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SA VIE, SES OMNIUM, SES DISCOI:ftS


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LIBRAIRIE DE LA BIRL IOTREQUE NATIONALE


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MIRABEAU


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SA VIE
SES OPINIONS ET SES DISCOURS


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A. VERMOREL


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TONS QUATRIÈME


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LIBRAIRIE DE LA BIBLIOTHÈQUE NATIONALIC


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1881 NA IÔ CT É S“
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Beau marehaia. Mémoires


Barbier. Mariage de Figaro 2
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Diderot. Neveu de Rameau t
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deld


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Gresset. Ver-Vert. Méchant




Hamilton. Mémoires du Cheva-
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Homfre. L'Iliade
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Horace. Poésies.
2


Jeudy-Dagour. Cromwell
Amenai. Satires
La Boétie. Discours sur la Ser-


vitude volontaire
La Bruyère. Caractères
La Fontame. Fables..—.
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MIRABEAU


SA VIE


8E8 OPINIONS ET SES DISCOCA3


SUR LA. SANCTION ROYALE (suite).


La discussion fut close le 41 septembre.
L'Assemblée adopta., à la majorité de 673 voix
centre :325, le t'el° suspensif, l'unité du pou-
voir législatif et sa permanence


de
elle décréta,


par la même loi, que la durée chaque lé-
gislature serait de deux ans, et que le renon-.
Tellement s'effectuerait en entier.


L'Assemblée avait demandé au roi de revê-
tir de la sanction les arrêtés du 4 août.
Louis X. v I, au lieu de les sanctionner, fit sur
ces arrêtés des observations qu'il invita l'As-
semblée de prendre en considération.


M. Chapelier proposait, pour éviter toute
équivoque, de décider à. l'instant quels seraient
les termes et la forme de la sanction, et d'en-
voyer le président auprès du roi pour la de-
mander sans délai, et de ne pas désemparer
qu'il ne l'eût obtenue.




— 4


Mirabeau prit la parole pour appuyer Cette
motion :


Revenir sur les articles du 4, est un acte
également irrégulier, impolitique et impossi-
ble. Examiner si l'on n'aurait pas dù, comme
on le pouvait incontestablement, se dispenser
de les porter à la sanction, serait superflu,
puisqu'ils y ont été portés. Cherchons donc le
parti qui nous reste à prendre.


lci,je me vois contraint de faire une re-
marque que la nature des circonstances pu-
bliques rend très délicate, mais que la rapidité
de notre marche, et l'hésitation du gouverne-
ment rendent encore plus nécessaire. Depuis
que les grandes questions de la constitution
s'agitent, nous avons montré à l'envi la
crainte d'ajouter à la fermentation des esprits,
ou seulement de la nourrir par l'énonciation
de quelques principes évidents de leur nature,
mais nouveaux pour des Français dans leur
application ; et par cela même qu'en ma-
tière de constitution on peut les regarder
comme des axiomes, nous avons cru pouvoir
nous dispenser de les consacrer.


Ces considérations étaient dignes de votre
sagesse et de votre patriotisme. Mais si au
lieu de nous savoir gré de notre respect re-
ligieux, on en conclut, contre les principes
Aue nous avons voulu taire, et non dissimuler,
a-t-on bien calculé combien on provoquait
notre honneur et le sentiment de nos devoirs
à rompre le silence ?


Nous avons pensé pour la plupart que
l'examen du pouvoir constituant dans ses


_ 5
rapports avec le prince, était superflu au fond
et dangereux dans les circonstances ; mais cet
examen n'est superflu qu'autant que nous
reconnaissons tous, tacitement du moins, les
droits illimités du pouvoir constituant. S'ils
sont contestés, la discussion en devient né-
cessaire, et le danger serait surtout dans l'in
décision.


Nous ne sommes point des sauvages, arri
vant nus des bords de l'Orénoque pour former
une société. Nous sommes une nation vieille,
et sans doute trop vieille pour notre époque.
Nous avons un gouvernement préexistant, un
roi préexistant, des préjugés préexistants : il
faut, autant qu'il est possible, assortir toutes
ces choses à la révolution, et sauver la sou-
daineté du passage. Il le faut jusqu'à ce qu'il
résulte de cette tolérance une violation prati-
que des principes de la liberté nationale, une
dissonance absolue dans l'ordre social. Mais
si l'ancien ordre de choses et le nouveau
laissent une lacune, il faut franchir le pas,
lever le voile et marcher.


Aucun de nous, sans doute, ne veut allu-
mer l'incendie dont les matériaux sont no-
toirement prêts d'une extrémité du royaume
à l'autre. Le rapprochement où la nécessité
des affaires suffit pour nous contenir res-
semble certainement plus à la concorde que
l'état de situation de nos provinces, qui, au
poids de nos propres inquiétudes, et des dan-
gers de la chose publique, mêlent le senti-
ment de leurs propres maux , la triste in-
fluence de leurs divisions particulières et les
difficultés de leurs intérêts partiels. Traitons




_ 6 —
donc entre nous; abjurons ces réticences, ces
suppositions notoirement fausses , ces locu-
tions manifestement perfides)


qui nous don-
nent à tous la physionomie du mensonge et
l'accent des conspirateurs. Parlons clairement ;
posons et discutons nos prétentions et nos
doutes; disons, osons-nous dire mutuelle-
ment : — Je veux aller jusque-là; je n'irai pas
plus loin : —vous n'avez droit d'aller que jus-


et je ne souffrirai pas que vous outre-
passiez votre droit. Ayons la bonne foi de te-
nir ce langage, et nous serons bientôt d'ac-
cord. Mars est le tyran, mais le droit est le
souverain du inonde. Débattons, sinon frater-
nellement, du moins paisiblement; ne nous
défions pas de l'empire de la vérité et de la
raison : elles finiront par dompter, ou, ce qui
vaut mieux, par modérer l'espèce humaine,
et gouverner tous les gouvernements de la
terre.


Mais, messieurs, si nous substituons l'i-
rascibilité de l'amour-propre à l'énergie du
patriotisme, les méfiances à la discussion, de
petites passions haineuses, des réminiscences
rancunières à des débats réguliers et vérita-
blement faits pour nous éclairer, nous ne
sommes que d'égoïstes prévaricateurs, et c'est
vers la dissolution, et non vers la Constitu-
tion que nous conduisons la monarchie, dont
les intérêts suprêmes nous ont été confiés
pour son malheur...


Du moment qu'il s'agit de maximes cons-
titutionnelles, le roi n'a plus le droit de s'op-
poser à leur déclaration...


J'appuie donc la motion de M. Chapelier, et


— —


3e demande que notre président reçoive l'or-
dre de se retirer de nouveau auprès du roi,
pour lui déclarer que nous attendons, séance
tenante, la promulgation de nos arrêtés.


Dans une circonstance qui ne tarda pas à se
présenter, Mirabeau eut encore occasion d'a
chever l'exposé de sa pensée sur ce point, et
de bien montrer la rigueur des principes en
regard de ce qu'il croyait devoir etre concédé
aux circonstances.


Enfin , un incident antérieur de quelquejours lui avait fourni l'occasion de s'expliquer
d'une manière très nette et très explicite sur
les droits de la nation, en face de l'hérédité
du trône et de l'ordre de succession.


Deux députés s'avisèrent de demander dans
la séance du 15 septembre si, en cas d'extinc-
tion de la branche aînée des Bourbons, ceux
de la branche de cette royauté en Espagne,
-pourraient régner en France, nonobstant les
enonciations expresses contenues dans le traité
d'Utrecht.


Plusieurs membres demandèrent la ques-
tion préalable sur cette proposition.


Mirabeau se contenta de réclamer l'ajourne-
ment :


Nos liaisons politiques, considérées soustous
les rapports, nous imposent aujourd'hui un
respect presque superstitieux; mais il n'en fau-
dra pas moins décider bientôt si le mot pacte
de famille ne doit pas être changé en celui de
pacte national. Les nations ne sont pas liées
par de semblables actes; sous ce rapport, la
question présentée est très intéresSeui,s,
'elle doit être ajournée.




_ 8 _


L'Assemblée n'adopta pas cet avis; elle dé-
cida qu'il n'y avait pas lieu à délibérer.


Alors Mirabeau fit remarquer « qu'il exis-
tait une question d'une suprême importance,
qu'il était à propos de décider, avant de dé-
clarer l'inviolabilité de la personne du roi, que
nul ne peut exercer la régence qu'un homme
né en France. »


La discussion s'engagea de nouveau. M. Mor-
temar niait l'existence de la clause du traité
d'Utrecht portant renonciation de la part de
la maison d'Espagne, et il assurait qu'il s'a-
gissait seulement, dans ce traité, d'une con-
vention qui établissait que les deux couronnes
ne pourraient être réunies sur la même tète.


Mirabeau s'écria :


Je rappelle à l'ordre l'opinant : son asser-
tion est profondément fausse ; elle insulte no-
tre droit public; elle blesse la dignité natio-
nale ; elle tend à faire croire que des individus
peuvent reléguer des nations comme de vils
troupeaux.


Après un long débat , la question éludée
dans le décret qui déclarant « c( mue prin-
cipe fondamental de la monarch e franeaise
que la personne du roi est inviolable et sabrée,
que le trône est indivisible, que la couronne
est héréditaire dans la race regnante de mâle
en mâle à l'exclusion perpetuelle des femmes
et de leurs descendants, » se terminait par
cette phrase évasive : « Sans entendre rien pré-
luger sur l'effet des renonciations.»


Ce ne fut pas sans la plus vive opposition
de la part. de Mirabeau que l'Assemblee éluda
une solution qu'il fallait prononcer :


Il me paraît indigne d'une grande assena*


_ 9 --


blée de biaiser sur une question de cette im-
portance... Il importe au contraire qu'elle soit
jugée, non sur des diplômes des renoncia-
tions, des traités, mais d'après l'intérêt natio
nal. En effet, si on pouvait s'abaisser à consi-
dérer cette cause en droit positif, on verrait
bientôt que le procureur le plus renommé par
sa mauvaise foi n'oserait pas la soutenircontre
la nrancne de France, ni vous en refuser le ju-
gement, que le monarque le plus asiatique
qui ait régné sur la France vous a renvoyé
lui-même. »


Interrompu avec violence, Mirabeau s'écria :


Je ne sais comment nous concilie rons ce
tendre respect que nous portons au monarque
honoré parmi nous du titre de restaurateur de'
la liberté, avec cette superstitieuse idolâtrie
pour le gouvernement de Louis XIV, qui en
est le principal destructeur.




— 10 —


SUR LA CONTRIBUTIO:( DU QUART DES RETENU&


La crise financière devenait de plus en plu..
grave ; les emprunts n'avaient pas eu de suc-
cès; le recouvrement des impôts manquait
presque partout, et ne pouvait plus être réta-
bli, que quand l'Assemblée en aurait rajeuni
et regéneré les sources. Pour remédier à la
situation désastreuse des finances, Necker
avait proposé d'imposer une con!ribulion pa-
triotique du quart des revenus. De nombreu-
ses opinions s'élevaient contre ce plan ; mais
le comité, rapporteur de PAssembiee , se fon-
dant surtout sur la nécessité impérieuse des
circonstances, en proposait l'adoption. Mira-
beau parla dans ce sens, et son talent
s'éleva à une hauteur qu'il n'avait peut-être
pas encore atteint. Il prit une p


•emiere fois la
parole dans la séance du 24 septembre. Insis-
tant simplement sur ce que l'Assemblée,
n'ayant, dans la fatalité des circonstances, le
temps ni d'examiner le plan du ministre ni
d'en proposer un autre, n'avait pas le choix
du parti à prendre :


Acceptez ces propositions sans les garantir,
puisque vous n'avez pas le temps de les juger;
acceptez-les de confiance dans le ministre, et
croyez qu'en lui déférant cette espece de dic-
tature provisoire, vous remplissez vos devoirs
de citoyens et de représentants de la nation.


M. Necker réussira. et nous bénirons ses


— 11
succès, que nous aurons d'autant mieux pré-
parés, que notre déférence aura été plus
entière, et notre confiance plus docile. Que si,
ce qu'à Dieu ne plaise, le premier ministre des
finances échouait dans sa pénible entreprise,
le vaisseau public recevrait sari doute une
grande secousse sur l'écueil on son pilote
ehéri l'aurait laissé toucher; mais ce heurte-
ment ne nous découragerait pas; vous seriez
là, messieurs; votre crédit serait intact, la
chose publique resterait tout entière.


Ce discours était b. peine fini, que toute l'as-
semblée se leva pour témoigner son approba-
tion. Elle était sur le point de délibérer par
acclamation lorsque le président proposa la
rédaction suivante :


L'Assemblée nationale, vu l'urgence des
» circonstances, décrète un secours extraordi-
» paire du quart des revenus de chaque ci-


toyen, et renvoie pour le mode au pouvoir
» exécutif.


Mais Mirabeau, redoutant un aussi prompt
enthousiasme, veut en prévenir les dangers;
il reprend :


En énonçant mon avis, je n'ai point entendu,
messieurs, rédiger ma proposition en décret.
Un décret d'une importance aussi majeure ne
peut être imaginé et rédigé au milieu du tu-
multe. J'observe que le décret, tel qu'il vient
de vous être proposé, ne peut pas être le mien,
et je désapprouve la sécheresse de ces mots :
Renvoi Ce molli au trciitia(re. Encore if13 fois,
messieurs, la confiance illimitée de la nation
dans ce ministre justifiera la vôtre; mais il




!•4


— 12 —
faut que l'émanation du décret que vous avez
à prononcer à ce sujet soit expressément pro-
voquée par le ministre. Je vois encore un nou-
vel inconvénient dans la rédaction de ce dé-
cret : il faut bien se garder de laisser croire
au peuple que la perception et l'emploi de la
charge que vous allez consentir ne sera ni
sûre ni administrée par ses représentants. En
demandant, messieurs, que votre délibération
soit prise sans aucun délai, je demande aussi
que la rédaction du décret soit milrement ré-
fléchie, et je me retirerai de l'Assemblée pour
me livrer à ce travail si vous me l'ordonnez.


Toute l'Assemblée l'engagea à sortir pour
cet objet, et il sortit; il rapporta bientôt le
projet de décret que voici :


• L'Assemblée nationale, délibérant sur le
• discours lu par le premier ministre des fi-
» nances à la séance du 24, après avoir en-
* tendu le rapport du comité des finances.
• frappée de l'urgence des besoins de l'Etat
• et de l'impossibilité d'y pourvoir assez
• promptement, si elle se livre à un examen
• approfondi et détaillé des propositions con-
• tenues dans ce discours ; considérant que la
» confiance sans bornes que la nation entière
• a témoignée à ce ministre l'autorise et lui
• impose en quelque sorte l'obligation de s'a-
» bandonner entièrement à son expérience et
• à ses lumières, a décrété et décrète d'adop-
• ter textuellement les propositions du pre-
• nier ministre des finances, relatives aux


mesures à prendre actuellement pour sub-
• venir aux besoins instants du trésor public,



13 —




et pour donner les moyens d'atteindre à ré-
. poque où l'équilibre entre les revenus et les


dépenses pourra être rétabli d'après un plan


général et complet d'imposition, de percep-


tion et de dépenses; autorise en conséquence


le premier ministre des finances à lui sou-
» mettre les projets d'ordonnances nécessaires


à l'exécution de ces mesures, pour recevoir


l'approbation de l'Assemblée, et être ensuite


présentés à la sanction royale. •


Ce projet souleva de violentes attaques; en-
tre autres imputations contradictoires, on lui
reprocha de vouloir selon les uns flatter, se-
lon les autres compromettre le ministre. Mi-
rabeau répliqua :


ri me semble que j'ai rarement été inculpé
de flagornerie. Lorsque, dans l'arrêté dont
l'Assemblée m'a chargé de lui présenter le
projet, j'ai rappelé la confiance sans bornes
que la nation a montrée au premier ministre
des finances, c'est un fait que j'ai raconté; ce
n'est pas un éloge que j'ai donné. Je me suis
rigoureusement conformé à l'esprit de la dé-
'cision que l'Assemblée nationale paraissait
adopter; je veux dire l'acceptation de con-
fiance d'un plan que les circonstances ne nous
laissaient pas le loisir d'examiner, et la dé-
claration que cette confiance dans le ministre
nous paraissait autorisée par celle que lui
avaient montrée nos commettants.


Lorsque je me suis retiré pour préparer ce
que l'Assemblée avait bien voulu me charger
de rédiger, on n beaucoup dit que j'allais rap-
porter de l'éloquence, et non un décret: lorsque




— 14 —
Je reviens, on accuse mon projet de


séche-resse, de malveillance. Les amis du minis-tre insinuent que je veux le compromettre ensauvant de toute responsabilité, dans une oc-casion si délicate, l'Assemblée nationale; d'un
autre côté, on semble croire que je veux faire
manquer les mesures du gouvernement enspécifiant dans le décret de l 'Assemblée qu'elle
accepte le plan du ministre de confiance en
l'homme et sans discuter son projet.


La vérité ne se trouve jamais qu'au milieudes assertions exagérées; mais s'il ast difficilede répondre à des imputations contradictoires,il me sera très facile de mettre à leur aise
ceux qui font de grands efforts pour tâcher deme deviner.


Je n'ai point l
'honneur d'être l'ami du pre-


mier ministre des finances; mais je serais son
ami le plus tendre, que, citoyen avant tout
et représentant de la nation, je n'hésiteraispas un instant à le compromettre plutôt quel
'Assemblée nationale. Ainsi l'on m'a deviné,


ou plutôt on m'a entendu ; car je
n'ai jamaisprétendu me cacher. Je ne vois pas, en effet,


que le crédit de "Assemblée
nationale doiveêtre mis en balance avec celui du premier


ministre des finances; je ne crois pas que le
salut de la monarchie doive être attaché à la
tête d'un mortel quelconque ; je ne crois


pasque le royaume fût en péril quand 111.
Neckerse serait trompé, et je crois que le salut


pu-blic serait très compromis si une
ressourcevraiment nationale avait avorté, si l'Assem-blée avait perdu son crédit et manqué une


opération décisive.


16
Il tag done, à mon avis, que nous autori-


sions une mesure profondément nécessaire, à
laquelle nous n'avons, quant à présent, rien à
substituer ; il ne faut pas que nous l'épousions,
que nous en fassions notre oeuvre propre,
quand nous n'avons pas le temps de la ju-
ger.


Mais de ce qu'il me paraîtrait profondément
impolitique de nous rendre les garants des
succès de M. Necker, il ne s'ensuit pas qu'il
ne faille, à mou sens, seconder son projet de
toutes nos forces, et tâcher de lui rallier tous
les esprits et tous les coeurs.


Forcé de choisir en un instant pour la pa,
trie, je choisis le plan que, de confiance pour
son auteur, elle préférerait elle-même, et je
conseille à l'Assemblée nationale de prendre
le parti qui me paraît devoir inspirer à la na-
tion le plus de confiance sans compromettre
ses véritables ressources.


La discussion continue : les débats se pas-
sionnent; de tous les côtés de la salle on ré-
clame la parole. Mirabeau parvient encore à
l'obtenir, il l'amène le silence par le discours
suivant :


Messieurs, au milieu de tant de débats tu-
multueux, ne pourrai-je donc pas ramener à
la délibération du jour par un petit nombre
de questions bien simples?


Daignez, messieurs, daignez me répondre!
Le premier ministre des finances ne vous


a-t-il pas offert le tableau le plus effrayant de
notre situation actuelle?


Ne vous a-t-il pas dit que tout délai aggra-




— 16 —
vait le péril? Qu'un jour, une heure, un ins-
tant pouvaient le rendre mortel ?


Avons-nous un plan à substituer à Celui qu'il
nous propose?


(Oui, s'écria quelqu'un dans l'assemblée.Je conjure celui qui a dit oui de considé-
rer que son plan n'est pas connu; qu'il faut
du temps pour le développer, l 'examiner, ledémontrer ; que, fût-il immédiatement sou-
mis à notre délibération, son auteur a pu se
tromper; que, exempt de toute erreur,
on peut croire qu'il s'est trompé ; que quand
tout le monde a tort, tout le monde a raison;
qu'il se pourrait donc que l'auteur de cet au
tre projet, même en ayant raison, eût tort
contre tout le monde, puisque, sans l'assenti-
ment de l'opinion publique, le plus grand ta-lent ne saurait triompher des circonstances...Et moi aussi, je ne crois pas les moyens de
M. Necker les meilleurs possibles; mais le ciel
me préserve, dans une situation si critique,d'opposer les miens aux siens! Vainement, jeles tiendrais pour préférables; on ne rivalisepas en un instant une popularité prodigieuse,
conquise par des services éclatants, une lon-
gue expérience, la réputation du premier fi-
nancier connu, et, s'il faut tout dire, des ha-
sards, une destinée telle qu'elle n'échut en
partage à aucun autre mortel.


Il faut donc en revenir au plan delf. Necker.Mais avons-nous le temps de l 'examiner, de
sonder ses bases, de vérifier ses calculs? Non,-
non, mille fois non. D'insignifiantes questions,
des conjectures hasardées, des tâtonnementsinfidéles, voilà tout ce oui dans ce moment, est


-- 17
en notre pouvoir. Qu'allons-nous done faire
par la délibération? Manquer le moment déci-
sif, acharner notre amour-propre à changer
quelque chose à un ensemble que nous n'a-
vons pas même conçu, et diminuer par notre
intervention indiscrète l'influence d'un minis-
tre dont le crédit financier est et doit être
plus grand que le nôtre.


Messieurs, certainement il n'y a là ni sa-
gesse ni prévoyance, mais du moins y a-t-il
de la bonne foi?...


Ohlsi des déclarations moins solennelles ne
garantissaient pas notre respect pour la foi
publique, notre horreur pour l'infâme mot de
banqueroute, j'oserais scruter les motifs se-
crets, et peut-être, hélas! ignorés de nous-
mêmes, qui nous font si imprudemment recu-
ler au moment de proclamer l'acte d'un grand
dévouement, certainement inefficace, s'il n'est
pas rapide et vraiment abandonné. Je dirais à
ceux qui se familiarisent peut-être avec l'idée
de manquer aux engagements publics, par la
crainte de l'excès des sacrifices, par la terreur
de l'impôt, qu'est-ce donc que la banqueroute,
si ce n'est le plus cruel, le plus inique, le plus
inégal, le plus désastreux des impôts ?... Mes
amis, écoutez un mot, un seul mot.


Deux siécles de déprédations et de brigan-
dages ont creusé le gouffre où le royaume est
près de s'engloutir. Il faut le combler ce gouf<
fre effroyable! eh bien, voici la liste des pro-
priétaires français. Choisissez parmi les plus
riches, afin de sacrifier moins de citoyens;
mais choisissez; car ne faut-il pas qu'un petit
nombre périsse pour sauver la masse du




nn 01 n.
peuple? Allons, ces deux mille notables poeskient de quoi combler le déficit. Ramenezl'ordre dans vos fin ances, la paix et la pros,périté dans le royau m e...


Frappez, im molez sanspitié ces tristes victimes! précipitez-les
dansl'abîme! il va se refermer... vous reculezd'horreur... Hommes inconséquents ! hommespusillanimes! Eh ! ne voyez-vous donc
pasqu'en décrétant la banqueroute, ou, ee qui estplus odieux e


ncore, en la rendant inévitablesans la décréter,
vous vous souillez d'un actemille fois plus criminel, et chose inconce-vable, gratuitement criminel, car enfin cethorrible sacrifice ferait du moins


disparaîtrele déficit. Niais croyez-vous, parce que vous n'a-
vez pas payé, que vous ne devrez plus


rien?Croyez-vous que les milliers, les millionsd'hommes qui perdront en un instant, parl'explosion terrible ou par ses contre-coups,
tout ce qui faisait la


consolation de leur vie,et p
eut-être leur unique moyen de la subs-


votre crime ?
t
enter, vo.is laisseront paisiblement jouir de
Contemplateurs stoïques des maux


incalcu-lables que cette catastrophe vomira sur laFrance, impassibles égoïstes qui pensez queces convulsions du désespoir et de la misèrepasseront commune tant d
'autres, et d'alitantplus rapidement qu'elles seront plus


viol entes,êtes-vous bien sers que tant d'hommes sanspain vo US laisseront tranq u ill (cillent sa vourerlesmets dont vo ms n'aurez voulu d iminuer ni lenombre ni la délicat
esse?... Non, vous périrez,


'a dans la conflagration
universelle que vous£te frémissez pas d'allumer,


la perte de votre


i9
honneur ne sauvera pas une seule de vos dé-
testables jouissances.


Voilà oh nous marchons... J'entends parler
de patriotisme, d'élans de patriotisme, d'évo-
cation de patriotisme. Ah! ne prostituez pas
ces mots de patrie et de patriotisme. Il est
donc bien magnanime l'effort de donner une
portion de son revenu pour sauver tout ce
qu'on possède ! Eh! messieurs, ce n'est là que
de la simple arithmétique, et celui qui hésitera
ne peut désarmer l'indignation que par le mé-
pris que doit inspirer sa stupidité. Oui, mes-
sieurs, c'est la prudence la plus ordinaire, la
sagesse la plus triviale, c'est votre intérêt le
plus grossier que j'invoque. Je ne vous dis
plus, comme autrefois : donnerez-vous les pre-
miers aux nations le spectacle d'un peuple
assemblé pour manquer à la foi publique ? Je
ne vous dis plus: eh! quels titres avez-vous à
la liberté, quels moyens vous resteront pour
la maintenir si, dès votre premier pas, vous
surpassez les turpitudes des gouvernements
les plus corrompus, si le besoin de votre con-
tours et de votre surveillance n'est pas le ga-
rant de votre Constitution ? Je vous dis : Vous
serez tous entraînés dans la ruine universelle,
et les premiers intéressés au sacrifice que
le gouvernement vous demande, c'est vous-
m êmes.


Votez donc ce subside extraordinaire, et
puisse-t-il être suffisant! Votez-le, parce que,
si vous avez des doutes sur les moyens (doutes
vagues et non éclairés), vous n'en avez pas
sur sa nécessité et sur notre impuissance à le
remplacer, immédiatement du moins. Votez-




— 20 —
le, parce que les circonstances publiques nesouffrent aucun retard et que nous


serionscomptables de tout délai. Gardez - vous de
demander du temps; le malheur n'en accordejamais... th! messieurs, à propos d'une ridi-
cule motion du Palais-Royal, d'une risible in-surrection qui n'eut j


amais d importance quedans les imaginations faibles ou les desseins
pervers de quelques hommes de


mauvaise foi,vous avez entendu naguère ces mots force-nés :
Catilina est aux portes de flouze et l'ondélibère! Et certes, il n'y


avait autour de nousni Catilina, ni périls,
ni factions, ni Rome .....Mais aujourd'hui la banqueroute, la hideusebanqueroute est là; elle menace de consumer,


.


vous, vos


I ...
propriétés,


votre honneur, et vousdélibér z


11 est impossible de peindre l'effet que cediscours produisit; c'était plus que de l'en-thousiasme, c'était de l
'ivresse; et le décretpassa à l'unanimité.


— 21 —


EOR LA LOI IIMITIALK


Nous ne raconterons point les journées des 5
et 6 octobre, ni les fâcheux désordres qui les
avaient précédées et qui les suivirent. En pré-
sence de ces tumultes de la rue, Mirabeau, le
14 octobre, apporta à la tribune un projet de
loi martiale contre les attroupements :


Cette loi, dit-il, est imitée, mais non copiée de
celle des Anglais. Ceux qui connaissent le riot art
en sentiront la différence. Je ne confie le pou-
voir militaire qu'à des magistrats élus par le
peuple, et dans la plus grande partie de l'An-
gleterre, dans toutes les villes qui n'ont pas
de corporations, les magistrats sont nommés
par le roi. Je propose encore une autre pré-
caution bien adaptée à un gouvernement qui
respecte le peuple et la liberté : c'est de don-
ner aux mécontents attroupés un moyen légal
de faire entendre leurs plaintes et de deman-
der le redressement de leurs griefs.


Mirabeau, après ce court préambule, donne
lecture (lu projet de loi.


L'emploi de la force militaire n'est autorisé
qu'a la réquisition et en présence de deux of-
ficiers municipaux pour le moins, « lesquels
commenceront par taire faire lecture, à haute
et intelligible voix, de la présente loi mar-






-- 24 --
liens la partie consom


matrice a la partie pr.ductive, c'est-à-dire à la partie vraiment in.téressante de la nation, des lois pareilles sonnon-seulement utiles mais indispensables
.Assez longtemps une éducation vicieuseou négligée a dénaturé en nous les notions dujuste et de l'injuste, et relâché les liens quiunissent le fils à


son pére, nous a accoutumésà ne rien respecter de ce qui est respectable.Assez long
temps une administration, dirai-jecorrompue ou corruptrice ? a couvert de sonindulgence des écarts qu'elle faisait


naître,pour qu'on n
'aperçût pas les siens propres.Retournons à


ce qui est droit, à ce qui esthonnête; ouvrons aux générations qui vontsuivre une carrière nouvelle de sagesse dansla conduite, d'union dans les familles, de res-pect pour la foi donnée.
La proposition fut accueillie en principe,sauf ce qui concernait l 'exclusion des enfantsnon l ibérés. La Rochefoucault


objectait enleur faveur que « c'est sans doute un beausentiment de la part d'fa.
lais


d'acquitter lesdettes d'un père, mais ilt
ser à laà conseiller ce qui est honnête; les lois vertudoi-Mirabeau insista :


vent se borner a prescrire ce qui est juste. »
On a parlé de l


'exclusion des enfants comme
d'une peine infamante, tandis qu'elle n'est
point une flétrissure, mais une simple


précau-tion, très sage et très politique. On prétendqu'elle est co
ntraire au droit public et au droitdes ho


mmes, et l'on convient cependant qu'elle
est morale et nue dans


ses motifs. Certes, je


-- 25 --
ne saurais comprendre comment une loi mo-
rale est contraire au droit public et à celui des
.hommes.


La morale est une, pour les grands Etats
comme pour les petits, pour les commercants
comme pour les agriculteurs. 11 importe au
commerce qu'un père pervers ne laisse, par
des arrangements frauduleux , une fortune
considérable à ses enfants. Il importe aux
mœurs qu'il se forme un grand esprit de fa-
mille, une solidarité de la foi publique et de
la foi privée. Il importe à la société que la ré-
putation des pères puisse devenir celle des
enfants. C'est une loi de famille, a-t-on dit; et
à. quoi devons-nous donc aspirer qu'à faire
une grande famille?


Les vues morales ne doivent-elles pas tou-
jours diriger le législateur? La loi que je vous
propose est une loi politique ; elle a plus de
latitude qu'une loi purement civile ; et il est
convenable d'exiger pour la représentation
politique quelque chose de plus que cette pro-
bité vulgaire qui suffit pour échapper aux
tribunaux.






— 28 —
trop longtemps, par des punitions arbitrai
ni laisser sans frein, comme il arrive a
quand les lois sont trop rigoureuses. Qu'cl
imagine combien, dans l'âge de l'émulatio l
la terreur d'une exclusion publique agira]
avec énergie, et comment elle ferait de l'édJ
cation le premier intérêt des familles. Si
punition qui résulterait de ce retard parai4
sait un jour trop sévère, ce serait une grana
preuve de la bonté de notre constitution pc
'digue : vous auriez rendu l'état de citoyen
honorable, qu'il serait devenu la première dt
ambitions.


Je n'ai pas besoin d'ajouter qu'il sera née
saire de donner à cette adoption de la pa
une grande solennité; mais je le dirai : v0
les fêtes qui conviennent désormais à un pe
pie libre ; voilà les cérémonies patriotiques,
par conséquent religieuses, qui doivent ra
peler aux hommes d'une manière éclatan
leurs droits et leurs devoirs; tout y parle
d'égalité : toutes les distinctions s'effacera
devant le caractère de citoyen; on ne ve
que les lois et la patrie. Je désirerais que
serment, rendu plus auguste par un grau
concours de témoins, fût le seul auquel
citoyen Français pût être appelé; il embras
tout : et en demander un autre, lest sup
ser un parjure.


— 29 —


SCA LA PROPRIÉTÉ DES BIENS ECCLÉSIASTIQUES


Le IO octobre, l'évêque d'Autun démontra
lue le clergé, encore si opulent . au milieu de
la détresse de l'Etat; que le clergé, enrichi
depuis des siècles par des donations sans
nombre, et même par ses propres emprunts,
n'était pas propriétaire, mais seulement usu-
fruitier; il conclut en proposant de remettre
l'ordre dans les finances de l'Etat en lui at-
tribuant la totalité des bénéfices usufruitiers
et des biens des communautés religieuses à
supprimer, ainsi que la partie vraiment abu-
sive des revenus des titulaires. Mirabeau ap-
puya ce projet. Il prit pour le . soutenir la pa-
role dans la séance du 30 octobre.


Mirabeau envisage surtout la question au
point de vue du droit et de la justice :


Messieurs, lorsqu'une grande nation est as-
semblée, et qu'elle examine une question qui
intéresse une grande partie de ses membres,
une classe entière de la société et une classe
infiniment respectable; lorsque cette question
parait tenir tout à la fois aux régies inviola-
bles de la propriété, au culte public, à l'ordre
politique et aux premiers fondements de l'or-
dre social, il importe de la traiter avec une
religieuse lenteur, de la discuter avec une
scrupuleuse sagesse, de la considérer surtout
Pour s'exempter même du soupçon d'erreur,
sous ses rapports les plus étendus.




— 30 —
La question de la propriété des biens du


clergé est certainement de ce nombre. Une
foule de membres l'ont déjà discutée avec une
solennité digne de son importance : jo ne
crois pas cependant qu'elle soit encore épui-
sée.


Les uns ne l'ont considérée que relative-
ment à l'intérêt public; mais ce motif, quel-
que grand qu'il puisse être, ne suffirait pas
pour décréter que les biens du clergé appar-
tiennent à la nation, si l'on devait par là vio-
ler les propriétés d'une grande partie de ses
membres : on vous a dit qu'il n'y a d'utile que
ce qui est juste, et certainement nom admet-
tons tous ce principe.


Les autres ont parlé de l'influence qu'au-
rait sur le crédit public le décret qui vous aété proposé, de l 'immense hypothèque qu'il
offrirait aux créanciers de l'État, de la con-
fiance qu'il ressusciterait dans un moment où
elle semble se dérober chaque jour à nos


es-pérances ; mais gardez-vous encore, messis urs,
de penser que ce motif fût suffisant, si la dé-
claration qu'on vous propose n'était destinée
qu'à sanctionner une usurpation. Le véritable
crédit n'est que le résultat de tous les genres
de confiance, et nulle confiance ne pourrait
être durable là où la violation d'une seule,
mais d'une immense propriété, menaceraitpar cela seul toutes les autres. Plutôt que de
sauver l'Empire par un tel moyen, j 'aimerais
mieux, quels que soient les dangers qui nous
envir


onnent, me confier uniquement à la Pro-
vidence éternelle qui veille sur les peuples et
sur les rois; aussi n'est-ce pas uniquement


— 31 —
sous ce point de vue que je vais envisager la
même question.


Ceux-ci ne l'ont traitée que dans ses rapports
avec les corps politiques, que la loi seule fait
naître, que la loi seule détruit, et qui, liés
par cela même à toutes les vicissitudes de la
législation, ne peuvent avoir des propriétés
assurées lorsque leur existence même ne l'est
pas. Mais cette considération laisse encore in-
certain le point de savoir si, même en dissol-
vant le corps du clergé pour le réduire à ses
premiers éléments, pour n'en former qu'une
collection d'individus et de citoyens, les biens
de l'Église ne peuvent pas être regardés
comme des propriétés particulières.


Ceux-là ont discuté plus directement la
question de la propriété. Mais en observant
que celui qui possède à ce titre a le droit de
disposer et de transmettre, tandis qu'aucun
ecclésiastique ne peut vendre; que le clergé,
même en corps, ne peut aliéner, et que si des
individus possèdent des richesses, nul d'entre
eux, du moins dans l'ordre des lois, n'a le
droit. d'en hériter, ils n'ont peut-être pas senti
que le principe qui met toutes les propriétés
sous la sauvegarde de la foi publique doit s'é-
tendre à tout ce dont un citoyen a le droit de
jouir, et que, sous ce rapport, la possession
est aussi un droit., et la jouissance, une pro-
priété sociale


En tin,d'autres ont discutéles mêmes questions
en distinguant différentes classes de biens
ecclésiastiques ; ils ont tâché de montrer qu'il
n'est aucune espèce de ces biens à laquelle le
nom de propriété puisse convenir; mais ils




32 .11110
n'ont peut: être pas assez examiné si les fon-
dations ne devaient pas continuer d'exister;
par cela seul que ce sont des fondations, et
qu'en suivant les règles de nos lois civiles,
leurs auteurs ont pu librement disposer de
leur fortune et faire des lois dans l'avenir.


C'est, messieurs, sous ce dernier rapport
que je traiterai la même question. On vous a
déjà cité sur cette matière l'opinion d'un des
plus grands hommes d'État qu'aient produits
les temps modernes : Je ne puis ni l'approu-
ver entièrement, ni la combattre; mais je
crois devoir commencer par la rappeler.


Il n'y a aucun doute, disait-il, sur le droit
incontestable qu'ont le gouvernement dans
l'ordre civil, le gouvernement et l'église dans
l'ordre de la religion, de disposer des fonda-
tions anciennes, d'en diriger les fonds à de
nouveaux objets, ou, mieux encore , de les
supprimer tout à fait. L'utilité publique est le.
loi suprême, et ne doit être balancée, ni par
un respect superstitieux pour ce qu'on appelle
intention des fondateurs, comme si des parti-
culiers ignorants et bornés avaient eu le droit
d'enchaîner à leur volonté capricieuse les
générations qui n'étaient point encore, ni par
la crainte de blesser les droits prétendus de
certains corps, comme si les corps particuliers
avaient quelque droit vis-à-vis de l'État. Les
citoyens ont des droits et des droits sacrés
pour le corps même de la société ; ils existent
indépendamment d'elle, ils en sont les élé-
ments nécessaires, et ils n'y entrent que pour
se mettre avec tous les droits sous la protec-
tion de ces mêmes lois, auxquelles ils sacri-


--- 33 --
fient leur liberté. Mais les corps particuliers
n'existent point, ni par eux-mêmes, ni pour
eux; ils ont été formes par la société, et ils
doivent cesser d'être au moment où ils cessent
d'être utiles. Concluons qu'aucun ouvrage des
hommes n'est fait pour l'immortalité. Puisque
les fondations, toujours multipliées par la va-
nité absorberaient à la longue tous les fonds
et toutes les propriétés particulières, il faut
bien qu'on puisse à la fin les détruire : si tous
les hommes qui ont vécu avaient eu un tom-
beau, il aurait bien fallu, pour trouver des
terres à cultiver, renverser ces monuments
stériles et remuer les cendres des morts pour
nourrir les vivants.


Mirabeau distingue trois sortes de fonda-
tions : celles qui ont été faites par les rois.
celles qui sont l'ouvrage des corps et des
agrégations politiques, et celles des simples
particuliers. A l'égard des deux premières, il
n'est aucun doute: ces fondations sont la vé-
ritable propriété de l'État. Mirabeau continue
en remontant aux principes mêmes du droit
de propriété :


Quant aux biens qui dérivent des fondations
faites par de simples particuliers, il est éga-
lement facile de démontrer qu'en se les ap-
propriant, sous la condition inviolable d'en
remplir les charges, la nation ne porte aucune
atteinte au droit de propriété ni à la volonté
des fondateurs, telle qu'il faut la supposer
dans l'ordre des lois.


En effet , messieurs , qu'est-Ce que la pro-
priété en général ? C'est le droit que tous ont


111111813 n0. et DISC.. (I.




-- 35 —
donné à un seul de posséder exclusivement
une chose à laquelle, dans l'état naturel, tous
ava ient un droit égal , et d'après cette
ton générale, qu'est-ce qu'une propriété parti-
culier& C'est un bien acquis en vertu des lois.


Je reviens sur ce principe parce qu'un ho-
norable membre, qui a parlé, il y a quelquesjours, sur la même question, ne l'a peut-être
pas posée aussi exactement que les autres vé-
r5tés dont il a si habilement développé lee
nrincipes et les conséquences. Oui, Messieurs,c
'est la loi seule qui constitue la propriété,


parce qu'il n'y a que la volonté publique qui
puisse opérer la renonciation de tous, et don-
ner un titre comme un garant à la jouissance
d'un seul.


Si l'on se place hors de la loi, que découvre-
t-on?


Ou tous possedent, et dès lors, rien n'étant
propre à un seul, il n'y a point de propriété.Ou il y a usurpation, et l ' usurpation n'estpas un titre.


Ou la possession n'est que physique
et ma-térielle, si l'on peut s'exprimer ainsi, et dans


ce cas, aucune loi ne garantissant une telle
possession, on ne saurait la considérer comme
une .propriété civile.


Telles sont, messieurs, les fondations ecclé-
siastiques. Aucune loi nationale n'a constitué
:le clergé un corps permanent dans l'État;
/tienne loi n'a privé la nation du droit d'exa-
jnioer s'il convient que les m inistres de sa
religion forment une agrégation politique
existant par elle-même, capable d'acquérir
et -de posséder.


--


Or, de lé. naissent encore deux conséquen-
ces :la première, c'est que le clergé, 'in ac-
ceptant ces fondations, a dû s'attendre que la
nation pourrait un jour détruire cette exis-
tence commune et politique, sans laquelle il
ne peut rien posséder; la seconde, c'est que
tout fondateur a diâ prévoir également qu'il
ne pourrait nuire au droit de la nation; que
le clergé pourrait cesser d'être un jour clans
l'État; que la collection des officiers du culte
n'aurait plus alors ni propriété distincte, ni
administration séparée, et qu'ainsi aucune loi
ne garantissait la propriété des fondations
dans la forme précise qu'elles étaient établies.


Prenez garde, messieurs, que si vous n'ad-
mettiez pas ces principes, tous vos décrets
sur les biens de la noblesse, sur la cour ribu-
tion proportionnelle et sur l'abolition de ses
privilèges ne seraient plus que de vaines lois.
Lorsque vous avez cru que vos décrets sur ces
importantes questions ne portaient point at-
teinte au droit de propriété, vous avez été
fondés sur ce que ce nom ne convenait point
à des prérogatives et à des exceptions que la
loi n'avait point sanctionnée ou que l'intérêt
public était forcé de détruire. Or, !es mêmes
principes ne s'appliquent-ils pas aux fonda-
tions particulières de l'Église?


Si vous pensez que les fondateurs, c'est-à-
dire de simples citoyens, en donnant leurs
biens au clergé et le clergé en les recevant
ont pu créer un corps dans l'État, lui donner
la capacité d'acquérir, priver la nation du
droit de la dissoudre, la force d'admettre dans
son sein comme propriétaire un grand corps




— 36 —


qui tant de sources de crédit donnent déjà
tant de puissance, alors respectez la propriété
du clergé ; le décret que je propose y porterait
atteinte.


Mais si, malgré les fondations particuliéres,
a nation est restée dans tous ses droits ; si


vous pouvez déclarer que le clergé n'est pas
un ordre, que le clergé n'est pas un corps, que
le clergé, dans une nation bien organisée, ne
doit pas être propriétaire. Il suit de là que sa
possession n'était que précaire et momenta-
née, que ses biens n'ont jamais été une véri-
table propriété; qu'en les acceptant des fon-
dateurs, c'est pour la religion, les pauvres
et le service des autels qu'il les a reçus :


et
que l'intention de ceux qui ont donné des
biens à l'Eglise ne sera pas trompée, puisqu'ils
•)nt dû prévoir que l'administration de ces
Mens passerait en d'autres mains si la na-
'No l'entrait dans ses droits.


Je pourrais considérer la propriété des biens
ecclésiastiques sous une foule d'autres rap-
ports, si la question n'était pas suffisamment
éclairée.


Je pourrais dire que l'ecclésiastique n'est pas
même usufruitier, maissimplement dispensa-
teur. J'ajouterais, si l'on pouvait prescrire
contre les nations, que les possesseurs de la
plus grande partie des biens de l'Eglise ayant
été depuis un temps immémorial à la nomina-
tion du roi, la nation n'a cessé de conserver,
par son chef, les droits qu'elle a toujours eus
sur la propriété de ces mêmes biens.


Je dirais encore que si les biens de l'Eglise
font consacrés au culte public. les temples et


— 37
tes autels appartiennent à la société, et non
point à leurs ministres; que s'ils sont desti-
nés aux pauvres, les pauvres et leurs maux
appartiennent à rEtat;que s'ils sont employés
à la subsistance des prêtres, toutes les classes
de la société peuvent offrir des ministres au
sacerdoce.


Je remarquerais que tous les membres du
clergé sont des officiers de l'Etat; que le ser-
vice des autels est une fonction publique, et
que la religion appartenant à tous, il faut, par
cela seul, que ses ministres soient à la solde
de la nation, comme le magistrat qui juge au.
nom de la loi, comme le soldat qui défend au
nom de tous des propriétés communes.


Je conclurais de ce principe que, si le cler-
gé n'avait point de revenu, l'Etat serait obligé
d'y suppléer; or, un bien qui ne sert qu'à payer
nos dettes est certainement à nous.


Je conclurais encore que le clergé n'a pu
acquérir des biens qu'à la décharge de l'Etat,
puisqu'en les donnant les fondateurs ont
fait ce qu'à leur place, ce qu'à leur défaut la
nation aurait dû faire.


Je dirais que si les réflexions que je viens
de présenter conviennent parfaitement aux
biens donnés pour les fondateurs, elles doi-
vent s'appliquer, à plus forte raison, aux biens
acquis par les ecclésiastiques eux-mêmes, par
le produit des biens de l'Eglise: le mandataire
ne pouvant acquérir que pour son mandant, et
la violation de la volonté des fondateurs ne
pouvant pas donner des droits plus réels que
cette volonté même.
. referais observer que, quoique le sacerdoce




— 38
parmi nous ne soit point uni à l'empire, la re-
ligion doit cependant se confondre avec lui;
s'il prospère par elle, il est prêt à la dé-
fendre. Eh! que deviendrait la religion si
l'Etat venait à succomber ! Les grandes cala-
mités d'un peuple seraient-elles donc étran-
gères à ces ministres de paix et de charité,
qui demandent tous les jours à 1'Etre suprême
de bénir un peuple fidèle? Le clergé conserve-
rait-il ses biens si l'Etat na pouvait plus dé-
fendre ceux des autres citoyens ? Respecterait-
on ses prétendues propriétés si toutes les au-
tres devaient être violées?


Je dirais : Jamais le corps de marine ne s'est
approprié les vaisseaux que les peuples ont
fait construire pour la défense de l'Etat; ja-
mais, dans nos moeurs actuelles, une armée ne
partagera entre les soldats les pays qu'elle
aura conquis. Serait-il vrai, du clergé seul,
que des conquêtes faites par sa piété sur celle
des fideles doivent lui appartenir et rester in-
violables, au lieu de faire partie du domaine
indivisible de l'Etat?


Enfin, si je voulais envisager une aussi
grande question sous tous les rapports qui la
lient à la nouvelle constitution du royaume,
aux principes de la morale, à ceux de l'écono-
mie politique, j'examinerais d'abord s'il con-
vient au nouvel ordre de choses que nous ve-
nons d'établir que le gouvernement, distribu-
teur (le toutes les richesses ecclésiastiques par
la nirnination des titulaires, conserve par cela
seul les moyens infinis d'action, de corrup-
tion et d'intluence.


Je demanderais si, pour l'intérêt même de la


— 39
religion et de la morale publique, ces deux
bienfaitrices du genre humain, il n'importe
pas qu'une distribution plus égale des biens
de l'Église s'oppose désormais au luxe de ceux
qui ne sont que les dispensateurs des biens
des pauvres, à la licence que ceux de la reli-
gion et la société présentent aux peuples
comme un exemple toujours vivant de la pu-
reté des moeurs.


Mirabeau dit en terminant :


Mon objet n'a point été de montrer que le
clergé dût être dépouillé de ses biens, ni que
d'autres citoyens, ni que des acquéreurs dus-
sent être mis à sa place.


Qu'ai -je donc, messieurs, voulu montrer?
une seule chose : c'est qu'il est et qu'il doit
être de principe que toute nation est seule et
véritable propriétaire des biens de son clergé.
Je ne vous ai demandé que de consacrer ce
principe, parce que ce sont les erreurs ou les
vérités qui perdent ou qui sauvent les nations.


Mirabeau avait préparé un autre grand dis-
cours sur le même sujet, en réplique à l'abbé
Maure, qui devait être prononcé le t novembre;
niais l'Assemblée ne lui laissa pas Je temps de le
prononcer, et vota un décret statuant que tous
les biens ecclésiastiques seraient à la disposi-
tion de la nation, à la charge par elle de pour-
voir d'une manière convenable aux trais du
culte, à l'entretien de ses ministres et au sou-
lagement des pauvres.


d




— 40 —


SUR LA DIVISION DU ROYAUME ET SUR LER
MUNICIPALITÉS


Le projet de loi sur la division du royaume
fournit à Mirabeau l'occasion de compléter ses
idées sur les municipalités et l'administration
provinciale. Il combattit le projet du comité
qui prenait pour base de ces divisions l'éga.-
lité d'étendue superficielle , tandis que
vouait qu'on prît pour règle les convenance*
de lieu et de population. Son plan différait
sensiblement de la loi qui fut adoptée et qui
établit la division encore actuellement exis-
tante de la France en 89 départements, sub-
divisés en cantons et en communes. Il ré-
sume lui-même avec beaucoup de précision
les points essentiels de son système :


Je voudrais une division matérielle et de
fait, propre aux localités, aux circonstances,
et non point une division mathématique
presque idéale, et dont l'exécution me paraît
impraticable.


Je voudrais une division dont l'objet ne
fût pas seulement d'établir une représenta-
tion proportionnelle, mais de rapprocher l'ad-
ministration des hommes et des choses, et
d'y admettre un plus grand concours de ci-
toyens; ce qui augmenterait sur-le-champ les
lumières et les soins, c'est-à-dire la véritable
force et la véritable puissance,


— 4l —
Miradeau revint sur cette question dans la
la séance du 10 novembre en répondant à
M. Thouret qui avait défendu le plan du co-
mité. Nous extrairons de ce second discours
le passage suivant sur le pouvoir municipal :


Quel est donc le principe qui a dirigé le
comité ? Il a voulu distinguer le pouvoir mu-
nicipal du pouvoir national. Selon lui, le pre-
mier n'a trait qu'à l'intérêt privé, le second
est relatif à l'intérêt de tous; mais cette dis-
tinction est inutile.


Les assemblées municipales doivent être
peu nombreuses et permanentes; les assem-
blées électives doivent être générales et mo-
mentanées : ce premier caractère suffirait donc
pour les distinguer, et les pouvoirs munici-
paux et nationaux ne seraient pas confondus,
quand même on n'adopterait pas le plan du
comité; mais cette distinction n'est-elle pas
une vaine subtilité? Ne faut-il pas les mêmes
éléments à. tout l'empire, et le royaume est-il
autre chose qu'une grande municipalité?
Toute municipalité ne doit être désormais que
représentative, plus ou moins nombreuse, des
habitants d'une communauté, comme une as-
semblée de département sera l'assemblée re-
présentative d'un district; et le corps légis-
latif, l'assemblée représentative du royaume.
Accoutumons les citoyens à choisir librement
les organes de leur volonté, et à n'obéir dans
tout ce qui tient à l'administration publique
qu'aux représentants de la volonté générale;
dons par ce principe toutes les parties de cet
empire, et affermissons ainsi les fondements
Le la félicité nationale.




— 42 —


WB L'ÉTABLISSEMENT D'ONE CAISSE NATIONALE Et
L'ADMISSION DES MINISTRES A L'ASSEMBLÉE


La question des finances était toujours à
l'ordre du jour. Le 6 novembre, Mirabeau s'em-
para de cette question et prononça un discours
ayant pour objet une triple motion • to une
demande de blé à faire aux Etats-Unis en
payement des sommes (m'ils doivent a la Fran-
ce; 20


l'établissement d'une caisse nationale;
30


l'admission des ministres à l'Assemblé.)
nationale avec voix consultative.


Mirabeau s'attacha d'abord à l'excessive ra-
reté du numéraire; il en développa les causes,
les inconvénients, les dangers; il s'éleva de
nouveau contre la caisse d'escompte, dont il
avait depuis si longtemps blâmé la gestion, vi-
ciée par des intérêts particuliers qui y predo-
minaient encore, par de fausses combinaisons
dont les conjonctures aggravaient ies résultats.


Après avoir insisté sur la nécessité de pou-
voir aux besoins des subsistances de la capitale
principalement, et sur l'utilité de reco urir pour
cela à l'affection et à la reconnaissance de l'A-
mérique que l'on trouverait empressée de se
libérer d'une dette pécuniaire, et de s'acquitter
ainsi doublement envers une nation à qui elle
doit son .salut et son indépendance politique,
Mirabeau.


montre qu'il importe de prendre-
des mesures spéciales pour rétablir le crédit
public, et il propose l'établissement d'une
caisse nationale, uniquement destin ée à la dette
et dirigée sous fiusneution de la nation.


— 43
Mirabeau demandait ensuite pour mettre un.


terme à des malentendus regrettables entre
les représentants de la nation et les ministres
du roi, que les ministres fussent invités à siéger
à l'Assemblée, et que même on leur donnât
voix consultative dans les délibérations.


Ce dernier point de la motion de Mirabeau
est combattu par plusieurs orateurs. Lanjui-
nais propose le décret suivant : «Les représen-
tants de la nation ne pourront, pendant la lé-
gislature dont ils seront membres, ni pendant
les trois années suivantes, obtenir du pouvoir
exécutif, aucune place, pension, grâce, etc. »
Blin propose au décret de Lanjuinais un
amendement : Aucun membre de rA.s.sem-
blée ne pourra dorénavant passer au mi-
nistère pendant toute la duree de la session
annuelle.


Mirabeau, sentant que, dans ce décret, il en-
trait plus d'envie et d'animosité contre lui que
de souci des principes constitutionnels, repli-
que de la façon suivante, allant avec iule iro-
nie hardie au-devant des calculs de St:, enne-
mis :


La question que l'on vous propose est un.
problème à résoudre. Il ne s'agit que de faire
disparaïtre l'inconnue, et le problème est ré-
solu.


Je ne puis croire que l'auteur de la mo•
tion veuille sérieusement faire décider que
l'élite de la nation ne peut pas renfermer tu,
bon ministre.


Que la confiance accordée par la nation à
un citoyen doit être un titre d'exclusion à la
confiance du monarque;


Que le roi , qui dans des moments diffi-
ciles est venu demander des conseils aux l'e•




— 44
présentants de sa grande famille, ne puisse
prendre le conseil de tel de ces représentants
qu'il voudra choisir;


Qu'en déclarant que tous les citoyens ont
une égale aptitude à tous les emplois, sans
autre distinction que celle des vertus et des
talents, il faille excepter de cette aptitude et
de cette égalité de droit les douze cents
députés honorés du suffrage d'un grand
peuple;


Que l'Assemblée nationale et le ministre
doivent être tellement divisés, tellement op-
posés l'un à l'autre, qu'il faille écarter tous
les moyens qui pourraient établir plus d'inti-
mité, plus de. confiance, plus d'unité dans les
desseins et dans les démarches.


Non, messieurs, je ne crois pas que tel soit
l'objet de la motion, parce qu'il ne sera jamais
en mon pouvoir de croire une chose absurde.


Je ne puis non plus imaginer qu'un des
moyens de salut public parmi nos voisins ne
puisse être qu'une source de maux parmi
nous;


Que nous ne puissions profiter des mêmes
avantages que ies communes anglaises
retirent de la présence de leurs minis-
tres;


Que cette présence ne fùt parmi nous
qu'un instrument de corruption ou une source
de défiance, tandis qu'elle permet au parle-
ment d'Angleterce de connaître à chaque ins-
tant les dessems de la cour, de faire rendre
compte aux agents de l'autorité, de les sur-
veiller , ae ies instruire , de comparer les
moyens avec les projets, et d'établir cette


— 4 5 —
marche uniforme qui surmonte tous les obs-
tacles.


Je ne puis croire non plus que l'on veuille
faire cette injure :


Au ministère de penser que quiconque en
fait partie doit être suspect par cela seul à
l'Assemblée législative ;


A trois ministres déjà pris dans le sein de
cette assemblée, et presque d'après ses sut-
frages, que cet exemple a fait sentir qu'une
pareille promotion serait dangereuse à l'avenir;


A chacun des membres de cette Assem-
blée, que s'il était appelé au ministère, pour
avoir fait son devoir de citoyen, il cesserait de
le remplir par cela seul qu'il serait ministre;


Enfin, à cette Assemblée elle-même,
qu'elle ferait redouter un mauvais ministre,
dans quelque rang qu'il fût placé, et quels que
fussent ses pouvoirs, après la responsabilité
que vous avez établie.


Je me demande d'ailleurs à moi-même :
est-ce un point de constitution que l'on veut
fixer? Le moment n'est point encore venu
d'examiner si les fonctions du ministère sont
incompatibles avec la qualité de représentant
de la nation; et ce n'est pas sans la discuter
avec lenteur qu'une pareille question pourrait
être décidée.


Est-ce une simple règle de police que l'on
veut établir? C'est alors une première loi
à laquelle il faut obéir, celle de nos man-
dats, sans lesquels nul de nous ne serait
ce qu'il est; et sous ce rapport, il faudrait
Peut-être examiner s'il dépend de cette As-
semblée d'établi • motu' cette session une in-


I




— 40 --
compatibilité que les mandats n'ont pas pré-
vue, et. à laquelle aucun député ne s'est sou-
mis.


Voudrait-on défendre à chacun des repré-
sentants de donner sa démission? Notre li-
berté serait violée.


Voudrait-on empêcher celui qui aurait
donné sa démission d'accepter une place dans
le ministère? C'est la liberté du pouvoir
exécutif que l'on voudrait limiter.


Vondrait-on priver les mandants du droit
de réélire le député que le monarque appelle-
rait dans son conseil? Ce n'est point alors une
simple loi de police qu'il s'agit de faire,
c'est un point de constitution qu'il faut éta-
blir.


Je me dis encore à moi-même : Il fut un
moment où l'Assemblée nationale ne voyait
d'autre espoir de salut que dans une promo-
tion de ministres qui, pris dans son sein,
qui désignés en quelque sorte par elle, adop-
teraient ses moeurs et partageraient ses prin-
cipes.


Je me dis : Le ministère sera-t-il toujours
assez bien choisi pour que la nation n'ait
aucun changement à désirer? Fût-il choisi
de cette manière, un tel ministre serait-il
éternel ?


Je me dis encore : Le choix des bons mi-
n istres est-il si facile qu'on ne doive pas crain-
dre de borner le nombre de ceux parmi le*.
quels un tel choix peut être fait?


Quel que soit le nombre des hommes d'Etat
que renferme une nation aussi éclairée que la
notre, n'est-ce rien que de rendre inéligibles


— 41 —
douze cents citoyens qui sont déjà l'élite de
cette nation?


Je me demande : Sont-ce des courtisans ,
ou ceux à qui la nation n'a point donné sa
confiance, quoique peut-être ils se soient mis
sur les rares pour la solliciter, que le roi de-
vra préférer aux députés de son peuple?


Oserait-on dire que ce ministre, en qui la
nation avait mis tonte son espérance, et qu'elle
a rappelé par le suffrage le plus universel et
le plus honorable, après l'orage qui l'avait
écarté, n'aurait pu devenir ministre, si nous
avions eu le bonheur de le voir assis parmi
nous?


Non, messieurs, je ne puis croire à aucune
de ces cruséquences, ni, par cela même, à
l'objet apparent de la motion que l'on vient de
vous proposer. Je suis donc forcé de penser,
pour rendre hommage aux intentions de celui
qui l'a faite, que quelque motif secret la iusti-
Re, et je vais tâcher de le deviner.


.3e crois, messieurs, qu'il peut être utile
d'empêcher que tei membre de l'assemblée
n'entre dans le ministère.


Mais comme , pour obtenir cet avantage
particulier, il ne convient pas de sacrifier tm
grand principe, je propose pour amendement
l'exclusion du ministère aux membres de l'As.
semblée que l'auteur de la motion paraît reé
douter, et je me charge de vous les faire con,
naître.


Il n'y a , messieurs , que deux personnes
dans l'Assemblée qui puissent être l'objet se-
cret de la motion ; les autres ont donné assez
de preuves de liberté, de courage et d'esprit




— —


publie pour rassurer l'honorable député; mais
il y a deux membres sur lesquels, lui et moi,
pourrons parler avec plus de liberté, qu'il dé-
pend de lui et de moi d'exclure; et certaine-
ment sa motion ne peut porter que sur l'un
des deux.


Quels sont ces membres? Vous l'avez déjà
deviné, messieurs, c'est ou l'auteur de la mo-
tion ou moi.


Je dis d'abord l'auteur de la motion , parce
qu'il est possible que sa modestie embarrassée
ou son courage mal affermi aient redouté quel-
que grande marque de confiance, et qu'il ait
voulu se ménager le moyen de la refuser, en
faisant admettre une exclusion générale.


Je dis ensuite , moi-même, parce que des
bruits pcpulaires, répandus sur mon compte,
ont donne des craintes à certaines personnes,
et peut-être des espérances a quelques autres;
qu'il est ires possible que l'auteur de la motion
ait cru ces bruits; qu'il est très possible en-
core qu'il ait de moi l'idée que j'en ai moi-
même, et dés-lors, je ne suis pas étonné qu'il
me croie incapable de remplir une mission
que je regarde comme fort au-dessus, non de
mon zèle ni de mon courage, mais de mes lu-
mières et de mes talents, surtout. si elle devait
me priver des leçons et des conseils que je
n'ai cessé de recevoir dans cette Assemblée.


Voici donc, messieurs, l 'amendement queje vous propose; c'est de borner l'exclusionde
mandée à M. de Mirabeau, député des com-


munes de la sénéchaussée d'Aix.
Je me croirais fort heureux si, au prix de


mon exclusion, je puis conserver à cette As-


49 __


semblée l'espérance de voir plusieurs de ses
membres, dignes de toute ma confiance et de
tout mon respect, devenir les conseillers in-
times de la nation et du roi, que je ne cesse-
rai de regarder comme indivisibles.


La popularité de Mirabeau dans l'Assemblé('
recut dans cette circonstance un grave échec,
et'il fut décrété, le 1 novembre, que nul dé-
puté ne pourrait remplir de place dans le mi-
nistère, que les ministres n auraient ni voit
délibérative, ni droit de siéger dans PAssena.
bide (1).


(I) Il nous semble intéressant de rappeler à propos
de ce vote le passage suivant d'un discours prononcé
par M. de Lamartine à la Chambre des députés dans
la séance du 4 avril 135 : « Souvenons-no us de cette
loi fatale portée par l'Assemblée constituante pour
qu'aucun de ses membres ne pût être nomme ministre,
moins de deux ans après la dissolution de l'Assemblée.
Cette loi était dirigée contre Mirabeau, il l'accepta
pour lui seul ; niais son admirable instinct lui lit sen-tir ce qu'elle avait de funeste et d'absurde: il la com-
battit pour les autres, qu'arriva-t-il ? La loi fut portée,Mirabeau ne fut pas ministre. et la France fut privée
des services réparateurs du plus grand génie politique
que les temps modernes aient enfamé Voilà ce que


les ho
c'est q


mm
ue ces


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ois d'es,v


n consolet
et d


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c
e
rités et ui-


nent le paysl »




— 50 —


YEANSFORIdATION DR.LA. CAISSE D'ESCOUPTE R'BANQUE NATIONALE


Parmi les combi
naisons de Necker proposéesà l'Assemblée nationale était un projet deconvertir la Caisse d'escompte


nan


en une Canguedix, ndix, vingt ou trente ans.
n
ationale, en lui dot an privilège pour
On peut bien p


enser que Mirabeau, qui s'é-tait fait l'infatigable
antagoniste de cettecaisse depuis cinq a


nnées, ne manqua pas decombattre ce nouveau projet. Il soutint, le20 novembre, que cette combinaison,
avance par la


re




d
pous-




sée a'


nale


plupart des conv.ctions,
e


serait à la fois dangertrams
stérile;


'qu'eneffet la caisse d'escompteormée n ban-qu natio
ne prêterait à l'Etat


.
que le cré-dit de l'Etat, q u'ainsi elle serait i nutile quela garantie nationale Opp


oserait à l'Etat des




obligations qui raientse
encore trop onéreuses,


b
alors même que Popéreio


obtiendrait un pleinsucrés d'ailleurs impossible; que le privilègeex lusif a
ccordé à une banque violerait tous


les principes constitutionnels. En concluant
au rejet de la proposition, àlirabeau renouvela
celle qu'il avait .précédenuneut


présentée etQui tendait à séparer la dette pu blique, enprincipal et in térets, des autres depenses, et à
la soumettre à une


la gestion particulière, soue




la Surv eillance de
nation.


— 51 —


SUR L'ÉDUCATION POLITIQUE DES FONCTIONNAIRES
PUBLICS


Le 8 décembre 1189, la discussion
du travail


relatif à l'organisation des municipalit és sug-
géra à Mirabeau une proposition dont l'initia-
tive lui appartenait naturellement. La sorte de
vocation native signalée dès sa ieunesse, le
hasard des circonstances, ses fautes et ses in-
fortunes, le besoin de se défendre et l'instinct
ardent de la liberté, l'avaient de tout temps
porté à l'étude des affaires publiques. Mais
tort peu s'y adonnaient a cette i.'poque; la ré-
volution, en mettant tous les esprits en mou-
vement, les avait, au moins pocul piupart,
pris au dépourvu; partout, et out dans
l'Assemblée, des hommes d'ailieurs bien inten-
tionnés, généreux, éclairés, n'avaient pas, à
beaucoup près, l'expérience et l'habileté pra-
tiques indispensables dans l'exercice des folie-
pons auxquelles tous aspiraient dès lors, et


Dateu
pouvaient désormais prétendre. Pour des logis


rs tels que Mirabeau qui, loin de considé-
rer la révolution comme une commotion pas-
sagère, en embrassaient d'avance les résultats
indéfinis. il y avait une grande utilité à


y pré-


parer les: moeurs nationales et à faire reduca-ton politique des futurs fonctionnaires. Mi
rabeau proposait d'assuiettir a une marche


t
graduelle les


s
membres des différentes admi-


nistraions publique :
Si vous décrétiez, messieurs, qu'il fau-


drait avoir réuni deux fois les suffrages du




— 52 --
peuple comme membre de quelque


assembléeadministrative, ou de quelque tribunal, avantque d'être éligible à l'Assemblée nationale,vous d
onneriez une double valeur à toutes les


élections, vous mettriez ceux qui se
destinentaux emplois dans l'heureuse


nécessité de dé-pendre de l'estime de leurs
concitoyens, dèsles premiers pas de leur carrière.J'ose dire que vous opéreriez une révolu-tion dans les habitudes d'une jeunesse quipasse de la frivolité à la corruption, et dela corruption à la nullité. Il ne s'agira plus


d'enlever les élections nationales par
labrigue, par "ascendant des familles, parces préjugés toujours trop favorisés dans lescon


stitutions les plus libres; vous semblerez
dire par le décret que je vous propose : Qui
que vous soyez, ne vous flattez pas de tout
obtenir sans avoir acheté vos honneurs pardes travaux et des services; vous n 'avance-.rez qu'en justifiant à chaque pas


l'opinioneublique; vous serez pesé dans la balance de
'expérience, et c


omparé sans cesse avec vos
eivaux. La faveur ouvrira plutôt la barrière:
mais tandis que des hommes qui vous valentbien parcourront lentement tous les degrés decette échelle inst


ructive, une indulgence nui-
sible à vos propres talents ne vous élèverapas au s


ommet, sans que vous ayez donnédes gages à la confiance de la nation.
Encore une fois, messieurs, cette loi serait


un noble moyen de prévenir la dégénérationd'une classe qui, dans tous les pays du monde,(en faisant des e
xceptions qui n'en sont que


plus honorables) semble s'abaisser dans l'ordre


53-moral à proportion de ce qu'elle s'élève dan
celui de la société.
Le second motif qui, je le déclare, m'en-


traîne irrésistiblement vers le système gra-
duel, c'est• la nécessité de rendre toutes les
fonctions publiques intéressantes et honora-
bles, de répandre une émulation de vertu et
d'honneur dans les municipalités, de rehaus-
ser le prix des suffrages populaires, lors
même qu'ils ne confèrent qu'une place subal-
terne d'administration.


Vous ne craindrez plus alors que les mu-
nicipalités soient dédaignées par les uns com-
me des emplois inférieurs, redoutées par les
autres comme des postes (le fatigue et d'en-
nui, abandonnées à un petit nombre (le postu-
lants qui, dépourvus de tout mérite, de toute
faculté, de toute considération personnelle, ne
tarderaient pas à les avilir; car les places ne
valent souvent, aux yeux des hommes, que
par l'idée qu'ils se forment de ceux qui les re-
cherchent et qui les occupent.


Vous le savez, messieurs, il n'est pas d'em-
ploi si mince dans la société qui ne puisse
donner du lustre à celui qui n'en a aucun, ni
'd peu lucratif qui ne présente une ressource
b. quiconque en est dépourvu. Mais nous de-
vons élever les municipalités au-dessus des
ambitions et des intérêts de ce genre.


Si les Romains n'avaient pas tout concen-
tré dans Rome; s'ils avaient jeté plus d'éclat
sur les administrations municipales; s'ils en.
avaient fait le premier échelon des honneurs,
ils n'auraient pas été réduits à faire des loisde contrainte et de rigueur pour soumettre les




— 54 —
citoyens des villes à ces fonctions onéreuse&Ces lois sont restées; elles


attestent les Eau.
tous


tes des


les emplois
maîtres du monde. Evitons-les, culai.vous nos pro


ois décer
vinces,nésdonarnons


l
-y de l'éclat à


a p
éan•


ptissons ce malheureux
Préjugé qui


atrie
,


; an
sur laruine des distinctions anciennes ne manque-


rait pas d'élever des distinctions d'une non-velle espèce, qui, sur les débris des classes etdes ordres, accroît de nouvelles
classes, denouveaux ordres tirés du sein des électionS


mêmes, des différences inévitables entre les
municipalités, les administrations de


départe-ment et l'Assemblée nationale. Nous


leur zèle


par des n transir


'aurionsfait notre devoir qu'à demi si nous n'ôtionsa l'orgueil cette ressource dangereuse. Maisnous m
ettrons de la fraternité entre toutes


les
fonctions pu bliques, si la moins éclatante deces fonctions est un degré


nécessaire pours'élever ; si la plus haute nsi-
tions inévitables aux grades inférieurs;


sitous les hommes publics sont comme une
onde pure distribuée dans x


diffé-
rents, mais coulant des uns desdans les


canaux


autres,
toujours limpide et surtout toujours la même.Cette filiation des emplois produirait un autreeffet non moins ava


ntageux ; l'ambition deshommes deviendrait dans les places
les moins


o


brillantes, la caution de
à en rem-


plis les caution
Ah! que le législateur estpuissant quand il a su donner aux passionscette direction morale; quand il a su montrer


aux citoyens leur intérêt dans leur probité;
quand il a l'heureuse h


abileté de prendreleurs inclinations dominantes pour les leviers


— 55
' de la loi ! Quelque fonction qu'un homme
exerce, ;orsqu'elle est un état passager d'é-
preuve sur lequel on apprécie ses talents, son
intégrité, pour l'élever à des postes plus érni-
ents, dés lors on peut comptes sur son atten-


tion continuelle à se maintenir irréprochable,
et se concilier l'estime de ses concitoyens.


L'Assemblée ne tint pas compte de cette mo•
fion de Mirabeau, qui fut repoussée purement
et simplement, sans même qu'il lui futlaissé
la faculté de réfuter les objections présentées
a cette oc•asion par Barnave.


Nous ne ferons que mentionner un discours
très éloqu nt et très vigoureux prononcé, le
9 janvier 119o, par Mirabeau, pour qu'un blâme
sévère filt prononcé contre les magistrats du
parlement de Rennes, qui avait refusé d'enre-
gistrer les décrets de l'Assemblée. Nous omet-
tons égaiement les discours prononcés par Mi-
rabeau sur les troubles de Provence, contem-
porains I le se u l élection aux Etats généraux, à
Propos de la procédure prévôtale déférée
'.'Assemblée.




- 56 —


SUR LE DROIT DE L'ASSEMBLÉE D
'EXCLURE UY DE SE$


MEMBRES


Le 2 j
anvier 1790, au sujet du rapport du


comité des finances qui proposait de liquiderl'arriéré, un député du côté droit, Cazales de-
manda que l'origine, les causes, les progrèsde la dette p ublique fussent soumis à de mi-nutieuses et sévères investigations. Mirabeau,en qui la haine des abus dh passé ne dimi-nuait jamais la vue d'unesace politique. Mi-. °rabeau, disons-nous, se récria sur les dangersdont une pareille mesure, renouvelée des an-ciennes Chambres ardentes, menacerait le Cré-dit public « par l'établissement d'une inquisi-tion arbitraire qui pourrait frapper également


tunes. »
Sur les titres legitimes et sur les titres illégi-


Le fougueux organe du clergé, l'abbé Mau-rY, pour venir en aide à la proposition de Ca-zalés, se livra a un em portement tel qu'une i'wo-sition fut faite de l'exclure de l 'Assemblée.lirabeau rappela les principes du droit publicqui s'opposaient à ce que l'on prit une
mesureaussi extrême


L'incident fâcheux qui trouble cette séance
vous donne une grande preuve, messieurs, quela colère est un m


auvais conseiller ; car le préo-pi
nant, quia eu le malheur de vous offenser, aété directement Contre le succès de son opinion,qui triomphait lorsqu'il s'est présenté pour làdéfendre. X


'imitons ni sa violence ni son in-


dextérité ; soyons calmes, puisque nous vou-
lons parvenir à prononcer un jugement.


Comme je pense qu'il n'est pas possible de
juger un membre et de le condamner à re-
noncer à ses fonctions, puisqu'en même temps
on priverait ses commettants du droit qu'ils
ont d'être représentés ; comme je ne pense
pas que, dans le droit public des nations, on
puisse juger les mandats et la conscience, je
crois qu'on peut tout au plus faire l'invitation
rigoureuse de rappeler un membre auquel
l'Assemblée a refusé son estime et sa con-
fiance.


Sans doute, le tort de M. l'abbé Maury est
très grave : il a, ensuite d'un raisonnement
détestable, proféré une injure contre l'Assem-
blée. J'observe que si cette injure avait été
nominale, il aurait fallu tout au plus condam-
ner l'opinant au supplice des fous; mais cet
emportement, que j'appellerai le plus extraor-
dinaire, j'ai presque dit le plus insensé, me
Paraît être lui-même une excuse. Je crois, dès
lors, qu'il suffit de faire subir au membre qui
s'est rendu coupable envers vous une censure
sur le procès-verbal.


L'Assemblée adopta l'avis de Mirabeau et se
borna à prononcer une simple censure contre
L'abbé Maury.




OCR LA DICTATURE


nrrey
Mirabeau ne devait pas tarder, dans une


autre circonstance, de rendre un autre hom-
mage, plus solennel encore, aux grands prin-
cipes du droit public, que ce tut la gloire dela Révolution française de populariser en Eu-
rope. Des nouvelles alarmantes et de sinistres
menaces avaient été répandues dans les pro-
vinces par des agents de désordres qui usaient
de toutes sortes de moyens, même de taux
ordres du roi et de l'Asseniblee pour semer la
révolte, et pour exciter le peuple à commettre
des actes qu'il croyait de légitimes vengeances,
à piller et briller des châteaux, a poursuivre des
ennemis le plus souvent supposés. Enfin, des
excès criminels ayant eu lieu à Béziers, les of-
ficiers municipaux a raient refusé d'interve-
nir, de proclamer et d'appliquer la loi martiale.Il etait urgent de prendre des mesures pour
prévenir le retour de semblables abus. En cette
circonstance, le 6 février 1790, Cazales, après
avoir tracé un tableau effrayant des desordree
publics qui échappaient de tous côtés, avait
conclu en proposant d'investir le monarque,
pour trois mois, de la puis.>ance exécutive illi-
mitée, Mirabeau s'élève avec force contre cette
proposition de dictature :


On nous entraîne rapidement loin de l'objet
dont nous devons nous occuper. De quoi s'a-
git-il? De faits mal expliqués, mal éclaircis.
On souneonne, plus qu'on ne sait, que telle


-- 59 --
municipalité n'a pas rempli ses devoirs. En
fait d'attroupement, toutes les circonstances
méritent votre attention. Il vous était facile
de prévoir que, par la loi martiale, vous aviez
donné lieu à un délit de grande importance
si cette loi n'était pas exactement, pas fidèle-
ment exécutée : en effet, une municipalité qui
n'use pas des pouvoirs qui lui sont donnés
dans une circonstance importante commet un
grand crime ; il fallait qualifier ce crime, in-
diquer la peine et le tribunal; il ne fallait que
Cela. Au lieu de se réduire à une question
aussi simple, on nous a dit que la République
est en danger 1... (j'entends, et je serai en-
tendu par tout homme qui écoutera avec
réflexion, j'entends la chose publique). On nous
a fait un tableau effrayant des malheurs de
la France; on a prétendu que l'Etat était bou-
leversé, que la monarchie était tellement en
péril qu'il fallait recourir à de grandes res-
sources. On a demandé la dictature; la dicta-
ture, c'est-à-dire le pouvoir illimité d'un seul
homme sur vingt-quatre millions d'hommes!
la dictature dans un pays où tous les pou-
voirs viennent d'ètre renversés, où il s'agit
de les remettre tous à leur place au nom de la
loi ; dans un pays dont les représentants as-
semblés ont besoin de la sécurité la plus par-


ite ? Voulez-vous connaître la 'dictature mi-
ltaire? Lisez, lisez ces lignes de sang dans les


lettres de Joseph II au général d'Afton : li ne
faut pas compter quelques gouttes de sang de plus
ou de moins, quand il s'agit d'apaiser des 'trou-
bles. .. Voilà le code des dictateurs; voilà ce
Won n'a pas rougi de proposer! On a voulu




— 60 —
renouveler ces proclamations dictatoriales de
mois de juin et de juillet. Enfin, on enlumin


a


ces propositions des mots tant de fois répé
t : Les vertus d'un monarque vraiment se
ueux


La dictature passe les forces d'un seul, que
que soient son caractère, ses vertus, son talent, son génie.


Le désordre règne, dit-on ; je le veux crû
un moment : on l'attribue à l'oubli d'acheve
le pouvoir exécutif, comme si tout l'ouvra
de l'organisation sociale n'y tendait pas! J
voudrais qu'on se demandât à soi-même
que c'est que le pouvoir exécutif : vous
Faites rien qui n'y ait rapport. Que ceux qui
veulent empiéter sur vos travaux réponden
à ce dilemme bien simple : ou quelque partie
de la constitution blesse le pouvoir exécutif;
alors qu'on nous déclare en quoi : ou il faut
achever le pouvoir exécutif; alors que reste-t-
il à faire ? Qu'on le dise, et on verra s'il ne
tient pas à tout ce que vous devez faire
encore. Si vous me dites que le pouvoir mili-
taire manque au pouvoir exécutif: je vous
répondrai : laissez-nous donc achever l'organi-
sation du pouvoir militaire. Le pouvoir judi-
ciaire? laissez-nous donc achever l'organisa-
tion du pouvoir judiciaire. Ainsi donc ne nous
demandez pas ce que nous devons faire, si
nous avons fait ce que nous avons pu.


Ne nous proposez donc pas de renverser le
principes de la liberté pour parer à ses incon-
vénients passagers




Imposez une forte res-
ponsabilité aux dépositaires de la puissance
publique, et bornez-vous à cette précaution.


61
Un vif débat s'établit le lendemain. Plu-


sieurs députés du côté droit, obligés de re-
noncer à l'institution d'une di ctature,voulment
du moins donner au pouvoir exécutif un sur-
croit d'autorité. Mirabeau prit encore une fois
la parole:


Messieurs, tous les amendements proposés
me paraissent tenir à une confusion d'idées
que j'ai combattue hier. Et d'abord je demande
si le pouvoir exécutif a besoin des moyens qui
ne sont pas en ce moment en sa puissance; je
demande comment il en a uséjusqu'à présent;
je demande si l'Assemblée aurait désavoué des
proclamations utiles à la tranquillité publique;
je demande davantage, je demande si les mu-
nicipalités sont inutiles dans l'organisation
sociale : ceux qui ont avancé toutes les asser-
tions qui tendraient à le faire penser croient-
ils donc que nous sommes au temps des Thé-
sée et des Hercule, où un seul homme domp-
tait les nations et les monstres? Avons-nous
Pu croire que le roi tout seul ferait mouvoir le
Pouvoir exécutif? Nous aurions fait le sublime
du despotisme. Eh! que sont les municipalités?
des agents du pouvoir exécutif. Lorsque nous
déterminons leurs fonctions ne travaillons-
lieus pas pour le pouvoir exécutif? A-t-on dit
qu'il n'était pas temps d'organiser le pouvoir
exécutif? Non; nul de nous n'a dit cette ab-
surdité : j'ai dit que le pouvoir exécutif était
le dernier résultat de l'organisation sociale;
j'ai dit que nous ne faisons rien pour la
°01 istitutiou qui ne soit pour le pouvoir exécu-
tif. Voici le dilemme que je propose : ou l'on
dira que nous travaillons contre le pouvoir




— 62 —
exéeutif, et, dans ce cas, qu'on nous indique
un décret qui le prouve; l'Assemblée sera re-
connaissante et réformera ce décret; ou l'on
nous demandera d'achever sur-le-champ le
pouvoir exécutif, et, dans ce second cas, qu'or,
nous indique un décret qui puisse être rendu
notamment e cet égard. Vous avez tous en-
tendu parler de ces sauvages qui, confondant
dans leurs têtes les idées théologiques, disent,
quand une montre ne va pas, qu'elle est morte;
quand elle va, qu'elle a une âme; et cependant
elle n'est pas morte, et cependant elle n'a
point d'âme. Le résultat de l'organisation so-
ciale, le pouvoir exécutif, ne peut être com-
plet que quand la constitution sera achevée:
tous les rouages doivent être disposés, toutes
les pièces doivent s'engrener pour que la ma
chine puisse être mise en mouvement. Le roi
a professé lui-même cette théorie; il a dit:
En achevant votre ouvrage, vous vous occuperez
non pas de la création du pouvoir exécutif,
il aurait dit une absurdité; mais de raffermis-
sement du pouvoir exécutif




Que ce mot :
pouvoir exécutif, qui doit être le symbole de
la paix sociale, ne soit plus le cri de rallie-
ment des mécontents; que ce mot ne soit
plus la base de toutes les défiances, de tous
les reproches. Nous ne ferons rien de bon dans
l'ordre social qui ne tourne au profit du pou-
voir exécutif; vouloir que la chose soit faite
avant que de l'être, c'est vouloir que la montre
aille avant que d'être montée. Cette idée ne
fait pas beaucoup d'honneur à la justesse de
l'esprit de ceux qui l'ont coneue, si elle en fait
à leurs intentions.


— 63
Des observations sur la responsabilité des


ministres appartiennent à cette matière comme •
à toutes les matières environnantes. Les mi-
nistres avec un peu de candeur (si la candeur
pouvait exister dans le coeur des ministres)
n'auraient pas fait un obstacle 'à cette loi sa-
lutaire. Nous hésitons, nous marchons à pas
lents depuis quelques semaines, parce que ce
dogme terrible de la responsabilité effraye les
ministres. Je ne dirai pas les raisons de
cet effroi, .quoique, si j'étais malin , j'eusse
quelque plaisir à les développer; j'en dirai
une, selon moi la principale, qui est fondée,
qu'ils nie pardonnent cette expression, sur
leur ignorance : ils n'ont pas encore pu se fi-
gurer que nous n'avons pu ni voulu parler de
la responsabilité du succés, mais de l'emploi
des moyens. Tout homme qui se respecte ne
peut pas dire qu'il voudrait se soustraire à
cette responsabilité. Dans tous les tiraille-
ments entre l'autorité nationale et l'adminis-
tration, il est entré de cette crainte de la res-


t Ponsabilité du succès.
Je conclus à rejeter les amendements qui


Portent sur cette idée, que le pouvoir exécutif
n'a pas en ce moment tous les moyens qu'en
ce moment on ne peut pas lui donner. Quand
notre constitution sera faite, le pouvoir exé-
e,utif, par cela même, sera fait; tous les amen-
nements qui tendraient à donner des moyens
excentriques, des moyens hors de la consti-
tution, doivent être absolument écartés.




eux LA NÉCESSITÉ D'EXIGER DU MINISTRE Dei
FINANCES UN BUDGET RÉGULIER


— 65 —
par des miracles, n exempterait pas de ce de-
voir celui à qui elle aurait été confiée ; à plus
forte raison, si, au lieu de succès miraculeux,
cette mission ne s'était signalée que par de
funestes calamités.


Dans la séance du 26 février, Mirabeau in-
sista sur la nécessité d'exiger du ministre des
finances un budget régulier qu'il ne présen
tait pas :


Nul de nous ne connaît l'état de cette an-
née ; malgré notre activité, nous ne connais-
sons que notre confiance dans le ministère et
le malaise que nous éprouvons : nous ne dor-
mons que parce qu'on dort au pied du Vésuve.
Il est un mot que je n'ai jamais oublié, et dontje vous laisserai l'application : « Le cheval de
Caligula fut consul , et cela ne nous étonne
que parce que nous n'en avons pas été té-
moins...


Je reviens à ma première observation, et je
dis que lorsque vous avez voulu ètre libres,
ce n'a pas été pour laisser à un seul
nistration de la partie la plus importante de
votre constitution ; car, si la constitution seule
peut ordonner la finance, la finance seule peut
laisser achever la constitution. La nation ne
peut abandonner la dictature en finance , et
un homme exercerait une véritable dictature
s'il pouvait se soustraire à l'obligation de ve-
nir apporter à. une nation l'état de sa situa-
tion. La plue belle mission, filt elle marqua


Stil: LA PROPOSITION DE DÉCLARER LA RELIGION
CATHOLIQUE RELIGION NATION' ,LE


Au milieu d'une discussion sur les biens
ecclésiastiques, un député, d'ailleurs patriote.
dom Gerles, jeta à travers du débat une adjura-
tion à l'Assemblée de déclarer la religion ca-
tholique religion nationale. Un débat orageux
s'ensuivit, dans lequel Mirabeau prononça ces
paroles, devenues celèbres et souvent repetees :


J'observerai à celui des préopinants qui a
Parlé avant moi, qu'il n'y a aucun doute que,
sous un règne signalé par la révocation de
l'édit de Nantes, et que je ne qualifierai pas,
on ait consacré toute sorte d'intolérance; mais,
puisqu'on se permet des citations historiques
dans cette matière, je vous suplierai de ne
pas oublier que d'ici, de cette tribune où je
vous parle, on aperçoit la fenêtre d'où la main
d. 'un monarque français,armée contre ses su-jets Par d'exécrables factieux qui mêlaient
1.11 11ADEAU, 0E111 . D,AC., 1T. 3




— 67 —
des intérêts temporels aux intérêts sacrés de
la religion, tira l'arquebuse qui fut le signal
de la Saint-Barthélemy. Je n'en dis pas davan-
tage. Il n'y a pas lieu de délibérer.


L'Assemblée passa à l'ordre du jour.
Mirabeau dit u ce sujet dans le Courrier de


Provence :


Cette motion avait le double danger, ou, si
elle était acceptée, de fournir des armes au
clergé comme dominateur dans une religion
dominante, et d'offrir une suite de fatales
conséquences, ou, si elle était refusée, de don-
ner lieu à des interprétations perfides, de faire
proclamer l'irréligion, l'impiété de l'Assemblée
nationale.


C'est une chose bien différente de dire :
mous croyons à la religion catholique, nous som-
mes et serons toujours catholiques, ou de dire :
la religion catholique est et sera la religion do-.
minante du royaume. On peut admettre la pre-
mière déclaration et repousser la seconde sans
inconséquence. L'une est une simple profession
de foi, l'autre un acte de droit public. Un
homme qui se déclare catholique ne prétend
point dominer; mais un catholique qui déclare
que sa religion doit dominer dans l'Etat
crée des rapports étendus, compliqués ; il
établit une domination, et par là même une
servitude. Or, lisez l'histoire et tirez la consé-
quence : lisez surtout les nouveaux décrets
constitutifs, et voyez s'il peut y avoir dans


' l'Etat des citoyens libres pour le civil, escla-
ves pour la religion.


L'AssEmuLÉE RÉue.TE Qu'ELLE NE ROCRRA
RENOUVELÉE AVANT L'AcUEVEIIENT DE LA CONSTITUTIO1


Une année presque entière s'était écoulée
depuis l'ouverture de la session i les pouvoirs
de beaucoup de députés avaient eté limités à ce
terme par leurs mandats ; le comité de consti-
tution proposa de décréter que l'Assemblée
nationale ne pourrait être renouvelée avant
Pachèvementde la constitution. A cette occa-
sion, les organes du parti réactionnaire, Casa-
lis et l'abbe Maury à leur tête, ne manquèrent
pas (le mettre en doute la légitimité des pou-
VOirS de l'Assemblée, l'im portance de ses ser-
vices, et surtout l'assentiment national qui eu
était le juste prix.


Mirabeau réfuta avec une éloquente indi-
gnation ces sophismes :


Je ne puis me défendre d'une indignation
profonde lorsque j'entends de malveillants
rhéteurs opposer sans cesse la nation à l'As-
semblée nationale et s'effacer de susciter
entre elles une sorte de rivalité ; comme si ce
n'était pas par l'Assemblée nationale que la
nation a connu, recouvré, reconquis ses droits!
comme si ce n'était pas par l'Assemblée na-
tionale que les Français, jusqu'alors agré-
gation inconstituée de peuples désunis, sont
véritablement devenus une nation ! comme
si entourés des monuments de nos tra-




-- 68 —
vaux, de nos dangers, de nos services, nous
pouvions devenir suspects au peuple, re-
doutables aux libertés du peuple ! comme si
les regards des deux mondes attachés sur
TOUS, le fanatisme heureux d'une grande ré-
volution, le spectacle de votre gloire, la re-
connaissance de tant de millions d'hommes,
l'orgueil même d'une conscience généreuse
qui aurait trop à rougir de se démentir, n'é-
taient pas une caution suffisante de votre fi-
délité, de votre patriotisme et de vos vertus!


Un des préopinants, en combattant avec in-
finiment d'art le système du comité, a défini
la convention nationale une nation assemblée
par ses représentants pour se donner un gou-
vernement. Cette définition est évidemment
très inexacte ou très incomplète. Eh! pour-
quoi la nation, qui peut former une conven-
tion pour se donner un gouvernement, ne le
pourrait-elle pas aussi pour le changer, pour
le modifier, pour le réformer? Sans doute,
M. l'abbé Maury ne niera pas que les Francais
assemblés en convention , n'eussent, par
exemple, le droit d'augmenter la prérogative
royale.


Le même préopinant a demandé comment,
de simples députés de bailliages, nous nous
étions tout a coup transformés en convention
nationale? Je répondrai : le jour où trouvant
la salle qui devait nous rassembler fermée,
hérissée, souillée de baïonnettes, nou? courû-
mes vers le premier lieu qui put nous réunir,
jurer de périr plutôt que de laisser subsister
un tel ordre de choses; ce jour-là moine, Si
nous n'étions pas convention nationale, nous


— 69 --
le sommes devenus : les députés du peuple
ont formé une convention nationale lorsque,
par un acte de démence vraiment sacrilége..
le despotisme a voulu les empêcher de rem-
plir leur mission sacrée: ils ont formé une
convention nationale pour détruire le pouvoir
arbitraire, et défendre les droits de la nation
de toute violence. Vous le voyez, messieurs,
je dédaigne les arguties, je méprise les subti-
lités; ce n'est point par des distinctions mé-
taphysiques que j'attaque des serments parti-
culiers, des serments indiscrets ou téméraires,
que l'Assemblée nationale ne veut point juger;
des serments dont elle ne doit pas connaître.
Je ne profiterai pas même de tous mes avan-
tages; je ne demanderai pas si, envoyés pour
faire une constitution, nous n'avons pas reçu
par cela même le pouvoir de faire tout ce qui
serait nécessaire pour l'achever, pour l'établir,
pour l'affermir ; si les mandats qui nous char-
geaient de régénérer la France ne nous confé-
raient pas, par cela même, des pouvoirs illi-
mités sur cet objet; si le roi lui-même n'avait
pas prononcé ce mot de régénération, et re-
connu par cela même toutes ses conséquences;
si, dans les circonstances révolutionnaires qui
nous ont agités, nous pouvions, nous devions
interro ger nos commettants, perdre en con-
sultations pusillanimes le temps d'agir, ct
laisser frapper de mort la liberté naissante,
pour ménager les scrupules des nombreux
prosélytes qu'a toujours toute autorité établie;
je dis que quels que fussent nos pouvoirs à
l'époque oit, convoqués par une autorité légi-
time, nous nous sommes rassemblés, ils ont




r
— '70 —


changé de nature le 20 juin, parce que cela
était nécessaire au salut de la patrie•, que s'ils
avaient besoin d'extension ils l'ont acquise le
jour mémorable où, blessés dans notre di-
gnité, dans nos droits, dans nos devoirs, nous
nous sommes liés au salut public par le ser-
ment de ne nous séparer jamais que la cons-
titution ne fût établie et affermie.


Les attentats du despotisme, les périls que
nous avons conjurés, la violence que nous
avons réprimée ; voilà nos titres : nos succès
les ont consacrés, l'adhésion tant de fois répé-
tée de toutes les parties de l'empire les a lé-
gitimés, les a sanctifiés.


Que ceux qui nous ont fait cet étrange
reproche de nous être servis de mots nou-
veaux pour exprimer des sentiments et des
principes nouveaux, des idées et des institu-
tions nouvelles, cherchent maintenant dans la
vaine nomenclature des publicistes la définition
de ces mots convention nationale! Provoqués
par l'invincible tocsin de la nécessité, notre
convention nationale est supérieure à toute
imitation, comme à toute autorité; elle ne
doit de compte qu'à elle-même, et ne peut être
jugée que par la postéritè.


Messieurs, vous connaissez tous le trait de
ce Romain, qui, pour sauver sa patrie d'une
grande conspiration, avait été contraint d'ou-
tre-passer les pouvoirs que lui conféraient les
lois. Un tribun captieux exigea de lui le ser-
ment 4e les avoir respectées. Il croyait,par cet
interrogation insidieuse, placer le consul dans
l'alternatived'un parjure ou d'un aveu embar-
rassant : Je jure, dit le grand homme, je jure


— '71 —
que j'ai sauvé la république. — Messieurs..., je
jure que vous avez sauvé la chose publique.


Ce trait, que l'orateur cita en dirigeant son
geste vers la partie de l'assemblée à la gau-
che du président, excita un tressaillement
universel. — Le décret fut voté d'enthou-
siasme.


SUR L'ORGANISATION MUNICIPALE DE LA VILLE
DE PARIS


Le 3 mai, il était question de l'organisation
municipale de la ville de Paris. Quelques opi-
nions réclamaient le maintien de l'administra-
tion municipale telle que les circonstances l'a-
vaient composée naguère, et, par exemple,
la conservation des soixante districts, dont
d'autres députés demandèrent la suppression.
Le dernier avis fut celui de Mirabeau, adopté
Par le décret du 21 mai. A cette occasion, « ac-
coutumé à lire dans l'avenir, » dit Lucas Mon,
tig'ny, Mirabeau jeta ces paroles :


Demander la permanence des districts, c'est
couloir établir soixante sections souveraines
dans un grand corps, ois elles ne pourraient
qu'opérer un effet d'action et de réaction ca-
pable de détruire notre constitution. Ne pre-
Aons pas l'exaltation des principes pour le su-
ulitue des principes




— 72 —


SUR L'INDÉPENDANCE DU POUVOIR JUDICIAIRE


11 fut décidé que les juges seraient élus
par le peuple. On discuta ensuite s'ils devaient
etre institués par le roi. Sur ce point, d s'éleva
de grands débats.


L'abbé. Maury fit tous ses efforts pour prou-
ver que le roi devait avoir une influence sur
le pouvoir judiciaire, en établissant pour prin-
cipe que le pouvoir exécutif, dans une mo-
narchie, ne peut être divisé, et que la division
de ce pouvoir est le caractère du gouverne-
ment républicain.


Mirabeau revendiqua les principes constitu-
tionnels quant à la division du pouvoir ex&
cutif :


Je monte à la tribune pour répondre à la
théorie du préopinant, très rassuré sur la plus
grande difficulté qu'il ait voulu nous susciter,
c'est-à-dire celle de nous justifier de la tenta-
tive d'élever un gouvernement républicain; car
-1/ii-même a pris la peine de nous en justifier
d'une manière très palpable. Selon M. l'abbé,
Iatiry, dès que le pouvoir exécutif est divisé,
il y a république; et selon l'abbé Maury, nous
réunissons tous les pouvoirs dans notre cons-
titution ; nous ne faisons donc pas une répu-
blique... (Il s'élève des murmures dans la partie
droite.) J'ai peur que ceux qui in'entenlent et
qui se sont bâtés de rire n'aient pas compris
Waeje livrais au proprejugenient de M. l'able:,


— 7:3 —
Maury l'incohérence de ces deux difficultés.
(Une voix s'élève de la partie droite, et dit : Vous
êtes un bavard, et voilà tout.) M. le président,
je vous prie de réprimer l'insolence des inter-
rupteurs qui m'appellent bavard. (Plusieurs
membres de la partie droite adressant des propos
menaçants à l'opinant.) M. le président, la jac-
tance d'un défi porté dans le tumulte n'est pas
assez noble pour qu'on daigne y répondre, je
vous prie de m'obtenir du silence; je ne suis
pas à la tribune pour répondre à d'insolentes
clameurs, mais pour payer le faible contingent
de ma raison et de mes lumières, et je prie le
préopinant auquel je réponds maintenant de
regarder ma réponse comme sérieuse.


Il a dit, il a répété plusieurs fois que le gou-
vernement est républicain quand le pouvoir
exécutif est divisé. Il me semble qu'il est
tombé dans l'étrange erreur de substituer le
pouvoir exécutif au pouvoir législatif : le ca-
ractère d'un gouvernement républicain est
que le pouvoir législatif soit divisé; dans un
gouvernement même despotique, le pouvoir
exécutif peut être divisé... Constantinople, le
muphti et l'aga des janissaires sont deux of-
aciers






très distincts : il est si peu vrai que la
division du pouvoir exécutif soit un caractère
du gouvernement républicain, qu'il est impos-
sible de nier que, dans une constitution répu-
blicaine, on ne puisse trouver le pouvoir exé-
cutif en une seule main, et dans les anciens
gouvernements monarchiques le pouvoir exécu-
tif divisé. Le préopinant s'est donc trompé; il
nous a montré que nous n'allions pas au même
but quand il a dit eue l'influence sur le pou-




— 7,1 —


voir judiciaire appartient au roi : je dis que
cette influence est l'attribut, non pas du gou-
vernement arbitraire monarchique, mais du
despotisme le plus certain. Il y a une manière
vraiment simple de distinguer dans l'ordre ju-
diciaire les fonctions qui appartiennent au
prince de celles auxquelles il ne peut panici-
per en aucun sens. Les citoyens ont des diffé-
rends; ils nomment leurs juges, le pouvoir
exécutif n'a rien à dire quand la décision
n'est pas proférée; mais là on finissent les
fonctions judiciaires, le pouvoir exécutif com-
mence. Il n'est donc pas vrai que ce pouvoir
ait le droit de nommer ceux qui profèrent la
décision. Je crois qu'il n'appartient qu'a un
ordre d'idées vagues et confuses de vouloir
chercher les différents caractères des gouver-
nements. Tous les bons gouvernements ont
des principes communs, ils ne diffèrent que
par la distribution des pouvoirs. Les républi-
ques en un certain sens sont monarchiques;
les monarchies en un certain sens sont ré-
publiques. Il n'y a de mauvais gouvernements
que deux gouvernements, c'est le despotisme
et l'anarchie : mais je vous demande pardon,
ce ne sont pas là des gouvernements, c'est
l'absence des gouvernements.


ÎA.


DISCOURS


SUR L'EXERCICE DU DROIT DE FAIRE LA PAIR


ET LA GUERRE




— 77 —


DISCOURS SUR L'EXERCICE DU DROIT DE FAIRE
LA PAIX F.T LA GUERRE


Le 14 mai 1790, une lettre du ministre des
affaires étrangères, qui annonçait à l'Assem-
blée que des armements suspects se faisaient
en Angleterre, et qui demandait des subsides
pour subvenir aux dépenses d'un armement
proportionné que le roi avait prescrit, vint
soulever la grande question constitutionnelle
de savoir si la nation devait déléguer au roi
l'exercice du droit de faire la paix et la guerre.
Mirabeau prononca dans ce grand débat deux
de ses plus célèbres discours. Ce fut lui qui
provoqua ce débat et fit mettre à l'ordre du
iour la question constitutionnelle. Les discours
prononcés à cette occasion par Mirabeau sont,
comme celui sur la sanction ro yale, de vérita-
bles traités de droit constitutionnel, mais dans -
lesquels il faut bien moins voir des profes-
sions de foi de ce puissant homme d'Etat, que
des calculs politiques, profondément élucidés
pour établir l'ordre et la liberté sur les bases
d'une monarchie limitée, qui était le problème
Proposé aux délibérations de l'Assemblée; —
qu' il ne se reconnaissait pas le droit de changer,-
n'étant pas convaincu d'ailleurs que le peuple
fut suffisamment mûr pour la forme republi-
caine, but définitif de ses aspirations.


Mirabeau prononça son premier discours
dans la séance du 20 mai 1790. Établissant,
dès le début, l'état de la question, il se . pro-




— 78
nonce contre les deux opinions extrêmes qui
attribuent ce droit exclusivement au roi ou
au Corps législatif.


Si je prends la parole sur une matière sou-
mise depuis cinq jours à de longs débats, c'est
seulement pour établir l'état de la question,
laquelle, à mon avis, n'a pas été posée ainsi
qu'elle devait l'être. Un pressant péril clans le
moment actuel, de grands dangers dans l'a-
venir, ont dû exciter toute l'attention du pa-
triotisme; mais l'importance de la question a
aussi son propre danger. Des mots do guerre
et de paix sonnent fortement à l'oreille, ré-
veillent et trompent l'imagination, excitent
les passions les plus impérieuses, la fierté, le
courage, se lient aux plus grands objets, aux
victoires, aux conquêtes, au sort des empires;
surtout à là liberté, surtout à la durée de
cette constitution naissante que tous les Fran-
çais ont juré de maintenir; et lorsque une
question de droit public se présente dans ut
si imposant appareil, quelle attention ne faut-
il pas avoir sur soi-même pour concilier, dam
une discussion aussi grave, la raison froide,
la profonde méditation de l'homme d'Etat,
avec :'émotion bien excusable que doivent ins-
pirer les craintes qui nous environnent.
de Faut-il déléguer au roi l'exercice du droit


faire la paix et la guerre, ou doit-on Pat-
tribuec au corps législatif? C'est ainsi, mes-
sieurs, c'est avec cette alternative qu'on a
jusqu'à présent énoncé la question, et j'avoue
que cette manière de la poser la rendrait in-
soluble pour moi-même. Je ne crois pas qu on


"n
puisse, sans anéantir la constitution, déléguer
au roi l'exercico du droit de faire la paix ou
la guerre; je ne crois pas non plus qu'on
puisse attribuer exclusivement ce droit au
corps législatif sans nous préparer des dangers
d'une autre nature, et non moins redoutables


Mais sommes-nous forcés de faire un choix
exclusif? Ne peut-on pas, pour une des fonc-
tions du gouvernement qui tient tout à la fois
de l'action et de la volonté, de l'exécution et
de la délibération, faire concourir au môme
but, sans les exclure l'un par l'autre, les deux
pouvoirs qui constituent la force de la nation
et qui représentent sa sagesse? Ne peut-on
pas restreindre les droits, ou plutôt les abus
de l'ancienne royauté, sans paralyser la force
publique? Ne peut-on pas, d'un autre côté,
connaître le voeu national sur la guerre et
sur la paix par l'organe suprême d'une assem-
blée représentative, sans transporter parmi
nous les inconvénients que nous découvrons
dans cette partie du droit public des répu-
bliques anciennes et de quelques Etats de
l'Europe? En un mot, car c'est ainsi que je
me suis proposé à moi-même la question gé-
nérale que j'avais à résoudre, ne faut-il pas
attribuer concurremment le droit de faire la
paix et la guerre aux pouvoirs que notre
constitution a consacrés?


Avant de nous décider sur ce nouveau point
de vue, je vais d'abord énumérer avec vous
si, dans la pratique de la guerre et de la paix,
la nature des choses, leur marche invincible
ne nous indiquent pas les époques où chacun
des deux pouvoirs peut agir séparément, les




80 —
pomts où leur concours se rencontre, les fonc-
tions qui leur sont communes et celles qui
leur sont propres, le moment où il faut déli-
bérer et celui où il faut agir. Croyez, mes-
sieurs, qu'un tel examen nous conduira bien
plus facilement à la vérité que si nous nous
bornions à une simple théorie.


L'orateur pose d'abord et résout par l'affir-
mative la question de savoir si c'est au roi à
entretenir des relations extérieures, à veiller à
la snre,té de l'empire, à faire, à ordonner les
préparatifs nécessaires pour le défendre, etc.


N'est-il pas certain que la nécessité de re-
pousser une première hostilité pourra surgir
avant que le Corps legislatif ait eu le temps
de manifester aucun vœu, ni d'approbation,
ni d'improbation?


Des vaisseaux sont envoyés pour garantir
nos colonies! des soldats sont placés sur nos
frontières : vous convenez que ces préparatifs,
que ces moyens de défense appartiennent au
roi; or si .ces vaisseaux sont attaqués, si ces
soldats sont menacés, attendront-ils pour se
défendre que le Corps législatif ait approuvé
ou improuvé la guerre? Non sans doute : eh
bien! par cela seul, la guerre existe, et la né.
cessité en a donné le signal.


Voilà une première hypothèse; c'est une
agression ouverte. En voici une seconde, c'est
le cas où, sans qu'il y ait encore des hostilités,
les préparatifs de l'ennemi en annoncent le
dessein ? Déjà, par cela seul, la paix .:'existé
plus ; m guerre est commencée.


Mais quoi, direz-vous, le Corps législatif


— Si --


n'aura-t-i l pas toujours le pouvoir d'empêcher
le commencement de la guerre? Non, car c'est
comme si vous demandiez s'il est un moyen
d'empêcher qu'une nation voisine ne nous at-
taque, et quel moyen prendriez-vous?


Ne ferez-vous aucuns préparatifs? Vous ne
repousserez point les hostilités, mais vous les
souffrirez. L'état de guerre sera le même.


Chargerez-vous le Corps législatif des pré•
paratifs de défense? Vous n'empêcher ez pas
pour cela l'agression ; et comment concilierez-
vous cette action du pouvoir 1 gislatif avec
celle du pouvoir exécutif?


Forcerez-vous le pouvoir exécutif de vous
notifier ses moindres préparatifs, ses moin-
dres démarches ? vous violerez par cela seul
toutes les règles de la prudence; l'ennemi,
connaissant toutes vos précautions, toutes vos
mesures, les déjouera ; vous rendrez les pré-
paratifs inutiles : autant vaudrait-il n'en point
ordonner.


Bornerez-vous l'étendue des préparatifs?
Mais le pouvez-vous avec tous les points de
contact qui vous lient à l'Europe, à l'Inde, à
?Amérique, à tout le globe? Mais ne faut-il
pas que vos préparatifs soient dans la propor-
tion de ceux des états voisins? Mais les hosti-
lités commencent-elles moins entre deux vais-
seaux qu'entre deux escadres? L'état perma-
nent de la marine et de l'armée ne suffirait-1
pas au besoin pour commencer la guerre 9 Mais
ne serez-vous pas forcés d'accorder chaque an-
née une certaine somme pour des armements
imprévus? Ne faut-il pas que cette somme soit
relative à l'étendue do vos côtes, à l'impor-




— 82 --
tance de votre commerce, à la distance de


vospossessions lointaines, à la force de vos en-nemis?
Du l'este, continue l'orateur, je ne


m'abusepas sur ces difficultés, et tout. en comprenantqu'un roi
mal intentionné aimera mieux l'ini-


tiative dans la main d'une
assemblée que danssa propre main (1). Je sens qu'il importe d'em-pêcher que le pouvoir, exécutif n'abuse même


du droit de veiller à la défense de l'Etat, qu'il
ne consume en armements inutiles des sommesi
mmenses ; qu'il ne prépare des forces


pourlui-même en f
eignant de les destiner contreun ennemi ; qu'il n'excite jamais, par un tropgrand appareil de défense, la jalousie ou lacrainte de nos voisins. Mais la marche


natu-relle des événements nous indique commentle corps législatif rép
rimera de tels abus; car,d'un côté, s'il faut des


armements plus con-sidérables que ne le comporte l 'extraordinairedes g
uerres, le pouvoir exécutif sera obligé deles demander, et vous aurez le droit d'irnprou-ver les prép


aratifs, de forcer à la
négociationde la paix, de refuser les fonds demandés.


!I)<, Si le droit e
st dclarer /a guerre est placé dansla inain du roi, il impossible qu'avant de l'exer-


cer il n'envisage pas tous. les maux de la
guerrequ'il ne voie pas la malédiction des peuples s'élevercontre lui. Si, au co


ntraire, on 'attribue à, l'Assem–blée nationale. rien ne sera plus l
facile que d'engagerune guerre sans en avoir jamais l'odieux. Le roi 'Guil-laume décidait la guerre en }fo/lande et ne la faisaitjamais pa


rer
r lui-nième


guerre!a Angleterre: cependant le droitde la parnait
ollane uneassemblée representativ


p
e; en


te
Angle


en
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à
dé-pendait q ue de G uillaume seul. » ( Courrier de Pro.venu, no 146.%


--
83 —


D'un autre côté, la prompte notiUation que
le pouvoir exécutif sera tenu de faire de l'état
de la guerre, soit imminente, soit commencée,
ne vous laissera-t-elle pas les moyens de
veiller à la liberté publique!


Supposons maintenant les hostilités ou coin
mencées ou imminentes. Quels sont alors les
devoirs du pouvoir exécutif'i Quels sont les
droits du pouvoir législatif?


Le pouvoir exécutif doit notifier sans aucun
délai l'état de guerre ou existant ou prochain;
en faire connaître les causes, demander les
fonds nécessaires; requérir la réunion d uCorps
législatif, s'il n'est point assemblé. Le Corps
législatif, à son tour, a quatre sortes de me-
sures à prendre. La première est d'examiner
si, les hostilités étant commencées, l'agression
coupable n'est pas venue de nos ministres ou
de quelque agent du pouvoir exécutif : dans
un tel cas, l'auteur de l'agression doit être
poursuivi comme criminel de lèse-nation.


Faites une telle loi, et par cela seul vous
bornerez vos guerres au seul exercice du droit
d'une juste défense; et vous aurez plus fait
pour la liberté publique que si, pour attribuer
exclusivement le droit de la guerre au Corps
représentatif, vous perdiez les avantages que
l'on peut tirer de la royauté.


La seconde mesure est d'improuver la
guerre si elle est inutile ou injuste; de re-
quérir le roi de négocier la paix, et de l'y for-
cer en refusant les fonds.


Voilà, messieurs, le véritable droit du Corps
législatif. Les pouvoirs alors ne sont pas con-
fondus; les formes des divers gouvernements




ne sont pas violées, et, sans tomber dans l'in-
convénient de faire délibérer sept cents per-
sonnes sur la paix ou sur la guerre, ce qui
certainement n'est pas sans de grands dan-
gers, ainsi que je le démontrerai bientôt, l'in-
térêt national est également conservé.


Au reste, messieurs, lorsque je propose de
faire improuver la guerre par le Corps légis-
latif, tandis que je lui refuse le droit exclush
de faire la paix ou la guerre, ne croyez pas
que j'élude en cela la question, ni que je pro-
pose la même délibération sous une forme
différente. Il est une nuance très sensible
entre improuver la guerre et délibérer laguerre : vous allez l


'apercevoir. L'exercice du -
droit de faire la paix et la guerre n'est pas
simplement une action ni un acte de pure vo-lonté; il tient au contraire à ces deux prin-
cipes; il exige le concours des deux pouvoirs;et toute la théorie de cette question ne con-
siste qu'à assigner, soit au pouvoir législatif,
soit au pouvoir exécutif, le genre de concours


.qui, par sa nature, lui est plus propre qu'au-
cun autre. Faire délibérer directement le
Corps législatif sur la paix et sur la guerre,
comme autrefois en délibérait le sénat de
Rome, comme en délibèrent les états de Suè-de, la diète de Pologne, la confédération deHollande, ce serait faire du roi de France un
stathouder ou un consul; ce serait choisir,:
entre les deux délégués de la nation, celui
qui, quoique épuré sans cesse par le choix du
peuple, par le renouvellement continuel des
élections, est cependant le moins propre, sur
une telle matière, à prendre des délibérations


— Six
utiles. Donner au contraire au pouvoir légis•
bd le droit d'examen, d'improbation, de ré-
quisition de la paix, de poursuite contre un
sinistre coupable, de refuser des fonds, c'est
:e


faire concourir à l'exercice d'un droit na-
tonal, par les moyens qui sont propres à la
sature d'en tel corps, c'est•à-dire par le poids
de son influence, par ses soins, par sa sur-
veillance, par son droit exclusif de disposer
des forces et des revenus de l'Etat.


Cette différence est donc très marquée, et
conduit au but en conservant les deux -ux pou
voirs dans toute leur intégrité, tandis qu'au-
trement vous vous trouverez forcés de faire
an choix exclusif entre les deux pouvoirs qui
Èoivent marcher ensemble.


La troisième mesure du Corps législatif
consiste dans une suite de moyens que j'indi-
que pour prévenir les dangers de la guerre
m la surveillant, et je lui en attribue le droit.


Le premier de ces moyens est de ne point
Drendre de vacance tant que dure la guerre.


Le second de prolonger sa session dans le
cas d'une guerre imminente.


Le troisième de réunir en telle quantité qu'il
le trouvera nécessaire la garde nationale du
royaume, dans le cas où le roi ferait la guerre
en personne.Le quatrième de requérir, toutes les fois
(la'il le jugera convenable, le pouvoir exécutif
de négocier la paix.


Mirabeau s'arrête sur ces deux derniers
moyens, parce qu'ils font connaître parfaite-
ment le système qu'il propose :




— 86 ---
Pour moi, j 'établis le contre-poids des dan-


gers qui peuvent naître du pouvoir royal dam
la constitution même, dans le bal ancementdes pouvoirs, dans les forces intérieures que
vous donnera cette garde nationale, seul
équilibre propre au gouvernement représen-
tatif, contre une armée placée aux frontières;
et félicitez-vous, messieurs, de cette décou-
verte; si votre constitution est immuable,c'est de là que naîtra sa stabilité.


D'un autre côté, si j
'attribue au corps légis-


latif le droit de requérir le pouvoir exécutif
de négocier la paix, remarquez que par celaje n'entends pas donner au corps législatif
l'exercice du droit exclusif de faire la paix:
ce serait retomber dans tous les inconvénientsdont j'ai déjà parlé. Qui connaîtra le moment
de faire la paix, si ce n'est celui qui tient le


de toutes les relations politiques ? Décide-
rez-vous aussi que les agents employés pour
cela ne correspondront qu'avec vous ? leurdon


nerez-vous des instructions? répondrez-
vous à leurs dépêches? les remplacerez-vouss'ils ne r


emplissent pas toute votre attente?déco
uvrirez-vous par des discussions solen-


nelles les motifs secrets qui vous porteront àfaire la paix ? donnerez-vous ainsi la mesure
de votre force ou de votre faiblesse? et votre
loyauté vous fît-elle une loi de ne rien dissi-
muler, forcerez-vous aussi les envoyés des
puissances ennemies à l'éclat d'une discus-
sion?


Je distingue donc le droit de requérir le
pouvoir exécutif de faire la paix d'un ordre
donné pour la conclure, et de l'exercice même


--- 87 —
du droit de faire la paix ; car est-il une autre
manière de remplir l'intérêt national que celle
que je propose? Lorsque la guerre est 2om-
rnencée, kl n'est plus au pouvoir d'une nation
de faire la paix; l'ordre même de faire retirer
les troupes arrêtera-t-il l'ennemi? FU-on dis-
posé à des sacrifices, sait-on si des conditions
altérées ou exagérées par notre propre mi-
nistère, ne seront-elles pas tellement onéreu-
ses que l'honneur ne permette pas de les ac-
cepter? la paix même étant entamée, la
guerre cesse-t-elle pour cela? c'est donc au
pouvoir exécutif à choisir le moment conve-
nable pour une négociation, à la préparer en
silence, à la conduire avec habileté : c'est au
pouvoir législatif à le requérir de s'occuper
sans relâche de cet objet important ; c'est à
lui à faire punir le ministre ou l'agent coupa-
ble qui, dans une telle fonction, ne rempli-
rait pas ses devoirs. Voilà les limites invinci-
bles que l'intérêt public ne permet pas d'outre-
passer, et que la nature même des choses a
posées.


Enfin la quatrième mesure du Corps légis-
latif est de redoubler d'attention pour remet-
tre sur-le-cham p la force publique dans son
état permanent lorsque la guerre vient à ces-
ser. Ordonnez alors de con gédier sur-le-champles troupes extraordinaires, fixez un court dé-
lai pour leur séparation; bornez la continua-
tion de leur solde jusqu'à cette époque, et
rendez le ministre responsable, poursuivez-le,
3omnie coupable si des ordres aussi impor-
tants ne sont pas exécutés: voilà ce que pres-
crit encore l'intérêt public.




— 83 —
Mirabeau examine ensuite dans le même


ordre de questions, « à, qui doit appartenir le
droit de faire des traités de; paix, d'alliance,
de commerce, et toutes les autres conventions
qui peuvent être nécessaires au bien de l'a-tat. •


Je me suis demandé d'abord à moi-même si
nous devions renoncer à faire des traités; et
cette question se réduit à savoir si, dans l'é-
tat actuel de notre commerce et de celui de
l'Europe, nous devons abandonner au hasard
l'influence des autres puissances sur nous, et
notre réaction sur l


'Europe; si, parce que nous
changerons tout à coup notre système politi-
que (et en effet que d'erreurs, que de préjugés
n


'aurons-nous pas à détruire), nous forcerons
les autres nations de changer le leur; si pen


.dant longtemps notre paix et la paix des au-
tres peut être conservée autrement que par'
un équilibre qui empêche une réunion sou-
daine de plusieurs peuples contre un seul. Le
temps viendra sans doute où nous n'aurons
que des amis et point d'alliés, oit la liberté du
commerce sera universelle, oit l'Europe ne sera
qu'une grande famille ; mais l'espérance aaussi son fanatisme : serons-nous assez heu-
reux pour que, dans un instant, le miracle au-
quel nous devons notre liberté se répète avec
éclat dans les deux inondes?


S'il nous faut encore des traités, celui-là
seul pourra les préparer, les arrêter, qui aura
le droit de les négocier; car je ne vois pas
qu'il pût être utile ni conforme aux bases dugouv


ernement que nous avons déjà consa-
crées, d


'établir que le Corps législatif com-


— 59 —
muniquera sans intermédiaire avec les autres
puissances. Ces traités vous seront notifiés sur-
le.champ ; ces traités n'auront de force qu'au-
tant que le Corps législatif les approuvera.
Voila encore les justes bornes du. concours en-
tre les deux pouvoirs; et ce ne sera pas même
assez de refuser l'approbation d'un traité dan,
gereux ; la responsabilité des ministres vous
ore encore ici les moyens de punir son cou.
pable auteur.


N'y a-t-il point d'autres précautions à pren-
dre sur les traités, et ne serait-il pas de la di-
gnité, de la loyauté d'une convention natio-
nale de déterminer d'avance, pour elle-même
et pour toutes les autres nations, non ce que
les traités pourront renfermer, mais ce qu'ils
ne renfermeront jamais? Je pense sur cette
question comme plusieurs des préopinants ; je
voudrais qu'il fat déclaré que la nation fran-
çaise renonce à toute espèce de conquête, et
qu'elle n'emploie jamais ses forces contre la
liberté d'aucun peuple.


Voilà, messieurs, le système que je me suis
fait sur l'exercice du droit de la paix et de la
guerre : mais je dois présenter d'autres mo-
tifs de mon opinion ; je dois surtout faire con-
naître pourquoi je me suis si fortement atta-
c
hé à ne donner au corps législatif que le con-


cours nécessaire à l'exercice de ce droit, sans
le lui attribuer exclusivement : le concours
dont je viens de parler peut seul prévenir tous
ces dtuigers.


Sans doute, la paix et la guerre sont des ac-
tes de souveraineté qui n'appartienne nt qu'à
la nation; et peut-on nier le principe à moins




— 90 ---
de supposer que les nations sont esclaves?
biais il ne s'agit pas du droit en lui-même, il
s'agit de la délégation.


Je ne me suis pas dissimulé non plus toue
les dangers qu'il peut y avoir de confier à un
seul homme le droit ou plutôt les moyens de
ruiner l'Etat, de disposer de la vie des ci-
toyens, de compromettre la sûreté de l'empire,d'attirer sur nos têtes, comme un génie mal-faisant, tous les fléaux de la guerre. Ici,
comme tant d'autres, je me suis rappelé les
noms de ces ministres impies ordonnant des
guerres exécrables pour se rendre nécessaires,
ou pour écarter un rival; ici, j'ai vu l'Europe
incendiée par le gant d'une duchesse trop tard
ramassé; je me suis peint ce roi guerrier et
conquérant, s'attachant ses soldats par la cor-
ruption et par la victoire, tenté de redevenir
despote en rentrant dans ses États, fomentant
un parti au dedans de l'empire, et renversant
les lois avec ce même bras que les lois seules
avaient armé.


Examinons si les moyens que l'on propose
pour écarter ces dangers n'en feront pas
naitre d'autres non moins funestes, non moins
redoutables à la liberté publique.


Et d'abord je vous prie d'observer qu'en
examinant si l'on doit attribuer le droit de la
souveraineté à tel délégué de la nation plutôt
qu'à tel autre, au délégué qu'on appelle


roi ouau délégué graduellement épuré et renouveléqui s'appellera Corps législatif, il faut écartert'entas les idées vulgaires d 'incompatibilité ;
qu'il dépend de la nation de préférer pour tel
acte individuel de sa volonté le délégué


qu'il


— 91 —


lui plaira; qu'il ne peut donc être question
puisque nous déterminons ce choix, que de con-
miter non l'orgueil national, mais "intérêt
publie, seule et digne ambition d'un grand
peuple. Toutes les subtilités disparaissent ainsi
pur faire place à cette question : par qui est-
ti utile que le droit de faire la paix ou la
guerre soit exercé 9
Je vous le demande à vous-mêmes. Sera-t-on


mieux assuré de n'avoir que des guerres jus-
tes, équitables, si l'on délégue à une assem-
b:ie de sept cents personnes l'exercice du
droit de faire la guerre? Avez-vous prévu jus-
qu'où l'exaltation du courage et d'une fausse
dignité pourrait porter et justifier l'impru-
ellce? Nous avons entendu un de nos ora-


teurs vous proposer, si l'Angleterre faisait à
l'Espagne une guerre injuste, de franchir à
l'instant les mers, de renverser une nation sur
2.11tre, de jouer dans Londres même, avec ces
sers Anglais, au dernier écu, au dernier
homme, et nous avons tous applaudi l Et je
tue suis surpris moi-même applaudissant ; et
un mouvement oratoire a suffi pour trom-
Per un instant votre sagesse. Croyez-vous que
te pareils mouvements, si jamais vous délibé-
rez ici de la guerre, ne -vous porteront pas à
(les guerres désastreuses, et que vous ne con-
iondrez pas le conseil du coura ge avec celui
te l'expérience? Pendant que vous délibérerez,


demandera la guerre à. grands cris; vous
Ferrez autour de vous une armée de citoyens.
Fous ne serez pas trompés par des ministres,
0 s le serez par vous-mêmes.
1 est un autre genre de danger qui n'est




— 92 —
propre qu'au Corps législatif dans l'exerci
du droit de la paix et de la guerre ; c'est qu'
tel corps ne peut être soumis à aucune espé
de responsabilité. Je sais bien qu'une victiin
est un faible dédommagement d'une guer
injuste; mais quand je parle de responsabilité
je ne parle pas de vengeance : ce ministre qu
vous supposez ne devoir se conduire qu
d'après son caprice, un jugement l'attend, g
tête sera le prix de son imprudence. Vous
avez eu des Louvois sous le despotisme; en
aurez-vous encore sous le régime de la li•
becté?


On parle du frein de l'opinion publique pote
les représentants de la nation ; mais l'opi•
nion publique, souvent égarée, même par de
sentiments dignes d'éloges, ne servira qu%
les séduire; mais l'opinion publique ne va pe
atteindre séparément chaque membre d'uns
grande assemblée.


Ce romain, qui, portant la guerre dans le
plis de sa toge, menaçait de secouer en la de
roulant tous les fléaux de la guerre, celui-la
devait sentir toute l'importance de sa mission.
Il était seul, il tenait en ses mains une grande
destinée, il portait la terreur ; niais le Sénat
nombreux qui l'envoyait au milieu d'une dia'
cussion orageuse et passionnée avait-il éprotlye
cet effroi que le redoutable et douteux aven!!
de la guerre doit inspirer? On vous l'a de,
dit, messieurs, voyez les peuples libres; C'el
par des guerres plus ambitieuses, plus barba'
ces qu'ils se sont toujours distingués.


Voyez les assemblées politiques; c'est ta'
jours sous le charme de la passion qu'e- les 001


— 93
décrété la guerre. Vous le connaissez tous, le
trait de ce matelot qui fit, en 1140, résoudre
la guerre de l'Angleterre contre l'Espagne.
Quand les Espagnols, m'ayant mutilé, me pré-
sentèrent la mort, je recommandai mon due à
Dieu et ma vengeance à ma patrie . C'était un
homme bien éloquent que ce mat flot; mais ]a
guerre qu'il alluma n'était ni juste ni politi-
que : ni le roi d'Angleterre ni les ministres
ne la voulaient; l'émotion d'une assemblée,
quoique moins nombreuse et plus assouplie
que la nôtre aux combinaisons de l'insidieuse
politique, en décida.


Voici des considérations bien plus impor-
tantes. Comment ne redoutez-vous pas, mes-
sieurs, les dissensions intérieures qu'une déli-
bération sur la guerre, prise par le Corps lé-
gislatif, pourra faire naître et dans son sein et
dans tout le royaume? Souvent, entre deux
Partis qui embrasseront violemment des opi-
nions contraires, la délibération sera le fruit
d'une lutte opiniâtre, décidée seulement par
quelques suffrages; et dans ce cas, si la même
division s'établit dans l'opinion publique, quel
succès espérez- vous d'une guerre qu'une
grande partie de la nation désapprouvera?


Nous mettrions donc une germe de dissen-
sions civiles dans notre constitution, si nous
taisions exercer exclusivement le droit de la
guerre par le Corps législatif.


Je m'arrête un instant, messieurs, sur cette
considération, pour vous faire sentir que, dans
la pratique des gouvernements, on est sou-
vent forcé de s'écarter, même pour l'intérêt
Public, de la rigoureuse pureté d'une abstrae-




___. ___.


tion philosophique. Vous avez vous-même dé.
crété que l'exécution de la volonté nationale
aurait, dans certains cas, le droit de suspendre
l'effet de la première manifestation de cette
volonté ; pourrait appeler de la volonté
connue des représentants de la nation à la vo-
lonté présumée de la nation. Or, si nous avons
donné un tel concours au monarque, même
dans les actes législatifs qui sont si étrangers
à l'action du pouvoir exécutif, comment, pour
suivre la chaîne des mêmes principes, ne fe-
rions-nous pas concourir le roi, je ne dis pas
seulement à la direction de la guerre, mais à
la délibération sur la guerre?


Écartons, s'il le faut, les dangers des dissen-
sions civiles. Eviterez-vous aussi facilement
celui des lenteurs des délibérations sur une
telle matière? Ne craignez-vous pas que votre
force publique ne soit paralysée, comme elle
l'est en Pologne, en Hollande et dans toutes
les républiques? Ne craignez-vous pas que
cette lenteur n'augmente encore, soit parce
que notre constitution prend insensiblement
les formes d'une grande confédération, soit
parce qu'il est inévitable que les départements
n'acquièrent une grande influence sur le Corps
législatif? Ne craignez-vous pas que le peuple,
étant instruit que ses représentants déclarent
la guerre en son nom, ne reçoive par cela
même une impulsion dangereuse vers la d é


-mocratie, ou plutôt l'oligarchie ; que le vol
de la guerre et de la paix ne parte du sein
des provinces, ne soit compris bientôt dans
les pétitions, et ne donne à une grande musee
d'hommes toute l'agitation qu'un objet aime


— 95 ----


important est capable d'exciter? Ne craignez-
sous pas que le Corps législatif; malgré sa
sagesse, ne soit porté à franchir lui-même les
limites de ses pouvoirs par les suites presque
inévitables qu'entraîne l'exercice du droit de
la guerre et de la paix? Ne craignez-vous pas
que, pour seconder le succès d'une guerre
qu'il aura votée, il ne veuille influer sur sa
direction, sur le choix des généraux, surtout
s'il peut leur imputer des revers, et qu'il ne
porte sur toutes les démarches du monarque
cette ;surveillance inquiète qui serait par le
fait un second pouvoir exécutif'?
Ne comptez-vous encore pour rien l'incon-


vénient d'une assemblée non permanente,
obligé/3 de se rassembler dans le temps qu'il
faudrait employer à délibérer, l'incertitude,
l'hésitation qui accompagneront toutes les dé-
teste:hes du pouvoir exécutif, qui ne saura (a-
nais jusqu'où les ordres provisoires pourront
s'étendre ; les inconvénients, même d'une dé-
libération publique sur les motifs de faire la
Pierre ou la paix, délibérations dont tous les
e2erets d'un Etat (et longtemps encore nous
burons de pareils secrets) sont souvent les
déments?


Il s'agit, d'ailleurs, de donner à la Constitu-
as' un caractère homogène; il ne se pourrait
Bans danger transporter les formes républi-
caines à un gouvernement qui est tout à la
fais monarchique et représentatif.
Par rapport à notre constitution, pouvons-


,r̀ (‘'1.ei espérer de la maintenir si nous compo-
'pris notre gouvernement de différentes formes
°I)Posées entre elles ? J'ai soutenu moi-même




— 96 —
qu'il n'existe qu'un seul principe de gouverne•
ment pour toutes les nations; je veux dire leur
propre souveraineté. Mais il n'est pas moins
certain que les diverses manières de déléguer les
pouvoirs donnent au gouvernement de chaque
nation des formes différentes, dont l'unité
dont l'ensemble constitue toute la force; don
l'opposition, au ,contraire, et la sévérité font
naître dans un Etat des sources éternelles de
division, jusqu'à ce que la forme dominante
ait renversé toutes les autres; et de là nais-
sent, indépendamment du despotisme, tous
les bouleversements des empires.


Rome ne fut détruite que par ce mélange
de formes royales, aristocratiques et démo-
cratiques. Les orages qui ont si souvent agité
plusieurs Etats de l'Europe n'ont point d'au-
tres causes. Les hommes tiennent à la distri-
bution des pouvoirs; les pouvoirs sont exercés
par des hommes ; les hommes, abusant d'une
autorité qui n'est pas suffisamment arrêtée,
en franchissent les limites. C'est ainsi que le
gouvernement monarchique se change en de-
potisme, et voilà pourquoi nous avons besoin
de prendre tant de précautions. Mais c'est e n


-core ainsi que le gouvernement représentatif
devient oligarchique, selon que deux pouvoirs
faits pour se balancer l'emportent l'un sur l'a u


-tre, et s'envahissent au lieu de se contenir.,
Or, messieurs, excepté le seul cas d'une ré-


publique proprement dite, ou d'une grande
confédération , ou d'une monarchie dont 16
chef est réduit à une vaine représentation)
qu'on me cite un seul peuple qui ait exclue'
vement attribué l'exercice de la guerre et ce


— 97 —
la paix à un sénat. On prouvera très bien dans
la théorie que le pouvoir exécutif conservera
toute sa force si tous les préparatifs, toute la
direction, toute l'action appartiennent au roi.
et si le corps législatif se borne à dire je velte'
la guerre ou ta paix; mais montrez-moi com-
ment le Corps représentatif, tenant de si pros
à l'action du pouvoir exécutif, ne franchira pas
les limites presque insensibles qui les sépare-
ront. Je le sais, la séparation existe encore;
l'action n'est pas la volonté; mais cette ligne
de démarcation est bien plus facile à démon-
trer qu'à conserver; et n'est-ce pas s'exposer
à confondre les pouvoirs, ou plutôt n'est-ce
pas déjà les confondre en véritable pratique
sociale, que de les rapprocher de si prés?


Si j'examine les inconvénients de l'attribu-
tion exclusive au corps législatif, par rapport
à nous-mêmes, c'est-à-dire par rapport aux
obstacles que les ennemis du bienpublic n'ont
cessé de vous opposer dans votre carrière; que
de nouveaux contradicteurs n'allez-vous exci-
ter parmi ces citoyens qui ont espéré pouvoir
concilier toute l'énergie de la liberté avec la
Prérogative royale? Je ne parle que de ceux-
là, non des flatteurs, non des courtisans, de
ces hommes avilis qui préfèrent le despotisme
à la liberté; non de ceux qui ont osé soutenir
dans cette tribune que nous n'avions pas eu
le droit de changer la constitution de l'État,
ou que l'exercice du droit de la paix ou de la


' Llerre est indivisible de la royauté, ou que le
conseil si souvent corrompu dont s'entourent
les rois est un plus fidèle organe de l'intérêt
Publie que les représentants choisis par le


7:11RADV.Ae, OP: N. E7 4




—ss—


peuple : ce n'est point de ces blasphémateurs
ni de leurs impiétés, ni de leurs impuissants
efforts que je veux parler, mais de ces hom-
mes qui, faits pour être libres, redoutent ce-
pendant les commotions du gouvernement
populaire, de ces hommes qui, après avoir re-
gardé la permanence d'une assemblée natio-
nale comme la seule barrière du despotisme,
regardent aussi la royauté comme une utile
barrière contre l'aristocratie.


Enfin, par rapport au roi, par rapport à ses
successeurs, quel sera l'effet inévitable d'une
loi qui concentrerait dans le Corps législatif le
droit de faire la paix ou la guerre? Pour les
rois faibles, la privation de l'autorité ne sera
qu'une cause de découragement et d'inertie;
mais la dignité royale n'est-elle donc plus au
nombre des propriétés nationales? Un roi en-
vironné ee perfides conseils, ne se voyant plus
l'égal des autres rois , se croira détrôné; il
n'aura rien perdu, car le droit de faire les
préparatifs de la guerre est le véritable exer-
cice du droit de la guerre; mais on lui per-
suadera le contraire; et les choses n'ont de
prix, et jusqu'à un certain point de réalité,
que dans l'opinion. Un roi juste croira du
moins que le trône est environné d'écueils, et
tous les ressorts de la force publique se re
cheront. Un roi ambitieux, mécontent du lot
que la constitution lui aura donné, sera l'en-
nemi de cette constitution dont il doit être 18
garant et le gardien.


Faut-il donc pour cela redevenir esclaves?
Faut-ii, pour diminuer le nombre des mécon-
tente, souiller notre immortelle constitution


— 99


par de fausses mesures, par de faux principes?
Ce n'est pas ce que je propose, puisqu'il s'agit
au contraire de savoir si le double concours
que j'accorde au pouvoir exécutif et au pou-
voir législatif, dans l'exercice du droit de la
guerre et de la paix, ne serait pas plus favo-
rable à la liberté nationale,


Voyons maintenant s'il reste encore des
objections que je n'aie pas détruites dans le
système que je combats.


Le roi, dit-on, pourradonc faire des guerres
injustes, des guerres antinationales; et com-
ment le pourrait-il, je vous le demande a vous-
mêmes ? est-ce de bonne foi qu'on dissimule
l'influence d'un corps législatif toujours pré-
sent, toujours surveillant, qui pourra non-seu-
lement refuser des fonds, mais improuver
guerre, mais requérir la négociation de la
paix? Ne comptez-vous encore pour rien l'in-
fluence d'une nation organisée dans toutes ses
Parties, qui exercera constamment le droit de
pétition dans des formes légales? Un roi des-
Pote serait arrêté dans ses projets : un roi ci-
toyen, un roi placé au milieu dus




peuple armé
ne le serait-il pas ?
, On demande qui veillera pour le royaume
lorsque le pouvoir exécutif déploiera toutes
es forces? ,le réponds la loi, la constitution,


l'équilibre toujours maintenu de la force inté-
rieure e vec la force extérieure.


Notre constitution n'est point encore affer-
mie ; on peut nous susciter une guerre pour


et
avoir le prétexte de déployer une grande force,


bien ;
do la tourner bientôt Contre nous.„


ne négligeons pas ces craintes , mais




— 100 —
distinguons le moment présent des effets du-
rables •• d'une constitution, et ne rendez pas
éternelles les dispositions provisoires que la
circonstance extraordinaire d'une grande con-
vention nationale pourra suggérer. Mais si
vous portez les défiances du moment dans l'a-
venir, prenez garde qu'à, force d'exagérer les
craintes nous ne rendions les préservatifs pi-
res que les maux, et qu'au lieu d'unir les ci-
toyens par la liberté, nous ne les divisions en
deux partis toujours prêts à conspirer l'un
contre l'autre. Si à chaque pas on nous me-
nace de la réstu'rection du despotisme écrasé,
si l'on nous oppose sans cesse les dangers d'une
t'es petite partie de la force publique, malgré
plusieurs millions d'hommes armés pour la
constitution, quel autre moyen nous reste-t-
il? Périssons dans ce moment! Qu'on ébranle
les voûtes de ce temple! et mourons aujour-
d'hui libres, si nous devons être esclaves de-
main.


Il faut, continue-t-on, restreindre l'usage de
la force publique dans les mains du roi;


' je le
pense comme vous, et nous ne différons que.
dans les moyens ; mais prenez garde encore
qu'en voulant la restreindre vous ne l'empei-
uhiez d'agir et qu'elle ne devienne nulle dans
ses mains.


Mais dans la rigueur des principes, la guerre
peut-elle jamais commencer sans que la na-
tion ait décidé si la guerre doit être faite?


Je réponds : l'intérêt de la nation est qua
toute hostilité soit repoussée par celui oui
la direction de la force publique ; voilà la
guerre conunencee. L'intérêt de la nation est


— 101
que les préparatifs de guerre des nations voi-
sines soient balancés par les nôtres ; voilà la
guerre. Nulle délibération ne peut préciser
ces événements, ces préparatifs : c'est lorsque
l'hostilité, ou la nécessité de la défense, de la
voie des armes, ce qui comprend tous les cas,
sera notifié au Corps législatif qu'il prendra
les mesures que j'indique; il improuvera;
requerra de négocier la paix; il accordera ou
refusera les fonds de la guerre; il poursuivra
les ministres; il disposera de la force inté-
rieure; il confirmera la paix, ou refusera de
la sanctionner.


Je ne connais que ce moyen de faire con-
courir utilement le Corps législatif à l'exercice
du. droit de paix et de guerre, c'est-à-dire à
un pouvoir mixte, qui tient tout à la fois de
l'action et de la volonté.


Les préparatifs mêmes, dites-vous encore,
qui seront laissés dans la main du roi, ne se-
ront-ils pas dangereux? Sans doute ils le se-
ront; mais ce danger est inévitable dans tous
les systèmes. Il est évident que, pour concen-
trer utilement dans le Corps législatif l'exer-
cice du droit de la guerre, il faudrait lui lais-
ser aussi le soin d'en ordonner les préparatifs ;
niais le pouvez-vous sans changer la forme
du gouvernement? Etsi le roi doit être chargé
des préparatifs, s'il est forcé par la nature,
Par l'étendue de ses possessions, de les dis-
,Poser à une grande distance, ne faut-il pas lui
laisser aussi la plus grande latitude dans les
raoyens? Borner les préparatifs ne serait-ce
Pas les détruire? Or, je demande si, lorsque
les' préparatifs existent, le commencement de




— 402 --


la guerre dépend de nous, ou du hasard, on
de l'ennemi? Je demande si souvent plusieurs
combats n'auront pas été donnés avant que
le roi en soit instruit, avant que la notification
puisse en être faite à la nation.


Mais ne pourrait-on pas faire concourir le
Corps législatif à tous les préparatifs de guerre
pour en diminuer le danger! Ne pourrait-on
pas les faire surveiller par un comité pris dans
l'Assemblée nationale? Prenez garde ; par cela
seul nous confondrions tous les pouvoirs en
confondant l'action avec la volonté, la direc-
tion avec la loi; bientôt le pouvoir exécutif ne
serait que l'agent d'un comité ; nous ne ferions
pas seulement les lois, nous gouvernerions
car quelles seront les bornes de ce concours,
de cette surveillance ? C'est en vain que vous
voudrez en assigner; malgré votre prévoyance,
elles seront toutes violées.


Prenez garde encore ; ne craignez-vous pas
de paralyser le pouvoir exécutif par ce con-
cours de moyens? Lorsqu'il s'agit de l'exécu-
tion, ce qui doit être fait par plusieurs person-
nes n'est jamais bien fait par aucune; on serait
d'ailleurs, dans un tel état de choses, cette res-
ponsabilité qui doit être l'égide de notre nou-
velle constitution ?


Enfin, dit-on encore, n'a-t-on rien à craindre
d'un roi qui, couvrant les complots du despo-
tisme sous l'apparence d'une guerre néces-
saire, rentrerait dans le royaume avec une
armée victorieuse, non pour reprendre son
poste de roi-citoyen, mais pour reconquérir
celui des tyrans?


de suppose qu'aucun corps d'une armée na-


103
tonale n'eût assez de patriotisme et de vertu
pour résister à un tyran, et qu'un tel roi con-
duisît des Français contre des Français aussi
facilement que César, qui n'était pas né sur
le trône, fit passer le Rubicon à des Gaulois.
Mais je vous demande si cette objection n'est
pas commune à tous les systèmes, si nous
s'aurons jamais à armer une grande force
publique, parce que ce sera au Corps législa-
tif à exercer le droit de faire la guerre?
Je vous demande si, par une telle objec-


tion, vous ne transportez pas précisément aux
monarchies l'inconvénient des républiques;
car c'est surtout dans les Etats populaires
que de tels succés sont à craindre ; c'est par-
mi les nations qui n'avaient point de rois que
ces succès ont fait des rois. C'est pour Car-
tiage, c'est pour Rome que des citoyens tels
qu'Annibal étaient dangereux. Tarissez l'am-
bition, faites qu'un roi n'ait à regretter que ce
..1e la loi ne peut accorder, faites de la ma-


gistrature du monarque ce qu'elle doit être, et
1, e craignez plus qu'un roi rebelle, abdiquant
mi-même sa couronne, s'expose à courir de la
victoire à l'échafaud...


Ici M. Duval d'Espréménil interrompit l'ora-
teur. — Je demande, dit-il, que M. de Mirabeau
e)it rappelé é l'ordre; il oublie que la personne
du roi a été déclarée inviolable.


Je me garderai bien de répondre à l'incul-
pation de mauvaise foi qui m'est faite; vous
ayez tous entendu ma supposition d'un roi
despote et révolté qui vient avec une armée
de


k'x'anCais conquérir la place des tyrans : or




10!1. --
un roi, dans ce cas, n'est plus un roi... Op
plautlissements unanimes.)


Il serait difficile et inutile de continuer une
discussion déjà bien longue au milieu d'ap-
plaudissements et d'improbations également
exagérées, également injustes. J'ai parlé, parce
que j'ai cru le devoir dans une occasion aussi
importante : je ne dois à cette Assemblée que
ce que je crois la vérité, et je l'ai dite. Je l'ai
dite assez fortement peut-être, quand je par-
lais contre les puissants : je serais indigne
des fonctions qui me sont imposées ; je serais
indigne d'être compté parmi les amis de la
liberté, si je dissimulais ma pensée quand je
penche pour un parti mitoyen entre l'opinion
de ceu:;. que j'aime et que j'honore, et l'avis
des hommes qui ont montré le plus de dis-
sentiment avec moi depuis le commencement
de cette Assemblée.


Vous avez saisi mon système ; il consiste à
attribuer concurremment le droit de faire la
paix et la guerre aux deux pouvoirs que la
Constitution a consacrés, c'est-à-dire au die
mixte qui tient tout à la fois de, l'action et de.
ra volonté. Je crois avoir combattu avec aven'
Cage les arguments qu'on alléguera sur cette
„question en faveur de tous les systèmes exclu',


Il est une seule objection insoluble qui
se retrouvera dans tous comme dans le mie>
et qui embarrassera toujours les diverses (luel
tions qui avoisineront la confusion des el,:
voirs ; c'est de déterminer les moyens 4:1'cv
vier au dernier degré de l'abus. Je n'en Wu:
nais qu'un; on n'en trouvera qu'un, et I:.
l'indiquerai par cette locution triviale et peut'


lire de mauvais goût que je me suis déjà per-
mise dans cette tribune, ruais qui peint nette-
ment Ma pensée; c'est le tocsin de la nécessité,
qui seul peut donner le signal quand le mo-
ment est venu de remplir l'imprescriptible
devoir de la résistance, devoir toujours impé-
rieux lorsque la Constitution est violée, tou-
jours triomphant lorsque la résistance est
juste et vraiment nationale.


]tors ne citons pas le projet de décret que
lut Mirabeau et dont toutes les dispositions se
trouvent dans les développements qu'on vient
de lire<
Ce discours de Mirabeau qui pourtant n'était


Pas de nature à satisfaire les royalistes, pro-
\•equa toutes les haines envieuses qui depuis
longtemps grondaient sourdement contre lui.
Dis pamphlets turent publiés a cette occasion
(lutte dénoncèrent aux vengeances populaires.
West a cette date qu'il faut rapporter le fameux
lltelle intitulé : Grande trahison découverte du
Ointe de Mirabeau. Une seule phrase, montrera
suffisamment le ton et le style de cet écrit :


Prends garde que le peuple ne fasse distiller
,a1,1sant


ta, po
gil


ur
ule


ei ndét
vipères


ama
d l'or


la
,


quisoif
ce nectar


te,ur,ul
uevore; prends garde que le peuple ne pro-
!lieu ta tête, comme il a porté celle de Fou-
°11, dont la bouche était remplie de foin. Le
bliaud est lent à s'irriter, mais il est terrible
1̀!innd le jour de sa vengeance est arrivé; ilkt inexorable, il est cruel ce peuple, à raison,


Cr
la grandeur des perfidies. a raison des es-
ances qu'on lui fait concevoir, à raison des


°IbMages qu'on lui a surpris. •




406 —


RÉPLIQUE.


Barnave à. l'Assemblée se fit l'organe de l'op.
position du parti radical. Mirabeau attendit à
la tribune pendant trois quarts d'heure, froi-
dement et les bras croises, que les rugisse-
ments des deux oppositions aristocratiques et
républicaines lui permissent de prendre la pa-
role pour répliquer à Barnave. Voici cette ré-
plique admirable qui foudroya complétement
tous es adversaires :


C'est quelque chose sans doute, pour rap-
procher les oppositions, que d'avouer nette-
tement sur quoi l'on est d'accord et sur quoi
l'on diffère. Les discussions amiables valent
mieux pour s'entendre que les insinuations
calomnieuses, les inculpations forcenées, les.
haines de la rivalité, les machinations de l'in-
trigue et de la malveillance. On répand de-
puis bila jours que la section de l'Assemblée
nationale qui veut le concours de la volonté
royale dans l'exercice du droit de la paix et
de la guerre est parricide de la liberté publi-
que; on répand les bruits de perfidie, de cor
ruption; on invoque les vengeances populaires
Pour soutenir la tyrannie des opinions. Oe
dirait qu'on ne peut sans crime avoir deux
avis dans une des questions les plus délicates
et les plus diffieile,s de l'or,ganisatior, sociale'


— 107
C'est une étrange manie, c'est un déplorable
aveuglement que celui qui anime ainsi les uns
contre les autres des hommes qu'un mémo
but, un sentiment indestructible devraient,
in milieu des débats les plus acharnés, tou-
jours rapprocher, toujours réunir ; des hom-
mes qui substituent ainsi l'irascibilité de
l'amour-propre au culte de la patrie, et se li-
vrent les uns les autres aux préventions po-
pulaires ! Et moi aussi, on voulait il y a peu de
ours me porter en triomphe, et maintenant
on crie dans les rue la grande trahison die
:ointe de Mirabeau




Je n'avais pas besoin de cette leçon pour sa-
voir qu'il est peu de distance du capitole à
la roche Tarpéienne ; mais l'homme qui com-
bat pour la raison, pour la patrie, ne se tient
pas si aisément pour vaincu. Celui qui a la
conscience d'avoir bien mérité de son pays,
et surtout de lui ètre encore utile; celui
que ne rassasie pas une vaine célébrité, et qui
dédaigne les succès d'un jour pour la véritable
gloire ; celui qui veut dire la vérité, qui veut
faire le bien public, indépendamment des
Mobiles mouvements de l'opinion populaire,
cet homme porte avec lui la récompense de
ses services, le charme de ses peines et le
Prix de ses dangers; il ne doit attendre sa
-poisson, sa destinée, la seule qui l'intéresse,
la destinée de son nom, que du temps,
ce juge incorruptible qui fait justice à. tous.
Que ceux qui prophétisaient depuis huit
leurs mon opinion sans la connaître, qui ca-
lomnient en ce moment mon discours sansl
'avoir compris, m'accusent d'encenser des ide-




-- 108 --
les impuissantes au moment où elles sont ren-
versées, ou d'être le vil stipendié des hommes
que je n'ai cessé de combattre; qu'ils dénon-
cent comme un ennemi de la révolution celui
qui peut-être n'y a pas été inutile, et qui, cette.
révolution fût-elle étrangère à sa gloire, pour.
rait là seulement trouver sa sûreté; qu'ils li-
vrent aux fureurs du peuple trompé celui qui
depuis vingt ans combat toutes les oppressions,
et qui parlait aux Français de liberté, de cons-
titution, de résistance lorsque ces vils calom-
niateurs suçaient le lait des cours, et vivaient
de tous les préjugés dominants. Que m'im-
porte! ces coups de bas en haut ne m'arrête-
ront pas dans ma carrière. Je leur dirai : Ré-
pondez si vous pouvez; calomniez ensuite tant
que vous voudrez !


Mirabeau, reprenant ensuite les arguments
de son premier discours, démontre l'erreur ca-
pitale ou Barvave était tombé.


Celui-ci avait dit : Les deux pouvoirs sont
distincts et ont des attributions séparées; l'uni
le Corps législatif, exprime la volonté natio-
nale; l'autre, le roi, l'exécute. La déclaration
de guerre étant un acte de volonté, c'est an
Corps législatif qu'il appartient de l'exprimer


Cette conclusion serait juste si le Corps
législatif était le pouvoir législatif, s'il corw
prenait tout le pouvoir législatif; mais d'après
la constitution, le roi participe à ce dernier
pouvoir : cela résulte de son droit de veto d
de la nécessité de sa sanction, pour assurer
l'existence légale des actes du Corps legife
latif.


-- 109
Il n'est donc pas exact de dire que notre


constitution a établi deux pouvoirs entière-
ment distincts, même lorsqu'il s'agit dexpri-:
mer la volonté générale : nous avons au con-
traire deux pouvoirs qui concourent ensemble
dans la formation de la loi, dont l'un fournit
une espèce de voeu secondaire, exerce sur
l'autre une espèce de contrôle,met dans la loi
sa portion d'influence et d'autorité. Ainsi, la
volonté générale ne résulte pas de la simple
volonté du Corps législatif.


Dans votre discours, vous attribuez l'énon-
ciation de la volonté générale.... à qui? Au
pouvoir législatif. Dans votre décret, à qui
l'attribuez-vous? au Corps législatif. Sur cela
je vous rappelle à l'ordre; vous avez forfait à
la constitution. Si vous entendez que le Corps .
législatif est le pouvoir législatif, vous ren-
verser par cela seul toutes l es lois que nous
avons faites : si, lorsqu'il s'agit (l'exprimer
la volonté générale en fait (le guerre, le
Corps législatif suffit par cela seul le roi,
n'ayant ni participation, ni influence, ni con-
trôle, ni rien de tout ce que nous avons
accordé au pouvoir exécutif, vous auriez
en législation deux principes différents ;
l'un pour la législation ordinaire, l'autre
Pour la législation en fait de guerre, c'est-
à-dire pour la crise la plus terrible qui
Puisse agiter le corps politique ; tantôt -vous
auriez besoin et tantôt vous n'auriez pas
besoin, pour l'expression de la volonté gé-
nérale, de l'adhésion du monarque Et
C'est vous qui parlez d'homo •énéité, d'unité
d'ensemble dans la constitution! Ne dites pas




-- 110
que cette distinction est vaine; elle l'est si
peu à mes yeux et à ceux de tous les bons
citoyens qui soutiennent ma doctrine, que si
vous voulez substituer dans votre décret à
ces mots : le Corps législatif, ceux-ci : le pouvoir
législatif, et définir cette expression en l'appe-
lant un acte de l'Assemblée nationale, sanc-
tionnée par le roi, nous sommes d'accord
Vous ne me répondez pas.... Je continue :


S'agit-il d'une déclaration de guerre?
Entendez-vous que la déclaration de guerre


soit tellement propre au corps législatif que
le roi n'ait pas l'initiative, ou entendez-vous
qu'il ait l'initiative ?


Dans le premier cas, s'il n'a pas l'initiative,
entendez-vous qu'il n'ait pas le veto? Dés lors,
voilà le roi sans concours dans l'acte le plus
important de la volonté nationale. Comment
conciliez-vous cela avec les droits que la cons-
titution a donnés au monarque? Comment le
conciliez-vous avec l'intérèt public? Vous au-
rez autant de provocateurs de la guerre que
d'hommes passionnés.


Ce serait une étran ge constitution que celle
qui, ayant conféré au roi le pouvoir exécutif
suprême. donnerait un moyen de déclarer la
guerre sans que le roi en provoquât la délibé-
ration par les rapports dont il est chargé!
Votre assemblée ne serait plus délibérative,
mais agissante, elle gouvernerait.


Vous accorderez donc l'initiative au roi.
âi vous accordez au roi l'initiative, ou vous


supposez qu'elle consistera dans une simple
notifi cation, ou vous supposez que le roi dé-


' clarera le parti qu'il veut prendre.


-- 111 --
Si l'initiative du roi doit se borner à une


simple notification, le roi, par le fait, n'aura
aucun concours à une déclaration de guerre.


Si l'initiative du roi consiste au contraire
dans la déclaration du parti qu'il croit devoir
être pris, voici la double hypothèse sur la-
quelle je vous prie de raisonner avec moi


Entendez-vous que, le roi se décidant pour
la guerre, le Corps législatif puisse délibérer
la paix? Je ne trouve à cela aucun inconvé-
nient. Entendez-vous au contraire que, le roi
voulant la paix, le Corps législatif puisse or-
donner la guerre et la lui faire soutenir mal-
gré lui? Je ne puis adopter votre système,
parce qu'ici naissent des inconvénients aux-
quels il est impossible de remédier.


De cette guerre délibérée malgré le roi, ré-
sulterait bientôt une guerre d'opinion contre
le monarque, contre tous ses agents. La sur-
veillance la plus inquiète présiderait à cette
guerre; le désir de la seconder, la défiance
contre les ministres porteraient le Corps lé-
gislatif à sortir de ses propres limites. On pro-
poserait des comités d'exécution militaire ,
comme on vous a proposé naguère des comi-
tés d'exécution politique ; le roi ne serait plus
que l'agent de ces comités; nous aurions deux
pouvoirs exécutifs, ou plutôt le Corps législa-
tif régnerait.


Ainsi par la tendance d'un pouvoir sur Vau-
tre, notre propre constitution se dénaturerait
entièrement; de monarchique qu'elle est . , elle
deviendait purement aristocratique. Vous n'a-
vez pas répondu à cette objection, et vous n'y
répondrez jamais. Vous ne parlez que de ré-




— 442
primer les abus ministériels, et moi, je


vousparle des moyens de réprimer les abus d'une
assemblée représentative ; le vousparle d'arrê-
ter la pente insensible de tout gouvernement
vers la forme dominante qu'on lui imprime.


Si eu contraire, le roi veulent la guerre,
vous bornez les délibérations du Corps légis-
latif à consentir la guerre ou à décider qu'elle
ne doit pas être faite, et à forcer le roi de né-
gocier la paix, vous évitez tous les inconvé-
nients; et remarquez bien, car c'est ici que se
distingue éminemment mon système, que vous
restez parfaitement dans les principes de la
constitution.


Le veto du roi se trouve, par la nature des
choses, presque entièrement émoussé en fait
d'exécution ; il peut rarement avoir lieu


en
.matière de guerre. Vous parez à cet inconvé-
nient, vous rétablissez la surveillance, le con-trôle respectif qu'a voulu la constitution, en
imposant aux deux délégués de la nation , à
es représentants amovibles, et à son repré-


sentant inamovible, le devoir mutuel d'être
d'accord lorsqu'il s'agit de guerre; vous attri-
buez ainsi au Corps législatif la seule faculté
qui puisse le faire concourir sans inconvénient
à l'exercice de ce terrible droit : vous remplis-
sez en même temps l'intérêt national autant
qu'il est en vous, puisque vous n'aurez be-
soin, pour arrêter le pouvoir exécutif, que
d'exiger qu'il mette le Corps législatif conti-n uellement à portée de délibérer sur tous les


, cas qui peuvent se présenter.
Mirabeau discute pied à pied es argumentsde Barnave ; il défend contre lui son proje


— 4 l3 —
article par article. Si c'est la question de l'uti-
lité du pouvoir royal qu'on veut poser, et du
choix à faire entre la monarchie et la républi-
que... Très-bien. Mais si l'on veut partir de la
base d'une constitution monarchique, il tant
être conséquent avec ce point de départ.


Il me semble, messieurs, que le point de
la difficulté est enfin complétement connu, et
que Barnave n'a point du tout abordé la
question. Ce serait un triomphe trop facile
maintenant que de le poursuivre dans les
détails, on s'il a fait voir du talent, il n'a ja-
mais montré la moindre connaissance d'homme
d'État ni des affaires humaines. Il a déclamé
contre les maux que peuvent faire et qu'ont
faits les rois; et il s'est bien gardé de remarquer
que, dans notre constitution, le monarque ne
Peut plus désormais être despote, ni rien faire
arbitrairement ; et il s'est bien gardé surtout
de parler des mouvements populaires Il a
cité Périclès faisant la guerre pour ne pas
rentre ses comptes; ne semblerait-il pas à
l'entendre que Périclès ait été un roi ou un
ministre despotique? Périclès était un homme
qui, sachant flatter les passions populaires et
se faire applaudir à propos en sortant de la
tribune, par ses largesses ou celles de ses


a entraîné à la guerre du Péloponèse
qui? l'assemblée nationale d'Athènes.


J'en reviens à la critique de mon projet de
décret, et je passerai rapidement en revue les
diverses objections :


Art. ter. Que le droit de faire la paix et la
guerre appartient à la nation.


M. Barnave soutient que cet article est inu-




— iii —
tile. Pourquoi donc inutile? Nous n'avons pas
délégué la royauté ; nous l'avons reconnue en
quelque sorte comme préexistante à notre
constitution ; or, puisqu'on a soutenu dans
cette assemblée que le droit de faire la paix
et la guerre est inhérent à la royauté, puis-
qu'on a prétendu que nous n'avions pas même
la faculté de le déléguer, j'ai donc pu, j'ai da
énoncer dans mon décret que le droit de la
paix et de la guerre appartient à la nation.
Où est le piége?


Art. 2. Que l'exercice du droit de la paix et
de la guerre doit être délégué concurremment
au Corps législatif et au pouvoir exécutif de
la manière suivante : Selon If. Barnave cet
article est contraire aux principes, et dévoile
le piége de mon décret. Quelle est la question,
la véritable question qui nous agite? Parlez
nettement : les deux délégués de la nation
doivent-ils concourir ou non à l'expression de
la volonté générale? S'ils doivent y concourir,
peut-on donner à l'un d'eux une délégation
exclusive dans l'exercice du droit de la paix
et de la guerre? Comparez mon article avec
le vôtre : vous ne parliez ni d'initiative pro-
prement dite, ni de proposition, ni de sanction
de la part du roi : si fe ne parle pas non plus
ni de proposition, ni de sanction, je remplace
ce concours par un autre. La ligne qui nous
sépare est donc bien connue : c'est moi qui
suis dans la constitution ; c'est vous qui vous
en écartez. 11 faudra bien que vous y reveniez.
De quel côté est le piége?


Il est, dites-vous, en ce que je n'exprime
pas de quelle manière le concours de ces deus


115 --


délégués doit s'exercer. Quoi ! je ne l'exprime
pas! que signifient donc ces mots : de la ma-
nière suivante, et quel est l'objet des articles
qui suivent? n'ai-je pas dit nettement dans
plusieurs de ces articles que la notification
est au roi, et la résolution, l'approbation,
l'improbation à l'Assemblée nationale ? ne
résulte-t-il pas évidemment de chacun de mes
articles que le roi ne pourra jamais entrepren-
dre la guerre ni même la continuer sans la
décision du Corps législatif? Où est le piége ?
je ne connais qu'un seul piége dans cette dis-
cussion; c'est d'avoir affecté de ne donner
au Corps législatif que la décision de la
guerre et de la paix, et cependant d'avoir, par
le fait, au moyen d'une réticence, d'une dé-
ception de mots, exclu entièrement le roi de
toute participation, de toute influence à l'exer-
cice du droit à la paix et de la guerre.


Je ne connais qu'im seul piége dans cette
affaire; mais ici un peu de maladresse vous a
dévoilé; c'est en distinguant la déclaration de
la guerre dans l'exercice du droit comme un
acte de pure volonté, de l'avoir en consé-
quence attribué au Corps législatif seul,
comme si , le Corps législatif, qui n'est pas le
Pouvoir législatif, avait l'attribution exclusive
de la volonté.


Art. 3. Nous sommes d'accord.
Art. 4. Vous avez prétendu que je n'avais


exigé la notification que dans le cas d'hostili-
t.é; que j'avais supposé que toute hostilité
était une guerre, et qu'ainsi je laissais faire
la guerre sans le concours du Corps législatif.
Quelle insigne mauvaise foi! j'ai exigé la noti-




-- 416 --
fication dans le cas d'hostilité iniinente Ottcommencée, d'un allié à soutenir, d'un droit à
conserver par la force des armes :


ai-je ou noncompris tous les cas? Où
est le piège ?J'ai dit dans mon discours que


souvent deshostilités précéderaient toute délibération;j'ai dit que ces hostilités pourraient être tellesque l'état de guerre fût commencé : qu'avez-vous répondu? qu'il n'y avait guerre que paxla déclaralion de guerre. Mais disputons-noussur les choses ou sur les mots? Vous
avezdit sérieusement ce que U. de Bougainvilledisait an combat de la Grenade, dans un mo-


ment de gaîté héroïque; les boulets roulaientsur son bord; il cria à ses officiers : Ce qu'il ya d'aimable, messieurs, c'est que nous ne
sommespoint en guerre;


et, en effet, elle n'était pasdéclarée.
Vous vous êtes longuement étendus sur lecas actuel de l 'E


spagne. Une hostilité existe;
l'assemblée nationale d'Espagne n'aurait-ellepas à délibérer ? Oui, sans doute, et je l'ai dit,et mon décret a formelle


mentprévu ce cas; cesont des hostilités com
mencées, un droit àconserver, une guerre imminente; donc, avez-


vous conclu, l 'hostilité ne constitue pas l'étatde guerre. Mais si, au lieu de deux navires,pris et relâchés dans le Nord
-de


-Castille,
il yavait eu un combat entre deux


vaisseaux deguerre; si, pour les soutenir, deux escadress'étaient mêlées de la querelle; si tin généralentreprenant eût poursuivi le vaincu jusque
d nle
ans ses


Ports; si une île importante avait étée
vée, n'y aurait-il pas alors état de guerre?1 Ce sera tout ce que vous


voudrez; mais puis-


-- in --
que ni votre décret ni le mienne présentent le
moyen de faire devancer de pareilles agressions
par la délibération du Corps législatif, vous
conviendrez que ce n'est pas la la question.
Mais où est le piége?


Art. 3. J'ai voulu parler d'un fait possible et
que vous ne prévoyez pas dam votre décret.
Dans le cas d une hostilité reçue et repoussée,
il peut exister une agression coupable; la na-
tion doit avoir le droit d'en poursuivre l'auteur
et de le punir: il ne suffit pas alors de ne pas
faire la guerre; il faut réprimer celui qui,
par une démarche imprudente ou perfide, au-
rait couru le risque ou tenté de nous y enga-


ger. Yen indique le moyen; est-ce la un piége?
Mais, dites-vous, je suppose clone que le pou-
voir exécutif a le droit de commencer les hos-
tilités-, de commettre une agression coupable.


Non, je ne lai donne pas ce droit; mais je
raisonne sur un fait possible, et que ni vous
ni moi ne pouvons prévenir. Je ne puis pas
faire que le dépositaire suprême de toutes les
forces nationales n'ait pas de grands moyens
et les occasions d'en abuser ; mais cet incon-
vénient se retrouve dans tous les systèmes.
Ce sera, si vous le voulez, le mal de la royauté;
mais prétendez-vous que des institutions hu-
maines, qu'un gouvernement fait par des
hommes, pour des hommes, soit exempt d'in-
convénients? Prétendez-vous, parce. que la
royauté a des dangers, nous faire renonce/
aux avantages de la royauté? Dites-le nette-
ment ; alors ce sera à nous de déterminer si,
parce que le feu brûle, nous devons nous pri-
ver de la chaleur, de la lumière que nous em-




-- 118 --
pruntons de lui. Tout peut se soutenir, exceptél
'inconséquence : dites-nous qu'il ne faut pas


de roi, ne dites pas qu'il ne faut qu'un roi im-puissant, inutile.
Art. 6, 7


et 8. Vous ne les avez pas atta-qués, je
crois, ainsi noue sonmies d'accord.liais co


nvenez que celui qui impose au pou-
voir exécutif des limitations q u'aucun autredécret n'a présentées n'a pas doté d'u.surpa-ton la puissance royale, comme on n'a pasrougi


de le dire, et qu'il sait aussi munir deprécautions


.


constit
utionnelles les droits de cepeuple qu'aussi bien qu'un autre peut-être ila défendu.


Art. e. Que dans le cas où le roi fera laguerre en pe
rsonne, le Corps 3.égislatif aura le


droit de réunir tel nombre de garde natio-
nale, et dans tel endroit qu'il le trouvera con-
venable... Vous me faites un grand


reproched'avoir proposé cette inestu
.e. Elle a des in-


convénients, sans doute; quelle institutionn'en a pas? Si
vous l'aviez saisie, vous auriez


vu que si Cette mesure avait été, comme vous
tème
l'avezCas dit, un accessoire nécessaire à mon sys-au , je


trèsne nier serais pas borné à l 'appliquer, rar
doute, o ù le


feraitguerre en personne,
ans mais que je l'auroi


rais in laSiqué pour tous les cas de,guerre indéfiniment Sidans tout cela il y a un piége, ce piége est toutentier dans votre argu
mentation, et non dansle système de celui qui veut écarter le roi du


commandement des armées ou des frontières,parce qu'il ne pense pas que le
surveillantuniversel de la société doive être concentré


' dans des fonctions aussi hasardeuses; il n'est


-- 119 --
pas dans le système de celui qui met dans vo-
tre organisation sociale le seul moyen d'insur-
rection régulière qui soit dans le principe de
votre constitution. Il y a évidemment de la
mauvaise foi à chercher la faiblesse de mon
système ou quelque intention artificieuse dans
la prévoyance d'un inconvénient présenté par
tous ceux qui ont parlé avant moi, et qui
existe également dans tous les systèmes; car
il est évident qu'un roi guerrier peut être
égaré par ses passions et servi par ses légions
élevées à la victoire, soit que le pouvoir légis-
latif, soit que le pouvoir exécutif ait commen-
cé la guerre. Si, dans toutes les hypothèses
constitutionnelles, ce malheur terrible peut
également se prévoir, il n'y a d'autre remède
à lui opposer qu'un remède terrible : vous et
moi nous reconnaissons également le devoir
de l'insurrection dans des cas infiniment ra-
res. Est-ce un moyen si coupable que celui
qui rend l'insurrection plus méthodique et
plus terrible? Est-ce un piège que d'avoir as-
signé aux gardes nationales leur véritable
destination? Et que sont ces troupes sinon les
troupes de la liberté? Pourquoi les avons-nous
instituées, si elles ne sont pas éternellement
destinées à conserver ce qu'elles ont conquis?
Au reste, c'est vous qui le premier nous avez
exagéré ce danger : il existe ou il n'existe
pas; s'il n'existe pas, pourquoi l'avez-vous
fait tant valoir? S'il existe, il menace mon
système comme le vôtre. Alors, acceptez mon
moyen ou donnez-en un autre, ou n'en prenez
point du tout, cela m'est égal, à moi qui ne
Crois pas à ce danger.




-- 120 --
Voici la péroraison de ce discours ui ter-


mine le débat par la victoire de tribunq
e laplus éclatante que Mirabeau ait jamais rem-portée.


Il est plus que temps de terminer ces longs
iébats. Désormais, je crois que l'on ne dissi-
xmlera plus le vrai point de la difficulté. Je
Peux le concours du pouvoir exécutif à l'ex-
pression de la volonté générale en fait depaix et de guerre, comme la constitution le
lui a attribué dans toutes les parties déjà.
fixées de notre système social... Mes adver-
saires ne le veulent pas. Je veux que la sur-
veillance de l'un des délégués du peuple ne
s'abandonne pas dans les opérations les plus
importantes de la politique; et mes adversai-
res veulent que l'un des délégués possède ex-
clusivement la faculté du droit terrible de la
euerre, comme si, lors mémo que le pouvoir
exécutif serait étranger à la confection de la
volonté générale, nous avions à délibérer surle seul fait de la déclaration de guerre et que
l'exercice de ce droit n'entraîne pas une série
d'opérations mixtes où l'action et la volonté
se pressent et se confondent.


Voilà la ligne qui nous sépare. Si je me
trompe encore une fois, que mon adversaire
m


'arréte, ou plutôt qu'il substitue dans son
décret à ces mots le Corps législatif ceux-cile pouvoir législatif, c 'est-à-dire un acte émanédes représentants de la nation et sanctionnépar le roi, et nous sommes parfaitement d'ac-


'cord, sinon dans la pratique, du moins dans
la théorie; et nous verrons alors si mon dé-


-- 421 --
cret ne réalise pas mieux que tout autre cette
théorie.


On vous a proposé de juger la question par
le parallèle de ceux qui soutiennent l'affirma-
tive et la négative. On vous a dit que vous
verriez d'un côté des hommes qui espèrent
s'avancer dans les armées ou parvenir à gérer
les affaires étrangères; des hommes qui sont
liés avec les ministres et leurs agents; de
l'autre, le citoyen paisible, vertueux, ignoré,
sans ambition, qui trouve son bonheur et son
existence dans l'existence, dans le bonheur
commun.


Je ne suivrai pas cet exemple. Je ne crois
pas qu'il soit plus conforme aux convenances
de la politique qu'aux principes de la morale
d'affiler le poignard dont on ne saurait bles-
ser ses rivaux sans en ressentir bientôt sur
son propre sein les atteintes : je ne crois pas
que des hommes qui doivent servir la cause
publique en véritables frères d'arme aient
bonne grâce à se combattre en vils gladia-
teurs, à lutter d'imputations et d'intrigues, et
non de lumières et de talents; à chercher
dans la ruine et la dépression les uns des au-
tres de coupables succés, des trophées d'un
jour, nuisibles à tous et même à la gloire.
Mais je vous dirai : parmi ceux qui soutien-
nent ma doctrine, vous compterez tous les
hommes modérés qui ne croient pas que la sa-•
gesse soit dans les extrémes, ni que le cou-
rage de démolir ne doive jamais faire place à
celui de reconstruire. Vous compterez la plu-
part de ces énergiques citoyens qui, au com-
mencement des états généraux (c'est ainsi




— 122
que s'appelait alors cette convention natio-
nale encore garrottée dans les langes de la
liberté), foulèrent aux pieds tant de préjugés,
bravèrent' tant de périls, déjouèrent tant de
résistancespour passerau sein des communes,
à qui ce dévouement donna les encourage-
ments et la force qui ont vraiment opéré votre
révolution glorieuse ; vous y verrez ces tri-
buns du peuple que la nation comptera long-
temps encore, malgré les glapissements de
l'envieuse médiocrité, au nombre des libéra-
teurs de la patrie ; vous y verrez des hommes
dont le nom désarme la calomnie et dont les
libellistes les plus effrénésn'ont pas essayé de
ternir la réputation ni d'hommes privés ni
d'hommes publics; des hommes enfin qui,
sans tache, sans intérêt et sans crainte, s'ho-
noreront jusqu'au tombeau de leurs *amis et de
leurs ennemis.


Cette éloquente réfutation ramena presque
toute l'Assemblée à l'opinion de Mirabeau, et
son projet de décret fut adopté le même jour,
22 mai, sans réplique de Barnave, qui ne ré-
clama que faiblement la clôture de la discus-
sion, quoique son victorieux adversaire l'an-
pelât à la tribune.


LSTIME: AtAtESÉt AUX QUATI1E-VINGT•Itt-91
D:1".PARTEàlEN'ïS


Pour réfuter toutes les attaques et toutes les
calomnies dont il avait été l'objet, afin de dé-
fendre à la fois son système, sa conviction et
son honneur, Mirabeau répandit à profusion
ses deux discours; il v joi gnit une Lettre, qu'il
adressa, le 1er aux quatre-vingt-trois


d:are


rst.ements, dans laquelle, expliquant la per-
fide tactique de ses ennemis, il se défendait
noblement contre leurs accusations menson-


Voici le texte de cette lettre, qui ne doit pas
être séparée des deux discours que nous ve-
nons de citer :


•Tant qu'on n'a calomnié que ma vie privée,
je me suis tu, soit parce qu'an rigoureux si-
lence est une expiation des fautes purement
Personnelles, quelque excusables qu'elles puis-
sent être, et parce que je ne voulais attendre
que du temps et de mes services l'estime des
(;ers de bien;' encore parce que la verge
dela censure publique m'a toujours paru infi-
niment respectable, même placée entre des
kains ennemies ; soit surtout parce que je n'ai
lainais vu qu'un étroit égoïsme et une ridicule
inconvenc.nce dans la prétention d'occuper ses
eiesneinittod3r-ensise,d e toute autre chose que de ce qui




-32'
Mais aujourd'hui qu'on attaque mes princi-


pes d'homme public, aujourd'hui qu'on menace
la société entière dans l'opinion que je défends,
je ne pourrais me tenir à l'écart sans déserter
un poste d'honneur, sans violer, pour ainsi
dire, le précieux dépôt qui m'a été confié ; et
je crois devoir un compte spécial de mon opi-
nion travestie à. cette même nation dont on
m'a tant accusé de trahir les intérêts. Il ne
me suffit pas que l'Assemblée nationale m'ait
lavé de cette odieuse imputation en adoptant
presque à l'unanimité mon système ; il faut
encore que je sois jugé par le tribunal dont le
législateur lui-même n'est que le sujet et l'or-
gane. Ce jugement est d'autant plus important
que, placé jusqu'ici parmi les utiles tribuns du
peuple, je lui dois un compte rigoureux de
mes opinions. Ce jugement est. d'autant plus
nécessaire qu'il s'agit de prononcer sur des
principes qui distinguent la vraie théorie de la
liberté de la fausse, ses vrais apôtres des faux
apôtres, les amis du peuple de ses corrup-
teurs; car le peuple, dans une constitution li-
bre, a aussi ses hommes de cour, ses parasi-
tes, ses flatteurs, ses courtisans, ses esclaves.


Au milieu d'une discussion solennelle sur
l'exercice du droit de la paix et de la guerre,
tandis qu'une section de l'Assemblée voulait
conserver ce droit en entier à la royauté, et
liu'une autre l'accordait exclusivement au
Corps législatif, sans le concours du monar•
que, j'ai proposé d'attribuer concurremment CE-
droit redoutable aux deux parties de la délé-
gation souveraine de la nation.


L'examen réunit bientôt les membres da


— 125
parti populaire qui ne s'étaient trouvés div•
sés sur cette question que par un malentendu.
Mais ceux qui, voulant à toute force être chefs
de faction plutôt que professeurs d'opinions,
avaient prédit leurs succès sur l'intrigue et la
calomnie; ceux qui, avant de m'entendre,
avaient rendue périlleuse la prononciation
même de mon discours ; ceux qui faisaient
d'un principe constitutionnel une question
d'amour-propre, une affaire de parti; ceux-lé
mêmes, après avoir été vaincus évidemment
sur les principes, devaient refuser d'en con-
venir ; ils reçurent pourtant des tribunes et de
la foule qui entourait l'Assemblée, les applau-
dissements qui leur avaient été préparés; mais
leur système, en apparence plus populaire et
plus capable d'émouvoir la multitude igno-
rante et non avisée, ne put leur obtenir cin-
quante suffrages au sein de l'Assemblée, qui
opposa son courage ordinaire aux menaces et
a la séduction.


C'est maintenant a vous, messieurs, que je
soumets mon projet de décret et mes discours;
vous serez sans doute affligés de voir com-
bien l'esprit de parti peut altérer les questions
les plus importantes, et diviser les auxiliaires
les plus nécessaires de la liberté. Mais de-
'ais-je, pour un misérable succès d'un mu-
aient, abandonner le principe qui a fait de la
Participation du roi dans la formation de la
volonté générale, une des bases de notre Cons-
titution? Devais-je élever des autels à la po-
Pularité, comme les anciens à la Terreur, et,


Unmolant mes opinions et mes devoirs,.
apaiser par de coupables sacrifices?




/ 26 —
Ceux-là, messieurs (déjà, tous les citoyens


éclairés le sentent), ceux-là seuls seront les
vrais amis du peuple, qui lui apprendront
qu'aux mouvements qui nous ont été nécee.
saires pour sortir du néant, doivent succéder
les conceptions propres a nous organiser pour
le temps; qu'après nous être assez méfiés,
qu'après avoir surtout assez déblayé de mi-
sérables décombres, il faut le concours de
toutes les volontés à reconstruire ; qu'il est
temps enfin de passer d'un état d'insurrec-
tion légitime à la paix durable d'un véritable
état social , et que l'on ne conserve pas la
liberté par les seuls moyens qui l'ont con-
quise.




PLOGE FUNÈBRE DE FRANKLIN


ECR LES TRAITÉS DE LA FRANCE AVEC L'ESPAGN4


SUR LES ASSIGNATS


SUR LA PROCÉDURE DU CRATELET




— 131 —


ÉLOGE FUNÈBRE DE FRANELE,,


Le 11 juin, Mirabeau annonça à la tribune la
mort de Franklin, et prononça, en quelque
mots, un éloge funèbre :
Franklin est mort! il est retourné au sein


de la divinité, le génie qui affranchit l'Améri-
que, et versa sur l'Europe des torrents de lu-
mière!


Le sage que deux. mondes réclament, l'hom-
me que se disputent l'histoire des sciences et
l'histoire des empires, tenait sans doute un
rang élevé dans l'espèce humaine.


Assez longtemps les cabinets politiques ont
notifié la mort de ceux. qui ne furent grands
que dans leur éloge funèbre ! Assez longtemps
l'étiquette des cours a proclamé des deuils hy-
pocrites! Les nations ne doivent porter que le
deuil de leurs bienfaiteurs; les représentants
des nations ne doivent recommander à leur
-40minage que les héros de l'humanité.


1
Le Congrès a ordonné dans les quatorze


7:tats confédérés un deuil de deux mois pour
_ta mort de Franklin, et l'Amérique acquitte
en ce moment ce tribut de vénération et de
reconnaissance pour l'un des pères de sa
constitution.


Ne serait-il pas digne de vous, messieurs,


I


III




-- 132 —
de vous unir à cet acte vraiment religieux, de
participer à cet hommage rendu à la face de
l'univers, et aux droits de l'homme, et au phi-
losophe qui a le plus contribué à en propage
la conquête sur toute la terre? L'antiquité eût
élevé des autels à ce vaste et puissant génie,
qui, au profit des mortels, embrassant dans sa
pensée le ciel et la terre, sut dompter la fou-
dre et les tyrans : l'Europe éclairée et libre
doit du moins un témoignage de souvenir et
de regret à l'un des plus grands hommes qui
aient jamais servi la philosophie et la li-
berté.


Je propose qu'il soit décrété que l'Assemblée
nationale portera pendant trois jours le deus
de 13enjanun


La proposition de Mirabeau est décrétée par.
acclamation, et le premier jour de deuil ine
au lundi 14. On ordonne l'impression de son
discours, et d'une lettre du président au CO-


' grès des Etats-Unis, pour lui témoigner les !a*
grets de l'Assemblée sur la mort de rranklut


— 133 —


SUR LA LIBERTÉ DU COMMERCE
PROPOS DES RETOURS DE L'INDE


Le 28 juin, une question d'économie politi-
que donna à Mirabeau l'occasion de dévelop-
per de nouveau ses principes sur la liberté du
commerce. Le comité de l'Assemblée chargé
de traiter les matières commerciales avait
proposé de décréter que les retours de l'Inde
seraient exclusivement débarqués dans le port
de Lorient ; et les motifs présentés à l'appui
alléguaient l'utilité : 10 de donner au commerce
la certitude de trouver dans un seul et même
port toutes les provenances de l'Inde ; 20 de
faciliter la perception des droits; 30 d'éviter
l'absorption de numéraire qui aurait lieu si
tous les ports étaient ouverts aux navires
marchands venant de l'Inde.


Mirabeau combattit fortement ces raisons ; il
s'attacha à prouver que les principes de la li-
berté universelle se concilient parfaitement
avec les intérêts du commerce, du fisc et des
manufactures nationales.


Il montra la contradiction qu'il y aurait entre
une disposition pareille, et le decret rendu le
3 avril précédent, qui, abolissant d'antiques et
abusifs Monopoles, avait décidé que le com-
merce de l'Inde serait libre pour tous les Fran-
çais :


Les mots gêne et liberté ne sont synonymes
dans aucune langue. Ce n'est point après
avoir aboli des privilégies, que la loi pourrait




— 434 —
créer des pli y:14'es. Tous les avantages locaux
résultant d'un entrepôt exclusif ne seraient-ils
pas le domaine particulier des seuls habitants
du lieu où il serait renfermé? ces habitants ne
seraient-ils pas de véritables privilégiés? si la
nature a créé de véritables exclusions; celles-
là sont respectables, celles-là naissent de la
variété qu'elle a mise dans ses ouvrages, mais
quand les législateurs en établissent eux-
mêmes, ils ne peuvent plus dire qu'ils ont rendu
libre l'usage de la chose soumise à une exclu-
sion légale; ils ne peuvent plus dire qu'ils con-
servent l'usage de la liberté, puisque la liberté
n'est autre chose que le droit et le pouvoir de
se livrer aux invitations de la nature, aux sué»
culations de l'industrie, dans tous les lieux, de
toutes les manières, pourvu que le droit d'au-
trui soit conservé....


Pourquoi veut-on fixer un entrepôt exclusif?
Afin que les marchandises de l'Inde s'y ven-
dent d'une manière plus uniforme. Développez
ce motif : êtes-vous certains que la fixation
du lieu à laquelle on se déterminerait pour un
plus grand bien n'entraînerait pas la nécessité
de réunir les ventes clans la main d'un seul
vendeur ? A-t-on examiné la question sous ce
point de vue? .A-t-on dit : il n'y aura qu'un
lieu de débarquement; voyons si cette restriction.
n'en amène pas d'autres. Pour peu que, dans
cet examen, l'on trouve qu'un seul vendeur
en Europe serait plus convenable à. la chose
publique, n'arriverait-il point qu'on rentre-
rait, par cela même, dans la convenance d'un
'seul acheteur aux Indes; et qu'ainsi la pré-
tendue nécessité


— 135
tonné sur l'uniformité, obligerait à revenir au
privilége exclusif d'une compagnie?


Les lois d'égalité et de liberté proscrivent
toute espèce de régime exclusif, à moins qu'un
grand intérêt public n'exige impérieusement
le contraire : voilà le principe. Qu'allègue-t-
on pour le combattre?


On propose, comme des considérations sé-
rieuses, ces trois motifs : les convenances des
vendeurs et des acheteurs, l'intérêt des ma-
nufactures du royaume, la facilité de la per-
ception des droits.


On assure que l'intérêt des vendeurs et
des acheteurs exige la réunion des marchan-
dises de l'Inde, pour présenter aux vendeurs
plus d'avantages , aux acheteurs plus de con-
venances.


Je réponds que lorsque l'intérêt de tous
exige évidemment que tous s'astreignent à la
même combinaison, à la même mesure , il
n'est pas nécessaire de la déterminer par une
loi. S'il est des individus à qui cette mesure
ne convient pas ; si de nouvelles circonstan-
ces changent l'état des choses, et indiquent
un autre cours aux spéculations, comment, et
en vertu de quel principe le droit qui appar-
tient à. l'homme de disposer à son gré de sa


. Propriété, pourrait-il être enchaîné ?
Si ce droit a chi être dans tous les temps


respecté, serait-il violé par une assemblée qui
lutté contre les exceptions de tous les gen-


re qui a détruit tous les priviléges, qui a
restitué toutes les propriétés que le despotis.


ou une dresse politique avaient usurpées?
,serait aussi contraire aux droits de Mein-d'un seul port, uniquement


It




— 136 —
me, ou plutôt aux droits du citoyen, de gêner
les spéculations d'un commerce permis , que
de mettre des entraves aux transactions so-
ciales. Il serait aussi absurde de forcer le
vendeur, d'exposer sa marchandise dans tel
marché plutôt que dans tel autre, sous le pré-
texte des convenances publiques ou particu-
lières, qu'il le serait de soumettre la culture
de nos champs au même procédé, ou de nous
forcer it vendre nos denrées territoriales dans
tel marché déterminé. Ne dirait-on pas, pour
justifier ces lois de police, que des rapports
plus utiles, que des approvisionnements mieux
combinés, prescrivent cette gêne en faveur de
l'utilité publique? heureusement le temps de
ces calculs empyriques a disparu; on sait au:
jourd'hui que toutes ces modifications ne sont
que la violation des principes ; laissez faire,
laissez passer : voilà les deux mots, le seul
code raisonnable du commerce.


Mais est-il vrai que l'intérêt des vendeurs
et des acheteurs soit de réunir les marchan-
dises dans un seul lieu? je ne connais qu'un
seul intérêt pour les vendeurs, c'est de bien
vendre; et pour les acheteurs, d'acheter à bas
prix : d'oit il suit que si la détermination d'an
port exclusif exige des dépenses plus fortes,
des frais plus considérables, par cela seul l'in-
térêt des uns et des autres est violé...


Enfin, on veut retenir les marchandises
dans un seul port, relativement aux droits du
fisc, pour rendre la surveillance plus facile et
diminuer les moyens de contrebande.


D'abord, si par surveillance on entend l'asti'
vite inquiète du régime des prohibitions, ig


— 137
ne vois plus ni commerce, ni liberté de com-
merce.Je ne veux pas que l'en renonce à faire
des droits fiscaux sur les retours de l'Inde une
branche de revenu public; mais je ne conçois
pas qu'il faille, pour y parvenir, violer la li-
berté, la sacrifier à des inquiétudes; je ne
conçois pas qu'il faille blesser la justice qui est
due à chaque armateur et à chaque port, tandis
que les droits de fisc peuvent être partout as-
surés par les plus simples précautions, par les
plus modiques dépenses...


On a reconnu depuis longtemps, en Angle-
terre comme chez nous, que les désavantages
du commerce de l'Inde ne peuvent être com-
pensés pour une nation qu'autant qu'elle rap-
porte en Europe un grand excédant de mar-
chandises pour en faire un objet d'exporta-
tion. On a également reconnu que cette ex-
portation ne peut se faire avec succès qu'en
exceptant de tout droit la portion de ces mar-
chandises qui, n'étant placée dans les ports
qu'en entrepôt, doit bientôt prendre une autre
direction : et comme, en Angleterre, les droits
sur les retours de l'Inde forment une partie du
revenu public, on avait soumis au payement
provisoire des droits, pour éviter la contre-
bande, les marchandises mêmes que le négo-
ciant se proposait de réexpédier. Eh bien,
meeussseie. urs, l'expérience a appris aux Anglais
que ces précautions n'étaient qu'une gêne rni.


Ce payement provisoire des droits écrasait
le commerce, consommait inutilement une par-
tie du numéraire de l'armateur : l'Angleterre
a renoncé à l'exiger, et, à cet égard, le port




--- 38
de Londres est regardé aujourd'hui comme
un port franc.


Or, messieurs, appliquez cette théorie à la
France, et voyez-en les conséquences. S'il est
indispensable qu'une partie des marchandises
de l'Inde destinées à être réexpédiées pour l'é-
tranger ne payent aucun droit dans quelques
ports, cette distinction peut-elle être mieux
Lite que dans les ports francs ? Et, dès lors,
s'il était vrai que les retours de l'Inde dussent
être bornés à quelques ports, d'après ]e pré-
tendu système de prohibition dont on nous
parle, ne sont-ce pas les trois ports francs du
royaume qu'il faudrait préférer à tous les au-
tres?


Je vais traiter en peu de mots ce second
point de vue; mais je vous prie d'observer
qu'il se concilie parfaitement dans mon sys-
tème avec la liberté des retours de l'Inde dans
tous les ports. Il suffit qu'il y ait des ports
francs sur nos côtes, pour que l'armateur qui
voudra réexpédier une partie de ces marchan-
dises à l'étranger, et qui préférera le régime
des ports francs à celui des entrepôts, fasse
conduire dans ceux-là son navire. La liberté
absolue du commerce de l'Inde dans tous les
ports fournira sans doute un plus grand excE5(
dant de marchandises; aussi cette liberté for-
rne-t-elle la première partie de mon système;
mais.- en supposant que l'on doive borner les
retours ce l'Inde à un seul port, ou à un nom-
bre limite de ports, vous rendez ce commerce
dangereux pour les armateurs, si vous les as-
treignez à débarquer leurs retours dans un
port non franc. Il faut alors que ce commercg


— 139 --
supporte des droits : moyen sûr d'éloigner les
étrangers; il faut alors que l'armateur cal-
cule ses retours pour une consommation li-
mitée : cette obligation s'arrange assez mal
avec des achats les concurrence dans un pays
séparé de la France par des milliers de lieues;
et c'est ce que n'ont pas manqué de faire les
partisans du commerce exclusif de la Compa-
gnie des Indes.


Dans le système des ports exclusifs, il faut
donc que le lieu qui jouira seul du droit de
recevoir les retours de l'Inde soit un port
franc; et c'est ce que l'on peut démontrer par
les motifs qui ont fait établir une telle fran-
chise. Quels seraient ces motifs, si ce n'est les
obstacles que les impositions intérieures et les
formaqtés fiscales mettent au commerce ex-
térieur ? Et pour quel commerce ces obstacles
seraient-ils plus à craindre que pour celui de
l'Inde, qui, plus que tout autre, ne peut se
soutenir que par la réexportation, et dont il
importe d'enlever sans cesse la surabondance
en offrant un débouché facile au concours des
étrangers? Alors, ce commerce sera libre.
Adopter d'autres mesures serait inviter en
armateurs à l'entreprendre avec la certitude
de se réunir.


Quels seraient dans un tel système les ports
francs privilégiés? La réponse est dictée par
la même raison qui a nécessité l'affranchisse-
ment. Ce seraient les ports où se réunissent
et la plus grande commodité pour les consom-
mations intérieures et les avantages les plus
propres à attirer les acheteurs etrangers ou à
faciliter les envois hors du royaume. Si la loi




—i 30


—faitfait des ports francs, c'est la nature qui les
indique ; c'estelle qui détermine notre choix.


Les convenances qui nécessitent ces fran-
chises ldcales par lesquelles il a fallu remédier
a notre ignorance ou à nos préjugés en ma-
tière d'impôts; ces convenances ont conduit à
les multiplier, et les mêmes motifs nous for-
ceraient d'admettre plusieurs ports francs
pour le commerce de l'Inde. Ce serait à chaque
commerçant à préférer celui dans lequel ses
marchandises devraient arriver. Un de ces
ports obtiendrait-il la préférence sur les au-
tres? C'est sans doute parce qu'il serait plus
favorable; et, sous ce rapport, comment le lé-
gislateur pourrait-il s'en occuper? Les élé-
ments de cette faveur peuvent-ils être l'objet
d'une loi ?


Ne l'oubliez jamais, messieurs; vous avez
reconnu que la liberté consiste à faire tout ce
qui ne nuit pas aux autres; que l'exercice des
droits naturels de l'homme n'a de bornes que
celles qui assurent aux autres membres de la so-
ciété la jouissance des rames droits.


Cette théorie n'est pas seulement applica-
ble à l'état social; elle doit former aussi le
code de votre industrie, le code de votre com-
merce...


Mais il faut favoriser les manufactures indi-
gènes. Veut-on tout faire? Cela même e$t une
prétention contraire au commerce. Elle sup-
pose qu'on arrivera au point de n'avoir plus
que l'or à recevoir des étrangers, ce qui réa-
liserait rapidement l'instructif apologue de
l'infortuné Tantale, ou plutôt ce qui rappelle
la fable du stupide Midas, cet ingénieux em-


— —


bléme de nos prétendus grands hommes de
finance.


On ne doit pas tout faire, lors même qu'on
en aurait le moyen. Il faut donc laisser à la
liberté le soin d'appliquer elle-même l'indus
trie aux localités; il faut leur laisser le combat
entre elles; car c'est à elles qu'appartiennent
les victoires les plus sûres, ou plutôt ce par-
tage heureux des productions de l'art, qui,
s'assortissant à celui des productions du sol,
est un moyen paisible d'alliance entre tous les
peuples. Ce n'est pas tant de richesses que
nous avons besoin, que de mouvements qui
développent nos facultés. La liberté nous rend
cet utile service. Elle attache à ces dévelop-
pements des jouissances et des avantages que
nous perdons par les contraintes qu'on s'im-
pose toujours à soi-même lorsqu'on veut les
inspirer aux autres. Que si cette politique est
trop simple pour nos grands administrateurs,
qu'ils observent du moins que rien ne favorise
autant l'industrie que la concurrence. Quand
on ne peut pas lutter d'une manière, on lutte
de l'autre. Lorsque les Anglais ont senti I e
désavantage du prix (le leur main-d'oeuvre, ils
ont eu recours a des machines, à des perfec-
tionnements, à des procédés ingénieux. On
eût fait comme eux, si l'on ne se fût pas fié
aux prohibitions, et l'avantage du prix de la
main-d'œuvre serait resté à la France parce
qu'il tient au sol.


Depuis le traité de commerce, on peut déjà
reconnaître dans plusieurs objets que la libre
concurrence ne tarde pas à devenir un régime
Phis fécond que les prohibitionq




— 1.1e —


SUR LES TRAITÉS DE LA FRANCE AVEC L'ESPAGNE


Dans la séance du 25 août, Llirabeau au
nom du comité diplomatique fit un rapport
sur le pacte de famille entre la France et
l'Espagne; il fit à cette occasion de remar-
quables aperçus sur la politique nouvelle qu'al-
lait inaugurer la révolution. Il conclut au
maintien provisoire de tous les traités préeé.-
demment conclus; mais en même temps Ji
envisage le moment où il n'y aura plus même
à délibérer sur les alliances ni sur la paix, et
où l'Europe n'aura pas besoin de politique :


Si nous devions nous conduire aujourd'hui
d'après ce que nous serons un jour ; si, fran•
catissant l'intervalle qui sépare l'Europe de la
destinée qui l'attend, nous pouvions donner
dés ce moment le signal de cette bienveillance
universelle que prépare la reconnaissance des
droits des nations, nous n'aurions pas mêle
à délibérer sur les alliances ni sur la guerre.,
L'Europe aura-t-elle besoin de politique lors-
qu'il n'y aura plus ni despotes ni esclaves? la
France aura-t-elle besoin d'alliés, lorsquelle
n'aura plus d'ennemis? Il n'est pas loin le
nous, peut-être, ce moment où la liberté, re.-
gnant sans rivale sur les deux. mondes, réair
sera le voeu de la philosophie, absoudra l'es'
puce humaine du crime de la guerre, et


-- 3fk3 --
-roc/aimera la paix universelle ; alors le bon-
eur des peuples sera le seul but des légisia'


mrs.la seule force des lois, la seule gloir--)
des nations; alors les passions particulièrGm,
transformées en vertus publiques, ne dechire-
:ont plus, par des querelles sanglantes, les
noeuds de la fraternité qui doivent unir tous
les gouvernements et tous les hommes; alors


consommera le pacte de la fédération du
genre humain ; mais avouons-le à regret, ces
e.n.sidérations, toutes puissantes qu'elles sont,
r.e peuvent pas seules dans ce moment déter-
miner notre conduite.
La nation française, en changeant ses lois


et ses mœurs, doit sans doute changer sa po-
algue; mais elle est encore condamnée, par
s erreurs qui règnent en Europe, à suivre


partiellement un ancien système qu'elle ne
Pourrait détruire soudainement sans péril. La
sagesse exige de ne renverser aucune base de
za sûreté publique avant de l'avoir remplacée.


qui ne sait qu'en politique extérieure
comme en politique intérieure, tout intervalle
est un danger ; que l'interrègne des princes
'2e; l 'époque des troubles; que l'interrègne des
rois est le régne de l'anarchie, et, si j'ose
n'exprimer ainsi, que l'interrègne des traités
Pourrait devenir une crise périlleuse pour la
Prospérité nationale? L'influence tôt ou tard
Irrésistible d'une nation forte de vingt-quatre
aliilions d'hommes parlant la même langue,
ramenant l'art social aux notions simples de
, ee.rté et d'équité, qui, douées d'un charme
:7esistible pour le coeur humain, trouveront
`'ans toutes les contrées du monde des mis-




-144 —
sionnaires et des prosélytes; l'influence d'une
telle nation conquerra, sans doute, l'Europe
entière à la vérité, à la modération , à la jus-
1:ce ; mais non pas tout à la fois, non pas en
nn seul jour, non pas en un même instant.
Trop de préjugés garrottent encore les mortels,
trop de passions les égarent, trop (le tyrans
les asservissent; et cependant notre position
géographique nous permet-elle de nous isoler?
nos possessions lointaines, parsemées dans les
deux mondes, ne nous exposent-elles pas
à des attaques que nous ne pouvons pas
repousser seuls sur tous les points du globe
puisque, faute d'instructions, tous les peuples
ne croient pas avoir le même intérêt politique,
celui de la paix et des services mutuels, des
bienfaits réciproques? Ne faut-il pas opposer
l'affection des uns à l'inquiétude des autres,
et du moins retenir par une contenance im-
posante ceux qui seraient tentés d'abuser de
nos agitations et de leurs prospérités?


Tant que nous aurons des rivaux, la pru-
dence nous commandera de mettre hors de .
toute atteinte les propriétés particulières de
la fortune nationale, de surveiller l'ambition
étrangère, puisqu'il faut encore parler d'ambi-
tion, et de régler notre force publique d'après
celle qui pourrait menacer nos domaines.
Tant que nos voisins n'adopteront pas entiè-
rement nos principes, nous serons contraints,
même en suivant une politique plus franch e,
de ne pas renoncer aux précautions que 1'e--
clame la prudence. Si nos ambassadeurs n'ont
plus a plaider la cause de nos passions, ils
auront à défendre celle de la raison, et US



1.45


n'en devront être que plus habiles. 11 n'est
que trop vrai que la nation qui veut partout
conserver la paix entreprend un travail plus
difficile que celle qui enflamme l'ambition en
offrant des brigandages à la cupidité, des
conquêtes à la gloire.


Telles sont, messieurs , les réflexions les
plus importantes qui ont frappé votre comité.


Mirabeau examine sous ce point de vue les
rapports avec l'Espagne. Il proteste d'abord
contre le nom même donné au traité qui la
lie à la France


Ce n'est point le pacte de famille en entier
que nous vous proposons de ratifier, conclu
dans un temps on les rois parlaient seuls au
nom des peuples, comme si les pays qu'ils
gouvernaient n'étaient que leur patrimoine ,
ou que la volonté du monarque pat décider de
leurs destinées. Ce traité porte le nom singu-
lier de pacte de famille, et il n'existe aucun de
nos décrets qui n'ait annoncé à l'Europe en-
tière que nous ne reconnaîtrions désormais
due des pactes de nation.


Il proteste aussi contre les préjugés d'hOs-
tilité entre l'Angleterre et la France.


Nous ne regardons aucun peuple comme
notre ennemi; il ne l'est plus, celui qu'une
insidieuse politique nous avait représenté jus-
qu'ici comme notre rival , celui dont nous
avons suivi les traces, dont les grands exem-
ples nous ont aidé à conquérir la liberté, et
dont tant de nouveaux motifs nous rappro-






— I 48 —
cette matière lors des premières mesures qui
les ont établis. Mais il monte aujourd'hui à la
tribune, muni de l'expérience et de réflexions
nouvelles et entrant de suite dam le vif du
sujet, il dit :


Qu'avez-vous pensé quand vous avez créé
des assignats-monnaie ? qu'avez-vous dit à
ceux dans les mains desquels vous faisiez
passer ce gage de fidélité? vous avez pensé que
la vente des biens sur lesquels ce gage est assis
s'effectuerait incontestablement , quel qu'en
tilt le terme; vous avez dit aux porteurs d'assi-
gnats : voilà des fonds territoriaux; la nation
engage son honneur et sa bonne foi à les
changer en nature ou à échanger le produit
de leur vente contre ces assignats qui les re-
présentent. Et si l'argent lui-même n'est
qu'une représentation des biens de la vie,
vous avez pu donner et l'on a dû recevoir
comme de l'argent cette représentation de
propriétés territoriales, qui sont la première
des richesses.


Il faut le dire, à l'honneur de la nation et
de la confiance qu'inspirent ses promesses ; il
faut le dire, à l'honneur des lumières qui se
répandent en France et de l'esprit public qui
naît de l'esprit de liberté, la doctrine des assi-
gnats-monnaie est généralement entendue et
admise parmi nos compatriotes, telle qu'elle
est professée dans l'Assemblée nationale; ils
savent fort bien distinguer ce que l'on appelle
ailleurs et ce que nous appelions jadis du
papier-monnaie, d'avec notre papier territorial;
et les hommes de sens qui sont patriotes ne
se laissent point égarer par des équivoques


— 449
ou par de trompeuses subtilités. Je pense
donc, après l'heureux essai que nous avons
tait, et en profitant des lumières répandues sur
cette matière; je pense que nous ne devons
point changer de marche et de système; que
nous pouvons, que nous devons accomplir ce
que nous avons commencé; que nous devons
faire pour la libération de la dette nationale
une opération qui n'admette d'autre intermé-
diaire entre la nation débitrice et ses créan-
ciers que la même espèce de papier actuelle-
ment en circulation, que ces mêmes assignats-
monnaie, dont les fonds nationaux et la nation
entière garantissent le payement


Deux considérations décisives se présentent
ici: c'est que, d'un côté, nous avons un besoin
pressant de rappeler l'activité, la circulation
dans nos affaires, de nous y rattacher
en quelque sorte, un besoin pressant de
moyens qui les favorise .; c'est que, de l'autre,
les assignats-monna ie, en même temps qu'ils
payent la dette, nous fournissent ces moyens
cièmulation, d'activité, de restauration ; et
quand les besoins à cet égard seront satis-
faits, le surplus des assignats, s'il en est, le
irep-plein, qu'on me passe cette expression,
se reversera naturellement dans le payement
de la dette contractée pour l'acquisition des
biens nationaux. De cette manière, tous les
effets qu'on peut attendre d'une mesure bien
calculée seront obtenus, autant du moins
que les circonstances peuvent nous permettre
ùe l'espérer.


T'eut s'avance par l'ardeur et la constance
eatigable de vos travaux dans l'ouvrage de




--150 --
notre c


onstitution. Mais s'il faut que la cons
.titution soit achevée pour rétablir tout à faitl'ordre et la prospérité, croyez aussi qu'in:com


mencement d'ordre et de prospérité n'espas moins nécessaire pour la faire marchersa fin. Croyez qu'attendre tout d'elle, c'est la
faire précéder de trop de hasards; c'est peut-être l 'exposer à. être renversée avant qu'elleait atteint sa perfection. Eh ! si vous aviez
dans les mains un moyen simple et déjà
éprouvé de multiplier les défenseurs de la ré-
volution, de les unir par l'intérêt aux progrès
de vos travaux ; si vous pouviez réchauffer
par quelque moyen en faveur de la constitu-
tion ces drues froides, qui, n'apercevant dansles révolutions des gouvernements que desrévolutions de fortune, se demandant queperdrai-je, que gagnerai-je?


Si vous pouviez même changer en amis,
en soutiens de la constitution, ses détracteurset ses ennemis, cette multitude de personness
ouffrantes qui voient leur fortune


comme
ensevelie sous les ruines de l'ancien gouver-nement, et qui accusent le nouveau de leur dé"tresse ; si, dis je, il existait un moyen de réparer
tant de brèches, de concilier tant d'intérêts, deréunir tant de voeux, ne


trouveriez-vous pas que
ce moyeu joindrait de grands avantages à ce-
lui de faire face à nos besoins, et que la scène
politique devrait s'empresser à l'accueillir? Or,
considérez, je vous supplie, les assignat•
monnaie, sous ce point de vue, ne remplissent-ils pas éminemment cette condition? vouehésiteriez à les adopter comme une me


surede finance, que vous les embrasseriez comme


-- 154
un instrument sûr et actif de la révolution;
partout où se placera un assignat-monnaie,
là sûrement reposera avec lui un voeu secret
pour le crédit des assignats, un désir de leur
solidité; partout où quelque partie de ce gage
public sera répandu, là se trouveront des
hommes qui voudront que la conversion de ce
gage soit effectuée; que les assignats soient
échangés ou contre des biens nationaux, ou
contre le numéraire qui sera le prix de leur
vente; et comme, enfin, le sort de la consti-
tution tient à la sûreté de cette ressource,
partout où se trouvera un porteur d'assignats
vous compterez un défenseur nécessaire de vos
Mesures, un créancier intéressé à vos succés.


Il faut donc ouvrir une mine plus riche,
plus abondante, dont les parties se répandent
partout. du moins où des parcelles d'or peu-
vent pénétrer. C'est alors qu'on sera surpris
de l'étonnante diffusion d'assignats qui peut
avoir lieu sans que la surabondance se mani-
feste; car la richesse n'est pas dans la classe
on se trouve la plus nombreuse population, et
nos assignats-monnaie, qui sont les nouveaux
signes de cette richesse, sont de trop fortes
sommes pour être parvenus encore jusqu'à
cette classe.


Mirabeau montre cornly en les assignats-mon-
/1aie sont préférables à des titres qui se concen-
":eroient dans la capitale où ils ne seraient
qu'une proie nouvelle à l'agiotage, et feraient
que les biens nationaux, au lieu de se répp.rtir
entre toutes les mains, ne se vendraient plus
(M'ensuite de quelques spéculations considé-
rables ;'


à




— 152 --
Est ce là ce que nous devons à nos frères,


à nos concitoyens de toutes les classes,
répandus dans tous les départements de ce
royaume ? travaillons-nous pour créer un
nouvel ordre de grands propriétaires foncier",
qui donnent plus au luxe et à la ruine des
campagnes qu'à l'art de fertiliser la terre et
d'étendre les bienfaits de l'agriculture ? ne
travaillons-nous pas, au Contraire, pour réta-
blir l'égalité par la liberté, pour faire reverser
sur les terres le produit des arts, du com-
merce, de l'industrie laborieuse; pour répartir
avec le plus d'égalité possible les avantages
de la société et les dons de la nature; pour
mettre de petites possessions territoriales à la
portée des citoyens peu aisés, comme nous
voudrions pouvoir en faire passer les fruits
dans les mains de plus indigents?


Soyons donc conséquents à nos principes;
cessons de regarder les capitales comme si
elles formaient tout le royaume, et les capita-
listes qui les habitent comme s'ils formaient
le gros de la nation; et dans la liquidation de
la dette nationale préférons les moyens les
mieux appropriés à l'avantage du plus grand
nombre, puisqu'enfin c'est le grand nombre
qui supporte la dette, et que c'est du fonds
commun qu'elle s'acquitte.


J'insiste donc sur ce que l'intérêt de ci-
devant provinces, aujourd'hui les départe-
ments, soit particulièrement consulté dans le
parti que nous allons prendre. J'insiste sur ce
qu'on écarte tout projet dont la conséquence
serait d'appeler les capitalistes à l'invasion
des biens nationaux, j'insiste sur ce que 15


--- 153 —
remboursement des dettes de l'État se fasse
sans aucune métamorphose arbitraire des
créances, niais au moyen du papier précieux
que nous pouvons leur délivrer; papier qui
arrivera aux biens nationaux par sa destina-
tion naturelle, après avoir fécondé dans son
cours les différentes branches d'industrie; pa-
aler qui ne commencera pas par tomber au
hasard dans des mains plus ou moins avi-
des, mais qui sera livré d'abord à la classe des
créanciers les premiers en titre; papier qui
commencera son cours sous les auspices de la
justice, et qui le continuera comme un instru-
ment de bienfaisance publique : car est-il dou-
teux que l'émission d'assignats faits avec l'a-
bondance et dans le but que je vous propose,
en même temps qu'elle est nu état moral
et infaillible de notre révolution, ne soit le
seul moyen certain de nous soutenir dans
la disette du numéraire que nous éprouvons


Dans la séance du 2l septembre, Mirabeau
prononç


a encore un grand discours sur le
même sujet en réponse aux objections qui lui
avaient été faites. Il revint avec une extrême
énergie sur la réalité et laloyaute d'un numé-
raire fictif garanti par une hypothèque bien
supérieure, et par la faculté d'une immédiate
conversion en immeubles; sur l'impossibilité
de liquider autrement la dette, de restaurer
autrement les finances, de rétablir autrement
la circulation anéantie (1); sur la nécessité de


(t) Mirabeau disait dans le Courrier de Proe,nee :Refuser d'émettre des assignats, ce n'est pas donner
des écus, et sans ces assignats, combien mangera-t-on?
comment vivra-1-007 vaut-il mieux rester sans moyen
de circulation que d'en créer un ? »




calmer les créanciers inquiets, d'arracher leur
créances à la vo,neite de l 'agiotage, de libé-
rer l'Etat de sa cette exigible, de manière à,
'al répondre et féconder le capital, de dimi-
nuer les impôts de tout le montant des intérêts
de ce capital, de donner lieu par la vente desbiens nationaux à une prodigieuse diffusion defonds, à une subdivision indéfinie de pro!
priétes, de fortifier ainsi la révolution par l'ai-lifince et la solidarité de tous les intérets pri-vés,


enfin de ranimer la confiance, le crédit,les affaires.
voici la dernière partie de ce discours, fré-


quemment interrompu par les applaudisse-
ments :


L'impôt, dont le nom seul jusqu'à pré-
sent a fait trembler les peuples, mais quidoit présenter maintenant un tout autre
aspect ; va recevoir chez nous une
nouvelle forme. Nos charges seront allé-
gées; mais nous avons encore de grads be-
soins. Le fardeau ci-devant plus divn


isé, et
supporté dans ses différentes parties de jour
a jour, pour ainsi dire, se faisait peut-être
moins sentir, bien qu'en somme il pesât cruel-
lement sur la nation. A.ujourcilui qu'il va se
concentrer en quelque sorte et se rapprocher
plus prés des terres, il peut étonner le peuple,
et lui


semble pénible à porter. Cependant il
n'est aucun de nous qui ne sente combien le
succés de cette grande opération importe à
celui de tout notre ouvrage. Nous n'aurions
rien fait pour la tranquillité et pour le bon-
heur de la nation si elle pouvait croire que


rle règne de la liberté est plus onéreux pour 't
elle que celui de la servitude. (On applaudit.) !I


Nous pouvons affaiblir maintenant cette
redoutable difficulté; nous pouvons diminuer
les impositions de toute la différence qui existe
entre l'intérêt qu'on attachera aux quittances de
ânance, ou autres instruments de liquidation.
et le revenu d'une masse de biens nationaux
équivalent au capital de ces quittances. Nous
pouvons les diminuer encore de la différence en-
lie l'intérêt de la somme des quittances qu'on
coudrait donner en remboursement des di-
sers offices, et celui que perçoivent aujour-
d'hui leurs titulaires. En rassemblant ces
deux objets, dont l'évaluation dépend du
rapport entre ces différents intérêts, on peut
assurer à la nation pendant plusieurs années
une grande épargne, si l'on acquitte par des
assignats la dette actuellement échue. Il est
bien d'autres épargnes qui seraient le fruit
de cette mesure; mais il en résultera évidem-
ment un moins imposé pour les Français. Or,
si le parti des assignats présente d'ailleurs
tant d'avantages, et si nous pouvons les re-
prder comme un titre d'une solidité si par-
la)te, qu'on ne doive point en craindre l'al-
leration, vous sentez quelle prépondérance y
nioute le soulagement qu'ils apportent au far-


eau des subsides; vous sentez même quel


des
cette économie peut valoir à la mesure


!
`1es assignats, et comment le public sera dis-
.)osé à favoriser leur succès par la confiance;
vols sentez combien votre système général
A„ , Pot trouvera plus de facilité à être adopté
e le présentant comme un résultat diminué
e,,
"


,e somme si considérable; vous sentez,
u12 , quel avantage ont encore ici les assi-




— 4:16 —
gnats, qui, en allégeant les impositions, en
facilitent de plus le payement par leur qualité.
circulante : au lieu que les quittances de
minces, avec tous les autres vices, aggravent
les charges de l'État et ne fournissent aucun
moyen de les supporter.


Quand je réduis la création des assignats-
monnaie à la somme strictement nécessaire
pour le payement de la dette actuellement
exigible, c'est que nous devons leur laisser
tout l'appui d'un gage étendu et que la juste
confiance qu'il importe de leur assurer nous
prescrit à cet égard des bornes inviolables, et
je ne conçois pas comment l'on a inféré de
mon précédent discours sur ce sujet que je
comprenais dans cette dette exigible celle qui
rigoureusement n'est rias exigible, celle qul
ne l'est point encore et qui ne le sera qu'avec
fe temps. Je ne comprends pas que quelque
personnes se soient effrayées de ma propos'
ton, comme si j'avais demandé la créatio
de deux milliards d'assignats-monnaie, taie
que je n'ai pas articulé une seule somme:
Quand même la masse des fonds nationaux e.
disponibles pourrait s'élever à trois milliards:
pouvons-nous compter sur cette somme? eu,'
savons bien que tout est à vendre; mais
fleur des biens attirera les premiers empresse;
ments; et quant au reste, une partie peu,'
rester longtemps sans acheteurs. La prude'
nous oblige donc à borner l'aperçu de cett .
richesse territoriale à deux milliards. Joigne.
aux quatre cents millions d'assignats répande:
une réserve à peu près égale pour les besolu.:
futurs et contingents; reste au delà d'un e


— 15'7 --
liard pour l'acquit de cette partie de la dette
publique à laquelle on peut donner le plus
strictement le nom d'exigible. Si nous savions
nous réunir sur les objets que je viens de
mettre sous vos yeux; si nous savions écarter
les nuages d'une fausse défiance d'on peuvent
encore partir les tempêtes ; si, nous ralliant
aux vérités qui sauvent, nous n'avions d'ar-
deur que pour les défendre et les propager,
toute incertitude, toute crainte cesseraient, et
la restauration de nos affaires serait très pro-
chaine. Rien n'est plus fragile que la confiance,
puisqu'elle dépend toujours en quelque point
de l'opinion; l'ébranler est donc un grand tort,
quand elle repose sur de bonnes bases, quand
elle peut faire le salut de la nation. Tous Fran-
çais, compatriotes et frères, nous ne pouvons
ni périr, ni nous sauver les uns sans les au-
tres : en nous élevant au-dessus des circons-
tances passagères, sachons voir que les mêmes
intérêts nous commandent les mêmes voeux,
nous prescrivent le même langage. (On ap-
plaudit.)


Comment donc souffrir, dans la grande af-
faire qui nous occupe, qu'on emploie plus de
mouvements pour diviser les opinions des ci-
toyens qu'il n'en faudrait pour les éclairer et
les réunir? Ignore-t-on les menées, les insti-
gations, les instances que l'on s'est permises?
Ignore-t-on qu'après avoir fait parler l'aveugle
intérêt, et soufflé son rôle à l'ignorance, on
vient ensuite nous donner ce résultat comme
le jugement libre et réfléchi de l'expérience
et des lumières, comme le voeu respectable
des manufactures et du commerce'? Est-ce là




— 158 —
cet oracle pur de l'opinion publique qui devait
nous servir de guide? n'est-ce pas plutôt la
voix déguisée d'un égoïsme astucieux qu'il
nous suffit de reconnaître pour le repousser!
et voulez vous pénétrer les motifs de ces cla-
meurs mercantiles, de ces répulsions finan-
cières, qu'il a été si aisé d'exciter contre les
assignats ? Sondez les intérêts d'un certain
ordre de commerçants; apprenez quels sont
les calculs des fournisseurs d'argent et de cré-
dit. Les manufactures sont toutes tributaires
des uns ou des autres. Ceux-là , soit que,
voués au commerce de commission, ils fassent
des fonds aux fabricants sur leurs marchan-
dises; soit qu'adonnés à la banque, ils se char-
gent d'acquitter leurs engagements, tous met-
tent un prix de six pour cent à leurs avan-
ces; ceux-là, riches commanditaires, portent
jusqu'à dix pour cent et au delà l'intérêt de
leurs capitaux. Or, créons des capitaux en
concurrence ; élargissons, facilitons la voie des
emprunts et du crédit; abaissons par là même
le taux de l'intérêt ; n'entendez-vous pas crie/
aussitôt ces commissionnaires, ces banquiers,
ces capitalistes? Mais vous ne vous y trom-
perez pas: ce cri est un suffrage des manu-
factures; c'est le signal de leur prochaine res-
tauration; c'est un préjugé favorable pour les
assignats. (On applaudit.) Législateurs, rap-
prochez donc les volontés par le concert de
vos sentiments et de vos pensées; votre opi-
nion ferme et arrêtée sera bientôt l'opinion
publique ; elle aura pour elle tous les fonde-
ments que la sagesse et la nature des circons-
tances peuvent lui donner. Mais ne pensons


— 159
pas nous dérober entièrement à leur empire,
Nous marchons chargés d'une dette immense,
d'une dette que des siècles de despotisme et
de désordre ont accumulée sur nos têtes. Dé-
pend-il de nous, même en l'allégeant, de faire
qu'elle puisse être supportée sans aucun em-.
barras, sans aucune gêne? Est-ce enfin des
choses impossibles que la nation exige de
nous ? Non, elle n'entend pas que nous con-
vertissions soudainement, et par miracle, la
pénurie en abondance, la fortune adverse en
prospérité ; mais qu'en opposant à ces temps
nécessiteux toute la grandeur des ressources
nationales, nous servions aussi la chose pu-
blique, selon la mesure de nos forces et de nos
lumières. Si done la nation se confie dans le
zèle de cette assemblé:, sans doute aussi cette
assemblée peut se confier dans la justice de la
nation. (On applaudit.)


Non, il n'est pas de la nature des choses,
dans ces conjonctures calamiteuses, d'user
d'un moyen qui porte avec lui ses dif-
ficultés ; celui des assignats-monnaie en
serait-il donc le seul absolument exempt? ce
n'est pas ici l'objet d'un choix spéculatif et
libre en tout ;oint; c'est une mesure indiquée
Par la nécessité, une mesure qui nous semble
répondre le mieux à tous les besoins; qui
entre dans tous les projets qui vous ont été
offerts, et qui nous redonne quelque empire
i tir les événements et sur les choses. Des in-
zonvénients prévus ou imprévus viennent-ils
Ensuite à se déclarer? eh bien! chaque jour
l'apporte pas avec lui seulement ses ombres,


11 apporte aussi sa lumière ; nous travaillerons




-- 160 —
à réparer ces inconvénients. Les circonstances
nous trouveront prêts à leur faire face, et tous
les citoyens si éminemment intéressés au
succès de notre mesure formeront une fédéra-
tion patriotique noir la soutenir. (La salle re-
tentit d'applaudissements.)


Ainsi tout doit fortifier votre courage. Si
vous aviez prêté l'oreille jusqu'à ce jour à
toutes les instances des préjugés, des vues
particulières et des folles craintes, votre cons-
titution serait à refaire. Aujourd'hui, si vous
défériez à tous ces intérêts privés qui se
croisent et se combattent les uns les autres,
vous blairiez par composer avec le besoin;
vous concilierez mal les opinions, et la chose
publique resterait en souffrance. C'est d'une
hauteur d'esprit qui embrasse les idées géné-
rales, résultat précieux de toutes les observa-
tions particulières, que doivent partir les lois
des empires. Un administrateur qui viendrait
vous vanter l'art de ménager tous les détails,
comme formant le véritable génie de Padmi-
nistration vous donnerait sa mesure : il vous
apprendrait bien le secret de tous les embar•.
res qui ont fatigué sa marche, mais il ne voue
apprendrait pas celui d'assurer la vôtre. Oser •
être grand, savoir être juste, on n'est iégishY
teur qu'a ce prix. (Les applaudissements redOW
:Nene à plusieurs reprises.)


— 16 —


SUR LA LIBERTÉ ÉLECTORALe


Le 6 septembre 1790, Mirabeau, a .,'...eeasion
d'un décret de l'Assemblée qui avait décidé
que le pouvoir électoral serait exercé pendant
deux ans par les électeurs nommés dans les
assemblées de canton, prononça un discours
qui a perdu aujourd'hui son intérêt spécial,
mais dans lequel nous trouvons le remar-
quable passage suivant sur la liberté électo-
rale :


Comme le despotisme est la mort du gou-
vernement purement monarchique, les fac-
tions, les brigues, les cabales sont le poison
du gouvernement représentatif. On intrigue
d'abord, parce que l'on croit servir la chose
Publique; on finit par intriguer par corrup-
ton. Tel qui ne recueille des suffrages que
pour son ami les donnerait bientôt x l'homme
Puissant qui les échangerait pour des services
au despote qui les achèterait avec de l'or.
Lorsqu'une influence quelconque s'exerce sur
des suffrages, les choix populaires paraissent
tre libres, mais ils ne sont ni purs ni libres


Ils ne sont plus le fruit de ce premier more.
veinent de naine qui ne se porte que sur
'Hérite et la vertu. Cette influence étrangère,
qui ravirait ainsi au peuple sa propre souve-
raineté, serait bien pus dangereuse pour ce-111FUREAC, °PIN. ET DISC .




-- 162 --
lai dont les intentions n'ont point encore pu
changer le caractère , et dont le caractère,
même sous le despotisme, c'est-à-dire dans
un temps où la moitié de nos défauts était
cachée, a toujours paru très susceptible de
cet esprit de parti qui se nourrit de petites
intrigues , de cet esprit de rivalité qui ins-
pire les cabales, de cet esprit de présomption
ambitieuse qui porte à rechercher toutes les
places sans les mériter. Partout où ce germe
destructeur infecte et vicie les élections pu-
bliques , le peuple, dégoûté de ses propres
choix parce qu'ils ne sont plus son ouvrage,
ou se décourage ou méprise les lois; alors
naissent les factions, et les officiers publics
ne sont plus que les hommes d'un parti; alors
s'introduit la plus dangereuse des aristocra-
ties, celle des hommes ardents contre les ci-
toyens paisibles, et la carrière de l'adminis-
tration n'est plus qu'une arène périlleuse;
alors le droit d'être flatté, de se laisser ache•
ter et corrompre une fois chaque année, estle
seul fruit, le fruit perfide que le peuple retire
de sa liberté...


-- 163 —


sua LA PROCÉDURE au CUATELET DANS L'AFFAIRE
DES 5 ET 6 OCTOBRE


Les événements des 5 et G octobre avaient
fait le sujet d'une information judiciaire con-
fiée au Châtelet de Paris. Une députation de
ce tribunat avait, le 7 août 1100, apporté la
procédure instruite sans l'aecompagner de
conclusions définitives, mais en déclarant que
plusieurs dépositions inculpaient le duc dl.)r-
léans et Mirabeau. Celui-ci fit décréter par
l'Assemblée, ,


le 3 août, que la .procédure se-
rait imprimée et que le comité des rapports
rendrait compte des charges portant sur. es
deux députés indiqués. Le Comité fit enfin son
rapport se 30 septembre, les conclusions tenclis
re,rit à déclarer qu'il n'y avait lieu à accusa-.
fion contre aucun des deux députés; et Mira-
beau saisit cette fois l'occasion de. s'expliquer
sur des calomnies qu'il n'avait pu relever pu-
bliquement jusqu'alors.


Quel
septembre,


auparavant, dzIns la séance
à propos d'un incident au


sujet d'an nominé Thouard Riolles, agent
tili(Vutr:.rehocuoanrsd de


Riolles


réactionnaire, sur lequeleu avait trouvé une lettre en chiffres, que le.
ll s prétendait lui avoir été


e. irite,_ par Mirabeau, celui avait repoussé„,
la sortie suivante cette ridicule accusation:


beDllis longtemps mes torts et mes servi-
lues malheurs et mes succès, m'ont éga-




16ti
i'ement appelé à la cause de la liberté; depuis
e donjon (le Vincennes et les différents forts
du royaume où je n'avais pas élu domicile,
mais j'ai été arrêté pour différents motifs,
il serait difficile de citer un fait, un écrit, un
discours de moi qui ne montrât pas un grand
et énergique amour de la liberté. J'ai vu cin-
quante-quatre lettres de cachet d ans ina famille;
oui, messieurs, cinquante-quatre, et j'en ai eu
dix-sept pour Ma part : ainsi vous voyez que j'ai
été partagé en aîné de Normandie. Si cet
amour de la liberté m'a procuré de grandes
jouissances, il m'a donné aussi de grandes
peines et de grands tourments. Quoi qu'il eu
soit, ma position est assez singulière; la se-
maine prochaine, à ce que le comité me fait
espéré.-, on fera un rapport d'une affaire où
ie joue le rôle d'un conspirateur factieux ; au-
jourd'hui on m'accuse comme un conspirateur
contre-révolutionnaire. Permettez que je de-
mande la division. Conspiration pour conspi-
ration, procédure pour procédure; s'il faut
même supplice pour supplice, permettez du
moins que je sois un martyr révolutionnaire.


Revenons aux explications de Mirabeau sur
la, procédure du Châtelet. Voici l'exorde et la
péroraison de son discours, qui est d'une ex-
cessive véhémence :


Ce n'est pas pour me défendre que je monte
à cette tribune; objet d'inculpations ridicule
dont aucune ne m'est prouvée et qui n'établi'
raient rien contre moi lorsque chacune d'elle
ie serait, je ne me regarde point comme ae'
Cusé; car si je croyais qu'un seul homme de


165
sens (j'excepte le petit nombre d'ennemis
dont je tiens à honneur les outrages) pût me
croire accusable, je ne me défendrais pas dans
cette assemblée. Je voudrais être jugé, et vo-
tre juridiction se bornant à décider si je dois
ou ne dois pas être soumis à un jugement, il
ne me resterait qu'une demande à faire à vo-
tre justice, et qu'une grâce à solliciter de
votre bienveillance, ce serait un tribunal.


Mais je ne puis pas douter de votre opinion,
et si je me présente ici, c'est pour ne pas
manque! • une occasion solennelle d'éclaircir
des faits, que mon profond mépris pour les
libelles, et mon insouciance trop grande peut-
être pour les bruits calomnieux, ne m'ont
jamais permis d'attaquer hors de cette assem-
blée, qui, cependant, accrédités par la mal-
veillance, pourraient faire rejaillir sur ceux
qui croiront devoir m'absoudre je ne sais
quels soupçons de partialité. Ce que j'ai dé-
daigné, quand il ne s'agissait que de moi, je
dois le scruter de près quand on m'attaque au
sein de l'Assemblée nationale, et comme en
faisant partie.


Les éclaircissements que je vais donner, tout
simples qu'ils vous paraîtront sans doute,
puisque mes témoins sont dans cette assem-
blée, et mes arguments dans la série des
combinaisons les plus communes , offrent
pourtant à mon esprit, je dois le dire, une as-
sez grande difficulté.


Ce n'est pas de réprimer le juste ressenti-
ment qui oppresse mon coeur depuis une an-
née, et que l'on force enfin à s'exhale. Dans
cette affaire le mépris est à côté de la haine,






— 168
Ainsi s'évanouit ce secret si tard découvert,
qu'un tribunal, au moment de terminer sa
carrière, est venu vous dévoiler avec tant de
certitude et de complaisance.


Mais j'oublie que je viens d'emprunter 1€
langage d'un accusé, lorsque je ne devrais
prendre que celui d'un accusateur.


Quelle est cette procédure, dont l'informa-
tion n'a pu être achevée, dont tous les res-
sorts n'ont pu être combinés que dans une
année entière; qui, prise en apparence sur un
crime de lèse-majesté, se trouve entre les
mains d'un tribunal incompétent, qui n'est
souverain que pour les crimes de lèse-na-
tion?


Quelle est cette procédure qui, menacant
vingt personnes différentes dans l'espace d'une
année, tantôt abandonnée et tantôt reprise,
selon l'intérêt et les vues, les craintes ou les
espérances de ses machinateurs, n'a été, peu'
dant si longtemps, qu'une arme de l'intrigue,
qu'un glaive suspendu sur la tête de ceux. que
l'on voulait perdre ou effrayer, ou désunir OU
rapprocher; qui, enfin, n'a vu le jour, après.
avoir parcouru les mers, qu'au moment
l'un des accusés n'a pas cru à la dictature qui
le retenait en exil, ou l'a dédaignée ?


Quelle est cette procédure prise sur des dé-
lits individuels dont on n'informe pas, et dont
on veut cependant rechercher les causes éloi-
gnées, sans répandre aucune lumière sur leurs
causes prochaines?


Quelle est cette procédure dont tous les.
événements s'expliquent sans complot, et qui
D'a cependant pour base qu'un complot, dont


— 169
le premier but a été de cacher des fautes
réelles, et de les remplacer par des crimes
imaginaires; que l'amour-propre seul a d'a-
bord dirigée, que la haine a depuis acérée,
dont l'esprit de parti s'est ensuite emparé,
dont le pouvoir ministériel s'est ensuite saisi,
et qui, recevant ainsi tour à tour plusieurs
sortes d'influences, a fini par prendre la forme
d'une protestation insidieuse et contre vos dé-
crets, et contre la liberté de l'acceptation du
roi, et contre son voyage à Paris, et contre
la sagesse de vos délibérations, et contre Pa-
mou • de la nation pour le monarque?


Quelle est cette procédure que les ennemis
les plus acharnés de la révolution n'auraient
Pas mieux dirigée s'ils en avaient été les seuls
auteurs, comme ils en ont été presque les
seuls instruments ; qui tendait à attiser le plus
redoutable esprit ae parti, et dans le sein de
cette assemblée, en opposant les témoins aux
luges; et dans tout le royaume, en calomniant
les intentions de la capitale auprès des pro-
vinces


'


et dans chaque ville, en faisant dé-
tester une liberté qui avait pu compromettre
les jours du monarque; et dans toute l'Eu-
rope, en y peignant la situation d'un roi libre
sous les fausses couleurs d'un roi captif, per-
sécuté; en y peignant cette auguste assem-
blée comme une assemblée de factieux?


Oui, le secret de cette infernale procédure
est enfui découvert; il est là tout entier; il
est dans l'intérêt de ceux dont le témoignage
et les calomnies en ont formé le tissu ; il est
dans les ressources qu'elle a fournies aux en-
/le/Ms de la révolution; il est... il est dans le




170
toeur des juges, tel qu'il sera bientôt buriné
dans l'histoire par la plus juste et la plus im-
placable vengeance. (Applaudissements.)


L'Assemblée décrète qu'il n'y a pas 11,3u
accusation.


APPENDICE


ait




APPENDICE


Nous plaçons ici le texte du discours par
lequel Mirabeau proposa de voter des reine>,
ciements à Bailly et à Lafayette, venus à l'As-
semblée pour lui apporter les hommages de la
commune de Paris; un extrait de son dis-
cours sur le; refus par le Parlement de Rennes
d'enregistrer les décrets de l'Assemblée; et le
compte rendu d'un incident relatif à l'assimi-
lation de la Corse.


PROPOSITION DE VOTER DES REMERCIEMENTS A
BAILLY ET A LAFAYETTE


Le 19 octobre, l'Assemblée nationale, qui
avait suivi le roi à Paris, siégea pour la pre-
mière fois dans la capitale; Bailly et Lafayette
vinrent au nom, l'un de la commune, l'autre
de la garde nationale, présenter à l'Assemblée
leurs hommages, et promettre de veiller à la
tranquillité de ses travaux, comme à sa sûreté
et à l'ordre public. Mirabeau proposa de leur
voter des remerciements, et son exposé pré-
sente un tableau si vrai de l'époque, que c'est
un document intéressant à reproduire :




Rif


Messieurs,


La p
remière de nos séances dans la capitale


n'est-eue point la plus convenable que nous
puissions choisir pour remplir une obligation
de justice, et je puis ajouter un devoir de sen-
timent?


Deux de nos collègues, vous le savez, ont
été appelés par tee voix publique à occuper
les deux premiers emplois de Paris, l'un dans
le civil, l'autre dans le militaire. Je hais le
ton des éloges, et j'espère que nous appro-
chons du temps où l'on ne louerh


plus que
par le simple exposé des faits; ici, les faits
vous sont connus. Vous savez dans quelle si-
tuation, au milieu de quelles difficultés vrai-
ment impossibles à décrire se sont trouvés
ces vertueux citoyens. La prudence ne permet
pas de dévoiler toutes les circonstances déli-cates, toutes les crises périlleuses, tous lesdangers personnels, toutes les menaces, toli-
tes les peines de leur position, dans une ville
de sept cent mille habitants tenus en fermen-
tation continuelle, à la suite d'une révolution
qui a bouleversé tous les anciens rapports,
dans un temps de troubles et de terreurs, où
des mains invisibles faisaient disparaître l'a-bondance et combattaient secrétement tous
les soins, tous les efforts des chefs Pour nour-
rir l 'i


mmensité de ce peuple obligé de con-
quérir à force de patience le morceau de pain


'qu'il avait déjà gagné par ses sueurs.


Quelle administration! quelle époque! où il
tant tout craindre et tout braver ; où le tu-
multe renaît du tumulte; où l'on produit me
émeute par les moyens qu'on prend pour lm
prévenir ; oit il faut sans cesse de la mesure,
et où la mesure paraît équivoque, timide, pu-
sillanime ; où il faut déployer beaucoup do
force, et où la force paraît tyrannie ; où l'on
est assiégé de mille conseils, et où il faut
prendre conseil de soi-même; où l'on est
obligé de redouter jusqu'à des citoyens dont
lesintentions sont pures,mais que la défiance,
l'inquiétude, l'exagération rendent presque
aussi redoutables que des conspirateurs; où
l'on est réduit même, clans des occasions dif-
ficiles, à, céder par sa sagesse, à conduire le
désordre pour le retenir, à se char ger d'un
emploi glorieux, il est vrai, mais environné
d'alarmes cruelles ; où il faut encore, au mi-
lieu de si grandes difficultés, déployer un front
serein, être toujours calme, mettre de l'ordre
jusque dans les plus petits objets, n'offenser
personne, guérir toutes les jalousies, servir
sans cesse et chercher à plaire comme si l'on
ne servait point!


Je VOUS propose, messieurs, de voter des
ro-


MerernentS à ces deux citoyens pour l'éten-
due da leurs travaux et leur infatigable vigi-
lance. On pourrait dire, il est vrai, que c'est


• un honneur reversible à nous-mêmes, puisque
ces citoyens sont nos collègues. Mais ne cher-
chons point à le dissimuler, nous sentirons
un noble orgueil si l'on cherche parmi noue
les défenseurs de la patrie et les appuis de la
liberté, si l'on récompense notre zèle, en nous




— 476
donnant la noble préférence des postes les
plus périlleux, (les travaux et des sacrifices.


Ne craignons donc point de marquer notre
reconnaissance à nos collègues, et donnons
cet exemple à un certain nombre d'hommes
qui;


imbus de notions faussement républicai-
nes, deviennent jaloux de l'autorité au mo-
ment même où ils l'ont confiée, et lorsqu'a un
terme fixé, ils peuvent la reprendre; qui ne
se rassurent jamais, ni par les précautions des
lois, ni par les vertus des individus; qui s'ef-
frayent sans cesse des fantômes de leur ima-
gination; qui ne savent pas qu'on s'honore
soi-même en respectant les chefs qu'on a choi-
sis; qui ne se doutent pas assez que le zèle
de la liberté ne doit point ressembler à la ja-
lousie des places et des personnes; qui ac-
cueillent trop aisément tous les faux bruits,
toutes les calomnies, tous les -reproches. Et
voilà cependant comment l'autorité la plus lé-
gitime ert énervée, dégradée, avilie; comment
l'exécution des lois rencontre mille obstacles;
comment la défiance répand partout ses poi-
sons; comment, au lieu de présenter une société
de citoyens qui élèvent ensemble l'édifice de la
liberté, on ne ressemblerait qu'à des esclaves
mutins qui viennent de rompre leurs fers, et
qui s'en servent pour se battre et se déchirer
mutuellement.


Je crois donc, messieurs, que le sentiment
d'équité qui nous porte à voter des remercî-
ments à nos deux collègues est encore une
invitation indirecte, mais efficace, une recom-
mandation puissante à tous les bons citoyensde s'uni r à nous pour faire respecter l'auto-


--
177 --


rité légitime, pour la maintenir contre les Cla-
meurs de l'ignorance, de l'ingratitude ou de
la sédition, pour faciliter les travaux des chefs,
leur inspection nécessaire, l'obéissance aux
lois, la règle, la discipline, la modération,
toutes ces vertus de la liberté. Je pense enfin
que cet acte de remereiment prouvera aux
habitants de la capitale que nous savons, dans
les magistrats qu'ils ont élus , honorer leur
ouvrage et les respecter dans leur choix. Nous
unirons, dans ces remereîments, les braves
milices dont l'intrépide patriotisme a dompté
le despotisme ministériel ; les représentants
de la commune et les comités des districts,
dont les travaux civiques ont rendu tant de
services vraiment nationaux.


Cette proposition fut unanimement adoptée.




— 178 —


SUR LE REFUS DU PARLEMENT DE RENNES D'En EGISTRERLES DÉCRETS DE L'ASSE:nIBLÉE


L'Assemblée nationale avait ordonné à tous
les tribunaux de transcrire sur leurs registres
le décret du 3 novembre 1789, par lequel tous
les parlements du royaume ont été mis en va-
cation. Cette loi avait été publiée, et la cham-bre des vacations du parlement de Rennesavait refusé de l


'enregistrer. Sur cette infrac-tion manifeste à la loi, les membres compo-
sant cette chambre furent mandes à la barre -
admis à se j ustifier, ils persistèrent dans leurdésobéissance.


M. Desprémesuil prononça un discours dans
..,équel il nt longuement l'àpologie des magis-
trats bretons. 11 se résuma en disant que,
comme individus, ces magistrats avaient pu
refuser de remplir des fonctions nouvelles, etque, CO/Mne corps, ils n'avaient pas représentéle peuple, niais ils avaient défendu la consti-
tution à laquelle ils étaient attachés par leur
serinent.


:Mirabeau réfuta ces arguments dans un dis-cours qui fit une grande sensation et qui est
un des plus vigoureux qu'il ait prononces :


Messieurs,


Lorsque, dans la séance d'hier, mes oreillesétaient frap pées de ces mots que vous avez
désappris aux Français :


ordres privilégiés;



479 —


lorsqu'une corporation particulière de rune
des provinces de cet empire vous parlait de
rimposeibilité de consentir à l'exécution de vos
décrets sanctionnés par le roi; lorsque des ma-
gistrats vous déclaraient que leur conscienCe et
leur honneur leur défendent d'obéir à vos lois,je me disais : Sont-ce donc là des souverains
détrônés, qui, dans un élan de fierté impru-
dente, mais généreuse, parlent à d'heureux
usurpateurs? Non, ce sont des lion/Mes dont
les prétentions ont insulté longtemps à toute
idée d'ordre social ; c'est une section de ces
corps qui, après s'être placés par eux-mêmes
entre le monarque et les sujets pour asservir
le peuple en dominant le prince, ont joué, me-
nacé, trahi tour à tour l'un et l'autre au gré
de leurs vues ambitieuses, et retardé de plu-
sieurs siècles le jour de la raison et de la li-
berté ; c'est enfin une poignée de magistrats
qui, sans caractère, sans titre, sans prétexte,
vient de dire aux représentants du souverain ,
nous avons désobéi, et nous avons dé déso-
béir; nous avons désobéi, et notre rébellion nous
sera un titre de gloire; nous avons désobéi, et
cette désobéissance honorera nos noms; la Pos-
térité nous en tiendra compte ; notre résistance
sera l'objet de son attendrissement et de son
respect.


Non, messieurs, le souvenir d'une telle dé-
mence ne passera pas à la postérité. Eh ! que
sont tous ces efforts de pygmées qui se raidis-
sent pour faire avorter la plus belle, la plus•grande des révolutions ; celle qui changera
infailliblement la face du globe, le sort de l'es-
pèce humaine2




-- 180 --
Etrange présomption qui veut arrêter dans


sa course le développement de la liberté et
faire reculer les destinées d'une grande na-
ton ! Je voudrais qu'ils se disent à eux-mêmes,
ces dissidents altiers :


(c Qui représentons-nous? Quel voeu, quel in-
térêt, quel pouvoir venons-nous opposer aux
décrets de cette Assemblée nationale qui a
déjà terrassé tant de préjugés ennemis et de
bras armés pour les défendre ? Quelles cir-
constances si favorables, quels auxiliaires si
puissants nous inspirent tant de confiance ?
Leurs auxiliaires, messieurs, je vais vous les
nommer : ce sont toutes les espérances odieu-
ses auxquelles s'attache un parti défait ; ce
sont les préjugés qui restent à vaincre, les in,
térêts particuliers, ennemis de l'intérêt géné-
ral ; ce sont les projets aussi criminels qu'in-
sensés que forment pour leur propre perte les
ennemis de la révolution. Voilà, messieurs, ce
qu'on a prétendu par une démarche si auda-
cieuse qu'elle en paraît absurde. Eh! sur quoi
peut se fonder un tel espoir ? On sont les griefs
qu'ils peuvent produire? Viennent-ils, citoyens
magnanimes, d'une cité détruite ou désolée, ou
généreux défenseurs de l'humanité souffrante,
réclamer des droits violés ou méconnus? Non,
messieurs ; ceux qui se présentent à vous ne
sont que les champions plus intéressés encore
qu'audacieux d'un système qui valut à la
France cieux cents ans d'oppression publique
et particulière, politique et fiscale, féodale etjudiciaire
; et leur espérance est de faire


revivre ou regretter ce système : espoir cou-
pable,dont le ridicule est l'inévitable châtiment.


-- 181 --
Oui, messieurs, tel est le véritable point de


lue du spectacle qu'ont offert ici les membres de
la chambre des vacations de Rennes. En vain
es soixante-six. représentants que les peuples
de Bretagne ont envoyés parmi vous, ces hono-
rables témoins, ces dignes compagnons de vos
travaux, vous assurent que la constitution
nouvelle comble les voeux d'un peuple si long-
temps opprimé qu'à peine avait-il conçu l'idée
de briser ses fers; en vain la Bretagne, autant
qu'aucune autre partie de la France, couronne


vos
travaux; en vain une multitude d'adresses


que vous recevez chaque jour imprime le
sceau le plus honorable et la plus invincible


puissance à vos lois salutaires Onze juges
Bretons ne peuvent pas consentir


à ce que
vous soyez les bienfaiteurs de leur patrie...
Ah ! je le crois; c'est bien eux et leurs pareilsque vous dépossédez quand vous affermissez
l'autorité royale sur l'indestructible base de la
liberté publique et de la volonté nationale.


Vous en êtes les clignes dépositaires, mes-
sieurs; et certes, il m'est permis de le dire, ce
n'est pas dans de vieilles transactions , ce n'est
Pas dans tous ces traités frauduleux, oit la
ruse s'est combinée avec la force pour enchaî-
ner les hommes au char de quelques maîtres
orgueilleux, que vous avez été rechercher vos
droits. Vos titres sont plus imposants; anciems
Comme le temps, ils sont sacrés comme la.
pattue. Les testaments, les contrats de ma-
riage lèguent des possessions et des trou-
peaux, mais les hommes s'associent ; les hom-
mes de la Bretagne se sont associés à l'empire
trançais; ils n'ont vas cessé d'être à lui, parce




--- 1 82 —
qu'il ne leur a retiré ni dénié sa protection.
Chacune des parties qui composent ce superbe
royaume est sujette du tout; quoique leur col-
lection et l'agrégation de leurs représentants
soit souveraine.


S'il était vrai qu'une des divisions du corps
politique voulût s'en isoler, ce serait à nous de
savoir s'il importe à la sûreté de nos commet-
tants de la retenir; et dans ce cas nous y em-ploierions la force publique, sûrs de la faire
bientôt chérir, même aux vaincus, par l'in-
fluence des lois nouvelles. Si cette séparation
nous semblait indifférente, et qu'une sensibi-lité compatissante ne nous retînt pas, nous
déclarerions déchus de la protection des lois
les fils ingrats qui méconnaîtraient la patrie,et qui trouveraient ainsi dans leur propre fo-
lie sa trop juste punition.


Mais que nous permettions à des résistancespartielles, à de prétendus intérêts de corps de
troubler l'inumoni


e d'une constitution dont
l'égalité politique, c'est-à-dire le droit inalié-
nable de tous los hommes, est la base iromua-
'nie, c'est ce que ne doivent. pas espérer les
ennemis du bien public. Et quand ils profes-
sent tout à la fois tant de mépris pour les lois
et tant de respect pour l'autorité d'un seul;
quand ils en appellent des organes légaux dela volonté générale à des pactes ou à la vo-
lonté arbitraire d'un seul, collusolrement aidée
des prétentions aristocratiques qui enchaî-
naient ou paralysaient la nation, ils professent
d'ininteliigihles absurdites. ou cachent et ré-


, chauffent des desseins coupables.
Des


cendrai-je à ces objections qu'on a tirées


— 153 —
des définitions d'un parlement, d'une chambre
des vacations, de l'ordre judiciaire, des fonc-
tions des magistrats, de la nature de leur
obéissance, et de toutes ces vieilles distinc-
tions qui peut-être faisaient partie de notre
droit public lorsque nous n'avions pas de droit
public, qui tenaient heu de science lorsque
nous n'avions que des erreurs, et dont l'é-
talage, dans nos états provinciaux, dans les
assemblées des parlements, faisait la réputa-
tion de cent orateurs, lorsque nous n'avions
ni raison; ni justice, ni éloquence?...On nous a dit que les magistrats Bretons ne
viennent pas ici comme représentants, mais
comme défenseurs des droits de la province.


Je leur demande, à mon tour, s'ils ne sont
pas représentants, comment peuvent-ils être
défenseurs ? et si la Bretagne a soixante-six
représentants dans cette Assemblée, comment
cette province peut-elle avoir d'autres défen-
seurs que les députés qu'elle a choisis pour se
faire entendre et exprimer son suffrage? Oui,
sans doute, il fut un temps où le prétexte de
défendre des peuples qu'on opprimait fournis-
sait périodiquement des tours oratoires aux
faiseurs de remontrances parlementaires, lors-
qu'ils voulaient opposer les peuples aux. rois,
eu attendant qu'ils pussent opposer les volon-
tés arbitraires des rois aux peuples : mais ce
temps n'est plus. La langue des remontrances
parlementaires est à jamais abolie. Défendre
les peuples, c'est-à-dire, dans leur idiome, les
tromper, c'est-à-dire, servir uniquement son
Intérêt personnel , ménager ou menacer la
Cour, accroître sa puissance sous les règnes




— —


faibles, reculer ou composer avec les gouver-
nements absolus : voilà quel était le cercle de
ces évolutions, de ces parades politiques, de
ces intrigues souterraines; un tel prétexte de
défendre les peuples excite encore aujourd'hui
notre indignation; il n'aurait dû peut-être ex-
citer que le ridicule.


Mais pourquoi chercherions-nous les inten-
tions des magistrats de Rennes dans les dis-
cours de leurs apologistes, quand nous avons
entendu leur propre défense? Pourquoi nous
occuperions-nous d'un délit dont nous avons
déjà fixé la nature et désigné les juges, quand
il en est un nouveau commis sous nos yeux?
Ecoutons MM. des vacations.


Ils sont les défenseurs des droits de la Bre-
tagne, ;,aucun changement dans l'ordre public
ne peut s'y faire sans que les Etats l'aient ap-
prouvé, sans que le Parlement l'ait enregistré.
Telles sont les conditions du pacte qui


-
les


unit à la France; ce pacte a été juré et con-
firmé par tous les rois : ils n'ont donc pas dû
enregistrer, et c'est par soumission pour le
roi qu'ils viennent le déclarer.


Ils n'ont pas dû enregistrer : eh! qui leur
parle d'enregistrer? Qu'ils inscrivent, qu'ils
transcrivent, qu'ils copient, qu'ils choisissent
parmi ces mots ceux qui plaisent le plus à
:eurs habitudes, à leur orgueil féodal, à leur
vanité nobiliaire , mais qu'ils obéissent à la
nation quand elle leur intime ses ordres sanc-
tionnés par son roi. Êtes-vous Bretons? les
Français commandent. N'êtes-vous que des
nobles de Bretagne? les Bretons ordonnent;
oui, les Bretons, les hommes, les communes,


— 185 —
ce que vous nommez tiers état; car, sur ce
point, messieurs, comme sur tous les autres>
vos décrets sont annulés par les deux pre-
miers ordres de Bretagne : on nous les rap-
pelle comme existants, on veut nous faire en-
tendre ce mot de tiers état, mot absurde dans
tous les temps aux yeux de la raison, main-
tenant rejeté par la loi , et déjà même pros-
crit par l'usage : on vient, dans le triomphe
de l'humanité sur les antiques oppresseurs,
dans la victoire de la raison publique sur les
eijugés de l'ignorance et de la barbarie; on
vient vous présenter en opposition au bonheur
des peuples, et comme un garant sacré de
leur Éternelle servitude, le contrat de mariage
de Charles VIII et de Louis XII. Ainsi donc,
parce qu'Anne de Bretagne a épousé un de
vos rois, nommé le père du peuple, un autre
de vos rois plus véritablement père du peu-
ple, puisqu'il le délivre de ses tyrans, votre
monarque ne pourra jamais étendre jusqu'en
Bretagne les conquêtes de la liberté; on vous
parle sérieusement des deux nations, la na-
tion française et la nation bretonne. On sait
le parti qu'a pris la nation française; elle est
restée, elle restera fidèle à son roi... et la na-
tion bretonne, c'est-à-d i re la chambre des
vacations de Rennes, quel parti prendra-t-elle?
On ose vous parler du grand nombre des op-
posants dans plusieurs des villes de la pro-
vince.... Ah! tremblez que le peuple ne verifie
vos calculs, et ne fasse un redoutab


le dénom-
brement. Etes-vous justes4 comptez les voix.
N'êtes-vous que prudents ? comptez les hom-
mes, comptez les bras, et ne venez plus par-




— 186 —
ler des deux tiers de la province devant une
Assemblée qui a décrété une représentation
nationale la plus équitable qui existe encore
sur la terre; ne parlez plus de ces cahiers qui
fixent immuablement nos pouvoirs; immua-
blement! oh! comme ce mot dévoile le fond de
leurs pensées! comme ils voudraient que les
abus fussent immuables sur la terre, que le
mal y fût éternel! Que manque-teil, en effet, .
à leur félicité, si ce n'est la perpétuité du fléau
féodal qui, par malheur, n'a duré, que six siè-
cles? Mais c'est en vain; qu'ils frémissent !
tout est changé, il n'y a plus rien d'immuable
que la raison, qui changera tout, qui, en éten-
dant ses conquêtes, détruira les institutions
vicieuses auxquelles les hommes obéissent
depuis si longtemps; il n'y a plus rien &im-
muable que la souveraineté du peuple, l'invio-
labilité de ses décrets sanctionnés par.son roi,
par son roi qui, malgré des suggestions per-
fides, ne fait qu'un avec le peuple par lequel
il règne, par lequel il triomphera de ceux qui
veulent faire du monarque un instrument
d'oppression publique. C'est lui, c'est le dépo-
sitaire de la force nationale qui protégera la
liberté bretonne contre une poignée d'hommes
qui osent s'appeler les deux tiers de la pro-
vince. Il n'offensera point les mânes de
Louis XII en croyant que dans la liberté gé-
nérale de la France, la nation bretonne, qui
n'est point encore séparée de la nation fran-
çaise, ne doit pas, pour obéir à la teneur du
contrat de mariage d'Anne de 13retagne, res-
ter jusqu'à la consommation des siècles es-
clave des privilégiés de Bretagne. Puisqu'il Y


— 187


a encore, comme nous rapprenons, des privi- •
légiés en Bretagne ; privilégiés ! cessez de vous
porter pour représentants de la province dont
vous êtes les oppresseurs ; ne parlez plus de
ses franchises pour l'enchaîner, de ses libertés
pour l'asservir. Vous êtes justifiés, dites-vous,
par votre conscience; mais votre conscience,
comme celle de tous les hommes, est le ré-
sultat de vos idées, dé vos sentiments de vos
habitudes. Vos habitudes, vos sentiments, vos
idées, tout vous dit, tout vous persuade que
les cornu unes bretonnes doivent être à jamais
esclaves des nobles , en vertu du mariage
d'Anne da Bretagne. Quelle est cette cons-
cience qui veut annuler par un pareil titre la
déclaration des droits de l'homme et la cons-
titution française? Voilà, messieurs, les idées
augustes et imposantes qu'apporte parmi vous
le cher d'une députation qui compte sur l'hom-
mage, c'est trop peu, sur l'attendrissement de
la postérité. Elle apprendra, dit-il, 'que des ma-
g istrals ont eu le courage.... Singulière préten-
tion de passer à la postérité par un excès de
fanatisme et d'orgueil! liais loin de désirer
que la postérité se souvienne de leur révolte,
que ne font-ils des voeux pour eue la généra-
tion présente l'oublie!...


, Ce discours fut interrompu fréquemment put
de nombreux applaudissements. L'Assemblée
en ordonna l'impression, et- dans la séance du
13-janvier 1190, rendit un décret qui improu-
vait eonduite des magistrats de Rennes et


suSt endait de leurs fonctions.






— {90 --
aue le 'mot liberté fasse ici sur quelques homme
l'effet de l'eau sur les hydrophobes! »


La motion de Mirabeau fut mise aux voix
C, malgré les oppositions de plusieurs mem-
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