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LETTRR- Al. TBIIRS,
A L 'OCCASION D:I SON BAPPOlT


A L'INSTllUCTION SBCONDAlBB;


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IIJ _ IT DI UPART 1m L'.8UUTlOI,
· ..


_ •• r.'DÚI "~,
CRnoine b""onjJ'e d. JleaIlYÚI,lIaeneié ilol.u.u el ~ a.. .. _ ••


. dda Paeult' •• , .. if.


~ ~ c1iIiP4 .... ia .... ..-..,
~~'1rMI,IIi ... .
~pi.t. s, Aft .... J-T. ,t ..


PARIS .. ~ ,
y.-A. WAU.LE, ~IWI\E-_rrBÚI\,


.va CASI.u., G.






LETTRE A M. THJERS




P.ris. - Imprimerie d' A. René el Cie, me de Seine,~.




LETTRE A l. TUIERS,
A L'OCCASION DE SON RAPPORT


lea La .&0111 DI LOI .. 'LArlr


A L'INSTRUCTION S~CONDAIRE;
1'0'11'11 »'v. DlIcb'll'll Il'l"l'(TllLí


BU CtEUR ET BE SA PART DANS L'ÉDUGATION J
PAR


JI. L'ABBS POVLJ.J:T,
Cbauoine bonoraire de Beauvais, licellcié es.J.ettres el docteur l!: .... cieDees


de l. Faculté de Parlo.


· .. ma magis diligit Deus in boa mando
qaam 1ibertatem EooIesie SUIB.


Epi.l. 5. Aaa ••. IV.


PARIS
V.-A. WAILLE, LmR.AIRE-EDITEUR,.


BlIB CASSBTTB, 6.


1844






LETTRE A M. THIERS
A L'OCCASION D·E SO~ RAPPORT SUR LE PROJE.T DE LOI


RELATlF A L'INSTRUCTlON SECONDAIREI.


Monsieul', .


Permetlez la l'un deschefs d'insUtution
ecclésiasljques accueillis el enteqdus par
vous, il y a peu de jOUI'S, nvec tant de
bienveiUancc, de vous présenler quelques
observations nouvelles a r occasion du B3~
port que vous venez de publier.


Toute la France a lu ce Bapport avec
l'empressement que devait exciter le tl"a-
vai! d'un bomme tel que vous; parlant au
Dom d'une Commission de la Chambre élec-
Uve, el sur l'une des questions les plus


j Eslrait dll Corl'espolld'lIIt du 25 juillel i844.
, 1




-2-
graves el les plus vivement débattues en
notre temps. Vous devinez aisement l'in-
terét tout speci,l CJu'il avait pour mes col-
legues et, pour moi. 11 DOOS tardait de voir
si les observations que "DOUS avions eu
rbonlleur de soumeHre a la Commission
avai(lnt laissé quelques traces, exercé
quelque influence s~r des esprils si dis-
tingués, et qui' paraissaient sincerement
désireux de connaitre la v:érité tout en-
ti ere.
0s~r~i-j6vOu$ dire que nos esperantes


oot. élé biea, imparfaiteJllent réalisées?
N@us .BVonS sans doute retrouve, dans


iapartie du Rapport quí nous conceI'ne,
les ,memes expressioDs bieDveillantes, les
memes égards dOlll vous el vos honorables
.collegues {lviez usé avee D'OOS dans nos
cODférences sur le projet ~e loí; milis nOl1s
8vons vu 8vec pein6 'lueMUS D'avio~s pas
eJé assez beureux pour détruire quelques
idées p~u exactes dQllt vous nousaviez
paru p¡'éOC(~UPl!S, {MIL sur l'éducation mo-




-3-
rale et religieuse en elle-méme que sur la
maniere dont elle se donne, et sur les ré·
sultats qu'elle produit, dans les eolléges
lalques el dans les nÓtFes.


e'est sur ce point, Monsieur, et sur. ce
point seulement, que je me permets de
vous adresser aujourd'hui quelques res-
pectueuses, mais libres observations, telles
q~e vou~ les désirez, telles· que vous les
provoquez par la franchise el la netteté de
votre langage·.


.


Vous aviez aper9u. vous-méme, Mon.:.
sienr, et signalé en plusieurs endroits de
votre Rapport l'immeDse diffieulté que
présente une question si délicate. Vous
aviez reCODOU que vous manquiez des do-
cuments nécessaires pour la résoudre. Je
discuterai bientol la valeur de ceux sur
lesquels vous vous étes fondé pour donner
la préférenee, sous le rapporl religieux et
moral, aux étllblissements lalques, et les
considérations quc'vous invoqucz a l'appui




- 4--
de eeHe maniere de voil'. ~fais, a\'anllout
examen des faits, aV:tnlloute théorie sur
leslois du creur humain, iI est une ques-
tion fondamentale que vous ne paraisscz
pas avoir aper9ue.


Ne faudrait-il pas savoir d'abord ce
qu'on doit entendre par une éducalion re-
ligieuse et mora/e, ou plulól ee que c'est que
la religion, ce que e'est que la morale, ou
est la vérilé complete el pure, quels sont
tous les devoirs que Dieu nousimpose?-
Une fois ces queslious réso]ues, et a]ors
seuleineut, il sel'ait possrble de disculer
sur l'élendue, le caráClere el les meilleures
condiLions d'Ulle éllucat~on religieuse el
moralc; il serait possible de comparer les
résultats que produisent les établissemellts
divers d'instrllction publique.


o'r il nOU3 est permis de craindre que
''os idées sur ce poin! capilal, comme celles
de beaucoup de gens du monde assez éclai-
rés d'ailleurs, ne soient encore un pen
incompH~les et vagues, lÜl'sqne OlltlS ,'0118




-5-
voyons vantCl', ave e complaisance el san!.
reslrietion, notre siecle et notre pays, el
produil'eleur état religieux el moralcomme
lajuslification la pJus simple de l'éducatioll
la'ique,


Si, a vos yeux, il y a acluellement en
FraIlee el dans la jellnesse assez de reli-
gion, assez de foi, assez de verlu, nous
reconnaissons volontiers que la plupart des
instiluLions Jaiques 1 sont propres 11 pel'-
péluer un élat de choses qui vous scmblc
satisfaisant.


Mais si la religion est autre chose qu'une
froide tolé.l'ance poul' .des croyances qu'on
ne pal'tage point et pour des pl'fltiques


• D~ns lout le eonl'S de eeHe (cUre, quand Ilons pal'-
10115 du e3ruelere relalif des é!ablisscf!lcnts laiques el dl'S
maisons eccJesiaslillUeS, il es! cutcudu <jue 1I0u,admctlons
nn!aut d'cxcepliolls parliculiercs qu'oll vlludra, Nous re-
eOlluuissons ayee pla:sir qu'iI ya des Jaiques sincercment
chrélicus el pienx. qui dirigcnlJeurs élablisscmen!s dalls un
cxcellcn! esprit religieux; ct iI es! malhcurruscn](,Ilt vrai,
d'autre [larl, quc I'habit f'cclé~ia,lique u'es! po;nl lo u-
jours tlue garan!ie illfaillil.Jle de dé,inléresscmcnl, de lu-
mihcs, de I,jeté el de zile,


1.




-- 6-
dont on se dispense; autre chose que ce
vague instinct quí avertit la société et
l'homme du malaisequi les tourmente,
sans en montrer ]e remede; autre chose
qu'une demi-convictioo sur quelques vé-
rités géoérales mal définies, avec uo doute
plus ou moins respectueux sur les dogmes
spéciaux qui foot le chrétieo el le catho-
lique; alors ccrlcs on pourr~ se montrer
moiDs satisfait des résultats dont vous vous
app]audissez.


Si un homme vraimeDt honnéte e~ ver-
tueux n'esl pas seulement celuí quí évitc
les crimes et les scandales flétri~ p~r l'opi-
nioo publique on par la justice hUOlaine;
si la pureté des mreurs, et je dis la pureté
telle que l'explique, teIle que l'impose
rE vangile; si. la soumission volon taire et
eordialea l'auLol'Íté sociale el a l'autorité
paternelle; si la modération des désirs,
l'esprit de dévouemeot, la charité chré-
tieoné soot des devoirs réels, dont la pra-
tique est indispensable au bonheur des in-




-7-
dividas comma au repos des familles et· des.
sociétés, alors certes 00 pourra, saos ea-
lomnier la plus grande partie de son pays
el de son siecle, saos etre un utopiste ot
un déclamateur, penser qu'il ya quelque
chose de plus ou de mieux}l faire que ce
qui se fait pour l'éducation morale de la
jeunesse.


JI est des clIoses, Monsieur, que I'esp,rit
le plus étendu et le plus facHe, et meme
un certaio degré de bonne fói, ne suffisent
pas tOl1jours a faire cornprendre. La re-
ligion est rune et la principal e de ces
choses. Napoléon 'lui-meme, cet iuím'ense
génie, qui apprécia et proclama, au mílieu
des folies et des fureurs de l'impiété, la
nécessité social e ~e la reJigion, et voulnt
relever l' Eglise de ses ruin es, N.apoléQu
se trompa, lui aussi, comme vous l'avez
tres-bien remarqué, sur la vraie nature de
cet élément céleste, qui joue un si grand
role dans les destinées de l'homme et dans
celles du monde. Comme tant d'intelli-




-8-
genees élevées, mais incompletes, comme
tanl de ereurs généreux, mais non atlhlO·
chis detout préjugé et de toute passioll;
admirant et aimant la religion, mais dé-
pourvu <le' ees croyances précises et fel'-
mes qui seules constitllent la foi; étrall-
~ -


gel', par ses habitudcs et par celles de son
temps, a l'observauce des luis que l'Eglisc-
imposea ses mieles; en un' mol, n'étanL
rcligieux que pal' bon sens, chréticll que
par les inslincts de sa grande aUle el pUl'
les impressloDs de son enrance, calholifJlIc
que par sa haiDe de i'anarchie el son amour
passi-onné de l'unité, Napoléon se trompa
el dut se tromper plus d'uDe fois quand il
voulul tl'aiter des afÍilires religieuses; el
daDs combien d'erl'eurs ~lus funestes en-
core ne fUt-il pas tombé, s'il n'eut écouté
qllelquefois, avec une docilité qui honore
son génie, les eonseils d'hommes plus
éclairés que lui sur ces délicates qucs-
lions?


Non, Monsieur, la Religion, !,J~glise, ses




-9-
vreux, ses besoins ne seront jamais bien
compris que par cenx qui partagent com-
plétement nos croyances. Et voilil pour-·
quoi il est si difficile de s'enlendre sur le
meilleur systeme d'éduca~ion publique.


Beancoup d'hommes en .France, hom-
mes de bonne foi et estimables 3· certains
égards, peuvent croire sincerem('nt que
les colléges font assez po~r l'éducation IDO-
rale et religieuse de leurs éleves, paree
qu'ils se croient enx-mémes assez reli-
gieux et assez vertueux; et ils se deman-
dent a"-ec une sorte de naiveté si ce se-
raít, arres tout, un si grand mal que leurs
enranls, que leurs eoneitoyens fussent tels
qu'ils sont eux·memes, tels qu'ils se féli-
citent d'avoÍl' été formés par l'éducation
séeuliere ..


A cela, Monsienr, qne ponvons-nons
Tépondl'e ? ..


Nons reconnaissons done volontiersqne,
la religion et la morale étant compl'ises par




- 10-
beaucoup de personnes autremeot que ne
les comprend le clergé catholique, il doit


. exister deux sor les d' établissemeols d'in-
struction publique:


Les uns- ou la religion sera respectée,
enseignée mCJ1.le par un ministre du culte,
et observée llbrement, sons sa direction,
par ceux des élc,:es qui le jugeront conve-
nable; établissements destinés inditrérem-
meot a tous les ~lUltes, et plus spécialement
pent-etre aux Cami1les qui, n'attachant pas
une grande importance a la distinction des
cultes, se" contenteraient volontiers que
lenrs enfants suivissent a cét égard les
usages du monde;


El d'an{res établissements. essentielle-
men! religieux, oil les croyances et les
préceptes di! Christianisme tie~nenl le
premier ráog dans l'esprit des maitres
comme dan s les intentions des Camilles;-


-ou, sans exercer ancune contrainte, on
emploie tous les moyens bonnetes el lé-
gitimes poor graver profondément dans




-H~


l'esprit des éleves les vérités de la foi, et
pour les former a ]a pratique des vertus
j!hrétieooes; des établissements dont le
but avoué soít de conserver, d'augmenter,
de propager dans la société, par le moyen
de l'éducation, les doctrines précises et
les saintes observan ces du Catholicisme.


Cette distinclion une fois posée, si les
partisans du premier syslcOle d'éducal'ion
prononcent, a ce point de vue, l'infério-
rité r~lative du notre, comme moins con-
forme a ce qu'ils appellent les idées du
monde, les besoins du siecle et l'esprit de
nos instilutions, no~s acceptons, ou du
moills nous ne disculerons pas ce juge-
m-ent, puisqu'il faudrait discutel' la vérité
meme de la religion catbolique.


Ce n'est pas que le clergé et tous les
bommes vraiment religieux et ehrétiens,
les hommes de foi et de pralique, ne soient
aussi, daos un sens tres-juste, des hom-
mes de leur pays et de leur siecle; quoi
qu'on en dise, oous connaiSSOD!l I'époqn~




-12-
oil nous vivons, nous admirons tons les


. progre s 111i1es, nOllS ne regardons point la
liberté comme une ennemie, DOUS croyons.
comprendr~, aimer et servir notre pays el
nótre siecle; mais, encore une fois, nous
accepterons la condamnation portée contre
nous et notre méthode d' éd ucation au nom
de principes el d'idées qui ne sont pas les
no tres ; et sans injurier les chefs d'établis-
sements laiques, sans les calomnier, sans
les accuser d'impiété, leur accordant méme
ce qu'ils s'aLtribuent commc leur mérite .
propre et leur caractere distinctif, nous
pourrions dire a la plupart d'entre eux :


u Vous etes du monde, vous représente~
le monde, vous continuez le monde par
vot.rc systeme d'éducalion, le monde, 11on-
seulemcllt en ce qu'il a de meilleurt, c'csl-
u-dit'e dans son respect pour la religion,
mais aussi, évidemment, dans ce qu'il a de


. moins bon a nos yeux, dans son indifférence


• I RaJlPorl de l\f. Thlcrs.




13 -
pratique pour )a religioo, daos S011 scep~
ticisllle a l'égal'd des dogmes révélés. Vous
n'eLes pas impíes, mais osez-vous vous dire
chrétiens? Vous secondez, dit-on, de tous
vos efforts le ministre du culle charg¿ d·en-
seigner la religion a vos éleves t • Quels peu-
vent eLre ces efforts, sinon de simple.s
mesui'es de police? quel peut elFe ce c'on-
cours, si vous ne ~royez pas, si vous De
pratiqu~z pas vou&-meme? Nul n'a le dr6it
de vous demander el vous n'avez pas be-
sohi d'affichcl'. ,un zele qui s'accorderait
mal avee vos principes, vosbábitndes per-
. sonneHes et volre position meme. Soyez
ce que vous Mes: des hommes bonneles,
des adminislraleurs habiles; incqlquez a
vos éléves les principes toujours respec~
labIes el uliles de la prohité et de l'bon-
neur, l' esprit de lolérance, el le sentiment
des convenances religieuses; mais De vous
posez pas en apolres! Ni l'Etal, dont


t Rap(1ort de M. Thiels.




- 1~-
quelques-uns de vous sont les agent.s, ni
la majorité des fammes qui vous confient
leurs eDCants, ne vous demandent ce pro-
sélytisme religieux. Beaueoup de pe res ne
remetr.ent lenrg fils entre vos mains que
paree qu'Us seraient fachés de les voir un
jour plus religieux ou autremént religieux
f{u'ils ne le sont eux-memes. Remplissez
leurs inteotions, voilll "'otre role.


e Mais il y a d'autre par!, en minoriLé
pent-étre, des Camilles essentiellcmenl
chrétiennes, Cermement attaehées a la foi
et fideles aux praliques,a"toules -les pra-
tiques de la religion catholique; lenr vreu
le plus cher est de transmettre II leurs
enfants une Coi el des habitudes qu' elles
regardent eomme les premiers des· LicllS,
poul' ce monde et poul' ¡'autre. Or, ces fa-
milles, qui ne respectent pas seulement la
religion, mais qui y croient; qui ne s'al'-
rCtent point aux convenances, mais qui
vontjusqu'a la pratique réelle des ousel'-
vanees catholiques; qui ne bornent point




- 15-
leurs vreux a ce que leurs enfants soíent
des hommes honnetes selon les idées du
monde, mais qui les veutenl chréti'ens et
pieux, et dans la je~nesse el pend:lllt
toute teur vie; ces ramilles recherchent
pour leurs enfants des mailres vraiment
chrétiens, des établissements on la piété
ne soit pas seulement tolérée, mais on elle
soit en honneur, on elle soit dominante,
on elle entre dans l'esprit, duns les habi-
tudes générales, e~, pour ainsi díre, dans
I'air meme que respirent lesjeunes éleves.
En bonne conscience; MessiclIrs·, etes-vous
ces maitres? ees maisoDs sOl1t-e1les les
vótres? ..


( Laissons done la les injures, el les ca-
lomnies, et les vaines prétentions, et les
récriminations ameres. Vivons en paix, les
uns a cOté des antres; nons ne pouvons
nons suppléer, ne cherchons point a nous
supplanter. Les instituteurs ecclésiastiques
ne pcuvent ni ne vculent faire votre beso-
gne, el vous ne pouvcz ni ne voulez davanr




- 16-
tage faire la leur. Nos maisons ecclésias-
tiques ne' eonvienllent poin!. a toutes les
familles ni a tous les éleves, et les voL res
ne satisfonl pas a tous les Lesoíns, ne suf-
lIsent point a rassurer toutes les inquié-
tudes. A vous le monde, y eompris son
respeet pour la religion; a nous la religion,
y eompris sa haine pour les erreurs el les
désordres du monde, et son inallérable
charité pour ceux qui errent, el le respecl
qu'elle inspire pour toutes les eonvenances
légitimes de la soeiété, el la force supé-
rieure qu'elle nOus donne ponr remplir
lous nos devoirs d'homme, de eitoyen el
de ehrétien. Travaillons chacun de notre
eoté, selon nos príncipes ou nos intérels;
les familles et l'avenir jugeront entre vous
et !lOus. En attendan~, puisqu'il est des
poinLs communs sur lesquels se rencon-
treront toujours les vreux de toutes les
familleset les eUbrls de lous les maitres,
l'ivalisoos de zele pour assurer a nos éle-
yes ces avantages inconteslés, l'amour de




-17-
la regle et du tra,vail,. une instruction so-
lide el variée, un caraelere aimable et
ferme, el, par-dessus lout, la sainle inno-
eenee des mreurs. ))


Je suis persuadé, Monsieur, que la plu-
part des chefs d'établissements laiques re-
connaitraient la justesse de ce langage, et
aceepteraient ceUe distinetion si réelle, si
bien senlie par les familles, si conforme
dans le fond a ee qui a été mille fois répété
h la tribune el. dans la presse par les
adversaires du clergé! Plusieurs passa-
ges de votre Bapport semblent aussi rcn-
lr~r dans eette idée; mais je m'empresse
de dire qu'en réalité vous n'entendez pas
ainsi les dIOses. Vous inclinez aeroire
que, meme le but de l'éducaLion étant ad·
mis tel que le pose le clergé, eelui-ei ne
l'alteint pas mieux, quand il se voue 11
l' enseignement, ou, pom expdmcl' volre
,éritablc pensée, qu'il l'atleint moins bien
que les autres iustiLuteurs; en un mOL, VOUS


2.




- 18-
supposez, eL YOUS eherehez U pl'ouver) que
lios éleves \'alent moins, eL doivent moins
valoir, sous le rapporL religieux et moral,
que les éleves des établissemen ts séeuliers.


Cette lbese est un peu nouvelle, Mon-
sieul'; elle n'a pas encore pénétré dans les
conviclions des familles chrétiennes J'ose-
rais vous demander si vous avez souvent
vu un pere chrétien, dans le sens vrai et
complet du mot~ une mere pieuse, déli-
bérant sur le ehoix du eollége Oll i1s place-
ront leur fils, se décideJ' pour un établis-
sement laique précisément paree qu'il est
JaIque, et qu'u ce titre seulleur sollieitude
l'eJigieuse y trouve définitivement de plus
solides garanties ponr la piété, le earactere
etIes mrenrs de lenr fils? ...


Mais en vous voyant énoneer eette as-
sertion et vous ingénier a la rcndre moins
improbable, on se demande tout d'abord
ce qu'elle a a faire avee le projet de loi.
On se demande si une Commission nOrrJ-
mée par l'uu des trois grands pouvoirs de




- 19-
l'Etat pour délibérer sur l'organisation gé-
nérale de l'en8cignement secondaire de-
vait descendre a la discussion du mérite
reJatif de tels ou tels établissements ri vanx,
soumis a la meme autorité, ayant droit a la
meme protection, ou du moins a l'impar-
tialité de l'Etat, qui doit planer au-dessus
de lous les intérets particuliers, 00 se de-
mande enfin, en lisant ce travail si remar-
quable a d'autres égar.ds, s'il étitit digne
de vous, el de la Commission dont vousctes
l'organe, defai.'e (pardonnez-rnoi la liberté
de ceLte expression) d'une partie de votre
"Rappor! un prospectus a yusage des éta-
blissemenls Jaiques.'


Cal' eofio que peut-on voir autre chose
dans des phrases telles que eelles-ci : « On
«s'y adresse ti l'esprit el au cmur des en-
« fanls par des moycns qui sont communs
u 11 tous, ... On agit sur le cmur d~ la jeu-
« nesse par la puissance de la regle ... L'in-
« struction religieuse esl aussi soigneusemcnt
« donnée daos les colléges la'ú]ues que dUIIS




- 20-
« les colléges tenus par les ecclésiasti-
« ques.... Les pratíques religíeuses. y soot
« aussi fréquentes et aussi exactement ob-
« servées ... Les maitres respectent pro(on-
« dément la religian, ele., etc. »


A tout cela, Monsieur, DOUS disons de
grand ere u!' : Ainsi soit·il! etje me garderai
bien de discute!' aueune de ces assertions
consolanles.


Mais je puis, s~ns inconvenance, exa-
miner fJuelques traits du parallele que vous
établissez.entre les colléges royaux d'une
part, et les institutions particu lieres de
l'autre. Comme vous ne distinguez point,
sous ce derniel' titre·, nos établissemenls
des institutionsséculieres, je répondrai
senlement pour ce qui nous concerne, lais-
sant a nos collegnes JaIques le soin de s'ex-
pliquer sur ce qui les touchc.


Le caractCre des colléges royaux, dites-
vous, c'est une discipline inflexible, c'esl la
regle en lautes chases. La, deranl des provi-
aeurs fonQtionnaires publics, illdépendants




- 2\-
par position, ne cherchant pas ti condescendre
a la {a,iblesse des parents, tous les éleves sont
égaux, etc, Voil11 de beaux modeles; mais,
grace a Dieu, ils ne sont pas inimitables,
Nos éleves et leurs parents, et tous ceux
qui connaissent le régime de nos maisons,
n'appl'endraient point sans étonnement
que chez nous la regle et la discipline flé-
cbissent aisément au gré des fa m iIl es ,
qu'en entrant intimelllent dans leurs sol-
licitudes et leurs afl'ections nous condes-
cendons 11 leurs faiblesses, que nous n'im-
posons pas la meme_loi a tous nos éleves.
Et si par la discipline et la regle il est juste
aussi d'entendre l'observation exacte de
cette regle, le calme, le sHence, l'ordre, la
ponctualité dans fous les exercices' et les
mouvements g'énéraux, l'obéissance aux
maitres chargés de la surveillance, est-il
incontestable que tout cela soit moins sa-
tisfaisant dans nos maisoos ecclésiastiques
que daos les graods colléges de I'Etal?
Est-ce la l'opinion publique, celle des éle-




- 22-
ves, ceHe des maUres eux - memes ? ....


Vous ajoutez: Si une {aute grave est com-
mise dans un collége royal, le proviseur ex-
pulse sans {aiblesse, el les élablissemenls sont
intmédiatement éptlrés. le De vous dirai pas
que I'on a entendu d' estimables proviseurs
se plaindre de la gelle on les met quel-
quefois, dans des cireonstances critiques,
la complication des rouages administratifs.
Mais ce que vous De savez point, Mon-
sienr, c'est qne run des reproches adres-
sés a nos maisons ecclésiastiques porte
précisémeot sur la facilité extreme, dit-
on, avec laquelle nous plongcons daos le
denil de respectables familles, en proDon-
~ant contre leurs enfants l'arret fatal de
l'excln'sion, ponl' des fantes qni, ailleurs,
eussent trouvé plus d'indulgence. - Tont
chef d'établissemcnl qni se respecte et
comprcnd ses devoirs doit se mootrer io-
flexible too tes les fois qn'une faote grave
est commise, el que la discipline, les hon-
nes mreurs, le bon esprit exigent un sa-




-23-
crifice ou un exemple; ct lui seul, le plus
souvent, étant capabl~ d'apprécier la gra-
vité de certaines fautes, la nécessité de
cer~ines mesures, il doil se résigner a
etre taxé quelquefois de sévérité exces-
sive, et d'une sorle de cruauté, par les
parenls malheureux el par le public meme.
La faiblesse, en ce genre, peut s'allier
avec les plus estimables qualités : elle suf-
firait néanmoins pour paralyser le bien et
propager le mal dan s des établissements
dirigés d'ailleurs par des hommes d'un
grand mérite 01 animés des plus droites
¡nlentions. Mais elle est rare dans les éla-
hlissements ecclésiastiques, et e' est la,
pour beaucoup de familles, un titre de
plus a leur confiance. Elles s'attendent a
trouver une vigilance plus consciencicuse
et plus intelligellte dans des hommes aux-
quels Icur position, lcur foi, leur carac-
tere, le zele des ames, la connaissall~e
approfondie des mise res humaines el de
leurs remedes, doivcnt donner une volonté




- 24-
plus énergique et des reSSOUl'ces plus effi-
caces pour combaUre loules les maladies
morales de la jeunesse. Aussi voyons-nolls
tOIlS les jours des parents qui, sans eh'e
tout a fail chrétiens, sans apprécier a leur
valeur l'importance de la foi el des prati-
ques que nous inculquons a nos éleves,
mais pleins de sollicitude pour d'a.lltres in-
tér~ts non moins sacrés, et alarmés quel-
quefois par lé souvenir de Ieur propre
éducation, remettent leuJ's fils cntre nos
maills dans la confiance que nous fCI'ons
tout ce que peut faire un maltr-e conscien-
cieuxet un pretre zélé, pour la conservaLion
dll plus précieux trésol' de l'enfance.


Cet instinct des familles serait-il, par
hasal'd, ce qui rait craindre a certaines
gens que la liberté d'enseignement ne
tourne au profit du clergé? ...


En réalité, Monsiellr, les parents né
sont-ils·pas les meilleurs jugcs de ce qui les
intéresse si rort? Malgré l'insouciance cou-
pabIe de quelques-uus, ma]gré .les pré-




- 25-
"pnl ion s Mfavorables a la rcligion el al1
c\ergé qu'un grand nombre peuvent avoir
reclleilli dans un cerlainmonde el par I'ac-
tion d'une certaine presse, c'esl enco~e a
leur jngement que nous nous en rappor-
tons avec le plus de confiance. Le pCI'e
vant souvent mieux que l'homme, et sur-
tout que l'homme politique. Dans le creul'
el l'espl'it d'un pel'e', délibérnnt et ngis-
sant comme pere, les intérels de pal'ti,
les préoccupations du moment, les tluctua·
tions passageres et souvent facUces . de
l'opin¡on, onl beaucoup moins d'acces qne
chez l'homme d'Etal le plus éclairé et qui
se croit le plus indépendant.


Reve"nons 11 votre éloge des collt{ges
l'oyaux.


Ce qui vous y plait encore, el pal'-dessns
tour, e' est une fran.chise de traitement QUl
N'EST NllLLE' PART PORTÉE AU ME~IE DEGRF:.
Quel esl le sens de cel éloge et de ccUe
critique indirecte? Voudl'iez-vons parler
de lá franchise des punitions? 00 di t, en


3 '




- 26"-
cffet, que les jeunes lyeéens sont menés
assez rondement, pour me servir d'une ex·
pression vulgaire; les partisans .exclusifs
du régime militaire, eeux qui ne voient rien
de IDieux pour un collége que de ressem-
hler a une caserne, ceux qui comptent
beaucoup sur la salle d'arreis pour former
l'homme moral, ceux-Ia, di~-je, pourraienl
reprocher un peu d'indulgence et de mol-
lesse au régime pnternel des institutions
ecc1ésiastiques. - Entendez-vous par la
{ranchise de traitement l'esprit de franchise
qui rcgnc entre les éleves et les mattres '!
Voulez-vous dire que les éleves óe vos
colléges sont plus libres, plus ouverts, plus
a I'aise, plus confiants, plus affectu-eux, je
De dis point vis-a-vis des proviseurs avec
lesquelsils ont rarcment a faire, ma!s vis~
a-vis de ces maitres d'étude, de ces su1'-
veillants, qui son1 leurs véritables institu-
teurs, et avec lesquels presque seuls ils
sont en eontact dans tout le cours ue lcur
éducation? Les amis les plus sinceres de




- 27-
l'Uoiversité, et ceux qui connaissent le
rnieux le régirne et l'esprit des colléges)
ont souvent exprirné des regrets et des
plaintes difficiles a concilier avec vos éloges
ainsi compris.-Mais pcut-étre celte {ran-
chise de traitement que vous aimez tant est
expliquée par les paroles qui suivent :


Les éleves jamais poussés ti la délation
COM~IE DANS CERTAINS ÉTABLISSEMENTS.


AlIons droit au faií, MemsÍeur; ces éta-
blissements ne sont pas toutes les institu-
tions privées en général; ce !Sont spécia-
lement les notres. e'est nous que vous
sernblez désigner cornrne eocourageaot la
délatioo parrni nos éleves; cela résulte clai-
rement de l'ensernhle de ceHe parlie du
Rapport, et d'autres indices que vous con-
oaissez.


Nous ne rappellerons pas l'origine de
cette imputation; mais nOlls vous avoue-
rons· que, de toutes les insiouations défa-
vorables reoferrnées daos volre Rapport
cootre les colléges eeelésiasLiques, eeHe-ci




- 28-
pst pOUl' nous la plus inattendue et la plus
pénible : -la plus pénible; car fien n'est
pI us d"ouloureux pour des hommes de creur
que d'etre souP9onnés de bassesse, que
dis-je? accusés d'ériger la bassesse en de-
voir, de s'en faire un moyen de gouver-
nement, un moyen d'éducation! -" la plus
inattendue, parce que nous nous flattions
qu'apres les explications neltes el franches
données devant .vous el devant la Commis-
sion, apres des proteslations de notrc part
qui ont dI! etre aussi chaleureuses que
celles que vous rappelez avoir été faites
sur unautre article, paree qu'elles procé-
daient de cOllvÍctions aussi sinceres, nous
espérions '0 dis-je, que nous ne verrions
point l'eparaitre dans votre Rapport ee mot
odieux, cct injurieux souP90n. C'est la une
nouvelle el triste pl'euve des traces fa-
cheuses que laisse souvent dalls les esprits
les plus droits la calomoie meme la plus
absurde, quand elle est répétée avee au-
dace par la malvcillance ell' en vie.




- 29-
VOlls"exprimez, me dira-t-on, vos sen-


timents personnels, et vous supposez na·
turellement qu'ils sont partagés par tous
vos confreres ;mais en etes-vous sur? Con-
naissez-vous toutes les maisons dirigées
par des pretres? N' en est-il pas OU un zele
mal éclairé, le désil', louable d'ailleurs, de
découvrir le mal afin d'y port~r remede,
font recourir a des moyens de survej]-
lance qll'on n'ose avouer, 6t provoquen!
des délationsqui compromettent la noble
délicatesse du caractere? - Nous ne con-
naissons pas san s doute tous les établisse-
ments ecclésiastiques; mais ,qu'on nous
permette de le dire, nous en connaissons
beaucoup plus, et uous les connuissons
beancoup mieux que ceux qui les accllsen t.
Nous avons vu nous-meme, et de pres, un
assez grand nombre de ces maisons; nous
nous sommes tl'Ouvé en rapport avee un
plus grand nombre encore d'ecclésiasti-
'lues, chefs dI établissements universitaires
ou ~lltres, supérieurs de petits séminaires,


3.




- 30-
Jésllites meme, oui, avec ces panvres Jé-
suites que ron accuse si généralement d'a-
voir íl1lroduíl la délation el l'espionnage
comme un moyen de gOllvernement dans
leurs colléges. NOlIs avons conféré, dans
l'intimíté de la eonfiance, de tout ce qui
intéresse ljédueation, de tontes les diffi-
cultés fju'elle présente, de toutes les res-
sourees que fOl1rn:ssent l'expérience el le
zele pOllr réussir dans ceUe reuvre labo-
rieuse .. On ne sl1pposera pas ,que nous nous
soyons rieD caché les UDS aux autres. Eh
bien, je le déelare, je n'ai jamais rencontré
un pretre employé dans l' éducation de la
jeunesse qui ne partageal mon aversion
pour ces manreuvres secretes, pour cel
espioDnage occulte 'pes éleves les uns par
les autres, qll'on prétend faire partí e de
notre systeme d'éducation, et quí auraicnl
pour résultatinévitable dejeter la défiance
et la division la OU ne doivent régDer que
la liberté, la confiance el l'amour.


Ouí, Monsienr, telle est la vérité pure et




- 31-
simple, telle je la connais, et je ne crois
pas que d'autres la connaissent mieux.
Oui, chez nous aussi, la franchise de
traitement· est regardée comme la pre-
miere regle de l'éducation. Les éleves sor-
tis de nos maisons reconnaitront avec
bonheur les asiles chéris ou s'écoulerent
leurs premieres années, dans la peinture
que vous tracez de ces établissements OU la
loyauté"est respecté e et encouragée, OU les en-
fants sont traités comme des hommes (nons
faisons plus, nous les traitons comme des
chrétiens) capables de comprendre la justice
et de sentir les nobles procédés. Nous 80uhai-
tons bien sincerement que les éleves des


• autres colléges s'y reconnaissent de meme.
J'arrive a ce qui con cerne l'éducation


religieuse proprement dite; et, laissant
de coté plusieurs phrases oil votre pensée
et votre langage semblent flotter dans I'in~
certitude ou se heurter dans d'apparentes
contradictions, je m'arrete a celle oil vous
résumez votre opinion définitive : Quant a




- 32-
nous, nous croyons que le Clllur de l'homme
libre est plus tourné vers Dieu que le Clllur
de l' homme contraint; mais nous admettons
les opinions contraires. Eh! Monsienr, qui
ajamaissoutenu l'opiDioD contraire ! qui a
jamais dit, qui a imagiDé que le erenr de
l'homme dut el put etre tourné vers Dieu
par la éontrainte !


Nous D'avons donc pas été assez Jleurenx
pOUl' nitircr de votre esprit eefte idée
complétement erronée, que dans les mai-
sons ecclésiastiques la religion est imposée
aux éleves? Fant-il répéter ce que DOUS
avons dit si expressément et si clairement
devant la CornmissiOD? - Nous ne serioDs
ni pretres, Di chrétiens, ni raisonnables;
nous blcsserions en meme temps le bon
sens le plus vulgaire, dont OD De peut nous
croil'e dépourvus, et les plus graves en-
seignements de la foi, donl on doit nous
croirc pénétrés; nous irioDs absolumelll
conlre le but principal de nos travaux, si
110US usions de la moindre conll'ainte ponr




- 33-
pOllssel' les enfants a la piété, si nous em-
ployions des moyensqui pussent les porter
a .la dissimulation et a l'hypocrisie. Per-
sonne ne préviendra, necombaltra l'hypo-
erisie avec plus de soin qu' un preh'e, paree
que personne n'en connait et n'en eotn-
prend mieux que lui les horriblesrésulLats,
non-seulemertt pour le earaetere, qu'clle
vicie et fausse, mais pOllt l'ame, qu'elle
mime au saerilége! Voilil tout ce que nOlls
pOllvons répondre Ul-desslls. A ceux qlli lIe
nOllS croient pas, 11 ceux qui ne IIOUS com-
prennent pas, a ceux qui ne savent pas
eomment, sans user de eontrainte, saos
employer ni punitions, ni réeompenses, ni
priviJéges, ni faveurs, par la" seule action
de la foi, du zele) de l'exemple, et surtout
par la vigilance a éloigner les obstaeles,
on peut tourner doucement et Jibremellt les
cceurs et les esprits vers Dieu; a eeux qui
o'oot pas l'idée de eette atmosphere reli-
gieuse el pure qui est le moyen le plus efli-
cace de l'éducation ehrélienne; a ccux-lil




- 34-
nous o'avons rien a dire de plus pour notre
just.ificalion; notre langage serait pour eux
une énigme; mais il ne l' est poin l ponr les
peres vraimcnt relisienx, pour les' meres
pieuses, púur tous les chrétiens sinceres.
II ne devait pas l'etre pour vous, ni ponr
les hommes de haute illtclligence qni com- .
posent la Commission dont vous eles 1'01'-
gane. •


Nous n'expliquerons pas en ql10i nos
maisons difIerent réellement de beaucoup
dc colléges lalques suus le rapport reli-
gieux; mais une comparaison rapidement
indiquée mettra un esprit aussi pénétrant
que le' vótre sur la voie de la vérité. Vous
admirez beaucoup la foree des études dans
vos grands colléges de Paris. Eh bien, le
chef de la plus misérable petite pension
De pourrait-il pas se vanter, avec quclque
apparence de raison, afficher meme dans
son pro,~pectus, que ron suit dans son éta-
blissement les memes méthodes d' ensei-
gnement, qu'on explique les memes au·




- 35 -
teurs, qu'on fait Ip-s mémes devoirs que
dans les colléges de Paris? Et ne pourrait-i1
pas persuader par la, a ceux qui n'enten-
dent rien aux études, que ses éleves ne le
cedent point a ceuxqui se disputent les pal-
mes de votre grand conc~urs?


A la place de méthodes, d'anteurs et
de themes , mettez catéchisme, aumooier,
cxercices religieux, et vous comprendrez
parfaitement ce que je De puis vous expo-
ser ici.


Mais les faits, les faits, vous écriez-vous!
les résultals positifs 1 Si ron faisait une
enqu~te?. si 1'00 produisait des statisti-
ques ? ...•


NuI ne désirerait plus sinceremeot que
HOUS une enquete sérieuse et comparative
sur l'état religieux etmoral des divcrs
établissements d'instruction; mais une en-
quete de ce genre est si évidemment; si
absolument impossible, qu'i1 esta rcgretter
que vous en ayez prononeé et répété le nom
dans votre Rapport. Une enquete sur la




- 36-
foi et la ferveur des collégiens! des stalis~
tiques SOl' la pllrcté de leurs moollrs! des
chitl'l'es constata.nt leur degré de piété! ...
Ah! ~lonsieU1', dans quclle préoccupation
peut jeter rhabitude des affaire5 maté-
rielles el positivés! ...


Mais quoi.! ee's statistiqucs de religion et
de moral e onl été p"oduites, dites-vous,
pour heaucoup de coltéges! Certes HOUS au-
riolls été curieux d'en voir les éléments
el les chilfl'es! Mais parlons avec gra viLé
en un sujet si sérieux.


Il résulte évidemment, de cet endroit
du Bapport auquel je fais allusion, que


. ces statistiques portent sur un seul ohjet,
et nous ·avons a surmontcr bien des l'épn-
gnances pour le nommer : il s'agít ici DE
LA STATlSTIQUE DES COMMUNIONS faítes par
les éleves. Voila, d'apres vous, ce qu'ont
produit beancoup de proviseurs de col-
léges. On n'a point demandé ce document
aux chefs de maisons ecclésiastiques, et
nous ayouons quenous n'aurions pas été en




- 37-
mesure de le fournir. Si nons ei.lssions été
interrogés'sur ce poin!. par la Commission,
nous aurions répondu qu'il est des choses
si saintes de Ieur nature qu'il faut craindrc '
de les meler a quoi que ce soit de pro-
fane; nous :.lUrions d¡t que, de toutes les
pratiques religieuses, la communion étant
celle qui demande la plus entii'~re liberté,
oh I'ombre m'eme, non-seulement de la
eontrainle, ~ais encore d'une sorte d'in-
speclion, pent avoir, dans un eollége, les
plus fnnestes résultats, un acte ue piété
enlin ou nul ne doil intervenir entre Dieu
et l'ame, si ce n'est celui qui sert d'in-
termédiaire entre I'Un et J'autre, nous
éloignons avec le plus grand soin ~e nos
maisons eeclésiastiques tout ce qui ferait
suppo~er aux éteves que nous surveillons,
que nous comptons leurs eommunions, que
nous leur en savons gré, q~e nous remar-
quons avee défaveur ceux qui s'en abstien-
nent. Nousaurions profité de eette occasion
pour faire observer, dans l'intéret meme


4.




- 38-
des eoll(lgcs, dans l'intérCt de leur dignité
et de la "érilable liberté religieuse, com-
bien sont peu conveRables certaines n6tes
insérées assez ~ouvent dans les journaux,
a pro pos de qnel.ques cérémonies locales
ou l'on vante le grand nombre 'd'éle¡;es qui
se sont approchés de la sainte table, comme
si l'op.vouIait f¡¡ire uu moyen de réclame
du plpsauguste el du plus redoutabie des
sacrements chrétiens .
. Done nous n'aurÍons pas produit nos sta-


tisliques religieuscs.


Vous faites entendl:e que vous pourriez
citer,1I l'appui de volre these sur la supé-
riorité des colléges Iaiques, des faits si-
g.nificatifs qui vous ont été révélés. Nous em:-
sions pl'éféré une citation cIaire et directe
de ces faits a une assertio.n générale, ·dont
le "ague rend t.onte discussion impossiblc.
Et ~i vous dites', ce qui est t.res-vrai, que
les faits de ce gc·nre ne peuvent etre cités
dans un rapport public, nous nous permet-




- 39-
trons d'ajouter qu'il eut été mieux encore,
selon nous, -de n'y faire aueune allusion;
carcesfaits, Monsieur, sont une aCCUS3-
tion; et quand on ne croit pas pouvoir
formuler une accusation assez clairement
pour donner lieu 11 la défense, n'est-il pas
plus généreux el plus juste de s' en abste-
nir?


Du reste, ces faits nous sont connus , et
voici en quoi ils se résument. 10 Nous ne
réussissons point toujóurs 11 rendre tous
nos éleves aussi piellx, aussi ouverts, aussi
dociles que nous le désirerions, ni a les
présener de toutes les miseres de leur
Age. Que celui de nos collegues Jaiques qui
se croit plus heureux nousjette la premiere
pierre. 2° JI Eeut meme se reneontrer daus
nos maisons de fort inauvais sujets, qui y
seront peut-~tre d'autant plus mauvais
qu'ils auront résisté davantage a tous les
moyeos employés pour les rendre meil-
leurs; d'autaot plus dissimulés qu'ils se
seronl efforcés de cacher des sentiments




.- ~O-
e/' une conduile en désaecol'd avee tout ce
qui les entoure. 3° Ces sujets dangereux,
étant remis a leurs familles des qu'ils son!,
connus, vont ehereber un asile dans d'all-
tres élablissemenls, on ils donnenl une idée
peu favorable de celui qu'ils ont quitté.
Que fuut-il penser de eelui 'lui les admel?


Nous avions dit tout cela devant la
Commission, qui parut satisfai te de nos
explications franches et completes. Nous
y ajouterons, si "ous le voulez, d'aul.rcs
aveux qui pl'ouYeront toute notre bonne
foi. 11 peut sortir, el iI sort tous les jours,
de maisons dift'érentes des nOlres, des
hommes tres-religieux que non s serions
heureux d'avoil' forrnés; sans parler des
puissanles intlnences de la ramille, iI Y
a des ames droiles el vigoureuses, for-
tement t ... empées, qui sauraient supportcr
la liberté la plus immodérée, qui s'ulfer-
miraient dans le bien malgré la lutte, ·et
par la lulte memc qu'elles auraient 11 SOIl-
tenir ~oDtn~ ie mal. - Je dis plus. - II est




-41-
ccrlaillcs llalures, bonnes et généreuses
dans-le fond, mais capricieuses, tellement
indépendante~, tellement impatientes du
frein, tcllement rétives et ombrageuses
contl'e lesinOuences extérieures,que peut-
etre elles se porleraient plutot nu bien
toutes seules, de Ieur propre mouvement,
et meme au milieu des résistances et des
obslacles, que sous le régime religieuJi,
quoique libre, d'nne maison ecclésiastique.
- Mais ce sont la, il faut I'avouel', OU des
ames d'élite ou des bizarreries; ce sont des
exceptions; et soíl qu'on discute des raill',
soil qu' on raisonoe sur des loís, faut-il
s'atlachcr a des exceptions?


Vous en revenez, MonsicUl', ti ces lois du
creur humain, et vous demandez si le con-
traste entre le collége et le monde, sous le rap-
port des opinions morales et retig1'euses (vous
auriez pu ajouter : sous le rapport des pra-
tiques religieuses et des habitudes mora-
les): contraste nécessairement plus frap-
panl pour DOS élcves que pour ceux des


4.




- 42-


rnaisons lai'ques, ne doit pas exel'cer une
facheuse influence sur des esprits el des
creurs encore faibles, leur suggérer des
douLes, les ébranler, el les porter 11 la Ii-
cence, cornme a une compensation de la
contrainle qui leur a été imposée.


En relirant. l'idée de contrainte, sur la-
'lucHe nous 1I0US sommes déja expliqué, il
"reste encorc 111, MOllsieur, une objection
spécieuse, mais qui n'est que spécieuse.
Une étude plus altentive de ces lois que
vous invoqu.ez, l'expérience surtout, en
-donnent une solution satisfaisante ponl'
tout esprit sincere, Je me contenlerai de
vous demander si, apres tout, vous voulez
que, sotis le rapport moral et reljgieux,
les colléges ressemblent nu monde; que
les éleves y voient, y entendent, y Usent
tout ce qui se fait, tout ce qui se dit, tout
ce qui se lit dan s le monde. Je demanderai
si lelle est l'inlenlion des parents, meme
les JUoins séveres cnfail de rel;gion et de
mol'ale, Je demalldel'ai enfin si un chef




- 43-
d'inslitu tioll pourrait justifier les désordres
de son établissement eh disant aux familles
alarmé es : Vos fils ne verront-ils pas pis
encore dans le monde? N'est-il pas utile
qll'i1S s'habitoent de bonne heore a toot
cela, poor etre prémunis d'avance contre
les facheux effets d'nn contraste trop brus-
'lue a la sortie du collége?


Quallt a l'expérience,- voicI deux faits
ponr lesquels nous invoquons avec eon-
fiance la notoriété publique:


Le premier, e'est que la pluparl des
jeunes gens qui ont (ail el terminé leurs
étlides dans les maisons eeclésiastiques res-
tent fideles dans le monde aux praliques
religiellses;


. Le second, e'est que la plupart des jeu-
nes gens qui s'honorent de pratiqner la
piété, et qni édifient le monde llli-meme
par le zete des reuvres eharitables, sont
sortis des maisons ecclésiastiques.


Du rest~, je le déclal'e de nouveau en




-44-
tcrminaut cette lcUre, nous ne prétendons
point aUaquer les rnaisons diflerentes des
notres. Interrogés par la Commission sur
ce que I)OUS pensions, sous le rapport mo-
ral, des divers établissernents d'instruclion
publique, nous aVOHS répondu brievement
que nous préférerions les élablissements
d'ndmipistration . publique aux élablisse-
ments d'industrie privée, mais que nous
n'avions aucun détail spécial a donner ni
.sur les uns ni sur les nutres; que, dans no-
tre conviction, les vrais éléments de l'édu-
cation religieuse et morale échappent aux
mesures administratives aussi bien qu'aux
vues de l'industrie. Tel est le témoignage
dont vous avez tiré un partí si ingénieuxa
la louange des coIléges de rEtat.


Je ne tiens pas non piusa ralre remarquer
l'interprétation un peu large donnée a no-
tre d~claration sur nos rapports bienveil-
lants avec l'autorité universitairc. Soumis
a ses reglements, satisfaisant avec loyauté
a loutes les conditions qu'elle DOUS impose,




- 45-
noUS effor~allt de remplir de notre mieux
nos devoirs d'instituteurs, DOUS évit.ons
tout naturellernent les Qccasions de conflit,
de reprocbes, de plaintes; et ainsi nos rap-
ports avec les agents de I'Université, qui
sont ,apres tout, des hornrnes droits et
éclairés, n'ont rien que de bienveillant et
d'agréable. Mais nous De VOlldrions pas ex-
citer la jalousie des établissernents laiques
en leur laissaut croire que l'Université nous
prodigue ses concessioDs, ses faveurs el
ses dispenses. Le privilége meme qui m'a
élé personnellement accordé, el dont je
garde une reconnaissance sincel'e, puisque
son!! I'empire du monopole 00 était en
droit de me le refuser, ce privilége a été
attaché a des conditions si hautes qu'~lIes
justifient l'Université de tout soup~on de
partialité en notre fa veur t.


I L'inslilulioll de SClIlis n oblenu le pleill IIXIII'ciel!. a
la cOlldition tl'avoir qualre licenciés cs-Iellrcs, un licencié
l;-,ciences pbysic¡ues ou malbémaliqut's, el lrois bacheliers
¡5-lel\rc~. Elle rcmplil loutes tes condilions el au dela;




- 46-
Quant aux examens et a l'équité des ju-


ges, les deux chefs d' établissement quej'ac-
compagnais devallt la COffimission, n'aYlU1t
de rapports qu'avec la Faculté de París,
dont personne n'a jamais soup~onné la par-
faite indépendance, ont déclaré n'avoir
pas la moindre réclamation a élever a cet
égard. Pour moi, dont l'institution est
placée dans une autre Académie, rai fait
observer qu'ayant obtenu depuís peu de
temps le droit du plein exercice, je n'avais
pas eu encore l'occasion d'apprécier les
dispositions de la commission d' examen de-
vant laqueÜe devront se préscnter mes
éteves, dispositions que je crois tres-'vo-
lontiers équitables et bienveillantes. Mais
j'ai profité de eette absence meme de tout
antécédent-pour faire remarquer avee plus.
de liberté combien il est facheux en prin-
cipe que les éleves d'une institut-ion ecclé-


mais elles ne sont· peut-l!lre réalisées dans aucun des 150
colléges comínunaus de prelu¡ere classe jouissant du plein
uetdc~.




- 47-
siastique soient examinés par les profes ...
senrsd'un coIlége voisin. Or iI esta craindre
qlJe la réforme de cel état de ehoses, mal-
gré le projet de 10i el sons l'empire méme
de eette loi, ne soit ponr nons indéfiniment
ajonrnée t.


Comme memhre du clergé, connaissant
et partageant ses vrenx, nous pourrions
aborder ¡ei heaueour d'autrcs poillts de
volre Rapport el dn projeL de loi qui ton-
chent de pres a ses intérets, ou plutOt a
ceux de I'Église. Attaehé aussi pal' quel-
ques liens a l'Université, eomprenant, sans
les partager, les préventions et les er~inles
d'nn gl'and nombre de ses membres, nous
serions peut-etre mieux placé qne beau-


i Le projet de loi Ihe un délai de trois alt$ pOUI' I'éla-
blissemelll des l?acultés des leUres dans les académies qu¡
en son! dépourvl!e~, el Ol! les examens sont faits 1'1 con-
linueronl prol'isoiremeul a se faire par une commissioll
composée des profl'sseurs dll collége royal. 01', sur vingt-
sep! académies, il n'y a actucllemenl que dix facullés des
IcUrcs. JI es! évidcut pour tout le monde qu'on n'érabJira
pas dix-sppt farullés en trois an~.




- 48-
COllp d'antres pour indiquer les moyens de
conciliaÜon entre des prétentions, des in-
tél'cls, des príncipes, qui ne peuvent etre
inconciliables en ce qu'ils ont de légitime
el de noble. Mais cet immense travail dé-
passerait le but que je me suis proposé
dans ceUe leUre. Nons nous en rapportons
avec confianceau tcmps, aux efforts de tous
les gens honnetes et sinceres, et a Dieu ,
ponr faire triompher la vérité et la religion
par une juste mesure de liberté.


Je suis avec un profond respect, Mon-
sienr, votre. tres·humble el tres-obéissant
servileur,


L'abbé POULLET ,
Chef d'institution a Senlis.




DU CffiUR
ET DB


SA PART DAN S L'EDUCATIONt.


Ce discours se rattache si directement par son
objet a plusieurs des questions traitées dans la
lettre a 1\1. Thiers, qu'on a cru devoir le mettre a
la suite comme en formant le complément naturel.
Plusieurs passages paraltraient meme avoir été
écrits sous l'influence de la discussion actuelle, si
nous -n'avertissions que le discours est textuelle-
ment reproduit tel qu'i! a été prononcé et imprimé
a Senlis au mois d'aoüt 18l¡3, sauf la suppression
de quelques phrases, toutes de circonstance locale,
qui ont pu etre retranchées sans altérer en rien le
sens et ¡'esprit de l'ensemble.


MESSIEURS,


L'éducation de la jeunesse est une reu-
ne vaste et difficile. Embrassant l'homme
tout entier, ne teudant a rien mojns qu'a


• Discours Jlrononcé a la distriblltion des Jlrix de I'in-ti-
tution de Sainl-VrDCenl, a SClllis, le 16 ao(¡t 1843.


1)




- 50-
la perfection de l'éleve, dont elle doit dé-
velopper loules les facultés, ré(ormer lons
les défauts, satisfaire les besoins présents
el préparer les destinées dans l'avenir,
cHe exige, par la méme, I'homme tout
enlim'; elle snppose, sij'ose le dire, la
perfection du maitre, qui ne sani'ait avoir
jamais trop d'activité et de sagesse, tróp de
talents et de yertus, ni consacrer 11 une telle
reuvre trop de soins et de dévouement.


Et cepen~ant, Mcssiellrs, parmi touLes
ces qualités dont nous sentons profondé-
ment le besoin, parmi toutes ces condi-
tions dont les familles auraient le dl'Oit
d'exiger l'accomplissemenl, si l'inévitable
imperfection des bomm('s el des choscs
d'ici-has ne les obligeait a modérer 'lenrs
désirs, n·y a-l-il pas une condition, une qua-
lité qui doive précéder et 'domil.ler lontes
J es aulres, en assurer, ell pel'fectionner, je
dirais presqueen!lupplée")'¡lCtion salul aire,
sans pouyoir elle-meme etre suppléé~ par
:\lleune autre? e'est la une question grave




- bl-
pour des parents forcés de confier 11 des
mains éfrangeres les objets de Ieur arfecHon
(jt de leor plus tendre sollicituue; grave
ttllssi pour des maitres qui comprennent
leurs devoirs, et qui savent combien Iellts
dispositions personnelles peovent í nfIuer
su!' le succes de leurs travaux! Or, la ré-
ponse a cette question me parart fenfer:
mée dans un seul mot: LE COEVR! Oui, ~les­
sienfs, c'est surtout el avant tout avec son
creur, avec un creur aimant, tendrc et gé-
néreux, qu'tin maiLre doit reníplir son im-
portant ministere! vérité qu'il ntJussera
bien facile de prouver 11 un auditoite com-
poséprincipaleinent de peres el 'de meres,
si disposés a 1:1 comprendl'e, 011 plutot si
désireu:1 de se voir compris eux-memes;
vérité dont pourtant on est loin encore de
sentir toote laforce, d' embrasser toute I'é-
tenuoe, de tirer toutes les conséqueoces.


Jc De veux point démootrer que le creur
dn maitre doit intervenir dans ,'éducation




- &2-
des enfants. Qui jamais a prétendu Pen mt-
clure tout a fait? Qui jamais a con~u la
monsh'ueuse pensée qu'on pul élevcr des
enfants sans les aimer? que l' esprit, le ta-
tent, le savoir-faire pussent dispenser de
toute affeelion ; que la tete, en un mot, put
remplaeer le ereur? Maís, tout en recon-
'naissant les droits du ereur el la· néeessité
de lui laisser une place dans l'éducation ,
on peul ne pas la lui faire assez large, ne
pas lui assigner son véritable rang, e'est-a-
dire le premier. ·La pensé e qui se présenle
naturellement est eelle-ei: e'est que I'é·-
tendue el la justesse de l'esprit, la fermeté
du earaetere, l'habitude d'une vie sévere
el réglée sont les qualités les plus indis-
pensables d'un maitre, surtout poor faire
marcher dans une direetion comIDune
une réunion d'e~fanls jeunes, légers el
volages. El. puis , quand la sagesse el
l'expérience anront disposé, pour ainsi
dil'e, lons les rouages de ce systeme dé-
lieat, dont les élémeots soot des iutelli-




- 53-
gences, des volootés, des passions d' hom-
me; quand une volonté supreme hii aura
imprimé une impulsion régllliere, le erel1l'
viendl'a répandre, avee diseernement el
mesure, la suavité et l'a01001' qui doivent
adoucir 10l1s les frolLemenls el prévenir
loutes les résistances. CeLte pensée est sé-
duisante, Messiellrs; dirai-je qu' elle esL
fausse? Elle est, a mes yellx, ce que sont
tant d'opinions fausses et séduisanles: une
vérité allérée, dénatul'ée, incomplete.
Non, le creul' nc doit pas seule01ent VCI'~cr
fhuile,qui facilite le mouvementj lui-me-
me, lui seul doit etre le premier molenr,
lui seul 11 le seeret de eette aetion forle el
suaye a la fois a laquelle obéiront afee
amour toutes lesparties de ce vivant mé-
canisme. Il ne suftit point qn'on l'appcIle
comme auxiliaire, il faut qu'il soit le prin-
cipe dominant: l'édueatioo, en un moL,
Il'esf. point une reuv,:e de I'esprit tempéré
par le ereur; c' est une reuvre du eren!' di-
rigé par l'esprit.


5.




- 54 -
Ainsi comprise el praliqllée, el ainsi seu-


lement, elle cesse d'Ctre un pénible far-
deau pour le maitre et ponr l' éleve; elle
rend possible nu premier l'enlier aceom-
plisscment de ses nombrcux devoirs; elle
rcnd profilables nu second les soins dont
iI esl l'objet.


Oui, l\lessieurs, qu::md ce ne serait flue
pour notre bonheur, pour l'allegement des
peines aUachées a nos fonctions, nous se-
l'ioDS obligés d'aimer les enfants, de les
aimer beaucoup, et d'agir eonstammenl
sous l'impulsion de cet amour. J'aurais
mnuvaise grace a venir ici vous trace!' le
tablea u de eette vie sans liberté, sans dé-
lassements, sans repos, sans dignité appa-
rente, ou il faut toujours se rapelisser, se
conlraindre, se multiplier, se renoncer
soi-meme. Telle est sans doute la víe d.'un '
maítre jaloux de remplir ses devoirs, mais
n'esl-ee pas a peu pres la vie de tout le
monde? Qui est exempt de devoirs icibas,




- 55-
el quels de~oirs peuvent s'accomplir sans
géne, san s efforts et sans sacrifiees? Admi-
rons plutbl une belle loi de eette Provi-
'deoee, qui se manifesté avee. plus (}'éclal
eoeore daos l'ordre moral que daos les
prodiges de la nature matérielte : e'esl
qn'il colé detons les gl'ands dcvoil's Dit'1l
a mis un grand amour, et ainsi les tlevoirs
sonl aecomplis, mcme les plus difficiles ,
sans répugnance et presqlle sal1s efliwls,
selon le mol si souvenl répété d'nne ame
aimante: Ubi amatur, non laboratur. Purmi
tant d'autres applieations de eette admira-
ble IOi, le ereur des peres et des meres ne
nous en offre-t-iI pas le plus touchant
exemple? Or, on ne peut les remplacel'
aupres de leurs enfaots qu'en partageant
leur tendresse; on De peul accepter el
porter avee eux, ou pour eux, le fardean
de l'édncation, qu'en aimanl comme enx;
sinon la cbarge est trop lonrde, on la traine
plus qu'on oe la porte, et bieolor on la laiss~,
a moins de chercbel' un eoupab!e soulage-




- 86-
ment dans IIlle lache et pertide négligence.
Non, fose le di re ; Dul nutre mobile que
l'amour, pas meme celui du devoir, el du
devoir imposé, sanctionné par lá religion,
ne soutiendrait longtemps un maitre dans
cette pénible carriere. EiJ vain nous dirons-
nous a nous-memes que l'éducation est
pour nous un ministere sacré, nn al)Ostolat
religieux, un moyen d'ucquitter envers
Dieu et envers la société la delte que nous
avons contractée par le sacerdoce. Ces
hautes idées exciteraient notre zele sallS
adoucir nos peines, nous monlreraienl la
gravité de nos obligations san s en alléger
le poids, et peut-etre memc nous donne-
raient la pensée de nous y soustraire plu-
tót que le courage de les remplir. Cal',
apres tout, si l'idée du devoil' nous reslait
toute senIe, DOIIS la pourrioDs appliquer a
d'autres objels qu'll ceux qui nous occu-
pent; nous nous demanderions quelque-
fois, daos les moments de lassitude insépa-
b1es d'une telle vie, si nous n'avons pas




57


d'aulres moyens d'uliliser, pour le 8er-
vice de la religiou et de la patrie, la puis-
sal~ce du ministere dont nous sommes 1'e-
,'Hus. Mais non! nous sommes retenus
pres de cctte famille chérie par d'alltres
licns plus doux, et cellli qni u' en sentirait
pas les charmes n'est point appelé a vine
avec les enfants. 11 y a la trop a faire, trop
a soutfrir, trop a sacrifier, si ron n'a poillt
dans le creur une grande part de cet amoul'
que Dieu a mis daos le creul' des peres et
des meres, el quiest, pOUl' le mallre chré-
tien, le sigue de sa vocation. Vous done
qui n'aimez poiut les enfants" n'usurpez
poiot la charge de les élever. Vous que
leur légereté impatiente, que leur paresse
étonue, que leur iodocilité irrile, que
leurs reehutes découragent, laissez a d'au-
tres le soiu de former ees ereurs et ces es-
prits pleins de défauts, d'iuégalités et d'ex-
ces, de miseres de tout gcure! Laissez a
d'autres ces détails inflnis, aussi fatigants
par leur mOIlotone répétition que par la




- 58-
petitesse de Ieur objeto Vous vous userez
trop vite a ce rude exercice; vous n'ac-
complirez point votre tache sans une lutle
continuelle contre vous-memes, el vos éle-
ves ressentiront néccssairement le contre·
coup de la gene OU vous mel une vie pour
laquelle. vous n' etes point fait.


Il es! si heureux, au eontraire, l'enfant
qui se voit aimé de ses maitres ! Les peines
de l'édHcation, dont iI estjuste qu'il porte


. anssi sa part , s'adoueissent tant pour lui ,
quand i\ retrouve, dans' un collége gou-
verné el dominé par l'amour, que.lque
chose de cette suavité intime qu'i1 goutait,
presque a son ínsu, au foyer paternel, el
dont jamais il ne sent mieux le charme que
Jorsqu'i1 ne peut plus en jouir. Comprend-
on bien tout ce que eeUe vie nouvelle a
pour lui de sombre ei d'amer, si le creur
n'y verse aprofusion ses bénignes influen-
ces? Quoi ! en sottant des hras de sa mere,
dánsl'age OU son ame s'épanouit comme
une fleur au soleil, quand iI De eonnait




- 59-
encore la vie el le mO_lJde que par J'amour
donl ir s'esl vu l'objet, se trouver tOut a
coup jeté dans une maison élrangere, oil
persoone oc lui sourit, oilpersonne ne
l'aime-, oil les hommes qu'il aper90it au-
dessus de lni se.mblen,t uniquement óc-
cupés a faire mouvoir tlvec régulari~é une
sorte de mécanisl~le dans lequel il est en-
grené, emporté, et quelquefois douloureu-
sel!1ent froissé, sans que pcrsonne en prenne
sonci; tourner sans cesse -dans le meme
cercle d' exercices, a la suita d' antres en-
fants comrne lui, poussé el, pressé par la
masse qni l'envil'Onne, et oil il peul res ter
longtemps confondu et presqne ignoré;
n'avoir, ponr compenser toutes les atrec';'
lioos dontil esl sevré, que l'agitation d'noe
foulebruyante, étonrdie,souveot raillense,
et d'autant moins disposée nux ff3ternel-
les sympathies qu'elle o' est pas gouvernée
pnr un pere el ne vil pas sous l'inllneoce
de ce doux esprit de la fnmille; passer ainsi
des années entieres, les aDnées de 1'eo-




...... 60-
fance, de l'adolesceoce el de la preml~ré
jeuoesse, dans celle atmosphcrc froide et
malsaine, oil l'amour o' envoie que de ra-
res el faibles rayons, comme ceux d'un
soleil d'biver : sont-ce la les prémices de
la víe que la Providence destinait a ces
pauvres enfants? .. SouP90nne-l-on qu'un
lel état oifre des dangers, el daos ses en-
oui"s el dans ses distraclions, et dans ses
peines el daos ses plaisirs? ..
~ Voyons du moins si, daos ceUe organi-
sation froidemeot réguliere, l'enfaot trou-
vel'a les soins assidus et variés que demande
son éducalion.


J ene veux rien exagérer; je oe prétends
point qu'il suffise absolumeot d'aimer les
enfaoLs pour savoir les élever; un esprit
éclairé et droit, une observation vigilante,
les souvenirs de l'expérieoce fournisseot.
des enseignements utiles, indispensables r
sur l'art de diriger la jeunesse. Reconnais-
son s pourlant que le creur esl encore le




- 61 .,...
meillenr maitre sur lout cela; que lui seul
penl. faire comprendre cerlains devoirs,
don n-el' eertaines idées, révéler certaines
ressources. Quand on a dit de l'amoúr qu'i!
était aveuglc, jo nc sais quelle folle pas-
sion 0/1 a "ouln désigner sous ce hcau nomo
L'amour véritable, Messieurs, est clair-
voyant, pénétranl, intclligent, ingénieux,
et d'une habilelé que rien ne saurait imi-
ter ni suppIécr. Certes, je sCl'ai compris
des peres el des meres en parlant de celle
prévoyance du creur, qui songe aux besoins
du lendemain et y pourvoit.d'avance pour
un ~lre aussi imprévoyant qu'ouhlieux; de


. ceUe sagacité du crenr, qui voit le danger
la oil]a froide prudence du maitre le crain-
drait aussi peu que la légeretéinexpé-
riente de l' éleve; de ces attentions dll creur,
dont la déJicatesse échappera toujours i.t
I'esprit le plus exercé comme a la honne
volonté la plus sincere; de ces industries
du eren!', de ces innomhrah]es expédients
inspirés par l'amour pour s'accommoder 11


6




- 62 -
toutes les variations, a lous les besoinsd'une
nature si impressionnable, si mobile et si
frele! Oh! Messieurs,qu'il est difficile de
songer a tout vis-a-vis desenfants, quand on
ne s'oceuped'eux qu'avec la tete! Que de
lacunes inevitables, que d'oublis involon-
taires, que de ehoses mal comprises ou
négligées;que d'ill usions et de fautes dans
une édueation OU l'amoul' n'est pas le pre-
mier .guide, le principe dominateur, le
maitre du maitre lui-meme! En vain cel ni-
ci se flattera-t-il d'avoir prévu el rempli
tous ses devoirs, d'avoir faít ce que la
probité, la justice, les CfonVenanees de sa
position exigent de lui; que parlez-vous
de probité, de justíce, de eonvenances?
Est-ee que cela suffit? N'est-ce point ici,
plus qu'en allcnne autre chose, que trouve
son application la plus juste et la plus vraie
eette maxime: Ce qui suffit no suffit pas? Si
vous eherchez seulement 11 poser la limite
exacte de vos devoirs, si vous ínterrogez
seulement vos príncipes d'honnete homrne,




-- 63 -
j'ajouterai meme les principcs d'unc con-
science/ religieuse, mais froide et rigide,
pour calculer ee que vous devez a un en-
fant el aux parents qui vous I'ont confié,
cela vaut un peu mieux, sans doute, que
de calculer uniquement ee qu'ils vous doi~
vent, mais vous eles bien loin eneore de
remplir, de comprendre meme toute l'é-
tendue de ·votre sainte mission. Aimez
done cet enfallt! ayez dans votre creur un
ardent désir de son avancement, de son
bien, de son bonheur. Porlez·vous de toute
"olre ame, non point seulemetit lt ce qui
doit couvrir volre ~esponsabiiité, mais a
tont ce q.ui peut améliorer, exciter, échauf-
fer, purifier, ennoblir ce creur d'enfant
confié a votre creur de pere. Et bientót
votre esprit, éclairé par ce rayon vivifiant
de l'amour, yerra surgir tout un nouveau
monde d'idées, d'affeetions, de soins, que
la conscience seule ne vous eut. point sug-
gérés! Plus vous aimerez vos éltlVeS, plus
vous eomprendrez qu'on ne pent rien faire




- 64 -..,.
ponr eux qu'en les aimaot, el en les ai·
mant beaucoup.


L'éducatioD, Messieurs, ne se.fait pas
en masse , de haut el de loio. Si 0<\l)S nous
sommes affranchis des viles préoccupa-
tions de l'esprit mercenaire, 'lui I'exploite
comme une industrie, prenons ga!de de
nous arre ter aux vues incompletes el
stériles qui nous la présenteraient comme
une noble gestion, a laquelle il suffise
d'apporter les qualités d'nn administra-
teur habile et probe. Quand nous aurons
mis un certain ordre extérieur dans eelte
l'éllnion d'adoleseentset dejeuncshommes;
quand nous les aurons partagés en plu-
sieors groupes, seJon leor age et leurs
besoins, et réglé la distribution de leurs
journées ; qU3nd nous aurons pl'éposé a
toutes les subdivisions, a tous les détails
de la vie scolaire, une hiéral'chie dé
lnaitres et d' employés de tous les degrés;
quand nous aurons, par de sages l'egle-
ments, organisél'enseignement, ol'ganisé




- 65-
la surveillance, ol'ganisé les punitions,
croirons-nous donc avoir tout fait, avoir
fail beaucoup, avoil' fail quelque chose
poul' la véritahle éducation de ces enfants,
ainsi enl'égimentés, casernés, surveillés,
enseignés tout au plus, mais non pas éle-
vés, éc1ail'és, améliorés , fOl'més, comme
ils ont besoin, comme ils ont droit de
l' etre?' Est-ce que l' esprit, les mreul's, le
creur avec ses bons et ses mauvais pe n-
chants, le caractel'e avec ses inégalités el
ses vicissitudes, la piété avec sa délicate
el intime intluence, sont choses qui s'ad-
ministrent, qui s'enseignent, qui se dil'i-
gent avec des reglements, des rapports
officiels, des formalités de hureau? -Je
vois le corps; oit esl l' ame? oit est le prín-
cipe de vie? Je vois une administralion
bien organisée; oil est l'éducation bien
faite? J e vois un fOllclionnaire estimable;
oil est le pere ?


Non, Messieul's, l'édllcation n'esl util~,
n'est réelle, qu'il la condition d'agir indi-


6.




- 66-
-viduellement , non-senlement sur chacun
des enfants, mais sur chacune de leurs
actions, de leurs facultés, achaque in-
stant de la journée. L'organisation régn-
liere du service, une sage direction de
l' ensemble l sont choses excellentes, indis-
pensables, mais insuffisantes. L'édacation
n'est pas la, discipline ni l'enseignemeIJt;
elle ne se fait point par des cours de mo-
rale, de politesse, de religion meme, mais
par les rapports journa1iers, continucls,


- des éleves avec leurs maitres, par les avis
personnels, les observations de détail, les
encouragements, les reproches, les le90ns
de tous genre¡¡ auxquels donnent líeu ces
rapports non interrompus. Ainsi se fait-
elle dans la famHle; et il n'en peut etrc
autrement dans le collége. 01', commclJt
remplirons-nous nos devoirs, aind COffi-
pris, si Dotre crenr De noas porte vers
ces enfants, De nous retient pres d'eux
el eux pres de nous? POllr cultiver ainsi
tuutes ces jculles 'plantes, une a une, avec




- 61-
1'Ilssiduité que réelllme leur faiblesse,
f1e faut-il point s'étre épris d'nne pure el
saillte Iltl'ection pour elles, se faire un plai-
sir, un booheur de voir peu a peu leurs
freles tiges s'atl'ermir, leur feuillage ver ..
dir, d'assister a l'épanouissement de lenrs
f1el1rs, a la maturation de leurs fruits? Ne
fauL-i1 pas se eomplaire dans la délicaLcsse
de leurs nnanees, daos la suavité de leurs
paI'Íums? Ne faut-il pas aimer les enfants
pour les élever ?


Quand on les aime, on fait" plus pour
eux , je viens de le dire : j'ajoule, on fait
micl1x, avee plus de sueces el de fruit.
Pourquoi cela? paree que les paroles et les
aclions inspirées par une affection véri-
table portent avee elles-mémes une vertu
spéciale, pénétrallte, irrésistible. Qui nc
connait les mystérieux etfets des sympll-
llIies qui uIlisscnl LonLes les ames humai-
nes, et les funt réagir si viven~ent les unes
sur les autres ? Ce qui part des sen s va aux




- 68-
sens; ce qui procede de la volonté excite
la volonté ; un esprit lumineux fait rayon-
ner la lumiere dans un autre esprit : ce
qui vient du creur va au creur, le remue, le
gagne, le captive. Un maitre qui aime peut
inslrllire; son all'ection, au.tant et plus qne
son talent, répand des charmes sllr les
)e~ons les plus arides, excite el soulient
l'attention d'une jeunesse volage, et fait
pénélrer l'enseignement dans ces lendres
intclligences. Un maitre qui aime peut
avertir et cooseiller; l'amour qui respire
daos ses paroles leur donne plus de grace
et de force; on re~oit ses avis comlDe des
faveurs, on les suit comme des oracles.
Un mailre qlli aime pent reprendre et pu-
nir, si l'ordre général on le bien parliclI-
líer dn cOllpa~le l' exigent; cal' dans sa
sévérilé meme on ne sent ni l'empOl'le-
menl, ni la prévention, ni l'aigreur, on
ne soup~onne meme pas l'illjustice, et
l' éleve, qlland il a du creur, est plus raché'
d'avoir contristé une persl,mue dont iI se




- 6fJ-
sent aimé que dn chatiment qu'i1 s'esl
auiré. e'cst surtout an maitre qui aime
'1u'on peut appliquer ceHe belle parole de
sainl Angustin: Ama, et rae quod vis. Aimez,
et faites ce que vous voudrez; ce que vous
ferez sera bien fail; ce que vous direz-sera
bien accueilli; ce que vous désirerez sera
accompli; aimez, et vous serez tout-puis-
sant : l'amour, qui vous fera surmonter
les obstacles qu'opposerait votre faiblesse
a l'accomplissement de vos nombreux de-
voirs, aplanira beaucoup aussi ceux que
peuventvous susciter la l~gereté d'esprit,
la pélulance de caractere, la dureté meme
de creur de vos éleves.


Parlerai-je de ces rapports plus inlimes
que la piété établit, je ne dis plus entre le
maitl'e el le disciple, mais entre le pretre
el le chrétien , entre le ministre de Dien el
l'enfant de Dieu? 11 est trop évident que
la surtout le creur exel'ce un immense em-
pire et peut. l'exercer seul; il est trop é~i·
dent que celte dil'cction religieuse, sans




- 70 -
laquclle l'éducation n'effleurerait que la
superficie de l'ame, demande par excel-
lence des hommes alÍ creur bon , sensible,
afl'ectueux , miséricordieux, dignes de re-
présenter Celui dont lá religion a pour base
et pour couroonemenl l'amour le plus su-
blime et le plus puro


Et daos le fond, Messiel1fS, attribuer
au crel1r le premier rang et la plus large
par" dans l'éducation, n'est-ce point tout
simplement appliquet' a ce snjet particu-
Her le principe général de la morale chré-
tienDe? Pourriolls-DOUS oublier la touchante
et inémorable parole de nolre premier et
uDique Maltre, ou n'en pas voir le rapport
avec la q~esHon qui nous occupe '! -
Quel est le grand commandement de la
loi? .... Les sages ont son vent hésité sur
la solution de cet important probleme;
ils ont tour a tour interrogé toutes les fa-
cultés humaines, analysé tous les mobiles
de DOS' actions, pour chereher une base
rationnelle de la moralité , pOUI' choisir la




-71-
premiere piel're sur laquelle ils pussent
élever l' Mifice de leurs doctrines; mais iI
n'y a plus d'hésitation pour un chrétien
qui a entendu et compris le grand mot :
DILlGES, vous aimerez ..... Ainsi, en matiere
d'éducation, tandis que de froids péda-
dogues exposent de stériles théories sur
une question dont ils ne comprenDent pas
m~me les él~ments, le maitre vraiment
chrétien trouve son systeme tout fait ,sa
doctrine toute formulée, ses devoirs neUe-
ment tracés dans un seul mot: Vous aime-
rez, DILlGRS. Et lorsque, ranimant dans la
méditation et la priere son ame fatiguée,
il recherche devant Dieu quelles vertns il
doit surtont cultiver en lui-meme, ponr
mieux répondre a sa haute mission, tou-
jllurs iI entend sortir du sanctuaire de sa
conscience cette voie donce et péné-
tranl.e : Ditiges. Aimez ces enfanfs; com-
baltez sans relache l'indifl'érence, la lassi-
tude, les dégouts que leurs fautes el leurs
défauts excitent si aisément; saos fermer




- 72-
les yeux sur ces défauts, puisque vous les
devez corriger , ni sur ces Cautes, puisquc
souvenL vous les dcvez puni!', pensez allssi
a tout ce que ces enfants ont généralemenL
de qualités aimables eL dignes de "otre
intéret ; voyez l'innocence qui brille sur
leur visage flenri eL JeU\' front serein; la
naIveté de lenrs aveux; la sincérité de
leur repelltir, quoique si peu durable; la
beauté de lellrs résolutions, quoique sitOt
violées; la générosité de leurs efforLs,
quoique rarement soulenus; sachez-Ienr
gré du peu de bien qll'ils font, et de tont le
mal qu'ils ne ront pas; quels qu'ils soient,
enfin, eL qUDi qu'ils fassent, continuez a
les aimer, tant qu'i1s sont avec vous,puis-
que c'est le seul moyen de travailler avec
fruit a leur réfol'me. Aimez-Ies tous égale-"
m.ent; point de proscrits, et point de favo-
ris! Ou plutot que Lous puissent se croire
favoris et privilégiés , en recevant des té-
moignages individuels de votre affection!
Qui vous les a confiés, ces enfants? Diel!




- 73-
et leurs familles: Dieu est tout amour pour
les bommes, et quiconque gouverne en soo
nom doit imiter sa providence et partager
son amour; les peres el les meres de ees
enfants: igoorez-vous que toutc leur ame
est, pour ainsi di re , daos leur creur, el
que leur creur est un foyer ioépuisable
d'amour1. .... Au Dom de Dieu et des fa-
milles, aimez done ces enfants; et alors
seulement vous screz dignes, vous serez
capables de les élever.


A qui est-ce que je dis ces choses? - A
moi-meme, Messieurs; a moi d'abord,
paree que celui qui a plus a faire daos une
maison d'éducation, celui qui a plus a ré-
pondre devant Dieu, et dcvanl les familles,
et devant la société enliere, doil s'exciler
sans cesse a aimer davantage, afio de remo
plir plus complétement ses devoirs, el
d'alléger sa redoutable responsabilité. J e
le dis a tous ceux qui parlagent avec moi
ces travaux, el clonL le creurs'est toujours


7




-74-
ouvert si volonliers a ces généreux senti-
ments. Mais pourquoi le répéter id? Pour-
fluoÍ développer devant les élevfls et de-
vant leurs parents une vérité qui ne rap-
pelle aux premiers aucun devoir, el que
les seconds sentent beaucoup mieux que
Hons encore? Pourqnoi , Messieurs? e'est
paree que la bouche parle de l'abondance
du ereur; e'est que, quand le retour de
ceUe fete des familles me fournitl'occasion
de parler devant elles, je choisis simple-
lIlent quelque pensée qui m'ait oecupé plus
souvent et plus vivement. Or, quoique je
n'aie jamais méconnu, grace a Dieu, la
grande part du creur dans rédueation
(ccux qui veulent bien se souvenir des pa-
roles prononcées dans· DOS précédentes
soleDnités y retrouveroDt sans peine les
memes vues et les memes tendances),
pourtaot, je l'avoue, plus les années ajou-
tent a notre expérience, plus elles forti-
fient nos eonvictions sur ceUe vérité fon-
damentale. Quand nous vinmes , il Y a




- 75 ---


sept ans 11 peine, au milien de eette so-
litude et de ces ruines sileneieuses, re-
prendre, saus une forme nOllvdJc, rreuvro
fondée en ces memes lieux , il Y a scpt Oll
huit siccles, par de vénérables religieux ,
nous ouvrimes eerlainement notre creur ,
en meme ,temps qu'un nouvel asile, aux
premiers éleves de Sainl-Vincent; peut-
Ctre cependant étions-nous portés alor8 ¡l
nous défier davantage des impulsions du
ereur ; peut-etre nous croyions-nous obli-
gés de gouverner le petit peuple gUI com-
men~ait 11 se former, et promettait de se
multiplier bientot , pIutot a vcc le frein de
la raison et d'une autorité solidement éta-
hIie, fermement maintenue, sagement tem-
pérée, qu'avcc les ressonrces de l'amour_
Mais 11 peine fUmes-nous en présence de
ces chers enfants que nous sentImes no"
idées incomplHcs se perfeclionner et S't;- __
tendre; notre creor s'attacha vivemcnt 4,("
cette famille adoptive; nous nous rimes 1"'1'
besoin aot.ant qo'on devoir de fondre nolre


\-




- 76 -
vie dans leur vie, notre ame daos Ieur
ame, et nous comprimes que c'était 'le
seuI moyen de Ieur etre utile. Saos doute
aussi les rapports fréquents et intimes que
naus nous sommes plu 11 entretenir avec
les parents de nos éliwes durent nous eOB-
firmer bien vite dans ces eonvictions. 11
esl difficile de voir et d'entendre un pere
el une mere, de parler avec eux de leurs
enfants, sans partager Ieur tendre alfec-
tion, sans entrer profoodément et cordia-
lement daos les vreux, les craintes et les
espérances de leur admirable amour! Et
aiosi Dieu permít que les lieos qui nous
aHacheot 11 ces enfants devinssent toujours
plus étroits et plus fermes; et cqaque jour
ils se resserrent et s'alfermissent encore,
¿I mesure que nous voyons s'augmenter le
nombre de nos éleves, el en meme tcmps
leur docilité, leur piété, Ieur confianee,
el eet amour filial qui esl pour nous la plus
douce réeompense de l' amour paternel que
noos leur avons voué.




- 77 -


Qu'elle croisse done eette famille bien-
uimée, puisque ainsi semble le vouloir une
honorable eonfianee, dont DOUS reeevons
chaque jour de plus nombreux témoigna-
ges; qu'elle se multiplie avec les bénédie-
tions du Cie} , d'ou dépend ici-bas ,tout.e
prospérité, et remplisse ces enceintes nou-
velles, qui s' élargissent avec nos creurs ,
en marquant pour l'avenir la limite extreme
de nos vreux! L'année qui vient de s'écou-
ler a été pour nous, sous tous les rapports~
une année de calme, de eODsolation el d'es-
péranees. La sévérité que nous avons ap-
portée dans les épreuves littéraires qui
I'ont close, et dont eette distribution meme
vous offrira quelques traces, pourrait faire
penser que DOUS aVODS été moins satisfaits
du travail. Nous devons dire, au contraire,
pour etre justes, qUj:) la plupart de ces
jeunes éleves ont déployé plus d'ardeur
et d'émulation que jamais; mais la haute
faveur par laquelle l'Université a consolidé
l'existenee d'un établissemenl ou elle a Vll




-- 78 .-
ses sages inlentions loyalement eomprises
nous donnait le droit et nous imposait 1('
devoir de DOUS montrer plus exigeants sur
les études, quaDd bien meme nous n'y
serions pas déterminés déja par le véritablc
intéret des enfants dont l'instruction nous
est confiée. Amis 'sinceres et dévoués de
nos éleves et de leurs parents, nous ne
sommesles flatteurs ni des uns ni desautres;
HOUS ne nous flattons pas nous-memes; et.
toujours nous dirons a vee franehise, nOllS
ferons sans hésitation ce que nous dictera
Ja vérité, ce que le bien de nos é/eves de-
mandera de nous.


Malgré les doutes et les inquiétudes que
ces paroles peuvent laisser dans vos es-
prits, mes chers enfants, aHez joyeuse-
ment uu milieu de vos familles gouter les
doueeurs de la liberté et les douceurs
plus intimes des affeetions domestiques.
Préparez.vol1s par le repos, et mieux en-
core par un peu de tra vail, faeilement
conciliable avec les plaisirs des vacunces ,




- 79-
a soutenir les lulles que le nombre et la
force des eoncurrents, lesjustes exigences
de vos maitres, rendront ehaque année
plus diffieiles. Il est bon que vous appre-
niez a eonnaitre les obstacles; il est bon
que des examens séveres et des éehecs
meme vous préparent aux épreuves plus
importantes que vous rencontrerez, au
sortir de eette maison, achaque pas de
votre earriere; il est bon que vous fas-
siez) en toute matiere, l'apprentissage de
la vie. lei, du moins) toutes ces lutles
sont fraternelles, toutes les défaites sont
réparables .. Et tous ) vainqueurs et vain-
cus, beureux et malheureux, pourvu que
tous vous monlriez du courage ) vous eles
surs de rencontrer dan s vos juges) e'est-
a-dire dans vos maitres, des sympatbies
bien sinceres, un amour bien cordial.
Vous eles aimés, vous le serez toujours de
plus en plus, paree que vous vous en ren-
drez de IJ]llS en plus dignes. Que eette
eonvietion vous eneourage, adoucisse




- 80-
toules vos peines, stimule vos efforts; el
n'oubliez pas ? en vaeanees eomme dans le
eollége, que plus on est aimé, plus on doit
aimer. Vos parents, eomme vos maitres,
attenden t pour récompense de leur amour,
pour témoignage du vótre , cetle docilité,
eette aménité, ces habitudes bienveiJ-
lantes, ces bonnes qualités de l'esprit et
du cQ)ur qui doivenl etre le fruit d'une
éducation dominée par l'amour.


FIN.