montagne
de Thu1'illge. Il est assis devant une table de pie1'1'e; sa barhe
lJlanche descend jusqu\\ terreo Lorsque les corbeaux an1'ont
cessé de voler autour de la montagne, il ressuscitera; iI
snspenc1ra son bouclier a un arbre desséché, et l'arhre COlll-
11lence1'a a bourgeonner et a verdir, et un meille,ur t(~mps
recommellce1'a pour l'Allemagne.


Aucun observateur sérieux ne s'est mépris sur ce mouve-
ment (1); mais une foule de roitelets étaient la, aux aguets.
Que fi t a10rs le peuple allemand? Ce qu'avait fait le peuple
italien c1ans une situation pareille. Ne pouvant réaliser
l'unité dans le fait, il la réalisa dans l'icléal; ne pouvant
s'unir en politique, il s'unit dans la littérature et dans l'art.
De grands écrivains, Lessing, Schiller, Gcethe, Herder, lui
construisirent sur les nuages de la fantaisie une patrie
abstraite, et ils la firent si belle, si lumineuse et si tou-
chante qu'a la contempler tous oublierent les miseres du
présent, et se mirent a aimer, a sen'ir, a chanter cette créa-
tion de leurs larmes et de leurs espérances. Ainsi autrefois


(1) Pitt écrivait en 1803, peu de tt'mps avant sa mort, snr une fenille volante:
« La sitnatioll du corps allemand n'est llonne ni pour les pays allemallus ¡Ji
pour l'Eurupe. }) - En H121, Chateauhriand écriyait 11E- HCl'li'l <1<tllS un mémo-
randum: !\ L'Allemagne, comme l'Italie, c1é:iirc aujunrd'hlli l'llllité, ct UYCC
cette idéc1 (lui rcstera c10rmante plus OH moins longtemps selon les é\'énements
et les hommes, on pourra toujours, en la réveillant, etre súr ue rellluer les
peuplcs germaniqucs. » - En 1831, ?Ir. Iluinet écri\'ait : « 11 nc mall'lue it b
Pí'usse qu'un homme qui regaruc ct connaisse son étoilc en rIcin jonr. ..




DES PUlNCIPES DE LA POLTTIQCE EXTÉRIEURE, ETC. 439


l'Italie s'oublia aux divines consolations de Dante, d'Arioste,
de Pétrarque, aux enchantements de Raphael, de l\liche1-
Ange, de Cimarosa et de Rossini.


Cependant il vint un moment OU les calamités furent si
dures que ce peuple, qui vivait les yeux leyés en haut, re-
garda autour de lui. Partout il vit la désunion, la petitesse,
l'obstacle et les haies qui séparent dans le chalüp qui devait
étre uni. A10rs il ferma ses livres et ses poetes; iI appela
Grethe un palen; il se mit a rechercher comm811t iI pour-
rait accommoder mieux sa patrie terrestre, et ceux qui
eussent été des theologiens, des philosophes et des poetes,
quelques années auparavant, devinrent des historiens, des
-économistes, des publicistes, des savants.


L'Allemagne est lente a se mouvoir; mais, des qu' elle
entre dans une voie, elle s'y ayance jusqu'au bout ayec une
ténaeité indomptable. De ce jour, elle a aimé ceux qui ont
fayorisé sa passion eL elle a détesté ceux qui ont paru la
eontrariel'. L 'Autriche n'a en rien contrilmé a la creabon ele
la littératnre nationale, ni aux premiers essais d'uniun maté-
rie11e: l' A11emagne l'a détestée. La Prusse lui a creé un champ
d'asile pour ses penseurs, une école rnilitaire pour ses sol-
dats; elle lui a donné une certaine unité rnatérielle par le
zol1verein : aussi l' Allemagne l'a-t-elle aimée jusqu'au point
el' en tout subir. Et lorsque réunie a Francfort, dans l' église
E:aint-PauI, sous les plis du drapeau noir, rouge et 01', elle a pu
prononeer une parole libre, elle a dit: L'Autriehe hors de
la confédération! le roi de Prusse empereur d'Allemagne!
Ne contrarions pas un tel mouvement. Notre grandeur nous
a toujours paru identique a ceHe de l'humanité; ne renon-
~ons pas a cette belle tradition, et chaqlle fois qu'urie natíon
surgit dans le monde, au lieu de lui faire obstacle et de la
maudire, envoyons-lui par nos messagers la rnyrrhe et
}' . encens .


M. Thiers nous démontrait hiel' qu'une des plus cons-
tantes préoccupations de la politique frafi(;aise dDit etre de
surveiller la Russie, qui guette Constantinople. (C'est cela!
e' est vrai !)




,
440 DÉMOCRATlE ET LIBERTÉ


Pour empecher cet événement qui lui donnerait la domi-
nation du monde, qu'y a-t-il a faire? Empecher a tout prix
l'alliance de l'Allemagne et de la Russie. (C'est vrai! -
Tres-bien!) Or, non-seulement il est facile d' empeeher 1'al-
Hanee de l'Allemagne et de la Russie, mais ce qui est diffieile,
c' est de la créer ... (Mouvement.) et bien loin de partager l' opi-
nion de l'honorable M. Thiers, qui pense que les intérets sont
tellement identiques entre la Prusse et la Russie que, sans se
préoeeuper de savoir si une allianee est faite entre eux, on
peut affirmer qu'elle se fera, je dis que toute l'histoire des
peuples allemands est une protestation pleine de défiance
contre l'alliance russe ... (Interruptions diverses.) Attendez
je vais vous le prouver. L'alliance russe ne serajamais pour
le peuple allemand qu'une alliance désespérée, dans la-
quelle il se jettera seulement pour se défendre contre nous.
Le peuple allemand n'a pas oublié eette parole de son grand
Frédéric: "La Russie a Constantinople, e'est dans deux
ans la Russie a Kamigsberg. " Aussi, messieurs. toutes les
fois que le sentiment public s'est manifesté en Allemagne,
- laissez-moi dire ces choses a natre pays pour qu'il se
rassure, - toutesles fois que le sentiment publie s'est mani-
festélibrement, l'Allemagne s'est prononcée contre la Russie.
En 1848, l'assemblée des notables (Vorp(l/rlament) réunie a
Francfort déclarait qu'aueun souverain allemandne peut et ne
doit s'allier jamais avee la Russie. En 1854, la chambre des
députés de Berlin déclarait, par 1'organe de son rapporteur
Virchow, que l'alliance avec la Russie était impossible, que
l'Allemagne et la Prusse étaient intéressées a ce que leur
puissant et redoutable voisin n'augmentat pas sa puissance,
et surtout qu'iI faIlait tenir grand compte de l'antipathie
que le peuple nourrit contre la Russie ! Et ce langage était
approuvé dans les livres, dalls les brochures, dans les jour-
naux. Il était si contagieux qu'un de ces Allemands qu'on
appelle un mangeur de Franyais, Menzel, a éerit : " Tót ou
tard, iI faudra que nous fassians la guerre a la Russie. "


Ceux-Ia seuls peuvent se méprendre sur cette situation
qui étudient la politique dans les ,protocoles des cours et des




DES PRINCIPES DE LA POLlTíQUE EXTÉRIEURE, ETC. 441


chancelleries, et non pas dans le eamr des peupIes. Il y a
en Prusse, dans la cour, dans l'armée, un parti qui déteste
la Franee, et iI a raison de la détester, cal' c'est la Franee
qui a porté atteinte a ses priviléges, qui les mine par son
incessante propagande. Ce parti, e'est le parti de la 01'oix,
e'est le parti féodal; ce parti dont la foi a été exprimée .
dans le testament, célebre en Allemagne, de Frédérie-Guil-
laume III: "Mes enfants, dit dans ce doeument le mo-
narque de 1813, efforcez-vous toujours de maintenir une
alliance intime avec I'Autriche et avec la Russie. " On ne
saurait accuser le roi actuel et son frere défunt de n'avoir
pas été des fUs respeetueux et tendrement attaehés a la mé-
moire paternelle, et eependant telle a été la force des ehoses
et l'impulsion toute-puissante de leur peuple que, sacrifiant
leur culte de famille, leurs sentiments persollnels, l'un a
abandonné la Russie dans la guerre de 1854, l'autre a défait
l'Autriehe a Sadowa.


Comment nos informations ne seraient-elles pas contra-
dictoires? Vous pretez l' oreille uniquement aux propos qui
se tiennent dans les antichambres de la cour de Potsdam.
J'écoute surtout ce qui se murmure dans rame du peuple
allemand. D'un coté, je le sais, on dit : Russie, béuédiction
pour elle! alliance avee elle! Mais de l'autre coté, on dit:
Éloignement de la Russie! défiance eontre elle! Mais alliallce
avec qui? Avec la Frallce. (Tres-bien! tres-bien!)


Oui, messieurs, amitié avee la Franee, le jour ou la
Franee ne menacera paso Comment en serait-il autrement?
Des écrivains, dont beaueoup étaient soudoyés par la Rus-
sie, out souv:ent dit en Allemagne, et on nous a souvent
rappelé ce propos en Franee : que les Allemands nous appe-
laient l'ennemi héréditaire. C'est l'ami héréditaire qu'il
faudráit dire. Sans doute nous avons été quelquefois funestes
a l'Allemagne; mais que de bien ne lui avons-nous pas fait!


Est-ee que nos combats pour la liberté ne lui ont pas
profité a elle autant qu'a nous? Est-ce que 89 (1) n'a pas été


(1) « De ce jour et de ce líeu, disaÍi GeBthe a ses compagnons au soil' ue




442 nÉ:MOCRATIE ET LIBERTÉ
fait pour l'Allemagne eomme pour la Franee? * Avant 89,
comme l'a dit Voltaire, 011 trouvait de quatre ruilles en
quatre milles un prillce, une princesse, des dames d'honneur
et des gueux. N' est-ee pas llOUS qui avons porté le premier
eoup a ce gothique édifice en détruisant, par lo, main de
Napoléon, plus de deux eents de ces prineipicules? *. Est-
ce que 1830 et 18'-18 ne sont pas des dates alleman(les aussi
lJien que fran<:aises? Et qui dOlle a enlevé a l'Allemagne les
deux. eauchemars qni pesaient sur sa pnitriue et quí lui don-
naíent de mauvais reyeS, lo, Russie et L\.utriehe? ~~'est-ce pas
ene ore nous? N'est-ce pas nous qui, en Crimée, avons dé-
livré l' Allemagne de la Russie (1)? Et sans notre eonsente-
ment, se serait-elle affranehie de l'Autriehe a Sado'iva?


..


l\Iais 1813! me dira-t-011.
VoiLl le mur de séparation entre eux et nous! Voila ]e


souvenir irritant qui nous laissera toujours ennemis, puisque
e' est iL eette époque ele nos malheurs que commenee la
patrie allemande. Eh bien, iI faut effacer ce souvenir et
détruíre cet obstaele. Qu'est-ee done, apres tout, que 18l3?
Que l'Allemagne ait le eourage de l'entendre el'une bouche
fran~aise : 1813! ce n'est ríen autre ehose que 89 retourné
contre nous. Lorsque l'Allemagne a youlu se relever, nous


Valmy, date une époque nouyelle Jnns l'histoire Ju monde, et vous ponrrez
dire ; J'y étais! •


(1) Jusqu'a la guerre de Crimée, l'Allemagne était un fief Je Xicolas. Un
jour, le czar put dire aux officiers prussiens; ;< ::\Tessienrs, YOUS etes lUon avant-
garde. »Titres, décorations, caresses étaient prodigué s aux officiers alIcmands.
Des mariages continuels resserraient les liens entre l'Allemagne et la l~ussje. Seu-
lementles princesses rus ses gardaient leur religion lorsr¡u'cllcs épousaient des
princes allemanus, et les princesses allemandes perdaient la lem lorsqu'elles
épousaient des princes russes. Kicolas était tellemeut sur de sa domination que,
lorsqn'il discuta avec lord Seymour le partage de la succession de l'homme ma-
lade, jI ne parla de l' Allemagne que pour mémoire, et 10rs de la guerre de
Crimée, il fut tellement surpris, lorsqn'il apprit que l'Autriche se pronon\;ait
contre luí, qu'il fit enlever la statuette du jeune empereur, qn'il portait toujours
avec lui, et il se mit a pleurer sans prononcer une parole.


Le plus granJ adversaire de la politique prussiennc, en 1848, 1819, 1850, a
été Kicolas. 11 n'entra de 110UyeaU en bonnes relations ayec son oe:m-frere
qu'apres Olmiitz. !lJais l'inuifférence des Berlinois pour luí était a10rs den~nue
telIe qn'i1 se díspensait d'entrer Jans la viHe et se renuaít Jin:ctement a l'ot:¡-
daro.




DES PRINCIPES DE LA POLITIQUE EXTÉRIEURE, ETC. 443


-vaincre et nous envahir, elle a compris qu'il ne luí suffirait
pas de réunir des hordes plus nombreuses que celles qui
au cinquieme siecle franchirent le Rhin : elle a inscrit sur
ses enseignes, par la main des Stein, des Hardenberg, de
Blücher lui-meme, comme une invocation destinée a lui
rendre le Dieu des armées favorable; elle a inscrit nos
devises de liberté sur les enseignes qui précédaient ses
bataillons (1), afin que, notre grandeur éclatant jusque dans
notre dMaite, le monde apprit que nous ne pouvions etre
vaincus que par nous-memes (2) ! (Vive approbation.)


L'un des hommes qui, en Allemagne, représentent ayec
le plus de noblesse et d' éclat la cause libérale, a écrit
récemment, a propos des derniers événements, la phrase que
voíci: " Nos deux nations ont assez souvent montré qu' elles
ne rec10utent pas la guerre ; elles peuvent maintenant c1écla-
rer san s crainte pour leur honneur qu' elles sont affamées ele
paix. " J'accepte ces paroles de l'illustre 1\1. de Sybel, etje
prends, au nom de mon pays, la maín gu'il luí offre, et je
dis apres luí: Nous aussí nous sommes affamés de paix;
maís nous voulons la paix. dans l'honneur, la paix clans la
dignité, la paix dans la force! Si la paix était clans la faí-
blesse, dan s l'humiliation, dans l'abaissement, je dirais sans


(1) Stp,in avait porté Lt main sur les priviléges de la noblesse, brisé le servage,
émancipé la terre, l'inrlustrie, la commnne, le commerce. Hardenberg contin~la
son ccnvre. En 1811, il anlit annoncé ofticiellement l'établissement prochain d'états
gélléranx. De Riga, OÚ il était réfugié, avant meme que Stein eut commencé la,
réforme de la Prusse) il axait adressé au roi de Prusse un mémoire fort détaillé
rlans lequel 011 lísait notamment ceci : « La puissance des principes de la révo-
1ution est si forte, iJi; sont si généralemp,nt répanaus et reconnus, que l'ÉLlt qui
n.e les accepte pas doit s'attendre a la ruine ou a etre forcé de les acccpter ...
Done une révolution dans le bon sens, conduisant au grand but du perfeetionne-
ment ue l'humanité par la sagesse dn gouvernement et non par l'impulsion
venant de l'íntéríeur ou de l'extérieur, tel est notre but, notre príncipe diri-
geant. Príncipes démocratiques dans un gouvernement monarchique, ceci me
parait la forme appropriée 1t l'e~prít uu temps. » - Le 23 mars 1813, Bhicher
dit allX Saxons: « Nous vous apportons l'aurore d'un jour nouveau, » et iI
annonce la liberté sans laquelle ancune liberté n'existe, la liberté de la
presse.


(2) Napoléon l'avait bien compris lorsqu'il disait a Fontaineblp,au : « Ce ne
sont pas les armées alliées, ce sont les idées libérales qui m'ont yaincu. »





444 DÉMOCRATIE ET LIBERTÉ


hésiter: Mille fois plut6t, mille fois plutót la guerre! (Mar-
ques nombreuses d'approbation melée d'applaudissements.
- L'orateur reºoit en descendant de la tribune les félicita-
tions de plusieurs de ses collegues.)




XXXIX


RA~PORT SUR UNE RÉCOMPENSE NATIO~ALE A ACCORDER A
M. DE LAMARTINE


(9 avril 186i)


Messieurs,


Mon rapport pourrait etre fait en un mot: la nation fran-
t)aise accorde une récompense nationale a Lamartine. Que
peut-on ajouter qui soit digne d'un tel nom?


Quoique médire de son temps ait toujours été une mode
fran0aise, j'oserai dire qu'aucun siecle, pas meme le sei-
zieme, ne me semble plus grand que le natre. Il a dépassé á
peine sa moitié, et déjá il él accompli dans toutes les direc-
tions des amvres mémorables; il a résolu ou posé avec au-
dace les problemes fondamentaux; iI a recommencé 1'his-
toire, meme celle qui avait paru définitive; il a renouvelé
la littérature et la philosophie; débarrassé l'art, selon le
charmant langageue Montaigne, " des inventions livresques
par lesquelles nous avions tant rechargé la beauté de notre
grande et puissante mere nature; " plus favorisé que ses
devanciers dan s la lutte eontre les fatalités physiques, il a
étendu de toutes parts la domination de l'homme sur la ma-
tiere; il a détruit les derniers restes de 1'organisation féo-
dale, préparé ou aecompIi l'avénement de la démocratie~




446 DÉMOCRATIE ET LIBERTÉ


adouci les ffiCBurs, perfectionné les lois, rapproché les peu-
pIes. Il lui reste a tenter, dans l' ordre moral, la réforme
qu'il a réalisée dans l'ordre scientifique, artistique, poli-
tique, juriclique, international, et a donúer a la stabilité
sociale ses garanties véritables en scellant l'alliance de la
démocratie et de la liberté par la main de la ju~tice : il le
fera.


Dans ce siecle remarquable, y a-t-il eu jusqu';\ présent
ueaucol1p d'hommes qu'on puisse comparer ;\ Lamartine?
y en a-t-il beaucoup qui aient contribué davantage a la
grandeur commune? Y en a-t-il eu beaucoup qui aient dé-
ployé leurs facultés avec autant d'ardeur dans les sens les
plus divers, qui se soient donnés aux. autres avec plus de
prodigalíté, quí aient plus et mieux trayaillé au perfedioll-
llement individuel et natiollal? De quelque coté qu'on re-
garde, OIl 1'apergoit debout comme un guide inspiré qui, du
doigt, indique la route.


Par une intuition du génie, et aussi comme si la Prbvi-
dence avait voulu marquer des le début a quelles destinées elle
le réservait, Lamartine fut d'abord un poete. A la sllite des
péripéties prolongées et des luttes sanglantes de la révolu-
tion et de l'empire, c' était le CCBur surtout qui demandait
a etre consolé; or, les poetes sont des consolateurs. Alors
n'avaient chanté ni Hugo, ni de Vigny, ni de ~lusset, ni de
Laprade, ni aucun de ceux qui ont été depuis notre fete et
notre rafralchissement. La poésie était aride, abstraite,
déclamatoire ou prétentieuse, toute tournée aux jeux d'es-
prit. Aussi ne saurait-on rendre, au dire des contemporains,
la surprise, l'émotion, la joie, l'enthousiasme, le ravisse.
ment qui, de toutes parts, éclaterent lorsque parurent les
JJIdditations, puis tous ces poemes sublimes et doux, fami-
liers et nobles, qui seront aussi éternels que le printemps,
que la jeunesse, que lajoie, que la douleur: que l'espérance,
que les regrets, et, selon l'expression du grave Cuvier, que
le chant du rossignol dans les bois. De ce jou!' vraiment on
oublia les tragiques souvenirs, et 1'on s'abandonna de nou-
veau aux ivresses de la vie.




SUR UNE RÉCmIPENSE NATIONALE A M. DE LAl\IARTINE 44'1


L'humanité a de l'immortalité pour toutes les gloires;
mais il en est une plus durable que toutes les autres, et aussi
plus profonde, et plus tendre, et plus intime, qu' elle réserve
a ceux qui ont travaillé pour ce q u'il y a en elle d'immuable
et de perpétuellement semblable, au travers des transfor-
mations extérieures du monde, des 10is et des coutumes.
Combien il serait facile de citer de livres qui remuerent les
esprits, qui furent l'entretien du monde, et dont le nom ne
s' est perpétué (lue dans le souvenir des érudits! Au con-
traire, quand perdra-t-on la mémoire de l'Imz:tation, des
Pe tites Plelt1'S de saint FTanfois, de Paul et ViT[J'Ínie?
C'est qu'en effet etre instruit, éloquent, puissant, diriger les
empires, conduire les batailles, préparer les lois, cela ne
sera jamais que le lot de quelqlles prívilégiés de la nature
ou de la destinée ; tandis q u' aimer, souffrir, pleurer, mourír,
c'est le lot inévitable de tous, des plus élevés comme des
plus humbles. Voila pourquoi, si on y regarde de pres, les
hommes les plus chers a l'humanité ne sont pas ceux qui
l'ont gouvernée, conduite c1ans les affaires, commandée c1ans
les batailles, c1irigée dans les sénats ou dans les parlements,
mais bien ceux qui lui ont appris a aimer, a souffrir, a
pleurer, a mourír, et qui ont fait quelque chose }J)'o 1'emedio
animce, pour le soulagement de son ame. Lamartine a été
un de ceux-Ia. Jocelyn, notamment, restera comme un de
ces lin'es d'élection, transmis par les meres aux enfants,
qu'on lit avec attendríssement au début de la vie, alors que
le CeBur épanoui cherche ou attend, et qu'on relit avec atten-
drissement au c1éclin, a10r8 que le creur meurtri se souvient
ou regrette; qui dans l'affiiction apaisent et dans le bonheur
dilatent, et qui toujours operent quelque chose p1·0 'remedio
ani1nce, pour le soulagement de 1'ame. Lamartine n'eut-il
que ce titre a vous présenter, quelle récompense serait trop
haute pour lui?


Il n'est cependant pas tout entier contenu dans le poete.
Mazarin a dit : Qui a le C(E1tr a tout. Quand il eut gagné le
CCBur de la nation, Lamartine voulut obtenir le reste. Il
deYÍnt député, orateur, historien, publiciste. Pour exprl-




448 DÉMOCRATIE ET LIBERTÉ


roer ses sentiments, il avait employé une langue qui avait
Plarqué sa place a coté de Racine. Pour ex primer ses idées,
il en employa une qui le mit entre Bossuet, Fénelon, Rous-
seau et Chateaubriand. Avant lui, la poésie frau9aise n'avait
jamais eu la souplesse ample, la sonorité pénétrante qu'il
lui donna. Notre ljttérature ne connaissait pas non plus
avant lui cette prose opulente, a la fois épanchée et ferme
malgré ses abandons, rapide et nourrie malgré ses négli-
gences, spontanée et précise malgré son jet, qui a tour a
tour le mot altier, le coup de foudre, l'onction, la grúce, le
pittoresque, la hauteur, au milieu d'un flot, d'une abon-
dance, d'un nombre, d'un mouvement que Cicéron lui-meme
n'a pas connus. Lamartine n'a-t-il pas encore en cela bien
mérité de son pays? La beauté de Ilotre langue n' est-elle
pas en effet autant, sinon plus que la force de nos armes, la
cause de notre suprématie et de notre prestige? J'écris en
langue fran<jaise l'histoire de mon pays, disait un ltalien du
treizieme siecle, " paree qu'elle est plus dillctable a lire et
a OYf que nulle autre. " Et Joseph de Maistre, ne trouvant
pour en exprimer la puissance qu'une image empruntée au
fier pinceau d'IsaYe, disait: " La parole de ce peuple est une
conjuration, et la moindre opinion qu'elle lance est un bélier
poussé par des millions d'horpmes. "


Que nous gagne apres tout le conquérant d'une province?
Quelques milliers d'hommes. Ce sont des millions d'homme::;
aujourd'hui et pendallt des siecles que nous gagne l' écrivain
qui perfectionne notre langue. Et quelle ne sera pas la
force d' expansion de ce conq uérant pacifique s 'il manie la
langue parlée avec autant de sécurité et d'éclat que la langue
écrite, et s'il peut comme Lamartine, apres avoir tenu la
plume sévere de I'historien, la plum e rapide du journaliste
ou du causeur, monter a la tribune et y faire entendre des
accents dont l'Europe entiere retentira!


Les procédés a raide desquels les orateurs agissent sur
les homales réunis sont tres-diverso Les uns entralnent par
l'impétuosité ou la profondeur de la passion, les autres
par l'agrément spirituel ou la clarté facile du récit, leg




¡ruR UNE RÉCOMPENSE NATIO~ALE A M. DE LAMARTINE 449


autres par la perfection harmonieuse du langage et la beauté
soutenue de la diction, d'autres par la justesse ou la nou-
veauté des aper<;us; ceux-ci par la force de la dialectique,
ceux-la par la promptitude et le mordant des réparties; les
uns instruisent, les autres amusent, les autres touchent;
celui-ci s'insinue, celui-la s'impose; tel convainc sans plaire,
tel plait sans convaillcre; de temps a autre, quelques-uns se
produisent qui savent ~mployer tour a tour ces moyens
divers suivant l'auditoire, le sujet, le temps.


Lamartine charmait par la sérénité grandiose de la pen-
sée et par les splendeurs poétiques de l'imagination. 80-
lennel plutót qu' ému, grave plutót que pathétique, il s ·avan-
Qait avec une majesté qui eut été monotone, s'iJ n'avait mis
dans la pensée le mouvement qui manquait :\ son action
oratoire, un peu uniforme. En luí, comme dans Crassus, le
célebre orateur de Rome) l'effort était dans rame et non
dans la voix : Animi magna, vocis parva contentio. Aussi
ses harangues n 'ont-elles rien a redouter du temps, elles
lui résisteront, et la postérité ne se lassera pas de puiser
dans ces chefs-d'amvre : elle v trouvera le bon sens élevé


" j usqu'au lyrisme!
L'orateur ne fut comme l'écrivain, comme le poete,


qu'une préparation a l'homme d'État. Ici il faudrait
s' étendre, et je ne le puis. Il est des monuments dont on
ne découvre les belles proportions gu'en s'éloignant a une
certaine distanceo. Il en va ainsi des hommes politiques
illustres; la mort seule les place a la distance d'ou on peut
les apercevoir en entíer et les j uger. J e n' entrerai donc dans
aucun clétail sur la vie politique de Lamartine. Je ne le
louerai pas d'avoir compris que la politique moderne ne
serait plus uniquement la science de l'équilibre constitu-
tionnel, rnais surtout celle de la charité sociale; d'avoir
serví la cause non des pas'sions du peuple, mais de ses droits
et de ses intérets légitimes; d'avoir défendu la liberté sous
sa forme la plus matérielle, la liberté commerciale, sous sa
forme la plus spiritualiste, la liberté religieuse; de (3'etre
attaché d'une inflexible volonté a la cause de la paix et


29




450 DÉMOCRATIÉ E'f LIBERTÉ


d 'avoir appelé la guerre de son vraí nom en dísant q u' elle
,était la plupart du temps le secret des empiriques dan!:i
l'embarras; puis d'avoir abattu a ses 'pieds le drapeau de la
violence, signé les décrets glórieux qui ont institué le suf-
frage universel, aboli la peine de mort en matiere politique,
l'esclavage, la contrainte par corps, l'exposition publique,
les chatiments corporels dans la flotte; d'avoir, au milieu
des périls et des responsabilités qui rendaient soucieux les
plus braves, laissé tomber a tout propos, sans y prendre
garde, de ses lEwres souriantes, des mots héro'iques que
Plutarque eut recueillis. .


Malgré l'.effort que je dois m'imposer pour glisser sur tous
.ces souvenirs, désirant ne froisser personne, je ne m 'y arre-
terai paso Je demande seulement la permission de dire,
sans engager l'opinion d'aueun de mes eollegues de la com
mission, que la véritable originalité de Lamartine en poli-
,tique, e' est qu'il a été le créateur d'une école qu'on peut
!céiébrer, ear elle ne comptera jamais trop (fadeptes : ce He
de la magnanimité et de la grandeur d'ame. Supérieur aux
entralnements, aux rancunes et aux vengeances des partís
et uniquement asservi a la j ustice, avide des solutions et
dédaigneux des expédients, modéré non par tirnídité de
coour mais par étendue d'esprit, élevé et non utopique, auda-
deux et non chimérique, tolérant dans un temps dont le
mal principal est l'intolérance, comprenant tout sauf la pla-
titude et l'égo'isme, conservateur mais non routmier, il a
su, quoique tres-sensible, luí aussi, aux délicieuses sensa-
tions du sourire de la multitude, s'offrir, quand cela fut
nécéssaire, aux impopularités que doit affronter qlliconque,
dans ses conceptíons, regarde a l'avenir autant qu'au pré-
sent; et quoique bien persuaclé, selon ses ex.pressions, que
j6 le pouvoir est au bout clu compte le but des idées ", il
playa toujours l'honneur au-dessus des honneurs, selon le
conseil de Montesquieu. " La fortune, a-t-il écrit, s'est ré-
servA une large part dans la destinée des hommes, indépen-
damment de leur valeur. Elle a quelquefois voulu que l'abbé
Dubois flit.a Versailles et que Fénelon ftit a Cambrai. En




SUR UNE RÉCOMPENSE NATIONALE A M. DE LAl\IARTINE 451


politique, l'hornme fait le role sans doute; mais c' est la
PrQwidence qui fait la piece. Quand la piece n'appelle pas
l'hornme, il faut savoir' rester hors de la scene et se conten-
ter d'un role qui est peut-etre le plus beau des roles, dans
un pays ou la liberté se fonde et OÜ il y a plus d'ambition
que de vertu publique: - le role du citoyen. "


Comme i1 s'attacha aux choses elles-memes plus qu'a
leurs formes changeantes, et qu'il pla~a la volonté natio-
nale au-dessus de ses préférences dogmatiques, on l'a ac-
cusé de mobilité : en réalité, il est resté toute la 'rie dévoué
aux memes principes, et des le premier jour il découv~it,
de son regard per<¡ant, le but vers lequel il n'a jarnais cessé
de tendre. Il a véeu presque toujours isolé; il ne le sera pas
aans l'histoire; il siégera au milíeu des hornrnes d'État qui
sont, selon ce qu 'il a dit lui-meme d'un de ses pairs, les
preuves de la prodigalité de la nature et de la hauteur du
~'enre humain.
u


Qu'il se soit trompé quelquefois, pourquoi le nierai-je? Et
qui d'ailleurs a mieux. indiqué que lui-meme OÚ et eomment
il avait failli? " Il Y a longtemps, a-t-il écrit a la fin de la
préface de ses ceuvres completes, il y a longtemps que la
derniere racine de toute vanité liHéraire ou politique est
séchée en moi comme si elle n'y ayait jamais germé. Je ne
me erois ni classique en poésie, ni infaillible en histoire,
ni toujours irréprochable en politiqueo Quandjp repasse mes
mnvres ou ma vie, je me juge moi-meme avec plus de jus-
tice, mais aVec autant de sévérité que peuvent le faire mes
ennemis. Pourquoi? Parce que je me- juge non devant les
húmmes, mais devant Dieu, dont la lumiere fait ressortir
toutes les taches. Je trouve á cette sévérité meme un plaisir
amer : le pIaisir que fait a l'{tme la justíce exercée méme
contre soi. n faut étre impitoyable envers ses passions, ses
faiblesses ou ses fautes, pour mérjter d'etre pardonné ici-
bas et absous la-haut! "


La commission a: été unanime a rendre hommage au
talent incomparable du poete- dont lles muvres seront un
honneur éternel pour la littératnre' fran9aise. Mais une mi-




452 DÉ140CRATIE ET LIBERTÉ
norité de quatre voix a pensé qu'il n'y avait lieu d'adopter
ni le principe ni la forme de la loi; elle a proposé d'allouer
a M. de Lamartine une pension viagere de 30,000 fr. rever-
sible, jusqu'a concurrence de 10,000 fr., sur la tete de sa
niece, madame Valentine de Cessia, qui, par sa tendresse
filial e , est la consolation, le soutien et le charme de sa
vieillesse.


La majorité n'a pas cru qu'on put offrir une pension vía-
gere a celuí qui approche de quatre-vingts ans, et elle a
pensé, en outre. que l'assistance qui ne serait pas accordée
a titre de récompense nationale, en supposant qu'elle ne flit
pas légalement impossible, pourrait étre consideree comme
une humiliation et non comme un hommage. Instruite ce-
pendant des préoccupations d'un grand nombre de nos col-
legues d'accord avec le conseil d'État, elle a cherché la
forme quí était de nature a leur donner satisfaction; elle
croit y étre parvenue. L)augmentation du capital a été mo-
tivée par le désir d'assurer un intérét annuel suffisant et
aussi de rendre tout a fait efficace le concours que nous
attendons de la munificence natiGnale en faveur de Lamar-
tine.


Un sentiment de délicatesse que vous partagerez nous
mterdit d'insister trop sur ces détails. Il est des choses qui,
dans une assemblée fran<.;aise, ne se disent jamais qu'a mi-
voix. Nous espérons que vous sanctionnerez nos résolutions.
Nous vous le demandons avec insistance. Ah! si chacun de
vous pouvait penétrer, ne fUt-ce qu'un instant, dans cette
triste demeure vers laquelle la foule ne se dirige plus depuis
longternps, dont le seuil n' est plus franchi que par d'anciens
amis, par quelqueil disciples fideles qui n'ont pas oublie les
encouragernents donnés a leur jeunesse, et par quelques
nobles femmes qui viennent briller la comme le rayon con-
solateur des dernieres heures; si vous pouviez contempler,
courbé sous les coups que ne cesSle de lui porter la rnain des
hornmes plus encore que sous le poids des années, sans repos
et sans joie, esclave d'un travail incessant, torturé par les
préoccupations et les anxiétés, malheureux autant qu'un




SUR UNE RÉCOMPENSE NATIONALB A M. DE LAM.ARTINE 453


etre humain puisse l' etre sur cette mis érable terre, et ce-
pendant toujours haut, doux, bienveillant et ferme; si vous
pouviez contempler dans son épreuve supreme celui que tant
de splendeurs ont entouré, qui a fait battre tant de camrs
et répandre tant de larmes, celul que tant de bouches ont
acclamé et tant de mains applaudi : fen suis sur, quels que
soient vos scrupules et vos griefs, vous les oublieriez
et il n'y aurait plus' de place dans vos ames remuées, que
pour une douloureuse émotion, et vous accorderiez avec
élan, par sympathie pour une telle infortune, ce que d'au-
tres, comme votre rapporteur, vous demandent au nom
d'une admiration respectueuse et reconnaissante.


Lorsque les rois de Perse, a écrit un jour Chateat;lbriand
a Lamartine lui-meme, rencontraient sur leur route un
palmier vénérable par son antiquité, ils descendaient de
cheval et ils y suspendaient un collíer d'or. Lorsque l'Em-
pereur a pris spontanément l'initiative du projet de loi
dont nous vous proposons l'adoption, il a fait devant
l'homme vénérable par son génie comme les rois de Perse
devant le palmier vénérable par son antiquité. En cela
il a cru n'etre que généreux : il a été habile. On ne
fonde rien par l'esprit d'exclusion et de rancune; et
désormais aucun édifice ne durera s'il n' est assez haut
et assez vaste pour al.Jriter, sans distinction d'origine,
tous ceux qui ont été ou qui sont les gloires de la
patrie!


Projet de loi 1'clatij a une 1oécompense nationale a acco?"dcr
a M. de Lamartine.


ARTICLE UNIQUE


11 est accordé, a titre de récompense nationale, a M. Alphollse
de Lamartine, une somme de cinq eent mille franes (500,000 fr.),




'454 nÉl\lOCRl\.Tl'B 'ET 'LIBER1~É


.e1(igiblea son déces etdont les ,intéréts a 5 p. 100 luí seIlO1llt
serv;is pendant sa vie.
Cettesomme~en prinm,pal et intérets, .sera Íncessible et:insai-


.. sÍssable jusqu'au déces de M. de Lamartine.




XL


A LA PAIX SOCIALE!


TOAST PRONO~CÉ AU BANQUET DU DIXI~ME GROUPE.
EXPOSITION UNIVERSELLE


(8 mai 1867)


Messieurs,


Quoique de nobles paroles aient été déja prononcées, je
désire m'associer aussi a cette imposante manifestation. Je
voudrais résumer par un toast les pensées, les sentiments,.
les émotions, les désirs qui vous animent tous : A la paix r
- Non a la paix que les politiques préparent, -laissons la
politique a la porte de cette enceinte, - a la paix dans ce·
qu'elle a de plus nécessaire, de -plus doux et de plus auguste,.
a la PAIX SOCIALE, a la. paix entre ceux qui travaillent et
ceux qui les dirigent; a la paix entre le capital et le tra.-
vail, entre le patron et l'ouvrier.


Notre siecle, a-t-on coutume de dire, est tout en proíe
aux intérets matériels; il marcbe la tete courbée vers les;
richesses qui sont a nos pieds; il ne sait plus recbercher nk
obtenir celles qui descendent d'en baut. L'illustre et savant
M. Liebig vieut, dans des paroles lapidaires, de protester
pour notre siecle. Son caractere parmi lessiecles, vous
a-t-il dit, c'est qu'il.a été le dompteur de la matiere.




456 DÉMOCRATIE ET LIBERTÉ


Pendant longtemps la nature avait dominé, subjúgué
l'homme; aujourd'hni, l'homme a dit a la matiere : Courbe-
toi sous ma volonté et obéis. Oserai-je ajouter que cette
réunion meme est une preuve que les inspirations élevées,
que les aspirations désintéressées font encore battre bien
des camrs? Que font vos collegues des autres groupes? Ils
passent leurs jours penchés sur des machines et sur des ob-
jets inanimés. Que faite s-vous ? Vous passez vos jours pen-
chés sur des ames; vous les examinez, vous les parcourez
pour célébrer .le bien qui les ennoblit, pour signaler le mal
qui les dégrade. Et si le mal l'emporte, vous n'en triomphez
pas avec ironie, mais vous touchez la plaie d'une main
pieuse et vous lui appliquez le baume adoucissant.


La condition de l'homme sur cette terre est pleine d'an-
goisses, de difficultés et de faiblesses. De quelque coté qu'il
se dirige, qu'il se voue a la science, a l'art, a la philosophie,
son destin est le meme. Il part avec une espérance sans
bornes, avec une confiance absolue, comme un enfant plein
d'ignorance qui s' élance pOllr saisir les étoiles; mais bien-
tót les difficultés s'accumulent, et il ne tarde pas a toucher
de ses mains impuissantes les limites des choses, et a voir
se dresser devant lui des problemes immenses, effrayants.
Les faibles alors se désesperent et détournent la vue; les
vaillants continuent a contempler, a mesurer l'oustacle;
mais, hélas ! personne ne le renverse.


De tous les problemes qui depuis l'origine des temps oc-
cupent et tourmentent l'humanité, iI n'en est pas de plus
poignant que celui de l'inégalité des conditiolls, de la
misereo


L'antiquité l'a résolu par la force. Le pauvre est un
esclave, un paria. Quand Spartaeus se leve, on le terrasse,
et ceux qui l'imitent sont chargés de chalnes ou jetés en
pature aux murenes.


Le christianisme fit tout autrement, et sa doetrine s' est
incarnée dan~ un des hommes les plus vraiment Jivins qui
aient rayonné sur cette terre, par le doux, charmant, hé-
ro'ique mendiant d'Assise, par saint Franc;ois : .. Je ne puis,




TOAST PRONONCÉ AU BA~QUET DU lOe GROUPE 457


dit aux malheureux cet homme au cceur de flamme, je ne
puis ni ne sais comment détruire votre souffrance, mais je
veux la consoler en la partageant. " Et il se revetit alors de
la robe de bure, et autour de ses reins délicats il ceignit la
corde du misérable. Et les multitudes en détresse tendirent
les mains vers lui et lui répondirent : " Oh ! vraiment, tu es
un homme de Dieu, que ton nom soit béni! "


La science, sans détruire, sans nier l'efficacité toute-
puissante de l'ceuvre chrétienne, tente aujourd'hui un effort
nouveau et bien hérbYque et dans lequel je reconnais aussi
tous les caracteres de la sainteté. Elle essaye, non de con-
soler la misere, mais de la détruire en partie du moins; elle
essaye, non d'adoucir, mais de guérir; elle a l'ambition su-
blime d'appeler aux bienfaits du bien-etre intellectuel, mo-
ral et matériel un nombre tous les jours plu~ grand de créa-
tures du Seigneur. Quelle soit bénie aussi !


Vous tous, appartenant aux diverses nations, vous etes
les ouvriers de ce beau labeur. Courage et persévérance ! .
Nous avons déja traversé bien des heures tristes, et nos
épreuves sont loin d'etre finies. Il nous arrivera plus d'une
fois encore de sentir, retombant sur notre tete, le rocher
que nous espérions avoir soulevé pour toujours ! Nous triom-
pherons néanmoins. Que de résultats nous avons déja ob-
tenus!


Il a faUu des siecles aux plus éminents parmi les hommes
pour comprendre et admettre, qu'atome entrainé dans le
mouvement grandiose des spheres célestes, la terre n'est
pas le pivot immobile autour duquel le monde se meut. Il y
a quelques années a peine que les ouvriers sont arrivés a la
vie politique et sociale, et déja ils commencent a com-
prendre et a accepter les lois du monde économique et social.
lIs les avaient d'abord niées et maudites. La concurrence,
la division du travail, la nécessité des machines, les droits
du capital, toutes ces lois leur avaient paru conventionnelles,
oppressives, et ils avaient voulu les détruire.


Les imprudents ! ils s'y sont brisés.
On ne détr~it pas plus les lois de l' ordre social que celles


.lIo/




458 DÉMOCRAl'IE El' LmERl'~


de l'ordre physique, et tenter quelque chose contre la loi
de la concurrence ou du capital n'est pas plus raisonnable
que d'essayer de détruire la loi de la pesanteur et de la gra-
vitation. Les lois de la nature physique ou morale sont fa-
tales, indestructibles. Que peut l'homme en leur présence ?
se révolter, lutter '? Non, se"soumettre, puis les étudier pour
s'y accommoder et en tirer parti, les combiner surtout, car-
Ie vrai n'est pas, comme le croient les faux logiciens, dan s
le prolongement d'un rayon quelconque; il est dans le point
central ou tous les rayons se concentrent et se contiennent.


Ne llOUS abandonnons pas trop cependant aux illusions
décevantes. N os épreuves r.e sont pas au bout et nos erreurs
non plus. Nous aurons encore a soutenir des retours offen-
sifs de l'ignorance, et nous nous égarerons nous-memes plus
d'une fois. Que cette certitude ne nons décourage pas et
n'affaiblisse pas notre bonne volonté; q u' elle en redouble
l'activité. Violenti 1'api'llnt, les persévérants emportent tout.


Continuons a aimer, a secourir, a assister le peuple, non
pas en le trompant par de basses et coupables adulations,
mais en le reprenant, au contraire, et en l'éclairant. Ne ces-
sons pas d'étudier et de tenter ce qui nous paraltra prati-
cable. Qu'importe que uos systemes soient quelquefois dé-
concertés! L' effort désintéressé d'un honnete homme ne
reste jamais stérile. S'il ne trouve pas précisément ce
qu'il cherchait, il trouve du moins quelque chose de bon.
Christophe Colomb partit ayec sa boussole tournée vers
l'Occident, pour chercher quoi ? .. Des mines d' or ? ... Non;
cela n'eut pas suffi pour le lancer a travers l'Océan, alors
sans limites. Il partit pour chercher le paradis terrestre. Il
ne l'atteignit pas, mais il trouva un monde nouveau !




XLI


LES RÉFORMES DU 19 JANVIER 1867


(26, 28 fénier, 13 auil et 11 majo \


1. - ]Jaro les ))1'01WnCeeS dans la séance dl!: 26fü'rieJ' 1867
á la sllite el'un discours de M. R01llte1'.


Messieurs,
Je remercie d'autant plus l'assemblée d'avoir consenti a


la continllation de ces débats, que mon intention n'est pas de
la retenir longtemps.


Lorsqu'il y a quelques années la discqssion commew;a dans·
cette Chamure sur le déeret du 24 novembre 1860, je me le-
vai du milieu du groupe auquel j'appartenais pour exprimer
man adhésion et ma gratitude. Les aetes indivisibles du
19 janvier m'ont semblé de nature a provoquer l'expressian
d'un sentiment identique.


Je voulais expliquer comment, dans ce qui s'est réalisé et
dans ce qui se réalisera, il y avait pour nos libertés publiques
un progre s sérieux et digne d'approbation. Je voulais examiner
les diverses objections qui ont été opposées aux diverses me-
sures décrétées le 19 janvier. Je erois, messieurs, que de pa-
reilles disr.ussians seraient, a cette heure, superflnes. M. le
ministre d'État a ressenti eombien la liberté est une grande
et puissante inspiratriee; iI a pronoueé des paroles nobles,
des paroles libérales, des paroles loyales (Oní! oni!), des




460 nÉMOCRA TlE ET LIBERTÉ


paroles loyales, et je déclare, quant a moi, qu'apres les
déclarations qu'il a fait entendre, je n'ai qu'un désir, e' est
celui de réunir mon vote a ceux qui expriment leur confiance
et leur satisfaction en votant l'ordre du jour. (Tres-bien!
tres-bien! )


n. - Lettre adressée le 28 (évrie1' 1867
a M. Emile de Girardin.


Mon cher ami,
Vous dites que j'ai eu tort de ne pas devenir ministre, et


de me faire ministériel.
Permettez-moi de ne pas examiner la question de savoir si


j'ai raison ou tort de ne pas devenir ministre; mais laissez-
moi me plaindre sans amertume de ce que vous m 'avez ap-
pelé ministériel.


Rien de plus simple que ce qui s'est passé dan s la derniere
séance du corps législatif : M. Rouher ayant reproduit les
idées que j'avais développées l'an dernier contre lui, et yayant
meme ajouté une parole d'admiration pour ce groupe des
cinq, auquel je sera~ éternellement fier d'avoír appartenu,
j'ai cru qu'il étaít loyal d'exprimer une adhésion qui m'a
d'autant moins couté qu'elle était sans aucune arriere-pensée
d' aucun genre.


Quant a des réserves, je n'avais pas a les formuler : elles
étaient implicitement contenues dans mes paroles, et dans
mon passé plus encore que dans mes paroles.


Si les loís sur la presse et sur le droit de réunion 80nt
conformes a mes espérances, mon adhésion deviendra défi-
nitive. Si elles sont aussi draconiennes que l'ont dit les jour-
naux, je ne laisserai a personne le privilége de les com-
battre.


Mais dussé-je adhérer définitivement, je ne serai pas de-
venu pour cela ministériel : a tort ou a raison, ministériel
signifie un approbateur systématique. Or, jamais je ne m'é-




LES RÉFORMES DU 19 JANVIER 1867 461


carterai du príncipe qui forme le lien d'honneur entre mes
électeurs et moi : NI L'APPROBATION SYSTÉMATIQUE, NI L'OPPO-
SITION SYSTÉMATIQUE.


JI!. - I!/xt'i'ait d'un discoltrs, prononcé le 13 avril 1867,
dans la discussion dlt p1'ojet de loi S~tr les conseils muni-
ctpaux .


.... La loi que vous discutez, et qu'on appelle une loi de
décentralisation, est, a mon sens, une des lois les plus
funestes a la liberté communale, qu'on ait proposées depuis
longtemps.


Quelq1les memo1'es a la galtche de l' orateltr: e' est vrai.
M. EMILE OLLIVIER. Depuis longtemps on n'a rien fait de


plus contraire au développement de la vie publique dans
notre pays que cette loi qu'on vous propose de voter comme
libérale. (Vive adhésion sur quelques bancs a gauche de
l' orateur.)


... , J'aurais tres-bien compris une loi semblable, une dis-
position semblable l'année derniere, alors qué M. le ministre
d'État repoussait avec véhémence et passion l'amendement
des qua1'ante-cinq sur l' extension des libertés intérieures;
mais aujourd'hui, apres la déclaratioll faite solennellement
par le Souverain qu'une ere nouvelle de liberté va s'ouvrir,
maintenir des dispositions semblables a celles que je discute,
c'est, dans mon humble appréciation, donner un démenti aux
promesses impériales, ..


M. GLAIS-BIZOIN et plusieurs aut1'es memores. Tres-bien!
tres-bien!


M, ÉMILE OLLIVIER. ,. et ne pas les exécuter. (Nombreuses
réclamations.)


M. le ministre d'État, dans un discours auquelj'ai adhéré
paree qu'il exprimait des principes libéraux dignes d'appro-
bation, nous racontait une conversation dans laquelle le chef
de l'État lui avait dévoilé, lors du traité de commerce, ses
intentions libérales pour l'avenir. Tout enécoutant ces révé-




462 DÉMOCRATlE ET LiBERTÉ


lations de M. le ministre d'Etat avec le plus vif intérM, jo
na pouvais m'empecher de regretter qu'il les ait oubliées
depuis, et qu'il ait fallu, pour les lui rappeler, un motu pro-
prio du Souverain qui l'a surpris, lui autant que le publico Je
regrette qu'il les nubrie de nouveau aujourd'hui, en tolé-
rant, dans une loi, des dispositions semblables a celle dont
l'amendemellt demande avec justice la suppressi~n. (Tres-
bien! a la gauche de l'orateur. - Exclamations tres-vives
sur plusieurs bancs ,\ sa droite et en face.)


IV. - llxtrait d'lfn discoltJ'S, jJ1'OíWJlcé le 11 mai ]867,
dans la discltssion dn pro/et de loi sm' la J'dliisio1l des
jJ1'oces cJ'iminels et cOíTectionnels.
'" M.le ministre de la justiee s' est étonné que trop souvent


les projets de 10is q ui réalisent une amé1ioration soient ac-
eueillis par des cl'itiques et non par des remerciments. As-
surément, messieurs, toutes les foís q u'un gouvernement
présente une bonne mesure, on doit lui en sayoir gré, et le
!lire, surtout lorsque soi-meme on l'a sollicitée. Seulement il
est lA seul qui n'ait pas le droit d'exiger eet hommage, et
c'est le eas plus qu'en maÜóre d'indemnité de dire qu'il n'a
pas a eet égard un droit de eréanee : il n'a fait que remplir
le devoir pour lequel il a été institué. (Tres-bien! a la gauche
de l'orateur. -Mouvements tlivers.)


Ce SOlft les membres de l'assemblée qui ont indiqué les ré-
Cormes a réaliser, qui ont droit a des remerc1ments. (1'res-
bien! a la gauche de l'orateur. - Rumeurs en face.) Et si,
se trouvant en présenee des projets de lois préparés sur leurs
indications, ils estiment (l11'On ne leur a pas donné la forme
la plus profitable et la meilleure, il est tout simple que, ne
recoIlnais::;ant plus les inspirations qu'ils ont suggérées, re-
marquant des erreurs ou des imperfeetions dans la forme
qu'on leur a nonnée, ils en fassent l' observation au Gouver-
nement, et que si on n'écoute pas leurs observations, ils s'en
plaignent! (Tres-bien! sur plusieurs banes.)




XLII


SUR LA LIBERTÉ DE~ CO~VENTIO~S. - A PROPOS DES SOCIÉTÉS
COl\LYIERCIALES


(27 mai 1867)


M. LE PRÉSIDENT SCHNEIDER. M. Émile Ollivier a présenté
Ull amendement ainsi con<)u :


« La loi uu 17 juillet 1856 sur les sociétés en commandite par ac-
tions, et la loí da 23 mai 1863 snr les sociétés ;1 l'esponsabilité limi-
té(~ sont alJl'o!-,,(~cs. Les articles 18 ~t 6-1 du code de cornmerce sont
remplacés par les clispositions sniY<lntes :


« 1. La loí ne régit les sociétés de commerce qu'~ défant de eon-
ventions spéciales. Toutes conn'ntiuns sont valables entre les par-
tics, ~t la :c;eule conclition de n'(~tl'e pas contraires a l'ordre publie et
anx uonnes lllCEl1I'S. Ponr 6trc opposables aux tiers, elles doivent
dl'C l'l'wlues publiques.


« :2. Les parties peuvent se borne!' a dédarer qn'elles entendent
[ornwl' une société en nom collectif ou une société en commandite
ou une société allonyme. Elles sont consiclérées comme se soumet-'
tant par la meme aux articles suivants :


« 3. Dans la société en nom collectif, chacun des associés a pou-
voir d' administrer et d' engager la so cié té ; les clifférents associ(~s son t
tcnus soliclairement de tous les engagements de la SGciété.


« 4. La société en commanclite supposc qu'íl existc : 1° UU OH plu-
sicul's associés tenus pcrsonnellement et solidairemcnt tles dcttes (l(~
la société; 2° lm ou plusicurs associés, simples baillems de fon(ls,
passibles des pertcs sculement jusqu'a concnrrence de leurs mises.
Sauf conventions contraires 1 l'administration appul'tient a tous les




464 nÉMoCRATIE ET LIBERTÉ


assOCles en nomo Le d1'oit des simples comnianditai1'es peut exister
sous forme d'action.


« 5. Dans la société anonyme, les différents associés ne sont pas-
sibles des pertes~ que jusqu'a concurrence de lems mises. Le droit de
chacun est représenté par une ou par plusieurs actions. L'acte cons-
titutif indique comment la société sera administrée.


« 6. Si les pa1'ties avaient simplement déclaré se mettre en société,
elles scraient censées avoü' formé UTle société en nom collectif.


« 7. Tout acte constitutif d'une société commerciale doit 6t1'e
transcrit sur nn registre a la mairie de la commune ou est établi le
siége social.


« 8. L:l société qui n'a pas été rendue publique conformément a
l'urticle précéelent n'existe pas a l'égard des tiers; elle peut seule-
ment valoir entre les parties comme association en participation. Si
quelque clause de l'acte de société a été omise dans la transcription,
cette clause ne peut jamais étre invoquée par les associés contl'C les
tiers.


« 9. L'associé tenu personnellement d'une elette sociale peut invo-
quer en cette qualité une prescription de cinq ans, qui comt du jou!"
de la dissolution de la société. Cette dissolution, dans les cas oú
l'aete constitutif n'en fait pas connaitre l'époque précise, n'existe 1t
l'f'ncontre des tiers que du jour oú elle a été renduc publique sur le
registre tenu a la mairie. »


Je donne la parole a M. Émile Ollivier pour développer
son amendement.


M. ÉMILE OLLIVIER. Je viens demander a la Chambre de
prendre en co.nsidération un amendement composé de queI-
ques articIes et qui peut se résumer en ces termes: établis-
sement de la liberté des sociétés commerciales.


Cette idée de la complete émancipation des sociétés com-
merciales, qui a été depuis de longues année s déja entrevue
et défendue, soit par des économistes, soit par des juris-
consultes, me parait, a moi aussi, depuis bien longtemps la
seule solution préltiqUe et définitive de ce probleme inees-
samment agité de l' organisation et de la législation des so-
eiétés eommercíales. Je n'avais cependant pas osé en 1863
la produíre et la défendre dans la eommission dont je faisais
partie. A propos de la loí actuellement en discussion, je me
suis d'abord borné a la présenter eomme une simple opinion.
Je eraignais que eetté solution radicale ne fú.t de nature a




A PRoros DES SOCIÉTÉS COMMERCIALES 465'


dérouter les esprlts habitués a des idées différentes, et je pcn-
sais qu'il était peut-etre plus sage,au lieu ·de solliciter une
solutiol]. absolue et définitive, de se plier corpplaisamment
aux transitions qui y conduisaient. Mais, messieurs, j 'ai tel-
lement été frappé, en prenant part a l'élaboration du projet
de loi·penelant un certain nombre de séances, des difficultés,
de l'impossibilité meme d'arriver a des solutiollS cohé-
rentes et logiques; j'ai vu tellement les mei.lleurs esprits,
soit parmi les jurisconsultes, soit parmi les commer¡;ants
quí forment la commission, se mouvoir perpétuellement
elans eles idées arbitraires qui se heurtaient, sans qu'aucune
raison elécisive se présentat de préférer l'une a l'autre, qu'a-
lors mes hésitatíons ont disparu, et j 'ai présenté a la commis-
sion, a l' état de contre-projet et d'amendement, le systeme
queje n'avais d'abord indiqué que comme une opinion. Depuis
j'aí recueilli de la part des hommes d'affaires, des juriscon-
sultes, non plus seulement de la part de ceux qui écrivent
des livres théoriques, mais surtout de la part \le ceux quí,
melés aux. mouvements des choses, en connaissent le
mieux les nécessítés et les regles, rai reeueilli de tels en-
eouragemellts, une telle approbation, on m'a répété ave~
~ant d'ensemble, des cótés les plus divers, que mon projet
étaít le seul qui fUt de nature a trancher les difficultés, a
satisfaire le commerce sans le g€mer, que j e me suis enhardi
a vous exposer mon systeme et a tenter un effort pour vous
le faire accepter. Je serai concis, je m'efforcerai de ré-
sumet mes arguments en quelques propositions juridiques,
facilement saisissables, quí, je crois, le défendront.


Le code de commerce, vou:; le savez, a établi quatre
types principaux de sociétés :


Le premier type, c'est la société de personnes, qu'on
appelle société en nom collectif. Son attribut, son carac-
tere principal est que tous les associés sont tenus indéfi-
nimen t et solidairement.


A l'autre p61e se présente la société des choses, qu'on a
appelée la société anonyme. Dans cette société, a l'inverse
de ce qui a lieu daml la société en nom cQllectif, les associés


30




466 DÉ1\100RATIE ET LIBERTÉ


ne contractent aucune obligation indéfinie et solidaire; iIs
n'exposent, ne soumettent a l'action des tiers qu'une por·
tjon limitée ue leur avoir, et l'ensemble de leur fortunt~
reste a l'abri des engagements sociaux.


Entre ces deux sociétés opposées dont les deux carac-
teres sont contradictoires, s'en place une troisieme, qu'on
appelle la so cié té en commandite, et qui, a premiere vue,
parait n' etre qu'un mélange de la société en nom col1edif
et de la société anonyme. On y voit, en effet, d'une part,
un gérant responsable comme l'associé en norn collectif,
d'autre part, des commanditaires dont la responsabiIité est
limitée a la mise, comme les preneurs d'actions dans les
s(.\ciétés anonymes. En réalité, cependant, lorsqu'on y r(~­
garde de pres, on reconnalt que la société en commandite,
- ce point est important it signaler a cause des développe-
ments dans lesquels j'entrerai plus tard, - n'est pas sim-
plement une juxtaposition de la société en nom collectif ú
la société aJlOnyme. Il y a plus qU\1l1e juxtaposition, iI y
a une transformation. La réunion de l' élément collectif et
de l'élément anonyme produit non l'accouplement de deux
sociétés, mais bien la création d'une société particulíere,
d'un etre moral nouveau et distinct. Le point sur lequel
porte la transformation est aisé a indiquer. Lorsque la so-
ciété est purement anonyme, le porteur, le propriétaire OH
le souscripteur de l'action n'est responsable que jusqu'a con-
currence de son capital; en outre, il est le domin1ts 1'ei, k
maitre de l'affaire. Il nomme, surveil1e, contient, réyoq lW
le gérant. Lorsque la société est en commandite, le pO/'-
teur, le propriétaire ou le souscripteur de l'adion jouit
hien, comm~ l'actionnaire anonyme, du bénéfice de n'etre
tenu que jusqu'a concurrence de sa mise; mais il n'est plus
comme lui le dorni1¿l~s rei, le maltre de l'affaire. Au géral1t
seul appartient cette position. C'est le gérant qui dispose.
qui administre, qui ordonne. Le porteur d'actions, l'ac-
tionnaire, est passif, spectateur: 1 surveille, - avec pru-
dence toutefois, cal' san s cela il s' exposerait a etre considért'~
eornme s'étant immiscé, - rnais il ne peut diriger le gérant




A PROPOS DES SOCIÉTÉS COMMERCIALES 467:


lans ses opérations, ni le révoquer jamais, si l'on s'eIl'
tient a la pureté et a. la rigueur de la théorie. (Assentiment
sur plusieurs bancs.)


A la suite de cette société en commandite vient la société'
en participation, assez vague et peu précisée dans la loi.


D'apres ce systeme, quelle est la situatíon d'une per-
sonne qui désire s'associer? Elle a la faculté d'opter entre
les quatre formes, entre les quatre types que la loi luí pro-
pose. L'option accomplie, elle est soumise a un certain
nombre de regles q ui sont considérées comme inhérentes
au type qu'il a adopté. Si elle veut innover, inventer, orga-
niser une combinaison inédite, elle n' en a pas le pouvoir.
La loi a tracé quatre routes devant elle; elle peut s'engager
dans celle qu'elle préfere, elle u'en peut ouvrir une cin-
°quieme.


Qu' est-ce que fait le projet de loí de la commission?
Porte-t-il une atteinte quelconque a ces données fonda-
mentales du code de commerce et a l'idée meré et créa-
trice qui a inspiré ses diverses dispositions? En aucune
fa0on. Aux quatre types déja existants de sociétés, la com-
mission en ajoute un cinquieme qui n' existait pas encore :
celui des sociétés qu'on appelle a personnel et a capital
variables; puis elle modifie quelques-unes des regles inté--
rieures propres aux types reconnus. Elle élargit l'option,.
elle crée une issue de plus; elle ne rend pas le champ
libre, elle respecte les données fondamentales du code de
commerce .


.Mon amendement, au contraire, s'attaque aux données
memes du code de commeree. Son point de départ est
celui-ci : Des qu'une personne est majeure, capable, mai-
tresse de ses droits, qu'elle n'est ni pourvue d'un conseil
judiciaire ni frappép d'interdiction, elle doit avoir, en ce-
qui touche la constitution des sociétés commerciales, une
eapaeité égale a celledont elle jouit sans contestation dans
tous les actes de la vie civil e ou politiqueo (Nouvel as sen-
timent sur les memes banes.) Des qu'un citoyen est majeur,
qu'il est ?nentis compos, comme disent nos maltres, lesj uris-




468 DÉMOCRATTE ET LIBEf¡TÉ


consul tes romains, qu'il a la plénituue de sa volonlé, de sa
capacité, il est illégitime d' entraver son aetivité, de gener
les eombinaisons' q 11' elle luí suggel'e, de modifier les con-
trats qu'elle lui inspire, tant qu'il ne se heurte pas a des
prohibitions formelles du législateur ou a ces regles un peu
plus vagues, mais que les jurisconc::ultes comprenuent et
défillissent, qui sauvegardent l' ordre publico En dehors de
ces deux limitations, qui, du reste, ne sont pas spéciales
et qui dominent l'ensemble meme du droit, moti amencle-
ment reconnalt au eommer0ant, pour former une société,
autant de liberté qu'au propríétaire pour vendre une mai-
son, qu'au fermier pour signer un hail.


A la liberté que j'accorde, je n'impose qu'une condition :
la publicité complete, loyale. Sans elle toute liberté serait
nuisible et frauduleuse. Les tiers doivent avoir la possibilité
de se rendre eompte a tout moment de 1'état de la sociét(~.
du régime qu'elle a institué, des garanties qu'elle a sti-
pulées, des chanees qu'elle fait a ceux guí traitent avec
elle.


Ainsi la liberté, c'est le droit; la puhlicité, c'est le devoir,
ou autrement la publici té, e 'est le frein, le remede, le cor-
rectif de la liberté. (Tres-bien! sur plusieurs bancs.)


Voila quel est, sous son aspect saillant, le s)'steme que je
vous propose.


Les artic]es suivants sont relati"vement accessoires. Dans
le monde commercial, les instants sont précieux; aussi ai-je
vou1u donner aux parties le moyen de contracter súremellt,
de contracter vite, sans reeourÍl' a aucun acte. J'ai youIu
que le commerc:ant, s'il ne lui plait pas de régler lui-meme
par les détails les conditions de son association, puisse d'une
maniere générale se référer a un des types connus. De la
résultait la néeessíté d'indiquer les e~~équenees j uridiques
de cette référenee. J'ai done indiqué dans un article la con-
séquence de cette déclaration : " Nous créons une société
en nom col~ectif, " et dans un autre les conséquences de
cette déclaration : " Nous créons une société en cornman-
dite. " Ces articles sont concis, ils na sont pas insuffisants.




A PROPOS DES SOCIÉTÉS COMl\1EltCIALES 469


I1s n'exigent rien de ce. qui ressemble a une protection
pour ceux qui entrent dans une socíété. Les précautions,
c'est a celui qui traite de les stipuler; les garanties, c'est a
lui de les établir : s'il adopte un type de société en termes
généraux sans prendre aucune su reté protectrice, le légis-
lateur n'a pas a se montrer plus vígilant que lui-meme. Sa
préoccupation doit se restreindre a l'intéret social, c' est-a-
dire a l'intéret des tiers qui traitent avec la société. Or,
messieurs, lor::,qu 'une société fonctionne au point de vue du
tiers qui peut traiter avec elle, au point de vue de ceIui
qui vendra ou qui achetera, de ceIui qui deviendra créancier
ou débiteur, quelles sont les deux uniques questions a tran-
cher, et qui importent a la sécurité et a la célérité des trans-
aetions? La premiere est celle-ci : Qui est-ce qui administrera
et qni est-ce qui. en administrant, engagera la société tout
entiere? La seconde: Si la société fait de mauvaises
affaires et qu'il y ait des pertes, qui est-ce qui les suppor-
tera?


Ces deux questiolls réso]ues, l'intéret des tiers et, par
suite, l'intérét social sont garantis. Toutes les autres précau-
tions, conseil de surveillance, fonds de réserve, indisponibi-
lité du capital, toutes ces mes~lres dont vous encombrez bien
inutilement vos lojs, elles ne sont relatives qu'a la protec-
tíon de celui ¡¡ui constitue une société ou qui y prend des
actions. :8. peut les stipuler s'il le veut, il en a la liberté, il
en a le droit; s'il ne le fait pas~ s'il néglige ses intérets,
qu'il en supporte les conséquences! La société n'est pas
chargée d'empecher qu'il ne se ruine, pas plus qu'elle ne
l'est de veiller a ce qu'il n'achete pas une maíson trop cher,
pas plus qu'elle ne rest d'empecher qu'il ne lance a la mer un
navire dans de mauvaises conditions ou qu'il ne dépose ses
fonds entre les mains d'un banquier infidele. Tout cela est de
l'ordre purement privé et par conséquent en dehors de la
comp¿tence de la loi.


Maintenant que j 'ai de mon míeux précisé la pensée de
mon amendement, je vais, avec plus de rapidité encore que
je ne raí fait jusqu'a présent, indiquer les raisons qui me




470 DÉMOCRATIE ET LIBERTÉ


semblent le rendre acceptable; puis j' examinerai les objec-
tions par lesquelles on essaye de le repousser.


Ma premiere raison n' est pas de nature a exercer une in-
fluence décisiye sur les esprits qUl ne sont pas habituelle·
ment aux prises avec les conceptions juridiques; mais pom
les j urisconsultes, elle a une importance majeure. Cette rai
son est tirée de la nature meme de la convention. La con
vention, c'est-a-dire 1'accord par lequel des personnes libre.·
unissellt leur volonté pour prodnire un effet juridique, 1:
convention ne releve que des parties qui l' établissent . ..'\. elle:
seules iI appartient d' en fixer la nature et les effets. Toute:
les fois que j'abandonne une partie de ma liberté en me lían
par un contrat, non-seulement je suis le juge de sayoir s'j
me conyient de m'imposer ce lien, mais je le suis aussi dt
déterminer la mesure dalls laquelle j'entends me l'imposer
Savez-vous quel ¿tait a Rome le nom de la conventi~n? LeI'
la loi; contracter, c'était legem diceJ'e, établir la loí; le.
clauses de la vente, c'étaient leges en'tptionis. En cette ma-
tiere il n'y avait place pour aucun acte législatif: le juris·
consulte seul intervenait, non pas pour légiférer, - cel:
n'était pas non plus son office, - mais pour interpréter
pour tirer des conséq uences directes et prévues les con sé
quences indirectes, jmpréyues, et pour régler ce qui n'avai
pas été dit par la considération de ce qui l'ava~t été. Inter-
préter, préciser, développer la eonvention, la loi des parties
voila quelle était a Rome la seule mlssion de la science tI,
droit. Les livres admirables qui con~ituent l'mun'e impéris-
sable, unique des jurisconsultes romains ne sont que des tlé-
cisions d'especes, le recueil, 1'analyse, le commentaire et 11
développement de la loi des parties.


Il vint un jour un empereur ignorant et barbare nomml
Justiníen, qui changea tout cela, qui donna force de loi a d,
simples décisions el' especes. De ce jour, la jurisprudence ro
maine eléclina rapidement : elle ne fut plus qu'un ama
confus de décisions qui se contredisaient; tout devin
trouble. Il en fut ainsi pendant des siecles, jusqu';i ce qu
dans notre Franee vivac e se fussent levés des homme




A PROPOS DES SOCIÉTÉ~ CO~ERCIALES 471


comme d'Argentré, comme Coquille, comme Dumoulin sur-
tout, ce grand, ce tenace et imrnortel Dumoulin, qui, retrou-
vant les traces perdues desj'urisconsultes rornains, et rame-
nés par elle a la vérité, recornmencerenta enseigner que la
convention était une loi privée, volontaire, libre, sur la-
quelle ne devait pas s'appesantir la main du législateur. De
ce jour le droit véritable recommenQa, et les rédacteurs de
nos codes étaient les dignes disciples de te]s maitres lorsque,
ayant a formuler les regles du contrat de mariage, du con-
trat de vente, du contrat de louage, ils établirent comme
point de départ que la volonté des parties était souveraine
et qu'ils ne statuaient qu'¿\ son défaut, et dans le silenee des
COI.l"entions privées.


J'ai terminé avee ce que j 'appelle la raison juridique, la
raison générale, et j'arrive a des considérations plus pra-
tiques.


J'ai souvent entendu répondre a eeux qui soutiennent la
liberté des sociétés commereiales, et celaje l'entendais mur-
murer tantót a mon oreille, quand j'étais eneore a mon
bane : C' est de l'utopi.e! e' est de la théorie! Il n'y a lit rien
qui doive surprendre et déeoneerter. Toutes les fois qu'une
idée se présente, si elle"a le malheur de n'avoir pas un visage
tres-vénérable, on ne lui demande pas si elle est juste, on se
borne a remarquer qu'elle est nouvelle, et iI suffit alors asa
condamnation de dire : Ce n' est qu'une théori.¿ ! (C' est vrai!
"- Tres-bien sur plusieurs banes.) Et eependant telle idée
qui parait nouveUe n'est souvent qu'oubliée, et lesjuriscon-
sultes, comme les publieistes, pourraient souvent répondre,
tant, hélas! la mémoire des choses s'eft'ace dans ce monde:
Non nova sed oólita! Les príncipes que je revendique ne
sont pas nouveaux, ils ne sont qu' ollbliés; je n'innove pas,
je rappelle. e' est le eas pour moi.


Ils sont en effet bien anciens les principes que j'invoque,
aussi aneiens que la loi commereiale elle-meme. Vous etes-
vous bien rendu eompte de la maniere dont s' est constitué
le droit commerciaH ...


Au douzieme et au treizieme siecle, tandis que dans les




· .


472 DEMOCRATIE ET LIBERTE


parties supérieures de la société on se battait ou l'on discn-
tait sur les fiefs, sur la noblesse; en bas, dans la partie obs-
cure des peuples, les commer¡;ants de Genes,de Florence,
de Marseille, créaient derriere leurs comptoirs un droit nou-
veau, un droit admirable, un droit civilisateur: le droit com-
mercial. Aucun de ces marchands n'avait le moindre souci
des regles dudroit civil, ou de l' opinion des docteurs : ils
ne tenaient compte que des nécessités pratiques et de l'usage
universel du monde commercial. Ce négociant de Genes, ou
de Florence, ou de Marseille, qui, avec son navire, pareou-
rait le monde connu, ne pouvait attacher une bien grano.e
importance au droit local, au droit étroit et jaloux.qui déri-
vait d'une coutume ou el'une loi particuliere; il ne regar(lait
qu'a ce qui était universel, reconnu dans tous les parages OÜ
le poussait son négoce. Et ainsi se créa,' au milieu des o.iye1'-
sités de la loi civile, la loi commune du monde commercial.
Les seigneurs étaient occupés a autre chose, et leurs exac-
tions n' empecherent pas la croissance mystérieuse de la loi
nouvelle, qui s'établissait acoté de la loi civile et le plus
souvent en opposition avec elle.


Ainsi naquit la théorie de la société, C01']JUS mysticum, de
]a solidarité, des assurances, le drolt maritime. Ainsi fut
inventée la lettre de change, la plus féconde des créations
de ces obscurs marchands. ,


A qui faut-il en faire honneur? On ne le sait. Les uns
opinent pour les Juifs qui voulaient dissimuler leurs ri-
chesses; les autres pour des Florentins qui se rendaient aux
foires de Lyon et de la Champagne. Quoi qu'il en soit, la
lettre de change ne fut réellement efficace qu'apres qu'un
commer<;ant eut inventé cette formule si simple, si claire et
quí cependant fit une révolution dans le monde: " Payez a
r ordre. " Vous ne sauriez vous imaginer l' étonnement et
i 1 opposition des jurisconsultes lorsqu'ils eurent découvert
cette innovation. Oh! qu'ils crierent a la nouveauté! Bar-
thole, Balde, citerent des textes elu Digeste. C'est une ces-
sion de créance, dirent-ils. Or, une cession de créance n'est
pas valable sans le consentement du débiteur et sans q u'une




A PROPOS DES SOCIÉTÉS COMMEROIALES 473


signification lui ait été faite; c'est le renversement de toutes
les iclées juridiques qu'une cession faite par simple endos-
semento Le commervant laissa les jurisconsultes consulter,
disserter, pérorer; iI persévéra et iI imposa sa coutume.
En 16DO, aRome, on voit encore Ansaldi et Casaregis plai-
der sur la valeur et l' étendue de la clause a ord1'e; mais Ca-
saregis, qui en soutenait la validité, r emporta.


Du reste, pour triompher des Iégistes, les commeryants
eurent recours ~\ un procédé, celui-la vraiment protecteur ;
ils leur dirent : Comme nous ne voulons pas de votre droit,
nous ne voulons ras de vos j uges; et ils établirent des con-
suls qui j ugeaient Iwn d'apres la loi, mais, comme on disait :
sec?tndZVf/l; bonos vetens US1tS, selon les bons vieux usages.
C'est ainsi que s'est cr-éée la loi commerciale, par la libre
convention des parties, en 1'absence de toute espece de lé-
gislaüon. Qu'il en soit encare ainsi : voila ce que réclame
mon contre-projet. Vous voyez bien qu'il rappelle les prín-
cipes et qu'il n'innove pas.


A quoi bon, d'ailleurs, s'acharner a combattre la coutume
commerciale que crée le librejeu des conventions? C'est ten-
ter l'impossible. Tous ceux qui l'ont essayé y ont échoué.


Le premier qui voulut vioIenter la liberté commerciale,
subordonner la volonté des parties, e' est Colbert, dans sa
fameuse ordonnance du commerce. Vous savez ce qu'il est
advenu de cette ordonnance? Huit ans apres l'époque aola-
quelle elle aváit été promulguée, le parlement de Paris ju-
geait que ses principales dispositions étaient tombées en
désuétude, abrogées par la force toute-puissante de la cou-
tume commerciale, et vous trouvez dans le recueil de Mer-
lin un réquisitoire de ce grand jurisconsulte, lequel propo-
sait a la cour de cassation moderne l'imltation de l'ancien
parlement. Je regrette que ceux qui ont célébré cette or-
donnance se soient bornés a lire ses dispositions et qu'ils ne
soient pas allés voir au greffe des parlements ce qu'en avait
fait la pratique. Ils auraient constaté l'abandon presque im-
médiat de ses dispositions fondamentales, et ils ne l'auraient
vue respectée que dans celles de ses parties ou le rédacteur,


' .
. $.:,


""",!




474 nÉMOCRATIE ET LIBERTÉ


sanctionnant les décisions adoptées par la coutume commer-
ciale, n'avait en quelque sorte rempli que le role de greffier
et non eelui de législateur.


Apres la tentatÍve de Colbert, est venue celle du code de
commerce. A-t-elle été plus heureuse? Je veux (lue vous en
jugiez sans sortir de la matiere des sociétés.


Le cocle de commerce décide que la société anonJ'me, -
que le projet actncl a ponr hut d'émanciper, - ne peut etrc
GOllstitllee sans l'autorisation du Gouyernement .. rai la. les
délibérations dos ('hambres de commerce qui ~'opposerent a
cetto exigeEee et qui solliciterent le maintien de la liberté
qui existait en fait. Mais, grace a cctte manie incurable de
prot.eg('~' ~,(~ux qui ne demandent pus a etre proteges et de sa-
voil' mieux que les parties ce qui leur convient, le grave Re-
gnanlcl de Saint-Jean-d'~\.ngély et a sa suite d'autres graves
jurisconsultes repousserent ces sollicitations. Leurs discours
existent. Que disent-ils? Précisément ce que l'honorable
M. :\íathieu a ecrit pour repousser mon amendement : qu'il
faut protéger les tiers, tenir compte des scandales récents,
empecher les actionnaires confiants d' etre dépouillés.


En vain les partisans de la liberté économique dirent
alors, ce que je répete moins biel). qu'eux : que ccUe prétell-
due protection était contraire non-seulement aux príncipes
mais aux exigences pratiques. Vou,s ne reussirez pas, soute-:-
naient-ils, a. protéger ceux que vous voulez protéger, á em-
pecher les désastres. Malgré vos autorisations, on yerra des
act~onnaires entrainés, pipés, spoliés, ruinés.


Etait-ce vrai, messieurs, oui ou non? Ne détruisez-vous
pas l'muvre de Regnauld de Saint-Jean-d'Angély? Ne la
déclarez-vous pas contraire aux principes, inefficace? Ne
l'abrogez-vous pas solennellement? Eh bien, j'en suis sur, si
vous repoussez mon projet, d'autres feront plus tard pour
moi ce que vous faites vous-memes aujourd'hui pour les ad-
versaires de Regnauld, et déclareront vos précautions con-
traires aux principes, inefficaces, et les abrogeront. (Mou-
vementJ


I


Mais voici ou est la gravité de l'exemple et oü iI prend un




4";6 DÉl\lOCRATIE ET LIBERTÉ


rabIe M. 'Duvergier (Sourires) et cl'autres jurisconsultes de
dire a la coutume : " Mais ce n'est pas possible! mais c'est
contraire a l'essence cl'une commandite! Dans une comman-
elite, il faut nécessairement un gérant irrévocable. " Mais,
messieurs, il y avait toujours la juridiction commerciaIe, ces
consuls jugeant secltndu?n bonos veteres usus, et ceux-lit
dirent : Nous croyons possible la cOllstitution d'un gérant
responsable; et a la longue la jurlsprudence dit comme eux,
et la coutume commerciale, créée par la volonté des parties.
triompha encore de la loi stricte. Ce fut sa seeonde yictoire ~
(MouYement. - Tres-bien! tres-bien!)


Mais un dernier obstacle restait. Dans les soeiétés ano-
nymes, l'¿etionnaire peut surveiller, sans craindre de voie
peser sur sa tete les conséquences de son immixtion, et d(~
deyenir un obligé personud, solidaire. Dans la commandite,
l'actionnaire peut bien révoquer son gérant, d'apres la ré-
cente jurisprudence; mais, s'ille conserve, iI ne peut le sur-
veiller trop, sans s' exposer a etre considéré comme s' étant
immiscé et par suite a étre déclaré responsable personnelle-
ment et solidairement. La coutume commerciale, voulant
s'affranchir de cette gene, demanda cOllseil a l'honorable
M. Duvergier, et lui dit : Est-ce que vous ne pourriez pas
me tirer de ce mauvais pas? -' Oui, répondit ,M. Duvergie¡'
avee bonté. (Rires.) On peut toujours distinguer. (Nouveaux
rires.) Il Y a l'immixtion extérieure; eelle-Ia il faut YOUS
l'interdire, le texte est formel; mais, l'immixtion intérieure,
pourquoi ne vous la permettrait-on pas? Allez done, vous,
capitalistes, en toute sureté dans les bureaux de la société.
Conseillez le gérant, pesez sur lui, arr8tez-le; vous ne cou-
rez de danger que si vous vous manifestez aux yeux des tiers.
- Cette solution, l'honorable M. Duvergier l'a fait acceptel~
par les tribunaux; ear, de meme que sa raison, son autorité
est grande. Mai::; la coutume eommerciale ne se déclara pas
satisfaite; elle est insatiabIe tant qu' elle n' a pas tout obtenu.
Elle dit : Il me faut plus, iI me faut une immixtion exté-
rieure. - Les consuls étaient encore la, jugeant secundwJZ
bonos 'Cetercs 1CSUS. Et ils répondirent : Pourquoi pas? Et i 1




4";6 DÉl\lOCRATIE ET LIBERTÉ


rabIe M. 'Duvergier (Sourires) et cl'autres jurisconsultes de
dire a la coutume : " Mais ce n'est pas possible! mais c'est
contraire a l'essence cl'une commandite! Dans une comman-
elite, il faut nécessairement un gérant irrévocable. " Mais,
messieurs, il y avait toujours la juridiction commerciaIe, ces
consuls jugeant secltndu?n bonos veteres usus, et ceux-lit
dirent : Nous croyons possible la cOllstitution d'un gérant
responsable; et a la longue la jurlsprudence dit comme eux,
et la coutume commerciale, créée par la volonté des parties.
triompha encore de la loi stricte. Ce fut sa seeonde yictoire ~
(MouYement. - Tres-bien! tres-bien!)


Mais un dernier obstacle restait. Dans les soeiétés ano-
nymes, l'¿etionnaire peut surveiller, sans craindre de voie
peser sur sa tete les conséquences de son immixtion, et d(~
deyenir un obligé personud, solidaire. Dans la commandite,
l'actionnaire peut bien révoquer son gérant, d'apres la ré-
cente jurisprudence; mais, s'ille conserve, iI ne peut le sur-
veiller trop, sans s' exposer a etre considéré comme s' étant
immiscé et par suite a étre déclaré responsable personnelle-
ment et solidairement. La coutume commerciale, voulant
s'affranchir de cette gene, demanda cOllseil a l'honorable
M. Duvergier, et lui dit : Est-ce que vous ne pourriez pas
me tirer de ce mauvais pas? -' Oui, répondit ,M. Duvergie¡'
avee bonté. (Rires.) On peut toujours distinguer. (Nouveaux
rires.) Il Y a l'immixtion extérieure; eelle-Ia il faut YOUS
l'interdire, le texte est formel; mais, l'immixtion intérieure,
pourquoi ne vous la permettrait-on pas? Allez done, vous,
capitalistes, en toute sureté dans les bureaux de la société.
Conseillez le gérant, pesez sur lui, arr8tez-le; vous ne cou-
rez de danger que si vous vous manifestez aux yeux des tiers.
- Cette solution, l'honorable M. Duvergier l'a fait acceptel~
par les tribunaux; ear, de meme que sa raison, son autorité
est grande. Mai::; la coutume eommerciale ne se déclara pas
satisfaite; elle est insatiabIe tant qu' elle n' a pas tout obtenu.
Elle dit : Il me faut plus, iI me faut une immixtion exté-
rieure. - Les consuls étaient encore la, jugeant secundwJZ
bonos 'Cetercs 1CSUS. Et ils répondirent : Pourquoi pas? Et i 1






A PROPOS DES SÜCIÉTÉS COMMERCIALES 477


€ll a été ainsi; grace a eux, il existe une série de décisions
des tribunaux de commerce, ratifiées par la cour supreme.
DU ron pousse la faculté d'immixtion aussi loin que po~sible,
jusqu'a permettre au commanditaire d'ordonner que le gé-
rant de la société déposera ses fonds ehez un banquier dési-
gné, - voilá un acte extérieur! - et qu'il ne pourra les
retirer qu'avec eertaines eonditions. - e' est la troisieme
victoire de la eoutume.


La voilá désormais débarrassée de toute entrave, éman-
eipée et toute-puissante; et a la veille de la loi de 1856, Oll
peut résumer ainsi la situation: Une loi qui dit: " Les
sociétés anonymes ne seront établies qu'avec 1'autorisation


I


du Gouvernement,,, et en face une pratique eommerciale qui
lui répond: " n me plait, á moi, d'avoir une soeiété anony:r.ne
san s l'autorisation du Gouvernement, " et qui, sous la forme
de la commandite, s'est assuré les attributs essentiels, les
avantages principaux des sociétés anonymes. A ee mo-
ment, le "législateur recula. Il n' osa pas eontester ee qui
avait été gagné pas ¿\ pas, et il présénta la loi de 1856, á
titl'e de transaction avee les victorieux. On lel1r laisse ee
q u'ils cnt conquis, mais on veut leur dicter des eonditions.
Impuissant effort! Ils 11e les ont pas acceptées.


La loi (le 1856 a été fl'appée de stérilité et de discrédit le
len.demain meme de sa pl'omulgation; de tous les cotés s'éle-
verent les critiques des j urisconsultes, les protestations des
€conomjstes; la j urisprudence ne tarda pas a y joindre ses.
hésitations et ses tem péraments. Vous avez senti alors que
la rneilleure malliere de répondre a ee mouvement qui était
plus fort que vous, e' était de dOllner satisfaction a ce qui
.était au fond de toute la résistance du eomrnerce et de l'indus-
trie et de reconnaitre la liberté des soeiétés anonyrnes. e' est
ce que vous avez fait en 1863 par votre loi sur les sociétés
a respollsabilité limitée, qui n'a qu'une seule valeur : c'est
d'avoir introduit la liberté des soeiétés anonymes. Aujour-
d'hui, sentant tres-bien que e' était eRcore la un pas insuffi-
sant, vous allez plus loin, et vous supprimez les société~
anonyrnes privilégiées : vous accordez ce qu'on a demandé




418 DÉl\lOCRA TIE ET LIHERTf:


en vain a Regnauld de Saint-Jean-d'Angély, ce qu'on eüt dú
faire en 1804, au lieu d' établir des exigences repoussées par
la pratique, condamnées par la raison et contraires aux
regles éternelles du droiL (Vive approbation.)


Eh bien, messieurs, que ce soit la un enseignement : le
commereant, l'industriel, l'homme adonné aux affaires ne
vous demande aucune protection. (Assentiment.) Il ne vous
demande que les routes libres, les entraves enlevées a ses
pieds, et au prix d'une responsabilité qu'il accepte, d'une
puhlicité qu'il vous accorde aussi impitoyable que vous le
désirerez, il ne vous demande que d' étre le maUre de ses
actes.


Voila l'enseignement que je trouve dan s le passé.
Restent les objections.
L'honorable M. Mathieu me dit : Les actionnaires, (luí ne


lisent jamais les statnts, éprouvent, en présence de tonte
société nonvelle, les ardenl's de jeunes épousés aux jours de
la lnne de mielo .. (Hilarité générale); tout est bean, tout est
bien; seulement les nouveaux épousés sont protégés contre
leurs entralnements par les grands parents. La loi doit faire
de meme pour I'actionnaire, que sans ce secours persOllll8'
ne protégerait.


M. DE TILLANCOURT. La cOlllparaisoll est "Líen choisie.
M. Él\lILE ÜLLIVIER. Cette considération de fait n'a pou!'


llloi aucun poids. Vous ne lisez pas les statnts des sociétés,
dites-vous! tant pis pour vous. Soyez responsables de votre
négligence! (Tres-bien! tres-bien!) Imaginez-vous un mal-
faiteUl' qui devant la justice répondrait au magistrat: " Je ne
lis jamais le code pénal! - Tant pis pour vous, lui dirait le
magistrat. Je vais vous envoyer en prison pour que vous
l'appreniez. " (Rires et approbation.) Imaginez-vous un com-
mel'('ant écrivant par exemple du Havre a Bordeaux a un de
ses confreres: " Expédiez-moi au- Havre une car,B'aison de
tels objets; " et qui, les objets arrivés, six mois écoulés,
répondrait lorsqu'on l(li en demanderait le payement : "Je
'viens de m'apercevoir que la marchalldise, que je n'avais
ras inspectée a son arrivée, est avariée; je ne puis payer. ~




A PRO POS DES SOCIÉTÉS COMMERCIALES 479


Que lui répondront les juges-consuls et le bon sens? " Tant
pis pour vous! il fallait inspecter a la réception; vous ne
l'avez pas fait, que la faute retombe sur vous-meme ! Payez,
et a l'avenir vous serez plus vigilante "


Si vous voulez, monsieur le rapporteur, que votre argu-
rnent ait de la portée, il faut le transformer, il faut sOl'ltenir
que l'actionnaire est un incapable. Oh! cette hypothese ad-
mise, je ne pourrai plus lui dire : " Si vous n'avez pas lu
les statuts, tant pis pour vous! " il me répondrait: " J' étais
incapable. "


Mais pouvez-vous établir et admettre cette incapaeité spé-
ciale? Comment comprendre que le meme bornme qui peut
entretenir sur rner dix navires, ouvrir une maison de banque
au capital de plusieurs millions, preter son crédit aux rois,
s'il est Hothschild ou Dardi, aliéner son patrimoine, doter
ses filIes, contracter des dettes, acheter, vendre, hypothé-
quer, tester, e' est-a-dire lier l' avenir, qui peut eornme élec-
teur nommer des députés, comme député yoter des lois,
comment comprendre que cet homme devienne tout a coup
un rnineur, un incapable des qn'il se eonvertit en action-
naire!


e' est insoutenable; non-seulement e' est insoutenable en
présence des notions générales de droit, mais c' est insoute-
nable surtout en présence de yotre projet de loi. Oui, vous
ne pouvez repousser' mon amendement sans déclarer par la
meme que yotre projet de loi est téméraire et inconséquent.
L'aetionnaire doit etre protégé, dites-vous, paree qu'il ne
lit pas les statuts ou paree qu'il est incapable. Or, que faites-
vous 1 Vous détruisez les proteetions déja insuffisantes qui le
défendent. Il fallait les fortif1er au contraire, les rnultiplier,
établir par exemple, comme l'a conseillé jadis M. Vincens,
des commissaires du Gouvernement aupres des sociétés ano-
nymes. Votre point de départ admis, je ne vous eomprends
pas lorsque vous aboutissel a la liberté des sociétés ano-
nymes; vous tombez dans une eontradiction rnanifeste.


La contradiction est bien plus choquante lorsque, sans
rneme examiner á fOlld votee société a capital variable et á




480 DÉMOCRATIE ET LIBERTt:


personnel mobile, - HOUS le ferons plus tard, - on s'y
arrete un instant. Qui entrera dans ces sociétés? On vous
l'a dit, tout le monde le sait, c'est certain, ce seront sur-
tout des ouvriers, c'est-a-dire la portion de la société dont
l'éducation économique, commerciale, juridique est le moins
développée, ceux qui ont besoin d'une protection plus
grande que les autres~ ceux qui lisent moins et qui sont par-
ticulierement incapables si la présomption que vous posez
est vraie. Or, que faites-vous en faveur de ces malheureux.
dont l'avoir, le travail, peut etre cnglouti dan s les faus:3es
spéculations? V ()US les abandonnez plus que les autres; vous
abaissez les barrieres, vous diminuez les garanties, vous <1i8-
pensez de l'obligation de la publicité, vous autorisez (le
petites coupures d'actions. Si votre rapport n' est pas dans
le faux lorsqu'il prend pour point de départ que l'action-
naire doit étre protégé, votre loi est coupable lorsq u 'elle
laisse sans défense ceux qui devraient etre protégés avec
une wllicitude particuliere. (Nouvelles marques d'approba-
tion. )


L'incapacité écartée, reste l'argument qui est au fond de
toutes les discussions, la fraude. La spéculation, on l'ac-
cepte; mais l'agiotage, le jeu, on veut le proscrire. Si je
connaissais un moyen de distinguer l'agiotage de la <;¡pécula-
tion, je l'accueillerais avec autant d' empressement que j'ac-
cueillerais le moyen, s'il existait, de distinguer la presse
bonne, que j'aime, de la presse mauvaise, qui pullule et que
je n'aime paso Mais ce moyen n'existe paso Je refuse cette
effieacité au systeme préventif et je le déclare mauvais.
Pourquoi? Paree que les précautions qu'il établit, les me-
sures qu'il édicte, les genes qu'il crée pesent de tout leur
poíds non-seulement sur ceux qui le méritent, mais aussi
sur ceux qui sont d'honnetes gens, qui ne sont pas des fri-
pOIlS et qui ne le deviend.ront jamais. (Tres-bien! tres-bien!)
Le systeme préventif est a jamais condamné par la maxime
ue bon sens~ de justice, qui défend de frapper les innocents
pour atteindre un coupable. Voila pourquoi, uans toutes les
oceasions, sous toutes les formes, qu'il s'agisse du droif poli-




A l'ROl'OS DES SOCIÉTÉS COMMERCIALES 481


tique ou du droit commercial, je me porterai l'adversaire
des mesures préventives. '


Je déteste comme vous l'agiotage, je déteste comme vous
la fraude,' rnais, paree qu'elle peut se glisser dalls les soC?,ié-
tés, je ne veux pas plus les entraver dans leurs allures que
je ne veux abolir le feu paree qu'il brule en meme temps
qu'il réchauffe. (Mouvernent.) Si la fraude existe, on la
poursuivra devant les tribunaux ci.vils, devant les tribunaux
criminels. La répression suffira a l'empecher et, si elle se
manifeste, a la punir. Quel cas pourrait échapper a vos lois
pénales? Ríen 11e peut passer a travers leurs lacets serrés;
He peut-on d'ailleurs les compléter et les expliquer, les
développer, si la nécessité s'en manifestait?


L'erreur que je rMute s'est déja produite bien des fois et
dan s tous les pays. En 1711, a la suite de l'agiotage fébrile
que développa en Angleterre la création de la compagnie
des mers du Sud, on proposa le fameux bubble act contre les
duperies. Que produisit-il? Une plus grande ruine, la misere,
la stagnation des affaires, et le bill tomba~n désuétude.


En France, sous la régence, apres la banqueroute de Law,
Uli grand jurisconsulte et un hornme de bien, 1'illustre
d'Aguesseau, écrivit un mémoire contre les sociétés par
actions. Si on l'avait écouté, qu'en serait-il résulté? Plus de
ruines aussi, plus de misere, la stagnatíon des affaire s , et
l'interdidion serait tombée en désuétude.


Dans les pays véritablement intelligents des nécessités
cOlllmel'ciales; 011 u'a jamais ríen tenté de pareil : a Flo-
rence, quand les Bardi furent obligés de déposer leur hilan
a cause du refus que fit"Édouard d'Angleterre de leur rem-
bourser les sommes énormes dont il était débiteur, le
dé sastre fut général; les faillites se multiplierent a l'inflni,
la ville fut bouleversée, selon l' expression d'un contempo-
rain, sotto sopra, sens dessus dessous. En racontant ces
faits, Villani blame celui qui compromit la sécurité d'une
ville par des opérations que n'entouraient pas des garanties
suffisantes. Mais l.es marchands de l'art de la laine ne s'avi-
serent pas de présenter une provision pour gener les com-


31




)... "


482 nÉMocRAtlE ~T LlBll:RTÉ
mandites, et la ville se remit de la secousse, et les Floren-
tins enrichis de nouveau contilluerent a etre les Commér-
<;al'lts les plus renoItlmés de ces temps.


Suivez ce~ exemples, ne vous bornez pas a faire une loi
de circonstance, de transition ; affranchissez-vous des craintes
puériles; entrez de plain-pied dans les vrais principes, et
~üyez certains que toute loi sera bonne pourvu que, dans son
pr-emier art;cle, elle établisse la liberté et que, dans son
~ecúnd article, elle proclame la responsabilité! (Vives et
llombreuses marques d'approbation melées et .suivies d'ap-
plaudi~sen'l'ents. _. L'orateur re0oit, en retournant a son
baile, l-es félidtatiol1s d'un grand nombre de ses collegues.)


)'IN




TABLE DES MATIERES
4


Pages
DÉDICACE •••• l' •• e • , , •••••• , ••••• , • , • , , •• , •• , •••• , •••• " • t . , • t • • • • y'


1861
1. Sur le décret du 24 novembre 1860 (14 mars 1861)......... . . . 1


II. Sur l'équilibre du budget et la paix (6 juin 186]). •.• • . •• •••• 10
IIJ. SurJa révolution (10 juin 1861) ...................... '" . .. 20


1862
IV. Sur la question romaine (12 mars 1862)... ••••.••••••••.•.. 27
V. Sur l'imp6t. (21 juin 1862) ••••••••.••.•••• ' •••.•••.•••... ,. 41


1863
VI. Sur l'ensemble de la politique du Gouvernement depuis 18!)1


(4 février 18fi3). • • . . . . . • . • . . • . • . • . . . • . • • • . . • • • • • • . . • • • . 64
VII. Défense de la liberté. - Réponse a M. Baroche (5 février 1863). 80


VIII. Circulaire aux électeurs du Val' (15 mai 1863)............... 87
IX. Circulaire aux électeurs du Havre (22 mai 1863) •••••• ~.. • . .• 90
X. Circulaire aux électenrs de la Seine (25 mai 1863). • • • • • . . •• • • 92


Xl. Snr le respect de la loi. - Sur les hommes des anciens partis
(13 novembre 1863). . • . . . • . • • . • • • . • • • • • . • • • • • . • • • • • • • • • 94


XII. Sur les ami s des différents degrés (27 novembre 1863)....... • (1)
1864


XIII. Sur le sénatus-consulte financier (8 janvier 1864). •• • . . • • . . . . • 107
XIV. Sur le droit commun en maW~re de presse (22 janvier 1864). ••• 121
XV. Rapport sur les coalitions (22 avril 1864).. . . . • • . • • . • . . . • . • . • 137


XVI. Trois discoul's prononcés dana la discussion de la loi sur les coa-
litions (29, 30 avril et 2 mai 1864) ....................... , 213


XVII. Paroles prononcées sur la tombe de 1\Ieyerbeer (6 mai 1864)... 2;)7
XVIII. Lettre adressée it un électeur de Paris (15 mai 18(4)......... 2fí9


XIX. Lettre adressée au rédacteur en chllf de l' lmpartial dCJuphinai$
(23 mai ] 864) .•.•.•...••..•.••.•.••.• , •.•••. , • • • . . . • . • . 261


XX. Circulaire aux électeurs de Toulon (8 juin 1864) .............. ' 263
XXI. Slll' ce que doit etre l'attitude du partí libéral en lJ;urope. -


Discours prononcé it Turin (20 j uin 1864) .•..•.••• , . . . . • • • 265
XXII. Lettre adressée a M. Ch. Duveyrier a l'occasion d1.l. voIume


l' At'enir et le,q Ronaparte (14 décembre 1864) • • • • . . • • • . • • • . . . 274
1865


XXIII. Que le momeut est venu pour l'Empire de dOllner la liberté
(27 mars 1865) ..•..••.. , •.... t •••••••••••••••••••••• " • 276


(t) e!' discours a été omis par errenr.




484 TABLE DES MATIlmES
• T'a~e~


XXIV. Sur les affaires allemaneles. - Réponse 1t :'Ir. .Jules Favre (10 avril
1865) ....... . •• . . . . • . . . . •. •• . •• . . . . . . . . . . • . •• • . . . . .• • . 300


XXV. Sur la question romaine. - néponse f¡, M. Thier~ (13 avril18(5). :~()tl
XXVI. Sur les sentiments des classes onvrib·es. - néponse a M. Ma~-


te1 (22 juin ] 8(5). . . . • . • . . . . • . . . . . • . . • . • . • . . •. .• • . . • • . . . 327
:XXVII. Lettre adrp~sép a :\I. D ... it l'occftsion (l'articles injurieux inf>érés


dans un jonrnal (ll juillet. 18(5) ...•.....•...••.••.....•. ' 332
1866


XXYITI. LeUres sur la T/érolutioll (rmu:aise, par E. Quiuet (P, H et Hl
janvipl' l8(6) .. , •.......•..••...••.•• ' .. .• . •. . . •.. . . . . .• ::l34


1. Réflexions générales ..•...•..•....•.....•.......... , .... 33,¡
2. l\lirabean et Yergniauel . . • . . . . • • . . . • . . . . . . • • . .• . • . . . . • . • • 3:"3\1
3. y a-t-il encore des jaeobins en Franee? .•.......•.....• ' :H:"j


XXIX. SlU" les afraires allemandes (2 mars l86Ci).... .• ..... ..•....... ::l4H
XXX. Sur l'amendement eles 1JIIIlI'Onte-f'i11lJ. - Rép(Hlf>P it ?lI. nonher


(19 mars 18(0) ... , ......•. , •.••... , .. '" ." ., .••.••• ,.. 355
XXXI. Déclaration faite en prenant 1n r1irection de la Pl'esse (24 mars


1866) ..........•........... ', ........• , ..... , •....• , . " 37fi
XXXII. Sur le eliseoUl's ele l'EmpereUl' (25 mal'S 1866) ........•.. '" •. 37H
X X XIII. Oil en sommes-nous? (27, 29, 31 ll1al'S et 8 avril 18(6). . . • . .. :n9


1. De la liberté eivile et de la liberté poli tique ..........•. , . .. 379
2. Ce que le Gouvernement a fait. ponr la liberté eivile e1 ce


qu'il a fait pom la liberté politique ., ..... " ........ ,. , ... , 381
3. De la démocratie césarienne ..•... , ••... ,........ .• ...•... 384
4. Des aneiens partis .•.... , . , ..•..... , •.. " .••••• , •.• , , .. , 389


xxxrv. La modération insidieuse (13 aHil 1866)., . • . . . • . . • . . • • . . . . . 394
XXXV. Un article clu Constitutionnel (17 avril1866) ........ , .. , .• ,.. 390


XXXVI. Sur l'amortissement (8 juin 18(6) .•.•.•••• , •• , .•• , • • • • . • . .. 398
XXXVII. La guerrc (2c! jnin 1866) .. . ......... ,.................... 409


1867
XXXVJTI. Sur les principes Je la politique ext8rieure et sur l'unité alle-


mande. - Des annexions pl'ussiennes et ele la Confédération
elu Nord (15 mal"S lHlii) ••......•. , ..•.•. ,. •.. ••.•.. .. .• 411


XXXIX, Rapport sur une récompensJ nationale a aecordcr it M. df' La-
martine (9 avril 18(7) ....•...... ,........ . •. ,........ 44:")


XL. A la paix soeiale! Toast prononcé flU banquet Ju lO· groupe.-
Exposition nniverselle (8 mai 18(7) .. , .•• , .... , , .... ,... 455


XLI. Les réformes au 19 janvier 1867 (26, 28 février, 13 avril et 11 mai). 459
l. Paroles prononeées elans la séanee du ~6 février 1867, a la


suite d'un <liscours ele M. Rouher .•..... , .. • •.. ' ..... ,... 459
2. Lettre adres sé e le 28 février 1867, a M. Emile de Girardin.. 460
3. Extrait d'un eliscours prononcé le 13 avril 1807 .... ,....... 46 I
4. Extrait el'un diseours pronone(} le 11 mai 1867 .. , . . . • . . . . .. 4Ii:!


LXII. Sur la liberté eles eonventions. - A propos eles sociétés com-
mel'ciales (27 mai 18(7) ... , •.•. , . , ••. , . , .... , . . • . . . . . . • 4fi~


FIN DE LA TARJ,E




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civilisation des Incas. Traduit de l'anglais par H. Poret .. 3 v.
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Histoire de la conquete du Mexique, avec un tableau prélimi-
naire de l'ancienne civilisation mexicaine et la vie de Fer-
nand Cortez. Publiée en frall~ais par Amédée Pichot. NouvelIe
édition précédée d'une notice biographique sur l'auteur. 3 vol.
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_ Essais de biographie et de critique. Trad. de l'anglais. 2 V. in-8. 10 fr


« La Collection des historiens contemporains étl'angers, publiée, ) dit lA
Revue de Paris, ce avec un zCle qui ne se dément pas, a une importancs
capitale et répond chez nous a un véritable besoin. Les Fran~ais, en
général, connaissent peu la littérature étrangere contemporaine; et si le
théatre, le roman ou la poésie trouvent grace devant quelques lecteurs,
on peut dire que les reuvres historiques sont tout a fait ignorées.


« Cette collection comprand les ouvrages des quatre grands historiens
américains de notre époque: BANCROFT, MOTLEY, PRESCOTT, WASIIING-
TON IRVINO.


e Parmi les Allemands, nous citerons : GERVINUS1 HERDER, DUNCKER.
e La série des historiens anglais s'ouvre par l'Histoil'e de la Grece de


G. GROTE; elle contient également des ceuvres de BUCKLE, de KIRK et
de MERIV ALE.


f( Un soin tout partieulier est donné tant au choix des ouvrages qui eno
treront dans cette collection importante qu'a la traduction et a l'exécu-
tion matérielle des voIumes.


« Plusieurs ouvrages sont en préparation.
e Les historiens dont la réputation est consacrée, et dont les reuvres


offrent un intéret général, figureront seuls dan s cett~ grande collection.
« Ainsi se continuera cette série de grandes reuvréS histol'iques les plus


remarquables, sans contredit, de ce siecle,- publiées soit en Angleterre,
soit en Allemagne, soit en Amérique, et qui1 sans ces traductions, fussellt
restées longtemps encore ignorées des lectfmrs fran~ais.


« Une semblable collection doit avoir sa place d'honneur dans toutes lel
bibliotheques. l)


Librairie Internationale, H, Boulevard Montmartre, a Paria.




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HISTOIRE
• Adalr (Sir R.) - Mémoires histol'iques relatifs a. un. mission lI. la cour ••


de Vienne en 1806. 1 vol. in-8. . . . • . . . . • • . 3 fr.
Altmeyer (J.-J.). -Précis de l'Histoire du Brabant. 1 vol. in-B. 3 fr.


- Résumé ~e l'Histoire moderne. 1 vol. in-18.. • • • • •• 1 fr.
- Les Gueuxde mer et la prise de la Brille (1568-1572).1 v. in-18. 2 fr.


Apologie de Guillaume de Nassau, prince d'Orange, précédée d'une
introduction par A. Lacroix. 1 vol. in-18 cartoDné: •• 5 fr.


Arrivabene (Comte Jean). - D'une époqua de ma via (1820 -1822).
Mes Mémoires, documents sur la. Révolution en Italie, suivis
de six lettres inédites de Silvio Pellico. Traduit sur le manuscrit
original par Salvador Morhange. 1 v. Charpentier. • •• 3 50


Avenel (G.). - Anacbarsis Cloots, l'Orateur du genre humain .• 2 vol.
in-8. • • . . • • • • • • . • • . • • . • • • • •. 12 fr.


Bancrort (G.) - Eloge fuuebre .du président Abrabam Lincoln, pro-
noncé en séance solennelle du Congres des États-Unis d'Amé-
rique. Traduitde l'anglais par G. Jottrand. In-B. • • • 1 fr.


Bellial'd (le général). - Mémoires écrits par lui-mema. 3 v. in-18. 3 fr.
Bianchi Giovini (A.). - Biograpbie de fra Paolo Sarpi, théologien et


consulteur d'État de la république de V enise; traduite sur la
se conde édition, par L. Van Nieuwkerke. 2 vol. in-lB.. 7 fr.


Bonnemére (E.).-La France sous LouisXIV(1643-1715).2 v. in-8. 12 fr.
- La VellJée en 1793. 1 vol. in-lB. • • • . • • • • 3 50


Borgnet (Adolpbe). - Histoire des Belges a la fin du xvmO siecle.
2 vol. in-B,2· édition, revue et augmentéc.. • . . . • 10 fr.


Brlssot de Warville. - Mémoires sur la Révolution fran<;aise. 3 vol.
in-18. • • • • . • . • • • • . . . . . • . • 3 fr.


Cérémonie fUllebre en mémoire du frere Léopold de Saxe-Cobourg,
premier roi des Belgas, protecteur de la franc-ma<;onncrie na-
tionale: In-8. • . . . • . . • • . • • • • . • .• 1 fr. ~


Chassin (C.-L.). - Le Génie de la Révolution. 1ro partie, les Cabiers
de 1789. En vente: le tome J, les l~lections de 1789; le tome II, la
Liberté individuellc, la Liberté religieusc. Éd. in-8, le vol. 3 50
Le meme ouvrage, éJition in-lB, le volume.. • • 3 fr.


Chateaubrland (de). - Congrcs ue Vérone. - Guerre d'Espagne.
2 vol. in-lB. • . . . . . . . . • . • . . . • . .• 2 fr.


Etudes, ou Discours historiques sur la chute de l'Empire romain,
la naissance et les progres du christianisme, et l'invasion dC3
barbares, suivis d'une analyse raisonnée de l'histoire de France.
4 vol. in-lB.. • . . . . • • • • • • • •• 4 fr.


Vie de Rancé. 1 vol. in-1S.. • . • . • • • •• 1 fr.
Essai sur les révolutions. 2 vol. in-32.. • • • • • • •• 1 fr.
Mélanges politiques. 2 vol. in-32. . • . 1 fr.
Opinions et Discours. 1 vol. ín-32. . • . • . .• 1 fr.
Polémique. 1 vol.. . . • . . .. .•..•. 1 fr.


Chauffour-Kestner (Victor). - M. Thicrs historien. Notes sur l'His-
toire du Consulat et de l'Empire. Brochure in-8. 1 fr. 50


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Librairie Internationale, 15, Boulevard ~lontmame, a afll.


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