ESSAIS IU .. L'HISTOIB.B DE FRANCE. IMPRIMElIE DE JUDENNB, Rue du Rampad...
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ESSAIS
IU .. L'HISTOIB.B


DE FRANCE.




IMPRIMEl\IE DE JUDENNB,
Rue du Rampad des Moinclf, 19.




--,


VIf¡-~~t':J.. ~rv ;< ~~ ESSAIS SUB. L'aISTOII\JI


il
....


")


DE FRANCE,
PAR M. GUIZOT,


MEMBRE DE L~INSTITUT,
'B.OFEBSEUR n'RISTOIRE MODERNE A. J.t ACA.DÉ!IIE DE PÁIlIS;


POUR SERVIR DE COMPLÉMENT
AUX


OBSEBVATIONB SUB L'HISTOIBE DE PBANOE,
DE L'ABEÉ DE MABLY.


ouvn.4.ClI ADOPTÉ. l'AH Ut CON8BlL ROYAL JlB L'nU'rBUCTJ01'l' l'OBLl'lUl!i.


QUATRIEME ÉDITION.
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TOME l. '~é>
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SOCIÉTÉ BELGE DE LIBRAIRIE, ETC.
HAUMAN, CATTOIR ET C-.


18~7.






PRÉFACE
DE LA PREMI:ERE EDITION.


--


Je n'ai pos voulu donner a cet ouvrage une forme plus 8yS-
témBtique ni un autre titre que celui d' Essais : eependant on
y reconnaitrB, je pense, une marche progressive et quelque
unité.


La France n'est entrée dBns la carriere de la liberté politique
qu'Bl'res Bvoir fait des progres immonses dans celle de la
eivilisation; en Angleterre un gouvernement libre est né du
sein de la barbarie. C'cst la le grand fait qui distingue pro-
fondément les deu~ peuples, qui inlluera long-temps ene ore
sur leur coractere et leur destiuée , et que j'ai entrepris d'ex-
pliquer.


A mon avis, au commencement du XIV' siecle, ce fait était
déeidé sans retour; e'est done dan s les temps antérieurs a
ectte époque que j' en ai reeherché les causes. Je me suis
arrllté au moment oa fai vu les deux peuples définitivement
engagés dan s les routes diverses qu'ils devaient suivre jusqu'a
l'une de ceo erises quí changent, non seulement les institutions
politiques, mais la,nature mllme de l'état social. La France
a subí de nos JOUla ce prodigieux bouleversement; l' Angle-
terre, malgré les révolutions qu'elle a traversées, marche
encore dans les voies oa elle entra quand son parlement fut
fondé.


Bien donc que la formation de la soeiété et du gouvcrne-
ment , danorun et I'autre payo, soit la limite ou se renferment
ces Essais , on y trouvera , si je ne m'abuse , le secret de leur
.lestinée politique jusqu'aux temps modernes; c'est la ce que
j'ai cherché et cru découvrir daos ce champ aiosi restreint.


1.




vj PRÉFACE DE LA PREMltRE ÉDITION.
Pour bien compreDdre l'histoire des peuples, il faut s'asseoir
long-temps anpres de leur berceau et les suivre pas a pas a leur
entrée dans la carriere; UD momeD t arrive ou i1s marchent
enfin , san. hésitation ni détour, dans la direction qu'i1s
ont adoptée. C'est ce terme décisif, du moíDs pour des
siecles, que j'ai tenté de rccoDuaare et qui fait la borne de
mOD travail.


ED publiaut, en meme tcmps que ces Essais, une Douvelle
édítíou des Observa/ions sur r Histoire de France de l'abbé de
Mably, je ne me suís poíDt propasé de relever minutieusement
toutes leserreurs de ce dernier ouvrage. Malgré ces erreurs.
aucun autre éerivain, a tout prendre , n'a plus souvent démélé
ou entrevu la vérité. L'abbé de Mably ne voulut pas dODDer 11
sonlivre le titre pompeux d' Hi.toú'e du goufJernel1lcnt franpais,
et il eut raísoD; c'est pourtant celuí ou cette histoire est
exposée de la fil90n la plus complete et la plus satísfaisante. La
réimpression m'en a donc paru utile , surtout pour les jeunes
geDs qui veuleDt étudicr sérieusement l'histoire politique de
leur pays. D'ailleurs une édition correcte et soignée des
Observations sur l' !listaire de Franco manquait jusqu'it pré-
sent. Des notes placécs au bas des pages de I'ouvmge de Mably
renvoient le Iecteur a mes Essais toutes les fois qu'au sujet de
questioDs importantes j'ai cru devoir adopter un avis différent
du sien.


Le moment est venu de considérer avec la plus entiere
impartialité ces vieux temps de la vie de notre France, car
nous en pouvons beaucoup apprendre et n'avons plus rien 11
démeler avec eux. Ce qui s'est passé dll nos jours ne nous a
point rendus étrangers aux souvenirs de la patrie; Icur
étude demeure toujours pleine d'intéret j et pourtant rien
n'y gene plus le désintéressement de la pensée, car ce n'est
point la que résident maintenant la solution des questions
qui nous agitent ni le fondement des droits qui nous sont
chers.




s===================================~.,.


A VERTISSEMENT i "" I ~ .~'
'\?':t/., __ ,~y~ /


DE ·LA SECONDE EDITION. ',: f¡¡' "'"f
--:.......-


Je n'ai rien changé a cet ouvrage; l'étude des
siecles postérieurs a ceux qui en sont l'objet n'a fait
que confirmer, a mes yeux du moins, les résu1tats
qu'il contient. Plusieurs des questiuns que j'y ai
traitées auraient pu donner lieu it de nouveaux dé-
veloppemens; j'ai recueilli, si je ne m'abuse, de
quoi répondre aux objections qu'ont rencontrées
quelques-unes de mes idées; mais de si minutieux
débats sont de peu d'intéret pour le public; ¡Is au-
raient grossi sans nécessité un livre déjit bien long
pour des temps si luill de nous; je n'ai pas cru de-
voir y entrer. e' est un devoir, en 'pareille maliere
de regarder de pres aux plus petits détails, et toutes
les questions ont leur importance, toutes les re-
cherches leur valeur; je me suis efforcé de ne ja-
mais l'oublier. Mais quand on veut arriver, sur le
caractere d'une époque, a des conclusions géné-
rales, etfaire connaitre, a d'autres qu'a desérudits,
le développement progressif d'une société et de son
gouvernement, il faut supprimer une bonne part
de cet échafaudage. J'ai peine a croire qu'on me
reproche de n'avoir pas laissé subsister, a l'appui
de mes assertions ou de mes conjcctures, assez de




viij AVERTISSEMENT DE LA BECONOE l!:DlTIOII.
preuves et de citations. De légeres modifications
dans quelques phrases et l'addition de quelques
textes sont done les seuls changemens qui distin-
guent cette édition de la premie re ; et le dé sir d' oter,
a ee sujet, toute incertítude aux personnes aux
mains desqueIles celle-ci a pu tomber, est le seul
motif de cet avertissement (1).


(1) Cette quatrieme édition, sauf quelques changemens de
mots , est conforme aux trois premieres.




ESSAIS
8UII.


L'HISTOIRE DE FRANCE.


PREMIERESSAI.


DU RÉGII!lE MUNICIPA.L DAIIS L'EMPIIIE ROMAIN, AU CINQUIEME
8IÉCLE DE L'ERE CBRÉTIENNE , LORS DE LA GRANDE INVASION
DES GERMAINS EN OCCIDENT.


La chute de l'empire romain en Occident offre
un phénomene singulier. Non-seulement la nation
ne soutient pas le gouvernement dans sa luite
contre les barbares, mais la nation, abandonnée a
elle-meme, ne ten te , pour son propre compte,
aucune résistance. II y a plus: rien, dans ce long:
débat, ne révele qu'une nation existe; a peine
est-il question de ce qu'elle souffre; eIJe subit tous
les fléaux de la guerre, du pillage, de la famine ,
un changement complet de destinée et d'état, salls
agir , san s parler, sans paraitre.


Ce phénomene n'est pas seulement singulier; il
est salla exemple. Le despotisme a régné ailleurs
que [dans l'empire romain; plus d'une fois I'inva-
sion étrangére et la conquete ont dévasté des pays


TOllF L




DU RÉGIME 1Il1J1'IIClPAL
qu'a\'ait opprimés un long despotisme. La méme
ou la nation n'a pas résisté, son existence se mani-
feste de quelque falt0n dans l'histoire j elle souffre ,
se plaint, et, malgré son a\'ilissement, se débat
. contre son malheur; des réeits, des monumens
attestent ce qu'elle a éprou\'é, ce qu'elle est de-
venue, et sinon ce qu'elIe a fait, du moins ce qu'on
a fait d'elle.


Au cinquieme siecle, les débris des légions ro-
maines disputent a des hordes de bar Lares l'im-
mense territoire de l'empire, mais il seruLle que
ce territoire soit un désert. Les soldats de l'empire
éloignés ou \'aincus, il u'est plus question de per-
sonne ni de rien. Les peuplades Larbares s'arra-
chent successivement les provinces. A cóté d'eIles ,
une seule existen ce se ré\'ele dans les faits, celle
des évequcs et du clergé. Si les lois n'étaient la pour
nous apprendre qu'une population romaine cou-
vrait encore le sol, l'histoire nous en laisserait
douter.


C'est surtout dans les provinces soumises depuis
long-temps it Rome, et 011 hi. eivilisation est plus
avancée, que le peuple a ainsi disparu. On regarde
comme un monument de la mollesse des sujets de
l'empire, la lettre des Bretons ( gemitus Brittonum)
implorant avec larmes l'assistance d'Aetius et I'en-
voi d'une légion (1). Cela est injuste. Les Bretons,


(1) «D'nn cOté, disent-ils, les barbares nons ponssent vers
la J!'er, de l'autre, fa mer nous repousse vers les barbares;




DANS L'I!IlPIBE ROlllAIII. 3
moios civilisés, moins romaios que les autres su-
jets de Rome, ont résisté aux Saxons, et leur ré-
sistance a une histoire. A la meme époque, dans
la meme situation, les Italiens. les Gaulois·, les
EspagnoJs n'en ont point. L'empire s'est retiré de
leur pays, les barbares ront occupé, sans que la
masse des habitans ait joué ]e moindre role, ait
marqué en rien sa place dans les évéoemens qui la
livl'aient a tant de fléaux.


Cependant la GauJe, l'ltalie, I'Espagne, étaient
couvertes de villes nagueres riches et peuplées. La
civilisation s'y était développée avec éclat. Les
routes, les aqueducs, les cirques, les écoles y
abondaient. Rien n'y ruanquait de ce qui atteste
]a richesse et procure aux peuples une existence
brillante et animée. Les iuvasions des barbares ve-
naient piller toutes ces richesses, disperser toutes
ces réunions, détruire. tOU8 ces p]aisirs. Jamais
l'existence d'une nation ne fut plus comp]ctement
bouleversée, jamais les individus n'eurent plus de
maux a endurer et de craintes a concevoir. D'ou
vient que ces nations sont muettes et mortes? Pour-
quoi tant de villes saccagées, tant de situations
changées, tant de carrieres interrompues, tant de
propriétaires dépossédés oot-ils laissé si peu de
traces, je ne dis pas de ]enr résistance active, mais
seulement de leurs doulenrs ?


nous n'avons d'autre alternativa que ceHe de périr par I'épée
ou par les fiots .• BimB, Dist. eceles. lib. IJ, cap. XIII.




4 DU RÉGIME MUNICIHL
On allegue le despotisme du gouvernement im-


périal, l'avilissement des peuples, l'apathie pro-
fonde qui s'était emparée de lous les sujets. 00 a
raison. C'est la en effet la grande cause d'un fait
si étrange. Mais e'est peu d'élloneer ainsi, d'une
fal(on généralc, une cause qui ailleurs, la meme
en apparenee, n'a pas produit les memcs résultats.
Il faut pénétrer plus a ,ant dans l'état de la so cié té
romainc, telle que le despotisme l'avait faite. n
faut rechercher par qllels moyens il lui avait en-
levé a ce point toute consistance et toute vie. Le
despotisme peut revetir des forme.s tres diverses
et s'exereer par des procédés qui donnent a son
action une tout autre énergie, a ses conséquenees
une bien plus grande portée.


Le grand fait qu'avait entrainé le systeme du
despotisme impérial, et qui explique seulle phé-
Ilomene dont je m'occupe, c'est la dissolution, la
destruction, la disparition de la classe moyenno
dans le monde romain. A l'arrivée des barbares,
cetto classe n'cxistait plus. CJest pourquoi il n'y
avait plus de nation.


Cet anéantissement de la classe moyenne fut
surtout pe résultat d'un régime municipal qui
l'avait rendue a ]a fois l'instrument et ]a victima
du despotismo impériaI. Toutes les batteries de
ce despotisme fment dirigées contre eette c1asse,
et ce fut dans le régime municipal qu'il l'empri-
sonna pour l'asservir, la hriser, la dissoudre, lui en-
levertoute vie politique, et détruire ainsi la nation.




DANS L'EIIlPIRE ROlllAIN.


Un tel fail mérite bien d'etre étudié. SeuI i1 ex-
plique la prodigieuse facilité des invasions des bar-
bares, et permet de comprendre l'état social qui
Ieur sueeéda. Qui ne connait pas l'organisation du
régime munipal a. eette époque et ses elfets néees-
saires sur la société, ne peut rendre raison des pre-
miers sieeles de notre histoire.


Je rappellerai sommairement Comment s'était
établi et développé le régime municipal dans le
monde romain.


l.


L'hisloíre du régime municipal dans le monde
romain olfre troís époques bien distinctes, et mar-
quées par de véritables révolutions dans la consti-
tulion et l' existen ce des cités.


La premie re époque s'étend jusqu'au premier
siecle de l'empire; la seconde, jusqu'au regne de
Cons\antin; la troisieme, jusqn'a la chute de l'em-
pire en Occident, et jusqu'a Léon-Ie-Philosophe en
Oriento (Ánn. 886.)


Premiere ÉpOqU6.


On sait que les Romains, adoptant dan s leurs
conquetes un systeme différent de eelui de la plu-
part des peuples aneiens, n'eurent garde d'exter-
miner ni de réduire en servitude les natíons vaill-
cues.




6 DU RÉGIIIE MUNICIPAL
Cette différenee provint, je erois, de la situation


·ou se trouvaient la plupart des populations voisines
auxquelles Rome fit d'abord la guerreo Elles étaient
réunies dans des villes, et non dispersées dans les
eampagnes. Elles formaient des corpa de cité, eulti-
vant et gouvernant un territoire d'une eertaine éten-
due. Ces cités étaient en grand nombre et indépen-
dantes. On détruit ou on asservit assez aisément une
nalion disséminée dans les champs qu'elle exploite.
Cela est plus diffieile et moins profitable quand cette
nation s'es! renfermée dan s des murailles, et a déjit
pris la eonsistanee d'un petit état.


D'ailleurs, les peuples asservis ou exterminés
dan s l'antiquité ront été presque toujours par des
conquérans qui eherehaient une patrie et s'éta-
blissaient sur le sol eonquis. Apres la guerre, les
Romains rentraient dalls Rome. L'asservissement
et l'extermination ne se font ni tout d'un eoup,
ni de loin. Il faut que les vainqueurs, toujours pré·
sens au mílieu des valneus, aient sans cesse it leur
disputerla riehesse, la libertéet la terreo


Quoi qu'il en soit. eeUe situation primitive des
Romains, au début de leurs conquetes, a exereé
sur le sort des pouples une influence décisive.


Dans l'origine, 11 ne parait pas que les Romains
'aient osé laisser, dans les villes vaineues, leurs
aneiens habitans. On dit que la violenee peupla
Rome de femmes. J.e meme proeédé lui donna de
nouveaux eitoyens. Les vaineus, emmenés aRome,
devenaient Romains comme les vainqueurs. La




ville conquise était occupée soít par des soldats,
soil par des hahitans ,ris aRome, dans la dernie-re
cJasse du peuple, et envoyés la pour former une
sorte de colonie.


La ville de Crere est la premiere qui, réunie a
Rome , ait conservé ses lois, ses magistrats, en re-
cevant, dll moios en pa'rtie, le droit de cité romaine.
Selon Tite-Live, l'an de Rome 365, un sénatus-
consulte ordonna ut cum Cmf'etibus publice hospi ..
lium fieret (1).


Ce systeme prévalut completement et se déve-
loppa. Les villes vaincues s'unirent a Rome en re··
cevant le droit de cité. Les unes, comme Crere, ne
re~urent, pour leura habitan s , que le titre de ci-
toyens romains, el conserverent d'ailleurs leur
sénat et leurs lois (2). D'autres furent admises dans
la cité romaine, mais sans obtenir le droit de suC-
frage dans les comices de Rome (3). Pour d'autres
enfin l'incorporation politique fut complete; Jeurs
habitans eurent droit de suffrage aRome comme
l • . Romains. Celles-cí sellles avaient a Rome une
tribu (4).


IJe droit de suffrage fut successivement accordé
a plusieurs des villes qui ne l'avaient pas requ
d'abord (IJ). Enfin toute l'Italie, apres la guerre des


(1) TIT. Llv.lib. v, cap. 1.
(2) Ibo'd. 1. XXIII, C. XXXVI; 1. VIII, c. XIV j lib. IX, C. VI,
(3) Ibid. lib. VIII, cap. XIV.


VII.


¡Jo?' (4) Ibid.lib. VIII, cap. XVII, XXXVII.
(5) Ibid. 1. xxxvm, c. XXXVI. VELL. P UERe. 1. 1, C. XI/¿:; ' •.


: .. _"




8 DU R~GIME HUNWIPAL
alliés, et bientót une portion de la Gaule méridio-
nale. re9urent le droit de cité romaíne dans toute
sa plénitude.


Les villes aínsi admises a tous les droits de la cité
romaine s'appelaient m1~nicipia. Lorsque toute l'Ita-
lie en fut investíe, les villes qui ne les avaient pas
pleinement possédés d'ahord conserverent assez
Iong-temps les noms de coloniw, prre{ecturw, etc.,
qu'elIes avaient relius dans l'origine; mais, en fait,
leur condition fut completement assimilée a celle
des anciens municipes (1).


Hors de l'ltalie, la condition des villes et des
pays conquis était encore fort diverse. L'histoire
nous montre colonire, les unes latines, les autres
romaines, populi liberi, civitates (wderatw, 1'eges
amici, prot'inciw. Ces dénominations indiquaient
des modes d'existence différens sous Ja dominatioll
de Rome, et divers degrés de dépendance. Ces dif-
férences disparurent successivement. Je nem'occupe
que des municipia.


Avant de conférer aUlle ville le pleíll droít de
cité romaine, on lui demandait si elle voulait Oti


,non le recevoir. Sur son consentement ou, suivant
l'expression légale, ubi {undus ei legi factus eral, la
concessioll avait lieu (2). En voici les principales
conséquences.


(1) CICEIl. pro Plancio, cap. \'111, IX. Voy. Frédéric ROTH,
de re lIIunicipaliRomanot'um, p. 7, noto XIV.


(2) TIT. J.IV. lib. IX, cap. XLIII. CICER. pro Balbo, cap. XIII.




DA.NS L'EMPIBE BOMAIN. 9
Alors se faisait, dans eette ville, la séparation


des droits, intérets et olfices municipaux, d'avec les
droits, intérets et olfices poli tiques. Les premiers
restaient attribués a la ville, et s'exerlJaient sur
les lieux et par les habitans, avec une entiere in-
dépendance. Les seconds étaient.$transportés a
Rorne, et ne pouvaient etre exercéf.';:{}ue dans ses
murs.


Ainsi le droit de faire la paix ou la guerre, de
porter des 101s, de lever des impóts, de rendre la
j ustice, cessait d'appartenir isolément au municipe;
mais ses citoyens les partageaient et les exer«(aient
dans Rome, avec les citoyens qui habitaient Rome.
lIs s'y rendaient pour voter dans les comices, soit
sur les lois, soit sur les llominations aux magistra-
tures; ils recherchaient et pouvaient obtenir toutes
Jes chargcs de I'État (1). La ville de Rome avait ce
privilége que les droits politiques ne pouvaient etre
exercésquedanssesmurs. Ses habitans n'en avaient
d'ailleurs aucun sur ceux des municipes.


Les droits , intérets et olfices, que nous appelons
aujourd'hui municipaux, et dont l'entiere dispo-
sition demeura dans chaque localité , ne sont nulle
part régulierement distingués et énumérés. A ce
degré de civiJisation, ni les gouvernans, ni les
gouvernés, n'éprouvent le besoin de tout prévoir,
de tout dénnir , de tout régler. On se tie au bon sens


(1) CleEll. pro Sulla , cap. VII. De lego agrar.lI, cap XXXIII.
-F. ROTB , de remunic. Rom., p. 14, noto XXVIII.


2.




10 DU a~GIME MUNICIPAL
des hommes et a la nature des choses. L'histoire
indique cependant les principales attributions qui
demeurerent locales. ]. Le culte, les cérémonies
et fetes religieuses. Non-seulement chaque ville
conserva, a ce sujet, ses anciens usages et une au-
torité indépendante, mais les luis romaines veille-
rent a cette CODservation et en firent meme un de-
voir. Chaque municipe garda done ses pretres, ses
flamines, ]e droit de les chosir et de régler tont ce
qui s'y rapportait (1). 2° Cbaque municipe garda
également l'administration de ses hiens et revenus
particuliers. En cessant d'etre une personne politi-
que, il demeurait personne civile. Les édifices pu-
blics, d'utilité ou d'agrément, les fetes, les jouissan-
ces locales et communes , toutcs les dépenses de ce
genre et tous les revenus qui devaient y pourvoir,
furent toujours des affaires absolument locales. Les
habitans nommaient les magitrats qui en étaient
chargés(2). 3° La police resta allssi, jusqu~a un cer-
tain point, du moins, entre les mains des magis-
trats locaux; ils étaient cbargés de veiller a la su-
reté intérieureet d'arreter provisoirement ceux qui
la troublaient. 4° Bien que le pouvoirjudiciaire eut
été retiré aux localités, on y rencontre cependant
quelques traces d'une juridiction assez semblable a
ce que nous appelons police municipale; le juge-
ment des contraventions auX. réglemens sur la salu-


(1) ROTR. de re munk Rom., p. 2\, DOt. XXXIY.
(2) [bid., p. 22, Dot. XXXYIU.




DANS L'EMPIRE BOIIAIN. 11
britépublique, sur les poids etmesures, sur la tenue·
des marché!, etc. (1).


Toutes ces affaires locales étaient régies soit par
des magistrats individuels nommés par les habitans,
soit par la curie de la ville oucollége des.décurions,
c'est-a-dire de tousles habitans possédant un revenu
territorial déterminé.


En général, la curie nommait les magistrats. On
en trouve cependant qui étaient nommés par la tota·
lité des habitans.


Du reste, a cette époque, et par une q¡Jnséquence
nécessaire de l'esclavage, il y avait peu d'hommes
libres qui n'entrassent pas dans la curie.


L'origine du mot decurio est incertaine. Les UDS
croient que c'était un dizainier, un petit chef pré-
posé a la tete de dix familles, comme le tythingman,
le tunginus, etc., des peuples germains. Les autres
pensent que decurio a voulu dire simplement mem-
bre de la cun·e. Ce dernier sens me paralt le plus
probable. Plus tard, les décurions furent appelés
curialeB (2).


TelIe etait, a la fin de la république, la eonstitu-
tion des municipes. Elleoffre pour résultats les faits
généraux suivans :.


lo. Tous les droits, tous les intérets, l'existence
politique tout entiere étaient centralisés. aRome,
non-seulement moralement el en droit, mais ma-


(1) Ibid. p. 24, noto XL.
(2) Roru. de ro munic. Rom. p. 65 , noto XXVII.




12. DU RiGIIlE IIlUIIICIPAL
tériellement et en fait. Dans les murs de Rome seule
se consommaient tous les actes du citoyen romain.


2°. Aucune centralisation de ce genre n'avait eu
lieu a l'égard de ce que nous appelons aujourd'hui
intérets administratifs. Chaque ville était demeu-
rée, sur ce point, isolée et distincte, réglant elle-
meme ses affaires, comme le ferait un simple parti-
culier.


3°, La nomination et la surveillance des magis-
trats chargés des affaires locales se consommaient
pleinement{~ur les lieux, sans intervention de I'au-
torité centrale, et par l'assembléedes principauxha-
bitans.


4°. Dans celte assemblée étaientadmis tous les ha-
bitans possédant un certain revenu. Tout indique
que peu d'hommes libres y étaient étrangers.


Deuxieme É'poque.


La séparation absolue de l'existence politique et
de l'existence locale, et l'impossibilité d'exercer les
droits politiques aillaurs que dans Rome meme, de-
vaient enlever aux villes leura princi'paux citoyens
et une bonne part de leur importance. Aussi, dans
l'époque que nous venons de parcourir, les intérets
purement locaux tenaient-ils fort peu de place.
Rome absorbait tout. L'indépendance laissée dans
tout ce qui ne se traitait pas aRome ou n'émanait
pas de Rome, provenait surtout de la nullité.


Lorsqu'a Rorne la liberté commen<}a a déchoir,




DAIIS L'EIIPIBE 11011&111.


l'abolition de l'activité politique des citoyens dut
en diminuer la concentration. Les hommes princi-
paux des municipes s'étaienwendus aRome pour
y participer, Boit dans les comlces, soit par les gran-
des fonctions publiques, au gouvernement du monde.
Quand les comices et les hautes magistratures n'eu-
rent plus a peu pres aucune influence dans ]e gou-
vernement, quand la vie politique s'éteignit daos
Roma avec le mouvement de la liberté, celte af-
fluence de tous les hommes considérables vers Rome
se ralentit. Cela convellait au despotisme naissant,
et il n'eut garde de s'y opposer. Ici, comme en toute
Qccasion, les conséquences nécessaires des faits gé-
néraux se révelent da liS des faits parlieuliers et po-
sitifs. Jusque-]a on n'avait pu faire aucun aete poli-


• tique ni donner son suffrage que dan s les mura de
Rome. Suétone nous apprend qu' Auguste aecorda
auxcitoyens d'un graod nombre demunicipes d'!ta-
tie le droit de donner leur suffrage sans sortir de
leur ville, et de l'envoyer cacheté aRome 011 ]edé-
pouillement s'en faisait dans les comices. Ainsi se
trahissaient a la fois les progres de l'indifférence pu-
blique, et ceux du pouvoir absolu.


Ces pro¡¡¡es furent rapides. BientOt les comiees
furent abA, comme il doit arriver a tous les si-
mu]acres. Toute libre intervention des eitoyens dans
le geuvernement disparut, et i] n'y eut plus, ni a
Rome, ni loin de Rome, auclln acte politiqueilfaire;
et comme le leurre du despotisme qui commeneeest
toujours d'offrir aux hommes les trompeurs avallta-




BU lIiGI1IIB KlJNICIPAL


ges d'une honteuse égalité, le droit de cité romaine
fut, presque a la meme époque, indistinctement ae-
cordé a tout le mond,e romain. Ce droit n'était plus
rien dans l'ordre politique; il ne eonférait done a
eeux qui le reeevaient aucune importallce réelle;
et cependaot ceUe concession, enlevait a ceux qu'elle
confoodait daos la foule, l'importance qui pOIlVait
ene ore leur rester. Il y a lieu de croire que cette
mesure fut plutot l'effet d'une spéeulation financiere,
que d'une savaote combinaison despotique. l'IIais le
despotisme, meme dans sa condllite la plus dénuée
de science, a des instinets qui ne le trompent point.
C'était d'ailleurs le cours des choses. JI faut que les
peuples avilis subissent leur destinéc. Tout ne doit
pas etre imputé aux maílres du troupeau;et lahaine
que mérite la tyrannie ne sauve point du mépris les
nations incapables de la liberté.


Cependant comme la dégradation etla ruine d'un
empire ne s'operent pas en un moment, ni d'un seul
coup, comme iI restait eucore dans le monde romain
des habitudes de liberté que le despotisme n'avait
eu ni le temps ni le besoin de détruire, iI fallait, a
cette disparition si complete des droits et de la vie
politiques, une sortede compensatiou. Elle résultait
naturellement du changement surveou. Une portion
de l'importanee qu'avait perdue Rome était retour-
née daos les municipes. Beaucoup de citoyens, plus
ou moins considérables, ne les quittaient plus. De-
venus étrangers au gouvernement de l'état, leur at-
tention se reportait d'elle-meme sur les affaires de




DA liS L'EIIPIBE- BOJlA.IN. 15
leor cité. Rien ne poussait encore le pouvoir central
a y descendre pour les ~nvahir. Les trésors de Rome,
les contributiollS ordinaires des provinces suflisaient
a sesbesoins, etméme a ses folies. La tyrannie éprou-
vait peu la nécessité de pénétrer partout, de s'orga-
niser en détail, et elle n'en possédait pas la science.
Le régime municipal conserva donc une assez grande
indépendance; il se constitua meme avec plus d6
régularité, et des droits plus positifs, plus étendus,
peut-Irtre, que ceux qu'il possédait auparavant.


C'est depuis 16 regne de Nerva jusqu'a celui de
Dioclétien que I'état des municipes se présente sous
ce nouvel aspecto


Un grand nombre de 10is ont pour objet d'ac-
croitre et d'assurer les propriétés et les revenus des
villes. Trajan leur perroit de recevoir des béritages
par voie de fidéi-commis (1). Bient6t elles furent au-
torisées a les recueillir directement (2). Adrien leur
accordale droit de recevoir des legs (3) ; iI ordonna
que tout administrateur qui détournerait les biens
d'une ville serait considéré comme co'upable, non
de vol simple, maia de péculat (4). Les revenus ordi-


(l) Sena"'s con,ullo Aproniano. ROTR. de re munic. Rom.,
p. 28, noto tll.


(2) !bid. noto L-r:!:.
(3) Ci~ittJlibuB omnibuB quCII 8ub imperio popo rom: sunl


legan potest, idque a D. NerfJa introduclum, postea a senatu,
auefore HA.Dl\UNO, diligentius eonstitutum esto ULPIAN, Frag.
lib. XXIV, cap. XXVIII.


(4) Lib. IV, § fin. Dig. ad.leg. Jul. pecul.




16
naires suffisaient communément a lenra dépenses,
et il n'était pas nécessaire de charger de nouveaux
impots les citoyens. L'état ne rejetait point sur les
cités les charges qui ne les concernaient pas direc-
tement. JI n'y avait qu'un tres petit nombre de ci-
toyens qui fussent exempts de ce qu'il y avait d'o-
néreux dans les devoirs mUllicipaux. Le menu penple
cOllcourait, par la main d'rnuvre, aux travaux pu-
blies qui illtéressaient chaque ville. La dignité des
décurions était reconnue et traitée ave e faveur.
Adrien les affranchit de la peine de mort, sauf daos
le cas de parricide (1). Le décuriollat était encore re-
cherché comme un honneur. Enfin ce qui atteste
l'importanee el l'extellsioll que prit, durant ceUe
époque, le régime municipal, e'est le nombre des
lois dont il fut I'objet, et l'attention partieuliere
que luí porterent les jurisconsultes. Évidemment,
. a défaut de droits et de garanties poli tiques, c'é-
tait dans le régime municipal qu'existaient el qu'on
cherchait a placer les droits et les garanties des ci-
toyens.


Troisieme Epoque.


11 faut bien dater les révolutions du jonr 00. eHes
éclatent; c'est la seuIe époque précise qu'on puisse
Ieur assignerj mais ce n'est pas celle 00. elles s'ope-
rento Les secousses qu'on appelle des révolutioIlS sont
bien moíns le symptome de ce qui commence que
la déclaration de ce qui s'est passé.


(1) Lib. xv, D. de pamis.




DJlNS L'EMPIRE ROMJlIN. 17
La crise du régime municipal, sons Constantin,


en est une prenve parmi tant d'autres.
Depuis Septime-Sévere, ]e.ponvoir central tom-


bait en ruine dans l'Empire romain; ses force s di-
minuaient en meme temps que croissaient ses charo
ges et ses dangers. Il fal1ait bien qu'il rejetat sur
d'autres ]es charges auxquelles iI ne pouvait plus
suffire, qu'il cherchat des forces nouvellescontre de
nouveaux dangers.


En meme temps se formait, dans le sein de la so-
ciété romaine, une nouve11e société, jeune, ardente,
unie dans des croyances fermes et fécondes, douée,
BU dedans, de príncipes tres propres a cimenter sa
constitutioll intérieure, et aussi d'une grande force
d'expansion au dehors. Je veux parler de la société
des .chrétiens.


e'est par raction de ces deux causes, d'ahord di-
visées, ensuite unies, que le régime municipal de
l'empire romain a dégénéré, s'es! dissous, ~t a fini
par n'etre plus qu'un principe de ruine, un instru-
ment d'oppression.


Le despotisme a ce vice, entre mme autres , que
son exigen ce croit dans la meme proportion que
décroissent ses morens. Plus iI s'affaiblit, plus iI a
besoio de s'exagérer. Plus il s'appauvrit, plus iI
faut qu'il dópense, En fait de force comme de rÍ-
chesse, la stérilité et la prodigalité lui sont éga-
lement imposées. La société, hommes et choses,
n'est, dans ses mains, qu'une matierc morte et
circonscrite qu'il dépense pour se soutenir, el dans


3




18 DU RÉGIME MUNICIPAL
laquelle i1 est contraint de pénétrer d'autant plus
avant qu'elle est déja plus épuisée, et qn'il esllui-
meme plus pres de tont perdre.


Le despotisme des emperenra romains vivait en
présence de trois dangers : les barbares, qui avan-
t;¡aient toujours et qu'il fallait vaincre ou acheter ;
la populace, qui augmentait toujours, et qu'il fal-
lait nourrir, amuser et contenir; les soldats, seule
force contre ce double péril, et force d'autant plus
périlJeuse elle-meme qu'il fallait l'étendre et lui
accorder chaque jour davantage.


CeUe situation imposait au despotisme des char-
ges immenses. Pour se procurer des ressources, il
fut contraint de créer une machine administrative,
capable de porter partout son action , et qui devint
elle-meme une chargc nouvene. Le systeme de
gouvernement qui comment;¡a sous Dioclétien et flnít
sous Honorius, n'avait d'autre objet que d'étendre
sur la société un réseau de fonctionnaires sans
cesse occupés a en extraire des richesses et des
forces pour aller ensuite les déposer entre les mains
de l'emperenr.


tes revenus des villes, comme ceux des partícu-
liers , étaient atteints par· ces exigences du pou-
voir. lis le furent bientót plus directement encore.
A diverses reprises, entre autres sous Constantin,
l'empereur s'empara d'un grand nombre de pro-
priétés municipales (1). Cependant les charges 10-


(1) ROT«. de fe munic. Rom. p. 33, noto unI.




DANS L'EMPIRE ROlllAIN. 19
cales, auxquelles ces propriétés devaient pourvoir ,
restaiellt les memes; il ya plus, elles allaient crois-
sant. Plus la populace devenait partout nombreuse
et disposée a la sédition, plus il falIait de dépclIses
pour la nourrir et l' amuser, et de forces pour la
contellir. Le pouvoir central, obéré lui·meme, re-
jetait d'ailleurs souvent sur les villes une part de
son fardeau. Or, toutes les fois que les revenus
propres d'un munícipe ne suffisaient pas a ses dé-
penses, la curie, c'est-a·dire le corps de tous les
cito yen s aisés, les décurions étaient tenus d'y pour-
voir sur leurs propriétés personnelles. Ils étaient
de plus, presque partout, percepteurs des impOts
publics, et responsables de cette perception ; leurs
biens propres suppléaient a l'insolvabilité des con-
tribuables envers l'état, comme a l'insuffisance des
revenus communaux.


La qualité de décurion devint ainsi une cause
de ruine. Leur condition fut la plus onéreuse de
toutes les conditions sociales. C'était celle de tous
les habitalls aisés de tous les munícipes de rEmpire.


Ce n'est pas tout. Des que la cOlldition de décu-
rion fut onéreuse ~ il Y eu t profit et ten dance a en
sortir. L'exemption des fonctions curiales devint
un privilége. Ce privilége reIJut une extension tou-
jours croissante. Les empereurs, qui tenaient en
lenrs mains la concession de toutes les dignités et
de tous les emplois publics, les conférerent aux
hommes el aux classes qu'ils avaient besoin de
s'aUacher. Ainsi naquit dans I'état, et commo un~.,




20 DU RÉGIME M1JNIGIPA.L
nécessité du despotisme, une classe immense de
privilégiés. A mesure que les revenus des villes di-
minuaient, leurs charges augmentaient et retom-
.baient sur les décurions. A mesure qu'augmentaient
les charges des décurions, le privilége venaH dimi-
nuer leur nombre.


n fallait cependant qu'il en restát assez pour
porter le fardeau imposé aux curies. De la ceHe
10ngue série de lois qui constitucnt chaque curie
en une prison dans laquelle les décurions sonl hé-
rétlitairement ellfermés; qui leur enlevent, en une
multitude de cas, la disposition de leurs biens, ou
meme en disposent, sans eux, au profit de la cu-
rie; qui les poursuivent a la campagne, a l'armée,
partout ou ils tentent de se réfugier, pour les ren-
dre a ces curies qu'ils veulent fuir; qui affectent
ellfin une classc immense de citoyens, leurs biens
comme leurs personnes, au ser vice public le plus
onéreux et le plus ingrat, comme on afrecte les
animaux a tel ou tel travail domestique.


Telle fut la place que le despotisme assigna enfin
au régime municipal; telle fut la coudition a la-
quelle les propriétaires des municipes furent ré-
duits par les lois.


Et tandís que le despotisme s'évertuait a resser-
rer les liens du régime municipal, et contraignait
les habitan s des villes a remplir, comme charges,
des fonctions qui jadis avaient été des droits, la
lieconde cause dont j'ai parlé, le christianismc,
travaillait a dépouiller et a dissoudre la société




DANS L'EMPIRE ROMAIN. 21
municipale, pour lui en substituer une autre.


Pendant pres de trois siecles, la société chré-
tienne se forma sourdement au milieu de la société
civile des Romains, et, pour ainsi dire, sous son
enveloppe. Ce fut, de tres bonne heure, une 80-
ciété véritable, qui avait ses chefs , ses lois, ses dé-
penses, ses revenus. Son organisation, d'abord
toute libre et fondée sur des liens purement volon-
taires et moraux, ne laissait pas d'etre forte. C'é-
tait alora la seule association qui procurat a ses
membres les joies de la vie intérieure; qui possé-
dat, dan s les idées el les sentimens qu'elle avait
pour base, de qlloi occuper les ames fortes, exer-
cer les imaginations actives, satisfaire en fin ces
hesoins de l'etre intellectuel el moral qua ni rop-
JJression ni le malheur ne pellvent élouffer com-
pletement dans tout un peuple. L'habitant d'un
municipe, devenu chrétien, cessait d'appartenir
a sa ville, pour entrer dans la société chrétienne
dont l'éveque était le chef. La seulement étaient
désormais sa pensée, ses affeetions, ses malLres et
ses freres. Aux besoills de eeUe assoeiation nou-
velle étaienl dévouées, s'il le fallait, sa forlune
comme son aetivité. La enfin se transportait en
qllclque sor te son existence moraJe tout entiere.


Lorsqu'llll tcl déplaeement s'est opéré dans
l'ordre moral, il ne tarde pas a se consommer aussi
dans l'ordre matériel. La conversion de Constantin
déclara, en fait, le triomphe de la soeiélé chré-
tienne el en accélél'3 le progreso Des-lors on vit la


3,




22 DU BÉGIME MUNICIPAL
puissance, lajuridiction, la richesse, affiuer vers les
églises et les éveques, comme vers les seuls points
autour desquels les hommes fussent d'eux-memes
disposés a se grouper, et quí exer~assent, sur toutes
les forces sociales, la ver tu de l'attraction. Ce ne
fut plus a sa ville, mais a son église, que le citoren
eut envie de donner ou de léguer ses biens. Ce ne
fut plus par la construction des cirques, des aqué-
ducs , mais par celle des temples chrétiens, que
l'homme riche éprouva le besoin de se recomman-
del' a l'affection publique. La paroisse prit la place
du munícipe. Le pouvoir central lui-meme, en-
trainé par le cours des choses auquel il venait de
s'assoeier, le seconda de tous ses morens. Les em-
pereups dépouillcrent les cornmunes d'une partia
de leurs biens, pour les donner aux églises (1), et
les magistrats municipaux d'une portion de leur
autorilé, pour en investir les éveques ('2). Des que
la victoíre fut aínsi avérée, les intlÍrets se joignirent
aux crorances pour grossir la société des vain-
queurs. Les clercs étaient exempts du poids des
fonctions municipales (3) : il fallut des lois pour
empecher tous les décurions de se faire clercs. Sans


(l) ROTO. de re muniv. Rom. p. 35, noto LXXV.
(2) Ibid. p. 47 , 48, noto CXIX, CU.
(3) • Jampridem sanximus ut catholic~ legis antistitcs et


clerici ... ad mUllera curialia minime devocentur.. (Cod.
Theod. lib. XVI, tito 11 , XI.) - « Curialibus muneribus atque
omni inquictudine civilillm functionum, exsortes cunetos
clericos csse oportet .• (Cod. TI.eod., lib. " , tito 11, 1. IX.




DANS L'EMPIRE ROIllAIN.


ces lois, la soeiété municipal e se serait complete-
ment dissoute. On avait besoin qu'elle subsistat pour
porter le fardeau auquel on l'avait condamnée; et
ron vit (chose étrange) les empereurs les plus favo-
rables a l'ordre ecclésiastique, les plus empressés
a étendre ses avantages, contraints de lutter en
meme temps contre la tendance qui portait les
hommes a sortir de toute autre association pour
entrer dans la seule ou ils pussent trouver aIors
honneur et sureté.


Voiei donc, a11 vrai, l'état des choses. Le despo-
tisme, poussé par ses propres néeessités, aggravait
san s cesse la condilion de la curie. Celle de l'église
s'élevait et s'améliorait sans cesse, soit par l'effet
des dispositions des peuples, soit par le concours du
despotisme luí-meme quí avait besoin de Fappui
du clergé. Il fallait done refouler sans eesse dans
la curie les décurions toujours avides d'en sortir.
Plus leur nombre diminuait, et plus ceux qui res-
taient, se trouvant ruinés, devenaie~t hors d'état
de porter le fardeau, plus iI fallait aggraver lellr
sort. Ainsi le mal naissait dumal; l'oppressíon assu-
raít la ruine en s'effor9ant de la retarder, et le
régime municipal, devenu, comme je l'ai dit, une
vraie geóle pour une cIasse de citoyens, allait se
détruisant chaque jour, et détruísant la classe qui y
était vouée.


Tel fut, quant ame municipes, le cours des éve-
nemens et des loisdepuisConslantin jusqu'it la chute
de l'empire en Oceident. En vain quelques empe-




24 DU BÉGUIE MUNICIPAL
reurs essayerent de relever les communes; en va in
J ulien leur rendít une partiedesbiens qu'elles avaient
déja perdus (1): ces alternatives de la législation de-
meurerent sans effet. Une nécessité fatale pesait sur
les municipes; et toutes les fois que, voyant le ré-
gime municipal pres de se dissoudre, on sentil le
besoin de le soutenir, on ne sut le faire qu'en re-
doublant l'énergie des causes qui le poussaient a sa
ruine. Ainsi procede forcément le despotisme endé-
cadence. On sacrifiaitchaque jour da~antage les mu-
nicipes a I'empire, les décurionsauxmunicipes. Les
formes extérieures de la liberté subsistaient encore
dans l'intérieur des curies, en ce qui touche l'élec-
tion des magistrats et I'administration des affairesde
la cité; maÍs ces formes étaient vaines, cal' les ci-
toyens, appelés a les animer par leUl' action, étaient
frappés a mort dans leur importance personnelle et
dan s leur fortune. e'est en cet éta~ de ruine malé-
rielle et d'anéantissement moral que les barbares,
en s'établissant sur le sol romain, trouverent les vil-
les, leurs magistrats etleurs habitans.


En Orient, l'agonie des municipes se prolongea
avec la durée de l'empire. Quelques empereurs
firent aussi, pour les relever, des tentatives sans
sueees; enfin les progres du despotisme central fu-
rent tels, et la vanité des formes de liberté devint


(1) • Liberalitatis ejus testimonia plurima sunt et verissirna,
¡nter qure vectigalia civitatibus l'estituta curn fundis quos
velut jure vendidere prreteritre potestates. D AMlllAN. ~IARcELL.
lib. xxv, cap. IV; ROTR. de re munic. Rom. p. 35, noto LXXIX,




DANS L'EIlPIRE ROM.!.I".


si évidente, que, vers ]a fin du IX· siecle, l'empe-
reur Léon , dit le Philosophe, abolit d'un seul coup
le régime municipal tout entier par le décret sui-
vant: • De meme que, dans les choses qui servent a
II l'usage de la vie commune, nous estimons celIes
• qui sont commodes et d'une utilité quelconque,
.. et nous méprisons celles qui ne sont d'aucune uti-
11 lité, ainsi nous devons faire a l'égard des loís;
• celles qui sont de quelque usage I qui procurent
n quelque bien a ]a république, doivent etre main-
• tenues et honorées; quant a celles dont le main-
• tien est racheux ou san s importance, non-seule-
.• ment il n'en faut tenir aucun compte , mais on
11 doit les rejeter du corps des lois. Or, nous disons
1I que, dans les lois anciennes rendues sur les cu-
1I ries et les décurions, il en est qui imposent aux
n décurions des charges intolérables, et conferent
11 aux curies le droit de nommer certains magistrats
1I et de gouverner les cités par leur propre autorité.
• Maintenant que les affaires civiles ont pris une au-
• tre forme, et que toutes choses dépendent unique-
» ment de la sollicitude et de l'administration de ]a
1I majesté impéria]e, ces lois errent, en quelque
• sorte, vainement et san s objet autour du sol ]é-
" gal; nous les abolissons dOlle par le présent dé-
)' cret.)) (Novel!. Leo. 46.) ))


Telles furcnt, durant cet intervalle de plus de
douze siecles qui s'écoula entre le trajté de Rome
avec Crere et ]c regne de Léon-Ie-Philosol'he, les
grandes révolutiolls du régime municipal dans lj'~';.~': .•


(:i'
t l) ~~~ftl-"




DU RÉGIME JlllNIClPAL


monde romain. On peut les caractériser en diaant
que, dans la premie re époque, le régime munici-
pal fut une liberté laissée en fait aux habitan s des
villes; dans la seconde, un droit légalement consti-
tué comme en indemnité de la perte des droits poli-
tiques; dans la troisieme, un fardeau imposé a une
certaine classe de citoyens.


Voilil l'histoire. Examinons maintellant, en dé-
tail, l'état du régíme municipal, dans la troisieme
époque, et son illfluence sur le sort des citoyens.


11.


Au commencement du VO siecle, Jes sujets de
l'empire étaient divisé s en troís dasses quíformaíent
trois conditions sociales bien distinctes: lo les privi-
légiés; 2° les curiales; 3° le menu peuple. Je nc
parle que des hommes libres.


La c1asse des privilégiés comprenait 1° les séna-
teurs et tous ceux qui avaient le droít de porter le
titre de clarissime; 2° lcs officiers du palais; 3° le
c1ergé ; ~o la mílice cohortale ou milice employée,
dans l'intéricur, au maintien de l'ordre et a l'exé-
cution des lois; c'était une sorte de gendarmeríe;
1)0 les militaires en général, incorporés soit danslles
légions, soit dans les troupes du palais, Boit dans
les corps des barbares auxiliaires.


Laclasse des curiales comprenait tous les citoyens
habitant les villes, qu'ils y fussent nés ou fussent
venus s'y établir, possédant une certaine fortune




DANS L'EMPIBE 1I.0MAIN. 27
territorial e , et n'a ppartenant, it aueun titre, a la
classe des privilégiés.


Le menu peuple était la masse des habitans des
viii es que le défaut presque ahsolu de propriété ne
permettait pas de ranger parmi les curiales.


111.


Les priviléges de la premiere classe étaient nom-
hreux, divers, etinégalement répartis entre les cinq
ordres de cHoyens qui la formaient. Mais le plus
considérahle en fait,]e plus recherché, ce]uÍ qui
vaIait seul plus que tous les autres, leur était com-
mun a tous; c'était l'exemption des fonctions et des
charges municipales.


On verra, a propos des curiales, queHa était l'é-
tendue dc ces charges. 11 faut d'ahord hien savoir
qui en était exempt.


10 L'armée tout entiere depuÍs le dernier eDitor-
talis jusqu'au magisterequitumpeditumve (1).


2.Q Le corps entier du clergé, depuis ]e simple
clercjusqu'a l'archeveque (2).


(1) • Veteranorum 11lios, propter privilegia parentibus
eorum indulta, vacare non patimur; sed .... ad alterutrum
compellijubemus ut aut decurionatus muneribusobtemperent,
aut militent.» (Cod. Theod. lib. VI, tito XXII, 1.11 j voyez la
Théorie des loís politiquea de la France, ou sont citées d'au-
tres lois analogues , tome I j Prcuflcs, p. 64,65; Paris, 1792).


(2) • Curialibus muneribus atque omni inquietudine civi·
lium functionum, exsortes cunetos c1ericos csse oportet .•




28 nu IItGIIIIE MUNICIPAL
La désignation de ces deux classes est simple: ee


qui est moins positif et moins connu, c'est la classe
des sénateurs et des clarissimes.


Le nombre des sénateurs était illimité. L'empe-
reur les nemmait, les destituait a son gréet pou-
vait élever a ce rang les fils Ilu3me des affranchis (1).


Tous ceux qui avaientoceupé les principales ma-
gistratures de l'empire ou rel,m du prince seulement
le litre honoraire de ces magistratures, étaient ap-
pelés clarissimes et avaient droit, dans l'occasion,
de 8iéger au sénat.


Ainsi la c1asse des clarissimes comprenait tous
les fonctionnaires publics de quelque importance,
et ils étaient tous nommés et révocablcs llar l'em-
pereur.


Le corps des privilégiés se composait done: lo de
l'armée; 2° du clergé; 30 de l'ensemble des fonc-
tionnaires publics employés soit a la cour el dans le
palais, soit dans les provinces.


Ainsi le despotisme et le privilége avaient faitune
étroite allianee; et dans eeUe allianee, le privilége,
dépendant presque absolument du despotisme, n'a-


(Cod. Thed.lib. XI'I; tit.lI, l. IX ; Thfiorie des lois polit., etc.,
t. J ; Preuves. p. 38).


(1) «Municeps eose desinit senatoriam adeptus di&nitatem,
quantum ad munera. » (Dig. lib. L, tito 1, § XXIII. ) - « Sena-
tares ct eorum filii filiooque .... nepotes, pronepotes o et pro-
neptes ex filio origini eximuntur , ¡icet mnnicipalem retineant
dignitatem. D (Digo lib. 1, tit. 1, § XXII; Théorie des lois, etc.
tome 1, PrcuIlcs, p. 17, 18,30-33).




DANS L'EllPIRE ROMAIN.


vait ni liberté, ni· dignité, si ce n' est dans le corps
du c1ergé.


IV.


Le privilége, notamment celui del'exemption des
fonctions curiales, n'était pas purement person-
nel, mais aussi héréditaire. Ill'était, dans l'ordre
militaire, a condition que les enfans embrasseraient
aussi la profession des armes; dans l'ordre civil,
pour les enfans nés depuis que leurs peres appar-
tenaient a la classe des clarissimes ou occupaient
des c:harges dans le palais (1).


Parmi les classes exemptes des fonctions curiales,
la derniere était celle de la mili ce cohortale, ser-
vice subalterne auquel ceux qui y étaient entrés
étaient héréditairement liés, et dont on ne pouvait
;ortir pour passer dans une classe supérieure (2).


V.


La classe des curiales comprenait tous les habi-
,ans des villes, soit qu'ils fussent nés (municipes) ,
oit qu'ils fussent venus s'y établir (inco/re), possé-
lant une propriété fonciere de plus de vingt-cinq


(1) Voyez les lois citées dans la note précédente.
(2) • Si cohortalis apparitor out obnoxios cohorti ad ullam


osthac aspiravcrit dignitotem, spoliatus omnihus impelrati
ouoris insiguihus, od .tatum pristinum revocetur; liberis
,iam in tali ejus eonditione susceptis fortuure patrire manci-
mdis .• (Cad. Theod., lib. \"III, tito IV, J. 111; Théorie de. 3_
i8, etc., tom, r; Preu"cs, p. 3 -38). (f"¡'!'.fé''':':" '


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30 .DU lItGIIllE IlUIIICIPAL
arpens (iugera), et Q.'appartenant pas a la classe des
privilégiés (1).


On appartenait a ceUe classe soit par l'origine,
soit par la désignation.


T()ut enfant d'uo curialc était curiale et tenu de
to~tes les ch:\l'ges attaehées a eette quulité.


Tont habitant, marehand ou autre, qui acqué-
rait une propriété fonciel'e au-dessus de vinq-cinq
arpen s , devait eh'e réelalIlé par la eurie et ne pou-
vait l'efuser (2).


Aueun curial e ne pouvait, par un aete personnel
et volontaire, sortir de sa con dition. n leur était
interdit d'habiter la campagne (B), d'entrer dans
l'armée (4), d'oeeupcr des emplois qui les auraient
affranehis des fonctions municipales, avant d'avoir


(l) «Jubemus omnes enrias admoneri ut. ... rcvocelnr ad
curiam, non solnm si originalis sit sed et. .. snbstantiam
muneribus aptam possidens., (Cad. Tloeod., lib. Xll, tito 1,
l. XIII) - • De possessoribus idoneis ad curiam vocandis
quisque hac in re posse.sionis modus. San xi mus et quicumque,
ultra vigenti quin que jugera privato dominio possidcns ......
curiali consortio ,indicetnr. (Cod. Theod., lib. XII, tito 1,
l. XXXIII; ibid., tome 1; Preuves, p. 68, 72).


(2) «Si.quis negociator fundos comparaverit, et ut aliquo-
mm possessor pnediorum vocetur in cnriam, etc." (Cod.
TIt.od . .lib. XII, tito 1, 1. LXXIl, ibid. i. 1; PI'euves, p. 79)


(3) • Judiciario omnes vigore constringes ne vacuatis
urbibus ad agros magis, quod frequcnti le¡¡e prohibctur, larem
curiales transferant familiarem.» (Cod. Theod., lib XII,
tito XVIlU, 1. 1 ; ibid., tome 1; Preuves, p. 87).


(4) « Qumu decuriones decllrionllffi'lUe filii deqne his




D11(8 L'J¡lIIPIBE BOl[l1l(. 11
passé partoutes ces fonctions, depuis celIe de simple
membre de la eurie, jusqu'aux premieres magistra-
tures de la cité (1). Alors, seulement, ils pouvaieot
devenir mililaires, fonctionnaires publics et séna-
teurs. Les enfans qu'ils avaieot eus avant ceUe éléva-
tion demeuraien! curiales.


lis ne pouvaíent entrer daos le clergé qu'en lais-
sant la jouissance de leurs biens a quelqu'un qui
vouh'it etre euriale a leur place, ou en les aban-
donoan! a la curie meme (2).


Comme les curiales s'efforQaient sans cesse de
sortir de leur eondition, une lIIuHitude de lois
prescrivent la recherche de ceux qui oot fui ou
soot parvenus a eotrer furtivemeot dans l'armée,
daos le c1ergé, dans les fonctioos publiques, dans
le sénat, et ordonneot de les en arraeher pour les
rendre a la curie (3).
geniti ad diversas roilitias confugiant, juberous eos, in qui-
buscumque officiis militantes, exemptos militia, restituí
curial .• ) Codo Theod., lib. XII, tito J, 1. XXII, ibid., t. J;
Preuves, p. 103).


(1) • Orones curiales qui qualibet gratia prius ad altiorem
gradum properaverint quam munia universa percurrerint, ad
ordinero necessitatulÍl suarum revocentur, nec ante ad usur-
potaro dignitatem admittantur quam qure patrire dehentur
impleverint .• (Cod. Theod., lib. XII, tito 1, 1. LXV, ibid., t. 1,
Preur>e., p. 101).


(2) • Qui partes eligit ccclesire RUt in propinquum hona
propria conferendo eum pro se faciat curialem, aut facultatihus
curire cedat quam rcliquit .• (Cod. Theod., lib. XII, tito J,
1. MI, ibid., t. 1 , Preuves, p. 106 ).


(3) Voyez les lois ci-dessus citées et heaucoup d'autres.




32 DU IIÉGIIlE IlUNICIPAL
VI.


Les curiales ainsi enfermés, de gré ou de force,
dans la curie, voici quelles étaient leurs fonctions
et leurs charges :


10 Administrer les affaires du municipe, ses
dépenses et ses revenus, soít en délibérant dans
la curie, soít en occupant les magistratures muni-
cipales. Dans cette duuble situation, les curiales
répondaient, non-seulement de leur gestion indi-
viduelIe, maís des besoins de la ville, auxquels ils
étaient tenus de pourvoir eux-mémes, en cas d'in-
suffisanee des revenus (1).
2~ Pereevoir les illlpóts publies, aussi sous la


responsabilité de leurs hiens propres, en cas de non
recouvremeut (2). Les terres suumises a l'impót
foncieret abanrlonnées par leurs possesseurs étaient
dévolues a la curie qui était tenue d'en payar
l'impót jusqu'il ce qu'elle eut trouvé quelqu'ulI qui
voulut s'en charger. Si elle n'en trouvait aueuo,
l'impot de la terre abandonnée était réparti entre
les autres propriétés (3).
( TMoria des lois politiques . elc., t. I j Preuves, p. 102-106).


(1) Théorie des lois politiques de la France ,t. 1 j Preuves)
p. 199 et suiv


(2) • Exigendi tributi munus decurionibus mandlltur .•
( Dig. lib. " tit. 1, § XVII). Decaproti et icasaproti (les dix et
les vingt premiers déc"riolls ) trihuta exigentes fiscalia detri-
menta res arciunt." eDi']., ibid. TMorie des loís, etc., t. 1;
Preuves, p. :!Ol ).


,(3) • Prrodia deserta deenrionibus loei cui subsunt assignarí




DA.NS. L'EMPIRE ROMA.IN. 33
3· Nul curiale ne pouvait vendre, san s la per-


mission du gouverneur de la province, la propriété
qlli le rendait curiale (1).


4" Les héritiers des curiales, quand ils étaient
étrangers a la curie, et les veuves ou filies de cu-
riales qui épousaient un homllle non-curiale étaient
tenus d'abandonner' a la curie le quart de leurs
hiens ('2).


1)" Les curiales qui n'avaient pas d'¡mfans ne pou-
va¡ent disposer par testament que du quart de leurs
biens. Les trois autres quarts allaient de droit a la
curie (3).


6" lis ne pouvaient s'absenter du munícipe, meme
pour un temps limité, sans en avoir l'el(u l'autorisa-
tion du gouverneur deja province (4).
debent cum immunitate triennii.' (Cad. Just., lib. XI, tito LVIII,
1. 1; iUd. t. 1; PreUV8S , p. 225).


(1) • Generali sanetione dceernimus ut si curialis prredium
urbanum aut rusticum vcndat cujuscunque conditionis
emptori, apud rectorem provincire idone as causas alienationis
alleget ... ut ita distraltendre possessionis facultatem aecipiat,
si alienationis necessitatem probaverit j infirma enim erit
venditio si hree fuerit forma negleeta .• (Cod. Theod., lib. XII,
tit. 111 ; 1. II , ¡bid., t. 1, Preuves, p. 99).


(2) • Meminimus nuper emissa lege ... portionem quartam
de facultatibus curialium fati munus implentium ... ab intestato
ad quemque (prreterquam si ad filios curiales deferatur)
curialium deputasse corporibus .• (Cad. Just., lib.,x, tit. XXXIV,
1.11; Théorie des loís, ele., t. 1, PreuIJes, p. 100, oil sont citées
lIussi d'autres lois ).


(3) ROTO, de rcmunic. Rom.,p. SI, noto Lun.
(4) ¡bid. p. S2 , not. LXXXV.




nu RtGIME nl'lICIPAL


70 Quand i1s s'étaient soustraits a la enrie et qu'on
ne pouvait les ressaisir, Ienrs bien s étaient eonfis-
qués au protit de la eurie (1).


8° L'impot connu sousle nom d'aurumcoronarium
et qui consistait en une somme a payer an prince ,
a l'occasion de certains événemens solennels, pesait
sur les curiales seuls (2).


VII.


Les dédommagemens accordés aux curiales aCCQ-
blés de telles charges étaient :


10 L'exemption de la torture, si ce n'est dans des
cas tres graves (~).


2° L'exemption de certaines peines affiictives et
infamante.s réservées pour la popuJace; comme


(1) • Curiales ornnes jubernus ne civitates fugiant aut dese-
rant rus habitandi causa, fundum quam civitati prretulerint
acientes fisco esse sociandum, eoque rure esse carituros cujus
causa impios se, vitando patriam, demonstraverint .• (Cod.
Theod., lib. XII, tito XVIII, lib. 11 ; ¡bid., t. 1, Preu"es, p. 94).


(2) • Nulllls) exceptis curialibus, quos pro snbslantia sui
aurum corunar; um offerre convenit) ad oblationem hanc
aHincatur.» (Cod. Theod.,lib. XII, tito XlIIi I.III; Théorie
de. loi., etc. t. 1, P,·eu~e., p. 203).


(3) • Divo lllárco (lllarc-Aurele) placuit eminentissimorum
quidem necnon perfectissimorum vivorum usque ad pronepotes
libero s , plebeiorum prenis vel qmestionibus non subj ici ...
in decurionibus autem et filiis orum hoc observari vir pruden-
tissimus Domitius U1pianus ..... refert. (Coa. Just., lib. IX,
tito ItI) 1. XI ; Théorie aes lois, etc., t. 1, Preu"es ,p. 91 ).




DANS L'EMPIRE ROllAlN.


d'etrc condamnés aux tl'avaux des mines, mis au
carean, brulés vifs, etc. (1).


So Apres avoir parcouru toutc la carriere des
charges municipales, ceux qui avaient échappé a
toutes les chances de ruine dont elle était semée ,
étaient exempts de rentrer dans les fonctions mu-
nicipales, jouissaient de certains honneurs, et re-
cevaient assez souvent le titre de comtes (2).


,40 Les décurions tombés dans la misere étaient
nourris aux dépens du municipe (3).


C'étaient la les seuls avalltages que possédaS!ent
les curiales sur le menu peuple qui, en revanche,
avait sur eux celui que toutes les carrieres lui
étaient ouvertes, et que, soit par l'armée, soit par
les emplois publics, il pouvait s'élever immédia-
tement a la classe des privilégiés.


VIII.


n est bien constaté que la condition des curiales,


(1) • Decuriones in metallum damnari non possunt , nec in
opus metalli, nec furcre subjici, nec vivi exuri, et si forte
hujuscemodi sententia fuerint affecti, liberan di erunt.
Paren tes quoque et liberi decurionum in eadern causa sunt .•
(Dig., lib. XLVIII, tito XIX, § IX; ibid., t. 1, Preuves, p. 92).


(2) • Qui ad .... principalis bonorem gradatim et perordinem,
muneribusexpeditis, labore pervenerint, si publice ab universo
ordinc comprobantur, habeantur imrnllnes ; ... honorem etiam
eis ex comitibus addi censemus. (Cad. Tlwod., lib. xn, tit. Jj
l. LXXV; ibid., t. 1, Preuves, p. 89 j.


(3) ROTH, de re munic. Rom., p. 85. noto XCIX.




36 BU REGIME MDNlClPAL
comme citoyens et dans I'Etat , était une condition
onéreusa et dépourvue de liberté. 11 est c1air que
l'administration municipale était un service pesant
auquelles curiales étaient voués, et non un droit
dont ils fussent investis. Voyons maintenant quelle
était la conditiun des curiales , non plus dan s I'Etat et
a l'égard des autres elasses de eituyens, maís dan s
la curie meme el entre eux.


lei subsistent encore les formes et meme les prin-
cipes de la liberté.


Tous les curiales étaient membres de la curie et
y siégeaieut. La capacité de suprorter lcs charges
entrainait celle d'exereer les droits et de prcndre
part aux affaires.


Tous les noms des curiales de chaquc munícipe
étaient incrits, dans un certain ordre déterminé
d'arres la dignité, rage el d'autres circonstances,
surullregistre dit albrml cm'ire(l). Lorsqu'il y avait
lieu a délib¿1 el' sur quelque affaire, .ils étaiellt tous
convoqués par le magistrat supérieur du munícipe,
duumvir, redilis, prretorouautres, et donnaient leur
avis et leur suffl>age (2).


Tout se décidait a la majorité des voix. AUCUllC
délibératioll de la curie n'était valablc si les deux
tiers dcs curiales n'étaient présens (~).


Les aUributions de la curie en corps étaicnt


(1) ROTH, de re mut~. Rom., p. 70.
(2) Ibid., p. 73.
(3) Ibid., p. 74; Théorie des lois politiques de la France,


t. 1, Preuves, p. 76.




DANS L'EMPIRB ROMAlIl. 37
lo l'examen et la décision decertaines affaires; 2,0 la
nomination des magistrats et officiers municipaux.


On ne trouve nulle part l'énumération des affai-
res qui appartenaient a la curieen corps. Tout in-
diquecependant que la plupart des intérets munici-
paux qui exigeaient autre chose que la simple
exécution des lois ou d' ordres déjit dOllnés, étaient
discutés dans la curie. L'autorité propre et indépen-
dante des magistrats municipaux parait fort res-
treinte; ainsi iI y a lieu de croire qu'aucune dépense
ne pouvait etre faite sans l'autorisation de la curie.
Elle fixait le temps' et le lieu des foires. Elle accor-
dait seule des récompenses, etc. (1).


Il Y avait memedes occasions ou l'autorisation de
la cUJ'ie ne suffisait pas, et 011. il fallait avoir celle de
la réunion de tousles habitans, curiales ou non; par
exemple, pour la vente d'une propriété communale,
pour I'envoi it l'empereur de députés chargés de luí
faire des représentations (2). .
~1ais, par une conséquence llécessaire des pro-


gres généraux du despotisme, le pouvóir impérial
allait s'immisqant toujours davantage dans les af-
faires desmunicipes, et restreignant l'indépendance
des curies. Ainsi elles ne pouvaient faire de construc-
tions nouvelles sans I'autorisation du gouverneurde
la province. La réparation des murs d'enceintedela
ville était sujette a la meme formalité; elle étail aussi


(1) ROTO, de remU1>. Rom., p. 74.
(2) ¡bid., p. 63, 64.




38
,


exigée pour l'affranchissement des esclaves, et pour
tous les aetes qui tendaient a diminuer, de quelque
faC(0n, ]e patrimoine de la cité (1).


Par degrés aussi, les affaires meme dont la dé-
eision déflnili ve a vait appartenu aux euries, tombe-
rent, par voie de réclamation ou d'appel, sous rau-
torité de l'empereur ou de ses délégués dans les
provinces. Cela arriva par la concentration absolue
du pouvoir judiciaire et du pouvoir fiscal entre les
mains des fonctionnaires impériaux. La curie et les
curiales furent réduits alors a n'etre plus que les
derniers agens de l'autorité squvcraine. n ne leur
resta presque plus que le droit de consultation et
celui de plainte (:2).


Quant a la nomination aux magistratures muni-
cipales, elle fut long-temps, et avec réalité, entre
les mains de la eurie, sans aucune nécessité de
confirmation du gouverneur de la province, si ce
n'est dans des cas d' exception, et pour des villes
qu'on voulait spécialement maltraiter ou punir (3).
Mais ce droit lui-meme devint bientOt illusoire par
la faculté donnée au gouverneur de la province d'an-
Duler les nominations de la eurie, sur]a réclamatlon
des élus (4). Lorsque les fonctions municipales de-
vinrent tout a fait onéreuses, tous les curiales élus a


(1) Ibid., p. 74, 135.
(2) TMorie des loís politiques de lu France, t. 1, chapo x,


liv. VI, p. 58, etIes Preuves.
(3) ROTH, de ro mun. Rom., p. 76, noto LXXII.
(4) Théorie des loís polit., t. 1; Preuves, p. ISO.




DANS L'EMPIRE ROMAIN.


quelque magistJ8ture qui avaient aupres du gouver-
neur quelque crédit, purent, sous tel ou tel pré-
texte, faire anuuler leur élection et se décharger
ainsi du fardcau.


Le droit d'élection devint done it peu pres aussi
nul que le droit d'administration. Sous ces deux rap-
ports, les formes de la liberté el les apparences du
droÍ! subsistaient dans I'intérieur des curies. La réa-
lité u'y était plus,


IX.


n y avait deux sortes d'offices mllllClpaux: les
premiers appelés magistratus, qui conféraient certains
honneurs et une certaine juridiction; les secunds
munera, simples emplois sans juridiction et sans di-
gnité particuliere (1).


La curie nommait :IUX uns comme aux autres j seu-
lement les mngistrats lui proposaient les hommes
qu'ilsjugeaient propres a remplir lesmunera; mais
ceux-ci me me n'étaient réellement nommés qu'a-
pres avoir obtenu les suffrages dela curie (2).


Les roagistrats étaient :
l° Duumvir: c'était le noro le plus ordillaire du


premier magistrat municipal. Il s'appelait aussi en
certains lieux quatuorvir, dictator, redilis, prretor. Su
eharge était annuelle; elle correspondait assezexac-
tement á ceIle de nos maires. n présidait la eurie et


(1) Rom,de remulI. flom.,p. 89.
(2) [bid., p. 76.




.40 DU atGIlllE lIUIIlClPAL
dirigeait l'administration gén~s affaires'de la
cité; iI al'ait une juridiction bo;ri.~ aux affaires de
peu devaleur; ilexer~aitaussiune autorité de police
qui lui donnait le droit d'infliger certaines peines
aux esclaves et d'arreter provisoirementles hornmes
libres (1).


2" LEdilis; c'était communément \10 magistrat un
peu inférieur aux duumvi.', 11 avait l'inspection des
édifices, des rues, des approvisionnemens de grains,
des poids et mesures, etc. (2).


Ces deux magistrats étaient tenus de donner des
fetes et jeux publics.
~o C7trator 1'eipublicm : il exer<;ait, comme 1'é-


dile, une certaine surveilIanee sur les édifices pu-
blies; mais sa principaleattribution était I'adminis-
tration financiere, Ilaffermait les biens du municipe,
recevait les eomples des travaux publics, pretait et
empruntait de l'argent an uom de la cité (3), etc.


Les employés (munera) étaient :
1" SU8ceptor, percepteur des ¡mpMs, sous la res-


ponsabilité des curiales qui le nommaient (4).
20 lrenarchm, commissaires de police, chargés de


la recherche et de la premiere poursuite des dé-
lits (5).
~o Curatores : c'étaient des employés chargés de


(1) ROTO, de re mun, Rom., p.90-95.
(2) Ibid., p.96-98.
(3) Ibid., p.98-HJO.
(4) Ibid., p. 107-109.
(5) Ibid., p. 109-IW.




DANS L'EMPIRE ROMAIN. 4]
tel ou tel service municipal particulier; curator (ru ..
menti, curator calendarii, preteur sur gages de l'ar-
gent de la cité, a ses risques et périls (1).


4° Scribm : employés subalternes dans les divers
offices. A eeUe c1¡lsse appartenaient les tabelliones,
qui faisaient a pen pres les fonctionsde notaires (2),


Dans les derniers temps, lorsque la décadence
du régime municipal fut évidente, lorsque la ruine
des curiales et I'impuissance de tous ces magistrats
municipaux pour protégcr la population des cités
contre les vexations de l'administration impériale,
se nrent sentir du despotisme lui·meme, qui, por-
tant enfin la .peine de ses propres reuvres, voyait la
société lui mauqucr de toutes parts, il essaya, par
la créatioll d'unc magistrature nouvelle,de procurer
aux munícipes quelquc sureté et quelque indépen-
dance. Vn defensor fut donné a chaque cité. Sa mis·
sion primitivc était de défendre le pouple, et sur-
tout les pauvres, contre l'oppression el les injustices
des officiers impériaux et de lellrs employés. Son
importance el ses attributions surpasserent bienIo!
celles de tous les autres magistrats municipanx. Jus·
tinien accorda aux défenseurs le droil de remplir,
quant a chaque cité, les fonctiuns du touverneur
de la province, en son absenoe. 11 Ieur atlribua la
juridiotion dans tous les proces dont la valeur ne
s'élevait pas au-dessus de 300 aurei. lIs eurent


(1) ROTR, deremulI.Rom.,p.1I1-112.
(2) ¡bid., p. 112 113.




DU RtGIME MUNICIPAL


meme une certaine compétence en matiere crimi-
nelle, et deux apparileurs furellt atlaehés a leurper-
sonne. Pour donner quelques garantiesde leur force
el de leur indépendallce, on eut reeours a deux
moyens. D'une par!, ils cure lit le dl'Oit' de franchir
les diyers degrés de I'administration el de porler
directement leurs plaintes au préfet un prétoire.
On voulait ainsi les élever, en les affranchissant
des autorités provinciales. D'autre part, ils furent'
élus, non-seulemcnt par la curie (1), mais par la
généralité des habitans du munícipe, auxquels
furent adjoints l'éveque et lous les cleres; et eomme
le elergó possédait seu] alors quelque énergie et
!.fuelque eródit, ce fut dans ses mains que tomba
presque partont eette institulion IlouvelIe, ct par
-Jollséquent tout ce qui subsistait encore du régÍme
:nunicipal. C'était trop peu pour relevcr' les llIunÍ-
cipes sous la domination de l'empire; c'était assez
pour procurer au clergéune grande influence légale
dans les villes, apres l'établissement des barbares. Le
résultat le plus important de I'institution des défen-
seurs fut done de placer les éveqlles a la tete du ré·
gime municipal, quí, d'ailleurs, s'était dissous de
lui-meme par la ruine des citoyens et la nullité des
institutions.


X.


Tcls sont les faits. lis démonlrcllt le phénmuene


(1) ROTH, tlere mUll, 110m., p, 100-107,




DANS L'I!!lPIRE BOJ/AJN.


que j'ai indiqué d'abord, la destruction de la cJasse
mOjenne dans l'empire. Elle fut détruite matériel-
lernent par la ruine et la dispersion des curiales,
mora\ement llar \'abo\ition de toule,infiuence de la
population aisée dans les affairtls de rétat, et enfin
dan s celles de la cité. De la, au ve siecle, tant de
campagnes en friche et de villes presque désertes
ou pleines seulernent d'une populace affamée et oi-
sive. Le régirne que je viens de décrire y contribua
beaueoup plus que les dévastations des barbares.


11 faut ramener succinctement ces faits it quel-
ques idées générales, et recueillir les importantes
instructions qu'ils contiennent sur run des plus
grands problemes de l'ordre social.


Illterrogeons-les d'abord sur les rapports du ré-
gime municipal avec I'ordre politique , du gouver-
nernen! de la cité avec le gouvernement de l'étut.


XI.


Sous ee rapport, le fait général qui domine dans
l'histoire que nOlls venons de parcourir, c'est la
séparation absolue des droits el des intérets poli-
tiques d'avec les droits et les intérets municipanx.


Séparation égalemen' funeste aux droits et aux
¡nlérets politiques, aux droits et aux ¡ntérets mu-
nicipaux des citoyens.


Tant que les principaux citoyens des municipes
eurent, au ceutre de l'état, des droits et une
influence réels, le régime municipal ne manqua




DU RÉGmlE MUNICIPAL


point de garanties et aUa se développant. Des que
les principaux citoyens ne furent plus rien nu
centre, les garanties disparurellt, et la déeadenee
du régime municipal ne tarda pas a se déclarer.


Il est bon de comparer ce cours des choses dans
le monde romain ave e ce qui s'est passé dans les
états modernes.


Dans le monde romain, la centralisation fut
prompte et llOn interrompue. A mesure qu'elle
conquérait le monde, Rorne absorbait et retellait
dans ses murs toute l'existence politique des vain-
queurs et des vaincns. Rien de cornmun entre les
droits et les libertés du citoyen , les droits et les
libertés de 1'habitant. La vie poli tique et la vic mu-
nicipale n'étaicnt point fondues rune dalls 1'autre,
ne se passaient poillt dans les memes !ieux. Sous le
rapport politique, le peuple roma in n'avait, a vrai
dire, qu'une téte. Des qu'elle fut frappée, la vie
politique n'exista plus nulle parto J,es libertés lo-
cales se trouverent des lors sans líen qui les unit,
sans garantie qui leur fut commune et les protégeat
partont.


Chez les nations modernes, nulle eentralisation
pareille n'a existé. C'est dans les villes, au contrail'e,
et par les liberlés municipales, que la masse des
habitans, la classe moyenne, s'est formée et a ac-
quis quelque importance dalls l'état. Maís une fois
en possession de ce poínt d'appui, eette classe s'y
sentit bientot a l'étroit et sans stlreté. La force des
eh oses lui fit eomprendre que, tant qu'elle ne se




DANS L'EMPIRE amlAllI.


serait pas élevée au centre de l'état et ne s'y serait
pas constituée, tant qu'elle ne posséderait pas,
dans I'ordre politique, des droits qui fussent le dé-
veloppement et la garantie de ceux qu'elle exer¡;ait
dans l'ordre municipal, ces derniers seraient in-
suffisans pour la pl'oléger dans tous ses intérets et
pour se protéger eux-memes. De la tOllS les eflets,
qui, a daler du XIII" siecle, soít par les états-
généraux, soít par les parlemens, soit par des
voies plus indirectes, curent pour but , en France,
par exemple, d'élever les bourgeois a la vie poli-
tique, et d'associer, aux droits et aux libertés de
l'hahitant, les dtoits et les lihertés du citoyen.
Apres troi5 siecles de tentatives, ces efIorts furent
sans succes. Le régime municipal ne put enfanter
un régime politique qui lui correspondit et devint
sa gaJ"antie. La centralisntion du pouvoir s'opéra
sans celledes droits. Des-lol's le régime municipallui-
meme se trouva faihle et incapable de se défendre.
II s'était formé en dépit de la domination féodale;
il ne put subsister en présence d'uné autorité
unique et au sein de la monarchie admillistrative.
Les villes llerdirent peu a pen, obseurél11ent et
presque salls résistanee, leurs anciennes Jibertés.
Personne n'ignore qu'au moment ou notre révo-
lution a éclaté, le régime municipal n'était plus
en France qu'une omb¡'e vaille , sans consistance et
salls énergie.


Ainsi, bien que, dans le monde romain et parmi
nous, les choses aient suivi une marche inverse,


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46 DU l\tGUIE I!IUNICIPAL
bien que Rome ait commencé par la centralisation
des libertés politiques, et les états modernes par ]a
dispersion des libertés municipales, dans l'un et
J'autre cas, les faits nous révelent également celte
double vérité que ces deux ordres de libertés et de
droits sont inséparables l'un de l'autre, qu'ils ne
peuvent se séparer sans se perdl'e, et que la ruine de
fun entraine nécessairement la ruine de eeluí qui
survit d'aburd.


Un second résultat non moins important nous est
révélé par les memes faits.


La séparatiun du régime municipal et du régime
politique amena, dan s I'empire r()main, la classi-
fication légale de la société el l'introduction du
privilége. Dans les états modernes, ce fut une
c1assincation analogue et la présence du privilége
qui empechérent le régime municipal de s'élever
jusqua J'ordl'e politique, el de faire sortir, des
droits locaux de I'babitant, les dl'oits du citoyen
constitués au centre de l'état, La done ou la vie
municipale et la vie politique sont étrangeres rune a
rautre, la ou elles ne sont llas unies dans le me me
systeme, et liées de maniere a se garantir récipro-
quement, on peut etre assuré que la société est ou
sera bientót divisée en classes distinctes, immo-
hilcs, et que le privilégc cxiste ou va naitre. Si les
bourgeois ne sont rien dans le pouvoir central, si
les citoyens qui exercent on partagent le pouvoir
central ne pat'tagent pas en meme temps les droits
et les intérets des bourgeois, si l'existenee politiqu6




DANS L'EMPIRE ROMAIII. 47
et l'existence municipale marcp.ent ainsi collatéra-
lement, au lieu d'etre, pour ainsi dire, emboltées
l'une dans l'autre, il est impossible que le privílége
ne s'établisse pas, meme sous la main du despotisme
et au sein de la servitude.


Que si ron veut dédllire de tout ceci une consé-
quence plus générale encore, et l'exprimer sous
une form", purement philosophique, on reconnaitra
que, pour que le droit existe surement quelque
part, il faut qu'il existe partout; que sa présence
au centre est vaine, s'il n'est présent aussi dans les
localités; que, sans les libertés poliliques, il n'y a
point de libertés municipales solides, et récipro-
quement.


XII.


Que si maintenant nous considérons les faíts que
je viens d'exposer sous le rapport du régime mu-
nicipal pris en lui-meme et dans sa constitution
intérieure ; si dans ces faits, nous recherchons les
principes, nous y rencontrerons le plus singulier
amalgame des principes de la liberté et de ceux du
despotisme; amalgame sans exemple pellt-etre, et
inexplicable pour qui n'a pas bien compris le cours
des choses, soít dans la formation, soit dans la
décade~ce du monde romain.


XIII.


La présence des principes de liberté est évidente.
Les voici :




48 DU BtGIME MUNICIPAL
l° Tout habitant possesseul" d'una fortune qui


garantit son índépendance et ses lumieres, est
curial e , et, comme tel, appelé a prendre part a
I'administration des affaires de la cité.


Ainsi le droit esl attaché ¡\ la e~paeilé présumée ,
sans ancnn Vrivilége de naissanee, san s ancune
limite de nombre. Et ce droit n'est pas un simple
droit d'élection ; c'esl le droit de délibér:ttion p'eine,
de participatiol i;;~;lí¿t!:atc aux affaires. aiusi qu'il
peut exister dans l'enceinte d'nne ville, et pour
des illtéréts que peuvent comprendre et débattre
tous ceux qui sont capa bIes de s'élever au-dessus
de l'existence individueBe. La curie n'est poiot un
conseil municipal restreint et choisi; c'est la réu-
nion de tous les habitans qui possedent les condi,
tions de la capa,cité curiale.


'20 Une assemblée ne peut administrer, il f1mt des
magislrats. lis sonl tous élus par la eurie, pour un
temps tres court , et leur propre fortune répgnd de
Ieur administration.


3°. Enfiu, dans les grandes circonstances, quand
il s'agit de changer le sort de la cité, ou d'élire un
magistral revetu d'une autorité vague et plus arbi-
traire , la curie elle-me me ne suffit l'0int. La tota-
lité des habitans est appelée pour concourir a ces
aetes solennels.


Qui ne croirait, a raspect de tels droits, reeon-
naItre une petite république, 011 la vio munieipale
et la vie politique sont confonduos, 011 prévaut le
régime le plus démoeratiquc ? Qui penserait qu'un




DA.NS L'EMPIRE BOM.\lI'l.


municipe ainsi réglé fait par ti e d'un grand empire,
el lient, par des liens étroits et néeessaires, a un
pouvoir central éloigné et souverain? Qui ne s'at-
tendrait, all contraire , a trouver la tous les éc1ats
de liberté, toutes les agitations, toutes les intrigues,
et souvent tous les désordres , toutes les violences,


" .. ~ .


quí, a toutes les époques, caractérisent les petites /J,.
sociétés ainsi enfermées et gouvernées dans leurs ('~~!¡
murs? -


XIV. \~ ..
11 ' . t t . . V'''J¡11l n en est nen, e ous ces prmclpes sont sans ."., .,


vie. En voici d'autres quí les frappent a mort.
1°. Tels sont les effets et les exigences du des-


potisme central que la qualité de curiale n'est plus
un droit reconnu a tous ceux qui son! capables de
l'exercer, mais un fardeau 'imposé a tous ceux qui
penvent le portero D'une part, le gouvernement
s'est déchargé du so in de pourvoir aux services
publics qui ne touchent pas son propre intérét , et
l'a rejeté sur cette classe de citoyens ; d'autre part ,
il les emploie a percevoir les impots qlli lui sont
destinés, et les rend responsables du recouvrement.
n ruine les curiales pour snlder ses fonctionnaires
et ses soldats. II accorde a ses fonctionnaires et a ses
soldats tous les avantages du privilége, pour qu'ils
lui servent a empéeher les curiales de se soustraire
a la ruine. Completement nuls comme citoyens, les
curiales ne vivent que pour étre exploités et détruits
comme bourgeois.




ISO DU aiGlME MU1UClPAL
'JO, Tous les magistrats électifs des curies ne sont,


BU fait, que les agens gratuits du despotisme, BU
profit duquel ¡Is dépouillent leurs concitoyens, en
attendant qu'ils puissent, de maniére ou d'autre, se
soustraire a cette dure obligation.


3°, Leur élection meme est sans valeur, car le
délégué impérial dans la province peut l'annuler ;
et ils ont le plus grand inté~et 11 obtenir de lui cette
faveur. Par la eneore, ils sont duns sa main.


4°. Enlin, leur autorité n'est point réelle, car elle
n'a point de sanetion. Nulle juridiction effective ne
leur est accordée. lis ne font rien qui ne {misse etre
annulé. II ya plus; comme le despotisme s'aperQoit
chaque jour plus clairement de leu1' mauvaise vo-
lonté ou de leur impuissanee, chaque jour il péne-
tre plus avant luí-meme, el Ijar ses dólógués di1'eets,
dans le domaine de leurs attribulions. [.es affaires
de la curie s'évanouissent Sllccessivcment avec ses
pouvoirs, et un jour viendra ou le régime munici-
pal pourra etre abolí d'un seul coup, dans l'empire
eneore subsistant, "paree que, dira le législateur,
• ~outes ces lois errent en quelque sorte vainement
)1 et sans objet autour du sollégal. "


xv.


Ainsi le pouvoir municipal, devenu pleinement
étranger au pouvoir politique et au pouvoir eivil ,
cessa lui·meme d'etre un pouvoir. Ainsi les principes
et les formes de la liberté, restes isolés de l'existence




DANS J:E~IPIRE ROMAII'I. 01
illdépendante de eette multitude de villes successi-
vcmcnt :lgrégées :lU monde romain, furent impuis-
salls a se défendre contre la eoalition du despotisme
et du privilege. Ainsi la eneore on peut apprendre
ce que tanl d'excmples nous apprennent, savoir ,
que toutes les apparences de ]a liberté, tous les
aetes extérieurs qui semblent attester sa présence,
pcuvent elre ou la liberté n'est point; et qu'elle
n'existe réellement que lorsque ceux qui la posse-
dent exercent un pouvoir réel et dont l'exercice se
lie it eelui de tous les pouvoirs. Dans l'état social,
]a liberté c'est la partieipation au pouvoir ; ceUe
participation en esl la vraie ou plutót ]a seuIe garan-
tic. OU les libertés ne sont pas des droits, et on les
droits ne sout pas des pouvoirs, iI n'y a ni droits ni
libertés.


XVI.


n ne faul done s'étonner ni de eeUe disparition
complete de la nation, qui caraclérise la chute de
l'empire romain, ni de l'influence dont fut bientot
imesti ]e clergé dans le nouvel ordre de c1lOSIlS.
Vun et 1'autre phénornime sont expliqués par l'éLat
de la société a celte époque, et notarnment par cet
état Ju régirne municipal que je viens de décrire.
L'éveque était devenu, dans chaque ville, ]e chef
naturcl des habitans, le véritable maire. Son élec-
tion et]a part qu'y prenaient les eitoyens furcnt
l"a ffa in' importante de la cité. C'cst par le clergé
.surtout que furcllt comenécs dans les villes, leslois et




li2 DU' atGU1E MUNICIPAL DAN S L'EMPIlIE nOMAlN.
les coutumesromaines, pour passer plus fard dans]a
législation générale de I'état. Entre ¡'ancien régime
municipal des romains et le régime municipal civil
descommunes du moyen age , le régimt- municipal
ecclésiastíque est placé comme transitiorÍ. Celte
traIlSition eut plusieurs siecles de durée. Ce raít im-
portant n'a été nuBe part aussi clair ni aussi décisif
que dans la monarchie des Visigoths en Espaglle.


- .....




SECOND ESSAI.


DE L'ORIGINE liT DE L'ÉrABLlSSElllENT DES FRANes
DAI'IS Ll'.S GA\lLII8.


L'origine des Francs a été long.temps le sujet de
tables savantes et de contestations patriotiques. Les
uns voulaient absolument que l'antiquité de la race
franque ne fUt surpassée par aucune autre; ils ont
fait des Francs une colonie de Troyens réfugiés vers
l'embouchure du Danube, et poussés de ]a, par les
Goths, sur les bords du Rhin. Les autres, plusjaloux
de l'invinlabilité du sol gau]ois que de l'antiquité de
,ses habitans, n'ol1t pu sUl'porter la pensée que la
Gaule eut été conquise par une race étrungere ; les
Francs ont été pour eux des Gaulois qui, précipités
d'abord sur la Germanie par des causes incollnues,
revinrent ensuile reprendre possessioo de leur patrie.
Aucune de ces hypotheses ne s'appuie sur aueun
témoignage, sur aueun rait; ce 80nt les reveries d'un
patriotisme puéril et d'une érudition fantastiqlle.


Les Frallcs SOl1t un peuple germain. Leur Jangue,
leurs mreurs, les premiers lieux OU les rencuutre
I'histoire, ne permettent pas d'en douter. Mais, ce
fait reconou, la question de leur origine o'est pas
encore résolue , el les hypotheses, bien que resser-
rées dans un champ plus étroit, n'ont pas laissé de
s'y muItiplier. On s'est obstiné lungtemps a chercher
dans la Germanie un lleuIlle distinct, établj dans un
lieu fixe et constamment reyctu du nom de Francs.


6




1)4 DE L'ORIGINE ET DI. L'tTABL18SEMEI'IT
Quelques érudits ont cru le trouver dan s l'ancíenne
Pannonie; une phrase de Grégoire de Tours, le nom
de Sicambres donné sous Tibere a une cohorte de
Pannoniens, la présence en Pannonte d'une bande
de Franes qu'y avait transportés rempereur Probus,
oot suffi pour faire placer sur eette l'ive du Danube
le séjourprimitif de toute la nation franqueo D'autres,
d'aprcs un passagc dugéographedc Ravenne, out llré-
tendureeonnaitre vers l'embouchurede l'Elbe, dans
un territoire dit M altrullgania, la demeure origi"
naire d'une tribu spéciale nommée les Francs, qui,
s'avan'tant peu it peu vers le Rhin, soumit les tribus
environnantes et leur donna ce nomo CeUe opiníon
est celle dc Leibnitz.


Ce sontencore des hypotheses dénuées de preuves
direetes, et indirectement repoussées par les faits
auxquels s 'atta che quelque certitude. Le nom des
FraIles I1e se rencontre dans aucune ancienne des-
cription, latioe ou greeque, de la Germanie; et
cependant les historieo8 nomment les tribus qui ha-
bitaient les lieux ou on yeut les placer. lis désignent
surtout, avec assez de détails, les tribus de la Pan-
nonie, plus voisines et mieux connues des Romains.
D'antre part, l'autorité du géographe de Ravenne
est fort peu súre; il vivait au scpticme siccle , e'cst-
a-dire déj:l. bien loin du tcmps dont il parle, et n'a-
vait, a notre eonnaissanec, aueun moycn partieulier
de savoir la vérité.


L'opinion de eeux qui regardent les Francs
comme une confédération forméc par les tribus ger-




DES FRANCS DANS LIS GA.ULES. 55
maines situées entre le l\hin, le Mayn (.iJJein) et le
Weser, meparait seule probable. Lesconfédérations
de ce genre sont commnnes eutreles peuplades bar-
bares. L'Amérique duNord en:aoffert et en off re en-
corede nombreux exemples. Ce fut uneconfédération
analogue qu' Arminius souleva contre les Romains.
Plus tard, et au midi des Francs, se forma ]a confé-
dération des AUemands (all-men), qui a donné
son nom a toute rancien"ne l)atrie des Germains. Les
guerres continuelles que portaient les Romains dans
ceUe partie de ]a Germanie donnaient Iieu it ces
alliances des tribus voisines, unies dans un intéret
commun de défense. EnGo, et c'est icí un témoi-
goage positif, on trouve, sur la carte dile de Peu-
tinger (1), le mot Francia écrit sur la rive droite du
Rhin, comme nom du pays queje viens d'indiquer;
et en meme tcmps on y lit: Chau.ci, Amsibarii, Che-
rusci, Chamavi qui et Franci. Ces tribus formaient
done la confédération des Francs. Plusieurs autres
tribus qui erraient dans les memes contrées, comme
les Bructeres, les CaUes, les Attuariens, les Sicam-
bres, paraissent aussi etre entré es dans ceHe confé-
dération, nécessairement mobile dans des siecle
on I'Europe eotiere, romaine et barbare, était en
proie au plus" grand mouvement de dissolution


(1) Ancienne carteouitinéraire de l'empire romain,dressée,
a ce qu'il parait , S0118 le regne de Théodose-le-grand ou d'Ho-
norius, et qui porte ce nom parce que Conrad Peutinger décou-
vrit l'exem plaire antique que Velser d' Augslíourg publia a
Veníse, en 1591.




1)6 DE L'ORIGINE ET DE t'ÉTADLISSEMENT
et de formation dont l'histoire offre l'exemple.


Quant au nom de Francs, on convient générale-
ment qu'il signifie hommes libres. DesGermainsn'au-
raient pas songé a se donner un nom pareil avant
l'époque on l'empil'e romnill mena9a leur liberté;
mais on cOll90it aisément que, dans la longue lutte
qu'ils eurent a soutenir, ¡Is se soient plu a prendre
un nom qui attestait leur indépendance. c,.;,


On ne peut rien affirmer quant a I'époque 0-0. na-
quirent la confédération et fe nomo Quelques-uDI
pensent que ce fut apres la grande insurrecfion des
Bataves contre Rome, c'est-a-dire vers la fin du
1 er siecle de l'ere ehrétienne. D'autl'es en retardent
l'origine jusqu'aux expéditions de l'empereur lUaxi-'
min en Germanie (de l'nn 231) a 238).De telles ques-
tions sont insolubles, llGn-seulementa cause de l'ab-
senee des doeumens historiques, mais en raison de
l'état de la eivilisation. Tous les événemens, les al-
liances, les guerres, les formations d'état ont, de
nos jours, une date précise; ils commencent dans
une in tenlion et avec un butdéterminés. Dans labal'-
barie, tout est apontané, partiel'- fortuit; les tribus
voisines du Rhin ne se sont pointréunies a jour fixe,
pour former, dansnn intéretcommun, ulleconfédéra-
tion générale et se donner un nom nlluveau. La con-
fédération, le nom et tous les rapports qui, plustard,
ontdonnénaissanee a un peuple, se sont fnrmés acci·
dentellement, progressivement, et la prétention d'en


assÍgner l'époque primitive révele un oublí complet
de l'état matériel et moral de cette grossÍI'lre société.




DES FRANCS DANS LES GAULES. ü7
Quoi qu'il cn soit de son ancienneté, e'est vers


l'an 240, sous le troisieme GOl'dien, que le 110m
des Franes parait pour la premiere fois dans l'his-
toire; une bande qui le portait avait fait une irna-
sion dans la Gaule; Aurélien, alors triLun de la
sixitJIIIC légion statinnnée sur le Rhin, la repoussa;
et commc on se préparait a la guerre de Perse, les
soldats romains ehantaient une ehanson militaire
qui avait pour refrain: Mille Francos, mille Sar-
matas occidimus; mille, mille, mille Persas quw-
rimus (1).


Depuis eette époque les invasionsdestribus fran-
ques, dans la Belgique et la Gaule orientale, fu-
rent continuelles. Elles avaient pour cause, tantot
le gotit des aventures et le besoin du pillage, tantot
la née essité de fuir devant quelque tribu nOllvelle
qui arr-ivait sur la rivc droitc du Rhin, quelque-
fois des alliances temporaires avec les empcreurs ou
les Ilrétendalls n l'empire, qui cherehaient, parmi
les barbares, des satellites et des soldats; enfln le
mouvement général qui précipitait alors les peupl~s
d·Orienl en Occident, et provenait sans doute de l'ac-
croissement progressir d'nne population toujours
errante.


Il esl impossible et inutiled'énumérer ces incur-
sions partielles el sans eesse répétées. De Probus
iI Théodose-le-G,'and, il est peu d'~mpereurs qui


(1) VOPlSC. in Áurelian. cap. m. - Voy. Collee!. des l/fém.
Introduction, p. 236, on ce passage se trOU'i'e développé.


6·r~.s¡..·~ ,,,,... ., ~
::i ¡


; <J
~ ?P \. ~.


_.,' ,'.t.




58 DE L' ORIGINE ET DE L'ETABLlSSEI!lENT
n'aient en affaire a quelques bandes franques et
ne les aient tantot repoussées, tantOt re~ues parmi
les troupes de l'empire, on tolérées sur le terri-
toire romain. Sous le nom de Ripuarii, des corps
de Francs, comme d'autres barbares, obtenaient
un établissement sur les rives du Rhin, a charge de
défendre les frontieres contre les bandes nouvelles
qui voudraient les franchir, peut-etre contre leurs
anciens confédérés. D'autres, sous le nom de Lreti,
apres avoir servi dans les armées romaines, rece-
vaient, dans l'intérieur des Gallles, en général dans
le nord, des terres oil ¡Is s'établissaient , avec pro-
messe de les cultiver, maís qu'ils abandonnaient
souvent pour reprendre leur vie vagabunde, car
l'activité sans travail est la situation dont J'homme
se résout le plus diflicilement a sortir. D'autI'es,
en fin , sans convention préalable, salls concession
des empereurs, apres avoir erré dans le pays, s'ar-
retaient d'eux-memes dan s quelque district déserté
de tous les riches propriétaires, prenaient posses-
sion de quelque ville a moitié dépeuplée, dépo-
saient la leur butin, faisaient cultiver les champs
par des esclaves a qui iI importait peu de ch:mger
de maitres, et se trouvaient ainsi transformés en
habitan s des Gaules saos avoir cessé d'etre des bar-
bares.


Ces bandes, ordinairement peu nombreuses et
san s relation entre elles, conservaient leurs mUlurs,
leurs coutumes et leurs chefs. 11 suflisait que ceux-
ci reCOllllusseot la suprématie vague et insigoi~




DES FRANCS DANS LES GAutES. a9
fiante des empereurs, et devinssent au besoin leul's
soldats. IIs en recevaient meme assez souvent, sur
le territoire qu'ils occupaient, quelque fonction,
quelque titre qui les grandissait a leurs propres
yeux, et aussi aux yeux de leurs grossiers compa-
triotes. On les voit comites, duces, magistri mili-
tiro; et l'empire Tomain prolongeait ainsi son exis-
tence nominale dans des lieux on les barbares
étaient les seula maitres vél'itables du sol et des ha-
bitans.


Ainsi se passerent le troisieme et le quatrieme
siecles; et a travers les vicissitudes de l'obscure des-
tinée de toutes ces bandes souvent détruites dans
leurs courses on chassées de leurs précaires éta-
blisscmens, le nombre des petits chefs et des pe-
tites tribus franques aUa toujours croissant dans la
Belgique et sur la rive gauche du ,Rhin. Dans la
premiere moitié du cinquieme siecle, lorsque la
grande irruption des Goths, des Bourguignons,
des Vandales et des Hum vint'décidément mettre
en pieces l'empire romain, le Tole des Francs de-
vint moina considérable, et il semble qu'ils dispa-
raissent un moment de l'histoirc. lIs 11e s'étaient
point, comme ces pauples, avancés tout-a-coup et
en corps de nation; leura incursions avaient été
partielJes et successives. On les vit prendre par ti
soit pour, soít contre les généraux de l'empire ou
lesnouveaux venus, selon que le sort avait jeté telle
ou telle de lems bandes sur le territoire que tenait
cncore JEtius, ou _sur celuí qu'avait envahi Attila.




60 DE L'ORIGINE ET DE L'tTABLlSSEMEI'iT
La communauté d'origine, de mwurs, d'intérets gé-
néraux et définitifs n'étai! pas un lien qui pút tenir
unis de tels hommes, ni les rapprocher quand ils se
trouvaient séparés; ils ne formaien! aucun dessein
étendu ni prévoyant d'établissement ni de conquete;
ils recevaient dll hasard el de leUl' sitllation momen-
tanée leurs alllis, leurs enaemis et l'impulsion qui
les portait tanlól a se fixcr dans un lieu, taotM a
chercher fortune ailleurs.


Apres cette grande tourmcnte, et ]orsque les
principales provinces de la Gau]e, sans cesser tou-
tefois de se dire romaines, furent définitivement
tombées aux mains de nouveaux possesseurs, les
bandes franques qui s'étaicnt établies dans la Bel-
giqlle et sur les bords du Rhin, se trouverent a
peu pres dans ]eurancienne ~ituation. Leur nombre
seulement devait s'etre aceru pendant la grande in-
vasion; que]ques-unes avaient péllélré plus avant
dans l'intérienr du pays et s'y étnient fixées; pres-
que toutes avaient dü apprcnd:e que ]a Gaule en-
tiere était ouverte a leurs f1évastations. Ce n'était
plus 1'empire romain qu'clles avaient a attaquer;
elles ne voyaient plus autour d'elles que d'autres
bandes barbares, des districts délaissés, ou desgou-
verneurs qui, bien que romains ou gaulois, avaient
oublié l'empereur et l'empire a pcu prcs antant
que pouvait les oublier un chef frane ou bourgui-
gnon. La siluation de Syag¡'ius, a Soissons, diffé-
rait peu de celle de Clovis a Tournay; ils étaien t
1 'UD et l'antre de petits souverains entourés d'une




DES FRANCS DANS l.ES GAULES. 61
troupe de guerriers, portant des titres de fonc-
tions impériales, et gouvernanl ponr lenr propre
compte le pays qu'ils occl1paient. Grégoire de Tonrs
appelle Syagrins roi des Romains, comme Clovis
roi des Francs. Ragnachar a Cambrai, Siegbert a
Cologne, Renomer an Mans, Chararich et tant
d'aulres, étaientrois des Francs anssi bien que
Cluvis.


Tel était l'état des Francs dans le nord et I'orient
de la Gaule, a la fin du cinquieme siede, lorsque
Clovis devint, a la place de Childéric son pe re , le
chef de la peuplade franql1e élablie a Tournay. Je
ne me propose point de raconter ses conquetes suc-
cessives, ni comment, de l'an 486 a l'an lS09, il par-
vint a faire dominer, dans les deux tiers au moins
de la Gaule, le nom des Francs et son propre pou-
voir. Je ne veux que faire bien conuailre la nature
de ces conquetes, le genre de domination qui en ré-
sultait, et le mode d'établissement de celte monar-
chie franque dont Clovis fut le premier et le vérita·
ble fondateur.


Dans les temp~ barbares comme dans les temps
civilisés, c'est par I'activité, par ceUe activité in-
fatigable, née du besoin d'étendre en lous sens son
existen ce , SOIl nom el son empire, que se fait re-
connaltre un homme supérieur. La supériorité est
une fO/'ce vivante expansive, qui porte en elle-
meme le principe el but de SOIl action, regarde,
sans s'en rendre compte, Je monde CJuvert clevant
elle comme son domaine, et lravaille a s'y répandre,




6~ DB L'OBIGIl'IB lIT DI L'ÉUlILlSSJUllNT
a 8'en saisir, souvent sans autre nécessité, sans au-
tre dessein que de se satisfaire en se déployant. Elle
agit, pour ainsi dire, comme une puissance prédes-
tinéequi marche, s'étend, conquiert, 8ubjugue, pour
assouvir sa oature et remplir une mission qu'elle ne
connait paso


Tel, a coup sur, était Clovis. On a prétend.t étu-
dier sa politique et peindre son caractere; on lui a
preté les eombinaisons, les vues, les sentimens tan-
to! d'un savant cruel et despote, tanló! d'un con qué-
ran! it vastes desseins, quelquefois d'un profond
Jégislateur. D'aulres se sont élevés contre ses vices,
ses crimes, lui ont refusé tout mérite , toute gloire,
et n'ont voulu voir en lui qu'nn heureux et odieux
barbare. Les uns ont inventé un homme, les autres
oot méconnu des faits. Le caractere individuel de
Clovis nous est ineonnu; la politique prévoyante et
réguliere qu'on lui attribue était impossible dans sa
nation et de son temps. Tout ce qu'on peut dire, et
ce que les faits ne perrnettent pas de nier, c'esl qu'il
était. au milieu des barbares, un barbare doué de
facuItés supérieures etdecetteinsatiable activité qui
les accompagne; un de ces hornmes que rien ne sa-
tisfait ni ne lasse, qui ne trouvent , dans le repos,
qu'impatience et fatigue, nés lJOur le mouvement
paree qu'ils portent en eux-memes la force qui re-
mue toutes choses, et incapables de s'arreter devant
un crime, nn obstacle 011 un danger. Tel fnt le prin-
cipe des guerres continuelles de Clovis; ce ne fut
point une nécessité extérif'ure, le déplacement de sa




DES FRANCS DANS LES GAULES. 63
tribu, ou telle autre cause, mais l'impulsion', de sa
propre nature, le besoin d'agir et de dominer,
qui le poussa en tous sens dan s les Gaules, el fit,
du chef de quelques milliers de guerriers, le fon-
dateur de la prédominance des Francs sur tous les
peuples voisins.


Quand la civilisation s'esl développée, de tels
hornmes sont des fléaux stériles; dans les temps d'i-
gnorance et de barbarie, ¡ls sont aussi des fléaux,
mais par eut commencent les grands états.


On s'abuserait du reste étrangement si J'on atta-
chait aux conquetes et a la monarchie de Clovis
les idées que réveillent pour nous aujourd'hui de
semblables mots. 11 s'en fallaít bien qu'il régnat par-
tout ou il avait porté ses armes, ni qu'il possédat
tout ce qu'il avait conquis. Ces conquetes n'étaient
bien souvent que des expéditions entreprises pOUl'
sortir de l'inaction ou en vue du hutin. Clovis et ses
guel'fiers s'enfonfiaient dans le pays, battaient les
roís et les armées qui s'opposaient a lenr marche,
pillaient les campagnes, les "mes, et revellaient en-
snite emmenallt des escla ves, des trésors, des trou-
peaux, mais sans avoir, en allcune fafion, incorporé
a la rnonarchie franque le territoire qu'ils venaient
de parcourir. Quelquefois le rois'y appropriait des
dornaines, el y plafiait quelques guerriers pour les
gflfdcr et les faire exploiter a son profit; quelques
chefs imitaient son exemple, ou s'étahlissaient eux-
memes dans leurs Ilouvelles terres. Les Francs se
disséminaient ainsi sur le sol des Gaules; mais la t fsti
~


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64 DE L' ORIGINE ET DE L'trAllLlSSEMENT
plupart revenaient avee leur roi et leur butin dans
le lieu d'ou ils étaient partis; ils n'étaient pas assez
nombreux pour oecuper militairement et avec su-
reté un vaste territoire, ni asse'l. h~biles pOUl' orga-
niser, en se retirant, ces moye¡¡s de goU\'erne-
ment et d'administration quilient ensemble les
partics les plus éloignées d'un grand état, Apres
leur départ, le pays dépeuplé et dévasté rentrait
dans une indépendance a peu pre8 entiere, et les
conquéralls recoll1melll,mient vingt fois les memes
conquetes.


Les expéditions de Clovis au-deJa de la Loire ,
contre les rois visigoths, offrent surtout ce carac-
tere; il pénétra jusqu'a Angouleme, Ilordeaux,
Toulouse, et conquit, disent les historiens, toute
I'Aquitainc; ce fut une conqueLe du genre de celle
que je viens de décrire, et qui laissa l' Aquitaine
presque aussi étrangere au peuple et au roi des
Franes qu'elle l'était auparavant. Il en fut de meml!
des conqueles de Clovís dans la partíe méridíonale
du royauille des Bourguignous. Son expédition con-
tre les peuples díts Armoricains quí occupaientnon-
seulement la Bretagne, mais de nombreux districts
de I'Anjou el de la Normandic oceidcntale, eut en-
core moins de résullats.


Dans le nordet a l'est de la Gaule, ses états étaient
plus compactes) et sa domination plus réeIle. La ré-
sidait la nation des Franes; Clovis réunit la plupart
de ses tribus en exterminant les chefs et en attirant
les guerriers par l'appát du butin que lcur promet-




DES FRANCS DANS LES GAULES. 60
taient ses victoires. :On verra, dans un des Essais
suivans, quels étaient ;Ia nature de son autorité et
l'état'dll gouvernement a eeUe époqlle, si ron peut
appe1er de ce nom un chaos on l'on ne rencontre
guere que la lutte des forces et des indépendances
individuelles. Je n'ai voulu ici que décrire avec vé-
rité l'établissement des Francs dans les Gaules. n
fut, comme on voit, lent et incohérent; ce ne fut
point l'invasion vaste et subite de toute une natiou
barbare. Les bandes franques arriverent successive-
ment , isolément , et occuperen t, chacune pour son
compte, telle ou telle portion du territoire. Elles se
rallierent autour de Clovis, et avancerent, sous sa
conduite , dans l'intérieur du pays; mais elles étaient
encore bien loin, a sa mort, de former une nalion
compacte eten possession d'une étendue déterminée.
Aussi de tous les peuplcs barbares transportés dan S
rEurope occidentále, les Francs sont-ils celui dont
l'histoire , a cette époque, est le plus dépourvue
d'unité, de régularité et d'ensemble. Ils étaient de
plus celui qui demeurait le plus rapproché de la Ger-
maníe, et conservait au-dela du Rhin les plus fl'é-
quens rapports. Aussi en rec;mrent-íls continuelle-
ment une impulsion nouvelle vers I'Occídent et de
nouvelles recrues. C'est surtout a cettc derniere cir-
constance qn'il faut aUribuer la p'répondérance
touJours croissante qui fit ennn tomber la Gaule en-
tiere sons leur empire el sous Ieur nomo


7






TROISIEME ESSAI.


DES Cl1lSl!S DE LA CBl1Tl! DES DIl0V~GlElIS
ET DES CAIILOVIlIGIElIS.


Les causes des révolutions sont toujours plus gé-
nérales qu'on ne le Buppose; l'esprit le plus péné-
trant et le plus vaste ne l'est jamais assez pour per-
cer jusqu'a leur premiere origine, et les embrasser
dans toute leur étendue. Et je ne parle pas ici de
cet ellchainement nécessaire des événemens qui fait
qu'ils naissent constamment les uns des autres, et
que le premier jour portait dans son sein l'avenir
tout entier. Indépendamment de ce lien éternel et
universel de tous les faits, il esi vrai de dire que ces
grandes vicissitudes des sociétés humaines, que nous
appelons des révolutions, le déplacement des pou-
voirs sociaux, le boulevEjrsement des formes du
gouvernement, la chute des dynasties, datent de


. plus loin que ne le dit l'histoire, et proviennent de
causes bien moins spéciales que celles qu'elle leur
attribue commullément. En d'autres termes, les évé-
nemens sont plus grands que ne le savent les hom-
mes, et ceux·la meme qui semblent I'ouvrage d'un
accident, d'un individu, d'intérets particuliers ou
de quelque circonstance extél'Íeure, ont des sour-
ces bien plus profondes et une bien autre portée.


e'est, par exemple, une foi héréditaÍre parmi
nos historiens, que la chute de la race mérovin-




68 DES CAUSES DE LA CHUTE
gienne a été due a la honteuse nullité des rois fai-
néans et a l'ambition de Pepin-Ie-:Bref. On a senti
cependant qu'il fallait, pour expliquer un tel fait,
quelque chose de plus que les vices et les passions
de quelques hommes; on a pénétré un peu plus
avant; a coté du pouvoir des rois, on a vu croitre
le pouvoir des maires du palais, et l'élévation de
Pepin a été le dernier des envahissemens progres-
sifs de la mairie sur la royauté. n'autres ont fait
un pas de plus; ils ont cherché d'ou les mail'es 11u
palais avaient tiré leur force; ils les ont vus deve-
nant par degrés les chef s de cette aristocratie de
grands propriétaires qu'avaient créée d'une part la
conquete, de l'autre les bénéfices; ils ont reconnu,
dans le cours du VIl" tliecle, le combat de ce He aris-
tocratie contre la royauté, et dans le changement
de dynastie qui s'accomplit uu reilieu du yme, sa
victoire définitive. Ainsi l'événément s'est agrandi
d'autant plus qu'on l'a considéré de plus pres, et on
lui a assigné des causes de plus en plus générales:
La lutte de deux intérets individuels est devenue d'a-
bord celle de deux institutions politiques, ensuite
celle de deux forces sociales; et a mesure que la vue
de l'historien s'est cnfoncée dans les faits, elle ya
rencontré la société elle-meme, la nation, le pars,
et non plus seulement ces noms propres qui, pour
elre écríts:seuls dans l'histoire, n'en suffisent pas da-
vantage a l'expliquer.


Si je~:ne me trompe, il faut entrer encore plus
avant; et ni I'étendue, ni la vraie nature des deux




DES DEUX PREMIERES. R~CES. 69
révolutions qui détrónerent, rune les descendans
de Clovis, l'autre ceux de Charlemagne, ne sont en-
core bien connues.


Que les causes que je viens de rappeler ne ren-
dent pas pleinement raison de la premiere, une sim-
ple observation leprouvera d'avance. Ces causes ont
subsisté long-tempssans produire un effet si décisif.
Plus d'nn roi fainéant a précédé Childéric 111 et s'est
trouvé sous le joug d'un maire du palais ambitieux.
La puissance des maires du palais n'étaitguere plus
graude aux mains de Pepin-Ie-Bref, qu'elle n'avait
ét~dans celles de Pepin de Herstall, son grand-pere,
d'Ebrolnj:ou de Grimoald. La Iulte des grands pro-
l>riétaires contre les rois a rempIi le VII" siecle, sans
elltrainer la chute de la dynastie mérovingienne. n
est clair que, pour atteindre le but 011 el1estendaient,
toules ces causes onten besoin, non-seulement d'etre
développées par le temps, mais encore d'etre se-
condées et poussées, en quelque sorte, par quelque
autre causeplusgénéra!eetqui eút, avec l'état de/a
nationlfranque elle-meme, de plus intimes rapport8.


Voici dans queIs faits ceUe cause, seuIe natio-
Dale et peut-etre seuIe décisive, me semble cIaire-
ment révélée.


Personne n'ignore ces fréquenskpartages d'états
qui, a la mort des rois francs, .lava¡ent lien entre
leurs enfans. J'en éludierai ailleurs l'origine et le
mode (1). Cinq partages de ce ¡genre furent faits


(1) Voycz le 4' Essai, intitulé: De l'Etal social o, de. ¡".ti-
7.




70 . DES OA.tJSE8 DE LA. CRUfE
sous les rois mérovingiens : en In 1, apres Clovis ler;
en 1>61, apres Clotaire ler; en 628, apres Clotaire IIi
en 638, apres Dagobert lor; en 656, apres Clovis 1I.


La situatioD, l' étend ue, les capitales, le nom meme
des royaumes que formaien! -ces partages varierent
souvent. On en comple cummullément quatre, les
royaumes d' Austrasie, de Bourg4lgne, de Neullrie et
d' Aquitaine. Mais ceUe division n'acquit aUCIlU6
fixité. Le nouveau royaume de Bourgogne, quii'é-
tai! formé apre~ la défaite des anciens rois bOwoPi-
gnons par les enfans de Clovis, fut envahi tanlót p.r
les rois d' Austrasie, tantot par les rois de Neustrie.
Le royaume d' Aquitaine tient peu de place dans l'his-
toire. La division fondamentale et permanente s'é-
tablit entre les royaulOes de Neuslrieel d'Austrasie,
les deux principaux el les derniers survivans.


Il est impossible de déterminer exactement la cir-
conscripLion géographique de ces deux élats; elle
fut incertaine et flottante, cOlOme touteschosesalors.
Les rois d' Austrasie ont possédé }' Auvergne, et leur
domination s'est étendue jusque dan s le Poilou. Les
deux royaumes s'enlevaient con!inuellement des
provinees, et leurs monarques faisaient sans ccsse
dans les parties de la Gaule les plus éloignées du
siége de Ieur empire, des expéditions qu'ils appe-
Jaient des conquetes. 00 peal saisir cependant, entre
la Neustrie et l' Austrasie, quelques lignes de démar-


tulions politiquea en Franco soua les Mérovingien. et lcs Car-
lovingiens.




DES DElJX PRllIlaRES RACES. 71
cation qui, sans embrasserla totalité des deux"états,
étaient considérées en général comme leur(fron-
tieres réciproques. La foret des Ardennes les sépa-
rait (1). La Neustrie compl'enaitles pays situés entre
la Loire et la Meuse, et I'Austrasie, dans la Gaule du
moins, ceux qui s'étendaient de la lUeuseau1\.hin (2.).
eette circonscription, je le répete, n'indique nulle-
mentl'étendue desdeux royaumes; elle marque seu-
lement les points par ou ils se touchaient.


Mais leur division avait une bien autre importance
que celle d'une division géographique. 11 y a eu une
cause a la disparition successive des autres royau-
mes francs, et a la prédominance comme a la ¡ulle
constante de ces deux·lil. Les événemens qui ont


(1) Silva Narbonaria.
(2) e'est ainsi que les écrivains marquent les frontieres de la


NCllstrie et de l' Allstrasie. Éginhard dit, dan. la vie de Charo
lemagne, cap. xv: «Nam cum prius non amplius quam ea
par. Gallia: qlla: intra Rhenum et Ligerim, Oceanumqlle et
mare Balearieum jacat , et pars Germa.nia: qure intra Saxoniam
et Danubillm , Rhenurnque et Salam f1uvium qui Thuringos et
Sorabos dividit, posita, a Franei. qui Orientales dieuntur
incolitur .• Collection des M:émoires relalifa a r Hísloire do
France, par M. GUlZOT, t. IN, p. 138. Paria, (1824.1834).
- • Has tres GalJim provincias (Belgicam, Aquitanicam et
Lugdunensem) duro Franei occllpassent, iIIam regionem qua¡
septentrionem versus inter Mosam et Rhenum porrigitur,
Austriam ,ilIam qum a Mpsa ad· Ligerim protenditllr , Nells-
triam vocitaverllnt .• HUG. DE S. MARIA, Hisl. eccles. lib. 111).
On peut voir un plus grand nombre de passages qlli prouvent le
méme fait, dan s SnuvE, Corpus Matori(/! Gerrllanicll!, t. 1,
p.109,not. XXII (lena, 1730).




72 DES CAUSES DE LA CHUTE
amené ce résultat ont pris leur souree daos l'état des
peuples et des pays.


Les contrées qui formaient l' Aus\rasie étaient, dans
]a Gaule, les premieres qu'eusseot habitées lesFrancs;
elles touehaient a la Germanie et se liaient aUl( t\'i-
bus de l'aneienneeonfédération franque quill'a .... nt
pas passé le Rhin. De plus, apres leurs expéditi~
de pillage et de guerre, ces peuples, au lieu 1Ie.
fixer dans leurs nouvelles eonquetes, revenaietlt.,..;
vent, avec leur butin, dans ]cur ancien établiie-,
mentí on en yerra plus taru de nombreusespreuvell
Enfin la civilisation et les mreursromainesn'avaíent
jamais pris pied sur les bords du Rhin aussi solide-
ment que dans l'intérieur de la Gaule; les eonti.
nuelles invasions des bandes barbares les en avaient
a peu pres explllsées. La population et les mreurs
germaines dominaient done dans l' Austrasie.


Dans les pays qui formaient la Neustrie, au eoo-
traire, les Francs étaient moios oombreux, plus dis.
persés, plus séparés de leur ancienne patrie 'et des
Germains leurs compatriotes. Les Galllois les emi-
ronnaientde toutes parts, Les Francs étaieutIacomme
une colonie ele l:arbares, transportés au milieu du
peuple et de la civilisation romaiue.


CeUe sitllation, ense développant, devaitproduire,
entre les deux états, une distinctioIl bien autrement
profonde que celle d'une division géographique.
D'une part étaít le royaume des Franes germains,
de l'autre eelui des Franes romaíns.


Les témoignages histOl'if{uesattestent pusitivemen t




DES DEUX PRElIlItRES RACES.


ce résuItat probable des faits. Des écrivains du XC sie-
ele appellent l' Austrasie, Francia Teutonica, et la
Neustrie, Francia Romana (1); la langue germaíne,
disaient-ils, prévalait dan s l'une, et la langue ro-
maine dan s l'autre (2). Celte distinction, dont ii reste
encare áujourd'hui tant de traces, était des 10rs po-
puIaire. ~


Ce n'est pas~tout : elle se retrollve dans les événe-
mens : pendant toute h durée de la race mérovin-
gienne, ils en portent l'empreinte ou pIutót en sont
le résultat naturel et nécessaire. En les considérant
sous un~point de vue général, il estimpossible dele
méconnaítre.


La prédominance appartient ¿ral;ord au royaume
de Neustríe. Un fail le démontre. Dermis Clol'is et
avant le complet anéantissement de l'autorité "ofa1e
BOUS les maires du palais, quatre rois ont réuni toute
la monarchie franque : ce sont des rois de Neustrie:
Clotaire ler, de 558 a 1)61 ; Clotaire 11, de 613 a 628;
Dagobert ler, de mn a 6~8 ; Clovis 11, de 655 a 656.
Quoi de:plus simple? C'était en Neustrie que s'était


(1) • Cumque Burgundionum regna transiens, Franciam
quam romanam dieunt, ingredi "ellet. • (LUITPUJI'D, lib. 1,
cap. VII). AiIleurs iI IIppelle les Franes d' Austrasie, Francos
teutonico8 (lib. 1, cap. 11).


(2) «Videtur mihi in de Francos, qui in Gama morantur, a
Romanis linguam eorum qua usquehodie utuntur, accommo-
dasse; nam alii qui circa Rhenum ae in Germania remanserUD t,
teutonica ¡¡ngua utuntur. • (OTDON DE FREYSINGEN, lib. IV,
cap. XXII).


" oÍ/': •..
, ... " /J


\




74 DES C1VSES DE Ll CRUTE
établi Clovis avec la tribu alorsprépondéranteparmi
les Francs. La conquete de la GauJe était le but vers
Jequel se portaient tous les etrorts des barbares, et
la position plus centrale de la Neustrie donnait, sous
ce rapport, a ceux qui l'occupaient, beaueoup d'a-
vantages. La ils trouvaient les richesses romaines et
cesdébris demvilisation qui procurenttantdemoyens
de supériorité. 13. aussi les habitudes de lapopula-
tion romaine et l'influence du clergé favoriserentle
prompt développement de l'autorité royale. L'A.u-
strasie, au contraire, était en proie aux fluctuationl
continuelles de l'émigratioIl germaine; a peine une
tribu s'y était fixée, qu'une autre venait lui disputer
son territoire et son butin : les Frisons, les Thurin-
giens, les Saxons pesaient sans cesse sur les Francs
établis aux bords du Rhin. Il fut facile au peuple et
aux rois de Neustrie d'acquérir rapidement une con-
sistance et un pouvoir qui manquerent long-temps
aux: Austrasiens. .


Mais la lutte des deme royaumes ne tarda pas a
éclaler. Des la fin du VI" siecle, elle existait sous les
noms de Frédégonde et de Brunehault; la rivalité
de ces deux fameuses reines ne fut que l'etret et 1 e
symbole d'un débat plus général, du mouvement
qui, apres avoir jeté les Francs sur la Gaule, pous-
sait la France Germaine contre la France Romaine.
Le pouvoir de Chilpéric et de Frédégonde en Nens-
trie était plus grand que celui des rois d' Austrasie et
de Brunehault sur les bords du Rhin. Les Francsaus-
trasicns· formaient entre eux une aristocratie plus




DES DEUX PBEIIIEBES BACES. 75
homoglme et plus compacte que les Neustriens.
Brunehault entreprit de la dompter. Ses tentatives
contre les grands propriétaires de l' Austrasie el de la
Bourgogne font toute son histoire, etMontesquieuen
a bien saisi le caractere (1). L'aristocratie austra-
sienne s'aUia sous main avec celle de Neustrie, plus
éparse, plus melée de Romains, et ene ore plus me-
nacée par ses rois. Ce fut, comme on sait,· cette li-
gue qui imposa a Clotaire II la mort de Brunehalllt.
Le succesfutdu a l'intervention des Francs-Germains,
bien plus rebelles que ceux de Neustrie aux tradi-
tions du despotisme des empereurs et a la domina-
tion des éveques. L'influence austrasienne devint
bientot prépondérante.


L'élévalion des maires du palais favorisa son dé-
veIoppement. Cette éIévation avait eu lieu dans les
deux royaumes et par les memes causes. Quelques
écrivains allemands en ont douné, de nosjours, une
explication plus ingénieuse que solide. Ce fut, di-
sent-ils, le résultat de la luUe des Francs contre
les Gaulois. Les rois francs, avides de pouvoir. s'en-
tourerent de préférence des anciens habitan s du
pays, plus accoutumés que les guerriers barbares a
obéir et a servir. De la une rivalitó entre le parti
romain et le parti germain ; les maires du palais se
placerent par degrés a la tete du dernier, et leur
triomphe fut celui de la nation conquérante sur la
cour aIliée a la nation vaincue. J' ai vainement cher-


(l) Esprit des Lois, lib. XXXI, chap.l-r et suivans.




76 DES CAUSES DE LA CHUTE
ché, dans les faits, les traces d'une telle distinction.
Ce ne fut point entre les Gaulois et les Francs, mais
entre le lJ'.mvoir royal et les grands propriétaires,
quelle que füt leur origine, que s'élablit la lutte. N'y
eut-il eu, a la Cimr des rois, quo des Francs, le ré-
sultat eut proba~~ement été ]e méme. Les grands
propriétaíres, fra:.:;8 el gaulois, voulaient vivre in-
dépendans et mai~res dans les domaines qu'ils avaient
acquis, n'importe a que! ~itrz. Les rois, forts de leur
nom, entourés de ]eurs lende& on ~ fideles, et IlQ\lte-
nus en général pur le cbrgé, s'efforyaient sanscel$e
de les dépouiller et de les asservir. De 13. le combato
Les roís se servirent d'abord des maires du palais
pour contenir ou opprimer les grands propriétaires.
Un homme puissant appelé a ceHe charge, ou de-
venu puissant par la charge elle-meme, pretait iI la
royauté sa propre force, et, ti son tour, exploitait ir
son profit ceUe de la royauté. Mais bieniot le:mail'(l
du palais trouva plus sur de se faire Je chef et rins-
trumeo t des grands propriétaires. CeUe aristoCl'lltitl
conquit pour son compte la mairie du palais, -eL ltJ
rendit élective. Le meme phénomene eut 'lieu danl
les deux royaumes. l\luis l'aristocratie austrasiemu
était, eomme on \'a vu, plus homogime et plus eom
pacte que eeUe de Neustrie. II n'y avait guere, dan
la Belgique el sur les hords du Rhin, qu'un seu
peuple, la memo impulsioll, les ruemes rnmurs
Aussi les maires du palais pousserent-ils, en Aus
trasie, de plus profondes racines que dans la Neus
trie; la mairio uu palais y échut héréditairemen




DES DEUX PRllIIlERES RA.Cl!S. 77
it la famille la plus puissante entre les grands pro-
priétaíres, celle des Pepino 00 saít quels furent, de
630 a 75'2, depuis Pepio de Landan, dit le vieu:I! ,
jusqu'a Pepin-Ie-Bref, soo pouvoir COllstant et son
élévation progressive. Lorsque, dans la premiere
moitié du vme siecte, la Nellstrie fut tombée en
proie ades désordres sanscesse renaissans, au milieu
des chutes continuelles de ses maires du palais aussi
bien que de ses rois, les Francs d'Austrasie se trou-
'Verent au contraire ralliélS autourd'unefamillepuis-
sante et glorieuse: dans les expédiliolls de Charles-
Martel, ¡Is avaient parcouru, a sa suite, la Gaule
tout entiere : la Fl'ance Romaine céda a l'ascendant
de la France Germaine; les rois de la France Ro-
maine ne purent se soutenir en face de ces chefs de
guerriers venus encore des rives du Rhin; les mai-
res du palais de Neustrie, chefs d'une aristorratie it
demi-gauloise et hien plus dispersée, bien plus amol-
Jieque \'aristocratie austrasienne, ne parvinrent. paa
a prendre définitivement la pl~ce de 1001'S roi8 ; aux
mairesd' Austrasie seuls réussitcette entreprise, paree
que Icur ambition personnelle étaÍt a la tete d'ull
mou vement national; il Y eut comme une secunde
invnsion de la Gaule par les Germains; et un évene-
meot ou ron ne voit d:ordinaire qu'un changement
de dynastie, fui, au fait, la victoire d'un peuplesul'
un peuple , Iafondation d'Ull nouveau royaume par
des conquérans nouveaux.


J\ussi voil-on reparaitre aIors les mo:mrs et les
institutions franques, effacées ou abandonnées de-


S




78 DES CA.USEB DlC LA ,CBUTI
puis pres de deux siecles dans la France Romaine.
Pepin, sauf la différencll des temps, se trouve· dans
une situation analogue a celle 011 avait été Clovis.
Comme lui, il est le chef des guerriers, et de .plus
le premier des grands propriétaires. Mais le pou-
voir qu'il possede n'eat encore qu'un pouvoif' de
faít; il sent le besoin de le faire reconnaitioe par
ses principaux compagnons, et sanctionner par;Ja
relígion qui esl devenue celle du peuple. En,.
l'assemblée nationale est convoquée a Soissons; It!*
pin r est élu roi, et l'éveque de Mayence, Bimifa~\'
lui conrere l'onction sacrée. En 704, le papo
Étienne 111 vient en France, et sacre denouveau Pe-
pin, sa femme Bertrade et ses deux fils. Les Franca
jurent, sous peine d'excommunication, qu'ils n'é-
lirontjamais de roi issudes reins d'unal4tre homme(l).
Les assemblées de la nation, tombées en désuétude
sous les Mérovingiens, redeviennent fréquentes et
prennent part au gouvernement de l'état. Pepin a
été porté au treme par ses compagnons, par les
grands propriétaires et le clergé; il faut qu'illes
consulte, les ménage et les associe a son pouvoir.
Il n'est point un usurpateur ordinaire, héritier,
par Ja force, de la royauté mérovingienne; il
est le chef d'un peuple nouveau qui n'a point
renoncé a ses anciennes mmurs, qni tient a la Ger-
maníe plus étroitement qu'a la Gaule, et se groupe


(1) ,Vt unquam dealterius lumbisre;¡em in rovo presumant
eligere .•




DES DEUX PREJllt.RES R.\C1iS. 79
encore autour du guerrier pu¡ssant qui s'est fait roi.


Tel fut le véritable caractere de celte révolution.
Sous Charlemagne, il éclata avec évidence. Alors le
siége de l'empire fut placé dan s la Belgique et sur
les bords du Rhin, au creur de I'ancienne patrie de
ces Francs qui, soua ]a conduite de la famille des
Pepin, venaient de conquérir une seconde fois ]a
Gaule, mais sans y transporter leur établissement,
comme avait fait, au ve siec]e, la tribu de Clovis. Ce
déplacement du centre de l' état mit, vers l'Orient,
la Gaule a l'abri de toute invasion nouvelle. Lesrois
de Soissons, d'Orléans et de Paris n'avaient pu ré-
sister au mo.uvement qui poussait sur ]eur territoire les
peuples de la Germanie. Les descendans de Clovis y
avaient succombé comme les lieutenans des empe-
reurs romains. D'Aix-la-ChapeIle, de Worms et de
Phaderborn, Carlemagne fut en mesure,non-seuJe-
JUent de repousser les incursions des üermains, mais
de conquérir, a leur tour, ces eonquérans de I'Eu-
rope occidentale. Les Frisons, les Thuringiens, les
Bavarois, les Danois, les Saxons tomberent sous son
pouvoir. Cet immense empire ne devaitpas survivre
a la main puissante qui l'avait fondé, mais une
grande muvre n'en demeura pas moins accomplie;
!'invasion des barbares en Oecident fut arretée ; la
Germanie elle-meme eessa d'elre le théatredes con-
tinueHes fluetuations des peuplades errantes; les
états qui s'y formerent par le démembrement de
l'héritage de Charlemagne, se eonsoliderent par de-
grés, et devinrent la digue qui mit:un terme a cette ._~_
:.:.c~I!J;


.' ...


:J'




80 DES CAVSES DE LA CHUTI
inondation d'hommes que I'Europe subissait depuis
quatre siec1es. Les peuples et les gouvernemens se
fixerent, et l'ordre social moderne commen9a a se
développer.


e'es! la l'immense résultat du regne de Charle·
magne , le faH dominant de cette époque. Jasque-Ia
rEurope occidellta!e n'avait pas cesséd'etreen proie
a l'invasion et a la conquetc. La fondation du roy.urne
de C!ovis au camr de la Gaule avait suspendu ou
ralenti ce mouvement, mais sans le terminer. Le
triomphe des Francs ¿' Austrasie et l'élévation de
leur chef a l'empire de ]a Gau]e, en fut le dernier
aete. N uIs conquérans nouveaux ne se F-écipiterent
en masse vers le flhin pour s'établir sur le sol gau-
lois. L'ébranlement qui subsistait eneore entre ce
fleuve et la Vistule fut contraiot de prendre la voie
des expéditions marÍtimes; quelque mena9antes
qu'elles fusseot, elles ne pouvaient avoir des cODsé-
quences aussi vastes ni aussi incessamment répétées.
Les Normands ravagerent Iong-temps les cótet et
meme l'intérieur de la France; iIs en oceuperen~
une provinee. Mais la se horna l'effet de ce reste de
mouvement des barbares. Par terre, iI s'arreta de-
vant les obstac1es que lui opposaient des états et
des peuples définitivement fixés, comme les flots qui
ont long-temps inondé un rivage cessent d'y péné-
trer quand le sol s'est affermi sous les forets dont
on I'a couvert.


La révoJution qui soumit la France Romaine a la
France Germaine, et substitua les descendans de




DES DEllX PREIIlIERES RA.CES. 81
Pepin-Ie-Vieux au!: [descondans de Clovis, est la
derniere qui soit venue du dehors, de la conquete,
qui ait été l'ouvrage de forces étrangeres au pays
et a ses habitans.


Celle qui détrólIa la race de Charlemagne ne fut
ni de méme origine, ni de meme nature. C'est du
dedaus qlí'elle provint; c'est dans l'état intérieur
du gouvernement et de la société qu'on en découvre
les causes.


Dans l'enrance de la. civilisation, au milieu de
l'ignorance et de ]a barbarie, en l'absence de ces
vastes et fréquentes relations qui unissent les hom-
mes par la communauté des idées et la réciprocité
des intérets, I'unité dos grands états est impossible.
Elle peul etre momelllanément l'reuvre de la force
ou le fruit de l'ascendant d'un homme supérieur;
mais ni la force ni l'ascendant d'un homme supé-
rieur ne sont des puissances a qui appartienne la
duroo; et nul état social ne peu! etre permanen! s'il
n'a ses racines et ses causesdans la société meme,
dans les rapports physiques et moraux des hommes
dont elle est formée. Or, il ya, dans le cours de la
civilisation, des époques on la société est incapable
de s'élever a l'unité nationale, on elle ne possede ni
les lumieres, ni les intérets, ni les principes d'ac-
tion qui font, d'une multitude éparse sur un vaste
territoire, un seul peuple uní sous les memes lois,
vivant de la meme vie, et animé de la meme impul-
sion. Quand l'existence des hommes ne s'étend
guere hors de I'étroit espace ou ¡Is naissent et meu-


8.




DES CAUSES DE LA CHUTE


rent, quand l'absence du commerce, de l'industrie,
dumouvement d'esprit, la Ilullité ou la".rareté des
communicatiolls matél'ielJes et intellectuelles res-
serrent leur pensée dans un horizon a peu pres aussi
burné que celui qu'embrasse leur vue, commen!
une grande société pourrait-elJe subsistCl'? Quelles
idées, quelles relations, quels inlérels en seraient le
)jen et l'aliment? La seule société qui soit possible
alors est une société étroite, lucale, comme l'esprit
et la vie de ses membres, Et si, par quelque puis-
sant accident, par quelque cause passagere, une
société plus vaste est un moment formée, on la voit
bient6t se dissoudre; et a sa place naissent une
multitude de petites sociétés faites a 'la mesure du
degré de développement des hommes, et qu: bien-
t6t produisent, chacune dan s ses limites, un:gou-
vernement de meme dimensiono


Tel est le phénomene qui commenQa a, se déve-
Jopper en France apres la mort de Chal'lemagne,
et dont le dernier terme fut l'établissement du ré-
gime féodal. Jusqu'au milieu du vme siecle, au-
cune société, grande 'ni petite, ne s'était formée
dans les Gaules; elles n'avaient pas cessé d'etre en
proie a l'anarchie de la dissolution et de la con-
quete. Charlemagne arreta pour toujoUJ's l'irrup-
tiO'n des barbares; et des désordres nouveaux ne
vinrent plus incessamment s'ajouter a l'immense
désordre qui régnait déja entre le Rhin et rOcéan.
Alors la société put cornmencer en France; mais
elle De cornmenQa qu'cn se resserrant, car les éJé-




DES DEtJX PBElIIIEBES nACES, 83
mens, les conditions d'une société un peu éteodue
n'existaient ni sur le territoire ni dans ses btbitans.
Charlemagne avait tenté de se faire le souverain
d'un grand peuple et d'un grand empire; l'état du
pays se refusait a ceUe entreprise, et ouI de ses suc-
cesseurs ne fut capable d'y sooger. Sous ]eur regne,
le gouvernement et le peuple allerent se démem-
brant, se disso]vant de plus en plus. Bientót il n'y
eut plus ni roi, ni nation. Chaque propriétaire
libre et fort se 6t souverain dans ses domaines;
chaque comte, chaque marquis, chaque duc, dans
le district on il avait représenté ]e souverain. Si
cela fut heureux ou malheureux, ]égitime ou ilIé-
gitime, il est puéril de le rechercher; c'était la
conséquence nécessaire de l'état des hommes et
des eh oses ; e'était partout le travail de la soeiété
aspirant a se former, et incapab]e de s'étendre au-
dela d'étroites limites. Le pouvoir et la nation se
démembrerent paree que l'unité du pouvoir el de la
nation était impossible ; tout .devint loca] paree que
rien nepouvait etregénéra], parce que toute généra-
lité ét~it bannie des intérets, des existences, des es-
prits. Les lois, lesjugemeos, les moyens d'ordre, les
guerres, les tyrannies, les libertés, tout se resserra
daos de petits territoires, parce que rieo ne pouvait
se régler ni se maintenir dan s un cercle plus étendu.
Quand ceUe grande fermentation des diverses con-
ditions sociales et des divers pouvoirs qui couvraient
la France se fut accomplie, quand les petites sociétés
4Jui cn devaient nalt.re eUI'en! pris une forme un




84 DES CAUSES DE LA CHUT!!
peu réguliere, el déterminé, tant bien que mal, les
relatio. hiérarchiques qui les unissaient, ce ré-
eultat de la conqllete et de la civilisation renais-
sante prifle nom de régime féodal.


Pendant que la féodalité se formait, la royauté
suhsistait toujours, impuissante, nominale, et pour-
tant encore sujet d'ambition et d'orgueil. Des qu'uo
mol désigne une supériorité quelconque, cetta
supériorité fUt-elle sans force, elle excite les désln
des hommes, et ils ont raison, car le nom seul d'gn
pouvoir illusoire est encore un pouvoir. Charles-le-
Gros, Louis d'Olltre-mer, Charles-le-Simple étaient
bien moins puissans, bien moins indépendans que
les grands feudataires du royaume; mais ils por·
taient le llom de roi, nom unique, et qui, par cela
seul, n'était pas tout-a-fait vain, qui avait du moins
de quoi tenter la force capabIe de s'en saisir. CeUe
force ne pouvait manquer de se rencontrer. Elle se
trouva aux mains de Hugues Capet. Entre la puis-
sanee réelle du dernier d.escendant de Charlemagne
et son titre de roi , le contraste était trop grand ; la
couronne semblait posée sur la tete d'uue ombre.
Placé, par la situation de ses domaines, plus favora·
blement qu'un autre pour un tel dessein, Hugues
Capet se l'appropria. II n'y avait pas plus de droits
que tout autre; il ne fut porté au trone par aucun
parti, par aucune combinaison, aucune intrigue
un peu générale. Il prit le nom de roi ; celuÍ qui le
possédait ne pouvait s'y 0PIJoscr; la plupart des
gl'ands seigneurs du royaume ne s'en inquiéterent




DES DEUX PREMIÍlRES RA.CES. 85
point; leur puissance n'en était point atteinte ; de-
puis long-temps, ils n'avaient a pen pres rien a dé-
meler avec la royauté. Rugues Capet se fit recon-
naÍlre par ses propres vassaux, qui n'avaient qu'a
gagner a l'élévation de leur suzerain. Peu a peu les
principaux feudataires, séduits par ses concessions
ou ses promesses, avouerent également le titre su-
périeur qu'il s'était donn¿. Ce fut la toute la révolu-
tion capétienne. Depuis la mort de Charlemagne la
féodalité avait conquis la société. En se faisant ap-
peler roí, un de ses principaux rnembres ~'en dé-
clara le chef. Il acquérait par la, dans le présent,
une dignité plutot qu'un pouvoir. La république
féodale n'était rncnacée que dans l'avenir, et a coup
sur, elle ne s'en doutait point. NuBe révolution n'a
été plus insignifiante quand elle s'est faite, et plus
féconde en grands résultats.







QUATRIEME ESSAI.


DE L'ÉTAT SOCIAL ET DES IlISTlTUTIONS POLITIQ1JES EN FRANCE
S01JS LES MÉROVINGIENS ET LES CARLOVINGlENS.


(De l'an de J.-C. 481, aran 987).


C'est par l'étude des institutions politiques que
]a plupart des écrivains, érudits, historiens ou
publicistes, ont cherché it. connaitre l'état de la
société, le degré ou le genre de sa civilisation. II
eut élé plus sage d'étudier d'abord la société elle-
meme pour connaitre et comprendre ses institutions
IJolitiques. Avant de devenir cause, les institutions
sont efFet; )a société les produit avant d'en etre
modifiée; et au Heu de chercher, dans le srsteme
ou les formes du gouvernement, quel a été l'état du
peuple, c'est l'étatdu peuple qu'il faut examiner
avant tout pour savoir quel a du, quel a pu etre le
gouvernement.


NuBe part ce renversement de la marche natu-
relle des recherches n'a jeté autant d'incertitude
et de confusion que dans l'histoire des anciennes
institutions poli tiques de la France. Rien ne le
prouve mieux que la prodigieuse diversité des sys-
temes dont elles ont été l'objet. Dans l'état et le
gouvernement de la France entre Clovis et Hugues
Capet, ]e comte de Boulainvilliers a vu J'aristocratie
)a plus exclusive et la plus fortement constituée.
L'abbé Dnbos y~trouve la monarchie pureo L'abbé




88 DES IIISTlTUTIOIIS POLlTIQUES EII FRAIlCE
de Mably y reconnait la république, ou pen s'en
faut (1). On aumit tort de s'en étonner. Pour M. de
Boulainvilliers, le mot nation veut dire les Francs ;
pour l'abbé Dubos, e'est la totalité des habitans
des Gaules, te18 qu'ils étaient sous la domination
des empereurs romaills; poul' l'abbé de Mably,
e'est la réunion de tous les hommes libres, le peu-
pIe, dans le sens que nous y aUachons aujourd'hui.
Que faut-ii de plus pour m~pJiq~er l'opposition de
leu1's systemes, tOU8 faux paree qu'ils 80nt tous
incomplets?


Si, avant d'étudier comment la nation était gou-
vernée, ces écrivains eussent rccherché comment.
elle était faite, la principal e cause de lcure coo-
tradictions et de lcurs méprises aurait disparu; il¡¡
auraient vu qu'en un tel état des individus et de~
diverses eonditions sociales, ni l'aristocratie de
M. de Boulainvilliers , ni la mooarchie de l'abbé
Dubos, ni la république de l'abbé de Mab\y n'avaienl
pu exister un momento


La société, sa eomposition, la maniere d'etre des
individus selon leur situation sociale, les rapport~
des diverses c1asses d'individus, l'état des personne8
enfin,~telle est, a coup sur, la premie re question
qu\appelle l'auention de l'historien qui veut assister
a la viedes peuples,'et du publiciste quí veut savoir
comment ils étaient gouvernés.


(1) Observah'onssur l'Hisloirede France, t.1, p_ 178 et 179.
Edit, de 1822publitÍe par 1lI. GIIIZOT.




DU V· AU Xe SIEetE. 89
Chez tous les peuples modernes, et a dater du


démembrement de l'empire romain, fétat des per-
sonnes a été étroitement lié a l'état des terres. Un
savant professeur allemand, M. Hullmann, a éerit
un livre sur l'origine des di verses conditions so-
ciales en Europe, pour JJrouver que 1'0rdre social
moderne tout entier, politique et civil, a dérivé de
cette circonstance que les peuples modernes ont
été des peuples essentiellement agricoles, vonés a
la possession et a la culture de la tene (1). Trop ex-
clusive, eette idée ne manque pourtant pas de vé-
rité. Le régime féodal qui a si long-temps dominé
en Europe, qui domine encore en certains pays et a
laissé partout des traces si profondes , a été préci-
sément le résultat de eeUe intime combinaison de
l'état des personnes avec l'état des terres, et de rin-
Bnenee décisive qu'elIe a exercée sur les illstitll-
tions. Originairement et dans les premiers teml's
qui ont suivi les eonquetes des barbares, c'est l'état
des personnes qui a dé terminé I'état des propriétés
territoriales; SeJOII qu'un homme était Illlls (lU
moins libre, plus on moins puissant, la terre qu'iI.
oceupait a pris tel ou tel caractere. L'état des terres
est devenu ainsi le signe de l'état des persunnes ;
on s'est accoutumé a présumer la conditilln pob-
tique de chaque homme d'apres la nature de ses


(1) Geschichte des urspmngs dar 3famde in Deutschland
(Histoire de l'origine des ordres ou états en Allemagne),
par C. D. HULLIIA!lN, ("o partie, 1 vol. in-8", 1806.


9




90 DES lllSTlTUTIOIlS POLITIQUES 111 FUNCE
rapports avec la terre ou il vivait. Et comme les
signes deviennent promptement des causes, l'élat
des"personnes a été enGn, non-seulement indiqué,
mais déterminé, entrainé par l'état des terres; les
conditions sociales se sont, pour ainsi dire, incor-
porées avec le sol; les différences et les variations
successives de la propriété territoriale ont réglé
presque seules le mode et les vicissitudes de toutes
les existen ces , de tous les droits, de toutes les li-
bertés.


L'étude de l'état des terres doit done précéder
celle de l'état des personnes. PO~lr comprendre les
institutions politiques, il faut connaltre les diverses
conditions sociales et leurs rapports. Pour com-
prendre les diverses conditions sociales, il faut
connaitrc la nature et les relations des propriétés.




DU V· AU X· SlECLE.


CRAPITBB PllElIIIEB.


DE L'tTAT DES TEBRl!S.


Les documens que nous possédons sur l'état des
terres et de la propriété en France, du· v· uu x·
siecle, sont loin d'etre complets et satisfaisans. On
rencontre achaque pas des questions que les lois,
les chartes, ni les historiens ne donnent aucun
moyen de résoudre. Cependant l'état des propriétés
territoriales est plus facile a étudier que l'état des
personnes. n a été plus fixe et est aussi moins com-
pliqué. Dans les premiers temps surtout, des horo
mes de condition tres différente ont souvent possédé
des terres de meme condition. Plus tard les memes
hommes ont possédé des terres de condition tres
differentc. On tire ainsi heaucoup plus de lumieres,
et del! lumieres heaucoup plus sures, de l'état des
terres sur l'état des personnes, qu'on n'en pourrait
tirer , du moins a ceUe époque, de l'état des per-
sonnes sur celui des propriétés. Ceci est encore une
des raisons qui me déterminent a commencer, par
l'étude de l'état des propriétés territoriales, celle de
notre ancienne société.


Je ne 'me propose nuIlement d'étudier la pro-
priété territorial e dans les relations purement ci-
viles dont elle devient l'occasion ou l'objet, comme
les aliénations, les successions, les testamens, ete.




92 DES INSTITlJTIONS POLITIQlJES EN FRANCE
Je ne veux la considérer que dans ses rapporis avec
l'état des personnes, et comme signe ou cause des
diverses conditions sociales.


De la fin du ve siecle a la fin du x', a quelque
époque qu'oll premIe la France, on y reoonnalt trois
sortes de propriétés territoriales : 10 les terres al-
Iodiales; 2° les terres bénéficiaires; 3° les terres
tributaires.


1.


Des Terres allodiales ou Alleu:c.


Origine et nature des Alleux.


Les premiers dleux furent les terres prises, oc-
cupées ou reyues en partage par les FJ'anes, au
moment de la conquete on dans leurs conquetes
snccessives.


Le mot alod ne permet guere d'en douter. II
vient du mot loos, sort, d'ou sont venus une foule
de mots dan s les langues d'origine germanique, el
en franliais les mots lot, loterie, etc. On trouve
dans l'histoire ues Bourguignons, des Visigoths,
des Lombards, etc., la trace positive de ce partage
des terres al10uées aux vainqueurs. Ces peupIes ,
est-il dit, prirent les deux tiers des terres, ce qui
ne veut pas dire les deux tiers de toutes les terres
du pays, mais les deux tiers des propriétés territo-
riales dan s chaque lieu ou s'établit un barbare un
peu 'considérable. Il est absurde de supposer que




DU V· AV X· SIt.CLE. 93
les conquérans procéderent a cet égard, dans leurs
relations ave e les anciens habitaus du pays, par
une sorte de loi agraire universellement et systé-
matiquement appliquée. Chaque guerrier , assez
important pour se faire OU pour qu'on lui 6t une
part, prit ou re9ut les deux tiers des propriétésdans
le territoire q:ui lui fut assigné (1). Les terres ainsi
échues aux barbares sont appelées par leurs pro-
pres lois et par les historiens 80t·te8 Burg"ndi()ftum~
Gothorum, etc.


On ne reneontre, dans l'histoire des Franes , ad-
cune indicatioll formelle d'un partage- semblable ;
mais on voit. partout que le butin était tiré au sort
entre les guerriers (~) ; et ce qui prouve qu'on n'en
agit pas autrement quant aux ter res • e'est qu'un
1nlJnoir ( mansus) s'appelait originairement 1008,
sors (3).


Par la nature meme de leur origine, ces pre-
miers alleux 'étaient des propriétés entierement


(1) • Duas terrarurn partes ex eo loco in quo ei hospitalitas
fuerat dele gata .• (Le;/; Burg. tito LlV , § 1).


(2) • Sequere nos usque Suessiones quia ibi euneta qUID
adquisita sunt dividenda erun t, quurnque mihi vas istud sors
dederit, qUa! papa poscit adimpleam ..... Nihil hic accipies
nisi qUa! sors vera largitur. «GREG. TUR. lib. 11, cap. XXVII.
(Col/celion 8es ,Yémoires relatí{. a l' Hís/oire de France,
depuis la {ondalion de la Monarchie (ranpais9 jusq,.'au
13' sídcle> par M. GUIZOT, Paris, Briere, 1823-1834, t. 1 ,
p.86).


(3) ANTON, Ristoire de l' Agricultura Allemande (en alle-
mand), 1. 1, p. 29~.


9




94 DES Il(STIT1JTIONS l'OLlTIQUES EN FRANCE
indépendantes, que le propriétaire ne teflaít de
personne, a raison desquelles il ne devait rien a
aucun propriétaire supérieur, et dont íl disposait
en toute liberté.


On ne tenait un aneu, disait-on plus tard, que
de Dieu et de son épée. Rugues Capet disait tenir
ainsi la couronne de France, paree qu'elle ne rele-
nit de personne. Ces mots indiquent clairement
des souvenirs de conquete. A cette premi.:'re épo-
que les liens de subordination qui existaient, parmi
les Francs, entre Jeurs chefs et leurs compagnons,
étaient trop faibles pour s'étendre aussitOt aux
propriétés territoriales. Tout guerrier qui prit ou
re-;¡ut du sort une terre , en fut maitre comme de sa
personne. La plénitude et rentiere liberté de la
propriété furent le caractere fondamental des pre-
miers alleux, et la conséquence naturelle du mode
d'acquisition.


Mais les terres prises ou re-;¡ues en partage ne
demeurerent pas long-temps les seuls alleux. D'au-
tres propriétés acquises par achat, succession, ou
de toute autre maniere, vinrent en accroitre le
nombre. Elles étaient aussi indépendantes que les
alleux primitifs et également possédées en toute
liberté, sans aucun líen de suhordination envers un
propriétaire supérieur.


Cepelldaut le mot alode demeura queJque temps
affeeté aux alleux primitifs, distincts des nouveaux
aUeux, bien que ceux-ci fussent possédés avec la
meme indépendance et les memes dl'oits. Les fOf




DU Ve AV X" SIEC1.J: • 95
.. mules de Marculf offrent plusieurs traces de ceUe


dístinction (1).
Elle donne la véritable explication de la terre 8a-


l¡que qui ne pouvait elre héritée que par les males.
Selon J\'lontesquieu, la terre salique était celle qui
entourait immédiatement ]a maison ( sal, haY) dll
chef de la famille (2). Cette explication est incom-
plete et hypothétique. 11 est plus probable qu'on
entendait par terre salique, ralleu originaire, la
terre acquise lors de la conque te , et qui avait pu
devenir en efret le principal établissement du chef
de la maison. La terre salique des Francs Saliens se
retro uve en ce sens chez presque tous les peuples
barbares de cette époque. C'est la te,.ra aviaticca des
Francs Ripuaires, terra 80rti8 titulo adqui8ita des
Bourguignons, hmreditas des Saxons, terra paterna
des formules de Marculf (3).


(l) • Taro de alode aut de coroparato vel de quolihet
attractu •• For".. MncuLF. lib. 11, cap. VII. - • Taro de alode
paterna quam de comparato.. 1Mb. cap. XII. - • Tam quod
alode parentum quam ex meo contractu mihi obvenit .• Append.
Form. MAI.c. capuvu.


(2) Esprit des Loia ,lib. xvm, chapo XXII.
(3) • De terra vero salica nulla portio hooreditatis mulieri


veniat, sed ad virilem sexum tota terroo hooreditas perveniat.
Le:c sal. tito LXII, cap. VI. - • Quum virilis sexus extiterit,
femina in hooreditatem aviaticam non succedat .• Le:c Rip.
tito LVI, cap. 111. -Proosenti constitutione ominum uno voto
et volulltate decrevimus ut patri, etiam antequam dividat, de
communi facultate et de labore SUD cuilibet donare liceat ;
absquc terra sortis titulo adquisita de qua prioris lcgis ordo




96 DES Il'ISTITUTION8 POLI tIQUES EIt FB.\NCE
Peu a peu ceUe distinctipo s'effJlQJl et. 00 donna


indifféremment le nooo d'alleu a toutes les terres
poesédéesen toute propriété et qu'on ne tenait de
periODDc. qu'elles fussent ou non des alleux origi-
naires. Le caractere distinctif de ralleu résida des
lors, non pl.us dans l'origine de ]a propriété. mais
daos son indépendance, et ,'on eooploya comme
synonymes d'alleu les mots proprium J p08,e3sio,
prcedium Jete. ,


Ce fut probablement alors que tomba en désué-
tude la figueur de la dórense qui excluait les fe mm es
de la success.ion a la terre salique (1). n eut été trop
durde les exclure de la succession a tous les alleux,


sel'Vabitur. Lex Burg. tit. 1, cap. l. Cbez les Bourguignons,
les filles suecédaient, pour Ieur part, meme a la terre , sortis
titnlo adquisita .• ¡bid. tit. :uv.


(1) Voici la formule par IaqueIle UD pere appelait sa filIe au
partage de la ter re salique: «Dulcissima filia mea ego iIIe.
Diuturna sed impia inter nos eonsuetudo tenetur ui de terra
paterna sorores eum fratribus portionem non habeant. Sed ego
perpendens hane impietatem, sicutmihi a Deo requaliter donati
estis filii, ita et a me sitis requaliier diligendi et de res meas
post meum diseessum requaliter gratuletis. Ideoque per hane
epistolam te, duleissÍma filia mea, contra germanos tuos
filiosroeos illos in omni hrereditatemea IIlqualitem ctlegitimam
esse eonstituo hreredcm , ut tam de alode paterna quam de
comparato vel maneipiis vel prresidio nostro, vel quodeunque
mOl'ien. reliquero; requale lance cum filiis meis germanis tuis
dividere vel exrequare debeas, et in nullo penitns portionem
mIcro quam ipsi non accipias, sed omnia vel ex omnibus inter
vos dividere et exrequare requaliter debeatis .• Form. Muc.
lib. JI, cap. xIt.-Append .. Muc. Form. cap. XLVuet XLIX.




DU Ve AU X" 8IECLB. 97
et ron ne savait plus distinguer les alleux primi-
tifs, dus a la conquete, de ceux que les proprié-
taires avaient acquis postérieurement el par d'autres
voies.


Charges et obligations des propriétaires d' Alleux.


Paree que les alleux étaient des propriétés libres,
exemptes de toute charge ou redevance envers un
supérieur, et que le propriétaire avait droit de
donner, d'aliéner, de transmettre par testament,
héritage ou de toute autre fac¡on, étaient·ils aussi
exempts de tout impót, de toute charge publique
envers l'état, ou le roi considéré comme chef de
l'état?


L'ahbé Dubos pense que toutes les pro,priétés ter-
ritoriales, tant celles des Francs que celles des Gau-
lois, continuerent d' etre assujéties, apres la conquete,
a tous les impóts qu'elles supportaient sous les em-
pereurs romains. Montesquieu et Mably ont tres jus-
tement combattu celte IIssertion, mais sans se rendre
un compte clair et rigoureux de l'état OU se trou-
vaient alors la propriété et la société (1).


A vant la conquete, les relations des Francs entre
eux étaient purement personnelles. L'état, c'était
la famille, on la tribu, ou la bande guerriere, sans
que la propriété territoriale, qui n'existait pas en-


(1) Nistaire critique de l' établis8ement de la monarchie
fran{!aise, par \'abbé DUBOS, lib. 'VI, chapo XIV. -Esprit des
Lai. , lib. xxx, chapo XII, XIII , XIV et xv.




98 DES 11'1STlTllTIOft9 POLITIQllES El'I FRANCE
core, ful nn des élémens de l'ordre social, et don-
nat lieu, entre les hommes, a aucuo. lien, a aucun
rapport.


Apres la conquete, les Francs devinrent proprié-
taires; beaucoup d'entre eux s'établirent sur les ter-
res qu'ils avaient re~ues ou oecupées. Il en devait
résulter cette immense révolution que l'étatfut formé,
non plus seulement des hommes, mais aussi du ter-
riloire, et qu'aux relations personnelles les relations
riel/es se vinssent ajouter.


Mais une teIle révolution est nécessairement fort
lente. n s'en faUait bien que les Franes comprissent
ce que e'est que l'état, dans le sens territorial, et
queJs rapports doivent unir les propriétaires de son
terrÍtoire. Les relations perspnnelles étaient encore
les seules doní ils eussent I'idée, et dans I'indépen-
dance individuelle résidait, a leurs yeux, tOlltC la
libel,té. Les propriétés furent indépendantes comme
les hommes ; et le Franc propriétaire se crut encore
bien moins d' obligations envers cet état abstrait qu'il
ne concevait meme pas, que le Franc chasseur ou
guerrier n'en avait autrcfois envers la bande dont
il était toujours maare de se séparer.


Avant done de devenir le principe d'une soeiété
nouvelle, l'établissement des barbares sur le sol
entraina presque la dissolutioil de l'anciennu so-
ciété. Jusque-Ia les hommes de la bande ou de la
tribu avaient vécu ellsemble; leurs relations n'é-
taient que personnell.es, mais elles les retenaient
unis. Propriétaires, ils se disperserent; et la sépa-




DU Ve AV X' SrEen. 99
ration, l'isolement des individus fut le premier pas
vers le nouvel état social que devait amener la pro-
priété.


Quoi de plus absurde que de supposer qu'a une
époque 00. les relations personnelles se rompaient de
la sorte sansetre encore remplacées llar les relations
réelles, les propriétés fussent liées, soit entre elles,
Boit enven l'état, par un systeme régulier d'obliga-
tions et de charges publiques? Le public, l'état
n'existaient pas dans la pensée des Francs, qui ne
connaissaient que les rapports d'homme a homme;
et un impOt, dans le sens que nons attachons a ce
mot, ne lenr eut paru qu'une violence, un vol com-
mis par le fort, et que le raible seul pouvaitetre con-
traint de subir·.


Les propriétaires d'alleux, c'est-a-dire de terres
qu'ils ne tenaíent de personne, n'étaient done sou-
mis a aueun impót publico L'indépendance absolue
de leur propriété était leurdroit aussi bien que celle
de leur personne ; ceUe indépendance n'avait guere
alors d'autre garantie que ]a force du possesseur;
mais, en usant de sa foreepour ladéfendre, il eroyait
exercer son droit.


Cependant la soeiété ne peut 8ubsister dans ect
état de dissolution qui nah de l'isolement des in-
dividus. Aussi le systeme de la propriété allódiale
devait-il disparaitre peu a peu pour faire place au
systeme de la propriété bénéficiaire, seul capable,
a ce degré de la civiJisation, de former d'un grand
territoire un état, el de ]a masse des I'ropriétairea-'-'; .
<~::~? ~ ..


,-ti.




100 DES INSTITUTIONS POLlTIQUES EN FRA.NCE
une société. J'exposerai toul·a-l'heure comment s'o-
péra cette inévitable révolution dans les propriétés
territoriales. Pendant qu'elle se préparait, la néces-
sité ne permit pas que les propriétaires d'alIeux s'i-
80lassent complétement, et impaga aux alleux cer-
taines charges. Les voiei :


1° Les dons qu'on faisait au roi, soit a l'époque
de la tenue des 1 Champs de Mars, soit lorsqu'il ve-
nait passer quelque temps dans telle ou telle pro-
vince (1). Ces dons furenl d'abord purement volon-
taires, une marque de déférence, d'attachement,
ou un moyen de se concilier la faveur d'nn chef
puissant. L'habitude et la force les convertirent peu
a peu en une sorte d'obligation dont les aJleux n'é-
taient pas exempts. Des lois en déterminent la forme,
reglent lemoded'envoi, etc. (2); etils étaient si bien
devenus obligatoires, tout en conservant le nom de
dons, que Louis-Ie-Débonnaire dressa en 817, a Aix-


(1) «In die Martis campo, secundum antiquam consuetu-
dinem, dona regihusa populoolferebantur .• (Annal. H1LIlESH.
H. 750, ap. LllIHN1U. Scrip. rer. llrunswic. t. 1, p. 712).-
• In ~lartis campum 'lui rex dicehatur, plaustro bobus trahen-


tibus vectus , atque in loco eminenti sedens, semel in anno
popuJis visus, publica dona solemniter sibi oblata accipiehat. ".
(Ann. FULD. a75l).


(2) • Ut quicum'lue in dona regia caballos prresentaverit, in
unum 'luemque suum nomen scriptum habeat.. (Cap. Caro
Mar¡. a. 803, § xx, ap. llHuz. t. J, p. 400). - Pépin-le-Bref dit.
en parlant des religieuses : «Et qualia munera ad palatium
dare voluerint. per missos suos ea dirigant." (Cap. Pipp.
B. 7fí5, ap. BALl1Z. t. 1, p. 171).




101
la-ChapelIe, la liste des monasteres qui lui devaient
des don s et de ceux qui ne lui en devaient'pas (1).


2,0. Les denrées, moyens de transport et autres
objets a fournir Boit aux envoyés du roi, soit aux en·
voyés étrangers qui traversaient le pays en se ren-
dant vers le roí (2).ICette obligation est peut-etre
la premiere quirenferme évidemment la Dotion d'une
charge publique imposée al la propriété pour un
service public, et a tous les gen res de propriété ter·
ritoríale sans c1istinction.


3°. Le service militaire. On a considéré ceUe obli-
gatíon comme inhéreote a la propriété allodiale.
e'est attribuer aux barbares des combinaisons trop
régulieres et trop savantes. Daos l'origine, le ser-


(1) Voyez le reeuei! desCapitulairea de Baluze, t. 1, p. 589.
Ou peut consulter aussi a ce sujet l' Histoire des finances de
l' Allemagll6 dansle moyen-6ge (en allem.), par M. Hullmann,
p.SO.


(2) • Ille rex omnibus agentibus. Dum et nos in Dei nomine
apostolieo viro iIIo neenon et illustre viro illo partibus illis
legationis c~usa direximus, ideo jubemus ut locis convenien-
tibus eisdem a vobis eveetio simul et bumanitas minilitretnr,
h. e. veredosseu paraveredos tantos, panis nitidi modios tantos,
vidimodios tantos ..... lardi libras tantas ..... Hale omnia diebus
tam ad ambulandum quam ad nos Dei nomine revertendum
unusquisque vestrum loeis consuetudinariis ¡isdem ministrare
et adimplere procuretis .• (Muc. Form. lib. 1, cap. XJ).- Si
quia autem legatarium regis, vel ad regem , seu in utilitatem
regis pergentem, hospitio suseipere eontempserit, nis; emu-
nitas regis hoe eontradixer, 60 sol. culpatibilis judieetur.
(Le;¡; Rip. tito LXV, § JJI ). On ,eut voir aussi a ce Bujet divers
Capitulaires dans Baluze, t. J. p. 549, 618 et 671.


10Mll. 10




ltf:lS DES h'~l'ITUTIO"S POUTIQUES EN FRANCE
'Vice militaire fut imposé a l'hornme, a raison de 8a
qualité de Fraoc ou de compagnon, non a raison de
ses tetres. L'obligation était purement personnelle.
C'était le résultat naturel de la situation des Francs
qui avaient besuio de se défeodre dans leur nouvel
établissement, et surtout de leur goút pour les ex-
péditions guerrieres et le pillage. C'était aussi une
sorte d'obligation moral e de chaque homme libre
envers le chef qu'il avait choisi. La qualité de pro-
priétaire était si peu la source de I'obligation que
les choses se passaient encore a peu pres comme en
Germanie. Le chef proposait une expédition a ses
bommes, et, s'ils I'approuvaient, ¡Is partaient. u Ven-
" gez, dit Théodoric a ses Francs (en lS28), et mon
II injure et la mort de vos parens : rappelez-vous
.. que naguere les Thuringiens ont attaqrié nos pa-
• rens a l'improviste el Ieur ont fait toute sorte de
1I maux; on Ieur a donné des olages pour obtenil' ]a
1I paix; ils ont tué ces ot ages de mille falt0ns diver-
" ses; ils se sont précipités sur nos paren s et Ieur
» ont enlevé toutes leurs richesses; ils ont Ilendu les
» enfans par la cuiase; ils ont égorgé cruellement
» plus de deux cents jeunes filIes; ils ont attaehé
" les bras des femmes au eou des chevaux, et pre-
" Dant leur course en sens opposés, ils les ont af-
JI freusemellt déchirées; ils en ont étendu d'autres
n da1l3 les ornieres des ehemins, les y ont attaehées,
,; ilt, faisant passer sur elles leul's pesans charíots,
• ils ont laissé la lemB corJS fracassés pour la lIour-
n riture des oiseaux et des chiens. l\Iaintenant Her-




DU Ve AU X· SIE;CLE. 103
l) manfried me refuse tout ce qu'il m'avait promis.
I Noua avons 1:\ de bonnes raisons. Marchons contre
)) eux avec l'aide de Dieu (1) •• C'étaient la les mo-
tifs, les discours par lesquels, comme jadis dans les
forets, un roi, un chef se faisait suivre de ses guer-
riers. Leur adhésion était libre, et leurs propriétés
ne leur imposaient point l'obligation de marcher
contre leur gré. Souvent les guerriers eux-memas
sommaient leur chef de les conduire a une expédi-
tion, le menal(ant de le quitter et d'en prendre un
autre s'il s'y refusait: 11 Si tu ne veux pas alIer en
l) Bourgogne avec tes freres, disent les Francs a Théo·
l) doric, nous te laissons la et nous marchons avec
» eux (en 031) (2). )) Aillellrs les Francs veulent
marcher contre les Saxons qui demandent la paix
(en 5!Jg): le Ne vous obstinez pas a aller a cette
II guerre OU vous vous perdrez, leur dit Clotaire ler;
)) si vous voulez y alIer, je ne vous suivrai paso -
" lUais alors les guerriers, irrités contre le roi Clo-
l) tairef se jeterellt sur lui, mirent en pieees sa
l) tente, ren arracherellt de force, l'aecabIel'ent
" d'injures, et résolurent de le tuer s'il refusait de
" partir avec eUI. Clotairc, voyant cela, allaavec eUI
" malgré lui (3)." A coup sur on n'aperl¡oit, dans


(1) GREG. TUlI .. lib. II1, cap. VII.- Collect. des Mém. t. 1,
p. li9.


(2) Ibid. lib. 111, cap. XI - Collect. des Mém., t. 1, p. 123.
(3) GREG. TUR. lib. IV, cap. XIV. - Collacl. des Mém' J t.l,


p. 167.




104 DES IIlSTITUTIONS POLITIQUES EII FRANCE
tous ces Caits, aucune trace d'une obligation imposée
a raison de la ·propriété.


On voit cependant s'introduire par degrés, dans
ces convocations militaires, une sorte d'obligation
légale, sanctionnée par une peine contre ceux qui
ne s'y rendent pas (1). Dans certain» cas, la peine
estinfligée bien qu'il ne s'agisse nul1ement de la dé-
fensedu territoire (2). Aucune distinction n'est faite
entre les propriétaires d'alleux et les non-proprié-
taires. Évidemment la dispersion des propriétaires
et l'isolement des intérets individuels rendent plus
difficile la réunion d'une armée; les rois emploient
la force pour obliger les guerriers a obéir 11. leurs
ordres; eeux qui sont en état de résister s'y re-
fusent; les raibles sont contraints ou punis; et, dans
tous les eas, la convocation s'adresse aux compa-


(1) • Si quis legibus in utilitatcm regis, sive in hoste seu
in aliam utilitatem bannitus fuerit et minime adimpleverit, si
regritudo eum non detinucrit, 60 solidis muletetur ... (Le x Rip.
tito LXV, § 1).


(2) Sous Childebert 11, en 58.!l: • Post hale edictum a
judieibus datum est nt 'Iui in hac expeditione tardi fuerant
damnarentnr .• (GREG. TUR. lib. nI, cap. 11.) - • Post halc
Chilpericus rex ( a. 578) de pauperibus et junioribus ecclesial
Telre hasilical bannos jussit exigi pro ea quod in exercitu non
ambulassent. Non crat cnim consuetudo ut hi ullam exsolverint
publicam functionem .• (¡bid., lib. V, cap. XXVII. - Collect.
des Mém., t. 1, p. 264). Cette derniere phrase pourrait vou/oir
dile que Chilpéric leur fit payer, non une amende a raison
de leur)bscnce, mais une indemnité a raison de leur exemp'
tion.




DU V· AU X· SltCLE. 105
gnons, aux hommes libres; l'obligation ne se fonde
point sur la propriété.


C'est sous Charlemagne qu'on voit clairement 1'0-
bligation du service militaireimposéea tousles hom-
mes libres, propriétaires d'alIeux: ou de bénéfices,
et réglée en raison de leurs propriétés (1).


Cette obligation devient alors, non plus le résul-
tat d'un consentement libre et spécial, non plu-
l'effet de la simple relation du compagnon a son
chef, mais un véritable service public imposé a tous
les citoyens, a raison de la nature et de l'étendue de
leurs propriétés territoriales. 'Iout possesseur de
trois manoirs (maflSU8) (:2) ou plus, est ten u de mar-
cher en personne. Les possesseurs d"un ou de deux
manoirs se réunissent pour équjper l'un d'entre eux
a leurs frais, de teIle sorte que trois manoirs fonr-
njssent toujoursun guerrier. Enfin les pauvres memes
qui ne possedent point de terres, mais seulement des
hiens meubles de la valeur de cinq 8olidi~ sont tenus
de se réunir, au nombre de six, pour équiper et
faire marcher l'un d'entre eux (3).


(1) • De Iiberorum hominum possibilitate ut juxta qualita-
tem proprietatis exercitare debeant .• (Cap. Caro Nag. 8.814,
§vu, ap. BALuz. t. 1, p. 1í30.-Voy. aU8si Cap. Caro Nag.
8. SOl, § 11, ap. Bu: t. 1, p. 347; 8.802, i m, ibid. p 365;
8. 812, § 1, ibid. p. 493).


(2) 00 8 tenté de déterminer quelle était l'étendue d'un
meas1ts. Ducange I'évalue a douze arpens; il est plus pro-
bable qu'elJe variaitselon les Jieux. (ANTON, Hiat. de l' .Agricull.
aUem., t. 1, p. 293).


l3) Cap. Caro Mag. a. 807, § 1-11, ap. B.ul!z. t. 1, p. 457-489.
10.




106 DES lNSTlTUTIONS POLITIQUES EII FRANeE
Charlemagne veilla tres séverement au maintien


de ce systeme de reerutement fondé sur la propriété.
Son capitulaire en forme d'instruction aux missi do·
minici pour r année 812, regle tous lesdétails de l'exé-
cnlion (1).


Non-seulement les alIeux comme les bénéfiees,
mais les propriétés ecclésiastiques meme étaient 80U-
mises aceite eharge, EIl 80:&, Charlemagne défen-
dit aux éveques el abbés d'aJler en personne a la
guerre, a la tete de leurs hommes, eomme ils le fai-
saient auparavant, mais a eondition qu'ils y enver-
raient lenrs hommes bien armés, sous les ordres de
chefs que l'empereur aurait désignés (2). Je remal'-
que, comme un monumellt des idées du temps, que
leR ecelésiastiques ayan! par u penser que eeHe in-
terdietion personnelle du service militaire avait pour
hut de rabaisser leur position soeiale, Charlemagne
se erut obligé d'expliquer ses motifs et de dire qu'il
n'avait voulu que rétablir le respeet des convenan-
ces. BientOt apres on voit un grand nombre d'ab-
bayes demander et obtenir, pour leurs hommes,
l'exemption du serviee militaire; en 817, sous le
regne de Louis-Ie-Débonnaire, dix-huit monaste-
res en jouíssaient, et il l'aecorda dans la suite a
plusieurs autres (3), La charge publique du ser vice
militaíre dcmeura du reste réglée sous ce prince


(1) Ap. BALUZ t. 1, p. 48U-492.,
(2) ¡bid. p.405-412.
(3) ¡bid. t. 1, p. 589, 684,




DD V· AU X· SIEen. 107
eomme elle l'avait été sous Charlernagne (1).


Sous Charles·Je-Chauve, elle fut restreinte au eas
d'nne invasion dn pays par l'étranger. La totalité
des hornmes libres, sous le nom de landwehr, était
alors tenue de mareher (2). A eeUe époque la classi-
fieation féodale des terres et des hommes prenait pos-
session de la société, et la relation du vassal au sei-
gneur prévalait eomplétement sur celle del'homme
libre au chef de rÉtat.


Telles étaient les eharges que lupportaient les
alleux. Leur illdépendance fondée, comme on voit,
sur l'indépendance personnelle du possesseur, de-
vait en partager les vieissitudes. S'ils étaient exempts
d'impóts, e'était moins en vertu de leur condition
particuliere que parce qu'il n'y avait pas d'impóts
généraux el proprement dits. La propriété, comme
la liberté, n'avait alors d'autregarantie que la force
de son maUre, et d'autres forees la mena9aient con-


(1) Ibid. t. 1, p. 672. Ce eapitulaire de Louis-Ie-Débonnaire,
qui répCte les instruetions de Charlemagne ,est ~e l'an 829.


(2) «Et volumus ut eujuseumque nostrum hoo'Jo, in eujus-
eumque . regno sit, eum seniore suo in hostem vel aliis suis
utilitatibus pergat, nisi talis regni invasio quam lm¡!weri
dieunt, quod absit, aeciderit, ut omnis populus illius regni
ad eam repellendam eommuniter pergat. , (Traité de 847 entre
Lothaire, Louis-Ie-Germanique et Charles . .}e·Challve, ap.
Buuz. t. n, p. 44). - • Si aliquis ex fidelihlls nostris in alode
Suo quiete vivere voluerit, nll11lls ei aliquod impedimentum
facere prresumat, neque aliud aliquid ah eo requiratur nisi
solummodo ut ad patrire defensionem pergat .• (Cap. Caro Calvo
a. 877, § x, ap. Bu. t. 11, p. 264).




108 DES INSTlTUTIONS POLlTIQUES EN FRANCE
stammcnt. 00 voitde tresbonne heure les roís faire
des tentatives pour mettre des impóls sur des hom-
mes et des terres qui se croyaielÍt le droit de n'en
8upporter aucun. Ces tentatives amanent des révol-
tes (1). Le plus faible cede, c'est-a-dire 8uccombe.
En 615, dans l'assemblée tenue a Paris, Clotaire 11
promet de révoqller toutes les charges indument
imposées aux propriétés (2). ~lais ces charges se re-
nouvelJent aussi souvent que le roi est assez fort
pour écraser les résistances. Aucua droit public ne
peut s'établir.


On voit aussi, en de grandes et facheuses circon-
stances, les rois i!Dposer certaines charges aux pro-


(1) En 547, les Franes d'Autrasie, furieux contre Parthénius
qui avait engagé le roi Théodebert it leur imposer des tributs,
l'arracherent de I'église de Treves, ou il s'était réfugié, le
lierent a une colonne et le lapidcrent. (GREG. TUIl. lib. III ,
cap. xxxVI.-Collect. des Mém. t. 1, p. 1111).- .En 578,
Chilpericus descriptiones novas et graves in omni regno suo
fierit jussit ..... Statuit ut possessor de propria terra unam
amphoram vini per aripennem redderet. Sed et alial functiones
¡n!ligebantur multa! tam de reliquis terris quam de maneipiis,
quod impleri nod potuit .• (lbid. lib. v. cap. XXIX. - Collect.
des Mém. t. J, p. 265). -« En 584, Frédégonde habebatseeum
Audonem judieem qui ei in muItis consenserat malis. Ipse
eDim eum Mummolo prrefccto multos de Francis '1ui tempore
Childeberti regis ingenui (c'est-a-dire ¡mmunes) fuerant,
publico tributo sllbegit. , (Ibid. lib. HI, cap. xv. Colleef. des
Mém. t. 1 ,89).


(2) • Ut ubicllffi'llle ceDSUS novus impie addietus est et a
poplllo reclamatur, i usta inqllisitione míserieorditel' emen·
detur .• (Edict. Chloth. 11 , § 8, ap. BALuz. t. J, p. 23).




DU V· AU Xe SI:I!CLE. 109
priétaires sans distinction, pour pourvoir a quelque
besoin pressant de l'état. Ainsi tirent Charlemagne
en 779, a l'oeeasion d'une famine. et Charles-le-
Chauve en 877, pour parer aux Normands le tribut
qui aehetait leur retraite (1).


Nombre et vicissitudes des A.lleux.


Apres avoir examiné la nature et les eharges des
terres allodiales, il faut eonnaÍtre leur histoire et
rechercher par quelles vicissitudes a passé ce genre
de propriété avant d'etre sinon détruit, du moins
fort restreint par le pIein établissemellt du régime
féodaI.


Ce serait une grande erreur de croire qu'apres la
conquete tous les Franes devinrent propriéta ires, et
qu'ainsi le nombre des alleux se trouva tout-a-coup
considérable.


Les Franes étaient fort loin de prendre ou de se
partager des ter res dans tous les pays 011 ils faisaienl
des expétlitions. et qui s'incorporerent peu a peu
avee la monarchie. lis voulaient surtout du butin,
el la plupart d'entre eux l'emportaient ou l'emme-
naient ensuite sur les bords de la Meuse ou du Rhin,
dans leurs premieres habitatiolls que pendant long-


(1) Ap. BALuz., t. 1, p.199; t. 11 p., 257. Dans les deult cas
la charge est répartie selon la qualité des personnes, et aussi
selon celle des pl'Opriétés : un évéque paie tant, un comte
tant, etc. ; un manoir seigneurial (manSU8 indominicatus)
tant, un manoir libre (ingenuilis) tant, un manoir servile ~
(serllilis) tant , etc. ,I'f/o-'\f;


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.111


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''1, :·.~?:·:.i~




110 DES INSTITUTlOl'IS POLITIQUES EN FRANCE
tempa ils préférerent a tout autre séjour. "Suivez-
n moi en Anvergne, dit Théodoric aux Austrasiens
n qui voulaient marcher contre les Bourguignons ;
n je vous conduirai dans un pays on vous prendrez
n de l'or et de l'argent autant que vous en pourrez
" désirer, on vo us trou verez en abondance du bé-
n tail, des esclaves et des vetemens .... 1l se prépara
" done a passer en Auvergne, promettant de nou-
n vean 3. ses guerriers qu'illeurpermettrait de trans-
n porter dans leur pays tout le butin, et .aussi les
• hommes (1) .•


On se formerait d'ailleurs une idée tres fausse du
mode de distribution ou de partage des terres, si
ron supposait qu'apres le succes d'une expédition,
et quand elle vouIait s'établir dans le pays conquis,
une bande de guerriers se dissolvait en individus
dont chacun allait habiter, ave e sa famille, la terre
isolée qui lui était échue. Une teIle dispersion eut
été fort périlleuse pour les conquérans, et de plus
elle cut rompu toutes ces habitudes de vie com-
mune, d'exercices, de jeux, de banquets continuels,
qu'ils avaient contractées dan s leurs courses, et qui
font, a ce premier degré de la civilisation, l'nnique
divertissement de I'homme grossier et oisif. Le tra-
vail seul rend l'isolement support.able, et Jes Francs
ne travaillaient paso II n'y eut donc que peu ou
point de partages individuels. Chaque bande com-


(1) GUG. TUR. lib. III, cap. 11. - Col/ect. des Mém., t. 1,
p.123.




DU V· AU X· SltCLE. ]11
prenait un certain nombre de chefs suivis chacun
d'un certain nombre de compagnons. Chaque chef
prit ou reyut des terres pour lui et ses compagnons
qui ne cesserent pas de vive avec lui. Quand la na-
ture meme des choses et plus tard l'établissement
du systeme féodal ne prouveraient pas invincible·
ment qu'ainsi durent se passer les faits, une circon-
stance particuliere ne permettrait pas d' en douter;
c'est le grand nombre de Francs qui paraissent sans
propriétés personnelles, et vivant sur les terres, dans
les villaJ soit du roi, soÍt de quelque chef. Les lois
sont pleines de dispositions qui reglent les droits et
le sort de cette claase d'hommes (1) ; elles ordonnent
la convocation, a l'assemblée publique (placitum) ,
des hommes libres qui habitent sur la terre d'au-
trui (2). Enfin nOllS avons la formule du contra! par
lequel un homme se mettait al ora, non-seulement
sous la protection, mais au service d'un autre, a
charge d'etre nourri et vetu, et sans cesser d'etre


(1) "Plaeuit nobis ut illos liberos homines comites nostri
ad eorum opus servile non opprimant.. (Cap. Caro Mag.
8. 793, § XlII , ap. BAL. t. I ,p. 260). - • Franci autem 'lui in
fleis aut villis nostria eommanent, quidquid eommiserint
secundum legem eorum emendare studeant .• (Cap. Caro Mag.
8. 800, § IV, ap. Bu. t. 1, p. 332). - • De liberis hominihus
'lui proprium non habent sed in terra dominica resident, ut
propter fe. alteriu. ad testimonium non reeipiantur. ConjUl'a-
tores tamen aliorum liberorum hominum esse possunt quia
liberi sunt .• (Cap. Ludov. Pii, a. 829, § VI ap. Bu. t. 1,
p.671).


(2) Cap. Loth. Imp. § XXIII, ap. BAL. t. JI, p. 336.




112 DES IIIISTITllTlOll8 POLlTIQ,llES 1!II FRANCI!:
libre (1). Ce genre de contrat, qui n'était guere que
la rédaction écrite de \'ancienne relation du com-
pagnon au chef, devenue, il est vrai, moins libre et
moins égale, explique ce grand nombre d'hommes
libres vivant et servant sur le~ ter res d'autrui. Le
nombre des Francs directement et personnellement
propriétaires d'alleux fut done d'abord assezpeu
étendu.


Deux causes puissantes, les usurpations de la
force et les donations aux églises, tendirent encore
a le restreindre.


Les faits historiques et les lois, tout atleste que,
du VII" au XC siecle, les propriétaires des petits
alleux furent peu a pen dépouilJés ou réduits a la
condition de tributaires par les envahissemens des
grands propriétaires (2). l\farculf nous a conservé
la forn;lUle de la leltre que les roÍs avaient coutume
d'écrire a leurs cOllltes puur leur ordunner de faire
droit aux réclamations d'nn fidele qui est venu se


(1) Ap. BAL. t. 11 , p. 493.
(2) • De oppressione pauperum Iiberorum hominum, ut


non fiant a potenhoribns per aliquod malnrn ingenium contra
justitiarn oppressi, ita ut coaeti res eorurn vendant aut tra-
dant .• ( Cap. Caro May. a. 805, § XVI, ap. BAL. t.1 , p. 427 ).
-. Ut Papenses Franci qui caballos habent cum suis comi-
tibns in hostern pergant, et nullu5 per violentiarn vel per
aliqnod malnm ingeniurn , aut per quarncllmque indebitam
oppressionem talibns Francis su as res ant caballos tollat .•
(Edit. de Pistes, de Charles-Ie-Chauve, § XXVI, a. 864, ap.
BAL. t. II, p. 186. - Voyez anosi BAL. t. 1, p. 356 ; t. 11
p. 329. etc).




DU V· AU X· SIECLE.


plaindre, est-il dit, "de ce qu'un tel, propriétaire
" dans votre comté, luí a enlevé par force sa terre
11 situé e en tel endroít, et laretient injustemenl ('2)."
Les comtes eux-rnemes, les éveques, les abbés se
rendajent sans cesse coupables de spoliations se m-
blables, el les capitulaires abondent en dispositions
destinées a les réprimer (3). Une ordonnance de
Louis-le-Débonnaire, rendue en 816, sur les plain-
tes des Espagnols qui s'élaient établis dans le midi
de la France pour échapper aux Sarrasins, faíl
tres bien connaitre la marche de ces violen ces el les
périls que couraient les petites propriétés. En voici
le texte :


» Louis, etc., faisons connaitre a tous les fidilles


(1) MARr.. Form.lib.l ,Cllp. XXVIII.
(2) • inquirendum eliam si ilIe seculum dimissum habeat


qui quotidie possessiones suas augere quolibet modo, qualibet
arte non cessal, suadendo de crelesti. regni beatitudine,
comminando de reterno supplicio inferní, et sub nomine Dei
aut cujuslibet sanoti tam divitem ac pauperem qui simpliciori.
naturre sunt .... , si rebus suis exspoliant et legítimos hreredes
eorum exhreredant.» (C'était la IIne des questions qu'en 811
Charlemagne se proposait de faire aux éveques; al', Bu., t. l ,
p. 480). - • Quod pallperes se reolamant exspoliatos esse de
eorum proprietate. Et hoc reqllaliter clamant sllper episcopos
et abbates et eorum advocatos, et super comites eteorum cen-
tenarios. Dicunt ctiam quod qllicumque proprium suum epis-
copo, abbati, vel comití aut judici aut centenario dare noluerit,
occasiones qllrerunt super iIIum pauperem quomodo iHum
condamnare possint, etillum semper in hostem faciant ire, usque
dUID pauper factus, volens nolens suum/proprium tradat aut ven-
dat. • (Cap. Caro Mag., a. SH, § 1I, lit, ap. BAL., t. l, p. 485).


I!




114 DES INSTITUTIONS POLlTIQUES EN FRANCE
" de la sainte église, et a tous nos fideles présens
a et futurs ainsi qu'it nos successeurs, que les Es-
a pagnols qui fuyaient la dominatioll des Sarrasins
Jl s' étant placés sous la foi de notre pere et la nOtre,
11 nons avons fait écrire et mettre entre leurs mains
" un ordre de nous portant autorisation de demeu-
a rer avec leurs comtes dans notre royaume et a
" notre service. Depuis lor8 quelques-uns de ces
a Espagnols nous ont transmis une plainte portant
" sur deux sujets : 10 Sur ce que, lorsque ces
" me mes Espagnols, venus duns nolre royaume,
1I eurent obten u de notre pere et de nous, pour eux
a et leurs descendans, la possession d'un licu dé-
" sert Oll ils s'établirent, les plus considérables et
a les plus puissans d'entre cux, s'étant rendus en
» notre paluis, rel,mrent directemcnt Iesdits ordres
1I royaux, et qu'en étant saisis, ils ont voulu, par
1I l'autorité de ces ordres, expulser on s'assujétir
1I ceux de leurs concitoycns qui étaient moins con-
JI sidérables et moins puissans, mais qui cepen-
JI dant avaient bien cultivé les terres Oll ils vivaient;
» 2° Que d'autres fugitifs venus d'Espagne se sont
" pareillement recommandés a nos comtes ou a nos
» vassanx, ou aux vassaux des comtes, et en ont
» rec;m des terres pour les habiter et les cultiver;
"" mais que, depuis qu'ils les ont cuItivécs, ceux de
" qui ils les tiennent cherchent en toute occasion a
JI les en expulser, soit pour reten ir les terrcs pour
" leur propre compte, soit pour les donner en ré-
• compense a d'antres; desquellcs dIOses ni ¡'une




DU V· Al! X· SIECLE. 115
" ni l'autrc n'est juste ni raisonnable. En consé-
» quence par les présentes nous ordonnons 10 que
" les Espagnols qui ont obtenu de notre pere ou de
" nous des leUres de concession, gardent ce qu'ils
JI ont défriché et cultivé soit par eux-mémes, soit
)1 par les hommes a eux attachés; 2° Que les hommes
" venus avec eux et qui ont occupé des lieux. déserts,
" gardent et possedent sans trouble, tant eux que
• leurs descendans, ce qu'ils ont cultivé; pourvu
II seulement que chacun de ceux qui ont rel(u notre
» concession s'acquitte du service qu'il nous doit,
" selon la nature de lapropriété qu'il tient; 30 Que
II les Espagnols qui sont venus plus tard et se sont
1I recommandés a nos comtes ou a nos vassaux, ou
1I a leurs pairs, et en ont rec,u des terres, les posse-
1I den! a jarftais, eux et leurs descendans, sous les
" charges et conditions auxquelles ils les ont re¡¡mes.
II En roi de quoi, etc. etc. (1). "


La continuelle répétition de ces inj onctions roya-
les prouve leur impuissance: et les petites proprié-
tés, surtout les propriétés allodiales, que lellr indé-
pendance compromettait davantage, ne pouvaient
subsister long-temps dans une société livrée a la
guerre des forces individuelles qu'aucune force pu-
blique ne réprimait.


Les donations aux églises ne contribuerent pas


(1) Ap. BALUZ , t. 1, p. 569-572. Voyez aussi une ordonnance
semblable de Charles-Ie-Chauve, rendue en 844, sur des plaf¡iiut:""


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116 DES lNSTlTIlTIONS POLlTIQIlES EN FBANCE
moins que les usurpations de la force a diminuer le
nombre des propriétaires d'alleux. On a déja vu que
la force meme était a rusage des éveques aussi bien
que des laiques, 'et que Charlemagne avait eu plus
d'une fois a réprimer les envahissemens violens qu'ils
se perruettaient sur leurs voisins. Mais quand le
clergé n'eut jamais employé la furee, il ne manquait
pas d'autres moyens. La grossiere imagination des
harbares convertis se pretait aisément aux séduc.
tions de l'église, et elle avait peu de peine a se faire
donner des terres par des hommes eucore pen éloi-
gnés du temps ouils llffraient des sacrilices humains
pour se conciJier la faveur de leurs dieux. Aussi les
premieres luis barbares défendirent-elles expressé-
ment d'apporter aucun obstaele a de semblables do-
uations (1), Elles se multiplicrent rapidement, tant
de la part des simples parliculiers que de celle des
rois .• Voici, disait Chilpéric 11, notre lisc est de-
" venu pauvre; nos richesses ont été transférées aux
" églises; les éveques seuls regnent ; l'éclatde notre
" trone a disparu, et les éveques des cités en sont
JI investis (2). " L'avidité de Chilpél'ie rendrait.son
témoignage suspeet s'il n'était cunfirmé par celui
de tous les monumens. Marculf nous a transmis un
grand nombre de formules diverses pour les dona-


(1) • Si 'luis liber res suas ad Ecclesiam tradere voluerit,
aullus habeat licentiam contradicere.. (Le" Alamannor.
tito J, § 1; Voyez aussi la loi des Bavarois, tito 1, § ,J.


(2) GREG, TUI'" lib. XI, cap. XLVI. - Colleet, des Mém., t. J,
',l. 371.




BU V" AU X" Sd:CLE. 117
tiolls aux Eglises. Tantót on leur transmeuait amo-
lument et immédiatement la jouissanee aussi bien
que la propriété, pour le salut de son ame, la rémis-
sion de ses péchés, el afin de s'amasser des trésorsdanll
le ciel; tanlót on se réservait l'usufruit du bien con-
cédé, qu'on ne possédait plus alors qu'á titre de bé-
néfice viager tenu de l'église (1). n y avait une for-
mule spéciale pour donner de simples champs, de
petits biens (paNJaJ res) (2); ce qui pro uve que les do·
nations de ce genre étaient fréquentes, et que les
petits propriétaires n'étaient pas moins empressés
que les riehes a obtenir ainsi la bienveillance du
saint, de l'éveque uu de l'abbé voisin de leur rési-
dence. Et comme rien n'est simple ni pur ieí-bas,
J'influence des intérets matériels venait se joindre
aux motif s de pié té et aux espérances de l'avenir.
Tant que dura l'anarchie de J'illvasion, dans les sie-
eles qui s'écoulerentavant l'établissement un peu ré
gulier du régime féodal, la protection d'une église
ou dtun monastere était presque la senIe force dont
les petits propriétaires pussent espérerquelque séeu·
rité. On la reoherchait par des donations. Les églises
étaient des lieux d'asile ; on les enrichissait pour les
récompenserdurefugequ'ons'en promettaitou qu'on
y avait trouvé. Les dornaines de certaines églises
étaient exempts de tout tribut ou redevance envers


(1) Voyezles Form. d6 MARCVLF, liv.u, chapo Il, 111, IV, vet
plusieurs nutres.


(2) lIIucULF, lib. 11, cap. VI; elle est intitulée ; Dona/io de
/la/'va re ad Ecclosiam.


ll.




118 DES IIlSTITtlTIOIIS POLITIQUES EII FRAileE
le roí. Théodebert, roi d'Austrasie, aeeorda eeHe
exemption aux églises de l'Auvergne; Childebert en
fitautant pour celles de la cité de Toura (1). On don-
nait ses terres a ces églises, en s'en réservant l'usu-
fruit, afin de participer ainsi a leurs immunités, et
ce fut 111 une des causes qui multiplierent surtout ce
dernier genre de donations. Enfin un asse.,. grand
nombre d'églises étaient exemptes et exemptaient
leurs vassaux ou ceux qui cultivaient leurs biens,
du service militaire; et quand les goúts de la vie er-
rante eurent un peu cessé, cet avantage devint si
précieux que les souverains furent obligés de répri-
mer par des lois l'empressement des sujets a se le
proCUl'er. "Nou's ordonnons, dit en 8'24 l'empereur
JI Lothaire, que les hommes líbres qui, sans elre
" pauvres et par artifice, délegu~nt leurs biens aux
" églises pour échapper aux services publics, el en
)1 reprennent ensuite la possession moyennant une
JI redevance, aillent a l'armée et soienttenus de toutes
"les autres fUDctions, tant qu'ils possedent réel-
" lemellt leurs ter res (2), 11 Les eapitulaires de Char-
lemagne contenaient déja des dispositions analo-
gues (~).


Telles étaient les causes qui diminuaient progres-
sívement le nombre des alleux. Peut-elre aUl'aient-
¡ls bielltót complelement disparu, si une cause eon-


(1) G&EG. TUll., lib. II1, cap. xxvi lib. x, cap. YII; Collect.
desMém.,t. J.


(2) Cap. Lothar. imp. , a. 824, § un, ap. BAL., t.n, p. 324,
(3). Cap. Caro Mag., a. 805, §xv, ap. BAL., t. J, p. 427.




DU V· AV X· sIi:CLE. 119
traire et assez énergique, bien que d' une nature moins
durable, n'eut agi pour en créer de nouveaux. La
propriété des alleux était, dans l'origine du moills,
pleine, perpétuelle, et celIe des bénéfices précaire et
dépendante. Tant que dura ceUe difIérenee, et
meme plus tard, cal' les hommes ne se désabusent
que lentement de ce qu'ils ont une foís considéré
comme un avantage, les possesseurs de bénéfices
s'efIorcerent de les convertir en aUeux. Les capitu-
laires déposent, achaque pas, de ces efIorts. Char-
lemagne interdit a ses bénéficiers de détoumer les
esclaves et les meubles de lcurs bénéfiees pour les
transporter dans leurs alleux (1). «Nous avons ap-
n pris, dit-il, que nos comíes et les autres possesseurs
" de nos bénéfices font servir, sur leurs hiens pro-
• pres, les serviteurs a ttaehés aux nOtres, et que nos
l) domaines demeurent déserts; que meme, en cer-
JI tains lieux, nos bénéficiers ont vendu leurs béoé-.
II fices en toute propriété a d'autres personnes, et
II qu'en arant re~u le prix ils 1'00t employé a ache-
• terpoñr leur compte, des alleux. Nons interdisons
JI formellement de t.el!! aetes, car ceux qui les foot
B violenl la foi qu'ils nous ont promise(2). II Ailleurs


(1) • Ut benefioium Domini imperatoris nemo desertare
audeat, propriam 8uam exinde oonstruere .• (Cap. Caro Mag.,
a. 802, ap. Bu., t. 1, p. 3fi4). - « Qui benefioium D. impera-
toris et ecclesiarum Dei babet nibil exinde ducat iu suam hrere-
ditatem nt ipsnm beneficium destruatur. I (Cap. Caro Mag.,
a' 803, j. IlI, ap. BAL., t. 1, p. 403).


(2) Cap. Caf'. Mag., a. B06,$ 7, B, ap. BAL., t. 1, p. 453;
¡bid., p. 518.




120 DES INSTITUTIONS POLITIQUEB EN FBUCE
il ordonne a ses missi dominici de se faire rendre
compte de l'état des bénéfices royaux et de l'illfor-
mer de toute dilapidation, aliénation, etc. ('2). L'ac-
ti ve surveillance de Charlemagne put prévenir quel-
qu.es-unes de ces métamorphoses des bénéfices en
alleux; mais le sain meme qu'il en prend pro uve
qu'ellesétaient continuelles. Elles créerentsansdoute
UD assez grand nombre d'alleux nouveaux.


Enfin, sous Charles-le-Chauve, un phénomime
singulier se présente. On touche a l'époque 00. le
régime féodal va prévaloir, c'est-a-dire on le sys-
teme de la propriété allodiale va disparaitre devant
le systerne de la pl'opriété bénéficiaire, origine et
précurseur de la féodalité. Précisément alors le nom
d'alleu devient plus fréquent qu'il ne I'avait encore
été dans les lUÍs, dans les diplómes, dans tous les
monumens. On le donne a des ter res qui 80nt évi-
demment des bénéfices, qui ont été concédées a ce


(1) «Volumus itaqueatque prrec:ipimus ut missi nostri per
singulos pagos prrevidere studeant omnia beneficia qure nostri
et aliorum homines habere videntur , quomodo restaurata sint
post annuntiationem nostram sive destructa ..... Similiter et
ilIorum' alodes prrevideant utrum melius sint constructi ipsi
ulodi aut illud beneficium quia auditum habemus quod aJiqui
homines illorum beneficia habeant deserta et alodes illoruro
restaura tos. Cap. Ca/'. Map., a. 807, § VII, ap. BAL., t.l,
p. 460; ibid., p. 498). - • Quicumque suum benefieium oeca-
sione proprii desertum habuerit et intra annum postquam ei
a comite vel a misso nostro notum factum fuerit, illud emen-
datum non habuerit, ipsum beneficium amittat.. (Cap. LluL
Pi¡, a. 819, § JII, ap. BAL., t. 1, p. 611; ibid., p. 665).




DU Ve AV X· SIÉCLE. 121
titre et avcc les obligationsqu'il imposail (1). Lemot
alleu désignait encore, dans l'esprit des hommes,
une propriété plus surement héréditaire et indépen-
dante; l'hérédité des bénéfices prévalait, et on les
appelait des alleux pour leur imprimer ce caractere
de propriétés permanentes el assurées. Soixante ans
aupal'avant, Charlemagne multipliait les menaces et
les lois pour empecher que ses bénéfices ne fussent
convertis enalleux. Charles-le-Chauvedonna le nom


d'alleux aux bénéfices lenus de lui, comme si la dis-
tinction de ces deux natures de propdété n'avait
plus ni réaljté, ni importance. Dans cet intervalle,
une grande révolution s'était déclarée; en meme
temps que les bénéfices avaient acquis la stabilité
des alleux, la plupart des alleux araient dispar u ou
s'élaient changés en bénéfices. Le systeme féodal
avait pris possession de la propriété. L'histoire des
bénéfices mettra a découvert la marche progressive
d'un événcment que celle des alleux vient de faire
entrevoir.


(1) • Ut missi nostri eisqui lirmitatem fecirentalodes iHorum,
quos de hrereditate et de tali conquisitu qui de dostra donatione
non venit, habuerunt., et quos senior noster D. imperator eis
dedit , si prrecepta iIIius ostenderint, quantum in ipsis prre-
ceptis continetur in de iIlis reddant. (Cap. Caro Calv., a. 860,
§ IV, ap. Bn., t. 11. p. 14~ j ibid., p. lil7). - Quia , ut compe-
rimus, pIures nobis petierunt aJodes, et peten tes parum, plus
inde acceperunt, volumus ut missi nostri hoc diligenter ¡uqui-
tant et describant , et ipsos homines cum prreceptis adnostram
preseutiam venire faeiant .• (Cap. Caro Calv., a 865, § VII, ap.
BAL., t. JI, p. 198). ¡;.':':-wJ'-,,-.. i .Ii.~


,.. "-'00,


!~
)




12:! DES IIISTITllTIOIIS POLITIQUES EII FRANCE


n.


Des bénéfices.
Origine des Bénéfices.


Tacite décrit ainsi les relations des gutrriers ger-
maíns avec leur chef: • C'est la dignité, c'est la
• puissance, dit-il, d'etre toujours entouré d'une
" nombreuse troupe de jeunes hommes d'élite; c'est
" un ornement pendant la paix, un rempart a la
" guerreo Et ce n'est pas seulement dans sa tribu,
" mais aussi chez les tribus voisines qu'on acquiert
» du renom et de la gloire, si on brille par le nom-
• bre et le courage de ses compagnons. On est des
II 101'5 recherché par des ambassades, on ref(oit des
II présens, on décide du sort de la guerre par sa
" seule rellommée. Quand un en vient anx mains,
II il est honteux pour le chef do so laisser surpasser
" en bravoure, honteux pour les compagnons de
» ne pas égaler la bravoure du chef. Mais ce qui
" est infame et cuuvre de honte toute la vie, e'est
• d'etre sorti vi"ant du combat uu ]0 chef a péri.
II Le défendre, le sauver, rapporterasa gloire lenrs
)l propres exploits, c'est la l'engagoment sacl'é des.
"eompagnons. Les ehefs combattent pour la vic-
" toire, les compagnons ponr leur chef. Si la tribu
• ou ¡ls sont nés s'engourdit dans l'oisiveté d'une
)l longue paix, les príncipanx d'cntre les jeunes
" hommes vont chercher les nations qui font quel-




DU v· AU X· StECLE. 123
• que guerre, car le repos est importun a ce peuple ;
11 les guerriers ne s'iIlustrent qu'au milieu des périls,
11 et c'est seulement par la guerre, par les entre-
• prises, qu'on peutconserverunenombreusetroupe
11 de compagnons. lIs attendent de la libéralíté de
• leur chef ce cheval de bataille, ceUe framée san-
" glante et victorieuse. Des repas, desbanquets abono
11 dans, bien que grossiers, tiennent lieu de solde.
" e'est par la guerre et le pillage qu'on acquiert de
" qnoi fournir a ces munificences (1) ••


Dans ces compagnons, dans ces présens, Montes-
quieu voit les vassaux et les fiefs (2). Il eut du se
borner a les prévoir. Les relations des chefs germains
avec leurs guerriers contenaient en effe"t le germe
des relations féodales; mais les faits ne procedent
pas sisimplementnisi vite que l'esprit du philosophe;
et Montesquieu, satisfait d'avoir saisi '.le principe et
le résultat, n'a pas bien observé toutes les altérations,
toutesles métamorphoses que le príncipe a subies en
se déve\oppant sous l'influence de situations diver-
ses, mobites et compliquées.


Des que, par l'établissemenl des barbares sur le
sol romain, un élément nouveau, la propriété fon-
ciere, se fut iutroduit dans leur existen ce, les rela-
tious des chefs avec les compagnons en furent, non
point abolies, roais grandemellt modi6ées.


Ce ne fut plus seuJement en butin mobilier, mais


(1) Tacit. de morib. Gerlll., cap. Xl,'.
(2) Espritdes Lois, ¡iv. xxx, chapo 111 et IV.




124 DES I1'iSTlTUTlONS POLITIQUlS EN FRANC!
aussi en terres que consista des lors la richesse, et
celle·ci se répartit bien plus inégalement. Le par-
tage ou la prise de possession des domaines ne se fit
point,je rai déjit dit, par individus, ni. de telle sorte
que chaque guerrier allat vivre isolément sur les
champs qu'il avait re¡;us ou occupés. Toutes les vrai-
semblances repoussent une telle supposition. Les
chefs s'approprierent certaines portions du territ oire
et s'y établirent avec leurs hommes. Ceux-ci vivaient
auxdépens et sU!' les biens du chefqu'ils continuaient
d'entourer; mais les terres n'en étaient pas moins sa
propriété personnelle et privée. On n'aper¡;oit, a
cette époque, aucune idée de propriétés publiques,
aUribuées soít a la royauté, Boit a toute autre situa-
tion supérieure, et sciemment affectées a quelque
destination commune, a quelque service publie.
De teIles eombinaisonsn'entraient point dllns I'esprit
grossier des barbares. Les domaines dlJnt le chef s'é-
tait emparé étaient it lui, et a lui seul (1), bien qu'il
fút chargé de nourrir et de satisfaire les hommes
qui lui demellraient attachés; et a mesure que la
Dotion de propriété, avec toutes ses cODséquences,
se développait et s·affermissait dans les esprits, le
droit du chef acquérait de plus en plus le caractere
de la personnalité.


Les propriétés territoriales se répartirent done
par Dlasses et entre un assez petit nombre d'indivi-


(1) HULLMANN, Histoit·o rIes Finances ff Allemagne dans le
moyen-áge (en allemand), p. 1-18, Berlin 1805.




DV Ve AV XC SIECLE. 125
dus. Apprenant chaque jour a en mieux connaítre
l'importance et la valeur, ila s'appliquerentavec avi-
di té a les étendre. Le domaine privé dn roi est le
seul dont nous connaissions avec quelque certitude
les abondantes sources, taot celles qui le formerent
d'abord, que celles qui venaient san s cessele renou-
velero Voici les principales:


10. Lors de la prise de possession du pays,le roi,
chef supérieur des guerriers, re¡;ut on plutót se fit
surement une large part dans la premiere distribu-
tion des propriétés.


2". Les expéditions et les conquetes ne cesserent
point apres l'établissement. Les propriétés privées,
mobilieres ou territoriales des chefs des tribus Oll
des peuples vaincus passaient dans le domaine du
chef vainqueur. Clovis s'appropria les bien s des petits
rois, ses voisins, qll'il fit massacrer. La soumission
des Thur'ingiens en 0:30, des Allemaods en 740, des
Bavarois en 788, traosféra une bonne part des biens
de leurs princes aux mains des rois fl'ancs (1). Uoe
multitude d'expéditions moios connues eureot sana
donte le meme résultat.
~o. Dans nn assez grand nombre de cas, les lois


attribuaient au roi la confiscation des hiens du con-
pable ('2).


(1) HULLMAIUf, Hiat. de rorigine desOrdres, elc. (en allem.),
p.24.


(2) • Ubi ilIe qui admallatur ad nullum placitum venire nec
per legem se educere voluerit, tune rex ad quem mannitus est
extra sermonem suum eum esse rlijurlicet; et ita ille culpabilis


12




126 DES INSTlTUTIONS POLlTIQ1JES EN FRANCE
,40. n s'enrichissait aussi par les cas de déshé-


rence (1).
5°. Les confiscations iniques et violentes se renou-


velaient chaque jour. Il suffit d'ouvrir Grégoire de
Tours, Frédégaire ou tout autre, pour en rencon-


el omne res sure erunt in fisco aut cui fisen. dare volueril, •
(Lex. Salic., tit. LIX). - • Si quis contra dneern .num .... de
morle ejns consiliatns fnerit .... aut inimicos in provinciam invi-
taverit, aut civitatem capere ab extraneis machinaverit .... But
ducem suum occiderit, re. et palrimonium ejus infiscenlur
in publico in sempiternll m.» (Lex Baiuv., tit. 11, cap. 1, SI, m,
cap. II).-' Si homo aliqllis genlem extraneam infra provinciam
invitaverit .... aut vitam perdat, aut in exsilinm eat , et res eju.
infiscentur in publico." (Lex. Alam., cap. xxv).-« Si quis
homo occidere volens patrcm suum aut patrllum aul fratrem ...
aut matrem .... res ejus infiscelur.» (Ibid., cap. xxv). - «Si
quis homoregi infidelis exstiterit de "ila componat el omnes
resejus fisco censeantur .... Si autem quis proximum sanguinis
interfecerit vel inceslum commiscrit, omnes res ejus fisco
censean tur. ( Lex. Rip., ti t. LXIX).


(1) "Siali cujus pater occisus fuerit, medietatem compo-
sitionis fiUi colligent, aliam medietatem parentes qui proxi-
miares fuerunt tam de paterna <¡uam de materna generatione
dividant. Quod si deuna parte vel paterna vcl materna nullus
proximlls fuerit, portio iHa ad fiscnm perveniat vel cui liscus
concesserit. , (Lex. Sal., tit. LXV).-« Si '1uis de parentela
tollere se voluerit ... Si autem i\lc occiditur vel moritur, com-
positio aut hrereditas ejus non ad hrorcdes ejlls sed ad fiscum
perveniat." (Ibid., tito LXIlI).- " Si autem homo denariatus
absque liberis discesserit, non alium nisi fiscum nostrum
hreredem relinquat." (Lex. Rip., tito LVII) .• Si quis scrvum
suum liberum fecerit et civem romanum portas'Iue apertas cons-
cripserit, si sine liheris discess"rit, non alium nisi fiscHm nos-
trum hreredem relinquat. • (Ibid., lit. J.XI).




DU V· AU X· SIÉCLE. 127
trer, achaque page, quelque exemple (1). L'avidité
est la passion des barbares: il y avait guerre conti-
nuelle, soit par fraude, soit a main armée, entre tous
ceux qui avaieut des bien s a défendre, ou des forces
pour preudre le bien d'autrui.


6°. Enfin la substitution d'une famille a une autre
dans la royauté accrut ou renouvela, a certaines
époques, le domaine privé des rois. Aux propriétés
du roi détróné le nouveau roi ajoutait les siennes.
La famille des Pepin, par exemple, avait d'immen-
ses domaines en BeIgique et sur les bords du Rhin.
Ses richesses furent une des causes qui la porterent
au tronc, et le trone augmentaensuite ses richesses.
M. HulImann a publié une liste de cent vingt-trois


(1) En voici quelques exemples entre mille autres. En 584,
Chilperic, apres noirfait mettre Murnmolus 11 la torture, sur la
demande de Frédégonde lui fait grace de la vie et le renvoie a
Bordcaux, «ablata omni facultate .• (GREG. TUIl., lib. xxxv;
Colleet. des Mém., t. 1, p. 352). En 586, Childebert 11 fait assas-
siner et j eter par la fenCtre Magnovald, dans son palais a Metz ;
• resque ejus protinus direptre et rerario publico, quantum
repel'tum est, sunt illatre •• (Ibid., lib. VIII, cap.xxxn; Colleet-
des Mém., t.l, p. 469,470). En 6O~, Protadius était maire du
palais sous Brunehault : • SOl va illi fuit contra personas iniqui.
tas , fisco nimium tribuens, de rebus personarum ingeniose lis-
cum velIens implere •• (FIlI!DI!G. Chron., cap. XXVII; GoUoet.
des Mém. ,t. 11, p. 176). En 638, lEga, maire de Neustrie sous
Clovis 11, « facultates plurimorum qUa! jussu Dagoberti in
regno Burgundire et Neptrico illicite fuerant usurpatre et fisci
ditionibus contra modum justitire redactre, concilio JEganis
omnibus restaurantur .• (Ibirl., cap. LXXV; Collect. des 1!fem.y-::-C"
t. 1I , p. 221). I ,~'!I,*! i)<


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128 DES lNSTlTUTlONS POLlTIQUES EN FRANCE
grand~s terres que possédaient les premiers rois
carlovingiens au-dela de la Meuse(l).Ce relevén'est
peut-etre pas exempt d'inexactitudes; mais il n'en
pro uve pas moins quelle était, a celte époque, l'é-
tendue des propriétés territoriales des rois.


Les simples ehefs de bande n'avaient ¡laS sans
doute les me mes moyens d'accroltre a ce point Ieurs
possessions; maís ils avaient originairement re~u ou
pris beaueoup de lerres ; les violences, les expédi-
tions partielles étaient aussi a Ieur usage; eonqué-
rant des terres pour ¡eur compte, comme un sou-
verain eonquiert, de nos jours, des provinces pour
ses états, ils acquirent bienlót d'immenses domaines.
Qu'en devaient·ils faire? ce qu'ils avaienl fail en
Germaníe de leurs armes, de leurs chevaux, de leurs
banquets. Le besoin el le gout de la propriété fon-
eiere devenaient commulIs a lous les hommes libres,
Des terres devinrent les présens par ou les rois el
les hommes puissans s'appliquerent a retenir leurs
compagnOlls ou a en acquérir de nouveaux. Ces pré-
sens re~urent le nOIIl de bénéfices.


Les bénéfices sont done a peu pres aussi anciens
que l'établissement des Frallcs sur un territoire fixe.
Ilsdécoulaient nécessairement de l'illlroduction de
]a propriété fonciere da liS les relations et les rnreurs
soeiales. lIs eontinuerent les liens du chef avee
ses eompagnons, et préparerenl eeux du suzerain


(1) HULLMANN, Histoire des Finances d' Allel1lagne, etc.,
p.2O-35.




DU VO AV X" Sd:CLE. ]29
avec ses vassaux. En ce sens, Montesquieu a raison.


Mais les terres étaient des présens d'uue toute
autre nature que des repas, des chevaux etdes armes.
Ceux-ci avaient pour etret de rallier sans cesse les
compagnons autour du chef, de les tenir constam-
ment associés a ses entreprises, a ses espérances, a
sa vie. Les concessions de domaines, au contraire,
les séparaíenl de luí, leur créaient une exislenC6
dislíncte el personnelle, leur assuraient des moyens
d'indépendance. Le guerrier, devenu pl'opriétaire,
lJreOlüt peu a peu l'hahitude et l'envie de vivre pour
son propre comple el ohez lui. Comment retenir ou
recruter ces troupes de compagnoIls que les dons
meme qui devaient les aUacher a leur cheftendaient
maintenallt a éloigner de lui pour les disséminersur
le 801? Comment conserver, en propriétés Concieres,
un trésor inépuisable et qui put suffire a des. néces-
sités sans cesse renaissantes?


Mode et durée des concessions de Bénéfices.


Du mode el de la durée des concessions de béné-
fices dépendait évidemment la solution de ce pro-
bleme, résullat inévitable de l'établissement territo-
rial. Aussi estoce a ce sujet que s'éleve la question la
plus importante en celte matiere, la question de sa-
voir jusqu'a quel point el de quelle falJoll les posses-
seurs' de bénéfices continuaient, quant a la propriété
meme, a dépendre du donllteur.


Apres de Jongues recherches, la plupart et les
12.




180 DES Il'lSTIT1JTIOftS POLlTIQUES EI'I FRAI'ICE
plus éclai1'és des historiens se sont 1'ésumés a sou-
tenir que les hénéfiees furent d'abord révocahles et
toujours a la disposition du donateur, donnés ensuite
pour un temps déterminé, plus tard coneédés a vie,
enftn héréditaires.


Telle est, malgré quelques divergenees de détail,
l'opinion de Robertson, de Montesquieu, de Mably (1).
C'est ]a la progression qu'ils ont eru reconnllitre
dan s les vieissitudes de ce genre de pl'opriétéetdes
rapports auxquels iI donnait lieu entre le bénéfieie1'
et le donateur.


Je ne pense pas que les faits se soient assujétis de
la sorte a une marche réguliere et systématique, ni
que les savans qui la ]eu1' ont attribuée les aient
considérés d'assez haut ni d'assez preso


Au premier coup d'reil et par la simple inspection
des monumens, on aperc;oit, quant aux: bénéfices,
deux: tendanees contraires, et qu'il est aisé deprésu-
mer; celle des hommes qui lesont rec;us a les garder,
meme hél'éditairement; celledesrois ou de tout autre
donateu1' a les reprendre a volonté ou a ne les eon-
céder que temp0l'airement.


Vhistoil'e des bénéfiees, depuis Clovis jusqu'au
plein affermissement du régime féodal, n'est que la


(1) ROBERTSON, Inlroduction a r Histoiro de CI.arles-Q,tint,
noto VlII, §III¡ ~IONTESQUIEU , Esprit des Lois, liv. xxx, chapo XVI;
MuLY, Obs6I'f)ations SUt·r HistoiredeFrance, liv. 1, chapo IV,
et suivans; M. HALLAM (State of Europe, etc., t. 1, p. 160,
édit. in-So, de ISI9) a entrevu la fansseté de cettc prétendue
progression.




DU Ve AU Xe SII:CLE. 131
lutte de ces deux tendanees, lutte qui se déelaredes
que les bénéfices paraissent, e' est-a-dire aussitót apres
l'établissement territorial.


On trouve a toutes les époques de cette périoda :
10 des hénéfices arbitrairement révoqués par le do-
nateur; 2° des bénéfices temporaires; 30 des béné-
fices concédés a vie; 40 des bénéfices donnés ou rete-
nllS héréditairement.


Voiei, en les considérant chacun a part, le ca-
raetere et l'histoire de ces divers modes de conees-
SlOn.


lo Des Bénéfices revocables a volonté.


La révocation arbitrairc des bénéfices est un fait
qui se reproduit, achaque pas, sous les rois méro-
vingiens. Montesquieu affirme qu'elle était originai-
rement le droit constant et reconnu du donateur;
mais les preuves qu'il en donne prouvent le fait,
qu'il est impossible de nier, etnon le droit, qui n'est
établi ni avoué nulle part (1). Un tel droit est évi-


(1) Ces preuves sont : lo les conseils de Gontran a son neveu
Childebert, ou il lui indique quels sont ceux de sessujets a qui
il doit donner ou retirer les bénéfices. (GllllG. TlTD.., lib. VII,
cap. XXXIII; Collect. de, Mém., t. 1, p. 408). 2° Une Formule
de Marculf, intitulé Commutatio cum rege (lib. J, cap. xxx,
00. le roi di.pose d'une portion du bénéfice d'un de ses fideJes,
30 Un passage de la lettre des éveques a Louis-Ie-Germani-
que (en 858) , 00. il est dit : • Ecclesire-nobis a Deo commissre
nOn talia sunt beneficia et hujusDlodi regis proprietas ut pro
libitu suo inconsulte iIIas possit dare aut auferre .• (Ap. Bu.,




132 DES INSTLTUTlOl'lS POLlTIQUES EN FUANCE
demment contraire a la nature des choses. L'amo-
vibilité absolueet arbitraire d'une favflur quelconq ne,
bien plus encare d'une concession territoriale, a
quelque chose d'imprévu el de violent qui choque
les plus simples idées de justice naturelle, el peu
d'hommes consentiraient a recevoir une grace qu'ils
seraient légalement exposés a perdre, au premier
caprice. Des que deux intérets sont en présence,
c'est une nécessitéde la nature humaine que le droit
s'introduise dans leurs rapports et soit réclamé,
quelque f1'équente qu'en puisse elrc la violation.
Telle fut, clans l'origine, la situation réciproqlle de'!!
donateurs el des possesseu1's de bénéfices. Jamais
les derniers ne reconnurent aux premiers le droit
de les en dépouilIer al'hitrairernent el sans motifs.
Tous les débats des rois avee leurs sujets, tous les
traités qui les terminent prouvent que, si les 1'ois ne
cessaient de reprendre violemment les bénéfices,
les bénéficiers ne cessaient pas non plus de protes-
ter contre l'illégitimité de telles violences, et de se


t. 11, p. 118). 4" Un article de la loi des Lombards qui earac-
térise les bénéfiees comme une propriété préeaire, et les
oppose a la propriété pleine et permanente. (Lib. lu, tit. VIII ,
§ 111). 50 EI1fin le livre des Fíefs, qui affirme que les bénéfices
furent d'abord révocables ¡, volonté. (Lib. 1, tito 1). Les quatre
premiers textes n'indiquent évidemmeut qu'un fait, fort
général ,il est vrai, et qui était, dans ces temps de violen ce , la
condition de la plupart des bénéfices, mais qu'on ne saurait
considérer comme le droit légal du donateur. Quant au livre
des Fiefs, compiléau XII' siecle, ses auteursont probablement
converti le fait en droit.




DU ve AU X· SIECL&. 1~3
croire en droit de conserver les biens de ce genre,
tant ql1'ils n'avaien\ pus manqué a leurs obligatiuns
envers le dunateur. "Si quelque terre a été enlevée
JI a quelqu'un, satls {altte de sa part, est·il dit dans
" le traité d' Andely conclu en 587 entre Gontran et
JI Childebert, qu'eUe lui soit rendue. JI "Charlema·
• gne, dit Éginhard, ne souffrait pas qu'aucun sei-
11 gneur, par quelque mouvement de colere, retirat
• san s raison ses bénénces a son vassal (1) ... Le


(1) Voici, indépendamment de ces deux passages, unesérie
de textes qui prouvent que tel fut, quant a la révoeabilité des
bénéfices , le véritable état de la luUe continuelle des rois avee
¡eurs bénéficiers, depuis les premien rois mérovingiensjusqu'a
Cbarles-le-Chauve inclusivemeot .


• Qurecumque ecelesire vel clerieis aut quibuslibet personis
a gloriosre memorire prrefatis principibus munificentire largi-
tate collate sunt, omni firmitate perduren t.. (Constitu/io
generalis Chlo/harii (1 an 11). ~ XIl, ap. Bu., t. 1, p. 8).
- Daos le traité d' Andely , en 587, • Similiter quidquid antefati
reges ecclesii. aut fidelibus suis contulerint ,3ut adhuc conrere
cumj ustitia, Deo proprit13n te, voluerint, stabiliter consenetur ..•
et si aliquid cuique per interregna sine culpa sublatum est,
audientia babita restauretur. Et de eo quod per munificentiam
prrecedentium regum usque ad transitum gloriosre memorire
D. Chloth. regis possedit, eum seeuritate possideat. Et quod
exinde fidelibus personis ablatum est, de prresenti reeipiat .•
(Ap. BAL., t. 1, p. 14). - • Quicquid parentes nostri anteriores
prineipesve1 nos I'erjustitiam vi si sumus coneessisse et conflr-
masse, in omnibus debeat eonfirmari ... et qure unus de fldelibus
ae Icodibus suam fldem servando domino legitimo, interregno
faciente , visus est perdidisse, generaliter ahsque aliqno incom.
modo de rebus sibi debitis prreeipimus revertiri .• (Erlict
Chlotl •. , lI,a. 615, § XH, XVII, ap. BAL., t. 1, p. 23-24)._




13-' DES IIISTITIITIOIlS POLlTIQIIES EN FBAIICE
seul droit qu'eut le donateur, et qui ne fut pas con-
testé, e' était cel ui de retirer ses bénéfioes pourmanque
de fidélité, pour trahison, révolte et tout autre acte
par lequel le compagnon nuisait a son chef au lieu
de le servir (J). C'était la le príncipe qui présidait a
leurs relations, principe vague, sans garanties, et
dont iI était aisé d'abuser a une époque 011 la force
décidait presque seulede toutes choses, mais qui n'en
était pas moins la condition morale attachée a la


• V fllumus ut oninesfideles nostri certissimum teneant neminem
cujuslibet ordinis aut dignitatis deinceps nostro inconvenienti
libitu aut alterius calliditate vel injusta cupiditate promerito
honore debere privari, nisi justitire judicio et ratione atque
alquitate dictante .• (Cap. Caro Calv., a. 844, § IlI, ap. BAL.,
t. JI, p. 5.


(1) En 576, a Godius qui a parte Sigeberti se ad Cbilpericum
traustulerat et muItis ab eo muneribus locuplctatus est,.
s'étant révolté contre Cbilpéric , celui-ci « villas quas ei 8 fisco
in territorio Suessionico indulserat abstulit, et basilicro
eontulit B. Dledardi .• A la meme époque, Siggo ayant aban-
donné Cbilpéric pour passer au senice de Childeberhr, • Tes
ejus quas in Suessionico habuerat, Ansoaldus obtinnit. »
(GIlEG. TUIl. lib., v, cap. I1I; Collect. de. Mém., t. 1, p. 223).
En 587, le connétable Sunnégisile et le référendaire Gal\o-
magnus ayant conspiré contre Childebert JI, "privati a rebus
afisco habuerant, in exsillum retrnduntur .• (GltEG. Tu •. , lib. IX,
cap. XXXVIII; Collect. des Móm., t. n, p. 56). C'étaient la des
bénéfices légitimement retirés aux possesseurs; les regnes
suivans abondent en exemples du meme geme ; et enfin, quand
Charles-le-Cbauverend a ceux qui s'étaient révoltés contre lui,
les biens qu'ils tenaient de ses prédécesseurs, il ne lenr rend
point ceux qu'illeuravait lui-memeconférés. (Cap. Caro Calo.,
a. 860, §rv, ap. B.n., t. 11, p.145).




DU Ve AU XC SlECLE. 130
perte des bénéfices, et que reclamaient, des qu'ils
pouvaient le faire, ceux que la violence enavait dé-
pouillés.


1'aruovibilité absolue et arbitraire des bénéficcs
n'a done jamais été le droit avoué du donateur, la
condition légale du bénéficier. Rien n'était réglé,
dans les premiers temps. quant a ]1.1 durée:de~ces
concessions et aux obligations qu' elles entrainaient;
mais il était toujours sous-entendu que l'accomplis-
sement des obligations garantissait la duréede la COIl-
cession; c'est sur ce principe que se fondaient les
accommodemens, chaque fois qu'il avait été violé et
que le bénéficier se trouvait en mesure d'en reven-
diquer l'application; et les violations ainsi que les
récJamations se renouvellent sans cesse du VIO au x·
siecle, c'est-a·dire depu~s laconquete jusqu'au trio m-
phe complet du systeme féodaI.


20 Des Bénéficestemporaires.


Quant aux bénéfices concédés a terme fixe et pour
un temps limité, Montesquieu prétend, d'apres le
livre de Fiers, que ce fut la le second mode de con-
cession, un premier pas hors de l'amovibilité absolue
et arbitraire, et que le terme fut d'abord d'une an-
née. On vient de voir que l'amovibilité arbitraire
des bénéfices ne futjamais de droit, bien qu'en faít,
durant qllatre siecIes, elle ne cessat pas d'etre pra-
tiquée. Je ne trouve, dans les premiers lemps, aucun
excmple spécial et positif de bénéfices temporaires. • ...


/-;fiit.
/ ".
':1




136 DES lNSTlTllTlONS POLlTlQlll!.S 'EN FRANCE
Voici comment, si je ne me trompe, l'usage en dut
etre introduit. Dans la législation romaine, on appe-
lait precarium la cOllcession gratuite de l'usufruit
d'une propriété pour un temps limité et en généraI
assez court. Apres la conquete, les églises afferme-
reQt souvent leurs biens pour un cens déterminé, et
par un contrat dit aussi precarium, dont le terme
était communément d'une année(l). Plus d'unefois,
sans doute, pour s'assurer la protection d'un voisin,
d'un guerrier, ou quelque autre avantage analogue,
elles lui concéderent gratuitement celte jouissance
temporaire de quelque domaine. Plus d'une fois
aussi le concessionnaire, se prévalant de sa force,
ne paya point le cens convenu et retint cependant
la concession. A coup sur l'usage ou l'abus de ces
precaria ou bénéfices teml'0raires sur les Liens d'é-
glise deviut assez fréquent; car dans le cours du
VIle siecle, on voit les rois et les maires du palais em-
plorer aupres des églises leurs crédit ou plutót leur
autorité, pour faire obtenir a leurs cliens, a titre de
précaires, des jouissances de ce genre. Guntald avait
donné a l'abbaye de Snint-Denis le domaine de Ta-
verny; "a la recommandation de l'iIIustre Ébroln,
• maire duo palais, le nommé Jean obtint ensuite ce
" dOlllaine, de Indite abbaye, a titre de précaire(l). JI


(1) Voi .. sur toute I'histoire de ces precaria, l' Nístaire de!
Finances de l' A llemagn e, par ~L HULLftlANN, p. 115 et suív.


(2) • PrreceptulIl Pippiui regís pro Taberníaci in pago
parisiacovillre confirmatione, • dans leRJCu,eil des historien!
de France, t. f, p. 701. Voyez aussi un • .lil'lóme de Dagobert IU,




DU Ve AU Xe SrECLE. ISl7
Le diplóme 011 je trouve ce fait et plusieurs autres
monumens prouvent que les possesseurs de béné-
fices de cette sorte les retenaient souvent au-dela du
terme fixé, que l'église propriétaire les réclamait
vainement, et que les rois, dont le domaine épuisé
ne pouvait suffire a de continuelles largesses, ravo-
risaient, au profit de leurs fideles, desemblables usur-
pations.


Quand· Charles-Martel, " poussant avec vigueur
• les guerres qu'i1 avait a soutenir, réprima les pe-
JI tits tyrans qui, dans toute la France, s'étaient
JI arrogé l'empire, la nécessité le dé termina a en-
11 lever aux eeelésiastiques un grand nombre de do-
» maines; il les réunit au flsc et les partagea ensuite
JI a ses guerriers (1). JI ProbablementCharles-Martel
fit plus alors que faire aecorder ou retenir, a titre
de precaires, des hiens ecclésiastiques; il:déposséda
ahsolument les églises de hiens qu'il conféra comme
des bénéfices émanés et tenus de lui. Maia, apres la
mort de Charles-Martel, le clergé, dont Pepin avait
besoin, réc1ama vivement contre celte spoliation.
Malgré l'incohérellte fausseté, je ne dis pas des pré-
tendus mirac1es, maiade quelques-uns des faits rap-
portés daDs la lettre que les éveques adressereDt,
en 81>8, a Louis-le-Germanique pour lui rappeler
ce qui s'était passé a ce sujetentre Pepin et le clergé,


'fui conticnt des faits du merne genrcj ibid., t. IV, p. 687.
(1) Chronicon Centulense, dans le Recueil des Mstoriens de


Franco, t. 111, p. 352.
¡·OME l. 13




1318 DES IJIISTl'l'll'rIONS POLlTIQUES EN FRA.NCE
elle est curieuse a connaitre : «Saint-Euehere, éve,
" que d'Orléans, disent-ils, qui repose maintenant
• dans le manaste re de Saint-Trudon, étant en orai-
" son, fut ravi dans la vie éternelle ; et la, entre au-
" tres choses que lui montra le Seigneur, il vit le
" prince Charles livré aux tourmens des damnésdan!l
" les plushasses régions de I'enfer, 8ain! Euehere
• demandant a l'ange, son guide, tIuelle en étaít la
" cause, range luí répondit que c'était pár le juge-
" ment des saints dont il avait dérobé les biens, et
" qU!, au jou!" du jug-emcllt dernicl", siégeront ave e
» Dieu pour juger les hommes. Enattendant que ce
" jaur soit venu, le corps et rame de Charles sont
» d~avallce en proie aux peines éternelles; et ir est
11 puni, non-seulement pour ses propres péehés, mais
" encare pour les péchés de tous ceux qui avaient
" dOllUé lcurs Liens pour les nécessités des serviteurs
• du Christ et des pauvres, afin de rachetcr leur
JI ame. Saínt Euehere, revenll a lui, envoya cher-
• cher saínt BOlliface, et Flllrad, abbé de Saint-
lJ Denis, et premier chapelaill du roi Pepin, lellr ra,
• conta ces choses et leur dit d'aller visiter la
II sépulture de Charles, afin que, 8'ils n'y trou\'aiellt
» pas son corps, ils crusse~t a la vérité de son récit.
II Ceux-ci, se rcndant alldit monastere de Saint-
lJ Denis ou a\'aÍt été enterré Charles, th'ent ollvrir
» son sépulcre, et \'oilU qu'on en vit soudain sortir
" un dragan, et le sépulcrc fut trouvé tou! noirci en
lJ dedans comme s'il avaít été consumé, Nous a\'ons
JI ru nous'memes ccux des témoins de ce spectacle




DU Ve AU XC srEeLE. 139
H qui out vécu jusqu'a notre age, et ils nous ont at-
H testé de leur propre bouche ce qu'ils avaient vu et
" en!endu. Informé de cela, Pepin, fils de Charles,
n convoqua a Leptines le synode, on présida avec
• &aint Boniface un légat du Saint-Siége, nommé
" George ..... ; et la il tit rendre aux 'églises tout ce
• qu'il put recouvrer des biens ecclésiastiques que
• son pere nvait usurpés. Et comme il ne- pouvnit
• faire tout restituer, a cause de la guerre qu'il so u-
" tenait alors contre W airer, prince d' Aquitaine, il
• demanda auxéveques de céder lesdits biens a titre
, de précaires, ordonnant que le cens en serait exac-
, tement payé aux églises, ainsi qu'il est pres-
• crit dans le livre des Capitulairesdes rois, jusqu'a
n ce que les biens memes pussent lcur retour-
nner(I).n


On lit en effet, daus les capitulaires de Pepin et
de son frere Carloman, rendus apres le concile de
Leptines : " A vec le conseil des serviteurs de Dieu
n et du peuple chrétien, et a cause des guerres qui
H nous menacent et des attaques des nations qui
" nous environnent, nous avons décidé que, pour
» le soutien de nos guerriers, et moyennant l'indul·
» gance de Dieu, noua retiendrious quelque temps,
» a titre de précaires, et sauf le paieOlent d'un cens,
" une partí e des biens des églises; a ceUe conditiou
" qu'il sera payé chaque année, a l'église ou au mo-
» nastere propriétaire, 1111 Ro/idus, c'est-a-dire, donze


(1) CpU. de BALun, tu, p.I09.




1.40 DES INSTITDTlO~S l'OLITIQDES EN FRANCE
11 deniers pour chaque métairie, et que si celuí quí
• jouit dudit bien víent a mourir, l'église rentrera
" en possession. Si la nécessité nous y contraint et
" .i nous l'ordonnons, le précaire (le bai!) sera re-
o nouvelé, et ilensera rédigé un second. Maís qU'OD
" veille a ce que les églises et les monasteres dont
• les propriétés auront été ainsi pretées in precario,
• ne sOllffrent pas de l'indigence; si cela arrive, que
• l'église et Iamaison deDieu soientremisesen pleine
11 possession de lcurs biens (1) ••


Les bénéfices conférés par Charles·l\fartel sur les
biens ecclésiastiques se trouverent ainsi convertís
en bénéfices temporaires. Que les conditions de ces
concessions fU8sent exactement observécs, que le
cens con"venu fUt payé, que les églises rentrassent
en possession de leurs biens au terme fixé, on pré-
sume san s fJeine qu'il n'en fut rien; et les continuels
efforts de PepíD et de Charlemagne pour obliger
les détenteurs in precario des domaines ecclésiastí-
ques a remplir leurs obligations envers les proprié-
taires primitifs, le prouvent clairemellt (2). Charle-
magne ordonna qu'iI l'expiration du tcrrnedela con-
cession, les églises seraient libres de la renouveler


(1) Cap. Corlom. Reg., R, 743, ap. Bu .. , t. " p, 149; ibid.,
p.825.


(2) Voir, entre autres, Cap. Mettense. Pipp. R., a. 756, ap.
BAL., t. " p. 178; Cap. Caro lflag., a. 779 ,§ :UII, ibid., P 197,
a. 794, § XXIII, x:tIV, ibid. p. 267, la lettre de Charlemagne ri
ses corntes , vaSSRUX, etc., en 800, ¡bid., p. 329; Cap. Car,
Calfl., 8.8::3, tito XIV , cap. IJ, al'. BAL., t. IT, p. 64, etc .. , etc.




DV VC AU XC SIECLE. 141
00 de reprendre les biens. Charles-Ie-Chauve pres-
crivit que, selonl'cmcienusage, la durée du bénéfiee
in precario serait de cinq ans, et que toos les cinq
ans le bénéficier 'serait tenu de faire renouveler
son titre. Mais la législation ne se montre si labo-
rieuse que lorsqu'elle est a peu pres impuissante;
les rois rendaient ces lois a la demande des éveques
dont ils redoutaient la colere, et en méme temps
ils continuaient a autoriser l'usurpation des bénéfi-
ces in precario, ou méme a en accorder de nou veaux
aux hommes qu'ils avaiellt besoin de s'attacher. Char-
les-Ie-Chauve se préta, durant tout son regne, a de
semblables envahissemens, • en partie a cause de sa
"jeunesse, en partie par faiblesse, disent les éve-
11 ques eux-memes, séduit souvellt par les perfides
JI avis de mauvais conseillers, et souvellt contraint
" par les mena ces des détenteurs qui luí disaient
• que, s'il ne lenr concédait pas ces propriétés sa-
o crées, ils l'abandonneraient aussitót (1). JI _


n est done probable que peu de ces bien s furent
rendus aux églises (2), et que la plupart des béné-
tices temporaíres qui avaient eu leur origine dans
ces concessions in precario, pratique constante du VIO
an x' siecle, devinrent, comme les autres, la pro-
priété hérédilaire des détenteurs.


(1) Lettre des évéques a Louis-le-Germanique, op. BAL., t. 11,
p. llO.


(2) Je trouve, en 848, Un exemple remarquable d'uneresti_
tution de ce ¡¡enre fai.te a I'église de Saint-llIaurice de Vienne
en Dauphiné, par le bénéficier lui-méme, le comte Gérald ,


13.




142 DES lN8TlTVTIONS POLlTIQ1JES EN PBANCE
30 Des Bénifices a vie.


00 ne pen! ouvri1' les recueils de diplomes sans y
1'eocootrer, a toutes les époques, des concessions
de bénéfices a vie. Dans les premiers temps, ceUe
condition n'est pas formellement exprimée, mais iI
est évident qu'elle est presque toujours sous-enten-
due, et les exemples de bénéfices qui retou1'nent au
Use arres la mort du l'0ssesseur sont continuels (1).
A mesure que la société se fixe et se regle, les idées
des hommes se développent; ils éprouvent le besoin
.1'appo1'te1', dan s leurs rapports et les cOlltrals qui
les étahlissent, quelque chose de plus déterminé;
les conditions, naguere tacites et obscures, devien-
nent explicites et claires. A dater des rois carlovin-
g:iens,dc nombreux diplomes décla1'cnt cxpressément
que le bénéfice dont iI s'agit es! concédé a vie (2);
et sanctionnée a sa demande, par Charles-le-Chauve (Ap. BAL.,
t. 11, p. 1468).


(1) En 585, • Wandelinus nutritor ChiMeberti re&is ohiit ...
qurecumque de fisco meruit fisei juribus sun! relata.
óbiit his diebus Bode&isilus dux, plenus dierurn, sed
nihil de facultateejus filiis minutum esto (GaEG. Tua., lib. HII,
,ap. XXII; Collecl. des Mém., t. 1, p. 452).-En 660, sous
fhéodoric, roi d'Autrasie, • villa nuncupanti Latiniaeo ...
lui ... post discessum ipsius Warratune, in fisco nostro fuerat
·evocata.' ~IA'ILLON, de Re diplomatica, lib. YI, p. 471). -
En 694 , sous Childcbert 1II, • villa nuncupante Napsiniaco ...
quem... de fisco inlustri viro l'annichio fuit concessum , et
postdiscessum pl"redictol'annichio, ud parte fisci nostri fuit
revocatum. , (Ibid., p. 476).


(2) MAHILLON, do Re diplum., lib. VI, p. 353.-Sous Pepin~




DU Ve AU :xe 8ItCLIi. 143
iI en est meme qui étendent la concession jusqu'au
fils du premier concessionnaire, mais aussi pour sa
vie seulement, et sans admettre une hérédité illimi·
tée (1). On ne peut douter que, sous Charlemagne,
la plupal't des bénéfices ne fussent coneédés a vie ;
la surveillanee qu'il exer~ait pour empeeher que les
possesseurs ne les transformassent en alleux, e'est-
a-dire, en propl'iétés héréditail'es, le prouve évi-
demment. Et non seulement Charlemagne s'effor~ait
de prévenir eeHe transformation, iI veillait aussi a
ce que ses bénéfiees fussent bien administrés par les
détenteurs, afin que l'usufruit dont ils jouissaient ne
tournat point an détriment du propriétaire (2); il
ordonne a ses bénéfieiers de soigner les esclaves em-
ployés a la culture des domaines, de prendre garde
qu'aucun d'eux ne meure de fairn, autant que cela se
peut (at're avec l'aide de DiC1l, et de ne vendre, pour
Jeur propre eornpte, les denrées provenues du sol,
qu'apres avoir pourvu a leur subsistanee (~). Louis-


le-Bref, • horno Francms ucepit beneficium de scniore suo ...
et postea fuit ibi mortnus ... et post hoe accepit alius horno
ipsum benefieium .• (Cap. Pipp. 7'eg., a. 757, § VI, ap. Bu"
t. 1, p. 182).


(1) En 889', le roi Eudes confere un bénéfice 11 Ricabod,
son vassal, • jure beneficiario et fructuario. avec ecUe addL
tion que, si Ricabod a un fHs, le bénéfice passera a eelui·eí,
mais pour Sil vic seulement. (MUILL. de Re diplom" liv. VI,


(2) • Ut ii qui nostrum hencfieium habentbeneillud imme-
liorare studcant (Cap. Caro Mag., a. 813, § IV, up. BAL., t. 1,
p. 5(7).


(3) • Et qui nosh'um habet beneficium dili¡:entissime prre-




144 DES IftSTITUTION8 POLlTIQUES EN FRANCE
le-Débonnaire voulut continuer les memes précau-
tions; mais ses volontés étaient stériles, et le momeot
approchait ou les bénéficiers aHaient définitivement
conquérir la pleine propriété de leurs cODcessioDS.


40 Des Bénéfices héréditaires.


CeUe conquete n'étail point une nouveauté jus-
que-la sans exemple, et la prétention qu'eUe devait
faire triompher était aussi aneienne que les bénéfi-
ces memes. Bien que l'hél'édité ne fUt point leur
condition générale el primitive, elle ne lcur était
pas non plus absolument étrangere. Que les posses-
seurs de bénéfiees se soient efforcés, des ¡'origine,
de s'en assurer la propriété héréditaire, on en con-
vient; mais on nie que les roís mérovingiens aient
jamais sanctionné leurs prétentions. Les doeumens
repoussent, a mon avis, ce systeme. Quand le traité
d'Andely en 087, et l'édit de Clotaire Il en 61a, en
parlant des concessions de domaines faítes par les
roÍs a leurs fideles, se servent des mota omni firmitate
perdurent, stabiliter conservetur, il est difficile de n'y
pas reconnaitre l'admission de l'hérédité, et, dans le
meme traité, elle est expressément établie en faveur
des bénéficiers de la reine Clotilde: «Que les terres,
videat, quantum potest Deo donante, ut nulluscx mancipiislld
ilIum pertinentes beneficium fame moriatur, et quod superest
ultra iIlius farniJre necessitatcm , hoc libere vendat jure prres-
cripto .• (Cap. Caro Mag., a. 794, § 11, ap. BAL., t. 1, p. 264).
On pent voir aussi nn capitulairc de 806 sur l'usage des béné-
fices pendant la famine. (Ap. BAL., t.l, p. 455).




DU V· AU XC SIt.CLI!. 145
11 Y est·il dit, qu'il lllaira a la reine de conférer a
11 quelqu'un, lui appartiennen,t a perpétuité, et ne
11 lui soient retirées en aucnn temps (1). » Marculf
noDS a conservé la formule de la concession d'un
bénéfice héréditaire (2), ce qui prouve qu'au vm"
siecle, de semblables concessions étaientfréquentes;
et une loi des Visigoths, que je cite coro me symp-
tome de l'usage général des penples, ordonne for-
melleruent que • si l'hornme qui a re~u des bénéfi-
" ces du prince vient a mourir sans testament, ces
• biens passeront a ses béritiers selon rordre légal
" de succession (~). "


Vicissitudes générales de la Propriété bénéficiairc.


Du Vic nu xe siecle, on rencontre done, a toutes


(1) • Si quid de agris fisealibus vel specieblls atque prre-
sidio pro arbitrii sui voluntate facere aut cuiquam conferre
voluerit, in perpetuo, auxiliante Domino, cODservetur, neque
a quocumque ullo unguam tempore convellatur. (Ap. BAL., t. "
p. 13).


(2) ,Nos inlustri viro illi... villa Duncupante illa ... ,'isi
fuimus concessisse. Qua propter prresentem auctorítatem nos-
tram decernimus quod perpetualiter maDsuram csse jubemus
utipsa villa antedictus vir iIle ...• perpetualiter habeat concessa,
ita ut eam jure proprietario habeat, teneat ... et suis posteris
ex nostra largitate aut cui voluerit ad possidendum rclinquat.
(M.lRC. Form" lib. 1, cap. XlV).


fl) • Quod si etiam is qui hoc promeruit intestatus discesse-
rit, debitis secllndum legem hreredíbus res ípsa successionís
ordine pertinebit. D (Lex Wisigofh. , lib. v, tit. 11, § 11). CeUe
loi est dll roi Chindasuinthe, et pent étre rapportée a I'an 540.




146 DES ll"tSn~\l'l:lOl"tS l'OLl'l:lQ.\ll!.S v.l"t F1\A.l'IC.E
lés époques, des hénéfiees arbitrairement ré\'oqués,
des hénéfiees temporaires, des bénéfiees a vie, des
bénéfices hél'éditaires; et ces divers modes de con-
cession ont été, non point sueeessifs, mais simultanés
et contemporains.


Que si 1'011 veut cependant reconnaltre,au milieu
de la diversité des actes et de la violenee des mmurs,
quelles ont été, durant eeUe période, les vicissitudes
générales de la condition des bénéfices, voiei, ce me
semble, tout ce qu'on peut affirmer. 1° Originaire-
ment et cOIllmunément les hénéfices étaien! con-
cédés a titre d'usufruit et a vie, pourvu que le bé-
néficier demeurftt fidele au donateur. 2° Le cours
des cboses tcndaít constamment a les rendre héré-
ditaires.


Le premier fait déeoulait nécessairement de la
nature de ces relationsdu chefavec ses compagnons
qUÍ, apres l'établissement tenitorial, donnerent
naissance aux hénéfices; ces relatioos étaient toutes
personnelles; les concessions de bénéfices durent
retre également. Les harhares ne délUclaient guere
aquel point le don d'un domaine différait de celui
d'un che val ou d'une framée; íls n'en prévoyaient
pas les conséquences, et s'en promettaient le meme
avantage, I'attachement d'un guerrier a leur per-
sonne et a leur service. l\1ais la nature de la pro-
priété fonciere ne tarda pas a se développer ; elle
sépara ceux qu'on luí demandait de tenir unís;
1'usufruitier voulut devenir propriétaire absolu et
permanent; l' esprit d'indépendance et de famille




DU VO AU XC SIECLE. 147
\


prit la place de l'esprit d'association entre des indi-
vidus errants. Des lors commenl;a, entre les béné-
ficiers et les donateurs, cette série de violences et
d'usurpations réciproques qui devait se terminer
par le régime féodal, sorte de transaction qui vint
rendre stables et régulieres ces relations des pro-
priétés et des familles jusque-Ia en proie a la luUe
des forces individuelles et aux chances du désordre
socia1.


Ce fut apres la mort de Charlemagne que l'héré-
dité devint la condition eommune des bénéfiees. Pln-
sieurs concessions de Louis-Ie-Débonnaire el la pIu-
part de eelIes de Charles-Ie-Chauve sont faites a ce
titre (1). Enfin, en 877, ce dernier autorisa ses fídCles
a disposer, apres sa mort et comme ilIeur cOllvien-
drait, des bénéfices qu'ils tenaient de lui, sous la
condition toutefois qu'ils ne les transmettraient qu'it
des hommes enpables de servir l'état ('2). Mais celte
eondition était vague, et les sueccsseurs de Charles-


(1) En 860 , donation héréditaire de Charles-lc-Chauve a son
fldele Adalgise.(llALuz. , t. 11, p. 1475).-En 869, du meme ¡,
Dodon, vassal d'Otger (Ibid., p. 1488). - 877, du meme ¡,
Oliha, comte de CaTcassonne. (Ibid., p. 1500). On peut ,"oir ,
dans les tomes VI et vIII du Recueil des historien. do Frallce,
un grand nomhre de chartes semblahles de J,ouis-le-Déhonnairc
et Charles-le ·Chauve.


(2) «Si aliquis ex fidelihl1s nos tris post ohitum nostrum, Dei
et nostro amore compunctus, sreculo renuntiare voluerit et
filium vel talem propinquum hahuerit ¡Iui reipuhlicro prO¡!cSic
,-aleat, suos honores prou meltl1s ,"oluerit ei valcat placitare.
(Cap. Caro Calv., a. 877, tito UII ,5 x, ap. Bu., 1. 11, p. 264).




148 DES INSTITUTIONS POUTIQUES EN FRANCE
le-Chauve Curent, comme lui, hors d'état de veiller
it son observatioD.


Cependant, et bien qu'eJle fut devenue un CaH
presque général, l'hérédité des bénéfic¿sn'était point
encore alors un droit universel et reconnu. On voit
les bénéficiers la 8011iciter et l'obtenir individuelle-
ment, ee qui n'eut point eu lieu si elle eut été le
droit. Un exemple singulier montrera combien ce
genre de propriété était cncore précaire etavait be-
80in de confirmations répétées. En 79lJ, Charlemagne
uvait donné a un nommé Jean, qui avait vaincu les
Sarrasins dans le comté de Barcelonnc, un domaine
dit Fontes, situé pres de Narbonue. " pour que ledit
» Jean etses de8cendans en jouissent salls aucun trou-
l> ble ni redevance, tant qu'ils dcmcUI'Cl'ont fideles
JI a nons et it nos fils (1). " En 814, Chademagne
meurt; en 811';, le mema Jean se présente a Louis-
le-Débonnaire, avec la donation héréditaire qu'il
tenait de Charlemagnc, et en so11ieite la confirma-
tÍon; Louis la confirme el l' étend a de nouvelles
terres, "aun que ledit Jean, ses fils et leur postérité,
JI en jouissent en vertu de notre don (2). JI En 844,
l'empereur Louis et le bénéficier Jean son1 morta;
Tcutfried, filsdeJ ean, se présentea Charles.le-Chauve,
fils de Louis, avec les deux donations antérieures,


(1) «Ut habeat ille et posteritas sua absque ullo censu aut
inquietudinc donce nobis aut filiis uostris fideles exstitrrint.
(Ap. llALUZ. , t. 11 , p. 1400).


(2) «Omnia per nostrum donitum habeant ille el {ilii sui, et
postcritas illorum. " (Ibid., p. 1405).




DU Ve AU XC SIECLE. 149
lui demande de vouloir bien les confirmer de non-
vean, el Charles le lui accorde, tl afin que loi el ta
" postérilé vous possédiez ces biens sans aucune re-
11 devanee (~). " Ainsi, malgr'é l'hérédité du litre,
chaque fois que le bénéfieier ou le donateur venait
a mourir, le possesseur du bénéfiee croyait avoir
bcsIJin d'ctre confirmo dans S3 propriélé, tanll'idée
primitive de la personnalité de eeUe relation el des
droits qui en déconlaient était profondément em-
preinte dans les esprits.


Dans plusieurs des étattl qui se formerent par le
démembrement de l'empire de Charlemagne, no-
tamment en AJlemagne (.4), l'hérédité des bénéfices
ne prévalut que plus tard el moins complétement
qu'en France.


Telle esl l'hisloire progressive des propriétés bé-
néficiaircs. Les faits reponasent, comme on voit, la
régularité systématiquc qu'on a tenté d'y introduire.
Simultanéilé des divers modes de concession, pré-
dominanee primitive des concessions a vie, tendance
constante a l'hérédité qui fluit par triompber, ce
sont la les seules eonclusions générales qu'on puisse
déduire des témoignages et des monumens.


(1) • Ut omnia habeas nec non posteritas tua absqlle 1I11o
censu. (Ibid., p. 1445)_


(2) Voy. SCHMIDT, Geschichte de?· Dausts/ten (Hist. des
AlIemands), t. Il, p. 148, ct PFEFFEL, Hist. d' Allemagne, t. 1,
p. 134, édit. in-4 0 _


14




1 !SO DES IIISTITUTIONS POLlTIQUES EN FRANeE


Obligations aHachées a la possession des bénéfices.


Un fait éclale dans ees monumells el se reproduit
dans toutes les vicissitudes de ee genrede propriété;
c'est qu'elle n'était point grntuite, el imposait au bé-
néficier certaines obligation;; envers le donateur :
fait si évident et si simple, q u'on a peine it eompren-
dre comment lUably a pu le contester et soutenir
que les bénéfiees' eonférés par Charles-1Uartel furent
les premiers qui emportcrent la condition de relldre
au donateur des services miiitaires ou civils.


Je ne m'nrreterai point a eombattre eette opi-
nion; elle est refutée par tont ce que j'ai déja dit,
et les témoignagcs historiques SOllt ici pleinement
d'accord avecla nature des choses. Que les bénéfiees
soient tcmporaires, ii. vie ou h(;réditaires, partout et
a toutes les époques, la fidélité du bénéficier au do-
nateur est la condition morule et légale de sa pos-
session. eomment les bénéfices uuraienl-ils été plus
gratuits que ne l'avaient été, dans les forets de la
Germanie, les dOlls de chevaux et d'armes? Les obli-
gations eomprises sous le mot de fidélité ne se trou-
vent, il cst vrai, dans les premiers temps, déerites
ni énumérées nulle part. Les bar Lares n'écrivent
point ee qu'ils savent, ce qui est dans la pensée et
l'habitude de tous. Les bénéficcs que distribua Char-
les·Martel a ses guerJ'iers ne leur imposcrent point
d'obligations I10uvelles et jusque-lit illconnues; ils
s'engagerent, COlllme autrefois, ú I'cntourer, a le




DU Ve AU X· SIECLE. 11>1
suivre, el le défendre partout. Seu]ement, a mesure
que /()s anciennes relations des compllgnons ave e le
chef se relachaient et tendaient a se dissoudre par
]a dispersion des hommes et leur établissement sur
leurs domaines, ]eurs ob]igations réciproques du-
rent devenir plus explicites et plus déterminées.
Originairement, en temps de paix comme en temps
de guerre, les compagnons vivaient aupres du chef,
dans sa maison, a sa lable; ils étaient ses vassau:c,
dans le sens }lrimitif du mot qui signifiait convire,
hOte, homme de la maison (1). Quand, par l'intro-
duction de la propriété fonciere, un grllnd nombrc
de ces vassaux domestiques cesserent de vivre con-
stamment avec Ieur chef, quand la distinction des


(1) On a donné du mot 'Vassus un grand nombre d'étymo-
logies diverses; on I'a fait dériver de haus (maison), de 'Vest, fest
(établi) , de geselle (compagnoll, d' on viendrait plus di recte-
ment 'VassaUus; geseltschaft, société). Je penehe a eroire
qu'il "ient de gast (hote, convive); et c'est surtoutle vieuxmot
germaniqne gusinde (. aujomd'hui gesinde (. qui me le fait penser. '
Gasinde désignait la famille, les h0l!lmes de la maison, les
hotes, par opposition it mancipia, les esclaces. (AltTOlf,
Bistvire de f Agriculture allemande, t. 1, p. 326). On le
trouve dans un tres ancíen diplome atlribué it Clovis JO'; • tam
cives quam coloni ac gasinde). Recue desl hisforiens de
Fronce, t. IV, p. 61~), et il revient souvent dans les monu-
mens postérieurs. Enfln, dan s ee passage de la loi salique,
" si quis Romanum hominem eonvi"am regís oeciderit, sol. 300
culpabilis judieetur .• (Lex Salic., tito XLIII). Je présume que
e'est le mots gast qu'on a rendu par conviva; et on lit dan s la
loi desAlIemands: • Dominus qui duodeeim vassos iura domum
habet. , (Lea: Alam., tit. LXXIX, § 111, ap. BAL., t. r, 1'. 79).


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lo," l)"El! 1"!\l!'U'l:ll'UONl! l'OU'l:lIt'll"ES "E\'\ ll&Io.\O.Cf.
alleux et des béné6ces se fut clairement marquée,
alors se 6t sentir la nécessité de déterminer avec
quelque précision les obligations des bénéficiers,
dont l'illdépendance ne pouvait etre aussi complete
que celle des propriétaires d'alleux, et que le chef
devait rallier, au besoin, autour de lui. eette déter-
mination ne se fit qll'imparfaitement et avec lenteur,
comllle il arrive dans le passage d'llll certain état
social a un état nou veau, et quand il s'agit de choses
généralement connues et convenues. Les obligations
des bélléficiers demeUl'erent long-temps exprimée$
par le mot vague de ¡idélitá. C'est seulement vers la
fin de la premiere ruce et sous la seconde qu'elIes
devinrent plus explicites et passerent dam les lois
positives. Elles se "angent des lora sous deux chefs
principaux : 10 I'obligation au service militaire, a
la réquisition du donateur; 20 I'obligation a certains
services civils ou domestiques aupl'esde sa personne
et dans su maison.


lo De l'Obligation des Bénéficiers au service militaire.


Charlemagne régla avec un grand soin les obli-
galions de ses bénéficiers, quantau ~ervice militaire.
Le perte du bénéfice fllt la peine du refus (1). Le


(1) «In l'rimis quicnnque beneficia habere videntur, omnes
in hostem veniant.' (Cap. Caro Mag., a. 807, § 1, ap. Bu.,
t. 1, p. 457).- " Quicnmque ex ei. qui beneficium principis
habet parem suum contra hostes communcs in exercitum per
gentem dimiserit et cum eo ire aut stare noluerit, honorem




DU V O AU X e srtCLE.


simple retard fut l'objet d'une dispositionsinguliere:
• Quiconque tenant de nous des bénéfices aura été
» convoqué pour marcher contr~ l'ennemi et ne
» sera pas Venu au lieu assigné pour la réunion, sera
" tenu de s'abstenir de vin et de viandl.' pendant
, autant de jours qu'il aura tardé a se rendre a la
» convocation (~]. " n prévit également les obliga-
tions des vassaux de ses bénéficiers, etordonna qu'ils
marcheraient sous la conduite du comte de leur
comté, toutes les fois que leur propre seigneur, re-
tenu par son service aupres de la personne du prince
ne pourrait lui-meme les conduire [3]. Le cas de
guerre entre les grands propriétaires et les devoirs
de leurs vassaux furent réglés aussi bien que ceux.
des bénéficiers dll roi. C( Si quelqu'un de nos fideles,
" voulant combattre un de ses ennemis, convoque
)J ses compagnons pour qu'ils lui pretent secours,
• et que l'un d'entre eux. refuse on néglige de s'y


Buum et beneficium perdat. D (Cap.~Gar. Mag., a. 812, ibid',
p.494).


(2.) • Quicumque hamo nostros habens bonores in bostem
bannitus fuerit et ad condictum p1acitum non venerit, quot
diebus post placitum condictum venisse comprobotus fuerit ,
tot diebusabstineat carne etvino .• (Cap. Caro Mag., a. 812,
~ lIT; ap. BAL., t.l, p.494).


(3) • De vassis dominicis qui adbuc intra cllsam serviuot et
tameo beneficia habere noscuotur, statutum est ut quicumque
ex eis cum Dom. imperatore domi remaoseriot, vasallos suos
casatos sccum non retincaot , sed cum comite cujus pageoses
suot ire permittant .• ( Cap. Caro Mag., a. 812, § VII, ap.
BAL .. t. 1, p. 495).


14.




IlS4 DES INSTITUTIONS POLlTIQUES EN FRAileE
)) rendre, que eelui-ei soit dépouillé de son béné-
II fiee et qu'on le donne a eelui qui s'est montré fi-
n dele (1). Les luis des successeurs de Charlemagne
sont remplies de dispositions analogues et qui spé-
cifient de plus en plus les obligations du service mi-
litaire des bénéflciers. Je ne les rapporte pas ici,
paree qu'elles appartiennent pIutót uu systeme féo-
dal pres de triompher, qu'a l'état social el aux in-
stitutions de l'époquc dont je m'occupe.
20 De l'Obligation des nénéficiers a des serviccs domestiques.


Quant aux serviccs domestiques, personnels, jll'-
diciaires ou autres, ils nc sont point énmuérés ni
réglés par les lois, comme le service militaire, et
cela est fort simple; ils étaicnt, de leur nature, plus
arbitraires et plus vagues. 00 voit seulement, dans
une foule d'actes, que les rojs recevaient de leurs
bénéficiers certains services <¡ui obligeaient ceux-ci
de se rendre a la cour, soit a des époques fixes, soit
lorsqu'ils en étaient requis, et que leur négligenee
pouvait leur faire encourir la perte de leurs béné-
tices. Éginhard éerit au eomte du palais de Louis-Ie-
Débonnaire : "Frmuold, plus accablé par les infír-


(1) • Et si quis ex fideliblls nostris contra adversarium suum
pugnam aut aliquod certamen agel'e volucrit, et convocaverit
ad se aliquem de comparis suis ut ei adjutorium prrebuisset, et
ille noluit et exinde negligens permansit, ipsum beneficinm
quod babuit auferatur ah eo et detur ei qui in stabititate et
fidelitate sua permansit., (Cap. Caro Mag., a. 813, § xx, ap.
BAL. t. 1, p. 510).




DU VO AlJ Xe BIECLE. 11)1)
1I mités que par la vieillesse, possede un petit bénéfice
JI en Bourgogne, dans le pays de Geneve, ou son pere
.. a été comte; il craint de le perdre ~i volre bonté
• ne vient u son secours, car son infirmité l'empeche
JI de se rendre au palais. Il vous prie done de sup-
JI plier l'empereurqu'il daiglle lui permettre decon-
» server son bénéfice jusqu'u ee qu'nyant recouvré
JI ses forces, il puisse se rendre en la présence de
II son souverain et se reeommunder u lui (1). II Dans
une autre lettre, il sollicite de l'empereur Lothaire
un bénéfice pour l'un de ses amis : • Je vous con-
JI jure, dit-il, de lui aeeorder quelque faveur sur les
» bénéfiees qui sont ici, dans notre voisinage, dé-
JI laissés et sans possesseur. C'est un noble homme
" et d'ullo foi sure, curable aussi de servir tres utile-
• ment, dans quelque affaire que vous vouliez l'em-
JI ployer; il u servi avee fidélité et courage votre
JI pere et votre ui"eul (2) .•


Les memes obligations, les memes liens subsis-
taient entre les grands pl'opriétaires, autres que le
roi, el les hommes libres qui en avaient reltu des
bénéfices. Tout chef d'une bande, grande 011 petite,
employa les memes moyens pour s'attaeher des com-
pagnons, et eut droit d'en attendre les memes ser-
vices, la meme fidélité (~). Ce fut d'abord sur les


(1) Epist. Eginh. ep. XXVI, dans le Recueil des historiens de
Franco, t. "1, p. 374.


(2) Ibid., t. 1, p. 383; e'estla L)C Icttre. Voyez aussi les XXHn"
:>:tHII" lettres ,Iibid., p. 375, 382.


(3) Je ne ¡mis comprendre quelles raisons ont fuit pellser a




11)6 DES INSTITllTlOl\S POLITIQtlES &/1 FRAIICE
alleux primitifs, résultats de la conquéte, qu'eurent
lieu les concessions de ce genre. BientOt les bénéfice's
tenus du roi ou d'un chef supérieur se subdiviserent
pareillement entre lescompagnons du bénéficier(I);


l'abbé de Mably que ce fut sculcment a pres Charles-Martel que
des propriétaires , autres que le roi , commcnccrent lo. donner
des bénéfices. La nature des choses repousse absolument une
telle supposition. La nation franque n'était pas une bande
uni'Iue, et ce qui se passa entre le roi et ses guerriers dut néces-
sairement se passer enh'e chaque chef et les siens. Les lois bar-
bares parlent des vassaux qúi vivent dans la maison des grands
propriétaires. Tout nous montre une multitude de petitessoeiétés
guerrieres et domestiques groupées chacune autour d'un chef.
L'usage des bénéfice; en fit autant de petites sociétés territo-
riales. Les plus anciens documen. nOUS entretÍennent surtout,
il est vrai, desbénéficiers ou vassaux du roi, et c'est seulement
verS la fin de la prcmiere race que le. vassaux des comtes, des
leudes, des éveques paraissent fréquemment dans l'bistoire.
Mais cela ne pro uve nullement qu'íl n'en eussent pas aupara-
van!. Les ignorano chroniquenrs de cctle époque n'ont parlé
que de ce qui se passait au centre de l'Etat, sans jamais songer
lo. la société elle-meme, ou les rois tenoient une si petite place.
lllais les présomptions de la raison doivent remplir les lacunes
de lcur silence, et l'universalité de la pratique des bénéfices
était une conséquence nécessaire de l'établissement territorial
des Francs.


(1) HULLMA1'il'!, Histoire des Finances,. etc., p. 102et suiv.
En voici qnelques exemples. Eginhard écrit a Anségise pour le
prier de laisscr en jouissance d'un bénéfice un de ses hommes
a qui ill'avait donné, a usque dum nos illi de altero beneficio
ex lar¡;itate dominorum nostrorum aliquam copsolationem, Deo
adjuvante, facere potuerimus .• (Ep. Eginh.,J, dansleReeueil
del historien8 de Franco, t. VI, p. 369). - • Ego beneficium.




DU V O AU X· 8I~CLE. 207
et quand les bénéfiees changeaient de main, le nou-
veau propriétaire s'efforl,(ait d'y retenir les vassaux
de son prédécesseur : "Un homme frane avait rel,(u
• un hénéfiee de son seigneur et yavait conduit son
11 vassal; peuapres il vint a mourir et laissa son vas-
11 sal sur la terre ; un autre homme rel,(ut le meme
" hénéfice, et, afin de garder le vassal de son devan-
11 cier, illui donna nne femme choisie entre celles
1I qui habitaient ledit domaine; le vassal demeura
11 quelque temps avec elle; mais ensuite illa quitta
11 et reto urna aupres des parens de son seigneur
11 mort; il a reltu d'eux une autre femme, et e'est
11 avec clle qu'il vit maintcnant. Il a été décidé qu'il
" garderait l,our fcmme celle qu'iJ a reque la der'-
11 niere (1). 11 Exemple singulier qui montre a la fois
qucl usage on faisait des bénéfi(~cs, et aquel point
les relntions du vassal avee son seigneur conservaient
encore ce caraetero de pcrsonnalité qu'avaient eu
jadis celles du compagnon avee son chef.


Ainsi se formait peu a pen eette hiérarchie des
propriétés et des personnes qui devait devenir la
féodalité; ainsi, par la division progl'essive des bé-
néfiees s'étendait de jour en jour celte série de vas-
saux et d'arriere-vassaux liés les uns aux autres par
des obligations semblables et toujours comprises
daos celte condition de la fidélité qui était le titre


(Beboni) dedi de monasterio S~ncti Chlodowaldi propter hoe
quod mihi bcne servicbat .• (Ep. Eginh. 1, ibid., p. 369).


(1) Cap. Pipp. r8g., a. 757, § VI, ap. BAL., t. J, p. 172.




l!S8 DES INSTITUTIOl'lS POLITlQIJES EN FRANeE
memo do leur possession. Bien que, dans Ieur en~
chainement graduel et d'intermédiaire en intermé-
diaire, ces obligations rattachassent au trone la pI u-
part des bénéfices, et qu'ainsi le monarque eut des
droits, directs ou indirects, a la fidélité du plus
grand nombre des bénéficiers; cependant, dans une
société violente et grossiére, une relation si loin-
taine était nécessairement bien peu puissante, et
l'unité sociale ou monarchique qui en devait résul-
ter ne pouvait etre réellc. Les liens fondés sur des
rapports prochains et personnels étaient seuls effi-
caces; seuls ils correspondaient aux anciennes ha-
bitudes des barbares; et de mi'lIue que le compa-
gnon ne connaissait guere autrefois que le chef de
sa bande, de meme le vas sal ne tenaÍt vraÍment qu'a
son propre seigneur. Charlemagne s'efforqa de rat-
tacher plus immédiatement lous ses sujets asa per-
sonne et a son pouvoir. J'exposerai plus tard, avec
détail, quel systeme de gouvornement essaya de
fonder ce grand homme, el comment le desse¡n, sallS
doute plus instinctif que formé par avance, d'établir
l'unité dans ses états, présida constamment a ses ac-
tions et a ses lois. Je rencontre ici run des moyeos
qu'il mit en reuvre pour y parvenir. Il entreprit de
traverser la lliérarchie féodale qui se constituait,
d'entrer en communication directe avec tous les
hommes libres, et de faireprédominerlarelation du
roí au citoren sur celle du seigneur au vassal. La
fidélité, qui jusque-Ia n'avait été qu'une obligation
personnelle contractée onvers le chefauquelchaque




DU Ve UJ X· SltCLE. Hí9
homme ~libre s'était attaché et dunt iI avait l'e!,)u
quelque avantage, devint, par les ordres de Charle-
magne, une obligation publiqueimposée a tout
hommc libre envers le roí, qu'il en tint, (lU non,
quelque bénéfice médiat ou immédiat, et réclamée
au nom de la seule royauté. La formule de ce ser-
ment de fidélité fut réglée par les lois (1). Charle-
magne le fit preter aussi en favenr de ses fils LOllis
et Pepin, quand illes investít des royaumes d'Aqui-
taine et d'Italie (2) ; et lorsqu'il fut sacré empereur


(1) • De sacramento fidelitatis causa quod nobis et flHis
nostris jurare debent, quod his verbis contestaridebet : «Sic
D promitto ego ille partibus doroini mei Karoli regis et filiorum
• ejus quia fidelis sum et ero diehus vitre mere, sine fraude
• ve! malo ingenio .• (Cap. Caro Mag., a. 789, § 11, ap. BAL.,
t. 1, p. 24~l).


(2) Voici la leUre écrite.par le roi a ses comles, pour leur
ordonner defaire preter ce serment, teIJe que nousra conservée
Marculf:


«Ini rex comiti. Dum et nos una cum consensu procerum
nostrorum, in regno nostro iIIo glO1'ioso nostró filio ilIo regnare
prrecepimus, ideo jnbemus ut orones pagenses vestros, tam
Francos, Romanos vel reliqua natione de gentibus, banni"e et
locis congruis per eivitates, vieos et castella congregare faciatis,
quatenus prrosente misso nostro inlustri viro illo quem ex nostro
latere ilIue pro hoc rlireximus, fidelitatem prrecelso filio nostro
ve! nobis et ¡eode et samio per loca sanctorum vel pignora qure
illuc per eodem direximus, debeant promittere et conjurare. "
(MARC. Form., lib. 1, cap. n).


eeHe formule est intitulée : ,Ut lendesamía promittantur
regí; , IClldcsamium est pris ponr fidei saCf'amentUtn. 1I. Hull-
mann voit dan s ce mot ('origine du !rtudemillm, somme 'lue,
plus tanl, on payait, dans cedains cas, en pl'iHant foi el


\




160 'DES INSTITIlTlONS I'OLITIQUES EN FRAI'iCE
d'Oecident, il voulut que tous ses sujets, depuis I'agt
de douze ans, renouvelassent au César le sermenl
qu'ils avaient preté au roi (1). Enfin iI ordonna que
les h.ornrnes 1 ibres nejureraient fidélité aaueun autre
qu'it lui-rneme et it leur seigneur (2), assimilant ainsi
completement les droits qu'il prenaitsur eux comme
souverain et indépendannnent de toute eoncession
de bénéfices, aux Iicns qui unissaient le seigueur 11
ses bénéfieiers.


Un tel systeme affranehissait évidemment la
royauté de toutes les relations féodales, fondait SOI1
empire hors de la hiérarchie des personnes ou des


hommage pour un fief. (Hisfoire de /;' origine des Ordres,
p.14).


On peut voir également le capitulaire de Pepin, fil. de
Charlemagne et roi d'Italie (a. 793), qui reGle, avec le plus
grand détail, les obligations et les formes de la prestation du
serment pour tous les habitans du royaume. (BAL., t. 1, p. 540).


(1) «Prreeepitque ut omnis homo in toto regno suo, .ive
ecclesiasticus, sive ¡aiens, unusquisque secundum votum el;
propositum suum, qui antea fidelitatem sibi regis nomine
promisissent ,Ilunc ip.um promissum hominis Cresari faciat.
Etii qui adhuc ipsum promissum non perfecerunt, omnes usque
ad duodecimum retatis annurn sinlÍliter facerent •• (Cap. Caro
Mag., a. 802,§ 11, ap. BAL, t. J, p.363).


On trouve une double formule pour ce I)ouveau serment it.
l'empereur; dans BALuz. i. 111, p. 377.


(2) " De juramento ut nulli alteri persacramentnID fidelitas
prornittantur nisi nobis et unicuique seniori, ad nostram utili-
taternet sui seniori., excepto his sacramentis quro juste secun-
dum legemalteri ah altero debentur." (Cap. Caro l/lag., a. 805,
§ IX, ap. BAL., t. 1, p. 215).




DV Ve AV XO SIECU:. 161
terres, et ]a rendait partout présente, partout puis-
sante, it titre de pouvoir public et par son propre
droit. Soi1 que l'ascendant de Charlemagne prévint
les résistances, soít que l'idée confuse de la nécessité
el de la nature d'une autorité centrale et indépen-
dante des relations personnelles cut déja pris pos-
session des esprits, Boit que la plupart des seigneurs,
irréfléchis et grossiers, ne prévissent pas les consé-
queDces qu'entraillerait eette innovation si elle par-
venait a s'affermir, on ne voi! pas que les grands
propriétaires se soient refosés it faire preter, par
leurs vassaux, le serment qoi ]¡'ait direetement ceux-
ei 3U souverain. Une seule trace de résistance se
laisse entrel'oir; et autantqu'on en peut juger, soít
par les présomptions de la raison, soít par les ex-
pressions vagues,¡ineompleteset peut·etre tronquées,
du capitulaire ou 011 ]a rencontre (1), eHe viot de
quelques propriétaires d'alleux qui, ayant vécu jus-
que-la dans une complete indépendance, refusaient,
parorguei/ (2) , de promeUre au sou verain une fidéIité
que,:dansla hiérarchie des peraonnes et des terres,
ils ne devaient a aucun supérieur. Charlemaglle


(1) Et si fuerit aliquis qui per iDgenium fugitando de comi-
tatu ad alium comitatum sepropter istum sacramentumdistu-
lerit, aut per superbiam jurare noluerint semoti , per brevem
renunciare sciantet tales autper fidejussores. Etipsi fidejussores
non habueri,Dt quin in prresentia Domini regis iIlos adducant,
sub custodia serveDtur .• (Cap. Pipp. re, g/tal, a. 793, § XXXH,
ap. BAL., 1, p. 541).


(2) • Per superbiam. D Voyez la.note précédcnte.
I5




162 DES Il'lSTlTUTlOl'lS POLlTIQUES EN FRANCE
ne tint nul compte de leur refus, et ordonna qu'ils
seraient contraints de preter lelserment exigé detous.


Les successeurs de Charlemagne entreprirent de
continuer le meme systeme, c'est-a-dire qu'i1s or-
donnerent ce qu'il avait fait. La demande du ser-
ment universel reparaltdans leurs actes (1) et survé-
cut meme a leur impuissance; mais ce ne fut plus
qu'une formule vaine. Les relations des hommes
libres avec le roi el son pouvoir personnel sur eux
s'affaiblirent de jour en jour. L'obligation de la fi.
délité ne fut plus réelle qu'enlre le vassal el son
seigneur immédiat. C'est aux seigneurs que s'adresse
Charles-Ie-Chauve, TUllir réprimer les désordres
eOllllllis dans leurs terres (2) ; e'cst par leur antorité
qu'il fait passer la sienne; I'action directe lui man-


(1) On peut voir la formule dn serment prcté, en 824, par
le peuplc romain a Louis-Ie-Débonnaireet a son fils Lothaire.
(Ap. BAL., t. 1, p. 647). - « De fidelitate regi promittenda,
id cst omnesper regnnm illiu. Franci fidclitatcmilli promittant.
Et qni dicnnt se illam promisisse, ant certis testibns hac ad pro-
bent, ant jnrent se illam antejnrasse, autillam ipsamfidelitatem
promittant., Voici la formule de se serment réclamé par
Charles-le-Chanve: «Ego i\le Karolo 'HIndonvici et Judithtro
filio ah ista die in ante fidelis ero secnlldnm menn. savirum ,
sicut Francus horno per rectnm esse debet SUD regi, Si me Den.
adjnvet et istro rcliquiro. , (Cap. Caro Culc., tit. xv, § XIII, ap.
BAL., t. 11, p. 71).


(2) .1:t missi... curam habcant ne homines nostri ant alii ...
vicinos majores velminores depnedcntnr. Et si egerint, veraciler
missi nostri investigent ... ut in scniore hoc sic emendemus qua-
teDuS homines SlIOS in potestate habeat.» (Cap. Caro Calv.,
a' 862, § 1\, ap. Bn., t, lJ, p. l4!)).




DU V· AU X· SU:CLt. ]6:3
que; et bien qu'il menace les seigneurs de les l'endre
responsables des crimes de leurs hommes, s'ils ne
savent pas les prévenir ou les punir (1), il est c1air
que la hiéral'chieféodale a reconquis l'indépendance
avec l'empire, et que la tentative de Charlemagne
pour en affranchir la royauté est venue echouer
contre le cours général des choses el l'incapacité de
ses successeurs.


Causes du nombre toujours croissant des Bénéfices.


n n'en pouvait etre autrement. Les bénéfices
allaient toujours croissant en nombre comme en
fixité. Iln'était plus si aisé a la couronne de repren-
dre violemment ceux qu'elle avait concédés une
fois; el la conqueté, le déplacement des tribus, les
expéditions de pillage ne venaient plus lui fournil'
sans cesse de nouveaux domaines a répartir pour
gagner ou retenir des serviteurs. Les bénéficiers s'é-
tablissaient, a poste fixe, dans leul'S terres; et les
relations qui les liaient entreeux devenaient chaque
jour plus 8tab]es, plus indépendantes de tout autre
pouvoir. La condition bénéficiaire s'étendait rapi-
dement, sinon a toutes les pl'opriétés territoriales,
du moios au plus grand nombre; et plus les béné-
fices se multipliaient, plus le systeme social qui cor-


([) • Deinceps omnilms denuntiare volnmus ut unusqnisqlJe
cognoncat omnes qui in suo obsequio sunt .... ut ille de eorum
factisrationem se sciat redditllrum .• (Cap. Caro CaZ"., a. 842,
§ IV, ap. BAL., t. 11 ,p. 161).




164 DES INSTITUTIONSPOLITIQUES E~ rBANCE
respondait seul a ce genre de possession acquérait
de consistance et de vigueur. Nul historien n'a mé-
connu le rapide aeeroissement du nombre des béné-
fiees, et Montesquieu en a indiqué les effets avec sa
sagacité aceoutllmée (1). Mais e'est peu d'affirmer
Je fait; pour en appréeier l'énergie, iI faut en consi-
dérer de pres les eauses; il en a eu de plus géné-
rales, de plus puissantes que la prodigalité 011 la
faiblcsse de LOllis-le-Débonnaire et de ses sucecs-
seurs.


lo Bénéfices concédés pour des services diverso


Les bénéfices étaient de venus une denrée, une
sorte de monnaie avec laquella les rois et Jes grands
propriétaires, non-seulement eherehaient it s'atta-
cher des vassaux dont la force soutint la leur mais
payaient la plupart des serviees dont ils avaient be-
soin. (( Que tout inlendant de I'un de nos domaines
" qui possecle un bénéfiee, dit Charlemagne, envoie
" dans nos métairies un snppléant ehargé de sur_o
• veiller a sa place les travaux et tons les soins de
" nos terres. -- Que ceux d'entre les gardiens de
" nos chevallx, qui sont des hommes libres et pos-
" sedent des benéfices dans ]e lieu de leur emploi,
" vivent du produit de leurs bénéfiees (':2). " EtChar-


(1) Esprit des LQis , liv. XXXI, chapo XXII et XXIII.
(2) • QlIaliscumque major( villre) hahuerit benefioium BUllID


vicarium mittere faciat (in villas nostras) ([ualiter et manuo-
pera et ceterum servitium pro eo adimplere debeat. o (Cap.




DV 'Ve AV X e sd;CLJI. 165
lemagne recommandait expressément qu'on choisit
les intendans de ses domaines, " non parmi les
• hommes puissans , mais parmi les hommes de con-
• dition médiocre qui sont les plus fideles (1). Et ce
que faisait rempereur, tous les grands propriétaires
le pratiquaient également. Les bénéfices étaient
done répandus jusque dans Jes derniers rangs des
hommes libres. L'or et l'al'gent étaient rares; les en-
ta8ser était, pour les hommes puissans , non-seule-
ment une maníe, mais un besoin réel. La magnifi-
cence des églises retirait de la circulation une
portion considérable de la masse de métaux précieux
qui existaít alors. Les terres seules, pour ainsi dire,
étaient abondantes et disponibles; c'était en terres
que se payaient les récolllpenses des guerriers, les
services des fonctionnaires publics, les travaux des
employés personnels ; et toutes ces concessions, ac-
cordées sous la condition de la fidélité, faisaient pé-
nétrer dans tous les états et multipliaient sous toutes
les formes les bénéfices et Jes relations qui en dé-
coulaient.


Caro Mag. de .,illi" § x, "p. Bu., t. 1, p. 333). - • Et ¡psi
poledrarii qui liberi sunt et in ipso ministerio beneficia habue-
rint, de iIlorum vivant beneficiis .• ([bid., S L , p. 388).


Le major .,illm était chargé de diriger les travaux des champs
et de surveiller les ouvriers ; il avait l' administration générale
des domaines. Les poledrarii. soignaient les écuries.


(1) • Nequaquam de potentiorihus hominibusmajores fiant,
sed de mediocribus qui sunt fideles.. (¡bid., § LX ,p. 339).


15.




166 DES INSTIT1JTlOl'lS POLITIQIJES EN PUIICE


2° Dilapidation des Domaines royaux.


C'était peu des hénéfices concédés ; l'usurpation
ne contribuait pas moins a en nccroitre le nombre.
Les hénéficiers s' emparaient, des qu'ils le pouvaient,
des terres voisines des leurs, fussent·elles meme du
domaine royal. Les débats des rois de la premiere
raceavec leurs fideles provenaientsouventd'usurpa-
tions de ce genre, et elles continuerent sous des'
princes bi.en plus vigilans. En 795, Charlemagne,
renvoyant en Aquitaine son fils Louis, «lui demanda
» comment il se faisait qu'étant roi, il füt d'une telle
» parcimonie qu'il n'offrlt jamais rien a personne,
" pas meme sa bénédiction, a moins qu'on ne la lui
» demandat. Louis apprit a son pere que les grands
" ne s'occupant que de leurs propres intérets et né-
II gligeant les intérets publics, les domaines royaux
" étaient partout convertís en propriétés privées,
» d'ou il arrivait qu'il n'étai.t, lui, roi que de nom,
" et manquaitpresquede tout. Charlcmagnevoulant
» remédier a ce mal, mais craignant que son fils ne
11 perdit quelque chose de l'affection des grands, s'íl
» leur retirait, par sagesse, ce que, par imprévoyance,
" il leur avait laissé usurper, envoya en Aquitaine
11 ses propres messagers, Willbert, depuis archeve-
" que de Rouen, et le comte Richard, inspectellr
" des domaines royaux, et leur ordonna de faire
JI rentrer dans les maíns dll roi les domaines quí




DU Ve AU XC SIIlCLE. 167
1I jusqu'alors lui avalent appartenu; ce qui fut
• fait (1). "


Charlemagnepouvait seul tenter une pareille me·
sure, et ne la prit pas sans doute partout 011 elle était
provoquée par les memes causes. L'usurpation des
domaines royaux devint universeJle sous ses succ!"s-
seurs; et comme elle amenait, de leur part, des
usurpations analogues qui tombaient d' ordinaire sur
les biens de l'église, leséveques conseillerent, en 846,
a Charles-le-Chauve, une opération encore plus har-
die, cal' elle était générale: ,,11 ne faut pas, lui di-
11 rent-ils, qu'une nécessité honteuse pour votre
" dignité vous pousse a faire des choses que votre
• volonté ne souhaite point; beaucoup de domaines
" publies vous ont été enlevés, tantot par la force,
• tantót par la fraude; el paree qu'on vous a fait de
" faux rapports ou adressé d'injustes demandes, on
" les a retenus a litre soit de bénéfices, soil d'alleux.
" Il nous parait utile et nécessaire que vousenvoyiez,
" dans tous les comtés de votre royaume, des mes-
1I sagers fermes et fideles, pris dans l'un et l'autre
" ordre; ils dresseront avec soin un état des bien s
" qui, du temps de votre pere et de votre aieul, ap-
t partenaient au domaine royal. et de ceux qui for-
)) maient les bénéfices des vassaux; ils examineront
JI ce que chacun en détient maintenant, et vous en
1I rendront compte selon la vérité. Quand vous trou-


(1) VÜ. Lud. Pii. imp., cap. VI, dans le Recueil des histo-
riens de France, t. VI, p. 90 i:Collect. ~es mlhn., t. I1J, p. 32{j, ',;-:..




168 DES INSTITUTIONS POLlnQUES EN FRA.NCE
" verez qu'il y a raison, utilité, justice ou sincérité,
" soít dans les donations, soit dans la prise de pos-
" session, les choses resteront dans ltlUr état actueL
» Mais quand vous verrez qu'il ya déraisonouplutot
It f.·aude, alors, avec le conseíl de vos fideles, ré-
» formez ce mal de telle sorte que Iaraison, la pru-
" dence ou lajustice ne soient point méconnues, et
It qu'en meme temps "otre dignité ne soit pointavilie
11 ni rédllite par la nécessité a ce qui ne lui convient
" point. Votre maison ne peut-etre remplie de ser-
• viteurs qui s'acquittent de leurs charges, si vous
11 n'avez pas de quoi récompenser leurs mérites et
" soulager Ieur illdigence (1). 11


I,e conseil des éveques était intéressé et Charles-
le-Chauve hors d'état de le suivre. La violen ce est
plus aisée a la faiblesse que la justice. L'usurpation
des domaines royaux continua, et le roi s'en vengea,
quand il put, par d'autres usurpations. Tous les mo-
numens de ce regne en font foi (2).


3° Conversion des terrea désertes en Bénéfices.


Un autre genre d'usurpation, plus innocent, vint
étendreetmultiplierencore les bénéfices. Le nombre
des terres désertes et incultes était immense ; les cuI-
tivateurs, les propriétaires meme manquaient sou-


(1) Cap. -Caro Calv., a. 846, tit VII, § xx, ap. BAL., t. IJ,
p.31.


(2) Voir, entre autres, Cap. Caro Calv., a. 873, tito XLV,
S VIII; ap. Bu., t. n, p. 231.




DU Ve AV Xe ¡I:teLE. 169
vent au sol. Plus d'un bénéficier, en s'établissant
avec ses hommes sur le domaine qu'il avait re~lU,
regarda bientót comme sa propriété les solitudes
qui l'entouraient. Soit qu'illes eut Cait exploiter par
ses comI)agnons 011 qu'i11es eut seulement occupées,
jI demanda plus tard qu'elles fussent expressément
ajoutées a son bénéfice; et la faeilité des rois pour
de telles concessions, la latitude illimitée qu'ils leur
donnent, attestent plus hautemcnt que toute autre
preuve le déplorable état de la culture et de la pro·
priété. En 810, Louis-Ie-Débonnaire confirme aJean
la concession du domaine dit Fontes, qu'il tenait de
Charlemagne, et il y ajonte, sur sa demande, "tout
• ce que Jean a occupé on pris, par lui-meme ou
• par seshommes, soit sur les limites dudit doma in e,
11 soit dans les champs ou lienx voisins, et tout ce
11 qu'il pourra occuper a l'avenir (1). JI En 8.U, Char-
les-Ie-Chauve renouvelle, au profit de Teutfried,fils
de Jean, la meme concession, et il y ajoute encore
" toutes les terres cultivées ou non, que ton pere,
• ou ton oncle Wilimir, ou leurs hommes, ont prises
JI dans les me mes lieux, ainsi que tout ce qu~ tu as
11 pris ou prendras avec tes hommes(2)." Plus d'une
fois peut-elre les rois disposercnt ainsi de terres qui
ne manquaient pas de mailres; mais alorsmeme ces
terres se trouvaient converties en bélléfices et en-


(1) Voir ce diplOme, que j'ai déjit cité, dan s les Capitulai1'8s
de BALUZE, t. II, p. 1406.


(1) Ap. BAL. t. 11, 1445.




170 DES INSTITUTIONS POLITIQUES EN FRANCE
gagées dans le systeme qui s'étendait progressíve-
ment sur le pays.


4° Elfets de la Recommandation.


Enfln une pratíque singuliere, et qui a étonné
beaucoup d'érudits, ./a conversion volontaire des al-
leux en bénéfices, compléta le triomphe de ce sys-
teme, et fit, de ]a condition bénéficiaire, l'état légal
de la p]upart des propriétés.


Cette pratique est attestée par une fou]e de monll-
mens et, entre autres, par p]usieurs formules de
Marcu]f(l). Lepropriétaired'un domaine, une touffe
de gazon ou un rameau a la main, se présentait de-
vant ]e roi ou l'homme puissant dont il voulait s'as-
Burer la protection, lui cédait sa propriété libre et


(1) u Ideo veniens ilIe fidelis noster ibi in palatio nostro, in
nostra vel in procerum nostrorum prrescntia, villas nUllcupatas
ilJas, sitas in pago iIlo, sua spontanea voluntate, ¡¡obis per
fistucam visus estleuseuwerpisse seu condonasse, in ea ratione,
si ita con venit, ut dum vixerit eas ex nostro permisso, sub
usu beneficio debeat possidere , et post eum discessum , si cut
ejus adfuit petitio, nos ipsa. villas fideli nostro iIlo plena gratia
visi fuimus concessisse. Quapropter per prresentem decernimus
prreceptum quod perpetualiter mansurum esse jubemus ut
dummodo taliter ipsius iIIius decrevit voluntas ... ipsasvillas ...
ad integrum ... dum advixerit , absque aliqua deminuatione de
qualibet re, usufructuario ordine debeat possidere; et post
ejus discessum memora tus iIle hoc habeat, teneat et possideat,
et suis posterís aut cuí voluerít ad possidcndum relinquat .•
(lIIAIlC. Form., lib." cap, XIII .. - Voir aussi les formules XXI
et XXIV qui exposent des cas divers, mais 3nalollues).




DU Ve AU X· SÜ:'CLE. 171
la recevait aussitot, a titre de bénéfice, pour en
jouir, la transmettre et en disposer, commeillui con-
viendrait, dans ce nouvel état qui n'apportait a sa
condition d'autre changement que de lui donner un
supérieur et un patron territorial. Cet acte s'appe]ait
la ,'ecommandation; on recommandait sa propriété
pour lui assurer un protecteur.


L'origine, le sen s et les effets de la recommanda- .
tion ont été l'objet de longs débats. Montesquieu
et Mably ne I'ont pas comprise; M. de Montlosier et
M. Hallam en ont mieux démelé la nature et les
causes (1). Cependant la sourceprimitive et le déve-
loppement progressif de cet usage n'ont pas été, je
pense, c1airemellt ni completement exposés; il se
rattachaitsi intimemcnt a l'état général de ]a société
et a exercé sur la condition des hommes et des terres
une infIucnce si décisive qu'il est indispensable de
s'yarreter.


La recommandation avait pris naissance dans les
forets de ]a Germanie; elle n' était alors que le choix
d'un chef, acte libre de tout guerrier germain, qui
établissait, entre le guerrier et le chef qu'il avait
ehoisi, un lien personnel fondé sur des obligations
et des engagemens réciproques.


Apres l'établissement territorial, le meme usage


(1) Esprit des Lois, liv. xxx; chapo xxn' liv. xxXl,chap. VIII;
MABn, Observations ,t. 1, p. 59, Remarques et Preuves sur le
le chapo v, du liv. J, not. e, p 395; De la MonarcMe franfaise,
par M. DE MONTL08JER, t. 1, p. 347-361; HALLAM, State of
Eúrope, etc., t. J, p. 169.




172 DES INSTITtlTIONS POLITIQtlEB EN FBANCE
snbsista; la relation du compagnon on recommandé
a son chef ou seigneur demeura d'abord purement
personnelle et aussi libre qu'auparavant. Cependant,
chez quelques-uIls des peuples barbares, leslois cru-
rent devoir la régler: " Si quelqu'un, dit la loi des
» Visigoths, a donné des armes ou toute au\re chose
• a un homme qu'il a re~u dans son patronage, que
" ces dons demeurent a celui qui les a re~ns. Si ce
" dernier choisit un autre patron, qu'il soit libre de
II se recommander a qui il voudra ; on ne peut le dé·
II fendre a un homme libre, car iI s'appartient a luí-
II meme; mais qu'il rende au patron dont il se sé-
» pare tou! ce qu'il en a recu (4) •• Il semble, en
lisant ceHe loi, qu'on soit encore en Germanie; des
armes sont les présens qu'elle rappelle; la reIation
du recommandé au patron e~t purement personnelIe
et pleinement libre; la lui ne fait que déclarer et
sanctionner l'obligation murale'que doit imposer la
rupture.


La lui des Lombards nous moutre la meme rela-
tion, et tout aussi libre, mais entre des propriétai-


(1) ,Si quis ei quem patrocinio habuerit arma dederit vel
aliquid donaverit, apud ipsum qure sunt donata permaneant. Si
vero alium sibi patronum e1egerit, habeat licenliam cui se
voluerit commendare, quoniam ingenuo homini non potest
prohiberit quia in sua potestate consisti; sed reddat omnia
patrono quem deseruit .• (Le", Jiisig., liv. v. tito 111, § J). Dans
le Forum Judicum, recueil des lois des Visigoths, cette ¡oi es!
dite antiqua,· on peut done la rappol·ttl' ~u roi Eurie; c'est-a-
dire, a la fin du V O siecle.




DU Ve AU X· SIECLE. 173
res: "Si quelqu'un, dit-elle, occupant la portio n
JI de terre qui lui est échue, choisit U1J."autre sei-
" gneur, soit le comte, soil tout autre homme,lqu'il
JI ait la pleine liberté de s'en aller; mais qu'il ne re-
• tienne ou n'emporte aucune des choses qu'il~pos­
" sede, et qu'elles retournent toutes au domaille de
JI son premier seigneur (1) •• Quand Charlemagne
eut donné son fils Pepin pour roi a l'Italie, Pepin
déclara " que les hommes libres lombards seraient
" maUres de se recommander a qui2ils voudraient,
lt comme cela se pratiquait du temps¡des roís lom-
" bards j(:2). "


Cepcndant les eJfets nécessaires de la substitutíon
de la vie fixe a la vie errante et ecHe illflu.ence de
la propriété territoriale qui atlache l'homme au sol
commem,¡aient a se faire sentir; i1s devaient restrein-
dre la liberté de se choisir un patrono Aussi lit-on
dans le meme capitulaire de Pepin: "Quant aux
lt hommes qlli, icí en Italie, quittent leur seigneur,
lt nous ordollllons que personne ne les rel(oive sous
lt son patronage sans le congé dudit seigneur el


(1) • Siquisei in sua portione, quam aprisionem vocant,
alium, id est comitis .. aut cujusbilet hominis seDioratum
elegerit, libcram haheat licentiam abeundi : verumtamen ex
his qUID possidet nihil habeat nihilque seeum ferat, sed omnia
in dominium et potestatem prioris senioris plenissi lIle rever-
tantur .•


(2) • Stetit nobis de illis liberis hominibus Longobardis nt
lieentiam haheant se eommendandi ubi voluerint, sicut in
tempore Longobardorum fecerunt .• (Cap .• Pipp .. t'eg. Ital.,
a. 793 , § :<111 , ap. BAL., t.l, p. 537).


TOME l. 16


'. ~:
'\.~~:~.t~:¡.~~




17.4 DI8 INSTITUTIONS POLI TIQUES EI'! FRANCE
)1 avant de savoir au vrai pour quelIe cause ils I'ont
» quitté (2). "


eeUe séparation n'était done plus teut-a-fait ar-
bitraire; en voulait qu'elle eut des causes légitimes.
<:harlemagne les détermina: "Que tout homme,
" dit-il, qui a re<.,lu de son seigneur la valeur d'un
" solidus, ne le quitte point, a moins que son sei-
• gneur n'ait voulu le tuer, ou le frapper d'un baton,
" ou déshonorer sa femllle ou sa filie, ou lui ravir
• son héritage (1). » Il avait déja, sept ans allpara-
vant, endistribuant a ses fils une partie de ses etats,
entrepris de restreindre eeUe liberté: "Si un homme
" librequítte son seigneur contre le gré de eeluí-ei,
" et passe d'un royaume dUlIs un autre, que le roí
" ne le re<;oive point dans son patronuge, et ne per-
" mette pas a ses homllles de le recevoir ('2). " Apres


(1) • Stetit nobis de illos homines qui hie intra Italia seniores
!!uos dimittunt, ut nullus eos debeat recipere ii' vassallatico
sine corniato senioris sui, antequam sciat veraciler pro qua
eaus!!' ipse suum seniorem dimisit.. (Cap; Pipp. reg. Ital.,
a. 793, § v, ap. Bn., t. " p. 536).


(2) • Quod uullus seniorcm suum dimittat postquam ah ea
accepit valente solidum unum, excepto si eum vult occidere,
aut cum baculo credere, vel uxorem aut filiam maculare, seu
ei .hre·reditatem tollere .• . Cap. Caro Mag., a. 813', § XVI, ap.
BH., t. I , p. 510).


(3) • Ut quemlibet liberum hominem qui dominnm Buum
contra voluntatem ejus dimiserit et de uno regno in aliud pro-
feetus fuerit, oeque ipse rex suscipial, ncque homlllibus suis
consentiat ut tawm S1l5cipiant. , (A. 806; § VIII, ap. BAL., t. r,
p.443).




DU Ve AU Xl> 8I:1i:CLE. 175
la mort de son seigneur seulement, l'homme libre
recouvrait la libertédeserecommandera quiil vou-
lait dans les trois royaumes de France, d'Aquitaine
et d'Italie. La meme liberté appartenait a cellli qui
ne s'était encore recommandé a personne (1).


Les Hens qui résultaient de la recommandatioo
se resserraient donc de jour en jour, et la législation
s'efforc;ait de fher, en la réglant, une relation jus-
que la mobite comme l'existence et la volonté des
guerriers. On ne peut méconnaitre, dans ce fait, le
résultat naturel de la eondition de propriétaire, de-
venne celle d'uo grand nombre d'hommes ·Iibres
recommandés a un propriétaire plus puissant. Tant
que leur vie avait été vagabollde, tant qu'ilsn'avaient
engagé que leur persollne dans les relalioDs qu'ils
contrac!aient, ces relations ayaient été presque aussi
faciles a rompre qu'a former, et moyennant la restí-
tution des chevaux et des armes, leur rupture n'en-
trainait, puur le supérieur, d'autre ineonvénieDt
que la perte d'nn compagnon. Mais lorsque, soit par
la concessioo de quelque béoéfice, soít de tonte antre
maniere, la plupart des compagnoos furent devenus
cultivaleurs ou propriétaires autour de leur supé-
rienr, lorsque les relations des terres se furent ainsi
associées a celles des personnes, celles-ei ne purent


(3) • Unnsquisque Jiber horno, post mortem domini sui,
licentiam habeat se commendandi inter hree tria regua ad
quemcumquevoluerit. Similiterct ille qui nondum alieui com-
mendatus e.t .• (A. 806, § x, ap. BAl., t. 1, p. 443) ..




1'76 DES IIISTlTUTIONS POLITIQUES IN PRANCE
conserver la meme indépendance, ni demeurer en
proie a la meme mobilité. Le recommandé quitta
moins aisément ]a terre qll'il avait exploitée, et le
supériellr 6t plus d'efforls pOllr l'y retenir. Enmeme
temps le besoin de l'ordre devint général, car les
propriétaires aspiraient a quelque sécurité. Les lois
dirígerent leur puissance contra ces homrnes qui,
changeant sans cesse de sej gneur et de séj our, sem-
blaient vouloir mener, au milieu d'une société que
la propriété cornmen<;ait a rcndre stable, la vie er-
rante et avenluriere de ]eurs sauv'ages aieux. Vers la
meme époque, en Angleterre, les lois anglo-saxon-
nes exigeaient que tout horume libre fUt engagé sous
le patronage d'un seigneur ou dans quelque corpo-
ration responsable, jusqll'a un certain point, de sa
conduite. C'était un moyen d'ordre et de répression
qui. s'introduisait dans les Iois, paree que la société
en sentait le besoin. Charlemagne parait avoir tenté
une mesure analogue, el imposé a toul homme libre
1'obligation de se recommander a un supérieur qu'il
ne poul'rait plus quitter sans cause légale : "Que
" personne, dit-il, n'achete un cheval, une be te de
" somme, un breuf ou toute autre chose, sane con-
" naltre ceIui qui le vend, ou de quel pays il est,
» on il habite et ql1el est son seigneur (1) ;" et les


(1) I Ut nullus comparet caballum, bovem et jumentum,
vel alia, nisi eum cognoscat qui eum vendidit, out de quo
pago est, vel ubi manet, vel quisest ejus senior .• (Cap. Caro
Mag., a. 806, § 111. ap. B.u., t. 1, p. 450).




DU y. AU 'X" SIEeLE. 177
éveques écrÍvent a Louis-le-Germanique: "NOllS
" autres éveques consacrés au Seigneur, nous ne
" sommes point, comme les Jaiques, obligés de nous
II recommander a quelque patron (1). II


La recommandation devint done une nécessité
de plus en plus générale et un lien de plus en plus
étroit (3). Les lois s' efforcerent d'y amener les hommes
libres qui prétendaient conserver l'indépendance
de la vie barbare, et veillerent au maintien des rap-


(1) • Et nos ep ¡scopi Domino conseerati non sumus hujus-
madi homines ut, sieut homines seculares, in vassallatico nos
debeamus cuilibet com mendare. , (Lettre des éveques a Louis-
le-Germanique, a. 858 , ap.llAL., t. 11, p. 118-119).


(2) llIontesquieu et M. de lUontlosier croient que, BOUS
Charles-le-Gbauve, ce lien se relil.eha, et que tout homme rede-
vint libre alors de '{uittcr arbitrairement son seigneur pour en
prendre un autre. Ils se fondent; lo sur un paragraphe d'un
capitulaire de Charles-le-Chauve qui porte en elfet: ,Vo-
lumus ut unusquisque liber horno in regno n08tro seniorem
qualem voluerit in nobis et in nostris fidelibus aecipiat. "
(Ap. Bu., t. 11, p. 44). 20 Sur un paragraphe d'un autre
cllpitulaire (lbid., p. 83) qui eontient une disposition Ilnalogue.
Mais le premier de ces textes est suivi immédiatement de celui-ci :
• Mandamus ut nullus ¡omo seniorem suum sine justa ratione
dimittat nee aliquis eum recipiat nisi sieut tempore anteeesso-
rum nostrorum consuetlldo fui .• (Ibid., p. 44). Il faut done ou
qu'il y ait, entre ces dellx textes , une eontradiction grossiille ,
ou que le premier se rapporte IIniquement, comme je suis porté
a le croire, allX hornmes libres qui n'avaient pas encore choisi
de patrono Qllant au second paragraphe, il n'y 'est question, ce
me semble, que des propres fideIes de Charlesole-Chauve, a qui
il accorde une liberté sans doute extorquée ,et nullement d'une
disposition générale.


16.




178 DES IIISTITUTIOl'lS POLlTIQUES EII FRAIIOE
ports qu'elle fondait. L'observation de ces lois fut
san s doute tres incomplete; les mecure se refusaient
a la regle, et le pouvoir manquait de force pour
I'imposer; mais la regle n'en était pas moins con-
forme a la tendance et aux besoins généraux de la
société; cequ'elle souhaitait surtout, c'était l'ordre;
ce que cherchaient partout les cultivatellrS et les
propriétaires, c'était une pl'otection. La pl'atique de
la recommandation diminuait le nombre des vaga-
bond s et promcttait a ceux qui voulaient vivre dans
leurs ehamps l'appui d'un supérieur. Son extension
fut donc tres rapide, cal' tout y poussait, les loís et
les intél'l~t8 individuels que la ]lI'opripté a\'ait rendus
permanens. On recommanda ses terres pour en jouir
avec quelque sécurité, conllue on avaitjadis /'ecom-
mandé sa personne pour suívre UII chef a la guerre
et avoir sa part du pillagc. A quelle époque la l'c-
commandation commen((a-t-elle a s'applíquer aux
terres? Quelles fu.rent, dalls l'origine, l~s obligations
réciproques qu'elle tit naitre entre le recommandé
et le seigneur qu'il se donnait? On ne peut ré¡londre
a ces questions d'une fmion précise; ce qu'un \'oit
clairement, c'estque, parcet usag8', UII grand nombre
d'alIeux passerent dans lIne cundition qui les assi-
mi,lait aux bénétices. Ainsi de toutes parts et sous
toutes les formes, les propriétaires aeceptaient la dé-
pendance pour s'assurcr la prote~tion ; des relations
qui n'avaiellt d'abord lié que les persollnes et sans
enchainer leur liberté, s'étcndaient progressivement
aux ter res, imposant alors, a la Jibcl·té des personncs




DU V· AU x· SltCLIi. ]79
les liens que recevail la propriétéj et les hommes,
a la suite des terres, venaient chaque jour prendre
place dans la hiérarchie féodale qui leur offrait seule
un refuge contre les périls de l'isolement.


Cependant la puissance de tant de causes, loutes
favorables a I'accroissement du numbre des bénéfices
et aux progres du systeme féodal, ne fut poiBt uni-
verselle ni absolue. Personne n'ignore qu'en divers
Iieux, notamment dans le midi de'la France, beau-
coup d'alleux échappilt'ent a leur acttb:t Les sen ti-
ruens et les habitudes de l'indépendanceindividuelle,
caractere dominant des mffiurs germaines, lutterent
long-tempscontre les influences et les néce,sités que
je viens d'exposer. Le propriétaire d'un grand al/eu,
libre el maitre dans ses terres, y vivait au milieu de
ses cornpagnons, de ses colons, de ses serviteurs,
rendant laj IIstice selon les anciens usages, chef d'une
pe tite sociélé qui se suflisait a elle·meme el n'éprou-
vait, tant qu'elle était capable de repousser la force
par la force, allcun besoin de s'engagerdans une so-
ciété plus étendue, ni de réclamer, pour ses aff"irE'r
l'intervention d'un pouvoir éloigué. Aux yellx de tels
hommes, tout lien permanent, toute relation qui
leur dounait un sU[lérieur, était un abaissemenl et
une honte. Plusieurs, comme on I'a vu, refuserent,
par OIyueil, le sermcnt que Charlemagne exigeait de
tous. Le Bavarois Étichon, frere de Judith, femme
de Louis-Ie-Débonnaire, vivait de la sorle dans ses
domaines. Son lils Henri alla, il l'insu de son pere,
trouver son oncJe Louis, en ref(ut un bénéfice de




J 80 DES 11'IS'l'lTUT10l'lS POLlTlQUES EN PRUCE
quatre mille arpens dans la haute Baviere, et entra
ainsi1au~serviee de rempereur. Éliehon, courroueé
de voir son fils renoncer a la fiere indépendance de
sa famille, le mandit et ne voulut plus le revoir (1).
Mais si eet exemple prouve que de vieux Germains
se faisaient gloire de demeurer étrangers a cette 80-
cÍété nouvelle qui se formait autonr d'eux, il prouve
en méme temps que le eours général des choses leur
était contraire, que' le superbe isolement des peres
convcnait peu aux enfans, et que, soit par nécessité,
Boít par choix, ectte índépendance presque absolue
des individus, reste de la vie barbare, disparaissait
de jour en jour clevant l'organisation hiérarchique
de la féodalité. On verra plus tardeombien de causes,
outre celles que fai deja indíquées, contribuerent
a ce résultat.


III


Des Ter1'es tributaires.


Tous les lllonumens attestent l'existence des terres
tributaires (2).


(1) HULLMANN, Histoire de l'origine·des Ordres, p, 87.
(2) On a déja vu , dans les notes précédentes, plusieurs pa.,.
sage.~ qni, directement ou indirectement, font mention des
terres tributaires; en voici d'autres qui contiennent des dispo-
sitions formeHes a l' égard de ce genre de propriété .


• Census regalis, undecnmque legitime exiebat, volnmus
nt inde soIvatur sivede propria persona hominis, si ve de re-
nus .• (Cap. Caro a. 805, § xx, ap. BAL" t.I, p. 428). - Ut




DU V· AU X· SIECLE. 181
II ne faut pas entendre par la des terres qui paient


un impót public, mais les lerres assujéties, envers un


missi nostri census nostros diligenter perquiran~ undecumque
antiquitus venire ad partem regis solebant .• (Cap. Caro Calo.,
a. 812, § x , ibid., p. 498) - Ut de rebus unde census ad partem
regis exire solebat, si ad aliquam ecclesiam traditre sunt, aut
tradantur propriis hreredibus, aut qui eas retinuerit vel illum
ceusum persl)lvat.. ([bid., § XI). - • Quieumque terram tri-
butariam unde tributum ad partem nostram exire sólehat, vel ad
eeelesiam vel cuilibet alterit tradiderit, is qui eam su..eeperit,
tributum quod indesolvebatur, omnimodo ad partem nostram
persolvat, nisi forte talem firmitatem de parte dominica habeat
pllr quam ipsum tributum .ihi perdonatum possit ostendere .•
(Cap. Lud. P.i., a. 819, § 11; Cap. BAL., t.l, p. 611). - Ut
illi Franci qui censum de suo capite vel de suis rcbus ad par-
tem regiam debent, sine nostra licentia ad caoam Dei vel ad
alterius cuj uscnrnque servitium se non tradant nt respublica
'luod de iBis habere debet non perdat ... Quod si contra ban-
num nostrum fecerint, qui eos reccpcrint ... si ipsos in suo
servitio habere volnel'int, vd illoru m res de quibus eensns ad
partem regiam exiebat tencre voluerint, censurn quem ipsi
Franci debebant,velqui ·deillorum rebus exire solebat, ad nos-
tram regiam partem eomponant •• (Cap. Caro Calv., tito XXXVI;
edicto "ist., § XXVIII, ap. BAL. t. JI, p. 187. - Voyez aussi
§ xu, p. lB8. - a Ut missi notris deomnibuscensihus vel para-
veredis quos Franci hornines ad regiam potestatem exsolvere
debent inquirant et uhi per neglectum dimissum est exsolvi
faeiant ... Similer et de terris censalihus et de rebus ad eassas
Dei traditi. unde census ad partem regis exivit antiquitus. ,
(Cap. Caro Calv., a. 865, tit. xxxvlJ,§vmap. B.I.L., t. II, p. 198).


II est é"ident que, dans tous ces tcxtes et dan. heaucon p
d'autres analogues, iI s'agoit, non d'un impót étahli sur les
terres en général , mais de eertaines terres tenues a certaines _
eharges ou redevances. ~ \!I


/;r"
, ~...,'




182 DES INSTTTUTIO!'lS POLITIQIlES EN FRANCE
supérieur, a IIne redevance, a un tribut ou cens, et
dont celui qui les cultive ne possede point la pleine
et libre propriété.


D'apres un passage de Salvien, M. de Montlosier
affirme que les tenes trihutaires existaient dans la
Gaule avant I'invasiun des barbare, (1). Ce passage
prouve en effet qu'au milieu de la dissolution de la
société, dans l'impuissaJlce des lois et des magistrats
pour protéger les droits individuels, beaucoup de
propriétaircs faiules et pauvres achetaient, soit par
un tribut, soit par l'asservissement plus ou moins
complet de leurs biens, la protection d'nn voisin
riche et fort ('2). Ce fut bien pis apres la conquete,
el du vCau XI" siecle, le nombre des tel'l'es tributaires
alla toujours croissant.


Quand les barbares prircnt des terre', ce fut pour
en vivre, non pour les cultivar. lis n'avaient pas non
pl us, en fait de propriété, des nutions claires et com-
pletes. La dépossession absolue etlaservitude ne de-
vinreIlt point, partout et des l'origine, la condition
des anciens cultivateurs. Fournir aux besoins et aux
gouts de lenrsnouveaux maitres, exploiterle solavec
ceUe obligation et au risgue de s'en voir expulsés si
quelqueintéretou quelquecaprice le cOl11mandaient,


(1) Histoire de la Monarcltie {ranraise, t.l, p. 9 et 339.
(2) • Tradunt se ad tnendum protegendnmque majoribus et


deditios se divitum faciuo!, et quasi in jus eorum ditionemque
transcendunt .• (SAJ.VIAN. de Gabernat. Dei, lib. v). Salvien,
pretre de MarseilIe, né a eoJogne on aTreve, écrivait ce traité au
plus tard ver s le milieu du ve siecle.




DV VO AV X· SIECU:. 18~
rnais en conservant toutefois tacitement quelque part
dans la propriété, a ce titre seul qu'ils la faisaient
valoir, tel fut souvent leur sort. Quandles Lombards
envahirent \'Italie, iIsse cuntenterentd'ahord d'exiger
en denrées le tiers des revenus <lu pays, c'est-a-dire
de faire pssser toutes le~ propriétés territoriales dans
la coudition tl'ibutaire (1). Cette stipulation primi-
tive el génél'ale ne se retrouve point ailleurs, mais
le fail dut etre partout a peu pres le meme; lit uu
s'établit un chef barbare avee ses eompagnuns, la
plupart des anciens eultivateurs qui ne furent pas
exterminés, ou expulsés, ou réduits a la servitude
domestique, devinrent tributaires.


La conquete, comme on l'a vu, ne fut point une
reuvre subite l et aecomplie en un juur. Chaque bar-
bare pllissant continua de eonquérir autour de sun
principal établissement, c'est-a-dire de s'arroger,
dans les propriétés voisines, une part qui se résol-
vait cummunément en redevances uu charges de di-
verse nature. Te! dut etre meme, apres les grands
désordres de l'invasion, le principal effet des conti-
nuels envahissemens des proJlriétaires barbares.
J'ai déja fait voir comment la plupart des petits al-
leux disparurent au milieu de ces violences q1le les
lois essayaicnt en vain de réprimer (1) .. tes memes


(l) PAUL W ARNEFERID, De rcbua gestú Longobardor/lm,
lib. 11, cap. XXXI et XXXII, lib. JlI, cap. XII.


(1) Voy"z, dans ce meme Essai, au § des Alleux, p. 106
el 107.




184 DES INSTITUTJONS POLITIQUES EII FRANCE
causes qui tendaient a détrllire les alleux uu a les
convertir en bénéfiees, agissaient avee bien plusd'é-
nergie pour aeeroitre ]e nombre des terres tributai-
res. Avides et oisifs, les grands propriétaires trol1-
vaient souvent plus d'avantagea réduire leurs voisins
a eeUe eonditioll qu'a les dépouiller absolumellt.
Charlemagllc éerit a huil comtes de la Gaule méri-
dionale; « Gardez-vous, vous et vos subordonnés,
» d'imposer aueun cens allx Espagnols qui, veJius
• d'Espagne Jlour se ranger sous notre fui, ont oe-
" cupé avee notre permission des terres désertes et
• les Ollt eultivées (1).» Les memes illjollctions se
renouvellent san s cesse sous Louis-le-Débonnaire,
maisavcc bien peu de fruit (2). La puissance publique
était hors d'état de protéger les droits des faibles, et
ils le savaient si bien qu'ils venaient eux-memes en
abdiquer vo]ontairement une partí e pour assurer, a
ce qui Jeur en restait, quelque proteetion indivi-
dueHe. De me me que, par la pl'atique de la reeom-
mandation, beaueoup de propriétaires ehangerent
lems alleux en bénéfices, ainsi autres, plus raibles


(1) «Ut neque vos neque juniorcs vcstri memoratos llispanos
nostros qui ad nostram fiduciam de Hispania venicnte. per nos-
tram datam licentiam e'·ema loca sibi ad laboricandum propri-
serunt et laboratas babere vidcntur, nullum censum superpo-
nere prresumati. neqne ad proprium facere permittat; •.•
(Prmcept. Car_ }flag_, a. 813, ap. Bu. t. 1, p_ 5(0)-


(3) Ap_ RAL_, t. 1, p, 549; t. n, p. 116 etpassilll;vOY. aus_i
Vit_ Lud_ Pii, dan. le Raelleil des historiens de France , t. VI,
p.90_




DU Ve AU XC SlECLE. 185
encore, allerent au·de\'ant de la condition tributaire.
lis se présentaient devant leur redoutable voisin,
tenant a la main, I1on·seulement un rameau ou une
toutre de gazoll, mais 1es cheveux du devant de la
tete, et lui soumettaient de la sor te leur personne et
leurs propriétés. Ce fut d'abord sur les anciens ha-
bitans du pays que pesa celte dure nécessité; mais
bientÓt eHe se répandil parmi les vainqueurs eux-
memes, car la force s'inquiete peu de savoir sur qui
elle s'exerce, et des qu'un homme était faible, peu
importait, pour la sureté de son champ, qu'il se
nommat Franc ou Romain.


Enfin beaucoup de grands propriétaires, indépen-
damment des concessions qu'ils faisaient, a litre de
bénétices, aux hommes qu'ils voulaient s'atlacher
comme vnssaux, distribuerent une grande partie de
Jeurs terres a de simples colons qui les cultivaient
et y vivaient, a charge d'un cens ou d'autres servi-
tudes. eette distribution se tit sous une multitude de
formes et de conditions 'di verses. Les colon5 étaient
tantÓt des hommes libres, tantÓt de véritables serfs,
souvent de simples fermiers, souvent aussi des pos-
sesseurs investis d'll11 droit héréditaü'e a la culture
des champs qu'ils faisaieot valoir. De la cettevariété
des noms sous lesquels sontdésigoées, dan s les actes
anciens, les métairies exploitées a des litres et selon
des modes différens; matlsusindominicatus, ingenuilis,
servilis, tributalis, vestitu8, absus (1). De la aussi, en


(1) Voir, sur les diverses significationi de ces :mots ql.l'il
17




186 DES IIISTITUTIONS POLITIQUES EN FRANCE
partie du moins, le nombre et l'infinie díversité des
redevances et des droitsconnus plus tal'dsous le nom
de fiodaux,et dont la plupartavaient leursource dans
les relatiolls primiti ves de la terre tributaíre et de
son possesseur avee le propridaire de Iluiil la tenait.


Tont donne lien de croiro qu'a la fin dn x· siecle,
]a plupart des cultivateurs cxploitaient des terres
tribntaires. Indépendamment d'une foule de témoi-
gnages, historiqlles ou légaux, qui l'attestent, un
fait plus général ne permet pas d'en douter; e'est
la concentration progressive de la propriété fonciere
et l'immense étendue des domaines des hommes
puissans. JI est elair que la force, et une grande
force, pouvait senle garantí!' la plénitnde de la pro-
priété, el que ceux á qui ecUe force manqnaitétaient
conlraints de se réduire a une sorto d'usufruit plus
ou llloins étondu, plus ou moins préeaire. Il en est
de ]a propriété territoriale comme de la richesse
mobiliere; elle veut etre indépendanto, disponible,
el va lit olielle se trouve en 8ureté. Quand l'état so-
cial est tel que la sureté lui soit garantie indépen-
damment de la force de son possesseur, elle tend a
se diviser, car tout hOlllllle la rochercho des qu'il
pellt so promettre de la garder et d'on jouir en paix.
Quand, au contraire, on la voit s'accllllllller progreso
sivemcnt dans les memos mains, on peul etre assuré
serait trop long d'expliquer ici , et en géntÍraJ sur la conditioD
des terres tributaires et de leur. possesseurs, ANION, Bis/oire
de l' Agriculture Allemande , t. 1 , p. 78-84, 27-359; HI1LLIIIANN,
Histoit'q de l' origine des Ordres j p. 191-194.




DU "Ve AU X· SIECLE; 187
que sa condition est mauvaise, que les faibles s'y
tronvent mal el que les forts seuls peuvent la défen-
dre. Du ve au xe slecle, la proprlété d'une terre com-
promettaitquieonque n'était pas en état de repousser
la force par la force; il courait a chaque instan! le
risque de se voir attaqllé, pillé, dépossédé. La qua-
lité de simple usufruitier, au contraire, l'état de cul-
tivatenr partageantavec un homme puissant les fruits
du sol, donnait an fllible un protl'cteur, el en perdant
la plénitude de la propriété, il s'assurait du moins
une jouissanee un peu moins pél'illeuse. Un grand
nombre de propriétaires abandonnerent des droits
sans réalité, sans garantie, et ne furen! plus que des
colons. Des lors se prépara, dans la propriété, une
ré"olution nouveIle. Comme colons, ces hommes
acquirent peu a peu, et de génération en généra-
tion, de nouveaux droits sur le sol qu'iJs faisaient
valoir. A mesurc que s'apaisa la tourmente soeiaJe,
ces droits prircnt J¡lus de consistance; il devint
difficile de considérer comme un simple fermier et
d'expnlser a volonté le colon don! les percs avaien!
depuis Jong-tcmps cultivé le meme champ, sons les
1'enx el an profitdes percs du seigneur. Ainsi le tra-
,¡aiJ, sanetionné par le temps, reconquit ce qu'avait
usurpé la force, adoucie a son tour par la meme
puissance; les propriétaires s'étaient vus contraints
de se réduire a la simple conditition de cultivatellrs;
les cultivateurs redevinrent propriétaires. ¡Uais ce
fut la I'muvre lente des siecles; a la fin de I'époque
qui nous occupe, cette aurore de la société renais-
sante ne se laissait pas encore entrevoir.




188 DES IIISTITUTIOIIS POLITIQUES EN FRAl'ICE


CHAPJ:TBE n.


DE L'ÉTAT DES PERSONNES.


11 sernble quP, de I'état des terres tel que je viens
de l'exposer, on devrait aisémenl déduire l'état des
personnes, les diverses conditions sociales, el la place
que chacune occupait dans l'échelle de la puissance
el de la liberté. Ni le cornmerce, ni l'industrie, ni
les professions libérales, ne créaient alors, a cOté
des propriétaires, des classes nombrf'uses el impor-
tantes, indépendamment de toute richesse territo-
riale. HOl's du clcrgé. la propriété fonciere était
presque l'unique sOllree de fortune, l'u!lique moren
de pouvoir, et le clergé luí-meme cherchait dans la
propriété le principal appui de son influence. L'ét.at
des personnes devait done, on pourrait le croire,
correspondre exactemcnt a l'é1at des ter res , et
la hiérarchie des propriétaires déterminer celle des
citoyens.


En procédant d'apres ce principe, on trouverait
du ve au xe siecle, quatre classes d'hommes : 10 les
propriétaires d'alleux; 2° les propriétaires de bé-
néfices; 30 les possesseurs des terres tributaires, a
divers litres et sous diverscs eonditions; 4° enfin les
serfs.


On diraÍt de plus que la premiere de ces c1asses
tendait, sinon a disparailre, du moins a fe fondrc'




189
en grande partie dans la seconde, la troisieme, et
meme la dernithe; que la seconde dcvenait de jour
en jour plus nombreuse, plus dominante; el que la
troisieme, qlli croissait aussi en nombre, ne dcvait
rCllfermer que des hommes, sinon réduits a la servi-
tude, du moins étrllllgers a la vie publique et aux
droits dll la liberté,


CeUe elassifieation des personnes d'apres la clas-
sification des terres ne serait point en efret dénuée
de tout fondement. 00 peut meme dire que le coms
général des choses teodait a régler toujours plus
étroitement la eondition de J'hommc d'apres celle
de la propriété, et a resserrer ainsi dans les deux
premieres classes de propriétaires toutes les liber-
tés et tous les droits. L'état de la ~ociété du x· au
XIII· siecle, le démontre c1airement. Mais iI s'en
faut bien que, dan s l'époque qui nous occupe, celte
similitude de eondition entre l'homme et la terre
fui rigoureuse, et que l'état des personnes puisse etre
déduit de l' état des propriétés. Au milieu du désordre
universel, les conditions sociales étaient loin de se
classer de la lIorte, d'apres un príncipe unique et
absolu.


Dans renCanee des sociétés, la liberté est I'apanage
de la force. Elle appartient a quieonque peut la dé-
fendre. Hors du pouvoir personnel de l'individu,
elle ne possede presque aucune garantie.


Les progres dela civilisation placent dans la force
publique la garantie des libertés individuelles. Peu
importe aJors, sauf l'infirmité de toutes les institu-


17. I~~-::;:~'
"..,.t ·i ... · / .~. .


1."1 •
. .


. :--;




190 DES II'ISTITUTIOI'lS POllTIQUES EN PBAliCE
tions hurnaines, qu'un hornme soit faible ou fort, ,
pauvre ou riche; attaqué par un autre hornme, íl
n'est point appellé a se defcndre lui-meme et seul ;
il réclame san droít aupres des dépositaires de la
force publique; ceux-ci le constatent et lui en as-
surent la I,ossession. Le déhat des droits a rem-
placé la lutte des rorees individuelles ; la force pu-
blique seule intervient pour rnaintenir les droits.


Mais la création de la force publique est une reune
diffieile et lente; elle suppose, ou que la plupart
des forces indíviduelles ont été vaincues et suhju-
guées par uue force étrangere, auqnel cas la société
tombe dans la servitude, ou que les hommes ont ac-
quis assez. de raíson, de lumiercs morales, assez.
d'empire mr leurs passions pour reuoncer a l'ern-
ploi de leur fOl'ce personnelle, et se rallier régulie-
rement sous la loi de certaines conventiolls, de cer-
tains principes, autour de cert,ains magist,'ats.


Ce n'est point a l'entrée des peuples dans la car-
riere social e qu'uIl semblablc état peut se rencon-
trer. La so cié té n'a jamais eommencé ni par le des-
potisme, ni par la liberté. A son début, nul n'est
asscz. fort pour's'asservi,' tous les autres; et illl'y a
pas non plus, dans les individus qu'elle rassemble,
assez. de prévoyance, de sagesse ni de vertu pour
qu'ils acceptent I'empil'e des lois. des magistrats, et
le soutiennent au besoin contre la révolte des inté-
rets individuels.


Voici d'ou pro\'ient I'erreur de ceux qui placent
la liberté dans ,{'enfance des sociétés. On l'y entre-




DU V' AU XO SI/¡CLE. 191
voit en effet, mais un seul moment, dan s le berceau
meme de la société. Tant que l'agrégation est peu
nombrellse et resserrée dans un petit espace, tant
que ses membres miment en commun une vie se m-
hlable et remplie par des inlérets fort simples qu'ils
poursuivent de concert, a¡¡ns une tribu de pasteurs.
dans une bande de chasseurs ou de gllerriers, la li-
berté ne manque pas tout-n-fail de réalité ni de ga-
rantíes. Chaque individu est important, el nul n'est
placé, a l'égard d'un autre, dans une situation trop
inégale. La force de chacun suffit, ou a pen pres, a
]e protéger; el comme ils vivent presque toujours
ensemble, réunis par un meme intéret ou dans un
meme dessein, ces sentimens d'une s}Topathie natu-
relle, ces premieres notions de raison et de justice
qui se développent dans l'homme a la seule vue de
son semblable, suffisent aussi pour que les membres
de l'association ne Bouffrtmt pas que la force corpo-
relle regne seule dans leurs rapports, pour qu'ils
se garantissent réciproquement leurs principaux
droits.


Aussi quand on remonte a celte premiere aurore
de ]a vie sociale, quand OD péDetre dans ces petites
el primitives réunions de fa mili es nomades ou de
guerriers barbares, malgl'é la violen ce des passions
et ]a brntalité des mreurs, on y reDcontre des sen-
timens, des habitudes, et meme des institutions ou
plutót des coutumes qui caraclél'isent et défendent
la liberté.


I\fais que la société devienne plus nombl'euse pu




192 DES IlIST lTUTlOlIS POLITIQUES EN FRAlICE
s'éteÍlde sur un plus vaste territoire, que de nouvel.
les relations, et des relations moins simples, s'y in-
troduisent, que les individus cessent de vivre tou-
jours en présence les uns des autres, uniquement
occupés de se nourrir, de se dMendre on de se di-
vertir en commun, que les existen ces individuelles
enfin se développent, ehacune pour son compte, en
meme temps que s'agrandit l'existcnce sociale, aus-
sitot disparaít l'égalité des forces; aussitbtdeviennent
impuiss3ntes ou impossibles les institutions qui suffi-
saient naguere a la garantie des libertés barbares.
Alors les illégalités natmellcs d'audace, d'activité,
de capácité, d'énergie, se précipitcnt clans le vaste
champ qui leur est ouvert; les accidens de la fortune
vicnnerit s'y joindre el distribuent inégalemcnt les
moyens de force et de pouvoir. Les individus se dis-
persent et cessent de se con ten ir réciproquemenl.
Quand ils se rapprocheront de nouveau, ce ne sera
plus dan s des relations égales et avec une situation
a peu pres pareille. L'associatioIl fragile qui les avait
d'abord unis s'est dissoute. Une autre société com-
menee; elle sera plus grande et plus durable; elle
ouvrira aux facultés et aux rapports des hommes
des carrieres plus longnes et plus variées. Mais ceux
quí s'y trouvent tout a coup jetés sont encare inca-
pables de comprendre et d'accepter les regles, les
pouvoirs qui seuls y peuvent garantir les libertés
et les droits. Isolés, ils se livrent sans contrainte
a leurs passions et a leurs intéréts personnels; les
obligatiuns morales n'exercent sur eux que bien peu.




DU Ve AV X· ¡¡IECLE. 193
d'empire; les nécessités sociales, qui .étaient visibles
et puissantes dans la réunion de la tribu ou dan s
I'assemblée des guerriers, sont maintenant lointai-
nes, obscures et facHement méconnues ou éludées.
La raison publique n'existe pas encore; la force pu-
blique est presque impossible a concentrer eta meto
tre en mouvement. L'isolement des existences el la
luUe des forces individuelles, c'est-a.dire l'oppres-
sion dans le désordre, te/s sont la conséquence né-
cessaire et le caractere dominant de ceUe transition
de la vie sauvage ou barbare a l'état qui sera unjour
la société.


C'est dans celte cris e que se trouverent les peu-
pIes germains apres leur établissement sur le ter-
ritoire de l'empire. Comment supposer que les di-
verses conditions sociales y fussent déterminées gar
quelque regle et classées d'apres quelque principe
permanent? Au-dela dll H.hin, la rclation des com-
pagnons an chef était simple el uniforme; l'état de
l'homllle libre, ses droits, ses moyens d'action étaien t
c1airs, reconnus, les memes pour tous. IUaintellant
tout était compliqué, divers, en proie a la force et
an hasard; te\ homme \ibl'e était devenu proprié-
taire, tel autre vivait encore a la tab\e de son chef;
eelui·la habitait un manoir dont l'usufruit seullui
était accordé, eeluí·ci engageait sa persoone a quel-
que service qui le pla¡;ait sur la voie de la servitude.
La liberté n'était plus le caractere domínant et déci-
sif de la situation des homllles. Leur origine ne les
classait pas non plus d'une fa¡;oll stable et réguliere.




194 DES lIfSTITllTIO~S POLlTIQUES EN FRA~CIl
Le Romain riche prenait place parmi les grands; le
Franc .pauvre et isolé devenait un simple colon,
presque sans défense contre Jes caprices du proprié-
taire dont il dépendait. La propriété a son tour, ex-
posée it de contilluelles violeuces, livrée a la guere
et au pillage COlTIme la liberté, passait de maíns en
maíns au gré des hasards J de la force ou de la for-
tune, et n'avait pas le temps de devenir, entre les
individus, nn moyen de c1assification légale el per-
manente. Toutes lessítuations, tous les droíts, toutes
les forces étaient mobiles , précair<Js. Le clergé, sé-
paré du peuple par sa profession , son nom , sa ma-
niere de vivre et la nature toule spécíale de son
influence, formait seulllne classe bien détermínée,
et qlli assud,t a la condition des hommcs qllelque
fixité.


Quand le désordre est it ce point, I'im:Jgination
se refuse it y croire, paree qll'elle ne saurait se le
représenter; trop faible pour sajsir a ]a fojs tant de
faits divers, conrus et en proie it une fluctuation
rapide, elle s'elforce de les rattacher a quelque
principe fixe, de ranger, a ]a faveur de quelques
idées générales, ce He société déréglée. Ainsi ]'on a
}lrétendu classer les hommes, du V O [IU x" sieele, en
raison tantót de Ieur origine, tantót de leurs pro-
priétés, iei d'[Ipres la valeur que les lois barbares
atlribuaient a leur ,'ie, ailleurs d'aprcs les relations
qu'ils avaicnt entre eux avant l'établissement terri-
torial. L'un n'a connu ti'hommcs libres que les con-
quérans; l'antre n'a vu la liberté que dans la plé-




DU Ve AU X· SIECLE. 195
nitude de la propriélé fonciere; lel autre a soutenu
que la société était des lors divisée en tI'ois ordres
investis de droits inégaux mais réguliers. Mais l'a-
narchie de l'époque résiste a tous ces efforts; les
faits éehappent a tous ces prinei pes de classification.
Deux seulement, la prolll'iété et le wehrgeld ou l'es-
timation légale de la valeur des hommes, ont pu étre
invoqués avee quelque apparence de raison. On va
voir, en les consirlél'anl de pres, que ceux-la méme
sonl insuffisans, et que l'état des personnes n'en sau-
rail etre déduit.


I.


De la Classification des Conditions sociales
d' apres la p1'opriété.


2,0 Des Benéficiers.


Les propriétaires d'alleux se présentent les pre-
miers comme les citoyens les plus indépendans, les
plus complets, si ron peut ainsi parler, comme les
hommes libres par exeellence.


Nul doute que, pendant quelque temps, les pro-
priétaires d'alleux un peu considér'ables u'aien t formé
une cla~se particuliere el soigneuse de maintenir rin-
dépendanee desa situation. Maiscetteindépendance,
un l'a déjá vu, était eelle de l'isolement, et ce! iso-
lement De pouvait manquer de produire la faiblesse.
J'ai dit ql1elles causes ameneJ'ent la conversion de la
plupart des alleux en bénéfices, détruisant ainsi la




196 DES lNSTlTUTIONS POLITlQUES EN FRANCE
condition allodiale, ou du moins la contraignant a
s'allier avec une condition différente. Les proprié-
taires d'alleux ne faisaient point corps, n'avaient
point, a ce titre, des droits et des intérets a exercer
ou a protégerclI commun. C'étaient autant de petits
souverains isolés, chacnn dan s ses domaines, plutót
que des citoyens de meme rang dans l'état. lis se dé-
fendirent, chacun pour son cumpte, a la tete de
leurs hommes; et ce ne fut pas de la viulenee senle
qu'ils eurent a se défendre. Le déplaeement, la eon-
quete, la vue d'un monde nouveau mettaient en
mOllvement l'imagination des barbares; de grandes
inégalités se développaiellt et exeitaient touLes les
ambitiolls. Le roi, les ehefs riches et pllissans avaient
une suite brillante, faisaient a qlliconque voudrait
les servir de magnifiques promesses, tentaient dc
grandes aventures. Les propriétaires d'alleux sorti-
rent de leur isolement pour entrer dans une ear-
riere plus animée. Bientot s'introduisit l'usage d'en-
voyer ses enfans a la cour du roi ou de tel autre
chef pour qu'ils devinssent ses eompagnons et pris-
sent part a ses dons et a sa gloire. Des lors l'état des
personnes se sépara de l'état des terres. On garda
son aHeu, mais on devint en meme temps bélléfi-
cier, et ]a possession d'une terre in dé pendan te ne
fut plus le caraetere spécial d'une certaine classe
d'hommes, le signe d'une condition sociale distincte
el déterminée.


Ce n'était pas non plus le signe de la richesse, de
l'importance, ni mcme de la pleine liberré. Beau-




DU V· AU XC SIÉCLE. ]97
coup d'alleux se trouverent ou parvinrent dans des
mainstrop faibles pour les défendre. On a vu com-
ment ils étaient sans eesse ravis a leurs possesseurs
ou devenaient des terres tributaires. Souvent aussi
le propriétaire d'un petít alleu, tont en le conser-
vant, re4(ut d'un voisin puissant quelques portions
'de terre tributaire a exploiter; les lois parlent, :\
diverses reprises, d'hommell libres qui possedent un
hien pl'Ó,Pte et habitent sur la terre d'un seigneur (1).
Ainsi la'M1dition tributaire et la eondition allodiale
se trouvaient melées; el le propriétaire d'un allen,
parfaitement libre et indépendant a ce titre, était
en meme tem ps un colon, e' est-a-dire a quelques pas de la servitude.


. .~';,'~ .. I·":.:~/
f~ lo Des Propriétaírcs d'Alleux. \ ,',


Les bénéfices ont donné naissance :\ l'aristocra~~(',¡{~ • "
féodale; mais il s'en fant bien que, du ve au IX" sÍe- "--
ele, ceUe aristocratie fút constituée, et que les béné-
ficiers formassellt un~ classe d'hommes investís des
memes droits et placés dans une situation, sinon
égale, du moins analogue.


On sait combien cette possession fut long-temps Íncertaine, transitoire, sans cesse enlevée aux grands
bénéficiers par les rOÍs, aux'petits par leurs voisÍns
plus forts. Les possesscurs passaient ainsi, en un in-


(1) «Liberí homínes 'luí et propríum hahent et tamen in
terra dominica residen!., (Cap. Lud. Pii., a. 829,§n, ap.
BAL., t. 1, p' 671).


18




] 98 DES JNSTlTUTIONS POLITIQUES El'! FRA.IICE
s(ant, de la riehesse a la misere, des premiers aux
derniers rangs de la soeiété. Dans tous les rangs,
d'ailleurs, sauf la servitude absolue, se trouvaient
des bénéfieiers; j'ai fail voir que les rois et les ehefs
puissans donnaient des bénéfiees, non-seulement
pour s'aUaeher des guerriers, mais pour payer des
services de tout genre (1 J. Les majores villm, les po-
ledrarii de Charlemagn(( et des grands propriélaires
possédaient des bénéfiees aussi hien que les vassaux
les plus considérables. A eoup sur, ils n'étaient pas
de nH~me condition. Je Buis eontraint de le redire
souvent; unecivilisation avancée, I'empire de la rai-
son et de la force publique peuvellt seuls garantir
les memes droits, la meme existence légale a des
hommes profondémellt inégaux en Cait. La 00. man-


(1) M. de M"ntlosier pense que les hénéfices ainsi accordés a
des bommes ehargés de ser vices subalternes, n'étaicnt que des
concessions de tributaires: • Il faut bien distinguer, dit-il , ces
• sortes de bénéfices sons conditions viles d'avec les bénéfices
nobles ou fiefs .• (De la Monarchie franfa;se, t. 1, p. 334).
Que eette distinction se soit introduite avcc le tempo, et 'lu'nn
grand nombre de bénéfices aient été ainsi convel'tis en terres
tributaires, cela n'est pas douteux; mais cetlé conversion a eu
pour cause la faiblesse des petits bénéficiers qui n' ont pu dt'fen-
dre leur état d'hommes libres, et non la Ilatlll'e meme de la
concession originaire. Charlemagne distingue expressément lt's
poledrarji guí líberí sunt et beneficia habcnt, des colons
(fiscalini) glli mansos habeut. (Cap. de villis, § L, ap. Bu., t. 1,
p. 338). Une rnultitudc de monumcns prouveut que les con ees-
sion, de bénéfices desccndaicntjUS'll1'aUXconfios dela servitude,
et payaient des serviccs qui , plus tard, furcnt réputés serviles,
mais dont alors les bommcs l,bres se cbargeaicnt for! bien.




DU V· .tu X· SIBen. 199
quent de telles garanties, les inégalités réelles re-
gnentdespotiquement. Peu importe qu'elles résident
dans les forces corporellesoudans ces torces faetices
que conferent la richesse, la faveu!' du prinee ou telle
autre cause; leur résultatest lememe, elles exereent
le meme pouvoir. Qu'un hornme fUt libre, qu'il fUt
d'origine franque, qu'il posséd:h un alleu ou un bé-
néfice, aucune de ces qualités ne déterminait, avee
quelque certitude, sa condition social e, ne le clas-
sait au meme degré que d'autres hommes libres,
d'autres Francs, d'autres bénéficiers. Les situations
étaient individuelles, el réglées presq ue uniquement
par les forces propres, par lro hasards de ]a vie des
individus.


30 Des Possesseurs de Terres tributaires.


NuIle part ce mélange el eelte mobilité des con-
ditions ne se l'évelent aussi clairement que parmi
les possessenrs de terres tributaires. On a souvent
affirmé qu'au-dela des propriétaires d'alleux et de
hénéfices, il n'yavait plus d'hommes vraiment libres,
et que les colons formaient une classe intermédiaire
entre la liberté et la servitndc. Dans cette classe,
comllle dalls les autres, rien n'était uniforme ni gé-
néral. On y trouvait: lo des hommes libres, a lafois
propriétaires d'alleux et possessenrs de terres lribu-
taires ou colons; 20 deshommes libres, prop¡'iétaires
de hénéfices el colons; ~o des hommes libres, sans
propriétés allodiales ni bénéficiaires, et simples co-




~oo DES INSnTUTlOl'IS POUTIQUES EN FRANCE
lons, les uns héréditairement, les nutres a titre d'u-
sufruit personnel; 4° des hommes non libres a qui
la possession héréditaire de la terre tributnire avait
été accordée, a charge de certuins serviccs et de
redevances fixes; 1)0 en fin des hommes non libres,
que le propriétairc pouvait a son gré expulser
du domaine qu'ils exploitaient, et dont cependunt
il ne disposuit pas aussi absolument que des serfs (1).


A ces situalions si diverses correspondent, duns
les monumells el dans les lois, une multilude de noms
différens; les cultivnteurs de terres tributaires sont
appelés coloni, accolre, tributat'ii, fiscales, fiscalini,
lidi, aldi, aldiones, etc. ; et ces dénominalions varient


(1) • Liberum ecclesiro <¡uem colonum vacan!, (Lex Afam.,
tit. IX).- ,Liberi ccclesiastici quos colonos vocant. • (Ibid.,
tit. XXII!, cap. 1).


«Homines ipsius ecclesire tam ingenuos quam servas 'lui
super ejus terras vel initio commanere videntur. , (Dipl. Pipp.,
reg., a. 753, dans le Rectteil des historiens de France, t. l.
p.699).


«Coloni qui beneficia vel alodes in duobus, vel tribus, aut
quatuor comitatibus habent. (Cap. Caro Calv., a. 865, tit.
XXXVI, cap. XXII, ap. BAL., t. n, p. 184).- ,Ut quoniam in
quibusdam loeis coloni, tam fiscales qunm de casi. Dei, suas
hrereditates. íd est mansa qure tenent ... vendunt. .. prrecipiatuf
ut hoc nullo modo de cretero fiat.' (Ibid., cap. XXX, ap. BAL.,
t. n, p. 188).


"Colonos qui agrt)s monasterii (Fuldensis) colunt ... sive
absque ullo proprietatis jure terram eorum possidentes, seu
proprim han'editatis agros, Deo et sanctís eju. troditos usu-
fructuarío, ut fieri mas est, in beneficio tenentes .• (HULLllUl'Il'I,
Deutsche flnanzgeschichte, p. 105, noto 4).




DU Ve AIJ Xe sllleLIt. 201
tantót selon les lieux, tantot selon l'étendue de la li-
berté etdu droit de propriété des colons (1). La pos-
session et la culture des terres tributaires ne réglaient
done pas non pI us l'état des personnes; la, comme
ailleurs, la qualilé et la situation des individus dé-
pendaient d'une foule d'autres eirconslances,étaient
sujettes a un grand nombre de variations.


L'appréciation légale de la valeur des hommes
nousfournira-t-elle, pour la cJassification des condi~
tions sociales, un principe plus général et plus 81)J:.:.-~~ .:.:::
que la propriété ? rlc..~· L·.\; r". /§v '


n. t1, ~
~ :;::
,\ ;.l
t\ Du fVehrgeld.


Personnen'ignOl'e qu'on appelait werhrgeld la..,collÍ. ¡
position ou samme que le IIIcurtrier était lenu de
payer a la famille du mort, somme qui a été consi-
dérée camme le signe infaillible de la condition des
hommes, puisqu'ellc fixait le taux de Icur vie, la me-
sure~-de Ieur valeur ('2).


(1) On peut consulter sur ces diverses dénominations, a
chacune desquelles il est presqll6 impossible d'assigller un sens
spécial, bien qu'on ne puisse meconnattre <Ju'elles désignent,
du moins pour la plupart, des situations différentes, l' Dist. de
I'Agricult. allem., par AJlfOIf, t. r, p. 74.


(2) On varle beaucoup sur le sensétyrnologique dll rnot lOehr-
geld; je n'indiquerai que les deu'[ opinions principales. Selon
es uns (MOESEB, Osnabrílckische geschichte, t.¡l, p. 25, 3e édi-
ion, 1819; ADELUIfG, Deulsches wQ1rterbuch, au motwehrgeld),


15.




202 DES I~STlTUTIO~S POLITIQUES E~ FRA.NCE
Pour que ce signe fUt exact et nous l'évéh\t vl'ai-


ment l'état des personnes, il faudrait que cet état
eut été le seul élément de la fixat\on du wehrgeld,
que la via des individus n'cut été évaluée qu'en rai-
Ion de leur qua lité, de leur cOlldition, du rang: et
des droits qu'ils possédaient comme citoyens.


Le tableau des di verses compositions prescrites par
les lois barbares prouvera que cela n'était point, el
que le wehrgeld était fort souvent fixé d'apres des
considératiOIlS absolument étrangeres a la condition
Hociale des individus. Je n'épuiserai pas dans ce ta-
bleau tOIlS les cas de composition énumérés dans les
loís des divers peuples Germains ; mais fen réllnirai
UII assez grand nombre pour démontrer l'inexacti-
tude de ce principe de classification.


Le wehrgeld était de :


1800 soIs (solidi) pour le meurtre du barbare, libre,
compagnon du roi (in tmste regia),
attaqué et tué dans sa maison par


il vient de l'ancien mot :weT.re, flaleur (aujourd'hui werth) , et
signifie littéralement l'argent que vaut un homme. Selon les
autres, il dérive de wehr, we/.re, flrme, défense, (,oehren, em-
pecher; wahren, be¡vahren, garantir, wlIrrant, garantie), et
signifie J'argent qui défend, qlli r,arantit la vie d'un homme.
(HULLIIIANN, Ursprungrlerstwnde,p. 15; CAlIPE. Deutscsheswwr·
terbuch, au mot wehrgeld.) QlIoique la premibre de ces dellx
explications paraisse généralernent adoptée par les savans qui,
dans ces derniers tePlps, se sont occlIpés nec le plus de slIcces
des antiqllité5 germaniques, je suis porté a préférer la seconde.




DU V· AU 1° SrECLI:.


une bande armée, chez les Francs
Saliens (1).


960 soIs (solidi) l° Le due, ehez :es Bavarois (2);
2° l'éveque, ehez les Allemands P~).


900 .....•• l° L'éveqlle, chez les Francs Ri-
puaires (4); 2° le Romain in truste
regia, altaqué et tué dans sa mai-
son par une bande armée, chez les
Francs Saliens (o).


6.40. . . Les paren s du duc, chez les Bava-
rois (6).


600 .•••••. 1° Tout hommein truste regia, chez
les Ripllaires (7); 2° le meme, ehez
les Francs Saliens (8) ; ~o le eomle,
chez les Ripllaires (9); 4° le pretre
nélibre, chez lesRipuaires(lO); 0° le
pretre, chezlesAllemands (11); 60 le
cnmle, chez les FranesSaliens (12);
7° le sagibaro (espt'lCe de juge) Ji-
hre(13), ibid.;8°lepretre, ibid.(U);
9° l'~omme libre, attaqué et tué


(1) Lex Sal., tito XLIV, c. 11.
(2) Lex Baiuv., tit.u, c. xx,


§ IV.
(3) Lex Alam., tito XII, C.I1.
(4) Lex Rip., tito XXXVI,


c. IX.
(5) LexSal., tito XLlV,C. IV.
(6) Lex Baiuv., tit.n, c. xx,


§ IV.


(7) Lex Rip., tito XI, C. l.
(8) Lex Sal., tito XLIII, C. IV.
(9) Lex Rip., tito un, c. l.
(10) Ibid., tit.xxxYl, C. "VIII.
(11) Lex Alam., tit. XII, c. 11.
(12) Lex Sal, tito LVI, C. l.
(13) 16id., C. 111.
(14) Ibid., tit. LVIJI, c. 111.




20'¡' DES INSTITIlTlOl'lS POLITIQUES EII FRANCE


500 (8olidi).
400 .•.•.


~OO .•••••


200 .•....


,


dans sa maison par une hande ar-
mée, ~·bid. (1).


• Le diacre, chez les Ripuaires (2).
• ] o Le sous-diacre, chez les Ripuai-
res (!ll); 2° le diacre, ehezles AI-
lemands (4); 3° le meme, chez les
Francs Saliens (5).


· lote Romain convive du rui, chez
les Francs Saliens (6); 2° le jeune
homme élevé au service du roi et
I'affranchi du roi qui a été fait
comte, chcz les Ripuaires (7);
3° le pretre, chez les Bavarois (8);
4° le sagibaro qni a été élevé a la
cour du roi, chez les Francs Sa-
Iiens (9); 5° le Romain lué par
une bande armée dans sa mai-
son, ibid. (10).


· l° Le clerc né libre, chez les Ri-
puaires (11) ; 2° le diacre, chez les
Bavarois (t2); :&0 le FraIlc Ripuaire
libre (13) ; 4° l'AlIemand de cundi-


(1) ¡bid., tit. XLIV, C. 1,
(2.) Lex Rip., tito XXXVI,


(7) Le .• Rip., tito LIn, e. 11.
(8) Le", BaiuIl., tito x, e.lI.
(9) Le" Sal., tito L1V, e.!l.
(10) ¡bid., tito XLI v, e. IV.
(ll) Le" Rip., tito XXXVI,


c. VII.


(3) [bid., C. VI.
(4) Lex Alam., tito XIV.
(5) Lex Sal., tito LVIII,


C. n.


(6) ¡bid., tito XUII C. n.
e. V.


(12.) Lex Bailtv., tito x, e.ur.
(13) Le" Rip., tito VIII.




DD V· AU X8 &lECLE.


tion moyenne (1); 1)0 le Frane ou le
barbare vívantsousla loí Salique(2);
6<> le Frane voyageant ebez les Ri-
pllaires (3); 7° I'homme affranebi
parledellier, cbez les Ripuaires(4).


160 soIs (solidi) 10 L'homme libre, en général, chez
les Allemands (1)) ; '20 le meme, chez
les Bavarois (6); 30 le Bourguignon
1'Allemand, le Bavarois, le Frisol\.
et le Saxon, ehez les Ripuaires (7);
4° l'homme libre, eolond'uneéglise,
ehez les Allemands (8).


150 ....... 1° L'optimas ouGrand Bourguignon
tué par l'homme qu'il avait atta-
qué (9); '20 J'intendant d'nn do-
maine du roi, cbez les Bourgui-
gnons (10); 3° l'eselave bon ou-
vrier en or, ibid. (11).


100 ....••. 1° L'homme de condition moyenne
(mediocris homo) , chezles Bourgui-
gnons; tué par celui qu'il avajt at-
taqué (12); '20 ]e Romajn quj pos-


(1) Lex Alam , tito LXVlI1,
C. IV.


(2) Lex Sal., tito XLIII, C. l.
(3) Lex Rip., tit XXXVI, e l.
(4) ¡bid., tito LXIl, C. lI.
(5) Lex Alam., tito LXVIII,


C. J,
(6) Lex Baiuf'., tito XIII, c. J,


(7) Lex Rip., tito XXXVI ,
C. 1I, IV.


(8) Lex Alom., tito IX.
(9) Lex Burg., ti!. 1, O. 11.
(10) /bid., tito L, C. l.


(11) Lex Burgund., tito X
(12) lbid., tito 1, C. n.




206 DES I~STITllTI01l8 POLlTIQUI!S I!If FIIAlICI!
sede des hiens pro pres , chez les
Francs Saliens (1); 3° le Romain
voyageant, chez les Ripuaires (2);
4° l'homme du roi ou d'une église
ibid. ca) j 0° le colon (lidus) par
deux Cllpitulaires de Charlemagne
(ann. 80~ et 813) (4); 6° l'inten-
dant (actor) du domaine d'un antre
que le roi, chez les Bourgui-
gnons (o) ; 7° l'esclave ouvrier en
argent, ihid. (6).


80 soIs (solidi) Les affranchis en présence de I'É-
glise ou par une charte formepe,
chez les Al/emands (7).


75 ...••.•. L'homme de condition inférieure
(minar persona), ('hez les Bourgui-
gnons (8).


ISo. • • • • • • L'esc1ave barbare, employé au ser-
vice personnel du maltre ou a des
messages, chezlesBourguignons (9).


50. . . • • . . Le forgeron (esclavo), chez lesBour-
guiguons (10).


(1) L~x Sal., tito XVII,
c. TU.


(2) Lex Rip., tit. XXXVI,
O. u!.


(3) Ibid., tito x, IX.
(4) Cap. Caro Mág.,a. 803.


,jtlo de lego ripuarense, $ JI,


ap. BAl., t. 1, p. 395; a. 813.
ibid., t. 1, p. 51!.


(5) Lcx Burg., tito L. e.JI,
(6) Ibid., tit. x.
(7) Lex Alam., tito :nn.
(8) Lex Burg., tito 1, c. n.
(9~ Ibirl., tito x.
(10) [¿id.




46 soIs (solidi)


40 •....••


36 •..•..•


30 ...... .


DlJ VO AU X· SltCtl!. ~07
1 ° Le serf d'église el le serf du roi,


chcz les Allemands (1); 2° le Ro~
main tributaire, chcz les Francs
Saliens (2).
10 Le simple affranchi, chez les
Bavarois (3); ~o le patre qui garde
quarante cochons, chez les Alle-
mands (4); 3° ]e berger de quatre-
vingts moutons, ibid. (o); 4" ]e sé·
néchal de l'homme qui a douza
compagnons (vassi) danssa maison,
f·bid. (6); 0° le rnaréchal qui soigne
douze chevaux, ibid. (7); 6° le cui-
sinier qui a un aide (jun'¡or) ,ibid. (8).
60 l'orfevre, ibid. (9); 80 rarrnu~
ricr, ibid. (10); 9" le forgeron,
ibid. (11); 10° le charron chez les
Bourguignons (12).
1 ° L'esc1ave chez les Ripuaires (13);
2° reselave devenu colon tribu-
taire, ¡bid (U).
J.e garcleur de cochons, chez les
Bourguignons (10). ,<:1'


4
(1) Lez AZam" tito Vll/. (8) ¡bid.


(9) [bid.
(10) [bid.
(11) [bid.


(2) Lez Sal., tito XLIII,
f .VIlI.


(3) Le.r. Baiut! .• tito IV, C. XI.
(4) Lez Alom .• tito LXXIX,
(5) [did.,
(6) [bid.
(7) LexA,lam., tit. LXXIX.


(12) Lez Burg., tito x.
(\3) Lez Rip., tito VIII.
(l4) [bid., tito LXlI, C. J.
(15) Lez Burg., tito 1:.




208 DES INSTlTUTIONS POLlTIQUES EN FRAIICE
20 (solidi) • •. L'esclave, chez les Bavarois (1).


On voit clairement, d'apres ce tableau, que l'ori-
(fine et la condition des individus n'étaient point
l'unique élément du wehrgeld; les ci'rconstances ma-
térielles ou morales dudélit, l'utilité ou la rareté de
I'homme tué entraient également en considération.
La vie d'un esclave bon ouvrÍer en orfévrerie valait
plus, chez les Bourguignons, que celle de l'homme
libre de condition moyenne, autant qlle celle de
l'optimas, lorsque celui-ci lI'avait été tué qu'apres
s'etre rendu coupable d'agressioll. Chez les Francs,
la mort du R.omain attaqué et tué dalls sa maison
par une bande armée entrainait une composition
plus élevée queje simple meurtre d'un Franc. Qu'un
homllle eut été tué dans la cour du duc des Alle-
mands, ou en y allant, ou en revenant, ou en se ren-
dant chez le comte deson comté, ceUe circonstance
seule. queIle que füt d'aiJleurs la qualité du mort,
triplait le wehrgeld du par le meurtrier ('2). Le Ro-
main, le colon, l'esclave, selon leur situation acci-
dentelle, selon le mode et le lieu du délit, étaient
souvent estimés plus haut que l'homme libre el le


(1) Lea: Bauiv., tit. v, C. X"l'III.
(2) « Si quis in curte ducis horninem occiderit, aut illie am-


hulantem, aut inde reverten te m , triplici weregildo Cum solvat .•
(Lea: Alam. tito XXIX, cap. t.) - • Et si ad comitem perrcxerit el
ille occisus fuerit, ille qui hoc fecit omnia tripliciter compo-
nat.' (Ibid. cap. n.) - • Si quis missum ducis mfra provin-
ciam oceiderit, tripliciter eum solvat. )) (Ibid. tito xxx.)




DU V· AU XC sd:cLE. 209
barbare. Sans doute l'origine et le rang des indivi-
dus étaiellt le principal élément de leur valeur lé-
gale; le barbare vaJait d'ordinaire plus que le Ro-
main, le propriétaire plus que le simple colon,
I'homme libre plus que l' esclave. Mais ce n'est point
d'nn fait si général qu'on peut tirer une classifica-
tion complt':lte et précise des conditions sociales; el
si, dans ceUe étude, on prenait le wehTgeld pour
signe eertain de l'état des personnes, on serait con-
duit aux $s grossieres erreurs.


n faut donc renoncer a la prétention de classer
les condítions et les hommes d'apres un principe
général et simple, soil qu'on le cherche dans la na-
ture des propriétés on dans l'appréciation légale. de
la vie des individus. Toute hypothese réguliere et
systématiqueest trompeuse, paree que iout systeme,
toute regle permanente étaient étrangers a la so-
ciété. Il faut se borner á recueillir, dans les monu-
mens, les dénominations pal'lesquelles étaient dési-
gnéesles di verses classes de citoyens, et a rechercher,
dans les faits, eomment s'opéra, entre ces classes
historiquement connues sans qu'on puisse les ratta-
cher a aucnn principe, la distribution irréguliere et
sans:cesse mobile du pouvoir, de la richesse, desforces
et des libertés.


Les leudes, antrustions ou fideles, le cIergé, le3
simples hommes libres, les affranchis, tels sont, sane
parler des esclaves, les états essentiellement diffé-
rens que, du v· au x" siecIe, les historiens et les mo·
numens nous laissent voir dans la 50ciété.


TOME l. 19




210 DE8 l!lSTlTllTlO!l8 POLITIQllES B!I FUNCB


IlI.


') Des Leudes, Fideles 01.6 Antrustions.


Origine des Leudes.


Comme les concessions de bénéfices remplace-
rent, apres l'établissement territorial, les présens
d'armes et de ehevaux, de me me les leudes, antrus-
tions ou fideles succéderent aux compagno~s des
chefs germains. Ces mots expriment la meme idée.
Les leudes étaicnt les hommes de leur chef; ils luí
juraient fidélité (treue, trust); on les appela antrus-
tions ou fidMes. Seulelllent le nom d'antrustions pa-
rait plus spécialement réservé aux {idetes du roí.


Iln'appartient qu'a une eivílisa(ion déjit avancée
de fonder etdemaintellir lasociété entre des hommes
que n'uRit d'ailleurs aueun engagement diree! et
personne!. Dans un pays partout cultivé et peupJé,
au sein des innombrables et continuelles reJations
que fait naitre, entre des concitoyens, l'activité de
la vie sociaJe, la seulement nulhomme n'abesoin de
s'attacher des compagnons ou de se faire le eompa-
gnon d'un homme. Quitentera de rassemblerautour
de lui une société particuliere? Qui éprouvera la
néeessité d'en chereher une ou iI se puisse placer?
La grande soeiété est partout; nul n'est en é/at de
s'en séparer, nul n'y est en proie aux périls de l'iso-
lement. Partout elle met I'hornme en présence de




DU V· AV X· aIECLB. 211
l'homille, satisfait et contient les individus les uns
par les autres, garantit la liberté de tous par les li-
mites qu'elIe impose a la puissance de chacun, et
fonde lcur indépendance par la mnltiplieíté des ]iens
memes qui les unissent, par l'infinie varié té des car-
rieres qu"elle ouvre devant Jeurs paso


Comment en seraít-il ainsi pour uue population
peu nombreuse, grossiere, éparse sur un vaste ter-
riloire? La les hommes ne rencoutrent point par-
tout une terre pour ainsi di re humaine, une société
prete a les recevoir. Pour se réunir, iI fant qu'ils
se cherchent ou se rencontrenl pas hasard; et,
quand ils se sont réunis, pom que la société subsiste
entre eux, i] faut qu'iJs s'engageut expressément les
uos envers les autres, car ils ne sont engagés ni it
une comrnune patrie, ni a quelque idée qui possede
tous les esprits, ni a quelque institution générale e$
puissante; ils ne sont point retenus ensemble par
d'anciennesbabitudes, par unelongue cornmunauté
·d'intérets et de destinées, par ]a stabilité des pro-
priétés et des loís, par la division du travail, invin-
cibles liens, nécessités impérieuses quimaintenant
pressent les hommes les uns contre les autres el font
]e ciment de la société. En l'absence de tous ces prin-
cipes d'union, de toute force publique, sur un sol
en partie inculte et désert, les associations particu-
lieres peuvent seuIes acquérir quelque fixité et pro-
curer aux individus quelques-uns desbiens de la vie
Hociale; les engagemens personne]s peuveot seuls
lier entre eUK les bommes. Les forts et les faibles,




212 DBS IIISTITUTIOIIS POLlTIQUES 1" FRAileE
les grands propriétaires et les simples hommes libres
ont un égal besoin de se rapproeher et de s'unir
par de telles relations; car nul ne conservera ses
terres et son pouvoir s'il ne s'entourede compagnons
engagés a sa personne; nuIne demeurera libre s'il
ne s'engage a la suite d'nn chef capable de le pro-
téger.


Ce ne fut done point un aceident ni le résultat de
l'oppression et de la violenee seules que l' extension
toujours croissante de cctte classe d'hommes qui; se
détachant en quelque sorte de la nation pour s'atta-
cher a un individu, vinren! sous le nom de leudes
ou {ideles, se mettre au service d'un supérieur. Ce fut
la conséquence nécessaire de l'état 011 se trouverent
les barbares répandus sur un pays vaste et dépenplé.
Tant que, réunis en petites tribus ou en bandes
guerrieres, ils avaient mené en eommun une vie er-
rante, les compagnons avaient pu demenrer iI peu
pres éganx et libres sons la conduite d'un chef dont
l'habileté, la bravoure et la renommée les avaient
senles attirés, pouvaient senIes les retenir. La na-
tion n'était qu'une troupe mObile, et pourtant c'é-
tait bien vraiment une nation, car les individns
vivaient constammentensemble, délibérant, agissant
de coneert et se suutenant réeipruquement. Mais,
par l'établissement territorial, ceUe association pri-
mitive fut dissoute ou ne se renouvela plus que
comme un désordre; et en meme temps aucune des
éf:!nditions, mutériclles ct morales, que r'equiert ab-
sólument l'existenee d'nne soeiété a la fois stable et




DU Ve AU X· SltCLE. ~13
étendue, neput etre remplie. Les individus dispersés
ne pouvaient ni demeurer dans cet état d'isolement,
ni se reformer en corps de nation. Les grands pro-
priétaires devinrent le centre d'assoeiations nouvel-
les fondées sur les engagemens d'hornme a hornme,
el ce fut par la foi donnée et re<;me, entre le supé-
rieur et ses leudes, que reeommenl(a la société.


Extension de la classe des Leudes.


Aussi, a dater du VI" siccle, voit-on se multiplier
et s'étendre de plus en plus les relations de ce genre.
Les hommes puissans s'efforeent sans c~sse d'accroi-
tre le nombre de leurs leudes, les hommeslibres de
devenir Jes leudes d'un homme pilissant. Gontran et
Childebert stipulent, en 587, • qu'ils ne ehereheront
» point ase débauchel' réciproquement leurs leudes
n et ne recevront point a leur sel'viee eeux qui au-
n raient abandonné l'un d'entre eux (1) .• l\Ial'culf
nous a conservé la formule par Iaquelle un homme
considérable venait, suivi de ses propres compa-
gnons ou fideles, se mettre au nombre des fideles du
roí (2). CharJemagne veille par des lois expresses a


(1) • Ut nuHus alter;us leudes nee sollicitet, nec venientes
excipiat .• (GREG. TUR.lib. IX, cap. xx. ; Collect. de Mém. t. 11,
p.32.)


(2) «Rectum est ut qui noLisfidem pollicentur ilIresam nostro
iueantur auxilio. Et quia ille fidelis Deo propitio nos~er ¡bi ve-
niens in palatio nostro una cum arimania sua in man·u nostra
tfustem et fidelitatem nobis visus est conjurasse, propterea per
prresentem decernimus prlllceptum nC jubemus ut deinceps


19. ,.'\'


, .




214 DES mSTITUTIOl'S POLlTIQUES Xli FRANCE
ce que les bommes qui veulent venir a lui pour se
placer sous sa foi n'éprouvent en route aucnn oh-
stacle : « Que personne, dit-il, ne se basarde a leur
» reCuser le logement, et que chacun leur vende les
" Iilenrées qui leur seront nécessaires comme illes
» vendrait a son voisin (1) .• Et les simplesguerriers
comme les grands propriétaires, les pauvres comme
les riches sont rc¡;¡us parmi les leudes du roi (2.),car
ses leudes sont presque les seuls hommes qu'il puisse
regarder comme ses sujets, avec qui il soit vraiment
en société.


Les concessions de bénéfices étaient, comme on
l'a vu, le principal moyen d'aequérir des leudes,
et j'en ai fait eonnaitre les diverses formes ainsi que
les vieissitudes. Ce n'était pas le seu!. Les emplois
publies et les charges de eour avaÍent les memcs
effets. Il y a lieu de eroire que les hommes puissans,
les chefs de bande qui s'établirent dan s un district
en furent les premiers comtes, et que, dans les temps
qui suivirent de pres la conquete, les rOi8 ne dispo-


memora tus i!le in numero antrustionum numeretur. Et si quis
fortasse euro interficere prresumpserit, noverit se weregildo suo
solid;s 600 esse culpabilem judicetur .• (MARG. Form.lib. 1,
cap. xnll.)


(1) « De truste facienda ut nemo prresumat adnos venienti
mansionem vetare, et qure nQcessaria sunt ei si cut vieino suo
vendat. (Cap. Caro Mag. a. 801, § XLV, ap. BAL. t. J, p. 356.)


(2) Frédegaire dit de Dagobert: «Tanta in universisleudibus
suis, tam sublimibus quam pauperibus, judieabat justitia ut
crederetur omniuo fuisse Deo plae ibile .• (FRED. C/tron. cap.
LVIII. )




DU V· AV X" 81tCLE. 215
saient pas arbitrairement deeette magistratnre. Tout
indique eependant qu'ils en conféraient au moins le
tiú'e a celuí que la force des choses leur désignait,
el que des lors il prenait place parmiles leudesroyaux.
lUais lorsque la puissimce du roi, ou plutOt celle des
leudes qui l'entouraient et vivaient pres de lui, se
fut accrue, les'offices publicsdevinrent des béné6ces
d'une aútre sorte que les roís distribuerent dans l'u-
nique vue de satisfaire lenra fideles ou d'en gagner
de nouveaux. Quant aux cb~rges de cour, elles
étaient nombreuses ; I'organisation du palais des cm·
pereurs romains avait cbarmé la vaníté novice des
rois barbares: un comte du palais, un grand réfé-
rendaire, un grand sénéchal, un grand maréchal,
un grand échanson, un ~and portier, des bouteíl-
liers, des fauconniers, des'~chambellans furent bien-
tot, a leurs yeux, le cortége nécessairede la royauté (1),
et ils s'en servirent aVfc succes pour aUacber a leur
personne les hommes les plus importans. Cependant
on aurait tort d'attribller a la vanité ou a l'avidité.
seules l'empressement avec lequel les charges de
cour furent soudain recherehées; il Y aviit la un
moyenda séduction eneore plus puissant. C'était une
ressour~. coutre l'ennui, l'isolement et la monoto-
nie d6"l~istence. Les barbares ne sont .pas moins


(1) • Comespalatinus, referendarius, seniscalus, miariscnlcus,
lalconarii, buticularii, princeps pincernarum, cubicularii, os-
tiariorulll ma¡¡ister, mansionarius, etc .• Voyez HULLlIA~"') Urs',
prun.g dersfamde, etc. p. 32·36.




~16 DES_ IN8TITUTIONS POLlTIQUES EN FRANCE
avides que les peuples civilisés d~émotions et d'arilU-
semens; et, dan s la France du VilO ~iecle, ce besoin
ne trouvait pas, comme de nos jours, a se satisfaire
~u pres partout. Hors de la guerre el des ban-
qn~ts, le temps étaít vide et la vie froíde; les nou-
veau~ maltres du pays dédaignaient le travail et ne
$avaient que faire de leurs loisirs. Ce fut peut-etre a
féclat de -son culte et de ses solennités que l'église
dut ulle partie de sa puissance ; elle charmait par ]a l'imagination rude maís vive de ses grossíers néu-
phytes. Tel était aussi l'attrait de la cour. La se réu-
nissaít un plus grand nombre d'hommes; la les fetes
étaient plus brillantes, les repas plus somptueux,
les habits plus magnifiques, les passe-temps plus va-
riés. Lit aussi un plus vastc champ était ouver! a
I'ambition, a l'intrigue, . a toutes ces chances que
recherche avidement l'activité humaine, surtout
quand elle n'est pas contenue. et satisfai!e par l'ha.
bitude et la llécessité du trav::i!. Le beso\n de s'é-
leve!', de déployer su force et d'agrandir son exis-
ten ce est indestructible dans l'homme; il agite la
barbarie comme la civilisatioll; il pIJussait vers les
COUl'S de Metz, de SOiSSOllS, de Paris, les esprits ar-
den S , les jeullcs gens, les propriétail'i;ls déjit puis-
¡mns qui voulaiellt devenir plus puissans encorc; et
ainsi, par le concours d'uuc 1l1ultitude de causes,
le nombre des leudes du roi croissait dejouren jour.


Les grands propriétaircs agissaient, dans leur
sllhere, par les memes moyens ; eux aussi avaient
des bénéfices a distriLUCI'; eux aussi tellaient une




DU VO AU XC SIt.CLE. 217
cour et pou vaient donner a leurs fideles des charges
de sénéchal, de maréchal, d'éehanson, ~e chambel-
Jan (1), etc. Leur maison, organisée a peu pres
comme celle du roi, exer~ait dan s leur contrée la
meme puissallce d'attraction, et devenait aussi le
centre d'une société particuliere fondée sur les en-
gagemens d'homme ~~me et sur les serviees per-
Bonnels. ' '


Tout eoneourait done a attirer vers la condition
de leudes tous les hommes de quelque importance.,
On a laborieusement recherché, surtout pour les
leudes du roi, queJs avantages y étnient attachés;
on a prétendu qu'ils formaient, des l'origine, une
c1asse distincte, in vestie depriviléges légaux (2). C'est
une erreur. Leurs nvnntnges, e'étnient les chances
de fortune et de pouvoir ; leurs priviléges, e'étnit la
supériorité de falt qu'ils acquéraient sur leurs con-
eitoyens. Que falIait-il de plus pour exeiter l'amhi-
tion des individus? Les prééminences sociales ne
deviennent légales qu'apres avoir été long-temps
réeIles; e'est seulement quand elles se sont claire-
ment eODstatées et affermies par la possessioD qu'el-
les passent dans les institutions et les lois. De tres
bonne heUl'e, les rois s'efforcerent de placer leUl's
leudes au premier rang de la soeiété, et les leudes
de s'y placer eux-memes; mais, sauf l'éJévation du


(1) LcxAlam. tit.uxlx; HULLMANN, Unprungderstumde, etc.,
pago 183-190,et tons lesmonumens du temps.


(2) Esprit dcs Lois, liv. XXXI, chap, VIII.




218 DES IlfSTlTll'l'lOlfS POtIflQUIS Elf FRA.lfCE
weArgeld, on ne voit pas que cette su.périorité ait été
Iégalement consacrée avant le IX' aiecle; Charlema-
gne est le premier qui l'ait écrite dans ses capitu-
Jaircs; encore n'est-ce, a vrai dire, quedes honneurs
de cour, une prééminence de cérémonie qu'il attri-
bue a ses vassaux, et iI parait meme qu'il fut Bouvent
obligé de renouveler a ce sujet ses injonctions (1).


Origine de la N oblesse.


Je puis maintenant, si je ne m'abuse, résoudre
sans grandembarras une question qui diviseencore
DOS plus savans publicistes, la question de l'origine
primitive de la nobles se et de ses priviléges. Mon-
tesquieu l'a cherchée dans la qnalité de leude; se-
Ion lui, les fidilles du roi, les antrustions ont formé
les premiers un corps de notables, et de la tonte la
Doblesse est sortie. M. de BouJainvilliers et, de nos
jours, M. de Montlosier se sont élevés contre eette
prétention; a leurs yeux, les seuls nobles sont les
Francs, et la noblesse appartenait a la qualité de
harbare libre, non a celle de leude du roi. L'un et
l'autre systeme sont incomplets et trompenrs. En se


(1) • De vassi. regalibus ut honorem habeantet per so, autad
nosaut ad filium nostrum caput teneant .• (Cap. Caro Mag. in-
certianni, §rx, ap. BAL., t. 1, p. 530). -. Vassi quoqueetvas-
salli nostri nobis famulantesvolumus utapud omnes condignum
habeant honorem, sicut a geni tore nostro et a nobis srepe admo-
nitum est .• (Cap. Lud. Pii, 8.823,$ XXIV, ap. BAL., t.l,
p.640. )




DU V· AU x· SIECLE. 2111
reportant aux premiers siecles de la monarchie, denx
faits sont certains : run, que les Francs, a ce titre
seul, possédaient, sur les anciens habitans du pays,
une prééminence a la fois réelle el légale; l'autre,
que les antrustions, Francs on Gaulois, possédaient
sur les hommes libres, meme barbares, une préémi-
nence réelle toujours croissante_ La qualité de Franc,
de barbare libre, était, iI est vrai, héréditaire avec
ses avantages, tandis que, dans l'origine, celIe d'an-
trustion et ses avantages étaient purement person-
neIs. lUais le coms des choses devait bienlot placer
ces deux classes d'hommcs dans une situation pró-
cisément inverse. La qualité d'antrustion, ses avan-
tages et la prééminence qui en dérivait tenda:ient
a devenir héréditaires; celle de Franc, de barbare
libre, tendait au contraire it s'abolir et a perd. ses
avantages primitifs. Loin d'etre assez fort ponr fon-
der la noblesse de sa famille, un Franc, a ce titre
seul, n'était pas meme sur de lui transmettre sa li-
berté. Les barbares libres se diviserent; les uns, par
la possession des bénéfices, des offices ptlblics on des
charges de cour, passerent dan s la claase des leudes,
soit du roi, soit de quelque propriétaire puissant, et
la noblesse de leu!' ra~e prit sa souree dans la per-
pétuité de ses avantages ; la plupart de ceux qui ne
purell! les obtenir ou les eonservervirent bientot, en
dépit de leur origine, leur liberté eompromise, et
Jeurs dcsccndans tomberent dans la eondition de
eololls ou me me de serfs. E¡¡ sortc que, si ron veut
absolumcllt uppliquer l'idée de la noblesse, qui est




~20 DES INSTITUTIONS POLlTIQllES EN PUNCE
l'reuvre du temps, a une époque on. le tempa n'a-
vait encore rien reconnu ni garanti, il faut dire
que les hommes libres étaient une noblesse en disso-
lution, en déeadenee, et le~ leudes une noblesse en
progreso


Voiei done tout ce qu'on peutaffirmer. D'unepar!,
e'est dans la classe des leudes plutót que dans eelIe
des Franes que la noblessemodernc a pris naissance.
D'autre part) il n'existait, dn VC au XC sieelc, aueune
noblesse véritable, puisque l'origine des Franes ne
leur garantissait point la perpétuité des prééminen.
ces réelles sur lcsquelles la noblesse se fonde, et que
les leudes ne les possédaient encore ni depuis un
temps assez long ni d'une maniere assez stable pour
que leur supériorité de fait fUt devenue un dr.oit
héréSitaire, avoué des peuples et sanetionné par
Jes loís.


Qu'il y eut, parmi les leudes les plus eonsidéra-
bIes, un grand nombre de Gaulois-Romains, c'est
ce dont on ne saurait douter. Grégoire de Tours el
les historiens contemporains en fournissent achaque
pas des exemples; tantót, en parlant d'un duc, d'un
comte, d'un maire du palais, d'un favori, íls disent
expressérnent qu'il était RomMn de naissance; tantót
les noms décelcnt clairernellt l'originc romaíne (1).
Souventmeme des Rornains se cachent sous des norns
barbares, car les vaincus traduisaient leur nom dans
la Jangue des vainqueurs. Ainsi le frere du duc Lu-


(1) PI'oladius, Gla"dins, Florentinia1tus, elc.




DU V· AU x" SÜ:CL. 223
pus, né Romain, s'appelaít 111agn-wulfus; e-t son fils,
quí fut éveque de Reíms, Rom.wulfus; biza,rres com-
binaisons ou le mélange de mots e.mpruntés aux
deux langues trahit a la fois et le souveni~de l'an-
cienuc patrie et raveu de la domillation des co~ué-
rans (1). ,


Non-seulement des Romains riches et libres, mai!
des affranchis, des esclaves meme prenaíel1t place
parmiles leudes d u roi. Leudastes ('2) , AlIdaI"4li us (3),
Condo (4), sortis de]a plus basse servitude, acquirent
une fortune immense et s'~leverent aux plus hautes
dignités de l' état.


Ainsi se formait ]a c1asse des leudes, ne tenant
compte ni de l'origine, ni d'auculIe eonditioll légale,
rassemblallt autour d'un chef, roí ou grand proprié-
taiz:e, tous les hommes que le hasard, leur propre
industrie, la faveur, la nécessité, mettaient a portée
de le,servir en échange de ses bienfaits ou de sa pro-
tection. Les leudes ne possédaient a ce titre, dll
moins dans l'origine, allCUlle existenee publique,
aucun rang déterminé dans !,état j ce n'était point


(1) Wolf, loup'; magnu3 wolf. romanUB wolf. FOIITUNATUS.
Carm. lib. VIIl, cap, YII; GREG. TUR, lib. x, cap, XIX; Colleet, des
Mém. t.lI, p. 123)-. Wulfo patricio succedit Ricbomerisgenere
romanus,' FREDEG. C1lTon, cap. XXIX; Colleet. des Mém. t. n,
p. 178. )


(2) AlIlIoIN,de GestisFranc.lib. IJI, cap. XLII.
(3) GREGOR, TUR.¡lib. IV, cap. XI.YII; Colleet. des }lfé11l. tomo 1,


,pag.206.
(4) FORruNAr. Carm. lib, VlI, cap. xn.


20




222 DES INSTITllTIONS POLITIQUEa E1'I FRANCE
une portion du peuple, investie de droits et de pon-
voirsspéciaux. llsdevenaien t les horornes d'un homme,
n'acqnéraientde droits qu'aupres de lui,no contrac-
taient dI devoirs qu' en vers lui seul; droits précaires,
d.e-¡irs vagues, sans cesse violés ou inéconnus, mais
qUl pourtant donnaient naissance a des associations
particulieres, seules capables, au milieu de la ·con-
fusion et de la mobilité universelles, de recevoir
quelqu@S regles et de parvenir a quelque fixité. La


• se faisait, au gré d'une multitude d'accidens, l'a-
malgame de la nation conquérante et de la nation
vaincue; la le Romain, domeuré libre et riche, ve- )
nait prendre place au mílieu des Francs qui s'étnient
établis dans son cantono Bien peu de temps apres la
conquete, il seroble que les deux peuples dispal'ais-
sent; l'histoire générale de ]a Franee n'est guere
plns que eelle du roi et de ses leudes; l'histoire de
chaque localité, celle duchef dont l'influence y do-
mine et des leudes qui se sont ralliés autour de lni.
C'est par les leudes enfin qu'a commencé la société
féodale; ils sont placés entre les compagnons erran a
des chefs germains et les vassaux du moyen-age,
corome les hénéfices entre Jes présens de chevaux
ou d'armes et les fiefs. Nous retrouverons, en trai-
tant des institutions politiques, les memes transi-
tions, les memes phénomencs, car J'état des terres,
l'état des personnes et les institutions ont toujours
marché de concert.




DU Ve AU X· SIECLE. 22Sl


IV.


Du Clergé.


Presque immédiatement apres la conquete, les
éveques et les chefs des grandes corporations ecclé-
siastiques, abbés, prieurs, etc., prirent place parmi
les leudes du roi (1).


Avant l'arrivée des barbares, la puissance du
clergé restait seule dehout au milieu des ruines ·de
l'empire; elle grandissait meme chaque jour. Indé-
pendamment des preuves directes et:positives qu'en
donnent une multitude de faits, comme la richesse
des églises, l'inflllence du clergé sur les esprits,
l'administration municipale presque entierement
tombée aux mains des éveques, etc., il yen a une
preuve indirecte qui suppléerait au besoin toutes
les autres; c'est l'ardeur ave e laqueIle était recher-
ché l'épiscopat. Aucune magistrature, aucun pou-
voir n'a été, en aucun temps, le sujet de plus de bri-
gues etd'efforts; la vacance d'unsiége devenait meme
quelquefois une occasion de guerreo "Hilaire, ar-
• cheveque d'ArIes ... écarta plusiellrséveques contre
Il toute regle, et en ordonna d'autres de la maniere


(1) C'est dan s eette classe qu'ils sont constamment rangés par
les lois, les historiens et tons les monumens j • Burgundire ba-
rones, tam episcopi quam ereteri leudes .• (FaEDEG. Chron. cap.
XLI; Colleet. des lIlém. t. 11, p. 191.) ..... Austrasiorum omnes
primates, pontifices, creterique,leudes,. (Ibid" p, LXXVI; Colleet.
des Mém, t.lI, p, 203,)




224 DES INSTITIiTIONS POLITIQUES El' FRANCE
11 la plus indécellte, cootre levreu etmalgré le refus
.. formel des habitaDs des cités. Et comme ceux qui
" avaieDt été nommés de la sorte ne pouvaient se
• faire recevoir de honne graee par les citoyens qui
• ne les avaient pas élus, ils rassemblaient des ban-
" des de gens armés et allaient assiéger ou bloquer,


,» en guise d'cnnemis, la ville ou ils devaieDt rési-
• der. Ainsi c'était les armes a la main qu'un mi-
li nistre de paix envahissait le siege d'ou il devait
• la prccher (1). 11 On peut voir dan s l'édit d'Atba-
laric, roí des Visigoths, quelles mesures le législa-
tenr civil se crut obligé de prendre contre les ma-
nreuvres des candidats it l'épiscopat (2); nnl code
électoral ne s'est donné plus de peine pour empeeher
la violénce, la fraude et la corruption.


Causes de la puissancc du Clergé.


Loio de por ter atteinte a ]a puissance du clergti,
l'établissement des Germains dans les Gaules ne
servit qu'it l'aecroltre. On a heaueoup parlé des
avantages que lui valut la conversion des eonqué-


(1) «Hilarius Arelatensis ..• alios imoompetenter removit,
indecenter alios, invitis ct repugnantibus civihus, ordina-
vit. Qui quidem, qnoniam non facile ah his qui non elegerant
rccipiehantur, manum .ibi contrahebant armatam el claustra
murorum in hostilem morem vel obsidione ciugebant vel aggres-
sione reserabant, etadsedem quietis pacem prrodicaturusarma
ducebat .• (Concil. LARR. t. 1Il, col. 1401.)


(2) Concito LUB. t. IV, col. 1478.




DU 'V. AU X· SJÉCLE. ~25
rans. Je ne conteste point, tant s'en faut, l'ascen-
dant qu'acquit rapidement la religion chrétienne
sur l'esprit des barbares. Elle s'adressait a des in-
stincts moraux que n'étoufFent point les mmurs les
plus brutales; elle réveillait dcs idées et des senti-
mens qui peuvent paraitre nouveaux a l'homme,
mais ne "'tmtjumais étrangers; elle agitait et ré-
solvait desquestions qui préoccupent l'imagination
confuse et mobile du sauvage comme la pensée du
philosophe, que l'homme porte en luí-meme el quí
le poursuivent a tous les degrés de la civilisation
comme dans toutes les conditions de la société. Peu
importe que les dogmes du christianisme ne fussent
pas, pomo les nouveaux convertís, le slljet de ]on-
gues méditations, que ses préceptes ne réformassent
qne hien peu la férocité de ]eurs habitudes et la
violence de leurs penchans. On Ienr preehait une
foi, une loí qui élonnait et remuaít toute Ieur nature
morale, qui bravait la force malérielle et parlait avec
autorité a des vainqueurs. Ce fut la certainement,
au milieu meme de ces populations grossíeres, la
premiere sonrce et le plus ferme appui du pouvoir
de l'église. Mais des causes d'une autre sorte contrí-
huerent aussí a ses progres, et sa grande!lr prit ra-
cine ailleurs que dans des croyances. Si ]e clergé
avait besoin des conquérans, les conquérans a ]eur
tour avaient grand besoin du c1ergé. Tout était dis-
sons, délIflit dans l'empire; tout tQmbait, disparais-
sait, fuyalt devant les désastres de l'invasion et les
désorl1res de I'établissement. PQint de magistrats qui


20. //~~'.:
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~26 DES I!{STIT'IlTIOftS POLlTIQtrES l!!{ FRAIICE
se cruss'ent responsables du sort du peuple et char-


, géII deparler ou d'agir en son nom; point de peuple
meme' qui se présenta.t comme un corps vivant et
constitué, capable sinon de résister, du moins de
faire reconnaitre et admettre son existen ce. Les vain-
queurs parcouraient le pars, chassant devant eux
des iodividus épm's, et ne trouvant pres~en aucun
lieu avec <tui traiter, s'entendre, contracter ellfin
quelque apparellce de société. n fallait pourlant
que la société commen~at, qu'il s'établit quelques
rapports entre lcs deux populations, car rune, en
devenant propriétaire, renon~ait a la vie errante, '
et I'autre ne pouvait etre exterminée. Ce fut la
l'amvre du clergé. Seul, il formait une corporation
bien liée, active, se sentant des {orces, se croyant
des droits, se promettant un avenir, capable de
traiter soit pour elle-meme, soH pour autrui; seul,
il pouvait représenter et défendre, jusqu'u un cer;
taio point, la société romaine, paree que seul il avait
conservé des intérets généraux et des institutions.
Les éveques, les supérieurs de monasteres con ver-
saient et correspondaient ave e les rois barbares; ¡Is
entraient dans les assemblées des leudes, et en meme
temps la populatíon romaíne se groupait autour
d'eux dans les cités. Par les benéfices, les legs, les
donations de tout gen re, ils acqlleraient des biens
immenses, prenaient place dans I'aristocratie des
conquérans; et en meme temps ils retenaient, dans
leurs terres, I'usage des loís Tomaínes, et les immu-
nités qu'elles obtenaient tournaient au prott des




DU VO A1T X· SIi!CLE. 227
cultivateurs romains:(l). lIs formaient a.insi la seule
classe du peuple anden qui eut crédit aupres du
peuple nonveau, la senIe portion de l'aristocratie
nonvelle qui fUt étroitement liée au peuple anejen;
i1s devinrent le lien des. deux peuples, et leur'puis-


(1) QuQique la plupart des biens donnés aux églises par les
rois le fu.t en qualité de bénéfices et emportassf'nt par con.
séquent les 'ó"bligations', d' ailleurs tres . diverses et tres vagues,
attachées a ce titre; cependant l'exemption des services bénéfi-
ciaires leur était souvent accordée. Les diplómes des roís Méro-
vingiens en alfrent une muItitude d'exemples. (Voir le R.ecueil
des;Mstoriens de France, t.lV. p. 516-718; et notamment un
diplóme de Clotaire le, (a. 516), pago 616; de Dagohert le,
(a. 636), p. 630; de Clovis JI (a. 638), pago 633; de Chideric II
(a. 661), pago 641 ; dn me me (a. 663), pago ~45; de Clovis III
(o. 691), p. 667, de Childebert III (a 698), p. 679, dé Théo-
doric IV (a. 721), p. 697, etc., etc. Charlemagne accorda 8ussi
un grand nombre d'exemptions de ce genre (up. BAL. t. i, p.
461). Enlin Lonis-Ie-Débonnaire ordonnaque chaqueéglise au-
rait une métairie (mansus) absolument libre de toute charge:
• Statutum; est ut unicui(IUe ecclesire unus mansus integer ahs-
que ull(servitio attribuatur, et presbyteri in eis constituti non
de decimis neque de obJotionibus fidelium, non de domibus
neque de atriis vel hortis juxta ecclesiam positis, neque de prre-
dicto 'manso aliquod servitium faciant prroter ecclesiasticum;
et si aliquid ampliushabuerint, inde senioribus suis servitium
debitum impendant .• (Cap. Lut. PU. a. 816, § x, up, BAL.
t.l, p. 565.) On p~utvoir dans MaTculf(lib. 1, cap. 1Il, IV) Jafor-
muJe ordinaire des immunités accoTdées aux égliscs. Des exenip-
tions de toute sorte, comme celle du senicemilitaire, du paie-
ment de certains droits de douane, etc., y étaient souvent com-
prises. (Voir plusienrs des diplomes cités ci-dessus, et HULL-
IUNlf, Ursprung der stamcle, etc., p. 119.)




228 DES INSTITUTljjl'lS l'OLlTIQUIS EN. JlBAl'ICE
sanee fut une nécessité sociale pour les vainqueurs
cornme pour les vaincns.


Aussi fut-elle acceptée des les premiers momens
et ne cessa-t-elle de croltre. C'était aux éveques que
s'adressaient les provinces, les cités, toute la popu-
lation romaine pour traiter avec les barbares; ¡Is
passaient leur víe a correspondre, a négocier, a
voyager, se~ls ~c~ifs c~ capa,~le~ de s~ fa~~enten­
dre dans les mterets SOlt de I eghse, SOlt du'Peys(l).
C'était a euxaussi que recouraient les barbares pour
rédiger leurs propres loís (2), conduire les affaires
importantes, donnerenfin a leur domination quelque'
ombre de régularité. Une bande de gllerriers er-
rans venait-cJIe assiéger une ville, ou dévaster une
contrée; tantót I'éveque paraissait seul sur les rem-
parts, revetu des ornemens ponti6eaux, et apres
avoir étonné les barbares par son tranquille courage,
il traitait avec eux de lenr retraite ; tantót il faisait
construire dalls son diocese une espece de fort OU se
réfugiaient les habitans des campagnes quand on


(1) Voir les Leltres de Sidonius Apollinaris, les lellres di-
verses recueillies dans les Historiens de France, t.lV, p. 49-99,
et tuus les monumcns du temp •.


t2) Les premiers paragraphes des loís des Bavarois et des Alle-
mands prouvent évidemmcnt qu'elles ont été l'édigées avec le
concours des éveques; elles s'occupentd'abord dcsdonationsaux
églises. On ne peut douter que les éveques n'aient concouru 11
la rédaction de la loi Salique, lorsqu'a diverses époques, «qUID
erant secundum consuetudinem paganorurn. mutata aunt se-
cundum legem christianorum .• (PrOJ{at. lego Sal. Dans le Re-
cueildes!tistorieusde France, t. IV, p. 123.)


\




DU V· AU x" SlICLE. 229
pouvait craindre que rasile des églises meme ne fut
pas respecté (1). Une querelle s' élevait-ellc entre le
roi et ses leudes? les évéques servaient de nÍédia-
teurs (2). De jour en jour, leur activité s'ouvrait
quelque carriere nouveIle el leur pouvoir recevrait
quelque nouvelle sunction (3). Dcs progres siétendus
et si rapides ne sont pointl'muvre dela seuleambition
des hommes qui en profitent, ni de la simple volonté
de ceux qui les aeceptent. n y faut reeonnaitre la
force de la nécessi~


(1) Fortunatus dit, en parlant de Nicetius, éveque de Treves,
a la fin du VIe sieele:


• Hree vir apostolicus Nieetius arva peragrans
Condidit optatum pastor ovile ¡¡-regi;


Turrihus incinxit ter, denis undique coll€m;
Prrehuit hic fahricam quó nemus ante fuit .•


FORTUHU. Carm.lib. III, cap. XII.


(2) • Mediantibus saeerdotibus atque proceribus, » est-il dit
dans le traité d' Andely. (GREG. TUR. lih. IX, ·cap. xx; voyez le
trailé, Colleet. des ,lfém. t. u, p. 27).


(3) • Qui episcopum suum noluerit audire et excommnni-
catos fuerit perennem condemnationem apud Deum sustineat,
et insuper de palatio nostro sit ornniuo extrancus, et ornnes fa-
cuItatessuas parentibus ejus amittat qui nolui! sacerdotissuirne-
dieamenta sustinere. (Decret. Childeb. reg. (1. an n?) ap. BAL.
t. I, p. 17). - • Si judex aliquem contra legem injuste damna-
veril, in nostriabsentia ab episeopis eastigetur, utquod pcrpere
judieavit versatirn melius diseussione habita emendarc pro-
curet .• (Const. genero Chlothar. regia, §VI, ap. BAL., t.l, p. 8.)
Je pourrais multiplier bl'aueoup les citations 'lui pl'ouvent la
Banetion de plus en plus accordée par les roi. au pouvoir des
éveques.




230 DES lIfSTlTUTIOIIS POLITIQUES Eft FRAftCE
Quánd la nécessité eut {lorté ses fruits, C\..uand la


. puissance des éveques fut fermement établie, quand
la richesse des églises cessa d'etre exposée au pilJage
continuel que leur avaient fait essuyer les premieres
"iolences de l'invasion, les harhares eux-memes re-
chercherent avidement l'épiscopat. En 577, le fa-
mcux due Gontram-Boson "envoya un inessager
» aupres d'une certaine femme qu'il connaissait de-
• puis le temps du roi Charibert, et qui avait l'esprit
" d'une pithonisse, puur qu'ell~Jui annonltat ce qui
" devait lui arriver ... Elle lui fifrépondrc : 11 arri-
JI vera que le roi Chilpéric mourra cette année, et que
• Mérovée, ti l'e:cclusion de ses {reres, possédera tout
" le royaume. Quant ti toi, tu seras duc de tout le
» royaume pendant cinq ans. Vers lasi:cz'eme année,
" et par la bienveillance du peuple, tu ohtiendras la
» faveur de l'épiscopat dans une des cités qui aout si-
JI trléea sur la rive droite de la Loire; aprea quoi tri 80r·
JI tiras de ce monde plein dejoura (1). JI Exemple sin-
gulier qui prouve, entre mille autres, que, pour les
hommes les plus considérahles, l'épiscopat était un
objet d'ambition, une faveur du peuple et de la for-
tune. Ainsi, apres que les éveques eurent pris place
parmi les leudes, eeux-ei vinrent a leur tour prendre


(1) GREG. TUR. lib. v, cap. XIV. Les cxcmplesde dues, de eom,
tes, etc., dewnus éveques, sont tres nombreux; en 580, le
carnte Marachar devient pretre et ensuite éveque ; en 581, Ja-
vin, qui rector provincim (uerat, est nammé éveque. GREG. TuB..'
lib. V, cap. XXXVII j lib. VI, cap. VII; Collect. dos Mém. t. 11,
p. 274,317.)




DU Ve AU Xe SIECn 231
place parmi les éveques, et l'amalgame des deux
Ileuples s'opéra de la sorte dans les deux classes su-
périeures qui plus tard devaient former l'aristocratie /' .,:"
du régime féodal." /1'


"< ;,'


Mode de nomination des Éveques.


Si l'élection des éveques était resté e entre les
mains des fideles ou seulement du clergé lui-meme,
cet amalgame eut rencontré plus d'obstacles, et pro.
bablement bien peu de barbares seraient arrivés a
l'épiscopat. Mais a peine convertis, les rois barbares
s'efforcerent d'envahir le droit de nommer aux éve-
chés; c'étaien! de trop riches bénéfices et des fonc-
tions trop importantes ponr qu'ils n'en voulussent
pas disposer; tantot ila se prévalaient, pour s'en at-
tribuer le droit, des donations qu'ils avaient faites
aux églises, ou de la nécessité imposée aux éveques
élus d'obtenir la confirmation royale ; tantot l'ambi-
tion des,candidats venait seconder la leur. Celuiqui
n'espérait pas obtenir les snffrages du clergé et du
peuple d'une cité épiscopale s'adressait au roi, en


. reeevait une nomination souvent achetée, et la force
soutenait ensuite ce qll'avait fait l'intrigue ou la fa-
veur. Le clergé réclamait son droit d'élection ;;Faia
ce droit, comme tOllS les autres, était reconnu el
méconnll presque au meme instant. En 61!), dans
l'assembléc des leudes tenue a Paris, ]e clergé le fit
consacrer par Clotaire n, mais d'une fa90n incom-




232 DES INSTITUTIONS POLITIQUES EN FBANCE
pIete, précaire (1), et Yhistoire des regnes suivans
nQUS mÓlltre a cbaque pas des éveques nommés et
installés par la seule voIonté du roi (2). Quelquefois
iI se faisait un bizarfiie mélange de l'élection eccJé-
siastique ou populaire et de la nomination royale;
Ieroí conférait ullévechéavec l'assentirnent, formel-
lement exprimé, des éveques présens a la COur (3) ,


(1) a Ita ut, episcopo dccedente, in loco ipsius qui a metropo-
litano ordinari debct cum provineialiblls et clero et populo
eligatur; et si persona con digna fuerit per ol'dinatiónem prin-
cipis ordinctur; vel certe si de palatio eligitur, per meritllm
personre et doctrinre ordinetur .• (Const. gen. CJ¡loth. rey.
§ 1, ap. BAL. t. 1, p. 21.)


(2) En 515, Quintianns est éll1 par le pel1ple éveque d'Au-
vergne; Apollinaris, aoblatis mullis ml1neribus, • se fait nom-
mer par le roi a sa place; il meurt; Tbéodoric ordonne alors
d'installer Ql1intianl1s. (GREG. TUR. lib. 111, cap. I!; Colleet. de8
Mém. t. 1, 1'.113). En 533, Ommatius est nornmé éveque de
Tours,jussu CModomeris regis (ibid. cap. XVI1). En 577, Pas-
centius est nommé é,'cque de Tours, • ex jussu Chariberti'regis.
(ibid. lib, IV, cap. XV11I; Colleet. des Mém. t. 1, p. 172). En562,
Emerius, • quem Chlothacharii regis volllntas ele¡¡it, ' est ré-
tabli dans l'é,'eché de Saintes d'ou il avaitété chassé (ibid. cap.
XXVI; Colled. de. JUm. t. 1, p. 18U). En 588, "Fronimills po_
testatem pontificalem ... rege largiente susccpit (ibid. lib. IX,
'ca p. XXIV), etc.


(3) • Ql1amvis nos administrandum gubcrnandumque re-
rum statum prrecelsis occupationibus regire sollicitudiniscura
constringat, nihil tamen tam principali qllam principedignum
est ut, cum a pastorali paupulum aberrat plebs destituta prre-
sidio, pro salute animarum hujusmodi personis locis celsioribus
pontificalem prospiciat committere dignitatem ... Et quia co-
g:novimus sanctal recordationis dominurn illuro ilIius urbis an-




lJU VO AU X· SIECLE. 233
ou bien les habitans d'une cité s'adressaient au roi
pour le supplier de nommer un eandidat qu'ils lui
désignaient (1), et le roi accédait a leur vreu. La
confusion ~tait si grande et l'épiseopat si recherché,
qu'í1 arriva que les rois y nommerent des JaIques,
comme s'il ne s'éta~t agí que d'no bénéfice a con-
férer (2). Sous Pepio et Charlemagne qui ménage-
l'ent avec grand soin le c1ergé, non·seulement ponr
s'en faire uo appui, mais paree que seul il pouvait
les aidel' a établir quelque ordre dans leurs états,
le droit d'élection fut solenncllement reconnu.
"Instruit de ce que preserivent les aaints eanons,
» dit Chwlemagne, et afin qu'au nom de Dieu la
)) saiote église jouisse librenent de tOllS ses hoo-
)) lIeurs, nous avons aceordé a 1'0rdre ecc1ésias-
» tique que désormais les éveques seraient élus,
• dans le diocese meme et selon les canons, par le


tistitem evocatione divina ab bae luce migrasse, de eujus succes-
sore ilollicitudine congrua unacum pontificibus vel procecibus
nostris plcnius tractantes, deerevimus ilIustri viro iIlo in ipsa
urbepontifi¡;alem in Deinominecommittercdignitatem. (MARC.
Form. lib. 1, cap. VII.)


(1) Marculf nous a conservé la formule des pétitions de' ce
genre: • Quoniam sanctre memorire vir ¡lle, iJliuo urbio epis-
copus, ab hae luce mi¡>;ra'1it ... in loco ejusdem supplieiter pos-
tularous ut instituere dignemini illushem virum illum, etc ••
pluc. Form. lib. 1, cap. VII,)


(2) En 585, • Nicetius ex laico qui prius a Chilperico rege
prreceptum elieuerat, in ipsa urbe episcopaturo adeptus esto •
(GUG. TUR. lib. VIII, cap. xx; Col/eet. des Mem. t. J, p. 448
et 449).


21




~i4 DES lÍ'lSTIT'Il'rJO!{8 POLITIQUES 1ft' PRAft'CI
11 c1ergé et le peuple, sans aucune considération de
r. personnes ni de présens, et uniquement en raison
• de la sagesse et des mérites des candidats (1). "
Cependant la pratique contraire prévalut fréquem-
ment sous. ces deux regnes; Pepin déclare, dans
un capitulaire, "qu'apres avoir pris le conseil des
" éveques et des grands, iI a nommé dans les cités
l; des éveques légitimes (2); l) et il suffit de lire
quelques-unes des chroniques qui racontent la via
de Charlemagne pour se convaincre qu'iJ regardait
les évechés commc des bénéfices dont il pouvait dis-
poser a son gré (3).


(1) Cap. Cat'o lllag. a' 803, § n, ap. D.n. t.l, p.379.
(2) • Idcircoconstituimusper consiJium sacerdotum est op~


timatum meorum ct ordinavimns percivitateslegitimos episco-
pos .• (Cap Pipp. princ. a. 744, § IlI, ap. BAL. t. ·1, p. 157.)


(3) L'anecdote suivante, extraite de la Chronique du moine
deSaint-GalI, et queje choisis entre mille autres, paree qu'elIe
est piquante, le prouve clairement:


• Lorsque Charlemagneeommen~ailJégner seulen Occident,
l'étude des lettres était partout presquc entierement oub1iée.
Il arriva que deux Ecossais, h~mmes tres versés dans les
sciences profanes etles saintes Ecritures, vinrent d'Hibernie en
Gaule avec des marchands bretons. lIs ne montraient aucune
marchandise a ceux qui venaient leur demander ce qu'ils ven-
daient, afin de l'acheter, mais ils disaient j "Si quelqu'un a
• envie de sagesse, qu'il vicnne et en re<;,oive de nous, car c'est
• Ja ce que nous vendons j » et ils disaient qu'ils vendaient la
sagesse, paree <Ju'il. vo)'aient que le peuple se soueiait peu des
choses gratuites et recherchait ecHes qu'il falla}t acheter. lIs
voulaient ainsi engag·cl' les gens a acheter la sagcsse; ou bien
pcut-etreavaient-ils desscin, eomme la suitel'indiqua, d'e1ci-




235
Ce fut par eeUe intervention de l'autorité royale


dans ]a eoIlation des éveehés qu'un grand nombre
ter par ce langage la curiosité et l'étonnement. Enfln ils répé-
terent si souvent ces paroles que les hommes qui s'en étonnaient
et qui regardaient ce. étrangers comme des r ous, les porterent
aux oreilles du roi Charles, toujours curi eux de la sagesse et
et des savans. Charles les flt venir en toute hate en sa présence,
et leur demanda s'il était vrai, comme on le disait, qu'ils appor-
tassent avec eux la sagesse: • Oui, dirent-i1s, nous la possédons,
• et nous sommes prets a la donner a ceux qui la demanderont
• avec respeet et au nom de Dieu .• Le roi ayant voulu savoir
quel prix' Hs y mettaient: • Nous ne vouIons, dirent-i\s, qu'un
• lieu eonvenable, des ames ¡lien disposées, et les choses sans les-
• quelIes nous ne pouvons accomplir notre Toyage, des alimeus
• et de quoi nous vetir .• Le roi, plein de contentement • les
garda )'un etl'autre quelque temps aupres delui. Partant ensuite
pour. des expéditions militaires, il ordonna a run d'eux, qui se
nommait Clément, de rester dans la Gaule, lui confia, pour les
instruire, beaucoup de jeunes gens, les uns de familIe ilIustre,
les autres de condition moyenne, d'autres de condition infé-
rieure, etleur fit fournir, selon leurs besoins, des vivres et une
habitation eommode ....


• Charles, vietorieux; :étant revenu dans lit Gaule au bout
d'un long temps, ordonna que les jeunes gens qu'il avait eonfiés
a Clément vinssent devant lui et lni apportassent leúrs lettres et
leurB cahiers d'étndes. Les jeunes gens de condition moyenneet
inférieure lui offrirent des travanx bien faits et ornés de tou-
tes les beautés de la science, mais les jeunes gens de famille
illustre ne présenterent que des travaux imparfaits et qui se res-
sentaient de leur indolente oisiveté. Alors le sage roi imitant
la jnstiee du souverain juge, fit passer asa droite eeux qni
avaient bien travaiIJé, etleur dit : • Je vous remercie, mesenfans;
• ear vous ave7. aeeomp'il mes aTores eHait vobe devoir au tant
• qu'ilétaiten vous; maintenant efforcez-vous d'aUeindre ala per-
• fection; je fJOU8 donnerai des éfJéchés et de ricltes monasteres,




236 DES INSTITUTIONS POLI TlQlJlS IN FRANCE
de barbares arriverent a l'épiscopat, et que le haut
clergé devint, comme l'était la classe des leudes laI-
ques, unmoyende rapprochement et defusion entre


s hommes importans des deux nations.


1):lfets d e la puissance du Clergé.


Je ne me propose point d'examinerTétat des ec-
c1ésiastiques dans le détail de leur existence civile;
c'est uniquement l'état politique des personnes que
j'ai dessein de constater, pour découvrir comment
• et vous screz toujours en honneur a mes yeux. '. Se retour-
nant ensuite vers ceux qui étaient a sa gauche, et réveiJIant
]eur conscience par le feu de ses regarus, illeur adressa ironi-
quement, avec I'éclat de la foudre, ces paroles terribles: • Vous,
• jellnes illu'stres, vous, les fils des graads, vous, qui etes élé-
" gans et délicats, vous vous etes confiés en votrc naissance et
D en vos richesses, vous a vez négligé mes ordres ct votre sancti.
• fication ; vous vous ~tes ¡¡ vrés a la débauche, au jeu, a la pa-
» resse ou a de vaius 8xercices; » et aussitót, avec sonserment
ordinaire, élcvant v_ers le cie! sa tete et sa main: • Par le roi des
• cieux, dit-il, je ne fais pas grand,cas de votre noblesse et
• de vatre élégance, quaique les autresvous admireut; et sachez
• bien que, si vous ne réparezvotre négligence par untravail as-
o sidu, vous n'ohiiendrez jamais de Charles rien de bono ,(Mon.
S. Gall. Cronio. degest. Caro May.lib. 1, cap, J, JII, dan s leRee.
des Mst. de France, t. v. p. 105; Coll. des Mém. t. 1\1, p. 173 ets,


Peu importe que les anecdates du moine de Saint-GalllW
soient pas taujours bien certaines, ce n'est poin(du fonu meme
de son récit qu'il s'agit; il écrivait a la fin du IX" siede, et a
coup sur il n'eut pas considértSles érechés comme étant a la
disposition de Charlemagne, si telle n'eut été la pratique du
temps. Sa Chronique contient plusieurs nutres faits qui condui-
sent nu meme résultat. (Lib. J, cap. JV et v; Collect. des Mém.
t. 1lI, p. 173 et suiv).




DU Ve AU X· 8ItCLE. 237
se farmerent, dans le chaos de la conqlléte et de
l'étabJissement territorial, la so cié té et ses institu-
tions. Lc clergé y prit une grande place el y exerl(a
une grand influence. On en a fort diversement
évalué le :mérite et les effets. Je ferai,' ace sujet,
une seule remarque. C'est une grave erreHr que de
juger une institution, une influence, d'apres lel\ ré-
sultats qu'elIe a amenés au bout de plusieurs siecles,
d 'approuver ou de condamner ce qn'elle était el ce
qn'elle afait, dans les te'. ou"elJe est née, d'aples
ce qu'elle est devenue;' ce qu'elle a produit mille
ans plus tardo L'histoire du monde n'offreaucun
pouvoir, aucun systeme social qui soit en état de
supporter une telle épreuve, et puisse accepter la
responsabilité d'nn si long avenir. JI n'a point été
donné anx hommes d'agir d'une fal(on si pure et
avec tant de prévoyance que ce qu'ils font aujour-
d'hui pOUl' le bien n'enfante jamais un mal. Dans
leurs plus vertueuses intentions, dans leurs plus ha-
hiles travaux, ils sont loin de suffire aux nécessités
de leur époque; comment exiger qu'ils ne fassent
rien qui ne convienne aussi a lems plus lointains
successeurs? Comment leur imputer ce que devien·
nent des reuvres depuis si long-lemps échappées de
leUTS mains? Transportée ainsi dans le passé, l'expé .•
rience nous trompe au lien de nous écrlirer; elJe
nons préoccupe de besnins, d'i~térets, de maux que
Je passé ne sonpl(onnait pas, et nous empeche de re·
connaitre quels étaient vraiment les siens. Qui pré.
tondra qll'au. '\( .... s\.e.de les 1I(mr1es se dussenl inquié-


21.




236 DIS IIlSTITVTIOKS 1P0LITIQI1IS IK lRAKCB
terdu pou\"oirtettlporel de l'ég1ise, de lasuprématie
despapes, des jésuites ou de l'inquisition? L'empire
exolnsif, désordonné de la force matérielte, c'était
la )e '101d qui pesait sur eux; elle régnait partout,
dans les relations privées eomme dans les relations
publiques, se déployant avec la brutalité et l'aveugle
ignorance de la barbarie, ne soupl(onnant pas m6me
un autre droit que]e sien. Au milieu de cettedomi-
nation anarehique et sauvage, le clergé seul sepré-
senta au Dom d'une foréé morale, proclamant seul
une loi proteetrjce et obligatoire pour tous, parlant
seul des faibles aux forts, des pauvres aux riches,
réclamant seul le pouvoir ou l'obéissance en vertn
d'un devoir, d'nne croyance, d'UDe idée, protestant
seul ennn, par sa mission et son langage, contre l'in-
vasion universelle du droit du plus fort. La fut le se-
cret de sa puissance; il en pouvait faire, il en faisait
chaque jour des usages coupables et qui devaient
8tre funestes a l'avenir ; mais daos le présent, cette
puissance était salutaire; c'était une conséquence
obligée de sa nature qu'elle s'adressat a retre intel-
]ectuel et moral que toutes les autres puissances sem-
blaient ignorer. Il falJaít bien qu' elle soutlnt les droit
de la vérité, car elle se fOlldait sur la foi. Souvent
conduit~comme les barbares, par des intérets et des
passions purement terrestres, le clergé partagea avec
eux lá richesse, le pouvoir, toutes les dépouilles de
]a so cié té ; mais, je le répete, le litre et le moyen
d'action des barbares, c'étaít la force. matérieIle; le
clet"gé puisait les siens dalls une force morale. Or la




DU yO ÁU X· 81ECLE.


sociétéétait tombée si bas que la présence seule d'nne
force morale y fut un bien et sonempireun progreso


V.


Des Hommcs libres.


J'abordela plus difficile des questions qneprésente
l'étatdespersonnesdurantl'époquedontje m'oecupe.


A-t·i) existé, du v' an x' siecle, dans Jes pays con-
quis par les peuples germains, et notamment en
France, une classe nombreuse eti mportante d'hommes
libres, étrangers a la condition de leudes soít du roi,
BoH de quelque autre propriétaire, affranchis de
toute dépendance envers tel ou tel individu, obligés
~"" .. ,ulement envers l'état, ses lois et ses magistrats,


•. l'érmant enlin, en présence et a coté des associations
particulieres qu'enfantaient de toutes parts les en-
gagemens et les services d'homme a homme, un
corps de véritables citoyens?


La plupart des publicistes, meme récemment et
depuis qu'une critique judicieuse a jeté tant de jour
sur le premier age des sociétés modernes, n'ont pas
hésité·a résoudre affirmativement cette questiop (1).
~


(1) Je· D~citerai icí que deux écrivaiDs contemporains, DDn
moinuemarquables par leur sagacité que par l'étendue deleur
érnditioD, JII. de Savigny, dans son Histoire du Droil roma;n
penda~d le moyen-áge, le plus bel ouvrage pent-etre qu'aient
produit, de DOS jours, les progres de la critique historíque (t. J,




240 DES INSTITtlTlOl'lS POLlTlQtlES 111'( l'BANCE
Peut·etre eussent.ils con~u plus ne doutes s'ilsl'eussent
posée aussi rigoureusement que je viena de l'indi-
quer.


Le caractere essentiel de la liberté politique ré-
side en effet dans l'indépendance de toute domina-
tion individueJle, dan51'absence de tout engagement
permanent et général envers un autre pouvoir,que
les pouvoirs publics. Qu'il y eut des hommes libres
en ce sens qu'íls n'étaient point esclaves, qu'ils ptis-
sédaient et exer~aient des droits dans leurs rapports
avec le supérieur auquel ils s'étaient attachés, il
serait absurde d'en douter; telle était la conditjou
des leudes, des fideles, des vassaux. lUais quand on
admet une classe d'hommes libres distincte de celle
des leudes, iI faut bien admettre que leur liberté
était autre, Ieur condition social e difl'érente; et cet.¡{{
lS~.~,·.


différence ne peut consister que dans la pléuitu'W'"
de I'indépendance personnaBe a l'égnrdde tout nutre ':


chap, IV, § 1; die Freyen, les hommes libres), et M. Meyer, dan.
son Esprit, origineet pTOgT/!S des inslitutionsjudiciaires dans
les principallx paya de l' Eltrope (t. 1, 1. 1, chapo XI, 'Ilexations
envers les hommes libres). Le premier considere la classe des
hommes libres comme ayant formé, a ce titre seul, le corps de
la nation chez les peuples d' origine germaine, et leor état social
co:qw,ne la base de toutes les eonstitlltions germaniques. L'opi-
nion du seeond, <¡ni, tout en admettant l'existeneedjstinete et
vraiment politique d'une grande classe d'hommes libres, eroit
cependant que eette classe futgraduellement opprimée, et remo
placée par celle des vassanx, me parait, comme en verra, plus
voisine de la vérité.




DU V· AU X· srEeLB. 141
hamme, dans le caraetere de citayen par opposition
a celui de leude, de vassa1.


J'ai peine a croire que les publicistes se soient
rendu conipte bien neUement de cette distinction,
el en aient mesuré toute la portée. Cependant elle
esl implicitemenl supposée dans leurseffortspour:dé'
montrer l'existenee permanente d'uneclassespéciale
d'hommes libres; cars'il n'en était ainsi, la question
meme n' existeraitpas et ces efforta seraiellt:sa ns o bjet.


Sans nul doute, dana les temps qui sllivirent de
pres la conquete, iI existait une telle classe d'hom-
mes, elle faisait meme le corps de la nation. Elle
comprenaít tous les pr0l'riétaires d'aIleux, et l'on a
vu que les premieres propriétés, prises ou re4(ues
en parlage par les guerriers francs, étaren! allo-
diales, c'est-a-dire pleinement indépendantés. Ces
propl'iétaires, affranchis de toute d6pen~ance indivi·
dueHe, étaient done libres les uns al'égard des autres,
et uniS entre eux seulement a titre de poncitoyens.


On touchail d'ailleurs encore a l'associatiou pri-
mitive; les habitudes de la tribu ou de la bande
guerriere n'avaient pas encore disparu. Or,. bien que
les compagnons germains marehassent a la suite
d'un ~hef, le lien qui les unissait á lui était plutót
militai,'e que civil; ce n'était point de leur relation
avee lui que déeoulaient leqrs institutions politiques;
illes conduisait, mais ne les gouvernait point; ils se
gouvernaient eux-memes, par la voie de la délibé-
ratio n commune, d'apres les idées simples de l'indé;,.
pendanee des individus et de l'égalité desdroits. Les




Q
_ DES 11'ISTIT1ITIOl'lS POLITlQtrl.8 El'( FUl'ICE


eompapons étaient les lendes dll chef quand il s'a-
gissait de.gnerre, des hommes libres et.des citoyens
en toBte autr~ occasion.


'DeJo: caracteres, celui de membres d"nne Bation
etée-hli de compagnons d'un homme, se réuniBSaient
done dans les guerriers germains; et quant ala Vie
politique, c'était le premier qui prévalait. La ......
lion nouveUe qu'entraina la conquete ne en,,-
pojnt cei état des personnes immédiatement ni JJit
un jour, et la société franque continue pendant
quelque temps d'apparaitre, dans les faits et «ans
leslois, 80US la forme d'nne réuniond'hommes libres,
délibérant et agissant cn commun. Mais par l'éta-.
b1issement territorial et Ja dispersion des individos,
cette relation dn citoyen a I'état devait bientót suc-
combar, et celle du eompagnon au chef nc pouvait
manquer dlt devenir dominante. J'ai déja décrit ce
phénomeneet ses principaux effcts. J'ai fait voir
eomment la plnpart des' a Ileux disparurent mi furent
convertis en bénéfices, pourquoi et commenlla classe
des leudes se forma et s'étendit de jour en jour.
Qnelle condition sociale était attaquée par tous ces
changemens, inévitables résultats dll cours des
choscs? Celledes hommes libres, descitoyens égaux,
et jndépendans. Les propriétés se subordonnaient
progressivement les unes aux autres; les individus
venaient se ranger an service et sous la prote~tion
d'nn supérienr; l'association nationale se dissolvait
en une multitude d'associations particulieres rendues
nécessaircs par l'inégalité des forces, et fondées sur




DU V· ÁU X· SIEeLE.


la dépendance des terres et des personÍles.1l est cIair
qu'au mílieu de telsfaíts la classe des hommes libres
ne pouvait subsister long-temps.
~


Décadence de la clÍlsse des Hommes libres.


Aussi cessa-t-elle de bonne ~eure de tenir, dans
la société, une grande place; il esl impossible de
suivre, pas a pas, les progres de sa dissorution, car
le langage des hlstoriens el des monumens nous
trompe; ¡ls appellent libre quiconque n'était pas
esclave, et dans ~ sens les possesseurs de bénéfWes
étaient libres au~i bien que les .j)ropriétaires d'al-
leux, les leudes engagés nu service d'unhomOle
aussi bien que les citoyens indépendans. Je me bor-
nerai done a examiner qllelques-uns des faits
qu'on a alIégués pour prouver que les hommes
libres formaient une ólasse nombreuse et impor-
tante, distincte de celle des Jepdes,"ét a rechercher
si ces faits autorisent les conclusionsqu'onen déduit.


Del Ahrimans et des Rachimbourgs.


Lesseuls noms souslesquels on puisse croirequ'une
telle condition sociale est désignée, sont ceux d'ari-
manni, erimanni, herimanni, hermanni, chez les
Lombards (1), et,de rachimburgi, rathimburgi~regim.


(1) Les Arimanni reviennent sans cesse dans les ]ois lombar-
des et dans les monnmens italiensdu VII· au XU' siecle; Ieur nom
~t ,,,it .n_ .. ;, .,,_nn;, "'-''';, ,,"¡M •• ';, '~l,':'-


,.f4 ~
1 ::¡, '"
'l,




244 DI8 IIlSTIi'UTIOIIS POLITIQIlES EII FRAlleR
burgi, chez les Francs (1). Le nom d'arimanni se
ma'!f!i .. hermanni, variations provenues surtout de la difficulté
d'é~ les.sons teutoniques; et tout porte a croire que les Germ.
nomm\s dans une foule d'actes dont plusíeurs remontent au IX"
sieole, ne sont autres que les arimanni oú lfermanni; en sorte
que le nom nalional de Germains n'aurait d'autre origine que
celuí des herimanni, hommes libres. On varie sur l'étymologie
de ce dernier mot: selon les uns, il vient de heer (arfllée,
guerre), et les heer-mann sont les guerriers ; selon d'autres, iI
dérive de ehre (honneur), et désigne les hommes libres par
excellence, les cito yen investis de tous les droits de la liberté
politique, les cí"es optimojure du droit romain. Quoique cette
de~~iere explication soit adoptée par Mm.ser (Osnahruckische
geú:hichte, dans la flréface et passim) ~t par M. de Savigny
( Geschichte des rmmlBchen Rechts, etc., t. 1, p. 160, 175),je
préfere la premie re; ce n'est pas dan s des idées morales et des
distinctions philosophiques qu'il faut chercher l'origine des
anciens Doms barbares. Du reste le mot d'arimannia a regu, iI
dater du x·siilCle, des acceptionsfort dilferentes; il désigne, dan s
pIusieurs monumens, tantót unq¡,eertaine e!pece de propriété


·territoriale, tantótd~::certains impóts, etc. (Voir,a eesujet,'J' His-
toire du Droit. rom:, etc., de M. de Savigny, .t. 1, p. 160-177.).


(1') Les Rachimburgi, souvent mentionnés dans la loi Salí.
que, lesont également dans plusieurs formules du temps, et
jusque dans des actes du x' sicele; les var.iations d' orthograpbe
80nt encare plus nombrellses que poudes arimanni,. on trouve:
f'achimburgii, ratMmburgii, racimburgi, f'acinehurgi, recyne-
hurgi, racimburdi I regimburdi, raimblfrgi. La plupart des
érudits font dérivcr ~e mot de racha (affaire, proces), ou de
f'ecM (droi t, j ustice), ee qui pré.enterait exdusivement les ra-
chimburgi, sous le caraetere de juges. 111. de Savigny pense,
avec le célebre historien lUulIer, qu'il vient de rancien mot
teutonique f'ek (grand; puiS/lant), qui fait la terminaison de
tant de noms propres germains, et se retrouve dans reieh
(riche); en sorte que les t'achimburgi, appolés aussi bom go-




DlJ Ve Al) X o SIÉCLE. 245
trouve aussi dan s des monumens qui appartiennent
a la France (1).


Ces mots, bien que quelques savans s'y Boient
trompés, s'appliquent évidemroent a dcs hommes
libres; ils désignent meme, tout porte a le croire,
les hommes libres en général, les eitoyens actifs. Les
arimanni lombards siégentdans les plaids ou assem-
hlées publiques en qualité de juges, marchent a la
guerre sous les ordres du corote, paraisseot comme
témoins dans les aetes eivils; les rachimburgi franes


I exereent les memes droils (2).
Il est également certaío que ces mots ne désigoent


point des magistrats, des hommes investís de fonc-
tioos spéeiales, judieiaires ou autres, et distinets, a
ce titre, du reste des citoyens. Daos une {ouIe de
documens, les arimanni sont mentionnés comme té-
moíos, comme simples guerriers; le meme nom est
donntÍ aux bourgeois libres des villes ; les rachim-
burgi franes paraissent de meme en des oeeasions
ou il ne s'agit d'aucune fonetíon publique a remplir;
le mot rachimburgi est souvent traduit par eelui de
boni homines. Tont démontre que ces noms s'appli-
quent aux hommcs libres, ame eitoyens en général,


mine3, seraient simplement des hornmes puissans, des nota-
bIes, les ricos hombre3 des Espa¡;nols. (llistoit'c d .. D"oít ro-
main, etc., t. " p. 184.)


(1). MARC. Form. lib. " cap. xv,,!.
(2) Húto{re du Droi t romain dm>sle moyen-áge, par 1\1. de


Savi:;ny, t. 1, p. 160-185,
TO~E l.




246 DIIS 11l5TlTllTIOIIS POLITIQUIS 111 FRANOE
et non a quelque magistrature spéciale, a quelque
pou voir public (1).


Mais ces hommes libres, ces ahrimans, ces ra-
chimbourg8, étaient-ils distincts des leudes comme
des esclaves? Formaient-ils une classe de citoyetis in-
dépendans, liés seulemellt entre enJ. et a l'état, dont,
en un mot, la condition sociale fUt antre que celle
des hommes qui, sous les noms de recommandéa, lev-
.Jes, jidetes, antrustiolls ou vassaua; J étaient entrés
dans une association particuliere et vivaient dans
la dépendance comme sous la protection d'un supé.
rieur?


Les monumens et les faits alJégués par les défen-
seurs memes de cette opinion pl'ouvent qu'elle est
mal fondée, el que les leudes, les vassaux d'ull sei-
gneul' étaient appelés anrimans ou rachimbourgs
aussi bien que s'il se flit agi de citoyens vél'itablcs,
d'hommes étrangers a toute dépendance indivi-
dueHe., .


Un homme vient se placel' aous la foi du roi, se
déclal'el' son fidele, son vassal; il vient, dit la for-


(1) Voyez l' Hisloire du Droit ,.omai,. dans le moyen-áge, par
M. de Savigny, spécialement en ce qui conceme les rachim-
bourgs (tom. 1, p. 177-184). M. de Savigny a démontré avec
évidence qu'ils étaient de simples hommes libres, siégeant t a
ce titre, comme juges, en vertu des anciennes instilutions ger-
maines, et essentiellement distinets des scabini, ~éritablcs ma-
gistrats, choisis pOllr juger lorsque les hommes libres cessercnt
de se rendre aux plaids nationaux. J'en parlcrai en traitant des
institutions.




DU V· AV X· SltCLE.


mule, cum arimannia sua, e'est-a-dire suivi de ses
guerriers (1). Voila done des ahrimans qui sont déja
les leudes, les vassaux d'un homme, et vont devenir
les arriere-vassaux du roi. lis n'ent demeureront pas
moins des ahrimatls, e'est-a·dire deshommes libres,
ear e'est la tout ce que veut dire ce mot; il désigne
la liberté en général, et non une condition sociale·
distinete de ceUe des leudes, des vassaux.


Dans un dipIÓme du X· siecIe, l'empereur Othon
ler donne a un couvent une forteresse " avec les
JI hommes libres, vulgairement dits altrimans." Au
Xl· siecle, l'empereur Renri IV fait a un autre mo-
nastere une donalion semblable, et Ics altrimans qui
habitent le domaine y sont également compris (2).
Les eoncessions de ce genre étaient depuis long-temps
usitées; plusieurs documens le prouvent, et un con-
ciJe du X· siecleavaitdéfcnduaux comles de donner
» en bénéfice a leurs hommes les ahrimans de leur
• comté (3). Les comtes n'avaient en effet, origillai-
rement du moüis et a ce titre seuI, aucun droit de
disposer des terres de leur comté ni des hommes li-
bres qui les habitaient; e'était a eeux-ci de choisir
eux-memes le supérieur auqucl ils voulaient s'atta-
eher.


La qualité d'ahriman n'excIuait donc pas celle


(1) Voyezla Formule de Marculf, déja citée,lib.l,cap. XVIII.
(2) Ces diplómes 80nt de l'an 967 et de l'an 1084. (Hiill. dI'


Droit romo dans le moyen-áge, par M. de Savigny, t. ',p. 162).
(3) Hist. du dro;t roma in dan, le moyen-dge, par M.. de Savi-


gny, t.l, p. 175.




i48 DES II'1STITUTIOIIS POllIIQUIS 111 FRAIICE
de leude, de vassal; les ahrimans étaient les leude!!
de l'homme sur les terres duquel ils habitaient, et
quand ces terres étaient données en bénéfice, ils de.
venaient les leudes du bénéficier.


Je ne trouve, quant aux 1'Uchimbourgs, aucun texto
ou iI soit clair que celle dénomination s'appliquait
a des leudes aussi bien qu'a des hommes absoIoment
libres; employée plllsicurs foís dans la loi salique,
die est plus rare que celle d'ahrimans dans les mo-
I1umens des síecles postérieurs; mais tout autorise a
porter, sur le sens de ce termo, le meme jugement
que sur celui des termes analogues. Les uns et les
autres désignaicnt des homllles libres et en posses-
sion des droits attachés a la libedé, mais non une
cJasse particuliere de citoyons placés dans une con-
dition distincte, d'une part, de celIe des esclaves,
d'autre part, de celle des leudes et des vassaux.


n fallait bien qu'il en füt ainsi, car c'est en vain
que les mots demenrent les memes ; leur sells varíe
d'élloque en él'0que ~e\on les métl.\m\wpnoses des
faits. Originairement sans doute on appelaít ak,'i-
manni ou rachimburgi des hommes, non-sculement
libres, maisexempts, daos leur "ie politique, detoute
dépendance indíviduelle; telle était en effet la con-
dition générale des hommes libres, des guerriers
10mbards ou franes, tant que la relation du eompa-·
gooo au chef fut une relation purement militaire,
accessoíre el suborrlonnée a la qualité de citoyen.
Mais lorsque cette nalion errante, dont les ahrimans
et les rachimbourgs étaient les citoyens, se fut dis-




DU V· AU x' SItCLIi.


persée sur un vaste territoire; lorsque les compa-
gnons furent devenus des leudes, des bénéficiers, des
vassaux; lorsque le caractere dominant de leur si-
tuation résida dans les rapports qui les unissaient a
leur supérieur, rapports qui embrassaient et réglaient
leur exist~nce tout entiere, alora on put bien conti-
nuer, el sn effet on continua long-temps de les ap-
peler ahrimansou rachimbourgs; mais ces mots n'eu-
rent plus le meme sens, ne désignerent plus la meme
condition,sociale. Malgré]a perpéluité de son nom,
la classe des anciens hommes libres périssait dejour
en jour; les uns tombaient dans l'état de colon s ou
dans la servitude; les autres conservaient, il est vrai,
leur liberté, mais ceHe liberté changeai.t de nature ;
c'était celle du vassnl, non plus celle du citoyen. Les
relations féodales s'emparaient des personnes comme
des terres; et les ahrimans, les 1"achimbourgs deve-
naient des leudes et des vassaux, comme les a]]eux
des bénéfices et des fiefs. CeUe métamorphose ne fut
point subite; elle s'opéra par des transitions main-
tellant obscures; et, dans ce passage, les anciens
hommes libres apparaissent quelque temps SOIlS la
forme et avec les droits de leur condition primitive.;
on les voit appelés a ce titre dans les assemblées pu-
bliques, délibérant, jugeant, comme ils le faisaient
jadís quand ils étaient citoyens de la bande guer-
riere ou de la tribu. De la est née l'erreur des publi-
cistesquiontvu, danslesahrimansetles rachimbourgs,
une c1asse particuJiere d'hommes libres, encore in-
vestís de toute I'indépendance germaíne, tandís que


22. /'~_" ..
/'~' ... '",
~ ~?
l~


...


'.,




~!)O DES lltSTlTUTIOIIS POLITIQUES IN FBANCE
d'autres, sous les noms de leudeset de vassaux, s'en-
gageaient dans la féodalité naissante. lis ont été
trompés par la permanence desmots et par les restes
de l'ancien état social. CeUe complication et ces vi-
cissitudes de l'état des personnes seront pleinement
éclaircies quand j'aurai monlré quelIe complica-
tion et quelles vÍcissitudes correspondantes se font
remarquer dans la marche progressive des institu-
tions.


VI.


Des Alfranchis.
On croit en général que l'affranchissement créait


beaucoup d'hommes libres, allssi libres que s'ils l'eus-
sent été par leur origine. Je ne le pense paso La pra-
tique de I'affranchissement était, il est vrai, tres fré-
quente (1); mais la plupart des affranchis n' obtenaien t


(1) On ne peut douter que les idées religicuses n'y enssent
d'ordinaire la plus grande part; presque toutes les formules d'af·
franchissement comroencent par un motifreligieux, • pro re-
medio animre, pro retributione reterna, pro remissione pecea-
torum.» Souvent, lorsqu'on donnait ses biens a l'église, en
retenant I'usufruit, on se réservait le droit d'affranchir les es·
claves qui les cultivaient, • ni.i tantum si aliquem ex servien-
tihus nostris a jugo servitutis pro communi mercede relanre
voluerimus .• (MARC. Form. lib. 11, cap. 111.) L'approehe de la
roort était 'auss; l' occasion de nombreux alfranchissemens: In-
gooerge, "cuve de Charibert, • subitanea regritudine fatigat.,
migravit a srecuIo multos per chattulas libero s derelinquens .•
(GI.EG. TuB.. lib. IX, cap. XXVI. Colleet. des Mém. JI, 40.) Les
roía, daos les circon.~tances solennellcs, comme a la naiflllaDCO




DU V· AU x· sllleLE. 251
qu'une liberté incomplete et demeuraient dans une
condition assez voisine, a certains égards, de celle
des colons ou tributaires.


J'aper<fois dans les monumens trois classesd'affran-
chis: 10 les denaria les, affranchis devant le roi;
2° les tabulat'ii, affranchis devant l'église; ~o les
chartulariz', affranchis par une simple charte ou était
consignée la volonté de leur maÍtre.


Des Dénariés.


lo Les dénariés tiraiont leur noro de la cérémo-
nie meme de l'affranchissement; le" maitre amenait


. son esclave devant le roí; l'esclave tenait dans sa
main un denier; le roi, en lui {rappant la main, l ui
faisait sauter le denier au visage, et le déclarait li-
bre (1). La plupart des savans ont affirmé que des


d'unfils, alfranchissaient des esclaves, et san s doute cette prati-
que étaitfréquente, car 31arculf nous a conservé la formule par
laquelle-leroi, auque! un fils vient de naitre, ordonnc I'alfran-
chiSllement de trois esclaves dans chacune de ses villee. (MAlle.
Form. lib. 11, cap. LIl.) Il ya lieu de er oire que les ¡¡r"uds pro
priétairesen faisaient autant.


(1) L'alfranchissement per denariunl est mentionné dans la
plupart des lois barbares et dan s un ¡¡rand nomhre de formules;
en voici deux d'époques différentes:


• Et quia apostolicus autinluster"Virille servo suo nomine illo
per rnanum illius in nostra prresentia jactante denario secu n-
durnJegern Salicarn dimisit ingenuum, ejllsque absolutionem
per prresentemauctoritatern nostram firmamns; prrecipientes


" enim ut si cut et reliqlli mansoarii qui per talem titalum a jU¡;O
servitutis in pr:cscntia principis noscun(ur esse }"elaxati ingenu-




~a2 DES lNSTlTUTIONS POLITlQUlS EN FRANCE
Iors sa libertó était entiere et qu'il devenait en tout
l'égal des Francs; c'est en effet ce qu'ordonne ex-
pressément la Ioi des Ripuaires : (l Si quelqu'un,
" dit.elle, a affranchi son esclave par le denier-en
» présence du roi, nous ne voulons pas qu'il penche
» de nouvean vers la servitud e; iI demenrera libre


." commelesautresRipuaires(l)jll etelleaccordeaux
ita e,t a modo memoratus ille per nostro prrocepto plenius in
Dei nomine confirmatus nullam inquietatem Deo auxiliante pe-
rennisque temporibus curo Dei et nostra ~ratia valeat permauere
bene ingenuus etsecurus, • (Mue, Form. lib. 1, cap. XXII.)


• Carolus imperator Ausgutus, etc. (Charles-le-Gros,en886),
Adalgarius levita petiit ut imperiali more prreceptumlleri jube-
remus. Decernimusut more prrodeccssorum nostrorum impera-
torum etregum a mauu ipsills Leuthardi deuarius excutiatur ut
a prrosenti die idem Leuthardussemperct ubique omnibus loeis
liberatns valeat uti propria potestate absque alicujus resulta-
tioue aut contradictionc et quoque ei libuorit ornnibus modis
liber et velut oobili prosapia gcnitus esset liberaliter per oos-
tram auctoritatem pergat.. (Jérómc lligoon a tiré cet acte des
registres de I'église Saint-~Iartin, a Tours; Nol. tHier, Big. ad
Marc. ap.llJ.L. t.1J, p. 905.)


Les opinions different sur les détails matériels de la cérémo-
oie; selon les uns, le roi faisait sauter le denier, de la main de
resclave; sclon les autres, le roi tenait lui-meme le denier, et
le jetait eo l' nir Slll' la tete de l'esclave: selon d'alltres, l'escJave
jetait le denier dan s le sein du roi, etc, (Voir les notesdeBaluw
surles eapitulaires, 1. n, p. 1227.)


(1) • Si quis Iiberturn suum per maoum propriam seu per
alieoam in prrosentia regis secnndum Icgem Ripuariarn inge-
nuum di¡niserit per denarinm, et ejusdem rei chartam acce-
perit, uullateous eurn pcrmittimns in servitium inclinare, sed
sicnt reliqui Ripuurii liher perm8ncat .• (Lex Rip. tito LVII,
cap. IV.)




DU V· An XC SrEeLE. 253
dénariés le meme weh"geld qu' aux barbares libres (1).


IUais la meme )oi porte que, si le dénarié meurt
saos enfans, ses biens seront dévolus an fisc (2) ; iI
ne pouvait done tester a son gré. Un capitnlaire de
Charlemagne ordonne que le wehrgeld dO. pour le
meurtre d'un déna,'ié sera payé, non a sa familIe,
mais au roi (~). Un autre capitulaire inlerdit aux dé·
flariés le droit d'hériter de leurs parens aux premiar,
second et troisieme degrés (4). Autantde restrictions
8 la plénitude de la liberté.


Des Tabularii.


2° Les tabularii étaient affranchis devant l'église.
Le maitre se présentait a l'église, remettait son es-
clave a l'éveque en préscnce du clergé el du peuple,
et demandait qu'on rédigeat, selan la loi romaine,
ructe d'affl'anchissement (tabula) (5). L'esclave deve-


(1) «Si quis servum suum denarialem facerevoluerit, licen-
tiam habeat; et tuno 200 solidos valeat, • (Lex Rip. tito L:m,
cap. n.)


(2) • Si horno denariatus absque liberis dis.oesserit, non alium
nisi fiscum nostrum hreredem relinquat .• (Lex Rip. tito LVIl,
cap. IV,) -


(3) • De denarialibus ut, si quis cos occiderit, regi compo-
nantur,. (Cap. Car.Mag. 0,789, § v, ap. BAL. tom.l, pago 208;
ibid. 0806, tomo 1, pago 447.)


(4) • Horno denarialis non anteo hrereditare.in suam ogna-
tionem poterit usque quo ad tertiam generationem perveniat .•
(Cap. Caro Mag. a. 803, § VIII, ap. Bu. t.l,p. 398) et les notes
de Baluze sur ce texte, t. 11, p. 1227.)


(/j) • Qualiscumque Francus, Ripuarius, seu Tabularius ser-




!l54 DES lNSTlTUTIONS POLITIQUES EN FUNCE
nait libre; mais s'il'mourait saos eofaos , l' église hé-
ritait de ses bien s (1); il oe pouvaitporter témoigoage
daos les causes qui iotéressaient des hommes libres;
ses desceodaos, a la troisieme géoération, y étaient


,seuls ~dmis ('2). Il lui était interdit de s'~lever au
rang de dérlarüJ par un nouvel affranchissement de-
van!; le toi (3). Enfin c'était au roi, et non asa fa-
mille, qu'était payé son wehrgeld (4).
vum suum pro animre suoo remedio seu pro prctio secundum le-
gem romanam libertare volucrit, ut in ecclesia coram presby-
teris, diaconibus, seu cuncto clero et plebe, in manu episcopi
servum.suum cum tabulis tradat, et episcopus archidiaconurn
jubeat ut ei tabulas secundllm legem romauam qua Ecclesia
vivit, scribere faciat ; et tam ipse quarn et omuis procreatio ejus
liber; permaneant, et sub tuitione ecclesire consistant, vel om.
nem teditum status allt servitium tabularii eorum ecclesire red,·
dant.. (Lex Rip. tito J.VIII, C. J.)


(1) • Tabularius autem qui absque liber;s discesserit nlll-
111m alium nisi ecclesiam relinquat hreredem .• (Lex Rip.
tito LVlII, cap. IV.)


(2) • Libertlls et liberta in nullis negotiis contra quemquam
testimonium dicere permittantur, exceptis illiscausis in quibu~
ingenuitas deesse sicut prremissum est et de servis: quia indi-
gnnm nostra pensat clementia ut libertorum testimonia inge-
nuisdamna incutiant. Qui vero exeisdem fuerint progeniti ad
testimonium a tertia generatione admittantur .• (Cap. incerti
anni, § XV, ap. BAL. t. J ,p. 154.)


(3) <, Et ulIlIustabuJarius denarium anteregem prresumatjac-
tare. Quod si fecerit, 200 sol, culpabilis judicetur, et nihilomi.
nus ipsetabularius et procreaEo ejus tabularii persistant, et om-
nesreditus status eorum ad eeclesiam reddant, et non aliubi nisi
ad ecelesiam uhi relaxati sunt malIum teneant.. (Le.t: Rip.
tito LVIII, cap. ~.)


(4) Cap. Ca,.. M. a. 789, § VI, ap. BAL. t. 1, p. 208.




IIU V· AU X· SIECLE.


2· ]fes Chartularii.


L'afFranchissement des chartularii s'accomplis-
sant par un acte isolé du maitre et sans l'interven-
tion d'aucun magistrat JaIque on ecclésiastique,
la forme et les effets en étaient tres variés. Quel-
que" formules indiquent la concession de la liberté
la plus entiere. (1). Cependant celle des chartularii
est aussi limitée par des lois. {Jn capitulaire de
Charlemagne Jeur interdit, comme aux dénariés,
le droit d'hériter de leurs parens jusqu'au troi-
sieme degré (2). Un autre ordonne que s'iIs ne
se sont placés sons la protection d'aucun patron
dé terminé ; leur weh1!Jeld sera payé an roi (3).


(2) Voici une de ces formules quí sont nombreuses:
• Qui debitum sibi nexum relaxat servitium mercedem in


futurum apud dominum sibi retribuere confidat. Igitur ego in
Dei nomine ilIe et conjux mea illa pro remedio animoo nostrre
vel retributione reterna te i11um ex familia nostra a prresenti die
ab omni vinculo 'senitutis absolvimus, ita ut deincep5, tan-
quam.i ab in{;Cnuis parentibus fuisses proereatus vel natus, vi-
tam ducas ingenuam, etnullihreredum vel prohreredum nostro-
rum vel cuicunque senitium empendas, nee libertinitatis ob5e-
quium debeas, nisi soli Deo cui omnia subjecta sunt, pecu-
liare conceS50 quod habes aut deinceps elaborare potueris. Si
tihi necessitas ad tuam ingenuitatem tuendam contigerit, ah5-
que u110 prrejudicio ingenuitatis ture dcfensionem eccJesioo aut
cujuscunquc te eligere placuerit, licentiam habeas ...• (MARC.
FQrm.lih. JI ,cap. XXXIII.)


(3) Cap. Caro 111. a 803, § IX, ap. BAL. t. 1, p. 398.
(4) " Qui vero per chartam ingcnuitatis dimissi sunt I~'h iV~ _e,
~ ~~~.
~ ~ ~ "'
.... ¿:.


\ ... ~~'/
...... ~'




2lS6 DES INSTITUTIOliS POI.lTIQUES EN FRANCE


Des Elfets de l' Alfranchissement.


Ainsi, que l'affranchissement se fít devant le roi
et d'apres les usages barbares, ou devant l'église
et selon les lois romaines, ou sans furmalité pu-
blique et par une simple déclaration de la volonté
du maitre, l'affranehi n'acquérait point une liberté
absolue, et quelques restl'ictions légales marquaient
eneore l'infériorité de sa eondition. Ces restrictions
n'appartiennent pas toutes it la meme époque ; il
se peut que eeUes qu'établissent les eapitulaires
de Charlemagnc n'existasscnt pas auparavant; les
effets corome les formes de l'affranehissement pré-
sentent de nombreuses varié tés , et iI serait vain de
prétendre les ramener it une classifieation perma-
nente et rigourense. l\lais on n'en observe pas moins,
dans la elasse des aITranehis, le memc pbénumime
que dans eelIe des hommes libres par lenr origiIle ;
en entrant dans la liberté, ils torobaient sons la
dépendanee d'un palron, les dénariés sons eeUe
du roi, les tabula,·ü sons eelle de réglise; les char-
tularii ponvaient ehoisil' le lem; mais s'ils n'en
ehoisissaient point, le roi s'altribuait sur eux des
droits spécianx. Ces droits u'étaient pas toujours
les memes; les diverses sorles d'affranchissemens
eunféraient di\'crs degrés ue liberté. Mais en aucun


ubi nulllllll patrocinilllll ct dcfensionem ele:¡erint, reGi compo-
nantllr 40 salid. " (Cap. Ca,'. ,tI. a. 789, § m, "1'. llAL. t. 1,
p. 208.)




DU VO AU X· SIECLE. 207
cas I'affranchi ne s'élevait a ceUe condition de ci-
toyen ou l'homme né libre ne pouvait se mainte-
nir. Une protection individuelle pOl'lvait seule le
préserver d'une rcchute dans la servitude; elle-lui
était le plus souvent imposée par la loi meme;
c'était celle de l'autorité qui avait sanctionné son
affranchissement; et, en ccssant d'etre esclave, il se
trouvait, a des conditions assez dures, homme du
roi, de l'église ou de quelque autre supérieur; a
moins que, par son habileté ou par quclque heu-
reuse chance, devenu lui-meme un des proprié-
taires importan s de sa contrée, iI ne prit place dans
cette aristocratie territoriale qu'enfantait si péni-
bIement le désordre uni versel, et ou entraient sans
distinction d'origine, sans conditions légales , tons
les riches, tous les puissans, tous les forts.


Je laisse maintenant a juger si, comme on l'a
souvent prétendu, il Y eut en France, du ve au xe
siecle et par suite de la conquete, un mouvement
ascendan't vers la liberté. Lit ou la force regne
presque seule, en l'absenee de tous pouvoirs et de
tous droits vraíment publics, la liberté ne saurait
etre en progreso Quand les individus ne pcuvent
trouver protectiou et sécurité qu'aupres d'autres
individus plus puissans, deux conditions seules, la
condition aristocratique et la condition servile,
peuvent s'affermir et s'étendre; celled'homme vrai-
ment libre, de citoyen indépend:Jut, soumis non a
des volontés maís a des lois, décline nécessairement


23




258 DES lNSTlTUTlOllS POLlTIQUES IN FBANCE
de jour en jour et doit bientOt disparaitre. Tel fut
en effet le cours des eh oses ; en proie a la lutte des.
forces individuelles et a ses chances, ]a liberté ne
trouva de refuge que dans la vassalité, el quicon .
que ne fut pas assez fort pour se ranger, a titre de
seigneUl' ou de vassal, dans la hiérarcllie réodale ,
tomba bien pres de la servituae. Les degrés de la
servitude furent, il est vrai, divers et inégaux; la
condition des hommes non libres ne fut point,
comme chez les anciens, nniforme, constante, et
séparée de celle des hommes libres par un profond
abime; il s'y forma aussi une sorte de hiérarchie;
et eelte inégalité, cette variété devinrent plus tard
tres favorables aux: efforts du peurle pour reeon-
quérir la liberté. Mais ceUe nouvel1e révolution
appartient a nne époque postérieure , et le mOllve-
ment ascendant vers la liberté ne recommenc;;a
qu'apres la consolidation de cette multitude de
pe tites sociétés locales dont la confédération prit le
nOID de féodalité. Du v· au xe siecle la liberté fut
eonstamment en déeadence; tout tendít a la forma-
lion de eette aristoeratie hiérarchique de p,·oprié-
taires et a la servitude de la population.


L'histoire des institutions nous révelera claire-


PRE»IER VOLU!IE.




TABLE
DES MATrERES DU PRiMIER VOLUME.


PaÉFACE.
Avertissement.


---.., .. _---


ler ESSAI.
Du régime muuicipal dans I'empire romaio, aux ein-


quieme sieele de Fere chrétienne, lor8 de la grande inva-
sioo des Germains en Oeeident.


n e ESSAI.


v


vij


De l'origineet de l'établissement des Fr~ncs dansles Gaules. 53
me ESSAI.


Des causes de la chute des Mérovingiens et des CarIovingiens. 67


IV- ESSAI.
De l'état social et des institutions politiques en France du


cinquieme au dixieme siccle. 87
CHAPo lor. De I'état des Terres. 91


J. Des AlIeux. 92
JI. Des Bénéfices. 122
IJI. Des Terres tributaires. 180


CU"P. JI. De l'état des Personnes. 188
l. De la CJassification des conditions sociales d'a- 195


prcs la propriété.
n, Du Wehrgeld. 201
lIT. Des Leudes, FidCles ou Autrustions. 210
IV. Du Clergé. 223
V. Des Hommes libres. 239
TI. Des Affranchis. l50


t'IN DE LA T ABLE Dli PREMIER VOLUJlE.




ES S.6.IS
SUR L'BlSTOIRI


DE FRANCE.·




IlII:PlI.IMElI.IE DE JUDENNE,
Rue Rempart des Moincs , n. 19.




o


ESSAIS
SUR L'UISTOIRE


DE FRANCE,
PAR M. GUIZOT,


MEMBRE DE L'lNSTITUT,


PROFESSEUJ\ D'HISTOIRE MODER~E A J.' ACADÉMIE DE PABJS;


POUR SERVIR DE COMPLi:nENT


AUX


OBSEBVATIONS SUB L'HISTOIBE DE FBANCE,


DE l' ABBÉ DE MABL Y.


QUATRIEME ÉDlTIO


TOME J:J •


.fllrurt11t.5 ,
SOCIÉTÉ BELGE DE LIBRAIRIE, ETC.


HAUMAN, CATTOIR ET Ce,


]837.






ESSAIS


L~RISTOIl\E DE Fl\A.NCE.
--


QUATRJEME ESSAI.
(Suite.)


CHAPITBE nI.


DES lNSTl'lll'llONS l'OLl'llQUV.S.


Aussi.tOt apres l'établissement des barbares dans
)a Gaule, trois systemes d'institulions se laissent
entrevoir. Profondément divers dans leurs prin-
cipes, leurs formes et leurs effets, ils coexistent
quelql1e temps comme s'ils pouvaient et devaient
se partager la société. Mais bientot ils se melent,
se croisent, se cornbaUent. Leur luUe se prolonge
pendant cinq siecles, lutte réel1e mais sourde et
enfouie, pour ainsi dire, sous les désordres de la
force qui domine seule- et rend vaines toutes les
institutions. Quand la force cómmence a se régler,
la victoire se déclare en faveur du systeme dont la
situation nouvelle des eonquérans, sur le vaste ter-
ritoire qu'ils occupent, a rait une llécessité.


TOME 11. 1




6 DES INSTITUTlONS POLlTIQUES EN FRANCE
Je m'explique; ce que fai déja dit me fera com-


prendre aisément.
Dans leur association primitive, réunis en tribus


ou en bandes guerrieres , les barbares vivaitlnt eu-
semble et agissaient de concert. Aucune des causes
qni engendrent les grandes inégalités sociales et
mettent beaucoup d'hommes dans la dépendance
d'un homme, n'exerr;ait au milieu d'cux son in-
fluence. Tout individu était maltre de lui-meme;
tout guerrier était citoyen. N uIle entreprise impor-
tante ne pouvait etre formée sans l'assentiment du
plus grand nombre. Les expéditions militaires, les
jugemens, les affaires de tout genre étaient débat-
tu es et décidées dans l'assemblée des hommes faits.
Le príncipe de la délibération commune , sur les
intérets communs, prévalait completeinent dans 'ces
sociétés simples, compactes et peu nombreuses. De


- la un systeme d'institutions libres dont ce principe
est partout le fondement.


Cependant un autre principe, auquel nalle réu-
nion d'hommes ne pellt etre absolument étrangere,
celui du patronage el de la clientelle , se rencon-
trait déjit chez les Germains. Des compaguons se'
serraient autour d'un chef, naturelIement désigné
par sa bravoure el sa renommée. San s dépendre de
lui, sans cesser de débattre el de régler en commun
les ,affaires de l'association, ils marchaient asa suite
et vivaient sous son influence. Lorsque les guerriers
erraus se furen! métamorphosés en pl'opriétaires
et les compagnons en bénéficiers ou vassaux, une




DU Ve AU X· SIECLE. 7
dépendance plus complete, plus 'étroite, les attacha
a leur supérieur. Son influence devint un pouvoir,
son patronage une juridiction. De la un systeme
d'institutions aristoeratiques ayant l'inégalité pour
príncipe et la subordination d'hornrne a hornme
pour effet.


Enfin le pouvoir royal, mobile et tres borné an-
délá da Rbin, ne pouvait manquer , apres la con-
quete, de s'étendre et de s'affermir. C'était tout le
gouvernement du peuple vaincu. La religion nou-
velle le sanctionnait. L'hér~dité du trone prévalait.
Le roi était le plus riche des propriétaires. Le Sy8-
teme des institutions inonarehiques devait aussi pré-
tendre a posséder la société.


AiUili, des les premiers jours, les institutions
libres, les institutions aristocratiques, les institu-
tions monarchiques se trouverent en présence. On
vit troÍs sortes de pimvoirs, celui des assemblées
d'hommes libres, Cf'lui des propriétaires dan a leurs
domaines, celui de la royauté; il y eut des, citoyens
des vassaux et des sujets.


Ces trois systemes d'institutions n'étaient point
coordonnés entre eux et fondus en un feul gon-
vernement; ils existaient chaclln a part et pour son
compte; leurs spheres d'action étaient diverses
comme leur origine et leurs causes. Mais lcs inté-
rets d'une société et I'existence des hommes qu'clle
tassemble ne se laissent point ainsi diviseI'. L'au-
torité des assemblées d'hommes libres, celle des
propriétaircs' SUI' leurs vassaux et dans ]euI's domai-




8 DES INSTITIITIONS POLITIQIIES EN FRANCE
nes , celle du roi et de ses délégués dans chaque
comté, ne pouvaient manquer d'etre sans cesse en
conflit. n fallait absolument que l'un des trois sys-
temes prévalut. Dans leur coufusion et leur lulte
ráside toute l'histoire poli tique de cctte époque.


Le systeme des institutions libres devait sueco m-
ber. J'en ai déjit fait pressentir les causes. Attaqué
en tous sen s par les prétentions et les torces iodi-
viduelles, la raison publique et 111 force publique
auraient pu seules le défeodre. Elles n'existaieot
paso Bientót le systinue aristoeratique et le systeme
monarehiqlle fllrent seuls allx prises.


A la fin de la premiere race, le systeme monar-
chique était pres de périr. CharIemagoe le ,lit
triompher un moment avec éclat ; et comme c'était
un graod homme, il es saya , pour ramener l'unité
dan s le pouvoir, de ressusciter qllelques iostitu-
tioos de liberté. Mais l'unité du pou\'oir et les ill-
stitutions libres étaient alors égalerncnt impossibles.
Le systeme al·istocratique l'emporta décidément.
A la fin dll xe siccle, il 0'1' cut plus ni eitoyens ni
sujets ; tout était seigneur, vassal ou serf; tout était
gouverné par les lois de la féodalité.


Considérée sous ce triple aspect, l'histoire des
institutions potitiques, du ve au xe siede, devient
daire, et les faits s'cxpliquent san s efforts. On y
reconnait en meme temps les débris des institutions
libres en viglleur avant la conquete, les essais du
systeme monarchique puissamment secondé par le
clergé, les élémells du· régime aristocratique qui,




DV ve AV X· SIECLI. 9
par la combinaison de l'état des terres avec l'état
des personnes, devint le régime féodal. Je vais re-
chercher ces trois systemes daDs les institutions lo-
cales et dans les institutions générales; je les re-
trouverai partout. Je demande seulement qu'on
n'oubliejamais qu'au-dessus de tous les systemes ré-
gnait la force qui venait sans cesse déjouer les insti-
tutions de tout genre et lenr enlever toute régula-
rité, tonte cODséquence, je dirai presque toute
efficacité.


l.


Des Institutions locales.


In5titution8 libres.


La division dll territoire en comtés, centuries ou
centimes, et peut-etre aUlsi en décuries, remonte
au premier age de la mOllarchie (1).


(1) • Decretum est ut, quia in vigilias constitutas nocturnos
furesnon caperent,co quod per diversas, intercedentecolludio,
seelera prretermissa custodias exercerent, centenas fieri, etc .•
(Decret. ChlIJt. reg § 1, ap. BAL. t. J, p. 19.) - • Similiter con··
venit ut, si furtuID factum fuerit, capitale de prresenti centena
restituat, et causator ccntenarium cum centena requirat .•
(Decret. Childeb. reg. § 11, h>id.)


La subdivision des centenes en décuries n'est attestée, a roa
connaissance, par aucune preuve directe. Cependant j'y erais,
lo ¡, cause de Yexistence du dizainier, decanus, petit magistrat
local dont le nom méme indique 'lu'il correspondait ¡, une cer-
taine circonscription de la population ou du territoirc; 20 paree
que la division du territoire en corntés, centuries et décuries, se


2




10 DES l1'I'STft'UI'lOI'lS POLITIQUES EN 'RANCE
Dane ehaeune de ,ces divisions territoriales rési-


dait un magiltrat. Les principaux étaient le comte (1).
et le «ntenier (2). Le comte était souvent remplacé
par UD vicaire. (3). Le decanu80u dizainier, chef de
la tlécurie , se rencontre aussi dans quelques mo-
ltUmens (4).


-retrouve chez presque tous les peuplesd'nrigine germanique, et
surtnut chez les Anglo-Saxnns , dont les loi5 la consacrent et
dont I'histoire la reproduit 11 chaque pas; 30 enlio parce qu'elle
correspondait ~ la eirconscription eeclésiastique. Il est assez
simple que, dans le dé.nrdre des temps, la plus petite de ces
subdivisions territnriales ait eu tres peu d'importance, et qu'elle
ait memebientot disparu.


(1) C'est le grapo des lois barbares, le graf de presq ue tous
lespeuples germains.llI. de Savigny"a tres bien prouvé que cet
ofliee était d'origine germanique, et que le mot comes avait été
adnpté comme l'équivalentdu lUot gt"af. (Hia'. du Droit. romo
etc. t. 1, p. 222-230.) QUllnt a l'étymologie de ce dernier, elle
est fort obscure, ,et les opinion. des savans si diverscs queje ne
sauraís les rapporter iei, ni en adopternne de préférence a
toute autre. (Voir le Dietionnaire d' ADELUNG, aumot graf)


(2) Le centenarius parait déja dans des ,monumens du cine
quieme siecle (voyez le Recueil des historiens de Frunce, tomo
IV, pago 615), et revíent san s cesse, depuis ceUe épllque, dans
toute la législation barbare.


(3) Yicarius, "ieecomes.
(4) Je erois, avecllI. Hullmann (Hist. de l'originedes Ordres,


p. 48), que le tungínuB de la loí sslique (Le,; Sal. tito 46, 48,
53) est le decanus que mentionnent quelqlles monumens, et
dontHincmar dit: • Comites et vicsrii vel etiam decani pru.
rima plaeita eonstitnuot. u (Epist. IV ad episcop. cap. xv.) Ce
motviendraitalors de ten, zelm (dix). ~I. de Savigny penseau
eontraire {Iue le tungí"us et le centellarius étaient le me me
magistrat. (Hist. du Droitrom. etc. t. 1, p. 231.) S'il en était




DU Ve A1J X· 81EcLI., 11
Chacun de ces officiers tenait une cour ou as-


semblée (placitum, mallum) Q11 se rendait la jus-
tice. et 011 toutes les affaires qui intéreSllaient le
district étaient mises en délibération (1).


Les convocations militaires avaient liau égale-
ment dans celte assemhlée.


La aussi se faisaient sonvent les ventes, les af-
fraDchissemens et ]a plupart des transactions ci-
viles qui n'avaient alore presqne aucune autre ga-
rantie que Ieur publicité (!l). .


Da'ns l'origine, ces plaids locaux se rénnissaient
tres fréquemment, quelquefois toutes les semaines,
all moins une fois par moís (~).
aiosi , pourqnoi Idoi salique' les liomnieraít-elle run a co'té de
I'autre?


(1) I Convent1l8 Butem 8ecnndumc'onsuetudinem Bntiquam
liat in omn; centena cotam comite auhmo misso et coram cen-
tenario .• Lex Alam. tito XXXVI, cap. q Toilt¡:s les lois bar-
bares font allusion, daos une fouJe d'articlcs, a ces assemblées
locales. (Lex Sal. tit. 1, cap. ] j tit. XIX, cap. 1, VI; Lea: Rip.
tito xxx, cap.u; tito 1, cap.]1 tito 66, cap. 1, etc.).


(2) • Si quis alteri aJiquid vendiderit etemptor testamentum
venditionisaccipere voluerit, in malIohoc facere debet, etpre-
tiUID iD pl'lllsente tradat, et rem accipiat, et testamentum pu-
blice cODscribatur. Quod si parva res fm:rit, septem testibus
firmetúr; si autem magna, duodeéim roboretur .• (Lea: Rip.
tit. nI:, cap. l.)


(3) «Iplum pJaoitum liat de sabbato in sabbatum , aut quali
die comes aut centenarius voluerit, a septem in septem noctes
quando pax parva est in provincia; quando autem melior est
post quatuordecim noctes fiat conventus in omni centena
sicllt superius diximus.. (Lea: Alam. tito XXXVI, cap. n.) -
Ut pJllcíta fiant per kalendas aut post quindecim dies, si necesse




J'2 DES INSTIT1JTIONS POLlTIQIlES EN FRANCE
Tons les hommes libres qui habitaient dans la


círconscription étaient tenus de s'y rendre. L'obli-
gation étaít la meme pour les vassaux: du roí ou du
corote, et pour les hommes libres absoluroent in-
dépendans (1 l.A l'asseroblée appartenait le pou-
voir; eHe jugeait les causes-et décidait de toutes Jes
affaires coromunes./L'office du roagistrat, corote,
vicaíre du corote, centenier, diíainier ou autre, se
bornait a la convoquer et a la présider (2).
est, ad causas inquirendasut paxsit in provincia.» (I.oxBaiu".
tit 'lV, cap. l.),


(1) • Si quis autem Iiber ad ipsum placitum neglexerit ve-
nire, vel semetipsum non prresentaverit aut comiti, aut cente-
nario, au misso aomitís in placito, 12 sol. sit culpabilis. Qua-
Iiscumque persona sit, aut vassus ducisaut coroitis, aut qualis-
cunque persona, nemo negli¡¡at ad ipsum p\acitum venire,
ut in ipso placito paup,eres cl1nclament causas suas.' (L6X
Alam. tito XXXVI, cap. IV, v.) - • Omnes Iiberi conveniant
constitutis dicbus ubi judex ordinaverit, et nemo sit ausus con-
temnere venire ad placitum. Qui infra ilIum comitatum ma-
nent, sive regis vassi, sive ducis, omnes ad placitum veniant;
et qui neglexerit venire, 15 sol. damuetur .• (Le.,; Baiu".iit. XV,
cap. 1.)


(2) e'est maintenant un fait convenu entre les publícistesles
plus versés dans les antiquités des peuples modernes, que les
hommes libres, ahrimanni, rachimburgi, boni hominea, pré-
sensa 1'assemblée de lacentimeou du cúmté, jugeaient seuls
les causes, en point de droit comme en point de fait, et que le
comtc ou le centenier n'avait d'autre mission que de convoquer
l'assemblée, de la présider et de faire exécuteraes jugemens. Les
formules et autres actes qui démontrent ce fait ont été recneillis
avec beaucoup de soin dans la Théorie des lois politiques de la
France, t. Vlll, PreUIJ6S, etc. p. 25-a9 j on peut consulter aussi




DU V· AV X· slten. 13
La compétence de ces divers plaids Iocaux n'é-


tait pas égale. La cour du dizainier parait avóir eu
peu d'importance; peut-etre me me cellSa-t-elle
bientót de se réunir. Les questions de liberté, les
questions capitales et quelques autres ne pouvaient
etre jugées dans la cour du centenier; celle du
comte, el plus tard celle des envoyés ro} aux ( missi
dominici), avaient senles le droit d'en décider (1).


Ce sont bien 18, les élémens .d'un systeme d'insti-
tution9 libres. L'orgauisation hiérarchique de ces
plaids locaux n'est que l'application des anciens
príncipes, d'apres lesquels les Germains se gouver-
naicnten Germania , a leur nouvelle situation.


. Mais ceUe situation enfantait en meme temps un


l' Hi.Wire dll Droit r01llllin daiJ, femoyen dge, par M. de Sol VI&IIT.
t. J, p. 157, et l' E.prild.8 in.tillltioru,jtldiciaire., parM.lIbTEtI,
tomo 1, p. 380. Je suis cependant porté apenser que le cours des
chosestendaita ce que le les comtesetautres officiersroyauxlpris-
sent peu a peu une part directe aux jugemens, et que cet~e par-
ticipation commen"a plus tot que ne le croient les savans que·
je viens de citer.


(1) • lIt ante vicari~m ct centenarium de proprietate IInt
libertate judicium non termineturaut adqniratnr,luisisemper.in
prresentia missarum imperialium aut in prresentia comitum .•
(Cap.Car. M.a.81O,§u,ap. Bu. t.I,'p.473.)-.m nulIushamo
in placito centenarii neque ad mortem neque ad libertatem
suam amittendam, aut ad res reddendas vel mancipia jndice-
tur ; sed ista aut in prrescntia camitis vel missorum nostrorum
judicentur .• (Cap. Caro M. a. 812, § IV, ap. BAL. t.l, p. 497.)
Ces restrictions 11 la compétence des plaids tenus par le cente-
nier cxistaient-elles déja au commcncement de la premiere race?
le ne saurais lIaffirmer.


2.




14 DES II'ISTITUTlOIIS POLITIQUES EN FRANCE
autre systeme. Le pouvoir s'aUachait au domaine.
A cóté des assemblées d'hommes librea et de leur
joridiction, parait la juridiction des pl'opriétaire.
sur les\habitans de leurs biens.


Institutions aristocratiques.


On a longuement débaUu l'origine des justíces
seigneuriales. On les a considél'ées comme Une
usorpatioD i tantot des libertés publiques, tantót
du pouvoir royal (1). L'usurpatioll, si la nécessité
peut porter ce Dom, appartient a une époque pos-
térieure. Quant a Ieur origine. les justices seigrieu-
riaIes 80nt contemporaines des assemblées d'hom-
mes libres el de la jUl'idiction des officiers royaux.
Le propriétaire d'un gl'and aUeu -ou d'uo grand
bénéfice, entguré de ses compagnons qui con ti-
nuaient de vivre aupl'es de lui, des colons et des
serfs quí culti~-aient ses terres, leul' rendait la
justice en qualité de chef de celte petite société;
lui aussi tenait dans ses domaines une sorte de pla.id
ou les causes étaient jugées, tantÓt par lui seul ,
tantot avec le CODcours de ses hommes libres. (2).


(1) De la monarchie franfaise, par M. de MONTl08IEI\, t. 1,
p. 378; Esprit des lois, liv. 3U, chapo 20; MaLY, Obserflatio1l8
sur l'Mstoire de Franco, 1, 313-326.1l1. I!lignet a fortbien.ré-
sumé et résolu cette question dans son Essai sur la féodalilé el
les irls/ilulion. de saín' Louis, couronné en 1821 par I'Acadé-
mie des inscriptions. (Part. 1, chapo IV, et les notes.)


(1) HULUUNN, "ist. de l'origitlede& Ordres, p. 16-18.




UD V· AD X· SIECLI\. 11';
Les plus anciennes ordonnances des roÍs indiquent
que la juridiction des corntes et des centeniers
ne s'exer~ait pas dans les bénéfices -des fideles
royaux (1); ~Iles enjoignent aux éveques et RUX
hornmes puissans de ne faire rendre ]a justice que
par des juges J;lris sur les lieux memes (2). Enfin
presque toutes les concessions de bénéfiqes éta-
blissent expressément la juridiction du hénéficier (3).


Ainsi, dans chaque localité , les pouvoirs in di vi-
duels, inhérens au dornaine, existaient a cóté des
pouvoirs publics , émanés de la délibération com-
mJIne. Le propriétaire gouvernait et jugeait dans
ses terres aussi bien que les hornmes libres dans
l'assemblée de ]a centene ou du comté.


(1) Tel paraU étre le &en. dll' décret de Cbildebert sur la
poursuite des voleurs et la loli,iarité des centene.; (Ap. BAL.
t. 1, p. 19')


(2) • Episcopi vero vel potentes qui in alid possident regio-
nibus jud ices vel missos discussores de a\iis provinciis non ins-
tituant nisi de loco qui justitiam percipiant eteHis reddant .•
(Edict. Chloth. 11, a. 61~, § :<lX, ap. BAL. t. 1, p. 24.)


(3) Diversas formuleli de ~Iarculf, portant cpncession de bé-
nélices, atatuent: • Ut nullns judex publiollll ad Clausas au-
diendo aut freda undique exigendum nullo unquam tempore
non proosumat ingredere, sed boo ipse pontifex vel successores
ejus ... sub ,integral emunitatis nomine valeant dominare.
(Mue. Form.lib. 1, cap. 3, et pa8sim.) On peut voir aussi une
foule de chartes de Pepin , Charlemagne et ~ autres, con "U es en
termes analogues. (Recueil desllistoriensde Franco, t. v, p. 709
et suiv.)




16 DES I1'lSTITUTIOIIS POLITIQUE8 EII' FRAl'ICE


IDstitutioDS monarchiques.


Le~pouvoir royal s'exer¡;ait en meme temps dans
chaque circonscription territoriale; et y possédait
une véritable j uridietion. 11 se peut qu'en Germa-
nie les comtes, les eenteniers et autres magistrats
locaux fussent électifs; plusieurs cireonsfances sem-
blent l'indiquer. Maia, apres la conque te , ils pa-
raissent avec le caractere d'officiers royaux. Je suis
porté a croire. et je l'ai déja dit, que dans les pre-
miers temps leur nomination ne fut pas tout-a-fait
arbitraire; I'offiee de comte dut appartenir natu-
relIcment a l'humme le plus considérable, au chef
le plus fameux de chaque district ; et le roi. en le
chargeant de présider l'assemblée des hommes li-
bres et de marcher a leur tete dans les expedi-
tions militaires, reconnaissait une prééminence déja
établie bien plutot qu'il ne l'invcstissait d'un nou~
veau pouvoir •• Le duc qui gouverne chez les Ba-
varois, " est-il dit dans la loí de ce peuple rédigé6
apres sa réunion a la monarchie franque, • a tou-
II jours été et doit toujours elre de la race des Agi-
11 lolfinges, paree que nos prédécesseurs leur ont
1I promis qu'ils nommeraient toujours, ponr etre
,. leur duc, un homme de cette famille, a conditíon
" qu'il serait sage el fidele au roi (1)." Louis-Ie-


(1) • Dux vero qui prooest in populo ille semper de genere
Agilolfingorum fuit et debet esse, quia sic reges aDtecessores
Dostri eonccsserunt eis ut qui de genere ilIorum fidelis regi erat




UU v· AU x·' S¡f¡CLa. 17
" Débonnaire permet aux: Espagnols, qui se réfu-
gient dans le midi de ]a GauJe, de s'y établir avec
leurs comtes qui continueront de les gouverner (1) ;
1'autorité de ces comtes était done antérieure et
n'émanait point d'une délégation royale. Il en dut
etre ainsi pour les diverses bandes des Francs eux·
memes, au pr!lmier moment de l'établissement. Mais
J'importance toujours croissante de la eour, la disper-
sion d~s hommes libres et la nécessité de maintenir
quelque unité entre les diverses parties du terri-
toire assurerent hielltót au roi, sur la nomination
de ces magistrats locaux, une influenee plus dírecte
et plus arbitraire. L'amovibilité des eomtes est at-
testée par tous les monomens de lapremiere race (2).


et pmdens, ipsum constituerem ducém ad regendum populum
ilIum .• (Lex Baiuv. tito 11, cap. xx, S m.)


(1) Voyez l'ordonnance de Louis-Ie-Débonnaire, rendue en
BI6 sur les plaintes de ces réfugiés. (Ap. Bu. t. 1, p. 569-572.)


(2) La formule de MarcuIfpour la collation de ces emploisle
prouve directement: • Prrecipue regalis in hoe perfeeta con-
laudatur c1ementia ut in ter cunctum'populum bouitas etvigilan-
tia requiraturpersonarumj nee facilecuiJibetjudiciai"Íam conve-
nit committere dignitatem nisi prius lides et stranuitus viden!ur
esse probatlll. Ergo dum et lidem et utiIitatem tuam videmur
habere compertam, ideo actionem comitatus, ducatus, patri-
¡;iatus in pago illo quem antecessor tuus ilIe usque nune vislIs
est egisse, tibi ad agendum regendumque commisimus; ita ut
semper erga regimen nostrum lidem inlibatam custodias, et
omues populi ibidem commanentes, tam Franci, Romani , Bur-
gundiones et reliqulll nationes sub tuo regimine et gllberna-
tione degant et moderentur j et eos recto tramite secundum lc-
gem et consuetudinem eorumregas¡ viduis etpupillismaximus




18 DES IlfSTITUTIORS POLITIQUES Elf lRAI'ICE
Les avantages direcls et indirects attachés • Icur
office etcitaient Tambition; on la rechercha aUllt!i
avideínent que les bénéfices; on s'y fit nommer
OH maintenir a prix d'áTgent. En lS74 " le comta
II Péonius envoya son fils lUummolus porter des
» présens au roi Gontram, pour obtenir d'ctre con-
)\ firmé dans son office; Mummolns remit les pré-
.. sen s , mais sollicita le comté pour lui-meme, et
II supplanta son pere qu'il auraít du servir (1). ,.
Des que les choses se passaient ainsi , il était plus
facile aux leudes da roi qu'a tout nutre d'obtenir
ces magistraturas; elles devinrent la r~compensedes I
services de cour; les jemies gens élevés aupres do.
prince allerent souvent, enqualité de comtes, s'en-
richir dans les provinces ('2)"et le monarque eut
ainsi, dans chaque di&trict, un délégué qui tenait
de lui seul son pouvoir.


defensor appareas j lafronum et malefaetorum seelera a te severis-
'imereprimantur; utpopuli bcneviventes sub tuore¡¡iminegau_
dentes deJíeant eonsistere quieti; et quidquid deipsa actione in
fiad ditionibus speratur, per vosmetipsos annis singulis nos-
trIs rerariis inseratur .• (Mue. Form. tib. rl,! cap. VIII.) On ren-
contre a chaqlJe page dans Grégoire de Tours des nominations
et des destitutiona de ducs et de comtes: en 587, sous Childe-
bert 11, • nonnnlli etiam .• primatu ducatu9 remoti sunt, in
quorum ordinem aUi sDccesserunt, etc .• GREG. Tua. lib. IX,
cap. XII; Colleef. des M6m. t. 11, p. 19.


(1) GII.BG. Tua. lih. IV, cap. XLII; Colleet. des Mém. t. 1,
(2) " Quod si regius puer ... ad eum gradum comitis ascende_


rit, 300 sol. mulctetur .• (Le", Rip. tit. L1I1, cap. m.) - Si
quis sagibjlronem qui puer re¡¡is: fuer~t, oceiderit, 3Of) sol.
pulpabilísjudicetur.» (Le", Sal. tito LVI, cap. 11.)


/




..


DV V· AV X· 5IECLE. 19
Il nommait aussi les ducs, lelt patrices, les mar-


graves'ou comtes des frontieres; et, par leur nature
meme , ces emplois dépendaient encore pIlls étroi-
tement de son autorité. Beaucoup de savana ont re-
gardé les ducs comme des magistrats shpérie1l:rs aux
comtes et égarement investis de la juridiction civile.
La formule de nomination que nousa cODservée
Marcu]f pourrait le faire croire, car elle ne fait,
entre les pouvoirs des ducs, des patriees et des como '
tes, aucune distinction. Tout indique cependant que
les ducs et les margraves étaient surtout des officiers
militaires, chargés de commander quelque expédi-
tion ou de veiller a la dMense du territoire (1). Ace
titre" ils tenaient dll roi tous leurspouvoirs; el si plus
tard ils en profitereIit, commeles corntes, pout"se
rendre indépendans; -ce-n'en est pas móÍft8 3U nomo
bre desinstitlltions monarchiqu~ 'que Jemo 'existence
primitive doit etre rangée.


Ainsi coexistaientet marchaient paraMémentdes
l'origine les trojs systemes d'instítutions ou pIutót les
troís tendances politiques dont le mélange et fa Intte
devaient déciderde]a destinée despeuples. Ainsi
l'antorité et la juridiction appartenaient simultané-
ment aux assemblées d'hornmes libres, aux grand
propriétaires et aux délégués ciu roí. Ains~ le prin-
cipe de la délibération commune, celui de la subor-


(1) Voir a ce sujet, SUUVE, Corpus Mstori/B germanic/B,
t. 1, p. 117; SHIGNY, Níatoire duDroil romain, etc. t. 1, p.159;
HULL!IIANN, Rís/aire del'origine de, Ordres, p. 44.46.




20 DES INSTIT1l'rIONS l'OLlTIQlll!S EN FUNCI
dination d'.homme a homme et celui de l'UIlité du
pouvoir central paraissaient et agissaient cóte l cóte
dans cheque Jocalité.
" Ilest impossible de suivre de pres, dans l'épou-
vantable désordre qui régnait sous les Mérovingiens,
les vicissitudes de ces trois systemes. A peine par-
viendrons-nous a les démeler dan s les institutions
centrales ou elles sont nécessairement plus apparen-
tes. Les institutions locales disparaissent, pour ainsi
dire, au milieu de la confusion et de la violen ce qui
possédaient seules le pays. Que pouvaient elré 1'au-
torité des assemblées d'hommes libres ou des officiera
royaux daos IAurs districts el celle des pt:0priétaires
dans Jeurs domaines quand la propriété, la liberté


, et les of)i{Jes étaient constamment en pr~i.e am usur-
patioDs et aux hasards de la force? Quelques rlÍsul-
tats généraux', faciles a présumer, se laissent seule
entrevoir.


Le srsteme des inclinations libres alla déclinant
de jour en jour. Les plaids locaux furent présque
déserts. Parmi les hornmes qui auraient dO. s'y ren-
dre, les uns, devenus riches et forts par eux-memes,
ne songeaient qu'iI s'affermir dans leurs domaines,
et ne s'inqu'iétaient plus de la eommunauté dont ila
n'avaient plus besoin; les autres, ne trouvant dans
ces assemblées a.ucune protection effieaee, cher-
ehaient ailleurs quelque garantie a ce qu'ils pon-
vaient conserver de liberté.


Les institutions monarehiques fureut quelque
temps en progres; majs ces progres, faits d'abord




DU Ve AV X· SIBI. 21
::tux dépens des institutions libres, se firent bientot
aux dépens de la royauté. Les ducs, les comtes , les
eenteniers ne s'occuperent qu'a s'assurer qes dornaj-,
nes et a faire perdre a Ieur autorité son earactere
de délégation. lIs cODvoquaient les plaids; majs dans
l'unique vue de multiplier Jesoecasjons de compo-
sitions et d'amendes dont il leur revenait une parto
lIs se prévalaient du noro du roi, rnais pour exploiter
a leur profit la force qu'i1s en retiraient. Les essais
du systeme monarchique n'aboutirent qu:a fournir
aux magistrats ]ocaux de nouveaux moyens de s'en-
richir et de se rendre indépendans.


Le systeme aristocratique fut done le seu} qui ga-
gnat vraiment du terrain. Mais, au mílieu du vm·
siecle, il n'avait, eneore acquis aucune régularité
au. dedans, ancune stabilité au dehors. Toute orga-
nisationlui manquait. Lesrelationsd.es propriétaires
libres, Boit entre eux , Boit avee les habitans de leurs
domaines, n'étaient régies par aueun principe con-
venu, ni soumises a aueune forme dét~rminée. La
force seuley présidait. Nulle juridiction n'était assez
sure pour devenir légale, nuUe coutume assez res-
pectée pour se convertir en institution. Il y avait
guerre eontinuelle entre les forts, oppression contj-
nuelle et déréglée des forts sur les faibles; On ne ren-
eontrait dans les assooiations locales ni plus de ré-
gularité ni plus ~efixité que dans la société générale.
La dissolution et le désordre n'étaient pas mOÍndres
dans chaque comté que dans l'état.


Telle était la France a ravénemcnt de la se conde
TOME 11. 3




22 DES INSTITllTION8 POLlTIQ1lES IN FBANCE
race; la coexistence et la lulte des trois systemes
d'institutions dont je poursuis la trace n'y avaient
pas eu d'antre résuItal. C'est de ce chaos que Char-
lemague fit, pour un moment, une monarchie.


Quiconque s'étonnerait de ce triompbe passager
du systeme monarchique n'aurait compris ni ce
qu'est un grand homme, ni ce que veut au fond
tonte société.


Petite on étendue, civilisée ou barbare, ce qu~elle
cherche, ce qu~elle invoque, C't'st l'empire de la
rai80n, de la justice, le regne du pouvoir Iégitime.
La réside l'uuique et dernier but de toute réunion
d'homrues; toutes les formes de gouvernement, tou-
tes les institutions, toutes les garanties ne 80nt que
des moyens.


Pour que la société puisse déconvrir elle-meme
]e pouvoir légitime, et l'extraire, pour ainsi dire, de
son propre sein, il faut ou que sa situation soit tres-
simple ou que le développement moral des hommes
y soit tres-grand. e'est pourquoi les institutions
libres ne se rencontrent que dans le berceau des
J,euples ou au plus hant période de la civilisa-
tiOD.


Quanclla société s'agrandit el se complique ~ans
s'éclairer, elle tombe 80US le jOllg de la force; la
force prend seule possessiou du pouvoir el demeure
seule en possession de la liberté. Alors disparait tout
ordre public, loute regle el toule autorité vraiment
socialc; alors les libertés memes sont le plus grand
obstacle a la découverte et a l'établh:sement du pon-




DU Ve AU X· SltCLI.


voir légitime, cal' elles ne consaerent que l'indépen.
dance et la volonté arbitr~ire des forts.


Qu'au milieu du choe de ces foreesbarbares, de
ces Iibertés anti-sociales, survienne un grand homme,
un. de ces esprits élevés et puissans, capables de con-
cevoir le but de la société et de prétendre a l'attein.
dre, iI sera nécessail'ement poussé a fonder un
pouvoir unique, despotique meme , et les peuples
l'accepteront avec trllmpor't. lIs ne prennent point le
change sur leurs besoins véritables ; ils ne sacrifient
point le but aux: moyens. Il y a plus de raison, plus
de justice dans la }Jensée et dans la volonté du grand
homme que la société, livrée a elle-meme, n'en peut
imposer aux: forees brutales qui la possedent, le 8y8-
teme monarchique prévaudra; le grand hommeoo-
minera seul.


Qu'on y regarde : au sortir de l'enfauee des peu-
pIes, dans la 'premiere période de leur existenee .
agrandie, c'est toujours a des gouvernemens de celte
sorte qu'ont appal'tenllIeur connaissance et leur ad-
miration. La Greee éleva Hereule et Thésée au rang
des dieux paree qu'ils avaiént purgé les rorets de
monstres et les campagnes de brigands. Des néees-
si tés et des travaux: analogues ont fondé'le pouvoir
et la gloire des despotes des temps barbares. lis ont
fait, eontre les monst __ es de la société, ce que faisaient
RercnIe et Thé8ée contre les montres de la nature.
lis se 80nt approprié tous les pouvoirs, mais leur
pouvoir était plus légitime que tout autre; ils ont
donné leur volonté pour loi, mais lel1f ~olonté po~:;<:, ,


¡~
\. ':;.


"" .... _:-/·!.~I t




24 DES Il'fSTITVTIONS POLITIQUES 2[1( FRA.{CI
tait partout plus d'équité, plus de raison qu'it n'y
en aurait eu sans elle. IIs ont introduit en6n, dans
la société en proie a la dissolution et a la force,
quelque unité, quelque regle; la société mí leur a
point demandé de garanties contre eux-memes, car
eux seuls étaient capables de lui en donner contre
tous ses désordres et tous ses tyrans.


Tel fut l'empire de Charlemagne; ~el est, je pense,
l'unique point de vue d'ou l'on puisse le comprendre
et le juger. Les uns, en le traitant de conquérant el
de despote, ont prétendu luí retirer sa gloire; les
autres, pour l'admirer san s scrupule, en ont fait un
fondateur d'institutions libres, un souverain COQsti-
tutionnel. Je mi sais en vérité lesquela ont le plus
étrangement méconnu et le prince et le peuple,
le gouvernement de Charlemagne et l'état de la 80-
ciété. Je vais reprendre les faits.


De l'administration de Charlemagne.


A l'avénement de Charlemagne, dans chaque cen-
tene, dans chaque comté, les institutions libres,
aristocratiques et monarchiques étaient, je rai déja
'dit, a peu pres également désordonnées ou impuis-
santes. Son pere et son grand-pere al'aient bien déjA
essayé de porter quelque remede a celte dissolution
de la société et du pouvoir. Charles.Martel avait ré-
primé, a main armée, cette multitude de petits ty-
raDS qui s'arrogeaient partout l'empire (1) et les as-


(1) • Rebus bellicis opersissime insistens, tyrannos per to-




DU Ve AU 1" SI1CLB.


semblé'es générales de la nation, comme on le verra
plus tard, avaient repris, sousPepin, quelque impor-
tance dans l'état. Maís 'la nature meme de la révolu-
tion qui éleva la famille des Carlovingiens ne per-
mil pas, aux premiers d'entre eux, de s'ínquiéter
beaucoup de l'adroinistration des provinces. Quand'
celte seconde invasion de la Gaule fut définilivement
consommée, alofs seulemellt on put gouverller, et
Charlemagne gouverna en effet.


Les institutions libres périssaient ; les homroes li-
bres ne venaíent plus aux assemblées de la centime
ou du comté, et le droit de convoquer ces plaids
locaux n'était, pour les centeniers ou les corotes,
qu'un mOfen de s'enrichir par le produit des amen-
des infligées a ceux quinégligeaient de s'y rendre (1).
tam Franciam dominatum sibi vindicantes oppressit .• (C"ron.
Cenful, dan s le Recueil des historiensde France, t. 111, p, 352,)


(1) • De vicariiset centenarii. qui magis propter eupiditatem
quam propter justitiam faeiendam srepissime placita tenent,
et exinde populum nimis amigunt, etc,,' (Cap. Lud. p, á. 829,
ap. Bu. t, 1, p. 671.) - Une ordonnance de Louis-Ie-Jeune',
rendue en 1145 pour la ville de Bourges, nous apprend que cet
abu! seperpétua bien avant dans le moyen-lige et jusqu'a une
époque 011 I'on eroit communément que toutes les traces des
anciennes institutions avaient disparu : • Prrepositus autem at-
que vigerius, quotieseumque volebant, halbannum (l'assemblée
des hommes libres) submonebant et villanos sese redimere
coereebant; de quo quoque prreceptum ab ipso est ut ilIa proo-
ceptio halbanni relllaneat et halbannum tamen ter in anno fiat
termino competente sine ulla redemptione, ne rastici sua neo
gotia 3lUittant; et hoc consilio bonorum virorum ipsius civita-
tis. (Voir le glossaire de Ducange au mot Halbannam, t. 111 ,


3,




26 DES IIISTlTUTIOIlS POLlTIQUIS 111 FRAileE
Pour fairecesser ces vexations, Charlemagne restrei-
gnit a trois par an le nombre des plaids auxquels les
hornmes libres de chaque circonscription seraient
tenus d'assister, et ordonna qu'en tout autre cas 1'0-
bligation n'atteindrait que ceux qui y seraientappelés
par leurs propres affaires (1).


Cependant aux proces il fallait des juges. A ce titre
paraissent sousCharlemagne les 'scabini ou échel'ins,
dont sept au moins, sur la convocation du centenier
ou du comte, sont tenus de se rendre aux plaids, et
qui, depuis ceUe époque, rernplissent constamment
l'oflice de magistrats locaux (:2).


p. 1040, dont il méconnait le vrai sens, et les OrclotlnOnC68 des
roís de France, t. 1, p. 9.)


(1) «Ut nullus ad placitum banniatur nisi qui causam suam
qurerit aut si alter ei qurerere debet; exceptis scabinis septem
qui ad omnia placita prreesse debent. (Cap. Caro Mag. a. 803,
§ 20. ap. Bn. t. J, p. 394; a. 809, § 13, ibid. t. 1, p. 465.) -
• De placitis siquidem quos liheri homines observare debent,
constitutio genitori. nostri penitus observanda atque tenenda
est, ut videlicet in anno' tria solummodo generalia placita ob-
servent, et nullus eos amplius placita observarecompellat, nisi
forte quilibet 3ut accusatus fuerit, aut alium accusaverit, ant
ad testimonium perhibendum vocatus fuerit. Ad cetera vero
qure centenarii tenent non alius venir e jubeatur nisi qui aut
litigat, aut judicat, aut testificatur.» (Cap. Lud. P. a819,
§ 14, ap. Bn. t. 1, p. 616.)


(2) Les deux plus anciens documens ou les 8cabi1li apparais-
sent clairement comme des magistrats sont: l° UD plaid teou
en 780, dans la Flance mél'idionale, devant plusieurs .scabi-
nos ipsius civitatis aut bonis hominibus qui cum ipsis ibidem
aderant. » Gallia cJ.ristiana, t. 1, lns/rum. p. 106); 2' unordre




DU V· AU X· sl1!CLE.


On a long-temps confondu les Bcabini des capi-
tuluires earlovingiens avec les rachimburgi, ahri-
manni ou boni homines des anciennes lois barbares.
e'est une erreur. L'institution des .'cabini fut préci-
sément amenée par la négligenee des rachimburgi
a se rendre aux plaids. Les hommes libt:esabandon-
naient leur droit de se juger les uns les autres; pour
etre assuré de ne pas manquer dejuges, on créa une
classe de magistrats ; il Y eut dans chaque district un
certain nombre de juges ou scabini pour qui eeUe
assistance fut un devoir légal. Avant Charlemágne le
mot scabini ne se rencontre que dans deux ou trois
monumens d'uneauthenticité au moins douteuse (1);
et les mouumens postérieurs ainsi que les capitulaires,
les présentent toujonra comme des magistrats per-
manens, spécialement assujétis a l'obligation de ju-
ger (2), el distincts des hommes libres en 'général,


de Charlemagnc qui, en 789, «Injoint au comte Trutmann • ul
super vicarios et scabinos quos snb se habet diligenterinquirat .•
(Ap. Bu. t. 1, p. 250.)


(1) S&YlGl'!T, Bis/oire du Droit "omain da'l. le f1Wyen-age,
t. 1, p. 197, noto 72. '


(2) Toutes les dispositionsrelatives aux 6cabinile!lrattribuen t
implicitement ce caracterej onles destituej onles nommedansles
actes auxquels ils concourent, ils sont appelés tantOt seabini,
tant6tjudiees, et presque toujours expressément distingués,
par cette derniere qualilication, des simples hornmes libres
(honi homine,), qui prennent aussi part uu jugerneot. Eolio
leur nom merne(schw1fen) signifiejugú, (Voír le Dictionnaire
allemand d' Adelung, au mot 8cheffen). On peut consultor' a ce
Bujet l' lIis/oire c/u D"oit romai1l darls le moyen áge (tom. 1,




28 DES INSTlTUTIONS POLlTIQUES EN PBANCIi:
qui conserverent cependant assez long-temps encore
le droit de concourir aux jugemens, quand illeur
convenait de se rendre aux plaids (1).


L'innovation était grave; le pouvoir judiciaire
passait ainsi du peuple a un corps de juges. Mais nul
ne se doutait qu'il y eut la. quelque mal ou quelque
danger; on ne croyait point perdre un droit; ceux:
qui voulaient l'exercer le pouvaient toujours; les
autres étaient délivrés d'une charge ; Charlemagne
ne voulait que réprimer des abus et pourvoir it une
nécessité.


La meme néeessité détermina le mode de nomi-
natioD des &cahini; s'ils eussent été électifs , le prin-


p. 195-222), ou M. deSavigny Il démontré avec la plus complete
évidence cette révolution survenue dans l'exercice du pouvoir
judiciaire.


(1) M. de Savigny a recueilli un grand nombre d'actes des
VIII' et IX' siecles qui nepermettent pas d'en douter. (Histoire
du Droit roma in , etc. t. J, p. 200-222.) Je n'en citerai que
trois. Dansun plaid tenua Narbonne en 783, siégeaientcomme
juges • duo vassi, sex judices (c'étaient les IMbint), quatuor-
decirn boni hornines.» (Histoireds Latlguedoc, par D. Válssette,
t. J, Preuv8s, p. 24; Baluze, t. 11, p. 1394-4396); danaun autre
plaid tenu ~aulSi a Norbonne en 821, • quinque judices, vel
.liorum bonorum hominum qui subter subscripturi ve! si~a
fBctorel aunt .• (His'oi,.e de Languer1oc, ibid. p. 55). Dans un
plaid tenu en 873, • judices quijussi sunt causas dirimere velle
gibu8 definire, id sunt quinque, Witesindo, Medemane, uniforte
Argefredo, Eigone j udicum ... vel aliis quam pIures bonis homini-
bus qui cum ipsis in ¡dem aderant. D (Bisloire de Languedoc-
ibid., p. 124; lIIUILL. De Rediplom. p. 643; Gallia Clirisl. t. VI;
IfI.lrum. p. 9.)




DU V· AU X· SltCLB. 29
cipe des institutions libres se fut tronvémoins com-
promis. Mably et d'autres publicistes ont pensé qu'ils
l'étaient en effet. La chose est pen probable en soi.
Des hommes libres qui tenaient si peu a leur droít
de se juger les uns les autresne devaient pas mettre
une grande importan ce a nommer eux-memes des
magistrats pourqui ceHe fonction n'était guere aussi
qu'un fardeau. Les publicistes se sont Iaissé tromper
par le langage des lois j elles parlent, il est vrai, de
l'élection des scabini dans l'assemblée du penple on
avec le consentement du peuple j mais lenrs termes
memes indiquent que cette élection n'était qu'une
désignation faite par le corote ou le centenier dans
l'asscmblée qu'il présidait, désignation a laqnelle les
assistans ne conconraient que par leurprésence et
en ne s'y opposant pas (1). On reconnait bien, dan s


(1) • Scabinei boni et veraces et mansueti cum comite et
populo eligantur et constituantur.. (Cap. Ca,.. Mag, a. 809,
§ 22, ap. BAt. t. " p. 467.)- • Ut in omni comitatu hi qui
meliores et veraciores inveniri possunt eligantur a missis nostris
ad inquisitiones faciendas et rei veritatem dicendam ; et ut ad-
jutores comitum sint ad justitias faciendas .• (Cap. Lud. Pii.
a. 829, § 3, ap. BAL. t. " p. 66~.) - • Ut missi nostri, ubicum-
que malos scabineos inveniunt ejiciant et totius populi con-
sensu in loca eorum bonos eligant .• (Ibid. S JI.) II est évident,
par, ces divers textes, que l'initiative et la vraie décision des
choix appartenaient ault déJigués du roi plutót qu'iI. l'assem-
blée. Du reste, quelques passages des anciennes lois barbares
me font croire qu'avant l'institution des 8cabini, lorsque les
j ugemens étaient rendus par les hommes libres en général, les
choses se passaient 11 peu pres de meme, et que le comte ou le




$0 IIES IIISTIT1l'rIOIl8 POLITIQUES 111 FRAiles
]e lieu et la forme de cette nomillation, qu,elque
reste des institutions libres, mais 11011 une éleQ\lon
véritable. Au fond le choix des scabini appartenait
aux officiers royaui, qui pouvaieot les destituer
quand ¡Is s'acquittaient mal de leufs fonctions, et
un capitulaire de Charlemagne donne meme a croire
que ce choix avait souvent líeu hors de l'assemblée
publique (1).


Ainsi le systeme monarchique prévalait dans le
sein meme des institutioos libres; les plaids locaux
n'étaient guere, pour le prillce, qu'une forme d'ad-
millistration, un moyen de pourvoir aux nécessités
du gouvernement. Il en réglait les époques et le
nombre, nommait et changeatt a son gré les magis-
trats, interdisait aux hommes libres de s'y rendré en
armes (2), car le maintien de l'o;:dre, de la paix pu-
blique était le plus impérieux hesoin de la société,


eentenier quí présidait I'assemblée, désignait aussí les juges; je
lis dan s laloi salique (tit. L1I, e. JI): ,Tune grafía congt'eget se-
eum septem rachimburgios idoneo., D ce '1ui indique un choix
fait par le eomte entre les rachimbourgs ; et dans la loi des AlIe-
mands (t. XLI, c. 1); • Nullus causas audire prresumat nísi qui
a duce per conventionem populi judex constitutus est ut cau-
sas j udicet .•


(1) • Ut missi nostri scabinos, advooatos, notarios per sin-
gula loca eligant et eorum nomina, quando reversi fuerint, se·
cum seripta deferant .• (Cap. Caro Mag. a. 803, § 3, ap. B.u.
t. 1, p. 393).


(2) • Ut nullus ad mallum vel ad placitum infra patriam
arma, id est, scutum et lallceam portet. D (Cap. Caro Mag. a.
806, § 1, ap. Bu. t.l, p. 449.)




DU Ve AU X· 8lEen 31
le seulpresque qui fút universellement senti; enfin
lorsque les grandes réunions d'hommes libres me-
na~aient le pouvoir royal au lieu de le servir, illes
supprimait absolument. e'est ce que fit Charlemagne
chez les Saxons (1).


Son intervention dans les institutions aristocrati-
ques n'était guere moins directe ni moins active. n
ne retira point aux seigncur8 la juridiction qu'ils
exer4(aient dans leurs terrcs, luais il étendit sur
eux sa surveillance. "Si quelqu'un de nas vassaux,
II dit-il, ne rend pas justice a ses hommes, que le
" comte et notre employé s'établissent dans 5a mai-
" son et vivent a ses dépens jusqu'it ce qu'il ait
11 rendujustice (2). Si des voléurs, dit.il ailleurs, se
II réfugient dans la juridiction de quelque seigneur,
II que les juges du lieu les remettent aux plaids du
» comte j celui qui négligera de le faire perdra son
» bénéfice, et s'il n'a pas de bénéfice, il paiera
11 une amende; il en sera de meme a l'égard de
" nos propres vassaux (3). " J'ai fait voir, en traitant


(1) • Interdiximus ut omnes Saxones generaliter conveutus
publieos nee faeiant, nisi forte missus noster de verbo nostro
eos congregare fecerit. Sed unusquisque comes in suo minis-
terio placita el justitias faciat; et hoc a saecrdolibus eonside-
retur ne aliterfaciat .• (Cap. Caro Mag. a. 891, § 34, ap. BAL.
t. 1, p. 256.)


(2) • Si V8SSUS noster justitias nOn fecerit, tune et comes et
missus ad ipsius casam sedeant el de suo vivant quous'luejus-
titiam faciat. , (Cap. Caro Mag. a 779, § XXI, ap. BAL. tomo 1,
p. 198 j Cap. Pipp. reg. ltal. a. 7!l3, § XIII; ibid. p. 545.)


(3) ,Ut ratrones de infra emullitatem illi judices ad comi·




32 DES Il'ISTlTtlTIOI'S POLlTIQUE8 EN FRANCE
des bénéfiees , avec quel soin Charlemagne inspee-
tait, entre les mains mema des bénéficiers, l'ad-
ministration de ceux qu'il leur avait eoncédés,
attentif a prévenir soit la détérioration des domaiu-
nes, soit leur couversion en propriétés allodiales et
indépelldantes (1). J'ai aussi montré quels fureut 5es
efforts pour affranehir le pouvoir royal de la féoda-
lité naissante, entrer en relation directe avec tous
les hommes libres de son empire, et lier au roi, á
titre de sujets, cellX qui ne lui étaient point subor-
donnés comme vassaux (2). Enlin il se réserva for-
mellemlfnt le jugement de toutes les causes entre
les éveques, les ~bbés, les comtas et tous les hom-
mes puissans (3), soumettant ainsi leurs débats a
son autorité personnelle, en meme tempe qu'il
surveillait, par ses délégués, l'llsage qu'ils faisaieut
de la leur.


Du v· au xe siecle , le regne de Charlemagne est
la seule époque 011 l'existence des grands proprié-


tum placita prresentent; et qui hoc non fecerit beneficium et
honorem perdat; et qui beneficium non habuerit bannuDJ 501-
vat; similiter et vassi nostri, si hoc non adímpleverint, beneli-
ciuro et honorem perdant. (Cap. Caro Mag. a. 779, fu; ap.
BAL. t.l, p. 197.)


(1) Vorez ce meme E.sai, p. 136.
(2) Voyez cememe E'8ai, p. U50-US3.
(3) • Ut episcopi, abbates, comites et poten ti ores quique,


si causa m inter se habuerint ac se pacificare noluerint, ad DOS-
tram jubeantur venire prmsentiam, neque illorum contentio
aliubi finiatur_. (Cap. Caro Mag. a. 812, § Il, ap. BAL. t. r,
p.497.)




taires et leur pouvoir daos lems domaines aient
vraiment subi , avec quelque régularité , le contróle
et l'action du pouvoir royal.


Des InstitutioDs mODarchiques sous Charlemagne.


L'étendue et l'efficacité de ce pouvoir, dan s la
sphere meme des institutions aristocratiques et des
institutions libres, étaient dues, on le devine, sans
peine, au développement des institutions monar-
chiques et a l'habile emploi qu'en savait faire le
souverain. Les offices publics, loin de n'etre, comme
sous les Mérovingiens, qu'un moyen de satisfaire,
aux dépens des provinceS', l'avidité des leudes du
roi ou du roi lui-meme, devinrent, sous Charle-
magne, les élémens d'une administration v~ri­
table qui portait et maintenait en tous lieux son'
autorité. Les ducs, les corotes, les vicomtes , les
centeniers furent bien réelleroent ses délégués et
ses agens. Les capitulaires attestent par d'innombra-
bIes dispositions le soin qu'il apportait a les choisir,
a les diriger, a faire en sorte que leurs fonctions
fusseot exercées dans l'intéret des peuples: " Que
» les comtes el leurs vicaires connaissent bien la loi,
JI ano qu'aucun juge ne puisse juger injustement en
» leur. présence ni changer indument la loi (1) ...
n Nous voulons et nous ordonnons que nos coro tes


(1) Cap, Caro Mag. a. 803. § IV, ap. BAL. t. 1, p. 396.
4




34 DES INSTlTllTIOIIS POLlTIQUES EII FRANCE
• ne remettent pas la tenue de leurs plaids et ne les
)1 abrégent pas indument pour s'adonnera la chasse
11 ou a d'autres plaisirs (1) ... Qu'lIucun cornte ne
• tienne ses plaids s'il n'est iljeun et de sens rassis(2) ...
11 Que chaque éveque, chaque abbé, chaque comte
" ait un bon greffier. et que les scribes n'écri-
" vent pas d'une maniere illisible (3) ...• Si un
• cornte néglige de rendre la justice dans son comté,
11 que nos envoyés logent chez luí jusqu'a ce que
" justice soit relldue (4) , etc.)I Ce ne 80ut point h\,
comrne on voit, des préceptes vagues, des recom-
maudations purement momles, telles que les
conseils du c1ergé ou quelque trouble de con-
science en dictaient souvent aux roia les plus im-
puissans ou les plusiniques, et qui u'avalent
d'ordinaire aucun résultat. Ce sont les injonc-
tions d'nn souverain qui entre daos le détail des
faits, porte un mil attentif sur la conduite de ses
délégués, et veut sérieusement prévenir le mauvais
usage du pouvoir.


C'était par l'institution des miss; dominici ou en-
voyés royaúx que Charlemagne exerc;ait efficacement
cette surveillance, faisait vraiment dominer le sys-
teme monarchique, et en maintenait l'unité en
rappelant sans cesse a lui, de tous les points de son
empire, l'autorité qu'il avait confié e ame ducs, aux


(1) Cap. Caro Mag. B. 807. § IV, ap. Bn. t. 1, p. 459.
(2) Cap. Caro Mag. B. 803. § XV, ibid. p. 393.
(3) Cap. Caro Mag. a. 805. §m, ¡bid. p. 421.
(4) Cap. Caro Mag. a. 779. §XXI, ap. BAL. t. r, p.198.




DU V· AU X· sII:CLB. 35
comtes, et meme ceUe que ces magistrats transmet-
taient a leur tour a leura infé"ieurs, vicaires, cente-
ni era ou échevins.


» Nons voulons, dit Charlemagne; qu'i\ régard
» de la juridiction et des affaires qni jusqu'ici ont
1I appartenu aux comtes, nos envorés s'acquittent
,. de leur mission quatre fois dans l'année, en hiver
)) au mois de janvier, dans le printemps au mois
)) d'avril, en été au mois de juillet, en automne au
II mois d'octobre. lis tiendront chaql1e fois des
II plaids OU se réuniront les corotes des c'orotés voi-
" sins (1). "


• Chaque fois que run de nos envorés observera,
" dans sa légation, qu'une chose se passe autre-
" ment que Iloua ne ravons ordonné, non-seule-
" ment il prendra soin de la réformer; mais iI nous
)) rendra compte avec détail de l'abus qu'il aura dé-
)1 couvert (2). a


" Que nos envorés choisissent, dans chaque lieu,
• des échevins, des avocats (3), des notaires, et qu'a
" leur retunr, ils 1l0US rapportent leurs noms par
" écrit (.4). »


" Partout OU ils trouveront de mauvais vicaires,


(1) Cap. Caro Mag. a.812, §VIII, ibid. p. 498.
(2) Cap.Car.Mag.a.812,§lx.
(3) Les ad11ocat' dont il est ici question étaient des Jieute-


nans du cornte, semblables aux '/Jicarii, 11ice-comítes, cente-
narii, elc. C'était surtout chez les Saxons que ce ~orn était usité.
(MOE"ER, Osnabriickiscne geschide, t. 1, p. 243.)


(4) Cap. Caro Mag. a. 803, § lIJ, ap. BAL. t. 1, p. 393.




36 DES INSTITUTlOIIS POLlTIQUES ElI FRAIICE
II avocats ou centeniers, ils les écarteront et en choi-
» siront d'autres qui sachent et vel\illent juger les
» aft'aires selon l'équité. S'ils trouvent un mauvais
» comte, ils nous en informeront (4). "


II Nous voulons, » dit Louis-Ie-Débonnaire qui ne
faít a coup sur que r¿péter -ce qui se pratiquait soos
Charlemagne, • que nos envoyés veillent soigneuse-
• ment a ce que chacun des hommes que nous aVODS
" pI'éposés au gouvernement de notre peuple s'ac-
II quiue de son office justement, d'une fa~lOn agréa-
" ble a Dieu et qui nous soit honorable a nous-memes
" comme utile a nos sujets. Que lesdits envoyés s'ap-
" pliquent done a savoir si les ordres conteDus dans
" le capitulaire que no~s leuravons remís l'an der-
II nier sont exécutés selon la volonté de Dieu et la
" notre. Nousvoulons qu'au milieu du mois de mai,
" nos envoyés, chacun dans sa légation, convoque
" dans un meme lieu tous les éveq ues, les abbés, nos
" vassaux, nos avocats, les vicaires des abbessesainsi.
" que ceux de tons les seigneurs que quelque néces-
" sité impél'iense empechera de s'y rendre eux-
D ruemes. Et s'íl est convenable, surtout a cause des
" pauvres gens, que celte réunion se tienne dans
" deux on trois líeux différens,que cela se fasse ainsi
" Que chaque comte y amene les vicaires, ses cen-
" teniers, et aussi troia ou quatre de ses plus nobles
» échevins. Que, dans cette assemblée, on s'occupe


(4) Cap. Caro Mag. a. 803, § 11/, ap. Bu. t. 1, p. 396 j a. 805,
§ XII, ibid. p. 426.




n d'abord de l'état de la religion chrétienne et de
n I'ordre ecclésiastiqne. Qu'ensuite nos envoyés s'in-
n forment,· aupres de tous les assistaIls, de la ma-
n niere dont chacun s'acquitte de l'office que nous
• luí avuns confié; qu'ils sachent si la concorde
n regne entre nos officiers et s'its se pretent mu-
n tuellement secours dans leurs fonctions. Qu'ils
II fassent celte recherche avec la plus soigneuse
" diligence et de telle sorte que nous puissions
" connaltre par eux la vérité de toutes choses. Et
" s'ils apprennent qu'il y ait dans quelque lieu une
• affaire dont la décision ait besoin de leur pré-
" sence, qu'ils s'y rendent et la reglent en vertu de
• notre autorité (] l .•


Ces citations n'oDt pas besoin de commentaire.
Le caractere politíque de l'institution des missi do·
minici s'y réve]e clairement. Par eux le systeme mo-
narchique acquérait autant de réalité et d'unité
qu'il en pouvait posséder sur un territoire immense,
couvert de forets et de plaines incultes, lIU mmeu
de la barbarie des mmurs , de la diversité des peu-
pIes et des lois, en l'absence de toute conitnunica-
tion réguliere et fréquente, en présence enfin de
tous ces chefs lucaux qui, prenant leur point d'appui
dans leurs propriétés ou dan s leurs offices, p.e ces-
saient d'aspirer a une indépendanoe abso]ue, et qui,
s'ils ne pouvaient se l'assurer par la force, l'obte-
naient souvent du seul fait de ]eur isolement.




38 DES IIISTITUTIOIlS POLITIQUES EII rRANCE
C'étilit surtout eontre l'isolement des pouvoirs


locaux que l'institutioll de& missi dominici était diri-
gée. Charlemagne prenait contre leur force des pré-
eautions d'une autre llature. "Jamais, dit un cbro- •
" niqueur, il ne contlait it ses eomtes, si ee n'est a
• eeux qui étaient situés sur les frontieres ou dans
" le voisinage des barbares, l'administration de plus
" d'un eomté. Jamais, a moins do motifs bien puis-
» sans, iJ ne eoncédait á un éveque, :8 titre de bé-
» néfice, une abbaye ou une église du domaine royal.
• Et lorsque ses cOIlseillers ou ses familiers lui de-
n mandaient pourquoi il agissait ainsi, il Ieur répon-
" dait: Avec ce bien ou ceete metairie, avec ceete petite
" abbaye ou cette église, je m' acquiers la {oi d' un f'iaual
" aussi bon, meilleur mente que cee évéque ou ce
" comte (1). ~ Ainsi, en meme temps que, dans le
présent, il portait partout sa surveillance, non moins
prévoyant qu'actif, il voulait empecher qu'a l'avenir
les grands fonctionnaires et les grands vassau" ne
rendissent plus difficile le systeme de gouvernement
qu'il essayait de fonder.


Je n'ai ene ore considéré ce systeme que dans les
institutions locales; mais déja, si je ne me trompe,
sa nature esl bien évidente. C'est le plus vigoureux
cssai da monarchia administrativa qui ait été tenté
depuis la fondation das états modernas jusqu'a Char-


(1) Monach. San. Gallens. de reb. gestis. Caro Mag. lib. 1,
cap. XIV; dans le Recueil des J.istoriens de france, t. v, p.1I1;
Col/cet. de~ Mém. t. IIJ, p. 188.




DU Ve AU X8 Rlten. ~9
les-Quint en Espagne, jusqu'au cardinal de Riche-
lieu en France. Qu'on ne s'exagere point la vaIeur
de ce terme; qu'on ll'attribue point a l'administra-
lion de CharIemagne des effets pareils a ceux dont,
neuf siecles plus tard, les-monarchies européennes
ont olfert l'exemple. Malgré tous ses efforts, le désor-
dre était immense , l'unité du pouvoir sans cesse
rompue ou déjouée; en mille occasions, en mille
lieux, les choses et les hommes lui demeuraient ab-
solument étrangers, et n'appartenaient qu'a l'empire
de forces irrégulieres et indépcndantes. Je n'ai pas
besoin d'insister de nouveau sur les causes qui s'op-
posaient aIors a la réalité du systeme monarchique ;
elles éclatent dans tous les faits, et nulle part aussi
hau\.ement que dans les mesures de Charlemagne
pour les surmonter. Mais que ce s ysleme ait préval u,
sous son regne, en principe et en fait, autant que le
pcrmettait I'état sociál, il est impossible de le mé-
connaitre. Dans les assemblées d'hommes libres, dans
les domaines des propriétaires, soit par une inter-
vention directe, soíl par une surveillance imminente,
le prince était toujours présent; tOI1S les pouvoirs
locaux émanaient de lui ou lui étnient subordonnés.
11 s'appliquait a en rendre l'exercice régulier et sa-
lutaire aux peuples, mais sans les laisser jamais
échapper de sa main, substituant partout, autant
qu'ille pouvait, son autorité et son actíon a I'aclion
el a l' autorité des pouvoirs spontanés el indépendans.


e'est la ce qu'aujourd'hui, et avec raison, on ap-
pelle le despotisme. C'étaít aussi le despotisme au




.40 DES INSTITllTIONS POLlTIQUBS EN FRANCE
vmo siecle, mais il seraít pu~ril de le juger par son
nom.Il n'avaít pasmanqué, 8vant Charlemagne, de
souverains impuissans et inactifs qui, si la nation en


, eut été capable, s'íl y eut eu seulement une nation,
n'auraient su ni pu l'empeeher de ressaisir et de fon-
del' ses libertés. 'Mais loin de faire un pas vers ce but,
la population, barbare ou romaine, qui occupait les
Gaules, s'était de plus en plus dissoute, était devenue
chaque jour davantage la proie de la force et du ha-
sardo Les germes d'illstitutiollS libres que les vain-
queurs avaient apportés de Germanie se perdaient
dans le nouveau sol oil. ils étaient transplautés. Les
élémens d'institutions aristocratiques que l'établis-
sement territorial avait fait naitre n'avaient aequis
aueune consistaDee, aUCUDe forme tant soít peu lé-
gale, et lI'enfalltaient que 'la domination dérég\ée
des fort8. Les premiers e8sais d'institutions monar-
chiques, telltés par les rois avec l'aide du c1ergé,
loin de tourner au pr06t de la sécurité publique et
d'introduire quelque régularité dans I'exereiee du
pouvoir, n'avaient gueres eu que l'avidité pour prin-
cipe et la spoliation pour efret. Charlemagne le pre-
mierrefusa d'aecepter, comme la condition nalurelle
d'nn peuple et d'un roi, eeUe hrutale et stupide
anarchie; le premier, il s'éleva aux idées de gouver-
nement, de nation, de loí, d'ordre public, et voulut,
en régnant, faire autre chose qu'assouvir des passions
ou des caprices personnels. 11 ne fonda point des
institutions libres; il ne soumit point sa volonté au
controle et au eoncours nécessaire de forceR ¡ndé-




DU Ve AU Xe SltCLE. 41
pendantes; il s'appliqua au contraire a la rendre
partout présente et partout souveraine. Mais, ce que
nul n'avait Cait avant lui, ce que pendaut plusieurs
siecles ne devait ten ter aucun de ses successeurs, iI
gouverna ses sujets pour eÚ,x-memes et non pour lui
seul, d'apres des vues générales, avec des intentions
publiques, préoccupé des besoios sociaux en meme
temps que de ses propres intérets. e'est hi ce qui
caractérise sa législation et son administration des
provinccs, et aussi, comme onle verra tout-a-l'heure,
ses lois et su conduite a I'égard des institutions pla-
cées 1IU centre de l'état. C'est la ce qui, du ve au 11116
siilCle, fait de lui un homme unique et immense. Au
milieu de la barbarie universelle, il n'appartenait
qu'au plus noble génie de concevoir ainsi la royauté
hors de l'égoisme, et de considérer la société , non
comme la proie de la force, mais comme le but du
ponvoir_


La pensée était d'antant plus grande que la ten-
tative était prématurée, et le succes purement indi-
viduel. On l'a beaucoup dit, mais sans en bien
démeler les causes. On a imputé l'état on tomba la
France apres Charlemagne, tantót a ses guerres et a
son despotisme, tantót a la faiblesse el a l'incapacité
de ses successeurs. C'est montrer a un peuple a la fois
trop d'indulgence et trop de mépris que d'attrib~er
ainsi a quelques hommes la disposition et la respon-
sabilité de sa destinée. Charlemagne, en imposant a
son vaste empire quelque ordre et quelque unité,
u'avait Cait que suspendre un 'moment le cours .de&




.4 2 DES III'STlTllTlOIlS l'OLITlQUES EN FBANCE
choses; le principe de l'ordre et de l'ullité était en
lui seul ; dans la société me me tout tendait au dé-
membrement, a la dissolution, a l'isolement et a l'in·
dépendance des pouvoirs locaux, c'est-a·dire, au
triomphe du systeme aristocratique. En expliquant
la chute des Carlovingiens, j' ai déja indiqué les causes
générales de ce morcellement du pellple el du pou·
voir (1). J'ai aussi montré, en traitant des bénéfices,
commellt, apres Charlemagne, ils devinrent décidé-
ment héréditaires, ainsi que la juridiction et tous
les droits qui y étaient attachés (2). Il ne me reste
plus qu'a faire voir eomment l'hérédité des offices,
en affranchissant de la royauté les seuls pouvoirs
locaux qui en fussent émanés, vint consomUler la
destruetion de toute unité politique ou sociate , et
livrer absolument la Franee au régime aristoeratique
qui, sallf l'intervalle 011 CharleUlagne retint toutes
choses sous sa main, n'avait pas cessé d'etre en pro-
gres.


De I'hérédité des otJ]ces royaux.


Bien que, jusqu'a Louis-le Débonnaire, les due8,
les comles, les centeniers et autres magistrats locaux
eussent toujours été amovibles, ces ofliees n'avaiellt
pas laissé de passer souvent des peres aux enfans.


(1) Voyez le lile Essai : De8 causes de la chute des MérolJin-
giens et des Carlovingiúlls, p. 67-85.


(2) Voyez le lV6 Essai: De fEtat socialetdesinstitutions po-
litiques, etc. chap.l, de l' Etat des Terrea, au ~ des Bénéficea,
... 122et 145.




DU V· .lU X· SltCLE. 43
L 'hérédité des prééminences sociales, soit qu' elle se
fonde SUI' des magistratures ou des richesses, est si
puissamment provoquée par les intérets personne]s,
que le despotisme le plus I'égulier et ]e plus ferme
ou une forte et habile organisation des Iibertés pu-
bliques peuvent seuls en prévenir l'établissement.
Le désordre auquella France était en proie sous les
Mérovingiens laissait a bien pen d'hommes ]a tran-
quille jouissance de Jeurs propriétés et des divers
avantages qu'ils possédaient; mais, en meme temps,
il favorisait tous les genres d'usurpation; et quand
une famille était assez forte pour se perpétuer dans
quelque oflice, le trone n'avait pas plus de garanties
eontre elle que d'autres familles n'en avaient ailleurs
eontre le treme pour la transmission de leurs biens
les plus légitimes. Leseh.roniques parlent fréquem-
ment de fils qui, a prix d'argent ou a main armée,
se maintiennent dans les charges de leurs peres; et
l'exemple de]a famille des Pepin possédant, pendant
plusieurs générations, la mairie du palais, nous in-
dique ce qui devait arriver plus aisément eneore a
l'égard des offices loeau".


Si l'anarchie n'avait été telle que les famil1es
meme duraient tres-peu, et ne s'élevaiant le plus
souvent que pour succomber bientot soos la violen ce
soit du prince. soit de leurs voisins, on peut croire
que, vers la fin de la premiere race, I 'hérédité des
offiees aurait completement prévalo. Aucuo obsta-
ele légal, alleune puissance publique ne la contint;
l'instabilité et le désordre uuiversels s'opposcren~/ .


I¡'Irf"'


;:1'
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\, ~~k, ..


(




U DES INSTIT'DTIONS POLlTIQ'DES IN PUNCE
seuls a ses sueees. L'hérédité des bénéfiees, sans
cesse réelamée, n'échouait que par les memes
causes.


Le désordre, suspendu par Charlemagne, recom-
men9aapres sa mort; mais il avaitchangé de nature,
et n'opposa plus a l'hérédité des eharges les me,mes
obstacles. Qllarante années d'un glluvernement plus
ferme et plus régulier que n'en avait connu la
Gaule depuis la conquete. avaient , jusqu'a un cer-
tain point, soustrait les familles aux continuelles et
destructives viciss,itudes qu'elles subissaient aupa-
ravan!', Les propriétaires s'étaient affermis dans leurs
domaines; les prépondéranees locales avaient pu
aequérir quelque fixité. Le nombre desbandes er-
rantes qui, sous les Mérovingiens, ne eessaient de
ravager le pays, était diminué; Charlemagne 1es
avait rejetées dans la guerre e:dérieure, ou répri-
mées. I,es hommes meme qui continuaient le métier
de brigands ne porlaient plus leurs courses en tous
sens ni au loin, et avaient, pour ainsi dire fixé leur
repaire. Les fortunes territoriales, les existenees
puissantes n'étaient plus, dans chaque lieu, sans
cesse compromises et bouleversées. Des que la main
deCharlemagne sefutretirée, lesfaibles redevinrent
la proie des forts; mais la force demeura plus long-
temps et plus surement a eeux qui la possédaient.
L'anarchie relltra bientót dans les rapports des sujets
avec le souverain; mais la dissolution fut plutot
politique que sociale, et si les domaines royanx:
étaient usurpés de toutes parts, c'était par des




DU V· AU XO SltCLE. 45
hommes qui commen~aient a s'établir fermement
dans les leurs. Ainsi les élémens de stabilité que le
gouvernement de CharlemA gne avait introdults dans
son empire tournaient au profit, non de ses succes-
seurs, mais des hommes cOllsidérables de chaque
district jet ceux dont la situation s'était consolidée
a la faveur de l'ordre qu'avait maintenu son pou-
voir, étaient en mesure de conquérir ~eur indépen-
dance, a la faveur du désordre que laissait renaitre
l'impuissance de ses eofans.


Cette indépendance fit bientót des progres rapides.
Les bélléficiers el les officiers royaux y préteodirent-
également, et s'entr'aiderent pour y parvenir. lIs
ne formaient point deux classes distinctes, dévouees,
par la. diversité de leur situation et de leurs espé-
ranees, l'une aux intérets aristoeratiques, l'autre a
ceux du gouvernement central. Lesducs, lescomtes,
Jes vicomtes, les centeniers possédaient de grands
biens dans les provinces qu'ils administraient au
nom du roi, et les étendaient chaque jout, quelque-
fois par d'imprudentes concessions, plus souvent par
l'nsurpation et la violence. Investis ainsi d'un dOllble
caractere, propriétaires d'uo pouvoir personnel en
me me temps que dépositaires d'un pouvoir délégué,
le premier leur servit de point d'appui pour changer
la nature du second; les deux caracteres se confon-
dirent; et quand l'hérédité des bénéfices eut pré-
valu, l'hérédité des olfices fut bientót conquise.


On la voit paraítre, sous Louis-Ie-Débonnaire,
comme une prétention qui s'empare du {ait sans sou


5




46 DES INSTlTUTlOl'IS POLITIQUES E\'I' 'BANCB
tenir hautemeut son droit; les souvellirs de Charle-
magne étaient encore vivans; son fils parlait le
meme langage; les missi dominici n'avaient pas cessé
de parcourir les provillces; il fallut un peude temps
pour que les officiers locaux apprissent qu'ils pou-
vaient dédaigner le 110m aussi bien que braver l'au,
torité de l'empereur. La eonduite de Louis, de ses
enfans , de ses ministres, leur inspira bientOt eeUe
confianee. Sous Charles-Ie-Chauve, l'hérédité des
offices était déja un fait si puissant que ce pTÍllce
ne put refuser de la sanctiollner par ses lois: "Si
" un comte de ce royaume vient a mourir, dit-il,
,. et que son fils soit aupres de nous, nous voulons
" que notre fils, avcc ceux de nos fid~les qui se
JI trouveront les plus proches parens du comte dé-
lO funt, ainsi qu'avec les autres officiers dudit comté
JI et l'éveque dan s le diocese duquel iI sera situé,
» pourvoient a son administration, jusqu'a ce que
" la mort du précédent comte nous ait été annoncée,
lO et que nous ayons pu conférer a son fils, présent
• a notre cour, les honneurs dont il était revetu.
lO Que si le fils du comte défunt est enfant, que ce
JI meme fils, l'éveque et les autres officiers locaux
1I veillent également a l'administration du comté,
JI jusqu'a ce qu'informés de la mort du perc, nous
JI ayons accordé au fils la possession des memes
1I honneurs (1). 11 Apres une telle 10i, le monarque


(1) • Si comes de isto regno obierit cnjus filius nobiscum sit,
filius noster cum creteris fidelibus nostris ordinct, de his qui




DU V· AU X· SI~CLB. 47
pouvait bien revendiquer encore la collation nomi-
nale des offiees, mais il est clair qu'il n'eu disposait
plus. Aussi, quand les sueeesseurs, de Charles-Ie-
Chauve veulellt s'opposer a l'hérédité, voit-on les
familles la revendiquer a main armée, comme leur
droit. Wilhelm et Engelschalk occupllient, sous
Louis le-Begue, dellx comtés sur les confins de la
Bayiere, A leur mort, leur office fut donné au comte
Arbo, au préjudice de leurs fils. "Ces enrans et
• leurs parens, prenant cela comme une grande in-
n justice, dirent que les choses devaient se passer
II autrement, et qu'ils mourraient par le glaive, ou
II qu' Arbo quitterait le comlé de leur famille (1). 11
Alors s'engageaient des guerres opiniatres; quáñd
le roi y remportait l'avimtage, il ne manquait pas de
rattacher aux anciennes prérogatives de la couronne
ces succes partiels et momentanés. Mais ses forces
ne pouvaient faire face a des prétentions qui écIa-


eidem comiti plus faliares propinquiores fuerunt, qui cum mi-
nisterialibu8 ipsius commitatus et cum episcopo in cujus parro-
cbia fuerit ipse comitatus, ipsum comitatum prrovideant us-
quedum nobis renuntietur ut filium iIIius qni nobiscum erit de
honoribusillius honoremus. Si Rutem filium panulum habuerit,
idem filius ejus cum ministerialibus ipaius comitatus et cum
episcopo in cujus parrochiaconsistit eumdemcomitatum prro-
videant donec obitus prrofati comitis ad notitiam nostram perve-
nerit, et ip se filius ejus per nostram concessionem de ipsius ho-
noribus honoretur •• (Cap. Caro Calc. ap. Carisiaoum, a 877,
§ IX, § m, ap. Bu. t. n, p. 363, 261.)


(1) Annalcs Fuldenscs ad ad a. 884, dans le Rccueil des
hislorwns de France, t. VII, p. 48.




.48 DES INSTITUTIOIIS POLlTIQUES EII FRAIICE
taient partout , et que des capitulaires avaient sanc-
tionnées. La pratique de l'hérédité devenait de jour
enjour plus générale et plus constante; le principe
s'affermissait chaqlle jour dans les esprits et dans les
lois. Quand les chroniqucurs de cette époque re n-
contrent quelque grande dérogation a ce qu'ils re-
gardent comme l'usage légal et le droit des familles,
¡Is se croient obligés d'en expliquer les causes (1).
Les sueces de l'hérédité des offices ne furent pas
également complets IJi rapides dans les divers états
qui se formerent des débris de l'empil'e de Charle-
magne; mais en France, avant que la race des Car-
lovingiens fUt éteinte, la révolution qui changea
ain1i le titre et la nature des pouvoirs locaux était
consommée; la lutte des trois tendances politiques
dont je viens de déerire les vicissitudes avait aUeint
son terme; le systeme monarchique était vaincu;
les traces des anciennes institutions libres ne subsis-
taient plus que dans quelqul's coutumes sans régu-
larité, dan s quelques faits sans eohésion; le systeme
aristocratique était en possession de la société.


Je n'ni pas besoin de dire d'avance que les insti-
tutions centrales suivirent le meme eours. Elles
étaient soumises aux memes influences, aux memes
nécessités.


(l) RREGIJ"lOll, 'ad a. 876.




DU Ve AU XC sllIeLE. .49


11.


Des J nstitutions centrales.


Elles se réduisent a deux, la royauté et les assem-
blées générales de la nation.


lo -De la Royaulé.


De I'origine et du mode de transmíssion de la Royauté.


Chez presque tous les peuples barbares, on aper-
~oit a fa royauté une double origine; l'une mili-
taire j il faut un chef a une tribu de guerriers er-
rans : l'autre religieuse; chaque peuple rapporte a
ses premiers héros, dont il a fait des diclJx, la filia-
tion d'une famille qui, a ce seul titre, devient l'objet
de son respect, et possede un certain pOllvoir.


C'est ce qui a fait dire a Tacite, en parlant des
G.ermains: . " Chez -eux, la valeur fait les chefs, et la
» noblesse les rojs (1). ~ II s'est trompé ,je pense, en
distinguant les deux fQDctions; ce n'est pas a ce
degré de la civilisation qu'elles peuvcot étre sépa~
rées et pourtant coexister. Mais iI a bien indiqué
par la le double principe de la royallté. Des soober-
ceau, elle se raUache au ciel et a la terre, aUJ; né-
cessités présentcs et aux traditions religieuses; elle


(1) DotJIorib. Germ. cap. VII.
5.




00 DES IIfSnTUTIONS POLITIQtJES E~ l'SANeB
prend racine en mema temps dans la force et dans
la foi.


Les guerriers germains élevent leur chef sur un
bouclier el le proclament roi. Les rois des Goths, des
Sax'ons, et la plupart des tribus germaines qui sont
devenues des nations, se disent issus de Thuiskon ,
on d'Odin, ou de quelque autre héros des lemps fa-
buleux qui a }Jris place parmi las divinités nationales.


Ces deux principes onl, sur la nature et le sort de
la royauté, des influences opposées. Par l'un, elle
esl conditionnelle, mobile, élective; par l'antre,
elle est indépendante, sacrée, héréditaire.


De la le mélange 'd'éleclion el d'hérédité qui se
rencontre, quant a la royauté, dans le premier age
des monllrchies modernes. De la ca fait presque uni-
versel que l'élection n'avait gueres líen qu'eutre les
mambres d'une saule familla investia du privilége
de donner au peupla ses rois.


On a cherché l'explication de ce fait dans la com-
binaison des coutumes germaniques avec les idées
chrétiennes ou juives et les lois romaines (1). Je ne
nie point que ceUe alliancene rait d'abord confirmé
et modifié plus tard. Maia iI est antérieur a la conquete
et ii la conversion des barbares; il avait ses causes
dans la nature meme de l'homme et de la société.
L'élection et la légitimité des rois sont presque con-
temporaines et toutes deux primitives.


(1) De Za mDnarchie franfais6, par M. de MOl\'TL0811l1 tomo r,
43-62.




DU Ve AV XO 8ltCLE. 51
Autant qu'on en peut juger en l'absence de. mo-


numens anciens et originaux, le principe de l'élec-
tion dorninait chez les premier's Francs. Tandis qu'iI
]a fete des Goths, des Ravarois et d'autres peuples,
parait, des l'origine, une famille héréditairement
royale, on rencontre une multitud e de roís francs
qui ne sont évídemment que des chefs élus par leurs
guerriers. J'attríbue ceUe différence au défaut d'u-
Dité de la nation franque, originairement formée
d'une confédératíon de tribus, non d'un seul peuple,
et divisée ensuite en un grand nombre de petites
bandes, dont les incursions et l'établissement sur
le sQl romain furent partíels et successifs. Chacune
de ces bandes ne pouvait avoir une famille dont
la filiation se Hat aux souvimirs religieux, el le mé-
rite militaire y devait décider seul d'une royauté
bornée et passagere.


Cependant les plus anciens textes qui parlent de
l'élection des rois francs dísent en memetemps qll'elIe
pla~a sur le treme une fami.le déja di~tinguée par le
privilége de porter seule une longue chevelure, ce
qui valutdes-lora a ces roís le surnom de chevelus (1).


(1) I Tradunt multi eosdem (Francos) de Pannonia fuisscdi-
gressos, el primum quidem littora Rheni ailinis incoluisse ; de-
hinc transacto Rheno Thoringiam (Tongriam) transmeasse,
ibique juda pagos et civitates reges crinitos super se creavisse,
de prima et, ut ita dicam, nobiJiori suorum familia.» (GREG.
TUR. lib. 11, cap. IX; Colleet. des Mém. 1,67.) - ,ElegeruntFa-
ramundum filium Marchomiri et levaverunt eum super se re-
gem erinitum .• (Gest. reg. Franc. cap. IV, daos le Recueilde8
.~.


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02 DES lNSTlTtl'l'lO~8 POLlTIQUES EI.'I FRAIICE
CC privilége, qUl demcura constamment, sous les
Mérovingiens, le caractere distinctif de ]a race
róyale, remonte done au-dclA des tcmps vraiment
historiques, et provenai! peut-etrc' de quelque
filiation religieuse dont le souvenir s'est perdu
pour nous,


Quoi qu'il en soit, apres l'établissement territo-
rial, et lorsque Clovis eut rallié sous sa domination
presque toutes les tribus franques, I'hérédittÍ du
trone ne tarda pas aprévaloir. C'ótait le résultatné-
cessaire de la prépondérance que possédait en falt
la famille royale, et aussi de I'indépendance OU vi-
vaient; a l'égard du roi, la plupart des chefs impor-
tans. Les uns ne pouvaient contester sa supériorité ;
les autres s'en inquiétaient peu, I1 est ridicule de
chercher, dans un tel état de moours, un príncipe
clairemcnt reconnn et fermement établi ; iI est vain


hisloriens de France, t. 11, p. 543.) - • Mortuo Framundo,
Chlodionem filium ejus crinitum in regnum patris ejus eleva-
verunt; tune temporis crinitosregcs in initium sublimaverunt .•
(Ibid. p. 544.) - • Jamais, dit Agathias, on ne eoupe les che-
• veu:.: aux rois francs; ils conservent leur chevelure des leur
• enfauce; elle tombe élégamment sur leurs épaules, et sur le
• front ils la rangent ave e soin a droite et a gauehe ... C'est la
• ehez eux un honneur et une prérogative réservés a la race
• royale; les sujets ontles cheveux coupés en rond, et il ne leur
,; est pas permis de les laisser croitrc .• (Dans le Ree. des hislo-
"iens de France, t. Il, p. 49.) Les relations généolagique~qu' 00 a
voulu établir entre les premiers rois franes sont arbitraires, et
avant Clovisaucune filiation réguliere ne saurait etre saisie. Ce-
pendant la famille chevelue se rcneontre, des l'origine, dans
presque tous les passages ou il est questioll de royau!é.




DU V' AU x." BI!¡CLII.


d' Y vouloir trouvcr des institution8 publiques savam-
ment combinées et constamment défendues. Les
Franes ne songeaient pas plus a disposer solennelle-
ment du tróne achaque vacance, qu'ils n'auraient
souffert que leurs rois se prétendissent propriétaires
de la nation et du pouvoir. Les choses se passaient
d'une fa~on a la fois moins réguliere etplus simple.
La royauté n'était ni élective> ni affranehie des
chances du désordre et des conditions de Jaliberté.
Alamort du roi, ses filshéritaient de son titre comma
de ses domaines; c'était la pensée commune qu'ils
avaient droit a I'UIl comme aux nutres; seulement,
pour que le pouvoir suivit le titre, ilssa sentaient
d'ordinaire dans la nécessité de faire reeonnaitre
leur dl'oit dans ~elque assemblé6, plus ou moins
nombreuse, des chefs el du peuple qu'ils devaient.
commander. Ainsi le principe de l'hérédité subsis-
tait, mais sous I'obligation de se faire souvent avoner;
les Franes ne se donnaient point un roi nouveau,
mais. Hs accer,taient assez communément le succes·
seur naturel du roi mort. Ni l'idée de la légitimité
ni cclle de l'á/ection n'avaient plus de consistan ca
et de portée. Le tróne appartenait héréditai'rement
a une famille ; mais les Franes s' appartenaienta eux-
mtllues, et sauf les cas ou intervenait la violence,
ces deux droits se rendaient· réciproquement hom-
mage en se proclamant run l'autre quand le besoin
s'cn faisait sentir (1).


(1) C'est lit le double fait qu'¡¡ est impossible de méconnai-




~" DES I!lSTITUTIOIIS POLlTlQlllS 211 P8A.IICII:
Rien neprouve mieux l'empire qu'acquit promp-


tement, au milieu de cette société barbar(l, le prill-
cipe de l'hérédité, que ce qui se passa a l'avene-
ment des Carlovingiens. J'ai décrit ailleurs cetta
révolution. Ce fut laconquete d'un pays par un pen-
pIe bien plutót que l'usurpation d'un hornme sur
une famille. Depuis prcs d'un aiceIe, ]a raée des
Pepin gouvernait les GauIes; celledes Mérovingiens
était Jombée dans la plus abjecte impuissanee. En
pleine possession du mérite et du fait, Pepin ne ren-
contre aucun obstacle j eependant iI eroit que ]e
droit lni manque j le peuple le croyait sallS doute
8ntoUl' de lui. 11 négocie avec le pape Zacharie, d'a-
bord en secret, ensuite publiquement ; illui fait de-
mander quel est]e vrai roi, cclui qni en porte le


tre dans les passages des historien. du temps qui ont été allé-
¡¡ués pour prouver, tantót I'hérédité, tantot )'élection popu·,
laire des rois francs. Jen'en citerai queqnelques-uns. En 481,
• Childerico hrereditario jure successit Clodovreus .• (AIJIIOllf,
de gesto Franc. lib. 1, cap. XII); en 575, ' tune Franciquiquon-
dam ad Childebertum aspexerant seniorem, ad Sigibertum le-
gationem mittunt ut, ad eos venines, derelicto Chilperico, su-
per se ipsum tegem stabilirent .• (GI.EG. Tul!.. lib. IV, cap. LU;
Calleet. des Mém. t. 1, p. 214.); en 638, • Chlodovreum filium
Dagoberti Franci super se regem atatuunt .• (Gest. esl Franc.
cap. xun); en 6~6, • decedente prrefato rege Chlodovreo,
Franei C~lotarium seniorem puerum ex tribus sibi regem sta-
tuunt .• (Ibid. cap. XLIV); en ~84, a principes sane Chilpericl,
quibus Ansoaldu~ primus erat , acceptum filium ejus Chlo-
tharium per cívitates regni ejus circumduxerunt et sacramenta
ex nomine ipsius ... susccpcrunt (AI_Ollf, do gesto Franc. lib. m,
cap. LVIII) ; etc.




titre ou celui qui en possede le pouvoir : armé de
la réponse .du pape, il se fait élire par l'assemblée
nationale, puis sacrer par le célebre saint Boniface.
Ce n'est pas tout; il reste dans l'espriL du peuple ou
du roi quelque inquiétude; le pape É tienne III vient
en France ; Pepin se fait sacrer de nouveau, lui,sa
femme Bertrade et ses deux fils (1). Et apres le regne
de Charlemagne, Eginhard, en écrivant la vie de ce
grand homme, dépeint la nullité et la turpitude des
derniers Mérovingiens avec une étendue, un,e com-
plaisance ou se décele encore le besoin de justifier,
ne fUt-ne qu'aux yeuxde l'écrivain lui-meme, la ré-
volution qui les a détronés si légitimement et avec
si peu d'efforts (2).


(1) Les dé.ails relatifs aUl: négooiations de Pepin ave e lepape
et 11 toute eeUe affaire n'ontété nulle part aussi bien reeueillis
et discutés que dans l' Histoire ele ,'Empare el eles Empereurs
germains, par le comte de BUr.BUJ (t. J, p.285-302, édit. in-4°;
Leipzig, 1732, en allemand).


(2) «Gens Merwingorum de qua Franci reges sibi creare so-
liti erant, usque in Childericum regem quijuilsu Stephani ro-
mani pontificis depositu! ac detonsus atque in monasterium
trusus est, durasse putatur; qUllllicetin iIIo finita possit videri,
tamen jamdudum nullit,Js vigoris erat nec quidquam in se cla-
rum prlllter inane regis voeabulum prlllferebat. Nam et opes et
potentia regni penes palatii prlllfec'tos qui majores-domus dice-
bantur et ad quos summa imperii pertinebat, tenebantur. Ne-
que regi aliad relinquebatur quam ut, regio tantum nomine
contentus, crine profuso, barba submissa, solió resideret no
speciem dominantis efiingeret, legatos undeoumque venientes
auditet, eisque abeantibus responsa qUIll erat edootus vel etiam
jnssus ex sua velut potestate redderet; oum prreter inutile regis




06 ~ES INSTITIJTIOIIS POLlTlQUES EN FBANCE
L'atieinte qu'elle avait portée au príncipe de l'hé-


rédité n'empeeha point qu'il ne préval ut de nouveau
et sans contestation, au profit des Carlovingiens.
Pepin avait fait jurer aux Francs qu'ils n'éliraient
jaínais de rois ¡ssus des reins d'un autre homme.ll
exigea ce serment bien plutót pour meUre ses des-
cendans a I'abrides prétentions de la famille détro-
née, que pour restreindre l'exereiee d'un droit pu-
blic auquel personne ne songeait. L'é/eetion des roís
ne fut pas plus réelle sous la seconde raee que sous
la premie re. Les textes ou il en est question indiquent
seulement, eomme sous les Mérovingiens, la recon-
naissanee des droitshéréditaires, une sorte d'accep-
tation lIationale dusuccesseur légitime. Cette accep-
talioll avait lieu tanlót a la mort du roi, tantOt de
son vivant et sur sa propre demande. C'était le tra-
vail du principe de l'hérédité s'établissant dans une
société désordonnée et de mreurs violentes, non une


nomen et precariu~ vitre stipendium quod ei pr31fectus aulm,
prout videbatur, exhibebat, nihil aliud proprii possideretquam
unam, et eam perparvi reditus, villam in qua domum ex qua
famulos sibi necessaria ministrantes atque obsequium exhibentes
paucm numerositatis habebat. Quocumque, eumdum erat
carpento ibat quod, bobus junctis, bubulco rustico "-lOre
agente, trahebatur. Sic ad palatil1m , sic ad publicum populi
sui conventum qui annuatim ob regni utilitatem celebrabatur,
ire, sic domum redire solebat. At regni administrationem et
omnia qure vel domi vel forisagenda ao disponenda erant, prre-
fectus aul31 procurabat. (EGINHARDI vita Caro Mag. cap. J, dans
le Recueildes historien s de Franco, t. v, p. 89; Collection
de, ltlémoires reJatifs il.l'histoire de France, t. IIJ, p. 123.)




DU VO AU X· SIECLE. !S7
élection véritable. Seulement, comme la révolution
qui porta les Carlovingiens au trona avait, par S3
nature meme, rendu aux institutions et aux libertés
germaines, une vigueur nouvelle et momentanée,
l'adhésion des peuples au droit des fila du prince
était plus régulierement réclamée, plus formelle-
ment exprimée, et portait davantage,dumoinsdans
les termes, l'apparence d'un choix national (1).


(1) Les prineipanxtextes qni se rapportent au mode de 5UO-
cession des rois carlovingiens ne laisseront, je pimse, aueun
donte a cet égard .


• Filii Pippini Carolus et Carlomanns consensu omnium
Francorum reges creati .unt.. (Annal. Laurisham. ad ann.
768.) - _1Jna CUID consensu procerum suorum requali sorte
inter duoa filios Carolum et Carlomannum regnum Francorum
paterno jure divisit. • (Amlal. Meten. ad ann. 768 ; Coll#lct. des
Mém. t. m, p.lI.)- _ Pippinus regni sui primores convocavit
et eorum eonsilio disposuit qualiter post eum filii .ui Carlo-
mannns et Carolus qni enm eo erant regnum ejus pacifice gu-
bernarent.. (HINCMAr.. Opp. t. JI; p. 179.) - On lit dans I'aete
par lequel Charlemagne assigna des royaumes a ses trois fils:
Quod si tali. filius cuilibet istorum trium fratrum natus fuerit
quem populus eligere velit nt pat)'i succedat in regni hreredi-
tate, volumus nt hoc consentian'! patrui ipsiu8 pueri.. (Charla
divisioni, regni Car.IMag. a. 8U6, § v, ap. Bu. t. 1, p. 442.)
- « Extremo vitre tempore, cum jam et morbo et senectute
Carolus magnus premeretur, cyocatum ád se Ludovicum Aqni-
t.nire regem qui solu8 filiorum Hildegardis supererat, congre-
gatis SOIE'DDiter de toto regno Francorum primoribus, cunc-
torum cODsilio consortem sibi totius regni et imperiaJis Dominis
hooredem constituit, impositoqne capiti ejl1s diademate, impe-
ratorem et augustum jllssit appellari.. (EGINIU.RD. Vito Ca,..
Mag. cap. xxx; Collect. de, Mem. 1. 111, p. 154.)- • SlIpradie-


TOME n. 6




!)'S DES IN8TITliTlOlIS POUTlQllES EN 'RANCE
Lorsque tout fut de ven u héréditaire, lorsque la


perpétuité des bénéfices et des oftices eut, pour aiusÍ
dire, immobilisé toutes les grandes situations, le
príncipe de l'hérédité du treme ne pouvait manquer
de,s'affermir définitivement. A la meme époque, iI
est vrai, une révolution lui fit subir un rude échec;
la royauté de Charlemagne disparut pour faire place
a la royauté féodale (1). Quelque abaissée que fUt la
premiEn'e, et quoiqu'elle eut réduit ses prétentions
á la mesure de son impuissance, elle conservait, elle
rappelait du moins des son venirs incompatibles avec


tus veTO imperator (Charlemagne) cum jam intellexisset appro-
pinquare sibi diesu obitus sIii ... vocavit ñlium suum 1\ldovi-
cum ad se cum omni exercitu, episcopis, abbatibu8, ducibus,
comitibus loco positis, habuit grande colloquium cum eis Aquis-
grani palatio pacifice et honeste ammonen. ut fidem erga fi-
hum suum ostenderent, interrogans omnes a maximo usque ud
minimum si eis placuisset ut nomen suum, id ('st imperatoris,
filio suo Ludovico tradidisset. Illi omnes responderunt Dei esse
ammonitionem illius rei •• (TllEGA'<. de geslis Lud. P. imp. cap.
VI; Collect. des Mom. t. II1, p. 279.) - "Generalem populo SUD
conventum Aquisgranl, more solito, ludovicus imperator ha-
buit in qua filium suum primogenitum Lotharium coronavit,
et nominis atque imperii sui sacium constituit. » (Annal. Ber-
tillian. ad ann. 817; Collect. des Mém. t. IlI, p. 80.) - «Aqui-
tani urhem Lemovicum mediante oclobri mense convenientes
earlum puerum filium Carli regem generaliter constitllunt,
unetoque per pontificem coronam regni imponunt sceptrllm-
que aHribuanut. • etc. (Ibid. ad ann. 855; Collect. des Mém.
t. 1;, p. 158.)


(1) Voir le 111" Essai: Des causes (le la chllte des Mérot'i,,-
giens et des Carlocingiens.




DU Ve .!.U XO. SlttCLE. 59
le nouvel état de la société, la nouvelle distribution
du pouvoir. La féodalité l'avait vaincue et dépouil-
lée; elle devnit la supprimer. Un corps ne peut por-
ter que la tete qui lui cOllvient. Quoique la chute
des Carlovingiens fut l'reuvre de Hugues-Capet seul
et non d'une coalition aristocratique, cHe n'était pas
moins dans les uécessités générales de l'ordre nou-
veau. Maís le príncipe de l'hérédité du trone était
aussi au nombre de ces néeessités; soJennellement
violé, il reparut aussitót apres, plus ferme, plus dé-
gagéde tout méJange d'éleetion ; etau moment meme
de la violatioll, il avait déja poussé da si profondas
raeines, il se liait si étroitement a toutes les idées
féodales, que les descendans de Chnrlemagne con-
serverent quelques prétentions el quelque ombre de
parti bien plus long-tempa que n'avaientfait, au VIUe'
siilcle, ceux de Clovis.


De la nature et de l'étendue du pouvoir royal.


Mais si ce principe avait pu naitre et s'établir au
milieu d'un peuple barbare; si, malgré des violenees
journalieres et meme malgré des révolutions natio-
nales, l'idée du droit s'était introduíte de tres-bonne
heure dan s le mode de transmission de la rorauté,
il en était tout autrement quant a I'exercice et a
l'étendue du pouvoir royal. Ici on chercherait vaí-
nemell! quelque principe, que]ques regles, des pré-
rogatives et des limites, je ne dis pas respeetées,
mais reconnues. Le trone passait, sans contestatioIl, "


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60 DM IIlSTlT1lTIOIIS POLlTIQUES EII FRAileE
du pere au fiJs; mais la puissanee réelle et aetuelle
du possesseur était matiere de fait, non de droit. Ce
n'est poiot a dire qu'elle füt absolue; j'entellds seu-
lemeot qu'elle était variable et déréglée, aujuurd'hui
immense, demain nuBe, suuveraine iei, ignorée ail-
leurs, presque toujours et a peu pres partout en
guerre avee eeuxsur qui elle devait s'exereer, forte
ou faible selon que la guerre tournait contre elle ou
en sa faveur.


e'est dans l'histoire meme qu'il faut apprendre a
connaitre eelte royauté barbare: ce que j'ai déja
dit des institutions locales, ce que je diraí bientot
des assemblées générnles de la nation en Jaisse en-
trevoir la nature; mais les faits seuls la démontrent
pleillemeot, et je ne puis raconter icí des raits. Je
me bornerai done a indiquer les causes générales
qui, du ve au x· siecle, saufle regne de Charlemaglle,
déterminaient l'étendue réelle du pouvoir royal, et
nussi ses principales vicissitudes.


Le caractere fundamental et distinclif de la
royauté barbare, c'es! qu'elle était un pouvoir per-
sonnel, non un pouvoir public; une force en pré-
tience d'autres forces, non une magistrature au mÍ-
lieu de la société. En d'autres temps ou ailleurs la
ruyauté a été fondée, lanlót sur des croyances reli-
gieuses qui, faisant du lllonarque le représentant de
la Divinité, commandaient la soumission COlllllle un
devoir; tantot sur l'adhésion générale dll peuple, qui
voyait dans le prince le dépositaire de la puissance
sociale et le protecteur ou l'interprete des intérets




DU Ve AU X· SltCL'E. 61
communs. Dans run et l'autre cas, c'est l'institution
qui a été forte et non pas l'homme; c'est dans la so-
ciété, non en lui-meme, que l'individu a puisé ses
moyeos d'action el de pouvoir; la royauté a fait la
f"rce dll roi, et non le roi celle de la royauté. Du v·
au x' sic'Jcle, il en était tout autrcment che'l. les
Francs; ni les croyances religieuses n'avaicnt asse'l.
d'empire, niles intérets généraux n'étaient asse'l. bien
compris, assez distincts des intérets individuels, pour
que la royauté put ainsi subsister par elle·meme et
en vertu de sa missiun publique ou du droit divino
C'était par l'empire de sa situation individuelle, non
par celui de sa condition royale, que le prince ré-
gnait et pouvait régner. S'il ne possédait en propre
de riches trésors, de vastes domaines, s'il n'était en-
touré de leudes nombreux et dévoués asa personne,
s'il ne savait les attirer par sa libéralité, les occuper
par ses entreprises, les contenir par l'ascendant de
sa supériorité, la royauté n'était rien.,Oo ne sllurait
dire que les idées ~e droit divin et de magistrature
sociale fussent, dansl'esprit des peuples, absolument
étrangeres au titre de roi; mais ni l'une ni l'autre
n'étaient cara bIes d'assurer it ce titre un pouvoir
re el , et la royauté, faible en elle-me me , recevait
presque toutesaforcedela force personnelIe du pos-
sessenr.


La conséquence d'un semblable état, c'est la
guerre, une guerre continuelle entre le prince et les
sujets. Des que l'iudividu roi puise son pouvoir, non
dans 5a situation, mais dans sa force propre, jI faut


6.




62 DES IIISTITlITlOlIS POLlTIQlIES El( FRAIICE
qu'il la dépense et la reuouvelle Bans cesse; qu'il
prodigue et ravisse tour,a tour a d'autres individus les
trésors,les domaines, tout ce qui peut servir a rallier
et gouverner les hommes. 11 est condamné, pour
ainsi dire, a perdre et a regagner chaque jour ce
qui le fait roi; caril ne le sera poinl s'il ne demeure
toujours le plus fOl't , et les moyens de force dont il
dispose sont de ceux qui s'épuisent et disparaissellt 11
mesure r¡u' on s' en sert.


e'est a peu pres la toute l'histoire de la royauté
mérovingienne, et aussi, apres Charlemagne, de
celle des Carlovingiens; la réside le secret de sa
destinée comme le caractcre dominant de sa nature.
Le pouvoir des rois se trouva dans la meme situatiun
et subit le nH~me sort que la liberté des sujets; l'un et
l'autre manquaient aux afIairespubliques, run et
l'autre étaient subordonnés a la force el it la fortune
de ¡'individuo Actifs et habiles, les rois s'ellrÍchis-
saient et régnaient par la spoliatioll, la guerre, les
violences et les iniquités de tout genre. Fainéans
et incapables, bientót ils dcvenaient pauvres; pau-
vrcs, ils cessaient aussi d'etre rois. Un humme hardi,
un guerrier accrédité, se trouvait·il alors aupres
d'eux, investi de quelque charge publique ou do-
mestique, il recueillait les débris de leur pouvoir,
se pla¡;ait a la tete, soit de quelque faction de cour,
soit de l'aristocratie territorial e qu'avait formée la
distribution ou l'usurpation des domaines du princej
et tantOt nommé ou confirmé par le roi, tantót élu
par les leudes, souvent s"élisant lui-méme en vcrtu




DU V· AU X· 8I:I!CLll._


de sa furce (1), il exerl(ait a son tour I'autorité
royale, par les rapines et la guerre, an profit de sa
famille, de ses cOllfédérés, de ses cliens. TelIe fut
l'existence des maires du palais. En Neustrie, ceHe
existence fut encore plus déréglée, encore plus li-
vrée aux chances des faits que ceHe des rois eux-
memes. Instrument tantót -de la royauté contre les
hénificiers qui voulaient se rcndre indépendans (2) ,


(1) En 613, Varmachar qui avait été chef de la conspiration
contre Brunchault, ,in regno Burgundiro substituitur major-
domus ~acramento a Chlothario Becepto ne unquam vitre sure
temporibus degradaretur. » (FBEDEG. Cltron. cap. XLn; Collect.
des llfém. t. ", p. 192. ) - En 626, « Cblotharius eum proce-
ribuII et leudibm Burgundire Trecassis conjungitur; eum eos
sollicitasset si. vellent, mortuo jam Warnachario, alium in ejus
honoris gradum subl imare : sed omnes unanimiter denegantes
se nequaquam velle majorem-domus eligere, regis gratiam ob-
nixe peten tes cum rege transigere. » (lb id. cap. LlV; Colleet.
des Mcim. t.lI, p. 201,202; voir anssi AUIOIN, Degest. Franc.
lib. IV, cap. xv.) -En 656, • dcfuncto Ereeonaldo, majore-
domus , Franei in ineertum vaeillantes, prrefinito, eonsili •.
Ebruinum hujus hOUOl'is altitudine majorem-domusin aularegis
statuunt .• (Gest reg. Franc. cap. XLV, dan s le Reo. des Mst. de
France, t. JI, p. 569.)-En 695, ,Grimoaldus junior cum
Childeberto rege majol'-domus palatii super Francos eleetus
est .• Continua/o anon. Fredeg. ebron cap. el; Coll. des Mém. t.n.
p. 236.) - En 715, • eodem tempare tune elegerunt in hono~
rem majoris domatus quemdam Franeum nomineRaganfridum.,
(lbid. cap. ev; Colleet. des Mém. t.lI, p. 237.)


(2) En 605, Protadius était maire du palais en Boul'gogne :
• Sceva illi fui t contra personas iniquitas, fisco nimium tri-
buens, de rebus pCl'sonarum ingeniose fiseum vellens implere et
se ipsum ditare. QlIoscumque genere nobilcs feperiret, tatos




64 DES IIISTITUTIOIIS l'OLlTIQUES Elf FRAIICB
tantot de la coalition des bénéficiers (1), contre le
roi qui voulait les dépouiller de leurs bénéfices,
jamais la mairie n'y put acquérir]a consistance
d'une institution publique ('2); el si les maires d' Aus-


humiliare couabatur ut nuHus reperiretur qui gradum quem
arripuerat potuisset adsumere. ,(FREDEG. CAro ... cap. XXVl1;
Col/ect. des Mém. t. 11, p. 167.)


(1) En 641, ,Flaochatlls genere franens, major-domns in
regnum Burgondire e1ectione pontificnm et cunetorum du-
cum ... cunelis ducibus de regno Burgundire seu et pontifieibus
per epistolam, etiam etsaeramentis firmavit unicuique gradum
honoris et dignitatem seu et amicitiam perpetuo conservare .•
(FllEDEG. Chron.L:lXXIX; Coll. des Mém. t. 11, p. 227-228).Mon-
tesquieu a bien exposé (Esprit des lois,liv. XXXI, chapo 1, lIL, IV
el v) la révolutionqui fit des maires du palais les chef. de
l'anstoeratiebénéficiaire; mais en supposant, le10n sa coutume,
dan. les événemens et les intentions des hommes, trop d'unité
et de régularité.


(2) Je ne saurai. partager l'opinion de M. de Sismondi (His-
foire des Franl'aiB, t. 1, p. 340, 404) qui voit, sou. le nom de
mqjor-domus, deux o!ficiers de condition et de fonctions tres
dilférentes; l'un simple domestique du roi, chargé de l'admi-
nistration de sa fortune privée, l'autre grandmagistrat pub1ic,
élu par la nation et investi d'un pouvoir militaire et judiciaire,
indépendant du pouvoir royal. ,.Cet olliee de grand-juge était.
dit-il, ponr les Franes une institution ancienne, et avait pour
vrai nom mord·dom (juge du menrtre), mot dont d'ignorans
chroniqueurs ont fait major-domu8, en le transportant maté-
rieHement du teuton dans le latin, au lieu de le tradnire. Cetto
ingéniense hypothi:se ne me parait fondée ni sur des probabi-
lites morales ni sur des faits; aucuue des lois barbares ne fait
mention de cet olliee de grand-jugej tout pronve que la portion
du pouvoir judiciaire qui l'ésidait au centre de l'état apparte-
nait ala royauté, et les Franes n'étaient pas asscz avancé!, en




DU l'e AU X· Slfl.CLB. 65
trasie eurent une destinée plus grande et plus sta-
ble, c'est qu'ils étaient, comme on l'a "VU ailleurs, a.
la tete d'un événement nOUl'eau "d'un mou vement
natioDal (1).


Une simle intluence, celle des idées religieuses,
un seul allié, le c1ergé, essayaient de donner a la
royauté un autre caractere, et de la placer au-
dessus de la sphere des forces individuelles pour


faitde combinaisons politiques, pour prendresoin deséparer de
la sorte les diverses fonetions souveraines. Quand leuT roi était
enfant, ils élisaient quelquefois un maire dn palai. pour les
commander et maintellir I'ordre 11 sa place; roai. cet officier,
en qui M. de Sismondi voit l'institution du mord-dom ou grand-
juge, ne différait des maires du palais ordinaires que par les
circonstances dan s lesquelles iI nait re~u et exerliait le pouvoir.
Il serait trop long de discuter ici les diverses preuves queMo de
Sismondi a essayé de rassembler a rappui de son opinion: elles
me paraissent trop faibles pour détruire l'idée générale des
éerivains du terops, qui regardent les maires du palais comme
ayant passé d'une charge de cour au gouvernement de J'état.
Le passage o .. Eginhard peint la nullité des derniers Mérovin-
giens, et que j'ai cité ci-dessus, est formel a cet égard; iIy
donne aux maires du palais les plus puissans ce méme nom de
pr01fect' auW! ou palatii, par lequel Grégoire de Tours désigne
quelquefois les premiers maires en qui M. de Sismondi lui-rn~rne
reconnait de simples officiers royaux. Enlin tout prouve que la
nomination du maire du palais appartenait en général au roi, et
que, lorsqu'il était élu par les Franes, ee n'était point parce
qu'il s'agissait d'un office différent et vraiment national, roais 11
cause de quelque nécessité accidentelle, ou parce que les leu-
des, en lutte avec le prince , voulaient avoir cette garantie.


(1) V oyez le 111· Essai : Des causes dt1 la chute des .'flérovin·
giens et des Carlot:ingiens, p. 72-77.


<fl.
v'"


, >!nrl
,._tI




66 . DES II!STITUTIOIIS POLITIQUES El! FRAileE
l'élever au rang d'un pouvoir vraiment social.


Pour bien connaitre ceUe influenee et ce qu'elle
voulait faire de la royauté, il faut quitter un mo-
ment les Franes, et ouvrir les lois d'un autre peuple
barbare, les Visigoths d'Espagne, chez qui le c1ergé
a joué un bien plus grand role et possédé presque
seul le gouvernement central. Si les évéques et les
conciles n'ont pas eu ehez les Francs le meme pou-
voir, on ne peut douter que ]eurs idées générales
ne fussent les memes; et les monumcns qui nous
restent du c1ergé frane, plus incomplets et bien
rooins explicites que ceux. du clergé espagnol, at-
testent cependant que son influence était de meme
nature, s'ex.erl(ait dans le meme sens.


" Le roi, dit la loi des Visigoths, est dit roi (rex) ,
11 de ce qu'il gouverne justement (recte). S'il agit
1I avee justice (recte), iI possede légitimement le
11 nom de roi; s'il agit avec injustice, il ]e perd mi-
li sérablement. Nos peres disaient done avee raison :
1I rex ejus eris si recta (aois; si aMtem non (aois, non
11 erís. Les deux principales vertus royales sont la
11 justice et la vérité (1).


» La puissanee royale est tenue, comme la totalité
11 des peuples, au respeet des lois ... Obéissant aux
11 volontés du ciel, nous donnon's a tous, comme a
1I nos sujets, des lois sages auxquelJes notre propre


(1) Voyez le Forumjudicum ou recueil des lois des Visigoths,
rassemblées, revues ct coordonnée.s pour la derniere fois dans
le 16 e concile de ToU,de, par les ordres du roi Egiza, de I'an
687 11 I'an 701 (tit. 1, De electionc principum, § 1).




DD V· Atl x· srt:cU!. 67
11 grandeur et celle de nos successeurs est tenue
lO d'obéir aussi bien que toute la populatian denotre
" royaume (1).


II Dieu, le créateur de toutes choses, en dispo-
» sant la structure du corps humain, a élevé ]a tete
)l en haut, et a voulu que de la partissent les nerfs
lO de tous les membres. Et il aplacé dans ]a tete le
» flambeau des yeux, afio que de la russent vues
" toutes les choses qui pouvaient nuire. Et il y a
~ établi le pouvoir de l'iotelligence, en le chargeant
" dc gouverner tous les membres et de régler sage-
1I ment ]eur action (2).


" La loi est l'émule de la Divinité, la messagere
lO de lajustice, la maitresse de la vie (3) ... Elle régit
lO toutes les conditions de l'état, tous les ages de la
n vie humainej elle est imposée aux femmes comme
1I aux hommes, aux jeunes gens comma aux viel-
lO lards, aux savans comme aux ignorans, aux ha~
1I bitans des villes comme a ccux des campagnes (.4).
II Ene ne vient au secours d'aucun intéret particu-
JI lier j elle protege et défend l'intéret commun de
1I tous les citoyens (o). Elle doit etre, sdon la nature
• des choses et les coutumes de l'état, adaptée au
1I lieu et au temps, ne prescrivant que des regles


(1) For. judo lib. n, tito 1,1. 11.
(2) ¡bid. lib. 11, tito 1, l. IV.
(3) For.jud. lib. 1, tito ",1. 11.
(4) ¡"id. lib. 1, tito 11, 1. nr.
(5) ¡birlo lib. J, tit. 1, 1. IIJ.




68 DES IPISTITllTIOIIS POLITIQUBS EII FRAIICE
)t justes et équitables (1) ... clairc et publique, afin
lt qu'elle ne tende de piége a aucun citoren (2). 11


Evidemment nous sommes ici dans un tout autre
ordre d'idées. La royauté n'est plus un pouvoir per-
80nnel, issu et dépendant de la force propre du
posscsseur; c'est une magistratul'e sociale qui puise
son droit dan s la mission de faire régner la loi di-
vine, la justice, sur les forces particulieres, de
protéger l'intéret commun contre les íntérets privés.
Nous n'avions rencontré jusqu'ici que la prépondé-
rance d'un índivídu soutenu par des moyens maté-
riels; nOU8 voici en présence d'un pouvoir public
fondé sur des príncipes généraux et moraux.


On reproche, et avec raison, au clergé d'avoir
consacré ces principes a la cause du despotisme, et
dédllit du droit divin la ruine de tous les droits. A
proprement parler, ce ne sont pas les droits qu'il a
contestés et détruits, mais les garanties. C'est par
I'abolitioll des garanties que le systeme théocratique
est, en fait, le plus errollé et le plus pernicieux de
tous. Mais, a aucuoe époquc, ecHe erreur ne fut
plus naturelle et moios fnneste qu'it celle dont nou~
nous occupons. Les garanties sociales ne peuvent
résider que dan s l'indépendallce et la lutte des di-
verses rarees que renferme la société. 01', qnand
toutes ces forces sont également égolstes et brutales,
quaml elles ne poul'suivent toutes que des intérets


(1) Ibid. lib. 1, tiLn, l. IV.
(2) Ibid.




DU Ve AU XO SrECLE. 69
individuels et déréglés , quand il n'en est aucune
qui se soí! élevée a l'idée d'une loi générale, d'une
mission publique, leur lutte, luin de procurer a la
société des garrlllties, n'y engendre que la guerre;
on a le chaos des forces au lieu de la balance des
pouvoirs, Tel était, sous les lHérovingieTls, l'élat de
la Gaule; el tan! qu'il dura> l'infIuence du c1ergé
sur la royautéfut, je pense, moins facheuse qu'utile;
elle tendait a convertir une force barbare en une
puissance lllornJe et sociale. Les príncipes au nom
desqueJs le clergé poursuivait ceUe métamorphose
portaient dans leur seín le despotisme, et les siecles
snivans le tirent bien voir. Le progres était done
plein de péril; cependant c'était un progreso


Du reste, le regne de Chnrlemagne est peut·étre,
dll v': au XO siecle, In seule époqne OU ce progres
se laisse clairement apercevoir. Je rai di~ tout-a-
l'heure : la royauté placée hors de l'égoi'sme et con-
9ue comme une lIIagistrature publique, tel, est le
caraetere dominant du gouvernement de ce grnnd
hornllle. On Tle peut douter que I'influence des idées
religieuses et du dergé n'ait puissarnment eontribué
a faire naitre dans son esprit celte haute pensée, et
quoiqu'il fUt loin de s'asservir aux ecclésiastiques,
c'était surtout avec eux et par leur aicle qu'i1 CJI
ponrsuivait l'aecomplissement. Apres sa mOI't, ton tes
choses changerent de face. On ne vit plus, comme
sou~ les Mérovingiens, le clergé faire en géupral
cause comrnl1ne avee le roi contre les grands pro-
priétaires barbares, et s'efforcer d'élever la J'oyauté


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70 DES INSTITtlTIONS POLITIQUES EN FR"'NCE
au-dessus de toutes les forces illdividuelles, pour
trouver aupres d'elle un rempart. Devenus eux:-
rnemes de grands propriétaires, de puissans sei-
gneurs, affermis it la fois dans leurs domaines et
dans leur cm pire sur les esprits, les éveques, les
abhés s'isolerellt du trone, et n'agirent plus que
pour leur propre compte. Ce fut une méprise, car
la prépondérance du c1ergé était liée a I'unité du
pouvoir monarchique , et iI n'eut jamais, dan s
l'aristocratie fáodale, l'imporlance qll'il avait pos-
sédée aupres des rois. Mais les méprises ou précipite
l'état général de la société ne se peuvent éviter;
toutes les causes qui favorisaient le triomphe du
systeme aristocratique avaient repris leur cours;
toutes les dominations locales se rendaient indé-
pendantes et souveraines. Les ecclésiastiques firent
comme les laIques, les éveques comme les comtes;
et la royauté, délaissée a la fois par le c1ergé el par
ses fideles, qui ne s'inqlliétaient plus guere que de
régner dans leurs propres domailles, ne fut bientót
plus qu'ull nom auquel il fallut pres de deux siecles
ponr eommencer a redevenir un pouvoir.


11. - Des Assemblées nationales.


A mesure que j'avance, les choses s'expliquent
d'elles-memes, el des questions que je n'ai pas en-
core traitées sont presque résolues.


L'état des personnes et des ter res , le SOl·t des in-
stitutions locales et de la royauté, tout ce que j'ai




JIU VC AU XC SI~CLI! 71
ditjusqu'a présent fail clairement pressentir ce que
devaient etre, ce que fment en effet les asscmblées
générales de la nation.


Elles étaient vraiment générales en Germanie,
quand la nation n'était qu'une tribu ou une bande,
quand les gnerriers, toujours réunis el iI peu pres
égaux, ne pouvaient rien entreprendre qu'apres en
avoir délibéré ue concert. Tont homme libre y as-
sistait alors, et tontes eh oses y étaient débattues.
J,iI résidait ]e gouvernement tout enticr; gouverne-
ment fondé, non sur le pl'Íncipe de la souveraineté
du peuple, idée complexe el qui n'appartient qu'a
une civilisation déja stable el assez avallcée, mais
sur eelui de la pleine indépendance de chaque indio
vid u , seul souverain de sa personne et de sa vie,
maitre absolu de quitter cette association errante,
des qu'elle ce~sait de lui convenir.


Mais quand la conquete et l'établissement terri·
torial curent dispersé les hommes et introduit entre
eux de grandes inégalités, quand la nation, na-
guere compacte et mobile, se fut a la fois dissoute
et fixée, les assemblées générales devinrent en meme
temps inutiles etimpossibles; inutiles, car la plupart
des hommes libres ne consel'vaient guere que des
intérets purement locaux, et n'aUachaient d'impor-
tance qu'a leurs rapports avec leurs voisins ou avec
le propriétaire dont ih habitaient les domaines;
impossibles, car il n'y avait pas moyen que des
hommes, disséminés sur un territoire immensc et
engagés dan s mille situations diverscs, surmontas-




72 DES IIISTlTIlTIOIIS POLlllQUES EN FRAileE
sent les obstacles matériels et IDoraux qui s'oppo-
saieJlt a leur réunion , ni meIDe qu'ils en soupf(on-
Dassent la nécessité.


De meme que les institlltions qu'exige l'état des
pellples no peuvent etre long-temps évitées, quoi
qu'il en doive couter pour les établir, de me me
celles que cet état ne comporte IJoint, !J uelques
bonnes et désirables qu'elles soient, ne sauraÍent
etre maintenues. Qualld les progres de la eivilisa-
lion ont donné a une grande masse d'hommes des
idées, des sentimens et des intérets eammuns, nul
despotisme n'es! en état d'empeeher qu'ils De s'en
oeellpent tous, et ne viennent a vouloir en traiter
ensemble, soit par eux-memes, soH par leurs délé-
gués. Quand, au eontraire, les hommes n'ont entre
eux presque aucune relation, quand les existences
individuelles sont étroites, locales et a peu pres
étrangeres les unes aux autres, rien DO peut faü·e
que, dans des vues purement politiques, par une
pl'évoyance lointaine, ils persistent a se réunit· au
seín d'une assemblée générale, pour conserver]a
forme et l'image d'une soeiété qlli n'est paso


Ce n'est donc ni aux rois , ni aux leudes, ni aux
éveques qu'il faut s'en prendre de la ruine ou de
l'impuissance des assemblées nationales chez les
FraIles; nuBe ambition n'a détruit ecUe noble ga-
rantie des libertés gel·maines j elle n'll pu s'adapter
a la nouvelle situation des peuples; elle s'est dis-
soute eomlllc la bande des guerriers; elle a disparu
avec l'égalité des forces illdividuelles ; el Join d'im-




DU V· AV X e 81tCLE. 73
puter a la stupidité des chroniqueurs la rareté ou
la sécheresse des détails qu'ils nous ont transmis sur
ces grandes réunions périodiques de Ja nation, iI
faut se garder de croire meme ce qu'ils IJOUS en
disent ,e! de su pposer qu'elles fussent réellemen!
ce que semblen! indiquer les termes don! ils se
servent en en parlant.


Rien n'est plus commun en effe! que de rencon-
lrcr dans Grégoire de Tours, Frédégaire, Aimoin,
el tant d'autres, ou meme dans les lois a l'occasion
de certaines assemblées, ces expressions générales :
« les Fl'ancs, tous les Francs, le peuple, tout le
peuple, tous les hommes libres (1) , " comme s'ils
s'étaient tous réunis pour débaUre el régler de
concert les affaires de rétat. Ce n'est la qu'une
tradi.tion, un souvenir des anciennes coutumes
germaniques, un hommage rendu, a dessein ou par
halJitude, aux droils d'une nation qui, en chan-
geant d'état, avai! cessé de les exercer.


Ce n'est pas que ces droits aient compJetement
péri, ni que ce nouvel état ait entrainé la suppres-
sioo immédiate et absolue des assemblées natio-
nales. Sous les lIoms de Champs-de-Mars ou de Mai,
de C01lVentus genera lis , de Placitum generale, de


(1) • Franci, omnes Franci, populus, Offillis vel cllnctus po-
pulus, omnes, vel cuncti liheri homines .• Ces expressions qui
reviennent fréquemment dans les chroniqueurs, I'occasion des
Champs-de-Mars ou d'alltres réunions, se retrouvent entre au-
tres dans le preambule des lois barbares revuessous Dagoberher .
(Ap. BAL. t. 1, p. 25.)


7.




74 DES 1IlSTlTU'rIOIIS POLlTIQUES El'!' FRAIICE
Synodus, on en retrouve partout la trace, et le
langage des chroniqueurs prouve meme qu'une cer-
taine idée de généralité s'y uttachait encore. ~lais
la composition et le pouvoir réeJ de ces assembJées
cessercnt bientót de correspolldre a ce qu'elles
avaient été jadis; el au moment meme de leur
plus grande réguJarité, c'est·it-dire, sous CharJe-
magne, la nation n'y siégeait pas plus que le gou-
vernement ne Jeur appm·tenait. Je vais pareourir
leurs principales vicissitudes.


Des assemblóes nationales sous les Móroflingiens.


Elles paraissent, sous les premiers Mérovingiens,
corome des réunions de guerriers qui viennent
passer une sorte de revue militaire, cntreprendre
quelque expédition ou se partager le butin (1).
C'était a peu pres la tont ce qu'it eeUe époqne
avaient a faire en eommun les Franes; et eomme
ils étaient eneol'e pen nornbreux et moills dispersés
qu'ils ne furent plus tard, eornme les habitudes de
la vie errante prévalaient encore sur ecHes que la


(1) En 486, • transacto anno jussit (Chlodovech .. s) omnes
cum armorum apparatu advenire phalangam ostensuram in
Campo Martío suorum armorum nitorem. (GRlIG. Tn. lib. 11,
cap. XXVII; Colleet. des Mém. t. 1, p. 87.) -En 487, Chlodove-
chus rex, ut omnium armo-rnm nitorem víderet, omncm exerci-
tum jussit cum armorum apparatu venil'e secundum morem in
Campllm Martium. (HINCHAR. Vito Sancti Remi'l' dans le Recueil
des historicns de Franco, tom.m, p. 374.)




DU Ve AU X· Sd:CLE. 75
propriété territoriale devait faire naitre, il y a líeu
de croire qu'ils s'y rendaicnt a peu pres tous, et y
traitaient occasionnellemcnt de toutes les affaires
qui pouvaient les intércsser (1).


Depuis la fin du VIO siecle. on apcrqoit deux
sortes d'assemblées. L'une, le Champs.de.Mars, con-
serve une apparcnce nationale; c'est la que les
Franes npportent a Icurs rois les dons annuels qui
faisaient une partie de leur revenu. On présume
sans peine que des guerriers avides, éloignés, et
qui n'avaient, pour se rendre au Champ·de-Mars,
d'autre motif que ect usage, en tenaient d'ordinaire
fort peu de compte; aussi, saur un petit nombre
de cas, cettc réuniun se présente-t-elle comme une
espeee de solennité périodique ou les rois se mon-
trent en pompe a la portion du peuple qui vit pres
de leur palais et demeure curieuse de les voir,
plutOt que comIllC une assemblée politique qui in-
tervient daos le gouvernemellt (2).


(1) En 496, a rex Chlodovechus ... veritate aguita unise Deo
famuJaturum devotus spondet; procerum sane regni atque
exercitus se tentaturum sententiam ... ex regis edicto fit publica
populi evocatio. Conveniunt regni primates nec militaris quo-
que manus défuit. Quibus coram positi., rex taliter infit:
" Franci, inquit, ... cultum deseramus inanem j • soli vero Deo ...
subdamus., Hale dum rex fide plenus perorasset, plerosque de
populo flcxi ut Christo mitia subderenteolla .• (AIlIIOIN, De gesto
Franc.lib. I, cap. XVI.)


(2) In ~lartis Campum qui rex dicebatur plaustro bobus tra-
hentibus vectus atque in loco emincnti sedens, 5emel in anno
populis vislIs publica dona solenniter sibi oblata accipiebat, #~_ '_~.


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i6 DES I~STlTl1TIO~S POLITlqUES EII FRANCB
D'autres assemblées plus actives paraissent Ita et


la dans l'histoire, mais elles ne portent aucun ca-
racti~re national. Ce son! tantot de simples convo-
cations militaires pour quelque expédition toin-
taine (1), tantot des réunions d'éveques, de leudes,
d'hommes puissans qui se rassemblent aupres du
roi dans leur intérCt personuel, pour réglel' leurs
différeus avec la royauté, mettre fin a quelque
guerre elltreprise lIU sujet des bénéfices, slipuler
pour eux-memes des cOllcessiollS ou des garanties i
purs conseils privés ou judiciaires du prince, ou
véritables eOllgres entre des puissances ennemies
qui cOllviellllent d'une treve ou d'un traité (2).


stante coram majore-domus et qure deinceps eo anno agenda
essent populis adnuntiante. " (Annal. FlIld. ad ann. 751, dans
le Reeueil des historiens de France, t. JI, p. 676.) Une fonle
d'autrespassa~es nousdonnentla méme idée decette cérémonie.
(Annul. F,·anc. ibid. t. JI, p. 646; Vita S. Bure/¡. lib. 11, cap.
1; ¡bid. t. 111, p. 670; EGINRARD, Vil. Car. Mag. cap. 1; Callee'.
des Mém. t. III, p. 124, etc.) Quand on traitait dans le Champ-
de-~Iars, comme I'indiquent quel'lues passages, de lI,ilitale ae
tutela regni, il y a lieu de croire que la délibération n'avait lien
qn'entre le roi et les grands. Le décret de Childebert (1, an n?
532 an 595?) qui contient des dispositions d'intérét général,
porte formellement, • Cum in Dei nomine nos omnes kalendas
Martias de quascurnque conditiones una cum optimatibus n08-
trispertractavimns •• (Ap. BAL. t. 1, p. 17.)


(1) J'en ai déja. donné dcscxemples dans ceméme Essai, chapo 1,
De ¡'Etatdesterres, an § des Allellx, p. 97-100.


(2) Tels furent le baité d' Andely en 587, l'assemblée mili-
taire qni condamna a mort la reine Brunehanlt en 613, l'assem-
blée des leudes tenue a. Paris en 615, et ql1i donna Ijeu a l'édit




DO Ve AU X· 6ItCLE. 77
-Ces rénnions sont irrégnlieres, accidentelles, pro-
'Voquées par des nécessités momentanées el qui ne
touchent que ceux qui s'y rendent. Les mesures
générales qui y sunt quelquefois adoptées émanent
uniquement dn roi et de ses conseillers. Quelques-
unes des conventions qui y son! conclues, entre le
}lrince 'et les grands, deviendront plus tard des
Ilrincipes du droit féodal, des luis de l'état; mais,
dans le présent, ce n'est point la une institution
publique, une illtervention de la nation dans le
gouvernement du pays.


Quand on approche des rois Carlovingiens, cette
intervention reparait plus direete et plus effieaee,
du moins en Austrasie (1); j'en ai dit ailleurs les
causes (2). Lorsqne Pepin.le-Bref fut monté sur le
treme, l'action de ces causes ne cessa point; la


de Clotaire 11, dont le dernier articIe porte: • Quicumque vera
han e deliberationem 'Iuam cum pontificibu8 vel tam magnis
viris optimatibus aut fidelihus nostris in synodali concilio
instituimus temerare prresumpserit, in ipsum capitali sententia
judicetur .• (§ XXIV, ap. Bu .. t. J, p. 24.)


(1) Le maire du palais, Pepin de I1erstall, • singuIis annis in
kalendis Martii generale eum omnibus Franeis seeundum pris-
eorum cosuetudinem eoneilium agehat .• (Annal. Met. ad. a.
689, dans le Recileil de! Hislorien8 de France, t. Il, p. 680.)
- «Eo tempore Carolus (Charles-Martel) ju.sit campum ma-
gnnm parari sieut mas erat Francorum. Venerunt autem opti-
mates etmagistratusomnisque popuIus, et castra Metati sunt uni-
versi in cireuitu uhi dux residebat .• (Ex 1)ilaS. Salvo episc.
dans le Recueil des Historiens de France, t. 1lI, p. 647.)


(2) me Essai: Des causeBde la chute de, Mérovingiens el de"
Carlovingiens, p. 64.




78 DES IN8TITUTIOIIS POLITIQUES EN FRAileE
nation avait été renouvelée comme la dynastie; elle
fut plus active dans ses affaires comme le nouveau
roi dans son gouvernement. Quand je dis ainsi la·
nation, je suis loín de croire que les assemblées
nationales redcvinrent alors ce qu'eIles étaient
jadís en Germanie, et qu'on y vit se réunir tous
les hommes libres. Étrangers a tont dessein général,
vivant sur les terres et sous le patronage d'un
seigneur, la plupart ne pouvaient s'y rendre et n'y
étaient Ilullement représentés. Les grands, soit
ceux qui résidaient habituelIement it la cour, soit
ceux qui avaient reqll de vastes bénéfices ou gou-
vernaient les provinces, se rassemblaient seuls au-
pres du roi; mais du moins leur participation aux
affaires était réelle et n'avait pas des intérets per-
sonnels pour unique objeto Pepin avait transporté
au mois de mai la convocation périodiqlle des
Champs-de-Mars (1), et elle avait lieu avec assez de
régularité. L'histoire nous a conservé quelques dé-
tails sur huit placites généraux rassemblés sous
son regne, de l'an 71i4 a l'an 767 (2); et il en tint
probablement un plus grand nombre. La plupart
de ces placites se réunirent a l'occasion de quelque


(1) • Venit Thassilo ad Mutis Campo et mutaverunt Marti.
Campum in mense maio.. (AnnlZl. Peto". IZd a. 755, dan s le
Recueil dos Historiens de France, t. v, p. 13.)


(2) Ces huit plaoites généraux fment tenus en 754, 757, 761,
763,764, 765·, 766 et 767. On pent voir dans la Théorie deslois
politiquea de la Franco (t. IlI, Preuves, p. 129-13fi) le reeueil
des prinoipaux te:des qui s'y rapportent.




nu VO AU XO SlECLE. 79
événement considérable, de quelque nécessité pu-
blique; les éveques, les ducs, les comtes. les grands
bénéficiers. les chefs memes des nations lointaines
incorporées a la monarchie franque, ne manque-
rent pas de s'y rendre; des guerres, des traités,
des lois, des mesures vraiment politiques et géné-
rales en furent la suite (1) . .le ne vois point encore
la une grande iilstitution lJationale qui lie le pou-
voil' au pays, et donne a tous les citoyens des ga-
ranties d'ordre et de liberté; cependant il y a in-
tervention réelle d'un certain nombre d'hommes
puissans et indépcndans dans le gouvernement du
pays.


Charlemagne succede a Pépin, et les placites gé-
néraux prennent sous son regne une régularité, une
importance jusque-Ia inconIlues. Avant de rieo dis-
cuter, de rien inférer , j~ lPe hate de rapporter les
faits; ils nons oot été transmis par le célebre arche-
veque de Rheims, Hincmar, qui prit lui-meme, sous
Louis-le-Débonnaire et Charles-le-Chauve, une
grande parl aux affaires de la France (2). Je veux


(3) Presque tous les capitulaires de Pepin-Ic-Bref portent en
tete: • In plena "ynodo, in generali popllli conventu. » (Ap.
BAL. t. 1, p. 162, 178, 179.)


(1) Ces détails sont contenus dans une lettre ou instruction
écrite par Hincmar, en 882, a la demande de quelques grands
du royaumeqllieurent recour. a ses conseils pour lcgollverne-
ment deCarloman, l'un des fils de Louis-Ie-Begue. Quandnous
n'amian., dans cet écrit, '['le les sallvenirs et le témaignage
d'Hincmar lui-meme, il mériterait une grande canfiance, cal'
!'archc"éqnc do Rcims, né en 806, avait vu, sallS Lauis-Ie-Dé-~-; ..
I·,~·· .


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80 DES.INSTlTDTlONS POLlTIQUES E!I }'RANCI!
citer textuellement ses paroles, car c'esl un tableau
complet du gOllvernement central de Chm'Jemagnc;
et on les a mutilécs, torturées en tous sens, pou\"
les adapter aux hypotheses les plus contraires (1).


11 C'était l'usage de ce temps, dit Hincmar, de
• tenir chaque année deux assemblées (placita), et
" pas davanlage (2). La premie re avait líen 311 Pl'in-
)) temps; on y réglait les affaires générales de tout Je
1I royaume; auclln événement, si ce n'est une néces-


bonnaire, les habitudes et au moios les formes eItérieures du
gouverment de Charlemagoe. ~lais les documens qu'il nous a
cooservésont encare bien plus de valeur. Ilincmar ne fait guere
dan s ectte iostruetion, comme illedit lui-meme, que copier uu
traité De ordine PalalU, écritavant 826 par le célebre Adalhard,
abbé de Corbie, et l'un des principaux conseillers de Charle-
magne. (IlINCM. Opp. t. n, p. 206; De ordine Pa[atii,cap. XII.)
C'est dooc ici un monument tout-a-fait cootemporain et que
nous devons a l'un dcsbommcs les plus capables de coooaitre et
de j ugcr les faits. (Voyez l' ¡lis/oire littéraire de la Frunce, par
les Béoédictins ,t. IV, p. 480; t. v, p. 562.) La lettre d'Hinc-
mar est intitulée: «Ad proceres regni pro institutione Carolo-
manni regis et de ordine palatii ex Adalardo .• (HINC. Opp. t. II,
p. 201-215.) Je o'ai traduit quela seconde partie, seule relative
au gouvernement gén~ral du roraume.


(1) On peut voir entre autre.la prétendue traduction qu'eo 11
donnée le comte de Boulainvilliers dan s ses Let/re. our les an-
cien. parlemens de France (t. 1, p.5l59, édition de Londres
(Rouen), 1753), et les prétendus extraits qu'en fait llIably (ob-,
servation sur f Nistoire de France, liv. 11, chapo 11, t. 1,
p. 103-107.)


(2) Un capitulaire deCbarlema¡¡ne I'ordonne formellement:
• Ut ad mallum venire nema tardet, primum cirea restatcm, se-




DU V· ÁU X· SJ~CLB. 81
• sité impérieuse et universelle, ne faisait chllnger
" ce qui y avait été arreté. Dans ceUe assemblée se
)1 réunissaient tous les grands (majores), tant ecclé-
• siastiques que laiques; les pi us considérables
" (seniores), pour prendre et arreter les décisions;
" les moins considérables (minores), pour recevoir
" ces décisions, etquelquefois en délibérer aussi et
» les confirmer, non par un consentement formel ,
" mais par leur opinion et l'adhésion de leur intel-
" ligence (1) •


• L'autre assemblée, dans laquelle on recevait les
• dons généraux du royaume, se tenait; seulement
• avec les plus considérables (sem'ores) de l'assemblée
• précédente et les principaux conseillers (2). On


cundo circo outumnum. Ad olio vere placita, si necessitas fue-
rit vel denuntiotio regis urgeat vocotus venire nema tardet .•
(Cap. Caro Mag. a. 760, § XII; ap. Bu. t. J, p. 192)


(1) Je prie qu'on fasse ottention a eette phrase qlli n'ajamais
été exactement traduite ou cntendue; elle pro uve que la plu-
part de ceux qui se rendaient a l'assemblée générale y venaiellt,
non POUY exercer un pouvoir, mais pour recevoir en quelque
sorte des instructions, et se pénétrer del'esprit dll gOllvernement
qui les appelait. Leur réunion était, ponr Charlemagne, un
moyen de eonnaitre lui-rneme son empire, de faire compren-
dre ses mesures et ses 10is a tousceuxquidevaientconcourira
Ieur exéeution, de tendre enftn vers la réalité et !'unité dll .y ••
teme monarchique; maia les grands seuls prenaient vraiment
part aux délibérations.


(2) II est remarquable qlle l'assemblée la moins nombre\lse et
dont les pouvoir8 étaient le moillo étendus mt aussi eeHe mi le
monarque recevai! les don., annuels du royaume. Cela pl'Ouve,
eomme je I'al déja <lit, que la présentation de ces don. était


8




82 DES INSTITUTIONS POLITIQUES EN FRANCE
" commenr;:ait a y traiter des affaires de l'année sui-
" vante, s'il en était done il fut Ilécessaire de s'oe-
l. cuper d'avance, comme aussi de celles qui pou-
" vaiellt etre survenues dans ]e cours de l'année qui
l' touchait a sa fin', et auxquelles il fallait pourvoir
" provisoirement et sans retardo Par exemple si,
JI dansqnelque partie du royaume, les gouverneurs
• des frontieres (marchisi) avaient con el u pour un
J, temps quelque treve, on recherchait ce qu'il y
• aurait a faire apres l'expiI'ation de ces treves, et
11 s'il faudrait ou non les renouveler. Si, sur que]que
l' autre point du royaume, la guerre semblait ¡romi-
" nente ou la paix pr.es de.se rétablir, on eX8minait
» si les COnvenances du moment e~igeaient, dans le
JI premier cas, qu'on commen~at et qu'on souffrit
» les incursions, et dans le seoond , par qliet moyen
" on pourrait assurer la tranquiJlité. Ces seigneura
" délibéraient ainsi de longue main sur ce que f)OU-
JI vaient exiger les affail'es de I'avenir; et, lursque
JI les mesures convenables a vaient été trouvées,
JI elles étaient tenues si secretes qu'avantl'assemblée
JI générale suivante on ne les cunnaissait pas plus
" que si personne ne s'en fut oecupé et qu'elIes
11 n'eussent pas été al'retées. On voulait que, s'il y
» avait a pl'endre, au dedans ou :lU dehof"s du
» royaume, quelques mesures que ctJl'taines per-
» sonnes, en en étant infol'mées, eussent voulu em-


plutót une solennité 'lue I'époque d'une intervention réelle et
active de la nation dans son gouvernement.




DU V· AV X· 8ItCLE. 83
n pecher, ou rendre utiles, ou plus difficiles par
» quelque artifice, elles n'en eussent jamais le pou-
n voir.


• Dans la mema assemblée, si quelque mesure
" était f1écessaire, íoit pour satisfaire les seigneurs
" absens, soitpour calmer ou pouréchauffer l'esprit
• des peuples, et qu'on y eut pas pourvu aupara-
II vant, on en délibérait, on l'arretaít du consente-
n ment des assistans , et elle était exécutée de con-
• cert avec eux et par les ordres du roi. L'année
l) ainsi terminée, l'assemb]ée de l'année suivante se
• réglait comme je l'ai dit.


" Quant aux conseillers, soít laiques, soit ecclé-
l) siastiques, on avait soin , autant que possible, de
11 les choisir te18 que d'abord, selon leur qualité ou
• leurs fonctions, ils fussent rempli8 de la cninte de
» Dieu, et animés, en outre, d'une fidélité· iné-
)1 bran]able, au pointde ne rien.mettre 8u-dessus
n des intérets du roi et du royaume, si ce n'est]a
)1 vie éternelle. On voulait que, ni amis, ni ennemis,
,. ní parens, ni dons, ni flatteries, ni reproches,
n ne les pussent détourner de ]eur devoir; on les
" cherchait sages et habiles, 1I0n de ceUe habileté
» sophistique et de ceUe sagesse mondaine qui est ,
II ennemie de Dieu, mais d'une juste et vraie sa-
n gessé qui les mlt en état non-seulement de répri-
» mer, mais encore de confondre pleinement les
" hommes qui ont placé toute leur confiance dalls
~ les rllses de la politique hu maine. Les conseillers
» ainsi élus avaient pour maxime, comme le J'oi




84 . DES INBTlTUTIONS POLlTIQtrES EN FUNel
• lui-meme, de ne jamais conner, sans leur con-
11 ¡¡entement réciproque, a leurs domestiques ou a
" toute autre personne, ce qu'ils pouvaient s'etre
11 dit familierement les uns aux autres, soit sur les
,. affaire s du royaume, soít sur tel ou tel individu
" en particulíer. Peu imporlait que le secret dat
• etre gardé uu jour ou deux, ou plus, ou un an ,
" ou meme toujours. JI arrive en effet que, si les
• propos tenus dans des réunions semblables, sur le
11 compte d'un individu, soit dans des vues de pré-
" caution, soit pour tout autre intéret public,
• viennent ensuite a sa connaissance, iI en ressent
" de grandes inquiétudes, ou en est réduit au dé-
" sespoir, 011, ce qui est plus grave, es! poussé a
JI l'inndélité; et ainsi un hornme qui peut-etre aurait
~ pu rendre encore des services, devient inutiIe, ce
11 qui ne serait pas arrivé s'jl n'avait pas su ce qu'on
)1 a dit de lui. Ce qui est vrai el'un hOlllme peut elre
)1 vrai de deux, de cent, ou d'un plus grand nombre,
" ou de toute une famille, ou d'une province
" entieré, si ron n'y apporte la plus grande ré-
JI serve (1).


» L'apocrisiaire (2), c'est-a-dire le chapelain ou


(1) Paragraphe remarquable et qui montre combien. dans les
provinces, les hommes puissans étaient toujOUri prets de s'isoler
du gouvernement central ou de se révolter contre lui.


(2) • L'apocrisiaire, dit Hincmar dans le meme traité. pre-
• nait soin de tout ce qui se rapportait a la religion et ill'ordre
• ecclésiastique, ainsi qu'ill'observation des canon. et a la dis-
• cipline des monasteresj toutes les affaire. de I'église qui se trai-




DU V· A.U x· SdICLE. 8l)
" garde du palais, et le chambellan, assistaient
., toujours a ces conseilsj aussi un les choisissait avec
11 le plus grand soin j ou bien, apres les avoir choisis,
" on les iÍlstruisait de maniere a ce qu'ils fussent
" dignes d'y assister. Quant aux autres officiars du
• palais (ministeriales), s'il en était quelqn'un qui
11 d'abord en s'instruisant, ensuite en donnant des
• con5eils, se montrá! capable d'ocCllper honora-
n blement la place d'un de ces conseillers, on propre
» a devenir tel, iI recevait rordre d'assister anx
)) réunions, en pretant la plus grande aUention aUl!:
)) choses qui s'y traitaient, rectifiant ce qu'il croyad,
11 apprenant ce qu'il ignorait, retenant dans sa
• ménlOire ce qui avait été ordonné et arreté. On
• voulait par la que, s'il survenait, au dedans ou an
n dehors du royaume, quelque accident inopiné,
)) si l'on apprenait qllelque nouvelle inattcndue et a
" laqllellc on n'eut pas pourvu d'avance (il était rare
" cependant qu'en de telles occasions une profonde
n délibération fUt nécessaire, ou qu'on n'eut pas le
11 temps de convoquer les conseillers ci·dessus dési-
11 gnés); on voul ait. dis-je, qu'en pareil cas les
" officiers du palais, avec la grace de Dieu et par
• leur longue habitude soit d'assister aux conseils
• publies, soit de traiter les affaires domestiques,
• fussent capables, selon les circonstances, ou de
" conseiller ce qu'il y avait a fair&~ GU d'indiquer les


• taient dans lepalais étalent deson ressort.. (Hll'len. Doordilll1 ,_
palatii, cap. xx, t. JI, p, 20~.) <,.~"'(


i. ./~ ... f




86 DES lNSTITUTIOIIS POLlTIQUE8 EII PRA IICE
" moyene d'attendre, sans inconvénient, le temps
11 fi:sé pour la réunion du conseil.Voila pour ce qui
" .regarde les principaux officiers du paJais.


II Quant aux officiers inférieurs, proprement appe-
n lés palatins , qui ne s'oceupaient point des affaires
" générales du royaume, maia seulement de celles
" on les personnes spéeialement aUachées au palais
» étaient intéressées, le souverain réglait lellrs
n fonetíons avec un srand soin , afin que non-seule-
n ment aUCUIl mal ne pútnaitre de hi, mais que,
" s'il venait a se manifester quelque désordre, on
" put le contenir ou l'extirper aussitót. Si I'affaire
" était pressée, et que cependant on put, sans in-
n justice et sans faire tort a personne, en retarder
1I la décision jusqu'a l'assemblée genÓrale, l'empe-
" reur voulait qne les officiers dontje parle. sUssent
Il indiquer les moyens d'attendre, et imite\' la sa-
l) gesse de leura superieurs d'une maniere agréable
" a Dieu et utile au royaume. Quant aux conseíllers
11 dont fai parlé d'abord, ils avaient soin, quand
)} ils étaient convoques au palais, de ne pas s'oc-
11 cuper des affaires particulieres ni des contestations
» qui s'étaient élevées au sujet des propriétés ou de
11 l'application des luis , avant d'avoir réglé, avec
1I raid e de Dieu, tout ce qui intéressait le roi et le
" royaume en général. Cela fait, si d'apres les
II ordres du roi, on avait reservé quelque affaire
" qui n'avait pu etre termince soit par le comte du
» palais, soit par l'officier dans la compétence
• duquel elle était comprise, sans le secours des




DU Ve AU Xe SlEeLII. 87
" conseillers, ceux-ci llrocédaient a son examen.


" Dans l'une ou -l'autre des deux assemblées, et
• pour qu'elles ne parussent pas convoquées san s
" motif (1), on soumettait a l'examen et a la délibé-
» ration des grands que j'lIi désignés, ainsi que des
• premiers sénateurs du royaume, el en vertu des
" ordres du roi, les articles de loi nommés capitula
» que le roi lui-meme aVllit rédigés par J'inspiration
" de Dieu, ou 'dont la nécessité lui avait été mani-
" festée duns I'intervalle des réunions (2). Apres avoir
)1 re~u ces communications, ils en délibéraient un,


(1) ,Ne quasi .inccausa convocad viderentur;» Cettephrase
indique que la plupart des mcmbres de ces assemblées regar-
daient l'obligation de s'y rendre c9mme un fardeau, qu'ils se
souciaient a.se~ peu- de partager le pouvoir législatif, et que
Charlemagne, en les appelant a examiner ses projets de loi, vou-
lait lé¡¡itimer Ieur convocation en leur dannant quelque chosea
faire, bien plutot qu'il ne se soumeUait lui-méme a la néceisité
d'obtenir leur adhésion,


(2) La proposition des capitulaires ou, pour parler le lan-
gage moderne, l'initiative émanait dunc de l'empereur. Je ne
doute pas qu'en elfet il n'en fut presque toujours ainsi j I'ini-
tiative est naturellement cxercée par celui qui yeut régler, ré-
former, et c'était Charlemagne lui-meme qui avait conliu cc
grand dessein. La pensée et I'impulsion venaient de lui. Cepen-
dantje ne doute pasnon plus que les )nembres de I'assemblée ne
pussent faire de leur cóté toutes les propositions qui leur pa-
raissaient convenables. Les méfiances et les artifices constitu-
tionnelsde notre temps étnient, a coup sur, absolument incon-
nus de Charlemagne, trop .ur de son I'0uvoir I'0ur redouter la
liberté des délibérations, et qui voyait, dans ces assemblées, un
moyen de gOllvernement monarcllique bien phlS q.Í'une bar-
riere a son autorité.




88 DES IIfSTITUTtOIfS POLlTIQUES IIf FRAilea
11 deux.ou trois jours, ou plus, selon l'importance
• des affaires. Des messagers du palais, allant et
11 venant, recevaient leurs questions et leur rappor-
11 taíent les I'éponses; et aucun élranger n'approchait
• du lieu de leur réunion jusqu'it ce que le résultat
11 de leurs délibérations püt etre mis sous les yeux
" du grand Pl'ince qui aIOI's, avec la sagesse qu'il
1I avait reque de Oieu, adoptait une résollltion a la-
• quelle tous obéissaient (1). Les choses se passaient
" ainsi pour un, deux capitulaires, ou un plus grand
• nombrc,jusqu'it ce qu'avec J'aide de Oíeu, toutes
1I les nécessités du temps eussent été réglées.


" Pendant que ces affaires se traitaient de la sorte
" hors de la présence du roi, le prince lui-meme,
" au milicu de la multitude veuue it l'assemblée
• générale, était occupé a recevoir les présens, sa-
n luant les hommes les plus considérables, s'entre-
• tenant avec ceux qu'il voyait rarement, témoignant
lt aux plus agés un intéret affectuellx, s'ég~yant avec
• les plus jeunes, et faisant ces choses et autres sem-
" blables pour les ecclésiastiques comme pour les
11 séculiers. Cependant si ceux qui délibéraient sur
" les matieres soumises a leur examen en manifes-


, " taient le désir, le roi se rendait aupres d'eux, y
" restait aussi long-temps qu'ils le voulaient, et la
II lIs lui rapportaient, avec une entiere familiarité,


(1) La résolution définitive dépendait done toujours de
Charlemagne seul; l'assemblée ne lui donnait que des lumierea
et dea conseili.




DV V· AV X· BIECLII. 89
~ ce qu'ils pensaient de toutes cboses, et quenes
• étaient les discussions amicales qui s'étaient éle-
1I 'vées entre eux (1). Je ne dois pas oublier de dire
" que, si le temps était beau, tout cela se passait en
1I pIein air; sinon dans plusieurs batimens distincts
" on ceux qui avaient a délibérer sur les proposi-
» tions du roi 'étaient séparés de la muItitude des
" personnes venues a l'assemblée, et alors lesbommes
1I les moins considérables ne pouvaient entrer. Les
• lieux destinés a la réunion des seigneurs étaient
" divisés en deux partíes, de telle soFte 'lue les éve-
" ques, les abbés et les clercs élevés en digníté
1I pussent se réuntt sans au~un méJange de laiques.
• De meme les comtes et les autres principaux de
• l'état se séparaient, des le matin, du, reste de la
1I multitude,jusqu'~ ce que, le roí présent ou absent,


(1) M. de Boulainvilliers. traduit: • C'était la qu'ils loi ren-
• daient compte familierement des motiCs de leursavis, jusqu'i.
• ce que I'unanimité flit entiere .• (Lettre6 8ur les parlemens,
t. J, p. 57) j et selon Mabl y: • C'était par respect pour la li-
• berté publique que CharIemagne n'as5istait pas aux délibéra-
• tioIÍs, mai. il en était I'ame par le:minisblre de quelques pre-
• lats et de quelques seigneurs bien intentionnés .• (Obser" .
• ur r Hisf. d~ France, liv. JI, chapo JI, t. J, p. IO~). Singoliere
manie de transporter dans les vieux tempa les idées et les inté-
rels do notre! Si Charlemagne n'assistait pas aux délibérations,
c'est qu'il était occupé ailleors, et n'en redoutait nullement
l'issue; quand iI y~allait, c'était une marque de bienveillance
qu'il donnait a l'assemblée; et Hincmar remarque, comme une
chose bomaeet digne d'éloges, nullement son absence de la réu-
nion, mais au contraire sa facilité a s'y rendre et a y rester
• aossi long-temps qu'i1s le voulaient .•




00 DU Il'ISTltUtlOftS l'OtlTlQtJES Eft FRAl'CB
• ¡la ~ent tous réonis; et alors les seigneo •• ci-
n deÍIIlJI désignés, les clercs,de lcur cóté, les laiqlle8
11 dn laur, se rendaient dans la salle qui leor était
• a4Ilignée et on on leur avait fait honorablement
11 préparer des siéges. Lorsque les seigneurslaiques
" et ecclésiastiques étaient ainsi séparés de la mul·
11 titude, il demeurait en leur pouvoir de siéger en-
• semble ou séparément, selon la nature des affaires
" qu'ils avaient a traiter, ecclésiastiques, séculieres
" 00: mixtes. De meme s'ils voulaient faire venir
11 qnelqu'un~ soit pour demander des alimens, soit
" pour faire quelque questioD, et le renvoyer apres
» en avoir ret;u ce dont its avaient besoin, ils en
11 étaient les maitres. Ainsi se passait l'elamen des
11 affaires que le roi proposait a leu1's délibéra-
" tions (1).


" La seconde oceupation du 1'oi était de demander
" a chaeun ce qu'il avait a lui rapporter on a lui
" apprendre sur la partie du lloyaume dont il ve-
" oait; non-seulement cela leur était permis a tous,
" maia il leur était étroitement recommandé de
11 s'enquérir, dans l'intervalle des assemblées, de ce


(1) C'.est dans ce passage que lIIably a vu • les trois chambres
• iéparées du clergé, de la noblesse et du peuple, se réunissant,
• .oit pour se communiquer les réglemens que chaque ordre
• avail faits par rapport a sa police ou 11 ses intér~ts particuliers,
• soit pOUF discuter les affaires mixtes, c'est-a-dire qui tenaient
• a la fois au spirituel et au temporel, ou qui , par leur nature,
• étaient relatives a deux ou a tous les ordres de l'état .• (Obsert!.
sur f Hiat. de France, liv. 11, ch. II, t. 1, p. 105.)




91
11 quisepassait all dedans ou au deho.,. du rayaume;
" et iIs devaient chercher a le savoir des étrallget"s
,. (,'E)wme des Datíonaux, des enDemia corome des
" amia, quelquefois en employant des envoyé8. et
JI saM s'inquiéter beaucoup de la manieredont
• étaient acquis les renseignemens. Le roi voulait
• savoir si, dans quelque partie, quelque coin . du
" roraume, le peuple JDurmurait ou était agité, et
" quelle était ]a cause de son agitatioD, et s'H était
• survenu quelque désordre dont il {ut nécessaire
11 d'occuper le conseil général, -et autres _tails
• semblables. Il cherchait aussi a connaitre si quel-
11 qu'une des nations soumises voulait se réVQ~, si
11 quelqu'nne de oolles qui s'étaient révoltées sem-
I hlaitdisposée a se soumettre, si celles qui étaient
" encore iudépendantes mena~aient le royaume de
l) quelque attaque, etc. Sur toutesces matieres,
" partout 011 se manifestait un désordre lHlun péril
II il demandait principalemellt quels,en étaient les
1I motifs ou l'occasion. 1I


Que penser de ces faits ? Quesont et font vraiment
ces assemhlées? [st-ce 1::\ un peuple qui se réunit
et ,se gouverne luí-meme, eo vertu d'institulÍons
natíonales? Est-ce une aristocratie forte et constituée
qui partage, aveo un monarque, le pouvoir 50U-
veraio?


Je D'y vois que l'reuvre transitoire, la sagesse
persoonelle d'un grand homme qui se sert de ce
moyen pOOl' établir dans son empire quelque uoité,




92 DES lftSTlTUTIOlf8 l'OLlTIQUES 1:11 Fl\.\lfCB
quelque ordre, pour exercer le pouvoir avec coo-
naissaoce et efficacité.
~u'on remarque l'aspect général du tableau


qu'Hincmar a tracé. Charlemagne le remplit seul;
il est le ceatre et l'ame de toutes choses, des assem-
blées natiODales comme de son propre conseil, de la
plus grande assemblée comma de la plus petite; c'est
lui qui fait qll'clles se réunissent, qu'elles déliberent;
c'est luí qui s'enquiert de l'état du pays, des néces-
si tés du gouvernement¡ en lui résident la volonté e t
l'impulsion; c'est de lui que tout émaoe pour reve-
nir a lui.


Ce ne sont poiot la les symptomes de ]a présence
et de la liberté d'un peuple; barbare on civilisé, son
activité politique, quand ella est réeUe, a 11M allure
plus spontanée; quelque grand que soít un homme,
un peup]e libre ne se résigne point a ne l'entourer
que pour ]uí servir d'auréo]e et d'instrument. La
liberté marche et agit pour son propre compte, avec
ses propres desseins; soit qu'elle résiste au pouvoir
ou le possede elle-meme, elle est pleine de diversité
et d'agitatioll, vil de luttes et de conquetes, se mon-
tre défiante et sur ses gardes en présence de ses
chefs, quand meme elle les admire el les suit. Ce
n'est point la nation franque qui vient, dans ses as-
sembléeil, surveiller et diriger son gou vernement ;
c'est Charlemagne qui rassemble alltour de lui des
individus pour surveillcr et diriger sa nation,


Si en effet je regllrde a la composition de ces
réunionspériodiques, meme de eelles du printemps,


,




DU V· AU X· S¡Í!:CLE. 93
je n'y découvre rien qui annonce une origine vrai-
ment nationale el independante. En cas de guerre,
iI est vrai, tous les guerriers y sunt convoqués; en
temps de paix, le prince y reftoit solennellement les
dons de ses peuples. Mais, quant au gouvernement
proprement dit, quels sont les hommes qui y inter-
viennent, et aquel titre? Ces majores, ces seniores,
qui seuls participent aux délibérations, ce sunl les
ducs et les comtes que Charlemagne a nommés, les
éveques dont la lllupart ont aussi reftu de ]uí leur
office, (es grands bénéficiers qu'il sait ret¿nÍY dans
une condition précaire. Ces minores qui ne délibe-
rent sur rien, n'exerccnt aueune aulorité et doivent
seulement confirmer, par l'adhésion de leur intelU-
yBnce, les décisions qui seront adoptées; ce sont, en
grande partie du Dloins, les vicaires, les centeniers,
les officiers royaux d'un ordre inférienr. :Un eapitu-
laire de J .. ouis-Ie-Débonnaire, on Mably et d'autres
ont VOUllI voir des députés vraiment élus par le pelI-
pIe, me confirme dans ceUe idée: "Que chaque
» cornte, y est-iI dit, vienne a I'assemblée générale
" d'apres les ordres de I'empereur; qu'il y amene
" avec lui douze scabini s'il en a douze; sinon, qu'il
" complete ce nombre en prenant les meilleurs
• hommes de son eomté (1). " Or les scabini, eomme


(1) «Vult Domnus imperator ut in tale placitum quale
nunc ilIe jusserit veniat unusquisque comes et adducat seeum
duodecim scabillos si tanti fuerillt; sin autem, de meliorihus
hominibus ilIius comitatus suppleat numerum duodenarium.
(Cap. Lud. P. a. 819, § 11; ap. Bu. t.l, p. 605.)-(Voir lIlA·


fOliE JI. 9




94 DES II'lSTITUTIOI!S POUT1QUE! El'f FR,1I!CE
on l'a vu, étaient des magistrats nOllllnés pa:r llls
miss(Jominici ou les comtes, bien plutOt qu'élus p,u:
les hommes libres; s'il n'y en a pas douze, e'est ~
comte qui ehoisit et amene avec lui les meillelfrf
hommes qui doivent compléter ce uombre. Q~i form.e
done presque exc\usivement l'asse!llbée? Les officiers
royaux, Jes magistrats des provinces. Je vois bien
la, de la part du monarque, l'intention de réunir
autour de lui ses agens pour les connaÍtre et les di-
riger, de recevoir leurs conseils, de s'éclairer .en Jes
interrogeant et les écoutant, comme fa¡sait Chilfle-
magne au di re d'Hincmar, jo n'y puis découvrir
une élection populaire, le résultat 4'institutj.QllS
libres, l'intervention sPQn~ll.I).ée ~~ indépendl(l.nte de
la nation (1). . .
Bn, Observo sur r Hist. de F1'ance, ¡iv. ", chapo ", remarque e;
t. 1, p. 363.)


(1) En matiere judiciaire seulemept ces ussemblécs possé-
daient un pouvoir propre et indépendant; leurs attributions
n'étaient point déterminéeset se réglaient presqueuni'luemept,
quoi qu'on en ait dit, par I'importance des affaires et des hom-
mes. 11 p~ra¡t qu'elles connaissaient ass~z ordinairement des
grands crimes commis contre le roi ou I'état; témoin le proces
de r¡'assilon, duc de$ J}avarois, condamné ¡, mort dan s l'assem .
blée générale tenue a J~~~lsheim en 7¡¡8; celui de Pcpin , lis de
Charlemagne, en 792; de Bernard, roi d'Italie, en 818, et plu-
sieurs Qutres. Quant R la cour ou placite(purement judiciaire du
roi, c'était uneassembléc palticulieredontje n'ai point a m'pe-
cuper iei; les faits et les tedes '1ui s'y rapportentn'ontété nulle
part aussi completement recueillis que dans la Théorie de~ lois
PQlitiquBs de la France (ne ép0'l. me part., liv. IV, ch. XVI-XIII,
etles Preuves; t. VIl, p. 52-60,153-176,211-279.)




DU Ve AV X· SIiICLE. 95
Est·ceadire que ces assemblées fussent valnes, qu'il


y fámil vmr de pun mstrumens d'un pOU:voir despo-
tique, des reunioDs ét.·angeres au peuple et siitis in:-
fltiénce sur le gouvernement? Je suis loin de Iepenset.


Il serait plus absurde encore d'atttibuer á'it VlIle
si't'lcle notre science et nDS inventions en fart dé des-
potisme, que de prétendre y rétro'o:vl:lI.' Ílbs i:dstitu-
tiDns et nos garanties en fait de liberté.


Cc,n'était point contre les libertés publiques que
le pouvoir de Cliarlemagne avait a lutter; ce o.'était
point du pDuvDir de Charlemagne que léS libertes
publiques avaient a se déCendre. J'y reviens encore,
cal' tDut est hi. [,a dissolution: de toute societé un
p-eu étendue, le combat désotdDnné des t6rces indi-
vidnélles, la daffiination á't'bitraire des oomm:es
pnissans dans leur tertitbire, c'était la le mal qui
travaiUait la liberté et le pouvoir, té pelipie et
le rDi.


La Ilécessité de l'époque n'était done poiat que les
rapports de la nation el du gouvernement tussent
bien réglés et garantís, mais qu'il y eut un góuver-
nement et une natíon, car l'on et I'autre périssaient.


C'est la ce qu'entreprit Charlemagne; c'est a ce
dessein que servaient les assemblées dont Hillcmar
nons a conservé le tablean.


La faib\esse s'isole et se cache; la force brufale
erre an hasard partout ou la poussent ses désírs;
la forcé intelligente se fixe, se fait centre !'lt convo-
que autour d'elle toutes les forces qui peuvent l'ai-
de" '''eindre .on bu'; ,upériou,". elle ne '''in'f


\ ~
V''.
,'"


........




96 DES lNSTITUTlONS POL1TIQUE~ EN FBA.NCE
pas Jeur voisinage et les domine en so les associant.


liolés daos leurs districts ou sur leurs domaines,
ces ducs, ces comtes, ces grands bénéficiers J si pe-
sans pour la population qui les entourait, n'eussent
été pour Charlemagne que des étrangers on des en-
némis. Fréquemment rassemblés aupres de lui, tom-
bant alors dans la sphere de son aseendant person-
nel, ils étaieot ses conseillers, ses alliés, devenaient
bientot ses agens, et reportaient ensuite, dans les
provinces, apres I'avoir acceptée pour leur propre
compte, sa domination qui valait mieux que la leur.


Les missi dominici d'une part, de l'autre les assem-
blées du printemps et de l',automne, llar ces deux
moyens Charlemagoe régnait vraiment sur les hom-
mes puissans de son empire, tantot les subordon-
oant, tantOt les associant a son pouvoir.


Et de me me qu'il enjoigoait aux missi dominici
"de veiller surtont aux intérets des raibles (pauperes
populi), de se rcndl'e daos tous les lieux 011. ces inté-
rets exigeraient leur présenee, de meme, daos les
assemblées annuelles, il s'entretenait familieremeot
avec la multitude qui n'y était venue que pour ap-
porter ses dons, appliqué a gouverner les petits
comme les grands, et a les rallíer tUIlS en corps de
nation.


Était-ce la un gonveroement libre? Non certes ,
car on n'y voit aueune institutioll indépendante et
subsistant par elle-meme, aucune force sociale éri-
gée en pouvoir public et admise á limiter définitive-
ment la volonté du souverain. Cependant ce n'était




DO V· AU X· SIl'CLIl. 97
pas non plus un gouvernement despotique; cal',
pour les faibles, le maintien de l'ordre leur valait
bien plus de liberté qu'ils n'en avaient auparavant ;
et quant aux 1'01'15, Charlcmagne, en s'astreignant,
pour les gouverner et se servir d'eux, a recevoir
pél'iodiquement leurs eonseils, s'irnposait a lui-
meme la néeessité d' aecepter sou vent leur illfluenee.
Hincmar vante I'cxaetitude avee laquelle ce qui avait
été eonvenu dans l'assemblée générale était main-
tenu et exécuté.


Qu'était-ee done, a tout prendre, que ee gouver-
nement? Un grand et noble fait, reuvre transitoire
de la supériorité d'nn homme , triomphe éphémere
dn systeme monarchique, uniquement du. au génie
et a l'ascendant du monarque, qui ne fonda point
et ne pouvait Cunder par des institutions ni les libertés
publiques ni la royauté, mais qui, appelant la na-
tion a son aide pour etre vraiment roi, sut imprimer
nn moment, au penple el au pouvoir, l'unité de sa
pensée et de sa volonté.


Plus de trente assemblées générales s'étaient réu-
nies sous le regne de Charlemagne (1), et bien que,


(1) loEn 770, a Worms; 20 en 771, a Valenciennes; 30 en
772, a W orms; 4' en 773, a Geneve ; 5' en 775, 11 Duren; 60 en
776, a Worms ; 70 en 777, a Paderborn; 80 en 779, a Duren;
9° en 780, a Heresbourg; 100 en 781, a Worms; Jl o en 782,
aux Sources-de-la-Lippe; 12' en 785, a Paterbornj 13' en 786,
a Worms; 140 en 787, B Worms; 150 en 788, a Ingelshein ;
16' en 790, a Worms; 170 en 792, ¡, Ratisbonne j 18" en 793,


9.




98 DES INSTlTUTIONS POLlTIQVES EN FIIAlleE
dans Jeür éourte durée, elles ne fissent guere que
re6tN'oir son impulsion, enes avalent cependant été
assoérées dux plus importantes affaires de I'état.
Louis~le-Débonnaire ne cessa roint de les convoquer
ni de réclamer leur sanction on leurs conseils. On
en compte vingt·cinq sous son fegne (1), et les chro-


11 Ratisbonne ; 19° en 894, a Fl'ancfort; 200 en 795, it Kulfens-
tein; 210 en 799, a Lippenheim; 220 en 800, a Mayence; 230
en 803, a Mayence; 240 en 804, aux Sourccs-de-Ia-Lippe; 250
en 806, a Vadala; 260 en 807, a ConfIans ; 270 en 810, a Ferda;
280 en 811, it Aix-la-Cbapelle; 290 en 812, a Aix-Ia-Cbapelle;
300 en 813 it Aix-Ia-Chapelle. Les divers textes oil sont mention-
nées ces assemblées ont été recueillis dans la Théorie des lois
politiques de la France (t. 1lI, Preuves, p.136-155). Plusieurs ne
furent,11 ce qu'ilsemJjle, que des convoco:tions militaires, et iI
y a lieu de croire que les chroniqueurs ne les ont pas toutes
rappelées, M. de Boulainvilliers, sans en donner le détai!, en
compte évidemment un plus grand nombre, (Lettres sur les
Parlemens, cte., t. 1, p. 70-80:)


(1) loEn S14, a Aix-Ia-ChapelIe; 20 en S15, a Padernorn ;
30 en 816, it Aix-Ia-ChapeIle; 40 en 817, a Aix-Ia-Chapelle;
5" en 818, u Aix-!a-Chapelle; 60 en 819, ¡, Aix-Ia-ChapelIe,
70 820, a Aix-Ia-Chapcl!e; So en 821, ii. Aix-Ia-Chapel!e; 9"
en 822, a Attigny; 100 en 824, a Compiegne; 11" en 825, It
Aix-Ia-ChapeIle; 120 en 826, ¡, Ingclshem; 130 en 827, 11 Ni~
megue et a Compiegne; 140 en 828, a Aix-Ja-Chapelle; 150
en 829,.a Worms; 160 en 830, a Aix-Ia-Chapelle; 17° en 831,
a Aix-la-ChapeIle; 180 en S32, a Mayence; 190 en 834,11
Paris; 200 en 835, a ThionvilIe; 21 0 en 836, a ThionvilIe; 220
enS37, 11 AiJi-Ia-ChapeIle; 230 en 83S' A Mayence; 240 eri83!}",
¡, Warms; 250 en 840, a Worms.-La mort de Lotiis-Je-Dé-
honnairé empecha hi tenue de ce dernierplacitegénérál. (Théor.
clcsliJi, politíqucs de la FrallCe, t, 111, Preuves, p. 156-169,)




DU V· AU X· SrECLE. 99
niqueurs attestent qu'elles rurent sonvent appelées
it déliberer sur les événemens et sur les lois. Mais les
événemerrs n'étai'ent plus dirigés, les 10Ís devenaient
Ímpuissantes; I'Ullité du gouvarnement avait disparu
avec Charlemagne ; les assemblées génétalelr, lóÍn de
la retaMir; ne servirent qu'a révéler la dissolution
renaissante et a en précipiter le COU1'8. On y vit éclater
et s'envcnime1' les discordes du dergé et des grands,
Boit avec I'empereur, soít entre eux. Des inimitiés et
des guerres civiles étaient presque ]e seul résultat
de ce rapprochement momentané des prétentions et
des forces individuelles, qu'aucnne force supérieure
ne ralIiait et ne conteliait plus. Ce fut bien pis sous
Charles-l~Chauve ; on' trouve encore dan8 les chro-
niques de son tempa, la t:race de vingt-cinq placites
généraux (1); mais teur nom n'est pIna qu'un men-
songe ; il n'y avait plus' d'intérets générmx, plus
d'affaires publiques, plus de gouvernement nationa1.
La plupart de ces assemblées ne sont que des congtes


(1) l° En 843, a Germiny; 20 en 844, u in villa qiJre dicitur
Colonia; • 30 en 846, a Epernai; 4° en 849, a Chartres; 110 en
850, a Vermerie; 6° en 851, a Roussy; 'o en 852, le lien n'est
pas indiqué; 80 en 853, a Vermerie; 90 eri 8511, a Bonnenil ;
100 en 856, 8. Vermeriej no en 857, /¡ Cerisy; 12' en861, a
Compiegnej ISO en 862, 11 Pistes; 140 en 864, aPistes; 150 en
866., lelieu n'est pas indiqué; 160 en 867, a Chartres; 17° en
868, ti Pi.tes; 180 en 869, j¡ Pistes; 19° en 870, j¡ Sant-Denis ;
20° en 871, a Domy; 21" en 872, a Gundulph; 22° en 873, a
Cerisy; 230 en 874, a Douzy ; 240 en 87(;, a Samousy; 250 en
877, a Cerisy. (TMori,e des loi8 politiquea de la France, t. III;
Preuves, p. 170-180.) .




100 DES INSTITUTIOIIS POLITIQUES EN FRUCB
on quelques hommes puissans, ducs, comtes ou vas-
saux, viennent débattre avec le roi leurs intérets
personnels. Le clergé, qui seul continuait a faire
corps, essaie quelquefois de leur rendre un carac-
tere de généralité, d'y faire adopter quelquc mesure,
quelque regle vraiment publique. l\1ais c'est presque
toujours a l'appui de ses propres prétentions, non
dans des vues d'intéret national, qu'a lieu de sa part
eette tentative, et elle ne produit point un résultat
qu'au fond elle .n'a point pour but. Apres Charles-
le-Chauve, la dissolution est consommée; le systeme
aristocratique qui triomphe ne se fonde point encore
sur des principes a peu pres convenus, n'a point en-
core pris une forme un peu riíguliere; toutes choses
sont de nouveau en proie a la force et a une brutale
anarchie; un sieele s'écoulera avantque les rapparts
des seigneurs avec leur sllzerain et leurs vassaux
aient donné naissanee, en se réglant, a cette confé-
dération turbulente qU'OIl appelle le régime féodal.
Mais toute institution centrale, tout gouvernement
public n'en a pas moina disparu; les intérets, les re-
lations , les affaires, les pouvoirs , tout est devenu
local; et depuis la fin du IX." siecle, quoique leur
Dom se puisse rencontrer encore, les assemblées na-
tionales ont cessé d'etre, plus completement meme
que la royauté.




DU V· .&.U X· SIECU:. 101
Je viens de parcourir a pas lents, une longue car_


riere. Qu'ai-je vu dans ces cinq siecles, berceau de
rEurope moderne? Le chaos. Des institutions libres
et point de liberté, des institutions aristocratiques
et point d'aristocratie, des institutions monarchiques
et point de roi; partout la force avec l'inflnie varié té
de ses chances "et l'infatigable mobilité de ses effets;
qu'est-ce que cela, sinon le chaos, ou toutes choses
sont en germe et en luUe, ou aucune n'est a sa
place, et ne peut prendre sa forme ni porter ses
fruits? Les publicistes ont pu, je le comprends sans
peine, trouver dans cet état social tout ce qu'ils ont
voulu : tout y était en effet, tout s'y rencontre, les
principes comme les exemples de la liberté, du des-
potisme, du privilége. On y peut reconnaltre la
trace et rapporter l'origine des prétentions les plus
tyranniques et des institutions les plus tutélaires, de
toutes les usurpations comme de toutes les garan-
tieso Elles y existaient ensemble, ou plutOt ni les
uneS ni les autres n'existaient réellement, car rien
n'est réel la ou rien n'est fixe ni général; et ni le
privilége, "ni la royauté, ni la liberté, ne sauraient
prétendre que la société leur a appartenu a une épo-
que ou le combat désordonné des forces individuelles
ne permettait l'exercice un pell régulier, ni I'affer-
missement un peu durable, d'aucun droit ni d'aucun
pouvoir.


Il est curieux d'observer les vicissitudes de I'opi-
lIion savante a l'égard de ces vieux temps, et de voir
comment elles ont toujours correspondu aux vicissi-




1()~ DES INSTlTllTlONS POLlTIQU'ES EN FRANCE
iúdes p'olitiq'tiés de la société meme. Je ne remo n-
tétai pas bien l/lino


.Nu XVII" siecle, I'ancIéniJe aristocratie fram;aise
avliit péri, du moins comine pouvoIt; loin de gou-
verner le peilple et le roi, elle ne possédait plus ni
droits ni libertés; le systeme de la monarchie purc
prevalait en príncipe comme en fait; on vonlait
qti'il en eut toujotirs été ainsi, et que la noblesse
n' eut j amais ete que l' ornement de la cour du prince.
" Misere extreme de nos jours, s'écrie généreuse-
II ment le eornte de BotdainviHiers, qili, 101n de se
11 contenter de la sujétion on nous "ivons, aspire a
» porter l'esclavage dans le temps on on n'en avait
JI pas I'idée (I)! " Et iI fait ün livi'e pdnr prouver
que la noble!fse frant¡aisé, fiHe de la natiun franque,
a eté jadis seule libte, seule souveraine, et, en vertu
du droit de conquete, indépendante des rois comme
maltresse de la population (2). Depuis la conquete,
les rois seuls ont usurpé.


A peine ce livre a paru que l'abbé Dubos, indigné
a son tour, víent soutenir la légitimité primitive et
la plénitude du pouvoir royal tel que Louis XV le
possede; la nation franque n' a point conquis les


(1) eette exclamation se trouve dans une longue préface
inédite du comte de Boulainvilliers, placée en tete d'un ma-
nuscrit du journal de saint Louis déposé a la bibliotheqlle de
l'Arsenal.


(2) JI istoire de l' aneien gou1ler1lement de France, acee qua-
torze leUres historiques sur les parlemens 0\1 états-géneraux ;
la premiere éditioll parut 11 La Ha ye en Ini; 3 \'01. in-Bo,




DU VO AV XC J¡lJ:Cn~. 103
Gaules; ses rois out hérité, sur rinvit~ion du peu:"
pIe glmlois, de l'autorité comme AA wrritoire fles
emper~urs romains (1). Pourqupi ce livre? J'arce
que c'est a l'ombre et avec I'alliance q.e la royauté
que Le peuple fran~ais s'est affranchi de l'aristoc.r/ltie
féodaIe; .et ron croit eucore quc la légitiIQ~te de cet
aífraI).chissem~nt es! lié.tJ a ceHe du pouyoir ,absolll
des rois.


A l'abbé Dubos s\lccede lontesquie~; celui-ci est
'Ju hornme de gélJ.ie; iI ne se laissera poin,t dom~ner
par de si mesquiues préventions; il ne cr~~ra point
les droits du peuple ni ceu~ du trone absolp.ment
engagés qans ce qu'il pourra penser des temps de
Charlemagp.e .Oll de CJovis; aussi se fera-t-iJ, Qe ces
temps, p;ne i(j..ée pl~~ j~ste et pJIlS large; il Y verríl
1'p,rigine e~ l~ lutt,e dtl pouvoil's co~me ~e droits di-
vers; iI c.ofl1.battra taptOt l'a):¡bé Dubos, ~ntot le
comte de JJoulainvilliers. Cependant.~ }.J,lJ.bi~p.Qell
de ~a cOll4ition et de son état Jui iIlSPjr",~, P9~r la
nople~stl ~t rautorit6 rQyaJe a la fojs', ~nJ' ceri,uine
tep.d~~~ dllnt il demepre prépc~uJ>t' ; iJ Je!! ;v~t Ip.e-
nacée~ par une opiuion publique 4Rpt H ,lIecolJ.de
lui-1peme les progres; il n'emploier!/. point!!P ~~epcl;l
a soutenir ce .que Jeurs pl'ét~nt~(m~ out d'ilhsurQe
Olel de sur¡.¡pné; mais iJ voqdr¡J. 4u m~i~ Sl.lUV~r ran-
tiquité dl3lcur *re; il serefp,.$pra a \ldmoUre q:u'eI!es


('2) Histoire critique de l'établessement de la monarchie
frmlf?aise da1ls les Gatlles; la premiere édition est de 1734;
:; "01. in-4°,




104 DES IIlSTITUTIOIIS POLlTlQUES EN FRAileE
n'aient pas brille l'une et I'autre des les premiers
jours de notre existence nationale. u CeHe pl'éten-
» tion, dit-il, injurieuse au sang de nos premieres
II familIes, ne le serait pas moins aux trois grandes
» maisons qui ont successivement régné sur nous.
J' L'origine de Il!ur grandeur n'irait done point se
JI perdre dans I'oubli, la nuit et, le temps; l'histoire
• éclairerait des siecles ou elles auraient élé des fa-
JI milles comrnunes; et pour que Childérie, Pepin
" et Hugues-Capet fussent gentilshornmes, il fau-
JI drait aller chercher leur origine parmi les Romains
» ou les Saxons , c'est-a-dire parmi les nations sub-
» juguées (1).» Puérilité indigne d'un si grandgénie!


Apres Montesquieu, I'abbé de Mably se livre a la
meme étude. Les temps et les esprits sont changés;
il ne s'agit plus de défendre la royauté contre
l'aristocratie féodale, ou l'aristocratie féodale eon-
tre la royaute. Uné nouvelle puissanee, ceHe de la
masse des eitoyens, du peuple, s'est élevee; elle a
separé ses droits et son sort du sort et des droits
du trone, auquel naguere encore elle voulait s'u-
nir si étroitement; confiante en sa propre force,
elle est en agression et contre l'aristoeratie et eon-
tre le pouvoir royal. C'est celle-ci maintenant qui,
dans l'origine, doit avoir été legitime et souverainej
c'est a ses dépens qu'auront eté faites toutes les
usurpations. II faadra que nos anciennes institu-
tions aient été nationales et libres, que les seigneu-


(1) E.prit de81Qis, Iiv. xxx, chapo xxv.




nu V· AU X· SIECU:. 100
ries soient de date plus récente comme la roranté
héréditaire, et Charlemagne ne demenrera nn grand
homme qu'a. condition de se laisser travestir en
monarque constitutionnel.


Je pourrais poursulvre et trouver, parmi nons
aussi, matiere a de tels rapprochemens; mais
ceux-lil me suffisent ponr faire voir par quelle cause
I'époque dont je viens de traiter a été, selon moi,
si completement et si diversement méconnue. Elle
s'est priMe a toutes les vicissitudes de la societé, a
tous les besoins de 1'esprit de parti, a toutes les hy-
potheses dc la science; elle a fourni des armes a
tous les systemes, a tous les pouvoirs, a la liberté
comme a l'al'istocl'atie, a l'aristocl'atie comme a la
rayauté. Poul'quoi? Parce qu' elle portait dans son
sein tontes choses, la liberté, la l'oyauté, le privi-
lége; et toutes ohoses' dans un état d'inoonsistance
et de confusion qni a permis a ohaque siecle, il
chaque parti, achaque homme, d'y voir tout ce qui
lui oonvenait. La simultanéité déréglée des systemes
d'institutions les plus divers, des tendances politi-
ques les plus contraires, est donc le seu] caractere
général qu'on lui pui~se assigner.


Le chaos precede ]a création, et la creation suit
nécessairement le chaos. Qlland celuí-ci eut duré
cinq siecles, il fallut bien que les choses et les
hommes en vinssent, comme dit Montaigne, a s'a-
dapter et s'appiler d'apres qnelques principes, sous
une forme un peu durable et déterminee. La ten-
dance aristocratique devait prevaloir. J'en ai indi-~; H


10 f;'''''.k C
, ::.'
,~


~




106 DES IIISTITUTIOll8 l'OLITJQ()ES EN FRANCE
qué les causes. Elle enranta le regime feodal. Sauf
]a belle mais sterile tentative de Charlemagne, ce
régime fut le premier pas hor~ du regne anarchiqne
de la force, c'est-a-dire , dans rEurope moderne. le
commencement de la 50ciété. '


--.. __ ..-




CINQUIEME ESSAI.
un CABACTEBE POLlTIQUE DD BtGlME FtOUAL.


Je viens d'assister a la lente et laborieuse nais-
sanee du régime feodal ; je ne me propose point de
le suivre ainsi de pres dans les details et les vicis-
situdes de sa vie; je veUK seulement reconnaitre son
vrai caraetere politique, determiner avee précision
ce qu'etait la féodalite eomme systeme d'organisa ..
lion Bociale et de gouvernement.


La destinée morale de ce régime a été singuliere.
Avant son établissement definitif, la société n'était
paso On ne peut vraiment appeler de ce nom le
chaos que je viens de déerire, époque de dissolu-
tion et de guerre, on toutes choses fermentaient
confosément, sans forme, sans eonsistance. sans
loi. Au K' siecIe seulement, les rapports et les pou-
voirs sociauK acquirent quelque fixité; le pays ap-
partint enfin a un systeme qui eut son unité, ses
regles, son Cliurs, un nom propre et une histoire.
Ce systeme n'a point éte sans force ni sans écIat.
De grandes choses et des granda hommes, la che-
valerie, les eroisades, Ja naissance des Jangues et
des littératures populaires, ront illustré. Les temps
de son regne ont éte, pour l'Europe moderne, ce
que furent pour la Grece les temps heroiques. De
la datent presque toutes les familles dont le nom
se lie aux evénemens nationaux, une foule de mo-




108 DU CARACTERE POLITIQUE
numens religieux ou les hommes se rassemblent
encore. La se rattachent des traditions, des souve-
nirs qui, aujourd'hui encore, se saisissent forte-
ment de notre imagination; et pourtant le nom de
la féodalité ne réveille dans l'csprit des peuples que
des sentimens de crainte, d'aversion et de dégout
Aucun temps, aucun systeme n'est demeure aussi
odieux á l'instinct public; jamais berceau d'une
nation ne lui inspira une telle antipathie. Et eette
antipathie, quoi qu'OIl en dise, n'est point parti-
culiere a notre áge, ni seulement le fruit de la re-
volution qui nous a separes, comme par un abime ,
de notre passe. On peut remonter le cours de notre
histoire, et s'y arreter 011 l'on voudra; on trouvera
partout le régime féodal considéré par la masse de
la population comme un ennemi qu'il faut com-
battre et exterminer a tout prix. De tous temps,
quiconque lui a porte un coup a été populaire en
Franee. On a vu les gouvernemens les plus di ver s ,
les systemes les plus funestes, le despotisme, la
théocratie, le régime des castes, aceeptés, soutenus
meme de leurs sujets, par l'empire des traditions,
des habitudes, des croyallces. Depuis sa naissance
jusqu'¡l su mort, aux jours de son éclat comme dans
sa decadence, le régime féodal n'a jamais eté ac-
cepté des peuples. Je défie qu'on me montre une
époque ou il paraisse emaciné dans leurs préjugés
et protegé par leurs sentimellS. Ils l'ont toujours
supp ',rte avec haine et aUaque avec ardenr.


Je u'ai garde de vouloir discuter et juger la légi.




DU RiGIMII FÉODAL. 109
timité d'un tel fait; c'est a mon avis, le plus sur
et le plus irrevocable des jugemens. Mais il vaut la
peine d'en rechercher les causes; elles ne sont pas
toutes, ni peut-etre meme les principales, dans les
maux que, sous le regime feodal, les peuples ont eu
a souffrir.


Qu'il me soit permis de le dire en passant; le
malheur n'est pas ce que détestent et redoutent le
plus les peuples; ils ront plus d'une fois soutenu,
affronté , recherché presque, et iI y a des époques
déplorables dont le ~ouvenir Ieur est demeuré tres
cher. C'est dans le caractere poli tique de la féoda-
lité, dans la nature et la forme de son pouvoir que
réside vraiment le principe de cette aversion popu-
laire qu'elle n'a cessé d'inspirer.


Je prie qu'on veuilIe bien se rappeler l'idée que
se sont formée long-temps de l'origine de la féo-
dalité, non-seulement le public, mais beaucoup
d'hommes sa vans. A les en croire, apres la con-
quete, toute l'ancienne population fut dépossédée
et réduite en servitude. Les vainqueurs se parta-
gérent tout le territoire , tous les habitans , et de-
meurerent seuls propriétaires et libres. Chacun
d'eux s'établit dans ses domaines , au milieu de ses
Ilouveaux sujets; et ils se Iierent les uns envers les
autres par un systeme hiérarchique de relaliolls
militaires, judiciaires et politiques, qui prit le nom
de régime féodal.


A COllp sur, rien n'esl plus faux qu'une telle hy-
pothése; on vient de voir qu'elle est démentie par


10.




110 DD CABACTEBE POLlTIQUE
tOU8 les faits. Pourquoi done est-eUe née ? pourquoi
a-l-elle été si généralement aecueiUie ? estoce seu·
lement a la légereté, al). défaut de science et de
critique qu'on doit l'imputer?


Non certes ; elle a eu une cause plus légitime et
plus profonde; elle est provenue d'un anachro-
nisme évident, mais natnrel. Elle a transporté le
x" siecle au VI", et supposé que la féodalité s'était
faite d'un seul coup, telle qu'elle fut cinq cents ans
plus tard, lui donnant ninsi pour origine l'titat so-
cial que son triompbe progressif devait amener.


Au x· siecle, en effet, la France, hornmes et
terres, était partagée entre les possesseurs de fiefs,
comme on a cru qu'au Vi" elle l'avait eté systéma-
tiquement entre les barbares. Ce n'était plus de
Francs et de Gaulois , de vainqueurs et de vaincus,
qu'il s'agissait; tout s'était déplacé, altéré, con-
fondu, les conditions individuelles et les peuples.
Mais la conquete, les longs désordres qui la suivi-
rent, la luUe des diverses tendances politiques
avaient amené ee résuItat, qu'un certain nombre
d'hommes, sous le nom de seigneurs et de vassaux,
établis chneun dans ses domaines, et liés entre eux
par les relations féodales, étaient les maitres de la
population et du sol. CeHe domination n'était puint
universeIle ni partout régulierement eonstituéc;
des propriétaires d'alleux demeuraient en dehors
du régime des fiefs; quelques cités, surtout dans
le midi de la Gaule, conservaient certaines fran-
chises ; dans la masse du peuple qui De possédait




DU atGIME UODAI .. III
ni alleux ni fiefs, les conditions étaient diverses et
inégales : ici la pUt'e servitude, la quelques restes
de liberté, quelqucs débris des droits de propriété ;
ailleurs dans quelque recoín sauvage, dans quel-
que district oublié, une sorte d'indépendance due
a 1'isolement. Tels étaient le désordre des tamps,
la faiblesse de la population, la rareté des commu-
nications, 1'ignorance des hommes, le défaut de
généralité dan s les institutions, les idées el les faits,
qu'il y avait place pour tous les hasards, toutes les
divel'sités, toutes les anomalies. Mais en dépit de
cette confusion, c'élait a la hiérarchie féodale
qu'appartenait la France ; elle devenait de jour en
jour au dehors plus étendue, nu dedans plus com-
pacte; de jour en jour les propriélaires de fiefs
avanc;aient vers la possession exclusive du pays et
du pouvoir.


Or, quels étaient la nature particuliere de cette
aristocratie, lo caractere politique de son gouver-
nement 't


C'était une confédération de pelits Bouverains,
de petits despotes, inégaux entre eux el ayant, les
uns envers les autres, des devoirs el des droils ,
mais investís dans leurs propres domaioes, sur
leurs sujeta persoooels et directs, d'un pouvoir ar-
bitraire et absolu.


La réside la féodalité tout eotiera, c'est par la
qu'elle se distingue de toute autre aristocratie, de
tout aulre gonvernement.


Ni le despotisme, ni les aristocraties n'ont été




1) 2 DD CARACTtRE POLITIQUE
rares en ee monde. On a vu des peuples arbitraire-
mentgouvernés, possédés meme par un seul homme,
par un collége de pl'etres, par un corps de patri-
ciens. Aucun gouvel'nement n'a lessemblé au ré-
gime féodal.


La. ou le pouvoir souvel'ain a ete place aux mains
d'un seul homme, la condition du peuple a pu etre
servile, déplorable. Au fond, la féodalite valait mieux,
et tout a l'heure je dirai pourquoi. Cepelldant, il le
faut reconnaitre, bien SOlivent cette condition a paru
moins Jourde et s'est fait plus aisement aceepter que
le régime féodal. e'est que, dans les grandes monar-
chies, les hommes ont du moills cbtenu une sorte
d'égaliteetde reposo Égalité honteuse, repos funeste,
mais dont se contentent quelquefoisles peuples sous
l'empire de eertaines situations ou dans le dernier
periode de leur existellce. La liberté, l'egalite et le
repos manqaaiellt egalemellt, da XC au XIIIC siecJe,
aux habitans des domaines de chaque seigneu:-.
Leur souverain etait a leur porte; aueun d'eux n'e-
tait obscur pour lui ni éloigné de son pouvoir. De
toutes les tyrannies, la pire est eelle qui pent aimi
compter ses sujets et voit de son siége les limites de
son empire. Les capriees de la volonté humainc se
déploicnt alors dans leur intolerable bizarrerie et
avec une irresistible promptitnde. e'est alors anssi
que l'inegalite des conditions se fait le plus rude-
ment sentir; la riehesse, la force, l'independanee,
tous les avantages et tous les droits s'offrent achaque
instant en spectacle a la misere, a la faiblesse, 11 la




DU R&GllIIl! riODAL. 113
servitude. Les babitans des fiefs ne pouvaient se con·
soler au sein du repos; sans cesse compromis dans
les querelles de Ieur seigneur, en proie aux dévasta-
tions de ses voisins, ils menaient une vie encore plus
précaire, encore plus agitée que lui-meme, et su-
bissaient a la fois la eontinuelle présence de la
guerre, du privilége et du pouvoir absolu.


La domination de la féodalité ne différait pas
Dloins de celle d'un eollége de pretres on d'un sénat
de patriciens que du despotisme d'un seul. lei, c'est
un corps aristoeratique qui possede et gouverne ]a
masse du peuple; la c'est une aristocratie dissoute
en individus, dont cbaeun possede et gouverne pour
son propre compte, un certain nombre d'hommes
qui ne dépendent que de lui. Le corps aristocratique
est':'n un 'clergé? son pouvoir se fonde sur des
croyances qui lui sont communes avec ses sujets;
or, dans toute croyance commune a ceux qui com··
mandent et a ceux qui obéissent, il Y a un lien
moral, un principe d'égalité, et de la part de ceux
qui obéissent, une adhésion tacite a 1'empire. Est·ce
un sénat de patriciens qui regue? il ne peul régner
aussi capricieusement, aussi arbitrairement qu'un
homme, car il procede par mesures géllérales, el sa
souveraineté n'est que collective. n y a diversité,
délibération dans le sein meme du gouvernement; il
peut s'y former, il s'y forme tOlljours des factions ,
des partis qui, pour arri ver a leurs 6ns, cherchent
á se concilier la faveur du peupIe, prennent quel-
quefois en main ses intérets, et, quelqlle mauvaiSCrf~'
¡¡,:~


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114 DU CAl\AOTÉl\E POLITIQUE
que soit sa condition, en s'associant aux rivalités de
ses maitres, il exerce quelque influence sur son pro-
pre sort. La féodalité n'était point, a proprement
parler, un gouvernement aristocratique, un sénat
de rois, comme disait Cynéas a Pyrrhus, c'était une
collection de despotismes individuels, exercés par
des aristocrates isolés, dont cbacun, souverain et lé-
gislateur dans ses domaines, ne devait compte a au-
eun autre et ne délibérait avec personne de sa eon-
duite envers ses sujets.


Peut-on s'étonner qu'un tel systeme ait encouru,
de la part des peuples, plus de haine que ceux-la
meme qui les ont réduits a une servitude plus mono-
tone et plus durable? Le despotisme était la comme
dans les monarchies pures, le privilége comme dans
les aristocraties les plus concentrées; etl'un et l'autre
s'y produisaient sous la forme la plus otfensante, la
plus crue, si jo puis ainsi parler ; le despotisme ne
s'atténuait point par l'éloignement et l'élévation d'un
trone; le privilége ne se voilait point sous la majesté
d'un grand corps; ¡'un et l'autre appartenaient a un
hornrne toujours présent et toujours seul J toujours
voisin de ses sujets,jamais appelé, en traitant de ¡eur
sort, a s'entourer de ses egaux.


Maiutenant je quitte les sujets, la nation possédée;
je ne considere plus que les maitres, ceUe nation
souveraine, dissoute en individus dont chacun l'egUe,
pour son compte, dan s ses terres, et pourtant unie
pat' ces ralJports de fieCs qui, d'abord fondés sur la
néce8sité etl'usage, devinrent bientotdes illstitutions.




nu RÉGIMI!. FtonAL. 115
Ici je rencontre un autre spectacle, des libertés,


des droits , des garanties qui non-seulement hono-
rent et protégent ceux qui en jouissent, mais qui,
par leur nature et leur ten dance , ouvrent. a la
population sujette, une porte vers un meilleur
avenir.


Il faut bien que cela fUt ainsi; cal', d'une part ,
le régime féodal n'a manqué ni de dignité ni de
gloire; de l'autre, il n'a point , comme la théo-
cratie de l'Égypte , le despotisme de rAsieou l'aris-
tocratie de Venise, condamué sans retour seS' sujets
a la servitude. U les opprimait, mais ils out pu s'af-
franchir.


Et d'abord si la féodalité, en p]a~ant le maitre
pres du sujet, rendait le despotisme plus odieux et
plus pesant, elle plal(ait aussi, dans la nation so uve-
raine, l'inférienrpresdu supérieur, cause tres efficace.
d'égalité et de liberté. e'est le vice de la monarchie
pure d' élever le pouvoir si haut, et de l'entourer d'un
tel éclat que la tcte tourne a oelui qlli le possede ,
et que ceux qui le sllbissent osent ii peine le regar-
der. Le souverain s'y croit un dieu, le peuple y
tombe dans l'idolatrie. On pent écrire alors les de-
voirs des rois et les droits des sujets; on peutmeme
les precher sans cesse; mais les sitllations ont plus
de fOTce que les paroles, et quand l'inégalité est ¡m-
mense, les uns oublient aisément leurs devoirs, les
autres leurs droítH. La grandeur féodale était acces-
sible et simple, la distan ce conrte du vassal al1 sl1ze-
rain. Ils viyaient entre eux familierement et comme




116 DU C.\.R.\.CTElIE POUTlQUE
des compagnons, sans que la supériorité se put
croire illimitée, ni la subordination servile ; presque
également nécessaire l'un a I'autre, seule garantíe
assurée de la réeiprocité des devoirs et des droits.
De la eeUe étendue de la vie domestique, cette no.
hlesse des services personnels OU l'un des plus gé-
néreux sentimens du moyen-age, la fidélité, a pris
naissance, et qui conciliait merveilleusement la di-
gnité de l'homme ave e le dévouement du vassal.
D'ailJeurs les situations ll'étaient point exclusives;
le suzerain d'un fief était le vassal d'un autre; sou-
vent les mernes hornmes, 11 raison de fiefs différens ~
se trouvaient entre eux tantótdans celuÍ de la suze-
raineté. Les plus puissans seigneurs avaient des
devoÍrs envera de petits suzerains. Le roi de France,
qui ne tenait sa couronne que de Dieu et de son
épée, tenait des terres de plusieurs seigneurs. Nou-
veau principe de réciprocité et d'égalité. Enfin, par
l'enchainement hiérarchique des fiers, l'ablme était
comblé entre le plus petit et le plus élevé des pro-
priétaires féodaux; de degré en degré, le moindre
d'entre eux se liait au roi sans conrir le risque de
perdre, dans l'inégalité qu'eut fait éclater un rap-
prochement subit ct immédiat, le sentiment de sa
propre dignité.


Ce sentiment qui, dans les sociétés les plus di-
verses de principes et de formes, est le plus sur bou-
levardcomme le plus noble effet dela liberlé, puisait
dans une autre cause une rare énergie. Je viens de
dire quels étaient, quant a la nalion sujette, les ré-




DU RÉGI!IE FÉODAL. 117
sultats de la dispersion de citoyens de la nation sou-
veraine, gouvernant chacun isolément et non en
corps. Le peuple en souffrait; l'aristocratie féodale
y perdít beaucoup en consistance et en durée; mais
les possesseurs y gagnaient en indépendance et en
dignité personnelle. La puissauce et la gloire du
sénat de Rome ou de Venisc faisaient ]a puissance
et la gloire des patriciens; chacun d'eux avait sa
part de cette grandeur coUective; mais c'était a son
corps, non a lui.meme, qu'il devait sa propre gran-
deur. Dans l'aristocratie féodale au contraire, tout
était individuel, la destinée, le pouvoir, ]a gloire.
De lui seul, non de sa corporation, chaque posses-
seur de fief tirait sa force et son éclat. Isolé dans
ses domaines, c'était a lui a s'y maintenir, a les éten-
dre, a se conserver des sujets soumis, des vassaux
fideles,'a punir ceux qui lui manquaientd'obéissance
ou de foi. Les liens qui l'unissaient a ses supérieurs
ou ti ses égaux étaient trop faibles, lesgaranties qu'il
y pouvait trouver trop lointaines et trop tardives
pour qu'il leur confiitt son sort. De Ia cette indivi-
dualité 8i forte et si fiere, caractere des membres de
la hiérarchie féodale. C'était un peuple de citoyens
épars, dont chacun, toujours armé, suivide sa troupe
ou retranché dans son fort, veillait lui-meme a sa
süreté, a ses droits, comptant bien plus sur son cou·
rage et son renom que sur la protection des pou voirs
pub]ics. Un tel état ressemble moins a la société qu'a
la guerre; mais l'énergie et la dignité de l'individu
s'y maintiennellt; la société peut en sortir.


II




lIS DU CA.R1CTERI! POLlTIQVE
Aussi la vit-on bientót s'atfermir et croltre au


milieu de ce régime féodal si turbulent, si oppressif,
si détesté. n avait fallu cinq siecles a la France pour
poser définitivement le pied hors de la barbarie;
pendant cinq siecles, toutes les existences individuel-
les, toutes les institutions publiques avaient été pré-
caires, mQbiles, flottant au gré de la force et du ha-
sard ; si bien quc, durant cette époque , 00 ne p!;Jut
démeler aucun principe général, ni saisir la trace
d'aucun progres, et que la société semble stationllaire
au se in du chaos. A travers cette Iongue el obscure
anarcbie , on voit seulement la féodalité se former
aux dépens tantót de la liberté, taotM de 1'ordre ,
non comme un perfectionnement de l'état social,
mais comme le seul systeme qui puisse acquéri'r quel-
que fixité , comme une sorte de pis.aller nécessaire.
Des qu'elle a prévalu , toutes cboses premient un
autre aspecto La société, jusqlle la dissoute el sans
forme,aretrollvé enfin, avec une forme déterminée,
un point de départ et un bu l. Le régime féodal, a
peinevainqueur, est aussitót attaqllé, dans les degrés
inférieurs, par la masse du peuple qui essaie de re-
conquérir quelques libertés, quelques propriétés,
quelques droits; dans le degré supérieur, par la
royauté qui travaille a recouvrer son caractere pu-
blic, á redevellir la tete d'une nation. Ces efforls ne
~Ollt plus tentés au milieu du choc de systemes di-
vers, confus, et qui se réduisent l'un l'autre a l'im-
puissance et á l'anarchie; ils naissent au seío d'un
systeme unique, etne se dirigent que contre lui. Ce




DU REGUlE FEODAl. 119
ne S011t plus des hommes libres dans une situation
vague et donteuse, et qui défendent mal, contre la
doruination des chefs dont ¡Is habitent les terres, les
débris de leur indépendance barbare. Ce sont des
bourgeois, des colon s , des serfs , dont la condition
est claire, déterminée, qui savent bien quels sont
leurs maux, leurs ennemis, ct s'appliquent inces-
samment a s'en affranchir. Ce n'est plus un roi in-
certain du titre et de la nature de son pouvoir ,
tantót le chef des guerriel's, tantót le plus riche des
propriétaires, icí I'oint du Tres-Haut, 11\ l'héritier
des empereurs, et qui s'agite confusément au milieu
de sujets indépendans, de leudes avides, empressés
tantot d'envahir son autorité, tantot de s'en isoler
absolnment. C'est le premier des seignenrs féodaux
qni travaille a se faire le maltre de tOU8, a changer
sa suzeraineté en souveraineté. Anssi, malgré la ser-
vitude on le peuple est tombé á la fin du x' siecle ,
des ce moment c'est l'affranchissemellt du peuple
qui est en progreso Malgré la faiblesse on plutOt la
nnllité du ponvoir royal a la meme époque , des ce
moment o'est le pouvoir royal qui gagne du terrain.
Nul effort n'est vain , nul pas rétrograde. Ce systeme
monarchique, que le génie de Charlemagne n'avait
pu fonder, des rois bien inférienrs a Charlemagne
le feront prévaloir pen a peno Ces droits, ces garan-
tíes que les gnelTie1'9 germains n'avaient pu con-
server, les commnnes les ressaísiront snccessive-
mento La féodalité senle a pu naitre du sein de la
barbarie; mais a peine la féodalité est grande qu'on




20 DU CARACTERl! POLlTIQUE
voit Ilaitre et grandir dans son sein la monarchie et
la liberté.


Mon dessein n'est point de décrire ici ceUe double
revolution, ni de faire voir comment l'affranchisse-
ment du peuple sortit de la servitude feodale et la
royaute de la seigneurie. e'esl du regime feodal
seul que je recherche en ce moment le carach':re.
01' il faut bien que les causes d'un si grand chan-
gement y fussent déposées, quelques-unes du moins.
Rien n'est obstacle qui ne sojt aussi moyen. C'est sur
le regime féodal et malgre lui que les rois ont con-
quis le pouvoir, les communes el les campagnes la
liberté; et pourtant c'est sous son empire que sont
nees, qu'onl grandi les forces qui ont accompli ceUe
conquete; il etait done en meme temps contraire a
leur but et propice a leur développement; il a résisté
et concouru a lenrs succes.


La liberté, dit·on, est contagieuse. Les peuples
n'ont pas toujours eu ce bonheur. Plus d'une aris-
tocratie a gardé le privilége de la liberté et con-
damné ses sujeta a une invincible servitude. Mais
tant de permanence n'a guere appartenu qu'aux
aristocraties fortement concentrées et gouvernant
par un sénat. Celles-Ia seules ont opposé un mur
impenétrable aux efforts du pellple vers I'affran-
ehissement , 011 avili leurs sujets au point de leur
faire accepter le joug. L'aristocratie feodale ne pou-
vait produire ni l'un ni l'autre effel.


Ses rangs n'etaient point serrés; elle opprimait el
résistait individuellement. Son oppl'ession en était




DU Rl'IGIIIlE F~ODAL. 121
plus arbitraire, mais moins savante, et sa resistance
moins effirace, surtout moins obstinee. Les corps
senls sont a l'abri des accidens et ne se lassent
jamais. Une chanceheureuse, unerébellion inopinee
obligeait un seigneur a des concessions. n essayait
de les retirer et y reussissait quelquefois.lUais quand
les rébellions s'étaient renouvelées souvent, elles
atteignaient leur but. Il n'y a pas de roi qui puisse
vivre toujours en guerre avec ses sujets. QU3nd il
arriva a la population des villes et des campagnes
d'entreprendre , contre la noblesse, une luUe pres-
que générale , la noblesse fut víctorieuse; elle était
contrainte d'agir en corps, ce qui lui donnait l'avan-
tage; mais les resistances partielles, locales, eurent
plus de succes, et c'était celles que provoquait sur-
tout l'aristocratie feodale. Elle Jes provoquait, plus
que tout autre aristocratie, par les exces d'une ty-
ranníe individuelle et toujours présente; et en meme
temps elle était beaucoup moins capable de les sur-
monter.


Elle n'avait pas non plus, et par les memes causes,
cette puissance d'avilissement, ceHe aptitude a re-
tenir les peuples dans un état d'apathie el de muti-
lation morale, dont le despotiFme d'un seul et les
sénats aristocratiques ont été si souvent doués.Jarnais
peut.etre l'homme ne s'est vu plus durement, plus
insolernment traité que sous le régime feodal; et
pourtant ce n'est pas chez Jes seuls possesseurs de
fiefs, e'est aussi parmi les snjets quc ee }'égime a
réveillé et fortifié l'instinct du droit, le sentiment


11.




122 DU "ARlCTElIE POLlTIQUE
de la dignité humaine. Un peuple peut perdre ce
sentiment en présenee d'un despote entouré de toua
les prestiges de la superstition et de l'éclat d'uue
supériorité éblouissante, comme revetu d'un pou·
voir iIlimité; une nation vaincue peut tomber dans
une humiliation sans remede sons l'empire d'uue
nation souveraine gouvernant en corps, et pesant
ainsi tout entiere.sur chaque point de son territoire,
sur chacun de ses sujets. La pensée des vaincus suc-
combe comme leur existence sous un tel fardeau;
et ron voit alors des masses d'hommes accepter la
servitude comme leur eondition naturelle et presque
légitime. lUais qnand le pouvoir est a la fois rap-
proehé et individuel, quand il ne tombe pas dehaut
ou n'émane pas d'un grand COl'ps, quand il s'exeree
presque d'homme a homme et directement, il ne
lui est point donné de détruire ainsi, dans le fond
des emurs, tous les instincts de résistance, tous les
besoins de liberté, car l'homme reCuse de s'humilier
absolument devant son semblable, des qu'ils se
voient tete a tete et de preso Telle était la situation
de l'aristoeratie féodale; elle était oppre~sive, mais
peu imposante, armée de la force qui disperse des
paysans, mais non entourée des prestiges qui s'em-
parent de l'esprit humain. Au Xl" siécle, la noblesse
des fa mili es n'était rien encore; ce n'était point sur
le privilége de la naissance, sur la longue possession
des avantages sociaux que se fondait la domin~tion
des propriétaires de fiefs. Leur supériorité était un
fai! matériel et redoutabJe, non un droit ancien et




DU RÉGI!!E FÉODAL. 123
respecté. Aussi arriva-t-il que la liberté dont ils
jouissaient fut en effet contagieuse, et que malgré
leur brutal e tyrannie, par le spectacle de leur pro-
pro existence, le sentiment de la dignité de l'indi-
vidu se propagea autour d'eux. Le bourgeois, le
vilain meme apprirent de leur seigneur ce qu'ils
n'auraient jamais appris d'un sénat aristocratique
ni d'un roi, a se croire des droits et a les défendre.
L'exemple de la liberté était voisin et individuel
comme la sOUl'ce de l'oppression. Dsns ses rapports
avec son suzerain, ave e ses vassaux, chaque sei-
gneur revendiquait sans eesse ses droits, ses llrivi-
léges, l'exéeution des contrats ou des promesses.
Il appelait la populatioo de ses domaines a les sou-
tenir avec lui, et par la guerreo Celte population
comprit qu'elle aussi pouvait réclamer des droits,
conclure des traites; elle se sentit reoaltre a la vie
morale; et uo siccle s'était a peine écoulé qu'au
mouvemeot général des communes vers l'affran-
chissement et les chartes, 00 put reconnaltre que
le peuple, loin de s'avilir> avait recouvré quelque
dignité et quelque énergie sous le régime le plus
arbitraire, le plus vexatoire qui fut jamais.


En meme temps, et par d'autres conséquences
des memes causes, la féodalité s'ouvrait de toutes
parts, sans~ cesser de les craindre et de les combattre,
aux progrcs du pouvoir royal. Elle n'étaÍt pas plus
compacte contre la royauté que contre )'aífl'Unchis-
sement du peuple. A I'une et a I'autre, un séna~'
cut opposé la force d'un corps unique, permanent{f'"


\'~ '~~:




124 DU CAR!CTERI! POLITIQUE
toujours animé du meme esprit et voué au meme
dessein. La féodalité ne Ieur opposa que des inm.;.
vidus ou des coalitions mal unies et passllgeres.
Qu'on y regarde: la formatlon progressive de la
monarchie franqaise n'est point une muvre politi-
que, la luHe d'un pouvoir central contre une aris-
tocratie qui défend et perd ses libertés; c'est une
série de conquetes , la guerre d'un prince contre
d'autres princes qui défendent et perdent leurs
états. La réside la différence fondamentale qui a
distingué la France de l' Angleterre, et décidé Iong-
temps du sort des deux pays. Les barons anglais ne
furent jamais que des aristocrates; ils cOnSel'Vfwent
leurs droits et imposerent a leur souverain des in-
stitutions. Au Xle siecle, la France étail couverte de
souverains ; ils furent vainclls el perdirent tout en
perdant leur souveraincté. J'y reriendrai ailleurs.


Les rapports et les devoirs féodaux étaiellt le seul
líen qui unit entre eux tous ces princes, qui prévint
leur complet isolement, qui donna! enfin, a leur
coexistance sur le sol fran9ais, l'apparence d'une
confédération aristocratique; et ce lien, par sa na-
ture meme, tourna au profit, non de l'aristocratie,
mais de la royauté. Toute aristocratie véritable csl
une association d'égaux. C'étaient des éguux que
les patriciens de Rome , de Venise, les barons de
l'Angleterre, et la ferme union de leurs forces pl'ít
sa source dans I'égalité de leurs situations et de
leurs droits. L'aristocratie féodaIe ne fut en France
qu'une hiéral'chie de supérieurs et d'inféricurs;




DU BtGIME FÉOD.lL.


hiérarchie fondée sur des droits et des devoirs réci-
proques, maintenne par de généreux sentimens,
mais qui, ne consacrant que des rapporta indivi-
duels, ne put jamais acquérir la consistan ce d'un
corps politiqueo Quand ]e roi se fut enfin placé au
sommet de cette confédération ou dominait le prin-
cipe de I'isolement et de I'inéga]ité, il devint le
centre de toutes les obligationR féodales, l'objet ]e
plus élevé de la fidélité et du dévouement. Des lors
la féodalité fut vaincue, et en meme temps se ma-
nifesta pleinement son vrai caractere. 11 fut clair
que, bonne seulement pour faire faire a ]a société
]e premier pas hors de la barbarie, elle était incom-
patible avec les progres de la civilisation, qu'elJe
ne portait dans son sein le germe d'aucune insti-
tution publique et durable, que le principe des
gouvernemens aristocratiques lui manquait aussi
bien que tout autre, el qu'elJe laisserait, en péris-
sant, une noblesse autour du trone, des aristocrates
au-dessus du peuple, mais point d'aristocratie dans
l'état,


e'est en efret ce qui est arrivé dans toute l'Eu-
rope. L'AngIeterre seuIe a eu une autre destinée,
et par des causes absolument étrangeres au régime
féodal.






SIXIEME ESSAI.


DES CAUSES DE L't.TA.1lLlSSEMENT DU GOUVERl'\'BMENT


BEPRtSENTATIF EN ANGtETERRE.


On s'étonnera peut-etre qu'au líeu de rechercher
par quelles causes le gouvemement représentatif ne
réussit point a s'établir en France, malgré les essais
tentés du XIV" au XVl" siecle, j'entreprenne de mon-
trer ici pourquoi la me me tentative eut, en Angle-
terre, plus de sucees.


e'es! que l'examen des causes qui ont déterminé,
en Angleterre, le sucees du systeme représentatif,
me parait le plus court et le plus sur moyen d'ex-
pliquer son mauvais sort dans notre pays.


Le XIII" siecle a vu naitre et grandir le parlement
britannique. e'est avec le XIV· qu'ont commencé
en France les états-généraux. Depuis la fin du XlII"
siecle le parlement, bien que sa destinée ait été
pleine de vicissitudeset sa puissance fort inégale,
n'a pas cessé de faire partia intégrante et nécessaire
du gouvernement anglais. En France, les états.géné.
raux, au moment meme de leur plus grand écIat ,
c'est·a·dire dan s le cours du XIV· siecle, n'ont guare
été que des accidens, un pouvoir nationa] et souvent
invoqué, maia non un établissement constitutionnel.
e'est bien avant le xme et le XIV· siecles qu'il fimt
chercher, dans les deux pays, les vraies raisons de
cette différence. Je viens de faire voir quels furent,




128 DE L' ORIGINE DU SYST:E~IE REPRÉSENTATIF
en France, du v· au x· siecle, l'éclat et la marche des
institutions. J'ai indiqué aussi le caractere politique
du régime féodal, c'est-a-dire du systeme qui, jus-
qu'a la fin du XlIIe siecle, posséda notre patrie. Je
vais montrer comment, dans le meme intervalle, et
au moment ou commencerent les essais du gouver-
nement représentatif, toutes choses étaient autre-
ment préparées en Angleterre et devaient porter
d'autres fruits. Je recherche seulement les causes
générales et primitives, ne pouvant suivre ici le dé-
veloppement des conséquences qui exigerait le récit
et l'examen d'un grand nombre de faits, c'est-a-dire
un ouvrage bien plus étendu que celui-ci.


--




EN ANGLETERRE.


CHAPITlU: PBEMIBB.


DU QOUVERNEMENT ANGLO-NORMAND.


Poor les peuples comme pour les individus, la
souffrance n'est pas toujours perdue. C'estpeut.etre
a la conquete des Normands que l'Angleterre a clu
ses libertés.


Quand, du ve 3U Vlle siecle, les Goths envahirent
l'Espagne, les Francs la Gaule, les Lombards 1'Itl\-
lie, qu'en pouvait-il résulter sinon l'anarchie et la
servitude? Des harbares jusque-hi erraD s se ruaieD;t
sur des populations avilies. DI1 co.té des vainqueurs.
nulle habitude de la vie sociale, nolle regle de gou-
vernement, point de natian constituée en COI1p.s,
l'indépendance individuelle presque. absolne. Du
cóté des vaincus, tous -les liens politiques dissous,
toutes les institutions en poudre; le souverain aban-
donnant ses états pour se dispenser de les défendrej
le peuple épouvanté de ceUe retraite du pouvoir,
et i1.lcapable de prendre lui·meme ses affaires en
main; les c1asses inférieures abruties, les classes
moyennes ruinées, les classes supérieures énervéesj
plus d'esprit public, plus de magistrats, plus de
citoyens. Parmi les barbares, la société n'était pas
encore; chez les sujets de Rome, elle n'é.tait plus.
La fondation des etata nouveaux ne fut point la


TOMEn. 12




130 DE L'ORIGINI! DU SYSTEn REPRtSENTATIr
conquete d'uu gouvernement par un gouverne-
ment, d'une nation par une nation. Des bandea er-


'rantes, étrangeres a la vie civil e , vinrent s'étabfir
sur un sol couvert d'une multitude misérable et dé-
Iaissée, qui avait cessé de former un peuple. Le
dergé chrétien était seul debout, offrait seul aux
anciens habitans un point de ralliement et quelque
appui. Mais il avait lui-meme une conquete a faire,
celle des conquérans; nécessité pressante et par
laquelle son influence ne pouvait manquer d'etre
corrompue, j usqu'a un certain point.


n n' en fut point ainsi en Angleterre lorsque, an
"lle siecle, Guillaume y transporta son empire (1).
Un peuple barbare conquit alors un peuple barbare.
Les Normands étaien! établis depuis pres de deux
cents ans en Normandie (2), il Y avait plus de cinq
cents ans que les Anglo-Saxons occupaient la
Grande-Bretagne (3). Pour les uns et les autres, la
vie sociale, quelque grossiere et déréglée qu'elle
pUt etre, existait depuis long-temps. Ni les uns ni
les autres n'avaient perdu le gout et les habitudes
de Ieur ancienne liberté. Leur origine primitive
était la meme; des institutions, sinon semblables,
du moills analogues, les regissaient; et chez les


(1) En 1066.
(2) Depuisl'an 911.
(3) lis y firent leur. premieres incursiono ver. le milieu du


v' siecJe, et les sept royaumes qui formerent J'heptarchic furent
successivement fondés de l'an 450 a I'an 584.




ll,Y AllGLETERRB. 131
deux: peuplcs, ces institutioDS étaient également
nationales, également vivantes. NuIle conversion
religieuse a opérer; une meme foi les possédait déja.
Point d'opposition fondamentale dans les mmura;
les grands saxons vivaient sur leurs domaines, oisifs,
chasseurs, entourés de fideles, comIDe les barons.
normands. Ce n'était point la barbarie sortanl des
boís et la cívilisation en ruine qui venaient a se
rencontrer; deux nations guerriiJres> Carouches,
ignorantes, et pourtan! déja établies, se trouvaient
en face I'lIne de l'autre. Si quelque supériorité en
fait de développemcnt social se laissait entrevoir,
el/e appartenait aux vainqueurs; maís les vaineus.
n'étaient ni en disposítion de se laisser asservir, ni
hors d'état de se défendre. La eonquete devait en-
trainer des maux cruels, une longue oppression;.
eHe ne pouvait produire ni la dissolution des deux:
peuples en individus épars, ni l'ahaissement perma-
nent et presque volontaire de run devant l'autre.
Dans le rapprochement forcé des deux races, il Y
avait a la fois des moyens de résistance et des causes
de fusiono


Celte circonstance qui, a mon avis, fut décisive ~
a été méconnue des historien s et des publicistes
anglais. Un peuple ne veut ríen devoir a ce qui lit
long·t~mps son humilialion et son malheur. Vaine-
ment l'oppression normande a cessé depuis bien
des siecles; vainement iI n'y a plus, depuis bien
des siiJcles, ni Normands, ni Sax,ons; les souvenirs
du XII" siecle demeurent et se retl"Ouvent, lI.ujoor-




] 32 DE L'ORIGINE DU SYSTEIIE REPRtSENTATlF
d'hui enoore, dans les opioions des partís. Les écri-
vains torys s'occupent pen des institntions anglo-
saxonnes; les whigs au contraire y aHachent une
grande ímportance et y rapportent l'origine de tou-
tes leurs libertés. lis voient que, sur le continent,
la conquete et le régime féodal n'ont pu enfanter
un gouvernement libre; ils attribuentaux Normands
la part de despotisme et de féodalité flu'a contenue
le leur; aux Saxons leurs droits et lenrs garanties.
Ce n' est point 1:\, j e pense, une vue exacte ni e om-
pIete des événemens. Les institutions saxonnes ont
été, il est vrai, le beroeau primitif des libertés an-
glaises; mais iI y a lieu de douter que, sans la
conquete el par leur propre vertu, elles eussent
fondé en Angleterre un gouvernement libre; o'est
la conquete qui leur a imprimé une vertu nouvelle;
la liberté politique est née de la situation on se sont
trouvés plaoés les denx penples et leurs ]ojs.


Quand on regarde en effet anx anojennes insti-
tutions anglo-saxonnes et aux résultats que, vers
]e mílieu dux¡e siecle, elles avaient déjil produits,
on D'y aperl(oit rien, ou presque rien, qui ne soit
analoglle a ce qui se passait ailleurs.


DIl ve au Xl" sieele, les institutions libres, les in-
stitutions monarchiques et les institutions aristoera-
tiques se disputerent la Grande-Bretagne comme la
Gaule. Rien n'indique que, vers la fin de eette
époque, le systeme des institutions libres fUt pres
de triompher; tout les montre au eontraire affaiblies
et en décadenee, comme sur le COlltinent.




EN ANGLlITERRE.


Les institutions locales difréraient peu de celles
des. Francs. Les thanes ou propriétaires libres se
réunissaient dans les eours de décurie, de centurie
et de comté, sous la e présidence du dizainier
(tythiflgman) , du centenier et du comte ( earl) on
de son lieutenant, le shériff. La se rendait la justice,
se passaient la plupart des transactions civiles, se
traitaient enlin toutes les afraires qui intéressaient
la circonscription. Ces réunions d'abord frequentes
devinrent bientót plus rares. Bientót disparut, si
tant est qu'elIe ait jamais été réeUe, la juridiction
du dizainier. La cour de centurie devint pen im-
portante. La cour de comté ne se rassembta guere
plus de deux fois par ano Les propriétaires étaient
tenus de 8'y rendre, sons peine d'amende. Máis
ceUe amende meme et les injonctions sans cesse
ré¡lCtées deslois saxonnes prouven't leut négtigence.
Malgré la solidarité des habitans de chaque circons·
dription pour les délits commis par l'un d'eux et
daos lenr territoire, il est clair que le principe des
instltutioDs libres, la délibération commune, ne
conservait plus son ancienne viguenr.


JI ét~jt cependant moins énergiquement attaqué
qu'en France par le principe des institutions aris-
tocratiques 011 la subordination d'homme a homme.
C'est une grande question parmi les publicistes an-
glais de savoir si les tenures féodales existaient en
Angleterre avant la conquete des Normands. Je suis
porté a me ranger de I'avis de ceux qui pensent
qu'e]]es n'y étaient point in con unes. Mais quoi qu'il


12.




1~4 DE L'ORIGI~B DU SYSTE!IE REPREsENTATIP
en aoit, c' est uniquement sur les relations des terres
que le doute peut portero Personne ne contestequ'a-
vant la conquete un grand nombre d'hommes li-
br.es vivaient sous le patronage d'un seigneur, que
]a juridiction était souvent inhérente au .domaine.
Or, ce patronage, eelte juridietion ont été partout ,
comme 00 l'a vu, le premier príncipe de la classi-
fieation hiérarchique des personnes et des dépen-
dances individuelles, c'est-a-dire de la féodalité.
Le germe en existait done chez les Anglo-Saxons
comme chez les Francs, et la aussi le eours général


..
des choses en secondait le développement, aux dé-
pens des institutions de liberté.


Dans les institutions centrales, je rencontre les
memes phénomimes, les memes tendances. Nul
doute que la royauté ne fut fort affaiblie sous
Édouard-Ie-Confesseur, et par les memes causes
qui l'annulerent en Franre sous les Carlovingiens.
Le comte Godwin, Siward, duc de Northumber-
land, Léofl'ic, duc de l\Iercie, et tant d'autres, pa-
raissent comme des grands vassaux , rivaux dange-
reux du roi, indépendans en vertu de leur force,
et bien pres de convertir leur force en droit, de
s'ériger en souverains dans leurs domaines, ]eurs
duchés, leurs comtés. Harold, usurpant la couronne
sur Edgal' Atheling, l'héritier légitime, ressemble
fort a Hugues-Capet. Évidemment la souveraineté
tend a se démemhrer, l'unité monarchique est en
périJ. J:unité nationale n'est pas moins compro-
mise. Elle résidait originairement daos le Wittena-




ElI AlIGLETERRI!.


yemot ou le Champ-de-Mars des Anglo-Saxons.
Comme Champ-de-Mars, le Wittenagemot fut
d'abord l'assemblée générale des hommes llbres,
des guerriers. Bientót se manifestent les con sé-
quences du nouvel élément qui s'est illtroduit dans
l'état social, de la propriété territoriale. L'existence
d'une nombreuse classe d'houllnes libres, la plus
nombreuse sans doute, celle des ceorls, se resserre
aupres des chefs dont ils habitent on cultivent les
domaines. Le Wittenagemot n'est plus que l'assem-
blée générale des thanes, des propriétaires. Les
propriétaires eux-memes se divisent ; les uns, soit
en raison de leur importan ce et del'étendue de
leurs biens, soil comme compagnons el vassaux
directa du roi, forment, 80US le nom de grands
thanes ou thanes royaux, une classe distinole ; les
autres 80nt appelés Ihane~ inférieurs. Le Wittena-
gemot n'est plus que l'assemblée générale des
thanes royaux ou des grands propriélaires. Enlin
ceux-ci meme négligent 80uvent de s'y rondre, s'i-
solent dans ]eurs domaines, complent sur Ieur
propre force, refusent de la soumettre a une force
publique, et exercent presque tous les droits de la
souveraineté. Depuis ]e milieu du x6 siecle, ]e Wit-
tenagemot, malgré ses métamorphoses successives,
disparait presque de l'histoire des Anglo-Saxons.
Il n'y a rien hi. qui ne rcssemb]e a ce qui s'est passé
chez les Francs (1).


(1) On peut consultcr, sur les anciennes iIlstitutious des An-




1~6 DE L'ORIGI¡(B D1I SYSTEMI REPR~SMTATIF
Que fut-iI done advenu en AngIeterre sans la


conquete et si la société saxOllne y fUt demeurée
seule, abandonnée a son propre oours? II est im-
possible de le dire ; de telles choses ne se laissent
Jloint deviner. Malgré la similitnde que je viens de
faire res80rtir, qucIques différences tres-réeIles
entre la Grande.Bretagne et le continent auraient
pent-etre amené des effets diverso n y avait plus
d'unité dans la population de la Grande-Bretagne
que dans celle de la Gau]e; I'ancien peuple, les Bre-
tons, avait été, sinon completement expulsé ou dé-
truit, du moins réduit de t.elle 80rte qn'il était pres-
que sans importance. Un territoire beallcoup moills
étendn rentlait plns diffi;cile ·Ia chute .solnedes
institutions centrales, le démembrement de la. son-
·veraineté et de la nation. MaIgré lenr affaiblisse-
ment, les institutions libres, comme les conrs de
·comté, les corporations, etc., conservaiellt dans
les provinces, . au milien du Xl" siecle, plus de
réalité et d'énergie. Enfin le systeme féodal était
beaucoup moins avancé et moins compacte que sur
le continent. Ces différences ont exercé plus tard
une influence puissante sur les destinées poli tiques
de l' AngIeterre. Cependant je doute qu'eUes enssent
suffi pour surmonter tontes les causes dont l'empire
se faisaít déja sentir, et qui, la comme ailleurs,


glo-Saxons, the History of the Anglo-Saxons, par M. Turner
(3 vol. in-S°), ouvrage oil ron rencontre peu d'idées, maÍs ou
les faitssont rort soigneusement recueiJlis.




ElI AlIGLETERBE. 137
tendaíent a ruiner les institutions nationales et li-
bres pour faire tomber le pars, hommes et' terres ,
d'abord dans l'anarchie, ensuite sons le joug d'une
hiérarchie aristocratique, plus ou moins semblable
a notre féodalité.


Mais la conquete des Normands vint arreter eette
tendance, et porter aux Saxons, avec les ~aux du
régime féodal et de l'oppression étrangere, le ra-
jeunissement des institutions nationales et libres,
unique asile alors des vaincus contre les vainqueurs:
ceci mérite qu'on y regarde de preso


Et d'abord ce fut l'oppression, maís non la dis-
solution de la société quí arriva avec les.Normands
en Angleterre. Ha formaíent eux-memes, avant eeUe
entreprise, une société grossiere sans doute, mais
pourtant cOIlstituée. L'organisation du régimcféodal
était forte et complete en Normandie. Les relations
du duc avec ses vassaux, le conseil général d~s ba-
rons, les justices seigneuriales, les coun 8upérieures
du duc, tous les élémens, tous les moyens d'action
de la réodalité y étaient réglés et en vigueur. Dans
un grand état, ce systeme est impraticable; il
amene nécessairement la dissolution du peuple et
du pouvoir. Dans un état borné comme la Nor-
mandie, et au milieu de mreurs a de mi barbares, iI
peut subsister sans déiruire absolument l'~rdre et
l'unité. Malgré les guerres des ducs de Normandie
avec quelques-uns de leurs vassaux, GuilIaume
était bien réelIement le chef puissant de l'aris-rt ~>1



. :?


. a
\~ \.~'1.;';!;


".




U!8 DE L'ORIGll'lE DU SYSTt:lIE REPRtSEl'ITA.TIF
tocratie normande; la preuve en est dans l'entre-
prise méme on il ]a conduisit. Ce ne fut point le
dép]aeement d'un peuple, une émigration de
barbares, mais une conqllete véritable, aceomplie
par un souverain a la téte de ses chevaliers, de
sa nation, et sans renoncer it son premier établisse-
mento Aucune expédition, si ce n'est eelles de
Charlemagne, n'avait été faite jusque-Ia avec tant
de régularité.


Apres la conquéte et-l'établissement, les liens de
I'aristocratie féodale normande ne pouvaient man-
quer de se resserrer. Campés au milieu d'un
peuple ennemi, jaloux de son indépendanee et ca-
pable de la ressaisir, les Normands avaient besoin
de demeurer fortement unis. Les Francs avaient pu,
dans la Gaule, se disperser en petites bandes, s'iso-
ler les uns des autres et de leur roi. On ne rencon-
tre, sur le continent, pl'esque ancune insurrection
des anciens habitans contre leurs nouveaux maltresj
les luttes et les guerres sont presque toujours entre
les vainqueurs eux·mémes. En Angleterre, eBes sont
entre les vainqueurs et les vaincus_ Malgré quel-
ques défeetions, quelques révoItes rartieBes, les
barons normands et leur roi se concertent, se sou-
tiennent, marchent ensemble vers un but commun.
La cohésion de la confédération féodale et la vi-
gueur du pouvoir central étaient pour eux des né-
cessités. Aussi toutes choses se passaient-elles, soil
entre eux, soit dans leur action sur le peuple
vaincu, avec une étendue, une régularilé ailIeurs




EI'I ANGLETERRE. 139
inconnues. La spoliation des propriétaires saxous
ne fut point, comme on l'a prétendu, systématique
ni universelle; elle s'opéra progressivement, inéga-
lement, a mesure que les révoltes servaient deeause
ou de prétexte aux confiseations. Mais la séparation
des terres entre les vainqueurs, et la distribution
des domaines royaux a titre de fiefs, ne furent
point I'<cuvre de violenees individuelles, fortuites,
ni d'une longueanarehie. GuilIaume y procéda
par mesures générales, avec art, et de maniere a
assurer l'empire des Normands sur les Saxons, du
pouvoir royal sur les Normands. Pres de sil. eents
vassaux immédiats lui jurerent foi et hommage, et
pour prévenir l'indépendance de ceux meme qu'il
enriehit le plus, il eut soin de disperser leurs do-
maines dan s des eomtés différens. Le territoire
fut divisé en 60,210 fiefs de ehevaliers, qui tous
preterent serment de fidélité au roi. Enfin le
Doomsday-book, véritable statistique des fiefs et
de leurs possesseurs, eommencée en 1081 par les
ordres de Guillaume et finie en 1086, atteste en-
core aujourd'hui avec quelle régularité et quelle
cohésion l'aristoeratie normande fut constituée en
Angleterre, vingt ans apres son établissement.


Les memes causes, les memes nécessités devaient
infailliblement produire, sur les 8axon8, des effets
analogues. L'esprit de nationalité qui se perdait,
parmi eux, dansl'anarchie antérieurc a laconquete,
se ranima sous le poids de l'oppression étrangere.
Elle rendit a tout un peuple un meme intéret, un




1.4.0 DB L'ORIGIIlE DU nmlll. REPRÉSENTATII1
meme sentiment, un meme dessein. Rien de sem-
blable n'avait pu arriver dans les Gaules, car toute
vie mo~ale y était éteinte dans la population, et le
désordre y fut trop grand. En Angleterre le désor-
dre fut moindre, la populatíon était forte et fiere.
Le." Saxons se rallierent poor résister aux vain-
queurs, comme eeux-ei se tinrent unis pour se dé-
fendre des vaíncus. Les' Normands avaient trouvé,
dans l'organisatíon féodale qui les régissait en
Normandie, leur moyen de ralliement. Les SaXOIIS
cheróherent le leur dans leurs 8nciennes institu-
tions, leurs aneiennes lois. L'établissement de Guil-
1aume n'avait pas été tout-a-fait, daus 'les formes du
moins, l'rnuvre de la-force. Apres la hataille de
Hastings, le tr('me lui fut olfert au nom desSaxonl.
et lors de son couronnement a Westminster, il
avait juré de gouverner les deux peuples par des
lois égales. Depuis ceUe époque, on voit les SaxoD8
réclamer sans C6sse, comme leur droit, comme un
droit qui leur est nécessaire et cher, les lois lalIOO-
nes, les lois d'Édouard-le-Confesseur; et c'est la oe
qu'ils obtiennent, a diverses reprises, des rois nor-
mands, quand ils sont en état de Ieur arracher
quelques promesses, quelques garanties. lIs défen-
daient ou revendiquaiellt leurs propriétés en vertu
de titres antérieurs a la couquete , et ces ti tres
étaient reconnus. Ils se réunissaient dans les cours
de comté, y recevant la justice de leufs pairs el y
traitant de leurs intérets eommuns. Ainsi, tandis
que, sur le continent, la conquete avait dissous les




EN AIIGLETERRI!. 141
deux peuples, en Angleterre elle les rallia pour les
opposer l'un a l'autre, laissant au temps a les amalga-
mero La le systeme et les lois politiques des vaincus
avaient péri, ils n'avaient conservé que leurs lois
civiles; ¡ci leurs institutions poli tiques furent~rani­
mées et leur devinrent plus cheres. La les ¡ntérets,
les forees, les desseins n'avaient guere été qu'indi-
viduels; ici il y eut de part et d'autre, des forces,
des desseins, des intérets nationaux. La le régime
féodal était né de la ruine de tout pouvoir central,
de toute unité politique; ici il servit au contraire
a les mainlenir. Les Gaulois-Romains, sauf dan s
quelques cités, avaient disparu comme peuple pour
tomber bien pTeS de la servitude, ou prendre place,
un a un, pal'mi lea forts; les Saxons contintlerent
de subsister" en corps de nation, réclamant ou dé-
fendant leurs libertés a l'a:bri de leurs anciennes
lois. En Angleterre en fin , la conquete, au lieu' de
tout disperser , de tout confondre, mit en pl'ésence
deux grandes forces vouées, jusqu'a uncertain point
et dalls les premiers lemps du moins, l'une a la
domination, l'autre a la résistance. Pour l'un et
l'autre parti, la délibération et l'action commune
étaient une nécessité. Le príncipe des gouverne-
mens libres était done déposé dana cette situation.
Voyons comment, a travers mille désordres et mille
maux, il parvint a se développer. .


13




142 DI! L'ORIGlftl! DU 8T8Ti:BE REPRtSENTATIF


1.


Du grand conseil national de Guillaume-le-
Conquérant ti Jean-sans- Terre.


(1066 8 1199.)


Quand on recherche, daDs les historiens et les
monumens, les traces de l'assemblée qui, apres la
conquete, participa au gouvernement de la nation,
on rencontre une foule de mota divers. curia de
more, curia regis, concilium, tnagnum cQ(lCilium,
commune conc-ilium, commune ccmcilium f'egtlÍ1.


En eux-memes ces mots sont vagues, et ne il~
apprennent rien sur l'origine, la nature et ]e pou-
voir de l'assemhlée qu'ils désignent. Aussi se sont-
¡ls pretés a toutes les hypotheses et accommodés aux
¡ntérets de tous les partís. Le grand-juge Hale y
voit " un parlement aussi complet et aussi réel qu'il
)1 en ait jamais été tenu en Angleterre (1). ,. Carte et
Brady n'y reconnaissent que des tribunaux, des con-
seils privés dépendans du roi, ou de pompeuses
réunions convoquées seulement a l'occasion de cer-
taines solennités. .


(1) History ofthe common laro (Ir ElIgland, par sir M. Hale;
6' édition, publiée par lIt Runnington (Londres, 1 volume iu-8o,
1820), pago 135.




ElC AlCGLBTERRE.


Selon les écrivains torys en général, et en par ti-
cuIier selon un rapport préserité en ] 820 a la cham-
bre des pairs, par un comité qu'eIle avait chargé
de faire des recherches sur l'origine et l'ancienne
cOllstitution des deuxchambres (1), les motscuria de
more, curia regis) concilium d'une part, et magnum
ou comml,ne concilium de l'autre, désignellt des
assemblées diffél'entes. Les delniers peuvent s'ap-
pliquer a des assemblées nombreuses et solennelles ;
muis le concilium n'était qu'un conseil privé, com-
posé d'hommes choisis par le roi pour l'aider dan s
le gouvernement; ce conseil était en meme temps
curia regis ou un tribunal jugeant les affaires portées
devant le roi et présidé par lui, ou en son absence
par le grand-justicier. 011 l'appelait aussi curia de
more paree qu'il se rénnissait, salon l'ancien usage,
trois lois dans l'année, aux fetes de Paques, de la
Pentecóte et de Noel; il était meme ajoúrné régn-
Herement d'époque en époque, comme ]e sont an-
jourd'hui les cours de Westminster.


Selon les whigs, ces mots désignaiellt tons, origi.
ginairement et jusqu'au regne de Henri 11, ];assem-
blée générale des grands dn royaume~ nécessaire-


(2) Report fro,. tlle lords' cOfm1littes appointedto searen tne
j ourntil. of'lle nouse, rolls of parliamentand otller records"and
doéuments, for aU matler touching the dignity ofa peer oft/¡e
realm, pago 20. (Londres, 1822, in-folio.) Ce rapport, qui n'a
été distribué qu'aux membres des deux chambres, contient
des recherches curieuscs et est écrit dan~ des príncipes de to-
risme modéré.




144 DE L'ORIGIftE BU SYSTEME IUlPRESENTATIF
ment réunis aupres du roí pour juger , faire les loia
et concourir au gouvernement (1).


La premiere opinion restreint heaucoup trop la
sens des termes; la seconde attribue ii des faits iso-
lés trop de généralité et d'importance •


• Quand le roi était en Angleterre, dit la chro-
n nique saxonne, le plus curieux des monurnens de
• cette époque, il portait sa couronne troís fois
ft I'an, pour les fe tes de Paques a Winchester, pour
)1 celles de Pentecole a Westminster, pour celles de
» Noel a Glocester. Alora étaient avec lui tous les
• grands hornmes d' Angleterre, archeveques et éve-
.. ques, ahbés el comtes, thanes et chevaliers. •
- " L'édit royal, dit Guillauíne de Malmesbury,
)1 convoquait a la cf,ria de more tous leij grandsqllel
)1 que fut leur élat, afin que les envoyés des peu-
)1 pIes étrangers admil'assenl l'étal de .cette multi-
)1 tude réunie, el la pompe de ces fetes. » Une foule
de textes pl'ouvent également que les mots curia
regis, employés d'ahord pour désigner le lieu dela
résidence du roi, s'appliquaient a des assemblées
aussi solenneHes el aussi nombreuses (2).


(1) Voir un long et savantarticle 011 cette question est traitée
avec beaucoup de soin dans l' Edinbufgh Review, u Q 69, man
1821, pag.8 et sllv.


(1) Sons &uillaume-Ie-l\.oux, dit Eadmer, • e um gratia d.
miniere nativitatis omnes regni primores ad curiam regis pro
more -venissent. D - Plusieurs «curire re.uis » tenues sous ]e
meme prince sont qll~lifiées • fermetotillsr~gninobilitas, totius
regni adunatio .• -Des faits et des qualifications sembJables se




1>11 AI1GLETERRI.


Ce n'est done ni un simple conseil privé, ni uu
tribunal composé d'officiers royaux qu'il faut voir
dans ces diverses expressions, maís une assemblée
publiq\Ie ou venaieut les grands du roraume pour
relever l'éclat de la couronne, traiter des affaires de
l'état, et rendre la justice de concert avec le roi.


Quels étaient ces grands? Qui avait droit de se
rendre a ces réunions?


Le laDgage des historiens et des chartes ne four-
nH, a ce sujet, aUCUDe iudicatioD claire et précise.
leí encore les expressions se multiplient et different;
magnates, procares, barones, quelquefois milites ser-
vientes, liberi homines, etc.


Tout porte a croire que le príncipe féodal s'ap-
pliquait, que tous les vassaux immédiats dll roí lui


retrouvent sous le regne d'Etienne. - Sous celui da Rami II,
Oll la cour du bane du roi était déja devenue un tribunal dis-
tinet, l'expression curia regia s'applique a I'assemblée générale
qui traite des affaires publiques; Henri convoqne sa c.ria a
Dermoodsey, • eum prineipibus suis de statu regni et pa ce re-
formanda tractans .• La XI" des constitutions de CIaren don or-
donne a tous les vasseaux immédiats de la couronne. interease
judiciis eurire regis .• Le grand conseil de Nortbampton, qui
jugea les plaintes de la: couronne contre l'arehevéque de Can-
torber!, Decket, est dit curia regis, et eomprenait, non-seule-
ment les évéques, comtes et barons, mais encore les shérift's et
" barones secundre dignitatis .• Enlin, sous Richard 1", Fas-
semblée générale des grands du royaume est encore 'lualifiée
curia regis, dansle proces de I'archeve'lue d'York; «ad diem
aut.em illum venerUnt illue comes Moretonii et fere omnes epis- ~'
copi et comiteset barones regni .• (Edinourgh Riview, nO 69 ~:c~ ¡;,
mars 1821, p. 4-15.) • •


13. .!
$o
,~,~




146 DE L'ORIGINE DU 6Y8TtME REPRIlSENTA.TIr
devaient le service dan s sa cour comme a ]a guerra,
el que, dans ces occasions solennelles, ils étaient
tous convoqués aupres de lui.


Cependant, déjit sous GuiUaume-le-Conquérant,
]e nombre des vassaux immédiats de la couronne .
s'élevait a plus de six cents. La p]upart s'inquiétaient
plus de s'affermir dans lears domaines que de con-
courir aux affaires générales de rétal; I'assistance
au grand conseil nationa] élait, pour eux, un sor-
vice onéreux bien plus qu'un droit. Beaucoup sans
donte ne s'y rendaient paso


Ceux qui s'y rendent et prennent part au gou-
vernement sont désignés d'ordinaire sous le noro
de harons. 11 esl probable que ce nom fut commun
originairement a tous les vassaux imm~diats de la
(lOUrOnne, liés au roi per servitium militare, par le
service de chevalier. On le voit se resserrer peu a
peuets'appliquer presque exclusivementaux vassaux
de ]a .couronne assez puissans, assez riches pour
avoÍr une cour de justice établie dans leur manoir
ousiége de ]eur baronnie (1). Tout indique que bien-
tbt il se resserra encore davantage, el n'appartint
plus qu'aux. vasaaux immédiats assez importans
pour que le roí se crút obligé de les convoquer
spécialement a l'assemblée générale. On yerra que
tel en était en effet le sens a I'époque de la con ces-
sion de la grande eh arte. Aucune regle constante


(1) Report of tha lords' cOlllmiltees, etc., p. 31, 39, 44.-
Blackstone' s c0I1t1nanfarie3, etc., 1. lJ, C. v ct VI.




EN ANGLETERRE. 147
et positive' ne distingua d'abord ces harons des
autres vassaux immédials. Leur prcéminence et ses
résultals furent des fails individuels et variables
bien long-temps avant qll'oIl les vit former une
classe distincte par la permanence de son titreet de'
son droit.


Les éveques el un grand nombre de prieurs et
d'abbés se rendaient a l'assemblée générale, soit
comme chefs du clergé, soit,comme vassaux immé-
diats du roí ou barons.


Aucune trace d'électioIl ni de députaHon, soít de
la part des vassaux immédiats quí aimaient mieux
hster dan s leurs terres, soít de la part des villes et
bourgs, ne se laisse apercevoir.


Quant nu pouvoir de ces assemblées, il est vaín
d'en chereher les attributions et les limites. Ces
classífieations appartiennent a la Bcienee des temps
lnodernes; aueun pouvoir n'avait alors ni attribu-
Hans, ni limites déterminées; tout était matÍl~re de
fait et de nécessité. On voit le grand conseil des
barons occupé de la législatlOn, des alfaires ecclé-
siasliques, des questions de paíx et de guerre, de
la nomination aux grands emplois publics, des
taxes extraordinaires, de la succession a la con-
ronne, de l'administration de lajustice, des alfaires
domestiques du roi, de son mariage, de celuí de
ses enfans, des dissensions de la famille royale,
en nD mot de tous les intérels de l'état, toutes les
fois que le roi ne se eroit pas assez fort pour les
régler sans le Concours de ses'principaux sujets, ou




148 DE L'ORIGINE DU SYST:I!ftlE REPRÉSENTATlF
lora que sa conduite a excité des plaintes assez géné-
rales, assez redoutables, po~r lui faire sentir la né-
cessité des transactions (1).


La tenue de ces grands conseils n'était pas plus
réguliere que leur influence. Les torrs, ne voulant
pas considérer les réunions dites curia de more et
curia regis comme des assemblées politiques indé-
pendalltes, ont prétendu que celles-cí étaien! fort
rares. C'est une erreur; il n'y a point de regne, de-
puis la conquete jusqu'au roi Jean, qui n'en offre
plusiellrs exemples (2). D'autre par! les whigs se
sont prévalus avec trop d'orgueil des époques an-
nuellement indiqué es pour leul' convocation. 11
semble, a les entendre, que, trois fois par an, tous
]es grands du royamue se réunissaient pour con-
troler et diriger le gouvernement du roi. Les liber-
tés publiques n'étaient alors ni si pnissantes ni si
actives. La plupart de ces réunions étaient ou iort
peu nornbreuses ou purement consacrées a des retes,
a faire voir le trone brillant, comme dit Guillaume
de Malmesbury, de I'éclat de eeUe multitude.
tl e'esl la dignité , e'es! ]a puissanee, dí! Tacite en


" parJant des vieux Gecruaills, d'étre toujours en-
n touré d'une nornbreuse troupe de jeunes hornmes
" d'elite.. C'était aussi la dignité, la puissance,
pour le roi comme pour chaque baron dans ses
«,lomaines, de paraitre au milieu du cortége de ses


(jI) Voir l'Edinburgh RCf!iew, t. XXVI, p. 351-366.
(2) Edi"burghReview, n' 69, mars 1821, p. 15.20.




EN AIIGLETERBJ:. 149
vassaux; et 'bien souvent il les convoquait, ils se
rendaient eux-memes aupres de lui, pIutót par un
penchant social, pour se divertir et briller ensem-
ble, que dan s une vue politique et pour traiter en
commun des affaires de I'état.


n.


De la Royauté anglo-normande.


J'ai décrit ce que fut en France la royauté bar-
bare. J'ai dit commenteUe fut remplacée, a la chute
des Carlovingiens, par la royauté féodale, pur titre
qlli empw-ya des siecles a retenir un pouvoir. Ici
le cor~,ilvait, précédé la tete. La féodalité, cette
considération , mal régIée et mal unie, de souverainN
isolés et indépendans, s'était formée d'elle-meme et
subsistait qllanduIl roi de sa nature s'y vint super-
poser. Il en fut bien autrement en Angleterre. La
féodalité et la royauté féodaJe y ilaquirent ensem-
ble, contemporaines et nécessaires rune a l'autre.
e'est assez dire que.la royauté féodale y fut forte
en naissant, et n'eut pas besoin de se conquérir,
pour ainsi dire, elle-meme, comme sur le continent.
A peine couronné, Guillaume fut ce que les rois de
France ne devinrent qu'apres de longs efforls, un
roi véritable, reconnu comme tel de tous ses ba-
rons el bien plus puissant qu'aucuIl d'eux.


H s'était fait, on, le présume sans peine, une large
par! dans les profits de la conquéte. Ses damaines




150 DE L'OBIGINE DU 8YSTEDIE BEPBisENTATIP
comprenaient 1,46:2 terres ou manoirs, et les prin-
cipales villes du royaume. Les confiseations surles
Saxons rebenes venaient sans eesse les aecroitre.
Dans 1'étendue de ees possessions, iI imposait des
tailles a volonté et établissait aussi arbitrairement
des droits de douane sur l'importation et l'exporta-
tion des marchandises. Les amendes, le rachat
des crimes, la vente des officcs publics, de la pro-
tection et de la j nstice royaJe, étaient la source de
revenus eonsidérables qui assuraíent au roi un pou-
voir indépendant.


Ses relations avec ses vassaux furent réglées des
l'origine, et d'une fal(on plus générale, plus simul-
tanée que partout ailleurs. IIs.lui devaient un ser-
vice miJitaire de quarantejours quand ilsen étaient
requis, et une aide en argent dans trois cas: 10 pour
sa ranl(on s'íl était rait prisonnier; 2" pour le ma-
riage de sa filIe ainée; 3° pour armer son fils ainé
chevalier. Le taux de eeUe aide ne fut légaIement
fixé que sons le regne d'Edouard ler. Le roi avaitde
plus, sur ses vassaux, les droits: 10 de relief, a la
prise de posscssion, par l'héritier majeur, de tout
fief tenu de lui; 2° de tutelle, ou la jouissanee du
fief pendant la minorité de l'héritier; 30 de ma-
riage, ou le droit de vendre, en quelque sorte, au
plus offrant la main de l'héritiere d'un fief dont il
était luteur. J'omets quelques droils moins impor-
tans.


Tous ees droits étaient indéterminés, e'est-a-dire
réglés par eelui du plus fort, ou bien ils donnaient




..


EN ANGtETERIll!. 151
líeu a des transactions OD. la force avait toujours
l'avantage. Or, dans les débats individuels des rois
normands avec tel ou tel de leurs vassaux, nul n'é-
tai~ assez fort pour leur résister, long-temps du
moills. Aussi, bien que la plupart de ces droits ap-
partinssent, a peu pres partout, a la royauté féodale,
iI s'en faut bien que les rois féodaux du continent,
entre autres ceux de Frallce, fussent capables de les
faife respecter de tous leurs vassaux, éomme Guil-
laume et ses successeurs.


lis Ievaient encore arbitrairement quoIques im-
pots pon;us jadis par les rois saxons, entre autres
le drenegeld, taxe établie pour repousser les incur-
sions des Danois, et qui se prolongea jusque sous le
regne de Renrí n.


Enfin bientót s'introduisit rusage de se racheter
du service miIítaire par le paiement de l'escuage,
sorte de compensation que le roi fixait arbitraire-
ment comme représentant un ser vice auquel iI avait
droit. Ce rachat fut plus d'une fois imposé a des vas-
saux qui offraient de servir en personoe. Dans lo
cours de soo regne, Reori IIIeva cinq 6scuagesdesa
seu]e autorité.


A la faveur de ces revellUS indépendans et de ces
taxes arbitraires, les rois normands entretinrent
presque constamment des corps de troupes soIdées,
ce qui n'arriva sur ]e continent que bien plus
tardo


Voici done une société féodale bien peu sembla-
lJle a celIe qu'on a. vuo se former en France ; ello




152 DE L'OBIGIIIE l>U SYSTtlIE REPRÉSEIIUTIF
présente, des son origine, un spectacle tout dif-
férent.


Le premier des intérets, celuí de la conservation
et de la défense communes, s'oppose a l'isolement
et a l'indépendance, aílleurs presque absolue, des
vassaux du roi. lIs se rassemblent fréquemment au-
pres de lui. Le pouyoir central, presque nul ailleurs,
est ici exercé en commun par le roi et l'assemblée
générale de~ baro11s.


Si 1'011 cherche, dans les faíts, quel est le role de
cette assemblée, on la yoit intervenir dans les af-
faires publiques, non en vertu de telle ou teHe attri-
hutíon, non pour exercer tel ou tel droit spécial,
comme celtii de faíre les lois ou de voter les impóts,
mais dans les occasions les plus diverses, et COllune
appelée a concourir au gO!lVernement tout entier.
Les lois, les re1ations extérieures, la paix, la guerre,
les affaíres eeclésiastíques, le jugement des grandes
causes, la nomination aux grands emplois publies,
l'intérieur meme de la maison etdelafamilleroya1e,
tout est de son ressort. Nul intérét ne lui est étrnn-
gel', nuUe attribution ne lui est interdite, nul droit
ne lui est refnsé. Il semble qu'elle exel'ce directe-
ment, sur l'administration de l'état, ceUe surveil-
lance générale, cette aetíon décisive qui, dans les
gouvernemens libres des pcuplcs civilisés, luí ap-
partiennent indireetement par son influence sur le
choix des dépositaires du pouvoir et par le principe
de la responsabilité.


D'autre part, si on oublie I'assemblée pour con si-




EN ANGLETERRE. 103
dérer isolément ]e pouvoir royal, on le trouve assez
fori ponr s'exercer, en mille occasions, d'une fa¡;on
aussi arbitraire, aussi absolnt', que si nuJle assem-
blée n'existait, si ]a nation politique n'intervenait
en ríen dans son gouvernement. A luí seul, le roí
e8t plus riche et plus puissant qu'aucun de ses vas-
saux; a lui seul iI fait des lois, leve des taxes, dé-
possede des propriétaires, condamne ou bannit .des
hommes importans, excrce enfin, ell mainte occa-
sion, tous les droits d'une souveraineté illimitée.
Cette sou veraineté semble résider tout entiere, tantót
dans les mains de l' assembléenationale unie a son chef,
tantót dans celles de ce chef seu1. Jamais, daos la
France féodale, ancune rénnion des vassaux de la
couronne ne prit part aussi fréquemment, aussiréel-
lement, aux affaires de l'état; jamais le pOllvoir de~
roia n'y fut, dans toute l'étendue du royau.me, aussi
tyrannique, aussi redouté.


C'est qu'il y avait, en Angleterre, deux forces so-
ciales, deux pouvoirs publics qui, a la meme épo-
que, n'existaient ni l'un ni l'autre en France, une
aristocratie et un roi : force s trop barbares, trop li-
vréea a l'empire des passions et des intérels person-
neIs, pour que leur coexistence ne produisit pas ces
alterna ti ves de despotisme et de gouvernement libre,
mais nécessaires rune a l'autre et souvent contraintes
d'agir en commun.


Rugues-Capet, Robert, Renri ler, Philippe ler, ne
régnaient que dans leurs domaines; chaque seigneur
un peu considérable était, daos les siens, presque ,


14 '~4;,1
.....
, " ......


,·A.,




154 DE L'ORIGINE DU SYSTElIE REPR1:SENTATIF
aussi puissant, presque aussi isolé. Le~ barons nur-
mands formaient vraimellt un corps; les rois nor-
mands étaient vraiment les chefs de ce corps, les
rois du pays. La nécessité de se défendre en commun
contre un peuple capable de résistance avait amené
ce double résultat.


Quand cette nécessité devint moins pressante,
quand la conque le se fut un peu affermie, les am-
bitions individuelles reprirent leur cuurs; la nature
de la féodalité se laissa voir. Chaque possesseur de
fief voulul s'isoler dan s ses terres, les étendre par
la violence, s'enrichir par le brigandage. Les rois
profiterent de ce commencement de dissolution pour
accroitre Icur pouvoir. Investís d'une force supé-
rieure a celle de toul autre individu, appelés par
lem titre seul et l'éminence de leur'position a preno
dre soin de' l'ordre public, ils entrerellt bientot,
comme les rois du continent, en lu!te contre leurs
barons, et rcmporterent d'abord de grands avanta-
ges. Si Henri ler et Hcnri 11 ne peuvent etre appelés.
des souverains absolus, -ils exer9aient pourtant un
empire plus général, plus inconteslé que tout autro
roi contemporain. IHais les causes de celte extension
de l'autorité royal e étaient passageres. Moins alarmés
des périls que les révoltes de la population saxonnc
leur pouvaienl faire courir, possesseurs plus assurés
de leur parí de conquete, les harons avaicnt pu seu-
tir moins vivement la nécessité de se ralIjer autour
du roi; leur intervention dans le gouvernement
central avait pu devenir moins active el la convo-




EN ANGLETERI\E. loo
cation de leurs assemblées plus rare. Cependant ils
n'en avaient perdu ni le souvenir, ni meme l'habi-
tude; lorsque apres s'etre séparés du pouvoirroyal,
ils s'en virent attaqués, Jorsqu'ils reconnurent qu'ils
étaient hors d'état de lui résister individueUement,
l'esprit d'associati~n reprit vigueur,· et, an lieu de
dcmem'er dispersés dalls la hiérarchie féodale, ils
formerent, pour se défendre avec succes, des coa-
litiolls vraimellt aristocratiques. Plusieurs circoll-
stances furcnt favo'rables aceIte llouvelle tendallce.
Trois usurpateurs en moins de cillquante ans, Guil-
Iaume -]e- Roux, Henri ler et Étienne eurent besoin
de fairc reconnaÍtre Ieur titre par le corps des ba-
rons, el de se les co'}-cilier par des promesses géne-
rales en faveur de leurs libertés. En partant pour
la croisade, Richard-Creur-de-Lion confia le gou-
vernement a Hugues, é\'eqlle de Durham, et a Guil-
laume de Longchamp, éveque d'Ély. La tyrannique
administratioll de ce dernier excita de te18 orages
que, du fond de la Palestine, le roi lui adjoignit
l'a~chevéque de Rouen et quatt'e barons. De la, et
des tentatives du prince Jean pour envahir le pou-
voir, naquirent desfactions de toute sorteo AumiJieu
de ces désordres et en l'absence du roi, que prololl_
gea sa captivité, le gouvernement tomba aux mains
d'un conseil de barons, c'est·a-dire d'une portion de
l'aristocratie. Les uns prirent des lors f'habitude de
gouverner, les nutres celle de résister a un gouvel'-
Ilement qni n'élait que celui de ]eurs pairs; et lors-
qu'en ] 199 Je:m-sans-Terre monta sur le tróne,




1 lS6 DE L'ORIGIl'iE DU SYsttll E REPRtSEl'iTATlF
toutes choses avaient changé de face. Ce n'était plus
entre les Normands et les Saxons que se livrait la:
principale guerreo L'amaIgame des deux peuples
n'était point consommé ; il commen~ait pourlant. Ce
n'était plus individuellement et dans la faiblesse de
l'isolement féodal que les baroos résistaient au roi.
La royauté et l'aristocrntie étaient nux prises; rUlle
s'efforc;ant de retenil' le pouvoir ah80lu qu'elle nvait
touché un moment, a la faveur des premiers désor-
dres de la féodalité; l'autl'e se rallíant poul' faire re-
connahre ses droits et s'assurer des garanties. Quel-
ques barons suivnient la fortune du roi, et il le fal-
Jait bien pour que la lutte fUt possible; mais enfin
la lutte était engagée; et ce n'était point, comme sur
le continent, une série de combats entre desintérets
individuels; c'était un débat vraimcnt public entre
deux forces générales, iodépeodaotes, et capables
de s'imposer réciproquement la nécessité destransac-
tioos. On vient de voir comment ces deux forces
furent créées et mises en préiellce. Je passe a l'his-
toire de leurs guerres el de leurs traités, c'{'st·a·dire
des chartes, second pas de l'Angleterre vers l'insti-
tution d'un gouvernernent libre et national.


--




E:'t A~GLETERRE. 11)7
"K • ,te


CRAPITBE 11.


DES CHARTES.


f,e premier debat qui s'éleve entre le pouvoir et
la liberté a toujours pour objet la reconnaissance
des droits. e'est qu'en effet les libertés individuelles
ne 80nt rien, tant qu'elles ne se sont pas fait recon-
naitre eomme des droits publies , eomme la loí du
pays. Alors seulement il y a soriété entre eeux qui
les possedent et ceux qu'elles ont a redouter. n faut
qu'ils se soient unis dans une adhésion eommune a
certains principes, a certaius devoirs réciproques.
Il se peut que, des deux catés, eette adhésion Boit
tacite et ne se trouve éerite nuUe parto Mais il est
indispensable qu'elle soit réelle; sans quoi il n'y a
que la servitude ou la guerreo e'est en ce seos
qu'on peut dire que la société se fonde sur un con-
trato


Des que la situation des barons anglais fu! cIaire
et déterminée, des qu'ils formerent Une aristocratie
séparée de la royauté et eapable de lui résister,
eette aristocratie poursuivit avee ardeur, au nOID et
dans l'intéretde tous ses membres, la reconnaissance
des droits communs a tous. Il fallait bien qu'elle les
fit reeonnaitre, car les rois, a force de les vi oler , en
étaient venus a les nier. Des lors la société était
l'ompue. Elle ne pouvait se rétablir que par l'assen-


14.




158 DB t'ORIGINE DU SYSn:ME REPRtSENTATlF
timent de la royauté a ces droits qu'elle refusait de
respecter, et d'écrire, et que pourtant elle n'etaitpas
en état d'étouffer.


-La concessioll des chartes fut le résultat de cette
.lutte. Avanl les chartes, les barolls anglais avaient
des libertés. Avec les charles seulemellt, I'Angle-
terre eut un commencement, de droit publico On
yerra plus tard comment I'établissement des illsti-
tutions suivit el devait suivre la reeonnaissance des
droits.


La lutte éclata avec le regne du roi Jean. Je viens
de dire pourquoi. Alors seulement les barons se
trouverent d'une part séparés du roi, de I'autre
ralliés en une eorporation vraiment arilotocratique.
lis n'avaient pas Jaissé pourtant, durant les cent
trente années qui s'étaient éeoulées depuis la eon-
quete, de récJamer de temps en temps leurs droits,
et plns d'une eharte les avait eonsaerés.


La premiere fut celle de Guillaume-Ie-Conqué-
rant. Les reJations de Guillaume avec ses barons et
chevaliers normands élaient déjil réglees en Nor-
mandie; rien n'y fut change par la conquete, et les
vainqueurs s'oecuperent bien plus de s'affermir en-
semble que d'écrire lems devoirs et leurs droits.
lUais Guillaume devenait le roí d'un nouveau peu-
pIe, le suzerain de vassaux saxons; il Y avait la des
rapports a déterminer, des lois a recueillir. Ce (ut,
a ce qu'il paraít, en 107 J, dans un grand eonseil
national, ,qu'eut lieu ce travail. n n'en reste guere
de monument certain qu'une charte intitulée:




EN ANGLETEiIRB. 159
charla regis de quibusdam statutis per totamAngliam
firmiter observandis, car 1'authenticité de la collec-
tion de lois attribuée a Guillaume est au moins dou-
teuse. Trois articles seulement de cette charte 80nt
d'un intért'ltgénéral. Aucun débat vraiment politique
ne s'était encore élevé; aucune lutte n'avait eu lieu
entre le roi et ses vassaux. La charte de Guillaume
est une déclaration assez vague des principes essen-
tiels du régime féodal plutót que la réforme d'abus
publics el la reconnaissallce de droits contestés. Elle
IJfomet aux Saxons lajouissance des loisd'Édouard-
le-Confesseur (1).


(1) • Nons vonlons et ordonnons fermement et eoneédons
qne tons les hornmes libres de tonte la monarchie de notre
royanme ci-dessus dé signé aient et tiennent leurs terres et
possessions bien et en paix , libres de tonte exaetion injuste et
de toute taille; de telIe sorte qn'il n" lenr soit rien pris ni
demandé, si ce n'est le serviee libre qn'il. nons doiventjnste-
ment et dont ils sont tenus envers nous, selon qu'illeura été
imposé et aecordé par nous , en droit héréditaire et a perpé-
tnité, par I'assemblée commnne de notre royaume oi.dessus
désigné ...


• N ous statuons et ordonnons fermement que tons les
hommes libres de tout notre royaume soient et setienDent
tonjours bien pourvns d'armes et de chevanx, comme il faut
et eonvient ; et qu'ils soient toujours prets et bien disposés a
.'aequitter envers nous de tout leur serviee, 10rsqu'i1 en sera
beso in ; selon ce qu'ils doivent faire pour nous en vertu de leurs
fief •. et tenures, comme nous l'avons établi par l'assemblée
générale de notre royanme, et comme nous leur avona dODné
et concédé a titre de fier héréditaire. Que eet ordre De soit
violé en aueuDe fac;on , sous peine de forfaiture {'nvers nous .•




160 DE L'ORIGll'lll DU SYSrtlIE REPRisENTATIF
Henri ler, en montant sur le trone, était dans une


situation moins simple et moins sure. Il r a vait usurpé
sur son frere ainé Robert; celui-ci demeurait due
de Normandie, et la séparation des deux: pays dé-
plaisait fort a la plupart des barons norm:mds doq~
les possessions se trouvaient ainsi divisées. Durallt
Jes regnes de Guillaume-le-Conquérant el de Guil-
laume-Ie-Roux, les abus du pouvoir royal s'étaient
fait sentir; les droits des barons avaient été souvent
violés. En II 01, Robert tenta une invasion en An-
gleterre; il y avait un parti; le péril était grand;
Henri convoqua a Londres une assemblée nationaIe :
" Amis et fideles sujets, étrangers et natifs, leur dit-
" il, vous savez tous tres bien que Illon frere Robert
" a été, d'api'es la voixde Dieu. élu roi deJérusalem
JI qu'il aurait pu gouverner heureusement, et com-
" ment il a refusé cet empire; a raison de quoi iI
)) méritejustementlesreprochcscl la colérede Dieu.
• Vous avez connu aussi, uans beaucou p d' oceasions,


• Nous ordonnons aussi que tous aient et conservent la loi
du \ roí Edouard, avec les additions que nous y a'fons faites
pour l'avantage des Anglais. ,


eette charte a été publiée en entier daus la nouveIlc édition
des Acta publica de Rymer, que fait faire le gouvernement
anglais (t. 1, p. 1) , d'apres une copie insérée dans le livrc
rouge de l'échiquier. 11 n'en existe aucun manuscrit originel,
et ron a quelquefois douté de son authenticite j mais, outre
, autorité nu livre rouge de I'échiquier, la charte de Henri Icr


y fait évidemment allusion. Elle est san s date, et on la rapporte
communément a la fin du regne de Guillaume. Mais je suis
pOI·té 11 croire qu'clle est de l'an 1071.




EN AJ'lGLETElIRE. 161
)1 sa brutalité et son orgueil. Cumme c'estunhomme
u qui se pluít dans la guerre el le carnage, iI ne
II peut supportcr la paix; je sais qu'il vous regarde
)1 comme une bande de compagnons méprisables;
• il vous appelle un troupeau de gloutons et d'ivro-
• gnes qu'il espere bien fouler aux pieds. Mui, qui
11 suis vraiment un roi doux, modeste el pacifique,
• je vous conserverai et soignerai précieusement
• vos anciellnes libcrtés que j'ai déja juré de main-
o tenir; j'écouteraiavec patience vos sages conseils,
• et vous gouvernerai justement, selon l'exemple
• des meilleurs princes. Si vous le désirez, je con-
• firmerai cette promcsse par uné charte écrite; et
D to~les ces lois que le saint roi Édouard, par l'ins-
1I piration deDieu, a si sagement rendues, jejurerai
» de Douveau dc les observer inviolablement. Si
• vous, mes freres, vous aUachez fidelement a moi,


. o nous repousserons aisément les plus violehs ef-
• forts que puisse faire, contre moi et ces royaumes,
II notre plus cruel ennemi. Que je sois seulement
" soutenu par la "aleur et la force de la nation aD-
II glaise, toutes les menaces des Normands ne me
~. " paraitront plus formidables (1)."


Une chm'te fut le resultat de ce discours. C'est la
plus complete et la plus précise de toutes celles qui


. ont précédé la grande charte. Elle énumere lesabus
des regnes précédens, les exlensions illégitimes des


(1) Parliamentary History, t. 1, p. 10, édition in-S",
l.ondres, 1762,




i 62 'DE L'ORIGII'lE DU 8YSTt.ME BEPRtSENTATIF
droits du roi sur ses vassaux, et en promet le re--
dressement'- l\fais presque toutes ses dispositions se
renferment dans les relatiuns féodales; le renou-
vellement des lois d'Édouard-le-Confesseur, le par-
don des meurtres anciennement commis, et la pro-
messe de ne plus étendre les foreta de la couronne
sont les seules qui se rapportent a la population en
général (1).,


(1) Voici le textecomplet de ceUe charte qui fut ensuite le
fondement de ceHe du roi Jean :


• L'an de N. S. 1101, Renri, fils du roi Guillaume, apres
la mort de son frere Guillaume, par la gnice de Dieu, roi des
Anglais, a tous les fidilles salut : - Sachez que, par la misé-
ricorde de Dieu- et le commun conscil des barons, fai été
couronnéroi deceroyaumed'Angleterre. Et comme eero!aume
était opprimé par d'injustes exaetions,' moi, par respeet de
Dieu et par I'amour que je vous porte, je rends d'abord libre la
sainte église de ])ien; je ne vendrai ni n'affermerai, et a la
mort de l'areheveque, de I'évcque ou de l'abbé , je ne prendrai
ricn du domaine de l'église • .i de ses bommes, avant qile le
suceesseur soit en possession. Je supprim,e toutes les mauvaises
coutumes par les'luelles était inj ustement opprimé le royaume
d'Anglcterre, lesquelles mauvaisescoutllmesvoici. Si quel'lu'un
de mes comtes, barons ou tous autres qui tiennent' de moi
vienta mourir, son héritier ne rachetera pas S8 terre, comme
il faisait au temps dc mon frere, mai. illa reprendra (relevubit)
par un juste et légitime relief. De meme les hommes de mes
harons reprendront leurs terres par un juste et légitime relief.
Et si quelqu'Oll de mes barons ou autres hommes veot marier
sa fi!Je, ou sa sreur, ou oa pctite-tille, ou sa parente, qu'il
m'en parle; mais je ne prendrai rieo de son bien poor lui en
donner licence, et jc IIC luí défelldrai poillt de la donner aquí
il voudra, excepté .'il voulait I'unir ¡'¡ mon cnncmi. Et si, a la




EN ANGLETERRE. 16~
Étienne usurpa le tróne comme· Hellri, et donna


aussi deux chartes, rune aux barons, l'autre au


mort d'un de mes bamns 011 autres hommes, S8 fille demellfe
son héritiere, je la donnerai en mariage avec sa terre, de l'avis
de mes barons. El si, a la mort d'un homme, sa femme demeure
sans enfants , elle aura sa dot et son douaire ( muritationom ),
et je ne la donnerai a aucun mari que selon sa volonté. Si elle
demeure avec des enfants , elle aura sa dot et son dOllaire , tant
qu'eJle conservera la chasteté de son corps, etje ne la donnerai
a allclln mari qlle selon sa volonté. Qlle la femme 011 le parent
pour qlli cela est le plus j Ilste, soil le gardien de sa terre et de
ses enfants. Et j'ordonne qlle mes barons se conduisent pareil.
lernent envers les fils, les filies et les femmes de leur. hornmes.
Je défends absolllment le droit de monnoyage qu'on prenait
dans les villes et les comlés , et qui n'existait pas du temps du
roi Edouard ; si on trouve quelque monnoyeur ou tout autre
porteur de fausse monnaia , qu'iI en soit fait justice. J e remets
tous les proces et tOlltes les detles dile. a mon frere, sauf toute-
fois mes droits bien établis el saufallssi les conventions relatives
aux propriélés ou aux biens légitimes d'autres penonnes. Et
si quelqu'un avait engagé en qllelque chose son héritage, je
le lui remets, ainsi que tOIlS les reliefs imposés a des hérítages
légitimes. Et si quel'lu'un de mes barons ou de mes hommes
est malade, je eonsens qu'ildonne son argent ou manifesle son
intention de le donner comme ille voudra ,et qn'aiusi iI soit
fait. Que si, prévenu par la guerra 011 la maladie, il n'a pas


. donné son argent 011 n'en a pas disposé, que sa femme, ses
enfants, ses parents ou ses hommes légitimes le partagent dan.
I'íntérét de son ame, comme ils le jugeronl a propos. Si qnel-
qu'un a forfaít, íl ne paiera pas pour obtenir miséricorde;
comme cela se faisait BU temps de mon pere et de mon rrere,
maís selon la mesure de Sil forfaiture, íl sera puní comllle
il eut été puní dans les lemps ontérieurs a roon pere. Qlle s'il a
été convaincu de perfidie ou de crime, il sera pllni comme i
sera juste. Je pardonne tous les memtres commis avant le




164 PE L'ORIGINE PU SYSTEME REPRÉSENTATIlI
clergé (1). Elles sont courtes et se bornent a reno u-
veler des promesscs déja aussi usitées qu'ineffi-
caces ('2).


jour 00. ¡'ai été couronné; ceux qui ont été commis récemment
seront punis selon la loi du roi Edouard. Du consentement de
mesbarons, je retiens les forels comme mon pere les a possédées.
Je conc~de en don propre, iI tons les chevaliers qui défendent
leurs terres par lecasquc et l'épée, la possession, sans redevance
ni oharge aucune, des terres cultivées par leurs charrnes
seignenriales, afin 'TU' a l'aide d'un si grand soulagement, ils se
munissent d'armes et -de ehevaux pour notre servioe et la
défense du royaume. J'établis la pai" dans tout mon royaume
et ordonne qu'elle soit bien gardée. Je vous rend. la loi du roi
Edouard, avec les eorrections qu'y a faites mon p~re par le
conseil de ses barons. Si quelqu'un, depuis la mort de mon
frere Guillaume, a pris quelque chose, soit de mes biens, soit
des biens d'autrui , qu'ille rende completement, et celui qui
sera trouvé en possession de quelr¡ue chose de semhlable en sera
séverement puni. »


Quelques savans rapportent eeUe charte au moment meme
de l'usurpation de Hemi 1" (1100), et la premiere phrase semble
en elfet l'indiquer. !llais d'autres passages et le di~cours de
Hemi a I'assemblée de 1011 me paraisscllt prouver qu'elle ne
fut concédée qu'a cette seconde époque.


(1) En 1136.
(2) Je n'en rapporte pas ici letextc; elles ne font que renou-


veler la charte de Uenri l°'. La seconde eontient seulement
eette disposition remarquable : • J'abolis radicalement toutes
o les exactions, injustices et mauvaiscs pratiques introdnites
" mal a pro pos par les vicomtes," c'est-a-dire les shérilfs. Les
offices publics étaient alors vendus ou pris a ferme; et ceux
qui les exploitaient vexaient pour leur propre compte bien
plus que pour celui du roi. Anssi était-ce au roi qu'on
avait recours contre ses offieiers. Ce genre de réclamation




EN ANGLETERRE. 16lS
Enlin Henri n les renouvela encore par une cin-


quieme charte, aussi fort courte et qui n'eut pas
plus de vertu (1).


On auraittort des'étonner que tant dechartesfus-
sent vaines; leur concession était, pour le trone, une
habileté plutót qu'une nécessité. Accordées soit a
l'ouverture d'un nouveau regne, soit au milieu de
quelque péril passager, ellesétaient l'reuvre presque
spontanée d'un pouvoir empressé de se concilier
momentanément la faveur publique, et non la con-
que te des sujets eux-memes. Or la liberté veut etre
con quise ; ceux-Ia seuls la gardent qui, en la pre-
nant, ont prouvé leur force et imposé les traités
qui en deviennent la sanction. Les baronsnormands,
80US leurs premiers rois, n'étaient pas encore en
mesure d'entreprendre une telle lutte, et peut-etre
n'en éprouvaient-ils pas le besoin. Souvent associés
au gouvernfJment central, le trone était leur uDique
point de ralliement; et quand ils ne se réunissai~nt
pas aupres du roi, ils essuyaient de sa part des
vexations fréquentes, mais indi viduelles, et qui
blessant, dans quelques.uns seulcment, les, droits
de tous, ne leur faisaient pus sentir l'urgence d'une
coalition. Sous Henri II, ces deux circoDstances
cbangereut; d'une part les curire de more devinrent
plus rares, et les barons plus étrangers au gouver-




166 DE L'ORIGINE DU 8Y-1ld:lIIE REPRtSENT1TlP
nement; de l'autre, le pouvoir royal s'eXert;R par
des mesures plus générales et qui prétendaient a
plus de rég':llarité. L'étendue des possessions de
Benri sur le continent l'entrainait dans des guerres
longues, ruineuses, on les barons anglais n'étaient
pas toujours disposés a le sllivre, et pOOl' lesquelles
le service militaire qu'ils lui devaient en vertu de
leurs fiefs ne lui suffisait poin!. Il leva, pour les
soutenir, des corps nornbrellx de mercenaires, de
Braban<,¡ons surtout; et pour payer les B"aban<,¡ons
il fallut des imputs. Vescuage, qUÍ n'avait guere été
jusque-Ia que la conversion du seTVÍce militaire en
une somme d'argent librement débattue et payée
par le vassal qui ne voulait pa~ servir, devint une
contribution 'générale que le roi imposa seul a tous
ses vassaux. Les barons se sentirent des lors sous le
poids d'nne oppression commune, exercée par un
pouvoir autour duquel ils ne se ralliaient plus que
rarement. De la la nécessité de se défendre en com-
IDun el de se raIlier entre eux. L'habile fermeté de
Henri 11 en retarda les effetso Les grands princes sa-
vent manier la tyrannie qu'ils inventent, et le pl'ix
en sera payé par leurs faibles successeurs qui pré-
tendront la retenir sans <lue ricn en dédommage
leurs sujets. D'ailleurs, les hOlfimes essaient toujours
de supporter le mal avant d'nffronter le péril pour
s'y soustraire. Le regue de Richard-Cmur·de-Lion nc
vit encore éclater, de la part des barons, auenne
résistance générale et combinée. Benucoup l'accom-
pagnerent á la croi~ilde. Ceux qui étaicnt restés en




EN ANGLETIlRRI!. 167
Aogleterre prirent part aux factions dont le pays
fllt agité en son absence, rnais sans qu'uucun résul-
tat v.raiment politiqlle rnarquat des lor8 leur inter-
'venlion dans le gouvernernent ou leur opposition.
Enfln Richard était un de ces hornmes qui se ren-
contren! presque a toutes les grandes époques, et
qui représentent si bien l'esprit de leur temps,
s'associent si vivement et avec tant d'éclat a ses
passions et a ses goÜts que, malgré lellrs vices et Je
mal qu'ils font, le peuple les admire et les suit. Le
premier, entre les rois normands, a l'exception de
Guillaume.le-Roux, il n'avait donné a son avene-
ment aucune charte; peu de souverains commirent
plus d'exactions, plus de violences; et nuI ne fut
plWl,P'lpJl.laire. On le vii bien a l'empressement de
toDa" clergé , vassaux, simples sujeta, quand il fal-
Int payer sa rall(;on.


A Richard succéda un de ces princes insolens et
lAc;ltes qui semblent nés pour tenter folIernent les
derniers exees du despotisme et subil' honteuse-
ment les victoires de la liberté.


A peine Jean·sans·Terre est-il monté. sur le trone
que la coalition des barons se déclare, dans une
assemblée tenue a Oxford, par leur refus presque
unanime de le suivre a la guerre en France, s'il ne
promet de leur rendre leurs priviléges et de respec-
ter Ieurs droits (1).


Malgré ce refus, Jean s'engage daos la guerreo


(1) En 1201, et selon d'autresen 1204.




168 DI L'OImallB DU 8TSTi¡ME REPR2SBM'ATIF
Il n'y rencontre que des reverso A la honte des re-
vers iI ajoute celle des crimes j il égorge de sa
main, au milieu de la nuit, son neveu Arthnr.
Odieux et battu, il persiste a agir en despote. Des
spadassins soldés marchent partout a sa suite , et iI
les charge de décidel', par de prétendus combats
judiciaires, les procesde la couronue avec quel-
ques-uns de ses vassaux. Les exactions se multi-
plieot j un uouvel escuage est imposé j les barons
refusent de nouveau de suivre le roi sur le conti-
nent (1) j Ieur coalition ne s'arme point encore,
mais elle prend chaque jour plus de cOilsistance, et
se sépare plus completement du roi.


Comme s'il n'avait pas asse'l. d'ennemis, Jean pro-
voque bienlot une autre coalition non moins redou-
table; iI se brouille avec le clergé. Le pape Inno-
cent IrI l'excommunie, met son royaumeen ¡nterdít,
et délie ses sujets du sermcnt de fidélité. Philippe-
Augustese disposea envahil' l'Angleterre. Les barons
anglais demeurent indifférens et immobiles; les pé-
rils du roí ne sont pas les leurs, Jean rachilte sa
couronne en la déposant aux pieds du pape, dont
jI se déclare le vas sal. Le clergé triomphe; les barons
s'inrlignent. Maís Jean n'a point gagné le clergé en
s'humiliant rlevant lui; les barolls ne font rien pOUl.'
défendre l'honneur d'un trone dont ils méprisent le
possesseur.


Rerlevenu roi, Jean recommence a vexer, a ou-


(\) En 1205.




IIr AIrGLITERRE. 169
trager les barons et ]e clergé. Les deux corps s'unis-
sent pour se défendre; la résistance devient une
nécessité commune pour toute l'aristocratie du
pays.


En aout 1213, les barons et le haut clergé se trou-
ven! rassemblés a Londres, ou le roi les a convoqués
pour obtenir d'eux. quelque secours. L'archeveque
de Cantorbéry, Étienne Langton, cngage les barons
a se réunir ieCl'etement. Le 20 aout, il produit, BU


. milieu de celte réunion, la charte de Henri ler qu'i]
vient, dit-iJ, de retrouver. La lecture en est enten-
due avec acclamations. Les barons se donnent un
rendez-vous ou ils prendront des mesures pour
contraindre le roi a renouveler cette garantie de
leurs droits.


Lé" 20 novembre 1'21.4, ils se réunissent en effet
a Saint-Edmundsbury; et toujours IJrésidés par
Étiellne Langton, viennent l'un apres l'autre preter
~ l'autel le serment de faire remettre la eh arte de
Hem ler en vigueur.


Le 6 janvier 1215, les confédé rés se rendent en
armes a Londres, el requierent du roí le r~nouvel­
lement de eette charte, aínsi que des lois d'Edouard-
Ie-Confesseur. Jean ne savait rien de la coalition,
n'avait ríen prévu. 11 demande du lemps; on luí
accorde jusqu'¡\ paques.


Jean -essaie de meUre a profit ce délai. Il accorde
au clergé une charte particuliere qui garantit]a li-
berté des éJectwns eccIésiastiques, et envoie it Rome
Guillaume de IUauclerc pour réclamer l'appui du
l~"




170 DE L'OIUGlmI D11 ItYSrtl:lD BlPRtSEI'IT1Tl!
pape "contre les barons. Sans attendre la réponse
du pape, il prend la croix le 2 février, et fait Vretl
de partir pour la Palestine, espérant couvrir le des~


, potisme du privilége des croisés.
Ni les barons Di le c1ergé anglais ne sel¡üssentinti-


mider. lis envoient aussi á Rume run des plus ani-
més d'entre eux, Eustache de Vesci, dontJean avait
voulu outrager la remme, pour soutenir la légiti-
mité de leur entreprise; et sans aUendre son retour,
des que le délai convenu estexpiré, le 19 avri11211),
ils se réunissent a Stamford, dans le comlé de Lin-
coln, suivís de plus deu:!:: mille chevaliers.


Le roi leur fait demandm' quelles sont leurs pré-
tentions. lis réclament la charte de Henri le., et
envoient au roi des articles qui l'étendent en \'ex:-
pliqmlnt. "Pourquoi les barons ne me demandent-
" ils pas aussi mon royaume? s'écrie Jean ave e fu-
~ reur; je ne Ieur accorderai jamais des libel'tés
» qui me réduiraient en eselavage. 11 Toute négo-
ciation cesse aussitót.


Le 1) maí suivant, les barons, réunis a Wallingfort
ave e leurs troupes, l'enoncentsolennellement a leur
serment d'allégeance. RobertFit7.-Walter est nommé
maréchal de l'armée de Dieu et de la sainte église.
La guerre est déclarée.


Arrivent des leUres du pape au roi, au c1ergé,
aux barons; elles sont sans effet (1).


(1) On a mis en doute la question de savolr si la lettre dn
pape n'était pas arrivée sux barons avant l'explosion du la




EN ANGI.lITERRI. 171
Le ~4 mai, les barons prennent p08ses~ion de


Londres, de l'aveu des citoyens. Je~n se retire a
Odiham, dans le comté de Surl'ey; il s'y trouve seu]
avec sept cheva]iers.


Se.u1 et fugitif, il essaie encare de négocier; il
offre la médiatiun du pape; elle est repoussée; il
fauí que le despotisme s'avoue vaincu; ]a procla-
mation publique de sa défaite est indispensable ida
victoire de la liberté.


Le lB juin, une confél'ence s'ouvre, entre Wind·
80r et Staines, dans la plaine dite Runningmead. Le
roi signe les articles préliminaires proposés par les
barons. Enfln, le 19 juin 1'215, la grande charte est
concédée.


e'est la premiere, on le voit bien, qui ait été une
conquete vraiment nationale. Le meme carach~re
est empreint dans ses dispositioDs.


On pent les ranger sous trois chefs: 1° les droits
et les iDtérets du clergé; '20 ceux des possesseurs de
fiefs, vassaux immédiats ou médiats du roi; 3° ceux.
de toute la nation.


Quantauclergé, la grande charte se borne a con-
firmer en général ses immunités et ses franchises;
elles étaient bien connues, et J~an les avait récem-
ment sanctionnées dan s la charle par laquelle iI avait


guerre; cela ne se peut, car elle est datée du 14 avril, et la
guerre éclata le 5 mai. On mettait alors plus de trois semaines


pour aller de Romc !J. Londres. (RUER, Acta publica, t. J,
1', 197).




172 DB L'OBIG11\'E DU snTEIIIB BEPstSEIITATlr
tenté de détacher les ecclésiastiques de la coalition
des barons (1).


Les droits des possesseurs de fiefs lalques étaient
plus divers et plus contestés. La grande charte les
énumere avec soin, et les confirme ou les étend suc-
cessivement.


Elle détermine avec précision ce qu'il y avait_
d'obscur el d'ambigu dans les lois féodales; fixe le
taux, jusques lit arbitraire, du relieC que devait
tout héritier d'un fief (2), au 1II0ment de l'entrée en
possession; prend des précautions pour assurer le
sort des veuves et des enCans des vassaux du roi,
et pour le mariage de ses pupiles féodaux -(3); res-
treint les droits du roi sur les terres de ses tenan-
ciers; modere, selon les délits, les amendes qui leur
peuvent etre imposées; assigne un terme au sé-
questre des terres pour cause de félonie; pourvoit
enfin auredressement de tous les abus qui se glissent
dans les relations féodales, au détriment du vassal (4).


Le droit d'imposer un escuage ou quelque aide
extraordinaire est formeIlement réservé au grand
conseil nalional; les eas et le mode de sa COD-
voeation sont soigneusement déterminés (5).


(1) Art.1.
(2) Art. 2 et 3. La grande charte fixe ce re1ief a 100 livres


pour I'héritier d'unc baronnie de cornte ou de baron, et a
100 solidi pour l'héritier d'un p1ein fief de cheva1ier.


(3) Art.6, 7,8.
(4) Art.16,20,21,22,32,37.
(5) Art. 12: ,Qu'aucun escuage ni aide ne 50it mis daos




IN ANGLETEIIRE.


Toutes les libertés des vassaux du roi 80nt décla-
rées communes aux vassaux des seigneurs (1).


CeHes de la nation, des hommes libres en géné-
ral, 80nt l'objct des dispositions suivantes :


• Que la cour des plaids commun8 ne suive pas
a la cour du roi dans ses déplacemens, mais se
.. tienne en lieu fixe ('2). »


notre royaume, si ce n'est par le commun conseil dudit
royaume, sauf pour nous racheter, pour faire chevalier notre
fiJs ainé, et pour marier notre filie ainée, et que, pour ces
derniers cas, il ue soit mis que des aides raisonnables .•
-Art.14 .• Pourtenir le commun conseil duroyaume, ¡d'effet
d'asseoir une aide autre que dans les trois cas ci-dessus preserits ,
ou pour asseoir un escuage, nous ferons convoquer les arche-
veque., éveques, abbé., comtes et grands barons, individuelle-
ment et par lettre de nous; et nous ferons convoquer en masse,
par nos vicomtes et baillifs, tous ceux qui tiennent de nous
directement. Ladite convocation se fera a j¿ur fixé, savoir : a
quarante jours d'intervulle au moins, et en un lieu déterminé;
et dans les Jeltres de convoeation, nous exprimerons la cause
de la convocation ; et la convocation ainsi faite, l'affaire sera
traitéeau jour marqué, par Ic conseil de cenx qui seront présens,
'quant me me tous eeux qui aurontété convoqués ne seraient pas
venus. D


(1) Art. 60; • Que toutes les coutumes et libertés susdites
que nous avons accordées a notre royaume , et que nous obser-
vons, en ee qui nous touche, envers tous nos hommes, soient
également observées, en ce qui les touche, par les cleres et les
laIques, envers leuIS hommes.» -Art. 15 .• Que personne
n'imposeaucune aide a ses hommes libres, si ce n'est dan s les
t rois eas prescrits par l'art. 12 el qu'alorsccs aides soientraison-
nables .•


(2) Art. 17.




17 ~ DI L'ORlGlll1I D11 IYntME BEPR1:SEIITATIF
" Noua • ou si nous sommes absent dll royaume.


" nolre grand justicier , enverrons quatre fois l'an,
10 dans chaque comté, deux juges qui, avec quatre
1I chevaliers choisis par la cour de chaque comté,
• tiendront les assises le jour et dans le lieu 00. se
" réunira la cour du eomté (1).


» Auenn homme libre ne sera arreté, ni empri-
" sonné, ni dépossédé, ni mis hors la loi, ni exilé,
" ni atteint en ancnne fa~on; nOllS ne mettrons
" point et ne ferons point meUre la maio sur lui,
» :U ce n'est en vertu d'un jugement légal, par ses
• pairs, et selon la loi du pays (2).))


te Nous ne vendrons, ne refilserons et ne retar-
• derons pour personne le droit et la justice (~). ))


" Que tous les mal'chands aient la pleine et su.re
.·liberté de venir en Anglcterre, d'en sortir, d'y.res.
" ter et d'y voyager par terre et par eau, pourven-
» dre et acheter, sans aucune maltote (mate tolta),
» selon les anciennes et droites coutumes (4), • sauf
le eas de guerre avec le pays auquel ils appartien-
neIlt; auquel cas on recherchera comment les mar-
chands anglais sont traités dans ce pays, et on agira
d'apres le prin~ipe de la réeiproeité .


. Le roi promet en outre de ne nommer que des
juges capables et integres (o), de Jeur défelldre de


(1) Art.18.
(2) Art 39.
(3) Art. 40.
(4) Art.41.
(5) [bid.




EN ANGLETERRE. 17lJ
eondamnerqui que ce soit avant d'avoir entendules
témoins (1); de réilltégrer tout homme dépossédé
sansjugement légat (2) ; de réparer les injustiees eom-
mise sousHenri II el Ri.chard ,e" (:3); de ~eslreindre
les corvées pourles travaux des ponts (4) ; et d'inter-
dire les ,vexations de lout gelll'e exercées sur les
bourgeois, les marehanas et les villans (o).


JI s'ellgage a renvoyer imlllédialement du royaume
fous les soldats étr'angers et merccnaires qui y sont
venus avec armes et chevaux, au grand dommage
de tous les sujets (6).


Enfin iI accorde et garantít a la ville de Londres,
ainsi qu'a toutes les autres eités, bourgs, villes et
ports , la jouissanee de leurs aneiennes coutumes et
libertés (7).


Qui peut méconnaitre, dans ce traité solennel, ce
qu'a la meme époque on chcrchel'ait vainement
ailleurs, IInc aristocralie et une nation '? L'aristo-
er3tie slipule en corps, et ne stipule point pour elle
seule; elle faÍl reconnaitre ses dl'oits et aussi eeux
de tous les habitans dupays; les barons traitent en
leur nom el pour leur cumpte , au nom et pour le
cumpte des chevaliers, des bourgeois, des cultiva-


(1) Art.38.
(2) Art, 32.
(3) Art 53.
(4) Art.23.
(5) Art. 20,26,27,28,30,31.
(6) Art. 51.
(7) Art. 13.




176 DE L'ORIGINE DU' SYSTEME REPRÉSEl'ITATlP
tenrs, meme des marchands étrangers. n ast clair
que la hiérarchie féodale s' est convertie en une cor-
poration vraiment aristocratique, que ceUe corp'o-
ration se sent obligée de prendre en main la cause
nationale, d'ugir dans un intéret publico


Elle avait cOlltraint le roi Jean d'a"ouer et d'é-
crire a peu pres tous les droits dont les hornmes
eussent alors I'idée. C'étuit un pas immense. Mais
quelque complets que soient les premiers revera du
despotisme, ils ne sont jalllais que le début des
guerres de la liberté.


Aussitót apres la concession de la grande charte,
Jean furieux se retira dans l'ile de Wight, éerivit au
pape pour réclamer de nouveau son secours, et re-
commen<;la 11 enróler des Brabanl(ons.


Le 9 septembre 1211), le pape répondit eft ces
termes: "Nous réprouvolls et condamnons absolu-
1I ment un sembluble truilé; nous défendons uu roi
1I d'y avoir égard, et aux barons ainsi qu'a leura
1I complices, sous peine d'anatheme, d'en réclamer
• l'observation; nous déclarons Hulle et cassons radi-
1I calement Iadite chal'te aillsi que toutes ses obli-
11 gations el conséquences, voulant que dan s aucun
1I temps elles ne puissent valoir (1). " Mais l'arche-
veque Langton refusa de promulguer la senlence de
Rome; le clergé el les barons demeurerent unis.
En 121$, l'excornmunication avait laissé Jean sans
Corce au milieu de son peuple; en 1215, elle fut


(1) Run, ..teta publica, t.l, p. 203et sui'\'.




EIt ANGLETERRE. 177
sans force elle-meme contre un parti nationaI.


Les Braban<?ons eurent plus de sueces. Au moia
d'octobre, Jean recommen<;a la guerre; elle tourna
en sa favenr. Les harons en grand péril invoque-
rent, a leur tour, l'appui de I'étranger, en offrant
la couronne a Louis, fils de Philíppe-Auguste, qui
vin! la prendre avec une armée de Franc;ais; triste
et périlleuse ressource dans une cause nationale, el
qui pourtant a été plus d'une fois invoquée par les
défenseurs de la liberté! Elle releva d'abord le partí
des barons, maís ne tarda pas a le désunir. Il était
dans cet état de discorde intérieure et d'anxiété
morale qui présage les revers,lorsque Jean-sans-
Terre mourut (1).


Des que Henri 1II, encore enfant , eut été cou-
rondé, Guillaume de Pembroke, régent.du royaume,
convoqua u Bristol un conseil de harons (2), el la
grande charte y fut renouvelée. La confirmation
ll'était pas entiere; quelques-unes des plus impor-
tantes dispositions étaient olllises ; mais la nouvelle-
charte se bornait a les suspendrc, et annon<;ait l'in-
tention d'en référer a une assemblée plus géné-
rale (~1). e'en fut assez pour f('apper de mort le parti


(1) 17octobrc 1216.
(2) 11 novembre 1216.
(3) Elle se termine en ces mots : • Et comme il y avait dans


la charte précédente quelques chapitres-d'une nature grave et
douteuse, savoir : sur l'établissemcnt des escuages et aides, sur
les dettes des juifs et autres, sur la liberté d'enIrcr dans le
royaume et d'en sartir J sur les {orels, garennes et lcur garde,


H5




178 DE L'ORIGINE DU 8YSTEME REPRI1:SENUTlr
. franQals, qui ne parut plus que celui des ambitions
ou des craintes personnelles enrolées a la suite de
l'étranger. Le 11 septembre 1217 la paix fut conclue;
le prince LouÍs quilta l'Angleterre, el le tr'ailé sti-
pula soigneusement la restitulion de l'original de la
grande charte qui était tombé dans ses mains.


En novembre 1217, une nouvelle eonfirmatioll
de la grande charte mit le secan ala paix; mais les
dispositions qui en avaient été retranchées ne furent
point rétablies. On convint que l'escuagc serait payé
comme au temps de Henri 11, c'est-a:dire sans qu'il
fUt nécessaire de convoquer le grand conscil natio-
naI. En revanche HenrÍ ]11 concéda a son peuple
une charte spéciale destiné e a prévenir l'extension
illégitime des forets de la eouronne ; c'est la charle
dite des Forets, et qu'on a faussement aUribuée au
J'Oi Jean (1).
sur les coutumes des comtés , sur les dignes et leurs gardiens,
il a plu aux susdits prélats et seigneur que ces chosesdemeurent
en suspens jusqu'a ce que nous en ayons plus amplement
délibéré; et alor. nous ferons plcinement, tant sur ces chases-lit
que sur toutes autres, les réformes qui importeront a l'intéret
commun, a la paix et an ban état de notre royaume .• (Charte
du 12novembre 1216, arto 42).


(1) Elle lui a été attribuée d'apres le témoignage du seul Ma-
thieu París, témoignage que Blaekstone, dans son Histoire de la
grande charte, a combattu par des raisons qui me semblent
couvaincantes: l' les articles préliminaires présentés par les
barous au roi Jean ne coutiennent aueuue demaude d'une
charte des foréts, 2" les articles 44, 47 et 48 de la grande charta
elle-meme reglent toutce qui estrelatifau"X fOI11ts, ce qui n'eu!
point eu lieu si Jean en entfait l'objet d'une charte particnliere;




EN ANGLETERRF.. 179
De 1217 a ]272, époquo de la mort de Henri IIl,


et tantót á la suito d'un grand conseil national,
tanló! apres de violentes guerres cí viles, les deux
chartes furent cinq fois renouvelées, expliquées on
ételldues (1). Les ministres du roí, presque toujours
étrallgers, les violaient alldacieusement: " Nous ne
1I sommes pas Anglais, disaient-ils, nous ne savons
)' ce que signifient ces lois. Il En 12:27, dans un mo-
ment d'aveugle confiance, Henri, parvenu a sa majo-
rité, les révoqua formellement : " Cal' nous les avons
II accordées, dit-il, dans un temps on nous n'avions
10 la libre dispositio ll ni de notre corps ni de notre
" sceau ('2). 1I Mais les barons n'étaient pas moins
obstinés a les réclamer; chaque grande violation
amenait une confirmation noul'elIe, el a cha'que
confirmation on essayait d'inventer quelque nou-
velle sanctiou. Le 13 maí 1'253, une sentence d'ex-
communication fut solennel1ement prononcée contre


30 le roi et le pape, dans leur correspondance postérieure, ne
parleD~jamais que d'une senle charle. Tont porte done a croire
que lacharte des foréts De fut cODcédée que par Renri m. L'ori-
ginal s'est perdu; mais on trouve dans les registres publics des
writs dn 24juillet 1218 qui ordonnent la visite et la délimi-
tatioD des forets de la couronne, en exécution de la charte de
foresta accordée par le roi, et les mémes registres font ensuito
mention, dans la méme année , du paiement des dépenses de
eette opération dans choque comté. (BUCKSTOItE, Great Charler,
introduction, p. 21, 42.)


(1) Le 11 février 1225; le 28jonvier 1237; le 13 mai 1253;
le 14 mars 1264; le 18 novembre 1267. .


(2) Parliam6tltary hislory, t. 1, p. 26.




180 DE L'OR1GlNE DU 8YSri:ME REPRtsENunF
quiconque violerait les chartcs royales; a la fin de
la cérémonie, les prélats jeterent leurs flambeaux
éteints et fumans en s'écriant : " Que tous eeux qui
11 encourront ccUe sentence soient ainsi éteillts et
• puants en enrer! 1I et le roi ajouta : ;, Que Dieu
• me soit en aide! je nc violerai auculle de ces choses,
• aussi vrai que je suis un homme, un chrétien, un
JI cheyalier, et un roi cOUJ'onné et sBcré (1). 1I Le 14
mars 1'264, les barons imposerent uu roí une me-
sure plus efficace que les sermens; il fut contraint
d'ordonner que deux foís par an, aux feles de Paqlles
et de Saint-Miehel, les deux chartes seraient lues
dans la cour de chaque comté en présence de tout
le peuple, que les shériffs, juges et haillis, tant du
roi que des seigncurs, jureraient de les observer, et
que les cituyéns seraíent dispensés d'ohéir a tout
magistrat qui n'aurait pas satisfait a eette ohl igation.
Enfin, lc 18 lloycmbre 1267, un stutut déclara que
les writs demandés pour traduire en juslíee quícon-
que aurait viulé les chartes ser'aient délivrés gratis
par les cours de juslice el les officiers royaux.


Ainsi les charles devenaient populaires; ainsi tous
les francs·lenanciers du pays apprellaient a les con-
naitre, a les considérer comme la garantie de leurs
droits, a se croire aussi chargés de les défendrc. Ce
n'est pas le fait le moins remarquahle de cette
grande lutte que ce soin des barons de s'associer le
peuple, non-seulement pendant la guerre, mais


(1) Ibid. t. 1, p. 52, noto ti.




El'! ANGLETEBRI. 181
apres la victoire, et lear empressement a exiger que
les chartes, comme une propriété vraiment natio-
nale, fussent sans cesse re mises sous ses yeux dans
les cOllrs de comté, dans les églises, partoul on il se
réunissait. On ne fait point de telles choses par pure
habileté, et seulement paree qu'elles sont eflicaces ;
qlland elles arrivent, c'est qu'elles sont llécessaires.
Les barons n'élaient pas assez forts pour imposer en
meme temps au roí leur liberté, au peuple leur ty-
rallnie; et de meme qu'ils avaient été oLligés de se
coaliser pour se défelldre, de meme ils se sentaient
dans la nécessité d'appeler ]e peuple a l'appui de
leur eoal¡tion.


La redoutable énergie d'Édouard rer rendit eette
néeessité eneore plus pressante, et lui lit porter de
nouveaux [ruits. Dans les vingt-quatre premieres
années de son regnc, on enter,d peu parler des
charles. ta nation était lasse des guerres civiles qui
avaient troublé le regue de Henri 111; le prince
Édouard y avait acquis par son courage, sa pru-
dence et meme sa [ranehise, une grande popularitéj
monté sur le trone, il rétaL]it l'ordre, administra
sagement lajustice, tit des lnis utiles el de brillantes
conquetes. 11 n'avait manifesté d'aiJIeurs aucune ré-
pugnanre pour les chartes , et ne refusait point de
s'entourer souvent du conseil des barons; ceux·ci
regardaient les chartes comme établies, et les vio-
lations n'étaient pas assez fréquentes, ni assez graves
pour exciter de nouveau un soulevement genéral.


Mais, vers 1296, la continuité de la guerre et le
16.




1M DE L'ORIGIl'I'E DU STSTtU JU¡PRItSE1UA.TlP
besoin d'argent enlrainerent ÉdoU31'd a des mesure!
arbitraires et violentes. Se disposant a envahir la
France, iIlimita la quantité de Iaine qu'il serait per-
mis d'exporter, mit nn droít de 40 schellings sur
chaque sac exporté, et confisqua a son profit le
reste des laines et des cuirs. 11 exigea de chaque
shériff 2000 quarters de frornent et autant d'avoine,
les autorisant a les prendre ou ¡ls pourraient. Il 11t
saisil' un grand nombre de bestiaux. Il imposa a
tout propriétaire foncier jouissant d'un revenu an-
Duel de plus de 20 livres sterling l'obligation de le
suivre a la guerre, qaela tenure féodale de ses
dornaines l'y obligeat ou non. Enfin, en 1297, il
entreprit de percevoir un subside plus conllidérable
que celui qui lui avait été accordé.


Le mécontentement tarda peu a écJater, et la
demande d'une nouvelle confirmation des chartes
en fut le symptome. Édouard la promit aussitót,
cal' le temps n'était plus OU les l'ois croyaient pou-
vOlr ]a l'efuser et recourir aux armes pOUl' s'y sous-
traire. Les writs qu'il adressa aux shériffs pOUl"
ordonner ]a perception du subside firent mention
de sa promesse (1). Cependant elle ne s'accomplis-
saH point. Les barons se préparerent a la résistance,
et n'eurent pas besoin de la guerre civile pour
triompher.


Édouard leur avait dODné rendez-vous a Salis-
bury. 1I se proposait de diviser ses troupes en deu"


(1) Rflprwtofth~ Lord.' commitles, etc., p. 221.




IN~J.NGLETERRI. 183
armées, de ~ conduire ]ui-meme ]a premlere en
F]andre, et d'enf .:>yer la secan de en Gascogne sous
les ordres de Humphroy Bohun, comte de Hereford,
connétablf~ , et de Roger Higod, comte de Narfolk,
grand-maréchal d' Angleterre.


Les deux comtes arrivent au rendez-vous, et dé-
cIarent au roi qu'ils sont prets ti le suivre, selon le
devoir de leur office, ]a ou il portera la guerre en
personne, mais qu'ils n'iront nulle part sans lui : "Je
" prendrai, dit le comte de Norfolk, mon poste héré·
» ditaire it 1'avant-garde de votre armee. - Vous
11 partirez, lui répond le roi, que j'ailJe 011 non avee
" vous. - Jetn'y suis point tenu, et n'ai point des-
" sein d'aUer sans vous. - Pardieu, sire comte, "'"Vous
n partirez ou serez pendn. - Pardien, sire roi, je
11 ne partirai ni ne seraí pendu •• Sur ce ]es·deux
eornles se retirerent avee leur suite, et le roi, n'osant
les faire arreter, donDa leurs eharges á d'autres, et
86 disposa a partir sans eux.


Mais telle etait déja la puissanee de ]a vaix publi-
que " qu'avant de partir Édouard se erut obligé
d'adresser a tous les shériffs une sorte de. manifeste
pour justifier sa conduite. Il y expliquait les molifs
de S8 querelle avec les deux comtes, excusait , par
les nécessités de la guerre, les mesures qu'il avait
prises, exhortait ses sujets a demeurer en paix pen-
dant son absenee, et ordonnait que sa leUre fut lue
dans chaque eour de comt~ (1).


(I} lhll'Ea,.J.ctapublica,etc., t, 11, p. 7SS.




184 »"E L' ORIGIlI"E DU SYST1!!IIE REPRÉSEl'ITATIJ
Les deux eomles qui avaient bravé les menaces


du roí ne pouvaieut se laisser vainere par un ma-
nifeste. Au moment ou Édouard s'embarql1ait pour
la Flandre, ¡ls lui firent remettre, a Winchelsea,
une déclaration des griefs publics , et une nouvelle
demande en redressement. Édouard répondit que
son conseil était dispersé, et s'embarqua; laissant
son fils régent.


L'absence du roi ne devait Jlas ralentír la résis-
tance, A leur tour, les deux comtes publient Jeurs
griefs , et passant aussitót a des actes pI us efficaces,
ils se rendent aupres du trésorier de I'échiquier,
et lui défendeut de percevoir le dernier subside,
aHirmant que la concession n'en a pas été réguliere,
et qu'on lui donDe une extension ilIégitime : sur
leur demande, les citoyens de Londres se joignent
a eux.


Contr'e de tels adversaires, Édouard n'avait pas
osé employer la force; le Jlrince I'égent le pouvait
encore moins. 11 convoqua a Londres une assemblée
nationale; les deux eomtes y vinrent, suivis de cinq
cents chevaliers et avec un corps d'inranterie; ils
ne consentircnt a entrel' dans la ville qu'apres avoir
obten u la permission de placer une garde achaque
porte; I'assemblée réunie , ils réclament la confir-
mation et l'extension des charles; le régent y con- -
sentí l'acte esl dressé et envoyé an roi, alors it Gand.
Édouard Jlrit trois jours pour délibérer; rien ]je
emIte pI us au despotisme que l'aveu de~ droits, quand
meme il espere qu'il sera assez fort pour n'en tenir




E~ ANGLETERRE. 185
compte; car il prononce ainsi d'avance sa propre
condamnation. Enfin, le !) novembre 1297, Édouard
se décida a signel' la nouvelle charte (1), accoraa


• (1) Voici le texte de ceHe eh arte , la plus explicite de toutes
en 1 faveur des libertés publiques, et qui fut donnée en
franqais:


«Edward par la grace de Dieu roi d'Englctterre, seygnour
d'Irlaundc e ducs d'Aquitaine, a tout. ceuz qui cestespréseDtes
letlres verrount ou ourroun! (entendront) saluz. Sachiez DOUS
al hODeur de Dieu e de seinte Eglise et au pro/U de tous ro'iaume
avoir gJ'lm Dte (accordé) pur nous e pur noS heyro ke ia grant
chartre de fraunchises et la chartre de la foreste lesqueles furent
faictes par commun assent de tout le ro'iaume en le temps le
roi Renry notre pere, saient tenues en tautz leur poinlz saun¡
uul blemissement. Et voloms ke meismes celes chartres desauz
natre seal saient enviéez a nos justices aussi bien de la forest
cum as autres, e a toulz les viscomtes des counteez e a taulz
nos austres ministres e a toutes nos citeez pum; la terre,
eñsemblement ove (avec) nos bref. en les quieux serra counten u
kil facent les avaunt dictes chartres puplier ,e ke il facent dire
au pellple ke non S les avums graunteez de tenir les en toutz
leur pointz. E a tous nos jllstices, viscounies e autres ministres
qui la loy de la tene desoulz nous e par nous ount "' guier j
meismes les chartres en touiz 'Ienrs painiz en plebs devant
eaux e en jugemenz le facent alower, c'est a .aovoir la graunt
chartre des fraunchises cume loy commune , e la chartre de la
forest solunc l'asise de la 'forest, al amendement de nostra
peuple. E volum. ke si metz jugementz soient donnez desore
mes encounire les pointzdes chartres avaunt dictes, parjustices
e par nos autres ministres, ki countre les poinctz des chartres
tiennent pleds devaunt eulx, soientdefez et pur nyent tenuz.
E volums ke meismes celes chartres desoutz nastre seal ,soient
enviéez as eglises cathedrales parmi nos ro"iaume , et la democr-
¡¡ent e saient deuz fiel par an lenes devaunt le peuple. E Ir.s




186 DE L'ORIGINE OU iYSTiME REI'RÉSENTATIF
aux deux comtes une pleine amnistíe, et les somma
de tui prouver aussitót leur fidélité en marchant


arcevesques et evesques doin&nent sentences du graunt escu-
men¡f (exco11tmunication) countretoutz ceau' ki couulre les
ovaunt dictes chartres 'tfndrount ou en faict, ou en ay de , ou
en conseH, ou nul poynt enfreindrent ou encountre vendrount;
e ke celes sentences soient denonciez et puplie. deux fop par
an par les avaunts dicts prelab; e si meismes les pre/ah,
evesques ou nul d'eux soient négli&entz a la déuuneiation sus-
dite faire, par les arcevesques de Cauntorbire ~ d'Everwyk
(York) ki pur tems serount, si cume covyent soient ¡epris e
distreinz a meismes cele denunciation fere en la fourme avaunt
diete. E pur cume ke aucunes genb de no.tre rOlaume se
doutent ke les aides e les .mises, lesqueles ils nous unt faici
avaunt ces houres, pur nos guerres e autres besoingnes, de
leur graunt et de leur bonne volunte , en quele maniere ke fez
60ient, penssent tourner en servage a euIz e a leurs heyn ,. par
cume qu'ilsserraient autreroiz trovez en roulle, e au~int prises
que ont été faietes parmi le rOlan me par nos ministres:, avums
graunte pur nos e pur nos heyrs que mes teles aides, mises ne
prises ne lrerront (tireront) a eoutume par nulle ehose ke soiet
fai cte ou ke par !'ouIle ou en autre manere pust estre trovée.
E ausint avuUls graunte pur nos e pur nos heyrs, as areeves-
ques, evesques, abbés, priours, e as autres gentz de seinte
Eglise, e as counts e barouns e a toute la communauté de la
terre, que mes pur nule husoignie tieu manere ( telle sorte )
des aydes, mises ne prises de nostre rOlaurne ne prendróums,
fors kepar eornmun assent de tout le rOloume, e a eommun
profict de mcismes le rOlaume, sauf les aneiennes aydes e
prises deues e accoustumés. E pur come ko tout le plus de la
communauté del rOlaume se sentent durement grevez de la
male toulte des leynes, c'es! a savoir de chacuu sac de leyn9
quarantesous, e DOUS unt pl'ié ke nous les vOlllsissions",relesser,
.0UlI a leur priere les avons pleinemcnt relessés, et avums




EN ANGLETERRE. 187
contre l'Écosse. IIs obéirent avec cmpressement;
mai!!, pour sanctionner la victoire qu'ils venaient de
remporter, ils fircnt proclamer les charles dans la
cathédrale d'York, au milieu d'une grande réunion
de barons, et J'éveque de Carlisle, en habits pontifi.
caux, excommunia solennellement quiconque tente-
rait de les violer.


En 1299, Édouard de retour en Angleterre et la
guerre d'Écosse terminée, les ba ron s lui dcmande-
rent de ralifier en personne les chartes qu'il n'avait
connrmées que par commission. lis avaient raison
d'aller uinsi un-devant de tous les subterfuges du
despotisme, et la preuve en fut dan s I'hésitation du
roi a leur aceordcr eeUe nouvclle sanction.I1 quitte
Londres tout-u-coup et en secret; les barons le sui-
vent, lui dcmandent raison de ee départ. Édouard
s'excuse que l'air de la ville ne vaut rien pour sa
san té , et qu'il a beso in de se re}JOser en campagne.
JI engage les barons de retollrner a Londres ou ila
reeevr011t bientót sa réponse. Ils la re«oivent en
effet, et e'est la confirmatioll des chartes, mais avee
eette réserve qui les détruit : salvo semper jure 00-
ronm 1I08frw. A eette nouvelle marque de mauvaise


graunte kctelcs neautres mes neprcndrumssaunz leureommun
assent e lur bone vol unté ; salive a nous e a nos heyrs la cou-
turne des leynes, peaux e quirs, avaunt grauntes par la corn-
unauté du roiaume avaunt dict. En témoignnnce des quieux
choses nous avoums faict faire ceste nos lettres overtes. Donées
a Gaunt le quint jour de novembre, I'an de nostre reigne
vin~isme quin!. (5 novembre 1297).




] 88 DE L'ORIGINE D~ 'SYSTEIlIE REPUSENT.l.TlJ
foi, la col ere gagne les barons; ils quittent Londres
et retournent dans leurs terres pOIl!' se préparer a la
résistance.


Un autre symptome avertit bienlOt Édouard de
l'étendue du péril. Apres le départ des bamlls, il
envoya les chartes aux shériffs de Londres, leur 01"
donnant de les faire lil'e devant le peuple dont iI
voulait sonder les dispositions. eette lecture eut
líeu a la croix de Sainl-Paul, en présenee d'une im-
mense multitude. Ses acclamations furent vives tant
qu'elle entendit énumérer les concessiolls el les pro-
messes du roí. Mais quand 011 en vint a la réserve
royale, un murmure universel éclata dans cett e
foule populaire, el elle se dispersa spontanément en
maudissant tout haut la fraude, comme avaient fait
les barons.


Édouard avait trop de sagacité pour méconnaitre
ces dispositions publiques, el trop de prudence pour
les braver. n convoqua, en 1300, une grande réu-
nion des barons et y confirma les ~hartes, non-seu-
lement sans réserve, maís en y ajoutant des articIes
qui leur pretaient ulle nouvelle force (1) : «Si vous


(1) Ces articles additionnels portent:
10 Que les chartes seront lues publiquement quatre fois par


an dan. lescours de comté, ala Saint-1llichel, a NoiH, aPaquea
et ala Saint-Jean.


20 Que • soiellt eslus en chescun conté, par la commune de
meisme le conté, trois prodes hommes, chivaliers ou aul-
tres, sages e avisés, qui _oient Justices juré_ e assignés, par leo
lettres le roi overtes de .oen grand seal, de oyr e déterminer,




111 ~I'IGLETERRI!: • 189
• trouvez, dit-il a l'archeveque de Cantorbery , pré-
lO sident de l'assemblée, qu'il manque quelque chose
II a ces articles, dites-Ie¡ nous le réformerons sur-
" le-champ •• Eofin le 14 février 1301, il en donna
encore, a Lincoln, une confirmation générale, por-
tant en outre que" si quelques statuts sont trouvés
» contraires auxdites clwrtes, ils sel'ont réformés ou
» mtane annulés par le conseil cornmun du royaume,
» et selon le mode légalement du .•


La victoire des barons était complete; le roi lui-
meme ne la contestait plus; aucun acte officiel, au-
cune démarche publique n'annonl;ait plus, de sa
part, I'inteotion de rélracter les chartes ou de niel"
les droits qu'elles consacraient. Mais Édouard vaincu


,


santz autre bre,f que leur commun garant, les plaintes qui se
ferront de toutz jcjeux que vendront ou mesprendront en nul
desdíct. poincts des avauntdictes chartres, es contés ou jls ¡ont
assignez, aussí bien dedans franchises comme dehors, e aussi
bien des ministres le roy de lcur. places come des nutres, et les
pleictes oyes dejour en jour, santz delai les terminent, santz al.
luerles delays 'lue suntalluez par commune ley .•


3· Cesjurés ont droit de condamner • par emprisonment, ou
par ranceoun, ou par amerciement, selonc ces que le trepasse
demande .•.


40 lis n'ont d'aiJIeurs ancune autre sorte de juridiction, el
toutos autres choses doivent continuer d'etre ré&lées selon la loi
comrnune.


50 En cas d'absence de l'un desjuTés ci-dessus .mcntionnée,
deu" suffisent pour prononcer.


60 • E ordené est que les viscountes e les baillifs le ro')' ,oient
en tendanz as les cornmanüemenlz des avaun tdictes j u.tices, en
qnant que apend a leuT office .•


11




190 DE t'ORIGIJlE DU 8TSTtME REPRtSEJlTATIJ
n'était pas l'ésigné, et préparait sons main des armes
polir raissaisir le pouvoir absolu.


Le 4 janvier 1300, il obtint secretement du pape
une buBe qui annulait absolument les chartes, rele-
vait le roí de tous ses sermens, et défendait , sous
peine d'excommunication, au clergé, aux barons et
an peuple anglais d'cn réclamer l'exécution (1).


(1) • Clément, évéque, servitcur des serviteurs de Dieu, a
notre tres cher fils Cn ~ésus-Christ Edouard, illustre roi d' An-
gleterre, salut et bénédition apostolique.


• La pnreté de ta royaJe dévotion qui a écla té et éclatc tou-
jours avec persévél'ance dans I'accomplissement des vrenx du
siége apostolique, mérite bien que le Saint-Siége éloigne de toi
ce qui peut te Duire, supprime ce qui te gene et te procure ce
qui te sert.


• Nous avons appris, par uu récit ,digne de foi, qu'auberais,
pendant que tuétais en Flandre, et meme avant<¡ue tn t'y fusses
rendu, au milieu de te3 efforls pour maintenir tes dl'oits eon-
tre des cnnemis et des rivaux, <¡uel'lues (\rands et nobles
de ton royaume et d'autres personnes ennemies de ton nom,
profitant de ce que tu étais occupé, hors de ton royaume,
a repousser tes cnuemis, et r<'clamant de toi ccrtaines con-
cessions diverses et injustes,soit sur lesrorets, soit sur d'au-
tres droih qui appartiennent de tOl~S temps a la couronne et i\.
l'honneur de ton rang, concessions 'Iu'íls amient déja sollici-
téesavec importunitéavantqlle tu t'éloignasses de ton I'o)'aume,
avaient conspiré contrc toi, soulevé les peuples et semé tontes
sortes de calomnies j


• Et ,[ue toi, pretant a lems machinations uneattentian pru-
dente, et voulant éviter alars des périls pressants, tu leur as
fáít lesdites concessions, hien plus par contrainte que de plein
gréj


• Et qu'enfin, a ton retour dans ton royaume, les guerres n'é-




llN ANGLETETRE. un
Muni de cette hulle, Édouard n'eut garde d'en


faire uussitót usage. Il avait appris le péril de ces


tant pas encore terminées, lesdits grands et autres, par leurs
instances importunes et présomptueuses, ont obtenu de toi le
renouvellement de ces ooncesslons, et qu'ils ont de plus arra-
ché des ordresroyaux portant que, deux foispar an, dans toutes
les églises cathédrales du royaume, une sentence d'excommu-
nication sera prononcée contre tons ccux qui violeront lesdites
concessions, ainsi qu'il est expliqué formellement et aveo dé-
tail dans ¡esdit. ordres revt~tus du sceau royal;


, Comme le Saint-Siége apostoli'lue qui aime ton royaume
par-dessu. tous les royaumes, et a pour toi personnellement des
entrailles pleines de charité, reconnait que ces coneessions ont
été faites et arra~hées aux dépens de ton honneur et au détri-
ment de ta souveraineté Toyale;·


• Par l'autorité apostolique et de notre pleine puissanee ,
nous révoquons, annulons et cassons lesdites concessions et tous
leurs elfets , et tout ce qui a pu s'ensuivre, comme aussi les
sentences d'excommunication qui ontété ou pourront~trepro­
noneées, pour les faire observer, soit dan s lesdite. églises, soit
ailleurs; nous déclarons abrogéeS¡, I)ulle¡¡ et de nul elfet; annu-
lant aussi les ordres et ¡ettres auxquels elles ont donné lieu:
nous décrétonsque toi et tes suceesseUFS au tróne d'Angleterre
I)'eteliet ne serez nullement tenus de les observer, quandmeme
vous vous y seriez engagés par serment; d'autantqu'ainsi que
tu nous ras affirmé, lors de la solennité de ton couronnement,
tu as juré de maintenir l'honneur et les droits de ta eouronne;
en telle sorte, que si meme tu t'étais obligé a quelque peine, en
raison de ce, nous t'en absolvons ainsi que del'aceusation de
parjure, si tu venais a l'encourir .


• Pour aSlurerl'exécution de notre. décision, nousdéfendons
expressémcnt a nos vénérables. freres, les archevéques, éveques
et autres, tant ecclésiasti'lues que séculiers, établis dans ton
royaume, de rien faire ni ten ter contre la teneur de la présente


/ .,-"
..... ,..


'~
....




19~ DE L'OI\IGINE DU eYSTE!!! REPRtUNTATl1'
luttes éclatantes Ou. l'adhésion du peuple entier ve-
nait soudain preter aux barons une force bien supé-
rieure a son pouvoir. Résolu de marcher a son but
par desvoies plus secretes et plus detournées, il
commen~a par ntta·ql1er, un a un , les principaux
chefs de la coalition sons laquelle il avait succombé.
Deux des plus éminens, I'archeveque de Cantorbéry
el le comte de ~orfolk, vivaient encore. Édouard les
somma de se justifier de sa rébellion qu'ils avaient
excitée dans le royaume pendant son séjour en Flan-
dre. Les deux vieillards tremblerent en voyant re-
naItre ceUe lutte qu'ils avaient si courageusement
sOlltenue, dont ¡Is ne songeaient plus qu'il recueillir
en paix les lruits, et ou. ils étaien! appelés a rentrer
au mOlUent de descendre au tombeau. Le comte de


annulation, abrogation, révocation et abolition; sous peine
pour les archeveques et éveques, de la sllspension de leursof-
fices et bénéfices; et s'ils persistent pendant un mois, sous
peine de l'excommunication qui se trouvera, de droit et par ce
lieul fait, prononcée contre eux et contre tous nutres dans Ic
meme cas;


Nous déclarons d'avance nulle et de nul elfet toute tentative
contraire a notre présent déeret j


Cependant, si quelque droitappartenait aux habitans dudit
royaume en vertu de titrcs antérieurs aux coneessions ainsi faite.
par toi, nous n'entendans pas le leur retirer.


Qu'il ne soit permis a aucun homme absolument de violer
en rien, ouseulement. de cantredire le présentacted'abrogation,
révocation, annulation et abolition.


Si quelqu'un ose se le permettre, qu'i1 sache qu'il en-
courra I'indignation du Dieu tout-puissant et des bienheureux
apotrell PierreetPaul. • (RYlIIER, Acta publica t. 11, p. 978.)




EN ANGLETERRII. ]98
Norfolk se livra a la merci du roí, le 6t béritíer de
tous ses bien s , meme de ses titres, et en obtint a ce
prix son pardon. Plus faible encore, l'archeveque de
Cantorbéry se jeta aux pieds du roí, pleura, lui offrit
de se démettre de~soll siége, et, dans I'exces de son
trouble, lui demanda sa bénédietion: (( Vous vous
~ trompez, milord, lui dit Édouard, vous oubliezqui
" vous etes ; c'est a moi a reeevoir et non a donner
,,'la bénédiction : • humilité pleine d'insolenee, et
qui déguisait mal la joie profonde du despote a
raspeet de cet abaissement des défenseurs de la
liberté!


Mais le despote avait oublíé qu'il était vioox lui-
meme , et que. s'íl se mqntrait plus obstiné, que ses
adversaires, iI était, comme eux, pres demourir.
La mort vint en effet, le 7 juillet 1307 • rueUre un
terme a ses menées contre les droits de ses sujets, et
rendre inutiles tontes ces victoires in'dividuelles sur
leurs aneiens protecteurs. 11 est peu probable qu'el-
les eussent valu au despotisme de plus grands suc-
ces; les chartes avaient déja traversé de rudes
épreuves, et achaque renouvellement du combat
on avait pu voir que leur force allait toujours crois-
sant. L aguerre civile seuIe les avait arrachées a
Jean-sans-Terre, et, pour les dófendre, les harona
avaient lité contraints de se donner un maitre étran~
ger. Sous Henri 111, il fallut encore recourir a la
guerre; mais déja le droit des sujets a une oharte
n'était plus en question, et on se battait, non pour
le principe , mais pour J'étendue de la liberté. Sous


17.




19.4 DE L'OBIGIIIE Dll &Y8TÍ!IIlB REPBtSEllTATlF
Édouard l,\r enliu, la guerre ne fut pas meme en·
gagée; une lutte poli tique suffit pour convaincre
le prince de la nécessité de céder. Apres de tels
triomphes, la ruse, d'un vieillard et la faiblesse de
quelques autres ne pouvaient abolir ce que défen-
dait un peuple entier. A dater de ceUe époque, les
chartes ne furent plus contestées; le pOllvojr les
éluda et les viola souvent, majs iI les confirma
toujours sans résistance. En 1307, les droits qui
devaient enfanter en Angleterre un gouvernement
libre étaient définitivement reconnus,


---




Bit Al'{GLETERU. 195


CBAP:lTBE UI.


DE LA FORMATION DU PARLEMBNT.


Si les libertés ne sont rien tant qu'elles ne se sont
pas fait reconnaltre comme des droits, a leur tour
les droits, meme reeonnus, ne sont rien tant qu'ils
ne sont pas retranehés derriere des garanties, e'est-
a-dire protégés et muintenus par des institutions
libres, par des pouvoirs indépendans.


Convertir les libertés individuelles en droits pu-
bIics; garantir les droits par des institutions qui leur
correspondent; confier la garde des ínslitutions ,8.
desforces capables de s'y maintenir par elles-me-
mes, et de les animer, pOllr ainsi dire, de leur
propre vigueur, e'est la marche)progressive vers
un g:mvernemenl libre; c'est ainsi que s'est formé
en Angleterre le gouvernement représentatif.


On vient d'assister a la reconnaissance des droits
du peuplo anglais, tels :que Jes comporlait, au xm&
siecle, l'état de la société, et que les concevait alors
J'esprit des hommes. L'histoire des charles est l'his-
toire de ceLte reconnaissance, rien de moios, rien
de plus. Les garantíes ne sont point la, du moins
les garantíes régulieres et vraiment sociales, celles
qui résultent des institutions.


Commenl sont née~ et se sont déveJoppées les ill-
¡Iilutioll.? Quelles causei leur ont valu l'heureuse




196 DE L'ORIGINE DU STSTblE REPRtSElItATlf
forme et la salutaire puissance qui les ont renduei
durables et fécondes?


Voici tout ce que je trouve a la fin de la grande
churte du roi Jean J c'est-a-dire au moment dp. la re-
connaissance des droits ]a plus solennelle et la
plus décisive.


• "Ayant accordé, ponr ]a réforme de notre
• royaume et pour apaiser la discorde qui s'est éle-
" vée entre nous el nos baroJls, tontes les choses
" susdites, et voulant 'qu'i]s en jouissent surement
• et a toujours, nous leur avons concédé la garan-
" tic suivante, sa'voir :


.. Les bamus éJiront a leur gré vingt.cinq barons
" du royaume qlli emploieront toutes leurs forces
" a faire observer et maintenir la paix et les liber-
" tés que nous leur aVOns accordées et confirmées
D par cette charte .•


" Si nous , ou notre grand justicier, ou nos bail-
• lis, ou quelqu'un de nos ministres et serviteurs,
" venons a y manquer ou a en violer quelque arti-
~ ele, et que la violation soit révélée a quatre des
" vingt,cinq barons susdits, ces qllatre barons vien-
lt dront a nons, on, en notre absence, a notre
" grand justicier, nous dénonceront cet exces, et


nous requerront de,le faire cesser san s retard; et
• si IIOUS 011 notre grand justicier ne réformons
" pas ledit exces dans l'espace de quarante jours
» apres en avoir été informés, les quatre barons
• rappOl'teront l'affaire au reste des vingt-cinq ba-
II rons; et alors ceux-ci, avec la communauté de




EN ANGLETE8RE. IR7
n toute la terre, nous molesteront et pourswvront de
» toute falJon a eux possible, savoir, par la prise de
" nos chiiteaux, terres, IlOssessions, et autrement ,
• jusqu'a ce que l'abus ait été réformé a leur gré;
" sauf toutefois la sureté de notre personne, de
• ceUe de la reineet de nos enfans; et quand l'abus
n aura été réformé, ils nOlls seniront comme au-
" paravant.


• Que tout hommc de celte terre qui le vOlldra
» jure que, pour faire exécuter les choses susdites,
» il obéira aux ordres des vingt-cinq barons susdits,
JI et nous molestera, au besoin) de tout son pouvoir.
11 Nous donnons a chacun la permission de le jurer
ji librement, et n'en empecherons jamais personne.
11 Et quant au'X. hommes de ceUe terre qui ne vou-
lt draient pas d'eux·memes preter ledit serment,
• nous le lcur ferons pretor par nos propres ordres.


" Si quelqu'un des vingt-cínq b:1rons meurt ou
1I quitte le pays, on est cmpeché, d'une fa~on queJ-
• conque, de concourir a I'exécution des choses
11 susdites, les barons restan s en éliront a leur gré
" un autre qui jurera d'agir comme eux.


" Dans toutes les choses remises au'X.dits vingt-
" cinq barons, s'ils sont tous présens , mais non pas
» tous d'accord entre eux, on si quelques-uns sont
" absens, ce qu'anra décidé la majorité des pré-
" sens sera tenu pour bon et valable, comme si les
• vingt·cinq barons en avaicnt été d'accord; et les-
• dits barons jureront d'observer et de faire obser-
• ver de tout leur pouvoir toutes les choses susdites,




198 DE L'Ol\JGI!fE DU 8YSTtlllE l\EPl\tSEIITATIf
a et UOtlS ne réc]amerons rien de personne, soit
~ par nous-memes, soit par· autrui, qui puisse res-
a treindre ou révoquer aucune de ces concessions
a et libertés ; et si que]que chose de semblable était
• obteou, ce serait nul de plein droit et oous o'en
11 ferioos jamais aucun usage (1). II


Ces dispositions furent exécutées; les vingt-cinq
baroos furent choisis, et les writs du roí pour en-
joindre a tous les hommes libres du royaume de
leur preter le serment convenu , existent encore sur
les registres de la Tour de Londres (2).


La consécration de la guerre civile, tel fut done
]e premier essai de garantif;}. Au ~ommeneement du
xme siécle, l'esprit groMier et hardi des barons
anglais ne savait pas mieux. Jamais le reeours a ]a
force, ce dernier moyen qu'on a appelé le droit
d'insurreetion, n'a été plus nai'vement proclamé oi
invoqué plus immédiatement. 11 y a loio de la ¡j des
garanties vraiment politiques, et une société <):ui
n'aurait IJOint d'autre institution flotterait éternel-
lemeot entre ]a tyrannie et la guerreo Cependant,
il faut ]e dire, e'est un grand honneur aux baroos
ang]ais d'avoir ainsi foodé eo principe, au début
de leur lutte pour la liberté et daos sa forme la plus
simple COlUme la plus rude, le droit. de résistaoce :
droit primitif et définitif dont toutes les illstitutions


(1) Grande charte du roi Jean, arto 61.
(2) Ceswritssont du 19 et27 juin 1215. (BL1CI.IYOl'l.E, Gr.tJl


ehartcr, tntroduction, p. 23, noto d.)




iN ANGLEtERRE' 199
libres, les plus hautes comme les moindl'és, les plus
savantes commo les plus grossÍl~res, ne sont, au
fait, que des conséquences et des métamorphoses(I).
L'éllcrgie dont la constitution anglaise a donué
tant de preuves a peut-etre été due, en partie rlu
moins, au laít robuste dont elle fut nourrie dalls
SOI1 berceau,


Je passe tout a coup a la fin de ce meme siecle,
a l'époque ou la luUe des chartes est terminée, ou
les droits publics sont définitivoment reconnus; et,
all líeu de l'insurrectiun pour unique garantie, je


(1) Le droit de résistance a main année n' était pointétranger,
non-seulement, en fait, mais en principe, 11 la féodalité fran-
.. ai~~: saint Lonis le cimsacra formellement, en essayant de le
r'égler, ilan. ce passage si remarqnable de ses Établissemens:


_, • Se li sire (le seigneur) a son home lige et Ji di. : Venez en
» o (avec) moy, car je veuil guerrover le roy mon seingneur
» qui m'a véé (refusé) le jugcment de sa court : li home doict
» resp"ndre en tele manere a son seingneur, Sire, je iray vo-
• lentiers savoir au rar se il est ainsi que vous dictes. Adonc il
» doibt venIr au roy et doiLt dire : Sire, mes sir e dit que vous
» lui 8vez véé le' jugement de vostre court, et pour ce je suis
• ven u a votre court ponr savoir en la vérité, cal' mes sire m'a
I semons (sommé) que j'aille eu ¡¡uerre contre vous. Et se Ir
• roy li dit '1U'i! ne fcra jil. nul jugemcnt en sa cour, 1i homme
» en doibt tantost a son seingneur , ct seg sire le doibt pouveoir
» de ses dépensj et s'i! ne s'en volait aller o luy, il en perdrait
» son fié par droict .• Saint Louis avait entreprisla nohletache
de fonder un gouvernement régulier san s détruire les libertés
des sujets; mai. la féodalité, par sa nature, se refusait également
a l'ordre et a la vraie liberté; les principes de liberté qu'iJ con-
tenait ne purent jamai! se convertir en iustitutioU8.




200 Dr r.'OlllGINlI DIl STSTtllll BEI'RtSENT.\C11.
tl'ouve une assemblée nationale qui prend part au
~ouvernement et veille a la garde de toutes les li-
bertés. CeUe assemblée n'est ni le simple conseil du
roi, ni une cour purement féodale, ni un congres
de petits souverains presque independalls : c'est
bien vraiment une assemblée publique, qui émane'
du pays et agít au 110m de l'intéret commnn; elle
est formée des memes élémens qui, aujourd'hlli
encore, s'y viennent réunir; on y voit siéger, d'une


part, le haut clergé et les barons JaIques, de I'autre,
les députés des coro tes et des bourgs. Elle ne se
rassemble point a de longs intervalles, ni seulement
pour des oc curen ces extraordinaires et momenta-
nées; elle est convoquée a peu pres tous les ans,
plus souvent quelquefois; sa présence habituelle
est déja une néeessité, et bienlol sa convocation
annuelle, réclamée par le peuple, deviendra une
loi de rétat. n s'en faut bicI'. qu'elle possede l'im-
portan ce • qu'elle exeree tous les pouvoirs qui lui
appartiendront un jour; le gouvernement ne siége
pas dans son sein; cependant ses attributions ne
sont point limitées ; non-seulement elle vote les im-
pots, milis elle coneourt a la législatión, a la déci-
sion de la paix et de la guerre, aux débats ecclé-
siastiques, a la plupart des grandes affaires du pays:
En un mot, les institutions libres ont revelu leur
forme légale et poussé des raeines ((ni ne secheront
point; déja subsiste ce qui fera le reste; les libertés
nationales sont sons la garde d'un pouvoir national;
le parl~ment est fondé.




EN ANGLETERRE. 201
Comment s'est aceomplie, en moios de quatre-


viogts ans, une reuvre si grande? eomment l'orga-
nisation des garanties a-t-e11e marché de concert
avec la reconnaissance des droits, si bien qu'a la
meme époque et presque dans la meme année, les
chartes se trouvent irrévocablement sanctionnées
et le parIement établí sans relour ?


J'ai dit ce que fut, apres la conquete, le gonver-
nement anglo-normando Tous les vassaux immé-
diats du roi y possédaient, comme on l'a vu, deux
droíts fonrlamentaux, celuí de nc subir, saos leur
eonsentement, aucune eharge eXlraordinaire, et
celui de siéger dans la cour du roi, qu'il s'agit de
jugenwms a rendre ou d'affaires publiques a traiter.
lis étaient, a ce double titre, membres-nes du grand
eonseiJ national ; i1s formaient la nation poli tique et
partieipaient au gouvernement en vertu d'no droit
personnel.


Conformément aux Cretions féodales, quand ils
se réunissaient ainsi en assemblées, ils étaien! een-
sés représenter leurs propresvassaux, la population
dé ]eurs domaines, et exergaient le droit de Ieur
imposer aussi des charges (1).


(1) e'est ce qu'índiqucnt c1airement 10 un writ de Jean-sans-
Terre, du 17 février 1208, qui porte: «Sciatis quod per COffi-
mune consiliuffi et assensum cansílii nostr; apud Oxan (Oxfol'd),
provisum est ad defensionem regni nostri et recuperationcm
juris nostri, cancessum est quod quilibet laicus horno totim
Anglire, de cujuscunque feodo sit, qui habet in Anglia redditus
pt eatalla, det nobis in allxilio de unaqlla'l'w mcrcata rcdditu9


TOME II. IR




~02 DE L'OR\GINE DU SYSTEIIE IIEPIIÉSENTAT\'
Leur rénnion complete n'eut peut-etre jamais


lieu; elle fut bientó! impossible. D'une part, queI-
ques-uns des vassaux: immédiats, aequérant un
grand nombre de tiefs de ehevaliers, devinrent de
'bauts barons que la supériorité de leur puissance
·devait investir de droits spéeiaux; de l'autre, le
nombre des vassaux: immédiats s'aeerut rapidement
par la division des fiefs de ehevalier, efre! néees-
saire d'ulle multítude de causes qll'il seraít trop
long d'énllmérer.


CeHe divisioll dela .c1asse des vassaux: immédiats
du roi était déjil, sons Renri n, un fait reconnu et
qui passait Ilaturellemellt dan s les lois, puisqu'elIes
distingllaiellt alors, sans aucune explication, les
barons primre et secondre dign'itatis.


Elle est eueore plus apparellte dans la graude


qui annnalis dnodecim denarios et de unaquaque mereata cu-
juslibet eataUi mobilis quam habuit in oetavis Purifieationis
B. Marire, scHicet ad terminum eoneilii, duodeeim denarios, et
sic secundum plus el miuus ... Et omnes Seuesealli et Ballivi
comitum et baronum jurabunt coram justiciarii. nostris de va-
lentia reddituum.ct eatallorum mobilium dominorum suorum,
et de suis propr;is similiter. Et quilibet horno, prreter eomites
et barones, jurabit de suis propriis redditidus et catallis secun-
dum quod justiciarii nostri ad hoc transmissi utilitati nostrre
melius "iderint expediri (Report ofthe Lords' c01llmittees, etc.,
p. 57); 2° un writ de Benri lIl, du 2 juillet 1237, qui porte:
• Archiepiscopi, episcopi, abbates, priorcs et clerici terras ha-
bentes quread ecclesias suas non pertinent, eomites. barones,
milites et liberi homines, pro se et suis "illanis, nobis :conees-
serunt in auxilium tricesimam partem omnium mobIliumsuo-
rum apparentiurn, etc. (lbid. p. 84.)




EN ANGLETERRE ••


enarte du foi Jean qui, en llarlant du zrand conseil
national, ordonne que les grands barons y seront
convoqués individuellement, par leUres du roi a
eux adressées, tandis que tous les autres vassallX
immédiats ne le seront qn'en masse et par des let-
tres adressées aux shériffs.


Cette différence dan s ]e mode de cunvocation
exis/ait déja, dans des tcmps antérieurs, quand le
roi requérait de ses vassaux le scrvice militairc qlli
lui était du (1).


Ainsi, au cornl11encernent dn XlIIe siecle, le droit
de tous les vassaux iml11édiats du roí a siéger dans
I'assemblée nationale subsistait toujollrs ~t fut 50-
lennellement reconnu. Maís la plupart ne l'exer-
\!aient gueres, et les lIauts barons se rendaient pres-
que seuls a ce grand conseil, paree que seuls Hs
étaient assez forts pour que leur préscnce n'y fUt
pas sans efficaeité.


L'existenee politique d'un grand nombre de vas-
saux direets du roi, sans s'isoler absolllment du gou-
verncment central, se resserrait done de jour en
jour dans les cOl11tés 011 ¡Is résidaient. q, en revan-
che, ils exerl(aient des droíts véritables el interve-
naient réellement dans les affaires du pays. Non-
seulement ils renduient la justice dans les cours de
comté et y délibéraient sur les intérets locaux, mais
ils étaient souvent appelés a prendre part duns cha-
que lieu , pOllr l'exécution du moins, uux mesures


(1) Reportor/he Lords' committees, etc., p. 70, 92. ;,~·r,:~


;!I




204 DE L'ORIGINE DU SYSTE~E REPRllsENTATIF
générales décidées au centre et q~i devaient s'appli-
quer a tout le royaurne. Guillaurne-le-Conquérant
ehargea douze hommes libres par eomté de I"ecueillir
et de déclarer les anciennes lois et coutumes du
pars. La grande charle ordonne que douze eheva-
liers seront élus, dans chaque cornté, par les pmhi..
homines du comté, pour faire la recherche de tous
les abus relatifs aux forets (1). SOllS les regnes sui-
vans, les exernples se multiplient. .~ux writs de
Renri 111 prouvent que les suhsides accordés au roí
par le grand conseil étaient souvent répartis , non
par les juges dans leur circuit, mais par dj:!s cheva-
¡iers élus dans les cours de comté (2). Ainsi, dans le
lieu on ils résidaient, les chevaliers de eomté, vas-
saux du roi, prenaient vraiment part a~x affail'es
locales et mem!:l publiques, en meme temps qu'ils
eonservaient, sans l'exercel' peut-elre, le droit de
paraitre au grand conseil national.


A 'mesure qu'ils se séparaient des hauts barons ,
ces chevaliers se rapprochaient d'une autre classe
d'homlIlcs avec laquelle ils ne tarderent pas a se
fondrc completemellt. lis ne siégeaient pas seula
dans les cours de eomté. La plupart des frallcs-te-
nanciers, vassaux des seigneurs, s'r rendaient éga-
lement et r remplissaient les memes fonctions ,ju-
diciaires, administrati.ves ou autres (3). Le Sel'ViC6


(t) Art.48.
(2) HULAM, Stateo{E1¿rope, etc., chap.vlII, part.nr, t. (If,


pag.20.
(3) Cctte assertion, contestée en général par les écrivains




EN ANGLETERRE. 200
dans la cour du cornté était une obligation commu-
nément imposée par Ieur tenure, a tOU8 les francs-


torrs, a été victorieusement démontrée dans un excellent arti-
ele de I'Edinburg" f'eview (n069, p. 29). En voici les principa-
les preuves :


1 ° Sous Guillaume-Ie-Conquérant, un proces entre Cundulf,
éve'lue de Rochester, et le shériff Picot, en qualité de repré-
.entant du roi, fut porté devant la cour du comté de Cam-
bridge. JI s'agissait d'une terre que l'éveque réclamait pour son
siége, et le shériff pom la couronne. Ce dernier en ayant pris
possession de force, l'éveque se plaignit au roi qui renvoya 1'af-
faire « ad homines comitatn., " et envoya un de ses juges 1t
Cambridge pour examiner la question. La cour du comté as-
semblée décida en faveur du roi; mai. le juge, se doutant que
ses membres avaient agi par crainte du shériff, leur ordonnll
d'élire douze -ex seipsis qui, quod orones dixerant,jurejurando
confirmerent. D On a les noms et la résidence de six de ces ju-
rés, et les six autres sont désignés comme • alii sex de melio-
úbus comitatus.» Or aucun de ceux dont on sait le nom ne se
trouve, dan s le doomsday-book, parmi les vassaux de la cou-
mnne. Un seu!, Ordmrer de Bellingham, y est nommé, et en
qualité de vassal du comte Alan de quí il tient, est-il dit, six
charruées de tcrre qu'il tenait également d'Eddeva, du temps
du roiEdouard. (Edinb. f'ev., n. 69, p. 29.)


20 Une des lois attrihuées a Henri le', de generalibus placitis
comitatttm, porte..: • Intersint Qutem episcopi, comites, vicedo-
mini, vicarii, centenarii, aldermanni, prrefecti, prrepositi, ba-
rones, vavaosores, tungrevii et creteri terrarum domini diligen-
t.er .• (/.eg. Henr. 1, c. VII, dans les 7't·aités sur les coolltmes
anglo-normandes, par Ill. Houard, t. 1, p. 278.) Dans une au-
tre de ces lois, qui debent 6ssejuiJices regis, on lit: • Regis ju-
dices sunt harones comitatu. qui liberas in ei. terras hahent,
per quos debent causre, singulorum alterna prosccutione, trae-
tari; villani vero, vel cotseti, vel ferdingi, vel qui sunt hujus-


18.




206 DIt L'ORIGINE DU STSTÉJlE REPRtSENTATlF
tenanciers, quel que fUt leur suzerain. BeaulJoup
d'arriel'e-vassaux du )'oi étaient plus riches el plus


modi viles vel inopes personre non sunt interlegnID judiees
memoran di. , (Ibid , c. ~XIX, t." p. 296.) Ces loi. sont ancien-
nes, bíen qu'íl soit fort dontenx que lIenri 1" en soít l'antenr.
Un writ de ce meme roi porte: «Henricus, rex Anglire, omni-
bus baroniblIs et vavassl)ríbus, et omnibns dominis qui terras
habent in Well. wapentachio salute'¡,: prrecipio '1uod omnes
veniatis ad plaeitnm et wapentachium episcopi Lincoln quod
de metonet, per.nmmonitionem ministrorum snorum; etfacietis
ei omnes eo nsueludines et rectitudines in omnibus rebus quas
ei debetis de terris vestris ad illud wapentaehium .• (ErIinb.
rev., t. XxVI, p.342).Orlemotvat>assor, employé dans eewrit et
dans les loi. précédentes, désignait un frane-tenancier, arriere-
vassal du roi: ilest pris en ce sens dan. le writsuivant du me me
Benri 1"' : « Si exsurgat placitum de divisione terrarum, si est
in ter barones meos dominicos, tractetur placitum in curia mea j
et si est inter vavassores duorum dominorum, tractetur in co-
mitatu. , (Ibid.) Un autre passage <les lois de llenri 1" porte:
• Si quis baronum regis vel aliorum comitati sccnndum legem
intcrfuerit. (lbid.) Sous ee regne, les arriére-vassaux du roi sié-
geaient done dans les cours de eomté, aussi bien que les vas-
saux directs.


3" Un writ de IIenri 111 (1217), adressé au shériff d'York,
porte l'ordre de publicr les chartes « in pleno cornitatu, con-
vocatis baronibus, militibns et omnibus libere tencntibus ejus-
dem comitatus .• Edinb. ,'cv., n. 69, p. 29.)
~y Enfin, SOU8 Edouartl Ier, une multitutle d'exemples particu-


lier. et nominatifs prouvent la présence d'un grand nombre d'ar-
riere-vassaux dons les cours de eornté. (Edinb. rev., t. xxvI,
p. 344.) On voit pourtant qu'il y en avait qui, aux termes de
leur tenure, n'y étaient pas obligés, car ce service était consi-
déré bien plutot eornme une charge que cornme un tlroit. On
iit dans le statut ex/ctlla manet'ii, '1ui charge des commissaires




EI'I ANGLETERRE. 207
considérabJes que tel de ses vassallx direcIs (1). Des
cultivatellrs libres et qui tenaient originairement
Jeurs terres a charge, llon du scrvice féodal, mais
de quelque redevancc détcnuinée, acquéraient de
jour en jour plus d'importance et de liberté (2). De
ces divers élémens se formait, dans chaque comté,
la classe nombreuse et active des francs:..tenanciers.
La cour de eomté en était le centre. lis s'y acquit-
taient des memes services et y exer~aient les memes
droit5, quellc quc fUt d'ailleurs la nature de lelÍrs


" relations féodales avec la couronne. La disso\ution
de \'ancienne assemblée des vassaux directs dll roi
et l'assimilation de la plupart d'entre eux:, dans les
institutioTlslocales, aux. francs-tenanciers en"général,
préparaient ainsi la création d'une force plus éten-
due, plus nationale, el qui tót uu tard ne pouvait
manquer d'intervenir dans le gouvernement central
auquel elle se rattachait, en principe du moins, par
l'un de ses élémens.


Cefuteu effet ce qui arriva par l'introduetion per-


de faire des recherches sur l'état d'un manoir, • inquirendum
est de prl[ldictis libere tenentibus et qui sequuntur curiam de
comitatu in comitatum, et qui non .• (]bid).


(1) Les exemples en sont nombreux; ainsi on voit, dans le
Livre noir de l'échiquiet, que Godefroy-Fitz-William tenait,
dan. le comté de Buckingham , vingt-sept fiefs de chevalier du
comte Walter Gifford, tandi. que Gilbert Bolehech, dans le
meme comté, ne ,tenait du roi qu'un seul fief de chevalier.
(Edinb. ref)., t. XXVI, p" 346.)


(2) Les socagers qui ü'Daient leur. terres en (,·ee-sorog8.




208 DE L"ORIGIl'lE DU SYSTi:!lE REPRÉSENTATIF
manen te et réguliere des députés de comté dans le
parlement.


En 1214, au moment 011 les hauts harons ahan ..
donnaient le roi et peut-etre laissaient déja pres-
sentir la révoIte dont la grande charto devait etre
le fruit, Jean-sans-Terre convoqua a Oxford une
assemhlée générale. Des writs royaux ordonnerent
aux shériffs de requérir un certain nombre de che-
valiers de s'y rendre en armes. D'autres writs) du


.10 novembre, prescrivent de plus que les hommes
a la suite des harons viendront a Oxford saos armes,
et enjoignent aux shériffs de faire envorer au roi
quatresages chevaliers de chaque comte "pours'en-
trf"teniravecnousdes affaires de notre royaume(I)!1


C'est le premier symptome qu'on ait découvert de
l'apparition de quelqnes chevaliers dans l' assemblee
nationale, a la place de tous.


Attachait-on des 10rs a leur présence qllelque idée
de représentation? cela est peu probable. Comment
ces quatre chevaliers furent-ils désignés? devaient-
¡ls elre choisis par le shériff on élus par ]a cour de
comté? Ces writs regurent-ils meme leur exécnlion ?
tout cela est incerlain.


(1) • Rex vice comiti N. salutem: prrecipimus tibi quod om-
nes milite. ballivre ture qui summoniti fuerunt esse ad OxoDiam
ad nos a die omnium sanctorum in quindccim dics venire facias
eum armis suis; corpora vero baroDllm sine al'mis singulari.ter,
et quatuor discretos milites de comitatu tuo illue venire faeias
ad eumdem terminum, ad loquendum nobiscum de negotiis re-


gni nostri.. (Hut.ur, State ofEurope, etc., t. 111, p. 20.)




EN ANGLETERRE. 209
Cependant le contenu des writs et les circonstan-


ces an milien desquelles ils furent rendus en indi-
quent clairement l'objet.


Jeall cherchuit d~ns les chevaliers de comté un
appui contre les barons. Les premiers formaient done
iléja une classe assez distinete des seconds pour qu' on
essayat de les en sépurer tout-u-fait, assez puissante
pour que le roi se flattát de résister, par son secours,
a la eoulition qui le menu.,;uit.


La tentative de Jeun fut vaine. Les chevaliers et
les francs-tenanciers en général adhérerent aux ba-
ronsqui surent soutenir non-seulement leurs intérets
personnels, mais aussi les intérets et les droits publics.


La luUe des chartes continua pendant tout le
regne de Henri 111. Aussi vit-on le roi d'une part et
les barons de l'autre , sans ces se appliqués a retenir
ou a engager dans leur cause les chevaliers des com-
tés. Les événemens de cetteépoque méritent une at-
tentioll particuliel'e. On démele sous leur enveloppe
le travail intér'ieur de la formation du gouvernement.


En 1220 , au moment de la seconde COllfirmation
des chartes, Henri III ordonne aux shériffs de huit
comtés de faire élire J dans chaque cour de comté ,
quatre chevaliers qui se relldront U Lincoln, OU
étaít alors réuni le grand conseil des barons, pour
y exposer les gl'iefs de ces comtés contre les shé-
riffs, qui s'y rendront aussi pour s'expliquer et se
défelldre (1).


(1) •... Et io proximo comitato tuo dicas militibus el pro bis


~
/·Jt
{~
\ .




210 DE L'ORIGllU DU SYSTEME REPlIllSENTATIF
JI s'agit ici d'intéretspurernent loeaux; les trente-


deux chevaliers ne sont point appelés a faire partie
de l'assemblée réunie aupres du roi; mais ils sont
élus et envoyés pour traiter, devant le gouverne-
ment central, des affaircs de leur eOlUté. Ce genre
de miss ion , la demande en redressement de griefs
Jocaux, est I'une des sources du sysleme represen-
tatif.


En 1245, Henri, allx termes de la grande charle
du roí Jean, convoque individuellement les hauts
barons, et en masse tous les autres vassaux immé-
diats. C'était encore le príncipe en vigueur (1).


En 1246, Mathieu París donne, pour la prelUiere


hominibus ballivm tum c¡uod quatuor de legalioribus et discre-
tioribus militibus ex se ipsis elegerint , qui ad diem iHum sint
apud Lincoln. pro toto comitatu , ud ostendendum ibi quere-
lam quam habent versus te super articulis pnedictis; et tu ipse
ibidem sis, ud ostendendum rationem de demanda qua m inde
faeias versus iIlos .• (Repart of tIte Lords' commitees, etc.,
pago 88.)


{l) Le writadressé au comte de Pembroke commence par
ces mots: • Sciatis quod de eommun; concilio regn; nostI·i
provisum est quod erimus apud Novum Castrum super Tynam
(Newcastle sur la Tyne) cum equis ct arm;s ... " et il ajoute:
• Eodem modo scribitur omnibus comitihus et baronibus An-
glire et aliis qui servicium regi debent. Eodem modo scribitur
archiepiscopis, episcopi., abbatibu. et prioribus omnibus qui
servicium aliquod regi debent, ibidem die prredicto totum ser- .
vicium snum regí debitum. Et mandatum est omnibus vice •
comitibus Anglim quod generaliter summoneant omnes iIlos
tam virosreligiosos <¡uamalios qui re!:i serviciumdebent, 'IlIod
habean! ibídem scrvicillm sunm. » (Reporf, etc. p. 90).




EN ANGLETERRE. 21l
fois, au conseil général des barons, le nom de par-
lement.


En 1254, Henri, alorsen Gascogne el dénué d'ar-
gent, .ordonne la convocationd'un parlement a Lon-
dres pOllr lui demander une aide extraordinaire. Des
writs enjoignent aux shériffs de faire élire, dans la
cour de comté, deux chevalíers "a la place de tous
" chacun d'eux 11 pour délibérer sur la demande dll
roi (1).


Le principe de la représentation pal'alt ¡cí claire-
mento 011 ignore si ces writsrec;urent leur exécution.
Toutefois, comme uneaide fut en effet accordée au roi,
iI y a lieu de croire qn'elle fut consentíe par les che-
valiers dont l'élection avait été ordonnée, aussi bien
que par les barons.


L'irritation allait croissant dans tout le royaume.
Henri, en accertant folJement, pour son secónd fils
Edmond, la COllronne de Sicile, avaitcontracté, en-


(1) Le writ, en date du 1I février 1254, ordonDe aux shéritfs
de faire élire dans leur eornté • duos legaliores et discretiores
milites, vice omnium et singulorurn eorumdem ... ad provi-
dendum una cum militibus aliorurn comitatuum quos ad eum
dem diern vocari rccimus, qualc auxilium nobis in tanta neces-
.itate impeuderc voluerint. Tn ipse rnilitibus et alii. de comitatu
prredicto neccssitatem nostram et tam urgens negotium nos-
trum diligenter exponas, et ad competen! auxilium nobis ad
prresens impcndendum efficaciter inducas; ita quod prrefati
quatuor milites prrefato concilio nostro, ad prredictum termi-
num Paschre possint respondere super prredicto auxilio pro
siugulio comitatuum prredictorum. • (Reporl of ¡he Lords'
commiltees, etc., p. 94.)




212 DE L'ORIGINE DU SYSTtllE REPRESENTATIF
,


vers le pape, une dette énorme, et iI fallait payer un
roy~umequ'onn'avaitpasconquis. Moins odieux que
JeaQ-sans-Terre, le roi n'était gueres moins mé-
prisé, car il se montrait également dénue de foi et
plus incapable encore de résistance. Les demandes
de subsides se renollvclaient coup sur coup; elles
altestent que le roi ne pouvait plus prendre ce qu'il
sollicitait et que la nécessité du consentement pu-
blic en matiere d'impóts avait prévalu. l\1ais qu'im-
portait aux contemporains cette nécessité, si Jeur
refus était regardó eomma une rébeJlion? Que ser·
vait aux barons de prendre les armes, comme sons
Jean-sans-Terre, et d'imposer a son fils ]a recon-
naissauce de leurs droits? iI avait déjaconfirmé cinq
fois les chartes et ne les contestait plus. Que leul'
eút servi meme d'exiger le renouvellement des tur-
bulentes garanties placees par leurs ancetres a la fin
de ]a grande charte etde se faire autoriser d'avance
a réprimer, par la force, les abus du pouvoir royal?
réprimés unjour, ces abus recommen4(aient le len-
demain, et la guerre civile meme etait inefficace
eontre un roi quí ne la soutenait point, mais n'en
faisait point ccsser les causes. n y a des gOll-
vernemens si mauvais, si inhabiles qu'ils ne se lais-
sent réformer par aueun pél'il; contre eux toute
victoire est vaine, et tant qu'ils subsistent, leurs
vices duren! avec eux.


Réduitc ú cette extremité, la coalition des barons
anglais, sans bicnconnaítre la portée de son CJl-
treprisc, changea de conduite et de systcme, Sous




EN Al'iGLETERRE. 213
Jean-sans.Terre, elle avait fait avouer ses droits et
légitimer, en cas de violation, sa résistance future.
Sous Henri 111, elle tenta de changer la forme meme
du gouvernement, de placer le roí sous ]a dépen-
dance permanente et ]égale d'un conseil aristocra-
tique, émané du corps des barons. E1Ie éprouvait
que les garantíes de la liberté ne luí suffisaient point
et qu'elle se révoltait sans fruít. Elle essaya de cher-
eher, dans l'organisation, non plus de la résistance,
mais du pouvuir, des garanties plus efficaces, et de
gouverner clle-meme sous le nom du roi.


On entrevoit déja, en 1'2404., une tentative de ce
genre. Dans le grand conseil alors réuni, les ha-
rons avaient résolude proposer au roi une nouvelle
forme de gouvernement. Qllatre des plus sages et
puissans hOlJlmes du royaume , choisis par l'assem-
hICe générale, seraient entrés dans le conseil duroi,
avec la miss ion de régler tontes les affaire~ et de
rendre la justice a tous, sans acception de personnes.
Deux au moins auraient suivi le roi partout, pour
etre toujours en mesure de recueillir et de redresser
les griers des sujets. L'administration du trésor royal
leur devait elre confiée et eux seuls auraient dis-
posé des subsides accordés pour le bien commun.
lis n'auraient pu etre rlépouillés de leur office que
par le grand conseil, qui se serait reuni aussi sou-
vent qu'ils auraient jugé a propos de le convoquer,
et jamais sans leur consentement (1).


(1) Parliamenlnry l.istor~', t. " p. 43.
19


, .
'-1'/


....




214 DE L'ORIGINE DU SYST~ME REPRÉSENTA.TIF
eeUe premiere tentative n'eut aucun resultat;


rien n'indique me me que la nouvelleformede gou-
vernement fut alors expressément proposée au roí,
Mais, en 12!55, les barons> pressés par la necessité, ne
se bornerent plus a de simples projets; ils deman-
derentque le grandjusticier, le chancelieret le tréso-
rierfussent choisis par le conseil commun du royau-
me, et ne pussent €ltre écartes qu'avecson consente-
• ment: .Si tout ce que nous demandollsnenous est
'" accorde, disaíent-ils, nous ne parviendrons jamais
» a líernotre Protéede roi." Les oreilles de Henri n'é-
taíent pas encore accoutumées a des prétentions si
hautes; iIles repoussa absolument, et le conseil des
barons fut ajourné.


Il se réunit de nouvcau peu de mois apres, et le
roi y reproduisit ses demandes de subsides : « Nous
" n'avons pas été tous convoqués comme l'ordonne
» notre grande charte, répondirent les bal'ons; nous
" ne voulons faire aucune réponse, ni accorder au-
1I cune aide sans le reste de nos pairs. 1I


En 1257, nouvelle convocation du grand conseil
national a Westminster: "Tant de gens y vinrent,
" dit Mathieu Paris, et des gens de toule sorte, que
1I Londres pouvait a peine les contenir. » Le roi
essaya encore d'obtenir l'appui de l'assemblée pour
son.entreprise sur la Sicile et la Pouille; il Y parut,
dit le chroniqueur, en habit apulien, espérant ainsi
les séduire ; mais les barons rurent inébranlables et
refuserent tout secour~.


En 12!53 il fallut bien les convoquer cncore, car




EN ANGLIITERRE. 215
on ne pouvait rien sans eux. Celte fois l"orage écJata.
Le roi, se rendant a I'assemblée, trouva tous les
barons revetus de leur armure et I'épée au coté;
surpris a ceUe vue, il leur demanda, avec quelque
trouble, s'íl était done leur prisonnier: • Non, lui
II dit Roger Bigod, run des plus ardens des barons,
n mais il faut que tous les Poilevins, lous les étran-
" ger8 soient chassés du royaume; promettez de ré-
1I former le royaume d'apres nos avis; que le pape
n adoucisse les conditions relatives a 1'affaire de
n Sicile, de telle sorte qu'on s'en puisse occuper
1I avec quelque espoir d'y meltre fin, et nous tache-
n rons de vous procurer une aide suffisante. » Le jour
de la nécessité était venu; on convint que le grand
conseil se rénnirait a Oxford, un mois apres les fe tes
de la Pentecote; que la douze des cOllseillers actuels
dll roi el donze aUÍl'es personnes choisies par les
barons, formeraiellt une commission chargée de ré-
former le gonvernement du royaume. Henri promit
d'adopter et d'observer fldeIement tout pe qu'or-
donneraient ces vingt-quatre commissaires, fit pre-
ter a son fils Édouard le meme serment, el les
harons a ]eur tour s'ellgagerent a voter alors un
sllbsidc (1).


(1) L'engagement du roi, en date du 2 mai 1258, est con~u
cn ces term es :


• Rex omnibus, etc ... Noveritis nos concessisse proceribus et
magnatibns regni nostri, juramento in animam nostram per
Robertum Walerand prrestito, quod per duodecim fideles de
concilio nostro jam electos et per alias duodecim fideles nos-




] 16 DE L'ORlGINE DU SYSTÉ!\IE REPR€SENTATIF
L'assemblée se réunit a Oxford le 11 juin I?lBS;


c'est la premiere a laquelle ait été officiellement
donné le nom de parlement quí, depuis cette épo-
que, demeura presque seu] en usage. La convention
conclue entre le roi et les barons fut exécutée; on
nomma de part et d'autre donze commissaires qui
proeéderent aussitót á régler la nouvelle forme du
gouverne~ect.


Ils chargerent d'abord quatre d'entre eux de
composer le conseil du roi. Ce conseil fut formé de
quinze membres, dont neuf au moins furent pris
dans le parti des barons, qui se trouva de la sorte
pleinement investi du pouvoir, cal' le roi ne pouvait
rien faire que de l'avis et avec l'assentiment de son
conseiJ.


Un grand nombre de réglemens, connus sous le
nom de provisions d'O:tford, furent ensuite adoptés
par l'assemblée sur la proposition des vingt-quatre
barons. L'acte officiel qui les contenait a été détruit
ou perdu; il faut les recueillil' dans les récits des
chroniqueurs du temps. La plupart de ces régle-


tras electos ex parte procerum ipsorum ('lui apud Oxoniam a
esto Pentecostes proximo futuro in'unum mensem convenient)
ordinetur, rectificetur et refortur status regni nostrisecundum
'luod meJius vidcrint expedire ad honorem Dei et ad lidem
nostram ac regni nostri utilitatem ... Et quic'luid per viginti
'luatuor utrinquc electos e! super hoe jura tos, vel majorem par-
tem eorum, eirca hoc ordinatum fuerit, inviolabiliter observa-
himus, volentes et firmiter ex nune prrecipientes quod ab om-
nibus invioJabiJiter obscrvatur eorum ordinatio. (RuER, Acta


pulJtica, t. 1, p. 655.)




· EJI ANGLETERRE. 117
mens se rapportaient aux reJ-ations féodales du roi
et de ses vassaux; quelques-uns, d'un intéret plus
général, réglaient la lIouvelle constitution de l'état ,
voici les principaux :


1° Les chartes seront confirmées;
2° Les barons nommeront eux-IIJcmes annuelle-


ment les juges, le chancelier, le trésorier et autres
ofliciers royaux ;


3° lIs auront la garde des chateaux du roi;
4° Trois parlemeus seront convoqués chaque an-


née, aux moís de fénier, de juin et d'octobre (1);
¡jo JI sera nommé une cúmmission permanente


de douze barons qui se rendront a ces parlemens,
au noro et a la place de toute la coromunauté" et
traiteront, avec le conseil du roi, des affaires du
pays. La .communauté tiendra pour bon et valable
ce qui aura été ainsi réglé (:2).


(1) Les Annales de Burton rapportent cet article en ces
termes:


, n fet /¡ remembrer que les vin¡;t-quatrc unt ordené que
treis parIemenz seint par an; le premerem as uta vez de saint
llIiehel, le secund le demcin de la Chandelnr, le terz le premer
jor de ,juoes, ces est a saver treis serna ines devant la saint John.
A ces treis parlemcnz vendrunt les cunseillers le royesluz, tut
ne seint-ils pas mandez, por ver le estat del reaumcet purtreter
lez comllOS besoingnes del reaume, quant mester serra, par le
mandement lerey .• (Repar! ofthe Lords' committees, eLc.,
p. 105.)


(2) • Si fet a remembrer que le comun eslise douze prodes
hornes que vendrunt az parlemenz e autres fez qnand mester
.. erra, quant rey et sun cunseil les mandera, pur treter les be-


19.




!lIS DB L'ORIGIIIE DU SYSTiME BEPRÉSENTATIF
6° On désignera dans chaque comté quatre che-


valiers chargés de recueillir toutes les plaíntes con-
tre les shériffs ou autres officiers du roi, el d'en
rendre comple an prochain parlement (1);


7° A l'avenir les shériffs seront nommés par les
eours de comté ;


8° Le roi, ses freres, le prince Édouard son fila,
les archeveqnes, éveques, comtes, barons, etc.,
seront tenus de preter serment de fidélité aux pro-
visions d'Oxford.


Enfin iI fut convenu que le comité des villgt-
quatre harons cOlltinuerait de siéger pendant quel-
que temps avec tous ses pouvoirs pour réformer
tous les abus qni s'étaiellt introduits dan s l'admi-
nistration dn royaume, et rendre, an nom du roi ,
les lois nécessaires iI ce sujet; arres quoi il se dis-
soudrait, et le gouvcl'nemclIt ainsi reglé reprendrait
son cours. Cela fait, le parlement se sépara (2).


L'cenvre semblait accomplie; le gouvernement
avait changé de nature et de main; les abus de
l'autorité royal e n'étaient plus a craindre; un
conseil indépendant gouvernait le roi comme le
pays.


Mais on avait méconnu la nature meme de la ré-
volntion qu'on venait de faire; elle avait non pas Ji-


soingnes le rey e del reanme j e que le comun tendra pur esta-
ble cex que ces do uze ferunt. E ceo serra fet pour esparnier le
coust del comun. , (Ibirl).


(1) ReportoftheLords' committees, p.109.
(2) Parliament. kist., t. J, p. 59-63.




Ji:\' ANGLETERRE. 219
milé, mais transféré le pouvoir, et donné an roi
non des adversaires, mais· des successeurs. Les vingt-
quatre harons, sorte de comité constituant qni n'a-
vait reyu qu'une mission transitoire, demeuraient
les maltres sans qu'aucun terme fut assigné a leur
empire, sans qu'aucune force ful capable de le li-
miter ou de les obliger a s'en dessaisir. A leur tete
était Simonde Montfart, comte de Leicester,hornme
audacieux el habile a remuer les peuples, mais trop
peu désintéressé pour ne s'inquiéter que des intérets
publica, et trop ambitieux pour se contenter de dé-
fendre ses propres droits; iI était de plus animé
contre Henri d'une violente haine personnelle: .On
» ne doi\ nen anx traitres, )) lui avait dit le roi
quelques années auparavant enlui redemandant
ses provisions de gouverneur de Gascogne : "Aux
II traitres! s'était écrié Leicester; ah! roi d'Angle-
1I terre, c'est véritablement de ce jour que vous ne
1I portez plus en vain le nom de roí, puisque ceUe
II parule ne vous couto pas la vio. II Apres le parle-
ment d'Oxford, l'occasion était bello pour satisfaire
a la fuis sa vongeanco et son ambition. Bientot le
gouverñement des vingt-quatre barons ne fut que
celui de Leicester et de sa factíon. Au lieu de tra-
vailler a la réfurme des abus du royaume, ils ne
s'occuperent que de s'enrichir a la faveur de leur
pouvoir éphémere, et d'en prolonger indéfiniment
la durée pour n'avoir jamais a en rendre compte.
Apres beaucoup de vexations individuelles, l'empire
d'une situation corruptrice les poussa a des mesu-




220 DE I.'ORIGIIIE DU SYSTEME REPRÉSENTATIF
res générales dont tout le pays fut offensé. lis reti-
rerent aux shériffs le droit de mettre a J'amende les
baroos qui refusaient de se rendre aux cours de
comté ou aux assises des juges en circuit, et décide-
rent que les juges ne feraient leur circuit que de
sept en sept ans. Quand le poids de la tyrannie se
fait sentir, la nouveautó de son titre la rend plus
odieuse encore. En 1259, une députation de la com-
munaltté de la chevalerie anglaise (1) se rendit a West-
minster, représentant au prince Édouard et au con-
seil «que le roi s'était maintena nt acquitté de toutes
11 les obligations que les barons lui avaient imposées
• a Oxford; mais que les barons, de leur coté, n'a-
• vaient rien fait pour le bien public, qu'ils ne s'oc-
" cupaient que de leurs intérets personnels, et lais-
" saíent empírer partout les affaires du roi." Ces
députés ajouterent que si les barons De réformaient
promptement, comme ils ['avaient promis, l'état du
royaume, il faudrait chercher quelque autre moyen
pour y réussir. Le prince Édouard, avec qui cette
démarche était sans doute concertée, répondit sou-
dain aux députés que, ti pour lui, c'étaít contre son
• gré qu'il avait preté le serment d'Oxford; que ce-
JI pendant il était résolu a le tenir et a risquer sa
" vie au servíce de la communuuté anglaise, pour
" obliger tout le monde a en faire autant : 11 et se


(1) «Cornmunitatis bachelarire Anglire» (Parliament. hist.
t. 1, p. 63); il me parait bors de doute que bachelaria désigne
ici la c1asse deschevaliers.




EI'I ANGLETERRE, 221
tournant vers les barons du conseil, il leur déclara
que "s'ils ne remplissaient sans délai leurs pro-
JI messes, il s'unirait a la vie el a ]a mort avee la
JI communauté dupays, eL saurait bien les y forcel'. JI
Les barons comprirent qll'il fallait céder, et publíe-
reHt ennn, sous le titre de provisiones baronum,
les lois qu'ils avaient préparées pour la reforme de
l'état (1).


Mais ceUe publication ne mit point un terme au
pouvoir de Leicester et de sa faction. Si beaucoup
de chcvaliers et de francs ·tenaneíers des comtés
comlUeJl~aient a se rapprocher du roi, d'autres·de-
meuraient fidéles aux auteurs des provisions d'Ox-
ford, soit a cause de liens personnels, soit par la
crainte bien légitim~ que tout lefruit de]a réforme
commencée ne fUt perdu si le roi l'entrait en plcine
possession de son autorité. Évidemment c'était it la
cIasse des francs-tenanciers qu'il appartenaít de
donner la victoire a I'un ou iI l'autre partí, et tous
les deux s'efforl;uíent de se concilier sa faveur. Un
writ de Heuri 111, du 11 septembre 1261, nous ap-
prend que Leicester avait convoqué aupres de luí
it Saint-Albans, ou il était alors avec le comité des
barons, trojs chevaliers de chaque comté, et le roí
ordonne aux shériffs de lui envoyer ces chevalíers
á lui-meme, a Windsorouilréside (~). Laguel'l'e ci-


(1) Parliam. hist., t. 1, p. 64.
(2) Ce writ, apres avoi .. rappeJé que troi. chevaliers de cha-


que cornté ont été convoqué.: • Ex parte episcopi Vigornensis,
comitum Leicestrie et Gloucestrie et quorumdam nliornm pro;-._. ((p -li~ '.,


({
;, ,
.~ \ )




2:22 DE L'ORIGINE DU IiYST:E!IE REPRIiSEl'iTATIF


vile'llvait reeommeneé al'ec une fureur désordon-
née, et la nation se partageait entre l'aristoeratie et
la royauté.


Au milieu de ces discordes, Henri, gimé par le ser·
ment qu'il avait preté aux provisions d'Oxford, erut
qu'il gagnerait beaucoup a s'en faire relever. l\ s'a-
dressa au pape, seloll l'usage, et le pape, en lui ae·
eordant sa demande. releva aussi de ce serment
ceux qui ne lui dem3ndaient point cette faveur,
c'est-a·dire les barons eux-memes, uattendu,ll ~it-il,


1( que, pm' ceUe complete annulation de tout ce qui
" s'était passé, on en viendrait plus aisément de part
" et d'autre a un accommodement (1).11


Partageant san s doute la confiance du pape, le
roi convoqua aussitOt un parlement. Il se reunit it
Westminster le 1'2 juin 1 '26'2. Rien ne HOUS apprend
cerum regni nostri, quod sint coram ipsis apud S. Albanum se-
cnm tractaturisuper communibus ne¡;otiis regni nostri, et nos
et prredicti proceres nostri in eumdem diem convenil'emus
apud Windsore ad tracfandum de pace inter nos et ipsos : »
Ajoute: , Tibi prrecipimus quod illis militibus de balliva tua
qui vicati sunt coram eis ad diem prredictum firmiter iujungas
ex parte nostra ut ad nos die prredicta venient apnd Windsore,
et eis etiam distincte inbibeas de dicto die alibi quarn ad nos
accedant; sed eoo omnibus modis venire facias coram nobis ad
diem pl'oedictum, nobiscum super proemissis colloquium habi-
turos; ut ipsi pel' effeclum operi. videant et intelligant 'luod
nibil attemptare proponimus nisi quod honorí et cornmuni uti·
litati regni nostri videt'imns convenire .• (Report ofllle lordl
committees, etc., p. 133.)


(1) Parliam. hist., t. 1, p. 55; RUEIl, Actapublica, elc.,t. 1,
p.746.




EN ANGLETERRE.


si des ehevnliers de eomté furent appelés a y songer.
Je sllis porté a croire que les barona y vinrent
seuls. " Nous avons été les uns et les autres em-
lO portés de trop d'ardeur, Icur dit le roi, lorsque
JI nous nvons eonelu les provisions d'Oxford; puis-
» que le pape vous a relevés, ainsi que moi, dlI
• serment prété a celte oceasion, j'espere que VOUtl
" proflterez de cette absolution, et que toutes
JI choses reviendront a I'ancien usage. • - " Il
» n'cn sera rien, répondirent les barons, nous
• sommes résolus d'adhé"er jusqu'a la mort ame
• pl'ovisions que nous avons arrétées el juré de
• maintenir, ear nous les regardons comme égale-
JI ment néessaires pour le bien du roi et du
» royaume. 1I Une rupture violente était pres d'é-
elater; mais les évéques s'interposerent, et obtin-
rent que les deux partis s'en remissent au jugement
de saint Louis.


Ce jugement flIt solennellement prononcé a
Amiens, le 23 janvier 1264, dans une assemblée
des barons franl(ais, et en présence du roi d'An·
gleterre et de Pierre de Montfort, fils du comte de
Leieester. La plupart des historiens en ont vanté
l'impartialité. A coup sÍLr, I'intention de saint
Louis fut impartiale, el il erul rendre justice; mais
sa justice était la ruine absolue du parti des barons.
II annula les provisiolls d'Oxford et tous les actes
auxquels elles avaient donné licu, ordonna que
Hellri rentrerait en possession de ses chateaux-forts
¡¡insi que ou droit de nOlTImer tOllS ses offieieJ's,




224 DI L'ORIG1NE DU SYSTtU REPRtSINTATIP


et cassa I'interdictiOD prOIJOIJeée contre I'entrée
des étrangers dans le conseil du roi ainsi que le
décret qui leur avait enjoint de sortir d' Angleterre.
Une amnistíe générale eL le maintien de toutes les
chartes et libertés que l' Angleterre possédait avant
]a guerre civile furent les seules clauses favorables
aux barons (1).


Jls ne pouvaient s'en contenter, ear elles ne Ieur
aeeordaient que, ces mémes garanties qui ne leur
avaient point suffi; aussi refuserent-ils de se 5011-
mettre. « Puisque la eharte du roi Jean n'est pas
• abrogée, dit Leieester, nous devons maintenír les
" provisions d'Oxford, ear eeUe charte en est le
" fondement;. et la guerre civile recommen~a
avee une nouvelle fureur.


n y a lieu de eroire que la plapart des cheva-
liers et des f¡'ancs-tenanciers des eomtés partage-
rent alors I'opinion des barons, ear Henri fut hors
d'état de résister; vaineu, le l4 mai 1264, a la
bataílle de Lewes, dans le ()oroté de Sussex, 11
tomba, ainsique leprince Édouard, entre les mains
de Leicester, qui se trouva encore une fois maitre
du roi et du royaume. Un traité, dit la 1I1ise de
Lewes, ordonna que toutes choses seraient réglées
dans un prochain parlement.


Ce parlemcnt s'assemhla vers la fin du moís de
jUlo. D'apres les ordres de Leieester, sons ~e nom
du roi. chaque eomtéydéputaquatrechevahers(l).


( 1) RTMER, Ada publica, t. 1, p, 776. ..'
(2) Et quia instanti parliamento nostro de Dt'gotus nostflS et




EN ANGLETEIlRE. 225
Le seul résuItat important de sa session fut la for-
mation d'un nouveau conseil du roi composé de
neuf membres, et destiné 11 affermir la domination
de Leieester.


II l'exer<;a de la fa<;on la plus despotique el la
plus hautaine, établit dans tout le royaume, sous
le nom de cOflservateurs de la pai:c, des officiers
investís du pouvoi,.]e plus arbitraire (1), s'attribua
tous les hiens de dix-huit barons qui avaient ~uivi
le partí du roi, en vint enfin 11 traiter les barons
meme de son propre parti a peu pres aussi mal
que les vaíneus. leí eommence une nouvelle phase
de celle grande luUe, peu remarquée par les his-
toriens et dont ]a durée fut tres. courte, mais qui
a puissamment influé sur le sort. du gouvernement
anglais.


Leicester avait été jusque-Iá le chef dé }'aristo-
regni nostri cum prrelatibus, magna ti bus et aUis fidelibus nostris
tractare necessario nos oportebit, vobis mandamus quatenus
quatuor de legalioribus et discretioribus militibus dicti comi·
tatis, per assensum ejusdem comitatus ah hoc dilectos, ad IIOS
pro toto comiratus ilIo mittatis; ita qllod sint apud nos London.
in Odabis instantis festi S. Trinitatis, nobiscum tractaturi de
negotiis prredictis. (RYMER, Acta publica, etc. t. J, p. 792).


(1) Ces conservateurs de la paix avaient pour mission de
maintenir la paix dans chaque eomté, d'empecher tous désor-
dres, rixes, guerres pri~éeo, etc.; ils pouvaient arreter et détenir
arbitrairementtout perturbateur, et lever la milice dn cornwen
cao de besoin (RYIIIEB., Acta 'publica, t. 1, p. 792). Une magis-
trature tlltélaire, celle des jllges !le paix, a pris son origine
dans eette institution qlli ne fut i:\'abord qU'Ull instrument de
partí.


:!o




~26 DE L'ORIGIl'lE J;lU SYSTi:ME REPRtSEl'ITATIl'
cratie; il avait soutenu la cause el marché avec les
forces des barons ; ces premiers exces, ceux 'du co-
mité des vingt-quatre, avaient bien rejeté dans les
intérets du roi quelques barons et une partíe des
francs·tenanciers du pays. Cependallt la victoire de
Lewer était encore celIe de la coalition aristocl'ati-
que; elle défendait les provisions d'Oxfurd comme
son ouvrage et sa garantie.


Maís apres cette victoire, aveuglé et corrompu,
comme il arrive, par la possession d'un pouvoir
presque aussi iIlimité qu'inattendu, Leicester, ou-
bliant qu'il avait été l'instrument des intérets et
le déposítaire des forces d'une confédératíon publi-
que, crut avoir triomphé seul, et ¡lOUr lui seul.
Quand les barons ses alliés lui demandaient leur
part de la ran~on des prisonniers faits a la bataille
de Lewes : • N'etes-vous pas trop heureux, leur
" disait-il, que je vous aie sauvés des condamna-
» tions et des confiscations qui vous menal,)aient? 1I
et il prétendait s'approprier exclusivement les dé-
pouilles de l'autorité royal e comme les richesses des
vaincus.


Une telle conduite ue pouvait manquer de pro-
duire, dans la coalítion des barons, reffet qu'avaient
produit, dans la nation en général, les tortsdeceUe
coalition elle-meme; beaucoup de franc-tenan-
ciers s'en étaient détachés quand ils avaient vu les
barons préoccupés d'eux seuls; a leur tour plusieurs
baroIls se détacherent de Leicester quand son
égoi'sme lcur fut évident et leur devint périllcux.




EN ANGLETERRI!. 227
Pressentant bientOl I'isolement OU iI allait tomber,
cet esprit hardi el fécond entreprit soudain de
chercher un appui ailleurs, et de tourner contre
l'al'istocratie me me les succes qu'il avait obtenus en
son nomo


1< 11 résolut, dit le chroniqueur Wykes, d'abaissel'
» les grands, de ruiner leur puissance, de briser les
J> carnes de ces orgueilleux, dans l'espoir qu'apres
» avoir ainsi énervé les forces des principaux du
11 pays, il subjuguerait plus aisément et dominerait
» plus librement le vulgaire des peuples (1). "


La composition du parlement qu'il fit convoquer
par des writs des 14 et 24 décembre 1264 révele
c1airement ce dessein (2).


(1) Report ofthe Lords' commitlees, etc., p. 151.
(2) • Henricus, Dei gratia, episcopo N. salutem : Cum post


gravia turbalionum discrimina dudum habita in regno nostro,
charissimus filius Edwaruus primogenitus noster pro pace In
regno no,tro assecuranda et firman da obses traditus extitisset;
ct jam sedata (benedictus Deus) turbatione prredicta, super de-
1iberatione ejusdem salubriter providenda et plena securitate
et tranquillitate pacis, ad honorem Dei et utilitatem totius re-
gni nostri, firman da ct totaliter complenda, ac super quibus-
dam aliisregninostri negotiis LJUal sineconsilio vestroetaliorum
pr311atorum et magnatum nostrorum nolumus e~pediri, cum
eisdem tractatum habere nos oportent, vobi. mandamus, ro-
gautes infide et dilectione qnibusnos tenemini, 'luod amnion·
casione postposi ta et negotii. aliis pr31termissis, sitis ad no.
London. in Octabis S. Hilarii proxime futuris, nobiscum et cum
praldictis proolati. et magnatibus noslris quos ibidem vocari fe-
cimus, super pr31missis tractatnri et consilium vestrum impen-
suri, et boc sicut nos et honorem nostrum et vestrum nec non


!? } t;"'




228 DE L'ORlGINE I)U BYSTElIE BEPRESIIITATIF
Cent vingt ecclésiastiques, dont plusieurs n'étaient


point VaSSallX irnmédiats du roi, y fllrent appel.:


et communem regn i nostri tranquillitatem diligitis, nullatenua
omittatis.» (14 décembrc 1264.) .


Le memc writ est adres.é individuellement a 14 archeveques
ou évéque~, a 64 abbés, 41 prietas ou doyens, au grand-maltre
des Templiers, et (en date du 24 décembre) 11 23 comtes ou
barons.


o Item mandatum est singulis vicecomitibus per Angliam quod
venire facian t duos milites de legalioriobus , probioribus et dis-
cretioribus militibus singulorum comitatulIm ad regem Lon-
don. in Octabis prredictis, in forma supradicta. »


• Item in forma prredicta scribitur civiblls Eboraci, eivibus
Lincoln et creteris burgi. Anglire quod mil.tant in forma prre-
dicta duos de discretioribus, legatioribus et probior;~u9 tllm
civibus quam burgensLbus suis. n


« Item in forma prmdicta mandatum est baronibus et probis
hominiblls quin que portuum prout continetur in breyi iurotu-
lato inferills, etc. (RnIER, Acta publica, elc., t. 1, p. 802.)


Le writ allllueI se rapporte eette derniere .pluase est ainsi
congu:


• Rex baronibus el balliyis portn. sni de Sandwico saJutem :
Cnm prmlatos, maguates et nobiles regni nostr; tam pro ne-
gotio Jiberationis Edwardi primogeniti noslri quam pro aliis
communitatem regni noslri tangentibus, 3d instansparliamen-
tum nostrnm quod erit London. In Octabis S. Bilarii convocari
fecerimus, ubi vestra sicut et aliorum fidelium nostrorum prm-
sentia plurimum indigemus, vobis mandamns, in fide et dilec-
tione quibus I10bis tenemini, firmiter injungentcs 'lnod om-
nibu. aJiis pr:Etermissis,mittatis Ill! nos ibidem quatuo! de
legaliorifJUs et discretioribus portus vestri, ita qnod sint ibi in
Octabis prredictis, I10biscum et cum prrelatis et magnatibus
rellui traetaturi et super prremissis auxilium impensuri. D


• Similiter mandatull1 est singulis portubns per se. , (Reporl
ofthe LOI'ds' committecs, etc., p. 14[).)




KM ANGLI!TERRE.


Leicester s'était toujours ménagé avec soin la faveur
du c1ergé.


Vingt-trois comtes ou barons laiques seulement
ref(urent des lettres de eonvocation. n y en avait
bien davantage qui auraicnt eu droit de siéger et
avaient paru dans les paI'leIllcns précédens, mais
Leicester éca1'ta p1'esque tous ceux dont il se mé-
tlait.


Les shériffs eurent ordrc de faire élirc dans
chaque comtó deux chevaliers qui se rendraient au
padement.


Enfin ce fut la grande innovation, des lettres fu-
rent adressées aux cituyens de Londres, York, Lin-
coln, des cinq port, Dou vres, Sandwich, Romney,
Hastings et Bythe, et des principales villt's et bourgs
de 1',Angleterre, pour les engager a élire de meme
deux bourgeois, et a les envoyer· au prochain par-
lement.


e'est ící la premiere apparítion générale des
députés des villes et bourgs dans l'assemblée de la
nation .


. lis n'avaíent pas eu pour y arriver, comme les
députés de cornté , un titre et un point d'appúi dans
le droit féodal. J'ai Caít voir comrnent l'élection de
deux, troís ou quatre chevaliers par les francs-te-
nanciers des corntés était née du droit originaire de
tous les vassaux immédiats a consentir les impóts, a
siéger dans la cou1' du roi, a prendre part dalls son
gouvernement. Aucun p1'ivilége semblabJe n'appar-
tenait aux bourgeois des villes. Avant In conquéte des


lO. /i:; (¡" o~c
\t
, '




2~O DE l.'ORIGINE DU 8YSTEIlll! REPRÉSENTATIr .
Normands, plusieurs étaient riches , peupíées, im-
portantes; on voit leurs habitans intervenir dans les
événemens du pays; les citoyens de Cantorbéry as-
sistaient, 801lS Éthelred 11, it la cour du cOlUté, et
cellx de Londres concoururent a l'élection de plu-
sieurs rois. Cependant il esl a peu pres certain que
les villes n'envoyérent jamais des députés au Witte-
nagemot saxon; leurs droits se renfermaient dans
l'enceinte de leurs murs, et quand elles se me-
laient des affaires publiques, c'était d'une falJon
aeeidentelIe, irréguJiére, sans qu'aueune institution,
aneune coutume permanente, leur assignat une
place dans le gouvernement Qentral.


Apres la eonquete, la décadence des villes Cut
grande; la source de leurs richesses, le commerce,
était tarie plut6t que toute autre par le désordre et
1'0pprQssion; en peu de temps on vit tomber York
de sei'l.e cent sept maisons a Ileuf cent soixante-sept;
Oxford, de sept cent vingt et une a deux cent
quarante-trois; Chester, de quatre cent quatre-
vingt-sept a cent quarante, etc. En perdant lellr
importance, elles perdirent aussi leurs droits; et le
seigneur, roi ou autre, dans le domaine duquel el-
les se trouvaient situées, disposa presque absolu-
ment des biens et du sort de leurs habitans.


A dater du regne de Henri le., les villes se releve-
rent progressivement; la cité de Londres relJut de
ce prince sa premiere charte, et quelques articles
prouvent qu'elle n'avait pas perdu toutes ses aneien_
nes libertés. Sous Henri Il , prince appliqué ti réta-




El'! Al'!GLETERRE,


bJir l'ordre, le progres des vi1les devint plus rapide;
dans plusieurs, les habitans acquirent de leur sei-
gneur la propriété du solqu'ils occupaient, et se
racheterent des tributs individuels qu'il leur impo-
sait arbitraireme'nt moyennant une redevance déter-
minée, et en tenant leur ville en fée-farm, sorte de
tenure lib,'e analogue a la tenure en socage. lis se
formaientalors en corporations, recevaientquelque-
fois une charte, et entraient ainsi en possession dll
gouvernement municipal. Les concessions de chartes
devinrent fréquentes a dater du regne du roi Jean.


Cependant le seigneur, roi Oll baron, conservait
le droit d'imposer a "olonté des tailles (tallage) sur
les villes de ses domaines. Quelques-unes acquirent
bientOt assez d'importance pour que ce droit, tou-
jours arbitraire en principe, le devint un peu moins
en fait; il fallut traiter avec des cités assez fortes
pour se défendre. On en obtint de l'argent en leur
accordant des priviléges, et, meme san s concession,
l'impOt fut souvent débattu entre le seigneur et les
habitans. Cela arriva surtout dans les vilIes du
domaine du roi, plus riches et plus fortes que les
autres. Sous Henri ler et Remi U, Ul\. voi.\. les shé-
riffs rendrc compte au roi du donum qu'ils ont ob-
tenu soit des chevaliers et des francs-tenanciers du
comté, soit des villes et bourgs (1), On a des writs
d'Édouard ler qni remercie la cité de Londres de la
libera lité de ses dons, et institue des commissaires


(1) ~IADOX) History ortne Excneqtter, t. 1, p.694.




232 DE L'ORlGUIE DI! sysTlmt: REPRÉSENTATIF
pour demander une aide sembJable aux autres cités
et bourgs de ses domaines (1). D'ordinaire, le roi
employait ses juges, dans Jeur circuit, I)ux négo-
eiations de ce genre; ils tl'aitaient de gl'é a gré avec
les villes earables de résistance, et clmrgeaient arbi-
trairement celIes dont OH eroyait n'avoir rien a re-
douler.


Mais si eette pratique offrait quelques garanties
aux vines qui possédaient quelquc force, elle de-
vait retarder I'admission de leurs dépu.tés daos l'as-
semblée génerale de la nation. Il était impossible de'
traiter individuellement, en matülre d'impot , avee
les francs-tenaneiers dispersés dans la eampagne ; il
fallait absolument les réunir en eorps, etde leur réu-
nion dans les eours de eomté a l'envoi de leurs dé-
putes au parlement, la transition était natUl·eUe. Les
villes au contraire étaient pour aillsi dire des assem-
blées permanentes, inamovibles, étrangéres les unes
aux autres, etque les délégués ciu roi pouvaient aller
ehereher pour les attaquer ou negoeiel' isolément.
Quelques-unes, entre autres Londres et les cinq
ports, avaient pu devenir assez considérables pour
que leul's habitaus s'élevassent au-dessus de la sphere
municipale, re~ussent le titre de nobiles ou meme
de barones, et parussent quelquefois dans le grand
eonseil national; mais aucun principe général, au-
eun uBage constant ne Meoulait de ces fails aeciden-
tels et spéeiaux. L'introduction des députes de comté


(1) Edinburgh review, nO 69, p. 30.




EN ANGI.E1'<RIIE. 233
dans le parlement dériva d'un droit, celuí des vas-
saux immédiats de la couronne, ~t prit nécessaire-
ment, des son origine, un caractere de généralité.
Celle des députes des villes ne se rattachait a aucun
droit anden, était étrangel'e a tout principe dn sys-
teme féodal, et ne devait a voir lieu que partielIe-
ment, successivement , a mesure que l'importance
d'uue cité la mettrait en état de conquérir un privi-
légc,


La convocation des députés bourgeois au parle-
ment de 1264 fut done une combinaison politique,
suggérée á Leicester par sa situation, plutót qu'une
nécessité que l'état social imposait déja au pouvoir,
naguere aristocrate contre la royauté, il se fit dé-
moerate contre l'aristoeratie, avan/}ant aiusi, dans
une vue personnelle, le jourou les villes, par leur
propre force, auraient pris place dans le gouverne-
ment central.


Celte tentative fit faire un grand pas aux libertés
du pays, mais son auteur en tira peu d'a,-alltage.
Le vulgaire des peuples, selon l'expression deschro-
niqueurs, était hors d'état de lui fournir une force


, capable de lutter a la fois contre I'aristocratie et la
royauté. Les bg.urgeois, presqu'aussi étonnés que
charmés de l'importance que leur accordait Leices-
ter, se servirent de leur crédit pour atIranchir leur
commerce et se refuser au paiement du droit de
douane, non pour fonder, de eoncert avec lui , un
gouvernement durable. Les marchands des einq
ports se livrerent a une piraterie effrol}tée, La po-




'234 DE L' ORIGINE DU SYSTEillE REPRtSENTATIP
pulaee eommit des exees dont tous les riehes citoyens
eurent a souffrir. Leicester, qui ne pouvait réprimer
les désordres de ses nou veaux associés, ne songea
plus qu'u les exploiter a son profit, partageant le
fruit des déprédations des pirates et des pillages de
la multitude. Des plaintes générales s'éleverent; les
ports d'Angleterre n'étaient plus visités par les mar-
chandsétrangers qu'aucun ordre n'y protégeait plus:
" Qu'importe, disait Leicester, le royaume peut


II hien subsiste¡' par lui-meme, et n'a aucun besoin
11 de commercer avec Jes étrangel's. D Un semblable
état ne pouvait durer; les hourgeois considérables
s'en lasserent hientOt. Presque tous les barons avaient
abandonné Leieester et conspiraient contre luí; les
chevaliers des com tés marchaíent a leur snite; le ré-
tablissementde l'autorité royale était appelé par tous
les vceux. Le prince Édouard, libre en apparence ,
maís au fait pl'isonnier de Leiscesler, s'échappa, fut
bientó! rcjoint de la part des harons, leva aisément
une armée, et le 4 aouí 1265, Leicesier eut a com-
battl'e , a Evesham, le parti du roí uní a tous les
déserteurs du sien: " Par le bras de saínt J aeques,
" s'écria-t-il en engageant la bataille, ils ont profité
" de nos le«tons; Dieu ait pitié de nos allles, cal' nos
II corps sont a eux." II fut en effet vaincu et lué avec
son fils alné Henri et ses principaux adhércns. Sa
morí entraina la ruine absolue de son parti.


La réaction fut d'abord tres violente. Le 8 septem-
bre 1260, un parlement tenu a Winchester et uni-
quement composé, a ce qu'il semble, de préJats et




EN ANGLETERRE.


de barons, accorda au roi la confiscation de tous les
biens des rebelles. La cite de Londres avait eté le
principal appui de Leicester; ses libertés lui furent
retirées. Un grand nombre de personnes furent cm-
prisonnées et mises a la discrétion du roi.


Mais la luUe que Leicester avait soutenue n'était
pasune révolte ordinaire. Commencée dans l'intéret
et avee l'assentiment national, Itresque tout le royau-
me, barons, francs-tenanciers et bourgeois, s'y était
d'abord en¡pgé. Des droits vraiment publics avaient
eté proclamés 'Solennellcment; des innovations sa-
lutaires avaient été tentées. Peu de gens etaient
demeurés étrangers aux premiers desseins, aux
premieres espérances; bien peu voulaient revenir
au point d'ou l'on était partí; Un homme avait pu
détourner a son protit le mouvement national ;
mais eeUe déviation momentanée n'en avait point
aboli l'origine ni changé la nature. Bientót on 8'a-
pel'~ut que, malgré ses exces, la mémoire de cel
homme meme était profondément pupulaire. Des
moines avaient recueilli ses restes; le bruit se repan-
dit que desm'iracles s'opéraient sur son tOlllbeau;
le peuple y courut en foule pour prier ou se faire
guérir, et il fallut lui défendre expressément de
donner a Leicester le nom de saint. Alors se 6t sen-
tir de loutes parts la néetssité de se ralentir, de ré-
trograde\' meme dans les voies de la réactioll. La
cité de Londres fut re mise en possession de ses li-
bertés; le Jégat du pape, Ot1oboni, intervint lui- _
meme en faveur des opprimés; et nn parlement fut /1


:'$
> ,.


~




236 DE L'ORIGINB BU SYSTEIIK REPRisENTATIF
.


convoqué a Kenilworlh, le 22 aont 1266, pour réta-
blir enfin la pai~.


A peine rassemblé, ce parlement, dont l'rouvre
principale devait etre d'annuler les pmvisions d'Ox-
ford, donnalui-meme une preuve éclatante de l'em-
pire qu'avait exereé sur les esprits une 'révolution
qui semblait vaineue. Ce ne fut point au roi lui-
meme, maís a un comité de douze prélats et barons
que fut remis le droit de décider des mesures a
prendre et de réglerles différends des deux partis (1).


Ce comité distribua en diverses catégorics les an-
teurs, fautcurs et adhérens de la derniére rébellion,
commua la cunfiscation de leu1'8 biens qu'avait pro-
noncéc le p¡¡rlement précédent, en amendes plus ou
moíns considérables, annula les provisions d'Oxford,
rendit au roi le libre exereice de son autorité, dé-
fendit, sous peine de ehatiment corporel, d'ippeJer
Leicester un saint et de propager le bruit de ses
prétendus miracles, et déclarn en meme temps que
la grande charle et la charte des foréts demeure-
raient en pIeine vigueur.


C'était pius que n'avait accordé au parti du roi
le jugement de saint LOllis; eependant e'était déja
bien moins qu'on ne s'étalt pro mis au premier mo-
ment du tri0mphe. La coalition aristocratique était
dissoute; ceux des barons qui n'avaient pus cessé
d'adhérer a Leieester étaient en fuile ou en prison;
ríen n'indique que dcsdéputés de comtés el de villes


(1) Pat'liament ltisl, , t. 1, JI. 72,




EN ANGI.ETEl\I\E. 237
aient par u uu parlement de Kenilworth; on ne les
J'eneontre pas non plus a eelui de Saint-Edmunds-
bury, tenu en 1267; le par ti du roi uominait done
seul, et poul'tant iI était contraint de tr'ansiger;
quelque modération Ctait imposée a la victoire.
CeUe modération ent été de pen d'importanee pour
le pays si elle se fUt bornée a ménager quelques in-
térets privés; mais la fin du regne de Henri III prouve
que des nécessités plus généralcs commenl(aient a
peser sur le pouvuir royal, et que sun triomphe ne lui
avait pus rendu toute son independanee. Les statuts
du parlement de l\1arlborough (19 novembre 1267)
portent en titre qu'ils ontété adoptés "dl'lns l'assero-
" blée des hommes les plus sages du royaume, tant
II -des moindres comme des plus grands;. ce qui
atteste la présence des députés des provinces (1).
Enlln,lorsqu'en 1269, Henri voulut faire transférer
solennellement le eurps d'Édouard-le-Confesseur
dans le magnifique tombeau qu'illui avait f"it élever
dans l'abbaye de Westminster, "il convoqua, dit le
JI ehruniqu.eur W y kes, tous les prélats et les grands
" d'Angtelerre, ainsi que les hommes les plus riches
II de tontes les cités et bourgs de son royaume. " A.
la vérité, un peut croirc qucceUe nombreuse assem-
blée avait été surtout reunie pour dooner plus d'é-
c1at a lasolennité, car le cht;Qniqueur ajoute: • Apres
" la oérémonie, les nobles commencerenta traiter


(\) Statutll& atlarg., reeueillis par WilJiams Rawkins, t. 1,
p. 3\; Londres, 1735. "


TOME 11. 2\




~38 DE L'ORIGIIIH 1lU SYSfElIIE REPRESENrATIP
• des affaires du roi et du royaume, par voie de
• parlernent (1). " Maia ceHe convocation des bour-
geois ne prouve pas moins que l'importance des
villes était reconnue et que l'usage d'appeler leurs
députés dan s les grandes occasions cornrnenc;¡ait a
prévaloir.


En vain done les provist'ons d'Oxford avaient été
abolies; en vain le parlement qni les avait décrétées,
recevait le titre d'insensé (2). te pas décisif était rait
vers la création d'nn gouvemement libre; un pou-
voir national s'élevait et se constituait a coté de la
royauté. Ce fut le grand résultat de la lutte qui agita
ce regne. Cornme iI arrive toujours, on ne fit point,
dans le présent, ce qu'on voulait; on fit plus, pour
l'avenir, qu'on n'avait projcté et prévu. Limiter le
pouvoir royal par des institutiolls qui le contraignis-
sent a tenir 1es promesses des eh artes, c'est-a-dire a
respecter les droits, tel avait été le premier dessein.
Pour y réussir, les harons tenterent de s'approprier


(1) Wykes, dans la colJection de Gale (XT Scriplores, etc.,
tomo 11, p. 88). M. HALLAlII (Stale of Europe, t. 1II, p. 44, in
nota) ne cite que la premiere partie de ce passage, et attribue
ainsi peut.etre a la présence des bourgeoi. dan s eette assemblée
plus d'importance <Iu'elIe n'en eut en elfet.


(2) • Parliamentum insanum .• Selon Hume (t. 11, p. 450,
édit. de Bale), ce titre lui vint de la folie de ses essais d'organi-
sation politique; mai. sclon "Histoire parlementaire (t. 1,
p. 63), une ehronique contemporaine le fait dériver de ce que
les mesures adoptées dans ce parlement entrainerentJa mortou
la ruine de la plupart de ceux qui y avaient concouru; explica.
tion qui me para!t plus conforme a l'esprit du temps.




EN ANG·LETEJ1nE.


le gouvernement. tout entier en déposant l'autorité
royale aux mains d'un petít conseíl aristocratíque;
l'égolsme corrompít bientót 1eurs efforts; ils échoue-
rento Leicester essaya de s'approprier, avec le se-
cours de la multitude, les fruits des premíeres vic-
toires des barons; il érhona a son tour. Mais la
société avait été profondément J'emuéej Ics divers
partis avaient successivement réclamé l'appui de
toutes les force s qu'elle portai! daos son sein; les
francs-tcnanciers des comtés comme les hauts ba..,
rons, les bourgeois comme les fl'uncs-tenanciers ,.
étnient arrivés uu centre de rétat. Le parlement
n'existait pas encore; mais les trois élémens dont
l'uníon devait le former , la royauté, l'aristocratie
et la démocratíe, avaient été mis en présence, ap-
prenant ainsi a se connaitre, a se concerter ou a se
contenir mutuellement. Le mOllvement imprimé
sous le regne de Henri III atteignit son but sous celui-
de son successeur.


Les grandes institutions politiques naissent d'or-
dinaire SOI1S les princes faíbles, désordonoés et io-<
habiles; on lesteur arra che ; tel futlesortde Henri m.
Elles se consolident sous les princes fermes et capa-
Mes qui savent se servir des forces sociales et com-
prendre les oécessítés du temps. C'est ce qui arriva
sous Édouard 1 er.


A peine a-t-on jeté sur ce regne un premier re-
gard, qu'on y aper90it le parlement , non plus
cOlOme un accident de la guerre civile ou eornme


f
t




240 DE L'ORIGINE DU SvaTtl!ll! REPRtSEl'IT1TlP
une arme tour a tour saisie par les divers partís,
mais comrne une condition permanenlede l'exercice
du pouvoir , comme une habitude qui déjil ressem·
ble a une néeessité.


le C'est la couturne du royaume d' Angleterre que,
,. dan s toutes les affaires relatives a l'état de ce
" royaume, on prenne l'avis de tous ceux qui y sont
" intéressés : ,. tel était le langag'c que tenait au
pape, de la part du roi et de ses hat'ons, Robert de
Winchelsea, areheveque de Cantorbéry, Le clergé
dernandait a Édouard la révocation d'un statut qui
avait restreint I'extension illimitée des hiens de
main-morte: • na été fait de l'avis des grands, ré-
" pondi! le roi; je oe puis le rapporter san s leur
" consentement."


Qu'on se garde de prendre ces paroles a la rigueur;
tous les citoyens ou seulement meme Icnrs députés
étaient loiD de participer a toutes les affaires publi-
ques; et, en 1281, Édouard lui-meme révoqua, de sa
seule autorité, une partie des statuts rendusen 1:287
dans le parlement de Glocester (1), Cepcndant de
telles rnaximes, dans la bouehe du prinee ou de ses
ministres, révelent clairemellt le progres des idées
et des institutions de liberté.


Deux sortes fle parlemen~ llaraissent sous le regne


(1) Tel était pourtant le pro~res des idées constitlltionnelles
que sous Edouard 11, en 1316, les juges de la cour du bane dll
roi révor¡uercnt en doute la légalitéde ces changemens. (Report
o{ lile LordM' committees, etc., p. 184.)




El'! Al'!GLETERRE. ~41
d'Édouard ter. Les UIlS ne rassemblent que les hauts
barons, et forment, aupres d u roi, un grand conseiI
plus étendu, plus impllissant, et allssi plus indépen-
dant que le conseil privé. AlIX autres se rendent les
députés des comtés et des bourgs. e'est le grand
conseil nationa!.


Aueune distinction légale ou reeonnue entre ces
deux asscmblées ne se laisse saisir; elles exereent
souven! les memes pouvoirs. Les réunions de la pre-
micre étilient tres fréquentes ; 011 en reneontre jus-
qu'il quatre dans la meme année. La seeonde était
eonvoquée quand il fallait obtenir, des franes-tenan-
eiers de eomté ou des villes, quelque imposition gé-
nérale, ou quand iI s'agissait d'affaires si graves que
le roi sentait la néeessité d'y faire coneourir un
grand nombre de eitoyens.


L'esprit hnmain n'avait alors point d'exigenee
philosophique, et ne poursuivait I'applieation d'au-
cune théorie. J\;lais les homllles avaient le sentiment
de leurs droits, et les réclamaient avec eourage
quand ils se eroyaient vraiment intéressés a les
exereer.


Au mílieu de taut d'assemblées diverses, égale-
ment désignées sous le nom de parlement, et exer-
<tant tour a tour les memes pouvoirs , iI est difficile
de distinguer celles qui doivent clre eonsidérées
eomme des parlemens véritables. Toutes les fois que
les écrivains torys n'ont pas relrouvé des pl'euves
direeles et officielles de la présenee des députés des
eomtés et des bourgs, les writs de convoeation par


21.




242 DE L'ORIGlftE BU SYSTtUIE REP8!SEftTATlP
exemple, ils I'ont niée; caril ya des homroesa quila
liberté est si déplaisante qu'ils ne se résignent qu'avec
regret a la rencontrer , meme che'l. les morts. Mais
ces publicistes essaient en vain d'humilíer de la sorte
les ancetres de leurs contemporains; les chroniques
suppléent a la perte des writs, et pl'ouvent que les
députés des comtés et des bourgs siégerent fréquem.
ment dans les parlemens d'Édouard 1 er.


Édouard était it la Terre-Sainte au momen! de
la mort de son pere (1272) ; un parlement fut aus-
sitot convoqué a Westminster pour preter, entre les
mains de l'archeveque d'York, serment de fidélité
au roi absent. Quatre chevaliers de chaque comté et
quatre bourgeois de chaque cité y furent appelés (1).


De retour dans son royaume, en avril 1275,
Édouard convoqua un parlement; le préambule des
statuts qui y furent rendus porte: "Ce sont les esta-
» blissemcntz le (du) roy Edward, fits le roy Hellry,
1I faitz it Westrninster, a son prime parlement géné-
JI ra1. .... per son conseil e per I'asselltement des
1I ercevesques, evesques, abbés, prieurs , countes ,
II barouns e la comrnunalté de la terre ilIeocques
• sornmons (2). 1I Les députés des comtés et des
bourgs étaient done présens. Les derniers accorde.-
rent au roí et a ses héritiers, a perpétuité, un droit
sur l'exportation des laines et des cuirs.


En 1'2.76, s'assembla un parlement composé, a


(1) Parliam. hiat., t.l,p. 81; Report oftheLords' commiltee8,
etc., p. 172. '


(2) Statlltes atlarge, etc., t. 1, p. 44.




EN ANGLETERRE.


ce qu'il parait , des memes membres que le précé-
dent (1).


En 1278 " les plus <liscretes du roianlme, anssi
» des grandes come des meindres. sont convoqués
an parlement de Glocester (2).


En janvier 1283, ]e roi veut lever des forces et
obtenir des subsides pour faire la conquete du pays
de Galles. Deux assemblées extraordinaires se réu-
nissent en memfl temps, l'une a Northampton, l'autre
a York; les institutions n'ont encore aucune forme
bien déterminéc; le parlement est ainsi divisé pone
que ses résolutioIls soient plus promptes et puur
diminuer les frais de déplacement. Les writs du roí
ordonnent aux shériffs de faire élire , dans chaque
coroté, cité, bourg " et ville ou. se tient un marché ..
quatre chevaliers et antant de bourgeois ayan! pou-
voir d'agir " pour tonte ]a communanté ~3). 11 Le
clergé, qui devait aussi fournír des subsides, fut
convoqué de la meme maniere. L.e roí n'assista a
l'ouvertnre ni de l'une ni de l'autredes deux assem-
blées (4).


Au mois de juín de ]a meme année. le pays de


(1) • Comites, ba~ones, ae a1ii magnates, et eommunitas
regni nostri .• (Parliam. hist., t. x, p. 82.)


(2) Sta tutes al large, etc., t. x, p. 74.
(3) • De qualibet eivitate, burgo et villa rnercatoria duos


homines similiter potestatem habentes .• (Report ofthe Lords'
committees, etc., p. 186.)


(4) Les députés de trente-deux corntés se réunirent it Nor-
tharnpton, et ceux de cinq corntés a York. (Ibid.)




244 DE L'ORIGIl'{E BU 6YSTEME BEPRÉSENTATlf
Galles es! eonquis; un parlement tJst nécessaire pour
délibérer sur les affaires publiques, et al1ssi pour
juger David, prince de Galles et prisonnier. Des
Wl'its sont adressés, lo individuellement a cent onte
eomtes 011 barons; 2° aux magistl'ats de vingt et une
villes et bourgs, pour leur ordonner de faire élire
deux députés (1); 3" aux shériffs, pour l'élection de
deux chevaliers par comté; 40 a dix-sept membres du
conseil privé du roi, parmi IesqueIssonl les juges (2).


Ceite assemblée se divise encore en deux ; le
clergé et les députés des bourgs siégent a Acton-
Burnell; les derniers y rédigent un statut qui porte
le nom de eeUe ville, et pourvoit au prompt recou-
vrement des créances des marchand's. Les barnns,
et probablement aussi les chevaliers de eomté, se
réunissent it Shrewsbury pour juger le prince
David (~).


De 128~ a 1290 on trouve plusieurs parlemens ;
quelques-uns meme, COffinle cclui de Westminsler
en 128!'i, ont rendll des statuts irnportans; mais rien
n'indique que des députés de comtés et de hourgs
y aient assisté (4).


(1) C'étaient les villes de Londres, Winchester, York, Ne\V-
castle sur la Tync, Bristol, Exeter, Lineoln, Cantorbéry, Car-
lisIe, Nor\Vieh, Nortbampton, Nottingbo.m, Scarhorough,
Grimshy, Lynn, Colchester, Yarmouth, Shre'\'Vsbury, Hereford,
Chester et 'V orcester.
(~) RrMEB., Acta publica, etc., t. 11, p. 247.
(3) Statutes atlarge, etc., t. 1, p. 85.
(4) Parüa",. hist., t. J, p. 90-94; Report of tite LOf'd. COtll-


mittee3,etc., p. Hl4etsuiv.




EN ANGLETERRJ!.


Il ne faut ras prendre l'irrégulnrité de leur con-
vocation comme un symptome assuré de tyrannie.
Au XIII" siecle, les nffuires n'étaient pas toutes,
comme de nos jours, des affaires publiques, celles
de tout le pays. Chaque grande eJasse d'hommes
al'ait les siennes et les traitait isolément, sans penser
qu'il füt de son intéret ni de son droitd'intervenir
dans celles d'autrui. Opinion souvent fausse, car,
dan s les sociétés le plus nettement divisées en cor-
porations différentes, toules se tiennent par des
liens secrets; toutes sont atteintes, d'une fa~(jn plus
ou moins directe, par les mesures du pouvoir.,Mais
le tempa seul et les progres de la civilisation dévoi-
lent a tous les yeux cette unité de la vie sociale. Les
habitans des villes et des bourgs ne se croyaient
nul1ement intéressés dans les imp6ts que les francs-
tenanciers des corotés payaiellt senls. Qui peut 8'at-
tendre a trollvcr, dans les institutions, des principes
plus généraux, plus d'étendue et de prévoyanee que
n'en posséde l'esprit des citoyens?


En 1290, Édouard, apres une expédition en
Frunce, convoque un pnrlement a Westminstel'; les
dépntés des comtés y sont seuls appelés (1); rien


(1) Le 'll7rit adressé BU shérifl'du comté tle Northumberland
(14 juin 1290) porte:


• Cum per comites, barones et quosdam alios de proceribus
regni ·nostri nuper fuissemu8 super quibusdam specíaliter re-
quísiti, super quibus tam cum ip,ís quam cllm aliis de comita-
tibus regni nostri illius colloquium habere volumus et tractatum,
tibi prrecipimus quod duo ve! tres de discretioribus eL ad labo-
,/~',\ 't:


(/
\ t,


\. ~' .. -. '.




~46 DE L'ORIGIl'lE DU SYSTÉlIE REPRESENTUIF
n'indique la présence des députés des bourgs. Poo.r-
quoi? Paree qu'il s'agit de délibérer sur un stalut
qui autorisera les propriétaires de fiefs a les vendl'e
a leur gré, en les morcelant, et rendra les acqué-
reurs vassaux directs dll suzerain a la place du ven-
deur. CeUe loi qui faisait eesser la néeessité de ]a
sous-inféodation et multiplia I'apidement ]e nombre
des vassaux directs du ruí, n'intéressait, en appa-
rence, que les harons et les chevaliers des comlés;
ils siégérent seulR dans l'assemblée qui s'en occupa.


De ] '290 a 1'294, les barons, a ce qu'il semble, se
rendirent seuls au parlement. Alors se traitaient
toutes les négociations relatives a la succession
d'Écosse; la haute aristocratie eoneourait seale a
eeUe portion du gouvernement.


En octobre 1294, deux chevaliers par comlé sont
appelés au parlement de Westminster (1). lis accor-
dent au roi un subside d'un dixitllne de leurs hiens
meubles. On ne demandait rien aux villes en géné-
ral; leurs députés ne furent point convoqués.


En 1295, Édouard soutenaitcontre la France une


randum potentioribus militibus de cemitatu prredicto, sine di-
latione eligi et eos ad nos usque Westmon. venire facias. ,. curo
plena potes tate pro se et tota communitate comitatus prredicti
ad consulendum et consentiendum, pro se et tota coromunitate
iIla, iis qure comites, barones et proceres prredicti tune duxe-
rint concordanda .• (Beport of the Lord.' committees, etc"
pag.196.)


(1) Parliam. hist., t. 1, p. 107; Beport ofthe Lords' commit-
lees, etc., p. 209.




EN ANGLETERRE. 247
guerre acharnée; Philippe-le-Bel mena«¡ait I'An-
gleterre d'une invasioo; toutes les ressources du
royaume, le concours de toutes les classes de ci-
toyens étaient nécessaires pour repousser le dan-
ger. Un parlement fut convoqué, le plus complet
qu'eút encore vu l'Angleterre, et celuí auquel les
publicistes les moins empressés de reconnaltre la
présence des institutions libres ne peuvent refuser
de rapporter leur établissement.


Édouard convoqua deux assemblées, l'une laique,
l'autre ecclé~iastique, car il voulait obtenir des sub-
sides du peuple et du clergé.


Dans l'assemblée ecclésiastique se réunirent non-
seulement les archeveques, les éveques, soixante-
sept abbés et les grands-maitres des trois ordres
religieux, mais aussi les députés des chapitres et du
clergé inférieur. Des writs du ílO septembre 1295
avaient ordonné achaque éveque de faire faire ces
élections dans son diocese : .! que ces députés, y
II est-il dit, apres avoir regu, du c1ergé et du cha-
• pitre, de pleins et suffisans pou voirs, se rendent
• aupres de nous avec vous, pour délibérer et déci-
JI der, de concert avec nous et avec les prélats , les
11 granda et autres habitans de notre royaum~, sur
• les moyens de repousser les périls qui nous pres-
II sent et de résister a la maliee de nos ennemis (1).


(1) Voicile tof'" adressé 11 l'archevequede Cantorbéry:
• Sicut lex justissima, provida circumspectione sacrorum


principum stabilila, hortatur et slaluit ul quod omnes tongit
ah omnibus approbetur, sic el innnit evidenter ut communibus




248 DE L"ORIGINE DII SYSTEME REPR~ENTATll
Tout porte a croire qlle cette assemblée fut com-
posée au Illoins de cent soixante-dix membl'es.


Au parlement Jaique furent convoqués : 10 qua-
rallte-neuf comtes ou barons (1); 20 deux: chevaliers
par comté; 3° deux: bourgeois par bourg (2). Les
writs prescrivent aux: shérifl's d'avoir soin que ces


perieulis pro remedia provisa commuuiter ohl·ictur; sane satis
noseis, etjam est, ut eredimus, per univcrsa mundi climata d¡~
vulgalnm, qnaliter rex Franeim de lerra noslra Vaseonim nos
frandulenler el eautelose deeepil, eam nobis nequiter deti-
neudo. Nune vero prmdictis fraude et nequitia non contentus,
ad expugnationem regoi no.tri, clasoe maxima et bellatorum
copiosa mnltitudioe congregatis, cum quibus regnum nostrum
et regni ejusuem in colas hostiliter jam invasit, Jinguam angli-
eam, si conceptoo iniquitatis proposito detestabili potestascor-
respondeat, quod Deus arertat, omnino de tena delere propo-
nito Quia agitur proovisa jacula minus lmdunt et res vestra
maxime, sicut creterOl'um cjnsdem re;;ui concivium, agitur
in bae parte; vohis mandamus ... Quod die dominica proxima,
post restum S. Martini in hiellle pl'oximo futurum, apud \Vest-
mono peróonalitcr inter,i!is; pnemllnientes priorem et eapitu-
lum eeelesiru vestrmj et arehidiaeofllllTI totumr¡ue eJeruIll ves-
troo dioceseos, faeientes quod iidem prior et archidiaeonus in
propriis .personi. suis, et dictllm capituJllm per unum, idem-
c1erus per duos pro curato res idoneo., plena m et suffieientem
potestatem ab ipsis capitulo et clero habenl"s, una vobiseum
ínter.int, modis omnibus, tune ibidem ae tractandum, ordi-
nandllm et faciendum nobi.eum et cum ereteris prmlatis et
proeeribus, el aliis incoJis regni n05tri, quaJiter sil hujusmodi
periculis ex exeogítatis malitiis ob.iandum .• (Ropor' o( ¡he
Lords' commiltees, etc., p. 210.)


(1) Par de. 1/Jrils du 1" oct. 1295.
(2) Par des writs dI! 3 oct.




EN ANGLETERRE·


députés soient munís de pleíns ponvoirs tt pour
)\ faire tout ce qui sera ordonné dans le conseil com-
" mUIl, de telle sorte qu'aucune affaire ne demenre
• en suspens faute de pouvoirs semhlables (1).)) Cent
vingt villes ou bourgs rel(urent l'ordre, a ce qu'iJ
parait, d'élire chacun deux députés, ce qui dut por-
ter le nombre des membres de l'assemblée lalque a
plus de troi8 cen! sllÍxante.


Les comtes, baroos et chevaliers de comté accor-
derent uu roi un onzieme de leurs biens meubles ,
les bourgeois un seplieme. Édouard eut 'de longs
déhats a soutenir avec l'nssemhlée du c1ergé, et fut
oblígé de se contenter d'un dixieme des revenus
ecclésiastiques qu'elle luí avait d'abord offert.


A dater de celte épnque, on doit' cOlISidérer le
varlement comme définítívement fondé. II fut con-
voqué onze foi8, si ce /l'est plus souvent, dans les
douze derllieres années de ce regne (2), et ron a
conserve les preuves directes de la cOllvocation des
députés des comtés et des villes a presque toutes
ces réunions (g). Telle était meme la disposition des
esprits, que le nombre des lIIembres de ces assem-


(1) • Ad faciendum quod de communi consilio ordinabitur
in prremiqsis, ita quod pro defectu hujusmodi potestatis nego-
Hum prredictum infectum non remaneat quoquo modo .• (Re-
pOTI o{lhe Lord,' committess, etc., p. 211.)


(2) Parliam. hi81., t. 1, p. 111-149.
(3) Notamment pour les parlemens de 1296 (Reportar/he


Lords' committees, etc., p. 219; Parliam, hiat., t. 1, p. 114), de
1298 (Partiam. hist" t. 1, p. 1241, de 1299 (Report oflhe Lords
cOn/mitteas, etc., p. 239), de 1302 (Reporl ofth. Lord,' c01lt-


:'.2




~50 DB L'ORIGINE UU 8YSTElIIB REPRÉSENTATIl
blées nationales allait croissant comme leur impor-
tance; il semble que de toutes parts se nt sentir au
roi la nécessité de rechercher de plus en plus les
conseils et l'appui de ses sujets. Ainsi le 29 décem-
bre 1299, Édouard adres~a des Wl'its aux deux chan-
celiers des universités d'Oxford el de Cambridge
pour lem' ordonner d'envoyer au pal'lement de
Lincoln quatre ou cinq députés d'Oxford et deux ou
trois de Cambrige, ct choisis parmi les hommes les
)1 plus sages et les plus versés dans la science du
" droit de chacune de ces universités (1) .• Le prin-
cipe de la nécessité du consentement en matiere
d'impót avait prévalu ; l'habitude des fréquentes
assemblées du parlement était prise; l'autorité rorale
ne pouvait plus s'exercer régulierement ni avec
force sans le cuncours et l'adhésion du pouvoir
national.


Ce fut, 011 n'en saurait douter, a la création de
ce pouvoir el a l'empire qu'il exer/(ait déja, que les
barons et le peuple anglais durent leur facile triom-
phe dans la derniere lutte qu'ils eurent a soutenir,
contre leur roi, pour la confirmation des chartes,
eL dont j'ai rapporté plus haut les vicissitudes. Tant
que les institutions avaient manqué, la guerre ci-
vile senle avait pu arracher au prince la reconnais-
sance des droits publics; et non-seulement, achetée


.nittee8, etc" p. 243; Edinbllrgh review, n. 69, p. 39), (Parl.
hist., t. 1, p. 141), de 1307 (ibid., p. 151).


(1) Parlo hist., t. 1, p. 129.




EN ANGLETERRE, 2lH
au prix de la guerre civile, cette recollllaissance
coutait toujours fort cher, mais, ce qui est plus
grave encare, elle en était bien plus précaire; cal'
en vain ]e combat est juste et]a victoire légitime;
les triomphes de force matérielle ont, par ]a nature
du moyen, qnelque chose d'impur qui leur nuit
dans l'esprit del'hommeetcompromet lem stabilité.
Edouard, malgré sa supériorité personnelle, n'était
pas plus enclin que ses prédéces~eurs a confesser
hautement et a constater , par de nouveaux aveux,
les droils de ses sujets. Il les avait plus d'une fois
méconnus et souhaitait ardemment d'en éluder la
so\enneUe déclaration. Mais la pensé e et la force
nationales avaient commencé a se manifester el a
agir par des institutions; sous le roi Jean, lesbal'OllS
avaient été contraints d'appeler I'étrall gel'; sous
Henri Uf, la résistance n'avait pu se prolonger que
par le souJevement désordonné et les pillllges de la
multitude. Sous Edouard Jer, les bllrons et les dépu-
tés du pays se réunirent en parlement; le peuple
s'assemblasur les places publiques et dans les égli.
ses; des démollstrations menac;anles et pourtant
lJaisibles suffirent pour imposer, a un prince ferme
et habile , ]a complete reconnaissance des droits
des citoyens. Ce qui était demeuré mobile el dou-
tellx apres les succes de la guerra civile fut aisé-
ment et a jamais consolidé par I'autorité morale du
parlement. Mais aussi, il faut ]e dire, c'est aux
BUCeeS de la guerre ci vile que le parlement lui-meme
étaitdu. ".'\'i¡'._~,


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20:2 DI L'Ol\IGUU OU· SYSTEnE RIlPRÉSENTATIF
J'ai suivi pas a pas les progre s de sa formation


el de son intervention dalls le gouvernement. I1ue
me reste plus qu'i1 faire connaitre ce qu'il était, sa
constitution intérieure et sa furme, lorsque, a la fin
du xm" siecle, il eut conquis, sans retour, sa place
a cote de la royauté.


n était composé, comme on voH, 10 des corntes
et barons talques, individuellement convoqués par
le roi; 2° desarcheveques, éveques, abbés et prieufs,
vassaux immédiats de la COUfonne, aussi cunvoqués
individuellement; 3° des députés, des chevaliers et
francs-tenallciel's des cumtés; 4° des deputés des
cités, villes et boul'gs.


Aucunc loi, aucun droit ancien et permanent ne
déterminait quels étaient les comtes, barons, abbés
el prieurs, que le roi était tenu de convoquer in di-
vidueIlement. Il en usait assez arbitrairement a cel
égard, omettant souvent d'appeler ceux qui s'étaient
rendus aUl: parlemens precédens (1). Ces omissions
donnaient lieu quelquefois, mais rarement, a des
réclamations, a moins qu'elIes ne portassent sur un


(1) Ainsi Edouard lA< avait convoqué, au parlement de
Shrewsbury, en 1283, cent ome comtes ou bdfons ; et au par-
lement de Westminstcr, en 1295, il n'en eonvoqua que qua-
rante-neuf ou tout au plus einquante-trois. Les derniers par-
lemens deson regneoffrent beancoup d'exemples d'irrégularités
de ce genre. On trouve a eette époque quatre-vingt-dix-huit
proceres, ¡a·¡ques, qui n'ont été individuellement convoqués au
parlement qu'une seule fois, et einqllante qui l'ont été deult,
trois ou 'Jnatre fois. (H.l.LLAM, Stale ofEurope, etc., t. 111, p. 186;
ReporloflkeLords'committees, etc., p. 190).




EN AI'IGLETEI)lm.


grand nombre de barons opposés au roi ou sur leurs
principaux chefs. L'importance d'un vassal immédiat
de la couronne etcle sa familJe était presque la seule
garantie desa convocalion personnelle au parlement.


tes bal'ons, vassaux imlllédiats, n'étaient pas seuls
illdividuellement appelés un ¡¡arlement; le roi yap-
}lclait souvent, de la mt'nnc f:u;on, les hommes con-
sidérablcs dont il jugeail a pro pos de rechercher les
consei/s et l'.1ppní, bíen qu'i1s ne tinssent alleune
tel'I'e de la courOIlIle; c'étaient les harons par writ,
el ils excr<;aicnt dans I'assemblée les memes droits
que les vassaux illlmédiats; seulement iI ne paralt
pas que le simple fait d'un writ de convocation leur
conférat un droit permanent et héréditaire a siéger
dana te parlement. De ce nombre étaient presque
toujours les juges et les membres du eonseil privé.
L'usage de eréer des barons ou pairs, soil par statut
du parlement, soH par lettres-palentes du roi, n'a com-
mencé que dans le cours du XIV· siecle, sons les re-
gnes d'Edouard m el de Richard II.


La convocation des députés des comtés et des
hourgs n'était pas encore une néeessité Iégale; au-
eun stotut ne l'avait consacrée. Mais c'était une né-
cessité de fuit, déjil convertie endroit dalls la pensée
publique, et sanctionnée par une pratique a peu
pres constante.


La convocation des députés des comtés était plus
certaille que eelle des députés des bourgs, paree
qu'eIle se rattachait a l'ancien droit de tous les vas-
suux immédiats de la couronne iI siéger dans les


22,




2a4 Di L'ORIGll'IE DU tiYSTEME REPRltSEI'ITATIF
eours du roi, et aussi paree que les ehevaliers de
comté étaient ene ore , dans l'ordre social, des
hommes plus importan s que les bourgeois. Cepen-
dant la eonvocation des députés des bourgs avait
déja pris, a la fin du regne d'Édouard ler, tous les
caracteres et la force d'une habitude.


Le nombre des députés des comtés et des bourgs
n'était point fixé ; le roi en décidait arbitrairement.
Cependant la convocation de dellx députés par
comté et autant par bourg passait en usage.


Rien ne déterminait quels bourgs devaient en-
voyer des déplltés au parlement; ceHe dé termina-
tion appartenait aux shériffs , a qui les writs étaient
adressés. Les écrivains torys onl prétendu que les
seuls bourgs originairement appelés a élire des dé-
putés étaient ceux qui faisaient partie des domaines
du roi. Mais ceLte assCl·tion esl démentie par les
rails; au parlement de Shrewsbury, en 1283, sié-
gerent des députes de Lynn et de Salisbury, villes
étrangeres uu domaine royal; il en était de meme
des bourgs d'Évesham, Tumbridge et Bletehingley
qui, en 129lJ, envoyerent des députés au parlement
de Wesiminster (1). On peut ranger SOllS trois clas-
ses les villes et bourgs qui jouissaient de ce pri vilége :
lo les villes et· bourgs qui possédaient des chartes
de corporation, re¡;ues soit du roi, soit de quelque
grand baron, leur seigneur; 2.0 les villes et bourgs
du domaine de la comonne que le roi avait origi-


(1) Edinb. re"., n. 69, p. 36.




EN Al'iGUTEnRE.


nairement le dl'oit d'imposer a son gré, droit que,
meme apres ceUe époque, il exereta encore assez
long-temps; 3° enlin les l'illes dénuées de charte,
mais importantes et qui pouvaient défrayer leufs
députés. Au fait, l'importance des villes et le be~
soin qu'on avait de leur conconrs étaient, a cet
égard, la seule regle, el les shél'iffs en usaient fort
arhitrairement, omettant SOllvent de faire élire des
députés par des bourgs qui les payaient peut-etre
pour se faire elispenser de l'exel'cice d'un droít
onéreux (1).


(1) En 1313, on voit les shériff du comtéde Buckingbam
déclarer qu'il n'y a, dans son eomté, d'autre hourg capable
d'élire que Wycomb, quoique les bour&s de Wendover, Ag-
mondesbam et Marlow eusseut déja deu1 foisenvoyé des dépu-
tésau parlement. En 1339, le shériff du eomté de Wilts, apres
avoir fait élire des députés pour Salisbury et deux bourgs, af-
firme qu'il n'y a point d'autre cité ni bourg dans son eomté,
tandis qne huit autres hourgs avaieDt élu pour lesparlemens
précédens. (HALtAM, SJate of Europe, etc., t. m, p. 166-170.)
De tels abus devaient elre bien plus fréquens sous le regne d'E-
dourd le,. C'est sans doute par cette cause que des villes appe-
lées bourgs, et d'aillenrs en posscssion d'une charte, D'avaient
jamais, avantla derniere réforme parlementaire, envoyé de dé-
putés au parlement. Les trois principales étaient Leeds, Bir-
mingham et lIIacclesfield. Dcpui. la formation du parlement
jusqu'a la mort d'Édouard III (1377), on trouve cent soixante-
deux bourgs, non compris les cité. ou villes épiscopales et les
cinq ports, qui envoyerent des députés au parlemeut. Ces
bourgs sODtfort inégalement répartis sur la surface de l' Angle-
terre; iI Y en a quatre-vingt-onze dans les aneiens royaume s
de Wessex et de Sussex, quarante-neuf dans l'ancienDe Mercie
et les royaumes dépendans de Kent, Essex et Estanglie, et vingt-




~56 DE L'ORIGINE DU SYSTtME REl'RtSl!lf'UTlf
Les chevaliers~députés des comtés étaient élus


dans la cour du comlé non-seulement, comme l'ont
pl'étendu les torys, par les vassaux. immédiats de la
couronne qui n'avllient pas été convoqués indivi-
duellemcnt, mais par les francs-tenanciers du
comté qui se rendaient habituellement aceIte cour,
soit puur l'administratioll de la justice, soit pour
régler en comlUun les intérets locaux (1 J. En U29


dellxdans le Northurnherlalld. (Edinb. t·e"., n. 69, p. 37.) On
voit aussi des bourgs '1ui se ¡Ollt décharger de I'obligation d'en-
voyer des députés en alléguant [¡u'ils sont trop pauvres pour les
défrayer. (Edinb. rev. t. xxvJII, p, 139.)


(1) Celte opinion, vivement contestée Bllj01lrd'hui encore
par les écri vains tory5, a été ,.ictotieilsement établle, iI diverses
reprises, dans I'Edinbufgh re"tew (t. XXVllI et n. 69). Je nepuis
rapporter ici toutes les objections dont elle a été l' objet et les
réponses qui les ont réfutées. Je me eontenterai de rappeler,
lo que lesfrancs-tenancicrs engén';ral, et non lesseul. vasseaux
immédiah de la conronne 1 siégeaient dans les conrs de comté,
soit pour y rendre la justicc, soit pour ré:;ler les intéret. locaux;
2° que les writs qui ordonnent l'éleclion des chevaliers de
comté sont conqus précisément dans les memes termes que
cemt r¡ni prescrivent 'lucl'luo éleclion ponr des aITaires pnre-
ment locales; ils portent également qne ces ehevaliers seront
élns .de assensu cornmunitatis comitntis, in pleno commitatn,
per totam commnnitatem comitatus, de arbitrio et asscnsu ho-
minurn comitatlls, etc.; , 30 ellG.ll, lors'ln'en 1505, sous le I'C-
gne de lIenri IV, on von1ut réforrner les ahus que les shérifs
avaient introduits dans ccs élections, pendant la tyrannie dé-
sordonnée de RichardU, un statnt ordonna qne tous le. assis-
tansa la cour de eomté, non-senlement ceu:!: quí avaicnt été du-
ment convoqués, mais aussi le. autres (probablernent cenx
qne le shériff avait a dessein omis de convoquer), prendraient




EN ANGLEl'ETRE. ~o7
el 14~:!., deux statuts de Henri IV limilerent pour
la premiere (ois l('s droits électoraux aux franes-
tenanciers en possession d'un revenu 'annuel de
quarante sehellings (1).


Aucun principe, aucune habitude générale ne
présidaít, dans les "iIles, a l'exercice des droits élec-
toraux. Elles avaient acquís successivement, el sous
mille formes diverses, des Iibertés plus ou moina
étendues. Les droits municipaux y apparlenaient,
tantOt a la corporation, plus ou moins Ilombreuse,
qui avait re~u une charte et tenait la viII e en fee-
farm, tantót a la collection des francs-tenalleiers qui
possédaient leurs maisons en burgage tenure, sorte
de tenure libre analogue a la: tennre en socage, ail-
leurs aux propl'iétaires de maiaons en général, quel-
quefois, mais plus rarement, a la totalité des habi-
tans. Quand tel ou tel bourg fut sommé d'envoyer
des députés au parlament, personne ne sOllgea a
considérer ce nouveau droit comme distillct des
droits mUllicipaux, ni a en faire l'objet d'lIn régle-
ment spécial. eette innovatioll prit le bourg dans
l'état ou elle le trouva; c'est-a-dire que les citoyens
qui, en vertu d'lIne charte quelconque et sous telle
ou telle forme, possédaient le droit de nOmmer les
magistrats uu de regler les affaires du bourg, exer-
cerent aussi celui d'élire ses députés. De la l'irré-
gularité des électiolls de hourg en Angleterre, et la


part a l'élection. (Sta/Idea at large, t. 1, p. 438.) Ce statut in-
dique clairement que! était I'usage des femps antérieun.


(1) Statutesatlarge, t. 1, p. 504.




258 DE L'ORIGI~E OC 6YSTE'\lE REPRlisENTATIF
facilité ave e laquelle s'y sont introduits le mensonge
et la corruption.


Comme, en un assez grand nombre de lieux, les
francs-tenanciers, habitans d'une ville, siégeaient
dans la cour de eomté, beancoup d'élections de dé-
putés de ville se faisaient originairement dans ces
memes COUI'S et par les francs-tenanciers de la ville
quí s'y rendaient, soít qu'ils exerqassent ce pouvoir
en leur propre nom, soit qu'ils y fussent autorisés
par leurs concitoyens (1).


Les writs portant ordre d'élire les députés de
eoroté furent, des I'origine, adressés aux shériffs.
Ceux qui ordonnaient l'élection des députés do bourg
le furent d'abord aux roagistrats municipaux. Leur
convocatÍon aux parlemens de Londres en 1264 et
de Shrewsbllry en 12Bg eut lieu dans celte forme.
En 1~95, Édouard ler adressa tous les writs, sans
exception, aux shérifl's, et tolle a été, depuis eette
époque, la pratique légale et habituelle. Sauf quel-
ques exceptions sous le nJgne d'Édouard 111 (2), les
cinq ports furen! les seuls bourgs dont les roagis-
trats continuassent a recevoir direeteroent les writs
de eonvocation.


Une derniere quest.ion me reste a traiter, ques-
tion grave, car elle se rapporte a un fait qui a décidé


(1) Edini,_ rev., t. XXVIII, p. 145.
(2) En 1352 ou en 1353, Edouard III adressa directement ses


tVrits aux magistrats municipaux, la premicre foi. pour dix
bourg-s, et la secondc pour trente-huit. (Edinb. re!?, n. 69,
p. 33~34.)




EN ANGLETERRE. 21>9
peut-etre du sort du gouvernement représentatif en
Angletene. n'apres qnels principes et sons quelles
fofmes se rapprochaient, a la fin du xm6 siiJCle, les
divers élémens du parlement? étaient-ils déja divi-
sés en deux chambres, ou venaient-ils se réunir
dans une assemblée nnique pour délibérer et agir
en commun?


On varie sur l'époque a laquelle le parlement a
définitivement revetu sa forme actuelle (1); mais
toutes ces variations se renferment dans les cinquallte
premieres années du XIV C siecle, et il est certain
c¡u'a la fin du xmC siécle, le parlemeut n'était.ni di-
visé, eomme aujourd'hni, en ehambre des lords et
ehamure des communes, ni réulli en un seul corps.


I,a vraie cause de cette diversité d'opinions, c'est
la diversité des circonstances qu'on prend ponr
symptóme de la fusion des députés de comté et des
députés de bourg en IIne seule assemblée. On a dé-
duit ce fait tantót de la réunion de ces deux classes
de députés dan s la meme enceillte, tautot de leur
discussion en commun, tantót de l'union de leurs·
votes dans les memes questions; et eomme chaeune
de ces circonstances se rencontre isolément dans
des parlemens divers, on a avancé ou retardé la
constitlltion du parlement sous la forme qu'il a C011-


(2) Carte la placeUa 17· année du regne d'Edouard DI (I344}j
les auteurs de l' Bistaire parlementaire, a la 6- année du meme
rllgne(I333); M. HalIam, a la premiere (1307), et peut-étre
merne itla 8' nnnée du I'e;::nc ¡J'Edotwrd 11 (I3 1 5). I'/;il'~~' ,


,".'t """4,




260 DB L' ORlGl''1E DII SYSTEME REPRtSIlII T.\TI'


sel'vée, selon qu'on a regardé tel ou tel sympt.c¡'''é
comme décisif a cet égard.


Au lieu de prétcndre assigner a ce fait une dale
précise, il faut suivre les gradations 'lu'il a travel'-
sées avant de s'accomplir. Cest le seul moyen d'en
bien comprendre les causes et la nature.


Originaircment, comme un I'a Vil, tous les vas-
saux immédiats du roi avaient le meme droit d'as-
sister uu parJement et de pl'endre part a ses actes.
Les simplcs chevaliers de cOluté, quand -i/8 s'y ren-
daient, siégcaient, délibéraient et vo.taient done
avec les bauts barons. Une assemblée unique for-
mait alors le grand conseil national.


Quand l'élection remplalta, pour les chevaliers de
comté, ce druit individuel, quand les élus des cours
de comté vinrent aeuis au parlen\l~nt, ils ne ces se-
rent point d'appal'tcnir a la c1asse 011 ils a"aient été
placés jusque-la. Bien qu:élus et envoyés, non-seu-
lement par les vassaux imlllédiats de la couronne,
mais par tous les fmncs·tenanciers de chaque comté,
ils continuerent, en vertu de Ieur anc¡en litre féo-
dal, a siéger> délibérer et voter avec les barons in-
dividuellement convuqués.


La présence des députés de bourgs au parlement
était au contraire un fait nouveau, et qui ne se rat-
tachait a aucun príncipe du sy8teme f'éodal, a aucun
droÍt ancien, exercé sous une forme nOllvelle. Aussi
fOl'luerent-ils, en alTivant, une assemblée distincte.
séparée des chevaliers de comté cOlllme des Val"ODs.




EN ANGI.ETERRE. 261
délibérant et votant pour son compte, qlland meme
elle siégeait drllls la meme enceinle.


CeUe séparation est évidente par les votes de sub-
sides ele eette époque. En 1275, les députés des
bourgs votent seuls, au profit rlu roi, un droit sur
l'exportatioll des laines el des cnirs. En 1290, les
<'OTlltes, barons et ehevaJiers de comté aceordent a
Édouard le, un onúcme de leurs Liens meubles, le
cIergé un dixieme, les eitoyens et bOllrgeois un sep-
ti eme. En 12!J6, les premieres classes aeeordent un
douzieme, la dernicre un hllitieme. En 1$00, les
barons et les chevaliers de comté votent un tren-
tii~me, le clergé un treutieme, les bourgeois un
vingtie,ne. En 1308, sous Édouard 11, les barons et
les chevaliers un vingtieme, le clergé un quinzieme,
les bOllrgeois un quinzieme. En 1993, sous
Édouard 111, les chevaliers de comté votenl un quin-
zillllle, cOlllme les prclals el les barons; les citoyens
el bourgeois un dixieme; cependant le yote des che-
valiers, bien qu'identiquc avee celui des baroIls, en
est distinet, et les registres de ce parlement portenl
exp¡'essément qu'ils ont délibéré en commun avec
les bourgeois. En 1M 1 , les Pl'élats, cOllltes el ba-
ron s d'une part, les chevaliers de eOlllté de I'autre,
accordent an roi 'e neuvieme de leul's bl'ebís,
agneaux et toisons, les bourgeoisle neuviclIle de leurs
biens meuLles. En 1 UO, le~ ehevaliers de eomté vo-
tent deux quinziemesde leul's biensmeubles, lesbour-
geois un einquiemc ; les barons s'engagcllt it suivre
le roí en personnc, et n'accurelent rien de plus.


23




262 DE ¡.'ORIGINE DU SYSTEME REPRÉSENTATIP
Les chevaliers de comté ent donc eessé de voler


en commun avee les barons; mais ¡Is votent encore
a part des bourgeois.


En 1347, les communes, sans distinetion, aeeor~
dent au roi deux quinziemes de leurs biens meubles
qui seront pert;ms, en deux ans, dans les eités, bourgs
et aneiens domaines de la eouronlle, et dans les
comtés. La fusiol\ des deux élémells da la chambra
des communes est done complete; elle continue
depuis eelte époque, bien qu'on rellcontre eucore
qllelqlles exemples d'impóts spéeiaux, votés par les
seuls députés des villes et bourgs, notamment en
13n (1).


C'était done entre les députés des comtés et les
députés des hourgs qu'avait lieu la séparation ori-
ginaire. Pendant pres de quatre·vingts ans les SOI1-
venirs dn droit féodal rallierent Jes prcmiers aux
}Jarons.


eeHe séparation ne se rapportait pas uniquement
au vote des subsides; tout indique que les députés
des corntés et ceu'!. des bourgs nc dé\ibéraient pas
non plus en commun sur les affaires, législatives ou
autres, traitées en parlement. Dans les questions de
paix el de guerre, les chevaliers de comté éfaient
consultés bien pltlS souvent que les hourgeois (2).
S'agissait-il d'intérets cornrne¡'ciaux? le roi en tl'ai-


(1) Bepart oflho Lards' cammittees, etc .. p. 329.
(2) Beport af the Lards' cammiltees, etc., p. 307; Parliam.


"iR/., 1. r, passilll.




EN ANGLETERRE. 26Sl
tait d'ol'dinaire avee les seuls députés des bourgs.
On a déja vu que le statut, dit d'A("ton-Burnelle, fut
rendu dans eette ville, de l'avis des bourgeois qui y
étaient seuls réunis, tandis que les chevaliers de
comLé siégeaient a Shrewsbury avec les barons,
pour assister au jugement du prince de Galles, pri-
sonnier. En rcvanehe, les chevaliers de comté fu-
rent seuls apllelés a délibérer sur le statut quia
emptores terral'um, relatif a l'aliénation des fiefs. La
séparation des deux c1asses allait done a ce point
que l'une des deux pouvait etre convoquée seu le,
ou que, convoquées I'une el l'autre, elles pouvaient
siegel' dans des villes diffél'entes.


Quand elles siégeaient dans la meme ville, nota m-
ment a Westminster, ]e pal'lement tout entier se
réunissait d'ordinail'e dans ]a meme enceinte; mais
a]ors les barons et les chevaliersdecomtéoccupaient
la partie supérieure de la salle; la partie inférieure
était réservée aux députés des bourgs.


00 rencontre, parmi les bourgeois eux-memes,
qnelques traces de c1a8sification; jusqu'au regne
d'Édouard 111 les députés des bourgs qui faisaÍent
}Iartie du domaine de la couronne formerent sou--
vent une classe a part, et voterent des subsides dis-
dinets.


C'est a peu pres ainsi que, vers la meme époque,
ou un pen plus tard, se formaient sur le continent
toutes les assemblées nationales. Ellesrapprochaient,
sans les amalgamer, les divers ordres de citoyens,
et metlaient en présence du pouvoir central tons les


...




264 Dl! L'081GIl'lR DU 8YSTblE REP8ESEN'l'ATIr
intérets spéciaux assez forts pour se délcnd,'e, assez
importans pour se faire ménage¡', mais sans les ame-
ner a s'unirdans un intéret génél'al. Lesidéesétaient
spéciales COIIIllle les intérets; chaque corporation
traitait pour son compte, et la c1assification de la
société se reproduisuit, rigoureuse et immobile, au
centre de rétat.


lUais cette c1assification destinée, sur le continent,
a se maintellir si long-tcIII[ls et a s'assujétir toutes
les institutions, devait bientot disparaitre, en partie
du moins, en Angletcrre. Les députés de eomté ne
pouvaient manquer de se séparer des hallts barons,
el de s'unir intimement ave e: les députés des bourgs.
J'ai dit comment s'accomplit progressivement le fuit;
en voiei les causes.


Si les chevaliers de eomté eontinuerent quelque
temps a siéger et a voter avee les barons, ce u'était
{fuere que l'effetd'ulI souvenir, un reste de I'ancicnne
similitud e de leul' situatíon féodale. Par la substi-
tution de l'élection au droit universel et personnel,
cette similitude avait déja re~m un grand échee.
Les causes qui avaient amcné ce changement con-
tinuaient d'agir. L'inégalité de richessc et d'impor-
tan ce, entre les hauts barons et les simples eheva-
liers de eomlé, aIlait croissant. Ladivisionprogressive
des ficfs diminuait le nombre des premiers, la force
individuelle des seconds. Chaque jour ]a position
social e des chevaliersde comté s'éloignaitdavantage
de celledes barons. Leur position parlementaire de-
vait suivre le meme cours.




El{ .tNGLETERRE. 261)
En meme temps tout concourait a rapprocher les


députés des comtés et ceux des bourgs. Ils avaient
la me me origine, et venaient au parIemeut en ver tu
du meme titre, l'électinn. Ni les uns, ni les autres
n'agissaient uniquement pour Ieur propre compte.
ne parlaient en leur propre nom; les uns et les au-
tres étaient chargés de défendre les illtéretsde lellrs
conciloyens, de leurs égaux. De la une grande ana]o-
gie dalls leurs dispositions morales el dans l'idée
qu'ils devaien! se furmer de leu/' mission, de leurs
devoirs, de leurs droits. De tnutes les causes qui
peuvent tendre vers l'assimilation des divers ordres
de citoyens, de telles 3nalogies sont les plus puis-
8antes, car elles agissent a rinsu des hommes et
sans avoir hesoin du concours de leur vo]onté. Par
la lo lien qui avait rattaché les éleetions de eomté
au droit féodal s'atténuait, s'usait, pour ainsi dire.
f/.e jour en jour. Les deux classes de députés corres-
pondaient également a des intérels locaux, inlérets
sóuvent les memes, ou de meme nature; les habi-
'tam des villes situées dans un comlé et les proprié-
taires ruraux formaient souvent les memes réclama-
tions el les memes vmux. Les cours de eomté étaient
d'üilleurs pour eux un centre commun ouilsse réu-
nissaient habituelIement; la, l'isolement et l'inéga-
lité, caracteres essentie]s de la hiérarchie féodale.
disparaissaient pour faire place a la délibération
commune el a l'égalité des droits; la, tous les fram'Cs-
tenanciers venaient, au meme titre, débattre en-
lIemble leurs intérets, concourir allx memes actes


23.




~66 DE L'OBIGINE DU SYST!¡ME REPRÉSENTATIF
de la vie politique, défendre de concert leurs li~
bertés. Ceux des villes s'y confondaient souvent
avec ceux des campagnes; souvent les élections du
comté el celles des bourgs s'y faisaient en meme
temps. De tels rapports d'origine et de position so-
ciale, entre ces deux classes de députés, ne pou-
vaient laisser subsister, dan s leurs positions parle-
mentaires, une profonde et durable diversité.


Enfinles hauts barons formaient seuls, aupres du
roi, un grand conseil distinct a la fois du conseil
privé et du parlement. lis se rassemblaient sonvent
en ceUe qnalité el indépendamment de tonte con-
vocation de députés élus, intervenant ainsi, d'une
fa<;on presque permanente, dansle gouvernementde
rétat. Les dépntés des comtés el des bourgs au con-
traire n'y paraissaient que plus rarement el pOllr
des nécessités particulieres. lis [venaient exercer
des droits, veiller a ]a garde de leurs libertés ; mais
ils ne gonvernaieut point, ne se disputaient point le
pouvoir central, n'y étaient pas habituelIement as-
sociés. Qu'ils parussent au nom d'un comtéon d'une
ville, leur situation polilique était en ceci la meme,
el tres différenle de celle des barons ; nouvelle cause
qui tendait a lesdistinguerprofondémentde la haute
aristocratie et a les réunir entre eux.


e'est la le grand fait qui a décidé de la des!inée
du parlemen! britannique. A eux seuls , les bourgs
n'auraient jamais eu assez d'importance ni de force
pour enfanter une chambre des communes capable
de résister tantót au roi, tantót aux harons, et de




El{ ANGLETERRE. 267
conquéril', sur les affaires du pays, une influence
toujours croissante. Les villes le tenterent en Franee
et échouerent dans leur tentative ; pOUl' se défendre
d'une ul'istocl'utie 0\"l\wess\ve, i\ ne \eUl' resta d.'au\re
ressource que de se dévouer a la ca use de la royauté.
En Angleterre l'arislocratie, ou plutót la nation féo-
dale, se divisa en deux parts ; la plus nombreuse, la
classs des chevaliers el des francs-tenaneiers de
eomté, s'amalgama avec la nalion nouvelle qui se
formait dans les vilIes ; de la naquit presque aussitót
une chambre des communes imposante, nécessaire.
et qui, forte des libertés qu'eIle possédait déja, n'eut
pas besoin pour les conserver ou les étendre, de
rechereher le périlleux seeours du pouvoir absolu.
Les. barons , de leur cólé, apres avoir soutenu les
premiers, avec l'appui des chevaliers de eomté, la
lutte du droit eontre la tyrannie, furent naturellc-
ment amenés, par la présenee seule d'nne assemblée
plus populaire que leur coalition , a se rapprocher
de la eouronne, a devenir ses conseillers nécessaires
et habituels, conseilIers assez forts pour garder une
grande indépendance et pourtant hors d'état d'an-
nuler la royauté. Dans la chambre des lords se fit
l'alliance de la haute aristocratie et du treme; dan s
la chambre des communes ceUe de l'aristocratie
morenne et du peuple; rune fut long-temps le siége
du gouvernement; l'autre, sans prétendre a gouyer-
Der, suHit long-temps a la défense de la liberté. Ac-
complie au commencement du XIV' siecle, cette
double combinaison ne devait meltre l' Angleterre a




~68 DE L'ORIGIIIE DU 8YSTtl!lE REPRtSEIIUTlP
l'abri ni des essais du despotisme ni des crises de.
révolutions, fléaux ou nécessités qu'on ne dompte
pas si aisément ni si vite, cal' leura causes sont pro-
fondément enracinées dans la nature des choses hu-
maines; maís elle était, a cette époque, le meilleur
résultat politique que put enfanter l'étal social, et
valut des lors a l' Angleterre quelques-uns des prin-
cipes et des élémens fondamentaux du seul systeme
de gouvernement qui ouvre aux grands peuples la
carriere de la liberté .


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RÉSUMÉ. /'.:1'"
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-- .,~,.~ ,:o':!!f )
4 '~"""? ~ ¡.


',1,t .!."j,./
Je touche an but que je me suis proposé."~·


assisté en France et en Angleterre, a la formatiou
primitive de la société et des iustitutions; je m'ar-
rete an moment on la direction poli tique des deux
pays me parait décidée, du moios pour des siecles.
Depuis la fin du xm" siecle jusqu'u nos jours, toutes
choses ont tendu, en Franee, vers le triomphe de la
monarchie pure, en Angleterre, vers celui du gou-
vernement parlementaire. Les efforts de l'aristocratie
pour se saisir du pouvoir souverain, et les essais de
la nation pour se constituer, au centre de l'état,
selon le systeme représentatif, n'ont été chez nous,
durant ce long: ¡ntervalle, que des accidens, effets
de causes peu profondes, crises passageres on le sys-
teme monarchique a rencontré des obstacles et que1-
qlles périls , mais qui, en derniere analyse, n'ont
servi qu'a accélérer ses progreso Chez les Anglais, au
contraire, ce sont les tentatives de la monarchie
pure qui se présentellt comme des accidells, des
déviations momentanées de la route 00. s'avance le
pays. Le parlement britannique a trouvé, comme la
royauté fran9aise, des périls a redouter et des obsta-
eles a vaincre; l'históire des deux pouvoirs est pIeino
de vicissitudes, offre égaIement des époques de fai-
Llesse et presquc de nullité : mais, a tout prendre •




~70
c'est le parlement qui a présidé aux destinées de la
Grande-Bretagne comme la royauté a celles de la
France ; le pouvoit' royal aux bord~ de la Seine, le
pouvoir parlementaire aux bords de la Tamise, ont
toujours été la force supérieure et conquérante pour
qui nulle victoire n'était vaine et nnl revers mortel.


Puisque a dater d u XIV" siecle. depuis Édouard 1 er
en Angleterre et Philippe-Ie-Bel en France, tel a
été Je cours constant et général des événemens, il
faut bien que les causes en aient été placées dans les
temps antérieurs, et qu'a ~ette époque la question
du double avenir des deux pays fUt déjit décidée. Je
crois qu'elle I'était, el ce sont des causes que> j'ai
essayé de déméler en retraqant les faits : en voici
]e fidéle résumé.


En France aucun principe d'unité d'une part, de
l'autre aucun équilibre de forces ne purellt naItre
et se développer de bonne heure, avec l'empire de
la nécessité , dalls l'orageux amalgame des élémens
qui concoururent a former la natíon. Au moment de
la cOllquete, les G-aulois-Romains n'étaient plus un
peuple. car aucun esprit public, aucune insti1ution
poli tique ne les unissaient; peu apres leur établisse-
ment, les barbares eux-memes cesserent d'en etre
un , car les institutions et les mreurs qu'ils avaient
apportées de Germanie ne pouvaient, dalls leur
situation nouvelle, maintenir entre eme la société.
On ne vit point alors s'étahlir, entre les vainqueurs
et les vaincus, une lutte qui put amener quelques
résultats généraux; les uns étaicnt hors d'état de




RESUlIÉ. ~71
se défendre, et n'en conl(urent pas me me l'idée;
les autres étaient incapables de s'assujétir a une
organisatiun un peu réguliere, el n'en eurent pas
meme besoin. Le vaste territoire de la Gaule fut
couvert d'une mnltítude d'individus et de bandes
qui s'en dísputaient la possession ou le butin. Tout
y fnl en proie au combat désordonné des forces
individnelles : et Jes systemes d'institutions les plus
cuntraires y germerent en meme temps, sans que,
durant cinq sü"cles, aucnn pút prévaloir ni se régler.


A celte dissolution de toute société générale et de
tont gouvernement central, succéda une multitude
d'associations particulieres el de gouvernemens 10-
caux, d'abord presque absolument étrangers les
uns aux autres, unís ensuile par le faible lien d'une
subordination hiérarchique entre les propriétaires
du sol. Alors comlllenl(a la société féodale, seul
moyen qu'eussent trouvé les hommes pour sortir
enlin de la barbarie, mais société faible et incupa-
ble d'enfanter un vrai gouvernement, car ce n'étllit
qu'lIne eonfédération presque volontaire entre un
ccrtain nombre de despotes é/oignés les uns des au-
tres, tenant, chacun pour son compte, la part dc
population qu'ils possédaient dans une condition seL
viJe ou voisine de la servitude, et toujours prets it
receurir a la force, plut6t qu'a un pouvoir public ,
pour terminer Jeurs différends individuels.


Une foree supérieure, capable d'absorber toutes
ces souverainetes locales, de conqllérir de nouveau
tous ces pctits états, pouvait seule meUrc un tenue




272
a ce morcellement de la société et du pouvoir. Ce
'fut l'reuvre du systeme monarchíque, avidement
accepté par une muItituJe qui ne trouvait ailleurs
ancune garantie, et reponssé en vain, bien qu'obs-
tinément, par une aristocratie sans cohésion et sans
unité.


L' Angleterre offre un autre spectacle.
Aussitót apres la eonquéte des Normands, ear


/)'est la, a vrai dire, que eommenee son histoíre •
deux. forees générales 80nt en présence, eelles des
deux peuples; ¡'un se rallie aux aneiennes institu-
tions qui n'étaient point mOl'Íes et deviennent sa
garantie; l'autl'e se eonstitue' sur-Ie-ehamp selon le
systeme féodal qui élait Mjñ le sien. Un principe
d'unilé et un príncipe de l'ésistance sllbsistent , de~
l'origine, dans la société et le gouvernement.


Bientót le principe de résistanee se déplace; la
lutte des peuples se prolonge, mais sourdement ;
e'est entre le roi et les barona que s'engage le com-
bato Forte en naíssant, la royauté veut devenir ty-
rannique; sa tyrannie rencontre pour adve¡'saiJ'e
une aristocratie véritable, car la néeessité de se dé-
fendre contre les Saxons a fait prendre aux. barons
normands I'habitude d'agir de concert, et ne leur a
pas permis de s'jsoler de lenr roi pour s'ériger en
petits sOllverains. L'esprit d'associationse développe;
le maintien des instilutiolls saxonucs l'a conservé
dans la dasse moyenne des propriétail'cs; I'impossi-
bilité de la résistauce individuclle le fait prévaloir


,dans la haute féodaJité. L'unité qui nait de la déli-




aÉSUM~. 273
heration commulle etde l'union des force s entre des
égaux deviellt le contre-poids de l'unité du pouvoir
royal. La coalition aristoeratique qui s'est farmee
contre le trone soutient la lutte avec succes.


Elle l'a soutenue avec l'appui des prapriétaires
inférieurs , et n'a pu se disIJenser de faire reeonuai-
tre en meme temps leurs droits et les siens. Lorsque,
enivrée de ses victoires, la haute aristoeratie, une
partie du moins, veut a son tour devenir tyranni-
que, le roi, a son tour aussi, s'adresse a ces francs-
tenanciers des comtés dont 011 a appris a connaltre
I'importallce. Une portion d'entre eux se rallie a sa
cause. La coalition des hauts barons elle-meme se
divise. Un chef qui l'a long-temps dirigée et vou-
drait profiter seul de ses succes, le comte de Leices-
ter, se voit récluit a lutter á la fois contre le roi et la
plupart des harons. II cherche une force dans la po-
pulation des villes, et introduit ainsi, d'une maniere
générale, dan s les affaircs de l'état, l'élément dé-
lllocralique de la société.


La grande lutte terminée, ces nouveaux.-Ycnus ne
paraisscnt d'abord quc rarement. et a part de tous
les propriétaires de fiefs, dans I'assemblée de ]a na-
tion. Mais bientót les situations profondément diver·
ses se séparent; les situations analogues se confon-
dento La haute aristocratie se eOllstitue sous le nom
de chambre des lords, aupres du tronc dont elle a
limité et dont elle partnge le pouvoir. L'aristocratie
moyenne et la population supérieure des villes, qui
ne Ilcuvent prétendre iI gouverner et n'ont que


TOIIB. 11. 24




27.4 IlÉSIlMÉ.
des droits ti défendre, se réunissent dans la chambre
des communes; el la division de la nation féodale
crée une force capable de résister a la haute
aristocratie comme a la royauté.


Ainsi en France, depuis la fondation de la mo·
narchie jusqu'au XIV" sieclc, tout a été individuel,
les fOl'ces, les libertés, la résistance comme l'op·
pression : l'unité, principe de tout gouvernement,
l'association entre égaux, principe de toutes les ga-
ranties, ne se sont rencontrées que dans l'étroite
sphere de chaque seigneurie .ou de chaque cité; la
royauté a été nominale ; l'aristocratie n'a point formé
un corps ; il Y a eu des bourgeois dans les villes , et
point de bourgeoisie duns rétat. En Anglcterre, uu
contraire, depuis J a conquete des N ormands; tout a
élé collectif; les forces dc meme nature, les sÍtua-
tions analogues ont été contraintes de se rapprucher,
de se coaliser, d'arriver a l'unité par l'assoeiation.
Des son origine, la royauté a été réelle; cent cin-
quante ans apres son établissement, la féodalité
s'est brisée en dellx parts, dont l'une est devenue la
haute aristocratie, ¡'antre le corps des cummunes du
pays. Qui pourrait méconlla Itre, dans ce premier
travail de la formation des deux sociétés, dans ces
caracteres si di vers de leur premier agc, les vraies
causes de la longuc différence de leurs institlltions
et de lellrs Iongues destinées?


Avant llotre révolution, cette différence Jlouvait
attrister un Fran-;mis; maintenant, malgré les maux
que nous avons soufferts, rnalgl'é cellx que nous




RÉSU:nÉ. 2715
soufFririons peut-etre encore, il n'y a ¡JOint lieu
pour nous ti de telles tl'istesses ; le progres de l'éga-
lité social e et les )umieres de la civilisation ont pré-
cédé en France la liberté politique; elle en sera
plus complete et plus pureo La France peut con si-
dérer sans regret toutes les histoires; ]a sienne a
toujours été glorieuse, et l'avenir qui ¡ui est prornis
la dédommagera, a coup sur, de ce qui lui a man~
qué jusqu'a présent.


FIl'{.




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TABLE
DES MATlÉRES DU DEUXIEME VOLUME.


CSAP. III. Des Institutions politiqueli.
l. Des Institutions looales.
n. Des Institutionsoentrules.


1 n De la Royauté.
2° Des Assemblées nBtionale •.


Ve ESSAI.


Du caractere politique du Régime féorlal.


VI' ESSAI.


Des causes de I'établissement du Gouvernement représen-


:;
9


411
¡bid.


74


107


tatir en Angleterre. 127
Can. 1. Du gouvernement anglo-normand. 129


l. Du grand oonseil national, de Guillaume-Ic-
Conquérant a Jean-sans-Terre. 142


n. De la Royauté anglo-normande. 149
CUAP. n. Des Chartes. 157
CUJ.P. III. De la formation du Parlement. 195


Résumé. 269