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rIISTOIRJ~
DE


LA RÉVOLUTION
FRANGAISE,


PAR lU. A. THIEUS,
MINISTRE Dl~:TAT E.T nÉrUTÉ.


TOME TROISIEJ\IE.


PARIS,
LECOINl'E El' POUGIN, ÉDITEURS,


QUAI DES AUGUSTINS, NO 49.
PAULIN, LlRRAJlU:, PLACE DE L.~ ROURSE.


1\1 nccc XXXII.


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AVIS..


Les notes et pieces justificatives. de ce
volume ont été jointes au !'le volume.


m.




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..




HISTÜIRE
DE


LA RÉVOLUTION
FRANCAISE.,


CHAPITRE 1.


Suite et fin de la journée du 10 aoüt. - Rappel du minis-
tére girondin; Danton est nommé ministre de la justice.
- État de la famille royale. - Situation des parris dans
l'assemblée et au-dehors aprésle 10 aoút, - Organisa-
tion et influence de la cornmune ; pouvoirs nnm hreux
qu'elle s'arroge ; son opposition avec l'asscmblée. _
Érection d'un tribunal crimine] extraordinaire. _ État
des armées aprés le lO aoút, Résistance de Lafayette au
nouveau gouvernemellt. Décrété d'accnsation , il quitte
son armée et la France ; est mis aux Iers par It's Autri-
chiens. - Position de Dumouriez. - Dispositions des
puissances, et situation reciproque des arrnées conlisées
et des arrnées fran\i:Jises. - Prise de Longwy par les
Prussiens ; agitation de Paris a cette nouvelle. - Me-
sures révolutionnaires prises par la comrnune ; arresta.
tions des suspects. - Massacres dans les prisons les 2,
3, 4, 5 et B septembre. Principales scenes et circons-
tan ces de ces journées sanglantes.


LES Suisses avaient courageusement défendu
r ,





4 IIÉVOLUTIOJS f'l\AN«AISf:.
les Tuileries , mais leur résistance fut inutile:
le grand escalier avait été forcé, et le palais
envahi. Le peuple, désormais vainqueur, pé-
nétrait de toutes parts dans cette demeure de
la royauté, oú il avait toujours supposé des
trésors extraordinaires , une felicité sans bor-
nes, une puissance formidable, et des complots
sinistres! Que de vengeances aexercer a la fois
contre la richesse , la grandeur et le pouvoir !


Quatre-vingts grenadiers suisses , qui n'ont
pas eu le temps de se retirer, défendent vigo u-
reusement leur vie, et sont irnpitoyablement
égorgés. La multitude se préeipite ensuite dans
les appartements , et s'acharne sur ces inutiles
amis , aceourus pour défendre le roi, et pour-
suivis , sous le nom de chevaliers du poignard,
de toute la haine populaire. Leurs armes im-
puissantes ne servent qu'a irriter les vainqueurs,
et rendre plus vraisemblables les projets irn-
purés a la cour. Toute porte qui se ferme
est abattue. Deux huissiers voulant interdire
l'entrée du grand conseil, et s'immoler a l'éti-
quette, sont massacrés en un instant. Les nom-
breux serviteurs de la famille royale fuient
tumultueusement a travers les vastes galeries,
se précipitent des fenétres, ou cherchent dans
l'immensité du palais un réduit obseur qui
protége leur vie. Les femmes de la reine se ré-




ASSJ,lUDLÉE LÉGfSLA TIVE (1792). 5
fugient dans l'un de ses appartemellts, el s'at-


.tendent achaque instant a étre attaquées daos
leur asile. La princesse de Tarente en fait ou-
vrir les portes pour ne pas augmenter I'irrita-
tion par la résistance. Les assaillants se pré-
sentent , el se saisissent de l'une d'elles, Déjá
le fer est levé sur sa tete. - Grdce aux fem-
mes! s'écrie une voix; ne déshonorez pas la
nation l - A ce mot, le fer s'abaisse , les
femrnes de la reine sont épargnées, protégées,
conduites hors du cháteau , par ces mémes
hommes qui allaient les 'immoler, el qui, avec
toute la mobilité populaire, les escortent main-
tenant , et em ploient pour les sauver le plus
ingénieux dévouement. Apres avoir massacré ,
on dévaste; on brise ces magnifiques amen-
blements, et on en disperse au loin les débris.
JJC peuple se répand dans les secrets apparte-
ments de la reine, et s'y livre a la gaité la
plus ohscene ; il pénétre dans les lieux les plus
reculés, recherche tous les dépóts de papiers ,
brise toutes les fermetures , et satisfait le dou-
ble plaisir de la curiosité et de la destruction.
A l'horreur du meurtre et <In sac se réunit
celle de I'incendie. Déja les flarnmes ayant dé-
voré les échoppes adossées aux conrs exté-
rieures commencent a s'étendre al'édifice, et
menacent d'une ruine complete cet imposant




ti Rt:VOLUTlON FftANC;;AISE.


tt


séjour de la royauté, La désolation n'est pas
bornée a cette triste enceinte ; elle s'étend al!
loin, Les rues sont jonchées de débris et de
cadavres. Quiconque fuit ou est supposé fuir
est traité en ennemi, et poursuivi a coups de
fusil. Un bruit presque continuel de rnous-
queterie a succédé a celui du canon, et révele
achaque instant de nouveaux meurtres, Que
d'horreurs dans les suites d'une victoire , quels
que soient les vaincus , les vainqueurs , et la
cause pour laquelle on a combattu ~


Le pouvoir exécutif étant dissous par la
suspension de Louis XVI, il ne restait plus
dans París que denx autorités, eeHe de la com-


. mune et celle de l'assemblée, Comme on I'a
Vil dans le récit du 10 aoút , des députés des
sections réunis a l'Hotel·de-Ville, s'étaient ern-
parés du pouvoir municipal, en expulsant les
anciens magistrats, et avaient dirigé l'insurrec-
tion pendant toute la Huir et la journée du 10.
lis possédaient la véritable force de fait; ils
avaient tout 1'emportement de la victoire, et
représentaient cette classe révolutionnaire ,
neuve et ardente, qui venait de lutter pendant
toute la session contre l'inertie de cette autre
classe d'hommes, plus éclairés , mais moins
actifs, dont se composait I'assemblée législa-
tive, Le premier soin des députés des sections


.s




A.SSEMBLÉE LÉGISLA TIVE (1792 ) . 7
fut de destituer toutes les hautes autorités,
gui, plus rapprochées du pouvoir supréme ,
lui étaient plus attachées, Ils avaient suspendu
I'état-rnajor de la garde nationale, et désorga-
nisé la défense des Tuileries en arrachantMandar
au cháteau , et donné a Santerre le comrnan-
dement de la garde nationale. Ils n'avaient pas
mis moins d'empressement asuspendre l'admi-
nistra tion du département, qui, de la haute
région oú elle était placée, contraria toujours
les passions populaires, qu'elle ne partageait
paso Quant a la municipalité , ils en avaient
supprimé le conseil général, s'étaient substi-
tués ason autorité , ne conservant que le maire
Pétion, le procureur-syndic Manuel, et les
seize adrninistrateurs municipaux, Tout cela
s'était fait pendant l'attaque du chatean. Danton
avait audacieusement dirige cette oragellse
séance ; et, lorsque la mitraille des Suisses re-
foula la rnultitude le long des quais, et jusqu'á
l'Hótel- de-Ville, il était sorti en disant : «Nos
11 freres demandent du secours , allons leur en
«porter.» Sa présence avait conlribué arame-
ner le peuple sur le charnp de bataille, et a
décider la victoire. Le combat terminé, il fut
question de délivrer Pétion de sa garde et de
le replacer dans ses fonctions de maire, Cepen-
dant, soi t véritable intérét pour sa personne,




8 RÉVOLUTlON FRAN<,tAISE.
soit crainte de se donner un chef trop scru-
puleux pour les prerniers mornents de l'in-
surrection, on avait décidé qu'il serait gardé
encere un jour ou deux, sous le prétexte de
mettre sa vie a couvert, En méme temps on
avait en levé de la salle dn conseil général, les
bustes de Louis XVI, Bailly et Lafayette. La
classe nouvelle qui s'élevait écartait ainsi les
premieres illustratious révolutionnaires , pour
y substituer les siennes.


Les insurgés de la commune devaient cher-
cher a se mettre en rapport avec l'assemblée.
lis luí reprochaient des hésitations , el méme
du royalisme; mais ils voyaient toujours en
elle la seule autorité souveraine actuellement
existante, et n'étaient point du tout disposés
ala méconnaitre. Dans la matinée mérne do 10,
une députation vint asa barre lui annoncer la
formation de la commune insurrectionnelle,
el lui exposer ce qui avait été fait. Danton était
au nombre des députés. « Le peuple qni nous
« envoie vers vous, dit-il, nous a chargés de vous
« déclarer qu'il vous croyait toujours dignes
« de sa confiance, mais qu'il ne reconnaissait
« d'autre juge des mesures extraordinaires aux-
« quelles la nécessité l'a contraint de recourir,
« que le peuple francais , nutre souverain et le
« vótre , réuni dans les assemblées primaires.»


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ASSEMBLÉE L~GISLATIVE (1792 ) . 9
L'assemblée réponditá ces députés, par 1'01'-


gane de son président, qu'elle approuvait tout
ce qui avait été fait, et qu'elle Ieur recom-
marsdait l'ordre et la paix, Elle Ieur fit donner
en outre communication des décrets rendus
dans la journée, avec in vitation de les répandre.
Apres cela, elle rédigea une proclamation pour
rappeler le respect dú aux personnes et aux
propriétés, et chargea quelqucs-uns de ses
membres d'aller la porter au peuple,


Son premier soin dans ce moment devait
étre de suppléer a la royauté détruite. Les mi-
nistres, réunis sous le nom de conseil exécu-
tif, furent provisoirement chargés par elle des
soins de l'adrninistration, el de l'exécution des
Iois. Le ministre de la justice, dépositaire du
sceau oe l'état , devait l'apposer sur les dé-
crets, et les promulguer 311' nom de la puis-
sanee législative. Il fallait ensuite choisir les
pCl'sonnes qui composeraient le ministere. On
songea tour d'abord a replacer Roland, Cla-
viere et Servan, destitués ponr leur attache-
ment a la cause populaire, cal' la révolution
nouvelle devait vouloir tout ce que n'avait pas
voulu la royauté. Ces trois ministres furent
done unanimernent réintégrés, Roland a l'in-
térieur, Servan a la gnerre, et Claviere anx
finan ces. 11 y avait encare á nomrner un tui-




10 nÉvoLUTION FRAN~AISE.
nistre de la justice, des affaires étrangéres et
de la marine. Ici le choix était libre; et les
voeux formés autrefois pour le mérite obscur,
011 pOllr le patriotisme ardent et désagréable
ala cour, ponvaient etre réalisés sans obstacle.
Danton, si puissant sur la muItitude, et si en-
trainant pendant les quarante-huit heures écou-
lées, fut jugé nécessaire ; 'et , bien qu'il déplút
aux girolldins comme un élu de la populace ,
il fut nommé ministre de la justice a la majo.
rité de 222 voix sur 284. Apres avoir donné
eette satisfaction au peuplc, et accordé cette ,
place al'énergie, 00 songea amettre un savant
a la marine. Ce fut le mathématicien Monge,
connu et apprécié par Condorcet , et adopté sur
sa proposition. On porta enfin Lebrun aux af-
faires étrangeres , et on récompensa dans sa
personne l'un de ces hommes laborieux, qui
faisaient auparavant tout le travail dont les
ministres avaient l'honneur.


Apres avoir remplacé le pouvoir exécutif,
l'assemblée déclara que tous les décrets sur
lesquels Louis XVI avait apposé son veto re-
cevraient force de loi. La formatÍon d'un camp
sous Paris , objet de l'un de ces décrets ,et cause
de sí vives discussions , fut ordonnée sur-le-
champ , et les canonniers recurent l'autorisa-
tion , le jour mérne , de commencer des espla-




ASSEl\lBL};E LÉGISLATJVE (1792). JI
nades sur les hauteurs de Montmartre. Aprés
avoir fait la révolution de Paris , il fallait en
assurer le succes dans les départements, et
surtout aux armées, oú commandaient des gé-
néraux suspects. Des commissaires pris daos
I'assemblée furent chargés de se rendre daos
les provinces et les arrnées , pour les éclairer
sur les événements du JO aoüt , et 00 leur
donna des pouvoirs pour renouveler au besoin
tous les chefs civils et militaires,


Quelques heures avaient suffi a tous ces dé-
crets; et pendant que l'assemblée était occupée
a les rendre , d'autres soins venaient sans cesse
l'interrompre. Les effets précieux, enlevés aux
Tuileries, étaient transportés dans son en-
ceinte; les Suisses, les serviteurs du cháteau ,
tC:utes les personnes arrétées dans leur fuite ,
ou arrachées ala furenr du peuple, étaient con-
duites a sa barre. comme daos un lieu d'asile.
Une foule de pétitionnaires veoaient les uns
apres les autres rapporter ce qu'ils avaient fait
ou vu, et raconrer leurs déconvertes sur les
complots supposés de la cour. Des accusations
et des invectives de tout genre étaient proférées
contre la famille.royale , qui enteodait tout cela
du lieu étroit oú on l'avait reléguée. Ce líen
était la loge du logographe. Louis X VI écoutait
avec calme tous les discours , et s'entretenait




r- t


J:.l nHVOLlITION FRANVAISI;.


par intervalles avec Vergniaud et d'autres dé-
putés, placés tout pres de lui. Enfermé la de-
puis quinze heures, il avait demandé quelques
aliments, qu'il partagea avec sa femme et ses
enfants, et qui provoquaient d'ignobles obser-
vations sur le gout qu'on Iui imputait pour la
table ! On sait si les partis victorieux épargnent
le mal.heur! Le jeune dauphin, couché sur le
sein de sa mere, y dormait profondément,
accablé par une chaleur étouffante. La jeune
princesse et madarne Elisabeth, les yeux rouges
de larmes, étaient a coté de la reine. Au fond
de la loge se trouvaient quelques seigneurs dé-
voués qui n'avaient pas abandonné le malheur.
Cinquante hommes , pris dans la troupe qui
avait escorté la famille royale dn cháteau al'as-
semblée, servaient de garde a cette enceinte.
C'est de la que le monarque déchucontemplait
les dépouilles de ses palais, assistait au démem-
brement de son antique pouvoir, et en voyait
distrihuer les restes aux diverses autorités po-
pulaires.


Le tumulte continuait avec une extreme vio-
lence, et, au gré du peuple , ce n'était pas
assez d'avoir suspendu la royauté, il fallait la
détruire. Les pétitions se succédaient sur ce
sujet ; et, dans l'attente d'une réponse , la mul-
titude s'agitait al! dehors de la salle, en inon-




ASS!:MBLJh: LÉGISLATIVE (1792). J:1
dait les avenues, en assiégeait les portes, el
deux ou trois fois elle les attaqua si violernment
qu'00 les crut enfoncées, et q u'00 craignit POUl'
la famille infortunée dont l'assemblée avait rec;u
le dépót. Henri Lariviere , envoyé avec d'au-
tres commissaires pour calmer le peuple, rentra
dans cet instant el s'écria avec force: « Oui,
« Messieurs, je le sais , je l'ai vu , je l'assure,
ce la masse du peuple est décidée apérir mine


(C fois, plutót que de déshonorer la liberté par
I( aucun acle d'inhumanité; el a coup sur il
« n'est pas une tete ici présente (et l'on doit
« m'entendre , ajouta-t-il) qui ne puisse compter
« sur la loyauté francaise. » Ces paroles ras-
surantes el courageuses furent applaudies.
Vergniaud prit la parole el son-tour, et répondit
aux pétitionnaires qui demandaient qu'on chan-
geat la suspension en déchéance. « Je suis
« charmé, dit-il , qu'on me fournisse l'occasion
« d'expliquer l'intention de l'assemblée en pré-
(f senee des citoyens. Elle a décrété la suspen-
(f sion dn pouvoir exécutif, et a nommé une
« convention qui déciderait irrévocablement
« la grande question de la déehéance. En cela,
« eHe s'est renfermée dans sespouvoirs , qui
« ne lui -permettaient pas de se faire juge elle-
(e méme de la royauté , et elle a pourvu au salut
" de I'État, en mettant le ponvoir exécutifdans




14 IlÉVOLUTION l'RANetAIS!:.


« l'impossibilité de nuire. Elle a satisfait ainsi
« atous les besoins en demeurant dans la limite
« de ses attributions. )) Ces paroles produisi-
rent une impression favorable, et les pétition-
naires eux-mérnes , calmés par elles, se char-
gerent d'éclairer et d'apaiser le peuple,


Il fallait mettre fin acette séance si longue.
Il fut done ordonné que les effets enlevés au
cháteau seraient déposés a la commune; que les
Suisses et toutes les personnes arrétées seraient
ou ganlées aux Feuillants, ou transportées
dans diverses rnaisons de détention , enfin que
[a famille royale serait gardée au Luxembourg
jusqu'a la rénnion de la Convention nationale ,
mais qu'en attendant les préparatifs nécessaires
pour l'y recevoir, elle logerait dans le local
mérne de l'assemblée. A une heure dumatin, le
samedi 11, la famille royale fut transportée
dans le logement qu'on lui destinait , et qui
consistait en quatre cellules des anciens feuil-
lants. Les seigneurs qui n'avaient pas quitté le
roi s'étahlirent dans la prerniére, le roi dans
la seconde, la reine, sa sceur et ses enfants
dans les deux autres. La femme du concierge
servit les princesses, et rernplaca le cortege
nombreux des dames , qui, la veille encare,
se disputaient le soin de leur service,


La séance fut suspendue a trois heures du




ASSEIUBLÉE LÉGISLATIVE (1792). J 5
matin, Le bruit régnait encore dans Paris. Pour
éviter les désordres , on avait illuminé les envi-
rons du cháteau , et la plus grande partie des
ciroyens étaient sous les armes.


Telle avait été cette journée célebre, et ses
résultats immédiats. Le roi et sa famille étaient
prisonniers aux Feuillants; et les trois ministres
disgraciés replacés en fonctions; Danton, caché
la veille dans un club obscur~ se trouvait mi-
nistre de la justice ; Pétion était consigné chez
lui , mais a son nom proclamé avec enthou-
siasme on ajoutait celui de Pére du peuple.
Marat, sorti de l'obscure re traite oú Danton
l'avait caché pendant l'attaque, et maintenant
armé d'un sabre, se promenait dan s París a
la tete du bataillon marseillais. Robespierre ,
qu'on n'a pas vu figurer pendant ces terribles
scenes , Robespierre haranguait aux Jacobins,
et entretenait quelques membres restés avec
lui, de l'usage a faire de la victoíre , de la né-
cessité de remplacer l'assemblée actuelle, et de
mettre Lafayette en accusation.


Des le lendemain, il fallut songer encore a
calmer le peuple soulevé , et ne cessant de mas-
sacrer ceux qu'il prenaít pour des aristocrates
fugitifs. L'assemblée reprit sa séance le 11 a
sept heures du matin. La famille royale fut
replacée dans la loge du logographe, pour as-




16 RÉVOLUTION FRA1'U;AISF..
sister aux décisions qui allaient étre príses , et
aux scenes qui allaient se passer dans le corps
législatif. Pétion, délivré et escorté par un
peuple nombreux, vint rendreeompte de l'état
de París, qu'il avaít visité, et oú il avait taché
de répandre le calme et l'esprit de paix. Des
citoyens s'étaient faits ses gardiens pOUl' veiller
sur ses jours. Pétion fut parfaítement aeeueílli
par l'assemblée, et repartir aussitót pour con-
tinuer ses exhortations pacifiques. Les Suisses
déposés la veílle aux Feuillants étaíent menacés.
La multitude demandait leur mortagrands cris,
en les appelant complices du cháteau et assas-
sins du peuple. On parvint al'apaiser en annon-
cant que les Suisses seraient jugés, et qu'une
cour martiale allait étre formée pour punir ce
qu'onappela depuisles conspirateurs du 10 aoüs:
« Je demande, s'éeria le violent Chabot, qu'ils
« soient conduits al'Abbaye pour étre jugés....
« Dans la terre de l'égalité, la loi doit raser
lI. toutes les tetes, mérne celles qui sont assises
« sur le tróne. » Déjá les officiers avaient été
transportés a l'Abbaye; les soldats le furent a
leur tour. Il en coüta des peines infinies, et
il fallut promettre au peuple de les juger
promptement.


Comme on le voit , l'idée de se venger de tOI1S
les défenseurs de la royauté, et de punir en CUI




ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE ([792.)· 17
les dangers qU'OIl avait courus , s'emparait déja
des esprits , et bientót al!ait faire naitre de
cruelles divisions. En suivant les progres de
l'insurrection , on a déjá remarqué les germes
des dissentiments qui commencaien t as'élever
dans le parti populaire. On a déjá vu l'assem-e
blée , eomposée d'hommes cultivés et calmes,
se trouver en opposition avec les clubs et les
municipalités, oú se réunissaient des hommes
inférieurs en éducation , en talents, maís qui ,
par leur position mérne , leurs rnoeurs moins
élevées , leur ambitíon ascendante , étaient por-
tés a agir et a précipiter les événements ; on
a vu que la veille du JO aoút , Chabot difiera
d'avis avec Pétion , qui , d'accord avec la ma-
jorité de l'assemblée, voulait qu'on préférát
un décret de déchéauce a une attaque de vive
force. Ces hommes, qui avaient conseillé la
plus grande énergie possible, se trouvaient
done le lenclemain en présence de l'assemblée,
fiers d'une victoíre remportée presque malgré
elle, et luí rappelant , ave e les expressions
d'un respect équivoque , qu'elle avait ahsous
Lafayette, ct qu'il ne fallait pas qu'elle com-
promit encore par sa faiblesse le salut du peu-
ple. lis rernplissaient la eommune, oú ils étaient
mélés a des bourgeois ambitieux , a des agita-
teurs subalternes, ades clubistes; ils oeeupaient


lIJ. 2




RÉVOLUTION FRAN~AISE.
les Jacohins et les Cordeliers , et quelques-uns
d'entre eux siégeaient sur les bancs extremes
du eorps législatif. Le capucin Chahot, le plus
ardent de tous , passait tour-a-tour de la trihune
de l'assernblée acelle des Jacobins , et menacait
toujours des piques et <1M toesin.


L'assemhlée avait prononeé la suspension,
et ces hommes plus exigeants réclamaient la
déchéance; en nommant un gouverneur pour
le dauphin, elle avait supposé la royauté , et
eux voulaient la répuhlique; elle pensait en
majorité qu'on devait se défendre activement
contre l'étrangcr, mais faire grAce aux vaincus ;
eux soutenaient au contrairc qu'il fallait non-
seulement résister al'étranger, rnais encore sévir
contre ceux qui, retranchés dans le cháteau ,
avaient voulu massacrer le peuple, el amener les
Prussiens aParis. S'élevant dans leur ardeur aux
idées les plus extremes, ils soutenaient que les
corps électoraux n'étaient pas nécessaircs pour
former la nouvelle assemhlée, mais que tous
les citoyens devaient étre jugés aptes a voter.
Déja méme un jacohin proposait de donner
des droits palitiques aux femmes. lis disaient
hautement enfin qu'il fal1ait que le peuple se
présentát en armes paur manifester ses volon-
tés au corps législatif. Marat excitait ce dé-
bordement des esprits, et provaquait a la ven-




ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE (1792). 19
geanee, paree qu'il pensait , dans son affreux
systérne , qu'il convenait de putger la France.
Robespierre, moins par systeme d'épuration,
moins par disposition sanguinaire, que par
envie contre l'assemblée, élevait cout re elle les
reproches de faiblesse et de royalisme. Próné
par les jacobins, propasé avant le 10 aoút
comme le dictateur nécessaire, il était proclamé
aujourdhui comme le défenseur le plus élo-
quent et le plus incorruptible des droits du
peuple. Danton, ne songeant ni 11 se faire
louer, ni a se faire écouter, et n'ayant jamais
aspiré a la dictature, avait néanmoins décidé
le 10 aoút par son audace. Maintenant encare,
négligeant l'étalage, il ne songeait qu'á s'em-
parer du conseil exécutif, dont il étaít mern-
bre, en dominant ou entrainant ses collegues.
Incapable de haine ou d'envie , il ne nourris-
sait aucun mauvais sentiment contre ces dé-
putés dont J'éclat offusquait Robespierre, mais
il les négligeait comme inactifs , et leur pré-
férait ces hommes énergiques des classes infé-
rieures , sur lesquels il comptait davantage pOUI'
tnaintenir et achever la révolution.


Ces divisions n'étaient pas soupeonnées au
dehors de Paris; tout ce que le public de la
Franee avait pu voir, c'était la résistanee de
l'assemblée a des vceux trop ardents , et l'ab-


2.




20 RÉVOLUTlON FIlANQAISE.


solution de Lafayette prononcée malgré la
éommnne et les Jacohins, Mais on imputait tout
a la majorité roya liste et feuillantine; on ad-
rnirait toujours les girondins, on estimait éga-
Iement Brissot et Robespierre , on adorait sur-
tout Pétion comme le maire si maltraité par
la cour; et on ne s'informait pas si Pétion pa-
raissait trop modéré a Chabot , s'il blessait
l'orgueil de Robespierre, s'il était traité comme
un honnéte homme inutile par Danton, et
comme un conspirateur sujet al'épuration par
Marat. Pétion était done encore entouré des
respects de la multitude; mais , comme Bailly
apres le J 4 juillet , il allait Lientot devenir im-
portun et odieux, en désapprouvant des déhor-
dements qu'il ne pouvait plus empécher.


La principale eoalition des nouveaux révo-
lutionnaires s'était formée aux JacoLins et a la
commune. Tous les projets se proposaient, se
discutaient auxJaeobins; etles mérnes hommes
venaient ensuite exécuter al'Hótel-de-Ville, au
moyen de leurs pouvoirs municipaux, ce qu'ils
n'avaient pu que projeter dans leur club. Le
conseil général de la cornmune composait ah"
seul une espece d'assernblée , aussi nombreuse
que le eorps législatif, ayant ses tribunes, son hu-
reau , ses applaudissements bien plus bruyants,
el une force de fait bien plus considémble. Le




llSSEMBL~E Ll:GISLATJVE (1792). 21
maire en était le président , le procureur-syn-
die I'orateur officiel, chargé de faire toutes les
réquisitions nécessaires. Pétion ne s'y présen-
tait déja plus, et se bornait au soin des sub-
sistances. Le procureur Manuel, se laissant por-
ter plus loin par le fIot révolutionnaire , y faisait
tous les jours entendre sa voix, Mais l'homme
qui dominait le plus cette assemblée , c'était
Robespierre. Resté a l'éeart pendant les trois
prerniers jours qui suivirent le 10 aoút , il «s
était rendu apres que l'insurrection eut été
consommée, et, se présentant au bureau ponr
y faire vérifier ses pouvoirs, il avait semblé en
prendre possession , plutót que venir y sou-
mettre ses titres. Son urglleil, loin de déplai re,
n'avait fait qu'augmenter les respects dont on
l'entourait. Sa réputation de talents , d'incor-
rupribilité et de constance , en faisait un per-
sunnage grave et respectable , que ces hour-
geois rassemblés étaient fiers de posséder au
milieu d'eux, En attendant la réunion de la
Convention dont il ne doutait pas de faire
partie, il venait exercer lá un pouvoir plus
réel que le pouvoir d'opinion dont il jouissait
aux Jacobins.


Le premier soin de la commune fut de s'ern-
parer de la police; ca!', en temps de guerre
civile, arreter, poursuivre ses ennemis, est le




~ÉVOLUTION FRAN9AISl':.
plus important et le plus envié des pouvoirs.
Lesjuges-de-paix , chargés de l'exercer en par-
tie, a vaient indisposé l'opinion par leurs pour-
suites contre les agitateurs populaires; et se
trouvaient ainsi, volontairement ou non, en
hostilité avec les patriotes. On se souvenait
surtout de celui qui, dans 1'affaire de Bertrand
de Molleville et du journaliste Carra, avait
osé faire citer deux députés. Les juges-de-paix
furent done destitués, et on transporta aux
autorités municipales toutes leurs attributions
relatives a la police. D'accord ici avec la corn-
mune de París, 1'assemblée décréta que la po-
lice , dite de süreté générale, serait attribnée
aux départements, districts et municipalités.
Elle consistait a rechercher tous les délits me-
nacant la süreté intérieure el extérieure de rs-
tat, a faire le recensement des citoyens sus-
pects par leur opinion on leur conduite, ales
arréter provisoirement , a les disperser méme
et ales désarmer, s'il était nécessaire. C'étaient
les conseils des municipalités qui remplissaient
eux-rnérnes ce rninistere , et la masse entiere
des citoyens se trouvait ainsi appelée a obser-
ver, adénoncer et apoursuivre le parti ennemi.
On concoit combien devait étre active, mais
rigoureuse et arbitraire, eette police démo-
cratiquement cxercée, Le conseil entier rece-




ASS};l\IBLÉE LÉGISLATIVE (1792). 23
vait la dénonciation, et un comité de surveil-
lance l'examinai t, et faisai t exécuterl'arrestation.
Les gardes nationales étaient en réquisition
permanente, et les municipalités de toutes les
villes au-dessus de vingt mille ames pouvaient
ajouter des réglements particuliers a cette loi
de süreté généra le. Certes, l'assemblée législa-
tive ne croyait pas préparer ainsi les sanglan-
tes exécutions qui eurent lieu plus tard; mais,
entourée d'ennemis au dedans et au dehors,
elle appelait tous les citoyens a les surveiller,
eomme elle les avait tous appelés a administrer
et a cornbattre.


La comrnune de París s'empressa d'user de
ces pouvoirs nouveaux , et fit de nombreuses
arrestations, C'étaient les vainqueurs , irrités
encore des dangers de la veille, et des dangers
plus granos du lendemain, qui s'emparaient
de Ieurs ennemis, abattus maintenant, mais
pouvant bientót se relever avec le secours
des étrangers. Le comité de surveillance de la,
commune de París fut cornposé des hommes
les plus violents. Marat , qui, dans la révolu-
tion, s'était si audacieuserneut atraqué aux
persollnes, fut le chef de ce comité; et de
tous les hommes, c'était le plus redoutable
dans de pareilles fonctions.


Outre ce comité priucipal, la COlomune de




nÉvoLUTION FRANltAISF.
París en institua un particulier dans chaque
section. Elledécida que les passe-ports ne se~
raient délivrés que sur la délibération des as-
semblées de sections; que les voyageurs se-
raient accompagnés, soit ala municipalité , soit
aux portes de Paris, par deux térnoins qui at-
testeraient l'identité de la personne qui avait
demandé le passe-port, avec celle qui s'en ser-
vait pom partir. Elle táchait ainsi , par tous
les moyens, d'empécher l'évasion des suspects


, sous des norns supposés. Elle ordonna ensuite
qu'il fút fait un tableau des ennemis de la ré-
volntion, et invita les citoyens, par une pro-
clamation, a dénoneer les coupables du 10
aoút. Elle fit arre ter les écrivains qui avaient
soutenu la cause royaliste, et donna leurs
presses aux écrivains patriotes. Marat se fit
restituer triomphalemcnt quatre presses qui.,
disait-il, lui avaien t été enlevées par les ordres
du traitre Lafarette. Des comrnissaires allerent
dans les prisons délivrer les détcnus cnfermés
pour cris et prapos contre la cour. Toujours
prompte enfin a s'ingérer partant, la ca m-
mune , a l'exemple de l'assemblée , envoya des
députés pour éclairer et ramcner l'armée de
Lafayette, qui donnait des inquietudes.


La commune fut chargée en outre d'une
rlerniere mission non moins importante, celle




ASSEl\IBLÉE LÉGISLATIVE (1792). 25
de garder la famille royale. L'assemblée avait
(l'lbord ordonné sa translation au Luxem-
bourg, et sur l' observation que ce palais était
difficilc a garrler, on se décida pour l'hótel du
ministere de la justice. Mais la cornmune, qui
avait déja la poliec de la capitale , et qui se
croyait particulierement chargée de la garde
du roi, proposa le Temple, et déclara ne pou-
voir répondre de ce dépót que dans la tour de
cette ancienne abbaye. L'assemblée y consen-
tit, et confia les augustes prisouniers au mairc
c't au eommandant général Santerre , sous leur
responsabilité personnelle ", Douze commis-
saires du conseil général devaicnt, sans inter-
ruption , veiller au Temple. Des travaux exté-
rieurs en avaicnt fait une espece de place
d'armes, Des détachements nombreux de la
garde nationale en formaient tour-a-tour la
garnison, et on ne pouvait y pénétrer que sur
une permission de la municipalité, L'assemblée
décréta aussi que cinq cent mille franes se-
raient pris au trésor pOOl' fonrnir a I'eutretien
de la famille royale , jusqu'a la prochaine réu-
nion de la Convention nationale.


Les fonctions de la commune étaient, comme


• Le roi et sa famille furent conduits au Temple daus
la soirée du 13 aoút.




nÉVOLUTION FRAN~AISE.
on le voit , tres-étendues. Placée au centre de.
l'état, la oú s'exercent les grands pouvoirs , et
portée par son énergie a exécuter elle-rnéme
tout ce qui lui semblait fait trop mollement
par les hautes autorités, elle était conduite a
empiéter sans cesse..L'assemblée , reconnais-
sant la nécessité de la conteuir dans certaines
limites, décréta la réélection d'un nouveau
conseil de département , pour rernplacer celui
qui fut dissous le jour de l'insurrection. La
commune se voyant menacée du joug d'une
autorité supérieure, qui probablement gene-
rait son essor, comme avait fait l'ancien dé-
partement, s'irrita de ce décret, et ordonna
aux sections de surseoir a l'élection déjá com-
mencée. Le procureur-syndic Manuel fut aussi-
tót dépéché de l'Hótel-de-Ville aux Feuillants ,
pOlIr présenter les réclamations de la muni-
cipalité. « Les délégués des citoyens de Paris,
« dit-il , ont besoin de pouvoirs sans limites;
(e une nouvelle autorité placée entre eux el¡
« vous ne fera que jeter des germes de divi-
({ sions. n faudra qlIe le peuple, pour se déli-
« vrer de cette puissance destructive de sa
« souveraineté, s'arme encere une fois de sa
« vengeance.»


Tel était le langage menacant que déjá on
osait faire entendre a l'assemblée, Celle-ci ac-




ASSHJBLÉE LÉGISLATIVE (179 2 ) . 27
corda ce qu'on lui demandait; et, soit qu'elle
crút impossible ou irnprudent de résister , soit
'Ju'elle regardat comme dangereux d'entraver
dans le moment l'énergie de la commune, elle
décida que le nouveau conseil n'aurait aucune
autorité sur la municipalité , et ne serait qu'une
simple commission de finances, chargée du
soin des contributions publiques dans le dé-
partement de la Seine.


Une autre question plus grave préoccupait
les esprits, et devait faire ressortir bien plus
fortement la différence de sentiment qui exis-
tait entre la eommunc et l'assemblée. On ré-
clamait a grands cris la punition de ceux qui
avaient tiré sur le peuple, et qui étaient préts
ase montrer des que l'ennemi approcherait.
On les appelait alternativement les conspira-
teurs du 10 aoüt, ou les traitres. La commis-
sion martiale , instituée des le r 1 pour juger les
Suisses, ne semblait pas suffisante, paree que
ses pouvoirs étaient bornés a la poursuite de
ces militaires. Le tribunal criminel de la Seine
paraissait soumis a des formalités trop lentes,
et d'ailleurs on suspectait toutes les autorités
antérieures a la journée du i o. La commune
demanda done, le 13, l'érection d'un tribunal
spécial pour juger les crimes du 10 aoüt ; et qui
eút assez de latitude pour atteindre tout ee




RÉVOLlJTION .FIlAN<;:AISE.
qu'on appelait les traitres. L'assembléerenvoya
la pétition a sa _commission extraordinaire,
chargée depuis le mois de juillet de proposer
les moyens de salut.


Le 14, une nouvelle députation de la com-
mune arrive au Corps législatif, pour deman-
del' le décret relatif au tribunal extraordinaire;
déclarant que, s'il n' est pas encore rendu ,elle
est chargée de l'attendre. Le député Gaston
adresse a cette députation quelques observa-
tions séveres , et elle se retire. L'assemblée
persiste a refuser la création d'un tribunal
-extraordinaire , el se borne a attribuer aux tri-
.bunaux établis la connaissance des crimes du
10 aoilt.


A cette nouvelle, une rumeur violente se
répaud dans París. La section des Quinze-
Vingts se présente au conseil-général de la
cornmune , et annonce que le tocsin sera sonné
au faubourg Saint - Antaine, si le décret de-
mandé n'est pas rendu sur-Ie-champ. Le con-
seil-général envoie alors une nouvelle dépnta-
tion , a la tete de laquelle est Robespierre.
Celui-ci prend la parole au nom de la muni-
cipalité, et fait aux députés les remontrances
les plus insolentes. « La tranquillité du peuple,
« Ieur dit-il , tient ala punition des coupables;
(( et cependant vous n'avez rien fait pour les




ASSHIBLÉI, LÉGISLATIVE (1792.)· 29
« atteindre. Votre décret est insuffisant. Il n' ex-
« plique point la nature et l'étendue des cri-
« mes a punir ,cal' il ne parle que des crimes
« du 10 aoüt , et les crimes des ennemis de la
« révolution s'étendent bien au-xlelá du 10
« aoút et de Paris. Avec une expression pa-
c( reille, le traitre Lafayette échapperait aux
« coups de la loi! Quant a la forme du tri-
(t bunal, le peuple ne peut pas tolérer davan-
« tage celle que vous lui avez conservée. Le
« double degré de juridiction cause des délais
« interminables; et d'ailleurs toutes les ancien-
« nes autorités sont suspectes; 11 en faut de
« nouvelles ; il faut que le tribunal demandé
« soit compos'é par des députés pris dans les
« sections , et qu'il ait la faculté de juger les
« coupables souverainement et en dernier res-
« sort. ))


Cette pétition impérieuse parut plus dure
encore par le ton de Rohespierre. L'assemblée
répondit au peuple de Paris par une adresse
dans laquelle elle repoussa tout projet de com-
mission extraordinaire et de chambre ardente ,
comme indigne de la liherté , et comme pro-
pre seulement au despotisme,


Ces raisonnables observations ne produisi-
rent aucnn effet; l'irritation n'en devint que
plus grande. On ne parla dans tout Paris qne




30 RÉVOLUTION FRAN9AISE.
da tocsin, et des le lendemain un représen-
tant de la commune, se présentant a la barre,
dit a l'assemblée : « Comme citoyen, comme
« magistrat da peuple, je viens vous annon-
« cer que ce soir a minuit le tocsin sonnera,
« et la générale hattra. Le peuple est las de
« n'étre point vengé. Craigncz qu'il ne se fasse
(( justice Iui-méme. Je demande, ajouta l'au-
« dacieux pétitionnaire, que sans désemparer
« vous décrétiez qu'il sera nommé un citoyen
« par chaque section pour former un tribunal
« criminel, »


Cette menaeante apostrophe souleva l'assem-
blée, et particuliérernent les députés Choudieu
et Thuriot, qui réprimanderent vivemcnt I'en-
voyé de la cornmune. Cependant la discussion
s'engagea, el la proposition de la commune,
fortement appuyée par les membres ardents
de l'assemblée, fut enfin eonvertie en décret.
Un eorps électoral dut se réunir pour élire les
membres d'un tribunal extraordinaire , destiné
a juger les crimes commis dans la journée du
10 aoüt , el autres crimes y relatifs, circons-
lances et dépendances. Ce tribunal, divisé en
deux sections , devait juger en dernier ressort
et sans appel. Tel fut le premier essai du tri-
bunal révolutionnaire , et la premiere accélé-
ration donnée par la vengeance aux formes d<'




ASSEMBLÉE LÉGISLA.TIVE (1792). ;)I
la justice. Ce tribunal fut appelé tribunal du
17 aoút,


On ignorait encore l'effet procluit aux armées
par la derniere révolution , et la maniere dont
avaient été accueillis les décrets du 10. C'était
la le point le plus important, et duquel dé-
pendait le sort de la révolution nouvelle. La
fmutiere était toujours partagée en trois corps
d'armée, celui dn nord, du centre et du midi.
Luckner commandait au nord, Lafayette au
cent re, et Montesquiou au m idi. Depuis les
malheureuses affaires de Mons et de Tournai,
Lu clmel' , pressé par Dumouriez , avait encore
essayé l'offensive sur les Pays-Bas , mais il s'é-
tait retiré, et, en évacuant Conrtrai, il avait
brillé les faubourgs, ce qui était devenn un
grave motif d'accusation contre le ministere a
la veille de la déchéance. Depuis, les armées
étaient clemeurées dans la plus complete inac-
tion, vivant dans des camps retranchés, et se
bornant acle légéres escarmouches. Dumouriez ,
en quittaut le ministere , s'était rendu comme
lieutenant-général aupres de Luekner, et avait
été mal accueiUi a l'armée , ou dominait I'esprit
du partí Lafayette. Luckner, tout-a-fait soumis
dans le moment a cette influence, relégua
Dumouriez dans l'un de ces camps, eelui de
Manlde , et l'y laissa , avec un petit nombre de




RÉVOLUTION FRAN9AISE.


troupes, s'occuper a des retranchements et a
des escarmouches.


Lafayette, voulant, a cause des dangers du
roi , se rapprocher de Paris, désirait prendre
le commandement du nord. Ceper.dant il ne
voulait point quitter ses trollpes, dont il était
tres-aimé , et il convint avec Luckner de chan-
ger de position, chacun avec sa division , et de
décamper tous les deux, l'un pour se porter
au nord , l'autre au centre. Ce déplacement des
armées , en présence de l'ennemi, aurait pu avoir
des dangers, si tres - heureusement la gllerre
n'eút été complétement inactive.Luclmer s'é-
tait donc rendu a Metz , et Lafayette aSedan.
Pendant ce mouvement croisé , Dumouriez,
chargé de suivre avec son petit corps I'arrnée
de Luckner , alaquelle il appartenait, s'arréta
tout-a-coup en présence de I'enuerni , qui avait
fait menace de l'attaquer ; et il fut oLligé de
derneurer dans son camp, SO\lS peine d'ouvrir
l'entrée de la Flandre au duc de Saxe-Teschen.
11 réunit les autres généraux qui occupaicnt
aupres de lui des camps séparés; il s'entcndit
avcc Dillon , qui arrivait avec une portion de
l'arrnée de Lafayette, et provoqua un conseil
de guerre a Valenciennes , pour justifier, par
la nécessité , sa désobéissauce a Luckner. !len..;
dant ce temps, Ludmer était arrivé ;1 Metz ,




ASSlmnüE ÚGISLA.TIVE (179?-J. 33
Lafayette a Sedan; et sans les événements du
10 aoút , Dumouriez allait peut-étre subir une
arrestation et un jugement militaire , pOUl son
refus de marcher en avant,


Telle était la situation des armées, lorsque
la nouvelle du renversement du tróne y fut
connue. Le prernier soin de l'assemblée légis-
lative fut d'y envoyer, comme on I'a vu , trois
cornmissaires , pour porter ses décrets , et faire
préter le nouveau serment aux troupes. Les
trois commissaires, arr'ivés a Sedan, furent re-
({LIS' par la municipalité, qui tenait de Lafayette
l'ordre de les faire arréter. Le rnaire les inter-
rogea sur la scene du 10 aoút , exigea le récit
de tous les événemeuts , et déclara , d'apres les
secretes instructiorrs de Lafayette, qu'évidem-
ment l'assemblée législative n'érait plus libre
lorsqu'elle avait prononcé la suspension du roi ;
que ses commissaires n'étaient que les envoyés
d'une troupe factieuse , et qu'ils allaient étre
enferrnés au 110m de la constitution. Ils furent
en effet emprisonnés ; et La fayett e , pour mettre
a couvert les exécuteurs de cet ordre, le prit
sous sa propre responsabilité. Immédiatement
apres , iI fit renouveler dans son armée le ser-
ment de fidélité ala loi et au roi , et ordonna
qu'il fut répété dans tous les corps sournis a
son eommandement. II eomptait sur soixante-


111. 3




34 RÉVOLTJTION FRAN~:AISE.
quinze départements, qui avaient adhéré a sa
lettre du 16 juin, et il se proposait de ten ter
un mouvement contraire a celui du 10 aoút.
Dillon , qui était aValenciennes sous les ordres
de Lafayette, et qui avait un cornmandement
supérieur aDumouriez, obéitá son général en
chef, fit préter le serrnent de fidélité a la loi et
au roi, et enjoignit aDumouriez d'en faire de
mérne dans son camp de Maulde. Dumouriez ,
jugeant mieuxl'avenir, et d'ailleurs irrité con-
tre les feuillants, sous l'empire desquels il se
trouvait, saisit eette oeeasion de leur résister
et de gagner la faveur du gouvernement nou-
vean, en refusant le serrnent pour lui et pOllr
ses troupes.


Le 17, le jour méme oú le nouveau tribu-
nal criminel fut si tumultueusement établi , on
apprit par une lettre que les commissaires en-
voyés a l'arrnée de Lafayette avaient été arre-
tés par ses ordres , et que l'autorité législative
était méconnue. Cette nonvelle répandit encore
plus d'irritation que d'alarme; les eris eontre
Lafayette retentirent avee plus de force que
jamais, On demanda son accusation, et on re-
procha al'assemblée de ne pas I'avoir pronon-
cée plus tót, Sur-le-champ un décret fut rendu
eontre le département des Ardennes; de nou-
veaux commissaires furent dépéchés avec les




ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE (1792). 35
mémes pouvoirs que les précédents jet avec la
commission de faire élargir les troisprison-
niers. On envoya aussi d'autres commissaires a
l'armée de Dillon. Le 19 au matin, l'assem-
blée declara Lafayette traitre a la patrie, et
lanca contre lui un décret d'accusation.


La circonstance était grave, et, si cette ré-
sistance n'était pas vaineue, la nouvelle révo-
lution se trouvait avortée. La France , partagée
entre les républicains de l'intérieur et les cons-
titutionnels de l'armée , demeurait divisée en
présence de l'ennerni , également exposée a
l'invasion et a une réaction terrible. Lafayette
devait détester dans la révolution du JO aoút ,
l'abolition de la eonstitution de 9J, l'accorn-
plissemeut de toutes les prophéties aristoera-
tiques, et la justification de tons les reproches
que lacouradressait ala liberté. Il ne devait voir,
dans eette victoire de la démocr:.rtie, qu'une
anarchie sanglante et une confusion intermi-
nable. Pour nous, cette confusion a en un
terme, et le sol au moins a été défendu contre
fétl'anger; pour Lafayette, l'avenir était ef-
frayant et inconnu ; la défense du sol était pen
praticahle au milieu des convulsions politiques,
et il devait éprouver le désir de résister a ce
chaos, en s'armant contre les deux ennemis
extérieur et intérieur. Mais sa position était


3.




36 RÉVOLUTION FRAN9AJSE.
difficile, et il n'eñt été donné a aucun homme
de la surmonter. Son armée lui était dévouée ,
mais les armées n'ont point de volonté person-
nelle, et ne peuvent avoir que ceBe qui leur est
communiquée par l'autorité supérieure. Quand
une révolution éclate avee laviolence de 89,
alors , entrainées aveuglément, elles manquent
al'aneienne autorité, paree que la nouvelJe im-
pulsion est la plus forte ; mais il n'en était pas
de méme ici. Proscrit, frappé d'un décret , La-
fayette ne pouvait, avee sa seule popularité mi-
litaire, soulever ses troupes contre l'autorité de
l'intérieur , et , avec son impulsion personnelle,
combattre I'impulsion révolutionnaire de Paris.
Plaeé entre deux ennemis, et incertain sur ses
devoirs , il ne pouvait qu'hésiter. L'assemblée ,
au contraire, n'hésitant pas, e-nvoya décrets
sur décrets , et les appuyant par des commis-
saires énergiques, dut l'emporter sur I'hésita-
tion du géhéral et décider l'armée. En effet, les
troupes de Lafayette s'éhranlérent suceessive-
ment , et parurent l'abandonner. Les autorités
civiles, intimidées , céderent aux nouveaux
commissaires. L'exemple de Dumouriez , qui se
déclara pour la révolution du JO aoút , acheva
de tout entrainer , et le général opposant de-
meura seul avec son état-major , composé d'of-
ficiers feuillants OH eonstitutionnels.




ASSt:MBI.ÉI' LÉGISLA.TIVE (1792). 37
Bouillé , dont l'énergie n'était pas. douteuse ,


Dumouriez, dont les grands talents ne sau-
raient étre contestés, ne purent pas non plus
agir autrement ades époques différentes, et se
virent obligés de prendre la fuite. Lafayette ne
devait pas étre plus heureux. Écrivant aux di-
verses autorités civiles qni l'avaient secondé
dans sa résistance , il prit sur lui la responsa-
bilité des ordres donnés contre les commis-
saires de l'assemblée , et quitra son camp le
20 aoút , avec quelques officiers, ses amis, et
se~ compagnons d'arrnes et d'opinion. Bureau
de Puzy, Latour-Maubourg, Larneth, l'accom-
pagnaient. lis abandonnerent le camp, n'em-
portant avec eux qu'un mois de Ieur solde, et
suivis de quelques domestiques. Lafayette laissa
tout en ordre dans son armée, et eut soin de
faire les dispositions nécessaires pour résister
aJ'ennemi, en cas d'attaque. Il renvoya quel-
ql1es cavaliers qni l'escortaienr , pour ne pas
enlever a la France un seul de ses défenseurs ,
et le 21, il prit avec ses arnis le chemin des
Pays-Bas. Arrivés anx avant-postes autrichiens,
apres une route qui avait épuisé leurs chevaux,
ces prcmiers émigrés de la liberté furent arre-
tés, eontre le droit des gens, et traités cornrne
prisonniers de guerreo La joie fut grande quand
le nom de Lafayette retentit dans le carop des




38 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
coalisés, et qu'on le sut cáptif de la ligue aris-
tocratique. Torturer l'un des premiers amis de
la révolution, et pouvoir imputer a la révolu-
tion elle-mérne la persécution de ses premiers
auteurs , voir se vérifier tous les exces qu'on
avait prédits, c'était plus q u'il ne fallait pour
répandre une satisfaction universelle dans l'a-
ristocratie européenne.


Lafayette réclama , pour lui et ponr ses amis ,
la liberté qui leur était due; mais ce fut en vain.
On la lui offrit au prix d'une rétractation , non
pas de toutes ses opinions, mais d'une seule,
cellequi était relative a l'abolition de la no-
blesse. Il refusa, menacant meme , si on 'in ter-
prétait faussement ses paroles, de donner un
démenti devant un officier public. II accepta
done les fers pour prix de sa constance, et alors
qu'il eroyait la liberté perdue en Enrope et en
Fraace.iil n'éprouva aucun désordre d'esprit ,
.et ne cessa pas de la regarder comme le plus
précieuxdes biens. Il la profcssa encare, et
devant les oppresscllrs qui le tenaientdans les
cachots , et devant ses anciensarnis qui étaient
demeurés en Franee. ce Aimez, écrivait-il a ces
derniers , airnez toujours la liberté, malgr-é se!)
orages , et servez votre pays. >. Que l'on com-
pare cette défection a celle de Bouillé, sortant
de son pays pour y reutrer avec les souverains




Assnnn,ÉE LÉGISLATIVE (1792). 3~
ennemis; a celle de Dumouriez ,se brouillant,
non par conviction, mais par humeur, avee la
Convention qu'il avait servie , et on rendra jus-
tiee al'homme qui n'abandonne la France que
lorsque la vérité alaquelIe il croit , en est pros-
erite, et qui ne va point ni la rnaudire , ni la
désavouer dan s les armées ennernies , mais qui
la professe et la soutient encore dans les ca-
chots.


Cependant ne blámons pas trap Dumouriez,
clont on va bientót appréeier les mémorables
services. Cet homme flexible et habile avait par-
faiternent deviné la puissance naissante. Aprés
s'étre rendu presque indépendant par son re-
fus d'obéir aLuckner et de quitter le camp de
Maulde, apres avoir refusé le serment ordonné
par Dillon, il fut aussitót récompensé de son
dévouement par le commandement en chef des
armées du uord et du centre. Dillon , brave ,
impétueux , mais aveugle, fut d'abord destitué
pour avoir obéi a Lafayette; mais ji fut réin-
tégré dans son cornrnanrlement par le crédit
de Dumouriez, qui, voulant arriver ason but,
et blesser , en y marchant , le moins d'hommes
possible, s'empressa de l'appuyer aupres des
commissaires de l'assernblée. Durnouriez se
trouvait done général en chef de toute la fron-
tiere, depuis Metz jusqu'a Dunkerque. Luckner




40 RÉVOLllTlON FRAl'i9A1SE
était aMetz avec son armée autrefois du nord.
Inspiré d'ahord par Lafayette, il avait paru ré-
sister au ] o aoút ; rnais, cédant bientót a son
arrnée et aux comrnissaires de l'assernblée , il
adhéra aux décrets , el, apres avoir pleuré en-
care, obéit ala nouvelle impulsion qui lui était
commnniquée.


Le JO aoút , et I'avancement de la saison ,
étaient des motifs pour décider la coalition a
pousser enfin la guerre avec activité. Les dis-
positions des puissances n'étaient point chan-
gées a l'égard de la France. L'Angleterre, la
Hollande , le Danernarck et la Suisse prornet-
taient toujours une stricte neutralité. La Suéde ,
depuis la mort de Gustave , y revenait sincere-
ment : les principautés italiennes étaient fort
malveillantes pour nous, mais heureusement
tres-impuissantes. L'Espagne ne se prononcait
pas encore, et demeurait livréc ades intrigues
contraires. Bestaient pour ennernis prononcés
la Russie et les deux principales cours d'Alle-
magne. Mais la Russie s'en tenait encore a de
mauvais procédés , et se bornait a renvoyer
notre ambassadeur. La Prusse et I'Autriche
portaient seules leurs armes sur nos frontieres ..
Parrni les états allernands , il n'y avait que les
trois électeurs ecclésiastiques, et les landgraves
des deux Hesses, qui eussent pris une part ac-




ASSEMllLÉE LÉGISLATIVE (179'),)· 41
tive a la coalition : les autres attendaient d'y
étre contraints. Dans cet état de choses , cent
trente-huit rnille hommes parfaitement organi-
sés et disciplines menacaient la France, qui ne
pouvait en opposer tout au plus que cent vingt
mille, disséminés sur une frontiere immense ,
"ne formant sur aucun paint une masse suffi-
sante, privés de Ieurs officiers, n'ayant aucuue
confiance en eux-rnérnes et dans leurs chefs , et
jusque - la toujours battus dansla guerre de
postes qu'ils avaient soutenue. Le projet de la
coalition était d'envahir hardiment la France
en pénétrant par les Ardennes, et en se por-
tant par Chálons sur Paris. Les deux souverains
de Prusse et d'Autriche s'étaient rendus en per-"
sonne a Mayence. Soixante mil1e Prussiens ,
héritiers des traditions et de la gloire de Fré-
déric , s'avancaient en une seule colonne sur
notre centre; ils marchaient par Luxembourg
sur Longwy. Vingt mille Autrichiens , comman-
dés par le général Clerfayt, les soutenaient a
droite en occupant Stenav, Seize mille Autri-
chiens, sous les ordres du prince de Hohenlohe-
Kirchberg, el dix mille Hessois, flanquaient la
gauche des Prussiens. Le duc de Saxe-Teschen
occupait les Pays-Bas, el en menacait les places
fortes. Le prince de Condé, avec six mille érni-
grés francais , s'était porté vers Philipsbourg.




nÉVOLUTION FRAN<;;AISE.


Plusieurs autres eorps d'émigrés étaient répan-
dus dans les diverses armées prussiennes et
autriehiennes. Les cours étrangéres , qui ne
voulaient pas en réunissant les émigrés leur
laisser acquérir trop d'influence, avaient d'a-
bord eu le projet de les fondre dans les régi-
ments allemands, et eonsentirent ensuite a les
laisser exister en corps distinets, mais répartis-
entre les armées coalisées. Ces eorp.s étaient
pleins d'officiers qui s'étaient résignés a deve-
nir soldats ; ils formaient une cavalerie bril-
lante, mais plus propre a déployer une grande
valeur en un jour périlleux, qu'a soutenir une
longue eampagne.


Les armées francaises étaient disposées de
la maniere la plus malheureuse pour résister
a une telle masse de forces. Trois généraux,
Beurnonville , Moreton et Duval, réunissaient
trente mille hommes en trois eamps séparés,
a Maulde, Manbeuge el Lille. C'étaient la tou-
tes les ressources francaises sur la frontiere du
nord et des Pays- Bas. L'armée de Lafayette ,
désorganisée par le départ de son général, el
livrée a la plus grande incertitudc de senti-
ments , campait a Sedan, forte de vingt-trois
mille hommes. Dumouriez allait en prendre le
commandement. L'armée de Luckner, eompo-
sée de vingt milIe soldats , occupait Metz, el




ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE (1792.). 43
venait , comme toutes les autres , de reccvoir
un nouveau général, c'était Kellermann. L'as-
semblée , mécontente de Luckner, n'avait ce-
pendant pas voulu le destituer ; et, en donnant
son commandement a Kellermann, elle luí
avait, sous le titre de généralissime, conservé
le soin d'organiser la nouvelle armée de re-
serve, et la mission purement honorifique de
conseiller les généraux. Restaient Custine , qui,
avec quinze mille hommes, occupait Landau,
et enfin Biron, qui, placé dans l'Alsace avee
trente mille hommes, était trop éloigné du
principal théátre de la guerre pour influer sur
le sort de la campagne.


Les deux seuls rassemhlements placés sur
la eencontre de la grande armée des coalisés,
étaieut les vingt-trois mille hommes délaissés
par Lafayette, et les víngt mille de Keller-
mann, rangés autour de Metz. Si la grande ar-
mée d'invasion , mesurant ses mouvements él
son hut, eút marché rapidement sur Sedan,
tandis que les troupes de Lafayette, privées
de genéral, livrées au désordre , et n'ayant pas
encere été saisies par Dumouriez ,étaient sans
ensemble et sans direction , le principal corps
défensif eút été enlevé , les Ardennes auraient
été ouvertes, et les autres généraux se seraient
vus obligés de se replier rapidement pour se




44 RÉVOLUTION FRANC;;AISE.
réunir derriére la Marne. Peut-étre n'auraient-
ils pas eu le témps de venir de Lille et de Metz,
a Chálons et a Reims; alors Paris se trouvant
découvert , il ne serait reste au nouveau gou-
vernernent que l'absurde projet d'un camp sous
París, ou la fuite au-dela de la Loire,


Mais si la France se défendait avec tout le
désordre d'une révolution, les puissances étran-
geres aUaquaient avec loute l'incertirude et la
divergence de vues d'nne coalition. Le roí de
Prusse , enivré de l'idée d'une conquéte faeile,
flatté, trompé par les émígrés, qni lui présen-
taient l'invasion eomme une simplepromenade
militaire , voulait l'expédition la plus hardie,
Mais il y avait encore trop de prudenee a ses
cótés , dans le duc de Brunswick , pour que sa
présomption eút au moins l'effet henreux de
1'audace et de la promptitude. Le duc de Bruns-
wick , qui voyait la saison tres-avancée , le pays
tout autrement disposé que ne le disaient les
émigrés, qni d'ailleurs jugeait de I'énergie ré-
volutionnaire par l'insurrection du 10 aoüt ,
pensait qu'il valait mieux s'assurer une solide
base d'opérations sur la Moselle, en faisant les
siéges de Metz et de Thionville, el remettre a
la saison prochaine le renouvellement des hos-
tilités, avec l'avantage des conquétes précé-
dentes. Cette lutte entre la précipitation da




ASSEl\IBLÉE LÉGISLATIVE (1792). 1~5
souverain et la prudence du général, la lenteur
des Autrichiens , qui n'envoyaient sous les 6,,·
dres du prince de Hohenlohe, que dix - huit
mille hommes au lieu (le cinquante, empé-
cherent tout mouvement décisif. Cependant
I'armée prussienne continua de marcher vers
le centre, et se trouva le 20 devant Longwy,
l'une des places fortes les plus avancées de
cette frontiére,


Durnouriez , qui avait toujours cru qn'une
invasion dans les Pays-Bas y ferait éclater une
révolution, et que cette diversion sauverait la
France des attaques de l'Allemagne, avait tout
préparé pour se porter en avant, le jour méme
00. il recut sacommission de général en chef
des deux armées. Déjá iI allait prendre I'offen-
sive contre le prince de Saxe-Teschen, lorsque
Westermann, si actif au 10 aoút , et envoyé
comme cornmissaire a l'armée de Lafayette,
vint lui apprendre ce qui se passait sur-le théá-
tre de la grande invasión. Le 22, Longwy avait
ouvert ses portes aux Prussiens , aprés un bom-
bardement de quelques heures. I"e .désordre
de la garnison et la faiblesse dn commandant
en étaient la cause. Fiers de cette conquéte et
de la prise de Lafayette , les Prussiens pen-
chaient plus que jamais pour le projet d'une
prompte offensive. L'armée de Lafayette était




46 RÉVOLlITlON Fil.AN~AISE.
perdue si le nouveau général ne venait la ras-
surer par sa présence , et en diriger les rnou-
vements d'une maniere utile.


Dumouriez abandonna done son projet fa-
vori , et , le 25 OH le 26, se rendit aSedan, oú
sa présence n'inspira d'abord parmiles troupes
que la haine et les reproches. II était l' ennemi
de Lafayette qu'on chérissait encore. On luí
attribuait d'ailleurs cette guerre malheureuse ,
paree que c'est sous son ministere qu'elle avait
été déclaréez enfin ilétait considéré comme un
homme de plume , et point du tout comme
un homme de guerreo Ces propas circulaient
partout dans le camp, et arrivaient souvent
jusqu'a l'oreille du général. Dumouriez ne se
déconcerta paso Il comrnenca par rassurer les
troupes , en affectant une contenance ferme
et tranquille, et bientót il leur fit sentir I'in-
fluence d'un commandement plus vigoureux.
Cependant la situation de vingt- trois mille
hommes désorganisés, en présence de quatre-
vingt mille parfaitement disciplinó, était tout-
a-fait désespérante. Les Prussiens , apres avoir
pris Longwy,· avaient bloqué Thionville , et
s'avan<,;aientsur Verdun, qui était beaucoup
moins capable de résister que la place de
Longwy.


Les généraux, rassemhlés par Dumouriez ,




ASSEMRLÉt: LÉGISLUIVJI (( 792 ) . 47
pensaient tous qu'il ne faHait pas attendre les
Prussiens aSedan, mais se retirer rapidement
derriere la Marne , s'y retrancher le mieux pos-
sible , pour y attendre la jonetion des autres
armées, et pour couvrir ainsi la capitale , qui
n'était séparée de l'ennemi que par quarante
lieues. Ils pensaient tous que, sion s'exposait
a étre battu en voulant résister a l'invasion ,
la déroute serait complete, que l'armée démo-
ralisée ne s'arréterait plus depuis Sedan jusqu'a
Paris, et que les Prussiens y mareheraient di-
rectement el a pas de vainqueur. Telle était
notre situation militaire , et l'opinion qu'en
avaient nos généraux.


L'opinion qu'on s'en formait a Paris n'était
pas meilleure, et l'irritation eroissait avee le
danger. Cependant eette irnmense capitale, qni
n'avait jamáis vu l'ennemi dans son sein , et
qui se faisait de sa propre puissance une idée
proportionnée a son étendue et a sa popula-
tion, se fignrait difficilement qu'on pút péné-
trer dans ses murs; elle redoutait beaucoup
moins le péril militaire qu'elle n'apereevait
pas, et qui était encore loin d'elle , que lepéril


. d'une réaetion de la part des royalistes mo-
mentanéroent abattus, Tandis qu'a la frontiere
les généraux ne voyaient que les Prussiens , a
l'intérieur on ne voyait que les aristocrates ,




41{ RÉVOr.UTION FRAN~AlSE.
conspirant sourdement pour détruire la liberté.


On se disait (lue le roi était prisonnier, mais
que son parti n'en existait pas moins, et qu'il
eonspirait, comme avant le 10 aoút , pour ou- .
vrir Paris a l'étranger. On se figurait toutes
les grandes maisons de la capitale remplies de
rassemblements armés, prérs a en sortir au
premier signal, a délivrer Louis XVI, a s'em-
parer de l'autorité , et a livrer la France sans
défense au fer des émigrés et des coalisés.
Cette correspondance entre l'ennerni intérieur
et l'ennemi extérieur occupait tous les esprits.
Li faut , disait - 011, se déliorer des trattres , et
déja se formait I'épouvantable idée d'irnruoler
les vaincus , idée qui chez le grand nombre
n'était qu'un mouvement d'imagination, et qui,
chez quelques ho!?mes, ou plus sanguinaires,
ou plus ardents, OH plus a portée d'agir, pou-
vait se ehanger en un projet réel et medité.


On a déja vu qu'il avait été question de ven-
gel' le peuple des coups recus dans la jonrnée
du 10; et y'n'il s'était élevé entre l'assemblée
et la commune une violente querelle au sujet
du tribunal extraordinaire. Ce tribunal, qui
avait déja fait tomber la tete de Dangremont
et du malheureux Laporte , intcndant de la
liste civile , n'agissait point assez vite au gré
d'un peuple furieux et exalté, qui voyait des




ASSEJ\fDLÉE LÉGISLATIVE \ 1792 j. 49
ennemis partout, Il lui fallait dés formes plus
promptes pour punir les traüres , et il deman-
dait surtout le jugement des prévenus déférés
a la haute cour d'Orléans. C'étaient, pour la
plupart, des ministres et de hauts fonction-
naires, accusés , comme OH sait , de prevarica-
tion. Delessart, le ministre des affaires étran-
geres, était du nombre. On se récriait de tous
cótés contre la lenteur des procédures, on
voulait la translation des prisonniers a Paris ,
ct leur prompt jugement par le tribunal du J 7
aoút. L'assemblée consultée a cet égard, ou
plutót sommée de céder au vceu général, et
de rendre un décret de translation, avait fait
une courageuse résistance. La haute eour na-
tionale était, disait-elle , 'un établissement cons-
titutionnel, qu'elle ne pouvait changer, paree
qu'elle n'avait pas les pouvoirs constituants, et
paree que le droit de tout accusé était de n'é-
tre jugé que d'aprés des lois antérieures. Cette
question avait de nouveau soulevé des nuées
de pétitionnaires , el l'assemhlée eut a résister
a la fois a une minorité ardente , a la com-
mune , et aux sections déchainées. Elle se con-
tenta de rendre plus expéditives quelques for-
mes de la procédure, rnais elle décréta que
les accusés aupres de la haute cour derneure-
raient aOrléans, et ne seraient pas distraits de


JII. 4




50 Rt:VOLUTION FRAN(;AHm.
la juridiction que la constitution leur avait
assurée.


II se formait ainsi deux opinions: l'une qui
voulait qu'on respectát les vaincns, sans dé-
ployer pourtant moins d'énergie contre l'étran-
gel', et l'autre qui voulait qu'on immolát d'a-
bord les ennemis cachés , avant de se porter
eontre les ennemis armés qui s'avancaient sur
Paris. Cette derniére pensée était moins une
opinión qu'un sentiment aveugle et féroce ,
composé de peur et de colere , et qui devait
s'accroitre avec le danger.


Les Parisiens étaient d'autant plus irrités que
fe péril était plus grand pour Ieur vil/e, foyer de
toutes les insurrections , et but principal de la
marche des armées eunernies. lis accusaient
l'assemblée, eomposée des députés des dépar-
ternents , ele vouloir se retirer dans les pro-
vinces, Les girondins surtout , qui apparte-
naient pour la plnpart aux provinces un midi ,
et qniformaient cette majorité rnodérée, odieuse
a la commune, les girondins étaieut accusés
de vonloir sacrifier Paris, par haine pour la ca-
pitale. On Ieur supposait ainsi des sentiments
assez naturels , et que les Parisiens pouvaient
croire avoir provoqnés; mais ces députés ai-
maient trop sincerernent leur patrie et Ieur
cause pon!' songer a abandonner Paris. 1/ est




ASSEMBLÉE LÉGISLA TIVt: \ 1 ';92). 5,
vrai qu'ils avaient toujours pensé que, le nord
perdu, on pourrait se replier sur le midi; il
est vrai que, dans le moment mérne , quelques-
uns d'entre eux regardaient comme prudent
de transporter le siége du gouvernement au-
dela de la Loire; mais le désir de sacrifier une
cité odieuse, et de transporter le gouverne-
ment dans deslieux oú ils en seraient maitres ,
n'était point dans leur cceur. JIs avaient t1'op
d'élévation dans l'áme , ils étaient d'ailleurs
encore trop puissants, et comptaient trop sur
la réunion de la prochaine convention, pour
songer déja a se détacher de Paris.


On accusait donc a la fois leur indulgence
pour les traitres , et leur .indifférence pour les
intéréts de la capitale. Forcés de lutter contre
les hommes les plus violents, ils devaient ,
mérne en ayant le nombre et la raison pour
eux , céder a I'activité et al' énergie de leurs
adversaires. Dans le conseil exécutif', ils étaient
cinq contre un, cal', outre les trois ministres
Servan, Claviere et Roland, pris dans leur
sein .Ies deux autres , Monge et Lehrun , étaient
aussi de leur choix. Mais le seul Danton , qui,
sans érre leur ennemi personnel, n'avait ni
leur modération ni leurs opinions , le seul
Danton dominait le conseil, el leur enlevait
toute iníluence. Tandis que Claviere táchait


[l·




R ÉVOLUTION FR A NC ,\ TSF.


de réunir quelqnes ressources financieres , que
Servan se hátait de procurer des renforts aux
généraux, que Roland répandait les circulaires
les plus sages pour éclairer les provinces, diri-
gel' les autorités locales, empécher leurs empié-
tements de pouvoir, el arréter les violences
de toute espece , Danton s'occupait de placer
dans l'administration toutes ses créatures. II en-
voyait partout ses fideles cordeliers, se procn-
rait ainsi de nombreux appuis, el faisait par-
tager a ses amis les profits de la révolution.
Entrainant ou effrayant ses collegues, il ne trou-
vait d'obstacle que dans la rigidité inflexible
de Roland, qni rejetait souvent 011 les mesu-
res ou les sujets qu'il proposait. Danton en était
contrarié, sans rom pre néaumoins avec Rolanrl ,
et il táchait d'ernporter le plus de nominations
on de décisions possibles.


Danton, dont la véritable dornination était
dans Paris , voulait la conserver, et il était bien
décidé aernpécher toute translation au-dela de
la Loire. Doué d'urie audace extraordinaire ,
ayant proclamé l'insnrrection la veille du 10
aoút , lorsque tout le monde hésitait encore ,
il n'était pas homme a reculer , et il pensait
qu'il fallait s'ensevelir dans la capitale. Maitrc
du conseil, lié avec Marat et le comité de sur-
veillance de la commune , écouté dan s tOIlS les




ASSUIBLÉE LÉGISLATIVE (17~P.J. 53
clnbs , vivant enfin au milieu de la multitude ,
comme dans un élément qu'íl soulevait a vo-
Ionté , Danton était l'hornme le plus puissant
de Paris; et cette puissance fondée sur un na-
turel violent, qui le mettai t en rapport avec les
passions du peuple, devait étre redoutable aux
vaincus. Dans son ardeur révolutionnaire , Dan-
ton penchait pOli!' toutes les idées de vengeance
qlle repoussaient les girondins. Il était le chef
de ce partí parisien qui se disait : (( Nous ne re-
(( culerons pas, nous périrons dans la capitale et
« sous ses ruines; mais nos ennemis périront


., (( avant uous.sáinsi se préparaient dans les ames
d'épouvantables sentimcnts, et des scenes hor-
ribles allaient en étre l'affreuse conséquence,


Le 26, la nouvelle de la prise de Longwy se
répandit avec rapidité , et causa dans Paris une
agitatíon générale. On disputa pendant toute
la journée sur sa vraisemblance; enfin elle ne
put étre contestée, et on sut que la place avait
ouvert ses portes apres un bombardement de
quelques heures, La fermentation fut si grande,
que l'assemblée décréta la peinede mort con-
tre quíconque proposerait de se rendre dans
une place assiégée. Sur la demande de la com-
mune, on ordonna que Paris et les départe-
ments voisins fourniraient, sous quelques jours ,
trente rnille hommes armés et équipés. L'en-




54 llÉVOLUTION F!lAN~AISH.
thousiasme qui régnait rendait cet enrólement
facile, et le nombre rassurait sur le danger.
On ne se figurait pas que cent mille Prus-
siens pussent l'ernporter sur quelques millions
d'hommes qui voulaient se défendre. On tra-
vailla avec une nouvelle activité au camp sous
Paris, et toutes les femmes se réunirent dans
les églises pour contribuer a préparer les effets
de campernent.


Danton se rendit a la commune, et SUJO sa
proposition, on eut recours aux moyens les
plus extremes. On résolut de faire dans les sec-
tions le recensement de tous les illdigents, de
leur donner une paie el des armes; on 01'-
donna en cutre le désarmernent et I'arrestation
des suspecls, el on réputa tels, tous les signa.
taires de la pétition coutre le 2.0 juin , et contre
le décret du camp sous Paris, Pour opérer ce
désarmement et cette arrestation , on imagina
les visites domiciliaires, qu'on organisa de la
maniere la plus effrayante. Les barrieres de-
vaient étre fermées pendant 48 heures, a par-
tir du 2.9 aoüt au soir, et aucune permission
de sortir ne pouvait étre délivrée pour aucun
motif. Des pataches étaient placées sur la ri-
viere, pOllr empécher toute évasion par cette is-
sue. Les communes environnantes étaient char-
gées d'arréter quiconque serait surpris dan s la




ASSEMBLE}~ LÉGlSLA.TlVE (1792 J, 55
campagne ou sur les routes, Le tambourde-
vait annoncer les visites, et ace signal, chaqué
citoyen était tenu de se rendre chez luí, sous
peine d'étre traité cornme sllspect de rassem-


., blement, si on le trouvait chez autrui. Pour cette
raison , toutes les assemblées de section , el le
grand tribunal lui-méme , devaient vaquer pen-
dant ces deux jours. Des commissaires de la
commune, assistés de la force arrnée, avaient
la míssion de faire les visites, de s'emparer des
armes, et d'arréter les suspeets, c'est-á-dire
les signataires de toutes les pétitions déjá dé-
sígnées, les prétres non assermentés , les ci-
toyens qui mentiraient dans leurs déclarations ,
eeux eontre lesquels il existait des dénoncia-
tions , etc., etc... A dix heures du soir , les voi-
tures devaient eesser de circuler, et la ville étre
illuminée pendant.toute la nuit,


Telles furent les mesures prises pour arréter,
dit-on , les mauvais citoyens qui se cachaient de-
puis le 10 aotlt, Des le 27 au so ir, on cornmenca
ces visites, el UlI partí, livré a la dénonciation
d'un autre , fut exposé a étre jeté tout entier
dans les prisous. Tout ce qui avait.appartenu
a l'ancienne cour, ou par les emplois, ou par
le rang, ou par les assiduités au chateau , tout
ee qui s'était prononcé pour elle lors des divers
rnouvements royalistes, tous ceux qui avaient de




56 RJ~VOUJTION FRAN<;:AISE.
láches ermernis , capables de se ven gel' par une
dénonciation, furent jetés dans les prisons au
nombre de douze ou quinze mille individus. C'é-
tait le comité de surveillance de la commune qui
présidaij.a ces arrestations, et les faisait exécuter
sous ses yeux. Ceux qu'on arrétait étaient con-
duits d'abord de leur demeure au comité de leur
section, et de ce comité acelui de la commune.
La, ils étaient brievement questionnés sur leurs
sentirnents et sur les actes qui en prouvaient
le plus on moins d'énergie. Souvent nn seul
membre du comité les interrogeait, tandis que
les autres membres, accablés de plusieurs jours
de veille, dormaient sur les chaises ou sur les
tables. Les individus arrétés étaient ¡)'aIJOl:d dé-
posés a l'Hótel-de-Ville, et ensuite distribués
dans les prisons, oú il restait encore quelque
place. La, se trouvaient enfermées toutes les
opinions qui s'étaient succédé jusqu'au 10 aoút,
tons les rangs qui avaient été renversés , et de
simples bourgeois déjá estirnés aussi aristocrates
que des ducs et des princes.


La terreur régnait dans Paris. Elle était chez
les républicains menacés par les arrnées pl'llS-
siennes , et chez les roya listes menacés par les
républicains. Le. comité de déjense générale,
établi dans l'assemblée , pour aviser aux moycns
de résister a l'ennemi , se réunit le 30, et appela




ASSEMllLÉF LÉGISLATIVE (1792). 57
dans son sein le conseil exécutif pour délibérer
sur les moyens de salut publico La réunion était
nombreuse, paree qu'aux membres du comité
se joignirent une fonle de députés , qui vou-
laient assister aeette séance, Di vers avis fnrent
ouverts. Le ministre Servan n'avait aucune con-
fiance dans les arrnées , et ne pensaít pas que
Dumouriez pút , avec les vingt-trois mille hom-
mes que lui avait Iaissés Lafayette, arréter les
Prussiens. Il ne voyait entre eux et Paris au-
cune position assez forte poul' leur tenir tete,
et arréter leur marche. Chacun pensait comrne
lui a cet égarrl , et apres avoir proposé de por-
ter toute la population en armes sous les murs
de París, ponr y combattre avec désespoir , on
parla de se retirer au besoin a Saumur , pOllr
mettre, entre I'ennemi el les autorités déposi-
taires de la souveraineté nationale , de nou-
veaux espaces et de nouveaux obstacles. Ver-
gniaud. Guadet, combattirent l'idée de quitter
Paris. Apres eux, Danton prit la parole.


( On vous propose, dit-il , de quitter París.
(1 Vous n'ignorez pas que, dans l'opinion des
«cnnemis, Paris représente la France, et que
« leur ceder ce point, c'est leur abandonner la
( révolution. Reculer c'est nous perdre. n faut
« done nous.maintenir ici par tous les moyens,
« et IlOUS san ver par l'audace.




58 RÉVOIJUTION FRAl'i9A1SJ<:.
« Parmi les moyells proposés, aucun ne m'a


« semblé décisif Il faut ne pas se dissimuler la si-
« tuation dans laquelle nous a placés le 10 aoút,
« Il nous a divisés en républicains et en royalis-
« tes, les premiers peu nombreux , et les se-
« conds beaucoup. Dans cet état de faiblesse,
« nous répuhlicains, nous sommes exposés a
« deux feux, celui de l'ennemi , placé au de-
« hors , et celui des royalistes, placés au de-
« dans. 11 est un directoire royal qui siége se-
« cretement, aParis , et eorrespond avec l'armée
« prussienne. Vous di re oú il se réunit, qui
« le compose, serait impossible aux ministres.
« Mais pour le déconcerter, et ernpécher sa fu-
« neste correspondance avec l'étranger, iifaut...
« il faut faire peur aux royalistes..... »


A ces mots, accompagnés d'un geste exter-
minateur , l'effroi se peignit sur les visages. « Il
« faut, vous dis-je , reprit Danton, faire peur
« aux royalistes... C'est dans Paris surtout qu'il
« vous importe de vous maintenir , et ce n'est
« pas en vous, épuisant dans des combats in-
,j certains que vous y réussirez..... » La stupeur
se répandit aussitót dans le conseiL Aucun mot
ne fut ajouté a ces paroles, et chacun se retira
sans prévoir précisément, sans oser méme pé- ~
nétrer ce que préparait le ministre.


n se rendit immédiatement apres au comité




ASSElUBLÉE LÉGISI.ATlVE (1792). 59
de surveillance de la commune, qui disposait
souverainement de la personnede tous les ci-
toyens, et 00. régnait Marat. Les collegues igno-
rauts et aveugles de Marat étaient Panis et Ser-
gent, déja signalés au 20 juin et au 10 aoüt ,
et les nornrnés Jourdeuil, Duplain , Lefort et
Leufant. La, dans la nuit du jeudi 30 aoút au
vendredi 31, furent médités d'horribles projets
contre les malheureux , détenus dans les pri-
sons de Paris. Déplorable et terrible exernple
des ernporternents politiques! Danton que tou-
jours on trouva sans haine centre ses ennemis
personnels , et souvent accessible a la pitié,
préta son audace aux horribles réveries de
Marat : ils forrnerent tous deux un complot
dont plusieurs siecles out donné l'exemple ,
mais qui, a la fin du dix-huitiéme, ne pent pas
s'expliquer par l'igoorance des temps et la féro-
cité des moeurs. On a vu, trois années allpara.
vant , le nommé Maillard figurer a la tete des
femmes soulevées dans les fameuses jouruées
du 5 et du 60ctobre. Ce Maillard, ancien huís-
sier , homme intelligent et sauguinaire, s'était
composé une bande d'hommes gl'Ossiers el pra.
pres atout oser, tels enfin qu'on les trouve daos
les classes 00. l'éducation n'a pas épuré les peo-
chants en éclairant l'intelligence. II était connu
comme maitre de cette bande , el, s'il faut en




60 RÉVOLU'l'lON FRAN~AISI!.


:


croire une révélation récente, on I'avertit de se
tenir prét a agir au premier signal, de se pla-
cer d'une maniere utile et süre , de préparer
des assommoirs , de prendre des précautions
pour empécher les cris des victimes, de se pro-
curer du vinaigre, des bnlais de houx , de la
chaux vive, des voitures COl! vertes , etc.


Des cet instant , le bruit d'une terrible exé-
cution ~e répandit sourdement. Les pal'ents des
détenus étaient dans les angoisses, et le com-
plot, comme celui du 10 aoút , du 20 juin, et
tous les autres, éclatait d'avance par des signes
sinistres. De toutes parts, on répétait qu'il fal-
Iait , par un exernple terrible, eEfrayer les cons-
pirateurs quí du fond des prisons s' enteudaíent
avec l'étranger. 011 se plaígnait de la lentenr
du tribunal chargé de punir les coupables du
10 aoút , et on demandaít a grands cris une
prom pte justice. Le 31, l'ancíen ministre Mont-
morín est acquiLté par le tribunal du J 7 aoút,
el on répand que la trahison est partout, el
que l'impunité des cJ'upables est assurée. Dans
la meme journée, OH assure qu'un condamné
a fait des révélations. Ces révélations portent
que dans la nuit les prisonniers doivent s'é-
chapper des cachots , s'arrner , se répandre dans
la ville, y commettre d'horribles vengeances,
eulever ensuite le roí, et ouvrir París aux Prus-





ASSE)rm,J¡E U\GISLATIVE (179'1). 6 [
siens. Cependant les détenus qu'on accusait
tremblaient pOllr leur vie; leurs parents étaient
consternés, et la famille royale n'attendait qne
la morí au foud de la tour du Temple.


Aux Jacobins , dans les sections, au conseil de
la commune, dans la mil:!0rité de l'assemblée,
il était une fonle d'hommes qui croyaient a ces
complots supposés , et qui osaient déclarer lé-
gitime l'extermination des détenus, Certes la
nature ne fait pas tant de monstres pour un
seul jour, el l'esprit de partí seul pent égarer
tant d'hommes ala fois ! Triste lecon ponr les
peuples ! on eroit a des dangers, on se per-
suade qu'il fant les repousser; on le répete ,
on s'enivre , et tandis que certains hommes
proclament avee légereté qu'il fant frapper ,
d'autres frappent avec une audace sangui-
nau-e,


IJe samedi Jer septembre, les quarante-huit
heures fixées pour la fermeture des barrieres
et l'exéeution des visites domiciliaires étaient
écoulées, et les commnnications furent reta-
blies. Mais tout-a-coup se répand j dans la
journée , la nouvelle de la prise de Verdun.
Verdun n'est qu'investi, mais on croit que la
place est emportée, et qu'une trahison nouvelle
I'a livrée comme celle de Longwy. Danton fait
aussitót décréter par la cornruune , que le len-




RÉVOLUTION FRAN~AISE.
demain , '2 septembre, 00 battra la générale,
00 sonriera le tocsin , 00 tirera le canon d'a-
larme , et que tous les citoyens disponibles se
rendront en armes au Champ-de-Mars , y cam-
peront pendant le reste de la journée , etparti-
ront le lendemain pour se rendre.sous les murs
de Verdun. A ces terribles appréts , il devient
évident qn'il s'agit d'autre chose que d'une
levée en masse, Des parents acconrent et fout
des efforts pour obtenir l'élargissement des dé-
tenus. Manuel, le procureur-syndic, snpplié
par une femme généreuse, élargit, dit - 00 ,
deux prisonnieres de la famille Latrémouille.
Une autre femme, madame Fausse-Lendry ,
s'obstine a vouloir suivre dans sa captivité
son oncle l'abbé de Rastignac, et Sergent lui
répond: eNous faites une impruderrce; les pri-
sons ne sont pas stlres, »


Le lendemain, '2 septembre, était un diman-
che, et l'oisiveté augmentait le tumulte popu-
laire. Des attrollpemeots nombreux se mon-
traient partont, et on répandait que l'ennemi
pouvait étre a Paris sous trois jours. La com-
mune informe l'assemblée des mesnres qu'elle
a prises, pOllr la levée en masse des citoyens.
Vergnialld, saisi d'un enthousiasme patriotique,
prend aussitót la parole, félicite les Parisieus
de leur cotlrage, les loue de ce qu'ils ont con-




LE'.G ISLAT IVE (1792). 63'\SSElIIRLÉll _
verti le zele des motions en un zele plus actif
et plus utile , celni des comhats. « II parait ,
« ajoute-t-il , qu~ le plan de I'ennemi est de
« marcher droit sur la capitale , en laissant les
« places fortes derriére lui. Eh bien! ce projet
« fera notre salut et sa perte. Nos arrnées , trop
« faibles pour lui résister, seront assez fortes
« ponr le harceler sur ses derriéres ; et tandis
« qn'il arrivera , poursuivi par nos bataillons,
« il trouvera en sa présence l'armée parisienne,
« rangée en bataille sous les murs de la capi-
« tale; et , enveloppé la de toutes parís, il sera
« dévoré par cette terre qu'il avait profanée.
« Mais au milieu de ces espérances flatteuses ,
« ji est un dan gel' qu'il ne faut pas dissimuler,
« c'est celui des terreurs paniques. Nos ennemis
« y comptent, et sement rol' ponr les pro~
« duire ; et, vous le savez , il est des hommes
r pétris d'un limon si fangeux, qu'ils se dé-
« composent a l'idée dn moindre danger. Je
« voudrais qu'on pút signaler cette es pece sans
« tune et a tigure humaine, en réu nir tOIlS les
« individus dans une rnéme ville , aLongwy par
«( exemple, qu'on appellerait la ville des láches,
(( et la, devenus l'objet de l'opprobre, ils ne
(1 semeraient plus l'épouvaute chez Ieurs con-
« citoyens , ils ne leur feraient plus prendre des
« nains po ur des géants, et la poussiere qui




RÉVOLUT'ONFRAN~AISE.
« vole devant une compagnie de houlans pour
« des bataillons armés l


« Parisiens, c'est aujourd'hui qu'il faut dé-
« ployer une grqude énergie l Pourquoi les te-
« tranchemenrs du camp ne sont-ils pas plus
« avancés? Ou sont les Leches, les pioches , qui
« ont éIevé l'autel de la fédération, et nivelé le
« Champ-de-Mars P Vous avez manifesté une
« grande ardeur pour les fétes ; sans doute vous
« n'en montrerez pas rnoins pour les combats :
" vous avez chanté , céléhré la liberté; il faut la
« défendre! Nous n'avons plus a renverser des
« rois de bronze, mais des rois vivants et ar-
« més de lenr puissance, Je demande donc
« que l'assemblée nationa]e donne le premier
« exemple, et envoie douze cornmissaires , non
« poar faire des exhortations, rnais poar tra-
« vailler eux-mémes et piocher de leurs mains ,
« a la face de tous les citoyens. »


Cette proposition est adoptée avec le plus
grand enthousiasme. Danlon succede a Ver-
gniaud, il faít part des mesures prises , et en
propase de nouvelles. « Une partie du peuple ,
« dit-il , va se porter aux frontieres , une autre
:( va creuser des retranchemen ts, et la troisieme
« avec des piques défendra l'intérieur de nos
« villes. Mais ce n'est pas assez : il faut envoyer
« partout des commissaires et des courriers




ASSEMBLÉE LÉGISLATIV¡': (1792). 65
tc ponr engager la France entiere aimiter Paris ;
« il fant rendre un décret par lequel tout ci-
ce toyen soit obligé, sous peine de mort, de
« servir de sa personne, ou de remettre ses
« armes. --Danton ajoute : Le canon que vous
« allez entendre n'est point le canon d'alarme ,
« c'est le pas de charge sur les ennemis de la
« patrie. Pour les vaincre, pour les atterrer,
« que faut-il? DE L'AUDACE, t:NCORE DE L'AU-
« DACE, ET TOUJOURS DE L' AUDACE. )


Les paroles et l'action du ministre agitent
profondément les assistants. Sa motion est
adoptée, il sort , et se rend au comité de sur-
veillance. Toutes les autorités, tous les corps,
l'assemblée, la commune , les sections , les ja-
cobins étaient en séance. Les ministres, réunis
a I'hótel de la marine, attendaient Danton
pour tenir conseil. La ville entiere était debout.
Une terreur profonde régnait dans les prisons.
Au Temple, la famille royale, que chaque
mouvement devait menacer plus que tous les
autres prisonniers, demandait avec anxiété la
cause de tant d'agitations. Dans les diverses
prisons, les geoliers semblaient consternes.
Celui de l'Abbaye avait des le matin fait sortir
sa femme et ses enfants. Lediner avait été servi
aux prisonniers deux heures avant l'instant ac-
coutumé; tous les couteaux avaient été retirés


111. s




66 RÉVOLUTION FRAN9AJSE.
de leurs serviettes, Frappés de ees circonstan-
ces , .ils interrogeaient avec instanee leurs gar-
diens , qui ne voulaient pas répondre. A deux
heures enfin la générale commence a battre,
le toesin SODne, et le canon d'alarme retentit
dans l'enceinte de la capitale. Des troupes de
eitoyens se rendent vers le Champ-de-Mars;
d'autres entourent la commune , l'assemblée,
et remplissent les places publiques.


Il y avait a l'Hótel-de-Ville vingt-quatre pré-
tres, qui, arrétés acause de leur refus de préter
serment , devaient étre transférés de la salle du
dépót aux prisons de l'Abbave. Soit intention ,
soit effet du hasard, on choisit ce moment pour
leur translation. lIs sont plaeés dans six fiaeres ,
eseortés par des fédérés bretons et marseillais ,
et sont conduits au petit pas, vers le faubourg
Saint-Germain , en suivant les quais , le Pont-
Neuf et la rue Dauphine. On les entoure, et
on les aceable d'outrages. Voilá , disent les fé-
dérés , les conspirateurs qui devaient égorger
nos femmes el nos enfants , tandis que nous
serions ala frontiere. Ces paroles augmentent
encore le tumulte. Les portieres des voitures
étaient ouvertes; les malheureux prétres veu-
lent les fermer pour se mettre 11 1'abri des
mauvais traitements , mais on les en empéche ,
et ils sont obligés de souffrir patiemrnent les




ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE (1792 ) . 67
coups et les injures. Enfin ils arrivent dans la
cour de l'Abbaye, oú se trouvait déjá réunie
une foule irnrnense. Cette cour conduisait aux
prisons, et communiquait avec la salle oú le
comité de la section des Quatre-Nations tenait
ses séances. Le premier fiacre arrive devant la
porte du comité, el se trouve entouré d'une
foule d'hommes furieux. Maillard était présent.
La portiére s'ouvre ; le premier des prisonniers
s'avance pour descendre et entrer au comité,
maisil est aussitót percé de mili e coups. Le
second se rejette dans la voiture , mais il en est
arraché de vive force, et immolé comme le
précédent. Les deux autres le sont aleur tour,
et les égorgeurs abandonnent la premiere voi-
ture pour se porter sur les suivantes, Elles
arrivent l'une apres l'autrc dans la cour fatale,
et le dernier des vingt - quatre prétres est
égorgé, au milieu des hurlements d'une popu-
lace furiense ".


Dans ce moment accourt Billaud-Varennes,
membre du conseil de la commune, et le seul,
entre les organisaleurs de ces massaeres , qui
les ait constamment approuvés, et qui ait osé
en soutenir la vueavec une cruauté intrépide.


~ Exeepté un seul , I'abbé Sicard, qui fut sauvé Pílr mi-
rae/e.


5.




68 RÉVOLtTTION FRA N«;AISE.
n arrive revétu de son écharpe, marche dans
lé sang et sur les cadavres , parle ala fonle des
égorgeurs, et Iui dit : Peuple, tu immoles tes
ennemis, tu fais ton devoir. Une voix s'éleve
aprés celle de Billaud, c'est celle de Maillard :
11n'y a plus ríen á faire id ~ s'écrie-t-il , allons
aua: Carmes. Sa bande le suit alors , et ils se
précipitent tons ensemble vers l'église des Car-
mes , oú deux cents prétres avaient été enfer-
més. Ils pénetrent danS l'église, et égorgcnt
les malheureux prétres qui priaient le ciel , et
s'embrassaient les uns les autres a l'approche
de la mort. Ils demandent a grands cris l'ar-
chevéque d'Arles , le cherchent, le reconnais-
sent, et le tuent d'un coup de sabre sur le
cráne. Apres s'étre servis de leurs sabres, ils
emploient les armes a feu, et font des déchar-'
ges générales dans le fond des salles, dans le
jardin, sur les muns et sur les arbres, oú quel-
ques-unes des victimes cherchaicnt ase sauver,


Tandis que le rnassacre s'achéve aux Carmes,
Maillard revient a l' Abbaye avec une partie
des siens. Il était couvert de sang et de sueur;
JI entre au comité de la section des Quatre-
Nations, et demande du uin pOllr les braues
rraoailleurs qui délivrent la nation de ses en-
nemis. Le comité trcmblant leur en accorde
vingt-quatre pintes.




ASSEIUBLÉE LÉGISLA.TIVE (1792 ) . 69
Le vin est servi dans la cour, et sur des


tables entourées des cadavres égorgés dans
l'aprés-midi. On boit, et tout-á-coup , mon-
trant la prison, Maillard s'écrie : A l'Abbaye!
A ces mots, on le suit , et on atraque la porte.
Les prisonniers épouvantés entendent les hur-
lements, signal de leur mort. Le geolier, sa
femme s'évanouissent. Les portes sont ouver-
tes; les premiers détenus qui s'offrent sont
saisis, trainés par les pieds et jetés tout san-
g,lants dans la cour. Tandis qu'on immole sans
distinction les premiers venus, Maillard el ses
affidés demandent les écrous, et les clefs des
diverses prisons. L'un d'eux , s'avancant vers
la porte du guichet, monte sur un tabouret,
et prend la parole. C( Mes amis , dit - il, vous
« voulez détruire les aristocrates , qui sont les
« ennemis du peuple et qui devaient égorger
C( vos femmes et vos enfants tandis que vous
ce seriez a la frontiere, Vous avez raison, sans
« doute; mais vous étes de bons citoyens ,
IC vous aimez la justice, et vous seriez déses-
« pérés de tremper vos mains dans le sang in-
« nocent.-Oui! oui! s'écrient les exécuteurs.
« -Eh bien! je vous le demande, quand vous
« vou\ez, sans rien entendre, vous jeter comme
« des tigres en fureur sur des hommes q ui
« vous sont inconnus , ne vous exposez-vous




70, nÉVOLUTION FRAN~AISE.
« pas a confondre les innocents avec les cou-
« pables?» Ces paroles sont interrompues par
un des assistants, qui, armé d'un sabre , s'é-
crie a son tour: « Voulez - vous, vous aussi ,
« nous eodormir? Si les Prussiens et les Au-
(( trichiens étaient a Paris, chercheraienr-Ils
« adistinguer les coupables? J'ai une femme
« et des enfants que je De veux pas laisser en
« danger. Si vous voulez , donnez des armes a
«<ces coquins , nous les combattroos anombre
« égal, et avant de partir París en sera purgé. »
-11 á 'raison, il fautentrer , se disent les au-
tres ;lls poussent et s'avancent, Cependant on
les arréte , et on les oblige a consentir a une
espéce de jugement. Il est convenu qu'on pren-
dra le registre des écrous, que l'un d'eux fera
les fonctions de président, lira les noms , le
motífde la détention , et prononcera al'instant
mémesur le sortdo prisonnier. - Maillard !
Maillard président l s'écrient plusieurs voix; et
il entre aussitót en fonctions. Ce terrible pré-
sident s'assied aussitót devant une table , place
sous ses yeux le registre des écrous, s'entoure
de quelques hommes pris au hasard pour don-
ner leur avis, en dispose quelques-uns dans la
prison pour amener les prisonniers, el Iaisse
les autres a la porte pour consommer le mas-
sacre. Afin de s'épargner des scenes de déses-


I




ASSEMBLÉE LÉGISLA.TIVE (1792). 71
poir, il est convenu qu'il prononcera cesmots :
Monsieur ala Force; et qu'alors , jeté hors du
guichet, le prisonnier ,sera livré , san s s'en dou-
ter, aux sabres qui I'attendent,


On amene d'abord les Suisses détenus a l' Ab-
baye ,et dont les officiers avaient été conduits
ala Conciergerie. - C'est vous, leur dit Mail-
lard, qui avez assassiné le peuple au 10 aoñt.
-Nous étíons attaqués , répondent ces mal-
heureux, et 110US obéissions a nos chefs. -
Au reste, reprend froidement Maillard, il ne
s'agit que de vous conduire a la Force.-Mais
les malheureux , qui avaient entrevu les sa-
bres menacants de l'autre coté du guichet, ne
peuvent s'abuser. Il faut sortir , ils reculent,
se rejettent en arriero. L'un d'eux, d'une con-
tenante plus ferme, demande oú il fant pas-
ser. On lui ouvre la porte, el il se préeipite
tete baissée au milieu des sabres et des piques.
Les autres s'élancent apres lui, et subissent le
méme sort.


Les exécuteurs retournent a la prison, eu-
tassent les femmes dans une méme salle, et
amenentde nouveaux prisonniers. Quelques
prisonniers aceusés de fabrication de faux as-
signats, sont immolés les premiers. Vient apres
eux le célebre Montmorin, dont l'acquittement
avait causé tant de tumulte , et ne lui avait pas




72 RÉVOLUTION FRAN9AJSE.
valu la liberté. Amené devant le sanglant pré-
sident, il déclare que, sournis a un tribunal
régulier, il n'en peut reconnaitre d'autre.-
Soit, répond Maillard, vous irez done a la
Force attendre un nouveau jugement.-L'ex-
ministre trompé demande une voiture. On lui
répond qu'il en trouvera une a la porte. Il de-
mande encore quelques effets, s'avance vers
la porte, et recoit la mort.


On améne ensuite Thierry, valet-de-chambre
du roi. Tel maüre tel valet, dit Maillard, et le
malheureux est assassiné. Viennent apres les
juges- de - paix Buob et Bocquillon, accusés
d'avoir fait partie du comité secret des Tuile-
ries. Ils sont égorgés pour cette cause. La nuit
s'avance ainsi , et chaque prisonnier, enten-
dant les ,huriements des assassins , croit tou-
cher á sa derniére heure.


Que faisaient en ce moment les autorités
constituées , tous les eorps assemhlés , tous les
citoyens de Paris? Dans cette immense capi-
tale, le calme, le tumulte, la sécurité, la ter-
reur, peuvent régner ensemble, tant une par-
tie est distante de l'autre. L'assemblée n'avait
appris que trés-tard les malheurs des prisons ,
et, frappée de stupeur, elle avait envoyé des
députés pour apaiser le peuple, el sauver les
victimes. La commune avait délégué des corn-




ASSEMBLÉE LÉGISLATJVE (J 792 ) . 73
missaires pour délivrer lesprisonniers pour
dette , et distinguer ce qu'elle appelait les inno-
cents et les coupables. Enfin les jacobins, quoi-
qu'en séance, et instruits de ce qui se passait,
semblaient observer un silence convenu, Les
ministres ,: réunis a l'hótel de la marine pour
former le conseil, n'étaient pas encore avertis,
etattendaient Danton qui se trouvait au co-
mité de surveillance. Lecommandant-général
Santerre avait , disait-il a la commune , donné
des ordres, mais on ne lui obéissait pas, et
presque tout son monde était occupé a la
garde des barrieres. Il est certain qu'il y avait
des commandements inconnus et contradic-
toires, et que tous les signes d'une autorité
secrete et opposée a l'autorité publique s'é-
taient manifestés. A la cour de l'Abbaye, se
trouvait un poste de garde nationale , qui avait
la consigne de laisser entrer et de De pas Iais-
ser sortir. Ailleurs, des postes attendaient des
ordres et ne les recevaient pas. Santerre avait-
il perdu la raison comme au 10 aoüt , ou bien
était-il dans le complot? Tandis que des com-
missaires, publiquement envoyés par la com-
mnne, venaient conseiller le calme et arréter
le peuple, d'autres membres de la méme corn-
mune se présentaient au comité des Quatre-
Nations, qui siégeait a coté des massacres, et




74 RBVOLUTION FRAN"-:AISE.
, disaient : Toutua-t-ii bien id comme aux Car-


mes tJLa commune nous envoie pour vous of-
4 frir des secours si vous en alJez besoin,


Les commissaires envoyés par l'assemblée
et par la commune, pour arréter les meur-
tres, furent impuissants. lIs avaient trouvé une
foule immense qui assiégeait les environs de la
prison , et assistait a cet affreux spectacle aux
cris de vive la nation l Le vieux Dusaulx, monté
sur une chaise, essaya de prononcer les mots
de clémencesans pouvoir se faire entendre.
Bazire, plus adroit, avait feint d'entrer dans
le 'ressentiment de cette multitude , mais ne ffit
plus écouté des' qu'il voulut réveiller des sen-
timents de miséricorde. Manuel, le procureur
de la commune, saisi de pitié, avait couru les
plus grands dangers sans pouvoir sauver une
seule victime, A ces nouvelles, la commune ,
un peu plas émue ,dépecha une seconde dé-
putation pour calmer les esprits et éclairer le
peuple sur ses véritables intéréts. Cette députa-
tion , aussi impuissante que la premiére , ne
put que délivrer quelques femmes et quelques
débiteurs,


Le massacre continue pendant cette horri-
ble nuit. Les égorgeurs se succedent du tribu-
nal dans les guichets, et sont tour-a-tour j u-
ges et bourreaux. En méme temps ils boivent,




ASSEMlILÉJ<~ LÉGISLATIVE (1792 ) . 73
et déposent sur une table leurs verres em-
preints (le sango Au milieu de ce c:arnage, ils
épargnent eependant quelques victimes , et
éprouvent en le~ rendant a la vie une joie in-
concevable. Un jeune homme, réclamé par
une section, et déclaré pur d'aristocratie, est
acquitté aux cris de vive la nation, et porté en
triomphe sur les bras sanglants des exécuteurs.
Le vénérable Sombreuil, gouverneur des In-
valides, est amené a son tour, et condamné a
étre transféré ala Force. Sa filIe 1'a aperc;u du
milieu de la prison; elle s'élance au travers des
piques et des sahres , serre son pere dans ses
bras , s'attaehe a lui avec tant de force, sup-
plie les meurtriers avec tant de larmes et un
aecent si déchirant, que leur fureur étonnée
est suspendue. Alors, comme pour mettre 11
une nouvelle épreuve eette sensibilité qui les
touche : Bois, disent-ils a eette fine généreuse,
bois da sang des ariscocratesiet: ils lui présen-
tent un vase plein de sang : elle boit , et son
pere est sauvé. La filie de Cazotte est parve-
nue aussi a envelopper son pere dans ses bras;
elle a prié eomme la généreuse Sombreuil, a
été irrésistible comme elle, el, plus heureuse ,
a obtenu le salut de son pere, sans qu'un prix
horrible ait été imposé a son amour, Des lar-
mescoulent des yeux de ces hornmes féroees ;


"


.\
. ~~


"




,


76 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
et ils reviennerrt encore demander des victi-
mes! L'un d'entre eux retourne dans la prison
pour conduire des prisonniers a la mort; il
apprend que les malheureux qu'il venait égor-
ger ont manqué d'eau pendant vingt-deux
heures, et iI veut aller tuero le geolier. Un au-
tre s'intéresse a un prisonnier qu'il traduit au
guichet, parce qu'il lui a entendu parler la
langue de son pays. - Pourquoi es-tu ici? dit-il
a M. Journiac de Saint-Méard, Si tu n'es pas
un traitre , le président, qui n'est pas un SOl,
sama te rendre justice. Ne tremble pas, el" ré-
ponds bien. - M. Journiac est présenté aMail-
Iard , qui regarcle I'écrou. - Ah! dit Maillard,
c'est vous, M. Journiac, qui écriviez dans le
Journal de la cour et de la ville? - Non, ré-
pond le prisonnier, c'est une calomnie; je n'y
ai jamais écrit. - Prenez garde de nous trom-
per, reprend Maillard , car tout mensonge est
ici puni de mort, Ne vous eles-vous pas ré-
cemment absenté pour aller a I'armée des
émigrés? - C'est encore une calomnie; j'ai un
certificar attestant que, depuis vingt-trois mois,
je n'ai pas quítté París. - De qui est le certi-
ficat P la signature en est-elle authentique?
- Heureusement pour M. de Journiac, il Y
avait dans le sanguinaire auditoire un homme
auquel le signataire du certificat était person-




ASSEMBLÉF: LÉGJSLAT1VE (1792). 77
neIlement connu. La sígnature est en effet vé-
rifiée et déclarée véritable. - Vous le voyez
done, reprend M. de Journiac , on m'a calom-
nié. - Si le calomniateur était ici , reprend
Maillard, une justice terrible en serait faite.
Maís répondez, n'avait-on aucun motif de vous
enfermer P - Oui , reprend M. de Journiac ,
j'étais connu pour aristocrate. - Aristocrate!
- Oui , aristocrate; mais vous n'étes pas ici
pour juger les opinions ; vous ne devez juger
que la conduite. La mienne est sans reproche;
je n'ai jamais conspiré; mes soldats, dans le
régiment que je commandais, m'adoraient, et
ils me chargerent a Nancy d'aller m'emparer
de Malseigne. - Frappés de tant de fermeté ,
les juges se regardent, et Maillard donne le
signal de grace. Aussitot des cris de vive la na-
tionl retentissent de toutes parts. Le prison-
nier est embrassé. Deux individus s'ernparent
de lui, et, le couvrant de leurs bras, le font
passer saín et sauf atravers la haie menaeante
des piques et des sabres. M. de Journiac veut
leur donner de l'argent, mais ils refusent, et
ne demandent qu'a l'embrasser. Un autre pri-
sonnier, sauvé de mérne , est reconduit chez
luí avec le méme empressement, Les exécu-
teurs, tout sanglants, demandent a étre té-
moins de la joie de sa famille, et immédiate-


,




,
,8 RÉVOLUTION FRAN~A.ISE.
mentapres ils retournent au carnage. Dans cet
état convulsif, toutes les émotions se succe-
dent dans le coeur de l'homme. Tour-a-tour
animal doux et féroce, il pleure OH _égorge.
Plongé dans le sang, il est tout-a-coup touché
par un beau dévouement , par une noble fer-
meté ~ il est sensible a I'honneur de paraitre
juste, a la vanité de paraitre probe ou désin-
téressé, Si dans ces déplorables journées de
septembre, on vit quelques-uns de ces sauva-
ges devenus meurtriers et voleurs a la fois,
on en vit aussi qui venaient déposer sur le
bureau du comité de l' Abbaye , les bijoux san-
glants trouvés sur les prisonniers.


Pendant cette affreuse nuit , la troupe s'était
divisée , et avait porté le ravage dans les autres
prisons de París. Au Chátelet, ala Force, a la
Conciergerie, aux Bernardins , a Saint-Firrnin ,
a la Salpétriere ~ a Bicétre , les mérnes massa-
eres avaient été eommis, et des flots de sang
avaient coulé comme a l'Abbaye. Le lende-
main, lundi.3 septembre, le jour éclaira l'af-
freux earnage de la nuit, et la stupeur régna
dans Paris. Billaud-Varennes reparut a l'Ab-
baye, oú la veille iI avait eneouragé ce qu'on
appelait les travailleurs. Illeur adressa de nou-
vean la parole : « Mes amis, leur dit-il , en égor-
« geant des scélérats, vous avez sauvé la patrie.




ASSEMDLÉE LÉGISLATIVE (1792 ) . 79
(( La France vous doit une reconnaissance éter-
« nelle, et la munieipalité ne sait eomment s'ac-
(( quitter envers vous. Elle vous offre 2.4 Iivres(( a chacun, et vous allez étre payés sur-le-
« champ, » Ces paroles furent eouvertes d'ap-
plaudissements, et ceux auxquels elles s'adres-
saient suivirent alors Billaud-Varennes dans le
comité, pour se faire délivrer le paiement qui
leur était promis. - Oú voulez-vous, di! le pré-
sident aBillaud, que nous trouvions des fonds
pour payer? - Billaud, faisant alors un nou-
vel éloge des massaeres, répondit au président
que le ministre de l'intérieur devait en avoir
pour cet usage. On courut chez Roland, qui
venait d'apprendre avec le jour les crimes de
la nuit , et qui repoussa la demande avec in-
dignation. Revenus au comité, les assassins de-
manderent, sous peine de mort, le salaire de
leurs affreux travaux, et chaque membre fut
obligé de dépouiller ses poches pour les satis-
faire. Enfin la commune acheva d'acquitter la
dette, et on pent lire au registre de ses dé-
penses lmention de plusieurs sornmes payées
aux exécuteurs de septembre. On y yerra en
outre, a la date du 4 septembre, la somme de
J ,463 livres affectée acet emploi.


Le récit de tant d'horreurs s'était répandu
dans París, et y avait produit la plus grande




· 80 RÉVOLU1'ION FRAN9AIst,.
terreur. Les jacobins continuaient a se taire,
A la commune on commencait a étre touché ;
mais on ne manquait pas d'ajouter que le peu-
pie avait été juste, qu'il n'avait frappé que des
criminels , et que dans sa vengeance il n'avait
eu que le tort de devancerle glaive des lois.
Le conseil général avait envoyé de nouveaux
cornmissaires pour calmer l'effervescence , et
ramener aux principes ceux qui étaient égarés.
Telles étaient les expressions des autorités pu-
bliques. Partout on rencontrait des gens qui,
en s'apitoyaut sur les souffrances des malheu-
reux immolés, ajoutaient: «Si on les eút laissés
vivre, ils nous auraient égorgés dans quelques
jours.» D'autres disaient: ( Si nous somrnes vain-
cus et massacrés par des Prussiens , ils auront
du moins succombé avant nous.»Telles sont les
épouvantables conséquences de la peur que les
partis s'inspirent , et la haine engendrée par
la peur.


L'assemblée, au milieu de ces affreux dé-
sordres, était douloureusemeut affectée. Elle
rendait décrets sur décrets pour demander
compte a la commune de l'état de París, et
la comrnune répondait qu'elle faisait tous ses
efforts pour rétablir l'ordre et les lois. Cepeu-
dant l'assemblée, composée de ces girondius
qui poursuivirent si courageusement les assas-




ASSEl'lDLÉf LÉGISLATIVE (1792). 81
sins de septembre , et moururent si noblement
pour les avoir attaqués, l'assemblée n'eut pas
l'idée de se transporter tout entiere daos les
prisons , el de se mettre entre les meurtriers
et les victimes. Si eette idée généreuse ne vint
pas l'arraeher a ses bancs et la porter sur le
théátre du eamagc, il faut l'attribuer a la
surprise, au sentiment de son impuissanee,
peut- étre aussi a ce dévonement insuffisant
qu'inspire le danger d'un ennerni , enfin aeette
désastreuse opinion, partagée par quelques
députés , que les victirnes étaient autant de
conjurés , desquels on aurait re¡;u la mort , si
00 ne la leur avait donnée.


Un homme déploya en ce jour un généreux
caractere , el s'éleva avec une noble énergie
contre les assassins. Sous Ieur regne de trois
jours , il réclama le second. Le lundi matin , a
l'instant oú il venait d'apprendre les crimes de
la nuit, il écrivit au maire Pétion, qui ne les
connaissait point encore, il écrivit a Santerre
qui n'agissait pas, et leur fit a tous deux les
plus pressantes réquisitions. II adressa dans le
moment méme al'assemblée une lettre, qui fut
couverte d'applaudissements. Cel homme de
bien, si indignement calomnié par les partis,
était Roland. Dans sa lettre il réclarna eontre
tous les genres de désordres, contre les 115nr-


lrl, 6




RÉVOT.UTION FRAN<';:ATSF..


pations de la commune , centre les fureurs de
la populace, et dit noblement qu'il saurait
mourir au poste que la loi lui avait assigné.
Cependant, si l'on veut se faire une idée de la
disposition des esprits , de la fureur qui régnait
contre ceux qu'on appelait les trattres , et des
ménagements qu'il fallait employer en parlant
aux passions délirantes, on peut en juger par
le passage suivant. Ccrtes on ne peut pas douter
du courage de l'homme qui, seul et publique-
ment , rendait toutes les autorités responsables
des massacres , et eependant voici la maniere
dont il était obligó de s'exprimer ácet égard:


(( Hiel' fut un jour sur les événements duque!
« il faut peut-étre jeter un voile. Je sais que le
« peuple , terriblerlans sa vengeance, y porte
« encore une sor te de justice ; il ne prend pas
« pour victime tout oe qui se présente a sa
« fureur; a la dirige sur ceux qu'il croit avoir
(( été trop long- temps épargnés par le glaive
(( de la 10i, et qne le péril des circonstances
( lui persuade devoir étre irnmolés sans délai.
« Mais je sais qu'il est faciJe ades scélérats , a
« des traitres , d'abuser de cette effervescence,
« et qu'il faut l'arréter ; je sais que nous devons
« a la Franee entiere la déc1aration, que le
« pouvoir exécutif n'a pu prévoir ni empéeher
« ces exces ; je sais qu'il est du devoir des 3U-




ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE (179'2). 83
« torités constituées d'y mettre un terme, ou
« de se regarder comme anéanties. Je sais encore
c( que cette déclaration m'expose a la rage de
ce quelques agitateurs. Eh bien! qu'ils prennent
« ma vie, je ne veux la conserver que pour
(( la liberté, l'égalité. Si elles étaient violées ,
«détruites , soit par le regne des despotes
« étrangers, ou l'égarement d'un peuple abusé,
(e j'aurais assez vécu ; mais jusqu'a mon der-
« nier soupir j'aurai fait mon devoir. C'est le
« seul bien que j'ambitionne, et que nulle
« puissance sur la terre ne saurait m'enlever.»


L'assemblée couvrit cette lettre d'applaudis-
sements, et, sur la motion de Lamourette, or-
donna que la commune rendraitcompte de
l'état de París. La commune répondit encore
que le calme était rétabli, En voyant le cou-
rage du ministre de l'intérieur , Marat et son
comité s'irritérent , et oserent lancer contre lui
un mandat d'arrét, Telle était leur fureur aveu-
gle, qu'ils osaient atlaquer un ministre, et un
humme qui dans le mom~n t jouissait encore de
tonte sa popularité. Danton, acette nouvelle,
serécria fortement contre ces membres du corni-
té, qn'ilappela des enragés. Quoique contrarié
tous les jours par l'inflexibilité de Roland, il
était loin de le hall'; d'ailleurs ji redoutait , dans
sa terrible politique , tout ce qu'il croyait inu-


6.




84 RÉ\TOLUTION FRAN~AISE.
tile, et 'il regardait comme une extravagance
de saisir au milieu de ses fonctions le pre-
mier ministre de l'État. Il se rend a la mairie,
court au comité, et s'emporte vivement contre
Marat. Cependant on l'apaise , on le réconcilie
avec Marat , et on lui remet le mandat d'arrét ,
qu'il vient aussitót montrer aPétion , en lui ra-
contant ce qu'il avait fait. - Voyez, dit-il au
maire , de quoi sont capables ces enragés! mais
je saurai les mettre a la raison, ----'- Vous avez
eu tort, réplique froidement Pétion, cet acte
n'aurait perdu que ses auteurs.


De son coté, Pétion, quoique plus froid que
Rolancl, n'avait pas montré moins de cOllrage.
11 avait écrit aSanterre, qui , soit irnpuissance
ou complicité , répondait qu'il avait le coeur
déchiré, mais qu'il ne pouvait faire exécuter
ses ordres. 11 s'était ensuite rendu de sa per-
sonne sur les divers théátres du carnage. A la
Force, il avait arraché de Ieur siége sanglant
deux officiers municipaux qui remplissaient ,
en écharpe , les fonctions qne Maillard exercait
a l'Abbaye. Mais a peine était-il sorti pour se
rendre en d'autres lieux , que ces officiers mu-
nicipaux étaient rentrés, et avaient continué
leurs exécutions. Pétion , partout impuissant,
était re tourné aupres de Roland, que la dou-
leur avait rendu malade. On n'était parvenu a




ASSEMBLÉE LÉGlSLATlVE (1792). 85
garantir que le Temple, dont le dépót excitait
la fureur populaire, Cependant la force arrnée
avait été ici plus heureuse, et un ruban tri-
colore, tendu entre les murs et la populace ,
avait suffi pour l'écarter, et pour sauver la fa-
mille royale.


Les étres monstrueux qui versaient le sang
depuis le dimanche, s'étaient acharnés a eette
horrible tache, et en avaient eontraeté une
habitude qu'ils ne pouvaient plus interrompre,
Ils avaient méme établi une espece de régula-
rité dans leurs exécutions; ils les suspendaient
pOOl' transporter les cadavres., et pour faire
Ieurs repaso Des fernmes méme , portant des ali-
ments, se rendaient aux prisons, pour donner
lediner aleurs maris, qui, disaient-elles, étaient
occupés a l'Abbaye.


A la Force, aBicétre , al'Abbaye, les massa-
eres se prolongerent plus qtrailleurs. C'était a
la Force que se trouvait l'infortunée princesse
Lamballe, qui avait été célebre a la cour par
sa beauté et par ses liaisons avec la reine. On
la conduit mourante au terrible guichet.-
Qui étes-vous? lui demandent les bourreaux
en écharpe. - Louise de Savoie, princesse de
Lamhalle. - Quel était votre role a la cour?
Connaissiez-vous les complots du chateau?-
le n'ai connu aucun complot. -Faites serment




86 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
d'aimer la liberté et l'égalité; faites serment de
haír le roi, la reine et la royauté. - Je ferai le
premier serment; je ne puis faire le seeond,
il n'est pas daos mon creur.
~ Jurez done, lui dit un des assistants qui


voulait la sauver. Mais l'infortunée ne voyait
et n'entendait plus rien, - Qu'on élargisse ma-
dame, dit le chef du guiehet. - Ici , eomme a
l'Abhaye, on avait imaginé un mot pour ser-
vir de signal de mort. On emrnene cette femme
infortunée, qu'on n'avait pas, disent quelques
narrateurs , l'intention de livrer a la mort, et
qu'on voulait en effet élargir. Cependant elle
est re«;ue a la porte par des furieux avides de
carnage. Un premier coup de sabre porté sur
le derriere de sa tete fait jaillir son sango Elle
s'avance encore soutenue par deux hommes,
qui peut-étre voulaient la sauver; mais elle
tomhe aquelques pas plus loin sous un dernier
coup. Son heau eorps est déchiré. Les assas-
sins l'outragent , le mutilent , el s'en partagent
les lambeaux. Sa tete ,son creur, d'antres par-
ties du cadavre, portées au bout d'une pique,
sont promenées dans Paris. 11 faut , disent ces
hommes dans leur langagc atroce, les porler
au pied du tróne. On court au Temple, et on
éveille avec des cris affreux les infortunés pri-
sonniers , qui demandent avec effroi ce que




A.SSEIUBLt~E LÉGISLATIVE (1792). 87
c'est. Les officiers. municipaux s'opposent á ee
qu'ils voient l'horrible eortége passer sous leur
fenétre , et la. tete sanglante qu'on y élevait· au
bout d'nne pique. Un garde national dit enfin
a la reine: « C'est la téte Lamballe qu'on »eut
« vous empécher de uoir.» A ces mots, la reine
s'évanouit. Madame Élisabeth, le roi, le valet
de chambre Cléry, emportent eette princesse
infortunée; el les eris de la troupe féroee re-
tentissent long-temps eucore autour des murs
du Temple.


Lajouruée du 3 et la nuit du 3 au 4, conti-
nuerent d'étre souillées par ces massaeres. A
Bicétre surtout le carnage fut plus long et plus
terrible qu'ailleurs. Il y avait la quelques mille
prisonniers, enfermés, comme on sait, pour
toute espece de vices. lis furent attaqués, vou-
lurent se défendre, et on employa le canon
pour les réduire. Un membre du eonseil géné-
ral de la eommune osa méme venir demander
des forces pour réduire les prisonniers qui se
défendaient. Il ne fut pas éeouté. Pétion se
rendit encore a Bicétre , mais il n'obtint rien.
Le besoin du sang animait eette multitude; la
fureur de combattre et de massacrer avait suc-
cédé chez elle au fanatisme politique , el elle
tuait pour tuero Le massacre dura la jusqu'au
mercredi 5 septembre.




88 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
Enfin presque toutes les victimes désignées


avaient péri; les prisons étaient vides; les fu-
rieux demandaient ene ore du sang, mais les
sombres ordonnateurs de tant de meurtres
semblaient se montrer aeeessibles a quelque
pitié. Les expressions de la eommune commen..
caient as'adoucir. Profondément touchée, di-
sait-elle , des rigueurs exercées eontre les pri-
sonniers , elle donnait de nouveaux ordres ponr
les arréter ; et cette fois elle était mieux obéie.
Cependant apeine restait-il quelques malheu-
reuxauxquels sa pitié put étre utile. L'évalua-
tion du nombre des victimes differe dans tous
les rapports du temps; eette évaluation va-
ríe de six a douze mille dans les prisons de
Paris '1-.


Mais si les exécutions répandirent la stupeur,
l'audace qu'on mit ales avouer et a en recom-
mander l'imitation, ne surprit pas moins que
les exécutions mémes. Le comité de surveillance
osa répandre une circulaire a toutes les com-
munes de France , que l'histoire doit conserver
avec les sept signatures qui y furent apposées.
Voici cette piéce monumentale :


Paris , 2. septembre 1792.


« Freres et amis, un affreux com plot tramé


.. Voyez sur ces journées la note 7 ala fin dll·4e vollime.




ASSKMBLÉE LÉGISLATIVE (1792). 89
(l par la cour pour égorger tous les patriotes
« de l'empire franeais , complot dans lequel un
le. grand nombre de membres de l'assemblée
I( na¡ionale sont compromis , ayant réduit , le
« 9 du mois dernier , la commune de Paris a
(1 la plus cruelle nécessité d'user de la puis-
« sanee du peuple pour sauver la nation , elle
« n'a rien négligé pour bien mériter de la pa-
I( trie. Aprés les témoignages que l'assemblée
« nationale venait de lui donner elle-meme ,
« eút-on pensé que des lors de nouveaux com-
« plots se tramaient dans le silence, et qu'ils
c(éclataient dans le moment méme oú l'assem-
« blée nationale, oubliant qu'elle venait de dé-
« clarer que la cornmune de Paris avait sauvé
« la patrie, s'ernpressait de la destituer pour
( prix. de son brülant civisme? A cette nou-
« velle, les clameurs publiques élevées de tou-
« tes parts ont fait sentir al'assemblée nationale
( la nécessité urgente de s'unir au peuple, et
( de rendre a la commune, par le rapport du
« décret de destitution, le pouvoir dont elle
« l'avait investie.


« Fiere de jouir de toute la plénitude de la
« confiance nationale , qu'elle s'efforcera de
« mériter de plus en plus, placée au foyer de
I( toutes les conspirations , et déterminée apé-
« rir pour le salut public, elle ne se glorifiera




90 ,RÉVOLUTION FRAN~AISE.
« d'avoir fait son devoir que lorsqu'elle aura
« ohtenu votre approbation, qui est l'objet de
« tous ses vceux , et dont elle ne sera certaine
« qu'aprés que tous les départements auront
« sanctionné ses mesures pour le salut publico
« Professant les principes de la plus parfaite
( égalíté, n'ambitionnant d'autre privilége que
« celui de se présenter la premiere ala breche,
« elle s'empressera de se soumettre au niveau
« de la commune la moins nombreuse de I'ern-
te pire, des qu'il n'y aura plus ríen a redouter.


« Prévenue que des hordes barbares s'avan-
« caient contre elle, la commune de Paris se
(C háte d'informer ses fréres de tous les- dépar-
« tements qu'une partie des conspirateurs fé-
« roces déteuus dans les prisons a été mise a
« mort par le peuple, actes de justiee qui lui
« ont paru indispensables pour retenir par la
l( terreur les légions de traitres renfermés dans
« ses murs, au moment oú il allait marcher
« a l'ennemi; et sans doute la nation, apres
« la longue suite de trahisons quí l'a conduite
« sur les bords de l'abime , s'empressera d'a-
« dopter ce moyen si utile et si nécessaire; et
« tous les Francais se diront cornme les Pari-
« siens : Nous marchons a l'ennemi, et HOUS
« ne laissons pas derriére nous des brigands
l( pour égorger nos femmes et nos enlants.




ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE (1792). 91
« Sígnés Duplain, Panis, Sergent, Leufant,


( Marat, Lefort, Jourdeuil, administrateurs
(( du comité de suroeillance constitué ti la
« mairie. »


La lecture de ce document peut faire juger
aquel degré de fanatisme l'approche du dan-
gel' avait poussé les esprits. Mais il est temps
de reporter nos regards sur le théátre de la
guerre, oú nous ne trouvons que de glorieux
souvenirs.






ASSEMBLÉE LÉGJSLATJVE (1792 ) . 93


CHAPITRE JI.


Campagne de I'Argonne.-Plans militaires de Dumouriez.
_ Prise du camp de Grand-Pré par les Prussiens.-
Victoiredc Valmy. - Retraite des coalisés; bruits sur
les causes de eette retraite.


DEJ A., comme on l'a vu, Dumouriez avait tenu
un conseil de guerre a Sedan. Dillon y avait
émis l'opinion de se retirer a Chálons pour
mettre la Mame devant nous, et en défendre
le passage. Le désordre des vingt-trois mille
hommes laissés aDurnouriez , l'impuissance oú
ils étaient de résister aquatre-vingt mille Prus-
siens parfaitement aguerris et organisés, le pro-
jet attribué a l'ennemi de faire une invasion
rapide sans s'arréter aux places fortes, tels
étaient les motiís qui portaient Dillon a croire
qu'on ne pourrait pas arréter les Prussiens , et
qu'il fallait se háter de se retirer devant eux ,
pour chercher des positions plus fortes, et sup-




94 RivOLUTION FRAN9AISE.
pléer ainsi a la faiblesse el au mauvais état de
notre armée. Le conseil fut tellement frappé
de ces raisons, qu'il adhéra unanimement a
l'avis de Dillon, et Dumouriez, aqui apparte-
nait la décision, comme général en chef, ré-
pondit qu'il y réfléchirait.


C'était le 28 aoút au soir. Ici fut prise une
résolution qui sauva la France. Plusieurs s'en
disputent l'honneur : tout prom'e qu'eIle ap-
partient aDumouriez. L'exécution au reste la
lui rend tout-á-fait propre, et doit lui en mé-
riter toute la gloire. La France, comme on sait,
est défendue a l'est par le Rhin el les Vosges,
au nord par une suite de places fortes dues au
génie de Vauban, et par la Meuse, la Moselle
et divers cours d'eau qui, combinés avec les
places fortes, composent un ensemble d'obs-
tacles suffisants pour protéger cette frontiere.
L'ennemi avait pénétré en France par le nord,
et il avait tracé sa marche entre Sedan et Metz,
laissant l'attaque des places fortes des Pays-Bas
au duc de Saxe-Teschen , et masquant par un
corps de troupes Metz et la Lorraine. D'apres
ce projet, il eút faUu marcher rapidement,
profiter de la désorganisation des Francais , les
frapper de terreur par des coups décisifs , en-
lever méme les vingt - trois mille hommes de
Lafayette, avant qu'un nouveau général Ieur




ASSEi\IBLÉE LÉGISLAT1VE (179 2 ) . 95
eút rendu l'ensernble et la confiance. Mais le
combat entre la présomption du roi de Prusse
el la prudence de Brunswick, arrétait toute
résolution, et empéchait les coalisés d'étre sé-
rieusement ou audacieux ou prudents. La prise
de Verdun excita davantage la vanité de Fré-
déric-Guillaume et l'ardeur des émigrés, mais
ne donna pas plus d'activité a Brunswick , qui
n'approuvait nullernent l'invasion, avec les
moyens qu'il avait el avee les dispositions du
pays envahi. Apres la prise de Verdun, le 2
septembre, l'armée eoalisée s'étcndit pendant
plusieurs jours dans les plaines qui bordent la
Meuse, se borna a oeeuper Stenay, et ne fit
pas un seul pas en avant. Dumouriez était a
Sedan, et son armée campait dans les environs.


De Sedan aPassavant s'étend une forét dont
le nom doit étre a jamais fameux dans nos an-
uales; c'est celle de I'Argonne, qui couvre un
espace de treize a quinze lieues, et qui, par
les inégalités du terrain, le mélange des bois
et des eaux, est tout-á-fait impénétrable aune
armée, excepté dans quelques passages prin-
cipaux. C'est par eette forét que l'ennemi de-
vait pénétrer pour se rendre a Chálons , et
prendre ensuite la route de Paris. Avee un
projet pareil, il est étonnant qu'il n'eüt pas
songé encore aen occuper les principaux pas-




96 RÉVOLUTION FRA.N<;;:A.ISE.
sages, et a ydevaneer Dumouriez, qui, a sa
position de Sedan, en était éloigné de toute la
longueur de la forét. Le soir, apres la séance
du couseil de guerre, le général francais eon-
sidérait la carte avec un officier dans les ta-
lents duquel il avait la plus grande confiance :
e'était Thouvenot. Lui montrant alors du doigt
I'Argonne et les clairieres dont elle est traver-
sée: ({ Ce sont la, lui dit-il, les Therrnopyles de
la Franee : si je puis y étre avant les Prussiens ,
tout est sauvé. »


Ce mot euflamma le génie de Thouvenot ,
et tous deux se mirent a détailler ce beau plan.
Les avantages en étaient immenses : cutre
qu'on ne reculait pas, et qu'on ne se rédui-
sait pas a la Mame pour derniere ligne de ué-
fense, 011 faisait perdre a I'ennerni un temps
préeieux; on l'obligeait a rester dans la Cham-
pagne pouilleuse , dont le sol désolé, fangeux,
stérile , ne pouvait suffire a l'entretien d'une
armée; on ne lui eédait pas, comme en se re-
tirant a Chálons , les trois évéchés, pays riche
et fertile, oú il aurait pu hiverner tres-heu-
reusernent , dans le cas méme oú il n'aurait pas
forcé la Mame. Si l'ennemi, apres avoir perdu
quelque temps devant la forét , voulait la tour-
ner,et se portait vers Sedan, il trouvait devant
lui les plaees fortes des Pays-Bas , et il n'était




ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE (179'1)· 97
pas supposable qu'il pút les faire tomber.
S'il remontait vers l'autre extrémité de laforét ,
il rencontrait Metz vetFarmée du centre; óÍ1
se mettait alors 'a sa poursuite, et, en se réu-
uissantá .l'arsnée de Kellerrnann , on pouvaít
former une masse de cínqnante mílle hommes,
appeyée sur Metz et diverses places fortes.
Dans tous les cas , on Ini avait fait manquer sa
marche et perdre cette campagne; car on était
déja en septernbre , et acette époqueon faisait
encoré hiverner les arrnées. Ce projet était
excelJent; mais il fallait l'exécuter,et les Prus..
siens, rangés le long de l'Argonne, tandis <lúe
Dumouriez était a l'une de ses extrémítés,
pouvaiént en' nvoir occupé les passages. Ainsi
dónck: sort de ce grand projet et de la Franee
dépendaib d'un 'hasard et d'une faute de l'en-
nerm,


Cinq défilés dits du Chéne-Populeux , de la
Croix-aux-Bois , de Grand-'Pr€, de la: Chalade,
et des Jslettes, traversaient PArgonne. Les plus
importants étaient ceux de Grand-Pré etdes
Islenes , et malheureusement c'éraient les plus
él~és de Sedan et les plus rapprochés de
I'eneemi, Dumouriez résolut de s'y portér lui-
mérne avec tout son monde. En méme temps
il ordonna au' ~énéral Duhouquet de quitter
le départemenrdu 'Nord.'pour venir oécupér


III. 7




98 aÉVOLUTION FRAN~AISE.
le passage ·du Chéne-Populeux ~ qui était fort
important, mais tres-rapproché de Sedan, et
dont l'occupation était moins urgente. Deux
ro lites s'offraient aDumouriez pOllr se rendre
a Grand-Pré et aux Islettes : l'une derriere la
forét, l'autre devant , et enlace de l'ennemi.
La premiere , passant derriere laforét , était
plus súre , mais plus longue; elle révélait a
l'ennemi nos projets , et lui donnait le temps
de les prévenir. La seconde était plus courte,
mais elle trahissaitaussi notre but , et exposait
notre marche aux eoups d'une armée formi-
dable. 11 fallait en effets'avaneer le long des
bois , et passer devant Stenay, oú se trouvait
Clerfayt avec ses Autrichiens. Dumouriez pré-
féra cependant celle-ci , et COIH'¡Ut le plan le
plus hardi. 11 pensait qu'avec la prudence au-
trichienne, le général ne manquerait pas, ala
vue des Francais , de se retrancher dans'i'excel-
lent campde Brouenne , et que pendant ce
temps, 011 lui éehapperait pour se porter a
Grand-Pré et aux Islettes.


Le 30, en effet, Dillon est mis en mouve-
ment, .et part avec huit mille hommes poul'
Stenay , marchant entre la Meuseet l'Argonne.
II trouve Clerfayt, qui occupait les deux bords
de la riviere avec vingt-cinq mille Autrichiens.
I.Je général Miaczinsky attaque avec quinze




ASSEl\JBLÉE LÉGISLÁTIVE (1 79'l)·· 99
cents hommes les avant- postes de Clerfayt,
tundís que Dillon, placé en arriere , marche a
l'appni avec toute sa división. Le feu s'elJga~e
avec vivacité , et Clerfayt repassant aussitót la
Meuse ,va se placer a Brouenne, comrne l'a-
vait tres-heureusement prévu Dumouriez. Pen-
dant ce temps , Dillon ponrsuit hardiment sa
route entre la Meuse et l'Argonne. Dumouriez
le suit immédiaternent avec les quinze mili e
hommes qui composaient son corps de bataille,
et ils s'avancent tous deux vers les postes qui
leal' étaient assignés. Le 2 septembre, Durnou-
riez était a Beffu , et n'avait plus qu'une mar-
che a faire pour arriver a Grand-Pré. Dillon
était le rnéme jour a Pierremont, et s'appro-
chait toujours des Islettes avec une extreme
hardiesse. Heureusement pour celui-ci, le gé-
néral Galbaud ,'envúyé ponl' renforcer la gar-
nison de Verdun ,était arrivé trop tard ,et
s'était replié sur les Islettes, qu'il tenait ainsi
d'avance, Dillon y arrive le 4 avee ses dix mille
hommes, s'y établit , et fait garder de plus la
Chalade, autre passage secondaire qui lui était
confié. En méme temps Dumouriez parvient a
Grand -Pré, trouve le poste vacant, el s'en
empare le 3. Ainsi , le 3 et le 4, les passages
étaient occupés par nos soldats , et le salut de
la France était fort avancé.





100 nÉVOJ,UTION FRAN~AISE.
Ce fut par cette marche audacieuse, et au


moins aussi méritoire que l'idée d'occuper l'Al'-
gonne, que Dumouriez se mit en état de ré-
sister a l'invasion, Mais ce n'était pas tout: il
fallaít rendre ces passages inexpugnables, et
pour cela faire encore une foule de dispositions
dont le succés dépendait de beaucoup de ha-
sards.


Dillon se retrancha aux Islettes; il fit des
abatís, éleva d'excellents retranchernents , et,
disposant habilement de l'artillerie francaise ,
qui était nombreuse et excellente, placa des
batteries de maniere a rendre le passage in-
abordable. Il occupa en mérne temps la Cha-
lade, et se rendít ainsi rnaitre des deux routes
qui conduisent a Sainte - Menehould, et de
Sainte-Menehould a Chálons. Dumouriez s'é-
tablit a Grand - Pré, dans un camp que la
nature et l'art avaient rendu formidable. Des
hauteurs, rangées en amphithéátre , formaient
le terrain sur lequel se trouvait l'armée. Au
pied de ces hauteurs s'étendaient de vastes
prairies, devant lesquelles l'Aire coulait en
formant la tete du campo Deux ponts étaient
jetés sur l' Aire; deux avant-gardes tres-fortes
y étaient placées, et devaient, en cas d'attaque,
se retirer en les brñlant. L'ennemi, apres avoir
déposté ces troupes avancées, avait aeffectuer




ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE (1792). 101
le passage de l'Aire, sans le secours des ponts,
et sous le feu de toute notre artillerie. Apres
avoir franchi la riviere, il lui fallait traverser
un bassin de prairies oú se croisaient mille
feux, et enlever enfin des retranchements es-
carpés et presque inaccessibles, Dans le cas oú
tant d'obstades eussent été vaincus, Dumou-
riez, se retirant par les hau teurs qu'il occupait,
descendait sur leur revers , trouvait a leur
pied I'Aisne, autre cours d'eau qui les longeait
par derriere , passait deux autres ponts qu'il
détruisait , et pouvait mettre encore une iri-
viere entre lui et les Prussiens, Ce camp pou-
vait étre regardé comme inexpugnable, et la
le général francais était assez en súreté pour
s'occuper tranquillement de tout le théátre de
la guerreo


Le 7 , le général Dubouquet occupa avec six
mille hommes le passage du Chéne-Populeux.
Il ne restait plus de libre que le passage beau-
coup moins important de la Croix-aux-Bois ,
situé entre le Chéne-Populeux et ' le Grand-
Pré, Dumouriez, apres avoir fait rompre la
route et abattre des arbres , y posta un colonel
avec deux hataillons et deux escadrons. Placé
ainsi au centre de la forét , et dans un camp
inexpugnable, íl en défendait le principal pas-
sage au moyen de quinze mille hommes; il




102. RÉVOLUTION F1tAN~AIS¡';.
avait asa droite, et aquatre lieues de distance,
Dillon, qui gardait les Islettes et la Chalade avec
huit mille; a sa gauche Dubouquet, défendant
le Chéna- Populeux avec six mille, et , dans
I'intervalle du Chéne-Populeux a Grand-Pré,
uu colonel qui surveillait avec quelques com-
pagnies la-route de la Croix-aux-Bois , qu'on
avait jugée d'une importance tres-secondaire.


Toute sa défensese trouvant ainsi établie,
il avait le tempsd'attendre les renforts, et il
se hala de donner des ordres en conséquence.
11 enjoignit a Beurnonville de quitter la fron-
tiére des Pays-Bas, oú le due de Saxe-Teschen
ne tentait rien d'important, et d'étre a Rethel
le 13 septembre, avec dix mille hommes, Il
fixa Chálons pOllr le dépót des vivres et des
munitions, pour le rendez-vous des recrues et
des renfortsqu'on luí envoyait. 11 réunissait
ainsi derriere lui tous les moyens de composer
une résistance sufíisante. En méme temps il
manda au pouvoir exécutif qu'il avait occupé
l'Argonne. «Grand-Pré et les Islettes, éerivait-il,
le sont nos Thermopyles; mais je serai plus heu-
«<reux que Léonidas. " Il dernandait qu'on dé-
tachát quelques régiments de l'armée du Rhin,
qui n'était pas menaeée, el qu'on les joignit
a l'armée du centre, confiée désorrnais a Kel-
lermann. Le projet des Prussieus étant évi-




ASS}:l\IBLÉE LÉ<;ISLATlVE (1792). 103
demment de marcher sur Paris, puisqu'ils
masquaient Montmédy et Thionville sans s'y
arréter, il voulait qu'on ordonnát aKellermann
de cótoyer leur gauche par Liguy el Bar-le-Duc,
et de les prendreainsi en flauc et en queue
pendant leur marche offensive. D'apres toutes
ces dispositions, si les Prussiens, renoneant a
forcer l'Argonne, remontaient plus haut, Du-
mouriez les précédait aRevigny, et la, trouvait
Kellermann arrivant de Metz avec l'arrnée du
centre. S'ils descendaient vers Sedan, Dumou-
riez les suivait encore, rencontrait la les dix
mille hommes de Beurnonville ,et attendait
Kellerrnann sur les bords de l'Aisne; el, dans
les deuxcas , la jonction produisait une masse
de soixante mille hommes, capables de se mon-
trer en rase campagne.


Le ponvoir exécutif n'oublia rien ponl' se-
conder Dumouriezdans ses excellentesdis-
positions. Servan , le ministre de la guerre,
quoique maladif', veillait sans reláche a l'ap-
provisionnement des armées, au transpol't des
effets et munitions, el a la réunion des nou-
velles levées, Il partait tous les jours de Paris
de quinze cents adeux mille voloutaires. L'en-
trainement vers l'armée était général, et OH y
courait en foule. Les sociétés patriotiques, les
conseils des communes , I'assemblée , étaient




J 04 RÉVOLUTlON FRAN~A.lSE.
cpn~~l,l~llep1enttraverséspar descompagnies
levéesspontanément.et marchant vers Chálons,
~eI}~e~-vonsgénéral des volontaires.Tl ne man-
.qHait a ces jeunes soldats q~e la discipline et
l'habitude du champ de bataille, qu'ils n'avaient
point ~n~C?re', mais qu'ils pouvaient bieatót
acquérir .,Sou~ un général hahile.


Les gil'ondins étaient ennernis personnels
de Dumouriez , et lui accordaient peu de con-
1AAnce,,~epuísqu'illes avait chassés du minis-
Je[~; i~'S ~v:~i(:lllt méme voulu lui substituer
.~P~,Je. icpmnv~ndemenlr.général.un .offieier
nommé Grimoard. Mais ilss'étaient réunis a


.'•• ' . ~. ",. J .' , . <


lui depuis qu'il semblait chargé des destinées
de la patrie. Roland, le meilleur , le plus dé-
sintéressé d'entre eux, luí écrivit une lettre
touchante pour l'assurer qUf; tout était oublié ,
et. qu,e. ses amis ne demandaient tous que d'a-
vO,ir a. célébrer ses victoires.


Dumouriez s'était done vigoureusement em-
paré de cette frontiere , et s'était fait le centre
de vastes mouvements, jusque-lá trop lents et
trop désunis. 11 avait heureusement occupé les
défilés de l'Argonne, pris une position qui
donnait aux armées le temps de se g!,oIlper et
de s'organiserderriere luí; il faisait arriver snc-
cessivement tous les corps pour composer une
masse imposante; il mettait KeUermann dans la




ASSEMBLÉE LÉGISLA.TIVE (1792). 105
nécessité de venir recevoir ses ordres; il com-
mandait avec vigueur, agissa~taveccélérité , et
soutenait les soldats en se montrant au milieu
d'eux, en Ieúrtémoignant beaucoup de con-
fiance, eten s'efforcant de leur faire désirer
uneptochaine rencontre avec l'ennemi.


On était ainsi arrivé au 10 septembre, Les.
Prussiens parcoururent tous nos postes, escar-
mouchérent sur le front de tous nos retranche-
ments, et furent partout repoussés. Dumouriez
avait pratiqué de secretes cornmunications dans
l'intérieur de la forét , et portait sur les points.
menacés des forces inattendues , qui , dans
l'opinion de l'ennemi, doublaient les forces
réelles de notre armée, Le 1 I , il Y eut une
tenllatÍ've générale contre Grand-Pré ; mais le
géiléral Miranda, placé a Mortaume, et le
général Stengelá Saint-Jouvin , repousserent
toutes les attaques avec un plein succés.:Sur
plusieurs points, les soldats, rassurés par leur
position et par l'attitude de leurs chefs, sauté-
rent au - dessus de leurs retranchements , et
devancereut a la baíonnette l'approche des
assaillants. Ces combats occupaient l'armée,
qui , quelquefois, manquait de vivres , acause
du désordre inévitable d'un service improvisé.
Mais la gaité du général, qui ne se soignait
pas mieux que ses soldats , engageait tout le




J06 RÉVOLUTION FRAN9AISE.


monde a se résigner; et, malgré un commen-
cernent de dyssenterie, on setrouvait assez
bien dans le camp de Grand-Pré: Les offieiers
su périeurs seulemcnt, qui doutaient de la pos-
sibilité d'une longue résistance, le ministere
qui n'y croyait pas davantage,parlaient d'une
retraite derriere la Marne, et assiégeaient Du-
mouriez de leurs conseils; et lui, écrivait des
lettres énergiques aux ministres, et imposait
silence ases officiers, en leur disant que, lors-
qu'il voudrait des avis, il convoquerait un
conseil de guerreo


Il faut toujours qu'un homme ait les ineon-
vénients de ses qualités, L'extréme promptitude
du génie de Dumouriez devait souvent l'em-
porter jusqu'a l'irréflexion. Dans son ardeura
concevoir , illui était déja arrivé de ne pas bien
calculer les obstacles matériels de ses projets,
notamment Iorsqu'il ordonna aLafayeue de se
porter de Metz a Givet. 11 commit encoré ici
une fante capitale, qui, s'il avait eu moins de
force d'esprit et de sang-froid , eüt entrainé
la perte de la campagne. Entre le Chelle-Po~
puleux et Grand-Pré setrouvait , avons-nous
dit, un passage secondaire, dont l'importance
avait été jugée tres-rnédiocre , et qui n'était dé-
fendu que par deux bataillons et deux esca-
drons. Accablé de soins immenses , Dumouriez




ASSEMDLÉE LÉGISLATIVE (J792 ) . iU7
n'était pas alIé juger par ses propres yeux de
ce passage. N'ayant d'ailleurs que peu de monde
ay placer, ji avait cru trop facilement que quel-
ques cents hommes suffiraient asa garde. Pour
comble de malheur , le colonel qui y comman-
dait, lui persuada qu'on pouvait méme retirer
une partie des troupes qui s'y trouvaient, et
qu'en brisant les routes, quelques volontaires
suffiraient a y maintenir la défensive, Dumou-
riez se laissa tromper par ce colonel, vieux
militaire et jugé digne de confiance.


Pendant ce temps, Brunswick avait fait exa-
miner nos divcrs postes, et il avait eu un mo-
ment le projet de longer la forét jusqu'a Sedan,
pour la tourner vers eette extrémité. Il parait
que, pendant ce mouvement , des espions résé-
lerent la négligence du général francais, La
Croix-aux-Bois fut attaquée par des Autrichiens
et des érnigrés commandés par le prince de
Ligue. Les abatis avaient a peine été com-
mencés, les routes n'étaient point brisées , et
le passage fut occupé sans résistance des le
13 au matin. A peine Dumouriez eut-il appris
eette funeste nouvelle , qu'il envoya le général
Chasot, homme d'une grande bravoure , avec
deux brigades , six escadrons et quatre piéces
de huit , pour occuper de nouveau le passage ,
et en chasser les Autrichiens. II ordonna de




108 RÉVOLUTlON FRANetAISE.
Ies attaquer ala baionnette avec la plus grande
vivaoité, et avant qu'ilseussent trouvé le temps
de se retrancher. La journée du I3 s'écoula,
et celle du J 4 se passa encore sans que le gé-
néral-Chasot püt exécuter cet ordre. Le J 5 ,
enfin , il attaquaavec vigueur , repoussa l'en-
nemi, et lui fit perdre le poste et son chef, le
prince de Ligne. Mais, attaqué deuxheures
aprés Iui-méme par des {orces tres - supérieu-
res, et avant d'avoir pu se retrancher, il fut
repoussé de nouveau , et entierement dépos-
sédé de la Croix-aux-Bois. Chasot était en outre
coupé de Grand - Pré, et ne pouvait se re-
tirer vers l'armée principale, qui se trouvait
ainsi affaiblie. Il se replia aussitót sur Vouziers.
Le général Dubouquet, commandant au Chéne-
Populeux, et heureux jusque-lá dans sa résis-
tance , se voyant séparé de Grand-Pré, pensa
qu'il ne fallait pas s'exposer a étre enveloppé
par l'ennemi, qui, ayant conpé la ligne a la
Croix-aux-Bois , allait déboucher en masse, Il
résolut de décamper, et de se retirer par Attigny
et Somme-Pnis, sur Chálons, Ainsi le fruit de
tant de combinaisons hardies et de hasards
heureux, était perdu; le seul obstacle qu'on
püt appaser a I'invasion , l'Argonne, était fran-
chi , et la route de París était ouverte.


Dumouriez , séparé de Chasot et de Dubou-




ASSElVlBLÉE LÉGJ&J,ATIVE (1792). 109
quet, n'avait plus qUt} quiuze miUe hommes;
et si l'ennemi, débouchant rapidement par la
Croix-aux-Bois , tournait la position de Grand-
Pré, et venait occuper les passages de l'Aisne ,
qui , avons-nous dit, servaient d'issue aux der-
rieres du camp , le généra,l franeais était perdu.
Ayant quarante mille Prussiens en tete, vingt-
cinq mille Autrichiens sur ses derriéres, enfer-
mé ainsi avec quinze mille hommes par soixante-
cinq mille, par deux cours d'eau et la forét , il
n'avait plus qu'a mettre has les armes, ou a
faire tuer inutilement jusqu'au dernier de ses
soldats. La aeule armée sur laquelle comptait
la France était alors anéantie , et les coalisés
pouvaient prendre la route de la capitale.


Dans cette situation désespérée , le général
ne perdit pas courage, et conserva un sang-
froid admirable. Son premier soin fut de songer
le jour méme ala retraite , cal' le plus pressant
était de se soustraire aux fourches Caudines.
Il considéra que par sa droite il touchait a
Dillon , maitre encore des IsIettes et de la route
de Sainte-Menehould ; qu'en se repliant sur les
derrieres de celui-ci , et appuyant son dos contre
le sien, ils feraient tous deux face a l'enneroi,
l'un aux Islettes, 1'autre aSainte-Menehould , et
présenteraient ainsi un doublefront retranché.
La ils pourraient attendre la jonction des deux




] I u RBVOLUTI?N Fl\AN~AISE.
généraux Chasot et Dubouquet, détachés du
corpsde hataille, celle de Beurnonville, mandé
de Flandre pour étre le ] 3 aRethel, ceHe en-
fin de Kellermann, qui, étant depuis plus de
dix jours en marche, ne pouvait tarder d'ar-
river. Ce plan était le meilleur et le plus consé-
quent au systeme de Dumouriez ,qui consistait
a ne pas reculer a l'intérieur, vers un pays ou-
vert , mais a se tenir dans un pays difficile, a
y temporiser , etá se mettre en position de
faire sa .jonction avec l'armée du centre. Si,
au contraire, iI s'était replié sur Chálons , il
était poursuivi comme fugitif; iI exécutait avec
désavantage une retraite qn'il aurait pu faire
plus utilement des l'origine, et surtout iI se
mettait dans l'impossibilité d'étre rejoint par
Kellermann. e'était une grande hardiesse , apres
un accident tel que ceIui de la Croix-aux-Bois,
de persister dans son systeme , et iI fallait , dans
le mornent , autant de génie que de vigueur
pour ne pas s'abandonner au conseil ,si répété,
de se retirer derriere la Marne. Mais que de
hasards heureux He íallait-il pas encore pour
réussir dans une retraite si difíicile , si surveil-
lée, et faite avec si peu de monde, en présence
d'un ennemi si puissant !


Aussitót il ordonna a Beurnonville , déjá di-
rigé sur Rethel, a Chasot, dont il venait de




ASSEMBLÉE LÉGISLATl\'E (1792). JI r
recevoir des nouvelles rassurantesva .Dubou-
quet, retiré sur Attigny, de se rendre tous a
Sainte -Menehould. En mérne temps il manda
de nquveau aKellermann de continuer sa mar-
che; cal' il pouvait craindre que Kellermann,
apprenant la perte des défilés , ne voulút re-
venir sur Metz. Apres avoir fait toutes ces dis-
positions, aprés avoir recu un offieier prussien
qui demandait aparlementer, et lui avoir mon-
tré le camp dans le plus grand ordre, il tt
détendre a minuit, et marcher en silence vers
les deux ponts qui servaient d'issue au camp
de Grand-Pré. Par bonheur pour lui, l'enne-
mi n'avait pas encore songé a pénétrer par la
Croix - aux- Bois , et a déborder les positions
fnancaises. Le ciel était orageux, et couvrait
de ses ombres la retraite des Francais. 00 mar-
cha toute la nuit par les chemins les plus rnau-
vais, et l'armée, qui heureusement n'avait pas
eu le temps de s'alarrner , se retira sans con-
naitre le motif de ce changement de position.
Le lendemain J 6, a huit heures du matin,
toutes les troupes avaient traversé l'Aisne;
Dumouriez s'était échappé , et il s'arrétait en
hataille sur les hautcurs d'Autry , a quatre
lieues de Grand-Pré. Il n'était pas suivi , se
croyait sauvé, et s'avancait aDammartin-sur-
Hans, afin cl'y choísir un campement pour




r 1 2 RÉVOLUTION i'RANC;;:AISE.
la j(H~née, lorsque tout-a-coup il entend les
fuyards accourir el crier que tout est perdu,
que I'ennerni, se jetant sur nos derriéres , a mis
l'armée en déroute. Dumouriezaccourt , re-
tourne a son arriere-garde , et trouve le Péru-
vien Miranda et le vieux généralDuval, arrétant
les fuyards, rétablissant avec heaucoup de fer-
meté les rangs de l'armée, que des hussards
prussiens avaient un instant surprise et trou-
hlée. L'inexpérience de ces jeunes troupes, et
la crainte de la trahison , qui alors remplissait
tOQS les esprits, rendaient les terreurs paniques
tres-fáciles et tres-fréquentes. Cependant tout
fut réparé, grace aux trois généraux Miranda,
Duval et Stengel, placés a I'arriére-garde, On
bivouaqua a Dammartin avec l'espérance de
s'adosser hientót aux lslettes, et de terminer
heureusement cette périlleuse retraite.


Dumouriez était depuis vingt heures a che-
val. 11 mettait pied aterre asix heures du soir,
lorsque tout-á-coup il entend encore des cris
de sauve qui peul, des imprécations contre les
généraux qui trahissaient, et surtout centre le
général en chef, qui venait , dit-on , de passer
a l'ennemi. L'artillerie avait attelé et voulait se
réfugier sur une hauteur: toutes les troupes
étaient confondues. Il fit allumer de grands
feux, et ordonna qu'on restát snr place toute




ASSI':MBLÉE LÉGISLATIVJ<: (1792). 1 13
la nuit. On passa ainsi dix heures dans les boues
et l'obscurité, [Plus de quinze cents fuyards ,
s'échappant a travers les campagnes, allerent
répandre a París et dans toute la France, que
l'armée du Nord, le dernier espoir de la pa-
trie, était perdue, et livrée a l'ennemi.


Des le lendemain tout était réparé. Dumou-
riez écrivait a I'assemblée nationale avec son
assurance ordinaire: « J'ai été obligé d'abandon-
« ner le camp de Grand-Pré. La retraite était
« faite, lorsqu'une terreur panique 5'est mise
« dans l'armée; dix mille hommes ont fui de-
« vant quinze cents hussards prussiens. La perte
« ne monte pas aplus de cinquante hommes et
« quelques bagilges. TOUT EST nÉPARÉ, ET lE
« RÉPONDS DE TOUT. » Il ne fallait pas moins que
de telles assurances pour calmer les terreurs
de Paris et du conseil exécutif, qui allait de
nonveau presser le genéral de passer la Marne.


Sainte-Menehould , oii marchait Dumouriez ,
est-placé sur l'Aisne, I'une des deux rivieres
qui entouraient le camp de Grand-Pré, Du-
mouriez devait done en remonter le cours, et ,
avant d'y parvenir , il avait a franchir trois
r-uisseaux assez profonds qui viennent s'y cono.
fondre, la Tourbe,la Bionne et l'Auve. Au-dela
de ces trois ruisseaux se trouvait le camp qu'il
allait occupcr. Au-devant de Sainte-Menehould


JII. 8




J .4 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
s'élévent circulairement deshauteurs de trois
quarts de lieue, A leur pied s'étend un fonds
dans lequel l'Auve forme des maréeages avant
de se jeter dans I'Aisne. Ce fonds est bordé a
droite par les hauteurs de I'Hyron, en face par
celles de la Lune , el a gauche par celles de
Gisancourt. Au ~entre du bassin se tronvent
différentes élévations, inférieures cependant a
celles deSainte-Menehould. Lé moulin de Valmy
en est une, el il fait immédiatement face aux
coteaux de la Lune. Lagranderoute de Chálons
a Sainte-Menehould passe a travers ce bassin,
presque parallelement au cours de l'Auve. C'est
a Sainte-Menehould et au-dessus de ee bassin
que se placa Dumouriez. 11 6t occlIper autour
de lui les positions les plus importantes, et ap-
puya le dos contre Dillon, en lui recomman-
dantde tenirferme eontre l'ennemi. Il occupait
ainsi la grande route de Paris sur troW points:
les Islettes, Sainte-Menehould et Chálons.


Cependant les Prussiens pouvaient, en pé-
nétrant par Grand-Pré, le laisser a Sainte-Me-
nehould, et courir a Chálons. Dumouriez or-
donna done aDnbouquet, dont il avait appris
l'heureuse arrivée a Chálons, de se placer,
avec sa division, au camp de l'Épine, d'y réu-
nir tons les volontaires nouveHement arrivés ,
afin de couvrir Chálons eontre un coup de




ASSEMBLÉE LÉGISLATlVE (1792). ] [5
main. Il fut rejoint ensuite par Chasot , et en-
fin par Beurnonville. Celui-ci s'était porté le
15 a la vue de Sainte-Menehould, Voyant une
armée en bon ordre , il avait supposé que c'é-
tait l'ennemi, cal' il ne pouvait croire que Du-
mouriez, qu'on disait battu, se fút sitót et si
bien tiré d'embarras. Dans cette idée , il s'était
replié sur Chálons, et la, informé de la vérité ,
il était ievenu, et avait pris position le 19 a
Maffrecourt, sur la droite du campo Il amenait
ces dix mille braves, que Dumouriez avait
pendant un mois exercés, dans le camp de
Maulde, a une continuelle guerre de postes.
Renforcé de Beurnonville et de Chasot, Du-
mouriez pouvait compter trente-cinq mille horn-
mes. Ainsi, grace a sa fermeté et a sa pré-
senee d'esprit, il se retrouvait plaeé dans une
position tres-forte, et en état de temporiser en-
core assez long-temps. Mais si l'ennemi plus
prompt le laissait en arriere , et courait en
avant sur Chálons., que devenait son camp de
Sainte-Menehoulcl? C'était toujours la méme
erainte; et ses précautions , au camp de l'É-
pine, étaient loin de pouvoir prévenir un dan-
gel' pareil.


Deux mouvements s'opéraient trés-lentement
autour de luí : celui de Brunswick, qui hési-
tait dans sa marche, et celui de Kellermann,


s.




110 RÉVOLUTION FRAN<;ATSJ-:.


qui, parti le ti de Metz , n'était pas encoré ar- #
rivé au point convenn, apres quinze jours de
route. Mais si la lenteur de Brunswick servait
Dumouriez, celle de Kellermann le compromet-
tait singuliérement. Kellerrnann , prudent et ir-
résolu, quoique, trés-hrave , avait tour-a-tour
avancé ou reculé, suivant les marches de l'ar-
mée prussienne; et le 17 encore, en apprenant
la perte des défilés , il avait fait un mouvement
en arriere. Cependant le 19 au soir il fit aver-
tirDumouriez qu'il n'était plus qu'a deux lieues
de Sainte-Menehould. Dumouriez lui avait ré-
servé les hauteurs de Gisaucourt, placées asa
gauche, et dominant la route de Chálons et
le ruisseau de l'Auve. Il lui avait mandé que;
dans le cas d'une bataille, il pourrait se dé-
ployer snr les hauteurs secondaires, et se por-
ter sur Valmy, au-dela de l'Auve. Dumouriez
n'eut pas le temps d'aller placer lui-méme son
collegue. Kellermann, passant l'Auve le 19dans
la nuit , se porta aValmy au centre du bassin,
et négligea les hauteurs de Gisaucoutt, qui
formaient la gauche du camp de Sainte-Mene-
hould, et dominaient celles de la Lune , sur
lesquelles arrivaient les Prussiens.


Dans ce moment, en effet, les Prussiens ,
débouchant par Grand-Pré, étaient arrivés en
vue de l'armée francaise , et, gravissant les




ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE (1792). J 17
hauteurs de la Lune, découvraient déja le ter-
rain dont Dumouriez occupait le sommet. Re-
noncant a une course rapide sur Chátons , i1s
~ étaient joyeux, dit-on , de trouver réunis les


deux généraux franeais , afin de pouvoir les
eulever d'un seul coup. Leur but était de se
rendre maitres de la route de Chálons, de se
porter a Vitry, de forcer Dillon aux Islettes,
d'entourer ainsi Sainte -Menehould de toutes
parts, et d'obliger les deux armées a mettre
has les armes.


Le 20 au rnatin , KeBermann, qui , au líen
d'occuper les hauteurs de Gisaucourt , s'était
porté au centre du hassin , sur le moulin de
Valmy, se vit dominé en face par les hauteurs
de la Lune, occupées par l'ennemi. D'un coté,
il avait I'Hyron, que les Francais tenaient en
leur pouvoir, mais pouvaient perdre; de l'au-
tre Gisaucourt, qu'il n'avait pas occupé , et oú
les Prussiens allaient s'établir. Dans le cas d'une
défaite , il était rejeté dans les marécages de
l'Auve, placés derriére le moutin deValmy, et
il pouvait étre écrasé avant d'avoir rejoint Du-
mouriez, dans le fond de cet amphithéátre.
Aussitot il appela son collegue aupres de lui.
Mais le roí de Prusse , voyant un grand mou-
vementdans l'armée írancaise , et croyant que
le projet des généraux était de se porter sur




I 18 • RÉVOLUTION .FRAN~AISE.
Chálons., voulut-aussitót en fermer le chemin,
et ordonna l'attaque. L'avant-garde prussienne
rencontra sur la route de Chálons Iavant-garde
de Kellerrnann , qui se trouvait avec son COl:pS
de bataille sur la hauteur de ValmY. On s'a-
borda vivement , et les Francais , repoussés
d'abord., furent ramenés et soutenus. ensuite
par les carabiniers du général Valence. Des
hanteurs de la Lune, la canonnade s'engagea
avec le moulin de Valmy, el notre artillerie
riposta vivement a celle des Prussiens.


Cependant la position de Kellermann était
tres-hasardée ; ses troupes étaient toutes eatas-
sées confusément sur' la hauteur de Valmy, et
trop mal a l'aise pour y combattre. Des hau-
t~UI'S de la Lune, on le canonnaitrdecellestde
Gisaucourt , un .feu établi par les Prussiens
maltraitait sa gauche; I'Hyron, qui flanquait
sa droite, était a la vérité occupé par les Fran-
cais ; mais Clerfayt; attaquant ce poste avec
vingt-cinq mille Autrichiens , pouvait s'en em-
parer : alors, foudroyé de toutes parts, Keller-
mann pouvait étre rejeté de Valmy dans rAuve1
sans que Dumouriez pút le secourir. Celui-ci
envoya aussitót le général Stengel avec une
forte divisionpour maintenir les Francais sur
l'Hyron, et y garantir la droite.de Valmy; il
enjoignit aBeurnonville d'appuyer Stengelavec




ASSEIUBLÉE LÉGlSLATIVE (179 2 ) . 119
seize bataillons ; il dépécha Chasot avec neuf
bataillons et huit escadrons sur la route de
Chálons , pour occuper Gisaucourt et flanquer
la gauche de Kellermann. Mais Chasot , arrivé
pres de Valmy, demanda les ordres de Keller-
mann au lieu de se porter sur Gisaucourt, et
laissa aux Prussiens le temps de l'occuper, et
d'y établir un feu meurtrier pour nous. Cepen-
dant, appuyé de droite et de gauche, Keller-
mano pouv aitsesoutenirsurlemoulindeValmy.
Malheureusement un obus tombé sur un cais-
son le lit sauter, et mit le désordre dans l'in-
fanterie; le canon de la Lune l'augmenta en-
core, et déja la premiere ligne commencait a
plier. Kellermann, apercevant ce mouvement,
accourut dans les rangs, les rallia, et rétablit
I'ordre, Dans cet instant, Brunswick pensa qu'il
faHait gravir-la hauteur, el culhuter avec la
baionnette les troupes francaises.


Il était midi. Un brouillard épais qui , jusqu'a
ce moment, avait enveloppé les deux armées,
était dissipé; elles s'apercevaient distinctement,
et nos jeunes soldats voyaient les Prussiens
s'avancer sur trois colonnes, avec l'assurance
de troupes vieilles et aguerries. C'était puur la
premiare fois qu'ils se trouvaient au nombre
de cent mille hommes, sur le champ de ha-
taille , el qu'ils allaient croiser la baíonnette.




120 aÉYOLUTION FRANCAlSE•
.


Ils ne connaissaient encore ni eux ni l'ennemi,
et ils se regardaient avec inquiétude. Keller-
mano entre dans les retranchements , dispose
ses troupes par colonnes d'un bataillon de
front, et Ieur ordonne, lorsque les Prussiens
seront aune certaine distance , de ne pas les
attendre, et de courir au-devant d'eux a la
baionnette. Puis il éleve la voix et crie : Vive
la nation l - On pouvait dans cet instant étre
brave ou láehe. Le cri de vive la nation ne fait
que des braves, et nos jeunes soldats, entrai-
nés, marchent en répétant le cri de uioe la
nationl A cette vue, Brunswick, qui ne tentait.
l'attaque qu'avec répugnance,et avec unegrande
crainte du résultat , hésite, arrete ses colon-
nes , et finit par ordonner la rentrée au campo


Cette épreuve fut décisive. Des ce moment ,
on erut a la valeur de ces savetiers , de ces
tailleurs , qui composaient l'armée francaise
d'apres les émigrés. On avait vu des hommes
équipés, vétus et braves; on avait vu des of-
ficiers décorés et pleins d'expérience; un gé-
néral Duval, dont la belle taille, lescheveux
blanchis inspiraient le respect; Kellerrnann ,
Dumouriez enfin, opposant tantde constance
et d'habileté en présence d'un ennemisi supe-
rieur, Dans ce moment, larévolution fraucaise
fut jugée, et ce chaos.jusque-la ridicule, n'appa-




A.SSEMJlLÉE LÉGISLATIVE (1792). J 2 I
rut plus que comme un terrible élan d'énergie.


A quatre heures, Brunswick essaya une nou-
velle attaque. L'assurance de nos troupes le
déconcerta encore, et il replia une seconde fois
ses colonnes. Marchant de surprise en surprise ,
trouvant faux tout ce qu'on lui avait annoncé,
le général prussien n'avancait qu'avec la plus
grande circonspection, et, quoiqu'on lui ait
reproché de n'avoir pas poussé plus vivement
l'attaque et' culbuté Kellermann , les boris ju-
ges pensent qu'il a eu raison. Kellermánn , sou-
tenu de droite et de gauche par toute l'armée
francaise , pouvait résister; et si Brunswick , en-
foncé dans une gorge et dans un pays détesta-
ble, eút été battu une fois , il risquait d'étre en-
tierement détruit. D'ailleurs il avait, par le
résultat de la journée , occupé la route de Chá-
lons : les Francais se trouvaient coupés de leur
dépót, et il espérait les obliger a quitter leur
position dans quelques jours.-Il ne considérait
pas que, maítres de Vitry, ils en étaient qui ttes
pour un détour plus long, et pour quelques
délais dans l'arrivée de leurs convois.


Telle fut la célebre journée du 20 septembre
17~2 , oú furent tirés plus de vingt milIe coups
de éanon,et appelée depuis CANONNADE DE
VALIUY. La perte fut égale des deux cótésiet
s'éleva pour chaque armée ahuit ou :neuf cents




J 22 RÉVOLUTIO~ FRANC;:AlSE.
hommes. Mais la gaieté et I'assurance régnaient
dans le camp francais , et les reproches, le re-
gret, dans celui des Prussiens. On assure que
dans la soirée méme les émigrés recurent les
plus vives remontrances du roi de Prusse, et
qu'on, vil diminuer l'influence de Caloune , le
plus présomptueux des ministres émigrés, el
le plus fécond 'en promesses exagérées et en
renseignements démentis.


Dans la ~bit méme , Kellermann repassa
l'Auve a petit bruit , et .vint camper sur les
hauteurs de Gisaucourt , qn'il aurait du occu-
per des l'origine, et dont les Prussiens avaient
profité dans la journée. Les Prussiens demeu-
rérent sur les hauteurs de la Lune. Dans le
fond .opposé se trouvait Dumouriez , et a la
gauche de celui-ci Kellermann, sur les -han-
teurs qu'il venait dereprendre. Dans cettepo-
sition singuliere , les Francais , faisant face ala
France, semhlaient I'envahir , et les Prussiens,
qui étaieritappuyés contre elle, semblaient la
défendre. C'est ici que commenca , de la par!
de Dumouriez, une nouvelle suite d'actes pleins
d' énergie el de ferrneté, soit contre l'ennemi ,
soit contre sespropres officiers et eontre l'au-
torité francaise. Avec pres de soixante-dix mille
hommes de troupes, dans un hon eamp, ne
manquant pa~ de vivres , ou du moins rare-




ASSEMBLEE LÉGISLATIVE (1792.). ] 23-
ment, il pouvait attendre. Les Prussiens al)
contraire manquaient de subsistances; les ma-
ladies commencaient a ravager leur armée, et
dan s eette situation ils perdaient beaueoup a
temporiser. Une saison affreuse, au milieu d'un
terrain argileux et humide, ne leur permettait
pas de séjourner long-temps. Si, reprenant
trop tard l'énergie et la célérité de l'invasion ,
ils voulaient marcher sur Paris, Dumouriez
était en force pour les suivre, et les envelopper
lorsqu'ils seraient engagés plus avant.


Ces vues étaient pleines de justesse et de
prudence. Mais dans le <;amp ,-. oú les officiers
s'ennuyaient des privations, et oú Kellermann
était peu satisfait de subir une autorité supé-
rieure ; aParis, oú ron se sentait séparé de la
principale armée , et oú ron n'apercevait rien
entre soi etles Prussiens , oú ron voyait méme
les hulans arriver ~quinze lieues , depuis que
la forét de I'Argonne ..était ouverte, on ne
pouvait approuver le plan de Dumouriez. L'as-
semblée, le. conseil se plaignaient de son ente-
tement , luí éorivaient les lettres les plus impé-
rativespour lui [aire abandonner sa position ,
et ,repas~er la Mame. Le camp a Montmartre,
et une armée.entre Chálons et Paris , étaient. l~
double ..empart qu'il fallait aux imaginationa
épouva'lté,c!\.LtN hulans vous harcélent., eeri-





J 24 RÉVOLUTION FRAN<';AIS.E.
vait Dumouriez , eh bien! tuez-les ; cela ne me
regarde paso le ne changerai pas mon plan
pour des housardailles. Cependant les instan-
ces et les ordres n'en continuaient pas moins.
Dans le camp, les officiers ne cessaient pas de
faire des observations. Les soldats seuls, sou-
tenus par la gaieté du général, qui avait soin
de parcourir leurs rangs , de les encourager, et
de leur expliquer la position critique des Prus-
siens, les soldats supportaient patiemment les
pluies et les privations. Une fois Kellermanu
voulut partir, et il .fallut que Dumouriez,
comme Colomb demandant encere quelques
jours ason équipage, prornit de décamper si',
dans un nombre de jours donnés, les Prussiens
ne battaient pas en retraite.


La belle armée des coalisés .se trouvait en
effet dans un état déplorable; elle périssait par
la disette, et surtout par le crueleffet de la
dyssenterie. Les dispositions de Dumouriez y
avaient contribué puissamment. Les tirailleries
sur le front du camp étant jugéesinutiles par-
ee qu'elles n'aboutissaient a aucun résultatvil
fut convenu entre les deux armées de les sus-
pendre; mais Dumouriez stipula 'fll1ece serait
sur le front seulement.i'Aussitót il détacha
toute sa eavalerie, surtout celledenouvelle le-
vée, dans les ·pays environnants, afin d'inter-




AssE~InLÉE I.ÉGISLATIVE (1792). 125
cepter les convois de l'ennemi , qui., étant ar-
rivé par la trouée de Grand-Pré, et ayant re-
monté l'Aisne pOl\r suivre notre retraite, était
ohligé de faire suivre les mémes détours a ses
approvisionnements. Nos cavaliers avaient pris
gout a cette guerre lucrative , et la poursui-
vaient avec un grand succes. On était arrivé
aux derniers jours de septembre; le mal de-
venait intolérable dans I'armée prussienne, et
des officiers avaient été envoyés au eamp fran-
cais POUI' parlementer. D'abord il ne fut ques-
tion que d'échanger des prisonniers; les Prus-
siens dernanderent aussi le bénéfice'de l' échange
pour les émigrés, mais on le leur refusa. Une
grande politesse avait régné de part et d'autre.
De l'échange des prisonniers, la eonversation
s'étaient reportée sur les rnotifs de la guerre,
et , du coté des Prussiens, on avait presque
avoué que la guerre était impolitique. Le ca-
ractere de Dumouriez reparut ici tout entier.
N'ayant plus acombattre, il faisait des mémoi-
res pour le roi de Prusse , et lui démontrait
combien il lui était peu avantageux de s'unir
a la maison d'Autriche contre la France. En
méme temps, il lui envoyait douze livres de
café, les seules qui restassent dans les deux
camps. Ses mémoires, qui ne pouvaient man-
qner d'étre appréciés , furent néanmoins tres-




'126 RivOLUTION FRANºAISE.


mal accueillis, et devaient l'étre. Brunswick
répondit au nom du roí de Prusse par une oé-
-claration aussi arrogante que le premier mani-
feste, et toute négociation fut rompue. L'as-
sernblée , consuitée par Dumouriez, répondit ,
comme le sénat romain, qu'on ne traiterait
avecl'ennemi quelorsqu'il serait sorti deFrance.


Ces négociations n'eurent d'autre effet que
de faire calomnier le général, qu'on soup~onna
des lors d'avoir des relations secretes avec I'é-
tral~ger, et de ·lui attirer quelques dédains af-
fectés de la part d'un monarque orgueilleux et
humilié du résultat de la guerreo Mais tel était
Dumouriez : avec tous les genres de courage,
avec tous les gen res d'esprit , il manquait de
cette retenue, de cette dignité qui impose aux
hommes, tandis que le génie ne fait que les
saisir, Cependant, ainsi que l'avait prévu le gé-
néral francais, des le le' octobre les Prussiens,
ne pouvant plus résister a la disette et aux
maladies, commencerent a décamper. Ce fut
en Europe un grand sujet d'étonnement, de
conjectures, de fables, que de voir une armée
si puissante , si vantée, se retirer humblement
devant ces ouvriers et ces bourgeois soulevés ,
qui devaient étre ramenés tambour battant
dans leurs villes, et chátiés pour en étre sortis.
La faiblesse avec laquelle furent poursuivis les




"


ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE (1792)~ 127
Prussiena.Fespece d'impunité dont ils jouirent
en repassant les défilés de l'Argonne, firent
supposer des stipulations secretes, et mérne
un marché avec le mi de Prusse. Les faits mi-
litaires vont expliquer, mieux que toutes ces
suppositions , la retraite des coalisés. •


Bester dan s une position aussi malheureuse
n'était plus possible. Envahir était devenu in-
tempestif, par une saison aussi avancée et aussi
mauvaise. La seule ressource était done de se
retirer vers le Luxembourg et la J...orraine , et
de s'y faire une forte base d'opérations, pour
reeommencer la campagne l'année suivante.
D'ailleurs on a lieu de eroire qu'en ee moment,
Frédéric-Guillaume songeait aprendre sa part
de la Pologne; ear c'est alors que ee prince ,
aprés avoir excité les Polonais contre la RUS4>ie_
et l'Autriche, s'apprétait a partager leurs dé-
pouilles. Ainsi l'état de la saison el des lieux,
le dégoút d'une entreprise manquée , le regret
de s'étre allié contre la France avec la maison
d'Autriche , et enfin de nouveaux intéréts dans
le Nord, étaient chez le roi de Prusse des mo-
tifs suffisants pour déterminer sa retraite. Elle
se fit avec le plus grand ordre, ear cet en-
nemi, qui consentait a partir, n'en était pas
moins tres-puissant. Vouloir lui fermer tout-
a-fait la retraite, el l'obliger as'ouvrir un pas-




,,28 RÉVOLUTION FRANI;:AIS:E.
sage par une victoire, eüt été une imprudence
que Dumouriez n'aurait pas commise. Il fallait
se contenter de le harceler, et c'est ce qu'il fit
ave e trop peu d'activité , par sa faute et celle
de Kellermanu.


Le dauger était passé , la campagne finie , et
chacun était rendu a soi et a ses projets.
Dumouriez songeait ason entreprise des Pays-
Bas, Kellermann a son commanclement de
Metz , et la poursuite des Prussiens n'obtint
plus des deux généraux l'attention qu'elle mé-
ritait. Dumouriez envoya le général d'Harville
au Chéne-Populeux pour chátier les émigrés;
ordonna au général Miaczinski de les attendre
a Stenay, au sortir du passage, pour achever
de les détruire ; dépécha Chasot dn meme coté
pour occuper la route de Longwy; placa les
généraux Beurnonville, Stengel et Valence avec
plus de vingt-cinq mille hommes sur les der-
rieres de la grande armée, pour la poursuivre
avec vigueur , et en mérne temps enjoignit a
Dillon ,qui s'était toujours maintenu aux Is-
lettes avec le plus grand honheur, de s'avancer
par Clermont et Varennes, afin de couper la
route de Verdun. Ces dispositions étaient bon-
nes sans doute, mais elles auraient dú étre
exéeutées par le générallui-meme; il aurait du,
suivant le jugement tres-juste et tres-élevé de




ASSl'MRLÉE LHCISLATIVE (1792). 129
M. Jomini, foudre directement sur le Rhin, et
le descendre ensuite avec eoute son armée.
Dans ce moment de succés , renversant tout
devant lui, il aurait conqnis la Belgíque en'
une marche. Mais íl songeaít a venir a Paris
pour préparer une invasion par Lille. De leur
coté, les trois généraux Stengel , Beurnonville
et Valence ne s'entendirent pas assez bien, et
ne poursuivirent que faiblement les Prussiens.
Valence, qui dépendait de Kellermann, recut
tout-á-coup l'ordre de revenir joindre son gé-
néral a Chálons , afin de reprendre la route de
Melz. 11 faut convenir que le mouvement
était singnlierement imaginé, puisqu'il rame-
nait Kellerrnann dans l'intérieur, pour repren-
dre ensuite la route de la frontiére lorraine.
La route naturelle était en avant par Vitry ou
Clermont, et elle se conciliait avec la pour-
suite des Prussiens , telle que l'avait ordonnée
Dumouriez. A peine celui-ci connut-il l'ordre
donné a Valence, qu'il lui enjoígnit de pour~
suívre sa marche, disant que tant que dure-
rait la jonction des armées du nord et du
centre, le commandement supérieur lui ap-
partiendrait a lui seul. Il s'en expliqua tres-
vivement avec Kellermann , qui revint sur sa
premiere détermination , et consentit a pren-
dre sa route par Sainte-Menehould et Clermont.


III. 9




.30 R~VOLUTlON FRANVAISE.
Cependant la poursuite ne s'en fit ras rnoins
avec beaucoup de mollesse. Dillon seul harcela
les Prussiens avec une bouillanteardeur., et
faillit méme se faire hattre en s'élancant trop
vivement sur leurs traces.


Le désaccord des généraux, et leurs distrae-
tions personnelles apres le dangel' , furent évi-
demment la seule cause qui procura une re-
traite si facile aux Prussiens. On a prétendu
que leur départ avait été acheté, qu'il avait
été payé par le produit d'un grand vol dont
nous allons parler, qu'il était convenu avec
Dumouriez, et que l'une des stipulations du
marché était la libre sortie des Prussiens ; en-
fin que Louis XVI l'avait demandé du fond de
sa prison. On vient de voir que cette retraite
peut étre suffisamment expliquée par des mo-
tifs naturels; mais bien d'autres raisons encore
démoutreut I'absurdité de ces suppositions.
Ainsi il n'est pas croyable qu'uu monarque,
dont les vices n'étaient pas ceux d'une vile cu-
pidité, se soit laissé acheter ; on ne voit pas
pourquoi , daos le cas d'une convention , Du-
mouriez ne se serait pas justifié, aux yeux des
militaires , de n'avoir pas poursuivi l'ennemi,
en avouant un traité qui n'avait ríen de hon-
teux pour lui ; enfin le valet de chambrc du
roí, Cléry, assure que rien de semblahle a




ASSEMnLJ~F. LÉGISLATIVE (1792). 131
la prétendue lcttre adressée par Louis XVI a
Frédéric-Guillaume , et transmise par le pro-
cureur de la commune Manuel, n'a été éerít
et donné a ce dernier. Tout cela n'est done
que mellsonge, et la retraite des coalisés ne
fut que l'efEet naturel de la guerreo Dumou-
riez, malgré ses fautes ~ malgré ses distraetíons
a Grand-Pré, malgré sa négligenee au mo-
ment de la retraite , n'en fut pas moins le sau-
veur de la France, el d'une révolution qui a
peut-étre avancé l'Europe de plusieurs siecles.
C'est lui qui , s'emparant d'une armée désor-
ganisée, défiante, irritée, lui rendant l' ensem-
ble et la confiance, établissant sur toute cette
frontiere l'unité et la vigueur, ne désespérant
jamais au milieu des circonstances les plus
désastreuses , donnant apres la perte des défi-
Iés un exemple de sang-froid inouí , persis-
tant daos ses premieres idées de temporisa-
tion malgré le péril, malgré son armée et son
gouvernement, d'une maniere qui prouvc la
viguenr de son jngement et de son caractere ;
c'est lui, disons-nous , qui sauva notre patrie
.de l'étranger et du eourroux contre-révolu-
tionnaire, et donna l'exemplc si imposant
d'un homme sauvant ses coneítoyens malgré
eux-mémes, La conquéte , si vaste qu'elle soit,
n'est ni plus belle ni plus morale,




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ASSEMBLÉR LÉCISLATlVE (1792). 133


CHAPITRE 111.


Nouveaux massaeres des prisonniers aVersailles. - Abus
de pouvoir et dilapidations de la commune. - Élec-
tions des députés a la convention. - Composition de
la dépuration de Paris. - Position el projets des gí-
rondins ; caractére des chefs de ce parti; du fédéralisme.
-État du parti parisicn el de la commune.c-Duvertuee
de la convention nationale le 20 septembre 1792.; abo-
lition de la royauté; établissement de la république.-
Premiére lutte des girondins et des montagnards; dé-
nonciation de Robespierre et de -Marat. - Déclaration
de I'unité et de l'indivisibilité de la république. -Dís-
tribntion et forces des partis, dans la convention, -
Changements dans le POUVOil' exécutif. - Danton quitte
son ministére. - Création de divers comités adminis-
tratifs et dn comité de constitution,


TANDIS que les armées francaises arrétaient la
marche des coalisés, París était toujours dans
le trouble et la coilfusion. On a déja été témoin
des débordements de la commurie , des fureurs
si prolongées de septemhre, de l'impuissance




134 nÉVOLUTION FRANC:A ISf..
des autorités et de l'inaction de la force pu-
blique, pendant ces journées désastreuses : on
a vu avec quelle audace le comité de surveil-
lance avait avoué les massacres, et en avait
recommandé l'imitation aux autres cornmunes
de France. Cependant les cornmissaires envoyés
par la commune avaient été partout repoussés,
paree que la Franee ne partageait pas les fu-
reurs que le danger avait excitées dans la ca-
pitale, Mais dans les environs de Paris, tous
les meurtres ne s'étaient pasbornés aceux dont
on a déjá tu le récit. Il s'était formé dans eette
ville míe troupe d'assassins que les massacres
de septembre avaient familiarisés avec le sang,
et qui avaient besoin d'en répandre encore.
Déjá quelques cents hommes étaient partís
pour extraire des prisons d'Orléans les accusés
de haute-trahison. Ces malheureux , par un
dernier décret , devaient étre conduits a Sau-
mur. Cependant leur destination fut changée en
route , et ils furent acherninés vers Paris, Le 9
septembre on apprit qu'ils devaient arriver le
J o aVersailles. Aussitót , soit qne de nouveaux
ordres fussent donnés a la bande des égor-
geurs, soit que la nouvelle de cette arrivée
suffit pour réveiller leur ardeur sanguinaire,
ils envahirent Versailles du 9 au 10. A l'instant
l;e bruit se répandit que de nouveanx massa-




ASSm\fIlLÜ LÉGISLATIVE (1 79·¿)' J 35
eres allaient étre commis. Le maire de Versailles
prit toutes les précautions ponr empécher de
nouveaux malheurs, Le président du tribunal
criminel conrut a Paris avertir le ministre
Danton du danger qui menacait les prison-
niers ; mais il n'obtint qu'une réponse a toutes
ses instances : Ces hommes-lá sont bien coupa-
bles.-Soit, ajouta le présidentAlquier, mais la
loi seu/e doit en faire justiee. - Eh! ne voyez-
vous pas, reprit Danton d'une voix terrible,
que jc 'vous aurais déjá répondu d'une autre
maniere si je le pouvais! Que vous importent
ces prisonniers? Retournez a vos fonetions et
ne vous occupez plus d'eux.....


Le .lendemajn , les prisonuiers arriverent a
Versailles, Une foule d'hommes inconuus se
précipiterent sur les voitures , parvinrent a les
entourer et a les séparer de l'escorte , renver-
serent de cheval le commandant Fournier,
enleverent le maire, qni voulait généreuse-
ment se faire tuer a son poste, et massacré-
rent les infortunés prisonniers, au nombre
de cinquante - deux, La périrent Delessart et
d'Ahaneour, mis en aceusati~n eomme mi-
nistres, et Brissac, comme chef de la garde
constitutionnelle, Iicenciée sous la législative.
lmmécliatement apres cette exécution, les as-
sassins cournrent aux prisons de la ville , et




136 REVOU1TlON }·nAN~AIs.E.
renouvelerent les scenes des premiers jours de
septembre, en employant les mémes moyens,
et en parodiant , cornme aParis , les formes
judiciaires. Ce dernier événement, arrivé a
ciuq jours d'intervalle du premier, acheva de
produire une terreur universelle, A Paris , le
comité de surveillance ne ralentit point SOIl
action: tandis que les prisons venaient d'étre
vidées par la mort, il recomrnenca a les rem-
plir en lancant de nouveaux mandats d'arrér.
Ces mandats étaieut en si grand nombre, que
le ministre de l'intérieur, Roland, dénoncant
a I'assemhlée ces nouveaux .actes arbitrai~es,
put en déposer ciuq a six cents sur le bureau,
les uns signés par une seule personne, les au-
tres par deux ou trois au plus, la plupart dé-
pourvus de motifs, et heaucoupfondés sur le
simple soupc;;on d'incivisme.


Pendant que la commune exereait ~a puis-
sanee a Paris, elle envoyaitdes cornmissaires
dans les départements. pour y justifier sa con-
duite, y conseiller son exemple, y recomman-
del' aux électeurs des députés de son choix,
et y décrier ceux qui la contrariaient dans
l'assemblée législative. Elle se procurait ensuite
des valeurs immeuses, en saisissant les s?mmes
trouvées chez le trésorier de la liste civile , Sep-
teuil , en s'emparant de l'argeuterie des églises




ASSEMBLÉE LÉGISLATJVE (1792.)· 137
et <In riche mobilier des émigrés , en se faisant
délivrer enfin par le trésor des sommes consi-
dérables , sous le prétexte de soutenir la caisse
de secours , et de faire achever les travaux du
campo Tous les effets'des malheureux massacrés
dans les prisons de Paris et sur la route de
Versailles avaient été séquestrés , et déposés
dans les vastes salles du comité de surveillance,
Jamais la commune ne voulut représenter ni


•les objets , ni leur valeur, et refusa rnéme toute
réponse a cet égard, soit au ministere de l'in-
térieur , soit au directoire du département,
qni, comme on sait , avait été converti en sim-
ple commission de contributions. Elle fit plus
encore, et elle se mit a.vendre de sa propre
autorité le mobilier des grands hótels , sur les-
quels les scellés étaieut restés apposés depuis
le départ des propriétaires. Vainement I'admi-
uistration supérieure lui faisait-elle des défen-
ses: toute la classe des subordonnés chargée
de I'exécution des ordres, ou appartenait a la
municipalité , ou était trop faíble pour agir.
Les ordres ne °recevaient ainsi aucune exécu-
tion.


La garde nationale, recomposée sous la
dénomination de sections armées et rernplie
d'hornmes de toute espece , était dans une dés-
orgauisation complete. Tantót elle se prétait




138 RJ<:VOLUTION FR AN~AISE.
au mal, tantót elle le laissait eommettrc par
négligenee. Des postes étaient compléternent
abandonnés , paree que les hornmes de garde,
n'étant pas relevés, méme apres quarante-huit
heures , se retiraient épuisés de dégoút et de
fatigue. Tous les eitoyens paisibles avaient
quitté ee eorps, naguére si régulier, si utile;
et Santerre , qui le commandait , était trap
faible et trop peu intelligent pou!' le réorga-
niser.


La süreté de París était done livrée au ha-
sard; et d'une part la commune, de l'autre la
populaee, y pouvaient tout entreprendre.
Parmi les dépouilles de la royauté, les plus
précieuses, et par conséquent les plus convoi-
tées, étaient celles que renfermait le Garde-
Meuble , riche dépót de tous les effets qui
servaient autrefois a la splendeur du tróne.
Depuis le JO aoút, ee dépót avait éveillé la
cupidité de la multitude , et plus d'une circons-
tance excitait la surveillance de l'inspecteur de
l'établissement. Celui-ci avait fait réquisitions
sur réquisitions pour obtenir une gardc suffi-
sante ; mais soit désordre , soit difficulté de
suffire a tous les postes, soit enfin négligence
volontaire, on ne lui fournissait point les for-
ces qu'il demandait, Pendant la nuit '4u 16
septernbre , le Garde - Meuble fut volé, et la


·




ASSEl\Tnn::E J.ÉGISLATIVE ('792). 139
plus grande partie de ce qu'il contenait passa
dans des mains inconnues , que l'autoritéfit
depuis d'inutiles efforts pour découvrir. On
attribua ce nouvel événement aux hornmes qui
avaient secretement ordonné les massacres. Ce-
pendant ils n'étaient plus exeités iei ni par le
fanatisme , ni par une poli tique sanguinaire; et,
enleur supposant le motif du vol, ils avaient
dans les dépóts de la commune de quoi satis-
faire la plus grande ambition. On a dit a la
vérité , qu'on fit cet enlevement pour payer la
retraite du roi de Prusse , ce qui est absurde ,
et pour fournir aux dépenses du parti, ce qui
est plus vraisemblable, mais ce qui n'est nul-
lement prouvé. Au reste, le vol du Garde-
1\'Ieubledoit pen influer sur le jugement qu'il
faut porter de la cornmune et de ses chefs. Il
n'en est pas moins vrai que, dépositaire de
valeurs irnrnenses , la commune n'en rendit
jamais aucun compte; que les scellés apposés
sur les armoires furent brisés, sans que les ser-
rures fussent forcées, ce qui indique une sous,
traetion et point un pillage popnlaire; et que
tant d'objets précieux disparurent a jamais.
Une partie fut impudemment volée par"'~es
subalternes, tels que Sergent, surnommé ABa.
the , acause d'un bijou précieux dont il-s'était
paré ; Hile antre partie servit aux frais (In gon-




140 RÉYOI,UTION FRANltAISE.
vernement extraordinaire qu'avait institué la
commune. C'était une guerre faite él l'aneienne
société, et toute guerre est souillée du meurtre
el du pillage,


Telle était la situation de París, pendant
qu'on faisait les élections pour la convention
nationale. C'était de cette nouvelle assemblée
que les citoyens honnétes attendaient la force
et l'énergie nécessaires pour ramener l'ordre :
ils espéraient que les quarante jours de con-
fusion et de crimes, écoulés depuis le 10 aoüt ,
ne seraient qu'un accident de l'insurrection ,
aeeident déplorable mais passager. Les députés
rnérne , siégeant avee tant de faiblesse dans
l'assemblée législative, ajournaient l'énergie a
la réunion de cette convention, esperance
commuue de tous les partis,


On s'agitait pour les élections daps la France
entiére. Les clubs exercaient a cet égard une
grande influence. Les jacobins de París avaient
fait imprimer et répandre la liste de tous les
votes émis 'pendant la session législative, afio
qu'elle servit de documents aux électeurs. Les
députés qui avaient voté contre les lois dési-
rées par le parti populaire, el surtout eeux qui
avaient absous Lafayette, étaient particuliére-
ment désignés. Néanmoins, dans les provínces
oú les discordes de la capitale n'avaient paso




ASSEMBLÉF. d:GISL¡\TIVE (179~)' 141
encare pénétré, les girondin&., méme les plus
odieux aux agítateurs de París, étaient nornmés
a cause de leurs talents recounus. Presque tous
les membres de l'assemblée actueUe étaient
réélus, Beaucoup de constituants, que le décret
de non-réélection avait exclus de la premiere
législature, furent appelés a faire partie de
cette convention. Dans le nombre on distin-
gnait Buzot e'tPétion. Parmi les nouveaux mern- -1
bres figuraient naturellement les hommes qui,
dans leurs départements, 5'étaient signalés par
leur énergie et leur exaltation, ou les écrivains
qui, comme Louvet, s'étaient fait connaitre ,
par leurs talents, ala capitale et aux provinces.


A Paris, la faction violente qui avait dominé
depuis le 10 aoüt , se rendit maitresse des
élections, et mit en avant tous les hommes de
son choix. Robespierre, Danton furent les pre-
miers nommés. Les jacobins, le conseil de la
commune accueillirent cette nouvelle par des
applaudissements. Aprés eux furent élus Ca-
mille Desmoulins, farneux par ses écrits; David,
par ses tableaux; Fabre-d'Églantine, par ses
ouvrages comiques et une grande participa-
tion aux troubles révolutionnaires; Legendre,
Panis, Sergent, Billaud-Varennes , par leur
conduite a la commune. On y ajouta le pro-
curenr - syndic Manuel, Robespierre jeune ,




J 42 RÉV.gLUTJON FRANltAlSE.
frere du célebre Maxiroilieu; Collot-d'Herhois . .
ancien comédien ; le duc d'Orléans, qui avait
abdiqué ses titres, et s'appelait Philippe-Éga-
lité. Enfin , aprés tous ces noms , on vit paraitre
avec étonnement le vieux Dusaulx, l'un des
électeurs de 1789, quis'était tant opposé aux
fureurs de la multitude, qui avait tant versé
de larmes sur ses exces , et qui fut réélu par
un dernier souvenir de 89, et comme un étre
bon el inoffensifpour tous les partís. Il man-
quait a cette étrange réunion le cynique et
sanguinaire MaratvCet homme étrange avait,
par l'audace de ses écrits , quelque chose de
surprenant, rnéme pour des gens qui venaient
d'étre térnoins des jouruées de septembre. Le
capucin Chabot, qui dominait aux Jacobina
par sa verve , et y cherchait les triomphes qui
Iui étaient refusés dans I'assemhlée légíslative,
fut obligé de faire l'apologie de Marat; et,
comme c'était chez les jacobins que toute
chose se délibérait d'avance , son élection pro-
posée chez eux fut bientót consommée dans
l'assemblée électorale. Marat, un autre jour-
naliste, Fréron, et quelques individus obscurs
compléterent eette députation fameuse , qui ,
renfermant des commercants , UO boucher, un
comédien , un graveur, un peintre, un avocat,
trois OH quatre écrivains , un prince déchu ,




ASSEl\mutE LÉGISLA.TIVE (17~j2·)· 143
représentait bien la confusion et la variété des
existences qui s'agitaient dans I'immense capi-
tale de la Franee.


Les députés arrivaient suceessivement a Pa-
ris, et amesure que leur nombre devenait plus
grand, et que les journées qui avaient prodnit
une terreur si profonde s'éloignaient , on eom-
mencait ase rassurer, et ase prononcer contre
les désordres de la capitale. La crainte de l'en-
nemi était diminuée par la contenance de Du-
mouriez dans l'Argonne : la haine des aristo-
erales se changeait en pitié, depuis I'horrible
sacrifice qu'on en avait fait a París et a Ver-
sailles. Ces forfaits , qui avaient trouvé tant
d'approhateurs égarés ou tant de censeurs LÍ-
mides, ces forfaits, devenus plus hideux par
le vol qui venait de se joindre au meurtre ,
excitaient la réprobation géllérale. Les giron-
dins , indignés de tant de -crimes , el eourroucés
de l'oppression personnelle qn'ils avaient subie
pendant un mois entier, devenaient plus fermes
et plus énergiques. Brillants de talent etde
courage aux yeux de la France, invoquant la
justioe et l'humanité, ils devaient avoir l'opi-
nion publique pour eux, et déjá ils en mena-
caient hautement leurs adversaires,


Cependant, si les girondins étaient égale-
mcnt prononcés centre les excés de París, ils




)44 RÉVOLllTION FRAN~AISE.
n'éprouvaient et n'excitaient pas tous ces res-
sentiments personnels qui enveniment les
haines de partí. Brissot , par exemple, en ne·
cessant aux Jacobins de lutter d'éloquence avec
Robespierre, lui avait inspiré une haine pro-
fondeo Avec des lumieres , des talents, Brissot
produisait beaucoup d'effet; mais il n'avait ni
assez de considération personnelle, ni assez
d'habileté pour étre le chef du parti , et la
haine de Robespierre le grandissait en luí im-
putant ce role. Lorsqu'á la veille de l'insurrec-
tion, les girondins écrivirent une lettre aBose,
peintre du roí, le bruit d'un traité se répaodit,
et 00 prétendit que Brissot, chargé d'or, allait
partir pour Londres. Il n'en était rien; mais
Marat, a qui les bruits les plus insignifiants,
ou méme les mieux démentis , suffisaient pour
établir ses accusations , n'en avait pas moins
lancé un mandat d'arrét contre Brissot, lors de
l'emprisonnement général des prétendus cons-
pirateurs du 10 aoút. Une grande rumeur s'en
était suivie, et le mandat d'arrét ne fut pas
exécuté. Mais les jacobins n'en disaient pas
moins que Brissot était vendu a Brunswick ;
Robespierre le répétait et le croyait, tant sa
fausse intelligence était portée a croire cou-
pables ceux qu'il haissait. Louvet lui avait ins-
piré tout autant de haine, en se faisant le se-




ASSEl\lllL:ÉE LÉGISLATIVE (I 792 ) . .45
cond de Brissot aux Jacobins et dans te Journal
de la Sentinelle, Louvet , plein de talent et- de
hardiesse, s'attaquait directement aux hommes.
Ses personnalités virulentes , reproduites eha-
que jour par la voie d'un journal, en avaient
fait l'ennemi le plus dangereux et le plus dé-
testé du parti Robespierre.


Le ministre Roland avait déplu atout le parti
jacobin et municipal par sa courageuse lettre
du 3 septernbre , et par sa résistance aux em-
piéternents de la commune ; mais n'ayant riva-
lisé avec aucun individu, il n'inspirait qu'une
colere d'opinion. Il n'avait offensé personnel-
lement que Danton, en lui résistant dans le
conseil, ce qui était pen dangereux, car de
tous les hommes il n'y en a pas dont le res-
sentiment Iút moins a craindre qne celui de
Danton. Mais dans la personne de Roland c~é'"
tait principalement sa femme qu'on détestait,
sa femme, fiere , sévere , courageuse, spiri-
tuelle , réunissant autour d'elle ces girondins
si cultivés, si brillants , les animant de ses
regards, les récompensant de son estime, et
conservant dans son cercle, avec la simplicité
républicaine, une politesse odieuse a des
hommes obscurset grossiers. Déja ils s'effor-
caient de répandre contre Roland un bas ridi-
cule. Sa femme, disaient-ils , gonvernait ponr


TIT. 10




146 RivOLUTION FRANCjAISE.
lui, dirigeait ses amis, les récompensait méme
de ses Iaveurs. Dans son ignoble langage, Ma-
rat l'appelait la Circé du parti.


Guadet , Vergniaud, Gensonné, quoiqu'ils
eussent répandu un grand éclat dans la légis-
Iati ve, et qu'ils se fussen t opposés au parti ja-
cobin, n'avaient cependant pas éveillé encore
toute la haine qu'ils exciterent plus tardo Gua-
det méme avait plu aux républicains énergiqnes
par ses attaques hardies eontre Lafayette et la
~Ol]ir. Guadet{vif, prompt as'élancer en avant,
passait du plus grand emportement au plus
grand sang-froid ; et, maitre de lui ala tribune,
il y brillait par l'á-propos et les mouvements.
Aussi devait-il , eomme tous les hommes, ai-
mer un exercice dans lequel il excellait, en
abuser mérne , et preudre trop de plaisir abattre
avec la parole, un parti qui lui répondrait .bien-
tót avec la mort. "


Vergniaud n' avai t pas aussi "bien réussi que
Guadet auprés des esprits violents, paree qu'il
ne montra jamais autant d'ardeur contre la
cour, mais il avait été moins exposé aussi ales
blesser , paree que, dans son abandon et sa
nonchalanee , il heurtait moins les personnes
qne son ami Guadet. Les passions éveillaient
peu ee trihun , le laissaient sommeiller au mi-
Iieu des agitations de partí, et , ne le portant




ASSEMBLÉE LÉGJSLA TIVE (1792). J 4?
pas au-devant des hommes , ne l'exposaient
guere a leur haine, Cependant il n'était point
indifférent, Il avait un coeur noble, une helle
et lucide intelligence, et le feu oisifde son étre,
s'y portant par intervalIe, l'échauffait, l'élevait
jusqu'a la plus sublime énergie. Il n'avait pas la
vivacitédes reparties de Guadet,maisil s'animait
ala tribune, il Yrépandait une éloquence ahon-
dante, et, grace a une souplesse d'organe ex-
traordinaire , il rendait ses pensées avec une
facilité" une fécondité d'expression, qu'aucun
homrne n'a égalées. L'élocution de Mirabeau
étai r,comme son caractére, inégale el forte; celle
de Vergniaud, toujours élégante et noble, de-
venait avec les circonstances, grande et éner-
gique. Mais toutes les exhortations de l'épouse
de Roland ne réussissaient pas toujours aéveil-
ler cet athlete , souvent dégoüté des hommes,
souvent opposé aux imprudences de ses amis,
et peu convaincu surtout de I'utilité des paroles
contre la force.


Gensonné, plein de sens et de probité, mais
doué d'une facilité d'expression médiocre, et
capable seulement de faire de bons rapports,
avait peu figuré encore ala tribune. Cependant
des passions fortes, un caractere obstiné, de-
vaient Iui valoir chez ses amis beaucoup d'in-
fluence, et chez ses ennemis la haine, qui at-


10.




148 TIF.VOUlTION FRAN<1AT5l<:.
teint le caractere toujours plus que le ta-
lento


Condoreet •. autrefois marquis et toujours
philosophe, esprit élevé , impartial , jugeant
tres-bien les fautes de son parti , pen propre
aux terribles agitatiolls de la dérnocratie , se
mettait rarement en avant , n'avait encere au-
cun ennemi direet ponr son eompte, et se ré-
servait pour tOl1S les genres de travaux qui exi-
geaient des méditations profondes. Buzot, plein
desens, d'élévationid'áme , de eourage, joi-
gnant a une belle figure une éloeution ferme
et simple, irnposait aux passions partoute la
noblesse de sa personne , et exercait autour de
lui le plus grand ascendant moral.


Barbaroux ,élu par ses concitoyens, venait
d'arriver du midi, avec un de ses amis député
eomme lui a la convention nationale. Cet ami
se nommait Rebecqui. C'était un hornme peu
cultivé, mais hardi, elltreprenant, el tout dé-
voué a Barbaroux, On se souvient que ·ce der-
nier idolátrait Roland et Péti~1l , qu'il l'egar-
dait Marat comme un fou atroee , Bobespierre
eomme un ambitieux , surtout depuis que Panis
le lui avait proposé comme un dictateur indis-
pensable. Révolté des erimes commis depuis
son absence, il les imputait volontiers a des
hommes qu'il détestait déja , el il se pronon<;a,




ASSEl\IBLÉE LÉGlSLATlVE (1792). 149
des son arrivée, avec une énergie qui rendit
toute réconciliation impossible. Inférieur ases
arnis par l'esprit , mais doué d'intelligence et
de facilité, beau, héroique , ji se répandit en
menaces, et en quelques jours il obtint autant
de haine que ceux qni pendant toute la légis-
lative n'avaient cessé de blesser les opinions
et les' hommes.


Le personnage antour duquel se rangeait
tout le. parti , et qui jouissait d.'une considéra-
tion universelle , était Pétion. Maire pendant la
législative, il avait , par sa lutte avec la cour,
acquis une popularité immense, A la vérité il
avait , le 9 aoút , préféré une délihération aun
combat; depuis il s'était prononeé contre sep-
tembre, et s'était séparé de la commune,
comme Bailly en J 790; mais cette opposition
tranquillo et silencieuse , sans le hrouiller en-
core avec la faction, le lui avait rendu redou-
tableo Plein de lumieres , de calme, parlant
rarement, ne voulant jamais rivaliser de talent
avec personne, il exercait sur tout le monde, et
sur Robespierre lui- méme , l'ascendant d'une
raison froide, équitable, él universellement
respectée. Quoique reputé girolldin, tous les
partis voulaientsou suffrage, tous le redou-
taient , et, dans la nouvelle assemblée, il avait
pOOl' Iui non - seulement le coté droit , mais




15oRÉVOLUTION FRAN<1A1SE.


tcnte.lamasse moyenne,et heaucoup méme du
caté gauche.


TeUe était done la situalion des girondins,
en présence de la faction parisienne : ils avaient
poul' eux l'opinion générale, qui réprouvait les
excés ; ils s'étaient emparés d'une grande partie
des députés qui arrivaient chaque jour aParis;
ils avaient tous les ministres, excepté Danton,
qui souvent dominait le conseil, mais ue se
servait pas de sa puissaneecontre eux; enfin
ils montraient a Ieur tete le maire de Paris,
l'hommele plus respecté du momento Mais a
Paris , ils 11'étaient pas chez eUK, ils se trou-
vaient au milieu de leurs ennernis , et ils avaient
a redouter la violence des classes inférieures,
qui s'agitaient au-dessous d'eux, et surtout la
violence de l'avenir , qui allait croitre avec les
passions révolutionnaires,


Le premiar reproche qu'on leur adressa fut
de vouloir sacrifier París. Déja on leur avait
imputé de vouloir se réfugier dans les dépar-
tements et au - delá de la Loire. Lestorts de
Paris a leur égard étant plus grands depuis les
:.1 et 3 septembre, 011 leur supposad'autant
plus l'intention de l'abandonner., el on pré-
tendit qu'ils avaient voulu réunir la convention
ailleurs. Peu a peu les.soupcons s'arrangeant,
prirent une forme plus réguliere. On leur I'epro-




ASSElH:BLÉE LÉGISLATlVE (1792). 151
chait de vouloir rompre l':uui.té natienale, el
composer desquatre-vi.ngt-troisoopartemellts,
quatre-vingt-trois états , tous égaux entre eux ,
el unís par un simple .lien fédératif. On ajou-
tait qu'i!s voulaient par lit détruire la supré-
matie de Paris , et s'assurer unedomination
personnelledansleurs départemeuts respectifs.
C'est alors que fut imag,inée lacalomnie du le,:"
déralisme. H est vraique, iorsque la France
était rneuacée par' l'invasion des Prussiens , ils
avaieot songé, en cas d'estrémité , a se retran-
cher daos les départements rnéridionaux ; il
est eucore vrai qu'en voyant les exces et la ty~
rannie de París, ils avaient quelquefois reposé
leur pensée sur les départements ; mais de la
a un projet de régime fédératif ii y avait lo in
encore. Et d'ailleurs , entre un gouvernement
fédératif et un gouvernement unique et cen-
tral, toute la différence consistanedans le plus
ou moins d'énergiedes institutions Locales, le
crime d'une telle idée était bien vague, s'i] exis-
mito Les girondins, n'y voyautau reste ríen de
eoupable , ne s'en défendaient Pfi6, et beaucoup
d'eutre eux , indignés de l'absurdité awec la-
quelle 08 poursuivait ce systeme , elemandaient
si, apres tout, la Nouvelle-Amérique , la HoJ.-
laude, la Suisse.n'étaient.pas heureuseset libres
sous un régimefédératif, .et s'til J' auralt une




152. RÉVOLUTlON FRAN9AISE.


grandeerl'eur OH un grand forfait a préparer
a la Franee un sort pareil. Buzot surtout sou-
tenait souvent eette doctrine, et Brissot , granel
admirateur des Américains , la défendait égale-
ment, plutót comrne opinion philosophique
que comme projet applicablea la France. Ces
conversations divulguées donnerent plus de
poids a la calomnie du fédéralisme. Aux Jaco-
bins , on agita gravement la question du fédé-
ralisme, et on souleva mille fureurs contre les
girondins. On prétendit qu'ils voulaient dé-
truire le faisceau de la puissance révolution-
naire, lui enlever cette unité qui en faisait la
force, et cela, pour se faire rois dans leurs pro-
vmces.


Les girondins répondirent de leur coté par
des reproches plus réels, mais qui malheureu-
sement étaient exagérés aussi, et qui perdaient
de leur force en perdant de leur vérité, Iís
reprochaient a la commune de s'étre rendue
souveraine, d'avoir par ses usurpations em-
piété sur la souveraineté nationale , et de s'étre
arrogé aelle seule une puissance qui n'appar-
tenait qu'ala France entiere. Ils lui reprochaient
de vouloir dominer la convention , eorome elle
avait opprimé l'assemblée 1égislative ; ils disaient
qn'en siégeant auprés d'elle, les manrlataires na-
tionaux n'étaient pas en süreté , et qu'ils siége-




ASSEMllL:ÉE LÉGlSLA TIVt; (1792). 153
raient au milieu des assassins de septembre. lis
l'accusaient d'avoir déshonoré la révolution
pendant les quarante jours qui suivirent le JO
aoút , el de n'avoir rempli la députation de Paris
que d'hommes signalés 'pendant ces horribles
saturnales. Jusque-lá tout était vrai, Mais i1s
ajoutaient des reproches aussi vagues que ceux
de fédéralisme dont eux-rnémes étaient l'objet.
Ils accusaient hauternent Marat, Danton et Ro-
bespierne , d'aspirer ¡. la suprérne puissance;
Marat , paree qu'il écrivait tous les jours qu'il
falIait un dictateur pom purger la société des
membres impurs qui la corrornpaient ; Robes-
pierre, paree qu'il avait dogrnatiséá la commnne,
et parlé avec insolence a l'assemblée , et paree
qtie,ála veille du JO aoút , Panis l'avait proposé
el Barbaroux comme dictateur; Danton enfin,
paree qu'il exercait sur le ministére , sur le
peuple et partout oú il se montrait, l'infiuence
d'un étre puissant. On les nommait les triurn-
virs, et cependant il n'y avait guere d'union
entre eux. Marat n'était qu'un systérnatique in-
sensé, Robespierre n'était encore qu'un jaloux,
mais il n'avait pas assez de graudeur pallr étre
un ambitieux; Danton enfin était un hornme
actif , passionnépour le but de la révolution,
et qui portait la main sur toutes choses, par
ardeur plus que par ambition personnelle. Mais




I 54 nÉVOLUTION FnAN~AISE.
parmi ces hommes, il n'y avait encore ni un
usurpateur, ni des conjurés d'accord entre eux;
et il était imprudent de donner a des adver-
saires, déjá plus forts que 50i, l'avantage d'étre
accusés injustemenr. Cependant les girondins
ménageaient plus Danton, paree qu'il n'y avait
rien de personnel entre lui et eux, ~t ils mé-
prisaient trap Marat pour I'attaquer xlirecte-
ment ; mais ils se déchainaient impitoyablement
contre Robespierre, paree que le succes de ee
qu'on vappelait sa vertu et son éloquence les
irritait davantage : ils avaient pour lui le res-
sentiment qu'éproúve la véritable supériorité
contre la médiocrité orgueilleuse et trap vantée.


Cependant on essaya de s'entendre avaut
l'ouverture de la convention nationale, et 11 y
eut diverses réunions dans lesquelleson proposa
de s'expliquer franchernent ,et de terrniner des
disputes funestes, Danton s'y prétait de tres-
bonne foi 'fo, paree qu'il n'y apportait aucun
orgueiI ~ et qu'il souhaitait avant tout le succés
de la révolution. Pétion montra beaucoup de
froideuret de raison; mais Bobespierre fut
aigre eomme un hornme blessé; les girondins
furent fiers et sévéres comme des hommes in-


.. Voyez Durand-Maillanne , Dumuuricz, M¡;ilhalJ et
tous les contemperaius.




ASSEMBLÉE LÉGIsr.uIvE (1792). 155
nocents, indignés , et qui croient avoir dans les
mains leur vengeance assurée. Barbarouxclit
qu'il n'y avait aucune alliance possíbleentre le
crime el la vertu , et de part et d'autreonse
retira plus éloigné d'une récouciliation qu'avant
des'étre vu. Tous les jaeobins se rangerent au-
tour de Rohespierre, les girondins et la masse
sage el modérée autour de Pétion. L'avis de
celui-ci el des hommes sensés était de cesser
toute accusation , puisqu'il était impossible de
saisir les auteurs des massaeres de septembre
etdu vol du Garde-Meuble; de ne plus parler
des triumvirs , paree que leur ambition n'était
ni assez prouvée ni assez manifeste pOUJ' étre
punie ; de mépriser une vingtaine de mauvais
suj.ets introduits dans l'assem blée par Iesélec-
tious de Paris; enfin de se háter de remplir le
but de la convention, en faisant une constitn-
tion et en déeidant du sort de Louis XVI. Tel
était l'avis des hommes froids; mais d'autres
moins calmes firent comme d'usage des projets
qui , ne pouvant étre encoreexécutés, avaient
ledanger d'avertir et d'irriter leurs adversaires,
Ils proposerent de casser la munieipalité, de
déplacer au besoin la convention, de transpor-
ter son siége aiUeurs qu'á París, de la former
en cour de justice , pour juger sansappel les
conspirateurs, de luí eomposer enfin une garde




l. 56 RÉVOLUTION FRAN(fAISll.
particuliere prise dans les quatre-vingt-trois dé-
partements. Ces projets n'eurent aucune suite
et ne servirent qu'a irriter les passions. Les gi-
rondins s'en reposerent sur la conscience pu-
blique, qui , suivant eux, allait se soulever aux
aceent~de leur éloquenee et au réeit des crimes
qu'ils devaient dénoneer. Ils se donnerent ren-
dez-vous a la trihune de la convention ponr y
éeraser leurs adversaires.


Enfin, le 20 septembre, les députés a la con-
vention se réunirent aux Tuileriespour consti-
tuer la nouvelle assemblée. Leur nombre étant
suffisant, ils se constituereut provisoirement ,
vérifiérent leurs pouvoirs , et procéderent de
suite a la nomination du bureau. Pétion fut
presque a l'unanimité proclamé président.
Brissot , Condorcet , Babaud Saint - Etienne ,
l ..asource , Vergniaud et Camus, furent élus
secrétaires. Ces choix prouvent quelle était
alors dans I'assemblée l'influence du parti gi-
rondín.


L'assernblée législative, qui depuis le JO aoút
avait été en permanence, fut informée, le 21 ,
par une députation , que la convention natio-
nale était formée, et que la législature était
terminée. Les deux assemblées n'eurent qu'á
se confondre l'une dans l'autre , et la convcn-
tion alla oecuper la salle de la législativc.




CONVENTION NATIONALE (1792). ¡57
Des le 21 , Manuel, procureur-syndic de la


commune , suspendu apres le 20 juin avec
Pétion, devenu tres-populaire a cause de celte
suspensión , enrolé des lors avec les furieux
ele la cornmune , mais depuis éloigné d'eux ,
et rapproché des girondins a la vue des mas-
sacres de l'Abbaye, Manuel fait le jour mérne
nne proposition qui excite une grande rumeur
parmi les ennemisdé la Gironde : « Citoyens
« représentants , dit-il , il faut iei que tout res-
« pire un caractere de dignité et de grandellr
« qui en impose a l'univers, Je demande que
« le président de la France soit logé dans le
« palais national des Tuileries, qu'il soit pré-
« cédé de la force publique et des signes de
« la loi , etque les citoyens se levent a son
« aspecto » A. ces mots , le jacobin Chabot , le
secrétaire de la commune Tallien , s'élevent
avec véhémence contre ce cérémonial , imité
de la royauté. Chabot dit que les représentants
du peuple doivent s'assimiler aux citoyens des
rangs desquels ils sortent, aux sans-eulottes,
qui forment la majorité de la nation. Tallien
ajoute qu'ou ira chereher le président de la
convention a un cinquieme étage, et que c'est
la que logent le génie el la vertu. La proposi-
tion de Manuel est done rejetée , et les ennemis
de la Gironde prétendent qu'elle a voulu décer-




158 aEvoLnTION J,·RAN~AISE.
ner a son chef Pétion les honneurs souve-
rains.


Aprés cette proposítion, une foule d'autres
se succedentsans interruptíon. De toutes parts
on veut constater par des déclarations authen-
tiques les sentiments qui animent l'assemblée
et la Franee. On demande que la nouvelle cons-
titution ait pour base l'égalité absolue, que la
souveraineté du peupIe soit déerétée, que
haine soit jurée a la rayauté, a la dictature,
au triumvirat, a toute autorité individuelle , et
que la peine de mort soit décrétée contra qui-
conque en proposerait une pareille. Danton
met fin atoutes les motions, en faisant décréter
que la nouvelle constitution ne sera valable
qu'apres avoir été sanctionnée par le peuple.
On ajoute que les lois existantescontinueront
provisoirement d'avoir leur effet, que les auto-
rités non remplacées seront provisoirement
maintenues , et que les impóts seront per<;us
comme par le passé , en attendant les nou-
veaux systernes de contribution, ápres ces
propositions et ces décrets , Manuel, Collot-
d'Herbois, Grégoire, entreprennent la question
de la royauté, et 'demandent que son abolition
soit prononcée sur-le-champ. Le peuple, disent-
iIs, vient d' étre déelaré souverain, mais il ne
le sera réellement que lorsque vous l'aurez




CONVl<:NTlON NATIONALE (J 792). 159
délivré d'une autorité rivale, celle des rois.
L'assemhlée , les tribunes Se levent pour ex-
primer une réprobation unanime contre la
royauté. Cependant Bazire voudrait , dit-il ,
une discussion solennelle sur uue question
aussi importante. « Qu'est-il besoin de discuter,
«reprend Grégoire , lorsque tout le monde est
« d'accord? Les cours sont l'atelier du crime,
« le foyer de la corruption ; l'histoire des rois
« est le martyrologe des nations. Des que nous
( sommes tous également pénétrés de ces vé-
(. rités, qu'est-il besoin de discuter? l>


La discussion est en effet fermée. Il se fait
un profond silence, et, sur la déclaration una-
nime de l'assemblée , le président décJare que
la royauté est abolie en France. Ce décret est
accueilli par des applaudissements universels;
la publication en est ordonnée sur-le-champ ,
ainsi que l'envoi aux armées et a toutes les
municipalités.


Lorsque cette institution de la république fut
proclamée , les Prussiens menacaient encore le
territoire. Dumouriez, eomme on l'a vu , s'était
porté a Sainte - Menehould, et la canonnade
dn 21 , sihenreuse pour nos armes, n'était
pas encore connue a París. Le lendemain 22,
Billaud-Varennes proposa de dater , non plus
de l'an 4 de la liberté, mais de l'an I er de la




160 'nEvor,unON FRA.N<,;AISf:.
république, Cette proposition fut adoptée.
L'année 1789 ne fut plus considérée eomme
ayant commeneé la liberté, et la nouvelle ere
républicaine s'ouvrit ee jour méme , 22 sep-
tembre 1792.


Le soir on apprit la canonnade de Valmy, et
la joie cornrnenea ase répandre. Sur la demande
des citoyens d'Orléans , qui .se plaignaient de
leurs magistrats, il fut décrété que tous les
membres des corps admiuistratifs et des tribu-
naux seraient réélus , et que les conditions d'é-
ligibilité, fixées par la constitution de 91, se-
raient considéréescomme nulles, U n'était.plus
nécessaire de prendre les juges parmi les lé-
gistes, ni les administrateurs dans une certaine
classe de propriétaires, Déja l'assemblée légis-
lative avait abolí le mare d'argent, et attribué
a tous les cituyens en age de majorité la capa-
cité électorale. La conventiou aeheva d'effacer
les dernieres démarcations, en appelant tous
les citoyens a toutes les fonctions les plus di-
verses. Ainsi fut cornmencé le systeme de l'é-
galité absolue,


Le 23, tOU5 les ministres furent entendus. Le
député Cambon fit un rapport sur I'état des
finan ces. Les précédentes assemblées avaient
décrété la fabrication de deux milliards sept
cents millions rl'assignats ; deux milliarrls ciuq




CONVllNTION N ATIONALE ([ 792). 161
cents millions avaient été dépensés; restait deux
cents millions , dont eent soixante-seize étaient
encore a fabriquer, et dont vingt - quatre se
trouvaient en caisse. Les irnpóts étaient rete-
nus par les départements pour les aehats de
grains ordonnés par la derniére assemblée; il
fallait de nouvelles ressources extraordinaires.
La masse des biensnationaux s'augmentant
tous les jours par l'émigration, on ne craignait
pas d'émettre le papier qui les représentait ,
et on n'hésita pas ale faire : une nouvelle créa-
tion d'assignats fut done ordonnée.


Roland fut entendu sur l'état de la Franee et
de la capitale. Aussi sévere et plus hardi encore
qu'au 3 septembre, il exposa avee énergie les
désordres de Paris , les causes et les moyens
de les prévenir. Il reeommanda l'institution
prompte d'un gouvernement fort et vigoureux,
comme la seule garantie d'ordre dans les états
libres. Son rapport, entendu avee faveur, fut
eouvert d'applaudissernents , et n'excita eepen·
dant aueune explosion ehez eeux qui se regar-
daient eomme accusés , des qu'il s'agissait des
troubles de Paris.


Mais a peine ce premier coup d'ceil était-il
jeté sur la situation de la France , qu'on ap-
prend la nouvelle de la propagation du désor-
tire dans eertains départements. Roland éerit


IJI. 11




J 62 RÉVOLUTION FRAN<;:AJSE.
une lettre ala convention pour lui dénoncer
de nouveaux exces , et en demander la répres-
sion. Aussitót eette leeture achevée, les dépu-
tés Kcrsaint, Buzot s'élancent ala tribune pour
dénoneer les violences de tout genre qui com-
meneent ase comrnettre partout.-« Les assas-
sinats, disent-ils, sont imites dans les dépar-
tements. Ce n'est pas l'anarehie qu'il faut en
accuser, mais des tyrans d'une nouvelle espece,
qui s'élévent sur la Franee a peine affranchie.
C'est de Paris que partent tous les jours ces
funestes inspirations du crime, Sur tous les
murs de la capitale, on lit des affiches qui pro-
voquent aux meurtres 1 aux incendies, aux pil-
lages, et des listes de proseription oú sont
désignées ehaque jour de nouvelles victimes.
Cornrnent préserver le peuple d'une affreuse
misere , si tant de citoyens sont condamnés a
caeher leur existence ? Comment faire espérer
a la France une constitution , si la eonvention,
qui doit la décréter, délibére sous les poignards?
Il faut, pour l'honneur de la révolution, arre-
ter tant d'exces , et distinguer entre la bravoure
civique qui a bravé le despotisme au 10 aoút ,
et la cruauté servant, aux 2 et 3 septembre, une
tyrannie muette et cachee. »


En conséquence, les orateurs demandent I'é-
tablissement d'un comité chargé,




CONVENTlON NATIONALE ~I792). 163
]0 De rendre compte de l'état de la républi-


que et de Paris en particulier; .
2" De présenter un projet de loi contre les


provocateurs au meurtre et a l'assassinat;
30 De rendre compte des moyens de donner


ala convention nationale une force publique a
sa disposition , prise dans les quatre-vingt-trois
départements.


A cette proposition, tous les membres du
coté gauche, oú s'étaient rangés les esprits les
plusardents de la nouvelle assemblée, pous-
sent des cris tumultueux, On exagere, suivant
eux, les maux de la France. Les plaintes hypo-
crites qu'on vient d'entendre partent du fond
des cachots, oú out été justement plongés les
suspects qui, depuis trois ans, appelaient la
guerre civile sur leur patrie: Les maux dont on
se plaint étaierit inévitables; le peuple est en
état de révolution, et il devait prendre des me-
sures énergiques pour' son salut. Aujourd'hui,
ces moments critiques sont passés, et les dé-
clarations que vient de faire la convention
suffiront ponr apaiser les troubles. D'ailleurs ,
pourquoi une juridiction extraordinaire? Les
anciennes lois existent, et suffisent POUI' les
provocations aux meurtres. Serait-ce encore
une nouvelle loi martiale qu'on voudrait éta-
blir? ..


1 l.




l6/, H ÉVOLtJ1'ION FRAN(;:A ¡S"E.
llar une contradiction bien ordinaire chez


les partis , ceux qui avaient demandé la juri-
-diction extraordinaire du 17 aoút , ceux qui
allaient demander le tribunal révolutionnaire,
s'élevaient eontre une loi qui, disaient-ils , était
une Ioi de sang! - Uoe loi de sang, répond
Kersaint , lorsque je veux au contraire en pré-
venir l'effusion!-Cependant I'ajournement est
vivement demandé. - Ajourner la répression
des meurtres , s'écrie Vergniaud, e'est les or-
donner! Les ennemis de la France sont en ar-
mes sur notre .territoire , et l'on veut que les
citoyens francais , au lieu de cornbattre , s'en-
tr'égorgeot comme les soldats de Cadmus], ..


Enfin la proposition de Kersaint et Buzot est
adoptée tout entiere. On décrete qu'il sera pré-
paré des lois po ur la punition des provocateurs
au menrtre, et pour l'organisation d'une garde
départementale.


Cette séance du 24 septembre avait causé
une grande émotion dans les esprits ; eepen-
dant aueun nom n'avait été prononeé, et les
accusations étaient restées générales. Le len-
demain , on s'aborde avec les ressentiments de
la veille, et d'une part on murmure contre les
décrets rendus , de l'autre on éprouve le regret
de n'avoir pas assez dit contre la faction appe-
lée désorganisatrice. Tandis qU'OTl attaque les




CONVIlNTION NA.TION ALE (179'!)' }65
décrets , 01] qu'on les défend , Merlín, autrefois
huissier et officier municipal aThionville, puis
depuré a la législative, oú il se signala parmi
les patriotes les plus prononcés, Merlin, fameux
par son ardeur et sa bravoure, demande la pa-
role.-«L'ordre du jour, dit-il, estd'éclaircir si,
comme Lasource me l'a assuré hiel', il existe,
au sein de la convention nationale , une faction
qui veuille établir un triumvirat ou une die-
tature : il faut ou que les défiances cessent , ou
que Lasource indique les coupables , et je jure
de les poignarder en faee de l'assemblée. ))
Lasource, si vivement sommé de s'expliquer ,
rapporte sa conversation avec Merlin, et dé-
signe de nouveau, san s les nommer, les ambi-
tieux qui veulent s'élever sur les ruines de la
royauté détruite.-« Ce sont ceux qui ont pro-
voqué le meurtre et le pillage, qui ont lancé
des mandats d'arrét contre des membres de la
législative, qui désignent aux poignards les
membres courageux de la convention, et qui
imputent au peuple les exces qu'ils ordonnent
eux-rnérnes, Lorsqu'il en sera temps, il arra-
chera le voile qu'il ne fait que soulever, dút-il
périr sous leurs coups. »


Cependant les triumvirs n'étaient pas norn-
rnés. Osselin monte a la tribune et désigne la
députation de Paris, dont il est membre; il dit




166 nÉVOLUTION }'RA.N<;::AlSE.
que c'est contre elle qu'on s'étudie aexciter des
défiances, qu'elle n'est ni assez profondémeut
ignorante, ni assez profoudément scélérate ,
pour avoir concu des projets de triumvirat et
de dictature; qu'il fait serment du contraire ,
et demande I'anatherne et la mort contre le pre-
mier qui serait surpris méditant de pareils pro-
jets.c-Que chacun, ajoute-t-il, me suive a la tri-
bune, et y fasse la mérne déclaratiou. - Oui-
s'écrie Rebecqui, le courageux ami de Barba-
roux; oui, ce parti accusé de projets tyranni-
ques existe, et je le nomme : c'est.le parti Ro-
bespierre. Marseille le connait , et nous envoie
ici pour le combattre.


Cette apostrophe hardie cause une grande
rumeur dans l'assemblée. Les yeux se dirigent
sur Robespierre. Danton se hátede prendre la
parole pour apaiser ces divisions, et écarter
des accusations qu'il savait en partie dirigées
contre lui-méme, - e'est, dit-il, un beau jour
pour la république que celui oú une explica-
tion franche et fraternelIe calmera toutes ces
défiances. On parle de dictateurs, de trium-
virs ; mais cette accusation est vague, et doit
étre signée. - Moi je la signerai, s'écrie de
nouveau Rebecqui, en s'élancant au bureau.
- Soit, répond Danton; s'il est des coupables,
qu'ils soient imrnolés , fussent-ils les rneilleurs de




CONVENTlON NATlUNALE (1792). 167
mes amis. Pour moi, ma vie est connue. Dans
les sociétés patriotiques , au 10 aoñt , au con-
seil exécutif, j'ai servi la cause de la liberté
sans aucune vue personnelle, et avec l'éner~(p
de mon tempérament. Je ne crains done pas
les accusations pour moi-mérne ; mais je veux
les épargner a tout le monde. Il est, j'en con-
viens, dans la députation de Paris, un homme
qU'OIl pourrait appeler le Royou des républi-
cains : c'est Marat. Souvent on m'a accusé d'é-
tre l'instigateur de ses placards; mais j'invo-
que le témoignage du président, et je lui
demande de déclarer si , dans la eommune et
les comités, il ne m'a pas vu souvent aux
prises avec Marat. Au reste, cet écrivain tant
accusé a passé une partie de sa vie dans les
souterrains et les cachots, La souffrance a al-
téré son humeur, il faut excuser ses emporte-
ments. Mais laissez la des discussions tout in-
dividuelles, et táchez de les faire servil' a la
chose publique. Portez la peine de mort con-
tre quiconque proposera la dictature ou le
triumvirat. - Cette motion est couverte d'ap-
plaudissemerits. - Ce n'est pas tout, reprend
Danton; il est une autre crainte répandue dans
le public, et il faut la dissiper. On prétend
qu'une partie des députés médite le régime
fédératif, et la division de la France en une




168 nÉVOLUTlON FRAN9AISF..
foulede sections. II nous importe de former
un tout. Déclarez done, par un autre décret,
l'unité de la Franee et de son gouvernement.
<;es bases posées , écartons neis défiances,
soyons unis, et marchons a notre but.


Buzot répond a Danton qué la dictature se
prend, mais ne se demande pas, et que por-
ter des lois contre cette demande est illusoire ;
que quant au systeme fédératif, personne n'y
a songé; que la propositiond'une garde dé-
partementale est un moyen d'unité, puisque
tous les départements seront appelés a gal'der
en commun.Ia représentation nationale; qn'au
reste, il peut étre bon de faire une Ioi sur ce
sujet, mais qu'elle doit étre múrement réflé-
chie, et qu'en conséquence, il fant renvoyer
les propositions de Danton a la commission
des six, décrétée la veille.


Robespierre, personnellement accusé , de-
mande a son tour la parole. D'abord iI a11-
nonce que ce n'est pas lui qu'iI va défendre,
mais la chose publique, attaquée dans sa per-
sonne. S'adressant a Rebecqui: « Citoyen, Iui
dit-il , q ui n'avez pas craint de m' accuser, je vous
remercie. Je reconnais a votre courage la cité
célebre qui vous a député. La patrie, vous et
moi , nous gagnerons tOIlS a cette accusation,


(( On désigne, continue-t sil , un partí qui




CONVENTION NATIONALE (1792). J69
médite une nouvelle tyrannie, et c'est moi
qu'on en nomme le chef. L'aceusation est va-
gue; mais , grace a tout ce que j'ai fait pour
la liberté, il me sera facile d'y répondre. C'est
moi qui, dans la eonstituante, ai pendant trois
anscombattu toutes les factions, quelque nom
qu'elles empruntassent; c'est moi qui ai com-
battn eontre la cour, dédaigné ses présents ;
e'est moi .... - Ce n' est pas la question, s'é-
crient plusieurs députés. - Il faut qu'il se jus-
tifie, répond Tallien. - Puisqu'on m'accuse,
reprend Robespierre, de trahir la patrie, n'ai-
je pas le droit d'opposer ma vie tout entiere?»)
Il recommence alors l'énumération de ses dou-
hles services contre l'aristocratie et contre les
faux patriotes qui prenaient le masque de la
liberté. En disant ces mots, il montrait le coté
droit de la convention. Osselin lui-méme , fa-
tigué de cette énumération, iuterrompt Robes-
pierre, et lui demande de donner une expli-
cation franche. - II ne s'agit pas de ce que tu
as fait, dit Lecointe -Puyravaux, mais de ce
qu'on t'accuse de faire aujourd'hui. -Robes-
pierre se replie alors sur la liberté des opinions,
sur le droit sacré de la défense, sur la chose
publique, aussi compromiso que lui - méme
dans cette accusation. On l'invite encore aétre
plus bref, mais il continue avee la méme dif-




170 RÉVOLUTION FRAN~.\.ISE.
fusiono Rappelant les fameux décrets qu'il a
fait remire contre la réélection des consti-
tuants et contre la nomination des députés a
des places données par le gouvernement, il
demande si ce sont la des preuves d'ambition.
Récriminant ensuite centre ses adversaires, il
renouvelle l'accusation de fédéralisme, et finít
en demandant l'adoption des décrets proposés
par Danton, et un examen sérieux de l'accu-
sation intentée contre lui. Barbaroux , impa-
tient, s'élance a la barre: « Barbaroux de Mar-
« seille, s'écrie - t - il , se présente pour signer
« la dénonciation faite par Rebecqui contre
« Robespierre.» Alors il raconte une histoire
fort insignifiante et souvent répétée : c'est qu'a-
vant le 10 aoút , Panis le conduisit chez Robes-
pierre, et qu'en sortant de cette entrevue
Panis lui présenta Robespierre comme le seul
homme, le seul dictateur capable de sauver la
chose publique; et qu'á cela lui, Barbaroux,
répondit que jamais les Marseillais ne baisse-
raient la tete devant un roí ni devant un die-
tatenr.


Déja nons avons rapporté ces faits, et on a
pn juger si ces vagues et insignifiants propos
des amis de Robespierre pouvaient servir de
hase aune accusation. Barbaroux reprend une
á une les imputations adressées aux girolHlins;




CONVENTION NATIONALE (1792). J7J
il demande qu'on proscrive le fédéralisme par
un décret ; que tous les membres de la con-
vention nationale jurent de se laisser bloquer
dans la capitale, et d'y mourir plutót que de
la quitter. Apres beaucoup d'applaudissements,
Barbaroux reprend , et dit que, quant aux
projets de dictature, on ne saurait les con tes-
ter; que les usurpations de la commune, les
mandats Iancés contre les membres de la re-
présentation nationale, les commissaires en-
voyés dans les départements, tout prouve un
projet de domination; mais que la ville de
Marseille veille a la súreté de ses députés; que,
toujours prompte adevancer les bons décrets,
elle envoya le hataillon des fédérés , malgré le
veto royal, et que maintcnant encore elle en-
voie huit cents de ses citoyens, auxquels leurs
peres ont donné deux pistolets, un sabre, un
fusil, et un assignat de cinq cents Iivres;
qu'elle y a joint deux cents hommes de cava-
lerie, bien équipés, et que cette force servira
a commeneer la garde départementale propo-
sée pour la süreté de la convention! « Pour
« Robespierre, ajoute Barbaroux, j'éprouve un
« vif regret de' l'avoir accusé, car je l'aimais,
« je l'estimais autrefois. Oui, nous l'aimions,
« et nous l'estimions tons , et cependant nous
« l'avons accusél Mais qu'il reconnaisse ses




)72 RÉVOLUTION FRANc;.;AlSE.
« torts, et nous nous désistons; Qu'il cesse
a de se plaindre , cal' s'il a sauvé la liberté par
« ses écrits, IlOUS l'avons défendue de nos per-
« sonnes. Citoyens, quand le jour du péril
« sera arrivé , alors on nous jugera, alors nous
(G verrons si les faiseurs de placards sauront
a mourir avec 1l0US!») De nombreux applau-
dissements accompagnent Barbaroux jusqu'a
saplace. Au mot de placards, Marat réclame
la parole. Cambon la demande apres lui, et
obtient la préférence, Il dénonce alors des
placards GU la dictature est proposée comme
indispensable, et qui sont signés du nom de
Marat, A ces mots chacun s'éloigne de celui-
ci, et il répond par un sourire aux mépris
qu'on lui témoigne. A Cambon succedent
d'autres accusateurs de Marat el de la com-
mune, Marat fait de longs efforts pour obtenir
la parol~; maia Panis l'obtient encore avant
lui ~ pour répondre aux allégatíons de &1'-
baroux. Panis nie maladroitement des faits
vrais , mais pcu probants , et qu'il valait mieux
avouer, en se repliant sur Ieur peu de valenr.
Il est alors iuterrompu par Brissot , qui lui de-
mande raison du mandat d'arrét lancé contre
sa personne. Panis se replie sur les circons-
tances , qu'on a, dit-il , trap facilement ou-
bliées , sur la terreur et le désordre qui ré-




CONVENTION N ATIONAU (1792). 173
gnaieot alors dans les esprits, sur la multitude
des dénonciations contre les conspirateurs du
10 aoút , sur la force des bruits répandus con-
tre Brissot , et sur la nécessité de les éclaircir.


Apres ces longues explications , a tout mo-
ment interrornpues et reprises , Marat insistant
toujours pour avoir la parole, l'obtient enfin,
Iorsqu'il n'est plus possible de la lui refuser.
C'était la prerniere fois qu'il paraissait a la tri-
hnne, Son aspect produit un mouvement d'in-
dignation, et un brnit affreux s'éleve contre
lui. Abas! ti has! est le cri général. Négli-
gemment vétu , portant une casquette , qu'il
dépose sur la tribune, et promenant sur son
auditoire un sourire convulsif et méprisant :
«T'ai , dit-il , un grand nombre d'ennemis per-
« sonnels dans eette assemblée. . . .. - Tous!
« tous! s'écrient la plupart des députés. - J'ai
« dans eette assemblée, reprend Marat avee la
« mérne assurance, un grand nombre d'enne-
« mis personnels, je les rappelle a la pudeur.
« Qu'ils s'épargnent les clameurs furibondes
« contre un homme qui a serví la liberté, et
« eux-mémes , plus qu'ils ne peosent.


« On parle de .triumvirat .. de dictature, on
« en attribue le projet a la lléputation de Pa-
{( ris; eh bien! je dois a la justice de déclarer
« que mes collégues , el notamment Robespierre




174 RÉVOLUTJON FRANC;:AIS1"
« etDanton , s'y sont toujours opposés, et que
«( j'ai toujours eu ales combattre sur ce point.
« Moi le premier, et le seul en France , entre
« tous les écrivains poli tiques ,j'ai songé aeette
« mesure, eomme au seul moyen d'éeraser les
« traitres et les conspirateurs. e'est moi seul
« qu'il faut punir; mais avant de punir il faut
« entenclre.» Ici quelques applaudissements
éclatent, mais peu nombreux. Marat reprend:
« Au milieu des machinations éternelles d'un:
« roi perfide, d'une cour abominable, et des
( faux patriotes qui, dans les deux assemblées,
I( vendaient la liberté publique, me reproche-
« rez-vous d'avoir imaginé le seul moyen de
« salut, et d'avoir appelé la vengeanee sur les
« tetes eriminelles? non, cal' le peuple vous dé-
« savouerait. Il a senti qu'il ne lúi restait plus
« que ~e moyen, et e'est en se faisant dietateur
« Iui-méme qu'il s'est délivré des traitres.


« J'ai frémi plus qu'un autre a l'idée de ces
« mouvements terribles, et c'est pour qu'ils ne
« fussent pas éternellement vains que j'aurais
« désiré qu'ils fussent dirigés par une main juste
« et ferme! Si, a la prise de la Bastille, on eút
(( eompris la née~ssité de eette mesure; einq
« cents tetes scélti'ates seraient tombées a ma
« voix, et la paix eñt été affermie des eette
« époque. Mais faute d'avoir déployé eette




CONVF:NTION NATIONALE (1792 ) . ]75
(( énergie aussi sage que nécessaire , eent mille
« patriotes ont été égorgés, et cent mille sont
« rnenacés de l'étrel Au reste, la preuve queje
(( ne voulais point faire de cette espece de die-
( tateur, de tribun, de triumvir (le nom n'y
« faitrien), un tyran te! que la sottise pour-
(e rait l'imagíner, mais une victime dévouée a
« la patrie, dont nul arnbitieux n'aurait envié
« le sort, c'est que je voulais en méme temps
«( qf1e son autorité ne durát que peu de jours ,
« qu'elle fút bornée au pouvoir de condamner
«' les traitres , et méme qu'on luí attachát du-
( rant ce temps un boulet au pied, afin qu'il
(( fút tonjours sous la main du peuple. Mes
« idées, quelque révoltantes qu'elles vous pa.
( russent , ne tendaient qu'au bonheur publico
( Si vous n'étiez point vous-mémes a la hau-
« teur de m'entendre , tant pis pour vous! »


Le profond silence qui avait régné jusque-Ia
est interrompu par quelques éclats de rire, qui
ne déeoneertent point l'orateur, beaueoup plus
effrayant que risible. 11 continue : « Tel1e était
«. mon opinion, écrite , signée, publiquement
( soutenue, Si elle était fausse, iI fallait la com-
« battre , m'éclairer, et ne point me dénoncer
( au despotisme.


(( On m'a aecusé d'ambition ! mais voyez, et
« jllgez-:moí. Si j'avais seulement voulu mettre




176 REVOLunON FRAN~AISE.
« un prix a mon silence, je serais gorgé d'or,
« et je suis pauvre! Poursuivi sans cesse , j'ai
« erré de souterrains en souterrains, et j'ai pré-
« ché la vérité sur le billot!


« Pour vous, ouvrez les yeux; loin de con-
« sumer votre temps en discussions scandaleu-
(( ses, perfectionnez la déclaration des droits ,
« établissez la constitution, et posez les bases
« du gouvernement juste et libre, qui est le
« véritable objet de vos travaux. »


Une attention universelle avait été accordée
a cet homme étrange, et l'assemblée, stupé-
faite d'un svsteme aussi effrayant et aussi cal-
culé, avait gardé le silence. Quelques partisans
de Marat, enhardis par ce silence, avaient ap-
plaudi; mais ils n'avaient pas été imités , et
Marat avait repris sa place sans recevoir ni ap-
plandissernents , ni marques de colere.


Ver,rniaud , le plus pur, le plus sage des gi-
rondins, croit devoir prendre la parole pour
réveiller l'indignation de l'assemblée. Il déplore
le malheur d'avoir a répondre a un homme
chargé de décrets!!! ... Chabot, Tallien se ré-
crient a ces mots, et demandent si ce sont les
décrets lancés par le Cbatelet pour avoir dé-'
voilé Lafayette. Vergniaud insiste, et déplore
d'avoir a répondre a un homme qui n'a pas
purgé les décrets dont il est chargé, aun homme




CONVENTION NATlONALE (J792 ) . 177
tout dégouttant de calomnies , de fiel el de
sang! - Les murmures se renouvellent ; mais
il continue avec fermeté, et apres avoir distin-
gue dans la députation de Paris , David, Du-
saulx et quelques autres membres, il prend en
mains la fameuse circulaire de la commune que
nous avons déjá citée , et la lit tout eQtiere.
Cependant comme elle était déjá connue, elle
ne produit pas autant d'effet qu'une autre
piece , dont le député Boileau fait a son tour
la lecture. C'est une feuille imprimée par Ma-
rat, le jour méme , et dans laquelIe íl dit :« Une
« seule réflexion m'accable, c'est que tous mes
«: efforts pour sauver le peuple n'aboutiront a
le ríen sans une nouveIle insurrection. A voir
«.la trempe de la plupart des députés a la con-
«. vention nationale, je désespere du salut pu-
« blic. Si dans les huit premiéres séances les
(1 bases de la constitution ne sont pas posées ,
le n'attendez plus rien de cette assemblée, Cin-
« quante ans d'anarchie vous attendent, et
« vous n'en sortirez que par un dietateur, vrai
«(.patriote et homme d'état O peuple ba-
«billardí si tu savais agir! )}


La lecture de cette piece est souvent inter-
romplle par des cris d'indignatiou, A 'peine est-
elle aehevée, qu'une foule de membres se dé-
chainent contre Marat. Les nAS le menacent et


IlI. n




J 78 ll.ÉVOLUTlON .FRAN9AISE.
crient a 1'Abbaye! a la guillotine! d'autres I'ac-
cahleut de paroles de mépris. 11 ne répond que
par un nouveau sourire a toutes les atraques
dont il est l'objet. Boileau demande un décret
d'accusation , et la plus grande partie de l'as-
semblée veut alIer aux voix. Marat insiste avec
sang-froid pour étre entendu. On ne vent l'é-
couter qu'á la barre; enfin il obtient la tribune.
Selon son expression accoutumée, il rappelle
ses ennemis ti la pudeur. Quant aux décrets
qu'on n'a pas rougi de lui opposer, il s'en fait
gloire, paree qu'ils sont le prix de son cou-
rage. D'ailleurs le peuple, en 1'envoyant dans
eette assemblée nationale , a purgé les décrets ,
et décidé entre ses accusateurs et lui. Quant
al'écrit dont on vient de faire la lecture , il ne
le désavouera pas, ear le mensonge, dit - il ,
n'approcha jamais de ses Iévres , et la crainte
est étrangere ason cceur, « Me demander une
« rétractation, ajoute-t-il , c'est exiger queje ne
« voie pas ce que je vois, que je ne sente pas
« ce que je sens , et il n'est aucune puissance
« sous le soleil qui soit capable de ce renver-
« sement d'idées: je puis répondre de la pu-
« reté de mon cceur, mais je ne puis changer
« mes pensées; elles sont ce que la nature des
« choses me suggére. »


Marat apprend ensuite al'assemblée que cet




CONVENTION NATIONALE (17'92). 179
écrit, imprimé en placards, iL Y a dix jours , a
été réimprimé, contre s.on gré, par son libraire;
mais qu'il vient de donner , dans le premier
numéro du Journal de la République , un nou-
vel exposé de ses principes, dont assurément
l'assemblée sera satisfaite, si elle veut l'écouter.


On consent en effet a lire l'article, el l'as-
semblée, apaisée par les expressions modérées
de Marat, dans cet article intitulé Sa nouvelle
marche, le traite avee moins de rigueur; il ob-
tient méme quelques marques de satisfaction..
Mais il remonte a la tribune avec son audace
ordinaire, et prétend donner une lecon a ses
collegues sur le danger de l'emportement et
de la prévention. - Si son journal n'avait pas
paru le jour méme , pour le disculper, on I'en-
voyait aveuglément dans les fers, « Mais, dit-il,
en montrant un pistolet qu'il portait toujours
dan s sa poche, et qu'iL s'applique sur le front,
j'avais de quoi rester libre, et si vous m'aviez
décrété d'accusation, je me brúlais la cervelle
a eette tribune mérne. Voila le fruit de mes
travaux, de mes dangers, de mes souffrances!
Eh bien, je resterai parmi vous, pour braver
vos fureurs l» 'A ce dernier mot de Marat , ses
collegues , rendus a leur indignation, s'écrient
que c'est un fou, un scéLérat, et se livrent a
un long tumnlte.


1 :.&.




180 ltÉVOLUTION FRAN~AIS};.
La discussíon avait duré plusieurs heures ,


et cependant qu'avait-on apprís ?.... rien sur le
projet prétendu d'une dictature au profit d'un
triumvirat, mais beaucoup sur le caractére des
partís, et sur leur force respective. On avait vu
Danton, facile et pIein de houne volonté pour
ses collégues , a condition qu'on ne l'inquié-
terait pas sur sa conduite ; Robespierre , plein
de fiel et d'orgueil: Marat, étonnant de-cv-
nisme et d'audace , repoussé mérne par son
partí; mais táchant d'habituer les esprits a ses
atroces systemes : tous troisenfin réussissant
dans la révolution par des facultés et des vices
différents, n'étant point d'accord les uns avec
les autres, se désavouant réciproquement , et
n'ayant évidemment que ce gout pour l'in-
fluence , naturel a tous les hommes, et qui
n'est point encoré un projet de tyrannie. 00
s'accorda avec les girondins pour proscrire sep-
tembre et ses horreurs; on leur décerna l'es-
time due a leurs talents et a leur probité; mais
on trouva leurs accusations exagérées et impru-
dentes, et on ne put s'ernpécher de voir dans
leur indignation quelques sentiments person-
nels, Des ce mornent l'assemblée se distribua
en coté droit et cótéigauche , comme dans
les premiers jours de la constituante. Au cóté
droit se placérent tous les girondins, et ceux




CONVENTION N.A.TIONA.LE ('792). 181
qui, sans étre aussi personnellement liés aleur
sort, partageaient cependant leur inclignation
généreuse. Au centre s'accumulérent, en nom-
bre considérable , tous les députés honnétes ,
mais paisibles, qui, n' étant portés ni par leur
caractere , ni par leal' talent , a prendre part a
la lurte des partís autrement que par leur vote,
cherchaient, en se confondant dans la multi-
tude , l'obscurité et la sécurité. Leur grand
nombre dans l'assemblée, le respect encore
tres-grand qu'on avait pour elle, I'empresse-
ment que le parti jacobin et municipal mettait
ase justifier a ses yeux, tout les rassurait. lis
aimaient a croire que l'autorité de la conven-
tion suffirait, avec le temps, pour dompter les
agitateurs; ils u'étaient pas fáchés d'ajourner
l'énergie ,et de pouvoir dire aux girondins que
leurs accusations étaient hasardées. Ils ne se
montraient encoré que raisonnables et impar-
tiaux , parfois un peu jaloux de I'éloquence
trop fréquente et trop brillante du coté droit;
mais bientót , en présence de la tyrannie, ils
aHaient devenir faibles et láches, On les nomma
la Plaine , et par opposition on appela /l1on-
tagne le coté gauche, oú tous les jacobins s'é-
taient amoncelés les uns au-dessus des autres.
5tH' les degrés de eette Montagne, on voyait
les députés de Paris el ceux des départemeuts




182 RÉVOI,UTION :t'RAN~A1SE.
qui devaient leur nomination a la correspon-
dance des clubs 1 ou qui avaient été gagnés
depuis leur arrivée , par I'idée qu'il ne fallaít
faire aucun quartier aux ennemis de la révolu-
tion, On y cornptait aussi quelques esprits
distingués, mais exacts , rigoureux, positifs ,
auxquels les théories et la philantropie des
girondíns déplaisaient comme dé vaines abs-
tractions. Cependant les montagnards étaient
peu nombreux encore. La Plaine , unie au coté
droit, composait une majorité immense , qui
avait donné la présidence a Pétion, et qui ap-
prouvait les atlaques des girondins centre sep-
tembre, sauf les personnali tés, qui semblaient
trop précoces et trop peu fondées ",


OH avait passé al'ordre du jour sur les ac-
cusations réciproques des deux partís; mais on
avait maintenu le décret de la veille, et trois
objets demeuraient arrétés : 1 ° demander au
ministére de l'intérieur un compte exact et
fidele de l'état de París; 2° rédiger un projet
de loi centre les provocateurs au meurtre et au
pillage; 3° aviser au moyen de réunir autour
de la convention une garde départementale.
Quant au rapport sur l'état de Paris , on savait


* Voyez un cxtrait des Mémaires de Garat , note 3 a la
Iin du 4e volume.




CONVENTION NA.TIONALE (1792). 183
avec quelle énergie et dans quel sens il serait
fait , puisqu'il était confié a Roland : la com-
mission chargée des deux projets eontre les
provocations écrites et ponr la composition
d'une garde, ne donnait pas moins d'espoir ,
puisqu'elIe était toute composée de girondins.
Buzot, Lasource, Kersaint en faisaient partie.


C'est surtout contre ces deux derniers pro-
jers que les móntagnards étaient le plus sou-
levés. Ils demandaient si on voulait renouveler
la loi martiale et les massacres du Champ-
de-Mars, si la conveution voulait se faire des
sa tellites et des gardes - du - eorps, eomme le
dernier roi. IIs renouvelaient ainsi , comrne le
disaient les girondins, toutes les raisons don-
nées par la cour contre le camp sous Paris.


Beancoup des membres du coté ganehe, et
rnéme les plus ardents, étaient, en leur qualité
de membres de la convention , tres-prononcés
centre les usurpations de la commune ; et, a
part les députés de París, aucun ne la défen-
dait lorsqu'elle était attaquée, ce qni avait lieu
tous les jours. Aussi les décrets se succéderent-
ils vivement. Cornrne la commune tardait a se
renonveler, en exécution du décret qui pres-
crivait la réélection de tons les eorps admi-
nistratifs , on ordonna au conseil exécutif de
veiller a son renouvellement , et d'en rendre




184 RÉVOLUTION FRAN<;:.US.E.
compte a l'assemblée SOU5 trois jours, Une
commission de six membres fut nommée pour
recevoir la déclaration , signée de tous ceux qui
avaient rléposé des effets a l'Hótel-de-Ville , et
pour rechercher l'existence de ces effets, ou
vérifier l'emploi qu'en avait fait la mnnicipalité,
Le directoire du département, que la com-
mune insurrectionnelle avait réduit au titre et
aux fonctions de simple comrnission adminis-,
trative, fut réintégré dans toutes ses attribu-
tions, et reprit son titre de directoire. Les
élections communales ponl' la nomination du
maire , de la municipalité, et du conseil géné-
ral, que les jacobins avaieut récemment ima-
giné de faire a haute voix , pour intimider les
faibles, furent de nouveau rendues secretes par
une confirmation de la loi existante. Les élec-
tions déja opérées d'apres ce mode illégal, fu-
rent annulées, et les sections se soumirent a
les reeommeneer dans la forme preserite. On
décréta enfin que tons les prisonniers eufermés
sans mandat d'arrét , seraient élargis snr -lc-
champ. C'était la un grand coup porté au co-
mité de surveillance, acharné surtout contre
les personnes.


Tous ces décrets avaient été rendus dans
les prerniers jours d'octobre , et la commune ,
vivernent poussée , se voyait obligée a plier




CONVENTION N,\.TIONALE (1:792). 185
sous l'ascendant de la convention, Cependant
le comité de surveillance n'avait pas voulu se
laisser battre sans résistance. Ses membres s'é-
taient présentés al'assemblée, disant qu'ils ve-
naient confondre leurs ennernis. Dépositaires
des papiers trouvés chez Laporte , intendant
de la liste civile , el condamné , cornme on s'en
souvient , par le tribunal du 17 aoút , ils avaient
découvert , disaient - ils , une lettre oú il était
parlé de ce qu'avaient coúté certains décrets ,
rendus dans les précédentes assemblées, lis
venaient démasqner les députés vendus a la
cour, et prollver la fausseté de leur patriotismo.
- Nornmez-Ies, s'était écriée l'assernblée avec
indignation. - Nous ne pouvons les désigner
encore, avaient répondu les rnembres du co~
mité, Sur-le-champ, pour repousser la calomnie,
il fut nommé une comrnission de vingt-quatre
députés , étrangers a la constituante et a la lé-
gislative, cbargés de vérifier ces papiers et d'en
faireleur rapport. Marat, inventeur de cette
ressource , publia dans son journal qu'il avait
rendu aux Rolandistes , accusateurs de la corn-
mune , la monnaie de Ieur piéce ; et il annon<;a
la prérendue découverte d'une trahison des
girondins. Cependant les papiers examinés,
aucun des députés actneIs ne se trouva com-
promis , et le comité de surveilIanee fut declaré




186 RÉVOI,UTION FRANQAISE.
calomniateur, Les papiers étant trop volumi-
neux pour que les vingt - quatre députés en
continuassent l'examen a l'Hótel-de-Ville, 011
les transporta daos l'un des comités de I'assem-
hlée. Marat, se voyant ainsi privé de riches
matériaux pour ses accusations journaliéres ,
s'en irritabeaucoup, et prétendit, dans son
journal, qu'on avait voulu détruire la preuve
de toutes les trahisons.


Aprés avoir ainsi réprimé les débordernents
de la comrnune, l'assemblée s'occupa du pou-
voir exécutif, et décida que les ministres ne
pourraient plus étre pris dans son sein. Danton,
obligé d'opter entre les fonetions de ministre
de la justice et de rnembre de la convention,
préféra, comme Mirabeau, celles qui lui assu-
raient la tribune, et quitta le ministere sans
rendre compte des dépenses secretes, disant
qu'il avait rendu ce compte au conseil. Ce fait
n'était pas tres-exact ; mais on n'y regarda pas
de plus pres , et on passa cutre. Sur le refus
de Francois de Neufcháteau , Garat, écrivain
distingué, idéologue spirituel , et devenu fa-
meux par l'exeellente rédaction du Journal de
Paris, occupa la place de ministre de la jus-
tice, Servan, fatigué d'une administration labo-
rieuse, et au-dessus non de ses facultés, mais
de ses forces , préféra le cornmandernent de




CONVENTION NATIONALE (1792). 187
l'armée d'observation qu'on formait le long des
Pyrénées. Le ministre Lebrun fut provisoire-
ment chargé d'ajouter le portefeuille de la
gúerre el celui des affaires étrangeres. Roland
enfin offrit aussi sa démission , fatigué qu'il
était d'une anarchie si contraire el sa probité
et el son inflexible amour de l'ordre. Les gi-
rondins proposérent el l'assemblée de l'inviter
el garder le pottefeuílle. Les montagnards , et
particuliérement Danton, qu 'il avait beaueoup
contrarié, s'opposerentaeette démarche eomme
peu digne de 1'assemblée. Danton se plaignit de
ce qu'il était faible, et gouverné par sa femme ;
on répondit ace reproche de faiblesse par la let-
tre du 3 septembre, et on aurait pu répondre en-
core en citant l'opposition que lui, Danton, avait
reneontrée dans le eonseil. Cependant on passa
el l'ordre du jour. Pressé par les girondíns et
tous les gens de bien, Roland demeura au mi-
nistére, « J'y reste, écrivit-il noblement a l'as-
« semblée, puisque la calomnie m'y attaque,
(C puisque des dangers m'y attendent, puisque
« la convention a paru désirer que j'y fusse
« encore. n est trap glarieux , ajouta-t-il en 6-
« nissant sa lettre, qu'on n'ait eu el me reprocher
(( que mon unian avec le eourage et la vertu. »


L'assemblée se partagea ensuite en divers
comités. Elle créa un comité de surveillance




J 8~ l\ÉVOLUTION FRA.Nc.:A.ISE.
composé de trente membres ; un second de la
guerre, de vingt - quatre; un troisiéme des
comptes, de quinze ; un quatrieme de législa-
tion criminel1e el civile, de quarante-huit ; un
cinquierne des assignats, monnaies et finances,
de quarante-deux. Un rsixierne comité, plus
irnportant que tous les autres , fut chargé du
principal objet pour lequella convention était
réunie , c'est-á-dire , de préparer un projet de
constitution. On le compasa de neuf memLres
diversement célebres, et presqne tous choisis
dans les intéréts du cótédroit, La philosophie y
en t ses représeutants dans la personne de Sieyes,
de Condorcet, et de l'Américain Thornas Payne,
récemment élu citoyen francais et membre de
la convention nationale ; la Gironde y fut par-
ticulierement représentée par Gensonné, Ver-
gniaud, Pétion et Brissot; le centre par Barreré,
et la Montagne par Danton, On est saos doute
étonné de voir ce tribun si remuant, mais si
peu spéculatif, placé dans ce comité tout phi-
losophique, et il sernhle que 16 caractere de
Robespierre, sinon ses talents , aurait dú lui
valoir ce róle. TI est certain que Bobespierre
ambitionnait bien davantage cette distinction,
et qu'il fut profondément hlessé de ne pas l'ob-
tenir. 00 l'accorda de préférence a Danton,
que son esprit uaturel rendait propre a tout ,




CONVENTION NATIONA.LE (1792). 18g
et qu'aucun ressentiment profond ne séparait
encore de ses collegues. Ce fut cette compo-
sition du comité qui fit renvoyer si long-temps
le travail de la constitution.


Aprés avoir pOlltvu de la sorte au rétablis-
sement de l'ordre dans la capitale , a I'organisa-
tion du pouvoir exécutif', a la distribution des
comités el aux préparatifs de la constitution ,
il restait un derrrier objet a régler, l'un des plus
graves dont l'assernblée eút as'occuper , le sort
de Louis XVI et de sa famille. Le 'plus profond
silence avait été observé a cet égard dans l'as-
sernblée, et on en parlait partout, aux Jacohins,
a la commune , dans tous les lieux particuliers
ou publics, excepté seulement a la c.onvention.
Des émigrés avaient été saisis les armes a la
main, et on les conduisait a Paris pour leur
appliquer les lois criminelles. A ce sujet, une
voix s'éleva (c'était la premiére); el demanda
si, au lieu de s'occuper de ces coupables sub-
alternes, on ne songerait pas a ces coupables
plus élevés renfermés au Temple. A ce mot , un
profond silence régna dans l'assemblée. Barba-
roux prit le prernier la parole, et demanda
qu'avant de savoir si la convention jugerait
Louis XVI, on décidát si la convention serait
corps judiciaire, car elle avait d'autres coupa·
bles a juger que ceux du Temple. En élevant




190 RÉVOLUTION FRAN«;tAISE.
cette question, Barbaroux faisait allusion au
projet d'instituer la convention en cour ex-
traordinaire, pour juger elle -méme les agita-
teurs , les triumvirs , etc. Aprés quelques débats,
la proposition fut renvoyée au comité de lé-
gislaticn , poul' examiner les questions aux-
quelles elle donnait naissance.


_G_




CHAPITRE IV.


Situatíon militaire a la fin d'octobre 1792. - Bomharde-
ment de Lille par les Autrichiens; prise de Worms et
de Mayenee par Custine, - Faute de nos généraux.~
Mauvaises opérations de Custine. - Armée des Alpes.
Conquéte de la Savoie et de Nice, - Dumouriez se
rend 11 París; sa position 11 l'égard des partís. ---:- In-
fluence et organísation du club des Jacohins. - État de
la société franeaise; salons de Paris. - Entrevue de
Marat et de Dumouriez. Aneedote. - Seconde lutte des
girondins avee les montagnards; Louvet dénonee Ro-
bespierre; réponse de Robespierre; l'assemblée ne
donne pas suite a son accusation, - Premiéres pro-
positions sur le procés de Louis XVI.


DANS ce moment, la situation militaire de la
France était bien changée. 00 touchait ala mi-
octobre ; déja l'ennemi était repoussé de la
Champagne et dé la Flandre, et le sol étranger
envahi sur trois points, le Palatinat , la Savoie
et le comté de Nice.





19~ RÉVOLUTION FRAN~A.IS~.
On a vu les Prussiens se retirant du eamp


de la Lune , reprcnant la route de I'Argonne,
jonchant les défilés de morts et de malades , et
n'éehappant a une perte totale que par la négli-
genee de nos généraux qui poursuivaient cha-
cun un but différent. Le duc de Saxe -Teschen
n'avait pas mieux réussi claus son atlaque sur
les Pays - Bas. Tandis que les Prussiens mar-
ehaient sur l'Argonne, ce prinee ne voulant pas
rester en arriere, avait eru devoir essayer quelq ue
entreprise éclatante. Cependaut, quoique notre
frontiere du nord fUt dégarnie, ses moyens
n'étaient pas beaucoup plus grands que les
nótres , et il put a peine réunir quinze mille
hommes avec un matériel médiocre. Feignant
alors de fausses atraques sur toute la ligne des
plaees fortes, il provoqua la déroute de l'un
de nos petits camps, et se porta tout-a-coup
sur Lil\e, pour essayer un siége que les plus
grands géiléraux n'avaient pu exécuter avec de
puissantes arrnées et un matériel eonsidérable.
Il n'y a que la possibilité du succes qui justi-
fie a la guerre les e'!ltreprises cruelles. Leduc
ne put aborder qu'un point de la place, et y
établit des batteries d' obusiers, qui la bomhar-
derent pendant six jours consécutifs , et incen-
dierent plus de deux cents maisons. On dit que
l'archiduchesse Christine voulut assister elle-




CONVENTION N ATION ALE (1792.). J 93
méme a ce spectacle horrible. S'il en est ainsi,
elle ne put étre témoin que de l'héroisme des
assiégés , et de l'inutilité des barbaries autri-
chiennes. Les Lillois , résistant avec une noble
ob;tination ,ne consentirent jamaisase rendre;
et, le 8 octobre , tandis que les Prussiens aban-
donnaient l'Argonne, le duc Albert était obligé
de quitter Lille. Le ~énéral Labourdonnaie,
arrivant de Soissons, Beurnonville, revenant
ele la Champagne, le forcérent a s'éloigner ra-
pidement de nos frontieres , et la résistance des
Lillois , publiée par toute la France, nefit
qu'augmenter l'enthousiasme général.


A peu pres a la méme époque, Custine ten-
tait dans le Palatinat des entreprises hardies,
mais d'un résultat plus brillant que solide.
Attaché a l'armée de Biron, qui campait le
long du Rhin, il était placé avec dix-sept mille
hommes aquelque distance de Spire. La grande
armée d'invasion n'avaitque faiblement protégé
ses derrieres , en s'avancant dans l'intérieur de
la France. De faibles détachements couvraient
Spire, Worms et Mayence. Custine s'en aper-
cut , marcha sur Spire , et y entra sans résis-
tance le 30 septembre. Enhardi par le succes ,
il pénétra le 5 octobre dans Worms, sans reno
contrer plus de difficultés, et obligea une gar-
nison de deux mille sept cents hommes amettre


III. d




J 94 nÉVOLUTION I'RAN9AISE.
bas les armes. Il prit ensuite Franckenthal ,
et songea sur-le-champ al'importante place de
Mayence, qui était le point de retraite le plus
important pour les Prussiens, et dans lequel
ils avaient en l'imprudenee de ne laisser qu'une
médioere garnison. Custine , avec dix-sept mille
hommes et sans matériel , ne pouvait ten ter un
siége; mais il essaya d'un COllp de main. Les
idées qui avaient soulevé la France agitaient
toute l'Allemagne, et particuliérernent les villes
a université. Mayenee en était une, et Custine
y pratiqua des intelligenees. n s'approcha des
murs, s'en éloigna sur la fausse nouveUe de
l'arrivéé d'un corps autrichien, s'y reporta de
nouveau, et, faisant de grands mouvements,
trompa l'ennemi sur la force de son armée, On
délibéra dans la place. Le projet de capitulation
fut fortement appuyé par les partisans des Fran-
cais, et le 2. J octobre les portes furent onvertes
a Custine. La garnison mit has les armes, ex-
cepté huit cents Autrichiens, qui rejoignirent
la grande armée. La nouvelle de ces succes se
répandit avec éclat, et causa une sensation ex-
traordinaire. lis avaient sans' doute bien pell
coúté ; ils étaient bien peu méritoires , compares
a la constance des Lillois, et au maguanime
sang-froid déployé a Sainte-Menehould ; mais
011 était enchanté de passer de la simple résis-




CONVENTION NATIONALE (1792 ) . 19&
tance á la conquéte. Jusque-lá tout était bien
de la part de Custine, si, appréciantsa posi-
ti~n; il eút su terminer la campagne par un
mouvement , qui était possible et décisif.


En cet instant, les trois armées de Dumou-
riez , de Kellermann et de Custine ,étaient, par
la plus heureuse rencontre, placées de maniere
a détruire les Prussiens et aconquérir par u!1e
seule marche toute la ligne du Rhin jusqu'a
la mero Si Dumouriez , moins préoecupé d'une
autre idée , eút gardé Kellermann sous ses or-
dres, et eüt poursuivi les Prussiens avec ses
quatre-vingt mille hommes; si en méme temps
Custine, descendant le Rhin de Mayence aCo-
blentz, se fút jeté sur leurs derriéres , on les
aurait accablés infailliblement. Suivant ensuite
le cours du Rhin jusqu'en Hollande, on prenait
le due Albert a revers , on l'obligeait a déposer
les armes ou a se faire jour, et tous les Pays-
Bas étaient soumis. Treves et l ..uxembourg.
cornpris dans la ligne que nous avions décrite,
tombaient nécessairement ; tout était France
jusqu'au Rhin, et la campagne se trouvait ter-


. minée en un mois. Le génie abondaie chez Du-
mouriez , mais ses idées avaient pris un autre
eours. Brñlant de retourner en Belgique, il ne
songeait qu'a y marcher directement , pour se-
cour-ir Lille el pOllsser de front le duc Albert.


,3.




'196 I1ÉVOLUTION FUAN9AISE.
Il laissa done Kellermann seul a la poursuite
des Prussiens. Celui-ei pouvait encore se porter
sur Coblentz, en passant entre Lnxembourg
et Treves , tandis qúe Cnstine descendrait de
Mayence. Mais Kellermann, pen entreprenant,
ne présuma pas assez de ses tronpes, qui pa-
raissaient harassées , et se cantonna autour de
Metz. Custine, de son coté, voulant se rendre
indépendantet faire des incursions brillantes,
n'avait ancune envie de se joindre aKellerrnann
et de se renfer~er dans la limite du Hhin, Il
ne pensa done jamais avenir aCoblentz. Ainsi
fut négligé ce beau plan t si bien saisi et dé-
veloppé par le plus grand de nos historiens
militaires ",


Custine, avec de l'esprit, était hautain , em-
porté et inconséquent. Il tendait surtout a se
rendre indépendant de Biron et de tour autre
général, et il eut l'idée de conquérir autour de
lui. Prendre Manheim, l'exposait a violer la
neutralité de l'électeur palatin , ce qui.lui était
défendu par le conseil exécutif; il songea done
adésemparer le Rhin pour s'avancer en Alle-
magne.Franeforf, placé sur le Mein., lui sern-
bla une proie digne d'envie , et il résolut des'y
portero Cependant cette ville libre, commer-


_* Jomini.





CONVl<;NTION N A.TlON A.LJ' (1 7~J?)· J 97
<,;ante, toujours neutre dans les diverses guer-
res, et bien disposée pour les Francais , De
méritait pas cette fácheuse préférence, N'étant
point défendue , il était faciled'y entrer, mais
difficile de s'y maintenir, et par conséquent
mutile de l'occuper. Cette excursion ne pou-
vait avoir qu'un but , celui de frapper des
contributions , et il n'y avait aucune justice a
Jes imposer aun peuple hahituellement neutre ,
cornptant tout au plus par ses vceux , et par ses
veeux mérnes méritant la bienveillance de la
France, dont il approuvait les príncipes et sou-
haitait les succes. Custine commit la faute d'y
entrer. Ce fut le 27 octobre. 11 leva des contri-
butions, indisposa les habitants, dont il fit des
ennemis pour les Francais ; et s'exposa, en se
jetant ainsi sur le Mein, aetre coupé du Rhin,
ou par les Prussiens, s'ils fussent remontés jus-
qu'á Bingen, ou par l'électeur palatin, si, rom-
pant la neutralité, il fút sorti de Manheim.


La nouvelle de ces courses sur le territoire
ennerni continua de causer une grande joie a
la France qui était tout étonnée de conquérir,
quelques jours apres avoir tant craint d'étre
conquise elle-méme. Les Prussiens alarmés je-
terent un pont volant sur le Rhin, pour rernon-
ter le long de la rive droite , et chasser les Fran-
cais. Heureusenient pour Custine , ils mirent




J 98 REVOLUTtoN FRAN-;;AISE.
douze jours a passer le fleuve, Le décourage-
ment , les maladies et la séparation des Auu-i-
chiens avaient réduit cette armée a cinquante
mille hommes, Clerfayt, avec ses dix-huit mille
Autrichiens , avait suivi le mouvement géuéral
de nos troupes vers la Flandre, et se portait
au secours du duc Albert. Le corps des émi-
grés avait été licencié, et cette brillante milice
s'était réunie an corps de Condé, ou avait passé
a la solde étrangere.


Tandis que ces événements se passaient a la
frontiere du nord et du Rhin, nous rempor-
tions d'autres avantages sur la frontiere des
Alpes. Montesquiou , placé a l'armée du midi,
envahissait la Savoie et faisait occllper le comté
de Nice par un de ses, lieutenants. Ce général,
qui avait fait voir dans la constituante toutes
les Iumieres d'un hornme d'état , et qui n'eut
pas le temps de montrer lesqualités d'un mi-
Iitaire , dont on assure qu'il était doné, avait
été mandé a la barre de la législative pour
rendre compte de sa conduite, accusée de trop
de lenteur. Il était parvenu a convaincre ses
accusateurs que ses retards tenaient au défaut
de moyens,et non au manque de zele , et il
était retourné aux Alpes. Cependant il apparte-
nait a la premiere génération révolutionnaire ,
et se trouvait ainsi incompatible avec la nou-




CONVENTION NATIONALE (1792 ) . '99
velle. Mandé encore une fois, il allait étre des-
titué , lorsqu'on apprit enfin son entrée en Sa-
voie. Sa destitutiou fut alors suspendue, et on
lui laissa continuer sa conquéte.


D'apres le plan concu par Dumouriez , lors-
qu'en qualité de ministre des affaires étran-
geres il régissait a la fois la diplomatie et la
guerre, la France devait pousser ses armées
jusqu'a ses frontieres naturelles, le Rhin et la
haute chaine des Alpes. Pour cela, il fallait con-
quérir la Belgique, la Savoie et Nice. La France
avait ainsi l'avantage, en rentrant dans les princi-
pesnaturels de sa politique, de ne dépouiller que
les deux seuls ennemis qui lui fissent la guerre,
la maison d'Autriche et la cour de Turin. C'est
de ce plan, manqué en avril dans la Belgique,
et différé jusqu'ici dans la Savoie, que Mon-
tesquiou allait exécuter sa partie. Il donna une
division au général Anselme, pour passer le
Var et se porter sur Nice aun signal donné ; il
marcha Iui-rnérne , avec la plus grande partie
de sdh armée, de Grenoble sur Chambéry; il
fit menacer les troupes sardes par Saint-Ge-
nies , et s'avancant lui-rnéme du fort Barraux
sur Montmélian, il parvint a les diviser et a
les rejeter dans les vallées. Tandis qne ses lieu-
tenants les poursuivaient , iI se porta sur Charo-
béry , le 28 septembre, et yfit son entrée triorn-




200 RÉVOLUTION FRAN~AlSE.
phale, a, la grande satisfaction des habitants,
q\li aimaient la liberté en vrais enfants des mon-
tagnes, et la France eomme des hommes qui
parlent la méme langue, ont les mémes moeurs,
et appartiennent au méme bassin. Il forma.aus-
sitót une assemblée de Savoisiens , pour y faire
délibérer sur une question qui ne pouvait pas
étre douteuse, celle de la réuniona la France.


Au méme instant, Anselme, renforcé de six i
mille Marseillais, qu'il avait demandés eomme
auxiliaires, s'était approché du Val', torrent
iAégal, comme tous ceux qui descendent des
hautes montagnes, tour - a- tour imraense ou
desséché, et ne pouvant pas méme recevoir un
pont fixe. Anselme passa trés-hardiment le Val',
et occupa Nice que le comt~ Saint-André ve-
nait d'abandonner , et OU les magistrats l'avaient
pressé d'entrer pour arréter les désordres ele
la populace , qui se livrait a d'affreux pillages.
Les troupes sardes se rejeterent vers les hautes
vallées; Anselme les poursuivit ; mais ji s'arréta
devant un poste redoutable, celui de Saorgio ,
dont il ne put jamais chasser les Piémontais.Pen-
dant ce temps, l'escadre de l'amiral Truguet,
combinant ses mouvements ~veG. ceux du gé-
néral Anselrne , avait obtenu la reddition de
Villefranche , et s'était portée devant la petite
principauté d'Oneille. Beaucoup de corsaires




CONVJ.'NTION NATIONALE (1792). 20'
trouvaient ordinairement un asile dans ce port,
et par eette raison , il n'était pas inutile de le
réduire. Mais, tandis qu'un canot francais s'a-
vancait pour parlementer, plusieurs hommes
furent, en violation du droit des gens, tués
par une déchaJ'ge générale. L'amiral , emhos-
sant alors ses vaisseaux devant le port, l'écrasa
de ses feux , y débarqua ensuite quelques trou-
pes, qui saccagerent la ville , et firent un grand
carnage des moines qui s'y trouvaient en grand
nombre, el qui étaient , dit-on , les instigateurs
de ce manque de foi. Te He est la rigueur des
lois militaires , et la malheureuse viII e d'Oneille
les subit sans aucune miséricorde. Aprés eette
expédition , l'escadre francaise reto urna devant
Nice, ou Anselme , séparé par les crues du Var
du reste de son armée, se trouvait dangereu-
sement compromiso Cependant , en se gardant
bien coutre le poste de Saorgio, et en ména-
geant les habitants plus qu'il ne le faisait, sa
position était tenable, et il pouvait conserver
sa conquéte.


Sur ces entrefaites, Montesquiou s'avancait
de Chambéry sur Geneve , et allait se trcuver
en présence de la Suisse, tres-diversement dis-
posée pour les Francais , et qui prétendait.voir
dans l'invasion de la Savoie un danger pour sa
neutralité.




202 RÉVOLUTJON FRAN(/AISl":,


Les sentiments des cantons étaient tres-parta-
gés anotre égard. Toutes les républiques aristo-
cratiques condamnaient notre révolution, Berne
surtout, et son avoyer 5tinger, la détestaient
profondément , et d'autant plus que le pays de
Vaud, si opprimé, la chérissait davantage. L'a-
ristocratie helvétique, excitée par I'avoyer Stin-
gel' et par I'ambassadeur anglais, demandait la
guerre centre nons, et faisait valoir le massacre
des Gardes-Suisses au JO aoút, le désarrnement
d'un régiment a Aix, et enfin l'occupation des
gorges du Porentruy, qui dépendaient de l'é-
véché de Bále , et que Biron avait fait oeeuper
pOLlr fermer le Jura. Le parti modéré l'emporta
néanrnoins , et on résolut une neutralité armée,
Le canton de Berne, plus irrité el plus défiant,
porta un eorps d'armée aNyon, et , S01lS le pré-
texte d'une demande des magistrats de Geneve,
placa garnison dans eette ville. D'apres les an-
ciens traités , Genéve , en cas de guerre entre
la Franco et la Savoie , ne devait recevoir gar-
nison ni de I'une ni de l'autre puissance. Notre
envoyé en sortit aussitót , et le conseil exécutif,
poussé par Claviere , autrefois exilé de Geneve,
et jaloux d'y faire entrer la révolntion, ordonna
a Montesquiou de faire exécuter les traités, De
plus, on lui enjoignit de mettre Iui-mérne gal'-
nison dans la place, c'est-a-dire d'imiter la faute




CONVENTION N ATIONAI,E (J792). :103
reprochée aux Bernois. Montesquiou sentait d'a-
bord qu'il n'avait pas actuellement les moyens
deprendre Geneve , et ensuite qu 'en rompant
la neutralité et en se mettant en guerre ave e
la Suisse ,on ouvrait l'est de la France, et on dé-
couvrait le flane droit de notre défensive, Il
résolut d'un cóté d'intimider Geneve , tandis
que de l'autre il tácherait de faire entendre
raison au conseíl exécutif, II demanda done
hautement la sortie des troupes bernoises , et
essaya de persuader au ministere francais qu'on
ne pouvait exiger davantage. Son projet était,
en cas d'extrémité, de hombarder Geneve , et
de se porter par une marche hardie sur le can-
ton de Vaud, pour le mettre e~ révolution.
Geneve consentit a la sortie des troupes ber-
noises , a condition que Montesquiou se reti-
rerait adix lieues , ce qu'il exécuta sude-charo p.
Cependant cette eoncession fut blámée aParis,
et Montesquiou, placé a Carouge ,ou l'entou-
raient les exilés génevois qui voulaient rentrer
dans leur patrie, se trouvait la entre la crainte
de brouiller la France avec la Suisse,et la crainte
de désobéir au conseil exécutif, qui méconnais-
sait les vues militaires et politiques les plus
sages. Cette négociation , prolongée par la dis-
tance des lieux , n'était pas encore prés de fl-
uir, quoiqu'on fut a la fin d'octobre.


,




~:w4 nÉVOLUTION FRAN'<';:AISE.
Te}était done, en oetobre 1792, depuis Dun-


kerque jusqu'á B:Ue, et depuis Bale jusqu'á
Niee, l'état de nos armes. La frontiere de la
Champagne était délivrée de la grande inva-
sion ; les troupes se portaient de eette province
vers la Flandre , pour seconrir LilIe et envahir
la Belgique. Kellermann prenait ses quartiers
en Lorraine. Custine , échappé des mainsde
Biron, maitre de Mayence, et eourant impru-
demment dans le Palatinat et jusqu'au Mein ,
réjouissait la Franee par ses conquétes, effrayait
I'Allemagne, et s'exposait imprudemment a
étre coupé par les Prussiens , qui remontaient
la rive droite du Rhin , en troupes malades et
hattues , mais nombreuses , et capables encore
d'envelopper la petite armée francaise, Biron
campait toujours le long du Rhin. Montes-
quiou, maitre de la Savoie par la retraite des
Piémontais au-dela des Alpes, et préservé de
nouvelles attaques par les neiges, avait a dé-
cider la question de la neutralité suisse ou par
les armes ou par des négociations. Enfin An-
selme, maitre de Niee, et soutenu par une es-
cadre , pouvait résister dans sa position malgré
les emes du Val', et malgré les Piérnontais
groupés au-dessus de lui dans le poste de
Saorgio.


Tandis qne la guerre allait se transporter de




CONVENTJON NA.TIONALE (1792). 205
la Champagne dans la Belgique, Dumouriez
avait demandé la permission de se rendre a


• Paris poul' deux OH trois jours seulement, afin
de concerter avec les ministres l'invasion des
Pays-Bas ~ et le plan général de toutes les opé-
rations militaíres, Ses ennemis répandirent qu'il
venait se faire applaudir , et qu'il quittait le
soin de son cornmandement pOUl' une frivole
satisfactíon de vanité. Ces reproches étaierrt
exagérés, cal' le commandement de Dumou-
riez ne souffrait pas de cette absence, et de
simples marches de troupes pouvaient se faire
sans lui. Sa présence an contraire devait étre
fort utile au conseíl poul' la déterrnination d'un
plan général, ét d'ailleurs 011 pouvait Iui par-
donner une impatience de gloire, si générale
chez les hommes, et si excusable quand elle
ne nuit pas a des devoirs.


Il arriva le J 1 octobre a Paris. Sa position
était embarrassante, caril ne pouvait se trouver
bien avec aucun des deux partís. La violence
des jacobins lui répugnait , et il avait rompu
avec les girondins, en les expulsant quelques
mois auparavant du ministere, Cependant, fort
bien aceueilli dans toute la Champagne, il Ie
fut encore mieux a París, surtout par les mi-
nistres et par Roland Iui-méme , qui mettait ses
ressentiments personnels au néant, quand il




206 RÉVOLUTION FRAN~AIS}:.
s'agissait de la chose publique. Il se présenta
le 12 ala convention. A peine l'eut-on annoncé,
que des applaudissements mélés d'acclama-
tions s'éleverent de toutes parts. Il pronoll(,;a
un discours simple, énergique, oú était brieve-
ment retracée toute la campagne de l'Argonne,
et oú ses troupes et Kellermann lui -rnéme
étaient traités ave e les plus grands éloges. Son
état-major présenta ensuite un drapeau pris sur
les émigrés, et l'offrit a l'assemblée cornrne un
monument de la vanité de leurs projets, Aussi-
tót apres , les députés se háterent de l'entou-
rer, et on leva la séance pour 'donnér un libre
cours aux félicitations. Ce furent surtout les
nombreux députés de la Plaine, les impar-
tiaux , comme on les appelait , qui, n'ayant a
lui reprocher ni rupture ni tiédeor révolution-
naire, lui térnoignerent le plus vif et le plus
sincere empressement. Les girondins ne reste-
rent pas en arriere ; cependant , soit par la faute
de Dumouriez, soit par la leur , la réconcilia-
tian ne fut pas entiere , et on put apercevoir
entre eux un reste de froideur. Les monta-
gnards, qui lui avaieut reproché un moment
d'attachement pour Louis XVI, et qui le trou-
vaient , par ses manieres, son merite et son
élévation , déjá trop semblable aux girondins,
luí surent mauvais gré des témoignages qu'il




CONvt:NTION NATIONALE (1792). 2.07
obtint de leur part, et supposerent ces té-
moignages plus significatifs qu'ils ne l'étaient
réellement.


Apres la convention, restait avisiter les ja-
cobins, et eette puissance était alors devenue
si imposante, que le généraI victorieux ne pou-
vait se dispenser de lui rendre hommage. C'est
la que l'opinión en fermentation formait t0l15
ses projets, et rendait tons ses arréts, S'agissait-
iI d'une loi importante, d'une haute question
politique, d'une grande mesure révolutionnaire,
les jacobins, toujours plus prompts, se hátaient
d'ouvrir la diseussion et de donner leur avis.
Immédiatement apres, ils se répandaient dans
la commune, dans les sections , ils écrivaient
a tOU5 les clubs affiliés; et l'opinion qu'ils
avaient émise, le voeu qu'ils avaient formé,
revenaient sous forme d'adresse de tous les
points de la France, et sons forme de pétition
armée, de tous les quartiers de Paris. Lorsque,
dans les conseils municipaux , dans les sec-
tions, el dans toutes les assemblées revétues
d'une autorité quelconque, on hésitait encore
sur une question , par un dernier respect de
la légalité, les jacohins , qui s'estimaient aussi
libres que la pensée , la tranchaieut hardiment,
et toute insurrection était proposée chez eux
long-temps a l'avance. lis avaieut pendant tout




~w8 RhVOLUTION }'RAN<;:AISE.
un mois délíbéré sur celle du 10 aoút. Outre
cette initiative dans chaque question, ils s'ar-
rogeaient encore, daus tous les détails du
gouvernement, une inquisition inex.orable. Un
ministre, un chef de bureau , un fournisseur
étaient-ils accusés , des commissaires partaient
des jacohins , se faisaient ouvrir les bureaux,
et demandaient des comptes rigoureux , qU'OIl
leur rendait sans hauteur , sans dédain , sans
impatience. Tout citoyen qui croyait avoir a
se plaindre d'un acte quelconque, n'avait qu'á
se présenter a la société , et il y trouvait des
défenseurs officieux pour lui faire rendre jus-
tice. Un jour c'étaient des soldats qui se plai-
gnaieRt de leurs officiers , des ouvriers de leurs
entrepreneurs; un autre jour on voyait une
actrice réclamer contre son directeur; une fois
méme un jacobin vint demander réparation
de l'adultére commis avec sa femme par l'un
de ses collegues.


Chacun s'empressait de se faire inscrire sur
les registres de la société pour faire preuve de
zele patriotique. Presque tous les députés nou-
vellement arrivés a Paris s'étaient hátés de s'y
présenter; on en avait compté cent treize dans
une semaine, et ceux mérne qui n'avaient pas
l'intention de suivre les séances ne laissaient
pas que de demander Ieur admission. Les 50-




CONVENTION NATIONALE "( J 79~)' ::lO9
ciétés affiliées écrivaient du fond des provinces,
pour s'informer si les députés de leurs dépar-
tements s'étaient fait receveir , et s'ils étaient
assidus, Les riches de la capitale táchaient de
se faire pardonner lenr opulence en allant aux
Jacobins se couvrir du honnet rouge, et Ieurs
équipages encomhraient la porte de ce séjour
de l'égalité. Tandís que la salle était remplie
du grand nombre de ses memhres, que les
tribunes regorgeaient de peuple, une foule
immense, melée aux équipages, attendait a la
porte, et demandait agrands cris a étre intro-
duite.Quelquefois cette multitude s'irritait, lors-
que la pluie, si fréquente sous le ciel de París,
ajoutait aux ennuis de l'attente, et alors quel-
que memhre demandait I'admission du bon
peuple , qui souffrait aux portes de la salle.
M arat avait souvent réc1amé dans de pareilles
occasions; et quand l'admission était accordée ,
quelquefois méme avant, une multitude im-
mense d'hommes et de femmes venaient inon-
der la société et se méler ases membres. e'était
ajá. fin du jour qu'on s'assemblait, La colere ,
excitée et contenue a la convention, venait
faire la une libre explosiono La nuit , la multi-
tude des assistants, tout contrihuait aéchauffer
les tetes; souvent -la séance , se prolongeant,
clégénérait en un tumulte épouvantable , et les


JIT. 1 rl




210 ll.FVOLUTION FRAN~AISF.
agitatellfS y puisaient , pour le lendernain , le
courage des plus audacieuses tentatives, Cepen-
dant cette société, si avancée en démagogie,
n'était pas encore ce qu'elle devint plus tardo
On y souffrait encore a la porte les équipages
de eeux qui venaient abjurer l'inégalíté des con-
ditions. Quelques mernbres avaient fait de vains
efforts pour y parler le chapean sur la tete, et
on les avait obligés ase découvrir. Brissot , a la
vérité , venait d'en étre exclu par une décision
solennelle; rnais Pétion continuait d'y présider,
au milien desapplaudissements. Chabot, Col-
lot-d'Herbois , Fabre d'Églantine, y étaient les
orateurs . favorisés. Marat y paraissait étrange
encore, et Chabot disait , en langage du Iieu ,
que Marat était un porc-épic qu'on ne pouvait
saisir d'aucun cóté.


Dumouriez fut re~u par Danton, qui prési-
dait la séance. De nombreux applaudissements
I'accueillirent, el en le voyant on lui pardonna
l'amitié supposée des girondins. II pronon~a
quelques mots convenahles a la situation ,'et
promit avant la fin da mois de marche" liJ·la
téte de soixante mille hommes , .pourattaqucr
les rois, el sauoer les peuplesde la tyrannie.


Danton répondant enstyle analogue , lui dit
que, ralliant les Franeais :(\u ~amp de Sainre-
Menehould , ilavait bienmérité de la parrie ,




CO.NVENTJON NATIONA:LE (1792). :111
mais qu'une nouvelle carriere s'ouvrait ; qu'il
devait faire tomher les couronnes devant le
bonuet rouge dont la société l'avait honoré,
et que son nom figurerait alors parmi les plus
beaux noms de la Franee. Collot-d'Herbois le
harangua ensuite , et lui tint un discours qui
montre etla langue de l'époque, et les dispo-
sitions du moment a l'égal'd du généraL


« Ce n'est pas un roi qui t'a nommé, 6
« Dumouríez, ce sont tes concitoyens. Sou-
« viens-toi qu'un général de la république ne
ee doit jamais servir qu'elle seule. Tu as en-
(( tendu parler de Thémistocle; il venait de
« sauver la Grece a Salamine; mais, calomnié
« par ses ennernis, il se vit obligé de cher-
« eher un asile chez les tyrans.On luí offrit de
« servir centre sapatrie : pour toute réponse,
« il s'enfonca son épée dans le coeur. Dumou-
ce riez , tu as des ennemis , .tu seras calomnié ,
ee souviens-toi de Thémistocle!


« Des peuples esclaves t'attendent pour les
« seeourir : bientót tu les délivreras. Quelle
q glorieuse mission!... Il faut cependant te dé-
« fendre de quelque exces de générosité envers
« tes ennemis. Tu as reconduit le roi de Prusse
« un peu trap ala maniere francaise ... Mais,
« nous l'espérons, l'Autriche pajera double.


re Tu iras a Bruxelles , Dumouriez.... je n'ai
14.




212 tl.EVOLUTION FRAN~A.ISF:.
4( r'ien a te <lire... Cependant si tu y trouvais
cc une fernme exécrable qui, sous les murs de
ce Lille , est verme repaitre sa férocité du spee-
ce tacle des boulets rouges 1. .. Mais eette femme
ce ne t'attend pas....


ce A Bruxelles la liberté va renaitre sons tes
ee pas .... eitoyens, filles , femmes, enfants ,Sé
« presseront autour de toi; de quclle félicité
« tu vas jouir, Dumouriez L.. Ma femme... est
cc de Bruxelles , elle t'ernbrassera aussi *!»


Danton sortit ensnite avee Dumouriez, dont
il s'était emparé, et auquel il faisait en quel-
que sorte les honneurs de la nouveíle répu-
blique. Danton ayant montré a Paris une
eontenanee aussi ferme que Dumouriez a
Sainte-Menehould, on les regardait l'un et l'au-
tre comme les deux, sauveurs de la révolution,
et on les applaudissait ensemble dans tous les
spectacles oú ils se montraient. Un certain
instinct rapproehait ces deux hommes, mal-
gré la différence de leurs habitudes. C'étaient
les corrompns des deux régimes qui s'unis-
saient avec un méme génie, un méme gout
pour les plaisirs , mais avec une corruption
différente. Danton avait celle du peuple , et
Dumouriez eelle des eours; mais plus heureux


* Voyez la note 1 a la fin du t.e volume.




CONVENTION NATIONALE (1792). 2.13
que son collegue , ce dernier n'avait serví que
généreusement et les armes a la main, et
Danton avait en le malheur de souiller un
grand caractere par les atrocités de septembre.


Ces salons si brillants, ou les hommes cé-
lebres jouissaient autrefois de la gloire, oú,
pendant tout le dernier siecle , on avait écouté
et applaudi Voltaire , Diderot , d' Alembert,
Rousseau, ces salons n'existaient plus. 11 res-
tait la société simple el choisie de madame
RoJand, oú se réunissaient tous les girondins,
le beau Barbaroux, le spirituel Louvet, le
grave Buzot , le brillant Guadet, l'entrainant
Vergniaud, et oú régnaient encore une lan-
gue pure, desentretiens pleins d'intérét , et
des mceurs élégantes et polies. Les ministres
s'y réunissaient deux fois la semaine, et on y
faisait un repas composé d'un seul service.
Telle était la nouvelle société républicaine, qui
joignait aux graces de 1'ancienne France le sé-
rieux de la nouvelle, et qui allait bientót dis-
paraitre devant la grossiereté démagogique.
Dumouriez assista a l'un de ces festins si sim-
pies, éprouva d'abord quelque gene a l'aspeet
de ces anciens amis qu'il avait chassés du mi-
nistere , de cette femme qui lui semblait trop
sévére , et a laquelle il paraissait trop licen-
cieux ; mais il soutint cette situation avec son




2 14 RÉVOLUTION FIlAN9AISE.
espritaccoutumé, et fut touché surtout de la
cordialité sincere de Roland. Aprés la société
des girondins, celle des artistes était la seule
qui eút survécu a la dispersion de l'ancienne
aristocratie. Presque tous les artistes avaient
embrassé chaudement une révolution qui les
vengeait des dédains nobiliaires, et qui ne
promettait de faveur qu'au génie. Ils accueil-
lirent Durnouriez aleur tour, et lui donnerent
une féte , oú furent réunis tous les talents que
renfermait la capitule, Mais au milieu méme
de la féte , une scene étrange vint l'interrom-
pre, et causer autant de dégoút que de sur-
prlse.


Marat, toujours prompt a devaneer les mé-
fianees révolutionnaires, n'était point satisfait
du général. Dénonciateur aeharné de tous les
hommes entourés de la faveur publique, il .
avait toujours provoqué, par ses dégoútantes
invectives, les .disgráces encourues par les
chefs populaires. Mirabeau, Bailly, Lafayette,
Pétion , les girondins, avaient été aecablés de
ses outrages, lorsqu'ils jouissaient encore de
toute leur popularité. Depuis le 10 aoút sur-
tout, il s'était livré a tous les désordres de son
esprit; et, quoique révo1tant pour les hommes
raisonnables et honnétes , et étrange au moins
pour les révolntionnaires emportés, il avait




CONVENTJON NATIOlliALE (1792). 2]5
été eneouragé par un commencement de suc-
ces. Aussi ne manquait-il pas de se regarder
en quelqne sorte comme un homme public ,
essentiel an uouvel ordre de choses, 11 passait
une partie de sa vie a recueillir des bruits , a
les répandre dans sa feuille , et a parcourir les
bureaux pour y redresser les torts des admi-
nistrateurs envers le peuple. Faisant au public
la confidence d~ sa vie, il disait un jour dans
l'un de ses numéros ", que ses occupations
étaieut accablantes ; que sur les vingt-quatre
heures de la jouruée , il n'en donnait que deux
au sommeil , et une seule a la table et aux
soins domestiques; qu'en outre des heures con-
sacrées a ses -devoirs de député, il en em-
ployait régulierement six a recueillir et a{aire
valoir les plaintes d'une foule de malheureux
et d'opprimés; qu'il consacrait les heures res-
tantes a lire une multitude de lettres et a y
répondre, a écrire ses observations sur les
événements , a recevoir des dénonciations, a
s'assurer de la véracité des dénonciateurs, en-
fin afaire sa feuille , et aveiller a l'impression
d'un grand ouvrage. Depuis trois années il n'a-
vait pas pris, disait- il, un quart d'heure de


• Journai de la Bépubtiquefrancaisc , n" 93, mercredi
9 janvicr 1793.




:H 6 llÉVOLUTION FRANl;:,\ISE.
récréation; et on tremble en se figurant ce
que peut produire dans une révolutiou une
intelligence aussi désordonnée , servie par cette
activité dévorante.


Marat prétendait ne voir dans Dumoúriez
qu'un aristocrate de mauvaises moeurs , dont
il faUait se défier, Par surcroit de motifs , il
apprit que Dumouriez venait de sévir avec la
plus grande rigueur contre deux bataillons de
volontaires qui avaient égorgé des déserteurs
émigrés, Sur-le-champ il se rend aux Jacobins,
dénonce le général aleur tribune , et demande
deux commissaires pour aller l'interroger ~ur
sa conduite. On lui adjoint aussitót les nom-
més Montaut et Bentabolle, et sur l'heure il
se met en marche avec eux. Dumouriez n'était
point a sa demeure. Marat court aux divers
spectacles, et enfin apprend que Dumouriez
assistait a une féte qne lui donnaient les ar-
tistes chez mademoiselle Candeille, femme cé-
lebre alors. Marat n'hésite pas a s'y rendre,
malgré son dégoütant costume. Les équipages,
les détachements de la garde nationale <l'qu'il
trouve a la porte du lieu oú se donnait la fete,
la présence du commandant Santerre, d'une
foule de députés, les appréts d'un festin, irri-
tent son humeur, 11 s'avance hardiment et de-
mande Dumouriez. Une espece de rumeur s'é-·




CONVE1UlON N ATlON ALE (179:A). 217
leve a son approche. Son nom prononcé fait
disparaitre une foule de visages , qui, disait-
il, fuyaient ses regards accusateurs, Marchant
droit vers Dumouriez, ill'interpelle vivement,
et lui demande compte des traiternents exer-
cés envers les deux bataillons. Le général le
regarde, puis lui dit avec une curiosité mé-
prisante:-Ah c'est vous qu'on appelle Marat!
-11 le considere encore des pieds ala tete, et
lui tourne le Jos, sans luí adresser une parole.
Cependant, les jacobins qui aceompagnaient
Marat, paraissant plus doux et plus honnétes ,
Dumouriez leur donne quelques explieations,
el les renvoie satisfaits. Marat, qui ne l'était
pas, pousse .de grands cris daus les anti-
chambres, gourmande Santerre , qui fait, dit-
il, auprés du généralle métier d'un laquais;
déclame contre les gardes nationaux qui con-
tribuaient a l'éclat de la féte , et se retire en


.menaeant de sa colere tous les aristocrates
composant la réunion, Aussitót il court trans-
crire dans son journal cette scene ridicule,
qui peint si bien la situation de Dumouriez ,
les fureurs de Marat et les moeurs de cette
époque*.


.. Voyez le récit de l\'1arat lui-méme , note 2 it la fin du
4" volume,




'.! I 8 RÉVOLUTION FRANYAISJ'.
Dumouriez avait passéquatre jours a Paris ,


et, pendant ce temps, il n'avait pu s'entendre
avec les girondins , quoiqu'il eút parmi eux un
ami intime dans la personne de Gensonné. II
s'était borné a eonseiller a ce dernier de se ré-
coneilier avec Danton , eomme avec l'homme
le plus puissant , et eelui gui, malgré ses vices,
pouvait devenir le plus utile aux gens de bien.
Dumouriez ne s'était pas mieux entendu avec
les jacobins , dont il était dégoúté , et auxquels
il était suspect , acause de son amitié supposée
avec les girondins. Son séjour a Paris l'avait
done peu servi aupres des deux partis, mais
lui avait été plus utile sous le rapport mili-
taire.


Suivant son usage, il avait concu un plan
général adopté par le conseil exécutif. D'aprés
ee plan, Montesquiou devait se maintenir le
long des Alpes, et s'assurer la grande chaine
pour limite, en aehevant la conquéte de Nice ,
et en s'efforcant de conserver la neutralité suisse.
Biron devait etre renforeé, afin de garder le
Rhin depuis Bale jusqu'á Landau. Un eorps de
douze mille hommes, aux ordr~s du général
Meusnier, était destiné il se porter sur les der-
rieres de Custine, afin de couvrir ses cornrnu-
nications, Kellermann avait ordre de quitter ses
ql1al'tíers, de passer rapidement entre Luxem-




CONVENTION NATIONALE (1792). 219
bourg et Treves , pour courir a Coblentz, et
de faire ainsi ce qu'on lui avait déjá conseillé,
et ce que lui et Custine auraient dú exécuter
depuis long-temps, Prenant enfin l'offensive
lui-méme avec quatre-vingt mille hornrnes , Du-
monriez devait eompléter le territoire francais
par 1'acquisition projetée ele la Belgique. Gar-
dant ainsi la défensive sur toutes les frontieres
protégées par la nature du sol, on n'attaquait
hardiment que sur la-frontiere ouverte , celle
des Pays-Bas , la OU, comme le disait Dumou-
riez, on ne pouvait SE DÉF.ENDRE QU'E.N GAGN ANT
DES BATAILLES.


Il obtint , par le crédit de Santerre , que
1'absurde idée du camp SOtIS Paris serait aban-
donnée; que tous les rassemblements qn'on
avait faits en hommes, en artillerie , en muni-
tions, en effets de campement, seraient re-
portés en Flandre , pour servir a son armée qui
manquait de tout; qu'on y ajouterait des sou-
Iiers , des capotes, et six millions de numé-
rairepour fournir le prét aux soldats , en at-
tendant l'entrée dans les Pays-Bas.apres laquelle
il espérait se suffire alui-rnéme. Il partit , vers
le 16 octobre, un peu désabusé de ce qu'on
appelle reconnaissance publique, un peu moins
d'accord avec les partís qu'auparavant, et tout
au plus dédommagé de son voyage par quel-




:120 RÉVOLUTION FRAN<,;3AlSE.


ques arrangements militaires , faits avec le con-
seil exécutif.


Pendant cet intervaIle, la convention avait
continué d'agir contre la cornmune en pressant
son renouvellement, et en surveillant tous ses
actes. Pétion avait été nornmé maire aune ma-
jorité de treize mille huit cent .quatre-vingt-
dix-ueuf voix " tandis que Robespierre n'en
avait obtenu que vingr-trcis , Billaud - Va-
rennes quatorze, Panis quatre-vingts, et Dan-
ton onze. Cependant il ne faut point mesurer
la popularité de Robespierre et de Pétion d'a-
prés cette différence dans le nombre des voix,
paree qu'on avait l'habitude de voir dans I'un
un maire, et dans l'autre un député , et qu'on
ne songeait pas a faire autre chose de chacuu
d'eux; mais cette immense majorité proU\'e la
popularité. dont jouissait encore le principal
chef du parti girondin. Il ne faut pas oublier
de dire que Bailly obtint deux voix, singulier
souvenir donné ace vertueux magistrat de 1789'
Pétion refus~ la mairie , fatigué qu'il était des
convulsions de la commune, et préférant les
fonctioos de député a la convention natío-
nale.


Les trois mesures principales projetées dans
la fameuse séance du 24 septembre étaient, une
loi contre les provocations au meurtre , un




CONVENTION NATIONALE (1792). 11J
décret sur la formation d'une gatde départe-
mentale, et enfin un compte exact de l'état
de París. Les deux premiéres , confiées a la
commission des neuf, excitaient un cri conti-
nuel aux jacobins, a la communeet dans les
sections. J..Ja commission des neuf n'en conti-
nuait pas moins ses travaux, et de divers dé-
partements, entre autres de Marseille et du
Calvados, arrivaient spontanément et comme
avant le JO aoúr, des bataillons qui devancaient
le décret sur la garde départementale. Roland,
chargé de la troisieme mesure, c'est-á-dire du
rapport sur l'état de la capitale, le fit sans fai-
blesse et avec une rigoureuse vérité, JI pei-
gnít et excusa la confusion inévitable de la
premiére insurrection ; mais il retraea avec
énergie et frappa de réprobation les crimes
ajoutés par le 2 septembre a la révolution du
JO aoút ; il montra tous les débordements de
la commune, ses abus de pouvoir, ses empri-
sonnements arbitraires, et ses immenses di la-
pidations. Il finit par ces mots :


(( Département sage, mais peu puissant; como
( mune active et despote; peuple excellent ,
« mais dont une partie saine est intimidée OH
(( contrainte , tandis que l'autre est travaillée
« par les flatteurs et enflammée par la calom-
« nie; confusion des pouvoirs, abus et mépris




222 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
« des autorités.; force publique faihle ou nulle
({ par un mauvais commandement, voilá Pa-
« ris! '" )1


Son rapport fut couvert d'applaudissements
par la majorité ordinaire , bien que, pendant
la lecture, certains murmureseussent éclaté
vers la Montagne. Cependant une lettre écrite
par un particulier aun magistrat, communi-
quée par ce magistrat au conseil exécutif, et
dévoilant le projet d'un nouveau 2 septernbre
contre une partie.de la convention, excita une
grandeagitation. Une phrase de cette lettre ,
relative aux conspirateurs , disait: lis ne ueu-
lent entendre parler que de Robespierre. A ce
mot tous les regards se dirigerent sur lui; les
uns luí témoignaient de J'íudignation, les au-
tres l'excitaient a prendre la parole. llla prit
pour s'opposer a l'impression du rapport de
Roland, qu'il qualifia de rornan diffamatoire,
et il soutint qu'on ne devait p~s donner de pu-
blicité a ce rapport,avant que ceux qui s'y
trouvaient accusés, et lui-méme particuliere-
ment , eussent été entendus. S'étendant alors
sur ce qui lui était personnel , il commenca a
se justifier; mais i1 ne pouvait se faice enten-
dre, acanse du hruit qui régnait dans la salle.


* Séance du :19 octobre.




CONVENTION NATfON'AL1, (1792). 223
- Parle, lui disait Danton, parle; les bons ci-
toyens sont la qui t'entendent. Robespierre,
parvenant adominer le bruit, recommence son
apologie, et défie ses adversaires de l'accuser
en face, et de produire contre lui une sen le
preuve positivo. A ce défi , Louvet s'élance:
-e'est moi, lui dit-il , moi qui t'accuse. Et en
achevant ces mots il occupait déjá le pied de
la tribune, et Barbaroux , Rebecqui, I'y suivaien t
pour soutenir l'accusation. A cette vue, Ro-
bespierre est ému , et son visage parait al téré ;
ií demande que son accusateur soit entendu ,
et que lui-méme le soit ensuite. Danton, lui
succédant a la tribune, se plaint du systeme
de calomnie órganisé contre la commune et la
députation de Paris, et répéte sur Marat, qui
était la principale cause de toutes les accusa-
tions, ce qu'il avait déja déclaré , c'est-a-dire
qu'íl ne I'aimait pas, qu'il avait fait l'expé-
rience de son tempérament volcanique el inso-
ciable, et que toute idée d'une coalition trium-
virale était absurde. Il finiten demandant qu'on
fixe un jour pour discuter ce rapport. L'as-
sernblée en décrete l'impression , mais elle en
ajoume la distribution aux départements, jus-
qu'a ce qu'on ait entendu Louvet et Robes-
plerre.


Louvet était plein de hardiesse et de con-




~24 RÉVOLUTION FRAN(,;:AISE.
rage; son patriotisme était sincere; mais, dans
sa haine contre Robespierre, entrait le ressen-
timent d'une lutte personnelle, commencée
aux Jacobins, continuée dans la Sentinelle ,
renouvelée dans l'assemblée électorale, et de-
venue plus violente depuis qu'il se trouvait
face a face avec son jaloux rival dans la con-
vention uationale. A une extreme pétulance de
caractere , Louvet joignait une imagination 1'0-
manesque el crédule qui l'égarait, et lui faisait
supposer un concert et des complots la OU iI
n'y avait que l'effet spontané des passions.
Il croyait a ses propres suppositions , et vou-
lait forcer ses amis a y ajouter la méme foi.
Mais iI rencontrait dans le froid hon seos de
Pétion et de Rolaod, daos l'indolente impartía-
lité de Vergniaud, une opposition qui le déso-
lait. Buzot, Barbaroux, Guadet, sans étre aussi
crédules , sans supposer des trames aussi com-
pliquées, croyaient a la méchanceté de Ieurs
adversaires , et secondaient les atraques de
Louvet par indignation et par cóurage. Salles,
député de la Meurthe , ennemi opiniátre des
anarchistes dans la constituante et dans la con-
vention, Salles, doué d'une imagination sombre
et violente, était seul accessible a toutes les
suggeslions de Louvet, el croyait, comme luí,
ade vastes complots, trames dans la comrnune




~ONVJJ:l\TTION N~TIONAU: (1792). 225
et aboutissant al'étranger. Amis passionnés de
la liberté , Louvet et Salles 'Be pouvaient con-
sentir alui imputer tant de maux , et ils aimaient
mieux croire que les rnontagnards , surtout Ma-
rat, étaient stipendiés par l'émigration et I'An-
gletel're, poul' poussel' la révolution au crime,
au déshonneur et a la confusion géné1'ale. Plus
incertains sur le compte de Robespierre, ils
voyaíent an moins en luí un tyran dévoré d'or-
gueil et d'ambition, et marchant par tous les
moyens au supréme pouvoir.


Louvet , résolu d'attaquer hardiment Robes-
pierre et de ne lui laisser aueun repos, tenait
son diseours tout prét , et s'en était muni le
jour oú Roland devait faire son rapport : aussi
fut-il tout .préparé a soutenir l'aeeusation 101'8-
qu'on lui donna la.parole. lila prit sur-le-champ,
et immédiatement apres Roland.


Déjá les gil'ondins avaient assez de penchant
a mal juger les événements , et a snpposer des
projets crirninels la OU il n'y avait que des pas-
sions emportées: mais, ponl' le crédule Louvet ,
la conspiratio n était encore bien plus évidente
etplus fortement combinée. Dans.l'exagération
croissante des jacobins, dansle succés que la
morguede Bobespierre y avait obtenu pendant
1792, il voyait un complot tramé par l'ambi-
tieux tribuno 11 le montra, s'entourant de sa-


III, 15




?2G RK\'OLUTION FRAN9AISF,.


tellites a la violence desquels il livrait ses
contradicteurs; serendant luí -rnémc l'objet
d'un culte idolatre, faisant dire partout, av:mt
le 10 aoút , que .lui seul pouvait sauver la li-
berté et la France , et , le 10 aoút arrivé , se
cachant a la Iumiere , reparaissant deux jours
apres le danger, marchant alors droit ala com-
mune, malgré la promesse de ne jamais accep-
terdeplace,et, de sapleine autorité, s'asseyant
lui-méme au bureau du conseil général; la s'ern-
parant d'une bourgeoisie aveugle, la poussant
ason.gré átousles exces , allant insulter pour
elle l'assemblée législative, et exigeant de cette
assemblée des décrets sous peine du tocsin ;
ordonuant, sans jamais paraitre , les massacres
et les vols de septembre, ponr appuyer I'autorité
municipale par la terreur ; .envoyant ensuite
par toute la France des émissaires qui allaient
conseiller les mémes crimes , et engager les pro-
vinces areconuaitre la supériorité et l'autorité
de Paris. Bobespierre , ajonte Louvet , voulait
détruire la représentation nationale pOQr; lui
substituer la commune dont il dísposait, ~t"QO~lS
donner le gouvernement de Bome , 911,S0I15 le
nom de munícipes" les provinces étaient sou-
mises a la souveraineté de la métropole. Maitre
ainsi de Paris , qui I'eut été de la France, il
aurait succédé a la royauté détruite, Cepen-




CONVVNTION NATIONALE (1792 ) . ').21
dant , voyant approcher le moment de la ré-
union d'une nouvelle assemblée, il avait passé
du conseilgénéral a l'assemblée électorale, et
avait dirigé ses choix par la terreur, afin d'étre
maitre de la convention par la députation de
Paris.


C'est lui, Robespierre, qui avait designé aux
électeurs cet homme de sang dont les placards
incendiaires remplissaient la France de sur-
prise et d'épouvante. Ce libelliste, du nom du-
quel Louvet ne voulait pas, disait- il , souiller
ses levres , n'était que I'enfant iperdu de .l'as-
sassinat ,doué , pour précher le erime et ca-
lomnieñ les citoyens les plus purs, d'un courage
qui manquait au cauteleux Robespierre. Quant
a Danton.Louvet le séparait de l'accusation ,
et s'étonnait méme qu'il se füt élancé ~ la tri-
bune pour repousser une atraque qui ne se
dirigeait pas centre luí. Cependant il ne le sé-
parait pas de septembre, parce que dans ces
joursmalheureux , lorsque toutes les autorités ,
l'assemblée , les ministres, le maire, parlaient
en vain poul' arréter les massacres , le ministre
seul de. la .justice ne parlait pas; parce qu'en-
fin, dansles fameux placards, il était excepté
seul des calomnies répandues eontre les plus
pursdescitoyens. « Et puisses-tu , s'écriait LOlJ-
« vet, puisses-tu , oDanton , te laver aux yeux


15.




2',Ú~ R:ÉVOI,UTION I"RAN<';AISE.
« de la postérité de cette déshonorante exeep-
« tion! » Des applaudissements avaient accueilli
ces paroles , aussi généreuses qu'ímprudentes.


Cctte accusation , constamment applaudie,
n'avait cepéndant pas été entendue sans beau-
coup de murmures;mais un mot souvent répété
pendant la séance les avait arrétés. Assurez-moi
du silence, avait dit Louvet au président ,car
je vais toucher le mal, et on criera. - Appuie,
avait dit Danton, touche le mal. Et chaque fois
qne s'élevaient des murmures: silencel criait-
on , silence les blessésl


Louvet résume enfin son accusation. «Robes-
« pierre, s'écrie-t-il , je t'accnse d'avoir calomnié
« les plus pnrs citoyens, et de l'avoir fait le jour
« ou les calomnies étaient des proscriptions; je
( t'accuse de t'étre produit toi-rnéme comme
(e un objet d'idolátrie , et d'avoir fait répandre
« que tu étais le seul homme capable de sauver
« la France ; je t'accuse d'avoir avili, insulté et
« persécuté la représentation nationale , d'avoir
« tyrannisé l'assernblée électorale de Paris , et
« d'avoir marché au supréme pouvoir par la
« calomnie, la violence et la terreur, et je de-
« mande un comité ponr examiner ta conduite.»
Louvet propose une loi qui condamne au ban-
nissement quiconque aura fait de son nom un
sujet de división entre les cítoyens. Il veut




CONVENTlON NATlONALE (1792). 229
qu'aux mesures dont la cornmission des neuf
prepare le projet, on en ajoute une nouvelle,
c'est de mettre la force armée a la disposition
du ministre de l'intérieur. « Enfin , dit-il , je de-
« mande sur I'heure un décret d'accusation
« contre Marat l. .. Dieux! s'écrie-t-il , dieux!
«( je l'ai nommé] »


Robespierre, étourdi des applaudissements
prodigués a son adversaire, veut prendre la
paroJe. Au milieu du bruit et des murmures
qu'excite sa présence, il hésite, ses traits et
sa voix sont altérés, il se fait entendre cepen-
dant, et demande un délai pour préparer sa dé-
fense. Le délai lui est accordé , et la défense cst
ajournée au 5 novembre. Le renvoi était heu-
reux ponr l'accusé, cal', excitée par Louvet,
l'assemblée ressentait ce jour-lá une vive in-
dígnation.


Le soir , vive rumeur aux Jacobins, oú se
faisait le controle de toutes les séances de la
convention. Une foule de memhres accourent
éperdus pour raconter la conduite horrible de
Louvet , el pour demander sa radiation. Il avait
calomnié la socíété, inculpé Danton, Santerre ,
Robespierre et Marat; il avait demandé une
accusation centre les deux derniers, propasé
des lois sanguinaires, attentatoires a la liberté
de la presse, el enfin propasé l'ostracisme d'A-




1130 RÉVOLUTION FRAl'H;AI!il:.


thenes. Legendre dit que e'était un coup monté,
puisque Louvet avait son discours tout prét ,
et que bien évidemment le rappoI't de Roland
n'avait eu d'autre objet que de fournir une
occasion a cette diatribe.


Fabre d'Églantine se plaint de ce que le
scandale augmente tous les jours , de ce qu'on
s'évertueacalomnierParis et les patriotes.--«On
lie, dit-jl , de petites conjectures a de petites
suppositions, on en fait sortir une vaste cons-
piration ,et on ne veut nous dire ni oú elle
est, ni quels en sont les agents et les moyens.
S'il y avait un homrne qui eüt: tont V1.l, tout
apprécié daos l'un et I'autre parti, vous ne
pourriez douter que cet homme, ami de la
vérité , ne füt tres-propre a la faire counaitre.
Cet homme c'est Pétion. Forcezsa vertu adire
tout ce qu'il a vu , et aprononeer sur les cri-
mes imputés aux patriotes. Quelque condes-
cendaoce qu'il puisse avoir pour ses amis, j'ose
dire que les intrigues ne J'ont point corrompu.
Pétion est toujours pur et sincere; il voulait
parler aujourd'hui, forcez-Ie a s'expliquer *.»


Merlin s'oppose ace qu'on fasse Pétion juge
entre Robespierre et Louvet, ear c'est violer
l'égalité que d'instituerainsi un eitoyen juge


• Voye~ la note 5 a la Iin du 4e volume.




CONVENTION NATIONALF. (1792). :l31
.supréme des autres. D'ailleurs Pétion est res-
peetable, sans doute; mais s'il venait adévier!
n'est - il pas homme? Pétion n'est - il pas ami
de Brissot , de Roland? Pétion ne reeoit-il pas
Lasource , Vergniaud, Barharoax, tous les in-
trigants qui compromettent la liberté?


La motion de Fahre est abandonuée , et Ro-
bespierre jeune, prenant un ton lamentable,
comme faisaient aRome les parents des accu-
sés, exprime sa douleur, et se plaint de .n'étre
pas calomnié comme son frere. « C'est le mo-
" ment, dit-il, des plus grands dangers, tout
« le peuple n'est pas pour nous. Il u'y a que
t( les eitoyens de Paris qui soient suffisamment
« éclairés; les autres ne le sont que tres - im-
« parfaitement,.... Il serait done possilile que
C( l'innocence succombát lundi L. cal' la conveu-
f( tion a entendu tout entier le long mensonge
« de Louvet, Citoyens, s'écrie-t-il , j'ai eu un
« grano effroi; il me semblait que des assassins
« allaient poignarder mon frére, J'ai entendu
« des :hommes dire qu'il ne périrait que de
« leurs mains; un autre m'a dit qu'il voulait
« étre SOIl bourreau.» A ces mots, plusieurs
membres se levent , et déclarent qu'eux aussi
ont été menacés, qu'ils l'ont été par Barba-
roux , par Rebecqui et par plusieurs citoyens
des tribuues ; que ceux qui les menacaient leur




2:12 RÉVOLUTION FRAN~AIS:t:.
ont dit : Il faut se débarrasser de Marat et de
Robespierre. On entoure alors Robespierre
jeune , on lui promet de veiUer sur son frere,
et on décide que tous ceux qui ont des amis
Oll des parents dans les départements écriront
pour éclairer I'opinion. Robespierre jeune, en
quittant la tribune, ne manque pas d'ajouter
une calomnie. Anacharsis Clootz, dit - il , lui
avait assuré que tous les jours il rornpait , chez
Roland, des lances contre le fédéralisme,


Vien1f. a son tour le fougueux Chabot. Ce
qui le blesse surtout dans le discours de
Louvet, c'est qu'il s'attribue le JO aoñt a Iui
el a ses amis , et le 2 septembre a deux cents
assassins. « Moi , dit Chabot, je me souviens
« que je m'adressai , le 9 aoút au soir, a mes-
« sieurs du coté droit , pour leur- proposer l'in-
({ surrection, et qu'ils me répondiren t par un
({ sourire du bout des levres. Je ne vois donc
« pas quel droit ils ont de s'attribuer le JO
e( aoút, Quant au 2 septembre, l'auteur en est
« encore ce méme peuple qui a fait le 10 aoút
« malgré eux , et qui apres la victoire a voulu
« se venger. Louvet dit qu'il n'y avait pas deux
c< cents assassins , et moi j'assure que j'ai passé
({ avec les commissaires de la législative sous
«. une voúte de dix mille sabres. J'ai reconnu
« plus de cent cinquante fédérés. II n'y a poiut




CONVENTION NATIONALE (1792). 233
( de crimes en révolutions. Marat, tantaccusé,
" n'est poursuivi que pour des faits de révolu-
II tion. Aujourd'hui on accuse Marat, Danton,
« Robespierre; demain ce sera Santerre, Cha-
« bot, Merlin, etc.»


Excité par ces audacieuses paroles, un fédéré
présent a la séance, fait ce qu'aucun homme
n'avait encare publiquement osé : il déelare
qu'il agissait avec grand nombre de ses cama-
rades aux prisons, et qu'il avait cru n'égorger
que des conspirateurs, des fabricateurs de faux
assignats, et sauver Paris du massacre et de
l'incendie ; il ajoute qu'il remercie la société de
la bienveillance qu'elle leur a témoignée atous,
qu'ils partent le lendemain pour l'armée, et
n'emportent qu'un regret, c'est de laisser les
patw>tes dans d'aussi grands périls.


Cette affreuse déclaration termina la séance.
Robespierre n'avait point paru, et il ne parut
pas de toute cette semaine, préparant sa ré-
ponse, et laissan t ses partisans disposer l'opi-
nion.Pendant ce temps, la commune de Paris
persistait dans sa conduite et son systeme. On
disait qu'elle avait enlevé jusqu'a dix millions
dans la caisse de Septeuil, trésorier de la liste
civile; et, dans le moment méme , elle faisait
répandre une pétition aux quarante - huit
rnunicipalités contre le projet de donner une




23Lí RÉVOLUTION ,FRANC;:;AISE.
garde ala convention. Barharoux proposa aus-
sitót quatre décrets formidables et parfaite-
ment concus :


Par le premier, la capitale devait perdre le
droit de Jl\lsséder la représentation nationale,
quand elle n'aurait pas su la ptotéger eontre
les insultes ou les violencés ; .


Par le second , les fédérés et les gendarmes
nationaux devaient, concurremment avec les
sections armées de Paris, garder la represen-
tation nationale et les établissements pubIies ;


Par le troisiéme , la convention devait se
constituer en cour de justice pom jugel' les
conspirateurs;


Par le quatriéme enfin, la convention cassait
la municipalité de Paris,


Ces quatre décrets étaient parfaitement adap-
tés aux circonstances , et convenaient aux vrais
dangers du moment; mais, pour les rendre, il
aurait fallu avoir toute la puissance qui ne
pouvait résulter que des décrets mérnes, Pour
se créer des moyens d' éncrgie, il faut l'énergie,
et tout parti modéré qui veut arréter un partí
violent, est dans un cercle vicieux dont il ne
peut jamais sortir. Sans doute la majorité, pen-
chant pour les girondins, aurait pu rendre les
décrets , mais c'était sa modération qui la fai-
sait pencher ponr eux , el sa modóratiou memo




CONVENTlON I'IATlONAU (l 792). ~35
lui conseillait d'attendre, de temporiser, de se
fier al'avenir, et d'écarter tout moyen trop tót
énergique. L'assemblée repoussa méme un dé-
cret heaucoup moins rigoureux; c'était le pre-
miel' de ceux dont on avait confié la rédaction
a la commission des neuf. Buzot le proposait,
et il était relatif aux provocateurs au meurtre
et al'incendie. Toute provocation directe était
punie de mort, et la provocation indirecte
punie de dix ans de fers. L'assemblée trouva
la provocation directe trop séverement punie,
et la provocation indirecte trop vaguement
définie et trop difficile a atteindre, Buzot dit
en vain qu'il fallait des mesures révolution-
naires, et par conséquent arbitraires, contre
les adversaires qu'on v~ulait combattre; il ne
fut pas écouté, et il ne pouvait pas Iietre en
s'adressant aune majorité qui condamnait dans
le partí violent les mesures révolutionnaires
méme , et qui par conséquent était peu propre
ales employer contre lui. La loi fut done ajour-
née ; et la commission des neuf, instituée pour
aviser aux moyens de maintenir le bon ordre,
devint pour ainsi dire inutile.


L'assemblée cependant montrait un peu plus
d'énergie , des qu'il s'agissait de réprirner les
écarts de la commune. Alors elle semblait dé-
fendre sou autorité avec une espece de jalousie




2.36 RÉVOLUTION FRA.N<;USE.
el de force. Le conseil général de la eommune,
mandé ala barre a cause de la pétition contre
le projet d'une garde départementale, vint se
justifier, Il n'était plus, dit-il , celui du JO aoút.
Quelques prévaricateurs s'étaient rencontrés
parmi ses membres, on avait éu raison de les
dénoncer, mais ils ne se trouvaient plus dans
son sein. Ne confondez pas, ajoutait-il, les in-
nocents et les coupables. Rendez-nous la con-
fiance dont 1l01lS avons besoin . Nous voulons
ramener le calme nécessaire a la convention
pour l'établissement des bonnes lois. Quant a
I'envoi de cette pétition, ce sont les sections
qui I'ont voulu, 1l0US ne sommes que leurs
mandataires; mais on les engagera a s'en dé-
sister,


Cette soumission désarma les girondins eux-
mérnes , et, ala requéte de Gen~onné, les hon-
neurs de la séance furent accordés au conseil-
général. Cette docilité des administrateurs pon- .
vait bien satisfaire l'orgueil de l'assemblée,
mais elle ne prouvait rien quant aux véritables
dispositions de Paris. Le tumulte augmentait a
mesure qu'on approchait du 5 novembre, jour
fixé pour entendre Robespierre. La veille, il y
eút des rumeurs en sens diverso Des bandes
parcoururent Paris, les unes en criant ; A la
guillotine, Robespierre , Danton , Marat ! les.




CONVENTION NATrol'iALE (1792 ) . 237
autres en criant: A la mort, Roland, Lasource;
Guadet! On s'en plaiguit aux Jacobins , oú i.1
ne fut parlé que des cris poussés contre Ro-
hespierre , Danton et Marat. On accusait de
ces cris: des dragons et des fédérés, qui alors
étaient encore dévoués a la convention. Robes-
pierre jeune parnt de nouveau ala tribune, se
lamenta sur les dtUlgers de l'innocence, re-
poussa un projet de conciliation proposé par
un membre de la société , en disant que le
partiopposé était décidément contre-révolu-
tionnaire , et qu'on ne devait garder avec lui
ni paix ni treve ; que sans doute l'innocence
périrait dans la lntte, mais qu'il fallait qu'elle
se sacrifiát , et qu'on laissát-succomber Maxi-
milienRobespierre, parce que la perte d'un seul
hornme n'entrainerait pas celle de la liberté.
Tons les jacobius applaudirent aces beaux sen-
timents, en assurant aujeune Robespierre qu'il
n'en serait rien , et que son frere ne périrait
pas.


Des plaintes toutes différentes furent profé-
rées a l'assemblée , et la, on dénonca les cris
poussés contre Roland, Lasource, Guadet, etc.
Roland se plaignit de I'inutilité de ses réquisi-
tions an département et a la COI11IDUne ponr
obtenir la force armée. On discuta beaucoup,
00 échaogea des reproches, et la journée s'é-




·138 RÉVOLUTION FRANC;:A.lSt..
coula sans prendre aucune mesure. Le lende-
rnain , 5 novernbre , Robespierre parut enfin a
la tribune.


Le concours était général, et on attendait
avec impatience le résultat de cette discussion
solennclle. Le discours de Rohespierre était
volumineux et préparé avec soin. Ses repon-
ses aux accusations de Louvct furent celles
qu'on ne manque jamais de faire en pareil cas :
( Vous m'accusez, dit-il , d'aspirer a la tyran-
« nie; mais , pouryparvenir,ilfautdes moyens,
( et oúsont mes trésors et mes armées? Vous
(( prétendez que j'ai élevé dans les Jacobins l'é-
« difice de ma puissance. Mais que prouve cela?
« e'est que j'y étais plus éeouté, que je m'a-
« dressais peut-étre mieux que vous a la raison
( de cette société, et que vous ne voulez ici
« venger que les disgráces de votre amour-pro-
« pre. Vous prétendez que eette société célé-
« hre est dégénérée; mais demandez un décret
« d'accusation contre elle, alors je prendrai le
« soin de la justifier, et nous verrons si vous
« serez plus heureux OH plus persuasifs que
(l Léopold et Lafayette. Vous prétendez que je
« n'ai paru ala commune que deua jours apres
( le 10 aoüt , et qu'alors je me suis moi-méme
« installé au bureau, Mais d'abord je n'y ai pas
« été appelé plus tót ; et, quand je me suis


..




C:ONVENTIONNA.TlON ,\LE (1792). :139
« presenté au bureau , ce n'était pas pour m')'
" installer, mais pour faire vérifier mes pou-
« voirs, Vous ajoutez que j'ai insulté l'assem-
« blée législative, que je l'ai menaeée du toe-
« sin: le fait est faux. Quelqu'un, plaeé pres
« de moi, m'accusa de sonner le toesin; je ré-
« pondis al'interlocuteur que les sonneurs de
« toes in étaient eeux qui , par l'injustice , ai-
« grissaient les esprits; et alors l'un de meseol-
« legues, moins réservé, ajouta qu'on le SOIl-


, ( nerait. Voilá le fait unique sur lequel rnon
e aceusateur a báti cette fable. Dan~ l'assemblée
« électorale , j'ai pris la parole , mais 011 était
« convenu de la prendre; j'y ai présenté quel-
«ques observations, et plusieurs out usé dll
« méme droit. Je n'ai aeeusé ni recommandé
« peff!QnlJ.e, Ce! homme dont vous m'imputez
« de me servir, Marat, ne fut jarnais pi mou
« ami ni mon recommandé, Si je jugeaisde
( Iui par eeux qui l'attaquent, il serait absous,
« mais je ne prononce paso Je dirai seulement
« qu'il me fut eonstamment étranger, qu'une
« fois il vint ehez moi, que je lui adressai quel-
« que1> observations sur ses écrits , sur leur.
« exagération et sur le regret qu'éprouvaient
« les patriotes de lui voir compromettre notre
« cause p~r la violence de ses opinions ; mais
« il me trouva politique a vues ~troites, et le




140 RÉVOLUTION }·RA~~AISE.
C( publia le lendemain. C'est donc une ca10m·
« nie que de me supposer l'instigateur et l'al-
« lié de cet homme. » De ces accusations per-
sonnelles passant aux accusations générales
dirigées centre la commune, Robespierre ré-
pete avec tous ses défenseurs, que le 2 sep-
tembre a été la suite du 10 aoút ; qu'on ne
peut aprés coup marquer le point précis oú
devaient se hriser les flots de I'insurrection
populaire; que sans doute les exécutions étaient
illégales, mais que sans mesures illégales on
ne pouvait secouer le despotisme; qu'il fallait
faire ce mérne reproche atoute la révolution ;
cal' tout y était illégal, et la chute du tróne ,
et la prise de la Bastille l Il peint ensuite les
dangers de Paris, l'indignation de ses citoyens,
Ieur concours autour des prisons , leur irrésis-
tible fureur en songeant qu'ils laissaient del"
riere eux des conspirateurs qui égorgeraNmt
leurs familles. « On assure qu'un Ínnoeent a
« péri , s'éerie l'orateur avec emphase, un seul ;
f( c'est beaucoup trop, sans doute. Citoyens!
« pleurez eette méprise cruelle! nous l'avons
Cl pleurée des long-temps; c'était un hon ci-
l( toyen, c'était un de nos amis! Pleurez méme
« les victimes quidevaient étre réservées a la
(1 vengeance des lois , et qui sont tomhées SOll5
oc le glaive deTa justice populaire ! Mais que




CONVENTION NATlONALE (1792). 241
« votre douleur ait un terme eomme toutes les
« choses humaines. Gardons quelques larmes
(( pour des calamités plus touchantes : pleurez
( cent mille patriotes immolés par la tyrannie!
(( pleurez nos citoyens expirant sous Ieurs toits
« embrasés, et les fils des citoyens massacrés
« au berceau ou dans les bras de leurs meres!
« pleurez donc l'humanité abattue sous le joug
(( des tyrans.... , Mais consolez-vous, si, im-
« posant silence a toutes les viles passions,
(( vou~ voulez assurer le bonheur de votre pays,
« et préparer celui du monde.


( La sensibilité qui gémit presque exclusi-
« vement pour les ennemis de la liberté rn'est
« suspecte. Cessez d'agiter sous mes yeux la
( robe sanglante du tyran, ou je croirai que
l( vous voulez remettre Rome dans les fers 1»


e'est avec ce mélange de logique astucieuse
et de déclamation révolutionnaire, que Robes-
pierre parvint a captiver son auditoire, et aoh-
tenir des applaudissernents unanimes. Tont ce
qui lui était personnel était juste, et il y avait
de l'imprudence de la part des girondins a si-
gnaler un projet d'usurpation la OU il n'yavait
encore qu'une ambition d'influence, rendue
odieuse par un caractere envieux; il Yavait de
l'imprudence avouloir trouver dans les actes
de la commnne la preuve d'une vaste cons-


IIJ. 1(;




242 RÉVOLUTION FRAN~AJSE.
piration , lorsqu'il n' existait que les effets natu-
rels du débordement des passions populaires.
Les girondins fournissaient ainsi a l'assemblée
l'occasion de Ieur donner tort contre leurs ad-
versaires. Flattée pour ainsi dire de voir le
prétendu chef des conspirateurs réduit ase
justifier, charmée de voir tous les crirnes expli-
qués par une insurreetion désormais impossi-
ble, et de rever un meilleur avenir, la con-
vention erut plus digne , plusprudentde mettre
toutes ces personnalités au néant. On proposa
done I'ordre du jour. Aussitót Louvet s'élance
ponr le combattre, et demande a répliquer..
Une foule d'orateurs se présentent, et veulent
parler pour, sur, OH contre l'ordre du jour.
Barbaroux, désespérant de se faire entendre,
s'élance a la barre pour étre éeouté au moins
eomme pétitionnaire. Lanj uinais propose qu'on
engage la diseussion sur les importantes ques-
tions que renferme le rapport de Rolanq,. En-
fin Barreré parvient a obtenir la parole ; « Ci-
« toyens, dit-il, s'il existait dans la république
(e un homme né avec le génie de César ou
« l'audace de Cromwell, un homme qui, avec
« le talent de Sylla, en aurait les dangercux
( moyens; s'il existait ici quelque législateur
( d'un grand génie , d'une ambition vaste, d'un
« caractere profond ; un général, par exernple ,




CONVENTION NATIONALE (1792). 243
(e le front ceint de lauriers , et revenant au mi-
ce lieu de vous pour vous commander des lois
« ou insulter aux droits du peuple, je propo-
« serais contre lui un décret d'accusation. Mais
ce que vous fassiez cet houneur a des hommes
ce d'un jour.a de petits entrepreneurs d'érneute ,
(e aceux dont les couronnes civiques sont me-
« lées de cypres , voilá ce que je ne puis con-
« cevoi r! ))


Ce singulier médiateur proposa de motiver
ainsi l'ardre du jour : Considérant que la con-
vention. nationale ne doit s'occuper que des in-
téréts de la république... -ceJe ne veux pas de
« votre ordre du jour, s'écrie Robespierre , s'i!
« renferme un préambule qui me soit inju-
« rieux, )) L'assernblée adopte l'ordre du jour
pur et simple.


On courut aux Jacobins célébrer cette vic-
toirc, et Hobespierre y fut rc¡;u en triompha-
teur. A peine parut-il qu'on le couvrit d'ap-
plaudissernents. Un memhre demanda qu'ou
luí laissát la parole pour faire le récit de la
journée. Un autre assura que sa modestie l'en
empécherait , et qu'il ne voudrait pas parlero
Hobespierre , jouissant en silence de cet en-
thousiasme , laissa aun autre le soin d'un récit
adulateur. n fut appelé Aristide. Son éloquence
naivcet mdle fut louée avec 1I110 affectation qui


¡6.




2f¡4 nÉVOLUTION FRAN~AISF..
prouveoombienétait connn son goUt pour la
louange littéraire. La convention fut réhabi-
litée, l'estime de la société lui reviut , et on
prétendit que le triomphe de la vérité com-
mencait , et qu'il ne faIlait plus désespérer du
salut de la république.


Barrere fut interpellé pour qu'il s'expliquát
.sur la maniere dont il s'était exprimé a l'égard
des petits faiseurs d' émeute ; et il se peignit
tout entier en déclarant qu'il avait voulu,
par ces mots, désigner non les chauds patrio-
tes accusés avec Robespierre, mais leurs ad-
versaires.


Ainsi finit cette célebre accusation. Elle fut
une véritable imprudence. Toutc la conduite
des girondins se caractérise par cette dérnar-
che. lIs éprouvaient une généreuse indigna-
tion; ils l'exprimaient avec talent; mais il s'y
mélait assez de ressentiments personnels, as-
sez de fausses conjectures, de suppositions
chimériques, pour donner aceux qui aimaieut -
a s'abuser , une raison de ne pas les croire, a
ceux qui redoutaient un acte d'énergie, un
motif de l'ajourner, a ceux. enfin qui affec-
taient l'impartialité , un prétexte pour ne pas
adopter leurs conc1usions, et ces trois classes
composaient toute la Plaine. Un d'entre ces
membres, cependant, le sage Pétion , ne par-




CONVENTION NATIONALE (J792). 245
tagea point leurs exagérations; il fit imprimer
le diseours qu'il avait préparé, et oú toutes
choses étaient sagement appréciées. Vergniaud,
que sa raison et son indolence dédaigneuse
mettaient au-dessus des passions, était exempt
aussi de leurs travers, et il garda un profond
silence, Dans le moment, l'accusation des gi-
rondins n'eut d'autre résultat que de rendre
définitivernent toute réconciliation impossible,
d'avoir mérne usé dans un combat inutile le
plus puissant et le seul de leurs moyens, la
parole et l'indignation; et d'avoir augmenté la
haine et la fureur de leurs ennemis, sans s'é-
tre donné une ressource de plus.


Malheur aux vaincus lorsque les vainqueurs
se divisent! Ceux- ci font diversion a leurs
propres querelles, ils cherchent surtout a se·
snrpasser en zele , en écrasant leurs ennemis
abattus. Au Temple étaient des prisonniers sur
lesqnels allait se décharger toute lafougue des
passions révolutionnaires, Lamonarchie, l'aris-
tocratie, tont le passé enfin contre lequel la révo-
lution luttait avec fnrenr, se trouvaient eomme
personnifiés dans le malhenreux Louis XVI. Et
la maniere dont on traiterait le prince déchu
devait , pour chacnn, servir a prouver la ma-
niere dont 00 haíssait la contre-révolution.
La législative, trap rapprochée de la constitu-




246 RÉVOLU'l'lON FRAN~AISE.
tion qui déclarait le roi inviolable, n'avait pas
osé décider de son sort; elle l'avait suspendu
et enfermé au Temple; elle n'avait pas mérne
aboli la royauté, et avait légué a une conven-
tion le soin de juger le rnatériel et le personnel
de la vieille monarchie, La royauté abolie , la
république déerétée, et le travail de la consti-
tution confié aux rnéditations des esprits les
plus distingnés de l'assemblée, il restait a s'oc-
cuper du sortde Louis XVI. Un moiset dcmi s'é-
tait éeoulé , et des soins infinis , la direction des
approvisionnements, la surveillance des ar-
mées, le soin des subsistances qui manquaient
alors cornme dans tous les temps de troub1es,
la police et tous les détails du gonvernement
qu'on n'avait transmis, apres la chute de la
royauté , aun conseil exécutif qu'avec une ex-
treme défiance , enfin des querelles violentes
empécherent d'abord de s'occuper des prison-
niers du Temple. Une fois il en avait été ques-
tion, et, cornme on l'a Vil; la proposition fut
renvoyée au comité de législation. En attendant
on en parlait partout. Aux Jacohins, on deman-
dait chaque jour le jugement de Louis XVI,
et on accusait les girondins de l'éearter par
des querelles, auxquelles eependant ehacun
prenait autant de part et d'intérét qu'eux-
mémes. Le I er novembre, dans l'iutCl'val!e de




CONVENTION NATJONALE ('792.)· 247
l'accusation de Robespierre a son apologie,
une section s'étant plaint de nouveaux pla-
cards provoquant au meurtre et a la sédition ,
on récIama, comme on le faisait. toujours, le
jugement de Marat. Les girondins prétendaient
que lui et quelques-nns de ses collégues étaient
la cause de tout le désordre, et achaque fait
nouveau ils proposaient de les poursuivre.
Leurs enncmis au contraire disaient que la
cause des troublcs était au Temple; que la
nouvellc république ne serait fondée, et que
le calme et la sécurité n'y régneraient, que
quand le ci-devant roi aurait été irnmolé, et
que par ce coup terrible toute esperance au-
rait été enlevée aux conspirateurs, Jean de Bry,
ce député qui, á la législative, avait voulu
qu'on ne suivit pour regle de conduite que la
loi du salta public , prit la parole ace sujet, et
proposa de juger a-la-fois Marat et Louis XVI.
« Marat , dit-il , a mérité le titre de mangeur
« d'hommes; il serait digne d'étre roi. Il est
« la cause des tronbles dont Louis XVI est le
« prétexte : j ugeons-Jes tous les deux , et as-
« surons le repos public par ce double exem-
« ple.» En conséquence la convention ordonna
que le rapport sur les dénonciations coutre
Marat lui serait fait séance tenante, et que,
sous huit jours au plus tard , le comité de lé-




248 nÉvoLuTION FRAN9AJSE.
gislation donnerait son avis sur les formes a
observer daos le jugement de Louis XVI. Si
aprés huit jours le comité n'avait pas présenté
son travail , tout membre aurait le droit de se
présenter a la tribune pour y traiter cette
grande question, De nouvelles querelles et de
nouveaux soins ernpéchérent le rapport sur
Marat, qui ne fut mérne présenté que long-
temps apres , et le comité de législation pré-
para le sien sur l'auguste el malheureuse fa-
mille enfermée au Temple.


L'Europe avait en ce moment les yeux sur
la France. On regardait avec étonnement ces
sujets d'abord jugés si faibles, maintenant de-
venus victorieux et conquérants, et assez au-
dacieux pour faire un défi a tous les trónes.
On observait avec inquiétude ce -qu'ils allaient
faire, et on espérait encore que Ieur audace
aurait hientót un terme. Cependant des événe-
ments militaires se préparaient, qu i allaient
doubler leur enivrement, el ajouter a la sur-
prise et a l'effroi du monde.


,¡z¡c;;;




CONVENTJON NATJONALE (1792 ) . 249


CHAPITRE V.


Suite des opérations militaires de Dumouriez. - Modifi-
cations dan s le ministére. Pache ministre de la guerreo
- Victoire de Jemmapes. - Situation morale et poli-
tique de la Belgique; conduite politique de Dumouriez.
- Prise de Gand, de Mons, de Bruxellcs , de Narnur,
d'Anvers; conquéte de la Belgiqllc jusqu'a la Mellse.-
Changements dans l'administration militaire; mésintel-
ligence de Dumouriez avec la convention et les minis-
tres. - Notre position aux Alpes et aux Pyrénées.


DmJOURIEZ était partí pour la Belgique ala fin
d'octobre , et le 25 il se trouvait aValenciennes.
Son plan général fut réglé d'apres l'idée qui le
dominait, et qui consistait a pousser l'ennemi
de front, en profitant de la grande supériorité
numérique qu'on avait sur lui. Dumouriez
aurait pu, en suivant la Meuse, avee la plus
grande partiede ses forces, empécher la
jonction de Clerfayt, qui arrivait de la Charn-
pague, prendre le duc Albert a revers , et exé-




250 RÉVOLUTION FRANYAISE.
cuter ainsi ce qu'il avait en le tort de ne pas
faire d'abord, en négligeant de courir sur le
Rhin, et de suivre ce flcuve jusqu'a Cléves ;
mais son plan était autre , et il préférait aune
marche savante une action éclatante qui redou-
blát le courage des soldats, déja tres-relevé
par la canonnade de Valmy, et qui détruisit
l'opinion établie en Europe , depuis cinquante
ans , que les Francais , excellents pour des cünps
de main , étaient incapables de gagner une ba-
taille rangée. La supériorité du nombre lui per-
mettait une tentative pareille, et cette idée avait
sa profondeur, aussi bien que les manoeuvres
qu'on lui a reproché de n'avoir pas employées.
Cependant il ne négligea pas de tourner l'en-
nemi et de le séparer de Clerfayt. Valence ,
placé a cet effet le long de la Meuse , devait
marcher de Givet sur Namur et sur Liége,
avec l'armée des Ardermes , forte de dix-huit
milie hommes. D'Harville , avec douzc mille,
avait ordre de se mouvoir entre la grande ar-
mée et Valence , pour tourner l' ennemi de plus
preso Telles étaient les dispositions de Dumou-
riez a sa droite. A sa gallche, Labourdonnaie
devait, en partant de Lille , parcourir la cote
de la Flandre et s'emparer de toutes les places
maritimes. Arrivé aAnvers, illui avait été pres-
crit de longer la frontiere hollandaise , et de




CONVt~NTlON N ATION ALE (1792). 25 [
joindre la Meuse a Ruremonde. La Belgique
se trouvant ainsi enfermée dans un cercle,
Dumouriez en occupait le centre avec une
masse de quarante mille hommes, et pouvait
accabler les ennemis sur le prernier point ou
ils voudraient ten ir tete aux Francais,


Impatient d'entrer en campagne et de s'ou-
vrir la vaste carrierc oú s'élancait son ardentc
imagination, Dumouriez pressait l'arrivée des
approvisionnements qu'on lui avait prornis a
París, et qui auraient dü étre rendus le 25 a
Valenciennes. Servan avait quitté le ministere
de la guerre, préférant au chaos de l'adminis-
tration les fonctions moins agitées d'un com-
mandement d'arrnée. Il rétablissait sa tete et
sa santé dans son camp des Pyrénées. Iloland
avait proposé et fait accepter ponr son succes-
seur, Pache, homme sim pie, éclairé, laborieux,
qui, ayant autrefois quitté la France pour aller
vivre en Suisse, était revenu a l'époqne de la
révolution, avait rendu le brevet d'une pen-
sion qu'il recevait du maréchal de Castries, et
s'était distingué dans les bureaux de l'intérieur
par un esprit et une application rares. Portant
dans sa poche un morcean de pain , et ne quit-
tant pas méme le ministere ponr mangel', il
travaillait pendant des journées entieres , et
avait charmé Boland par ses moeurs el SOl!




252 RKVOLUTION FRA.N~AISF..
zele. Servan avait demandé ale posséder pen-
dant sa difficile administration d'aoüt et de
septembrc, et Roland ne le lui avait cédé qu'a-
vec regret et en considération de l'importance
des travaux de la guerreo Pache rendit dans ce
nouveau poste les mémes services que dans
le premier ; et, lorsque la place de ministre
de la guerre vint a vaquer, il fut aussitót
proposé pour la rcmplir, comme un de ces
étres obscurs, mais précieux, auxquels la jus-
tice et l'intérét public devaient assurer une
faveur rapide. Pache, doux et modeste, plai-
sait a tout le monde, et ne pouvait manquer
d'étre accepté : les girondins comptaient na-
turellement sur la modération politiquc d'un
homme aussi calme, aussi sage, et qui d'ail-
leurs leur devait 5a fortune. Les jacobins,
qui le trouvaient plein de déférence pour eux ,
exaltaient sa modestie, et l'opposaienL a ce
qu'ils appelaient l'orgueil et la dureté de
Roland. Dumouriez, de son coté, fu! charmé
d'un ministre qui paraissait plus maniahle que
les girondins, et plus disposé asuivre ses vues.
Il avait en effet de nouveaux griefs contre
Roland. Celui-ci lui avait écrit, au nom du
conseil, une Icttre dans laquelle il luí repro-
chait de vouloir trap imposer ses plans au
ministere , et lui témoignait d'autant plus de




CONVENTlON NATlONALE (179:1). 253
défiance qu'on lui supposait plus de talents.
Roland était loyal, et ce qu'il disait dans le
secret de la correspondance, il l'eút combattu
en publico Dumouriez, rnéconnaissant l'inten-
tion honnéte de Roland, avait fait ses plaintes
aPache , qui les avait recues , et qui l'avait con-
solé par ses flatteries des défiances de ses col-
legues. Te! était le nouveau ministre de la
guerre : placé entre les jacobins, les giron-
dins et Dumouriez, écoutant les plaintes des
nns contre les autres , ils les gagl1ait tous par
ses paroles et sa déférence, et leur faisait es-
pérer a tous un second et un ami.


Dumouriez attribua au renouvellement des
bureaux les retards qu'essuyait l'approvision-
nement de son armée. Il n'y avait d'arrivé
que la moitié des munitions et des fournitures
promises, et il se mit en marche sans attendre
le reste, écrivant a Pache qu'il Iui fallait in-
dispensahlernent trente mille paires de souliers,
,'ingt-cillq mille couvertures, des effets de
campement pour quarante mille hornmes , et
surtout deux millions de numéraire pour four-
nir le prét aux soldats, qui, entrant dans un
pays oú les assignats n'avaient pas cours, de-
vaient payer en' argent tout ce qu'ils achete-
raient. On promit tout , et Dumouriez , excitant
l'ardeur de ses troupes, les encourageaut par




254 RÉVOr.UTION FRA.N~ATSF..
la perspeclive d'úne conquéte prochaine et as-
surée , les porta en avant , quoique dépourvues
de ce qui était nécessaire pour une campagne
d'hiver et sous un elimat rigoureux.


La marche de Valence , retardée par une di-
version sur Longwy, et par le dénúment de
tous les effets militaires qui n'arriverent qu'en
novembre, permit a Clerfayt de passer sans
obstacle du Luxembourg dans la Belgique , et
de joindre le duc Albert avec douze milIc
hommes. Dumouriez, renoncant pour le mo-
ment a se servir de Valcnce, rapprocha de lui
la división du général d'Harville, et portant ses
trollpes entre Quarouble et Quiévrain, se bata
de joindre l'armée ennemie. Le duc Albert,
fidele au systérne autrichien, avait formé un
cordon de Tournay jusqu'a Mons, et, quoiqu'il
eüt trente mille hommes, il n'en réunissait
guere quevingt devant la ville de Mons. Dumou-
riez le serrant de pres, arriva le 3 novembre de-
vant le moulin de Boussu , et orrlonna a son
avant-garde, commandée par le brave Beur-
nonville , de chasser I'ennemi posté sur les
hauteurs. L'attaque réussit d'abord, mais re-
poussée ensuite , notre avant-garde fut obligée
de se retirer. Dumouriez sentant combien il
importait de ne pas reculer au début , reporta
Bellrnonville en avant, fit enlever tous les pos-




CONVENTION NATIONALE (1792.). 2.55
tes ennernis , et le 5 au soir se trouva en pré-
sence des Autrichiens, retranchés sur les hau-
teurs qui bordent la ville de Mons.


Ces hauteurs, disposées circulairernent en
avant de la place, portent trois villages, Jem-
mapes, Cuesmes et Berthaimont. Les Autri-
chiens, qui s'attendaient a y étre attaqués ,
avaieut formé l'imprudente résolution de s'y
maintenir, et avaient mis des long-temps le
plus grand soin a s'y rendre inexpugnables.
Clerfayt occupait Jemmapes et Cuesmes; un
peu plus lo in , Beaulieu campait au-dessus de
Berthaimont, Des pentes rapides , des bois,
des abatis, quatorze redoutes, une artillerie
formidable rarigée en étages, et vingt miIle
hommes, protégeaient ces positions et en ren-
daient l'abord presqne impossible, Des chas-
seurs tyroliens remplissaient les bois qui s'é-
tenclaient au-dessous des hauteurs. La cavalerie,
placéc dans l'intervalle des coteaux, et surtout
daos la trouée qui séparait Jemmapes de Cues-
mes, était préte :\ déboucher et a fondre sur
nos colonnes, des qu'eIles seraient éhranlées
par le feu des battcries.


C'est en présence de ce camp si fortement
retranché que s'établit Durnouriez. Il forma
son armée en demi-cercle , parallelement aux
positions de l'ennemi. Le gém'ral d'Harville,




,


256 RÉVOLUTION FRAN9A.ISE.
qui venait d'opérer sa jonction avec le eorps
de bataille-, dans la soirée du 5, fut destiné a
manceuvrer sur l'extréme droite de notre ligne.
Des le 6 au matin, il devait, longe:mt les po-
sitions de Beaulieu , s'efforcer de les tourner,
et occuper ensuite les hauteurs en arriere de
Mons , seule retraite des Autrichiens. Beur-
nonville, formant la droite méme de notreat-
taque, avait ordre de marcher sur le village de
Cuesmes. Le due de Chartres, qui servait dans
notre armée avee le grade de général, et qui
ce jour-la commandait au centre, devait abor-
del' Jemmapes de front, et tácher en méme
temps de pénétrer par la trouée qui séparait
Jemmapes de Cuesmes. Enfin le général Fer- ,
rand, revétu du commandement de la gauehe,
était chargé de traverser un petit villagc nommé
Quaregnon, et de se porter sur le flanc de
Jemmapes. Toutes ces attaques devaient s'exé-
euter en eolonnes par bataillons ; la cavalerie
était préte a les soutenir par derriére et sur
les catés. Notre artillerie fut disposée de ma-
niere a battre chaque redoute en Ilanc, et a
éteindre ses feux s'il était possible. Une réserve
d'infanterie et de cavalerie attendait l'événe-
ment derriere le ruisseau de Wame.


Pendant la nuit du 5 an 6, le général Beau-
Iieu ouvrit l'avis de sortir des retranchements




f:ONVENTlON NATlONAT,E ([792 ) . '157
et de fondre inopinérnent sur les Francais ,
ponr les déconcerter par une attaque brusque
et nocturne. Cet avis énergique ne fut pas
suivi , et le 6 ahuit heures du matin, les Fran-
cais étaient en bataille, pleins de courage et
d'espérance , quoique sous un feu meurtrier
et a la vue de retranchements presque inabor-
dables. Soixante mille hommes couvraient le
champ de hataille , et cent bouches a feu re-
tentissaient sur le front des deux armées,


La canonnade fut engagée des le matin ~
Dumouriez ordonna aux généraux Ferrand et
Beurnonville de commencer l'attaque , l'un a
gauche et l'autre adroite , tandis que lui-méme
attendrait au centre le moment d'agir, et que
d'Harville, longeant les positions de Beaulieu,
irait fermer la retraite. Ferrand attaqna molle-
ment , et Beurnonville ne parvint pas aéteindre
le fen des Autrichiens, Il était onze heures , et
l'ennemi n'était pas assez ébranlé sur les cótés
pour qu'on pút I'aborder de front. Alors Du-
mouriez envoya son fidéle Thouvenot a l'aile
gauche pour décider lesucces. Thouvenot, fai-
sant.cesser une inutile canonnade, traverse Qua-
reguon, tourne Jem mapes, et marchant tete
baissée, la baíonnette au bout du fusd , gravit
la hauteur par coté, et arrive sur le flanc des
Autrichiens. Dumouriez apprenant ce mou-


III.




~58 RÉVOLUTION FRAN9AISE.
vement, se résout a commencer l'attaque de
front, et porte le centre directement contre
Jemmapes. Il fait avancer son infanterie en
eolonnes , et dispose des hussards et des dra-
gons pour couvrir la trouée entre Jemmapes et
Cuesmes , d'oú la cavalerie ennemie allait s'é-
lancero Nos troupes s'ébranlent et traversent
sans hésiter l'espace intermédiaire. Cependant
une brigade voyant déboueher par la trouée la
eavalerie autriehienne, chancele , recule, et
découvre le flanc de nos colounes, Dans cet
instant, le jeune Baptiste Renard, simple do-
mestique de Dumouriez , cédant a une inspi-
ration de courage et d'intelligence, court au
général de cette brigade , lui reproche sa fai-
blesse, lui signale le danger , et le raméne a
'a trouée. Un certain ébranlement s'était ma-
nifesté dans tout le centre, et nos bataillons
comrnencaient a tourbillonner sous le feu des
batteries. Le duc de Chartres se jette au mi-
líen des rangs, les rallie " forme autour de lui
un bataillon qu'il appelle batailion de Jem-


_ mapes, et le porte vigóureusement a l'ennemi.
Le combat est ainsi rétabli, et Clerfayt, déjá
pris en 'Hane, menaeé de front, résiste néan-
moins avee une fermeté héroique.


Dumouriez, témoin de tous ces mouvernents,
mais ineertain du succes , court a la droite ,




CONVENTION NATIONAU; (1792 ) . 259
oú le combat ne se décidait point, malgré les
efforts de Beurnonville. Son intention était de
terminer brusquement I'attaque, ou bien de
replier son aile droite , et de s'en servir po ur
protéger la retraite du centre, si un mouve-
ment rétrograde devenait nécessaire,


Beurnonville avait fait de vains efforts contre
le village de Cuesmes, et il aHait se replier lors-
que Dampierre, qui commandait un point de
l'attaque , prend avec lui quelques compagnies,
et s'élance audacieusement au milieu d'une re-
doute, Dumouriez arrive a l'instant me me oú
Dampierre exécutait cette courageuse tenta-
tive; il trouve le reste de ses bataillons san s
chef, exposés a un feu terrihle, et hésitant
en présenee des hussards impériaux qui se pré-
paraient a les eharger. Ces bataillons étaient
ceux qui au camp de Maulde s'étaient si forte-
ment attachés a Dumouriez. Il les rassure , et
les dispose a tenir ferme contre la cavalerie
ennemie. Une décharge a bout portant arréte
eette cavalerie, et les. hussards de Berchini
lancés a propos sur elle achevent de la mettre
en fuite. Alors Durnouriez , se mettant a la
tete de ses hataillons , et entonnant avec eux
l'hymne des Marseillais , les entraine asa suite ,
les porte sur les retranehements, renverse tout
devant lui, et enleve le village de Cuesmes.


J 7.




260 RlivOLUTION FRAN~AISE.
Cet exploit a peine terminé, Durnouriez ,


toujours inquiet pOllr le centre, repart au galop,
suivi de quelques escadrons, Mais tandis qu'il
aeeourt, le jeune due de Montpensier arrive a
sa rencontre, pOllr lui annoneer la victoire du
centre, due principalement a son frere le duc
de Chartres. Ainsi, Jemrnapes étant envahi par
coté et par devant, et Cuesmes emporté, Cler-
fayt ne pouvait plus appaser de résistance , et
devait se retirer, n cede done le terrain apres
une belle défense , el abandonne a Dumou-
riez une victoire cherement disputée, Il était
deux heures; nas troupes, harassées de fatigue,
demandaient un instant de repos : Dumouriez
le Ieur accorde , et fait halte sur les hauteurs
mérne de Jemmapes et de Cnesmes, Il comptait ,
pour la poursuite de l'enuerni , sur d'Harville,
qui était chargé de tourner Berthaimont et
d'aller cOllper les dcrrieres des Autrichiens.
Mais, l'ordre n'étant pas assez clair et ayant
été mal eompris, d'Harville s'était tenu en pré-
seuce de Berthaimont , et en avait inutilement
canonné les hauteurs, Clerfayt se retira done
sous la proteetion de Beaulien, qui n'avait
pas été entamé, et tous denx prirent la route
de Bruxelles, que d'Harville ne leur fermait
pas.


La bataille avait coúté aux Autrichiens quinze




CONVENTI0N NATIONALE (17~)2.). 261
ceuts prisonniers , quatre mille cinq cents morts
ou blessés , et apeu pres autant aux Francais,
Dumouriez déguisa sa perte, et n'avoua que
quelques cents hornrnes. On lui a reproché de
n'avoir pas, en marchant sur sa droite, tourné
l'enriemi, pour le prendre ainsi par derriere ,
au líen de s'obstiner a l'attaque de gauche et
du centre. Il en avait eu l'idée en ordonnant a
d'Harville de longer Berthaimont, mais iI ne
s'y attacha pas assez. Sa vivacité, qui souvent
ernpéchait la réflexion, et le désir d'une ac-
tion éclatante, lui firent préférer aJemmapes,
comme dans toute la campagne, une attaque
de front. Au reste, plein de présence d'esprit
et d'ardeur au milieu de l'action, il avait enlevé
nos troupes , et Ieur avait comrnuniqué un
courage héroique. L'éclat de cette grande ac-
tion fut prodigicux. La victoire de Jernmapes
remplit en un instant la France de joie , el'
l'Europe d'une nouvelle surprise. 11 fut ques-
tion partollt de cette artillerie bravée avec tant
de sang-froid, de ces redoutes escaladées avec
tant d'audace; on exagéra méme le péril et la
victoire, et, par toute l'Europe , la faculté de
remporter de graneles batailles fut de nouveau
reconnue aux Francais.


A Paris, tous les républicaius sinceres eurent
une grande joie de cette nouvcllc , et prépa-




262 RÉVOLUTION FRAN-;;AISE.
rérent des fétes. Le domestique de Dumou-
riez , le jeune Baptiste Renard, fut présenté
a la convention, et gratifié par elle d'nne
couronne civique et d'une épaulette d'officier.
Les girondins, par patriotisme , par justice, ap
plaudirent aux succes du général. Les jacobins,
quoique le suspectant, applaudirent aussi par
le besoin d'admirer les succes de la révolution.
Marat seul, reprochant atous les Francais leur
engouement, prétendit que Dumouriez avait
dú mentir sur le nombre de ses morts, qu'on
n'attaquait pas une montagne asi peu de frais,
qu'il n'avait pris ni bagage ni artillerie, que les
Autrichiens s'en allaicnt tranquillement , que
c'était une retraite plutót qu'une défaite , que
Dumouriez aurait pu prendrc l'ennemi au-
trement ; et mélant a cette sagacité une atroce
fureurde calomnie, ilajoutait que cette attaque
de front n'avait eu Iieu que pour immoler les
braves bataillons de Paris; que ses collégues a
la convention, aux Jacohins , tous les Fraucais
enfin, si prompts a admirer, étaient des étour-
dis ; et que pour lui, il déclarerait Dumouriez
un bon général, quand toute la Belgique serait
soumise, sans qu'un seul Autrichien s'en échap-
pát ; et un hon patriote, lorsque la Belgique
serait profondément révolutionnée, el rendue
tout-afait libre.-Vous autres Francais.rlisait-il,




CONVENTION NATlONALE (f 792). 263
avec cette disposition a tout admirer sur-le-
champ, vous étes exposés arevenir aussi promp-
tement. Un jour vous proscrivez Montesquiou ;
on vous apprend qu'il a conquis la Savoie,
vous l'applaudissez : vous le proscrivez de
nouveau, et vous devenez la risée générale
par ces allées et venues. (( Pour moi, je me dé-
(( fie, et j'accuse toujours; et quant aux in-
(( convénients de cette disposition, ils sont in-
« comparablement moindres que ceux de la
« disposition contraire, car jamais ils ne com-
(( promcttent le salut publico Sans doute ils
« peuvent m'exposer a me méprendre sur le
( compte de quelques individus ; mais , vu la
« corruption du siecle , et la multitude d'enne-
(( mis par éducation, par principes et par intérét
« de toute liberté, iI Y a mili e a parier contre
(( un que je ne prendrai pas le ehange , en les
« considérant d'emblée comme des intrigants
( et des fripons publics tout préts amachiner.
(( Je suis done mille fois moins exposé a étre
«( trompé sur le compte des fonctionnaires pu-
« blics; et, tandis que la funeste confiance que
(l ron a en eux les met a mérne de tramer
(( contre la patrie avec autant d'audace que
« de sécurité, la défiance éternelle dont le
(( public les environnerait, d'apres mes prin-
le eipes, ne leur permettrait pas de faire un pas-




264 RÉVOLUTION FRAN<;AISE.
« sans trembler d'étre démasqués et punis ".»


Cette bataille venait d'ouvrir la Belgique aux
Francais ; mais la, d'étranges difficultés se pré-
sentaient aDumouriez, et deux tableaux frap-
pants vont s'offrir: sur le territoire conquis, la
révolution francaise agissant sur les révolu-
tionsvoisines pour les háter ou se les assimiler ;
et dans notre armée , la démagogie pénétrant


, dans les administrations, et les désorganisant
pour les épurer.


Il y avait en Belgique plusieurs partis : le
premier, celui de la dornination autrichienne,
n'existait que dans les armées impériales chas-
sées par Dumouriez; le second, composé de
toute la nation, nobles, prétres , magistrats,
peuple, repoussait unanimement le joug étran-
ger, et voulait l'indépcndance de la nation
beIge; mais celui- ei se sous-divisair en deux
autres: les prétres et privilégiés voulaient con-
server les anciens états, les anciennes institu-
tions , les démarcations de classes et de pro-
vinces, tout enfin, excepté la domination
autrichienne, et ils avaient ponr eux une partie
de la population, encore tres-superstitieuse et
tres-attachée au clergé : enfin l~s démagogues


* Journal de la Rápublique francaise , par l\'Ia1'at, I'Ami
du f'euple, n° 4'1, du lundi 12 novembre 1792.,




CONVENTION NATIONALE (1792). ~65
ou jacobins belges voulaient une révolution'
complete et la souveraineté du peuple. Ceux-
ci demandaient le niveau francais et l'égalité
absolue. Ainsi chacun adoptait de la révolution
ce qui lui convenait; les privilégiés n'y cher-
chaient que leur ancien état; les plébéiens vou-
laient la démagogie et le regne de la multitude.
Entre les divers partís, on concoit que Dumou-
riez par ses gouts devait garder un milieu. Re-
poussant l'Autriche qu'il combattait avec ses
soldats, condamnant les prétentions exclusives
des privilégiés, il ne voulait cependant pas
transporter a Bruxelles les jacobins de Paris ,
et y faire naitre des Chabot et des Marat. Son
but était donc, en ménageant l'ancienne orga-
nisation du pays, de réformer ce qu'elIe avait
de trop féodal. La partie éclairée de la popu-
lation se prétait bien a ces vues ; mais il était
difficile d'en faire un ensemble, acause du peu
d'union des villes et des provinces ; et, de
plus. en la formant en assemblée, on l'expo-
sait a étre vaincue par le parti violent. Dans
le cas oú il pourrait réussir, Dumouriez son-
geait, soit par une allianee, soit par une ré-
union , arattacher la Belgique al'Empire Fran-
cais , et a cornpléter ainsi notre territoire. Il
aurait désiré surtout empécherles dilapidations,
s'assurer les irnmenses ressources de la con-





\


~66 RÉVOLUTION FRAN9AISE.
trée pour la guerre, et n'indisposer aucune
classe, pour ne pas faire dévorer son armée
pae une insurrection. 11 songeait principale-
ment a ménager le clergé, qui avait eneore
une grande influenee sur l'espritdu peuple. 11
voulait enfin des choses que l'expérience des
révolutions démontre irnpossibles , et aux-
quelles tout le génie administratif et politique
doit renoncer d'avance avec une entiere rési-
gnation. On verra plus tard se développer ses
plans et ses projets.


En entrant en Belgique, il promit, par une
proclamation, de respecter les propriétés, les
personnes et l'indépendance nationale. Il or-
donna que tout fút maintenu, que les autori-
tés demeurassent en fonctions, que les impóts
continuassent d'étre pert;us, et que sur-le-
champ des assemblées primaires fussent ré-
unies, pour former une convention nationale
qui déciderait du sort de la Belgique.
. Des difficultésbien autrement graves se pré-


paraient pour lui. Des motifs de politique, de
bien public, d'humanité, pouvaient lui faire dé-
sirer en Belgique une révolutiou prudente et
mesurée , mais il avait afaire vivre son armée,
et c'était iei son affaire personnelle. 11 était
général et avant tout obligé d'étre 'victorieux.
Pour cela, il lui fallait de la discipline et des




CONVENTlON NATIONALE (l792). 2.67
ressources. Entré a Mons le 7 novembre au
matin , au milieu de la joie des Brabancons ,
qui lui décernerent une couronne ainsi qu'au
brave Dampierre, il se trouva dans les plus
grands embarras. Ses commissaires des guerres
étaient a Valenciennes; rien de ce qu'on lui
avait promis n'arrivait. n lui fallait des vete-
ments pour ses soldats amoitié nus, des vivres,
des chevaux pour son artillerie, des charrois
trés-actifs pour seconder le mouvement de I'in-
vasion , surtout dans un pays oú les transports
étaient extrémement difficiles, enfin du numé-
raire pour payer les troupes, paree qu'en Bel-
gique on n'acceptait pas volontiers les assignats.
Les émigrés en avaient répandu une grande
quantité de faux, et les avaient ainsi discrédités;
d'ailleurs, aucun peuple n'aime a participer
aux embarras d'un autre, en acceptant le pa-
pier qui représente ses dettes,


L'impétuosité du caractere de Dumouriez ,
portée j usqu'á l'imprudence, ne permet pas de
croire qu'il mt demeuré depuis le 7 jusqu'au 11
aMons, et qu'il eüt laissé le duc de Saxe-Tes-
chen se retirer tranquillement, si des détails
d'administration ne l'eussent retenu malgré
lui , et n'eussent absorbé son attention qui
aurait dú étre exclusivement fixée sur les dé-
tails militaires. n forma un plan tres - bien




268 RÉVOLUTION FRANc;AISE.
COIH;U; c'était de passer lui-méme des marchés
avec les Belges, pour les vivres , fourrages et
approvisionnernents. II y avait a cela une foule
d'avantages. Les objets a consommer étaient
sur les lieux, et on n'avait pas a craindre les
retards. Ces achats intéressaient beaucoup de
Belges a la présence des arrnées francaises, En
payant les vendeurs en assignats, ceux - ci
étaient obligés d'en favoriser eux - mémes la
circulation; on se dispensait ainsi de rendre
cette circulation forcée, chose im portante, cal'
chaque individu aqui arrive une monnaie for-
cée se regarde comme volé par l'autorité qui
l'impose , et c'est le moyen de blesser le plus
universellement un peuple. Dumouriez avait
en outre songé a faire des emprunts au cIergé ,
avee la garantie de la Franee. Ces emprunts
lui fournissaient des fonds et du numéraire;
et le clergé, quoique frappé momentanément,
se sentait rassuré sur son existence et ses hiens,
puisqu'on traitait avee lui. Enfinla France ayant
ademander aux Belges des indernnités pour
les frais d'une guerre libératrice , on eút affecté
ces indemnités au paiement des emprunts, et,
moyennant un léger appoint, toute la guerre
eút été payée , et Dumouriez, comme ill'avait
annoncé, aurait vécu aux frais de la Belgique ,
sans la vexer ni la désorganiser. Mais c'étaient




C01\"VENTION NA.TIONALE (1792). 269
la des plans de génie, et , en temps de révolu-
tion , il semble que le génie devrait prendre un
parti décidé: il devrait ou prévoir les désor-
dres et les violences qui vont suivre, et se re-
tirer sur-Ie-champ; ou, en les prévoyant, s'y
résigner, et consentir a étre violent pour con-
tinuer d'étre utile a la tete des armées ou de
l'état. Aucun homme n'a été assez détaché des
choses de ce monde, pour essayerdu premier
parti ; il en est un qui a été granel, et qui a
su demeurer pUl' en suivant le secando C'est
celui qui, placé au comité du salut publie ,
sans participer a ses actes poli tiques , se ren-
ferma dans les soins de la guerre, et organisa
la victoire, chose pure , perrnise , et toujours
patriotique sous tous les régimes.


Dumouriez s'était servi ponr ses marchés et
ses opérations financieres de Malus , commis-
saire des gue~res, qu'il estimait beaueoup
paree qu'il le trouvait habile et actif, sans trop
s'inquiéter s'il était modéré ou non dans ses
gains; il avait employé aussi le nommé d'Es-
pagnac, ancien abbé lihertin, et l'un de ces
corrompus spirituels de l'ancien régime, qui
faisaient tous les métiers avec beaucoup de
gra.ce et d'habilelé, et Iaissaient dans tous une
réputation équivoque. Dumouriez le dépécha
au ministere pour expliquer ses plans, et faire




270 RÉVOLUTION FRAN~AISF:.
ratifier tous les engagements qu'il avait pris. Il
donnait déja bien assez de prise sur lui par
l'espece de dictature administrative qu'il s'ar-
rogeait , et par la modération révolutionnaire
qu'il montrait a l'égard des Belges, sans se
compromettre encoré par son association avec
des hommes déjá suspects , et qui, ne le fus-
sent-ils pas, allaient bientót le devenir. Dans
ce moment en effet une rumeur générale s'é-
levait contre les anciennes administrations,
qui étaient remplies, disait-on, de fripons et
d' aristocrates.


Apres avoir donné ses soins a I'entretien de
ses soldats, Dumouriez s'occupa d'accélérer la
marche de Labourdonnaie. Ce général, aprés
s'étre obstiné a demeurer en arriere , n'était
entré aTournay que fort tard, et la, il provo-
quait des scenes dignes des jacobins, et le-
vait de fortes contrihutions. Dumouriez lui
ordonna de marcher rapidement sur Gand et
l'Escaut, pour se rendre a Anvers, et achever
ensuite le circuit du pays jusqu'á la Meuse.
Valence, enfin arrivé en, ligne apres des re-
tards involontaires , cut ordre d'étre le I3 ou le
14 aNivelles. Dumouriez , croyant que le duc
de Saxe-Teschen se retirerait derriere le canal
de Vilvorden, voulait que Valence, tournant
la forét de Soignies, se portát derriere Ce




CONVENTION NATIONALE (1792.)· 2.7'
canal, et y recút le duc au passage de la Dyle.


Le 11, il partit de Mons, ne joignit que len-
tement l'armée ennemie, qui elle-méme se re-
tirait avec ordre, mais avec une extreme len-
tenr. Mal servi par ses transports, il ne put pas
arriver assez promptement ponr se venger des
retards qu'il avait été obligé de subir. Le 13,
s'avancant Iui-mérne avec une simple avant-
garde, il donna au milieu de l'ennemi a Ander-
lecht, et faiIIit étre enveloppé; mais, avec son
adresse et sa ferrneté ordinaires, il déploya sa
petite troupe, usa avec beaucoup d'appareil
de quelques pieces d'artillerie, et persuada
aux Autrichiens qu'il était sur le champ de
hataille avec toute son armée. Il parvint ainsi
a les contenir, et eut le temps d'étre secouru
par ses soldats, qui , apprenant sa position
critique, accouraient en toute háte pour le
dégager.


Il entra le J 4 dans Bruxelies, et y fut ar-
reté de nouveau par des embarras administra-
tifs, n'ayant ni numéraire ni aucune des res-
sources nécessaires a l'entretien de ses troupes.
II apprit la que le ministere avait refusé de
consentir ses derniers marchés, excepté un
seul, et que toutes les anciennes administra-
tions militaires étaient renouvelées et rempla-
cées par un comité dit des achats. Ce comité




;).72 llÉVOLUTlON FRAN~AISE.
avait seul, a l'avenir, le droit d'acheter pour
l'entretien des armées, sans qu'il fút permis
aux généraux de s'en méler aucunement. C'é-
tait 1<1 le commencement d'une révolution qui
se préparait dans les administrations , et qui
aIlait les livrer pour un temps a une désorga-
nisation complete.


Les administrations qui exigent une longue
pratique ou une application spéciale sont 01'-
dinairement ceHes oú ~llle révolution penetre
le plus tard, paree qu'elles excitent moius
l'ambition, et que d'ailleurs la nécessité d'y
conserver des sujets capables les garantit de
la fureur des renouvellernents. Ainsi on n'avait
opéré presque aucun changcmeut dans les
états-majors , dans les corps savants de l'arrnée ,
dans les bureaux des divers ministeres , dans
les anciennes régies des vivres, et surtout dans
la marine, qui est de toutes les parties de I'art
militaire ceHe qui exige les connaissauces les
plus spéciales, Aussi ne manquait-on pas de
crier contre les aristocrates dont ces corps
étaient remplis, et on reprochait au conseil
exécutif de ne pas les renouveler. L'administra-
tion qui soulcvait le plus d'irritation était eelle
des vivres. On adressait de justes reproches
aux fournisseurs, qui, par disposition d'état ,
et sur-tour a la faveur de ce moment de désor-




CONVENTION NATIONAL"E (1792). 273
dre , exigeaient dans tous leurs marchés des
prix exorbitants, donnaient les plus mauvaises
marchandises aux troupes, et volaient I'état
avec impudence. Il n'y avait qu'un cri de toutes
parts contre leurs exactions. Ils avaient surtout
un adversaire inexorable dans le député Cam-
bon de MontpeIlier. Passionné pour les ma-


. tieres de finances et d'économie publique, ce
député s'était acquis un grandascendant dans
les discussions de ce genre, et jouissait de
toute la confiance de l'assemblée. Quoique
démocrate prononcé , il n'avait cessé de ton-
ner contre les exactions de la commune , et il
surprenait ceux qui ne comprenaient pas qu'il
poursuivit comme financier les désordres qu'il
aurait peut-étre excusés comme jacobino Il se
déchainait avec une plus grande énergie en-
core contre les fournisseurs , et les poursui-
vait avec toute la fougue de son caractere.
Chaque jour il dénoncait de nouvelles fraudes,
en réclarnait la répression , et tout le monde
acet égard était d'accord avec lui. Les hommes
honnétes voulaient punir des fripons , les jaco-
hius voulaient persécuter des aristocrates, et
les intrigants rendre des places vacantes.


On eut done l'idée de former un comité
composé de quelques individus chargés de
faire tous Ies achats pourle compte de la ré-


m. 18




274 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
publique. On pensa que ce comité, unique et
responsable, épargnerait al'état les fraudes de
cette multitude de fournisseurs isolés, et qu'a-
chetant seul pour toutes les administrations,
il ne ferait plus hausser les prix par la eoneur-
renee, eomme il arrivait lorsque chaque mi-
nistere , chaqué armée traitaient individuel-
lement, pour leurs besoins respeetifs. Cette
institution fut établie de l'avis de tous les mi-
nistres , etCambon surtout en était le plus
gr~nd partisan, paree que eette forme nou-
velle et simple eonvenait a son esprit absolu.
On signifia done a Dumouriez qu'il n'aurait
plus aueun marché apasser, et on lui ordonna
d'annuler eeux qu'il venait de signer. On sup-
prima en méme temps les caisses des régis-
seurs, et on poussa la riguelll' de l'exécution
jusqu'a faire des difficultés pour aequitter, a
la trésorerie nationale, un prét qu'un négo-
ciant beIge avait fait a l'armée sur un bon de
Dumouriez.


Cette révolution dan s l'administration des
vivres , dont le motif était Jouable, concourait
malheureusement avec des cireonstances qui
allaient en rendre les effets désastreux. Pen-
dant son ministere , Servan avait eu a pour-
voir aux premiers besoins des troupes hátive-
ment rassemblées dans la Champagne, el c'était




CONVENTION NA.TIONALE (1792). 275
heaucoup d'avoir suffi aux embarras du pre-
mier momento Mais, aprés la campagne de
I'Argonne, les approvisionnements faits avec
tant de peine se trouvaient épuisés ; les volon-
taires, partís de chez eux avec un seul habit,
étaient presque nus, de sorte qu'il fallait four-
nir un équipement complet a chacune des ar-
mées, et suffire a ce renouvellement de tout
le matériel , au milien de l'hiver et malgré la
rapidité de I'invasion en Belgique. Le succes-
seurde Servan, Pache, était done chargé
d'une tache' immense, et malheureusement ,
avec beaucoup d'esprit et d'application, il avait
un caractere souple et faible qui, le portant a
pIaire a tout le monde, surtout aux jacobins ,
l'empéchait de commander a personne, et de
communiquer a une vaste administration le
nerf nécessaire. Si on joint donc a l'urgence,
a l'immensité des hesoins , aux difficuItés de la
saison , et ii la nécessité d'une grande promp-
titude, la faiblese d'un nouveau ministere , le
désordre général de l'état , et par-dessus tout
une révolution dans le systérne administratif,
on concevra la confusion du premier moment,
le dénúment des armées, leurs plaintes ame-
res, et la violence des reproches entre les gé-
néraux el les ministres.


A la nouvelle de ces changements adminis-
18.




276 RÉVOLUTION FRAN~AlSE.
tratifs , Dumouriez s'emporta vivement, En al-
tendant l'organisation du nouveau systéme , il
voyait son armée exposée a périr de misere ,
si ses marchés n'étaient pas mainteuus et exé-
eutés. Il prit done sur lui de les maintenir, et
ordorma a ses agents, Malus, d'Espagnac, el
a un troisieme nommé Petit-Jean, de conti-
nuer leurs opérations sous sa propre respon-
sabilité, II écrivit en méme temps au ministre
avec une hauteur qui allait le rendre plus sus-
pect encore a des démagogues défiants, om-
bragenx, mécontents déja de sa tiédeur révo-
lutionnaire, et de sa dictature administrative.
Il déclara qu'il exigeait, pour continuer ses
services, qu'on lui laissát pourvoir lui-mérne
aux besoins de son armée; il soutint que le
comité des achats était une absurdité , paree
qu'il exporterait laborieusement et de loin ee
qu'on trouverait plus facilement sur les lieux ;
que les transports exposeraient a des frais
énormes et a des retards, pendant lesquels les
armées mourraient de faim , de froid et de
misere ; que les Belges perdraient tout intérét
a la préseoce des Francais , ne seconderaient
plus la circulation des assig:nats; que le pillage
des fournisseurs contiuuerait tout de méme ,
paree que la facilité de voler l'état dans les
fouruitures avait toujours Iait el ferait tou-




CONVENTION NATIONA.LE (17~)2)· 277
jours des voleurs, et que rien n'empécherait
les memhres du comité des achats de se faire
entI'eprenellrs et aeheteurs, quoique la loi le
leur défendit; qu'ainsi e'était la ti o vaio réve
d'économie, qui, ne fút-il pas chimérique,
amenerait po ur le moment une désastreuse
interruption dans les services. Ce qui ne con-
tribuait pas pen a irriter Dumouriez contre le
comité des achats , e'est qu'il voyait dans les
membres qui le composaient des eréatures du
ministre-Claviere , et croyait apercevoir daos
cette innovation un résultat ele la défiance des
girondins eontre lui. Cependant c'était une
création faite de bonne foi, et approuvée
par tous les cótés , sans aucune intention de
parti.


Pache, en ministre patriote et ferme , aurait
dú chercher asatisfaire le général ponr le con-
server ala république. Pour cela il aurait fallu
examiner ses demandes, voir ce qu'il y avait de
juste, y faire droit , reponsser le reste, et con-
duire toute chose avec autorité et vigueur ,
de maniere aempécher les reproches, les dis-
putes et la confusion. Loin de la, Pache, ac-
clisé deja par les girondins de faiblesse, et
mal disposé pour eux, laissa se heurter entre
cux le général, les girondins et la convention.
Au conseil, il faisait part des lettres irréfléchies




278 RÉVOLUTION FRAN~AISF..
oú Dumouriez se plaignait ouvertement des
défiances des ministres girondins ason égard;
a la convention, il faisait connaitre les de-
mandes impérieuses, a la suite desquelles Du-
mouriez offrait sa démission en cas de refus.
Ne blámant den, mais n'expliquant rien, et
affectant dans ses rapports une fidélité scrupu-
leuse, il laissa produire achaque chose ses
plus fácheux effets. Les girondins, la conven-
tion, les jacobins, chacun fut irrité a sa ma-
niere de la hauteur du général. Cambon tonna
contre Malus , d'Espagnac et Petit- Jean , cita
les prix de leurs marchés, qui étaient exces-
sifs, peignit le luxe désordonné de d'Espagnac,
les anciennes malversations de Petit-Jean, et
les fit décréter tous trois par l'assemblée. 11
prétendit que Dnmouriez était entouré d'in-
trigants dont il fallait le délivrer; il soutint
que le comité des achats était une exceIlente
institution ; que prendre les objets de con-
sommation sur le théátre de la guerre, c'était
priver les ouvriers francais de travail , et les
exposer aux mutineries de l'oisiveté; que,
quant aux assignats, il n'était nullement né-
cessaire d'user d'adresse pour les faire circuler ;
que le général avait tort de ne pas les faire
recevoir d'autorité, et de ne pas transporter en
Belgique la révolution tout entiere avec son




CONVENTlON NATlONALf; (1792.)· 279
régime , ses systemes et ses mounaies ; et que
les Be1ges, auxquels on donnait la liberté,
devaient en accepter les avantages et les in-
convénients. A la tribune de la convention ,
Dumouriez ne fut guere consideré que comme
dupé par ses agents; mais , aux Jacobins, et
dans la feuille de Marat, il fut dit tout uniment
qu'il était d'accord avec eux, et qu'il recevait
une part des bénéfiees, ee dont on n'avait
d'autre pl'euve que l'exemple assez fréquent
des généraux.


Dumouriez fut done obligé de livrer les trois
commissaires , et on lui fit I'affront de les faire
arréter malgré la garantie qu'il leur avait don-
née. Pache lui éerivit, avec sa douceur accou-
tumée, qu'on examinerait ses demandes, qu'on
pourvoirait ases besoins , el que le comité des
achats ferait pour cela des aequisitions consi-
dérables ; il lui annoncait en méme te~ps de
nombreux arrivages, qui n'avaient pas lieu.
Dumouriez , qui ne les reeevait pas, se plai-
gnait sans eesse; de maniere qu'á lire d'une
part les lettres du ministre, on aurait eru que
tout abondait, et a lire celles du général, on
devait eroire a un dénúmeut ahsolu, Dumou-
riez eut recours a des expédients ,a des ern-
prunts sur leschapitres des églises; il véeut
avee un marché de Malus, qu'on Iai avait p~r-




280 RÉVOLUTI0N FRAN~AISE.
mis de maintenir, vu l'urgence,et il fut encare
retenu du 14 a1.1 19 a Bruxelles.


DaBS cet intervalle , Stengel, détaché avee
l'avant-garde , avait pris Malines : c'était une
prise importante, a cause des munitions en
poudre et en armes de toute espece que cette
place renfermait, et qui en faisaient l'arsenal
de la Belgique. Labourdonnaie étaitentré le
18 11 Anvers , organisaít des clubs, indisposait
les Belges en eneourageant les agitateurs po-
pulaires, et malgré tout cela ne rnettait aueune
vigueur dans le siége du cháteau, Dumouriez,
ne pouvant plus s'accommoder d'un lieutenant
si fort occupé de clubs, el si peu de la gllerre,
le rernplaea par Miranda ,Péruvien plein de
bravoure, qui était venu en France a l'époque
de la révolution , et avait obtenu un haut grade
par l'amitié de Pétion. Labourdonnaie, privé
de son armée et ramené daos le département
du Nord, vint y exciter le zele des jacobins
contre César Dumouriez, C'était la le nom que
déja on eornmencait a donner au général.


L'ennemi avait songé d'abord a se placer
derriere le canal de Vilvorden, el a se tenir
en relation avec Anvers, n eommettait ainsi la
méme faute que Dumouriez , en eherehant a
se rapprocher de l'Escaut , au líen de courir
sur la Meuse, eomme ils auraient dú le faire




CONVENTION NATIONALE (1792). 281
tous deux , l'un pour se retirer, l'autre pour
empécher la retraite. Enfin Clerfayt, qui avait
pris le cornrnandement, sentit la nécessité de
repasser promptement la Meuse, et d'aban-
donner Anvers ason sort, Dumouriez alors re-
porta Valence de Nivelles sur Namur, pour en
faire le siége, et il eut le tort tres-grave de ne
pas le jeter au contraire le long de la Meuse,
pour fermer la retraite des Autrichiens. La dé-
faite de I'armée défensive eút arnené naturel-
lement la reddition de la place. Mais l'exemple
des grandes manoeuvres stratégiques n'avait
pas encore été donné, et d'ailleurs Dumouriez
manqua ici, comrne dans une foule d'occa-
sions, de la réflexion nécessaire. Il partit de
Bruxelles le 19. Le 20, il traversa Louvain ; le
22 , il joignit l'ennemi aTirlemont, et lui tua
trois ou ql1atre cents hommes. La, encore re-
tenu par un dénüment absolu, il ne repartit
que le 26. Le 27, il arriva devant Liége, et eut
asoutenir un fortengagement aVaroux, contre
l'arriere-garde ennemie. Le général Starai, qui
la commandait , se défendit gloriellsement, et
recut une blessure mortelle. Enfin , le 28 au
matin , Dumouriez entra dans Liége , aux accla-
mations du peuple, qui était la dans les dispo-
sitions les plus révolutíonnaires. Miranda avait
pris la citadelle d'Anvers le 29, et pouvait




:J.82 RÉVOLUTION FRANVAISE.
aehever le circuit de la Belgique, enmarchaut
jusqu'á Ruremonde. Valence oecupa Namur
le 2. décembre. Clerfayt se porta vers la Roer,
et Beaulieu vers le Luxembourg.


Dans ce moment, toute la Belgique était
oceupée jusqu'a la Meuse; mais il restait acon-
quérir le pays jusqu'au Rhin, et de grands obs-
tacles se présentaient encore a Dumouriez,
Soit la difficulté des transports, soit la négli-
gence des bureaux, rien n'arrivait ason armée;
et quoiqu'il y eút d'assez grands approvision-
nements it Valenciennes, tout manquait sur la
Meuse. Pache, ponr satisfaire les jacobins , leur
avait ouvert ses hureaux, et la plus grande
désorganisation y régnait. On y négligeait le
travail, on y donnait, par inattention, les
ordres les plus contradictoires. Tout service
devenait ainsi presque impossible, et tandis que
le ministre croyait les transports effectués, ils ne
l'étaient paso L'institution du comité des achats
avait encore 311gmenté le désordre. Le nouveau
cornmissaire nomrné Ronsin, qui avait rem-
placé Malus et d'Espagnac, en les dénoncant ,
était dans le plus grand embarras. Fort mal
accueilli a I'arrnée , il avait été effrayé de sa
tache, et, sur l'ordre de Dumouriez, continua
les achats sur les lieux, malgré les dernieres
décisions. Par ce moyen, l'arrnée avait en du




CONVENTION NATIONALE (1792). 283
pain et de la viande ; mais les vétements , les
moyens de transport , le numéraire el les four-
rages manquaient absolument, et tous les che-
vaux mouraient de faim. Une autre calamité
affligeait eette armée, c'était la désertion. Les
volontaires, qui dans le premier enthousiasme
avaient couru en Champagne, s'étaient re-
froidis depuis que le moment du péril était
passé. D'ailleurs ils étaient dégoütés par les
privations de tout genre qu'ils essuyaient , et
ils désertaient en foule. Le seul eorps de Du-
mouriez en avait perdu au moins dix milie ,
et ehaque jour il en perdait davantage. Les
levées belges ne s'effectuaient pas, paree qu'il
était presque impossible d'organiser un pays
oú les diverses classes de la population et les
diverses provinces du territoire n'étaient nIJI-
lement disposées as'entendre, Liége abondait
dans le sens de la révolution; mais le Brahant
et la Flandre voyaient avee défianee surgir les
jacohins dans les clubs qu'on avait essayé d'é-
tablir aGand, Anvers, Bruxelles, etc. Le peu-
pie beIge n'était pas trap d'accord avec nos
soldats qui voulaient payer en assiguats; nulle
part on ne consentait a reeevoir notre papier
monnaie, et Dumouriez refusait de lui donuer
une circulation foreée. Ainsi, quoique victo-
rieuse et maitresse de la campagne , l'armée




284 RÉVOLUTION FR.o\N<;AISJ;.
se trouvait dans une situation malheureuse a
cause de la disette, de la désertion , et de la
disposition incertaine et presque défavorable
des habitants. La convention assiégée des rap-
ports contradictoires du général qui se plai-
guait avec hauteur, et du ministre qui certifiait
avec modestie , mais avec assurance, que les
envois les plus abondants avaient été faits,
dépécha quatre commissaires pris dans son
sein, pour aller s'assurer par leurs ycux du
véritable état des choses. Ces quatre com-
missaires étaient Danton, Camus , Lacroix et
Cossuin.


Tandis que. Dumouriez avait employé le
mois de novembre a occuper la Belgique jus-
qu'a la Meuse, Custine, courant toujours aux
environs de Francfort et du Mein , était me-
nacé par les Prussiens qui remontaient la Lahn.
Il aurait voulu que tout le versement de la
guerre cut lieu de son coté, pour couvrir ses
derrieres , etassurer ses folles incursions en
Allemagne. Aussi ne cessait-il de se plaindre
contre Dumouriez, qui n'arrivait pas él Colo-
gne, et contre Kellermann, qui ne se portait
pas sur Coblentz. On vient de voir les difficultés
qui empéchaient Dumouriez d'avancer plus
vite; et pour rendre le mouvement de Keller-
mann possible , il aurait fallu que Custine, re-




CONVENTION NATIONALE (1792). 285
noncant ades incursions qui faisaient retentir
d'acclamations la tribune des jacobins et les
journaux, se renferrnát dans la limite du Rhin,
et que, fortifiant Mayence, il voulút descendre
lui-rnéme a Coblentz. Mais il désirait qu'on fit
tout derriere lui, pour avoir l'honneur de
prendre I'offensive en Allemagne. Pressé de
ses sollicitations et de ses plaintes, le conseil
exécutif rappela Kellermann, le remplaca par
Beurnonville, et donna ace dernier la mission
tardivc de prendre Treves , dans une saison
tres-avancée , au milieu d'un pays pauvre , et
difficile a occuper. Il n'y avait jamais eu qu'une
bonne voie pour exécuter cette entreprise ,
c'était , dans l'origine , de marcher entre
Luxembourg et Treves , et d'arriver ainsi a
Coblentz, tandis que Custine s'y porterait par
le Rhin. 011 aurait alors écrasé les Prussiens,
encore abattus de leur défaite en Champagne ,
et donné la main a Dumouriez, qui devait
étre a Cologue, ou qu'on aurait aidé a s'y
portcr s'il n'y avait pas été. De cette maniere,
Luxembourg et Tréves , qu'il était impossibIe
de prendre de vive force, tombaient par fa-
mine et par défaut de secours; rnais Custine
ayant persisté dans ses courses en W étéravie ,
l'armée de la Moselle étant restée dans ses
cantonnements, il n'était plus temps de mar-




286 RÉVOLUTION FRA:N~A.ISE.
cher sur ces places a la fin de uovembre, pour
y soutenir Custine contre les Prussiens rani-
més et remontant le Rhin. Beurnonville fit va-
loir ces raisons; mais on était en disposition de
conquérir , OH voulait punir l'électeur de Treves
de sa condnite envers la France, et Beurnon-
ville eut ordre de tenter une attaque qu'il es-
saya avec autant d'ardeur que s'il l'avait ap-
prouvée. Apres quelques combats hrillants et
opiniátres , il fut obligé d'y renoneer et de se
replier vers la Lorraine. Dans eette situation ,
Custine se sentait compromis sur les bords du
Mein; mais il ne voulait pas, en se retirant ,
avouer sa témérité et le peu de solidité de ~a
conquéte , et il persistait a s'y maintenir sans
aucune espérance fondée de succes. Il avait
placé dans Francfort une garnison de deux mille
quatre eents hommes, et quoique eette force
fút tout-a-Iait insuffisante dans une place ou-
verte et au milieu d'une population indísposée
par des contributions injustes , il ordonnaít au
eornmandant de s'y maintenír; et luí, posté a
Ober-Usel el Hombourg, un pell au-dessous de
Francfort, affectait une constance et une fierté
ridicules. Telle était la situation de l'armée sur
ce point, a la fin de novernbre et au cornmen-
cernent de décemhre.


Rien ne s'était done encore effectué le long




CONVJ.:NTlON .NATlONALE (1792). 287
du Hhin. Aux Alpes, Montesquiou qu'on a vu
négociant ave e la Snisse et táchant a la fois de
faire entendre raison aGeneve et au ministere
francais , Montesquiou avait été obligé d'érni-
grel'. Une accusation avait été dirigée contre lui,
pour avoir compromis, disait-on , la dignilé de
la France , en laissant insérer dans le projet de
convention un article par lequel nos troupes
devaient s'éloigner, et surtout en exécutant
cet article du projet. Un décret fut lancé contre
lui , et il se réfugia dans Geneve. Mais son ou-
vrageétait garanti par sa modération, et tandis
qu'on le mettait en accusation, on transigeait
avec Geneve d'apres les bases qu'il avait fixées.


. Les troupes hernoises se retiraicnt , les troupes
francaises se cantonnaient sur les limites con-
venues, la précieuse neutralité suisse était assu-
rée a la France, et l'un de ses flanes était ga-


ce


ranti pour plusieurs années. Cet important ser-
vice avait été méconnu, grace aux inspirations
de Claviere , et grace aussi aune susceptibilité
de parvenus que nous devions a nos victoires
de la veille.


Danslecomté de Nice on avait glorieusement
repris le poste de Sospello , que les Piérnon-
tais nous avaient arraché pour un instant , et
qu'ils avaient perdu de nouveau apres un échec
considérable, Ce succes était dú a l'habilcté




288 llEVOLlJ'rION FRAN<,;:Afst.
du général Brunet. Nos flottes, qui dominaient
dans la Méditerranée, allaient a Génes, aNaples,
oú régnaient des hranehes de la maison de Bour-
bon , et enfin dans tous les états d'Italie , faire
reconnaitre la nouvelle république francaise.
Apres une canonnade devant Naples, on avait
obtenu la reconnaíssance de la république, et
nos flottes revenaient fiéres des aveux arrachés
par elles, Aux Pyrénées, régnait une parfaite im-
mobilité, et Servan, faute de moyens, avait la
plus grande peine a. recomposer l'armée d'oh-
servation. Malgré des dépenses énormes de
cent quatre-vingts, de deux cents millions par
mois, tou tes les armées des Pyrénées , des Al·
pes, de la Moselle , étaient dansla méme dé-
tresse, .par la désorgauisation des serviees, et
par la confusion qui régnait au rninistere de la
guerreo Au milieu de eette misére , nous n'en
avions pas moins l'ivresse et l'orgueil de la vic-
toire. Dans ce moment, les esprits exaltés par
Jemulapes, par la prise de Frauefort, par l'oc-
cupation de la Savoie et de Nice, par le suhit
retour de l'opinion européenne en notre fa-
veur, crurent entendre s'éhranler les monar-
chies , el s'imaginerent un instant que les peu·
pIes allaient renverser les trónes et se former en
républiques. « Ah! s'il était vrai, s'écriait un
« membredes jaeobins, apropos de la réuniou




CONVENTION NATIONALE (1792). 289
{( de la Savoie ala France, s'il était vrai que le
(( réveil des peuples fút arrivé; s'il était vrai
ce que le renversement de tous les trónes dút
« étre la suite prochaine du succes de nos ar-
11 mées el du volean révolutionnaire ; s'il était
II vrai que les vertus républicaines vengeassent
ce enfin le monde de tous les crimes couron-
« nés; que chaque région, devenue libre,
(1 forme alors un gOllvernement conforme a
11 l'étendue plus ou moins grande que la nature
11 lui aura fixée, el que de toutes ces conven-
ce tions nationales, un certain nombre de dépu-
« tés extraord inaires form ent au cen tre el 11 globe
11 une convention universelle , qui veille sans
II cesse au maintien des droits de I'hornme , a
11 la liberté générale du commerce et a la paix
ce du genre humain ! ... '(. »


Dans ce moment, la convention apprenant
les vexations commises par le duc de Deux-
Ponts contre quelques sujets de sa dépendance,
rendit, dans un élan d'enthousiasme , le décret
suivant :


( La convention nationale déclare qu'elle
ce accordera secours et fraternité a tous les
« peuples qui voudront reeouvrer Ieur liberté,


* Discours de Milhaud , député un Cantal, prononcé
aux Jacobins en novembre 1792..


IIJ.




290 RÉVOLUTION FRAN{lAI5E.
« et elle charge le pouvoir exécutif de donner
(( des ordres aux généraux des armées francai-
( ses, pour secourir les citoyens qui auraient
« été ou qui seraient vexés pour la cause de
(( la liberté.


(( La convention nationale ordonne aux gé-
(( néraux des armées franeaises de faire impri-
( roer et afficher le présent décret dans tous
( les lieux oú ils porteront les armes de la ré-
(( publique.


(( Paris, le 19 novembre 1792. »


=




CONVENTION N ATJON ALE (1792). 291


CHAPITRE VI.


•••


Y:;tat des partís au mornent du preces de Louis XVI. -
Caracterc ct opinions des rnembres du ministóre acette
époque , Roland , Pache , Lebrun , Garat, Monge et Cla-
viere. - Détails sur la vio intérieure de la famille royale
daos la tour du Temple. - Commeneement de la dis-
cussion su r la mise en j lIgemeu t de Louis XVI; résumé
des déhats ; opinion de Saint-Just. - Étal fácheux des
subsistances ; détails et questions d'économie politique.
- Diseours de Robespierre sur le jugemcut du roí. -
La convention déerete que le roi sera jugé par elle. -
Papiers trouvés dans l'armoire de fa. - Premier inter-
rogatoire de Louis XVI a la convention, - Choe des
opinions et des intéréts pendant le procés ; inquiétude
des jacohins. - Position du duc d'Orléans ; on propose
son bannissement.


LE proces de Louis XVI allait en fin comrnen-
cer, et les partis s'attendaient iei pour mesurer
leurs forces, ponf découvrir Ieurs intentions,
et se juger définitivernent. On observait surtout
les girondins, pour surprendre chez eux le


19·




~9'2 RÉVOJ.UTION FRAN~AISE.
moindre mouvement de pitié , et les accuser
de royalisme, si lagrandeur déchue parvenait a
les toucher.


Le parti des jacobins, qui poursuivait dans
la personne de Louis XVI la monarchie tout
entiere , avait fait des progressans doute, mais
ji trouvait une opposition encore assez forte a
Paris, et surtout dans le reste de la France. n
dominait dans la capitale par son club, par
la commune, par les sections , mais la classe
moyenne reprenait courage, et lui opposait en-
core quelque résistance. Pétion ayant refu~é la
mairie, le médecin Chambon avait obtenu une
grande majorité de suffrages , et avait accepté
a regret des fonctions qui convenaient pell el
son caractere modéré et nullement ambitieux.
Ce choix prouve la puissance que possédait
encore la bourgeoisie dans Paris méme, Et elle
en avait une bien plus grande dans le reste de
la France. Les propriétaires , les commercants ,
toutes les classes moyennes enfin n'avaient dé-
serté ni les conseils municipaux , ni les conseils
de départements, ni les sociétés populaires, et
envoyaient des adresses ala majorité de la con-
vention, dans le sens des lois et de la modéra-
tion. Beaucoup de sociétés affiliées aux jacobins
improuvaient la société mere, et luí deman-
daient hautement la radiation de Marat, quel-




CONVENTION NATIONALE (1792). 293
ques-unes méme ceUe de Robespierre. Enfin,
des Bouchea-du s Hhóne, du Calvados, dn Fi-
nistere , de la Gironde, partaient de nouveaux
fédérés , qui, devancant les décrets comme au
10 aoüt, venaient protéger la convention et
assurer son indépendance.


Les jacobins ne possédaient pas encore les
armées; les états-rnajors et I'organisation mi-
litaire eontinuaient de les en repousser. lIs
avaient eependant envahi un ministére , eelui
de la guerreo Pache le leur avait ouvert par fai-
blesse, et il avait remplacé par des membres
du club tOU5 Mi anciens employés. On se tu-
toyait dans ses bureaux, on y allait en sale C05-
turne, on y faisait des motions, et il s'y trou-
vait quantité de prétres mariés, introduits par
Audouin, gendre de Pache, et prétre marié
Iui-rnéme. L'un des chefs de ce ministere était
Hassenfratz , autrefois habitant de Metz, expa-
trié pour cause de banqueroute , et, cornme
tant d'autres , parvenu ade hautes fonctions en
déployant beaucoup de zele démagogique. On
renouvelait ainsi les; administratians de l'ar-
mée, et autant que possible, on remplissait l'ar-
rnée elle-méme d'une nouvelle classe et d'une
nouvelle opinion. Aussi , tandis que Roland
était voué a la haine des jacobins , Pache était
chéri, loué par eux. On vantait sa douceur, sa




294 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
modestie, sa grande capacité, et on les oppo-
sait a la sévérité de Roland, qu'on appelait de
l'orgueil. Roland en effet n'avait donné aux ja-
cobins aucun accés dans son ministere de l'inté-
rieur. Observer les rapports des eorps consti-
tués, ramener dans les limites eeux qui s'en
écartaient, maintenir la tranquillité publique,
surveiller les soeiétés populaires, pourvoir aux
subsistances , protéger le commeree et les pro-
priétés , c'est-á-dire veiller a toute l'adminis-
tration intérieure de l'état, telles étaient ses
immenses fonctions, et il les remplissait avee
une rare énergie. Tous les jours, il dénoncait
la commune, poursuivait ses exces de pouvoir,
ses dilapidations , ses envois de commissaires ;
il arrétait ses correspondances, ainsi que celles
des jacobins, et substituait a leurs écrits vio-
lents d'autres écrits pleins de modératiou, qui
produisaient partout le meilleur effet. Il veil-
lait a toutes les propriétés d'émigrés échues a
l'état, dounait un grand soin aux subsistances,
réprimait les désordres dont elles étaient l'oc-
casion, et se multipliait en quelque sorte pour
opposer aux passions révolutionnaires la 10i et
la force quaud ille pouvait. On concoit quelle
différence les jacohins devaient mettre entre
Pache et Roland. Les familles des deux minis-
tres contribuaient elles-mémes a rendre eette




CONVENTION NATIONALE (179 2 ) . 295
différence plus sensible. La femme, les filIes de
Pache allaient dans les clubs, dans les sections ,
paraissaient méme dans les casernes des fédé-
rés , qu'on voulait gagner ala cause, et se dis-
tinguaient, par un bas jacobinisme, de cette
épouse de Roland, polie et fiere , et surtout
entourée de ces orateurs si brillants et si odieux.


Pache et Roland étaient done les deux hom-
mes autour desquels on se rangeait dans le con-
seil. Claviére , aux finances , quoiqu'il fut sou-
ven t brouillé avee tous les autres, par l'extreme
irascihilité de son caractere , revenait toujours
aRoland quand il était apaisé. Lebrun, faible,
mais attaché aux girondins par ses lumiéres ,
travaillait beaucoup avec Brissot; et les jaeobins
appelant ee dernier un intrigant, disaient qu'il
était maitre de tout le gouvernement, paree
qu'il aidait Lebrun dans les travaux de la diplo-
matie. Garat, en contemplant les partís d'une
hauteur métaphysique, se contentait de les ju-
ger, et ne se croyait pas tenu de les combattre.
II semblait se croire dispensé de soutenir les
girQndins, paree qu'illeur déeouvrait des torts,
et se faisait de son inertie une véritable sa-
gesse. Cependant les jaeobins aceeptaient la
neutralité d'un esprit aussi distingué comme un
précieux avantage, et la payaient de quelques
éloges. Monge enfin, esprit mathématique, pa-




296 RÉVOLUTION FRANc.;AISE.
triote prononcé, peu disposé pour les théories
un peu vagues des girondins, suivait l'exemple
de Paehe, laissait envahir son ministere par les
jacobius , et sans désavouer les girondins aux-
quels il devait son élévation , reeevait les éloges
de leurs adversaires, et partageait la popularité
du ministre de la guerreo


Ainsi, trouvant deux eomplaisants dans Paehe
et Monge, un idéologue ineliíférent dans Garat,
mais un adversaire inexorable dans Roland, qui
ralliait alui Lebrun et Claviére , et souvent ra-
menait les autres, le parti jacobin n'avait pas
encore le gouvernement de l'état , et répétait
partout qu'il n'y avait qu'un roi de moins
dans le nouvel ordre de choses , mais qu'a part
cela •.. c'était le mérne despotisme, les mémes
intrigues et les mémes trahisons, Il disait que
'Jiarévolution ne serait complete et sans retour
que lorsqu'on aurait détruit l'auteur seeret de
toutes les machinations et de toutes les résis-
tances, enfermé au Temple.


On voit quelles étaient les forces respectives
des partís, et l'état de la révolution al'instant
oú fut commencé le proces de Louis XVI. Ce
prinee avec sa· famille hahitait la grande tour
du Temple. La commune ayant la disposition
de la force armée et le soin de la poliee dans
la capitale, avait aussi la garde du Temple, et




CONVENTION NATIONALE (179 2 ) . 297
c'est a son autorité ombrageuse, inquiete et
peu généreuse, que la famille royale était sou-
mise. Cette famille infortunée étant gardée par
une classe d'hommes bien inférieure a celle
dont se composait la convention, ne devait
s'attendre ni a la rnodération ni aux égarcls
que l'éducation et des moeurs polies inspirent
toujours pour le malheur. Elle avait d'abord
été placée dans la petite tour; rnais elle fut en-
suite transportée dans la grande, paree qu'on
jugea que la surveillance en serait plus fa-
cile et plus süre. Le roi oeeupait un étage, et
les prinecsses avec les enfants en occupaient
un autre. On les réunissait pendant le jour, et
on leur permettait de passer ensemble les tristes
instants de leur captivité. Un seul domestique
avait obtenu la permission de les suivre dans
leur prison: c'était le fidele Cléry, qui, échappé
aux massacres du 10 aoút , était rentré au mi-
lien de Paris, pour servir dans leur infortune
ceux qu'il avait servis jadis dans l'éclat de leor
toute-puissance, Il était levé des le commen-
cement du joor, et se multipliait pour rem-
placer aupres de ses maitres les nombreux serví-
teurs qui les entouraient autrefois. On déjeunait
a neuf heures dans la chambre du roi. A dix
heures, tóute la famille se réunissait chez la
reine. Louis XVI s'occupait alors de l'éduca-




2g8 llÉVOLUTION FRAN9AlSE.
tion de son fils. n lui faisait apprendre quel-
ques vers de Hacine et de Corneille, et ensuite
il lui donnait les premieres notions de la géo-
graphie, science qu'il avait cultivée lui-méme
avec beaucoup d'ardeur et de succes. La reine,
de son coté, travaillait al'éducation de sa fille,
et puis s'occupait avec sa soeur ades ouvrages
de tapisserie. A uue heure , quand le temps était
beau, la famil1e tout entiére était conduite dans
les jardins pour y respirer l'air, et y faire une
courte promenade. Plusieurs municipaux et of-
ficiers de garde l'accompagnaient, et, suivant
les occasions, elle trouvait quelquefois des vi-
sages humains et attendris, quelquefois durs
et méprisants, Les hommes peu cultivés sont
peu générellx, et chez eux , la grandeur n' est
pas pardonnée, aussitót qu'elle est abattue.
Qu'on se figure des artisans grossiers, sans Iu-
mieres , maitres de cette famille dont ils se re-
prochaient d'avoir si long-temps souffert le pou-
voir et alimenté le luxe, et on concevra quelles
basses vengeances ils devaient quelquefois exer-
cer sur elle f Souvent leroí et la reine enten-
daient de cruels propos, et retrouvaient, sur les
murs des cours et des corridors, l'expression
d'une haine que I'ancien gouvernement avait
fréquemment méritée , mais que Louis XVI ni
son épouse n'avaient rien fait pour inspirer. Ce-




CONVENTION NA.TIONALE (1792 ) . 299
pendant ils trouvaient parfois un soulagement
dans de furtives expressions d'intérét , et ils
continuaient ces promenades douloureuses a
cause de leurs enfants, auxquels l'exercice était
nécessaire. Tandis qu 'ils parcouraient triste-
ment cette cour du Temple, ils apercevaient
aux fenétres des maisons voisines une foule
d'anciens sujets encore attachés aleurs maitres ,
el qui venaient contempler I'espaceétroit oú
était enfermé le monarque déchu. A deux heu-
res, la promenade finissait, el on servait le di-
ner. Apres le diner, le roi prenait quelque repos;
pendant son sommeil, son épouse, sa soeur et
sa filIe travaillaient en silence , et Cléry dans
une autre salle exercait le jeune prince ades
jeux de son age. On faisait ensuite une lecture
en commuu, on soupait, et chacun rentrait
dans son appartement, apres un adieu pénible,
car ils ne se quittaient jamais sans douleur. l ..e
roí lisait encore pendant plusieurs heures.Mon-
tesquieu, Buffon, I'historien Hume, I'Imitation
de Jésus - Christ , quelques classiques latins et
italiens formaientses lectures habitueIles. n
avait achevé enviran deux cent cinquante vo-
lumes a sa sortiedu Temple.


Telle était la vie de ce monarque pendant sa
triste captivité, Rendu a la vie privée , il était
rendu atoutes ses vertus , el devenait digne de




300 RÉVOLUTION FRAN9A.ISE.
I'estime de tons les coeurs honnétes, Ses en-
nemis eux-mémes , en le voyant si simple, si
calme, si pUl', n'auraient pu se défendre d'une
émotion involontaire, et auraient, en faveur des
vertus del'homme, pardonnéauxtortsduprince.


La commune, extrémement méfiante, em-
ployait les plus genantes précautions. Des of-
ficiers munieipaux ne perdaient jamais de vue
aucune des personnes de la farnille royale, et,
au moment seul du coucher, ils consentaient
a en étre séparés par une porte fermée. Alors
ils placaient un lit a l'entrée de chaque appar-
tement , de maniere a en fermer la sortie , et
y passaient la nuit. Santerre avec son état-
major faisait chaque jour une visite générale
dans toute la tour, et en rendait un compte
régulier. Les offieiers munieipaux de garcle for-
maient une espece de conseil permanent, qui ,
plaeé dans une salle de la tour, était chargé de
donner des ordres, et de répondre atoutes les
demandes des prisonniers. D'abord on avait
laissé dans la prison , enere, papier el plumes ;
mais hientót on enleva tous ces objets , ainsi
que tous les instruments tranchants , eomme
eouteaux, rasoirs, ciseaux, canifs , et on fit les
recherches les plus minutieuses et les plus of-
fensantes pour découvrir ceux de ces instru-
ments qui auraient pu étre cachés. Ce fut une




CONVENTION N ATIONALE (179~). 30 I
grande peine pour les prineesses, qui des-lors
furent privées de leurs ouvrages de couture, et
ne pnrent plus réparer leurs vétements , déjá
dans un assez mauvais état, n'ayant pas été re-
nouvelés depuis la transJation au Temple. Dans
le sae du chatean, prcsque tout ce qui tenait
al'usage personnel de la famille royale avait été
détruit. L'éponse de l'ambassadeur d'Angleterre
envoya du lioge ala reine, et la commune, sur
la demande du roi, en fit faire POUI' toute la fa-
mille. Quant aux habits et vétements , ni le roi
ni la reine ne songerent aen demander; ils en
auraient sans doute obtenu s'ils en avaient ex-
primé le désir. Quant al'argent, on leur remit
en septernbre une somme de 2000 fr. ponr
leurs menues dépenses ; mais on ne voulut plus
leur en donner depuis, paree qu'on craignait
l'usage qn'ils en pourraieut faire. Une somme
était déposée dans les mains de l'administra-
teur du Temple, et sur la demande des pri-
sonniers, on achetait les divers objets dont ils
avaient besoin.


Il ne faut pas exagérer les torts de la nature
humaine ,et supposer que joignant une exécra-
ble bassesse aux fnrenrs dn fanatisme, les gar-
diens de la famille prisonniere lui imposassent
ú plaisir d'indignes privations, et voulussent
ainsi lui rendre plus pénible le souvenir de sa




302 RÉVOLUTION FRAN9AISE.


grandeur passée. La méfiance était seu le cause
de certains refus, Ainsi , tandis que la crainte
des complots et des communications empéchait
qu'on leur accordát plus d'un serviteur dans
l'intérieur de la prison, un nombreux. domes-
tique était employé a préparer leurs aliments.
Treize officiers de bouche remplissaient la cui-
sine placée aquelque distance de la tour. Les
rapports de la dépense du Temple, oú la plus
grande décence est observée, oú les prisonniers
sont qualifiés avec égard, ou leur sobriété est
vantée, oú Louis XVI est justifié du bas re-
proche de trop se livrer au gout du vin, ces
rapports non suspects portent la dépense de la
table a28,745 livres en deux mois. Tandis que
treize domestiques occupaient la cuisine, un
seul pouvait pénétrer dans la prison, et aidait
Cléry a servir les prisonniers a tableo Eh bien,
tant est ingénieuse la captivité! c'était par ce
domestique, dont Cléry avait intéressé la sen-
sibilité, que les nouvelles extérieures péné-
traient quelquefois au Temple. On avait tou-
jours laissé ignorer aux malheureux prisormiers
les événements du dehors. Les représentants
de la commune s'étaient contentés de Ieur com-
muniquer les journaux qui mentionnaient les
victoires de la républiqne, et qui leur ótaient
ainsi tout espoir.




CONVENTJON NATJONAL~ (179'1). 303
Cléry avait imaginé, pour les tenir au cou-


rant, un moyen adroit, et qui luiréussissait assez
bien. Par le moyen des communications qu'il
s'était ménagées au dehors, il avait fait choisir
et payer un crieur public, qui venait se placer
sous les fenétres du Temple, et sous préte-
de vendre des journaux, en rapportait les pn-L'o
cipaux détails de toute la force de sa voix.
Cléry, qui était convenu de l'heure, se placait
aupres de la méme fenétre , recueillait ce qu'il
entendait, et le soir, se penchant sur le lit du
roi, al'instant oú il lui en fermait les rideaux,
illui rapportait ce qu'il avait appris. Telle était
la situation de la famille infortunée tombée du
tróne dans les fers, et la maniere dont le zele
industrieux d'un serviteur fidele luttait avec
la défiance ombrageuse de ses gardiens.


Les comités avaient enfin présenté leur tra-
vail sur le proces de Louis XVI. Dufriche-Valazé
avait fait un premier rapport sur les faits repro-
chés au monarque, et sur les pieces qui po u-
vaient les constater. Ce rapport, trop long pour
étre entendu jusqu'au hout, fut imprimé par
ordre de la convention, et distrihué a chacun
de ses membres. Le 7 novembre, le député
Maille, parlantau nom du comité de législa-
tion , présenta le rapport sur les grandes ques-
tions .auxquelles le preces donnait naissance :




304 RÉVOLUTION FRAN~AJSE.
Louis XVI peut-il étre jugé?
Quel tribunal prononcera le jugement?
Telles étaient les deux questious essentielles


qui allaient occuper les esprits, et qui devaient
les agiter profondément. L'impression du rap-
mort fut ordonnée sur-le-charnp. Traduit dans
\Oliles les langues, distribué aun nombre con-
sidérable d' exemplaires, il rernplit hientót la
France et l'Europe. La discussion fut ajournée
au 13, malgré Billaud-Varennes , qui voulait
qu'on décidát par acclamation la question de la
mise en jugement.


lci aUait se livrer la demiere lutte entre les
idées de l'assemblée eonstituante et les idées
de la eonvention; et cette lutte devait étre
d'autant plus violente, que la vie ou la mort
d'un roi a1lait en étre le résultat. L'assemblée
eonstituante était démoeratique par ses idées ,
etmonarehique par ses sentiments. Ainsi, tandis
qu'elle.constituait l'état tout entier en républi-
que, par un reste d'affection et de ménagement
pour Louis XVI, elle conservait la royauté avec
les attributs qu'on est convenu de lui attribuer,
dans le systeme de la monarchie féodale régula-
risée. Hérédité, pouvoir exécutif, participation
au pouvoir législatif, et surtout inviolabilité,
telles sont les prérogatives que l'on rccounait
au tróne dans les monarchies modernes, et que




CONVENTION NATIONA.LE (1792). 305
la premiere assernblée avait laissées ala rnaison
régnante. La participation au pouvoir législatif,
et le pouvoir exécutif, sont des fonctions qui
peuvent varier dans leur étendne , et qui ne
constituent pas aussi esscntiellement la royauté
moderne que l'hérédité el l'inviolabilité. De ces
deux dernieres , 1'une assure la transmission
perpétuelle et naturelle de la royauté, la se-
conde la met hors de toute attéinte dans la
personne de chaque héritier; toutes deux en-
fin en font quelque chose de perpétuel qui ne
s'interrompt pas, et quelque chose d'inacces-
sible, qu'ancune pénalité ne peut atteindre,
Condamnée an':)gir que par des ministres, qui
répondent de ses actions , la royauté n'est ac-
cessible que dans ses agents, et on a ainsi un
point pour la frapper sans l'ébranler. Telle est
la monarchie féodale , successivement modifiée
par le temps, et conciliée avec le degré df;
liberté auquel sont parvenus les peuples mo-
derues.


Cependant l'assemblée constituánte avait été
portée amettre une restriction acette inviola-
bilité royale. La fuite a Varennes, les entre-
prises des émigrés, l'arnenerent enfin a penser
que la responsabilité ministérielle ne garanti-
rait pas une nation de toutes les fautes de la
royaulé.El1e avait en conséquence prévu le


111. 20




306 RÉVOLUTJON FRA.N~AJSE.
cas oú un lllonarque se mettrait a la tete d'une
armée ennemie, pour attaquer la constitution
de l'état , on bien ne s'opposerait pas, par un
acle formel , Ji une entreprise de cette nature
faite en son nomo Dans ce cas, elle avait dé-
cIaré le monarque non point justiciable des
lois ordinaires contre la félonie , mais déchu;
il était censé aooir abdiqué la royauté. Tel est
le I;mgage textuel de la loi qu'elle avait rendue.
La proposition d'accepter la constitution, faite
par elle au roi , et l'acceptation de la part du
roi , avaient rendu le contrat irrévocable, et
l'assemblée avait pris le solennel engagement
de tenir comme sacrée la personne des mo-
narques.


C'est en présence d'un engagement pareil
que se trouvait la convention, en décidant du
sort de Louis XVI. Mais ces nouveaux consti-
tuants, réunis sous le nom de conventionnels,
ne se préteudaient pas plus engagés par les
institutions de leurs prédécesseurs , que ceux-
ci ne s'étaient crus engagés par les vieilles
institutions de la féodalité, Les esprits avaient
subiun entrainernent si rapide , que les lois
de 179 rparaissaient aussi absurdes a la géné-
ration de 1792; que cellesdu. xrn" siecle 1'a-
vaient paru a la génération de J 789' Les con-
ventiounels ne se croyaient done pas liés par




CONn:NTION NATIONALE (179'2). 307
une loi qu'ils jugeaient absurde, et se décla-
raient en insurrection centre elle, comme les
états-aénéraux contre celle des trois ordres.


On vit donc , des l'ouverture de la discus-
sion, le u3 novembre, se prononcer deux sys-
temes opposés : les uns soutenaient l'inviola-
bilité , les autres la rejetaient absolument.
Les idées avaient tellement changé, qu'aucun
membre de la convention n'osait défendre l'in-
violahilité comme bonne en elle-rnéme , et ceux
méme qui étaient pour elle ne la défendaient
qnecomme disposition antérienre, dont le
bénéfice était acquis au monarque, et qu'on
ne pouvait lui contester sans manquer a un
engagement national. Encore n'y avait-il que
trés vpeu de députés qui la soutinssent a ce
titre d'engagement pris, et les girondins la
condamnaient méme sous ce rapport. Cepen-
dant ils demeuraient hors du débat , et ohser-
vaient froidement la discussion élevée entre
les rares partisans de l'inviolabilité et ses norn-
breux adversaires,


(( - D'abord, disaient les adversaires de l'in-
.violahilité, ponr qu'nn engagement soit vala-
ble, il faut que celui qui s' en gag e ait le droit
de s'engager.Or, la souveraineté nationale est
inaliénable, et ne peut pas se lier pour I'ave-
nir. La nation peut bien, en stipulant l'invio-


20.




308 RÉVOLUTION FRAl'H';:AISE.
labilité, avoir rendu le pouvoir exécutif inac-
cessible aux coups du pouvoir législatif; c'est
une précaution poli tique dont on concoit le
motif, dans le systérne de 1'assemblée consti-
tuante; mais, si elle a rendu le roi inviolable
pour tous les corps constitués , elle n'a pu le
rendre inviolable pour elle-méme , car elle ne
peut jamais renoneer ala faculté de tout faire
et de tout vouloir en 10ut temps ; cette faculté
eonstitue sa toute-puissance , qui est inaliéna-
hle ; la nation n'a donc pn s'engager envers
L~uis XVI, et on ne peut lui opposer un en-
gagement qu'elle n'a pas pu prendre.


« Secondement, il aurait falln, méme en sup-
posant 1'engagement possible, qu'il fút réci-
praque. Or Il ne l'a jamais été du coté de
Louis XVI. Cette constitution, sur laquelle il
veut maintenant s'appuyer, il ne 1'a jamais
voulue, il a toujours protesté contre ene, el
n'a jamais cessé de travailler a la détruire ,
non seulement par des conspirations intérieu-
res, mais par le fer des ennemis. Quel droit
a-t-il done de s'en prévaloir?


«Qu'on admette méme 1'engagementcomme
possible et eomme réciproque, il faut encore
qu'il ne soit pas absurde , pour avoir quelque
valeur. Ainsi on concoit 1'inviolabilité qui s'ap-
plique á tous les actes ostensibles don! un mí-




CONVJ;;NTION NATlONAU: (1792.). 309
nistre répond a la place du roi, Pour tous les
actes de ce genre , il existe une garantie dans
la responsabilité ministérielle , et l'inviolabilité,
n'étant pas I'impunité , cesse d'étre absurde.
Mais pour tous les actes secrets , comme les
trames cachées , les intelligences avec l'ennemi,
les trahisons enfin , un ministre est-il la pour
contre-signer et répondre P Et ces dcrniers ac-
tes cependant resteraient impunis , quoique les
plus graves et les plus coupables de tous!
Voila ce qui est inadmissible, et il fau t recon-
naitre que le roi , inviolable pour les actes de
son administration, cesse de l'étre pour les
actes secrets et criminels qui attaquent la su-
reté publique. Ainsi un député , inviolable
pour ses fonctions législatives, un ambassa-
deur pour ses fonctions diplomatiques, ne le
sont plus pour tous les autres faits de leur vie
privée, L'inviolabilité a done des bornes, et il
est des points sur lesquels la personne du roi
cesse d'étre inattaquable. Dira-t-on que la dé-
chéance est la peine prononcée centre les per-
fidies dont un ministre ne répond pas ? C'est-
a-dire , que la simple privation du pouvoir
serait la seule peine qu'on infligerait au mo-
llarque, ponr en avoir si horrihlement abusé!
Le peuple qu'il aurait trahi, livré au fer étran-
gel', el a tous les fléaux a-la-fois , se horuerait




3, o RÉVOLUTION J'RAN~AJSE.
a lui <lite : Retirez-vous, Ce serait la une jus-
tice illusoire , et une nation ne peut pas se
manquer ainsi a elle-rnéme , en laissant im-
puni le crime eommis eontre son existenee et
sa liberté.


« Il faut, ajoutaient les mémes orateurs, il
faut a la vérité une peine eonnue, renfermée
dans une loi antérieure , pour pouvoir l'appli-
quer a un délit. Mais n'y a-t-il pas les peines
ordinaires eontre la trahison? Ces peines ne
sont-elles pas les mérnes dans tous les eodes?
Le monarque n'était-il pas averti, par la mo-
rale de tous les temps et de tous les lieux, que
la: trahison est un crime; et par la législature
de tous les peuples, que ee erime est puni du
plus terrible des chátirnents ? II faut, outre
une loi pénale, un tribunal. Mais voici la na-
tion souveraine qui réunit en elle tous les
pouvoirs, eelui de juger eomme celui de faire
les lois, de faire la paix ou la glierre; elle est
iei avee sa toute-puissance , avec son univer-
salité , et il n'est aucune fonction qu'elle ne
soit capable de rernplir ; cette nation, c'est la
eonvention qui la représente, avec mandat de
tout faire pour elle, de la venger, de la cons-
tituer, de la sauver. La eonvention est done
eompétente pour juger Louis XVI; elle a des
pouvoirs suffisants; elle est le tribunal le plus




CONVENTION Ni\.TIONALE (1792). 311
indépendant, le plus élevé, qu'un accusé puisse
choisir; et , amoins qu'il ne lui faille des par-
tisans , ou des stipendiés de l'ennemi, ponr
ohtenir justice, le monarque ne peut pas dé-
sirer d'autres juges. A la vérité, il aura les me-
mes hommes pour accusateurs et juges. Mais
si, dans les trihunaux ordinaires , exposés dans
une sphere inférieure ades causes individuelles
et particuliéres d'erreur, OH sépare les fonc-
tions, et on empéche que l'accusation ait pour
arbitres ceux qui l'ont soutenue, dans le con-
seil général de la nation, qui est placé au-
dessus de tous les intéréts , de tous les motifs
individuels , les mémes précautions ne sont
plus nécessaires. La nation ne saurait errer,
et les députés qui la représeutent partagent
son infaillibilité et ses pouvoirs.


« Ainsi, continuaient les adversaires de 1'1n-
violabilité , I'engagement contraeté en J 791 He
pouvant lierla souveraineté nationale , cet en-
gagement étant san s aucune réciproeité, et
renfermant d'ailleurs une c1ause absurde , celle
de laisser la trahison impunie, est tout-á-fait
nul , et Louis XVI peut étre mis en cause.
Quant a la peine, elle a été connue de tout
remps , elle s'est trouvée dans toutes les lois.
Quant au tribunal, i] est dans la convention
revétue de tous les pouvoirs législatifs , exé-




312 IlÉVOLUl'ION fRAN<;:AISE.


cutifs etjudiciaires. Ces orateurs dernandaient
done, avec le comité: que Louis XV!fut j ugé,
qu'ille fUt par la convention nationale; qu'un
acre énonciatif des faits a lui imputés fUt
dressé par des commissaires choisis; qu'il com-
parút en perSOllne pour y répondre; que des
conseils lui fussent accordés pOllr se défendre ;
et qu'immédiatement apres I'avoir enteudu , la
convention prononcát son jugement, par ap-
pel nomina!. »-


Les défenseurs de l'inviolabilité n'avaient
laissé aucune de ces raisons sans réponse, et
avaient réfuté tout le systeme de Ieurs adver-
saires.


((- On prétend, disaient-ils, que la nation n'a
ras pu aliéner sa souveraineté et s'interrlire le
droit de punir un attentat commis centre elle-
méme ; que l'inviolabilité prononcée en ] 791
ne liait que le eorps législatif, mais point la
nation elle-mérne. D'ahord , s'il est vrai que la
souveraineté nationale ne puisse pas s'aliéner,
et s'interdire de renouveler ses lois, il est vrai
aussi qu'elle ne peut rien sur le passé ; ainsi
elle pe saurait faire q'Je ce qui a été pe soit
pas; elle ne peut point ernpécher que les lois
qu'elle avait portées aient eu leur eífet , et que
ce qu'elles absolvaient soit absous; elle peut
bien pour l'avenir déclarer que les monarques





CONVENTlON N ATJON ALE (J792). :1 J 3
ne seront plus inviolables, mais, pour le passé,
elle ne peut pas empécher qu'ils le soient,
puisqu'elle les a déclarés tels ; elle ne peut sur-
tout rompre les engagements pris avec des
tiers, pour lesquels elle devenait simple partie
en traitant avec eux. Ainsi done la souveraineté
nationale a pu se lier pOllr un temps; elle l'a
voulu d'une maniere ahsolue , non seulement
pour le eorps législatif, auque1 elle interdisait
toute action judiciaire eontre le roi, mais ponr
elle - mérne, cal' le but politique de l'inviola-
hilité eút été manqué, si la royauté n'eüt pas
été mise hors de toute atteinte quelconque, de
la part des autorités constituées, comme de la
part de la nation elle-méme.


(( Quant au défaut de réciprocité dans l'exé-
cution de l'engagement, tout a été prévu, Le
manque de fidélité al'engagement a été prévu
par l'engagement méme, Toutes les manieres
d'y manquer sont comprises dans une seule,
la plus grave de toutes, la guerre a la nation,
et sont punies de la déchéance , c'est-á-dire
de la résolution dn eontrat existant entre la
nation el le roi. Le défaut de réciprocité n'est
done pas une raison qui puisse délier la nation
de la promesse de l'inviolabilité.


« L'engagement était done réel et absolu ,
commun ala nation comme au eorps législatíf;




1 f 4 níVOLUTION FRAN(lAISE.
le défaut de réciprocité était prévu, et ne peut
étre une cause de nullité; on va voir enfin que,
dans le systéme de la monarchie, cet engage-
ment n'était point déraisonnable , et qu'il ne
peut périr pOllr canse d'absurdité. En effet,
eette in violabilité ne laissait , quoi qu'on en ait
dit, aueun erime impuni. La responsabilité
ministérielJe atteignait tons les actes, paree
qu'un roi ne peut pas plus conspirer que gou-
verner sans agents, et ainsi la justice publique
avait toujours prise. Enfiu ces erimes secrets ,
différents des délits ostensibles d'administra-
tion , étaient prévus et punis de la déchéance,
cal' toute faute de la part du roi se réduisait ,
dans cette législation, a la eessation de ses
fonetions. On a opposé acela que la déchéance
n'était pas une peine, qu'elle n'était que la
privation de l'instrument dont le monarque
avait abusé. Mais, dans un systeme oú la per-
sonne royale devait étre inattaquable, la sévé-
rité de la peine u'était pas 'ce qui importait le
plus; l'essentiel était son résultat politique, et
ce résultat se trouvait atteint par la privation
du pouvoir. D'ailleurs , n'est-ce done pas une
peine que la perte du premier treme de I'uni-
vers? Est-ce done sans une affreusc donleur ,
que I'on perd une couronne qu'en naissant 011
trouva sur sa tete, avec laquelle on a vécu ,




CONVENTION NATIONALE (1792). 3 J 5
sous laqueIle on a été adoré vingt années? Sur
des coeurs nourris dans le rang supréme , ce
suppliee n'est - il pas égal a celui de la mort?
D'ailleurs , la peine fút - elle trop douce, elle
est telle, d'apres une stipulation expresse, et
une insuffisance de peine ne peut étre dans
une loi une cause de nullité. n est eonvenu en
législation criminelle, que toutes les fautes de
la législation doivent profiter a l'accusé, paree
qu'il ne faut pas faire porter au faible désarmé
les erreurs du fort. Ainsi done l'engagement ,
démontré valable et absolu, ne renfermait rieu
d'absurde ; aucune impunité n'y était stipulée ,
et la trahison y trouvait son chátiment, n n'est
done besoin de reeourir ni au droit natnrel,
ni a la nation, puisque la déchéance est déja
prononeée par une loi antérieure. Cette peine,
le roi l'a subie, sans un tribunal qni la pro-
noncát , et d'apres la seule forme possible ,
celle d'une insurreetion nationale. Détróné en
ee moment , hors de toute possibilité d'agir,
la Franee ne peut plus rien eontre lui, que de
prendre des mesures de poliee pOIl!" sa súreté,
Qu'elle le bannisse hors de son territoire pour
sa propre sécurité , qu'elle le détienne méme,
si elle veut, jusqu'á la paix , ou qu'elle le laisse
dans son sein redevenir hornme , par l'exercice
de la vie privée : voila tout ee qu'elle doit , et




3 J 6 RÉVOLUTlON FRAN~AISK
tout ce qu'elle peut. Il n'est done pas néces-
saire de constituer un tribunal, d'examiner la
compétence de la convention: le i o aoñt , tout
fut fini pour Louis XVI; le 10 aoñt , il cessa
d'étre roi;le 10 aoút, iI fut mis en cause, jugé,
déposé, et tout fut consommé entre lui et la
nation. ) '--


Telle était la réponse que les partisans de
l'inviolabilité opposaient a leurs adversaires,
La souveraineté nationale entendue eomme on
l'entendait alors, leurs réponses étaient victo-
rieuses , et tous les raisonnements du comité
de législation n'étaient que de laborieux sophis-
mes, sans franchise et sans vérité.


On vient de lire ce qui se disait de part et
d'autre dans la discussion réguliere. Mais, de
l'exaltation des esprits et des passions, nais-
saient un autre systeme et une autre opinion.
Aux Jacobins, dans les rangs de la Montagne,
on se demandait déja s'il était nécessaire d'une
discussion , d'un jugement, de formes enfin,
pour se délivrer de ce qu'on appelait un tyran,
pris les armes a la main, et versant le sang de
la nation, Cette opinion eut un organe terrible
dans le jeune Saint-Just , fanatique austere et
froid, qui avingt ans méditait une société tout
idéale , oú régneraient l'égalité absolue , la sim..
plicité , l'austérité et une force indestructible.




CONVENTION NATIONAI.E ('792). :1'7
Long-tcmps avant le 10 aoút , il révait, dans les
profondeurs de sa sombre intelligence, cette
société surnaturelle, et il était arrivé, par fa-
natisme , a cette extrémité des opinions hu-
maines, alaquelle Robespierre n'était parvenu
qu'a force de haine. Neuf au milieu de la
révolution, dans laquelle il entrait a peine,
étranger encare a toutes les luttes , a tous les
torts, á tous les crimes, rangé dans le parti
des mantagnards par ses opinions violentes,
charmant les jacobins par l'audace de son es-
prit, captivant la convention par ses talents,
iI n'avait cependant pas encore acquis une re-
nommée populaire. Ses idées toujours bien
accueillies, milis pas toujours comprises, n'a-
vaient tout leur effet que lorsqu'elles étaient
devenues, par les plagiats de Robespierre , plus
eommunes, pIus claires et plus déclamatoires.


Il parla aprés Morisson, le plus zélé des
défenseurs de l'inviolabilité, et, sans employer
les personnalités contre ses adversaires , paree
qu'il n'avait pas encore eu le temps de con-
tracter des haines personnelles, il ne parut
s'indigner d'abord que des petitesses de l'as-
semblée, et des arguties de la discussion ",
tI Quoi l dit-il , vous, le comité, ses adversaires,


• Séance du 1') novembro.




31 B RÉVOLUTION FRAN~AISJc.
« vous cherchez péniblement des formes pout
« juger le ci - devant roi 1 vous vous efforcez
« d'en faire un citoyen, de l'élever aeette qua-
« lité. pour trouver des lois qui lui soient ap-
« plicables! Et moi ,au eontraire, je dis que le
« roi n'estpas un citoyen, qu'il' doit étre jugé
« en ennemi, que nous avons moins ale juger
ce qu'a le eombattre, et que n'étant pour rien
« dans le contrat qui unit les Francais , les
« formes de la proeédure ne sont point dans
« la loi civile, rnais dans la loi da droit des
« gens ..... j)


Ainsi done Saint - Just ne voit pas dans le
preces une question de justice, mais une ques-
tion de guerreo « Juger un' roi comme un ci-
« toyen! Ce mot, dit - il, étonnera la postérité
« froide. Juger, c'est appliquer la loi; une loi
« est un rapport de justiee : quel rapport de
« justice y a-t-il done entre l'humanité et les
« rois?


l< Régner seulement est un attentat, une
« usurpation que rien ne pellt absoudre , quun
« peuple est coupable de souffrir, et eontre
(e laquelle chaque homme a un droit tout per-
« sonnel. 00 ne peut régner innocemment,
« la ¡ folie en est trop grande. 11 faut traiter
I( cctte usurpation comme les rois eux-rnémes
« traitent ceHe de leurprétendue autorité. Nf'




..


CONVENTlON N ATION ALE (1 792). 3 J9
(( fit-on pas le preces a la mémoire de Crorn-
(( well, pour avoir usurpé l'autorité de Char-
« les ¡er? Et certes, l'un n'était pas plus usur-
(( pateur que l'autre; cal' lorsqu'un peuple est
(( assez láche pour se laisser dominer par des
(( tyrans, la domination est le droit du premier
( venu, et n'est pas plus saerée, pas plus lé-
( gitime sur la tete de l'un que sur celle de
« l'autre! JJ


Passant ala question des formes, Saint-Just
n'y voit que de nouvelles et inconséquentes
erreurs, Les formes dans le preces ne sont que
de l'hypocrisie; ce n'est point la maniere de
procéder qui a justifié toutes les vengeallces
connues des peuples eontre les rois , c'est le
droitde la force contre la force .....


(cpn jour, s'écrie-t-il , on s'étonnera qu'au
( XVIlle siecle on ait été moins avancé que
« du temps de César: la le tyran fut irnmolé
« en plein sénat, sans autre formalité que
« vingt-trois coups de poignard, et sans autre
(( loi que la liberté de Rome. Et aujourd'hui,
« on fait avec respect le proces d'un homme as-
( sassin d'un peuple, pris en flagrallt délit !....)


Envisageant la question sous un autre rap-
port, tout étranger a Louis XVI, Saint - Just
s'éleve contre la subtilité et la finesse des es-
pri ts, qui nuisent, dit-il , aux grandes choses,




3~w RÉVOLllTION FR AN~AlS¡':.
La vie dé Louis XVI n'est rien, c'est l'esprit
dont ses juges vont faire preuve qui l'inquiete;
c'est la mesure qu'ils vont donner d'eux-mémes
qui le frappe. « Les hommes qui vont juger
(( Louis ont une république a fonder, et eeux
('( 'qui attachent quelque importance au juste
(( chátiment d'un roi ne fonderont jamais une
(( république..... Depuis le rapport, une cer-
« taine incertitude s'est manifestée. Chacun
¡( rapproche le preces du roi de ses vues parti-
« culiéres : les uns semblent eraindre de porter
( plus tard la peine de leur eourage; les autres
« n'ont point renoneé a la monarchie ; ceux-ci
( eraignent un exemple de vertu qui serait un
(( lien d'unité .....


« Nous nous jugeons tous avec sévérité , je
(( dirai mérne avec fureur; nous ne songeons
(( qu'á modifier l'énergie du peuple et de la
« liberté, tandis qu'on accuse apeine l'ennemi
« comnnm, et que tout le monde, ou rempli
" de faiblesse, ou engagé dans le crime , se re-
(( garde avant de frapper le premier coup!


(( Citoyens, si le peuple rornain , apres six
« cents ans de vertu et de haine contre les
(( rois, si la Grande-Bretagne, apres Cromwell
(( mort , vil renaitre les rois malgré son énergie,
« que ne doivent pas eraindre parmi nous les
« hons citoyens , amis de la Iiberté, en voyant




CONVEI'l'1'lON NATlONALE (179~)' 3·).1
« la hache trembler daos nos mains, et un
« peuple, des le premier jour de sa liberté,
« respecter re souvenir de ses fers? Quelle ré-
« publique voulez - vous établir au milieu de
« nos eombats particuliers et de nos faiblesses
« communes? ... Je ne perdrai jamais de vue,
« que l'esprit avec lequel on jugera le roi sera
« le méme que celui avec lequel on établira la
« république..... ' La mesure de votre philoso-
« phie dans ce jugement , sera aussi la mesure
« de votre liberté dans la constitution l »


Il était pourtant des esprits qui, moins fa-
natisés que Saint-Just , s'efforcaient de se pla-
cer dans des rapports plus vrais, et táchaient
d'amener l'assemblée a considérer les choses
sous un point de vue plus juste. « Voyez, avait
« dit Rouzet (séance du 15 novembre h la.vé-
« ritable situation du roi dans la constitution
« de J 79J. Il était placé en présence de la ·re":
« Piésentation nationale pour rivaliser .avec
« elle. N'était - il pas naturel qu'il cherchát a
« recouvrer le plus possible du pouvoir qu'il
« avait perdu? N'était-ce pas vous qui lui aviez
« ouvert cette !ice, et qui l'aviez appelé a. y
« lutter avec la puissance législalive? Eh bien!
« dans eette lice , il a été vaincu; iI est s~ul,
II désarmé , abattu aux pieds de vingt-cinqmil-
« lions d'hommes, et .ces. ~Viflgt - pi~lq millions


lIT. :.u




322 nÉvoLuTION FRANC;:AISE.
le d'hommes auraient l'inutile lácheté d'imrno-
«ler le vaincu! D'ailleurs , ajoutait Rouzet ,
« cet éternel penchant a dominer, penchant
« qui remplit le cceur de tous les hommes,
« Louis XVI ne I'avait - il pas réprimé dans le
« sien, plus qu'aucun souverain du monde?
« N'a-t-il pas fait en 1789 un sacrifice volon-
ti taire d'une partie de son autorité? N'a-t-il
« pas renoncé a une partie des droits que ses
« prédécesseurs s'étaient permis d'exercer?
« N'a-t-il pas abolí la servitude dans ses domai-
« Íles?~N'a-t·il pas appelé. dans ses conseils les
« ministres philosophes, et jusqu'á ces empi-
« riques que la voix publique lui désignait?
« N'a-t-íl pas convoqué les états-généraux, et
« rendu au tiers-état une partie de ses droits ?))


Faure , député de la Seine-Inférieure , avait
montré plus de hardiesse encore. Se rappelant
la conduite de Louis XVI, il avait osé en ré-
veiller le souvenir. « La volonté du peuple ,
« avait-il dit, aurait pu sévir centre Titus, aussi
« bien que centre Néron, et elle" aurait pu lui
« trouver des crimes, ne fussent que ceux
« commis devant Jérusalem. Mais oú sont ceux
« que vous irnputez a Louis XVI? J'ai mis
« toute mon attention aux piéces lues contre
« lui; je- &y ai trouvé que la faiblesse d'un
\( ltomlI'lequi se laisse aller a toutes les espé-




CONV:ENTION NATIONALE (J792). 323
« rances qu'on lui donne de recou.vrer son an-
« cienne autorité; et je soutiens que tous les
« monarques morts dans leur lit étaieat plus
« coupables que lui, Le hon Louis XII méme ,
« en sacrifiant en Italie cinquante mille Fran-
« cais pour sa querelle particuliere , était mille
« fois plus criminel! Liste civile , véto, choix
« de ses ministres, femmes , parents , courti-
« sans , voilá les séducteurs de Capet! et quels
« séducteurs! J'invoque Aristide.Épictete ; qu'ils
« me disent si Ieur fermeté eút tenn a de talles
« épreuves, C'est sur le cceur des débiles mor-
« tels que je fonde mes príncipes ou mes er-
« reurs.. Élevez·vous done a toute la grandeur
« de la souveraineté nationale; concevez tout
« ce qu'une telle puissance doit comporter de
« maguanimité. Appelez Louis XVI,non comme
« un eoupable , mais comme un Francais , et
« dites-lui : Ceux qui t'avaient jadis élevé sur
« le pavois, et nommé leur roi , tedéposent
« aujourd'hui : tu avais promis d'étre leur pére,
« et tu ne le fus pas..... Répare, par tes ver-
« tus comme citoyen , la conduite que tu as
« tenue comme roí. »


Dans l'extraordinaire exaltation des esprits,
chacun était conduit a envisager la question
sous des rapporls différents. Fauchet , ce pré-
tre constitutionnel qui s'était rendu célebre en


21.




32.4 aÉVOLUTION FRAN~AISE.
1759, pour avoir porté dans la chaire le lan-
gage de la révolution, avait demandé si la so-
ciété avait le droit de porter la peine de mort *.
ce La société , avait-il dit, a-t-elle le droit d'ar-
« racher aun homme la vie qu'elle ne lui a pas
ce donnée? Sans doute elle doit se conserver;
« mais est-i1 vrai qu'elle ne le puisse que par
« la mort du coupable? Et si elle le peut par
ee d'autres moyens, n'a-t-elle pas le droit de les
« employer? Dans cette cause, ajoutait-il , plus
ce que dans aueune autre, cette vérité est sur-
ce tout applicable. Quoi! c'est pour l'intérét
« publie, c'est pour l'affermissement de la ré-
ce publique naissante que vous allez immoler
ce Louis XVI! Mais sa famille entiere mourra-
« t·elle du rnéme coup qui le frappera lui-méme?
l( D'apres le systerne de l'héréditévun roi ne suc-
ce cede-t-il pas immédiatement aun autre? Etes-
" vous débarrassés, par la mort de Louis XVI,
ce des droits qu'une famille entiere croit avoir
ce re(,;us d'une possession de plusieurs siécles?
« La destruction d'un seul est done inutile. Au
ce contraire , laissez subsister le chef actuel qui
(e ferme tont accés aux autres ; laissez-le exis-
ce ter avec la haine qu'iJ inspire atons les aris-
ce tocrates pOllr ses incertitudes , ses conces-


" Séance du ] 3 novembre,




CONVENTION NATIONALE (1792). 325
« sions ; laissez-le exister avec sa réputation de
,{ faiblesse, avec l'avilissement de sa défaite, et
{( vous aurez moins a le craindre que tout au-
« treo Laissez ce roí détróné errer dans le vaste
« sein de votre république, sans ce cortége
« de grancleur qui l'entourait; montrez corn-
e bien un roi est peu de chose réduit a lui-
({ méme ; témoignez nn profond dédain pour
{( le souvenir de ce qu'il fut, el ce souvenir ne
« sera plus acraindre; vous aurez donné une
« grande Iecon aux hommes; vous aurez faít
« pour la république, sa süreté et son instruc-
« tion, plus qu'en versant un sang qui ne vous
« appartient pas. Quant au fils de Louis XVI,
« ajoute Fauchet, s'il peut devenir un homme,
« nous en ferons un citoyen, comme le jeune
« Egalité. Il combattra pour la république, el
« nous n'aurons pas peur qu'un seul soldat de
« la liberté le seconde jamais, s'il avait la dé-
« menee de vouloir devenir run traitre a la pa-
« trie. Montrons ainsi aux peuples que nous
« ne craignons rien; engageons-les a-nous imi-
« ter; que tous ensemble ils forment un con-
« gres européen, qu'ils déposent leurs souve-
(e rains , qu'ils envoient ces étres chétifs trainer
{( leur vie ohscure le long des républiques, et
(e qu'ils leur donnent méme de petites pensions ,
« car ces étres-la sont si dénués de facultés.,




326 RlivOLU'fION liRAN'1A.ISK
« que le besoin méme ne leur appreudrait pas
« a gagner du pain! Donnez done ce grand
(,( exemple de l'abolition d'une peine barbare.
cc Supprimez ce moyen inique de l'effusion du
ce sang, et surtout guérissez le peuple du be-
« soin qu'il a de le répandre. Táchez d'apaiser
ce en Iui eette soif que des hommes pervcrs
« voudraient exciter ponr s'en servir a boule-
« verser la république. Songez que des hommes
« barbares vous demandentencore cent cin-
c.< quante mille tetes, et qu'apres leur avoir ac-
« cordé celle du ci-devant roí, vous ne pourrez
ce leur en refuser aucune. Empéchez des erimes
« qui agiteraient pour long-temps le sein de la
" république, déshonoreraient la liberté, ra-
ce lentiraient ses progres , et nuiraient a l'accé-
ce lération du honheur du mond-e. »


Celte discussion avait duré depuis le 13 j us-
qu'au 30 novembre , et avait excité une agita-
tion générale. Ceux dont le nouve] ordre de
choses n'avait pas entierement saisi J'imagina-
tion , et qui conservaient quelque souvenir de
1789, de la bonté do monarque, de l'amour
qu'on lui porta, ne pouvaient eomprendre que
ce roí, tout-á-coup transformé en tyran, fút
dévoué a l'échafaud. En admettant méme ses
intelligences avec l'étranger, ils imputaient cette
faute asa faiblesse, ases entours , a cet invin-




CONVENTION NATIONALE (1792). 327
cible aroour du pouvoir hérédi taire, et l'idée
d'un supplice infame les révoltaít. Cependant
ils n'osaient pas prendre ouverteroent la dé-
fense de Louis XVI. Le péril récent auquel
nous venions d'étre exposés par l'invasion des
Prussiens, l'opinion généralement répandueque
la cour était la cause secrete de cet envahisse-
ment de nos frontieres , avaient excité une ir-
ritation qui retorobaít sur l'infortuné menar-
que, et contre laquelle on n'osait pas s'élever.
On se contentait de résister d'une maniere
générale contre ceux qui demandaient des ven-
geances; on les peignaít comme des instiga-
teurs de troubles, cornrne des septernbriseurs ,
qui voulaient couvrir Ia Franee de sang et de
ruines. Sans défendre nommément Louis XVI,
on demandait la modération envers les enne-
mis vaincus. On se recommandait d'étre en
garde contre une énergie hypocritev qui , en
paraissant défendre la république par des sup-
plices, ne cherchait qu'á l'asservir par la ter-
reur, ou a la compromettre envers l'Europe.
Les girondins n'avaient pas encoré pris la pa.,
role. Onsupposait, plutót qu'on ne connaissait ,
leur opiníon, et la Montagne, pour avoir oc-
casion de les accuser, prétendait qu'ils voulaient
sauver Louis XVI. Cependant ils étaient incer-
tains dans cette Cause. D'une part, rejetant


¿




328 RÉVOLUTlON FRAN~AJSF.
l'inviolahilité , et regardant Louis XVI comme
eompliee de l'invasion étrangere , de I'autre ,
érnus en présence d'une grande infortune, et
portés en toute occasion as'opposer a la vio-
lence de leurs adversaires , ils ne savaient que)
parti prendre , et ils gardaientun silence équi-
vaque et menaeant.


Une autre question agitait en ce moment
les esprirs , et ne produisait pas moins de trou-
bles que la préeédente : c'était cel!e des sub-
sistances, qui avaient été une grande cause de
discorde a toutes les époques de la révolution .


.On a déja vu combien d'inquiétudes et de
peines elles avaient causé aBailly et a Necker,
pendant les premiers temps de J 78~} Les me-
mes difficultés se présentaient plus grandes en-
core a la fin de 1792, accompagnées des mou-
vements les plus dangereux. La suspensión du
eommerce pour tous les objets qui ne 500t
pas de premiere nécessité, peut bien faire souf
frir .l'industrie , et a la longueagir sur les
c1asses ouvriéres; mais quand le blé , premier
aliment , vient a manquer, le trouhle et le dé-
sordre s'ensuivent immédiaternerrt. Aussi l'an-
eienne poliee avait-elle rangé le soindes sub-
sistances au rang de ses attributions , comme
un des objets qui intéressaient le plus la tran-
quillité publique.




CONVENTlON N ATlON ALI<: (1792). 329
Les hlés ne manquaient pas en 1792; mais


la récolte avait été retardée par la saison , et en
outre le baltage des grains avait été différé par
le défaut de bras. Cependant la plus grande
cause de disette était ailleurs, En 1792 comme
en 1789, le défaut de súreté , la crainte du pil-
lage sur les routes, et des vexations dans les
marchés, empéchaient les fermiers d'apporter
leurs denrées. On avait crié aussitót a l'acca-
parement. On s'était élevé surtout coutre ces
riches fermiers qu'on appelait des aristocrates,
et dont les fermages trop étendus devaient ,
disait-on , étre divisés. Plus on s'irritait eontre
eux, moins ils étaient disposés a se montrer
dans les marchés , et plus la diserte augmen-
tait. Les assignats avaient aussi contribué a la
produire. Beaucoup de fermiers, qui ne ven-
daient que pour amasser , ne voulaient pas
accumuler UIl papier variable, et préféraient
garder leurs grains. En outre, eomme le blé
devenait chaque jour plus rare et les assignats
plus abondants, la disproportion entre le signe
et la chose s'était constamment accrue, et le
renchérisserneut augmenlait d'une maniere de
plus en plus sensible. Par un accident ordinaire
dans toutes les disettes, la prévoyance étant
éveillée par la crainte , chacun voulait faire des
approvisionnements; les familles, les munici-




330 RÉVOLUTION FRAN9AISE.
palités, le gouvernement, faisaient desachats
considérahles , et rendaient ainsi la denrée en-
core plus rare et plus chere. A Paris surtout,
la municipalité commettait un ahus tres-grave
et tres-ancien : elle achetait des blés dans les
départements voisins, et les .vendait au-des-
sous du prix, dans la double intention de
soulager le peuple et de se populariser encore
davantage. JI résultait de cela, que les mar-
ehands, écrasés par la rivalité , se retiraient du
marché, el que la population des campagnes,
attirée par le bas prix, venait absorber une
partie des suhsistances rassemblées a grands
Erais par la police. Ces mauvaises mesures,
inspirées par de fausses idées économiques et
par une ambition de popularité excessive,
tuaient le commerce, nécessaíre surtout a
París, oú il faut accumuler sur un petit- espace
une quantité de grains plus grande que nulle
autre part. Les causes de la disette étaient done
tres-multipliées : d'abord la terreur des fer-
miers qui s'éloignaient des marchés, le ren-
chérissement provenant des assignats, la fu-
reur de s'approvisionner, et enfin l'intervention
de la municipalité parisienne , qui troublait le
commerce par sa puissante eoneurrence.


Dans des difficultés pareiUes, il est facile de
deviner quel parti devaient prendre les dcux




CONVENTION NATIONAI,E ,,1792). 33.
classes d'hommes qui se partageaient la souve-
raineté de la France. Les esprits violents qui
avaient jusqu'ici voulu écarter toute opposi-
tion en détruisant les opposants; qui , ponr
ernpécher les conspirations , avaient immolé
tons ceux qu'ils suspectaient de leur étre con-
traires , de tels esprits ne concevaient, ponr
terminer la disette, qu'un moyen, c'était tou-
jours la force. IIs voulaient qu'on arrachát les
fermiers a ieur inertie , qu'on les obligeát a se
rendre dans les marchés , que la ils fussent
contraints de vendre leurs denrées a UIl prix
fixé par les communes; que les grains ne quit-
tassent pas les lieux , et n'allassent pas s'accu-
muler dans les greniers de ce qu'on appelait les
accapareurs. lis demandaient done la présence
forcée des commercants dans les marchés, la
taxe des prix on maaimum , la prohibition de
toute circulation, enfin l'obéissance du com-
merce a leurs désirs , non par I'attrait ordinaire
du gain , mais par la crainte des peines et de
la mórt,


Les esprits modérés désiraient au contraire
qu'on laissát le commerce reprendre son cours,
en dissipant les craintes des fermiers, en les
Iaissant libres defixer leurs prix, en leur pré-
sentant l'attrait d'un échange libre, sur el
avantageux, en permettant la circulation d'un




332 RÉVOLUTION FRANC;;AISE.
département a l'autre, pour pouvoír secourir
ceux quí ne produísaient pas de blé, Ils pros-
crivaient ainsi la taxe, les prohibitions de tonte
espece , et réclamaient avec les économistes
l'entiére liberté du commeree des grains, dans
I'étendue de la France. D'apres l'avis de Barba-
roux , assez versé dans ces matieres , ils deman-
daient que I'exportation a l'étranger CUt sou-
mise a un droit qui augrnenterait quand les
prix vicndraient as'élever , et qui rendrait ainsi
la sortie plus difficile quand la présence de la
denrée serait plus nécessaire, Ils n'admettaient
l'intervention administrative que pour I'éta-
blissement de certains marchés , destines aux
cas extraordinaíres. Ils ne voulaíent ernployer
la sévérité que contre les perturbateurs qui
violenteraient les fermiers sur les routes ou
dans les marchés; ils rejetaient enfin l'em-
ploi des chátirnents a l'égard du commeree,
car la crainte peut étre un moyen de répres-
sion, mais elle n'est jamáis un moyen d'ac-
tíon; elle paralyse, mais elle u'anime pas les
hommes.


Quand un partí devient maitre dans un état,
il se fait gouvernement, et bientót forme les
vceux et contracte les préjugés ordinaires de
tout gouvernement; il veut a tout prix faire
avancer toutes choses, el employer la force




CONVl:NTlON N ÁTlON ÁLE (1792). 333
eomme moyen universel. C'est ainsi que les ar-
dents amis de la liberté avaient pour les sys-
temes prohibitifs la prédileetion de tous les
gouvernements, et qu'ils trouvaient pour ad-
versaires eeux qui, plus modérés , voulaient
no," seulement la liberté dans le but, mais dans
les moyens, et réclamaient süreté pour leurs
ennemis, lenteur dan s les formes de la justiee,
et liberté ahsolue du eommeree.


Les girondins faisaient done valoir tous les
systérnes imaginés par les esprits spéculatifs
contre la tyraunie administrative; mais ces
nouveaux éeonomistes, au lieu de rencontrer,
comme autrefois, un gouvernement honteux
de lui-méme , et toujours condarnné par l'opi-
nion, trouvaient des esprits enivrés de I'idée du
salut publie, et qui croyaient que la force em-
ployée pour ce but n'était que l'énergie du
bien.


Cette discussion amenait un autre sujet de
graves reproches : Roland accusait tous les
jours la eommune de malverser dans les subsis-
tances, et de les faire reuchérir a Paris, en
réduisant les prix par une vaine ambition de
popularité. Les montagnards répondaient a
Roland, en l'aeeusant Iui-méme d'abuser de
sommes considérables , affeetées a son minis-
tére pour l'achat des grains, d'étre le chef des





334 RÉVOLUTION FRA.N~AJSE.
accapareurs, et de se faire le véritable dicta-
teur de la France , en s'emparant des subsis-
tances.


Tandis que pour ce sujet on disputait dans
l'assemblée , on se révoltait dans certains dé-
partements, et particulierement dans celui
d'Eure-et-Loir. Le peuple des campagnes, ex-
cité par le défaut de pain, par les instigations
des curés , reprochait a la convention d'étre la
cause de tous ses maux; et tandis qu'il se plai-
gnait de ce qu'elle ne voulait p<ts taxer les grains,
ill'accusait en méme temps de vouloir détruire
la religion. C'est Cambon qui était cause de ce
dernier reproche. Passionné rOUI' les éeono-
mies qui ne portaient pas sur la guerre, il
avait annoncé qu'on supprimerait les frais du
culte, et que ceux qui uoudraient la messe la
paieraient. Aussi les insurgés ne manquaient
pas de dire que lareligion était perdue , et , par
une contradiction singuliere , ils reprochaient
a la convention, d'une part la modération en
matiére de subsistances, et de I'autre la violence
a l'égard du culte, Deux mernbres , envoyés
par I'assemblée , trouverent aux environs de
Courville un rassemblement de plusieurs mille
paysans, armés de fourches et de fusils de
chasse, et ils furent obligés, sous peine d'étre
assassinés , de signer la taxe des grains. IIs y




CONVENTION NATIONALE (' 79'A): 335
consentirent, et la convention les désapprouva.
Elle déclara qu'ils auraient dü mourir, et abolit
la taxe qu'ils avaient signée. On envoya la force
armée pour dissiper les rassemblements. Ainsi
commencaient les troubles de I'Ouest , par la
misere et l'attachement au culte,


Sur la proposition de Danton, l'assemblée,
ponr apaiser le peuple del'Ouest , déclara que
son intention n'était pas d'abolir la religion ;
mais elle persista a repousser le maximum.
Ainsi, ferrne encore au milieu des orages, et
conservant une suffisante liberté d'esprit , la
majorité conventionneIle se déclarait ponr la
liberté du coinmerce contre les systemes prohi-
bitifs. Si on considere done ce qui se passait
dans les armées, dans les administrations, dans
leprocés de Louis XVI, on yerra un specracle
terrible et singulier. Les hommes ardents s'exal-
tent, et venlent recomposer en entier les ar-
mées et les administrations ponr en écarter les
tiédes ou les snspects; ils veulent employer la
force contre le commeree ponr l'empécher de
s'arréter , et déployer des vengeances terribles
pour effrayer tout ennemi. Les hommes mo-
dérés, au contraire, craignent de désorganiser
les armées en les renouvelant , de tuer le com-
merce en usant de contrainte, de soulever. les
esprits en employant la terreur ; mais leurs ad-




336 REVOLUTION FRANc,;AISJi.
versaires s'irritent méme de ces craintes , et
s'exaltent d'autant plus dans le projet de tout
renouveler, de tout forcer, de tout punir. Tel
était le speetacle donné en ce moment par le
coté gauche eontre le coté droit de la conven-
tion ,


La séance du 30 avait été fort agitée par les
plaintes de Roland centre les fautes de la muni-
cipalité , en matiere de subsistances, et par le
rapport des cornmissaires envoyés dans le dé-
partement d'Eure-et-Loir. Tout se rappeIle a la
fois quand on cornmence le compte de ses maux.
D'une part, on avait rappelé les massacres.Tes
écrits incendiaires, de l'autre , les incertitudes,
les restes du royalisme, les lenteurs opposées a
la vengeance nationale. Marat avait parlé et ex-
cité une rumeur générale. Robespierre prend la
parole au milieu du bruit , et vient proposer,
dit-il , un moyen plus puissant que tous les au-
tres pom' rétablir la tranquillité publique , un
moyen qui ramenera au sein de l'assemhlée I'im-
partialité et la concorde, qui confondra les en-
nemis de la conveu tiou natiouale, qui imposera
silence a tous les libellistes , a tONS les' auteurs
de placards, et déjouera leurs calomnies. -
Quel est , s'écrie- t-on, quel estce moyen? -
Robespierre reprend : « C'estde condamner de-
,( main le tyran des Francais a la peine de ses




CONVENTION NATLONALE (179 2 ) . 337
« crimes, et de détruire ainsi le point de rallie-
c( ment de tous les conspirateurs. Aprés-demain
« vous statuerez sur les subsistances , et le jour
« suivant vous poserez les bases d'une consti-
« tution libre. ))


Cette maniere tout a la fois ernphatique et
astucieuse d'annoncer les moyens de salut , et
de les faire, consister dans une mesure com-
battue par le coté droit , excite les girondins,
et les oblige a s'expliquer sur la grande ques-
tion du proces. « Vous parlez du roi , dit Buzot;
« la faute des troubles est aceux qui voudraient
« le remplacer, Lorsqu'il sera temps de s'ex-
« pliquer sur son sort, je saurai le faire avec
« la sévérité qu'il a méritée ; mais il ne s'agit
« pas de cela ici; il s'agit des troubles, el ils
« viennent de l'auarchie; l'anarchie vient de
« l'inexécution des lois. Cette inexécution sub-
« sistera tant que la eonvention n'aura rien fait
« pour assurer l'ordre. )) Legendre succede aus-
sitót a Buzot, conjure ses collegues d'écarter
toute personnalité, de ne s'occuper que de la
chose publique et des séditions qui, n'ayant
d'autre objet que de sauver le roi, cesseront
quaud il ne sera plus. Il propose done a l'as-
semblée d'ordonner que les opinions préparées
sur le proces soient déposées sur le bureau ,
imprirnées , distribuées a tous les membres, et


In. 2~




338 RÉVOLUTION FIL\N(:AISF.
qu'on déeide ensuite si Louis XVI doit étr«
jugé, sans perdre le temps aentendre de trap
longs discours. Jean-Bon-Saint-André s'écrie
qu'il n'est pas mérne besoin de ces questions
préliminaires, et qu'ilue s'agit que de pronoll-
cer sur-le-champ la condamnation et la forme
du supplice. La convention décrete enfin la pro-
position de Legendre, et l'impression de tous
les discours. La discussion est ajo !I rnée au 3 dé-
cembre.


Le 3, on réclame de toutes parts la mise en
cause, la rédaction de l'acte d'aecusation, el la
déterrnination des formes d'apres lesquelles le
preces doit s'instruire, Robespierre demande la
parole, et quoiqu'il eút été décidé que toutes
les opinions seraient imprirnées et non lues , il
obtient d'étre enteudu, paree qu'il voulait par-
ler, non sur le preces, mais contre le preces lui-
mérne , et pour une condarnnation sans juge-
mento


Il soutient qu'instruire un proces, c'est ou-
vrir une délibération ; que permettre de délibé-
rer , e'est permettre le doute , et une solutiou
mérne favorable á l'aecnsé. 01', mettre le crime
de Louis XVI en probleme , c'est accuser les
Parisiens, les fédérés, tous les patriotes enfin
qlli out fait la révolution du ro aOLJt, e'est ab-
soudre Louis XVI, les nristocrates , les puis-




CO:'\VENTION NATIONAL1, (1792 ) . 339
sanees étrangeres et leurs manifestes ; c'est en
HU mot , déclarer la royauté innocente et la
république coupable.


« Voyez aussi, continue Robespierre, quelle
« audace ont acquise les ennemis de la liberté
« depuis que vousavez proposé ce doute 1Dans
( le mois d'aoút dernier, les partisans du roi se
« cachaient. Quiconque eút osé entreprendre
( son apologie, eút été puni comme un traitre...
« Alljourd'hui, ils relevent impunément un
« front audacieux ; aujourd'hui, des écrits iriso-
« lents inondent Paris el les départements; des
( hommes armés et appelés dans ces murs 11
« votre insu , contre les lois , ont fait retentir
1( cette cité de cris séditieux , et demandent I'im-
« puniré de Louis XVI! Il ne vous reste plus
« qu'a ouvrir eette enceinte aceux qui briguent
« déjá l'honneur de le défendre! Que dis-je! au-
« jourd'hui, Louis partage les mandataires du
« peuple J On parle pour 011 contre lui ! Il Y a
« deux mois, qui eút pu soup~onner qu'ici ce
t( serait une question s'il était inviolable? Mais ,
« ajoute Robespierre, depuis que le citoyen
« Pétion a présenté comme une question sé-
(( rieuse , el qui devait étre traitée apart, celle
« de savoir si le roi pouvait étre jugé, les doc-
« trines de l'assemblée constituante ont reparu
C( ici. Ocrirnel óhontel la tribunedupeuple fran-


22.




340 11 t:VOJ.UTION FIl AN~::HSE.
« cais a retenti du panégyríquede Louis XVI!
« Nous avons entendu vanter les vertus et les
« bienfaits du tyran! Tandis que nous avons en
« la plus grande peine pour arracher les moil-
« lenrs citoyens al'injustice d'une décision pré-
« cipitée , la cause scule du tyran est tellemenl
« sacrée , qn'elle ne pellt étre ni assez longuc-
« ment ni assez librement discutée! Si nous en
« croyons ses apologistes, le proces durera plu-
« sieurs mois : il atteindra l'époque du prin-
« temps prochain, oú les despotes doivent nous
« livrer une attaque générale. Et queIle car-
« riere ouverte aux eonspirateurs! quel aliment
« donné al'intrigue el a l'aristocrntie'l


« Juste ciel ! les hordes féroces el Il despotismo
« s'apprétent adéchirer de nouveau le sein de
« notre patrie au nom de Louis XVI! Louis
« combat encore contre 001lS du fond de sa
« prison, et l'on doute s'il est coupable , s'il est
« permis de le traiter en ennemi! On demande
« quelles sont les lois qui le condamnent! On
( invoque en sa faveur la constitution L..... La
« constitution vous défendait ce que vous avez
« fait; s'il ne pouvait étre puni que de la dé-
« chéance , vous ne pouviez la prononcer sans
« avoir instruit son proces ; vous n'aviez poínt
« le droít de le retenir en prison; il a celui de
'{ rlemander des domnwges et intéréts et son




CONVENT10N NATIONUE (1792). 34'
« élargissement: la constitution vous condam-
(( ne ; aUez aux pieds de Louis iuvoquer sa dé-
(( menee! »


Ces déclamations pleines de .fiel, qui ne
renfermaient ríen que Saint-Just n'eút déja
dit , produisirent eependant une profoude
sensation sur l'assemblée, qui voulnt statuer
séance tenante. Robespierre avait demandé
qne Louis XVI fut jllgé sur-le-charnp ; cepen-
dant plusieurs membres et Pétion s'obstiné-
rent a proposer qu'avant de fixer la forme du
jugement, on prononcát au moins la mise-en ju-
gement; cal' e'était la, disaient-ils , un pré!imi-
naire indispensable, quelque célérité qu'on
voulút mettre dans eette procéclure. Rohes-
pierre veut parler eneore, et semble exiger la
parole; mais on s'irrite de son insolence, et
on lui interdit la tribune. L'assemblée rend
enfin le décret suivant :


ce La eonvention nationale déclare que
(e Louis XVI sera jugé par elle. » (3 déeembre. )


Le 4, on met en discussion les formes du
proceso Buzot, qui avait entendu beaueoup
parler de royalisme, réclame la parole pour
une motion d'ordre; et poul' écarter , dit-il ,
tout soupcon , il demande la peine de mort
contre quiconque proposerait en Franee le
rétahlissement de la royanté. Ce sont la des




342 RÉVOLUTION FRAN<;AISE.
moyens que prennent souveut les partis pOllr
prouver qu'ils sont ineapables de ee dont 011
les aeeuse. Des applaudissements n o '11l)J'eIIx
accueillent cette inutile proposition; mais les
moutagnards , qui, dans leur systeme , n'au-
raicnt pas dú l'empécher , s'y opposent par hu-
meur, et Bazire demande a la eombattre. On
crie aua: voix ! aua: voix! Philipeaux s'unis-
sant a Bazire, propose de ne s'occupcr que de
Louis XVI, et de te~ir une séance perrna-
nente jusqu'á ce qu'il ait été jugé. On demande
alors ~uel intérét porte les opposants a re-
pousser la proposition de Buzot, cal' il n'est
personne qui puisse regretter la royauté.
Lejeune réplique que c'est remettre en ques-
tion ee qui a été déeidé en abolissant la royauté.
« Mais , dit Rewbel, il s'agit d'ajouter une dis-
( position pénale au décret d'abolition; ce n' est
( done pas remettre en question une chosc
« déja déerétée. » Merlin , plus maladroit que
ses prérlécesseurs , veut un amendement, et
propose de mettre une exception a l'applica-
tion de la peine de mort, dans le cas oú la
proposition de rétab/ir la royauté serait faite
dans les assemblées primaires.-A ces mots,des
cris s'élevent de toutes parts. Voila , dit-on , le
mvstere découvert! On veut un roi,mais sorti
oes assemblées primaires , de ces asscmblécs




CONVENTION NATIONALE (1792). 3!¡3
d'oú se sont élevés Marat, Robespierre et Dan-
ton. - Merlin cherche a se justiíier en disant
qu'il a voulu rendre hommage a la souverai-
ncté du peuple. On lui impose silence en le
traitant de roya liste , et on propose de le rap-
peler a l'ordre. Guadet alors, avec une mau-
vaise foi que les hommes les plus honrrétes
apportent quelquefois dans une discussion en-
venimée, soutient qu'il faut rcspecter la li-
berté des opinions , a laquelle on doit d'avoir
découvert un secret important, et quí donne la
clef d'une grande machination.-ccL'assemblée,
dit-il , ne doit pas regretter d'avoir entendu
cet amendement, qui lui démontre qn'un nou-
veau despotisme doit succéder an despotisme
détruit , et on doit remercier Merlín, Ioin de
le rappeler a l'ordre.» Une explosion de mur-
mures couvre la voix de Guadet. Bazire, Mer-
lín, Bobespierre, crient a la calomnie 7et il est
vrai que le reproche de vouloir substituer un
roí plébéien au roí dé troné , était aussi absurde
que celui de fédéralisme adressé aux giron-
dins, L'assemblée decrete enfin la peine de
mort contre quiconque voudrait rétablir en
France la royauté, sous quelque denomina-
tion que ce puisse étre,


On revient amé formes du proces et a la
proposition d'une séance permanente. Robes-




344 RÉVOLUTION FRANe;tAISE.
pierre demande de nouveau que le jugement
soit prononcé sur -Ie - champ, Pétion , victo- .
rieux encore par l'appui de la majorité , fait
décider que la séance ne sera pas permanente,
ni le jugement instantané, mais que' l'assem-
hlée s'en occupera tous les jours , et toute af-
faire cessante, de onze a six heures du soir.


Les jours suivanrs furent employés ala lec-
ture des pieces trouvées chez Laporte, el
d'autres trouvées plus récemment au chatean
dans une armoire secrete, que le roi avait fait
construire dans l'épaisseur d'une muraille. La
porte en était en fer, d'oú elle fut connue de-
pnis sous le nom d'armoire de fer. L'ouvrier,
employé ala constrnire , la dénonca aRoland ,
qui, ernpressé de vérifier le fait , eut l'impru-
dence de s'y rendre précipitamment, sans se
faire accompagner de témoins pris dans l'as-
semblée , ce qui donna lieu a ses ennemis de
dire qu'il avait soustrait une partie des papiers.
Roland y trouva toutes les piecesrelatives aux
communications de la cour avec les émigrés
et avec divers mernbres des assemblées, Les
transactions de Mirabeau y furent connués , ct
la mémoire du grand orateur allait étre pros-
crite, lorsqu'a la demande de Manuel, son
admirateur passionné, on chargea le comité
d'instruction publique de faire de ces docu-




CONVENTION NATJONALE (1792). 345
ments un plus ample examen *. On nornma
ensuite une eommission pour faire , d'aprés ces
piéees , un acte éuonciatif des faits imputes a
Louis XVI. Cet acte énoneiatif, une fois ré-
digé, devait étre approuvé par l'assemblée.
Louis XVI devait -ensuite comparaitre en per-
sonne a la barre de la convention , et étre in-
terrogé par le président sur cbaque article de
I'acte énonciatif. Aprés sa comparution , deux
jours lui étaient accordés pour se défendre, et
le lendemain de sa défense , le jugement de-
vait étre prononeé par appel nominal. Le pou-
voir exécutif était chargé de prendre toutes
les mesures nécessaires pour assurer la tran-
quillité publique pendant la translation du roí
a l'assemblée. Ces dispositions avaient été dé-
crétées le 9.


Le 10, l'aete énonciatif fut présenté a l'as-
semblée, et la comparution de Louis X VI fut
arrétée pour le lendemain .I I déeembre.


Ce monarque infortuné aIlait done eompa-
raitre en présenee de la convention nationale ,
el y subir un interrogatoire sur tous les actes


• Cette révélation cut licu dans la séance du 5 décem-
breo On voulait briser immédiatement le buste de Mira-
heau, et ordonner que ses cendres fussent enlevées du
Pantheon ; mais 011 se contenta ce jour-Iá de voiler son
huste.




346 nÚOLUTION FRA.NYAIS};.
de son regne, La nouvelle du preces et de
l'ordre de cornparution avait pénétré jusqu'a
Cléry , par les secrets moyens de correspon-
(lance qu'il s'était ménagés au dehors, et il ue
l'avait transmise qu'en trernblant a cette fa-
mille désolée. N'osant la donner au roi lui-
mérne , il la communiqua a M'" Élisabeth, et
lui apprit en outre que pendant le proces la
commune avait résolu de séparer Louis XVI
de sa famille. Il convint avec la princesse d'un
moyen de correspondre pendant cette separa-
tion; ce moyen consistait dans J'envoi d'un
mouchoir que Cléry, destiné a rester aupres
du roi, devait faire par-venir aux princesses si
Louis XVI était malade, Voilá tout ce que les
malheureux prisonniers avaient la prétention
de se communiquer les uns aux autres, Le roí
fut averti par sa sceur de sa prochaine com-
parution, et de la séparatiou qu'on devait Iui
{aire subir pendant le proceso 11 recut cette
nouvelle avec une parfaite résignation, et se
prépara a subir, avec fermeté eette scéne dou-
Íoureuse,


La eommune avait ordonné que des le 1 J
au matin, tous les eorps administratifs seraient
en séance, que toutes les sections seraient ar-
mées , que la garde de tous les lieux publies,
caisses , dépóts , etc., serait augmentée de deux




CONVENTION NATlONAU: (1792 ) . :147
ceuts hommes par poste, que des réserves
nornbreuses seraient placées sur divers points ,
avec une forte artillerie, et qu'une escorte d'é-
lite accompagnerait la voiture,


Des le 11 au matin , la générale aIlnonl]a
dans Paris cette scene si triste et si nouvelle.
Des troupes nombreuses entouraicnt le Tem-
pie, el le bruit des armes et des chevaux ar-
rivait jusqu'aux prisonniers , qui feignaient
d'ignorer la cause de cette agitation. A neuf
heures du matin , la famille, suivant l'usage,
se rendit chez le roi , pour y déjeuner. Les
officiers municipaux , plus vigilants que ja-
mais , empéchaient par leur préscncc le moin-
dre épanchement. Enfin on les sépara. Le roí
demanda en vain qu'on lui laissát son fils en-
core quelques instants. Malgré sa priere , le
jeune enfant lui fut enlevé , et il demeura seul
environ deux heures. Alors le maire de París,
le procureur de la eommune arriverent , et luí
comrnuniquerent I'arrét de la convention qui
le mandait a sa barre sous le norn de Louis
Capel. - Capet , reprit le prince , est le nom
de I'un de mes ancétres , et n'est pas le míen.
Il se leva ensuite , et se rendit dans la voiture
du maire, qui I'attendait. Six cents hommes
d'éfite cntouraient la voiture. Elle était précé-
deo de trois pie ces de canon et suivie de trois




3[18 RÉVOI.UTION FRA N~A.lS:E.
autres. Une nombreuse cavalerie formaÍt l'a-
vant-garde et l'arriere-garde. Une foule im-
mense contemplait en silence ce triste cortége ,
ct souffrait cette rigueur comme elle avait
souffert si long-temps celles de l'ancien gon-
vernement. Il y eut quelques cris, mais fort
rares, I ..e prince n'en fut point ému, et s'en-
tretint paisiblement des objets qui étaient sur
la route. Des qu'on fut rendu aux Feuillants ,
on le déposa dans une salle, en atteodant les
ordres de l'assemblée.


Pendant ce temps on faisait diverses mo-
tions relativement a la maniere de recevoir
Louis XVI. On proposait qu'aucune pétition
ne pút étre entendue, qu'aucun député ne pút
prendre la parole, qu'aucun signe d'improba-
tion ou d'approbation ne püt étre donné au
roi. ({ II faut, dit Legendre, l'effrayer par le si-
Ience des tombeaux.» Un murmure condamna
ces paroles cruelles. Défermont demanda qu'on


. disposát un siége pour l'accusé. La proposition
fut trouvée trop juste ponr étre mise aux voix,
et on playa un siége ala barre. Par une vanité
ridicule, Manuel proposa de discuter la ques-
tion a l'ordre du jour, pOllr n'avoir pas l'air
de ne s'occuper que du roi, düt-on , ajouta-t-il,
le faire attendre a la porte. On se mit donc á
discuter une loi sur les émigrés.




CONVENTlON NATIONALE (1792). :l~!l
Santerre annonce enfin l'arrivée de LouisXVl.


Barreré est présideut. (( Citoyens, dit-il , I'Eu-
(( rope vous regarde. La postérité vous jugera
(( avec une sévérité inflexible; conservez done la
(( dignité et l'impassihilité qui conviennent ades
(( juges, Souvenez-vous du silence terrible qui
« aeeompagna Louis , ramené de Varennes. j)


Louis parait a la barre vers deux heures et
dcmie. Le maire et les génél'aux Santerre et
Witteugoffsont it ses cótés, Un silence profoncl
n~gne <fans I'assemblée. La dignité de Louis, sa
contenance tranquille, dans une aussi grande
infortune, touchent tout le monde. Les députés
du milieu sont émus. Les girondins éprouvent
un profond attendrissement. Saint-Just, Robes
pierre , Marat, sentent défaillir eux- mérnes leur
Ianatisrne , et s'étonnent de trouver un homme
dans le roí dont ils demandeut le supplice.


- Asseyez-vous, dit Barrere a Louis, el
répondez aux questions qui vont vous étre
adressées. Louis s'assied , et entend la lecture
de l'acte énonciatif, article par article. La, toutes
les fautes de la cour étaient rappelées el rendues
personnelles a Louis XVI. On lui reproehait
l'interruption des séances le 20 juin 1789, le
lit de justice lenu le 23 du rnéme mois, la
conspiration aristocratique déjouée par l'insur-
rection el 11 I!l j uillet , le repas des gardes-cl 11-




350 RÉVOLlJTION ];'ItANt,;¡\ISE.
eorps, les outrages faits ala cocarde nationale ,
le refus de sanctionner la déclaration des droits,
ainsi que les divers articles constitutionnels ,
tous les faits en fin qui manifestaient une nou-
velle conspiration en octobre, et qui furent
suivis des sceues du 5 et 6; les discours de ré-
conciliation qui avaient suivi toutcs ces scenes ,
et qui promettaient un retour qui n'était pas
sincere; le faux serment prété ala fédération du
14 juillet; les menées de Talon et de Mirabeau
pour opérer une contre - révolution; l'argent
donné pour corrompre une foule de députés ;
la réunion des chevaliers du poignard le2.8 fé-
-vrier J 791 ; la fuite a Varennes; la fusillade du
Charnp-de-Mars , le silence gardé sur la conven-
tiou de Pilnitz ; le retard apporté ala promul-
gation du décret qui réunissait Avignon él la
France; les mouvernents de Nimes, Montauban ,
Mende , Jalles ; la continuation de paie accor-
dée aux gardes-du-corps émigrés et a la garde
constitutionnclle licenciée ; la correspondance
secrete avec les princes émigrés; l'insuffisance
des armées réunies sur la frontiere ; le refus de
sanctionner le décret pour le camp de vingt
mille hommes; le désarmement de toutes les
places forces ; I'annonce tardive de la marche
des Prussiens , l'organisation de eompagnies
secretes dans l'intérienr de Paris ; la revue des




UlNVENTION NATIONALE (1 7~P)' :Y; I
Suisses el des tl'onpes qui formaient la garnisoll
du cháteau le matin du 10 aoút; le doublement
de cette garcle; la convocation du maire aux
Tuileries ; enfin l'effusion du sang qui avait été
la suite de ces dispositions militaires.


Si ron n'admettait pas comme naturel le re-
gret de son ancienne puissanee, tout dans la
conduite du roi pouvait étre tourné ,a crime ;
cal' sa eonduite n'était qu'un long regret, mélé
de quclques efforts timides pour reeonvrer ce
qu'il avait perdu. Achaque article le président
s'arrétait en disant : Qa'avez-vous arépondre P
Le roi, répondant tonjours d'une voix assurée,
avait nié une partie des faits , rejeté I'autre
partie sur ses ministres, et s'était appuyé cons-
tamment sur la constitution , de laqueIle il assu-
rait ne s'étre jamais écarté. Ses réponses avaient
toujours été mesurées. Mais a eette interpella-
tion , Vous avez fait couler le sang du peuple au
ro aotlt , 11 s'écria d'une voix forte :Non, Mon-
. , .,


sieur , non, ce n est pas mm.
On lui montra ensuite toutes les pieces , et,


usant d'un respectable privilége , il refusa d'cn
avouer une partie , et il contesta l'existence de
l'armoire de fer.Cette dénégation produisit un
eífet défavorable , et elle était irnpolitique , cal'
le fait était démontré. Il demanda ensuite une
copie de I'acte d'accusation ainsi que des pieces ,




3.S2 RÉVOLU'rION FnA.N~AISE.
et un conseil pour l'aider dans sa défense.


Le président lui signifia qu'il pouvait se re-
tirer. On lui fit prendre quelque rafraichisse-
ment dans la salle voisine , et , le faisant remon-
ter en voiture, on le ramena au Temple. Il y
arriva a six heures et demie , et son premier
soin fut de demander a revoir sa famille; on le
lui refusa , {m disant que la commune avait 01'-
donné la séparation pendant la durée de la pro-
cédure. A huit heures et demie, lorsqu'on lui
annonca le moment du souper, il demanda de
nouveau aembrasser ses enfants. Les ornbrages
de la commune rendaient tous les gal'diens
harbares, et on lui refusa encare eette conso-
lation.


Pendant ce temps l'assernblée était livrée au
tumulte, par suite de la demande d'un conseil
que Louis XVI avait faite. Treilhard , Pétion
insistaient avec force pour que cette demande
fút accordée : Tallien , Billaud-Vareunes , Cha-
hot , Merlin, s'y opposaient, en disaut qu'on
allait encore différer le jugement par des chi-
canes. Enfin l'assemblée accorda un couseil.
Une députation fut chargée d'aller l'apprendre
á Louis XVI, et de Iui demander sur qui tom-
berait son choix. Le roí désigna Target, 011 a
son défaut Tronchet , et tous deux s'il était
possible. JI demanda en mitre qu'on lui c1oIJ-




CONVENTlON NATIONALE (1792.).' 353
nát de l'enere, des plumes et du papier, poul'
travailler a sa défense , et qu'on lu1 permit de
voir sa famille. La convention décida sur-le-
champ qu'on luí donnerait tont ee qui était
nécessaire pour écrire, qu'on avertirait les deux
défenseurs dont il avait fait choix , qu'il lui se-
rait permis de communiquer librernent avec
eux, et qu'il pourrait voir sa famille.


Target refusa la cornrnission dont le char-
geait Louis XVI, en donnant pour raison que
depuis 1785 il ne pouvait plus se livrer a la
plaidoirie. Tronchet écrivit sur-le-champ qu'il
était prét a accepter la défense qui lui était
confiée ; et, tandis qu'on s'occupait adésigner
un nouveau conseil, on recut une lettre écrite
par un eitoyen de soixante-dix ans , par le vé-
nérahle Malesherbes , ami et eompagnon de
Turgot , et le magistrat le plus respecté de la
France. Le noble vieillard écrivait au prési-
dent ; « J'ai été appelé deux fois au conseil de
« celui qui fut mon maitre, dans le temps que
« cette fonction était ambitionnée par tout le
« monde; je lui dois le méme service lorsque
« c'est une fonction que bien des gens trou-
(e vent dangereuse. »


Il priait le président d'avertir Louis XVI qu'il
était prét a se dévouer a sa défense.


Beaucoup d'autres citoyeus firent la mérne
lII. 2.3




354 RÉVOLUTION FRA.N~AISE.
offre, et on en instruisit le roí. Il les remercia
tous, et n' accepta que Tronchet etMalesherbes.
La commune décida que les deux défenseurs
seraient fouillés jusque dans les endroits les
plus secrets, avant de pénétrer aupres de leur
client. La convention, qui avait ordonné la
libre communication, renouvela son ordre , et
ils purent entrer librement dans le Temple. En
voyant Malesherbes, le roi courut au-devant de
luí: le vénérable vieillard tomba a ses pieds
en fondant en larmes. Le roi le releva, et ils
demeurérent long-temps embrassés. Ils com-
mencerent aussitót a s'occuper de la défense.
Des commissaires de l'assemblée apportaient
tous les jours au Temple les pieces , et avaient
ordre de les communiquer, sans jamais s'en
dessaisir. Le roi les compulsait avec beaucoup
d'attention, et avec un calme qui chaque fois
étonnait davantage les commissaires.


La seule consolation qu'il cut demalldée ,
celle de voir sa famille , ne lui était point accor-
dée , malgré le décret de la convention. La com-
mune, y mettant toujours obstacle , avait de-
mandé le rapport de ce décret. - Vous aurez
beau l'ordonner, dit Tallien a la convention ,
si la commune ne le veut pas , cela ne sera pas.
Ces insolentes paroles exciterent un grand tu-
multe. Cependant l'assemblée, modifiant son




CONVENTION N ATION ALE (1792). 355
déeret, ordonna que le roi pourrait. avoir ses
deux enfants aupres de lui, mais a condition
que les enfants ne retourneraient plus aupres
de leur mere pendant tout le procés, Le roí,
sentant qu'ils étaient plus néeessaires a leur
mere, ne voulut pas les lui enlever, et se sou-
mit acette nouvelle douleur avec une résigna-
tion qu'aucun événement ne pouvait altérer.


A mesure que le procés s'avancait , onsen-
tait davantage l'importanee de la question, Les
UIIS comprenaient que procéder par le régi-
cide envers l'ancienne royauté , c'était s'engager
dans un systeme inexorable de vengeances et
de cruautés , et déclarer une guerre a mort a
rancien ordre des choses ; ils voulaient bien
abolir cet aneien ordre des choses, mais ils ne
voulaient pas le détruire d'une maniere aussi
violente. Les autres au contraire désiraient
cette guerre a mort, qui n'adrnettait plus ni
faiblesse ni retour, et creusait un abime entre
la monarchie et la révolution. La personne du
roi disparaissait presque dans cette immense
question, et on n'examinait plus qu'une ehose,
savoir s'il fallait ou ne fallait pas rompre en-
tierement avec le passé par un acte éclatant
et terrible. On ne voyait que le résultat, et on
perdait de vue la victime sur laquelle allait
tomher le coup.




356 RÉVOLUTION FRA.N~AISll:.
Les girondins, constants a poursuivre les


jacobins , leur rappelaient sans cesse les crimes
de septembre, et les présentaient comme des
anarchistes qui voulaient dorniner la conven-
tion par la 'terreur , et immoler le roi pour le
remplacer par les triumvirs. Guadet réussit
presque a les expulsor de la convention, en
faisant décréter que les assemblées electorales
de toute la France seraient convoquées ponr
confirmer ou révoquer leurs députés. Cette pro-
position décrétée et rapportée en quelques
minutes avait singulierement effrayé les jaco-
bins. D'autres circonstances les inquiétaient
bien plus encoré. Les fédérés continuaient
d'arriver de toutes parts. Les municipalités
envoyaient une multitude d'adresses dans les-
quelles, en approuvant la .républiqne et en
félicitant l'assemblée de l'avoir instituée , elles
condamnaient les crimes et les exces de l'anar-
chie. Lesesociétés affiliées reprochaient tou-
jours a la société-mére d'avoir daos son sein
des hommes de sang qui pervertissaient la mo-
rale publique, et voulaient attenter ala süreté
de la convention. Quelques-unes reniaient leur
mere, déclaraient ne plus vouloir de l'affilia-
tion, e~ annoncaient qu'au premier signal elles
voleraient a Paris pour soutenir l'assemblée.
Toutes dernandaient surtout la radiation de




,


COI'lVENTIOl'f NATIONALE (1792 ) . 357
Marat , et quelques-unes celle de Robespierre
lui-méme.


I ...cs jacobins désolés avouaientque l' opinion
se corrompait en Franee; ils se recomman-
daient de se tenir unis , de ne pas perdre de
temps pour écrire dans les provinces, et éclairer
leurs freres égarés; ils aecusaieut le traitre Ro-
land d'arréter leur correspondance , et d'y subs-
tituer des écrits hypocrites qui pervertissaient
les esprits. lis proposaient un don volontaire
ponr répandre les Lons écrits, et particuliére-
ment les admirables discours de Rohes¡ierre,
et ils cherchaient les moyens de les faire par-
venir malgré Roland, qui violait , disaient-ils ,
la liberté des postes. Cependaut ils convenaient
d'une ehose, c'est que Marat les compromettait
par la violence de ses écrits; et il fal1ait, sui-
vant eux , que la société-mere apprit ala France
quelle différence elle mettait entre Marat , que
son tempérament enflammé emportait au-delá
des bornes , et le sage, le vertueux Robespierre,
qui, toujours dans la véritable limite, vonlait
sans faiblesse, mais sans exagération, ce '-'111i
était juste et possible. Une forte dispute s' était
engagée sur ces deux hommes. On avait re;.
connn que Marat était une tete forte et hardie ,
rnais trop emportée. n avait été utile , disait-


t on , a la cause un peuple, mais Hile savait pas




3 ~8 ''"' REVOLUTION FRANt;:AJSE.
s'arréter. Les partisans de Marat avaient ré-
pondu qu'il ne croyait pas nécessaire d' exé-
cuter tout ce qu'il avait dit, et qu'il sentait
mieux que personne le terme oú il fallait s'ar-
réter, lis citaient diverses paroles de lui. Marat
avait dit : « Ji ne faut qu'un. Marat dans la
f'( république.s-s- Je demande le plus pour ob-
cc tenir le moins. - Ma main sécherait plutót
« que d'écrire , si fe crorais que le peuple e~­
« cutdt ti la lettre tout ce que je lui conseille.
« - le surfais au peuple , paree que je sais
« qu'il me marchande. » Les tribunes avaient
appuyé cette justification de Marat par leurs
applaudissements, Pourtant la société avait ré-
solu de faire une adresse, dans laquelle, décri-
vant le caraetere de Marat et de Robespierre,
elle montrerait quelle différence elle faisait
entre la sagesse de l'un et la véhémence de
l'autre ", Apres cette mesure, on en propasa
plusieurs autres, et surtout on se prornit de
demandercontinuellement le départ des fédérés
pour la {rontiere. Si on apprenait en effet que
I'armée de Dumouriez s'affaiblissait par la dé-
sertion, les jacobins s'écriaient que le renfort
des fédérés lui était indispensable. Marat écri-
vait que depuis plus d'un an on retenait les


• Voyezla note 6 a la fin du 4e volume.




CONVENTION N ATION ALE (1792). 359
volontaires qui étaient partis les premiers, et
qu'il était temps de les remplacer par ceux
qui séjournaient a Paris ; on venait d'appren-
dre que Custine avait été obligé d'abandonner
Francfort , que Beurnonville avait inutilement
attaqué l'électorat de Treves , el les jacobins
soutenaient que, si ces deux généraux avaient
eu avec eux les fédérés qui rernplissaient inu-
tilement la capitale , ils n'eussent pas essuyé cet
échec.


Les di verses nouvelles de l'inutile tentative
de Beurnonville et de l'échec de Custine avaient
singulierement agité I'opinion. Elles étaient fa-
ciles a prévoir , cal' ~rnonville, attaquallt
par une mauvaise sais~, et sans moyens suf-
fisants , des positions inabordables, Be pouvait
réussir ; et Custine , s'ohstinant a ne pas re-
culer spontanément sur le Rhin , pour ne pas
avouer sa témérité , devait infailliblement étre
réduit a une retraite aMayence. Les malheurs
p~lics sont pour les partís une occasion de
reproche. Les jacobins, qui n'aimaient ras les
généraux suspects d'aristocratie , déclarnerent
centre eux , et les accuserent d' étre feuillants
et girondius. Marat ne manqua pas de s'élever
de nouveau contre la fureur des conquétes ,
qu'il avait, disait-il , toujours blámée , et qui
n'était qu'une ambition déguisée des généraux




360 nÉVOLUTION FRAN~AISE.
pour arriver a un degré de puissance redou-
tableo Robespierre, dirigeant le reproche selon
les inspirations de sa haine , soutint que ce
n'était pas les généraux qu'il .fallait accuser,
mais la faction infame qni dominait l'assem-
blée, et le pouvoir exécutif. Le perfide Roland,
l'intrigant Brissot, les scélérats Louvet, Gua-
det, Vergniaud, étaient les auteurs de tous
les maux de la France. 11 demandait a étre le
premier assassiné par eux; mais il voulait avant
tout avoir le plaisir de les dénoncer. Dumou-
riez et Custine , ajoutait-il, les connaíssaient
et se gardaient bien de se raoger avee eux :
mais tout le monde le\craignait, paree qu'ils
disposaient de 1'01', des places et de tons .les
moyeos de la république. Leur intention était
de l'asservir, et pour cela ils enchainaient tous
les vrais patriotes, ils ernpéchaient le dévelop-
pement de leur énergie, et exposaient ainsi la
France a étre vaincue par ses ennemis. Leur
intention était prineipalement de détruire la
soeiété des jacobins, el de poignarderqnieonque
aurai t le eourage de résister, - ee Et pour moi,
s'écriait Robespierre, moi je demande a étre
assassiné par Roland! ') (Séance des Jacobins du
J 2 décembre.í


Cette haine furiboude , se communiquant a
toute la société , la soulevait comme une mer




CONVENTION N ATIONALE (179'1). 36 I
orageuse. On se promettait un combat amort
contre la faction; on repoussait d'avance toute
idée de réeoneiliation, et comme il avait été
question d'un nouveau projet de transaction,
on s'engageait arefuser a jamais le baiser La-
mourette.


Les mérnes scenes se reproduisaient dans
l'assemblée pendant le délai qui avait été ac-
cordé a Louis XVI pOllr préparer sa défense.
On ne manquait pas d'y répéter que partout
les royalistes menacaient les patriotes , et ré-
pandaient des pamphlets en faveur du roi.
Thuriot proposa un moyen, e'était de punir de
mort quiconque méfjterait de rompre l'unité
de la république ou d'en détacher quelque
partie. C'était la un décret eontre la fable du
fédéralisme , c'est-a-dire contre .les girondins.
Buzot se háte de répondre par un autre projet
de décret , et demande I'exil de la famille d'Or-
léans. Les partís échangent les faussetés, et se
vengent des calomnies par d'autres ealomnies.
Tandis que les jaeobins accusaient les giron-
dins de fédéralisme , eeux-ci reprochaient aux
premíers de destiner le duc d'Orléans au treme,
el de ue vouloír immoler Louis XVI que pour
rendre la place vacante.


Le due d'Orléans existait aParis, s'efforeant
en vain de se faire oublier dans le sein de la




362 RÉVOLUTION FRAN9AISE.
convention. Cette place sans doute ne lui con-
venait pas au milieu de furieux démagogues;
mais oú fuír? En Enrope, l' émigration l'atten-
dait , et les outrages, peut-étre méme les sup-
piices , menacaient ce parent de la royauté quí
avait répudié sa naissance et son rango En
France, il s'efforcait de cacher son rang sous
les titres les plus humbles, et il se nommait
Égalité. Mais il restait l'ineffacable souvenir
de son ancíenne existence , et le témoignage
toujours présent de ses immenses richesses.
A moins de prendre les haillons, de se rendre
méprisable aforce de cynisme, comment échap-
per aux soupcons? Dans les rangs girondins, il
eút été perdu des le premier jour, ettous les
reproches de royalisme qu'on leur faisait eus-
sent été justifiés, Dans ceux des jacobins, il
avait la violence de París pour appui ; mais il
ne pouvait pas échapper aux accusations des
girondins, et c'est ce qui lui arriva en effet.
Ceux-ci , ne lui pardonnant pas de se ranger
avec leurs ennemis , supposaient que, pour se
rendre supportabIe, il prodiguait ses trésors
aux anarchistes, et leur fournissait le secours
de sa puissante fortune.


L'ombrageux Louvet crayait mieux, et s'ima-
ginait sincerement qu'il nourrissait toujours
l'espoir de la royauté. Sans partager cette opi-




CONVENTION NATIONA.LE (1792). 363
nion , mais pour combattre la sortie de Thuriot
par une autre, Buzot monte a la tribune. « Si
ce le déeret proposé par Thuriot doit ramener
« la confiance, je vais, dit-il , vous en propaser
« un qui ne la raménera pas moins, La manar-
« chie est renversée , mais elle vit encare dans
« les habitudes, dans les souvenirs de ses an-
a ciennes créatures, Imitons les Romains; ils
e( out chassé Tarquín et sa famille: eomme eux,
« chassons la famille des Bourbons. Une partie
« de eette famille est dans les fers , mais il en
« est une autre bien plus dangereuse, paree
« qu'elle fut plus populaire, c'est celle d'Or-
a Iéans, Le buste d'Orléans fut promené dans
« París; ses fils , houillants de courage, se dis-
(1 tinguent dans nos armées, et les merites
« méme de eette famille la rendent dangereuse
« paur la liberté. Qu'elle fasse un dernier sa-
ee crifiee a la patrie en s'exilant de son sein ;
« qu'elle aille porter ailIeurs le malheur d'avoir
« approché du tróne , et le roalheur plus grand
« encore de porter un noro qui nous est odieux,
« et dont J'oreille d'un homme libre ne peut
« manquer.d'étre hlessée. )) Louvet succédant
a Buzot , et s'adressant a d'Orléans lui-méme ,
lui cite l'exil volontaire de Collatin , et l'engage
a l'imiter. Lanjuinais rappelle les élections de
París dont Égalité fait partie, et qui se firent




364 RÉVOI.UTION FRA.l'l~A.JSE.
sous le poignard de la, faction anarchique; il
rappelle les efforts qu'on a tentés pour norn-
mer ministre de la guerre un chancelier de la
maison d'Orléans , l'influence que les fils de
eette famille ont acquise dans les armées; et ,
par toutes ces raisons, il demande le bannis-
sement des Bourbons. Bazire , Saint-Just , Cha-
bot s'y refusent, plutót par opposition aux
gil'ondins que par intérét pour d'Orléans. Ils
soutiennent que ee n'est pas le moment de sé-
vil' eontre le seul des Bourbons qui se soit
loyalement eonduit envers la nation; qu'il faut
d'aborrl punir le Bourbon prisonnier, faire en-
suite la constitution , et qu'apres on s'occupera
des citoyens devenus dangereux; qu'au reste,
envoyer d'Orléans hors de Franee, c'est I'en-
voyera. la mort, et qu'il faut au moins ajourner
cette cruelle mesure. Néanmoins le hannisse-
ment est décrété par acclamation. Il ne s'agit
plus que de décider l'époque du baunissement
en rédigeant le déeret.-Puisque vous employez
l'ostraeisme eontre Égalité, dit Merlín, em-
ployez-Ie eontre tous les homrnes dangerenx,
el tout d'abord je le demande eontre le pouvoir
exécutif. - Contre Roland ! s'écrie A:lbitte. -
Contre Roland et Pache 1 ajoute Barrere , qui
sont devenus une cause de division parmi nous.
Qu'ils soientbannis l'un et I'autre du ministerc,




CONV'RNTION NATIONALE (1"792). 365
ponr nous rendre le calme et l'union. - Ce-
pendant Kersaint craint que I'Angleterre ne
profite de cette désorganisation du ministere
pour nous faire une-guerre désastreuse , comme
elle fit en 1757, lorsque d'Argenson et Machan
furent disgraciés.


Rewhel demande si on peut hannir un re-
présentant du peuple , et si Philippe Égalité
n'appartient pas a ce titre a la nation qui l'a
nommé. Ces diverses observations arrétent le
mouvement des esprits, On s'interrompt, on
revient, et san s révoquer le décret de bannis-
sement contre les Bourhons, on ajourne la
discussion a trois jours, pour se calmer, et
pour réfléehir plus múrement ala question de
savoir si on pouvait bannir Égalité, et destituer
sans danger les deux ministres de l'intérieur
et de la guerreo


Apres cette discussion, on devine quel dé-
sordre dut régner dans les sections, ala com-
mune et aux Jacohins. On cria de toutes parts
a l'ostracismc, et les pétitious se préparerent
pour la reprise de la discussion. Les trois jours
écoulés, la discussion recommenca ; le maire
vint a la tete des sections demander le rap-
port du décret, L'assemblée passa al'orclre du
jour apres la lecture de l'adresse; mais Pétion,
voyant quel tumulte excitait cette question , en




366 nÉVOLUl'lON FRAN~AISE.
demanda l'ajournement apres le jugement deLouis XVI. Cette espece de transaction fut
adoptée, et on se jeta de nouveau sur la vic-time contre laquelle s'acharnaient toutes lespassions. Le célebre proces fut done aussitót
repris,




CONVENTION NATIONA-LE (1792). 367


CI-IAPITRE VII.


Continuation du procés de Louis XVI. Sa défense. - Dé-
bats tumultueux ala eonvention. - Les girondins PI'O-
posellt l'appel au peuplc; opinion du député Salles;
discours de Robespierre; discours de Vergniaud. -
Position des questions. - Louis XVI est Melaré cou-
pable et condamné a mort, sans appel au pcnple et
sans sursis a l'exécution. Détails sur les débats et les
votes émis. - Assassinat dn député Lepclletier Saint-
Fargeau. AgitatioIl daos Paris, - Louis XVI fait ses
adieux asa famille; ses dcrniers moments dans la prison
et sur l'échafaud.


LE temps accordé aLouis XVI pour préparer
sa défense était apeine suffisant pour compul-
ser les immenses matériaux sur lesquels elle
devait étre établie. Ses deux défenseurs deman-
derent as'en adjoindre un troisiéme , plus jeune
etplus actif , qui rédigerait et prononcerait la
défense , tandis qu'ils en chercheraient et pré-




368 nÉVOLUTION FRAN«;;AISE.
pareraient les moyens. Ce jeune adjoint était
l'avocat Deseze , qui avait défendu Besenval
apres le r4 juillet. La convention, ayant ac-
cordé la défense, ne refusa pas un nouveau
conseil, et M. Deseze cut, comme Malesherbes
et Tronchet , la faculté de pénétrer au Temple.
Une eommission y portait tous les jours les
pieces , les montrait a"Louis XVI, qui les re-
cevait avee beaueoup de sang-froid , et comme
si ce procés eüt regardé un autre , disait un
rapport de la commune. 11 montrait aux corn-
missaires la plus grande politesse, et leur fai-
sait servir a manger quand les séances avaient
été trop longues. Pendant qu'il s'occupait ainsi
de son proces , il avait trouvé un moyen de
correspondre avec sa famille. 11 écrivait au
moyen du papier et des plumes qu'on lui avait
donnés pour travailler a sa défense , et les
prineesses tracaient leur réponse sur du papier
avee des piqúres d'épingle. Quelquefois on
pliait les billets dans des pelotons de fi1 , qu'un
gar¡;on de l'offiee, en servant les repas, jetait
SOtlS la table; .quelquefois on les faisairdes-
cendre par une fiee1le d'un étage a un autre.
Les malheureux prisonniers se donnaient ainsi
des nouvelles de leur san té , et trouvaient une
grande consolation aapprendre qu'ils n'étaient
point malades.




CONVENTION NA TION ALE (1792 ) . 3()9
Enfin M. Deseze avait terminé sa défense en


y travaillant nnit et jour, Le roi lui fit re-
trancher tout ce qui était trop oratoire , et
voulut s'en teni.. a la simple discussion des
moyens qu'il avait a faire valoir. Le 26, a neuf
heures et dernie du matin, toute la force ar-
mée étaít en monvement pour le conduire du
Temple aux Feuillants, avec les mérnes pré-
cautions et dans le mérne ordre que lors de
sa prerniére cornparution. Monté dans la voi-
ture du maire , il s'entretint avec lui pendant
le trajet avec la méme.tranquillité que de cou-
turne; on parla de Séneque , de Tite-Live , des
hópitaux ; il adressa mérne une plaisanterie
assez fine aun des municipaux , qui avait dans
la voiture le chapean sur la tete. Arrivés aux
Feuillants , il montra beaucoup de sollicitude
pour ses défenseurs , il s'assit a leurs cótés
dans l'assemblée, regarda avec beaucoup de
calme les bancs ou siégeaíent ses accusateurs
et ses juges, sembla rechercher sur Ieur visage
l'impression que produisait la plaidoirie de
M. Deseze , et plus d'une foís il s'entretint en
souriant avec Tronchet et' Malesherbes. 1/as-
semblée accueillít sa défense avec un morne
sílence, et ne. témoigna aucune improbation.


Le défenseur s'occupa d'abord des príncipes
du droit .. et en second lien des faits imputés a


IIl. ~ '.




370 RÉVOLUTION FIIAN9AISE.
Louis XVI. Bien que l' assemblée, en décidant
que le roi serait j ugé par elle, eút implicite-
ment décrété que l'inviolabilité ne pouvait étre
invoquée, M. Deseze démontra fort bien que
rien ne pouvait limiter la défense, et qu'elle
clemeurait entiere , mérne apres le décret; que
par conséquent , si Louis jugeait l'inviolabilité
soutenable , il avait-la droit de le faire valoir.
IL fut d'abord obligé de reconnaitre la son ve-
raineté du peuple; et , avec tous les défenseurs
de la coustitution de ] 791, il soutint que la
souveraineté , bien que maitresse absolue, pou-
vait s'engager; qu'elle l'avait voulu al'égard de
Louis XVI, en stipulant Tinviolabilité ; qu'elle
n'avait pas voulu une chose absurde dans le
systeme de la monarchie ; que par conséquent
l'engagement devait étre exécuté; et que tous
les crimes possibles , le roi en eút-il commis,
ne pouvaient étre punis que de la déchéance.
Jl dit que sans cela, la constitution de 1791 se-
rait un piége barbare tendu aLouis XVI,puis-
qu'on lui aurait promis avec l'intention secrete
de ne pas tenir; que, si on refnsait a Louis
ses droits de roi , il fallait lui laisser au moins
ceux de citoyen, et il demanda oú étaient les
formes conservatrices que tout citoyen avait
droit de réclamer, telles que la distinction en-
tre le jury d'accusation et celui de jugemcnt,




CONVENTION NATJONAU: (1792). 371
la faculté de réeusation , la majorité des deux
tiers , le vote secret, et le silenee des juges
pendant que leur opioion se formait. Il ajouta ,
avec une hardiesse qui ne reneontra qu'un si-
lence absolu ,qu'il cherchait partout des juges
et ne trouvait que des accusateurs. Il passa
ensuite a la discussion des faits , qu'il rang.ea
sous deux divisions , ceux qui avaient précédé
et ceux qui avaient suivi l'acceptation de l'acte
constitutionnel. Les premiers étaient couverts
par l'acceptation de cet acte, les autres par
l'inviolabilité. Cependant il ne refusait pas de
les discuter , et il le fit avec avántage, paree
qu'on avait amassé une foule de faits insigni-
fiants, adéfaut de la preuve précise des intel-
ligences avec l'étranger; crime dont on était
persuadé, mais dontla preuve positive manquait
encore. Il repoussa victorieusernent l'aecusatíon
d'avoir versé le sang francais au 10 aoút, Dans ce
jour, en effet, l'agresseur n'était pas LouisXVI,
mais le peuple. Il était légitime que Louis XVI,
attaqué , cherchát a se défendre, et qu'il prit
les précautions nécessaires.Les magistrats eux-
mémes I'avaient approuvé , et avaient donné
aux troupes l'ordre forme! de repousser la force
par la force. Malgré cela, disait M. Deseze , le
roi n'avait pas voulufaire usage de cette au-
torisation , qu'il tenait et de la nature et de la
2.!~




372 RÉVOLUTION FRAN~AISF..
Ioi , et il s'était retiré dans le sein du corps lé·
gislatif pour éviter toute eífusion de sango Le
combat qui avait suivi ne le regardait plus,
devait mérne lui valoir des actions de graces
plutót que des vengeance1O, puisque c'était sur
un ordre de sa main que les Suisses avaient
abandonné la défense du chateau et de leur
vie. Il y avait donc une crian te injustice a re-
procher a Louis X VI d'avoir versé le sang
francais, et sur ce point il avait été irrépro-
chable; il s'était montré au contraire plein de
délicatesse et de vertu.


Le défenseur termina par ces mots si courts ,
si justes, et les seuls oú il fut question des
vertus de Louis XVI.·


« Louis était monté sur le tróne avingt ans ,
({ et a vingt ans il donna sur le tróne l'exem-


. ({ ple des moeurs ; il n'y porta aucune faiblesse
« coupable ni aucune passion corruptrice; il
« y fut économe , juste, sévere , et il s'y mon-
« tra toujours l'ami constant du peuple, Le
« peuple désirait la destruction d'un irnpót dé-
({ sastreux qui pesait sur lui , il le détruisit : le
( peuple demandait I'abolítion de la servitude,
fe il cornmenca par l'abolir Iui-méme dans ses
« domaines : le peuple sollicitait des réformes
« dans la légisJation criminelle pour l'adoucis-
( sement du sort des accusés , il fit ces réfor-




CONVENTJON NATIüNALE (1792 ) . 373
« mes: le peuple voulait que des milliers de
« Francais , que la rigueur de nos usagesavait
« privés jusqu'alors des droits qui appartieu-
« nent aux citoyens, acquissent ces droits ou les
« recouvrassent, illes en fit jouir par ses lois :
« le peuple voulut la liberté, et illa lui donna!
« Il vint mérne au-devant de Iui par ses sacri-
t( fices , et cependant c'est au nom de ce méme
« peuple qu'on demande aujourd'hui..... Ci-
« toyens , je n'acheve pas ..... je m'arréte de-
« vant l'histoire : songez qu'elle jugera votre ju-
« gement, et que le sien sera celui des siecles! »


Louis XVI, prenant la parole immédiatement
apres son défenseur, pronolH;a quelques mots
qu'il avait écrits. « On vient, dit-il , de vous
« exposer mes moyens de défense ; je ne les re-
« nouvellerai point; en vous parlant peut-étre
« pour la derniere fois, je vous déclare que ma
« conscience ne me reproche rien, et que mes
« défenseurs vous ont dit la vérité.


( Je n'ai jamais craint que ma conduite fUl
« examinée publiquement; mais mon coeur esl
(( déchiré de trouver dans I'acte d'accusation
« l'imputation d'avoir voulu faire répandre le
« sang du peuple, es surtout que les malheurs
« du 10 aoñt me soient attribués ' '


( J'avoue que les preuves multipliées que j'a-
el vais données dans lous les temps, de mon




374 IlÉVOLUTION FRAN~AlSl:.
«. amour pour le peuple , et la maniere dont je
te m'étais toujours conduit , me paraissaient de-
« voir prouver que je ne craignais pas de m'ex-
(( poser pour épargner son sang, et éloígner a
(( jamais de moi une pareille imputation. »


Le président demande ensuite a Louis XVI
s'il ne lui reste plus ríen adire pour sa défense,
Louis XVI ayant déclaré qu'il a tout dit , le pré-
sident luí annonee qu'il peut se retirer. Con-
duit dans une salle voisine avee ses défenseurs,
il s'oceupe avec sollicitude du jeune Deseze ,
qui para'it fatigué d'une longue plaidoirie. Ra-
mené ensuite en voiture, iI parle áVec la méme
~érénité a ceux qui l'escortent , et aerive RU
Temple a cinq heures,


A peine avait-il quitté la convention , qu'un
or~eviolents'y était élevé~ Les uns voulaient
qu'on ouvrit la discussion ; les autres se plai-
gnant des délais éternels qn'on apportait a la
décision dece proces, demandaient sur-le cham p
l'appel nominal, endisant que dans tout tribu-
nal, apres avoir 'OUl l'aecusé, on passait aux
voix. Lanjuinais nourrissait depuis lecommen-
cement du preces une ind'¡gnatioll 'd{ue son ca-
ractere impétueux ne luí peIi~ettait plus de
contenir. Il s'élance a la tribune , el au milieu
des eris qn'exeite sa présenee, il demande non
pas un délai ponr la discussion , mais l'annula-




CONV.ENTION JSATIONALE (1792). 375
tiou rnéme de la procédure; il s'écrie que le
temps des hornmes féroces est passé, qn'il ue
faut pas déshonorer l'assemblée en lui faisaut
juger Louis XVI; que personue u'en a le droit
en France, et que l'assemblée particuliérernent
n'a aucun titre pour le faire; que si elle veut
agir comme corps politique, elle ne peut pren-
dre que des mesures de súreté contre le ci-de
vant roí, mais que si elle agit comme tribunal,
elle est hors de tous les príncipes, cal' c'est faire
juger le vaincu par le vainqueur lui - méme ,
puisque la plupart des membres présents se
sont déclarés les conspirateurs du 10 aoüt, -
Au mot de eonspirateurs, un tumulte épouvan-
table s'éleve de toutes parts. On crie ti l'ordre!
ti I'Abbaye! ti has de la triúune!- Lanjuinais
veut en vain justifier le mot de conspirateurs,
en disant qu'il doit étre pris ici dans un sens
favorahle , et que le 10 aoút fut une conspira-
tion glorieuse: il contiuue au milieu du bruit,
et finit en déclaraut qu'il aimerait mieux périr
mille fois que de condamner, contre toutes les
lois , le tyran rnérne le plus abominable!


Une foule d'orateurs lui succedent , et le tu-
multe ne fait que s'accroitre. On ne veut plus
rien entendre, on quitte sa place, on se mete,
on se forme pa¡- groupes, on s'injurie , on se
menace, et le président est obligé de se con-




3'76, RÉVOLUTION FRAN9¡\ISJ.:.
vrir. Apres une heure d'agitation, le calme se
rétablit enfin , et l'assemblée, adoptant l'avis
de ceux qui demandaient la discussion sur le
preces de Louis XVI, declare que la discussion
est ouverte, et qu'elle sera continuée, toutes
affaires cessantes, jusqu'a ce que I'arrét soit
rendu.


La discussion est done reprise le 27; la fonle
des orateurs déja entendus reparait a la tri-
buue. Saint - Just s'y montre de non veau, La
présence de Louis XVI, humilié, vaincu , et se-
rein encore dans l'infortune , a fait naitre que1-
qlles objections dans son esprit. Mais il répond
a ces objections en appelant Louis un tyran
modeste et souple, qui a opprimé avec modes-
tie, qui se défend avec modestie, et contre la
douceur insinueuse duquel il faut se prémunir
avec le plus grand soin. 11 a appelé les états-gé-
néraux, mais c'était pour humilier la nohlesse
et régner en divisant ; aussi , quand il a vu la
puissance des états s'élever si rapidcment, il a
voulu la détruire. Au 14 juillet, aux 5 et 6 octo-
bre, on l'a vu amasser secreternent des moyens
ponr aecabler le peuple; rnais chaque fois que
ses conspirations étaient déjouées par I'énergie
nationale, il feignait de revenir lui-rnéme , il
montrait de sa défaite et de la victoire du peuple
une joie hypocrite et qui n'était pas naturelle.




CONVENTION NATIONALE \1792 ) . 377
Depuis , ne pouvant plus faire usage de la force,
il corrornpait les défenseurs de la liberté, il
complotait avec l'étranger, il désespérait les
ministres, dont l'un était obligé de lui écrire :
f/os relations secretes m'empéchent d'exécuter
les 'lois , et je me retire. Enfin il avait employé
tous les moyens de la plus profonde perfidie
jusqu'au 10 aoút , et maintenant encore il af-
fectait une feinte douceur pour ébranler ses
juges et Ieur échapper.


C'est ainsi que les incertitudes si naturelles
de Louis XVI se peignaient dans un esprit vio-
lent , quío voyait une perfidie furte et calculée
la oú il n'y avait que faiblesse et regrets du
passé. D'autres.orateurs succedent aSaint-Just,
et un attend avec impatience que les girondins
pl'ennent la parole. lis ne s'étaient pas pro-
noncés encore , et il était temps qu'ils s'expli-
quassellt. On a déja vu quelles étaient et Ieurs
incertitudes, et Ieurs dispositions as'émouvoir,
et leur penchant aexcuser dans Louis XVI une
résistance qu'ils étaient plus capables de corn-
prendre que leurs adversaires. Vergniaud con-
vint devant quelquesarnis de l'attendrissement
qu'il éprouvait. Sans étre aussi touchés peut-
étre , les autres étaient tOI1S disposés a s'inté-
resser ala victime ; et , dans cette situation , ils
imaginerent un moyen qui décele Ieur érnotion




378 RÉVOLUTION FRAN<;:AISE.
ct l'embarras de leur position : ce moyen était
l'appel au peuple. Se décharger d'une respon-
sabilité dangereuse, et rejeter sur la nation le
reproche de barbarie si le roi était condamné,
011 celui de royalisme s'il était absous, tel était
le but des girondins, et c'était un acte de fai-
blesse. Puisqu'ils étaient touchés ala vue de la
profonde infortune de Louis XVI, ils devaient
avoir le courage de le défendre eux-rnérnes , et
ils ne devaient pas provoquer la guerre civile
en renvo.yant aux quarante - q uatre milJe sec-
tions qui partageaient la France , une questiou
qui allait infailliblement mettre tOU5 les partís
en présence, et soulever les passions les plus
furieuses. Il fallait se saisir fortement de l'au-
torité , avoir le courage d'en user soi-mérne ,
sans se décharger sur la multitude d'un soin
dont elle était incapable , et qui eút exposé le
pays aune confusion épouvantable. Ici, les gi-
rondins donnerent a leurs adversaires un avan-
tage immense, en les autorisant a répandre
qu'ils fomentaient la guerre civile, et en faisant
snspecter leur eourage et leur franchise. Aussi
ne manqua-t-on pas de dire chez les jacobins,
que ceux qui voulaient absoudre Louis XVI
étaient plus frailes et plus .estimables que ceux
qui voulaient en appeler an peuple. Mais telle
est I'oedinaire conduite des partis modérés : se




CONVENTlON N¡\TIOWAI.E (J792 ) . 379
conduisant ici comme aux 2. et 3 septembre,
les girondins hésitaientase compromettre pour
un roí qu'ils regardaient comme un ennemi ,
et qui, dans leur persuasion , avait voulu les
détruire par le fer étranger; cependant, émus
a la vue de cet ennemi vaincu , ils essayaíent
de le défendre, ils s'indignaient de la violence
commise a son égard, et ils faisaient assez pour
se perdre eux-mémes, sans faire assez pour le
sauver..


Salles, celui de tous qui se prétait le mieux
aux imaginations de Louvet, et qui mérne le
surpassait dans la supposition de complots ima-
ginaires, Salles proposa et soutint le premier
le systeme de l'appel au peuple , dans la séance
du ?7' Livrant atout le bláme des républicains
la conduite de Louis XVI; et avouant qu'elle
méritait toute la sévérité qu'on pourraít dé-.
ployer, il ttt ohserver cependant que ce n'était
point une vengeance, mais un grand aete de
polítique que l'assernhlée devait exercer ; il sou-
tint donc quec'était sous le point de vue de
i'intérét public , que la question devait étre ju-
,gée. Or, dans les deux cas , de I'absolution et
de Ia condamnation , il voyait des 1noonvénicnts
-énormes, L'absolution serait une cause éter-
tlIeHe de disoorck, etIe roi deviendrait le point
de ralliement de t~us les 'partis. L~ '$ouve1ll1,r




380 RÉVOLUTION FRAN9AISJ<:.
de ses attentats serait constamment rappelé a
l'assemblée ponr lui reprocher son indulgence :
cette impunité serait un scandale public qui
provoquerait peut-étre des révoltes populaires,
et qui servirait de prétexte atous les agitateurs.
Les hommes atroces qui avaient déjá boule-
versé l'état par leurs crimes, ne manqueraient
pas de s'autoriser de cet acte de c1émence pour
commettre de uouveaux attentats , cormne ils
s'étaient autorisés de la lenteur des tribunaux
pour exécuter les massacres de septemhre. De
toutes parts, enfin, on accuserait la convention
de n'avoir pas eu le cOllrage de terminer tant
d'agitations, et de fonder la république par un


\ exemple énergique et terrible.
Condamné, le roi léguerait a sa famille


toutes les prétentions de sa race , et les légne-
rait a des freres plus dangereux, parce qu'ils
étaient moins déconsidérés par leur faiblesse,
Le peuple ne voyant plus les crimes , mais le
supplice, viendrait peut-étre as'apitoyer sur le
sort du roi , et les factieux trouveraient encere
dans cette disposition uu moyen de l'irriter
contre la convention nationale. Les souverains
de l'Europe gardaient un morne silence , dans
l'attente d'un événement qu'ils espéraient de-
voir soulever une indignation géllérale; mais
des que la tete du roi serait tornbée, tous.




CONVENTION N ATION ALE (1792 J. 38 f
profitant de ce prétexte, fondraient ~ la fois
sur la France ponr la déchirer. Peut-étre alors
la France, aveuglée par ses souffrances , repro-
cherait a la convention un acte qui lui aurait
valu une guerre cruelle et désastreuse.


Telle est , disait Salles, la funeste alternative
offerte ala convention nationale. Dans une si-
tuation pareille, c'est ala nation elle-meme ase
décider , et a fixer son sort en fixant celui de
Louis XVI. Le danger de la guerre civile- est
chimérique , cal' la guerre civile n'a pas éclaté
en convoquant les assemblées primaires pour
nommer une convention qui devait décider du
sort de la France , et on ne parait pas la re-
douter davantage dans une occasion tout aussi
grave, puisqu'on défere a ces mémes assem-
blées primaires la sanction de la constitution.
On objecte vainement les longueurs et les dif-
ficultés d'une nouvelle délibération dans qua-
rante-quatre mille assemblées; cal' il ne s'agit
pas de délibérer , mais de choisir sans discus-
sion entre les deux propositions présentées
par la conveution. On posera ainsi la question
aux assemblées primaires : Louis XVI sera-t-i]
puni de mort, on détenu jusqu'á la paix? Et
elles répondront par ces mots : détenu , ou mis
amort, Avec des courriers extraordinaires , la
réponse peut étre arrivée en quinze jours des




38:1 RÉVOLUTION FllAN9AISE.
extrémités les plus éloignées de la Franee.


Cette opinion avait été éeoutée avec des dis-
positions tres-diverses. Serres, député des Hau-
tes-Alpes, se retracte de sa premiere opiniou ,
qui était pour le jugement, et demande l'appel
au peuple. Barbaroux combat la j ustification de
Louis XVI, sans prendre de conclusions , cal'
il n'osait absoudre eontre le V~1l de ses com-
mettants, ni eondamner centre celui de ses
amis. Buzot se prononce pour l'appel au peu-
pie; toutefois il modifie l'opinionde Salles, et
demande que la convention prenne elle-méme
l'initiative en votant pour la mort, et en n'exi-
geant des assemblées primaires que la simple
sanction de ce jugement. Rabaut Saint-Étienne,
ce ministre protestant déjá distingué par ses
talents dans la constituante , s'indigne de cette
eumulation de pouvoirs qu'exerce la eonven-
tion. « Quant amoi, dit-il , je suis las de ma por-
« tion de despotisme; je suis fatigué, harcelé,
« bourrelé de la tyrannie que j'exerce pour ma
« part, et je soupire apres le mament oú vous
« aurez créé un tribunal qui me fasse perdre
« les formes et la eontenanee d'un tyran ....
« Vous cherchez des raisons de politique ; ces
« raisons sont dans I'histoire ... Ce peuple de
« Londres, qui avait tant pressé le supplice du
« roi, fut le premier a maudire ses juges el a




CONn:NTION NATION HI, ('792). 383
« se prosterner devant son successeur. Lorsque
« Charles II monta sur le treme, la ville lui
« donna un superbe repas, le peuple se livra
« a la joie la plus extravagante, et iI courut
( assister au supplice de ces memes juges que
« Charles imrnola depuis aux manes de son
« pere. Peuple de Paris, parlement de France,
« rn'avez-vous entendu? ... »


Faure demande le rapport de tous les décrets
portant la mise en jugement. Le sombre Robes-
pierre reparait enfin, tout pIein de colere et
d'amertume. «Lui aussi , dit-il , avai t été touché
« et avait senti chancel el' dans son coeur la vertu
« républicaine , en présence du coupable humi-
« lié devant la puissance souveraine, Mais la
« derniere preuve de dévouement qu'on devait
« ala patrie, e'était d'étouffer tout mouvement
« de sensibilité. » 11 répete alors tout ce qni a
été dit sur la eompétenee de la convention,
sur les délais éternels apportés a la vengeance
riationale , sur les ménagements gardés envers
le tyran, tandis qu'on attaque sans aucune es-
pece de réserve les plus chauds amis de la li-
berté; 11 prétend que cet appel au peuple n'est
qu'une ressource semblable acelle qu'avait ima-
ginée Guadet, en demandant le scrutin épura-
toire ; que cette ressource perfide avait pOllr
hut de remettre tout en question, et la dépu-




38{l RÉVOLllTION FRAN~A.ISR.
tation actuelle , et le 10 aoüt , et la républiqne
elle-rnéme. Ramenant toujours la question a
Iui-rnéme et ases ennemis , il compare la situa-
tion actuelle a celle de juillet 1791, lorsqu'il
s'agissait de juger Louis XVI pour sa fuite a
Varennes. Robespierre y avait joué un role im-
portant. Il rappelle et ses dangers, et les ef-
forts heureux de ses adversaires pour replacer
l ..ouis XVI sur le tróne , et la fusillade du
Champ-de-Mars qui s'en était suivie , et les
périls que Lonis XVI, replacé sur le tróne ,
avait fait courir a la chose publique. Il si-
gnale perfidement ses adversaires d'aujourd'hui
eomme étant les mérnes que ses adversaires
d'autrefois ; ilse présente eomme exposé, et la
Franee avec lui , au méme danger qu'alors , et
toujours par les intrigues de ces fripons qui
s'appellent exclusivement les honnétes gens.
ce Aujourd'hui, ajoute Robespierre, ils se tai-
( sent sur les plus grands intéréts de la patrie;
« ils s'abstienneut de prononcer leur opinion
« sur le dernier roi; mais leur sourde et per-
« nicieuse activité procluit tous les troubles qui
(c agitent la patrie; et pour égarer la majorité
ce saine, mais souvent trompée, ils poursuivent
« les plus chauds patriotes sous le titre de mi-
« norité factieuse. La minorité, s'écrie-t-il , se
« changea souvent en majorité , en éclairant les




CONVENTION N A.TIONALE ([ 792). 385
« assemblées trompées. La vertu fut toujours
« en minorité sur la terre! Sans cela la terre
II serait-elle peuplée de tYl'ans et d'esclaves P
« Hampden et Sidney étaient de la minorité,
« cal' ils expirerent sur un échafaud. Les Critias,
t( lesAnitus , les César, les Clodius, étaient de la
« majorité, mais Socrate était de la minorité ,
(( cal' il avala la cigué ; Caton étai t de la mino-
(( rité , cal' il déchira ses entrailles, » Robes-
pierre recommande ensuite le calme au peuple
ponr ótcr tout prétexte a ses adversaires , qui
présentent de simples applaudissements don-
nés a ses. députés fideles ponr une rébellion.
« Peuple , s'écrie-t-il , gal'de tes applaudisse-
« ments , fuis le spectacle de nos débats! Loin
« de tes yeux nous n'en comhattrons pas
( moios.» Il termine enfin en demandant que
Louis XVI soit sur-le-champ déclaré ooupable
et condarnné amort.


Les orateurs se succedent le 28, le 2.9, et
jusqu'au 31. Vergniaud prend enfin la parole
pour la premiere fois, et on écoute avec un
empressernent extraordinaire les girondins
s'exprimant par la bouche de leur plus grand
orateur , et rompant un silence dont Robes-
pierre n'était pas le seul a les accuser.


Vergniaud développe d'abord le principe de
la souveraineté du peuple , et distingue les cas


IJI. 25




386 RÉVOLUTION FRAN<:HSE.
oú les représentants doivent s'adresser a elle.
II serait trop long, trop difficile de recourir
aun grand peuple pour tous les actes légisJa-
tifs; mais pour certains actes d'une haute im-
portance, il en est tout autrement. La consti-
tution, par exemple, a été d'avance destinée a
la sanction nationale. Mais cet objet n'est pas
le seul qui mérite une sanction extraordinaire.
Le j ugernent de Louis a de si graves caracteres,
soit par la cumulation depouvoirs qu'exerce
l'assemhlée , soit par l'inviolabilité qui avait
été constitutionnellement accordée au monar-
que, soit enfin par les effets politiques qui
doivent résulter d'une condamnation , qu'on
ne saurait contester sa haute importance, et
la nécessité de le soumettre au peuple lui-
rnérne. Apres avoir développé ce systeme ,
Vergniaud, qui réfute particulierement Robes-
pierre , arrive enfin aux inconvénients poli ti-
ques de l'appel au peuple , et touche atontes
les grandes questions' qui divisent les deux
partís.


Il s'occupe d'abord des discordes qu'on re-
doute de voir éclater si on renvoie au peuple
la sanction du jugernent du roi. Il reproduit
les raisons données par d'autres girondins, et
soutient que si l'on ne craignait pas la guerre
civile en rénnissant les assemblées primaires




CONV};NTION NATIONALE (1792 ) . 3~7
pour sanctionner la constitution , il ne voyait
pas pourquoi on la redouterait en les réunis-
sant pour sanctionner le jugement du roi.
Cette raison , souvent répétée , était de peu de
valeur, car la constitution n'était pas la vérita-
ble question de la révolution; elle ne pouvait
étre que le réglement détaillé d'une institu-
tion déja décrétée et consentie, la république.
Mais la mort du roí étant une question formi-
dable, il s'agissait de savoir si, en procédant
par I,voix de mort contre la royauté, la ré-
volution romprait sans retour avec le passé ,
et marcherait par les vengeances et une éner-
gie inexorable au but qu'elle se proposait. 01',
sí une question aussi terrible divisait déja si
fortement la convention et Paris, il Y avait le
plus grand danger a la proposer encore aux
quarante - quatre mille sections du territoire
francais. Dans tous les théátres , dans toutes
les sociétés populaires, on disputait tumul-
tueuserneat , et il fallait que la convention eút
la force de décider elle-méme la question , pour
ne pas la livrer a la France , qui l'eút peut-
étre résolue par les armes.


Vergniaud, partageanta cet égard l'opinion
de ses amis, soutient que la guerre civile n'est
pas a craindre. Il dit que dans les departe-
ments les agitateurs n'ont pas acquis la pré-


25.




388 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
pondérance qu'une láche faiblesse leur a laissé
usnrper a Paris; qu'ils ont bien parcouru la
surface de la république , mais qu'ils n'y ont
trouvé partout que le mépris, et qu'on a donné
le plus grand exemple d'obéissance a la loi, en
respectant le sang impur qui coulait dans leurs
veines. Il réfute ensuite les craintes qu'on a
exprimées sur la véritable majorité qu'on a dit
étre cornposée d'intrigants, de royalistes, d'a-
ristocrates; il s'éleve contre cette orgueilleuse
assertion , que la vertu était en minorité sur la
terreo « Citoyens, s' écrie-t-il, Catilina fut en mi-
(e norité dans le sénat romain, et si cette mi-
« norité eút prévalu, c'en était fait de Rome,
(e du sénat et de la liberté. Dans l'assemblée
« constituante, Maury, Cazales , furent en mi-
(( norité, et s'ils avaient prévalu , c'en était fait
« de vous! Les rois aussi sont en minorité sur
« la terre; et pour enchainer les peuples, ils
« disent aussi que la vertu est en minorité!
« Ils disent aussi que la majorité des peuples
c( est composée d'intrigants auxquels il faut
(( imposer silence par la terreur, si ron veut
« préserver les ernpires d'un bouleversement
« général.»


Vergniaud demande si, pour faire unesma-
jorité conforme aux ~ceuxde certains hommes,
ji faut employer le bannissement et la mort,




CONVENTION NATIOlIlAU (1792.)· . :)89
changer la France en désert , et la livrer ainsi
aux conceptions de quelques scélérats.


Apres avoir vengé la majorité et la France,
il se venge lui-mérne et ses amis , qu'il montre
résistant toujours, et avec un égal courage, a
tous les despotismes, celui de la cour et celui
des brigands de septembre. Il les montre pen-
dant la journée du 10 aoüt , siégeant au bruit
du canon du chateau , pronon<;ant la dé-
chéance avant la victoire du peuple, tandis
que ces Brutus, si pressés aujourd'hui d'égor-
ger les tyrans abattus , cachaient leurs frayeurs
dans les entrailles de la terre, et attendaient
ainsi l'issue du combat incertain que la liberté
livrait au despotisme,


Il rejette ensuite sur ses adversaires le re-
proche de provoquer a la guerre civile. « Oui ,
(( dit-il, ils veulent la guerre civil e ceux qui,
( en préchant l'assassinat contre les partisans
« de la tyrannie, appliquent ce nom a toutes
( les victirnes que leur haine veut immoler;
l( ceux qui appellent les poignards sur les re-
(( présentants du peuple, et demandent 1;1
« dissolution du gouvernement et de la con-
« vention; ceux qui veulent que la minorité
« devienne arbitre de la majorité, qu'elle puisse
« légitimer ses jugements par des insurrec-
« tions , et que les Catilina soient appelés a ré-




390 ln:VOUlTION },'RAN<1A.ISE.
« gner dans le sénat. IIs veulent la guerre ci-
« vile, ceux qui préchent ces maximes dans
« tous les lieux publics, et pervertissent le
« peuple en accusant la raison de feuillan-
« tisme , la justice de pusilIanimité, et la sainte
« humanité de conspiration.


« La guerre civile, s'écrie l'orateur , pour
« avoir invoqué la souveraineté du peuple l....
« Cependant en juillet 1791 vous étiez plus
« modestes, vous ne vouliez pas la paralyser
« et régner a sa place. Vous faisiez courir une
« pétition pour consulter le peuple sur le ju-
« gement a rendre contre Louis revenu de
« Varennes! Alors vous vouliez de la souverai-
« neté du peuple, et vous ne pensiez pas que
« I'invoquer pút exciter la guerre civile l Serait-
« ce qu'alors elle favorisait vos vues secretes,
« et qu'aujourd'hui elle les contrarie?»


L'orateur passe ensuite a d'autres considera-
tions. On a dit que I'assemblée devait montrer
assez de grandeur etde courage pour faire
exécuter elle-rnéme son jugement sans s'ap-
puyer de l'avis du peuple. ce Du courage, dit-
« il ; il en faIlait pour attaquer Louis XVI dans
« sa toute -puissance; en faut-il tant pour en-
ce. voyer au supplice Louis vaincu et désarmé?
« Un soldat cimbre entre dans la prison de
« Marius pour \'égorger; effrayé a l'aspect de




CONVENTION NATIONALE C17Y'l). 3gr
(( la victime, iI s'enfuit sans oser la frapper. Si
( ce soldat avait été membre d'un sénat, dou,
« tez-vous qu'il eút hésité avoter la mort du
« tyran? QueI courage trouvez-,:ous a faire un
( acte dont un láche serait capable? »


11 parle ensuite d'un autre genre de courage,
de celui qu'il faut déployer contre les puis-
sanees étrangeres. ( Puisqu'on parle continuel-
« lement, dit-il, d'un grand acte politique, il
« n'est pas inutile d'examiner la question 50US
« ce rapport. 11 n'est pas douteux que les puis-
( sanees n'atteudent ce dernier prétexte pour
{( fondre toutes ensemble centre la France.
« On les vaincra sans doute; l'héroisme des
« soldats francais en est un sur garant : mais
« ce sera un sureroit de dépenses , d'efforts de
« tout genre. Si la guerre force ade nouvel1es
« émissions d'assignats, qui feront croitre dans
« une proportion effrayante le prix des denrées
« de premiere nécessité; si elle porte de nou-
« vel1es et mortelles atteintes au commerce;
« si elle fait verser des torrents de sang sur le
.« contineut et sur les mers, quels si grands
« services aurez-vous rendus el l'humanité?
« Quelle reconnaissance vous devra la patrie
« pour avoir fait en son nom, et au mépris
« de sa souveraineté méconnue, un acte de
f( vengeance devenu la cause ou seulement le




392 RÉVOLUTION FRAN<;:AJSl'~.
« pretexte d'événements si calamiteux ~ J'é-
« carte , s'écrie I'orateur , toute idée de revers ,
« mais oserez-vous lui vanter vos services? 11
« n'y aura pas une famille qui n'ait apleurer ou
« son pere ou son fils; l'agricultenr manquera
( bientót de hras ; les ateliers seront aban-
( donnés ; vos trésors écoulés appelleront de
( nouveaux impóts ; le corps social, fatigué
( des assauts que lui livreront au dehors les
« ennernis armés, au dedans les factions son-
« levées, tombera dans une langueur mortelle.
( Craignez qu'au milieu de ces triomphes, la
« France ne ressemble á ces monumentsfameux
« qui, dans I'Égypte, ont vaincu le temps :
« l'étranger qni passe s'étoune de Ieur gran-
« deur; s'il veut y pénétrer , qu'y trouve-t-il?
« Des cendres inanimées, et le silence des
« tombeaux. »


Apres ces craintes, il en est d'autres qui se
présentent encere al' esprit de Vergniaud; elles
lui sont suggérées par l'histoire anglaise, et par
la condnite de Cromwell, auteur principal , mais
caché, de la mort de Charles I'". Celui-ci , pous-
sant toujours les peuples, d'abord contre le roi,
puis contre le parlement lui c méme , brisa en-
suite son faible instrument, et s'assit au su-
préme pouvoir. (l N'avez-vous pas, ajoute Ver-
a. gniaud, n'avez-vous pas entendu , dans eette




~


CONVENTlON NATlONALE (1792.). 393
« enccinte et ailleurs, des hommes crier : Si le
« pain est cher, la cause en est au Temple;
({ si le numéraire est rare , si nos armées sont
( mal approvisionnées , la cause en est au l'em-
« pie; si nous avons ti souffrir chaque jour
« du spectacle de l'indigence , la cause en est
e(au Temple!


« Ceux qui tiennent ce langage n'ignorent
« pas cependant que la cberté du pain, le dé-
« fant de circulation dans les subsistances, la
« mauvaise administration dans les armées, et
« l'indigence dont le spectacle -nous afflige , ti en-
« nent a d'autres causes que celles du Temple.
« Quels sont done leurs projets? Qui me garan-
« tira que ces mérnes hommes qui s'efforcent
« continuellement d'avilir la convention, et qui
« peut-étre y auraient réussi si la majesté du pen-
« pIe, qui réside en elle, pouvait dépendre de
« leurs perfidies; que ces mémes hornmes qui
{( proclament partont qu'une nouvelle révolu-
« tion est néeessaire, qui font déclarer teUe ou
e( telle section en état d'insurrection perma-
« nente , qui disent a la.commune que-Iorsque


. « la convention a snccédé a Louis 00, n'a fai t
« que changer de tyrans , et qu'il fant 'une
f( autre journée du 10 aoút; que ces mames
« hornmes qni ne parlent qne de complots.de
e( mort, de traitres , de proseriptions; qui pu-




394 RÉVOLUTlON l"RAN~AISl-:.
« blient dans les assemblées de section et dans
« leurs écrits qu'il faut nommer un défenseur
e a la république, qu'il u'y a qu'un chef qui
« puisse la sauver; quime garantira, dis-je, que
« ces mérnes hommes ne crieront pas, apres la
« mort de Louis, avec la plus grande violcnce :
« Si le pain est cher , la cause en est dans la
« convention ; si le numéraire est rare, si nos
« armées sont mal approvisionnées , la cause en
« est dans la conoention ; si la machine du gou-
« vernement se traine avec peine, la cause en
« est dans la convention chargée de la diriger;
« si les calamités de la guerre se sont accrues
« par les déclarations de l'A ngleterre et de l'Es-
«pagne, la cause en est dans la conoention , qui
(e a provoqué ces déclarations par la condam-
« nation précipitée de Louis!


« Qui me garantira qu'a ces cris séditieux de
« la turbulence anarchigue ne viendront pas
« se rallier l'aristocratie avide de vengeance, la
« misere avide de changement, et jusqu'a la
« pitié , que des préjugés invétérés auront ex-
« citée sur le sort de Louis? Qui me garantira
« que de cette ternpéte , oú l'on yerra ressortir
« de Ieurs repaires les tueurs du 2 septembre,
« on ne vous présentera pas tout couvert de
« sang, et comme un libérateur, ce défenseur ,
« ce chef qu'on dit étre si nécessaire? Un chef!




CONVENTION NATIONALE (1792). 395
« ah! si telle était leur audace , il ne paraitrait
« que pour étre al'instant percé de mille coups !
( Mais a quelles horreurs ne serait pas livré
(( Paris ; Paris , dont la postérité admirera le
( courage héroíque contre les rois, et ne con-
« cevra jamais l'ignominieux asservissement a
« une poignée de brigands , rehut de l'espece
t( humaine , qui s'agitent dans son sein et le
« déchirent en tous sens par les rnouvements
« convuIsifs de leur ambition et de leur fureur !
« Qui pourrait habiter une cité oú régneraient
(( la terreur et la mort! Et vous, citoyens in-
« dustrieux , dont le travail fait toute la richesse,
« et pour qui.les moyens de travail seraient dé-
( truits , vous qui avez fait de si grands sacri-
« fices ala révolution, et aqui l'on enleverait les
( derniers moyens d'existence, vous dont les
« vertus, le patriotisme ardent et la honne foi
« ont renda la séduction si facile, que devien-
( driez-vous ? quelles seraient vos ressources?
« quelles mains essuieraient vos larrnes et por-
( teraient des secours a vos familles déses-
(( pérées?


«( Iriez-vous trouver ces faux amis , ces per-
« fides flatteurs quí vous auraient précipités dans
« l'abime ? Ah! fuyez-Ies plutót ' redoutez Ieur
( réponse ! je vais vous l'apprendre. Vous leur
(1 demanderiez du pain; ils vous diraient : Allez




396 RÉVOLUTION FRAN<;;AI5E.
« dans les carriéres disputa ti: la terre quelques
« lambeaux sanglants des victimes que vous
(e avez égorgées! Ou : Foulez-vous du sangP
« Prenez , en uoici l du sang el des cadavres ,
« nous tt'avons pas d'autre nourriture ti vous
« o.fFil'!.. , Vous frémissez , citoyens lOma
(( patrie ,je demande acte amon tour des efforts
(( que je fais pour te sauver de cette crise dé-
« plorable ! »


L'improvisation de Vergniaud avait produit
sur ses auditeurs de tous les cótés une impres-
sion profonde, et une admiration générale.
Robespierre avait été atterré sous eette franche
et entraiuante éloquence. Cependant Vergniaud
avait ébranlé mais n'avait pas entrainé l'assern-
blée, qui hésitait entre les deux partís. Plusieurs
orateurs furent successivement entendus , pour
ou contre l'appel au peuple. Brissot , Genson-
né, Pétion , le soutinrent a leur tour. Enfin un
orateur eut sur la question nne iufluence dé-
cisive ; ce fut Barreré. Par sa souplesse , son
éloquence évasive et froide, il était le modele
et I'oracle du milieu. 1I parla IOllguement sur le
proces , I'envisagea sous tons les rapports, des
faits, des lois et de la politique , et fournit des
motifs de condamnation a tous les faibles qui
ne demandaientque des raisons spécieuses POUF
ceder. Sa médiocre argumentation servit de




CONVENTION NATlONALE (1792.)· 397
prétexte a tous ceux qui tremblaient, et des
cet instant le malheureux roi fut condamné.
La discussion s'était prolongée jusqu'au 7 jan-
vier 1793, et déja personne ne voulait plus
entendre cette éternelle répétition des mémes
faits et des mémes raisonnernents. La clóture
fut prononcée sans opposition ; mais la propo-
sition d'un nouvel ajournement excita un sou-
levernent des plus violents, et fut enfin décidée
par un décret qui fixa la position eles questions
et l'appel nominal au 14 janvier.


Ce jour fatal arrivé, un concours extraordi-
naire de spectateurs entourait l'assemblée et
remplissait les tribunes. Une foule d'orateurs se
pressent pour proposer différentes manieres de
poser les questions. Enfin , apres de longs dé-
bats , la convention renferme toutes les ques-
tions dans les trois suivantes :


Louis Capet est-il coupable de conspiration
contre la liberté de la nation , et d'attentats
eontre la sürete générale de l'état?


Le jllgement, quel qu'il soit, sera-t-il encoré
tI la sanetion du peuple ?


Quelle peine lui sera-t-it infligé?
Toute la journée du 14 avait été occupée a


poser les questions. Celle du J 5 fut réservée a
l'appel nominal.L'assemblée décida d'abord que
chaque membre prononcerait son vote ala tri-




398 RÉVOUTTION FRANE;;AISE.
bune; ,que ce vote pourrait étre motivé, et se-
rait écrit et signé; que les absents sans cause
seraient ceusurés , mais qne ceux qui rentr e-
raient pourraient émettre leur voeu, méme apres
l'appel nominal. Enfin ce fatal appel commence
sur la premiere question. Huit membres sont
absents pour cause de maladie, vingt par com-
mission de l'assemblée. Trente-sept, en motivant
leurs votes de diverses manieres, reconnaissent
Louis XVI coupable , mais se déclarent incom-
pétents pour prononcer un jugement, et ue
demandent centre lui que des mesures de súreté
générale. Enfin six cent qúatre - vingt - trois
membres déclarent sans explication LouisXVI
coupable. L'assernblée se composait de sept
cent quarante-neuf membres.


Le président, au norn de la convention na-
tionale, déclare Louis Capet coupable de cons-
piration contre la liberté de la nation , et
d'attentats contre la súreté générale de l'état.


L'appel nominal recommence sur la seconde
question, ceBe de I'appel au peuple. Vingt-neuf
mernbres sont absenrs. Quatre, Iesquels sont
Lafon, Waudelaincourt , Morisson et Lacroix,
refusent de voter. Le nommé Noel se recuse.
Onze donnent leur opinion avec différentes
conditions. Deux cent quatre-vingt-un votent
pour l'appel au peuple ; quatre cent Vi.tlgt-tl'ois




CONVENTION NATIONALE (1792 ). 399
le rejettent. Le président déclare au nom de
la convention nationale, que le jugement de
Louis Capet ne sera pas enooyé a la ratifica-
tion du peuple.


La journée du 15 avait été absorbée tout
entiere par ces deux appels nominaux, le troi-
sieme fut renvoyé a la séance du lendemaín.


L'agitation augmentait dans Paris a mesure
que l'instant décisif s'approchait. Aux théátres,
des voix favorables a Louis XVI s'étaient fait
entendre, a l'occasion de la piece de l'Ami des
Lois. La commune avait ordonné la suspension
de tous les spectacles ; mais le conseil exécutif
avait révoqué cette mesure, comme attenta-
toire a la líberté de la presse, dans laquelle
on comprenait la liberté du théátre. Dans les
prísons,il régnaít une consternation profonde.
On avaít répandu que les épouvantables jour-
nées de septembre-devaient s'y renouveler, et
les prísonniers, leurs parents , assiégeaíent les
députés de supplications , pour qu'on les arra-
chát a la mort. Les jacobins, de leur cóté , di-
saient que de toutes parts on conspirait poul'
soustraire Louís XVI au supplíce, et poul' ré-
tablir la royauté. Leur colere , excitée par les
délaís et les obstacles, en devenaít plus mena-
cante , et les deux partis s'effrayaíent ainsi l'un
l'autre , en se supposant des projets sinistres.




400 RÉVOLUTION FRAN~AJSE.
La séance du 16 avait excité un concours en-
core plus considerable que les préeédentes.
C'était la séance décisive , cal' la déclaratiou de
la culpabilité n'était rien si Louis XVI était
condamné au simple bannissement, et le but
de ceux qui voulaient son salut était rempli,
puisque tout ce qu'ils pouvaient attendre dans
le moment, c'était de l'arracher a l'échafaud.
Les tribunes avaient été envahies de bonne
heure par les jacobins , et leurs regards étaient
fixés sur le bureau oú chaque membre allait
paraitre pour déposer son vote. Une grande
partie du jour est consacrée a des mesures
d'ordre public , a appeler les ministres, a les
enlendre, a provoquer des explications de la
part du maire, sur la clóture des barrieres,
qu'on disait avoir été ferrnées pendant la jour-
née. La convention decrete qu'elles resteront
ouvertes, et que les fédérés présents a Paris
partagerollt avec les Parisiens le service de la
ville et de tons les établissements publics.
Comme la journéc était avancée, on decide
que la séance sera permanente jusqu'a la fin
de l'appel nominal. A I'instant oú l'appel no-
minal allait eommencer, on demande afixer a
quel nombré de voix l'arrét doit étre rendu.
Lehardy propose les denx tiers des voix,
comme dans les tribunanx criminels. Danton ,




CONVENTION NATIONALE (1793). 401
qui venait d'arriver de llelgique, s'y oppose
fortement, et requiert la simple majorité, c'est-
á-dire la moitié des voix plus une. Lanjuinais
s'expose a de nouveaux orages, en demandant.
qu'apres tant de violationarles formes de la
justice, on observe au rnoins celle qui exige
les deux tiers des suffrages. - Nous votons,
s'écrie-t-il , sous le poignard et le canon des
factieux.-A ces mots , de nombreux cris s'éle-
vent, et la convention termine le débat, en
déclarant que la forme de ses décrets est uni-
que, et que, d'apres cette forme, ils sont tous
rendus a la simple majorité.


Il est sept heures el demie du soir, et l'appel
nominal commence pour durer toute la nuit.
Les uns prononeent sirnplemeut la mort ; les
autres se déclarent pour la détention , et le han-
nissement ala paix; un certain nombre vote
la mort avec une restriction , c'est d'examiner
s'il ne serait pas convenable de surseoir al'exé-
cution. Mailhe était l'auteur de cette restric-
tion , qui pouvait sauver Louis XVI, cal' le
temps était tout ici , et un délai équivalait a
une absolution. Un assez grand nombre de
députés s'étaient rangés a cet avis. L'appel
continue au milieu du tumulte. Dans ce mo-
ment , I'intérét qu'avait inspiré Louis XVI était
parvenu jI son cornhle , et beaucoup de mem-


Il1. 26




402 nÉvoLuTlON FRAN9AISE.
hres étaient arrivés avee l'intention de voter
en sa faveur; mais d'autre part aussi , I'achar-
nement de ses ennemis s'était accru, et le
peuple avait fini par identifier la cause de
la république avec la mort du dernier roi,
et a regarder la république comme con-
damnée, et la royauté comme rétablie , si
Louis xvr était sauvé. Effrayés de la fureur
que soulevait eette conviction populaire , beau-
coup de membres redoutaient la gilerre civile,
et , quoique fort émus du sort de Louis XVI,
étaient épouvantés des suites d'un acquitte-
mento Cette erainte devenait plus grande a la
vue de l'assemblée et de la scene qui s'y pas-
sait. A mesure que ehaque député montait l'es-
calier du burean, on se taisait pOllr l'entendre;
mais apres son vote, les mouvements d'ap-
probation et d'improbation s'élevaienr aussitót,
et aceompagnaicnt son retour. Les tribunes
aeeueillaient par des murmures tout vote qui
n'était point pour la mort ; souvent elles adres-
saient al'assemhlée elle-méme (fesgestes mena-
cants. Les députés y répondaient de l'intérieur
de la salle, et il en résultait un échange tu-
multueux de menaces et de paroles injurieuses.
Cette scene sombre el terrible avait ébranlé
toutes les ames, et ehangé bien des résolutions.
Leeointre de Versailles, dont le courage n'était




CONVENTION NATIONALF. ('793). 403
pas douteux , et qui n'avait cessé de gesticuler
contre les tribunes , arrive au hureau , hésite
et laisse tomber de sa bouche le mot inattendu
et terrible: la mort. Vergniaud, qui avait paru
profondément touché du sort de Louis XVI,
et qui avait declaré a des amis que jamais il
ne pourrait condamner ce rnalheureux prince,
Vergniaud , a l'aspect de cette scene désordon-
née, eroit voir la guerre eivile en France, et
prononce un arrét de mort, en y ajoutant
néanmoins l'amendement de Mailhev On I'in-
terroge sur son ehangement d'opinion , et il
répond qu'il a cm voir la gnerre eivile préte
a écIater, et qu'il n'a pas osé mettre en ba-
lance la vie d'un individu avec le salut de la
France,


Presque tous les girondins adopterent l'a-
mendement de Mailhe, Un député dont le vote
excita surtout une vive sensation, fut le duc
d'Orléans. Obligé de se rendre supportable
aux jacobins ou de périr, il prollonr;a la mort
de son parent, et retourna asa place au milieu
de l'agitation causée par son vote. Cette triste
séance dura toute la nuit da 16, et toute la
journée du 17, jusqu'á sept heures du soir.
On attendait le recensément des voix avec une
impatience extraordinaire, Les avenues étaient
remplies d'une fonle immense , au milieu de


26.




404 RÉVOLUTION FRA.N~AISE.
laquelle on se demandait de proehe en proehe
le résultat du scrutin. Dans l'assemblée on était
incertain encore, et on croyait avoir entendu
les mots de réclusion 011 de bannissement pro-
férés aussi souvent que celui de la mort. Sui-
vant les uns, il manquait Un suffrage pour la
condamnation; suivant les autres, la majorité
existait , mais elle n'était que d'une seule voix.
De tontcs parts en fin , on disait qu'un seul avis
pouvait décider la question, et on regardait
avee anxiété si un votant nouveau n'arrivait
pas. En ce moment parait a la tribune un
homme qui s'avance avec peine, et dont 11\ tete
enveloppée annonce un malade. C'est Duchas-
tel, député des Deux-Sevres , qui s'est arraché
de son lit pour venir donner son vote. A cette
vue, des cris tumultueux s'élevent. On prétend
que les machinateurs sont allés le chercher
pour sauver Louis XVI. On veut l'interroger,
mais l'assemblée s'y refuse , et lui donne la
faculté de voter en ve~tu de la décision qui
admettait le suffrage apres l'appel nominal.
Duchastel monte avec fermeté a la tribune, et
au milieu de l'attente universelle prononee le
bannissement.


De nouveaux incidents se succedent. Le mi-
nistre des affaireS étrangeres demande la pa-
role pour cornmuniquer une note du chevalier




CONVENTION N ATIONALE (1793). flo5
d'Ocariz , ambassadeur d'Espagne. Il offrait la
neutralité de l'Espagne , et sa médiation au-
prés de toutes les puissanees, si on Iaissait la
vie a Louis XVI. Les montagnards impatients
prétendent que c'est un incident combiné pour
faire naitre de nouveaux obstacles , et deman-
dent l'ordre du jour. Danton veut que sur-le-
champ on déclare la guerre aI'Espagne. L'as-
semblée adopte l'ordre du jour. On annonee
ensuite une nouvelle demande : ce sont les
défenseurs de Louis XVI qui veulent paraitre
devant l'assernblée pour luí faire nne commu-
nication. Nouveaux cris du coté de la Monta-
gne. Robespierre prétend que toute défense
est terminée, que les conseils n'ont plus rien
a faire entendre a la convention , que l'arrét
est rendu ,et qu'il faut le prononcer. On dé-
cide que les défenseurs ne seront introduits
qu'apres la prononciation de l'arrét,


Vergniaud présidait. « Citoyens, dit -il, je
( vais proclamer le résultat du scrutin. Vous
« garderez, je l'espere , un profond silence.
« Quand la justice a parlé, l'humanité doit
(e avoir son tour. »


L'assernblée était eomposée de sept cent
quarante-neuf membres : quinze étaieut ab-
sents par cornmission , huit par maladie, cinq
n'avaient pas voulu voter, ce qui réduisait le




~06 RÉVOLUTJON FRAN~AISE.
nombre des députés présents asept cent vingt-
un, et la majorité absolue atrois cent soixante-
une voix. Deux eent quatre-vingt-six avaient
voté ponr la détention ou le bannissement
avec différentes couditions, Deux avaient voté
pour les fers ; quarante-six pour la mort avee
sursis , soit jusqu'a la paix , soit jusqu'a la ra-
tifieation de la constitution. Vingt-six s'étaient
prononeés pour la mort, mais, eomme Mailhe,
ils avaient demandé qu'il fút examiné s'il ne
serait pas utile de surseoir a I'exécution. Leur
vote était néanmoins indépendant de cette der-
niere cLause. Trois eent soixante- un avaient
voté pour la mort sans conditipn.


Le" président , avec l'accent de la douleur,
declare au 1I0m de la couventiou que la peine
prononcéecontre Louis Capet est la mort.


Dans ce momeot, on introduit ala barre les
défenseurs de Louis XVI. M.,Deseze prend la
parole, et dit qu'il est envoyé par son client
ponr interjeter appel aupres du penple du ju-
gement rendu par la convention. II s'appuie
sur le petit nombre de voix qui ont décidé la
condamnation , et soutient que, puisque de
tels doutes se sont élevés dans les esprits, il
eonvient d'en référer a la nation elle - mérne.
Tronchet ajoute que le code pénal ayant été
suivi quant a la sévérité de la peine ,on au-




CONVENTlON NATIONALE II 793J. !~o7
rait dú le suivre au moins quant a l'humanité
des forrnes ; et que celle qni exige les denx
tiers des voix n'aurait pas dti étre négligée. Le
vénérable Malesherbes parle a son tour, et,
d'une voix entrecoupée par les sanglots, « Ci-
« toyens, dit-il , je n'ai pas l'habitude de la pa-
« role.... Je vois avec douleur qu'on me refuse
« le temps de rallier mes idées sur la maniere
« de compter les voix .... J'ai beaucoup réflé-
« chi autrefois sur ce sujet; j'ai heaucoup d'ob-
« servations a vous "communiquer mais.. .,
« Citoyens ,... pardonnez mon trouble accor-
« dez-moi jusqu'á demain pour vous présenter
cc mes idées. JJ


L'assemblée est érnue él la vue des larmes et
des cheveux blanchis de ce vénérable vieillard,
« Citoyens, dit Vergniaud aux trois défen-
« seurs, la convention a eutendu vos récla-
« mations; elles étaient pour vous un devoir
« sacré, Veut-on, ajoute-t-il en s'adressant a
« l'assernblée , décerner les honneurs de la
« séance aux défenseurs de Louis?»- Oui,
oui , s'écrie-t-on a l'unanimité.


Robespierre prend aussitót la parole, et
rappelant le décret reudu centre l'appel au
peuple, repousse -la demande des défenseurs.
Guadet veut que, 'sans admettre l'appel au
peuple , 00 accorde vingt - quatre heures a




408 RÉVOLUTION FRAN9A.lSE~
Malesherbes, Merlin de Douai soutient qu'il
n'y a rien a dire sur la maniere de· compter
les voix, cal', si le code pénal qu'on invoque
exige les deux tiers des voix pour la declara-
tion du fait, il n' exige que la simple majorité
pour l'application de la peine. 01', dans le cas
actuel , la culpabilité a été déclarée a la preso
que unanimité des voix ; el des-Iors peu im-
porte que pOUl' la peine on n'ait obtenu que la
simple majorité.


D'apres ces diverses observations, la con-
vention passesa l'ordredu jour sur les récla-
mations des défenseurs , déclare HuI l'appel
de Louis, et renvoie au lendemain la question
du sursis. Le lendemain 18, on prétend que
I'énumération des votes ne s'est pas faite exac-
tement, et on demande qu'elle soit recom-
mencée. Toute la journée se passe en contesta-
tions; enfin le calcul est reconnu exact, et on
est obligé de remettre au jour suivant la ques-
tion du sursis,


Le (9 enfin, on agite cette derniere ques-
tion. e'étai t rernettre en probleme tout le pro-
ces, cal' un délai était pour Louis XVI la vie
mérne. Aussi , apres avoir épuisé toutes les rai-
sons, en discutant la peine et l'appel, les gi-
rondins et ceux qui voulaient sauver Louis XVI
He savaient plus quels moyens em ployer ; ils




CONVf:NTION NATIONA.LE (1793). 40v
alléguéreut eneore des raisons politiques ; mais,
on leur répondit que si Louis XVI était mort,
on s'armerait pour le venger; que s'il était vi-
vant et détenu, on s'armerait de méme pour le
délivrer , et que par conséquent les résultats
seraient les -mémes. Barreré prétendit qu'il
était indigne de promener ainsi une tete dans
les cours étrangeres , et de stipuler la vie ou la
mort d'un condamné eomme un article de
traité. JI ajouta que ce serait une cruauté pour
Louis X VI lui-méme , qui mourrait achaque
mouvement des armées. L'assemblée , fermant
aussitót la discussion , décida que chaque memo
bre voterait par oui ou par non sans désem-
parer. Le 20 janvier, a trois heures du matin,
l'appel nominal est terminé, et le président
déclare , a la majorité de trois cent quatre-
vingts voix sur trois cent dix, qu'il ne sera
pas sursis a l'exécution de Louis Capet.


Dans cet instant il arrrve une lettrede
Kersaint. Ce député donne sa dérnission. Il ne
peut plus, dit-il a l'assemblée , sllpporter la
honte de s'asseoir dans son enceinte avec des
hornmes de sang, a101's que leur avis, précédé
de la terreur , l'emporte sur celui des gens de
bien, alors que Marat l'emporte sur Pétion.
Cette lettre cause une rumeur extraordinaire,
Gensonné prend la parole et choisit cette oc-




41 a nÉVOLUTION }'IlAN«;;:AISl:.
'casion de se venger sur les septembriseurs du
décret de mort qu'on venait de rendre. « Ce
t( n'était rien , disait - il , que d'avoir puni les
"« attentats de la tyrannie, si on ne punissait
r d'autres attentats plus redoutables. On n'a-
« vait rempli que la moitié de sa tache, si on
« ne punissait pas les forfaits de septembre,
« et si OIl n'ordonnait pas une instruction
te contre leurs auteurs.» A cette .proposition ,
la plus grande partie de l'assemblée se leve
avec acclamation.-Marat et Tallien s'opposent
a ce mouvement. « Si vous punissez , s'écrient-
« ils , les auteurs de septembre, punissez aussi
( les conspirateurs qui étaient retranchés au
« cháteau dans la journée du 10 aout.» Aussi-
tót l'assemblée, accueillant toutes ces deman-
des, ordonne au rsinistre de la justice de
poursuivre tout :'t la fois les auteurs des bri-
gandages comm is dans les premiers jours de
septembre, les individus trouvés les armes a
la main dans le chateau pendant la nuit du 9
au 10, el les fonctionnaires qui avaieut quitté
leur poste pour revenir a Paris conspireravec
la cauro


Louis XVIétaitdé6nitivement condamné ; au-
cun sursis ne pouvait différer le moment de la
sentence ,et tous lesmoyens imaginés pour recu-
ler l'instant fatal étaient épuisés, Tous les mern-





CONVENTION NATIONALE (1793). 411
bres da cóté droit, les rovalistes secrets comme


J


les républicains , étaient également consternés
et de eette sentence cruelle , et de l'ascendant
que venait d'acquérir la Montagne. Dans Paris
régnait une stupeur profonde; l'audace da
nouveau gouveruement avait produit l'effet 01'-
dinaire de la force sur les masses ; elle avait pa-
ralysé, réd uit au s ilence le plus grand nombre,
et excité seulement l'indignation de quelqnes
ames plus forres. Il y avait encore quelques
anciens serviteurs de Louis XVI, qnelques jeu-
nes seigneurs, qnelques gardes-du-corps, qui
se proposaient, dit-on , de voler au secours du
monarque et de l'arracher au supplice. Mais se
voir, s'entendre , se concerter au milieu de la
terreur profonde des uns , et de la surveilIanee
si active des autres , était impraticable, et tout
ce qui était possible, c'était de tenter quelques
actes isolés de désespoir. Les jacobins , charrnés
de lenr triomphe, en étaient cependant éton-
ués , et ils se recommandaient de se teuir serrés
pendant les deruieres vingt-quatreheures, d'en-
voyer des cornmissaires a toutes les autorités,
a la commune , a l'état-major de la garde na-
rionale , au département , au conseil exécutif,
pour réveiller leur zele , et assurer l'exécution
de l'arrét. Ils se disaient que cette exécutiou
aurait lieu , qu'elle était infaillible ; mais , au




412 nÉvoLuTION FRAN9AISE.
soin qu'ils mettaient a le répéter , on voyait
qu'ils n'y croyaient pas entierement. Ce sup-
plice d'un roi, au sein d'un pays qui trois an-
nées auparavant était, par les rnoeurs , les usages
et les lois, une monarchie absolue, paraissait
encore douteux, et ne devenait croyable qu'a-
pres l'événement.


Le conseil exécutif était chargé de la dou-
loureuse mission de [aire exécuter la sentence.
Tous les ministres étaient réunis dans la salle
de leurs séances , et frappés de consternation.
Garat , comme ministre de la justice, était chargé
dn plus pénible de tous les roles, celui d'aHer
sigllifier aLouis XVI les décrets de la conven-
tion. II se rend au Temple, accontpagné de San-
terre , d'une députation de la commune et du
tribunal criminel, et du secrétaire du conseil
exécutif. Louis XVI attendait depuis quatre
jours ses défenseurs , et dernandait en vain a
les voir. Le 20 janvier, a deux heures d'aprés
midi , il les attendait encore, Iorsque tour-á-
COllp il entend le bruit d'un c~rtége nornbreux;
il s'avance , et apercoit les envoyés du conseil
exécutif. Il s'arréte avec dignité sur la porte de
sa chamhre , et ne parait point ému, Garat lui
dit alors avec tristesse qu'íl est chargé de Iui
communiquer les décrets de la convention.
Grouvellc, secrétaire du conseil exécutif, en




CONVJ.:NTrhN NA.TIONUJ.: ('793). 413
fait la lecture. Le premier declare Louis XVI
coupable d'attentat contre la súreté générale
de l'état; le second le condamne amort; le troi-
sieme rejette tout appel au peuple; le qua-
trieme enfin ordonne l'exécution sous vingt-
quatre heures. Louis, promenant sur tous ceux
qui l'entouraient un regard tranquille, prend
l'arrét des mains de Grouvelle , l'enferme dans
sa poche, et lit aGarat une lettre dans laquelle
il demandait a la convention trois jours pour
se pnéparer amourir , un confesseur pour l'as-
sister dans ses derniers mornents , la faculté de
voir sa famille, et la permission pOllr elle de
sortir de France. Garat prit la lettre, en pro-
mettant d'aller la remettre de suite ala conven-
tion. Le roi luí donna en méme temps l'adresse
de l'ecclésiastique dont il désirait recevoir les
derniers secours.


Louis XVI rentra avec beaucoup de calme,
demanda á diner , et mangea comme a l'ordi-
naire. On avait retiré les couteaux, et on refu-
sait de les lui donner. ( Me croit-on assez
« láche , dit-il avec dignité, pour attenter a
« ma vie? Je suis innocent, et je saurai mourir
« sans crainte, ) Il fut obligé de se passer de
couteau; il acheva son repas, rentra dans son
appartement, et attendit avec sang-froid la ré-
ponse a sa lettre,




414 RÉVOLl1TION FRANC;;AI5J.:.
La convention refusa le sursis , mais accorda .


ton tes les autres demandes. Garat envoya cher-
cherM. Edgeworth de Firrnont , l' ecclésiastique
dont Louis XVI avait fait choix ; ille fit monter
dans sa voiture , et le conduisit lui - mérne au
Temple. Il arriva a six heures , et se présenta
dans la grande tour, accom pagné de Santerre.
Il apprit an roi que la convention luiperrnet-
tait d'appeler un ministre du culte, el de voir
sa famille sans témoins, mais qu'el1e rejetait la
demande d'un snrsis.


Garat ajouta que M. Edgeworth était arrivé ,
qu'il était dans la salle du conseil , et qu'on al-
lait l'introduire. Garat se retira, toujours plus
surpris et plus touché de la tranquille magna-
nimité du prince.


A peine introduit aupres du roí, M. Edge-
worth voulut se jeter a ses pieds, mais le roí
le releva aussitót , et versa avec luí des larmes
d'attendrissernent, Il Iui dernanda ensuite , avec
une vive curiosité , des nouvelles du clergé de
France, de plusieurs évéques , et surtout de
l'archevéque de Paris, et le pria d'assurer ce
dernier qu'il mourait fidélement attaché a sa
communion. Huit heures étant sonnées, il se
leva, pria M. Edgeworth d'attendre, et sortit
avec émotion, en disant qu'il allait voir sa fa-
milIe. Les municipaux , n{~ voulant pas perdre





CONVRNTION N ATION ALE (1793). • 4r 5
de vue la personne du roi, mérne pendant qu'il
serait avec sa famille, avaient décidé qu'il la
verrait dans la salle amanger, qui était fermée
par une porle vitrée, et dans laquelle on pou-
vait apercevoir tous ses mouvements sans en-
tendre ses paroles. Le roi s'y rendir, et fi t placer
de l'eau sur une table pour secourir les prin-
cesses , si elles en avaient besoin. Il se prome-
nait avec anxiété, attendant le moment dou-
loureux oú paraitraient les étres qui Iui étaient
si chers. Ahuit heures et demie la porte s'ouvrit ;
Jareine,tenantle dauphin parla main, madame
Élisabeth , madame Royale, se précipitérent


dans les bras de Louis XVI, en poussant des
sanglots. La porte fut fermée, et les muni-
cipaux , Cléry, M. Edgeworth, se placerent
devant le vitrage pour étre témoins de cette en-
trevue déchirante. Ce ne fut pendant le premier
mament qu'une scene de confusion et de déses-
poir. Les cris, les lamentations empéchaient
de rien distinguer. Enfin les larmes tarirent ,
la conversation devint plus tranquille, et les
princesses, tenant toujours le roi embrassé, lui
parlerent quelque temps a voi'x hasse. Aprés
un entretien assez long, melé de silence et d'a-
battement, il se leva pour se soustraire a cette
situation douloureuse , et promit de les revoir
le lendemain matin ahuit heures.-Nous le pra-




416 RÉVOLUTION ¡"RAN~~A.ISE.
mettez-vous? lui dcmanderent avec instance les
princesses. - Oui , oui , répondit le roi avec
douleur. Dans ce moment la reine l'avait saisi
par un bras, madame Élísabeth par l'autre ;
madame Royale tenait son pe re ernhrassé par
le milieu du corps, et le jeune prince était
devant luí, donnant la main a sa mere et a sa
tanteo Au moment de sortir , madame Royale
tomba évanouie; on l'emporta aussitót , et le
roi retonrna aupres de M. Edgeworth, accablé
de cette scene cruelle. Apres quelques ins-
tants , il parvint a se remettre, et recouvra
tout son calme.


. M. Edgeworth lui offrit alors de lui dire la
messe, qu'il n'avait pas entendue depuis long-
temps. Aprés quelques difficultés, la cornmune
consentit acette cérémonie , et on fit demander
a l'église voisine les ornements nécessaires pour
le lendemain matin. Le roi se coucha vers mi-
nuit , en recommandant a Cléry de l'éveiller
avant cinq heures. M. Edgeworth se jeta sur un
lit; Cléry resta debout prés le chevet de son
maitre , contemplant le sommeil paisible dont
il jouissait a la veille de l'échafaud.


Pendant que ceci se passait au Temple, une
scéne épouvantabIe avait ea líen dans Paris.
Quelques ames indignées fermentaient <;a et
la, taudis que la masse, OH indifférente ou




...


CONVENTlON NATIONALE (1793).417
terrifiée , demeurait immobile. Un garde-du-
eorps, nommé Páris , avait résolu de venger
la mort de Louis XVI sur I'un de ses juges.
Lepelletier-Saint-Fargeau avait , cornme heau-
eoup d'hornmes de son rang, voté la mort,
pour faire oublier sa naissance et sa fortune,
Il avait excité plus d'indignation chez les roya-
listes, a cause mérne de la classe a laquelle il
appartenait. Le 20 au soir , chez un restaura-
teur du Palais-Royal , on le montra au garde-
du-corps Páris , tandis qu'il se mettait atable.
Lejeune homme, revétu d'une grande houppe-
lande, se présente et lui dit : - C'est toi, scé-
lérat de Lepelletier, qui as voté la mort du roi?
- Oui, répond celui-ci, mais je ne suis pas
un scélérat , j'ai voté selon rna conscience. -
Tiens, reprend Páris , voilá pour ta récom-
pense; et iI lui enfonce son sabre dans le
flanco Lepelletier tombe, et Páris disparait
sans qu'on ait le temps de s'ernparer de sa per-
sonne.


La nouvelle de cet événernent se répand
aussitót de toutes parts. On le dénonce a la
couvention, aux Jacobins , a la commune ;
et eette nouvelle donne plus de eonsistance
aux bruits d'une eonspiration des royalistes,
teudant a massacrer le coté gauehe et a déli-
vrer le roi an pied de I'échafaud. Les jacobins


FH, 27




t.I8 nÉvoLuTION FRAN<:AJSF..
se déclarent en permanence, et envoient de
nouveaux commissaires a toutes les autorités ,
a toutes les sections, ponr réveiller le zele el
mettre la popnlation entiere sous les armes.


Le lendemain 2.1 janvier,cinq heures avaient
sormé an Temple. Le roi s'éveille , appelle Cléry,
lui demande l'heure , et s'habille avec beau-
coup de calme. Il s'applaudit d'avoir retrouvé
ses forces dans le somrneil. Cléry allumedu feu,
transporte une cornmode dont il fait un aute!.
M.. Edgeworth se revét des ornements ponti-
ficaux , et commence acélébrer la messe ; CIéry
la sert , el le roí l'entend agenoux avec le plus
grand recueillement. Il reeoit ensuite la com-
munion des mains de M. Edgeworth, et apres
la messe , se.releve plein de forces, et attendant
avec calme le moment d'aller a l'échafaud. n
demande des ciseaux ponr couper ses cheveux
lui-méme , et se soustraire a cette humiIiante
opération faite de la main des bourreaux; mais
la cornmune les lui refuse par défiance.


Dans ce moment, le tambour battait dans la
capitale. Tous ceux qUI faisaient partie des sec- ,
tions arrnées se renclaient a.Ieur- compagnie
avec une complete soumission; ceux qu'aucune
obligation n'appelait afigurer dans cette ter-
rible journée se cachaienl chez eux. Les portes,
les fenétres étaient fermées, et chacun atten-




a
.-


¿


CONVE:NTION NATIONALE (1793). 4[9
dait chez soi la fin de ce triste événement. On
disait que quatre OH cinq cents hommesdé-
voués devaient fondre sur la voiture , et en-
lever leroi. La convention, la commune, le
conseil exécutif, les jacobins, étaient en séance.


A huit heures du matin, Santerre, avec une
députation de la commune, du départernent
et du tribunal criminel, se rend au Temple.
Lonis XVI, en entendant le hruit , se leve et
se dispose a partir. Il n'avait pas voulu revoir
sa famille pour ne pas renouveler la triste
scene de la veille. Il charge Cléry de faire pour
lui ses adieux a sa femme, a sa soeur et ases
enfants; il lui donne un cachet, des cheveux
etdivers bijoux, avee comrnission de les leur
remettre. Il lui serre ensuite la main en le re-
merciant de ses services. Apréscela , il s'a-
dresse a l'un des municipaux en le priant de
transmettre son testament a-lacommune. Ce
municipal était un ancien prétre , nornmé
Jacques Roux, qui lui répond brutalement
qu'il est chargé de le conduire au supplice, et
non de faire ses cornmissions. Un autre s'en
charge, et Louis, se retournant vers le cor-
tége"donne avecassurance le signal d~ départ.


Des officiers de gendarmerie étaient placés
sur le devant de Ia.voiture ; le .roi el M. Edge-
worth étaient assis dans le fondo Pendant la




4:w RÉVOLllTION FRANc,.:AISE.
route, qui fut assez longue , le roi lisait, dans
le bréviaire de M. Edgeworth, les priéres des
agonisants, et les deux gendarmes étaient con-
fondus de sa piété et de sa résignation tran-
quille. Ils avaient, dit-on , la commission de le
frapper si la voiture était attaquée. Cependant
aucun,e démonstration hostile n'eut lieu depuis
le Temple jusqu'a la place de la Révolution.
Une multitude armée bordait la haie : la voi-
ture s'avancait lentement et au milieu d'un
silence universel. Sur la place de la Révolution,
un grand espace avait été laissé vide autour de
l'échafaud. Des canons environnaient cet es.-
pace; les fédérés les plus exaltés étaient placés
autour de l'échafaud, el la vile populace, tou-
jours préte a outrager le génie, la vertu, le
malheur, quand on lui en donne le signal, se
pressait derriere les rangs des fédérés, et don-
nait seule quelques signes extérieurs de satis-
faction, tandis que partout on ensevelissait au
fond de son coeur les sentiments qu'on éprou-
vait. A dix heures dix minutes, la voiture s'ar-
rete. Louis XVI, se levant avec force, descend
sur la place. Trois bourreaux se présentent;
illes repousse et se déshabille lui-méme. Mais
voyant qu'ils voulaient lui lier les mains , il
éprouve un mouvement d'indignation , et sem-
ble prét a se défendre. M. Edgeworth, dont




...


eONVENTION NATION ALE (l793). 421
toutes les paroles furent alors sublimes, lui
adresse un dernier regard, et lui dit: « Souffrez
(( cet outrage comme une derniere ressemblance
'( avee le Dieu qui va étre votre réeompense. »
A ces mots , la victime résignée et soumise se
laisse Iier et conduire al'échafaud. Tout-á-coup
Louis fait un pas, se sépare des bourreaux,
et s'avance pour parler au peuple. ( Francais ,
« dit-il d'une voix forte, je meurs innocent des
« crimes qu'on m'impute ; je pardonne aux au-
« teurs de ma mort, et je demande que mon
( sang ne retombe pas sur la France. » Il allait
continuer, mais aussitót l'ordre de battre est
donné aux tambours; leur roulement couvre
la voix du prince, les hourreaux s'en empa-
rent , et M. Edgeworth lui dit ces paroles : Fils
de saint Louis montez au ciel! - A peine le
sang avait-il coulé, que des furieux y trempent
leurs piques et leurs mouchoirs , se répandent
dans Paris en criant vive la république l »ioe
la nation! et vont jusqu'aux portes du Temple,
montrer la brutale et fausse joie que la mu]-
titude manifeste a la naissance, a l'avénement,
et ala chute de tous les princes.


FIN DU TOME TROISIEME.






"'Hl•• ee..Ht..oa""""""""""'''''••o-.Hi"'''.''~''''


TABI.E
DES CHAPITRES


CONTENUS DANS LE TOME TROISÜMF..


CHAPITRE l.
Suite et fin de la journée du 10 aoút. - Rappel du minis-


tére girondin; Danton est nomrné ministre de la justice.
- État de la familleroyale.- Situation des partis dans
l'assemblée et au dehors aprés le 10 aoút. - Organisa-
tion et influence de la commune j pouvoirs nombreux
qu'elle s'arroge j son opposition avec l'assemblée. -
Érection d'un tribunal criminel extraordinaire. _ État
des ar~ées aprés le 10 aoüt. Résistance de Lafayette au
nouveau gouvernement. Décrété d'accusation , il quittc
son armée et la France ; est mis aux fers par les Autri-
chiens. - Position de Dumouriez, - Dispositions des
puissances, et situation réciproque des armées coalisées
et des armées francaises, - Prise de Longwy par les
Prussiens; agitation de París a eette nouvelle. - Me-
sures révolutionnaires prises par la cornmune ; arresta-
tions des suspects. - Massacres daos les prisons les 2,
3, 4, 5 et 6 septembre. Principales scénes et circons-
tances de ces journór-s sanglantes.. . . . . . . . . . . . . . 3




TABLE DES CllA.PlTlln5.


CHAPITRE JI.
Campagne de I'Argonne._ Plans militaires de Dumouricz.


- Prise du camp de Grand-Pré par les Prussiens.-
Victoire de Valmy. - Retraite des coalisés ; bruitssur
les causes de cette retraite ... ' . . . . . . . . . . . . . .• 93


CHAPJTRE 111.
Nouveaux massacres des prisonníers aVersaílles. -Ablls


de pouvoir et dilapidations de la commune. - Élec- .
tions des députés a la convention. - Composition de
la députation de Paris. - Position el projets des gi-
rondins; caractére des chefs de ce parti; du fédéralisme.
-État du partí parisien et de la commune---Duverture
de la convention nationale le 2.0 septembre 1792.; abo-
lition de la royauté; établissernent de la républiquev-c-
Premiére lutte des girondins et des montagnards; dé-
nonciation de Robespierre et de Marat. - Déclaration
de l'unité et de I'indivisibilité de la république. -Dis-
tribution ~t forces des partis dans la convention. -
Changements dans le pouvoir exécutif. - Danton quitte
son ministére. - Création de divers comités adminis-
tratifs et du comité de constitution 133


CHAPJTRE IV.
Situation militaire a la fin d'octobre 1792.. - Bombarde-


ment de Lille par les Autrichiens; prise de liYorms el
de Mayence par Custine. - Faute de nos gl;nérulIx.-
Mauvaises opérations de Custine. - Armée des Alpes.
Conquéte de la Savoie et de Nice. - Dumouriez se
rend aParis; sa position al'égard. des partis. - In-




a •


TA.BLE DES CHAPIT~S.


fluenee et organisation du club des Jacobins. - ttat de
la société francaise; salons de Paris. - Entrevue de
Marat et de Dumouriez. Anecdote. - Seconde lutte des
girondins avec les montagnards; Louvet dénonce Ro-
bespierre; réponse de Robespierre; l'assemblée ne
donne pas suite a son accusation. - Premiéres pro-
positions sur le preces de Louis XVI.. . . . . • . . .. IgI


CHAPITRE V.
Suite des opérations militaires de Dumouriez..r- Modifi·


cations dans le ministére. Paehe ministre de la guerreo
- Victoire de Jemmapes. - Situation morale et poli-
tique de la Belgique; conduite politique de Dumouriez.
-,. Prise de Gand, de Mons, de Bruxelles, de Namur,
d' Anvers; conquéte de la Belgique jusqu'á la Meuse.-
Changements dans l'adrninistration militaire; mésintel-
ligenee de Dumouriez avec la eonvention et les minis-
tres. - Notre position aux Alpes et aux Pyrénées. 249


'CHAPITRE VI.
Etat des partis au moment du procés de Louis XVI. -


Caractére et opinions des membres du ministére aeette
époque, Roland,Pache, Lebrun, Garat, Monge et Cla-
viere. - Détails sur la vie intérieure de la famille royale
dans la tour du Temple. "- Conimencement de la dis-
cussion sur la mise en jugement de Louis XVI; résumé
des débats; opinion de Saint-Just, - Etat fáeheux des
subsistances; détails et qucstions d'économic politique.
- Discours de Robespierre sur le jugement du roÍ.-
La eonvention décréte que le ror sera jugé par elle. -
Papiers trouvés dansl'armoire de fer. - Premier inter-
rogatoire de Louis XVI a la eonvention. - ehoc des


III. 28




TABLE DES CHAPITRES.


opinions et des intéréts pendant le preces; inquiétude
des jaeobins. - Position du due d'Orléans , on propose
son bannissement. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 2901


CHAPITRE VII.
Continuation du preces de Louis XVI. Sa défense. - Dé-


bats tumultueux a la convention. - Les girondins pro-
posent l'appel au peuplc; opinion du député Salles;
discours de Robespierre; discours de Vergniaud. -
Position des questions. - Louis XVI est déelaré eou-
pable et condamné a mort , sans appel au peuple et
sans sursis a l'exécution. Détails sur les débats et les
votes émis. - Assassinat du député Lepelletier Saint-
Fargeau. Agitation dans Paris. - Louis XVI fait ses
adieux asa famille; ses derniers moments dans la prison
et sur l'éehafaud 367


FIN DE I,A. TA.BLE.