PRINCIPES DU DROIT PUBLIC PARlS. - IMP. SIlfO)! RA~Ol'( ET COMP., UVE...
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PRINCIPES
DU


DROIT PUBLIC




PARlS. - IMP. SIlfO)! RA~Ol'( ET COMP., UVE n'ERFlJRTn, 1.




18
PRINCIPES


DU


DROIT PUBLIC
PAR


EUGtNE GRANDCLAUDE
DOCTElJR ET PROFESSEUR ES" THÉOLOGIE ET E~ DROIT CÁNON"


Aoreur du Brev/arium philo,ophia! "ha/astita!
<: et de divers ecrits tb~ologiqllCS.


PARIS
LIBBAIBIB JACQl1ES LECOFFRE
AIiCIIE~NE IfJ.ISON' PERISSG 'SERES DE PA.RI~


LECOFFRE FILS ET CJE, SUCCESSEURS
RIlB BOll'APARTI!!, VO


1872






PRÉFACE


1


A l'époqucotl, chez la plupart des peuples. tous
les pOllvoirs pllblics étaient concentrés dans les
mains de quelques hommes et pacifiqucment
exercés par cux, la scicnce du droi L social offrait
pell d'intéret; a peine attiraÍl-ellc l'attention des
csprits les plus cultivés: seuls les théologienset
les. canonistes s' occupaient parfois a déterminer
les principes fondamentaux sur lesr¡uels repose
l' onlre social.


JJflOlT I'na,,, a




VJ PREFACE.


Mais, aujourd'hui, comme on tcnd a corrompre
les mas ses a }' aide de faux principes et de théo-
ries fallacieuses; comme, au nom d'un prétendu
droit moderne, d'origine protestante, on s'éliwe
contre l'Église de Jésus-Christ; comme des catas-
trophes sans fin et presque sans exemples si-
gnalellt assez le danger des utopies les plus aceré-
ditées, il importe de reclifier les erreurs sur le
terrain meme OU elles se produisent.


On doit ajouter encore que, si la marche enva-
hissante de l' erreur, si la propagation rapide des
idées « nouvelles» rendent nécessaire Ja divul-
gation des vrais principes, la faveur dont jouis-
sent aujourd'hui certaines reveries sociales rend
celte meme di vulgation urgente. Les succes de
l'erreur réclamenl une prompte manifestation de
la vérité; el les maux que des théories insensées
déchaillellt sur la France et l'Europe crient as-
sez haut qu'il est temps de revenir a la vérité
immuable, aux vrais principes d'ordre et d'élluité
sociale.


Partoul, a ceUc heur'c, on cnlend proclame/' je




PREFACE. ,'11


ne sais quel droÍt moderno, inconnu aux siecles an-
térieurs j el le vulgaire, a force d'entendl'e répéter
ces assertions par tous les échos de la publicité,
a finÍ par les admettrc bénévolement. Aussi, de
nos jours, considere-t-on ces prétendus prín-
cipes comme autant d'axiomcs incontestables,
qui ne relcvent que d'eux-memes, ne souffrent
aucune contradiction, et servent de regle ou de
critere pour j uger toutes les doctrines et toutes
les institutions. Ce serait presque une témé-
rilé que de youloir les révoquer en doute, et
l'on traite de novateur et de réactionnaire celui


qui ose songer il les soumettre il un examen que!-
conque.


Tout le lravail des philosophes, tou te la sagacité
des jurisconsultes et des hommes d'État, toute
l'étude des théologiens, devraienl done consister a
tirer les déductions logiques de ces principes, a
les appliquer soít a l'Églisc « perfectíunnée, »
soíl a l'Élat rcnouvclé.


Voilil a peu pres le role qu'on YOlldrait imposer,
memo ü ceux auxqucls Jéslls-Chríst a prescrit




,'111


d'annoncer et de prop::lger la vérité surnalurclle ;
voillt ce qu'on ose encore prétendre aujounl'hui,
apres que la voix des calamités sociales a proclamé
si haut le vice sataniquc de ces doctrines « mo-
dernes. »


*
... ...


On pourrait demander ici comment il se fail
que l' el'reur soit si populaire, lorsqu' on trouvc
encore dans la société tant d'ames droites, Lant de
c~urs honnCles, tant d'hommes vraiment catho-
liqucs p::lr la volonté. Un Lel désord¡'c dans les es-
prits peul-il done se concilier avec une certaine
droiture eL une véritable probité dans les CCBurs?
Ce fait paradoxal trouve son cxplication naturelle,
f'::¡cilc el complete, dans la maniere dont les opi-
nions se propagent.


Qui ignore, en effel, que la force de l'habituJe
c:mlr.lctée, de l'impulsion regue, est pour le com-
mun des hommes beaucoup plus grande que ceHe




PP.EFACE. IX


de la raison et du droil ? Or l'habitude se contracte
uniqnement par des acles répétés, bons ou mau-
VUlS.


Quand une doctrine fausse fait son apparition
avec un certain art el sous des dehol's spécieux,
une intime minorité, que dis-je, une impercep-
tihle fl'action de la soeiélé, découvre ou pressent
l'erreur plus ou moins habilement voilée. Le vul-
gaire néglige ces théorics, ou les w.;oit d'abord
comme légerement paradoxales, ou sous bénéfice
d'inventaire; un vague scntirncnt de défiance
pourra tout nu plus s'éveiller dans les esprits.


01', que faudra-t-il pour que le paradoxe se
transforme en opinion commune, en empnce
vulgaire, en préjugé universel, et finisse meme
par rendre paradoxal tout sentiment opposé? Il
suffit, pour eetLe multitude flottante, toujours
inattentive el légere, toujours mue par l'exemple
el par cnlrainement, de faire souvent répéter les
memes ehoses, de les reproduire par tons les
échos de la publicité, en un mot, d'y familiariser
les oreilles. On poul'rait dire avec trop de vérité




x PRÉFACE.


qu'aujourd'hui on serlllC au bon public ses opi-
nions DU scs croyances politiques : l'instrument est
la publicité, et le mobile consiste dans le sensua-
lisme, la vanité, I'égolsme abject et les autrcs
vices des hommes.


II


Mais quel remede peut-on apporter au mal que
nous venons d'indiquer? Comment la controverse
chrétienne accomplira-t-elle sa mission? Quels
moyens seront efficaces pour rétablir la ,érité dans
ses droits de reine des intelligences, et la j uslice
dans sa domination sur tout ordre poli tique et
social? Comment proeéder dans cette muvre pour
lui ménagcr toutes les chances possibles d'un
prompt sueces? Comment, en un mot, pourra-t-on
reconquérir a rÉglise de Jésus-Chl'ist le tcrrain
que le rationalismc lui dispute avcc tant d'habi-
leté et d' astuce?




PRÉFACE. Xl


n faut bien l'avouer, la tache de ceux qui, a
notre époque, veulent réfutcr les préjugés vul-
gaires est pénible et ingrate. Celui-la seul, en
effet, peut se promettre quelques succes et se mé-
nager la favcur publique quí marchcra dans le
sen s dcs vices populaires, qui flaUera les convoi-
tises les plus immorales et les plus illicites; mais
a l'apologislc de la vérilé et du droít sont unique-
ment résCl'vées l'indifférence, meme de ceux qu'on
nomme vulgairement les honnetes gens, et la
haine implacable de tous les sectaires.


Toutefois les circonstances sont te11es, que le si-
lence ou une atlitude purement expectante serait
coupable: ce Il vicndra un temps, dit l'apotre
saint Paul, OU les hommes ne supportcront plus
la saine doctrine; mais, poussés par un véhément
désir d' enteIlllre ce qui les flatte, ils auront 1'e-
cours a une fonle de docteu1's propres a satisfaire
leurs convoiliscs; et fe1'mant l'oreille a la v~ité,
ils 1 'ouvriront a des fables. !\Iais toi, vcille et ne te
refuse a aucun travail; fais l'reuvre d'un bon




XII l'RÉFJ\CE.
évangéliste... Presse les hommes a temps et a
contre-temps!. »


Le rationalisme contemporain, apres avoir po-
pularisé dc faux principes sociaux, principes f1ui,
grace a l'ineptie et a la fl'ivolité des hommes, sont
enfin re~us comme d'étel'llclles et immuables vé-
rités, exploite rnaintenant contre l'Église le ter-
rain conquis j a 1'aide des théorics qu'il a hahi-
lement propagées, il attaque d'unc maniere
directe l' épouse de Jésus-Christ, délaissée par
un bon nombre d'enfants ingrat.s.


Assurément les réfutations partielles de ces
fausses et pernicieuses doctrines ne font pas dé-
faut j mais cornme les questions fondamentales eL
le lien logique des príncipes restent dans I'omhre,
ces points secondaires peu vent se preter a d 'in-
terminables controvel'ses. El le fait n' a-t-il pas
suffisamment prouvé qu'il en est ainsi ?


Une exposition synthétique des doctrines, a
partir des notions primordiales d' une évidence


1 JI Tunolh., IV, f -5.




PREFACE xm


immédiate, pOllrrait done concourir utilement a
la défense de la vérité; e'est meme le seul moyen
de produire la lumiere chez les hommes d'intel-
ligenee et de bonne volonté; or ceux-ci, il faut
bien l'espérer, triompheront un jour de l'ineptie
du vulgaire.


* ~ ..


Le caraclere de la polémique contemporaine
semble encore contirmer eclle apprécialion. En
effet, eelte polémique, dan s le domaine des ques-
tions sociales el en dehors de l'enseignement ca-
tholique, ne présente d'autre aspect que eclui
d'une lutte de tendanees divergentes ou eontra-
dicloires, d'une opposition de partis qui pour-
suivent des buts divers : le but, bon ou mauvais,
utile ou pernicieux, est le seul critere des doc-
trines. Les princi pes les plus sacrés de la religion
et du droit, naturel ou positif, sdnt tour a tour
aftirmés ou niés, loués ou conspués, selon l'in-


'.




XIT PRÉFACE.


téret du moment; tout revct le caractere de mOJen
par rapport a la fin pOllrsuivie.


Le but prochain est done la seule regle im-
muable, le seul élément fixe de nos politiqucs
modernes, qui prennent leurs expédients étroits
pour de grands príncipes. Tout ce qui est en
dehors de la fin poursuivie no pout avoír, pour
eux, que la valeur de moyens libres ou indiffé-
renls de leur nature: il constitue cornme l'élément
variable des controvorses. CeUe fin, du reste, ou
ce but, n'est autre chose, en réalité, que l'intérct
privé el exClusif d'un hornmc ou d'un partí, in-
téret plus ou moins habilemcnt voilé saus les
dehors spécieux du bien public.


Aussi le moraliste attentif ne pcuL-il consta ter
sans étonnement la prodigieuse variété de ce
qu' on nornme «( les opinions, » et le caractere in-
dividualiste qu'elles présentcnt; et ce fait par
lui-meme prouve assez que les vrais principes
font défaut, el que l'intéret, les goiits, les convoi-
lises et les instincts subalternes sont la véritable
regle.




PRÉFACE. xv


Les prmelpes, proprement dits, sont univer-
seIs, eommuns a tous eeux qui se sOllmettent
a l'empire de la raison droitc¡ l'jntéret, au
eontraire, el les gouls sont la souree du partieu-
Iarisme le plus étroit. La raison de la diversité
que nous signalons est done dans l'absenee des
vrais prineipes et la domination exclusive de
l'intéret matériel..


Les opinions, pour le vulgaire des hommes
étrangers au catholieisme, sont done une affaire
d'impression aveugle et non d'intelligence, de
eaprice et non de jugcment, d'intéret ou d'utilité
humaine et non de eonscienee ou de j ustice; e' est,
en un mot, quclque cllOse d'instinetif ou d'inoeulé
par le journalisme, el non de réfléehi et d' accepté
apres mur cxamen. Ces prétendues eonvietions,
parfois aftirmées ave e une ridieule emphase de
Ioyauté, s'adoptent eomme les modes et disparais-
sent aussi rapirlement, dll moins chez la fonle
béate qui regoit l'impulsion.




XVI PREFACE.


*
.. .


On voÜ assez comb~en il importerait de rame-
ner les questiolls a lcur véritable point de vue :
sorlil' du fait variable pour s'éJever jusqu'au droil
absolu, s'affranchir des instincls aveugles et des
sentimenl.s irréfléchis pOUI' se soumettre aux lois
immuables de l' équité et de la saine raison, telle
seraÍl ia condition requise pour juger sainement.
Il faudrait done s'cfforeer de soustraire quelque
peu les esprits a la considération exclusive de l'in-
téret matériel du moment et des préj ugés du jour,
pour les élever aux principes éternels du juste el
de l'injuste.


eelte tache, qui toujours a été laborieuse, est
aujourd'hui tres·difficilc; elle vient, en effet,
heurter contre un double écueil : la frivolité des
hommes, a nolre époque de décadcnce moralc, el
les préjugés avcugles et invétél'és. Des le début il
faudra parler, pour ainsi dire, une langue étran-




PHÉFACE. XVII


gere ou surannéc; cl le nombre de ceux qui ont
encouru l'anatheme donL parle saínt Paul : Tra-
didit illas in reprobwn sensnrn, c'est-a-díre qui
ne per~oivent plus la vérité, n'est que trop consi-
dérable. Et parmi ceux qui ont conservé un creur
apte a recevoir la vraie directíon moraJe, combien
80nt incapables d'une attention soutenue!


eelle étude du faít et ce bilan de la situation
intellectuellc eL moralc ne sont certes pas cncou-
rageants i néanmoins ii importe de ne négHger
aucun moyen de ramener les esprits eL les emurs
dans les voies de la vérité eL de la justiee. e'esL
pourquoi nous avons cm utile de tentcr une expo-
sitian purcrncnt didactiquc des príncipes fanda-
mentaux du droit public, sans nous préoccuper
directement ou indirecLemen t des personnes, ni
meme dcs événernents, malgré leur gravité exeep-
tionncHe. 11 s'agit done uniquemcnt iei du droit
el des principes abslraitsj el cctte étude a pour
oLjet lc seul droil public fondamenlal.


JI n' esL pas meme question de ce qu' on nomrne
mlgairemenL aujourd'huí « droil public, » c'est-




XVIII PRÉFACE.


a-dire de la forme constitutionnelle pasitivc d'unc
nation détel'minée i ee droit publie, en erfet, qui
repose souvent sur le caprice d'un ou de pIusicurs
hommes, et n'a généraIcment qu'une cxistellce
éphémere, ne saurait recevoir le nom de droit :
il appartient purement et simplement a I'ordre
des faits transitoires.


'" ....


Dans natre exposition, nous avons pOUl' regle
absolue l' autorité de 1'Église, pour guide l' ensei-
gncment des docteurs catholiques j nous nous ap-
puierons en outre sur les données eertaines, évi-
dentes et incontestables de la raison naturelle.
L'aulorité déterminera pour nous les limites de
toutes les questions, séparera la vériLé des erreurs
pernicieuses, et les dogmes définis des doctrines
librement controversées. Le Syllabus, ce miracle
de la prévoyance pontificale, el les canons du
concílíum Vaticanum seront nos principales regles
directives.




PDÉFACE, XIX


On se propose lei, non de résoudre dans un
sen s exclusif el de dirimer les questions fondamen-
tales du droit public, mais d'indiquer le plus
nettemenL possihle, u'un cOté les points absolu-
ment cerlains, el de l'autre les limites extremes
des opinions permises. Nous rechercherons, par
eonséquent, 011 ecssc la libre controverse et com-
menee la témérité coupable, de meme que la ré-
volte ou verle contre les décrets infaillibles de
l'Église, ou finissent la raison droite, ainsi que
les lois de l'équité, et commencent la raison dé-
voyée, les théories dangereuses et la perversité
condamnable. L'honnele homme, le chrétien ne
peut légitimement choisir que dans le domaine
des opinions de libre cOlltroversc; il reste lié et
astreint dans toul ce qui esi des doctrines divine-
ment imposées a notre croyance, ou meme intrin-
sequement évidentes. N/ost-il pas conforme a la
lIature des cllOses que l'intelligencc soit assujettie
a la vérité, et que la volonté soit soumise aux lois
de la j usliee et de la mOl'ale?


L'Églisc, qui frappe hardiment d'anatheme
"ii~
• \




xx PRÉFAC~.


toule iniquité el assujettit d'une maniere inflexible
et immuable la raison humaine aux dogmes ré-
vélés, laisse néanmoins a ses enfants pleine liberté
dans le domaine des opinions proprement dites :
ee qui est simplement probable reste de libre
éleetion.


Le magistere de l'Église esl seul iei-bas l'organe
infaillible du vraij or, la vérité de Sa nature est
une et indivisible; l'Église doil done se montrer
intoléranle dans tout ce qui est des vérités ab~o·
lues: ee n'est qu'a ee prix qu'elle peut eonserver
son earactere de témoin authentique de I'éternelle
vérité. Mais, d'antre part, nul n'ignore que la
maxime « in dubiis libertCls » a élé de tout temps
préconiséc par les théologiens catholic{ues.


*
. ..


Quant au mode d'exposition qui a élé adopté,
iI est purement didaetique. Nous nous adl'essons,
non a eeUe roule ignorante et légcre qui ne peut




PIlÉFACE. XXI


s'élever au dela d'un article de journal ou d'une
brochure de circonstance, mais uniquernent aux




esprits cultivés et aux hornmes sérieux.
n s'agit, dans ceUe publication, des principes


les plus élevés de la philosophie sociale, et d'une
dérnonstration proprernent dite de ces principes
a partir des notions fondamentales. 01', on ne ré-
sout point ces questions avcc des phrases vides et
sonores, des rnétaphores brillantes ct des considé-
rations plus ou rnoins piquantes et ingénieuses
sur les personnes et les choses du temps. Il faut
des raisonnements clairs, précis, rigoureux en
eux-memes, et exprirnés avec toute la clarté dont
la maliere est susceptible.


Ce n'est done point a la plebe des intelligenees,
classe de plus en plus nombreuse dans nofre siecle
des lumieres, que s'adressc cel ouvl'age : une ex-
position quelconque des doctrines qu'il renferme
ne sera jarnais assez claire poul' eette catégorie.
Une instruction préliminaire est requise, avec
l'habitude de la réflexion, pour bien saisir ces
vérités, qui sont l'apanage d'une cerlaine aristo~


DROIT PUEL. b




XXII PRÉFACE.
cratie intellectuelle; celle-ci, en effet, seule com-
prend la valeur des príncipes, et n' est point étran-
gere aux véritables étudcs philosophiques.


Que lel bourgeois, meme député, préfet ou mi-
nistre, manifeste avec une solennité olympienne
son dédain pour ces queslions, réputées par luí
stériles, oiseuses et inintelligibles, qu'il appelle
reveurs et idéologues ceux qui s'en occupent,
qu'il préconise les utopistes uu temps, qui sont a
ses yeux les hommes pratiques, il resle dans son
róle: N'appartienl-il pas a ecLte bourgeoisie inlel-
leetuelle, qui ne peut saisir autre ehose que le
eoneret et le tangible?


Qu'un journalisle, frivole el sceptique par pro-
fession, renvoie aux temps de barbarie cette méla-
physique qui « choque notre ere de haute civil isa-
tion, » nul ne s' en élonnera; si le sérieux venait a
etre gouté et I'ineptie prise en pitié par les lec-
teurs, que deviendrait l'induslrie des folliculaires?
Mais malheureuseme:r;tl, il est loin d' en elre ainsi
a notre époque ; el s' il y a en France une immense
muILitude de nobles intelligences el de creurs




PRÉF.-\CE. XXIII


honnetes, il Y a un nombre plus grand encore de
eeux dont parle saint Paul, lorsqu'il dit: « Ani-
malis hamo non percipit ea qUa3 sunt spiritus Dei;
l'homme terrestre el charnel ne pen;oit pas ce
qui esl de l' esprit de Dicu l. »


lICor., 11, 14.






PIUNCIPES


e J lA PI T RE P R IDIl E It


VRAI CONCEPT ET FONDEMENT PRIMORDIAL DU DROIT


La vérité et I'errenr, le biell et le mal. se disputellt
la possessioll de l' esprit et du cr.cur de l'homme: aussi
á cóté du dogme róvólé Lronvons-nons imariahlement
I'hérésie ahrlltissallte; a cóté d'une vérité rationnelle,
llui s'impose iJ notre intelligence, l'errenr, qui ose
~'affirmer impudemment; it cotó d'une lui morale, JI'
vice qui la nie et la supprime. Il n' est donc pas éton-
nant que le jurisconsultr·, en face .In vrai conccpt 1111


IlHOIT Pl'DL.




2 CHAPo L - VnAI CONCEPT


droit, décollvre une notion fausse ot peruicieusc. Le~
convoitises illicites ot I'esprit d'indépendance ont trop
besoin de décliner l'autorité des lois divines et hu-
maines, pour respecter et laisser iHtarte l'idée mcme
de la justice.


Il y a donc une notion du droit, malheureuscment
la pius répanclue aujourd·lmi el mcme la seule vulga-
risée, qui est allssi fallsse (pIe perniciellse. eetle no-
tion, eH tant (lile cloelrillale d ~eielltitir¡\I(" est une
invention recente clu rationalisme. Elle a son fondr-
ment logique dans I'athéisme 011 le panthéisme, re quí
du reste l'evienL au mcme j le panthéislTw, en dfet,
n'est autre chose que l'at)¡{~isrne renforré de tOllte la
folie de l' orgllcil hurnain. Cette notion « moderne »
a sa source historiquc dans )'individualisme protes-
tan! ou la doctrine du libre examen; elle consiste ;'¡
faire jaillir llniversellcment le droit, et, par co\1st'!-
quent, le devoir, de' la scule mloJlté de I'hOfl1Jlle;
ainsi le clroit n'est alltre ehose lju'UI1 eOlnmandrlllent
ou une ¡Jure détermination de la volonté humaine, it
l'état eolleetir ou distrilmtif; el e'est en ce sen~ que
le ralionali~llw dit, avec le cocle Justinien : J w; est id
'luod jllSSWIt est.
~Iais il est a remarquer et il constater que cette dé-


finition du droiL romain est plus vraie et plus exacte
({ue ce He du rationalisme moderne ; ceHe-lit en effet
appelle droit ce qui est imposé, non par la volonté de




ET FONDE~IELiT PlUllORDIAL DL' DROIT. ;)
chaque individu, mais par une autorité légitime, di-
Yinc ou humaine.


* ....


L'homme, d'apres le eoneept rationalisLe du droit,
est done envisagé, du moins cn fait ct pratiquemcnt,
eomme un ctre indépendallt ¡J'une pllissanee qucl-
conque ¡'~trangcre ú J'humanité : tout elroit qui s'im-
pose i1 l'hOHlIlJC uoit émancr de l'hoIlll1le. Cest pour-
(IUoi notre raison individllcllc est réputéc autonorne \
e'est-a-dirc, est it ellc-fIIümc sa propre loi, OH n'esl
soumisc origiuairernent il aueune direetion extérieurc;
notre raison, affrauehie Je tontc cause dirigeante ob-
jective, constitne done pOllr nons la regle pratiqne du
vrai et du .iust(~.


La yololltó ¡J son tour (~st origillairement antonollW
ou indépendante dc tontc ri:glc morale qui procéde-
rait du dchors, OH conslstcrait el! antro ehose que
dans la purc eonviellon slIbjcctiye.


Ainsi tonte loi, c'esL-ú -dire tout droit el tontc
regle morale, jaillil lIéeessairement, d'une maniere
OH d'une :mtre, de ia seulc r<liSOH el de la senle YO-
IOlltl' dc l'hommc. Ancun droit social ne s<lurait cxis-
tcr qui IIC découlat originairement des yolontés indi-


, '""', "',h", """, "',," ,,,,, (" roh.,,,(i,,,, ¡"'f"" o
~o




CIlAP o I. - oVRAI CONCEPT


viduelles; et nul poúvoir législatif ne peut litre
légitime qu'autant qu'i! sera, a un titre quelcollque,
la volonté colleetive de c{~ux qu'il régit. Le droit aura
UOllC sa source adéquate, pl'Ochaine ou éloignée, dan~
l'homme; il ne pourra litre autre chose qu'un juge-
ment ou une aflirmation purement humaine, d'ail-
leurs lihre en elle-memeo


Par suite, le droit individucl sera le jugement ar-
reté ou la pllre conviction de l'inuividu sur ses propres
prérogatives; le uroít social sera l'opinioll arretée ou
fixée de la communauté, 011 du moins ue la majorité
des citoyens, sur l'organisation ci,oile el polítique j
d'nn cóté comme de l'autre, le droit n'aura rien d'ab-
solu et d'immuable; la cor:.viction venant a changer
duns l'individu, et l'opiuion uans la lTlultitude OH la
communauté, le droit changera par la H1(;H1eo


On ne prétend pas assuróment que tOIlS le,; ratio-
lIalistes soienL uisposés ú rcconnaitrc l'cxactitude de ce
résumé, et a ratifiC!' ceUe expo~ition, d'ailleurs fidele,
ue leur doctrine. On sait qll'ils ont horreur de l'af-
firmalion neUe et précise, et qu'ils avancent sans dif-
ficulté et mrme sans ad\Oerlance les sentiments les plus
contradictoires; ils se rn(~lIagent volontiers el comme
parin~linct la faculté d'adm~ttre ou ue ni el' an be"oinla
nH~me ehose. ~éanmoins tout obscrvateur atlentif et sé-
ricux constatera sans peine que la notioll plus ou moins
(~onfuse dn droit, actnellement en honlleur dans le




ET FONDEMENT ,PIlUlOnDlAL DU DROIT, ;¡


camp rationaliste, est ecHe qui vient d' eh'e repro-
duite.


Voila donc, en réalilé, le fameux « droit mouerne »
envisagé dans ses premiers príncipes, Ainsi, d'apre~
cette notion, mon uroít subjectif, ou ma iibre faculté
d'agir, !l'est alltre chose qlle lIla convidioll person-
nelle, Oll lc jugelllent que je forme en moi-memc sur
mes prérogatives; le droit objectif Oll la loi, c'est-a·
dire la regle du droit subjectif, cOllsistera égalemenl
dans les affirrnations individuelles ou collectives des
hommes, prises a l'étal réflexc.


Ce droit, assurément, est assez commode pour ne
provoquer aucune opposition; il est assez flexible
pOllr s'adaptcr a tous les vices et a toutes les divaga-
t.ions humaines ; il flaUe assez toutes les LOllvoitise~
pour étre facilement accllcilli.


Ce, simple ex posé nous revele pourquoi, a notrp
epoqlle, le mol de (1 conviction » joue un si grand róle
dans la littérature philosophique des libres penseurs;
voila aussi pourqlloí tOllt pouvoir, comrne tout indi-
vidu, doit, d'apres nos moralistes indépendants, res-
pectcr « toutes » les convictions ; cnfin \'oilil pourquoi
dan s le camp du rationalisme, OH s'élcve avec tant de
force s contre le pouvoir directif de l'Église, qui « pré-
tcnd » diriger les convictions, c'est-a-dire régler la




CHAPo I. - VHAI CONCEPT


croyance, d'apres la loi invariable du vrai, et les ac-
lions, d'apres la regle inflexihle OU juste.


eeHe doctrine moderne a une double conséquence
imméeliate ~t nécessaire; \'une par rapport au droit
lui-meme, l'autre par rapport ú DieIJ.


D'abord elle rend le droit mllable et changeant se-
Ion toutes les fluctuations de l'esprit et de la vo-
lonté de l'homme. Si la raison est autonome, ou n'a
d'autre regle qu'elle-meme, il est manifeste que l'es-
prit, rejetant un précepte moral, enleve a celui-ci
tout caractere de \oi 011 toute valeur ohligatoire : la
volonté, d,ms l'ordre intime et moral, n' est sOllmise
qu'a la conception actuelle el'un droit réel ou fictif,
ou a ce ({lI'on nomme la cOllviction du moment.


D'autre part, les contradictoires peuvent devenir
successivement la regle du juste et de l'injuste, la loi
supreme ou la loi unique (le l'honneteté des actes hu-
mains. Voila les premieres conséquences logiques OH
nécessaires de la notion ralionaliste du droit; et comme
ces déductions sont obvies et prochaines, il est inu-
tile d'insister sur ce point; d'autre part, qu'elles
soient confessées ou niées par les rationalistes, peu
importe! puisqu' elles jaillissent il'résistiblement des
principes.




ET FO~DE11El\:T PI\BIORDIAL DU DI\O\T. 7


Le droit « rnoderne » trouve aussi le moyen de se
passer de Bieu, de l'aire alJslractioll de toute législa-
tioll divine et rneme de la loi éternelle, source pre-
miere el regle supreme de tout droit humain. Spéeu-
lativelllent il sllpprime le souverain législateur, et
pratiquement il nie l'existenee de Dieu. Et. il ne faut
pas un grand dfort de logique et d'intelligenee pour
saisir le rapport de cette eonclusioll au principe posé;
par le 1'ait méme que l'homme n'a originairement
hors de lui aueune regle ohligatoire, aueull príncipe
autoritaire, fondement objeetif des devoirs et des
droits, il est manifeste qu'un souverain clomÍilateur
de toutes ehoses lle sauratt etre admis on reeonnu :
« on ne s' en occupe pas, » ainsi que le déclarent du
reste assez ollvertcment nos politiques et legisles rno-
derues. .


Cornme le rationaliste est aillsi ir lni-merne la regle
supreme du vraí el du Lien, du juste Gt ue l'injuste,
comme il ne releve d'aucun etre superieur, et qu'¡¡
ne dépend, dans ses opérations, d' aueun prineipe ex-
trinseque ou étranger á l'hurnanité, il est Lien évi-
dent que, sauf le eas d'un engagement extél'ieUl' li-
brelllent consentí, il n' est dominé par rien, il n' est
suhordonné a rien : il n'a done en réalite d'autre Dieu
que lui-meme,


Ces absurdes et ridicules doctrines n'impliquent-
elles pas en effet la négation rnanifeste de Dieu, ou




CHAl'. 1. - VH:\! COi'iCEI'T


j'atlJéi¡;me le plus révoltant? Si Dieu n'était pas le
somerain législateur, la regle supreme du vrai et du
hien, le dominateur de toutcs cllOses, il n'cxisterait
pas : de meme qu'il esL impossiblc de conccvoir un
triangle sans admeltre qu'il a trois cOtés, ainsi il est
impossible dc conccvoir Dieu sans confesser son do-
maine sou\"craill sur l'hormnc, san s rccollllaltre la
dépendance totale de cellli-ci.


Si done les partisans du « droit moderne » veulent
etre logiques et sinceres, ils doivent arborer ouverte-
mcnt I'étendard de l'athéisme. e'esl du rest.e ce qu'ib
font, aussi souvellt que l'instinct de domination, par
une popularité malsainc, el la prudcnce politique 11'
lcm permettent.


11


A p res avoir signalé eL Jlétri eeUe faussc el pCl'lli-
eicuse notion, nous allons tacher ue mettre en lu-
miere le véritable eOllcept eL les fOlHlemenLs eertains
du droiL Déja, par voie d'élirnination, on vient de
signaler Oll d'indiquer eertains principes i.t eet égard ;
el la logique de l'erreur est venue manifestel', par
voie d'opposition, la logique de la vérité; en eiTel
quanu deux contradictoires sont en présenee, l'ex-
r1usion de l'une révele et }ll'ouve 1:1 Vúl'it¡\ de l'autl'e.




ET FOCiDE}[El'iT PRDIOHDlAL DU DHOIT. !)


Mais il faut maintellant analyser en lui-meme le
vI'ai eOlleept du droit: et ce premier pas fait dalls
les yoies de la verité eonduít naturellem ent et sans
efforts a la manífestation des véritables fondements
(le tout droit parmi les homn:es.


Le droit se prend eommunément en deux sens di8-
tinels 1 : dans l'aeeeption la plus striete et la plus
usuelle, on entend par droit la faculté moral e dont
jouit tout etre rai~onnahle, ele reehercher el de pos-
séder ce qui lui appartient en propre, ce que les lois
de la jusliee el de l' équite lui eonfcrent. Ce sujet du
droit peut d'ailleurs el!'e une pc!'sonne physique ou
une personnc morale. e' est en ce sens qu' on enumere
le droit des individus, le droit des familles, le droit
de,; lIations, le droit de I'Église, etc.


Dans le sens ohjectif, le droit se prend pour la loi
elle-meme. e'est sous ce rapport que nous allom
l'cmisager, d'abord dans sa,sourcc élymologiqlle, en
tant qu'indiee des sourees rationnelles, ensuitc dans
son fondement primordial el nécessaire.


Kous eommellCOIlS done par eonstater la loí de dé-
rivalion du lIlot, afin d'y puiser quel({ue lumiere sur
I'origille de la eilose elle-memc.


L'expression latille jus viellt, selon les aneiens ju-
riseonsultes romains, du mot jussum, ordre ou eOIll


1 ~lwrCl, Dc lcy., 1. 1, C. JI, n. 4.




10 CIlA\'. 1. - VRA! COl\"CEPT


mandement : jlls a jussu seu jubendo. Et, du reste, a
une époque hien anLérieure, Aristole t, recherchallt
quelle est la source réeUe du droit, lui avait déja as-
signé pour cause l'ordre ou le commandemel1t positif.
Ail1si le droit signilierait rigoureusement el directe-
mel1t ce qui est orcIonné : .ius est iel quoel jltssum esto
Et cette défJnition est acImise par la plupart des lé-
gistes et des moralistes aneiens et moJernes.


Selon sain( lsidore d(Sé\'ille \ le moL jus "iendrait
par syncope du mot « juste: II }us a justo; cI'apres
Dlpien:;, il dériverait cIu moL « justice : ») jI/s (l justitia;
ces cIeux étymologies, comme on le voit, ne diffcrent
pas en réalité : pour sainL Isidore, comme pour Ulpien,
le droit n'esL pas autre chose que la justice et l' équité.


Entre ces deux notions étymologiques et ration-
nelles du droit, il y a ceUe différellcc (lue celle d '¡;¡-
pien el de sainL lsidore péneLre plus profonclément
que la premiere dans la v()rilahle raison de la
chose elle-meme; le droit, en eITet, ne serait pas une
prescription quelconque, ou un simple commande-
ment arbitraire, mais un oreIre qui exprirneraitce qui
est juste en soi.


La pluparl des langues rnodernes nous fournissent
une somee étymologique du mot « droit 1) un peu


1 V. Ethic., c. l.
~ v. Etymolog., c. III.
, L. 1, ff., De justo et ¡".'e.




ET FO,'iDEMENT pnBIOnmAL DD DHOTT. 1-1


différcnle de ceHcs quc nous vcnons d' examiner : lc
terme « droit, diriUo, drecho, dright, etc. » dérive
m anifeslement du mot latin didgere. Ainsi, selon sa
significalion primordiale, droit signifierait direction
vraie ou rcguliere des etres libres vers un hut obliga-
loire. Cette notion, plus radicalc cncorc que les pré-
¡;Cdcntes, ne diffcre pas toutcfois de celles-ei, quant au
fond des choses; elle rcvient en réalité au eoncept
fondamenlal de la juslice el de l'équite.


Cette étymologie donc, de meme que eeHe d'Ul-
picn et de sainl Isidore, idcntiGe le droit ave e ce qui
esl juste ou équitable.


Déja 1l0US SOIl1Jl1CS loin de cc pcn'crs el stupide sub-
jeetivisme dans lequel vouclrait nous enfermer le raoo
tionalisme contemporain. Aussi importe-t-il de con-
stater que tous les veritables jurisconsultes, anciens
ou modernes, palcns ou chretiens, sontd'aecord quant
an fond, c'est-a-dire aux notes essentielles du concept
primordial du droit. Les rationalistes se trouvent par
la m€me en opposition avec tous les juristes sérieux,
et sont restés bien en dega des pa'iens, dans leurs
conceptions philosophiques; et il ne leur reste que la
satisfaction facile, qu'ils s'aceordent d'aillcurs si libé-




I~ CHAl'. 1. - VIL\! CO:\CEI'T


ralement, de donner leurs découvertes comme l., del'-
nier mot de la scienee hurnaille .



Mais poursuivons nolre analysc. Le concept á la


fois le plus éle\'é et le plus vrai, le plus abstrait et le
plus général du droit est done de le eoncevoir eomlTle
une direction réguliere et obligatoire des etres intel-
ligents et libres vers une fin assignée, ou un bien a
posséder : toute rclation, mcme rationnelle, n'est pas
loi ou droit, mais seulelllellt la rdation imposée, ou
['ordination obligatoit'e.


Or la direction au bien essenticl, ou á la possessioIl
de Dieu, est la direetion fondamentale. Done Dieu, en-
\'isagé en tant que cause ·finale, !lOUS apparait d~ia
comrne le prineipe directif suprcme de toutes les lois
'Iui peuvent régir les aelions des créatures raisonna-
hles. A ussi Dornat, juriseonsulte non lIloins profond
que judicieux, dit-il : « La prcmiere ¡oi de l'hornrne
est sa destination a la reeherehe et a l'arnour de cet
objet qui doit ctre sa fin et Ol! il doit trouver sa féli-
cité; et cette loi, élant la regle de toutes ses démarehes,
doit etre aussi le princi pe de toutes ses lois l • »


Mais, pom rendre cettc v{~rit(\ plus manifcste el
plus evidente, il faut emisagcr Dieu eréaleur, assi-
gnant á ses (l)uvres lem nn propre et lem directioll.


Le Créateur a évidemment indiqué el imposé a tou-


I Tmitc d"8 lois, ch. J.




liT FO~DE)IE~T PI\BIORDL\L DU DHOIT. 13


tes ses omvres leur place spéeiale dans le plan genéral
de la création ; l' ordre et l'hannonie de l' ccuvre to-
lale exigent eette déterrnination. Diell, dans sa sagesse
inflnie, a donc vu la oestinalion padiculiere de cha-
cune des créaturcs dans le plan giméral du monde
créé; el, dans sa volonté législatrice, il a voulu et
impo~é cet ordre. De meme qu'il est impossiblede
concevoir la sagesse divine sans admettre qu'elle per-
4.ioit la direction réguliere des etres, ainsi il est im-
possible de concevoir la volonté infiniment parf:úle de
Dieu Sims reeonnaitre qn'elle impose a ch3que cre¡¡-
ture l' ordre '1ui convient a celle-ci.


Les elrcs inférieurs et puremcnt matériels obser-
vent, par l'implllsion des forces de la nature, la loi
quí leurest imposée.lls obéissent-matériellement,-
OH par pure exécution passive, a la volonté aLsolue
de leur Cl'éateul'. tes étres purement sensitifs se con-
forment ¡lllssi, par voie d'exécution passive et active,
11 l'ordrc qui les régit. C'est pourquoi saint Thomas
dit fréqllcmrnent fIue les dres inférieurs poursllivent
lenr fin - materialiter, - et les animaux - exe-
clltive.


Mais les etres intclligents et libres, qui pcuvellt
connaitre et vouloir l'ordre régulier dans lequel il~
doivent se mouvoir, exécutent, par l'impulsion de leur
libre arbitre, la loi qui les régit. La direction nor-
male de ces MI'es a lellI' fin, en tant que connue el


, . ~ ~_.-.. " /~ .
..




CHAPo 1. - VRAI CO¡'¡CEPT


voulue par le Créateur, constitue leur droit objectiffon-
damental; el Dieu, en tant c¡u'il per~oit et veut ou im
pose, par sa volonté législatriee, ectte loi des opératiolls
libres, est par la-meme le premier fondement du droit.


Cette regle supremc des opérations libres de
l'homrne et de toute eréature intclligente est la loi
éternelle, dont Thomasius a, d'ulle maniere aussi ab-
surde que violente, attaqué l' existence 1; cetle loi, en
dfet, n'est autre cllose que la rectit.utle divinc eIlc-
rncrne se donnant pour regle absoluc et s'imposaut
aux ctres créés 2 • VoiJiI done la loi primordiale, prín-
cipe et source de toutes les autres; roilll le premier
fondement de tout droit parmi les llOmmes ; "oila la
so urce suprfmw de ton te légitimité et de tont caractim'
obligatoire dans les Iois humainc".


nien que la \oi étcrnelle Be nons soit point connue
en elle-merne, néanmoins elle nOlls est manifcst('e el
intimée par les lois tcmporellcs; la }lrcmiine mani-
fesLatioll est la loi natUl'ellc, á larfllClle sont venue~
se surajouter les lois divines positivcs.


lUais cclfc raison intime du aroit oIJjcctif, aiusi dé-
1 11lstil.jllrisprlldclltice divinte, l. J, C. I, M 31.
" Saint Augustin définit la loÍ éterncllc : « lIatÍo ,-el .. o/uutas Dei


ordillcm naturalcm conservari j ubens, I'crlUl'hari vélatls. » Lih. XX II >
Contra Fall~t.> C. XXVII.




ET FO;'1DE~IENT PRDIORDIAL llU DRDIT. 15


termil1fe, 1l00lS insmue assez de qnelle maniere se
produit dans notre esprit la notion uu droit subjectif.
L'idée de notre droit, ou de notre faculté morale invio-
lable d'agir conformément a l'ordre régulier, surgí!
en nons, ou dans le sen s moral, aussitót que nous
entrevoyons cet ordre imposé en vue de notre fin. La
pen:eption rlu droit sllhjectif et la perception de la fin
assignée á nos opérations libres sont deux faits simul-
tanés; l'tme de ces perception~ appartient a l'intel-
lect spéculatif, l'alltre Ú l'intellrCt pratique.


Et yoilil jlollrfruoi l'énergie el la puissance de ee
sentiment du droit suiJjectif sont si grandes el si im-
périeuses dans l(~ domaine (les <lroits rclatifs a notre
fin derniere ; voi!:\ pouT'I{llOi IlOUS myeudiquons par-
dessus tout la faculté de tendre irnrnédiatmnent a
Dieu, comme a notre premier principe et il J10tre su-
preme félicit(~ : l' ordre hiérarchique des droits en eux-
memes, ou leur importaute relatiye, détermine le de-
gré d'inlensité ayec laquelle notre YoloIltl~ doit s'atta-
cher il ceux ·ci. Nolre faculté mOl'ale imiolahle de
poser des actes conformes h la loi, et de poursuivre
par ceux.-ci le bien I[ui llOUS est assigné cornme fin,
sent que l'ohstadc:t son libre ex.ercice est une violence
injuste.




16 CHAPo I. - Vl\AI CO?\CEPT


:\Iais iI importe de descendre du eoneepL gl'm(\ral
du droil, tant objectif que suLjectif, a la notion spó·
ciaIe du droit naturel. Dans toute eette expositioll de~
príncipes du droit {JubIie, iI s'agira, en erfet, plu~
spécialement des préceptes de la loi naturelle ; il f¡¡ut
donctout d'abord indiquer avee précision en quoi ell(~
consisLe: e'est du reste, ainsi qu'on vient de le dire,
la premicre manifestation de la loi éLernelle.


Par droit naturel, on entend gt\nin'alement eelu;
qui HOUS est nlv()lé par la nature elle-meme ; et ell
partant de l'idée primordiaIe du droit, on lleut dire
que la loi naturelle n'est autre chose que la direetioll
vraie et essentielle de la nature vers sa fin propre.


Il est a remarquer ieí que eette loi se prend parfois,
dans une aeeeption Ln\s-Iarge, pour l'inclination vraie
Ile la nature sensitive, eommune a l'homme et am:
animaux; et eeei vient de ce qu'un etre sensitif ,1
une direction active ,"el's sa fin propre ; la direction pas
sive seule est manifestement étrangcre, dans le patient,
a toute notíon de droit subjectif. C'est en ce sens large
flue les rédacteurs des fllslitules de Jllslinien ont tlé-
IIni le droit naturel: e( Ce que la nature a enseigné a
tons les animaux. JI/S natl/rale est itI quod natllra




ET FO:.'iDE3IENT PIl.IMORDIAL DU DROIT. 17


omnia animalia docuit!. » Saint Thomas rapporte
également eeUe da/nition : aussi Jistingue-t-il, avec
les jurisconsultes romains, le droit nalurel du droit
des gens, en ce que le premier est commun a tous
les anirnaux, tandis que l'autre est restreint aux hom-
mes seuls 2.


Toutefois, il est bien évident que le droit naturel,
pris formellement et dans le sens rigoureux, ne peut
se trouverque dans des ctres intelligents et libres.
L'opération réguliere, normale de toute naturc crééc
est droite, d'une rectitude au moins matérielle ; mais
l'acle régulicr, normal d'unc nature intelligentc et
libre peu,t seul, rigoureusement parlant, etre droit
d'une rectitude formelle: seul l'etre intelligent et libre,
qui connait sa nature et sa fin, peut percevoir la rec-
ti lude de ses opérations ; seul il peut faire de cette
rectitude et du principe supreme qui l'a déterminée,
le motif et la regle de ses actes honnctes.


La loi naturelle n'est autre chose que la loi éter-
nelle, en tant qu' elle est manifestée et appliquée a la
créature raisonnable fIu' elle doit diriger. Le moyen de
manifestation est la nature créée, a laquelle certains
aetes convicnnenl et d'autres répugnent; la conve-
nance meme des opérations est la loi naturelle, prise
objcctivernent; la nature, qui esl le fondernent de


I Tit. Il.
~ Swn. Theol., Il', n' q. b7, a. J.


DROTT PUBL.




18 CUAP. I. - VHAI COl'iCEPT, ETC.


ceHe convenance, est allssi le fondement du droit na-
turel; enfin, la lurnicre intellectuelJe ou la raison qui
pen;oit le rapport de convcnance des actions avec la
nature, est la loi nalurelle prise subjecti vement.


Ainsi, il est bien évident que ce n' est point la con-
viclion aveugle, instinctive, spontanée, qui est la loi
naturelle, mais la raison en tant qu'elle perQoit réel-
lement rordre imposé par Dieu aux rtres créés.




CHAPITRE 11


CAUSES INTRINSEQUES D~ LA SOCIÉTt ET OBJET
DU DROIT PUBLlC


Apres aVOlr déterminé la notion primordiale, la
nature intime et les causes du droit, pris objective-
ment, il est facile d'indiqucr les différents aspech
sous lesquels il peut ctre envisagé ; el e' est ainsi que
nous arrivons, par voie d'analyse rigoureuse, a la dé-
finition descriptive de l'objet spécial du droit publico


La science du droit embrasse, dans son objet adé-
quat, ainsi qu'on le sait, les rapports des actes exté-
rieurs a leur regle propre et, par suite, a leur fin
obligatoirc; 01', la fin des opérations droites ou régu-
lieres ne saurait étre autre chose qu'uu bien réel et
hounete a posséder par celui qui opere.




20 CHAP, II, - CAUSES INTIUNSÉQUES DE LA SOCIÉTÉ


L'opération, ~ui procede vitalement de la nature,
sera droite aussi souvent qu' elle sera capable d'unir
cette nature au bien qu'elle convoite rcellement et lé-
gitimement, Le devoir de tout etre créé n'est-il pas de
tendre au bien qui lui a été assigné comme sa fin pro-
pre et sa perfcction, soit prochaine, soit dernierc? A
ce devoir cOI'I'espol\{l done le droit de poser les actes
nécessaires pour parvenir ú la possession de ée bien.


i\lais quand nous considérons spócialement la nature
de l'homme, dans l'ordre réel et concret, nous som-
mes d'abord en préseneed'un are individuel, ayant
une existence propre ; cet etre, COll1me tel, et abstrac-
tion faite de son cal'actúe social, est ordonné a une
fin déterminée, en proportion avee sa nature; par
suite, il a des devoirs et des droils prop1'es, en dehors
de tout fait social, et 101's meme qn'aucun autre in di-
vidu humain n'existeraif.1,


On peut done, qlloi qu'en disent les rationalistes
contemporains, concevoir un dl'oit individuel; et c('s
deux termes « droit » ct « individuel » ne s' excluent
nullemenL L'homme, en erret, a d'autres rapports que
ceux qni le relient a ses semblables; il a d' autres rela-
tions obligatoires que celles qui le rattachent a la 80-
eiété humaine; il a d'aut1'es regles de :.>cs actes ex té-
rieurs que la pure légalité humaine, conventionnelle
ou autoritaire,


I Rüsmini, Phi/asofia del dh'itto, Di1'illo derivato, pUl'l. 1',




El' ODJEl' DU DltOIl' PUBLIC. 21


II est vrai qu'en dehors des rationalistes avéres,
quelques éerivains assez sérieux prétendent que le
droit suppose avari.t tout que l'homme est en relation
avec d'autres individus de son espece: (( Si l'étre hu-
main était seul, il n'y aurait pas de droits, car
I'homme n'a pas d'obligation dans le sens strict en-
vers lui-mclfle, saur le cns oú il faut qu'il respecte en
lui-mcme les droits d'au(rui '. » Mais cette obsenalion
est fondée sur un coneept trop I'estreint et merne
inexnct du uroíl; si, en effel, le droit n' était autre
chose que l' or'diualion llIutllelle des étres hurnnins as-
sociés, et 13 facuIté inviolable d'un homme par rap-
porl a d' autres hommes, il est bien évident qu'il n' y
aurait ras !le droil individuel, en tant que distinct du
droit social.


l\Iais il y a, en réalité, certaines relations obliga-
toires qui ont IcUI' príncipe dans la nature et sont en
dehors du rait social; il Y a des ue\'oirs qui, dans leur
concept, n'impliquent aucun rapport :\ la sociélé ; des
droits certains resleraient encore il l'individu qui, jeté
dans une ile dúserle, devrait y viHe seuP. D'ailleurs,
lors I1lcme que le droit subjectif reslerait sans exer-
cice, et que personne ne le reeonnaltrait pratique-
ment, n'en demeurerait·il pas moins respectable en
lui-meme? L'inviolabilité, caracliwe essentiel de cette


, Dict. ti,,}o!., trml. Goschlcr, an mol Droit.
• Rosl1lini, l. c.




~:l CHAPo 11. - CAUSES lNTIUl'\SÉQUES DE LA SOCIÉTÉ
faculte morale qui constitue le droit subjectif, cesse-
rait-elle pour cela de subsister?


Du reste, ou il y a état moral, la aussi se trouvent
des droits et des devoirs; or, l' état moral ne resulte
pas du fait social; la distinclion du bien et du mal,
du juste et de l"injllste, He repose ni sur une conven-
tion humaine ni sur l'omnipotence ou la volonté
d'un pouvoir humain. N'esl-il pas évident, par exelTl-
pIe, que le droit du corps a l' existence contre le sui-
cide, le droit de propriété, le droit des facultes di-
verses a leur perfection legitime, etc., ne seraient
point détruits par le seul fait de l'isolement "


JI Y a done un droit individuel, logiquement an-
térieur et réellement supérieur au droit social; ce-
lui-ci en effet se présente comme le complément du
premier, de meme que I'étre social est l'auxiliaire et
le complément de l'étre individuel.


••


:\fais en étudiant I'homme, sujet du droit, HOUS
VOyOHS que s'il est doué d'une personnalité propre, il
a néanmoins une nature qui, considérée abstractive-
ment, est commune a tous. Il y a done dans les hom-
mes queIque ehose de commun et quelque chose de
propre, la natllre et l'hypostase; il Y a un príncipe




El' OBJET llU DROIT I'UllLIC.


d'idelltite et un }ll'incipe de divel'sité 1 : consequel1l-
ment iI existe, entre les différents individus humains,
une relation naturelle de l'ordre objectif, OH une


certaine tendance a l'union.
A ce rapport objectif cOl'respond dans l'hOlTIllle


l'instinct de sociabilité, comme principe suhjectif;
et ce principe doit réaliscr le rapport signaIé a la rai-
son par la nature meme, envisagée comme objet de nos
investigations rationnelles.


L'humanité forme un agrégation d'individus, qui
ayant la meme nature, sont semblables entre eux.
Tous les hommes, en tant que pfll'ticipant d'une com-
lIIune essence, appartienncnt naturellement a la so-
ciété hUlIIaine; et la loi primordiale de cctte société
t~st l'unité spécilique des individus 2 •


eette unité, il est vrai, étant de l'ordre abstrait, 11e
forme pas par clle-m(~meune société récHe et concrete;
mais il n'en reste pas rnoins él'illent que l'hornrne
est ordonné par sa nature méme, quoique d'une ma-
niere plus ou moins éloigner, a vivre en soriété avee
d'autres hornmes. Je ne parle pas ici de I'instinct si
impérieux de sociabilité, ni des conditions particn-


1 Cicéroll, De o(r.1iL. 1. « IlItclligClldul11 est... dunlms 'Iunsi nos a
natura indutos rssc prrsonis : '1uarul11 una est COlllll1Unis, in eo '1uor!
omnes participes ,umus rationis ... ; altera ... 'jUiC propria ,ingulis c,t
allributo ••


2 Zallingcl', .rllS In·iv., 1. 1, e. l.




24 CHAPo 11. - CAUSES Il'iTl\lNSEQUES DE LA SOCIÉTÉ


lii~res de l'existence hurnaine, qui exigent de toule
nécessité une organisatioIl social e quelconque.


Or, dans J'ordre social, non moins que dansl'ordre
individuel, il doit y avoir une direction réguliere des
opérations ou des actes humains en vue de la fin pour-
snivie. L'hornme, dan s la société, r;esse ú quelques
égards d'6tre un individu, une hypostase, comrne di-
sent les philosophes, pour devenir Mérnenl d'un etrl'
coIlectif, c'est-a-dire d'une hypostase sociale oujnridi-
que; et cet are coIlectif, ou la personne momle qu'on
nornrne ia société, résulte des relations harrnoniques
entre les divers élémenls dont elle se cOlllpose. Celte
loi complexe d'harrnonie, en vue de la fin COHllIJUne,
est ce qu'on nornme le droit social


Dans le droit social, on envisngc done l'hornrnc,
Ilon-seulernent cornme eLre doué de moralité et agis-
sant dans l'ordre extél'ieur el sensible, rnais cncore en
tant qu'il est de rait uni it ses sernblahles, et poursuit
avec ceux-ci un but comrnun ; ce Imt cornrnun est la fin
irnrnédiate de la société ou de la personne morale, et
un bien it wlHluérir par la Pc¡'sollne physique, mem-
bre de cette société. Le dl'Oit social, on le yoit, ne
vienl poillt détruire le droit individuel.


La société, en effe!, est constitlléc tou1 cnLiere an




ET OI3JET DU DROlT PUBLlC. 25


profit de l'individu; les avantages qu'elle procure u
celui-ci sont le but de son illstitution. La personne
lI110rale doit venir en aide u la faiblesse de la personne
physique, et par conséquent le bien des individus doit
etre la fin social e .


Ainsi I'élat est pour I'individu, et non l'individu
pour l' étal, autrement la société uevienurait une
étreinte ou une entrave ¡lOUT' ses IllClnbres, et la fin
de l' association serait le mal des associés. S'il en était
ainsi, la nature sociale de }'homme serait une ordina-
tion natmelle OH une direction néeessaire de l'indi-
vidu eontre l'individu, e'est-u-dire une inclination
naturelle contre la nature meme de celui qui en est
le Bujet, ce qui est manifestement absurue.


Traiter llu llroit social revient done a rechercher
les prineipes \Tais et certains qui doivent régler l'ac-
tion de 1'IIOIIllTle vivallt en soeiété; e' est déterminer
les relalions oLligatoires des ares illtelligellts et cor-
porels qui réunissent leurs forees dans la poursuite
du bien commun.


Pour résumer en un mot le concept rigoureux du
droít social, consideré comme science, on peut dire
que c'est l' ensemble des príncipes ou des loísqui reglent
le rapport matéríel des aetes multiples de l'étre so-
cial, et ell IW~IIle temps des individus, ayee la fin uni-
que de la soeiété. Cette sclenee, on le voit, ne peut
etre complete qu' autant qu' elle déterminera aussi le




26 CHAPo 11. - CAUSES INTIlHiSEQl:ES DE L.\ SOCIÉTE


rapport r(~gulier de la pcr::onne physiquc, l'holl1 111 e ,
avec la personne moral e et juridique, ou la societé.
Et telle est la notion abstraite du droit social par op-
position au droit individuc!. Nous allons maintenant
passcr 11 l'analyse dc la notion propre et absolue du
droit publico


JI


On peut d'abord, de l'analyse que nous avous faite
du droit social, tirer cette déduction : ce droit, pris
dans toute son extension, renferme quelque ehose
d'absolu et d'immuable. Ce premier et principal élé-
menL est constitué par tout ce qui résulte immédia-
tement de la nature meme de son sujet, médiat ou
immédiat, c'est-a-dire de l'essence de l'homme et de
la société.


Mais ce droit renferme aussi quelque chose de l'ela-
tif et de variable: ce deuxierne élément consiste en
ce qui Mpend simplement, dans le fait social, de 1'ac-
tion libre de l'homme.


Ainsi, le droit social, embrassant a la fois quelque
ehose d'absolu et quelque chose de relatif, a son fon-
dernent dans le droit naturel et son cornplément dans
le droit positif; e'est pourquoi son objet tres-com-
plexe, envisagé sous ses principaux aspects, conduit




ET OIlJET lJU DHOIT PUBLICo


immédiatement a la di::;tincli.on du dl'oit }Jublic et du
droit privé.


Le droit public est celui qui détermine la forme
essentielle de la société el les sources légitimes du droit
privé. On elltenu par droít privé cellli qui, émanant
de ces sources, se produit dans une sociét{~ eonstituée,
et regle les actions des sujets en vue du bien eom-
mun ou de la fin soeiale. On n'entre pas iei dans l'exa-
men des nombreuses détinitions que les juriseonsultes
ont données, soit du droit public, soit du droit privú ;
il suffit de dire :l eet ¡'~gard que les unes tendent a la
séparalion et les aulres a la eonfllsion de ces droits,
dont nous allonsilldiquer la distinetion f'ondamen-
tale.



• •


Parmi les auleurs qui s'occupent de celte questioJl,
les uns enteudent par droit publir eelui qui dótermine
les droits et les devoirs des magistrats ; le droit privó
est alors"la détermination positive des droits et de"
devoirs du peuple.


Mais, comme les droits et les devoirs des gouverne-
ments el des peuples sont corrélatifs, il est impossible
de déterminer les uns sans indiquer les autres. e'est
pourquoi eertains légistes, sentanl combien eette dé-
Guilion est illogique, ont prétendu que le droít public,
en meme tcmps qu'il détermine la forme du gouver-




28 CHAPo lI. - CAUSES INlI'RINSÉQUES DE I.A SOCIÉTÉ
nement, regle aussi les droits et les devoirs des ma-
gistl'ats et du peuple. Mais eette nouvelle définition
tend a absorber totalement le droit privé dans le droit
publie, et mcme it niel' la véritable origine du droit
parmi les hommes.


La définition donnée par le droit romain, défini-
tion eommunément adrnise par les juriseonsultes mo-
dernes, se rapproehe davantage de la vérité sur ee
point : (( Hujus studii d/lx Sll1It ]losifiones, ]Jllblicum
et privatlll/1. Publicum jus est quod ad statwn reí 1'0-
malla: spectat. P1'ivatwn, quod ad sinyulo/'um lltilíta-
tem pertinet 1. » Cette définition qui distingue aussi
entre la constitution essentielle de l'État et les intérCts
des partieuliers, renferme a son tom quelques-unes
des ineonséquenees signalées préeédemment; d'autre
part, la eonstitution essentielle de l'Étal, non moins
que le droit privé, eoncerne les intén)ts des partieu-
liers : « ad sinrJulorum utilitatem pertinet. ))


Ainsi, pour traduire le vrai eoncept uu droit publie
en langage moderne, 011 pourrait dire que ce droit
détermine tout ee qui tient a l'ordre pmement poli-
tique, e' est-a-uire aux rapports organiqucs du po u-
voir a la communauté ; le droil privé déterminera tout
ce qui tient a l' ordre civil, ou aux rapports des eÍ-
toyens entre eux.


! instil. ]Ja)'s ult. de justo et jI/re, tit. 1.




ET OBJET DU DROIT PUB LIC. 29


Le doctenr Philipps 1 repousse la distinction entre le
droit public et lo droit privé, du moins qnan!. a la 50-
ciété religieuse. « 011 ne saurai!. adlflettre, <lit-il, eette
distindion qu'en supposant qu'il ya un droit ecclésias-
tique réglallt les rapporls des membres de l'J~glise entre
eux el différent de ce/ni flui la régit dans son ensem-
ble; 01', l'Église, investie du pouvoir d'enseigner, de
sanctilier, de gouverner, ne connait d'autre spbere et
d'aulre inslrument d'actiol1 que ce triple pouvoir. »


Mais cet alltollr se place á un poinl de vue particu-
\ier, et semble ne pas avoir la vraie notion du droit
publie; il repousse ou les fausses définitions qui dé-
truiraiellt j'llnité scientillque du droit·canon, ou tout .
systcme (lui I,cndrail it su}¡or¡]olllwl' le droit saeré :j
un droit publie étrangcr ou pllrclllcnt rationnel. Il se
fonde dOlH: sur un concept faux ou incomplct du droit
public; il vcnt surtout, ct ici avec raisan, que le
droit ecclósiastique ne soit point considér{~ cornme
une des so lis-di visions d'un droit privé correspondant
au droit public des Romains.


01', par la J(~linition flui vient <1' elre donnée, on
evite ces deux écueils; d'ailleurs, en toute hypothese,


I Dll tlro;l en:l., lntl'oo., § 5.




;;0 CIIAI'. II. - CU¡SES L'iTRIl'iSEQUES DE LA SOCIÉTÉ
le droit eanonique suppose la eonstitution divine dI
l'Église, et, par conséqllent, un droit nntérieur qu
fixe cette constilution et institue la hiérarehie ecelé
siastique. Il a done, d'une cerlaine maniere, son poilll
de départ, dans quelques principes, les uns révélés,
les autres naturels, qui lui sont antérieurs el supé-
neurs.


Rien ne s'oppose, on le voit, ú ce qu'on distingue,
dans le droit qui régit la soeiété religieuse, un droit
publie et un droit privé. Ain~i, on pent et on doit
dire, d'une maniere universeIle, que l'oLjet spéeial du
droit puLlie consiste dans l'organisme essentiel et fon-
damental des sociétés.


111


Mais la déterminaLioll complete de cet organismc
repose sur l'analyse de deux rapports distincts, dont
l'un a pour termes rOl sociét() el les individus, r autre
une société complete el les soeiétés du meille genre. Le
premicr rapporl consiste done dans la relation de la
société aux individus qui la composent, et dont elle
doit procurer le bien: l'ensemble de ces grandes re-
lations eonstitue ce qu'on nomme l'éeonomie interne
de la société.




I;T OB.J~T DU DROlT PUBLlC. 31


Le sccond rapport, qui resulte du premier, con-
siste dans les relations J'une société compIf~tea d'au-
tres societés semblables; et la somme de ces relations
forme comme l'aspect externe de cette société. Ces
deux rapports, inséparables de la constitution essell-
tielle de chaque société, appartiennent au droit public,
pl'is universellernent.


L' écollomie interne de la soeié!é donnera lieu au
droit public l'ondamental: il fau! d'a.bord qu'une so-
ciété soit constituée a l' ótat de corps social avant d' etre
conf,iue en relation avec d' autres sociétés. Ce qu'il y a
d' essentiel et d'immuable dans cctte éconornie interne
sera l' ohjet de ce que nous appelons les principes du
droit puMic.


Le rapport externe d' une société politique a d' au-
tI'es sociétés de merne genre donncr'a lieu au droit in-
teruational, appelé aussi parfois á notre époque, du
moins dans ce qll'il a d'essentie! et d'immllable, droit
des gens. C'esl alors un uroit puhlic secondaire el dé-
rivé, attenuu qu'il consiste uniquement dan s le rap-
port rationnel de l'organisme général d'une nation
a celui d'une <lutre nation.


Ce rapport, dans I'Église ou la société religieuse, a
ceei de particlllier que, non-seulement il résulte logi-
quement de l' organisme interne, mais encore qu'il
est rigoureueernent détermill!; cornrne élérnent propre
de ce! organisIlle. L'l~glise n'a, rigoureusernent par-




32 CHAPo 11. - CAUSES INTRINSf:QUES DE LA SOCIÉTÉ
lant, de rapports jl1ridiql1es ql1'avec les sociétés qu'eHe
renferme dans son sein.


L'objet spécial des principes du dmit puLlic étanl
l"économie interne ou l'organisme esseotiel de la so-
ciété, soit politique, soit religieuse, il importe a la
détermination complete et rigoureuse ue cet objet
d'examiner qupls en sont les éléments primordiaux.


Or, en considérant les causes qui donnent naissance
a la société, nous constaterons en premier licu que
l'identité de nalure et de fio chez tous les individus
humaios constitueot le premier príncipe objectif,
c'est-a-dire un príncipe éloigné, d'associalion.


D'autre part, l'instioct d(~ sociabiliLé, naturel ,1
l'homme, et qui devient une inclination l'atiollllelle
par la connaissance acquise de l'identiLé up nature et
de fin, est le premier principe subjectif d'associa-
tíon. Ce principe, qui en soi est une pme aptitud e
plrysique de l'homme a vivre en société, devient COll-
cret et actif par les faits accidenlels qui mBttent les
hommes en rapport: ces faits sont le principe pro-
chaio d'association.


Mais, parmi ces faits, les uns résultent de circon-
stances en dehors de l'action humaine, et les autres
dépendent de notre libre arbitre. e'est pourquoi, dans




ET OB.lET DU DROIT rCBLIC. 35


la formation de toute sociéte, il y a encore, sous ce
rapport, quelqlle cllose de naturel et de nécessaire, el
quelqlle chose de libre et de volonlaire.


Les faits qui prodllisent spontanement les societes
humaines rement done ctre ramenes a une douLle
catégorie: les faits inJépendants Je ]'acLion physiqug-
ment 0\1 mOl'alement lihre de I'hommc, eL les faits
folontaires. Tous ces faits peuvent actllalj~er I'jnstinc!'
de sociabilité.


On voit de nomcau, el d'llne maniére plus évidentc
encore, llar cette anal~se oes éléments générateurs
de toute !>ocieté reeHe el complde, que, dans l'élrc
social, il y a quelqlle chose d'absolu et d'immuable:
et cet élément esl indépendant de toutc 'volonté hu-
maine, et supérieur a tout pouvoir llOlitique. On voit
aussi qll'il y a quelque chose de relatif, ue variable,
de volontaire, el, par COIlSeqUent, de subordonné plus
ou moins a la volonte de l'hommc et ti l'adion libre
du pouvoir politiqueo


Dans les principes fondamenlaux d u droit puhlic,
on envisage plus spécialemenL les bits qui ne depen-
denL point du libre 3rbitre humain.


lIHOlT Pl'BL. O~ . '.




eH APITR E lIT


C WSES FINALES ET RAPPORTS MUTUELS DE LA SOCIÉTÉ CIVILE
ET DE LA SOCIÉTÉ RELIGIEUSE


,\..81', 1, - CI",,,e!! flnllle" et exil<tenee de la "oei~t~
ei"ile et de 1 .. !!ociété reli~ie .. "e,


La met,lOde analyti~ue, qui "ient de nous manifes-
ter d'nne maniere di~tincte et precise l'ohjet de notre
tr'aité, nom rt;vú[¡wa f\galemPllt les divisions rúelles de
la science du droit public fondamental.


Le motif prochain qui dútermine les hommes a se
grouper en sociúté, es!. évidemInent la fin connue et
convoitée; le bien cOlllmun il acqnérir par l'union
des forees est la puissance attractive qui réunit les
éléments socianx; el la nature. ainsi que la proximité
on I'éloignement de ce hien, délermine le mode d'ac-
quisition. e'est pourquoi on doit dire Ilniversellement




C.\USES FI:'iALES ET IUPPORT:i MUTUELS, ETC. 35


que I'etre social se moJifiera selon qll'il sera orJonné
spécialement et aJéquaLemenL a des fins différentes;
la divel"sité des fjns totales protluit la diversité des
sociétés, qui ont en elles-memes exclusivelllent le
caractere de 1110 yens.


On a donc pu légitilllement nommer principe « for-
mel » extrinse(lue d'une société la fin poursuivie par
elle; n'est-il pas évident que la fin propre de toute
association esL la seule raison d' etre de eclle-ci?


n'un coté, elle n'est ( société » qu'en vue ou a cause
de eeUe fin; et, d'autre part, elle n'est (( telle » société
qu'en vertu de l'ensemble ou de la nature des moyens
coordonnés a la fin.


Or, les moyens, comllle tels, élant de pures apti-
tudes pratiques a un but, participent néeessairement
a la nature de ce but.


En d'auln:~ termes, (luí dit soei()Lé dit agrégaLiolJ
d'individus poursuivant un Imt COllllllun, ou union
d'inteIligences, de volontés et de forces en vue d'un
bien que tous COIlIlaissent et veulent posséder: l'u-
nité du but, e' est-a-dire le bien conuIIun a atteindre
par les foret:s eollectives, est la véritable cause de
I'union des illtelligenees et des volontés, ainsi que du
choix et de la coordination des moyens, triple éIé-
menl constitutif de l'etre social. L'unité de fin nous
apparait donc de Ilouveau eOllllIle le prineipe fmIllel
extrinsequc de cohésion dans toute société humaine ;




:;6 ClIAl'. IlI. - C\USES FLULES ET IUPPORTS ;lIUTUELS


eonséquemment, la nature de ce He fin, en tan!. que
déterminative des mo~ens sOclaux, clonnera a la so-
eiété elle-meme son caraetere fondamental.


Le pouvoir public, él(\menl formel inlrinseqlle de
!'etre social, n' esl que la cause inslrumenlale de I'u-
nion des volontés et de la coordination des moyens;
la fin pOUl'suirie est comme le principe rátionnel qui
doit informer les yolonlés el diriger le pouyoir pu-
blic, principe OI'ganiqlle immi~diat de col](\sion. Par
le pouvoir, qui se eonstilue et regle son action sur la
loi de finalité, tous les éléments concrets de la
société re¡;oirent 1'Ilnité matérielle, La fin est done le
principe directif du pouvoir publie, de lllcme que
cclui-ci est le lll'incipe dirigeant de la société.


Or, eette fin, qui ne peut ()tre que le hien commun
des individus ordonnrs ,'¡ la vie sociale, a parfois in-
tensivement une eertaine uni rersalité ; elle peut em-
brasser en quelque sorte tout le suppot humain, ce
qui a liel! lorsqll'elle répond a l'activité totale de celni-
ci. Mais alors, la fin sociale é!.ant comrrw le but adé-
quat de toute la nature, la société qui poursuit ce but
est nécessairelllent rondée sur les faits naturels; elle
résullera donc d'une ordination absolmnent ou hypo-
thétiqucment nécessaire des etres associés.




DE LA. SOCIÉTÉ CIVILE u DE L.\ S0CltTÉ I\EUGIEl'SE. 5í
eeUe fin peut ¡\galernellt consisler dans UI1 hien parti-


culicr, et ne répondre ainsi qu'á une certaine portion de
l'aetivité hurnaine ; alors la 80eiété, qui tend a eette
fin, sera fondée prineipalernent ou sur la libre vo-
lonté, ou sur une eertaine nécessité fortuite el acci-
dentelle. La 80eiété elle-mcme sera aux etres associés
dan s le rncme rapport que le bien poursuivi rcIative-
ment l. la nature humaine.


Daos la prellliere hypothese, c'est-á-dire quand la
fin 80ciale répond a toute l'activité hurnaiue, il y a
société complete: telles sont la soeiété civil e et la 80-
ciété religieuse. Dans le seeond cas, c'est-a-dire, lors-
que le but commun n'a en lui-Hlcme aucun caraclere
d'universalité, il y a une société illco11l}Jlete, (:omme,
par exemple, une société de commerce, une armée,
etc. JI ne s'agit ici directement que des sociétés com-
pletes.


*


'" '"


Mais il resulte de ce qui vient d'ctre dit, que la fin
de toute société complete est aussi la fin propre de
chacun des membres associés. D' ailleurs, la société,
étant instituee au profil des individus, le lIien COHl-
mun, qui est la fin sociale et eornITle le centre d'as-
piration de toutes les volontés, doit aussi avoir pOllr
les associés raison de fin.


Or, dans la société complete, le buí poursuivi, ou




O"




;'8 Cl/AP. 111. - C.\IJSES FINALES El' RAPPORTS ~rFT{jEL)


le bien social, implique une certainr universalité, de
maniere :\ répondre a toute la personnalité, ainsi qu':i
l'ensemble des facultés de l'hollune; il fallt par 1:1
meme que ce bien soit la perfection rropre lIe la na-
tu re humaine. La nature doit done Ctre ordonnée a
cC'tte fin, qui est son bien propre, hicn dont l'acqui-
sition pleine exige les forees colleetives de l'etre social.


Cest pourquoi il n'est (las étonnant que nous con-
stations, dans tout rtre physique sociahle, un M(;lIlcnt
subjeetif de soeiabilitr, ou une inclination natllrelle t,
faire usagc des Hloycns (lroprcs á l'acquisition du bien
cornrnun : cet élérnenL est un instillct inné qui stimule
on pousse, et une aptitude natnrelle qlli incline á se
eonstituer en société.


Pour délerrniner les tlilTérentes formes de I'clre
social, ou la division fondamentale tles principes du
droit ¡mblic, ii faut donc exmJliner quel est le Lien
qui, d'un cóté, a pour l'holllIlle raison de Hn, et d'autre
part, répond á toule l'acti \'iti~ hurnaine.


[ 1


01' l'homme, considéré á !'état historique ou récl,
est ordOIlIlé a une doub/c fin: ['unc, naturelIe, cst
renfermée dans la limite et les objets de cette "ie, ou
la p0ssession des biem temporels, images 011 vesliges




DE LA SOCIÉTÉ CIVILE ET IlE LA SOCIÍ<;TÉ RELlGIEUSE. 3\J
du bien supróne; l'autre, surnaturelle, s'élevant au
dela des limites et des ohjets de l' existence présente,
consiste dan s la possession il1ll1lédiate de Dieu, le bien
supréme.


Ces deux fins impliquent une serie de moyens coor-
donnes a chacune d'elle, et un douLle principe d'acti-
vité en harmonie avec ce douh¡e hut. La premiere IIn,
ou ceHe de la vie nalurelle el sensihle, étant la pos-
session des biens tClllporels, qui pcuvent perfectionner
l'iune et le corps daus les limites de lcur ctre naLu-
rel, répond donc d'une certainc maniere a toute l'acti-
vite humaine; el il en est de lIIcme, a plus forte
raison, de l'alltre 1111, qui est la plénitude de notre
perfection surnaturelle.


Toutefois, il importe d'observer qu'en dehors de
tout don gratuil de Dieu, surajoute á la nature,
l'hornme eüt di:jil eli) ordonni) it une douLle fin: la fin
propre du compos() humain, COJllll1e tel, et la fin pro-
pre de I'ame, considérée en elle-mcme. L'ame en
effet, en vertu de sa condition originaire, traverse les
confins du tOluheau, Ol! repose le corps, et poursuit
au del a des limites de cette vie sa fin stahle et immor-'
tellc. Elle tend, dans la mesure de ses forces natu-
relles, a remonler yers son auteur; et cette fin, de
rame est aussi un hien qui correspond á toute l'acti-
vité hurnaine, dont l'ame est le principe intrinseque.


Ainsi naturellement l'homme a une douLle vic:




4() CI/AP. III. - CAUSES FINALES ET RAPPOHl S MUTUELS
l'une finissant a la séparation des deux substances qui
constituent la nature humaine, l'autre se prolongeant
sans fin au dela du moment de eette séparation. La fin
ou le but de la vie mortclle, eornllle de la vie immor-
telle, est cornrnune 11 tous les individus hurnains; et
ce fait rnonlre dl\jú que naturcllernent l'hornme est
ordonné á une double société, celle des corps pour
l'acquisition du bien sensible el périssable, et ceHe
des esprits, pou!' parvenir au bien intelligible ct
immuable.


Mais, par un bienfait gratuit de Dieu, la fin de la
vie spirituelle est devenue surnatllrelle, de lelle sorte
qu'en fait, ou dans l'ordre historique, e'e~t-a-dire
dans 1'état acluel des choses, l'homme est ordonné a
la fin naturelle du composé humain et a la fin surna-
turelle de la personnalité humaine.


eette fin supér'ieure est la possession des biens
éternels, qui peuvent perfectionller l'ame et le eorps
dans les limites de l'étre surnaturel que Dieu leur a
eornmuniqué gratuiternent: la fin naturelle de l'ame,
dans l' ordre présent des choses, n'est done qu'lIne
pure relation logiCJue ; sa fin récHe et uni,]ue cst la
possession immédiate de Dieu.


*
• •


Des tJrincltJes tJosés, nous arrivons logiquement 1\




DE LA SOCIÉTÉ CIVILE ET DE LA SOCIÉTÉ RELIGIEUSE. 41
conclure que I'holl1Jlle e5t destiné 11 faire partie d'une
double société. En effeL ces deux fins de l'homIlle,
considéré dans son état récl ou historique, sont essen-
tiellement distinctes, bien que le sujct qui les pour-
suit soil un et identique : l'une est la fin prochaine du
composé hurnain; l'autre est la fin adéquate et der-
niere de toute la personnalité humaÍne. Et comme
l'une et I'autre exigent, pour ctre attcintes compléte-
ment et facilement par l'individu, le 8ecours des
forces collectives, elles consLituent la raison d'étre
d'une double socidé.


De plus, ccttc doublc tin, adéquatc ou inadéquate,
du composé· humain présuppose nécessairement des·
moyens proportionnés: et c' est surtout dans l'acqui-
sition et l'usage de ces moyens que l'homme a besoin
du 8ecours de ses semblables, et qu'il devient prati-
quement et en exerciee un etre sociable.


La fin sociale est donc pour l'individu la jouissance
de ces biens qui sont la perfection de l'etre individuel,
secouru par la société; et comme ces biens sont essen-
tiellement distincts, séparés, et qu'ils peuvent etre
possédés par l'hornrne, il y a évidemment dans celui-
ci destination a une douhle sociéLé, la société civile
ou politique, a un degré quelconque, et la société re-
ligieuse: la premiere tend 11 l'acquisition du bien
temporel e~ensible, et se présente comme l' extension
naturelle de la société domestique; l'autre a pour but




42 CHAPo Ill. - CAUSES FI:NALES I::T nAPPOltTS ~IUTUELS


d'atteindre le bien intelligible et surnaturcl, qui est
la sainteté et finalement la béatitude élernelle. L'in-
stinct de sociabilité universellc tend á s't~panouir en
groupant les individus humains sous l'influence de ce
double principe final d'association, c'est-a-dire, sous
l'action attractive du hien temporel et du hien éternel.


On voit assez que, d'aprcs le seul enseignement du
droit naturel, la sociót¡': rcligicuse doit etrc distincle
de la société civile ; les fins étant divcrses, les moycns
eux-memes doivent étre difflÍrenb, et par suite les
deux sociéLés ne sauraienl clrc idcnliqucs.


"'RT. 11. - Relations ~énérales de la i'lociété ch'ile
a\ la !lociété l'cli¡;iellse.


Si maintenant on considere cette diversité des fins
sociales en regard de l'identité physique du sujet des
deux sociétés, la raison dicte a !'instant cette con-
elusion: iI est logiquement impossible que l'une des
deux societés, par son action legitime, puisse tendre a
détruirB l' autrB ou 1:1 la con\rarier dans sa vie intime
et son développement régulier. D' apres l' ordination




DE LA SOCIETJ~ el YILE ET DE LA SOCIÉTE TlCUGIElJSE. 43
divine, chaqlle homme, considéré dan s une situation
normale, ne doit-il pas rtre a la foís membre de la
société religieuse el de la sociélé civile? Ces deux
sociétés ne sauraient done etre divisées ou en oppo-
sition qu'autant que l'homme sera divisé el en oppo-
sition conlre lui-meme.


C'es!' pourquoi il fau!. de toute nécessité que ces
deux nns sociales n 'impliquen!. aucune opposition
muturlle; il faut que les actes sociaux dans l\me
s'harmonisrnt parfailement ave e les ades sociaux dans
l'autre. S'il en était autrement, il y aurait dans l'homme
le plus étrange el le plus funeste dualisme.


La fin de la sociótó religieuse et surnaturelle étant
la fin derniere de J'hornrne, ceHe de la société civil e
ne sera done qu'une fln inteI'luédiaire. On voit ainsi
que la loi d'harmonie entre les deux sociétés consiste
dans l'ordination rationnelIe de la fln intermédiaire
a la fin derniere, hien principal de I'homme, JI faut
done que les moyens coordonnés a la fln inteI'Jnédiaire
n'apportent aucun obslacle a l'usage des moyens qui
tendent a la fin derniere. La loi d'harmonie entre ces
deux sociétés rósultcra conséquemment de ce que les
moyens auront entre eux le meme rapport de coordi-
nation que les lins ellcs-meme.


Ce n' est pas a dire que l'action de la société civiIe
doive etre positivcrnent adaptée a eeIle de la société
reIigicusc; mais il est nécessairc qu'eIle nc soit nulle-




44 CIIAP. 111. - CAUSES FINALES ET RAPPORTS ~/UTUELS


ment en opposition reeHe et pratique avee eeHe-ei.
C'est pourquoi il faut qu'il y ait au l1loins eoordination
négative des moyens, e' esl-ú-dire non exclusion et
non eontrariété. D'autre parl une eoordination [Josi-
tive, bien qu'étant trcs-louahle el de eonseil, n'est
poinl requise, soil par le droit naturel, soit par le
droit divin positif; s'il en etait autrement, la soeiété
eivile deviendrait eOlIllfle un des élél1lents intrinse-
ques de la société religieuse, ou un rouage subor-
donné.


Ainsi, d'apres la saine doctrine et l'enseignel1lent
de tous les théologiens, le pouvoir civil reste vrai-
ment indépendant et supreme dans son propre do-
maine; mais il ne saurait troubler l'action legitime du
pouvoir eeclésiastique.


*
....


La raison de ceei est facile ¡j saisir : toutes les opé-
rations humaines, en tant que rationnelles et régies
par la loi morale, sont inevitaLlement en rapporl avee
notre fin derniere. Elles ont necessairelllent la valeur
de moyens positifs ou négatifs, éloignés ou proehains,
par rapport a ce He fin; el de meme qu'iI est impos-
sible que l'homme, volontairement ou non, ne mar-
che point vers ses fins dernicres, il est également
impossible que toutes ses opérations partieulillfes ou




DE LA SOCIÉTÉ CIVILE ET DE L.\ SOCIÉTÉ RELIGIEUSE. 45
ses aetes humains ne soient pas d'une maniere quel-
conque en rapport avec ce hut supreme. Tout ce qui
est conforme a eeHe fin est ordre, harmonie ou droit;


. tout ce qui est en désaeeord ou en opposition ave e
eette /In est désordre, perturbation, e' est- 11 - dire
injuste, illégitime et eoupable.


r.e qui appartient a l' ordre eivil et politique ne
peut done etre exempt de toute relation a la fin der-
niere des suhordonnés. S'il en était autrement, il yau-
raít tendanee it isoler l'individl1 de son bien supreme ;
en outre. on serait eonLraint d'admeUre pratiql1ement
ceUe contl'adiction : il y a des opérations rationnelles
qui n'ont aueun rapport avee la fin essentielle ou la
raison finale de l'etre qui agit ; en d'autres termes, il
y a des aetes dirigés et proeéJant de la nature, qui
toutefois n'ont aueune direetion par rapportal! but
/lnal ele eette nature; il Y a des acles moraux sans
relalion aucune avec le fondement meme de la mo-
ralité.


Ainsi il est manifeste que l' ordre civil et politique
ne pourrait elltraver la marehe de I'homme vers cette
fin plus noble, le détourner de son but ultérieur,
san s introduire un désordre ahsolu, sans sortir par
conséquent des limites du droit. Le ci.toJcn ne doit
ni ne peut gener ou embarrasser le croyant; et l'ordre
temporel ne saurait rationnellemenL tendre a sup-
primer ou a absorber l'ordre éternel.




4:; CIlAP. JIl. - C.\USES FlMLES ET RAI'PORTS MIIT[jELS
Si donc la société civil e aspirait a gener et a détruire


la société l'eligieuse, elle tendrait iI se sacl'iliel', a s'im-
moler l'individu dans ce qu'il a de plus grand, Je plus
désirahle, de plus précieux; il Y aurait ainsi renverse-
ment dans l' ordination naturelle et réguliere des
choses . la fin inlermédiaire deviendrait la fin derniere,
el la société civile, auxiliaire llaturel de l'homme, de-
viendrait le plus Jangereux, le plus mortel enuemi de
l'hollulle.


II


M ais ici se présente natul'ellement une difficuIté
contre ce qui vient d'ctre dit touchant la relation des
deux sociétés, civile et religieuse.


Comment peut-il se faire que le mcme homme soit
en lD(;me temps memhre de deux sociétés complótes '!
N'a-t-il pas été dit que chacullc de ces sociétés répon-
dait, d'une ccrtainc maniere, au Jévcloppcment Je
touto l'actiriLé lmmaine, c'est-it-dire, de toates les
facultés de l'homme? D'auLre part, l'oLjet propre el
spécial du droiL esL l'acLe humain Jans sa manifesta-
tío n extérieure; íl semble done que chaque société,
pour avoir un droiL propre et originaire, ponr resler
distincte et indépendante, Joive revendiquer exclusi-
vement quelques actes, laissant a l'autre ulle portion
diffl'rentc Je !'acLivité humaine.




DE LJ SOCIL'1'É cmLl~ ET DE lA SOCIÉTÉ REUGIEUSE. 41
l\Jais alors nous tombons dan s une autre contra-


diction : chaque société ne pouvant nlteindre que cer-
taines actions détenninées, sera par conséquent une
société incomplete. Ainsi une division matérielIe des
actes, quí seraíel1t régís les uns par la société civile,
les autres par la société religieuse, tend ou a absorber
l'une des soeiétcs par l'autre, ou á dcnier a chacune
d'elle la raison de société compli'le.


Aussi, nos politiques modernes, qui nfl peuvent
sortir du point de vue matcriel, ni s'élever au deli du
rapport le plus prochain et lfl plus obvie, tendent-ils
unallimement, ou a faire de I'Église ulle société 8ubor-
donnée, ou á la supprimer tota1ement. Les uns adju-
gen! 11 la société civil e tout ce qui appartient 11 l' ordre
extérieur et sensible, laissant a la société religieuse
ce qui est purement invisible et abstrait : c'es! le
systcme de la négatioTl lolnle de l'Église, comme 80-
ciété réelIe ct visible; les :mtres laissent au pouvoir
ecclésiastique le droit de régler tout ce qui lien! au
culte, mais SOHS la haute police de I'J~tat: c'est le sys-
teme de la subordination de rf:glise á l'État.


.


Malgré toutcs ces übjectíons et ces prétentions COll-
tradictoircs, deux choses d'abord, OH deux vérités




48 CHAPo III. ~ CAUSES FINALES ET RAPPORTS }IUTUELS
restent certaines et pleinement évidentes pour le phi-
losophe aUentif :


10 La société civil e est une societó complete, indé-
pendante dans son veritahle dOlllainc, puisqu' elle a
son objet propre, sa fin distincte, et qu'elle répond,
dans un certain ordre, au dévelopl)ement de toute l'ac-
tivité naturelle de l'homme. Le bien qu'elle poursuit
a une véritahle universalité, el tend i la pcrfection de
tout l'etre humain: resprit el le corps doivent con-
courir a l'acquisition de ce bicn.


20 11 est également certain el évident que la société
religieuse est une société complete et ahsolumcnt in-
dépendante, paree qu'elle a aussi son domaine special,
sa fin propre el ses moyens a part; de }11us, elle em-
brasse universellement l'activité humaine.


Mais cette activité totale, en tant qu' objet propre
de la société surnaturelle, est compénetree et informée
par un principe dYllamique, ori¡.:inairelllent í~tranger
a l'homme, principe qui communique i l'acte humain
une énergie relativement infinie. Ce principe est la
grace divine, qui éleve les opérations de l'holllme a
l'ordre surnaturcl, et leur communique une propor-
tion positive avec la fin de la société rcligieuse.


Done, pour répondre aux objections proposées, il
suffit de faire une simple remarque: la constitution
organique d'une société consiste, en se plaf,iant. au
point de vue le plus général, dans le rapIlort des forces




DE LA SOCIÉTÉ CIVILE ET DE LA SOCIÉTÉ RELlGIE[jSE. 49
ou des opl~rati()ns ave.:: la fin total e et derniere de
la soeiété; et bien que le Imt de l'une des soeiétós
soit subordonné a la fin de I'autre, iI ne rI~sulte
nullernent de H subordination di recte et immédiate
de l'Étal par rapport a l'Église. Et e'est le point que
nous allons essayer de mettre en pleine lumiere, afin
de rassurer nQs politiques modernes et les « vieux
catholiques » tentolls.


Le domaine propl'e du Jlouvoir public consiste done
dans le ro]!port ou la relatiol1 des actes et des moyens
a la fin sociale; remire eette l'elation stricte et rigou-
reuse, ou imprimer il l'activitó des sujets sa vraie di-
reetioll yers le buL poursuivi par la soeiét¡\ tel est
I'offiee unique et cxclnsif de l'autoritó politiquc Oll
rcligieuse. De meme que l'areher, aU(luel un point de
mire est assigl1{~, n'a pa8 ,1 s'inquil~ter de ce qui est
au dela ou el eútl: du hul ; ainsi, le pouvoir poli tique,
par exemple, ne doit emisager autre ehase que la di-
rection des forees sociales vers le bien eommun. Et
aussi souvenl qu' il veut eneore diriger les actes reli-
gieux, il s'aveugle lui-mcme, et ne sait plus voir le
vrai bien civil el po!iti(¡ue.


Or, la directioll des aetes soeiaux est rigoureuse-
ment distincte de l'ordination d'autres actes a un hut
différent. iYest-il pas éviclcllt que toute direction dé-
pend uniquerncnt ,lu point ue tMpart cl du but? Est-il
douteux allssi que, le point de départ ótant le meme,


nnOlT pum,. 4 r ,.í




50 CHAl'. 111. - C1USES FlLULES ET RAPPORTS MUTUELS


la direetion variera qwmd le Lut sera ehangé '!
Ainsi, bien que le sujet de la société eivile soit le


meme que cellli de la soei(~té religieuse, il n' en est
pas moins vrai que ehaque soeiété, arant une fin radi-
calement différenie, la direcl.ion 11 imprimer aux actes
soeiaux reste le domaine propre et exclu¡;ir de chaeun
des deux pouyoirs, eivil et religieux.


11 reste évident par El lIlellle que l'Église, alor8
qu'elle exeree la plénitude de son a('tion directnce,
n'envahit point le domaine du pouvoir politiqueo


D' autre part, aUCUlle des deux grandes soeiétés qui
sonL iei en question ne se donne sa fin: elle la ref,oit de
la nature et de Dicu; il ya done illd{~pcndance mutuelle
des sociéU,s, !Juant :\ la dMerrninatioll de lem fin pro-
pre. D'autJ'e part, la soeiété \le eOllstiLne pas, ;'¡ pro-
¡¡remenL parle!', - son slIjct, - ljui est présupposé
dans le eOlleept de la soeidé.


Ainsi, a ce point de Hle eneore, la rdation totale
qui est le domaine propre d'ulle soeiété est ilHlépen-
dante de la relalion totalc qui eOllsLitnc le domaillc
de l'autre.


Le rapport c1m; l)Lres nssoeil'S :i la fin 80eiale }leut
done elre tn\s-distinet dans les deux soeiMés : dan s la
société civile, e' est la direction matériellc des acles




DE LA. ~üclIiTÉ CIVILE ET IlE LA SOCJÉTÉ UELIGIWSE. 51
extérieurs a une fin temporelle et lilllitée ; dans la 80-
ciété rcligiPlIse, c' est la direction formelle des acles a
la fin del'lliere el. Sllrnaturelle de l'homme. D'oú l'on
voit qu'une société Jl' envisage point directement en
lui-meme le rapport qui est la loi eonstituti\e de l'au-
tm; c' est POl\l'(I'LOi l' action de ces sociétés peut etre
dile iml!;pendante·et suprómn dall~ son ordr(~; et l'i-
de!ltitl~ physique du sujet !le s'oppose ell rien il la
distinctioll réelle el il la libre action de I'État et de
l'Église.


Au surplus, absolument parlant, on peut mrme
dire que, dansl' état aetucl des choses, le sujet de l'une
eL l'autre soódó rúst point identique. Nous aYOllS
déjit indiqué eette canse de divcrsité dan s le sujet
móme, cO!lsidéré comIflc principe prochain des actes
SOCIaUX.


11 y a done eeLle différence dans le sujet des dellx
soeiéLós !flW, ponr l'ulle, le principe dcs acles sociallx
se trom·c adéquatclllcllt r1alls les forccs mcmes de la
nalure: l'holl1/lle ¡¡cut par lni seul atlribuer ~\ scs aetes
particuliers tOllte la perfcetion requise, et lenr COlI-
férer le rapporL positif a\ee leur fin.


:\Iais il n' eH est pas de memr dans la société reli-
gieuse; l' hOIl1l11c ne saurait, par ses seules facultés
natlll'ell~s, donner a ses acles la Iwrfpdioll requise en
vuc de la fill ~oeiah\. Cdte ¡in, qui es1 la sain1eté et la
posscssioll illllllédiale de Dieu, implique une certaine




:;2 CHAPo 111. - CAUSES FINALES ET RAPPORTS MUTUELS


participatioll de la vie divillc. Le pnncipe des opéra-
t ions qui sont du domainc dc ccttc sociétó n' cst done
pas alléquatement elans la naturc. 11 se trouvc sÍllIuL
tanément dans la nature et hors de la nature, dans ce
qui est le propre de l'homme, et elans ~e qui n' est
point origillairement le propre de l'homme. Ce prin-
cipc cst la faculté Ilaturelle, compénétrée el infinÍmcnt
élcyée par ecttc forcc slIrnatllrclle qu'on nommc la
grace divine.


lI1


On eloit ajouter aussi qu'CIl elehors de toute éléya-
liOIl a l'ordre surnaturel, la société religieuse eut eu-
core été distincte de la société civile; eL, a notre épo-
que rationaliste, il est utile el'insister sur cc point.
On sait, en erret, quc de nos jours la tendanee prédll-
minante est eette impiété qui vcut, ou supprimer la
religion, 011 faire de l'Églisc uu pUl' iustrument de la
société ciyile.


e'est pourquoi il importe d'appelcr sérieusement.
l'auention sur un fait, d'ailleurs évident pour tout
homme raisonnable : Dieu, auteur de la nature, en
IlOUS accordant uIIe {une irmnorlelle, IlC nOlls Ol'donne-
t-il point a la recherehe des biens d'une autrc vie? N' as-
signe-t-il pas ainsi ú nolre activité un tenue IIltéricur
a eelui de la soeiété eivile '!


La raison naturelle 1l011S manifeste clairement une




m; LA SOC!f:TÉ CIVILE El' DE LA SOCIÉTÉ RELIGIEUSE. 53
survivance aux biens éphémeres de cette vie; cette fa-
culté sumt, en effet, a étahlir l'immortalité de rame,
et, 1)011' suitc, ú nOlls rt:véICl' un ensemble de dIOses
distincte~ de l'ordre ternporel el sensible, supérieures ,
á cet ordre, et se montrant ú nous comrne le terrne et
la sanction de notre vie rnortelle.


Ainsi, l'hornrne est ordonné, meme naturellernent,
a la possession de biens qui n' ont aucun rapport avec
la socióté ci"ile et politir¡ue; et cornrne ces hien;.; sont
cornrnuns a tous, manifestés a tous, et, de plus, seuls
imrnuables en eux-memes et dans leur jouissance, ils
constituent la cause finale d'une société alltre que les
a.grégations politiques, el plus noble que ceIles-ci.


En faít, ou d'aprcs l'ínstítution positive de Dieu, le
principe, la fin et les moyens de la société religieuse.
ou de l'Église, sont différents de ces memes éMments
dans les assocjations politiques; en outre, ils sont de
l' ordre surnaturel, ou intimement liés a cet ordre.
e'est pourquoi jI faut nécessajrement adrnetlre que
I'Église, en raison de son origine, de sa fin et de ses
moyens, appartient a une région bien supérieure a
tout ce qui est de la cit(\; il fallt rcconnaitre que la
société religicnsc, fUt-clle de l'ordre purernent natu-
rel, serait encore dans une sphcre plus élevée que
toute agrégation politique ; enfin, il faut con fes ser que
l'ordre civil, Clant soumis a la loi morale, ne saurait
élt'e absolument indépendallt de l'Église, organe ex-




54 CHAPo IlI. - CAUSES FINALES ET RAPPORTS MUTUELS


térieur de Dieu pour promulguer et déterminer les
regles rte la moralité.


Ainsi, on peut dire, et Hons avons túché de le dé-
montrer, que l'aeLion dn pouvoir civil jouit d'une véri-
table indépendance, lorsqu'elle s'exerce dans ses vraies
limites; mais on peut anssi et 1'0n doiL dire que I'or-
dre ciyil et politique n'est point alllonome, mais son-
mis a la loi morale et a son interprete anLhentique.


A l'aide de ces données préliminaires sur le droit
et la société en général, nons allons aborder la partie
spéciale de notre trailé. Le droit pnblic fondamental,
qui embrasse la société religieuse et la société civile,
doit débnter par l'étnde de celle-ci : ce n'est pas assu-
rémenL qu'elle jouisse de la priorité sous le rapport
de l'importance el de la dignité; mais, comme elle
implique un rapport plus prochain, plus obvie, elle
est' par la meme plus accessible aux investigations
scientili~lllCS. Nous nous bomerons, du reste, pour le
moment a cette étude, qui, dans les conjondures pré-
sentes, oITre un intérCt plus pratique.


01', en emisageant la société civile, un double objet
se présente a notre examen: le pouvoir qui gouverne
et la multitude gouvernée. l\lais comme ces deux élé-
ments sont corrélatifs, iI importe, pour les saisir sons




DE LA SOCIÉTÉ CIVILE ET DE LA SOCIÉTÉ RELIGIEUSE. 55
leur véritaLle aspect, de les considérer simultanément;
du reste, leUl's rapports mutuels constituent la ma-
tiere propre du droit publico


Et pour arriver aUlle synthcse plus rigoureuse,
nous rapporterons a trois f}uestions principales l'en-
semble « des principes du droit public » :


1 ° Quelle est l' origine de tout empire et de toute
domination politique parmi les hommes, et, par suite,
queile est l'origine réelle de la société civile?


2° Quelle est la nature intime et la loi d'action de
ee pouvoir, et, par conséquent, (pwls sont ses rap-
ports esscntiels et primordiaux ayee les ctres libres
associés?


5° Quelles sont les formes diyerses que peut revetir
ce meme pouvoir dans l' exercice normal de ses attri-
butions?






DE


LA SOCltTt CIVILE






DE


LA SOCIÉTÉ CIVILE


PRE~nERE SECTION
OHlGL\E DV pO!Jvom


CHAPITRE PREMIER
THÉORIE PROTESTANTE El RATIONALISTE DU CONTRAT SOCIAL


~I\T. J. - NatUl'e et origine du contrat social.


1


La théorie, qui fait du contrat social la cause effi-
ciente unique de la souveraineté légitime, doit elre
envisagée sous un triple rapport : dans sa nature in-
time, dans sa généalogie historique et rationnelle et
enfin dans sa valeur doctrinale,


Dans cette doctrine, que nous pouvons appele1' i1'ra-
tionnelle et hétérodoxe, on prétend que la cause réelle
de l'existence historique des États, et, en général, de
toute société, se trouve dans la seule yolonté humaine.
Les homm" passent de l'ét,t de ""turc, c,cst-ó-d;r,c




60 CHAPo 1. - TIIÉORlE pnOTE~TAi'íTE ET IUTIONALISTE
de I'etat J'isolement, de dispersion el d'indépendance
absolue a I'état social ou de subordination. La cause
de cette transition se trouve soit duns la corruption
qui s'était introduite parrni les hornrnes et mella!:ait
les individus isolés, soit dans le choc des intérels op-
posés, en un mot, dans 13 nécessité de protéger la fai-
blesse des uns cOl1tre la violence des autres,


Le pass3ge de l'état Je nature it l'état social, d'apres
les jacobins Je toutes les nuances, se fit par un con-
trat social, qui, en délégu:1l1t a un ou plusieurs indi-
vidus une autorité sur tous les associés, devait ainsi
sauvegarder la liberté de chacun, 3ssurer l'égalité Jes
droits rnalgré l'inégalité naturelle des moyens.


Selon Puffendorf, le passage de l'état de nature a
rétat social complet se serait fait par un triple COIl-
trat social: la cité est d'abord cOIlslituée pnr' le pacte
d'union, pactum unionis ; ensuite intenient le Jécret
qui dé termine la forme du pouvoir poli tique , decretum
{orma;; cnfin, en troisierne lieu, se fait le contrat de
sournission, par lequel tous les associés déposent UIle
partie de leur liberté, dont la sornrne et la libre dis-
position constituent le pouvoir.


D'autres légistes ne reconnaissent que deux comen·
tions, et supprirncnt le decretum forma;. Enfin, sclon
lIobbes, il n'y a qu'un seul contrat social, le pacte de
l'enonciation a la yolonté propre au profit de la vo-
looté générale.




DU COl\THAT SOCIAL. 61


Aussitót que le pacte social cst conclu, ee au lieu
de la personlle particuliere de chaque contractant, dit
Rousseau, cel acte d'association produit un corps mo-
ral et collectif, composé d'autant de membres que 1'as-
semblée a de voix, laquelle re~oit de ce meme acte son
unité, son moi commun, sa vie et sa volonté. eette
personne publique, qui se forme ainsi par l'union de
toutes les atltres, prenait autrefois le nom de cité; elle
prend maint.enant celui de réllUblique ou de corps po-
litique, lequel est appelé par ses membres État quand
ii esl passif, sO\n'rrain quand il est actif, puissance
quand il est comparé á ses semblables. A l' égard des
associés, ils prennent collectivement le nom de peu-
pie et s'appellent en particulier citoyens cornrne par-
ticipants a l'autorité souveraine, et sujets comme sou-
lIIis aux lois de I'État l. )l


II résulte ele celte doctrine que le pouvoir ne sera
autre chose que la voionté générale, et le sujet du pou-
voir, l'organe officiel ou délégué dc cctte volonté. AllS-
sitút qu'il y a volonté comrnune cOIlstituóe, il y a une
soeiété organisée, cal' la forme sociale n'est autre chose
que cette volonté. Les volontés individuelles, au


I Contral social, lo J, ch. \',




62 CHAPo 1. - THÉOl\lE PROTESTANTE ET RATlOi'lALl5TE
moyen du contrat social, passellt de l' état distributil
a l'état collectif, sans toutefois rien perdre pour cela
de lem réalité propre et de Jeur autonomie, soit indi-
vidueIle et psychologique, soit sociale et politiqueo


L'organe physique de la volontú génúrale est le sujet
du pouvoir; ce pouvoir coneret n' est par conséqucllt et
ne pent etre qu'une cause instrumentale, accidentelle de
sa nature et toujours dépendallte de la volontú géIlI)!';lle,
qui lui donne toute sa rúaJitú ; saJls celte volonté gé-
nérale, il n' esL rien, )las rnelIle I:ause instnllnentale.


C'esl donc un organe par sa natnre mcme tont passif,
nécessairement en harmollie avee la "olontú collective,
sans quoi il abdique, ipso (acto. Sa loi d' exisLenc(~ lW
peut etre autre que sa conformité avec les volontés as-
socif~es ; ainsi, il doit en subir toutes les llllctuations :
vivre, quand la volonté générale le fait vine, l11ourir,
qnand elle le répudie.


Valltol'itó lle denwllre alión:thle d illlprescriptible
que dans la l11ultitude; celle-ci constitue le corp~
merne de la sociMé. « CeUe alllorilú, dit Vattcl, appar-
tient originairell1ellt et esselltiellelflcnt au COl'pS meme
de la société ... Mai" le corps de la socidó Ile l'etimll pas
tonjours a soi eette alltoritú souvcraine; somcllt il
prend le partí de la conl'úrer il un sénal ou a une per-
sonne l. » Et l'article :5 de la dúclaratio!1 dco droits


i Le DJ'oit des gel/s, t. V, L J, ch. I\'




IlU CONTRAT SOCIAL. 63


de I'homme et du citoyen énonee cette doctrine comme
¡oi de la République: (( Le prineipe de toute souve-
raineté /'l\side esselltiellement dans la nation. Nul
corps, nul illdividu ne peut exercer d'autorité qui
n'en émane exp/'essément. »


••


Mais si lelles son!. I'origine et la natllre du pouvoir
politiflue, il est manifeste que toute révolte du peuple
contre un roi détégué ne lmut elre autre chose que
l'exercice d'un droit strict, inaliénable et imprescrip-
tibie; ce n'"cs!. qu'llue rnanifestation l~c1atante de la
souverailleté véritablc : le supériellr récl répudie son
mandataire révoeable ad nntwn. (( n suffit que la
volonté de la lIatioll paraisse, dit Sieyes, pour que tout
droit positif cesse <IevaJlt elle, comHW devant la source
et l~ maUre supreme de tout droit positif l . »


Il résulte dl\ lit encore que lloll-seulement le sujet
du ponvoir e~!. UlI ~irnple in slrllllllml , mais encore q\W
la cOllstiLntioll meme de l'État est une pure machine,
qui [lent etre sans eesse modifiée et changée a volonté :
la vraie comtitulion est la VOIOllté aetuelle du peuple,
on l'expression pn'~sl~nle ue la volonté générale.


Voilit l' ensemble du systeme, pris dalls toute sa


, Qu'cst-cc q/{e Ir ficl's étal? p. HG.





(l4 CIIAP. 1. - THÉORIE PROTESTANTE ET IlATIOiHLI5TE
généralité, et en dehors des formes parliclllieres, plus
ou moins variées, qu'il revct dan s certains écrits;
toutes ces formes diverses, éeloses du cerveau des 1'12-
veurs de France el d' ALlemagne, ne méritent en elles-
memes aucune attention, et du resle ne modifienl point
la théorie générale.


II


Nous allons maintenant remonter de eette théorie
a ses ongmes historiques, vcrifiant ainsi la fidélité
rigoureuse de notre exposition ; nous passerons ensuite
a sa source rationnelle, ce qui nous donnera lieu de
manifesler et de formuler plus explicitement tous lp~
principes et toutes les conscquenccs qu'il renferme.


Le systeme, dans sa formule scientifique, est cel'-
tainement d'origine protestante; peJ'sonne n'ignorl'
IIu'il nous vient des Icgistes rcformateurs du droit
publico On peut, il est vrai, sur certains points parti-
culiers, lui assigner quclques prccédents historiques
dans les siecles antérieUI's a la réforme; mais ces efforls
¡solés, ces tentatives partielles, n'avaient en aucune
~orte rapport a la systcmatisation du droit poplllaire,
ne tendaient point a constituer, sur les bases de I'an-
tonomie absolue de la volonté individuelle, toute une
théorie de droit social.


Dans tous les siecles, on pcut certainement con-




IlU CO"TllAT SOCIAl.. ti;,


stater (l'lCl(!ues cffod" de l'esprit d·insuhordinatioll
contrc Ics pouyoil's li~gitillles, des luLLcs du dcsordre
contre l'orelte, de l'errenr cOl1t1'e la rcrité, de l'héresie
rcligieuse eOll11'e lc dogmc róycló; allssi ne pOSOllS-
nous en these qu'un seul point: la systimlatisation
Jod1'inale de la somcrainetó populairc f~St 11/1 }lroduit
spontané, Ilaturel et nóeessaire du protestantisme
rcligiellx.


Le doglllc l'Ómllltiollll"ire de la souycrainetó ¡lu
peuplc, dans sa forlllule rigoul'cuse el scieutifique, ue
remonte pas, disons-nous, au delil dc l' é{Joque de la
prctendue reforme. JI a ótl~ propagó, soutPIlU el l[¡'~rc
loppó par les réfol'mateurs eux-memes ou sous leur
inlluence, el cela pom les hesoins de la secte ; sa diffu-·
sion pl'odigieuse a sa eaus¡: dans l'intrigue et l'astuce
jlrotestantes, "idees de la puissallte coopéralion du
pltilosophisme I'cligicux el I'ationaliste, el surto lit dall~
I'aetioll des sot.;ides set.;rdes.


En erfet, ne Yoyons-uolls pas le protestallti~JlH.', dl~~
son origine, se prescnter aux lIlasses COlllltW IIne
thóorie socialc, re, dir illllnedia Le/lJent un caraclól'(~
plus politiqup (1 lit' rdigieux ') 11 s'agissait non-scule-
lIlent de d¡"gagel' les esprits des entraves du dogma-
tisme religieux, mais bien plus encore de déliner les
co1'ps de tOllte eontrainLe politique, de tout I'rein
social. 11 s' agissait en réalitó heaut.;oup moins de
,;affrallchir du pouyoir des poutifes I'omams que de
J)I~01T l'l"1:J..




66 G/IAP. 1. - 1'llÉORIE PIWn;sn~rr~ ET H ~TIü:\ALrSTE
l' antorite en genera\. 1,e er', OC tu réfonnc llevait done
ctre et fut ell effct: Affranchisscll1ellt! émallci pation ! ...
Ce cri, qui faisait appcl ,t tOllles les IIlallyaises pas-
SiOIlS, il IOlls les i nstinets perrers, fllt hicntOL n\percuté
par tOllb les échos du vice el de la cOHYoitise; il relentit
promptemcnt dans lonte l'F.urope comme un hruit de
guerre et de mort, comme un effroyahle signal de dé-
~ordrcs eL de houll~YerSelllellts.


Yoilü les faits g(~IH;raux, ré,éJ{·s par l'hisloil'e
impartiale; yoil;\ le premier dfort pOli!" établir théori-
quement et praLiljllellwtIl la sOllH\raindó poplllaire,
effort s'exen:;ant;\ la fois dans l'onlre spt"clIlatif ou des
principes et dans l' ordre pratique ou des faits.


NOlls passons mainLBIlant de ceL apef(ju général a
l'énllméraliol1 des Lhéoriciells qui ont formulé et édité
¡l~ dl"Oit llouveau.


Sans 110118 occuper ici dl~S moLifs spóeiaux (lui ()nt
pu détprmincr ces :mteurs ü óerit'C sur ces maticres,
ce qui esL une considóratiol1 tout iI fail accidentellc á
la questiol1 glmórall~, Hons ne 110US pl'llpOSOIlS que de
tllettre on évidence la cause róelle de ['imcntioll et de
la divulgatiol1 dn droit nonveau. Les 1lI()lir~ particll-
liel's des écrivains sont, disons-Ilons, p nrelllent acci-
dl'utels par rapport an mouvcment g/~ll/~ral; en erre!, il




fjÚ· (;O.lTRJT SOCfAl. lJi


n'est douleux Jlour personne qn'un autellI', méme
arcc les meillellrcs intentiolls, puisse quclquefoi"
mettre ses lalcnts :i la disposition d'lInc cause mau-
Valse.


n u'est pas rarc de voir les société" lnunaines re-
o muces pat' ces eourants universels el irresistibles d'idees


ou d'opinions, eourants qui, dalls leur impétuosite et
leur etel1l\ne, enlraincut les Il1a~scs, dornillcnt les intel-


. Jigenccs Yldg:Jil·(~.-;:, i!1l ~()rt,~ '--Jllf~ Jet-; hOH1HJf"S SlIpt':riclIrs
seu/s s:l\eut s'isnler, se tenir a ¡'éeart et resistero


II n'est done nullcl1lent qucstiOll ici eJe jl\ger les
scntimenb intimes, les motlt's particuliers ues écri-
vains; il u'est poinL qllesLion de faire le proces des
hommes, mais des doctrines. J'exarnine en lui-méme
ce eourant, eette pnissallte implllsion qlli cnlralnait
les esprits, yolonLairemenL ou iuvolontairCllIellt, ayec
adyertanee 01\ <l\ellglémellt.


Le protestantismc, diHons-llous, est ce formidahle
lorrent, quí, (Lms son développement graducl, sa force
progressive, a prodllit le no mean droit pllhlic, a imposé,
comllle \llI d ngrne fondamcnial ineonte . ,tahle et memc
indiscntahk le prineipe de la souycraincté Jlopulaire.
NOllS Jllonlt'crons plus tard la conJ1(~xioll des prineipes;
ponr le 11l01l\cnt. nons ,onlon8 simplcmellt montrer la
connexioll des laits.


Ilohhps d Grotins sont les premiers pllhlicistes qui
appliquercnL les idúes Ilouvdles a des s:"stcmes sur la




[j8 CILI.P. r. - TIIÉÜRlE PROTEST.I;-'¡TE ET IIATlO;';ALISTE
nature et l'origine dcs États en général. res ques-
tions, d'ailleurs, próoccupaimü prll aut\,pfois les es-
prits, parce que des LOlllcYcrsrnlents fJllotidiens IlC
venaient pas fixer l'attention sur ce point.


HoLbes se vante mCIIlC que le droit puhlic, 011 la
philosophie ci,"ile, comme iI le II01I1llle dans son liHe
tIe Civc, " anliquío/' non est libro quem de Cit'e seripsi.»
II se donnn ainsi comme l'inventeur de ce systcme
social.


Grotius, esprit plus sériellx (lile JIoIJIJCs, flose dan~
son traité ( De jure belli et }Jacis, )) les principes fOTl-
dam(~Iltaux de la thóorie du contrat ~ocial, sans cepen-
dant trop y insister, et surtout sans en pressentir
toute la portóe et toutes les conséquence,;; il ne ya
pas IIlClIle jU!;qu' a afllrrner ce sysU'me comme absolu
et univel'sel. C'était donc vraiment Thomas IIobLes,
qui, dalls SOIl LéviatlwJI ou son MOllstrc sori(f! artificiel,
devait établir d'une mani¿~re absolllc, 1IIli\erselle, que
le pacte social est la seule somee l'ógulit~rc et légitime
tlu pomoil'. TI prcnd ce contrat tlans le sens le plm
radical, et faít tont procéder, dalls la ~ociété civile, de
la seulc volonté dcs citoyem;.


EL ceci pourrait paraitre ótrange, si l'incollséqllenCll
(lcs homrne~ était chose inoule: Hobl)e~, fougueux
I'oyaliste, chaud partisan de Charles JI, roi (L\.ngle-
terre, BC se proposc nutre cho~e dans SOIl O\lvrilg(~
(¡ue de justiGer lous les ex.ce.s po~si(¡lcs de la puis~¡mce




L1e ca,\ mAr S(JCLU.,
royale, de l'clldl'c cclk-ei incMpelldante de toute loi
moralc ou religil~llse, JI vent, au rnoyen du eontrat
social. dahlir fjlll: tout aete ropl ernporte en lui-
mcme sa justification el Sil Il:gitirnité, dt~ sortc qu'il
est licite et juste, uniquemcnt paree qu'il e~t aete
ropl. Le seul rait constitue le droiL Aussi conclut-il :
Sllmmos imperantes ¡/eceare 11011 })()sse, 1.¡eque wm
ratiO/le wIIJllam C/ll¡){{/ulos esse, paree que le pouvoir
royal esl la persoJlnilicatioll de la volonté génórale,
supérieure iJ tout droit divin ou hurnain.


Nous vOyIJIIS ensuile Puffendorf et Bcrhmer clévc-
lopper en Allemagne les principes de Grotius et de
HobLes, poussés en cela par le flot montant du pro-
testantisrne révolutionnaire.


tes perturbatiolls rcligieuses et politiques de l' An-
gleterre vie!lnent encare donner un nouvcl essor a la
divulgat.ion dll droit llouveau. Locl\C et Sydlley repren-
nent en sous-cruvl'e les théories de IIobLes, et finis-
sent par pOlllllariser c1wz eux la th¡':orie du eontrat
social. lis revencliquent au profit de la volonlé popu-
laire l'aulonornic absoluc, dans I'ordre politique non
moins que dans l'ordre religiellx. Ces deux óerivains,
tres-inférieurs it Puffendorf et it Bcrllrnel', soit pour la
reclitlllle et I'élóvation des idóes, soil pour la scienee
dll dl'oit, ont pu nóanmoins fasciner les esprits en
Angletcrre et rnÓlle J¡~s dominer en Franee.


Le philosophisllle fralH;ais du dix-hlliW~me siecle


r
\ ..




70 CJI\P. I. - TIIÉOIHE PROTESTA:\TE ET HATlONALlSTE


rmlJfasse d'ahord les prineipes religiellx du protes-
tantisme, ponr ahoutir ells·uite an déisme. Mais c'est
dans l'onlre politiqlle quc son inlhwllcc s'c~t prinei-
palement fail scntir. Sous l'acliol1 d'nne foule d'esprits
frivolcs et pretentieux, mais hahiles dans l'intrigue,
ingónieux h captcr les esprits, a domincr les intelli-
gellccs wlgaircs, la t1u)orie du tlroit Jlouveau devinl
tellemcnt popnlairc qu'elle parvint;l rógncr définitive-
ment dans la jnrisprudence et la littórature. Montes-
quien, Rousscau, Voltairc et les encyelopéJi~tes feJlJ-
plissent l'Enrope de leurs itlúes religienses, politiques
et sociales, et préparent ainsi, soit pour la Ft·ance, soit
ponr les antres États, d' épouvantaLles houlcverse-
ments. Voilil. loulc I'histoire de la théorie protestante
et rationaliste du contrat social.


JII


Nous avons affirmé plus haut que lc protestantisme
n' était pas cause aecidentclle et fortuite de l' éclosion
du prélendu droit nouveall, ou de loutes ces théories
démagogiq \ICS, mais hien la cause logique, rigoureuse,
adéquate. Nous a\lons done mainlenanl étaLlir cette
eonnexion rigoureuse des principes de la ri{orme avec
la théorie du contrat social.


Dans le droit nouveau, nons avom; simplement cleux




-


DU COHRH SOCJ.1 L


ehoses a consillércr: u'ahonl la s)'stématisatioll (les
principes el des eonclllsiollS, on la synLhese qll'il
présente, ce IJlli ¡[Ji assigne une époque dans I'histoire
du droit; ensuite le principe fundamental quí est
comme la forme essentielle de ee droit, d le distingue
de cclul qui i~tait en vigueur dans les sil'eles anté-
rieurs, 11 esl Liell évident que loul u'est pas 1l011VeaU
dans ce prételldu uroit 1I0\lYeaU, et qu'il y a des prin-
cipes et des thi~ories ell1pruntés au droít préexistant,
surtout au droit romain; nOll8 afljrmons seulement
íeí que fout ce q ui est lIouveall dan;; ce droit est une
génération nécessaire, une émanation naturelle des
principes rcligieux du protestantisme,


10 Et d'aLonl, pour ce qui est du principe fonda-
mental, qui fait consister uniquement, exclusivement
le pouvoir dalls la volonté générale, qui érige la sou
verainlllé populaire en dogme politique, yoici quelle
cst son histoire philosophiqllc :


La reforme protestantc posc comme SOlI dogmc fon-
darnclltd, I'indépcndallce radicale de chaque fidde,
l'autonomic ahsolue de la raison pri,"éc dan s I'ordre
religieux et uogmaLique; elle dénie a l' Église toul
pouvoir direetif, et affirme la suf(isance de chaque
croyant a se diriger lui-meme,


Mais la révollltioll protestantc, de religiellse devint
bientót et nécessaírement politiqueo Or la farnfmse
liibertas chrisriana, OH l' affranchissement de toute




i~ ellA!'. 1. - TIIÉOI\lE pnon:sr.\:\TE ET HATIO~.\L·STE
autorité dogmat:que, faisait reposcr la hase de toul
édifice doctrinal sur le ~elltirrwllt privó el t'arbilraire
dE~ ella(PIe imliriun; la cause adéquate de tout pon-
voir, religieux ou civil, ¡Joe!rinal ou polilique, devait
done se trollYer uans les illdividus OH dans le peuplc.
Si, en cffd, le pouvoir doctrinnl, rnerne surnaturel.
est originail'ernellt dan:,; ehaque imlividu, la souree dn
pouyoir politique doit ú plus 1'ol'le raison s'y tl'omer
égalemerrt.


Ensuite, par une eOllfusioll grossii're entre le libre
arbitre ou la liberté ph ysiqne I ógale chez tous le~
hommes et absolllfllellt illaliúllahlc, el la liberU'
eivile, Elui n'est qu'un pUl' rappOl't extrillsi~que, Ic~
juristes el philosophes pr()te~tanls sont arriY{~s ti ótablir
que le pouvoir róside d'ulle maniere illaliéllablc dall~
le peuple : en effet., d'apri~s eeHe doctrine, toute alii·-
nntioIl de la souyeraincié, (lui n"side dan", les illdivi-
dllS, llloclilierait les caracteres esselltiels de la liherté
hmnaille, ainsi entendlle.


*
'1- '1-


Toutefois eomme l'illlliyitlualisme protestant, qui
. dans l'ordre religieux Ctail abs<ilu, !le pomait suffire


pour constituer ulle sociétú ou agrégatio!l Eluelcollque,
il fallul tromer UIl J1loyetl de gTouper les incliyiclus :
des hommes ne cOllstituent ras un eoJ'ps social san s un
pl'ineipe tl'unité. Pour étre eOIlseqnellt et !le pas reniel'




DC CO:iTRAT SOCIAL. 7;)


le dogme fOlldamcnLal, il était né¡;essail'e que le prín-
cipe d'llllitó jaillit allssi des individus ou de la multi-
plicité, füt \lne bllanalion de la yolonté indi\idue'le.
La soci,eLó devait donc sc {(lI'Trler de has en haut; la
force de eohósion !lC pouvait étl'C ótrangere aux mo-
léculcs qll'dlc rdiait, et la yolonté génórale, róputée
forme cssentielle de la société, deHlit s'identifie1'
d'une certaine maniere avec la volonté indiyiduelle.
AillSi le libre arl/itre humain, par des actes yolon-
taires, était l'auteur ulli({ue et la so urce exclusive de
toute autoritó dans le monde.


L'hórf!sie d le s¡;hisme le plus radical, le plus com-
plet, le plus dó¡;idé qui fut jamais, dc\"ait logique-
ment prodllire le radicalismc le plus pUl', la démo-
cratie la plus exagérée, la plus ombrageuse qu'il fUt
possihle de concc\'()ir. Je dis « de conceyoir )), cal' dans
l'ol'dre prati'lue ces théories sont aussi impossibles
qu' elles sont absl\l'(les dalls l' ordre spéculatif; ¡;' est
pOllrquoi elles sont r()put()!)S, par leurs propres au-
teurs, « des fictions légales. ))


Kous Yoyolls done une double tendance au sein du
protestantisme : lendance théorique ú donner a l'indi-
yidu r omnipotence absolue ; tendan¡;e pratique ú 1'en-
yerser tout ce qui entrave la lib!~rlt'~ individuelle, ou
gene la lilH'e (!\olution de tous les instincts, bons ou
mauyais, jusles OH p!!ners. Cest, en un mot, l'égolsme
qui s'érige ell doctrine absollle et llniverselle.




74 CllAP. I. - THÉORlE J>HOTESTANTE ET HATICJ:\AIISTE
01' on trouve dans le contral social une hahile COlll-


binaison qui semble offrir une pleine satisfaclillll it ce!
égolsme indh-id lIel. La tenuance spéculatire est satis-
faite, cal' la ,"olonté uu cito yen n'a d'autre regle qn'elle-
mt~me, la ,"olonté collective étant le seul somerain. La
telldancp pralique ue trouve pas une llloindre salis-
faction, cal' l'instahilité des pomoirs perlllet d'aspiret·
sans ces se a ue nouvelles cornbinaisons sociales, dans
lesquelles chaqne illdi,idu souveraill lotcndr<l Sil petite
son rel'aineté.


Ainsi, ponr tont résumer en un mot, affranchisse-
ment complet dan s l'ordre spéculatif: la raison el la
volonté ont l'autonomie aLsolue; affranchissement
complet dan s l' ordre praliq ue: la révollllioIl est un
droit, une faculté légitime du vrai sOllverain, le
penple.


Les principes poli tiques du contral social ne sonl
donc alltre chose que l' extension logique, l'i'panouisse-
ment naturel des principes religieux de la reforme.


*
....


De plus, la systématisation dn droit nomean est due
aussi au meme courant des idées protestantes. Apres
la destruction de la hiérarchie cccl¡'~siasti(llle, apres
l'anarchie religieuse, qui naturellemenl ucyail sllivre
ce houleversement, et en réalité suivit immédiale-




DU CO~TRAT SOCIAL. 75


mCHt ceLlc dc~truction, il faUnt songcr ii reconstiluer
des sociétl~S ; lcs hOJlUlICS, déliés cn principe de toute
obligalion rigoureusc envers d'autres homrnes, ten-
daicnt fatalcIllent a r anarchie politique et rcligieuse ;
il fallait donc créer une nouvelle loi d'agrégation, un
nouveau principc de cohésion sociale.


Les théologicns protestants, qui jusl{lI' alors n' avaient
su que calomnier eL dénigrer, nier et renverser, s'ef-
forcent enfill de dresser des symLoles de foi, des for··
mulaires religienx. lIs avaient cOlllJnencé par nier et
détruire, et étaient arrivés a l'anarchie intellectuelle,
morale, religieuse et politiqueo


L'époque des synodes, des formulaires de foi, des
pactes dogmatiques était donc comme une tentative
de reconstruction religieuse; c'était l'époque de la
synthese protestante, qui, comme tont le monde sait,
ne put jamais aLoutir dans l'ordre religieux.


Sous l'influence de ce mouvement, les csprits furent
inclinés ou ponssés a chercher une solulion, au mojos
dan s l'ordre civil et politiqueo e'est ainsi qu'on vit
éclore toutes les formes possiLles de la théorie du con-
trat social.


o




70 ClL\P. I. - THÉOmE PlWTESTANTE ET HATIO:\ALlSTE


ART. 11. - EI'I'cm's, conh'lIdielions ct daoge.,,.
dc la Ihéorle du eonto'ut soe:ul.


Pou/' jllstifípl' la note d'hótórodoxie que nous avolls
inlligée ú ce systcme, HOUS n';¡yons pas ú faire de lon-
gues recherches dans les dócreb de l' f:glise, Le
Syllabus, qui est eonnu de tous, fldl'it les pl'incipc~
du contrat social. D'ailleul's ce que nous venolls de
voir touchant son origine suffirait sallS aUClln doute it
eette justification, 11ais HOIlS youlons surtolll montrer
combien ce sj'steme, envisagé en lui-meme et abso-
Illment, est ahsurde d pemicieux,


Cette theorie, considerée speculatirement, est
absurde dans ses principes, fllneste dans ses con se-
quences logiquL's et en contradietion permanente ayec
elle-meme, Considéree pratiquement, elle est impos-
sible ; de plus, elle cst en opposition reeHe ayec tous
los faits, avoc les principes fondamentaux de toutos
les législations ancienncs d modernos des naliOlls
eivilisees.


10 Cette thi'oric, considerée speculatiyemcnt, est
absurde dans ses principes et injustc dans ses con sé-
quences logiques.




!lU CO:'iTHAT SOCIAL. 77


Le contrat social, ellvisagé dans ~a forrnation,
serait, d'aprl~s n'JPothese l'e ses auteurs, le moyen
indispensable }JO/ll' opérel' l({ transition de l' état de
natUl'e h la soriité civile. Si doncl'éLal de nature était
simplernent en fait et en droit un état chirnérique, il
en résulternit f{lle la transitíon de cet état iI ulle orga-
nisation ci,ile on politique, et partanllü'conlrut social,
sernit anssi \Ine chirnerü ; ce ponrrait etrp tout au plus,
comme (lisp!1I, l]uelrluCS l(;gistcs, tirtio jW'is, ou une
hypothese pnre, exigée pour la systémalision de la
science du droit: 01' ce qui est faux !le pent senil' dI'
principe thi'oriqne iI une science qllclcompw.


ll'abol'd ponr ce qui est de l'ol'dl'e historique, il est
certain que nous ne trouvons aUCU\l Yestige de l'état
de nature ; nous \le pouvons constater, dans les anna-
le., du monde, a\lcnn dr, ces pactr,s fOlldarncntaux.
Qu'on scrulc lons les docllments histol'iques, qu'on
s'eflorce l/¡~ cOlllpulser les aI'(;hiyes (le loules les sociétés
politiqt;es, fIn' 011 parcoure les écrits de tons cel1X qui
ont Ctndié sérieusement I'origine des pcuples, J1u1l8
part O!l !le cOllslatera ce fameux passage de l' éla l d8
natUl'e a I'!~tat civil. Le contrat social rle~ .Taeobins est
donc en opposition ayec tout l'onlre histol'ique, ce quí
est une premlcre pri~somption dl~faYorab]c ; le raít est
ccl'taillemellt, (;"idCIllJllPllt, eontrc cctte thóorie.
Le~ 1):lt'ti~;lII~ modcrncs du droit PlIhlic philoso-


phique, dit )f. de Ilaller, comicnnent f[Ue cdle ])1'(',-




78 CIHP. 1. - TIIÉORlE PROTESTANTE ET R.\TIO:'ícILrSTE
tendue origine des États est historiqllmncnl fausse;
mais, plus insensés encare que leurs préJécesseurs, ils
en souticnnent pourt:ml la nécessilé, eomme hytlo-
these ou comme fiction juridique, et s'imaginent avoir
fait en cela une grande découverte. lIs distinguent en-
tre l'origine hislorique des Élals el ce qn'ils appellent
lem origilw jhridiquc, c' csl-a-dire une origine histo-
riquemcnt fausse, disant ayec une singu¡¡¿~re arrogan ce
que, qlloiqlle nul État n'ait été produit par un contrat
social, ils ont néanmoins pu et dti se former lous de
cette mani¿~rc 1. »


La fameuse déc1aration des droits de l'homme et du
citoyen affirme ti lJriori les dcux principci' suivanls .
10 L' état d'isolement, de séparation el d'iJl(I{~p(~;ldance
absollle est naturd :1 l'hornrne;» d'oll il résnltera
que l'élómenl de S'ociahilitó nous est essentiellemcnt
étranger. Or ceUe proposition, affhmée sans prcmes,
n'est pas seulement une pétition de príncipe, mais en-
care une errenr manifeste; ca'r, ainsi que Hans l'avons
démonlr¡\ plus h:mt, l'homme est par sa nature mcme
un etre soeiablr; done naturellement, auh.nt et plus
que yolontairement, l'homme vit en soci¡'·t/·; p[ la


I l{cRlallmtion de la SG. lJolit" ch. Xl.




lJU C:ONTHA'f SOCIAL. 79


soci¡~t!;, IIJ(~III() civile, /I'est pas et ne saurait etre une
société Illlrl'lllent yolontaire.


Second principe: « Les hommes nalnrellemenl 8e
trouyent (1:11IS des eondiLiolls mulue11es d'égalité abso-
lue, » el, pal' consóquent tOllte organisatioTl hiérar-
chique esL artificielle, adveutice, destructiye de la


.liherM ol'iginail'e el des dI'oits de la Tlature. En ceci~
il y a ¡J'a/¡ord ])(\lit.ioll dI) prillcipe, llllisqll'on affirme
simplelIlenl ce qui es!, en quc~tiOll; il Y a errcur en
tant qll'Oll ólahlit el priori eL oans disLinct.ions, l'éga-
lité naturelle de lons les hommes, et par eonséqllent
dn pere el du (ils, de l'homme ét de hI fernme L, etc.


On c"onclllt ici de l'égalité spéeifique et abstraite a
l' égalité imliviuuelle. Ce n' est pas en effet le eoneept
universel dl' la I!atnre humaine, pure, identique ehez
tous, qui l'st en l'éalité l'élément social, la matiere
prochaine ti '!IIW socidé réelle el. concrCte ; cet élément
social, ce sont les i ndi vidus hurllaills avec leurs innom-
brables diff(\),('llecs inuiviunellcs, non moills (Iu'ayeC
lenr nature slH;ei fi (111 l' Illerlt ideu tique.


Ce ,ont done les homl1les distincts, rnultiples; iné-
ganx, (Iui wnL la Illatiere sociale.


La natnrc ahstt',lilp, iJenLiqllc chez tons, et le bien
en général, (plÍ consl.illlcnt le premier principe d'asso-
ciation on l'ó1éllll'nt de la sociabilitó ulli\'erselle dn


I r.es ['¡'¡I/eíl"'., di' ~\ll'! le CUlleilc, ch. JI el,uiv.


e




80 CHAl'. 1. - TIIÉORIE PHOTESTA:'iTE 1<:T IL\TIO~ALhTE


genre humain, ne sauraienl forme1' par ellx-rnemes
une sociélé reeHe el concrete; ils ue sont que le prin-
cipe u'ulle égalité iuéale el ahstraite. Cel éli'ment ne
se traduira a l'orure concret que modifié, parlicularisú
par uc~ fails tres-lIlultiplcs et tres-val'iés ; et du reste
si les hOlrnnes úLaicnl cn réalité el physiquement dans
ccs cOIHlitions d'égalilé absolnc, le communisme se-
rait l'expression logique des rapporls (:ivils ; el Pron-
uhon, en faisant de l'anarchie la smle forme politique
légitime, concluait plus rigourensnment que tous le,,;
prédicallts hébctús de la souveraineté dv peuple.


L'élat de uature et l'isolemeut ahsolll SUPpOS('
donc de toute nécessité que l'hornrne n'est que 1'01'-
tuitement, accidentellernent un Ctrc sociable, el non en
vertu de sa nature rncrne ; si ¡'élat social a sa sourcl'
adéquate dans un fait volontaire, il en résulte que la
natnre de l'homme, d'elle-m(~tlIe, u'est llullellíent
inclint\e;'¡ ]'(\tat social: cet élal pourra ct1'e un besoin
fortuil, rnais non un besoill natul'el.


01', quel homIlle de hon sens peut éludier la naturc
humaine salls constaler Ull élérnent ue sociabilité,
~lúIllellt inné, indt')pendallt ues prl)jugé:; et de I'édu-
cation. Cet élément résulte d'une part de l'i(lelltité ue
la nature humaine, de la raison cornmune :1 tous les
hommes, de la possibilité intrinscque de cOllllllunica-
tions sociales; ii résulte d' autre part de la faiblesse el
de l'infirmité llatives de l'hornrne; Ilot re imligenre




DU CONTRAT SOCIAL. 81


orlglllaire est telle que nOl1s lIe pouvons parvenir au
plein épanoujssement de nos facultés que par le con-
eours de nos semhlahles; on ne saurait meme con-
server la vje sans le seeours de quelque soeiété.


* ....


Ensulle le principe sur lC(lUcl es! rondé le contrat
social, comme souree de la souveraineté, est l'inalié-
lIabilité de la liberté hllmaine; or i 1 est question iei ou
de la libertó physique ou de la simple liberté civile;
la liberté phy~ique est inaliénable el inaliénée, soit
dans I'état civil, soit hors de l'état civil: l'homme ne
saurait pas plus la perdr'e el l'amoindrir qu'il ne peut
pcrdre ou amoiudrir sa nature.


S'jl est question de la seule liberté civile, il faut
d'abord obsenel' (IlI'elle présuppose le fait de l'orga-
nisation Boeiale. Sans une soeiété ei"ile ou politique,
il est manifeste qu'il n'y a pas de lil)('rtó eivile ou
politique, qui est une pure relation ¡'¡ l'état social. 11
!lit d'ailleul's tellement faux que eette liberté soit de
sa nature inaliénable, (Iu'on ne peut au eontraire con-
eevoir auenne mooilication sociale uans laque\lc cette
liberté nI' sllhisse quelque alti'ratjon 011 aliénation.
Tout code de lógislation civile est ulle réglementation
de la liberté ciúle, et ton te constitution politiqlle


D[\QIT lIt EL. 6




~~ CUAP. 1. - THÉORIE P!WTE~TAl'iTE ET nATIO~ALJSTE:
étend ou restreint ce qu '011 I10rnrnc aujourd'hui li/wrté
politiqueo


Au surpllls, dans l'hypothi'se des adversaire~, le
contrat social ne se faít-il pas lui-lIlcflIe par \'Oie
d'aliénation de eeUe meme liberté? Done eelle-ei n'e8t
poinL inaliénahle: toute loi soeiale e~t un lien pour
la Yolontt~ libre du sujet; eonsóquelllment ceLte
yolonLé, restant li¡'~e par celte loi, IIlJ derneure ni
liIH'(~ ni inl.egre sous c(~ rapport.


De celle inaliénahililé, on arrive cnsuite, el par ,"oie
de corollaire, a l' égalité des dJ'oits de ious les eitoyens;
on passp ainsi d'uIIc confusion a une antre confusion,
Apl'es avoir rnéC01II1ll la distinclion ónOl'rne de la li-
hrl'té physique et de la libertó civile, on passe ensuite
ayec la meme inad\'el'tanee de l' égalité spécifiqne eL
essentielle des hommes, ri'sllltant de I'idcntité de na-
ture, non-senlernent ú 1'('~galiU\ individucllc, lI1ais ('11-
COl'e Ú une ccrtaine égalité aecidentell(~, r¡"sultant de
l' élal social,
, L'egalité spécí{lque et abstraite de lous les hornmes
est aus"i incontestahle, (III'il est éviJent (IlIe la nature
humaine est une et identique, Mais eeUe égalité spé-
eific¡ue iúmplique en aueUlle sode ógalitó indi\'idllelle,
cal' la'llalure sC'llle ne consLitue pas l'indiYidll ; beau-
coup' moins encore irnplir{llC-t-elle ('dte égalité
soeiale, qu'on veut étahlir ú prio/'i, égalité qui résul
terait t!'llne org::misation sociale parl'aite. -,




IlU CO~Tl\AT SOCIAL.


*
. "


83


Mais, en passanl sous silenee toutes les aosurdités et
les ineons{)quenees que nous vcnons de signaler, 11
resterait au moins certain que cette voloJlté générale,
qui esl le vérílable pouvoir souvcrain, /le pellt etl'e en
elle-meme qu'une ]Jure abstl'uction ; ce qu'il ya de réel
ici, ce sont les volontós particulieres, et ¡'unité de
celles-ci ne peut elre que de l' ordre purement ahslrait.
Le droit fonda mental et essentiel d'une société eon-
erCt~ ne sera ainsi qu 'une pure ahstracLion. Et quand
cette ahslraclion passe a l' état eoncret par un contrat
extériellI', il esl manifesle que ce contrat el ceUe
volonte générale ne deviennent une réalité que dan;,;
le sujet du pomoir,


11 résulte donc de ceci que la souveraineté populail'e
est un príncipe aostl'ait, el que eette sOllreraineté ne
«erient concrete que dans le sonverain et pOllr le sou-
verain. Aussi, I10bbes avait-il exploité eette anornalie
dn systeme au profiL de l'arl)itrairc royal, en identi-
fiant la volonté gónóralc aree la volonté individuelle
du prim~e; d comme cette volonté géll(\rale est ahso-
lue, indépendante, irréformable, san s appcl, eomme
salls controle, regle unique uu droiL et du dcvoir, il
en résnltait ponr IIohbes que la volonté personnelle




84 CHAPo l. - TIlÉORIE PROTESTA:'iTE ET lLITIONALlSTE


du roi jouissait de toutes ces eonditiollS, était la regle
absolue du juste el de I'injuste.


J,e systimw délllocratique, entre les maills de cet
auteur, s'était comerti en doctrine établissant et justi-
fiant la plus horrible tyrannie qu'il 1'"t possible de
eoneevoir; ,oila pourquoi il a pu ohtenir le suffrage
des despotes, en meme temps qlle les acclaTllations des
démagogues.


.. ..


Kous avons dil en secoml lieu que le systcme dé-
mocratique du contrat social était pernicieux dans ses
conséquences. Nous venons déjá de prouvel' eombien
il se prctait merveilleusement au plus horrible despo-
tisme. Rohhes, en effet, Be changeait pas les prineipes,
mais il se contentait d' en eonGer silllpleJllenl. l'usage
ou l'applicatiull al! prillce el non au peuplc.


Le pacte social doit, par hypothcse, tellllre a l'ex-
tension de la liberté; et ccpendant, aprcs ce pacte, ne
pourrait-on pas dire a,ec Lucain : Toto in orbe liber
solus Cxsal' crit? Quanu on aura cédé ü l'Élal, cessioll
d' ailleUl's ass(~z diffieile a concevoir, son illne el SOIl (;()l'pS,
sa volollté, son jugemellt, ses forces corporelles, etc.,
comment donc se fera ce maglliGque épauouissement
de la liberll]'! Ne selllble-t-il pas que le cOlltr'at social,
comme l' enlenuent les róvolutiolluaircs, hien loin de




BU CONTRAT SOCL\L. 85


rendre les llOmmcs plus libres, nc soit, comme on 1'a
d,it, le tombeau de la liberte?


Mais en se pla~ant au point de \'!le des dómocrates,
la premiere COnSe(IUenCe direcLe de ce systcme sera
évidemment que « tous les souverains n'ont aucun
droit sh'icL SUI' les gouvernés, » mais simplement des
devoirs envers ccnx-ci ; et voilil ponrquoi les partisans
de la doctrine Ilouvelle parlent sans cesse des droits
du peuple et des devoirs des princes, de I'autorité du
pellple dólégllanL, et des ohligatioIls dll roi déllJgllé. Le
prince n'a donc que l'u~age prl1caire, dcpendant et
limité d'nne sOllVeraineté étrangcre.


Logiquement il n'a aucun droit sur le pouvoir su-
preme, qu'il ne saurait a la rigueur transmettre par
voie d'héródité ou autrement; a proprement parler, il
ne pourrait pas mtJme ohtenir, par contrat soeial, un
droit strict de Lransmission, Pllisque le droit populaire
est essentiellement inaliénahle : 1111 tol contrat, impli-
quant une véritable aliénation, serait nul de plein droit.


En effet, l' ohjet dn pacte est un droit sur la sou-
verainete: ce qne le peuple concede ici ne serait pas
liieulernent I' exereice de SOIl droit, mais le droit lui-
meme; done, ou ce droit n'est pas inaliénable, ce qui
est la negation dll syst(lme, ou il faut admettre que le
prince, altendll qll'il n'a auclln droit ol'iginail'e SlII'
la souvcl'ainetó, Jle peut pas meme recevoir un droit
dériyé ou concedé.




11 résuIte eIlcore Iogiquement du systimIC qu'un
prince est légitime antant I1U 'ji bt toléré par la \'0-
lonté générale, el qll'il devient illi'gitime aussitót qne
cette ,'olonté générulc vicnt a le rélmdier. n est im¡)os-
sible qu' en yertn des principes posés on aomeUe une
roy::mté héréditaire, el méme une royauté a vie, OH
selllement pour un temps limité. L'inaliénabilité ou
droit populaire est absolumcnt incolll}l:ltihle avec une
délégation pour un temps fixé et di>t,(·l'llliné .



• •


Si nous passons ensuite des conséquellces par rap-
port au principe de f'unité sociale, ú d'alltres eonc1u-
sions du meme systeme, par rapport allx éléments
sociaux eux-rnernes, nons verromi tout d'abonl 'lu'une
circonscription quelconque de tcrriLoirc, que toute
unité nationale Il'cst qu'un fait accidcntc1, totalement
dépendant d'un acte particulier de la volonté popu-
Iaire. Et mt}me, comme la yololltü qlli a üté formée
par le pacte d'union est la réslllt:ll1l(~ des volontés in-
dividuelles, il est évident qn'ulle partie quc1conqne
de la nation n'est enchainée que par sa propre volonté,
c'est-a-dire qu'autant et dans la mesure qn' elle le veut,
a toute antre fraction sociale,


Si done une proYince, une Yille el meme une fa-
mille n' est liée que par sa volonté, elle sera toujours




llll COIiTIU T SOCIAL. S7


libre Je ~ol'tir ~ son gré Ju pacte J'union, et d'entrcr
eomme cOlllposanto dans un autl'o contral social. Toul
ce qui empccherait eeUe séparation serait une vio·
lence bl'Ulale, une Il{~gatioll Ilagranle de I'inaliénabilité
du Jroit populaire; ce serait nier que la volonté gé-
nél'alc ré~ulte des volontés individuelles, ou afflrrncl'
que ces yolontés n'y entrent que d'une maniere fietiw,
Oll enfin remer~er le príncipe de I'inaliénabilité.


Si l'on dit que la volont{~ générale n'est autre chose
que la yoloutó de la majol'itó, on anllule de rait les
yolont!'s de la minoritó, et, par suite, on l'exclut de
tonte participatíon a la sonveraineté. Comment done
alor~ ccUe minorilí~ a·t-elle pu entrer comme compo-
sante dans le contrat social, qui est un rait puremellt
volontaire? Commellt expliquer l'égalité eivile el poli-
tique des ciloycns '? Cornrnent conserver inlacte cette
préeiellse liht'l·té, le plus he! apanage dcs Jaeohins?


Pour samcgardel' toul cela, il falldra encore recou-
rir JUX fictions juridiques, a la rcprésentation yir-
luelle des volontós de la minorité dalls la yolonté gé-
nérale, a I'abstraction ridícule de la cession a la fois
yololltaire ct extorquéc de force d'une porlion de la
liberté, etc.


Le mandalaire puLlic, exóeuteur des df~crets de la
volonté góné¡'ale, ne peut don\.: légitirnernent, c' est-a-
dire sans "iolcnc!! injuste et sans eonfradiclion, cmpc-
cher la séparation d'une province, d'une ville, el'une




88 CH.lP. 1 - THEORlE pnOTESTANTE ET IUTIONALlSTE


bourgade et meme d·une ramille quelconque. Et voici
le spedacle que nous prés!mle le systcme: unité tou-
jours fictive ct nominale, el mulli plióté toujours réelle
et certaine ; unité toujours dépendante et révocable
par rapport aux individus unis, et individualités tou-
jours indépendantes et souveraines, et n'ayant au fond
de loi stricte que leur volonté privée.


N'est-il pas étonnant, avec de tels prinópes, d'en-
lendI'C tous les coryph¡'~es de la dérnocratie rcproclwr
aux peuples leur défaut de patriotisme ! S'ils ont ra-
mené la patrie a la seule volonté individuelle souve-
raine, comment viennent-ils effrontément réclamer
des individus certains sacrifices et un dévouement in-
compatibles avee les intérets individuels ? IIs onl sorné
l'eneur et affaibli l'esprit de foi, soun:e unique du
vrai patriotisme : ils ont recueilli l'égolsme, comme
fmit nécessaire de leurs théorics.


JlI


En nutre, si Fon envisage eette doctrine dans l'ordre
prati(!ue, on rcconnaitra que la {ormation dll contrat
social présenterait des obstacles insurmontables. Qllel-
les 8eront les parties eontraetantes, les membrcs de
eette assoeiation civile, les éléments de I'État ration-
nfll ? - (( Chez les partisans du sysleme philosophi-




nu CO;'iTnAT SOCIAL. 81)


que, dit jI. de Haller, il existe a cet égard une con-
fusion de langues et d' opinions plus grande que ceHe
de la tOUI' de Babel. A la rjgueur, jI faudrait admcttre
les fennncs ct les enfanls, en tant qu'ils participent
de la nature llllTIwine, principe primordial d'égalité .


. Si I'on exclut les femmes et les enfants, aquel üge s'ar-
retera-t-on? Si les femmes sont exclues a cause de l'au-
lorité naturelle du mari, que fera-t-oll ues servltellrs? Si
les seuls chefs de famille indépendants entrent comme
parties contractantes, que devient alors l'égalité natu-
relle? Pllffendorf exclut les femmes, les enfants et les
serviteUl's; Sidney ne reconna!t comme citoyens que
les possesseurs de francs-fiefs, ctc., etc.; et Kant va
jusqu'il exclure de l'association politique eeux qui re-
I.;oivent d'autrui les moyens d'existenee 1• »


* ,. ,.


Mais, en supposant meme que cctte théorie ne pré-
sente aucUlW impossibilité d'exéclltion, elle n'en serait
pas moins en opposition avec tout le droit Pllblic et
privé qlli est en vigueur en Europe. Et iel il ne s'agit
pas d'un prétendu droit public qu'une nation voudrait
appliquer il une autre nation, ou qu'un gouvernement
prane, appuie et préconise, hors de son domaine et


1 RC8lau/"fItion de la 8ciencc polit., ch. XI.




110 CIL\P. 1. - TllÉOnIE PROTESTA:'iTE ET HATlO:'iHhTE
dans un but pervers, c'est-a-di/'e pour faire naitre des
difficultés et des bouleversemenls politif)ues; il est
~implement question du droit public qu'ulle nalioll
s'applique en réalité:i elle-mt\rne, ou qu'ull gouver-
nement rcvendique pour son compte propre. Cal' il
n'est malheureusement pas rare qu\m pouvoir po-
litique s' efforce d' introduire dans les antres États
un élément de corruptioll et de mort qn'il proscrit
impitoyahlement chez lui: le dualismo polititfllC n', st
pas chose tellement inoule de uos jours (IU'il n'y ait
point lieu a faire la réserve que nous indiqnons.


CeUe hypothcse étant écartée, on peut anirmer qu'il
n'ya en Europe aucune charte, aUCllne constitution,
ancun code de lois, qui ne renferme une négation
formelle et calégorique de la théorie ré\Olulionnaire
du contrat social. Et ici, ponr Ic dire encore une fois,
il s'agit du cólé pratique des constitutiolls politiques,
et non de quelques principes abstraits qui pourraient
étre affichés saos conséquence; il s'agit des choscs
qui, dans les codes de jurisprudence civile, re\ioivent
une application réelle. Nous laissons de cóté ces mani-
festes de circonsl.ance qui ne sont que des program-
mes purement spéculatifs.


Et d'abord, n' est-il pas certain que partout en En-
rope les lois sont obligatoires avant l'acceplation -
l'éelle - de la multitude? n'est-il pas éyideot qu'el-
les sont imposées a toutes les volontés par le seul fait




!lU CO:'iTnAT SOCIAL. lit


de la volonte du souverain, roi ou empereur, Sl'nat
ou assembléc? Ce n'cst encore 'lue par Ics fictions ju-
ridiques qu'on faít emaner la Ioí Ju peuple, bien qu'en
fait il n'ait qu'a la subir. Done, d'apres toÍltcs les
constítutions, la force reeHe de la loi vient du pouvoir;
et ce n'est que fictivement qu'on fait emaner la loi du
peuple lui-m{~IlIe.


En outre, le Jroit de transIlIellre le pouvoir sou-
verain par voie (J'lJél'éJité ne se trouve-t-il pas dan s la
plupart des constitutions? Quel pacte social admet le
droit au renversement du pouvoir établi ? Et mcme les
lois civiles, dans quclques I~tats, ne viennent-cllcs pas
proscrire, dans certaine mesure, le droit d'associa-
tion, etc. ?


En/in, si, d'antre part, on considere celte théorie
sociale en regard (ln ([foil de ]Jl'ojll'iélé, il est certain
qu'elle telHllogi,¡uement au communisme.


La tendilllce nalurelle, instinctive el invincihle de
chaquc homme est de chercher l'accl'Oissemcnt de sa
fortune, de poursuivre une plus grande somme de
bonheur. 01', cette ¡oi d'accroissemenl, cet instinct
d'augrnentation el ce hesoin Je jouissances tenJ, par
sa nature meme, a ahattre, a niveler tout ce qui le
comprime, el a aUeindre toul ce qui lui donne satis-
faction. Conséquemment, il est manifeste que la ma-




92 CHAPo 1. - TIlÉORIE PROTESTANTE ET RATIONALlSTIl.
jorité des vúlontés individuelles aspirera toujours a
annuler le droit de propriété, ou du moins a détruire
la grande propriété.


Les prolétaires et les disgraciés de la fortune con-
stitueront invariablement la majorité ; le nombre des
riches et des grands propriétaires sera toujours rela-
tivement tres-restreint. Les lois civiles sur le droit de
propriété sont done contraires a l' épanouissement de
la liberté, a la volonté réeIle et pratique des contrac-
tants du pacte social.




CHAPITRE II


OOCTlNE SCOLASTIQUE SUR L'ORIGINE OU POUVOIR CIVIL


.\.RT. l. - Expo!!lition de la doctrine.


Nous vcnons J'cxaminer le premier systcme, qm
est en opposition avec la Joctrine de l']~glise, le senti-
mcnt unanime des théologiens, des canouistes et des
légistes sérieux. avec tout le droit en vigueur, et enfin
ave e la saine raison.


l'iéanmoins, la négation de l'hypothese protestante
ne nous eonduit pas imméJiatement a la doctrine
d'une collation dil'ecte du pouvoir par Dieu a un sujet
déterminc. Les théologiel1s scolastiques, ainsi qu'un
grand nombre Je canonistes et de philosophes chré-
tiens, presentent :1Ussi sur la question de l'origine du




[) i CHAPo JI . - DOCTIIL'iE SCOL1STlQl'E


pouvoir une explication qui . revient ú admettre une
délégation par la société, ou quclque chose qui pourrait
sembler assez analogue au contrat social. Trop souvent
les publicistes modernes confondent ces deux systómes;
et Ventura, dans son Essai sur le ponuoil' pllblic, ne
semble pas mérl1e soup\:onncr la difTérence radicale
(lui existe (~l1lre ces doctrines; c'est pourquoi, a coté
des dodeurs catholiques, il a cité les légistes protes-
tants comme des écrivains favorables ú la thóse géné-
rale qu'il soutienl 1 • II importe done de préciser la
théorie scolastique sur l'origine du pouvoir' civil.


Les partisans de ceUe opinion sont les plus grandes
autorités théologiques : saint Thomas, le prince de
l' École, semble indiquer ce systimlC en divers en-
droits de sa SOIllJne; il l' enseigne expliciternent dans
l' opuscule De regimine ]J1'incipum, t)U' on lui attribue
assez communément. L' écoIe thomiste, presque univer-
selIement, embrasse ce senliment el le donne comme
celui du Docteur angélique. Aussi, cdte théorie est-
elle devenue la plus commune parmi les théologiens,
surtout apres Ie~ tramux de Suarez el de Bellarmin 2.


Et ici iI n' est pellt-ctre pas Ínlltile de faire remar-
quer, en passant, que Grotius et Pllffendorf sont
beaucoup plus l'approchés de la théorie des scolasti-


I Chal'. VI.
" De laicis, l. m.




Slil\ I.'CI:IGI:-;E DU pouvom CIVIL. g:¡
ques que J(~ cdk de leurs inintelligenls disciples :
Roussci1U, YaUcI ct les démocratcs modernes.


Comme personrw, parmi les défenseurs de eette
doctrine, n'a traité ceUe question plus explieitement .
que le célebre Suarez, nous allons ~xposer eette théo-
rie d'apres ce grand théologien. Dans son traité De
legiblls et dans sa Dé{ense de la (oi catholique contre
la profession doctrinale ou le manifeste du roi Jac-
ques, il expose ainsi ceHe question de l'origine du
pomoil' public :


« En consiJérant, !lit-il, la seule nature des clIoses,
el, par consóqucnt, en se pla¡;ant en dehors de ton!
ordl'e histol'iqne, non s yoJon,.; que le pomoil' l¡;gis·
latif n' existe dan,.; aucun homme en pal'ticulier, mais
dans la collection des hOTTlrncs. Aussi saint Thomas
affirmc-t-jl en plnsieurs endroits que le prince a le
pomoir I(;gislatif', en tant qu'il lui a été transrnis par
la communauté .... )) - « Adam, qn'on pourrait sup-
poser donó naturellernent d'tm pomoir politique,
transmissiiJle par droit dü primogóniture, n'avait en
fait originairenwnt flu'un pouyoir éeonornique et non
politirlllp. Le pomoir politique n'a pu commencel'
qu'au moment OU plusieurs familles se sont l'éunies
pour former une société pal'faite; et eomme ceHe com
munautl' n'a pris lIaissancc ni par la cl'éation d'Adam,
ni par sa volonté individuelle, mais par la volonté de
tous, il en ró~ulte tIlle natul'ellement Adam n'avait




96 CHAPo n. -- DOCTRINE SCOLASTIQUE


pas la prirnauté politique sur eette eonnnunauté.
c( D'autre part, la révélatioll ne nous apprend rien


d'une délégation positive de Dieu, el, par conséquenl,
le pouvoir politique uemellre dans la eummuuauté. Si
la souvel'aineté n'cst naturellement le propre d'aucun
membre de la eommunauté, si, d'alltre part, l'exis-
tenee dc la souveraincté est essentielle it la constitu-
tion du corps polilique, il es! manif'cbtc que la SOlIve-
raineté est naturellement et origillairemcnl dans la
multitude ou la eommunaulé !. »


*
". ".


Covarruvias 2 développe ectte eonsidération de la
maniere suivante: « La puissanee lemporelle et la
juridietion eivile se trouvcnt, dit-il, tout entiere et
suprcmc dans la;'Ópublique. Et eclui-Iú, rlans celte
république, scra supérieur qui aura (\tc C/u el eonsli-
tué par eette mcme républiquc. Ceei resulte, ajuutc-
t-il, de la natul'e mi:me des eltoscs, du droit dcs gcns
et du droit nalurcl ; et il TIC pcut y avoir' d' exception
qu'autanL que la eormnunauté clle-wI]mc aura pactisé
diffcl'emrncnt.)) Il ajoute que les lumieres natul'clles de
l'intelligenee humaine sllf(isent plcillemcnt it Itlontrer :
10 que, dans tuute société civil e , societe lli~(;cssaire


1. De legib., l. IrI, C. 11, n" 5,4.
2 Prad. '1llcest., cap. J, n" ü.




sun L'OnrGINE DU POUVOm. CIVIL. 97


a la consel'\'ation du genre hnmain, iI faut qn'tm gou-
vemenr soit cotlslitn(', et que par lui la société soit
régie et présence; 2" qHe celui-ci ne peut elre consti-
tué que par la socidé elle-meme.


11 dcmontre le premier point dans les termes sui-
vants : I'!lomme est, par sa nature meme, le plus socia-
ble de ton s les <1nimanx, don t \111 g1'nnd nombre ce-
pendnnt ne pement yine qu'clI socidé. 01', comme
Dicu a donllc par la nnLnre ;'¡ tontrs les choses partí-
culicres la faculté de se cow;rl'\'rr~ iln'a pll nous refu-
ser l'inslinct de sociahilité ou la propension natllrclle
a la socidé eiyile, socidé sans laquelle l'homllle ne
pen! ni suhsister ni ,e conserver. Done, par sa nature,
l'hornmc est un animnl civilisé, et, par conséquent, la
soeiété civile a son fondement dans la nature.


Passnnt ensuite ;'1 la demicre assl~l'lion qni vient
11\\[l'e indiqui~r, il ;¡jolllo (( fIn':'! eeUe "ociété civile,
des princes, des magistrats, des gOIlVerl1eUrs, sont né-
eessaires. Et il fail rmn:mlller que tont eoeÍ tlst plei-
ntlment démoutró par' les nnciells philosophes 1.


(( 01', poursuit-i 1, celui (lI1i rógiL la n'~pllLli(lue ne
peut pas, sans injustiee et sans tyrannie, etre constitué
par d'autres (lile par la rÓpllblique. En effd, il n'est
pas constitllé par lIien lui-meme ... ~ons Yoyons seu- .
l ement SaüI el ses ,U(;c~'sse1ll'S úlns dn droit divin po~


I Al'ist., liL. J, Po/d. - 1'luL, de ¡¡"j'. - Cic., liL. 1, de !nveJi-
liouc.


DlIon PUIlL.




!}S CHAPo n. - DOCTRINE SCOLASTIQl;E
sitif rois sur le peuple d'Israel, pal' le ministere des.
prophetes : Pr::eter has, aflil'me notre auteur, nullus
ttnquam Rex aut Princeps a Deo immediate constitutus
est. Pour ce qui est done de toutes les autres nations,
Dieu lui-meme, par le droit natul'cl, leur a donne la
libre faculté de se donner des chefs et des magis-
trats. »)


« La principaute est legitimcmen! eonférée, lorsqlle
ceUe collation émane du libre eonsentement de la
communaulé; et, pour cela, iI suflit qll'elle proyicnne
ou des suffl'ages, soit du peuple, soit des notables, ou
d'une smcession herédilaire par dl'oit de prirnogéni-
ture. Le consentement, en nn mol, soít ex primé soit
tacite, est done le titre légitime du prince. »)


VoiHI comment Covarruvias, plus explicite sur ce
point que Suarez, montre que la multitude est le sujet
prilIlitif ct naturel du pouvoir, el détermine le ll1od(·
de transmission du sujet primordial a un sujet positi-
vement constitué. - Nous allons de nouveau suiHe
Suarez dans r exposition des autres parties du systcme.


Une délégation implicite ou explicite est done, d'a-
pres ce que nous venons de di,'e, la cause eflicicnle
du pouvoir social dans un suje! déterminé ; néanmoins
elle ne saurait étre considl~rée COrtl me cause efficiente




S[jil L'OHIGIl'iE: DU pouvom eIVlL. 99
unique du pouroir politi(jue en lui-memc, car ce pou-
voir vient de Dicu. Et ¡ci nOl1s constatons nne diffé-
renee radiealc cntre les seola~tiques et les démocrat.es.
L'apótrc saint Palt! a d~elaré quc tout pouvoir vient
de Dieu : lVon est ¡lOtestas nisi a Deo, et qui potestllti
resistit, Dei ordillal ioni resistit. La souvcraineté vicnt
done originairement de Dicu, comme auteul' dc la na-
ture, et non dc la seule volont~ de l'homllle; Dieu
commllnique le pouvoir souverain a l' étfe social ol'ga-
nisé, ct les \'Ololl: ~s inJividuelles déterminent le sujet
actif de ce [louvoir.


Et, oútre la preuve théologiqne tir'ée dcs paroles de
l' apótre, Su;uez ~la)'lil encore cette vérité par l' étendue
meme dcs pouvoirs politir!ucs. Le droit de víe et de
mort sur les ercaturcs appartient en proprc á Dieu
seul; l'honnne, de llli-méme, n'a aueun droit sur la
vie de I'hOJllIlW, el, par eonslÍqucnt, la communauté
HC peut, á llloins d'tlll() Jól~gation divillc, jouir d'un
pouvoir essentiellcment étranger a tous les éléments
qui composcnt la colleclioll,


e"pendant, commc le droit dn v ic et de mort, dc
!'ayeu de toul le genrc humain, est un des altributs
de la souveraillett':, il en résulte que cette souveraineté
elle-mcme nc ¡lcut venir quc de Dieu : allssi, les parti-
sans de la souveraineté popul¡¡irc et les athécs polili-
que,; doiycnt-ib d¡"nier a la soci~ló le dl'oit d'infliger
la peine de mort.




100 CIIAP. lI. - DOCTRINE SCOL\STIQIJE


Mais une question se présente ici (l'ellc-Im'lIlP :
CommenL se fait eette J~légaLion Jivine de la some-
raineté?


Dieu Jonne le pouvoir sOllveraill, non par Hile
action spéciale, ou une JéU'gation distincte Je la
eréation elle - meme, mais ~illljllmllel\t comme une
propriéLé <l1l1H1xée ú la natul'e, et qui, p~r snite, deHa
déeouler de ceUe natllre elle-meme.


La nalure, en cffet, doiL elre doure de tout ce qui
est néeessaire a sa consenation et ú sa propre perfr,c-
tion; or, la souveraineLé est néeessaire all pleill épa-
nouissement des perfeeLions nalllrelles de l'hornme;
la souveraineté tire Jone ;;on origille de la nature,
qui est son prineipe raJiea!. Au"itul (lile les hOllllms
sont réunis en COllllllUllallté parfaiLe, le pOllroir poli-
tique déeoule de la nalure, an lllOFIl des regles,
Jes enseignements que la raison naturdle pen.oit ?t
promulgue.


VoiE. comment la puissanee civile, comiJérée en
genéral, nait dans la cornmllnauté.


Mais eeUe puissanee n'est pas lellemenL fixée a la
multitude qu'elle 'f demeure imll1llal,lenwnl et sans
pouvoir etre transférée, non-seulrmclll ljuallt a son
exereiee, mais eneore en cllc-memc, a un sujct déter-
miné. Et ici nous touchons 11 la différcnce la plus radi-




sun L'OmGl~E DU pouvom CIVIL. 101


rale entre la théorie protestante et ceBe des theolo-
giens scolastiques.
D'aprl~s les jacohins de toute nuance, la SOllve·


rainclé est le droit inal iÓllahle d(~ la cOHlll1u-nauté,
tanJis que, a'apres Suarez et les autres théologiens,
elle cst n'~('llelllenl lransmissiLle lout cnti()rc (Iuant
al! tlroillui-mr'Ille, et non simplcrncnt quant it l'exer-
eice, ;\ un sujeL parliculier : elle n'est donc pas Inalié·
nahle de sa 11 a llll'c .


Le sujet du ]Io11Yoir peut aussi a\'oir, Ilon-seulement
l' exereice de la som-crainet(;, mais e¡¡core comme la
propriété de la sollyeraineté, au meme titre que la
communaulé la possédait' antérieurement. El eette alié-
nalion véritable du pOllvoir souverain peut avoir lieu,
dit Suarez, soit par le conselltClllent de la commu-
l1anl(;, soi!. « par quclque autre juste cause 1. ))


De's le [1rimilH', le Il10FI1 nalmel el ordinairc de la
possessioll ll'gitime du pomoir somerain, par une per-
sonl1e u{)terminúe, (lut d.re le eonsentement de la
eomll1uu:lutú, sujet lIalmel el, prirnitif de la som-e-
raineLé. Mais cctte di,lúgation n' est t1ullement fictive
ou apparente; c' est \lll (;OlltT'at réel el bilat.úral. dans
lequclla cornmunaut() concede cffcctiyement son droit,
penu:mt qne le souyerain contraclc des obligations
pal'ticuliercs envers eette communauté.


, De ¡egib., L nr, c. III-VII.




102 ClIAl'. n. - DOCrm:.'iE SCOL.\STIQ{;E
La souvcraincté, dans un sujet déterminé, serait


done a la fois de droit divin et de droit humain. « Si
loquamur de ]Jotes/ate regia, dit Suarez, abs(/lute lo-
qllendo 8eC/lndllm se est de Jure divi1lo ... Sed ¡otestas
gubernatil'a politice in hoc 11Ilmine spectata eot de jure
humano l. »


la puissance supreme émanant de Dieu et devenant
effective dans la comnlUnauté tout rntiere, pcut done,
dans eet état roncrct, reveLir des f(lrmes direrses, et
passer de ce terme iIllIllérliat ,1 un terme médiat. Au
lieu d'avoir son terme dernier et illfranchissaLle dans
la communauté tout entiere, elle peut, au contraire,
passer a un terme ultérieur, par cxemple, a une por-
tian de cette commull3uté, ou a un seul indi\ idu; elle
peut, en un mot, ctre cornmuniquée a une personTle
morale, sénat, assemlJlée, OH a une pcrsonne physi-
que, rOl, pnnce OH empercH/'.


AB'I'. 11. - DiUérence essenticlle cnh'c ccHe doctrine
ct la théorie du contrat social.


1


:'{OHS venons dpJü d'indiquer les diyerE'enees guí
existent entre ectte doctrine et le contrat social; maIS


1 De leg;b., 1. III, e. Ir.




:st:H L'OI\H; I~E DU POllVOIR CIVIL. 103


iI importe de signaler plus explicitement cctte oppo-
sition.


Outre l'origine di vine et l'aliénabilité dont nous
venons de parler, el qui constituent des différenees
·essentielles, 011 peut encore constater d':lUtres oppo-
sitions non moins graves: parmi ces différences, les
unes se trouvent dan s les principes, les autres dan s
les conclusions.


Ainsi, dans l' ordre des príncipes, « le droít mo-
derne » fait resulter la souverainete uc la délégation
meme des uroit8 illuividuels, et, par sui·tc, des volon-
tés particulieres; la souveraineté se trouverait partiel-
lement dans chaque individu, el ne serait autre chose
(Iue la somme des oroits de chaque citoyen. D'apres
les théologiens scola~tiques, au contrairc, la souve-
rainelé n' ('~t ni tolalement ni partiellement dans les
indiyillus, lIlais simplcmenl dans la société, en tant
que société ou personne moralc. Elle passe de Dieu a
la cornmunauté elle-meme diredernenl el immédiate-
ment, et n' est, soit en tout, soiL en partie, dans aucun
membre de cette eornrnunauté.


La souveraineté en soi est une et indivisible, et
non la résultante des droits el des pouvoirs natifs de
l'hornme.


D' autre part, les conclusions de la théorie scolasti-
que sonl aussi totalement dilférenles de ceUes du pro-
testantisme politiqueo D'abord le prince n'est pas un




1(/4 C/U.P. JI. - lJOCf/WI;/f JWL4Jf!{!l/E
simple mandalaire révocable a la yolonté du peuple;
e'est pourquoi Suarez affirme qu'il est ahsdurnent
faux. que le royaurnc soil supérieur an roi, ou que la
multitude puisse a son gré deposer ou changer son
souverain 1. Le prince elu derneure saisi d'un droit
réel, dout il est le possesseur exclusir.


11 pouITa done exercer ce droit el mcrne le transfé-
rer : el le ¡¡eHple !le res5aisira la sOllveraineté qu'au-
taut. que le contrat pl'imi lir sera résilié (le rait, par dé·
faut de maliere Oll par un challgernenL suLstantiel dans
les conditions rlll contrato P¡¡r S[I seulc volonlé, en rcrtrJ
de son droit propre et originaire, la JIlultitude !le pent
en aucune sorte dissoudre le pacte social: eette theo-
rie exclut done totalcrncnt le droit révolutionnaire .


. Si done tout un pellple venait ir rlétroner un prince
équitable et d'ailleUl's (idele au pacte primitif, il anrait
simplement fail un acte de violenee, et dópouillé bruta-
lement un légitimc posscsscur; il n'aurait, en réalité,
ressaisi aucun droit réel sur la sOllveraineté.


eette doctrine renferrne done un élément d'ordre ,
de stabilité, de justice qui fait totalerncnt tiMaut dans
la theorie rationalisLe du contrat social. D'ubord,


1 Lib. 1lI, c. !' ..




SU{( L'onlGINE DU I'OUVOIR crvrr,. 10"


comme l(~ principe d'anLorité émane, non des droils
originaires dc l'lIollll11c, mais Je Dieu lui-meme, on
voit claircment (pie le penple doit oLéissance, non en
vertn dp son hon plaisir ou de Sil libre yolonté, mais en
yertu (I'ulle oLligation rigoureuse, irrécusaLle et im-
posée ó ectte lihre volonté par le souyerain législa-
teur.


Ensnite, et. ceci esl capital! la regle supreme du
juste eL de l'illjll~le, (In droiL eL du devoir, n'est poinL
placée dans la yolollté plus OH moins moLile des mul-
titudes. Cette rl~gle illlllluahle esL la l'aiSOIl éternelle et
la volonté inYariahle de Dieu, auteur de la nature ou
d'une législation posit ive.


La théorie des scolastiques, conservant religieuse-
ment tous les principes incontestables sur la regle
oLjecLive et supl'cmc du droit, repousse done le prín-
cipe révolutiolluaíre, el doigne tontes les utopies 80-
cialistes.


Sans sOllmeltre ¡ei eette doctrine a une analyse
seicntifiqlle et lllitllltiellse pom apprécier la -valeur
absolue de chacune des raisoIls alléguées, nOU5 nous
contenterons de dire, confoI'luéIllcnt a nolre plan,
qu'elle offre tous les caracteres intl'inseques el cxtrin-
seques d'uIle súricusc prohabilité.


La probabiliLé extrinseque est évidente : l'autorité
el la scieuce des auteurs qui exposent et défendent
cctte doctrine, sufíisent amplement pour en garantir la




10li CHAPo n. - DOC1RIl'iE SCOL.\STlQUE, ETC.
parfaite orthodoxie et la valeur rationnelle. D'aut1'e
part, la probahilité intrinscquc ré:mltc ilSSC'l. des rai-
sons que ces auteurs produisent a l'appui de leur sen-
timent, et que nous arons sul1isamment indiquées.


Celte probahilité suffit done \\onr qu'on puisse, en
eonscienee, partir de eette doctrine, comme d'une
regle, dans la [lratique. CeJui-la rcstcra cc1'taincment
conforme aux princi pes de la foi catholique, qui agira
d'aprrs les príncipes aablis par ces théulogiens si
autorisés.


Toutefoís on ne doit pas eoncIure de la que les
autres s)'stemes, que nOllS allons exposer, ne puissent
également servir de regle prudente, de maniere a ce
que la conscience pratique dn chrótien et de I'holl-
nete homme soit irrépróhensible deran! Dieu. En
efret, comme tOllt le monde sait, des opinions réelle-
ment probables, 101'8 mrme qu' elles ~eraiellt opposées,
pement !lI]allmoil1s rt1'e prises licitement l'unc ou
l'autre pour regle de condulte : in dllbiis libertas.




CHAPITRE JII


DOCTRINE DU DROIT DIVIN


,,"R'r ••• - Fondements tbéologiquclI et l'ationncls
du "y"téme, pris daos IIn sens large.


I


Le droit diyin, pris dans son acception la plus éten-
due, COllsiste simplement a faire dériver la sou\'erai-
neté politique de Dieu lui-meme, le dominateur su-
preme et l'al'bitre souverain de toutes choses; mai:;
eette théorie, ainsi envisagée, n'afllrme pas que eette
dérivation soit médiate ou immédiate, directe OH indi-
recte.


n s'agirait done, dans cette hypothcse, de savoir si
la souveraineté émane de Dieu, ou si elle est origi-
naircment indépenJante de l'aclion divine; si la rai-
son premiere du pouvoir supreme est Dieu ou le peti-




103 CHAl'. JIl. - DOCTRINE DI; üTIOIT DIVIN.


pIe; si le roi est ministre et lieutenanl de Dieu, ou
simplement et exclusivemcnt ministre ct rcprésen-
tant du pcuple ou de la colleclion des individus. Si le
droit de someraineté, d'llne manie!"c qnelconqlle,
{'mane de Dieu, comme de sa source premie!"e, ce
droit pent ctrc appeló divino En un mot, le droit est
humain, s'il émane rurcment et simplement des hom-
HWS; il pellt eL!"e appclé divin, s'il a sa raison d'ctre,
son principe en Dicn.


Les athées seuh pourraient dOIlC logi(l'IeIllent nier
le droit divin, aiusi emisagé ; conséquemment, quand
on considerc la souveraineté cn général, abstraction
faite du sujet COIleret dll pouvoir, ¡¡rince, assemhléc
ou multitude, il est impossihle ;\ un chrútien de nI'
point reeoIlnaitre le droit diyin; rejete!" eelte vérité,
serait nier l'cnseignelllent eerLain de l'Eel'ilure d de
la lradition eatltolifllle


Dieu nI' diL-il ras [Ui-IIl{~lTIe dans l'l~critllrc 1: « e'est
par moi que les rois reguent et que lcs lógislateurs
portent dcs [ois justes; Per me reyes regnant et le-
gum conditores justa deCe1'11unt. » L'apótrc saint Paul"
dit, a son tour. en parlant du prince, « qu'il es! le
ministrc de Dieu; Minisler ellim Dei est; » et plus
Inut, dans Ic rnernc chapitrc, il dédarc quc « tout


i Prov., VIIT, 15.
2 .\rI Hom., X1Il.




lJOCrrU:'iE DIl DROIT lJIVI~.


pouvoil' vicnt de Dieu, Non est ]Jotestas 1/isi Il J)eo. »
On lit dans les prophetes Jsale ct Daniel I que Cyrus
a été constitnó roi par Dien : « Cyrus a Deo cOllstitu-
tus l'ex. » El etllin le diyill Sauyeur 2 adresse ces pa-
roles a Pilate : « Non haúeres in me potestalem ullam,
nisi tibi datum esset desnpel'. » 011 pourrait citer beau-
coup d'autres textes BoiL de l' Anejen, sojl du Noureau
Testament, . qui sonl du reste suflisamwent mlga-
risés.


*
••


Mais san s /lOUS alTcter ici a rappeler les prcnyes
tirees soil de l'Écriture, soit de l'enseigncment una-
nime et d'ailleurs trcs-connu de la tradition, soít du
témoignage de tous les peuples et des paiens eux-
memes, nous nons eontenterollS de rapporter sur ce
point les paroJes suivanles d'un eanonisle eontempo-
ram :


« L'Église, djl Phillips, ne s'est pas bornée a re-
eonllaltre l' ordre social el polilirIue, en faisant de
l'obéissance a cel üI'dre l'un des devoil's les plus l'igou-
I'eux el les plus imiolables des chl'etiens; elle l'a en-
core erlllohli et consolidé, en revelant el pl'omulguant
dans le monde entier l'OIigine diyine du pouvoir. »


1 IS:1., XLV; Dan., IV.
".! JU.IIl' l XIX.




UO ClIAl'. Ill. - DOCTRINE DU DROIT DIVIN.


C( Une opinion se produil qui ose prétendre que le
sceptre temporel est un don des puissances infernales:
aussitút s' éleve la voix de saint Irénée 1, convainquant
le démon de mensonge, quand il dit que tout lui a été
donné et qu'il le donne lui-meme a qui il veut, et
prouvant par r ¡;;criture sainte que c' est Dieu qui donne
la puissance. Les gentib veuknt faire remonter la
puissance impériale a leurs fausses di vinités : un Ter-
tullien 2 et un Augustin ;¡ en~eignenL que toute auto-
rité sur la terre procede du Dieu ullique eL vériLable.»


e'est ainsi encore que l'l~glise a réfutó, dans les
siccles suivants, toutes les autres hérésies qui ont été
émises successivement sur l' origine de la société hu-
mame.


J [


A u surpllls, en se pla<,;:mt en dchors de tontes les
opinions politiques, et sans recourir a l' autorité de la
révélation positive, il est faeile de démontrer, d'une
maniere rigoureuse, l'origine divine du pouvoir civil;
les preuves puisées aux. senles sourees du droit na-
turel, les données incontestables de la raison, suflisent
amplement pour atteindre ce but.


f Contra I/cereses, Y. 21. - Supr., § 92
2 Al'0log., c. xxx.
:; De Civit. Dei, Y, 21.




DOCTHIl'lE DU DllOIT DIVI~. 111


Aussi ce roint fondamental du droit public, que
Dieu seul, comme antenr de la nalure, cst la somee
premierc de la sOllVerai neté, est-il une vérité eertaine,
incontestahle, 1101'8 de toute controverse; elle n'est
pas simplement prohahle, mais ausolurnent vraie et
notoire, non-seulemcnt pour le ehrétien, mais cncore
pour tout homme raisonnahlc : inutile de dire que
nous n' entendons point parler ici du modc partieulier
sclon lequel Ilieu a eOIrlmunic¡ué le pouvoir politique
aux hOl11mcs; Leaueoup moius encore s'agiL-il d'assi-
gner au pouvoir royal la mell1e origine qu'au pouvoir
sacerdotal.


CeUe question done n'implique pas immédiatement
le mode de déLermination du pouvoir puLlic; et voila
pourllllOi elle est ell dchors de toutes les opinions
particulieres. Elle appartient surtout au domaine des
priJlcipes aIJsolus; ct par su nature elle est apte a
repandre une grande lurniere sur toutes les questions
secondaires, el a déLrouiller hien des eontroverses de
l' ordre pratique.


Pour étaLlir notre thcse par les seules données de
la raison et de l'expérience, non s ne rappellerons pas
meme ici l'argument invincihle que nous a\'ons déja
rupporté plus hant, d'uprcs Suarel. 1 : je vcux parler de


1 Suurcz, De(cnsiu fidci cal". atlt'. Anglicw sectee errores, 1. IITII'~ •


'" ~




U 2 CHAP. 1lI. - DOCTru"g DU DIlUIr Dm~.


celui qu'on tire du droit de vie el de mort, dont tout
souverain est investí, droit qui ne pent (~mancr ,les
hornmes. Bien que cet argument puisse Nre l'IíVOqllé
en doute, eomll1e·pétition de príncipe, pa!' les parti-
sans du contrat social, le fait universcl en montre et
en atteste suftlsarmflent la valeur.


Nous allons prouyer Rimplement (!ue la constítution
organi1lue de la ~ociélé "ieut illllIlélliaLernent de Dieu,
comme auteur de la nature ; d de lit, 110118 conclurons
que le pouvoir civil, ell soí, est UIl rait natUl'el, anté-
rÍeur et suprrieur á lout fait yolontaire et á toute
action libre des Ctres associés.


11 y a en effet, ai1l8i que Mjil IlOUS ravons montré,
un lien essentiel entre la uature m(~lIIe de l'homme et
la société eiYile; 01' la société ciyilc ue [leut Clre
COll\{Ue sans le pouvoir, 'lui est sa loi de cohésion ;
donc la i;ouveraiuetó ellellléllle a su SOlln~(', non daus
un fait i1ecidelllel el lololltaire, dalls une cOllvention
arLitrairc, mais dans la nalure mrme, sodie des mains
de Dieu.


La majeure de cel arguHlellt est facile a établir :
t o QU3I1l1 on considere l'hornme en lui-rr](~me et


dans son indigence nati \'e, peut-otl le cOtlceyoir autre-
ment que comme etre social? ~'il n' était {las né pour
la société, les l:onditions physiques ue son existence le
placera"tent au-dessous de tous les autres anirnaux:
aucun n'a une cxistelll:e pllls frügile, un déYcJoppe-




DOCrnllYE DU DROIT DIVIN. /13


ment organique plus lent, Jes hesoins aUSSl mul-
tipliés.


Au surplus, comme le faisaicnt déja remarquer
Platon et Aristole, est-ce que la plupart Jes animaux
eux-memes ne sont pas crees pour vine en société?
Voyez les ahcilles, les castors, etc., qui ne vivent pas
8. l'état de dispersion et d'isolement!


2° ~lais l'hornrne, a l'exception de tons les autl'es
anirnaux, n'a-t-il pas une naturc éminemrncllt per-
fectible? et cette perfectibilité de notre etre n'exige-
t-elle pas irnpóricuselflent, du moins dans cCl'taines
limites, le coneours Jes autres IlOmmes? Dieu n'a pu
faire a l'hornme don d'une llature perfectible, sallS lui
dOllner aussi originairement les moyens de la perfec-
tionner. Or c'est l'élérncnt de sociabilité qui poussc
l'homme au pleil1 épanouisscrnent de sa nature per-
fectible, eL lui rait saisir les moyens de se perfec-
tiollner.


3° Enfin, et ce point est capital, la faculté de parler
,est exclusivcrnent propre a I'hornrne; 01' ccUe faculté
de parler n'est en elle-meme autre chose qu'un lien
social; si done ectte faculté est naturelle, et non
simplernent acquise, le lien social sera lui-meme na-
tu1'el, et par suite l'élérnent de sociabilité sera un des
instincts prirnordiaux de la natUl'e hurnaine.


Il résulte déja de ces considérations que l'hornme
lend par sa nature a la société prise en général.


IInen PL:Ul.. 8




114 CUAP. 1Il. - DOCTlU"E m; DII.OIT DIVli'i.


*
••


Mais pour arriver a la dernonstration rigoureu5e de
la proposition enoncée, il faut encore montrer qn'il
y a entre la nature humaine el la société civile,
comme telle, un rapport rigoureux. L'inslincl de
sociabiLte, qui est. naturcl en nous, est done une aspi-
ratio n a la société, qui doil concourir au plein
épanouissemenl de toutes les facultés de l'!Jommc ; 01'
la sociéte domestique ne repond pas toujours pleine-
ment il tous les besoins physic¡ues, moraux el intel-
leetuels de l'ctre sociable; c'est pourquoi cel instind
natllrel est ordonné il eette soeiété eomplémentaire de
la soeiélé domestique, non moins qu'il la société domes-
tique elle-meme.


D'ailleurs cet instinct universel ct indétermme
ordonne de sa nalure l'homrne a la société prise en
genéral, el non a telle soeiéte particulicre el déler-
minée qui serait le terme adéquat, la fin dernicre et
exclusive de ce désir illimité et inépuisable d'asso-
ciation. Il est done bien évident que, Ilon-seulement
l'indiyidu tend a la soeiété domestique, mais encore
que les farnilles tendent naturellement a se grouper,
ou a former la cité.


Les unioIls matrimoniales, fondées sur la nature
des etres, sont COIllme un prineipe d'association des




nOCrRl:'iE HU IJHOIf DIVI:\'. 115


familIes, ou cornme fa Ioi nalurelJe d'aeheminement
vers la cité. L'instinct naturcl de propagation, qui fait
d'abord le mariage et eonstiLue la fa m iIl e , provoque
naturellement le passage de la société rlomestique a la
société eirile. Ainsi nous pouvons ct nous devons
dire arce l1U célebre mOl'aliste, le Pere Tapare/Ji:
« PhysiIJllemenl, l'homme tend a se propager, 1/10/,(1-
lemellt, il tend a faire partager aux autres ses idées;
par eonséquent iI a un éJément de développemcnt
indéllni. »


Kous pouvons done eonclure gu'il y a un certnin
rapport rigourellx entre la nature humaine et la soeiété
civile, ct que Diell llli-mcme a ordonné l'homme a
cette soeiété ; eonséi[llemment la premicre proposition
de notre argument général reste démontrée.


* .. ..


Mais si la société cs! ainsi une ordinafion Ol! une
institution divine, il est faciJe de montrer que le pou-
voir souverain, d:ms ccHe sociétú, doit aussi, d'une
cerLaine maniere, procéder de Dieu.


Commc la souyeraineté e,t de l' essence meme ele la
société, de tclle sorte que cette société ne peut ras
meme ctre con¡;:ne sans le pouvoil' souverain, qui est
sa loi d'agrégaLion, il faut bien que la souverailleté
elle-mclllc soit el'institution divine : elle doit avoir son




116 CHAPo liT. - DOCTRIl'iE nu DUOIT Iil\"l:'l.


fondement ou sa raeine dans la nature, eomme la
société elle-mcme. Si la societé est un fait naturel, il
est incontestable que la souveraineté, prineipe formel
de la société, est également fondée sur les lois oe la
nature. Done si l'homme, étre essenLÍellement social,
vient de Dieu, allteur de la nature, la soeiété ellc-
meme, avec ses éléments essC'Tltiels, doit remonter it
la meme source.


De mcme que les abeilles, par exemple, viellnellt
de Dieu, non pas seulement quant it leur strueture
{)rganiquf', mal s encore quant a leur loi d'llnion et
d'assoeiation, de mcme allssi les hommes viennent de
Dicll, qu' on les considere, soit dans leur indiYiJualité
propre, soit qllant au principe radical de leur loi
d'agrégation entre eux. Pour l'homme, etre intelli-
gent, il n' était pas necessaire que Dieu donnat, eomme
pour les animaux, la forme particuliere de l'agré-
gation soei;lIe.


la souveraineté, prise en géneral, remonte dOlle
immediatement a Dieu, eomme auteur de la nature el
ordonnateur de la soeieté, considérée absolument.


Et pour rcndre ce point plus saisissant eneore, on
pourrait invoquer l'analogie qui existe entre l'autoritÉ
du pere dans la société domestique, et le pOllvoir su-
prcme dans la cité: de m(~me, en erfet, que le pou-
voir paternel sur la famille vient de Dieu, de meme la
souveraineté Jans la société est une ordination divine.




---


DOCrnINE DU DROIr DIVIN. H7


Je n'examine pas iei, si le pouvoir politique est ou
n'est pas l'extension Iwtnrellc du ponvoir paternel;
je veux sculcment rappeIcr la nécessité d'un pouvoir
public sur .la société, nécessité tonL allssi impériense
que eelle dn pouvoir paternel sur la famille, pour la
conservation de celle-ci.


,'R'I'. 11. - Thé, ... ie du d.'oit dit'in, envisagé
dllns le sens ."'jet.


1


Ccpcndant, la doctrine du uroit diYin Ol! de l'ori-
gine di\'ine Jc la ~ouYerainett'~ pent s' entendre dan s un
sens plus restreinl; c'est alol's l(~ syst(mle qui exclut
mute l)articipation ordinaire du peuple a la collation
du ponvoir 1; et teI est le sen s qll'on atlache commn-
nément a ce tcrme. Cette doctriTw revi(mt Jonc a faire
émaner le pouyoir puJ)lic, dans tel sujet déterminé,
directpment el immédiaLcmcnl de lIien, sans le con-
cours ohligaloirc de la mullilnde, soit comme canse
efficiente, soit comme simple condition,


Nons pOUVOIlS consiJércr it:i Dieu sous un double


I Voy. Vcntlll'U, d" POUl'oir pllblic, l' 253, ch. VI.




118 CHAP. IlI. - DOCTRI~E DU DIWIT DIVI:'i'.


rapport, c'est-u-dire comme auteur de la nature et
comme source des uons gratuits ou principe de l'ordre
surnaturel l •


Dieu, rnallífestant directement et vísihlement sa
volonté par une révélation positive, agit en uehor;; des
lois de la nature. Dieu, agissant par les loís comtantes
ue la natUl"e, opere comme principe de l'ordre naturel.


La théorie du dfOit di,in difTere de la doctrine
commune des ancíens théologie!IS calholiques simple-
mcnt en ce qui tienl au molle SelOll lequclle pomoír
souyerain est transf(;ré u un sujet concret. Or ce mode
est loín d' etre déterminé ayec les mcmes condit.ions
d'évidence et de certitude que la source primordiale;
et sur ce point tous les auteurs graves, sérieux et or-
thodoxes ne sont plus aussi unanimes.


Et d'abord, nous deyons eonstater l'existellce d'UIle
cerlaíne forme du tlroit di\'in, pour l'exclure comme
faus,e : ce\le (pIi vent faire procéder le pouvoir, dan s
un prince particuliel', ill1111édiatement et directement
de Vieu, comme principe de l'ordre surnalurel, en
sorte que ce pouvoir ne différerait en ríen, sous ce rap-


'Dalia' il1lmediatc potes!"s a Deo /"'1' se, el pecnliari t1onatiotll',
non ut necessario COllnexu ClIlll nlirujus reí ercatio!lt>, spd llt Y~:"lJnta­
rie a Ileo mpemddila aliclli mtu!'li' vd ])"1";0]"", siclll l'0i('slns pll\',ica
facicudi Iníl'HCula, elc. Alius nwdus f'st d:ll1tlí pote~Lalcm, ut, ex l)~tLura
rei, l1ecessulio C011nCX;Ull CUBl n1i'lua lI:¡lura l'i'i t¡llilIll Dru:=; ifl:-c condi~
dit. Potestas pall'is in filium a Ueo i¡"o ut "ucture Ilatur<c illl1lwliale
conleelu!'. (Sua!'cz, Der. fidei.)




DItCTP.li'E DU DROIT DIVI"i. 119


port, UU p01\Yoir saeenlotal. Celte théorie se trome
dans \Iarcile de Padouc, Jacf}ucs Ler , roí <1' Angleterre,
Giannonc, Pierre ue JlnrdlC, f: tienne Baluse, et, plus
rniligée, dans Bossuet et les théologiens gallicnns et
joséphistes.


e'est en ce sens exagéré que le droit divin est en-
tendu par les nuvcrsaircs qui le combatlcnt, et meme
par Ventura. CeUe doctrine fausse et lwrnieieuse doit
etre exclue, COlllllle manifestement opposée a la révé-
btion dirine.


Parmi les auteurs orthodoxes, il y a aussi de sé-
rieuH~s diyergences louchanl le mode selon lequelle
pouyoir socinl dériye de Dieu, dans un sujet particulier.


Nous entrOlIS ici dans le domaine de la controyerse
et des opiniolls libres. « Aucune forme de gouverne-
111ent, dit Frays,;inous, n'a été expressément réyélée.
L'Éyangile l1'en a COJlsacl'é ancllne comme riécessaire;
iI rait (ll\riyer de Dieu la puissance, et non la maniere
extérieure dont elle s'exerce. Celle-ci a pu varier sui-
yanl les besoins, les circonstances, le génie des peu-
pies, 11I'éscnter des monarchies ou bien des républi-
qucs plus ou moins tempérées, placer le pouvoir
suprr'me dan s les mnins d'un seul ou de plusieurs,
d'un roi, d'un sénat, ou Jes deux réunis ensemhle;
mais partout la source et la nature du pouvoir ont
été les memes. »


Sans examine!' commellt iI s'est étabIi, jusqu'a




120 CHAl'. I1I. - DOCTRINE DU DROIT DIVI~.


quel point ). a concouru tacitement la muItitude,
toujours est - il vrai que l'ordre social enlrait dans
les mes de la Providence; qu' elle a voulu, pour la
consenation de la société, qu'il y ail dans son sein
des dépositaires du pomoir o o o o « Aillsi l'autorité est
une des regles générales de la Providence pour l'har-
monie sociale, cornme la gravitation est une de ses
r¿~gles généralcs pour l'harmonie d tI monde planB-
laire ; o o o el si ron penl Jire que les formes de l' auto-
rité publique YÍennent des llOrnrlles, OH est forcé de
reconnaitre que le fond de l'autorité vient de Dieuo »


Et les Peres, lorsqu'ils parlent de l'origine du pou-
voir, ne s' oceupent point de l'institution d'un prince
particulier : ils se hornent a Mfendre l'originc divine
du pouvoir contre ceIle qui lui est faussernent attri-
buée par les paiens et les héréliql1eso Le principe de
l'illstitutioll immédiale ne sp troure paf uaralllage
dans les canons de l'Égliseo


* lf ..


En exposant les opinions libres qui ont pour Iml
d'expliquer le mode de collation di vine du pouyoir, il
importe surtont de hien préci,wr le sens et la portée
de la question; l' expél'ienee prome assez fIlie trop
somcnt les controYcl'SCS sur ces matie]'e~ ne roulent
que sur des équi"oqueso




IlOCTRll\"E DU DROIT DIVIl\". 1'21


II LlIIt d'ahord distinguer nettement l'ordre abstrait
de l'ordre eoncret, et He jamais eonclure iml1l(;diate-
mellt el sans distinction de l'un a l'autre. Les légistes
protestants semblent ne pas meme soup«,;onner eette
distinction essentielle, et les théologiens scolastiques
eux-memes n'y ont peut-ctre pas toujours pris assez
garde.


Dans l' ordre idéal, il n'est question de la soun~rai­
ncté que comme élémelJt formel de l'etre social, ct
non en tant que terIlIinl)e ou réalisée dan s un sujet
particulier; sous ce dernier rapport, la souvcrailleté
est con«,;ue it l' état COllcrct.


01' ce passage de l' ordl'e idéa 1 al' ordre réel implique
une multitude de faits particuliers, d' événements,
dont il faut absolument tenir eompte dans l'exposition
scientifique du droit. Ces faits sont un élémenl néces-
sai!'e pOli!' explir¡ul'r ce passage; ils eonstituclIl une
cOl1llition indispellsable de l'exi~tence réelie et con-
crete d'une sociót!~ ou d'un pouvoir social.


La thl)orie dll droit divin, en tant qu'elle n'admel pas
l' éleetiOIl populaire, comme condition sille q1la non,
n'a été formul{)e scicntifiquement qu'apres la divulga-
tion des thl)ories dhllocraliques du contrat social.


11 est arrive sur ce point, COlllllle pour la pluparl
des .-ériti·s, que la négation a clonni) lien an develop-
pClllent scientifique de la doctrine attaquée. Quand
l'erreur se produit pour faire ombrc sur la .-érité et la
~ fI
\..




122 CIIAP. 1lI. - DOcrnlNE DU DROIT D1YI~.


rejeter dan s les ténebres, celle-ci reyendique ses
droits, manifeste son vrai car;¡ct¿~re, divulgue ses pro-
priétés, et yient, par sa lurniere pure, dessiller les ~'eux
du vulgaire.


Telle est, d'ailleurs, la loi universelle du progre s
doctrinal : e'est ainsi (lu'a toujours eu lieu dans
1'1::glise le déH~loppement scielltifiljue des dogmes;
l'hérésie le provoque, 1(' rend nécc:;sairc et par consé~
quent le détermille négatiyernent. [a vérité po~sédait
jusqu'alors lhin::; l'ordre praLilIue, non rnoins que dans
I'ordre :;póeulatif; et en vedLI de I'axiome de droit
touclwnt le privilége de la possession : melior est con-
ditio ]Jossidelltis, elle n'avait pas hesoin de proclamer
ton s ses droils, tant qu'ils n'étaient point méconnus.
Mais loriíqn' on vient jeter le trouhle dans sa pai~ible
et légitime posscssion, alors elle produit ses titrcs,
engagc le proccs contre \lLI rait lwstile, el nlCt en évi-
dence ses droits contestés eL mécollnns.


Ce n' est donc qu'apr¡~s la dinilgation il peu pres
uniyerselle de la théorie du contrat social, que nous
voyons la doctrine de l' origine divine de la souyerai-
neté ~e formuler scientifiquernent. Aussi les travallx
les plu~ profouds, les plus complets el les plus rigou-
reux sur celle maliere sont-ils des ouvrages assez
récents. Toutcfois la nouveaulé de l'explication ne
prouve en aucunc sorte la nouveauté de la dlOse expli-
quée.




flOCTRINE DU DnOrr DIVIN. 125


JJ


Pour anirer donc maintenant au fond de la ques-
tion, nous rappellerons ce qui rient d' etre prouvé,
c'esL-a-dire que la souveraineté eirile, eomme teIJe et
eOllsid{~rée objedivl'lTlent, rient de Dieu illlInódiate-
ment, el n'est point dans l'organisation sociale un rait
sccondaire et dérivó. C'e~t, dan s la soeiété, la loi meme
de cnhtision, loi antériellrü logirluemcnt, ou du lIloins
contcmporaine, a la société elle-meme; c' est comme
l' ame de ce corps moral el juridique qu' on nomme
société civile ou natío n : 01', le corps ne donne pas
naissance a l'flIlW, ne se virifie poínt par lui-meme,
mais n't'oit sim plelllen! la vie de celui qui a donné le
eol'ps.


Jlais il s'agit ici de la somerainetó considérée, non
objectivernent el en elle-Hlúllle, mais subjectirement
ou dans des cxistences particnlieres. Le point contro-
versé pent etre ramené a la questiol1 slliYallte : Le
principe pl'Ochain de la souverainelé, considórée dans
IIn sujct dólerminé, esl-il une dél{~galion de la multi-
tude, ou quelque institntioll immtdiale de Dieu, emi-
sagé cOllune autenr de la nature?


Pom dalllir dómonslralivement le droit divin on
r ordination immédiale de Dieu, il faut nécessairement




124 CIlAP. IlI. - DOCTRINE DU DnOIT DIVIN.


prouver les deux points suivants : 10 que la multitude
n'est poiot le sujet primitif et naturel de la souverai-
neté, ce qui eonduit a l' exclusion du systeme scolasti-
que, non moins que du contrat social; 2° que le sujet
primitif de la souveraineté, de droit commun, est dé-
signé par certaines lois constantes de la nature, ou
par Dieu lui-meme, agissant comme auteur de l'ordre
natllrel.


Le moyen ordinaire, par lcqucl Dicu manifcstc sa
désigmltion, est, selon cette doctrine, outre le droit
preexistan!, une certaine supériorité de fait que la
Providence fait naitre; le consentement populaire,
quand iI y a exlinclion certaine de tout droít preexis-
tant, pent faire jaillir ceUe supériorité de fait, ou ren-
dre queIqu'un exclusivement apte a regir, dans eer-
taines conjonctures, les destin(\es d'un peuple; et ce
point va derenir l' oujet d'uue exposition spécü¡}e.


Par rrtpport a la premiere question, tous les auteurs
qui embrassent ce systcme sont unanimes a affirrncr
que le sujet primitif et naturel du pouvoir n' est nulle-
ment la multitude. Nous alloos, sur ce point, recucil-
lir les principales raisons alléguees, en suivant tou-
jours notrc mCthode d'induclion.


La qllestion étant plaeée dan s l'ordre réel, historique,




DOCTmNE DU DROIT DIn:'i". J25


on doit donc tenir compte des faits, non moins que des
prineipes ahstraits. Une solution complete exige qu'on
se place successivement a dellx poiuts de vue distincts :
a celui de l'origine historique du pouvoir, ce qui re-
vÍent a scruter les données certaines de l'histoire sur
l'institution des princes, parmi toutes les nations con-
nues; ensuite a celui de l'origine juridiqlle, e'est-a-dire
des données évidentes que fournit la raison sur ce
poinL


El, d'ahord, si nous interrogeons l'histoire, elle
nous montre a la vérité des changemenls dans les
États, de nouvdles agrégations d'hommes, des na-
tions disloquées, des empires détruils, dont les lam-
heaux épars entreront comme éléments de quelque
autre nationalité qui se constitue; rnais nuBe part,
ainsi que déja nous l'avons dit, on ne rencontre celte
farneuse transition de l'état de nature a l'état eiYiI, ou
de l'état inconstitutionncl a l'état constitutionncl.


Nous voyons aussi quelquefois, dans rhistoire, des
nations constituées ou organisées nommant un nou-
veau chef, reconnaissant une nouvelle dynastie; nous
voyons, en un mot, des peuples qui s· efforcent de
ressaisir, au moyen de la fixation du pouvoir dans un
sujet déterrniné, leur unité chancelante et rnenacée
par quelque crise supreme. Mais aucun rnonument
ne peut etre invoqué pour établir que des individus
absolurnent isolés, s'associant par un acte volontaire,




12i CUAP. IlI. - DOCTnr:-iE DU DROlT DIVIN.


se donnent une constitlltion primitive el un souverain.
Aussi le eomte de Maislre va-l-il mlmle jusqu'iL affir-
mer hardiment que nuIle constitution ne peut elre
i~crite, ni faite i't priuri. « Plus on examinera, dit-il,
le jeu de I'action humaine dalls la formation des con-.
stitutions poli tiques, el plus on se comaincra qu' elle
n'y entre que J'une maniere infinimcnt subonlon-
née 1 • »


Le plus simple examen des l'ails Malllit dOllC qu'une
société ne se eonstituc pas ü priori; nuIle part, pour
le di re encore une foi8, nOll8 ne trouvon8 une mul-
titude, composée d'hommes égaux, élevant brusque-
ment quelqu'un a l'auloriLé supréme : parLouL OU
nous ll'ouvons des peuples, nous les voyons regis et
gouvernés.


En examinant done tous les documenls historiques,
en remontant le cours des ilges, á partir de nos ,jours
jusqu'au premier homme, qui fut de Dieu, nous ne
pouvons constater qu'une seu le chose : il y a des
hommes réunis en socidé et vivant sous des chefs,
avec une ccrtaine organisation politique. llérodote,
Bérose, Josephe, Pline, Strahon, etc., tous les auteurs,
en un mot, qui ont ccrit sur l'originc des peuples, ne
nous révelent pas un seul fondateur élu Jans des
pactes sociaux. Aussi tou::; les écrivains scnsés, les


i Fssai sur le l'rincijJe générale/lj' des constitutiolls polit .• IX.




DOCTRI:'iE DU DllOJ'l' D1VJN, 127


Bossuct, les F/melon, non moins que les Ari~Lote et
les Platon, font gouverner les peuples naissauts par
leur pcre commun, et cela sans aucun vestige d' élec-
tion et )lar le seul titre de pcre commun. Plus tarl1,
apres l'époque patriarcale, I10US voyolls de grands
empires se fonder, non par l'élcdioD, mais quelque-
fois par la violence, cornrne celui de Nernrod; la plu-
part dl! ternps, ils se forrnerenl par des agglornérations
successires autour d'llll POilll central, Ol! d'une famille
et de son chef.


*
....


Mais on peut apporler des preu ves directes; on
peut étaLlir démonstl'ativemenl, en appliquant a ce
point particulier les raisom géncrales alléguées
plus haut, que le sujet primitif de la souveraineté
n' es! poinl la lIlultilude. La sociéLé, en ciTet, avec la
souveraineté, remonte a Dieu. Dieu a constitué
l'homme sociable, 1'a doué d'un élément universcl de
sociabilité, qui tend toujours, de lui-mcme et par sa
loi propre, a son plein ¿pano uissement; l'homme
aspire done invinciblement a fonner la société la plus
complete possible. Ainsí il est conforme i.t la nature
des individus qu'ils soient groupés en agrégations so-
ciales, aussitót qu'ils se trouvent dans les condiLions
matériclles requises pour cela.




128 ClIAP. Ill.- DOCTRINE DU DROIT DIVI:'\.


Or la souveraineté, príncipe de l'unité sociale, a
une certaine priorité logiqlle sur la société elle-memo,
a laquelle, historiquement, elle est contemporaine ;
la société n'est telle que par le príncipe qui lui dOllne
l'uníté, puisque les individus ne passent de l'état
distributif a l' dat collectif <lu'au moyen du lien qui
fait Je ces inJiviJus une personne morale; done toute
société réelle présuppose UlI principe réel d'unifica-
tion,ou un pouvoir red cOIl~litué.


On voit assez, par cette simple consiJératioIl, que
Dieu a dü constituer originairement ce pouvoir reel,
comme il a fait originairement l'homme sociable,
comme il a fait les différences individuelles parmi
les hommes. La someraineté étant le principe consti-
tutif ou informant de la matiE~re sociale, il esi impos-
sible que la délégation atteigne immédiatement et
directement la communauté, puisqu'alors elle unil'ait
sans principe d'unílé, elle associerait réeIlement sans
aucun lien réel.


Mais si le sujet primitif de la souveraineté n'est
point la multitude, il en resulte que ce sujot primitil
et naturel es! le prinee lui-rm'me. Ainsi, de droil
commun, le pouvoir public serait conféré par Dieu,
auteur de la nature, en dehors de l'inlerméJiairf
obligatoire du peuple.




DOCTI\lNE DU DI\OIT DIVI~.


III


On pourr:1it examiner ici jusqu'a quel point ceHe
theorie est fomlée en autorités, quelle est 5a valeur
positive, sa prohabilité extrinseque. JI est incontes-
tahle qu'elle a pris une certaine extension, a notre
éroque, parrni les écrivains catholiques qui rejettent
les príllcipes anarchíqucs du contrat social.


Touterois, je n'ai tromé jusqu'iei aucun auteur
quí ClIt examiné cette question d'une maniere com-
plete, rigoureuse et VI"aiment seicntífique; on ne s'est
attaché jusqu'alors á l'établir, au poinl de vue ration-
nel, que par voie de négation des autres hypotheses.
e' est all1S1, par e:\ernple, que nous la Yoyons indiquée
par CumherlamI, Filmer, Thomasius, par Quesnellui-
meme el enfin par Bossuet, dans son Histoire de,
Variatiolls et le CÍ/lIjllihne Avertissement conlre
Jurieu; mais, nulle part, d:H1s ces écrivains, nous ne
tromons une synthese rigoureuse.


Le plus grand nomhre des historiens catholiques y
font allusion, en admettent les principes, expliquent
les faits ou appréeient les changements de dynastie
conformérnent a la doctrine du droit di\in. En dehors
des rationalistes, les écrivains eatholiqlles contempo-
rains consid¿)rent l'élection populaire, lorsqu'elle est


DRO!T PUDI.. ()




130 CIL\P. 1lI. - DOCTmNE DU Dl\ülT DlVIN.


légitime, comme un moyen ou une concliLion de droit
positif, mais nOIl (;()ll1l1le lll)(~ ri'gle dll droit naturel.


Parmi les théologiens ct les canonistes, ceLLe opi-
nion est, a la vérité, moins COllllllune que la lhéorie de;;
scolaslique" expli(IlIée pi liS hall!. TOlltefois elle réunit,
sans aucull clollte, les auLoritós les plus graves; et si
les auciens jurisconsllltes et philosophes catholiques
sont sobres de dércloppelllents seientifiques sur ce
puint, ils nOl1S ont lai,sc') 1lc'~allll\Oins des déclaratiof]s
nettes el prl~ciscs : et ~l1arez lui-l1leme, comlIW 011 ]' a
~7U, rapporLe eeLte opinion, (PW sain! Thomas du reste
semble avoir ene en ['aveur an llloilJS aulanL que la
précédente,


ART. 111. - Bodc plu·ticuliCI' .Ic dé"iglllt.tion du ~ujel
de la sOllvel'ainelé.


1


Mais la question la plus ardue est celle qui est rela-
tive au mode particnlier 8eloIl lequel Dieu déúgnerait
le sujet de la sou veraineté; e' est la que gil la difficulLé,
sous le double rapport théorique ct pratique. II s'agit
done de déterminer les faits COIlcrets qui accompa-




1l0CrnIl.'iE DU DROIT DIVI:'i. 131


gllent on JIt;llli('est(~lIt la transhlission du poUYolr.
dans un Slljel dMerminé.


Oiell pOlll'rait cOIl(i;rer immédiatement la souyerai-
Heté de den:\: mallieres : d' abord par ,"oie de manifes-
t:JtioJl nalllrclle, ensuite par moLle de rél"éJalion
snrnaturclle, COIIIIlJe IlOllS le voyolls dans l'histoire
des lICbreux pour Saül, l),1Yid d qndqnes autres
princes. L'Énitme llOIlS app()rl(~ des témoignages
irrécusalJlc~ pom atlesler ce deuxibne mode d'élec-
tioll; 01' ce 1I10)"el1, qui élail de droil divin positif pour
le royaume d'hra¡'1, et s'exer¡;ail par le minist¿'re des
prophetes, n'cul jamais Hile exle!lsion uniycrselle. Il
fut done spl~cial aHX IIéhreux : les faits qui !lOUS
révclent eeUe institntion positive sont nombreux et
précis; au surplus nous lisons eette loi dans le Deuté-
ronome, e, xm, ou Dieu dit : Cüm dixeris : Constituam
super me 1'egel/l, ellm COllslit/les qllem DomillllS Deus
tUllS elegel'it.


Mais ton s les faits historiqlles, toutes les inlerpré-
tations montrcnt flu'il n'csl qucstion en cela que d'nn
mode extraordinaire ; hors dll peuple juif, sauf qucl-
ques rares exemples, eomme cclui d'IlazaeJ, roi de
Syrie, I101lS IIC voyolls nlll]¡~rrwIlt appal'aitre la révéla-
tioIJ iIllmi~diate, le ministt~rc des }ll'ophCtes, en un
IlJOt, la manil'estation surnatnrclle de l'élu de Dieu.


AlIssi les advcrsaires du (lroit divin, qui s'efforeent
toujours d'intcrpréter ecUe doctrine dans ce sens


,~
.. _.




132 CHAP. lll. - DOCTI\li'iE DU DII011' DIVJi'i.


cxclusif, ont-ils toute facilité pour l'attaquer. Mais si
ces adversaires se mettaient en uevoir u' étudier le
véritable état de la question, íls sauraient que l'élec-
tíon directe de Dieu, comme auteur de ['ordre surna-
turel, était de uroit divill positifL.


Ce mode d'élection est done eonsidéré comme fai-
sant partie de la loi politiflue des Hébreux; aussi ne
vo)'on8-nou8 pas sirnplemellt des faits isolés, eomme
l' élection partieuliere de Saiil et de David, mais une
regle constante. Plus tard, en cffet, le propllp.te
::\'"atban vient rléclarer que Salomon est eelui des (ils
de David qui doit sueeédel' u son pere. Dieu fait dil'e
a Jéroboam par son pl'ophete : « .re partagerai le
royaume de Salomon, et je te donnel'ai dix tribus,
paree qu'il a adoré les idoles. »


Le prophete Jélm ref:oit l'onlre de dil'e a Baaza,
troisieme roi u'Israel, apres Jéroboarn : (( Jete perurai,
toi et ta maison. » En(in on voit aussi un prophete
dire a Jéhu, fil8 de l\'amsi : ( Le Seigneur vous a oint
roi d'IsraiH : vous détruirez la rnaison d' Aehab, yotre
selgneur. »


Bossuet et quelques auteurs sernblent insinuer flue
ce mode de désignation du Bujet de la ~ouvcrainetl~


i «Saulem cqui<lcm, <lit Cavarru,ias, cjusC[uc po· tero; lantum a
Deo, jure positivo divino pe\' pl'ophetas, ... p[opl"io; rcges in regllo
israelitico electos fuisse constat ex sacl"is testilllouiis ... P["(del" hos nul-
lus unquam rex aul priuceps a Deo immcdiatc constilut\ls cst. •




DOCTP.lNE DU DlWIT DlVI:-I, 133


était une loi universelle, appliquée autrefois aux na-
lions infidóles comme au peuplc choisi : « Dieu, dit-il \
exerce le meme pouyoir sur lcs nations infidcles : Va,
dit-il au prophcte ÉIie, tu oindras Hazael pom etrc roi
de Syrie, .. Le Scigncm dit ; « e'est moi qui ai fait la
terre et les animaux, et je les mets entre les mains
dc gui je ,'cux2 • » Et Bossuct fait dérivcr de eette
institution divinc l'inviolabilité du souverain, qui cst
ministre dc Dicu.


Mais ecUc dérnonstration théologique repose sur un
faiL isolé, et lcs textcs apportés sont simplcment rela-
tifs il la suhordinalion de toute autorité humaine a
l'autorité divinc. Or, la souvcraineté est un don de
Dieu, paree que l'autorité en général "ientde Dieu,
créateur de toutes choses, et. s'appuie dans son exercice
sur l'autorité divinc; du reste, toute supériorité de
fail qui réalisc l'aulorité sociale dans une personne
déLcrminée et toute autonomie nationale dépcndent
de la divine Providence.


*
,. '1-


nOSsllet montre ensuile que, pour l'exécution de la
loi pl'ovidentielle sur les I'ois, Dieu quclquefois permet
I'esprit dc révolte, lorsqu'il a décrété la chute des


I Politiqu(' sacl'ée,
! .Té ,'e.m, , xxnr.




154 CUAP. m. - DOCTI\l:'íE DU llH01T D1Vl:'í.


trones : il permct (lite lles crimcs soiCllt punis par
d'autres erill1es, qu'il ch;'die aussi (Iuand S'JIl hellre est
ycnue, de telle sorte que les i~y(~lIell1CHls He son! dans
l'ordre r!'('xóeulion (lIw les Illallir,~~laLiolls des tló¡;rets
divin~.


D'aprL's Féneloll, la souverailldó yient d'un fait
providentiel positif, fait dótermilló par la loi gónórale
du eOlleours de la cause prcrniáe : « Lc droit qu'ont
une ou plnsiellrs pcrsoulles de gOll\Crnel', p1'di'rahle-
ment a d'autres, ne "icnt (Iue de l'onlre expres de la
Providence. COlime dans le phpiCJlle d le naLurcl il
y a une actioll secrde el uniH'1'selle dll premie!' 1ll0-
teur, qui cst l\mique souree de toule force, (le tout
ordre, de tous les ll10UVCll1ClltS que nons voyons dans
la nature ; de meme, dan s le gOUYCl'l1Cmcllt dll monde,
il y a une prOyillcnce souveraine l'Í caclli"e (llti a1'-
1'al1ge tou! sclon ses (lesseins l,lemcls..... SOll,elll
mÓllc ce flui paraiL le plus indigne ,le 1I0tre attentioll
de,ient le res~ort. des [llus gl'alllls changcments 1. »
~lais, de toutcs ces comidóratiol1s, les Ul1CS se rap-


portent au pouvoir ilIll1lMiat de Diell sur les priuees,
d'aulres ú la ¡oi providenlielle bur le gomernemeut
dll 1TI011rk, d'alltl'cs enfin sont fondécs sur une fausse
théorie du concours de Dieu ayec les causes secondes i
elles sont dOlle loill t!'illlli(luer ulle sollltiol1 nette,


I Essai l'hilosojJhiqllc su J' 1(' rl'dl1'f'l'IIClJ/cl1l civil, ch, n,




)I()CTRI¡¡E DU DROIT DIVIN. 1~5
precIse el snrtouL exade du point en questiou. Il
s'agit en cffet ici Llu molle onlinaire par lequel Dieu
confi~re le pouvoir supn\me :'t un sujeL rléterminé, (lui
ainsi deYÍenura possesseur légitinie.


Comme il est illlpossibLe de ne l)oint admeLlre que
lout pouvoir n' est pas Iégitime, et (IU'iI :' a uue diffi~­
renee euLre l'usurpation coupable el la ,Íuste p()~ses­
sion, enLre un pouroir de rail el uu pOll\oil' de droit,
quelllloyell <llll'a-t-oll, dalls eeUe hypoLhi~se, de dis-
ceruer l'UIl lle I'¡llllre? Famlra-t-il tOlljonrs une
révélatioll jlosiLive pour conuaitre le vérilable sujet
.Iu pomoir? Famlra-L-il Utte manifl'~tation S\1matu-
relle pOl1l' saroir s'il y a onlre diriu OH simple per-
mission de Dieu, ce qui conslitue une diffüence
mJicale? Si 1l0US ll'ayOIlS pas d' autre regle et cl'autre
lllallifesLaLion que la loi providenlielle (lont parlent
les auteurs cilés, il en résultera que tout fait accompli
doit devenir par 1;\ lIlÓlle droit divin, l'aree fIu'il .Y a
simplement en cela nne lllanifcslatioll de la grande loi
providentiellc.
F(~lwloJl dejil ent.rcroit eette conséqtlellCe : aussi,


dalls lc chapitre s('ptii~lllC du ll1l\mc Essai, trouyons-
uous le~ r(~llexions suirantcs, par rappo!'t ir la légiti-
mité quc qUcll[lICS illlleurs aUrillllcllt :'1 ce qu'ib Ilom-
Illellt Uft roi dc Provitlcllcc, c'est-ú-dire au posscsscur
acLlIel de la sOllvcraiuclé: « La simple permission
,divine, dit-il, tlC donne jamais aueun droit. 11 fauf,
,.~
t


';"




153 CIlAP. III. - DOCTnl;'iE DC DIWIT IJlVI~.


etre soumis a tout ce que Dieu pcrmet; mais il nc
faut pas l'approuver cOlllme ju,,;te. Il y a une grande
différence entre ohéir au roi de Providence, et recon-
na!tre son droit pour légitime. II faut sans doule payer
les taxes qu'un usurpaleur impose, oLéil' aux lois
civiles qu·il fail. .... , mais il Be faut jamais que cette
ohéissance aille jusqu'a approuvcr l'injustiee de son
usurpation, heaueoup moins a jurel' qu'il a droít a la
eouronne dont il s'est emparé par violeaee. »


Fénelon pressenl donc le véritahle nU'lHI de la qlle:i-
tion; mais il ne I'atteint pas en lui-mcme ni ne le
tranche. Sa théorie, pas plus que celle de Bossuet,
n'est précise, suftisante, complete. On trouve rare-
ment dan s ees expositions doctrinales du droit di\"in
une distinetion suffisante entre la souveraineté en
général et le sujet du pOllvoir, entre la cause efficiente
de la eollalion du pouvoir el le moyen partieulier de
comlllunication. flossuet touterois veut certainement
l'institution positive, direclc, institution manifcstée
par la loi providenticlle ou par voie de révMation ; il
étend, en un mot, le droit positif des Juifs a tont le
genre humain.


Il


Apres avoir examiné rapidement les prcmieres
explications qui admettraient ou une révélation posi-




DOCTRINE nu DI\OIT 1IIVI:'í. 137


live el directe, ou un fait providenticl accompli dans
l'ordre social, auxquelles on peuL rapporter la doc-
trine de ceux qui réclarnent l'intervention directe et
la senlence déclaratoire de I'Église 1, nous arrivons a
une autre explication : celle-ci, sans recourir aux
moyem; surnaturels, san s invoquer une action ou une
loi providentiellc étrangerea la loi visible des societes,
c'est-a·dire accidcntelle et fortuite par rapport a l'or-
ganisation sociale, trome dans la nature meme de la
société cirile, tous les principes de solution.


Diell, daus celte collalion immédiale, intervient,
non par des moycns cxtraordinaires et en dehors de
l'ordre naturel, mais comme auteur de la nature,
comme ordonnateur de \a société civile.


Parmi les anteurs quí exposent cette théorie, il y a
encore quelqucs divcrgcnces que nous noterons en
lel1r lieu. Yoici d' abord comment de HalIer explique
ce mode de transmission de la souveraineté. « Loin
d' opposer, dit le jlllliciel1x publiciste, l' état social ou
civil a rétat de nature, voyons si nous Be réussirons
pas mieux en nons tenant a ce dernier, en admettant
la perpétuité de son existence et en explifll1ant par
lui tous les rapports sociaux, les plus petits cornrne les
plus grands.


{( An lien d' étahlir le pouvoir des princes sur des


1 Rohrbachcr, Dans toutle COUl'S de son lJistoil'c eeelés.




138 C\L\P. IlI. - DOCTnr\E IlU DROIT DI\T'i.


droits qu'ils auraienl I'(~~IIS ,le lmll's snlJOrJonnes, ne
découlerait-il pas ¡l'une /lwni¡"re a la fois plus simple
ct plus salisfaisanle Je lcnrs c1roits propres (,oit lIa-
turels, soit aceluis) ..... Au lien de sllpposer, pour
expliquer les devoirs des souyerains, des conlrats fac-
ticcs 011 des mandals, ces dC\'oil's 1\(', sCl'aii.'nl-ils pas
tout simpll'ment ceux de la juslic,~ d. ele la bipnveil-
lance imJlose,; aux 1'o1'l5 el aux raihles? An lien d'ad-
rnett1'e, en dépit ([e la llatlll'C, l'iJllI,"PCIH1aIlCC impos-
sible de tons lcs h()llllllC~ sans excl'plioll, ne YalllIl'ait-il
pas mieux parlir de l'illdt~pendance possible de
quel'lues-uns, el rallachcl' 011 gronpcl' auto\lI' 11' elle lc
service et la dépendance d'autres individus, sans exiger
d' eux le sacl'ilice de leurs dl'oits '1 A u lien dc faire
crecr le supéricur par les inJ'érieurs, ne dcvrions-nous
pas supposer ¡ci, comme aillenrs, cPltc marrlw con-
stante de la natllre, Cjui, dans lont le C:OUl'S ele la vie
humaine, daJls lOlLS lps l':lp}lol'ls soeiallx, fail exister
le supérieur Llr1l1ll l'illfel'imll' 1,! »


D'abonl il est difficile de ne point admettre eette
base Ju systcme : La loi fondarnentale eles rapports
sociallx, étant universelle, nécessaire, perpCtucllc, ne
peut Clre produite immórlialernent que par Dieu seuI,
qui tout en 110118 laissalll une grande libertó rlans nos
actions légitillles, ne liHe jamais ú notre librc yolonté
ce qui est indispensable i\ notro existence.


I flcstall)'([tioJl de la scicJlcc jiolililj/lc, ch .. ur.




1I0CTl\I~E ms IlROIT DIVI:-i, 150


01', il est nH~me impossible de eoncm'oir l'hornrne,
de l' ellfance iI la Yieillesse, SilllS le supposer en rap-
ports soeiau:>.: aree ll'autres hornmes.
, Mais ,;'il est illcontestable que la natnre forme
d'une TIlaniere plus ou lIIoins prochaine les rapports
socian:>.:, il en resulte qn'elle étahlit nécessairement la
domination et la dépendance : ceci apparlient a la
loi fOllllal1lentale (les I'apports soeiaux stalJ1es. Un
reste peut-on ne poiul eOI1~tater la superiori té natu-
relle des forces J,hysiqnes, de l'intclligellee, de l'üge,
de la palernité, de la propriété? 01' un seul individu
pent reuni,' plll~ic\lrs (le ces pd~l'ogatiYes naturdles,
de ces litres de superiorit(\ éLrn it la fois pere, chef de
famille, propridail'e foncier, ctc" rassemhlant sa
famille;l litre de pere, ses domestiques el les ouvriers
qu'illlourrit, ,'t litre de propriéLaire foncier, etc, Et
plus ses litres sOIlL 1l01ll]¡l'eUX, imposants, plus aussi
son autorité esL étcudllC sur un grand llombre d'hom-
mes,


Tout semble donc !lOUS manifester une loi con-
stanle de la llatUl'e, qui lloune l' empire au plus lmis-
sant; la supél'iol'itú natnrdle est le fonllel11ent de
tcute (lOlllinuLioll, el le lIesoin, cclui de toute dépen-
dance d (le tout scnice. l\ussi Dieu a-l-i1 mis dans le
eome de l'homllle, comrne accessoire de l' élclllent de
sociabilité, un penehant inslinctif iI obéir au plus
puissant; ton tes les relatiolls sociales, tous les arnuse-


, ' .....


~
.: j




140 CUAP. 1lI. - DOCTl\l:'\E DU DROIT DIVn.


ments el lesjeux des hommes ou des enfants, manifes-
tent d'llne maniere saisissante celte souree naturelle
de la hiérarchie sociale.


Voilit pour(juoi de Haller el beaucoup d'esprits
sérieux, rapportent a ces titres divers de supériorité
personnelle le mode naturel de collation uu pouvoir par
Dieu, auteur de la nature.


Néamnoins cette théorie trcs-harmonique dans son
ensemble, trcs-rigoureuse dans ses principes fonda-
mentaux, renferme quelques légcres eonfllsions de
détail, que d'autres ont évitées : ainsi, par exemple,
l'idée de souveraincté ne se dégage pas assez Ilette-
ment de ceHe de domaine; par suite 011 est conduit a
établir certains principes de gouvernement qui por-
teraient atteinte aux droits individucls, dont on est si
jaloux a notre époque.


*
.. ..


Le P. Taparelli, dans son Essai sur le droit naturcl,
embrasse en substance la meme doctrine; mais illa
formule d'uIle maniere plus rigoureuse, plus scicnti-
fique et par la meme plus spi~culative : « Un fait évi-
dent, dit-il, c'est que toute société nous orfre une
certaine unité, un centre d'action qui la résume, un
pouvoir plus ou moins ccntral, une autol'ité simplc ou
coIlective.




l)OCTI\I~E DU IlI\.OlT lHVl~. 14t


« Cette autorité reside dans une personne qui esl
une, physiquemenl ou moralemenl, qui fait la loi iJ la
multiluJe, et unit aussi d'llne certaine maniere les
jugements, les volontés el les actions de la foule .....
Ce fait est général, universc1, et par cOIJséqlJeIJt
csscnticl a toute sociCte humaine,.... bicn qu'il ~e
présente sous mille formes différentes .....


« Dans le fail universel de l'autoriLé, il y a deux
éléments divers, nn él(iment varialJle, dépendant de
mille circonstances de temps eL de lieu, etc., et un
CIement constanL, uniforme, general, <Iui esL la nature
meme de l'alltorité : jI y a un élément accidentel el
un élémenl essentiel!. » El il ajoute que c' esl par la
cornbinaison de ce double élernent, le fait humain et
la necessité naturelle eL absolue Ju pouvoir, qu'il
faul expliquer r origine de l'autorité réúlle ct con-
crete.


Passan! ensuite ú eeUe eornbinaison elle-meme, il
cherche d'aprcs quelles lois s'opere celle transition de
l'élément abstrail a l'elérncnt concret. II constate
d'abord que, dans toute sociélé libre, c'est la capacité
ct la supériorite reeHe qui réglllicremenl doivent con-
duire a l'aulorite : et la raison en est (Ju'on cherche
dans le pouvoir le moyen le plus efficace d'aUeindre
le bien commun, eL de relier entre elles les indivi-


I Saggio di dirillo /lal., 1. r, e. VlI, n. 468.




142 CIlAP. lU. - DOCTRINE IlU IlHOIT IJIVlI'i.


dualites librcs; 01' pour ceIn, olltre k droit, il faut
cncore la e<JpaeiU·, la sup¡'~riorit¡'~ r(·cllc.


Et la sll)li>riorité c¡n'on rcquicrt dnns l'aulorité,
c'esL ay¡ml fout une sllp¡;rinrité rclatire ;\ la ¡ill dc la
sneióló. La droilc raison fourniL done la loi suiyante :
]'alltnril!'~ pllhli¡lllC, cornll1C éli'l11cnt abstrait de la
sociélé, pénetre, unit la soeiété tont entiere; mais, en
pass:tnt ill' ótat eoncret, elle ya s' atlachcr 113 Lnrellcll1cn l
aux indiyidlls Je~ pJIl~ pl'0Jl/'('s ,', procllt'()!' la fin dc la
sncióté r.l de l'¡llllol'it().


Mais ecUe loi l1aLurellc des ~o('id(;s lihrcs s'ap-
plique Ü fiJ/'tiol'i aux slleid(~s n{'cp"aircs, r¡ui sonl
formées par la llature. Ainsi, dansla société civile, qui
est une société nécessaire, l'aulorité appartient natu-
rellement ti. cenx qui possed¡'nt ulle supóriorite
r¿~elle.


Ce qui ddermine le wjct de la sourerainetl· n'esL
donc autre ehose que eellt' supól'ioritt': róelle ; consé-
quemnJellt, lorsqu'lIlle sociúle se Lrnum dans son ótat
normal, c'est-it-dire dOllóe d'un pouyoir constitué
d'une maniere slalJle, l'autoritó est par clle-mcme unc
supérioritó de droit. Mai:>, tlans foute transition, la
loi naturelle et constante, c'est qun l'autoriLó, la
supériorité de droit, se rencontre arce la supériorité
de (ait, Ol! le [lollvoir de róaliser le hien; la posses-
sion exclusire de ce pouvoir est la clósignation (livine
du Yrai somera in .




lJOCTnHE DU DHOIT DIVIS,


Mais la sllpérioritú r()ell(), avant d'Ctre derenue
supériorilé de droit, est en ¡:;énéral diffieile il eonstater.
Le fail humain, la dderminaljon des hommes, l'élec-
tion, pCUH'Jlt done <jlw[qnel'ois inttrvell ir rI)j'uliere-
mcnt.


Toujours Dicu scul esl le principe yéritable de
I'antorité, et la lllultilLLde en esl simp[emenl l'ohjet.


( :\'Oll~ atlmcttolls, obsene Taparelli, (PW l'autorité
est dans la 1II11Iti'I1(le, Gil' sans la l11ultitude i1 no pent
y aroir ll',lLLtorilr;; lju'elle esl ponr la rnultitude,
c'est-it-llire ¡¡OHr ¡LLi dOI1Il(~r I'unité nécessaire ; mais
nons lIioll8 ljn'elle existe de par la U1ultitude, qui ne
peut ni la créer ni la détruirc; nous nions quelle
appartienl1c ú la mullitude qui n'est pas faite pour
gouyerner, mais pom 6tre gouvcrnée, Kous admel-
tons cncOI'c que la innltitllde pOl1l'ra, dans ecrtains
cas, cOllfl'~I'('I' le pouroir, Ilon paree qu'ellc est multi-
tude, mais paree qu'e][e a (plCl<¡ucfois aequis ce droit
en verlu de ceL'tains l'aits antt\l'iems l. »


La supériorité naturelle est donc, d'apres les parti-
sans les plus déclarés du droit divin, le moyen par
lequel Dieu désigne le sujeL de la souveraineté. II Y
a une loi }l!'oridentielle invisible, qui préside au
gouvcrnellLcnt du monde ; ~ eette loi dans les État-,
grands OH pelits, dispose les circollst:mces de ma-


i S(ffJgio, 1. ll, C. I'JI, ll.lSO,


f~
\ .




141, CIIAP. IlI. - DOCrrlDE DU DfiOIT DIVIN.


niere a faire surgir quelqll'un, a lui conférer la supé-
riorité witurelle : talents extraordinaires, gloire
militaire, réputation óclatante, puissante fortune, etc.;
et e' est ainsi que la Providence lui confere exclusive-
ment les moyens de conduire la société a sa fin .


.. ..


Le P. Liberatore, dans son excellent résumé du
droit naturel, vient aussi a son tour exposer la meme
doctrine, avec certaines diversités accidclllelles (IU'il
importe de noter. « La cause, dit-il, qui détermine
régulierement le sujet du pouvoir politique, est le
droit préexistant et préponderant, originairement
l' autorité uomestique et patriarcale; le eonsente-
ment ne peut devenir cause que fortuitement, extraor-
dinairement et par accident.


« Dans des crises sOr;Íales, au rnilien des boulever-
sements politi(IueS, il peut arriver que tons les pouvoirs
croulent, et alors l'élection est un moyen medicinal
de réorganiser promptement la sociélé, (lui tombait
en dissolution; d'ou un pouvoir élu sera légitime
autant que I'élection elle-Tw\me aura dé lt)gitime et
réguliere, c'est-a-dire aura lieu apres l'extinction
réelle et providentielle du droit préexistant. 01', de
IIlcme qu'un moyen accidentel, une mesure medi-
cinale ne peut ctre la regle universelle et .Ie moyen




DOCTRI:\E DU DROIT DIVI;1. 145


normal, ainsi le conselltement, qui accidentelle~
ment devient le selll moyen Je reconstituer le pou-
voir, ne peut etre considéré comme la regle gené-
rale l. »
D'apri~s le P. Liberator'e, l'origine primitive et


naturelle du pouyoir civil concrct esi sin)plement
dans l'extension grmluelle, régulicre, dans l'épanouis-
sement du pouyoir paternel Oll patriarcal. TOllt chef
de familleind(:pemlanl esl un roi ii l'etat aptituelinal,
si l'on pellt s'exprirner de la sorteo


Ainsi, (l'apr¡~s !'all[ellI' citó, Je lIIClfle (ple l'origine
e ffe cti \'e Je la sociétó ci vile doit nócessairemen 1 étre
attrilmée ii la ramille, de me me l'origine concrete
du pouvoir civil ou de l'élóment formel de la société,
est Jans le pouvoir palerncl, qui est comme l'élément
formel de la ramille. Aussi l'hi8toire nous montre-
t-elle l'exi~tellce Jes Jroits royaux uans les prelllieres
ramilles, c'est-il-dire le droit ele vie eL Je mort.


*
....


La question de l' origine primitive et naturelle de la
souyerailleté esi a la vórité tf()s-Jistincte de ceUe de la
transmission de eeUe meme souveraineté d'un sujet
dé termine a un autre; néanmoins ces del'lx questio'ns


1 ElemcJ1ta jU1'is //alu1'(13, l. n, c. III, a. 2.
llHQIT PUUL. 10




U6 CIIAP. 1II. - DOCTIUl'iE DU HROIT DIVIN.


ont une intime connexion, et la solution de la
seconde dépend des principes poses dans la pre-
miere. Le mode de transmission du pouvoir souve-
rain est done un corolIaire de la question des ori-
gmes.


La théorie des scolastiques n' exclut pas l'hérédité,
la succession, comme moyen légitime; les circon-
stances exceptionnelles, extinction d'ullc race, son
indigllité constatée, etc., peuvellt parfois nécessiter
l'élection; mais, en genéral, dans une société déter-
minée, le mode de transmission sera électif ou héré-
ditaire, selon les conventions po si ti ves du pacte
primitif.


La réglementation du mode et des circonstances
particuliiwes qui le preciscnt el le determinent, cst
purement de droit positif; c'esl le resultat d'une
convention originaire; e'est un contrat bilatéral dis-
soluble et modifiable, non au gré ou au caprice d'une
des parties, wuis sculcmcnt pUl' le concolU"S des deux
contractants, par extinction de la matiere, ou resci-
sion pOllr ulle cause Iégitime.


Dans ceUe doctrine, le mode ordinaire de trans-
mission du pouvoir peut done etre l'hérédité, dont le
souvcrain pourra du reste, en se conformant a la jus-
tice, au droit préexistant ou au bien puLlic, regler
les conditiolls. Ainsi la question de l'hérédité nc
saurait se résoudre pat' le seul principe abslrait de




DOCTRI:'\E DU DROIT DIVIl'i. H7


l'utilité; si 1'011 proeédait de la sortc, on tomberait
dans une errcur analogue a ceHe de eeux qui veulent
réaliser la mcillcure forme de gouvernement, sans
tenir aueun compte des droits acquis.






DEUXII~ME SE CTION
!'IATCnE ET EXEnClCE DlJ pOCVOln :CIVIL


e n A PITR E PREMIER
NATURE ET ATTRIBUTS ESSENTlELS DU POUVOIR


La sOllveraineté ou le pouvOlr suprcme est, amSI
que 1l0US I'avons dil, le droit parfait, cOlllplet de
diriger les acliolls des snjets a la fin sociale, OU, en
d'autres termes, la faculté monde par laquelle les
actions des citoycns sont dirigées d'une maniere obli-
gatoire vers le hien cOlllmun.


Il s'agit ici de di'lerllliner la nature de la sOllverai-
neté, en faisant une aTlal yse rigoureuse, adéquate des
3ltrilmts vraiment essenlicls du pouyoir.


Dans le sells rigonrellX et pllilosophiflne du terme,
on entend par natnre l'essence mcme d'un ctre, en tant
qn'elle est el1Visagée cOlllme principe des opémlions




150 CHAPo I. - NATURE ET ATTRInUTS ESSENTIELS


propres de cet etre : ainsi la nature est comme la
souree de toute l'activité de l'agent. Quand done nous
parlons de la nature du pouvoir, nous ne prenons pas
ce terme c( na1ure » dan s une aceeption étrangere asa
signifieation primordiale.


En genéral, Oll determine la na1ure en déterminant
les facultes qui sont les premiers principes des opéra-
tions. Or le pouvoir souverain est un véritable principe
d'opération, la forme intrinseque et active de l'har-
monie qui existe entre les rtres associés, la force flui
produit médiatement ou immédiatement les opérations
sociales et les dirige ver s la fin de la société. Il s'agil
done icí de déterminer quelles sont les facultés ahso-
lument nécessaires pour que le pouvoir souverain
puisse atteindre son hut; or une force agissante, un
principe d'aclion est déterminable par son acle meme :
la nature d'une puissance se determine philúsophique-
ment par son opération propre.


Mais l'aete propre du pouvoir politique est la diree·
tion efficace des opérations partieulieres et multiples
vers la fin sociale; et eomme le bien commun, qui
est celte fin, jouit d'une certaine universalité, et ré-
pond, ainsí que nous l'avons dit, a tOllte l'aclivité
naturelIe du suppot humain, il fau! done que la force
directive réponde adéquatement a eeHe ¡in eommune,
el puisse vivifier toutes les forees sociales.


Qlland nOllS disons que la force directivc doit pou




DU POUVOlI\.


voir atteindre tont le suppot humain, nous ne voulons
certes pas affirmer, avec ~Iichclet, que l'homme appar-
ticnt corps et ame a l'J~tat; nous voulons seulement
Jire quc le pouvoir uoit offrir les conditions néces-
saires pour aidcr effieaeement l'homme dans la pour-
suite du bien, quÍ est a la fois la fin eommune a tous el
la fin propre a ehacun. La société en erfet est un instru-
ment au profit de l'individu, ct non J'indÍvidu un
instrument au proíit de la société; celle-ci a le earae-
tere de moyen dm,tinó a venir en aide aux individus j
aussi l'ordre politique, quí COTlcerne la eommunauté,
est-il subordonné a I'ordre civil, quí regarde les
individus, de mcme que cclui-ei existe uniquement
pcmr le lJonheur des associés.


La soeiété répondra eomplétement a sa mission, si
elle pent seeonder l'homme dans tout ee qui en lui
pent rt':c1arner aide et secours j or pour cela, comme
nous le disiollS, il faudrait que I'aetion du pouvoir
répondit a toutes les facultés du suppot humain. Mais
pour embrasser ainsi toute la personnalité Immaine,
dans les limites de son activité naturelle, et diriger
utilement ce He activité vers la fin commune oule bien
publie, il faut que le pouvoir réunisse toutes les eon-
ditions reqlli~es a cctte opération. Vuilil done le vérÍ-
table principe de solution, ou le moyen de déterminer
rigoureusement les aUríbuts essentiels du pouvOlr,
considóré dans sa nature intime.




CHAP, I. - ~ATlmE ET ATTmm:rs ESSE:.\TIHS


QlIelle uoit donc etre cette facult(; (l'agir, principE
de l'lIl1iló ~ociale? 11 est u'al,o['(l ('yi(lent qu'cllc
devra {tre e3pablc (le ¡lJ'()(lnirc l'onlre d l'ha1'-
monie dnn~ les él{~rncnt5 socimrx; 01' r onlre politique
pen!. t'tm IH'o(lnit de delJx 1l13uieres : '1" par l'illlelli-
gel/ce, qlli, COlllJai"allt In J'appOlt (le, lIIoyrlls;\ la fin,
déterminera l'o1'dre rigoll1'e\1\: il o]Jse!'Ycl' dans 1'em-
ploi de cellx-Iá; 2" par la 1'o!ollf¡f, (luí tClld ir la fin,
soit en impnsallt OH el! prm;criyalltl'lIsage des 1Il0yens,
soit en exer~ant son empire sur les facultés d'exécu-
tion; et e' est ainsi que la yolonlé réalise dans l' ordre
pl'3ti(pw ceHe loi d'harmonic que l'illlelligcnce an1it
détpl'min!:e,


n faul donc que le pomoir, parl'illtelligellce, la \"0-
lontó et les moyens ¡]'exl'culioll dOllt il disl'0sc, soit
capable de former et de lIlailllenÍr I'uuitó soeiale, et
en mrme temps d'utiliscr toules les furces ,ives de la
société, 01' ecci n011S conduit nalnrellement a dis-
cerner dans la facuIté générale de gOIlH'I'IIPl' la soeiót(\
un triple pouvoir : le llOlll'oiJ' ('Ollstitlla}/t, qui forme
et main¡ient l'uniU~ w;senlielle (le la SOCil'tó; le
jJOHPoil' législafi{, qui lllanif'e,tr a ecHe m01lle sociaé,
cnyisag¿~e dans chacull (le ses nWIII hl'cs, le l'apl'0rt (¡e~
1110YCnS iJ la fin, en l'endant ces IllOycllS o}¡ligatoil'es;




DU l'OUvom. 153


enfin le jWIIVOll' eX'(/clltir, qui procure efficacement,
soit par rap porl aux personnes, soit par rapport aux
choses, l'exécntioll des lIIoyells délenninés et imposés
par lü l'0ll\oÍr légi~lat.if.


Cette divisioll dablit un cerlaill parallélisme entre
,la pe1'"onne moralc, ou la société, et les pcrsonnes
phY~¡(lne~, OH les assoeiés. Dalls la pcrwl1ne physique
OH pent distingue!' IIlle IIU:Hll'llplc rat.ógoric Il'attl'i-
buts : la rie, l'illtelligeIlC(', la yolonté el la force exé-
cutire; 01' la persollllc 1I100'ale, ({ui doit pouyoir
rlÍpolldre ¡\ Ious les besoins (le la personne physi(Iue,
lui eLre Ull auxiliaire cfficace dans la l'echerche du
bien, dCHa par cOllséquenl jouir d'atlrilJUts analo-
gues~


e' est ail181 qu':\ la vie dan s l'indivldu répond le
pOllyoir constlluant dans la société; a l'intelligence
el ú la rol!!lItl", doulJle principe des opératjons ra-
tionl1elles libres, l'épond le pomoir législatif, qui
procl~dc par YO ji' de cOllllais~:IlICeS d de \olitiol1s;
enfin le pomoir exi'cutif, dans la société, est rigoUI'eu-
sement paralldc a la force exécutrice dans l'homme.


Dans l'illdiritlll, les (Iuatrc aLtribuls principau.\. que
nOIl~ dislillgl10llS pell\'olll eLro ramenés a nne triple
calégoric (le pri!l(:ipos aelifs : le suhslratnm de loute
l'actirit(~ de l'indiyidu, on le principe yital, so urce et
fondell1ent de lontos les facultés; l'activilé spirituelle
qui operc dan s l'ahstrait, ayec ordinatioll plus ou




154 CHAP, I. - NATURE ET ATTlilBUTS ESSENTIEJ.S


moins direde 11 1'ordre concret, et enfin les facultés
sensibles et corporelles qui exécutent el réalisent dans
l'ordre physique et matéricl ee a quoi tendent les
principes supérieurs. Ainsi done il y a comme une
triple région dans I'activile humaine; et dans chaque
région nons pouvons distinguer des facuItés lllulti-
pies.


ParaIlelement a cette triple region dans l'activilé
de l' etre physique, nons distingllons un tri pie ordre
d'attributs dans l'activiLé de la personlle juridique;
et chaque altrilmt se deploie, s' épanouit llar ces
moyens multiples ou des facultés distinctes.


11


Avant d'arriver a l'examen approfondi de ces aLtri-
buts dn pouvoir, nous a!lons jeter un cour d'mil
rapide sur les principales divisions qui ont été présen-
tees par divers auteurs.


D'apres Fénelon, l'autorité souveraine ne pcut par·
venir a ~a fin qu'autant qu'eUe reunit les droits sui-
vants :


f o Le droit de marqner aux sujets les regles
de conduile qui instruisent chacun de ce qu'il doit
faire ou ne pas fail'e pour conserver la paix de I'État,
et de ce qu'il doit souffrir s'il manque a ces lois. e'est,




DU POUVOIR. 155


dit-il, ce que les politiques appellent pouvoir légis-
latif;


2° Il ne sumt pas de prevenir les maux interieurs du
grand corps politique, mais il faut aussi le défendre
contre les violences qui viennent du dehors : d'ou
resulte le pouvoir de paix et de guerre;


3° Mais les besoins de l'lttat demandent nécessaire-
ment des frais considérables; de la jaillit le pouvoir
de lever des impUlso Par ces différentes prérogatives,
le souverain exerce trois sortes de droits sur ses
sujets : droits sur leurs actions, droits sur leurs per-
sonnes, droits sur leur fortune, mais uniquement
d'aprcs les exigen ces du bien publico


Bentham I se plnint de ce que la classifieation ra-
tionnelle des pouvoirs politiques n'a point été suffi-
sammcl1t étudiéc; cette obscrvation, d'aillenrs assez
vraie, est loin d'avoir l'importanee que l'autenr lui
attribue : assurément ceux qui admettenL, eomme
absolument neccssairc, la separation des pouvoirs et
leur exercice par des sujcts distinds et indépendanls
les uns des autres, doivent attacher un grand prix a
une division tn)s-l'ationnelle; mais ceUe importanee,
tiree d\me ulopie ou de faits accidentels, n' est pas
reeHe au point de vue du droit absolu.


ylontesquicu est le premier écrivain qui ail proposé


I OEUt'I'C8, t. 1, p. 35:;.




'i5G ClIAP, 1. - NATllnE ET ATTr.mUTS ESSENTIELS


la division des pouvoirs politiques en lógislatif, exe-
cutif et judiciaire, di,isiol1 flue M, naulain explique et
justifie de la maniere suiv:tl1te 1 : « ta souverainelú se
manifesle et s 'applique de troi" manieres \fui lui sont
essentielles.


« D'ahord il faut ecrire la loi et la poser. .. La sou-
verainclé, oú qn'elie soit placóe, s'exprime done
d'aho],(l par le pouyoil' lógislalif.. .. , Puis la loi t\l:nit
posee, elle doit Ctl'e olJ~el'Y!~e ..... 11 fill1l donc une
fOllction employec ¿l I1lcttre la loi en pi'atirlne,:1 en
surv('illet, l'applicahoTl : e'est le pOll\'oir ex¡'·clltif.
Mais les hommes 80nt libres, ils sont pasúol1nós, ils
80nt instinctivement et naturellement opposés a la loi
depuis le peché. Des 101'8 il Y a imminence de dólit
ou d'infraelion á la loi ; done toute violation de la loi
doit etre eombatlue, arrrtee, Imnie, rl~parl'c; mais,
avallL (out, il 1'aut (Iu'elle snitjug(')l', d par (,o/lsequellt
il faut llne fOllctioll.iudiciairr. »


Je n'ai pas hesoin de faire remarquer comhien
eeUe expositioll est pell rigoureuse : ce f¡ni vient d'Ctre
dit montl'e assez qu'ellc ne repose Sil!' auculI principe
déterminé et pri'eis,


Le P. J.iberatore", anssi judi eieu x mora I istc qlw pro-
fond métaphysieien, considere eomme admissible la
division dnnn(;e par ~lontesfJnien; il la dl~\e¡oppe el


I Plnlo.'. des lo; .• , "h. n:.
~ Elementa jUl'is l/u/., 1. lI, C. 1\", a .. ~.




DU pouvom. 1~7
l'étaLlit u'une maniere Leaucoup plus rigoureuse el
plus précise flue i\I. BauLaill, en partanl Up la nature
meme tlu pouyoir; ces troi::; fonctiolls seraient des
altriJm(s impérieusement exigés par le rule de l'au-
torif¡'~ ~llprélllC unns loule !:iociété.


D'¡¡}lrl:s Zallingel' 1, les uroits essentiels de la sou-
veraineté, jura majestalica, sont : t u le pouyoir ue
controle ou un droit de police ulliy(~l'sellc, ]I()testas
¿nslJccloria; ~ü le pouyoir exéculif ct le pouvoir legis-
la tif.


Par pomoir de conlrüle ou de llOliee, }Jotestas in-
spectoria, il entend l' obligatioll de prévenir les dallgers
illtérieurs et extériellrs, de pourvoir aux besoills, de
subvenir i\ l'indigence, et merne u'aviser a la cornmo-
dité publique, d'éloigner ies disettes, ele. Ce pouvoir
embrassera done, entre autres ehoses, ce que le P. Ta-
pal'clli HOmnle pouyoir déliLéraLif, pOllvoir (/ui a pom
objetl' étude el la cOllnaissunce du sujel gomeI'llé, uu
but auquel eclui-ei doit tendre, et des roies qui l'y
mfmeront.


Par rapport a cette fonction déliberative, on peut
fail'e les rénexions suivallles :


Assurément personne ne peut niel' que la discussion
des illtéréls de l'État ne puisse Ctre distinde du vole
des lois ciyiles, ou mcme de la déliLération définitive


! Jus llatuJ'{1' lillbticum, c. VII.




15li CllAP. 1. - NATURE ET ATTnJllUTS ESSE:iT/ELS


la di vis ion des pouyoirs poliliqucs en li~gislatif, exe-
culif el jllJieiaire, diyjsioll (fue M. J3aulain explique el
justifie d(\ la maniere slIivante 1 : « La souvcraincté se
manifeste ct s 'appliqlle de trois manieres (lIlÍ lui sont
essentielles.


« D'abord il faul éerire la loi ella poser ... La sou-
veraincté, oú qn' cHe soit plact!e, s' exprime (lonc
d'abonl par le pouvoil' lt"~gislatif ..... Pui~ la loi dant
posee, elle doit etrc o)¡sen(~e..... 11 fant dOlle une
fonction employóe ,'t llInttre la loi en pratiffllC,:'t en
sunciller l'applieallOIl : e'esL le pOll\'oir exéeutif.
Mais les hommes sonl libres, ils sonl pas~ionllés, ils
sonl inslinctivernent el natllrellement opposés a la loi
depuis le péehé. Des 101'5 il Y a imminenee de di,lit
ou d'infraction a la loi ; done touLe violalion de la loi
doit elre eornballue, arrCtúe, punie, rúpad'e; mais,
avant tont, jI fant f{u'elJe soitjup/,c, el parcollséquent
iI faut une foncLioll judiciaire. »


Je Il'ai }las besoin de l'aire remarqner eOlllhien
eette exposition est pen rigou1'euse : ce flni yient d'ctre
dit monLre assez qu'elle ne repos(~ sur aucun principe
déterminé et pr(~cis,


Le P. Libe1'atore', au~si jlHliciem: moralisLn que pro-
fona métaphysicien, considere cornme a(lmissihln la
division donnée par ~Iontesf{uieu; il la lkycloppe ct


, P¡nlus. des lais, el!. JX.
~ J,'lcmcllla j/lris ¡¡al., l. 1I, e, l\', n. 4.




DU POUVOIR.


l'¿~tahlit t!'UIlC manierc beaueoup plus rigollreuse et
plus préei~e que M. Dau Lai 11, en partant de la nature
memc du pOll\"oir; ces trois fOlletioJl8 8eraient des
aUrilmls impéricuscJlll'IlL exig()s par le role de 1'au-
toriU~ supréme uans toute sOl:iéLé.
D'apJ"(~s Zallingel' t, les uroits esseutiels de la 80U-


veraincté, jura 1Ilajcstatica, sont : -1 0 le pouvoir ue
I:ontrole ou un droit de police uni,erselle, potestas
ins]Jccforia; 2') le pouvoir cxécutif eL le pouvoir légis-
latif.


Par pOLl\oir de controle ou ue poliee, potestas in-
spectoria, il elltclllll'obligaLioll ue próycnir les danger~
intérieurs et extérieurs, ue pourvoir aux besoins, de
subvenir a l"inuigence, et meme u'aviser a la commo-
dité publique, d'éloigner ies disettes, etc. Ce pouvoir
embrassera donc, entre autres choses, ce que le P. Ta-
parelli llOIIlIlW jloll\oir délibératif, pomoir qui a pOUl"
objet l' Mude el la connaissance du sujet gouyerné, du
but auque! cclui-ci doil tendre, et des voies qui I'y
meneront.


Par rapport a eelte fonctioll délibérative, 011 peul
faire les róllexions suivantes :


Assurément personne ne peut nier que la discussion
des intérCls do I'État no puisso elre distincle uu vote
eles lois civiles, ou meme de la déliLóration définitive


1 J!lS lWtW·(U }wuliCIlI1l, C. VII.




1.;''S CH,\l'. l. - !\A:nll\E ¡;:\' A1TRlllll\S ESSENTlELS


des .lois proposées; mais ce qui reste vrai aussi, e'est
que, distincte ou non, elle aUeint le meme objet,
quoique d'une maniere différente : par suite le pou-
voir délibératif ne peu! elre qu'une fonction 8ubor-
donnée du pouvoi.r législatif, et non un pouvoir distinct
et parallele.


La voix consultative est souvent accordée sans voix
délibérative; et il arrive plus d'une fois que, dans
l' exercice du pouyoir, mcme conslitllant, la délibéra-
lion est laissée aux uns et la décision aux autres; el
ceci montre simplement que le mécanisme de toul
pouvoir particulier peut etre plus ou moins complexe
dans sa composition intime.


Dans les di visions que 110U8 venOllS de rappeler, on
trouve souvent les plus étranges confusions. La classi-
ficatio11 que 110US proposo11S comme plus rationnelle
est ceHe qui ramcne ú trois les pouroirs politiques
essentiels el fondamentaux : le pOllvoir constituant, le
pouvoir légisJatif el le pouroir cxécutif. Et du reste,
quoi qll'il en soit de sa I'igueuI' logique, elle a pour
nous ici le caractere d'une division méthodique, en vue
de nolre étude du pouvoir dans la société.


*
••


Posons d'abord une regle préliminaire : nous dis-
tinguons entre les pouvoirs politiques pris en général,
c'est-a-dire comme aUributs essentiels ou modes




IlU I'OUVOIR. 109


primordiaux de la souveraineté, el les fonclions par-
ticulieres que peut encore requérir l' ex erciee de chacun
de ces pouvoirs. 'fout ce qui est une détermination
immédiate, un attl'ibut direcl de la souveraineté con-
stitue un pouvoir politique distinct ou une fonction
essenlielle et primordiale; tout ce quí n' est qu'une
détermination particuliere, un mode distinct d'uIIe de
ces fonctions primordiales, HOUS le considérons, non
comme un pou\"oir politique, mais comme une des
aUributions particulicres de ces pouyoirs primitifs.


11 résulte de ce principe que nous devons rapporter
principalement au pouyoir législatif ce que quelques-
uns nomment le pOllVoir délibératif. Le pouvoir de
controle ou le droit de police de ZaUinger rentre en
partie dans le pOllVoir législatif et en partie dans le
pouvoir exúcutif; la force armée, le droit de prélever
les impots, dont parle Fénelon, appartiennent, ainsi
que IlOUS le montrerolls, au pouvoir exécutif.


Faisons en outre remarquer que la division de
.Montesquieu, division devenue vulgaire, et acceptée
en général, soit dans les chartes constitutionnelles et
les traités scienlifiques, soít par la masse des légistes
et des philosophes, renferme une certaine confusion.
Le pOllvoi¡' judiciaire, a la rigueur, n'est yu'une fonc-
tion partículiére du pouvoir exécutif, qui a pour but la
bonlle exécutioll des lois; il en est de mcme du pou- . _> ....
voír coercítif'í';~~


y




160 CIlAP, I. - NATURE ET ATTnmUTS ESSlI:'1TIELS


En effet, pou!' que le pouyoir exécuLif plli~se diriger
effieaeemellt l'opél'atioJl matérielle ~ sa fin, il faut
qu'il soit doué, nOIl-seulemenl de la force physillue
qui agit sur les eorps ct les J)iens, mais eneore de la
force mor'ale (lui aLteint les voloutés: 01' le pomoir
exécutif, en tallt qn'il se sert simplcmcnt (le sa force
moraIe, prcnd le Hom de pouvoir jUlliciaire ; en tant
qu'il Jéploie sa force physirlue, il prend le llom de
pouyoir coercitif,


i\fontcsquleu lui-m{~mc considere JI) }louyoir jndi-
ciaire C0111111e tlne sOtls-dirisian de la pnissance exécu-
tive : ( 11 Y a, dit-il, la puissance exécutiye des choses
qui dépendent du droit des gens, et la puissance cxé-
eutive de eclles qui dépenJenl uu uroit civil. Cette
derniel'e puissanee s'appelle aussi pOll\oir j lluiciaire 1.»


Notls voyons done, par eeUe rapide allalyse, que la
division ue FéneIon est lon 1 ;l fait incnl1lplet.e et ina-
déquaLe : incomplCte, en ce 'lu'elle ll'énumere pas
tous les pouvoirs; inadéquate, JII(,\me daus ceux qu'elle
énumere, attendu qu' elle présentc eertaillcs fonctions
particulicres d'un des grands attribuls u" pOllYoir
eomme une division paralIele á tcl autre pomo ir; ainsi,
par exemple, le droit de paix el de guerre, le pouvoir
de lever des imptlts, sonl présentés cornIllC opposes el
paralleles au pouvoir législatif.


i ESPT, des loís, 1. n, ch, VI.




· DU POUVOIR.


..


.... ..


161


M. de Bonald ne voudrait pas que les pouvoirs,
législatif, exéeutif, etc., fusscnt appelés pouvoirs, mais
simplement fonetions, attendu, dit-il, que le pouvoir
est un et indivisible 1, Et il apporte :1 cet égard un
texte de noussc~u eontre la division de ~fontesquieu :
« Nos politiques, dit l'auteur du Contrat social, ne
pouvant séparer la souveraineté clans son principe, la
divisent clans son ohjet. lis la diYisent en force et en
volonté, en puissancc législative et en puissance exé-
cutive, en droit d'impots, de justiee et de guerre, en
administration intérieure et en pouvoir de traiter avee
l'étranger. Tantot ils eonfondent ton tes ces parties et
tantot il" les séparent; ils font du souverain un etre
fantastique formé de picees rapportées : e' est comme
s'ils eomposaient I'homme de plnsieurs corps dont
l'un aurait des yeux, l'autre des bras, l'autre des
pieds et rien de plus, » etc.


Mais, dans ce texte, Bousseau atta que simplement
la séparation totale des pouvoirs, et par eonséquent les
partisans du régime eonstitutionnel. Au surplus Rous-
seau examine eette question avee sa légr;reté el sa
présomption habituelles, plus préoccupé de trouver


i Tlléorie dll l'0IlV0Í1·, 1. VI, ch. 111.
IIHOlf prDL.




f6\l CllAP. 1. - l'iATURE ET ATTI\IllUTS gSSE~TIELS


des anomalies et des contrastes que de se rendre
eompte du véritahle état de la question.


Qu' on appelle ces attributs fonctions ou pouvoirs,
peu importe! tout ceci dépend du point de vue, ou
meme revient a une dispute de mots. Si on les envi-
sage par rapport a leur principe ou a la souveraineté,
prise en elle-meme, ces attributs ont le caractere de
fonctions particulieres; si on les considere dan s leur
relation avec la maticre sociale, OH I'objet sur lequcl
¡ls s' exercent, ils ont le vérilable caractcre de pomoirs
proprement dits : ils pemellt diriger, ou ont l'ef'(j-
cacité de conduire les éléments sociaux a la fin COUl-
mune. Ce sont donc des fonctions el des pouvoirs.


III


Mais indiquolls, en partant des principes posés plu&
haut et des analogies indit{uées, les fundements de
notre divi~ion. Toul e société civile est une: son unilé
est son elre COUlUle société; mais sa maniere d' étre
une, ou d'étre telle société distincte et déterminée"
est sa constitution fondamentale ; par cOllséquent, ce
qui lui donne cette maniere d'dre Oll 5a constitutioll
est constituant. Or le principe de 1'\llliU~ sociale, OH de
la maniere d'ütre de la sociét<\, estle pomoir supreme;
done ce pouvoir supreme peut etre dit cOl1stituant.


Nom, d~vom, \\\'ouer toutcfois que le l)omroir n' est




JJU POrvOIH. 163


pas COllstituant ele la méme maniere qu 'il est législatif
et cxéeutif, e' est-ü-dire par son action sur la matiere
socia1e. Aussi, a ce point de vue, la division de Tapa-
relli ne s('rait- Plle guere plus rationneHe que les
autres. JI reste toutefois aequis que le pouvoir, étant
dan s la soeiété l'élément formcl, est constituant, au
moins par son Ctre, sinon par son action souveraine.


M.ais poursuivons : l'unité de la société est morale,
et non phyúfJuc, étant fondée, non sur une loi de
cohé8ion d'éléments malériels, mais sur la loi d'har-
monie de natures intelligentes; il faut done que le
prineipe ¡{'lInilé agisse d'une maniere adaptce 11 la
nature des étres libres et intelligents. 01' il ne peut
procurer l'harmonie des intelligenees et des volontes
que par le pouvoir législatif, qui discipline les volontes
libres, en éclairant et en dirigeant les intelligenees.
Aill8i le premier principe qui doit donner a raction
sociale sa r¿~gle el ~on type est le pouvoir législatif,
de meme que le premier principe qui donne a rétre
social sa forme est le pou voir constituant.


Cependant eeUe double prérogative de la f'ouverai-
neté ne suflit pas a l' existen ce stable d'une soeiété
humaine: s'il s'agissait de purs esprits dont l'intelli-
genee est toujours droile et súre, dont les instinets
sont parfaitemenl soumis a l' empire de la rai,:on, ce
uouble pouvoir sul1irait a une organisation sociale
complete.




164 CHAPo I. - ~ATURE ET ATTH11Jl:TS ESSE~TmLS, ETC.


Mais l'homme n' est pas une pure intelligenee; il
est aussi doué d'un corps; ee n'est pas une nature
rationnellc teHement parfaite, Ilu'on soit toujours as-
suré du triomphe de la raison sur les instincts rehelles
et les appétits inférieurs; ce n'est pas enfin une raison
tellement Incide, qu'elle soit toujours sure de saisir
toute la pensée du législateur. Il faut done au prin-
cipe de l'unité social e et a la source de l'harmonie
civile plus que le pouvoir d'imposer des lois; il fatlt
encore la faculté d'en assurer l' cx,;cutiOlI, de faire
fléchir, par la force matérielle, tout obslacle et toule
résislance sous l'empire de la 10l. Voila pourquoi le
pouvoir exécutif est un autre attribut essentiel de la
souveraineté parmi les hommes.


Ainsi done, pour nous résumer en quelqucs nrots,
le pouvoir est constituant par son action vitale, légis-
latif par son aclion morale, exécutif par son actioll
physique. Apres avoir établi la division des pouvoirs
politiques, nous allons passer a l'examen attentif et
approfondi de chacun de ces pouvoirs, de sa natme,
de sa loi d'adion, de fion étendue ou de son do-
maine, cte.




166 GUAP. 11. - DU POUVOIR GONSTlTU:'i'f.


pas faeile de eirconserire nettement eel objet, et de
fournir une classifieation réguliere de tous les éléments
qu'il embrasse.


Nous n'avol1s pas besoin de raire remarquer que
toutes les charles éerites, que toutes les lois eonstitu-
tionnelles, accordées par le souvcrain ou imposées
par la l1ation, que tout pacte, réputé fondamental,
n'est soU\'ent qu 'une eonstitution purement nominale,
et nonrécllc. Ccschartcs, ecs lois, tcs funllules écriles
peuvent reproduire ou cxpl'inwr la constitutioll véri-
table dans ses poinLs principaux; maÍs elles sont loin
d'etre toujours enieaees pour la former ou meme la
modifier. La eonstitution vérilaLlc préexiste a ces
formulaires el appartient ti l' ordre Jes fails aequis;
e' est done quelque ehose ti la fois de plus radical, de
plus intime et de plus essenticl a retre social, et en
meme temps d'ul1 nutre ordre que ees dúdaratioTls
théoriques; e' c~t presque touj OUl'S un fait cOlTlplexe,
eontemporain de la naissallec de tellc soeiété, et nOll
un type idéal Oll aLstrait, thcme inépuisal¡lc de théo-
ries sociales; e' est un étal permancnt de cltoses, et
non le résultat d'une dcclaratioI\ yerLale.


Il n'est done pas rare de trouyer une discordanee
réelle entre cet organisme réd d'unc soeiété politiquc
el sa constitution éct'ite. 11 peut évidemmelll arriver
que ce formubire éerit ne soit qu'ulle déclaration
faw3~c, un symbole vide.




CHAPITRE 11


DU POUVOIR CONSTITUANT


ART. l. - tJe qu'oo eoteod par eeDstitutioo.


La théorie Ju pouvoir constituallt est une des plus
épineuses, ues plus insaisissables du uroit ¡mblic;
aussi l'étude de eeHe fonction gouvernementale, tout
en se prétant aux spéeulations fantastiques les plus
séduisanles et les plus variées, si l'on veut se jeter
dan s le vague et dans les généralités, exige-t-elle la
plus scrupuleuse attentioll, si l'on songe a étre exact
et précis. La difficulté vient surtout de ce que, par
constitution, les auleurs entendenl souvent des choses
tl'es-di1Jérentes, et par la meme ne fournissent pas le
concept rigoureux el déterminé de l'objet du pouvoir
constituant; el du reste, il faut hien l'avouer, il n'est




!lU POUVOIR CO:'iSTITUA:'i'r. 167


II


En quoi comústera done a propl'ement parler une
,~onstitution poli ti que ? Ce lel'mc peut se prendre dans
un sen s large ou dans un sen s plus limité: dans l'ac-
ception vulgaire, limilée el inadéquale, on cntend
par conslitu tion d'lIlle société, la distriLulion orga-
ni(l'lC des pouvoil's poliliques, ou la r.léterrnination
des granJs rouagcs de l'action politi(iue. Prise dan s le
sens large el adú(Illalcmeul, c'est l'ensemLle de toul
l' organisme social, ou la loi réellc et cornplcxc de
réductioIl des élémcnts multiples a l'llnité : ce n'est
done autre ehose que l' ensemble des causes intrinse-
(Iues du fonctiol1nernenl et de l'harrnol1ie d' élérnenb
tl'cs-JIlultipl(1s, Iri~s-variés. Celte harl1lollie et ce fOIlC-
tionIlcmeut régulier el Jlol'llwl IlC se produisent pas
d'uIl seul jct; ce lW pcut drc que le résultat uu temps
el de la loi pl'imitiye ue cohésion sociale, loi qu' on
pen! ilussi appeler eonstitut.ion fonuamentale et essen-
tielle.


Les fails (lui concourenl iI la formatioll d'un État
regulicl' sont tellement llomlJrcux, que I 'holTllTle ne
pent les pn'~Yoil' tous, les calculer lt priori, en me-
l·imcr toute l'éLendue ct touie l'influcllce. Aussi est-il
impossible (Iu'nne constitntion, m{mle envisagee dans




168 CllAP. 11. - llU POUVOIB COriSTITUAl'iT.


le sens restreint, se fasse a priori, surgisse d'un seul
jet, comme une création pure du génie de I'homme.


C'est pourquoi l'illustre comte de MaiHtre, duns
son Essai sur le pl'incipe yéné/'{ltelll' des cOllstitutions
poli tiques , s' attache a prouver :


1 0 Que les germes des conslitutions politiques exis-
tent avanl toute loi écrile;


2° Qu'une loi constitutionnelle n'est el ne peut etre
que le développement ou la sanction d'Ull droit
préeú;tant et non écrit;


Et me me 5° que ce qu'il ya de plus essentiel, de
plus intrinseqUemellt constitutionnel el de véritahle-
ment fondamental, est indépendant de toute formule
écrite.


« Considérons, poursuit plus loin le meme auteur,
une constitution politique quelconque, ceHe de l' An-
gleterre, pal' excmple. Certuinernent elle n'a ¡¡¿IS été
faite il priori. Jarnuis des hommes d'État ne se sont
rassemblés et n 'ont dit : Créons trois pouvoirs, balan-
!1OJ1s-les de telle maniere, etc. ; personne n'y a pensé.
La constitution est l' ouvrage des circonstances; et le
nombre des circonstances est in(ini. Les lois romaines,
les lois ecclésiastiques, les lois féodales; les coulumes
saxonnes, normandes el danoises; les priviléges, les
préjugés et les prétentions de lous les ordres j le~
guerres, les révoltes, les révolutions, les conquetes,
les croisades ; toules les wrtus, tous les vices, toutes




Dl; por;vom C01'i5T1TUA'.'iT.
les cOllnaissances, toutes les erreurs, toutes les pas-
sions; tous ces éléments enfin, agissant ensemble, et
formallt par leur mélange el leur action réciproque,
des combinaisons multipliées par myriades de millions,
ont produit enfin, apres plusieurs siecles, cette unité
si compliquée ¡. »


La constitution esl done un rait qui résulte d'élé-
ments divers Ol! le prém et l'imprévu, le nécessaire el
le volonlairc, :-le mClclIt, se confondenl, ou mieux
s'hannoniscllt sous l'influence d'une loi mystéricuse
qui produit la conslilution. Cette loí de cohésion con-
siste en une double intluence : l'influcnce divine ou
radion providentielle; l'influence humaine ou l'ac-
tion du pouvoir social et des membres de l' association.
Et cette simple analyse nous conduit a une conclusiolJ
pratique qui n'échappera a personne : refaire a neu!"
et d'un seu! jet la coustillllioll politiqlle d'un peuple
est llresque aussi aIJsnrde (Iue de vouloir modifier
tous les rouages d'une horloge, sans lui enlcver toute-
fois l' activité el le mouvemellt.


! Pl'incij ,c gél/(;/'{/tell1' des C"II .• (. 1)01., XII.




170 CHAl'. 11. - nu pouvom CO:¡STITUA\T.


ART. 11. - (;omment le pouvoir est-il eon8tituont?


Ce~ eonsidóratioll8 générales sur la IlutllI'C dcs COll-
stitutions politiques nous conduiscnt a une question
subordonnéc asscz difficilc ;\ préciser ct a résoudre.
QueHe esll'influencc positiyc, dirccl(~ (lUI)(J\Iyoir Iloli-
tiquc sur la cOllsliLutioll, c'csL-a-dil'c COllllIlCllt, dam
queHe mcsurc et d'apr¡~s quellcs lois physiques OIJ
morales le ponvoir csl-il constituant?


Pour circonscrire le problcme dans ses justes limites,
il importe de ne point perdrc de Hle le uai concepl
du pOllvoir cOllstituant : ce pOll\oi!', ainsi qu'on 1'2
monll'é, est commc la faculté d' organiscr la république,
ce qni donllc :1 ceHe-ei sa fol'llw soci:de, ell distl'ihllalll
harmonirpwment ses diyerscs )Iarlics; créer les organm
fondarncntallx aux(Iucb les fOllctions du pouvoir sonl
atlachées d'une maniere stable, csl done un dc ses 01'·
fices J)l'inciJlaux : cela, cn un mot, cst Jil eonstituant.


quí a une cerLaíne influencf' positiyc ct direcle sur la
constitution primiti'le el ('s~elltielle de la sociM,é.


Le r. LilJcratore, eH jlI'ouYallt que le JlOllyoir con-
slituanl n'apparticnt pas au pomoir législal.if, conclut
quc lc droit cOllstiluant IW peut Clre considél'é comrne
un des attributs de la souveraillclé. « COlllIlle ce pou-




ou pOlJvom CO~STITUANT. 171


voir, Jit-il, a rapport á la constitution meme de l'état
politique, on Joil le rapporter aux causes qui ont
présidé á l' existence et ,1 la forme meme de la républi-
que. Dans une société organisée, iI doit résider dans
toul le corps social, el nullemenl dans une partie
quelconqne de ce corps, 1'út-elle partie principale el
formelle. e'est pourquoi ce pouvoir n'est le propre ni
uc l'autoritú ni de la llllllLiLude, priscs isolérncnt,
mais des denx, pl'ises conjointement.


( Il résulte done ele la, qu'un changement dans la
constitution fondarncntale ele la répuLliquc, pourvu
tunterois que ce changement!le soit pas accidentel,
llIais appartie!lllc a ]' essellce lIlerne, a la forme pri-
mitive, ue peut elre faíl par le prince seul el par le
pcuple seul, mais dll consentemenl des deux, ... au-
trement il e~t illégitilUe el sallS vaIeur 1 • » El ce
corollairc, qui a~signe la limite de l'action législative
du pouvoil', est a~slln'mleIll lres-vrai et tres-rigou-
reux.


Ces oLservatiolls ótahlissent simplement que le
pouvoil' n'est pas arhilralmlIlent constituant ct par 5a
seule action yolontaire, de tene sorte qu'il puisse 11 son
gré changcr la constituLion fondarnentale. Le sujet du
pouvoir ne saurait de lui-mernc décréter une modifi-
cation essentielle des conditions de son existence, ni


, Jus nal., e.IV, a.\.




172 ClIAP. 11. - DU POUVOIR CONSTITUANT.


changer radicalemenl la forme des rapports qu'il a
avee la eommunaute. On pourrait meme ajouter qu'a
la rigueur le eonsentement dll prince et du peuple
n' est pas toujours suflisant ou efficace pour ehanger de
fail, ni mcme de droit, la eonstitution, dll moins prise
adéquatement. Et la preuve de ecHe assertioll n'est
llas diflieile a déeouvrir.


La loi générale de formation d'llne soeiété n'em-
brasse-t-elle pas non-seulernclIt des fails volontaires,
mais encore des faits naturels, qui melés aux faits libres
et volontaires ont présidé a I'agrégation soeiale? or
ceux-la ne dépendent pas du libre arbitre. D'ailleurs
la eonstitution est l'harmonie essentielle des élérnents
soeiaux qui tendent vers leur fin, harmonie qui par
la meme est en beaueoup de points un rapport rigou-
reux et de droit, indépendant de toute volouté hu-
mame.


Ainsi done, il est rigoureusement vrai que le pouvoir
politique n'est point eonstituant, en tant qu'il gou-
verne et administre, e' est-a-dire par son aetion libre,
légitime et omnipotente; la eonstitution, meme prise
en tant que simple distribution organique des pouyoirs,
ne saurait légitimernent elre ehangée ou modifiée par
l' action du souverain ; toutefois elle pourrait l' etre du
consentement de toutes les parties intéressées, ear elle
semble appartenir au seul ordre des fails volontaires.


Mais qyoique le "(l0uvoir constituant ne soit ~as une




lJV POUVOlR CONSTITUANT. 173


des fonetions proprcs de Ja sOllverajneté, on pellt dire
néanmoins que c'est un des attributs de cette meme
souveraineté : l'organisme du pouvoir souverain eon-
stitue, ainsi que nous ¡'avons dit, comme la loi fonda-
mentale et la forme poI ¡tique de tout l' organisme social.
n reste done hors Je doute fJue le pouvoir exerce en
réalité une influence positive; certaine et capitale sur
ceUe eonstitution particulicre.


D'autre part il n'est pas moins certain, el il reste
évident ponr tout esprit sérieux qlli étudie l'histoire
et médite SlIl' la forrnation des États, qu'une main
invisible préside a la naissance et a la dissolution des
sociétés politiques. Cette main puissante, qui élt':ve el
abaisse les rois, fait aussi a son gré naitre et périr les
nations; elle les pétrit comme le potier pétrit l'argilc,
bien qll'en vertu de certaines lois fixes et réglllieres.
Aussi Je fait originaire, qui a donné naissance a une
nation, précxiste, sinon chronologiqucment, du moins
naturellcment, au pouvoir constitllant lui-meme. De
ce fait primitif découlc la prerniere implllsion vers telle
loi constitutionnelle.


Ainsi a l' action supérieure et régulatrice de la divine
Providence est subordonnée celle du pouvoir consti-
tuant. Nous voyons done que dans l'ordre des causes
efficientlls qui concourent a produire telle forme poli-
tique dans une société déterminée, nous trouvons au
sommct la Proyidence sl)éciale de Dieu, et sous cette ,.


1




174 CHAPo n. - DU POUVOlR CONSTITUANT.


aetion providentielle, lcs faits naturels et les faits
volontaires, émanant de l'action du gouvernant et des
gouvernés.


11


La ¡;ause 1inale de lO\lte cOllstitution n'est aub'e
dlOse que la fin rnerne de la sociétú civile et politique :
il importe done eneore d'examiner ceUe fin pour con-
stater les eonditions (lile deVl'ai 1 offi'ir le pouvoir, en
tant que constituant. La constitntion, ayanlle caractere
de moyen, sera plus Oll moins parfaite. selon son
degré d'aptitude a procure!' la fill.


Constatons d' abord que la fin socialc, non point
abstraite et universelle, cal' celle-ei est une el identi-
que pour toules les nations, mais níelle et propre, 011
spéeiale it chaque soeiété politique, offre \lne trcs-
grande variété dans les différents Étals : chaque nation,
outre la fin eornrnune a la société ciyile, e' est-a-dire
le hien eornrnun ternporel a réaliser, a aussi une fin
propre, spéciale, exclusive ou, si l'on yeut, un mocIe
propre de réaliser le bien eommUll des associés ; la
est son vrai prineipe de divcrsité ayec les au-
tres sociétés. ~'y a-t-il )las ce qu'on 1l0Tflllle le
génie propre, l'intéret propre, le but propre des
nations? N'y a-t-i1 pas des degrés divers dans l'inten-
sité et l'efficacité ayer Icsquclles les soeiétés diycrses




H[I I'OlJVOm CONSTITUANT. J 75


atteignent la (io social e ? N'y a-t-il pas certaines COIl-
ditions territoriales, eertaines aptitudes acquises, qui
sont un grand principe de diversité dan s le mode
selonlequel une société ]leut réaliser plus efficaeement
le bien commun?


D'aulre part ces degrés si divers, dans l'énergie de
l'adion commUlle, et le résultat obtenu dépendent de
deux conditions gcncrales : de la puissance qu' offre la
résultante possible des forces sociales, et ensuite de
l'harmonie 011 de la concordance et de l' exploitation
de ces mentes forces; 01' celte derniere condition re-
pose sur le pouvoir, considere surtout comme consti-
tuanL JI serait done souverainement désirable que ce
pouvoir répondlt parfaitement a sa notion abstraite,
c'est-a-dire qu'il füt apte a utiliser et a mettre en par-
faite harmonie entre elles et avec la fin eommune
toutes les forces ~oeiales.


Si les souveraills répondaient, dans tous leurs actes
gouvernemeolaux, a l'idt':al de la souycrainclé, s'ils
conformaicnt d'une maniere constante leur action a la
regle. abstraite, ú laquelle eette action est moraleIllent
soumise, toute sociéLc Lirerait d'ahord de sa eomtitu-
tiOIl actuelle tont le fruit possihle. En outre elle arri-
"erait graducllcmcnt el ~ans cfforls ú su cOl1slilution la
plus parfaite et la plus rigoul'euse : a eeHe qui est en
rapport avec la résultallte la plus complete, la plus
harmoniqueeL la pllls \Taie de toutes les rorees sociales,




17li CIl.'P. lI. - DU pouvom CONSTlTUANT.
et par suite la plus nptc 1t procurer le bien cornmun.


Mais on pourrait dirc, d'nne maniere générale,
qu'en fait il ya plus de rcctitudc dans la constitution
elle-meme, prise adéfIuatemellt, fIue dan s l'action des
gouvernements. Aussi la constitution, par la force des
eh oses, tend-elle a se lllettre en harmonie <lyec les faits
sociaux qui surgissent, et avec l'étal el les besuins réels
des éléments divers dont se compuse la suciété; sous
l'impulsion instinctive de tout le corps social, bien
]llus encore que sous ceHe uu seul pouvoir souverain,
il ya comme une loi de gravitation du corps politique
a son véritable centre, a son assieUe naturelle.


11 Y a done pour le pouvoir, a;nsi (IlIe IlOUS l'arons
dit, nOll-seulement impossibilité physique ou de fait,
mais encore iIn{lossibilité iuriui(~ue OH ue droit, de
moaiflCr brusquement la \oi cOlIstitulionnelle. Lors
meme que physiquement ccUe brusque transforma-
Lion serait possible, iI resterait constallL que le sujet
du pouvoir ne saurait en droit o[iérer arbitrairement
cette reconstitution sociale.


(( Il importe de distinguer attentivement, dit le
P. Taparelli, les choses que la justicc meme établít de
ceUes qui dépendent du pouvoir souverain; ce que la
justice réclarne ne saurait ctre, pour l'autorité ordon-




HU POUVOII\ COl'íSTlTUAl'iT. 177


natrice, un objet 11 eonstitucr; ceHe-ei aura tout au
plus, en celte matiere, le droit de déclaration ; e' est la
ce que nous avons appclé la loi fondamentale d'un
ÉlaL, l)arce que, sdon l'expression de Gioberti, 1'or-
ganisation primitive doit etre la base de tout déve-
loppement ultérieur. De la vicnt que, dans les gouver-
nements inviolablement aUaehés a la justiee, les eon-
stitutions anciennes des parties intégrantes de 1'État
continuent 11 cxister pendant des siedes apres l'an-
nexion des provinees 1. »


Ainsi done, dans le domaine des cllOses qui en réa-
lité pcn,cut etre attcinles par le pouvoil', et rnerne
dans l' ordre des faits, qui des l' origine étaient pure-
ment volontaires, ee ponvoir ne saurait juridiquement
changer a son gré, sur ee point, la constitution poli-
lique et soeiale existante. D'abord il est soumis dans
son adion a la loi irnmuablc de procurer le bien-etl'e
civil; il est de plus lié par ses engagemcnts, el par suite
tenu de ne rien faire flui puisse touruer au délriment
du bien social, des droits acquis et légitimes d'une
fraction de la société, lorsqne le bien cornrnun ne
\' exige pas impériellsernent.


De ces observatiolls et de ees faits nons pouvons
tirer eeUe eonclusion générale : le pouvoir est, dans la
mesure el sous le rapport indiqué, réellement consti-


unOlT !'UDL.


"n
I Saggio di dil'iltu 1Iat., 1. V, e. Il!.




178 CHAPo n. - DU pouvom CO;SSTITUANT.
tuant ; il est comme !'ame vivante et vivifiante de la
société, le principe vital qui flreside 11 l'agregation des
éléments sociaux. Mais d'autre part nous devons éga-
lement conclure que l'action constituante est en réa-
lité lente, vrogressive, plus nalurelle que volontaire
et délihérée, plus dépendante des faits concrets, des
dispositions providentielles, de la nature et de la mul-
titude des éléments que de l'arhitraire et de la volonté
positive des gouvernants.


Le dévcloppemcnt de la constitution primordiale
est un faít de sa nature intimement lié au développe-
ment physique de l'ctre qu'on nomme le pouvoir. Et
en droit, non moins qu'en fait, l'action constitution-
nelle est soumise a la loi providentielle qui a disposé
la matiere sociale, ou acheminé les individus vers la
formation de tcl État détel'lllÍné.


ART. "l. - Des lois pbysiques et morales du pDuvoir
eon.tituant.


1


Mais eomme le pouvoir constituant, d'aprcs ce qui
vient d'ctre dit, subit certaines lois physiques, et en
meme lemps reste soumis a quelques lois morales,
qui doivent diriger son action, HOUS devons aussi jeter
un coup d' mil sur ces lois.




DU POUVOIR CONSTlTUANT. 179


Et d'abord pour ce qui est des lois physiques, qui
sont tres-multiples et tres-variables, elles embrassent
tous les faits qui se produisent dans la société; ces
faits agissent plus ou moins sur la société, seloo leur
sphere d'activité ou leur importance relative. L'enseIll-
ble de ces lois physiques, Ieur action totale échappe a
l'influence et se soustrait a l'arbitraire des pouvoirs
politiques. Ces lois se trouvent donc comme concen-
trées, quant au résultat général de Ieur action consti-
tuallte, entre les rnaills de la di vine Providence ; elles
concourent ú la formation de la société, sous l'impul-
sion et la haute direction d'une puissance invisible et
supérieure.


Le dorninateur suprerne o'a pas abandonné l'ordre
naturel et le gouvernement du monde au seul arbi
trail'e des hommes; en tous lieux et dans toules les
positions, l'homme aUentif pourrait constater ceHe
loi de dépendance envers un maitre souverain, qui
n'abdique point ses droits et sait les rappeler an be-
soin. Et le prince, oublicux des lois de l' ordre moral,
sentira 16t ou tard l'action de cerlaines lois physiques,
qu'il ne pourra ni oublier 10ngleHlPs ni dominer; ce
sont ces lois Illultiples, difficiles a circonscrire, qui
décoIlcertent les sages et les prudents du siccle, et
viennent renverser les tyrans et les cOl'rupteurs du
peuple, au moment Ol! ils s'y attendent le moins.




180 GHAP. Il. - DU POUVOIR CONSTITUA:.\T.


JI


Quant aux lois Hlorales du poU\oir conslituant, elles
peuvent et doivcnt 6tre déterrllinóes. 11 y a d'abord,
ainsi que nous l'avons monIré, la loi fondamentale de
tel eorps politique, (Iue la raison aLslraite du bien
commun ne suffit ras al,soluIllcnt a modifier.


Pour ce qui esI des fDils el des lois subordonnées
a l'action constituante, il importe d'obseryer, en pre-
mier lieu, que le pOllyoir rceherdw et pOUl"suit le
bien commun des 6Ires soeiaux flu'il régit; et tel
est le principe abstrait qui doil réglcr son action. Cctte
action, en tant que régulicre, doit donc produire
l'harmonie de l'ordre politique ayec la fin sociale, qui
est la félieité civile; cal' la fin proehaine de l' ordre
politiquc, bien que diffórcntc de ('cllc de l' ortl1'c civil,
est néanmoins coordonnée:l ee/le-ci: }'une constitue
le bien des individus associós, et l'autre le Lien de 1'a8-
sociation, dont loutes les forees vitales doivent COIl-
verger vers le bien rcel des citoyens.


Aussi l'autorité, qui doit unir, par son action ci-
vilc, les intelligences assoei¡"es et les porter au bien
des individus, doit-tllle ógalement, p8r son action po-
litique, les porter au Lien de l'associalion ; et l'énergie
de l'action ciyile dépend de l'efficacitó de l'action po-
litique. On voit done que la premiere el principale loi




IJU POlJVom COl'"STITUAl'T. 181


morale ({U pouvoir eOllslituant est de reehereher l'unité
intcllcctuelle, morale et politiqueo


JI la poursuivra stiremcnt et d'une maniere effieace
en appliguallt les lois éterncllcs de juslice el d'hllma-
hité aux faits padiell l¡ers qui donnent naissanee ft telle
nation; ces lois, étant douées d'une rectitude absolue
et infaillible, et du res le élant universelles dans leur
applieation, sont de leur nature des moyens stirs et
effieaces; (l':lUtre part, cornrne ces lois sont antérieuI'es
et supérienres an rait social. cornme elles sont intrin-
scquement ordonllóes Ú J'(;gir ce fait, il est evident
(fU 'elles constitllenl les \éritaLles moyens primordiaux
JI.' l'aclioll civile et llOlitiquc du pouvoir constituant.
Et voilft la vraie raison d'État, qui doit agir sur ce
pouvoir : la raison d'État a done pour regle absolue
la justice, dont elle ne peut jamais s'affranchir.


Le potIYojr cOIIslitnant teml par sa nature ft pl'O-
duire \'unit(\ la plll~ ¡¡arraite qu'il puisse légitirne-
ment réaliser: uuion des intelligenees par le lien
de la vérité, llllioll des volontés par le lien de la jus-
tiee et"du droit dan s I'amou!' d'un meme bien, union
des personnes et des actes par une disposition harmo-
nil!Ue des pouyoirs. En un mot, unité poli tique, in-
telleduelle et lIlorale par le droit; unité matérielle
par l'adion des pouvoirs établis, voila la grande loi
morale a laquelle le pouvoir eonstituant est soumis.




CHAPITRE III


DU POUVOIR LÉGISLATlF


",ST. l. _ Du pou'foir législatif et de la 101.


1


Des que le pouvoir est constitué sous l'influence des
lois diverses qui concourent a S3 formation, iI faut
que l'unité intcllecLuelle et morale, qui résulte fonda-
mentalcment de l'etre memc du pouvoir constituant,
se traduise dans l'ordre des actes particuliers de la
multitudc ordonnée : de l'ordre poIitique, hut du pou-
voir eonstitllant, eeUe unité doit passer a l'ordrc civil,
fin du pouvoir législatif.


Le pouvoir, ayant pris organisation et vie, doit done
aussi organiser l'ordre civil. Or, ceUe opération, en
tant qu'elle atteint des natures raisonnables, doÍt




régler les aclions sociales en agissant d'abord sur les
intelJigences et les volontés.


Le pouvoir législatif, commen«;ant ou finit le pou-
voir constituant, dé termine les regles pürticulieres de
l'opération sociale dans les individus, en conformité
avec la conslitution el en vue de la fin commune. Le
pouvoir législatif est la source du droit privé.


L'extension ahstraite du pouvoir législatif est done
déterminée par l' ohjet a(}¡\r¡llat du droit privé; 01' le
droit privé PI'¡)SUppose le droit fondamental el la dé-
termination de la forme essentielle de la société; iI
saisit les opérations des ctres associé3 pour les mettre
en harmonie avec cette forme essentielle eL la fin dela
société constituée. Il s'agit conséquemment de rendre
efficaces en vue de la fin les actions particulieres des
citoyens.


Or, pour cela, il est nécessaire d'introduire l'unité
dans cette multiplicité; il faut que le pouvoir, muni
de la connaissance de l'état présent et de la fin de la
société, veuille pour tOU8. Et cette volition intelligente,
en tant qu'elle ohlige tous les individus associés et les
meut par une impulsion morale et réguliere vers le
véritable bien civil, se nomme loi; el par suite le
pomoir qui la produit prend alors le nom de llUuvoir


. législatif.
La loi qui émane du pouvoir législatif doit nous


révéler la nature de ce pomoir, qui en est la source:




184 CIL\P. 1Il. - ])(J pouvom LÉGISLATlI'.
toute puissanee OH toute faculté se distingue par son
opération et par son objet. Nous allons done examiner
la nature de la loi, 3Gn de pouvoir atteindre plus com-
pIétement l' essencr intime el le yéritable earactcre du
pouvoir législatif.


11


n résulte évidcllImeJlt de ce qur nOl1s avons dit plus
hant que la 10Í est un moyell de panenir an bien ci,il;
01' ce moyen esi de l'ordre inielleclucl t't Illoral j iI
sera done une direction rationnelle yers le bien; aussi
peut-on donner, avee le P. Taparelli, eeUe définitioll<
tres-générale de la loi : « e'est une direction juste vers
le bien, direetion communiquéc par une raison supé-
rieure aux raisons dépendantes. » Ainsi le principe de
la loi esl le pouvoir, sa fin est le hien de 10118 et de
chacun, entin son sujet consiste dans les raison" dé-
penuantes.


Le mot loi vient du verbe lier, lex a ligando, parce
que la fonction propre de la loi est de !iel' les sujets,
de les astl'cindre a faire OH a omettre (luelque chose.
Aussi, dans l'Écriture, les lois sont-elles appc!ées liens
OH frein. vincula, jugurn: (registi ,iugurn, dil'1lpisti vil/-
cula; et cette observalion est de saint Jérórne.


Saint Thomas définit la loi: Onlillatio l'atiollis ad
bonnrn commww, al! ea qui ('lIl'arn cornmullitatis lwbet




DU pouvom LEGISLATIF. 185
promulga/a. Et eette définition est résumée par Suarez
de la maniere suivante : un précepte commun, qui
soit juste et stable. el suffisamment promulgué; com-


mUlle ]J1'a:ceptum, justwn ac stabile, su(ficienter lJt'o-
mulyatum,


Mais qucls que soient les termes dans lesquels on
formule la délinition de la Ioi, il est cel'Laill que les
conditions essentielles de la loi sOIlI:


1 u Que la loi ~oit une diredion juste, et par suite
stable, Yel'S le bien ou la fin sociale, e'est-a-dire, selon
l'expressioll de sainL Thomas, une ordillation ration-
nelle ,"ers le bien COlllIllun ; et ceci implique une cer-
taine confol'mité a l'ordre éternel, une véritable utilité
par rapport au bien social, et une eonvenance positive
relatÍ\ement aux moyens pratiques d' exécution. eette
premiere conditioll faíl de la loi, prise en elle-meme,
une di,'ediol\ st!l'e vers la fin assign¿~e a la société.


2° 11 faut que la loi ómalle dll supórieur, Oll qu'elle
soit la volonté absolue de l' etre raisonnahle qui pré-
side ú la soeiété; ainsi le principe ou la cause effi-
ciente de la loi devra toujours etre une, physique-
mClIt ou lIloralemenL


Et cette condition de la loi ne tend en aueune sorte
a niel', a délruire ou Ú annuler le droit eoutumier.
En effet, selon tous lcsjuristes senses, le titre legitime
du droit eoulumier est encore une approbation quel-
conque d u souverain : que la coutume soit done COII-




186 CHAPo lIT. - DU POUVOIR LÉGISLATIF.


tra, prreter, juxta legem, e' est-a-dire eontraire a la
loi, en dehors de la loi, ou conforme a loi. elle tient
toujours par un lien quelconque a la cause effieiente
de eeHe meme loi. Dans le premier cas en erfet, e'est-
a-dire quand la coutume est opposée a la loi, elle n'est
legitime et rationnelle qu'autant qu'elle est comme
une resislance spontanée de la société a un fait anor-
mal, qui éloigncrait celle-ci du bien commun; la cou-
tume alors ne déroge qu'a une ordination irrationnelle,
qui par conséquent n'est pas et ne saurait étre réellc-
ment loi, et par suite voulue par le sOllverain; elle peut
aussi resulter d'un changemcnt substantiel dans les
eonditions de fait, qui avaient déterminé la loi ; et dans
ce cas encore, le législateur, qui ne doit avoir en vue
que le bien public, ne saurait vouloir la permanenee
d'une prescription devenue nuisible.


La coulume extensive de la loi, prretel' legem, e'est-
a-dire, ceHe qui regle un point im¡}l'(ivu ou inaper-;u
originairement, n'est autre chose que la poursuite
instinctive du bien commun, par des voies qui échap-
llaient a l'imprévoyance du législateur.


Enlin la eoutume conforme a la Ioi, juxta legem,
est simplement l'exéeution pratique et constante de
la loi, ou le mode selon lequeI la loi passe dans les
mceurs publiques.


Chaque fois done qu'une coutume se produit Iégiti-
mement, elle résulte comme de la force irrésistible




DU rOUVOIR I,EGISLATIF. 187


des choses, de l'erfod instinctif d'une société qui veut
se soustraire a un malaise, ou prendre une direction
plus réguliere vers le bien commun. Il doit done y
avoir toujours approbation du législateur ou de la
raison sociale ; d'un cóté la coutume est eonvenable,
rationnelle ; d'autre part le législateur est tenu de
procurer le bien eommun; done la coutume, tant
qu'elle est rationnelle, procede d'une certaine ma-
niere du législateur, sans quoi celui-ci serait dérai-
sonnable; or ceei ne peut jamais etre supposé (~
priori.


*
.. ..


;)0 II nous reste encore a examiner une troisieme
condition de la loi, e' est-a-dire sa promulgation. La
¡oi n'est pas une proposition ou une these scientifi-
que, mais une regle pratique et rationnelle, qui at-
teint et ordonne des opérations particlllieres ct rai-
sonnables; elle suppose done un sujet libre el
intelligent, et implique eommunieation ou intimation
a des raisons dépcndantes. Et quand nous disons
communication a un sujet déterminé, nons n'cnten-
!lons pas ici parler de la seule promulgation propre-
ment dite, mais d'une propriété natnrelle de la loi,
propriété qui est cssenticllc, lors meme que la pro-
mlllgation rituelle ou légale, ne serait pas une condi-


~ f '
I
\~




Ill8 CHAPo 1lI. - DU pouvom LÉGISLATIF.
lion essentielle. La loi, considéree en elle-meme, dit
une ordination pratique par rapporl a un sujct deter-
miné, quelles que soien! d' ailleurs les eonditions
particulieres qui donneront a la loi son effieaeité, 011
réaliseront dans l'ordre concret cettt ordination abs·
traite.
J~a promulgation légale, ou prise dans le sens striet,


ne sembJe pas appartenid l'essence meme de la loi :
toutefois elle doit etre au moins considéree eomme
condition indispensable de l' efficacité de toute loi
éerite.


Mais la promulgation, prise dans le sens large,
e'est-a-dire, en tanl que divulgation ou manifestation,
est de l' essence de la loi, qui n' est regle obligatoire
qu'autant qu'elle est connue avee certitude. Une ¡Di
ignorée ou meme douteuse ne saurait oLliger les in-
férieur.." tlu moills théologiquemcnt ou eH cOllScience :
il importe donc que la promulgation vicllne mettre
hors de doute l' exislenee et l'authenticité de la loi.
e' est l:J promulgation qui met de rait en contact la
raison supérieure et les raisons dépendante~.


*


" "


11 résulte aUSSI de ces conditions de la loi, que
celle-ei doiL aVOlr la stahilité et l'uuiversalité : la
~tabilité, en tant qu'elle est un moycn fixe d'attein-




IJU I'OUVOIR LÉGISLATIF. 18J
dre la fin sociale; l'universalité, paree qu'elle est un
rapport constant et régulier Je l'ensemble des élé-
ments sociaux au bien comrnun; il faut done qu'elle
atteigne tous ces éléments, ou soit universelle. Et
e' est principalement par ces deux propriétés que la
loi differe du simple préceptc ; cclui-ci n'est pas stable,
mais tombe et cesse d'avoir vigueur a la mort de
celui qui l'a porté. La loi, a cause de son universalité,
est censée atteindre imll1édiaLement le lieu ou le ter-
ritoire Ju législateur, et par le territoire les sujets;
le simple prt\cepte au conlraire atteint direetement les
personnes particulicres, et les suit partout ou elles
sont. Eu{in laloi est portée pour toutela communauté,
et s'adresse par conséquent Roit a ceux qui en font
partie aduellement, soit a ceux qui en reront partie;
le ,.;imple précepte, qui atteint des personnes particu-
1ieres, disparait avec celIe,.;-ci et n' est pas transmissi-
ble aux successeurs.


L'objet matéricl de la loi, ce sont les aetions des
sujets, ou les opórations qui doivent etre Jirigées. Et
encore est-il vrai de dire que la loi humaine ne peut,
a proprement parler, (lue régler des actions indiffé-
rentes de leur nature. La loi civile ne saurail done
atteindre ni les dogmcs róvélés, ni la discipline ecclé-
siastique, ni le droit naturel pour les modifier. Et
c'est ce que nous démontrerons plus tard d'une ma-
niere complete el explicite. Il suffit done de conslate!'




1911 CHAl'. Ill. - DU PúUVOIR LÉGISUTlF.


¡tour le moment que tout ce qui est ordonné ou dé-
fendu par le droit divin positif, par le droit naturel ou
le droit des gens est en dehors de l"aclion législativc
des pouvoirs publics : ils peuvent promulguer et
meme a la rigueur interpréter le droit naturel ; mais
la se borne leur aetion législativc. Ainsi done, l'objet
matcriel de la loi est restreint aux seules actions in-
différenles de leur nature, qui toutefois, en vertu de
eette loi, deviennent obligatoires.


L'objet formelou la fin intrins{]quc de la loi eivile
est le bien cOllunun de la république ou la félicité
soeiale : il est de la nature de la loi de converger
vers le bIen commun. Et ce point est tellement évi-
dent et incontestable pour tous, que déja Aristote le
formulait nettement, alors meme que dans la prati-
que il était si méconnu : au quatricme livre de son
Éthique 1, ee philosophe déclare (( que les lois dOlvent
etre aeeommodées a la République et non la Républi-
que aux lois. )} Si la loi ne tend pas au bien publie,
e'est alors le bien public qui tléchit sous la loi, et
ainsi, selon l' expression de Suarez \ le bien eomlllun
est rapporté au bien privé, ou le tout a la partie, ce
qui est un désordre manifeste.


1 Chapo 1".
! De leg., 1. 1, C. VII.




DU POUYOIR LEGISLATIF. 191


ART. 11. - OreaDi.ation du pouvoir législatif.


1


L'action législative doit etre organisee de teIle sorte
qu'elle llUisse offrir les plus sérieuses garanties, sous
le triple rapport de la capacite, de l'impartialite et de
la l)robité.


Sans la capacité, qui fait saisir netternent la fin
sociale, ainsi que la route qui y conduit, et le point
de départ du mouvement vcrs cette fin, l'action légis-
lative seraitineertaine et tatonnante. El cetleconnais-
sanee exige une étude approfondie du bien social,
tant dans l'ordre spéculatif que dans l'ordre pratique.
Il faut une connaissance spéculative du vrai bien so-
cial, pris abstractivement, et une connaissance prati-
que du bien particulier, des moyens proprcs a l'at-
teindre, des circonstanccs ~ocialcs ou de l' ctat actuel
de la société a régir. 01' la connaissance spéculative
suppose une haute capacité intcllectueIle, et la con-
naissance pl'atique exige un tact exquis, une sagacité
trcs-exercée et la plus grande rectitude de juge-
ment.


Il est done nccessail'e que l'ol'ganisation particulicre
du pouvoir législatif soit telle, qu'elle présente les




192 CHAl'. III. - DU POUVOlH J,ÉGISLATIF.


plus sérieuses garanties sous le raJl1lort de la science,
soit th éorique, soit pratique. Et c' est a quoi le souve-
rain doit tendre dans la détermination du nomhre et
de la c¡ualité des individus qu'il emploie a elaborer les
lois. Ces eorps délibérants, nommes assemhlées con-
sultatives, cOllseils des ministres, conseils d' état,
sénat, etc., daus les monarchies, ou chamhres et par-
lements dans les polyarehies, sont susceptihles d'orga-
nisations tres-diverses. Toutefois, a ect égard, on peut
encore donner ceUe regle gén¡\rale ;


Les corps délihérants doivent élrc constitucs de
mallihe a réunir les plus hautes capacités, et a con·
tre-halancer les intérels divers des l)ersonnes délihé·
rantes, de telle sorte que la justice et la vérité puisselll
toujours prévaloir, soit contre des tendances égolstes,
soit contre l'erreur qui procede de l'igllorance.


L'iutelligence du lcgislateur doit done etre comme
la reunion de toutes les lumieres théoriques et prati-
ques; elle doit a\'oir toutes les dOllnées sur la poliee
intérieure ou eivile et sur la poli ce tlxtérieure ou
diplomatique.


~lais il ne suffit pas de connaitre la honte théorique
et l'utilité pratique d'une loi sage, il faut encore la
volonté sincere de la porter; il faut réaliser le bien




-


DU PODVOIR LÉGISI,ATIF.
aper~u el exactement déterminé, en passant de la
conllaissance a l'operation; or ce passage de la déli-
bération a l'action uoit aussi offrir des garanties au
bien-etre social. Il importe que l'action ne diminue
pas, n' arnoindrisse pas, ne falsifie pas en quelque
sorte le bien connu et projeté. Et voila pourquoi il
est encore nécessaire qu'il la capacité viennent s'ad-
joindre l'impartialité et la probité.


Dans les polyarchies, par la collision et I'équilibre
des intércts, on ohtient une certaine ilIlpartialité arti-
fieielle : l'action législative devient alors forcément
plus conforme a la justice.


Nous n'entrerons pas dans l'examen de l'organisa-
tion partieuliere du pouvoir législatif, atlendu que
tout systeme sur ce point dépend au moins autant des
faits et des conditions aecidenteUes de l'existence du
pouvoir supreme, que des principes abstraits. Cette
organisation peut en effet et doit prendre des formes
tres-multiples, selon la nature des soeiétés particu-
lieres.


Au surplus eette détermination est le propre du
pouvoir eonstituant, <¡ui doit régler le mode d'aclion
du pouvoir législaLif. Cette ürganisation a done pour
cause effieienle tout ee qui est cause cfficiente par
rapport a la loi constitutionnelle elle-meme ; par suite
l' étude du systeme législatif rentrera en grande partie
dans rétude du droit eonstituant. Et la regle¡",du POU-r __ DnOlT peRL. "




1lH ClI.\P. 111. - BU I'OUVOI!\ LÉGTSLATIF.
voir constituant est a cet égard de faire en sorte que
le pouvoir législatif soit natllrellernent on orgamque-
ment intelligent, impnrtial et probe.


11


Jo ne parlerai done pas ici un n\gime parlementaire,
de ses avantages on de ses inconvénients, de ses dan-
gerí! on deson ntilité, aUendu qu'en cela il n'y a rien
d'absolll, de rigoureux. Avantageux dans certains cas,
nuisible dans d' autres, il ne pent ctre considéré que
comme un fait accidentel par rapport a la nature du
pomoir : c'est en réalité une forme de r oligarchie.
Une 0tude des principes dn uroit {Jublie ne doít donc
pas entrer dans ees considérations, qni ne sont qne dc
l' ordre relatif et variable.


TOllt ce qu'on pent dire, e'est qn'un semblable sys-
teme législatif, par sa natnre, tend i nvinciblernent vers
la polyarehie, OH pIntOt la présnppose.


En tant qu'il s'adjoint a un pouvoir qui manquerait
aux lois de la pmbité, de la justice ou de la prévoyance,
il devient une garantie sociaIe, un élérnent poli tique
d'une utilité incontestable; en tant qu'il s'introduit
uans une monarchie régulicre, fonctionnant avec S3-
gesse, agissant avec prévoyance, justice et maturité.
il devient souvent un élément de désorganisation el




DU l'OUVOlR LÉGISLHIF. 195
de ruine. Un parlement est done de sa nature un
élément jJolítíque indífférent, qualld on le considere
par rapport au eoneept abstrait de la souverainetC.


On voit, par ce qui vient d'ctre dit, que le pouvoir
législatif est une fonetion inseparable de l' autorité
souveraine, mais que le sujet du pouvoir peut exereer,
du moins partiellement, par d'autres individus, pris
isolément ou réunis en :lssemblées délibérantes.
Néanmoins, si l'assemhlée avait réellement et de droit
ordinaire la pllissance législativc, ccttc asscmblée ne
serait plus un rouage auxiliaire, mais eonstituerait le
sujet réel, total ou partiel du pouvoir souverain, en
sorte qu'alors la forme du gouvernement serait polyar-
chiqueo Qui en effet pourrait nier que le pouvoir
législatif est la fonction primordiale et supréme de la
souveraineté? La loi ou la regle ne préeede-t-clle pas
l'action pour la diriger, et par consequent la do-
miner?


i\.RT. 11. - Exel'cice légitime el no .. mal du pouvoi ..
légilllatir.


Ce qui a été dit de la nature de la loi et du pouvoir
législatif nous montre quelles sont les conditions de
l' exercice de celui-ci.




'196 CIIAP. IlI, - DU pouvom LÉGISLATlF.
La premiere eondition consiste done en ce que le


législateur ne reeherehe point son avantage propre ou
son agrément personncl, mais le bien des sujcts ou
l'utilité eornmune. II n' en est pas de la soeiété eivile
comme de la société hérilaire (hcrilis), clans laquclle
le maitre poursuit lógitirnement son propre avantagc;
dans la soeiété civil e au eonLraire, le lógislateur tra-
vaille en vue du hien eommun, et doit donner a son
aetion législative toute la rectitud e possible, en vue
de la fin civile. Et ce n'est qu'en supposant eette ree-
titude intrinseque des actes du lógislalelll', qu'on a pu
établir eette regle d'interprótation des lois : la raison
est l':'une de la loi.


L'aetion du pouvoir législatif ne peut done ctre ni
ógolste ni arbitraire : elle ne sauraiL Ctre égolste,
paree que le lt~gislateur n'est pas un maitre ou un
propriétaire, qui utilise sa ehose á son profit; elle
ne peut ctre arbitraire, paree que le résultat d'une
telle actioIl n 'est {las une loi ou une direction régu-
liere, « ordinatio rationis. » Cette aetion ne peut pas
non plus avoir pour motifunique l' exereiee de l'obéis-
sanee 'dans les subordonnós, paree qu'alors, loin de
tourner an bien commun, elle s'en éloignerait direc-
tement, en devenallt gratuitemellt vexatoire.




DU POUVOIR LÉGISLATIF.


* ,. ,.


197


Ce pouvoir, ainsi que nous l'avons déjil montré, ne
doit pas s'éteudre a toutes sortes d'objets. JI n'est
cornpétent que pour régler les actes extérieurs qui
out rapport a la fin propre de la société civile, c'est-
a-dire au bien COIlIIHun.


La cornpétence du pouvoir législatif esL limitée, non
pas précisément par une volouté humaine supérieure,
mais par la nature mcme des choses; elle est natu-
reHernent rcnfermée d¡¡ns les limites de la société que
ce pouvoir gouverne. 01' la société civil e poursuit les
bieus extérieurs et sensibles, qui ne peuvent résulter
immédiatement que d'actes extérieurs ; les aetes pure-
ment Ínlérieurs n' ont aucun rappod direcl avec 1'01'-
ganisation visible et extérieure de la société; ils sont
totalement insaisissables par l'aetion législative, et ne
renferment allcun lien rigoureux ayec le bien civil,
objet formel du pouvoir législatif.


Mais comme les actes humains sont intérieurs avant
d'etre extérieurs, et en tant qu'intérieurs assujettis a
la loi morale, il résulte de la que l'objet matériel du
pouvoir législatif, bien qu'en rapport direct avec la
seu le manifestalion des actes humains, est cependant
assujetti a tOlItes les prcscriptions de la loi morale.


Ainsi, quand nous disons que les acles intérÍcllrs




198 CH¡\P. lll. - DU POuVOm. LÍl.G\¡;L.~·nF.


sont hors de la compétence du pouvoir législatif, nous
ne pouvons nullement prétendr:e que la conscience ne
soit liée en aueune ~orte par la loi eivile; il est mani-
feste que ceUe loi oblige en conscienee, et que celui
« qui resiste aux puissanees, résiste a l'ordination
divine l. »


Mais, bien que les prescriptions civiles lient la
conseience, il n' en est. pas moins vrai que l'objet ma_
tériel de ces prescriptions ne peut jamais etre un pur
acte de eonseienee ou une aclion intériellre. e'est
done indirectement que I'intérieur est ntteint, e'est-a-
dire en tant que racte extérieur, d'un cOté est rendn
obligatoire, et d'autre part procede de l'intérieur : il
faut bien qu'il y ait mou\"ement de l'esprit an corps.


De plus l'objet matcriel, sur lequel s'exeree lepon-
voir législatif, consiste a la vérité dans les relations
extérienres des hommes entre enx, mais n'embrasse
pas toutes ces relations; les netes extéricurs dirigés
exclusivement vers le bien privé, et eeux qui ayant a
la riguenr un certnin rapport au bien eommnn, re-
gardent spécialement des sociétés différentes, ne sall-
raienl etre aUeints et réglementés par la pnissance
séculiere.


1 Saint Pau), Rom., XIII, '1.




llU pouvom I.EGISLATlF J[)9


11


)fais independaltllllcnt des relations des hOll1l11e:s
entre eux, chaque individu est encore en relation avee
Dieu; et ces relatiolls impliquent des acles intérieurs
et extérieurs, qui en raison de leur fin echappellt
totalement a l'aulorité civile. La puissance séculiere,
par sa nature, n'a aucun rapport, aucune propoI'tioIl
avec le bien surnalurel, fin de la sociélé religieuse.


Si la religioll était purement naturelle, ordonn¡'~e
a une fin naturelle, si aucune institlltion positive lou-
chant un sacerdoce qllclconque n'cxistait, ríen !le
~'opposerait, du moins tl'unc maniere ausolue el tl'es-
évidente, a ce que le pouvoir civil réglat les cllOses
religieuses; et dalls cette hypothcse encore, il reste
1lOrs de doute que son inlervention serait en dchors
de son offiee propI'e.


Mais les acles religieux, en fail, sonl ordonnés :\
une fin surnaturelle, inaccrssible par sa nature a toute
action ou a toute directioll purernent humaine; il faut
donc que la regle de ces actions procede de Dieu par
yoie de manifcstatioll sllrnaturelIe. DI' la revélation
positive nous montre que e'est a J'Église, et non it la
soeiété civile, que Dieu s' est cornmuniqué SllrnatureUe-
ment, et qu'il a laissé le pouvoir de régle!" les acles
religicux. Toute loi ayant pour objet les eh oses Ju




200 CHAl'. IlI. - DU POUVOIR LÉGISLATIF.
eulte et nos rapports avee Dieu, est done en dehors de
la eompétenee du pouvoir civil, sans quoi l' ordre SIlr-
naturel devient en réalité sous-natllrel, en tant que
soumis a un pouyoir de l' ordre natúrel.




CHAPITRE IV


DU POUVOIR EXÉCUTIF


-"RT. l. - 011 pOllvoi .. exécutir et de son domaine.


Pour que la sociéttí soit apte a atteindre sa fin, pour
IJu'elle pui~se efficacemcnt faire converger toutes les ac-
tions particulieres vers le bien commun, illui faut autre
chose que le pouvoir législatif. Ce pouyoir, a la vérite,
tracera des prescriptions generales, établira les regles
qui doivent diriger les opérations particulieres des
individus a gouverner. Mais entre une prescription
generale et abstraite et \lne action individuclle el
concrete, iI n'y a aucun lien intrinseque, aucune rela-
tion physique ; c'est pourquoi, si la puissance législa-
ti ve était seule, I'arbitraire des individus pourrait




~02 ClIAP, IV. - DU pouvom EXÉCI;TlF.
toujours la rendre ineffieace et tout soustraire a son
influenee.


L'opération réelle et concrete est en effet le propre
de l'individu, qui réglera, il est vrai, sa connaissance
sur l' action législatiye, mais restera toujollrs libre de
eonformer ses actes extérieurs a son jugelllent praLi-
que; la direetion pratique des acles yers la fin sociale
dépendrait done toujours en définitive du libre arbi-
tre des individus; ainsi la loi civilc aurait le carad.ere
d'un enseignement spéculatif sur les moyens généraux
de parvenir a la satisfaction des besoins malériels. Le
pouvoir législatif alors ne ~erait plus autre cho~e en
lui-meme que la grande éeole du dt'oit privé, ou, si l' 0/1
yeut, un lien social directif, mais nllUeme/1t effecLif.


Or, comIlle la sociétó He peut subsister nÍ mCIIle
Ctre eon~ue sans une direction réelle ct effective des
op¡'~rations individuelles vers le ¡Jien COIllIllIlI1, comllle
d'autre part la loi ne s'applilJue pas d'elle-mcme, il
faut done que le pouvoir, non-seulement impose la
regle, mais encore en garantisse l' application; eOll-
séquemment le pouvoir exécutif est nécessaire a
I'existenee soeiale, et par suite cO/1stitue, ainsi que
nous l'ayons dit, un des aUributs esscntiels du pou-
yoir supreme.


Il résulte de eeUe description que le poU\'oir exé-
cutif consiste dans le droit d'appliquer ¿l des individus
particuliers les dispositions généralcs de la loi.




DU l'OUVOII\. EXÉCl:TIF. 20"5


Il


Le pouvoir exécutif, en tant qu'il dirige effieaee-
ment les opérations concretes vers la fin commune,
subordonne son action a la loi ou a la direction gene-
rale du pouvoir législatif. Et de meme que la loi n'est
pas un acte arhitraire du souverain, ainsi le pouvoir
exéclltif, dans un elal réguliel', ne peut dépendre de
I'arl,ilhli¡'c (¡'un llOmllle.


Si en cfret le pomoir executif s'inspirait plulM des,
caprices el'un hornme que de l' esprit de la loi, s'jl
faisait sa regle de la volonté individuelle du sujet du
pouvoir, et non de la volonté générale ou législative
de ce meme pOllVoil', il ahoutirait a un despotisrrw
aveugle, el annulerait de rait la loi elle pouvoir légis-
latif, comme tel.


II est vraÍ que la volonté du legislateur rait la loi ;
mais il ne s'agit pas ici d'une volonté f{llelconqlle, ce
n'est pas une volonté arbitraire qui esl U~gi~lative,
mais une volonté réglée; ce n'est pas une volonté qui
~'inspire des gotlts el des intércts particuliers du sujet
du pouvoir, mais la volonté qui s'inspire des hesoins
et des intérels générallx de la société.


01', si le pouvoir executif deyenait arbitraire, indé-
pendant de la loi, il en réslllterait que la volonté du
souverain, considéré eomme homrne particlllier, serait.




204 CIIAP. IV. - DU I'ouvom EXÉCUTIF.
a la fois pouvoir légisIatif et exéeutif, et meme ne
serait législatif qu'en tant qu'exéeutif, ce qui ¡¡Lolit la
notion du pouvoir législatif, et en mcme ternps du
pouvoir exéeutif lui-meme. Dans eette hypothcse, le
souverain dcvicndrait, non point directeur de la 80-
ciété, mais possesseur ou propriétaire, traitant les
éléments sociaux cornme sa chose propre, SelOIl son
bon plaisir et son intéret : iI en use et en abuse a son
gré.


Dans le souverain il y a done l'homme el le prillce,
c'est-á-dire l'homme public et l'homme privé, le pou-
voir et l'agent ou le dépositaire de ce pouvoir. ta
république est en rapport direct avec l'homme public,
avec le pouvoir et le souverain. Celui-ci n~a d'autre
volonté que la loi, d'autre activité que l' exécution
de la loi. L'hoÍnme privé au contraire a ses goüts
propres, ses lumieres particulieres, étendues ou limi-
té es ; il pent meme avoir certains intérets particulicrs,
conformes ou opposés aux intérets des autres; en un
mot, quand onle considere dans ces circonstances in-
dividuelles qui le caraetérisent, ce n'est point le POll-
voir proprement dit.


Si done le pouvoir exéeutif s'affrancllissait de ~a
regle obligatoire, et devenait simplement l'ol"gane ou
l'instrument de la volonté particuliere et actuelle,




DD l'OUVOlR EXECUTIF. 205


mobile et instable de l'homme-souverain, la distinc-
tion radicale entre les pouvoirs poli tiques serait
¡méuntie, la vraie n.1ture de l'autorité serait faussée, el
l'ordre public ébranlé jusque dans ses fomlements. La
chose publique serait ahsorbée dans la chose privée,
et la société, corps et biens, serait devenue un domaine
particulier, ce qui est subversif de tout ordre social,
et diamétralement opposé au but meme de l'associa-
tion.


Le pouvoir exécutif esi done subordonné au pouvoir
législatif; qui est la regle d'apres laquelle il doit se
diriger, et l' esprit dont il doit s'inspirer.


JIl


Ces consitlerations nous fournissent le principe de
solution d'un point controversé dans deux sens op-
posés : la loi oblige-t-eUe le législateur lui-meme, ou
en d'autres termes, le législateur est-il assujetti a sa
propre loi?


Les uns affirment que le législateur est supérieur it
la loi, d'autres au contraire prétendent que la loi est
su périeure au législateur et lie celui-ei.


Chaque opinion est non-seulement soutenable, mais
rigoureusement vraie a un certain point de vue parti-
culier. Toutefois eeUe eonlrovr.rse, conUIlC beaucoup




tOo CHAPo IV. - DU pouvom EXÉCUTIF.
d' autres, 1'oule en partie sur unc equivoque; iI n'y a
pas, a notre avis, opposition reelle entre ces deux
sentiments, en apparence opposés; mais cette diver-
gence d' opinions resulte peut-etre de ce qui a ete
flppelé par la vieille logiqne ignomtio elenchi.


Lc législuteur, en tant qu' autorité supreme, cause
efficiente de la loi, est incontestablement supérieur a
la loi, qui n'est que la manifestation u'ulle volonté
absolue : \lile opúl'alioIl !le pent elre sup¡')rieure a la
nature qui opere, et une concIusion ne saurait uevenir
la regle obligatoire et COlIlme l'arbitre de son
prll1Clpe.


Toute obligation est un erfet de la juridiction; et
eomme, a proprement parler, personne n'a la juridic-
tion sur lui-rncrne, e' est-a-dire, nul n' est sujcl ou su-
bordonné par rapport a soi-meme, il resulle de liI que
le législateur n'est point soumis, en vertu d'une obli-
gation stricte, a -ses propres lois.


:\Iais neanmoins la loi, en tant que prcscription im-
. IJOsee universcllement a la societé, ohlige aussi, par


raison d'équité, l'homme législateur, en tant que
membre de la société, et dans les conditiolls indivi-
dueUes qui lui uonnent un caractcre commun avec les
autres memLres uu corps social. Il est bien incontes-
table que la distinction entre l'homme et le souverain
n'est pas purement rationncIle ou fictiye ; n'y a-t-il pas
une multítude de faíts particuliers (tui ne pement etre




DU POUVOIH EXÉCUTlF. 207


rapporté~ au souveraill que par antonomase, et non
selon toute la rigueur des idées et des dIoses?


II Y a en dret les actions publiques du sOllVerain et
les actes privés de l'homme; et comme le prineipe
d'une opération est désigné ou dénommé pal' la na-
tUl'e mcme de eeUe opération, on peut évidemment
distinguer dans la m(~me personne physique une dou-
Lle personne morale, résultant de la douLle relation
juridique !lu mcme suppot. Ces deux choses, Lien que
physiqllemellt ins()parables, sont néanmoins tres-dis-
tinctes.


Le souverain peut donc agir ou comme personne
publique, comme souverain, ou en tant que personne
privée.


Dans ce dernier eas, l'équité exige que le législa-
teur soit soumis a la loi. Ceci évidemment ne saurait
s'cntendre de la ('oaction externe, mais seulement
d'une eertaine coaetioll interne ou obligation de con-
SClence.


Tnutefois, en étudiant eeHel raison d'équité et de
haute convenanee, il faut encore introuuire une dis-
tinction rigoureuse entre le souverain d les autres
citoyens La loi oblige tous les citoyens dans les eircon-
stanees qu' elle a elle-meme prévues; 01' le souverain,
en tant qu'homme privé, dans une Hlultitude de cas,
est en dehors de ces eireonstances prévues, el meme
hors de l'action directi"e de la loi; et e' est ce qui a




'208 CHAl'. IV. - DU POUVOIR EXÉCUTIF.
üonné \ieu a a{f¡rmer un exemption absotue et sous
tous les rapports. Mais cctte conc1usion pec1le par cx-
ces, attendu qu'il arrive fluelquefois, pour les simples
particuliers eux-memes, qu'ils se trouvent en dehors
des circonstances prévues par la loi, bien que la chose
ait lieu tres-rarement.


."ST. 11. - Fonetions du pouvoir exéeutif.


Le pouvoir exécutif, d'apres la deseription donnée,
est done le garant nécessaire de l'exéeution des lois.
Il donne aux aetions individuelles leur direction obliga-
toire en vue de la fin. Il atteint efficacement tout ce
qui, dans le domaine des faits, a rapport au bicn de
l' ordre civil; il faut par eonséquent qu'il puisse s' é-
tendre aux hommes et aux choses; al', pour réunir
la plus grande cffieacité possible par rapport a ce dou-
ble objet, il importe qu'il dispose a la fois de la force
morale qui agit sur les volontés, et de la force phy-
sique qui agit sur les corps et les biens, Par sa force
morale, iI intime la loi a toutes les volontés indivÍ-
dueHes; par sa force physique, il en assure l'exécu-
tion, meme involontaire.


Ji a done a sa disposition le droÍt et la forcc, et




nu I'OUVOlll EXÉCUTIF. :IOLI


s'étend, soit aux personnes, soit aux dIOses; par suitc
i1 s'exerce au moyen de trois fonctions distiuetes, qui
ne sont que les aspecls différents d'un seul et meme
pouvoir ices trois fOllctions se nomment le pouvoir
administl'atif, le pouvoir judiciaire et le pouvoir coer-
eitif.


Le pouvoir exécutif, en tant qu'ill'bgle par le dl'oit
l'administration des choses, c'est-á-dire de la richesse
nationale cotlsist:lIIt dans les hiens meubles ou im-
meuhles, le tel'I'it.oire et les finances, prend le nom
de pouvoir admi1list}'a/ir Son organisation se nOI1lJllC
pI'oprement administI'ati ve.


Quelques auteurs distinguent le pOllvoir gouvernc-
mental du pouvoir administratif et du pouvoir judi-
ciaire, en ce qu'il exerce directcment son aclion sur
les llOl11meS, et uon ~ur les choses. Ce pouvoir, COI1-
sidéré in cOllcreto, se nOl11mc ff01lt'CI'lIement. De eette
50rte, le pouroir eXl~Clllir se subdiviserait dOllc en pou-
nJir judiciaire, gouycrnemcntal, adminisLratif et coer-
t~itir. Et hien qu'il n'y ait pas parallélisme rigollreux
cntre les divers lIlelllhres de la divisioll, en fait ou
quant a l'organi~ation réclle des pouyoirs, il arri\e
souvent que ces qualre fOllctions 50nt plus ou illoins
distinctes, plus ou moins indépendantes les unes des
autres. C' est ainsi que l'athninistration, le pOllvoir
judiciaire, le pouyoir coercitif, force civile ou mililairc,
eonstituent autrmt de hiérarehies distinctes.


nROIT prnL H




210 ClIAP. IV. - BU POUVOlR EXÉCUTlI'.


*


" "


Mais il est bien évident que le pouvoir gouverne-
mental, pris en général, n'est point une fonetion par-
ticulicre du pouvoir exécutif; e'est lúen plulot ¡'acle
fondamental de la souveraineté, le pouvoir modéra-
teur de toute la soeiété, en tant qu'il renferme les pou-
voirs eonstituant, législatif el exéeutif. Aussi quelques
auteurs subdivisent-ils le pouvoir gouvernemental en
pouvoir légis13tif, pouvoir eoercitir et pouvoir judi-
ciaire.


Toutefois, en le eonsidérant d'une maniere plus li-
mítée, ce ne sera autre chose que le terme concret
quí désigne le llOuvoir exéeutif lui-meme, pris dan~
sa généralité, c'est-a-dire en tant qu'il gouverne et
administre, en tant qu'interprete ullthentiquc de la
loi, et en tant que force eoereitive.


Ainsi envisagé, le pouvoir gouvernemental ne sera
done pas une fonetion distinete des trois allributs du
pouvoir exéeutif; ee sera OH eomme l' acte fondamen-
tal du pouvoir souverain, ou eomme l'organisation par-
ticuliere du pouvoir exéeutif.


II


Mais le pouvoir exéeutif doit prineipalement yeiller
a l'applieation des lois, dont il prévient ou repousse




nu pou\om EXÉCUTlF. 211
toutes les infractions ; et pour atteindre ce but, iI doit
procéder d'abord par la force morale, ou agir comme
pouvoir judiciaire.


Si la transgression des lois était toujours évidente,
le délit toujours notoire et flagrant, le pouvoir coer-
citif ou la force suffirait a l' exécution des lois j mais
la culpalJilité peut ctre douteuse, el un acle particu-
lier se trouve parfois dans un raprort vague, incertaill
avec la loi ; il faut done fixer et détermincr rigoureu-
semen! le faiL el la nalure de l'infraction au droit,
préciser la déviation 3vant de la rectifier par la force.
Voilil pourquoi le pouvoir judiciaire est indispensable
a la bonne exécution des lois, et par suite a l'unité du
concours actif des citoyens a la chosc publique; ce
n'est done qu'a l'aide oe ce pouvoir que le souverain
réel, principe de l'autorité sociale, pourra' dans une
société concrete prononcer sur le droit ave e autorité
ou d'une maniere allthentique.


n résulte de lit que le pouvoir judiciaire s' exerce
dans les limites de la loi, et fixe les droits en litige ;
il déterminc le rapport rigourellx du droit au fait, ou
établit l'uniformité dans la maniere de juger touchant
les applicatioIls particulieres de la loi.


La regle de cetle fonction, ou son principe directif,
es! done le pouvoir législatir, qui par un code de pro·
cédllre civile OIl criminelle détermine les lois régula-
trices du pouvoir exécutif, en meme temps que dans




212 CIlAI'. l\'. -- DU pouvom EXÉCllTIF.
le eode pénal, il détermine la sanction du code c1\"il.
Son bul final doil élre le triol1lphe eomplel, notoire et
pratique de la justice el dn droit. te juge n'est done
pas un simple arbitre auquel on recourt en vertn d'une
eonvention volontaire; mais e'est un représentant de
l'aulorité souveraine, parlanl an nom de cette anlo-
rité, lorsqu'il agit toulefois dans les limites de sa com-
pétence.


111


Cependant l'applieation de la loi par le pouvoir ju-
dieiaire étant purement moral~ ne }leut agir que
eomme la loi elle-meme, e'est-a-dire sur les volontés;
le sens, l'extension de la loi esl simplement l'endue
indubitable pour un sujct donné et dan s des eireon-
stanees particulieres ; et, par suite de celte intirnation
de la loi, la volonté libre est mise en demeUl'e de se
soumettre ou de se révolter manifestement. 01', il est
eerlain que l'homme peut faire de son libre arbitre
un usage pervers, décliner la regle, recuser l'autorité
légitime et se précipiter dans le de~ordre et dans le
mal; iI peut résister á la force morale, se mettre en
rébellion ouverte avee le principe directif de la
société.


Il faut donc au pouvoir executif plus que la force
morale, plus que le droit d'interprete\' la législation :




DU POUVOIH EXÉCUTIF. 215


dans le cas pl'ésent, le seul remede au désordre social
est dans la force physique ou matérielle. Le pouvoir
coerciti{ est done le dernier apanage du pouvoir exe-
cutif, un appendice nécessaire de la souverainete,
appendice sans lequel eelle-ci ne pourrait remplir
clficacement sa mission. La loi serait detruite en rea-
lite, si l'on pouvait librement l'enfreindre; 01', l'in-
fraction sera toujours libre, au moins d'une liberté
de conction, si la force physique n'intervient paso


_"'RT. 111. - F.xereicE' dll POIlVO¡'· E'xéeutir.


Apres avoir constaté la. nécessité du pouvoü· execu-
tif, apres avoir étudié sa nature intime, determiné ses
altributs essentiels, il faut encore examiner les lois
{Iui president a l' organisation de ce pouyoir, et les
regles auxquelles son exercice est assujetti.


Ce pouvoir, qui est COfllme le bras de l'autorite su-
preme, doit etre organisé de maniere a faire face a
toutes les éventualités, a etre prét pour toutes les oc-
currences; il doit etre tel que son aclion soit prompte,
énergique, efflcace.


Quand le mal se produit dans la société, il faut que




214 ClIAP. IV. - DU pouvom EXÉCUTlF.
I'autorité exécutive puisse l'extirper avec promptitude;
si ce mal pouvait se Roustraire Iongtemps a l'action
répressive, échapper facilement aux investigations OU
pouvoir coercitif, l'organisalioll sociale ne suffirait plus
a assurer la sécurité publique, et par suite ne pré-
senterait pas les garanties suffisantcs.


L'action du pouvoir exécutif doit donc ctrc prompte
et eflicace. Or raction sera efficace si l'administratiOl\
est en contact réel avec les MÓJIlcnts sociaux, si elle
dispose d'une force matcricllc suffisante pour vaincre
tous les obstacles et extirper tous les désordres publics
qui pourraient surgir. e' est pourquoi iI faut constituer
des foncLionnaires en nombre suf(isant pom obteuir
un Rysteme vital complet daus tout le corps social; il
faut établir une force civile ou mililaire en harmonie
nvec les evelllualités d'attaque contrc la loi: de cette
maniere l' action exécutive sera toujours cftlcace.


Ensuite le systeme exécutif prcscntera toutes les
conditions possibles de célérité, si l'administration
civile ou judiciaire et la force publique sont disposées
daus une hiérarchie rigoureuse, san s rouages inutiles,
s' il y a controle suffisallt dalls tous les degrés de cette
hiérarchie. Les rOllages illutiles entravent l'action
gouvernementale et nuisent a la célcrité dans l'extir-
pation des désordres sociaux.


Le manque de controle peut faire ~urgir ces rouages
iuutiles en laissant tous les membres de la hiérarchie




HU pouvom EXI~CUTIF. 215
1:!'onvernementale a lenr:> inspirations personnelles,
LOllnes on manvaises, régnlieres on illégales ; il pent
anSSl amener inertie ou langueur dan s les rouages
nécessaires.


11


On a beaueoup parlé dans ees derniers lemps de la
eenlralisation on de la déccntralisation administrative
d judiciail'e, et trop souyent il y a en exagération,
soit parmi eenx qni approuvellt, soil parmi ceux qui
blúrnenl exclusivement le systcme de la centralisation.


La déeentralisation administrative est désirable
(Juand il y a tendance a détruire l'unité des sociétés
suhordonnées; la foree immense du pouvoir centralisé
peut absorher toute la vitalité sociale, miner la vie
propre de la société domestique el de tontes les so-
eiétés particnlicres, ruinant ainsi la premicre prescrip-
tion de tont droit social: la société civile est pour
l'individu et la famille, et non la famille pour la so-
eiété. Le pouvoir exécutif, ainsi centralisé, tend done
,1 s'affranchir de sa regle essentielle, la loi préexis-
tan te, et de sa fin, le bien eommun, et par suite a de-
venir arbitraire et tyrannique.


Une certaine centralisation administrative est cepell-
dant nécessaire, puisque ceHe eentralisation n'est
autre chose que la loi de cohésion, la force nécessairc




i!ilj GlIAP. IY. - ]¡t; POU\OJl\ EXECUTIF.


pour mouvoir et relier les Méments sociaux. Or il est
nécessaire a la sécurité sociale que le pouvoir supreme
pnisse communiqucr le mouvement a tout le systl~me
administratif, san s quoi la société n'aurait pas d'unitt'·
réelle.


Le gouvernement doit Ctre la source réellll et effieace
dll triple pouvoir adminislratif, judiciaire et coereitif,
sinon ir n'y aura ni unif¡'~ dans l'administration de~
choses, ni ulliformité dans I'interpri~tation de la loi,
ni force victorieuse duns la répression. Il faut par
cOllséquent qu'il y ait hiérarchic panni les agents ad-
ministralifs, hiérarehie dans la magistrature, hiérar-
chie dans la force civile ou militaire ; et ceei est encore
nécessaire pour garantir un controle vrairnent pré~eI'­
"atif des droits ct des privilégcs des citoyens. 11 y a
done et il doit y avoir partout centralis,.tion, parc!'
qne toute impulsioll el loute dircction procede clu pou-
"oir parvoie d'émanatioll directe.


'follterois, ru poi lit de vue de la doctrine du droil
populaire ou de la souveraincté inaliénable du peuplc,
eomme tout proccIle de has en hau!, la centralisation
est une véritahle anomalie, une négation du droit fon-
damenlal. En efret, dans cette hypothcse, la source
théorique du pouvoir est l'union fictivr des Yolonté~,




DU l'OUVOm EXÉCUTlF. 217
el la source róelle et pratique n'est que dans les vo-
lontes réelles et di~tinctes. Le peuple n' est autre chose
que la réunion des personnes parliculieres, séparées
physiquemenl el joui~sant de leur liberté physique
égale chez tous : le pouvoir réel sera alors d'une
maniere abstraite dans la volonté générale, et en
réalité dan s les individus dislincts, et consideres dans
lem unité physiqne el leur indl)pendance mutuclle.
« Dieu a mis le droil dans l'indivídu, dit le calviniste
Gasparin 1, el quicoIHlue essaye de le mettre ailleurs
porte la main sur l'wuvre de Dien. Et le príncipe une
fois admis, la conclusion reste légitime.


« La subordination, dil-il encore, l'absorption des
individus est un crime contre l'homme el un aUentat
contre le plan divin l. » La centralisation est done op-
posee a la souverainelé populaire. Dans cette hypothese,
en effe1, la sourCl) radicale el mcme la natul'e intime
de tous les pouvoirs, dans l'ordre réel el concret, serait
une force a l'état de dispersion.


D'apres ce que nous venons de dire, ilrésulte clai-
rement, ce me semblc, que la centralisatioJl n'est un
vice qu'autant <¡u'elle est excessive. Le pouvoir doit
avoir l'unité et la force nécessaires pour diriger, sans
toutefols Ctre destructeur et ahsorbant.


Pour déterminer la mesure d'une centralisation ré-


I Rr'lmbifitalioll dI" /'élablisscmcnl dI' 18;)0.




218 GIIAP. IV. - DU I'OUVOIR EXECUTIF.


guliere el eonvenable, il est ut.ile d'apporter quelques
distinctions: et d'abord il ne faut point confondre l' ab-
sorption de ce qu'on Ilomme les droits politiques, avec
cclle des droits civils et domestiques, qui tOlljollrs
doivent etre réservés et respectés. Si done le pouvoir
voulait se faire centre et dispensateur libre des droits
eivils, domestiques et religieux, comme a la rigueur il
pourrait l'etre des droits politiques, s'il voulait 5'at-
tribuer la domination aLsohw sur la religion, sur la
famille et sur les individus, si ellfiu il voulait détruirc
les sociétés suLordonnées, il y aurait saIls aueun doute
une injustice et une usurpation de droils eertains,
supérieurs et pl'éexistants.


111


Il résulte des principes posés, que le pouvoir publie
ne saurait se faire pédagoglle, jusqu'a absorher la di-
rection exclusive de l'enseignement l. Nous ne préten-
dons pas toutefois que l'État n' ait aucun dl'oit, ou
plutút auenn devoir a cet égard. Entre ceux qui,
comme GioLerti, sont d'avis que le gOllvernement soit
avant tout investi d'une autorité SUpl'eme sur l'éduea-
tion 2, et eeux qui voudl'aient absolument ¡soler le


• Ellcycl. du 8 décembre 1864; crreurs 15', 41', elc.
2 Jlltrodudio allo stl/dio, 1. 1, c. [J.




DU POUVOIR EXÉCUTIF. 219
pouvoir de tout ce qui tient a !'éducation de la jeunesse,
il y a hien des termes moyeIls.


II est évident <1' abol'd que l' enseignement religieux
lle ¡¡eut, en aueUlle sorte, ütre sous la juridiction de
l'État, qui n'a aucun caractere pour intervenir ici; un
gouvernement, comme tel, ne saurait avoir aucun Jroit
de police et de surveillance sur l' éducation religieuse;
et toute tentative a cet égard est une injustice flagrante
ct une usurpation des elroits ele I'Église el de la fa-
mille. e'est ee que nous démontrerons plus tard de la
maniere le) plus evidente, en traitant de la société reli-
gieuse. Nous de"ons ajouter toutefois que l'État doit a
la fois reconnaitre son incompétence dans tout ce qui
tient a l' enseignement religieux, et admettre la néces
sité de cet ellseignement.


Les sectaires de notre temps ont oureli, comme OH
sait, une vaste conspiration pour exclure la religion ele
l' enseignement public, sous prétexte de liberté de
eonscienee, ou meme d'illcompétence de l'État. Mais
iI est Ínutile de réfutcr ces motifs hypocrites, qui He
sont point des raisons, mais des prétextes; le "éritable
mobile, qui aujourd'hui n'échappe a pcrsonne, est
une haine sauvage vouée a la religion et a l'Église de
Jésus-Christ. Ce qu'on a dit plus haut! de la fin der-
niere de l'homme, ct de la prédominance absolue des


1 Chopo IV, 1" partie.




~20 CIIAP. lV. - DU pouvom E\ECliTIF.
m0J'cns qui J' conduisen1, es1 surabondammcllt suffi-
sant pom dirimer la qucstion présente.


Pom ce quí est de l' enscignemcn1 scientilique, in-
dustriel, etc., il es1 impossible d'amrrner que 1'État
n'a sur ce point allcun droit a exercer ou aucun dcvoir
a remplir, sans nier la natme vérilahle, les caracteres
el les prérogatives du pouvoir puhlic; d'autre part il
lI'cst pas moins ()vident qll'il ne }lent s'arroger le mo-
lIopole de l' enseigncrnellt, sans por ter attcintc anx
droits lcs plus évidents de la société domestique el ¡\
la liberte individnelle dans son légitime exercice.


D'aillcurs l'expérience, cornme le fait rcmal'l{uer
Yenlura 1, a aussi plcincmcnt démontré que l'immix-
tion indiscrCtc de l'État dans l' enseignement pl'odllit
toujours de facheux résultats, rnrme pour ce qui est du
p!'ogres dan s les leUres el les sciences. Le respect pou!'
le droit des familles et des individus, une sage liberté
oetroyee (]ans le domaiTle de l' éducatioll publique, ont
toujours réussi ,i dOTlnel' au pl'ogl'es scientifique et lit-
téraire une plus vigoureuse impulsion. Mais ces ques-
lions dépendent en grande partie des circonstances
particulieres : les principes du dl'oit naturel suffisent
a démontrer d'un coté le devoir de l'Éta1, de venir eH
aide aux familles, s'il est néeessairc, pOllr l'éducatioll
des enfants, et d'autre part le droit des familles elles-


I E"sai SIII' le puuvoil' public, ch. XITI.




IlU POIjVOIR EXÉCUTlF. 2~1
memes, de cOllserver la haute direclion dans une
affaire si grave et qui louche anssi essentiellement :1
la vie intime de la société domestillue.


* ,. ..


En restreignant toulefois la question a ce 'lu'oll
nomme aujourd'hui éducalion poli tique, le droit dn
pouvoir publie scrait mieux determinó: ¡ci c'est l'ac-
tion meme de l'Élat, e'est son exislenee et sa \ie 'lui
sont en cause; ee qn"tm veut bien appcler de no~ jOUl'S
I'édueation politique des pellples se fait surtout par le
moyen de la presse, des ecrils politiqlles, des chaires
d·éeonomie soeiale, etc. Aussi la famellse question de
la liberté de la llresse a-t-clle été l' objet de eontro-
verses tres-vives et trcs-ardentes : et qlli pourrait 5' en
étonner! e'est le droit mcme de I'État dans I'édlleu-
tioll politique flui est en cause, qllant a sa réalité et ;1
son exlension.


La liberté absolue de la presse est done le libre CIl-
seignement dan s l'ordre politique et social, ct cela
sans aueunc garantie de la part des l)(;dagogues; 01' si
le droit des particuliers, des écrivains publics est ah-
solu sur ce point, il nc restera a I'État que le ~Iroit
d'agir par la libre eontroversc; il devra deseendrc dans
l'arcne en se placant dans les conditions (l'égalité par
rnpport á tons les nlLtres écrivains, .ioul'llnli~tcs 011
ornteurs.




2'.12 CHAP, IV, - DU l'OUVOIR EXÉCUTlF,
La liberté absolue de la presse, soit par rapport a


l'Église, soit par rapport a l'l:;tat, est done une absur-
dité, une contradiction flagrante, puisqu'elle exige que
le pouvoir n' exerce plus aucune inflllence, comme
pouvoir, rnais llniqucment cornme publiciste, Ainsi il
reste certain et manifeste :


10 Qu'en droit il ne peut, parmi les chrétiens, exis-
ter une liberté de la presse par rapport aux vérités
religieuses, c'est-a-dire une prédication publique légi-
timement exempte du controle ou de la censure de
l'Église, autrement il faudrait ni el' l'existence et la
nature de eette meme Église, aiusi que la réalité de
son pouvoir dogmatique et disciplinaire ;


2° En droit il ne }leut y avoir liberté absolue de la
presse, ou exemption complete, par rapport au gou-
vernement civil. Dans l'hypothese contraire, le pl)U-
voir politique ne sauraitjuridiquement empecher tout
ce qui est Illlisible, meme Jlotoi¡'ement a la société ; iI
ne pourrait empdcher, par exemple, un appel a la
révolte, prohiber la divulgation d'une doctrine sub-
vcrsive de tout ordre social, prévenir les erreurs popu-
laires qui peuvent engendrer les révolutions poli tiques;
en un mot, il serait dans l'impossibilité de veiller a
sa propre conservation, de promouvoir et de maintenir
le bien public, 01' tout cela est contrai,'e aux notions
les plus élémentaircs dl! droit naturel. Il ne suffit pas
en effet que l'État puisse punir les délits, il importe




DU I'OUVUII\ EXÉCUTIF. 223
cncore qu'il soit en mesure de les prévenir: la répres-
Hion ne garantit vas l'ordre social, bien qu'elle puisse
le rétablir, s'il a été troublé; et cevendant le pouvoir
doit ctre suffisannncnt arme pour maintenir l' ordre el
préycnir toute perlurbation.


IV


Le pouyoir public l'eut régler Imi eonditions d'ad-
miss ion aux emplois publies; il peut aussi et il doit
régler l'action des fonctionnaires en vue du bien
social et des lois absolnes et néeessaires de l'honncteté.
L'administration est appelée a mouvoir le eorps social,
a répandre partout la vie publique; il importe done
souyerainement que eette action soit réglée de maniere
a diriger la société dan s la voie de la perfection récHe.


Or de mcme que I'hoIllIlle est nni par deux prin-
eipes intérieurs, la rai80n et la sensibilité, principes
d'aillenrs assez souvent opposés el tm llltte, de meme
les deux gl'ands motenrs de eette personnc morale
qu'on nomme société politique sont aussi la raison et
la sensibilité, c'est-a-dire les biens de l'ordre moral et
les hicllS de l'ordre rnatériel. Chez les peuples eor-
rompus, il y a prédominanee marqui~e de la sensibi-
lité sur la raison, du fait sur le droit, de la chair sur
l'esprit. Chez les peuples vertueux au contraire, e'est




22i CHAP. IV - DU pouvom ExtCUT1F.
la raison qui l'emporle : le droit et l'esprit prédomi-
nent. Il faul donc que l' action administrativc tende a
établir ccUe predominance de la raisoll dan s la vie
sociale; voiIa comIllent edtl] adion concourra réelle-
ment .11<1 perfectioll de la societé.


L'autorité polilique utilise les motifs sensibles ou
d'interet malcriel, comme moyen médieinal, pour
ramener graduellelllent la soóéL(\ dans les voips de la
justicc, pour la rendre plus aceessible aux impulsiolls
morales, el par suite plus humaine et moins animale.


Voilil quelIe doit Ctre la telldanen géIl{~l'aJe de I'<1C-
tion administrativc; el pour cela il faut que le gouver-
nement agissc immédiatement, par le mobile de l'hOll-
neteté et de l'interet, sur les fonelionnaires publics,
d par ceux-ei médialement sur toute la sociaé. Un
salaire proportionné au mérite d ,1 l'utilité des diffé-
rellts fonctionnaires, ct une légitime eonsid(;J'aLioll
assuree, comme r('~sultat de leuJ' action mOl'ale et (le
l'honnétcté qui les cnractérise, voilil les deux motifs
sensibles qui agiront plus puissmnment sur les hom-
mes.


L'honneur et l'illtéret donnel'ont aux fOllctionnaircti
I'énergie suffisantc, surtout s'il n' ya point de fonctions
inutiles; car, dans ce cas, le salaire légitime est dimi-
uue au pro/it des sinécures, et le mohile de r intéret
perd de son énergie: ensuite la con~idératioll, l'holl-
/leur de l'ordre civil qui doit dépendre dr I'lItilit,;




])[] pouvom EXECUTIf.
récllc, Jlniraiellt aussi par résulter de serviees cquivo-
(lues.


Le pomoil' exéculif, de son cMé, se rend apte a faire
jouer le puissant lIlohile de l'intcrct par la bOIllle
administration des ehoses, par l'accroissement de la
richesse puhlique, par une habile ct équitahle d~pal'­
tition de l'impót.


Les dellx élélllCllts prillL:ipaux de la riehesse puhli-
flue sont la propl'iótó f.cl'ritoriale et les finalices. Ü
double élérnent a de tout temps tlxé l'attenlioll des
homIlles d'État et des économistes sériclIx, non moins
que des utopistes. On peut dire néanl1loills qu 'il au-
cune époque on ne s'est occupé aussi activement de la
l'icltesse puhlique, du moins par la parole et les tltén-
ries, que de nos jours.


L' administralion des ¡inances, qui toujours a été el
sera une affaire cnpitale {lour les Üab, consiste prin-
éipalcment d:lIls \lile juste et équitablc répartition de
¡'impót, et dans I'ordre et l'éeonornie qui présidcnt
aux dcpenses. D'ahonlle droit d'étahlir des irnpóls esL
óvident : il rcsulte de la nécessité pour le sOlllcrain
Je rcndre cfficace son actioll en yue de l'utililé puLli-
(llIe; d'autre part Ics assoeiés qui participcnt au bicn
COI1lInUIl doivent cOllcouril', dans une légitime prl)-
portion, a procurcr lc~ moycns lIIatél'icls d' aUeintlrC'


15




226 .CIIA.P. lV. - DU POUVOlR EXÉCt:TIF.
la fin soeiale; et e' est ainsi 'lile l'impót sera assis sur
les bases de la justice cornrnutative : il y a échange
véritahle entre des biens diverso


11 faut aussi que l'impot ait les propOltions de la
justice distributive, c'est-a-dire qll'il pese davantage
sur ceux qui en profitent le plus. Aussi un grand
nombre d' économisl.es prétendent-ils que l'impót pl'O-
gressif est le seul équitable. « Qui osera soutenir, dit
Say, qu'un pcre doit retrancher un morceau de pain
a ses enfants pOUI' fournir son contingent au livre des
monuments publics 1. )) Mais ii est ioin d'clre certain
que l'impot progrcssif soít plus conforme aux lois de la
justice distributive que l'impot proportionnel. Toute-
fois s'il en était ainsi, l' équitable répartition de l'impot
serait toujours une chose assez difficile dans les po-
lyarchies, ou les législateUI's sont ordinairemcnt les
citoyens les plus riches 2. Mais je n'ai pas il insister ici
sur ce point : autrement iI faudrait, des principes gé-
néraux du droit, desccndre aux applications particu-
lii~res; or ces applieations appartiennent aux homrnes
d'État, qui ont, a"ce l'cxpériencc des affaircs, l'amour
de In jllstice et du bien puhlic.


f Écollomic polit., 1. III, ch. VlIl.
~ Voy. Tapnrelli, n. H 83.




DU pouvom EXÉCUTIF.


",aT. I~. - POllvoir jlldiciairc. - !!ion office
ce Ha cOlllpétcnee.


'2'27


La deuxieme fonction du pouvoir executif est d'in-
terpréter et d'appliquer la loi, par conséquent de juger
du droit d'abord, et ensuite du 1'ait dans ses rapporls
avee le droit.


Le pOllvoir jlldiciaire est chargé d'interpréter la loi,
principalement dans son rapport avec le fail ; ce pou-
\'oir a done comme deux attributs distincts, l'expliea-
tion et ensuite l'applieation du droiL Conséquem-
ment, l'exereiee de ce pouvoir peut etre envisagé au
point de vue théol'ique, e'est·a-dire quant a l'explica-
lion des 10i8, et au point de vue pratique, on quant a
leur applieation.


Nous 1'erons d'abord remarquer que l'explication,
e'est-a-dire la détermination d'une loi ambigue ou
obscure, peut, aLsolument parlant, émaner de quatre
sources : \0 de l' autorité ,mpérieure qui Ihe eXI)licite-
ment le sens de 1.1 loj, el ecHe interprétation est ap-
pelée autltentiql!e; ~o d'un pouvoir subalterne ou des
tribunaux inférieurs, qui sont chargés d'appliquer le
droit, et par suite de I'interpréter; et eefte interpréta-
tion se nomme judíciaire; 50 de la eoutume, et alor8




228 t.:1L\1'. IV. - ))U POUVOl!\ EXÉCUTIF.


si eette eoutume est légitime, l'interprétation Ilsuelle
llevienllra aussi authentique; enfln 4° des hommes
versés dau:,; la seienee du droit, mais sans earactere
puhlie; el eette interprétation est nornmée doctrinale.


Il ne s'agit pas ¡ti de l'interprétation authcntique,
soit écrile. soit usue.lle., qui es\. une loi ,érila.ble e\. "lus
spéeiale, émanant de diverses manieres du ]JDuvoir
législatif; illle s'agit pas davantage de l'interprétation
doctrinale, qui ¡ÚI qu'une valeur purement seientifi-
que; OIl S'oLLupe c.\dllsircment de l'intcrpréLation
judieiaire.


Constatons aussi que eette interprétation, eomme
toute autre, peut etre ou purement déclar.1toire, si
elle n' est que l' explication des termes mcmes de la
loi, on extensive, si elle donne au sens de la loi une
portée plns grande que eeHe qui est fOllrnie par la
valeur naturelle des t,ermes, ou enon restrictire, quand
au contraire elle reste en de~á de la portée naturelle
des termes.


*
....


Les juges: ehargés d'appliquel' la loi, doivent d'a-
bord l' expliquer; il est manifeste qu'il n'y a pas
d'applieatioll possihle sans qu'il y ait explicationau
moins tacite. Et bien que l'intcrprétation judiciaire
soit obligatoire et áit foreément son effct pralique, ce
tlui n'a pas lien dans l'interprétation doctrinale,




DU pouvom EXEGUllL
néanm\)in~ le~ regles a observH TIC diHerent pas, soit
1[11 'jJ s'agisse dI:' J'WJ[! Dll [Je L?lltre inlorer¿.tation,
L'intcrpretc doctrinal, qui les viole, peche seulement
contre la science, tandis que le juge peche a la fois
contre la' science et la justice,


Les regles particulieres d'interprétation du droit
sont certains axiomes qui servent a manifester la vo-
lonló du législateur, Les difficultés d'interprétation
peuvcllt venir, ou Je ce que la loi, prise en elle-meme,
esi obscure, ou de ce qu'elle est en opposition appa-
rente ou réeIle avec d'aulres lois,


Les principes employés pou1' fixe1' le sens des lois
prises isolément pement et1'e ramenés au nombre de
quat1'e,


Premif1' príncipe, La volonté du législateur ne peut
jamais ét1'e présumée vaine, inepte, inutile, nuisible,
impie ou absurde, cal' la loi est de sa nature une ordi-
nation rationnelle, Voilá pou1'qlloi l'interp1'étation
restrictive ou extensive est quelquefois nécessaire;
elle peut meme etre parfois la seule qui fournira le
sens véritable, c'est-a-dire un sens juste ou équitable,
e.n o.e\ml'S uuque\ i\ u' 'J a pm; de \oi, mals une "Volonte
déraisonnable et non législative. Ainsi ce n'est point
la pensée subjective des hornmes lógislateurs qu'on
doit prendre ponr regle ahsolue, mais les principes
certains du droit et de l'équité; on étend a10rs ou on
rcstreinl la porlée natn1'elle des termes ponr que la




250 CHAPo IV. - DD POllVOm EÜ;CUTIF.


prescription reste équitable, ou presente eette reeti-
tude intrinseque qui est de l' essenee IlleIlle de la loi.


Deuxieme principe. On doit toujours supposer que
la volonte du legislateur est rigoureusement manifestee
par les paroles mémes et le contexte de la loi; de plus
les paroles elles-mémes doivent ctre entendues selon
l'usage communement relfu dans le temps pendant le-
quella loi a éte émise. Ainsi comrne une loi doit dre
interprétee, lorsque rien ne s'y oppose, selon l'ex-
tension rigoureuse des termes, il résulte de la que
toute disposition générale renfermera les espeees in-
férieures qui sont contenlles dan s le geTlI'e : par suite,
ou la loi ne distingue pas, l'interpret.e ne saurait dis-
tinguer, a moins que des princi pes extrinseques a la
loi n'exigent des distinctions. e'est precisement eette
regle qui est af{jrmee dans l'axiome: Ubi ¡ex non dis-
tinguit, nt'e nos distinguel'e debemus.


Troisierne príncipe. La volonté du législateur incline
toujours vers ce qui est conforme ou favorable au droit,
et par suite doií étre supposée eonlraire a tout ce quí
est en opposition plus ou moins directe, soit avec le
droit absolu, soit avec la législation existante. D'ahord
il est manifeste que la loi doit toujours ctre interpré-
tée dans le sen s du droit et de la justiee : ceci resulte
évidemment de la nature des deux termes rr loi et
justice », qui s'impliqlle mutuellement.


Par eette regle, la magistrature peut exercer une




1m POUVOlR. EXÉCU'III<'. 21l


immense inlluence au proflt de la justice et de l'hon-
nCtcté pulJlique; elle peut maintcnir le pouvoir légis-
latif dan s la voie droite, expurger plus ou moins la
légíslatioll de toute erreur et de toute trace des passions
politiqu~,s. « C' est l't~quité naturelle, dit Domat, qui
étant l'esprit universcl de la justic.e, fait toutes les
regles eL donne a eh acune son usage propre. D'ou il
faut eonclure que e' esL la connaissanee de cette équité,
et la vue générale de cel esprit des lois, qui est le
premier fondement de l'usage eL de l'interprétation
parLiculiere de toutes les regles l. ))


Or, cela est dit favorable au droít, qui est conforme
a une loi préexistante, fortifie l'autorité publique, et
reste en harrnonie avec les usages eommunémeilt
re9U8.


Toute ordination contraire a une loi existante, touLe
prescription qui ne converge pas au bien publie, tout
ce qui tendrait a imposer une obligation nouvelle, soit
en infligeant des peines ou autrement, esL réputé juri-
diquement odieux, et, par suite, étranger a la yolonté
du législateur. Quand done il n' est pas cerLain, par
exemple, qu'une loi esL pénale, elle doit ctre présu-
mee purement directive, atlendu qu'il n'y a aueune
néccssiLe absolue qu'une loi soit pénale, ct qu'en droit
e' est la bienveillance du législaLeur qui se présume, el


1 Les Lois civiles, 1. 1, s, 2.




:!32 CIIAP. IV. - UU P(¡UVOIl\ EXECUTIF.
non la dureté et la rigueur. On n'admettra done au-
cune peine, comme imposée par la loi, qu'autant que
la chose sera évidemment démontrée ; voilit ce qui a
donné lieu au vieil axiome de l'l~cole: Odia suntrestl'in-
genda. Les lois pénales sont done de stricte inter-
prétation, >,oit quant it leur nature, soit quant a Ieur
extension.


Il résulte aussi de ces principes que toute dispense
et tout pri vilé¡:¡e cont.rnire a une loi existante, tout ce
qui semble opposé au hien commun 011 311X usages
re(;us, doit ét.re interprété d'une maniere plutót res-
trictive qu' extensive.


Quatrieme lJ1'Íllcipe. On doit tou.:ours présumer que
la volonté du législateur est rigoureusement adaptée
it toutes les conditions particulieres de temps et de
lieux, dans lesquelles la loi a été portée. La raison de
ce principe est claire et évidenle : ce sont ces circon-
stances particulier(~s qui ont elles-mcmes dderminé le
Iégislateur a exercer son ]louvoir. JI resulte de la que
l'étude des circonslances de lemps el de Iieux esl tres,
importante pour fixer le sens prócis (les lois.


*
'f 'f


Quant am regles nécessaires ponr fixer la volollti·
du législatcur dans le cas de conflit. entre plusieurs
lois, ou pour faire concordcr les prescriptions multiplcs




DU POUVOIR EXÉCUTlF.
de la jurisprudence, elles peuvenL Ctl'e ramenées a
dnllx prineipes fondamentaux.


Premier príncipe. La volonté du législateur doil étre
lJré¡;umóe constante et perpétucllc, et par suite tous
le~ efforts de l'intcrpretc doivent tendre a ce que \1'8
prescriptions des lois diverses soient rigoureusement
harmoniques entre elles. Ce principe est évident par
lui-meme : le législaLeur ne saurilit youloir en mcme
temps les deux contradictoires.


Second prillcipe. Toute yoI0!1té nouyelle du législa-
teul' JIlodilie les volonL(\s antérieurcs qui Eeraient con-
traires, ou meme les abroge totalement: e'es!. la vo-
lonté aetuelle du législateur qui est la loi en vigueur.


II


La foncLion publique d'interprete autoritaire des
lois l'(~ntre dans les attributions du pouvoir judieiaire;
mais eeUe interprétation n'est jamais de l' ordre pure-
ment théorique. La mission de ce pO\lYoír est moins
d'interpréter que d' appliquer la loi; et meme il n'y a
de sa part interprétation qu' autant qu'il J a appliea-
tion; son domaine propre est l'ordre pratique et l'ap-
\wéeiation luridiquc des faits.


Cette appréciation, (l'ú n' esL point arbitraire, mais
réglée d'apres les príncipes, pcut porter sur des faits




234 CHAPo IV. - DU POUVOIR EXECUTIF.


de l'ordre puremenl civil, ou sur des déIits et des
crimes. Quand il s'agit simplement de régler des droits
en coHision, e'est-a-dire de discel'ller le droit réel du
droit apparent, iI s'agit de l'action civile. Quand au
contraire le pouvoir judiciaire doit rétaLlir le droit
violé par un délit ou venger l'ordre puLlie trouLlé par
un crime, il ya action criminelle. Le crime est la né-
gation pratique du droil; 01' il faut que le droit triomphe
du crime et du dé!it par l'intervention du pouvoir ju-
diciaire, sinon l' ordre social lui-mcrne périclite.


L'action civil e répond aUlle nécessité sociale abso-
lue, cal' ii faut que les dl'oits des citoyenssoient sauve-
gardés el mis a l'abride toute attaque etde toute in-
vasion. Il est donc indispensable que le pouvoir
judiciaire soit organisé de teIle sorte, qu'il présente
toujours un acd~s facile, offre toutes les garanties pos-
sibles du triomphe de la vérité, soit expéditif dans
ses décisions, en causant le moin;; Oc dornrnage pos-
sihle a la partie condamnée. La nécessité de ces COIl-
ditions est patentc et ressort de la nature meme du
pouvoir judiciaire el du hul qu'il doil atteindre.
Triomphe complet et notoire, expéditif et sur, facile
et peu onéreux de la justiee et du droit, telle est la loi
ahstraite qui doií présider a l'organisation et régler
l'action du pouvoirjudiciaire, surtout quand on envi-
sage immédialernent les causes civiles.


L'action c:.:rirniudk (',~t í.m~ü '.',(\\\,,~\:\\\\\~m~\\t \\i-




DU rOUVOIR EXÉCU'fIF. 235


cessaire au bien de l'etre social; et la poursuite, ainsi
que le chatiment du crime, est le propre du pouvoir
publico Le crime, étant une grave perturbation de
rordre social, doil eLre prévenu ave e soin, et puni
équitablement, s'iI vient a se produire. Et la punition
infligée, en meme temps qu'elle est un moyen médi-
cinalou vindicatif par rapport au coupabIe et une ré-
paration de r ordre troublé, consliLue aussi un moyen
préservatif pour la société: l' exemple de la punition
inspire une cráinte salutaire. Aussi réduiL-on commu-
n¡)menL a trois les caracteres de la peine: il faut
qu'elle soit médicinale, réparatrice et exempIaire.


Il importe toutefois que la peine soit aussi douce
que possible, pourvu qu'elle suffise a réparer l'ordre
troublé, a éloigner du crime, et qu'elle conserve une
proportion rigoureuse avec la gravité de la faute; elle
doit done elre douce, tout en conservant son efficacité,
en tant qu'exemplaire et vinuicative. Et la simple ex-
position de ces vérités implique la preuve elle-meme.


III


QueIques auteurs ont recherché si le pouvoir judi-
ciaire avait le droit d'infliger la peine de mort, et si la
vindicte publique pouvait aller jusqu'il réclamer ces




¡!j(j CIlAP. IV. - DU pouvom EXÉCUTlF.
sanglantes exécutions. J,a question esl done posée au
point de vue du droit et du faiL


Beccaria, Bentham, Rousseau, Ahrens el une mul-
titude d'écrivains, de journalistcs, d'orateurs poli·.
tiques nient totalement ce droit, et considerent la
peine de mort comme une atroeité qui nous a été lé-
guée par les temps de barbarie.


On doil done examiner la question 10 au point de
Hle juridique, et demander si absolllment et en droit
le pouvoir judiciaire pellt, quand iI y a nécessité, in-
fliger la peine eapitale; 20 au point de me du fait, 011
de la nécessité de cctte peine dans lelle société déter-
minée.


Si les crimes atroces disparaissaient totalement, si
les délits graves devenaient tres-rares, on pourrait
dire que les exécutions terribles, l'appareil effrayant
des échafauds, ne sont plus nécessaires pour que le
chatiment soit eftieacement exemplaire et suftise a
arn\Ler les scélérals. La société alors étant armée de
moyens suftisants pour mettre certainement le cou-
pable dans l'impossibilité de nllire, la peine de mort,
fréquemment appliquée, pourrait présenter un certain
earactere de férocité et d'exagération. La question de
fait ou d' opportunité dépend done d'une appréciation
ti es circonstances : l' état moral des peuples, el non les
théories a priori, peut régler sur ce point la })ra-
t.ique des tribunaux. Et du reste on voit asscz cornbien




DU rom-om EXÉCUTIF. '2::'7
il est ridicu[e de vouloir modifier it cet égard les lé-
gislations cxistantes. Si les erimes disparaissent, la
loi deviendra une leUre morte; si au contraire les
crimes atroces se multiplient, une semblaLle loi pour-
rait étre nécessaire. Du reste on est en droit, l'his-
toire it la main, ue considérer ces demandcs d'aboli-
tion de la peine de mort comme tres-Sllspcctes; elles
ont trop généralement procédé de eeux qui, mis cn
possession dll Jlouroir, ont changé lcur prétendue
mansuétnde en férocité.


Quant an droit absoln de la société, il es! incontes-
table : d'abol'd la société a le pouvoir de veiller a sa
propre défense, qui parfois cxigc impéricllsement la
peine de mort; ensuite l' ordre public ne pourrait,
dans certaines conjoncturcs, étre suffisamment réparé
que par la peine capitale des grands coupables ; enfin
il faut qu'il y ait proportion entre la peine et le
cnme.


)Iais la preuve la plus éYidcnte et la plus irréfm-
gable de l'existence dc ce droit résulte de l'autorité
de tout le genre humain, qui vient confirmer et attes-
ter cette vérité.


*
••


Lcs argllmcnts sur lcsqllels on sc fonde pour nier le
uroit du pouvoir souverain dans la société civilc, re-




2:58 CIIAP. IV. - DU POUVOIR EXÉCUTIF.
viennent a des élégies sur la perte de la vie que la 80-
ciété ne saurait rendre, ou a des applicatiolls de la
théorie du contrat social. Dans cette théorie, en effet,
le pouvoir ne saurait avoir une autorité qui n'est point
originairement dam les individus; or chaque citoyen,
n'ayant aucull droit sur sa propre vie, ne peut ·évi-
demment transmettre ce droít au pouvoil' délégué.


Ahrens, a ces raisons, ajoute les suivantes : la vie
pl'océdant de la nature, il appal'tient a la natul'e seule
de la retirer; l'homicide étant intrinscquement mau-
vais, aucune puissance au monde ne peut le légitimer.


Mais on voit que toutes ces raisons roulent sur des
équivoques: l'homicide, qui est le meurtre injusle
d'un homme, est intrillsequement mauvais; mais la
mort ordonnée par l'autorité publique et pom des
causes légitimes n'est que l'usage d'un droit. Au sur-
plus, Ahrens, d'apres ces principes, ne pourrait per-
mettre en aucun cas de tuer un injuste agresseur, ni
de frapper mortellement un ennemi sur le champ de
bataille.


Pour ce qui est de la premicre raison, qui rapporte
le droit de vie et de mort a la nature, elle TI 'a pas plus


. _ de valeur que la se conde ; elle peut d'ailleurs ctre fa-
cilement rétorquée contre l'autenr cité, en se plat;;ant
a son point de vne. Si la nature a le droit de vie et de
mort, comme l'autorité publique découle de la nature,
il résulte qu'elle en ret;oit ses droits essentiels; done




DU POUVOlR EXÉCUTIF. 23(1
le droit d'infliger la peine de mort, venant de la na-
ture, est puisé a une so urce légitime.


Enfin quelques auteurs, nc voulant donner a la peine
que le seul caractere médicinal, repoussent la peine
capitale. Mais, ainsi qu'on I'a dit, la peine doit ctre
réparalrice de l'ordre troublé, ou vindicative, et en
mcme temps exemplaire.


'o p <B'. V. - o •••••• "' ••• du p~~" jud'.ia'~. •
1


Le pouvoir judiciaire a done les fonctions les plus
graves á remplir soit dans la répression du crime, soit
dans tout ce qui porte atteinte a l'ordre civil; par
conséquent son organisation doit offrir toutes les ga-
ranties possibles de justice ou d'impartialité, de vigi-
lance et de promptitude, de capacité et de matu-
rité.


Il faut d'abord pour cela qu'il y ait hiérarchie ou
diverscs instances dans les tribunaux, car l'homme
par sa nalure mcme est sujet á r erreur; et une fonc-
tion publique, quelque grave qu'elle soit, ne confere
pas l'infaillibilité et l'impeccabilité an magistrat qui
la. remplit. n fa.ut done a la sécurité puh\ique, a la




24~' CHAP, IV, - DU I'ouvom tXÉCCTIF,
sauvegarde du droit des sujets, (IU' 011 puisse I'I;da-
mer contre une sentenee injuste, et ohtenir la redifi-
cation d'une erreur judiciaire. De plus il imporle que
chaque tribunal, soit datls sa cOllstitulioll intime, soit
dans son modc de procéder, puissc offrir les plus sé-
rieuses garanties d'impartialité.


Ainsi, pour tcrminer tout ce qui a rarpor! au pou-
voir judiciaire, il nous rcste encore I1 llIontrer eeUe
nécessité d'une organisation hii~rarchi({ue, ou OU OI'Oit
d' appel, a dire quclqucs mots dc l' organisation de~
tribunaux contentieux ou crimincls, el enfin a rappe-
ler les principes fondamelltaux el immuables de la
procédure et des jugements.


La mission du pouvoir judiciaire est de conserver
dans la société la notion du droit et oc la justice, el
par' suite de l'égler les droits litigieux et de proelallJeI'
pratiquement l'é(juité violée, en pUllissant le viola-
teur. Le concept abstrail de ce pomoir supposc COIl-
séquemment qu'ilne cornrnettra aucune erreur, qu'il
ne sera :lcecssible a aueune illusion, el qu'il garatltira
toujours en ImIte occurrcnce le triomphe du droit et de
la justice.
~Iais ce pouvoir doit CLre {'xercé par des homllles,


mjets a l'erreur et a la pervcrsitc : il est done tres-
possible qu'unc senteIlce pl'écipitce ou injuste inter-
vienne, el que le< lois de la justice soient blcssces. 01'
dan s ce cas l'ordr~ puhlic, nOIl moins que l'é(l"ité na-




DU POUVOIR EXÉCUTIF. 241


turelle, réclame un remede a cette violation du droit
de la part de ses interpretes offieiels : et voila pour-
quqi l'organisation du pouvoir judieiaire doit 81re
telle, qu'une sentenee injuste soit facilpment réfor-
mable, et que l'ignorance ou la perversité de ¡¡uel-
ques juges trouve son remede dans la capacité et la
probité de jugcs supérieurs. Une hiérarchie habilement
pondérée est done une garantie néccssaire du triomphe
a peu pres certain du droit et de la juslice. Ain:,;i il
reste pleincment tlérnontré que la possibilité de plu-
sicurs instan ces judiciaires est rigoureusement exigée
par 1'0rdre publie.


*
" .


A cette organisation hiérarchique dans la magistra-
ture répond le droit d'appcl dans les subordonnés,
droit fondé sur l'équité naturelle el la notion mctrle
du droi1. L'appel n'est autre chose que l'acte par lequel
le citoyen, au détriment duquel la justice est violée
par un juge subalterne, recourt a un juge supérieur
en réparation uu dommage sourfert. L'appel est le
remede ordinaire contre les injustices de la part des
tribunaux subalternes. II n' est question iei que de
l'appcl judiciaire, c'est-a-dire contre une sentence
portée par un juge proeédant judiciairement: l'appel
extrajudiciaire, ayant pour objet une injustice faite


DROIT PUDL. i 6




!!42 CIIAl'. IV. - DU POUVOIR EXÉClJTIF.
llar un acte en deh()rs ue toute procMure léga\e, est
étranger á la queslion presente.


Le droit d'appel est donné pour une cause juste et
rR'\',()nmü)k·, "p~r conséquen\ l' \\1)1)1',\ 1"\ es\ r~ce\j\\\)\~
qu'autant qu'il est I(\gitime. S'il es! frivolc el frustra-
toire, il ne doit uonncr lien qu'á une selltcncc de llorr-
réeeption; si au cOlltraire l'appcl est legitime, il peut
avoir régl1Iierement un douhle prrct, ctre a la foÍs sus-
I'cnsif el dérolutif. Il suspend, tonehant le point litio
giel1x, la ju1'idiction du jnge qui a porté la senterrec
suspecte, et soumet l'appelant á une jnridietion supé-
rieure. Du reste, pour que l'appel soit légitime, il
faut non-sculement qu'il ait pour causc une injustice
réelle, mais encare qu'il se produisc dc la maniere et
sc!on lcs conditions flxecs par le droit privé: anssi
nous bornons·nous á ces simples oLservat.ions, qlli
touchent aux principes fondamentaux de la justiee el
de l'équité naturelle.


Le pOllYoir constituant doit done pourvoir a l'orga-
nisation jlldiciaire de te11e sorte que ceBe-ci puisse
off1'i1' plusieurs instances soit civiles soit c1'iminelles,
san s toutefois multiplier les degrés de la hiérarehie
jusqu'a rendre les prod~s interminables.


L'attention de ce mcmc pouvoir Joit aussi se por-
ter avec le meme soin sur la bonnc organisation de
chaqlle trihunal en particulier ; il ne suffit pas qu'il y
ait possibilité de rectificr les jugcrnents contraires a




DV PDVVDIR EXÉCVTIJ.'.


l' équité, il faut encore que chaque tribunal oITre les
l)lus sérieuses 'garanties de justice et d'impartialité:
eL pour cela il est assez convenablc qu'iI y ait plusieurs
juges, car teur multiplicité et le controle mutuel les
rendent moins accessibles 11. l' erreur, aux méprises
el a la corruption.


II


lei se présente naturellement la question du jury :
« Cette question, dit Taparelli, se raUache par un lien
intime a la question de la liberté civile.... Bentham
attaque l'institution du jury, tandis que l'éditeur de
ses oouvres, ~I. Étienne Dumont, de Geneve, en prend
la défense. Je n'ose ici prendre parti ni pour l'une ni
pour J'autre de ces deux opinions, les faits ne m'ayant
ras encore prouvé laquelle des deux méthodes est
préférabIe l. »


Le jury peut I':tre considéré comme institution ci-
vile ou comme instituLion potitique, selon qu'il est
étabIi par le gouvernement pour la su reté individuelle
des parties, ou seIon qu'iI est demandé par les sujets
comme un moyen de défense publique. Ceux qui en-
visageIlt le jury comme nécessaire au point de vue du


I Saggio the01'el. di dirilto ¡¡({t, , 1. V, C. TI, 8.4.




244 CHAl'. IV. - nu POUVOlR EXÉCUTIF.
droit, le considerent surtout en tant qu'institution
politique et eonséquenee naturelle de la souveraineté
du peuple.


L' inlroduction du jury dans l' organisation j udiciaire
est en cffel une reconnaissance taeite du droit popu-
laire. Si le peuple est la source unique de la so uve-
raineté, naturellement il doit tendre a exercer par
lui-meme le pouvoir, du moins autanL que la chose est
possible; 01' un des altribuls les plus gmves et les plus
imporlants de la souveraineté est certainement le pou-
voir judieiaire, surLoul en matiere criminelle.


*
••


La prétendue néeessité du jury, emisagé comme in-
titution politiqlle, ne reposcrait done en droit absolu
que sU!' une fausse hypothcse, ou sur la théorie du
contrat social. Quelques-uns réclament encore le jury
eomme nécessité politique, en se rondant sur une rai-
son assez singlllicre, et qui est aussi de l' ordre pure-
ment hypothétique: l'homme du peuple, selon eux,
bien qu'il soit moins éelairé que le magi~trat, aurait
touterois de nos jours plus de droiture et de probité
que celui-ei, et par suile resterait moins aeeessible a
la séduetion et a la eorruption.


L'hypothese en réalité est assez étrange; mais enfin
suivons-Ia comme hypothese: si done il arrivait que,




IJU pouvom EXÉCUTIF. 245
dans un f~tat, la magistrature füt totalement corrom-
}me et le gouverncment assez tyrannique pour exploi-
ter celle-ci comme instrumcnt d'oppression, les sujets
pourraient assurément considérer le jury comme une
nécessité sociule, en matiere civile, de meme qu'en
matiere criminelle. D'autre part, si la magistrature
tendait a décliner, et se montrait peu soucicuse d' ob-
server les lois de la justice, le jury pourrait devenir
un contre-poids Ju'~r;essaire et une institution qui aurait,
dans l'économie de l'ordre judiciaire, un caractere
médicinal. 11 pourrait revendiquer d'abord les causes
criminelles, et meme étendre sa compétence a cer-
taines causes civiles, s'il était néccssaire. Alors, en
fait, il aurait une sérieuse raison d'etrc. Mais tout
cela résulterait, comme on le voit, d'un état ar;cidentel
et anormal des sociétés, de conditiolls morales tout a
fait exceptionncllcs des peuples et des pouvoirs pu-
blics. Il reste donc manifeste qu'il y a en tout ceci
quelque chose d'arbitraire et qui se regle par les lois
de la prudence politique ; et ainsi cette question est a
peu pres étrangerc au droit naturel.


Le jury n'est, comme on vient de le mont.rer, qu'un
élément accessoire et variable dans la bonne organisa-
tion du pouvoir judiciaire. Aussi, smlS nous étendre
davantage sur ce point, arrivons a l'examen des ga-
ranties que doit offrir le pouvoir judiciaire sous le rap-
port de la procédure et du jugement.




246 CIIAP. IV. - DU POUVOIR EXECUTIF.


La bonne organisation de ce pouvoir ne répondrait
pas encore suffisamment aux exigences de la sécurité
publique, si le mode de procéder dans les jugements
n' offrait point en lui-meme les plus sérieuses garanties.
A l'incurie, a la précipitation, ¡i l' erreur du cOté des
magistrats, viennenL encore s'opposer les formes de la
procédure : c'esL la demicre garantie du triomphe
complot !Jt notoire de la justice eL du droit.


.. \RT. "l. - (:a.·aetere" géneraux el ellsentiels
de la proeédure.


1


Nous aIlons donc cxaminer ici les caracteres géné-
raux de la procédure, au seul point de vue de l'équité
llatureIle. Nous faisoIls abstraction des instan ces suc-
cessives qu'une cause peut parcourir, eL nous nous oc-
cupons de la procédure en général.


On entend par procédure l'accusation et la discus-
sion des preuves, et par jugement, pris dans le sen s
large, la connaissance, la discussion et la définition
des droits litigieux dans le but de terminer un proceso
Le jugement se termine par l'application de la loi,
principe théorique en matiere judiciaire, application




DU I'OUVom EXf;CUT1F.


llue fait le luge lors(\u'il \wononee la senteuce; el
comme la sentence constitue le Imt du proces, il ar-
rive que le mot de jugelllent s'enlend vulgairement
de ce He sentence elle-mcme. C' est alors, en eITet, que
le juge déclare al1X parties ou (( définit ce qui es!
juste, )) c'est-:i-dire porte un ce jugement. ))


Mais nous prcnolls ici le jugcIllent dans l'acceptioll
ordinaire qu'on lui donne en droit, c'est-¡'¡-di,'e en
tant qu'il embrasse la connaissance ou l'accusation,
le débat ou la discussion Ju proces, le prononcé de
la sentence ou la conclusion. Par proces, dalls le sens
strict, on entend simplement la controvertie ou le dé-
hat de la cause.


Tout l' ensemble des faits judiciaircs qui se dé-
I'oulent dans le cours d'un proces, jusqu'fl la sen-
tence inclusivement, se nomme inslance. Le premier ju-
gement défillitif, pronoucé sur un point litigieux, ch)t
la premiere instance; quand cette premiere sentence
a été soumise :i un juge supcrieur pour obl enir de nou-
veau un jugement dc'finitif, ce jugemellt termine la
deuxieme instauce ou l'appel.


*
••


Le jugcment, par sa natme meme, suppose don\.:
trois actions distindes et successives : la présentatioIl
de la cause Oll la délation, la discussioll des droits




248 CHAl'. IV. - DU POUVOIR EXECUTIF.


litigieux ou l'examen approfondi dll fait et sa COl1-
frontation avec la loi, et enfin la sentence ou la défi-
nition qui rend ahsolu ce droit jusf{u'alors en litige.


Le jugement implique aussi, comme on le voit, la
présence de trois personnes distinctes : cc\ui f{ui pro-
voque Icjugernent; il est appelé adeur, actor, par le
droit rorÍlain, paree qu'il propose raction judiciaire,
et s'il s' agissait d'une cause criminelle, il prendrait le
nom d'acC/lsa{eur. Vient ellsuitp l'aceusé ou le défen-
deUl', qui e~t ilppelé en jugement par l'acteur; il est
désigné, clans le droit romain par le terme de reus,
« sic dictus non a reatu sem per sed a re de qua di s-
ceptatllr ... ; » aimi appelé, non i:t cause de la culpabi-
lité, mais de la chose· mise en question; et enfin le
jllge ou la personne publique qui doit dirimer la COll-
troverse conformérnent au uroit; il est appelé juge
paree qu'il déclare le droit, jus dicit.


'foutefois ces trois personnes ne sont pas toujours
physiquement uistinctes, cal' le juge est quclque-
fois acteur, comme dans les causes criminelles ou la
rumeur puLlif!ue, par la divulgation d'un crime, s'esl
constituée premier acteur; alors le juge procede par
voie d'inquisitioll. Ceci est souvent nécessaire, cal"
la gravité et les dangcrs d'une cause criminelle pour-
rajent fréquermnent arre ter les accusateurs, et cela
au grand détriment du hil'l1 puhlic.




DU POUVOlR EXÉCUTIF. 24J


II


La cause est done présentée au tribunal du juge
par l'acleur, qui, en matiere civile, est la partie lésée;
en matierc criminelle, le prévenu est déféré au juge
par l'accusateur ou par le magistrat lui-meme agissant
comme ministerc publico


Dans une cause ei"ile, il n'y a pas líeu de procéder
par ,"oie d'inquisition, aUendu que le droit violé a
son défenseur naturel dans la partie lésée, et que le
bien publie, d'ailleurs, est ici moins directement en-
gagé. Dans les causes crimineHes il n'en est pas de
meme : la fin soeiale, le bien civil exige impérieuse-
ment que la répression dn crime soit prompte et cer-
taine, et qu'elle ne dépende pas exclusivement du bon
plaisir des citoyens. La cause peut done etre déférée
au juge par voie d'accusation, d'inquisition ou de dé-
nonciation.


L' accusation peut etre publique ou privée, selon
qu'elle tend a la vindicle publique ou a venger une
injure privée: dans le premier cas, l'action est crimi-
neHe; dans le second, elle est civile.


Quand il n'y a pas accusatioll formelle, mais seule-
ment virtuelle, par la ruITleur puhlique, le juge alors
procede a l'investigation uu crime par voie d'inquisi-




2;)0 CHAPo IV. - DU I'OUVOIR BXÉC[JTlF.


tion. L'inquisition est dite générale, lorsqun le juge,
en vertu de son office, recherche si, dan s une région
déterminée, quelques crimes n'auraient point éte com-
mis. Elle est en partie genérale ct en partie spécialc,
lorsqu'il y a enquete pour découvrir l'auteur inconnu
d'un crime déterminé, OH l'auteur connu d'un crime
presumé. Enfin, elle est spéciale quand l'enquete
porte a la fois sur une personne ct un crime deter-
miné.


Aucun de ces moues d'inquisitioll n'est contraire
aux lois générales ue la justice et ue ¡'équité, tandis
que cette triple inquisition peut etre tres-utile au hien
publico 11 importc, en cffet, de constater non-seule-
ment les cl'imes manifestes, mais encore les crimes
secrets; il ne suffit pas meme de découvrir les crimes,
il faut surtout les prévenir en faisant disparaitre tout
espoir d'impunité. Et c'est en cela flu'apparaitra l'in-
tégrité du magistrat, qui, ne se lais~ant poillt séduire ou
dominer par des considérations pel'sonnelles el inté-
ressées, menace le coupahle dans quelque région so-
ciale qu'II puisse se trouver.


Toutefois il ne faut pas oublier les lois de la justice,
qui défendent de procéder par voie d'inquisition contre
quelqu'un qui n'est nullement diffamé, et d'admettre
comme inquisiteurs les ennemis personucls de l'ill-
culpé: ceux-ci ne pement etre l'C({US comme accusa-
teurs Oll cornme inqllisite,lIrs.




DU POUVOII\ EXÉCUTIF. 251


Une cause peut aussi ctre déférée au juge par voie de
dénonciation judiciaire, ce qui a lieu quand il y a
~imple manifeslation faile au juge d'un crirne ou d'un
Jélit plus ou moins public; le dénonciateur refuse
de se porter pour accusateur, tout en voulant satis-
faire aux exigen ces du bien publico Quelquefois la dé-
nonciation procede d'une personne publique chargée
de ce He mission, q~elquefois d'un simple cito yen san s
caractere officiel. Ce mode d'introduction des causes
criminelles exige que le pouvoir judiciaire soit forte-
ment armé contre la calomnie.


Avec ce triple moyen d'introduire une cause, le
pouyoir judiciaire est assez pourvu contre tous les
crimes et délits, ou contre toute infraction il la loi;
le bien public est ~uffisamrnent garanti par ces for-
malites de la procédure, qui ont rapport a la premiere
partie du jugement.


III


La discussioll de la cause constitue le fondement de
la sentence, et embrasse la demande de l"acteur et la
réponse que presente l'accusé, dans le but de se dé-




252 CllAP. IV. - DU POUVOlR EXÉCUTlF.
fendre. eette contestation du pro ces est une partie es-
sentielle du jugement, paree que c' est le moyen ordi-
Daire d' arriver a la pleine connaissance du fait, ou a
préciser la portée rigoureuse du libelle d' accusation;
en général, elle précede l'audition des témoins, paree
qu' elle a pour hut de déterminer avec précision le rail
sur lequel doit tomber le témoignagc.


A uJourd'hui on considere ordinairement comme
une garantie d'impal'tialité du plus haut inléret social
la publicité des déhats. Cepcndant d'habilcs juriscon-
sultes sont d'un avis contraire; et les raisons qu'ils
apportrent montrent assez que l'on doit appliquer a
eeHe publieité tout ce que nous avons dit du jurYi
cette garantie en effet dépend de l' état moral et intel-
lectuel des peuples. La pression d'un auditoire hon-
Dete fait peneher la balance vers la justiee, eomme
une aIDuence de méchants peut peser sur les décisions
dans un sens opposé. Apres cette simple observation
sur ce point, continuons a étudier les conditions nor
males de la procédure. •


*
.. ..


Si, a la demande de r acteur, l'accusé ne répond
pas en confessant son crime ou son délit, aJors le dé-
nonciateur doit prouyer son accusation. Il faut done
qu'il produise ou des inslruments ou des témoins ou




UU POllVOlR EXÉCUTIF. 2jj
des arguments péremptoires : e'est a eelui qui affirme
a prouver son affirmation.


Toutefois l' aecusé doit aussi prouver, sino n sa déné- .
gation, du moins son exeeption affirmative; parfois
meme, en vertu des présomptions de droit en faveur de
l' aeteur, toute l' obligation de la preuve pourrait re-
tomber sur l' adversaire.


Quanta la forme de la preuve, il est d' abord néeessaire
qu'elle soit conforme au libelle d'aceusation ou a la de-
mande; ensuite elle doit etre complete el péremptoire,
san~ quoi le prévenu sera absous : la sentenee, en efret,
doit Ctre porlée selon les allégations et les preuves,
juxta allegata et probata, d'apres le eritérium de la
loi, et non préeisément de la eonseience individuelle
du juge. Néanmoins la loi, tout en exigeant néeessai-
rement une preuve authentique afin d'arréter l' arbi-
traire du magistrat, doit eependant laisser au juge
une certaine appréeiation de la valeul' des preuves,
sans quoi les jugements seraient un pUl' méeanisme.
Il faut done a la fois un eritérium légal et un critérium
moral de la pl'euve, afin d'éviter, soit une excessive
rigueur, soit le danger d'injustice.


La prineipale preuve judieiaire devant résulter soit
d'instruments authentiques, soit de la production des ...... ~.


1:1' '1
oS
\
\. (




2:J4 CUAP. IV. - DU POUVOIR EXÉCUTIF.
témoins, il nous reste a dire quelques mots la-dessus
pour terminer ce qui a rapport a la discussion de la
cause.


Le témoignage en justice étant un acle de la plus
haute gravité sociale, l'équité naturelle exige que les
témoins présenlent les plus sérieuses garanties sous le
rapport de la science el de la probité; pour défaut de
science suffisante et de maturité de jugement, le droit
privé exclut généralernent les impubcres, les pupilles,
ceux qui sont atleints d'aliénation mentale, cte.; pour
défaut de probité, eeux qui sont frappés d'infamie de
fait ou de droit, les parjures, les coupables de grands
crimes, lors meme qu'ils ne seraient point cncore con-
damnés, mais simplement sous le coup d'une inculpa-
tion juridique.


Dans les eatégories indiquées, la maturilé du juge-
ment ou la probité est suspecte d'une maniere absolue
et par rapport a toutes les causes, ci,iles ou criminel-
les. Quand donc le droit privé aulorise a recevoir le
témoignage des personnes énumérées, ce térnoignage
ne \.leut lamais avoir en droit la ,aleur de c,elui des
personnes habiles a tester, ni étre admis dans loutes
les causes.


l\Iais iI ya surtout certaines causes qui, parJeur na-
ture, doivent rendre plus ou moins inhabiles a tester
certaines personnes déterminées. La probité iei est
suspecte, non d'une maniere absolue, mais relative-




DD pouvom EXÉCUTlF.
ment á cerlains prévenus : ainsi, par exemple, le lJere
ne peut t~lro appelé en témoignage pour son fils ou le
fils pour son páe, :1 cause de l'amour, qui tend a faire
fléchir le lémoignago; il en est de me me du mari
pour son épouse et de l'épouse pour son mari, ainsi
que des parents dans un ccrlain degré de consanguinité
ou d'affinité; d'autre par!, l'ennemi ne peut témoigner
contre son ennemi. L'équité naturelle rnontre la né-
cessité des réserves :1 cet égard, el le droit privé regle
l' étendue de ces exceptions.


IV


Le jugement se termine par la sentence du juge, qui
absout ou condamne. La sentence est dite définitive
quaud elle termine la cause principale, interloeutoire
quand elle regle une question incidente, qui aurait
pu surgir dans le cours du proceso


La sentcnce est l'applieation du droit au fait rigou
reusement déterminé par la contestation; et il im-
porte que cette sC'ntenee soit notifiée aux parties, qui
doivent etre eonvoquées 11 cel effet au moins par une
citation péremptoire : il faut qu'il y ait présence réelle
ou interprétative de ceux qui sont atteints par la sen-
tenee, paree qu'autl'ement ccHe-ei en général n'aurait
plus sa raison d'tltre.




256 CIIAP. IV. - DU pouvom EXECUTIF.
La sentence une fois rendue constitue le droit au·


quel il ne peut ctre dérogé que par une nouvelle sen-
tence réguliere. La forme et le mode d' exécution des
sentences judiciaires doivent ctre réglés rigoureuse-
ment par le droit privé, ainsi que le temps ct les con-
ditions de l'appel.


*
" "


On pourrait aUSSl étudier ici l' étendue de l'action
judiciaire du pouvoir civil, ou la compélence du ma-
gistrat séculier; et, des principes établis Louchant les
rapports fondamentaux de la société civile ~\ la société
religieuse, on déduirait d'une maniere évidenle que
tuute cause ecclésiastique est soustraite par sa nature
mcme au for séculier. Si la société religiGuse est


. indépendante de la société civile, si elle a pour objet
un bien supérieur, si tous ses pouvoirs lui viennent
immédiatement de Dieu, il est manifeste qu'elle doit
au moins jouir de son autonomie.


Une cause est dite eccIésiastique de deux manieres:
en raison de son objet, qui est un bien appartenant
en propre 11 l'Église; en raison des personnes, qui
seraient membres de la hiérarchie ecclésiastique.
Lorsque le pouvoir séculíer évoque les clercs a son
tribunal, iI se subordoune par la mcme la hiérarchie
eccIésia~tique, et ainsi attaque violemment les prin-




DU POUVOIR EXÉCUTIF. 251
cipes les plus incontestables et les plus élémentaires
du droit naturel et du droit divin positif.


Cette simple obseryation doit suffire a éclairer sur
ce point la conscience de tout homme sensé, qui a
conservé les vrais principes de la foi. Or, pour tous
ceux qui n'ont et ne veulent d'autres regles que les
préjugés du temps, c' est-a-dire l' athéisme légal et ses
conséquences pratiques, une étude plus complete de
la question resterait inefficace, malgl'é toute son évi-
dence. Nous nous hornons done a ces quelques ré-
flcxions.


.~RT. 'VII. - nu pctllvoir coereifir.


1


Le pouvoir judiciaire, possesseur de la force moralc,
ne suffit pas toujours a réprimer la viúlence; et une
sentence juste, conforme au dl'oit et au bien public,
peut a la rigueur rester sans exécution. Si la volonté du
délinquant décline le joug du droit, il faut ou que la
sentence reste sans effet, ou qu'une force physique
supérieure a la résistance vienne rétablil' l'ordrf.\
cxtérieur. Au surplus, une peine grave, imposée par


PROIT P¡;EL. 17




258 CHAPo IV. - DlJ POUVOIR EXÉCUTIF.
sentence judiciaire, ne peut, en général, recevoir son
exécution que par la force publique.


Le pouvoir coercitif est done indispensable pour fIue
la société puis~e atteindre sa fin matérielle, ou pour
que la loi triomphe de toutes les résislances. 01', la
lutte contre la loi, ou contre l' ordre social, peut venir
d'une triple soul'ce : des violences des citoyens entre
eux, ce qui est contraire it l' ordre civil et néccssite
cette puissance physique nommée force civile; des
attaques des citoyclls contre l'auLorité, ce lJui eonstitue
une agression eontre l'ordI'e polilique, et néeessite la
force politique; enfin, des entreprises violentes d'une
société contre une autre société, ce ({ui est opposé a
l'ordre international el réclame la force militairc.


*
••


La force 80eiale, civile, politique et militaire est
parfaite, lorsque, d'un coté, dans son aetion, elle est
supérieure a toute résistanee, et, par son organisation,
assurée du succes, et, d'autre part, lorsqu'elle est
prompte it surmonter les obstacles et sobre dans l'em-
ploi des moyens répressifs.


La distinction entre les diverses forces eoercitives
vient done, non pas d'une organisation différente,
mais du but particulier auqllel elles sont destinées : la
force est l'instrument de la réaction sociale contre une




DU POUVOIR EXECU'fIF. 259


triple agression possible; ainsi rien He s' oppose it ce
que la mcme force soit it la fois civile, politique el
militaire, bien qu'en général il soit peut-étre expé-
dient que la force eivile soit distinete. Il y a en effet
une grande différenee entre la force militaire et les
autres forees publiques: celles-ei peuvent it la rigueur
jouír de tous les avantages de la vie civile, tandis qn'il
n' en est pas de meme de la force militaire ; privée,
dans une eertaine mesure, des agréments de la vie
sociale, elle donne eueore ses forees, son sang et sa
vie ponr la soeiété. Elle a done droit a des avanta~es
spéeí:mx, et forme, en général, une société subor-
donllée complete.


* .".


La force publique peut se reeruter de diverses
manieres: par enrólement volontaire ou par conscrip-
tion forcee. L'enrólement volontaire est un contrat
synallagmatique entre l'État et un citoyen libre: il
faut done, pour la validité de l'cugagement, que l'in-
dividu ait la libre disposition de sa personne.


Le IIlotif de l'engagement ne saurait etre que l'hon-
neur ou l'intérct; il importe meme que ce soit l'un
et I'autre. Ce mode de reerutement est le plus naturel,
le plus équitable, le seul normal.


Mais iI peut arriver queIquefois, en vertu des eir-




200 CIIAI'. IV. - DU POUIOll\ EXÉCUTlF.
constances, que le recrutemcnL forcé soit le seul
moyen d'assurer 1'ordre public, eL de réagir effica-
cerncnt contre l'agression intérieure et exterieure;
dans ce cas la conscription forcéc devicnt légitime au
sein des sociétés modernes, en vertu des perfection-
nernents introduits dans 1'art militaire et de la
possibilité de mouvoir facilement des armées IlUis-
salltes j a cause surtout de l'ab~ence de touLe loi
morale et, par suite, de tout principe politiqlle cL de
tout droit public véritable, d'ou resulte l'instabilité
des relations internationales, le rccl'lltcment forcé
est devenu presque partout plus ou moins necessaire.


Le droit absolu du pouvoir social d'aviser, meme
par ce mode si dur de recrutement, a la sécurité
publique, est fondé sur ce que le droit dc 1'indiYidu a
sa liberté est en coHision avec un droit égal ou supé-
rieur, le droit de tous.


La liberté, el meme la vie, de tous les citoyens cst
plus ou moins menacee par les efforts des ennemis;
conséquemment le droit de tous est en coHision avec
le droit de quelques individus : alol'8 le premier l'em-
porte nécessairemenL, et, par suite, la conscription
devient juste, licite et meme obligatoirc. Mais on \Oit
que ce droit résulte uniquement de la nécessité; quand
donc cette necessité est factice, et résulte des convoi-
tises injustes ou des violences d'un gouvernement,
celui- ci est coupable dcyant Dicu et elevant la société




DU pouvom EXECUTlF. 2 '1
de I'affliction des familles auxquelles on arrache leurs
cnfants, et de tout le dommage causé.


L'État doi! donc procurer la tranquillité publique,
mais avec le moins de frais possible. S'i1 est désarmé
en présence du danger, iI y a imprévoyance de sa part;
s'il emploie san s nécessité des moyens exagérés, des
mesures vexatoires, des recrutements forcés, il devient
injuste et tyrannique.


JI


Le pouvoir public, ainsi que nous l'avons montI'é,
doit procurer promptement et complétement le
triomphe du droit sur le "désordre et la violence; et
cette promptitude d'action exige que chaque fonction
particllliere dll pOllvoir exéclltif ait sous la main la
force physique: le gouvernement ou l'administration,
la force politique, le pouvoir judiciaire, la force civile;
la force militaire doit etre entre les mains du prin-
cipe meme de I'unité sociale, consideré comme te!.
La force militaire protége la société contre l' extérieur,
et par conséquent c'est au principe d'unité a la mou-
voir. De cette maniere, il y aura subordination régu-
liere de la force matérielle a la force morale, et, par
suite, multiplication des forees, et, en outre, grande
rapidité d'exécution.


La répression par la force physique ne peut aller




262 CHAPo IV. - DU püuvom EXÉCVTIF.
au dela des limites fixées par le droit, autrement la
peine eesscrait d' etre juste, e' est-a-dire proportionnée
au erime; la peine, qui est, eomme on l'a dit, une
réaction de l'ordre eontre le désordre, doit eonserver
une certaine proportion avee le bien sensible que le
eoupable espérait obtenir par le erime; elle doit etre
mesurée par l'étendue du désordre produit.


D' ailleurs le pouvoir coercitif ne doit avoir par lui-
meme aueune initiative ; or ce principe évident serait
rr,nversé dans le eas présent. Ce pouvoir est le bras
qui doit obéir a la volonté, sans quoi son opération
resterait aveugle, désordonnée, irrationnelle. Il faut
done, eOIllInc ou l'a dit plus haut, que la force publique
soit mue, dans l'ordre politique, par I'administration;
dans l'ordre civil, par le pouvoir judiciaire; dan s
l'ordre international, par le sujet primordial de la
souveraineté. Si le pouvoir politique intcrvicnt dan s
l'ordre judiciaire, et réciproquement, si le pouvoir
judieiaire agit par la force dans l'ordre politique, íl y
a désordre : et logiqucmeut e'est la force matérielle
qui a l'initiative.


e' est aussi en vertu des memes principes que les
mesures préventives vexatoires, eomme l'arrestation,
l'incarcération, doivent ctre réglées d'apres la mesure
rigoureuse du bien public, attendu que, dans les
mesures préventives, la force physique précede le
droit constaté.




DU POUVOIR EXÉC\jTIF.
Toutefois les moyens préventifs peuvent etre néces-


saires a la sécurité publique; et alors ils sont légi-
times, quelque rigoureux qu'ils soient, tant que cette
rigueur est impérieusement requise comme garantie
sociale; mais il faut en cela porter le moins d'aUeinte
possible a la liberté des citoyens, autrement la société
détruirait l'ordre social au lieu de le protéger.


lei se présentc natureIlcment la t}llestion de la
paix et de la guerreo eette question, dont l'importance
n'est que trop sentie, pourrait Ctre l'objet d'une étude
longue et détaillée; on pourrait l' envisager dans ses
causes, en elle-mcme, e' est-a-dire dans les dures
nécessités qu'elle entralne, el d'apres les lois d'huma-
!lité qui la régissent, et enlin dans son buí.


Sous le premier rappod, il suflit de rappcler que.
toute guerre doit procéder d'une cause juste, urgente,
appartenant ;1 la substance meme du hien public de
telle société politique. Si la cause récHe, apparente ou
non, est la cupidité ou la cOIlVoi!ise, l'instinct ou
l' amour du pouvoir, un pur agrandissement terri-
torial non nécessité par les circonstances; si, d'autre
part, ceUe cause, bien qu'équitable en elle-méme,
n' est point urgente, ne menace pas actuellement le
hien public et peut etre con~lrée par des moyens paci-




26~ CHAPo IV. - DU POUVOIl\ EXÉCUTH.
fiques, une déclaralion de guerre e!rt un des plus
grands crimes qu'un souverain puisse commettre.


Sous le second rapport, on peut dire aussi d'une
maniere générale que la guerre doit ctre conduite de
maniere a ménager le plus possible la vie des hommes
armés, a respecter les citoyens inoffensifs ou les
faibles, a éviler toute uestruction ou tout dommage
inutile dans les propriétés privées ou meme publiques.


Enfin, la guerre ne peut avoi,' pour but et pour
résultal qu' une paix stable et le rnaintien de r ordre
el de la sécurité publiques. La durée de la guerre doit
donc etre mesurée sur les strictes exigences du bien
public, ou sur la cessation réelle de la cause juste,
légitime, urgente qui I'a provoquée.


Tous ces principes emportent avec eux-memes la
preuve qui les confirme.




CHAPITRE V


DISTINCTION DES POUVDIRS PUBLlCS


Pour terminer tout ce qui a rapport aux pouvoirs
publics, il nous reste a dire quelques mots sur l'union
ou la séparation de ces pouvoirs.


Les partisans de la liberté poli tique réclament eeUe
séparation pour s'abriter contre la tyrannie: tout le
monde connait la-dessus l'opinion de Montesquieu et
les pauvres arguments sur lesquels ill'appuie; néan-
moins ceUe these du prétentieux légistea été tcllement
répétée qu'elle est cnfin devenue vulgaire. La sépara-
tion est done réclamée en favcur de la liberté des
citoyens, et contrc l' opprcssion et la tyrannie 1.


D'autres écrivains, au contrairc, repoussent eeHe


1 Montcsquicu, Esp/". des lois, XI, ch. VI.




266 CHAPo V. - DISTI~CTION DES POUVOIl\S I'UIlLICS.


séparation dans la craillte d' affaiblir le pouvoir et de
lui enlever la force nécessaire pour remplir sa mission
et maintenir l'unité sociale.


On voit done, par ces prétentions opposées, que ces
théories ont pour but direcl ou d'affaiblir ou de fo/'ti-
{ier le pouvoir publico La l'évolution qui tend it dé-
truire toute souveraineté réelle doit préconiser la
théorie de Montesquieu, attendu qu'un pouvoir affaibli
et désarmé prépare le triomphe de I'anarehie. Ceux
qui, au contraire, ne redoutent que la révolution, et
en meme temps He veulellt voil' que les poumirs hu-
mains et la force matérielle, lle se préocwpent que
de fortifier l'autorité, source unique, selon eux, de
l'ordre public et de l'unité sociale.


On voit, par ce simple coup d'ceiI sur ces opinions
opposées, que de part et d'autre on peche par exagé-
ration, que de part et d'autre on se place a un point
de Vlle étroit et exclusif.


La question en efret est complexe et réclame qucl-
(Iues distinctions indispensables: elle peut etre eX<l-
minée soit au point de vue du droit absolu et primor-
dial, soil au point de vue de l'exercice de ce droit 1•


Au point de vue du droit absolu, iI esL évident que
la séparation des pouvoirs poIitiques n'est point né-
cessaire. ÁURsi Romagnosi, bien que partisan du faux


I tiberatore, Jn .• nat., c. VI, ~. (j.




DrSTINCTION DES l'OVVOmS l'VDLICS. 267


libéralisme, avoue-t-il que Montesquieu substitue a
l'unité sociale un cerlain maniehéisme, et introduit
dans le gouvernement poli tique un dualisme qui dé-
truit l'union des volontés et des pouvoirs, « l'unita
dei yoleri e dei poteri 1. »


*
.. ..


11 est faeile de justilier notre affirmation : iI n'y a
pas de soeiété eivile sans unité réelIe ; et l'unité réelle
évidemment n'est pas possihle, si le principe meme
de eelte unité est multiple. Or le principe réel de
l'unité sociale est le sujet du pouvoir. Si done il y
avait multiplicité irréductible dans le pouvoir, et pa-
rallélisme absolu entre les différents organes de la
someraineté, ou trouverait-on le principe de l'unité
sociale?


Sera-ce dans I'harmonie et l'union morale des pou-
voirs? Mais alor& quel sera le principe de eeUe har-
monie et de ceUe union morale? Si cette union n'a
pas de principe fixe, l'unité pourra tout au plus etre
fortuite ou accidentelle, mais jamais fixe et stable,
autrement il y aurait un effet san s cause. Si done
l'unité soeiale est néeessaire, si eeUe unité a sa source
et son principe dans l'unité du pouvoir, il faut que


I Jl/risp. tlicor., 1. VII, c. l/.




268 CHAPo V. - DISTlNCTION DES POUVOIRS PUDUCS.


cette unité soit fixe el constante, et par suite que
l'union des pouvoirs politiques soit rendue slable,
fixe, nécessaire dan s l'unité du sujet, personne phy-
sique ou morale.


.. ..


Les raisons alléguées par Montcsquieu et ses part.i-
sans sont fondées sur un principe faux; ce postulatum
consiste a affirmer qu'un seul sujet du pouvoir ne
peut tendre au bien commun, et que tout pouvoir est
par sa nature meme oppressif et égolste. De la ces
auteurs concluent que le pouvoir doit elre placé orga-
niquement dans l'impossibilité de suivre les incli-
nations Je sa nalure mauvaise.


Si, cn effet, le principe autoritaire était cssentielle-
ment oppressif, tyranniqllc el injuste, il fallJrait q1le
la société fUt armée suffisamment contre les dangers
dont elle est menacée de ce cóté. Mais iI est évident
que la menace permanente d'une révolte, que la résis-
tance passive et active du corps de la nation, consti-
tuent un contre-poids sérieux par rapport aux ten-
dances égolstes du pouvoir. Voila pour le point de vue
matérieI, que les publicistes cités plus haut ont envi-
sagé cxclusivement. Mais outre ce contre-poids maté-
riel, cette crainte sululuire que la communauté peut
inspirer uu pOllvoir, n'y a-t-il pas uussi un élément




DISTH'iCTION DES pouvoms PUELlCS. 269
pondérateur de l'ordre moral, c'est-a-dire les lois de
la conscience et de la religion ? II est donc faux que la
cOllcentI'ation des pouvoirs enleve toute garantie de
justice et de liberté; et d'autre part il faudrait etre
bien naif pour se figurer qu'on trouvera un méca-
nisme gouvernemental qui, tout en créant un pouvoir
Hérieux, apte a atteindre son 1mt, fera disparaitl'e
toute possibilité d'abus.


JI


Mais si nous considérons les trois fonctions essen-
tieUes du pouvoir, non plus quant a 1em principe et a
leur sujet pI'opres, mais quant a 1eur exercice, nous
verrons qu'elles réclament le concours de personnes
distinctes. 11 ne s' agit plus ici d'une nécessité absolue,
ni de la séparation formelle, mais d'une nécessité re-
lative, ou des exigences plus ou moins rationnelles
du mécanisme administratif. Les pouvoir&, bien que
juridiquement concentrés tlalls les memes mains,
doivent néanmoins are eXl'rcés par des instruments
divers : et ceci, disons-nous, est une condition du
hon exercice de chacun des pouvoirs politiqucs, eL
par eonséquent une obligation morale du souverain.


Ces fonctions politiques diverses doivent, sans au-
cun doute, etre exercées par des organes propres a




270 CHAPo V.- DISTINCTION DES POUVOIRS PUELles.


aglr convenablement, chacun dan s son ordre, sous
l'influcnce de l'autorité supreme. Or le bon exercice
de ces pouvoirs réclame certaines qualités qui· se
trouvent difficilement dans une meme personne ; il Y
a, en cffet, une grande différence entre les qualités
requises pour faire un vaillant général, et celles qui
sont nécessaires pour constituer un bon législateUI';
autre est la loyauté et le tact du magistrat qui applique
les lois, ot autre la science spéculative el pratique de
celui qui les élabore et les prépal'o.


D'autre part, cotte multiplicité dans les sujets qui
concourent a l'exercico du pouvoir, suffit lJOur préve-
nir habituellement les abus, les injustices, les exccs
de pouvoir. Ces précautions, jointes a la conscience,
suffisent pour garantir en généralla subordinalion de
la force matérielle a l'ordre moral. Selon que la con-
science et la religion ont plus d'empire dans une so-
ciété, la mulLiplicité des rouages et la distinction des
pouvoirs sont moins nécessaires; le sentiment de la
justice et uu droit enchaine ou modere l' égolsme in-
dividuel, qui pourrait incliner le sujet du pouvoir
vers les voies de I'arbitraire.


Le lien qui unit ces pouvoirs doit done elre plus ou
moins reluché, selon qu'une société est moins acces-
sible a l'influence de la religion et du sens moral, et
plus livrée a celle de I'intérétet des passions.


Quand le principe naturel d'équilibrc, la conscience,




DISTII'ICTION DES pouvoms PUllLICS. '271
fait deraut, il est nécessaire de recourir a un moyeu
artificiel; il faut chercher dans l'opposition des in-
térets une garantie contre l'intéret : alors la sépara-
tion plus ou moins complete des fonctions poli-
tiques, et memo l'antagonisme, peuvent devenil'
l'unique ressource des sujcts.


S'il s'agissait d'une société tourmentée, qlll se
trouve dalls une situation anormal e et violente, la sé-
paration peut devenir transitoirement nécessaire,
comme mesure médicinale. Cette question dépend
manifestmnent de l'état moral de la société et du pou-
yoir. Une bonne organisation des fonctions politiques
doil done concilier l'unité sociale ayec l' équilibre des
intérets plus ou moins en coHision. Le principe démo-
cratique, qui a pour fin supreme la liberté indivi-
duelle et ne saurait voir que l'intéret matériel des
subordonrH~s, ou plutot de qllelques subordonné~, ré-
clame sans cesse de nouvelles séparations et de nou-
velles divisions j le despotisme, au contraire, a hor-
reur de toute divÍsioIl, de toute séparation et meme
de toute distinction. 11 y a done sur ce point comme
un double courant d'aspirations diverses, qu'aucun
moyen artificicl ne sera capable de mettre pleinerncnt
en harmonie : le véritable pl'incipe pondérateur, prin-
cipe naturel et absolu, ne peut etre que le sentirnent
de la justice, la conscience et la religion.


A mesure done qu' on s' écarte des lois éternelles de




272 CHAPo V. - DISTINCTIO~ DES pouvoms l'UBLICS.
la religion et de la conseience, le hesoin de moyens
empiriques contre la force devient de plus en plus ur-
gent j il s'agit, pour ainsi dire, de disséquer, de dé-
membrer le pouvoir, de maniere a lui enlever toute
énergie et tonte vitalité.


e'est pourquoi, si eeUe préoceupation des esprits
contre la centralisation des pouvoirs poli tiques deve-
nait générale, elle constituerait un symptóme signifi-
catif de l'état des sociétés.




TROISIE~IE SECTION
DES FOR~IES DIVEHSES DE LA SOUVERAI:'iETÉ


CHAPITRE PREMl:ER


DES DIFFÉRENTES FORMES DE GOUVERNEMENT


Apres avoir étudié la nature et les altribuls cssen-
tie15 uu pouvoir supreme, aprcs ayoir déterminé les
lois générales de ce pouvoir pris en lui-meme, il nous
reste a uire, comme simple corollaire, un mot des
formes particuJicres que peut revetir la souveraineté.
Le pouvoir, en effct, peut se présenter sous des aspects
divers, uonl l' étude rentl'e aussi dans le droi t public.


La souveraineté, prise cn général, consiste toujours
dans l'unité absolue, indivisible; elle implique con-
séqucmment unité physique ou morale du sujet en
qui elle réside. Mais cette unité nécessaire n' exige pas
absolument que le sujet du pouvoir soit une seuIe


DROIT I'UBt. 18




274 CHAPo 1. - DES DIFFÉRENTES FOmlES
personne physique; la souvcraineté peut, en efret, se
monh'er une et indivisible en plusiellrsctres physiques,
constituant, non d'une manierc fortuite, mais en vertll
d'une loi slable et constante, une personne morale.


01', sclon que le sujet du pouvoir est un physique-
ment ou moralement, et sclon les diverses lois d'agl'é-
gation qui peuvent const.ituer l'unité morale, le pou-
voir lui-meme se clétermine en des formes diverses ;
celles-ci ne retrilnchcnt rien el n'ajoutent rien a la na-
ture intime, aux attributs consLitutifs de I'autorité
supreme.


Ces formes accidentellcs, toutcfois, ne sont pas in-
différenles en elles-memes, ni arLitraires dans leur
institution; elles affectent, au eontraire, tres-profon-
dément l'économie inlerne de la societé: l'exercice
meme des pouvoirs politiques est notahlement Ulodifi{~
par la structure extérieure de la souveraineté.


* ,. ,.


Aristote 1 divise les l~tats en monarchies, aristoera-
ties et démocraties, selon que le pouvoir réside ou dans
un roi, ou dans les grands, ou dans le peulile.


M. dc lJaller attaque eette division, d'ahord paree que
C( l'aristocratie et la démoeratie ne sont que des subdi-


I Polit., II1, C. V.




DE GOUVEI\NE~IENT. '27'í


vIslOns de la répuLlique, » et ensuite paree qu'il n'y
a jmnais eu et qu'il ne peut y avoir de démoeratie
proprement dite; eette forme, en effet, exige que le
pouvoir supreme appartienne réellement a lous 1. A
eeUe division il substitue eeHe des gouvernements en
prineipautés et en républiques.


l\lais iei on peul faire remarquer qu'Aristote donne
une division lhéorique, qui en soi esl tres-rigoureuse;
d'autre part, 1\1. de lIaller y subslitue lIne partition
qui est également adé(Juate, mais plus générale. De
meme qu'on peut distinguer un triple sujet de la sou-
veraineté: le prinee, les grands, la multitude, ainsi
on peut également n'envisager qu'un double sujet :
une seule personne physiql1e, ou plusieurs individus
unis moralement, et constituant par leur union un
seul organe du pouvoir.


l\lontcsquieu ne rcconnait que des républiques, des
monarchies el des Üats despotiques; mais celte divi-
sion est noloirement vicieuse, puisque le despotisme
n'est point une espece particulicre d'État, mais l'aLus
de la force, ou l'usage désordonné du pouvoir. On
voit assez par liJ combien Montesquieu savait peu se
soustraire aux entrainements de l'opinion dominante
alors, qui, inclinant au faux libéralisme, voyait dans
tous les souverains des despotes a renverser.


I Rest. de la scicncc lJo/il .• ch. xx.




2i6 CIlAP. 1. - DES DlFFÉRENTES FORMES
Fénelon, dan s son Essai philosophiqlle sur le gou-


vernemcnt civil, énumérc quatrc formes degouvernc-
ment : démocratique, aristocratique, monarchique et
l.I\\1<.\e. « La uCTI\C\l:,yaüe, 11\\-\\, ()\l \1', \j()\\\etul','ffiI',l\\'
populairc, n 'est pas celui OÚ chaquc particulier a voix
délibérative, et un égal pouvoir dans le gouverne-
ment; cela est impossible et absurde. Le gouverne-
ment populaire est cclui ou le peuple se soumet a un
eertain nombre de magistrats, qn'il a le droit de se
choisir et de ehanger, quand il n' est pas eontent de
leur administration.


« te gouvernement aristoeratique est celui ou 1'au-
torité souveraine est eonfiée a un eonseil supreme et
permanent, de sorte que le sénat seul a le droit de
remplacer ses membres, quand ils viennent it man-
quer par la mort ou autrement.


« Le gouvernement monarchique est eelui oú la
souveraineté réside tout enticre dllns une seule per-
sonne. Dans tout ÉtaL 011 le prinee esL sujet au juge-
JIIent d'un eonseil. et responsable a d'autres de sa
conduite, le gouvernement n' est pas monarehique,
el la souveraineté ne réside point dans un seul!. »


Le gOllvernemenL mixte est « le partage de la sou-
\eraineté entre le roi, les nobles et le peuple. »


l.e plus grand nombre des philosophes el les théo-


Chapo XII.




DE GOUVERNEME!\T.


Jogiens suiyent la meme division, et distinguent les
formcs simples dc gouverncment des formes eompo-
sées. Les formes simples, e'est-a-dire qui ne sont pas
réduetibles u d'autres formes plus simples eneore,
sont au nomhre de trois : la monarehie, l'aristoeratie
el la demoeratie. Les formes mixtes sont eeHes qui
résultent de la reunion et de la combinaison de plu-
sieurs formes simples : les gouvernemcnts mixtcs
peuvent done se présenter sous des aspeets trcs-mul-
tiples et trús-variés, selon le degré de prédominance
ou d'équilibre des divers éléments primordiaux.


Le P. Taparelli el quelques autres adoptent la divi-
sion de lIaner : La ou l' exereice de la souveraineté,
disent-ils, est déposé entre les mains d'ulle personne
physiquement une, le pouvoir public prend le titre de
monarque, son gouvernement s'appelle monarehie, et
1a nation royaume ou empire. La, au contraire, Olt
l'exereiee de la souveraineté est confié :\ un nomhre
de personncs physiquement plusieurs et moralement
une, e'est-a-dire a un eonseil, a un sénal, ou a une
assemblée quelconque, le pouvoir public ou le gou-
verneinent est dit républieain et la nation répuhli-
came.


Et puisque la souveraineté ne peut etre eonférée
qu'a une seule personne ou a plusieurs, il n'y a au
fond que deux formes de la souvraineté, el le pouvoir
public ne saurait étre que monarchique ou républi-




278 ClIAP. 1. - DES DIFFEnENTES FoRMES


cain. Ainsi tous les gouvcrnements constitutionnels
sont veritablement republicains.


11


Mais il ne faut pas une grande perspieacité d'intelli-
genee ni une forte application d' esprit pOU!' voir 'Iue
cette diversite d'opinions est de nulle importance spe-
eulative ou pratique. Le fondement des distinetions est
et doit etre le meme de part et d'autre : la nature du
sujet, personne physique ou morale, qui exeree la
souverainelé, speeifie évidemment la forme gouverne-
mentale.


Rien ne s'oppose done a ce qu'on admette la division
aristotélieienne, qui du reste a obtenu le suffrage de
toute r antiquité. Nous allons, en partant de eeUe di-
vision, analyser brievement les formes simples el les
jlrincipales formes mixtes.


Il y a monarchie pure, quand une seule personne
physique, roi ou empereur, réunit entre ses mains et
concentre sous son action propre tous les pOllVoirs
énumeres plus haut. Le souverain ¡¡eut róglcr commc
il le juge a propos, et deleguer dans la mesure qu'il
estime eon~enable. l'exercice de ccs pouvoirs; mais,
dan s cette délégation, il ne vajamaisjusqu'a se dessai-
sir du pouvoir luÍ-mcmc. lJ I1C saurait cn effct y amir




IlE GOUVER~E~IENT. 270


monarchie pure qu'autanl que le pouvoir législatif el
le pomoir exécutif sont en uroil et en fail eoneentrés
exc\usivement entre les mains uu prinee; si l'un ou
I'autre éebappait, en tout ou en partie, au sujet de la
souveraineté, la forme du gouvernemellt eesserait
tl'etre une monarehie pureo


Le :'Ouverain, dans ce régime gouveruementaJ,
prend communémentle titre ue « roi ou d'empereur.»
Il est a remarquer toutefois que la premiere dénomi-
Hation répolld mieux au eoneept abslrait de souverain.
Le mot « roi» vient du latin « l'egel'e)J, gouveruer,
uiriger, et pal' suiLe n'inuique autre chose que l'offiee
pastoral ou le devoir des princes; le terme «( empe-
n:ur )J, venant du verbe « imperare», eommander,
ordonner, est au contI'aire une affirmatioll uirecte, eL
par la meme plus dure et plus impérieuse, du pouvoir,
eomme te\.


Dans une monarehie pure, la royauté peut Ctre hé-
réditaire ou éleetive; mais s'il est vrai qn' en théorie
une monarchie peut etre a fois pure et élective,
il esL vrai aussi que pratiquement ces deux choses
sont peu compatibles. Spéculalivement la division in-
diquée est done admissihlc. nicn ne s'opposc a ce qu'un
souveraill, sorLi ue l' électiol1, po:,scue personnellement
eL exclusivemenL, en uroit eL en fait, le donble pou-
\"011', législatif et exéeutif.


)Iais, d'autre part, iln'estguel'e moinsévidentqu'une




280 CHAl'. I. - DES DIFFERENTES FOI\~IES
monarchie élective ira vite sombrer dans l'aristocratie
ou la démocratic. Les électeurs des rois ne tarderont
pas longtemps a convoiter les prérogatives séduisantes
de ce pouvoir qu'ils font jaillir a leur gré, et qui dé-
pend originairement de leur libre volonté, Quand
toutes les concupiscences seront éteintes dans lc cmur
de l'homme, et que les électeurs, épurés et spi1'itualisés
dans tontes leurs convoitises, n'auront plus pou1' regle
que la loi abstraite du bien public, une monarchie a
la fois pure et élective commence1'a it Jc"enir pos-
sible,


* ,. ,.


II Y a oligarchie pure quand une aristoratie consti-
tuée et ne relevant ,¡ue d'elle-meme concentre dans
ses mains et exerce a son gré le pouvoir législalif ct le
pou"oir exécutif. Nous prenons ici, comme on le "oit,
le mot C( oligarchie», non dans le sens de pouvoir au
profit d'une faction «( (aetio paueorum 1 », mai8 dans
le sens générique de gouvernement des grands on
des magnats.


A la rigueur, cette forme est corn patible ayec une
aristocratie élective; mais ce qui vient d'étre dit de la
monarchie élective est a fOl'tiori applicable :1l'oliga1'-


• llcllal'ill., De }101ll. ['ol/tir, 1. r, c. l.




lJE GOUVERNE)IENT. 281


chic. 11 pourrait se faire loutpfois que le sujet de la
someraineté fút un sénat, dont les membres seraient
élus par la senlc aristocratie eL au sein de ccUe classe
pririlégiée: alors l'élection reste parfaitement compa~
tibie aycc ceUe forme gouyernementale.


La d¡'~mocratie pure, ainsi qu'onl'a déja dit, est une
forme exclusivemcnt théorique, qni ne saurait jamais
passer a l'ordre des réalités existan/es. Il fant avoir
I'imagination vive et féconue, ainsi que les instincts
des n;yoJutionnail'es, pour pn;coniser ce systcme gon-
vernemenlal ; et, toutefois, il est ueveuu pour les uto-
pistes, les rcreurs et le vulgaire imbécile, le terme
dernier du llrogres social poursuivant sa nlarche
ascenuante au milieu des débris de tous les trones ct
de toutes les institutions des siecles « d'ignorance. »


Tous les corrupteurs des peuples qui veulent s'éle-
ver sur les ruines qu'ils amoncellent, tous les sectaires
qui conspirent contl'e l'ordre public, ont fait appel
aux prétendus droits de la Illultitude, a la souverai-
neté populaire, et meme a I'anarchie : eL Proudhon
avait raison de voir en ceUe négation la forme propre
de la véritable démocratie.


Mais le bon sens le plus vulgaire suffit a démontrer
que jamais le double pouvoir législatif el exécutif ne
peut étre réellement dans les mains de la multitude,
et l'intelligence la plus obtuse ne saurait méconnaltre
que l'exercice du pouvoir souverain par la communautc




282 CHAPo I. - DES DIFFÉRElITES rUlDlES
elle-meme est phJsiquement impossible. Aussi a-t-on
recours au stratageme si ingénieux des « fictions juri-
diques. )) Le pouvoir sera fictivement dans tous les ci-
toyens, par des droits électoraux ou plébiscitaires;
mais il sera en réal ¡té dans qllelques princes plébéiens:
ainsi le régime gOllvernemental sera un mélange de
toutes formes diverses.


*
••


Examinons a cette heure comment les formes diverse~
se combinent et devierment mixtes. II est évident d'a-
bord que la royauté constitutionneHc n'est autre chose
tJu'une forme mixte, qui peut tenir a la fois de la mo-
narchie et de l'oligarchie, ou meme de toutes les for-
mes simples: selon que le tempérament introduit
pour faire équilibre au pouvoir royal reposera sur
les grands ou le peuple, l' élément oligarchique ou
démocratique deviendra constitutionnel, dans la sou-
veraineté.


Ainsi, lorsque le pouvoir est a la 1'ois possédé et
exercé simultanément par un roi el par un sénat, com-
posé des grands, la monarchic est tcmpéréc d'arista-
cratie; s'il s'agit d'une chambre qui émane de l'élection
populaire, le tempérament introduít par la constítu-
tion sera originairement démocratique, bien qu'une
füis cünstl\ué il dev\enne forme\\ement aristocratique.




DE GOUVEnNE~IENT. 283


Enfin, s'il y avait une chamure héréditaire et une
chambre aecLive, émanant du peuple, les trois formes
simples se trouveraient représentées; et la combinai-
son elle-meme est caractérisée par la loi de réparLition
des pouvoirs souverains, entre le triple élément di-
rectif.


L'oligarchie a son tour devient mixte quand le pou-
voir législatif ou le pouvoir exécutif est dévolu a un
élément étranger a l' aristocratie; il en serait de meme
si le pOllvoir législaLif, plus ou moins complcxc dans
son fonctionncment, se trouvait distribué entre les
grands eL certaines assemblées populaires.


Il es! inuLile maintenant de parler du régime
¡'e p résentatif, sino n pour mentionner ce terme (( mo-
derne.» e'est un gouvernement mixte, qui a le
mérite de reposer uniquemellt sur les (( ficLions juri-
diques,» dont on fait, de nos jours, une si grande
consommation. n consiste done en un pouvoir qui
parle et agiL au nom du peuple, qui toujours repré-
sente le peuple, méme dans les mesures les plus illi-
qlles eL les plus "iolentes qu'il prendrait contre le
peuple.


Je n'ai pas besoin de dire, en terminant ce ehapitre,
que toute démocratie réelle est une forme mixLe, dans
laquelle il n'est pas ra1'e de voir figurer l' élément
1110narchique dans la personne d'un président de la
répuulique, ou de quelque fonctionnaire analogue. Et




28~ CHAPo 1. - DES DIFFÉRENTES FommS, ETC.
il Y a meme eeei de partieulier, e'es! que la logique,
en meme temps que l'histoire, nous rnontre que toute
république aboutit foreérnent de temps :1 autre a la
dietature. qui est souvent la plus haute expression de
ce qu'on flétrit vulgairement du nom de tyrannie.




CIIAPITRE Ir


QUELLE EST LA PLUS PARFAITE DE TOUTES LES FORMES
DE GOUVERNEMENT?


1


eette question, en elle-meme plus spéculative que
pratique, emprunte aux circonstances actuelles un in-
téret tout particulier : I'esprit révolutionnaire ou le
génie de la destruction poursuivant, en Europe et ail-
leurs, sa marche envahissante et victorieuse, a tout
révoqué en doute, et tend a pulvériser l'ensemble des
institutions existantes. Les appels incessants au pro-
gres social, les termes poétiques et enthousiastes dans
lesquels on préconise je ne sais quelIe mystérieuse
forme « de l' avenir,» ont fini par po ser a tous le pro-
bleme que nous alIons étudier.


Sur ce pomt, comme sur tout le reste, nous négli-
gerons le cóté purement polémique. Quelle importance




280 CHAPo n. - QUELLE EST I,A PLUS PAR FAITE


peut avoir aux yeux des hommes sérieux et éclairés le
récít de toutes les ínepties que les journaux vomissent
sur ces questions? Que) ¡ntéret pourrait offrir aux es-
prits capables de snivre une synthese rigoureuse et
une exposition scientiflque l' examen de théories fan-
tastiques, étrangeres a toutes les lois de la raison, du
hon sens et de l'expérience? Nous nous bornerons
donc a la seule étude des principes et des faits qui
condllisent logiqllement ,\ la solution.


* ~ ~


Satis crainte aucnne d'elfaroucher les lecteurs, nons
allons débuter par une these générale. Bien que ce
procédé, un peu trop scolastique, puísse avoir qllelque
ehose d'insolite, il a au moins l'avantage de signaler
nettement et sans ambigullé la voie dans laquelle on
s'engage. Voici donc le point que nous voulons établir
d'abord: (( De touLes les formes de gouvernement, la
plus parfaite et la plus excellente en elle-meme est la
monarchie. »


Écoutons en premier lieu, sur ce point, la voix, et
recneillons le témoignage, non des utopistes contem-
porains, ni meme de l'opinion publique, mais de
tonte l'antiquité savante. Que nous dira-t-eHe? A l'u-
nanimité et sans aucune voix discordante, ¡¡ni ait
laissé qnelques vestiges, les anciens écrivains hébreux,




DE TOVTES LES FORlIES DE GOUVERNUIENT? 287


grecs, latins, etc., professellt la doctrine énoncée dans
nofre proposition g!\nérale.


Le sentiment de PIafo n 1 et d'Aristote 2 nc sauralt
rtre un seu! instant douteux; les déclarations de ces
philosophes sont tres-explicites et, d'ailleurs, connu es
de tous les moralisLes sérieux. Séneque ;; ct Plutarque •
ne sont point d'un avis différent; ettout le monde con-
nait le fameux vers d'lIomere affirmant a son tour
cette vérité. Parmi les Juifs, Philon 5 reproduit avec
approbation et éloge l'assertion du poete greco


Si de l'antiquité profane nous passons a l'antiquité
chrétienne, l' affirmation la plus imposante el la plus
solennelle viendra confirmer cette doctrine : saint
Justin, saintAthanase, saintCyprien, saintJéróme, etc.,
dont les théologiens, et Bellarmin 6, cntre autres, rap-
portent les témoignages, sont tres-précis sur ce point ;
avec eux et :'t Ieur suite, saint Thomas T, BeHarmin 8,
Suarez 9, etc., tous les scolastiques, s'attachent a établir
cette vérité.


Aussi le triste honneur de fairc entendre, au milieu


1 Dial. civ. seu de 1'egllo.
\! L. VIII, Eth., c. x.
5 L. n, De bcnef.
4 rita Salan.
5 Lib. De conf.
G Lib. 1, De nomo Pontif., C. n.
7 Sumo tlteol., 1, p. q. 103, a.:5; Cont. {Ollt., J. IV, c. LXXVI,
~ L. C., C. J, JI, 111.
9 De lcg , 1. 111, c. IV.




2h8 CHA.P. lI. - QUELLE EST LA. PLUS PA.RF.UTE


de ce concert unanime, la premiere voix discordante,
était-il réservé a Luther, a Cal vi n et aux mItres héréti-
ques de ce temps; el une semblable opposition vient
confirmer le sentiment traditionnel, car le sens intime
et l'insLinct des hérésiarques est de sa nature hostile
a la vérité.


Il s'agit done ici d'une doctrine de sens commun et
de consentement commun; aussi trouye-t-on, soit
dans l'ordre naturel, soit dans les institulions divines
positives, des preuves variées et saisissanles qui vien-
nent la conGrmer.


D'abol'd, comme le fait remarquer Bellarmin, Dieu,
auteur de la nature, a non-seulement incliné l'homme,
mais encore les animaux a rechercher le régime mo-
narchir¡ue. Le Créateur n'a-t-il pas institué dans la
famille l'autorité du pere? N'a-t-il pa5 fait ¡Mitre tout
le genre humain d'un seul homrne, prineipe et source
d'unité dans la grande famille humaine? Or, nOllsavons
dans ce double fait comme les premiers indices de la
forme monarchique.


D'autre part, le principe de sociabilité, inné dans
notre áme, nous incline non-seulement a nous unir a
nos semblables, mais encore a nons gronper autour
d'un principe concret d'unité sociale; et c'est dans
une personne physique, jouissant d'une cCI'taine supé-
rjorüé na!l1reJJe el reJative, q11 '01] cherche comme jos-
\in¡:\iv~m~n\, B\ qu' on \rouve o' ul\\eurs avec plus ue




HE TOUTES LES FOInlES DE GOUVERl'iEMENT? 289


promptitude ct de facilité, ce centre commun. On
peut, du reste, surprendre aussi ou constater cet ins-
tinct de la nature dans les circonstanees particulieres
de la vie sociale, et jusfJue dans les jenx des enfants.


Enfin, si nons scrutons les annales dn monde, llOUS
voyons que partout les monarchies ont précédé les
républiques; et ce (lui est plus saisissant encare, c'est
le nomhre illcomparablernent plus grand des rnonar-
ehies par rapport a toutes les autres formes gouver-
nementales, rnenw prises collectivement.


N'y a-t-il pas dalls tous ces faits un ellseignemellt
de la nature tonchant les diverses formes de gonver-
nement?


*
....


:\Jais SI nous nous éleyons maintcnant a l' examen
des institutions divilles positives, la mame loi de per-
fection, en tant (Iue réalisée Jalls la monarchie, llOUS
apparaltra d'une maniere plus disti.llcte el plus mani-
feste encore. Bellarmin, auquel nons empruntons ¡cÍ
plusieurs arguments, s'atlache a montrer que le gou-
vernement donné par Dieu allX Hébreux ótait l'óelle-
llIent Illonarchique; le chef du peuple choisi ret;ut
divers noms, mais toujours le pouvoir qn'il exert;a
personnellement fut la souverainetó elle-meme.


JI est inutile de dire que la grande Ínstitution so-
DROIT punL. 19




290 CHAPo 11. - QUELLE EST LA PLUS PARFAITE


ciale de Jésus-Christ, ou l'Église, est une monarchie ;
ce fait est évident en lui-mcme et palpable pour tout
bomme qui a conservé au moins la perception empi-
rique.Or, l'Église est le type le plus parfait de toute
organisation sociale parrni les hornmes.


L'enseignement des institulions diYines positives,
non moins que la yoix de la nature, vient donc nous
manifester l'excellence ct la supériorité de la forme
monarchiquc.


11


Mais on peut établir démonstrativcment cette vérité
par la comparaison des caracteres intrinseques et
essenticls dc la rnonarchie avec la fill IH'opre et les
qualités e,sentielles du pouvoir et de la société.


Et d'abord n'est-íl pas incontestable que le pouvoír
a pou!' but général de conduire efficacement la soeiété
a S3 fin? N'est-il pas égalernent évident, d'autre part,
qu'il est d' autant plus apte a obtcnir ce résultat qu'il
réalise une loí de cohésion et d'harmonie plus stricte
et plus parfaite de toutes les forces socialcs?


Lasociété, en effet, n'existe que pour venir en aide
a l'individu par l'union des forces et l'harrnonie des
opérations; conséquemment elle parvient d'autant
mieux a son but qu'clle unit d'une manierc plus in-




DE TOllTES LES FORMES DE GOUVER'liEME:'if'! 291


time les intclligeIlces et les volontés, et utilise avee
plus u'ordre les moyens soeiaux. Ces vérités ont été
étahlies précéuemrnent, et, uu reste, brillent d'une
évidenee presque immédiate.


01', le pouvoir, qui doit produire ceUe cohésion
compacte et eeUe unité des éléments sociaux, sera
dans son action d'une effieacité proportionnelle a l'u-
nité et a l'homogénéité dont il jouira en lui-meme. La
philosophic préconise cet adage universelIement vrai :
ce ractian suit retre, » et, par suite, se mesure sur la
naLure de retre qui agit. Si done l'agent est rnoins
complexe, et plus un en lui-meme, son opération sera
plus uniforme; d'autre part, si des forees multiples
sont réduiles a l'unité par leur convergenee sur un
point indivisible, la résultante sera plus énergique
que s'iI y avait une dispersion quelconque.


'l\fais iI esi hors de doute que la monarchie est de
toutes les formes celle qui, par sa constitution orga
nique, réalise plus parfaitement l'unité sociale, uonne
plus de cohésion au eorps politique, et, par suito,
communique a la société une impulsion plus puis:,antc.
C'est pourquoi la monarchie, envisagée en elle-meme
eL abstractivement, est la forme la plus efficaec pour
atteindre la fin de la cité.




2\12 CIL\P. II. - QUELLE EST LA. PIXS PARFAITE


*
.. ..


Cet argllment genéral, qui doit frapper lous les
esprits sórieux, pcut etre confirme ct corrobore par
certaines considérations particulicres, liróes des
propres perfections de l' étre social.


La prcmiere condition que doit offrir toute soeiété
est sans contrcdít l' ordre. Sans ceHe qualité, les forces
sociales viendraient se heurler entre elles, se hriser ou
se paral~ser; le moindre illconvóniellt (pIÍ peut rrsul-
ter du désordre seraiL la dispersion et l'isolerncnt, ce
qui, au fond, reviendrait a la dissolulion eornmencee
de toute communauté. ~'est-il pas de la dernicre evi-
dence que l'ordre dans une société ernp()che, d'un
coté, les lutles inte.stines, les factions diverses et hos-
tiles, et, de l'autre, utilise toutes les forccs qu'elle
relie en un faisceau compacte?


Mais l' ordre, qui consiste dans la disposition har-
monique d' éléments variés de rnauicre a les réduire a
l'uníte 1, est obtenu plus compléternent et plus surement
par la monarchie que par toutes les autres formes;
dans la monarchie, l'unité gouverncrnentale est plus
stricte, \a hiérarchie r1us figoureuse en eHe·meme et
~hl~ ~tabte dan~ ~()n llt\nü\le.


i Breviarium philosophire sello/., t. l, p. 195.




IlE TOllTES LES FOR \IES DE GOUVEI:l'IE)IENT? 283


* ....


Une autre perfection de la société, de meme que de
tout hon gouvernement, est la stahilité. Cette préro-
gative, iei, n'est autre ehose que la meme existenee
continuée, ou la vie; or>, la vie sociale doit etre réputée
un hien essentiel et fOlldamenlal du corps politiqueo
Du reste, l'expériellce des révolutions u'a-t-elle pas
démonlré aux hOIllllles de !JOll seJls qlle toute transition
est UlI momeat de crise, de péril el de malaise? e'est
ún trouble, une perturhation, un acces de fievre qui
met la vie elle-me me en danger.


Mais en restant au seu! point de vue des principes
abstraits, u' est-il pas évident que l'instabilité du pou-
voir n'est autre chose que l'inslabilité du grand mo-
teur social, el, par suile, de toute la société e11e-
meme?


Or, la monarchie est la forme la moins accessible
aux déchircments intérieurs ou allx divisions intes-
tines. En général, les trouhles graves et perilleux
viennent des éléments qui partagent ou convoitent
l'autorité supreme: cellx-lil seuls jouissent d'une force
suffisante pour éhranler le eorps social; el la puissanee
de destruction qu'ils possCdent vient uniquement de
la portion d'autorité c¡u'ils ont pu s'approprier. La
monarchic pure, qlli concentre tout le pOllvoir entre




2D~ ClIAI'. n. - QUELLE EST LA PLUS PAHFAITE


les mains d'un seul, reste done plus inaeeessible aux
perturbations sociales, el, par snite, est plus stable :
dans la monarchie, le pouvoir est matériellement un,
tan di s que dans l'arislocratie et la démocratie, il est
matériellemenl multiple.


Ajoutez a cela qn'il est plus difficile de trouver un
grand nombre d'homllles honnétes, qu'un senl, et
qu'au point de me exclusif de la prohité, il y a plus
a redouter les effets de l'ambition avide dans les po-
lyarchies. Aussi l'histoire rnonlre-t-elle que les dis-
cordes intestines, les guerres civiles, la violence des
factions, ont été plus fréquentes et plus terribles dans
les répuhliques que dans les monarchies. Mais nous
n'avons pas a invoquer ici les prenves empI'Untées a
l'ordre des fails : il s'agit d'une forrne envisagée
abstractivement et en elle-meme.


Toutefois Hons ajouterons encore qnelques considé-
rations qui concernent le sujet de la souveraineté
dans la monarchie pureo


*
• •


Nous demanderons d'abord si la responsabilité n'est
pas plus gravc el mieux sentie de la parl de cclui qui
gomerne d'une maniere permanente, qui subit per-
sonnellement les conséquences de ses rautes el de son
incurie, que de celle d'tm fonctionnaire de passage :




DE TOUTES LES FORMES DE GOUVER;¡E~lENT? 295


celui-ci incline par sa pente naturelle a rechercher
son propre avantage et a servir les convoitises de
I'égolsme.


D'un coté, le bien public tourne aussi a l'avantage
personnel du gouvernant a titre 8table, tandis que les
nombreux magistrats qui administrent a titre précaire
~ont, dans tout ce qui tient a leurs intérets privés, en-
tii~rement en dehors de l'intéret publie : le bicn com-
mun nc doit etre que transitoiremenl entre leurs
mains, et par accident leur affaire propre.


A cecí vienl encore s'adjoindre une raison d'un
ordre supérieur. L'éducation politique devient, dans
les monarchies, prises en général, comme une consé-
quence naturelle et nécessaire de la naissance : celui
qui nait pour etre roi est élevé en roí. Chez les gou-
vernants dc circonstance, eeUe éducation, au con-
traire, est quelque ehose d'acciclentel, de secondaire,
et, par suite, de moins complet. Ainsi il reste incon-
testable que, toutes choses égalcs d'ailleurs, le fils
d'un roi, le monarquc par lc privilége dc la naissance
et en vertu d'une loi constante, est plns apte a régner
que le fils d'un simple citoyen, ou un souverain im-
provisé.




296 CHAPo H. - QUELLE EST I~A PLUS PAnFA\TE


III


Jusqu' alors on a envisagé la question plus spéciale-
ment au point de vue théorique et dan s l' ordre des
principes généraux : la forme politique en elle·meme
et abstraction faite de son sujet, a été mise en lumiere
dans ioute 5a perfection idéale. Anssi le probleme se
présente-t-il de nouveau son s un a¡;pect plus restreint
et subordonné; en tenant com pte des jHlperfections
inévitables qui se tI'OUVCI'ont dans le sujet du pouvoir
et dans les conditions d' exercice, est-il universelIemenl
vrai que la monarchie soit le régime gouvernemental
le plus parfait et le plus excellent'! Suarez t répond
en disant que ( si l'on a égard a la fragilité, á l'igno-
rance et á la malice des hommes, » une forme mixte
est préférable á la monarchie pure; et ce sentiment
est allssi professé par Bellarmin 2 el la plupart des
théologiens. 11 est vrai, en elTet, (IU' en théorie on
suppose l'action du pouvoir rigoureusement conforme
a la regle abstraite qni doit la régir; des lor8 on aumet
a priori, dans le souverain, une capacité a laquelle
rien n'échappe, une intégrité supérieure a toute séduc-


i De Leg .• 1. 11[, C. IV, n. 1-
• De lloln. Pontir, L 1, c. 111. « l\egimcn tempcratum ex omnihus


tribus fornlÍs, proptcr natural hUmaIl1B corruptionc:ll, utilius est 'Iuam
simplex monarchia. »




DE TOUTES LES FORIIIE'i DE GOUVEn:'iE~IENT? 297


tion et une activité qui ne se dément jamais. Aussi les
théologiens, apres ayoir affirrné l' excellence el la supé-
riorité de la forme monarchiquc, considérée en elle-
meme, concluent-ils néanmoins, a cause des imper-
fections natives du sujet de la souveraineté, en faveur
des formes mixtes. Ainsi, iIs adrnettent communément,
1. o que la monarchie pure est en elIe-meme la forme
la plus parfaite, mais 20 que le pomoir devant eLre
exercé par un homme naturellement imparfait et en-
dín á la corruption, une forme mixte reste générale-
ment préfél'aLle.


Si done il reste démontré, qu'absolument parlant,
la monarchie pure est en soi le meilleur des gouver-
nements, la questíon pratique n'en demeure pasmoins
indécise, surtout si l'on tient cornpte des faits et de
l' expérience.


e'est surtout a ce point de vue des faits que les
révolutionnaires attaquent violemment le régime mo-
narchique sous toutes ses formes: iIs font l'histoire,
plus ou moins fidille, des exces, des ahus dans lesquels
sont tombés les rois; ils énumerent les vices, étalent
la corruption et les turpitudes d'un grand nombre de
souverains. Ils reprennent aínsi la th8se de Luther qui
disait de son temps: « Les princes sont les plus
grands voleurs et les plus fieffés coquins du monde. »


On peut concéder volontiers que le mode selon le-
quella royauté a été exercée dans le monde fournit




208 CHAPo 'n. - QUELLE EST LA PLUS PARFAITE
un tbeme vaste et riche a toutes les récriminations j
on peut conceder que l'histoire, meme la plus impar-
tiale, est parfois le requisitoire le plus sanglant contre
la monarchie. Mais, d'autre part, il resle vrai aussi
que r etude historique des autres formes révele encore
quelque chose de plus affligeant et de plus sinistre :
le spectacle qui nous a été douné par les républiques
cst en genéral le plus atroce, le plus sanglant et le
plus immoral.


Ce n'est done point a l'aidc de déclamations sur les
vices, les exces, la prodigalité, la corruption des
princes qu'on peut resoudre le problcme du meilleur
des gouvernements. Il faut laisser ce mode d'examen
et de comparaison aux journalistes qui vivent de la
bétise publique.


En nous élevant done au-dessus de la région mal-
saine et étroite des eonvoilises et des passions poli-
tiques, une premiere verité se présentera d'elle-
meme a l'esprit : la monarehie pure etant douee d'une
énergie, d'une vitalité superieure, un monarque per-
vers devra etre par la meme armé d'une plus grande
puissance de destruction. Aussi pourrait-il a la rigueur
corrompre les peuples, désorganiser les fonctions di-
verses, bouleverser l' ensemble des rouages adminis-




DE TOUTES LES FORMES DE GOUVERNE}IE:\T? 299
tratifs, énerver toutes les forces sociales plus rapide-
ment que ne le ferait un régime plus complexe. Et
c'est en vue de ces dangers et a cause de la corruption
originaire de l'homme que les théologiens préconisent
les formes mixtes. Les lumieres, la probité el l'acti-
vi té requises de la part du sonverain dans une monar-
chie pure foront presque toujours défaut.


Néanmoins il reste cerlain que par sa nature meme,
la monarchie en général est plus étrangere a loute ac-
tion formelIement corrnptrice des masses, a toute
tendance désorganisalrice de la hiérarchie sociale. Le
seul instinct de conservation suffit a incliner le mo-
narque vers des principes moins immoraux et moins
pervers : tonte perturbation sociale est avant tout un
danger pOllr le souverain.


e'est pourquoi ces considérations diverses porte-
raient assez :'t conclure gélléralement qu'au point de
vue du fait et de l'ordre purement pratique, on ne
saurait rien affirmer d'ahsolu a cel égard; selon que
les circonstances particulieres de temps, de lieux, de
personnes, d' événements, etc., varient, ainsi les solu-
tions peuvent elre différenles; la monarchie pure pour-
rait aussi devenir pratiquement la forme la plus utile.
Et l'on peut, ce me semLle, modifier en ce sen s la
doctrine peut-elre trop générale de Bellarmin.


De meme que les gouvernants sont lo in de répondre
uans leur action aux lois morales qui devraient la




300 CHAPo 11. - QUELLE EST LA PLUS PAUFAITE


régir, de meme aussi les peuples ne sont pas toujours
capables de recevoir l'impulsion la plus ferme, la plus
droite el la plus élevée; la corruption des gouvernés
n' est pas un moindre obstacle a la perfection gouver-
nementale et adminislrative que ecHe des gomernants
eux-memes.


C'est pourquoi les formes mixtes les plus variées, et
qui répondent plus ou moins a l'élal intelleetuel et
moral des uns et des autres, naissenl eomme sponta-
nément du choc des aspirations et des telldances di·
verses; elles sont souvent comme une résuItnnte des
besoins factices el des instincts légitimes, des passions
aveugles et surexcitées, ainsi que des exigencessociales
les mieux fondées. Quand le triomphe de la justice et
du droit devient au moins incertnin, a cause de la
corruption publique, on cherchc naturcllcment dan s
l' équilibre des intérets opposés ce qu'on ne peut plus
obtenir par l'influence de la loi morale, le resped du
droit et l'action ordinaire du gouvernement; la pon-
dération des pouvoirs jaillit plus ou moins violcmment
de la tendance al' équilibre des intérCts contraires.


* ,. ,.


En fait et pratiquement, on peut aussi affirmer
d'une maniere plus spéciale encore, que le meilleur
gouvernement, pour tel peuple déterminé, est cclui




DE TOUTES LES FOI\~rES DE GOUVERNEMEl'iT? 301


auquel ce peuple est habitué, et dont le fonctionne-
ment est traditionncl; c'est rclativement le plus apte
a utiliser toutes les forces sociales, a maintenir l'union
des intelligences et des ,"olontes, en un mot, a con-
duire cette société a sa fin. Plus facilement que toutes
ces créations recentes, produits fragiles de quelque
industrie occulLe, il peut admettre toutes les modifi-
cations accidentelles que les circonstances pourraient
necessi ter.


Ainsi la forme legitime dans son principe, tradi-
tionnelle ou antique dans son existence, adaptee dans
son mode d'Ctre et d'agir au vrai temperament social
de la nalíon, - est sans contredit la meilleure el la
plus avantageuse; e' est en réalité eeUe qu' exigent la
raison et le droit, non moins que l'interet publico Et
telle est, ce me semble, la seule regle constante et
imariable qll'on puisse illVoquer sur ce point.


eeUe loi implique done trois choses : d'abord légi-
timité dans le fait originaire qui a donné naissance a
ce gouvcrncmcnt; ct ceUe premiere condition est ca-
pitale, cal' tout peché origincl traine a sa suite ses
effets de corruption et de mort; et un pouvoir intro-
duít par la violenee et l'iniquité esi un pouvoir dont
l'existence est l'aftirmation solennelle dc l'injustice:


La dcuxil'me condilion de notre reglc pratique est
l'antiquité ; ceUe qualité a pour conséquence naturelle
l'autorité morale, la considération extérieure : le pres-




302 CUAP. n. - QUELLE EST LA PLUS PAI\FAITE, ETC.


tige du pouvoir souverain, devient dans la pensée
ell'imagination des peuples. comme inséparable des
personnes qui gouvernent.


Enfin, la troisieme condition consiste dans le degré
selon lcquel cette forme est adaptée au vrai tempéra-
ment social; et il est clail' que par tempérament on
n'entend point l'ensemble des qualités morbides, la
résultante des vices sociaux, mais le mode yéritable
selon lequel la masse de la nation aspire au bien
commun.


Il me semble done qu'on pourrait donner ceHe regle
a tout pcuple en travail de constitution politique, et lui
dire : Observez cela, et vous vivrez, Roe rae, et l'ives.


FIN.




TABLE DES MATIERES


PlItFACE. • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •• y


ClIAPITRE PREMIER.


Vrai concepl el fondcment primordial du droit. 1


CHAPITRE 11.


Príncipcs intriusequcs de la société el objet du droit public. 19


CIIA.PITRE III.


Causes finales et rapport; muluels de la société civile et de la
société rcligicusc. . . .. . . • . . . . . . . . . . .. 54
ART. l. - Causes finaks et cxistencc de la société civile et


- n.-
de la société religieusc. . • • .


Relations généralcs et nécesiaires
cil'ilc a la soci¿té religieuse ••


de la société
:14


42




304 TABLE DES MATIERES.


LA SOCLÉTÉ CIVILE


PREMIERE SECTION


Origine dn pou"olr.


CIUPITRE PREMIEIl..


Théorie protestante (,t rationalistc du contral social. 5ü
AHr. I. - Nature cl origine du contrat social. 59


II. - Erreurs, contradictions el dangers de la théorie
du contrat social. • • . . . . • • • • " 76


CHAPITRE n.


Doctrine scolastique sur l'origine du pouvoir civil. • • • .• 92
AnT. l. - Exposition de la doctrine. . . . • . • • .• 92
- n. - Dirrércncc esscnticlle entre cette doctrine el la


théorie du contrat social.. . . • . • • . . 102


CIIAPITllE IlI.


Doctrine du droit dil'Ín .. 107
.tRT. I. - FOllllcll1cnts Lhéologiques et rationnels du 'ys-


ti'.me, pris nans un sens large. • • . • •• 107
11. - Théorie dll <lroit di.in, cn.isagé dans le sens


striet. • . . . . • • • . . . • . . • • • 11 7
1II. Mode particlllier de désignation du sujet de la


souvcraineté. . • • • • • . • • . • • • .130




HULE DES MATIERES. 30Ci


DEUXIE\lE SECTIO~
~ftture ea cxerelee du pou'I'olr ehll.


CHAPlTRE PREMlER.


:'ialurc el attriLuts c5scnliels du pouvoir. . 149


CllAPITRE 11.


Du pouvoir constiluant. 104
Al\r. l. - Ce qu'on enlenu par constitution. • . . 164


n. - Commenl le pouvoir est-il constituant? 170
IlI. - Des lois physiques el morales du pouvoir


constituant. . • . . . 178


CllAPITRE 1Il.


Du pouvoir législatif. • . . . . . . . . 182
Al\r. l. - D11 p011voir législatif el tle la loi. . 182


n. - Organisation ,Iu poul'oir législatif. 191
III. - Excrcice lég'itime el normal du pouvoir législatif. 195


CIL\PITRE IV.


Du pouvoir cxécutif., . 201
ART. 1. - Du puuvoir cxécutif ct de ~O¡L uomuine. -


Fondions du pOllvoir cxécutif. 201
II. - Excrcice UU pOllvoir cxécutif. . . . . .• . . 208


III. - Du pou"oit' jUlliciaire. . . . . • . . . . • 215
IV. - Son afficc et SQ rompétence. . . • . . • •• 227
V. - Orgauisation <lu pouvoir judiciaire. . 239


VI. - Caracteres cssenticls de la procédnr". 240
VII. - ])u p011voi¡' coercitif . . . . . . • '157


DHOIT per.r,. 20




506 TABLE DES MATIElIES.


CIIAPITRE V.


Distinclion des pouvoirs publics. . • • . . . . . . . . . . 265


TROIsrEME SECTION


De. formes dlwerscs de la .000Yel'alnete.


CHAPITRE PREMIER.


Des différentes formes de gouvernernent •• • 275


CIIAPITRE n.


Quelle est la plus par faite de loutes les formes de gouvernement. 21\4


.'.,
".,¡t.,


,. < '~:.
", ~. ~'"
.~


P.UIS. - UU', saIO~ IU<;O~ ET CO'Jl'., HJ;E U'.EHFGRTU, L