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AVIS.


A ces OBsERVATloNsil faut joindre )'ouvrage suivant :


LOls CRIMIl'IELLES, extraites de la collection in-4°,
dite du Louvre, et du Bulletin des lois, Recueil
composé en exécution de l'avis du Conseil d'État
du 7 janvier 1813. sur la commis'Sion spéciale de
M. le garde-des-sceaux ; par M. Dupin. - Paris,
182 t, 2 vol. in-S· reliés en un seul.


Ce Recueil oomprcnd les lois el réglemens qui servent d.
complément aux Codes de 1810. 11 contient, en outre, par
forme d'Appendice, les Codes de 179' et de l'an IV, et touteslcs
10ís d'exception promulguées depuis 1814. Le tout accompagn"-
de uotea et de eonféreuce., et .:tune table Gé~énde des matiereli.




SUR


PIJUSIEURS POINTS I~IPORTANS
DE


NOTRE LÉGISLATION CRIMINELI.¡E;


PAR M. DUPIN,
DOCTEUR EN DROIT ET AVOCAT A LA COUR ROYALE DE PARIS.


, .


. . . . . . . Longa est injuria, longre
Ambages, sed summa sequar fastigia rerum.


VIlIG • ..Eneid.liv. I.


PARIS.
BAUDOUIN FRERES,


--
JUIN 18.21.






TABLE DES- MATIERES .


_s_


OBSERVATIONS PB.ELIHINAIRES. 1
CHAPITRE lO.. - De la Justice en général; 6
CHAPITU D • ..;.... Du Pouvoir judiciaíre. 11
CHAPITl\E IlI. - Nécessité t:f observer les Formes. 24
CHAPITRE IV. - Des principaux rices del'ínstruc-


tíon criminelle.
S l. - Observati9ns générales sur l'Instruction.
S 2. - Violation de domicile.
S 3. -Des Arrestations.
S 4· - lnstruction préalable a la Police.
S 5 ...... Longueur indéfinie de I'I;ns~r:uction.
S 6. - Élargissement provisoire sous caution.
S. .'}. - T élégraphes ofliciers de police j udiciaire. 71
§ 8: - Du .Se~re,\.¡ . " 72
§ 9.-Du Choix d'unconseil. 80
§ 10. -Communication de l'accusé avec son


conseil; - Communication de la procédure,
et du Secret de l'instruction'.194


CHAPITRE V. - De l' AccusatÚm. \~,:~ .. ~
§ l. -Des Accusalions en généraJ. ;;'.107


. § 2. -Des Actes d'accusation. l 112
~ 3. -Des Faits généraux.:l'l5


'CHAPITRE VI. - Des DélJats.
S l. - Pub licité des débats; - Police de l' au-


dieDce.
·'¡~t·F


125


".


l ..


.~.




( ij )
§ 2. - Des PrésideDs d' assises, et de Ieur O.ffice. ) 34
§ 3. -Pouvoird~serétionnaire.. 136
S 4· -Lecture.de·l'acted·accllS~tioD;--Exposé


ie )'affaire. 14G
§ t:-Interrogatoire des aecusés. 142
§ 6. - Intenogatoire des témoins. 148
§ 7. - Diseussions avee les avoeats; -Liberté


de la défense. 157
§ 8. - Di$CoQrs des aecusé!!. 167
§ 9' - Unaecusépeut-il rCDOBceriue.défendre? 168
§ lo.-Du Mij1ist~re publ~c. 172
§ 11.~R.é$Q.méa de& ,ptéii¡;\~ns. 175


CHAPITRE VII. - Du Jur.r.
S' l. -Abus' dans l'otganisationactnelle du


Jury. 177
,§ 2. - ChangemeJls et ~:dté1ihrat~ons própo'Sés


dans 1* órga ilisa' tiOli' aduelle d ti Jury. 185
§ 3. ~ ltééiÚati'oil deS- J tirés~' J 87
§ 4. - De l:appréciatíon des Qualités des JurlÍs. 189
§ 5. - Poürquoi ·Ies J'urés ne dotl~nt-ils pas:


Ieur déclaratiou,sans déseD1'.,á~er? 190
S 6. - CommunicatidÍide~ 'fIieces aax Jurés. J91
§ 7. -.:. De la máiorité nécessaíre pour condam-


ner.


§ 8. -Jl1ry mi-partí.
;~ 9' - Position des questldns.
§'~I O. - AvatJ'táges du Jury. : ,


ClIAr;TRE VIII. - Du JUfcment ..


. '


S I. -Des Jugemens pa~.coDtulllac,e.
§ 2. -Frais .
~ 3.-DesAppels, :l2t




( ¡ii )
CUkPITRE IX. - Des peines ~t d~ l' exlclltion de,;


condamnations.
§ l. -De la douceur des peines et de lenr pro-


portion avec le délit. 22~
§ 2.-De la Peinedemort. 226
S 3. -Lieu public d'exécütion. 230
S 4. - Le droit de p€teter Pe peuple doit--il4cre


accordé aux.condamnés.?· 231
S 5. -L'Emprisonnement antérieur a]a ~on-


damnation devrait compter pour ]a peine. 23:1
§ 6. - Amélioration des prisons. 233
S 7· -Nullités; -Cassation. 247
§ 8. -Amende pour se pourvoir en cassation. 248
§ 9·-Questions d'idelltité. 249
S 10. - Grice; - Commutation de peine. 251
§ J r.-Révision des proces ;-Réhabilitation. 252


CHAPITREX. -Ahus dedétail, qu'il dépendrait de
l'autorité defaire cesser;- J7i~e$, non des lois,
mals des hommes. .


§ t.-De la Délation.
§ 2. - De la non-révélation.
S 3. - Du Secret des Jettres.
§ 4. - Corruption de domestiques.
§ 5. - Des Agens provoéateurs.


CHAPITRE XI. - Questions particlI/i(>res.


..


S J. - Délits de ]a presse; - Calomnies par la .
voie de la presse. 276


§ 2. - Emploi de la force publique dans les sé-
ditions. 286


S 3. - Dommages-intér~ts auX accuiés recon-
nUi lunoceni.




( iv )
S 4· -Loís d·exception. 2g1
S 5.-DueJs. 291-
§ 6. - Délits militaires; -Délit commun ; -


Justice des Suisses. 2tji
§ ']. - Censure d~s Journaux, dans le compte


rendu des débats judiciaires. 300
MÉlIOll\.E ,CONTENANT DES OBSERVA.TIONS SUR L'OliDON-


NANCE DU 24 JUlLLET 1815. 31 r


FIN DE LA TABLE DES MATlEREs •





...


OBSERVATIONS
'S118.


PLusíitüks POINTS ÍMPORTANS
DE NOTB.E tÉGISLATION CRIMINEtLE~


._ 'A.


Observations Préliminai'res .


. ..


J B d~~réqü'on ne se méprérin~ poitlt SUr I~
caractere des réflexiotm aux<lu.elles jt! vaism~
livrer. .
'- Ce ü' eSl polot l't;sprit de partl qúi m'iós-
pire·; je ne dais doht pas eti'e jugé par l'esprit
de parti.


Je ri'éti'is sür les :ibüs dé noti'e législatmil
cdmin.,Ue, ni patitO le váin plaisit (te érItiqfter,
ni á.Vec I'~thetiúme d'an ineehi1teht uü la mál..:
veilhiIicé . d'Í'fIÍ elitrémi; máis tlans tia désil'


1




( :1 )


sincere de voir s'améliorer nos lois ltis plus
précieuses, celles qui garantissent le repos,
la liberté, l'honneur, la vie des citoyens; sans
autre passion que ceBe du bien public; sans
nutre chaleur que ceHe qui doit naturellement
animer un ami de l'h~manité, lor~qu'il stipule
dans J'intéret de ses semblables.


J' aime la justice.; tel est, j' ose le dire, le
fonds de mon caractere: je De pl'étends .. Íen
oler a son pouvoir légitime : son action doit
etre forte, prompte, il'résistible; mais elle ne
doit pas seulement etre vellgeresse, j] faut
aussi qu' eÜe se' tnQntre protectrice; il ne faut
pas qu'elle laisse l'innocence et le malheur dé-
pOUl'VUS de moyens ue défense, a la merci de
toute espece d'agression.


Assez d'autres ont écrit dans l'intéret exclusif
du pouvoÍr; qu'il me soit permis d'élever la
voi.t en fa,veurde :ceu~ sur (¡\Ji le pouvoir
s'exerce. Habitué au doux ministere de la dé-
fen~e" iI ne me sera jamais possihle d'y renon-
cero Je consens méme ace titrequ'on se pré-
munisse contr'e mes discours : que 1'0n dise
tant qu'on voudra : (( C'est un avocat qui
» parle; c'est ~~ homme accoutumé, p&r état,
» a prendrele pa~i ,de scs:;cmblables, a les
»excuser,.a les lléfendre des accusalions dOllt




( 3 )
) ils sont l'objet; son premier mouvement est
) de ne voir dans les accusés que des hommes
J) innocens ou malheul'eux; il 'Voudrait qu'on
» tl'aitat un prévenu eomme un homme libre,
" et qu' on usat de ménagemens meme envers
) les criminels; dé6ez-vous de sa philan-
) thropie .... ))


Je n'en écrirai pas moins comme je pense
et eorome je sens.


Assurément, je ne m'aveugle pas au point
de croire que toutes mes remarques obtien-
dront l'assentimeot général: mais je me rends
d'avance le témoignage que je n'aurai rien
écrit que selon ma conscience, et d'apres une
expérience acquise par vingt années de pra-
tique et d'observations.


Je n'entreprendrai point de signalel' tous
les vices de notre législation pénale, et Lous
les ahus qui déshonorent l'administration de
la justice crimjneIJe ... ~ Je n'y suffil'ais point ...


D' ailleurs, il faut se tenil' pOUl' dit qu'il n'y
a point de loi humaine qui ne participe de
l'i06rmité de nob'e nature. On renverserait
tous nos eodes, 00 les recommencerait en en-
tiel', que des vices nouveaux et imprévus vien-
draient prendre la place de ceux qu' Oll aul'ait
voulu détruire : je ne réeuse pas la vérité de


1'"




( ;f )
ceUe maxime, (( qu'a coté de l'avantage d'a-
» méliorer, est le danger d'innover. »


A uSJ3i je ne pro pose point la :févision en-
tiere denos Codescrimillels (1): je ne prétends
ni m' éleyer contre l' esprit despotique, dans
lequel on convient qu'ils 'Ont été c'Onc;us; ni
suivre pied a pied chacun de leurs articles,
pour ea signaler minutieusemenl t'Outes les
imperfections : je ne veux m'attacher qu'a un
petit nombre de points capitaux, que je re-
garde co:uune esse.nlj~l.~; -sui, s'ils étaicnt une
foís l'éformés, feraient disparaitre de notre
législation criminelle les ahus les plus cho-
quans; la rendraient; sin'On parfaite, du moins
plus tolérable, el feraient prendre aux rigueurs
impériales des formes plus appropriées au
régime constitutionnel.


On verra meme que, parmi.les abus que
je signale, il en est plusieurs qui vieunent
moins eneor~ «1:e la loi, que du fait de l'homme;
l'action du gouvernement doit done concourir
ávec ceBe du législateur ponr que les fonc-


(1) Anea d'autres reclament cette révision intégrale.
V oyez les Discours des pairs et des déplltés, S'llr le pro-
jet de loí tendant a modifier l'art. 351 du Cede d'instr.
crimínelle; notammentcelui de M. Bertín de Vaux.




( ,J )
tionnaires n'ajoutent pas a la sévérité des
théories les duretés de la pratique.


Enfin ie ne me dj,ssimttle pas la peine qu'on
éprouve quelquefois a obtenir les réformes
les plus nécessaires, et je n'ai iamais oublié le
I¡'ait suivantde Benolt XIV. Aucun pape, avant
lui, n'avait eu plus de moyens pour raffermil'
l'ordre public en opérant les changemens uni-
ver~ellement désirés. Il savait les vérités im-
primées depms-d'añs la R~/orma d' Italia. 11
avait été vingt ans avocal; et c'était un gra~
jUl'isconsulte. En 3rrivant 3ft trooe pontifical ~
iI entendit ce cri d'un réformateur : Dalla parte
di Dio, femendazwne di questa citta piena
di scetleratezza e cf abomi1Wzieni : mais il dit
éWCC la~t d'autres, Basta~ basta; sal'al"affare
del Papa che viene. Et s'il resl"ectait les ahu9,
e' était, disait-il, pe,. vlver l'ontano.


(;ombien de ministres raisonnellt de meme!
il:s resistent aux 3méliorations daos la crainte
de déplaire a ceux qui profitent ou qui abu-
sent d'€s mauvaises 10is! Hs disent aussi,.
Basta> Basta, sara l' ajfare lid ministro che
viene,. et tout cela per essere ministri piu
tongo tempo.




( 6 )


CHAPITRE PREMIER.


De la Justice en général.


« LES royaumes, sans-Eorr-ortiPe-de justice,
J) ne peuvent avoir durée ni fermeté aueune,»
dil Charles VII dans le préambule de son 01'·
dOl1nance de l'an 145


D'ailleurs, (e la justice ne fonde pas seule-
)j mentIa séeurité des peuples, elle fait aussi
}) ]a vérirable gloire des rois (1). » Les princes
sont estimés de ]a postérité, selon que la jus-
tice a été bien ou mal rendue sous leur regue;
et saint Louis est moins renommé pourses
hérolques expéditious d' outre-mer, que pour
eette impartiale justice qu'il 6t asseoir avec luí
sur le treme, et qu'il sul fai re respecter par son
exemple el par ses ]ois.


Une bonne adminislratiou de la justice sullt
pour rendre tolérab]e un gouvernement dont


(1) Ordonnance du .8 seplembre 1815.




( , )
la constitution serait d'ailleurS tres-imparfaite:
La plupart des hommes, en effet, ignorent
leurs droits politiques, ou négligent de les
exercer, el les oub1ient pour ne s'en 50uvenir
que de 10in en 10ln ; mal5 iI n' en est aueun qui
se montre indifférent SUl' ]a liberté de 5a per-
sonne el la 'propriété paisible de ses biens.
Quandces avantages sont forteinent gar3;htis
aux citoyens, 011 les trouve, pendant long-
temp5 ,patiens sur tout le -reste. e


La plupart des révolutions .Eurent exeitées
par des jugernens iniques. Le décemvir A ppius
veut adjuger a son affranehi la filIe du centu-
rion Virginius, et les légions indignées se sou-
levent contre la tyrannie des décemvirs 1 .


GesIer condamne Guillaume Tell a abattre
d'un coup' de fleche , a grande distance, une
pomme placée 'Sur la tete de son fils; el cette
barbarie devient le signal de l'affranchissement
des cantons !


Chez nous, le premier el le plus puissant
effort de la liberté naissante, fut dirigé contre
la Bastille, paree qu' on y détenait les citoyens
sans jugement !


On nous parle de l'indomptable férocité des
Corses ! Mais chez eux, l'ardeur 'de la ven-
geance est née de la soif de la justice. Inter-




( 8 )
rRg~f¡ l\f. ~éa,Ii,er D~mas '. da,.IS son in,~él'€ls.s¡H,lt
9.\,Q,~c~.1e sur l~ Corse (l). Cf Genes,> di~ <;~t 4a-
hile rn~i,s~r;a.\, G~nes '. qp.i, a,v~it ~p'rou~é l~
y~1~9r. d.e~ Q(;n7sl(s. '. s~ntit b~,en q-g.' elle ~t; PQ.Qr-
r~it 1.1(~ dOl};l,ir;t;er s:ils, étai~,r¡t~ upis. Elk ~n­
tretint l~& hÑ~~sr' excit~ les t:i:v;alités,perpétUfl
]I1S, d~yi~ipn$J et l~s crimes se multiplierent.


)1 S~s "1a~.heureux; Sl,ljets fure!).! J;~d-Wts, a.
soll4:ite.r:, 'rQp;1me uP«r gra,ce, la punition dff!l,
assassins : ils ne put~n1tI9b"~enir.. Le ~ou.v.er­
QeuF qui, e~~9ya,it aqx gil;ler~s ~t a ]a mort
~.:r¿ injorn;ul!ií) c.onsc,ientiá", pqu.~ai~ arrl!tc::r,
t.C!~~es pOUJ;s~ite.s av~c une siml?le for;mul(}
'!-pn proqe,d,qtur. D:,mli l't:sp3¡ce dt; q~atr~ a1J~"
on COrqp:tflr pl!l~ de quau'e mille pt;r,sonnt!s,
<;onq.3¡Dlq.ées ~ux galerf;s, qui toules, opt~p.rt¡nt
leu~ d~l~;vraqf.e a prix, d' argento L~s; Cors~.,
~taie.nt a b9~t. lls. ne pqqvajeut. plus comp.t;~r
surun~justij;e qu'oq. s'obstinaiUde1,lr, ¡;efuser;
de désespoir, ils se la firent eux-meIl1~s.. Et.4~-l~
cetle union des, familIes; de-l~ '. la, 'V:t;ndetta,
qui,rempJ¡if¡aYaction des. tribuna:ux, de-la cnfin
<':~" guerres, déclarées, sou ten ~ es, et. t~rminée,s


{I) M¿moires sur lq Corse, par M, R~ali('r Dumas,
ancien conseiller a la ,Cour royaJe deCorse, actl)eUc~
rnr.nti c,onSf!il\~r, a la C;our royale de, lliom.




( 9 )
'!vec to.~t.es l~s. fOrJ;l1alités du <lrQi.t des
gens. »


ce AQ wilieu de to,Q,1;es. ~s, passion,s" ( dit
eQcore le m~n;te écr¡vai\l ~ pag,e 26, ) l~ Cors~
a COI;lS~I;\{é ~nl p.rofonl\ r.~sp.ect p.o~.x: la, justice;
el ce n'e~t pas.1~ traj.~ le 1lloins, s¡¡.j,llant. Q.e ce
siI)gqij~r ~W;~te. -Lorsqu'un hommt: e~t
a.S.'i3flSiD~" s~ fan~iIle, doit vengez: sa mor~. M;~ú~,
q~e l.'~~siij: soit ~rr,eté ., ~lle atte~ tra,nqp;~­
len;tent la, ~e~teq~e des. ~ribunaux;, et, s.'il esL
coupampé, tqut e~t flni. A. la '1~ité ,. ~'iJ, est,
ahsqqs". la f.amiHe st;. veqge;, m.,~is n:est..,.elle
pas, en, etret" 111()ius coupap)~ que le juge qui
fa; réduj~~ a s~ fa,j.;c jius~ic~ ~lle-meme ?)),


Ce q~i ~s~ Vl'~i. des crim~ or.djp#i~es., l'e,sf;,
égi\\effie:t¡l t qe.~ 4~I¡t~ politiqQ{!S. Si, d~Qs U,u.
p~ys" l~; jq~t.~pel pa!,<\it; ll~eM'~ e;iercée; q~'aQ..
prQi¡.t d'un parti cOn~J" p~r)t~ cQQtrair.e; &i,.
pour les délits du meme gen re , on dép}oie


. un~,s~v.é:ri~, infle:x.iPI~ <;outrel'u,n" t.;tud,is. qu'il
y aQra, inq~lgen,c~ e~~e.S&iv,e " ou mém~ i¡npu.-
QjJ4 p,qur l;aptr~ ; l~s hom~e~de r~pj~ippdi-­
favorisée se croiront dan s l'op'pre~ip~,;, il&,s.e
sentiront intéressés a combattre un ordre de
choses qui les vexe; ils recourront a la vendetta
comme les Cor'ses dont la justlce n'a pas vengé
J'injure; et l'espl'it de parLí [era chez eux ce




( 10 )


que l'esprit de famille produit chaz ces m-
I •


su.alres.
Il est si faciJe d'etre jusle qlland on le veut !


Ne juger que les faits, et non les personnes;
les aCles, et non les opinions ou les pensées ;
pourstlivre el punir tout ee qui est eontraire 11
)á loi , tout ce qui offense les mreurs, tout ce
qui trouble rordre pubIie; par quelque indi-
vidu, en quelque lieu, en quelque temps, el
dllns quelques circon-sfarrces4Ue le mal ait élé
commls : voila le premier devoir du magistral
qui veut qu'on dise de lui : Jl est impartial.


Le erime est toujours erime; eeHe vérité
est triviale; ilfaut done repousser avee éner-
gie le mol représailles qui ne re~oit d'appli-
eation que d~ nalion a nation , entre ennemis ;
et . De peut, sans impiété, servir:'a pillier de
saoglantes· réaetÍ"cins entre eoneitoyens, entre
freres. .. .


En·eore moios faut-iI réeompenser le erime
dont on viendrait nous demander le salaire,
sous prétexte qu'il auraiL· été eommis envers


. ,
nolre ennemI .. o ••




( II )


CHAPITRE II.


Du Pouvoir judiciaire.


ae_


IL n'ya point de liberté, dit le présidenf
de Montesquieu, e( si la puissance de juger
JI n'est pas séparée de la puissance législative
J) el de l' exécutive (1). )1


A ussi, sous Louis XIII, lorsque ce 1110-
narque voulut etre juge dans le prod~s du duc
de Lavalette, le président de Bellievre djt :
ce Qu'il voyait dans cette affaire une chose
J) étrange, un prince opiner au jugement d'uD fc .. '",J..
)} de ses sujets; que les rois ne s' étaient ré- t. l'" ti
») servé que les graces, et qu'ils renvoyaient" 'lilA
i) les condamnations a leurs officjers (2).») ~r._/tI


En 1787, apres l'exil du duc d'Orléans et •
de deux conseillers au Parlement, eette Com-
pagnie envoya vers le Roí pour réclamer les


(1) Esprit des Jois, liv. I J, chapo 6.
(2) Mémoires de Montrésor, tome 2, p. 62.




\ 12 )


exilés. Le roí Fefusa, en disan!:. qu'il avait en
de fortes raÍsolls pour les punir. Le Pal'lement
répliqua que le ro} ll~avait pas le droit de pu-
nir, puisqu'il n'avait pas celui de juger~' qu'il
n'avait que le plus heau de tous les droits,
celui de faire· grace; et il demanda que les
exilés fussent mis en jugement (1). »


En 1 788, M. d'Entraigues établit dans son
Mémoire sur les États- Généraux, « qu'1.l1l
» roi ne peut; en aucnrrct19 ~ exercer le pon-
» voir judiciaire;.... q.u'il doit veiHer au
» maintien des lois, mais non appliqller les
») décisions de la loi. »


eette maxime a été convertie en loi. Le
décret du 25 septemhre 1789, sanctionné par
lettres-patentes de Louis XVI, d~ 5 novemhre
suivaut, porte, artide 19: « Le pouvoir ju-
~ -' .. ;\ J) diciaire ne pourra, en aucun cas, etre exercé
,..'~ .... » par le roí, ni par le corps législatif; mais
~\ .. ~ ~» la justice sera administrée au nom du roi , . .~, .


_ • V V) par les seuls tribunaux établis par la loi,
)) suivant les príncipes de la constitut:ion et
J) sekm les f01~mes déterminées par la J.oi~ ))


Le prod~s de Louis XVI ne fut d'one pas
seulement d'une souvet'aine iniquité, en ce


(1) Moniteur, tome le., pago 192.




( d )
que ce vertueux monarque n'avait pas mérité
la mort; mals ce fut une monstrueuse iUéga-
lité, pal'ce que ceux qui se fil'ent ses juges
n'ayaiént pas le droit de le jager.


D'apres la Charte de 1814, il n'est aucun
cas ou le 1'01 soít appeM a ¡u{ter. Ainsi, on
doit répéter aujourd'hui ce que disait M. d'En-
traigues en 1788 : 1( Le roi ne peut en aucun
)) cas, exercer le pouvoir judiciaire; iI dOlt
) veil1er au maintien des loís, mais nonap-
» pliquer les décisions de la loí. »


La Chambre des députés peut accuser les
ministres; mais elle ne peot pas les juger.
Quant aux simples citoycns, elle ne peut ni
les accuser) ni les juger en aucurt caso


La. Chamhre des pairs peut juger : 1 ft ses
propres m€mbres; 2° les ministres; 5° les
simple' ~ilt)1~liS; dans les C8S exprimés pa-r la
Charte.


Mais, hors ces cas, elle ne peut ni juger, ni
concourir 11 un jugement. Autrement, ce
serait de sa part un exces de pouvoir, un abus
d'autorité.


Il est' done bien important de définir ave e
soin et avant tout, lá compétence de la cour
des pairs. Car sa juridicLion est tGute d'ex-
ception; et la nature ]'>ropni! des exceptions




( 14 )
est de ne pouvoir s'étendre ni d'une persoone
a une autre, ni d'un,eas donné a un cas diffé-
rento


01', qu'il nous soit permis de rappeler que
eette compétence est cependant abandonnée
a un vague etfrayant.


1 0. En ce qui tonche les ministres, l'art. 55
de la Charte dit qu'ils ne peuvent etre accusés
que pour fait de trahison ou de concussion (1).
({ Des lois particulieres (ajoute cet article)
)) spécifieronL cetle nature de délits et en dé-
» termineront la poursuite. IJ


Eh bien ! ces lois particnlieres sont encore
a pOl'ter ; en telle sorte qu'ici , et la forme el
le fond, et la nature des délits qui pourront
motivel' l'accusation, et la maniere dont elle
devra etre poursuivie, tout est a régler.


2°. ce La Chambre des pairs (dit l'article 55)
j) connait des crimes de haute trahison el des


(1) Pour faire une bonne loi sur la respoosabilité
des ministres ~ il semble qu'il suffirait de traduire ces
deux beaux vers de l'Enéide :


Vendidit hie auro patriam, Dominumque patentem
1 mposuit; fixitque leges pretio atque re.fixit.


00 pourrait leur dire ensuite, par forrned'instruction :
Di~cite justitiam moniti, el non temnere Chartam.




( 15 )
») attentats a la súreté de l'État , qlli sont dé-
») finis par la loí. ))
Mai~ ici nouvelle difficulté. Que1s sont ces


crimes? quelle est ]a loi dont l'article 53 a
vou]u parler? est-ce la loi existanle? est-ce
une loi nouvelle a porter?


C'est la loi exislante, discnt les uns, car
l' article 53 parle au pl'ésent. Dans ce cas, dé-
férez done indistinctement a la Cou!' des pail's
lous les erimcs que la loi actuclIe dé6nit cri-
mes de haute trahison; cal' si la Cour des pairs
est appe]ée a en connaitl'e, les autres tribu-
naux restent sans pouvoir pour'les jugel'.


Mais, disent les autres, cela est impossible;
laCour des pairs peut bien juger des hauts-
crimes de haute-trahison; mais non de lous
les crimes auxque]s le Code pénal ordinaire
impl'imt;l (;etLe derniere qualification. Sans
celá, eUe sera a tout instant appelée a j uger
les individus les plus ignobles, les fait.;; les
plus obscurs, les acles les plus llls;gnifians.
Elle ue ferait que jugel', et ses arrels, trap
multipliés, perdraient bi,:mtot de la so]ennité
et du caractere surimposaut (Iu'on a voulu.leur
attl'ibuer.


De-la la division entre ceux qui voudraient
que la compétence de la COUl' des pairs f¿t




( 16 )
réglée ~n raistln de la qual'iie ¿¡es p~ir'sóilires,
et ceux qui voudraient qu'elle rM détednin-ée
par la qualité des faits,. d'é~ta lé 'éonflit ~htre
les Cours royal~s, tp1i, s'e fóífdaiit Sur l'áI'L 55
de la Charte, ont cru tle\7bir renvóyer c~l'­
taines affaires a la Cour des pairs; él. l~ 'Cóu.r
de cassatio'n qui, au co'ntr~iÍ'é, á. pénse que
cet attitle n'empechait pas tout.-a-fait les tbdrs
royales d'en cOllllaitre a.ussÍ; 'de~\~ l''ópinion
de quelques-uns qul ¡iensent tjüe la tóút- d~s
pairs ne peut etre S:1lsie que \lar drdonüahce
du roi, ce qui rendt'áit sa cOII1pétence tout-a-
fait aécidentelle; el d'áutr~s, q\ii bhi lá. pi'e~
tention de penser qué la Cout' des pairs doit
régler eH e-mente s11 propre étHttpételice; de-
la en6u l'arhiti'áire avoué a la trlhun~ itleme
de la Chárnhre des pairs par plusieurs-de sM
membres (1), qui ont fait sentir lá n.p'ces~ite
d'une lói pour régler tont !tIa fois,


ID. Son organisation intérieure en Cour de
justice;


2°. Sa compétence;
50. Et la procédure a suivre devant elle:


(1) Voyez principalement l'Opinion dé M. le prince
de Talleyrand.




( 17 )
car, ici encore, la forme n' est pas mieux dé-
finie que le fondo


Cependant fart. 4 de la Charte stipule comme
premiere garantie de la liberté individuelle,
que « personne oe peut etre arreté ni pour-
» suivi que daos les cas prélJus par la loí, el
» dans Iaforme qu'elle prescrito »


n faut donc, de toute nécessité, une loi qui
détermioe ces cas et qui trace ces formeS avec
précision.


n y a plus de cinq ans que je l'ai dít el im-
primé dans une affaire dont Je souveoir tris-
tement solennel reslera éternellement gravé
daos ma mémoire. (( Si l' on portait, disais-je,
une loi générale, soit· pour l'exécution de
l'artide 55 de la Charte, soit pour la mise
en action des arlic1es 55 et 54, MM. les mi-


. nistres el MM. les pairs, songeant que cette
loi ferait la regle des accusalions dont quel-
que jouriIs pourraient etre l' objet, donne-


. raient a la procédure qu'il s'agirait d'établir,
assez de développement pour etre surs qu'ils
ne pourraient ctre jugés qu'apres un long
exam.en, ~t qu'ils auraient tous les moyens
possibles de se défendre (1).


(1) Mémoire intitulé; Question préjudicielle pour
:11. le maréchal NeJ .


2




( 18 )
)) En discutant eeLte loi, iJs se rappeIle-


}'aient l'histoire du chancelier Poyet. Ayant
été transféré de la Bastille a la Conciergerie,
f;on prod:!s fut instruit de la maniere prescrite
pal' l'ordonnance de 1539, ouvrage de Poyet
fui - méme, et dans laquelle était eette dispo-
sition : « L'accusé sera interpeUé par le juge
» de fournirsur-le-c1zamp ses reproches contre
» le témoin, si aucuns iI a, et averti qu'il n 'y
j) sera plus requ apres avoir entendu la lecture
)) de sa déposition. j) Or, quand on vint a la
confrontation, Poyel., étoUl'di de la foule des
déposiLions a charge co'nlre lui, de la part de
témoins inconnus,' demanda quelque temps
pour se mettre a portée de foufnir des re-
proehes, oubliant que lui-meme s'était privé
de eette ressource pal' l'article 54 de l'ordon-
nance de 1539' Le juge instructeur lui dit :
Patere legem quam ipse tuleris, Soutfre.la loí
que toi-meme as faite (1). j)


(1) Pour plaire a la cour de Rome, Poyet, en cela
digne émule du chancelier Duprat, avait cherché a
introduire dans l'ordonnance de 1539 les formes de
l'lnquisition qui sont , sur tout, ennemies de la
publicité. Il avait ainsi détruit l'ancienne maniere
fran!{aise de procéder. Le Parlement avait résisté de
tout son pouvoir a eeHe inno\'ation, el cela exp1iclue




( 19 )
Poyet fut condamné.
Et remal'quez que, dans cette circonstance,


si la loi était mauvaise, dumoins il y avait
une loi : Dura lex:J sed lex. Le juge était
donc excusable de la suivre; el Poyet , moins
que 10u1 autre, avait le droit de s' en plaindl~e,
puisqu'il en était le détestable auteur : au líeu
qu'ici, on ne peut trop le répéter, iI n'y a pas
de loi : il n'y a que de l'al'bitraire , adouci, je
le veux, par le caractere pel'sonnel des hom-
mes qui en usent; mais enfin c'est de l'arbi-
tmire, de l'arbitraire en matiere criminelle,
c'est-a-dire la ou iI est plus dangereux et plus
intolérable que partout ailleurs ( 1).


Un autre caractere dn pouvoir judiciaire,


la dureté de la l'éponse que lui lit le conseiller rap-
portenr. Dumoulin, en parlant de cette législation
due a Poyet, s'écrie, a,!"~c soli ~\lergie accoutumée :
Pide tyrannicam istills impi;, PO'yeti rpinionem! v2~de
duritiam iniqulssimam per qllam etiam defensio oufir-
tur! Sed nune, judieio Deijusto, REDUNDAT IN AUCTO.REIIf ;
quia majo,. pars judieum 1!Oluit hane servare cimstitu-
tionem hoe mense octobri 1544. Sed est perniciosissima
consequentia. (MOLINOIlUS, tom. 2, Operum, parro 792 et
793.)


(1) Dans l'opinion meme de ceux qui parlentde
l'omnipotence de la Cour des pairs ,it faoorait au
moins qu'unc loi eut décidé que les formes a suivre
2~




( 20 )


est de ne pouvoir elre exercé dignemenL el a
la satisfaction des peuples, que par ues tribu-
lU1UX ordinaires, fixes el permanens, et non
pas par des juges d' exception.


Il existe la-dessus un texte remarquable de
Me Charles Dumoulin, dans son Stylus Par-
lamenti.
C~ jurisconsulte faisant l' éloge des Parle-


mens, bien loin d'établir une solidarité qui eút
paru offensante entre ces Cours souveraines el
les Tribunaux d' exception, croit ne pouvoir
mieux louer ces Cours qu'en rappelant que,
dans l' origine de la monarchie, nos rois s' é-
taient engagés envers le peuple a lui faire
renurebonne et Joya le justice par des tribu-
Ílaux fixes et permanens , afin qu'il pút vivre
en súreté sous la proteclion d'une Cour réglee,-
qu'il pút prendre plus de confiance aux juges
qu'il' aurait habituellement sous ses yeux, et
qu'iI fút a couvert des dangers qu'il courrait
avec des commissaires et autres juges d'ex-
ception ~ qui sont, dit-il, les plus dangereux
de tous (1).
devánt ceUe Cour seraient a la volonté de MM. les Pairs.
Jusque-la eette omnipotence, fut-elle de faít, n'est
Gertainement pas de droit.


(1) Per viam contractus, icto fcedere, erecta sunt et




( 21 )


Aussi la Charte dit-elle, article 65 : ce Il ne
)l pourra etre créé de commissions et tribu-
" naux extraordinaires. "


Il est vrai que le meme artide ajoute:
(J Ne sont pas comprises sous cette dénomi-
)l nationtes juridictions prévolales, si leur ré-
" tablissement est jugé nécessaire. IJ Mais
l'essai malheureux qu'on a faÍt de ces juridic-
tions exceptionnelles en 1816, les tristes sou-
venirs qu'e1Jes out laissés, la joie qui a suivi
leur suppression, sont de surs garans qu'un
gouvernement édairé n'usera jamais du droit
de les rét-ablir au préjudice des tribunaux or-
dinaires, dont le zele d'ailleurs est certesbien
suffisant.


Dans cesdernierstemps, M. Guizot a puhlié
un ouvrage remarquable ou ilexprime un sen-
timent dont toutes les ames étaient pénétrées •


• ••• «( C'est surtout dans les temps de fer-
mentation politique, dit-il, que la justice doit


certis sedihus fixa Parlamenta; ut subditi sub 'cert¡f,
ordinaritJ juridictione securius vivant ; sub confidentitJ
sincerioris justitice; tueanturque ab injuriis et peri-
culis ignotorulll judicum, el extraordinariarl/m qua s
vocant Commissionum, QUlE Pf,RICULOSISSIM.'E SUNT. (Sty-
lus Parlamenti, parto 3, tito 1, § 6.)




( 22 )


se montrer plus difficile el plus attentive. La
tentation de l'envahir est si forte et le péril si
grand ! Quand la guerre est entre les partis,
les partís travaille~t aporter partont ]a guerre;
i]s souffrent avec peine· que la paix demeure
quelquepart, que tout ne leur soít pas appui
ou instrumento Que deviendra la sociét.é, si
elle leur ouvre toutes ses institutions, leur
livre toutes ses garauties?»)


•.•• c( Je veux parler, dit-il ensuite, je veux
parler de la justice pres de tomber sous le joug
de la politique. »)


L'auteur fait sentir avec hahl1eté les nuances
qui sépat"ent le domaine de la poli tique de
ce]ui de la justice.


ce La justice doit s'occuper uniquement de
ce qui est de son ressort... 11 ne faut p:1S
qu'on la fasse intervenir trop souvent, ni
qu'on lui donne trop a faire.


») Le pouvoir judiciaire est lié par des lois
qpi définissent des actes. II constate ces actes
et leur applique ces ]ols. II ne statue que sur
des faits isolés et prévus. Il ne doit -ni créer
de nouveaux faits légaux, c' est-a-dire des
lois nouvelles, ni assimiler aux faits légalement
définis des faits individuels qui n'y rentrent
point ....




( 23 )
» Ces extensions du pouvoir judiciaire sont


toujours le signe d'un mau'Vals gouvernement.
» Que fera , dit toujours M. Guizot, que


fera ce gouvernement qui voit la société mal
administt'ée s'agiter sons sa main? lnhabile a
la gouverner, il entreprendra de la punir. II
n'a pas su s'acquitter de ses fonctions, user
de sa force; il demandera a d'autres pouvoirs
de remplir une tache qui n' est pas la leur, de
lui preter leur force pour un emploi auquel
eHe n'est pas destinée .....


» Alors abonderont les proces OU le gouver-
nement est intéressé; alors on vena les lois
pénales recevoir une exten~ion non-seulemellt
contraire a leurs termes, mais hors de ]a portée
qu'elles peuvent aUeindre.


)1 Cee} , poursuit M. Guizot, n'est point
une théorie! les faits parlent et n'ont cessé de
parlero Partout Olt la politique-a été fausse,
incapable , mauvaise, la justice a été sommée
d'agir a sa place, de se régler par des mOlifs
puisés dans la sphere du gouvernement et non
dans les ]ois, de quitter enfin son siége sublime
poul' descendre dans l'arene des partís ....


Entre la politique et la justice toute intel-
ligence est corruptrice, tout contact est pes-
tilentiel.




( ~4 )


CHAPITRE IlI.


Nécessité· dJobserver les Formes.


J'AJ déja cité ces termes du décret du 25
septembre 1789, (( la justice sera administrée
» selon les formes déterminées par la loi; })
et l' article 4 de la Charte, dont le vreu est éga-
lement que (( personne ne puisse etre arreté
» ni poursuivi que dans les cas prévus par la
» loi, et dans la forme qu' elle prescrito »


Telle est, en effet, l'importance des formes
judiciaires, qu'elles sont toutes de rigueur;
qu'aucune ne peut etre omise, ni suppléée; et
que tout, en ceU~ partie, doit ctre réglé par
la loi. G est 11:1 surtout que la meilleur~ loi est
ceHe qui laisse le moins a l'arbitraire du juge;
de me me que le meilleur juge est celui qui
s'en permet le moins.


L' avantage des formes, et la nécessité de tenil'
rigoureusement a leur observation, ne sont pas
généralement assez sentís. Cependant, (( c'est




( 25 )
par la procédure que les lois communiquent
lellrs secours aux opprimés qui les réclament;
sauvegarde de nos propriétés, de nolre vie, de
nolre honneur, de nolre liherté, e' est elle qui
les garantit des attentats de l'homme de mau-
vaise foi; e'est par elle que le dernier de
I'État ohtient justic~, meme contre le So uve-
rain, lorsque, contre son intention, ceux qui
soutieonent ses droits, les étendent trop loia ;
c'est par elle, en un mOL, que ron oppose au
despotisme une barriere qui l'empeche de
rcnverser l'empire des lois (1).


ce Si vous examinez, dit Montesquieu (2) ,
les formalités de la justice par rapport a la
peine qu'a un citoyen a se faire rendre son
bien; vous en trou verez sans doute trop: si
vous les regardez dans le rapport qu'elles ont
avec la liberté el la sureté des citoyel'ls, vous
en trouverez souvent trop peu, et vous venez
que les peines, les dépenses, les longueurs, les
daugel's memes de la justice, sont le pl'ix que
chaque citoyen donne poul' sa liberté ....


» On entend dire sans cesse qu'il faudrait


(1) Pigeau, Discours sur rEtuJe de la procédure ,
p. XXVII!.


(2) Livre 6, chapo 2.




( 2() )


que la justice fut rendue comme eh Tur-
quíe (1); iI n'y 3ara done que les plus ignorans


(1) Dans le supplément du Journal des Débats du
26 mai 1821, on lit que le patriarche grec (qui, par
parenthese, est le pape de la Russie aussi bien que de la
Grece) a été penduaux portesd~son église le jour mt1me
de paques. On ne dit pas qu'il était convaincu d'un
crirnl', ni qu'il ait été jugé; on voi! ,seulement que la
Porte prétendail que le patriarche était d'intelligence
avec les révoltés (qn'il avait cependant eu la complai-
sanee d'excornmnnier pen de temps auparavant). Six
autres ecc1ésiastiques, ajonte-t-on, out partagé le 50rt
de leur chef; « ils sont accusés, sur les tables placécs
pres de leurs cadavres, d'avoir pris part aux conspira-
tions. » Voila ce qui s'appelle agir san9forme niJigure
de proces! voila la jllstice turque! On comrnence par cxé-
cnter les gens, on di!. ensuite de ql10i ils étaientaccusés!


On pent encore s'en faire une idée par cet autrc
exemple qne jI' pl'ends dam la prodarnatiou dl! grand-
seignenr, au sujet des troubles actuels de la Morée. 11 assi-
gne pour cause a ces trouhles le relachemcnt des Turcs,
leur dégénération des mreurs de leurs anct1tres, etsu rton 1.
la paresse des employés qui négligent les alfaires et se
rendent trop tard a leurs bureaux; si cela arrive en-
core, dit Sa Hautesse , je ne vous avertiraiplus, mais je
1)OllS livrerai sans pilié aufer des bourreaux. " - Oh!
Allah!


Dirons-nous a présent avec le hon La[olltaine:
l'lí\t ~ Dieu, <[u'on l'é¡:;Bt ainsi tom les pro('(~s ~
Que des Turcs en cela fMl stli,,1t la méthode!




( 27 )
de tous les peuples qui auront vu clall' daos
la chose du monde qu'il importe le plus aux
hommes de savoir. J)


Montesquieu rappelle la maniere expéditiye
dont les hachas terminent les proces; }mis
aU5sitot, il aj()Ute : ( Mais dans les États mo-
dérés,ou. la tete dll moindre citoyen est con-
sidéroble, on ne lui ote son honneur et ses
biens qu'apres un long examen ..... Jj


( Aussi', Iorsqu'un bomme se rend plus
absolu, songe-t-il d'abord a simplifier les 10i8;
on commence , dans cet état, a etre plus frappé
des inconvéuiens particuliers que de la liberté
des sujets, dont on ne se soucie point du tout. j)


Montesquieu cite César> Crom«;el et iant
d'autres! Il faut y joindre spécialement Na-
poléon.


eeUe importance des formes en matiere
criminelle, se fait surtout sentir daos les ac-
cusations pour crimes ou délits politiqlles.
( La chaleur, l'indignation , la col ere y étant
encore, p~ussent non-seulemenL les parties ,
mals les témoins, mais les juges, maís l'audi-
toire. Toutes choscs avecqtles le temps passent
bien plus humainement qu'a la chaucle (1). )J


(1) AYRAULT, liv. 2, /l. 61.




('28 )
(( Et quand il n'y aurait que ce que dit


Platon ( en son Xle livre Des lois ), que traiter '
les choses en jugement el avec connaissance
de cause, fait qu'il ne se trouve homme si dur
et si inhumain qui ne se mitige et adoucisse
plus qu'il n'élait; nous ne devrions jamais
vouloÍr le faire ni le pratiquer autrement (1). ))


D'ail1eurs, en quoi la jusliee differe-t-elle
de la violence, si ce n' est par l'ohservation
scrllpuleuse des formes et des solennités pres-
erites par les loÍs?


Le devoir du juge est done de veiller avec .
soin a l'obscrvation de toutes les formes: ce
qu~ emporle de sa part la double obligation
de faire tout ce que la loÍ 'prescrit, el de ne
rien faire au-dela.


A joutons meme que eette religieuse obser-
vation des fOl'malités légales o'est pas seu-
lement daos l'intéret des accusés, elle est aussi
daos l'intérél de la justice, puisqu'il n'y a pas
de meilleur moyen de fixer l'opinion puhlique
en faveur d'un jugement.


Quaud le faít est réellement qualifié erime
par la loi , qu'il est c1airement prQuvé ,que les
accusés en sont pleinement convaincus; que


(1) AYI\AULT, [iv. 1, !l. 13.




( :!9 )
leu\' défense a été épuisée ; que la compétence
de leurs juges ne peut pas etre 1'évoquée en
doute ~ e' est alors C\ue la. \,un.~t\on eSo\. d.\\-
cace; paree que le peuple, convaincu lui-
meme de la culpabilité des condamnés, unit
ses exécrations a la sentince des juges. Mais,
au contraire, si l'on s'es.ontenté de présomp-
tions vagues, d'jndices peu certains, de eon-
jectures hasardées; si ron a négligé quelques
formes; si l'accusé n'a pas été traduit devant
ses juges l1aturels; si son défenseur a été in-
terrompu, brusqué, rabroué: l'effet est man~
qué, el le meme peuple, passant subitement
de la eolere a la commisération, cesse d'ap-
plaudir a la morL des coupables, pour plaindre
le sortde ceux qu'il répute innoeens par~eJa seul
qu'ils n'ont pas eté condamnés ave e toules les
-formes légales.
~ .on doit meme convenir que eette maniere
de juger du peuple, est fondée sur re:xpé~
rience. Qu'on se reporte au:x condamnations
dont les auteurs et les historiens nous ont
conservé la mémoire, comme rendus sans
formes, ou contre les formes établies. 011
yerra que toutes sont des monumens de 1Y1'an-
nie et d'iniquité. Pourquoi, en effet, veut-on
s'affranchir des fotmeOs ordinaires? est-ce pour




( 30 )
assurel' la punition d'un crime l'éel? - NuIle-
lnenl. Loin de nuiré, en pareil cas, a l'action
de la justice, le~ formes contrihuent a rassurer.
C' est done pour 0ppl'imer un innocent, PQUl'
consommer un acte de violenee, qu' on se dis-
pense d'observel' les leis! En sui vant ce qu'elles
pl'escrivent, on dés.ere d'ohtenir la ven-
geauce qu'ou poursuit; et, comme 011 veut


, par-dessus tout satisfaire sa passiou) on fouJe
aux pieds toutes les regles. Voila l' explic~tiou
de tant de coups d'Élat dans l'histoil'e de l' onlre
judiciaire.


Cependant, <lue les juges eux-memes dai-
gnent y faire attention. Les mauvais jugemens
passellt a )a postérité plus surement encore
que les oons; ils y passent avec les Doms de
ceux qui ont eu la scélératesse ou la pusillani-
mité de s'y preter; l'infamie les attend apres
lem mort, et quelquefois,lUeroe une réaction
peut les atteindre de Ieur vivant.


Les Votans ont été bannis; le testamellt
de Louis XVI, la Charte m~me, n'ont pu les
protéger contre l'opinion qui les poursuivait.


Les juges des Tribunaux révolutionnaires
sont l'estés en horreur : le monde, a cet égard,
n'admet aucune justification; iI suffit qu'on en
ait fait par tic : vous siégiezavec eux.




( 3[ )
Le souvemr des Prévots est odieux. Fl'an-
~ois le" jura sur le tombeau de Montaigu qu'il
ne ferait plus juger personne par COI1lTllis-
saires.


L:lUhardemont, Jeffcries, Fouquier- Tin-
ville, et d' autres encore, sont demeurés en
exécration. Leurs noms expriment en bref
tout ce que peuvent la hassesse, la férocité, le
faux ú:le, une lache complaisance, un servile
dévouement.


Mais que dis-je? A u lieu de citer CeS mons-
tres, faisolls voir qu'un homme de hien lui-
meme, de quelque honne intention qu'il ait
élé animé ~ ne peut échapper au hláme, si,
meme pour .servir. une cause juste, il a em-
ployé des moyens qui oe l'étaient paso


Cicéron n'était pas seulement un brand ora-
teur, ii fQ.t un excellent citoyen, dévoué aux
intérels de sa p~trie <¡u'il Sauva des fureurs de
Cat~lina. RappeJons ce qui se passa daos ceué
occa~ion luémorable.


Il avait pris, pOUI' regle de sa conduite,
cett~ lradition, que, dans les cl'ises alarman-
tes, de simples particuliers, de leur aulori~é
privée, avaient fait mourü' des citoyens re-
doutables; privati perniciosQs ¡;ives morte
mulctárunt. (Catilin. 1, i I. )




( 32 )
11 s'était faÍt donner un sénatus-consuIte


(une 10i d'exception) , qui l'autorisait a em-
ployer, comme les Dictateurs, toutes sorles
de moyens pour le salut de la République. Il
avait érigé en maxime que tout romain ré-
volté perdait les droits de citOyen. Qui a re-
publica defuerunt, nunquam civium jura te-
nuerunt.


A vec ces pt'écautions, apres avoir secrete-
ment interrogé, confronté, convaincu, con-
damné, faÍt étrangler en prison (et avoir
ainsi privé les accusés de la publicité du juge-
ment, et de la liberté de la défense),. il en
avait rendu un compte pompeux au Sénat et
au Peuple, qUl l'avalent remercié, en le sa-
luant du tiom de Pere de la patrie, et lui
avaient ainsi accordé une sorte de bill d'in-
demnité. MaÍs, quand il ne ful plus Consul,
quand le danger fut oublié, quand Clodius
voulut se venger , iI proposa et 6t passer cette
loi : c( Que celui qui auraÍt fait mourir un ci-
toyen sans les formes ordinaires de la JUSI ice ,
serait iulerdit de l' eau et du feu : » qui civem
romanum INDEMNATUM percussisset, ei aqua
et igne interdicatur. (VELL. P.i.'l'ERC. 1I, 45. )
-Cicéroo, pour échapper a l' accusa tioo) s' exila
lui-meme.




( 33 )'
Tant il est vrai que l'exacte observation des


formes Iégales esl la plus sure garantie pour
les accusés, pour les juges, et pour la société
toute entiere!;


On ne saurait trop insister sur cette vé ...
rité :


Le premier caractere de la procédure cri-
minelle esl d'etre 6xe, d'etre réglée d'avance
par la loi, et de ne point dépendre du ca-
price de l'homme._


Aussi, aRome, les préteurs avaient bien
le droit de porter, au moment de Ieur entríe:
en charge, un édit pour régler la maniere
dont ils jugeraient les causes civiles pendant
l'année que devait durer leur magistrature :
mais iI n'en était pas de meme en matiere cri-
minelle. Toutes les actions de ce genre étaient
légitimes~' elles se réglaient par la loi, et non
par les édits; lege, non edicto.


Dans les monarchies tempérées, le prince
meme n'aurait pas le droit de changer arbi-
trairement, a l'occasion d'un proc~s, la forme
légale des poursuites criminelIes : et s'il le
faisait paree que de mauvais ministres lui au-
raient persuadé qu'il le pouvait faire, le. de-
voir des juges serait de n'y poinl obtempérer


3




( 3'l )
el de s' en tenir aux lois (J). Car (ainsi que
J'observe Ayrault ), (e iI est tres-périlleux et
» d'une conséquence h'Op pernicieuse, de
J) donner ouvertnre au prince a mettre la
)) main au -sang contre les lois et formalités
»)ordinaires. Il s' en dispenserait apres trop
" aisément. » ( page 145.)


C'est assez qu'iJ puisse {aire grke, et que,
par un heureux combat ou la .volonté souve-
raine l'emporte sur la rigue)ir des jugemens,
le monarque au nOl11 de qui' une peine sévcre
~té prononcée, ait le droit d'en [aire remise
au couoamné (2). Mais nuire, mais juger a
mort, mais changer arhitrairement les formes
re~ues , et rendre a ce moyen la cOlldamn¡¡.tion
plus aisée oula défcnse moins faciJe! Cest chose
a laquelle un pripce ne doitpas songer.


Réciproquement, les gonverneurs el com-
mandans militaires, les magistrats, eJ généra-


(1) Charles V, dit leSage, en fait une recommanda-
tron cxpresse a SOI1 Parleroent, dans l'ordonnance du
22 juillet 1350, Voyez notre ouvrage intitulé Lois de~
Loú ,premihe partie, p. xxiij et xxiv. .
(~) Felix querela eSI, curo leges pie tate superantur;


Curo dominus adversus sua judicia, amabili concerta-
tione dissentit. ( Cassiodore, )




( 35 )
Jement lous les fonctionnaires quelque émi-
nens qu'ils soient en poüvoir OU en dignité,
qui sont appelés a juger et. a punir, ne le
peuvent qu'avec les formalités prescrites par
la loi, sans pouvoiry rien ajouter ni retrancher.


A utrefois me me , quand les .cours souve-
raines, en pronon<;ant la peine des gal€n~es ou
du bannissement, ajoutaient quesi le cond~roné
rentrait dans le royaume, il serait pendu et
étranglé SANS AUTRE FOl\ME NK FIGUR1!: DE PRO-
CES (1); personne nes'avisait, le cas arrivant,
d'attacher immédiatement l'homme au gibet;
mais alors, de meme qu'aujourd'hui, il fallait
procéder judiciairement a la reconnaissance de
son identité.


(1) Je ne connais qu'un cas ou il semble ·permis de
Imnir sans forme ne figure de proces; e' est lorsqu'un
officier de ronde trouve une sentinelle endormie aux:
avant-pos~es; iI peut, dit-on, luí passE:r son épée au
travers du corps. Cette jurisprudence est déjiuocienne.
Iphicrates et Épaminondas, faisant, de ouit, la visite
de leur camp, tuerent quelques gardes qu'ils trouverent
endormis. Et, comme eette exécution fut blamée par


.quelques-uqs (ce qui semblerait dénoter qU'e la coo-
naissance de cause y était requise), Iphicrates se dé-
livrade leurs murmures en répondant, je les ai laissés
tels qu'ils étaient.




( 36 )
II en faut dire autant des árretés et procla-


mations par lesquels on mettrait des tétes a
prix.>· d'autres dans lesquels il serait dit, en
parlant d'un individu, qu'il est permis a chacun
de lui courir sus et de le tuer (1).


De telles mesures s'expliquent quelquefois
par rardeur des circonstancesj mais elles ne
se jústifient paso


(1) Parmi (es pieces officieUes publiées dans les jonr-
D'llux depuis l'entrée d.es Autrichiens a Naples, se trouve
celle-ci:


« Direction générale de la Police .
., L'ex-général Guillaume Pépé s'étant notoirement


" rendu coupable de haute-trahison dans les opérations
.. qu'il a faites dans les États de S. M., on fajt connaitre
" au public que s'il retourne dans quelque partie des
.. susdits États, il sera mis a mort. 11


Ainsi cen'est pas la justice, e'est lapolice qui le eon-
damne a mort !


Cela ressemble merveilleusement a cette consigne
qu'on lit affiehée dan s nos jardins publics: " Les per-
» sonnes qui amiment avec elles des chiens, doivent les
» tenir en laisse : autrement on les prévient qu'ils se-
» rontabattus."


Puisque le géné!al Pépé s'était notoirement rendu
coupable de haUle~trahison, il faIlait lui faire son pro-
ces., et le faire j uger dans les forines; Don par les Au-
triclziens qui n'exercent a Naples qu'une PUlSSANCE DE
l'AIT; mais p:lr un tribunal composé de Juges napoli-




( 57 )
lmJ?ossíble d'admeltre que tous les eitoyens


d'un État puíssent etre transformés en bour-
reaux. Arretez le eoupable, dénoneez-le a la
justice; mais luí eourir sus, mais le tuer,
eomme une bete fauve, mais le décapiter ..


Et sa tri te ti la main demander son salaire,


iI n'est pas moral de le proposer, il serait
atroce de l'exécuter.


Tenons done invariablement a eette regle,
que tout proces criminel ne peut étre valable-
ment instruit. el jugé, qu' en observant scrupu-
leusement toutes les formalités exigées par les
lois. Autrement ce ne serait pas justice, mais,
comme nous l'avons déja dit, violence et ty-
ranme.


tains; cal", a Naplesaussi, toute justice ne peutémaner
que du roi; tout le reste serait violence, et constitue-
rait une usurpation manifeste sur le gouvernement lé-
gitime, qu'i, d'apres les décIarations de Laybach. ré-
si de excIusivement dans le pouvoir roya!.




( 38 )


CHAP 1 TRE IV.


Des pnncipaux rices de l'lnstruction criminelle .


......


§ l.
Observalions générales fur l'Instructioll.


ee L'INSTRUCTrON, e'est l'ame du proces, ))
dit mon vieux criminaliste (1). Elle a pour
ohjet de rassemhler les preuves de la culpa-
hilité ou de l'innocence de l'accusé : cal' elle
doit se fail'e a chal'ge et a décharge; elle n'a
pour hut que la recher~he et la manifestation
de la vérité.


Il existe un beau tahleau de l'Écale fran-
c;aise (2), qui représente la Justice poursui-
vant le Crime. Son bras est armé du glaive
vengeur; la V érité marche devant elle un


(1) AYRAULT, pago 5.
(2) Ce tableau est de Prudhon.




( 39 )
fiamb~au a la main. Ce tahleau est maintenant
dans la galerie du l:uxembourg; auparavaut,
iI était placé dan s la salle d'audience de la
Cour d'assises.


En 1812, je plaidais devanL ceUe Cour
pour Saget impliqué daos l'affaire de Michel
et autres empIoyés du 'hureau de la g.uerre,
accusés d'avoir entretenu des inteUigences
criminelles avec les agens d'une puissance
étrangere.


Il n'y avait pas de preuves positives contre
ruon client: mais M. le procureur -général
prétendait qu'il y avait des présomptions suffi";
san tes pour le condamner: il y allait de la
peine capitale.


C'était la premiere affaire crimihelle queje
plaidais. Je n'avais encore discuté que le faít;
et j'en avais inféré que la culpahilité de mon
client n'étant rien moins qu'établie, iI devait
etre acquitté; lorsque mes yeux se reportant
a cet instant sur le tablean dont j'ai parlé, il fit
sur moi une imprcssion si vive, que j' essa yai
de la communiquer aux jures.


(e •••• Arretez, leur dis-je, arretez, je vous
prie, vos regards sur ce tableau; vous y trou-
verez la regle de tous les jugemens. La justice
y poursuit le crime a travers les ombres de la




( 40 )
nuít; mais son glaive ne marche qu'apres son
flambeau. V oyez comme la vérité la préd:de
et l'éclaire, comme elle discute les ténebres,
comme elle réunit tous les in dices 1... J'aper-
«;ois un cadavre, une blessure, un scélérat, un
poignard .•.• Cependallt la justiee hésite encore ;
ce n'est qu'au grand jour et quand le soleil
aura répandu sur le crime ses immortelles
c1artés, qu'elle condamnera, qu'eUe frap-
pera ..•..


)) O vous dOlle, Messieurs, qui etes la jus-
tice me me , suivez la marche qui vous est
tracée. Votre flambeau, c'est l'instruction.
Considérez quel jour les débats out pn jeter
sur l'accusation. La loi (quel bonheur pour
les accusés t ) la loi s' en rapporte a vos cons-
ciences. Mais comrnent s'afI'ermit la .convic-
tion d'un honnete homme ,quand le résultat
de ses bésitations doit procurer la mort a son
semblable? Sa conscience alors exige-t-elle
des preuves, ou simplement des conjectures,
des indices, des présomptions ? ...


» Consultez done avec vous-memes, et
puis jugez. S'il vous est démontré que Saget
est le complice de Michel, pl'ononcez et que
la justice frappe ••••• Mais que son glaive reste




( 4 [ )
en arriere si rien ne vous est démontré (1). »)


L'instruction est réguliere, quand elle est
conforme a ]a loi; elle est vicieuse, lorsqu' on
n'y a pas observé toules les formalités pres-
erites par le législateur. Ces formes sont bon-
nes, quand elles assurent la vindiete publique,
Sans uuiré au développement de la défense et
a la justifieation des accusés; elles sont essen-
tiellement mauvaises, si le législateur a né-
gligé ce dernier but pour n'atteindre que le
premler.


Les formes, quelles qu' elles soient, doivent
etre réglées d'avauee, puisqu'il est de l'essence
de& lois de n'etre point rétroactives; et ce se-
rait une monstruosité que de voir créer et ins-
tituer des formes 'uouvelIes dans le cours d'une
accusation. Ne in medio litis jiant sacra! for-
mm. f( C'est circonvenir l'accusé, dit Ayrault,
») que d' agir eontre lui novo et inusitato jure. »
(pag. 161.)


(l) Voyez le proces de Michel et autres, recueilli
par Breton, sténographe, et imprimé par Didot ¡'ainé,
en 1812; in-SO. - Sa¡et fut acquitté sur la question
principale.




Piolation de domicile.


Le dÓrilicile d'un citoyen est uo asile OU il
u'est pas permis de s'introduire par violence.


La loi anglaise défend a tont officier mili-
taire, S()Üs peine de 500 franes d'amende,
d' entrer de force daos aucun domicile sans
l'ordre écrit d'un juge de paix, qui, lui-meme,
ne peut donner cet ordre que pOUl' des ca:;
expressémeot indiqués. L'un des axiomes de
la liberté britanoique, est que la farteresse
d'un Anglais~ c'est sa maison (1).


La 10i romaine allait plus loio; elle nc per-
mettait pas qu'un citoyen put etre arraché de
sa maisoo : Nemo de domo sud extralzi debet.
1 .. oi 105. ff. de reg. juro


Les jurisconsultes de ce grand peuple avaieot
doncraison de dire qu'a Rome la maison de
chaque citoyen était son refuge et son asile
le plus sur. Domus tutissimum cuique refit-
gium atque receptaculum. Loi 18. ff. de in jus
vocando ..


N ous avons aussi de belles loís sur le meme
sujeto


(1) The house (1' an wglish man, Tús cas.:,;.




( 13 )
La constitution de l'an 8, dont l'article 75


est encore journelJement invoqué par le Gou-
vernement royal, re'nferme un autre article
que les citoyens, je pense, out hien le droit
d'invoquer aussi : c'est l'artic1e 76. Il est ainsi
conl;u : « La maison de toute personne habi-
tant le territoire franctais, est un asile invio-
lable. Pendant la nuit, nul n'a le droitd'y
entrer que daos ]e cas d'incendie, d'inonda-
tion ou de réc1amation venantde l'intérieur
de ]a maison. Pendant le jour, on peut y en-
trer pOUl' un objet spécial dé terminé ou par
une loi, ou par un ordre émané de l'autorité
publique. ))


V oila bien la défense; mais elle manque
de sanction. Point de peine pour réprimer les
vÍolations de domicile : cal' je ne puis appeler
du nom de peine, tant elle est disproportion-
née ave e l'infraction, l'ámende de 16 franes
prononeée par l'article 184 du Code pénal
de 1810, eontre tont juge, tout procureur-
général ou d:u Roí, tout substitut, tout ad-
ministrateur ou tout autre officier de police
ou de justice qui se sera introduit dans le do-
micile d'un citoyen hors les cas prévUf par la
loi .. et sans les formalités qu' elle a prescrites.


Ajoutez a ceja que pour pouvoir meme se




( 44 )
plaindre de eelte violation , il faut, au préa-
lable, obtenir l'autorisation du Conseil d'État,
qui ne l'accorde pour ainsidire jamais. Aiosi,
vous voyez que, de ce coté, les garanlics man-
quent tout,-a-fait.


De-la, cette ft'équenee des invasions de do-
micile, dont on a eu tant a se plaindre sous
le gouvernement impérial, et meme depuis.
Un agent de police entre a l'improviste dans
une maison; on en consigne les habitans; on
enleve le maitre; quelquefois meme, saos l' en-
lever, on lui prend tous ses papiers; manus-
crits, secrets de famiIJe, papiers d'affaires (T),
tout est transporté hors du domicile J jusqu'a
ce qued'aulres agens aient Iu, parcouru, scruté,
examiné, commenté et décidé s'il y a des doc-
trines, des pensées ou des opinions criminelles
ou douteuses, qui puissent, a l'aide oe que]que
interprétation, autoriser oes poursuites con-


(1) Dans la loi 3 au Code Théodosien de exhibendis
reis, les empcreurs Gratien, VaJentinien et Théodose
veulent qu'o.n accorde a tout prévenu contre Jequel un
mandat d'arret est lancé, un délai de trente jours,
pour arranger ses affaires et consoler ses pénates aflli-
g~s; eique qui dedr,cO/dus rit, addi.<ponclldas res .H/OS,
compOl;endosque nl!X'~1 f)'; penates, "l'ütll/m coram [oei
judicc, al/t etiam mat:;iJlrutlÓl/S, die/ l/m xxx tribuatur,




( iíJ )
tre le suspect ou contre ceux qui out COl'res~
poudu avec luí.


(( }Iais quoi ! dirons-nous avec Ayrault,
lúst-ce pas chose dure et tres-dangereuse,
que tclle licence d' entl'er ainsi et fouillel' es
maisons'! Outre cela, est-il raisonnable que
l' aeeusateul' s'instl'l1ise et équipe des armes
propres de son advel'saire? (pagc 427') »


Qu'il y a Ioin de cette pétulacee de nos
agens de poliee a la discrétion dont usaÍent les
anciens ! PJu[arquc 1l0US en a conservé un
exemple bien remarquable. Les Athéniens
ayant oruonué qu'on visitat toutes les maisons
de la ville pour voir si l'on y trouverait 1'01' ou
l'argent d'Harpale, ils ne voulurent pas ql' 11
entdt ni que 1'011 fouillat dans ]a maison n
nouveau marié. Chez nous, les agens de po-
liee et les gendarmes eussent. cherché jusque
dans le lit nuptial.


Saus llome libre, on ne voit qu'un seul cas
ou iI fut pcrmis de faire des visites domici-
li3ires : e' était pour reehereher ccux qui dé·
tournaient les eaux des fontaines publiques.
(Voyez la 10i 6 au Code , de aqufE ductu.)


Sous les Empereurs, au contraire, les dé-
lateurs entraient eux-mcmes dans les maisons,
el faisaient arre ter ccux qu'ils voulaient. (Voy.




( íG )
ClC. pro Domo, et ZOSIM., lib. IV.) Quelle
facilité ne trouvaient-ils pas alors a t;lisser des
papiers suspecls parmi des papiers innOCCllS !
Combien d'ailleurs n'était-il pas facile d'ell-
venirner par le commentaire des fragmclls de
conespondance dout on n'avait pas loujours
la elef, ou les prCmit~l'es ébauches d'un ma-
nuscrit! Aussi Asconius, dans ses notes Sut'
la 3" verrine, a-t-il pris süin de rcmarquer que
les Romains, qui jusquc-lil avaient l'habitude
d'écl'ire jou!' par jOnl' sur h~urs tableLtes tout
ce qu'ils faisaient, payaient ou rccevaient, re-
noncercl1t a cet usage des qu'ils vil'ent qU'OIl
se servait des papiers domestiqucs d'un ci-




en pour essayer de le convaincre des crimes
. u lui impulait.
Illle uevraÍt pas etrc perrnis d'envahir aillsi


le domicile et de surprendre les secrcts do-
mestiques d'un citoyen.


Je voudrais qu'on ne pút s'inlroduire dans
une maison particuliere qu'aux conditions
suivantes:


1 0. L' on ne poul'rait y entrer que dans les
seuls cas précisé3 par la loi;


2°. Les officiers de justicc seuls auraient
. le droit de s'y introduire; la pülice, jam.,is;


3°. Il serait défendu de s'emparer en maS3e




( ~ 7 )
des papiers, a moins qu'il ne s'agit de crimc
contre la sureté de l'État, et a la charge, en
ce cas, d'en faire le triage sur-le-champ, saus
déplacement et en présence de l' accusé;


4 o. Pourquoi serait-il interdit de résister par
la fOITe a une invasion de domicile non au-
torisée par la loi? Un ordre illégal est un acle
de violence qu'il devrait etre permis de re-
pousser de meme. Vim vi l'epellel'e licel, dit
la L¿¡ des XII Tablcs. Il nous faudrait une
pareille ]oi (1).


(1) La Cour de cassation avait a décider eeHe ques-
tion: Un citoyen se rend-iI coupable de rebellion, lors-
qu'il résiste a des gendarmes qui veulent l'arreter en
exécution d'un ordre illégalement donné par un com-
missaire de police? - Elle a résolu eeUe question affir-
mativement le 5.janvier 1821, en rejetant lepourvoi
formé contre un arnh de la Cour ToyaJe de Grenoble.
L'arret de rejet est [ondé sur ce que les p'1rticuliers ne
peuvent pas se cOllstituer juges des actes de l' autorité ,
el que leur devoirest d'abord d'obéir.


- Le Parlement de Paris ayant a j uger la meme ques-
tíon, l'a résolue en sens inverse, par arret du 5mai 1788.
" Considérant, porte cet arret ,que les ministres, loin
d'etreramenés aux principesde lamonarchie, parles dé-
marches de la Cour toujours légales et toujours respec-
tneuses envers le roi, ne s'occuI)ent, au contraire, qu'a
déployer toutes les ressource:i du despotisme qu'ils $'(:f-




( 18 )
5°. Il conviendrait surtout d'étaLlir une res-


ponsabilité sévere contre toul fonctionnaire ou
agent de la force publique qui, hors les cas
spécialement prévus par la loi, se serait in-
troduit ou aurait tenté de s'introduire dans le
dornicile d'un citoyen, et De pas se cootenter
de l'amende ridicule el illusolre de 16 franes,
pour une si grande transgression du droit des
citoyens.


En attendant, il faut obéil' respectueusement
aux lois telles qu'elles sont.


flrcent de substituer aux loís j'" considérant, en outre,
que les ordres particuliers qui violent l' asile des ci-
tfJyens, les mettant dans l'impuissance de recourir aux
lois, et ne tendant pas a remettre sans délai les per-
sonnes arretées entre les mains des juges compétens,
n' obligent pas légalement les citoyens. » ( V oyez le Mo-
niteur, tome 1", page 99. colonne2.)


Le législateur aurait a choisir entre l'ancienne JurÍs-
prudence et la Douvelle.




( 49 ,:


Des Arrestations.


Des qu'un homme est dénoncé, le premier
soin est de se mettre asa recherche et de l'ar-
reter.


Qu'on l'appelle, qu'on l'interroge : cela est
indispensable sans doute; mais pourquoi le <:ons-
tituer immédiatement prisonnier? il dtexiste
que des índices, des présomptions; il n'est pas
encorc accusé~· peut-etredécidera·t-on, aubout
de six mois ou d'un an, qu'il n'y a pas lieu a
accusation;' et cependant par provision on s' em-
pare de sa personne , on le prive de sa liberté!


Si meme on n'en usait ainsi quepour lescri-
mes les plus graves, la précaution s' excuserait ;
le mal en tout cas serait moins général; le nom-
bre des victimes d'une injusteprévention, moins
grand. ~


Mais non, e' est une sorte de jurisprudence
d'usage, pour la plupart des délits aussi bien
que pour les crimes; pour le vol des plus min-
ces objets , comme pour un assassinat ou pour
un crime de lese-majesté; presque toujours on
débute par arre ter celui qui n' est encore que
soup~onné.




~ :)0 )
U tiC lcllc forme de pr'océdet' a quclqnc chose


de barbare; et, comme le dit Ayrault, (( il est
» dur de commencer par un emprisonne-
)J mcnt (1). En effet, ten ir prison pendant le
») proci.~s, c'e~t déja etre comme esclave, et
» comme condamné et préjugé. ») (Instruct.
judic';1 p. 410. )


On ne manque pas de dire que, s'il en était
autrement, presque tous les coupables échap-
peraiett (2). A cela je répomls qu'un grand
nombre d'innocens ne seIaicnt point sacriliés.


Je réponds d'ailleurs par l'exemple de plu-
sieurs peuples anciens et modernes, qui ne
voulaient pas plus que nous que les crimes de-
meurassent impunis, mais qui, plus que nous ;
présumaicnt favora}Jlcment de l'humanilé , et
ne paraissaient p:Js avoir oublié que si la loi
ne cherche que des coupablcs, le juge ne doit
chercher que des innocens.


(1) Yoyez le déYl'loppcment de cette })roposition,
p3ge 390 et suÍ •. du meme ouvrage.


(2) Ainsi, pour que les coupables ne s'échappent
point, on prend nH~me les innocens.


Pur chél leo non si sal vi, iI giusto pera
Et l'innocentc:........... Canto 2, stro. n.




( 5 [ )
Socrate fut condamné injustement; mais on


ne commem;a pas du moins par le priver de sa
liberté. Il resta dans sa maison, pendant toute
la durée de son proct:s (1); on en usa de meme
ponr Miltiade.


ARome, on ne donnait de gardes qu'a l'ac-
cusateur, pour empecher qn'il ne put corrom-
pre les juges et les témoins; on n'en donnait
pas a l' accusé.


(1 Coriolan, quand il fut banni, partit de
)) son logis ponl' s'en aller; non pas d'nne con-
II ciergerie. J) (Ayrault, p. 413.)


Le meme auteur cite encore d'autrcs exem-
pIes, et s' en sert ponr prouver « que les accusés
» ne tenaient prison en nulle partie de la
) cause. )) (page 413.)


Dans l'ancien gouvernement de Pologne,
c'était une jurisprudence traditionnelle, qu'on
ne pouvait chre mis en prison qu'aprt:s avoir
été juridiquement convaincu. Les Polonais te-
naient tellement a eette garantie, que, lors de
l'élection de chaque roi, on ne manquait jamais
de l'insérer dans la capitulation , et qu'on 1'0-
bligeait d'en jurel' l'observation dans les pacta
conventa.


(1) Voyez l' Apologie de Platon.




( 52 )
Dans le canton de Vaud, en Suisse, un an-


cien pl'ivilége empechait que personne ne put
etre aneté sans l' avis préalable et l' assenti-
ment des plus notables bourgeois du lieu.


Par la fameuse loi royale du 14 mars 1665,
Christian .v accepta le pouvoir absolu que lui
déféra la natÍon danoisc , lorsquc, fatiguée des
exces d'une aristocratie devenue insupportable,
elle aima mieux s'en remettre au despotisme
d'un seul. Mais ce prince se garda bien d'ima-
giner que, par-la, tout un peuple dbt etre
soumis au caprice et a l'arbitraire .du pouvoir.


Le premier usage qu'il fit de son autorité ,
fut de donner aux Danois un Code, dans le-
quel, bien loin de détruire les anciennes liber-
tés des citoyens , il confirma l'antique et cons-
tante jurisprudence criminelle du pays. On J'
trouve notamment cet article. : c( Personne ne
» peút etre mis en prison, a moins qu'il n' ait
» ete surpris commettant un délit a peine ca-
}) pitale ou corporelle, ou qu'il n'ait avoué
» son crimc en justice , ou qu'il n'ait eté con-
» damné comme coupable. Tout acc~sé peut,
») en donnant caution , venir et 's' en retourner
» librement a la cour, et jouir de toute la
») liberté nécessaire pour se défendre. » (Code
danois, liv. ler, chapo 19, arto ler,)




,


( 53 )
On peut lire a ce sujet des réflexÍons tres-


remarquables dans une traduction libre de la
Philosophie de Confucius, impl'imée a Sois-
SOns en 1769. L'éerivain fran<:ais, auteur de
eette traduction, apres avoir parlé des regles
que le législateur de ia Chine a tl'acées aux
magistrats chargés de la recherche et de la
poursuite des crimes, s'exprime en ces termes:


« Ces oÍ>servations et ces formalités néces-
saires pour examiner , discuter, éclaircir' toüt
ce qui peut donoer atteinte a la réputation et
a la fortune des citoyens , sont loutes a l'avan-
tage de l'accusé et conformes au droit qu'il a
d'etre d'abord cru innocent. La meme justice
qui le prot~ge jusqu'a ce q'u'il'soit trouvé cou-
pabIe, déjf!nd expressément que, sur une simple
accusation, on commence par l' arreter el le
déshonorer. Aucune peine nepeut et ne doit
etre iufligée, que dans le ·cas on la loi décide
qu'un homme l'a eUCOUl'ue. A,rant que d'itifli-
gel' la peine d' emprisonnement, iI faut un exa-
men el des índices suffisans. Quels griefs énor-
mes un citoyen accusé, emprisonné d'abord,
recor~nu innocent apresl'examen, et, puis ab-
sous, n'a~til pas a formercontre ses juges ? Tout
erime, pour mériter une peine, doit etre CCf-




( 54 )
tain. Toule autreforme de procédure donne al-
teinte á la liberté, a la sllreté publique (1). »)


Ainsi, les maximes de la plus douce philo-
sophie ,l'exemple de plusieurs peuples anciens
et modcrnes, réclament contre la légereté (2)
ave e laquelle On emprisonne parmi nous des
hommes qui ne sont encore que dénoncés et
soup.,;onnés.


Si du moins le législateur avait pris quelques
précautions pour modérer l'abus si facile de ce
droit d'emprisonnemenl ! mais llon.


D'abord, on n'a pas meme pris la peine de
déterminer rigoureusement et avec précision
quels seraient les magistrats auxquels serait
exclusivement conféré le pouvoir d'ordonner
et d'exécuter les arrestations.


(1) Yu-Ie-Grand et Confueius; par lVI. Lec/ere, mé-
deein de M. le due d'Orléans; p. 678. Soissons ; Cour-
tois, 1'769. •


(2) Voyez dans mon Recueil des Lois criminelles,
imprimé chez Guillaume et compagnie, a la fin des
Appendices, page 281, une circulaire éCl'ite par
M. de Serre, garde-des-sceaux, le 12 février 1819, a
MM. les procureurs-généraux, et dans laquelle il se
plaint de lafacilité et méme de la légeretéavec laquelle
se font quelquefois les arrestations.




( 5:> ;
ltien de clairement défini a cet égard dans


le Code d'instruction criminelle. Tout est livré
a une nuée d'o/Jiciersde police et d'auxiliaires,
dont les fonctions sont mal déterminées.


Ce vice n'a jamais été mieux sentí, ni plus
íngénument avoué, que dans la discussion de
la loi du 29 octobre 1815, relative a des me-
sures de sztreté générale. L' article 2 portait que
les mandats a décerner ne pourraient l'etre
que par les fonctionnaires a qui les [oís con-
jerellt ce pOllvoir. On ne manqua pas de de-
mander queIs étaient ces fonctionnaires? -
(( On répond sí diversement a cette question,
)) disait M. Royer-Collard, que, selon la ré-
» pon se , le nombre des fonctionnaires appelés
» varíe de quelCJues centaines a plusieurs mil-
)) liers. Il MM. de Serres, Colomb et Pasquier
convenaient de 110bscurité et du vague de la
loi; mais M. Bourdeau ( depuis procureur gé-
néral) répondít : (( II Y aurait plus d'incon-
» véniens a désigner, poul' exercer ce droíl
) (d'arrestation), que)ques magistrats d'un
» rang éIevé, que de le laisser a ceux quí en
» sont en possession. Le projet de loi ne les
») désigne pas , et cette équivoque elle-me me ,
» . cette sorte de vague, est un avantage, une




( 56 j
» garanlie assurée a la tranquillité publique,
» (Moniteur du 24 octobre 1815.) »


Il faudrait etre du parquet pour adhérer a
cette opinion.


2°. Il ne suffirait meme pas de limiter d'une
maniere précise le nom des fonctionnaires et
des agens qui pourraient arreter ouJaire a1'-
reter; iI faudrait établir une responsabilité sé-
vere pour qui le ferait sans droit. Or, cette
responsabilité des agens et des fonctionnaires
est ce qui manque le plus en France.


5°. Il faudrait établir en principe que toute
espece de mandats contiendraient la mention du
fait pour lequel ils sont décernés, et l'article
de loi qui, pour ce fait, autorise a lancer le
mandat. Cette obligation existe bien pour les
mandats d'arret; mais elle n'est pas imposée
pour les mandats d'amener ou de dépot. Aussi
on arre te toujours de préférence en vertu de
mandats de ceUe espece. N' exigeant aucune
forme, iI semble qu'ils n'entrainent aucune
responsabilité; cela met a l'aise.


Si encore on n'arretait ainsi que ceux a qui
l' on en veut; mais rien n' est plus commun que
de voir arreter un citoyen pour un autre. Daos




( 57 )
le cours d'une seule année, nous avons vu
deux avocats arre tés par méprise (1).


Qu'on s'en plaigne; un Chancelier et pour-
tant c'estD'Aguesseau, vous répondra : ( Il est
» fort faeheux que celui qui se plain t ait été
» arreté par méprise et retenu si Iong-temps
» dans les prisons. Mais e'est un mal qui doit
) etre regardé eomme presque irréparable. »
(Tom. VIII de ses OEuvres, Lettre 1 50.p. 197.)


Le mal fait, est irréparable, sans doute";
mais OH pcut le prévenir; et pOUl' eela, il ne
faut que le vouloir. Plutót que de commencer
par donner a un agent de police, OU a des
gendarmes, l'ordre d'aller cerner une maison
avant le jour, et d'arreter un citoyen au lever
du soleil; ne peut- on pas le mander , l'inter-
roger et l'admeure a donner des explications?
.Au líeu de cela, on arrete d'abord; iI faut en-
suite que l'índividu ainsi arreté aUende son
tour, e' est-a-dire plus ou moins de temps; et
puis, quand iI parait, l'interrogateur tout
étonné, dit: Ce n' est pas la notre homme~· el
on le reníJoie.


Devait-on donc l'arreter si légerement? et


(1) MM. Pinet et Lavaux; l'un en passant a Lyon ,
J'autre en son domicile á Pal'is.




... : ....


( 58 )
les excuses ou les regrets d'un officier de paix,
d'un jnge d'inslrnction, ou meme d'un préfet
de poli ce J peuvent- ils dédommager un ci-
toyen du désagrément de son arrestation, du
chagrin causé a sa famille, et quelquefois du
dérangement apporté a ses affaire s , ou du to1'1
fait a sa réputation?


J'ai entendu plusieurs accusés se plainure
en pleine Cour d'assises, de violences exercées
contre eux au moment de leur arrestation;
quoiqu'il n'eut été ni constaté ni mcmc allé-
gué qu'ils eussent fait rébellion.


Cependant, la loi est positive. L'art. 82 de
la Constitution de l'an In dit expressément
que (( toutes rigueurs employées dans les a1'-
» restations, déten tions on exécutions , autres
» qne ceBes autorisées par les lois, sont des
» crimes.» (Adde eode pénal de 18ro,.
arto 186.)


A plus forte- raison doit-on regarder comme
un crime l'action de luer un prisonnier qui,
10io de résister avec violence , cherche seule-
ment a se dérober parla fuite. (Voy. Affaire
de Lj'on,en 1817')


Les devoirs des gendarmes a cet égard sont
trac.:és dans une Grculairc de M, Siméon, pen-
dant qu'il é tait miuit.lre de la j ustice en 'Vest-


~~~ i'%f~
.: y'.' ~ . . . ,
~. "




( 59 )
phalie. Je regrette de n'avoir plus eette piece
en ma possession. Elle faisait honneur a son
auteur. Un gendarme avait tiré sur uneons-
critqui fuyait, et ill'avait grievement blessé;
:M. Siméon rappelle que les agens de la force
publique ne doivent se servir de leurs armes
que pour vaincre une résistanee qu'ils ne
peuvent pas surmonter autrement. En eonsé-
que~ce il pro pose au gouvernement la destitu-
tion du gendarme et sa mise en jugement.
(( Antrcment , dit-il , je ne pourrais rester en
fonction dan s un pays OU le droit naturel serait
a ce point méconnu. )


Rien de plus honorable assurément , qu'une
telle résolution!


§ 4·


Instruction préalable ti la Poliee.


Que la poliee prévienne les crimes , qu' elle
déjolle les complots, qu'elle avertisse la jus-
tice des crimes déja commis, qu' elle dé signe
les coupables, et réunisse les premiers élémens
de eonviction; elle est instituée ponr cela.


l\'Iais pourquoi une instruction préalable a
la Poliee?


.>l"




( 60 )
Pourquoi cette détention, ou plutot eette


séquestration des personnes dans une salle in-
fecte appelée salle Saint-Martin, ou tel pri-
sonnier court risque plusieurs fois d'etre as-
phyxié avant que son tour d'etre interrogé ne
soit arrivé?


Pourquoi ne pas aller de suite devant la jus-
tiee? Elle offre bien plus de garantie. Rare-
ment on a entendu un accusé di re qu'un ma-
gistrat lui avait surpris une réponse, l'avait
flatté d'espoir ou menacé , selon qu'il parlerait
c.lans tel ou tel sens. Et vingt fois j'ai vu des
aceusés rétracter en face du jury, leurs décla-
l'atioos a la Police, se plaindre de maoreuvres
employées pour les leur arracher, aller meme
jusqu'a s'inscrire en faux contre les rédactions!


Si cette premiere instruction est tolérée,
pourquoi du moins ne pas la tenir secrete, et
comme simple renseignement dans l'instruc-
tion judiciaire ? Pourquoi l'invoquer 101's des
débats publies , ou tout doit etre oral, pour la
faire servir de texte a de prétcndues eontra-
dictions ? ....




( 61 )
§ 5.


Longueur indéfinie de l'instruction.


Grotius, dans sa fameuse apologie, cap.
XIV, in principio, rappelle avec éloge la cons-
titution de la princesse Marguerite, de 1546,
qui prescritde juger ou d' élargir tout accusé
de crime capital7 DANS LA QUINZAINE, a moins
que ron 'ne soit oc cupé a une expédition de
roer, auquel cas le délai peut etre de tr.oiS mois,
mais sallS pouvoir excéder ce délai.


Nous sommes loin de eette célérité. Chez
nous,. aueuDe précaution n'a été prise pOUl'
renfermer la durée des informations crimi-
nelles dan s de justes bornes. L:;t loi dit bien
quelquefois que le juge fera tel ou tel acte
dans le plUY bref délai; mais nulle peine, nulle
sanction qui garantisse que ee bref délai ne
sera pas indéfiniment prolongé. Aussi voit-on
fréquemment l'instruetion des afraires les plus
minimes eomme les plus graves, durer au-deHt
du terme d'uDe année, sans qu'il y ait moyen
d' obliger le juge a abréger ces retards ou a en
déduire ouvertement les motifs.


e' est un vice dans l'instruetio.n crimineIle.
11 a été tellement sentí, que 100'squ'il s'est


agi de discute!' la derniere loi contre la liberté




( Ü2 )
indi¡Jiduelle:J qui autorisait les détentions sans
jugement:J un des argumens empIoyés pOU1'
prouver que cette loí d'exception était inutile:J
a été pris de ce que le Code d'instruction cri-
minelle, daos le vague de ses dispositions,
autorisait, par le fait, les détenlions indéfinies.


Il est urgent de remédier a cet abuso
Ce n'est pas que je désire qu'on me~te a l'ins-


truclion des affaires trop de précipitation: il ya
égalementdudangerá troppresser eta tropl'etar-
der; et, suivant la remarque d' Ayrault (p. 158),
(( qui recule ou avance l'instruction, iI gate
» Lien ou conserve les preuves; iI traite dou-
» cement ou rigoureusement l'accusé. »


JI gate les preu¡Jes:J s'iI prolonge tellement
l'instruction que plusieurs témoins viennent a
mourir, qu'une piece importante soit sous-
traite, etc., etc.


Jl les conserve) si les retards qu'il apporte
sont réellement nécessaires pour réunir les
élémens d'une preuve incertaine, pour ob-
tenir des témoignages de personnes absen-
tes, etc. , etc.


Jl traite rigoureusement l'accusé, s'í1 expose
ses preuves justificatives a dépérir, s'il pro-
longe sa détention outre mesure, s'il le tient
au secreto




( (;:) )
JI le traite doucement au contraire , s'illaissc


a la préventlon le temps de se calmer, s'il
donne a l'accusé tout le temps de rassemblcl'
ses preuves et de se justifier. Cest ce qui arrive
surtout dans les proces politiques. Combien de
gens n'out du leur salut qu'a la différence des
temps! JVIais je n'al rien fait, disaienf les vic-
times de la révoluLiou. - Tu n'as rien fait,
infortuné que tu es ! Eh ! ne vois-tu pas qu'on
fait le prod$ a ton opinion, el que tu seras
jugé par des gens d'une opinion contraire !


Les délais sont encare fort utiles dans les
accusations qui comprennent un certain nom-
bre d'accusés, comme les accusations pour re·
volLe, séditiou, conspiration vraieousupposée.


Dans le premiel' moment, (( la chaleur, l'in-
» dignatiop, la cholere y estant encores, pous-
J) sent non-seulement les parties, mais les té-
») moings, ruáis les juges, mais l'auditoire.
)) Toules choses avec le tems passent bien
1) plus attremperhent el humainement qu'il
)) la chaude ... » (1) Tous les aceusés devraient
Pl'endre en pareil cas, pour regle de eonduite,
eelte épigrapbe qui se lit en' tete du proees du
due de Rovigo, aequitté a l'unanimité et avec


(1) Ayrault, p. 33~.




( 64 )
tous les honneurs de la guerre, en 1820, dans
la meme salle et devant le me me tribunal ou
il avait été condamné a mort aussi a l'unani-
mité quatre ans auparavant. (( En usent bien
» sagement en pareille occasion ceux quí lais-
}) seot faire l'entrée aux autres et se présen-
») tent en se conde ligne pour. se justiGer, paree
)) que les derniercs accusations sont toujours
J) plus douces et plusmollement poursuivies. »


§ 6.


Élargissement prollisoire SOIlS caution.


Le lecteur se rappelle sans doute ce pas-
sage d~ Code danois que nous avons déja cité
plus haut, page 52 : (( Tout accusé peut, en
donnallt caution, venir et s'en retourner li-
brement de la Cour, et jouir de toute la li-
berté nécessaire pour se défendre. »


On trouve une disposition analogue dans
les établissemens de saint Louis, livre 1 er ,
chapo 104. Le passage est assez cnrieux pour
mériter d'etre rappelé ici en entier. Je le
donne en franc;ais moderne, suivant l'édition
de l'abbé de Saint-Martin.


(( Lorsque quelqu'un en accuse un autre de




( 65 )
) meurtre ou de trahison, ou de quelque
JJ crime que l'on punit par la perte de la vie
JJ ou d'un membre, la justice doit se saisir de
)) l'accusé et de l'accusateur, les retenir tous
» deux en égale prison, de maniere que l'un
) ne soit pas mieux traité que l'autre. S'il
j) arrivait qu'un juge flit assez peu sensé pour
)) mettrc l'un en liberté sur caution, et rete-
J) ~ir l' autre; si celui qu' on a mis hors de pri-
)1 son prend la fuite et ne comparait pas au
)1 jour indiqué, alors le juge doit dire a ceux
» guí se sont rcndus cautions : Vous VOllS éles
» engagés a faire comparaítre aujourd'hui
») pardevant nous un teZ) et il le leur nom-
J) mera; il est accusé d'un grand crime, il
J) s' est enfui)' e' est pourquoi nous voulons que
l) vous vou~ obligiez a suhir la peine qu'il su-
» birait, s'il en était atteint et convaincu. -
J) Sire) répondront les cautions, nous ne nous
» y soumettrons point)' car nous n'al'ons fait
» que remplir les devoirs de l'amitié en nous
» rendant cautions de l1otreami.-Le juge ne
» les pourra condamner qu'en une amende de
» 100 SO]S 1 dcnier. Cette amrade est appelée
» re/ie} d'homme'. C'est pourquoi tout juge
JJ doit bien se garder de recevoir caution poul'"
J) des hommes accusés de grands cnmes,





( Ce) )
)) comme de meurtre ou de trahison; cal' on
J) ne peut exiger des cautions une amende
JJ plus considél'able que ce He qui vient d'ell'e
)) prescrite. J)


La jurisprudence moderne est loin d'etre
3.ussi favorable aux accusés.


Non-seulement iI est défcndu d'élargir sous
caution les accusés de crimes emportant peipes
affiictives ou infamantes, ce qui, au surplus,
me semble raisonnable; mais mcme en ma-
tierc purement correctionnellc, ou il semble
que l'élargissement sous caution devrait etl'e
un droit pour les prévenus, on prétend qu'il
n'est qu'une faculté pour le juge.


Le siége de la difficnlté se trouve dan s les
articles 115, 114 et 115 du Code d'instruclion
criminellc, qui sont ainsi con~us :


Art. 115. « La liberté provisoire ne pOUl'ra
jamais etre accordée au prévcnu lorsque le
titre de l'accusation emportera une peine af-
flictive ou infamante. ))


Art. 114. ( Si le fait n'emporte pas une
peineaillictive ou infamante, mais seulement
une peine correctionnelle, la chambre du
conseil pourra, sur la demande du prévenu ,
et sur les conclusiorts du procurenr du roi,
ordonner que le prévenu sera mis provisoire-




( 67 )
ment en liberté, moyennant caution solvahle
de se l'eprésenter a tous les actes de la procé-
dure, et poul' l' exécution du jugement ~ aus-
sitot qu'il en sera requiso


» La mise en liberté pl'ovisoire avec cau-
Lion pourra etre demandée et accordée en
tout état de cause. »


Art. 115. « Néanmoins les vagabonds et les
repris de j ustice ne pourront, en aucun cas,
etre mis en liberté provisoire. »


La disposition de ce dernier article se jus-
tilie par la qualité des personnes auxquelles
elle s'applique : aussi je restreins la question
aux gens ayant domicile; et je demande a
leur égard, d'abord s'il est vrai, et en tout
cas, s'il est juste que I'élargissement provi-
soire , sous caution, ne soit que facultatif et
non de dmit.


En fait, on prétend que l'article 1I4 em-
ployant le mot pourra, laisse au juge la fa-
culté d' accorder a son gré, ou de refuser l' é-
largissement provisoire. ~.


D'abord, il est permis de contester cette
interprétátion, et de dire que le mot pourra,
employé par l' article 1 14, pour les cas ou il
ne s'agit que de peines correctionnelles ~ n'est
mis que par opposition aux mots ne pourra


5'"




( 68 )
jmnais, employés par l' article 1 1:> , pour le
cas ou le titre de l'accusatlon emporte des
peines affiictives ou infamantes.


En second lieu, on doit faire réflexion que
ce qui est abandonné a l'arbitrage du juge
n'est pas ponr cela livré a l'al'bitraire de l'hom-
me; et, suiyant cette e;xplication qui n'a
rien que de souverainement équitable , OH ti-
rera la conséquence que le mot pourra, de
l'article 114, n'indique pas une pure faculté
de caprice OU de hon plaisir; mais comporte
une 'véritable obligation d'accorder l'élargis-
sement, toutes les fois que le prévenu qui le
réclame n'est pas dans un des cas ou la loi
défend de l'accorder.


01', ]a loi ne défelld de l'accorder que 10rs-
que le titrede l'accusalion doil emporter une
peine afflictive ou infamante (art. 1 T 5) ;
done il doit etre accordé toutes les fois que
ce titre ne promet que des peines correction-
neHes (art. 1 14) : autrement, ce serait done
la divenmé des personnes qui meUrait une
différence dans les solutions du juge, lorsque
au contraire il est évident que la différence
des décisions ne peut provenir que de la di-
versité des délits.


Ail1si tout se réduit a véri6er si le titre de




( 69 )
la prévention est criminel ou correctionnel.


Telles s<1nt les raisons que j'alléguais dans
une aflairc purement correctionnelle; elles ne
furent point accueillies, et la demande a fin
d'élargissement pl'ovisoire fuI jointe au fond,
ce qui équivalait completement a un rejet;
puisque, 10rs du jugemenL du fond, s'il y
avait acquittement, l'élargissement, au lieu
d' etre seulement provisoire et sous caution ,
devenait pUl' el simple et définitif; et que,
s'il y avait condamnation, il ny avait plus
lieu a staLuer sur la demande en élargisse-
mellt.


eette jurisprudence me semble vicieuse.
S'i1 est vl'ai qu'elle soit d'accord avec l'art. 114,
il conviendrait, je crois, de changer cet ar-
ticle '; el au lieu de dire que si le titre de l'ac-
cusation est purement correctionnel, la cham-
bre du conseil pourra ordonner l' élargisse-
ment provisoire; on dirail que dans ce cas,
cet é1argi3sement devra elre ordonné.


Que risque-t-on en effet? que le prévenu
Be se représente point? mais d'abord, oa est
le préjudice poul' la société? le cautionne-
ment est déja la matiere d'une réparation; el
quant a la personne , i\ faudrait, pour se sous-
traire au jugemellt, (lu'elle s'imposat la triste




( 7° )
nécessité de s'expatrier ou de vivre cachée,
c'est-a-dire, une peine plus gra~ que ceUe
que les tribunaux correctionneIs peu~eP.t in-
fliger. Pour la partie civile, quand iI y en a
une, nul danger non plus, puisque le cau-
tionnement doit etre fixé contradictoÍrement
avec elle, et dans une proportion approxima-
tive de son intéret.


L'avantage que je verrais Jans cette dispo-
sition, serait: 10 de ne pas retenir en prison
pendant un temps plus ou moins long avant
le jugement, et pour des délits la pIupart fort
légers, des hommes qu'il suffirait d'y mettro
apres la condamnation.


2 0 • Comme iI y a souvent acquittement,
l'emprisonnement préalablc est une rigueur
inutile qu'il ne faut pas ajouter au désagré~lent
de paraitre en jugement.


5°. Enfin ces refus d'éJargissement provi-
soire sous caution, augmentent sans nécessité
le nombre des prisonniers, et contribuent a
rendre le régime des prisons plus couteux et
plus malsain.


J'ajoute encore une remarque. Cest que
la liberté sous caution n'est jamais accordée
qu'au prévenu déja incarcéré. Pourquoi ne
pas laisser également au prévenu non encore




( 71 )
arre té , la faculté d'offrir caution pour COn-
server sa liberté '? eeUe question ne peut-elle
done etre résolue que lorsqu'un homme est
sousles verroux? L'intére t de rester libre, n' est-
iI pas le mcme que eelui de leredevenir?


§ 7·
Télégraphes officiers de Poliee judiciaire.


Devait-on s' attendre a voir les télégraphes
figurer dan s les affaires criminelIes ?


On s'en est sel'vi, comme des muets du sérail,
poul' porter des ordres de mort. C'était la l'é-
ponse a des recours en grace. n importait done
bien aux ministres d' allel' vite en besogne! Elle
était done mise en oubli, cette belle maxime j
que le l'etard apporté a la mort d'un homme
n'est jamais trop long.


Nulla unquam de morte llOminis cunctatio langa esto


1VIais on s'est servi des télégraphes, poup
des actes eneOI:e plus odieux. On a vu ces géants
sileneieux, transformés en offieiers de police
judü:iaire, et dans quelle ol;casion?


Une loi venait d'aeeol'der une amnistie: une
seule l'estriction était apportée pour les eas,
oa des poursuites auraient été déja commen-




( 72 )
cées .... A peine la loi 'est rendue, qu'un minis--
tre qui devait en etre l'exécuteur, travaille a en
diminuer les salutaires effets. Un brave gémit en
prison a cent licues de la capitale : la loi
vient de briser ses fers; mais eette loi n'arri-
vera sur les lieux que dan s quelqucs jours; OH
vent la devaneer : le télégraphe marche, et va
porter rapidement l'ordre homicide de eom-
meneer de snite l'instruetion, et d'entendre an
moms un témoin 1 ... On sait le reste.


§ 8.


Du Secreto


Le seeret pris dans sa plus simple acception,
et abstraction faite de tous mauvais traitemens
propres a le rendre plus insupportable ( 1) , cst
la privation de toule eommunication avee ses


(1) Je pourrais répéter ici ce que d'autres écrivains
ont déja révélé des pratiques dont le secret est ordi-
nairement accompagné. NIenaces, hruits inattendus
pour imprimer des terrenl'S soudaines ; des reverberes
devant les yeux , pour fatiguer la vue du prisonnier;
la longueur prolongée de ce mode de détention qni,
pour certains individllS, est aBé an-deJa de quinze
ll1ois: iI me suffit de renvoyel' i\ l'ouHage de M. Ilé-
ranger, De la Jus[icc c/'linmcllc en France.




( 73 )
parens, ses amis, ses eonseils; une eoncentra-
tion obligée dans un lieu resscrré, ou ron res-
pire a peine, et d'ou ron ne peut ni voir ni
etre vu.


Qu'est-ee done, grand Dieu, m'éeriai-je
souvent, que eette torture morale si cruelle-
ment suhstituée a la torture physique qui a
disparu de notre législation? Une pareille
peine, non autorisée par les lois, fondée seu-
lement SUl' l'usage de quelques hommcs en-
dureis aux poursuitcs criminelles, peut-elle
done etrc tolérée? depuis quand la pratique
d'un abus serait-elle devenuc un droít'? ya-t-il
prescription en pareille matiere '1


Qu'il me soit permis de reproduire ici les
douloureuses réflexions que m'avait suggérées
la pénible diseussion de la loi du 26 mars 1820,
sur la liberté individuelle , et le droit aeeordé
aux ministres~ par eette loi, de faire arrcter les
citoyenset de les tenir au secret, sans ctre
tcnus de les traduire en jugement.


ce Les lois établissent des peines; ce sont des
amcndes sur les biens , des flétrissures sur la
per<;onne, l'emprisonnement, les fers, la mort
meme; mais le seeret, l'horrible seerct, qui ne
figure nulle part sur la liste des peines pronon-
cóes par la loi, demeurcra-t-il éternellcment




( 74 )
parmi les moyens de tOUl'menter son sembla-
J)le, laissés a l'arhitraire de l'auministrateur el.
du magistrat?


Je vais plus 10in, et je dis que la 10i qui
consacrerait la mise absolue au secret, telle
qu'on l'a vu pratiquer dans ces derniers temps,
serait une 10i immorale, et qui ne pourrait
subsister.


Vous pouvez atteindre la fortune ou la per:'"
sonne d'un citoyen; vous pouvez le condam-
ner a l'amende ou le tuer; mais vous n'ave7.
pas le droit de ruiner son tempérament , d'af-
faiblir sa santé, de lui faire contracter des
maladies; enfin, que dis-je! de lui faire perdre
la raison!


Dieu permet aux magistrats de sévir sur les
corps, il ne leut' permet pas de sévir sur les
ames. La raison est une émanation de la Divi-
nité; elle ne tombe pas en convention. Si les
hommes, en se mettant en société, ont pu se
donner les uns sur les autres le droit de vie el
de mort; ils n' ont pas pu se donner réciproque-
ment le droit de se rendre fous.


Le secret, qui trop souvent entraine ce ré-
suItat funeste , n'est done pas seulement une
peine illégale; c'est encore une peine cOlltraire
a la morale el a la religion.




l 75 )
Mais qnoi ! n'est-il pas de príncipe que


toutes les pelnes doivent ctre personnelles?
Pourquoi done étendt'e la rigueur jusque sm"
les parens du détenu '!


Eh! n'est-elle pas punie, en effet, l'épouse
gu'on prive de la vue de son époux? n'esl-elle
pas me me punie plus séverement que lui, si
1'0n considere que l'homme trouve dans sa
force naturelle une constance et une fermeté
a laquelle l'autre sexe ne peut pas toujours
aUeindre 7


]\Iais ee n'est pas seulement sous le rapport
des affections blessées, des liens de la nature
brisés, que le seCl'et est une peine pour les fa-
milles aussí bien que pour les détenus. Sous
le rappod des fortunes, n'est-ce doncrien que
d' enlever un chef de famille e t de le priver subi-
tement de toute communication avec les
sicns?


Supposcz qu'un hanquier, un marehand, un
manufaeturier soient arnhés : comment vou-
lez-vous qu'une femme, le plus souvent étran-
gere aux affaires et aux opérations de son
mari , puisse seule et a l'instant me me se mettre
en mesure de le suppléer 7 Elle le pourrait en-
care ¡t raide de ses conseils, s'iIlui était per-
mis de <.:ommuniquer avec lui; mais seule,




( 76 )
pnvee d'instruetions, eonnait - elle ses res-
sourees, ses moyens de erédit, les procédés,
les seerets de son art?


Vous exposez done la famille entiere a une
ruine certaine; et pourquoi? Paree que son
chef aura, je ne dis point para coupable , mais
paru suspect.


Iei viennent, je le sais, les objections arti-
ficieuses des procureurs-généraux sur la né-
cessité du secret en pareille matiere , et le dan-
gel' des communications.


HéIas! qu'il est doulou1'eux de voir les 01'-
ganes des 10Ís se constituer en eeUe oeeasion
les défenseurs de l' arbitrai1'e ! A utrefois le Par-
lement en eorps eut refusé d'enregistrcr un
tel édit , il eut anclé des Remontrances, peut-
etre mcme eut-il décrété d'ajournement per-
sonncl, eomme ennemi du· treme et de rEtal,
le ministre imprudent qui eut pl'oposé de vio-
ler les d1'oits nationaux et de mettre l'al'bi-
traire a la pla ce de la regle: et loin de la, les
magistrals de nos jours sont les premiers a dc-
mander que le eaprice des hommes soit subs-
titué a la sainte autorité des lois! ils ne veulent
aucune restrietion , aueune modification a leur
pouvoir discrétionnaire ! ils ont I1lis en ouhli
celte belle sentence dll ch~ncelier Bacon :




( 77 )
Optima lex esl qure mininn'l1n relinquit arbitrio
judicis, optimus judex qui minimúm sibi.


Mais eette néccssité dU: seeret dans l'instruc-
tion est-elle done incompatible avec la pos-
sibilité d'une entrevue entre le mari et la
femme, le pe re et les enfans?


Doublez la garue: qu'un factionnaire, un
homme de police, un interrogaLeur, un gref-
fier soient présens a toutes les effusions du
ereu!' , a tous les épanchemens de l' amitié (1).
En pénétrant dans ce triste séjour, l' enfant,
effi-ayé a la vue du gendarme, se rejettera sur
le sein de sa mere; mais ce cri avertira le
pere que son fils vient le visiter.


(1) le puis m'appuyer d'un exemple récent. Daos
le pnoces de la conspiration du 19 aoUt, l'un des accusés
avait prétendu que Bérard , malgré le secret auquel Oil
paraissait ,'avoir mis cOllune tous les autres, avait
lléanmoins communi,!ué a vec des étrangers. M. le chan-
celier éclaircit le fait: « Je dois déclarer 11 la Cour, dit-
il, que, guidé p~r un sentiment d'humanitt, je n'ai pu
résisterallx prieres de la femme de I'accusé Bérard, et que
cesentiment m'a décidé il lui permettre de voirson mari
en pl'ésence du cOllcierge. » V oilil précisément ce que
je réclame pour les détenus. C'est encore un des beaux
exemples que la Cour des Pairs aura donné eeUe fois
aux autres tribunaux.




( ¡R )
On parlera haut; il sera défendu de s'ap-


procher, de se toucher; aucun billet ne pourra
etre remiso On tieodra note des gestes, des
soupirs, des sanglots; mais enfin l' épouse saura
que son époux vit encore, le pere aura vu ses
enfans, les freres auront vu leur frere, ils au-
ront échangé des coosolations; le prisonnier
donnera des instructions pour régir sa maison
et ses affaires, 00 s'assurera qu'il ne manque
pas du nécessaire; iI reprendra courage, et sa
famille, affranchie des angoisses de l'incerti-
tude, n' en sera pas réduite a maudire l' auto-
rité. Hommes crueIs! voila pourtant ce qu'au
dix -neuvihne sÍecle vos cceurs impitoyables
l'efusent a l'humanité! »


Le chantre de la Pitié a décrit en heaux
vers la situation effrayante d'un malheureux
prisonoier au secret :


. . . . . . . . . . . . . ..... Dans ce séjour
Oh l'homme, dansles fers, languit privé du jour;
..........................


Réduit, pour seul plaisir, dans ces noires demeures,
A lire quelques mots, oh d'autres, avant lui,
Sur ces terrible~ murs ont tracé leur ennui.
Il est seul : dans un long et lugubre silence,
Pour lui, le jour s'achhe et le jour recommence;
PoUr lni, plus de beaux jours, deruisseaux, de gazon;
eette VOlIte est son ciel, ces murs son horizon.




( 7~) )
Son regárd , élevé vers le flambeau céleste,
Vient mourie dans la nuit de son cachot funeste ;
Rien n'égaie a ses yeux sa morne obscurité;
Ou si, par des barreaux avares de c1arté,
Un faible jour se glisse en ces antres funebres,
JI redouble pour lui les horreurs des ténebres ;
Et, le crenr consumé d'un regret sans espoir,
Il cherche la lumiere et gémit de la voir.


Apres aVOlr dépeinl l'infortune des diffé-
rentes sortes de prisonniers, le poete s'écrie
encore d'un accent douloureux :


Quels qu'ils soient, n'alJez pas, stérilement cruel,
Dans le fatal séjour ou la loi les exile,
Aggraver leurs malheurs d'un malheur inntile.
Rendre lenrs fers plus lounls, et, sans nécessité,
Joindre la solitude a la captivité.
Dans ce triste abandon, ou lui-mcme s'aLhorre,
Par ses pensers ;ruels le malheur le dévore.
Ah! Iaissez arriver ses chers consolateurs,
Et que des pleurs du moins répondent a ses pleurs!
La justice csl coupable alor. qu'eUc est cruel!e.




( 80 )


§ 9·


Du choix d'un Conseil.


Tout aeeusé doit etre défendu; sans défensc,
pas de justice.


Pour garantie que l'accusé sera suffisamment
et convenablement défendu, la loi, sans lui
interdire de se défendre lui-meme, veut qu'il
ait un conseil.


S'il néglige d'en choisir un, le juge doÍt ren
POurVOil' d'úffiee, a peine de nullité de la pro-
cédure.


Cette désignation de la part du juge ne doit
avoir lieu que faule, par l'aecusé, d'avoir fait
son choix : cal', s'il est un dl'oi. qu'on ne puisse
refuser a un accusé, e'est ass~ément de ehoisir
librement l'homme auquel il doil eonfier le se-
eret de ses pensées, de ses ~l'reurs, de ses
faíblesses, de son existenee toutc entlere.


Qui done pourrait eirconserire ee ehoix'! Il
ne l'est point par le droit naturel : iI ne l'a été,
que je sache, ehez aucun peu~Ie de l'antiquité.


ARome, l'esclave me me devait etre dé-
fendu par son maitre ou par le fondé de pou-
yoir de son mai tre (l. 1 1 ff. de public. j udie. ) ,.




( 8 ( )
si celui- ci l'abandonnait, iI pouvait se faire
défendre par un autre esclave de son choix
(l. Igil de pcenis) ..


Et pour nous, hommes libres du dix-neu-
· vieme siecle, le choix d'un défenseur est en-
touré d'obstacles et de restrictions : ii faut des


· permissions! il est possibIe de les refuser!
Aux termes du Code impériaI de 1810, arto


2g5, «" le conseil de l' accusé ne pourra e tre
» choisi par lui ou désigné par le juge que
» parmi les avocats ou avoués de la Cour royaJe
» ou de son ressort, a moios que l'accusé n'ob-
» tienne, du pl'ésident de la Cour d'assises, la:
» permission de prendre pour conseil un de
}) ses parens ou amIS. ))


Que l'avocal désigné d'olJice, ne puisse
etre choisi que sur les lieux, je le con«;ois;


. aUcun líen ne l' attache a l' aCGusé; tout devient
· indifférent a celui qui, pouvant choisir, ne l'a
pas voulu; et d'ailleurs, iI ne serait pas juste
que, sur une désignation d' office, un conseil
fút obligé de se déplacer.


Mais quand l'accusé se choisit lui-meme un
conseil, pourquoi l'astreindre a ne le prendre
que dans le ressort de la Cour qui doÍl le
juger? Pourquoi exiger, en pareil cas, une


6




( 82 )
pemllSSlOn du president , qui, s'il peut per-
mettl'e, pourra done aussi refuser ]


Pourquoi eeHe premiere reslrietion est-elle
encore accrue par la nécessité qu'impose le
décl'et impérial du 14 décembre 1810, de re-
courir a l'autorité du ministre de la justice
pour avoir la permission d'aller plaiderhors
4u ressort (1) ?


Le médeein, le ehirurgien, domiciliés a
París, onl-ils besoin d'une autorjsalionde la


(1) Pourquoi ce ministre lui-m~mea'-t-il, en der-
nier líe u , ajouté aux difficultés existantes, en exigeant
un visa préalable du batonnier, une atteslation que
l'avocat n'avait élé puni d'aucune peine de di~cli)line,
et des renseignemens parliculiers sur ses opinions po-
litiques? Tel est l'objet d'une circulaire,:du 25avr.il
1821 , a MM. les ;premiers présidens et les procureurs-
généraux. - JI faut rendre ce témoi3"nage a M. ¡epre-
mier président Seguier, qu'i( a désapprouvé ce surcroit
de servitude. Il conna1t assez bien les sentimens clu
harreau, pour penser que ces précautionsqui non s sont
injurieuses, sont en meme temps inutiles, et qu'on-ne
doit pas ainsi gener ('honorable liberté dQntllouS
avons le droít de jouir, SOIlS la protection et la sur-
veillance des magistrats. Il ne s'est pas preté a écrire
des circulaires en sous-ordre aux présidens du ressort de
la Cour; et il a eu I'obligeance d'en informerle barreau.
C'est ¡¡insi que ce magistrat j ustifie pour lui-meme ces.




( 83 )
Faculté, .po.ur .aBer guérir un malade en pro-
vince ? Les in.firmes .des départemens sont-ils
réduils a se faire traiteret panser ,par les otfi-
ciers de santé du pays? Leur est-il défenc;l,u
d'élevcr leur .confiance ?


.Que dire encore .d.e ces cQ\ltrées QU l' o.n a
vu des avocat~ AJ.!lllquer a Ieur état et;seman-
quer a eux-meme~, au point de ref~ser lcur
m.i~islel!e a de malheureux accusé,s? Da\ls
ce leas, au moi~s" ( ¡i'il se présentait de nou-
veau , ) .fautorisation d'alIer prendre un dé-
fenseur ailleurs serai t-elle encore discrétion-
naire, ou de droit ?


Eh! pourq~oi done eette ilpprébensioll de
J'autorité, cette eraintede voir 1'a;vocatfixé
.hab¡tue~lemenl dans le .re~ort d'uneCour,
aller pl~ider .dans~llle autre? Est-ce lapeur


deux verso qu'il a mis au has du portrait de son illustre
pere placé ,par ses soíns, dans la lúbliotheque de
l'Ordre des Avocats :


Témoins de ses talens , sa gloire esl vC)tre Qu.vrage :
Volre amonr ponr son fils, mon plus hel htiritage.


De tels exemples jettent les fondemens d'une uni~n
solide entre la Magístrature et le Barreau : union a la-
queUe ces deux Ordres dur~nt 1!I!e p~rtí~ de lepr gloire,
el qui tourne a l'agrement des individus ,autant qu'au
bien de la justice.




( 84 )
. qu'il ne défende tropmal son dient ? que rae-
cusalion ne soit pas assez fortement com-
hattue? que le procureurgénél'al n'ait trop


. heau jeu ? - Non, sans doute. C' est . done la
crainte du contraire; la crainte que cet
avocat qu'on aura choisi, surement en rai-
son desa grande réputation, ne déploie trop


· d.e courage, de talent, d'énergie; qu'il De
soit trop Bon avocat, qu'il ne fasse trop bien


· son devoir, qu'il ne produise trop d'impres-
sion; en un mot, qu'il De sauve l' accusé ?
Mais cetteerainte serait odieuse, crueIle, in-
humaine.


L'avocal esl l'bomme de tous les temps, de
tous les lieux, le protecteur de toutes les in-


· fortunes, le défenseur-né de tous les citoyens .
. Cil'conscrire son miuistere, e'est· porter at-
teinte au droit de tous: la liberté qu'i) rédame,


, el dont il use, est la liherté de lous, puisque
c'est 3U proSt de tous qu'ill'exerce.


L'article JO du décrel du 14décemhre 18ro,
devrait done etl'e rapporté, et l'article 295
du Code d'instruct.iou criminelle reslreint au
eas Ol! l'avocat serait nommé d'office par le


> juge.
L'affaire de M. Madier Montjau a faít naitre


une autre diffil!ulté.




( 55 )
Il a réclamé devant la Cour de cassation le


droit de se choisir un conseil; il n'a pll
l'obtenir.


00 luí avait fait verbalement diverses ob-
jeclions auquelles il répondait de la maniere
suivante, dans sa requete du 19 novem-
hre 1820 :


c( L' ex posan test inculpé~' on prm oque
contre lui l'applieatíon de dispositions pénales;
il doit done jouir du droit naturel de se dé-
fendre, quÍ appartieot a 10ut homme, a tout
citoyen.


» Cependant, quel n'3, pas été son éton-
nement, lorsque, daos une audienee qu'a
hien voulu lui accorder monseigneur le garde-
des-sceaux, ayant exprimé a ce ministre, qui
doil etre l'un de ses juges, l'intention de se
choisir un conseil pour l'assister dans sa dé-
fcnse, sa grandeu!' a fait entendre a l' exposant
qu'il n'aurait pas cette faculté; qu'il devait
songer a se défendre lui-meme; que s'jl ne s' en
sentait pas capable, alors c'est qu'iI n'était pas
capable non plus d'exereer sa magistrature;
que d'allleurs tout se bornerait a quclques
questions auxquelles il aurait a donner des
réponses catégoriques sur lesquellcs on ju-
gerait !




( 86 )
}) A ces aSs'ertl'ons, l'éxposant a rép'Orídu


tespectueusémerit q'u'oo p'Ouvait etre fort hon
juge et n'avoil' pas toutefois le don de la pa-
role; que d' ailleuts, daos sa propre cause,
I'hornme le plus ha:hile et le plus sftr de ses
bonoesioténtions devait se défier de ces émo~
tions suhites dont on n'est pas toujOOl'S maItre
qua:nd il s'agit de soi; qu'enfin, l'étát habitucl
de maladie de l'exposant pourrait l'empecher
de mettre a exécution le dessein ou il est de
se défendre lui-meme. Ces raisons n'ont pas
paru toucher monseigneur le garde-des-sceaux;
de sorte que I'exposaot a líeu de craindre que
sá grandeur, cornme président de la Cour ~l
l'occasion de son protes, n'interdise I'erttrée
de l'audience a ses conseils, et la parole a l'a-
vocat qu'il se sera choisi.


)) Dans ces circonstances, et attendu que
M. Montjau devta san s doute répondre per-
sonnellenient aux questions qu'il pI aira a M. le
président de lui faire ali nom de la Cour; mais
que l'interrogatoire n'est pas la défense, eL
qu'apres les réponses fonrnies, iI restera 11
donnet les explications et les développemens
que pourront exiget tant le premier réquisi-
toire de M. le procureur-général que celui
qui sera prononeé a la prochaine audience de




( 87 )
la COUf; attenduqu'ilne s'agitp::l.sicid'une chose
de simple étiquette , ou de poliee d'audienec ,
du genre de ceHes dont le réglemept est aban-
donné au pouvoir discrétionnaire du magistrat
qui préside; mais qu'il s'agit d'nn droit natnrel
et positif, assuré et garantí par toutes les lois
a tous les cito yen s , et dont M. de Montjau,
quoique magistrat, ne pourrait chre privé saos
injustice; attendu qu'il ne s' agit pas ici d'une
matiere civile, ou de celles dans lesquelles les
avocats de la Cour de cassation ont seuls le
droit d'occuper; mais qu'il s'agit d'une matiere
pénale, et que l'usage constant de la Cour,
d'accord en cela ave e le droít non moins cons-
tant des parties , est de leur laisser toute espece
de latitude dans le choix de leurs conseils el
de leul's défenseurs.


» L'exposant supplie humblement qu'il
plaise a la Cour de cassation }'autoriser a. se
choisir un conseil, tant parmi les avocats spé-
cialement attachés a la Cour, que dans le
harrean de Paris, a l'efret de l'assister a l'au'"
dience de la Conr, et de plaide~ ou répliquel'
pour lui, suivant et ainsi qu'il avisera dans
l'intéret de sao défense; et vous ferez jnstice. »)


La grande raison qui parait avoir motivé le
refus d'accorder un conseil a M. Madier de




( 88 )
3'Iontjau, est qu'il s'agissait d'une cifJaire de
discipline.


Cette réponse eut été honne, si l' on avait
procédé contre ce magistrat en la Chambre du
eons,eil, a huis dos.


Mais du moment que l'affaire s'instruisait en
puhlic, et avec la plus imposante solennité,
ma:rimo apparatu judicii; du moment que
j\J. le procllreur-général procédait par voie
d'accusation et de réquisitoire, il semble que
le droit de se faire défendre par un conseil ne
pouvait pas etre interdit au magistrat inculpé.


On n'aurait pu le lui défendre que dans le
cas ou le sénatus-consulte, en vertu duquel on
procédait contre lui, aurait spécialement dé-
cidé que les fonctionnaires aceusés, n'auraient
pas le droit de se ehoisir un eonseil. 1\'1ais ce
sénatus-consulte ne renferme pas a eet égard
de dérogation au ,droit eommun. Le principe
général de la défense devait ,done recevoir ici,
comme dan s tous les autres eas, son applica-
tion. Cal', ainsi que l'ohservait judicieusement
M. le premier président de Lamoignon, en
discutant contre Pussort l'ordonnance de 1670:
(( Le eonseil donné aux aecusés n'est point un
» privilége >' e' est une liberté acquise par le
¡) droit natnrel....... La nature cnseigne a




( 89 )
» l'homme d'avoir recours aux lumieres des
" autres, quand iI n'en a pas assez pour se
» conduire, et d'emprunter des secours,
j) quand il oe se sent pas assez fort pour se dé-
») fendre. »


L'objection faite a M. Madier, qUe's'il ne se
sentait pas capable de se défendre lui-méme,
ii n' était pas capable non plus d' exercer sa
magistrature, n' était pas réfléchie.


M. Madier y a tres-bien réponduen disant
qu'on peul etre fort hon juge el n'avoir pas
toutefois le don de la parole. Il a prouvé, sans
doute, qu'il était tout a la foís bon juge et
bon orateur. Mais il n' en est pas moios vrai
que ces.qualités se trouvent rarement réunies
en la meme personne. Il n'en est pas moins
vrai 'qu'en pareille occnrreoce, l'homme le
plus habile est souvent troublé au point de ne
plus retrouver pour lui-memele talent qu'il
avait pour autrui (1).


Cicéron accusé par Clodius bégaya, perdit
la tete, el recouru t a ses rivaux; en concluera-
t-on qu'il était incapable des dignités qu'il
avaitexercées?


(1) Proprio in metu , qui exercitam quoquc debilitat
eloquentiam. (TACIT. Annal.)




( 9° }
V oulez-vous un tra·jt nOn moms saillant"


notre histoire va nOlllS l'offrir.
Lise:a le proces da chancelier Poyet; cet


avocat, choisi par Fran-<;ois 1"" comme l'homme
le plus éloquent du royaume, pour haranguer
le pape C}ément VII; ce jUirisconsulte profond
que son savoir 6t parvenir du barreau lt la
premiere magjstrature; législateur tache . et
cruel, pour perdre Chabot iI avait fait l'ordon-
nance de 1539, de mani~re que, sans conseil,
l'amiral ne put pas échapper aux repIis tor-
tueux de la nouvelle procédure. Mais le voillt
lui-meme accusé, et voyez comme iI sent sa
faiblesse ..•...


(( 1\'1. (;uil1au1l\C' Poyet a dit : Que ce qu'il
» dira ptésentemejlt, et qu'il a rédigé par
» éCrÍt, ne peut étre sans impertinence eL
» ineptie, cornme fait d'un homme étant en
» capti~ité .... Qu'il craignait beaucoupn'avoil'
)1 puissance et entendement sufllsant .... Qu'il
>1 était malaisé beaucoup parler sans faillir,
J) attendu que ceux qui oot été en la grace
)! de Dieu difuerunt in lingud, et a allégué
» plusieurs passages de Job .... Qu'il était aisé
» de dire heaucoup de honnes choses a per-
» sonnages savans , ayant autorité de Jeur état
» contre personnes affiigées .... Que les gens




( gr )
» du roí ne devaient prendre les paroles d'une
» personne affiígée ad rigorem ...... Que la
» langne lui avait tourné> erat lapsus lingul1! ...


)) Il cornmence airisi son pénultieme inter-
» rogaloire: Slupejactus fuerat heslerna die,
1> aiun videret bellum sibi paratwn, dl'l1n vi-
» deret doctissimos et eloquentis9im&9 pug-
» nantes adversus pusillum, et metus natu-
» raUs> et circumspectio tantorwn virOrlUll.
» Hier j'ai été égaré, déconcerté a la vue du
» combat que je suis ohligé de soutenir eontre
» des ennemis instruits et éloquens, rnoi de-
» venu pusillanime, aecablé par la faiblesse
» de la nature et par la crainte qu'inspire le
» dan gel' de ina position. »


Dans un proees aussi mémorable que le
soUvenÍl' en est douloureux, le vertueux de
Malesherhes, áyant a_ opinér sur la maniere
dont on devait compter les voix, demanda un
délai pour fi-:rt'-r ses idées par écrit: ( Ci-
» toyens, disait-il, je n'ai pas, comme mes
» collegues, I'habitude de la parole; je n'ai
» point eornme eux l'hahitude du plaidoyer.
» Nous parlons sur-Ie-ehamp, sur une matiere
» qui demande la plus grande réflexion. Je
}) ne suis point en étal d'improviser sur-le ...


/'




( 92 )
») champ; je ne suis pas capable if improl'iser
») de suite (1 ) ..... })


La me me chose arriva en Angleterre , lors-
que, vers la fin du 17" siecle., la tyrannie fit
une tentative pour abolir l'usage des conseils
des aeeusés. Dndes grands juges, Astlhey, avo-
cat éloquent, habile jurisconsulte, prié de
traiter eette question devantla chambre haute,
éprouva un embarras te]., qu'apres avoir bal-
]mtié quelques mots, il fut obligé de s'inter-
rompre et de s'arreter. Revenu a lui el pressé
de parler : ce 1\'Iylords, dit-il, si moi qui suis
)} innoeent et libre, je mevoisinterdit en par-
») lant devant vous; cornrnent done pourra se
» justifier seul l' accusé qui tremble pour sa
») vie?})


J'en dis autant du fonctionnaire inculpé qui
trernble pour son honteur. Je le repete, l'é-
preuve d'un refus de conseil a été faite sur uu
hornrne en quis'est trouvée une force de tete
et d'éloquence qu'on ne soup<;onnait pas, et
qui lui a merne permis d'atteindre plus haut
que n' eussent visé ses eonseils: mais ne peut-il
pas arriver:qu'elle se renouvelle sur des hom-


(1) Extraitdu Moniteur.




( 93 )
mes moins fortcmen t organisés? De tels pré-
eédens ne peuvent-ils pas, a la longue, tourner
eontre ceux-Ia memes qui Ollt le plus contri-
hué a les introduire? n faut done toujours fa-
voriser la défcnse; et quelque éminent que
ron sOÍt, craindre de s'entendre dire quelque
jou!', comme a Poyet : Patere ügem quam
ipse tuleris.


Je n'ajouterai plus qu'une réflexion qui se
rattache au choix d'un conseil, et a la néces-
si té de suppléer a la faiblesse des accusés par
la force de ceux qu'on leur donne pour les as-
·sister.


En matiere civile , un mineur doit toujours
etre assisté de son tuteur ou curateur. Pour-
quoi n'en serait-il pas de meme au crimine!?
le péril est plus grand, et l'intéret plus grave.
La loi, lorsque l'accusé est agé de moins de 16
ans, veut que l'on pose la question de discer-
nement; maÍs ce discernemenl qu'on exige pour
qu'il y ait eu crime, est nécessaire aussi pour
reprocher des témoins, déjouer une accusa-
tion , et se défendre avec succes~ Tutor cons-
. tituitur ad tuendum eum qui propter cetatém
ipse se sponte defendere nequit. L. l. ¡¡: de
Tutelis.




(
I \ ~N )


§ 10.
C0111.municalion de l'Accusé avec son Conseil; -


Communication de la procédure, et du Secret de
ffnstruction.


n · 1 r' , , , arr.lwe ,que quelolsqu un prevenu ou ,un
accusé, me me sans etre au secret,~ quoiqu'il
ait la faculté de communiquer avec ses parens
ou des étrangers, .o' a pas ,enco-.re eeUe decom-
muniquer avec son conseil. C'est ce que j'ai vu
t>inguliere:Qlent pratiquer dans,¡'affairedes trQi¡;
Anglais. On:leur,perQle~t:lit de voirleurs COIU-
patriotes et quelques Fran<;ais de leur connais-
sance, 'tandis qu'il était encore i~terdit a .leur
avocat de les voir el de converser avec eux.


Et meme apres que ce co~eil a pu périétrer
dans leur ,prison~. :il ne lui a pas étépermis de
,prendre CQlnmunication de l,a procédl.lre.


Les trois,prévenus ne,pouvaient concilier ce
double refusavec les idées que la législatiou
de 1eur pays avait fait naitre en eux, sur la
.liberté qu'a tOl.ljours un :prisonnier decQW:-
muniquer libreme.nt .avcc qui hon lui .semble;
.et de .prendre connaissance,..en tout état _de
.cause, des charges produites contre lui.


Pou!' leur expliquer la législation ou plutót




( 95 )
la pratiquc·de Franee, etleurrendre COO1.pt:e en
me me temps .de mes démarches , et du pe,u de
succes qu'eIles avaient¿btenu., j.e fas obligé
.de leur écrirc . .iJ':extrrusce qui suit de ma lettre
.du 2 fév.rier 1816, imprimée parmi les lpieoes
de leur proces el).


L'article502 duCode d'itlstruction ,crimÍ-
nene, dit que c( le conseil pourracommWli-
lC'{uer avec l'aecusé apressolJ. intenrogatoire.
-\ll pourra .aussi :premlre eomm1!J.uication ,des
pieces, sans déplacement etsans retarderrins-
ltcuc.tion. ))


( Fort !de ;cette dispositíoIil. de la loí, raí
.demandé ceUe comniumcation ; je J'ai de-
;mandée 3 idiverses repllises .,mais lelle m;a Jété
xefusée.


)) A ce1,égard, je .dois de S\litevous cer.ti-
,fier que ce 'llefus n'a :rien·qui ¡puiase vous ,faire
.croireque M. le juge ;d'~lllstruction erA) '!f ait
mis deJa ;mauvaise vol@ut.é.


(1) Proces des trois Anglaís , \Vilson, Bru<;e et Hut ...
chinson; I vol. in-So, 2" édit:, pag. 199 et suivantes.
'Paris, ·Guillaume.


(2) 'M.Dul'~, auiourd!hui président de ¡'une des
Cham"bres du triburull ,(k ppemieFe instance de i1o.1.
Seiue.




( 96 )
» Au contraire, il me serait impossible de


vous peindre la bienveillance avec laquelle il a
écouté mes demandes, si vous ne saviez nar
vo';'s.;.memes aquel point vous etes pers¿o-
nellement satisfaits des égards qu'il vous a té-
moigoés daos ses relations avec vous.


» Mais ce magistrat, apres en avoir cooféré
. avec M. le procureur du Roi, a pensé que
.l'article 502 se trouvaot pIacé daos le chapitre
intitulé de la procédure devant la Cour d'as~
sises ~ n'était pas applicable a l'espcce ou vous
vous trouvez. En effet, m' a-t-il dit, Iorsque
l'accusé est renvoyé devant la Cour d'assises,
l'iristructi(~>D est complete et rien ne s' oppose


, plus a la cornmunication; mais tant que l'ins"
truction n' est pas terminé e , la commuuica-


.. tion oe peut avoÍr lieu sans danger.
)) J'ai re<;ucette décisiou avec le respect


quem'iospirent toujours lesdécisions judi-
ciaires, alors me.me qu'elles ne portent pas la
conviction dans mon esprit, et j'avoue que
celle-ci est du nombre. Voici mes raisona :


» 1°. La preuve qu'iI n'est pas nécessaire
que l'instruction soit completement ierminée
pour que la commuoication des pieces ait líeu,
résulte de ces mots : Sans retarder l'instruc-
tion~' car on ne retarde' pas une instruction




( 97 )
lorsqu'elle est faite, mais seulement 101's et
pendant qu'elle se faít. La 10i a done voulu
que la eommunleation des pieees fut aeeordée
au conseil, meme pendant l'instruction, a la
charge seulement de ne pas la retarder: ce
qui veut dire qu'il ne doit prendre eommuni-
calion qu'aux heures indiquées par le ma-
gistrat.


J) 2°. Cette premie re observation en amime
une seconde : e'est que la communication au-
torlsée par l'artide 502 doit avoir lieu avant
le renvoi a la Cour d'assises, el non pas seu-
lement apres ce renvoi prononeé; cal' il n'est
jamais prononeé qu'apres que l'iristmeLion est
terminée, et nous venons de voir que la °loi
autorisait la eornrnunieation dura~t le cours
de l'instruetion, pourvu que ee fut sans la
retarder.


J) 5° . Un autre argurnent se tire de ee que
ee meme artide 502 dit que « le conseil
» pourra eornrnuniquer avee l'aeeusé apres
» son interrogatoire. » Ce serait done apres
l'interrogatoire devant la Cour d'assises, puis-
que tene est l'itlterprétatlon donnée a la se-
conde partie de eet artlde; el pourtant il est
certain que la eornmunieatÍon du eonseil avee
l'aeeusé a eommunément lien avallt que le ren-


7




( 9~ )
voi a la Cour d'assises ne soit pronoueé. Pour-
quoi done la 2" pal'tie de l'arliele 502 s'inler-
preterait- elle moins favorablement que la
premie re ?


}} 4°. Aueune disposition semblable a ce]}e
de l'article 502, ne se trouvant répétée SOU$
les titres o," il est parlé de la procédure a sui-
vre soil devant les tribunaux correctionne]s,
soil devant les eours spéciales; si l' on admet-
tait que cet artide De rec;oit d'application que
devant les cours d'assises, il en faudrait done
inférer que devaut les aulres cours ou lribu-
naux, les prévenus ou accusés n' oot pas le
droit de communiquer avec un conseil, el que
ce con!leil n'a pas droit de prendre commu-
nieation des pieces; et pourtant, ehacun sait
qu'il n'esl pas de tribunal ou eette double
eommunieation He soit autorisée. Elle a lien
devant les trihunaux militaires, les plus sé-
veres el les plus expéditifs de tOU8. Comment
done n'auf-ait-elle pas líeu en matiere simple-
ment correctionnel1e? Le danger qu'on re-
doute dans la communiealion, n'existe pas :
e'est une facilité donnée a l'accusé pour se
justifier; et la justiee De peul jamais regarder
comme dangereux a la société ee qui aide a
la justification d'un accl1sé.




( 99 )
)) 5". L'accusé n'a pas seulement intéret a


se défendre devant le tribunal correctionnel
ou devant la Cour d'assises : iI a un premier
intéret, eelui d'éviter meme


c


d'yehre traduit.
C'est poul' cela que l'article 217 autorise le
prévenu a présenter des mémoi1'es a la eham-
bre d'accusation pour démontrer qu'il ne dOlt
pas etre mis en jugement. 01', eomment son
conseil d1'essera-t-il un mémoire justifieatif,
s'il n'a pas acqllis par la eommunieation des
pieces la connaissance des charges produites
eontre son client?


JI 6°. La loi est sage. Elle a réuni daos un
meme artic1e la permission de communiquer
avee l'accusé et la permission de prendre com-
munieation des pieces, paree que, sans eette
det'ni.ere permission, la premiere est illusoire.
Et de faÍt, de queIle utilité peut etre pOtlr
l'aecusé un eonseil qui, ne pouvant s'instruire
de la vérité des faita, est I'éduit a des colloques
qui De sont remplis que par des hypotheses;
des eonjectures et des confidences presqud
toujours inexactes ou incompletes. Tandis que
s.'il avait vu les pieces, iI poUl'rait faire mar-
cher la défense de front avec l'attaque. C'est
pourtant ce qu' a voutu la loi; elle a bien senti
que le premier besoin d'un prévenu était un


7"1<




( 100 )


conseiJ, comme le premier hesoin d'un malade
est d'appeler un médecin; mais de meme que
le médecin ne peut donner des remedes effi-
caces qu'autant qu'il connait l'origine , le cours.
et les accidens de la maladie , de meme un
avocat, quelqu'habile qu'il soít , ne peut don-
ner a son client aucun conseil utile, s'íl ne
sait pas au juste quel est le sujet de l'accu-
sation.


» Je coneJus de-la que la communication
des pieces doit m'elre aceordée. Je prendrai
cette communication sans déplacement, aux
jours et heures qui me sefont indiqués par le
juge; en un mot, et comme le dit la ]oi, SaTiS
retarder l'instruction~' mais je n' en suivrai pas
moios ses pl'ogres, afill d'elre a pOl'tée de faire
toutes les réquisitions légitimes que votre in-
téret me paraitl'a commander.


) Si, au contrail'e, eette communication
ro'est refusée, je me trouverai dans la facheuse
nécessité d'aUendre dans mon cabinet, pen-
dant que vous attendrez dans votre prison, le
moment de vous défendre avec le dévouement
que m'inspire la convidion que vous n'etes
cotipables d' aUCUll fait qui soit qualifié délit par
nos lois. "


Le prétexte a l'aide duquel on colore ce re~




( 101 )


fus de communiquer avec la personne et de
prendre communication des pieces, est que
l'instruction doit elre secrete.


TeJIe était sans doute l'ancienne regle;
mais elle ne me parait pas avoir survécu a
l'abolition de l'ordonnance de 1670.


Les décrets de 1789 avaient si peu voulu
que· l'instruction fut secrete, que celui du 9
octobre donné pour la r1fol'matio..n de quelques
points de la jurisprudence crimine l/e y prescri" ai t
aux municipalités de nommer des notables
pour assister sous le titre d'adjoints a l'instruc-
tiou des proces criminels. D'apres l'artic1e 6,
ces adjoints étaient tenus de faire au juge ins-
tructeur les observations a charge el a dé-
charge qui leur paraitraient nécessaires.


Le législateur de ceHe époque n'avait vu la,
comme l'indique le préambule du décret,
ce qu'une précaution qui, saos subvertir 1'01'-
dl'e de procéder, devait rassurer l'innocence
et facilitel' la justification des accusés, en
mcme temps qu'elle honorerait davanlage le
ministere des juges dans l'opinion publique. »


Plus tard, on n'a pas maintenu la nécessité
de J'intervention des adjoints; mais ce n'a pas
été dans l'inteotion que la procédure redevint
obscure , ténébreuse, secrete en un moL On




( 102 )


n'a pas voulu se dépal'tir de eette base ~alu­
faire, qu' il fallait rassurer l' imwcenc.e el fad-
liter la justification des accusés.


Nos iois subséquentes out conservé le prin-
eipe,.que l'instruction de'Vait etre faile a charge
et a décharge. Or, eomment se fait- elle El
eharge? En déployant de la part des juges
d'instruction el des procureurs - génél'aux ,
toute l'aclivité de leur caractere, pour rassem-
hier les indi~s du crime et les preuves de cul-
pabilité. eomment pourrait-elle se faire a dé-
charge? En déployant de la part du prévenu
une activité semblable, sinon par lui-meme
puisqu'il-est et doit ctre détenu, au moins par
son eonseil. Mais, s'il est au secret, si on lui
interditde prendre un eonseil etde conférer
avee lui avant que l'instruetion ne soil parve-
nue a son terme, si avant la meme époque et
en supposant qu'il lui ail été permis de com-
muniquer avec un conseiJ, il n'est pas permis
a ce eonseil de prendre communieation des
charges, eomment empecherll-t-il la préven-
tion de se former? eomment donnera-t-il au
juge les indications nécessaires pour opérer a
décharge aussi bien qu'a eharge ? La parrie ci-
vile est bien re~ue a prendre cette communi-
cation; elle s'associe a la poursuite ; le minis-




( 103 )


tere pu blic l' admet comme auxiliail'e : pourquoi
cette faveur aecordéea la plainte, serait-elle
refusée aux gémissemens du pl'isonnier? Pour-
quoi la défense oe serait-elle pas ici mise a
portée de se faire entendre a coté de l'accu-
sation?


Est-elle done abrogée, eette 10i du rcgne de
Louis XVI, portant que « tout citoyen décreté
1) de prise de corps, ponl' quelque crime que
» ce soit , aura le droit de se ehoisir un ou plu-
)) sieurs conseils, avee lesquels il pourra con-
}) férer librement en tout état de cause, et l'en-
)) trée de la prison sera toujours permise aux-
j, dits conseils? » (Décret dU9 octobre 1789,
arto 10.)


Mais, diront quelques procureurs-généraux,
si on laisse ainsi pénétrer les conseils pres de
l'accusé, ils lui indiqueront les moyens de se
justifier; si on leur permet de présenter des
défenses ab QlJO, ils étourdiront le juge de la
pretendue innocence de leurs cliens; et, a les
entendre, il n'y en aura pas un qui puisse etre
mis en aeeusation. -Ce raisonnement ressemble
merveiUeusement au mot de ce capítaine suisse
qui, ch:¡rgé apres une bataille de faire enterrer
les morts, faisMt jeter tous les corps pele-
mele dans une large fosse; et qui, sur l'oBser""




( 104)
vatio n que plusieurs donnaient encore signe
de vie, répondit : Bah! si on voulait les croire,
il n'y en aurait pas un de mort.


L'humanité commande plus de ménagemens
a ceux qui enterrent et a ceux qui jugent.


D'ailleurs, laloi précitée a pourvu au danger
des suggestions, en disant que {( le conseil de
») l'accusé aura le droit d'etre présent a tous
) les actes de l'instruction , sans poulJoir y par-
» ler au nom de l' accusé, ni lui suggérer ce
») qu'il doie dire ou rcipondre. )) (Décret du 9
octobre 1789, arto 18.)


Une preuve enfin que la loi actuelle ne pres-
crit pas aux juges de garder ce mystérieux se-
cret de l'instruction; la preuve qu'elle ne leur
défend pas d'instruire a découlJert ~ e'es! qu'il
y a des exemples, et meme ~-récens, de
conseils admis a assister leurs cliens dans l'ins-
truetion.


Je puis citer, poul' mon compte, l'atTaire
suscitée en 1820, a M. le duc de V*** , pour
attaque contl'e la personne et l'autorité cons-
titutionnelle du roi, par luí prételldue com-
mise en publiant un fragment de ses instruc-
tions diplomatiques au congres de Ch;uillon.
J'avais l'honneur d'ctre son conseil, et il me
fut permis, en eette qualité, d'assister a son Ín-




( 105 )


terl'ogatoirc; je n'ai en occasion d'y relever
ancune irrégularité; mais enfin, j'ai été témoin
de ses nobles répo~ses, et j'ai pu me convain-
cre par mes yeux, dans l'intéret de mon client,
que tout s'était passé dans les formes.


Il est vrai qu'on a jugé ensuite, qu'il n'y
avait pas lieu a accusation; mais ce résultat ne
prouve rien contrc l'exemple, ni contre l'opi-
nion que j'émets ici. .


On objectera peut-ctre qu'il arrive une épo-
que ou copie des picccs doit etre notifiée a
l'accusé.


Mais cela ne résouf pas la difficulté., puisque
eette copie n'est jamais délivrée qn'apres que
l'instruction est totalement terminé e, et , pour
ainsi dire, a la veille de l' audience.


D'a\Ueur&, l'article 505 porte que « iI ne
J) sera délivré gratuitement aux accusés, en
») quelque nombre qu'i/s puissent étre , el dans
») tous les c,as, qU'UNE SEULE COPIE des proces-
» verbaux constatant le dé lit , et des dédara-
)) ~ons écrites des témoins (1). J)


Ainsi, y eut-il cinquante accusés, iI faut que


(1) D'apres l'art. 320 du Code des délits et des peines
de brumaire an 4, co})ie devait etre délivrée gratis el
c!w'luc accusé. Adde Loí du 2~) frimaire an S.




( wlí )
les cinquante avocats, chargés de les défendre,
se morfondent sur la meme copie!


A la vérité, l'art. 505 leu!' permet de pren-
dre ou faite prendre, a leursfrais, copies de
telles pieces qu'ils jugeront utiles a leur dé-
fense; mais la difficulté reste entiere, si, comme
iI arrive le plus souvent, l'accusé n'a pas de
quoi fournir a ces frais.


Dans le pro ces qui s'instruit en ee momertt
a la Cour des pairs, dans l'affaire eonnue sous
le nom de COllspiratioll du 19· aOllt, la
Cour a eu l'attenlion de faire distribuer une
copie cOl'l1plete des pieces, par einq accusés ;
on a égal~ment distrihué a tous les défenseurs
un acte d"accusation imprimé avec de belles
marges , pour faciliter les annotations. Mais
cette munificence est du juge, et non de la
loi, e'est une tres-louable application de cette
maxime: Quod legibus ol7lissumest, nOil omit-
tetllr religione judicantis. L. 15 D:. de testibus.




( 1°7 )


CHAPITR'E V.


De l'Accusation.


S l.


Des Accusations ell g¿n¿ral.


RENDONS hornmage a la noblesse des fonctions
du ministere public; organe de la société , il
iloursuit en son nom les offenses qui lui sont
faites; il les poursuit avec activité, mais sans
passion; avec courage, rnais sans acharnement ;1
il faít la sécurité des bons citoyens , et la te'f-
reur des malveillans (1).


Rien de plus heau qu'un tel ministere, lors-
qu'il est rempli dans toute son étendue , san s
col ere et sans faiblesse, avec fermeté, sagesse
et bonne foi.


Mais , si le premier devmr du ministere pu-


(1) Sontibus unde tremor, civihus unde salus.




( 108 )


hlic est de ne laisser aucun crime impuni; son
devoir aussi est de ne pas montrer une solli-
<:itude tellement inquiete, qu'elle dégénere en
tourment pour les citoyens. S'iI ne faut pas
qu'on puisse alléguer l'impunité, il ne faut pas
non plus que pftrsonrte puisse se plaindre de
vexation; il ne convient pas que la société soit
agitée par le pouvoir qui doit la raffermir , ni
qu'un magistrat trop susceptible de se laisser
prévenir, lui comI!lunique inconsidérément
tous les éhranlemens qu'j} re~oit de la mohi-
lité de son caractere ou de son imagination.


Il ne faut pas accuser légerement; car une
accusation mal fondée a toujours l'incollvé-
nient, ou de compromettre le sort d'un inno-
cent si elle réussit, ou de compromettre l'auT
torité si elle échoue.


II résulte des états que le gouvernement a
faÍt puhlier, des jugemens rendus par les Cours
du royaume, depuis 181:5 jusques et compris
1818, que les acquittemens ont été dan s la
proportion d'un sur trois. Ainsi) pendant ce
laps de six années , sur 53,836 individus mis en
jugement, 56,071 ont été condamnés a diffé-
rentes peines, et 17,765 ont été acquittés.


Voila done, en six ans, pres de 18,000
personnes qu'on doit supposer avoir été mal




( 109 )
a propos accusées , par la meme regle qui veut
qu'on admette que les 56,000 autres ont été
justement eondamnées !


Cette proportion est effrayante ; elle prouve
que les aeeusations ont été trop multipliées.


Mais e'est surtout en matiere poli~ique que
les aeeusations ont besoin d'etre plus réfléehies,
et de n'etre point trop légerement hasardées.


Elles n'ont pas seulement, eomme les aeen-
sations ordinaires, l'ineonvénient suffisamment
grave par lui-meme, d'exposer aux ehanees
d'un jngement un citoyen qu'on aurait du lais-
ser en repos; mais elles aigrissent les esprits;
elles arguent le pouvoir d'injustice ou de mal-
adt'esse; elles l' aecusent d' a voir agi par passion,
ou manqué de prévoyance et de diseernement.


Ces accusations, dan s ee qu'elles ont de
téméraire, vont presque toujours contre leur
but. On a vou]u perdre un cito yen; et d'obs-
cur qll'il était, on en fail un personnage; a
peine sorti de prison, iI est aecueilli par les·
aeclamations du pubIic, son nom demeure
gravé dans toutes les mémoires; il devient
historique.


Ona voulu déployer de l'autorité; et eomme
elle a éehoué , il ne reste que la faiblesse qui
suit d'impuissans efforts.




( 110 )


Tel ouvrage n'eut jamais été, lu que d'un
peLit nombre de lecteur&,. pour lesquels meme
iI eut été sans danger; et 1'00 eo fait un livre
populaire,. par le soin qu' aura pt'i'5 le ministere
public d'en extraire ce qu'il renferme de
saillant,. par l' empressement des journaux a le
répéteF,. et l'imprudence des condamnations
memes,. qui auront pr:scrit l'affiche du juge- ,
ment qui reproduit les, textes proscrits (1).


En matiere de délits de la presse ,. j' ailirme-
l'ais presque qu'il n' est, pas un pro ces ou le
gouvernementn'ait plus perdu par les débats,
qu'il n'a gagné par le j5.gement.


Qu' est-ce done lOTsque }' accusation est suivie ,.
d'un aequittement complet?


On voulai:t faÍre c~ntlamner une doctrine
comme perverse; et l'arret qui absout 1'au-
teur accrédite cette meme doctrine,. puisqu'il
la dédat'e innocente !


A plns forte raison,. si l'accusation s'attaque
a des écrits,. a des faits, a des acles pOUl' ks-
quelsl' opinion s' est ouverternent déda!ée ; a des


([) La persécution illustre un faible ouvrage j
JI est recommande· par la voix. qui l'outta§e;
Et tellivre , a la gloire, aujourd'hui parvenu ,
Sans l'avocat du roi n'eM pas'été connu,


( Em. DlIpat;·. )




( I I 1 )


¡Iommes qu'elle honore, el qu'elle a distingués.
C'esl ainsi qu'en moins d'un an, on a vu un


professeur, un académicien, un archeveque,
et les honorables auteurs de la souscriptioll
nationale, successivement accusés et successi-
vemen! acquittés cum plausu!


n me se~lble qu' en pareil cas, avant de se
décider a accuser, iI faudrait qu'il fut si évi-
dent qu'il y a crime ou délit, que l'autorité
nc fut pas exposée a de lels désappointemens.


II ne faut pas que les amis du gouverne-
ment en usent avec hu comme rOurs avec
r Amateur des j~rdins. Autr,ement on lcur ap-
pliquerait la moralité de la fabIe :


Bien n'est plus dangereux qu'un ignorallt ami;
Mieux vaudrait un sage ennemi.


Ayrault a un sommaire, des crúnes qu' il ne
faut point remuer; el iI en donne cet exemple,
p. 118: (( Apresla mortdeLysander, on trouva.
)1 dans ses papiers une Oraison qu'il avait co.m-
)) posée, pour persuader que les rois de Sparte
») fussent élus, et qu'on n..y vinst plus par
» succession. Les Éphores voulaient accuser
») sa mémoire : mais Cratides l' empescha fort
» sagement: Car (dit-iI), iI vaut mieux sup-
JI prÍmcr cela que d' en faire mention mal a
)} propos. JI




( 112 )


Des Acles d'accusaliOIl.


I( La chance a bien tourné} dit Ayrault,
p. 506; ce qui estait anciennement tout le
premier, est aujomd'hui la plus derniere piece
d'un proces criminel, savoir est, le libelle
d'aceusation : si bien qu'il faut que l'accusé
réponde, premier qu'il sc;ache dont on l'ac-
euse. D'ou vient cela? vient-il des Goths? non;
.cal' iI appert par le XIIIC article de l'edict de
Théodoric, qu'ils suivaient encore l'ancienne
fa~on des Romains. Vient-il d'un vieil stile de
noz majeurs '! rien moins. Car j'ai eu en main
les registres et procédures criminelles faites
l'an 1482, ou j'ai observéqu'a toutes les in-
formations est attaehé'le libeBe contenant tout
ce qu'y désire le jurisconsulte en la loi Libel-
lorwn ~ au digeste de accusationiblls (1). Il en
fut ainsi jusqu'a l'ordonnance de 1559 .... {j'a
doncques été monsieur le chancelier Poyel,
qui a introduit eette fac;on que nous tenons.


(l) Cette loí exige qu'on désigne ave e soin, dans le
libelle d'accusation, les personnes, le temps, le lien,
et toutes les circonstances.




( 1I3 )
L'instruction, certes, qui eslait eontre les plus
crimineux de leze-majesté, iIra appliquée a
tous crimes : que l'aeeusateur ne baille ses
faits pour y répondre el ne die a quoi il tend,
qu'apres les preuves ! Que dirait Cieéron, s'il
vivait? il dirait ce qu'il reproche aVenes,
comme une des plus grandes cruautés et inhu-
manités qui se puisse trouver : Quid injustius}
quid calamitosius insimlllatione REPENTINA?


» Aujourd'hui, sitot qu'il y a décret eonlre
un homme, tant honnete soit-il , le yoila in-
continent aceusé. S'jl est en étal ( c'est-a-dire
en prison) , lui voila les mains lié es jusqu'a ce
qu'il se soi~ justifié ; le voila en telle condition
qu'il est permis de l'aecabler de toutes parts,
et pour une faute qu' on lui met sus, le re-
chercher des sa jellnesse (1). 01', bien qu'il
soitvéritable que sous les empereurs, a me-
sure que la liberté dépérissait peu a peu, et
que les crimes aussi véritablement pullulaient,
on a commencé a etre moins scrupuleux es-so ...
lennités de la justice J' tenir plus de rigueur
aux accusés el les défércr de plusieurs eI-imes
tou! a la fois; si est pourtant que la rigueur


(1) Les proc,ureurs généraux font souvent fonctioll de
biographes.


8




( 114 )
ne fut jamais telle (sinon qu'il fut question de
crimes touchant l'Estat), qu'ils ne sussent
premierement sur quoi on les voulait interro-
ger. (page 509')


••••• » C'est véritablement couper la gorge a
l'accusé que de luy tenir secret ce dont on le
veut accuser, jusques a l'instant qu'on lui
amEme témoins ..... ( page 507' )


••••. » La fa~on ancienne (de commencer
par communiquer a l' accusé le libelle de
l'accusation), était plus douce et plus équi-
tableo » (page 508. )


Actuellement l'acte d'accusation n'est ré-
digé qu'apres l'instruction tefminée; et iI n'est
signifié a l' accusé que (Jingt - quatre heures
avant sa transIation de la maison d'arret dans
la maison de justice établie pres la cour ou iI
doit etre jugé! ( Codo d'instr. cr¡m.~ arto 245.)
Cette pratique a tous les incon véniens reprochés
par Ayrault a la forme usitée de son temps.




( II 5 )


§ 5.
Des FaÍls généraux.


On a nommé ainsi, dans l'affaire des trou-
bIes réciproques du moÍs de juin , un long
narré de l'acte d'accusation destiné a servir
d'inlroduction aux faits particuliers qui fai-
saient et devaient seuls faire lamatiere de l'ae-
eusation.


La meme méthode a peu prcs a été prati-
quée dans l' affaire des sieurs Goyet (de la
Sarthe) et Sauquaire-Souligné : ce derni~r a
meÍne donné une épithete assez piquante a.
eette partie de l'accusation, en la désignant
sous le titre de prologue judiciaire, qui n'ex-
cluait pas l'idée que l'accusation fut une/aMe.


M. GuÍzot, dans son ouvrage de la justice
politique, a un chapitre spécial sur cet em-
ploi des faits généraux dan s les accusations.


Il montre que cette tactique n' est pas nou-
velle; elle fut pratiquée par Jefferies dans le
proces de Sydney: (( Elle l'a été, dit-il, dans
t()us les temps par la tyrannie , quand , TIe pou-
vant trouver le c\'ime dans les hommes qu'elle
redoutait, elle est allée le chercher partout
pour y placer ensuite ces hommes. »


8""




( 116 )


M. Guizot montre l'étrallge abus de cette
maniere de procéder, il en signale les dan-
gers; il s'en effraye, ii redoute l'analogie du
présent avec le passé.


- ( Eh quoi! s'écrie-t-il, a la moindre ap-
paritioQ. de l'esprit révolutionnaire, on nous
menace de ses plus furieux exees; on nous dit
que rien n' en peut sauver, ni les institutions,
ni le talent, ni le courage; et ron ne -veut pas
que les symptomes de la justice révolution-
naire nous inspirent les memes terreurs! On
ne veut pas que les faits généraux, les pour-
suttes intentées a raison non des actes) maÍs
des personnes, toutes ces pratiques des temps
sinistres nous révClent des aujourd'hui ce
qu'elles portent dans leurs flanes! ))


M. Guizot a raison. En matiere criminelle,
il n'y a pas de faits généraux, tout doit etre
précisé; c'est un drame dont l'action est cir-
conserite dans ce qui a directement rapport a
un faÍl positif, a des aeteurs déterminés. Lit
chaque personnage doit etre jugé sur ses pro-
pres actes , et non sur les faits généraux dans
lesquels on aurait essayé de les encadrer. Nous
convÍendrons done volontiers avee luí que ce de
lous les moyens par lesqueJ.s la justice peut
etre pervcrtie, l'intervention des faits gé-




( 117 )
néranx est un des plus dangereux~ Elle subs-
titue les considérations vagues aux molifs lé-
gaux> les inductions auxpreuves; elle déna-
ture la situation des accusés pour les plonger
dans une atmosphere obscure et douteuse, ou,
de moment en moment, iI devient plus diffi-
cile de démeler la vérité en ce qni les touche;
Elle caractérise en fin cet envlllzissement de la
justice par la poli tique , symptome assuré de la
présence du despotisme ou de l'approche des
révolutions. ))


Le Code d'instruction criminelle indique ce
que devra contenir l'acte d'accusation. (( n exposera l° la natur€ du délit qui forme
la hase de l'accusation; 2° le fait et toutes les
circonstances qui peuvent aggraver ou dimi-
nuer la peine; 5° le prévenu y sera dénommé
e t clairemen t désigné (art. 241). »


Ainsi rien ne doit etl'e généralisé, tout 3U
contraire doit etre particularisé. La nature du
délit , la personne de l'accusé, le fait, le faít
précis sur lequel s'appuie l'accusation; et,
quant aux circonstances, celles-Ht seulement
qui peuvent aggraver ou diminuer la peine,
c'est-a-dil'e, toujours des circonstances qui se
rattachent directement a la personne et a la,
conduite de l'accusé, puisqu'il est évident que




( 115 )


des jaits gé'1éraux, qui lui sont étrangers par
eela seul qu'ils ne sont pas des faits personnels ,
nepeuvent ni aggraver ni diminuer son erime.


lei le mal vient de l'homme et non de la loi.
II ne faut pas demander le remede au législa-
teur, mais au gouvernement et au magistrat.


Nous venons de voir que le devoir de l'ae-
eusateur, et de ce luí qui dirige l'aecusation ,
est de eirconseríre l'accusation dans les faits
personnels a l'aeeusé et dans les eirconstances
qui se rattachent évidemment a l'action qui lui
est imputé e a crime, soit qu'elles l'aggravent,
soit qu'elles l'atténuent; mais si, de faít, le
ministere public a introduit dans la cause des
faits généraux, el qu'il les ait consigné s dans
l'acte d'accusation , comme propres a aceré di-
ter cette accusation; doit-il etre interdit a l'ac-
cusé de suivre son adversaire sur ce terrain et
d'expliquer a son avantage ces memes faits?-
Sans doute on n'aurait pas dil les lui opposer;
mais enfin ils ont été mis en avant; laissera-
t-on l'accusé sous le coup de leur influence?
luí sera-t-il défendu de la conjurer, et d'effacer,
par ses explications qui, dans ce cas, ne seront
que des réponses, la mauvaise impression
qu'ont pu faire sur le jury ces faits généraux
destinés a aggraver l'attaque?




( 119 j
VoiÓ' ce qu'on a vu pratiquer a cet égard


dan s l'affaire des troubles de juin.
L'acte d'accusation embrassait, sous le titre


de jtúts généraux , tous les événemens anté-
rieurs au 6 juin. C'était le prologue de l'accu-
sation. Les faits personnels aux accusés se con-
centraient ensuite plus particulierement sur
les événemens du 6. Tous les accusés avaient
été acquittés par un premier jury, a rexcep-
tion de Duvergier que son état de souffrance
avait obligé de retirer du débat. A quelque
temps de la, on a repris son affaire. Dans l'in-
tervalle, la théorie des faits généraux, déja
combattue par les défenseurs des autres accu-
sés, avait encore été attaquée par plusieurs
écrivains distingués, par plusieurs députés a
la tribune, et, iI faut le dire, elle avait été
réprouvée par l'opiuion unanime du barreau
et de tous les gens éclairés.


Du reste, les explications précédentes, les
lumieres acquises par les débals du premier
prod~s, avaient démontré que, dans l'affaire
dont il s'agit, ce relour aux faits antérieurs au
6 juin, loin de nuire aux accusés des troubles
du 6, comme se l'était proposé l' accusation, leur
offrait au contraire de puissans moyens de jus-
tification. On voulul interdire a Duvergier la




( 120 )


, faculté de faire porter les débats sur l' ensem-
,.,..ble~des faits présenlés .par l'acte d'accusation.


L'incident est ainsi tapporté dans les jour-
naux du 25 mars 1821 :


« Oh pass e a l'auditit)U des témoins a dé-
cnarge.


J) M. Clausel de Coussergues..... -
» :M" Blanchet : Le témoin n'aurait.:..il pas


des renseignemens a dopner sur les insultes
faÍtes aux Députés ?


,) M.le Président : Le sieur Duvergier n'est
mis en accusation que pour raison des faits
du 6 joio .. Les fails antérieurs sont étrangel's a
l'accusé et a l'accusation ; ils ne doivent done
pas etre soumis aux débats, et je ne ferai pas
la question au témoin.


») Duvergier: Üt\ ne peur apprécier les faits
qu'apres avoir examiné les causes. Il faut done
discuter les faits antérieurs au 6 juin; si 1'0n
veut connaltre la nature, de ceux qui ont eu
lieuee jour-lil. Avant le 6 juin, la représen-
tatinn nationale avait été outragée par les
gardes-du-corps. Il eonvient de re~hercher si
les insultes faites aux députés nefurent pas
l'unique cause des événemens postérieuI'S, el
si les vÚitables eoupables ne sont pas plutÓt




( I2.J )


ceux quí sont restés impunis, que ceux qui ont
été trainés dans les cachots.


» M. le Président persiste dans sa détermi-
nation de ne pas souffrir que les déhats portent
sur les faits antérieurs au 6 juin.


'J Duvergier: Je déclare que je renonee ama
défense, si elle est restreinte par la Cour.


J) Me Blanchet prend "les conclusions sui-
vantes:


) Attendu que l'acte d'accusation énonce et
développe une double série de faits, des faits
généraux et des faits partieuliers : qu'il signale
les faits généraux comme devant servir a ca-
ractériscr les faits particuli~ qui n'en seraient
que la conséquence;


JI AUendu que, dans l'intéret de la défense,
il importe de repousser les ineulpations géné-
raIes dirigées contre les attroupemens; que le
seul moyen d'y parvenir est de remonter a leur
cause;


)) AUendu que, si l'accusatiou croit décou~
vrir dans de prétendus complots, dans de pré-
tendus projets de rébellion, la cause de ces
attroupemens; la défense a'le· droit' de les
chercher dans les faits antérieurs al! () jllin,
qui auraient provoqué le concours ~t les réu-
nions de ciLoyens; -




( 122 )


1) Attendu que pour apprécier la moralité
d'un faÍt el éclaÍrer la conscienee des jurés,
iI est néeessaire de leur faire connaitre les an-
téc'édens et quelquefois les suhséquens de ce
faÍt; que eette nécessité a été sentie par le lé-
gislateur, qui, par les art.521 et suivans du
eode pénal, punít de peines moins graves les
auteurs de délÍts provoqués, que les auteurs
de délits spontanés;


) Ordonner que M. Duvergier sera admis a
faire la preuve des faits antérieurs a la journée
du 6 juin.


» M. Vatisméni} soutient qu'il n'y a pas
mcme lieu de rendre arret sur ces conclusions;
que M. le Présídent, qui est maítre des débats,
a le droit d'en exclure les faits qui luí parais-
sent étrangers, soit a l' accusation, soit a la
défense.


» Duvergier faÍt de nouvelJes observations.
pour établir qu'il a le droÍt de faire ent.endre
des témoins sur tous les événemens du moís de
]UIl1.


)J M. le Président répond a ces observations,
et eontinue de ne vouloir pas permettre que
l' on sorte des faits du 6.


» Duvergier : L'acte d'accusation impute
les événemens de ¡uin au parti constitutionnel.




( 1?-3 )


Je veux établir qu'ils ne sont imputables qu'a
la faction opposée. Si j'étais accusé d'assassi-
nat, pourrait-on m'empecher d'établir que le
véritable assassin est précisénlent celui qui m'a
dénoncé et qui me poursuit? Je demande, au
reste, que la Cour prononce sur les conclusions
qui oot été déposées par mon avocat.


» M. Vatisménil : Je m'oppose a ce que la
Cour prononce. Le pouvoir de M. le président
suffit.


» Me Blanchet : Je demande acle du dépol
de mes conclusions.


1) La Cour se retire pour délibérer.
J) Elle rentre dans la salle d'audience, et


M. le président pronooce un arret par lequel
il est décidé qu'il n'y a pas lieu, de la part de
la Cour, a statuer sur les conclusions.


JJ M. le président déchlre ensuite qu'il ren-
fermera strictement les débats dans les faits
du 6 juin.


» Duvergier: Respectant l'arret de la Cour
et la décision de M. le président, je déclare
renoncer a ma défense et a faire entendre les
témoins a décharge. Je voulais signaler les vé-
ritahles crimillels; je voulais dévoiler a la jus-
tice les hommes qui se Bont rendus coupables




( 124 )
des exces commis sur M. Chauvelin et sur
plusieurs autres députés; je voulais demander
a etre conduit a l'hotel des gardes, pour dé-
signer les auteurs de ces exces dont j'aurais
révélé les motifs secrets. Je me tairai puisque
la Cour l' exige.


» lVL le président : La Cour n'exige pas
que vous vous taisiez.


» Duvergier: Elle restreint ma défense, et
je garderai le silence. Je laisse le champ libre
a l'accusation. })


Je me borne a une seule question : Était-il
juste, lorsque l'accusation comprenait des
faits généraux, d'obliger l'accusé a se ren-
fermer strictement dans les faits partituliers?




CHAPITRE VI.


Des Débats.


§ lo


rllblicité des Débats; - Poliee de l'Audiellce.


ARome, tous les prod:!s criminels se ju-
geaient en publico Le peuple croyait de son
intéret de savoir cornment on jugeait. In ple-


'< risque judiciis , credebat populus romanus sud
interesse quid judicaretur. ( Dial. de claro
Oral. )


Et qu'on ne di se pas que cette publicité
qui plaisait aux républiques, ne peut con-
venir aux monarchies! Un lieutenant crimine!
qui éúilJait sous Charles IX, justifie cet in-
téret du peuple par des motifs également
applicables a toutes les formes de gouver-
nement.


( Le public, dit-il, a intéret de savoir en
quelle réputation l'accusé et l'accusateur s'en




( 126 )


vont de devant les juges. Cela est nécessaire au
. .


commerce, aux marIages, aux succeSSIOns ,
aux honneurs. Tout homme qui est absous,
n'est pas honorablement, ni absolument ab-
sous; et tout demandeur qui perd sa cause,
ne la perd pas honteusement, ni a, fond de
cuve. Il y a queIquefois de la honte a gagner
et de l'honneur a perdre; qui a obtenu, se
trouve plus scandalisé, et tous les juges, que
sa partie qui a perdu. Comment s'apprend
cela? Est-ce en imprimant et publiant le
prod~s, quand iI est fait ? Non, ce n'est plus
que de l' encre. Mais, ou qui veut est spec-
tateur; on voit a bon escient si l'accusé est
renvoyé beneficio legis, an innocentiá~· si par
collusion et tergiversation, oude bonne guerre;
si par connivence et corruption des juges , ou
justement. De fa<;on que tel est absoult par
sentence, qui demeure néanmoins couché en
de beaux draps : et quelque jugement qui in-
tervienne, iI est tres-difficile que des parties
ne soient toujours connues pour tels qu'ils
sont, et non pour tels qu' On les prononce. »


Ayrault signaIe encore d'autres avantages
attachés a la publicité des débats criminels; et
je profite de ce qu'il était magistrat, et écri-
vant sous un gouyernement absolu, pour trans.-




( l~j )
~rire ici quelques'-unes des raisons qu'il ap-
porte a l'appui de son sentiment.


ce L'audience ( dit-il, page 555) e st la bride
des passions: e' est le fléau des mauvais juges.
Qui est-ce qui ne les siffierait, si publique-
ment ils faillaient <1 •••• Certainemen t il est
aisé au magistrat qui lui seul sait le secret
d'un proces, d'en fail'c accroire aux parties et
au peuple ce· qui lui plait; .aisé de pallier sa
cupidité et injustice. Mais quand l'auditoire
participe a tout le fait, iI juge auItrui; mais a
l'instant aussi ses actions sont louées ou con-
damnées sans appel. »


,( Le magistrat qui juge, a son tour est ¡ugé. )


ce Qui contientdonc plus ce juge , que eette
-peur et honte d'ctre bIam~ ? 11


e( Si eette instruction publique sert de bride
aux mauvais (- poursuit notre vieux, ma-
gistrat ), elle engendre un incroyable los et
repos aux bons juges. En un moment, leur
valeur, leur industrie est vue et connue d'un
chacun; et, ce qui contente le plus, la porte
est bouchée aux calomnies. Cal' qui oserait
mentir si impudemment, quand tout le pubic
est juge el témoin pourquoi il a condanmé
l'un et renvoyé l'autre, pourquoi ii a été plus




( 128 )


sévere a celui-ci, et plus doux a celui-la. Ces
pro pos cesseraient (1) ; car qui l' aura voulu,
}' l" , aura ID meme vu au proces ..... ))


(e C'est du palais comme du temple ( dit-il
encore page 555) ; qui entre en celui·ci, pense
tout aussitot que Dieu le voit; et pour cette
occasion, iI se dispose a un maintien doux· et
modeste. S'iI est fier el superbe, il en dépose
une partie. A ussi, quand le Chef a commandé :
Ouvre'4~' appelez les advocats ~·les juges, (nou-
bliez pas, leeteur, que e'est un juge qui parle,)
les juges, lesquels a huís dos se dispensent de
beaucoup de choses, dorment, babillent, vont
de chambre en chambre , font brigues, COll-
testent l'un contre l'autre , montrent Ieurs pas-
sions et affections, affectent en leurs opinions
trop de douceur ou trop de sévérité: quand
ils se voyent exposés d'un haut lieu a la
vue d'un .auditoire qui juge. autant ou plus
leurs fa~ons et contenances, qu'eux des causes
dont ils sont juges : ils se préparent a ou"ir paisi-
blement, a comporter doucemcnt les affections


(1) Ces propos cesseraient si les déLats étaient pllblics;
ruais ils a\"aiellt cessé de l'etre sous le ministere de Poyet.
Ayralllt regrette cette pnblicité, il forllle des ycellX:
ponl' son rétablisseruCllt .... "




( 129 )
des parties, tant s'en faut qu'ils découvrent les
leurs; et ílnalement, en jugeant, s'étudiellt a
faire pal'allre en eux, plutot une sévérité
uouce qu 'a pre et cruelle. »


Enfin (( celteinstruction publique (tellequ'elle
avaitlieu chez les Anciens ) était égalemen t tres-
utile aux parties. Car l'innocent ne será. jamais
pleinement absous, il y aura toujours quelque
ehose a redire, si le proccs n'a été Vil, fait et
examiné en public ...... Comme en la guerre ,
le comble de la victoire e'est le triornphe;
aussi, etre absous, e'est l'etre au dire et au
eonLentemellt d'un ehacun. Qui n'a son abso-
lution qu'en papier, la publie tant qu'ii
voudra; ii ne publie que ce qui est escrito
Mais quand a tous venans on a OU1 quelle ap-
parenceil y avait de l'accuser, l'arrest est non
point seulement publié, mais J'innocence. »


Nous avons ce que désirait Ayrault; (( les
déhats sont puhlics en matiere criminelle. »
C' est une des conquches de la révobüion, et
elle a paru assez précieuse puur etre mise au
rang des garanties constitutionnelles procla-
mées par la Charte.


N'est-ce point toutefois une atteinte portéé
a eette publicité, que de nepermettre, comme
on l'a vu plusieurs fois, l'entrée de la salle


9




( 130 )


d'audienee, qu'a des personnes nanti~s d'un
billet signé du président de la Cour ou du
proeureur-général? Un auditoire ainsi com-
posé est-il réellement ce que la loi entend par
le puhlic?


Sans doute , au théatre, on n'en donne pas
moills le nom de public aux spectateurs, quoi-
qu'íls n'entrent qu'avec des billets; paree que,
s'iI y a des hillets d'auteur, íI Y a aussi des
billets qui se vendent, et qu'il est libre a
tout le monde d'en acheter. Au lieu qu'a la
Cour d'assises, la faveur seule les donne ou
les faít obtenir. On y faít exception et accep-
tion des personnes (1).


Cela est si vrai, que, dans la distribulion
des bíllets, j' ai vu restreindre a deux, ou a
trois au plus, le nombre de ceux qu' on dai-


(1) Dans les grandes représentations théAtrales, on
lit souvent sur l'affiche, les entrées de faveur sont gé-
néralement suspendues. A la ~our d'assises, dans les
grandes causes, les entrées de justice sont restreintes
au point que le harreau cesse d'etre réservéauxavocats.
Chacun de nous a pu Jire une ordonnance rendue par
uo président d'assises, et qui est restée long -temps
affichée; elle défendait d'admeUre plus de 30 a vocats,
et'prescrivait de mettre ou de retenir a la porte tout ce
qui excéderait ce nombre.




( 131 )


gnait accorder achaque accusé ou a son dé-
fenseur.


On s'est plaint de cette maniere de COffi-
poser l'auditoire. Quelle a été la réponse ?-
Que le président avait la police de l' audience.
Sans doute ; mais en quoi consiste ce droit ?
A obliger le public, quel qu'il soit, a se tenir
dans le silence et le respect, et non a substi-
tuer des invitations privilégiées au vreu de la
loi, qui ~t d'admetlre indislinctement les
premiel's qui se présentent a r ouverture des
portes.


Sous Napoléon, on a vu pratiquer un autre
mode dans certaines affaires (1). On resserrait
par des barrieres la place destinée au public,
et OH ne laissait remplir cet espace qu'au tiers,
ou tout au plus a moilié; de maniere que l'au-
ditoire égalait a peine le nombre des juges,
des accusés et des témoins. •


C'est ainsi que, récemment, on a vu les
questeurs de la Chambre des députés, res-
treindre de leur mieux l' espace réservé au pu-
hlic dans les tribunes.


Tous ces subterfuges sont autant d'infrac-
tions a la Loi de la publicité.


(1) Par exemple, dans le prod~s du générall'l'1oreau.
9i'




( d:!. )
Souvent aussi on a vu remplir les audiences


de gendarmes et de soldats. Pourquoi en ad-
mettre plus qu'il ne faut pour maintenil'
l'ordre?


La dignité du juge est le premier moyen
d'inspirer le respect ; il doit surtout éviter le
r,idicule; et, s'il veut empecher de rire, il ne
faut pasqu'il crie d'une voix de tonnerre: Gen-
darmes, je vous ordonne de conduire en prison
le premier qui rira. J'ai vu un Jfareil ordre
taire éclater tout le monde, el arracher un
sourire meme aux collegues de celui qui venait
de le donner.


Je ne. puis m'empecher de terminer cet ar-
ticle par le récit de la maniere dont on procé-
dait au jugement des affaires criminelles a
Lausanne en Suisse, dans le derniersiecle.


Cette forme est parfaitement expliquée dans
une lettre de M.. Seigneux, écrite de Lausanne
le 10 décembre 1750, et insérée dans le Mer-
cure de France, meme mois, me me année,
p.2835.


Ce récit mérite d'autanL plus de confiallce,
que M. Seigneux , en sa qualité de Conseiller,
avait assisté au procCs dout il rend compte.


e( Au milieu de la place publique, on forme
l) par des barrieres une salle ou pare en quarré




( 133 )
») long, a la Hhe de laquelle sont trois tribu-
) naux, élevés de quelques pieds chaeun. A
» droite et a. gauche, sont placés 99 ju ges: au
}) devant est la secrétairerie. II ya aussi un
» magistrat debout nommé gros-saultier,
») tenant un baton d'argent, le hérault de la.
JI ville, et beaucoup d'huissiers. Les trois ma-
l) gistrats qui oecupent les tribunaux, ont
») chacun Un sceptre a. la main. Au milielt du
)) 'parquet, sont les habits sanglans de J'homtne
)) mort exposés sur une planche et formant
» tristement une figure de corps gissant ......•
» Aux quatre coins de la salle, sont des bar-
») rieres qui s'ouvrent el se ferment par de~
») huissiers qui en sont les gardes. C'est la que
J) se tiennen t trois assises, deux dans le meme
}) jour, et la troisieme quinze jours apreso
)) Les proclamations étant faites, si l'accusé
J) parait, il entre armé dansle pare. Si c'est
)J un gentilhomme, iI l'est de toules pieces ,
» suivi de ses parens et amis qui restent a la
») porte du pare ........ L'accusé étant entré
) seul, on le désarme : iI plaide ou fait plai-
») der sa cause.' Un avocat nommé par le con-
» seil, plaidepour le lieutenant-criminel. Si,
» apres les plaidoyers et le jugemeut reudu,
1> l' accusé est absous, on le revet de ses armes ~




( 134 )
J) et il se retire suivi d'un nombreux cortege ( 1) ;
» s'iI est condamné; on le conduit droit au
» supplice, a moins qu'il n'ait recours a la
J) clémence des juges qui peuvent lui accorder
» sa graee ....... On appelle eette cour, COl.lr
J) Impériale, paree que la forme et le droit
» nous en viennent des EmpereuNl. Elle s'as-
» semble rarement, paree qu'elle n'exeree eette
» juridiction solennelle que dan~' le eas d'ho-
J) micide, commis seulement dans la ville de
J) Lausanne ...... e'est Ja ou rai été apperé,
J) et ou j'ai fait deux fonctions ........ J>


Des Présidens d' assises, et de leur Office.


L'office de nos présidens d'assises répond
assez a celui du préteur aRome. II présidait
et ne jugeait pas, jus dicebat, non judicabat.


Un président d'assises doit ( tenir la main
roide a ce que toutes pcrsonnes qui ont a voir
et exercer fonctions et-ministere en ce qui dé-
pend de l'aeeusation, n'excedent Ieur eharge
et leur devoir : brief, de régir et conduire cet
acte et procédure judieiaite, ou iI va de la vie,


(1) Chez nous, il fautque ,'homme acquitté rentreen
prison, pou'r y aHendre le congé du procureur-généraJ.




( 135 )
de I'honneur, estat et condition tant de nous que
des notres. Accusatoris ojficium est, inferre
crimina,. defensoris, diluere,. testis, dicen:
quce scierit,,' qucesitoris, unum quemque eorum
in oflicio continere. (Auctor ad Herennium.) »


Aussi Conslantin l'appelle medium inter
reum et actorem , ce qu'un vieiI auteur fran<;ais
a traduit en disant qu'il est comme le parrain
des deux parties. le Son devoir est de veiller
a ce qu'entre l'accusateur et l'accusé tout se
pass e dans les regles, et les réduire au pro-
verbe : bien assailli, bien difendu. Semblable
aux anciens jnges des jeux olympiques , devant
lesquels iI ne suffisait pas d'avoir abattu son
adversaire, si ce n'était de bonne guerre; et
qui refusaitmt la palme au vainqueur, s'iI n'a-
vait pas vaincu. dans les regles. ))


Puisque telle' est l'impartance et le carac-
tere de la fonction de président, iI doit éviter
de laisser percer son opinian personnelle, non-
seulement en réprimant toute paroJe vive ou
indiscrete, mais encore en observant de ne rien
décauvrir par ses gestes ou par les airs de son
visage qui puisse donner a juger de ses im-
pressions : non est enim recli el constalltis ju-
dicis, cujus animí motum vultus detegit. L. 19'
fT. De q¡¡¿cio presidís.




( 13G )
JI ne doil ni s'irriter cOnlre l'aecusé, lors-


qu'il le eroit coupable; ni trop s'appitoyer,
paree qu'il le voít malheureux; ni aflecter une
rudesse qui exclut la confiance, ni se permettre
des saillit:s indignes de Sa gra\ ¡té.


Si on lui manque d'égards, ii doit faire res-
pecter son cal'acttTe. A Rorne, un préteur qui
eut négligé de le faire , se fut exposé a l'action
imminuli magistrati1s, poul' avoil' laissé ravalel'
la magistrature en sa personne.


Mais s'iI ne s'agit que d'une Jégere incon-
venance, dont l'autem témoigne immédiate-
ment du repentir, ou d'une expression im-
propre qui soit aussitot expliqué e , iI sied bien
au magistrat de ne pas montrer trop de sus-
ceptihilité. Cest en ce sens , que les doeteurs
disent, qu'il peut l'emettre son injure, si le vis,
non malo animo, et excllsatio repentinafiat.


§ 5.
POllvoir discrétionnaire.


Rien ne flatte davantage MM .les présidens de
Cours d'assises, que le pouvoir discrétionnaire.


11 semble que ces deux mots renferment tout,
le pouvoil' de ljer et de délier; qu'en un mol,
ce sojt une formule correspondante a ceHe da
hon plaisir. .




( 137 )
Cependant, je ne puis croire que pouvoir


discrétionnail'e soit synonyme de pOUlloir ar-
bitraire ou de pou~'oir absoiu.J' et, comme il
m'est arrivé de le di re une fois en jouant sur le
mot, le pouvoir discrétionnaire n'esL pas un
pouvoir qu'on doive exercer a discrétion, mais
un pouvoir dont, au contraire, on doit user
aree beaucoup de discrétioll,


Le pouvoir discrétionnaire a été basé sur ce
que «( la loi n'a pu tout prévoir, etqu'elleasup-
posé que les magistrats feraient les diligences
nécessaires pour le bien de la justice, et pour la
décharge de leur ministere.» (D'Aguesseau,
Lettre lere, tomo 8, p. l.)


D'ailleurs, le· COdé d'inslruction criminelle
ne donne pas carte blanche a MM. les prési-
dens, eomme plusieurs ont eu quelquefois l'air
de le penser. L'article 268 dit que « le prési-
» dent est investi d'un pouvoir d.iscrétionnaire,
» en vertu duquel il pourra prendre sur lui tout
» ce qu'il croira utile pour découvrir la vérilé,.
» et la loi charge son honneur et sa conscienee
)) d' employer tous ses efforts , pour en favori-
» ser la manifestation. )J


Ainsi, iI peut appeler un témoin non assi-
gné, mander un expert, ete.~ etc., pour éclair-
cir un point douteux.




( 138 )
l\1ais il ne peut pas opposer a l'accusé


ou a son défenseur le pouvoir discrétionnaire)
cornrne la tete de Méduse, pour restreindre
et circonscrire la défense. Ce pouvoir ne lui
est pas donné pOUl' étouffer la vérité, et la
gener lorsqu'elle veut se produil'e; mais uni-
quement pour en já~'oriser la manifestation.


Dans une affaire ou le chef de la police était
assigné cornme témoin a décharge, ce fonc-
tionnaire n'avait pas comparu, et s'était con-
tenté d'écrire au président gu'il ne viendrait
paso L'avocat insistait pour gu'il plut a M. le
président user de son autorité, pour forcer
ce témoin rebelle a rendre témoignage a la
justice : il invqquait a cette fin le pouvoir di s-
crétionnaire meme dont le magistrat était re-
vetu; mais, apres une assez courte altercation,
ce dernier, quoique hon et humain d'ailleurs ,
je dois le dire, et rempli d'excellen~~s qualités,
coupa court a toutes difficultés, en disant avec
un peu d'humeur: Eh bien! il m' a écrit qu'il
ne voulait pas venir, et mOL je ne veux pas
l'oppe/er ....


Je vois bien la le pouvoir absolu :


Sic volo, sic jubeo, sir pro ratione 'voluntas.


'Mais est- ce la le pouvoir discrétionnaire




( 139 )
que la loi a entendu accorder a MM. les pré·
sidens?


Áu moins est-il vrai que le pouvoir dis-
crétionnaire De devrait pas s'étendre jusqu'a
refuser a un accusé qui le demande, aCle
d'un fait qu'il lui parait important de cons-
tater.


Sans cela, comment pourra-t-il faire valoir
plus tard devant la Cour de cassation, la
violation de loi qui peut résulter de ce meme
fait?


On a vu dans une affaire, un président dont
la droiture et l'habileté De sont pas contestées,
découvrir son opinion devant le jury; l'ayocat
en demander acle par des conclusions signées
de sa partie; le président prendre ces conc1u-
sions pour injure, el )a Cour sur le point de
passer outre a l'application de quelque me-
sure sévcre, a laquelle le minislere public avait
déja conelu, si run des confrel'es de l'avQcat
ne l'eut excusé en faisant remarquer que les
conclusions ne renfermaient rien en fait, qui
De se fut passé sous les yeux de tous, et qu'en
droit l'avocat n'avait pu avoir l'idée qu'il
manquerait a la Cour en demandant acle de ce
faÍt qu'il cl'oyait contraire a la 10Í.


En etTet, qut{ M. le président eut ou non,




( 140 )
commc ji le pl'étendait, le droit d'aider le jury
de ses lumieres et de son expérience, c'était la
une questíon de droít. Mais le fait devaít tou-
jours etre constaté, afin que, s'il y avait
lieu a pourvoi, J'accusé put s'en faire un
moye.n que la Cour suprenie aurait apprécié.


54·
LeClure de l'aCle d'accusalion. - Exposé de [,al/aire.


Ne suffirait-il pas de lire aux jurés le résumé
de l'acte d'accusation', et de leur dire en peu
de mots : L'homme ici présent est accusé de
tel aúne~" par exemple, d'homicide sur la
personne d'un te}, avec telle circonstance ?


Au lieu de cela, on commence par leur lire
en entier l'acte d'accusation, qui est un plai-
doyer complet contre l'accusé; les faits y sont
gronpés avec tont l'art qui peut rendre l'accu-
8ation vraisemhlable; des dépositions que les
jurés ne devl"aient enfendre que de la boliche
des témoins, y sont transcrites, analysées,
rapprochées avec adresse, de maniere a en
former un corps de preuves. Quelle impressioll
ne doit pas d'ahord faire sur leur esprit la
lecture d'un te] acte, rédigé par un magistrat




( 1 't 1
<1ont ils n'ont garde de suspecter l'impar-
tialité?


Ce n'est pas tout : dans les grandes accusa-
tions, dans ceHes OU le ministere public at-
tache le plus d·'importanc~ a obtenir condam-
nalion; aussitót apres cette lectul'e el avant
l'audition d'aucun témoin, avantmeme l'in ..
terl'ogaloire de l'accusé , iI prend la parole et
expose le sujel de [' accusation.


Si du moins l' accusé et son défenseur avaient
la liberté de faire la contre-partie eL d'exposer
anssi J'afJaire dans le sens de la justificaLion!
Mais non; iI faut que l' accusé reste pendant
tont le cours des déba~s sous la pl'évention
(Iu'amont pu faire naitr~, des l'instant de leur
ouvel'ture, et la lecture de l'acte d'accusation ,
et l'exposé du miuistel'e public. Ce n'est qu'a-
prcs l'audition de tous les témoins, la produc-
tian de toutes les charges, el meme encore
apres que l'accusateur aura repris la paroJe et
développé les moyens qui appuient l' aCCllsa-
tíon ~ que l'accusé et son conseil pourront lui
répondrf]. (Coded'inslr. arto 555.)


Je contr0is que l'accusation doit naturelle-
ment pl'écéder la défense; mais pourquoi
donuel' tant d'avantage au ministere public Slll'
un malheureux accusé? Le débat doit etre




( 142 )
oral : pourquoi done comme?cer par faire
tire devant le jury une píe ce ou toute l'ios-
tructÍon écrite est analysée par écrit? Vaeeu-
sateur parlera apres l'audition des témoins,
il fera valoir les ehal'ges produites; pourquoi
done devancer cet instant par un exposé qui
n'a évidemment pour but que d'armer les jurés
de pl'éventions défavorables a l'accusé, tandis
qu'au contraire ils doivent tout enlendre avee
un esprit qui en soit enlierement dégagé?


Pourquoi, du moios, De pas rendre la par-
lie égale en permettant au défenseur de re-
pousser immédiatement cette premiere at-
taque, et de chercher a concilier a l' accusé la
faveur de ceux qu'on s'efforce d'indisposeL'
contre lui?


§ 5.


Interrogatoire des accust!s.


A Rorne, l'interrogatoire dependait des
parties elles-mernes et de leurs avocats; l'ac-
eusateur interrogeait l'accusé; et l'accusé
iuterrogeaiL l'aecusateur. Le juge les laissait
faire.


Cette méthode avait cet avantage, que les




( 143 )
questions de part et d'autre étaient plus di-
rectes et, plus pressantes.


Il en est aulrement aujourd'hui. La fonction
d'accusateur étanl devenue une fonction pu-
blique, c'est au magistrat qu'appartient l'in-
terrogatoire de l'accusé. Mais au moins, doit-
il se faire une loi de faire porter les questions
sur les faits justific~tifs aussi bien que sur ceux
de l'aeeusation. Car (je ne meJasse point de le
répéter), celui qui préside r audienee ne doit
jamais oublier que si l'instruction doit avoil:"
lieu a charge , eHe doit aussi avoir lieu a dé-
charge.


Avouons cependant que eeUe impartialité
si désirable ne s' est pas toujours reneontrée


. " dans les maglstrats.
Quand on a des vérités a dire aux juges,


on est heureux de les trouver dans les écrits
de leurs propres collegues. Or, voici ce que
dit, des juges de son temps, le lieutenant-cri-
minel Ayrault (Liv. 5" parto 5. N° 22"p. 485):
«( La dextérité el industrie de bien faire a
» bien toujours été requise au magistrat; mais
J) aujourd'hui que toutes les fonctions qui ré-
)J sidaient aux parties et aux advocats, sont en
) lui, il faut qu'elle approche tellement du
» nom de ruse et de jinesse" s'il veut bien tirel'




( 144 )
)) les vers du nez d'un criminel, qu'a grand
») peine saurail-on plus di re si ces artífices se
)) Joivent appeler justice ou circonvention. )J


POU1' ce qui regarde líeS juges modernes, je
ne serai pas suspect de pal'tialité, en rappor ...
tanl ici fopinion d'un membre distillgué de la
Cour royale de Paris, ({\li, dans \lll ouvrage
1'ort intéressant sur l'Administration de la Jús-
tice en Angleterre> se plaint en ces lerme,s de
la maniere dont s~ comportent quelqllefois, en·
vers les accusés, les présidens de nos Cours
d'assíses et 1'1s avocats-généraux.


c( Les tribunaux anglais, dit-iI (pag. 109),
~ présentent un aspect d'impartialité et de
» dpuceur que les nutres, il faut l'avoue\', sont
») bien 10in d'offrir aux yeux de l'élranger.
») Tout, en Angleterre, respire findulgence
JJ el la bonté; le juge parait un pe re au mi-
l}, líeu de 5a famille, occupé a juger un de ses
)J enfans.... Tout chez nous, au contraire
» (pag. 110), parait lwstile contre l'accusé.
J) Le ministere public le traite souvent avec
») une dUl'eté, pour ne pas dire une cl'Uauté,
¡> qui faÍl frémir les Anglais . .zVos présidens
)) eux-mffmes> loin de porter au prévenu l'in-
)j tér~-t qu'il aurait droit d'attendre, au moi,ls
» de l'impartialité de leur ministere, chargés




( LiS)
)1 par leurs fonctions de diriger les déhats et
» d'établir l'accusation, deviennent trop sou-
J) vent partie COlare l' accusé) et semblent quel-
J) quefois se faire moins un uevoir qu'un hon-
J) neur de le ¡aire condam;ner. »


Je l'avais déja dit, dans ma Libre Déjense
des accusés, imprimée vers la fin de 1815 :
« Le juge doit interroger l'accusé avec aus-
térité, mais sans rudesse, mais avec droiture
el sans trop de subtilité ; sans mettre non plus
son amt>ur-propre (1) a embanasser, par des
questions captieuses, un malheureux qui, d'or-
dinaire, a plus besoin d'elre rassuré que cir-
convenu. »


Un bel exemple, et bien digne d'etre suivi,
a pté donné parM. le ehancelier Dambray,
dans leproees qui s'instruit actuellement a la
Cour des pairs. Apres avoir rappelé aux aceu.
sés quels crimes leur étaient imputés par l'acte
d'accusation, il leur dit : «( Accusés, des
charges plus ou moins graves pesent sur vos
tetes: vous etes accusés d'avoir formé un com-
plot contre le gouvernement de votre pays;
c'est-a-dire d'avoir commis le crime le plus


I


(1) Tel était Tibere avec Jequel, srepe corifitendurn
erat, l/e frustra quresivisset. TAC1T. JII. Annal. 67'


10




~ 146 )
odieux. Maisvous n.4i!tes qu'accusés. Necrai-
gnez pas que la juste indignation que le crime
inspire, s'étende jusqu'aux innocens. Si les
pairs de France soot les plus fermes appuis de
la monarchie, ¡ls sont aussi les plus ardens
défeoseurs des opprimés. Aucune prévention
ne peut les atteíndre. 00 ne veut ici que la
justice, t:!t 1'00 ne cherche que la vérité. Vous
allez entendre les charges fluí seront produites
contre vous. »


Dans tout le cours de eette procédure,
~I. -le chancelier s'est montré Hdele observa-
teur de ces maximes. Les avocatsauront sou-
vent occasion de rappeler celte présidence,
el de la citer commeun modele de sang-
froid, de sagesse et d'impal'tialite.


Non-seulement le juge De doit pas se cons-
tituer l'adversaireet pour ainsi dire l'ennemi
de l'accusé, mais iI doit le pl'otéger contre
son imprudeoce on sa faiblesse. Les ,~éponses
sont presque toujours suivant les questions;
ct si le juge s'aper~oit qu'ún malheureux ac-
cusé s'est fOUl'voyé sur un point, il ne doit pas
négliger de luiotfrir une occasion de ·réparer
par une explication le mal qu'il a pu se faire
dans sa premiere réponse. Tite-Live HOUS en
ofrre un exemple fort remarquable. L'amhas-




( Lb )
sadeur des Privernates ayant comparu en pleitl
sénat pour répondl'e a l'accusation portée
contre ses compatriotes, un des sénateul's qui
se trouvait le plus irrit~ contre eux, lui de-
manda « quelle peine, a son avis, méritaient
les Privernates pour la rébdlion dont ils s'é-
taien t rendus coupables? » - « Celle-Ia, ré-
poodit fierement l'ambassadeur, que méritent
des hommes qui se 80nL crus dignes de la
liberté. )- Le consul CnreusPlautius s'aperce-
vant que cette repartie avait irrité les espl'its
au líeu de les caliner, peusa qu'il fallait faire
a l'ambassadeur une seconde question qui lui
fournit ]'occasion d'adoucil' sa premiere ré-
ponse (1). (e Mais si ron vous pardonne, luí
dit-il, quelle paixpouvons-nous espérer de
vous? Il - «( Si vous nous l'accordez a des
conditions équitables (répliqua le Privernate),
elle sera fideJe el perpétueHe; si elle est trop
désavantageuse, elle set'a de courte durée. )
-Cette seconae réponse satisfit les sénateurs.


(11 BenignA interpretatione mitius responsuIn elicere,
Tite-Live. '




( 148 )


§ 6.


Intcrrogatoire des témoins.


Le devoir du président est de faire aux té-
ll10ins toutes les quesLions a charge et a dé-
charge, et toutes les ioterpellations jugées
nécessaires par l' accusé et ses conseils, a. moios


'qu'il ne paraisse évidemment que ces questions
sont ~ntierement étrangeres au débat.


A cette occaston, rai souvent remarqué que
MM. les présidens, avant de transmettre une
question a,u témoin, exprimaient le désir de
savoir dans quelle intention lq. question était
faite. Comme le disait 'Vilson a son juge in-
terrogateur : c( C'est étendre trop loin la curio-
)) sité judiciaire.)) Vous le saurez, M. le prési-
dent; mais patience: si je vous dis d'avance
pourquoi je fais eette question, le témoin cal-
culera de suite dans quel sen s il doit y ré-
pondre, el je n'obtiendrai pas la vérité. Peut-
etre meme que, pendant que nous disputons
pour savoir si vous luí ferez ma question, iI
arrange sa réponse.


Prenons un exemple.
L' accusé. M. le présideot, je vous prie de




( 149 )
vouloir hien demander au témoin si, le 15
décemhre, iI faisait clair de [une.


Le président. Mais qu' a de commun le clail'
de Iune avec votre affaire?


L' accusé. Peut-etre, M. le président. Mais
enfin nous verroos : veuillez lui faire eette
question.


Le président. Mais je De puis pas fatiguer
ainsi le témoin par des questions saugrenues ,
et dont je n'aper~ois pas la liaison avec le
débat.


Faudra-t-il done, pour déterminer M. le
président, lui dire qu' on adresse cette question
au témoin, paree qu'iLa déclaré avoir reconnu
l'accusé qui se sa-uvait le 15 décembre vers les
dix heures du soir, vetu d'une redingote grise
avec un chapeau rond, emportant. un pa-
quet, etc., etc.? Or, s'iI faisait clair de lune,
le témoin a pu voir tout cela; s'iI faisait miit
noire, iI n'a rien pu distinguer. Eh bien! pré-
cisément iI n'y avait pas de lune sur l'horizon
le 15 décemhre a dix heures du soir. Faudra-
t-iI mettre le témoin el M. le président daos
loute cette .con6dence avant de passer outre a
la question?


Je conelus de-la que l'accusé devrait jouil'




( ,50 )
tI'une grande latitude daos le contre-interro-
gatoire.


J'ajoute meme que ce rouage, qui consiste
a faire passer les questions par l'organc de
M. le président, entraine des longueurs lou-
jours préjudiciables : cela donne trop le temps
de la réflexioll au témoin. Un témoin vrai
s'embarrasse rarement et se retl'ouve toujours .


. Un fourbe a besoin d'etre pressé : c'esl álors
seulement qu'il se trouble, se conh'edit, et
lai5se 5a turpitnde a découvert.


Dans le proces de la conspiration du 19 aoal,
M. le procureur-général, apres l'audition de
quelques témoirts,· avait requis que 1'0n inséd,t
au proces-verhal les contradictiollS qu'il pré- .
I.endait exister énlre leurs dépositions, et de-
mandait qlúl lai fílt donné acle des réserves
qu'il jaisait de faire des poursuites quand el
conlre qui il appartiendrait.


Me Eerville, daos l'intéret général de la
aéfense, a déclaré qu'il s'opposait au réqui-
sitoire du procureur - général. (( Je prie ]a
Cour, dit-il, d'observer que de pareils réqui-
sitoires ont pour effet de jeter de f~cbeuses
imp.'essions dans l'esprit de 1\1M. les pairs,
qui peuveut croire que le ministere puhlic
n'agil ainsi que paree qu'il a la conviction de




( 151 )


]a fausseté de la déposition du témoin. J'a-
joule que ces menaees faites eontre un témoin
qui a déposé, peuvent aussi donner une sorte
d'effroi aux lémoins qui ontenCOi'e a paraitre
devant la Cour. - En droit, 11 n'y a líeu a
eonsigner an proceSó'-verbal que les déclara-
tions du témoin qui est en contr.adiclion avec
Jui-meme, el non point eeHes du téInoin q,ui
serait démenli par un aulre témoin. Daos ce
dernier eas, il pourrait y avoir faux témoi-
gnage; le ministere pubJic aurait san s douLe
le droit de poursuivre; mais aJ€lrs il faudrait
qu'il procédat par vaie de plainte formeUe ~ et
non pas par voie de l'éserve'el de eonsignation
au proces-verbal.}) •


Ces observations étaient· de la plus grande
ju&tesse; a:ussi furent-elles accuetllies par alTet
dU.22 mai.. ,Cet arret est ainsi conc;u : ( La
Cour faisam droit sUr le r~itoire du pl'O-
cureur - généraJ du Rol, Ot'donne qu'il sera
tenu :note par le greffier desdépositions des
témO'insP* ei F*; et quant aux réserfJes failes
par le procul'eur-génél'al, attendu qu'¡.t luí est
tOlljours loisihle de· poul'suivre les témoi.ns. en
faux témoiguage, sans qu'il 1ui .roit bes(Jin
d' rmtorisat~on ~ la: Conr OrdOWlC qu'il sera
passé:outre a la continuation .des déhats, H




( 15-:>, )


Ainsi de deux eh oses l'une : ou une déposi-
tion ofrre nettement le caractere de faux té-
moignage; et, dans ce eas, le procureur-gé-
néral doit poursuivre de fait le faux témoin :
ou bien la déposition n'a pas ce caractere, et
alors, la Cour ne doit pas placer un témoin
qu'on n'ose pas poursuivre, dans un élat équi-
voque qui n'aurait pour effet que de l'intimider.


C' est ainsi que dans l' affaire de la .wuscriptioll
nationale, je m'étais plaint aussi de ce que le
procureur-général avait tenu en état de ré-
serve les députés qU'OH n'osait pas pounmivl'e
et que cependant on ne vou]ait pas absoudre.


n est ~ de regle que tont témoin produit est
commun aux deux parties. Chacune d'elles
peut l'interroger a son tour.


Mais je pense qu'en général l'accusé et son
défenseur doivent etre sobres de questions,
envers les témoins. Combien de fois n' est-il
pas arrÍvé qu'une demande indiscrete ·de .la
part d'un accusé, a amené 1:1l1e réponse tonte
contraire a ce He qu'il attendait '! Ces désap-
pointemens sont da plus facheux effet sur
l'esprit desjurés. Cicéron donne la-dessus d'ex-
ceUens préceptes dans son oraisou pour Fon-
téius. Milti semper unaquaque de re testis non
soli'tm semel, verum etiam hrp.~'iter interro-




( 153 )
s'andus : et sU!pe non interrogandus, ne aut
irato facultas ad dicendum data, aut cupido
auctoritas attributa eSSfJ videatur.


Il serait a désirer que les noms des témoins
a charge fussent signifiés plus de vingt-quatre
heures avant leur audition. L'article 315 du
Code d'instruction criminelle se contente de
ce délai. Mais iI est insuffisant pour se pro-
curer les renseignemens nécessaires sur la
moralité des témoins, leurs liaisons avec le
plaignant, et tous les motifs légitimes de re-
pt>oche.


Au surplus la publicité des débats a encore
cet avantage que, malgré la loi du silence,
imposée a l'auditoire, souvent les assistans
exercent le droit de reproche au profit des
accusés par les murmures qu'excite parfois
la présence de cettains téllloins.


Ainsi jamais un agent de police n'est ap-
pelé en témoignage sans éprouver quelque
huée; surtout s'il est du nombre de ceux qu'on
choisit quelquefois parmi les forlfats libérés,
sous le prétex,te qu'ayant été scélérals el pas-
sanl encore pour l'etre aux yeuxde leurs an-
ciens camarades, ils ont plus de moyens de
s'insinuer aupres d' eux, -de surprendre leurs
secrcts el de les divulguer.




( 1 Si )
Un Vatinius, aRome, soulevait l'indigna-


tion du peuple rOll1ain.
Luuerlohne fut pas mieuXi traité a Londres


dans l'affaire de La Mothe.
On se rappelle l'accueil que l'~u~ent les


non mi ricordo dans le I pro ces de la reine
d'Angleterr.e. •


Truphémy venant déposer comme témoin
devant la Cour royale de Nimes, est dépeint
SOU3 les plus ardentes couleurs par M. M adier
de Montjau dans la beBe apologie qu'il pro-
nonp pour sa défense devant la Cou1' de cas-
satio-n.


Je termine p~r une remjlrque ce qui re-
garde l'interrogatoire des t~Il\~I\S; c'est que,
d'apres nos lois, le débat devant etre oral, il
oe deYrait jamais etre permis au procureur-
génél'al de recourir aux interl'ogatoires écrits
el de les ¡¡re a l'audience, sOlt poul' suggél'ee
au témoin des réponses déja faítes, soit poOl'
l'obliger a persister dans ses dépositimls pre-
micl'cs en lui reprochant des contradictions , et
le meI'la~ant de le pouFsuivl'e, s'illes rétra.cte
ou s 'illes rectifi~.


Je eroyais avoir flni ce paragraph:e, rnais le
prod~s de la Cour des pairs m'oblige a rendl'e




( 155 )
compte d'un incident remarquable. A la séance
du 29 mai, l'avocat de l'un des accusés, vou-
lant justifier son client, cite un pro pos qu'il dit
avoir entendu d'un colon el qu'il ne veut pas
nommer. M.leprocureur-généralse leve etdit:
Je dois faire an. défenseur une interpeUation
formelle de déc1arer le nom qu'il tait a la Cour.
C'est un devoir pour lui de répondre a cette
interpellation .... - L'avocat persiste a ne vou-
loit' pas nommer le quidam. - M. le procu-
reu'r-général : Nous uevolIs ten ir a ce que
le fait dont iI a été parlé par un défenseur,
soít éclairci. Nous demandoJ!ls que Monsei-
gneur, usant de son pouvoir diserétionnaire,


fasse mommtanément 99rtir le ilij"f'n!Jeur du
banc des avocals ~ et l'interpelle comme Mmoin.
-L'avocat: J'ai dit ce que fat cm utile a la
défense de roon cliellt. J'ai mle nom du co-
lonel dont j'ai parlé J paree que j'ai pensé qu'il
était de mon devoi¡" de garder le silence a cet
égard. L'uD d,e mes confreres 'Voudra sans
doute bien se chargel' de répondre aux con-
clusions du ministerepublic. - Alo.l'S Me Ber-
viUe prcfld la. parole po.ur SOn jeuRe 'C&nfl'eFe ,
et fait l'observation suivante : (( Chaque accusé
doit etre assisté d'un conseil pendant tout le
cours des débats: il ne doit pas thre privé un




( 150 )
seul instant de son défenseur. Si ron déférait
au réquisitoire du ministere public, l'aceusé
p*** serait forcément privé de l'assistanee de
son conseil pendant tout le temps que ce con-
seil paraitrait comme témoin devant la noble
Cour. Le prin,;ipe bienfaisant, qui veut. que
tout accusé soil défendu, serait done indirec-
tement violé. D'autl'e part, un avocat ne peut
jamais eire tenu de révéler les faits dont il a
acquis la connaissance dans [' exercice de su
profession (1). Si, dans son zcle, dont les mo-
tifs n'ont du moins rien de repréhensible, mon


. confrere a cru devoir appuyer de son témoi-
gnage les déclarations de son c1ient, on por-
terait atteinte aux prérogatives du caractere
de défenseur en le mettant dans la nécessité
de dire plus qu'il n'a, voulu dire. Je pense done"
que le réquisitoire de M:. le procureur-général
ne peut ctre admis. - M. le pt'ésident déclare
qu'il examinera s'il est utile et s'il convient que,
dans ceUe circonstance, il fasse usage de son
pouvoir discrétionnaire.


On ne pouvait rejeter avec plus de doueeur
les conc1usions de M. le proeureur-généraf.


(1) Il est, a cet égard, dans la meme position qU'Ull
confesseur, et doit jouir du meme privilége.




( 157 )
l\I. le chancelier n'a pas eru devoir y obtem-
pérer; iI n'a pas pensé qu'il flit cOnf1enable
d'arracher un avocat a ses fonctions de. défen-
seur, pour en faire un témoin. Mals je n'en
saisirai pas .moios cette occasion de .faire re-
marquer qu'un avocat ne doit pas s'exposer
légerement a parler des faits qui lui sont per-
sonnels.


§ 7·


Diseussions avee les Avoeats; - Liberté de la Difense.


Autant la conscience de l'avocat doit ctre
efii'ayée de l'importance des devoirs que lui
impose la défense des accusés en matiere cri-
minelle, autant sa raison doit s'armer de cou-
rage pour les remplir dans toute leur étendue.


Il doit, avant tout, se bien pénétrer de cette
idée , que la défense des accusés, sans cesser
d'etre respectueuse, doit essentiellement ctre
libre; que tout ce q~i la gene et l'entrave em-
peche qu'elle ne soit complete) et par-la me me
compromet le sort de son dient.


Souvent, dans le cours d'un débat, il s'éleve
une sorte de lutte entre l'avocat et les magis-
t1'3ts qui soutiennent ou diri~ent l'accusation :




( 158 )
celui-Hl revendiquant le dl'oit de parler; ceux-
ci lui impasant i'obligation de se taire, ou de
ne parler que comme iileur plait (1).


J'ai enteudu des présidens répéter achaque
instant: (( Vous alJez toute latitllde polir vous
défendre; maii ..... » el de mais en mais, la
défense était accablée de restrictions et d'in-
telTuptions quí fatiguaient I'avocat, lassaient
sa paticnce, ou le troublaient au point de le
réduire a se taire.


DepuIs surtout qu'il a été mis a l'ordre du
jour- de dédamer contre les doctrines, de ré-
primer les doctrines; les présidens se sont em-
pressés, comme a l'euv, d'interrompl'e les
avocats, de les rabrouer, et d'entl'er en ré-
futation avec eux, sous prétexte de rétablil'
les saines doctrines!


Il semble que le juge aurait été solidaire
4


(1) Cela arrive surtout quand ¡'avocat demande acle
d'unfait qui peut constitucr une irregularité. On voit
aussitot l'avocat-général s'y opposer : et la Cour, quel-
quefois, le refuser. Je crois que e'est un abuso Un fait
est un fait, et il devrait toujours etre permis d'en de-
mander acte, sans que jamais la Cour pat le refuser.
Cela ne préj uge ricn : tandis qu'en refuiant de le cons-
tater, on prive peut-etre l'accusé d'un moyen de ca s-
satioo, c'est-a-dire d'un moyen de salut.




( l5~
avec l'avocat, s'ill'eut laissé achever san s l'in-
terrompre. De-la le trop 'Vifempressement
qu'on les a vus mettre a ces interruptions, failes
d'ailleurs avec trop peu de sang-froid, pOUl'
qu'on n'ait pas du quelquefois les attribuer au
désil' de faire parade de telle opinion.


Je crois que ces interruptionssont essen-
tiellement opposées au devoir du juge. <luand
la défense est une fois entamé e , iI doit se faire
une 10i de ne pas l'interrompre, et s'interdire
ces petites tracasseries quirenversent l'ordre
des idées, syneopent l'établisse:ment d'une
preuve, refroidissent le développement d'uo
moyeo de eonsidération, et .décoocertent 1'0-
raleur.


D'aiUeurs telle proposition, te11e porase , tel
mot déplaisent au pl'ésident, et plaisent peut-
ctre aux jurés. On ne Ba.it de quoi l'un se
fache, peut-on savoir de quoi l'autre ne s'ac'-:
commodera pas ? II fant des raisons a toutes
les adresses.


Le erenr humain nous apparlient t01.1t en-
tier, nous pouvons en sonder' les plus secrets
replis. Partout ou nousentrevoyons une pas-
oon honteuse, ilnous appartient de la com-
baUre; un sentimen-t génél'cme , iI nous con-
vientde nOus en emparer; une émotion




( 160 )


favorable, iI importe de l'exciter. La loi s'en
rapporte a la .conscience des jurés; done, tout
ce qui agit sur la conscience des hommes,
faits, raisonnemens, ima&es, doctrines, est
de notre ressort. \


La loi porte que {( le président avertira le
» conseil de l'accusé, qu'il ne doit rien dire
» contre sa conscience, ou contre le respect
» dit, aux 10Ís, et qu'il doit s'exprime.r avec
.) décence et modération. » ( arto 511. )


Mais elle n'autorise pas, pour cela, un pré-
sident a interrompre a tout propos l'avocat,
sous prétexte qu'il n'observe pas rigoureuse-
ment to~tes ces regles.


Loin de la, l'article 528 du Code d'instruc-
tion criminelle, dit que « pendant l'examen,
» les jurés, le procureUJ:.-g~néral et les juges
» pourront prendre note de C'e qui leur pa-
» raitra important, soit dans les déposÍtions
» des témoins, soit dans la défense de l'accusé,
» pOUNU que la discussion n' en soit pas in-
» terrompue. »


Done ces intertuptions d'un zele qui sou-
vent n'a d'autre mobile que l'opinion du mo-
ment, et une premie re impr~ssion trop peu
réfléchie, ne sont pas dans le vreu de la loi.


Que le ministere publie lorsqu'il répondra,




( 161 )


()u.le président lorsqu'il résumera l'affail'e,
se serVent des notes qu'ilsa;ul:ont prises , et des
réflexions.qu'ils auront f;lites, pour rdever les
.contradictions, rétablir l~s faÜS daas toute
leur exac.t\lude, réfut~J' les doctrines erronées,
hlamer ce qui s'est dit d'inconvenant ,et
mettre de coté ce qui est étrauger ñ la: cause:
a la hil.nue heure; ainsi chacun se trouve avoir
soutpur. Mais tant que la. .léJe,nse dure ,le juge,
.r,eligieu:¡¡: auditeqr de cel.tedéfense , ne doit
pas plus en trouhler le CQW'S, qu'il nes' est
pel"luis d'interrompre O:Q. de critiquer l'accu-
si\tion.


IIermolaiis accusé d'avoir cOt;l,Spiré Qontre
Alexa,;tAfe , aU lieu ele se laver de ceHe accu-
..5ílt\QU, douna une tQute autre tOl,Unure a sa
défenfie~ J.l "PQUSsa 1'.a1,ldace jllsqu'~ s.outen.ir
qu'il avait bien J(\iL d'e,.sMy~r a Ije veuger ~
.paree qu'Alexandre l'avflit f~i,t fo-uctter.,ct)mme
un esclave (1) , et qu'il était pefmis:de tucr
un tyrfUi!! A ces ll1ots, tOQ,5 les as:Wit~:ns, et
.sur.tout SQPpli.s~ per~ .de l'accusé, vQuhwcnt
l'emp6cher de ~ootin1,ler ;111ais Alexandre ne
le voulut paso Qu'pu luí laffisJ! .tOl\t dirie, s'é-


(t) Pour avoir osé turr nn sanglier sur Jequel
Alrxandre-le-,Grand voulait tirer!


:1




( ,62 )
cria-t-il, parce que c'es! l'ordinaire que tous
les accusés se persuadent qu'on procede contre
eux avec plus de modération ou de clémence,
quand on les entend jusqu'au bout. S'i1s di-
sent bien, cela leur sert; si non, ils comblent
la mesure de leur crime et rendent leur puni-
tion plus certaine (1).


J' ai d~ja parlé de représailles exercées conire
Cicéron, paree .qu'il s'était écarté des formes
de procéder: j'ajoute ic~ que le tribun Me-
tellus, ennemi de ce grand orateui", s'étant
opposé a ce qu'il haranguat le peuple, n'en
donna pas d'autre raison, si ce n'est, qu'on iie
devait pas accorder la 'permission de faire sa
propre apologie, a un homme qui avait sévi
contre d'autres saos les admettre a plaider li-
hrement leur cause : Qui in alios animad"er-
tisset indicia causa, dicendi ipsi potestatem
fieri non oportere. C'était san s doute se venger
d'llne injustiee par une autre injustice; mais
cela pro uve le danger qu'on court soi-meme,
en violant, dans la cause d' autrui, des droils
qu'onaura peut-ctre un jour besoin d'invo-
quer dans'sa propre cause!


Ce droit sacré d'une libre défense était tel-


(1) QtiINTE-CURCli: 1 li",. 8, nO 24 el sui",.




( 163 )
leroent enraeme dans l'esprit des Roroains,
que Tibere lui-meroe ne erut pas pouvoir en
priverlesaeeusés. PÍson (ditTACITE, Annal. III
et suiv.) était accusé d'avoir empoisonné Ger-
roanicus. Tibere, apres avoir écouté les charges
des accusateurs et les prieres de l'accusé, ren-
voya l'affaire au sénat. Cinq orateurs, choisis
par Pison, refusel'ent de se charger de sa dé-
feuse, (¡ui fut acceptée par trois autres. Tibere
parut au sénat. Si Pison, dit-il, a aigl'i et
bravé la jeunesse de mon fils, s'illui a manqué
d'égards, s'jl a vu sa mort et roa douleur avec
joie, je le ha'irai, je l' éloignerai de roon creur,
je vengerai ainsi Tibere et non l'empereur.
Mais si Pison est convaincu d'un crime dont les
lois vengent meme le deruier des hommes,
e' est a vous, sénateurs, a consolel', par une
juste sévérité, les enfans de GeÍ'manicus et son
pere. Je pleure, sans doute, el je pleurerai
touj9urs ruon fils; mais je n'empeche point de
dire hardiment tout ce quí pourra servir a la
d4/ense de Pisou, ou mi!me d' accuser Germa ..
nicus. Que le triste intéret que je prends a cette
affail'e ne vous fasse point regarder des impu-
tatlons cornme des preuves. Dans le danger oa
est Pison, que ses parens et ses amis le sou-
tiennent de Ieur zele et de toute Ieur éloqueuce.


ll-!<




(.164 )
Si quos propinquus sanguis, autjides sua pa-
trollas dedil, quantum quüque eloquentiá et
curá valet, JUVATE PERICLITA.l"ITEM.


L'indulgence pour les défenseurs est d'au-
tant plus nécessaire dans nos tribunaux mo-
dernes, que souvent les accusés sont défendus
d'qffice par de jeunes stagiaires, qui, s'iJs ne
sont pas encore illustrés par de grands talens,
50nt du moios recommandables par le zele et le
désintéressement qu'ils apportent a une défense
dont le soin leur est confié par la justice meme.
Quelque l'espect que mérite le ministere pu-
blic, on ne doit pas avoir moins d'égards pOOl'
l'homme qui se voue gl'atuitement a la défense
de ses concitoyens, et dont le ministere est
aussi nécessaire a J'accomplissement de Ja jus-
tice que l'accusation meme, puisque sans dé-
feose il ne peut pas y avoir de condamnation
légale.


Si le juge doÍt se monLrer indulgent envers
le défenseur, a plus forte raison doit-il se pi-
quer de l'etre envers l'accusé. 11 doiL luí par-
donner quelque chaleur daRs sa propre cause et
lorsqu'iI s'agil de 5a perte ou de son salul. J'ai
entendu un accusé, interrompu dans sa dé-
fense, dire au président : c( Monsieur, le soin
) de défendre mon hunnenr l'emporte surtout.




( IG5 )
J) En sorLant d'ici, vous rentrez f01't trahquille
)1 chez vous, et moi je rentre en prison ... (1) )}
Que répondre a cela '!


Mais je reviens aux discussions parfois trop
vives qui éclalent entre les magistrats et les
défenseurs. Ces altercations sont d'autant plus
funesles qu'elles peuvent exciter des rivalités
dangereuses entre la magistralure et le barreau.


M. Toullier, dans le torne IX de son Cours
de Droit fram;ais, cite, dáhS une note de la
page 472, une affairedans Jaquelle M. l'avocat-
général de Barentin, portant la paro le , prit le
parti d'un avocat injustement accusé. Il s'a-
bandonne ensuite aux réflexions suivantes :


( La magistrature étilit alors l'amie et la
protectrice de l'ordre des avocats, qui, de leur
coté, l'avaient portée au plus haut degré de COl1-
fianee et de respect dans l'esprit des peuples,
et qui, dans toutes les oeeasions difficiles, fai-
saient cause commune avec eHe, et la' soute-
naient daos l'opioion publique avec une force
presqlle iovincible contre le despotisme el les
aLlaques des ministres, aux injllstices desquels
elle avait alors le courage de résister.


» Que les temps sont changés! L 'hsntpateur


(1) Journal des D6bats du IG mars Il:bl.




( 166 )
de la toute puissance el de nos libertés voulut
áussi détruire la noble indépendanee ues avo-
cats, si juslement et si éloquerillnent célébl'ée
par le grand chancelier D'Aguesseau. Un dé-
eret in juste et humiliant ]a Icur raVll et les
plongea dans cet é~at de dépre~sjon que, de-
puis, quelques années, on sals1t toutes les oc~
casions d'aggraver et de leur faire sentir. Il
n' est aujourd'hui millce consei1ler, ou membre
d'un parquet, a peine sorti des hancs de l'école,
qui ne eroie s'bonorer en les harcelant a la &eule
apparence du lort ]e plus ]éger, sans égard, san S
respect ponr des répntations acquises p~r de
10ngs services et par une vie sans reproche. ))


Je ne nie pas que cela ne sOlt plnsieurs fois
arrivé. Mais, pour etre juste, 11 faut convenir
anssi qu'i] n'est pas rare de voir des magistrats,
remplis de bienveillance, rendre aux avocats
égards pour respect, par]er doucement aux
accusés, protéger et enc(;:mrager· la défense,
contenir an besoin l'accusatenr dans de justes
bornes, et donner dans leurs résumés d'écla-
tans modeles de sagesse et d'impartialité. Hon-
neur leur soít relldu !


Ces exemples restent dans la mémoire du
barrean" ils pénetrent lous ceux qui en sont
les témoins, d'amonret d'estime ponr la magi~




( 167 )
b.'ature, ils resserrent les liens qui unissent ces
deux Ordres, et contrebalancent l'influence
que pourraient exercer lesexemples contraires.


S 8 .


DiscOUIS des Accusés.


La défense, qui est de droit naturel ~ est si
fort dans le vreu de la législa~ion positive, que
le Code d'instruction criminelJe porte expres-
sément (art. 555) que ce l'accusé ou son con-
seil auront toujours la parole les derniers. )J


Il est meme d'usage qú'avaot de dore les
débals, et quelque longuement que l'avocat ait
plaidé, le président dise encore a l'accusé :
N' al'ez-vous plus rien ti ajouter a votre dé-
jense?


L'interpelIation du juge anglais est encore
plus touchallte : ce N'y a-t-il personne, dit-i!,
;) qui veuille prelldre encore -la défense de ce
» malheureux accusé? »


La plupart des accusés se tailient. Mais de-
puis que Wilson et Bruce, traduits devant une
de nos COUTS d'assises, ont donné l'exemple
de prononcer eux-memes chacun un petit dis-
COUfS; presque tous les accusés en matiere po-




( 16ti )
litique, séduits pádestlcces qu'avaient oblenu:
les deux AnglaiSo; Se' Sutil piqués de prononcel"
des déleDSe5 addllrotitlelle's :


Exemplar vitiis imitabile!


Cal', a l'exception d'un lires-petit nombre de
discours qui ont répondu au mérite de leurs·
auteurs, je n'en ai guere entendu qui n'aient
fatigué par leur loogueur, ou déplu par ieur
inconvenance, ou irrité par Ieur exagération.


il faut, en pareil cas, que l'avocat prenne
assez d'autorité sur la personne de son dient
pour l'ohliger a ne dire que ce qu'il faut, et a
le dire d'une maniere convenahle.


§ 9·


Un Accusé peut-il renoncer ti se dtffendre!


En' parlanf desfaits généraux.J nous avóns
déja dit qu'unal'r(H dela Cout d'assises d;e Paris,
ayant décidé qu'Oll renfermerart strictement
les- délt'ífS dans les faits- du6 juiri, l'a:ccusé Du-
vetgier :tv:rit déétaré que, daos ce cas, il se
tairaU', ti, ren(j~ciNJ, sa' déjense.


Les fournattx du 25 fi'l'arS' 182 r racontent
alasi l'a suite de l' affatte : •




( 169 )
« M. l'avocat-général prend la parole et


soutient que Duvel'gier s'est rendu coupaLle,
le 6 juiu, de provocation a la rébellion el a la
guerre civile.


)) A pres ce dísc~)Urs, Me Blanchet, avocat,
se H~ve el ,ia parlero


» Duverglet : D'apres les marques d'intéret
que Mo Blanchet me donne depuis long-temps,
je sens qu'il luí en coUtera heaucoup de me
laisser sans défense et de ne pas répondre a
M. l'avocat-général; mais puisqu'il ne me se-
raít pas pcrmis de compléter ma défense, jc ne
veux pas la commencer.


» Me Blanchet : Je regre~te en effet heau-
coup d' e.tre empeché de prendre la paroJe pour
rédllire I'accusation a sa juste valeur. Simple
m:mdataire de mon c1ienl , je dois garder le si-
len ce puisqu'il l'exige.


» M. le président faíl son résumé.
}) Les jurés se retirent pour délibérer. lis


rentrenl au hout d'une heure et demie. 1,'un
d'eux déelare qu'iJ remplace le chef du Jury ,
qui n'a pas vouJu se charger de donner lectu're
de la décision.


») La question était ainsi con~ue :
Í( Aimé Duvergier est-il coupable d'avoir,


J) étant a la tete d'un attroupement de plus de




( 170 )
}) vingt personnes armées, par des eris et dis-
}) cours, proférés dans des lieux puhlics, pro-
» voqué les citoyens a la guerre civile et a la
» rébellion, lesdites provocalions non suivies
) d'effet? »


}) Lesjurés répomlent: Oui, l'aceusé est cou-
pable d'avoir fait partie de l'attroupement avec
toutes les cireonstances comprises dans la po-
sition de la question; mais il n'est pas constant
qu'il ait été a la tete' de l'attroupement.


» ]VI" BJanchet soutientque, d'apres cette dé-
cIaration du Jury, Duvergier doit etre acquitté.


» M. Vatisménil soutient qu'il doil etre con-
darnné.


» A pres une .assez courted.élibératÍon, la
Cour maint¡ent la délibération du Jury, et c~n­
damne Duvergier a einq années d'emprison-
llement et a cinquante franes d'arnende. »


Ce He maniere de procéder est-elle régu-
¡iere?


Le refus de l'accusé d'interroger les témoins
a décharge, était-il un motif pour Ieur dire a
tous : allez vous asseoir?


Duvergier avait-ille droit de renoncer a se
défendre el a etre défendu ? S'i1 n'avait pas eu
d'avocat, la Cour n'eut~elle pas dO. lui en don-
Der un d'office? Si eelui qu'il avait ehoisi se




( 17 1 )
lrouvait révoqué par la défense de parler,
l'accusé n'était-il pas dans la position d'un
homme qui, des le commencement des débats,
n'auraÍt pas voulu se choisir de défenseur '!
L'avocat nedcvait-iJ pas parler malgré I'op-
position de son cliént? Est-il vrai qu'il ne fut
que le mandataire de son client '! La défense
n'est-elle pas d'ordre public? N'est-ce p~s une
forme indispensable de l'administration de la
justice criminelle? Le président de la Cour ne
devait-il pas eojoindre d'oillcc a l'avocat de
plaider, au líeu de passer immédiatement a
son résumé, saos faire lamoindre réflcxion,
ni sur]a résolution du clicnt de rester indé-
fendu, ni sur l'acquiescement du défenseur?


Ayrault résout ainsi la question : « La dé-
) Cense, dil-il (p, 496), est de droit naturel :
» el nonobslant telle déclaration, le juge or-
» donnera que l'accusé alléguel'a ses défenses,
)) s'jl a reproche contre les témoins, el preuve
}) pour en informer. S'il y a 'autre qui le veuille
J) défendre, il l'admeltra, appellera les pa-
n rens, lui - meme qureret de innocentid,
» CQIllme dit Ulpien en la )oi, si non defen-


_» áatur, au Digeste de prenis. J)
Carpzovius dit aussi que la faveur de la


défense est telle, que le juge 'doit, d'o/Jice;,




( 172 )
rechercber les moyens justificatifs, les faire
valoir, el les suppléer de son clu:f; en un
mot, qu'il doit aider et secourir l'accusé de
toutes ses forces et de touLes les manieres.
Favor difensionis postulat uf ipsemet judex
ex officio defensiones rei qwprere , easque sup-
plere, el quoquo modo adjuvare debeat. Il doit
prendre tous ces s01ns, encore bien que l'ac-
cusé semhle s'oublier lui-meme, el ne le de-
mande pas: quamvis reus hoc non petat(Pract.
rer. crimino Qu.mst.45,n° 15,p. 120). A plus
forte raison le doit-il, quoique l'accusé soíl
assez aveugle pour déclarer qu'iL renonee a
etre défendu, et qu'il laisse le champ libre a
l'accusation.


§ 10.
Du Ministere publico


({ Nous avons, selon Montesquieu , une 10i
admirable (1) , e' est ceHe qui veut que le pl'inee,
établi pour faire exécuter les lois ~ prépose un


(1) " Cependant, dit Ayrault, n'avons-nOU5 pa! oui-
» dire souvent que monseigneur de L'Hospital, chan-
., celif'T, soutenait que l'office des gens du roí n'était
., poinl nécessaire en la France? » (p. 1']2.) Voyez les
raisons, i{¡id.




( 173 r
officier dans chaque tribunal, poul' poul'suivre
en son nom tous'les crimes. ») (Esprit des loís,
lill. 1, chapo I.)


Le ministere public soutient l'accusation;
mais ce ne doit pas etre avec l'ardeur permise a
l' avocat qui défend son dienl. Plus de sang-froid
est recomm~ndé 3U magistrat. Ce qu'il pel'd
en chaleur, il le recouvre en dignité, en im-
partialité , et par la contlance qu'inspil'e tou-
jours l' organe de la loi, quand il en conserve
le langage.


MM. les avocats-généraux ont-ils le droit
d'interrompl'e l'avocat ? Cest leur adversaire ;
il est tout simple qu'ils ne soient pas d'accord
avec lui ....


Peuvent-ils empckher J'avocat de prendre
acte d'un fait qui se passe a l'audience? Ne Ieur
suffit-il pas de protester contre les induc-
tions qu'on en tire, et de faire a ce sujet des


, .,
reserves •...


Peuvent-ils circonscrire la défense, sous
prétexte que la doctrine plaidée est fausse,
dangereúse, etc.? Non sans doute, ils Ollt
seulement le droit d'y répondre. Si ce qu'a dit
l' avocat pa!ll.W toutes bornes, ils ont le droit de
condure et de requérir la Conr de statuer.
Mais ils oe peuvellt pas se faire justice a eux-




( J74 )
memes, par des interrrtptions, auxquelles le
respect qu'on leur porte empeche qu'ils ne
soient exposés. Sans cela, l'accusation aurait
trop·· d'avantages 'sur la déf.ense; tandis que
tout doit etre égal entre elles, si meme la fa-
veur n'est pas pour ceHe-d.


S'il arrivait qu'un avocat-général élevat une
prétention mal fondée , l'avocat, fatigué par
un pouvoir sur Iequel iI n'a pas d'action per-
sonnelle , pourrait, a son tour, en appeler a
la justice de la Cour, qui devráit prononcer
contre l'avocat-général. On a vu cela arriver
deux ou trois fois.


On a vu aussi des avocats-généraux sortir
évidemmcnt de l'accusation. Ainsi, M. Madier
de Montjau pere s'est plaint a la Cour de cas-
satÍon, de ce que son fils avait été attaqué no-
minativement par un avocat-généraI, dans une
affair.e ou iI n'était nulJement partie. Ces ex-
cursions sur le mérite des gens qui ne sont point
en cause, sont véritablement des acles extra-
judiciaires.


J' ai· entendu un autre avocat-général , décla-
mant contre les doctrines en général, en pren-
dre texte pour se déchalner conue' la consti-
tution des cortes; l' appeler démágogique, anar-
chique, etc. Convient-il done qu'un avocat-




( 175 )
général s'écarte, a ce point, de la question; et
qu'a l'occasion d'une affaireparticulíere, iI aille
de son chef déclarer, pour ainsi dire, la guerre
a I'étranger 7-Etsi l'accuséavait voulu répon-
dre sur le me me ton, etprendre le partí de la
constitution des cortes, comme iI eut été promp-
tement inLerrompu et ramené a son fait,par-
ticulier! -Eh hien, M. l'avocat-généraI méri-
tait d'etre aussirappelé a laquestion; etmeme,
entre deux écarts de ce genre, j' excuserais plu-
tót unaccusé qui se tromperait a ce point sur sa
défense , au mílieu du trouble que lui cause son
propre péril ; qu'un magistrat qui ,ne risquant
rien pour lui-meme , a tout son sang-froid et
ne doit jamais s'en séparer.


§ 1 I~


Résumés des Présidens.


Ces résumés ont pour ohjetde reposer l'at-
tention de MM. les jurés, sonvent fatigués par'
de Iongs déhats, en Icur retra~ant en peu de
mots, les charges de l' accusatiou el les défen-
ses de l' accusé.


Les qualités fondamentales d'un hon ré-
sumé, sont la clarté et l'impartialité.




( 176 )
La clarté , pour que le jury saisisse aisé-


ment l'atraire; l'impartialité , pour qu'il la sai-
sisse sous son vrai point de vue.


Est-il pl2lrmis a un président qui résume raf-
faire, de donner son avis personnel? - Il nous
semble que non; car le premiar devoir du juge
est de ne pas s'ouvrir de son opiníon avant le
jugement. D'ailleurs , la loi le charge de diriger
le débat; elle ne lULpermet pas de l'injluencer.


Si cependant, comme je l'ai vu quelquefoís
pratíquer, un président, au lieu de résumer
simplement ce qui a été dit , ajoute des moyens
nouveaux qu'il tire de son propre fonds, de-
vra-t-il etre p.ermis de lui répondre? La raison
le dít; car autrement l'accusé pourrait se trou-
ver attaqué apres coup, sur des points restés
sans défense. -On objectera que la loi n'auto-
rise pas le défenseur a parler apres le résumé.
La réponse ~st que,la loi a pensé qu'un résumé
ne serait que ce que le mot signifie, c'est-a-
dire, qu'il coosisterait a reprpduire en bref ce
qui \lurait été dit~plus longuetllent; mais en6-o.
ce quLaurait. cité dit etce a quoi par conséquerit
on aurait e'\lla faculté de repondre. MaÍssi ce
résumé chao ge de caractere , il appelle évidem-
ment une r,~pliqu~.




( 177 )


CHAP 1 TRE VII.


Du JurJ'.


({ L'INSTITUTlON du jury restera-t-elle ce
)) qu'elle est? eette seute question ne suffit-elle
}) pas pour soulcver des tempetes? le mot
JJ de rijorme ne sort-il pas de toutes les
)/ bouches (I)? J)


§ lo


.Abus dans rOrganisallon aCLUelle du Jur,Y.


CeHe ancienne irtstitutioo; long-temps en
vigue.Ul' chez nos peres , tombée en désuétude
pendañt plusieurs siecles d'amirChie et de des-
potisme , remise' en honneur sons le regne de
Louis XVI, est aujourd'hui rune des garan";'


(1) DiscoursdeJ\'I. Bertin-de-Vaux, 11 la séance de la
Chambre des députés, du 12 avril i82I. (.Joilrnal de.
Débats du ]3.)


12




( 178 )
ties auxquelles la nation tíent le plus, malgré
les crians abus qui entravent son exereice.


Ces abus ont été signalés dans une foule de
réc1amations el de pétitions.


La plus récente esl eeHe adressée le 16 dé-
cembre 1820, par le colonel Duvergier, a la
Chambre des députés. Il y résume en ces ter-
mes l. principaux vices de l'institution, lel1e
qu'elle eSl, dit-¡I, acluellement pratiquée :


« Messieurs, parmi les réclamations que
vous accueillez toujours avec intéret, vous
distinguez surtout celles qui sollicitent le re-
dressement d'un grief personnel, et ceHes qui ,
signalant des abus généraux, peuvent donner
líeu a une proposition de loi.


» La mienne réunit ces deux caracteres.
» Accusé, je viens réclamer conlre une pré-


varication qui compromet mon repos el ma
liberté; citoyen, je viens vous dénoncer des
abus scandaleux, et solliciter une loi qui en
prévienne le re tour.


» Depuis long - temps, MessieUl's, le cri
public s'éleve contre la disposition du rocle
d'instruction criminelle qui codic aux préfets
le choix des jurés appelé:; a prononeer sur la
réputation , la fortune el la vie tl(>s citoyens;
disposition qui ,eonfomlant ee qui doit essen-




( 179 )
tiellement etre séparé , met le pouvoir judi-
ciaire dan s la main du pouvoir exécutif, faít
du jury une commission, et livre la destinée
de tous les :Fran~ais a la discrétion d'un agent
salarié et destituable.


)) Déja, l'année derniere, un membre de
eette Chambre (1) avait appelé votre attention
sur cet objet important; vous avez pris sa
proposition en considération : depuis ce temps
les abus n'ont fait que s'aggraver d'une ma-
niere effrayanle : leur répression est done de
la derniere urgence.


}I Parlons d'abord de ce qui me concerne.
)1 Accusé d'un dé lit politique, j'ai été, le 27


novembre dernier, traduit devant un jury.
)) L'article 599 dll Code d'instruction cl'Í-


minelle , qui permet aux accusés de n~cuser un
c~rtain nombre de jurés portés sur la liste gé-
nérale, semblait m'offrir une garantie. Dans
les causes politiques on sent assez combien un
accusé a d'intéret a écarter les jurés dont 1'0-
piniun politique est fortement prolloncée dans
un sens opposé a la sienne : dans les causes
ou l'autorité est partie, on sentcombien iI im-
porte d' écarter les j urés placés, par leurs fonc-


(J) M. Manuel.




( 1 l:\o )
tions ou leurs traitemens, sous lamain de l'au-
torité. Nulle 'cause de suspicion h'est plus lé":
gitime : c'était áussi dans cet esprit que je me
proposais d'user dü dróitde recusation qui
m'est conféré par la loi.


» Les ágens de l'autonté ont rendu, Mes-
sieurs, ce droit íllusóire; iIs ont eu süin 'de
Íie composer la liste générale qúe d'hoinmes
peut-etre honorables sous tous les :iúttes rap-
ports, mais do'nt les opinions politiques, ex-
tremes dans un sens óppose a célúi qu'onsup-
posait aux accusés, rendaient toute récusation
vainé, ét assuraie~t au poúv(,ir accusateur,
qliellés que f'risseii't les recúsations, un jury
trop justement redóutáb\'h 'aux accuSés par les
'préventions qui pouváient séduif~~strrl jrige-
'rneili, tro'mper sa conscience , égarer sori iIÜ-
parti:ilité.


, )1 AiüsÍ, 'satis nie réfuser dans la forme le
droit 'dé récusation que la ]oi m'áccorde, 'Oh
m' en a áepouillé par le fait, . eii~bmposan t ia
~íste generalé de maniere a neme laisser que
le choix des dángers, a ne me laisser púul'
juges que dijs adversaires. Persuadé que le
aroÍt de récnser <¡ui in'était' offert daos la
chiiülbre au confiéil, ti'était qu'une détisioil ,
j'ai positivement déclaré n'en vouloir pas user.




( IBi )


» Voilil, Messieurs, le slJ,je~ de mes plaintes
personnelles ~ mais ces prév<!.rications coup~­
hIes n'out P<l-() s~ultlp:lent eu lieu el).vers moi ;
l'ahus est devepu général, perman~nt; iI .est
const;mt, il est pu~lic que, surtout depuis
l'année derniere, les FranH~s p.e (ioq,t plt;ts
jugép ,en ~~tiere poljtique, que par comwis-
~aires.


» leí la notor~élé puhlique m.e .dispep.$er~it
de preuves; Ie~ agens du pouvoir, non con-
tens de fouler aux pieds la justice et l'honneur,
~l'ont p~s meme daigné sauver les apparences.


» On sait que le chpix ,~es jurés est confié
a un iq..qiyidu qu'ijest sllp,erftu pe pom:rp.er ~
connu par r~xagér~tion de ses opin~qns , éleyé
pour cette unique fonction .. du rang de simple
employé a celu~ d:e chef: on s::t~t qu'il existe
des cartons OU sontcops~rv,~s le.s uOJUs de{>
juréssurs (suivant le langage du parti) , etque
c'es! I.a que ron puise toutes les fois qu'il se
présente a juger des causes poli tiques.


» Je crois ppurtant, Messi,eurs, devoir yq,us
fair,e r.e,marquer ,quelques fa~ts, qui r.eJ;l~ront
manifestes a vos ye~ les ~!!f~.ff!J.lyr~.s qu,e la
YO~x publique v;ou~a~ja sfgp.~ée;s.


» 1°. S~ ron parcourt les li,sies de.s jurés




..


( I~2 )
depuis neúf a dix mois, ,et que l'on prenne
des informations sur les individus qui y sont
portés, on reconnaitra que tous (a un tl'es-
petit nombre d'exceptions pl'cs) appartien-
nent a une seule opinion politique : croira-t-
on que le hasard seul ait amené un résultatsi
étrange et si favorable aux accusations dans
une ville OU (comme 1'0nt pl'ouvé a diverses
époques les votes él~ctoraux) l'opinion en
questíon est loin d'avoir pour elle l'unanimité
ou meme la majorité ?


)1 .2°. Ces listes sont en outre toujours com-
posées, pour un tiers environ d' emploJés OH
de salarié s de l' autorité ~ quoique sans doute
ces employés et ces salariés ne forment pas
un tiers de la population.


») 5°. Ces listes contiennent des noms qui
se retrouvent sur les listes de l'année précé-
dente, et méme sur les listes de l'année cou-
rante, a des époques plus ou moins rappro-
chées, quoique, suivant le cours naturel et ré-
gulier des choses, les fonctions de juré ne se
renouvellent, pour chaque citoyen, qu'envi-
ron tous les quatre ou cinq ans.


)) 4°. Un usage constant avait jusqu'alors
dispensé les conseillers d'État, les adjoints de




( 183 )
maire des fonctions de juré; cependant ces
listes portent les noms de plusieurs conseillers
d'État el adjoints de maire.


» 5°. Les condamnations pronpncées, de-
puis l'époque ci-dessus indiquée, en matiere
politique, n'ont frappé que sur les hornmes
d'une seule opinion exclusivement : les hom-
mes de l'opinion contraire, q'lloique assuré-
ment ni leur conduite ni Ieur langage ne soient
exempts d'écarts, n'ont presque jamais été mis
en jugement, au moins a París, et pas un n'~
subi· de condamnation.


,r 6°. A cette époque les poursuites en ma-
tiere politique étaient médiocrement fréquen-
tes, et cependant en cette matiere, comme
en toute autre, le nombre des absolutions ba-
lan~ait a peu pres celui des condamnations
(partage qui semble garantir l'équité des ju-
gemens d'alors) : depuis, quoique la censure,
qui a soumis les journaux a un tribunal pré-
ventif, ait du diminuer le nombr~ des accu-
sations, on les a vues se multiplier d'une ma-
~niere immodérée; et, ce qui n'est pas moins


étrange , en meme temps que les accusations
devenaient plus fréquentes, les absolutions
sont devenues plus rares, a tel point qu'on en
citerait a peine deux on trois exemples contre




( 184 )
un nombré effrayant de condamnations; et
ces condamnations , je le répete, n'ont porté
que dans un sens exclu6Ívement.


J) Ces faits, et les conséquel1ces qu'il est aisé
de tirer de leur rapprochement, ne permettent
pas de dont.er que des manreuvres honteuses
n'aient présidé dans ces derniers temps a la
composition des jurys; que des agens du pou-
voir n'aient pris des meSUl'es iHégitimes pOUl'
frauder le dl'oit de récusation au préjudice
des accnsés, ponr assurer les condamnations
qn'ils désil'aient, et pour réduire a une vaine
parodie les formes protectrices du jury ; qu' en-
:fin l' aoos commis a mon é.gard ne &oit une sui te
de ce systeme crimineI.


\, Dans ces circonstances il ne m'appartient
pas, Messieurs, de dictel' vos r.ésolutions ; mais
il me semble que ma rédamation est de natul'e
a etre renvoyée aux ministres de l' intérieuret de
la justice, quant au fail pal'ticulier dont je me
plains; au bureau des rellseignemens, quant
a I'ahus génél'al que je dénonce ; sanf a votre
sagesse a prendl'e telles mesures qu'elle jugera
convenabJes quant a la responsabilité que
pourraient avoirencourue les agens du pou-
VOll'. »


ecHe pétition n'a amené aucun résultat:




( 185)
mais lors de la discussion de la loj du 24 mai
182l, sur l'art. 351 du Code d'instruction
criminelle, on est revenu sur l'organisation du
jury; on a parlé du carton aux llOmmcs súrs,
cprnme en Ang]eterr~ ou ~vait parlé du sac
verlo


Ces reproches n'ont pas été adl'í!ssés ill'org¡l-
nisatioq. ,,"ctp.elle du jury par les dépu~s .d'un
seul ~oté; et M. Bertin-de-Yaull a eu raison
de dire: Lf mot de réforme ne sort-il pas de
Joules les bouches?


§ 2 •
• Clzangemeas el Am¿liorations proposés dans l' Orga-


nisation actuelle du JurJ-'


Si les uns se sont empressés de signaler les
abus que présente l'organÍsation acPJeUe du
jury, d'autresontprissoind'indiqperleslIJoyens
d'y r.emédier,


Parmi les écrivains qui, en traitaQt f.;,ette
matiere, out payé a la patrie le trihllt de leurs
veilleset de leur ~xpérie~cf: o .Q\l 4.0~ .distin-
guer M. LegravereIJ.d., q~ ~ Tr.(lité sur la
législation crimint:lle a pla~é sj han! dan s l' es-
time des jurisconsultes; M. Cottu, qui a joint




( IH6 )
l'étude de la législation anglaise a la pratique
de notre propre jurisprudence; M. Heulhard
de Montigny, conseiller a la Cour royale de
Bourges; M. Boyard, suhstitut du procul'eur-
général a laCour de Nancy; M. Guernon de
Rainville, docteur en droit, et avocata la Cour
de Caen, etc.


n serait trop long d'anal)'-ser toutes les
,Ohservations que ces écrivains, et heaucoup
d'autres encore , ont faites sur notre jury. Mais
il est a remarquer que tous s'accordent sur les
points suivans :


1°. Tous reconnaissent et proclament qu'il
faut retirer aux préfets la formation des listes
de jurés; autrement les citoyens ne se:ont pas
jugés par des jurés, mais par des commis-
saires/


2°. Tous demandent que des li&tes générales
soient formées a l'avance; et que les noms n'y
soient pas arhitrairement placés par les agens
de l'autorité, suivant la qualité des pro ces et
des accusés;


5°. Tous sont d'accord que le sort doit
extraire, de ces listes générales, le jury qui doit
juger dan s chaque session;


4°. Tous enfin réclament la puhlicité pOUl'
toutes ces opérations, paree que la publicité




est le meilleur garant de la bonne foÍ qui doit
y régner.


Il est heaucoup d'autre~ améliorations de
détail qu'il serait utile d'introduire, mais dont
j'évite a dessein de donner l'énumération, de
peur de paraitre trop exigeant. Je me hor'lerai
a l'examend'un tres-petit nombre de questions
qui me paraissent capitales.


§ 5.


Récusation des Jurés.


Pourquoi accorder au minislere public , déja
doué de tant d'avantages sur l'accusé, le droit
de récuser encore les jurés ? Pourquoi lui don-
ner ce droit a l' égal de l' accusé, et dans la
meme proportion? Pourquoi ne l'oblige-t-
on pas du moins a faire ses récusations le pre-
mier? Pourquoi surtout ne pas pennettre aux
conseils d'un accusé d'assister a la récusation
des jurés, a cette premie re opération dont peut
dépendre son absolution ou ia G.ondamna-
tion (I)?


(J) M, Cottu , aans son ouvrage deja cité, cOllvient
qu 'jI y a souvellt superclzerie aans la maniere dont




( 188 )
On procM~ ~u ~irag~ daus la chambre qu


conseil, uu iustant avant de montel' a l':¡.u-
dienc~. L'accusé est la se,!!l ~vec les juges, en
prés¡::nce de 56 juré¡;, dont iI n'a p,u retenir les
mm~sav~c assez de précisiQu, PQur récuser
a prQpos ceux qu'illui importe .d'écarter. 11 f!st
~hlóni par l'appareil qui l'eutollre, tou,t est
nouveau pOUI' lui daus ce spect~cle; e~ il est
seul, séparé de sou défeuseur! LaIoi n'autorise
pas cette exclusion. Elle ~st du pUl' faít du juge;
c'est un abuso


J'ai cepeudant vu un exemple, mais uu seul
exemple du contraire.


Dans raffaire des faux ·bpns de réquisition,
nOus obt1umes, mais p~r uue sQrte dejaveur,
de M. Malleville qui présidait les assises, la
permission d'assister au tirag~ et l;t la récusa-
tiou des jurés.


Pourquoi u' en pas user de menJe ~~UlS toutes
les affair.:;s? Quel dauger pour l~ justi,ce? Au-
euu; et l'avautage est sOQ,ven,t irpmeuse pOUI'
l'accusé.


quelques présidens tirent le Jury. (Administration de
Út Justice criminelle, p. 312.)




( 189 \


§ 4·


De I'Appréciarion des QUlllités d¿s Jurés.


La Cour de cassalion a jugé plusieurs foís
(notamment par ses arrets des 19 aoUt et 10
décembre ¡81:) ,et le< octobre 1814), ee que
1'appréciation des qualítés politiques et civiles
des citoyens appartient exclusivement aux au-
torités administratives; et qu'il s'ensuit, que
tout citoyen qui a été porté sur la liste des ju-
rés , formée par le préfet du départcment, est
presumé de droít avoir les qualités poli tiques
et civiles exigées a peine de nullité par l'ar- .
dde 381. AUctine preupe contraire he peut
etre admise pllr les trih,unaux. »


Aiüs),a.1'1I.udience de la Coúr d' assises, l' ac-
cusé démontrel'sit, piecesen m:lin, que, parmi
les jUl'és assis pour le juger, il Y a des ci-
toyens incapables d'etre jurés, par exem.ple ,
des étrangers; la Cour ne dévra pas l' écouter,
et la présomption que le préfet ( quí apparem-
IDent 'est irifaillihle ) ne s'est ;pas trotnpé sur
les qualités des jurés parlul désjgnés, l'em-
pm'te sur}á ,preuve é~íaente, 'complete, ma-
nifeste, que parmi les jurés -se'trotlventcepen-




( 19° )
dant un ou plusieurs individus légalement in-
capables ou indignes de cette fonction !


Ainsi , douze étrangers, Anglais ou Suisses ,
mis sur la liste du préfet, pQurraient juger a
mort un Fran~ais, sans que celui - ci put se
faire un moyen de leur qualité d'étrangers du-
ment prouvée , pour les faire exclure du jury !


Pourquoi ne pas laissel' aux Cours le droit
de statuer sur l'idonéité des jurés '!


§ 5.


r ourquoi les Jur¿s ne donTlent-ils pas leur déclaration
saTIs désemparerJ


En Angleterre, on ne désempare pas que
l'affaire ne soit jugée. Si elle dure trop long-
temps, on apporte aux jurés des vivres , des
lits; on les meme a la pl'omenade pour prendre
l'ail' et se rafrakhir, escortés de gardes poul'
prévenir toute communication.


Notre loi dit aussi (art. 555) que «( l'exa-
») men et les débats une fois entamés, de-
n vront étre continués SlUlS interruption, et
») sans aucune espece de communication au-
)) dehors ~ jusqu'apres la déclaration du jury
)~ inclusivement. Il




( 19 1 )
Et cependant , presque toujoul's lorsqu'un~


affail'e doit excédel' la durée d'une audience
ol'dinaire, c'est-a-dire , l'heure sacl'ée du di-
nel', on leve le siége, la séance est continuée
au lendemain, el chacun se retire chez soi,
expos¿ a toutes les suggestions extérieures que
la loí a voulu prévenir.


J'ai Vll mieux, ou plutót j'ai vu pis. Dans
une affaire qui a duré vingt-deux jours, il s'est
trouvé daos le nombre trois dimanches, pen-
dant lesquelson a inferrompu les débats. M. le
Président, en I'cmettant au lundi, eut meme
l'obligeance de mettre en avant pour motif,
que plusieurs d'entre MM. les jurés seraient
sans doute bien aises d'aller a la campagne.
- Un des accusés répondit, el nous, M. le
Président, notre campagne e' e,,·t la prisolZ. -
L' audience est levé e .


§ 6.
Communication des Pieces aux Jurés.


On communique des pie ces aux jurés ! Ne
devrait-il pas au moins ctre défendu de leur
en communíquer d'autrf1S que ceHes qui ont
été lues a l'audieoce , el quiont fait la matiere
du déhal? Saos cela, la conviction pourrait




( 192 )
se former a huis dos, sur une piece que l'ac-
cusé n'aurait pas été appelé a contredire.
D'ailleurs la loi voulant que le débat soit oral,
veut que le jury obéisse a l'impression pro-
duite par ce qu'il aura entendu, et non par ce
qn'il aura lu. - Je n'exceplerais de eeHe regle
que les accusations pour faux en écritures pú-
bliques ou privées, et les déJits de la presse.
Dans ces accusations, il est évident que l'on
ne peut juger que sur le vu des pieces et du
livre.


§ 7'
De la Majorité nécessaire pour condamner.


La majorité d'úne seule vo{x BeV'ráit-elle
done suffire pour entrainer la déclaration de
culpabilité ?


Un auteur aussi connu par la profondeur
de sa doctrine, que par l'humanité de ses
vues , résout aiusi cette grave question : « En
quelques lieux, la pluralité suffit, comme en
IÍlatiere cÍvile; c'est-a-dire, que de trente et
ún juges, seize pronon~ant la mort, 'tandis
que quinze aúrOüt opiné pou\.' l'absolution, ou
le plus atílpleh1ent informé, l'accusé mourra.
Cette jurisprudence ne rassure pas l'innocent;




( 193 )
et si, a un pres, la moitié des juges a cru l' ae-
cusé non eoupable, le publie pourra di re avee
elle qu'on a égorgé l'innoe~nt. » PROST DE
ROYER, Accusation, n° 104.


Mais si la simple majorité ne doit pas suf-
fire, que dira-t-on du cas, possible eependant,
ou la condamnation sera prononcée par la mi-
norité eOlltre le vreu de la majorité? ....


(Ici se trouvait placée I'exposition des in-
cOllvéniens résultans de l'application de l'ar-
ticle 351 du Code d'instruction criminelle, d'a-
pres lequel en effet la minorité des juges, réunie
a la majorité des jurés, I'emportait sur la mino-
l,ité des jurés , quoique renforcée de la majo-
rité ues juges. Mais depuis, eet article a été
modifié par la loi du :1 4 mai 182:i. .... )


La discussion de cette loi a été remarqua-
ble, soit devant la Cour des pairs, soit dans
la Chamlare des députés , par plusieul's beaux
discours. Je citerai particulierement ceux de
MM •. Barbé - Marbois, Germain, Cornudet,
Lally-Tolendal, dont les souvenirs répandent
toujou/'s un si vif intéret sur tout ce qu'il éerit
en matiere cl'Íminelle! MM. Benjamin Cons-
tant, Etienne (1) et Royer-Collard ) ce dernier


. I


'1) C'estlui flui a remi. en lumiere l'a¡-ticle 391, pOi!"
,;)




( 194 )
principalement, ont traité la question avec
une grande supériorité.


La lo.i a passé .... ainsi du moins , la majo-
rité des membres de la Cour sera nécessaire
pour lever le doute né du partage des jurés !
mais il suffira de la majorité simple. 01', le
temps et l'expérience semblaient avoir dé-
montré le danger de faire dépendre d'une
seúle voix la condamnation d'un accusé !


Je renvoie ici le leeteur au MÉMOIRE que j'ai
publié en 1815 sur la maniere d' opiner dans
t affiire de ¡'JI. le marécltal Hey j j'y rassem-
ble les lois anciennes el les 10Ís nouvelles ; et
parmi celles-ei, les lois meme des temps les
plus déplorables; telles' que la loi des suspects
du 17 septembre 1793; ceHe des tribunaux ré-
volutionnaires du 22 prairial an 2; eeHe du 13
brumaire an 5 , sur les conseils de guerre ; du
18 pluviose an 9 sur les tribunaux spéciaux;
el je montre qu'il n'est pas une seule de ces ju-
ridietions, ou la simple majorité ait été re-
connue eomme suffisante ponr condamner !
L' amendemcn t de M:. Cassaignoles eüt pu ton t


JequeJ Napoléon s'était " réservé de donner aux: jurés
" qui auraienl montré un úle louable, des témoigna-
.,. ges honorables de sa satisfaction. )1




( 195 )
concilier; il lenaít le mílieu entre l'unanimité
exigée du jury anglais et américain, et des
alcades espagnols; et la simple majorité qui
forme la chaoce actuelle des accusés frao~ais :
iI proposait d'étabIir que la déclaration du
jury pour la culpabilité ne pourrait résulter
que de huil voix sur douze.


1\'1. Legraverend avait émis le me me vreu
a la fin de ses Observations sur le jury, p. 108.
Par-la, disait-il, le législateur donnera une
plus grande sécurité a l'innocence, etc. , etc.


rictrix causa diis placuit ....


§ 8.


Jury-mi-parti:


Il existe une tres-belle loi en Angleterre.
Elle veut que lorsqu'un étranger est accusé
d'uo crime, le jury qui doit en connaitre
soit mi-par ti d'Anglais et d'étrangers appar-
tenant a la meme nation que l'accusé: ( iI
n'ya d'exceptioo que pour les crimes de haute
trahison. )


Cette jurisprudence fut attestée dans l'af-
faire des Anglais ( Wilson, Brnte et Hut-
chinson) , par une consultatÍou transmise offi-
13~




( 196 )
ciellement par le gouvernement anglais. On la
trouve imprimée daos l'histoire de leur Proces~
deuxieme édition, p . .212.


Les prévenus n'invoquaient pas directement
l'application de eeUe loi; ils déclaraientmeme
renoncer personnellement a s'en prévaloir a


. litre de réciprocité~· mais ne voulant pas, di-
saient-ils, compromettre pour l'avenir le droit
de eeux de leurs compatriotes qui, plus tard,
pourraient se trouver dans lé meme cas, ils
demandaiellt acte de eeUe déclaration', ainsi
motivée.


La Cour pensa qu'il n'y avait pas lieu a leur
en donner acte : et en etTet, j'avoue que nos
lois, n'ayant pas introduit ecUe forme de pro-
céder, un aeeusé étranger ne pouvait pas
exiger qu'elle.lui fut appliquée.


Mais ne serait-il pas hon de l'introduire (1) ?
11 Y a une sorte de gl'andeur et de généro-


sité, dans ceUe maniere d'appeler les étran.,.


el) Sous Henri IV, iI Y avait quelque chose d'D.na-
]Qgue dan& ]a composition des ~ribunaux mi-partís de
catholiques el de protestans; et 1(1 précaution n'était
ras iuutile, car un partí traite ordinairemeut le partí
contraire plus encore en eonenli qu'en étranger.


1l fallaít que la passion quí· les animait l'uo contrf'
l'autre, a cette fatal e époque, fUt bien forte, puisqu'on




( 197 )
~ers eux-memes a juger de la réalité du crim~
dont leur compatriote s'est reuducoupable sm
un territoire qui leur accorde a tous la mcme
hospitalité !


II n'ya meme pas a craindre, en pareil cas,
de molIesse ou de comp'aisance de la part des
étrangers ainsi adjoints au jury national. Il est
certain qu'ils seront plutot disposés a la ri-
gueur pour justifier la confiánce qn'on Ieur
témoigne (1).


On maintiendrait seulement le droit com-
mun pour les casde haute trahison, afin que le
salut de l'État ne fut pas remis a la décision
des étrangers .


• Puisque je parle des étr-angers , je dois dire
un mot ici des interpretes qu'on est daos l'u-
sage d'appeler aux débats lorsque l'accusé ou


trouve un arret clu 13 février 1597, portant que « les
» intérests adjugés contre un débiteur, ses fidéjusseurs
» et cautions, par les juges du contraire parti, ne cou-
l) rent durant le temps des troubles. " Voyez CARONDAS,
liv. XI. resp. 2; BRILLON, VD Interesls.


(1) A Gimes, par une singularité remarquable, le
tribunal de la rote criminelle était composé de trois
jurisconsultes étrangers, qui ne devaient avoir aUCllne
es pece d'alliance ni d'affinité avec aucun Génoi,.
(Leges nova? reipubl. Genllensis, cap. 1, p. 38.)




( 198 )
les témoins ne savent pas la langue du pays.
Ces interpretes, dira-t-on, sont des inter-
pretes-jurés; ils méritenl , a ce titre , toute la
confiance de la justice qui les nomme. Cepen-
dant, Ü peut arriver qu'ils ne méritent pas
ceHe de l'accusé; je. ~udrais donc qu'illui fut
permis d'appeler de son coté un interprete
pour controler les traductions qjJicielles de
lVI. l'interprete-juré.


Les Perses firent plus en faveur de Thémis-
tode. 11 était accusé par eux d'avoir donné la
mort aux neveux de Xerces. Il ignorait la
langue du pays, et n'eut eu que peu de moyens
pour se justifier si on l'eut jugé sur-Ie-champ.
lVIais les juges (1) lui donnere~t un long délai
pendant lequel il apprit la langue persanne;
et lorsqu'il fut en état de la parler, il se dé-
fendit si bien lui-meme, qu'il fut renvoyé
tout d'une voix. ( Voyez Diodore de Sicile. )


(1) Des long-temps Camhyse avait appris aux tri-
hunaux de Perse a rendre bonne et loyale justice, en
faisantécorcher vif un juge prévaricateur , dont la peau
servit a recouvrir le siége sur letjuel vint s'asseoir le
juge qui le remplaga. Le tahleau qui représente ce traít
d'histoire est au Muséum. Erudimini.




( 199 )


§ 9·


Position des Questions.


Le président pose les questions sur les-
quelIes les jurés sont appelés a délibérer.


Il pose ceHes résultant de l'aete d'accu-
sation. •


Il doit ajouter cenes résultant des circons-
lances aggravantes.


L'avocat de l'accusé a le droit de parler sur
la position des questions.


Mais il n'a pas le droit d'exiger qu'on pose
telle ou teHe question : son dl'oil se borne a
le requérir , sauf a la Cour a statuer.


Peut-etre serait-iJ bon d'établir que l'aecusé
ou son conseil, aurait dans tons les cas le
drúit de púser en question le fail dont il pré-
tendrait faire résultet' l'excuse; lel que la dé-
menee, le défaut d'iIltention, le défaut de
préméditation. Cela constituerait un droit
poul' l' accusé. .


Mais il est hors de doute, par exemple, que·
Yavocat-général, qui voit l'accusation princi-
pale lui échaprer, n'a pas le pouvoir de snbs-
tituer anx questions, qui résultent du résumé




( 200 )


tle }'aete d'accusation ~ des questions subsi-
diaires) ou incidentelles, comme on l'a vu
-tenter dan s l'affaire des troubles de juin.


Cette tentative du ministete public est
ainsi rapportée dans les journaux du 14 jan-
vier 1821 :


(( Apres toutes les plaidoiries, M. l'avocat-
général requiert la position de nouvelles ques-
tions, dont il présente la séri"e. Elles sont par-
ticulierement telatives a ColIin, Fayolle ,
Adam, Cl'Outelle et Cailletean, contre les-
quels elles admettent des circonstances ag-
gravantes. On y demande ponr Fayolle, s'il
était chef d'un attroupement au fanbourg
Saint-Antoine, dans la journée du 5 juin ? 1)


(( Cet incident nouveau qui change rordre
de l'acte d'accusation, amene un long débat
entre les avocats, le ministere public, el M .le
président. MM. Target, lVIérilhou, Lorelut,
présentent el déposent des conc1nsions écrites
dont ils demandeNt acle a la Conr, chacun en
ce qui concerne son client, conclusions qu'ils
développent ensuite, et qui s'accordent a 50n-
tenir qu'il n'y a pas lieu ir, la position de ques-
tions nouvelles; que l'accusation ne peut plus
etre ni chaugée ni rectifiée; que s'jI s'agit de
nouveaux faits contre les accusés, il Y a pres-




( 201 )


críption; et une fin de non-recevoir, s'il s'agit
des memes faits que ron voudrait qualifier au-
trement que dans l'acte d'accusation. Les avo-
cats déctarent encore que le réquisitoire im-
provisé de M. l'avocat-géné,ral. est une ten-
lative inouie, insolite, qui rendrait le ministere
public rnaztre de l'accusation, tandis qu'il ne
doit en etre que l'organe. »


c( Enfin, apres deux heures de débats, la
Cour se retire dans la chambre du conseil,
pour décider sí les questions lJouvellcs scront
posées ~ oui ou non. Il était trois heures un
quart. A cinq heures , la Cour rentre en séance.
et rend un arret portant qu'il ne sera posé
d' al{lreS questions que celles contenues dans
l' acle d' accusatibn. »


(.¡c) M. de Schonen.




( 202 )


§ 10.


Avantages du Jury.


Apres avoir signalé les principaux abus qui
se sont introduits dalls l'organisation du jury,
et avoir indiqué les remedes qu'il convien-
drait, selon nous, d'y apporter, n011S termi-
nerons par remettre sous les yeux du lecteur
la belle Proclamatíon de Louis XVI aux
Fran~ais, concernant l'exécution de la loi des
jurés ( du 15 janvier 1792).


On y yerra quelle estime le vertueux mo-
narqlle accordait a cette institution; aquel
point illa regardait comme la sauve-garde des
eitoyens! Et ceux-ci y trouverout, je l'espere,
de nouveaux motifs de la chérir et de la dé-
fendre comme le palladium de Ieur liberté.


(e Fran~ais,


» Le pouiJoir judíciaire est le véritable líen
des institutions sociales; sans lui aueun ei-
toyen ne pourrait compter sur la libre jouis-
sanee de les premiers droits, sur la propriété
de sa personne et de ses hiens; sans lui votre




( 203 )
législation nouve)]e vous promettrait en vain
de si grands avantages.


» Mais e'est par l'action redoutable et con-
tinue qu'il exeree eontre le crirne et ses au-
teurs, que ce pouvoir tutélaire intéresse d'une
maniere plus immédiate et plus profonde,
non - seulement la sociét'; en général, mais
chaeun de ses membres en partieulier.


» Aussi l'Assembléeconstituante, non moins
soigneuse de garantir a tout individu sa liberté,
son honneur' el sa vie, que de mailllenir la
sureté publique, s'est-elle attachée, avee une
sorte de préférence, a bien ordonuer le sys-
teme de vos 10is eriminelles; et cette branehe
de ses travaux est une de eeHes ou briJle émi-
nemment sa sagesse. De peur que le júge ne
devínt plus redoutable que la tol, elle n'a con-
féré le droit de punir ni a un homme, ni a un
corps; dIe a divisé tout a la fois et les ré-
cherches néeessaires pOlll' la découverte des
délits, et les fonctions attribuées aux ministres
de la justiee; la plainle , l'accusation, la con-
viction ne sont plus sons la d.épimdance d'un
seul el meme tribunal, et le partage de la
puissanee prévient l'oppression et la tyrannie.


» FranQais ~ tel est l'esprit de ces loís que
vous devez recevoir comme un des pI~ls beaux




( ~o4 )
présens que la raison ait fail a l'humanité.


Le roi se félicite de voir enjin, sous son re-
gne, une législation dauce, humaine et appro-
priée a une constitulion libre, substituée a un
systeme oppressif, plus propre a q[rayer l'in-
nocent qu'a faire trcmbler le criminel. Ji se
fait gloire d' avoir .ommencé a purger Le Code
de plusiellrs de ces atrocités légales dont son
CCEur gémissait, et d'avoir préparé les esprits
a ce que l' Assemblée llationale a exécllté. II
voulait comme elle que laloi profégeat l'accusé
en punissant le crime, qu'elIe respectal jus-
que dan s le coupable la qualité d'homme, el
que le supplice meme ne fut qu'un sacrifice
fait a la sureté publique.


» Tous ses vreux a cet égard vont etre rem-
plis; mais ce n'est pas seulement sous ce point
de vue que cette institution est beBe, elle l'est
encorepar son heureuse influence sur les mreurs
nationales.


)) La loi des jurés investissant chaque par-
ticulierd'une véritahle magistrature, fera naitre
et nourrira dans tous les c<enrs ce respect de
soi, source des verlus privées , et garan! des
vertus puhliques, ce sentirnent de la dignité
personnelle qui ennoblit toutes les affections.
Chaque citoyen , appelé a devenir tour a tour




( 205 )


larbitre de la destinée de chaque citoyen J saura
s'estimer, sen tira mieux le prix de l'estime, et
reconnaitra le vrai príncipe de l'égalité. L'ac-
cusé pouvant opposer a la malignité d'un ac-
eusateur, et meme aux plus redoutables pro-
babilités, ]e témoignage de sa vie entiere; les
citoyens senliront profondément le besoin
d'une réputation pure, qui commande l'habi-
tude des vertus : ainsi s'agrandira encore le
génie national; ainsi se développera le véritable
esprit de la liberté, et de nouvcaux liens de
fraternité uniront tous les Fran<;ais.


1) Voila, Citoyens, la perspective que vous
otTre votre législation criminelle; voici les
Qbligations qu' elle vous prescrito Les intérets
de 14 société, les dtoits de l'humanité sont remis
eQtre vvs mains : vous vous rendez coupablc
envers l'une, si vous éCQutez \lIle molle indu!'-
gence; vous otTensez l'autre , si vous outrez la
sévérité légale. Votre conscience, voila votre
guide; la justice, votl'e regle; l'impartialité,
votre devoir. OLer au crime l'espoir de l'im-
punité, soustraire l'innocence a la crainte de
l'oppression on de l'erreur des tribnnaux, et le
juge a l'empire de sa volonté propre, telle est
la perfection d'un sysleme de lois criminellcs,




( 206 )


tel est l'objet des fonctions au~ustes qui vous
sont confiées.


JI Vous plaindriez-vous des dérangemens
passagers qu' eHes vous couteront quelquefois ?
Non: la Liberté ~ vous le savez~ n'est pas un
bien que l'on puisse acquérir sans combat ~
ni conserver sans sacrijice; il vous convient
de prouver a l'Europe, par un zeIe ardent a
remplir les devoirs que vous impose l'hono-
rabIe titre de citoyen, que vous eles dignes
de le porter. Pos ennemis ont trop remarqué
votre peu d' empressement a exercer dans les
assemblées primaires et électorales, le plus
important des droits PQlitiques du citoyen dans
un gouvernement représentatif. FRA.N<;AIS, ban4
nissez done eette juneste indif!erenee ~ ou} aree
une constitution libre, vous ne Jerez pas des
hommes libres J' el, avec de bo';"nes lois ~ vous
ne jouirez qu'impaifaitement des biens que de
bonnes loís assurent. »)




CHAPITRE VIII.


Du Jugement •


• l.


§ l.
Des Jugemens par cOntumace.


LES Romains tenaient pour maxime qu'un
absent ne pouvait pas etre eondamné, paree
qu'il n'était pas, en état de se défendre. Ne
quis ABSENS puniatur; el hoc jure utimur, ne
absentes damnentur~· neque inaudita causa
quemquam damnari aJquitatis ratio patitur.


Rechel'chez le eoupable, faÍtes-Ie arre ter ;
mai& si vous ne le trouvez pas, ne le condam-
nez pas, par provision, sans l'entendre. Ne
eommeneez' pas par le déshonorer et le ruiner.
Il vaut bien mieux suspendre un acte équivoque
de justiee, qui, dans le vrai, ne signifie ríen
puisqu'il tombe a la seule apparition de l'ae-
eusé, que de vous exposer a faire une in-
justice. Tel était l'esprit de la jurisprudence
l'omame.




( :w8 )
Chez nous, au contraire, on répute un


homme coupable, par cela seul qu'il ne se
présente pas (1); et ~u'il ne vient pas tendre
le col a l'accusation.


Cette jurisprudeuce n'est pas raisonnahle.
N'y a - t - il pas mille circonstances OU le


premier soin d'un accusé doit etre de se ca-
cher? S'il est poursuivi a la requete d'ulle fa-
mille puissante ou d'uu homme en cl'édit; s'il·
existe contre lui prévention ou inimitié; s'il
s'agit d'une affaire politique et qu'il ait poul'
juges ou poul' jurés des gens du contraire
partí, etc., etc. Dans tous ces cas el autrcs
'semblables~ n'est-il pas pl'udtmt de se sous-
ll'aire au premier cboc de la procédure, et
d'éloígller de soi un jugement qui pourrait
l1'etre pas impartial?


L'ahsurdité meme de l'accusation n'est pas
:un moti!' poul' raSsurer l'accusé; elle est au
contraire un índice de ]a haine qu'on lui porte,
puisqu'Qn l'accuse contre toute raison.


Aussi, qui n'a entendu citer le mot du pre-
mier président de HarJai? Si l'on m'accusait
d' avoir mis dans ma poche la grosse cloche de


(1) C'est probablement de la qu' est venu le proverbe :
que les absens onl lOujours lort.




( 2°9 )
Notre-Dame, je commencerais pal'fuir, et je
me dtffendrais de loin.


Et encore, non, il ne lui serait pas permis
de se défendre de loin; car la barbarie de nos
lois est demeurée telle en ee point, que l' As-
semblée eonslituante elle-meme a laissé sub-
sister d~ns son décret d'octobre 1789, sane-
tianné )e 25 avriJ suivant, qu'il ne sera~t donné
aucun conseil aux accusés contumax ,ou
absens.


Le Code pénal de 1810, arto 468, n'avait
garde d'omeltt'e eeUe disposition.


Les rédacteurs de ees lois, ou du moins de
la pre~re, n'ont done pas réfléehi que la
eondamnation des eontumax avait sa souree


. dans les pratiques violentes du régime féodal.
Qui confisque le corps confisque les biens,


était une des maximes de ee droit.
Or, si l' on avait observé la regle du Droit


romain, l'absent, )e contumax ne pouvant
pas etre condamnés en Ieur eorps, n'auraient


• pas pu etre saisis et dépouillés de Ieur fortune.
Quel tort pour les eaisses féodales!


Au lieu de eela, on a érigé en maxime que
e' était une sorte de despect et de félonie, de
c;léc1iner par la fuite la juridietion de son sei-
gneúr; et que par eonséqueQt eelui-ci ne ppu·


14




( 210 )


vant s'en prendre a la personne de SOn vassal,
pouvait toujourss'en prendre a ses biens.


Comment un te) systeme a-t-il pu se per-
pétuer sous l'empire de la Charte, qui pro-
nonee d'une maniere générale et saos réserve
l' aholition des confiscations?


Vainement dira-t-on que la confiscation
n'est pas définitive; que ce n'est qu'une main-
mise, uti séquestre. - Je répondrai que]a
mesure n'en est que plus odieuse.


Autrefols ]a confiscation préalable des biens
du contumax, pouvait devenir définitive ; et,
dans ce cas, la rigueur du prélude se trouvait
justifiée par la sentente fioale. ••


Mais aujourd'hui la confiscation·ne peut ja..:
mais etre prononcée coritre un aecusé présent,
par un al'ret contradietoire; et elle peut 1'ctre
de fait contre un absent qui n'a été jugé que
par défaut! L'absent, présumé coupabIe, el
qui ·peut eh-e ionoeent, doil- iI done etre
lraité plus séverement que l'accusé présent et
convaiocu?


8'il est iuterdit par la Charte de ruioer la
femme et les enfaos par une con6scation irré-
vocable, est-il perinis de les ruiner el de les
plonger dans la misere par une confiscation
te1"!lporaire? Car lelle est l'étrange sévérité d~




(2.[1)
l:ctte loi , qu'elle oe faít meme pas au fisc une
obligation de fournir des' alimens a la fcmme
et aux enfans du contumax. L'arlicle 475 se
contente de dire que., I( duranL le séquestrc ,
JI il peut etre accordé des secours a la femme,
}I aux enfans, au pere ou a la mere de l'ae-
n cusé, s'ils sont dans le hesoin. J)


Done, il peut aussi leur en etre refusé !. ..
Mais pOlJl'quoi cette étrange différence dans


la maniere de procéder au civil et au erimincl?
Au civil, si le défendeur ne se présente pas


el !l'a pas constitué avoué, l'article 150 du
Code de procédure dit que « le défaut sera
JI pronoucé a l'audience , sur l'appel de ]a
>J cause;' et.les conclusions de la partie qui le
») requiet't seront adjugées si elles se trou~'ent
» JUSTES BT BIEN VÉRIFIEES. ))


Et, en mati(m~ crimineUe, la condamnation
va, pour ainsi dire, de droit ! Non.:.seulement
la loi dit que, « aucun c.onseil, aucun avoué
)1 ne pourra se pr.é.senter poor défendl'c l'ac-
n cusé contumax (art. 468) ; j) rrwis elle retuse
mt!tueaux paTens et aux amis de I'accusé le
drrnt d'élever la ,voix pour·hú.Elle leur per"
met seule.mtlflt d'expliq,Ul!rlacause de son
absence; mais ene ·leur interdit de discuter le
14~




( 212 )


fond del'accusation. Loind'appeler la lumiere,
elle la repousse; le pere pour son fiJs, le fils
poul' son pere, l'épouse pour son rilari> le
frere pour son frere, sont non-recevables a
soutenir que l'accusation est injuste et qu'elle
n'est pas prouvée. On enleve meme la con-
naissance de l'affaire aux juges naturels du fail;
les jurés ne sont pas admis a donner de dé-
claration dans les proces par contumace; les
juges seuls en connaissent; iI semble que -ce
soit une simple forme a remplir; une con-
damnation indifférente a prononcer !


Et quel motif donne-t-on a cette rigueur?
Que c'est manquer de respect a la justice que
de ne pas répondre a son mandat ! Quelle
petitesse 1 comme s'il s'agissait la de révérence
et de civilité !


La loi dit : Si [' accusé ne comparatt pas ....
Elle ne dit pas: S'il a la malhonnéteté de ne
pas comparattre ; .... s'il est assez mal appris
pour ne pas se présenter ....


Le juge, en pareil cas, doit plaindre l'ab-
sent; son devoir est de le présumer innocent,
et de ne céder jamais" en condamnant, qu'a
la preuve hautement acquise de sa culpabilité.


Je pe use bien que les juges qui prononeent




( 213 )


contre les eontumax font toutes ces rétlexions.
Ce n'est pas eux que j'aeeuse ; mais je erois la
législation vieieuse , en ce que:


1°. 11 ne devrait pas ctre permis de juger un
absent;


2°. En tout cas, iI ne devrait pas clre inter-
dit aux juges d'écouter la défense qui serait
présentée pour lui par un conseil, un parent,
un amI.


Cela n'empecherait pas de condamner les
coupables; cela sauverait beaucoupd'innoeens.


§ 2.
Frais.


Les dépens sont la peine des téméraires
plaideurs.


Ajnsi, c~lui~la seul qui perd son prod:s, doit
etre condamné aux d~pens.


« Toute partie qui succombera, sera con-
damnée aux dépens, )) porte rart. 180 du Code
de procédure civile.


Au criminel , si le ministere public ne réus-
sit pas dans l' accusation, les frais resten! a la
charge de l'État.


L'accusé lessupporte, s'ily a condamnation.
S'ils sont plusieurs, on pourvoit encore a l'effi-




( 2 I 4 )
cacité de la eondamnation, par la solidarité
ét·ablie entre eux.


Il en doit etre de meme,101'squ'un plajgnant
s'est remlu partie civile. Le Code d'inslrnction
criminelle le dit en plusieurs cndroits, et no-
tamment daos l'art. 368 : (( La partie civile qui
n succombera, sera condamnée aux frais en-
,¡ vers l'État. »


Voib qui est juste et assurément bien c1air.
Mais a eette ¡oi on oppose le décret, tout


jmpériaJ, du 18 juin T8J 1, dont I'art. 157 est
ainsicon<;u: <t Ceuxquisescronf cOllstituéspar-
tíes civiles, soil qu'ils succombnzt Oll non) seront
personnellement tenus des frais d'illstruction,
expédition et signi6cation des jugemens, sauf
Ieur recours contre les prévenus 011 accusés,
qui seront eondamnés, el contl'e les personnes
civiJement ,'esponsables du délit. »


Les parties civiles .qu' on a vou1u coudamuer
en vertu d~ ce décl'et, quoiqu'clles n'eussent
pas succomhé, et qu'au eonlraire elles eussent
obtenu Jeurs 6ns, se sont récriées, et ont invo-
qué les dispositions du Code d'instl'Uction eri-
minelle, en soutenant qn'un simple décret n'a-
vait pas pu y apporter de dérogation.


La question s'est présentée meme depuis ]a
promulgation dtl la Charle; et voit;i comment




( 2. 1 5 )
la Cour de cas.;ation I'a résolue, notanuuent
par arret du 27 mai 1819, dans une espece oú
]a COUl' d' assises du département des' Cotes-o
du-Nordavait refusé de [aire prévaloir le décret
sur la loi.


( Attendu que les actes de rancien gouver-
nement, prornulgués et exécutés comme lois
sans opposition de la puissance législative, el
donl les dispositions ne sont pas contraires au
texte de la Charte constitutionnelle, doivent
conserver, jusqu'a ce qu'ils aient été révoqués,
la plénitude de Ieur exécution ;


» Qu'ainsi le décret du 18 juin 181 1, jus-
qu'a ce jour constammenl exécuté et non ré-
voqué, est réputé avoir le caraclere de loi, el
doit en avoir l'autorité ;


») Que, par conséquent, le rninistere public
pres la Cour d'assisesdu département des Cotes-
du-Nord, a pu et dli requérir, dan s le cas qui
lui était applicable, l'exécution de l'art. T 57
de ce décret;


)) Que e'est ce qu'il a fait en concIuant dans
l'espece a ce qu'en exécution de cet article, les
parties civiles fussent condamnées aux frais en-
vers J'État, saqf Ieur recours envers Louis
Oumes , eondamné ;




( ~u6 )
») Que néanmoins la Cour d'assises a refusé


de prononcer cette eondamnation;
J) En quoi elle a violé l'article 157 du décret


du 18 juin 18Il : Casse, etc., etc. ); ....
Par suite de cet arret, bien favorable assu-


rément aux, intérets du fisc, MM. les procu-
. reurs-généraux ont re~u des recommandations
tres-précises de ne pas négliger ce qu'avait d'u-
tile l'applicatioll de l'article 157.


La chose est au point que, dans la malheu-
reuse affaire de madame ]a maréchale Brune ,
M. le procureur-général de Riom, quoiqu'il y
ait mis d'ailleurs tous lesménagemens con-
venables, s' est eru obligé de requérir, et la
Cour a eru ne pouvoir se dispenser d'ordonner
que madame la maréchale serait tenue d'avan-
cer les frais du proces, sauf son recours con-
tre un portefaix !


Ainsi, voila une maiheureuse veuve, dont
le mari a été Uchement assassiné, a qui 1'0n
devait une jus~ice prompte, éclatante et gra-
tui te , qui a été obligée de se porter partie
civile, paree que tel était son devoir, et que
d'aiHeurs l'inaction de l'autorité lui en faisait
une nécessité ; la voila, dis-je, obligée de pren-
dre sur le peu de biens qui lui reste, poul'




( 21 7 )
payer le cont de la justice tardive qu'on lui a
rendue , el de le payer d' autant plus cher, que
la mollesse et la lenteur des poursuites ont da-
vantage prolongé l'instruction! Si elle n'avait
pas de quoi payer, on aurait me me contre elle
la eontrainte par corps, et la veuve d'un géné-
ral fran~aif> iraít expier en prison l'imprudence
de s' etre rend ue partie eivile, e' est-a-dire , d' a-
voir demandé aux lois vengeance du meurtre
de son époux t


Cette jurisprudence est inique; elle est
illégale!


Elle est inique; ear il est eontre toute raison
de punir une partiecivile d'avoir imploré le
secours de la justice " lorsque l'arret qui eon-
damne le coupable, atteste la réalité du crime
et le bien fondé de l'action.


Elle est illégale; cat: elle est contraire 3-U
texte formel du Codeo


On objeete le décret de 1811 ; mais un dé-
eret n'est pas une loi; et si, dans eerlains cas,
ou il n'y a pas de lois préeises, on a pu tolé-
rer que la laeune fut remplie par des décrets;
dan s le cas ou il existe des lois positives , il ne
devrait pas ctre permis de faire prévaloir de
simples déerets.


Napoléon lui-meme n'exigeait pas qu'il en




( 218 )


fút ainsi ; car, dans une espece ou iI s'agissait
d'une extension donnée pae voie d'interpréta-
tion , dans un avis du Conseil d'État, confirmé
pae décret, aux lois abolitives des rentes féo-
dales; Napoléon, a qui 1'0n rapporta que la
Cour de cassation avait étendu cette abolition
me me anx contl'ats faits par des particuliers
non seigneurs, répondit; « La Cou!' de cas-
» sation a montré trop de déférence ponr l'avis
)) et le décret dont il s'agit. ))


( Ge fait est rappol'té oíliciellement par M. le
procureur-général de la Conr de cassation:1
dans le nouycau Répertoire, addjtions, vol. 15,
4" édit. , yO rente seigneuriale , § 2.)


La loi romaine nous enseigne qu'entre l'é-
quité naturelle et le droit positif , le législateur
seul peut prononcer. Inter cequitatem et jus in-
terposi'tam interpretationem soli legislalori el
oportetetlicetinspicere.(L.I elg,C. delegibus.)


De meme, .dans le combat élevé entre une
]oi et un 'décret, et surtout un décret inique
qui dérogerait a une loi juste, e'est la loi qui
doil l' emporter.


Vainement dira-t-on que la Charte a main-
tenu les décrets; elle a aussi maintenu les lois;
elle ne parle meme que des lois; la Chartequi
nous rappelait au régimc constitutionnel, n'a




( 21 9 )
done pas voulu que la disposítion formelle
d'une loi dispanit sous la disposition purement
réglementaire d'un décret.


On rappelle l'ancienne voie ouverte par la
constitution de 1'an 8, pour faire déclarer les
décrets inconstitutionnels. Mais d'une part,
l'exercice de cette faculté était confié a des
autorités mixtes qui ont disparu. (Le Tribunat
devait dénoncer l'acte inconstitutionneI au Sé-
nat; et depuis long-tempi iI n'y a plus ni sénat
]Ji tribunat; le recours est done impossible. )


Ensuite on a vu que Napoléon lui-meme
n'ávait pas de ses déerets une opinion aussi
exagérée que les conseillers d'Étal et de cas-
sation, puisqu'il trouvait que ron avait trop
déféré a l'autorité de l'un d'eux.


Enfin, je le répete ~ la question ne pourrait
s'agiter raisonnablement qu'a l'occasion d'un
décret qui aurait statué législativement sur une
question non décidée d'ailleurs; alors seule-
ment, on pourrait préférer le régime du dé-
eret a l'absence de toute loi. Mais, lorsqu'il
y a une loi , une loi précise, une loi équitable,
une loi évidernment maintenue par la Charle,


- ...


iI Y a injustice, iHégalité , inconstitutionnalité,
~l lui préférer la disposition arbitraire, usurpa-
trice el lésive u'un simple décrct fiscal!




( 220 )


La Cour de cassation a rejeté plusieul's foís
des pourvois formé s pOUl' prétendue violation
d'anciennes ordonnances, et elle s'est fondée
sur ce que ces ordonnances (par exemple
celle de 1629), n'ayant pas été enregistrées par
le parlement dans le ressort duquel l'affaire
s'était élevée, ces ordonnances n'avaient pas
force de Iois. La Cour de cassation a done re-
connu par-la, qu'il nJ' a de lois que celles qui
sont revétues des formes constitutionnelles.
Pourquoi done ne pas raisonner pour le nou-
veau droit comme pour l'ancien? Une ordon-
nance qui violerait une loi, ne serait-elle pas
aussi évidemment eontraire a la Charte , que
pouvait l'etre , a l'ancienne eonstitution de la
monarchie, une ordonnancequ'on auraitvoulu
faire exécuternonobstant le défaut d' enregistre-
ment? S'il y avait une ditTérence, on la trouve-
rait uniquement dan s ce que Ja Charle est écrite
et positive dans le concours qu' elle exige de la
part des Chambres, pour l'exercice du pouvoir
législatif; tandis que l'ancien principe de l'en-
registrement et de la vérification libre de la
part des Parlemens, n'était 3ue traditionnel et
~ontesté? N'y aurait-il pas aussi eette autre
ditTérence, que les hommes d'autrefois étaient
moins timides que ceux d'aujourd'hui?




( 22I )


§ 5.


Des Appels.


Pourquoi, lorsque le condamné en poli ce
correctionnelle n'a que dix jours pour appeler
de sa condamnation, aux termes de rart. 205
du Code d'instruction criminelle, le me me
Code, art. 205, accorde-t-il deux mois au
ministere public ?


Pourquoi eette inégalité? Pourquoi laisser
au ministere puhlic qui conna1t la loi, et qui
peut se pourvoir de suite et sans frais, si hon
lui semble, un délai six fois plus long qu'au
condamné , pauvre , ignorant , captif et mal-
heureux ?





( 222 )


CHAPITRE IX.


Des Peines, el de I'Exécution des co1Uiam-
nations.


Non mihi si linflure centum sint, oraque centum,
}'errea vox, ornnes scclerurn comprehendere forrna~,
Omnia pomarum percurrere nomina possim.


V IRG. JEneid. 6.


e.e


C'EST id surtout que je dois me montl'er
fidele a mon épigraphe :


Sed summa sequar fastigia rerum.


§ lo


De la Douceur des Peines, et de leur proporlion al'ee
le dé/ft.


Les meilleurs criminalistes sont d~ccord sur
ces deux points,


1°. Qu'en général les peines les plus rigou-
reuses ne sont pas toujours ceBes qui atteignent
le mieux leur hut.




( 2'd )
Personne n'a écrit sur ceHe matiere avec


plus d' effusion et de philan thropie que Becca ría
dans son excellent Traité des Délits el des Pei-
nes ,- chapo Delladolcezza delle pene ..


2°. Que'toute peine doit ctre pl'oportionnée
avec le délit. A ceHe occasion, on a fait la re-
marque suivante sur le Code de 1810 :


Pom les délits des particuliers envers l'au-
torité , les peines sont draconniennes, dépor-
tation, exil, fers, mort.


De l'autorité aux citoyens, abus de pouvoir,
violation de domicile, Rl'restations et déten-
tions arbitraires, etc., etc., peines tres-lé~
geres, amen des imperceptibles.


Quant aux délits des particuliers envers
d'autres ;particuliers, la se retrouvc le droit
commun1. Mais il y a d'autres remarques a
faire.


Le Code pénal fixe trop souvent un mini-
mum de la.peine.


Je conc;ois que la loi fixe un maximum poul'
arreter l'élan du juge, et conteuir sa sévérité
dans de justes bovnes.


Mais le maximum une fois réglé, tout le
reste, en descendant jusqu'a zéro, devrait etre
a la discrétion du juge pro 'qualitate facti.


Les circonstances peuvent etre teUes qu'un




( 224 )
délit dégénere en un simple tort; si, dans ce
cas, il faut encore une peine, elle devra etre.
trcs-légere; mais la loi a fixé un minimum; et
ce minunum est souvent si élevé que le juge se
voit dans l'alternative ou d'acquitter totale-
ment un accusé qui cependant aurait mérité
d'etre puni, ou bien de le punir avec une sé-
vérité disproportionnée au délit. Il ne faut pas
que la loi laisse au juge la possibilité d'etre
cruel, mais elle ne doit pas lui óter le moyen
d'etre indulgent a propos.


Cet inconvénient se fa'it sentir encore da-
vantage devant le jury. On a beau répéter aux
jurés : Vous ne devez pas vous occuper de la
peine, vous ne devez voir que le fait. Les jllrés
voient le fait; mais a moins d'en faire des
machines, on n'empechera pas qu'ils n'envi-



sagent les conséquences de leur déclaration.


Eh bien, prenons pour exemple le cas on un
individu est accusé d'avoir commis vn vol avec
escalade; et il y a escalade, non-seulement
lorsqu' on s' est introduit dans une maison par
une ouverture quelconque, mais aussi lors-
qu'on a franchi une haie, une palissade, une
clóture quelconque, en un mol, soit dans les
líeux servant a l'hahitation, ou leurs dépen-
dances, soit meme dans des pares ou eoclos




( 225 )


non servant a l'habitation, et non dépendant
des maisons habitées. La peine en ce cas sera
ceHe des lraIJiJ,ux forcés.


01', supposez que ce vol commis avec esca-
lade n'a en ponr objet que quelques· pieces de
volaille, ou des fmits.


Saos doute iI y a toujours vol; saos doute ,
et quelque modique que soit l'objet volé, l'in-
dividu qui ~ volé oe doit pas moins etre
pum.


M ais obtenez d'un jury qu'il déclare le fait
constant. J'ose dire que cela n'est presque ja-
mais arl'ivé. Ils ne ve1'root jamais qu'un homme
envoyé au bagne pour avoir pris un bouquet
de cerises dans un vergel', ou quelques bipedes


. dans une bass~cour.
Au lieu de cette rigueur inflexible de la loi,


si elle se pretait a un adoucissement de peine;
si elle laissait au juge la latitude nécessaire pour
proportionner la peine au délit, le jury ne di-
rail pas que ce qui est évident n'est pas cons-
tant: iI y aurait condamnation modérée, etnon
pas impunité.


L'art. 174 du Code pénal, qui punit les con-
cussions commises par les fonctionnaires pu-
blles , de la réclusion, et leurs commis et pré-
posés d'un emprisonnement de deux ans au


15




( 226 ) ,


moins et de cinq ans au plus', est coo<;u de
telle maniere dans sa géoéralité, qu'uo pour
hoire dooné a un gar~on de hureau est punis-
sahle .comme serait une exaction bien carac-
térisée. (Jr, je le demande, uo jUl'y déclarera-
t-il un tel fait constant, avec le pressentiment
~esdeux .ans ciI.'emprisonnemeot qui sont fixés
comme mínimum de la peine? ....


U serait facíle d'accumuler les eJCemples.
Ceux-la suffiseot pour appuyer ma these. Daos
l'iotéret meme t1e la juste punitioo des crimes,
notve Code ne laisse pas assez de latitude al1
lug.e·


• De la peine fk Morl.


On devrait l'abolir : 00 le devrait surlout
en matier~ pplitique (1) ,ou iln'est.guere d'a~­
cusé dont OJl oe regrctte la perle ~ s.i:J: mols
apres ravoir coodamné .


. eette opinion n'a plus le mérite de lª- -oou-


(r) L<l.p.civ..e de mort avait été abolie pendant la RfI-
volution, a une époque oh la nation é~ait l.a~~ de sa~
et de supplices. Elle a été rétablie sous le COD$ul¡lt par
la Joi du 8 nivose an lo.


I




( 227 )
..-eanté. Un grand nombre ~'écrivains géoé-
reux ont, depuis long-lt:mps , émis le vreu de
voir la peine capitale disparaitr.e du Code des
nations civilis6es.


00 ne peut plus meme dire que ce soit un~
utopie. La théorie a été mise en pratiqq.€ par
Catherine, par Joseph II, par Léopola; ella est
en pleine vigu.eur dans plusieurs di~tricts .re$
États.Unis d'Amériqlle.


Est-il bieu '1rai d' ailleurs que l'homme qui
he peut pas disposer de sa propre vie, ait
le droit de disposer de la vie de S911 sembla-
ble 7 .... (1).


(1) On peut consulter une Dissertation surle droit de
vie et de mort dans l'ouvrage intitulé: Maximes du
droil. pub/le frWlfiais, in-4°.


Il fa~t lire aU$fi t dav.s l~ Théarie dt:f lQlS péllales dJt
M. Pastoret, ce qu'il dit de la peine de mort. Apres
avoir analysé les opinions des plus célebres philoso-
phes relativemertt a eette peine, iI observe que Léopold .
l'avait abolie en Toscane, sans qu'il en .ItAt d'in-
convéniens. Il pense qu'elie excede les d~ts de la 50-
ciété, qu'eJie est m~me contraire a ses intér6t~; 'et, se
rangeant a l'avisde Beccaria , ill'appnie par des consi-
dérations nouvelles. En supposant'néanmoins que la
peiDO de mort doi: ... e~ellore 4tre regardée c()mme la seule
suffisanf.e pourles grands crjmee, tome recherche dans
les iupplices, est, aux yeux de l'auteur, indigne de,
15~




( 228 )


Politiquement parlant, est-il bien d'accou- .
tumer le peuple au,speetacle du sang; et d'a-
voir une centaine de bourreaux en titre d'of-
fice, dont le métier habituel est de luer les
gens?


Objectera-t-on que sans eeHe peine cruelle ,
les erimes deviendraieot trop eommuns? L'cx-
périence prouvc leeontraire. 00 a remarqué
en effet que les scélérats se familiarisaient plus
aisément avee l'idée de la mort, el surtout
d'unemort prompte, qu'avec eeHe d'une souf-
france long-temps prolongée.


ce Je désirerais, dit Servin (T), qu'il y eut
dans les lieux oula j\lstiee se rend souverai-
nement une enceinle entourée de murs épaís,
et qui ne flit aecessible que par une seule en-
trée, qui scrait munie d'unc triple grille. de
fer. Ce líeu présellterait un aspect lugubre,


nations civilisées: L'ullanim~é lui parait indispensable
pour appli.r la peine capitale .... Il développe des
idées llOrJ _ns judicieuses sur quelques peines infa-
mantes, el lrouve, par exemple, une cdntradiction
inexcusable entre une peine temporaire et une marq:ue
éternelle d'infamie.


(1) De la législation criminelle, par M. Servin, avo·
cat au parlementde Rouen, liv. 1, arto 2, § 1, page56,
a Basle, en 1782 , in-So.




( 229 )


les murs en seraient noircis 'intérieuremerit ,
et il y régnerait un silence éternel qui ne se-
raít troublé que par le bruit des chaines el les
aboiemens~ffroyables des chiens, quien fe-
raient la garde au- dedans. Ccst la que cou-
verts de haillons, nourris de pain el d'eau,
privés de l'usage de la parole, les criminels
attachés a des poteaux, seraienl forcés pen-
dant le jour a un travail opiniatrc, et la nuit
repose~'aient surla paille dans des loges sépa-
rées. Chacun portcl'ait sur le front la marque
de son crime; et J'atrocité des grands forfaits
sel'ait distinguée par l'hOlTeur .plus grande
dont on aurait faÍl envirot;loer les coupables.


») Je oe cralos pas de dire que la vue de ce
séjour ténébreux, ou néanmoins 00 oe ferait
souffrir aux, crÍminels aucun tourment, pro-
pl'ement dit , frapperait lepeuple tout autre-
meo t que la vue des supplices vulgaires. Comme
i1 serait continuellement a sa portée , iI ferait
sur lui une impression plus souteoue; paree
que sa curiosité nalurelle le porterait a la rc-
nouveler souvent. eette impression serait aussi
plus forte , par la raison q.ue: l'esprit pourrait
saisil' facilemeot el mestirer a 10isir toute l'é-
tendue des maux qu'on y:souffrirait. Chacun
eo voyant ces ruiséraJ)les ferait üécessairemcllt




( 230 )


un retour involontaite sur soi-meme, et par-
tageant en idée l'horreut de lcur position , f~
'mirait de erainfe de 8'y voir un jour reeHe-
ment aSS6Cié. »


§ 5.


Lieu public ti' EXtlcutioh.


Les atrets de eondamnation peuvent bien
ordonner que l'exécution se feu dans télle ville
plutot que dans telle autte; mais iI faut tou-
jours que eette exécution ail líeu sut la plác~
puhliqite da Uell indiqué par l'arteL (Cod.
péri. arlo 26. )


Ainsi on ne ponrrait pas ordonner que }'exé ...
eution aurait lien dans une cour, daos un jar-
din, dans un éndroit isolé, nOl1 indiqué d'a-
vanee au public; de-la a l'étranglement entre
deux guichets, il n'y aurait qu'un pás.


De meme , iI ne serait pas pertnis d'e:xétutet
un aI"ret de mor!, annt le }evet OU apres le
concher du soleil, la unit 'ennn (t).


La publicité et té gt:lúd jottr sont e:xigés :


(1) Assassinat du dúc d'Enghien.




( 231 )


l°. Afin que l'exécution serve d'cxenlplé au
peuple;


2°. Pour preuve qu'il y a eu exéeution;
5° . Pour garantie ,que la bar baI'ie de l'honin1e'


n'a point ajouté aux rigueurs de la loi.
La,raison politique méme n'est pas un pré-


texte qu'on puis~e alléguer. La loí n'admet
point ici d'exception.


Le Droit de pérorer le peuple doit-il tire accordé au:c
cond am1lt!J 1


Les condamnés jeuissent:. de ce droit en Aa-
gleterre : on les voit souvent s'avauC€f au bord
de l' échafaud ,. adresser quelques mots au peu-
pie, dire: je suis innocenl, je meurs innocent)'
.()u tout autre discours. : et apres ce dernier acte
de liberté, ¡ls meurent, je ne dis pas contens ;
mais. moins mal contens que si on les eut pri-
-vés de ce soulagemen t.


Pourquoi n' E'J1 est-il pas de m~me en Frmtce 1.
00 Y a une terrible peur des gens qai parlent: .
pourqu~i refuser cette derniere satisfáction a
un malheureux! il n'en mOUITa pas mbin&; eC
on aw-a el! ceUe condescendanc:e pG'UF l'hama ...
nité.




( 2.32 )


Un exemple trop fameux, oil le refus de
Jaisser parler la vietime a eu le plus triste sue-
ces, aurait dO. rendre saeré , parmi nous, le
droit qu'aurait toujours un condamné de parler
au peuple cinq minutes avant d'etre exécuté.


§ 5.


L' Emprisonnement antérieur a la condamnation dev~'aú
compter pour la peine.


Un abus que je ne m'explique point, e'est
de voir que l'emprisonnement subi par un
prévenu pendant l'instruction de son proces,
ne vient pas en auénuation de' la' durée de
l'emprisonnement auquel iI est ensuite con-
damné.


On voit des gens rester en prison six moÍs
ou un an avantque d'etre jugés; quelquefois
paree que l'instruetion aura été re tardé e ; d'au-
tres fois aussi, paree qu'il aura faUu aUendre
que leur tour vienne : on les juge eúfin. Le
délit qui d'abord paraissait grave, s'explique
et s' attéuue; bref, on estime qu'il y a lieu de ne
les cO,ndamner qu'n deux mois, six semaÍnes ,
ou meme huil jours de prison ~ ainsi le temps
de leur peine est plus qu'absorbé par le temps




( 233 )
qu'ils ont déja passé en prison. Eh bien! point
du tout, on ne leur en tient nul compte; et' il
faudra encore faire tqut le temps preserit par
le jugement. Les juges mcmes dans l'état aC-
tuel de la législation, n'ont ¡las le pouvoir de
dire que la prison antérieurcmentsubieviendra
en déduction de la prison a laquelle ils con-
damnent .


• Je trouve eette législation injuste.


§ 6.


Amélioration des Pr'isons.


Dans le Code théodosien au titre decusto':"
did reorum, on trouve une helle 10i de Cons-
tantin sur la poliee des prisons. Il veut qu' au
lever du soleil , on permelte aux prisonniers de
prendre I'air dans le préau de la prison; et que
la nuit on les renferme dan s des lieux surs
~


mais dont rien n'alterc la salubrité, pour em-
peeher que la prison, qui est une peine trop
douce pour les criminels , ne devienne un sup-
plice pour les innocens. Ne pamis carcerispe-
rimatur ~ quod !nnocentibus miserum ~ noxiis
non satis se(Jerum esse cognoscitur.


Il existe dan s nos aneiennes 101s un édit assez




( ~34 }
remarquahle, puisqu'il est de Charles IX, qui
défend de faire des prisons plus basses que le
rez-de-chaussee.


La cO'tllume de Melun, árticle 5, dit aussi
que (( le haut justicier doit avoir é~ 6a justice
)1 bonnes prisons, sures et raisonnables'; has-
J) tíes a rez-de-chaussée~' saos user de fel'S,
)) ceps, grilJons, grues ou autres instrumens
)) somhlahles (1). J) (Tels par exemple 'lue
camisones, etc. )


Le regne de Louis XVI est marqué par
une déclaration du 50 avril 1780, qui en at-
testant la sollicitude de ce monarque pour le
soulagement de l'humanité, attesle aussi l'exd~s
des abus auxquels iI i efforltait de remédier. On
y voit que ( le roi louché depuis long-temps
de l' élat des prisons dans la plupart des vil/es,
destine a Paris l'hotel de la Force 1 pour ren-


(1) 11 pái':wt qu'avec le temps l'autorité rocale á hién
négligé l'observation de Cl!t articIe de la cotttntne; car
'les prisons de Melun étaient devenues,. en 18'9. si milI ..
saines qu'il s'y déelara une maladie épidémique. M. le
docteur Esparon, envoyé de Paris pour en constater
les causes, est mor! victime de son zele; et le regret
qu'a causé sa ínorl a fous léi ainis de l'humanité est
venu se joindre 1t cetui de voit tes lors les plus sages si
mal exécutées.


,




( 235 )
fermer s-pécialement le~ prisonniel's arretés
pour dette~ civiles; donne des a présent des
secours dans les aulres prisons , . et se pro pose
de détruire tous les cacnots pratiqués sous
térre ~ ne 'Voulant plus risquer que des hornmes
accusés ou soupr;onnés injustement el recon-
"hus ensuite inm:icens par les tribunauac, ayent
essuyé d'avaooe une pllnition rigoureose par
leurseule détefltion daos des.lidux ténébreux
et malsains, ......... Natre justice, dit ce bon
roí, jouira meme d'avoir pu adoucir pour les
crimine]s ces solfifi'ances inc.on.nues et ces
peines obseures qui; du moment ql1'eUes n~
contribuent point au maintieñ de l'ordre pu-
bJic par la pubUcitéet par l'exempie, de-
"iennent inutiles a noire justice ~i n'intéres-
sent plus que naire bonté (1). ))
L'in~roduction dll régime COllstilutionnel


en Franca ne pouvait TÍ"Ianq.r d'appeler l'~
tention sur les prisons.


Plm un gouvcrnement , pár sa JlalU"re; éleve
la dig.nité de l'homme 1 el met de prix a MI:
liherté 1 et plus la soBicitude des- eitoy6ns doit.


,.


(1) M. le Baron de StaeI a raison de Iouer M. Neckel'
d'avoir participé A: cet acfé dé législlltÍ'éD.


Voyez Notice sur M. Necker, pages CLIX et CJ..X.




( 236 )
se pórter sur ce qui intéresse les droits de
l'humanité, le soulagement de l'infortune.


Dans ces derniers temps on a vu se former
une Société pour l' amélioration des prisons.
Un prince 'du sang royal a désiré d'en etre le
président.


Les memhres de eette société contrihuent
a l'amélioratiou du régime des prisoos, la par
une contributioo pécuniaire; 2° par lé con-
cours de leurs ldées, de leurs vues, de leurs
lumieres.


Sept commissions oot été créées dans le sein
du conseil pour indiquer des vues géoérales
sur le syst~: de~arru;liorations a iolroduire
dans 1 e régime des prisons (r) ... :'


La premiere ful chargée de déterminer les
mesures de poli ce judiciaire et admi nistrati ve.
les plus propres a assurer le hon ordre dans les
prisons, a en éclrter l'arhitraire. eeHe com-
mission re<;ul en meme temps la mission spé-
ciale de proposer les moyens d'assurer les hoos
effets de la loi qui autorise pour un temps
l'incarcération des en fans , sur la demande de
leurs parens. A défaut d'une législatioo nou-


(1) On pardonnera cette digression 11 un membre de
la Société.




( !d7 )
velle ,qu'il ne lui appartcnait pas de proposer,
cette commission a commcncé par présenLer
l'état actuel de la législation existan te , en en
coordonnant les dispositions de maniere a en
fair~ apcl'ce"\i-oir les contradictions et les la-
cunes. - Elle a divisé son travail en trois
parties ; dans la premiere, elle a, analysé
toutes les lois antérieures aux quatre ~odes
actuellement en vigueur, en remontant jus-
qu'en 1791; dan s la seconde, elle a exposé les
dispositions de ces Codes; dans la troisieme,
elle a analysé les réglemens postérieurs. Ce
travail ne pouvait etre que préparatoire, puis-
que le conseil n'est investi d'aucune autorité;
il se borne a indiquer ses vue~, qui, si e~les
sont approuvées; donneront lieu', de la part
de l'autorité compétente , a de nouveaux ré-
glemens ou a des propositions de lois.


En attendant, la commission a, dans un
ra.pport lu au couseil le 8 juiu, établi les véri-
tables principes de la poli ce des prisons.


Deux rapports intéressans ont été faits, run
sur la maison affectée aux jeunes condamnés',
l'autre sur les enfans détenus par l' effet -de l' au-
torité paternelle.


La seconde cornrnission avaitété nomméc
pour rédiger les instructions a adresser aux


{




( ~38 )
commissions d'adrninístration des prisons dans
les départemens. Ene a présenté son travail
dans la séance du 25 mai: ~lle y a posé les prill.
cipes généraux a suivre, pour parvenir a l'a-
mélioration du sort et des habitudes des dé-
tenus. Ces príncipes sont une exacte justice
envers eux, le soin de leur bien-etre ; leur sé-
paration, suÍvant les sexes, les ages et la na-
ture des peines; l' ordre ,le travail, le silence,
la conCession immédiale d'une partie du pro.,..
duit de leur travail, pour les encour~ger a 8'y
livrer; la cessation de toutes les causes qui
peuvent perpétuer les habitudes vicieuses, et
notamment Yivresse; l'introduction des éco]es
élémentaires, enfill rexercice régalier du culte
et l'instruction morale et religieuse.


La troisieme commission devait s'occuper
des regles a prescril'e ponr le régime sanitaire
\les prisons. Elle a présenté son travail dans
la séance du 25 mai. Elle y examine successi-
vement quelles précautions doivent elre prises
pour assurer la. salubrité des maisons de déten-
tion, pour y maintenir une exacte propreté,
pour éviter l'incornmodité desjósses d' aisances,
pour détermi\ler le choix des traí'aux auxquels
les détenus doivent s'appliquer, la nature de
leurs vétemens, la qualité et ]a quantité de




( 2.39 )
leurs alimens et l'usage modéré des boissons.
Daos un second rapport, qui a été présenté le
8 juio, ceUe mema commission a traité des
soios qui 1IOot dns ame dét.enus en état dq
1ndadie, et expt)Sé les principes qui doive~t
etr~ Qhservés pour l'établissemeot des inflr-
líIIteries, el de leur mohiiier en tout .genre, la
séparation des maladies, les phanna€ies, le
régime aliruentaire el diététique, les júmiga-
tions, les bains, tu di&cipluUJ, enfin le servlce
des officiel'.5 de santé el des infirmiers.
L~ quatriem.e commission avait poul' objet
~all'orgaBisa:lion de l'inSlruction morale et
religieuse a mtrodujre dans les priSQJls. Ce su-
jet, <1m, Dia.l:he:a¡reusément était absolument
neuf, a été traitéd~s la séance du .2 juin. 00
y a examiné les moyens de faire participer a
cette il}str\Jetion lea préveRus des diverses
clAi$es, suivant leur smi:e et Icur age, depuis
le6 enfaos aQ-dessousde 16 aus, délenus par
metiure de CDrrecti~ paterneti.e, jusqu'au .cri-
minel.cO:lild.amné. 00 y a exposé les eífets sa-
lij,tiÜr~5 qu'on pouvait obtenir du travail el
d'nue iWktru.ctÍon comIQ,une; aquel genre ,fl'ins ..
tructioa spéciale il .con1/eBait de 6"appliquer;
~"le ~hoiK ,lea .devwl'ii, lei attributioos dei




( 240 )
aumoniet's, a qui cette instruction sera prm-
cipalemeut confiée.


L'instruction morale et religieuse ne peut
guere ctre porté e jusqu'au point désirable
pour etre. salutaire, qu'autant que les pe,r-
sonnes destinées a la recevoir peuvent la pui.
ser elles7memes dans les livres. De-la résultait


.


la nécessité d'établir dans les prisons I'ins-
truction primaire. L' examen des moyens, pour
parvenir a cet établissement, a été confié a la
cinquieme commission. Elle a comparé les
avantages des diverses méthodes d'enseigne-
ment, et démontré la préférence due a celle
de l'enseignement mutuel,. elle a ensuite dé-
terminé la.maniere dont l~application.de cette
méthode devail etre faite aux détenus, sui-
vant les sexes, les ages et les classes.


Les résultats de ceUe méthode, déja cons-
tatés par tant d'expériences, ne sont pas plus
douteux pour les prisons que pour les écoles.
Déja l'enseígnement mutuel est pratiqué avec
un pIein sueces dans la maison centrale de
Melu~, el, graces aux soins de lVI. le ma-
réchal duc d'Albuféra, il vient d'etre iotro-
duít dans les prisons militaires de Paris.


U ue sixieme cornrnission a été chargée spé-




( 241 )
cialement de déterminer le mode de l'intro-
duction du tral'ail dans les prisons ~ le choix;
des traV!lUX, la discipline des ateliers, la .ré-
partition du produit de ce travail, etc. Cette
commission n'a pu faire encore son rapport
général sur un objet si important, paree que
les délerminations a prendre dépeooent de
beaucoup de renseignemens, que ron n'est pas
encore parvenu a rendre complets, el sopt
subordonnées a une multitude de circons-
Lances quivarient selon les localités; mais les
bases fondamentales du régime qui doil etre
adopté pour les ateliers, n'en ont pas moins
été posées dans un travail général.


Ce n' é~ait pas tO'!!t que de d~nner aux dé-
tenus les premiers élémens de l'instruction, en
les metta~l a portée de puiser eux-memes dans
les livres quelques ,e.xemplesprofitables et des
níaximes salutaires; il fallait encore choisir les
livres quiles contiennent, examiner s'ils étaient
a 4a portéedes lecteurs a qui ils seraient des-
linés; et enfin les mettre a leur usage. Il ne
suffisait pas de chercher, d'apres nospropres
réflexious . et notre expérience, les principes
susceptibles d'améliorer le régime des prisons;
iI fallait encore consulter l'expérience des na-


16




( 242 )
tions qui, a eet égard, P?uvaient nous otrrÍt'
quelques modeles.


Tel á ete l'objet' de l'établissement d'une
septieme eommission, qui s'occupe de eette
doubIe reeherche.


Elle a déjlt recueilli, pour les otrdl' a la
méditatiori des membres du conseil, quelques
ouvrages sur les prisons des États-Unis d'A-
mérique, et de l'Angleterre, entre lesquels
l'un des plus importans est le Tableau des pri-
sons de Philadelphie ~ par un Européen (e'est
ainsi qu'il se désigne lui-meme), qui, SUI'
eeUe terre réputée sauvage, il Y a un demi-
siecle, observait llneadministration digne de
servir de modele, et qui ,anihlé des,;,}onl d'une
pbilanthropie dont il a donné de si noMes
exemples, méditait, iI Y a vingt-cinq ans , les
améliorations qu.'il est appelé aujourd'hui a
réaliser.


Un membre du conseil général a étá envoyé.
en Angleterre expd~s pOUl' y recueillir, rl' ...
lui-meme, des renseignemens sur le régime
des prisons, qui, depuis plusieurs années, y
a été s:ensiblement amélioré (1). Il Y a re~u
l'aceueil que se d:oivent les ames élevées, ani-


.


(l; 11 DI.' s'agit pas ici du régime des pontollS.




( 243 )
mées d'un zeIe sincere pom'le bien de l'huma-
nite , et il en a rapporté des mémoires, des
plans qui vont etre>repl'oduiLs par la lithogra-
phie, dont l'étude est maintenaut confiée a
une commission spéciale, qui s'occupe d'une
pt,ison -modele. Un plan eh relief en a meme
été presenté par M. le ba1'on Deles~rt, et un
prix sera décerné a l'autlilur du projet qui pa'-
raitra digne d'et1'e adopté.


Le conseil a pensé qtÍ~il ne sutIjsait pas de
consulter les liv1'es et les lieux, qú'il était bou
de provoquer aussi les réflexions des hommes
éclairés sur l'amélioration du sort et des ha-
bitudes des détenus : en conséqueoce un prix
a été ()flert 11 cellii qui cómpOse1'ait le meil-
let~r ouvr,age sur cette matiere. Le programrne
9.' ~té, rendu pubJic par lavoie des journaux.


II fant lit'e le l'tlSultat des- travaux de la so-
cié té dans l'excellent rapport qu'en a rendu
M. le 'comte Daru, dans l'assemblée générale
ten~e au mois de mars 1821.


Mais il oc sutlit pas qu'une association zélée
de citoy~ns généreux ait conr;u le vertueux
dessein d' améliorer 'le régime des prisons: iI
faut que le gt)uve}'n~ment se conde ses effotrs
'ct ses vooux.


M. le JUinistre de l'intérieu1' a bien annoncé
l6'"




( 244 )
dans eette memeséanee, qu'il n'y aurhit plus
désormais de cachots) que les prisonniers ·au-
raient plus d' airet de lumiere. 11 faut joindre
l'effet au;x promesses.


Ainsi dans le rapport de M. Dal'U, parmi
l'énumération des personnes qui se sont. dis-
tinguéespar leur sol1ieitude pour l' améliora-
tion du sort des pris<?nniers, on trouve le traít
suivant:


c( A Beziers, ou l'état des prisons est on ne
peut plus aflligeant, M. Antoine Salvan se dis-
tingue pae une charité infatigable: non-seule-
ment il [ournit a se~ frais , el cela depuistrente
ans) lelinge et les. :v·etemens nécessaires; non-
seulement il fait distribuer quinze a".:vingt foís
par mois de la soupe, de la viande, du vin;
mais iI veille de ses propres yeux aux détails
qui peuvent contribuer a la santé des détenus.
Il les fait raser , laver, changer de lingetous
les huit jours, en sa présence. Sans lessoins
de cet homme de bien, le séjour de eette pri-
son serait insupportable, et la mort y aurait
moissonné tous les ans une grande paI'tie «;le
la population. »


Depuis trente ans! M. Salvan est bien
louable assurément. Mais depuis trente ans
aUSSl, l' administration est bien coupable de


\




( 245 )
n'avoir pas cherché les moyens d'avoi¡; une
prison saine, d,<tns un pays si favorisé de la
nature, qu'll entendre tous les géographes, si
Dieu voulait habiter sur terre, il choisirait
Béziers.


Ce qui n'est du chez nous qu'a un~ associa-
. tion volontaire de citoyens généreJx, cons-
titue dans d'autres pays une véritable magis-
trature. Dans le Co~e donné en 1576 a l'an-
cienne république de Genes par le pape
Grégoire XIII, l'empereur MaxÍmilien n et
Philippe II roí d'Espagne, choisis pour média-
teurs, on trouve la création de l'ofliee de Pro-
tecteur des prisons. Ce!' offiee, dit la loi, sera
exercé paT deux citoyens d'une piété distin-
guée, au choix du doge et des gouverneurs;
par deux juriseonsultes nommés par le sénat;
enfin par deux avocats qui seront choisis par
leur Ordre (1). Des l'instant de Ieur éleetion,
toute excuse cessante, ces protecteurs visite-
ront les prisons, prendront note de tous les
malheureux qui languissent sans secours et
san s appui; s'informeront des causes de leur
détention; vérifieront s'ils n'ont pas éprouvé


(1) Sous Napoléon, on aurait mis: Qui seront choisis
par le procureur-{fénéral.




( 246 )
de mauvais traitemens, si leur détenLian n'est
pas l'~ffet de queIque haine puissante, ou de
quelque mesure injuste., Ensuite ils s'assem-
hIeront chez le plus aneien des juriseonsllltes,
pour y examiner avec süin el diligenee, dili-
genta et accurate, les moyeos de les défendre
el de les ~oulager. '


Une amélioration qu'on ne peut trop lauer
el qui dale du l'egne actuel (1) , est l'établisse-
ment des prisons d'essai;instituées par ordon-
nances des 18 aout el 9 septembre 1814. Mais


(1 J Des avant la révolution, on avait congu I'espérance
qué Monsieur, aujourd'hni le Roí, contrihuerait de ses
lumieres et de son crédit a l'améliorationde nolre té·
gislation crimineJle.


Daos un oilHage, imprimé en 1']86 (Prost de Royer,
au moí Apanage, nO 6']), parlant de la protection
qu'un prillce apanagiste accorde a tout ce qui illtéresse
le bien puLlic dans f'ételldue de ses domaines, en donne
cet exemple. ti C'est, ainsi, dit-il, que MONS'IEUl\ vient
d' accepter la dédicace du livre des L()i6 pénales fait :..
Atengon (1<) Puisse Cf'tte grande partie de notre juris-
prudence partager ses regards avec la politique et les
lettres! Puisse-t-il, influant par son génie, par son
pouvoir, sur la composition si désirée d'un eoue crimi-


(''') Le duché d'Alen<;on el la foret de Sénonches avaient été
ajolltés, par Louis XVI, a l'apanage de Monsieur, par lettres-pa-
tentes de décembre 1774, registe. le 7 jaDvicr 17,5.




( 247 )
e'esl aux ministres a marche! sur ces erremens·
et a complélel' l'reuvre, afin qu'on ne vienn~
pas nOus dire encore daos un autre rapport:
« Que dans tel pays, sans les soins de tel
) ou tel homme de bien, le séjour de telle
» prison serait insupportable, et que la mort
») y aurait moissonné tous les ans une grande
~J partie de la population. JI


§ 7' ,
Nullités; - Cassation.


La Cour de cassation a établi en regle gé-
nérale qu'elle ne pouvait casser un arret de
Cour d'assises que poul' inobservation d'une·
formalité prescrite a peine de llullité. 01',
rien n'est plus rare que de trouver cette p~ine
textuellement prononcée. II en résulte que,
dans une foule de cas, on peut violer impu-
nément les disposiLions du Code d'instruc-
tion criminelle. Il nous semble qu'on aurait


nel, etre le liauveur de la liberté, le vengeur de l'hu-
manité, le hienfaiteur du monde!


« Cui dabit partes scelus cxpiandi
Jupiter? tand~m venias. precamur.
Nube c8ndeDleshumerosamictus,


Augur Apolll). ,. ( Horat. 1, od. 2. }




( 24¡) )


dli admettre ici, comme en matiere cÍ-
vile, la distinction entre les formes substan-
tieHes, et les formes qu'on peut jusqu'a cer-
tain poiot regarder comme indifférentes. Par
exemple, on devrait casser pour toutes les ir-
régularités qui se feraient remarquer dans la
composition du jury} pour toutes les restric-
tioos apportées a la défense, etc., etc.


Je sais bien que }'administration de la jus-
tice criminelle e5t tres-dispendieuse , et que les
frais, déja considérables, doublent lorsqu'il
ya cassation, puisqu'on est obligé de recom-
mencer la procédure; maÍs cet inconvénient,
quelque grave qu'il soit, rie peut etre mis en
balance avec ceux qui résultent de l'inobser-
yation des lois.


§ 8.
Amende pour se pourvoir en cassation.


La loi du 14 brumaÍre an 5 porte, arto ler ,
que « la disposition du réglement de 1758, qui
assujettit les demandeurs en cassation a con-
signer l'amende dCI50 fr. ou de 75 fr. , selon
la naturc du jugcment, sera slrictement ob-
servé'e , tant en matiere civilc , qu' en matiere
de poli ce correctionnelle et lllunicipale.\J




( 249 )
Pourquoi gimer ainsi l' exercÍce d'un recours


légal contre une condamnation qui peut ne
l'etre pas? - On allegue la multiplieité des
recours en cassation ! - Cette raison peut jus-
tifier les amendes exigées en matiere eivile;
e'est la' qu'il est permis de réprimer la fougue
des téméraires plaideurs : mais, eñ matiere
pénale, il ne nous semble pas juste.de res-
treindre, par des eonsignations préalables d'a-
mende , le droit d'appel et de recours en eas-
.sation.


§ 9·


Questions d' Identité.


Un homme est eondamné; il s'évade ~ un
autre est banni; iI rentre : ou du moins , je vois
sur le bane des aeeusés un individu qu'ou pré-
teud etre le prisonnier évadé , ou le banni ren-
tré.


La loi dit qu'en pareil eas la reeonnaissance
de l'identité de eet individu sera faite par la
Cour qui aura prononeé sa eondamnation.
( Code d'instr. crim. arto 518. )


Pourquoi ne pas faire décider eette question
par les jurés? iI s'agit uniquement d'unfaii.




( 'l5ú )
L'art. 518 dit la méme Cour : cela ne s;'-


gnifie pas les mémes juges i le roulement qui
s 'opere chaque année empecherait seul qu'il
n' en {ut ainsi.


Celte questioll ne s'agite souvent qu'apres
un long interval1e; le~ traits ont pu s'efl'acer de
la mémoire de plusieurs témoins; une recon-
naissan~e, facile en beaucoup de cas, peut offrir
de grandes difficultés dans quelques autres. La
méprise en pareille circonstance serait erueHe;
elle est plus faeile que si un homme était faus-
sement aeeusé d'un fait qu'il n'aurait pas com-
mis. On pent pronver l'alibi, démontrer l'in-
eohérence des accusations, la subornation des
témoins; mais eomment prouver qu'on n'a pas
'quelques traits de ressemblance avec un autre,
surtout. s'iI s'agit d'un frere, d'un parent?


Le jury me par:dtrait offrir ici une garantie
désirable.




( ~51 )-


§ 10 ..


Gritce;- Cornrnutation de Peine.


On a agité dans la Chambre des députés la
question de savoir si le droit de faire grace em-
porlait celui de eommuer la peine prononcée
~ontl'e UD: individu , en une ~utre peine que Get
¡ndividu soutiend~ait lui etre plus insupporta~
hle que eelle a laquelle iI avait été condamné ?


Pal' exemple, la peine de la déportation
peut-elleetre eonvertie en une détention per-
pétuelle?


Les ministres soutenaient l'affirmatÍve, paree
que, disaient-ils, la peine de 1:1 détention ,
meflle perpétuelle, est moindre que eelle de
la déportation.


Les pétitionnaires, et ceux qui les ap-
puyaient, soutenaient, au contraire, que la
liberté, meme au-deHl des mers, est pl'éféra-
ble a l'esclavage dans son propre pays, el que
rair d'un climat réputé insalubre vaut tou-
jours mieux que l' air de la meilleul'e prison 1


Je ne résoudrai pas cette difficulté : mais
elle me parait assez importante ponr qu'oo
He la perde pas de vue.




§II.


Révision des Pro ces ; - Réhabililation .


. A la snite des révolutions, on devrait ·ad-
mettre, sur la demande des familles, la ré-
vision des proces, et, suivant l' exigeance des
cas, prononcer la réhabilitation <les con-
damnés.


-Je sais bien que, par le fuit, l'opinion do-
minante réhabilite assez volontiers tous ceux
qui ont été condamués sons le régime de l' opi-
nion vaincne : cepeudant ii y a des distinctious
a fa~re.


IIy adesfaitsquin'admettent jamaisl'excnse:
tels sont l'assassiuat, le vol, etc., etc.- Lessep~
tembriseurs out pu et.re amnistiés, mais quelle
puissance eut osé réhabiliter de tels monstres?
-Je n'admetspas non plus la justification de ce
receveur qui prétendait légitimer le déficit de
sa caisse, au moment de la restauration, en
disant qu'il avait dissipé les deniers de l'État
pour affaiblir lesressonrces financieres de l'u-
surpateur. - J'en' dis autant des chouans con-
damnés pour vols de diligences, etc., etc.


Un gouvernement peut accorder des am-
,




( 253 )
nisties, empecher qu' on ne pOul'su~ve d' anciens
crimes, qu'on ne rappelle avec amertume
des souvenÍrs qui exalteraient de nouvelles
passions; mais il ne doit jamais s'approprier le
crime, par des réhabilitations accordées avec
éclat a ceux qui les ont commis.


La réhabili tation accordée ou retrisée en
connaissance de cause par les tribunaux' ferait
toutes ces distinctions : elle empecherait qu~
le coupable ne partageat la faveur que peu-
vent méri~er ceux dont le principal tort fut
d'etre jugés par leurs ennemis, ou par des
gens faibles au mÍlieu de,. circonstances qui
les subjuguaient.




... CHÁPl'tRt x.


AbllS de Détq'u, qu.'il dépendrait de l' aJ.!,torité
ck j~re cesser~' - Vices) non des lois,
ll'lifJis des hommes.


§ 1.


D~ la délation ..


Vils délateurs, c'est vous que je vais attaquer I
Emm. Dupao/.


ON a trop enco~ragé la délation dans le
cours de la révolution.


Nous sommes, pourainsi dire, tombés en
police.


Il en est résulté une triste émulation entre
les agens de cette police ,soit pour se contre-
carrer et se faire valoir aux dépens les uns
des autres, soit pour faire preuve de zeIe et
mériter des gratifications.


Cette trop grande extension donnée a l'ac-




( 255 )
tion de la poli ce aux dépens de la justíce, dé-
moralise les citoyens, jette la défiauce dan s
leurs relations, expos~ rinnocence, entretient
de fausses alarmes, et ne produit le plus sou-
veot qu'une ficheuse irritation.


Qu' on accueílle toutes les dénonóations, soÍt ;
mais qu'on n'en fasse jarnais usage ~ sans en
avoir donné connaissance a ceux qui en soot
l'objet. Le' délateur n'a pas vo~lu qu'on le
nomrnat; vO,us aUi"ez poui'ltír cénléríagement;
d'accord: mais faítes au moíns connaitre la
délation. L'hornme inculpé vous répondr:(i
vousdéciderez ensuite. Je connais unadmi".;
nistrateur vertueux qui ,dans I':itrondiss'é~ent
confié a ses SO!"!; ,3. c-onstanlritetltsuivi cétt~
inéthode : il 'adécouragé la dé~ation; elle' a
cessé d'infester les citoyens." "


Les gouvememens ,les plúS fermes et les
plus éclairés ont toujours regarde lesdélatéurs
comrne un Mau.


Domitiell disait, effrayé de Jeur ~gé :
.. Qui ne les punit point,,'de, ... lórsltts ,Cll:\:QUfagtt)JF,'):
Leur exil, o Trajrt~, fqt un de tes bie~f~i~,i~:';
Sous Titus, l'esclavl!¡;e Il",ay,é le~rs forfaits-¡ ,'. "


, Claude les fi~ livrer aUf á~imaúx férycei; ,
'n.éod osc-te-Grail<l' ,p~t d~s tou:rÓlertS'JatHi'ce's,
Dll.ns llysance IIlltrefói~.:y~ft~~ flatNi: ft,lltehtats. í:
Constantin les I10mmait le lléau des États f




( 256 )
Marc..,Aurele, dll Scythe en peupla les rivages.
Présent m~mEl f~.meste en des c1imats sauvages!


_ ,"'es Délateurs, par Em. Dupaty.


§2.
/.


De, la. non':'révélation.


Quand une loi, meme mauvaise, existe,
quiconque.~'enfreint doit etre puni. Mais iI
n'en est pas moins vrai que les loisd'une na-
ti9u. Aoive!1t ;e,h'e d'accord avec ses mreurs; et
qqe; : s;il y ,_ 9lmgs!tion entre elles, si, par
e~t1mp~e;,)la,1pkpun~t c.q~~e;~n;crime un faÍt
qu~ l'opi!1iqn ,approuve ;ou eJtc\ls~, la ter-
reur de la.'peine Jéga1e surmontera difficile-


. .


ment la cl'ainte inspiréepar la peine morale.
. . ... _.) .


, ...•..•... :. Qúici leges sine moribus
~·.I; V'l!-Jl~;profici~nt?


Cette pensée revient achaque instant . ...;.... C'~st
ainsi que la'peine de mort prQl100lcée contre
les du~llistes,· n' a jamais pu servir d'excuse au
déshonnetit, bien que ma]. entendu, attach.é
par l' opinion' au refus d'un cartel. .


Il el?-; c::'st dem.e~e· de la non-révélation, et
des peines queJalégislation impériale y a at-
tachées.




( 257 )
On regardera toujours comme une sorte de


héros celui qui aura caché son parent, son
ami; qui, sachant son secret, ne l'aura point
livré : en cela, il aura violé la loi pécale, iI
en suhira les eonséquenees; mais il aimel'a
mieux s'exposer a ce résultat que de trahida
nature ou l'amitié , et que de vivre avili et dés-
honoré aux yeux des hommes"


II répondra avee ce brave oflieier qu'un mi-
nistre voulait enroler dans sa police : « Mon-
)) seigneur, un grand ministre comme vous
» doit avoil' des gens qui le servent de leur
» épée, et d"autres qui le servent de lcurs
» rapports. SoufI'rez que je sois des pre-
JJ nllers. »


Une eonspiration fut ourdie pour oler la ré-
gence au due d'Orléans , el la donner a Phi-
lippe V, roi d'Espagne. Toute l'intrigue fut
déeouverte par une eourtisanne nommée la Fil-
Ion. Le chevalier de Manilles étaitrenfermé par
suite des révélations de eette femme. 'fOlll
son crime cOllsistait a n' avoir point dénoncé
ceux qui lui avaient confié leur secret. Un
vieux mal'quis de .Manilles s'empressa d'aller
trouver le Régent , et de lui donner des preu-
ves qu'il n'était ni parent ni ami du prison-


'7




( 258 )
nier. (( Tant pis poul' vous, répondit le Duc,
» le chevalier est un fort galant hornrne. »


Cependant c'était un non-l'évélateur!
Devan! la Cour des pairs, un témoin est


appelé (1). L'un des avocats se leve et de-
mánde que, conformément au Coded'ins-
truction crirninelle, M. le Président veuille
bien prévenir la Cour que le témoin est un
dénonciateur.


M. le procureur-général répond par une
distinction entre la dénonciation et la révéla-
tion. La dénonciation est odieuse, la révéla-
tion est louable, surtout quand iI s'agit de la
sureté de l'État.


L'avocat insiste en disant que le Code d'ins-
truciion criminelle qualifie indistinctement de
dénonciateur, celui qui dénonce et celui qui
révele.


M. de Vatisménil, avocat-général, l'éplique et
distingue a son tour entre le plaignant et le
dénonciateur. Le plaignant est celui qui a
porté une dénonciation dans son propre inté-
reto Le dénonciateur est celu] qui volonlaire-
ment, el daos l'intéret de la société, révele a la
justice les crimes dont il a eu connaissance.
N on-seulement la dénonciation n' a rien de bli-


(1) Voyez le compte des séances des 9 et.lo mai.




( 259 )
mable, mais elle mérite des éloges, puisque la
10Í la eommande.


M. le Président observe avec raison que rin-
cident est désormais sans objet, et De peut
donner lieu a aueune délibération. Le but des
défenseurs est rempli, dit-il, car la Cuur a
mainteaant eonnaissance de ce dont ils vou-
laient qu'elle fut avertie.


En conséquence, on pass e oulre a )'auditioo
du témoin. Ce témoin rend comple des rap-
porls qui ont existé entre lui et quelques-ulls
des aeeusés : el iI est extremement eurieux de
voir quelle idée iI attaehait lui-meme au rOle
de révélateur.


( •... J'y fus, je les trouvai dans un ca-
binet particulier; ils m'offrirent de diner, el
j'acceptai. lis me dirent qu'ils me connaissaient,
ainsi que V* et" D*. - Nous ne doulons pas ,
me dirent-ils, que vous ne soyez un bon en-
fant el un brave .... - Moo cher P*, me di-
rent-ils encore, volre fOl'tulle est faite. Nous
n'aurons bient.ot plus ríen a vous cacher. -
Parlez, répondis-je. :...-. Cela nous est défendu,
nous ne pouvons encore. - Parlez, lenr ré-
pondis-je de nouveau, je suis homme d'hon-
neur; et je ne révélerai ¡.las ce que vous m' aurez
dit. J)




( 2(jO )


(( .... Je les quittai; mais a l'inslant je fus
chez le général D* révélá ce que j'avais en-
tendu. )¡


Le refus inébranlable du colonel Fabvier de
tlommer devaot la meme Cour le Dom d'u'o
hornme qu'il craignait de compromettre, a
amené des débals d'uo caractere tout différent.


Apres plusieurs instan ces tJ'es-vives, M. le
procureur-général lui dit: ( Nous vous con ....
» seillons encore au nom de l'honneur ~ nous
» vous supplions de rompre un coupilble si-
) lence. »)


Le colonelFabvier: .... « .Militaire et ci-
» toyen, je. sais ce que e' est que l' honneur~' et
)) c'est paree que j'en ai une ju.steidée que je
» garde el que je garderai le silence. »)


Alors M. le procureur-générall'~ccuse de
parjure, et eo~clut contre ldi a l'application
des peines portées par les art. 80 et 504 du
eode d'instruction crimi~elle.


Le colonel Fabvier répond au réquisitoi-
re (1) .... (1 Il est quelquefois dans la société
») des devoirs légaux que désavouent les 5en-
») timens naturels el les conseils de l'honneur ...
») Tels sonl les motifs de mon silence; je les


(1) Voyez le compte de la séance du I er juill.


..




( 26l )


~) soumets a la Cour; j' attends sa décision avec
)1 un profond respecto Si les organes des lois
») me condamnent comme jages; sortis de
)/ ceHe enceinte, dépouiHés de l'bahit des ma-
)) gistrats, ils n~ me refuseront pas Ieur es-
l) time. 1)


Apres deux heures de délibération, la Cour
des. pairs a condamné le coloue1 Fabvier
a 100 fr. d' amende; le seul motif donné par
1'arret, a été que (! Charles-NicoIas Fabvier,
») assigoé comrne témoin, avait refusé de dé-
» poser sur un fait dont iI ava;t déclaré avoir
») coonalssance. »


La loi est pl'éciStf :. l' amende était inévita hle :
el l'on a.'vu·la me me peine proQoncéea ]a
COUT d'assises, pour une cause toute senihla-
blé ;cQntre un honnele ecclésiastique, qui,
loio d'en murmurer, vOll1ait meme donner
les 100 fraoes, audienee tenante.
VoiH~ la loi exécutée, elle· devait l' etre.


Mais qui ne voit qu'en cette oceurrence le pré-
jugé est plus f()rt que la loi; ill.utte avec elle,
et ce n'est pas d'aujourd'bui. . .


Le li,eutenant ct'imine14e Charles· IX ,.qué
je cite s~ souvent et toujours avtc plaisir, a
daos son ouvrage un sommaire aíosi' coo~u :




( 262 )


Qu'il estquelquefoisplus honnéte de mentir que
de dire vrai. (Ayrault, page 442.)


Ce qu'il avance, iI veut te prouver; et iI ne
s'en montre pas embarrassé. En effet, dit-il ,
« combien se trouve-t-il d'exemples, ou les
témoins oot remporté plus de louange a men-
tir, qu'a dire vrai? Sextus Tempanius, qui
avait milité sous Ca"ius Sempronius, con,sul,
est loué en Tite-Live, de n'avoir rien voulu
déposer qui pi'tt nuire a son capitaíne, quoi-
qu'il en fut pressé et ínterrogé devant tout le
peuple, par Julius le tribu o qui J'accusait. Sal-
Juste, loué par Cicéron, de ce qu'ayant été
questeur sous BibuIe son: préteur,il n'avait
ríen vouhl déposer pardevant luy quUuy nuis1t.
Marius, ·au cont .. aire, tres- hldmé 'cm Plutar-
que, d'avolr chargé de ~o témoignage, Quin-
tus Metellus, saus Jeque) iI avait serví con (re
Jugurthe. Cicéron reprend aigrement Verres
de ce qu'il avait déposé contre DoIabella , son
préteur : ipse, inquit, in eum cuí fuerat lega-
tus, inimicissimum atqll.e improbissimwn tes-
timonium dixit. Tacite rapporte que Clutol'ius
Priscus 'ful aecusé, que comme iI disnait en la
maison de Vitellia, ilavait récité quelques
vers qu'il avait faits sur la maladie de Drusus :




( 263 )
et que Vitellia ful plus eSlimée, d' avoi r juré
qu'elle n'en avait rien ouy, que ceux lesquels
en s'excusanl sur leur conscience, vio[(:rent
les droits de taMe. J)


Horace fail un magnifiqueéloge du par jure
d'Hypermnestre:


Una de multis face nuptiali
Digna, perjurum fuit in parentem
Splendide mendax , et in omne virgo


Nohilis revum.


Enfin, a ces exemples tirés de l' antiquité ,
joignons:celui d'un juge moderne qui, ayant a
voter sur la mise en accusation d'individus
prévenus de non-révélation, émit son opinion
en ces termes, que j' ai recueillis sous sa dictée :
« Jen'accuserai point sur des faits que les
» trihunaux ne peu vent atteindre sans devenir
» immoraux, ou, ce qui revient au meme.,
» sans exécuter une loi immorale et tyran-
» nique. Je veux mourir plutót que de le/aire.
J) Voila ce que vous dil'aient Platon , Cicéron,
)) les historiens avec les moralistes, et le pro-
» fesseur Black.stone et tant d' autres; voila ce
J) qui réglera tous mes votes sur les non-révé-
» lateurs. J).


En tout cela je ne veux ni exciter a révéler
par la terreur des réquisitoires et des amendes,.




( 2D'l )
ni engager a ne pas révélet par l'autorité des
exemples; chacun a cet égard doit agir selon
son devoÍr et 5a conscience. J'aí seulement
voulu montrer 1'0pposiLion que je déplore
toutes les fois que je la rencontre, entre les
loÍs et les mU!urs. Elles se nuisent ainsi, au
líeu de s'enlr'aider.


§ 5.


Du secret des lu/res.


L'histoire vante la discrétion du général
athénien qui, ayant sUrPrisun courrier de
P~ilippe, roi de Macédoine, renvoya, sans les
ouvrir, les lettres qu'il écrivait a 'sa femme.


Au plus fort meme de la terreur, on a vu
une jois le tribunal révolutionnaire refuser
d'asseoir une condamnation sur le secret
qu'avaient révélé des leUres saisies.


Dans l'éloquent plaidoyer pour 1l1ademoi-
sene de Cicé, il Y a de fort belles choses sur
cet abus d'invoquer ou d' opposer des leUres en
matiere criminelle.


Notre eode pénal de 1810 met la violation
du secret des leUres ~u rang des dé\its. Il
prononce contre le coupable une amende, et




( 265 )
de plus l'interdiction de toute fonction pu-
blique pendant Cillq ans au moins et dix ans
au plus.


Et cependant, il est de faÍt que rien n' est
moins respecté que le secret des leUres.


Le proces des trois Anglais n' a eu pour fon-
dement que la lettre de "Vilson a lord Grey,
interceptée par la police".


Dans le prod~s ponr la conspiration du J 9
aout 1820, actuellement pendant a la COUl'
des pairs, "11n procureur-général du départe-
rnent de ...... donne des renseignernens, et iI
était si notoire pour lui qu'on décachetait les
lettres a la poste, qu'il terIl)ine sa lettre en
disant: Au surplus, M. le directeur-général a
da trouver la preuve de ce que je dis dans les
correspondances ..•.


Dans le pro ces de Sauquaire-Souligné et de
Goyet de la Sarthe, on a. transcrit dans l'acte
d'accusation des lettres de deux députés, sai-
si es au domicile des accusés; les défenseurs, et
les députés appelés comme témoins, se sont
vivement récriés sur cet emploi des leUres
écrites par des tiers, qu'ils ont qualifié d'abus.




Corruplion de domestique8.


C'est déja beaucoup de violer le secret des
lettres; e' en est meme trop: mais que dire
d'une poli ce qui s'introduit jusque dans l'in-
térieur des maisons particulieres, pour y pro-
pager la corruption el l'infidélité '!


Les plaintes de M, de Broglie ont révélé en
1.820 que la poliee avait séduit deux de ses
valets et qu.'elle les employait a copier ses
leures, et a faire le dépouilleme~t de ses pa-
plers.


Aueune poursuite n'a eu lieu ni a la re-
qmhe de M. de Broglie, ni d'offiee. Un a.rticle
de journal ( 1) a seulement révélé au puhlic
une partie de ces faits; et méme iI y a eu
tant de malheur dans la eorrection des épreu-
ves, qu'au lieu d'imprimer que ce honteux
manége durait depuis six .mois, eomme le
portait le manuserit; on a mis. depuis six ans,
ce quÍ aurait pour. effet de ~ei~ter sur d'autres


(1) Courrier du 12 février 1821.




( '267 )
ministres et sur une autre époque, l'odieux de
l'invention (1).


Ah uno disce om71es. Si l'on a découvert
l'infidélité de ces deux valets , combien d' autres
travaillent ainsi a l'insu de leurs maitres! Pour


(1) Il Y a encore a ce sujet une anecdote qui mérite
d'etre raconlée. Le valet de chambre de M. de Broglie
croitdevoir écrire au Coul'rier frant;ais une leUre aiDsi
con,;:ue:


" Monsieur, dans volre numéro du 12 de ce mois,
" vous annoncez que M. le duc de Broglie a honteuse-
" ment chassé de chez lui son valet de chambre qu'il
" avalt surpris dans son cabinet, occupé ti transcri~ fuI'-


:¡" tivement quelques-unes deus lettres. C'est moi qui suis
" le valet de chambre de M. le duc de Broglie, et ce
" u'est pas apres plus de trente ans deservice d'une con-
" duite irréprochable, que je me semis avisé de pren-
1) dre, aupresd'unmaitrequejerévere,l'honné'teemploi
" d'espion. Ce sont lesdeuxdomes'iquesen livrée, etc. »


Que fait la censure? Elle efface avec son encre
rouge les mots que i'ai rétabJis en caracteres italiques,
et elle appuie surtout sa lourde plume sur ces mots,
l' honné'te emploi d' espioll. Elle raccommode ensui te
la phrase a sa maniere; en telle sorte qu'on croit lire
la .lettre d'un vaJet de chambre, et 'point du tout,
e'est c~lle d'uD censeur. Le vafét parlait avec mépris
des espions, et le cense,ur, qui apparemmerllles estime,
les prend sous sa protectlon. (Voyez le Courrier fraD-
!tais du 18 février 1821.) .




( 2GS !
en corrompre dix, il faut s'adresser a cent : et
puis mettez la fidélité au rang des premie re s
vertus! La poliee en démoralisant, en cor-
rompant a prix d'argent tous les portiers et les
domestiques, détruit d'avance, antant qu'il est
en elle, tout le fruit de lamorale et de lareligion
sur eette classe d'individus. Quelle infamie!
La loi punit des travaux foreés le domestique
qui commct le moindre vol a l'.intérieur. La
sévérité de la peine est légitimée par l'indi-
gnation que méI;ite un abus de confiance! Et
la poliee comble de ses dqns avec rOl' des jeux,
le valet qui surprend la pensée de son maltre ,
qni vole el qui livré ses seerets, au risque de
I'envoyer en prison OU au supp\ice! Et l'on
parle de religÍon et de 10Ís! Quid leges sine
llloribus?


§ 5.


Des agens provocateurs.


Mais quoi de comparable a cette race dé-
testable d' espions connus sous le nom d' agens
pravocateurs, qui épient tous les méconten-
temens pour les aigrir , les haínes pOUI" les en-
venimer, les mauvaises dispositions ponr les




converLil' en actes; s'insinucnt dans la con-
fiance des gens, poul' les trahir; cherchent ~t
surprendre leurs secrets, pour les livrer ; et
dont la trompeuse amitié a pour but de vous
conduil'e a la mort ! - Te! homme n'eut été
qu'un mécontent, un agent provocateul' en fait
un criminel; dans son emportement peut-etre ,
iI eút proféré quelque cri séditieux, un agent
provocateur le pousse a la révolte ; les moyens
d'exécution manquent, l'agent provocateor en
suggere; acquiescez a ses propositions, il comt
vous dénoncer; on vous conduÍt au supplice ,
et l'on appelle cela sauver le trone et l'État !


Oh! que Dupaty a raison de s' écrier, dalls
l'ardeur généreuse qui le transporte contre les
délateurs :-


Si la délation est un trait détestahle
Quand on vous dénon!(a pour un faít véritahle,
Que sera-t-elle, alors qu'un récit mensonger
Vingt mois dans un cachot \'ous aura fait plonger;
Ou qu'un traitre excitant desFran!{ais qu'on opprinH>,
Sefeindra crimincl pour les pousser au crime'l
Bient6t votre complice esl votre accusateur,
L'inventeur' duforfait en esl le délateur!
Et qu'on ne dise pas que ces agens provo-


cateurs n'ont point existé !
Voyez daos l'ouvrage de M.Guizot les exem-


pIes qu'il rapporte.




( 27° )
« Voila done, dit-il ensuite , l' existence des


agens prqvocateurs constatée en trois occa-
sions différentes : et tantot on admet leur té-
moignage contre un accusé qui proteste, tantot
on le refuse a des accusés qui le demanden!;
une fois l'un d' eux est condamné (i); mais,
par malheur, le faÍt se passe dans le fond d'un
département. )1


Aux exemples cités par M. Guizot, onpeut
ajouter ceux qu'a offerts en grand nombre l'af-
faire des troubles de juin, et surtaut ce qui
est relatif a Vauversin.


Enfin, oubliera-t-on jamais ce qu'a dit le
député Donnadieu dans la séance du 19 mars
1821, cansacrée au développement de la propo-
sition tendante au renvoi du ministere comme
incapable et anti-national.


ce Déniez-vous, disait-il aux ministres, les
délits que je vous reproche?


» Et quel Franc;ais un peu attentif a ce qui se
pass e autour de lui dtpuis six ans , peut igno-
rer maintenant, que les agens du mioistere oot
été constammeot employés a ourdir des conspi-
rations (2) ?


(1) Castelnau, a Toulouse, condamné en juillet 1820.
(2) Quand vous n'en créez point, 011 voit-on des complots?


Em. Dupaty.




( 27 1 )
n AifiSi, dans l'affaire de Pleignier a Paris,


dan s ceBe de Randon a Bordeaux, dans la
conspiration de Lyon (1), dans ceile préten-
due du bord de l'eau, dans ceHe de la Breta-
gne, partout enfin on a vu les mains de la
poliee conspirer ou protéger les conspirations ,
préparer l'effusion du sang franc;ais sur les
échafauds ou sur le terrain de la rébellÍon.


}) V oila quelle a été la direction imprimée
par les hommes revetus du pouvoir ? .... »


Reprochant ensuite aux députés de n'avoit·
pas écouté les plaintes des victimes, M. le vi-
comte Donnadieu leur dit :


« La Franceporte aujourd'hui la peine de
l'indifférence trop légere de ses représentans,
pour des délits qu'il était de leur devoir d'é-
clairer de la plus grande lumiere. Ah! croyez-
le, Messieurs', croyez-en le seritiment intime
de notre conscÍence, il existe une justice éter-
neHe qui, tot ou tard, faÍt payer cherement a
ceux qui ne remplissent pas tous les devoirs
de la société, leurs crimes, leurs fautes, ou
leur insouciance. ))


(1) L'honorable député aurait pu ajouter dans celle
de Grenoble.




( 272 )
M. Guizot, dan s son ouvrage déja cité; et


apres luí, M. Étienne a la tribune', ont ratta-
ché" a Satan , qui, le premier, tenta Eve sOus·
la forme du serpent, l'origine des agens pro-
vocateurs.


L'Écriture nous en offre un second exemple
que je ne puis m'emPlkher deciter.


Dans le proces prévotal suscité a Jésus-
Christ, on voit que les princes des pretres et les
pharisiens, qui étaient les ultra de leur temps,
ernployerent des agens prOíJocateurs, pour
perdre Jésus.


Depuis long - temps ils le représentaient
comme prechant des doctrines peroerses, sé-
ditieuses, suhversi-ves dé l'ancien ordre de
choses, et comme appelant a une révolution
générale les peuples qu'il instruisait de leurs
droi ts el de leurs devoirs. Hunc Jesum ínve-
nimus pervertentem gentem nostramo Luc. XXIII
§ 2. Commovet populum doeens per lO1.iversam
Judream. XXIlI, hID. § 5.


Mais toutes ces doléanees ne touehaient
gueres le Gouverneur romain; et, pourvu qu' on
rendit a César ce qui appartenait a César, tout
le reste lui semblait assez indifférent. Il répon-
dit done aux accusaleurs: J'ai interrogé cet
honmle, et je n'ai rien trouvé de mal dans




( 27 3 )
touteS ses doctrines, non inveni in ea quidquid
maZi. (lbid. v. 4. el 14.)


Alors les princes des pretres et les phari-
sien s imagin.erentd'aposteraupres de Jésus des
agens prov.ocateurs. El observantes miserUJÚ
insidiatores, qui se justos simulárent, ut ca-
perent eum in sermone J ut tradprent illum
principatui el potestati praJsidis. (Luc. cap. xx,
v. 20. ) Ce que M. de Sacy traduit en ces ter-
mes : Comme ils ne .cherchaient que des occa-
sians de le perdre J ils luí envoJerent des per-
sonnes aposté es J qui contrifaisaient les gens
de bien J pour le surprendre dans ses paroles ,
ajin de le livrer au magistrat el au pouvoir du
gouve.rne.ur; et il ajoute en note, s'illui échap-
paít quelques mots contre les puissances el le
gouvernement.


Bientot apres, travestissant quelques-uns
..le ses discours, íls l'accusent de s'intituler roi
des Juifs (1), et de vouloir ainsi secouer le
joug des Romains (2). Jésus Ieur répond que


(1 )Et dicenlemse Christum REGEM esse.
(Lue, XXIII, V. 2.)


(2) j. 01,1 .¡;eGonn¡¡.issait Jésus pour un hon eitoyen,
" dit Bossuet, et ,c'~tait une :puissanterecommanda-
1) tion aupres de lui que d'aimerla nation judalque.
» (Politique tirée de l'Écriture, tome .le" page 41, t:di-


18




( 274 )
son ro)'aume n'est pas de ce monde. Cette ré-
ponse parait satisfaire Pila te; mais les accu-
sateurs, qui s'en aper~oivent , insistent et in s-
pirent au gouverneur des craintes sur sa place;
ils le menacent de le dénoncer : Si vous ne le
condamnez pas, lui disent-ils, vous n'etes pas
impérialiste,. car quiconque veut se faire roí,
se déelare contre César. Si llUne dimittis, non
es amicus Cresaris '" omTlis enim qui se regem
facit, conlradicit Cresari. Joan. XIX. 12.


" tion de 1709') II D'apres cela, il est probable qu'il
voyait avec peine son pays. asservi a ux proconsuls de
Rome. Ji voulaitcalmerles divisionsdes Juifs, et les réu-
nir dans une m~hne opinion , sachant bien qu'il n'y a pas
de force san s union. t( .Térusalem, disait-il souvent, Jé-
>l rusalell1 qui tues les prophetes et qui lapides ceux qui
)) pourraient te rendre ta gloire, combien de fois ai-je
» voulu rassembler tes enfans comme une poule qui
II ramasse ses petits sous ses ailes! et tu n'as pas voulu!..
}) (Matt. XXIII, 37, 38.) " Telle n'était pas, sans doute,
sa mission divine; máis ellfin, puisqu'on lui supposait
]e dessein d'affranchir le peu})le juif et de le délivrer
du joug des Rornains, était-ce donc aux princes des
pr~tres et aux pharisiens a prendre contre lui le parti
de l'étrallger, et a lui faire un crime de ce qui eftt pu
faire la gloire et l'indépendance de leur nation? De-
vaient-ils se montrer plus Romains que Pílate? (Voyez
;Bo¡suet a l'endroit que j'ai cité.)




( 27 5 )
A ces mots , Pilate n'y tient plus; íl s'écrie


par deux fois ; Crucifige! Crucifige!
Il s'en lave les mains; mais elles sont teintes


du sang innocent !
Cet exemple est loin de légitimer l'emploi.


des agens provocateurs.


18'"




CHA:PITBE XI.


Questions particulieres.


as;¡;


§ l.


Délita de la Presse. - Calomnies par la voie de la
Presse.


MONTESQUIEU nous apprend pourquoi les ac-
cusations pour délits de la presse, presqu'in-
connues dans les États despotiques , rares dans
les gouvernemens démocratiques, ne sont ja-
mais plus fréquentes et plus vivement pour-
suivies, que dans ceux OU l' aristocratie domine.
(Voyez Esprit des Lois ~ lij). XII~ chapo 13.)


Tant d'accusations de ce genre dont nous
avons été témoins depuis quelques années,
seraient-elles done un indice que I'aristocratie
prend le dessus dans notre gouvernement?


Je ne prétends pas agiter ¡ci toutes les ques-
tions qu'on peut se faire sur eette matiere; je




( 277 )
veux me bornel' a un petit nombre d'obser-
vations.


Je me demande d'abord s'il est vrai que 10rs-
qu'un citoyen est mort, on puisse écrire sur
son compte.tout ce qu' on voudra, sans que
sa veuve, ni ses parens aient action en ca-
lomnie contre l'écrivain ?


Cette question s'est élevée dans le prod$ de
madame la maréchale Brune-contre Martain-
ville. Le ministere public a pensé que la veuve
el eu généralles parens d'un homme décédé,
étaient sans action ponr se plaindre des ca-
lomnies dirigées contre sa mémoire.


n ne se dissimulait pas' cependant tont ce
qu'une pareille solutiou avait de rigoureux.
« Notre législation récente , disait-il, oBre sur
ce point une lacune qu'il semi! peut-étre im-
portant de remplir; ....... mais d~ms l'état des
choses, vous n'oublierez pas qu' en matiere
criminelle ~ ríen ne peUl se suppléer .... La dé-
marche honorable d'une veuve, si malheu-
reuse par ce seul titre, peut toucher natre
creur; mais lá pitié ne saurait transformer en
droits légaux un intéret purement moral, et le
cri touchant de la douleur. j) (V oyez le Mo-
niteur du Ig aout 18Ig. )


Saos doute en matiere criminelle rien ne




( 278 )
peut se suppléer: j'approuve fort cette maxime;
et elle acquiert un mérite de plus dans la bouche
du ministere 'public. Mais s'il est vrai qu'il y
ail lacune-dans la législation actuelle, et que
la conséquence de cette lacune soit l'impunité~·
tout ce qui en résulte, c'est qu'il est urgent
de la remplir.


Est-il bien vrai, tOlltefois, que les calom-
nies dirigées contre la mémoire d'un pere ou
d'un époux, n'offrent pour les enfans et pour
la veuve qu'un intérét purement moral., et
qu'ils soient sans action aux yeux de la loi?
Qu'il me soit permis, a ce sujet, d'offrir au
moins des raisons de douter.
o Non-seuIement la loi permet aux hél'itiers
de venger la mort du défunt, mais elle Ieur
en fait un devoir, une obligation, a peine
d'indignité. . o


eette obIigation imposée aux héritiers, est
commune a la veuve. La jurisprudence 1'a
meme .étendue jusqu'aux légataires. Omnes
enim heredes., veZ eos qui loco heredis :sunt-,
qfficiosc agere cirea dquncti vindietam ., eOTl-
venj. t. L. 21 ,¡¡: de his qum ut indignis azifer.


01', si la loi non-seulement permet, mais
oblige de venger la mort d'un défunt; qui
pourrait douter qu'elle pcrmette égalemcnt de




( ~79 )
venger 5a mémoire '1 II semble meme qu'il y
a!t un a jortiori pour le décider ainsi, puis-
qu'en effet l'honneur l'emporte sur les biens
et sm la vie.


Il n'y aurait pas de texte précis de 10i ; il
suffirait des principes généraux, qui dOllnent
évidemment action pour se plaindre en calom-
nie a tous ceux sur qui elle peut rejaillir. Or ,
qui peut nier que la honte jmprimée a la mé-
moire du pere, ne retombe sur sa veuve et
sur ses enfans ?


L'injure, en pareil cas, ne lem devient-elle
pas en quelque fa~on personnelle '?


Liscz la fameuse loi Cornelia de injllriis et
famosi~ libellis, qui fut portée par SyUa
pOUl' réprimer la licence avec laquelle les ci-
toyens se déchiraient uu sortir des guerres ci-
villes; ad rifrcenandam licentiam qUaJ pe/'
bella ci~ilia inva/llerat.


Vous y ven'ez que les viv:ms peuvent aussi
etre insultés dans la personne des morts. In-
terdilm ex personniÍ defllnctorwn injuriam
pati videmur.


Si ron commet quelque insulte envers le
,cadavre de celui dont nous recueillons les
biens, di t la loi romaine , nous pouvons in-
tenter en notrenoml'action d'injures. Car notre




( 280 )


considération propre est intéressée dans l'ou-
trage dont le·défunt est l'objet. Il en est de
meme s'il s'agit d'une attaque dirigée contre sa
réputation. Dans ce cas, l'insulte est comme
faite a la personne méme du successeur; le-
quel a toujours intérét de purger la réputation
de son autellr (1).


L'aetion nous parait done recevable de la
part de la veuve el des héritiers.


Qui pourrait en effet se familiariser avec
celte idée? A peine un pere de famiJle aurait
fermé les yeux, sa réputation deviendrait du
domaine public! On pourrait l'outrager, le dé·
ehirer impunément! 11 serait permis d'insulter
a sa cendre, a la douleur de son vieux." pere ,
de sa femme, de ses jeunes enfans I On pour-


(1) Item et si forte CADAVERI defuncti lit injuria, cuí
heredes honorumve possessores extitimus; injuriarum
nostro nomine habeml1s actionem. Spectat enim ad
existimationem nostram, si qua c~fiat .injuria. Idemque
est si fama ejus cui heredes extitimus, lacessatur. L. r,
§ 4, ff. de injuriis etfamosis libellis.


Observa. Quoties autem FUNERI TESTATORIS VEL CADAVEftl
FIT I~JURIA; si quidem post aditam hereditatem fiat, DI-
CENDUM EST HEREDI QUODAMlIWDO FACTAM; semper eni'~n
heredis interest, defuncti existl~mationem purgari. Dicta
lego r, § 6, achJe l. "7.




( 28 f )
rait 'dire du soldat qu'il fut un lache ; du géné-
ral, qu'il fut un chef de! brigands; de l'ambas-
sadeur, qu'il fut un missionnaire de troubles et
de division&; du négoeiant, qu'il fut sans hon-
neur et s-anS' foi; de tout homme, enfin, qu'il
eut tel vice ou manqua de telle vertu! et tout
cela sans preuve aueune! Que dis-je, malgré
la preuve du eontrairc oflerte et rapportée
par la famille en deuil'!


Que la conduite d'un citoyen soit jugée
apres sa mort, je le veux; j'avoucrai meme
qu'elle ne peut souvent l'ctre qu'a eette épo-
que : mais dan s ce jugement supreme , soyez
équitables et ne calomniez ,paso '


Je pense done que, me me daos l'état ae-
tu el de la législation, la veuve et les héritiers
ont aetion pour raison de l'injure faite a la
mémoire du défunt : - el s'il était vrai que les
principes généraux ne pussent suffire au main-
tien de eette action, et qu'il y eut laeune dans
la législation aeluelle sur ce point, je pense
qu'il serait urgent de la remplir.


La se conde queslion que je me suis faite en
cette matiere, est eelle-ei : Pourquoi l'aetion en
ealomnie d'un eitoyeh est-elle subordonnée a
I'appréeiation de la Chambre d'accusation?


00 me répondra que, iFapres le Code




( 282 )


d'instruction criminelle, la Cour d'assises n'est
ordinairement saisie que par les arrets de ren-
voi de la Chambre d'accusation.


Je conviens que telle est la regle générale;
mais ici ron devrait y faire exception.


En effet, avant la loi du 26 mai 1819, sur
la poursuite des délits commis par la voie de
la presse ~ tout eitoyen qui se prétendait
ealomnié, avaít le droít de saisir de plano le
tribunal eorrectionnel par une assignation
directe.


Qu'a fait la loi précitée ? Elle n'a pas
changé la nature de l'action : elle a seulement
établi, qu'au lieu d'etre jugés par les tri-
bun~ux correctionnels, les délits de la presse
seraient dorénavant soumis a l'appréciation
des jurés.


Les affaires de ce genre ne cessent done pas
d'etre purement eorrectionnelles, lorsque le
faít dont on se plaint oe constitue qu'un simple
délit; iI n'y a que les juges de changés.


Pourquoi n'est - iI done pas permis au
plaignant d'assignerdirectement devant la Cour
d'assises au JOUt' qui serait indiqué, de rneme
qu'il pouvait assigner directement devant le
tribunal correctiollnel?


Pourquoi, du moins, si ron pense qu'il f~ille




( 283 )
ici passer a la chambre d'aeeusation comme
s'il s'agissait d'une affaire au grand criminel,
ne pas dire que ce sera une simple forme, et
que le renvoi sera de droit ?


Qu' arrive. t-il en effet, si, sur la plainte de
l'homme qui se prétend calomnié paree qu'on
l'aura appelé voleur ou assassin, la chambre
d'accusation refuse de prononcer le renvoi?
Il en résulte la présomption légale qu'il n'y a
pas calomnie : de sortc! que, sans avoir été en-
tendu, l'homm~ insulté se trouve maintenu ,
par arret, sous le poids des imputationsqui
avaient motivé sa plainte.


Laissez aller l'affairea la Cour d'assises; la
les parties s'expliqueront; le ministere public
prendra ensuite le parti qu'il jugera conve-
nable pOUl' ou contre, selon la nature du faÍt
et des pl'euves; et les jul'és prononceront. M ais
dans les affaires qui intéressent l'honneur des
citoyens, ne leur refusez pas racd~s de la
justice , ne les privez pas du droit de défendre
Ieur réputatioll au grand jour; ne décidez pas
a huis dos .


. Si l'on maintient cette forme d'un arret de
renvoi, il faudrait poul' etre conséquent exi- ,
ger un acle d' accusation.


:En eífet l'article 241 da Code d'instruction




( 2~4 )
cl'iminelle parte que ce dans tous les cas OU le
)) pl'évenu sera renvoyé a la Cour d'assises ,
» le procureur-général sera tenu de rédigel'
» un acte d' accusatiün. »


Vüici quelle en serait l'utilité. D'apres ce
meme article, c( l'acle d'accusation düit énün-
j) cer: l° la nature du délit qui fürme la base
j) de l'aceusatiün; 2° le faÍt et tüutes les cir-
j) cünstances qui peuvent aggraver üU diminuer
j) la peine. » .


Ainsi, par l'acte d'ccusatiün, ün verrait quel
sera le systeme de l'aeeusatiün. Au lieu de cela,
ün se cüntente de transcrire dans l'arret de
renvüi les passages argués, et 1'ün en cündut
immédiatement qu'ils cünstituent tel üU tel
crime üu délit.


Mais qui düne révélera a l'accusé üu a sün
cünseil dans quel sens les passages signalés sünt
cüupables? il faut qu'ille devine; üU du müÍns
ce u'est qu'a l'audience qu'il l'appl'endra.


La, il yerra le ministere Ímblie prününcer un
diseüurs presque tüujüurs écrit avec süin , avec
art; oules passagesdénüncéssünteümbinés avec
d' autres pages du meme üuvrage; üU les termes
sünt cümmentés, les intentiüns pénétrées, les
pensées perverties dans le sens de l'accusatiün;
d il faudra que l'avücat chargé de défendre




( 285 )
l'auteuret le livre, pronoDce le premier mot
(le son exorde apres le oornier ruot de la pé-
l'oraison du ministere public, et se livre immé-
diatement, avec toute rincorrectiond'une im-
provisation ioujours délicate en ces matieres,
a la réfutation de ce qu'on viendra de luí
Jire !


Il est évidentqu'avecüette méthode, 1'ac-
cusation a un t1'Op grana avautage sur la dé-
fense.


n n'en est pas de meme dans les autres ac-
cusations. Supposez, par exemple, une accusa-
tion d'assassinat.


Un acte d'accusation est dressé, qui préóse
toutes les circonstances du fait; les dépositions
y sontanalysées; si cette analyseest inexacte
ou forcée, l'avocat peut recourir aux déposi-
·tioos elles-memes ;etcomme il est rare qu' elles
changent au ;débat, du moons d'une maniere
sensible., iI ;peut arre ter d'avaLlce un plan de
déÍense, UIl systemede réfutation , :uncorps
de plaidoil'ie quinc suliira que peu de :nwcdi;..
.fiéations.a raudienoe.


':Aünsi ,la. :parbe !Se 1.FoulVe ~a,peu 'Pl~es .égale :
.al n'y a ·rle rdiffIculté rque ~eHe qua nait de
]a gravité des charges.


Mais-il o'en est 'pas demeine en faitd'in-




( 286 )
terprétation d'écrits. La surtont quot capita
tot sensus~' etl'esprit le plus subtil ne peut pas
deviner ce qui viendra dans l'esprit d'un autre.
Les béaux esprits se reilcontrent; ma~s les pro-
cureurs-généraux et les avocats ne se rencon-
trent pas si aisément.


Quand 011 accuse iI faut toujours dire pour-
quoi; et le dire d'avance, assez a temps, pOUl'
que l'accusé puisse disposer sa défense, donner
des explications a son défenseur et préparer
ses j ustifications .


. § 2.


Emploi de la Force publique dans les Séditions.


Il manque en France une loi pour régler
l'emploi de lajorce publique dans les séditions.


Les Anglais ont leur acle de mutinery.
Nous avons eu des lois martiales,. elles sont


tombées en désuétude; iI faut une nouvelle
loi qui détermine les afJertissemens et les som-
mations préalables qui devront précéder l' em-
ploi de la force dans la dispersion des attrou-
pernens.


Faute de cette loi, l'action de la force peut




( 28, )
quelquefois ressembler a l'action de la VIO-
leoce.


Avec une loi, chacun se tiendra bien avertÍ,
et personne ne se croira autorisé a plaindre
comme des victimes ceux qui, par leur l'ésis-
lance a la voix du magistrat, auront pris sur
eux les conséquences d'une rébellion légale-
ment constatée.


C'est la surtout que la 10i ne doit frapper
qu' apres avoir averti : Moneat priusquam fe-
riat. Ainsi, n'est-ce pas'un fait étrange que
celui qui a été constaté dans l'affaire des trou-
bIes de juin? On demande a un commissaire
de police s'il y a eu avertissement préalable
donné ati peuple de se retirer. - Oui , répond-
iI. - Quel intervalle s'est écoulé entre cet
avertissement et la charge de cavalerie? -
Environ quatre minutes. - Le rassemblement
était-il nombreux? - Il Y avait au mois douze
tents hommes.


Et vous voulez que douze cents hommes
aient pu, en quatre minutes, obéir et se dis-
perser de maniere a ce que personne ne restat
plus sous le sabre? Cela est impossible.


Une loi est ici nécessaire dans l'intéret ré-
ciproque des cito yen s et du Gouvernem~nt.


Dans l'intél'ch des citoyens, poul' que ceux




( 288 )
qui s~ivent la foule en amateurs ,en historio-
graphes ou en badauds, reconnaissent a des
signes non équivoques le moment oa leur cu-
l'iosité , prolongée plus long-temps, pourrait
Ieurdevenir fatale.


Dans l'in téret du Gouvernement "afio q\l~Ull
ne puisse pas l'accuserde n'av.oirpoi.lJ.t usé.des
ménagemens nécessaires.


Il ne suffit pas de rétablir l'ordre poar ,'ins- .
tant : il faut prévenir le retour du désordre.;
iI ne faut' pas semer la haine, si ron ne vent
pas en recueillil' les fruits.


Un gOU\'ernement réduit a la nécessité de
déployer la for~e -militaice ~ontre ses propres
sujets, doit toujours agir comine lepe-r.e ,qui
veut corriger ses cnfans et qui souvent frappe
a coté.


N'oublions pas non plus ce q,ue dit en
these générale Watel, dans son Droit des gen8~
liv. 5, chapo 18, § 291. (( Le plus S\lr.~O;y<W
)¡ .d'apaiser bien des séditious, el .en. meme
») temps le plus juste, c'estde do.nncr satis-
» factiou .aux peuples; et ~'ils se 50nt sc.mlevis
» sans sujet, -ce qui n.'arrive peut-.etre jamais,
» iI faut bien .encoreaccoJ;der pardon au plus
Il :grand nombr.e. 1)




§ 5.


Dommages-intéréts al/x accusés reconnus innocells.


Je ne suis pas le premier qui récIame une
dísposition aussi juste.


Quoi! un homme est accusé : iI a été long-
temps détenu, prisonnier, 3U secret ! privé
de toute communication avec sa famílIe.


Il était négociant; ses effets sont venus a
protet; on 1'a mis en faillite. '


Il était manufacturier; son 'établissement
n'étant plus soutenu pa~ sa préseuce etason
industrie, est tombé. ' "


11 était simple artisan; ses pratiques se sont
perdues; sa femme et ses eufans s~mt tombés
dans la misere; ils sont réduits a la mendicité.


Apres un an, dix-huit mois d'instruction,
de détentiQn, de prod~s, il est reeonnu inno-
eent; on l'acquitte, on lui ouvre les portes de
la prison; mais iI est dénué de ressources; ii
manque du nécessait'e, il n'a pas d~ quoi sa-
tisfaire aux premiers besoins; il retourne a sa
maison; tout y a été saisi, vendu; iI est an
désespoir : que fera-t-il?


19




( 29° )
S'il eftt été trouvé eoupable, il aurait dli a


lá société une réparation dans sa personne et
dans ses biens. Il est innoeent, la proposition
est renversée : e'est a lui que l'indernnité est
due.


c( Tout fait queleonque de l'hornme qui
eause a autrui un dommage, oblige eelui par
la faute duquel il est arrivé , a le réparer. ))


Cela est vrai des citoyens entre eux , et des
citoyens envers la société : pourquoi la regle
défaudrait - elle seulernent de la société ,aux
citoyens? (1)


Je n'en voi~ aueune raison équitable.


" (I)En 1781, l'académie deChAloDs avait mis au con,-
cours cette queslion: " Lorsque la société civile, ayant
l) accusé l'un de ses. membres par l'organe du ininistere
" public , succombe dans ceHe accusation, que/s
l) seraient les moyens les plus praticahles el les moins
.. dispendieux de procurer au citoycn reconnu innocent,
» le dédommagement qui lui es! dd de droit naturel? ,.
- Tel est, en effet, le probleme a résoudre.




§ 4·


Lois d' exceptioll.


On nomme ainsi les lois qui font exception
Gil droit commun. Elles constituent un régime
provisoire opposé au définitif.


Ainsi, la loiqui suspend la liberté indivi-
duelle, fait exception a l'artic1e de la Charte
({ui garantit ceUe liberté a tous les citoyens,
et au droit commun de la nature, qui mel
la liberté au premierrang parmi les droits de
l'homme.


La censure entrave la liberté de la presse;
elle en suspend l'exercice.


La loi qui Jtablirait des juridictions ou
commissions temporaires, ferait excepliol'l au
príncipe qui veut que la justice soit rendue par
des trihnnaux qui tiennent leur indépendance
de leur inamovihilité.


Si de telles loís sont des remedes, leur vio~
lence indiquerait qu'ils ne doivent che que les
remedes a degrands maux.


Et cependant l'expérience a pu convaincre
'lue la suspension des regles ordinaires n'est


191'




( 20'! )


jamais une bonne voie pour rétablir le bOll
ordre, et que la méconnaissance et la suspen-
sioll des droits les plus chers de l'homme, ne
sont pas le plus sur moyen d'augmenter son
attachement a seS ucvoirs.


J'aime micux l'arhitraire de fait, que l'arbi-
traire de droit.


Lorsqu'il y a arbitraire de rait, le mal n'est
que passager; on espere qu'il cessei'a. Préci-
sément paree qn'il y a abus , Iachoseconserve
son nomo


Mais quand l'al'bitl'ail'e a revetu les formes
légales" iI ne ve,ut plus etl'e appelé ainsi.


On en a v~ un exemple ·dans la séance de la
Chambre des députés du 18 mars,t8:n. Il
s'agissait d'une réclamation contre une arres-
tatÍon pratiquée en ver tu de la loi d'exception
de 1820.


M. de Girardin avait dit quecette arresta-
tion étaitun aeCte arhitraire.


M. Pardessus répond : c( C'est une erreur :
arre ter arhitrairement un citoyen, c'est l'a1'-
reter quoique la loi n'en donnc pas le droit.
On peut faite nial en arret'ant un citoyen en
vertu d'une loid' exception; mais par cela meme
que l'arrestation est alltorisée par la loi. on




( 203 )
ne peut pas dire que ce' soit un acle arbi-
traire. J)


Les tleux députés avaient raison.
J )un, paree qu'il avait en vue la loi fonda-


mcntale et les droitsqu'elle eonsacre; l'autre,
paree qu'iln'avait en vue que l'acLe revetu dcs
formes de loi , qui faisait exception a la Charte
et aux droits qu'elle garantit.


La loi du 26 mars 1790 sanctionnée par
Louis XVI, avait dil : ( Les ol'drps arbitraircs
» emportan t cxil, et tous autres de la mcme
)) nature, ainsi que toutes leures-ele-cachet,
)) sont ({bolis~ et il n'en sera plus donné á
)) l'w'enir. )1


Trcnle aus apres , jour pOUl' jour, la loi du
26 ma1's 1 8~w a rétabli ce que ecHe UU 26 mars
1790 a\'ait aboli.'Au reste, la Iüiue 1820cloit
expirer avec la présente scssiol1, et iI est a
croire qu'elle Be sera pas prorogée. Pllit a
Dieu qu'il en fut de meme ct atout jamais de.
toutes les lois d'exeeption !




§ 5.


Duels.


Les duels sOnt un aele de barbarie.
lis doivent etre interdits chez les peuples


eivilisés.
lis ne prouvel1t rien pour le eourage; les


Romains ne les eonnaissaient pas.
lls ne prouvent rien pour l'honncur, puis-


que la morale et la religion les réprouvent.
Pourquoi jusqu'iei les lois les plus séveres


ont-elles done été impuissal1tes pOUl' les ré-
primer?


Pourquoi le préjugé l'a-t-il emporté sur ces
lois au point qu' elles sont regardées comme
abrogées.


Ainsi le duel a eessé d' ctre poursuivi
eomme un crime e' est désormais un acte
permIso


Et cependant, qu'une rixe éclate entre
deux hommes le plus souvent ivres; qu'ils
éehangent quelques coups de poings; voila
un prod~s correetionnel , ou plus d'une fois le
battu paie l'amende ?




( ~95 )
D'ou vient cette impunité pour le coup


d'épée ou d~ pistolet, et cette sévérité pour
les coups de main? Certes on ne l'apersoit
gueres : et la premiere fois que j'aurai a dé-
fendre d'office un boxeur, je me propose bien
de plaider que e'est un duel, et qu'ainsi il n'y
a pas de délit.


11 serait mieux sans doute de faire une nou-
velle loi sur le duel : et au lieu de le punir de
mort, peine en effet peu agissante sur l'esprit
d'un homme qui ne la craint point puisqu'il
va s'y exposer de gaité de ereur, infliger des
peines d'un autre genre.


Ainsi vous allez vous battre, par respect
humain, dan s la crainte d'essuyer les railleries
des hommes ; vous croyez voir une sorte d'in-
famie a vous exposer a leurs reproches; eh
bien! que la loi vous punisse par oU vous
vous montrez sensible. Vous craignez une in~
famie de convention, qu'elle vous imprime
une flétrissure réelle : vous ne craignez pas la
mort naturelle, la loi vous frappera de mort'ci-
vile; qu' elle vous déclare inhabik a exercer
les droits de citoyen, indigne d' occuper des
places et des emplois militaires et civils; in-
capable de porter témoignage en justice, in-
capable de succéder, de tester, etc.




( 296 )
Certes voila des peines, en apparence plus


douces que celle de mort. Eh hien ! je suis
convaincu qu'el1es seraient plus efficaces : per-
sonne n'oserait plus' croíre son honncur inté-
ressé a les affronter.


On a présenté, en 1819, un projet de loi sur
eette matiere; et le rapporteur a qui j'ai com-
muniqué mes idées sur ce point, est convenu
que ce serait peut-etre le seul moyen de re-
placer le due} au rang des erimes , de le punir
eonvenahlement, et par-la meme de le ré-
primer avec efficacité.


Délits mili/aires; - Délit commun; - Justice des
Suisses.


L'article 85 de la loi du 22 frimaire an 8,
porte: ee Les délits des militaires sont soumis.
J) a des tribunaux spét:iaux, et a des formes
)) particulieres de jugement. ... ))


Mais que doit-on entendre par délits des
militaires? Ceci est susceptible de distinction.


Cette distiuction, déia établie par l'usage ,
se trouve rappelée dans l'acte du 22 avril 1815.


«( Árt. 54. Les délits militaires seuls sont dn
J) reSSOl't des trihUJlaux miJitaires. JI




( 297 )
( Art. 55. Tous les autJ'es délits, meme
~) commís par les mílitaires J sont de la com-
)) pélellce des tl'ihunaux civils. ))


Plusieurs aulres loís ont défini ce qu'on uoit
entendre par dé/it militaire, par opposilion a
délit commun.


Mais une affaire peut etre complexe et com-
prendre les deux gemes de délit : en ce cas,
conunent fixer la compétence? La loi du 22
messidor an 4 répond a cette queslion : « Si
)) parmi deux ou plusieurs prévenus du mcme
)) délit, il Y en a un OH plusieurs militail'es,
») et un ou plusieurs individus non militaires,
)) la connaissance en appartient aux juges
») o~dinaires. ))


Alnsi, par exemple, si un soldat et un
paysan commettent de complicité un vol ou
un assassinat, ce soldat n' entrainera pas le
paysan au conseil de guerre; mais le paysan
conduira le solda t au tribunal correctionnel
ou 11 la Cour d'assises.


Nulle diflieulté si lt: soldat estFrant;ais : mais
si le délit a été commis par un soldat suisse ? ...


C' est ici le líen de parler de la Juslice des
Suisses (1).


(1) Si je présenle ici des objf'ctions contre la Jurídic·




( ~J,~8 )
Par l'article 25 des Capitulations conclnes


entre la Suisse el le gouvcrnement royal en
1816, il est dit que ce elles ( les troupes suisses)
cons~i'veront le libre exercice de LEUH JUSTICE,
comme avant 1789 : el les hommes qui en fe-
ront partie, ne seront, dans aucuns cas~ justi-
ciables pour des faits de discipline, de délits,
ou de crimes, QUE DES TRIBUNAux MILITAIRES
SUISSES. »


Mais comment concilier l'existence de ces
juridictions étrangeres, avec l'adage que toute
justice émane du roí? ( príncipe quÍ /l'a meme
été établi qu' en haine de l'inquisition et des juri-
dictions étrangeres ou usurpées ). Un tel pri n
tipe, qui tient a l' essence meme de la souve-


tion des Suisses, fIn'oIl ne croie }las qu'elles me soient
inspirées par aucul} sentiment d'antipathie pour ces
étrangers. Quoique je pense qtí'il y a assez de Lons sol-
dats en France, sans eux, je suis loin de méconnaltre
les droits que les Suisses ont a ¡'estime de toutes les
nations. le sais que la j ustice se rend che\!. eux avec au-
tant de conscience que chez n ous, et que leurs formes
de procéder n'offrent pas JIloins de garanties que les
llotres. V oyez ci - dessus pages 52 et 133. Mais iI ne
s'agit pas ici desavoirsi l'on serait aussiéquitablement
jugé par des juges suisses que par des juges frans;ais;
laissant de coté les personnes; je n'examine que la
qllestion dr soul't'raineté pt de nationalit¿.




( ?99 )
raineté, peut - iI souffrir une seule exeep-
lion (I)?


Ce n'est pas tout. Un soldat suisse tuera un
FralH;ais : 11 faudra done que les pareos fran-
~ais aillent demander satisfaetion au tribunal
sUlsse?


Ce n'est pas tout encore. Un Suisse et un
Fran<;ais commettront un crime, de compli-
cité; devant quels juges portera-t-on l':tffaire ?
Traduira-t-on le _Suisse a la Cour d'assises?
ses officiers réclameront le privilége de leuI'
juridiction : au contraire, Uleuera - t - on le
Fran<;ais devant ce tribunal exotique ? mais ce
serait portel' atteinte a son droit de citoyen.


Fera-t-on deux procCs 'l ce sera violer le
principe d'indivisibilité de la procédure en
matiere criminelle.


Et si le crime imputé a des Suisses capitulés
est un crime de haute trahison ! seront-ils dé-
férés suivant la Charte a la Cour des pairs de
France, ou se jugeront-ils entre eux sous pré-
texte que l'article 25 des Capitulations n'eX'-
cepte aucun cas?


(1) Un ambassadeur turc a Paris, aurait-il le droit
de faire empaler son esclave dans la cour de son hútel ,
sous prétexte qu'il a juridiction sur ses gens, el que la
justice turque ne procede pas autrement?




( 300 )


Tant il esL vrai qu~ , hors des pt'incipes, tout
n'est qu'embarras et <lifficulté !


§ 7'


CenSl/re des Journaux, dans le comple rendu des
débats judldaires .


.


lVI. Guizot a aussi consacré un chapitre de
son dernier ouvrage a parler des restrictions
apporlées a la pub licité des débats judiciaires.


n ne regarde pas seulement ceLte reslriction
comme injuste, mals encorecomme ilJégale.


Suivanll'article 44 de la Charle, les séances
des Chambres sont publiques) ce qui empol·te
non-s~ulement la nécessité d'y admettre le p1]~
blic, ma·is aussi la faculté <le publier le récit
de ce qui s'y passe parla voie des journaux ,
sous la seule condition que le récit sera exact
et fidele.


01', la Charle dit. également (art. 64) : Les
débats seront publics en matierc criminelle.
Les paroles sont les memescomme leurs motifs.
Le memc texte a le meme sens; le meme prin-
cipe elltraine la meme conséquence. La pu-
blicilé <les débats judiciaires, par la voic des




( 301 )


journaux, est dOlle de dl'oil , eomme eeHe des
débats politiques.


Cependant iI est de fait qu'en dépit de l'ana-
logie, on plutot de la parité des deux cas , la
censure s!est exercée sur les débats judiciaires,
mutilant a son gré, sOlt les faits, soít les
défenses.


A l'appui de son assertion , M. Guizot cite
l'exemple de ce qui s'est passé au proces dú
soldat qui avait tiré un éoup de fusil au
jeune ballemant. Les détails de ce proces et
des entraves apportées a l'intervention de la
partie civile, sont demeurés ineonnus au pu-
blic : les journaux ont été tenus dans l'impos-
sibilité d'oorendre áueun compte.


Je n~entre pas dans les détails de c~tte pro-
cédure : M. Guizot ayant pris soin de les con-
signer dans sOrí.ouvroge, e'est la qn'il fant les
lire; ils sont pleins d'intéret.


Mais, a cet exemple si saillant, je joindrai
des observations plus générales .


. Il esl de faiL que, <.lepuis l'existence de la
censure, elle a étendu son aetion, avec un soin
tout particulier, sur le compte rendu; par les
journaux, des débats judicia~s; elle s' est
rendue l'auxiliaire du ministere public, pour
favoriser tout ce qtii pouvait disposer les espríts




( 302 )


:t la prévention, en faveur des accusations.
Une arrestation vient d'etre faite; iI n'y a


pas meme ehcore de inise en accusation; et
déja la censure perrilet a certaius journaux de
présenter le fait comme constant. L~ minís-
tere pubIic cherche la preuve d'une conspira-
tion; et ces journaux affirment qu'il y a en
effectivement conspiration. Si d'autres veuIent
y répondre, et mettre le langage du doute
a la place de ces téméraires assertions, la cen-
sure ne le permetpas; comme la Parque, elle
tue tout avec ses ciseaux. (


Elle tolere des diatribes contre le personnel
des prévenus-; elle: permet de rappeler des
an técedens qui indisposent contreeux; et si les
partíes intéressées veuIeot répondre, il n'y él
pas de place pour leurs réclamations.


Le jour des débats arrive; certains journaux
aiTectent de dénaturer les dépositíons de quel-
ques témoins; d'affaiblir les observations des
accusés et de ll!urs conseils; la censure laisse
passer cela: c'est tout simple; elle n'a pas le
droít de refaire les articles, et de rectifier de
son chef des faits qu'elle ne connait pas.


Mais d'aut¡es journaux rendent un compte
plus exact, donnent en entier ce que les pre-
miers n'ont fait qu'indiquer, reproduisent avec




( 303 )
fidélité ce que ceux-ci ont pris soin de traves-
tir, el e'est sur eux que tombe la censure.


Le ministere publie parle : loutes les co-
loones sont ouvertes a son réquisitoirc.


La défense a suivi : les journaux ne sont pas,
il est vrai , obligés d'en rendre compte ; mais ,
du moins, qu'ils ne la dé6gurent pas; qu'on
ne mette pas des choses ridicules a la place
de choses sensées; qu'on ne substitue pas un
plan incohérent, vague et mal rempli , a une
discpssion forte et hien liée. Qu'on permette,
en tout eas, a. eeux qui ont recueilli cettedé-
fense avee plus de soin, de la rapporter telle
qu'elle a été présentée.- Non.


Le 5eandale a";'lcme été plus loin. Je puis
citer telle affaire dans laquelle l'accusé avait
été acquitté, et dans laquelle cependant iI n'a
pas été permis au. citoyen injustement soumis
a une accusation mal fondée , d'apprendre au
publie par quelles boones raisons il avait dé-
monlré so~ innocence ; tandis que la licenee
a été poussée envcrs d'aulres jútirnaux jusqu'a
leu!' permettre de s'ériger en juges du juge-
ment mcme, et depersifler la déclaratioll du
jury (1).


el) rOyel la Pl'éface (PIC 1\1. Jouy a placée en tete




( 304 )
Ce manege de la censure á plus d'une foís


tourné cOl1tre elle-memc.
Ainsi, dans l'affaire des trouhles de juin, un


incident s'éleva sur la question des faits géné-
raux. La Cour ayant décidé que lesaccusés ne
pourraient pas faire d'excursion sur les faits gé- ~
néraux dans l'intéret de la défense, Me BerviUe,
avocat de l'un d'eux, demandait que, par réci-
procité, on écartitt les faits généraux de l'ac-
cusation.


Le Constitulionnel ( du 4 janvier· I&n )
avait rapporté le discours de l'avocat; mais ]a
censure en: a ret1'anché la moitié , el si mala-
droitement qu'eUe'ne 1>'est pas aper~ue que le
président disait immédiatéruent.apres: e'est
assez de discussions politiques, etc. 01', ]acen-
sure avait précisément supprimé le peu de
poli tique qu'il y a"tait d~ris la réplique de 1\'1<
Berville; de maniere que le pub]ic, qui n'était
pas dans le secret de la rature, en.a tout bon-
nement conclu que l'interruption n'était pas
fondéc.


du Proees ele l'Hcrmitc cnprovina. JI y rend comptc
de l'ínj ustice ct de la pat·tialité de la censure a son
égard.


M. de Pradt a consigné les memes plaintes a la suite
.la ProcCs dont iI s'est ya I'objet.




( 305 )
La défense de Me Bervil1e n' cst pas la seule


qui ait été tronquée dans cette atTaire. J'ai
désiré voir les épreuves de quelques-unes des
feuilles de l'opposition, tenes qu'elles étaient
revenues de la cenSure. Elles font peur, et
toutefois eUes sont curieuses a parcourir. On
ne se douterait jamais des choscs que la cen-
sure a cru devoir supprimer. Ainsi, par exem-
pie, daos le plaidoyer de Me Morel, avocat
de l'accusé.Adam, on lisait ce passage : «( On
)1 a fait entendre le cri de vive la Charte! paree
» que cette reuvre sainte de la sagesse et de
» l'adversité ,du monarque esl un pacte fon-
)) damental, gage de paix el de stabilité. » La
censure a effacé ces mots pacte fondamental.


Un témoin (le tieur Ramo) avait écrit au
Constitutionnel pour donner des explications,
et il terrninait sa leUre par ces mots : ( Ainsi
» vous vous empresserez, eomme je vous en
» prie, de rétablir ma déposition telle que je


l ' 'fi . d'" 1 d· .» 'al aLte, ou mserer une eUre ans volre
» journal. » La censure mutile la leure, re-
tranehe une partie des explieations qU:elle
contient, et efface notarnment l'invitation de
rétablil' ma déposition telle que je l'ai faite.
Cela est tout simple; la censure ayant coopért-
par ses ratures a rendre la déposition inexacte,


20




( 306 )
lle voulait ras se preter a une rectification qui
cut reudu ses premiers soins inutiles.


Enfin, qui le croirait! la censure s'est exercée
sur Henri IV lui-meme! les paroles du han
roi lui ont paru dangercuses apparemment;
elle a eu l'indécence de les supprimer. Me: Con-
fians avait cité dans son plaidoyer cette belle
exclamation de Henri: S' en prendre a mon
peuple~ c'est s'en prendre a moi. La censure a
effacé ces royales paroles. .


Mais ce o'est ras seulement dans les affaires
criminelles que la censure s'immisce a tronquer
les dépositions et a intercepter les défenses;
elle en use de meme en matierc civile.


Ainsi, par exemple,dansl'affairedu chevalier
Desgl'aviers contre la List.ivile, la censure
ayant cru devoir intervenir, le 6t avec tant
de partialité, que le Journalde Paris lui-meme,
si connu par la sagesse de ses rédactions ~ ne
put faire agréer l'article dans lequel iI rendait
compt~de la plaidoirie puur le pauvre créan-
cíer. Mais ceHe rigueur est retombée par contl'e-
coup sur le plaidoyer de M. l'avocat-général;
cal' un des censeurs, plus avisé que les autres,
6t remarquer a ses collegues, que si ron don-
nait la réponse telle quelle a mes ohjections,
ce serait avertir le public qui ne les aurait ras




( 3°7 )
vues dans les précédens articles , que ces ar-
ticles avaient été mutilés. Alol's les jour-
naux découragés ont renoncé a rendre compte
de l'alfaire. Cest précisément ce que voulait
la censure.
Apd~s avoir faíl servir son pouvoir au profit


des autres , iI étaít assez naturel que la censure
l'employat pour elle-meme. Cest ce qu'elle a
fait dans l'affaire de IVI. Bertin-de-Vaux. lnjus-
tement accusé, justement acquitté , M. Bertin-
de-Vaux veut faire connaitre au public l'arret
de la Cour royale par la voie du Journal des
Débats; mais l'un des considérans blesse la cen-
sure dans la personne d'un ~nseur; et la cen-


'd' .) sure efface' le conSl erant (1 . Le Journal des
Débats ne veut pas publier un arret ainsi tron-
qué : il est réduit a annoncer bríevement que


(1) Mais quel est done ce considérant pernicieux
que la censure a cru devoj¡· intercepter? - Le voici :
" OU!, a l'audience de ce jour, le sieur Brfffaut,
membre de la commissiOn de cen~ure, appelé comme
témoin. " - Quoi! c'est la ce qui a blessé la censure! -
Eh ! oui. Quelle inconvenance en effet ! oser appeler un
censeur comme témoin! oser l'interrogerl .... Le public
ne doit point etre informé de I;ette hardiesse.


20'"




( 308 )
M. Bertin-de-Vaux a été renvoyé de J'accusa-
tíon porté e contre lui (1).


Ainsi les arrets memes des Cours, la voix
de la justice, la voix du Roi qui est censé la
rendre lui-meme par J'organe des magistrats,
ne peuvent trouver grace devant la censure!
Elle cl'oit dangereux poul' le public, paree
qu~elle trouve désagl'éable poul' elle-me me ,de
publier en entier un arret de Cour souveraine!


La censure ne restreint done pas seulement
la liberté de la presse.; elle restreint aussi; elle


(1) M. le garde-des-sceaux paraissait loin de croire
que la Censure eftt leldroit de por ter ainsi la main sur
les affaires judiciairet, lorsqu'en parlant, a la séance
du 16 avril 1821, sur la proposition de M. Syrieys de
1\farinhac, i1 combattait I'amendement tendant a em-
pecher qu' on ne publi:it les phrases qui auraient motivé
le rappel a J'ordre et la déportation d'un député sur
son banco « L'amendement, disait-il, dans une dis-
cussion publique rendraít une partí e de la discussion
secrete. Ce serait une chose contraire a ce qui se passe
aillp.urs. Quelqu'atroce que soit nn faít, queIqu'inf:ime
que soit un libeIle, on permet aux journaux, en ren-
dant compte des arrets des tribunaux, de citer les pas-
sages incriminés. Cela est meme dans l'intérét de la
morale pubHque. ",- Eh bien! iI faut aussi que ce soit
dalls l'intérét de la censure; autrement elle ne lt'
permet paso




( 3°9 )
étoufle , autant qu'il est en elle, la publicité
des débats en mati(~re criminelle ,. elle use de
son pouvoir pour faire prospérer les accusa-
tions, accréditer les préventions, débiliter les
preuves, atténuer les défenses ,préconiser les
condamhations , dénigrer les absolutions; et
ravir aux innocens la seule consolation qu'ils
puissent avoir, ceHe de prouver a leurs con-
citoyens qu'ils furent injustement accusés !


Apres avoir rappelé cette marche constante
de la censure, je puis repl'endl'e avec IVI. Guizot:
- ce Ce silence imposé aux journaux qui veu-
lent rendre compte des procédures criminelles,
est une des plus tristes preuves de cet asser-
vissement de la j ustice a la politique, qui offense
tous les droits et détruit toules les garanties.
La publicité des débats judiciaires a bien moins
poul' objet de fai,re siéger les juges en présense
de quelques hommes, que de mettre la con-
duite des pro ces et les jugemens eux-memes
sous les yeux de tous les citoyens. C'est par-la
qu'on apprend si les formes ont été respectécs
ou violées, si le vreu des lois a été rcmpli,
quel esprit a présidé aux débats, sur quelles
preuves a eu lieu la condamnation ou l'acquit-
tement. Par-la, la société s'inquiete ou se 1'as-
sure; par-la le goút et la science oe la justice




( 310 )


se répandent, et le public s'instruit dans ce
qui touche de plus pres a ses intérets les plus
chers. Il n' est pas un hornme éclairé qui ne sa-
che que la. peut-etre est le lien le plus intime
qui puisse unir le peuple a son gouvernement;
car de la seulement peuvent naitre ce respeet
de la 10Í, ceUe eonfianee dans les magistrats ,
eette habitude de comprendre la justice el d'y
croire, et tous ces sentimens dont l'absenee
laisse le pouvoir sans racine, sans appui, isolé
et flottant au-dessus de la société qu'il contient
par la force, mais qu'il ne possede point. ))


On a done raison de dire que la liberté de
la presse est la vie du gouvernement repré-
sentatif; elle est le palladium de toutes les li-
bertés : avec elle tout renait, tout s'anime,
tout prend du mouvement el de l'activité;
sans elle, tout languit, tout dégénere, tout
peut périr.


, .




l\IÉ~IOIRE
CONTENANT DES OBSERVATIONS


SUR


L'ORDONNANCE DU 24 JUILLET 1815.


HalC qui pro virili parte defen-
dun!, optimates sunt, cujuscumque sint
Ordinis. Ctc. pro P. Sexto, n. 66.


J.Yota. En réimprimant ce l\'Iémoire, nous en rdranchonS' tont
ce qui était J'application particulierp a l'ordonnanee du 24juillct:
eeUe hypothesc serait aujourd'hni sans objeto M.is non s repro-
duisans la partie de ~e Mémoire contenant les príncipes généraux
qui formaient les prémisses de la disenssion, et qui peu ven! en-
core a présent conserver quelque intéret sous le rapport de la
doctrine.


L' AR.TICLE 2. de l'ordonnance du 2.4 juillet, porte que
c( les individus dont les noms sui vent (1), sortiront
» dans trois jours de la ville de París, el se retire-
» rontdans l'intérieur de la France ~ dans les lieux


(1) Choisi pour conseil par '{uatre d'entreeux, e'est pour ¡eur
défense. et comffie avocat, que J'ai rédigé eet éerit; il a été remís
aux ministres en aoft! 1815. Les journaux en out publié plllsieun.
fragtnens.




( 3I2 )


,1 que le ministre de la police leur indiquera , et on
II jls resteront sous sa surveillance, en attendant que
') LE& CH,lMBBES statuent..sur ceux d'entre eux qui
)) devront ou sorlil' du royaume, ou ctre livrés a la
)) poursuite des tribunaux. l)


Celte disposition finale de l'article 2, annonce
de la part du gouvernement l'intention de faire
AUX DEUX CHAMBRES une propositíon qui s'appli-
quera nominativement aux vingt-neuf individus
désignés dans cet artiele, avec distiuclion de ceux
qui devront ou sortir du royaume, ou étre Jivrés a
la poursuite des tribunaux.


C'est.a-dire, en d'autres termes, que les Cham-
hrcs serOJ;lt ~ppelée..' a juger ces i ndi vidus (I) , et
qu'élles pourront pronoucer contreune partic d'enlre
eux; la peine de l'exil.


Or une proposition de celte nature serait-elle cons-
titutio~neJle ?


Non, sans doute, s'il est prouvé :
l°. Qu'il est de l'essence des lois d'etre générales,


et de ne pouvoir pas elre portées llominativement
contre des particuliel's ;


2°. Qu'il est également de leur essencc de ne ré-
gler que l'avenzr, satls pouvoir réagir sur le passé;


3°. Qu'en pl'iucipe, le pouyoir judiciaire ne


(1) Un des militaires désignés dans eette ordonnancc, m'écri-
vait : « Si les Chamhres nous appellent pour nous jUlfer, le vous
prierai de VOI1S charger de roa défense. Si elles nous Jugent sans
nous entendre, ce sera oomme un. boulet de canon qui n6 se pare
point. ~




( 313 )
doit ~tre conCondo ni avec le pouvoil' législatif, nI
a vec le pouvoil' exécutif;


4°, Qu'en particulier, uotre Charte constitu-
tiollnelJe établissant la distinction de ces trois pou~
voirs, on ne peut les confondre sans la violero


PREMIERE PROPOSITION.


JI est de l'essence des lois d'étre générales et de ne
pouvoir pas étre portées. nominativement conlre
les particul'iers.


La loi est une regle commune (1) : c'est l'pxpres-
sion de la voJonté publique (2) : elle doit compn-'udre
la généralité des ,personnes OH l'universalité des
choses sur lesquelles elle statue (3); il est de son
l~sscn'e qu'elle soit portée en termes généraux, sans
application directe et nominative a tel ou tel indi-
vidu en particulier (4).


Autrement ce :n:est plus une loi (5); e'est une
décision particuliere, purement privée, du genre
de celles qu'on appelait pn'viléges dans le droit
romaln.


(1) Lex est c?mtqune \,raJceptu~. L. r. JI: de [rq-ibus.
(2) Commums relpubhCaJ SPOOS¡o. d. l. J. - C est le contrat


commun. D'AGllESSEAU. t. l. p, ...
(3) guod iD ?mnes homln~s, resve populuS Bcivit, lex appel-


latur. FESTUS., ID voce rQgatlo. .
(4) Jura non in singulas persC)nas, sed geoeraliter constituun-


tur. L. 8 . .0: de legibus. .
(5) Prrecepta personre privatre imposita, non suot ¡eges.


Continualeur de TOURNELY, t. 3. chapo 1. p. 3.




( 3d )
00 ne peut pas, dit AULu-GELLE (1), donner,Ie


Dom de loís, a la délibératioo qui déféra le supreme
eommaodement a Pompée, Di a eeHes qui furent
prises a l'oceasion, soít du retour de Cicéron, soít
ue la mort de Clodius, ni a toutf~s les autres or-
doonaDees de ee genre. Car elles ne reDferment pas
des dispositions générales; elles ne reglent pas le
sort de tous les ci'o.yens : elles De portent que sur
des individus. On doit done pIulot les appeler des
priviléges, c'est-a-dire, des lois privées, dans le
sens que uos aDecues attachaient a c; mol.


Or, la luí des XII Tahles défclIdait expressé-
ment de portel' aueUDe loi de ce genre, surtont en
matíere crimineUe : PlUVILEGIA l'iE IRROGANTO (2).


Nous disons en matiere crimineUe, car d'apres le
sentirnent des meilleurs interpretes (3), le ~t ir-
rogare, qui peut se traQuire par le mol fran'iais


(1) Ncque (le imperio Cnei Pompcii ,. ncque ele re(litu Cice-
ronis, neque de crede P. Clodii qurestio, nequc alia hujus gene-
ris, poruli plebi.ve jussa, LEGES vocari po.sunt. Non sunt enim
generalia jussa, neque de universis civibus, sed de sinffUlis con-
copta. Quocirca, l'RIVILEGIA potins vocari debent; qllla veteros
priva dixerunt, qure nos singula diximlls. AUL. GELL . .iYoct.
attic. X. 20. - FESTUS in voce privas, donne la meme définition
du mot privilége. Et ceUe étymologip. "st encore confirmé .. par
une expression singuliere qui se Irouve dans la loi 7 au Code théo-
dosien de ry-l'onibus, lib. VII, tito 13 : a11 lieu de l'ablatif privile-
giis, on trouve privilegibus. ~ POTRIER, in cornmentario ad lego
XII tab. , dit que, nihil aliud est PR1VIf,EGIUM quam privata {ex,
seu de privd, id est de singulari pel'sond. >


(2) JACQUFS GODEFROY interprete ce texte : In singulos homi-
nes! leges juraque ne feruntor. - POTHIER : Leges non ferantur
in sin3'ulos homines. .


(:l) POTiIlER: V crba NE IRROGANTO .alis innuunt ea sola privi-
kgia prohihe]'i qU<e in privat", aliclIjus personal odium el pCC1Ul1ll






( 315 )
inflige,., se dit des peines, et non des faveurs dont
une personne peut etre l'objet (1).


Aussi voyons-nous que, dans les anciens auteurs,
le mot privilége est le plus souvent empIoyé en
mauvaise part (2).


Dumoins Cicéron ne s'en sert jamais qu'en ce
sens.


A la vérité, il avait de bonnes raisons pour dé tes-
ter les priviléges, puisqne e' était par privilége,
e'est-a-dire. en vertu d'nne ·loi personnelle qu'il
avait été condamné a l'ex~.


n s'en plaint amercment en divers endroits de
ses ouvrages.


Daos son Traité des lois (3). iI vaute la sagesse
de ces célebres .lois des XII Tables qui prohibent


statllerentur; non verll qllre in ejns gratiam. IRROGARI enim pro-
prie dicitur, quod!n ali'lue"~. non qllod pro aliquo roga!ur.


HEINECCIUS, anllq. romo hb. 1, t. 'l., n. 60 : - Lex lila dum
priv!legia.irrog~ri ~,:tuit, p're~as dunores qnibusdam homi?ibllS
extra ordmem In/lIgl prohlbmt, cum vel ex verbo ,rrogan·col-
Jigas, quod ad prenas pertinere nemo ignorat.


Adde GBRARD. NOODT ad Pandect. tito de legibus, etc. p. 18.
(1) On trouve dans les 3uteurs, irrogare prenam, irroga e tri-


buta. Infliger une peine, imposer des tributs.
(2) Olim quidem privilegii vocabulum fere semperin dcteriorem


partem acceptum videtur. HEINECCIUS, loco citato. - Chez nous,
au contraire, ce mot a toujours une acception favorable; raree
que nos mreurs permettent bien d'accorder des graces spéClales,
des faveurs personnelles; mais elles ne tolerent pas qu'on fasse
sen,ir les lois a des vengeances privées.


(3) Tum le¡:¡es prooclarissimoo de XlI tahulis tralatoo dU:ll' qlla-
rum altera prwilegia tollit ....... :Nondum inventis seditiosis tri,
bunÍs plehis, ne cogitatis ({uidem; admirandúm tantum majore.;
in postcrum provídissc. In privatos homines leges /ét-ri nolue-
r~nt: id e~t, enim {Jrivi{egillm. quo quíd injustiu~? Cum legishrec
ViS Slt, scduro es se et Jussum Lll omnC5. ( l)c lq:;lLllfO J lIt. XIX,)




( 316 )
les prijJiléges. CElpendant, dit-il, a l'époque ou ces
lois furent portée~, 00 ne soup/(onnait pas encore a
quels eltCeS lie porteraient un jour les trihuns du
peuple! Mais telle fut l'admirahle prévoyance de
nos and:tres, qu'ils défendirent qu'a l'avenir aDcune
loi put i:tre port~e prijJatiyemenl contre un citoyen.
En elfet, continue-t-il, e'est un prijJilége : et ron
ne peut rien veir de plus injuste, puisque la loi
ne tire sa force et son autorité que de ce qu'elle
est applicable a ious sans distinction.


Daos le discours pro domo sud (1), il développe
avec plus de force encore les memes idées. Essayoos
de le traduire :


(( Quel droil, quel usage, que1 exemple a pu,
dit-il, autoriser a porter une loi I:4pitale conlre un
ciloyen NON CONDAMNÉ ?


(1) Ql10j ure, ,{uomore,_quo exemplolegem nominatlm de capite
civis indemnati tuljsti? - Vetant leges sacratre, vetant XII tabulre
leges pri,atis homi"ibus irrogari : id est enim privilegium. Nemo
un<¡uam tulit. Nihil est crudelius, nihil pernieiosius, nihil 'luod
minu, hrec eivita~ ferre possit. Proseriptióuis rniserrirnum nomen
i\lud et om"i, aeerbitas Sullani temporis, quid habetquodmaxime
sit insigne ad memori a ro cruJelitatis? Opinor, pomam in cives roma-
nos nominatlm SINE romclO eonstitutam. Han e vos igitur, ponti-
fices, jllllicio el auetoritate vest['~ tribuno pIebis potestatem da-
bitis nt l'roscribcl'e possit quos velit? Qurero enim quid aliud sit
proscrihcre: VELlTIS, rueEATIS, UT MARCUS TULLIUS IN GIVITATE
!'lE SIT, BONAQ\:E EJUS UT MEA SI!'lT. ita enim fccit, elsi aliis verbis
tu!it. Roe plebisritum est? Hrec le:l;. hree rogatio e~t? Roe vos
pati polesbs? Hoe ferre civitas. ut singuli Clves sin"ulis v~rsi­
eulis e civitate tollantur? (Cicéron explique toutes les facilités que
les lois roma in es donnaient aux aecusés pour se c.léfendrej puis il
reprend : ) H",c cum ita sint in reo, ubi crimen est? Ubi accu-·
sator. Ubi testes? Quid indignius quam qui n"que adesse jussus
est, neque citatus, neque accusatus, c.le ejus ca pite , libens, for-
tunis omnibus, suffragium ferre j et eam legem putare? Orat. pro
DOTlto, nOS 16, l-j, 18.




( 31 7 )
» Il est défendu pal' les loís sacrées, défcndu par les


lois tles douze Tables, deporter, contredes particuliers
spéciaJement désignés, des lois privées : cela fut de
tout temps intolérable; nen de plus atroce, rien de
plus pernicieux , rien de moins supportable chez un
peuple comme le nótre. Ce malheureux mOL de
proscription, et tout ce que la tyrannie de Sylla eut
de plus amer, qu'ofi'rent-ils a nos douloureux 50U-
venirs de plus crueIlement mémorahle? rien je pense
qu'une peine nominatilJement infligée a des citoyens
romains su/s JUG"~MElliT patALAIILE !


)) Souverains pontifes, Jaisserez-vous done a un
trihun le pouvoir de proserire qui bon luí semblera?
cal', je le ~mande, n'est-ce pas proserire que de
f.1ire ectte proposi tion au peuple : r oulez-'lJOus , oro
donnez-vou, que Marcus Tullius ne soit plus ~i taren
tie cette Fille, et que ses biens ¡ne soient acquis? Car
e'est au fond ce que le tribun a fait, si ce n'est pas
précisémentce qu'iladit.Etc'estla un pléhiscite, une
loi, une proposition légale? Et vous pourriez souf-
frir, et Rome pourrait tolérer que chacun de ses
citoyens fut frappé en détail par autant d'arlicles
séparés?


» Nos lois, contioue Cicéroo, oot réglé tout ce
qufl regarde les accusations, les délais, les procé-
dures, les défenses, les j ugemens ....


» Eh bien! ou est le criroe? <iu est l'accusateur?
.


ou sonl les témoins? _ Quelle indignité! Un citoyen
n'aura été ni averti de se .présenter, ni assigné, ni




( 318 )
accusé, et I'on décidera de sa vie, du sort de sa fa-
mille et de toute sa fortune! Et ce sera la une lo'¡ í'


»Non certes, dit-il dan s un autre endroit (1), la
prétendue loi qui m'acondamné a l'éxil est si peu une
loi, que Lucius Caua, homme d'un esprit élcvé et
d'une grande sagesse, soutenait que tont ce qui avait
été fail contre moi et ríen, c'était la meme chose, II
se fondait sur la violence flui avait régné dans r as-
semblée, sur son incompétence pour prononcer une
le/le condamnation, el eofin sur la défense de porter
des 10is pl'ivées (privilegia), En conséquence il pen-
sait que je n'avais pas besoin d'une 10i pour me rendre
ce dont véritablemeot allclIoe 10i ne m'avait privé.


. .
Mais d'illustres amis ont pensé avec q¡oiqu'il me
serait avantageux de voir toute I'Italie se prononcer
en ma ravenr contre l'acte illégal qui m'avait pros-
crit. JI


.


00 ne peut pas di re que ce langage de Cicéron
était dicté par le ressentiment. Sans doute, c~ grand
orateur était animé par le souvenir de l'injustice qu'il
avait éprouvée; mais il n'en est pas moins vrai que
ses pIa¡otes étaient fondées sur le texte plécis de la


(1) In nostr~ caustl., vil' magni ingcnü summ~que prudcntill,
L. Cotta dicebat, nihil omnino actum esse de nobis. Pr",ter-
quam quod cornitia illa essent armis gesta servilibus, ])T",tere~


. neque tributa capitis comitia rata esse possent, neque ulla privi-
legii; quo circa nihil nolfis opus esse lege , de quibus nibil omnin"
actum essel legibus. Sed vi~1l1 est, et nobis, et clarissimis viris,
melius, de quo servi et latrones scivisse se aliquid dicerent, de ho<:
eodem cunctam ltaliam, quid sentiret, oBtcuaere. lJelegibus. 1lI.
:ux ..




( 31 9 )
loi des XIl Tables, et qu'il expliquait ce texte dans
le sens qu'y avaient touj ours attaché les Romains.


TiTE-LlvE, qui parle de eette loi avee tout le
phlegme d'un écrivain désintéressé, ne l'interprete
pas différemment.


Les décemvirs, dit·il (1), ont défendu de portel'
des Zois privées, c'est-a-dire des lois dirigées contre
lelles personnes détcrminément. La raison d'équité
vouJant fortement que tous les citoyens, quelle que soit
leur eondition, sojent gouve'tnés par un droit égal,
et que les lois sojent portées pour tous, el non pas
seulement contl'e quelques-uns.


Or, ce qui était injuste aRome, serait également
injuste a París. L'équité est de tous les temps et de
tous les lieux; elle n'est pas différente en France
de ce qu'elle fut en llalíe ; le caprke des hommes
.'y peut rien changer (2), el la meme raison natu-
relle qui a dit chez les Romains, privilegia ne irro-
ganto, répete a nos législateurs : faites des lois GÉ-
l'IÉRALES; mais n' en faites pas de PERSOISl'iELLES.


« La loi stalue sur tous. Elle considere les hornmes


(1) Cautum ¡, deeemviris ne de pri vis, itl est, singulis hominibus
lcges ferrentur : "'quitatis ratione' flagitantt:, ul omnes homi-
nes cujuseumqnc conditionis pari jure tenerentur, et jura, non
in singllJos, sed universos constituerentur.


(2) Huic legi nee abrogarí fas est, neqlle derogari ex, hile ali-
qllld ¡icet, neque tota abrogari potest. Nee vero aut per senatum
aut per poplllum, solvi hile lege possumus. Nee erit alia lex
I.\omre, alia Atbenis, alía nune, alía postblle; sed et omnes gentes,
et omni tempore, una lex constituit, IInusque erit comlOlInis q L1asi
magíster, et imperator omnium, Deus. ille legís hujLls inventor,
disceptator, lator. CICERO apudLAcTANT. Instit. divo VI. 8.




( 320 )


» en masse, jamais con:tme pal'ticllliel's. Elle nc
» doit point se meler des faits individuels, ni des
)1 litiges qui divisentles cÍtoyens (1). ))


C'est roffice du juge (2).
Je terminerai cette premiere partie en rappelant ce


passage de J. J. Ronsseau, cité par M. Deseze (Mo-
niteur de 1792, page 1540) : {( La, dit-il, oa je
ne vois ni la loi qui poursuit, ni la loi qui condamne ,
je ne veux pas m'en rapporter a la volonté générale ;
car la volonté générale-ne peut prononcer, comlne
volonté générale, ni sur un /zomme, ni sur un fait. ,)


DEUXIEME PROPOSITION.


J1 est de l'essence des lois de ne régler que l'avenir,
sans pouvoir réagir s.ur le passé.


Les empereurs Théodose et Valentinien reconnais-
sent COmme un principe certain que les lois ne doi-
vent régler que le futur et qu'elles ne peuvent pas


'réagir sur les faits antérieurs a leur prom111ga-
tion (3) .


. Ce principe a passé sians llotre législation. Nous
tenons aussi pour maxime que (( la loi De dis¡J!>se


(1) Discour< prélim. du eode civil.
(2) Nulla I.EX in I'nvos, sed judi<'ium. (Responsum Heracliti


ad I1ermodorum apnd l'oTHIER, nd lab.IX, cap. I. p. CXLVI.)
(3) Legcs et c0mtituliones futuris certum est ciare formam


negotiis, non adfacla proeterita revocari. L. 7, Codo de legibus.




( 3'21 )
que pour l'avenir el qu'eJle n'a paint d'e.lfet rétroac-
tif (1). J)


Cette maxime est générale, elle s'applique a toutes
les lois, et principalement aux lois criminelIes.


Tous ~s iurisconsultes sont d'accard que « la lai
n !J.ui sert de litre a l'accusation, doit etre antérieurB
;). a faction pour Jaquelle un citoyen est accusé. Le
1) législateur ne dait pas frapper sans ávertir (2). En
)) matiere criminelle, il n'y a qu'un texte formel et
)1 préexistant qui puissefander l'action du juge (3). ))


C'est tlne des différences qúi existent entre le juge
el Je législateur. Le premier décide les a.lfaires an-
térieures .1 son jugemeut ; le secand établit des regles
poul' les affaires a venir (4).


S'il en était autrement, les loiS" ne paurraient pas
avoir ce caractere "de désin téressement qui .Ies dis-
tingue, et qu'elles empruntent de ce qllC, statuant
llniquemcnt pour l'avenir, aucune vue particuJiere'
ne fait fléchir l'équité de leurs dispositions.


«( L'intérét et la passion corrompent les jugemens,
<,les hommes, dit Bossuet, la loi est sans intér~tei::
sans passions : elle est sans tache et sans corruption ...
elle parle sans déguisement et sans jlatterie ... elle
est droite ... on est tui de voit' colilme elle est égale


(1) Code civil, 3rt. 2.
(2) Bacon a dit 3ussi en parlant de la loi : Ut moneat oportet,


priitsquam feriat. Aphorism. 8.
(3) Discours prélim, du Code civil.


• (4) Statuit de prreteritis judex j de futuris, senatus. CIC. Part,
oral. 3.


21




( :.122 )
ú tout le monde, el comme, au milieu de la COfl'Up--
tion , elle conserve son intégrité (1). ))


Mais comment cOIlservera-t-elle ceHe intégrité, si,
semblahle a JaDus, elle a une face tournée vers l'a-
venir et une autre vers le passé (2)? Comment
pouna-t-elle se garantir de la corruption si, au lieu
de ne poser que des regles générales, applicahless~D-'
lement a des aClions futures, elle s'immisce dans la
connaissance des faits antérieurs ? N'est-il pas évident
alOl'8 que la raison du légi~lateur sera influencée par
toutes les impressions de colere ou de pitié que fe-
ront sur luí les actions et les personnei aux«uelles sa
loi devra déterminé~ent s'appliquer? N'est-il pas
certain qu'au líeu d'etre uniquement guidé par les
principes immuables qui séparent le juste de ¡'injuste,
iI sera plus ou moins touché, séduit ~ entrainé par
des considérations personnelles, prises de ses cnintes
ou de ses espérances, de ses p~ssions ou de ceHes
d'autrui?


Faire des 10Ís applicahles au passé, ce serait, de
la part du législateur, se transformer en juge : el
nous allons voÍr quel en serait le danger.


-(1) BOSSUET, politique tirée de l'Ecriture sainte, liv. ler. arto lT.
proposit. IV •.


(2) C'est cequi fait dire a Bacon: Non placet Janus in lCffibus.
Aphor·47·




TROISIEME PROPOSITION.


Le pouvqir judiciaire ne doit étre confondu ni avec
le pouvoir législatif ni avec le pouyoir exécutif.


La loi prescrit, défend, permet; elle établit des
peines (1) ; mais elle ne juge pas, elle ne condamne .
point.


eette distinction est marquée. par Bossuet ~ « La
I


LOI, dit-il, donne la regle: et les HJGEMENS en font
l'application aux afraires et aux questiQns partieu-
lieres (2). »


Les rédaeteurs du Codeo développent tres-bien la
meme idée. Suivant eux, «. l'office de la loi est de
fixer par de grandes vues les maximes générales du .
droít, et d'établir des príncipes féconds en consé-
quences, et non de descendre daos le détail des
questions qui peuvent naitre sur chaque matiere. -
C'est au magistrat et au jurisconsulte, pénétrés de.
resprie général des lois, a en diriger l'application •.•
I~ y a une science pour les législateurs comme il y
en a une pour les ~agistrats, et rune De ressemble
pas a l'autre. La science du législateur consiste a trou-
ver sur ehaque matiere les'.principes. les plus. fa vora-


(1) Legis virtus hree est, imperare, vetare, permittere, pu-
nire. L. 7. ff. de legibus.


(2) BOSSUET, politique tiréede T:Ecritu1'e, liv. 8, arto 3, intí-
tldé : De la légíslation el des jUfIemens.




( 324 )
bIes au droit commun : la seienee des magislrals est
de mettre ces princil'es en aetion, de les ramifier,
de les étendre par une applieation sage et raisonnée ,
aux hrpótheIJes privées. »


(t ..... Connllitre d'une affaire privée, e'estfaire un
acre judiciaire et non un acte législatijC 1). »


Les ronctions dll juge sont done tout-a-fait sépa-
réesdes fonctions du législateur: et celui-Ia ne peut
pas plus s'ingérer a faire des lois que celui-ci ne doit
se meler de juger (/('.$l'fOCes.


Dans l'état présent de notre législation, j( II. est
expressémel)t .défendu aux juges de prononeer par
voie de disposition générale et J'églementaire, sur
les ea uses qui leur ¡ont soumises (2). »


Les auteulos de Cel at'ticle, en dédu isen t ail/si les
motifs (3) :


(, Un juge est associé a l'esprit de législalion ; mais
il ne saurait partager le pouvoir législatjf. Une loi
est un acle de souveraincté; une décision n'est qu'un
acte de juridiction on de magistrature .


. )1 01', le juge deviendrait législateur, s'il pou-
vait, par des réglemens, statuer sur les questio~s
'lui s'offreot a son tribunal (4). Un :Jugement ne
He que les parties entre lesquelles i1 intervient. Un


(1) Discours prélim. du Code civil. _
(~) Code eivil.. arto 4-
(3) Voyez les motifs d" titre préhminail-e du Code civil.
·(l) Hoc ¡,.¡,im si freret, jndexpl'or,us transiret in legislatorem,


al<¡ue oIDuia ex :Hbitrio penderent. BACON, arAor.44-




( 325 )
réglement Iierait tous les justiciables el le tribunal
lui-meme.


») 11 y aurait bient6t autantde législations que de
ressorts ( 1 y. . .


») Vn tribupal n'esl pas dans une ('égion assez
haute ¡lour délibérer des réglemeus el des lois. 1I
serait Circonscrit dans ses vues, comme il l'est dans
son territoÍl'c; el ses niépl'ises ou ses erreurs pour-
raient etre funestes au bien publico


}) L'esprít dvudicaturéqui est toujours appliclué
a des détail$, el. qui ne prononce que sur des inté-
rels pal'ticuliers, ne pourrait souvent s'accorder
avec l'esprit du législateur qui voit les choses plus
généralemeot et d'une maniere plus étendue et plus
vaste.


}) Au surplos. -les pouvoirs sont réglés : aucun
ne doit franclu'r ses limites. »)


n en résulte réciproquement f¡u'il n'est jamais
pcrmis au législateur de se coustituer juge dans une
ailaire particuliere. AUlremel1t, ce serait admettre
le plus fnneste des príncipes; ce .serait renouveler
parmi nOlls la désastreuse législation des rescripts.
Cal', lorsqne le législateur inter.vient ponr pronon·ce.r


(,) ,A. R6me. les prét.cur~ 8'étaient ¡l,J'roj\¿ le p()Uv.oir législatif.
Avaut d'entrer en charge. chacUli d'eux rut'sait son édit. Ce fut la
$ource des, pl.u$ crialUlIbu.s. Cu ~es édits\étai~nt presqlle loujours
rénigés in.¡;ratiam odiunwe certorom hominum. IJION. CASS. lib. 36. -
e est a 1))'opos d'nu édit de ce gellre. que. Cicérou apostrophc
V erres, en lui rlisant : Si hoc juris 'lO,. uniús cau..,d hominis
"dixisses, cautii:s cllmposll¡sses. CHI. in 1'errem 1. 42. Voyez IDOO
J'récis historiqllc du Droit romain, 3- thlition, p. 30.




I


sur des affaires nées et vivement agitées entre parti-
cnliers , iI ntest pas plus a l'apri de la surprise que
les tribunaux. On a m'eme' moins a redouter l'arhi-
traire réglé, timide et circonspect d'un magistrat qui
peut etre réformé 'et qui est soumis 11 l~acti~n en
forfaiture, que l'arbitraire absolu d'un pouvoir in-
dépendant qui n'est jamais resp.onsabie .... ~ L'appli-
cation de la justice distributive ne pe~1t jamais ap-
partenir au législateur, uniquement ministre de
cette équité générale qui, sanst'égard 11 aueune
circonstanee partieuliere, embrasse l'universalité
des choses et des personnes. Des lois intervenues
sur une affaire privée, serajent done souvent sus-
pectes de partiáUié: 'et toujours elles seraient ré-
troactives el ¡njustes pour ceux ~ont le litit;e aurait
précédé l'intervention de ces lois ( 1).


Si tout cela est vrai dans le cas meme ou il ne
s'agirait que d'une affaire pécuniaire, combien les
memes réflexions n'aequierent-elles pas de force,
lorsqu'il s'agit d'affaires criminelles, , nées au sein
d'une révolution ou toute5 les passions se sont ai-
gries dans le sein des diver~ partis ?


Mais contiDuons de voir la chose en général.
« n n'y a point de liberté, dit Montesquieu (2) ,


si la puissance de juger n' est P(l$ séparée de la puis-
sanee législative et de l'exécutrice. Si elle était


( r) Di8COllr~ pré~im o dll Code civil.
(:l) Esprit des 100S, livo XI, chapo 60




( 327 )
JOlnte a la puissaDce léglslative, le pouvoir sttr
la vie et la liberté des citoyens serait arbitraire;
cal' le juge serait législateur. Si elle était ¡ointe a la
puissance exécutrice, le juge pourrait avoir la force
d'etre oppresseur.


» Dan s les anciennes républiques, on n'avait pas
. des idées bien nettes sur la division des pouvoirs ;
achaque instant l'équilibre se trouvait rompu ;
de la; les troubles el les révolutions dont le gou-
vernement de Rome nous foornil tant d'exemples ,
sous la république.


» Quelques empereurs romains eurent la fureur de
juger; nuls regnes n'étonnerent plus rUnivers par
leurs injustices (1). »


On ne manquera pas 'd'objecter qu'autrefois nos
1'ois ont rendu la justice en personne.


Sans doute, mais ce ne fut pas dans les temps les
plus heureux de la monarchie : ce fut dans des
lemps d'ignoranc~, au milieu des ténebres de la
féodalité; lorsque la justice était devenue le patri-
moine de chaque seigneur dans l'éteodue de son
/ief; qu'on distingllait dans la France, les pays
de l'obéissance le roí el les pays hors fohéissance
le roí; quand le roí, eu un mot, n' était roí que
dans se~ domaines et simple suzerain du sur plus.


Quelques exemples devenus plus rares en pro-
pOl·tion de ce que les lumieres oot acquis pI us de


(1) Esprit des Lois, liv. YT, dwl'. 5.




( :h8 )
force; ne COl;l,staten~ pas. la ,perpétuité du' droit;
mais seuJeme1;l~ des \('~ce~ de rabus ; et le petit nom-
bre de jug~mlens auxquels nos ro,is out assiatéen
person~, ne prouvetú pas plus l'a,vantílge de réunir
le pouvoir judiciaire au pouvoir exécutif, que les
fréq~eus refus appqrtés par les parlemens a l'e~re­
gistremeut des éct.i~~, ne prouvent ,en faveur de l~
réunion du pouvoir, légisJatif au droit de ¡uger.


A mesure qu' ou, e.st lievenu a des. idées plu$
saines, on a de plus en pl~s senti le beso in d'isoler
les pouvoirs (1).


Ainsi, sous Louis XIII, lorsque ce monarque
voulut etre juge dans le proces du duc de la Va~
lette, le présideut de Bellievre dit (( qu'il voyait
II ~llcJilS ccue' alfail;e une chose é\J;~~~, un prince
») opiner au ¡ugement d'un de ses' suiat&% '~ue les
) 1'ois ne s'étaient réservé que les graces , el qu'ils
)) renvoyaient les ,condamnations vers leurs ,offi-
) ciers(2).>l


Sons Louis XV, le Parlement tont cntier pro-
fessa la m~me doctrine. Dans les remontrances q~e
ce Parlement 6t le 1 er mars 1 7~H, au su.jet de
l'arret du conseil qui évoquait le pr(l(;6S criminel
du duc de La Force, on lit ce qui suit : (( Votre
» Majesté n'est réservée que pour faire des gl'aces


(1) J\.lore,m, Discours sur l'Histoire, de Franco, tomo Vtl;
pago 293, prétend que, sous <.:harlemagne, la distinction des
pouvoirs existait.


(2) l\témoírc~ de Montr¡:sor, tom, Il, pag, (b i Henrj'ou de
PanseJ




( :h9 )
)~ ;. ses snjets. Elle ne doit leul' répandreque des
}) bienfaits; elle les aiOle avec trOIl de tendresse
)1. pour leur illlposer des peines ou des chatimens.


- " n n'est pas de la majesté royal e • occupée du
» gouvernement d'un grand royanme, de se tour-
}) Del' aUl{ longucurs d'une proeédure criOlinelle (l).)}


Le grand Théodose erut remédier au t.Ilal, en
portant une loi (2) qui suspendait pendant. trente
jours l'exécution des sentences que le priDcl! aurait
rendnes dans la fureur de sa vengeance.


Il cut mieux valu dire que le prince ne jugerait
jamais, et que le pouyoir judiciaire ne serait jamais
réunÍ au puuyoi,. législat~r, ni au PQUI'oil' exé-
cutif·


Chez les Tures, 0,\\ ces trois pouvoirs sont dam la
meme main, il reguc un affreux despotisme.


Dans les républiques d'Italie o~ ces trois pouvoirs
étaient réunis, on n'était gueres mieux jugé qu'a
Constantinople. •


JI Voyez, dit Montllsquieu (3), quelle poot etre
)) la situation d'nn citoyen daos ces répuhliques.
" Le meme corps de magistratnre a, comme es:é-


(1) Par suite de ces remontrances, l'arret du Conseil fut ré" ... ~
qué par leUrcs - patentes qui fllrent regish'ée$ all. Parlement le
\~ juitle t I j'll. .


(2) Voy. loi 13, au Code théod. de prenis; et la loi 20, a u Code
(le Ju~timen, an meme titre. Denis Godefroy, abtégeant ceUeloi,
<,lit. Damnalo a principe ¡rato, damur justi triginta dies. Au con-
tralfe, les sentences rendues par les juges dev~ieut etre exécuVe .•
sans retarll.l!t convictos velo:rprenasu/Jducat. L. 5,C. de custod.
real'. L. 18. C. de plEnis.


(3) Esprit des lois, lil-, "', chapo 6.




( 330 )
» cuteur des lois) toute la puissance qu'il s'est don-
)J née eomme législateur. Il peut ravager l'État par
» ses volontés générales; et eomme il a eneore la
» puissanee de ¡uger, il peut détruire chaque ci-
» toyen par ses volontés partitulieres. »


Ces nolions générales sur la divisíon des pou-
voirs et sur les abus qui naissent de leur eonfllsion,
sont vraies surtout dans les États monarrhiques.


« Le prinee ne peut pas juger dans les monar-
» chies: ]a eODstitution serait détruite, les pou-
" voirs intermédiaires, dépendans, anéantis; on
» verrait cesser toules les formalités des jugemens,
» la crainte s'emparerait de lous les esprits; 011
» verrait la paIeur sur tous les visages; plus de con-
» fiance, plus d'honneur, plus d'amour, plus de
» sureté, plus de monarchie (1). »


En 1788 , M. d'Antraigues établit d/lns son Mé-
moire SIN les États- généraux, « qu'un roi ne
» peut, en aueun cas, exercer le pouvoir j udiciaire ...
» qu'il doit Vf~iller <,u maintien des lois, mais non
)J appliquer les décisions de la loi. »


Les idées avaient faít ce progres lorsque l'As-
semblée CODstituante rendit, le re' oetobreI 789, un
décret dont l'article 19 est ainsi eOD~U : « Le pou~
JI voil' judiciaire ne potll'ra en auenn cas l!tre exereé
» par le roi ,ni par le Corps legislatif; mais la jus-
») tice Sf'ra administrée au Ttom du roi, par les seull>


(1) j<;'pritdcs lois, liv. VI, chal'. 5.




( 331 )
}) tribunaux établis par la loi, 5uivant les principes
» de la constitution, et selon les formes déterminées
» par la loi. »


Cette disposition a été refondue dans la cons-
titution de 1791 , dont le titre 3, -des pouvoirs pu-
Mies ~ traite distinctement: '


l°. Du pouvoir Jégislatif, arto 3 ;
2°. Du pouvoir exécutif , arto 4;
3°. Du pouvoir judiciaire, arto 5.
Le chapitre 5 ayant pour rubrique du pouvoir ju-


dieiaire, porte ensuite, arto le', « le pouvoir judiciaire
II ne peut, en aucun cas, ~tre exercé par le Corps
» législatifni par le roi. »


Plut a Dieu qu'on eut séverement observé ce prin-
cipe ! Le sang des rois n'eut pas coulé sur l'écha-
faud 1. ..


Si le principe a été méconnu eette foís, on n'a
que mieux sentí la nécessité d'y revenir. On retrouve
de nouveau la distinction des pouvoirs établie et l'i~­
dépendance du pouvair judiciaire assurée daos la
"co~stitution de l'an 111, dans celle de l'an VIII et '
dans le sénatus - consulte du 28 floréal an XII, ar-
ticle lO' (1). Un avis du Conseil d'État , du le, avril'
1807 , approuvé le 18, rappelIe encore cette dis-


(1) Napoléon lui-meme évita de s'aUribuer le pouvoir judi-
ciaire: et lorsque dans I'affaire de madame de Douhault on voulu t
lui donner a entendre 'Iu'il avai! le droit de réviser ce proces jure
majestati., il rcfusa d'accepter le })ollvoir dont 00 le flaUait bas-
sement en cette occasioo.




( 332 )
tinction des pouvoirs; il Y est dit: C( On a toujour,s
) regardé. comme une garantie poli tique , que. la
» meme autorité qui fait la loi, ne soj t pas chargée
» de l'exécuter. »


Ce principe forme encare aujourd'hui rune des
máximes fondamentales de notre droít publico


QUATRJEME PROPOSITION.


La Charte constitutionnelle établissant la divisior;z
des pouvoirs, on ne peut pas les réunir ni les con-
fondre, sans la violer •.


N"tA. Le développement de' cette ~roJ)ositíotl avait pOllr but
de {aire ressortir les difFéreotes violations quÉ 'paTahsait devoir


. • entralocr une mesure qui eut appelé les Chambl es a jugcr des ci-
I '. toyens nominativemcnt, soit par forme de 101 privée, soít par


" :.·1 Jorme de )·1J.ycment. It( _ 'Ir .; ~ --o •
~., •• ~::~ '. . ) Tout ce détail serait aujourd'hui parfaitement inutile.


r " < . '. - Je me contenterai dc rappeler les considération s par lesfJuell~s
,:.... ~:. ~ • e Mémoire était terminé :
. -. '" .. .


·· .• <.-:~'V
Telles sont les difficultés que 1'0n renconlrera


inévitablement, si ron veut ériger les législateurs
en juges.


Ces difficultés, on les évite, ou plulót <in les
résout, en laissant les choses aller leur cours or-
dioaire.


Pourquoi se défier des lois et des tribunaux ?
Les lois sont plus sages que tes hornillos: et de lOus




( 333 )
les hommes, ceux sur qui le gouvernement peut le
mieux compter, sont les juges. - « Leur offiee, a
» dit un de nos Magistrats, est de maintenir \'au-
» torité en lH'évenan t l'arbitraire, et d'assurer la
» soumisslon en otant tout prétexte a la révolte (1).»


Jall1ais l'opinion publique n'a rejeté sur le gou-
vernement les condamnations meme injustes, por-
tées par les tribunaux ordinaires.


Et elle s'est constamment élevée contre les con-
damnations meme justes, prononcées par des Com-
missions extraordinaires el des tribllnaux d' exception.


Pourquoi? paree qu'on De peul jamais reproeher
au gouvernement d'avoir laissé agir les juges et les
lois;


Tandis qu'on lui fait toujours un crime d'avoir
interverti l'ordre des juridictioDs, et violé les prin-
~ cipes établis.


(1) Discours de M.le premier président Séguier , 101'5 de l'im~
titution de la Cour royale de Paris.


FIN.






PRlNCIPAUX OUVRAGES DE L'AUTEUR •


...


4. 'fRAITÉ DES SUCCESSIONS ab intestat. Paris, ISO,!, I 'Vol. in-I 'l.
'l. PRINCIPIA. JURJS CIVILIS cum romani, tum gallici, seu selecta


legum romanarnm cum civili codice apte concordantium, etc.
Parisiis, 1806 et anuo scqq.; 5 vol. in-12.


3. RÉFLEXIONS sur l'Enseignement et l'Étude du Drbit, suivies de
regles SUl' la maniere de sontenir these daos les actes publics.
Paris, Everat, IS07, prem, éditioo, broch. in-S.


Nota, Cet opuscule a été réimprimé avec l'ouvrage suivant ;
4·. MA.NUEL des étudians en droit, conteoant une Notice des li-


vres qui leur sont le plus oécessaircs. Paris, Durand, 1808;,
I vol. iO-IB; -deuxiemeédition, Paris, Baudouin, 1821; iO-IS.


5. EXA.MEN sur les elémens de Droit romain selon rordre des
Iostitutes de J ustinien, traduit du latin de M. Perreau. Paris,
frere; Clament, 1810; I vol. in-12.


6. Jo. GOTLIEB. HEINECCIl 1O.ECI'fA.TIONES in elementa juris civilis
secundum ordinem institutionum, Accesseruot oper:l et cur:l
A. 1\'1. J. J. DUPIN notre et observationes quibus textus vel
explanatur, vel em~ndatur, vel illustratur j quibusque sedula
ac perpetua romanarum et gallicarum legum collatio contine-
tur. Parisiis, Warée; 2 vol. in-B.


'). SYl'IOPSIS elementorum juris romani iuxta Heineccii doctri-
nam. Accesserunt notuIre in <{uibus varia: <{ureque definitiones
a Lorry, Ferriere, etc, iocomptre, Heineccianis breviter appo-
nuntur. Parisiis, Durand, 1811; in-18.


8. PROLEGOMEl'IA. juris ad usum scolre et fori, Jn-I8,
9. DISSERTA.TION sur le domaioe des mers et la contrebande.


Paris, Warée, 1811; broch. in-12.
10. DICTlONl'IA.IBE des Arréts modernes. Paris, Neve, 18n;


in-4"·
JI. DE LA LIBRE DÉFENSE des Accl1sés. Paris, Arthus-Bertrand,


oclobre 181 S; broch. in-8.




l~. MÉMOIRES, Plaidoyers et Consultations depuis 1806 jusqu'en
18:n; onze vol. in-lío


13. LETTREs sur la profession d'avocat, et Ribliotbeque choi,ie
d~s livres de droit, avec un sup¡lhimeot contenaot des Notices
histOl iques et bíbJiograpbiquea sur plnsieurs ounages de dl'oit
el de pratique, ·remarql.'ables par leur ant.iqnit~ ou leur origi-
nalité_ Paris, Warée, 1811í; :1 fm'ls vol. in-S.


14. CODE du Commerce des bois et charbons. París, 1S17;
:1 vol. in-8.


15. EXTRAIT nu BULLETIN des Lois·, et de la Collection in-4.
dite du Louvre, par ordre de maticres; .REeUEIJ. composé
pour la commodité des fonctionoair~s publics et des citoyens, en
exécution de l'avis du Conseil d'Ét.at du j jaoviec 1813, .ur·la
commission spéciale du garde-des-sce:lUx.


Les parties de ce Recueil qui ont Mj:'. paru sont celles-ci: •
16. LOlS DES LOls, ou Recueil de toutes les dispositioos législa-


tives, concern,mt les lois, etc. Paris, 1817, Guillaume et
comp.; 1 vol. in-12.


1 7. L~IS sur l'Organisation judiciaire. Paris, Guillaume el comp. ,
1819 j :1 vol. in-S.


is. LOIS CIVILES, servant de supplément au COde civil, Buivies
d'un Recueil particulier des 10is concernant spécialement le
droit des tiers, avec eeHe épigraphe : .s auj en autres eh oses
notre droit, el l'autrui en toute,s. Meme libraire, 1819; :1 vol.
in-S.


19. LOIs COMMERCIALES, servant de sllpplément au Code de
Commerce, etc.; t vol. in-S.


20. LOls ET ACTES sur lA Majorats. In·S.
2 t. LOIS DE PRocÉnURE cn ILE; taot devant les Tribunaux ordi-


naires qu'en cassatioll et au Consei! d'État. ln-8.
22. Lots CRIMINELLES, servant de supplément au Code d'instruc-


tion crimineJle et au Code pénal de 1810, ave e deux appendices,
run contenant les Codes de 1,9' et de I'an IV , l'autre, les lois
d'exception promulguées depuis la restauration. Paris, Guil~
l~ume, IS~I ; in-8.


/