I . HISTüIRE DE LA RÉVOLUTION • FRAN<;AISE, PAR M. A. THIERS, 'MINBTRE...
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I
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HISTüIRE
DE


LA RÉVOLUTION


FRAN<;AISE,


PAR M. A. THIERS,
'MINBTRE n'É'I'AT E'l' DipUTÉ.


TOME SIXIEME.


iroisitmt Cfbition.


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PARIS,
LECOINTE ET POUGIN, ÉDITEURS,


QUAI DES AUGUSTINS, NO 49.
PAULIN, LIBRAIRl!, PLACE llF. LA BOUR5E.,


M DCCC XXXII.




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HISTüIRE


DE


LA RÉVOLUTION
FRANCAISE.


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CHAPITRE I.


Retour de Danton. - Divisions dans le parti de la Mon-
tagne,. dantonistes et hébertistes. - Politique de Ro-
bespierre et du comité de salut public.-Danton, accusé
aux Jacobins, se justifie; il cst défendu par-Bobespierre,
- Abolition du culte de la RaiS4Jn. - Derniers perfec-
tionnements apportés -au gouvernemenr dilltatorial ré-
volutionnaire. - Énergie du comité contre tous les
partis.-Arrestation de Ronsin, de Vincent, des quatre
députés auteurs du faux décret et des agents présumés


, de l'étranger.


DEPUIS la chute des girondins, le parti mon-
tagnard, resté seul et victorieux, avait com-
meneé ase fractionner. Les excés toujours plus


VI.




granJs de la révolution achevérent de le divi-
ser tout - a-fait, et on touchait a une rupture
prochaine. Beaucoup :de députés avaient été
émus du sort des girondins,. de Bailly, de Bru-
net , 4eHouchard; d'áu tres blámaient' les vio-
lences commises al'égard du culte, les jugeaient
impolitiques et dangereuses. I1s disaient que
de nouvelles superstitions succédaient acelles
qu'on voulait détruire, que le prétendu culte
de la raison n'était que celui de I'athéisme, que
l'athéisme ne pouvait convenir á un peuple, et
que ces extravagarices étalerit payées par l'é-
tranger. Au contraire, le parti qui régnait aux
cordeliers et a la cornmune , qui avait Hébert
pour écrivain, Ronsin et Vincent pour chefs ,
Chaumette et Clootz pour apótres , soutenait
que ses adversaires voulaient ressusciter une
faction modérée, et amener une nouvelle divi-
sion dans la répuhlique.
- Danton était revenu de sa retraite, Il ne disait
pas sa pensée, mais Un chef de parti voudrait
en vain la cacher; elle se répand de proche en
proche, et devíent hientót manifesté a tous les
esprits, On savait qu'il aurait voulu empécher
l'exécution des girondins, et qu'il avait été vi-
vement touché ,de Ieur fin tragique ; on savait
que, partisau et inventeur des moyens révolu-
tioñnaires , il commeneait aen blámer l'emploi




CONVENTlON N ATlONALE (( 793). 3
féroce et aveugle ; que la violence ne lui sem-
blait pas devoir se prolonger au-delá du dan-
ger, et qu'á la fin de la campagne actuelle et
aprés l'expulsion entiere des ennemis', il vou-
lait faire rétablir le regne des lois douces et
équitables. On n'osait pas l'attaquer a la tri-
bune des clubs. Hébert n' osait pas l'insulter
dans sa feuille du Pére Duchesne ; mais on ré-
pandait verbalement les bruits les plus insi-:
dieux; on insinuait des soup~ons sur sa p.ro-
bité;oft mppelait av.ee;:plus de perfidieque
jamais les concussions de la Belgique, et on
lui en attribuait une partie; on était méme
allé jusqu'á dire, pendant sa retraite a Arcis-
sur-Aube, qu'il avait érnigré en emportant ses
richesses. On luiassociait, cornme ne valant pas
mieux , CamilJe Desmoulins, son ami, qui avait
partagé sa pitié pour les girondins, et avait
défendq Dillon; Philippeaux, qui revenait de
la Vendée; furieus, contre .5 désorganisateürs',
et tout prét a dénoncer Rónsinet Rossignol.
On rangeait encore dans son parti tous ceux
qui, de quelque maniere, avaient démérité des
révolutionnaires ardents, et le nombre com-
mencait a en étre assez grand.


Julien de Toulouse , déja fort suspect par ses
liaisons avec d'Espagnac et avee les fournis-
seurs, avait achevé de se compromettre par


l.




RÉVOLUTION FRANl./.HSE.
un rapport sur lesadministrationsfédéralistes,
dans lequel il s'efforcait d'exeuser les torts de
la pluparr d'entre elles. A peine l'eut-il pro-
noncé, <fUe les eordeliers et les jacobins soule-
vés l'obligerent a se rétracter. lIs firent iune
enquete surila vie privée; ils découvrirent qu'il
vivait avec des agioteurs, et qu'il avait une ci-
devant comtesse pour maitresse., et ils le décla-
rerent tout ala fois corrompu el modéré, Fabre-
d'Églantine venait tout-á-coup de changer de
situation, et déployait un luxe qu'on ne lui
connaissaít pas auparavant. Chabot , le capucin
Chabot, qui , en entrant dans l~ révolution,
n'avait que sa pensión ecclésiastique , venait
aussi d'étaler un beau mobilier, et d'épouser
la jeune soeur des deux Frey ,'3vec une dot de
deux cent miUe livres. Ce changement de for-
tune si prompt excita des soupc;;ons centre les
nouveaux enrichis , et hientót une proposition
qu'ils firent a la cOlU(ention acheva de les per-
dre. Un député, Osselin , venait d'étre arrété
pour avoir , disait-on, caché une émigrée. Fa-
bre , Chabot, Julien, Delaunay, qui n'étaient
pas tranquilles pou!' eux-mémes ; Bazire , Thu-
riot, qui n'avaient rien a se reprocher, mais qui
voyaient avee effroi qu'on ne ménageát pas
méme les membres de la convention,' pro-
poserent un décret , portant qu'aucun député




COl'lHl'iTION NATI01.\'ALE (1793). tí..
ne pourrait étre arrété , sans auparavant étre
entendu ala barre. Ce décret fut adopté; mais
tous les clubs et les jacobinsse souleverent , et
prétendirent qu'on vouIait renouveIer l'invio-
Iabilué. Ils le firent rapporter, et commence-
rent l'enquéte la plus sévere sur ceux qui
l'avaient proposé, sur leur conduite et sur 1'0-
rigine de leur subite fortune. Julien, Fabre 1
Chabot, Delaunay, Bazire , Thuriot, dépopu-
larisésen quelques jours, furent rangésdans
le.putides.hommeséquivoques. et modérés.
Hébert les couvrit d'injures grossieres dans sa
feuille , et les livra a la vile populace.


Quatre ou cihq autres individua partagerent
encore le méme sort, quoique jusqu'ici reconnus.
excellents patriotes. C'étaient Proli, Pereyra,
Gusman, Duhuisson et Desfieux. Nés presque
tous sur le sol étranger, ils étaient venus,
comme les denx Frey el comme Clootz , s~Jeter
daos la révolutien.franeaise , par enthousiasme.,
et probablement aussi par besoin defaire for-
tune. On ne s'inquiéta pas de ce qu'ils étaient,
tantqu'on les vit ahonder dans le sens de la
.révolution. Proli, .qui était de Bruxelles , fut
envoyé avec Pereyra et Desfieux aúprés ide
Dumouriez, pour découvrir ses intentions. Ils
le firent. expliquer , et vinren t, comme nous
l'avons rapporté , le dénoncer a la convention




UÉVOLUTION FRA.N~AISE.
et aux Jacobins. C'était bien jusque-Já ; mais
ils avaient été employés p~ .Lebrun , paree
qu'étant. étrangers et Insteuits., ils.ipouvaient
rendreides. .services . aux relations extérieu-
res. En approchant Lebrun , ils apprirent. a
l'estimer, et ils le défendirentplus tardo Proli
avaitconnu heaucoup Durnouriez ; et , malgré
ladéfection de ce général, iI avait persisté a
vanter ses talentset a dire qu'on aurait pu le
conserver ala république; enfin , presque tous
conáaissant mie~x les¡pay-s;~oisins,·avaieQt.p1"
rné l'application du systeme jacobin ala Belgi-
que et aux provinces réunies ala France. Leurs
propo,s furent recueillis, el lcrsqu'une défiance
générale' fitimaginer l'intervention . secrete
d'une factioa étnangére , 00 cornmenca a les
soup;onner, et a seraviser sur leurs discours.
00 sut qne Proli était fils naturel d~ Kaunitz ;
00 supposa qu'il étai t le meneur en chef, et 00
les métaw.orphosa tous-en-espions de Pitt et
deCobourg. Bientót. la fureur n'ent plus de
bornes, el l' exagération mérne de leur patrio-
tisme ,qu'ils croyaient propre a les justifier,
De servit qu'a les compromettre davantage, 00
les confonditavec le partí des. ttuivoques , des
modérés, Ainsi ,desque Danton ou ses amis
avaient quelque observation a faire sur les
fautes des agents ministériels , ou sur les vio-




CONVJ::l'lTION NATJON AL), ('793). '7
lences exercées centre le culte , Ieparti Hé-
hert, Vincent el Ronsin, répondait en cria~~ a
la modération , a la C()lTJ,lpf~q., ~ I~ fac;;tio~
étrang,ere.


Suivant l'usage , les modérés renvoyaien]; ~
[eurs .adversaires cette accusation , et leur c¡\i-
saient : C'est vousqui eles lescomplices de ,C;~~
étrangers ;tout vous rétpPli'och~, et lacommune
violencede votre lallg~e, et le p¡rQj,et4~~oJlt
bAP\~V~$~ ~Jl P~uss~Q~ Wyt au pir~, Y()Yf;¡' ,
~~i~nt"j~ ~ ~~UJMº~\l~~ ,fJ.UjÍ,11'~r~ W;W
autorítélégislative , et renddeslois'spJ,ls Ieti-
tre modeste d'arrétés ; qui regle tout, police ,
subsistances , culte ; qui $u\l,stitue de SQU chef
une re,ligiou aune autre , remplace.les ancien-
ues superstitions par des superstitious nou-
velles, préche l'atbéisme, et se f<lit imiter par
~(>ute$le$~m)llicipalitésde la répllblique; voyez
pe~,.bQ.JW3#~ de Ia guerre,d'o*, s'échappent
une fou~ :d'\llgent~qui :vopt ,Q~n~ left ,pr9<vW:~es
rivaliser avec les représentants , exercer les
.pitls grandes vexations, et décrier la révolu-
tion par leur conduite; voye;¡?; cette COUl1Dupe
etces bureaux !que v:culen,t-ils, sinon usur-
per I'autorité l~gislat¡Yeet exécutive , dépossé-
der la convention, les. comités, et dissoudre
le gouvernement l Qui p.eu,t les pousser- a ce
t>l~t, sinon l'étranger P




8 RÉVOLUTION FRAN9AJSE.
Au rnilieu de ces agitations et de ces que-


rellés , l'autorité devait prendre un partí vigou-
reme. RóbespierJe pensait avec tout le comité,
que ces accusations réciproquesétaient extré-
menientdangereuses. Sa politique , comme on
I'a déja vu , avait consisté , depuis le 31 mai, a
empécher un nouveau déhordement révolu-
tionnaire, a rallier l'opinion autour de la con-
vention, et la convention autour du comité,
afín de creer un pouvoir énergique, et il s'é-
tait serví poul' cela des jacobins tout-puissants
alors sur l'opinion. Ces nouvelles accusations
contre des patriotes accrédités , comme Dan-
ton, Camille Desmoulins, lui semblaient tres-
dangereuses, Il avait peur qu'aucune réputa-
tion ne résistát aus imaginations déchalnées;
iI craignait que les violences al'égard du eulte
n'indisposassent une partíe de la France, et
ne fissent passel' la révolution poul' athée; iI
croyait voir enfin la main de l'étranger dans
cette vaste oonfusion. Aussi ne manqua-t-il pas
l'occasion que hientót Hébert lui offrit, de s'en
expliquer aux Jacobins. . "


LesdispositionsdeRobespierre avaientpercé,
On répandait sourdement qu'il allait faire
sévir centre Pache, Hébert, Chaumette, Clootz,
auteurs du mouvement contre le culte, Proli,
Desfieux , Pereyra, déjá eompromis et mena-


,




I


COl\'VENTION N ATIONALE (1793). 9
cés, voulaient rattacher leureause a celle de
Pache , Chaumette , Hébert; ils virent ces der-,
niers , et leur dirent qu'il y avait une conspi-
ration contre les meilleurs patriotes; qu'ils
étaient tous également en dangervet qu'il fal-
lait se soutenir et se garder réciproquement.
Hébert se rendalors aux Jacobins, le 1er fri-
maire (21 novembre 1793), et se plaint d'un
plan de désunion tendant adiviser les patrio-
tes.« De toutes parts, dit-il , je rencontre des
*' gens qui me .complimentent de n'étre pas
« arrété. 00 répand que Robespierre doit me
« dénoncer, moi, Chaumette et Pache... Quant
j( a moi, qui me mets tous les jours en avant
« pour les intéréts de la patrie, et qui dis tout
« ce qni me passe par la tete, cela ponrrait
" avoir quelqne fondement; mais Pache Loo Je
« connais toute l'estime qu'a pour lui Robes-
,( pierre, el je rejette bien loin de moi une pa.,.
( reille idée. On a dit aussi que Danton avait
« émigré, qo'il était alIé en Suisse cliargé des
« dépouilles du peuple..... Je I'ai rencontré ce
« matin dans les Tuileries , et puisqu'il est a
« Paris , il faut qu'il vienne s'expliquer frater-
« nellement aux Jacohins. Tous Tes patriotes
« se doivent de démentir les hruits injurieux
« qui courent sur leur compte. )) Hébert rap-
porte ensuite qu'il tient une partie (le ces




t o RHVOLUTION FllAJlj<':AISE,
hruits de Dubuisson, lequela voulu luí dévoi-
ter une eonspiration centre 'les-patrietes , et,
suivant l'usagede tout rejeter sur les vaincus ,
il ajoute que la cause des troublesest dans les
oomplicesde Brissot qui vivent encore , et dans
les Bourbonsquirestent au Temple, Robes-
pierre monte aussitót ala tnihune : ~ Est..il vrai,
«dit-il, qu~nos plus dangereux ennemis soient
« les restes impurs de la race de DOS tyrans?
« le vote en moncoeun pour que·larace des
« ~rans,(.lisparai8R-;.:\la;.rterre;' roa" puis-~
{(m~aveugler sur la situation de mon pays, au
« point de croire que cet événement suffiraít
«. pour éteindre le foyer des conspirations qui
" nous déchirent?A qui persuadera-t-on que
« la punition de la méprisable soeur de Capet
« en imposerait plus a nosennernis que celle
l( de Capet lui-méme et de sa eriminelle com-
« pagneP:


.«E~-il ~rai eII¡'Core que la cause de nos maux
II soit le fanatisme ? Le fanatisme! il expire. Je
« pourrais rnéme dire qu'iI est mort. En dirí-
a geant depuis queIques jours toute notre al-
t( tentioncontre lui, ne la détourne-t-on .pas de
« nos véritables dangers? Vousavez peur des
« pretres, et ils s'empressent d'abdiquer leurs
« titres pour les échanger contre ceux de mu-
l< nicipaux , d'administrateurs , et méme de pré-




CONVENTION NATION ALE (1793). 11
~( sidents desociétés populaires..... Ils étaient
el naguere fort attachés 3:leur ministere quand
( il leur valait soixante-dix mille livres de ren-
« tes; ils l'ont abdiqué des qu'il n'en a plus
r< valu que six mille.... Oui, craignez non 'pas
« leur fanatisme , mais leur ambition! non pas
« l'hahit qu'ils portaient, mais la peau nouvelle
« qu'ils ont revétue t craiguez non pas I'an-
.« cienne superstitiou.mais la nouvelle et fausse
<l ,SUptrstitwnqu'on veut feindre .pournous
jt;. perdre~l r»:.:~tl·'" ".,:. ,;: ;
IciRobespi~~re, abordant franchement la


question des cultes, ajoute ;
«Que des citoyens animés par un zele pUl'


« viennent déposer sur l'autel de la patrie les
{{ monuments inútiles et pompeux de la su-
{( perstition , pour les faire servir aux triom-
({ phes de la liberté, la patrie et la raison 50U-
f{nent a ~es offraudes; mais de quel droit
« i'aristaeretie et,rhy.pocrisie"vie~aie~ t-elles
({ méler ici leur influence a celle du civisme?
l( De queI droit des hommes inconnus jusqu'a
« ce jour dans la carriere de la révolutiou
{¡ viendraient-ils chercher, au milieu de tous
« cesévénements , les moyens d'usurper une
« fausse popularité, d'entrainer les patriotes
{{ méme ade fausses mesures, et de jeter parrni
~r nous le trouble et la discorde? De quel droit




, 2 IUtVOLUTION FRA.NC;;AISE.


« viendraient-ils troubler la liberte <les cultes
« au nom de la liberté, etattaquer le fana-
« tisme par un fanatisme nouveau? De quel
« droit feraient - ils dégénérer les hommages
« solennels rendus a la vérité pure en des
« farces éternelles et ridicules ?


« On a supposé qu'en accueillant des offran-
« des civiques, la convention avait proscrit le
t( culte catholique. Non, la convention n'a
re point fait cette démarche , et ne la fera ja-
« mais. Son intention est demaintenir la li-


7/i,"


l( berté des cultes qu'elle a proclarnée , el de
« réprimer en méme temps tous ceux qui en
« abuseraient pour troubler l'ordre publico Elle
I( ne permettra pas qu'on persécute les mi-
I( nistres paisihles des diverses religions, et
« elle les punira avec sévérité , toutes les fois
II qu'ils oseront se prévaloir de leurs fonctions
« pour tromper les citoyens, et pour armer
« les préjugés OH le royalisme contre la ré-
« publique.


tt Il est des hommes qui veulent aller plus
« loin; qui, sous le prétexte de détruire la su-
« perstition, veulent faire une sorte de reli-
« gion de l'athéisme lui-méme. Toutphiloso-
« phe, tout individu pent adopter la-dessus
« l'opinion qui lui plaira : quiconque voudrait
ti luí en 'aire un crime est un insensé ; mais




C0NVRNTION NATIONAU (1793). 13
( I'homrne publie, mais le législateur serait
« cent {oís plus insensé , qui adopterait un pa-
« reil systeme, La eonventionnationale l'ab-
« horre. La convention n'est point un faiseur
« de livres et desystemes. Elle est un corps
« politique et populaire. L'athéisme est arista-
(e cratique. L'idée d'un gralld Etre, qui veille
« sur l'innocence opprimée et qui punit le
l( crime triomphant, est toute populaire. Le
{( peuple , les malheureux m'applaudissent ; si
{( je trouvais des censeurs ,ce serait parmi les
« riehes et parmi les eoupables. J'ai' été t des
/( le co1/ége, un assez mauvais catholiq ue ; je
« n'ai jamais été ni un ami froid, ni un défen-
« seur infidéle de l'humanité, Je n'en suis que
« plus attaché aux idées morales et politiquea
« que je viens de vous exposer. Si Dieu n'eaiis-
te tait pas, il faudrait I'inventer. »


Bobespierre , apres avoir fait cette profession
de foi, impute al'étrangerles persécutionsdi-
rigées contre le culte , et les calomnies répan-
duescontre les meilleurs patriotes. Rohespierre,
qui étairextrémement défiant , et qui avait
supposé les girolldins royalistes, croyait beau-
coupá la faction de l'étranger, laquelle n'était
représentée, comme nous l'avons dit , que par
quelques espions envoyés aux armées , et quel-
ques banquiers intermédiaires de l'agiotage,




14 RÉVOLUTION ),'RAN~AlS'E,
et correspondants des émigrés. « Les étrangel's,
« dit-il, out deux especes d'armées; l'une sur
« nos frontíéres ,est impuissanteet.prés de sa
« ruine, grace a nos victoires ; l'autre ~ plus
« dangereuse , est au milieu de nous. C'estune
(( armée d'espions , de fripons stipendiés , qui
« s'introduisent partout , méme au sein des
« sociétés populaires. C'est cette faction qui a
« persuadé aHébert que je voulais faire arreter
« Pache, Chaurnette, Hébert , toute la com-
« mune. Moi, poursuivre-Pache, dont j'ai tou-
« jours admiré et défendu la vertu simple et
« modeste, moi qui ai combattu pour lui contre
« les Brissot et ses complices l l) Robespierre
loue Pache et se tait sur Hébert. Il se contente
de dire qu'il n'a pas oublié les services de la
commune dans les jours oú la liberté était en
péril. Se déchainant ensuite eontre ce qu'il
appelle la faction étrangere , il fait tomber le
courroux des jacobins sur Proli, Dubuisson ,
Pereyra, Desfieux. Il raconte leur histoire, il
les dépeint comme des agents de Lebrun et de
l'étranger, chargés d'envenimer les haines, de
diviser les patriotes, et de les animer les uns
centre les autres. A la maniere dont il s'ex-
prime, on voit que la haine qu'il éprouve contre
d'anciens amis de Lebrun se méle pour beau-
conp a sa défiance. Enfin, il les fait chasser




CONVENTION NATIONALE (1793). 15
tous quatre de la société , au-bruit des plus
grands applaudissements, et il propase UlI
scrutin épuratoire poul' tous les jacobins.


Ainsi, Rohespierre avait frappé d'anathéme
le nouveau culte , avait donné une lecon sévére
a tous les brouillons , n'avait rien dit de bien
rassurant pour Hébert , ne s'était pas com-
promis jusqu'á louer ce sale écrivain, et avait
fait retomber tout l'orage sur des étrangers
qui eurent le malheur d'étre amis de Lebrun,
d'lídm~tet Dttmouriez ,et de. hlámer rnotre
systéme politique daos les pays de conqüéte.
Eníin , il s'était arrogé la reeomposition de la
société, en faisant décider qu'il y au rait un
serutin épuratoire,


Pendant les jours suivants , Robespierre
poursuit son systéme ; il vient lire aux Jaco-
bins des lettres :monymes, d'autres intercep-
tées, prouvant que l'étranger , s'il n'est pas
l'anteut des exttaváganCe& du nouveau culte,
et des ealomnles a l'égard des meilleurs pa-
triotes , les approuve an moins et les désire.
Danton avait en quelque sorte re~u d'Hébert
l'invitation de s'expliquer. Il ne le fait pas d'a-
bord , poul' ne pas obéir a une sommation;
mais quinze jours apres , il saisit une circons-
tance favorable pour prendre la parole. Il g'a-
gissait de fournir a toutes les sociétés popu-




16 lt~VOLUTION FRAN~AISJ,;
laires un local aux dépens de Tétat, íl présente
a ce sujet diverses observations, et en prend
occasion de dire que si la constitution doit étre
endormie pendant que le peuple frappe et
épouvante les ennemis de ses opérations révo-
lutionnaires, il faut cependant se défier de
ceux qui veulent porter ce mérne peuple au-
delá des bornes de la révolution. Coupé de"
l'Oise réplique aDanton, et dénature ses idées
en les eombattant. Danton remonte aussitót a
la trihune , et essuie des murmures. l1 somme
alors ceux qui ont eontre lui des motifs de dé-
fiance de préciser leurs accusatious , afin qu'il
puisse y répondre publiquement. Il se plaint
de cette défaveur qui se manifeste en sa pré-
sence. « Ai-je done perdu, s'écrie-t-il, ces
el traits qui caractérisent la figure d'un homme
« libre?» Et en proférant ces mots, il agitait
eette tete qu'on avait tant vue, tant rencontrée
dans les orages de la révolution " et qui avait
toujours soutenu l'audace des républicains et
jeté la terreur chez les aristocrates, «Ne suis-je
« plus, ajoute-t-il , ce meme homme qui s'est
« trouvé avos cótés dans tous les moments de
« erise? Ne suis-je plus cet homme tant per-
l( sécuté, tant connu de vous; cet homme que
« vous avez si souvent embrassé comme votre
« ami, et avee lequel vous avez fait le serment




CONVENTION NATIONALt~ (179 3). 17
« de mourir dans les mérnes périls?» 11 rappelle
alors qu'il fut le défenseur de Marat, et il est
ainsi obligé de se couvrir de l'ombre de cet
étre , qu'il avait autrefois protégé et dédaigné.
« Vous serez étonné , dit-il , quand je vous
« ferai connaitre ma conduite privée , de voir
« que la fortune colossale que mes ennemis et
( les vótres m'ont prétée , se réduit a la petite
« portion de bien que j'ai toujours eue. Je dé-
te fie les malveillantS defournir aucune preuve
.« contre moi, Tous Ieurs efforts De pourront
« m'ébranler. Je veux rester debout en face du
« peuple; vous me jugerez en sa présence. Je
«( ne déchirerai pas plus la page de mon his-
« toire que vous ne déchirerez la vótre.... »
Danton demande, en finissant, une commission,
pour examiner les accusations portées eontre
lui. Robespierre s'élance alors 11 la tribune
avec un empressement extreme. ( Danton ,
« s'écrie-t-il , vous demande úne commission
« pout examiner saconduite ; j'y consens , s'il
« pense que eette mesure Iui soit utile. II veut
« qu'on préeise les griefs portés centre lui;
« eh bien! je vais le faire. Danton, tu es accusé
« d'avoir émigré. On a dit que tu avais passé
« en Suisse; que ta maladie était feinte pour
« cacher au peuple ta fuite ; on a dit que ton
( ambition était d'étre régent sous Louis XVII;


VI. 'J.




J 8 RÉVOLUTION E'RAN~AISF:.
(( qu'a une époque déterminée tout a été pré-
( paré pour proclamar ce rejeton des Capets ;
(( que tu étais te, chef de la conspiration ; que
« ni Pitt , ni Cobourg, ni l'Angleterre, ni l'Au-
« triche, ni la Prusse, n'étaient nos véritables
( ennemis , mais que c'était toi seul; que la
« Montagne était eomposée de tes complices;
(( qu'il ne fallaít pas s'occuper des agents en-
( voyés par les puissances étrangeres , que leurs
« oonspirations étaierrt des fables dignes de
« mépris ; en un mot, qü'il faUait t'égorger toi ,
«: toi seulL...» Des applaudissements universels
couvrent la voix de Robespierre. II reprend :
( Ne sais-tu pas, Dan ton, que plus un homme
« ade courage et de patriotisme, plus les en-
« nemis de la ehose publique s'attachent a sa
« perte? Ne sais -tu pas et ne saves-vous pas
( tous , citoyens, que cette méthode est infail-
« lible? Eh! si le défenseur de la liberté n'était
oc pas caliomnié, ce serait llnepteuveque nous
« n'aurions plus ni nobles, ni prétres a corn-
( battre l )) Faisant alors allusion aux feuilles
d'Hébert , oú lui , Bohespierre , était fort loué ,
il ajoute : « Les ennemis de la patrie semblent
(e m'accabler de louanges excIusivement. Mais
« je les répudie. Croit-on qu'á coté de ces élo-
( ge~ que ron répete dans certaines {euilles,
( je ne voie pas le coutean avee lequel on a




CONVENTION NATIONALE (1793). 19
te voulu égorger la patrie? La cause des pa-
« triotes est comme celle des tyrans; ils sont


(1 tous solidaires. Je me trompe peut-étre 'Sur
11 Danton; mais, vu dans sa famille, il ne mé-
l( rite que des éloges. Sous les rapports politi-
11 ques, je l'ai observé; une différence d'opinion
11 me le faisait étudier avec soin, souvent avec
11 colere ; il nes'est pas assez háté , je le sais ,
« de soupc,;onner Dumouriez ; il n'a pas assez
« haíBrissot et sescomplices; mais s'il n'a pas
« toujours été de mon avis, en conclurai-je
« qu'il trahíssait la patrie? Non, je la lui ai
11 toujours vu servir avec zele, Danton veut
« qu'on le juge;il a raison. Qu'on me juge aussi!
11 qu'ils se présentent ces hommes qui sont plus
u: patriotes que nous, Je parie que ce sont des
11 nobles, des privilégiés, des prétres. Vous
11 y trouverez un marquis, et vous aurez la
11 juste ~esu~e du patriotisme des gens qui
11 nous accusent. »


Robespierre demande ensuite que tous eeux
qui ont quelque reproche a faire a Danton,
prennent la parole. Personne nel'ose. Momoro
lui-méme , l'un des amis d'Héhert , est le pre-
mier as'écrier que, personne ne se presentant,
c'est une preuve qu'il n'y a rien a dire contre
Danton. Un membre demande alors que le
président lui donne l'accolade fraternelle, On


2.




20 nÉVOLUTION J<'RAN~AISJ'.
y consent, el DanlOIJ, s'approchant du bnreau,
recoit l'accolade au milieu des applaudisse-
ments universels,


La conduite de Robespierre dans cette cir-
constance avait été généreuse et habile. Le
danger commun a tous les' bons patriotes,
l'ingratitude qui payait les services de Danton ,
enfin une supériorité décidée , avaient arraché
Robespierre a son égolsme habituel; et, eette
fois, plein debons sentiments, il avait été
plus éloquent qu'il n'était donnéa sa nature
de l'étre. Mais le service qu'il rendit aDanton
fut plus utile a la cause du gouvernement et
des vieux patriotes qui le composaient , qu'a
Danton lui - mérne , dont la popularité était
perdue. On ne refait pas l'enthousiasme, et on
ne pouvait pas présumer encore d'assez grands
dangers publics pour que Danton trouvát ,
par son courage, le moyende regagner son
influenee. .


Robespierre, poursuivant son ouvrage, ne
manquait pas d'étre présent achaque séance
d'épuration. Le tour de Clootz arrivé, on l'ac-
cuse de liaisons avec les banquiers étrangers
Vandeniver. n essaie de se justifier ; mais Ro-
bespierreprend la parole, Il rappeUe les liai-
son s de Clootz avec les girondins, sa l'Upture
avec eux par un pamphlet intitulé: ni Roland




CONVENTJONN AlION ALE (1793 J. 21
ni Marat, pamphlet dans lequel il n'attaquait
pas moins la Montagne que la Gironde, ses
exagérations extravagantes, son obstination a
parJer d'une république universelle, ainspirer
la rage des conquétes , et a compromettre la
France aupres de toute l'Europe. « Et comrnent
« M. Clootz, ajoute Robespierre, pouvait-il
« s'intéresser si fort au bonheur de la France,
« lorsqu'il s'intéressait si fort au bonheur de la
« Perse el du Monomotapa? Il est une derniere
ce ceise dont il pourra se vanter. Je veux parler
« du mouvement contre le culte, mouvement
(l qui, ménagé avec raison et lenteur, aurait
« pu devenir exceIlent, mais dont la violence


. « pouvait entrainer les plus grands malheurs...
« M. Clootz eut avec l'évéque Gobel une con-
« férence de nuit.... Gobel donna parole pour
« le lendemain, et il vint, changeant subite-
« meut de langage et d'habit , déposer ses let-
« tres de prétrise... M. Clootz croyait que nous
« serions dupes de ces mascarades.vN01), non;
« les jacobins ne regarderont jamais comrne
« un ami du peuple ce prétendu sans-culotte ,
« qui estPrussien et baron, qui possede
« cent mille livres de rentes, qui dine avec les
« banquiers conspirateurs, et qui est, non pas
« I'orateur du peuple francais , mais du genre
« hurnain. »




~2 RÉVOI.llTION FRANI1AISE.
Clootz fut exclu sur-le-champ de la société;


et, SUl' .la proposition de Robespierre, 00 dé-
cida qu'00 chasserait saos ,distinetion tous
les nobles, les prétres , les banquierset les
étrangers,


AJa séance suivante vint Jetour de Camille
Desmoulins. .On lui reproehait sa lettre aDil-
Jon ; et un mouvement de sensibilité en favenr
des girondins. «J'avais , dit Camille ,j'avais eru
« Dillon brave et habite, et je l'ai défendu,
« Quant auxgiron<li(J~;j-'éJ:ais. á leur égard dans
« uneposition particuliere. J'ai toujours aimé
« et serví la répubJique, mais je me suis sou-
«<vent trompé sur ceux qui la servaient; j'ai
« adoré Mirabeau ; j'ai chériBarnave et les
« Lameth ; j' en couviens ; mais j'ai sacrifié mon
« amitié et mon admiration desque j'ai su
« qu'ils avaientcessé d'étre jaeobins. Une fata-
« Jité bien marquée a voulu que de soixante té-
« volutionaaires qui avaient signé mon contrat
« de mariage , il ne me restát plus que deux
« amis , Danton et Robespierre. Tous les au-
« tres sont émigrés ou guillotinés. De ce nombre
« étaient sept des, vingt-deux. Un mouvement
« de sensibilité était done bien pardonnable en
« cette occasiou. J'ai dit , ajoute Desmoulins ,
« qu'ilsmouraient en républicains , mais en
« républieains fédéralistes; cal', je vous l'assure,




CONVENTION NATIONALE (1793). :d
« je ne erois pas qu'il y eüt beaucoup de roya-
(( listes parmi eux. »


On aimait le caractere facile, l'esprit naif et
oráginal de Camille Desmoulias. (( Camille a
«mal choisi ses amis, s'écrie un jacobin ; prou-
« vons-Iui que nous savons rnieux choisir les
« nótres en le recevant avec empressement.x
Robespierre., toujours protecteur de ses vieux
coHegues, mais en gardant cependant un ton
de s1¡lpériorité, .défend Camille Desmoulins.
~Ill est ·fa¡hle~ ~91l6.a~t,dit-il,mais il a tou-
« jours été répub!Íl<;aÍJ.1. llaaimé MiJ'aheau,
(( Lameth , DiUon; mais il a lui - méme brisé
« ses idoles des qu'il a été détrompé, Qu'il
« poursuive sa carriere et soitplus réservé a.
(( l'avenir. j) Aprés ces avis, Camille est admis
au milieu des applaudissements, Danton est
ensuite admis saos aucune observation. Fabre-
d'Églantine l'est a son tour, mais il essuie
quelquesqu~stipQSsur safortune, qu'envent
bien attrihuer a ses talents lit~raWes.Cétte
épuration fut poursuivie , et devint fort longue.
Commencée en novembre 1793 ,elle dura
plusieurs mois,


La politique de Rohespierre et du gouver-
nement était bien connue. L'énergie avec la-
quelle cette politique avait -étémanife~ée,
mtimida les brouillons , promoreurs al! nou-




24 RÉVOLUTION FRANljAISE.
veau culte, et ils songerent ase rétracter, et a
revenir sur lenrs premieres démarches. Chau-
mette, qui avait la faconde d'un orateur de
club OH de commune , mais qui n'avait ni l'am-
bition ni le courage d'un chef de parti, ne
prétendait nuUement rivaliseravee la conven-
tion et se faire le eréateur d'un nouveau culte;
il s'empressa done de chercher une occasion
pour réparer sa faute. Il résolut de faire in-
terpréter l'arrété qui fermait tous les temples,
et il proposa ala commune de déclarer qu'elle
ne voulait pas generla liberté religieuse, et
qu'elle n'interdisait pas aux divers partisans
de ehaque religion le droit de se réunir dans
des lieux payés et entretenns a leurs frais.
« Qu'on ne prétende pas, dit-il , que c'est la
(( faiblesse ou la poli tique qui me font agir; je
( suis également incapable de I'une ou de l'au-
« treo C'est la conviction que nos ennemis veu-
( lent abuser de notre zele pour lepousser au-
( dela des bornes, et nous engager dans de
« fausses démarches ; c'est la conviction que
( si nous ernpéchons les catholiques d'exercer
« leur culte pnbliquement et avec l'aveu de
(( la loi, des étres bilieux iront s'exalter OH
(( conspirer dans les cavernes; e'est cette con-
« viction qui seule m'inspire el me fait parlero »
L'arrété proposé par Chaumette , et fortement




CONVRNTION NATIONALE (1793). 25
appuyé par le maire Pache, fut enfin adopté
arres quelques murmures bientót couverts par
de nombreux applaudissements. La con ven-
tion déc1ara de son coté qu'elle n'avait jamais
entendu par ses décrets gener la liberté reli-
gieuse, et elle défendit de toucher a l'argeu-
terie qui restait encoré dans les églises, vu
que le trésor n'avait plus besoin de ce genre
de secours. Des ce jour, les farces indécentes
que le peuple s'était permises cesserent dans
Páris, elles pOlnpes' du culte de la Raison ,
dont il s'étaittant diverti, furent abolies.


Le comité de salut public, au milieu de cette
grande confusion, sentait tous les jours davan-
tagela nécessité de rendre l'autorité plus forte,
plus prompte et plus obéie. Chaque jour, l'ex-
périence des obstacles le rendait plus habile,
et il ajoutait de nouvelles pieces a cette ma-
chine révolutionnaire, créée pour la durée de
la guerreo Déja il avait empéché la transmis-
sion du pouvoir ades mains nouvelles et inex-
périmentées, en prorogeant la convention, et
en déclarant le gouvernement révolutionnaire
jusqu'á la paix. En méme temps, ji avait con-
centré ce pouvoir dans ses mains en mettant
sous sa dépendance le tribunal révolution-
naire, la police , les opérations militaires, el
la distribution mérne des subsistances. Deux




26 IU¡VOLUTION }'JlAN<';:AISE.
mois d'expérience lui firent sentir les obstacles
que les autorités locales, soit par exces ou dé-
faut de zele , faisaient éprouver a I'action de
l'autorité supérieure. L'envoi des décrets était
souvent interrompu ou retardé, et leur promul-
gation négligée dans certains départements,
11 restait heaucoup de ces administrations Ié-
déralistes qui s'étaient insurgées, et la faculté
de se coaliser ne leur était pas encore interdite,
Si, d'une part, les administrations de departe-
ment présentaient quelquedanger de' fédéra-
lisroe ,les communes, au contraire , agissant en
sens opposé , exercaient , a 1'imitation de celle
de París, une autorité vexatoire, rendaient des
lois , imposaient des taxes ; les comités révolu-
tionnaires déployaient contre les personnes
un pouvoir arbitraireet inquisitorial; des ar-
mées révolutionnaires, instituées dans diffé-
rentes localités, complétaient ces petits gou-
vernemeuts particuliers , tyranniques, désunis
entre eux, et emharrassants pour le gouver-
nernent supérieur. Enfin l'autorité des repré-
sentants , ajoutée a toutes les autres, augmell-
tait la confusion des pouvoirs souverains ; cal'
les représentants levaient des impóts, rendaient
des lois pénales, comme les communes et la
convention elle-méme.


Billaud-Varennes , dans un rapport mal écrit,




CONVENTION N ATION A.LE (1793). 27
mais habile , dévoila ces inconvénients , et fit
rendre le décret du 14 frimaire an II ( 4 dé-
cembre), modele du gouvernement provisoire ,
énergique et absolu . .L'anarchie , dit le rap-
portellr, menace les républiques a leur nais-
sanee et dans leur vieillesse. Táchons de nous
en garantir. Ce décret instituait le Bulletin des
Lois , belle et neuve invention dont on n'avait
pas encore eu l'idée ; cal' les lois envoyées par
l'assemblée aux ministres, par les ministres
auxautorités .loeales, ·sans ·délai$fi~és .. sans
proces-verhaux qui garantissent leurenvoi QU
leur arrivée, étaient souvent rendues depuis
long-temps, sans étre ni promulguées , ni con-
nues. D'aprés le nouveau décret , une commis-
sion, une imprimerie , un papier particulier,
étaient consacrés al'impression et al'envoi des
lois. La commission , formée de quatre indivi-
dus indépendants de toute autorité , libres de
tout autre soin, recevaient la loi ,la faisaient
imprimer, l'envoyaientpar la poste dans des
délais fixés et invariables. Les envois et les re-
mises étaieut constatés par les moyens ordi-
naires de la poste; et ces mouvements, ainsi
régularisés, devenaient infaillibles, La conven-
tion était ensuite déclarée centre d' im¡Jl:tIsion da
goupernemcnt. Sous ces mots, on cachait la
souveraineté des comités, qui faisaieut tout




28 RÉVOLUTION FRAN(;AISE.
pour la convention. Les autorités de departe-
ment étaient enquelque sorte abolies; Oll leur
eulevait toute attribution politique, on ne Ieur
abandonnait, comme au département de Paris
11 l'époque du 10 aoüt , que la répartition des
contributions, l'entretien desroutes , enfin les
soins purement économiques. Ainsi, ces ínter-
médiaires trop puissants entre le peuple el
l'autorité supréme , étaient supprimés, On ne
laissait exister, avec toutes leurs attributions,
que les administrations de district et decom-
mune. Il étaitdéfendu a toute administration
locale de se réunir a d'autres , de se déplacer,
J'en voyer des agents, de prendre des arrétés
extensifs OH limitatifs des décrets , de lever des
impóts ou des hommes. Toutes les armées ré-
volutionnaires établies dans lesdépartements
étaient licenciées, et il ne devait subsister que
la seule armée révolutionnaire établie a Paris
pour le service de toute la république. Les co-
mités révolutionnaires étaient obligés de cor-
respondre avec les districts chargés de les SUl'-
veiller, et avec le comité de süreté générale.
Ceux de París ne pouvaient correspondre qu'a-
vec le comité de süretégénérale , et pointavec
la commune. Il était défendu aux représentants
de lever des taxes , a moins que la convention
ne les autorisát , et de portcl' des lois pénales.




CONVENTION NATION Al.E (1 793). 29
Ainsi, toutes les autorités étant ramenées


rlans leur sphére , leur conflit ou leur coalition
devenaient impossibles. Elles recevaient les lois
d'une maniere infaillible; elles nc pouvaient
ni les modifier ni en différer l'exécntion. Les
deux comités conservaient toujours leur domi-
nation. Celui de salut public , outre sa supré-
matie sur le comité de su reté générale, conti-
nuait d'avoir la diplornatie , la guerre el la
surveillance universelle de toutes choses. Seul
désormais, il pouvait s'appeler:comilé de salut
publico Aucun comité dans les cornmunes ne
pouvait prendre ce titre.


Ce nouveau décrct sur i'institution du gou-
vernement révolutionnaire , quoique restrictif
de I'autorité des communes, et rendu méme
contre leurs abus de pouvoir , fut rec,;u par la
commune de Paris ave e de grandes démons-
trations d'obéissance. Chaumette, qui affectait
la docilitécomme le patriotisme, fit un long
discours en l'honneur du décret, Par son mal-
adroit empressement a entrer dans le systéme
de I'autorité supérienre, il donna méme une
occasion de se faire réprimander; et il eut l'art
de désobéir en voulant trop obéir. Le décret
mettait les comités révolutionnaires de París
en communication directe et exclusive avec le
comité de súreté générale. Dans leur zele fou-




30 nÉvOLUTJON FRA.N~AISE.
guenx, ils se permettaient des arrestations en
tout sens; on les accusait d'a.voirfait incarcé-
rer une foule de patriotes, et d'étre composés
d'hommes qu'oncommencait a appeler ultra-
réoolutionnaires. Chaumette se plaignit au con-
seil général de leur condnite, et proposa de
les convoquer a la commune, ponr leur faire
une admonition sévere. La proposition de
Chaumette fut adoptée. Mais celui-ci , avec son
ostentation d'obéissance, avait oubliéque,
d'aprés le nouveau décret, les comités révolu-
tionnaires de Paris ne devaient correspondre
qu'avec le comité de súreté générale. Le co-
mité de salut public ne voulant pas plus d'une
obéissance exagérée que de la désobéissance,
peu disposé surtout asouffrir que la commune
se permit de donner des lecons , méme bon-
nes, a des comités placés sous l'autorité su-
périeure, fit oasser I'arrété de Chaumette, et
défendre auxcomités de se réunir a la com-
mune, Chaumette recut eette correction avec
une soumission parfaite. « Tout homme, dit-
il a la eommune, est sujet a l'erreur. Je con-
fease franchement que je me suis trompé. La
convention a cassé mon réquisitoire et l'arrété
que j'avais fait prendre; elle a fait justice de la
faute que j'avaís eommíse; elle est notre mere
cornmune , unissons-nous aelle.. (19 frimaire.)




CONVENTION NATIONALE (1793). 31
Ce n'est qu'au moyen de eette énergie que


le comité pouvait parvenir a arréter tous les
mouvements désordonnés, soit de zéle , soit
de résistance, et a produire la plus grande
précision possible dans l'action du gouverne-
mento Les ultra- révolutionnaires; eompromis
et réprimés depuis leurs manifestations contre
le culte , essuyerent une nouvelle répression,
plus sévere que les précédentes. Ronsin était
revenu de Lyon, oú il avait accompagné Collot-
d'Herbois avecun détáchement de I'armée ré-
volutionnaire. JI était arrivé aParis au moment
oú le hruitdes sanglantes exécutions cornmi-
ses a Lyon excitait la pitié. Ronsin fit placar-
del' une affiche qui révolta la convention. Il y
disait que sur lescent quarante mille Lyonnais,
quinze centsseulement n'étaient pas complices
de la. révolte, qu'avant la fin de frimaire tous
les. coupables auraient péri, et que le Bhóne
aurait roulé learséadavres jusqu'a Toulon. On
citait de lui d'autres propos atroces; 00 parlait
beaucoup du despotisme de Vincent dans les
hureaux de la guerre , de la conduite des agents
ministériels dans les provinces, et de leur ri-
valité avec les représentants. On répétait des
mots échappés aquelques-uns d'entre eux ; an-
noncant encore le projet de faire organiser
constitutionnellernent le pouvoir exécutif. L'é-




32 UÉVOLUTIONFUANYAISE.
nergie que Bobespierre et le comité venaient
dedéployer encourageait ase prononcer centre
ces agitateurs. Dans la séance du 27 frirnaire
( 17 décembre), on commence par se plaindre
de certains comités révolutionnaires. Lecointre
dénonce l'arrestation d'un courrier d~ comité
de salut public par I'un des agents du minis-
tere. Boursault dit qu'en passant a Longju-
meau, il a étéarrété par la commune, qu'il a
fait connaitre sa qualité de député , et que cette
commuuea voulu néanmoins que son passe-
port futlégalisé par J'agent du conseil exécutif
présent sur les lieux. Fabre-d'ÉglanIíne dé-
nonce MaiUard, le chef des égorgeurs de sep-
tembre, qui a été envoyé en mission a Bor-
deaux par leconseil exécutif, tandis qu'il
devrait étre expulsé de partout ; ildénonce
Honsin et son affiche, dont tout le monde a
frérni ; il. dénonce enfin Vincent , qui aréuni
tous les pouvoirs dans les bureaux de Ia guerre,
et qui a dit qu'il ferait sauter la convention,
ou la forcerait a organiser le pouvoir exécutif,
parce qu'iJ ne voulait pas étre le valet des
comités. La convention met aussitót en état
d'arrestation Vincent , secrétaire-général de la
guel're, Ronsin , général de l'armée révolution-
naire, Maillard, envoyé a Bordeaux, trois au-
tres agents du ponvoir exécutif donl on signale




CONVENTION NATIONHE (1793j. 33
encoré les vexations a Saínt-Girons, et un
nommé Mazuel , adjudant dans l'armée révolu-
tionnaire, qui adit que la eonvention conspi-
rait , et qu'il craeherait au visage des députés.
La conveution porte ensuite peine de mort
contre les officiers des armées révolutionnai-
res, illégalement formées dans les provinces,
qui ne se sépareraient pas sur-le-champ, Elle
ordonne enfin que le conseil exécutif viendra
se justifier le lendemain.


, Cet acte d'énergie causa une grande douléur
aux CordeJiers, et provoqua des explications aux
Jacobíns. Ces derniers ne se prononcérent pas
encoré sur le compte de Vincent et de Ron-
sin, mais ils demanderent qu'il fút fait une
enquéte pour constater la nature de leurs torts.
Le conseil exécutif vint se justifier tres -hum-
blement a la convention; il assura que son
intetitiou n'avait point été de rivaliser avec la
représentation nationale, et que I'arrestation
des courriers, les difficultés essuyées par le re:
présentant Boursault , ne provenaient que d'un
ordre du comité de salut public lui-méme ,
ordre qui enjoignait de vérifier tous les passe-
ports et toutes lesdépéches. .


Tandis que Vincent et Ronsin venaient d'étre
incarcérés comme ultra - révolutionnaires, le
comité sévit en méme tempscontre le parti des


VI. '3




34 nÉVOLUTION FRA.N~AlSE.
équivoques el des agioteurs. Il mil en arres-
tation Proli , Dubuisson , Deffieux, Pereyra,
accusés d'étre agents de L'étranger et eomplices
de tous les partís. Enfin, il :6t enlever, au mi-
lieu de la nuit , les quatre députés Bazire ,
Chahot, Delaunay d'Angers etJulien de Tou-
loase , accusés d'étre modérés, et d'avoir fait
une fortune subite,


00 a déja vu L'histoire de.l'association clan-
destine de ces représentants , el du fans qui en
avait~té la snite, 00 a vu que Chabot, déja
ébranlé , se préparait adénoncer ses collégues,
et a rejeter tout sur eux, Les bruits qui. con-
raient sur son mariage, les dénonciations
qu'Héhert répétait chaqae jqur , achevérent de
l'intimider , et il eourut tout dévoiler aRobes-
pierre. n prétendit qu'i1 n'avait eu d'autre pro-
jet, en.e.ntrant daos .le. complot, q1lle. celui de le
suivre et de le révéler ; il attríhua ce complot
a l'étranger.,qlli voulait, disait-il , corrompre
les députés POUr avilin la représen.talÍon natío-
nale, et qui se servait ensuite d'Hébert et de ses
complices pour les diffamer apres les avoir cor-
rompus. Il y avait ainsi , selon lui , deux bran-
ches dans laconspiratíon , la branche corFup-
triceet.la branche diffamatrice, qui toutes deux
se concertaient pour déshonorer et dissoudre
la convention. La partieipation des banquiers




CONVENTION NATlONALE (1793). 35
étrangers acette'intrjgtle, les propos de Julien
de Toulouse et de Delaunay, qui disaienrque la
convention finirait bientót par se dévorer-elle-
meme , et qu'il fallait faire Eortune.íie plus, tot
possible, quelquesliaísons de la, femme d'Hébert
avecles maltresses de Julienée Toulouse el-de
Delaunay, servirenta Chabot de ID(,):Y(tllspour
étayer eette fable d'une conspieation a deux
beanehes, dans laquelle les corrupteurs et les
diffamateuI'S' s'e!ltendaient secrétemenppour
al'tiver aUI m~e buu Chab:ot eut cepeMant
un reste-de screpnle, et justiñaB:nire. ComllJe
il avait été le corrupteur de Fabre, et qu'il
s'exposair a une dénoneiation de: celui-ci en
l'accusant, il prétendit que ses offres avaient
été rejetées , et que les cent mille franes en
assignats, suspendas avee un; 61 dansdes lieux
d'aisance, étaient I~S' cene miUe franes destinés
ivFa~, et refusés' par lui, ces. fables-de ella-
botttJ-a~ient sueuneapparencede1~',caI'
il eút été bien plus natnreIl,eo¡ entrant· dans
la conspiratien pour la déeouvrir , d'en préve-
nir quelques membres de l'un ou l'autre co-
mité, et dedépeser l'aegent dansleurs mains.
Bobespierre renvoya; Chabot au:comité de su..
reté générale , qui lit' arréter daos. la nuinles
députés désignés, Julien de Toulouse parvint


3.




36 nÉVOLUTION FRAN~AISL
as'évader j Bazire, Delaunay etChabot, furent
seuls arretés ",


La découverte de cette trame honteuse causa
une grande rumeur, el confirma toutes les ca-
lomnies que les partís clirigeaient les uns contre
lesautres. 00 répandit plusque jamais le bruit
d'une faction étrangere , corrompant les pa~
triotes, les excitant aentraver la marche de la
révolution , lesuns par une modération intem-
pestive, et les autres par une exagération folle,
par· des diffamations continuelles , e~ par une
odieuse profession d'athéisme, Cependant qu'y
avait-il de réel dans toutes ces suppositions P
D'un coté, des hommes moins fanatiques, plus
prompts a s'apitoyer sur les vaincus, et plus
susceptibles par cette méme raison de céderá
l'attrait du plaisir et de la corruption j d'un
autre coté, des hommes plus violents et plus
aveugles, s'aidant de la partie basse du peuple,
poursuivant de leurs reproches ceux qui ne
partageaient pas leur insensibilité fanatique,
profanant les vieux objets du culte, sans ména-
.gement et sans décence; au milieu de ces deux
partís, des banquiers, profitant de toutes les
erises pour agioter j quatre députés sur sept
eent cinquante, se. laissant eorrompre et deve-


• 27 hrumaire (17 novembre).




CONVENTION NA.TIONALE (J 793). 37
nantles cómplices de cet agiotage; enfin quel-
ques révolutionnaires sinceres, mais étrangers,
suspects a ce titre, et se compromettant par
l'exagération méme, ala faveur de laquelle ils
voulaient faire oublier leur origine : voilá ce
qu'il y avait de réel , et il n'y avait la rien que
de trés-ordinaire , rien qui exigeát la supposi-
tion d'une machinalion profonde.


Le comité de salut public, voulant se placer
au-dessus des.partis , résolut de les frapper et
de les 6,ttrir tous, et pour cela i] chercha a
montrer qu'ils étaient tous eomplices de l'é-
tranger. Robespierre avait déjá .dénoncé une
faction étrangere , a laquelle son esprit défiant
lui faisait ajouter foi. La factiog turbulento
conlrariant l'antorité supérieure, et déshono-
rant la révclution, il l'accnsa aussitót d'étre
eomplice de la faction étrangere ; cependant il
ne dit rien encore de pareil contre la faction
modérée , il la -défendit meme , comme on l'a
VU, dans la personne de Danton. S'il la ména-
geait encore, c'est qu'elle n'avait rien fait jus-
que-la qui pút contrarier la marche de la ré-
volution, c'est qu'elle ne formait pas un partí
opiniátre et nombreux comme les aneiens gi-
rondins, et qu'elle se eomposait tout au plus
de quelques individus isolés qui désapprou-
vaient les extravagauces ultra-révolutionnaires,




38 :nÉVOLUrION FRAN~AJS.E.
Telle était la"'uatiOJldesp.antl~",~Ja .poli-


tique Aia 'eomitéde;~~ puhlie·a'letJl'~,
en (riaiaine anU-(décembre 1'793). Tandijj~ll'il
se servait del'autoritéaNee ,tant ,de f'Q~, el
ach~~ de compléter a l'intériew& iUláebwe
du .~oir révoletiennaire , ilftéploy:ñt l\lOe
égale energieaudehQn,1Ct assuraitle -salut de
la révolutionpar desvictoires oéclatantes.


,o'


.....-


.~


"


'f.




CONVENTION NATJONALE (1793). :19


CHAPITRÉ 11.


~..-


Fin de la campagne dé 1793. Manreuvré de Bo~he dans
les Vosges. Retraite des Autrichiens et des Prussiens,
Déblocus de Landau, - Opérations a l'armée d'Italie,
- Si~ge et prise de Toulon par l'armée républiéaiae,
- Derniers combats et échees aux Pyrénées. - Excnr-
$ion des Vendéens au-delá de la Loire. Nombreux com-
bats; ééhecs de l'arméerépublicaine, Défaite des Ven-
déens au Mans,edeul' destrucrion complete aSavénay .


.. .-.c Cl>UP d'reil gébéral Sur la eampagne' de 1793l.
;~, ,


L caU:pagJle de 1793 s'achevait sur tou1lesles
frontiéres de la maniere la plus brillante el: la
plus heureuse. Dans la Belgiquei.on avait enfin
pris leparti d'entrer dans les> qaartiers d'hivel',
malgré leprojet du comité de salut publíc, q~
avait voulu-profiter de la;victoire de Wa,tignieS!
pour 6~0pper l'ennemi entre l'Esoaue el la
San1b:ue~~ Amsi, sur ce point , les événements




40 nÉVOLUTlON FRA.N~.USJ::.
n'avaient pas changé, et les avantages de Wa-
tignies nous étaient restés.


Sur le Rhin; la campagnes'était beaucoup
prolongée par la perte des lignes de Wissern-
bourg, forcées le 13octobre (22 vendémiaire).
Le comité de salut public voulait les recouvrer
a tout prix, et débloquer Landan, comme il
avait débloqué Dunkerque et Maubeuge. L'état
de nos départements du Rhin étaitune raison
de se ha ter, et d'en éloigner l'enuemi.il.e pays
des Vosges était singulierement empreint de
l'esprit féodal; les prétres et les nobles y avaient
conservé une grande influence; la langue fran-
caise y étant peu répandue, les nouvelles idées
révolutionnaires n'y avaient presque pas péné-
tré; dans un grand nombre de comrnunes , les
décrets de la convention étaient inconnus; plu-
sieurs manquaient de comités révolutionnaires,
et, dans presque toutes, lesémigrés circulaient
impunément. Les nobles de l' Alsaceavaient
suivi J'armée de Wurmseren foule , et se ré-
pandaient depuis Wissembourg jusqu'aux en-
virons de Strasbourg. Dans cette derniere ville,
on avait formé le complot de livrer la place a
Wurmser. Le comité de salut public y envnya
aussitótLebaset. Saint-Just, pour y. exercer la
dictatureordinaire des commissairesdéda con-
vention. Il nomma le jeune Hoche ,.qui s'était




CONVJl.NTlON NATlONALE (I7Sl3). [I[
si fort distingué au siége de Dunkerque, gé-
néral de l'armée de la Moselle; il détacha de
l'armée oisive des Ardennes une forte división,
qui fut partagée entre les deux armées de la
Moselle et du Rhin; enfin il fit exécuter des
levées en masse dans tous les départements
environnants , et les dirigea sur Besaneon, Ces
nouvelles levées occuperent les places fortes,
et les garnisons furent portées en ligne. Saint-
JUS! déploya a Strasbourg tout ce qu'il avait
<fénergie etd'intelligence. Il fit trembler les
malintentionnés i livra a une commission ceux
qu'on soupeonnait d'avoir voulu livrer Stras-
bourg, et les fit conduire a l'échafaud. Il
cornmuniqua aux généraux et aux soldats une
vigueur nouvelle, il exigea chaque jour des
attaques ~ur toute la ligne, afin d'exercer nos
jeunes conscrits. Aussi brave qu'impitoyable,
ilallait.Iui-méme au feu , et parlageait tous les
dangersdela guerreo Un grand enthousiasme
s'était emparé de l'a'rmée; et lecrLdes soldats,
qu'on enflammaitde l'espoir de recouvrer le
terrain perdu, leur cri était : Landau ou la
mort l


La véritable maneeuvre a exécuter sur cette
partie.des frontieres , consistait toujours a ré-
unirles deux armées du Bhin et de la Moselle,
et d'opérer en masse sur un seul versant des




4~ RÉVOLUTION FRAN~AISE.
Vosges. Pour cela,il fallaitrecouvrer les pas-
sages qui coupaient la ligne des moptagnes , et
que nous avions perdus depuis que Brunswick
s'était porté aucentre des Vosges, et Wurmser
sous les murs de Strasbourg. Le projet du co-
mité était formé: il voulait s'emparer de la
chaine méme, pour séparer les Prussiens des
Autrichiens. Le jeune Hoche, plein detalent
et d'ardeur, était chargé d'exécuter ce plan, et
ses premiers mouvements a la tete de I'armée
de la Moselle fiaent espérer les plus énergiques
déterminations. . "-:


",. <,


Les Prussiens., pour assurer leur position,
avaient voulu enlever par une surprise le chá-
teau de Bitche , placé au milieu méme des Vos-
ges. Cette tentatise fut déjouée par lavigilan~
de la garnison ,qui.t~couru~ a t~Ín~ s~r les'
remparta; et Brllnswlck, soit qu'il fu't décon-
certé par ce '1léfau, de. succes , soit .qu'illiedou-
tal l'activité et l'énergie: de Hoche , .soit -'au5si
qu'il fUt méC\ntent de Wuimser, avec lequel il
ne vivait pas d'accord, se retira d'ahord aBi-
singen, surja ligne de I'Erbach, puis a, Kay-
serlautern , au centre des Vosges. Il n'avaiepas
prévenu Wurms.er .~If~ ce mouvement rétro-
gr:\de,'et.; \abdis:qn.e celui-ci se 1Irouvaitl engagé
sur le versan!; oeieatal, preSflue á la'ha uteur de
Strasbourg, Brunswick, sur le versant occiden-




CONVENTION NATIONALE {179:1). 43
tal, se trouvaitméme en arriere de Wissem-
bourg, et ápeu presa la hauteur de Landau.
Hoche avait suivi Brunswick de tres-pres dans
son mouvement rétrograde ; et, aprés avoir
vainemént essayé deI'entourer a Bisingen, et
méme de le prévenir aKayserlautern, il forma
le projet de l'attaquer aKayserlautern méme ,
quelque grande que füt la difficúlté des lieux.
Hoche avait enviren trente mílle hommes; il se
battit les 2~, '29 et 30 novembre; mais les lieux
étáieDt p~u .connus et peupraticables. Le pre-Jíl~e\.-jOUF, le général Am'bert,quicommandait
la ga,t1che, se trouva éngagé, tandis que Hoche ,
au centre. cherchait sa route; le jour suivant ,
Hache se trouvait seul ea présence de l'en-
nemi , tandis qu'Amhert s'égarait -dans les
montagnes. Gráce aux difficultés des Iieux , a
sa f()rce et a' l'avantage de sa positíon , Bruns-
wick@Ut'un sucees completo nne perdit qu'en-
viro a douse hommes; Hoche f&t 'obligé de se
retirer -avee -une 'perte &''en-vi('on ·tf-óis- mille
homnies; mais il ne fut pas découragé , et vint
se rallier aPirmasens, Hornhach el Deux-Ponts.
H~e; quoique málheureux , n'en avait pas
moius .déployé une aadace .et une résohstion
qui frap~eDt les représentants ,el l'armée. Le
comité desalut public, qui , depnis I'entrée de
Carnot , ét'lit assez éclairé pour ette juste, et




44 RÉVOLUTION FRAN~A.JSE.
qui n'était sévere qu'énvers le défaut de zele,
lui écrivit les lettres les -plus encourageantes ,
et, pour la premiére fois, donna des éloges a
un général battu. Hoche; sans étre .éhranlé un
moment par sa défaite , forma aussitót la réso-
lution de se joindre a l'arméedu Bhin , pour
accabler WurmservCelui-ci, qui était resté en
Alsace tandis que Brunswick rétrogradait jus-
qu'á Kayserlautern , avait son flanc droit dé-
couvert. Hoche dirigea le général Taponnier
avec douze mille hommes surWerdt, pour per-
cer la lignedes Yosges , et se jeter sur le danc
de Wurrnser, tandis que l'armée du Rhin ferait
sur son front une attaque générale.


Gráce a la présence de Saint-Just, des com-
bats continuels avaient eu lieupendant la fin de
novembre et le commencement de décembre,
entre l'armée du Rhin et les Autrichiens. Elle
cornmencait as'aguerrir en allant tousles jours
au feu. Pichegru la commandait. Le corps en-
voyé dans les Vosge~ par Hocheeut beaucoup
de difficultés a vainere pour y péuétrer, mais
il y réussit enfin , et inquiéta sérieusement la
droite de Wurmser. Le 22 décembre (2 nivose),
Hoche marcha lui-méme a travers les mon-
tagnes, et parut a Werdt sur le sohimetdu
versant oriental. II accabla la droite de Wurrn-
ser, lui prit beaucoup de canons, et.fit un




CONV.ENTION NATIONALE (1793). 1,5
grand nombre de prisonniers. Les Autrichiens
furent alors obligés de quitter la ligne de la
Motter, et de se porter d'abord aSultz , puis le
24 aWissembourg , sur les lignes rnéme de la
Lauter. Leur re traite s'opérait avee désordre et
con~usion. Les émigrés, les nobles alsaciens
aecourus ala suite de Wurmser, fuyaient avee
la plus grande précipitation. Des familles en-
tieres couvraient la route en eherehant a s'é-
chapper. Les deux armées prnssienneetautri-
chienne étaient mécontentes l'une de l'autre,
et s'entr'aidaient peu eontre un ennemi plein
d'ardeur et d'enthousiasme.


Les deux arrnées du Rhin et de la Moselle
étaient réunies. Les représentants donnerent
le commandement en chef a Hoche, qui se
disposa sur-le-champ areprendreWissembourg.
J..A'S Prussiens et les Autrichiens, concentrés
maintenant par leur mouvement rétrograde,
setrouvaient mieux en mesure de se soutenir.
IJs résolurent done de prenclre l'offensive le 26
décembre (6 nivose}, le jour méme 011 le géllé-
tal francais se disposait a fondre sur eux. Les
Prussiens étaient dans les Vosges et autour de
Wissembourg; les.Autrichiens s'étendaient en
avant de la Láuter, depuis Wissembourg jus-
qu'au Bhin. Certainement , s'ils n'avaient pas
été décidés aprendre l'initiative, ils n'auraient




46 nÉVOLUTION FRA.N~AlS!.
pas recu l'attaque en avant des lignes, ayant
la Lauter ados; mais ils étaient résolús a at-
taquer les premiers , et les Francais , en s'avan-
cant sur eux, trouverent leurs avant-gardes
en marche. Le général Desaix, comraandant la
deoite de l'armée duRhin , marcha sur Lauter-
bourg; le général Mithaud fut dirigé sur Schlei-
thal;Je centre attaqua les Autrichiens, rangés
sur le Geisberg, el la gauche pénétra dans .les
Vosges pour toueaer lesPmssiens, Desai.x. e.
portaLauterhourgrllicb.audeccupa.Schleitbal;
et le centre repliant les .-\.utrichiens, les refoula
du Geísberg jusqu'a Wissembourg méme, L'oc-
cupation instantanée de Wissembourg pou-
vait étre désastreuse ponr les coalisés , et elle
était imminente ; mais Brunswick, qui se· trou-
vait .au Pigeonnier, accourut sur 'ce point, et
contint lesFraneais avec beaucoup de fermeté,
La retraite des Autrichiens se fit alors asec
moinsde désordre; mais le lendemaie les Fran-
~ais occupérent le$. ligues et Wissembourg.
Les Autrichiens se replierent sur Gemersheim,
les Prussiens sur Bergzabern. Les soldats. fran-
<;ais s'avancaient toujours en criant : Landau
ou 'la mort l Les Antrichie.ns se háterent. <k
repassel' le Rhin ,sansvoúloir .tenir un jour de
plus sur la rive gauche, et sans donner aux
Prussiens le temps d'arriver a Mayence. I..an-




CONVENTION N ATION ALE (1793). 47
dau fut débloqué , et les Francais prirent leurs
quartiers d'hiver dans le Palatinat. Aussitót
aprés, les deux généraux coalisés s'attaqnerent
dans des relations contradictoires, et Brunswick
donna sa démission a Frédéric- Guillaume.
Ainsi, sur cette partie du théátre de la guerre,
nous avions glorieusement recouvré nos fron-
tieres, malgré les forces réunies de la Prusse et
de l'Autriche.


L'armée dí'ltalie n'avait rien entreprisd'im-
portant , et, depuis sa défaite dt1mois de juin •
elle était restée sur la défensive. Dans le mois
de septembre, les Piémontais , voyant Toulon
atraqué par les Anglais, songerent enfin apro-
fiter de cette circonstance , qui pouvait amener
la perte de I'arrnée francaise. Le roi de Sar-
daigne se rendit lui-méme sur le' théátre de fa
guene, et une attaque généraledu camp fran-
~is. fut résolue pour le g, septemhre. La ma-
niere la plus sine &opérer eentre les Francais
eüt été d'occuper la ligne du Var, qui séparait
Nice de leur territoire, 00 aurait ainsi faít 10m-
ber toutes lespositions qu'ils avaient prises
,au-delá du Var , 00 les aurait obligés.d'évacuer "
le comté de Nice, el peut-étre méme de mettre
has les armes. On aima mieux attaquer irnmé-
diatement leur campo Cette attaque ,exécutée
asee des cwps détacbés , et par diverses val-


- t




48 RÉVOLUTION ],'RAN~AISt:.
lées a la fois, ne réussit pas; et le roi de Sar-
daigne, peusatisfait, se retira aussitót dans
ses états. A peo pres a la méme époque, le gé-
néral autrichien Dewins résolut enfin d'opérer
sur le Var; mais il n'exécuta son mouvement
qn'avec trois ou quatre mille hommes , ne s'a- -
van~a que jusqu'á Isola, et, arrété tout-á-coup
par un léger échec, il remonta sur les Hautes-
Alpes, sans avoir donné suite a cette tentative.
Telles avaient été les opérations insignifiantes
de l'armée d'Italie.


Un intérét .plus grave appelait toute l'atten-
tion sur Toulon. Cette place, oceupée par les
Anglais et les Espagnols, leur assurait un pied
aterre dans le Midi, et une base pour tenter
une invasion. Il importait done a la France
de la recouvrer au plus tót. Le- comité avait
donné aeet égard les ordres les plus pressants,
mais les rnoyens de siége manquaient entiére-
mento Carteaux; apres avoir soumis Marseille,
avait débouché avec sept ou huit milIe hornmes
par les gorges d'Ollioules, s'en était emparé
aprés un léger combat, et s'était érabli au dé-
bouché méme de ces gorges, envue de Toulon;
le général Lapoype, détaché de l'arméed'Ita-
lieavec quatre mille hommes environ, s'était
rangé -sur, le cótéopposé , vers Sollies et La-
valerte. Les deux corps francais ainsi placés,




CONVENTION NATlONALE (1793). !¡9
l'un au couchant, l'autre au levant, étaient si,
éloignés qu'ils s'apercevaient a peine, et ne
pouvaient se préter aucun secours. Les assié-
gés, avec un peu plus d'activité , auraient pu
les attaquer isolément, et les accabler l'un
apres l'autre. Heureusernent', ils ne songerent
qu'a fortifier la place. et ala gamito de troupes,
Ils firent débarquer huit mille Espagnols, Na-
politains et Piémontais, deux régiments an-
glais venus de Gibraltar, et portérent la garui-
son a'quatorze QU quinze millehommes, lis
perfectionnerent toutes les défenses, armerent
tous les forts , surtout CCllX de la cote, quí pro-
tégeaient la rade oú leurs escadres étaient au
mouillage. Ils s'attacherent particulierement a
rendre inaccessible le fort de l'Éguillette , placé
a l'extrémité du promontoire qui ferme la rade
intérieure, ou petite rade. Ils en rendirent l'a-
bord tellement difficile, qu'on l'appelait daus
l'armée, 'le petit Gibraltar. Les Marseillais et
tous les Proveneaux qui s'étaient réfugiés dans
Toulon, s'employerent eux - mémes aux ou-
vrages , et montrerent le plus grand zele, Ce-
pendant l'union ne pouvait durer dans l'inté-
rieur de la place, cal' la réaction contre la
Montagne y avait fait renaitre itoutes les fac-
tions. On y était républicain ou royaliste.á.tous
les degrés. Les coalisés eux-mémes n'étaient


VI.




50 RÉVOLUTlON FRAN~AJSE.
pas d'accord. Les Espagnols étaient offensés de
la supériorité qu'affectaient les Anglais, et se
défiaient de leurs intentions. L'amiral Hood ,
profitant de eette désunion , dit que, puisqu'on
ne pouvait s'entendre, il fallait , pour le mo-
ment, ne proclamer aueune autorité. Il empécha
méme le départ d'une députation que les Tou-
lonais voulaient envoyer aupres du comte de
Provence , pour engager ee prinee a se rendre
dans leursmurs en qualité de régent, Pes cet
instant , onpouvait entresoir la conduite des
Anglais, el sentir combien avaient été aveu-
gles et coupables ceux qui avaient Iivré Ton-
Ion aux plus crueis ennemis de la marine fran-
eaise,


Les républicains ne pouvaient pas espérer,
avec leurs moyens actuels , de reprendre Ton-
Ion. Les représentants conseillaient méme de
replier I'armée au-delá de la Durance, et d'at-
tendre la saison suivante.Cependant la prise
de Lyon ayant permis de disposer de nouvelJes
torces, on achemina vers Toulon des tronpes
et du matérieL Le général Doppet, anquel on
attribuait la prise de Lyon, fut chargé de rem-
placerCarteanx. Bientót Doppet lui-méme fut
remplacé par Dngommier, qni était beauconp
plus expérimenté, et fort braveo Vingt-huit ou
trente mille hommes furent réunis, et on




CONVENTION N A.TIONALE (1793). 51
donna l'ordre d'achever le siégeavant la fin
de la campagne.


On commenca par serrer la place de pres, et
par établir des batteries contre les forts. Le
général Lapoype, détaché de l'armée.d'Italie.,
érait toujours au lev,ant, et le généraI en chef
Dugommier au couchant, en avant d'Ollioules,
Ce dernier était chargé de la principaleattaque,
Le comité de salut public avait fait rédiger pa,r
l€:1GoIDit~,<les i(;lrtifications \U,l nl;l¡11A~t~q~e
rég~lier,e. Le.. général a!l:S~~lJla.ijp' ~~f,it,d.e
guerrepour discuter le plan envoyé de l?~;ri~;
Ce plan était fort bien, concu; maís ils'el' pré-
sentait un autre plus convenable aux circona-
tances, et qui devaitavoir'i~résultats Elus
pr.ompts.


Dans le conseil de guerre se trouvait un jeune
officier, qui commandait l'artillerie en l'absence
dn,.cb.ef,~e:c~t'~.arme, Use ;~«:;l~majt.,B,Qlla­
parte', et éta,t origin~re ;q~;9or~~"~~fl~ ~' la
France, au sein de laquelle iI lly~t" été .élevé,
il s'était hattu en Corse pou~ la cause de la
convention centre Paoli et les,4ng~a,~; il s'était
rendu ensuite a l'arraée <l'~ta1ie" et, ;s~rvait, ~~­
vant ToU19n, Il montrait ll-q~gr~nde itl~­
gence, une extréme aG1i'fité:".~~cquGn~i.t~ ~et~ I
de ses Q~9.ns. Ce jeune offieier , a!T;\l?p~~.,qe
la¡place , fu~ .frappé d'une .idée, etla propq$¡'l


4.




nÉvoLUTJON FRAN~AISE.
au conseil de guerreo Le fort l'Éguillette, sur-
nommé le petit Gibraltar, fermait la rade oú
mouillaient les escadrescoalísées. Ce fort oc-
cupé, les eseadres ne pouvaient plus mouiller
dans la rade , sans s'exposer á y étre brülées :
elles ne pouvaient pas non plus l'évacuer en
y laissant une garnison de quinze mille hom-
mes, saos communications, sans secours , et
tót ou tard exposée a mettre bas les armes: il
était done infiniment présumable que le fort
I'Égl1illette une fois en la 'possession des répu-
blieains, les escadres et la garnison évacue-
raient ensemble Toulon. Ainsi, la clef de la
place était au fort l'Éguillette; mais ce fort
était presque imprenable. Le jeune Bonaparte
soutint fortement son idée comme plus appro-
priée aux cireonstances, et réussit a la faire
adopter.


On commenca par serrer la place. Bonaparte,
a la faveur de quelques oliviers qui cachaient
ses artilleurs, fit placer une batterie tres-prés
du fort Malbosquet , l'un des plus importants
parmi eeux qui environnaient Toulon. Un
matin, eette batterie éclata a l'improviste, et
surprit les assiégés, qui ne croyaient pas qu'on
pút établir des feux aussi pres du fort. Le gé-
néral anglais O'Hara, qui commanclait la gar-
nison, résolnt de faire une sortie pour détrnire




eONVENTlON .NATIONALE (1793). 53
labatterie , et enclouer les canons. Le 30 no-
vembre (10 frimaire), il sortit a la tete de six
mille hommes , pénétra soudainement atravers
lespostes.républicains , s'empara de la batterie,
et cornmenca aussitót a enclouer les pieces.
Heureusement, le jeune Bonaparte se trouvait
non loin de la avee un bataillon. Un boyau
conduisait a la batterie. Bonaparte s'y jeta avec
son bataillon, se porta sans bruit au milicu
des Anglais, puis tout-a-coup ordonna le feu,
et les jeta, par cette subite apparition , dans
la plus grande surprise. Le général O'Hara,
étonné, crut que c'étaicnt ses propres soldats
qui se trompaient , et faisaient feu les uns sur
les autres. II s'avanca alors vers les républicains
pour s'en assurer , mais il fut blessé ala main,
et pris dans le boyau rnéme par un sergent.
An méme instant , Dugommier, qui avait fait
battre la générale au camp, rarnenait ses sol-
dats a l'attaque, et se portait entre la batterie
et la place. Les Anglais, menaeés aldrs d'étre
coupés, se retirérent apres avoir perdu leur
général, et sans avoir pu se délivrer de cette
dangereuse batterie.


Ce succes anima singuliérement les assié-
geants, et jeta beaucou p de découragement
parmi les assiégés. La défiance était si grande
chez ees derniers, qu'ils disaient que le géné-




t:.4 '
'-' REVOLUTION }'RANYAI 5E .
ral O'Hara s'était fait prendre pour vendre
TouIon aux républicains, Cependant les répu-
bIicains qui vouIaient conquérir la place, et
qui n'avaient pas les moyens de I'acheter, se
préparaient al'attaque si périlleuse de I'Éguil-
lette. Ils y avaient jeté déjá un grand nombre
de hombes, et táchaient d'en raser la défense
avec des pieces de 24. Le 18 décemhre (28 fri-
maire}, l'assaut fut résolu pour rninuit. Une
attaque simultanée devait avoir Iieu du coté
du général Lapoype sur le fort Faron. Aminuit,
et par un orage épouvantahle, les républicains
s'ébranlent. Les soIdats qui gardaient le fort se
tenaient ordinairement en arriére , pour se
mettre a l'abri des hombes et des boulets. Les
Franeais espéraient y arriver avant d'avoir été
aperc;us; mais au pied de la hauteur ils trou-
vent des tirailleurs ennemis, Le combat s'en-
gage. Aubruit de la mousqueterie, la garnison
du fort accourt sur les remparts et foudroie
les assaillants, Ceux-ci reculent el reviennent
tour-a-tour. Un jeune capitaine d'artillerie ,
nommé Muiron, profite des inégalités du ter-
rain, et réussit a gravir la hauteur, san s avoir
perdu beaucoup de monde. Arrivé au pied du
fort, il s'élance par une embrasure; les soldats
le suivent , pénetrent dans la batterie, s'empa-
rent des canons , et bientót du fort lui-méme.




CONVENTION NATIONALE (1793). 55
Dans eette aetion, le général Dugommier,


les représentants Salicetti et Robespierrej eune,
le commandant d'artillerie Bonaparte, avaient
été présents au feu, et avaient eommuniqué
aux troupes le plus grand courage. Du coté du
génél'al Lapoype l'attaque ne fut pas moins
heureuse, et une des redoutes du fort Faron
fut emportée.


Des que le fort l'Éguillette fut occupé, les
républicains se háterent de disposer les canons
de maniere afoudroyer la flotte, Mais les An-
glais ne leur en donnérent pas le temps. Ils se
déciderent sur-le-charnp a évacuer la place,
pour ne pas courir plus long-temps les chances
d'une défense difficile et périlleuse. Avant de
se retirer , ils résolurent de brúler l'arsenal, les
chantiers, et les vaisseaux qu'ils ne pourraient
pas prendre. Le 18 et le T9, sans en prévenir
l'amiral espagnol, sans avertir rnéme la po-
pulation eompromise qu'on allait la livrer aux
montagnards victorieux, les ordres furent
donnés pour I'évacuation, Chaque vaisseau an-
glais viut a son tour s'approvisionner al'ar-
senal. Les forts furent ensuite tous évaeués,
excepté le fort Lamalgue, qui devait étre le der-
nier abandonné. Cette évacuation se fit méme
si vite , que deux mille Espagnols, prévenus
trop tard, resterent hors des murs, et ne se




56 R liVOLUTION FU AN9A.ISE.
sauvérent que par miracle. Enfin on donna
l'ordre d'incendier l'arsenal. Vingt vaisseaux
ou frégates parnrent tout-a-coup en flammes
au mi lieu de la rade, et exciterent le désespoir
chez les malheureux habitants, et l'indiguation
ehez les républieains, qui voyaient hrúler l'es-
cadre sans pouvoir la sauver. Aussitót , plus de
vingt mille individus, hommes , femmes, vieil-
lards , enfants, portant ce qu'ils avaient de plus
précieux , vinrent SUI' les quais , tendant les
mains vers les escadres, el implorant un asile
pour se soustraire a l'armée victorieuse. C'é-
taient toutes les familles proveneales qui, á Aix,
Marseille , Toulon , s'étaient compromisos dans
le mouvement sectionnaire, Pas une seule cha-
loupe ne se monlrait a la mer pour secourir
ces imprudents Francais , qui avaient mis leur
confiance dans l'étranger, et qui luí avaient
livré le premier port de leur patrie. Cepen-
dant l'arniral Langara, plus humain, ordonna
de mettre les chaloupes ala mer, et de recevoir
sur I'escadre espagnole tous les réfugiés qu'elle
pourrait contenir. L'amiral Hood n'osa pas ré-
sister acet exemple, et aux imprécations qu'on
vomissait contre lui. Il ordonna a son tour,
mais fort tard , de recevoir les Toulonais. Ces
malheureux se précipitaient avee fureur dans
les chaloupes. Daus eette confusion , quelques-




CONVENl'lON N A nONALE (J 793J. 57
uns tombaient a la mer, d'autres étaient sé-
parés de leurs familles. On voyait des meres
cherchant leurs enfants, des épouses , des filIes,
cherchant leurs maris ou leurs peres , et errant
sur ces quais aux lueurs de l'incendie. Dans ce
moment terrible, des brigands, profitant du
désordre pour piller, se jettent sur les malheu-
reux aecumu lés le long des quais , et font feu
en criant : Foici les républicains, La terreur
alors s'empare de cette multitude; elle se pré-
cipite , se méle , et, pressée de fuir, elle aban-
dorme ses dépouilles aux brigands, auteurs de
ce stratagerne.


Enfin les répuhlicains entrerent , et trou-
verent la ville a moitié déserte, et une grande
partie du matériel de la marine détrnit. Heu-
reusement, les Iorcats avaient arrété l'incendie
et empéché qu'il ne se propageát, De 56 vais-
seaux ou frégates, il ne restaij que 7 vaisseaux
et 11 frégates; le reste avait été prisou brülé
par les Anglais. Bientót, aux horreurs du siége
et de I'évacuation , snccéderent celles de la
vengeance révolutionnaire, Nous raconterons
plus tard la suite des désastres de cette cité
coupable et malheureuse. La prise de Toulon
causa une joie extraorxlinaire, et produisit au-
tanl d'impression que les victoires de Wati-
gníes, la prise de Lyon., el le déblocus de Lan-




58 UÉVOLUTlON FRAN~AlSE.
dau. Des lors on n'avait plus a craindre que
les Anglais, s'appuyant sur Toulon, vinssent
apporter dans le M,idi le ravage et la révolte.


La campagne s'était terminée moins heureu-
sement aux Pyrénées. Cependant, malgré de
nombreux revers et une grande impéritie de
la part des généraux, nous n'avions perdu que
la ligne du Tech, et celle de la Tet nous était
restée. Apres le combat malheureux de 'I'ruil-
las, livré le 22 septembre ( le. veudémiaire )
contre le camp espagnol, et ou Dagobert avait
montré tant de bravoure et de sang-froid, Ri-
cardos, au lieu de marcher en avant , avait
rétrogradé au contraire sur le Tech. La reprise
de Villefranche, el un renfort de quinze mille
hommes arrivé aux républicains , l'avaient dé-
cidé a ce mouvement rétrograde. Apres avoir
levé le hlocus de Collioure et de Port-Vendre,
il s'était porté au camp de Boulou, entre Cé-
ret et Ville-Longne, et veillait de la ases COID-
munications en gardant la grande route de
Rellegarde. Lesreprésentants Fabre et Gaston,
pleins de fougue, voulurent faire attaquer le
camp des Espagnols, afin de les rejeter au-
cIela des Pyrénées; mais l'attaque fut infruc-
tueuse et n'aboutit qu'a une inutilc effusion
de sango


Le représentant Fabre, impatient de tenter




CONVENTION NATlONALJ:: (1793). 59
une entreprise importante, révait depuis long-
temps une marche au-dela des Pyrénées, pour
torcer les Espagnols a rétrogracler. On lui
avait persuade que le fort de Roses pouvait
étre enlevé par un coup de main, D'apres son
voeu , et malgré I'avis contraire des géné-
raux , trois colonnes furent jetées au-dela des
Pyrénées, pour se reunir a Espola. Mais, trop
faibles, trap désunies , elles ne purent se
joindre, furen t battues , et ramenées sur la
grande chaine apres une perte considérable,
Ceci s'était passé en octobre. En novembre,
des orages, peu ordinaires dans la saison, gros-
sirent les torrents, interrompirent les commu-
nications des divers camps espagnols entre
eux, et les mirent dans le plus grand péril.


C'était le cas de se venger sur les Espa-
gnols des revers qu'on avait essuyés, Il ne
leur restait que le pont de Céret pour re-
passer le Tech ,et ils demeuraient inondés et
affamés sur la rive gauche a la merci des
Franeais, Mais rien de ce qu'il fallait faire ne
fut exécuté. Au général Dagobert avait suc-
cédé le général Turreau, a celui-ci le général
Doppet. L'armée était désorganisée. On se
battit mollement aux environs de Céret, on
perdit mérne le camp de Saint - Ferréol , et
Hicardos échappa ainsi aux dangers de sa po-




60 RliVOI.lJTION FftAN~AISE.
sinon. Bieutót il se vengea bien plus habile-
ment du danger oú il s'était trouvé , et fondit
le 7 novembre ( 17 brurnaire ) sur une colonne
fran¡;;aise, qui était engagée a Ville-Longue sur
la rive droite du Tech, entre le fleuve, la mer
et les Pyrénées. Il défit eette colonne , forte de
dix mille hommes, et la jeta dans un te! dés-
ordre, qu'elle ne put se rallier qu'a Argeles.
Immédiatement apres , Rieardos fit attaquer la
division Delatre a Collioure, s'empara de Col-
lioure , de Port Vendre et de Saint-Elme , et
nous rejeta entierement au-rlelá du Tech. La
eampagne se trouva ainsi terrninée vers les
derniers jours de décembre. Les Espagnols
prirent leurs quartiers d'hiver sur les bords
du Tech; les Francais camperent autour de
Perpignan, et sur les rives de la Tet. Nous
avions perdu un peu de territoire, mais moins
qu'on ne devait le craindre apres tant de dé-
sastres. C'était du reste la seule frontiere oú
la eampagne ne se füt pas terminée glorieuse-
ment pour les armes de la république. Du
coté des Pyrénées-Occidentales, on avait gardé
une défense reciproque.


C'est dans la Vendée que de nouveaux.etter-
ribles combats avaient eu lieu , avec un grand
avantage pour la république, mais avec un
grand dommage pour la France , qui ne voyaít




CONVEN'l'ION N AnON ALE (J 793J. ti (
des deux cótés que des Francais s'égorgeant
les uns .les autres.


Les Vendéens, battus aChollet le 17 octobre
(26 vendémiaire), s'étaient jetés, comme on I'a
vu , sur le bord de la Loire, au nombre de
quatre-vingt mille individus, hommes, femmes,
enfants, vieillards. N' osant pas rentrer dans leur
pays occupé par les républicains , ne pouvant
plus tenir la campagne en présence d'une ar-
rnée victorieuse , ils songerent a se rendre en
Bretagne, et a suivre les idées de Bonchamps ,
lorsque ce jeune héros était mort , et ne pou-
vait plus diriger leurs tristes destinées. On a
vu qu'a la veilJe de la bataille de Chollet, il
envoya un détachement po ur faire occuper le
poste de Varade, sur la Loire. Ce poste, mal
gardé par les républicains , fut pris dans la nuit
du 16 au 17. La bataille perdue, les Vendéens
purent done impunément traverser le fleuve,
a la faveur de quelques bateaux laissés sur la
rive, et a l'abri du canon républicain. Le dan-
gel' ayant été jusqu'ici sur la rive gauche, le
gouvernement n'avait pas songé a défendre la
rive droite. Toutes les villes de la Bretagne
étaient mal gardées; quelques détachements de
gardes nationales, épars .;;a et la, étaient inca-
pables d'arréter les Veudéens , et ne pouvaient
que fuir a leur approche. Ceux-ci s'avancérent




RÉVOLUTION FRAN9AISF.


done sans obstacles, et traverseren t successi-
vement Candé, Cháteau-Gonthier et Laval , sans
éprouver aucune résistance.


Pendant ce temps, l'armée républicaine était
incertaine de leur marche, de leur nombre et
de leurs projets. Un moment-rnérne , elle les
avait crus détruits , et les représentants l'avaient
écrit ala convention. Kléberseul, qui comman-
dait toujours l'armée sous le nom de LécheUe,
pensait le contraire, et s'efforcait de modérer
une dangereuse sécurité. Bientót , en effet, on
apprit que les Vcndéens étaicnt loin d'étre ex-
terminés; qne dans la colonne fugitive, il res-
tait encore trente ou quarante mille hommes
armés, et capables de combattre. Un conseil
de guerre fut aussitót rassemblé; et comme on
ne savaitpas si les fugitifs se porteraieut sur
Angers ou sur Nantes, s'ils marcheraient sur
la Bretagne, ou iraient 'par la Basse-Loire se
réunir a Charette, 011 décida que l'armée se
diviserait; qu'une partie , sous le général Haxo,
irait tenir tete ~ Charette, et reprendre Noir-
moutiers; qu'une autre partie sous Kléber occu-
perait le camp de Saint-George pres de Nantes,
et que le reste enfin demeurerait aAngers poor
couvrir cette ville, et observer la marche de
l'ennemi. Sans doute, si l'on eút été mieux
instruit , on aurait compris qu'il fallait rester




CONn;NTION NATIONALE (1793). 63
réunis en masse, et marcher sans reláche a la
poursuite des Vendéens. Dans l' état de désordre
et d'effroi oú ils se trouvaient, il eút été facile
de les disperser et de les détruire entierement;
mais on ne connaissait pas la direction qu'ils
avaient prise , et , dans le doute, le parti que
l'on prit était encore le plus sagc. Bientót , ce-
pendant, on eut de meilleurs renseigncments,
et l'on apprit la marche des Vendéens sur
Candé, Cháteau- Gonthier et Laval. Des lors
on résolut de les poursuivre sur-le-champ , et
de les atteindre, avant qu'ils pussent mettre
la Bretagne en feu, et s'ernparer de quelque
grande ville , ou d'un port sur I'Océan. Les gé-
néraux Vimeux et Haxo furent Iaissés a Nantes
et dans la Basse - Vendée; tout le reste de
l'armée s'achemina vers Candé et Cháteau-Gon-
thier. Westerrnann et Beaupuy formaient I'a-
vant - garde; Chalbos , Kléber, Canuel , com-
mandaíent chacun une division, et Léchelle,
éloigné du champ de bataille, laissait diriger
les mouvements par Kléber, qui avait la con-
fiance et l'admiration de l'arrnée.


Le 25 octobre au soir (4 brumaire), l'avant-
garde républicaine arriva aCháteau-Conthier ;
le gros des forces était aune journée en arriere.
Westermann, quoique ses troupes fussent tres-
fatiguées, quoiqu'il fut presque nuit , et qu'il




6/. RÉVOLUTION }'n AN<:AISE.
l'estat encore six lieues de chemin a [aire pour
arriver aLaval, voulnt y marcher sur-le-champ.
Beaupuy, tout aussi brave , mais plus prudent
que Westerrnann , s'efforca en va in de lui [aire
sentir le danger d'attaquer la masse vendéenne
au milieu de la nuit , fort en avant du eorps
d'armée , et avee des troupes harassées de fa-
tigue. Beaupuy fut obligé de céder au plus an-
cien en cornmandement. On se mit aussitót en
marche. Arrivé 11 Laval an milieu de la nuit,
Westerrnann envoya un officier reconnaitre
J'ennemi : celui-ci , emporté par son ardeur,
lit une charge au lieu d'une reconnaissance, et
replia rapidernent les premiers postes. L'alarme
se répaudit dans Laval , le tocsin sonna, toute
la masse ennemie fut bientót debout, et vint
[aire tete aux répuhlicains. Beaupuy se corn-
portant ave e sa fermeté ordinaire, soutint coura-
geusement l'effort des Vendéens. Westermann
déploya toute sa bravoure, le combat fut des
plus opiniátres , et l'obscurité de la nuit le ren-
dit encore plus sanglant. L'avant-garde répu-
blicaine , quoique tres-inférieure en nombre,
serait néanmoins parvenne a se soutenir jus-
qu'a la fin; mais la cavalerie de Westermann,
qui n'était pas toujours aussi brave que son
chef, se débanda tout-á-coup , et l'obligea ala
retraite. Gráce a Beaupuy, elle se fit sur Cha-




CONVENTroN N ATION ALE (1793). GS
tean-Gonthier, avee assez d'ordre. Le corps de
hataille y arriva le jour suivant, Toute l'armée
s'y trouva done réunie le 26, l'avant - gal'de
épuisée d'un combat inutile et sanglant, le
eorps de bataille fatigué d'une route longue,
faite sans vivres, sans souliers , et a travers les
houes de l'automne. Westermann et les repré-
sentants voulaient de nouveau se reporter en
avant, Kléber s'y opposa ave e force, et fit dé-
cider qu'on ne s'avancerait pas au - dela de
Villiers, moitié ehemin de Chatean - Gonthier
a Lava!'


I/ s'agissait de former un plan pour l'altaque
de Lava!' Cette ville est située sur la Mayenne.
Marcher directement par la rive gauchc que
l'on occupait , était imprurlent , eomme I'ob-
servajudieieusement un ofíicier tres-distingué ,
Savary, qui connaissait parfaitement les lieux.
II était facile aux Vendéens d'occuper le pont
de Laval, et de s'y maintenir centre toutes les
attaques ; ils pou vaient ensuite , tandis que l'ar-
mée républicaine étaít iuut ilement amassée sur
la rive gallche, filer le long de la rive limite.
passer la Mayenne sur ses derrieres , et l'aeea-
bler a I'improviste. 11 proposa done de diviser
l'attaque , et de porler une partie de l'armée
sur la ríve droite. De ce coté il n'y avait pas
de pont a franchir, et l'occupation de Laval ue


VI. 5




6() nÉVOUJTION FRAN~AISI'"
préseutait point d'obstacle. Ce plan, approuvé
par les généraux, fut adopté par Léchelle, Le
lendemain , cependant, Léchelle, qui sortait
quelquefois de sa nullité pour commettre des
fautes , envoie l'ordre le plus sot et le plus
contradictoire a ce qui avait été convenu la
veille. 11 prescrit, suivant ses expressions ac-
coutumées , de marcher majestueusement el en
masse sur Laval, en filant par la rive gauche.
Kléber et tons les généraux sont indignés; ce-
pendant il faut obéir. Beaupuy s'avance le pre-
miel'; Kléber le suit immédiatement. Toute
J'armée vendéenne était déployée sur les hau-
teurs d'Entrames. Beaupuy engage le cornbat ;
Kléber se déploie a droite et a gauche de la
route, de maniere as'étendre le plus possible.
Sentant néanmoins le désavantage de cette po-
sition , il fait dire a Léchelle de porter la di-
vision Chalbos sur le flanc de I'ennemi , rnou-
vement qui devait l'ébranler. Mais cette colonne,
eomposée de ces bataillons formés a Orléans
et a Niort , qui avaient fui si souvent, se dé-
bande avant de s'étre mise en marche. Lé-
chelle s'échappe le premier atoute bride; une
grande moitié de l'armée, qui ne se battait pas,
fuit en toute háte , ayant Léchelle en téte , et
eourtjusqu'á Cháteau-Gonthier , et de Chatean-
r,.()nthieri1lSr¡lI'~ Angers. Les braves Mayen-




r:n:VVFNTION NATION A LE í I '1ü3. 6-:
, .!. ¡


eais , qui n'avaient jamais láché pied , se déhan-
dent pour la premiere fois. La déroute devient
alors généraIe; Beaupuy, Kléber, Marceau, les
représentants Merlin et Turreau font des ef-
forts ineroyables, mais inutiles , pour arréter
les fuyards. Beaupuy recoit une baile au milieu
de la poitrine. Porté dans une cabane , il s'é-
crie :«Qu'on me laisse iei, et qu'on montre ma
chemisesanglanteames soldats.» Le brave Bloss,
qui commandait les grenadiers, et qui était
connu par une intrépidité extraordinaire, se fait
tuer a leur tete. Enfin une partie de I'armée
s'arréte au Lion-d'Angers ; l'autre fuit jllSqll'á
Angers méme. L'indignation était générale con-
tre le láche exemple qu'avait donné Léchelle,
en fuyant le premier. Les soldats murmuraiellt
hautement. Le lendemain , pendant la revue ,
le petit nombre de braves qui étaient restes
sous les drapeaux, et c'étaient des Mayenl,(ais,
criaient : Abas Léehelle, vive Kléber et Du-
hayet r qu'on nous rende Dubayet! LécheIle,
qui enteudit ces cris , en fut encore plus mal
disposé contre l'armée de Mayence, et centre
les généraux dont la bravoure lui faisait honte.
Les représentants, voyant que les soldats ne
voulaient plus de Léehelle, se décidérent ti le
suspendre, et proposerent le cornmandement
aKléber. Celui-ei le refusa, paree qu'il n'aimait


5.




(iS RÉVOLUTlON FRANYAISE.
pas la situation d'un général en chef, toujours
en bu tte aux représentants, au ministre, au
comité de salut public , et consentit seulement
a diriger I'armée sous le nom d'un autre. On
donna done le commandernent aChalhos, qui
était l'un des généranx les plus agés de l'ar-
rnée, Léchelle , prévenant I'arrété des repré-
sentants, demanda son congé, en disant qu'il
était malade, et se retira a Nantes, oú il mou-
rut quelque temps apres.


Kléber, vovant l'arrnée dans un état pitoya-
" .


ble, dispersée partie a Angers, et partie au
Lion-d'Angers, proposa de la réunir tout en-
tiere a Angers méme , de lui donner ensuite
quelques jours de repos, de la fournir de sou-
liers et de vétements , et de la réorganiser d'une
maniere complete. Cet avis fut adopté, et toutes
les troupes furent réunies a Angers. Léchelle
n'avait pas manqué de dénoncer l'armée de
M:ayence en donnant sa dérnission , et d'attri-
buer a de braves gens une déroute qui n'était
due qu'a sa lácheté. Depuis long-temps on se
défiait de ceHe arrnée , de son esprit de corps,
de son attachement a ses généraux, et de son
opposition a l'état-major de Saumur. Les der-
niers cris de -uioe Dubayet l ti bas Lécheile l
acheverent de la compromettre dans l'esprit du
O'ollvernement. Bientót , en effet, le comité de¡,




CONVENTION NATIO\AI,¡': \L7~)~i:. (J~)
salut public reudit UI1 arrété , pOllY' en orden-
ner la dissolution et l'amalgame avee les autres
corps. Kléber fut ehargé de eette derniere
opération. Quoiqlle eette mesure füt prise eOI1-
tre lui et contre ses eompagnons d'armes, il
s'y préta volontiers, cal' il sentait le danger dt'
l'esprit de rivalité et de haine qui s'établissait
entre la garnison de Mayenee et le reste des
troupes; et il voyait surtout un grand avantage
a former de honnes tetes de colonnes, qui,
habilement distribuées , pouvaient communi-
quer leur propre force a toute l'armée.


Pendant que ceci se passait a AlJgers, les
Vendéens , délivrés a Laval des républicains ,
et ne voyant plus rien qui s'opposát a leur
marche, ne savaient eependant quel partí
prendre, ni sur quel théátre porter la guert'e.
Il s'en présentait deux également avantageux :
ils avaient a choisir entre la pointe de Breta-
gne, et celle de Normandie. L'extréme Breta-
gne était toute fanatisée par les prétres et les
nobles; la population les anrait re¡;us avec
joie ; et le sol, extrérnernent coupé et mon-
tueux, leur aurait fourni des moyens tres-faciles
de résistance ; enfin, ils se seraient trouvés sur
le hord de la mer , et en communicatiou avec
les Anglais. L'extréme Norrnandie, ou pres-
qu'ile de Cotentin, était un peu plus éloignée ,




~o
I RÉVOLUTION FRAN~AISE.
mais bien plus facile a garder, car, en s'em-
parant de Port-Beil et Saint-Cosme , ils la fer-
maient entierement, Ils y trouvaient l'impor-


, tante place de Cherbourg , tres-accessihle pour
eux du coté de la terre , pleine d'approvisionne-
ments de toute espece , et surtout tres-propre
aux communications avec les Anglais. Ces deux
projets présentaient done de grands avantages,
et leur exécution rencontrait peu d'obstacles.
La route de Bretagne n'était gardée que par
l'armée de Brest, confiée a Rossignol, et con-
sistant tout au plus en cinq ou six mille
hommes mal organisés. La route de Norman-
die était défenrlue par l'arrnée de Cherbourg,
composée de levées en masse prétes a se dis-
soudre au premier coup de fusil, et de quel-
ques mille hommes seulement de troupes plus
régnlieres, qui n'avaient ras encore quitté
Caen. Ainsi, aucune de ces deux armées n'était
aredouter ponr la masse vendéenne. On pou-
vait mérne facilement éviter lenr rencontre avec
un peu de célérité. Mais les Venrléens ignoraient
la nature des localités; ils n'avaieut pas un
seul officier qui pút leur dire ee qu'étaient la
Bretagne et la Normandie, quels en étaient les
avantages militaires et les places fortes. lis
eroyaient, par exemple, Cherbourg fOl'tifié du
cót~ de ter-re, lis étaient done incapables de




CONV1'N'fIO~ ~ A,lWN A.Lh \. 1 793 J. 'j I
se háter , de s'éclairer dans leur marche, de
rien exécuter enfin avec un peu de force et
de précision.


Quoique nornbreuse , leur armée était dans
un état pitoyable. Tous les chefs principaux
étaient ou morts ou blessés, Bonchamps avait
expiré sur la rive gauche; d'Elbée, blessé , avait
été transporté aNoirrnoutiers; Lescure, atteínt
d'un halle au front, était trainé mourant a la
suite de l'armée. Larochejacquelein, resté seul ,
avait rec;;u le commandement général. Stofflet
commandait SOllS lui. L'armée , oblígée main-
renant de se mouvoir et d'abandonner son
$01 , aurait do étre organisée; mais elle mar-
chait péle-rnéle comme une horde, ayant au
milieu d'elle des femmes, des enfants , des cha-
riots. Dans une armée réguliere, les hraves .
les faibles , les láches, encadrés les uns avec
les autres, restent forcérnent ensemble et se
soutiennent réciproquement. 11 suffit de quel-
qnes hommes de courage pour communiquer
leur énergle atoute la masse. lci, au contraire,
aucun rang n'étant gardé, aucune division df'
compagníe, de bataillon, n'étant observée ,eha-
cun marehant avec quí luí plaisait , les hraves
s'étaient rangés ensemble, et formaíent un
corps de cinq ou six mille hommes, toujours
prérs a s'avancer les premiers. Apres eux, ve-




72 RJivOLlJTJUN .FftANYAISE.
nai t une troupe moins súre, et propre seulernent.
adécider un succes , en se portant sur les flanes
d'un ennemi déja éhranlé. A la suite de ces
deux bandes, la masse, toujours préte a.fuir au
premier eoup de fusil, se trainait confusément.
Ainsi, les trente ou quarante mille hommes ar-
més se réd uisaient en définitive a quelques
mille braves, toujours disposés él se battre par
tempérament, Le défaut de subdivisions em-
péchait de former des détachements, 'de porte!'
un corps sur un point Oll sur un autre, de faire
aueune sortede dispositions. Les uns suivaient
Laroehejaequelein, les autres StoftIet, et ne
suivaient qu'eux seuls. II était impossible de
donner des ordres; tout ee qu'on ponvait obte-
nir, c'était de se faire suivre en donnant un si-
gnal. Stofflet avait seulement quelques paysans
affidés qui allaient répandre ce qu'ilvoulait
parmi leurs camarades. A peine avait-on deux
cents mauvais cavaliers, et une trentaine de
pieces de canon, mal servies et mal entretc-
uues. Les bagages encombraient la marche;
les femmes, les vieillards , ponr étre plus en
súreté , eherehaient a se fourrer au milieu de
la troupe des hraves , et, en remplissant leurs
rangs, embarrassaient Ieurs mouvements, La
méfiance commencait aussi as'établir de.la part
des soldats a l'égard des officiers. On disait




CONVENTlON .NATlüNALE (1793). 73
qu'ils ne voulaient atteindre al'Oeéan que poul'
s'ernharquer , et abandonner les malheureux
paysans arrachés de leur pays. Le conseil ,
dont I'autorité était devenue tout -3.-fait illu-
soire,était divisé; les prétres s'y montraient
mécontents des chefs militaires ; rien enfin
n'eút été plus facile que de détruire une pa-
reille arrnée , si le plus grand désordre de com-
mandement n'avait régné chez les républicains.


Les Vendéens étaient done incapables de
concevoir et d'exéeuter un plan quelconque.
lis avaient quitté la Loire depuis vingt - six
jours; et, dans un aussi long espace de ternps ,
ils n'avaient rien fait du tout. Aprés beaucoup
d'incertitudes, ils prirent eufin 1111 partí. D'une
part, on leur disait que Reunes et Saint-Malo
étaient gardés par des troupes considerables;
de I'autre , que Cherbourg était Iortement dé-
fendudu cóté de terre; ils se déciderent alors
a assiéger Granville, placée sur le bord de
I'Océan , entre la pointe de Bretagne et celle
de Normandie. Ce projet avaitsurtout I'avan-
tage de les rapprocher de la Normandie, qu'on
leur dépeignaít comme tres-fertile ,et tres-bien
approvisionnée. En conséquence ils marche-
rent sur Fougeres. On avait réuni sur leur
route quinze ou seize mille liommes de levée
en masse , quí se disperserent sans coup férir.




74 RÉVOLUTION FllANQAlSE.
Les Vendéens se portérent a Dol le 10 no-
vembre , et le (2 sur Avranehes.


Le 14 novembre ( 24 brumaire ), ils se diri-
gerent vers Granville, en laissant a Avranehes
une moitié de leur monde et tous leurs ha-
gages. La garnison ayant voulu faire une sor-
tie, ils la repoussérent , et se jeterent asa Imite
dans le faubourg qui précede le eorps de la
place. La garnison eut le temps de rentrer et
de refermer ses portes; mais le faubourg resta
en leur possession , et ils avaient ainsi de gran·
des facilités pour l'attaque. 11s s'avancerent du
faubourg jusqu'a des palissades qu'on venait
de eonstruire, et sans chercher a les enlever ,
ils se bornérent a tirailler contre les remparts,
tandis qu'on leur répondait avec de la mitraille
et des boulets. En mérne temps, i1s placerent
quelque~'pieces sur les hauteurs environnan-
tes, el tirerent inutilement sur la créte des
murs et sur les maisons de la ville, A la nuit ,
ils s'éparpillerent , et abandonnerent le fau-
bourg, oú le feu de la place ne leur Iaissait
aucun re pos. lis allerent chercher hors de la
portée du canon des logements, des vivres, et
surtout du feu, cal' il commencait 11 faire un
freid tres-vif Les chefs purent apeine retenir
quelques cents hommes dans le fauLourg t
pour y continuer un fen de tirailleurs.




CONVENTION N ATlONALE (1793). 75
Le lendemain, leur irnpuissance de prendre


une place fermée, leur fut encore mieux dé-
montrée; ils essayerent encore de leurs batte-
ríes, mais saos aucun succes. 115 tiraillereut de
nouveau le long des palissades, et furent bien-
tót entierement découragés. Tout-a-coup I'un
d'entre eux imagina de profiter de la marée
basse, pour traverser une plage , et prendre la
ville du coté du porto lIs se disposaient acette
nouvelle tentative , lorsque le feu fut mis au
faubourg par les représentants enfermés dans
Granville. Les Vendéens furent alors obligés
de I'évacuer, et songérent a la retraite, La ten-
tative du coté da port fut entierement aban-
donnée, et le lendemain ils revinrent tous a
Avranches rejoindre le reste de leur monde el
les hagages. Des ce moment, le décourage-
ment fut porté au comble; ils se plaignirent
plus amerernent que jamais des chefs qui les
avaient arrachés de leur pays, et qui voulaient
les abandonner , et ils demanderent a grands
cris a regagnel' la Loire. En vain Larochejac-
quelein , a la tete des pIus braves , voulut -il
faire une nouvclle tentative pour les entrainer
dans la Norrnandie ; en vain marcha-t-i! sur
Ville - Dieu , dont ji s'ernpara ; il fut a peine
suivi de mille hornmes, Le reste de la colonne
reprit le chemin de la Bretagne, en marchan


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sur Pontorson , par oú elle était arrivée. Elle
s'ernpara du pont au Beaux qui, jeté sur la
Selune, était indispensable ponr arriver a
Pontorson.


Pemlant que ces événements se passaient a.
Granville, l'arrnée républicaine avait été réor-
ganisée a Angers. A peine le temps nécessaire
pour lui donner un peu de repos et d'ordre
fut-il écoulé , qu'on la conduisit a Rennes,
pour la réunir aux six ou sept millehommes
de l'armée de Brest, commandés par Rossignol.
La, on avait arrété , dans un conseil de guerre,
les mesnres a prendre pour continuer la pour-
suite de la colonne vendéenne. Chalbos malade
avait obtenu la permission de se retirer sur les
derrieres , pour y réparer sa san té; Rossignol
avait recu des représentants le commandement
en chef ele l'armée de l'Ouest et de celle de
Brest , formant en tout vingt ou vingt-un mille
hommes. JI fut résolu que ces deux armées se
porteraient tout de suite a Antrain; qne le gé-
néral Tribout , qui était a Dol avec trois ou
quatre mille hommes , se rendrait aPontorson,
et que le général Sepher, qui avait six mille
soldats de l'armée de Cherbourg, suivrait par
derriere la colonne vendéenne. Ainsiplacée
entre la mer, le poste de Pontorson, l'arrnée


.r _~~.'Antrain,et Sepher qni arrivait a Avranches,
~" ,It,· ....


,'. .:
/ .




CúNVENTION NATlONALJ.: (179 3). 77
cette colonne devait étre bientót enveloppée
et détruite.


Toutes ces dispositions s'exécutaient au mo-
ment mérne 011 les Vendéens quittaient Avran-
ches, et s'ernparaient du pont au Beaux pour
se rendre a Pontorson. C'était le 18 novembre
( 2.8 brumaire). Le général Tribout , déclama-
teur sans connaissauce de la guerre, n' avait,
pour garder Pontorson, qu'á oc~uper un pas-
sage étroit , a travers un marais qui couvrait
la ville, et qu'on ne pouvait pas tourner. Avec
une position aussi avantageuse, il pouvait em-
pécher les Vendéens de faire un seul paso Mais
aussitót qu'iI apercoit l'ennemi, ji abandonne
le défilé,et se porte en avant. Les Vendéens,
encouragés par la prise du pont au Beaux, le
chargent vigoureusement, l'obligent a céder,
et, profitant du désordre de sa retraite, se jet-
tent asa suite dans le passage qui traverse le
marais, et se rendent ainsi maitres de Pontor-
son, qu'ils n'auraient jamais dü aborder.


Gráce aeette faute impardonnable, une route
inattendue s'ouvrit aux Vendéens. IIs pouvaient
rnarcher sur Dol; mais de Dol il leur fallait
aller a Antrain , et passersur le corps de la
grande armée républicaine. Cependant ils éva-
cuent Pontorson , et s'avancent sur Dol. Wes-
termann se jette a leur poursuite. Toujours




lI.ÉVOLUTION FIlANqAI5F..


aussi bouillant, il entraine Marigny avec ses
grenadiers, et ose suivre les Vendéens jusqu'á
Dol, avec une simple avant-garde. llles joint
en effet, et les pousse confusément dans la
ville; mais bien tót ils se rassurent, sortent de
Dol, et , par ces feux meurtriers qu'ils diri-
geaicnt si bien, ils obligent l'avant-garde ré-
publicaine ase retirer a une grande distance.


Kléber, qui dirigeait toujours l'armée par
ses conseils , quoiqu'un autre en fut le chef,
propose, pour achever la destruction de la co-
lonne vendéenne, de la bloquer, et de la faire
périr de fairn , de maladie et de misereo Les
débandades étaient si fréquentes dans les trou-
pes républicaines , qu'une auaque de vive force
présentait des chances dangereuses. Au con-
traire, en fortifia nt Antrain , Po ntorson , Dinan,
on enfermait les Vendéens entre la roer et trois
points retranchés; et en les faisant harceler
tous les jours par Westermann et Marigny , on
ne pouvait manquer de les détruire. Les re-
présentants approuvent ce plan, et les ordres
sont donnés en conséquence, Mais tout-a-coup
arrive un officíer de Westermann : il dit que
si! on veut seconder son général et attaquer
DoI du caté d'Antrain , tandis qu'll l'attaquera
du coté de Pontorson, c'en est fait de l'armée
eathelique , et qu'elle sera entierement perdue.




CONVENTION NATIONAU (' 79 3). 7'J
Les représentants s'enflamrnent acette propo-
sitian. Prieur de la Marue, aussi bonillant que
Westermann, fait changer le plan d'abord con-
venu , et ji est décidé que Marceau , a la tete
d'une colonne , marchera sur Dol , concurrem-
ment avec Westermann.


Le21 au matin, Westermann s'avance sur Dol.
Daus son impatience, il ne songe pas as'assu-
rer si la colonne de Marcean , qui doit arriver
d'A~train, est déja rendue sur le champ de
bataille , et il attaque en toute háte. L'cnnemi
répond ason attaque par ses feux redoutables.
Westel'mann déploie son infanterie, et gagne
du terrain ; mais les cartouches commencent
amanquer; il est alors ohligé de faire un mou-
vement rétrograde, et il vient s'établir en
arriere sur un platean. Les Vendéens en pro-
fitent , se jettent sur sa colonne , el la disper-
sent. Pendant ce temps, Marceau arrive enfin
ala vue de Dol ; les Vendéens victorieux se ré-
unissent contre luí; iI résiste avec une fermeté
hérolque pendant toute la journée, et réussit
a se maintenir sur le champ de bataille. Mais
sa position est tres-hasardée ; il demande Klé-
ber , pour lui apportell' des coaseils el des se-
eours, Kléber accourt , et conseiUe de prendre
une positioa rétrograde, il est vrai , mais tres-
tOll'te aux eavirons de Trans. On hésite encere




80 ttÉVOLUTJON FRAN~A.ISE.
a suivre l'avis de Kléber, lorsque la présence
des tirailleurs vendéens fait reculer les tI'OU-
pes. Elles se débandent d'ahord , mais on les
rallie bientót sur la position indiquée par Klé-
ber. Kléber reproduit alors le premier plan
qu'il avait proposé, et qui consistait a fortifier
Antrain. On y adhere , mais 011 ne veut pas
retourner aAntrain, on veut rester aTrans , et
s'y fortifier pOUl' étre plus prés de Do1. Tout-
a-coup , avec la mobilité qui présidait a. toutes
les déterminations , on change encore d'avis ,
el on se résout de nouveau a l'offensive mal-
gré l'expériencede la veille. On envoie un ren-
fort a Westermann, en lui ordonnant d'atta-
quer de son coté, tandis que I'arrnée principale
attaquera du coté de Trans.


Kléber objecte en vain que' les troupes de
Westermann, démoralisées par l'événement de
la veílle, ne tiendront pas; les représentants
insistent 1 et l'attaque est résolue pour le len-
demain. Le lendemain , en effet, le mouvement
s'exécute. W estermann el Marigny sout préve-
nus et assaillis par I'ennerni. Leurs troupes,
quoique soutenues par un renfort, se déban-
dento lis font des efforts inouis pOllr les arre-
ter; ils réunissent en vain quelques braves
autour d'eux, et sont bientót emportés. Les
Vendéens, vainqueurs, abandonnent ce point,




81, ")CONVFNTION N ATION ALE \. I 79:J .
et se portent a leur droite, sur l'armée qui
s'avancait de Trans.


Tandis qu'ils venaient d'obtenir cet avan-
tage, et qu'ils se disposaient a en remporter
un second, le bruit du canon avait répandu
l'épouvante daus la ville de Dol, et parmi ceux
d'entre eux qui n'en étaient pas encore sortis
pour comhattre. Les femrnes , les vieillards,
les enfants, et les láches , couraien t de tous
cótés , et fuyaient vers Dinan et vers la mero
Leurs prétres , la croix ala main, faisaient de
vains efforts pour les ramener. Stofflet, La-
rochejacquelein, couraient de toutes parts
pour les reconduire au combato Enfin OI) était
parvenu a les 'rallier , et a les porter sur la
route de Trans , a la suite des braves qui les
avaient devancés.


Une confusion non moins grande régnait
daus le camp principal des républicains. Ros-
signol, les représentants, commandant tous a
la fois , ne pouvaient ni s'entendre ni agir.
Kléber et Marceau , dévorés de chagrins, s'é-
taient avancés pOllr recounaitre le terrain, el
soutenir l'effort des Vendéens, Arrivé devant
l'ennemi, Kléber vent déployer l'avant-garde
de I'armée de Brest , mais elle se débande au
premier coup de feu. Alors il fait avancer la
hrig:1fle Canuel, composée en grande partie


VI. Ij




íh HÉVOLLJTION l·'I{:\i\'(;:AISJi.
de bataillons mayeucais : ceux-ci , fideles ir
leur vieille bravoure , résistent pendant toute
la journée, et demeurent seuls sur le champ
de bataille, abandonnés du reste des troupes.
Mais la bande venrléenne q ni avait battu Wes-
termann, les prend en flanc , et les force a la
retraitc. Les Vendéens en profiteot, et les
poursuivent jusqu'a Antrain méme. Enfin jI
devient urgent de quitter Antrain, et toute
l'armée républicaine se retire a Rennes.


C'est alors qu'on put sentir la sagesse des
avis de Kléber. Rossignol, dans l'un de ces
généreux mouvements dont il était capable ,
malgré son ressentiment contre les généraux
mayencais , parut an conseil de gnerre avec
un papier contenant sa démission. «Je ne suis
«pas fait, dit-i l , pour commander une armée.
« Qu'on me donne un bataillon , je ferai mon
«devoir ; maisje ne puis suffire au comman-
« dernent en chef. Voici done ma démission ,
«et, si on la refuse, OIl est ennemi. de la répu-
« blique.» -- « Pas de dérnission , s'écrie Prienr
« de la Mame, tu es le fils ainé du comité de
« salut publico Nous te donnerons des géné-
« raux qui te conseilleront, et qui répondront
« pour toi des événements de la guerre.)) Ce-
pendant Kléber , dé solé de voir l'armée aussi
mal conduite , proposa un plan qui pouvait




CONVENTION NATIONAL.E (1793). 83
seul rétablir l'état des affaires , mais qui était
bien peu approprié aux dispositions des repré-
sentants. Il faut, leur dit-il , en laissant le gé-
néralat aRossignol, nommer un commandant
en chef des troupes, un commandant de la
cavalerie , et un de l'artillerie. On adopte sa
propositíon; alors il a le courage de proposer
Marcean pour commandanten chefdestroupes,
Westermann pour commandant de la cavalerie,
et .Debilly pour commandant de l'artillerie ,
tons trois suspects comme membres de la fac-
tion mayencaise. On dispute un moment sur
les individus , puis eufin on se rend , et on
cede a l'ascendant de cet habile et généreux
militaire, q ui aimait la répuLlique non par
exaltation de tete, mais par tempérament, qui
servait avec une loyauté, un désintéressement
admirables, et avait la passion et le génie de
son métier a un degré rareo Kléber avait fait
nommer Marcean paree qu'il disposait de ce
jeune et vaillant homme, et qu'il comptait sur
son errtier dévouement. II était assuré, si Ros-
signol restait dans la nullité, de tout diriger
lui-méme , et de terminer heureusement la
guerreo


On réunit la división de Cherbourg, qui
était venue de Norrnandie , aux armées de
Brest et de I'Ouest , et on quitta Reunes pour


(j.




184 RÉVOLllTION FnAN~AISI¡.
s'acheminer vers Angers, oú les Vendéens
cherchaient a passer la Loire, Ceux-ci, aprés
s'étre assurés un moyen de retour, par leur
double victoire sur la route de Pontorson et sur
celle d'Antrain, songérent a rentrer dans leur
pays. Ils repassérent sans coup férir parFougeres
et Laval, et projetérent de s'ernparer d'Angers,
pour traverser la Loire au pont de Cé. La der-
niere expérience qu'i1s avaient faite a Gran-
ville, ne les avait pas encoreassez convaincus
de leur irnpuissance a prendre des places fer-
mées. Le 3 décembre, ils se jetérent dans les
faubourgs d'Angers, et comrnencerent a tirail-
Jer sur le front de la place. IIs continuerent le
Iendemain ; mais , queIle que füt leur ardeur a
s'ouvrir un passage vers leur pays, dont ils
u'étaient plus séparés que par la Loire, ils
désesperent hientót de réussir. L'avant-garde
de Westermann, arrivant dans cette journée
du 4, acheva de les décourager, et de leur faire
abandonner leur entreprise. Ils se mirent alors
en marche, remontant la Loire , et ne sachant
plus oú ils pourraient la passer. Les uns ima-
ginerent de remonter jusqu'á Saumur, les
autres jusqu'a Blois; mais, dans le moment oú
lis délibéraient, Kléber, survenant avec sa di-
vision Te long de la chaussée de Saumur, les
obligea a se rejeter <le nouveau en Bretagne-




CONVENTION NATIONALE (1793). 85
Voilá done ces uialheureux manquau~ de
vivres , de souliers , de voitures pour trainer
leurs familles , travaillés par une maladie épi-
démique, errant de 11Ol,lVeaU en Bretagne, sans
trouver ni un asile, ni un.e issue pour se sau-
ver. lis jonchaient les routes de leurs déhris ;
et au bivouae devant Angers, 011 trouva des
femmes et des enfants morts de faim et de
froid. Déja ils commencaient a croire que la
convention n'en voulait qu'a leurs chefs , et
beaucoup jetaient leurs carmes pour s'enfuir
clandestinement atravers.les campagnes. Enfin,
ce qu'on leur dit du Mans , de l'abondance
qu'ils y trouveraient, des dispositions des ha-
bitants, les engagea a s'y portero Ils traver-
serent IJa Fleche, dont ils s'emparérent , et
entrerent au Mans apres une légere escar-
mouche,


L'armée républicaine les suivait. De nouvelles
querelles s'y étaient élevées entre les généraux.
Kléber avait intimidé les brouillons par sa fer-
meté, et obligé les représentants a renvoyer
Rossignol a Rennes, avec sa division de l'ar-
mée de Rrest. Un arreté du comité de salut
public donna alors a Marcean le titre de gé-
néral en chef, et destitua tous les généraux
rnayencais , en laissant néanmoius a Marcean
la faculté de se servir provisoirementde Kléher.




86 nÉVOLUTJON FRANC,A1Sf:.
Marcean declara qu'il oe commanderait pas,
si Kléber n'était pas ases cótés pour tout or-
donner. l( En acceptant le titre, dit Marceau a
« Kléber, je prends les dégoúts et la respon-
« sabilité pour moi, et je te laisserai atoi le com-
« mandement véritable, el les moyens de sauver
« I'arrnée.» - « Sois traoquille, mon ami, dit
«( Kléber; nous nous battroos, et nous nous
« ferons guillotiner ensemble. »


On se mit done aussitót en marche, et des ce
moment tout fut conduit avec Imité et fermeté.
L'avant-garde de Westermann arriva le ] 2. dé-
cembre au Mans , et chargea aussitót les Ven-
déens, La confusion se rnit parmi eux; mais
quelques rnille braves, couduits par Laro-
chejacquelein, vinrent se former en avant de
la ville, et forcerent Westermann a se replier
sur Marceau , qui arrivait avec une division.
Kléber était encore en arriere avec le reste
de I'armée. Westermann voulait attaquer sur-
le-champ , quoiqu'il fút nuit. Marcean, entrainé
par son tempérament bouillant, mais craignant
le blárne de Kléber , dont la force froide et
calme ne se laissait jamais em porter, hésite;
cependant , emporté par Westermann , il se
décide , et auaque le Mans. Le tocsin sonne,
la désolation se répand dans la ville. Wester-
mano, Marcean, se préeipitent au milieu de




CO"iVICNTW;\, NATlONALE (1 793!. fh
la nuit , culbutent tout devant eux, et , malgré
un feu terrible des maisons , parviennent ú
refouler le plus grand nombre des Vendéens
sur la grande place de la' ville. Marcean fait
couper a sa droite et a sa ganche les rues
aboutissant aeette place, et tient ainsi les Ven-
déens bloques. Cependant sa position était
hasardée , cal', engagé dans une ville au milieu
de la nuit , il aurait pu étre tourné et enve-
loppé. Il envoie done un avis a Kléber, ponr
le presser d'accoueir au.plus vite avec .sa di-
visiono Celui-ci arrive a la pointe du joun, Le
plus grand nombre des Vendéens avait fui; il
ne restait que les plus braves pour protéger la
retraite : on les charge a la haionnette , on les
enfonee, on les disperse, et un carnage horrible
commence dans toute la ville.


Jamais déroute n'avait été aussi meurtriére.
Une foule considerable de femmes, laissées.en
arriere , furent faites prisonniéres..Marcean
sauva une jeune personne qui avait perdu ses
parents, el qui, dans son désespoir, demandait
qu'on lui donnát la mort. Elle était modeste
et belle; Marceau, plein d'égards et de déli-
catesse, la recueillit dans sa voiture , la res-
pecta, et la fit déposer dans un Iieu sur. Les
campagnes étaient couvertes an loin des dé-
bris de ce grand désastre. Westerrnann , infa-




88 RÉVOLUTION FRAN<;AJSE.
tigable, harcelait les fugitifs, et jonchait les
routes de cadavres. Les infortunés , ne sachant
oú fuir, rentrérent dans Laval pour la troisierne
fois , et en ressortirent aussitót pour se re-
porter de nouveau vers la Loire. lis voulurent
la repasser a Ancenis. Larochejacquelein et
StoffIet se jeterent sur l'autre bord, pour
aller, dit-on , prendre des barques et les ame-
ner sur la rive droite. Ils ne revinrent plus.
On assure que le retour leur avait été irnpos-
sihle, Le passagene put s'effectuer. La colonne
vendéenne , privée de la présence et de l'appui
de ses deux chefs, continua de descendre la
Loire, toujours poursuivie , et toujours cher-
chant vainement un passage. Enfin, désespé-
rée, ne sachant oú se porter, elle résolut de
fuir vers la pointe de Bretagne, dans le Mor-
bihan. Elle se rendit a Blain , oú elle rem-
porta encore un avantage d'arriere-garde ; et
de Blain a Savenay, d'oú elle espérait se jeter
dans le Morbihan.


Les républicains l'avaient suivie sans re/a-
che, et ils arriverent a Savenay le soir méme
<In jour oú elle y entra. Savenay avait la Loire
a gauche, des marais a droite, et un bois en
avant, Kléber sentit I'importance d'occuper le
hois le jour méme , et de se rendre maitre de
toutes les hauteurs , afin d'écraser le leude-




CONVENTION NATIONALE. (1793). 89
main les Vendéens dans Savenay, avant qu'ils
eussent le temps.d'en sortir, En effet, il Íanca
l'avant-garde sur eux; et lui-méme , saisissant
le moment oú les Vendéens débouchaient du
bois, pOllr repousser cette avant-garde , s'y jeta
hardiment avec un corps d'infanterie, et les
en débusqua tout-á-fait. Alors ils s'enfuirent
daos Savenay, et s'y enfermerent, sans cesser
néanrnoins de faire un Ieu soutenu pendant
toute la nuit. Westermann et les représentants
proposaient d'attaquer sur-le-champ , pour
tout détruire des la nuit méme, Kléber, qui
ue vou/ait pas qu'une faute lui fit perdre une
victoire assurée , déclara positivement qu'on
n'attaquerait pas; et puis 1 s' enfoncant dans UII
sang-froid imperturbable, il laissa dire, sans
répondre a aucune provocation. Il empécha
ainsi toute espece de mouvement.


Le lendemain , 23décembre , avant le jour, il
était a eheval avee Marceau, et parcourait sa
ligne, lorsque les Vendéens , désespérés et ne
voulant pas survivre a celte journée, se préci-
pitent les premiers sur les républicains. Mar-
ceau marche avec le centre, Canuel avec 6a
droite , Kléher avec la gauche. Tous se préei-
pitent et reploient les Vendéens sur eux-mérnes,
,Vfarceau et Kléber se réunissent dans la ville ,
prenncnt tout ce qu'ils rencontrent de cava-




90 HEVOLIJ'l'lON .FR AN(.:A 1St:.
lerie , et s'elancent a la suite des Vendéeus. La
Loire et les marais interdisaient toute retraite
aces infortunés ; un grand nombre fut immolé
á coups de baíonnettes , d'autres furent faits
prisonniers , et a peine quelques-uns trouve-
rent-ils le moyen de se sauver. Ce jour, la co-
lonne fut entierement détruite., et la grande
guerre de la Vendée véritablement finie,


Ainsi, cette malheureuse population, rejetée
hors de son pays par l'imprudence de ses chefs,
et réduite achercher un port pour se réfugier
vers les Anglais, avait mis vainement le pied
dans les eaux de l'Océan, N';ryalJt pu prendre
Gra~ville, elle avait été ramenée sur la Loire,
n'avait pu la repasser, avait été refoulée une
seconde fois en Bretagne, et de Bretagne sur
la Loire encore. Enfin , ne pouvant franchir
eette barrierefatale , elle venait d'expirer tout
entiere , entre Savenay , la Loire et des ruarais.
Westermann fut chargé, avec sacavalerie , de
poursuivre les restes fugitifs de la Vendée.
Kléber et Marcean retournérent a Nantes.
Recus , le 24, par le peuple de cette ville, ils
<9bti*rent une espece de triomphe, et furent gra-
tifiés par le club jacobin d'une couronne civique.


Si ron considere dans son ensemble eette
eampagne mémorable de 93, on ne pourra
s'empécher de la reaarder cornrne le plus grand




CONVENTION NATIONALE (1793). 91
effort qu'ait jamais fait une société menaeée.
Dans l'année 1792, la coalition , qui n'était pas
complete encore, avait agi sans ensemble et
sans vigueur. Les Prussiens avaient tenté en
Champagne une invasion ridieule; les Autri-
ehiens s'étaient bornés dans les Pays-Basá bom-
barder la place de Lille. Les Francais , dans
leur premiere exaltation, repousserent les
Prussiens au - dela du Rhin, les Autrichiens
au-delá de la Meuse, conquirent les Pays-Bas,
Mayenee, la Savoie et le eomtéde Niee. La
grande année 93 s'ouvrit d'une maniere bien
différente. La coalition était augmentée des
trois puissances qui jusque-Iá étaient restées
neutres. L'Espagne, poussée a bout par le 21
janvier, avait en fin porté einquante mille
hommes sur les Pyrénées; la France avait obligé
Pitt ase déclarer; et l'Angleterre et la Hollande
étaient entrées a la fois dans la eoalition, qui
se trouvait ainsi doublée, et qui, mieux avertie
des moyans de l'ennemi qu'elle avait aeom-
battre , augmentait ses forces , et se préparaít a
un effort déeisif. Ainsi, comme sous Louis XIV,
la France avait asoutenir l'attaque de l'Europe
entiere ; et eette foís elle ne s'était- pas attiré
ce coneours d'ennemis par son ambition, mais
par la juste colere que lui inspira l'intervention
des puissances dans ses affaíres intérieures.




~p RÉVOLUTJON }'RAN<;:AISE.
Des le mois de mars, Dumouriez débura par


une téméri.té, et voulut envahir la Hollande en
se jetant dans des bateaux. Pendant ce temps,
Cobourg surprit les lieutenants de Dumouriez,
les rejera au-delá de la Meuse, et le forca lui-
mérne a veni.r se rnettre a la tete de son ar-
mée, Dumouriez fut obligé de livrer la bataille
.de Nerwinde. Cette terrible hataille était ga-
gnée, lorsque l'aile gauche fléchit, et repassa
la Gette; il fallut battre en re traite , et nous
perdimes la Belgique en quelques jours. Alors
!es revers aigrissant les coeurs , Dumouriez
rompit avec son gouvernement, et passa aux
Autrichiens. Dans le mérne instant, Custine ,
battu a Francfort, ramené sur le Rhin, et sé-
paré de Mayence, laissait les Prussiens bloquer
eette place fameuse, et en commencer le siége;
les Piémontais nous repoussaient a Saorgio ,
lesEspagnols entamaient les Pyrénées ;et enfin
les provinces de l'Ouest, déja privées de leurs
prétres et poussées a bout par la levée des
t rois cent mil1e hornmes , venaient de s'insur-
gel' au nom du treme et de l'autel. C'est dans
ce moment que la Montagne, exaspérée de la
désertion de Dumouriez , des défaites essuyées
dans les Pays-Bas, sur le Rhin, aux Alpes, et
surtout de l'insurrection de l'Ouest, ne garda
plus aucune mesure, arracha violemment les




CONVENTJOi\ ~'1 AT101'< ALE (1793). 93
girondins du sein de la convention, et repoussa
ainsi tous ceux qui pouvaient lui parler encore
de modération. Ce nouvel exces lui valut de
nouveaux ennemis, Soixante - sept départe-
ments sur quatre - villgt - trois se souleverent
contre ce gouvernement, qui eut alors alutter
contre l'Europe, la Vendée royaliste, et les trois
quarts de la France fédéralisée. C'est a cette
époque quenous perdirnes le camp de Famars
et le brave Dampierre , que le hlocus de Va-
lenciennes fut achevé ,que Mayence fut pres-
sée vivement , que les Espagnols passerent le
'I'ech , et menacérent Perpignan, que les Ven-
déens prirent Saumur et assiégerent Nantes,
que les fédéralistes se disposérent afondre de
Lyon , de MarseiHe, de Bordeaux et de Caen,
sur Paris.


De tons les points on pouvait tenter une
marche hardie sur la capitale , terminer la ré-
volution en quelques journées , et suspendre
la civilisation européenne pour long-temps.
Heureusement on assiégea des places. On se
souvient avec quelle fermeté la convention fit
rentrer les départernents dans la sournission ,
en leur montrant seulcment son autorité, et
en dispersant les imprudents qui s'étaient avan-
cés jusqu'á Vernon; avec quel bonheur les
Vendéens furent repoussés de Nantes, el ar-




9/. nÉVOLUTION l'l\C\N(,:,\JSE.
relés dans leur marche victorieuse. Mais tandis
que la convention triomphait des fédéralistes,
ses autres ennemis avaient fait des progres
alarmants. Valenciennes et Mayence furent
prises apres des siéges mémorables; la guerre
du fédéralisme amena deux événements désas-
treux , le siége de Lyon , et la trahison de
Toulon; enfin, la Vendée elle-rnéme , quoique
renfermée dans le cadre de la Loire, de la mer
et du Poitou, par l'heureuse résistance de
Nantes, venait de repousser les colonnes de
Westermann et de Labaroliere , qui avaient
voulu pénétrer dans son sein. Jamais la situa-
tion n'avait été plus grave. Les coalisés n'étaient
plus arrétés an Nord et an Rhin par des sié-
ges; Lyon et Tonlon offraient aux Piérnontais
de solides appuis ; la Vendée paraissait in-
domptable, et: offrait nn pied-a-terre aux An-
glais. C'est alors que la convention appela a
París les envoyés des assemblées primaires ,
leur donna la constitution de I'an Ill ajurel' el
a défendre , et décida avcc eux que la France
entiere , hommes el choses , était a la disposi-
tion du gouvernement. Alors fut décrétée la
levée en masse , génération par génération,
et la faculté de requerir tout ce qui serait né-
cessaire ala gnerre; alors fut institué le granel-
Iivre , et l'emprunt forcé sur les riches, ponr




C()\VFI~TION "' ATlUNALE (17!¡3). 9!J
retirer de la circulation une partie des assr-
gnats et opérer le placement forcé des biens
nationaux ; alors deux grandes armées furent
dirigées sur la Vendée; la garnison de Mayence
y fut transportée en poste; il fut résolu que
ce rnalheureux pays serait brúlé , et que la po-
pulation en serait transportée ailleurs. Enfin ,
Carnot entra au comité de salut public, et
cornmenca a introduire l'ordre et I'ensemble
dans les opérations militaires.


Nous avionsperdu le camp de César, etKil-
maine avait, par une retraite heureuse , salivé
les restes de l'armée dn Nord. Les Anglais s'é-
raient portés a Dunkerque, et en faisaient le
siége,. tandis que les Autrichiens attaquaient
Le Quesnoy. Une masse fut rapidementdirigée
de Lille surles derrieres du duc d'York. Si Hou-
chard, qui commandait en cette occasion
soixante mille Francais , avait eompris le plan
de Carnot, et s'était porté sur Furnes, pas· un
Anglais n'était sauvé. Aa lieu de se placer entre
le corps d'observation et le corps de siége, il
prit une marche directe, et décida du moins
la levée du siége, en donnant l'heureuse ba-
taille d'Hondtschoote. Cette bataille fut notre
premiere vietoire, sauva Dunkerque, priva les
Anglais de tous les fruits de eette guerr-e, el
nous rendit la joie et l'espérance.




96 nÚVOUiTION FRA.NY,\.ISE.
Bientót de nouveaux revers changérent eette


joie en nouvelles alarmes. Le Quesnoy fut pris
par les Autriehiens; l'armée de Houehard fut
saisie aMenin d'une terreur panique, et se dis-
persa; les Prussieus et les Autrichiens, que rien
n'arrétait plus depuis la prise de Mayence, s'a-
vancerent sur les deux versants des Vosges,
menacerent les lignes de Wissemhourg, et
1I0US battirent en di verses rencontres, Les
Lyonnais résistaient avec vigueur, les Piémon-
tais avaient recouvré la Savoie, et étaient des-
cendus vers Lyon pour mettre notre armée
entre deux feux; Ricardos avait franchi la Tet,
et dépassé Perpignan ; enfin la division des
troupes de l'Ouest en deux armées, ceHe de
La RochelIe et celle de Brest , avait ernpéché
le succes du plan de campagnearrété a Sau-
mur le :l septembre. Canclaux, mal secondé par
Rossignol, s'était trouvé seul en fleche dans le
sein de la Vendée, et s'était replié sur Nantes.
Alors nouveaux efforts: la dictature fut corn-
plétée et proclamée par l'institution du gou-
vernement révolutionnaire; la puissance du
comité de salut public fut proportionnée au
danger; les levées furent exécutées, et les ar-
rnées grossies d'une multitude ele réquisition-
naires; les nouveaux venus remplirent les gar-
nisons, et permirent de porter les trollpes




CONVENTION N AnON ALE (179 3). 97
organisées en ligne; enfin la convention 01'-
donna aux armées de vaincre dans un délai
donné ,


Les moyens qu'elle avait pris produisirent
leurs inévitahles effets. Les armées du Nord
renforcées , se ooncentrerent aLille et aGuise.
Les coalisés s'étaient portés a Maubeuge , qu'ils
voulaient prendre avant la fin de la campagne.
Jourdan , parti de Guise, livra aux Autrichiens
la bataille de Watignies, et fit lever le siége de
Maubeuge, eomme Houchard avait fait lever
celui de Dunkerque. Les Piémontais furent
rejetés au-delá du Saint-Bernard par KelJer-
mann; Lyon, inondé de levées en masse , fut
emporté d'assaut; Ricardos fut repoussé au-
dela de la Tet; enfin les deux armées de La Ro-
chelle et de Brest, réunies sous un seul chef,
Léchelle, qui laissait agir Kléber, écraserent
les Vendéens a Chollet, et les obligérent 11
passer la Loire en désordre.


Un seul revers troubla la joie que devaieut
causer de tels événements : les lignes de Wis-
sembonrg furent perdues. Mais le comité de
salut public ne voulut pas terminer la cam-
pagne avant qu'elles fussent reprises : le jeune
Hoche , général de l'armée de la Moselle , mal-
heureux, mais brave a Kayserlautern, fut en-
couragé quoique battu. N'ayant pu entarner


VI.




98 UÉVOLUTION l!'RAN~AISE.
Brunswick , il se jeta sur le flane de Wurmser.
Des ce moment, les deux armées du Rhin et
de la Moselle réunies repousserent les Autri-
chiens au-dela de Wissembourg, obligerent
Brunswick asuivre ce mouvement rétrograde,
débloquerent Landau, et camperent dans le
Palatinat. Toulon fut repris par une idée heu-
reuse .et par un prodige de hardiesse; enfin,
les Vendéens, qu'on croyaitdétruits , mais qui,
daos leur désespoir, s'étaient portés au nombre
de quatre-vingt rnille individue au-delá de la
Loire, et cherchaient un port pour se jeter dans
les bras des Anglais, les Vendéens furent repous-
sés des bords de I'Océan , repoussés également
des bords de la Loire, et écrasés entre ces deux
barrieres qu'ils ne purent jamais franchir. Aux
Pyrénées seulement nos armes avaient été
malheureuses , mais nous n'avions perdu que
la ligne du Tech, et nous campions eneore en
avant de Perpignan..


Ainsi , eette grande et terrible année nous
montre l'Europe pressant la révolution de tout
son poids , luí faisant expier ses premiers suc-
ces de 92, ramenant ses armées en arriére , pé-
nétrant par toutes les frontieres ala fois; et
une partie de la France s'insurgeant, et ajou-
tant ses efforts a eeux des puissances enne-
mies. Alors la révolution s'irrite : elle fait écla-




CONVENTION N ATION ALE (1793). 99
ter sa colere au 31 mai, se crée , par cette
journée, de nouveaux ennemis, et semble préte
asuccomber contre l'Europe et les trois quarts
de ses provinces révoltées, Mais bientót elle fait
rentrer ses ennemis intérieurs dans le devoir ,
souleve un million d'hommes a la fois , bat les
Anglais a Hondtschoote , est battue de nou-
veau , mais redouble aussitót d'efforts, gagne
une bataille aWatignies, recouvre les lignes de
Wissembourg, rejette les Piémontais au-dela
des Alpes, prend Lyon, Toulon, et éerase deux
fois les Vendéens, une premiare fois dans la
Vendée, et une seeonde et derniere fois en
Bretagne. Jamais speetacle ne fut plus grand
et plus digne d'étre proposé a l'admiration et
a l'imitation des peuples. La Franee avait re-
eouvré tout ce qu'elle avait perdu, excepté
Condé, Valeneiennes et quelques forts dans le
Roussillon ; les puissances de l'Europe, au con-
traire , qui avaient toutes ensemble lutté contre
une seule, n'avaient rien obtenu, s'accusaient
les unes les autres, et se rejetaient la honte de
la campagne. La Franee achevait d'organiser
ses moyens, et devait paraitre bien plus for-
midable l'année suivante.




'j '0


.0,'




CONVENTION NA'l'JONALJ.: (1793). JO 1


CHAPITRE 111.


.Suíte de la Iutte des hébertistes et des dantonistes, - Ca-
. mille Desmoulins publie le Fieu» Cordelier. - Le co-


mité se place entre les deux partis , et s'attache d'abord
a réprimer les hébertistes. - Disette dans Paris, -
Rapports importants de Robespierre et de Saint-Just.
- Mouvement tenté par les hébertistes, - Arrestatíon
et mort de Ronsin, Vincent, Hébert, Chaumette, Mo-
moro,etc. - Le comité de salut public fait subir le
méme sort aux dantonistes. ~ Arrestation, pvocés et
supplice de Danton, Camille Desrnoulins , Philipeaux ,
Lacroix , Hérault-Séchelles , Fabre- d'Eglantine , Cha-
bot , etc.


LA convention avait commencé d' exercer quel-
ques sévérités envers la faction turbulente des
cordeliers et des agents ministériels, Bonsín et
Vincent étaient en prison. Leurs partisans s'a-
gitaient au dehors. Mornoro , ame Cordeliers ,




102 nÉVOLUTIOl'l }'RAN~AISE.
Hébert, aux Jacobins , S' efforcaient d' exciter en
faveur de leurs amis l'intérét des chauds révolu-
tionnaires. Les cordeliers firent une pétition,
et, d'un ton assez peu respectueux , demande-
rent si on voulait punir Vincent et Ronsin
d'avoir courageusement poursuivi Dumouriez, .
Custine et Brissot ; ils déclarerent qu'ils regar-
daient ces deux citoyens comme d'excellents
patriotes, et qu'ils les conserveraient toujours
comme membres de leur société. Les jacobins
présenterent une pétition plus mesurée, et se
bornerent ademander qu'on accélérát le rap-
port sur Vincent et Ronsin, afin de les punir
s'ils étaient coupables, ou de les rendre á Ja
liberté s'ils étaient innocents.


Le comité de salut public gardait encore le
silence, Collot-d'Herbois seul., quoique mem-
bredu comité etpartisanobligé du gouverne-
ment, montra le plus granel zele llour Ronsin.
Le motif en était naturel: iá cause de Vincent
lui était presque étrangere , mais celle de Ron-
sin, envoyé a Lyon avec Iui , et de plus
exécuteur de ses sanglantes ordonnances, le
touchait de tres - pres.. Collot - d'Herbois avait
soutenu avec Ronsin qu'iln'y.avaitqu'un cen-
tieme des. Lyonnais qui fussent patriotes; qu'il
fallait déporter 0\1 immoler le reste, charger
le Hhóne de cadavres , effrayer tout le Midi de




C01'lVliNTJON JUTJONAÚ (J 793). 103
ce spectacle, et frapper de terreur la rebelle
cité de Toulon. Ronsin était en prison pour
avoir répété ces horribles .expressions dans
une affiche. Collot - d'Herbois , rappelé POUI'
rendre eompte de sa mission , avait le plus
grand intérét a justifier laconduite de Ronsin,
afio de faire approuver la sienne. Dans ce mo-
ment, il arrivaitune pétition signée de quelques
citoyens lyonnais , qui faisaient la peinture la
pluadéchirante des maux de leur ville. lis mon-
traient les mitraillades succédant aux exécu-
tions de la guillotine, une population entiere
menacée d'extermination, et une cité riche el
rnanufacturiére démolie , non plus avec le mar-
tea u , mais avec la mine. Cette pétition, q ue
quatre citoyens avaient eu le courage de si-
gner, produisit une impression douloureuse
sur. la convention. Collot-d'Herbois se háta.de
faireson rapport ,et, dans son ivresse eévo-
lutionnaire , il présentaces tercibles.exécutions
comme elles s'offraient asa propreimagina-
tion, c'est-á-dire comme indispensahles et ton tes
naturelles. - ce Les Lyonnais , dit-iI en suhs-
tance, étaient vaincus , mais ils disaient haute-
ment qu'iIs 'prendraient bientót Ieur revanche.
Il fallait frapper de terreur ces rebelles encore
insoumis; et avec eux, tous ccux qui VOIl·
draient les imiter; il fallait un exemple prompt




104 ltbVOI.UTlON FRAN<;:AlSE.


et terrible. L'instrument ordinaire de mort n'a-
gissait point assez vite; le marteau ne démo-
lissaít que lentement. La mi traille a détruit les
hommes, la mine a détruít les édifices. Ceux
qui sont morts avaienttous trempéleurs mains
dans le sang des patriotes. Une commission po-
pulaire les choisissaitd'un coup d'oeil prompt et
sur dans la foule des prisonniers; et on n'a lieu
de regretter aucun de ceux qui ont été frappés. »)
- Collot-d'Herbois obligea la convention éton-
née aapprouver ce qui lui semblait aIui-méme
si naturel ; il se rendit ensuíte aux Jacobíns
pour se plaindre a eux de la peíne qu'il avait
ene a justifier sa conduite, et de la compas-
síon qu'avaient inspirée les Lyonnais. « Ce ma-
« tin , j'ai eu besoin, dit - il , de me servil' de
« cireonlocutions pour faire approuver la mort
« des traitres. On pleurait ,OH demandait s'ils
« étaient morts du premier coupl... Du premier
cc coup, les contre-révolutionnaires 1et Chalier
« est-il mort da premier eoup * L.... Vous vous
« informez , disais-je ala convention, eomment
« sont morts ees hornmes qui étaient eouverts du
« sang de nos freres] S'ils n'étaient pas morts,


* Ce montagnard, condamné par les fédéralistes lyon-
nais , avait été mal exécuté par le bourreau , qui avait c'té
obligé de revenir jusqu'á trois fois pour faire tornher sa
téte,




CONVENTION NATIONALE (1793). J05
« VOllS ne délibéreriez pas ici L.. Eh bien! apeine
« entendait - OH ce langage! Ils ne pouvaient
« entendre parler des morts; ils ne savaient pas
« se défendre des ombres !)) Passant ensuite a
Ronsin, Collot - d'Herbois dit que ce général
avait partagé tous les dangers des patriotes dans
le Midí, qu'il y avait bravé avec lui les poignards
des aristocrates , et déployé la plus grande fer-
meté pour y faire respecter l'autorité de la répu-
blique; que dans ce moment tous les aristocrates
se réjouissaient de son arrestation , et y voyaient
ponr eux-mérnes un sujet d'espoir.-eeQu'a done
fait Ronsin pour étre arre té ? ajoutait ColIot. Je
l'ai demandé a tout le monde; personne n'a
pu mele dire.» -Le lendemain de eette séance,
dans celle du 3 nivose , Collot, revenant a la
charge, vint annoncer la mort du patriote
Gaillard , lequel , voyant que la eonvention
semblait désapprouver l'énergie déployée a
Lyon, s'était donné lamort.-« Vousai-je trorn-
pés , s'écria Collot, quand je vous ai dit que les
patríotes allaient étre réduits au désespoir, si
l'esprit public venait a baisser ici ? »


Ainsi, tandis que deux chefs des ultra-révo-
lutionnaires étaient enfermés, leurs partisans
s'agitaient poul' eux. Les clubs, la eonvention
étaient troublés de réclamations en leur faveur,
et un membre méme du comité de salut !HI-




106 nÉvoLuTION FllANqAlsI"
blie, eompromis dans leur systeme sanguinaire,
les défendait pour se défendre lui-méme. Leurs
ad versaires cornmencaient , de leur coté, a
mettre la plus grande énergie dans leurs atta-
queso Philipeaux, revenu de la Vendée, et plein
d'indignation contre l'état- major de Saurnur ,
voulait que le comité de salut public, parta-
geant sa colére, poursuivit Rossignol, Ronsin
et autres, et vit une trahison dans la non-
réussite du plan de campagne du 2·septembre.
On a déja vu combien il y avait de torts réci-
proques, de rnalentendus, et d'incompatihilités
de caractére , dans la conduite de cette guerreo
Rossignol et I'état-major de Saumur avaient en
de l'humeur, mais n'avaient point trahi; le co-
mité], en les désapprouvant, ne pouvait leur
faire essuyer une condamnation qui n'aurait été
ni juste ni politiqueo Bobespierre aurait voulu
qu'on s'expliquát al'amiable; .mais Philipeaux,
impatient , écrivit un pamphlet virulent oú i]
raconta toute la guerre, et oú il mela beaucoup
d'erreurs a beaucoup de vérités. Cet écrít de-
vait produire la plus vive sensation, car il at-
taquait les révolutionnaires les plus prononcés,
et les accusait des plus affreuses trahisons,
« Qu'afait Ronsin? disait Philipeaux; beau-
« COllp intrigué, beaucoup volé, beaucoup
« mentí l Sa seule expédition c'est celle do I t{




CONVENTION NATIONUE ([793). 107
« septernbre, oii il fit accabler quarante-einq
( mille patriotes par trois mille brigands; e'est
« eette journée fatal e de Coron, oú , apres avoir
« disposé notre artillerie dans une gorge, a la
« tete d'une colonne de six lieues de flane, il
« se tint caché dans une étable eomme un la-
« che eoquin, a deux lieues du ehamp de ha-
({ taille, oú nos infortunés eamarades étaient
« foudroyés par Ieurs propres canons, » Les
espressions n'étaient pas ménagées , comme on
le voit, dans l'écrit de Philipeaux. Malheureu-
sement, le comité de salut public, qu'il aurait
dú mettre dans ses intéréts , n'était pas traité
avec beaucoup d'égards. PhiIipeaux, mécon-
tent de ne pas voir son indignatíon assez par-
tagée, sernblait imputer au comité une partie
des torts qu'il reprochait á Ronsin, et employait
méme cette expression offensante : Si vous
n'avez été que trompés.


L'écrit, comme naos venons de le dire, pro-
duisit une grande sensation. Camille Desmou-
lins ne conriaissait point Philipeaux; rnais ,
satisfait de voir que dans la Vendée les ultra-ré-
volutionnaires avaient autant de torts qu'a Pa-
ris, el n'imaginant pas que la colere eút aveu-
glé Philipeaux jusqu'á lui faire changer des
fautes en trahison, il lut son pamphlet avee em-
pressement , admira son coura ge, el, dans sa




J 08 RÉVOLUTION FUANYAISE.
naíveté , il disait a tout le monde: A vez-vous lu
Philipeaux ? .. Lisez Philipeaux... - Tou't le
monde, suivantlui, devait lirecetécrit,qui prou-
vait les dangers qu'avait courus la république,
par la faute des exagérés révolutionnaires.


Camille aimait beaucoup Danton , et en était
aimé. Tous deux pensaient que la répuhlique
étant sauvée par ses dernieres victoires, il était
temps de mettre fin a des cruautés désormais
inutiles; que ces.cruautés prolongées plus long-
temps De seraient propres qu'á compromettrt'
la révolution, et que l'étranger pouvait seul en
désirer et en inspirer la continuation. Camille
imagina d'écrire un nouveau journal qu'il in-
titula Le Fieuo: Cordelier , cal' Danton et lui
étaient les doyens de ce club célebre. Il dirigea
sa feuille contre tous les révolutionnaires nou-
veaux , qui voulaient renverser et dépasser les
révolutionnaires les plus anciens et les plus
éprouvés. Jamais cet écrivain, le plus remar-
quable de la révolution , et l'un des plus naif;
et des plus spirituels de notre Iangue , n'avait
déployé autant de grace, d'originalité et méme
d'éloquence. II commencait ainsi son premier
numéro (15 frimaire): « O Pitt! je rends horn-
« mage aton génie! Quels nouveaux débarqués
« de France en Angleterre t'ont donné de si
« bons conseils , et des moyens si súrs de pel' >




CONVENTION NATIONALF. (1793). 109
« dre ma patrie? Tu as vu que tu échouerais
« éternellement contre elle, si tu ne t'attachais
« a perdre dans l'opinion publique ceux qni,
« depuis cinq ans, ont déjoué tous tes projets.
« Tu as compris que ce sont ceux qui t'ont
« toujours vaincu qu'il fallait vaincre; qu'il
« fallait faire accuser de corruption, précisé-
« ment ceux que tu n'avais pu corrompre, et
« d'attiédissement ceux que tu n'avais pu at-
« tiédir! J'ai ouvert les yeux, ajoutait Des-
« moulins, j'ai vule nombre de nos ennemis :
« leur multitude m'arrache de l'hótel des In-
« valides, et me ramene au combato Il faut
« écrire , il fant qui tter le crayon lent de I'his-
« toire de la révolution, qne je tracais au coin
« du feu , pour reprendre la plume rapide et
« haletante du journaliste, et suivre, a bride
« abattue, le torrent révolutionnaire. Député
l( consultant que personne ne consultait plus
« depuis le 3 juin , je sors de mon cabinet et
« de ma chaise abras, oú j'ai eu tout le Ioisir
« de suivre, par le menu, le nouveau systeme
« de nos ennemis. ))


Camil1e élevait Robespierre jusqn'aux cieux,
pour sa conduite aux Jacobins, pour les servi-
ces généreux qu'il avait rendus aux vieux pa-
triotes, et il s'exprimait de la maniere suivante
a l'égard dn culte et des proseriptions.




I 10 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
« II faut, disait-il , a l'esprit humain malade


« le lit plein de songes de la superstition : et a
« voir les fétes , les processions qu'on institue,
« les autels et les saints sépulcres qui s' élevent ,
« il me sernble qu'on ne fait que changer le lit
« du malade; seulement on lui retire 1'oreiller
« de l'espéranee d'une autre vie..... Pour moi ,
« je l'ai dit ainsi, le jour méme oú je vis Go-
« bel venir a la barre, avee sa double eroix
« qu'on portait en triomphedevant le phi\o-
« sophe Anaxagoras *. Si ce n'était pas un
« crime de lese-Montagne , de soup<;onner un
« président des jaeobíns et un procureur de la
« commune, tels que Clootz et Chaumette, je
« serais tenté de croire qu'a eette nouvelle de
« Barrere , la Fendée n'existe plus, le roi de
« Prusse s'est écrié douloureusement : Tous
« nos efforts échoueront done contre la répu-
« blique, puisque le noyau de la Vendée est dé-
« truit; et que l'adroit Luchesini , pour le eon-
« soler, lui auradit: Héros invincible,j'imagine
11 une ressource ; laissez-moi faire. Je paierai
« quelquesprétrespOllr se dire charlatans, j'en-
« flammerai le patriotisme des autres pourfaire
« une pareille déclaration. Ily a aParís deux
« fameux patriotes qui seront trés-propres par


* Nom qu'avait pris Chaumette,




CONVENTION NATIONALE (1793). 111
« leurs talents, leal' exagération, et leur -9"s-
( teme religieua: bien connu , a llOUS secoruler
(( el a recevoir nos impressions. 11n'est qaes-
( tion que de faire agir nos amis en France,
:( aupresdes deux grandsphilosophes A nachar-
« sis el Anaxagoras; de mettre en mouvement
« leur bile, et d'éblouir leur civisme, par la ri..
« che conquéte des sacristies. (J'espere que
« Chaumette ne se plaindra pas de ce numéro ;
« le marquis de Luchesini ne peut pas parler
« de lui en termes plus honorables). Anachar..
« sis et Anaxagoras croiront pousser la roue
( de la raison , tandis que ce sera celle de la
( contre-réoolution ; et bientót, au lieu de lais-
« ser, mourir en France de uieillesse et d' inani-
l( tion , le papisme prét ti y rendre le dernier
« soupir, je vous promets, par la persécution
« et l'uuolérance contre ceua: qui uoudraient
« messer el étre messés , de faire passer force
« recrues a Lescure et a.Larochejacquelein. »


CamilIe, racontant ensuite ce qui se faisait
sous les empereurs romains, et prétendant ne
donner qu'une traduction de Tacite, fit une
effrayante allusion a la 10i des suspects, ( An-
« ciennement, dit-il , il Y avait á Rome , selon
( Tacite , une loi. qui spécifiait les crimes d'é-
« tat et de Iese- majesté, et portait peine ca-
« pitaJe. Ces crirnes de lése-rnajesté , sons la




112 ln:VOLIJTION FIlANI:AISE.


« république, se réduisaient a quatre sortes :
« si une armée avait été abandonnée en pays
« ennerni ; si l'on avait excité des séditions; si
« les membres des corps constitués avaient mal
« administré les affaires ou les deniers publics;
« si la majesté du peuple romain avait été avi-
« lie. Les empereurs n'eurent besoin que de
« quelques articles additionnels a cette loi,
«( pour envelopper les citoyens et les cités en-
« tieres dans la proscription. Auguste fut le


• « premier aétendre cette loi de.lese-majesté ,
« en y comprenant les écrits qu'il appelait con-
« tre-révolutionnaires, Bientót les extensions
« n'eurent plus de bornes. Des que les propos
« furent devenus des crirnes d'état , il n'y eut
« plus qU'UIl pas a faire pour changer en cri-
« mes les simples regards, la tristesse , la com-
« passion, les soupirs, le silence méme.


« Bientót ce fut un crime de lése-rnajesté ou
( de contre - révolution a la ville de Nursia
« d'avoir élevé un monument a ses habitants
« morts au siége de Modene ; crime de contre-
« révolution aLibon Drusus d'avoir demandé
« aux diseurs de bonne aventure s'il ne possé-
« derait pas un jour de grandes richesses ;
« crime de contre -révolution au journaliste
« Crernuntius Cordus d'avoir appelé Brutus et
c( Cassius les derniers des Romains; crime de




CONVENTION NATIONALE (1793). 113
« contre-révolution a un des descendants de
« Cassius d'avoir chez lui un portrait de son
« bisaíeul ; crime de contre-révolution a Mar-
« eus Scaurus d'avoir fait une tragédie oú il y
(( avait tel vers auquel on pouvait donner deux
« sens ; erime de contre-révolution aTorqua-
(( tus Silanus de faire de la dépense ; erime de
« contre-révolution a Pétréius d'avoir eu un
« songe sur Claude; erime de eontre - révolu-
« tion aPomponius de ce qu'un ami de Sé-
«( jan était venu ehercher un asile dans une de
« ses maisons de eampagne; erime de centre-
« révolution de se plaindre des malheurs du
( temps, cal' c'était faire le proces du gouver-
«( nement; erime de eontre-révolution de ne
« pas invoquer le génie divin de Caligula. Ponr
« y avoir manqué, grand nombre de eitoyens
( furent déchirés de coups, condamnés aux
« mines ou aux bétes , quelques-uns mérne sciés
« par le milieu du corps. Crime enfin de con-
« tre-révolution a la mere du consul Fusius
« Germinus d'avoir pleuré la mort funeste de
«.son fils.


ce Il fallait montrer de la joie de la mort de
( son ami, de sonparent, si ron ne voulait
« s'exposer apérir soi-méme.


( Tout donnait de l'ombrage au tyran. Un
« citoyen avait-il de la popnlarité? c'était un


VI. 8




J 1 (~ RÉVOLUTION FRAN~AISI:.
« rival du prince, qui pouvait susciter une
« guerre civile, Studia cioium in se uerteret,
« elsi multi ídem audeant, bellum esse. SUSPECT.


« Fuyait-on au contraire la popuIarité, et se
(( tenait-on au coin de son feu? cette vie retirée
(( vous avait fait remarquer; vous avait donné
(( de la considération. Quanto metu bccultior,
« tanto plus fama adeptus. SUSPECT.


« Étiez-vous riche? il Yavait un péril immi-
« nent que le peuple ne fñt corrompupal' vos
(( largesses. Auri vim atque opes Plauti, prin-
« cipi infensas, SUSPECT.


« Etiez-vous pauvre ? Comment done! invin-
« cible empereur! il faut surveiller de plus prés
« cet homme. Il n'y a personne d'entreprenant
« comme celui qui n'a rien. Syllam inopem ,
« undé praicipuam audaciam. SUSPECT.


« Étiez-vous d'un caractere sombre, mélan-
« colique, ou mis en négligé? Ce qui vous af-
« fligeait, e'est que les affaires publiques al-
« laient bien. Hominem publicis bonis mcestum.
« SUSPECT. »


CamiUe Desmoulins poursuivait ainsi cette
grande énumération des suspects, et tracait
un horrible tableau de ce qui se faisait aParis,
par ce qui s'était fait a Reme, Si la lettre de
Philipeaux avait excité une vive sensation, le
journal de Camille Desmoulins en produisit




CONVENTION N ATION ALE (1793). 115
une bien plus grande encore. Cinquante mille
exemplaires de chacun de ses numéros furent
vendus en quelques jours. Les provinces en
demandaient en quantité; les prisonniers se
les transmettaient a la dérobée, et ils lisaient
avec délices , et avec un peu d'espoir, ce révo-
lutionnaire qui leur était autrefois si odieux.
Camille, sans vouloir qu'on ouvrit les prisons,
ni qu'on fit rétrograder la révolution, deman-
dait l'institution d'un comité, dit de clémence ,
qui ferait la revue des prisonniers, élargirait
les citoyens enferrnés sans cause suffisante,
et arréterait le sang la OU il avait déjá trop
coulé.


Les écritsde Philipeaux et de Desmoulins ir-
riterent au plus haut degré les révolutionnaires
zélés, et furent improuvés aux Jacobins, Hébert
les y dénonca avec fureur; il proposa méme
de radier les auteurs de la liste de la société.
Il signala en outre , comme complices de C:\-
mille Desmoulins et de Philipeaux, Bourdon
de I'Oise et Fabre-d'Églantine. On a vu que
Bourdon de l'üise avait voulu, de concert
avec Goupilleau, destituer Rossignol; il s'était
brouillé depuis avec l'état-major de Saumur,
et n'avait cessé dans la convention de s'élever
contre le partí Ronsin. C'est ce qui le faisait
associer a Philipeaux. Fabre était accusé d'a-


8.




1 16 RÉVOLUTION FRAN~AISf.:.
voir pris part a l'affaire du.faux décret , et on
était disposé ale croire , quoiqu'il eüt été jus-
tifié parChabot. Sentant sa position périlleuse,
et ayant tout a craindre d'un systemede sévé-
rité trop grande, il avait deux ou trois fois
parlé pour le systeme de l'indulgence, s'était
entiérement brouillé avec les ultra-révolution-
naires, et avait été traité d'intrigant par le
Pere Duchesne, Les jacobins, sans adopter les
violentes propositions d'Hébert , déciderent
que Philipeaux ,CamilIe Desmoulins, Bourdon
de l'Oise et Fabre-d'Églantine, viendraient a
la barre de la société , donner des explications
sur leurs écrits, et sur leurs discours dans la
convention,


La séance oú ils devaient comparaitre avait
excité une affluence extraordinaire. On se dis-
putait les places avee fureur , on en vendit
quelques-unes jusqu'a 25 franes. C'était , en ef-
fet, ]e preces des deux nouvelles classes de pa-
triotes, qui allait se juger devant l'autorité
toute puissante des jacobins. Philipeaux, quoi-
qu'il ne fút pas membre de la soeiété, ne re-
fusa pas de comparaitre a sa barre, et répéta
les aeeusations qu'il avait déja consignées, soit
dans sa correspondanee avee le comité de sa-
lut public, soit dans sa brochure. 11 ne ména-
~~a pas plus les individus qu'il ne l'avait fait




CO.N"VENTlON NATIONALE (1793). 117
précédemment, et donna a Hébert deux ou
trois démentis formels et insultants. Ces per-
sonnalités si hardies de Philipeaux comrnen-
({aient él agiter la société , et la séance de-
venait orageuse, lorsque Danton, prenant la
parole, observa que, pour j llger une question
aussi ~grave, il fallait la plus grande attention
et le plus grand calme; qu'il n'avait aucune opio
nion faite sur Philipeaux et sur la vérité de ses
accusations ; qu'illui avait déja dit alui-méme :
( Il faut que tu prouves tes accusations on que
« tu portes ta tete sur l'échafaud ;»que peut-étre
jI n'y avait iei de coupables que les événe-
ments; mais qne, dans tous les cas, il fallait
que tont le monde fút entendu, et surtout
écouté.


Robespierre, parlant apres Danton, dit qu'il
n'avait pas lu la brochure de Philipeaux, qu'il
savait seulement que, dans eette brochure, 011
rendait le comité responsable de la perte de
trente mille hommes; que le comité n'avait
pas le temps de répondre a des libelles et de
faire une guerre de plnme; que cependant il
ne croyait pas Philipeaux coupable d'intentions
mauvaises, mais entrainé par des passions,
« Je ne prétends pas, dit Robespierre, impo-
« ser sileuce ala conscience de mon collegue ;
« mais qu'il s'exarnine , et juge s'il n'y él en 1111-




118 RÉVOLUTION FRAN9AISE.


« méme ni vanité, ni petites passions. Je le
(e crois entrainé par le patriotisrne non moins
« que par la colere ; mais qu'il réfléchisse! qu'il
« considere la lutte qui s'engage! il yerra que
« les rnodérés prendront sa défense , que les
(( aristocrates se rangeront de son coté, que la
« convention elle-méme se partagera, qu'il s'y
« élévera peut-étre un parti de l'opposition,
« ce qui serait désastreux , et ce qui renouvel-
« lerait le combat dont on est sorti, et les
« conspirations qu'on a eu tant de peine adé-
« jouer !» Il invite done Philipeaux aexarniner
ses motifs seerets, et les jaeobins a l'éeouter
sileneieusernent.


Rien n'était plus sage et plus convenable
que les observations de Robespierre, au ton
pres , qui était toujours eniphatique et docto-
ral, surtout depuis qu'il dorniriait aux Jaco-
bins. Philipeaux reprend la parole, se rejette
dans les mémes personnalités , et provoque le
meme trouble. Danton irnpatienté s'écrie , qn'il
faut abréger de telles querelles, et nornrner
une comrnission qui examine les pieces du
proceso Couthon dit qu'avant méme de recou-
rir a cette mesure, il faut s'assurer si la ques-
tion en vaut la peine, si ce ne serait pas sim-
plernent une question d'hornrne a hornme, et
il propose de demander a Philipeaux si, en




CONVEN'fION NATIONALE (1793). 119
son ame et conscience , il croit qu'il y ait eu
trahison.Alors il s'adresse aPhilipeaux.-Crois-
tu, lui dit-il , en ton ame et conscience, qu'il y
ait eu trahison?- Oui, répond imprudemment
Philipeaux. - En ce cas, reprend Couthon, il
n'y a point d'autre moyen; il faut nommer une
commission qui écoute les accusés et les ac-
cusateurs , et en fasse son rapport ala société.
- La proposition est adoptée, et la commis-
sion est chargée d'examiner, outre les accusa-
tions de Philipeaux, la condulte de Bourdon
de l'Oise, de Fabre-d'ÉgIantine et de Camille
Desmoulins.


C'était le 3 nivose (2.8 décembre). Dans l'in-
tervalle de temps employé par la commission
afaire son rapport, la guerre de plume et les
récriminations continuerent sans interruption.
Les cordeliers exclurent Camille Desmoulins
de Ieur société. I1s firent de nouvelles péti-
tionspour Ronsin et Vincent , et vinrent les
communiquer auxjacobins, pour engagercellx,
ci ales appuyer auprés de la convention. Cette
foule d'aventuriers , de mauvais sujets, dont on
avait rempli l'armée révolutionnaire, se mon-
traient partout, dans les promenades , les ta-
vernes, les cafés, les speetacIes, en épaulettes
de laine et en moustaehes, faisaient grand
bruit pour Ronsin leur général, et Vincent




120 RÉVOLUTlON j<'RAN~ArSE.
leur ministre. Ils étaient sumornmés les épau-
letiers , et fort redoutés dans Paris. Depuis la
loi qui interdisait aux sections de se réunir plus
de deux fois par semaine , elles s'étaient chan-
gées en sociétés populaires fort turbulentes. II
y avait jusqu'a deux de ces sociétés par sec-
tion, et c'était la que tous les partis intéressés
a produire un mouvement, dirigeaient leurs
agents, Les épauletiers ne manquaient pas de
s'y rendre, et, grace aeux, le tumulte régnait
dans presquetoutes,


Robespierre, toujours fernie aux Jacobins ,
fit repousser la pétition des cordeliers , et de
plus, 6t retirer l'affiliation atoutes les sociétés
populaires formées depuis le 31. mai, C'étaient
la des actes d'une prudente et louable énergie.
Cependant le comité, tout en faisant les plus
grancls efforts ponr comprimer la faction tur-
bulente , devait s'attacher aussi a ne passe don-
ner les appaI'ences de la mollesse et de la mo-
dératiou. Il fallait , ponr qu'il pút conserver sa
popularité et sa force, qu'il déployát la mérne
rigueur coutre la faetíon opposée. C'est pour-
quoi, le 5 nivose (25 clécembre), Robespierre
fut chargé de faire un nouveau rapport sur les
principes du gouvernement révolutionnaire , et
de proposer des mesures de sévérité contre
quelques prisonniers illustres, S'attachant tou-




,


CONVENTION NATIONALE (J793). 1'21
jours, par poli tique et aussi par errenr, a reje-
ter tous les désordres sur la prétendue faction
étrangere , iL lui imputa a la fois les torts des


modérés et des exagérés.. (( Lesconrs étran-
t( geres ont vomi, dit-il , sur la Franee, Les seé-
« lérats habiles qu'elles tiennent a leur solde.
« Ils déliberent daus nos administrations, s'in-
« troduisent dans nos assemblées sectionnaires
(( et dans nos clubs; ils ont siégé jusque dans
(f. la représentation nationale; ils dirigent et di-
« rigeront éternellement la contre-révolution
« sur le mérne plan. Ils ródent autour de nous;
oc ils surprennent nos secrets , earessent nos
« passions, et cherchent a nous inspirer jus-
« qu'á nos opinions.)) Robespierre, poursni-
vant ce tableau, les montre poussant tour-a-
tour a l'exagération ou a la faiblesse, excitant
a Paris la persécution des eultes, et dans la
Vendée la résistance du fanatisme; immolant
LepelLetier et Marat, et puis se méiant dans les
groupes pour leur décerner les honneurs di-
vins , afin de les rendre 'ridicules et odienx;
donnant ou retirant le pain au peuple , faisant
paraitre ou disparaitre I'argent, profitant enfin
de tous les aecidents pour les tourner contre
la révolution et laFrance. Apres avoir fait ainsi
la somme générale de tous nos maux, Robes-
pierre, ne voulant pas voir qu'ils étaient iné-




122 nÉVOLUTlON FRAN(tAISE.


vitables , les imputait a l'étranger, qui, sans
doute , pouvait s'en applaudie, mais qui, pour
les produire, s'en reposait sur les vices de la
nature humaine , et n'aurait pas eu le moyen
d'y suppléer par des complots. Robespierre,
regardant comme complices dela coalition tous
les prisonniers íllustres qu'on détenait encore ,
proposa de les envoyer de suite au tribunal
révolutionnaire, Ainsi Dietrich, maire de Stras-
bourg, Custine fils, Biron , el tous les officiers
arnis de Dumouriez, de Custine et de Hou-
chard, durent étre incessamment jugés. San s
doute, il n'était pas besoin d'un décret de la
convention pour que ces victimes fussent im-
molées par le tribunal révolutionnaire; mais
ce soin de háter leur supplice était une preuve
que le gouvernement ne faiblissait pas. Robes-
pierre proposa en outre d'augmenter d'un tiers
les récompenses territoriales promises aux dé-
fenseurs de la patrie.


Apres ce rapport, Barreré fut chargé d'en
faire un autre sur lps arrestations qu'on disait
chaque jour plus nombreuses, et de proposer
les moyens de vérifier les motifs de ces arresta.
tions. Le but de ce rapport était de répondre,
sans qu'il y parút, au Fieua: Cordelier, de Ca-:
mille Desmoulins , et asa proposition d'un co-
mité de clémence. Barreré traita avec sévérité




CONVENTION NATIONALE (1793). J23
les Traductions des orateurs anciens, et pro-
posa néanmoins de nommer une commission
pour vérifier les arrestations; ce qni ressem-
hlait fort au comité de clémence imaginé par
Camille. Cependant, sur les observations de
quelques-uns de ses membres, la convention
crut devoir s'en tenir ases décrets précédents,
qui obligeaient les comités révolutionnaires a
adresser au comité de süreté générale les mo-
tifs des arrestations, et permettaient aux déte-
nus de réclamer aupres de ce dernier comité.


Le gouvernement poursuivait ainsi sa marche
entre les deux partis qui se formaient, incli-
nant secretement pour le partí modéré, mais
craignant toujours de le Iaisser trop apercevoir.
Pendant ce temps, Camille publia un numéro
plus fort encore que les précédents, et qui
était adressé auxjacobins. II l'intitula: Ma Dé-
fense ; et c'était la plus hardie et la plus ter-
rible récrimination contre ses adversaires.


A propos de sa radiation des Cordeliers, il di-
sait : « Pardon, freres et amis , si j'ose prendre
l( encore le titre de vieux cordelier, aprés l'ar-
{( reté du club qui me défend de me parer de
l{ ce nomo Mais,en vérité, c'est une insolence
({ si inouíe que celle de petits-fils se révoltant
({ contre leur grand-pere, et lui défendant de
« porter son norn , que je veux plaider cette




J 24 REVOLOTION FltA_Nc;AJSE.
« cause contre ces fils ingrats. Je veux savoir
( a qui le nom doit res ter ou au grand-papa
« ou a des enfants qu'on lui a faits, dont il n'a
« jamais ni reconnu ni mérne connu la dixieme
« partie, et qui prétendent le chasser 'du pa-


_( ternellogis! »
Ensuite il explique ses opinions, el Le vaisseau


(1 de la république vague entre deux écueils,
« le roeher de l'exagération et le bane de sable
(( du modérantisme. Voyant que le Pere Du-
« chesneet presque toutes les sentinelles pa-
« triotes se tenaient sur le tillae, avee leur lu-
« nette, oeeupés uniquement a crier: Gare!
( vous touchez au modérantisme, il a bien
( fallu que moi , vieux cordelier et doyen des
« jacobins, je me ehargeasse de faire la faction
« difficile, et dont aueun des jeunes gens ne
(1 voulait , erainte de se dépopulariservcelle de
« crier : Gare! vous allez toucher a l'exagéra-
« tion. Et voila I'obligation que doivent m'a-
« voir tous mes collegues de la convention ,
« celle d'avoir exposé ma popularité mérne ,
t( pour sauver le navire oú ma cargaison n'était
« pas plus forte que la leur. 1)


Il se justifie ensuite de ce propos qui lui
avait été si reproché: Fincent Pitt gouverne
George Bouchotte. « J'ai bien, dit - il, appelé
« Louis XVI mon gros benét -de roi, en 1787,




CONV:ENTJON NATIONAU (1793). ,~5
« sans étre embastillé pour cela. Bouchotte se-
« rait-il un plus grand seigneur? »


I1 passe ensuite ses ad versaires en revue; il
dit aCollot-d'Herbois que si, lui Desmonlins, a
son Dillon, lui Collot a son Brunet, son Proli ,
qu'il a défendus tous les denx. Il dit a Barrere : .
« On ne se recormait plus a la Montagne; si
« c'était un vieux cordelier comme moi, un pa-
« triote recti liglle, Billaud-Varennes par exem-
(t pie, qui m'eüt gourmandé si durement, sus-
(1 tinuissent utique; j'aurais dit : C'est le soufflet
« du bouillant saint Paul au bon saint Pierre
« qui a péché] Mais toi, mon cher Barrere , toi
« l'heureux tuteur de Pamela "'! toi le prési-
(1 dent des feuil1ants, qui as proposé le comité
« des douze! toi, qui, le :1 juin, mettais en dé-
(( libération dans le comité de salut public si
(( on n'arréterait pas Danton! toi dont je ponr-
II rais relever bien d'autres fautes, si je voulais
11 fouiller le vieux sac *"', que tu deviennes
11 tout-á-coup un passe-Robespierre , et que je
11 sois par toi apostrophé si sec! )¡


« Tout cela u'est qu'une querelle de ménage,
« ajoute Camille, avec mes amis les patriates


• AHusion ¡-.lapiece de Pamela; dont la représentation
avait été défendue.


•• Barreré s'appelait de Fieu.c-sac, qnand il était noble.




J 26 RÉVOLUTION FRAN<¿;;AISE.
« Collot et Barrere ; mais je vais étre aman
« tour bougrement en colére 'f. contre le Pere
« Duchesne, qui m'appelle un misérable intri-
« gailleur, un viédase ti mener ti la guillotine,
« Un conspirateur qui »eut qu'on ouvre les pri-
« sons pour en faire une nouvelle Fendée, un
« endormeur payé par Pitt, un bourriquet ti
« longues oreilles. ATTENDS-MOJ, HÉBERT, JE strrs
« A. TOI DANS UN MOMENT. lei, ee n'est pas avee
(e des injures grossieres et des mots que je vais
« t'attaquer , c'est avec des faits. »


Alors Camille , qui avait été accusé par Hé-
hert d'avoir épousé une femme riche , et de
diner avec des aristocrates, fait l'histoire de
son mariage, qui lui avait valu quatre mille
livres de rentes, et il trace le tableau de sa
vie simple, modeste et paresseuse. Passant en-
suite a Hébert, il rappelle l'ancien métier de
ce distributeur de contre-marqu.es, ses vols qui
l'avaient fait chasser du théátre , sa fortune su-
hite et connue , et il le COUVl'e de la plus juste
infamie. 11 raconte et prouve que Bouchotte
avait donné aHébert, sur les fonds de la guerre,
d'abord cent vingt mille francs , puis dix, puis
soixante, pour les exemplaires du Pere Du-


* Expression des eolporteurs qui, en vendant les feuille
du Púe Duchesne , criaient dans les rues: Il cst bougre-
ment en colére le Pére Duchesne.




CONVENTION NATIONALE (1794). 127
chesne distribués aux armées; que ces exem-
plaires ne valaient que seize mille franes, et
que par eonséquent le surplus avait été volé a
la nation.


« Deux eent mille franes, s'éerie Camille, a
« ee pauvre sans-eulotte Héhert , pour soute-
« nir les motions de Proli, de Clootz ! deux
« cent mille franes pour ealomnier Danton,
« Lindet, Cambon , Thuriot , Laeroix, Phili-
« peaux, Bourdon de l'Oise, Barras, Fréron ,
« d'ÉgIantine, Legendre, Camille Desmoulins,
« et presque tous les eommissaires de la eon-
(e vention !Pour inonder la France de ses écrits,
« si propres a former l'esprit et le coeur , deux
« cent mille franes de Bouehotte lo .. S'étonnera-
«t-on apres eela de cette exclamation filiale
« d'Hébert a la séance des Jaeobins: Oser at-
« taquer Bouchotte! Bouchotte qui a mis ti la
« téte des armées des générauai sans-culottes l
«( Bouchotte, un patriote si purl Je suis étonné
« que, dans le transport de sa reeonnaissanee ,
« le Pere Duehesne ne se soit pas écrié : Bou-
« chotte qui m'a donné deux cent mille livres
« depuis le mois de juin !


( Tu me parles, ajoute Camille, de mes so-
« ciétés : mais ne sait-on pas que e'est avec
(e l'intime de Dumouriez, le banquier Kock ,
le avec la femme Rochechouart , agente des




128 UÉVOLUTJON FRANfAISF..


« émigrés, que le grand patriote Héhert , aprés
« avoir calomnié dans sa feuille les hommes
« les plus purs de la république , va, dans sa
( grande joie, lui et sa Jacqueline, passer les
« beaux jours de l'été a la campagoe, boire le
« vio de Pitt, et porter des toasts a la ruine
(( des réputations des fondateurs de la Iiberté l»


Camille reproche ens uite aHébert le style
de son journal : « Ne sais-tu pas, Héhert , que
« lorsque les tyrans d'Europe veulent faire
« croire a leurs esclaves que la Franee est cou-
« verte des ténebrcs de la barbarie, que Paris,
( cette viHe si vantée par: son atticisme et son


, « gout, est peuplée de vandales; ne sais-tu pas,
« malheureux, que ee sont des lambeaux de
« tes feuilles qu'ils inserent daus leurs gazettes?
« comme si le peuple était aussi ignorant que
« tu voudrais le faire croire aM. Pitt; comme
« si on ne pouvait lui parler qu'un langage
« aussi grossier; comme si e'était la le langage
« de la convention et du comité de salut pu-
« blic; comme si tes saletés étaient celles de la
( natiou ; comme si un égout de París était la
« Seine! »


Camille l'accuse ensuite d'avoir ajouté par ses
numéros aux scandales du culte de la raison ,
puis il s'écrie : « Ainsi, c'est ce vil flagorneur
« nux gages de deux cent mille livres, qui me




CONVENTION NATIONAU (1794)· 129
(( reprochera les quatre mille livres de rentes
« de ma femme! c'est eet ami intime des Kock,
cc des Rocheehouart, et d'une multitude d'es-
C( crocs, qui me reprochera mes sociétés ! c'est
« cet écrivain insensé ou perfide qui me re-
« prochera mes écrits aristoeratiques, lui, dont
« je démontrerai que les feuilles sont les dé-
(C lices de Coblentz, et le seul espoir de Pitt!
(C cet homme 'rayé de la liste des garc;ons de
(C théátre , paLlr vals, fera rayer de la liste des
C( jaeobins, paur leur opinion , des députés
« fandateurs immortels de la république! cet
« écrivain des charniers sera le régulateur de
(C l'opinion, le mentor du peuple francais!


« Qu'on désespere, ajoute Camille Desmou-
« Iins , de m'intimider par les terreurs et les
(( bruits de mon arrestation , qu'on serne au-
C( tour de moi. Nous savons que les scélérats
« méditent un 3 J mai contre les hommes.les
« plus énergiques de la Montagne 1..... O mes
« collégues! je vous dirai comme Brutus et Cicé-
« ron: Nous craignons trop la mort , et l'exil ,
C( el la pauvreté l Nimium tunemus inortem el
( exilium el paupertatem.... Eh quoi! lorsque,
« tous les j ours, douze cent mili e Francais affron-
C( tent les redoutes hérissées des batteriesles
« plus meurtrieres, et volent de victoires en
« victoires, nous, députés a la convention, nous


VI. y




., '
1 JO REVOLlJTION FRANYA.ISE.


« qui ne pouvons jamais tomber comme le sol"
« dat, dans l'obscurité de la nuit , fusillé dans
« les ténebres , et sans témoins de sa valeur;
« nous, dont la mort soufferte pour la liberté
« ne peut étre que glorieuse, solennelle et
« recue en présence de la nation entiere , de
(e l'Europe et de la postérité; serions-nous plus
« láches que nos soldats? craindrions-nous de
e< nous exposer a regarder Bouchotte en face?
« n'oserons-nous pas braver la grande colere
« du Pere Duchesne, pour remporter aussi la
« victoire que le peuple attend de nous, la vic-
« toire sur les ultra- révolutionnaires, comme
« sur les contre -révolutionnaires ; la victoire
« sur tous les intrigants, sur tous les fripons ,
« sur tous les ambitieux, sur tous les ennemis
« du bien public?


« Croit-on que meme sur l'échafaud , soutenu
« de ce sentiment intime que j'ai aimé avec
« passion mapatrie et la république, couronné
C( de l'estime et des regrets de tous les vrais
« répuhlicains , je voulusse changer mon sup-
« pliee contre la fortune de ce misérable Hé-
« bert , qui, dans sa feuille, pousse au déses-
« poir et a la révolte vingt classes de citoyens;
« qui, pour s'étourdir sur ses remords et ses
« calomnies, a besoin de se procurer une ivresse
« plus forte que celle du vio, et de lécher sans




CONVENTION NATIONALE (1 79fJ). 131
« cesse le sang au pied de la guillotine? Qu'est-
« ce donc que l'échafaud pour un patriote ,
(( sinon le piédestal des Sidney et des Jean de
(( With? Qu'est-ce , dans un moment de guerre
le oú j'ai eu mes deux freres hachés pour la li-
« berté, qu'est-ce que la guillotine, sinon un
c( coup de sabre, etle plus glorieux de tous,
« pour un député victime de son courage et
« de son républicanisme? »


Ces pages donneront une idéc des moeurs de
l'époque. L'ápreté , le cynisme, l'éloquence de
Rome el d'Athenes , avaient ~eparuparmi nous,
avec la liberté démocratique.


Ce nouveau numéro de Camille Desmoulins
causa encore plus d'agitation que les précé-
dents. Hébert ne cessa de le dénoncer aux ja-
cobins, et de demander le rapport de la com-
mission. Le 16 nivose, enfin, Collot-d'Herbois
prit la parole pour faire ce rapport. L'affiuence
était aussi considérable que le jour oú la dis-
cussion avait été entamée, et les places se ven-
daient aussi cher. ColIot montra plus d'impar-
tialité qu'on n'aurait dú l'attendre d'un ami de
Ronsin. Il reprocha a Philipeaux d'impliquer
le comité de salut public dans ses aeeusations,
de montrer les dispositions les plus favorables
pour des hommes suspeet¡¡, de parler de Biron
avec éloge, tandis qu'il eouvrait Rossignol





1:h ILÉVOUITlON FRAN~AISt:.
d'outrages, et enfin d'exprimer exactement les
mérnes préférences que les aristocrates. I1 lui
fit aussi un reproche qui , dans les circonstan-
ces, avait quelque gravité: c'était d'avoir retiré
dans son dernier écrit les accusations portées
contre le général Fahre-Fond , frere de Fabre-
rl'Églantine. Philipeaux, en effet, qui ne con-
naissait ni Fabre , ni Camille, avait dénoncé le
{rere du premier, qu'il croyait avoir trouvé en
faute dans la Vendée. Une fois rapproché de
Fabre par sa position, et accusé avec lui , il
avait retranché, par un ménagement tout na-
turel , les allégations relatives ason frere. Cela
seul prouvait qu'ils avaieut été conduits , iso-
Iérnent , et saus se connaitre , aagir comme ils
l'avaient fait, et qu'ils ne formaient point une
faction véritable. Mais l'esprit de parti en jugea
autrement, et Collot insinua qu'il existait une
intrigue sourde , et un concertentre les préve-
llUS de modération. n fouilla dans le passé , et
reprocha aPhilipeaux ses votes sur Louis XVI
et sur Marat. Quant aCamille, i] le traita bien
plus favorablement ; ille representa comme un
bon patriote, égaré par de mauvaises sociétés,
et auqueL il fallait pardonner, en l'engageant
toutefois a ne plus commettre de pareílles dé-
bauches d'esprit, il demanda clone l'exclnsion
de Philipeaux , ct la censure pure et simple de
Camille.




CONVENTION N ATlON ALE (J 794). 133
Dans ce mornent , Camille , présent a la


séance , hit passer une lettre au présideut ,
pour déclarer que sa défense est consignée dans
son dernier numéro , et pour dernander que la
société veuille bien en écouter le contcnu, A
cette proposition , Hébcrt , qui redoutait la lec-
ture de ce uurnéro , oú les turpitudes ele sa
vie étaient révélées , prend la parole ,et s'écrie
qu'ou a voulu compliqner la cliscussion en le
calomniant , et que, pour détourner l'atten-
tion, on lui a imputé d'avoir volé la trésore-
rie , ce qui est une fausseté atroce..... - J'ai
les pieces en main! s'écrie Camille. - Ces mots
causent une grande rumeur, Robespierre le
jeune dit alors qu'il faut écarrer les discussions
personnelles; que la société n'est pas réunie
pour l'intérét des réputations , et que, si Hé-
bert a volé, pen lui importe a elle; que ceux
qui ont des reproches ase faire ne doivent pas
interrompre la discussion générale... - A ces
expressions peu satisfaisantes , Hébert s'écrie :
Je n'ai ríen a me r-eprocher. - Les trou-
bles des départements, reprend Rohespierre le
jeune, sont ton ouvrage ; c'est toi qui as con-
trihué a les provoquer en attaquant la liberté
des cultes, -.,- Hébert se tait a cette in terpella-
tion. Robespierre ainé prend la parole , et ,
gardant plus ele mesure que son frére, mais




J 34 RÉVOLUTION FRAN«;,;AISE.
sans étre plus favorable a Hébert, dit que Col-
lot a présenté la question sous son véritable
point de vue, qu'un incident fácheux avait
troublé la dignité de la discussion, que tout
le monde avait eu tort, Hébert , ainsi que ceux
qui lui avaient répondu. « Ce que je vais dire , .
« ajoute-t-il , n'a trait a aucun individuo On a
« mauvaise grace a se plaindre de la calomnie
« quand on a calomnié soi-méme. On ne doit
« pas se plaindre des injustices quand Qn a
I( jugé les. autres avec légereté, précipitation
« etfureur. Que chacun interroge sa conscience, .
« et s'applique ces réflexions, J'avais voulu pré-
« venir la discussion actuelle; je voulais que
« dans des entretiens particuliers , dans des
« conférences amicales, chacun s'expliquát et
I( convint de ses torts. Alors on aurait pu s'en-
(/ tendre et s'épargner du scandale. Mais point
« du tout " les pampalets ont été répandus le
« lendemain, et on s'est empressé de produire
« un éclat. Maintenant, ce qui nous importe
« dans toutes ces querelles personnelles , ce
« n'est pas de savoir si on a mis de tous cótés
(1 des passions et de l'injustice, mais si les ac-
« cusationsdirigées par Philipeaux contre les
« hommes chargés de la plus importante de
« nos guerres sont fondées. Voila ce qu'il faut
« éclaircir dan s l'intérét non des individus,
« mais de la république. ))




CONVENTION NATIONALE (1794). 135
Robespierre pensait, en effet, que les attaques


de Camille contre Hébert étaient inutiles a dis-
cuter, car tout le monde savait comhien elles
étaient fondées; que d'ailleurs elles ne renfer-
maient rien que la république eüt intérét a
constater, et qu'au contraire il importait beau-
COllp d'éclaircir la conduite des généraux dans
la Vendéc. On poursuit, en effet, la discussion
relative a Philipeaux. La séance entiere est
consacrée a écouter une foule de témoins ocu-
laires; mais , au milieu de ces affirmations
contradictoires , Danton, Bobespierre décla-
rent qu'ils ne discernent ríen, et qu'ils ne sa-
vent plus a quoi s'en tenir. La discussion ,
déja trop longue, est renvoyée a la séance
suivante.


Le 18, la séance est reprise ; Philipeaux était
absent. On se sentait déjá fatigué de la dis-
cussion dont il était le sujet, et qui n'amenait
ancun éclaircissement. Do s'étendalors sur Ca-
mille Desmoulins. On le somme de s'exp:liquer
sur les éloges qn'il a donnés a Philipeaux, et
sur ses relations avec lui. Camille ne le con-
nait pas , a ce qu'il assure; des faits affirrnés
par Goupilleau, par Bourdon, lui avaient d'a-
bord persuadé quePhilipeaux disait vrai , et
l'avaient rempli d'indignation; mais aujour-
d'hui qu'il s'apercoit , d'apres la discussion ,




136 RÉVOLUTION FnAN~AlSE.
que Philipeaux aaltéré la vérité (ce qui com-
mencait en effet a percer de toutes parts), il
rétracte seséloges , et déclare n'avoir plus au-
cune opinion a cet égard.


Robespierre prenant encore une fois la pa-
role sur Camille, répete ce qu'il avait déja dit
a son égard : que son caractére est excellent ,
mais que ce caractére connu ne luí donnepas
le droit d'écrire contre les patriotes; que ses
écrits , dévorés par les aristocrates , font leurs
délices , et sont répandus dans tous les dépar-
tements; qu'il a traduit Tacite sans l'entendre;
qu'il faut le traiter comme un enfant étourdi
qui a touché a des armes dangereuses et en a
fait un usage funeste , l'engager a quitter les
aristocrates et les mauvaises sociétés qui le
corrompent; et qu'en lui pardonnant a lui, il
faut brüler ses numéros. -Camille, alors, ou-
bliant les ménagements qu'il fallait garder en-
vers l'orgueilleux Robespierre, s'écrie de sa
place: Brüler n' est pas répondre. - « Eh bien!
« reprend Robespierre irrité, qu'on ne brille
« pas, mais qu'on réponde; qu'on lise sur-le-
« champ les numéros de Camille. Puisqu'il le
« veut, qu'il soit couvert d'ignominie ; que la
« société ne retienne pas son indignation, puis-
t( qu'il s'obstine a soutenir ses diatribes et ses
« principes dangereux. L'homme qui tientaussi




CONVENTlOllf NATlONAU; (1794). 137
« forternent a des écrits perfides est peut-étre
« plus qu'égaré; s'il eút été de bonne foi , s'il
({ eút écrit dans la simplicité de son coeur , il
(( n'aurait pas osé soutenir plus long-temps des
« ouvrages proscrits par les patriotes, et re-
({ cherchés par les contre-révolutionnaires. Son
« conrage n'est qu'ernprunté ; iI décele les hom-
({ mes eachés sous la dictée desquels iI a écrit
« son journal; il décele que Desmoulins est
({ l'organe d'une faction scélérate qui a em-
({ prnnté sa plume pour distiller son poi son
« avec plus d'audace et de süreté.» Camille
veut en vain demander la paroJe et calmer Ro-
bespierre ; on refuse de l'écouter, et on passe
sur-le-charnp á la lecture de ses feuilles, Quel-
que ménagement que les individus veuillent
garder les uns pour les autres dan s des que-
relles de parti, il est difficile que bientót les
amours-propres ne se trouvent pas engagés.
Avec la susceptibilité de Robespierre et la naíve
étourderie de Camille, la division d'opinious
devait bientót se changer en une division d'a-
mour-propre et en haine. Robespierre mépri-
sait trop Hébert et les siens pour se brouiller
avec eux; mais il pouvait se brouiller avec un
écrivain aussi célebre dans la révolution que
Camille Desmoulins; et celui-ci ne mil pas as-
sez d'adresse a éviter une I'upture.




138 RÉVOJ_UTION FRAN~AISE.
La lecture des numéros de Camille occup~


deux séances tout entieres, On passe ensnite
a Fabre. On l'interroge, on veut l'obliger a
Jire quelle part il a eue aux écrits nouvelle-
ment répandus, Il répond qu'il n'y est pas
pour une virgule, et que, relativement aPhi-
lipeaux et Bourdon de l'Oise , iI peut assurer
ne pas les connaitre, On veut enfin prendre
un parti sur les quatre individus dénoncés.
Robespierre, quoique n'étant plus disposé a
ménager Camille, propose de laisser la cette
discussion , et de passer a un autre sujet plus
grave, plus digne de la société, plus utile a
l'esprit public, savoir les vices et les crimes
du gouvernement anglais. « Ce gouvernement
« atroce cache, dit-il, sous quelques apparen~
« ces de liberté, un principe de despotisme et
« de machiavélisme atroce ; il faut le dénoncer
« a son propre peuple, et répondre a ses ca-
« lomnies , enprouvant ses vices d'organisa-
« tion et ses forfaits. » Les jacobins voulaient
bien de ce sujet qui fournissait une si vaste
carriere a leur imagination accusatrice, mais
quelques-uns d' entre eux désiraient aupara..
vant radier Philipeaux , Camille, Bourdon et
Fabre. Une voix méme accuse Robespierre de
s'arroger une espece de dictature. « Ma dicta-
« ture, s'écrie-t-il, est celle de Marat et de


. é




CONVENTION NATIONALE (1794). 139
C( Lepelletier; elle consiste aétre exposée tous
(l les jours aux poignards des tyrans. Mais je
« suis las des disputes qui s'élevent chaque
« jour dans le sein de la société , et qui n'a-
« boutissent a aucun résultat utile. Nos véri-
« tables ennemis SOIlt les étrangers; ce sont
(c eux qu'il faut poursuivre et dont il faut dé-
« voiler les trames. 1) Robespierre renouvelIe
en conséquence sa proposition, et fait déci-
del', au milieu des applaudissements, que la
société, mettant de coté les disputes élevées
entre les individus , s'occupera, dans les séan-
ces qui vont suivre, de discuter , sans inter-
ruption , les vices da goavernement anglais.


C'était détourner a propos I'inquiete ima-
gination des jacobins, et la diriger sur une
proie qui pouvait les occuper long - temps.
Philipeaux s'était déjá retiré sans attendre une
décision. Camille et Beurdon ne furent ni re-
jetés ni confirmés; onn'en parla plus, et ils se
contenterent de ne plus paraitre devant la so-
ciété. Pour Fabre-d'Églantine, bien que Chabot
l'eüt entierement justifié, les faits qui arrivaient
chaque jour a la connaissance du comité de
súreté générale, ne permirent plus de douter
de sa complicité ; il fallut lancer contre lui un
mandat d'arrét , et le réunir aChabot, Bazire ,
Delaunay et Julien de Toulouse.




J 40 RÉVOI,UTION FRAN~AJS}'.
II restait de toutes ces discussions une irn-


prcssion fácheuse pour les nouvcaux modérés,
JI n'y avait aucune espece de concert entre
eux, Philipeaux , presque girondin autrefois ,
ueconnaissait ni Camille, ni Fabre, ni Bour-
don; Camille sen] était assez lié avec Fabre;
quantá Bourdon , il était entierf>m'ent étran-
gel' aux trois autres. Mais on s'imagina des-lors
qu'il y avait une faction secrete dont ils étaient
011 complices ou dupes. La facilité de carac-
tere , les gouts épicuriens de Camille, et deux
ou trois diners qu'il avait faits avec les riches
financiers de l'époque , la cornplicité démon-
trée de Fabre avec les agioteurs, sa récente
opulence , firent supposer qu'ils étaient liés a
la prétendue faction corruptrice. On n'osait
pas encore désigner Danton comme en étant le
chef; mais , si on ne l'accrísait pas d'une ma-
niere publique, si Hébert dans sa feuille, si
les cordeliers a leur tribune ménagcaient ce
puissant révolntionnaire, ils se disaient entre
eux ce qu'ils n'osaient publier.


L'hornrne le plus nuisible au partí était La-
oroix dont les concussions en Belgique étaient
si démontrées, qu'on pouvait tres-bien les lui
imputer sans étre accusé de calonmie, et sans
qu'il osát répondre. On l'associait aux modérés
a cause de son ancienne liaison avec Dantou ,
ct il leur faisait partagcr sa hOIlte .


...


• <"




CONV.ENTION NATlON ALE (179/1)' I!¡ 1
Les cordeliers , mécontents de ce que les ja-


cohins avaient passé a l'ordre du jour sur les
dénoncés , déclarérent : LO que Philipeaux érair
UIl calornniateur; 2 0 que Bourdon, accusateur
acharné de Ronsin , de Vincent et des bureaux
de la guene,avait perdu leur confiance , et
n'était a leurs yeux que le cornplice de Phili-
peaux; 3° que Fabre, partageant les senti-
ments de Bourdon et de Philipeaux, n'était
qu'un intrigant plus adroit , 4° que Carnille ,
déja exclu de leurs rangs, avait aussi perdu
leur coufiance, quoique auparavant il eút rendu
de grands services ala révolution,


Apres avoir détenu quelque temps Honsin
el Vincent , on les fit élargir, cal' on ne pouvait
les mettre en jugement pour aucune cause. II
n'était pas possible de poursuivre Ronsin pour
sa conduite dans la Velldée, cal' les événe-
ments de eette guerre étaient couverts d'un
voile épais; ni pour ce qu'il avait fait aLyon,
cal' c'était soulever une question dangereuse,
el accuser en rnérne temps Collot-d'Herbois et
tout le systeme actuel du gouvernement. IL
était tont aussi impossiblc de poursuivre Vin-
cent ponr quelques acres de despotisrne dans
les bnreaux de la guerreo On u'aurait pu faire
it I'un ct a l'autre qu'un proces politique , et le
moment u'était pas veuu de leur en intentar




14~ nÉVOLUTION FRAN~AlSE.
un pareil. Ils furent done élargis ., ala grande
joie des cordeliers et de tous les épauletiers de
l'armée révolutionnaire.


Vineent était un jeune homme de vingt et
quelques années, espéce de frénétique dont le
fanatisme allait jusqu'á la maladie, et chez le-
quel il y avait encore plus d'aliénation d'es-
prit que d'ambition personnelle, Un jour que
sa femme, qui allait le voir dans sa prison, Iui
rapportait ce qui se passait, indigné du récit
qu'elle lui fit, il s'élanca sur un morceau de
viandé crue, et dit en le dévorant: «Je voudrais
dévorer ainsi tous ces scélérats. ») Ronsin, tour
a tour médiocre pamphletaire, fournisseur, gé-
néral, joignait a beaucoup d'intelligence un
courage remarquable et une grande activité,
Naturellement exagéré, mais ambitieux , il était
le plus distingué de ces aventuriers qui s'é-
taient offerts a étre les instruments du gou-
vernement nouveau. Chef de l'armée révolu-
tionnaire, il songeait atirer parti de sa position,
soit poul' lui, soit pour ses amis, soít pour le
triomphe de son systeme. Dans la prison du
Luxembourg, Vincent et lui, enfermés ensem-
ble, avaient toujours parlé en maitres ; ils n'a-
vaient cessé de dire qu'ils triompheraient de


.. Le 14 pluviose (2 février),




CONVENTION NATíONALE (1794). 143
l'intrigue , qu'ils sortiraient par le seeours de
Ieurs partisans, qu'ils reviendraient alors pour
élargir les patriotes enfermés, et ellvoyer tous
les autres prisonniers ala guillotine. lIs avaient
fait le tourment des malheureux détenus avec
eux , et les laissérent pleins d'effroÍ.


A peine sortis, ils dirent hautement qu'ils se
vengeraient, et que bientót ils sauraient se faire
raison de leurs ennemis. Le comité de salut
public ne pouvait guere se dispenser de les
élargir; mais il ne tarda pas a s'apercevoir qu'il
avait déchainé des furieux, et qu'il faudrait
hientót les réduire a l'impossibilité de nuire. 1I
restait a Paris quatre mille hommes de l'armée
révolutionnaire. La, se trouvaient des aventu-
riers , des voleurs, des septembriseurs, qui
prenaient le masque du patriotisme, et qui
aimaient mieux butiner al'intérieurque d'aller
sur les frontieres mener une vie pauvre, dure
et périlleuse. Ces petits tyrans , avec leurs
moustaches et leurs grands sabres , exercaient
dans tous les lieux publics le plus dur despo-
tisme. Ayant de l'artillerie, des munitions et un
chef entreprenant, ils pouvaient devenir dan-
gereux. A eux se joignaient les brouillons, qui
remplissaient lesbureaux de Vincent. Celui-cí
était leur chef civil, eomme Ronsin leur chef
militaire, I1s avaient des liaisons avec la corn-




I 44 Rl~VOLUTroN FRAN~AJSE.
mune par Hébert, substitut de Chaumette , el
par le maire Pache, toujours prét a recevoir
chez lui tous les partis, et a caresser tous les
hommes redoutables. Momoro, l'un des prési-
c1ents des cordeliers, était leur fidéle partisan
et leur avocat aux Jacobins. Ainsi on rangeait
ensemble Ronsin, Vincent, Hébert, Chaumette,
Momoro; et on ajoutait a la liste Pache el
Bouchotte, comme des complaisants qui leur
laissaient usurper deux grandes autorités.


Déja ces hommes ne se contenaient plus
dans leurs discours contre ces représentants
qui voulaient , disaient-ils , s'éterniser au po u-
voir et faire grace aux aristocrates. Un jour,
étant a diner chez Pache, ils y rencontrerent
Legendre, l'ami de Danton, autrefois l'imita-
teur de sa véhémence, aujourd'hui de sa ré-
serve, et la vietime de eette imitation, cal' j\
essuyait les altaques qu'on n'osait pas diriger
contre Danton lui-méme. Ronsin et Vincent
luí adresserent de mauvais propos. Vincent,
qui avait été son obligé, l'ernbrassa en lui di-
saut qu'il embrassait l'ancien, et non le nouveau
Legendre; que le nouveau Legendre était de-
venu un modéré et ne méritait aucune estime.
Vineent lui demanda ensuite avec ironie s'il
avait porté dans ses missions le costume de
député. Legendre lui ayant répondu qu'il le




CONHNl'ION N A TlONALE (1 79!~)' 145
portait aux armées, Vincent ajouta que ce cos-
turne était fort pampeux, mais indigne de
vrais républicains; qu'il habillerait un rnan-
nequin de ce costume , qu'il rassemblerait le
penple, et lui dirait: «Voila les représentauts
que vous vous étes donnés! ils vous préchent
l'égalité, et se couvrent d'or et de plumes! lJ Il
dit ensuite qu'il mettrait le feu au mannequin.
Legendre alors le traita de fon et de séditieux.
On fut prét d'eu venir aux mains , au grand
effroi de Pache. Legendre ayant voulu s'adres-
ser a Ronsin, qui paraissait plus calme, et
l'ayant engagé a modérer Vincent, Ronsin ré-
pondit qu'á la vérité Vincent était vif, mais que
son caractere convenait aux circonstances, et
qu'il falIait de pareils hommes pour le temps
oú l'on vivait.-« Vous avez, ajouta Bonsin, une
faction dans le sein de l'assembléc; si vous ne
l'en chassez pas, vous nous en ferez raison.s-e-
Legendre sortit indigné, et répéta tontee qu'il
avait vu et entendu pendant ce repaso La con-
versation Iut counue , el donna une nouvelle
idée de l'audace et de la frénésie des deux horn-
mes qu'on venait d'élargir.


lis témoignaient un grand respect pour Pache
et pour ses vertus , comme avaient fait jadis
les jacobins, quand Pache était au ministére.
Le sort ele Pache était de charrner par sa com-


VI. 10




1!J6 HfVOLl:TIOX }\'nAJllrAr~t:.
plaisance et par sa douceur tous les hornmes
violents. Ils étaicnt enchantés de voir leurs
passions approuvées par un homme qui avait
toutes les apparencesde la sagesse. Les nou-
veaux révolutionnaires en voulaient faire , dí-
saient-ils , un grand personnage dans leur gou-
vernement; car sans avoir un but précis , sans


.avoir mérne encere le projet et le courage
d'une insurrection, ils parlaient beaucoup , a
l'exemple de tous les comploteurs qui com-
meneent par s'essayer et s'échauffer en paroles,
IIs disaient partout qu'il fallaít d'autres insti-
tutions. Tout ce qui leur plaisait dans l'orga-
nisation actuelle du gouvernement, c'étaient
le tribunal et l'arrnée révolutionnaire. lis ima-
ginaient done une constitution consistant en
un tribunal supréme présidé par un graud-
juge , et un conseil militaire dirigé par un gé-
néralissirne. Dans ee gouvernement on devait
juger et administrer militairernent. Le généra-
lissime et le grand-juge étaient les deux prín-
eipaux persoI1nages. II devait y avoir aupres du
tribunal un g"ancl-accnsateur sous le titre de
eenseur, qui serait ehargé de provoquer les
poursuites. Ainsi dans ce projet, formé dans un
moment de fermentation révolutionnaire , le~
deux fonetions, essentielles, uniques, consis-
taient a condamner et a se hattre. On ne sait




CONVENTlON NATlONALE (1794} 147
si ce projet était celui d'un réveur en délire ,
ou de plusieurs d'entre eux; s'il n'avait d'autre
existence que des propos , ou s'il fut rédigé ~
mais il est certain qu'il avait son modele dans
les cornmissions révolutionnaires établies a
Lyon, Marseille, Toulon, Bordeaux , Nantes, et
que I'imagination pleine de ce qu'ils avaient
fait dans ces grandes cités , ces terribles exé-
cuteurs voulaient gouverner sur le mérne plan
la France tout entiere , et faire de la violence
d'un jour le type d'un gouvernement perma-
nent. lis ne désignaient encore qu'un seul des
grands personnages destinés a occuper ces
hautes djgnités. Pache eonvenait a merveille
a la place de grand-juge; les conjurés disaient
done qu'il devait I'étre , el qu'ilIe serait. Sans
savoir ce que c'était que ce projet et cette di-
gnité de grand-juge, beaucoup de gens répé-
taient commeune nouvelle: Pache doit étre
fait grand-juge. Ce bruit circulait sans étre ni
expliqué ni cornpris. Quant a la dignité de gé.
néralissirne, Honsin, quoique général de I'armée
révolutionnaire, n'osait y prétendre ~ et ses par-
tisans n'osaient pas le proposer, cal' il falIait un
plus grand nom pour une telle dignité. Chau-
mette était désigné aussi par quelques bouches
comme censeur, rnais son nom avait été rare-
ment prononcé, Parmi ces bruits il n'y en avait


i o.




1~8 RÉ\'OLT1TfON FRAN9AISE.
qu'un de bien répandu , c'est que Pache semi!
grrmd-juge.


Pendant toute la révolution , lorsque les
passions d'un parti, long-temps excitées, étaien t
prétes a faire explosion , c'était toujours une
défaite , une trahison, une disette , une cala-
roité enfin ,qui leur servait de prétexte pour
éclater, Il en arriva de méme ici. La seconde
loi du maximurn qui, remontant au-dela des
boutiques, fixait la valeur des objets sur le
lieu de fabrication, déterminait le prix du
transport , réglait le profit du marchand en
gros, celui du rnarchand en détail, avait été
rendue ; mais le eornmerce échappait encare
de mille manieres au despotisme de la loi , et
il y échappait surtout par le moyen le plus
désastreux, en s'arrétant. Le resserrementde la
marchandise n'était pas moins grand qu'aupa-
ravant; et si elle ne refusait plus de se donner
au prix de l'assignat, elle se cachait, OH ces-
sait de se mouvoir, et de se transporter sur
les lieux de consornmation. La diseUe était
donc tres-grande par la stagnation générale du
commerce. Cependant les efforts extraordi-
naires du gouvernement, les soins de la com-
mission des subsistances , avaient réussi en
partie a ne pas trop laisser rnanquer les blés,
el surtout a diminuer la crainte de la disette,




CON"E;\TJON :'\\ 1'10\ .U.E '.1 79¡;' 149
aussi redoutable que la diserte méme , a cause
du désordre et du trouble qu'elle apporte dans
les relations cornmerciales. Mais une nouvelle
calamité venait de se faire sentir, c'était le dé-
faut de viande. Les uombreux hestiaux que
la Vendée envoyait jadis aux provinces voi..
sines , n'arrivaieut plus depuis l'insurrection.
Les départements du Rhiu avaient cessé aussi
d'en fournir depuis que la guerre s'y était
fixée; il Y avait done une diminution réelle
dans la quantité. En outre, les bouchers , ache-
tant les bestianx ahant prix , et oblígés de les
vendre au prix du maximum, cherchaient a
échapper ala loi. La bonne viande était réser-
vée pour le riche ou ponr le cítoyen aisé <tui
la payait bien. Il s'étahlissait une foule de
marches clandestins, surtout anx environs de
París el dans les campagnes; et il ne restait
que les rebuts pour le peuple ou l'acheteur
qui se présentait dans les boutiques, et trai-
tait au prix du maximum. Les bouchers se
dédomrnageaient ainsi par la mauvaise qualité
dela marchandise, du has prix auquel ils étaient
forcés de veudre. Le peuple se plaignait avec
fureur du poids , de la qualité, des réjouis-
sanees, et des marchés clandestina établis au-
tour de Paris. Les hestiaux manqnant, on avait
été réduit á tuer des vaches pleines. Le peuple




150 RÉVOLUTlON :f'ItAN9AI:n;.


avait dit aussitót que les bouchers aristocrates
voulaient détruire l'espéce , et avait demandé
la peine de mort contre ceux qui tuaient des
vaches et des brebis pleines. Mais ce n'était
pas tout : les légumes, les fruits, les oeufs , le
beurre, le poisson, n'arrivaient plus dans les
marchés. Un chou coütait jusqu'á vingt sous.
On devancait les charrettes sur les routes, on
les entourait, et on achetait a tout prix leur
chargement; ~u arrivaient aParís ou le peuple
les attendait en vain, Des qu'il y a une
chose a faire, il se tronve bientót des gens
qui s'en chargent. Il s'agissait de parcourir les
campagnes pour devancer sur la route les
fermiers apportant des Iégumes : une foule
d'hornmes et de femmes s'étaient chargés de
ce soin , et achetaient les denrées pOllr le
compte des gens aisés , en les payant au-dessus
du maximum. Y avait-il un marché mieux ap-
provisionné que d'autres , ces especes d'entre-
metteurs y couraient, et enlevaient les den-
rées a un flrix supérieur a la taxe, Le peuple
se déchainait violemment contre ceux qui fai-
saient ce métier; on disait qu'il se trouvait
dans ]e nombre beaucoup de malheureuses
filles publiques, que les réquisitoires de Chau-
mette avaient privées de leur deplorable in-
dustrie, et qui , pOllr vivre , avaient ernbrassé
cette profession nouvelIe.




COC'íVllNTION NÁTlOi'lALE (1794). l:;¡t
Pour pared! tous ces inconvénients , la corno


mune avait arrété , sur les pétitions réitérées
des sections , que les bouchers ne pourraient
plus devancer les bestiaux et alter au-dela des
marches ordinaires ; qu'ils ne pourraient tuer
yue dans les abattoirs autorisés; qne la viande
ne pourrait étre aehetée que dans les étaux ;
qu'il ne serait plus permis d'aller sur les routes
au-devant des fermiers; que ceux qui arrive-
raient seraient dirigés par la poliee et distri-
bués également entre les différents marchés ,
qu'on ne pourrait pas aller faire queue a la
porte des bouchers avant six heures , cal' il arri-
vait souvent qu 'on se levaít a trois POUI' cela.


Ces réglements multipliés ne pouvaient épar-
gner au peuple les maux qu'il endurait. Les
ultra-révolutionnaires se torturaient l' esprit
pour imaginer des moyens. Une derniere idée
leur était venue , e' est que les jardins de luxe
dont abondaient les faubourgs de Paris , et
surtout le faubonrg Saint-Gerrnain ,pourraient
erre mis en culture. Aussitót la commnne, qUl
ne leur refusait rien , avait ordonné le re-
eensement de ces jardins , et on décida qua, le
recensemen t fait, on y cultiverait des pommes
de terre eL des plantes potagéres. En outre,
ils avaient supposé que les légumes, le laitage,
la volaille n'arüvant plus ala ville , la cause en




'"r;)2 RÉVOLUTION FRAN~AJSt:.
devait étre imputée aux aristocrates retires
dans leurs maisons antour de París. En effet ,
beaucoup de gens effrayés s'étaient cachés dans
leurs maisons de campagne. Des sections vin-
rent pr.pposer a la commune de rendre un
arrété ou de demander une loi pour les faire
rentrer. Cependant Chaumette, sentant que
ce serait une violation trop odieuse de la li-
berté individuelle , se contenta de prononcer
un discours menacant centre les aristocrates
retirés autour de Paris. Il leur adressa seule-
ment l'invitation de rentrer en ville, et fit
rlonner aux municipalités des vilIages l'avis de
les surveiller.


Cependant I'impatience du mal était au
comble. Le désordre augmentait dans les mar-
chés. Achaque instant il s'y élevaitdes tu-
multes; On faisait queue a la porte des bou-
chers , et malgré la défense d'y aller avaut une
certaine heure, on mettait toujours le méme
empressement a s'y devancer. On avait trans-
porté la un usage qui avait pris naissance a la
porte des boulangers , c'était d'attacher a la
boutique une corde que chacun saisissait et
tenait de maniere a pouvoir garder son rango
Mais H arrivait id, comrne chez les boulan-
gers, que des malveillants ou des gens mal pla-
cés coupaient la corde; alors les rangs se con-




CONVENTION NA TJON.HE (I794). 153
fondaient , le désordre s'introduisait dans la
foule qui était en attente, et on était prét a


. .


en venir aux mams.
On ne savait pln~ désorrnais a qui s'en


prendre. On ne pouvait pas, eomme avant
le 3, mai, se plaindre que la convention re-
fusát une loi de maximum , objet de toutes
les espérances, car elle accordait tout, Dans
l'impuissance d'imaginer quelque chose , on ne
lui demandait plus rien.Cependant il fallait se
plaindre; les épauletiers , les commis de Bou-
chotte, les cordeliers , disaient que la cause de
la diserte était dans la faction modérée de la
convention; que CamiJIe Desrnoulins , Phílí-
peanx, Bourdon de l'Oise, et leurs amis, étaient
les auteurs des maux qu'on essuyait ; qu'on ne
pouvait plus exister de la sorte, qu'il fallait
recourir a des moyens extraordinaires; et ils
ajontaient le vieux propos de toutes les insur-
rections : 11faut un chef; Alors ils se disaient
mystérieusement a !'oreille: Pache sera fait
grand-juge.


Cependant, bien que le nouveau parti dispo-
sát de moyens assez considérahles , bien qu'il
eüt pour Iui l'armée révolutionnaire et une
disette, il n'avait cependant ni le gouverne-
ment, ni l'opinion , car les jacobins lui étaient
opposés, Ronsin , Vi ncent, Hébert, étaient




15lí rlÉVOLt;TION FJlAN9AISE.
obligés de professer pour les autorités établies
un respect apparent, ele cacher leurs projets,
de les tramer dans l'cmbre. A l'époque du
10 aoút et du 31 mai , les conspirateurs , mal-
tres de la commune, des Cordeliers, des Jaco-
bins , de tous les clubs, aJant daos l'assemhlée
nationale et les comités de nombreux et éner-
giques partisans , osant conspirer a découvert,
pouvaient entrainer publiquement le peuple a
leur suite , et se servir des masses ponr I'exé-
cution de leurs complots; mais il n'en était pas
de mérne pour le partí des ultra-révolution-
naires.


L'autorité aetuelle ne refusait aucun des
nloyells extraordinaires de défense, ni méme
de vengeance; des trahisons n'accusaient plus
sa vigilance; des victoires sur toutes les fron-
tieres attestaient au contraire sa force, son ha-
bsleté et son zele. Par conséquent , ceux qui
attaquaient cette autorité et promettaient ou
une habileté ou une énergie supérieures a la
sienne , étaient des intrigants qui agissaient
évidemment dans un but de désordre ou d'am-
bition. Telle était la conviction publique, et les
conjurés ne pouvaient se flatter d'entrainer
le peuple a leur suite. Ainsi , quoique redou-
tahles si on les laissait agir, ils l'étaient pell lii
on les arItetait a temps.




CONVl:NTION N>\TIONAU '794,!- 155
Le comité les observait, et il continuait, par


une suite de rapports, adéconsidérer les deux
partís opposés. Dans les ultra-révolutiounaires ,
il voyaitde véritables conspirateurs adétruire;
au contraire , il n'apercevait dans les modérés
que d'anciens amis, qui partageaient ses opi-
nions, et dont le patriotismo ne pouvait lui
étre suspect. Mais pour ne point paraitre fai-
blir en frappant les ultra-révolutionnaires , il
était obligé (le condamner les modérés, etd'en
appeler sans cesse a la terreur. Ces derniers
voulaient répondre. Camille écrivait de nou-
veaux numéros ; Danton et ses arnis combat-
taient dans leurs entretiens les raisons du co-
mité, et des-lors une lutte d'écrits et de propas
s'était engagée. L'aigreur s'en était suivie , et
Saint-Just , Robespierre, Barrere , Billaud, qui
d'abord n'avaient repoussé les rnodérés que par
politique , et 'pour étre plus forts centre les
ultra - révolutionnaires , comrnencaient a les
poursuivre par hnmeur personnelle et par
haine. Camille avait déja attaqué, comme on
l'a vu , Collot et Barrere. Dans sa Iettre aDil-
Ion, il avait adressé au fanatisme dogmatique
deSaint-Just , et a la dnreté monacale de Bil-
laud , des plaisanteries qui les blessérent pro-
fondément. n avait enfin irrité Rohespierre
aux Jacobina, el, tont en le \ouant beaucoup ,




156 RÉVOLUTION FRAN(;AlSJ:.
il finit par se l'aliéner tout-a-fait. Dauton leur
était peu agréable a tous par sa renornmée ;
et aujourd'hui, qu'étranger a la conduite des
affaires, il restait a l'écart , censurant le gou-
vernement, et paraissant exciter la pIume caus-
tique et balnllarde" de Camille, íl devait leur
devenir chaque jour plus odieux ; et il n'était
pas supposable que Robespierre s'exposát en-
core a le défendre.


Robespierre et Saint-J ust , habitués a faire
au nom du comité les exposés de principes,
et chargés en queIque sorte de la partie morale
du gouvernement, tandis que Barrére , Carnot,
Billaud et autres, s'acquittaient de la partie rna-
térielle et administrative, Robespierre et Saint-
Just firent deux rapports, l'un sur les principes
de morale qui devaient diriger le gouverne-
mentrévolutionnaire, l'autre sur les déten-
tions dont Camille s'était plaint daos le Vieuo:
Cordelier. Il faut voir oomment ces' deux es-
prits sombres concevaient le gouvernement
révolutionnaire, et les mOJens de régénérel'
un état.


11 Le principe du gouvernement démocrati-
11 que,c'est la vertu, disait Robespíerre "", et son


* Expression de Camille lui-méme.
** Séance du 17 pluviose , an n (5 févricl'j.




r.O'iVENTION NATIONAI.E (1794). 157
1( moyen pendaut qu'il s'établit, c'est la terreur,
« Nous voulons substituer, dans notre pays,
« la morale al'égoisme, la probité aI'honneur,
rr les principes aux llsages, les devoirs aux bien-
,( séances, l'empire de la raison a la tyrannie
e de la mode, le mépris du vice au mépris du
¡( rnalheur , la fierté a l'insolence, la grandeur
« d'áme a la vanité, l'amour de la gloire a l'a-
« mourde l'argent, les bonnes gens a la bonne
« compagnie, le méritea l'intrigue, le génie
« au bel esprit, la vérité a l'éclat, le charme
« du bonheur aux. ennuis de la volupté , la
« gramleur de I'hornme a la petitesse des
(( grands, un peuple magnanirne, puissant ,
« heureux, a un peuple aimable, frivole et mi-
,( sérable , e'est-a-dire toutes les vertus et tous
(( les miracles de la république a tous les vi-
I( ces et atous les ridicules de la monarchie.»


Pour atteindre 11 ce but, il fallait un gouver-
nement austere , éoergique, qui surrnontát les
résistances de toute espéce, Il y avait , d'une
part, l'ignorancebrutale, avide, qui ne voulait
daos la république que des bouleversements;
de l'autre, la corruption láche et vile qui vou-
lait tous les délices de rancien luxe, et q ni
ne pouvait pas se résoudre aux vertus énergi-
ques de la démocratie. De la, deux factions :
I'une qui voulait outrer toute chose, qui pouso




15fl HIÍVOLVTrON FRA.N<:AISF.
sait tont au-dela des bornes. qui, pOllr atta-
quer la superstition , cherchait adétrnire Dieu
mérne , et a verser des torrents de sang sous
prétexte de venger la république; l'autre qui,
faible et vicieuse , ne se sentait pas assez »er-
tueuse pour étre si terrible, et s'apitoyait la-
chernent sur tous les sacrifices nécessaires
qu'exigeait l'étahlissement de la vertu. L'une
de ces factions , disait Saint-J ust "', voulait CRAN-
G.ER LA LIBERTÉ EN BACCRANTE, L'AUTRE EN PROS-
TITUÉE.


Robespierre et Saint-Just énurnéraient les
folies de quelques agents du gouvernernent
révolutionnaire, de deux ou trois procureurs
de commnnes, qui avaient prétendu renouve-
ler I'énergie de Marat , et ils faisaient ainsi al-
lusion atoutes les folies d'Hébert et des siens.
Ils signalaient ensuite les torts de faiblesse ,
de cornplaisance , de sensibilité , imputés aux
nouveaux modérés ; ils leur reprochaient de
s'apitoyer sur des veuves de généraux, sur des
intrigantes de I'ancienne noblesse, sur des aris-
tocrates , de parler enfin sans cesse des sévé-
rités de la république, bien inférieures aux
cruautés des monarchies. « Vous avez, disait
l( Saint-Just , cent rnílle détenus , et le tribunal


• R,pp0l't du 1\ ventose (2.6 Iévrier).




CONVl'NTlON N A'rJON AU, ". J 794). 1 5~1
« révolutionnaire a condamné déja trois cents
« coupahles. Mais sous la monarchie vous aviez
ce quatre cent mille prisonniers ; on pendait
« par an qninze milJe contrebandiers ; on rouait
« trois mille hommes , et aujourd'hni mérne il
« y a en Europe quatre millions de prisonniers
( dont vous n'entendez pas les cris , tandis que
« votre modération parricide laisse triompher
" tous les ennemis de votre gOllvernement!
( Nons nons aecablons de reproches, et les
« rois , mille fois plus cruels que nous , dor-
« ment dans le crime. II


Hobespierre et Saint-Just , conformément al!
systeme convenu , ajoutaient que ees deux fac-
tions , en apparenee opposées, avaient un point
d'appui commun, l'étranger, qni les faisait agir
pour perdre la république,


00 voit ce qu'il entrait a la fois (le fana-
tisme , de politique et de haine , dans lesys-
teme du comité. Camille , par des allusioas ,
et mérne par des expressions directes , se tron-
vait attaqué luí et ses amis, II répondait, dans
son Fieua: Cordelier, au systerne de la vertu
pnr celui du bonheur. Il disait qu'il aimait la
république paree qu'elle devait ajouter a la
félicité générale, paree que le cornmerce , I'in-
dustrie, la civilisation s'étaient développés avec
plus d'éclat a A.thenes, aVenise , aFlorence,




160 nÉVOLlJTION FKAN~AISJ':.
que dans toutes les mouarchies; paree que la
république pouvait seule réaliser le voeu men-
teur de la monarchie, la poule au poto « Qu'im-
« porterait a Pitt, s' écriait Camille, que la
I( France fút libre, si la liberté ne servait qu'a
« nous ramener a l'ignorancedes vieux Gau-
(( lois, a leurs sayes, aleurs brayes, a leur guy
« de chéne , et a leurs rnaisons , qui n'étaient
« que des échoppes en terre glaise ? Loin d' en
« gémir, il m.e semble que Pitt donnerait bien
« des guinéespour qu'une telle liberté s'établit
(1 chez nous. Mais ce qui rendrait furieux le
({gollvernement anglais, c'est si on disait de
(( la France ce que disait Dicéarque de l'Atti-
1( que: Nulle part au monde on ne peut -oivre
« plus agréablement qu'a Athimes, soit qu'on
« ait de l'argent, soit qu'on n'en ait point.
« Ceux qui se sont mis ti l'aise, par le com-
e< merce ou leur industrie, peuvent s'y procurer
" tous les agréments imaginables; et quant ti
f( ceu» qui cherchent ti le devenir, i! Y a tan!
« d'ateliers oú ils gagnent de quoi se divertir
(f aua: ANTHESTÉRIES, et mettre encore quelque
« chose de cóté, qu'il n'y a pas moyen de se
« plaindre de sa pauoreté , sans sefaire ti soi-
l( méme un reproche de sa paresse.


« le erois done que la liberté u'existe pas
f( rlans une égalité de privations , et que le




CONHNTIOX N A TION:\ L lo: í 1794). r6I
tt plus bel éloge de la convention serait, si
« elle pouvait se rendre ce témoignage : j'ai
« trouvé la nation sans culottes , et je la laisse
« culottée.


« Charmante démoeratie, ajontait CamilIe,
« que celle d'Athenes! Solon n'y passa point
« pour un muscadin, il n'en fut pas moins re-
i( gardé comme le modele des législateurs, et
« proclamé par l'oracle le premier des sept
« sages, quoiqu'il ne fit aueune diffieulté de
« eonfesser son penchant pour le vin, les
« femmes et la musique; et il a une possession
« de sagesse si bien établie, qu'aujourd'hui en-
« core 00 ne prononce son norn daos la con-
« vention et aux Jacobins que comme eelui du
« plus granel législateur. Combien cependant
« oot parmi nous une réputation d'aristocrates
« et de Sardanapales , qui n'ont pas publié une
« sernblable profession de foi!


c( Et ee divin Socrate, un jour reneontrant
« Alcihiade sombre et réveur , apparemment
« par'ce qu'il était piqué d'une lettre d'Aspasie:
« -Qu'avez-vons? Iui dit le plus grave des Men-
« tor; auriez-vous perdu votre bouclier a la
« bataille? avez-vous été vaincu dans le camp ,
« a la eourse ou a la salle d'armes? quelqu'un
« a-t-il mieux chanté ou mieux joué de la lyre
« qUf' \'OlIS a la table du génél'al? - Ce trait


Yl. 1I




162 REvor.(lTION FRAN~:AISrc.
« peint les moeurs. Quels républicains alma"
« bies! »


Camille se plaigoait ensuite de ce qu'aux
mreurs d'Athénes , on ne voulüt pas ajourer
la liberté de langage qui régnait dans ceHe
république. Aristophane y représentait sur la
scene les généraux, les orateurs, les philoso-
pheset le peuple lui-méme ; et le peuple d'A-
thenes , tantót joué sous les traitsd'un vieil-
lard , el tantót sous ceux d'un [eune homme,
loin de s'irritee , proclamait Aristophane vain-
qneur <les jeux , et l'encourageait par des bra-
vos et des couronnes.Beaucoup de ces co-
medies étaient dirigées centre les ulira-reeo-
lutionnaires de ce temps-Iá ; les railleries en
étaient cruelles. « Et si aujourd'hui , ajoutait
1( CamiUe, on traduisait quelqu'une de ces
f( pieces jouées 430 ans avant Jésus-Christ, son s
« l'archonte Sthénocles , Héhert soutiendrait
( aux Oordeliers que la piece ne peut étre que
« d'hier , de l'invention de Fabre-d'Églantine,
« centre lui el Ronsin, el que c'est le tradue-·
« teur qui est la cause de ladisette.


« Gependant, reprenait Camille avec tris-
« tesse , je m'abuse quaad je dis que les
« hammessont rchangés; ils out toujours été
« les mémes ; la liberté de paeler n'a pas été
" plus impunie dans les républiques auciennes




,


GONVE1'f!'ION N ATlON.\.LE (1794)- 163
« que dans les modernes. Socrate , accusé d'a-
« voir mal parlé des dieux, hut la cigué ; Cicé-
« ron, pour avoir attaqué Antoine ~ fut livré
« aux proscriptions. »


Ainsi ce malheureux jeune homme semblait
prédire que la liberté ne lui serait pas plus
pardonnée qu'á tant d'autres. Ces plaisanteries,
cette éloquence irritaient le comité. Tandis
qu'il suivait de I'oeil Ronsin, Hébert, Vincent
el tous les agitateurs, il concevait une. haine
funeste contre l'aimable écrivain qui se riait
de ses systernes ; contre Danton , qui' passait
pour inspirer cet écrivain , contre tous les
hommes enfin supposés amis ou partisans de
ces deux chefs.


Pour ne pas dévier de sa ligne, le comité
présenta deux décrets a la suite des rapports
de Robespierre et de Saint-Just, tendant, di-
sait-il , arendre le peuple heureux aux dépens
de ses ennemis. Par ces décrets , le comité de
súreté générale était seul investi de la faculté
d'exarniner les réclamations des détenus , et de
les élargir s'ils étaient reconnus patriotes. Tous
ceux, au contraire, qui seraient reconnus enne-
mis de la révolution, resteraient enferrnés jus-
qu'á la paix , et bannis ensuite a perpétuité.
Leurs biens, provisoirement séquestrés , de-
vaient étre partagés aux patriotes indigents ,


1 l.




I 64 H~:\'ur.liTIOLY ~'IUN~Alsr,.
dont la lisIe serait dressée par les communes ",
C'était.cornme on le voit, la loi agraireappliquée
centre les suspects au profit des patriotes.Ces
décrets, imaginés par Saint-Just , étaient desti-
nés a répoudre a llX ultra-réoolutionnaires ; et
a conserver a11 comité sa réputation d'énergie.


Pendant ce temps, les conjurés s'agitaient
avec plus de violence que jamais. Rien ne prauve
que leurs projets fussent bien arrétés , ni qu'ils
eussent mis Pache el la commune dans leur
complot. Mais ils s'y prenaient comme avant
le 31 rnai; ils soulevaieut les sociétés popular-
res, les cordeliers, les sections ; i ls répandaient
des hruits rnenacants , et cherchaient aprofiter
des troubles qu'excitait la diset te , chaque jour
plus g.'ande et plus sentie.


Tout-á-coup on vit paraitre , dans les halles
et les marchés , des affiches, des pamphlets ,
annoncant que la convention était la cause de
tous les rnaux du peuple, et qu'i] fallait en ar-
racher la faction dangerellse, qui voulait re-
nouveler les brissotius et leur funeste sJsréme.
Quelqucs-uns mérne de ces écrits portaient que
la convention tout entiere devait étre renou-
velée, qu'on devait choisir un chef, el orga-
niser le pouvoir exécutif , etc.... Toutes les


• DéC1'l'l'; de, 8 el 1'3 "enlose an 11.




CONVENTlON ~ ATIONALh \ I 794 J. 165
idées en un mot qu'avaient roulées dans Ieur
tete, Vincent, Ronsin , Hébert, remplissaient
ces écrits , et semblaient trahir leur origine. En
mérne temps, on vit les épuuletiers, plus turbu-
lents et plus fiers que jamais, menacer han te-
ment d'aller égorger dans les prisons , les enne-
mis que la convention corrompne s'ohstinait a
épargner. lis disaient que beaucoup de pa-
triotes se trouvaieut injustement confondus
dans les prisons avec les aristocrates ,mais
qu'on allait faire le triage de ces patriotes , el
qu'on leur donnerait a la fois la liberté el des
armes. Ronsin, en granel costume de général
de l'arrnée révolutionnaire , avec une echarpe
tricolore, une houppc rOllge, et entouré de
quelques-uns de ses officiers, parcourait les
prisons , se faisait montrer Jes écrous , el for-
mait des listes.


On était au 15 ventoseo La section de Marat,
présidée par Momoro , s'assemble , et, indignée,
dit-elle , des machinations des ennernis d 11
peuple , elle déclare en rnasse qu'elle est de-
hout , qu'elle va voiler le tablean de la décla-
ration des droits, et qu'elle restera dans cet
étatjusqu'a ce que: les subsistances.et la liberté
soient assurées au peuple , et que ses enne-
mis soient punís. Dans la me me soirée, les
cordeliers s'assemblent en tumulte ; OH fait




di6 nÉVOLUTION FRAN9AfSP:.
chez eux le tableau des souffrances publiques;
on raconte les persécutionsqu'ont récemment
essuyées les deux grands patriotes, Vincent et
Ronsin , lesquels , dit-on , étaient malades an
Luxembourg , sans pouvoir obtenir un mé-
decin qni les saignat. En conséquence on dé-
elare la patrie en danger, el on voile la décla-
ration des droits de l'hornme. C'est ainsi que
toutes les insurrections avaient commencé, par
la déclaration que les Iois étaient suspendues ,
et que le peuple rentrait dans l'exercice de sa
souveraineté.


Le Iendcmain 16, la section de Maral et les
eordeliers se présentent a la commune pour
Iui signifier leurs arrétés , et pour l'entrainer
aux mémes démarches, Pache avait en soin de
ne pas s'y rendre, Le nommé Lubin présidait
le conseil général. Il répond a la députation
avec un embarras visible; il dit que dans le
rnornent oú la convention prend des mesures
si énergiques contre les ennemis de la révolu-
tion, et pour secourir les parriores indigents,
il est étonnant qu'on donne un signal de dé-
tresse , et qu'on voile la déclaration des droits.
Feignant ensuite de justifier le conseil général,
comme s'il était accusé, Lubin ajoute que le
conseil a fait tous ses efforts pour assnrer les
subsistances et en régler la distribution. Chau-




CONVENl'lON NATIONALJ; (1794). 167
mette tient des discours tout aussi vagues. Il
recornmande la paix , requiert le rapport sur
la culture des jardins de luxe, et sur l'appro-
visionnement de la capitale , qui , d'aprés les
décrets, devait étre approvisionnée cornme une
place de guerreo


Ainsi les chefs de la.cornmune hésitaient , el
le mouvernent , quoique turnultueux, n' était
pus assez fort pour les. entrainer , el leur ins-
pi.rcJ? le courage de trahir le comité et la con-
vention, Le désordre néanruoins était g.'and.
L'insurrection commencait comme toutes celles
qui avaient jadisjréussi , et ne devait pas ins-
pirer de moindres craintes, Par une rencontre
fácheuse , le comité de salut public était privé,
dans le moment , de ses memhres les plus in-
fluents : Billaud-Varennes , Jean-Bon-Saint-An-
dré , étaient absents pour affaire d'adrninistra-
tion ; Couthon el Robespierre étaieut malades,
el eelui-ci ne pouvait pas venir gm.\verner ses
fideles jacobins. Il ne restait q¡u./i} Saint-Just et
Collot-d'Herhois pour déjouer eette tentativo.
11s se rendent tous les deux a la convention ,
oú l'on s'assemblait en tumulte, et ~U l'on
tremhlait d'effroi, Sur leur propositien , on
mande aussitót Fouquier-Tinville ; on le charge
de rechercher sur-le-champ les distrihuteurs
des écrits incendiaires répandus dans les mar-




j(58 UiVOLUTION fo'JlAN(jAtSE.
chés, les agitateurs qui troublent les sociétés
populaires , tous les conspirateurs enfin qui
menacent la tranquillité publique. On lui en-
joint par décret de les arréter sur-le-champ ,
et d'en faire sous trois jours son rapport a la
convention.


C'était peu d'avoir un décret de la conven-
tion , cal' elle ne les avait jamais refusés contre
les perturbateurs; et elle n'en avait pas laissé
manquer les gil'ondins contre la commune in-
surgée ; mais il fallait assurer l'exécution de
ces décrets en se rendant maitres de l'opinion.
Collot, qui avait une grande popularité aux
Jacobins et aux Cordelicrs par son éloquence
de club, et surtout par une éncrgie de senti-
ments révolutionnaires bien connue, est chargé
de cette journée, et se rend en 'háte aux Jaco-
bins. A peine sont-ils assemblés qu'il leur fait
le tableau des factions quirnenacent la liberté,
et des complots qu'elles préparent : « Une nou-
« velle campagne va s'ouvrir, dit-il , les soins
« du comité qui ont si heureusement terminé
« la campagne derniere., allaient assurer a.la
« république des victoires nouvelles. Comptant
« sur votre confiance et votre approbation ,
« qu'il a toujours eu en vue de mériter , il se
« livrait a ses travaux; mais tout-á-coup nos
« ennemis ont voulu l'entraver dans sa mar-




CUNn;NTION J'<A1'WNALli \ '7~)4). 16~)
« che; ils ont soulevé autour de Iui les patriotes,
« pour les lui opposer et les ' faire égorger en-
« tre eux. On veut faire de nous des soldats de
« Cadmus; on veut nous irnmoler par la main
« les uns des autres. Mais uon , nous ne serons
« point les soldats de Cadmus! graces a votre
« bon esprit, nous resterons amis, et nous ne
~( serons que les soldats de la liberté! Appuyé
« sur vous, le comité saura résister avec éner-
« gie, comprimer les agitateurs, les rejeter hors
« des rangs des patriotes, et, aprés ce sacrifice
« indispensable, poursuivre ses travanx et vos
« victoires. Le poste oú vous nous avez placés
(1 est périlleux, ajoute Collot; mais aucun de
« nous De tremble devant le danger. Le co-
l( mité de súreté généralc accepte sa pénible
(1 mission de surveiller et de poursuivre tous
(1 les ennemis qui trament en secret centre la
« liberté; le comité de salut public De néglige
« rienpour suffire ason immense tache; mais
el tous deux ont besoin d'étre soutenus par
« vous. Dans ces jours de danger, nous somrnes
» peu nombreux. Billaud , Jean-Bon , sont ab-
« sents; nos amis Couthon et Robespierre sont
« malades. Nous restons done en petit nombre
« pour combattre les ennemis dn bien public;
« ji faut que vous nous souteniez ou que n01l5
\1 1I01lS retirions. » - Non, non, s'écrient les




170 RÉVOLUTION FHAN(,:AJSE.


jacobina. Ne vous retirez pas; nous vous sou-
tiendrons. - Des applaudissements nombreux
aeeompagnent ces paroles encourageantes. Col-
Iot poursuit et raconte alors ce qui s'est passé
aux Cordeliers. r( 11 est , dit-il, des hommes qui
« n'ont jamais eu le couI'3ge de souffrir pen~
( dant quelques jours de détention, des hom-
( mes qui n'ont ríen essuyé pendant la révo-
( lution, des homrnes dont nous avions pris la
« défense quand nQUS les avons crus opprimés ,
« et qui ont voulu amener ooe insurrection
« dans Paris , paree qu'ils avaient été détenus
« quelques instants, Une insurrection , paree
« que deux hommes ont souffert, paree qu'un
« médeein ne les a pas saignés pendant qu'ils
« étaient malades!... Anatheme a ceux qui de.
« mandent une insurrection I..... »-Oui, oui ,
anathéme ! s'écrient tous les jacobins en masse.
~. « Marat était cordelier, reprend Collot, Ma-
« rat était jacohin ; eh bien 1 lui aussi fut per-
({ sécuté, beaueoup plus sans doute que ces
« hommes d'un jour; on le traina devant le
« tribunal, oú ne devaient comparaitre que
« des aristocrates : provoqua-t-il une insurrec-
(l tion ? .. Non. L'insurrection sacrée , l'insur-
« rection qui doit délivrer l'humanité de tous
f( ceux qui l'oppriment, prend naissance dans
« des sentiments plus généreux que le petit




CONVI-:NTlON J'iATJONALE (1794)· 17J
f( sentiment oú ron veut nous entrainer ; mais
II nOl1S n'y toruberons paso Le comité de salnt
(( public ne cédera pas aux intrigants; il prend
« des mesures fortes et vigoureuses; et, dút-il
« périr, il ne reculera pas devant une tache
II aussi gloriel1se. ))


A peine Collot a-t-il achevé que Momoro
veut prendre la parole ponr justifier la section
de Marat et les cordeliers. Il convient qu'un
voile a été jeté sur la déclaration des droits,
mais il désavoue les autres faits; ii nie le pro.
jet d'insurrection, et soutient que la section
Marat et les cordeliers sont animés des rneil-
Ieurs sentiments. Des conspirateurs qui se j l1S-
tifient sont perdus. Des qu'ils ne peuvent pas
avouer l'insurrection , et que le seul énoncé du
but ne fait pas éclater uu élan de l'opinion en
leur faveur, ils ne peuvent plus rien, Momoro
est écouté avec une désapprobation marquée ;
et Collot est chargé d'aller, au nom des jaco-
bins, fraterniser avec les cordeliers, et rame-
ner ces freces égarés par de pedides sugges-
tions.


La nuit était fort avancée, Collot ne pouvait
se rendre aux Cordeliers que le lendcmain 17;
mais le danger , quoique d'abord effrayant,
n'était déja plus redoutable. Il devenait évident
que l'opinion n'était pas favorablement dispo-




'7'J. RÉVOLUTION FRAN~A1SI-:.
sée potlr les conjurés, si on peut leur donner
ce nom. La commune avait reculé, les jacobins
étaieut restésau comité et aRobespierre, quoi-
qu'il fút absent et malade. Les cordeliers im-
pétuenx, mais faiblement dirigés, et surtout
délaissés par la commune et les jacobins , ne
pouvaient manquer de céder a la faconde de
Collot-d'Herbois, et a l'honneur de voir dans
leur sein un membre aussi fameux du gouver-
uement. Vineent avee sa frénésie, Hébert avec
son sale journal dont il multipliait les numéros,
Momoro avec ses arrétés de la section de Marat,
ne pouvaienl déterrniner un mouvement déci-
sif. Ronsin seul , avec ses épauletiers et des
munitions assez considérables , aurait pu teoter
UIl coup de main, 11 en aurait eu l'audace,
mais soit qu'il ne trouvát pas la mérne audace
dans ses amis, soit qu'il ne comptát point assez
sur sa troupe, il n'agit pas, et du ,6 au '7
tout se borna en agit~tionset en menaces. Les
épauletiersrépaudus dans les sociétés populaires
y causerent un grand tumulte , mais n'oserent
pas recourrr aux armes.


Le 17 au soir, Collot se rendit aux Corde-
liers, oú il fut aceueillí par de grands applau-
dissements. I1leur dit que des ennemis secrets
de la révolution cherchaient a égarer leur pa-
triotisme ; qu'on avait voulu déclarer la répu-




CONV EN'fION NATION A Ll-~ (1794). 173
blique en état de détresse, tandis que dans le
mament la royauté et l'aristocratie étaient seules
aux abois; qu'on avait cherché á rliviser les
cordcliers et les jacobins , mais qu'ils devaient
eomposer au contraire une seule famille, unie
ele principes et d'intentions; que ce projet d'in-
surrection, ce voile jeté sur la déclaration des
droits, réjouissaient les aristocrates, et que la
veille ils avaient tous imité cet exemple, et
voilé dansleurs salons la déelaration des droits;
et qu'ainsi , pour nepas combler de satisfaction
l'ennemi commun, ils.devaient se háter de dé-
voiler le code sacré de la nature. Les cordeliers
furent entrainés , quoiqn'il y cut parmi eux un
grand nombre de cornrnis' de Bouchotte ; ils se
háterent de faire acte de repentir; ils arruche-
rent le crépe jeté sur la déclaration des droits,
et le remirent a Collot,. en le chargeant d'as-
surer ame. jacobina qu'ils marcheraient toujours
dans la méme voie.


Co llot-d'Herhois courut annoncer aux jaco-
hins Ieur victoire sur les cordeliers et sur les
ultra-révolutionnaires. Les conj urés étaient done
abandonnés de toutes 'parts; il ne leur restait
que la ressource d'un COllp de main , qui,
avons - nous dit ,était presque im possible, Le
comité de salut public résolut de prévenir tout
mouvcment de leur part, en faisant arreter




l74 RÉVOLUTION FRA1·H¡A1S}~.
les principaux chefs , el en les envoyant sur-le-
champ au tribunal révolutionnaire. Il enjoi-
gnit a Fouquier de rechercher les faits don!
on pourrait composer une conspiration, et de
préparer tout de suite un acte d'accusation.
Saint-Just fut chargé en mérne temps de faire
un rapport a la convention, contre les fac-
tious réunies qui menacaient la tranquillité de
l'état.


Le 23 ventose Cl3 mars) , Saint-Just pré-
sente son rapport. Suivant le systeme adopté,
il rnontre toujours l'étranger faisant agir deux
faclions; l'une composée d'hommes séditieux,
ineendiaires, pillards, diffamateurs, athées,
qui voulaient amener le bouleversement de la
république par l'exagération; l'autre , compo-
sée de corrompus ,d'agioteurs , de concussion-
naires, qui, s'étant laissé séduire par l'appát
des jouissances , voulaient énerver la républi-
que et la déshonorer. Il dit que l'une de ces
deux factions avait pris l'initiative, qu'elle avait
essayé de lever l'étendard de la révolte, mais
qu'elle allait étre arrétée , et qu'il venait en
conséquence demander un décret de mort
contre tous ceux ~ en général, qui avaient mé-
dité la subversion des pouvoirs, machiné la
corruption de l'esprit public et des moeurs ré-
publicaines, entravé l'arrivage des subsistances,




(:ONVENTlON N ATION AI.E (1794), 17;
et contrihué de q uelque maniere au plan ourdi
par l'étranger Saint-Just ajoute ensuite que.
des cet instant , il fallait :&lETTRE A L'ORDRE DI]
.tOUR, LA JUSTJCE, LA PROBlTÉ, ET TOUTJ<:S LFS
VER TUS RÉPUBLIC AINES.


Daos ce rapp0l't, écrit avec une violence
fanatique, tontes les factions étaient égale-
ment menaoées : mais il n'y avait de clairement
dévoués auxcoups du tribunal révolntionnaire
que les conspirateurs ultra-révolutionnaires ,
tels que Ronsin , Vinoeut, Hébert , etc, , et les
corrompus Chabot, Bazire, Fabre, Julien , fa-
bricateurs du faux décret. Une sinistre réti-
cence était gardée envers ceux que Saiut-Just
appelait les indulgerus et les moderes.


Dans la soirée du mérne jour, Robespierre
se rend aux Jacobins avec Couthon, el ils sont
tous les deux couverts d'applaudissements. 00
les entoure , on les félicite du rétablissement
de leursanté , et on promet aRobespierre un
dévouernent sans bornes, Il demande ponr le
lendernain une séance extraordinaire, aíin d'é.
claircir le mysterede la conspiration décou-
verte. La séance est résolue. L'empressement
de la commune n'est pas moins grand. Sur la
proposition de Chaumette lui ~méme , on fait
demander le rapport que Saint - Just iavait
prononcé ala convention , et on envoie a I'irn-





'76 RÉVOLlITION FHAN(:A'S.~.
prirnerie de la république en chercher un
exemplaire pOllr en faire lecture, Tout se so u-
met avec docilité a l'autorité triomphante du
comité de salut publico Dans cette nuit du 23
au 24, Fouquier- Tinville fait arréter Hébert,
Vincent, Ronsin, Memoro, Mazuel, l'un des of-
ficiers de Ronsin, enfin, le banquier étranger
Kock, agioteur et ultra-révolutionnaire , chez
lequel Hébert, Ronsin et Vincent mangeaient
fréquemment, et formaient tous leurs projets.
De cette maniere, le comité avait deux han-
quiers étrangers, pOllr persuader a tout le
monde que les deux factions étaient mues par
la coalition. Le baron de Batz devait servil' a
prouver ce fait contre Chabot, Julien , Fabre,
contre tous les corrompns et les modérés ; Kock
devait servir a prouver la mémechose contre
Vincent, Ronsin, Hébert et les ultra-révolu-
tionnaires.


Les dénoncés se laisserent arréter sans ré-
sistance , et fnrent envoyés le lendemain au
Luxembourg. Les prisonniers accoururent avec
joie po ur voir arriver ces furieux qui les avaient
tant. effrayés , en les menacant d'un nouveau
septembre. Ronsin montra heaucoup de fer-
meté el d'insouciance; le láche Hébert était
défait 'et abáttu , Momoro consterné. Vincent
avait des convulsious. Le hruit de ces arresta-




CONVENTION NATlONALE (1794). 177
tions se répandit aussitót dans Paris , et y pro-
duisit une joie universelle. Malheureusement ,
on ajoutait que ce n'était point fini, et qu'on
aIlait frapper les hommes de toutes les faetions.
La méme chose fut répétée dans la séanee ex-
traordinaire des jacobins. Apres que chacun
cut rapporté ce qu'il savait de la conspiration,
de ses auteurs , de Ieurs projets, on ajouta que,
du reste, toutes les trames seraient connnes, et
qu'un rapport serait fait sur des hommes au-
tres que ceux qui étaient actuellement pour-
SUlVIS.


Les bureaux de la guerre, l'armée révolu-
tionnaire , les eorcleliers venaient d'étre frappés
dans la pcrsonne de Vincent, Ronsin, Hébert,
Mazuel, Momoro et consorts. On voulait sévir
aussi contre la commune. Il n'était bruitque
de la dignitéde grand-juge réservée aPache ;
mais on le savait incapable de s' engager dans
une conspiration, docile a l'autoritévsupé-
rieure , respecté du peuple , et on ne voulut
ras frapper un trop grand eoup en l'adjoignant
aux autres. 00 préféra faire arréter Chaumette,
qui n'était ni plus hardi, ni plus dangereux
que Pache, rnais qui était, par vanité et en-


....,gouement, l'auteur des plus imprudentes dé-
terminations de laeommune, et l'un des apó-
tres les plus zélés du eulte de la Raison. On


VI. 12




1 78 R~:VOLUTION FRAN<;:AJSJL
arréta done le malheureux Chaumette; 00 I'en-
vaya au Luxemhourg avec l'évéque Gohel,
auteur de la grand~ scéned'abjuration , et avec
Anacharsis Clootz, déjá exclu des Jacobins et
de la convention pour son origine étrangere ,
sa noblesse , sa fortune, sa répuhlique univer-
selle et son athéisme. ~


Lorsque Chaumette arriva au Luxembourg,
les suspects accoururent au-devant de lui , et
l'accablérent de Tailleries. Le malheureux,
avec un grand penchant a la déclamation ,n'a-
vait rien de l'audace de Ronsin, ni de la fureur
de Villcent. Ses cheveux plats, ses regards
tremblants lui donnaient les apparences d'un
míssionnaire; et il avait été véritablement ce-
lui du 'nouveau culte. Ceux-ci lui rappelaient
ses)réquisitoires centre les fiUes de joie , centre
Ies aristocrates , -'COntre la famine , .centre las
suspects. Un prisonniee 'luí dit en s'inclinant :
«pihilosophe Anaxagoras; je suis suspect; tu
essaspect , n6US sommes suspects,» Chaumette
s'excusa avec un ton soumiset tremblant, Mais
des cemoment il n'osa plus sortir desa cellule ,
ni se rendre dans la cour des prisonniers.


Le comité, aprésavoir 'fa'Ít~rreteTces mal-
heureux , fit rédigerpar le comité de súreté
générale l'acte d'accusation eontre Chabot, Ba-
zire , Delaunay , Julien de Toulouse et Fahre,




CONVF.:NTION N ATlONALE (1794). ! 79
Tous cinq furent mis en accusation ,et déférés
au tribunal révolutionnaire. Dans le mérne mo-
ment, on apprit qu'une ·émigrée, poursuivie
par un comité révolutionnaire , avait trouvé
asile chez Hérault-Séchelles. Déjá ce député si
connu, qui joignait aune grande fortune, une
grande naissance , une helle figure, un esprit
plein de politesse et de grace, qui était l'ami
de' Danton, de Camille Desmoulins , de Proli ,
el qul'Souvent s'effrayait de se voirdans les
rllllgs de''ces révohrtionnaires terribles; était
devenu suspect , et on avait oublié qu'il était
l'auteur principal de la constitutíon. Le comité
se háta de le faire arréter , d'abord paree qu'il
ne l'aimait pas, ensuite pour prouver qu'il frap-
peraitsans aucun ménagement les modérés
sorprís en faute, et q-q;iI ne serait pas plus in-
dul.gehti'poul' eux que pour les autres con-
pablM> Ainsi ,les oeups da redoutable crltiIité
l!olrihaiem:a la fuis.: Sl," les hoinmes ,det~us
les rangs, detoutes Iesopinions , de tous les
merites.


Le 1 er germinal (20 mars), commenl¡a le pito':'
ces d'une partie des conspirateurs. On réunit
dans la méme accusation Bonsin , Vinceút,
Hébert, Momoro, Mazuel, le banquier Kock,
le jeuneLyormais Leclerc, devenu chef de di-
visión dans les bureaux de Bouchotte, les nomo


J 2,




180 llÉVOLUTION FRANQAISE.


més Ancar, Ducroquet, comrnissionnaires aux
subsistances , et quelques autres membres de
l'armée révolutionriaire et des bureaux de la
guerreo Pour continuer la supposition de com-
plicité entre la faetion ultra-révolutionnaire el
la faction de l'étranger, 00 confondit encere
daos la méme aeeusation Proli , Duhuisson , Pe-
reyra ,,Desfieux, qui n'avaient jamais eu aucun
rapport 'avecIesau tres accusés. Chaumette fut
réserxé ,poqr- qgur~r. .plustard avec G-obel et
lesautres auteurs xles scenes du .culte de la
Raison; enfin , .si Clootz, qui aurait dú étre as-
socié a ces derniers , fut adjoint aProli , e'est
en sa qua lité d'étranger. Les aceusés étaient au
nombre de dix-oeuf. Roosiu et Clootz étaient les
plus hardis et les plus fermes.-cc Ceci,ditRoo-
sin aSeS coaccusés., es t un procéa.polírique; a
quoi hon tous vos pªRiers et vos pI:épa~tifs:de
justification? Vous se~ez condamnés.Tsorsqu'il
fallai t agir, vous avez parlé; sachez mourir, Pour
moi, je jure que VQUS ne me verrez pas bron-
cher , táchez d'en faire autant, )) - Les misé-
rables Hébert et Memoro se lamentaient , en
disant que la liberté était perdue]. --.-« La li-
berté perdue , s'écria Bonsin , paree que quel-
ques miserables individus vont périr! La liberté
est immortelle; nos ennemis succomberont
apres nous, et la liberté leur survivra a tous.»




CONVENTION NATlONALE (J794). 18.1
- Comme ils s'accusaient entre eux, Clootz
les exhorta a ne pasaggraver leurs maux par
des invectives mutuelles , et il leur cita cet
apologue fameux :


Je révais cene nuit que de mal consumé,
Cóte acote d'un glleux OIl m'avait inhumé.


La citation eut son effet, .et ils cesserent de
se reprocher leurs malheurs. Clootz, plein en-
core de ses ropinions rphilosophiques jusqu'a
l'échafaud , poursnivit les derniers restes de
déisme qui pouvaient derneurer en eux , et ne
cessa de Ieur précher jusqu'au bout la nature
et la raison , avec un zele ardent et un incon-
cevable mépris de la mort. lIs furent amenés
au tribunal, au milieu d'unconcours immense
de spectateurs. On a vu, par le récit de leur
conduite, aquoi se réduisait Ieur conspisation.
Clubistes du dernier rang , intrigants de bu-
reaux, coupe-jarrets enrégimentés -dans l'armée
révolutionnaire, ils avaient l'exagération des
inférieurs , des porteurs d'ordres , qui outrent
toujours leur mandato Ainsi, ils avaient voulu
pousser le gouvernement révolutionnaire jus-
qu'a en faire une simple commission militaire ,
l'abolition des superstitions jusqu'a lapersé-
cution des cultes , les moeurs répnblicaines jus-
qu'á la grossiereté, la liberté de langage jnsqu'á




)8~ nÉVOLUTION FRAN~AISE.
la bassesse la plus dégoútante , enfin la dé-
fianee et lasévérité démocratiques a l'égard
des hommes jusqu'a la diffamation la plus
atroee. De mauvais propos contre la conven-
tion et le comité, des projets de gouvernement
en paroles, des motions aux Cordeliers et dans
les seetions, de sales pamphlets, une visite de
Ronsin .dans les prisons, pour y rechercher
s'iln'y avaitpas des.patriotes renfermés, comme
lni,venait t;le l'étre, enfin quelques menaces , et
l'essai d'un mouvementsous le prétexte de la
disette, tels étaient leurs complots. n n'y avait
la que sottises et ordures de mauvais sujets.
Mais une conspiration profondément ourdie
et correspoudant avec l'étranger était fort au-
dessus de ces misérahles. e'était une perfide
supposition ducomité, que l'infáme Fouquier-
Tineillefut ch~r:gé de d~nlOlltrer jm tribunal,
et .que le tribunal eut ordre d'adopter,


Les mauvais propos que Vincent et Ronsin
s'étaient permis contre Legendre, en dinant
avec lui chezPache, leurs proposítions réité-
rées d'organiser le pouvoir exéeutif,.furent al-
légués comme attestant Le projet d'anéantir la
représentation nationale et le comité de salut
publico Leurs repas chez le banquier Kock fu-
rent donnés comme la preuve de leur corres-
pondance avec l'étranger. Acette preuve, on en




COlYVENTION NATIONALE (1794). 183
ajouta une autre. Des lettres éerites de París a
Londres, et insérées dans les journaux anglais ,
annoncaient que, d'apres l'agitation qui régnait,
des mouvements étaient présumables. Ces let-
tres, dit-on auxaccusés , démontrent que l'é-
tranger était dans votre confidence, puisqu'il
prédisait d'avance vos complots. La disette ,
qu'ils avaient reprochéeau gouvernement pour
soulever le peuple, leur fut imputée a eux
seuls; et Fouquier, rendant calomnie pour ca-
lomnie , leur soutint qu'ils étaient cause de
cette disette , en faisant piller sur les routes
les charrettes de légnmes et de fruits. Les mu-
nitions rassemblées aParís pour l'armée révo-
Iutionnaire leur furent reprochées comme des
préparatifs de conspiration. La visite de Ron-
sin dans les prisons fut donnée comme preuve
du projet d'armer les suspects , et de lesdé-.
chainer dans Paria. Enfin, les.écritsrépandus
dans les halles; et le voile jeté sur la déelara-
tion des droits, furent eonsidérés comme un
commencement d'exécution. Héhert fut cou-
vert d'infarnie. A peine lui reprocha..t..on ses
actes politiques et son journal ; on se contenta.
de Iui prouver des vols de chemises et de.mou-
choirs.


Mais laissons la ces honteuses discussions
entre ces has accusés et le has accusateur dont




184 RIÍVOLUTION FRA.N~AJSJ':.
se servait un gouvernement terrible pour con-
sommer les sacrifices qu'il avait ordonnés. Re-
tiré dans sa sphere élevée, ce gouvernement
désignait les malheureux qui lui faisaient obs-
tacle, et laissait ason procureur-général Fou-
quier le soin de satisfaire aux formes avee des
mensonges. Si, dans eette vile tourbe de victi-
mes, sacrifiées au besoin de la tranquillité pu-
blique , quelques-unes méritentd'étre mises a
part, ce sont.ces malheureux étrangers, Proli,
Anacharsis Clootz, condamnés eomme agents
de la eoalition. Proli , eomme nous avons dit,
connaissant la BeIgique, sa patrie, avait blárné
la violence ignorante des jacobins dans ee pays;
il avait admiré les talents de Dumouriez, et il
en eonvint au tribunal. Sa connaissance des
cours étrangeres l'avait deuxou trois fois rendu
utile aLebrun, et il l'avoua encere. - Tu as
blámé , lui dit-on , le systeme révolutionnaire
en Belgique, tu as admiré Dumouriez, tu as
été l'ami de Lebrun, tu es done l'agent de l'é-
tranger.-Il n'y eut pas un autrc fait alIégué.
Quant aClootz, sa république universelle, son
dogme de la raison, ses cent mille livres de
rente, et quelques efforts tentés par lui pour
sauver une émigrée, suffirent pour le convain-
ere. A peine le troisiéme jour des débats était-il
commencé , que le jury se déclara suffisamment




CONVENTfON NATfONALE (J 79{l). ]85
éclairé , et condamna péle-méle ces intrigants,
ces brouillons et ces malheureux étrangers a


']a peine de mort. Un seul fut absous; ce fut
le nommé Laboureau, qui, dans eette affaire,
avait servi d'espion au comité de salut publico
Le 4 germinal (24 mars), a quatre heures de
l'apres-midi , les condamnés furent conduits an
líen du supplice. La foule était aussi grande
qu'aaucune des exécutions précédentes. Ou
louait.des places sur des charrettes, sur des ta-
bies disposées-autour de l'échafaud. Ni Ron-
sin, ni Clootz ne bronchérent, pour nous ser-
"ir de leur terrible expression, Hébert, accablé
de honte, découragé par le mépris , ne pre-
nait aucun soin de surmonter sa lácheté ; i]
tombait achaque instant en défaillance, et la
populace , aussi vile quelui, suivait la fatale
charrette , en répétant le eri des petits colpor-
teUI18 : -Il est bougrement en colére le Pere Du-
chesne.


Ainsi furent sacrifiés ces misérables a l'in-
dispensable nécessité d'établir un gouverne-
ment ferme et vigoureux: et ici , le besoin
d'ordre el d'obéissance n'était pas un de ces
sophismes a l'aide. desquels les gouvernemellts
immolent leurs victimes, Tonte l'Europe me-
nacait la Franee, tous les hrouillons voulaient
s'ernparer de l'autorité, et eompromettaient le




186 IIÉVOLUTlON }'ftANyA /Sk:.
salut commun par leurs lurtes. Il était indis-
pensable que quelques hommes plus énergi-
ques s'emparassent de cette autorité disputée ,
l'occupassent a l'exclusion de tous, etpussen t
ainsi s'en servir pour résister al'Europe. Si on
éprouveun regret, c'est de voir employer le
mensonge contre ces misérables, c'est de voir
parmi eux un homme d'un ferme courage,
Bonsin; un fou inoffensif, Clootz; un étran-
gel', intrigant peut-étre, mais point conspira-
teur et plein de mérite , le malheureux Probo


A peine les hébertistes avaient-ils subi leur
suppliee, qne les indulgents montrérent une
grande joie, et dirent qu'ils n'avaient done pas
tort de dénoncer Hébert , Ronsin, Vincent ,
puisque le comité de salut public et le tribu-
nal révolutionnaire venaientde les envoyer a
la mort.-« De quoi done naus.aecuse-t-on ?di-
saient-ils, Nous n'avons en d'autre tort que de
reprocher a ces factieux de vouloir houlever-
ser la république, détruire la eonvention na-
tionale , supplanter le comité de salut publie,
joindre le danger des guerres reJigieuses a ce-
luides guerres civiles, et amener une confusion
générale. C'est la justement ce que leur out re-
proché Saint-Just et Fouquier-Tinville en les en-
voyant aI'échafaud. En quoi pouvons-nolls étre
desconspirateurs.des ennemis de la répuhlique?»




CONv};l'ITION NATIONALE (1794). 187
Rien n'était plus juste que ces réflexious, el


le comité pensaitexactement comme Danton,
Camille Desmoulins , Philipeaux ,Fabre, sur
le danger de cette turhulence anarchique. La
preuve, c'estqueRobespierre, depuisle 31 mai,
n'avait cessé de défendre Danton et Camille,
et d'accuser les anarchistes. Mais , nous l'avons
dit, en frappant ces derniers , le comité s'ex-
posait a passer pour modéré, et ji fallait qu'il
dépk>yat d'autrepart la plus grande .rigueur ,
pour ne pas compromettre sa réputationré-
volutionnaire. Il fallait, tout en pensant comme
Danton et Camille, qu'il censurát leurs opi-
nions, qu'il les immolát dans ses discours , el
parút ne pas les favoriser plus que les héher-
tistes eux-mémes, Dans le rapport centre les
deux factions , Saint -Just avait autant accusé
l'une que I'autre , et avait gardéun silence me-
nacant a l'égarddes indulgente; Aux Jaoobins,
Collot avait dit que cen'était pas fini, et.qu'on
préparait un rapport contre d'autres individus
que ceux qui étaient arrétés. A ces menaces
s'était jointe I'arrestation d'Hérault-Séchelles,
ami de Danton, et l'un des hommes les plus
estimés de ce ternps-lá. De tels faits n'annon-
caient pas l'intention de faiblir, el;néanmoins
on disait encare de toutes parts que le comité
allait revenir sur ses pas, qu'lI allait adoucir le




188 RÉVOLUTION 1"1\AN(~AISE.
systeme révolutionnaire, et sévir centre les
égorgeurs de toute espéce. Ceux qui désiraient
ce retour a une politique plus clémente , les
détenus, leurs familles, tous les citoyens paisi-
hles en un mot, poursuivis sous lenom d'indif-
férents , se livrerent ades espérances indiscre-
tes, et dirent hautement qu'enfin le régime des
lois de sangallait finir. Ce fut bientót l'opinion
générale ;' elle se répandit dans les départe-
ments, et surtout dansceluidu Bhóne, 011 de-
puis quelques mois s'exercaient de si affrenses
vengeances, et oú Ronsin avait causé un si
grand effroi. On respira un moment a Lvon ,
on osa regarder en Cace les oppresseurs, et on
sembla Ieur prédire que leurs cruautés allaient
avoir un terme. A ces bruits , aces esperances
de la classe moyenne et paisible, les patriotes
s'indignerent. Les jacobins de- Lyon écrivirent
a ceux de' Paris que l'aristocratie relevait la
tete, que hientót ils n'y pourraient plus tenir,
et que si on ne leur donnait des forces et des
encouragements, ils seraient réduits ase don-
ner la mort comme le patriote Gaillard , qui
s'était poignardé lors de la premiere arrestation
de Ronsin.


« J'ai vu, -ditRobespierre aux Jacobins, des
« lettres de quelques-uns d'entreles patriotes
u. lyonnais; ils expriment tous le mérne dé-




CONV:ENTlON NATlONALE (J794). 11)9
« sespoir, et si l'on n'apporte le remede le plus
« prompt a leurs maux, ils ne tronveront de
« soulagement que dans la recette de Caton et
« de Gaillard. La faction perfide, qui, affectant
« un patriotisme extravagant, voulait immoler
« les patriotes, a été exterminéc; mais peu im-
« porte a l'étranger, illui en reste une autre. Si
« Hébert eút triomphé , la convention était ren-
{( versée , la république tombait dans lechaos,
{( el .Ia tyrannie, ¡éta~~s<ltisfa~te;,mais avec les
l{ modérés i l~ convention..perd son énergie,
({ les erirnes de l'aristocratie restent impunis ,
« et les tyrans triomphent, L'étranger-a done


1" 1" l'{( autant l esperallce avec uue qu avec autre
({ de ces factions, et il doit les soudoyer toutes,
« sans s'attacher a aucune. Que lui importe
{{ qu'Hébert .expire sur l'échafand, s'il lui reste
« des traitres d'une autre espece ,.POUl' venirá
« boutde ses. projetsr.Vous n'avez done :den
(( fait s'il vous reste. une faction, adétruÍJ;e¡,e~
« la convention est résolue ates immoler toutes
« jusqu'á la dcrniere. »


Ainsi le comité avait senti la nécessité de se
laver du reproche de la modération par un
nonveau sacrifice. Robespierre avait défendu
Danton, quand une faction audacieuse venait
ainsi frapper a ses cótés un des patriotes les
plus renommés, Alors la politique , IIn dauger




190 RÉVOLUTION FRAN~AJSE.
commun, tout l'engag.eait a défendre son vieux
collegue ;mais aujourd'hui cette faction har-
die n'était plus. En défendant plus long-temps
ce coUegne dépopularisé , il se compromettait
lui-rnéme. D'ailleurs , la conduitede Danton
devait réveiller bien des réflexions dans son
ame jalouse, Que faisait Danton loin du co-
mité?Entonréde Philipeaux , de Camille Des-
moulins , ilsemblait l'instigateur et te chef de
eette nouvelle oppóSition qui 'flót1Í"Suivait' le
gduvernementd:e censures et de railleries ame-
res. Depuis quelque temps, assis vis-a-vis de
cette tribune oú venaient figurer les membres
du comité, Danton avait quelque chose de me-
nacant et de méprisant á la fois. Son attitude ,
ses propos répérés de' bouche eh bouche, ses
liaisons , tout'protivait qu'apress'étre 'isolé du
gd!1vetnement~'ill S'eh:"étai t- fah: le censeur , et
qu'il Se t~nait en dehors , conuue'poul' lui faire
obstacle avec sa vaste renommée. Ce n'est ras
tout: quoique dépopularisé, Danton avait néan-
moins une réputation d'audace et de génie po-
litique extraordinaire. Danton immolé , il ne
restait plus un grand nom hors du comité; et,
dans le comité. il n'y avait plus que des ré-
putations seeondaires , Sairit- Just,Couthon,
Collot-d'Herbois. En consentant ace sacrifice ,
Robespierre du mérne coup détrnisait un ri-




CONHNTlON NATiONALE (179!.). 191
val, rendait an gonvernement sa réputatíon
d'énergie , et augmentait surtout son renom de
vertu en frappant un homme accusé d'avoir
recherché l'argent et les plaisirs, Il était en
outre engagé a ce sacrifice p,ar tous ses colle-
glles, encore plus jaloux de Danton qu'il ne l'é-
tait lui - méme, Couthonet Collot - d'Herbois
n'ígnoraient pas qu'ils étaient méprisés par ce
célebre tribuno Billaud , froid, has etsangui-
naire,trouvait chez lui quelque chose -de grand
et d'écrasant, Saint-Just , dogmatique ,austere
et orgueilleux, était antipathique avec un ré-
volutionnaire agissant, généreux et facile, et
il voyait que, Danton mort, il devenait le se-
cond personnage de la république. Tous enfin
savaíent que Danton, dans son projet de faire
renouveler le comité, croyait ne devoir con-
server que Robespierre. I1s entourerent done
celui-ei.etn'eurent pas de grands efforts a. faire
pour lui arraeher une détermination siagréa-
ble a son orgueil. On ne sait quellesexplica-
tions arnenerent cette résolution, quel jour
elle fut prise; mais tout-á-coup ils devinrent
tous menacants et mystérieux. Il ne fut plus
question de Ieurs projets. A la convention,aux
Jacobins , ils garderent un silenee ahsolu. Mais
des bruits sinistres se répandirent sourdement.
On dit que Danton, Camille, Philipeaux, La-




]92. RÉVOLUTION FRAN~AISE,
croix, allaient étre immolés a l'autorité de
leurs collegues. Des amis communs de Danton
et de Robespierre, effrayés de ces bruits, et
voyant qu'aprés un tel acte, il n'y avait plus
une seule tete qui dút étre en sécurité , que
Robespierre lui-méme ne devait pas étre tran-
quille, voulurent rapprocher Robespierre et
Danton, et les engagerent a s'expliquer. Ro-
bespierre , se renfermant dans un silence obs-
tiné, refusade 'l'épondre a ces ouvertures, el.
garda une réserve farouche. Cornme on lui par-
lait de l'ancienne amitié qu'il avait témoignée
a Danton, il répondit hypoeritement qu'il ne
pouvait rien , ni pour ni contre son collegue ,
que la justice était la ponr défendre I'inno-
cenee; que ponr lui, sa vie entiere avait été un
sacrifice continuel de ses affections ala patrie;
et que si son ami étaitcoupable , ille sacrifie-
rait a regret, maisilIe sacrifierait comme tous
les autres a la république.


On vit bien que c'en était fait, que cet hy-
pocrite rival ne voulait prendre aucun enga-
gement envers Danton, et qu'il se réservait la
liberté de le livrer a ses collégues. En effet, le
bruit des prochaines arrestations acquit plus
de consistance, Les amisde Danto'n I'entou-
raient, le pressaient de sortir de s,on espece de
sommeil , de secouer sa paresse, et de mon-




CONVENTION N ATION ALR (1794). 193
trer enfin ce front révolutionnaire qui ne s'é-
tait jamais montré en vain dans l'orage. - Je
le sais, disait Danton , ils veulent m'arréter !...
Mais non, ajoutait-il , ils n'oseron t pas ... -
D'ailleurs , que pouvait-il faire? Fuir était im-
possibIe. QueIpays voudrait donner asile ace
révoIutionnaire formidable? Devait-il autoriser
par sa fuite toutes les calomnies de ses enne-
mis? Et puis, il aimait son pa)'s.-Emporte-t-on,
s'écriait-il , sa patrie ti la semelle de ses sou-
liers ?-D'autre part, demeurant en France , iI
lui restait peu de moyens aernployer. Les COl"
deliers appartenaient aux ultra-réoolutionnai-
res, les jacohins aRoLespierre. La convention
était tremblante. Sur quelJe force s'appuyer ? ..
Voilá ce que n'ont pas assez considéré ceux
qni, ayant vu cet homme si puissaut foudroyer
le tróne au 10 aoüt, souIever le peuple centre
les étrangers, n' out pu concevoir qu'il soit
tombé sans résistance, Le génie révolutionnaire
ne consiste point arefaire une popularité pel'-
rlue , acréer des forces qui n'existent pas, mais
a diriger hardiment les affections d'un peuple
quand on les possede. La générosité de Dan-
ton, son éloignement des affaires, lui avaient
presque aliéné la favenr popuIaire, ou du moins
ne lui en avaient pas laissé assez pour renver-
ser l'autorité régnallte. Dans cette conviction


VI. 11




194 RÚOLUTION FRAN¡;;AlSE.
de son impuissance , il attendait et se répétait :
lis n'oseront paso II était permis, en effet, de
croire que devant un si grana nom, de si grands
services, ses adversaires hésiteraient. Puis il
retombait dans sa paresse et dans ceHe insou-
ciance des étres forts qui attendent le danger,
sans se trop agiter pour s'y soustraire,


Le comité gardait toujours le plus grand
silence , et des bruits sinistres continuaient de
se répandre. Six jours s'étaient écoulés depuis
la mert d'Hébert ; c'était le 9 germinal. 'rout-á-
COllp les hommes paisibles, qui avaient concu
des esperances indiscretes en voyant succom-
ber le partí des forcenés, disent que bientót
on sera délivré des deux saints , Marat et Cha-
loor, et que l'on liI. trouvé dans leur vie de quoi
les transformer, aussi vite qu'Hébert, de grands
patriotes en scélérats. Ce bruit , qui tenait a
l'idée d'un mouvement rétrograde, se propage
avec une singuliére rapidité, et on entend ré-
péter de tous cótés que les bustes de Marat er
de Chalier vont étre brisés. Le maladroit Le-
gendre dénonce ces propos a la convention
et aux Jacobins, eomme pour protester, au
nora de ses amis les modérés , contre un pro-
jet parei \.-. «Soyez tranquilles , 5'écrie Collot
llaux Jaeobins , de tels propaS seront démen-
« tis. Nous avons fait tomber la foudre sur les




CONVENTlON NATJON ALE (1794). 19b
«hommes infames qui trompaient le peuple ,
«nous leur avons arraché le masque, mais ils
cene sont pas les seulsl.", Nous arracherons tous
«les masques possihles. Que les indulgents ne
«s'imaginent pas que c'est pour eux que nous
«avons combattu, que c'est pour euxque nous
«avons tenu ici des séances gIorieuses. Bien-
« tót nous saurons les détromper... )1


Lelendemain ,en effet, JOgerminal(31 mars),
le comité de salut public appelle dans son sein
le comité de süreté générale, et, pour donner
plus d'autorité a ses mesures, le comité de
législation Iui-méme. Des que tous les mem-
bres sont réunis , Saint-Just prend la parola ,
et, dans un de ces rapports vioIents et perfides
qu'il savait si bien rédiger, il dénonce Dan-
ton, Desmoulins , Philipeaux , Lacroix , et pro.
pose leur arrestation, Les membres des deux
autres comités, consternés mais tremblants ,
n'osent pas résister, et eroient éloigner le dan-
ger de leur persoone en donnant leur adhé-
sion. Le plus grand silence est eommandé ,
et , dans la nuit du 10 au 11 germiual, Dan..
ton, Lacroix , Philipeaux, Camille Desmoulins,
sont arrétés a l'improviste , el eonduits au
Luxemhourg.


Des ·le matin , le bruit en était répandu dans
Paris , et y avait cansé une espece de stupeul'.


,1.




J 96 nÉVOLUTION FllAN9AISJ~.
Les membres de la convention se réunissent, et
ga'rdent un silence melé d'effroi. Le comité, qui
toujours se faisait attendre, et avait déjá route
l'insolence du pouvoir , n'était point encore
arrivé. Legendre , qui n'était pas assez impor-
tant pour avoir été arrété avec ses amis, s'em-
presse de prendre la parole: (( Citoyens, dit-il,
« quatre membres de eette assemblée sont ar-
« rétés de eette nuit; je sais que Danton en
« est un, j'ignore le nom des autres; mais ,
« quels qu'ils soient , je demande qu'ils puis-
( sent étre entendus a la barre. Citoyens, je
ff le déclare, je crois Danton aussi pUl' q Uf'
( moi-méme , et je ne crois ras que per-
« sonne ait rien ame reprocher; je n'attaque-
« rai aucun memhre des comités de salut pu-
« blio et de súreté générale, mais j'ai le droit
(f de craindre que des haines particulieres et
«( des passions individuelles n'arrachent a la
(( liberté des hommes qui lui ont rendu les plus
« grands et plus útiles services. L'homme qui,
« en septembre 92, sauva la France par son
( énergie, mérite d'étre entendu, et doit avoir
( la faculté de s'expliquer lorsqu'on l'accuse
( d'avoir trahi la patrie. »


Procurer aDanton la faculté de parler a la
converition était le meilleur moyen de le sau-
ver, el de démasquer ses adversaires. Beancoup




CONVENTION NATlONALI, CI794)· '97
de membres, en effet, opinaient pOllr qu'il íút
entendu ; mais, dans ce moment, Robespierre ,
devancant le comité, arrive au milieu de la dis-
cussion, monte a la tribune, et, avec un ton
col ere et menacant , parle en ces termes: « Au
« trouble depuis long-temps inconnu qui regne
« dans cette assernblée , á l'agitation qu'a pro-
« duite le préopinant, on voit bien qu'il est
« question iei q;un grand intérét , qn'il s'agit de
« savoir si qu~lques hommes l'emporteront au-
« jourd'hui sur la patrie. Mais eomment pOllvez-
« vous oublier vos principes, jusqu'á vouloir
« accorder aujonnl'hui a certains individus ce
« que vous avez naguere refusé aChabot, De-
« launay et Fabre-d'Églantine? Pourquoi cette
« différence en faveur de quelques hommes?
« Que m'importent a moi les éloges qu'on se
« donne a soi et ases amis ? .. Une trop grande
« expérience nous a appris a nous défier de
« ees éloges. 11 ne s'agit plus de savoir si un
« homme a commis tel 011 tel acte patriotique,
« mais quelle a été toute sa carriere.


« Legendre parait ignorer le nom de ceux qui
« sont arrétés, Toute la convention les connait.
« Son ami Lacroixest du nombre des détenus ;
« pourquoiLegendre feint-il de l'ignorer?'Parce
« qu'il sait bien qu'on ne peut, sans impu-
« deur, défendre Lacroix. 11 a parlé de Danton ,




Ig8 llÉVOLUTlON FRANC;:AISE.
(e paree qu'il croit qu'á ce nom sans doute est
(1 attaché un privilége... Non, nous ne voulons
l( pas de priviléges; nous ne voulons point
« d'idoles L. »


A ces derniers mots , des applaudissements
éclatent, et les láches, tremblant en ce moment
devant une idole, applaudissent néanmoins au
renversement de celle qui n' est plus acraindre.
Robespierre continue : el En quoi Danton est-il
« supérieur aLafayette ,a Dum~uriez, a Bris-
« sot , aFabre , a Chabot, a Hébert? Que ne dit-
« on de lui qu'on ne puisse dire d'eux? Cepen-
fl dant les avez-vous ménagés? On vous parle
(1 du despotisme des comités, comme si la
11 confiance que le peuple vous a donnée, et
« que vous avez transmise a ces comités, n' é-
« tait pas un sur garant de leur patriotisme.
« On affecte des craintes; mais, je le dis , qui-
« conque tremble en ce moment est coupable ,
(1 cal' jamais l'innocence ne redoute la surveil-
11 lance publique. »


Ici,nouveaux applaudissements deces mémes
láches qui tremblent, et veulent prouver qu'ils
n'ont pas peur. (1 Et moi aussi, ajoute Robes-
'1 pierre , on a voulu m'inspirer des terreurs.
« On a voulu me faire croire qu'en approchant
'( de Danton, le danger pouvait arriver jusqu'á
.( moi. On m'a écrit. Les amis de Danton rn'ont




CON"-ENTlON NATION ALE (1794). 199
ce fait parvenir des lettres , m'ont obsédé de
ce leurs discours; ils out cru que le souvenir
(l d'une vieille liaison, qu'uue foi ancienne
t( dans de fausses vertus, me détermineraient
« a ralentir mon zele et ma passion pour la
« liberté. Eh bien! je déclare que si les dangers
« de Danton devaient devenir les miens , cette
l( considération ne rn'arréterait pas un instant,
« C'est ici qu'il nous faut a tous quelque cou-
fI, rage et quelque grandeur d'ftme. Les ames
« vulgaires ou les hommes coupables craignent
« toujours de voir tomber leurs semhlables ,
« paree que, n'ayant plus devant eux une bar-
« riere de eoupables, ils restent exposés au
« jour de la vérité ; mais s'il existe des ames
« vulgaires , il en est d'héroiques dans cette
« assemblée , et elles sauront braver toutes les
« fausses terreurs. D'ailleurs le nombre des
« coupables n'est pas grand; le crime n'a
« lrouvé que peu de partisans parmi nous , et
l( en frappant quelques tetes la patrie será dé-
« livrée. )1


Robespierre avait acquis de l'assurance , de
l'habileté pour dire ce qu'il voulait, et jamáis
il n'avait su étre aussi habile et aussi perfide.
Parler du sacrifice qu'il faisait en abandonnant
Danton, s'en faire un mérite , entrer en partage
du dangel' s'il y en avait, et rassurer les láches




':100 REVOLUTION FRAN¡;:AISE.


en parlant du petit nombre des coupables, était
le comble de l'hypocrisie et de l'adresse. Aussi ,
tous ses collégues décident al'unanimité , que
les quatre députés arrétés dans la nuit ne se-
ront pas entendus par la convention. Dan s ce
moment, Saint-Just arrive, et lit son rapport.
C'est lui qu'on déchainait centre les victimes,
paree qu'á la subtilité nécessaire pour faire
mentir les faits et leur donner une signification
qu'ils n'avaient pas, il joignait une violence et
une vigueur de style rares. Jamais il n'avait été
ni plus horrihlemeut éloquent, ni plus faux,
cal', quelque grande que fút sa haine, elle ne
pouvait lui persuader tout ce qu'il avancait.
Apres avoir longuement calornnié Philipeaux,
Camille Desmoulins, Hérault-Séchelles , et ac-
cusé Lacroix , il arrive enfin a Danton, et ima-
gine les faits les plus faux, ou dénature d'une
maniere atroce les faits connus. Selon Iui, Dan-
ton, avide, paresseux, menteur, et mémc láche,
s'est vendu a Mirabeau , puis aux Lamcth, et a
rédigé avec Brissot la pétition qui amena la fu-
sillade du Champ-de-Mars , non pas ponr abolir
la royauté, mais ponr fai re fnsiller les meil-
leurs citoyens : puis il est allé impunément se
délasser , et dévorer a Arcis-sur-Aube le fruit
de ses perfidies. Il s'est caché au ]o aoút , et
n'a reparu que ponr se faire ministre; alors




CONV.ENTION NATIONALE (1794). 201
íl s'est lié au partí d'Orléans, et a fa it nommer
Orléans et Fabre a la députation. Ligué avec
Dumouríez, n'ayant pauI" les girondills qu'une
haine affectée, et sachant toujours s'entendre
avec eux , il était entierement opposé au 31
mai , et avait voulu faire arréter Henriot. Lors-
que Durnouriez , d'Orléans , les gir(;mdílls, ont
été punis, il a traité avec le partí qui voulait
rétablir Louis XVII. Prenant de l'argent de
tonte main , de d'Orléans , des Bourbons, de
l'étranger, dinant avec les banquiers et les
aristocrates , melé dans toutes les intrigues,
prodigue d'espérances envers tous les partis ,
vrai Catilina enfin, cupide, débauché, pares-
seux , corrupteur des moeurs publiques, il est
alié s'ensevelir une derniere fois a Arcis-sur-
Aube, pour jouir de ses rapines. 11 en est enfin
revenu, et s'est entendu récemment avec tous
les ennernis de l'état, avec Hébert et consorts,
par le líen commun de l'étranger, pourattaquer
le comité et les hommes que la convention
avait investis de sa confiance.


A la suite de ce rapport iníque, la convention
décréta d'accusation Dahton, Camille Desmou-
lins, Philipeaux , Hérault-Séchelles et Lacroix.


Ces infortunés avaient été conduits auLuxem-
bourg. Lacroix disait a Danton : Nous arréter !
BOUS !... Je ne rn'en serais jamais douté !- Tu




20~ RlivOLUTION l'llAN<;:AISE.
ne t'eu serais jamais douté? reprit Danton; je
le savais moi, on m'en avait averti. - Tu le
savais , s'écria Lacroix, el tu n'as pas agí! voilá
l'effet de ta paresse accoutumée; elle nous a
perdus, - Je ne croyais pas, répondit Danton ,
qu'ils osassent jamais exécuter leur projet.


Tous les prisonniers étaient accourus en foule
au guichet, pour voir ce célebre Danton, et cet
intéressant Camille, qui avait fait reluire un
peu d'espérance dans les cachots. Danton était,
selon son usage, calme, fier et assez jovial;
Camille, étonné el triste; Philipeaux, érnu el
élevé par le danger. Hérault-Séchelles , qui les
avait devancés au Luxembourg de quelques
jours, acconrut au-devant de ses amis, et les
embrassa gaiment. -« Quand les hommes, dit
Danton, font des sottises, il faut savoir en
rire. »- Puis apercevant Thomas Payne, il Iui
dit : « Ce que tu as fait ponr le bonheur et la
liberté de ton pays, j'ai en vain essayé de le
faire pour le míen; j'ai été moins heureux,
mais non pas plps coupable... Ou m'envoie a
l'échafaud, eh bien! mes amis, il faut y aller
gaiment .... »


Le lendemain 12, l'acte d'accusation fut en-
voyé au Luxembourg, el les accusés furent
transférés a la Conciergerie, pour aller de la
au tribunal révolutionuaire. Camille devint




CONVENTION NATJONAU (1794). :w3
furieux en lisant cet acte plein de mensonges
odieux. Bientót il se calma et dit avec affliction:
« Je vais aI'échafaud ponr avoir versé quelques
larmes sur le sort de tant de malheureux. Mon
seul regret, en mourant , est de n'avoir pu les
servir. ))- Tous les détenus, quel que fút leur
rang et leur opinion , Iui portaient l'intérét le
plus vif, et faisaient pour lui des voeux ar-
dents. Philipeaux dit quelques mots de sa
femme, et resta calme et serein. Hérault-Sé-
chelles conserva eette graee d'esprit et de ma-
nieres qui le distinguait mérne entre les hommes
de son rang; iI embrassa son fidele domes-
tique, qui l'avait suivi au Luxembourg, et qui
ne pouvait le suivre a la Conciergerie; il le
consola et lui rendit le courage. On transféra ,
en mérne temps, Fabre, Chabot, Bazire, De-
launay , qu'on voulait jl1ger conjointement
avee Danton, pour souiller son preces par une
apparence de eomplicité avee des faussaires.
Fahre était malade et presque mourant. Cha-
bot, qui du fond de sa prison n'avait cessé
d'écrire a Bobespierre , de l'implorer , de lui
prodiguer les plusbasses flatteries sans parvenir
a le toucher , voyait sa mort assurée , et la
honte non moins certaine pour lui que l'écha-
faud: iI voulut alors s'empoisonner. Il avala
011 sublimé corrosif; mais la douleur lui ayant




204 R~VOLUTION FnAN~;AlSE.
arraché des cris, il avoua sa tentative , accepta
des soins , et fut transporté aussi malade que
Fahre a la Conciergerie. Un sentiment un peu
plus noble parut l'animer au milieu de ses
tourments, ce fut un vif regret d'avoir com-
promis son ami Bazire , qui n'avait pris aucune
part au crime. - « Bazire, s'écriait -jl, mon
pauvre Bazire , qu'as-tu fait? »


A la Conciergerie, les accusés inspirerent la
rnéme curiosité qu'au Luxembourg. I1s occu-
paient le cachot des girondins. Danton parla
avec la méme énergie. (( C'est a pareil jour ,
dit-il , que j'ai fait instituer le tribunal révo-
lutionnaire. J'en demande pardon a Dieu et
aux hommes. lVIon but était de prévenir un
nouveausepternbre et non de déchainer un
fléau sur l'humanité. » - Puis revenant ason
mépris ponr ses collegues qui l'assassinaient :
« Ces feeres Caín , dit-il , n'entendent rien au
gouvernement. Je laisse tout dans un désordre
épouvantable... »-11 employa alors , pour ca-
ractériser l'impuissance du paralytique Cou-
thon et d u láche Robespierre, des expressions
obscenes , mais originales, qui annoncaient
encore une singuliere gaité d'esprit. Un seul
instant il montra un léger regret d'avoir pris
part a la révolution :-ctll vaudrait mieux, dit-
u, étre un pauvre pécheur que de gouverner




CONVENTION N ATIONALE (1794). 20S
les hommes. )) Ce fut le seul mot de ce genre
qu'il pronon<{a.


Lacroix parut étonné en voyant dans les ca-
chots le nombre et le malheurenx état des
prisonniers. « Quoi! lui dit-ou , des charrettes
chargées de victimes ne vous avaieut pas ap-
pris ce qui se passait dans Paris l » L'étonne-
ment de Lacroix était sincere, et c'est une le-
<{on pour les hommes qui, poursuivant un but
politique ,ne se figurent pas assez les souf-
frauces individuelles des vietimes, et semblent
ne pas y croire paree qu'ils ne les voient paso


Le Iendernain J 3 germinal, les aceusés furent
conduits au tribunal au nombre de quinze. On
avait réuni ensemble les cinq chefs modérés,
Danton, Hérault - Séchelles, Camille, Phili-
peaux, Laeroix; les quatre accusés de faux ,
Chabot, Bazire, Delaunay, Fabre-d'Églantine;
les deux heaux-Ireres de Chabot, Junius et
Emmanuel Frey; le fournisseur d'Espagnae, le
malheureux Westermann, accusé d'a voir par-
tagé la corruption et les complots de Danton;
enfin deux étrangers, amis des accusés , l'Es-
pagnol Gusman, et le Danois Diederichs. Le
but du comité, en faisant cet amalgame, était
de coufondre les modérés avec les corrompus
et avec les étrangers, ponr prouver toujours
fIlie la modération provenait a la fois du dé-




~06 RÉVOLUTION FRAN~AIS¡':.
faut de vertu républicaine et de la sér'uction
de 1'01' de I'étranger. La foule accourue pOOl'
voir les accusés était immense. Un reste de
l'intérét qu'avait inspiré Danton s'était réveillé
en sa présence, Fouquier-Tinville, les juges et
les jurés, tous révolutionnaires subalternes
tirés du néant par sa main puissante, étaient
embarrassés en sa présence : son assurance, sa
fierté leur imposaient , et il semblait plutót
l'accusateur que l'accusé. Le président Her-
man et Fouquier-Tinville, au lieu de tirer les
jurés au sort, eomme le voulait la loi, firent
un ehoix, et prirent ce qu'ils appelaient les so-
lides. Ou interrogea ensuite les accusés. Quand
on adressa aDanton les questions d'usage sur
son age et son dornicile , il répondit fierement
qu'il avait trente-quatre ans , et que bientót
son nom serait au Panthéon , et lui daos le
néant, Camille répondit qu'il avait trente-trois
ans , l'age du sans-calotte Jésus-Christ lorsqu 'il
mourut. Bazire en avait vingt-neuf. Hérault-
Séchelles, Philipeaux en avaient rrente-quatre.
Ainsi les talents, le courage, le patriotisme ,
la jeunesse, tout se trouvait encore réuni dans
ce nouvel holocauste, eomme dans celui des
girondins.


Danton, Camille, Hérault-Séchelles et les
autres , se plaignirent de voir leur cause con-




CONVENTION NATJONALE (1794). ':1.07
fondue avec celle de plusieurs faussaires. Ce-
pendant on passa outre. On examina d'abord
l'accusation dirigée contre Chabot, Bazire ,
Delaunay et Fabre - d'Églantine. Chabot per-
sista dans son systerne , et soutint qu'il n'avait
pris part a la conspiration des agioteurs que
pour la dévoiler. Il ne persuada personne, car
ji était étrange qu'en y entrant, il n'eút pas
secretement prévenu quelque membre des co-
mités; qu'il l'eüt dévoilée si tard , et qu'il eüt
gardé les fonds dans ses mains, Delaunay fut
convaincu; Fabre, malgré son adroite défense,
consistant adire qu'en surchargeant de ratures
la copie dn décret , il avait eru ne raturer
qu'un projet, fut convaincu par Cambon, dont
la déposition franche et désintéressée était ac-
cablante. Il prouva, en effet, él Fabre que les
projets de décrets n'étaient jamais signés, que
la copie qu'il avait raturée l'était par tous les
membres de la commission des cinq, et que
par conséquent il n'avait pucroire ne raturer
qu'un simple projet. Bazire , dont la cornplicité
eonsistait dans la non-révélation , fut a peine
écouté dans sa défense, et fut assimilé aux autres
par le tribunal. On passa ensuite ad'Espagnac,
que l'on accusait d'avoir corrompu Julien de
Toulouse, pour faire appuyer ses marchés, et
d'avoir pris part a l'intrigue de la eompagnie




20~ RÉVOLUTlON FRAN~AISJ'.
des lndes. Ici, des lettres prouvaient les faits ,
et tout l'esprit de d'Espaguac ne put rien con-
tre cette preuve. On interrogea ensuite Hérault-
Séchelles. Bazire était déclaré coupable comme
ami de Chabot; Hérault le fut pour avoir été
ami de Bazire, pour avoir en quelque connais-
sanee par luí de l'intrigue des agioteurs, pOllr
avoir favorisé une émigrée, pour avoir été
ami des rnodérés , et pour avoir filit supposer,
par sa douceur , sa grace, sa fortune et ses re-
grets mal déguisés, qu'il était modéré lui-mérne.
Apres Hérault vint le tour de Danton. Un si-
lence profond régna dans l'assemblée quand il
se leva pour prendre la parole. - (( Danton,
lui dit le président , la convention vous accuse
d'avoir conspiré avec Mirabeau, avec Dumou-
riez, avec d'Orléans, avec les girondins, avec
l'étranger, et avec la faction qui veut rétablir
Louis X VII. » - ( Ma voix, répondit Danton
avec son organe puissant , 'ma voix qui tant de
fois s'est fait entendre pour la cause du peuple ,
n'aura pas de peine a repousser la calomnie.
Que les láches qui m'accusent paraissent , et je
les couvrirai d'ígnominie .... Que les comités se
rendent ici , je ne répondrai que devanteux ;
il me les faut pour accnsateurs et pour té-
moins .... Qu'ils paraissent... Au reste, peu m'im-
porte, vous et votre jugement.... Je vous l'ai




CONVENTJON NATlONALE (, 794). 20~)
dit : le néant sera hientót mon asile. La vie
m'est a charge, qu'on me I'arrache.... Il me
tarde d'en étre délivré. » - En achevant ces pa-
roles, Danton était indigné, son cceur était
soulevé d'avoir a répondre a de pareils hom-
mes. Sa demande de faire comparaitre les co-
mités, et sa volonté prononcée de ne répondre
que devant eux, avait intimidé le tribunal, et
causé une grande agitation. Une telle confron-
tation, en effet, eüt été cruelle pour eux ;'ils
auraientété couverts de confusion / et la con-
damnation fut peut-étre devenue impossihle,
- 11 Danton, dit le président, l'audace est le
propre da crime ; le ealme est eelui de l'inno-
cence. » - A ee mot, Danton s'éerie : II L'au-
dace individuelle est réprimable sans doute;
mais cette audaee nationale dont j'ai tant de
fois donné l'exernple , dont j'ai tant de fois
serví la liberté ~ est la .plus méritoire de toutes
les vertus. -Cette audace iest-Ia mienne; c'est
celle dont jefais ici usage pour la république
contre les láches qui m'accusent. Lorsque je
me voissi bassement ealomnié, puis -je me
centenir ? Ce n'est pas d'un révolutionnaire
comme moi qu'il faut attendre une, défense
froide.•.. les hommes de ma trempe son! iaap-
préciables dans les révolutions... c'est sur leur
front qu'est empreint le génie de la liberté. »


VI. l!.




2 I O nÉVOLUTION FltANC;;AISJ';'


- En disant ces mots, Danton agitait sa téte
et bravait le tribunal. Ses traits si redoutés
produisaient une impression profonde. Le peu-


,


ple , que la force touche, laissait échapper un
murmure approbateur. - « Moi, continuait
Danton, moi accusé d'avoir conspiré avec
Mirabeau , avec Dumouriez , avec d'Orléans ,
d'avoir rampé aux pieds de vils despotes ~ c'est
moi que ron somme (le répondre a la [ustice
inéoitable, inflexible" !...Et toi.láche Saint-Just,
tu répondras a la postérité de ton accusation
contre le meilleur soutien de la liberté.... En
parcourant cette liste d'horreurs, ajouta Dan-
ton en montrant l'acte d'accusation , je sens
tout mon étre frémir.» - Le président Iui re-
commande de nouveau d'étre calme, et lui cite
l'exemple de Marat, qui répondit avec respect
au tribunal. - Danton reprend et dit que, puis-
qu'on le veut, il va raconter sa vie. Alors il rap-
pelle la peine qu'il eut a parvenir aux fonc-
tions municipales, les efforts que firent les
constituants pour l'en empécher , la résistance
qu'il opposa aux projets de Mirabeau, et sur-
tout ce qu'il fit dans cette journée fameuse
00., entourantla voiture royale d'un peuple im-
mense, il empécha le voyage a Saint-Cloud.


.. Expressions de l'acte d'accnsation.




CONVENTJON l\'ATIONALE (1794). 21 r
Puis il rapporte sa conduite lorsqu'il amena le'
peuple an Champ-de-Mars , poul' signer une
pétition contre la royauté, et le motif de cette
pétition fameuse; l'audace avec laquelle il pro -
posa le premier le renversement c1u treme en
92.; le courage avee lequel il proclama I'insur-
rection le 9 aoút au soir; la Iermeté qu'il dé-
ploya pendant les douze heures de I'insurrec-
tion. Suffoqué ici d'indignation, en songeant
au reproche qu'on lui fait de s'étre caché au
moment du 10 aoút : C( Oú sont, s'écrie-t-il , les
hommes qui eurent besoin de presserDanton
ponr l'engager a se montrer dans eette jour-
née? Gil sont les étres privilégiés dont il a ern-
prunté l'énergie? Qu'on les fasse paraitre mes
accusateursl.i. j'ai toute la plénitude de ma tete
lorsque je les demande ... je dévoilerai les trois
plats coquins qui ont entouré etperduRobes-
pierre... qu'ils se produisent ici, et' je les plon-
gerai dans le néant, dont ils n'auraient jamáis
dú sortir•.. » - Le présidentveut-interrompre
de nouveau Danton , et ~lgite sa sorrnétre. Dan'·
ton en eouvre le bruit avec sa voix .terrible:
-- « Est-ce que vous ne m'enrendez Fas? lui
dit leprésident.- La voix d'un .hdmme, tiPo
prendDanton, qui défendsoiíhOffne.l1t'iet'sa
vie , doit vainere le bruit de ta 'S6l'1JlllMt'e::») ,.........
Cependant il était fatigué d"ina;gtí:mbn~sa


]4.




212 RÉVOLUTION FRANqAISE.


voix était altérée; alors le président I'engage
avec égard aprendre quelque repos. pour re-
commencer sa défense avec plus de calme et
de tranquillité, . -


Danton se tait. Onpasse aCarnille, dont on
lit le Fieu» Cordelier, et qui se révolte en vain
centre l'interprétation donnée a ses écrits. On
s'occupe ensuite de Lacroix dont 00 rappelle
amerement la conduite en Belgique, et qui, a
l'exemple de Danton, demande la comparution
de plusieurs membres de la convention, et in-
siste formellement pour l'obtenir. ,


Cette premiére séance causa une sensation
générale. La foule qui entourait le Palais de
Justice , et s'étendait jusque sur les ponts , pa-
l'ut singuliérement émue. Les juges étaient épou-
vantés ; Vadier, Vouland, Amar, lesmembres
Jeslp.lus- méchants ducomité de suretégéné-
rale , avaient assisté aux débats ,cachés dans
l'imprimeeie attenanr ala salle du tribunal, el
communiquant avec ceHe salle par une perite
Iucarne, De la ils avaien t vu avec effroi l'audace
de.Danton .et les dispositions du publie, Ils
cemmeneaient adouter que .la condamoation
fut possihle, t Hermann er-Fouquiee-e'étaieat
rendu5,¡Unmediatiement apres l'audience , au
comité: del ealut public, et luiavaient fait part
de la demande des accusés qui voulaíent faire




COl'lVJlNTION NATIONALll (1794). :2 J:1
paraitre plusieurs membres de la convention.
Le comité commencait a hésiter ; Robespierre
s'était retiréchezlui; Billaudet Saint-Just étaient
seuls présents. Ils défendentá Fouquier de ré-
pondre, lui enjoignent de prolonger les dé-
bats, d'arriver ala fin des trois jours sans s'étre
expliqué, et de faire déclarer alors par les ju-
rés qu'ils sont suffisamment instruits,


Pendant que ces choses Se passaient au tri-
bunal , au comité, et dans París, l'émotion n' é-
tait pas moindre dans les prisons , oúl'on por-
tait un vif intérét aux accusés , et OU l'on ne
voyait plus d'espérance pour personne, si de
tels révolutionuaires étaient irnmolés. Il y avait
au Luxembourg le malheureux Dillou , ami de
Desmoulins et défendu par Iui ; iI avait appris
par Chaumette, qui, ex posé au méme danger,
faisait cause commune avec les modérés,ce
qui s'était passé au tribunal. Chaumette le te-
nait de sa femme. Dillon, dont la tete était
vive, et qui, en vieux militaire , cherchait quel-
quefois dans le viu des distractions a ses pei-
nes, parla incousidérérnent a un nommé La-
flotte , enfermé dans la méme prison ; il lui dit
qu'il était temps que les bons républicains le-
vassent la tete centre de vils oppresseurs, que
le peuple avait parn se réveiller , que Danton
dernandaiL arépondre devant les comités, que




2.14 RÉVOLUTION FRAN(,;,\.ISJ<~.
sa condamnation était loin d'étre assurée, que
la femme de Camille Desmoulins, en répan-
dant des assignats, pourrait soulever le peu-
pIe, et que si lui parvenait a s'échapper, il réu-
nirait assez d'hommes résolus pour sauver les
républicains prés d'étre sacrifiés par le tribu-
nal. Ce n'étaient la que de vains propos pro-
noncés dans l'ivresse et la douleur, Cependant
il parait qu'il fut question aussi de faire pas-
ser mille écus et une lettre ala femme de Ca-
milIe. Le láche Laílotte , croyant obtenir la vie
et la liberté en dénoncant un complot, courut
faire au concierge du Luxembourg une décla-
ration , dans laquelle íl supposa une conspira-
tion prés d'éclater au dedans et au dehors des
prisons, pour enlever les accusés , et assassi-
ner les. membres des deux comités. 00 yerra
hientót quel usage on fit de eette fatale dépo-
sition.


Le lendemain l'affluence était la mérne au
tribunal. Danton et ses collegues, aussi fermes
et aussi opiniátres , demandent encoré la com-
parution de plusieurs mernbres de la con ven-
tion et des deux comités. Fouquíer,pressé de
répondre, dít qu'il ne s'oppose pas a ce qu'on
appeUe les témoins nécessaires. Mais il ne suí-
fit pas, ajoutent les accusés, qn'il n'y mette
aucun obstacle, il faut de plus qu'illes appelle




CONVENTrON N A TlONA LE (1 7~4). 215
lui-mérne. A cela Fouquier replique qu'il ap-
pellera tous ceux qu'on désignera, excepté les
membres de la conventiou , paree que c'est a
l'assemblée qu'il appartient de décider si ses
membres peuvent étre eités. Les accusés se ré-
crient de nouveau qu'on leurrefuse les moyens
de se défendre. Le tumulte est a son comble.
Le président interroge encore quelques accu-
sés , Westerrnann , les deux Frey, Gusman , et
se háte de lever la séance,


Fouquier éerivit sur-le-champ une lettre au
comité pour luí faire part de ce qui s'était
passé , et pour obtenir un moyen de répondre
aux demandes des accusés, La situation était
difficile , et tout le monde commencait a hési-
ter. Robespierre affectait de ne pas donner son
avis. Saint- Just seul, plus opiniátre et plus
hardi, pensait qu'on ne devait pas reculer,
qn'il fallait fermer la bouche aux accusés, et
les envoyer a la mort. Dans ce moment, il ve-
naít de recevoir la déposition du prisonnier
Laflotte, adressée a la police par le guichetier
du Luxembourg. Saint -Just y voit le germe
d'une conspiration tramée par les accusés, et
le prétexte d'un décret qui terminera la lutte
du tribunal avec eux. Le lendernain matin, en
effet , i] se présente a la convention, lui dit
qu'un grand danger menace la patrie, mais que




2. 1 6 nÉVOLUTION I,'HAN~~AISE.
c'est le dernier, et qu'en le bravant ave e cou-
rage elle l'aura bientótsurmonté, « Les accu-
( sés , dit-il , présents au .tribunal révolution-
(naire', sont en pleine révoltc; ils' menacent le
( tribunal; ils poussent l'insolence jusqu'a je-
~( ter au nez des jllges des boules de míe de
« pain; ils excitent le peuple, et peuvent méme
.« l'égarer. Ce n'est d'ailleurs pas tout; ils ont
« préparé une conspiration dans les prisons; la
« femme de Camille a ·rel5u de l'argent pom
« provoquer une insurrection; le géoéral Dil-
« loo doit sortir du Luxembourg, se mettre a
« la tete de quelques conspirateurs, égorger
« les deux comités, el élargir les coupables. )
A ce récit hypocrite el fanx, les complaisants
"se récrient que c'est horrible, et la eonvention
vote a l'unanimité le décret proposé par Saint-
Just. En vertu de ce décret , le tribunal doit
continuer, saos désemparer, le proces de Dan-
ton et de ses complices ; et il est autorisé a
mettre hors des débats les accusés qui man-
queraient de respeet a la justice , ou qui vou-
draient provoquer du trouble. Une copie du
décret est expédiée sur-le-champ, Vouland el
Vadier viennent l'apporterau tribunal, oú la
troisieme séance était commencée, el oú l'au-
dace redoublée des accusés jetait Fouquier
dans le plus grand embarras.




CONVENTJON N ATlON ,Uf: (I794). 21 7
Le troisieme jour.en effet, les accusés avaien t


résolu de renouveler leurs sommations, Tous a
la fois se lévent, et pressent Fouquier de faire
cornparaitre les témoins qu'ils ont demandés.
lis exigent plus eneore; ils veulent que la con-
vention nomme une eommission pour recevoir
les dénoneiations qu'ils ont .a faire, eontre le
projet de dietature qui se manifeste chez les
comités. Fouquier, embarrassé , .ne sait plus
quelle réponse leur faire. Dans le momen t ,HU
huissier vient l'appeler. Il passe dans la salle
voisine , et trouve Amar el Vouland, qui, tout
essoufflés encere, lui disent: (( Non s tenons les
scélérats, voilá de quoi vous tirer d'embarras: l>
et ils lui remettent le déeret que Saint-Just
venait de faire rendre, Fouquier s'en saisit avec
joie , rentre a l'audience , demande la parole,
et lit le déeret affreux.-Dantoil, indigné,se leve
alors: Je prends, dit-il, l'auditoire a térnoin
que nous n'avons pas insulté le tribunal. -
C'est vrai ! clisent plusienrs voix dans la salle.
Le public entier est étonné , indigné mérne du
déni de justice commis envers les accusés, L'é-
motion est générale; le tribunal est intimidé.


Un jour, ajoute Danton, la vérité sera con-
nue... Je vois de grands malheurs fondre sur
la France... Voila la dictature; elle se montre
11 découvert et sans voile ... - Camille , en en-




21 S RÉVOI,UTION FRANC;:AISE.
tendant parler du Luxembourg , de Dillon, de
sa femme, s'écrie avec désespoir: Les scélérats!
non contents de m'égorger, moi , ils veulent
égorger ma femme! - Danton apercoit dans
le fond de la salle et dans le corridor , Amar
et Vouland, qui se cachaient pour juger de
l'effet du décret, Illes montre du poing: Voyez,
s'écrie-t-il , ces láches assassins; ils nous pour-
suivent , ils ne nous quitteront pas jusqu'a la
mort! - Vadier et Vouland, effrayés, dispa-
raissent. Le tribunal, pour toute réponse, leve
la séance.


Le leñdemain était le quatrieme jour, et le
jury avait la faculté de clóturer les débats , en
se déclarant suffisamment instruit, En consé-
quence, sans donner aux accusés le temps de
sedéfendre, lejurydemande la clóture des dé-
bats. Camille entre en fureur , déc1are aux jll-
rés qu'ils sont des assassins , et prend le peuple
a témoin de cette iniquité, On I'entraine alors
avecses eompagnons d'infortunehors de la salle.
Il résiste ,et on l'emporte de force. Pendant ce
temps, Vadier, Vouland parlent vivement aux
jurés, qui , du reste, n'avaient pas besoin d'étre
excités. Le président Hermann et Fouquier les
suivent dans leur salle. Hermann a l'audace de
leur dire qu'on a intercepté une lettre écrite
a l'étranger, qui prouve la complicité de Dan-




CONVJ.:NTION NATIONALE (1,79['), ~ 10
ton avec la coalition, Trois ou quatre jurés
seulement osent appuyer les accusés, mais la
majorité l'emporte. Le président du jury, le
nommé Trinchara, rentre plein d'une joie fé-
roce, el prononee de l'air d'un furieux la con-
damnation inique.


On ne voulut pas s'exposer a une nouvelle
explosion des condamnés, en les faisant remon-
ter de la prison a la salle du tribunal pour en-
tendre leur sentence; un greffier descendit la
leur lire. lIs le renvoyerent sans vouloir le lais-
ser achever, et en s'éeriant qu'on pouvait les
eonduire a la mort. Une fois la condamnation
prononeée, Danton, qui avait été soulevé d'in-
dignation, redevint calme et fut rendu a tout
son mépris pOllr ses adversaires. Camille, bien-
tót apaisé, versa quelques larmes sur son épouse;
er, grace ason heureuse ímprévoyance, n'ima-
gina pas qu'elle füt menacée de la mort , ee qui
aurait rendu ses derniers moments insuppor-
tahles. Hérault futgai comme á l'ordinaire. Tous
les accusés furent fermes, et Westermann se
montra digne de sa bravoure si célebre.


Ils furent exécutés le 16 germinal ( 5 avril ).
La troupe infame, payée pour outrager les víc-
times, suivait les eharrettes. Camille, a cette
vue , éprouvant un mouvement d'indignation ,
voulut parler a la multitude , et il vomit contre




220 RÉVOLUTION .FRAN~AISE.
le láche el hypocrite Robespierre les plus véhé-
mentes imprécations.· Les misérables envoyés
pour l'outrager lui répondirent par des injures.
Daos son action violente, il avait déchiré sa
chemise et avait les épaules nuesv.Danton , pro.,
menant sur cette troupe un regard calme. et
plein de mépris , dit él Camille : Reste donc
tranquille, et laisse la cette vile canaille. - Ar-
rivé au pied de l'échafaud, Danton allait em-
hrasser Hérault-Séchelles, qui lui tendait les
bras : l'exécuteur s'y apposant, il lui adressa,
avec un sourire, ces expressions terri bies: « Tu
peux done étre plus cruel que la mort! Va, tu
n'ernpécheras pas que dans un moment nos
tetes s'emhrassent dans le fondo du pauier.)}


Telle fut la fin de ce Danton qui avait jeté
un si granel éclat dans la révolution , ct qui
Iui avait été si utile. Audacieux , ·ardent, avide


. d'émotions et de plaisirs, il s'était précipité
dans la carriere des troubles , et 11 dut briller
surtout les jours de terreur. Prompt et posi-
tif, n'étant étonné ni par la diHicurté ni par Ja
nouveauté d'une situation extraordinaire, il
savait juger les moyens uécessaires , et n'avait
peur ni scrupule d'aucun, Il pensa qu'il deve-
nait urgent de.terrniner les luttes de la monar-
chie et de la révolution, et il fit le 10 aoür. En
présence des Prussiens , il pensa qu'il fallait




CONVENTION NATJON ALE (1794). 22 r
contenir la France et l'engager dans le systeme
de la révolution , il ordonna , dit-on , les jonr-
nées horribles de septembre, et, tout en les
ordonnant,il sauva une fóule de victimes. Au
commencement de la grande année 1793, la
convention était étonnée a la vue de l'Europe
armée; il pronont;a, en les comprenant dans
toute leur profondeur, ces paroles remarqua-
bles : « Une nation en révolution est plus pres
de conquérir ses voisins que d' en étre con-
quise.» Il jugea que vingt-cinq miUions d'hom-
mes qu'on oserait mouvoir n'auraient rien a
craindre de quelques centaines de milIe hom-
mes arrnés par les trónes, Il proposa de soulever
le peuple , de faire payel' les riches; il imagina
enfin toutes les mesures révolutionnaires qni
ontIaissé un si terrible souvenir, mais qui ont
sauvéla France.. Cet homme , si puissant da us
l'action , retombait pendant l'interva:lle des
dangers dans l'indolence et les plaisirs qu'il
avait toujoursaimés; Il recherchait méme les
jouissances les plus innocentes , celles que pro-
curentles champs, une épouse adorée et des
amis. Alors il oubliait les vaincus, ne 'pouvait
plus les hall', savait rnéme leur rendre justice ,
les plaindre et les défendre. Mais pendant ces
intervalles de repos , nécessaires a son ame ar-
dente ,ses rivaux gagnaient peu apeu, par leur




222 HÉVOLllTJON FRAN9AlSE.


persévérance, la renommée et l'ínfluence qu'il
avait acquises en un seul jour de ,péril. Les fa-
natiques luí reprochaient son amollissement
et sa bonté, et oubliaient qu'en fait de cruau-
tés politiques il les avait égalés tous dan s les
journées de septembre. Tandis qu'il se confiait
en sa renommée, tandis qu'il différait par pa-
resse, et qu'il roulait dans sa tete de nobles
projets, pour ramener les lois douces, pour
borner le regne de la violence aux jours de
danger, pour séparer les exterrninateurs irré-
vocablement engagés dans le sang, des hornmes
qui n'avaient cédé qu'aux circonstances, pour
organiser enfin la France et la réconcilier avec
l'Europe , il fut surpris par ses collegues aux-
quels i] avait abandonné le gouvernement.
Ceux-ci, en frappant un coup sur les ultra-
révolutionnaires , devaient , pour ~e point pa-
raitre rétrograder, frapper un coup sur les
rnodérés. La politique demandait des victimes;
l'envie les choisit , et immola l'homme le plus
célebre et le plus redouté du temps. Danton
succomba avec sil renommée et ses services,
devant le gouvernement formidable qu'il avait
contribué a organiser; mais du moins, par
son audace, il rendit un moment sa chute
douteuse.


Danton avait un esprit inculte, mais grancl ,




CONVENTION N ATIONALE (1794). 223
profond, et surtout simple et solide. Il ne savait
s'en servir que pour ses besoins, et jamáis pour
brilIer; aussi parlait-il peu, el dédaignait d' é-
crire, Suivant un contemporain , il n'avait au-
cune prétention , pas me me celle de deviner
ce qu'il ignorait, prétention si commune aux
hommes de sa trempe. 11 écoutait Fabre-d'É-
glantine, et faisait parler sans cesse son jeu ne
et intéressant ami, Camille Desmoulins, dont
l'esprit faisait ses délices, et q u'il eut la douleur
d'entrainer dans sa chute. Il mourut avee sa force
ordinaire, el la eommuniqua a son jeune ami,
Comrne Mirabeau , il expira fier de lui-méme ,
et croyant ses fautes el sa vie assez couvertes
par ses grands serviees et ses derniers projets.


Les chefs des deux partís venaient d'étre
irnmolés. On leur adjoignit hientót les restes
de ces partis , et on mela et jugea ensemble
les hommes les plus opposés , pour accréditer
davantage I'opinion qu'ils étaient eomplices
d'un rnéme complot. Chaumette et Gobel com-
parurent a coté d' Arthur Dillon el de Simon.
Les Grammont pére et fils, les Lapallu et au-
tres membres de l'armée révolutionnaire, fi-
gllrerent a coté du général Beysser ; en fin la
femme d'Hébert ,ancienne religieuse, eompa-
rut a coté de la jellne épouse de Camille Des-
moulins , agée a peine de vingt - trois ans ,




224 nÉvoLuTION },'IlAN9AISE.
éclatante de beauté, de 'graee et de jeunesse,
Chaumette , qu'on a vu si soumis et si docile,
fut accusé d'avoir conspiré a la commune
centre le gouvernement, d'avoir affamé le peu-
pie, et cherché a le soulever par sesréquisi-


.toires extravagants. Gobel fut regardé-comme
cómplice de Clootz et de Chaumette, Arthur
Dillon avait voulu , dit-on, ouvrir les prisons de
Paris, puiségorger la convention et le tribunal
pour sanver vses amis. Les membres de I'ar-
rnée révolutionnaire furent condamnés comme
agents de Ronsin. Le généralBeysser, qui avait
si puissamment contribué a sauver -Nantes , a
coté de Canclaux , et qui était suspeet de fé-
déralisme , fut considéré comrne complice des
ultra-révolutionnaires, On saitquelrapproche-
ment il 'POllV'áit exister entre l'état- major de
Nantes. et ceini de Saumur. La fernme Hébert
Iutcondamnée. comme eompliee de son mari.
Assise sur le méme hane que la femme de Ca-
mille ,elle lui disait : '« Vous étes heureuse ,
vous; aucune eharge ne s'eleve contre vous.
Vous serez sallvée.)) En effet , tout ce qu'on
pouvaitreprocher acette jeune femme, c'était
d'avoiraimé son époux avec passion', d'avoir
sans .cesse erré avec sesenfants autour de la
prisonpour voir leur pere et le leur montrer.
Néanmoins, toutesdeux furent condamnées, et




CONVJ<:NTION NATIONALE (I794). 225
les épouses d'Hébert et de Camille périrent
comme coupables d'une me me conjuration.
L'infortunée Desmoulins mourut avec un cou-
rage digne de son mari et de sa vertu.Depuis
Charlotte Corday et madame Roland, aucune
victirne n'avait inspiré un intérét plus tendre
et des regrets plus douloureux.


íIiIi 000 __


...


VI. I~




I
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I
I




CONVENTION NATlONALE ,,1794). 227


=


CHAPITRE IV.


.....-


Résultats des dernieres exécutions contre les partis enne-
mÍs du gOllvernement. - Décret contre les ex-nobles.
- Les ministéres sont abolís et remplaces par des como
missions, - Efforts du comité de salut pubJic pum
concentrer tous les pouvoirs dans sa main. - Abolj tion
des sociétés populaires, excepté celle des jacohins. -
Distribution du pouvoir et deTudministration entre
les mernbres du comité. - La convcntion , d'aprés le
rapport de Robespierre, déclare , au nom du peuple
francais, la reconnaissance de l'Etre suprémeet de I'im-
mortalité de I'áme.


LE gouvernement venait d'irnmoler deux par-
tis a la fois. Le premier, celui des ultra-révo-
lutionnaires, était véritablement redoutable ,
OH pouvait le devenir; le second, celui zles
nouveaux modérés, ne l'était paso Sa destruc-
tian n'était done pas nécessaire , mais pouvait


15.




228 HÉVOLtl'fION FRAN~AISE.
étre utile , pour écarter toute apparence de mo-
dération. Le comité le frappa san s conviction ,
par hypoerisie et par envíe. Ce dernier eoup
était difficile a porter; on vit tout le comité
hésiter, et Robespierre rentrer dans sa de-
meure, eomme aux jours de danger. Mais
Saint-Just , soutenu par son courage et sa haine
jalouse , resta fermeau poste, rauima Hermann
ct Fouquier , effraya la convention , lui arra-
cha le déeret de mort , et fit consommer le
s~,ifice. Le dernier effort que doit faire une
autorité pour devenir absolue est toujours le
plus difficile; il Iui faut toute sa force pour
vaincre la deruiere résistance; mais eette ré-
sistance vaineue, tout cede. tout se prosterne,
elle n'a plus qu'á régner sans obstacle. C'est
alors qu'elle se déploiev qu'elledéborde , etse
perd. Tandis que toutes les houches sont fer-
mées , que la soumission est sur tous les vi-
sages ~ la haine se renferme dans les coeurs , et
l'aete d'aceusation des vainqneurs se prépare
au milieu de leur triomphe.


Le comité de salut publie, apres avoir heu-
reusement immolé les deux classes d'hommes
si différentes ~ qui avaient voulu contrarier ou
seulement eritiquer son pouvoir, était devenu
irresistible. L'hiver avait fini, La campagne de
J 79tJ (germinal an II) allait s'ouvrir avcc le




CONVENTION NATIONAU; (t794)· 229
printernps. Des armées formidables devaient se
déployer sur toutes les frontiéres , et faire sentir
au dehors la terrible puissanoe si cruellernent
sentie au dedans. Quiconque avait paru résister,
ou porter quelque intérét aceux qui venaient
de mourir, devait se háter de faire sa soumis-
sion. Legendre, qui avait fait un effort lejour
oú Danton, Lacroix et Camille Desmoulins fu-
rent arrétés , et qui avait taché de remuer la
convention en leur faveur , Legendre crut de-
voir se háter de réparer son irnprudence , et
de se laver de son amitié pour les dernieres
victimes. On luí avait écrit plusieurs lettres
anonyrnes.dans lesquelles .on l'engageai l afra P:
per les tyrans, qui, disait-on, venaient de levcr
le masque. Legendre se.rendit aux Jacobins le
2 J. germinal (10 avril.}, dénonca les lettres
anonymes qu'il recevait, et se plaignit d'étre
pris pour un. Séide qu'on pouvait armer du
poignard. « Eh bien! dit - il, puisqu'on m'y
« force, je le déclare au peuple, qui m'a ton-
« jours cntendu parler avec bonne íoi , je re-
«. garde maintenant eomme démontré que la
« conspiration dont les chefs ont cessé d'étre
« existait réellement , et quej'étais le jouet des
(( traitresvJ'en al trouvéIa prclIvc dans diffé-
« rentes piéces déposées au comité de salut
'« public , surtout dans la. conduite criminelle




230 nÉvoLuTION FRAIH)AISK
« des accusés devant la justiee nationale , et
« dans les machinations de leurs cómplices qui
« veulent armer un homme probe du poignard
I( homicide. J'étais, avant la découverte du com-
« plot, l'intime ami de Danton; j'aurais ré-
« pondu de ses principes et de sa conduite sur
«( ma tete; mais aujourd'hui je suis convaincu
« de son erime; je suis persuadé qu'il voulait
« plonger le peuple dans une erreur profonde.
« Peut-étre y serais-je tombé moi-méme , si je
« n'avais été éelairé a temps. Je déelare aux
« écrivailleurs anonymes qui voudraient me
« porter a poignarder Robespierre , el me
« rendre l'instrument de leurs machinations,
« que je suis né dans le sein du peuple, que
« je me fais une gloire d'y rester, et que je
« mourrai plutót que d'abandonner ses droits.
« Ils ne m'écriront pas une lettre que je ne
I( la porte au comité de salut public.»


La soumission de Legendre devint bientót
générale. De toutes les parties de la France,
arriverent une foule d'adresses oú l'on félici-
tait la eonvention et le comité de salut public
de leur énergie. Le nombre de ces adresses
est incalculable. Dans tous les styles, avec les
formes les plus burlesques , ehacun s'ernpres-
sait d'adhérer aux acles du gouvernement, et
d'en reconnaitre la justice. Rhodez envoya




CONVENTJON NATJONALE (1794;. 231
l'adresse suivante: ( Dignes représentants d'un
( peuple libre, e'est done en vaiu qne les en-
( fants des Titans ont levé leur tete altiére , la
« foudre les a 'tous renversés L. Quoi, citoyens !
( pour de viles richesses vendre sa liberté 1...
« La constitution que vous nous avez donuée
« a ébranlé tous les tremes, épouvanté tous les
« rois. La liberté avancant a pas de géant, le
« despotisme écrasé, la superstition anéantie,
« la république reprenant son unité, les cons-
( pirateurs dévoilés et punís, des mandataires
( infidéles, des fonctionnaires publics láches
(( et perfides tombant sous la hache de la loi ,
« les fers des esclaves du Nouveau-Monde hri-
« sés : voila vos trophées l... S'il existe encere
« des intrigants, qu'ils tremhlent ! que la mort
({ des conjurés atteste votre triomphe L.. Pour
(( vous, représentants , vivez henreux des sages
j( lois que vous avez faites pour le bonheur de
« tous les peuples , et recevez le tribut de notre
(( amour *!»


Ce n'était point par horreur pOllr les moyens
sanguinaires que le comité avait frappé les
ultra - révolutionnaires, mais pour raffermir
l'autorité, et poul' écarter les résistances qui
arrétaient son action, Aussi le vit- on depuis


" Séance du 26 gemninal ; numero 208 dn MOl/ílea" c1,.-
l'~1J 11(avríl 1794).




::d2 RÉVOLUTJON FRAN(,:AI5E.


tendre constamment aím double but: se ren-
dre toujours plus formidable, et concentrer de
plus en plus le pouvoir dans ses mains. Collot,
qui était devenu l'orateur du gouvernement
aux Jacobins, exprima de la maniere la plus
énergique la politique du comité. Dans un dis-
cours violent, oú iI tracait a toutes les auto-
rités la route nouvelle qu'elles devaient suivre ,
et le zele qu'elles devaient déployer dans leurs
fonctions, iI dit : « Les tyrans ont perdu leurs
« forces; leurs armées tremblent en présence
« des nótres ; déja quelques despotes cherchent
« 11 se retirer de la coalition. Dans cet état, il
« ne leur reste qu'un espoir, ce sont les cons-
« pirations intérieures. Il ne faut done pas cesser
« d'avoir I'oeil ouvert sur les traitres.Comme nos
(r fréres , vainqueurs sur les frontieres , ayons
« tousnos armes en joue , et faisons feu tous
« a la fois, Pendant que les ennemis extérieurs
« tomberont sous les coups de nos soldats, que
« les ennemis intérieurs tombent sous les coups
« du peuple. Notre cause, défendue par la
« justice et l'énergie, sera triomphante. La na-
« ture fait tout eette année pour les répu-
« blicains; elle leur promet une abondance
« double. Les feuilles qui poussent annoncent
« la chute des tyrans. Je vous le répete , ci-
« loyens, veillons, au dedans , tandis que nos




CONVENTION NATfONALll (1794). 233
« guerriers combattent au dehors; que les
« fonctiormaires chargés de la surveillance pu-
(( blique redoublent de soins et de zele , qu'ils
{( se pénetrent bien de cette idée , qu'il n'y a
« peut-étre pas une rue, pas un carrefour oii
f( il ne se trouve un traitre qui médite un der-
(( nier complot. Que ce traitre trouve la mort
(( et la mort la plus prompte [ Si les adminis-
(( trateurs, si les fonctionnaires publics veulent
( trouver une place dans l'histoire, voici le
(( moment favorable pour y songer. Le tribu-
(( nal révolutionnaire s'y est assuré déja nne
(( place marquée. Que toutes les administrations
(( sachent imiter son zele et son inexorable
« énergie; que les comités révolutionnaires
(( surtout redoublent de vigilance et d'activité ,
(( et qu'ils sachent se soustraire aux sollicitations
( dont on les assiége, et qui les portent aune
(( indulgence funeste. a la liberté. »


Saint-Just fit ala convention un rapport for-
midable sur la police générale de la républi-
que ", II Y répéta l'histoire fabuleuse de toutes
les conspirations, il Ies montra comme le sou-
levement de tous les vices contre le régime
austere de la république; il dit que le gou-
vernement, loin de se ralentir , devait frapper


• 26 germinal an II (15 avril).




234 n'¡VOLUTION FRAN9AISE.
sans cesse, jusqu'a ce qu'il eüt immolé tous
[es étres dont la eorruption était un obstacle a
l'établissement de la vertu. Il fit l'éloge aeeou-
turné de la sévérité, et ehereha, eomme on le
faisait alors, par des figures de toute espece ,
a prouver que l'origine des grandes institutions
devait étre terrible. « Que serait devenue, dit-
« il, une république indulgente ? .. Nous avons
« opposé le glaive au glaive, et la république
« est fondée. Elle est sortie du sein des orages:
« eette origine lui est eommune avee le monde
« sorti du ehaos, et avee l'homme qui plcure en
« naissant. » En couséqucnce de ces maximes ,
Saint-Just proposa une mesure géllérale centre
les ex-nobles. C'était la premiere de ce geure
qu'on eút rendue. Danton, I'année préeédente,
avait, dans un moment de fougue, fait mettre
tous les aristocrates hors la loi. Ce décret étant
inexécutable par son étendue , on en rendit un
autre , qui condamnait tous les suspects a la
détention provisoire. Mais aucune loi directo
centre les ex -nobles n'avait encore été portée.
Saint-Just les montra comme des eunemis ir-
réconciliahles de la révolution : (( Quoi que vous
« fassiez, dit-il , vous ne pourrez jamais con-
« tenter les ennemis du peuple, a moins que
« vous ne rétablissiez la tyrannie. n faut done
« qu'ils aillent ehereher ailleurs l'esclavage et




CONVMTION NATION UE (1794). :!35
f( les rois. lis ne peuvent faire el e paix avec
« vous; vous ne parlez point la méme langue,
« vous ne vous entendrez jamais. Chassez-Ies
« done! L'univers n'est point inhospitalier , et
« le salut public est parmi nous la supréme loi. J)
Saint-Just propasa un décret qui hannissait tous
les ex-nobles, tous les étrangers, de Paris, des
plaees fortes , des ports maritirnes , et qui met-
tait hors la loi ceux qui n'auraient pas ob,éi au
décret dans l'intervalle de dix jours, D'autres
dispositions de ce projet faisaient un devoir a
toutes les autorités de redoubler d'activité et
de ze!e. La convention applaudit a la proposi-
tion, eomme elle faisait toujours , et la vota
par acclamation. Collot-d'Herbois , le rappor-
teur du décret aux Jacohins , ajouta ses figures
acelles de Saint-Just. « Il faut, dit-il, faire éprou-
« ver au corps politique la sueur immonde de
(( l'aristocratie; plus il anra transpiré, mieux
« il se portera. »)


On vient de voir ce que fit le comité ponr
manifester l'énergie de sa politique; voici ce
qu'il ajouta ponr la concentration toujours plus
grande du pouvoir. D'abord il pronom,;a le lí-
cenciement de l'armée révolutionnaire. Cette
armée, imaginée par Danton, avait.d'abord été
utile pour faire exécuter les volontés de la
convention, lorsqu'il existait encore des restes




236 RÉVOLUTION FRAN~AlSE.
de fédéralisme; mais étant devenue le centre
de ralliementde tous les perturbateurs et de
tous les aventuriers,ayant servi de point d'ap-
pui aux derniers démagogues, il était néces-
saire de la disperser. Le gouvernemeot, d'ail-
leurs, étant aveuglément obéi , n'avait plus
besoin de ces satellites pour faire exécuter ses
ordres. En conséquence elle fut Iicenciée par
décret, Le comité proposa ensuite l'abolition
des différents ministeres. Des ministres étaient
des puissaoces qui avaient encare trop d'impor-
tance , a coté des membres du comité de salut
public. Ou ils laissaient tout faire au comité,
et alors ils étaient inutiles; ou bien ils voulaient
agir, et alors ils étaient des concurrents im-
portuns. L'exemple de Bouchotte, qui, dirigé
par Vincent, avaitsuscité tant d'embarras au
comité, était un exemple assez instructif. En
conséquence les ministeres furent abolis. A leur
place, on institua les donze commissions sui-
vantes:


l. Commission des administrations civiles,
police et tribunaux;


2. Commission de l'instruction publique;
3. Commission de l'agriculture et des arts;
4. Commission du commerce et des appro-


visionnements ;
5. Commission des travaux publics ;




CONVENTION NATIONALF. (1794). ~¡37
6. Commission des secours publics;
7, Cornmission des transports, postes et mes-


sagerles;
8. Commission des finances ;
9. Cornmissiou de l'organisation et du mou-


vement des armées de terre;
10. Commission de la marine et des colonies ;
11. Commission des armes, poudres et ex-


ploitations des mines;
I 'J.. Commission des relations extérieures.
Ces cornmissions, dépendantes du comité


de salut public, n'étaient autre chose que les
douze bureaux entre lesquels on avait partagé
le matériel de l'administration. Herrnann , qui
présidait le tribunal révolutiounaire , pendant
le preces de Danton, fut récompensé de son
zele par la qualité de chef de l'une de ces com~
missions. On lui donna la plus importante,
celle des administrations civiles, police et tribu-
naux,


D'autres mesures furent prises pour augmen-
ter encore la centralisation du pouvoir. D'apres
l'institution des comités révolutionnaires , il de-
vait y en avoir un par chaque commune ou
section de commune. Les communes rurales
étant tres-nombreuses et pellO populeuses,lc
Hombre de comités était trop grand, et leurs
fonctions presque nulles. Leur eomposition




~d8 RÉVOLUTfON f'RAN9AJSE.
d'ailleurs présentait un granel inconvénient.
Les paysaps étant fort révolutionnaires pour la


-.


plupart, mais illettrés, les fonctions municipales
étaient en général échues aux propriétaires re-
tirés dans leurs terres, et fort peu disposés a
exercer leur pouvoir dans le sens du gouver-
nement; de eette maniere, la surveillance des
campagnes, et surtout des cháteaux, se faisait
fort mal. Pour remédier a ce facheux état des
choses, on supprima les comités révolution-
naires des communes, et on ne maintint que
ceux de district. Par ce moyen, la police en se
concentrant devint plus active, et passa dans
les mains des bourgeois des districts, presque
tous fort jacobins, et fort jaloux de I'ancienne
noblesse.


Les jacobins étaient la société principale , et
la seule avouée par le gouvernenient. Elle en


-avait constamment .suivi les principes et les in-
téréts , et s'était comme lui prononcée égale-
ment contre les hébertistes et les dantonistes.
Le comité de salut public aurait voulu qu'eIle
absorhát presque toutes les autres dans son
sein, et qu'elle concentrát en elle-mérne toute
la puissance de I'opinion, comme iI avait con-
centré en .lui toute la puissance du gouverne-
ment. Ce voeu flattait singulierement l'ambi-
tíon des jacobins , et ils firent les plus grands




CONV.ENTION NATIONAU: (I79Q). 239
efforts pour l'accomplir. Depuisque les assem-
blées de sections avaient été réduites a deux
par semaine, afin que le peuple pút y assis-
ter et y faire triompher les motions révolu-
tionnaires , les sections s'étaient forrnées en
sociétés populaires. Le nombre de ces sociétés
était tres - grand a Paris ; il Y en avait jusqu'a
deux et trois par section. Nous avons rapporté
déjá les plaintes dont elles étaient devenues
l'objet. On disait que les aristocrates , c'est - a-
dire les commis, les clercs deprocureurs, mé-
contents de la réquisition , les anciens serví-
teurs de la nohlesse, tous ceux enfin qui avaient
quelque motif de résister au systeme révolu-
tionnaire , se réunissaient dans ces sociétés , et
y montraient l'opposition qu'ils n'osaient ma-
nifester aux Jacohins ou dans lessections. Le
graod nombre de ces sociétés seeondaires en
empéchait la surveillance , et on émettait la
quelquefoisdes opinions qui n'auraientpas
osé se produire ailléurs.Tréja on -avait proposé
de les abolir. Les jacobins n'avaient pas le"
droit de s'en occuper; et le gouvernement ne
l'aurait pas pu saos paraitre gener la liberté de
s'assemhler el de délibérer en commun, liberté
si préconisée acette époque, et réputée devoir
étre sans limites. Sur la propositionde Collot,
les jacobins déciderent qu'ils ne necevraient




2/tO RÉVOLUTION FRAN~AISE.
plus de députations de la part des sociétés
formées a París depuis le 10 aoút , et que la
correspondance ne leur serait plus continuée.
Quant a celles qui avaient été formées aParis
avant le 10 aoút , et qui jouissaient de la cor-
respondance, il fut décidé qu'on ferait un rap-
port sur chacune d'elles, pour ,examiner si
elles devaient conserver cet avantage. Cette
mesure concernait particulierement les corde-
liers, déja frappés dans leurs chefs, Ronsin,
Vincent, Hébert, et regardés depuis cornme
suspects. Ainsi, toutes les sociétés sectionnaires
étaient flétries par cette déclaration , et les cor-
deliers allaient subir un rapport.


L'effet qu'on espérait de cette mesure ne fut
pas long -temps a se faire attendre. Toutes les
sociétés sectionnaires , intimidées ou averties ,
vinrent l'une apres l'autre a. la convention el
aux Jacobins, déclarer leur dissolution volon-
taire. Toutes félicitaient également la couven-
tion et les jacobins, et déclaraient que, réunies
dans I'intérét public, elles se séparaient volon-
tairement , puisqu'on avait jugé que Ieurs ré-
unions nuisaient a la cause qu'elles voulaient-
servir. Des cet instant , il ne resta plus aParis
que la société-mere des jacobins, et, dans les
provinces, que les sociétés affiliées. A la vérité,
celle des cordeliers subsistait encore acoté de




CONVF.NTION NATIONALE (1794). 241
sa rivale, Créée jadis par Danton , ingrate en-
vers son fondateur, et toute dévouée depuis
a. Hébert, Ronsin el Vincent, elle avait inquiété
un moment le gouvernement, et rivalisé avec
les jacobins. 11 s'y réunissait encore les débris
des bureaux de Vincent et de l'armée révolu-
tionnaire, On ne pouvait pas la dissoudre ; on
fit le rapport qui la concernait, 11 fut reconnu
que depuis quelque temps elle ne correspon-
dait que tres-rarement et tres-mégligemment
avec les jacobins, et que par conséquent ilétait
ponr ainsi dire inutile de lui conserver la cor-
respondance. On proposa, a eette occasion ,
d'examiner s'il fallait a Paris plus d'une société
populaire. On osa me me dire qu'il faudrait
établir un seul centre d'opinion , et le placer
aux Jacobins. La société passa aI'ordre du jour
sur toutes ces propositions, et ne decida mérne
pas si la correspondance serait accordée aux
cordeliers. Mais ce club jadis célebre avait ter-
miné son existence : entiérement abandonné,
il ne eomptai t plus pour rien , et les jacobins
resterent , ave~ le cortége de leurs sociétés affi-
liées, seuls maitres et régulateurs de l'opinion,


Apres avoir centralisé , si on peut le dire ,
l'opinion, on songea aen régulariser l'expres-
sion, a la rcndre moins bruyante et moins in-
cornrnode pou~ le gOllvernement. La censure


VI. 16




'l4~ RÉVOLUTION FRAN~AISE.
continuelle et la dénonciation des fonction-
naires publícs, magístrats, députés , géJléraux,
administrateurs , avait faít jusqu'alors la prin-
cipale occupatíon des jacobins. Cette fureur de
poursuivre et d'attaquer sans cesse les agents
de l'autorité avaít eu ses inconvénients, mais
aussi ses avantages tant qu'on avait pu douter
de leur zele et de Ieurs opinions. Mais au-
jourd'hui que le comité s'était vigoureusement
emparé du pouvoir, qu'il surveillait ses agents
avec un grand soin , et les choisissait dans le
sens le plus révolutíonnaíre, il ne pouvait plus
Iong-temps permettre aux jacobins de se Iisrer
a leurs soupc;ons accoutumés, et d'inquiéter
des fonctionnaires pour la plupart bien sur-
veíllés et bien choisis. C'eút été méme un dan-
gel' ponr l'état. C'est al'oeeasion des généraux
Charbonnier et Dagobert, ealomníés tous les
deux, tandis que l'un remportait des avantages
sur les Autrichiens, et qne l'autre expirait.dans
la Cerdagne, ehargé d'ans et de bIessures, que
Collot-d'Herbois se plaignit aux jacobins de
eette maniere indiscrete de poursuivre les gé-
néraux et les fonctionnaires de toute espece.
Suivant l'usage de tout rejeter sur les morts , iI
imputa eette furenr de dénonciation aux restes
de la faetion Hébert , et engagea les jacobins
a ne plus tolérer ees dénonciations publiques,




CONVENTION NATIONAL:E (179!¡)' 243
qui faisaient perdre, disait-il , un temps pré-
eieux a la société , et qui déconsidéraient les
agents choisis par le gouvernement. En con-
séquence, il proposa et fit instituer dans le
sein de la société un comité chargé de rece-
voir les dénonciations , et de les transmettre
secretement au comité de salut public. De cette
maniere, les dénonciations devenaient moins
incornmodes et moins hruyantes , et au désor-
dre démagogique commencait a succéder la
régularifé des formes administratives.


Ainsi done, se prononcer d'une maniere
toujours plus énergique contre lesennemis de
la ré.volution, centraliser l'administration, la
police et l'opinion, furent les premiers soins
du comité, et les premiers fruits de la victoire
remportée sur les partís. San s doute, l'ambi-
tion comrnencait maintenanta avoir part ases
déterminations, beaucoup plus' que daos le'
premier moment de son existence., mais pas
aotant que le ferait supposer la grande masse
de' pouvoir qu'il s'était acquise. Institué au
commencement de la campagne de 1793,' et
aumilieu de périls urgents, il avait recu son
existence de la nécessité seule. Une fois étá-
bli, il avait pris successivement-une plusgrande
part de pouvoir, suivant: qué l'exigeaitle ser-
vicede I'état., el' il-était airrsiarrivéá la dicta-


lO.




244 RÉVOLUTION FRANt;AJSI~.
ture mérne. Sa posítion au milieu de cette dis-
solution universeIle de toutes les autorités
était telle.qu'il ne pouvait pas réorganiser sans
gagner du pouvoir, et faire bien sans y mettre
de l'ambition. Ses dernieres mesures lui étaient
profitables sans doute, mais elles étaient en
elles- mémes prudentes et utiles. La plupart
méme lui avaient été suggérées, car, dansune
société qui se réorganise, tout vient s'offrir el
se soumettre a l'autorité créatrice. Mais il tou-
chait au moment oú l'ambition allait régner
seule, et oú l'intérét de sa propre puissance
allait remplacer celui de l'état. Tel est l'homme;
il ne pellt pas rester désintéressé long-temps,
et il s'ajoute hientót lui - méme au hut qu'il
poursuit.


Il restait au comité de salut public un der-
nier soin áprendre , celui qui préoccupe tou-
jours les instituteurs d'une société nouveIJe,
c'est la religion. Déja il s'était occupé des idées
morales en mettant la probité , la [ustice , el
toutes les »ertus, ti: l'ordre dujour; il Iui restait
a s'occuper des idées religieuses.


Remarquons ici chez ces sectaires le singu-
lier progres de leurs systemes. Quand il fallut
détruire les gil'Ondins, ils virent en eux des
modérés, des républicains faibles, parlerent
d'énergie patriotique et de salut public , el les




CONVENTJON NATJOl'IALE (179!~)' 245
immolérent aces idées, Quand il se forma deux
nouveaux partis, l'un hrutal , extravagant,
voulant tout renverser, tout profaner; l'autre
indulgent, facile, ami des moeurs douces et
des plaisirs, ils passerent des idées d'énergie pa-
triotique a celles d'ordre et de vertu; ils ne vi-
rent plus qu'une fatal e modération énervant les
forces de la révolution; ils virent tous les vices
soulevés a la fois contre la sévérité du régime
républicaid; ils virent d'une part l'anarchie
rejetant toute idée d'ordre , la mollesse et la
eorruption rejetant toute idée de moeurs , le
délire de l'esprit rejetant toute idée de Dieu;
alors ils crurent voir la république attaquée,
eornrne la vertu , par toutes les mauvaises pas-
sions a la fois. Le mot de vertu fut partout;
ils mirent la justice, laprobité, Ji l'ordre du
jour. Il leur restait a proclamer Dieu, l'im-
mortalité de l'áme , toutes les croyances mo-
rales; il leur restait a faire une profession de
foi solennelle, adéclarer en un mot la religion
de l'état. Ils résolurent done de rendre un dé-
cret a ce sujeto De eette maniere, ils oppo-
saient aux anarchistes l'ordre, aux athées Dieu,
aux corrompus les moeurs, Leur systeme de la
vertu était completo Ils mettaient surtout un
grand prix alaver la république des reproches
d'impiété dont elle était poursuivie dans toutc




246 :il.ÉVOLUTlON FRAN<,;:AISl:.
l'Europe; ils voulaient dire ce qu'on dit tou-
jours aux prétres qui vous aceusent d'étre im-
pies paree qu'on ne croit pas a leurs dogmes :
NOUS CROYONS EN D1EU.


Ils avaient encore d'autres motifs de pren-
dre une grande mesure a l'égard du culte. On
avait abolí les cérérnouies de la raison; il fal-
lait des fétes pour les jours de décade; et il
importait, en songeant aux besoíns moraux et
relígieux du peuple, de songer aussi ases be-
soins d'imagination, et de lui donner des su-
jets de réunions publiques. D'ailleurs, le mo-
ment était des plus favorables: la répuhlique ,
victorieuse ala fin de la campagne précédente,
comrnencait a l'étre encere au début de celle-
ci. Au lieu du dénúment de moyens daos le-
quel elle se trouvait l'année derniere , elle était,
par les soins de son gouvernement, pourvue
des plus puissantes ressources militaires. De la
crainte d'étre eonquise, elle passait a l'espoir
de conquérir; au lieu d'insurrections effrayao-
tes, la soumission régnait partout. .Enfin si, a
cause des assignats et du maximum , il Yavaít
encore de la gene dans la distribution inté-
ríeure des produits, la nature semblait s'étre


.plu a combler la France de tous les bíens, en
luí aecordant les plus belles récoltes. De toutes
les provínces on annoncait que la moisson se-




CONVlll'H'!lJN NATlONALE \, J 794). 247
rait double , et mure un mois avant l'époque
accoutumée. C'était done le moment de pros-
terner eette république sauvée, vietorieuse et
comblée de tous les dons, aux pieds de l'Éternel.
L'oeeasion était grande et touchante pour eeux
de ees hommes qui eroyaient; elle était op-
portune pour eeux qui n'obéissaient qu'a des
idées politiques.


Remarquons une ehose bien singuliere. Des
seetaires pour lesquels il n'existait plus au-
cune convention humaine qui fút respeetable,
qui, gráce a leur mépris extraordinaire pour
tons les autres peuples , et a l'estime dont ils
étaient remplis ponr eux-mémes , ne redou-
taient aneune opinion , et ne eraignaient pas
de blesser celle du monde; qui , en fait de gou-
vernement, avaient tont réduit a l'absoln né-
cessaire, qui n'avaient admis d'antre antorité
que celle de quelques eitoyens temporairement
élus , qui avaient rejeté toute hiérarehie de
classes, qui n'avaient pas craint d'abolir le plus
aneien et le mieux enraeiné de tous les eultes,
de tels sectaires s'arrétaient devant deux idées ,
la morale et Dieu. Aprés avoir rejcté toutes
celles dont ils croyaient pouvoir dégager
l'homme, ils restaient dominés par l'empire de
ces deux derniéres , et immolaient un partí a
chacune, Si tous ne eroyaient pas, tous cepen-




248 1tÉVOLUTION FRANl,tAISE.
dant sentaient le beso in de l'ordre entre les
hommes , et , pour appuyer cet ordre humain ~
ils cornprenaient la nécessité de reconnaitre
dans l'univers un ordre général et intelligent.
C'est la premiere fois, dans l'histoire du monde,
que la dissolution de toutes les autorités lais-
sait la société en proie au gouvernement des
esprits purement systématiques( car les Anglais
croyaient a des traditions chrétiennes ), et ces
esprits, qui avaient dépassé toutes les idées
ret;ues, adoptaient , conservaient les idées de
la morale et de Dieu. Cet exemple est nnique
dans les annales da monde; il est singulier ,
il est grand et beau; l'histoire doít s'arrérer
pour en faire la remarque.


Robespierre fut rapportcur dans cette occa-
sion solennelle, et lui seal devait l'étre d'apres
la distribution des roles qui s'était faite entre
les membres du comité. Prieur, Robert-Lindet,
Carnot, s'occupaient silencieusement de l'ad-
ministration et de la guerreo Barrére faisait la
plupart des rapports, particulierement ceux
qui étaient relatifs aux opérations des armées,
et en général tous ceux qu'i] fallait improviser.
Le déclamateur Collot-d'Herbois était dépéché
dan s les clubs et les réunions populaires, pour
y porter les paroles du comité. Coutbon, quoi-
que paralytique, allait aussi partout , parlait




CONVENTION N ATION ALE (] 79[~)' 249
a la convention, aux Jacobins, au peuple , et
avait l'art d'intéresser par ses infirmités , et
par le ton paternel qu'il prenait en disant les
choses les plus violentes. Billaud , moins mo-
bile, s'occupait de la correspondance, et trai-
tait quelquefois les questions de politique gé-
nérale, Saint-Just , jeune, audacieux et actif,
allait et venait des champs de bataille au co-
mité; quand il avait imprimé la terreur et l'é-
nergie aux armées, il revenait faire des rap-
ports meurtriers contre les partis qu'il fallait
envoyer a la mort. Robespierre en6n, leur
chef a tous, consulté sur toutes les matieres ,
ne prenait la parole que dans les grandes oc-
casions. Il traitait les hautes questions morales
et poli tiques ; on lui réservait ces beaux sujets,
eomme plus dignes de son talent et de sa vertu.
Le role de rapporteur lui appartenait de droit
dans la question qu'on allait traiter. Aucun
ue s'était prononeé plus fortement eontre l'a-
théisme, aucun n'était aussi vénéré , aucun
n'avait une aussi grande réputation de pureté
et de vertu, aucun enfin , par son ascendant
et son dogmatisme, n'était plus propre a eette
espece de pontificat.


Jamais occasion n'avait été plus belle pour
imiter ce Rousseau , dont il professait les opi-
nions , et du style duquel il faisait une étude




,


250 RÉVOLUTION FRAN9AISE.
continuelle. Le talent de Robespierre s'était
singuliérement développé dan s les longues luto
tes de la révolution. Cet étre froid et pesant
commencait a bien improviser; et quand il
écrivait , c'était avec pureté, éclat et force. On
retrouvait dans son style quelque ehose de
l'humeur ápre et sombre de Rousseau , mais
il n'avait pu se donner ni les grandes pensées ,
ni l'áme généreuse el passionnée de l'auteur
d'Émile.


I1 parut ala tribune le 18 fIoréal (7 mai 1794),
avec un discours soignensement travaillé. Une
attention profonde Iui fut aeeordée. « Citoyens,
« dit-iI en débutant, c'est dans la prospérité
« que les peuples, ainsi que les particuliers,
« doi vent pour ainsi dire se reeneillir, ponr
« éeouter dans le silenee des passions la voix
« de la sagesse.» Alors il développe longuemcnt
le systerne adopté. La république, suivant lui,
e'es t la vertu; et tous les adversaires qu'elle
avait rencontrés ne sont que les vices de tous
genres souIevés contre elle, et soudoyés par
les rois. Les anarehistes, les corrompus, les
athées n'ont été que les agents de Pitt, « Les
« tyrans, ajouta-t-il , satisfaits de l'audace de
« leurs émissaires, s'étaient empressés d'étaler
« aux yeux de leurs sujets les extravaganccs
« qu'ils avaient aehetées; et, feignant de croire




CONVENTION NATJONAU; (1794). 251
ce que c'était la le peuple írancais , ils semblaient
« leur dire : Que gagnerez-vous a secouer no-
«( tre joug? Fous le voyez, les républicains ne
« -ualent pas mieua: que nous l » Brissot, Danton,
Hébert , figurent alternativement dans le dis-
cours de Robespierre; et, pendant qu'il se li-
vre contre ces prétendus ennemis de la vertu,
aux déclamations de la haine , déclamations
déja fort usées, il excite peu d'enthousiasme,
Mais bientót il abandonne cette partie du sujet,
et s'éleve a des idées vraiment grandes et mo-
rales, exprimées avec talento Il obtient alors
des acclamations universelles. Il observe avec
raison que ce n'est pas comrne auteurs de sys-
temes que les représentants de la nation doi-
vent poursuivre l'athéisme et proclamer le
déisme , mais comme des législateurs, cher-
chant queIs sont les principes les, plus conve-
nahles al'homme réuni en société. ( Que vous
« importe a vous, législateurs, s'écrie-t-il , que
(e vous importe les hypotheses diverses par les-
ce queUes certains philosophes expliquent les
« phénomeues de la nature ?Vous pouvez aban-
e( donner tous ces objets a leurs disputes éter-
« neUes; ce n'est ni COIDme métaphysiciens,
« ni comme théologiens que vous devez les en-
« visager ; aux yeux du législateur. tout ce qui
« est utile au monde et bon dans la pratique ,




252 nÉvOLUTION FRAN~AISE.
« est la vérité, L'idée de l'Etre supréme et <le
« l'immortalité de l'áme est un rappel conti-
« nuel a la justice ; elle est done sociable et
« républieaine.... Qui done t'a donné, s'écrie
« encore Robespierre, la mission d'annoneer
« au peuple que la divinité n'existe pas? O toi
« qui te passionnes pour cette ande doctrine,
e( et qui ne te passionnas jamais pour la pa-
« trie! quel avantage trouves-tu apersuader a
« l'homme qu'une force aveugle préside a ses
« destinées et frappe au hasard le crime et la
« vertu? que son ame n'est qu'un souffle léger
« qui s'éteint aux portes du tombeau? L'idée
(e de son uéant lui inspirera-t-elle des senti-
« ments plus purs et plus élevés que celle de
f( son immortalité? Lui inspirera-t-elle plus de
« respect pour ses semblables et pour lui-méme,
« plus de dévouement pour la patrie, plus
( d'audaee a braver la tyrannie, plus de mé-
« pris pour la mort ou ponr la volupté? Vous,
« qui regrettez un ami vertueux, vous aimez
« a penser que la plus belle partie de lui-
« mérne a échappé au trépas ! Vous, qui pleu-
« rez sur le eercueil d'un fils ou d'une épouse,
« étes-vous consolé par celui qui vous dit qu'il
« ne reste plus d'eux qu'une vile poussiére P
« Malheureux qui expirez sous les coups d'un
« assassin , votre dernier soupir est un appel




CONVF.NTrON NAT/ONALE (1794). 253
ti a la justice éternelle! L'innocenee sur l'é-
« chafaud fait pálir le tyran sur son ehar de
(e triomphe, Aurait-elle cet ascendant si le tom-
« beau égalait l'oppresseur et l'opprimé ? .. »


Robespierre, s'attachant toujours asaisir le
coté politique de la question, ajoute ces ob-
servations remarquables : (e Prenons iei, dit-il,
« les lecons de l'histoire. Remarquez, je vous
« prie, eomment les hommes qui ont influé sur
«la destinée des états furent déterminés vers
« l'un ou l'autre des denx systernes opposés ,
ee par leur caractére personnel, et par la na-
« ture méme de leurs vues politiques. Voyez-
« vous avee quel art profond César, plaidant
( dan s le sénat romain en faveur des compli-
(e ces de Catilina, s'égare dans une digression
(e coutre le dogme de l'immortalité de l'áme ,
(e tant ces idées lui paraissent propres a étein-
e( dre dans le coeur des jnges l'énergie de la
« vertu, tant la cause du crime lui parait liée
« acelle de l'athéisme! Cicéron, au contraire ,
{e invoquait contre les traltres et le glaive des
« lois et la foudre des dieux, Soerate mourant
« entretient ses amis de l'immortalité de l'áme.
« Léonidas, aux Thermopyles, soupant avec


d' t d' ,(e ses compagnons armes au momen exe-
« cuter le dessein le plus héroique que la vertu
« humaine ait jamais concu , les invite pour le




251,. RÉVOLUTION FRAN~AISE.
« lendemain a un autre banquet pour une vie
« nouvelle.. . . . Caton ne balanca point entre
« Epicnre et Zénon. Brutus et les illustres con-
« jurés qui partagerent ses périls el' sa gloire
« appartenaient aussi a cette secte sublime des
« stoíciens, qui eut des idées si hautes de la di-
« gnité de l'homme, qui poussa si loin l'en-
f{ thousiasme de la vertu, et qui n'outra que
« I'héroísme. Le stoícisme enfanta des émules
{( de Brutus et de Caton jusque dans les siecles
« affreux qui suivirent la perte de la liberte
« romaine; le stoícisme sauva l'honneur de la
« nature humaine, dégradée par les vices des
« successeurs de César, et surtoutpar la patience
({ des penples. »


Au sujet de l'athéisme, Robespierre s'expli-
que d'une maniere singuliere sur les encyclo-
pédistes, {{ Cette seete , dit-il , en matiere de po-
{{ litique, resta toujours au-dessous des droits
« du peuple; en matiere de morale elle alla
({ beaueoup au-dela de la destruetion des pré-
« jugés religieux: ses coryphées déclamaient
({ quelquefois contre le despotisme , et ils étaient
« pensionnés par les despotes; ils faisaienttart-
« tót des livres eontre la eour, et tantót des
(e dédicaees aux rois , des discours POUI' les
«conrtisans, el des madrigamc. pour les cour-
<e tisanes; ils étaientfiers dans leurs écrits et




CONVENTION NATIONALE (1 í94). 255
« rampants dans les autichambres. Cette secte
« propageaavec beaucoup de zele l'opinion du
« matérialisme , qui prévalut parmi les grands
« et parmi les beaux esprits; on lui doit en par-
« tie eette espece de philosophie pratique qui,
« réduisant l'égolsme en systerne , regarde la
« société humaine eomme une guerre de ruse ,
« le succes comme la regle du juste et de I'in-
« juste, la probité eomme une affaire de gout
« ou de bienséance , le monde comme le pa-
« trimoine des fripons adroits.....


« Parmi ceux qui au temps dont je parle se
« signalérent dans la carriere des lettres et de
« la philosophie, un homme, par l'élévation de
« son ame et la grandeur de son caractere , se
« montra digne dn ministere de précepteur du
« genre humain: il attaqua la tyrannie avee
« franchise; il parla avec enthousiasme de la
« Divinité; son éloquence mále et prohe pei-
« gnit en traits de feu les. charmes de la vertu;
« elle défendit ces dogmes consolateurs que la
« raison donne pour appui au cceur humain.
« La pureté de sa doctrine, puisée dans la na-
« ture et dans la haine profonde du vice, au-
« tant que son mépris invincible' pour les so-
« phistes intrigants qui usurpaient le nom de
« philosophes , lui attira la haineet la persécu-
« tion de ses rivaux et de ses faux amis, Ah!




256 R~VOLUTION FRAN~AJSE.
« s'il avait été témoin de cette révolution dont
« il fut le précurseur, qui peut douter que son
« ame généreuse cut embrassé avee transport
« la cause de la justice et de I'égalité! »


Robespierre s'attache ensuite a écarter eette
idée que le gouvernement, en proclamant le
dogme de l'Etre suprérne , travaille pour les
prétres. Il s'exprime ainsi qu'il suit : cc Qu'y
« a-t-il de commun entre les prétres et Dieu ?
« Les prétressont ala morale ce que les char-
c( latans sont a la médecine, Combien le Dieu
« de la nature est différent du Dieu des pré-
cc tres! Je ne reconnais ríen de si ressemblant
(c a l'athéisme que les religions qu'i1s ont fai-
c( tes. A force de défigurer I'.Etre su préme , ils
C( I'ont anéanti autant qu'il était en eux : ils en
« ont fait tantót un globe de feu , tantót un
« hoeuf , tantót un arbre , tantót un homme,
« tantót un roi. Les prétres ont créé un Dien
ce a leur image; ils l'ont fait jaloux, capricieux ,
l( avide , cruel, implacable; ils l'onttraité comme
l( jadis les maires da palais traitérent les des-
« cendants de Clovis pour régner en son nom
({ et se meUre a sa place; ils l'ont relégué dans
« leciel comme dans un palais, et ne l' ont ap-
« pelé sur la terre que pour demander, aleur
« profit, des dimes , des richesses, des hon-
« neurs, des plaisirs et de la puissance, Le vé-




CONVI<:NTroN NATroNALE (179/.)' 257
« ritable temple de l'Etre supréme c'est l'uni-
« vers; son culte , la vertu; ses fétes , la joie
« d'un granel peuple rassemblé sous sesyeux
le ponr resserrer les noeuds de la fraternité uni-
« verselle, et pouI' lui présenter l'hommage des
le coeurs sensibles et purs. »


Hobespierre dit ensuite qu'il faut des fétes
a un peuple, « L'homme, dit - il , est le plus
(e grand objet qui soit dans la nature; et le plus
( magnifique de tous les spectacles , c'est. celui
« d'un grand peupleassemblé. »En conséquence
il propose des plans de réunion pour tons les
jours de décadis. Son rapport s'acheve au mi-
lieu des plus vífs applaudissements. Il propose
le décret , quí est adopté par acclamation.


Art. r". Le peuple francais reconnait I'exis-
tenee de l':Etre supréme et l'i mmortalité de
I'ame.


Art. 2.. n reconnait que le culte le plus dí-
gne de l'Etre suprérne est la pratique des de-
voirs de J'homme.


D'autres articles portent q u'il sera institué
des tetes pour rappeler l'homme a la pensée
de la Divinité et a la dignité de son étre. Elles
emprunteront leurs noms des événements de
la révolutiou , ou des vertus les plus utiles a
l'homme. Outre les [etes du '4 juillet , du
10 aoút c du 21 janvierer du 31 mai , la répu-


n. ,-




258 RÉVOr.UTION FR AN~AJSF:.
blique célébrera tous les jours de décadis les
Iétes suivantese-aI'Etre supréme ,-au geure
humain, - au peuple fram,;ais, - aux bien-
faiteens de l'humanité , - aux martyrs de la
liherté , -"0_00 a la liberté et al'égalité , - ala ré-
publique, - a la liberté du monde, - al'a-
mour de la patrie, - a la haine des tyrans et
des traitres , - a la vérité , - a la j usti ce, -
a la pudeus , -'-' a la gloire, - al'amitié , -
ala frugalité, - au courage,- ala bonne foi,
- a l'héroisme , - au désintéressement , -
au stoicisme , - a l'amour, - a la foi conju-
gale, _0- a I'amour paternel, - a la tendresse
paternelle, ---- a la piété filiale ,~ a l'enfance,
- ala jeunesse, - a l'age viril, - a la vieil-
lesse , - au malheur, - a I'agriculture, - a
l'iadustrie , o~ á nos aíeux , - a la postérité ,
- au bonheur.


Une féte solennelle est ordonnée pour le
20 prairial , et le plan en est confié aDavid. Il
faut ajouter que, dans ce décret , la liberté des
cultes est proclamée de nouveau.


A peine ce rapport est-il achevé, qu'il est li-
vré al'impression. Dans la mérne journée , la
commune , les jacobins en demandent la lec-
ture, le couvrent d'applaudissements, et déli-
berent d'alIer en corps témoigner a la conven-
tion leurs remerciements, pour lesublimedécret




CONVENTfON NAT/ONALE (1794). 'l59
qu'eIle vient de rendre. On avait observé que
les jacobins n'avaient pas pris la parole apres
l'immolation des deux partis, et n'étaient pas
allés féliciter le comité et la convention. Un
membre leur en fait la remarque, et dit que
l'occasion se présente de prouver l'union des
jacohinsavecun gouvernement qui déploie une
si belle conduite. Une adresse est en effet ré-
digée, et présentée ala convention par une dé-
putation des jacobins. Cette adresse finit en
ces termes: {( Les jacobins viennent aujourd'hui
« vous remercier du décret solennel que vous
« avez rendu; ils viendront s'unir avous dans
« la célébration de ce grand jour oú la féte a
(( l'Etre suprérne réunira de toutes les parties
« de la France les citoyens vertueux, ponr chan-
( ter l'hymne de la vertu. » Le président fait a
la députation une réponse pompeuse.( Il est
« digne, lui dit-il, d'une société qui remplit le
(( monde de sa renommée , qui jouit d'une si
«. grande influence sur I'opinion publique, qui
( s'associa dans tous les temps a tout ce qu'il y
« eut de plus courageux parmi les défenseurs
« des droits de l'homme, de venir dans le temo
({ ple des lois rendre hornmage a l'Etre su.
« preme.»


Le président poursuit, et apres un discours
assez longsur le méme sujet , transmet la parole


17·




:>.()o n ¡tHJLliTION 1<'H ANCA Isf:.
;', Couthon. Celui - ci fait un discours véhé-
rnent contre les athées, les corrompus, et
un pompeux éloge de la société ; il propase,
en ce jour solennel de joie et de reconnais-
sanee, de rendre aux jacobins une justice qui
leur est dne depuis long - temps, c'est que,
des l'ouverture de la révolution, ils n'ont
pas cessé de bien mériter de la patrie. Cette
proposition est adoptée au milieu des plus
bruyants applaudissements. On se sépare dans
des transports de joie , et dans une espéce
d'ivresse,


Si la convention avait recu de nomhreuses
arlresses apres la mort <les hébertistes et des
dantonistes ,elle en reeut bien davantage en-
care, apres le décret qui proclamait la croyance
al':Etre supréme. La contagion des idées el des
mots est ehez les Francais d'une rapidité ex-
traordinaire, Chez un peuple prompt et corn-
municatif, l'idéequi occllpe quelques esprits
est bienrót l'idée qui les occllpe tous : le mot
qui est dans quelques bouches est hientót dans
toutes. Les adresses arriverent encare de toutes
parts, félicitant la convention de ses décrets
sublimes, la rernerciant d'avoir établi la vertu ,
proclamé l'Etre supréme , et rendu l'espérance
á l'hornme. Toutes les sections vinrent l'une
apres l'autre exprímer les mémes sentimeuts,




CO;,\VEI'ITIO-N NATlONALl, (179[~)' 201
La section de Marat se présentant ala barre et
s'arlressant ala Montagne, lui dit: (e Montagne
(( bienfaisante! Sinai protecteur! recois auss¡
« nos expressions de reconnaissance et de f.éli·
(e citation pour tOIlS les décrets sublimes que tu
« lances chaque jour pour le honheur du gen re
(e humain. De ton sein bouillonnant est sortie la
« foudre salutaire qui, en écrasant l'athéisme ,
« donne atous les vrais républicains l'idée bien
ce consolante de vivre libres, sous les yeux de
ec l'Etre supréme , et dans l'attente de l'immor-
« talité de l'áme. PiIJe la convention ! vive la
« république! vive la Montagne!)) Toutes les
adresses engageaient de nouveau la convention
aconserver le pouvoir. Il en est une qui l'enga-
geait me me a siéger, jusqu'a ce que le regne
de la vertu fút établi dans la république, sur
des bases impérissables.


Des ce jour, les mots de uertu et d' Etre su-
préme furent dans toutes les bouches. Sur le
frontispice des temples, oú ron avait écrit : ti
la Raison , on écrivit : ti l' Etre supréme. Les
restes de Housseau furent transportés au Pan-
théon. Sa veuve fut présentée a la convention
et gratifiée d'une pensiono


Ainsi, le comité de salut public, triomphant
de tous les partis , saisi de tous les pouvoirs,
placé a la tete d'une nation enthousiaste et




2G2 UÉVOLUTION }'RAN~A]S.E.
victorieuse , proclamanl le regne de la vertu


.el le dogme de I'Etre supréme , était au som-
met de sa puissance et au dernier termc de
ses systemes.




CONVJ<:JHlO.N NATIONALE (1 79(1). 263


CHAPITRE V.


1il1a"


État de l'Europe au commencement del'année 1794 (an U).
- Préparatifs universels de guerreo Poli tique de Pitt.
Plans des coalisés et des Francais. - État de nos ar-
mées de terre et de mer ; activité et énergie du gouver-
nement pour trouver et utiliser les ressources, - Ou-
verture de la campagne; occupation des Pyrénées et
des Alpes. - Opérations dans les Pays-Bas, Combata
sur la Sambre et sur la Lys. Víctoire de Turcoíng. ""
Fin de la guerre de la Vendée. Commencement de la
guerre des chouans, ~ Événements dans les eolonies.
Désastres de Saint-Domingue. Perte de la Martinique.
- Bataille navale,


L'HlVER avait été employé en Europe et en
Franee a faire les préparatifs d'une nouvelle
eampagne. L'Angleterre était toujours I'árne de
la coalition , et poussait les puissances du con-
tinent a venir détruire , sur les bordsde la




~64 RÉVOLUTIONFUANI,:A ISE.
Seine, une révolution qui 1'effrayait el une ri-
vale qui lui était odieuse. L'implacable fils de
Chatam avait fait cette année des efforts im-
meuses pour écraser la France. Toutefois, ce
n'était pas saos obstacle qu'il avait obtenu du
parlement des moyéns proportionnés á ses
vastes projets. Lord Stanhope, dans la chambre
haute, Fox, Shéridan , dans la chambre basse ,
étaient toujours opposés au systerne de la
guerreo lIs refusaient tous les sacrifices de-
mandés par les ministres; ils ne voulaient ac-
cordel' que ce qui était nécessaire a l'armement
des cotes, et surtout ils ne pouvaient pas souf-
frir que ron qualifiát cette guerre de juste el
nécessaire ; elle était , disaient-ils , inique , rui-
neuse , et punie de justes reverso Les motifs
tirés de l'ouverture de l'Escaut, des dangers
de la Hollande, de la nécessité de défendre
la constitution britannique, étaient faux. La
Hollande n'avait pas été mise en péril par l'ou-
verture de l'Escaut, et la constitution britan-
nique n'était .point menacée. Le but des mi-
nistres était, selon eux , de détruire un peuple
qui avait voulu devenir libre, et d'augmenter
san s eesse leur inf1uence el leur autorité per-
sonnelle, sous prétexte de résister aux machi-
nations des jacobins francais. Cette lutte avait
été soutenue par des lOoyeus iuiques. Ou avait




CONvmUION .NATJON ALE (1 79Q). 265
fomenté la guerre civile et le massacre ; mais un
peuple hrave et généreux avait déjoué les ten-
tatives de ses adversaires par un courage et des
efforts sans exemple. Stanhope, Fox, Shérirlan,
eonéluaient qu'une lutte pareille déshonorait et
ruinait rAngleterre. Ils se trompaient sous un
rappol·t. L'opposition anglaise peut souvent re-
procher ason ministere de faire des guerres in-
justes, mais jamais désavantageuses. Si la guerre
faite ala France n'avait aucun motifde justiee,
elle avait des motifs de poli tique excellents,
comme on va le voir , et l'opposition , trompée
par des sentiments génél'eux, oubliait les avan-
tages qui allaient en résulter pour l'Angle-
terreo


Pitt feignait d'étre effrayé des menaces de
descente faites a la tribune de la eonvention ;
ilprétendait que des paysans de Kent avaient
dit : Voici les Francais qui vont nous apporter
les droits de l'homme. Il s'autorisait de ces
propos (payés, dit-on, par lui - méme ) pour
prétendre que la constitution était menacée; il
avait dénoncé les sociétés constitutionnelles de
l'Angleterre, devenues un peu plus actives par
l'exemple des clubs de France, et il soutenait
qu'elles voulaient établir une convention sous
prétexte d'une réforme parlementaire. En con-
séquence , il demanda la su spensio n de l'haúeas




266 RÉVOLUTION .FltAN9AISf:.
corpus, la saisie des papiers de ces sociétés , et
la mise en accusation de quelques-uns de leurs
membres. 11 demanda en outre la faculté d'en-
róler des volontaires, et de les eutretenir
au moyen des bénévolences ou souscriptions,
d'augmenter I'armée de terre et la marine, de
solder un eorps de quarante mille étrangers,
Francais émigrés ou autres. L'opposition fit
une vive résistance ; elle soutint que rien ne
motivait la suspension de la plus précieuse
des libertés anglaises ; que les sociétés accusées
délibéraient en public, que leurs vreux haute-
ment exprimés ne pouvaient étre des conspira-
tions, que ces vceux étaient ceux de toute l'An-
gleterre, puisqu'ils se bornaient a la réforme
parlementaire ; que I'augrnentation démesurée
de l'armée de terre était un danger pour le
peuple anglais; que si les volontaires pouvaient
étre armés par souscription , il deviendrait loi-
sible au ministre de lever des armées sans l'au-
torisation du parlement; que la solde d'un
aussi grand nombre d' étrangers était ruineuse,
et qu'elle n'avait d'autre but que de payer les
Francais traitres a leur patrie. Malgré les re-
montrances de l'opposition , qui n'avait jamais
été ni pluséloquente , ni moins nombreuse,
car elle ne comptait pas plus de trente ou
quarante voix, Pitt obtint tout ce qu'il voulut ,




CONVEl'n'IüN NATWNALJ( (1794). 267
et tit sanctionner tous les bills qu'il avait pré-
sentés.


Aussitót que ses demandes furent accordées,
il tit doubler les miliees; il porta l'armée de
terre a soixante mille hommes, celle de mer él
quatre-vingt mille; il organisa de nouveaux
corps d'émigrés, et fit mettre en accusation plu-
sieurs membres des sociétés eonstitutionnelles.
Le jury anglais, garantie plus solide que le par-
lemeut, acquitta les prévenus; mais peu impor-
taita Pitt, qui avait maintenant dans les mains
tous les moyens de réprimer le moiudre mou-
vement politique, et de déployer une puissanee
colossale en Europe.


C'était le rnoment de profiter de cette guerre
uuiverselle pour accahler la France, ¡pour rui-
ner a jamáis sa marine, el lui enlever ses eo-
lonies; résultat beaueoup plus sur e(plus dé-
sirabie aux yeux de Pitt que la répression de
quelques doctrines politiques et religieuses. Il
avait réussi l'année précédente a armer centre
la France les deux puissances maritimes qui au-
raient toujours dú lui rester alliées , I'Espagne
ella Hollancle; il s'attachait a les maintenir dans
leur erreur politique , et aen tirer le plus grand
parti contre la marine francaise. L'Angleterre
pouvait faire sortir de ses ports au mojos cent
vaisseaux de ligne, l'Espague quarante, la Hol-




'é!b8 ILÉVOLllTION FHANYAISE.


laude vingt, sans compter encore une multí-
lude de frégates. Comment la Frauce , avec les
ciuquante ou soixante vaisseaux qui lui res-
taient depuis I'incendie de Toulon, pouvait-
elle résister ade telles forces? Aussi, quoiqu'on
n'eút pas livré encere un seul combat naval, le
pavillon anglais dominait sur la Méditerranée,
sur l'Océan atlantique et la mer des Indes. Dans
la Méditerranée, les escadres anglaises mena-
caient les puissances italiennes qui voulaient
rester neutres, bloquaient la Corse pour nous
l'enlever, et attendaient le moment de débar-
quer des troupes et des munitions dans la
Vendée. En Amérique , elles entouraient nos
Antilles, et cherchaient aprofiter des affreuses
discordes qui régnaient entre les blancs, les
mulátres et les noirs, pour s'en emparer. Dans
lamer '(les Indes , elles achevaient I'établisse-
ment de la puissance britannique, et la ruine
de Pondichéri. Avec une campagne encare,
notre commerce était détruit, que! que fút le
sort de nos armes sur le contiuent. Aiusi rien
n'était plus politique que la guerre faite par
Pitt a la France, et I'opposition avait tort de
la critiquer sous le rapport de l'utilité. Elle
n'aurait eu raison que dans un cas, et ce cas ne
s'est pas réalisé eucore; si la dette anglaise,
contiuuellernent accrue , et devcnuc aujour-




r.O:VVENTIO:'-< NATIOCiALE ('7~}"). 2G9
(¡'hui énorrne , est réellement au-dessus de la
richesse du pays etdoit s'abimer un jour, I'An-
gleterre aura excédé ses rnoyens, et aura en
tort de lutter ponr un empire qui lui aura coúté
ses forces. Mais c'est la un mystere de l'avenir.


Pitt ne se refusait aucune violence pour aug-
menter ses moyens et aggraver les maux de la
France. LesAméricains, heureux sous Washing-
ton, parcouraient lihrernent les mers , et com-
mencaient a faire ce vaste cornmerce de trans-
port qui les a enrichis pendant les longues
gnerres d u continent. Les escadres anglaises
arréraient les navires arnéricains , et enlevaient
les matelots de Ieurs équipages. Plus de cinq
cents vaisseaux avaient déjá subi cette violence,
et c'était l'objet de vives el jusqu'alors inutiles
réclamations de la part du gouvernement amé-
ricain. Ce n'est pas tout encore : a la faveur de
la neutralité , les Américains, les Danois, les
Suédois, fréquentaient nos ports, yapportaient
des secours en grains que la disette rendait
extrémement précieux , beaucoupd'objets né-
cessaires ala marine, et emportaient en retour
les vins et les autres produits que le sol de la
Frauce íournit an monde. Gráce acet intermé-
diaire des neutres, le commerce n'était pas en-
tierement interrompu , et on avait pourvu aux
hcsoins les plus indispensables de la consorn-




270 nÉvoLuTION FRAN(?AISE.


mation. L' Angleterre, considérant la France
comme une place assiégée qu'il faHait affamer
et réduire au désespoir, voulait porter atteinte
a ces droits des neutres, et venait d'adresser
aux cours du Nord des notes pleines de 50-
phismes, pour obtenir une dérogation au droit
des gens.


Pendant que l'Angleterre employait ces
moyens de toute espece , elle avait toujours
quarante mille hommes dans les Pays-Bas , 50US
les ordres du due d'York; lord Moira, qui n'a-
vait pu arriver atemps vers Granville, mouillait
a Jersey avec son escadre et dix mille hornmes
<le débarquement; enfin la trésorerie anglaise
tenait des fonds a la disposition de toutes les
puissances helligérantes.


Sur le continent , le zéle n'était pas aussi
grand. Les puissanees qui n'avaient pas a la
guerre le méme intérét que l' Angleterre, et qui
ne la faisaient que pour de prétendus princi-
pes, n'y mettaient ni la méme ardeur, ni la
méme activité, L'Angleterre s'efforeait de les
ranimer tontes. Elle tenait toujours la Hollande
sous son joug au moyen du prince d'Orange,
et l'obligeait a fournir son contingent dans
l'arrnée coalisée du Nord. Ainsi eette malheu-
reuse nation avait ses vaisseaux et ses régi-
ments au service de sa plus redoutable enne-




CONVENTlON N ATION ALE (1794). 27 r
mie , et contre sa plus süre alliée. La Prusse ,
malgré le mysticisme de son roi, était fort dés-
ahusée des illusions dont on l'avait nourrie
depuis deux ans. La retraite de Champagne en
1792, et celle des Vosges en 1793, n'avaient
ríen en d'encourageant pour elle. Frédéric-
Guillaume , qui venait d'épuiser son trésor ,
d'affaihlir son armée pour une guerre qui
ne pouvait avoir aucun résultat favorable a
:s()n royaume, et qui pouvait servir tout au
plus la maison d'Autriche, aurait voulu y re-
noncer. Un objet d'ailleurs beaucoup plus in-
téressant pOUl· luí l'appelait au Nord : c'était
la Pologne qui se mettait en mouvement , et
dont les membres épars tendaient a se rejoin-
dre, L'Angleterre, le surprenant au milieu de
ces incertitudes, l' engagea acontinuer la guerre
par le moyen tout puissant de son 01'. Elle con-
clut a La Haye , en son nom et en celui de la
HoUande, un traité par lequel la Prusse s'o-
bligeait a fournir soixante - deux mille quatre
cents hommes a la coalition. Cette armée de-
vaitavoir POUl' chef un Prussien , et ses conque-
tes futures devaientappartenir en communaux
deux puissances maritimes , l'Angletene et la
Hollande. En retonr, ces deux puissances pro-
mettaient de fournir cinquante mille livres ster-
Jing par mois a la Prusse pour l'entretien oe




'J.7'J. R'::VOLliTION FnAN(.:.HSJ,:.


ses tronpcs, et de lui payel' de plus le pain et
le fourrage; outre eette somme, elles accor-
daient encore trois cent mille livres sterling,
ponr les premiéres dépenses d'entrée en cam-
pagne, et cent mille pour le retour dans les
états prussiens, A ce prix , la Prusse continua la
guerre impolitique qu'elle avait commencée.


La maison d'Autriehe n'avait plus rien a
empécher en France , puisque la reine, épouse
de Louis XVI, avait expiré sur l'échafaud. Elle
devait , moins qu'aueun autrt!pays, redouter la
contagion de la révolution , puisque trente ans
de discussions politiq nes n'ont pas encore éveillé
les esprits chez elle. Elle ne nous faisait done
]a guerre que par vengeanee, engagement pris,
et désir de gagner quelques places dans les
Pays-Bas; peut-étre aussi par le fol et vague
espoir rl'avoir- une partie de nos provinces, Elle
y mettait plus d'ardeur que la Prusse , mais
pas beaucoup plus d'activité réelle, cal' elle ne
fit que compléter et réorganiser ses régiments,
sans en augmenter le nombre. Une grande
partie de ses troupes était en Pologne, cal' elle
avait , comme la Prusse , un puissant motif de
regarrler en arriere et de songer a la Vistule
autant qu'au Bhin, Les Gallicies ne l'oecupaient
pas rnoins que la Belgique et l'Alsace.


La Suéde et le Danemarck gardaipnt une




CONVENTION NATIONALE (1794). 273
sage neutralité, et répondaient aux sophismes
de I'Angleterre, que le droit public était im-
muable, qu'il n'y avait aucune raison d'y man-
quer envers la Franee, et d'étendre a tout un
pays les lois du blocus, lois applieables seu-
lement aune place assiégée; que les vaisseaux
danois et suédois étaient bien recus en France,
qu'ils n'y trouvaient pas des Barbares, comme
on le disait , mais un gouvernement qui faisait
droit aux demandes des étrangers commer-
c;;ants, et qui avait ponr eux tous les égards
dus aux nations avce lesquelles il était en paix;
qu'il n'y avait done aueune raison d'interrom-
pre des relations avantageuses.En conséquence,
bien que Catherine, toute disposée en faveur'
des projets des Anglais, semblát se prononeer
contre les droits des nations neutres, la Suede
et le Danemarck persisterent dans leurs réso-
lutions, garderent une neutralité prudente et
ferme, et firent un traité par lequcl les deux
pays s'engageaient a maintenir les droits des
neutres , et a faire observer la clause du traité
de 1780, laquelJe fermait la mer Baltiqueaux
vaisseaux armes des puissances qui n'avaient
aucun port dans eette mero La France pouvait
done espérer de reeevoir eneore les grains du
Nord, et les bois et chauvres nécessaires a sa
manne.


, I




~71j 1l¡:;\,OUJTION FHAjH,:,\ISF:.
La Russie , affectant toujours beaucoup d'in-


dignation contre la révolution franeaíse , et
donnant de grandes esperances aux émigrés,
ne songeait qu'a la Pologne , et n'abondait si
fort dans la politique des Anglais que pour ob-
teuir leur adhésion a la sienne. C'est la ce qui
explique le silence de l'Angleterre sur un évé-
nement aussi grand que la disparition d'un
royaume de la scene poli tique. Dans ce mo-
ment de spoliation générale, 011 l'Angleterre
recueillait une si grande part d'avantages dans
le midi de l'Europe el dans toutes les mers , il
lui convenait pen de parler le langage ele la
justice aux eopartageants de la Pologne. Ainsi
la coalition , qui accusait la France d'étre torn-
hée dans la barbarie, commettait au Nord le
brigandage le plus audacieux que se soit ja-
mais permis la politique, en méditait un pa-
reil sur la France , et eontribuait a détruire
pour jamais la liberté des mers.


Les princes allernands suivaient l'impulsion
de la maison c1'Autriche. La Suisse , protégée
par ses montagnes, et dispensée par ses insti-
tutions de se croiser ponr la cause des monar-
ehies, persistait a ne prendre aucun parti, et
couvrait de sa neutralité nos provinces de
I'Est , les moins défeudues de toutes. Elle fai-
sa it sur le continen t ce que les Américains ,


"




CONVENTION NATlONALE (1794)· 275
les Suédois et les Danois, faisaient sur mer; elle
rendait au cornrnerce francais les mémes ser-
vices, et en recueillait la méme réeompense.
Elle nous donnait des chevaux dont nos armées
avaient besoin, des bestiaux qui nous man-
quaierít depuis que la guerre avait ravagé les
Vosges et la Vendée; elle exportait les produits
de nos manufactures, 'et devenait ainsi l'inter-
médiaire du commerce le plus avantageux, Le
Piémont continuait lá guerre. sans doute avec
regret, mais il ne pouvait consentir a mettre
has les armes, aprés avoir perdu deux provin-
ces, la Savoie et Nice, a ce jeu sanglant et
maladroit. Les puissances italiennes voulaient
étre neutres, mais elles étaient fort inquiétées
dans ce projet. La république de Genes avait
vu les Anglais eommettre dans son port un
acte indigne. un véritable attentat au droit des
gens. lls s'étaient emparés d'une frégate fran-
caise qui mouillait a l'ahri de la neutralité gé-
noise, et en avaient massacré l'équipage. La
Toscane avait été obligée de renvoyer le rési-
dent francais. Naples , qui avait reconnu la
république lorsque les escadres franeaises me-
nacaient ses rivages , faisait de grandes dé-
monstrations contre elle depuis que le pavil-
Ion anglais s'était déployé dans la Méditerranée,
et prornettait dix-huit milIe hommes de secours


18.




~\76 HEVOLliTION FHAW;AISE.
au Piérnont. Rome, heureusernent impuissante,
nous maudissait , et laissait égorger dans ses
murs l'agent francais Basseville. Venise enfin ,
quoique peu flattée du langage démagogique
de la Franee, ne voulait nullement s'engager
dans une gllene, et, a la faveur de sa position
éloignée, espérait garder la neutralité. La Corse
était préte a nous éehapper depuis que Paoli
s'était déclaré pour les A'~glais; il ne nous res-
tait plus, dans cette ile, que Hastía et Calvi.


L'Espagne, la moins coupable de tous nos
ennemis, eontinuait une guerre impolitique ,
el persistait a eommettre la rnérne faute que
la Hollande. Les prétendus devoirs des tremes,
les viotoires de Ríeardos et l'inflllellce 3nglaise
la décidérent a essayer encore d'une campa-
gne, quoiqu'elle fút fort épuisée , qu"eUe man-
quat de soklats , el snrtout d'argent, Le céle-
bre Alcudia fit disgracier d' Arauda pour avoir
conseillé la paix.


La politique avait done pell changé depuis
l'année préeédente. Intéréts , crreurs , fautes et
crimcs,étaient, en '794, les mémes qu'en 1793.·
L' Anglelene seule avait augmenté ses forces.
Les coa lisés possédaj.ent toujours dans les
Pays-Bas ceu t cinquante mille hommes , Au-
trichiens , AJlemands, Hollandais et Anglais.
Vingl-cinci OH trente mille Alltl~ichiells étaient




CONHNl'lON NATIONALE (1794). 277
a Luxembourg; soixaute-cinq milI e Prussiens
et Saxons aux environs de Mayence. Cinquante
mille Autrichiens, mélés de quelques émigrés,
hordaientle Rhin, de Manheim a Bále. L'armée
piémontaise était toujours de quarante mille
hornmes et de sept ou huit mille Autrichiens
auxiliaires, L'Espagne' avait fait quelques re-
crues pour recomposer ses bataillons , et avait
demandé des secours pécuniaires au clergé ;
milis son armée n'était pas plus considérable
que l'année précédente, et se bornait tou-
jours a une soixantaine de mille homrnes , ré-
partis entre les Pyrénées occidentales et orien-
tales.


C'est au Nord que ron se proposait de nous
porter les coups les plus décisifs , en s'appuyant
sur Candé, Valenciennes et Le Quesnoy, Le
célebre Mack avait rédigé a Londres un plan
duque! on espérait de grands résultats. Cette
fois, le tacticien allemand, Be montrant UTlpeu
plus hardi , avait fait entrer dans son projet
une marche sur París. Malheureusement, il était
trap tard pour déployer de la hardiesse , car
les Francais ne pouvaient plus étre surpris , et
Ieurs forces étaient irnmenses. Le plan consis-
tait a prendre encore une place, celle de Lan-
drecies , de se gwuper en force sur ce point .
d'arneuer les Prussiens eles Vosges vers la Sam-




'.}. 78 IIÉVOLLJTION FII A:N<;AJSE.
bre, et de marcher en avant en laissant deux
corps sur les ailes, I'UIl en Flandre, l'autre
sur la Sambre. En mérne temps, lord Moira de-
vait débarquer des troupes dans la Vendée , et
aggraver nos dangers par une double marche
sur Paris.


Prendre Landrecies qnand 011 avait Valen-
ciennes, Condé et Le Quesnoy, était nn soin
puéril; couvrir ses eommunications vers la Sam-
bre était fort sage; mais placer un eorps ponr
garder la Flandre était fort inutile, quand il
s'agissait de former une masse puissante d'in-
vasion; amener les Prussiens sur la Sambre
était fort douteux, cornme nous le verrons ; en-
fin, la diversion dans la Vendée était depuis un
an devenue impossible, cal' la grande Vendée
avait péri. On va voir, par la comparaison du
projet avee l'événement, la vanité de ces plans
écrits aLondres".


La coalition n'avait pas, disons-nous, dé-
ployé de grandes ressources. Il n'y avait dans ce
moment que trois puissances vraiment actives
en Europe , I'Anglelerre , la Russie el la France.


,. Ceux qui voudront lire la meilleure discussion poli-
tique et militaire sur ce sujet , n'ont qu'á chercher le mé-
moire critique écrit par le général Jomini sur ceUe carn-
pagnc, et joint a sa grande Histoire des guerres de la
révolution,




CO~VENTION NATlONALE 1.. 1794). 2'79
La raison en est simple; l'Angleterre voulait en-
vahir les mers , la Russie s'assurer la Pologne,
et la France sauver son existence et sa liberté.
11 n'y avait d'énergiques que ces trois grands
intéréts ; il n'y avait de noble que celui de la
Frauce; et elle déploya pOllr cet intérét les
plus grands efforts dont l'histoirefasse mention.


La réquisition permanente, décrétée au mois
d'aoút de l'année précédente, avait déjá pro-
curé des renforts aux armées , et contribué
aux succes qui terminerent la campagne; mais
cette grande mesure ne devait produire tous
ses effets que dans la campagne suivante. Gráce
a ce mouvement extraordinaire, douze cent
mille hommes avaient quitté leurs foyers, el
couvraient les frontieres , ou remplissaient les
dépóts de l'intérieur. On avait commencé J'em-
brigadement de ces nouvelles troupes. On ré-
unissait un bataillon de ligne avec deux batail-
lons de la nouvelle levée , et on formait ainsi
d'excellents régiments. On avait déjá organisé
sur ce plan sept cent mille hommes, envoyés
aussitót sur les frontiéres el dans les places. U
y en avait , les garnisons cornprises , deux cent,
cinquante mine au Nord , quarante dans les Ar-
dennes, deux: cents sur le Rhin et la MoseIle ,
cent aux: Alpes, cent vingt aux: Pyrénées, et
quatre-vingts depuis Cherbourg jusqu'a La Ro-




280 ln:voLuTJON FRANc:,;AISf!.
chelle. Les moyens pour les équiper n'avaieut
été ni moins prompts, ni moins extraordinaires
que pour les réunir. Les manufactures d'armes
établies a Paris el dans les provinces, eurent
bientót atteint le rtegré d'activité qu'on voulait
leur donner, et produit. des quantités éton-
nantes de canons, de fusils et de sabres. Le
comité de salut public, profitant habilement du
caracterefrancais , avait su mettre ala mode la
fabcication du salpétre. Déja, l'année précéden-
te, il avait ordonné la visite des caves pour en
extraire la terre salpétrée. Bientót il fit mieux : il
rédigea une insteuction , modele de simplicité
et de clarté, pour apprendre atous les citoyens
a lessiver eux-mémes la terre des caves. Il paya
en outre quelques ouvriers chirnistes pour leur
enseigner la manipulation. Bientót ce gout s'in-
troduisit; on se transmit les instructions qu'on
avait recues, et chaque maison fournit quelques
livres dece sel précieux. Des quartiers de Paris
se réunissaient pour apporter en pompe a la
convention et aux Jacobins le salpétre qu'ils
avaient fabriqué. On imagina une féte dans la-
quelle chacun venait déposer ses offrandes sur
l'autel de la patrie. On donnait a ce sel des for-
mes emblématiques; on lui prodiguait toutes
sortes d'épithetes : on l'appelait sel vengeur,
sel libérateur. Le peuple s'en amusait , mais il




CONVEIHION NATIONALJC (179,'1). 281
en produisait des quantités considérables , et
le gouvernement avait atteint son but. Un peu
de désordre se mélait naturellement atout cela.
Les caves étaicnt creusées , et la terre, apres
avoir été lessivée, gisait dans les rues qu'elle
emharrassait et dégradait. Un arrété du comité
de salut public mit un terrne a cet abus, et
les terres lessivées furent replacées dans les
caves. Les salins manquaient ; le comité 01'-
donna que toutes les herbes qui n'étaient em-
ployées ni a la nourriture des animaux , ni
aux nsages domestiques ou ruraux , seraient
de suite brúlées , ponr servir á l'exploitation
du salpétre ou étre converties en salins.


Le gouvernement eut l'art d'introduire en-
core une autre mode non moins avantageuse.
Il était plus facile de lever des hommes et de
fabriquer des armes que de trouver des che-
vaux : I'artillerie et la cavalerie~n manquaient.
La guerre les avait rendus rares ; le besoin , et
le renchéris~ement général de toutes choses ,
en augmentaient beaucoup le prix. Il fallut
recourir au granclmoyen desréquisitions , e'est-
a-dire , prendre de force ce qu'un besoin in ...
dispensable exigeait. On leva dans chaque can,
ton un chevalsurvingt-cinq, en le payant neuf
cents franes. Cependant ,quelque puissante
que soit la force, la boune volonté est plus




2tb lUiVOLl;TION !<'HAN<;tUSf:.
efficace encoré. Le comité imagina de se faire
offrir un cavalier tout équipé par les jacobins.
L'exemple fut alors suivi partout. Communes,
clubs, sections, s'empresserent d'offrir a la ré-
publique ce qu'on appela des cavaliers jaco-
bins, tous parfaiternent montés el équipés.


On avait des soldats, il fallait des officiers. Le
comité agit ici avec sa promptitude ordinaire.
« La révolution, dit Barrere , doit tout háter
« pour ses besoins. La révolutíon est al'esprit
« humain ce que le soleil de l'Afrique est a la
« végétation. )} On rétablit l'école de Mars ; des
jeunes gens, choisis dans toutes les provinces,
se rendirent a pied et militaircment, a París.
Campés sous des tentes, aumilieu de la pIaine
des Sablons, ils devaient s'y instruire rapide-
ment dans toutes les parties de l'art de la
guerre, et se ré~andre ensuite dans les armées.


Des efforts non moins grands étaient faits
pour recomposer notre marine. Elle était,
en 1789, de cinquante vaisseaux et d'autant
de frégates. Les désordres de la révoIution, et
les malheurs de Toulon, I'avaient réduite a
une cinquan taine de bátiments , dont trente
au plus pouvaient étre mis en mero Ce qui
manquait surtout , c'étaient les équipages el les
officiers. La marine exigeait des hommes ex-
périmentés; et tous les hommes expérirneutés




CONn;rUION NATIONALl': (1794). 283
étaient incompatibles avec la révolution. La
réforme opérée dans les états-majors de l'ar-
mée de terre, était donc plus inévitable encere
dans les états-majors de l'armée de mer, et
devait y causer une bien plus grande désorga-
nisation, Les deux ministres, Monge et d'AI-
barade, avaient succombé a ces difficultés, et
avaient été renvoyés. Le comité résolut encore
ici l'emploi des moyens extraordinaires. Jean-
Bon-Saint-André et Prieur-de-Ia-Marne furent
envoyés a Brest avec les pouvoirs accoutumés
des commissaires de la convention. L'escadre
de Brest , apres avoir péniblement croisé, pen-
dant qualre mois, le long des cotes de l'Ouest,
pour ernpécher les cornmunications des Ven-
déeus avec les Anglais, s'était révoltée, par
suite de ses longues souffrances. A peine fut-
elle rentrée, que l'amiral Morard de Gales fut
arrété par les représentants, et rendu respon-
sable des désordres de l'escadre. Les équipages
furent entierement décornposés, et réorganisés
ala maniere prompte et violente des jacobins,
Des paysans, qui n'avaient jamais navigué,
furent placés abord des vaisseaux de la répu-
blique, pour tnanceuvrer contre les, vieux ma-
telots anglais ;on éleva de simples officiers
aux plus hauts grades, et le capitaine de vais-
seau , Villaret-Joyeuse, fut promu au comman-




284 nÉVOLUTfON FllANVAfSF:.
dernent de l'escadre. En un mois de temps, une
flotte de trente vaisseaux se trouva préte aap-
pareiller; elle sortit pleine d'enthousiasme , et
aux acclarnations du peuple de Brest , non
pas, il est vrai, pOllr aIler braver les formida-
bles escadres de l'Angleterre, de la Hollande
et de l'Espagne, rnais pour protéger un convoi
de deux cents voiles, apportant d'Arnérique
une quantité considérahle de grains, et pour
se battre aoutrance si le salut du convoi l'exi-
geait. Pendant ce temps, Toulon était le théátre
de créations non moins rapides. On réparait
les vaisseaux échappés a l'incendie , on en
construisait de nou.veaux. Les frais étaient pris
sur les propriétés des Toulonnais qui avaient
contribué alivrer leur port aux ennernis. A dé-
faut des grandes flottes qui étaient en répa-
ration , une multitude de corsaires couvraient
la mer, et faisaient des prises considérables.
Une nation hardie et courageuse, a qui les
moyens de faire la guerre d'ensernble man-
quent, peut tonjours recourir a la gllerre de
détail, et y déployer son intelligence et sa
valeur ; elle fait sur terre la guerre des parti-
sans , sur-mer celle des corsaires, Au rapport
de lordStanhope, nous avions, de 1793 a f 794,
pris quatre cent dix bátiments , tandis que les
Anglais né 11()lH~ en avaient pris que trois cent




CONVENTION N ATION AU (1794). 285
seize. Le gouvernement ne renoncait done pas
a rétablir nos forces, méme sur mero


De si prodigieux travaux devaient porter
leurs fruits, el nous allions recueillir en 1794
le prix des efforts de 1793.


La campagne s'ouvrit d'abord sur les Pyré-
nées et les Alpes. Peu active aux Pyrénées oc-
cidentales, elle devait l'étre davantage sur les
Pyrénées orientales, oú les Espagnols avaient
conquis la Ugne du Tech , el occupaient encore
le fameux camp du Boulou. Ricardos était
mort, et cet habile général avait été remplacé
par un de ses licutenants, le cornte de La Union,
excellent soldat , mais chef médiocre. N'ayant
pas recu encore les nou'\'eaux renforts qu'il
attendait , La Union songeait tout au plus a
garder le Boulou. Les Francais étaient com-
mandéa par le brave Dugomroier, le vainqueur
de TOIlIQl1. Une partie du matériel et des trou-
pes qui luí servirent a prendre cette place,
avaient été transportes devant Perpignan, tan-
dis que les nouvelles recrues s'organisaient
sur les derrieres. Duzommier pouvait mettre
trente-cinq mille hommes en ligue, et profiter
da mauvais état oú se trouvaient actuellement
les Espagnols. Dagobert , toujours ardent mal-
gré son age, proposait un plan d'invasion par
la Cerdague , qui, portant les Francais au-delá




286 RÉVOLUTION ¡"RANQAJS,.:.
des Pyrénées, et sur les derrieres de l'armée
espagnole, aurait obligé celle-ci a rétrograder.
On préféra d'essayer d'abord l'attaque du
eamp du Boulou, et Dagobert, qui était avec
sa di vision dans la Cerdagne, dut attendre le
résultat de eette attaque. Le camp duBoulou,
plaeé sur les bords du Tech, et adossé aux
Pyrénées, avait pour issue la chaussée de Belle-
garde, qui forme la grande route de Franee
en Espagne. Dugommier, au lieu d'aborder de
front les positions ennemies , qui étaient tres-
bien fortifiées, songea a pénétrer par quel-
que moyen entre le Boulou et la ehaussée de
Bellegarde, de maniere a[aire tomber le eamp
espagnol. Tout lui réussit amerveille. La Un ion
avait porté le gros de ses [orces a Céret, et
avait laissé les hauteurs de Saint-Christophe ,
qui dominent le Boulou, mal gardées. Dugom-
miel' passa le Tech, jeta une partie de ses for-
ces vers Saint-Christophe , attaqua avec le reste
le front des positions espagnoles, et, aprés un
eombat assez vif, resta maitre des hauteurs.
Des ce moment, le camp n'était plus tenable ,
il fallait se retirer par la ehaussée de Belle-
garde; mais Dugornmier s'en empara, et ne
Íaissa plus aux Espagnols qu'une route étroite
et diffieile a travers le col de Porteil. Leur re-
traite se ehangea hieutót en déroute. Chargés




CONVENTION N ATIONALE (1794)· 287
avec á-propos et vivacité, ils s'enfuirent en
désordre, et nous laisserent quinze cents pri-
sonniers , cent quarante piéces de canon, huir
cents mulets chargés de leurs bagages, et des
effets de campement pour vingt mille hom-
mes. Cette victoire, rem portée au milieu de
floréal (commencement de mai), nOIlS rendit
le Tech, et nous porta au-dela des Pyrénées.
Dugommier bloqua aussitót Collionre, Port-
Vendre et Saint-Elme , pour les reprendre aux
Espagnols. Pendant cette importante vietoire,
le brave Dagobert, atteint d'une fievre , ache-
vait sa longue et glorieuse carriere. Ce noble
viei!lard, agé de 76 ans, emporta les "egrets
et l'admira tion de l'armée.


Rien n'était plus brillant que notre début
aux Pyrénées orientales; du coté des Pyrénées
occidentales, nous enlevámes la vallée de Bas-
tan, et ces triomphes sur les Espagnols que
nous n'avions pas encare vaincus jusqu'alors ,
exciterent une jaie universelle.


Du coté des Alpes, il nous restait toujours
a établir notre ligne de défense sur la grande
chaine. Vers la Savoie, nous avions, l'année
précédente , rejeté les Piérnontais dans les val-
lées du Piémont, mais il nous restait aprendre
les postes du petit Saint-Bernard el du Mont-
Cenis. Du coté de Nice, l'armée d'Italie cam-




288 ItÉYOLUTION }'RAN(;A ISJ,:.
pait toujours en présence de Saorgio, sans
pouvoir forcer ce formidable camp des Four-
ches. Le général Dugommier avait été rem-
placé par le vieux Dumerbion, brave , mais
presque toujours malade de la goutte. Heu-
reusement, il se laissait entiérement diriger par
le jeune Bonaparte , qui, comme on l'a vu,
avait décidé la prise de Toulon , en couseillant
l'attaque du Petit-Gibraltar. Ce service avait
valu a Bonaparte le grade de général de bri-
gade, et une grande considération dans l'ar-
mée, Apres avoir observé les positions enne-
mies, et reconnu l'impossibilité d'enlever le
camp des Fourches, il fut frappé d'une idée
aussi heureuse que celle qui rendit Toulon a
la république. Saorgio est placé dans la vallée
de la Roya. Parallelement a eette val1ée se
trouve celle d'Oneille, dans laquel1e coule la
Taggia. Bonaparte imagina de jeter une divi-
sion de quinze mille hommes dans la vallée
d'Oneille , de [aire remonter cette division jus-
qu'aux sources du Tanaro, de la porter en-
suite jusqu'au mont Tanarello, qui borde la
Roya supérieure , et d'intercepter ainsi la chaus-
sée de Saorgio, entre le camp des Fourches
el le col de Tende, Par ce moyen, le camp des
Fourches , isolé des grandes Alpes, tombait
nécessairemcnt. II n'y avait qu'une objection




CONHNTION NATION AI,E ('794). 289
it faire a ce plan, c'est qu'il obligeait l'armée
a emprunter le territoirede Genes. Mais la ré-
publique ne devait pas s'enfaire un scrupule ,
cal' I'année précédente deux mille Piérnontais
avaient traversé le territoire g-énois, etétaien t
venus s'embarquer á Oneille pourToulon ; d'ail-
leurs,l'attentat commis par les Anglais sur la
frégate la Modeste, dans le port. méme de Ge-
nes ,était la plus éclatante violation du pays
neutre. Il y avait en outre un grand avantage
aétendre la droite de I'armée d'Iteliejusqu'a
Oneille; on pouvait par la couvrirune partie
de la riviere de Genes, chasser les eorsaires
du petit port d'Oneille oú ils se réfugiaient ha-
bituellement, et assurer ainsi le commeree de
Genes avec le midi de la France. Ce commeree,
qui se faisait par le cabotage, était fort trou-
blépar les. eorsaires et les escadres anglaises.
et il importait de le protéger paree qu'il con-
tribuait a alimenter le Midi en graios. 00 ne
devait done pas hésiter a adopter le plan de
Bonaparte. Les représentants demandérentau
comité de salut public l'autorisation nécessaire,
etl'exécution de ce plan fut aussitótordonnée.


Le 17 germinal (6 avril) , une divisionrle
quatorze mille hommes, partagés en cinq bri-
gades, passa la Roya. Le générai Masséna se
porta sur le mont Tanardo, et Bonaparte-avee


VI. 19




290 RÉVOLUTION FRANYAlSE.
trois hrigades se dirigea sur Oneille, en chassa
une division autrichienne, et y fit son entrée.
Il trouva dans Oneille douze pieces de canon,
et purgea le port de tous les corsaires qui in-
festaientces parages. Tandis que Masséna re-
montait du Tanardo jusqu'a Tanarello , Bona-
parte continua son mouvement, et marcha
d'Oneille jusqu'á Ormea dans la vallée du Ta-
naro. Il y entra le 15 avril ( 28 germinal), et
y trouva quelques fusils, vingt pieces de ca-
non, et des magasins pleins de draps POUl'
l'habillement des troupes. Des que les brigades
francaises furent réunies dans la vallée du Ta-
naro, elles se porterent vers la haute Roya,
pour exécuter le mouvement prescrit sur la
gauche des Piémontais. Le généraI Dumerbion
attaqua de front les positions des Piémontais ,
pendant que Masséna arrivait sur leurs flanes
et sur leurs derriéres. Apres plusieurs actions
assez vives, les Piérnontais ahandon nerent Saor-
gio, et se replierent sur le col de Tende, et en- ;
fin abandonnérent le col de Tende mérne pour
se réfugier aLimone, au-rlelá de la grande
chaine. Tandis que ces choses se passaient dans
la vallée de la Roya, les vallées de la Tinca et
de la Vesubia étaient balayées par lagauche
de l'armée d'Italie ; et bientót apres , l'armée
des grandes Alpes, piquée d'émulation, prit




CONVFNTION NATIONALlc (1794)· 2gT
de vive force le Saint-Bernard et le Mont-Cenis.
Ainsi , des le milieu de floré al ( commencement
de mai ) nous étions victorieux sur toute la
chaine des Alpes, et nous l'occupions depuis
les premiers mamelons de I'Apennin jusqu'au
Mont - Blanc. Notre droite appuyée a Ormea
s'étendait presque jusqu'aux portes de Genes,
couvrait une grande partie de la riviere du
Ponant, et mettait ainsi le commerce al'abri
des pirateries. Nons avions pris trois ou qnatre
mille prisonniers, cinquante ou soixante pie-
ces de canon, beaucoup d'effets d'équipement,
et deux. places forres. Notre début était donc
aussi heureux aux Alpes qu'aux Pyrénées, puis-
que sur les deux points il nous donnait une
frontiere , et une partie des ressources de l' en-
nemi.


La campagne s'était ouverte un peu plus tard
sur le grand théátre de la guerre, e'est-a-dire
au Nord. La, cinq cent mille hommes allaient
se heurter depuis les Vosges jusqu'a lamer. Les
Francais avaient toujours leurs principales for-
ces vers Lille , Guise et Maubeuge. Pichegru
était devenu leur général. Chef de l'armée du


Le


Rhin, I'année précédente, il était parvenu ase
donner l'honneur da déblocns de Landau, qui
appartenait au jeune Hoche; il avait capté la
confiance de Saint-Just , tandis que Hocheétait


19-




29? nÉVOr.UTION FRAN«;;AISE.
jeté en prison, et avait obtenn le eommande-
ment de l'armée du Nord. Jourdan, estimé
eomme général sage, ne fut pas jugé assez
énergique pour conserver le grand comman-
dement du Nord, et il remplaea Hoche a l'ar-
mée de la Moselle. Michaud remplacait Piche-
gru a celle du Rhin. Carnot présidait toujours
aux opérations militaires , et les dirigeait de
ses bureaux.Saint·Justet Lebas avaient été en-
voyés aGuise pour ranimer l'énergie de l'armée.


La nature des lieux commandait un plan d'o-
pérations fort simple, et qui pouvait avoir des
résultats tres-prompts et tres-vastes: c'était de
porter la plus grande masse des forces fran-
caises snr la Meuse, vers Namur, et de mena-
cer ainsi les communications des Autrichiens.
C'est la qu'était la clef du théátre de la guerre,
et qu'elle sera toujours, tant que la guerre se
fera dans les Pays-Bas contre des Autrichiens
venus du Rhin. Toute diversion en Flandre
était une imprudence; cal' si l'aile jetée en
Flandre se trouvait assez forte ponr tenir tete
aux eoalisés, elle ne eontribuait qu'a les re-
pousser de front, sans eompromettre leur re-
traite; et si elle n'était pas assez considérable
pour obtenir des résultats décisifs , les coalisés
n'avaient qu'a la laisser s'avancer dans la West-
Flandre, el pouvaient ensuite l'enfermer et l'ac-




CONVENTfON NATIONALE (1794). 293
culer a la mero Pichegru, avec des connais-
san ces , de l'esprit et assez de résolution, mais
un génie militaire assez médiocre, jugea mal
la position, et Carnot, préoccupé de son plan
de l'année précédente, persista a attaquer di-
recternent le centre de I'ennemi , et a le faire
inquiéter sur ses deux ailes. En conséquence,
la masse principale dut agir de Guise sur le
centre des coalisés, tandis que deux fortes di-
visions , opérant l'une sur la Lys, I'autre sur la
Sambre , devaient faire une double diversion.
Tel fut le plan opposé au plan offensif de Mack.


Cobourg commanrlait toujours en chef les
coalisés, L'empereur d' AlIemagne s'était rendu
en personne dans les Pays-Bas ponr excitar Son
armée, et surtout pour terrniner par sa pré-
sence , les divisions qui s'élevaient achaque
instant entre les généraux alliés. Cobourg ré-
unit une masse d'environ cent mille hommes,
dans les plaines du Cateau, pour bloquer Lan-
drecies. C'était la le premier acle par lequelles
coalisés voulaient débuter, en attendant qu'ils
pllsseut obtenir des Prussiens la marche de la
Moselle sur la Sambre.


Les mouvements comrnencerent vers les der.
niers jours de germinal (mars), La masse en-
nernie , apres avoir repoussé les divisions fran-
caises disséminées devant elle, s'établit autour




29!~ IulvOLUTION FRAN<;AISE.
de Landrecies; le duc d'York fut placé en oh-
servation vers Cambray; Cobourg vers Guise.
Par le mouvement que venaient de faire les
coalisés, les.divisions francaises du centre, ra-
menées en arriere , se trouvaient séparées des
divisions de Maubeuge, qui formaient l'aile
droite. Le 2 floréal ( 21 avril), un effort fut
tenté pour se rattacher a ces divisions de Mau-
beuge. Un combat meurtrier fut livré sur la
Helpe. Nos colonnes, toujours trop divisées,
furent repoussées sur tous les points, et ra-
menées dans les positions d'oú elles étaient
parties,


On résolut alors une nouveIle attaque, mais
g~nérale, au centre el sur les deux ailes. La
division Desjardins , qui était vers Maubeuge,
devait faire un mouvement pour se réunir ala
division Charbonnier, qui venait des Ardennes.
Au centre, sept colonnes devaient agir a la fois
et concentriquement, sur toute la mas se en-
nemie groupée autour de Landrecies.Enfin,
a la gauche, Souham et Morean, partant de
Lille avec deux divisions, formant en tout cin-
quante mille hommes, avaient ordre de s'a-


I vancer en Flandre, et d'enlever SOtiS les yeux
de Clerfayt, Menin et Courtray.


La gauche de l'armée francaise opéra sans
obstacles , car le prince de Kaunitz , avec la




CONVENTION NATIONA.LE (J794). 295
division qu'il avait sur la Sambre, ne pouvait
empécher la jonction de Charbonnier et de Des-
jardins. Les colorines du centre s'ébranlerent
le 7 floréal ( 26 avril ), et marchérent de sept
points différents sur l'armée autrichienne. Ce
systéme d'attaques simnltanées et décousues ,
qui nous avait si mal réussi l'année précé-
dente, ne nous réussit pas mieux cette fois. Ces
colounes , trop séparées les' unes des: autres , ne
purentse, soutenir, et n'obtlnrent StlP aucun
point un avantage .décisif L'une d~ellés', celIe
du général Chappuis , fut. méme. entierement
défaite. Ce général, partí deCambray, se trouva
opposé au duc d'York, qui, avons - nous dit ,
couvrait Landrecies de ce coté. IléparpilIa ses
troupes sur divers points, et se trouva devant
les positions retranchées de Trois-Villes avec
des forces .insuífisantes. Accablé .par le. feu des
Anglais, chargé en flanc par la cavalerie', .il fut
mis en déroute, et sa división dispersée rentra
pele - méle dans Cambray. Ces éohecs .prove-
naient moins de nos troupes que de la mau-
vaise condnite des opérations. Nos jeunes sol-
dats , étonnés quelquefois d'un feu nouveau
pour eux, étaient cependant faciles á conduire
et araroener al'attaque, et iIs déployaient sou-
vent une ardeur et un enthousiasme extraor-
dinaires,




296 n!ivoLUl'IONFllAN<;:AJSE.
Pendant qu'on faisaiteette infructueuse ten-


tative sur le cenere.Iadiversion opérée en Flan-
tire oontre'Clerfayt, réussissait pleinement. Sou-
ham et'Mnreauétaient partis de Lille et s'étaient
portés á-MeninetCourtray, le7 floréal (2.6avril).
Ou sait que ces deux places sont situées ala
suite .l'une.de I'autre sur la Lys. Moreau inves-
tirla premiére, Souham.s'earpara de la seconde.
Clerfayt',: -trompé sur la marche des Francais,
lesoherehait.oú ils n'étaient pas.-Bientót, ce-
pendant¡ :il apprit l'investissement: de Menin
el la,prise de COUl:ttay, et voulutessayer de
nous faire rétrograder en menacant nos com-
munications avec Lille. Le 9 floréal (28 avril) ,
en effet, il se porta aMouctoen .avec dix-huit
mille :~hommes, et vint.is'exposer imprudem-'
ment :mik eoups de' ciuqúantemille: Fram;ais,
qui antaitlDt1pu'Hécras'er 'én's~ repliant, Mo-
reau :et :Souham , .rarnenaut aussitót une partie
(fe Ienrs troupes vers leurs eommunications
menacées , rnarcherent sur Moucroén et réso-
lurent de livrcr bataille a Clerfayr. I1 était
retranché 'sur une position a laquelle on ríe
ponvait parvenir que par cinq défilés étroiis,
défendus par une formidable artillerie. Le JO
floréal (29 ,av~l), l'attaque fut ordonnée. Nos
j eunes soldars , dont la plupart voyaient le feu
púur la premiere fois, n'y résisterent pas d'a-




CONVENTION N A-TIONALE (179!¡)· 297
bord ; mais les généraux et les officíers brave-
rent tous les dangers pour les rállier ; ils y
réussirent, et les positions furent enlevées. Cler-
fayt perdit douze cents prisonniers, dont qua-
tre-vingt-quatre officiers, trente-trois pie ces
de canon, quatre drapeaux et cinq cents fusils.
C'était notre premiere victoire au Nord, et elle
releva singulierement le courage de l'armée.
Menin fut pris irnmédiatement apreso Une di-
vision d'érúigrés , qui s'y '1rouvait renfermée,
se sauva bravement , en se faisant jour le fer a
la main.


Le succes de la gauche et les revers du centre
déciderent Pichegru et Carnot a abandonner
tout-á-fait le centre ponr agir exclusivement
sur les ailes. Pichegru envoya le général Bon-
naudavec vingt mille hommes aSanghien, prés
Lille , afin d'assurer les communications de
Moreau et de Souham. n ne laissa aGuise que
vingt mille hommes sous les ordres du géné-
ral Ferrand , et détacha le reste vers Maubeuge,
pou!' le r-éunir aux divisions Desjardins et
Charbonnier. Ces forces réunies portérent a
cinquante-six mille hommes l'aile droite desti-
née aagir sur la Sambre. Carnot, j llgeant encore
mieux que Pichegru la situation des choses ,
dorma un ordre qui décida le destin de la
campagne. Commencant a sentir que le point




298 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
sur lequel il fallait frapper les eoalisés était
la _Sambre ~t la Meuse, que battus sur cette
ligne, ils étaient séparés de leur base, il 01'-
donna a Jourdan d'amener a lui quinze mille
hommes de l'armée du Rhin, de laisser sur le
versant occidental des Vosges les troupes in-
dispensables pour couvrir eette frontiere , de
quitter ensuite la Moselle, avec quarante-cinq
miUe hommes, et de se porter sur la Sambre a
marches forcées. L'armée de Jourdan,réunie
acelle de Maubeuge, devait former une masse
de quatre-vingt-dix ou cent mille hommes, et
entrainer la défaite des coalisés sur le point dé-
cisif. Cet ordre, le plus beau de la campagne,
celui auquel il faut en attribuer tous les ré-
sultats , partit le JI floréal (30 avril) des bu-
reaux du comité de salut publico


Pendant ce temps, Cobourg avait 'pris Lan-
drecies. N'attachant pas une assez grande irri-
portance ala dé faite de Clerfayt, il se contenta
de détacher le duc d'York vers Lamain, entre
Tournay et Lille.


Clerfayt s'était porté dans la West-Flandre ,
entre la gauche avancée des Francais et la mer ;
de cette maniere, il était encore plus éloigné
qu'auparavant de la grande armée, el du se-
cours que luí apportait le duc d'York. Les
Fraucais échelonnés aLille, Menin et Courtrav,




CONVENTION NATIONALE (1794). 299
formaient une colonne avancée en Flandre ;
Clerfayt, transporté aThielt, se trouvait entre
la mer et cette colonne ; le duc d'York, posté
a Lamain , devant Tournay, était entre eette
colonne et la grande masse coalisée. Clerfayt
voulut faire une tentative sur Courtray, et vint
l'attaquer le 2. T floréal (10 mai). Souham se
trouvait dans ce moment en arriere de Cour-
tray; il fit promptement ses dispositions, revint
dans la place au secours de Vandamme, et,
tandis qu'il préparait une sortie, il détacha
Macdonald et Malbranck sur Menin , pour y
passer la Lys, et venir tourner Clerfayt. Le
combat se livra le 2.2 (11 mai). Clerfayt avait
fitÍt sur la chaussée de Bruges et dans les fau-
bourgs, les meilleures dispositions; mais nos
jeunes réquisitionnaires braverent hardiment
le feu des maisons et des batteries, el apres un
ehoe violent , obligerent Cleefayt a. se retirer.
Quatre mille hommes des deux partís cou-
vrirent le champ de bataille; et si, au lieu de
tourner l'ennemi du coté de Menin , on l'avait
tourné du coté opposé, on aurait pu lui cou-
per sa retraite sur la Flandre.


C'était la seeonde fois que Clerfayt était
battu par notre aile gauche victorieuse. Notre
aile droite, sur la Sambre, n'était pas aussi
heureuse. Commandée par plusieurs généraux,




300 RÉVOI,UTION Fll.AN<.-:AISK


<llli délibéraient en conseil de guerre avec les
représentants Saint-Just et Lebas , elle ne fut
pas aussi bien dirigée que les deux divisions
commandées par Souham et Moreau. Kléber
et Marceau, qu'on y avait transportes de la
Vendée, auraient pu la conduire a la victoire,
mais leurs avis étaiont peu écoutés, Le mouve-
ment prescrit a cette aile droite, consistait a
passer la Sambre pour se diriger sur Mons. Un
premier passage fut tenté le 2.0 floréal (9 mai);
mais les dispositions nécessaires n'ayant pas
été faites sur l'autre rive, l'armée ne put s'y
maintenir, et fut obligée de repasser la Sambre
en désordre. Le 22, Saint-Just voulut tenter
un nouveau passage, malgré le mauvais succes
du prernier. Il eüt bien mieux valu attendre
l'arrivée de Jourdan, qui, ávec ses quarante-
cinq mille hommes , devait rendre les succes
de I'aile droite infaillihles. Mais Saint-Just ne
voulait ni hésitation ni retard; et il faUut obéir
a ce proconsul terrible. Le nouveau passage ne
fut pas plus he ureux. L'arméc franchit une
seconde fois la Sambre; mais, attaquée encore
sur l'autre rive, avant de s'y étre solidement
établie , elle eút été perdue, sans la bravoure


de Marceau el la fermeté de Kléber.
Ainsi, depnis un mois, on se battait de Mau-


bcuge jusqu'á la mer, avec un acharnement in-




CONVENTION NATIONALE (1794). 301
croyahle , et sans succes décisifs. Heureux ala
gauche, nous étions malheureux a la droite ;
mais nos troupes se formaient, et le mouve-
ment habile et hardi prescrit a Jourdan, pré-
parait des résultats immenses.


Le plan de Mack était devenu inexécutable.
Le général prussien Moellendorf refusait de se
rendre sur la Sambre, et disait n'avoir pas
d'ordre de sa cour. Les négociateurs anglais
étaient allés faire expliquer le cabinet prussien
sur le traité de La Haye, et, en attendant, Co-
houng , menacé sur l'une de ses ailes, avait été
obligé de dissoudre son centre a l'exemple de
Pichegru. Il avait renforeé Kaunitz sur la Sam-
bre, et porte le gros de son arméc vers la
Flandre, aux environs de Tournay. Une action
décisive se préparait done a la gauche, cal' le
moment approchaít oii de grandes masses al-
Iaient s'ahorder et se combattre.


On concut alors dans l'état-major autrichien,
un plan qui fut appelé de destruction , et qui
avait poul' but de couper l'armée francaise de
Lille, de l'envelopper et de l'anéantir-, Une pa-
reille opération était possiblc, cal' les coalisés
pouvaient faire agil' pres de cent milIe hommes
contre soixante-dix , mais ils firent des dispo-
sitions siugulieres pour arriver a eebut. Les
Francais étaient toujours distribués eornme il




:So? RÉVOLUTION FJlAN~AISE.
suit : Souham et Morean a Menin et Courtray,
avee einquante mille hommes, et Bonnaud
aux environs de Lille avec vingt. Les coalisés
étaient toujours répartis sur les deux flanes
de cette ligne avancée ; la division de Clerfayt
agauche dans la West-Flandre, la masse des
eoalisés a droite du coté de Tournay. Les coa-
lisés résolurent de faire un effort concentrique
sur Turcoing, qui sépare Menin et Courtray
de Lille. Clerfayt dut y marcher de la West-
Flandre , en passant par Werwick et Lincelles.
Les généraux de Busch, Otto, et le duc d'York
eurent ordre d'y marcher du coté opposé ,
c'est-á-dire de Tournay. De Busch devait se
rendre a Moucroén , Otto a Turcoing méme ,
et le duc d'York , en s'avancant a Roubaix et
Monvaux, donner la main a Clerfayt. Par cette
derniere jonction , Souham et Moreau se trou-
vaient coupés de Lille. Le général Kinsky et
l'archiduc Charles étaient chargés, avec deux
fortes colonnes, de replier Bonnaud dans Lille.
Ces dispositions, pOllr réussir, exigeaient un
ensemble de mouvements impossibles a obte-
nir. La plupart de ces corps, en effet, par-
taient de points extrémement éloignés, et Cler-
fayt avait a marcher au travers de l'armée
francaise.


Ces monvements devaient s'exécuter le 28




CONVlcNl'JON NATlONAJ"E (1794). 303
floréal (] 7 mai). Pichegru s'était porté dans ce
moment a l'aile droite de la Sambre , pour r
réparer les échecs que cette aile venait d'es-
suyer. Souham et Moreau dirigeaient l'armée
en l'absence de Pichegru. Le premier signe
des projets des coalisés Ieur fut donné par la
marche de Clerfayt sur Werwick; ils se por-
terent aussitót de ce coté; mais, en apprenant
que la masse de l'ennemi arrivait du coté op-
posé, et menacait leurs communications, ils
prirent une résolution prompte et habile : ce
fut de diriger un effort sur Turcoing pour s'em-
parer de ceUe position décisive entre Menin et
Lille. Moreau resta avec la division Vandamme
devant Clerfayt, afin de ralentir sa marche, et
Souham marcha sur Turcoing avec quarante-
cinq miUe hommes. Les communications avec
LiLle n'étant pas encore interrompues, on put
ordonner t.L Bonnaud de se porter de son coté
sur Turcoing, et de faire un effort puissant
pour conserver la communication de cette po-
sition avec Lille. Les dispositions des généraux
francais eurent un plein succés, Clerfayt n'a-
vait pu s'avancer que lentement; retardé a
Werwick, il n'arriva pas a Lincelles au jour
convenu. Le générai de Busch s'était d'abord
emparé de Moucroen ; mais il avait éprouvé
ensuite un léger échec, et Otto s'étant morcelé




304 IlÉVOLUTlON FUAN<;:AISE.
pour le secourír, n'était pas resté assez en
forces aTurcoing; enfin le due d'York s'était
avaneé a Roubaix et a Mouvaux, sans voir
venir Clerfayt, et sans pouvoir se lier a luí;
Kinsky et l'archiduc Charles n'arriverent vers
Lille que fort tard dans la journée du 28 (17
mai). Le lendemain matin 29 (18 mai), Souham
marcha vivement sur Turcoing, culbuta tout
ce qui se rencontra devant lui, et s'ernpara de
cette position importante. De son coté, Bon-
naud , marchant de Lille sur le duc d'York , qui
devait s'ínterposer entre cette place et Tur-
coing, le trouva morcelé sur une ligne éten-
dne. Les Anglais, quoique surpris, voulurent
résister, mais nos jeunes réquisitionnaires ,
marchant avec ardeur, les obligerent a céder,
et afuir en jetant leurs armes. La déroute fut
telIe, que le duc d'York,courant atoute bríde,
ne dut son salut qu'a la vitesse de son cheval.
Des ce moment la confusion devint générale
chez les coalisés, et l'empereur d' Autriche, des
hauteurs de Templeuve, vit toute son armée
en fuite. Pendant ce temps, I'archiduc Charles,
mal avertí, mal placé, demeurait inactif au-
dessous de Lille , et Clerfayt, arrété vers la
Lys, était réduit a se retirer. Telle fut l'issue
de ce plan de destruction. Il nous valut plu-
sieurs rnilliers de prisonniers, beaucoup de




CONVENTION NATION ALE (1 79!l)' 305
matériel , et le prestige d'une grande victoire
remportée avec soixante-dix mille hommes sur
prés de cent mille.


Pichegru arriva lorsque la bataiUe était ga-
gnée. Tous les eorps coalisés se replierent sur
Tournay, et Clerfayt, regagnant la Flandre ,
reprit sa position de Thielt. Pichegru profita
mal de eette importante victoirc. Les coalisés
s'étaieut groupés pres de Tournay, ayant leur
droite appuyée a l'Escaut, Le général francais
voulut faire enlever quelques fourrages qui
remontaient l'Escaut , el fit combattre toute
l'arrnée pour ce but puéril. S'approchant du
fleuve , il resserra les coalisés dans leur posi-
tiou demi-circnlaire de Tournay. Bientót tous
ses eorps se trouverent successivement engagés
sur ce demi-cercle. Le combat le plus vif fut
livré a Pont-a-Chin , le long de I'Escaut. Il y
eut pendant douze heures un carnage affreux,
et sans auenn résultat possible. Il périt des
deux cótés sept a huit mille hommes. L'armée
franeaise se replia apres avoir brúlé quelques
bateaux, et en perdant une partie de l'ascen-
dant que la bataille de Turcoing lui avait valu,


Cependant nous pouvions nous considérer
eomme victorieux en Flandre, et la nécessité
oú se trouvait Cobourg de porter des renforts
ail1eurs, allait y remire notre supériorité plus


VL 20




306 RÉVOLUTWN FRAN~AJSf:.
décidée. Sur la Sambre, Saint-Just avait voulu
opérer un troisieme passage, et investir Char-
leroi; mais Kaunitz, renforcé, avait fait lever le
siége au moment rnérne oú , par bonheur, Jour-
dan arrivait avec toute l'armée de la Moselle.
Des ce moment quatre-vingt-dix mille hornmes
allaient agir sur la ligne véritable d'opérations,
et terminer les hésitations de la victoire. Au
Rhin, il ne s'était rien passé d'important. Seu-
lement, le général Moel1endorff, profitant de la
diminution de nos forces sur ce point , nous
avait enlevé le poste de Kayserlautern, mais il
était rentré dans l'inaction aussitót apres cet
avantage. Ainsi , des le mois de prairial (fin de
mai), et sur tonte la ligne du Nord, nous avions
non-seulement résisté ala coalition, mais trio m-
phé d'elle en plusieurs rencontres; nous avions
remporté une grande victoire, et nous HOUS
avancions sur deux ailes dans la Flandre et
sur la Sambre. La perte de Landrecies n'était
rien aupres de ces avantages, et de ceux que
la situation présente nous assurait.


La guerre de la Vendée n'avaitpas entiere-
ment fini aprés la déroute de Savenay. Trois
chefs s'étaient sauvés, Larochejacquelein, Stof.
fIet et Marigny. Outre ces trois chefs, Cha-
rette, qui, au lieu de passer la Loire, avait
pris l'ile de Noirmoutiers , restait dans la Basse-




'CONVENTION NATIONAU: ('794). 307
Vendée. Mais cette guerre se bornait mainte-
nant a de simples escarmouches, et n'avait
plus rien d'inquiétant pour la république. Le
général Turrean avait recu le commandement
de I'Ouest. Il avait partagé l'armée disponible
en colonnes mobiles qui parcouraient le pays,
en se dirigeant concentriquement sur un mérne
point; elles battaient les bandes fugitives, et,
quand elles n'avaient pas a se battre ,elles
exécutaient le décret de la convention , c'est-
a-dire , brülaient les foréts et les villages, et
enlevaient la population pour la transporter
ailleurs. Plusieurs engagements avaient eu lieu,
mais sans grands résultats. Haxo , apres avoir
repris sur Charelte les iles de Noirmoutiers et
de Bouin, avait espéré plusieurs fois se saisir
de lui; mais ce partisan hardi lui échappait
toujours et reparaissait bientót sur le champ
de bataille, avec une constance non moins
admirable que son adresse. Cette, malheureuse
guerre n'était plus désormais qu'une guerre de
dévastation. Le général Turreau fut contraint
de prendre une mesure cruelIe, c'était d'or-
donner aux habitants des bourgs d'abandon-
ner le pays, souspeine d' étre traités en enne-
mis s'ils y restaient. Cette mesure les réduisait
ou a quitter le sol sur lequel ils avaient tous
leurs moyens d'existence, 0\1 a se soumettre


2 ;J.




308 nÉVOLUTlO;'; FRAN0ArsF.
aux exécutions militaires, Tels sont les inévi-
tables maux des guerres civiles.


La Bretagne était devenue le théátre d'un
nouveau genre de guerre, la guerre des
Chouans. Déja cette province avait montré
quelques dispositions a imiter la Vendée; ce-
pendant le penchant a s'insurger n'étant pas
aussi général, quelques individus seulement ,
profitant de la nature des lieux, s'étaient li-
vrés a des briganclages isolés, Bientót les dé-
bris de la colonne vendéenne qui avait passé
en Bretagne accrurent le nombre de ces par-
tisans. Leur principal établissement était dans
la forét du Perche, et ils parcouraient le pays
en troupes de quarante ou cinquante, attaquant
quelquefois la gendarmerie, faisant contribuer
les perites cornmunes, et commettant ces dés-
ordres au nomde la cause royale et catholi-
que. Mais la véritable guerre était finie , et il ne
restait plus qu'á déplorer les calamites partí-
culiéres qui afflígeaíent ces malheureuses pro-
vrnces.


Aux colonies et sur mer, la guerre n'était
pas moins active que sur le continent. Le riche
établissernent de Saint -Domingue avait été le
théátre des plus grandes horreurs dont l'his-
toire fasse mention. Lesblancsavaientembrassé
avec enthousiasme la cause de la révolution,




CONVENTION NAl'IONAI.E (~794)· 309
qui, selon eux , devait amener leur indépen-
dance de la métropole; les mulátres ne l'avaient
pas embrassée avec moins de chaleur, mais ils
en espéraient autre chose que l'indépendance
politiquc de la colonie, et ils aspiraient aux
droits de bourgeoisie qu'on leur avait toujours
refusés. L'assemblée constituante avait recounu
les droits des mulátres ; mais les blancs, qui ne
voulaient de la révolution que pon!' eux , s'é-
taientalors révoltés, etla guerre civileavait com-
meneé entre l'ancienne raee des hommes libres
et les affranehis. Profitant de cette gllerre, les
negres avaient paru aleur tour sur la scene , et
s'y étaient annoneés par le feu et le sango Ils
avaient égorgé leurs maitres el incendié leurs
propriétés, Des ce moment, la colonie se trouva
livrée a la plus horrible confusion ; chaque
parti reprochait a l'autre le nouvel ennemi qui
venait de se présenter , et l'accusait de lui avoir
donné des armes. Les negres , sans se ranger
encore pour aucune cause, ravageaieut le pays.
Bientór eependant, excités par les envoyés de
la partie espagnole, ils prétendirent servir la
cause royale. Pour ajouter encore a la confu-
sion, les Anglais étaient intervenus. Une partie
des blanes les avaient appelés dans un moment
de danger, el leur avaient cédé le fort irnpor-
tant de Saint-Nicolas. Le cornmissaire Santho-




310 ltÉVOLUTION FRANl.jAISE.
nax, aidé surtout des mulátres et d'une partie
des blancs , résista a l'invasion des Anglais, et
ne trouva enfin qu'un moyen de la repousser:
ce fut de reconnaitre la liberté des negres qui
se déclareraient pour la république. La con-
vention avait confirmé cette mesure et proclamé
par un décret tous les IH~gres libres. Des cet
instant, une portien d'entre eux, qui servaient
la cause royale, passerent du coté des répu-
blicains; et les Anglais, retranchés dans le fort
de Saint- Nicolas, n'eurent plus aucun espoir
d'envahir cette riche possession , qui " long-
temps ravagée, devaít enfin n'appartenir qu'á
elle - mérne. La Guadeloupe , aprés avoir été
prise et reprise, IlOUS était en fin restée ; mais
la Martinique était définitivement perdue.


Tels étaient les désordres des colonies, Sur
l'Oeéan se passait un événement important;
e'était l'arrivée de ce convoi d'Amérique si im-
patiemment attendu dans nos ports. L'escadre
de Brest, au nombre de trente vaisseaux, était
sortie , comme on l'a vu, avec l'ordre de croi-
ser, et de ne combattre q.e dans le cas oú le
salut du convoi l'exigerait impérieusement.
Nous avons déja dit que Jean-Bon-Saint-André
était a bord du vaisseau amiral; que Villaret-
Joyeuse avait été fait de simple capitaine, chef
d'escadre ; que des paysans n'ayant jamais vu




CONVIlNTIO.N NATlO.NALt: (1794). 31 I
la mer, avaient été placés dans les équipages;
erque ces matelots, ces officiers , ces amiraux
d'un jour, étaient chargés de lutter contre la
vieille marine anglaise. L'arniralVillaret-Joyeuse
appareilla le I er prairial ( 20 mai), et fit voile
vers les Hes Coves et Flores pour attendre le
convoi, Il prit en route beaucoup de vaisseaux
de commerce anglais, et les capitaines lui di-
saient : Vous nous prenez en détail , mais l'a-
miral Hocoe va vous prendreen gros. En effet,
cet amiral croisait sur les cotes de la Bretagne
et de la Normandie, avec trente-trois vaisseaux
et douze frégates. I ..e 9 prairial (28 mai ), I'es-
cadre francaise aper<;ut une flotte, Les équi-
pages impatients regardaient grossir al'horizon
ces points noirs ; et, lorsqu'ils reconnurent les
Anglais, ils pousseren t des cris d'enthousiasme,
et demanderent le combat avec eette chaleur
de patriotisme qui a toujours distingué nos ha-
bitants des cotes. Quoique les instructions don-
nées au général ne lui permissent de se battre
que ponr sauver le convoi, cependant Jean-
Bon-Saint-André, entrainé lui-mérne par l'en-
thousiasme universel, consentir au combat, et
fit donner l'ordrede s'y préparer. Vers le soir,
un vaisseau de l'arriére-garde , le Révolution-
naire, qui avait diminué de voiles, se trouva
engagé centre les Anglais, fit une résistance




31:1 lIÉVOLUTION l-'RAN~AISE.
opiniátre , perdit son capitaine , et fut obligé
de se faire remorquer a Rochefort. La nuit
empécha l'action de devenir généraie.


Le lendemain 10 (29 mai), les deux escadres
se trouverent en présence. L'amiral anglais
manoeuvra contre notre arriere-garde. Le mou-
vement que nous firnes pour la protéger, amena
l'engagement général. Les Fraucais ne manoeu-
vrant pas aussi bien, deux de leurs vaisseaux,
l' lndomptable et le Tyrannicide , se trouverent
en présence de forces supérieures, et se batti-
rent avec un courage opiniátre. Villaret-Joyeuse
don na l'ordre de secourir les vaisseaux enga-
gés; mais ses ordres n'étant ni bien compris,
ni bien exécutés , il se porta seul en avant, au
risque de n'étre pas suivi. Cependant il le fut
hientót aprés : toute notre escadre s'avanca sur
l'escadre ennemíe , et l'obligea de reculer. Mal-
heureusement nous avions perdu l'avantage du
vent ; nous fimes un feu terrible sur les An-
glais, mais nous ne púmes pas les poursuivre.
Il HOUS resta cependant les deux vaisseaux et
le champ de bataille.


Le JI et le 12 (30 et 31 mai) , une brume
épaisse enveloppa les deux arrnées navales. Les
Francais tácherent d'entrainer les Anglais au
nord et a l'ouest de la route que devait suivre
le convoi. Le 13, la brume se dissipa ; un soleil




CONVliNTION NATIONALE (1794). 313
éclatant éclaira les deux flottes, Les Francais
n'avaient plus que vingt-six vaisseaux , tandis
que leurs ennemis en avaient trente-six ; ils
demandaient de nouveau le combat, et il con..
venait de céder a leur ardeur ponr occuper
les Anglais, et les éloígner de la route du
convoi, qui devait passel' sur le champ de ba-
taille du 10.


Ce combat, l'un des plus mémorables dont
l'Océan ait été le térnoin , commen«;;a a neuf
heures du matin, L'amiral Howe s'avanca pour
couper notre ligne. Une fausse manoeuvre du
vaissean la Montagne lui permit d'y pénétrer,
d'isoler notre aile gauche, et de l'accabler de
toutes ses forces. Notre droite et notre avant-
garde resterent isolées. L'arniral voulait les ral-
lier a lui pour se reporte!' sur l'escadre an-
glaise, mais il avait perdu l'avantage du vent,
et resta cinq henres sans pouvoir se rapprocher
du charnp de bataille. Pendant ce temps , les
vaisseaux engagés se battaient avec un héroísme
extraordinaire. Les Anglais, supérieurs dans la
manoeuvre , perdaient leurs avantages dan s les
luttes de vaisseau a vaisseau , trouvaient des
feux terribles et des abordages formidables.
C'est au milieu de cette action acharnée, que le
vaisseau le Fengeur, démáté , amoitié détruit ,
et prét acouler, re fusa d'amener son pavillon,




314 RÉVOLUTION }'RAN9AISF..
au risque de s'ahimer sous les eaux. Les An-
glaís cesserent les premiers le feu, et se retire-
rentétonnés d'une pareille résistance. Ils avaient
six de nos vaisseaux. Le Iendernain , Villaret-
Joyeuse, ayant réuni son avant- garde et sa
droite, voulait fondre sur euxet leur enlever
leur proie. Les Anglais, fort eudommagés, nous
auraient peut-étre cédé la victoire. Jean- Bon-
Saint- André s'opposa a un nouveau combat
malgré l'enthousiasme des équipages. Les An-
glais pllrent done regagner paisiblement lenrs
ports; ils y rentrerent épouvantés de leur vic-
toire , et pleins d'admiration pour la bravoure
de nos jeunes marins, Mais le but essentiel de
ce terrible combat était rempli. L'amiral Veus-
tabel avait traversé , pendant eette journée
du 13, le champ de bataille du 10, l'avait
trouvé eouvertde débris, et était entré heu-
reusement dans les ports de France.


Ainsi , victorieux aux Pyrénées el aux Alpes,
menacants dans les Pays-Bas , héroiques sur
mer , et assez forts ponr disputer chérement
une victoire navale aux Anglais, nous com-
mencions l'année 94 de la maniere la plus
brillante el la plus glorieuse.




CONVMTJON NATIONAL.E (17941. 315


CHAPITRE VI.


Situation intérieuro au commencement de l'année 1794.
- Travaux admiuistratifs du comité. - Lois de finan-
ces. Capiralisation des rentes viagéres, - État des pri-
sonso Persécutions politiques. Nombreuses exécutions.
- Tentative d'assassinat sur Robespierre et Collot-
d'ilerbois. - Domination de Robespierre. - La secte
de la mere de Dieu, - Des divisions se manifestent
entre les comités. - Féte a l'E:tre supréme. - Loi du
2.2. prairial réorganisant le tribunal révolutionnnirev--c-
Terreur extreme. Grandes exécutions aParis, Missions
de Lchon , Carrier et Maignet; cruautés atroces com-
mises par eux. Noyades dans la Loire. - Rupture entre
les chefs du comité de salut puhlic; retraite de Robes-
piert'e.


TANDlS qu'au dehors la république était vic-
torieuse , son état intérieur n'avait pas cessé
d'étre violento Ses maux étaient toujours les




316 RÉVOLnTIOLY FIlANºAISF..
mémes : c'étaient les assignats , le maximum ,
la rareté des subsistances , la loi des suspects,
les trihunaux révolutionnaires.


Les embarras résultant de la nécessité de ré-
gler tous les mouvernents du commerce n'a-
vaient fait que s'accroitre. On était obligé de
modifier sans cesse la Joi du maximum; íl
fallait en excepter tantót les fils retors et Ieur
accorder dix pour cent au-dessus du tarif; tan-
tót les épíngles, les hatistes , les linons, les
mousselines, les gazes, les dentelles de 61 et
de soie , les soies et les soieries. Mais tandis
qu'il fallait excepter du maximum une fonle
d'objets , il en était d'autres qu'iJ devenait ur-
gent d'y sournettre. Ainsi , le prix des chevaux
étant devenu excessif, on n'avait pu s'ernpécher
d'en déterminer la valeur suivant la taille et la
qualité. De ces moyens résultait toujours le
méme inconvénient. Le cornmerce s'arrétait
et fermait ses marchés , ou bien s'en ou vrait de
clandestins ; et ici I'autorité devenait impuis-
saute, Si par les assignats elle avait P" réaliser
la valeur des biens natiouaux , si par le maxi-
mum elle avait pu mettre les assignats en rap-
port avec les marchandises, il n'y avait aucun
moyen d'empécher les marchandises de se sup-
primer OH de se cachet' aux acheteurs. Aussi
les plaintes ne cessaient de s'élever contre les




CONVENTJON NATIONALl: (1794). 317
marchands qui se retiraient, ou qui fermaient
leurs magasins.


Cependant l'état des subsistances causait
rnoius d'inquiétude cette année. Les convois
arrivés du nord de l'Amérique, et une réeolte
abondante , avaient fourni une quantité suffi-
sante de graios pOllr la consornmation de la
France. Le comité, administrant toutes choses
avec la méme vignenr, avait ordonné que le
recensement de la récolte serait fait par la
commission des subsistances , et qu'une partie
des grains serait hattue sur-le-champ ponr
snffire aux approvisionnements des marchés.
On avait eu quelque craintc de voir les mois-
sonneurs errants qui se déplacent pour se
rendre dans les provinces a grain, exiger des
salaires extraordinaires; le comité déclara que
tous les cítoyens et citoyennes connus ponl'
s'employer aux travaux des récoltes étaient
en réquisition forcée, et que leurs salaires se-
raient déterminés par les autorités locales.
Bientót des gar<;;ons bouchers et boulangers
s'étant mutinés, le comité prit une mesure plus
générale, et mit en réquisition les onvriers de
toute espeee, qui s'employaient a la manipu-
lation , au transport el au débit des marchan-
dises de premiere nécessité. .


Les approvisionnernents en viande étaient




:)18 nÉVOLlJTION FRANt;?AISE.
beaucoup plus difficiles et plus inquiétants.
On en manquait surtout aParis; et, depuis le
moment oú les hébertistes avaient voulu se
servir de cette disette pour exciter un monve-
ment , le mal n'avait fait que s'accroitre. On
fut obligé de mettre la ville de Paris a la ra-
tion de viande. La cornmission des subsistances
fixa la consommation journaliere a soixante-
quinze boeufs , cent cinquante quintaux de
veau et de mouton , et deux cents cochons.
Elle se procurait les bestiaux nécessaires , et
les envoyait al'hospice de I'Humanité , qui était
désigné comme l'abattoir commun, et comme
le seul autorisé. Les bouchers nommés par
chaque section venaient y chercher la viande
qui leur était destinée, et en recevaient une
quantité proportionnée a la population qu'ils
avaient aservir. Tous les cinqjours, ils devaient
distribuer achaque famille une derni-livre de
viande par tete. On employait encore ici la res·
so urce des cartes, délivrées par les comités ré-
volutionnaires, pour la distribution du pain,
et portant le nombre d'individus dont se com-
posait chaque famille. Pour éviter les tumultes
et les longues veilles , défense était faite de se
rendre avant six heures du matin ala porte des
bouchers.


L'insuffisance de ces réglements se Iit bientót




CONVENTlON NA'I'IONALE (1794). 319
sentir; déja il s'était établi, eomme nous I'avons
dit ailleurs, des boueheries clandestines. Le
Hombre en devint tous les jours plus gralld. Les
hestiaux n'avaient pas le temps d'arriver aux
rnarchés de Neubourg, Poissy et Sceaux; les
houchers des campagnes les devancaient , et
venaient les acheter dans les herbages mérne.
Profitant de la négligence des comrnunes ru-
rales dans l'exécution de la loi , ces bouchers
vendaient au-dessus du maximum, et fournis-
saient tous les habitants des grandes commu-
nes , et particuliérernent ceux de Paris, qui ne
se contentaient pas de la demi-Iivre distrihuée
tous les cinq jours. De eette maniere, les bou-
chers de campagne absorbaient le commerce
de ceux des villes , qui n'avaient presque plus
rien a faire depuis qu'ils étaient bornés a dis-
tribuer les rations, Plusieurs d'entre eux de-
manderent mérne une loi qui les autorisát a
résilier les baux de leurs boutiques. Il fallut
alors porter de nouveaux réglernents pour em-
pécher que les bestiaux fussent détournés des
marchés ; el on obligea les propriétaires d'her-
bages a des déclarations et él des formalités
extrémement genantes. On fut forcé de des-
cendre ades détails bien plus minutieux encore;
le bois et le charbon n'arrivant plus, a cause
du maaiimum , ce qui donnait lieu a des soup-




320 RÉVOLUTION FRAN9AISE.


cons d'accaparement, on défendit d'avoir chez
soi plus de quatre voies de bois , el plus de
deux voies de charbon.


Le nonveau gouvernement suffisait avec une
activité singuliere a toutes les difficultés de la
carriere oú il se trouvait engagé. Tandis qu'il
rendait ces réglements si multipliés, il s'occu-
pait de réformer l'agriculture, de changer la
législation du fermage, ponr diviser l'exploita-
tion des terres; d'introduire les nouveaux asso-
Jements, les prairies artificielles et l'éducation
des bestiaux; il déerétait I'institution de jar-
dins botaniques, dans tous les chefs-lieux de
départernent , pour naturaliser les plantes exo-
tiques, former des pépinieres d'arbres de toute
espece , et ouvrir des cours d'agrieultnre a
l'usage et a la portée des eultivateurs; il or-
donnait le desséchement' général des marais ,
d'apres un plan vaste et bien con~u; il décidait
que l'état ferait les avances de eette grande
entreprise , et que les propriétaires dont les
terres seraient desséchées et assainies paieraient
un droit , ou céderaient leurs terres moyennant
un prix déterminé; enfin, il engageait tous les
architectes a présenter des plans ponr rebatir
les villages en démolissant les cháteaux ; il 01'-
donnait des embellissements pour rendre le
jardín des Tuileries plus cornmorle au public;




CONVENTION NATIONALE (1 79(1). 3~.H
il demandait a tous les artistes un projet pour
changer la salle d'Opéra en une arene couverte,
011 le peuple s'assemblerait en hiver.


Ainsi done, il exécutait ou du moins essayait
presquc tout a la fois; tant il est vrai que c'est
lorsqu'on a le plus a faire, qu'on est le plus
capable de beaucoup faire! Le soin des finan ces
n'était pas le moins difficile et le moins in-
quiétant de tous. On a vu quelles ressources
furent imaginées, au mois d'aoút 1793, pour
remettre les assignats en valeur , en les reti-
rant en partie de la circulation. Le milliard
retiré par l'emprunt forcé, et les victoires qui
terrninérent la campagne de 1793, les releve-
rent, et, cornme nous J'avons dit ailleurs , ils
remonterent presque au pair, grace aux lois
terribles qui rendaient la possession du nu-
méraire si dangereuse. Cependant eette appa-
rente prospérité dura peu; les assignats retom-
berent hientót , et la quantité des émissions
les déprécia rapidement, Il en rentrait bien
une partie par les ventes des biens nationaux,
mais cette rentrée était insuffisante. Les hiens
se vendaient au-dessus de I'estirnation , ce qui
n'avait rien d'étonnant , cal' l'estimation avait
été faite en argent, et le paiement se faisait en
assignats. De cette maniere, le prix était réel-
lernent fort au-dessous de l' estimation quoi-


VI. 21




322 nÉvoLUTlON FRANI,fAISF:.


qu'il parút étre au - dessus. D'ailleurs, cette
absorption des assignats ne pouvait étre que
lente, tandis que l'émission était nécessaire-
ment immense et rapide. Douze cent mille
hommes a solder et a armer, un matériel a
créer, une marine a construire, avec un papier
déprécié , exigeaient des quantités énormes
de ce papier. Cette ressource étant devenue la
seule, et le capital des assignats, d'ailleurs ,
s'augmentant chaque jourpar les confiscations,
on se résigna a en user autant que le besoin
le réclamerait. On abolit la distinction entre la
caisse de l'ordinaire etde l'extraordinaire, l'une
réservée au produit des irnpóts, I'autre a la
création des assignats. On confondit les deux
natures de ressources, et chaque fois que le
besoin l'exigeait, on suppléait au revenu par
des émissions nouvelles. Au commencement
de 1794 (an I1), la somme totale des émissions
s'était accrue du double. Pres de quatre mil-
liards avaient été ajoutés ala somme qui existait
déja , et l'avaient portée a environ huit mil-
liards. En retranchant les sommes rentrées et
hrúlées , et ceHes qui n'avaient pas encore été
dépensées, il restait en circulation réelle cinq
milliards cinq cent trente-six millions. On dé-
créta, en messidor an II (juin 1794), la créa-
tion d'un nonveau milliard d'assignats de toute




CONVENTION NATIONAL'F. (1794). 323
valeur, depuis 1,000 franes jusqu'á 15 sous,
Le comité des financcs eut encare recours a
l'emprunt forcé sur les riches. On se servit des
roles de l'année préeédente, et on imposa a
ceux qui étaient portés sur ces roles une con-
tribution extraordinaire de guerre, du dixiéme
de l'emprunt forcé, c'est-á-dire de cent millions.
Cette somme ne leur fut pas imposée a titre
d'emprunt remboursable , mais atitre d'impót
qui devait étre payé par eux sans retour.


Pour compléter l'établissement du grand-
livre, et le projet d'uniformiser la dette publi-
que, iI restait a capitaliser les rentes viageres,
et a les convertir en une inscription. Ces rentes
de toute espece et de toute forme étaient 1'0b-
jet de l'agiotage "le plus compliqué; comme
les anciens coutrats sur l'état , elles avaient l'in-
convénient de reposersur un titre royal, et
d'obtenir une préférence marquée sur les va-
Ieurs républicaines; cal' on se disait toujours
que si la république eonsentait a payer les
dettes de la monarchie, la monarchie ne con-
sentirait pas a payer celles de la république.
Cambon acheva done son grand ou,vrage de
la régénération de la dette, en proposant et
en faisant rendre la loi qui capitalisait les rentes
viageres, les titres devaient étre remis par les
notaires, et brülés ensuite, comme l'avaient été


21.




324 RÉVOLUTION FU ANc;A rsn.
les contrats. Le capital fourni autrefois par le
rentier était converti en une inscription , et por-
tait un intérét perpétuel de cinq pour cent, au
lieu d'un revenu viager. Cependant, par égard
pour les vieillards et les rentiers peu fortunés,
qui avaient voulu douhler Ieurs ressources en
les rendant viageres , on conserva les rentes
modiques, en les proportionnant a I'áge des
individua, De quarante a einquante ans, on
laissa exister toute rente de quinze cents adeux
mille franes; de cinquante a soixante, toute
rente de trois mille a quatre milIe; et ainsi de
suite jusqu'a l'áge de eent ans, et jusqu'á la
sornme de 10,500 franes. Si le rentier eomprís
dans les eas ci-dessus , avaít une rente supé-
rieure au taux désigné, le surplus était capi-
talisé. Certes, on De pouvait garder plus de
ménagements pour les fortunes médiocres et
la vieillesset cependant aucune loi ne donna
lieu :i plus de réclamations et de plaintes, et
la convention essuya , pour une mesure sage
et ménagée avee humanité , plus de hlárne que
pour les mesures terribles qui signalaient cha-
que jour sa dictature. Les agioteurs étaient fort
eontrariés, paree que la loi exigeait, pour re-
connaitre les créanees, les certifieats de vie.
Les porteurs de titres d'émigrés ne pouvaient
pas se procurer aisément ces eertifieats; anssi




CONVENTION NA.TIONAH (1794). 325
les agíoteurs, qui étaient lésés par eette con-
dition , firent de grandes déclamations au nom
des vieillards et des infirmes; ils disaient qu'on
ne respectait ni l'age ni l'indigence ; ils persua.
daient aux rentiers qu'ils ne seraient pas payés,
paree que l'opération et les formalités qu'elle
exigeait entraineraient des délais intermina-
bies; eependant il n'en fut rien, Cambon fit
modifier quelques clauses du décret, et, veil-
lant sans cesse a la trésorerie, y fit exécuter
le travail avec la plus grande promptitude. Les
rentiers qui n'agiotaient pas sur les titres d'au-
trui , et qui vivaient de leur propre revenu,
furent payés promptement;et, eomme dit Bar-
re re , au lieu d'attendre leur tour de paiement,
dans des eours décou vertes , et exposés a l' in-
tempérie des saisons, ils l'attendaient dans les
salles chaudes et couvertes de la trésorerie.


A coté de ces réformes utiles, les cruautés
continuaient d'avoir leur cours. La loi qui ex-
pulsait les ex-nobles de Paris, des places fortes
et maritimes, donnait lieu aune foule de vexa-
tions, Distinguer les vrais nobles, aujourd'hui
que la nohlesse était une calamité , n'était pas
plus facile qu'a l'époque oú elle avait été une
prétention. Les roturiéres mariées a des no-
bIes, et devenues veuves, les acheteurs de
charges qui avaient pris le titre d'écuyers, ré-




326 RÉVOLUTION FltAN~AIS};.
clamaient pour étre exemptés d'une distinction
qu'ils avaient autrefois avidement recherchée.
Cette loi ouvrait done une nouvelle carriére a
l'arbitraire etaux vexations les plus tyranniques.


Les représentants en mission exercaient Ieur
autori té avec la derniére"rigueur , et quelques-
uns se livraient a des cruautés extravagantes
et monstrueuses. A Paris, les prisons se rem-
plissaient tous les jours davantage. Le comité
de süreté générale avait institué une police qui
répandait la terreur en tous Iieux, Le chef était
un nommé Héron, qui avait sous sa direction
une nuée d'agents, tous dignes de lui. Ils étaient
ce qu'on appelait les porteurs d'ordre des co-
mités. Les uns faisaient l'espionnage; les au-
tres, munis d'ordres secrets, souvent méme
d'ordres en blanc, allaient faire des arresta-
tions soit dans Paris, soit dans les provinces.
On Ieur allouait des sommes pour chacunc de
leurs expéditions; ils en exigeaient en cutre
des prisonniers , et ils ajoutaient ainsi la rapine
a la cruauté. Tous les aventuriers licencies avec
l'armée révolutionnaire, ou renvoyés des bu-
reaux de Bouchotte, avaient passé dans ces
nouveaux emplois, et en étaient devenus bien
plus redoutahles. Ils s'introduisaient partout,
dans les promenades, les cafés, les spectac1es;
achaque instant on se croyait poursuivi OH




CONVENTION N ATlONALE (1794). 327
écouté par l'un de ces inquisiteurs. Gráce a
leurs soins, le nombre des suspects avait été
porté asept ou huit mille dans Paris seulement.
Les prisons n'offraient plus le méme specta-
ele qu'autrefois; on n'y voyait plus les riches
contribuant pour les pauvres, et des hommes
de toute opinion , de tout rang , menant a frais
communs une vie assez douce, et se consolant,
par les plaisirs des arts , des rigueurs de la
captivité. Ce régime avait paru trap supporta-
ble pour ce qu'on appelait des aristocrates; OIl
avait prétendu que le luxe et l'abondance ré~
gnaient chez les suspects, tandis qu'au dehors
le peuple était réduit ala ration; que les riches
détenus se plaisaient a gaspiller des suhsis-
tances qui auraient pu servir a alimenter les
citoyens indigents, et il avait été décidé que le
régime des prisons serait changé. En consé-
quence il avait été établi des réfectoires et des
tables communes ; on donnait aux prisonniers,
a des heures fixées et daos de grandes salles,
une nourriture détestable et malsaine, qu'on
leur faisait payer trés-cher, Il ne leur était plus
permis d'acheter des aliments pour suppléer a
ceux qu'ils ne pouvaient pas manger. On fai-
sait des visites, onleur enlevait leurs assignats,
el 00 leur ótait ainsi tout moyen de se pro-
curer des soulagements. 00 ne leur donnait




328 RÉVOLUTION FRAN~AISF.
plus la méme liberté de se voir et de vivre
en commun; et aux tourments de l'isolement
venaient s'ajouter les terreurs de la mort, qui
devenait chaque jour plus active et plus
prompte. Le tribunal révolutionnaire commen-
cait , depuis le proces des hébertistes et des
dantonistes, a immoler les victimes par trou-
pes de vingt a la fois. 11 avait condamné la fa-
mille des Malesherbes, et leur parenté , au
nombre de quinze ou vingtpersonues. Le res-
pectable chef de eette rnaison était allé a la
mort avee la sérénité et la gaité d'un' sage. Fai-
sant un faux pas tandis qu'il marchait al'écha-
faud, it avait dit : « Ce faux pas est d'un mauvais
augure; un Romain serait rentré chez lui. »
Aux Malesherbes avaient été joints vingt-deux
membres du parlernent. Le parlement de Tou-
louse fut immolé presque tout entier. Enfin
les fermiers - généraux venaient d'étre mis en
jugement a cause de leurs anciens marchés
avec le fisco On leur prouva que ces marchés
renfermaient des conditions onéreuses al'état,
et le tribunal révolutionnaire les envoya a l'é-
chafaud, pour des exactions sur le tabac, le
sel, etc. Dans le nombre était un savant iIlus-
tre, le chimiste Lavoisier, qui demanda en
vain quelques jours de sursis pour écrire une
découverte,




CONVENTlON N ATlONALE (1 794). 32~
L'impulsion était donnée ; on administrait,


on combattait, on égorgeait avec un ensemble
effrayant. Les comités, pIacés au centre , gou-
vernaient avec la méme vigueur. La conven-
tion, toujours siIencieuse, décernait des pen-
sions aux veuves et aux enfants des soldats
morts pour la patrie, réformait des jugements
de tribunaux, interprétait des décrets , réglait
l'échange de certaines propriétés du domaine,
s'occupait en un mot des soinsles plus insi-
gnifiallts et les plus accessoires. Barreré venait
tous les jours lui lire les rapports des victoires.
11 appelait ces rapports des carmagnoles. A la
fin de chaque mois, il annoneait , pour la
forme, 'que les pouvoirs des comités étaient
expirés', et qu'il fallait les renouveler. Alors OIl
lui répondait avec des appIaudissements que
les comités n'avaient qu'a poursuivre Ieurs tra-
vaux. Quelquefois mérne il oubliait cette for-
malité, et les comités n'en restaient pas moins
en fonctions.


C'est dans ces moments d'une soumission
absolue que les ames exaspérées éclatent, et
que les coups de poignard sont a redouter
pour les autorités despotiques. Il s.e trouvait
alors aParis un homme , employé comme gar-
<{on de bnreau a la lotcrie nationale, qui avait
été autrefois au service de plusieurs grandes




330 nÉVOLUTION FllANQA.ISE.
famiJIes, et qui éprouvait une violente hainc
contre le régime actuel. Il était agé de cin-
quante ans, et se nommait LadmiraI. Il avait
formé le projet d'assassiner l'un des membres
les plus influents du comité de salut public,
Robespierre ou Collot-d'Herbois. Depuis quel-
que temps il s'était logé dans la méme maison
que Collot-d'Herhois , rue Favart , et il hésitait
entre ColIot et Robespierre. Le 3 prairial
(22 mai }, résolu de frapper Robespierre, il
se rendit au comité de salut public, et l'atten-
dit toute la journée dans la galerie qui abou-
tissait a la salle du comité. N'ayant pu l'y ren-
contrer, il était revenu chez lui, et s'était placé
dans l'escalier afin de frapper Collot-d'Herbois.
Vers minuit, Collot rentrait et montait son
escalier, lorsque Ladmiral lui tire un coup de
pistolet a hout portant. Le pistolet fait faux
feu. Ladmiral tire un second coup, et l'arme
se refuse encore ason dessein. Il tire une troi-
sieme fois; cette fois le coup part, mais il
n'atteint que les murailles. Alors une Iutte
s'engage. Collot-d'Herbois crie al'assassin. Heu-
reusement pour lui une patrouille passait dans
la rue ; elle accourt a ce bruit; Ladmiral prend
la fuite alors, remonte dans sa chamhre , et
s'y enferme. On le suit et on veut enfoncer la
porte. JI déelare qu'il est armé, et qu'il va




CONVENTION NATroNALE (1794). 33l
faire feu sur ceux qui se présenteront pour
le saisir. Cette menace n'intimide pas la pa-
trouille. On force la porte; un serrurier, nommé
Geffroy, s'avance le premier, et recoit un coup
de fusil qui le blesse presque mortellement.
Ladmiral est aussitót arrété et conduit en pri-
son. Interrogé par Fouquier-Tinville, il raconte
sa vie, ses projets, et les tentatives qu'il a faites
pour frapper Robespierre avant de songer a
Collot-d'Herbois. On lui demande qui l'a porté
a commettre ce crime. Il répond avec fermeté
que ce n'est point un crime; que e'est un ser-
vice qu'il a voulu rendre a son pays; que lui
seul a con<;u ce projet sans aucune suggestíon
étrangére , et que son unique regret est de
n'avoir pas réussi.


Le bruit de cette tentative se répand avec
rapidité, et, suivant l'usage, elle augmente la
puissance de ceux contre lesquels elle était di-
rigée. Barreré s'empresse le lendemain, 4prai-
rial, de venir a la convention faire le récit de
cette nouvelle machination de Pitt. « Les fac-
« tions intérieures , dit-il, ne cessent de cor-
« respondre avec ce gouvernement marchand
« de coalitions, acheteur d'assassinats , qui
« poursuit la liberté comme sa plus grande
« ennemie, Tandis que nous mettons al'ordre
« du jour la justice et la vertu , les tyrans coa-




332 R.KVOLUTJON }'RAN~AISE.
« lisés mettent a l'ordre du jour le crime et
« l'assassinat. Partout vous trouverez le fatal
« génie de l'Anglais : dans nos marchés , dans
(e nos achats, sur les mers, dans le continent,
« chez les roitelets de 1'Europe comme dans
« nos cités. C'est la méme tete qui dirige les
« mains qui assassinent Basseville á Rome , les
« marins francais dans le port de Genes, les
« Francais fideles en Corse; e'est la méme tete
« qui dirige le fer contre Lepelletier et Marat ,
« la guillotine sur Chalier , et les armes a feu
« sur Collot - d'Herbois. » Barreré produit en-
suite des Iettres de Londres et de Hollaude
qui ont été intereeptées, et qui annoncent que
les complots de Pitt sont dirigés contre les co-
mités, et particuliérernent contre Robespierre.
Une de ces lettres dit en substance : « Nous
« craignons beaucoup 1'influence de Robes-
« pierre. Plus le gouyernement francais répu-
« blieain sera concentré, plus il aura de force,
(e et plus il sera difficile de le reo verser. »


Une pareille maniere de présenter les faits
était bien propl'e a exciter le plus vif intérét
en faveur des comités, et surtout de Robes-
pierre, et aidentifier leur existence avee eelle
de la république. Barrcre raconte ensuite le
fait avec toutes ses circonstances, parle de
l'empressement auendrissant que les autorités




CONVENTION NATJONALE (1794). 333
constituées ont montré pour protéger la re-
présentation nationale , et raeonte en termes
magnifiques la eonduite du citoyen Geffroy,
qui a re<;u une blessure grave en saisissant
l'assassin. La convention eouvre d'applaudis-
sements le rapport de Barrere ; elle ordonne
des reeherehes pour s'assurer si Ladmiral n'au-
rait pas des eomplices; elle décréte des rerner-
ciements ponr le citoyen Geffroy, et décide ,
pour le récompenser, qne le bulletin de ses
blessures sera lu tous les jours a la tribune.
Couthon fait ensuite un discours fulminant,
pour demander que le rapport de Barreré soit
traduit en toutes les langnes , et répandu dans
tous les pays. «( Pitt, Cobourg, s'écrie-t-il , et
« vous tous, Iáches et petits tyrans., qui regar-
« dez le monde eomme votre héritage, et qui,
« dans les derniers instants de votre agonie,
« vous débattez avec tant de fureur, aiguisez,
« aiguisez vos poignards; 1l0US vous méprisons
« trop pour vous craindre, et vous savez bien
« que nons sommes trop grands ponr vous
« imiter! » La salle retentit d'applaudissements.
Couthon ajoute : « Mais la loi dont le regne
« vous épouvante a son glaive levé sur vous:
« elle vous frappera tous. Le genre hurnain a
« besoin de cet exemple, et le ciel, que vous
( outragez, l'aordonné! »




334 nÉVOLUTION FnAN<';AlSE.
Collot-d'Herbois arrive alors eomme pour


reeevoir les marques d'intérét de l'assemblée;
il est aeeueilli par des aec1amations red ou-
blées, et il a peine a se faire entendre. Robes-
pierre, beaueoup plus adroit , ne parait pas,
et semble se soustraire aux hommages qui l'at-
tendent.


Dans eette mérne journée du J 4, une j eune
fille, nommée Céeile Renault, se présente a la
porte de Robespierre, avee un paquet sous le
bras; elle demande a le voir, et insiste avee
force pour étre introduite aupres de lui, Elle
dit qu'un fonetionnaire public doit toujours
étre prét a reeevoir eeux qui ont a l'entrete-
nir, et finit méme par injurier les hótes de
Robespierre, les Duplaix, qui ne voulaient
pas la reeevoir. Aux instanees de eette jeune
fille , et ason air étrange, on concoit des soup·
<;ons; on se saisit d'elle, el on la livre a la po-
lice. On ouvre son paquet, et on y trouve des
hardes et deux eouteaux. Aussitót on prétend
qu'elle a voulu assassiner Robespierre; on I'in-
terroge, elle s'explique avee autant d'assu-
ranee que LadmiraI. On lui demande ce qu'elle
voulait de Robespierre, elle dit que c'était
pour voir comment était fait un tyran. On la
presse, on veut savoir pourquoi ce paquet,
pourquoi ces hardes et ces couteaux; elle ré-


..




CONVENTION NATION.UE (1794). 335
pond qu'elle n'a voulu faire aueun usage des
couteaux; que quant aux hardes, elle s'en
était munie paree qu'elle s'attendait aétre con-
duite en prison, et de la prison a la guillotine.
Elle ajoute qu'elle est royaliste, paree qu'elle
aime mieux un roi que cinquante mille. On
insiste davantage, on lui fait de nouvelles
questions, mais elle refuse de répondre, et de-
mande a étre conduite a. l'échafaud,


n suffisait de ces in dices pour en conclure
que la jeune Renault était un des assassins ar-
més conlre Robespierre, A ce dernier fait vint
s'en ajouter un autre. Le lendemain, aChoisy-
sur-Seine, un citoyen raeontait dans un café
la tentative d'assassinat commise sur Collot-
d'Herbois , et se réjouissait de ce qu'elle n'avait
pas réussi. Un nornmé Saintanax, moine , qui
écoutait ce récit, répond qu'ilest malheureux
que ces scélérats du comité aient échappé,
mais qu'il espere qne tót ou tard ils seront
atteints. On s'empare snr-le-champ du mal..
heureux, et on le traduit dans la nuit mérne
a Paris. C'était plus qu'il n'en fallait poul' sup..
poser de vastes ramifications; on prétendit
qu'il y avait unebande d'assassins préparée ;
on s'empressa d'accourir autnur des memhres
du comité, on les engageaase garrler, et aveil-
ler sur Ieurs jours si précieux ala patrie. Les




336 IU~VOLUTJON FRANYAIS¡':.
sections s'assemblerent , et envoyérent de nou-
veau des députations et des adresses a la con-
vention. Ellesdisaieilt que parmi lesmiracles
que la Providence avait faits en faveur de la
république, la maniere dont Bobespierre et
Collot - d'Herbois venaient d'échapper aux
coups des assassins n'était pas le moindre.
L'une d'elles proposa méme de fournir une
garde de vingt-cinq hornmes pour veiller sur
les jours des membres du comité.


Le surlendemain était le jour oú s'assem-
blaient les jacobins, Robespierre et Collot-d'Her-
bois s'y rendirent, et furent re<,¡us avec un en-
thousiasme extreme. Quand le pouvoir a su
s'assurer une soumission générale, il n'a qu'a
laisser faire les ames basses, elles viennent ache-
ver elles-mémes l'oeuvre de sa domination, et
y ajouter un culte el des honneurs divins, On
regardait Robespierre et Collot-d'Herbois avec
une avide curiosité. - «Voyez, disait-on, ces
hommes précieux, le Dieu des hornmes libres les
a sauvés; illes a couverts de son égide, et les a
conservés a la républiquel Il faut leur faire
partager les honneurs que la France a décer-
nés aux martyrs de la liberté; elle aura ainsi
la satisfaction de. les honorer, sans avoir apleu-
rer sur leur urne funébre ". J) Collot prend le


,. Voyez la séance des jacobins du 6 prairial.




CONVT:YTlON N ATION ALE (1794). 337
premier la parole avec sa véhémence ordinaire,
et dit que l'émotion qu'il éprouve dans le rno-
ment luí prouve combien 11 est doux de servir
la patrie, mérne au prix des plus grands pé-
rils. ( 11 recueiUe, dit-il , cette vérité que celui
« qui a couru quelque danger ponr son pays
« recoit de nouvelles forces du fraternel inté-
« rét qu'il inspire. Ces applaudissements bien-
« veillants sont un nouveau pacte d'union en-
« tre toutes les ames fortes. Les tyrans réduits
II aux abois, et sentant leur fin approcher, veu-
« lent en vain recourir aux poignards, au poi-
« son, au guet-apens, les républicains ne s'in-
(1 timideront pas. Les tyrans ne savent-ils pas
« que lorsqn'unpatriote expire sous leurscoups,
« c'est sur sa tornbe que les patriotes qui Iui
( survivent jurent la vengeance do crime et
« l' éternité de la liberté? ))


Collot acheve au milieu des applaudisse-
ments. Bentabolle demande que le président
donne a ColIot et aRobespierre l'accolade fra-
tcrnclle, au norn de toute la société. Legen-
dre, avcc l'cmpressement d'un homme qui avait
été l'ami de Danton , et qui était obligé aplus
de bassesse pour faire oublier eette amitié , dit
qne la main du crime s'est levée pour frapper
la vertu , mais que le Dieu de la nature a em-
peché que le forfaít fút consomrné. Il engage


VI. 22




3:18 n¡';VOLllTION FRANQAISF..
tous les citoyens a former une garde autour
des membres du comité, et s'offre a veiller le
premier sur leurs jours précieux. Dans ce mo-
ment, des sections demandent aétre introdui-
tes dans la salle; l'empressement est extreme,
mais la foule est si grande qu'on est obligé de
les laisser a la porte~


On offrait au comité les insignes du pouvoir
souverain , et c'était le moment de les repous-
ser. 11 suffit a des chefs adroits de se les faire
offrir, et ils doivent se donner le mérite du re-
fus. Les membres présents du comité combat-
tent ave e une indignation affectée la proposi-
tion de se donner des gardes. Couthon prend
aussitót la parole. f( Il s'étonne , dit-il , de la
« proposition qui vient d'étre faite aux Jaco-
({ bins, et qui 1'a déjá été a la convention. Il
« veut bien l'attribuer a des intentionspures ,
« mais il n'ya que des despotes qui s'entourent
« de gardes, et les membres du comité ne
« veulent point étre assimilés a des despotes.
« lis n'ont pas besoin de gardes pOllr les dé-
« fendre. C'est la vertu, c'est la confiance du
« peuple et la Providence qui veillent sur leurs
({ jours ; il ne lenr faut pas d'autres garanties
« ponr leur súreté. D'ailleurs ils sauront mou-
,( rir a leur poste et ponr la liberté. »


Legendre se háte de justifier sa proposition.




CONVI'NTJON NATIONAU: lJ794). 339
II dit qu'il n'a pas voulu précisément donner
une garde organisée aux membres du comité,
mais engager seulement les bons citoyens a
veiller sur leurs jours; que si du reste il s'est
trompé, il se rétracte, et que son intention a
été pureo Robespíerre lui succede a la tribune,
C'est pour la premiere fois qu'il prend la pa-
role. Des applaudissements éclatent , et se pro-
longent long-temps; enfin on fait silence, et
on lui permet de se faire entendre. « Je suis ,
( dit-il , un de ceux que les événements qui se
( sont passés doivent le moins intéresser, ce-
« pendant je ne puis me défendre de quelques
(( réfIexions. Que les défenseurs de la liberté
(( soient en butte aux poignards de la tyrannie ,
( il fallait s'y attendre. Je l'avais déja dit: si
( nous battons les ennemis, si nous déjouons
« les factions, nous serons assassinés. Ce que
(( j'avais prévu est arrivé : les soldats des tyrans
« ont mordu la poussiere , les traitres ont péri
«( sur l'échafaud , et les poignards ont été ai-
( guisés con tre nous, Je ne sais quelle impres-
« sion doivent vous faire éprouver ces événe-
« ments, mais voici celle qu'ils ont produite
« sur moi, J'ai sentí qu'il était plus facile de
re nous assassiner -que de vaincre nos príncipes
( et de subjuguer nos armées. Je me suis dit
« que plus la vie des défenseurs du peuple est


:>-2.




340 n tVOLUTION FR ANC;:AISE.
« incertaine et précaire, plus ils doivent se há-
(e ter de remplir leurs derniers jours d'actions
(( utiles ala liberté. Moi, qui ne erais pas a la
( nécessité de vivre , mais seulement ala vertu
( et a la Providence , je me trouve plaeé dans
« un état oú sans doute les assassins n'ont pas
« vouln me mettre; je me sens plus indépen-
(( dant que jamais de la méchancété des hom-
(e mes. Les erimes des tyrans, et le fer des as-
ce sassins , m'ont rendu plus libre et plus
ce redoutable pour tons les ennemis du pen-
\C ple; mon ame est plus disposée que jamais
« a dévoiler les traitres , et a leur arracher le
ce masque dont ils osent se couvrir, Franrais ,
C( amis de l' égalité, reposez - vous sur IlOUS du
ce soin d'employer le pen de vie qne la Provi-
ce dence nons accorde , a eombattre les eune-
ce mis qui nous environnent l » - Les acclama-
tions redoublent apres ce discours , et des
transports éclatent dans toutes lesparties de
la salle. Robespierre, apres avoir joui quelqncs
instanrs de cet enthousiasrne , prend encore une
fois la parole contre un membre de la société ,
qni avait demandé qu'on rendit des honneurs
civiques a Geffroy. 1l rapproche cette motion
de celle qui tendait a donner des gardes aux
membres des comités, et soutient que ces mo-
tions ont ponr hut f1'exciter l'euvie et la ca-




CON VENTION N ATION H E e17~;4':· 341
lornnie contre le gouvernement, en l'accablant
d'honneurs superflus. En conséquence il pro-
pose, etfait prononcer I'exclusion contre celui
qui avait demandé pour Geffroy les honneurs
. . .


clvlques.
Au degré de puissance auquel il était par-


venu , le comité devai t tendre a écarter les ap-
parences de la souveraineté. U exercait une
dictature absolue, mais il ne fallait pas qu'on
s'en apercüt trop; et tous les dehors , toutes
les pompes du pouvoir, ne pouvaient que le
compromettreinutilement. Un soldatambitieux
qui est maitre par son épée, et qni veut un
treme, se háte de caractériser son autorité le
plus tót qu'il peut, et d'ajouter les insignes de
la puissance a la puissance méme ; mais les
chefs d'un par~ qui ne gouvernent ce partí
que par leur influence , et qui veulent en res-
ter maitres , doivent le flatter toujours, rap-
porter sans cesse alui le pouvoir dont ils jouis-
sent, et, tout en le gouvernant, paraitre lui
obéir.


Les membres du comité de salut public,
chefs de la Montagne , ne devaient pas s'isoler
d'elle et de ]a convention, et devaient repous-
ser au contraire tout ce qui paraitrait les éle-
ver trop au-dessus de leurs cellegues. Déja on
s'était ravisé, et I'étendue de leur puissancc




342 lLLVOLUTJON I'HANt;:AI5L
frappait les esprits, méme dans Ieur propre
partí. Déjá on voyait en eux des dictateurs ,
et c'était Robespierre surtout dont la haute in-
fluence commencait a offusquer les yeux. On
s'habituait adire , non plus, le comité le veut,
rnais Robespierre le ueut. Fouquier-Tinville di-
sait a un individu qu'il menacait du tribunal
révolutionnaire : Si Robespierre le veut, tu y
passeras. Les agents du pouvoir nommaient sans
cesse Robespierre dans leurs opérations , et
semblaient rapporter tout a lui , comme a la
cause de laquelle tout émanait, Les victirnes ne
manquaient pas de lui imputer leurs maux, et
dans les prisons on ne voyait qu'un oppres-
seur , Hobespierre. Les élrangers eux - mérnes
dans leurs proeIamations appelaient les soldats
francais soldats de Robespierre. Cette expres-
sion se trouvait dans une proclamation du duc
d'York. Sentant combien était dangereux l'u-
sage qu'on faisait de son nom, Robespierre
s'empressa de prononcer a la convention un
discours, pour repousser ce qu'il appelait des
insinuations perfides , dont le but était de le
perdre; il le répéta aux Jacobins, et s'y attira
les applaudissements qui accueillaient toutes
ses paroles. Le Journal de la Montagne et le
¡Jfoniteur, ayantle lendemain répété ce discours,
et ayant dit que c'était un chef-d'oeuvre dont




COJ''iVE.'<'l'JON NATlONALE (i79~)' 343
l'analyse était impossible , parce que chaque
mol valait une phrase , el chaque phrase une
page, il s'emporta vivement, et vint le lende-
main se plaindre aux Jacobins des journaux
qui llagornaient avec affectation les mernbres
du comité, afin de les perdre, en leur donnant
les apparences de la toute-puissance. Les deux
journaux furent obligés de se rétracter, et de
s'excuser d'avoir loué Robespierre, en assuraut
que leurs intentions étaient pures.


Robespierre avait de la vanité; mais il n' était
pas assez granel pOOl' étre ambitieux. Avide de
flatteries et de respeets, il s'en uourrissait, et
se justifiait de les recevoir en assurant qu'il ne
voulait pas de la toute-puissance. Il avait au-
tour de lui une espece de cour composée de
quelqnes hommes, mais surtout de heaucoup
de femmes, qui lui prodiguaient les soins les
plus délicats. Toujours empressées a sa porte,
elles témoignaient pour sa personne la sollici-
tude la plus constante; elles ne eessaient de cé-
léhrer entre elles sa vertu, son éloquence, son
génie; elles l'appelaient un homme divin et au-
dessus de l'humanité. Une vieilIc marquise était
la principale de ces femmes, qui soignaient en
véritables dévotes ce pontife sanglant et 01'-
gueilleux. L'empressement des femmes est tou-
jours le symptóme le plus súr de l'engouernent




3 ' 4Il RÉVOLUTION FRAN<;AlSE.
publico C'est elles qui, par leurs soins actifs ,
leurs discours, leurs sollicitudes, se chargent
d'y ajouter le ridicule.


Aux femmes qui adoraient Robespierre s'é-
tait jointe une seete ridieule et bizarre, formée
depuis peu. C'est au moment de l'abolition des
eultes que les sectes abondent, paree que le
besoin impérieux de croire cherehe a se re-
paitre d'autres illusions , a défaut de celles qui
sont détruites. Une vieille femme dont le cer-
veau s'était enflammé dans les prisons de la Bas-
tille, et qui se nommait Catherine Théot , se
disait mere de Dieu, et annoncait la prochaine
apparition d'un nouveau Messie. 11 devait, sui-
vant elle, apparaitre au milieu des bouleverse-
rnents, et , au moment oú il paraitrait, com-
mencerait une vie éternelle pour les élus. Ces
élus devaient propager leur croyance par tous
les moyens, et exterminer les ennemis du vrai
Dieu. Le chartreux dom Gerle, qui figura sous
la constituante, et dont l'imagination faible avait
été égarée par des réves mystiques, était l'un
des deux prophetes ; Robespierre était l'autre.
Son déisme lui avait sans doute valu cet hon-
neur. Catherine Théot l'appelait son fils chéri;
les initiés le considéraient avec respeet, et
voyaient en Iui un étre surnaturel, appelé a
des destinées mystérieuses et sublimes. Proba-




CONVENTlON NATIONAI.E (1794). 345
blement il était instruít de leurs folies, et sans
étre leur complice, il jouissait de leur erreur.
Il est certain qu'il avait protégé dom Gerle,
qu'il en recevait des visites fréquentes, et qu'il
luí avait donné un certificat de civisme signé
de sa main , pour le soustraire aux poursuites
d'un comité révolutionnaire. Cette secte s'était
fort répanduc; elle avait son culte et ses pra-
tiques, ce qui ne contribuait pas peu asa propa-
gation; elle se réunissait chez Catherine Théot,
dans un quartier reculé de Paris, pres du Pan-
théon. C'étaient la que se faisaient les initia-
tions,en présence dela mere de Dieu , de dom
Gerle et des principaux élus, Cette secte corn-
meucait aétre connue, et on savait vaguement
que Robespierre était pOUl' elle un prophete.
Ainsi tout contribuait a le grandir et a le com-
promettre.


C'était surtout parmi ses collégues que les
ombrages commencaient anaitre. Des divisions
se prononcaient déja , et c'était uaturel , cal' la
puissance du comité étant établie, le temps des
rivalités était venu. Le comité s'était partagé
en plusieurs groupes distincts. La mort de Hé-
rault-Séchellesavait réduit a onze les douze
membres qui le composaient. Jean-Bon-Saint-
André et Prieur de la Mame n'avaient pas cessé
d'étre en mission, Carnot était entierement oc-


/




/'


346 nÉVOLUTION FllAN<,:AlSE.
cupé de la guerre, Prieur de la Cóte-rl'Or des
approvisionnements, Robert Lindet des sub-
sistances. On appelait ceux-ci les gens d'exa-
men. Ils ne prenaient aucune part ni ala poJi-
tique ni aux rivalités. Robespierre , Saint-Just,
Couthon, s'étaient rapprochés.Une espece de
supériorité d' esprit et de manieres, le grand
cas qu'ils semblaient faire d'eux-rnémes , et le
mépris qu'ils semblaíent avoir pour Ieurs au-
tres collegues , les avaient portés a se ranger a
part; on les nommait les gens de la haute
main. Barrere n'était a leurs yeux qu'un étrc
faihle et pusillanime, ayant de la facilité au ser-
vice de tout le monde, Collot-d'Herbois qu'un
déclamateur de club, Billa ud-Varennes qu'un
esprit médiocre, sombre et envieux, Ces trois
derniers ne leur pardonnaient pas leurs dé-
dains seerets. Barrere n'osait se prononeer;
mais Collot-d'Herhois , et surtout BilIaud, dont
le caractere était índomptable, ne pouvaient
dissimuler la haine dont ils commencaient a
s'enflarnmer. Ils cherchaient a s'appuyer sur
leurs collegues appelés gens d'examen, et a
les mettre de leur coté. Ils pouvaient espérer
un appui de la part du comité de sñreté gé-
nérale, qui commencait a étre importuné de
la suprématie du comité de salut publico Spé-
cialement borné a la police, et souven t sur-




CONVENTION NATlO.NALE (1794)· 347
veillé ou controlé dans ses opérations par le
comité de salut public, le comité de súreté gé-
nérale supportait impatiemment cette dépen-
dance. Amar, Vadier, Vouland, Jagot, Louis
du Bas - Rhin, ses membres les plus cruels,
étaient en méme temps les plus disposés a se-
couer le joug. Deux de leurs collégues , qu'011
appelait les écouteurs , les observaient pour le
compte de Robespierre, et cet espionnage leur
était devenu insupportable. Les mécontents de
l'un et l'autre comité pouvaient done se réunir
et devenir dangereux pour Robespierre, Cou-
thon et Saint-Just. Il faut bien le remarquer:
c'étaient les rivalités d'orgueil et de pouvoir
qui commencaient la division , et non une dif-
férence d'opinion politique, cal' Billaud - Va-
rennes, Collot - d'Herbois, Vadier, Vouland,
Amar, Jagot et Louis, étaient des révolution-
naires non moins redoutables que les trois ad-
versaires qu'ils voulaient renverser.


Une circonstance indisposa encore davan-
tage le comité de súreté générale contre les
dorninateurs du comité de salut public. On se
plaignait beaucQ';ip des arrestations qui deve-
naient toujoursplus nombreuses, et qui étaient
souvent inj ustes , cal' elles portaient contre une
fonle d'individns connus pour excellents pa-
triotes ; on se plaignait des rapines et des vexa-




34B UJiVOLUTION FRANYAISE.
tions des agents nombreux auxquels le comité
de súreté générale avait délégué son inquisi-
tion. Robespierre, Saint-Just et Couthon n'o-
sant ni faire abolir, ni faire renouveler ce comité,
imaginerent d'établir un bureau de police dans
le sein du comité de salut publico C'était, sans
détruire le comité de súreté générale, envahir
ses fonctions et l'en dépouiller. Saint-Just de-
vait avoir la direction de ce bureau; mais ap-
pelé a l'armée, il n'avait pu remplir ce soin ,
et Robespierre s'en était chargé a sa place. Le
bureau de police élargissait ceux que faisait
arréter le comité de súreté générale, et1!B der-
nier comité rendait la pareille al'autre. Cet en-
vahissemeut de fonctions amena une brouille
ouverte. Le bruit s'en répandit, et malgré le se-
cret qui enveloppait le gouvernement, on sut
hientót que ses membres n'étaient pas d'accord.


D'autres mécontentements, non moins gra-
ves, éclataient dans la convention. Elle était
toujours fort sournise , mais quelques -uns de
ses membres, qui avaient con<;u des craintes
pour eux-mérnes , recevaient du danger un peu
plus de hardiesse. C'étaient d'anciens amis de
Danton, compromis par leurs liaisons avee lui,
et menacés quelquefois comme restes du partí
des corrompus et des indulgents. Les uns avaicnt
malversé dans leurs fonctions , et craignaielJ l




CONVENTION NATIONALE (lJ94)· 349
l'application du systéme de la verla; les autres
avaient paru opposés aun déploiernent de ri-
gueurs tous les jours croissant. Le plus com-
promis d'entre eux était Tallien. On disait qu'il
avait malversé a la cornmune lorsqu'il en était
membre 1 et a Bordeaux lorsqu'il y était en mis-
sion. On ajoutait que dans eette dcrniere ville
il s'était Iaissé amollir"et séduire par une jeune
et belle femme qui l'avait aeeompagné aParís,
et qui venait d'étre jetée en prison. Apres Tal-
lien on citait Bourdon de l'Oise, compromis
par sa lutte avee le partí de Saumur, et ex-
pulsé des Jacobins , eonjointement avec Fabre,
Camillei et Philipeaux; on citait encore Thu-
riot , exclu aussi des Jacobins ; Legendre, qui ,
malgré ses soumissions journalieres , ne pou-
vait se [aire pardonner ses anciennes liaisons
avec Danton; enfm Fréron, Barras, Lecointre,
Rovere , Monestier, Panis , etc., tous, ou arnis
de Danton, ou désapprobateursdu systeme suivi
par le gouvernement. Ces inquietudes person-
nelles se propageaient, le nombre des mécon-
tents augmentait chaqué jour, et ils étaicnt
préts a s'unir aux membres de l'un ou l'autre
comité qui voudraient leur tendré la main.


Le 20 prairial (8 juin) approchait; c'était le
¡our fixé pour la rete a l'Etre suprérne. Le 16,
ji fallait nommer un président; la convention




350 REVOLUTION FRANfAISL
nomma a l'unanimité Robespierre ponr occu-
per le fauteuil. C'était lui assurer le premier
role dans la journée du 20. Ses collégues ,
comme on le voít, cherchaient encore a le
flatter et a l'apaiser a force d'honneurs. De
vastes préparatifs avaient été .faits conformé-
ment au plan con({u par David. La féte devait
étre magnifique. Le 20, au rnatin , le soleil
brillait de tout son éclat. La foule, toujours
préte -3. assister aux représentations que luí
donne le pouvoír, était accourue. Robespíerre
se fit attendre long-temps. 11 parut enfin au
milieu de la convention. Il était soigneuse-
ment paré; il a vai t la tete couverte de plumes ,
et tenait a la main, comme tous les représen-
tants, un bouquet de fleurs, de fruits et d' épís
de LIé. Sur son visage, ordinaírement si som-
bre, éclatait une joie qui ne lui était pas ordi-
naire. Un amphithéátre était placé au mílieu du
jardín des Tuileries. La convention l'occupait;
a droite et a gauche, se trouvaient plusieurs
groupes d' enfants, d'hommes, de vieillards et
de femmes. Les enfauts étaient couronnés de
violette , les adolescents de m,rte, les hommes
de chéne , les vieillards de pampre et d'olivier.
Les femmes tenaient leurs filIes par la main ,
et portaient des corbeilles de fleurs. Vis-a-vis
l'arnphithéátre , se trouvaient des figures re-




CON\"ENTION NATIONALE ('79LI)' 3S1
présentant l'Athéisme, la Discorde, l'¡':go'isme.
Elles étaient destinées a étre brúlées. Des que
la convention eut pris sa place, une musique
ouvrit la cérémonie. Le président fit ensuite
un premier discours sur l'objet de la féte. « Fran-
( cais républicains , dit-il, il est enfin arrivé le
« jour a jamais fortuné que le peuple francais
(( consacre a l'Etre supréme ! Jamais le monde
e qu'il a créé ne lui offrit un spectade aussi digne
(( de ses regards. Il a vu régner sur la terre la
( tyrannie, le crime et l'imposture: il voit dans
(( ce moment une nation entiere , aux prises
« avec tous les oppresseurs du genre hurnain ,
( suspendre le cours de ses travaux héro'iqnes,
« pour élever sa pensée et ses vceux vers le
« grand Etre qui lui donna la mission de les
« entreprendre, et le courage de les exécuter! .


Apres avoir parlé quelques minutes, le pré-
sident descend de l'arnphithéátre , et, se saisis-
sant d'une torche, met le feu aux monstres de
I'Athéisme, de la Discorde et de l'Égo'isme. Du
milicu de leurs cendres parait la statue de la
Sagesse; mais on remarque qu'elle est enfumée
par les flammes au milieu desquelles elle vient
de paraitre, Robespierre retourne asa place, et
prononce un second discours sur l'extirpation
des vices ligués contre la république. Apres
cette premiere cérémonie , on se met en mar-




352. RÉVOLUTION FllA~~AISE.
che pourse rendre au Champ-de-Mars, L'or-
gneil ele Robespierre semble recloubler, et il
affecte de marcher tres en avant de ses colle-
gues. Mais quelques-uns , indignés, se rappro-
chent de sa personne, et lui prodiguent les
sarcasrnes les plus amers. Les uns se moquent
du nouveau pontife, et lui disent, en faisant
allusion a la statue ele la Sagesse, qui avait
paru eufumée, que sa sagesse est obscurcie.
D'autres font entendre le mot de tyran, et s'é-
crient qu'il est encore des Brutus. Bonrdon de
l'üise lui dit ces mots : La roche Tarpéienne
estprés du Capitole.


Le cortége arrive enfin au Champ-de-Mars.
La se trouvait , au lieu de rancien autel de la
patrie, une vaste montagne. Au sommet de
cette montagne était un arbre : la convention
s'assied sous ses rameaux. De chaque coté de
la montagne se placent les différents groupes
des enfants , des vieillards et des femmes. Une
symphonie commence; les groupes chantent
ensuite des strophes en se répondant alterna-
tivement; enfin , a un signal donné , les ado-
lescents tirent lcurs épées et jurent , dans les
mains des vieillards, de défendre la patrie; les
meres élevent leurs enfants dans leurs bras;
tous les assistants levent leurs mains vers le
ciel , et les serments de vaincre se mélent aux




CONV'F.NTfON N ATI01H LE (] 794). 353
hommages rendus a l'Etre supréme. On re-
Itourne ensuite au jardin des Tuileries, et la
féte se termine par des jeux publics.


Telle fut la fanreuse féte célébrée en I'hon-
neur de l'Etre suprérne. Rohespierre, en ce
jour, était parvenu au comble des honneurs;


.mais il n'était arrivé au faite que pour en étre
précipité. Son orgueil avait blessé tout le
monde. Les sarcasmes étaient parvenus jusqu'á
son oreille , et il avait vu chez quelques-unsde
ses collegues une hardiesse qui ne leur était
pas ordinaire. Le lendemain il se rend au co-
mité de salut publie, et exprime sa colere
contre les députés qui I'ont outragé la veille,
Il seplai»t de ces ami s de Danton, de ces
restes irnpurs du parti indulgent el corrompu,
et en demande le sacrifice, Billaud-Varennes et
Collot-d'Herbois, qui n'étaient pas moins bles-
sés que leurs collegues du role que Robespierre
avait joué la veille, se montrent tres-froids et
peu empressés a le venger. lis ne défendent
pas les députés dont se plaiut Robespierre,
mais ils reviennent sur la derniére féte , ils
expriment des craintes sur ses effets. Elle a
indisposé , disent-i ls , beaucoup d'espri ts, D'ail-
leurs ces idées d'Etre suprérne , d'immortalité
de l'áme , ces pompes semblent un retour vers
les Sil perstitions d'autrefois , et peuvent {aire


VI. ~3




rétrograder.la révolution. Robespierre s'irrite
alors de ces ,remarques; i] soutient qu'il n'a
jamais V()UJQ. faire rétrograder la révolution,
qu'il a tout f¡lit au contraire pOllr accélérer sa
marche. En preuve, iI cite un projet de loi qu'il
vient de rédigcr avec Couthon , et qui tend a
rendre le tribunal révolutionnaire encere plus
meurlrier.Voici quel était ce projet.


. Depuis deux moisil avait été question d'ap-
portee quelques modifications a l'organisation
du tribunal révolutionnaire, La défense de
Danton, CamilJe ,Fabre, Lacroix, avait fait
sentir l'inconvénient des restes de formalités
qu'on avaitlaissé exister. Tous les jours encare
.il fallait entendre des témoins et des avocats ,
ct quelque hritweque fút I'audition des té-
moins , quelque restreinte qué flit la défense
des. avoeats., néanmoins elle emportait une
grande p.erte de temps, et amenait toujours un
certain éclat. Les. chefs de ce gouvernement,
qui voulaient que tout se fit promptement et
sans bruit , désiraient supprimer ces forrnalités
incommodes. S'étant habitués a penser que la
révolution avait le droit de détruire tons ses
ennemis, et qu'a la simple inspeetion on devait
les distinguer, ils eroyaient qu'on ne pouvait
rendre la procédure révolntionnaire trop ex-
péditive. Robespicrre, particulierernent chargé




CO'l¡-VENTION N ATION AU (1794). 355
xlu tribunal, avait préparé la loi avec Couthon
seul , cal' Saint-Just était absent. Il u'avait pas
Jaigné consulter ses autres collegues du co-
mité de salut public, et il venait seulement
leur lire le projet avant de le présenter. Quoi-
que Barreré, Collot-d'Herhois fussent tout aussi
disposés que Iui aen admettre les dispositions
sanguinaires, ils devaient l'accueillir froide-
ment, puisqu'il était concu et arrété sans leur
participation. Cepe~dant il fut convenu qu'il
serait proposé le lendemain, et que Couthon
en ferait le rapport. Mais aucune satisfaction
ne fut accordée a Robespierre pour les ou-
trages qu'il avait rel,;us la veille.


Le comité de súreté générale ne fut pas plus
consulté sur la loi que ne l'avait été le comité
de salut publico Il sut qu'une loi se préparait;
mais il ne fut point appelé a. y prendre parto
n voulut du moins, sur cinquante jurés qui
xlevaient étre désignés, en faire nommer vingt;
mais Robespierre les rej ela tous, et ne choisit
-que ses créatures. La proposition fut faite le
?'2 prairial; Couthon fut le rapporteur. Aprés
les déclamations habituelles sur l'inflexibilité
et la promptitude qui devaient faire les carac-
teres de la justice révolutionnaire,· il lut le
projet, qui était rédigé dans un style effrayant.
IJe :tribunal devait se diviser en quatre sec-


23.




356 ItÉVOLlJTJON FnAN~AJsÉ.
tions, composées d'un président, trois jllges
et neuf jurés, Il était nommé douze j uges, et
cinquante jm'és qui devaient se succéder dans
l'exercice de Ieurs fonctions, de maniere que
le\lribunal pút siéger tous les jours. La seule
peine était la mort. Le tribunal, disait la loi,
était institué pour punir les ennemis du peu-
ple , suivant la définition la plus vague et la
plus étendue des ennemis du peuple, Dans le
nombre étaient compris les fournisseurs infi-
deles, et les alarmistes qui déhitaient de mau-
vaises nouvelles. La faculté de traduire les
citoyens au tribunal révolutionnaire, était at-
tribuée aux deux comités, a la convention,
aux représentants en mission, et a I'accusateur
public, Fouquier - Tinville. S'iI existait des
preuves, soit matérielles ; soit morales, il ne
devait pas étre entendu de témoins. Enfin, un
article portait ces mots : La loi donne ]J0ur
défenseurs aux patriotes calomniés des jurés
patriotes ; elle n'en accorde point aua: conspi-
rateurs,


Une loi qui supprimait toutes les garanties,
qui bornait l'instruction aun simple appeI no-
minal, et qui , en attrihuant aux deux comités
la faculté de traduire les citoyens au tribunal
révolutionnaire, Ieur donnait ainsi droitde vie
et de mort; une pareille loi dut causer un vé-




CONVENTION NATlONALE (1794). 357
ritahle effroi, surtout chez les membres de la
convention, déjá inquiets pour eux-rnémes. Il
n'était pas dit dans le projet si les comités au-
raient la faculté de traduire les représentants
au tribunal, saos demander un décret préalable
d'accusation ; des lors les comités pouvaient
envoyer leurs collegues a la mort, sans autre
peine que celle de les désigner a Fouquier-
Tinville. Aussi les restes de la prétendue fac-
tiou des indulgents se souleverent , et, pour la
premiere fois depuis long-temps , on vit une
opposition se manifester dans le sein de l'as-
semblée. Ruamps demanda l'impression et l'a-
journement du projet, disant que si eette loi
était adoptée sans ajournernent , il ne restait
qu'a se brüler la cervelle. Lecointre de Ver-
sailles appll.ya l'ajoumement. Robespierre se
présenta aussitót pour combattre cette résis-
tance inattendue. « Il y a,.dit-il, deux opinions.
(( aussi anciennes que notre révolution ; l'une ,
(l qui tend a punir d'une maniere prompte et
« inévitahle les conspirateurs ; l'autre, qui tencl
« el absoudre les coupables ; eette derniere n'a
el cessé de se reproduire dans toutes les occa-
« sions, Elle se manifeste de nouveau aujour-
(l d'hui , et je viens la repollsser. Depuis deux
le mois le tribunal se plaint des entraves qui
« embarrassent sa marche;il se plaint de man-




358 nE:VOLUTIOll FII.AN~AISE.
« quer de jurés; il faut done une loi. Au milieu
« des vietoires de la république, les eonspira-
« teurs sont plus actifs et plus ardents que
« jamais; il faut les frapper. Cette opposition
« inattendue qui se manifesté rr'est pas natu-
c( relle. On veut diviser la convention , on veut
«l'épouvanter.-Non, non, s'écrient plusieurs
« voix, on ne nous divisera pas. - C'est IlOUS,
«ajoúte Robespierre, qui avons toujours dé-
« fendu la convention , ce n'est pas nous qu'elle
« aá craindre. Du reste, nous ensommes ar-
« rivés au point oú ron pourra nous tu el', mais
I( ~u ron ne nous empéchera pas de sauver la
l( patrie.»


Robespierre ne manquait plus une seule fois
de parler de poignards et d'assassins , comme
~'il avaittoujcurs été menacé..Bourdon de l'üise
Iui répond, et dit- que si le. tribunal a besoin
de jurés , on n'a qu'a adopter sur-le-charnp la
liste proposée, cal' personne ne veutarréter la
marche de la justice, mais qu'il faut ajourner le
reste du projet. Robespierre remonte a la tri-
bune , et répond que la loi n'est ni plus com-
pliquée ni plus obscure qu'une foule d'autres
qui ont été adoptées sans discussion , et que,
dans un moment OH .les défenseurs de la li-
berté sontmenacés du poignard, onne devrait
I:'as chercher 'tl ralentir la répression des cons-




CONVl;NTlON .NATIO.NALE (J 79[~)' 359
pirateurs. Enfin il propose de discuter toute la
Ioi , article par article, et de siéger jusqu'au
milieu de la nuit, s'il le fant, pOllr la décréter
le jour méme. I.Ja domination de Robespierre
l'emporte encore; la loi est lue , et adoptée en
quelques instants,


Cependant Bourdon , Tallien , tous les mem-
bres qui avaient des craintes personnelles ,
étaient effrayés d'une loi pareille. Les comités
pouvant traduire tous lescitoyens.au tribunal
révolutionnaire , et les membres de .la repré-
sentation nationale n'en étant pas exceptés ,
ils tremblaient d'étre enlevés tons en une nuit ,
el livrés a Fouquier sans qnela .convention
rnérne fút prévenue. Le lendemain 23 prairial ,
Bourdon demanda Ia parole. « En donnant,
(cdit-il, aux comités de salut public et de súneté
« générale le deoitde .traduire les citoyens au
« tribunal révolutionuaire , la-convention n'a
« pas entendu sans doute que lepouvoir des
« comités s'étendrait sur tous ses membres ,
« sans un décret préalable: ··~'Non, non, s'é-
« críe-t-on de toutes parts. - Je m'attendais ,
«re'prend Bourdon , a ces' murrnures ; ils me
« prouvent que la liberté est. impérissable.»))-,--
Cette réflexion causa une sensation profonde.
Bourdon proposa de déclarer que les membres
de la convention ne 'pourraíent étre .Iivrésau




360 RÉVOLlTTION FR,\N~AISE.
tribunal révolutionuaire sans un décret d'accu-
satian. Les comités étaient absents ; la proposi-
tian de Bourdon fut accueillie. Merlin demanda
la question préalable; on murmura contre lui;
mais il s'expliqua et demanda la question préa-
Jable avec un eonsidérant , c'est que la conven-
tion n'avait pu se dessaisir du droit de décréter
seu le ses propres membres. Le considérant fut
adopté a la satisfaction générale.


Une scéne qui se passa dans la soirée donna
encore plus d'éclat acetteopposition si nou-
velle, Tallien et Bourdon se promenaient dans
les Tuileries; des espions du comité de salut
public les suivaient de tres-preso Tallien fati-
gué se retourne, les provoque, les appelle de
vils espions du comité, et leur dit d'aller rap-
porter a leurs maitres ce qu'ils ont vu et en-
tendu. Cette scene causa une grande sensation.
Couthon et Robespierre étaient indignés. Le
lendemain ils se présentent a la convention,
décidés ase plaindre vivement de la résistance
qu'ils essuyaient, Delacroix et Mallarmé leur
en fournissent l'occasion. Delacroix demande
qu'on caractérise d'une maniere plus précise
ceux que la loi a qualifiés de dépravateurs des
moeurs. Mallarmé demande ce qu'elle a voulu
dire par ces mots : la loi ne donne pour dé-
fénseur aux patriotes calomniés que la cons-




CONV:F:NTION NATlONALE (1794). 361
cience des jurés patriotes. Couthon monte alors
a la trihune , se plaint des amendements pro-
posés aujourd'hui. « On a calomnié, dit-ril , te
« comité de salut public, en paraissant suppo-
« ser qu'il voulait avoir la faculté d'envoyer les
« membres de la convention a l'échafaud. Que
« les tyrans calomnient le comité, c'est natu-
« rel; mais que la convention elle-méme semble
« écouter la calomnie, une pareille injustice
« est insupportable, et ii ne peut s'empécher
« de s'en plaindre. On s'est applaudi hier d'une
« heureuse clameur qui prouvait qne la liberté
« était impérissable , comme si la liberté avait
« été menacée. On a choisi , pour porter cette
« attaque, le moment oú lesmembres du comité
« étaient absents. Une telle conduite es! dé-
« loyale, et je propose tIe rapporter les amen-
« dements adoptés hier, et ceux qu'on vient
« de proposer aujourd'hlli.» - Bourdon ré-
pond que demander des explications sur une
loí n'est pas un crime; que s'il s'est applaudi
d'une clameur, c'est qu'il a, été satisfait de se
trouver d'accord avec la convention ; que si de
part et d'autre on montrait la méme aigreur,
il serait impossible de discuter. « On m'accuse ,
« dit-il, de parler comme Pitt et Cobourg; si
« je répondais .de méme , OH en serions-nous ?
« J'estime Couthon , j'estime les comités, j'es~




362 n¡';YULll'l'IUN .FILUH,:AISE.
IC time la Montagne qui a sauvé la liberté. )1 -
On applaudit ces explications de Bourdon ;
mais ces explications étaient des excuses, el
l'autorité des dictateurs était trop forte encore
pOllr étre bravée sans égards. Robespierre
prend la parole, et faít mi discours diífus, plein
d'orgueil et d'amerturne. ccMontagnards, dit-il ,


(C vous serez toujours le boulevart de la liberté
" publique, mais vous n'avez rien de commun
«<avec les intrígants et les pervers quels qu'ils
C( soient, S'ils s'efforcent de se r:.'lnger parmi
« vous, ils n'en sont pas moins étrangers a
« VQS príncipes. Ne souffrez pas que quelques
IC intrigants, plus méprísables que les autres ,
« parce qu'ils sout plus hypocrites, s'eíforcent
cc d'entrainer une partie d'entrevous , et de se
« faire les chefs d'un partí... » ~ Bourdon de
I'Oise interrompt Robespierre en disant qu'il
n'a jamais voulu se faire le chef d'un parti. -
Robespierre ne répond pas, et reprend : ce Ce
« serait,dit-il, le combJede l'opprobre, si des
({ calomniateurs, égarant nos collegues..... »
- Bourdon l'interrompt de nouveau. C( Je
ce demande, s'écrie - t - iI, qu'on prouvece
« qu'on avance; on vient de dire assez, claire-
« ment qlH: j'étais un scéIérat..- Je n'ai pas
« nommé Bourdon , répond Robespierre ; mal-
u. heur a qui se nomme lui-mérne! Uui , la




CONVENTION NATIONALE (1794). 363
« 1\1ontagne est }Jure, elle est sublime; les in-
« trigants ne sont pas de la Montagne. » Robes-
pierre s'étend ensuite longuement sur les ef-
forts qu'on fait pOlIr effrayer les membres de
la convention, et pOllr leur persuader qu'ils
sont en danger; il dit qu'il n'y a que des cou-
pables qui soient ainsi effrayés, et qui veuillent
effrayer les autres. Il raconte alors ce qui s'est
passé la veille entre Tallien et les espions ,
qu'il appelle des courriers du comité. Ce récit
amene des explications tres-vives de la part de
Tallien , et vaut a ce der.p.ier beaucoup d'in-
jures. Enfin on termine t~utes ces discussions
par l'adoption des demandes faites par Couthon
et Robespierre. Les amendements de la veille
sont rapportés, ceux du jour sont repoussés ,
et l'affreuse loi duaa reste telle qu'elle avait
été proposée,


Les meneurs dl~ comité triornphaient done,
encere une fois; leurs adversaires tremblaieut,
Tallien, Bourdon , Ruamps , Delacroix , Mal-,
larmé, tous ceux qui avaient fait des objections
a la Ioi , se croyaient perdus, et craignaientá
chaque instant d'étre ar rétés. Bien que le dé-
cret préalable de la convention fút nécessaire
pour la mise enaccusation, elle était encere
tellement intimidée qu'elle pouvait accorder
tout ce qu'on lui demanderait. Elle avait rendu




364 RÉVOI.l)');JON ~'RAN<';:AISI~.
le décret contre Danton ; elle pouvait bien le
rendre encare centre ceux de ses amis qui luí
survivaient, Le bruit se répandit que la liste
était faite; on portait le nombre des victirnes
a douze, puis a dix - huit. On les nornmait.
Bientót l'effroi se répandit, et plus de soixante
membres de la convention ne couchaient plus
chez eux.


Cependant un obstacle s'opposait ace qu'on
dísposát de leur vie aussi aisément qu'ils le
craignaient. Les chefs du gouvernement étaient
divisés. On a déja vu que Billaud- Varenues ,
Collot, Barrére , avaient froidement répondu
aux premieres plaintes de Robespierre centre
ses collégues, Les. memhres du comité de su-
reté générale lui étaient plus opposés que ja-
mais, cal' ils venaient d'étre éloignés de toute
coopération ala loi du 22, el il parait mérne
que quelques-uns d'entre eux étaient menacés.
Hobespierre et Couthon poussaient l'exígence
fort loin; ils auraient voulu sacrifier un grand
nombre de députés ; ils parlaient de Tallien.,
Bourdon de l'Oise, Thurio.t, Rovére , Lecointre ,
Panis , Monestier, Legcndre, Fréron, Barras;
ils demandaient méme Cambon, dontIa re-
nomm.ée financiare les genait, el qui avait
paru opposé aleurs cruautés; enfin ils auraien t
voulu porter leurs coups jusquc sur plusieurs




CONVENTION NA.TIONALE (I794). 365
membres de la Montagne les plus prononcés,
tels que Duval , Audouin, Léonard Bourdon ",
Les mernbres ducomité de salut public , Bil-
Iaud , Collot, Barrere, et tous ceuxdu comité
<le súreté générale) refusaient d'y consentir. Le
danger, en s'étendant sur un aussi grand nomo
bre de tetes, pouvait finir bientót par les me-
nacer eux-rnérnes.


lis étaient daos ces dispositions hostiles, et
peu portés a s'entendre sur un nouveau sacri-
fiee, lorsqu'unc derniere circonstance amena
une rllpture définitive, Le comité de. súreté
generalc avait fait la déeouverte des assem-
blées qui se tenaient chez Catherine Théot. Il
avaitappris que cette secte extravagante fai-
sait de Robespierre un prophete , et que celui-
ei avait donné un certificat de civisme a dom
Gerle. Aussitót Vadier, Vouland, Jagot, Amar,
résolurent de se ven gel' , en présentant cette
secte commc une réunion de conspirateurs
dangcrenx, en la dénoncant a la eonvention,
et en faisant partagel' ainsi a Robespierre le
ridicule et l'odienx qui s'attacherait aelle. On
envoya un agent , Sénart, qui, sous prétexte
de se faire initier, s'introduisit dans l'une des
réunions. Au milien de la cérémonie , il s'ap-


• Voye« ln liste fournie par Villat« dans ses rnémoires.




366 TI É\'OLllTION" FR AN~;A rSE.
procha d'une fenétre , donna le signal a la force
arrnée , et ,fit saisir la secte presque entiere.
Dom Gerle, Catherine Théot, furent arrétés,
On trouva le certificat de civisme donné par
Robespierre adom Gerlc; 011 découvrit mérne
dans le lit de la mere de Dieu une lettre qu'elle
écrivait a son fils chéri , au premier prophete ,
a Robespierre enfin. Quand Robespierreap-
prit qu'on allait poursuivre la secte , il voulut
s'y opposer, et provoqua une discussion sur
ce sujet dans le comité de salut public. On a
déja vu que BilIaud et Collot n'étaient pas déja
tres-portés pOllr le déisme , et qu'ils voyaient
avec ombrage l'usage politique que Robes-
pierre voulait faire de cette croyance. Ils opi-
naient pour les poursuites. Robespierre insis-
tant pour les empécher , la discussion devint
extrémement vive; il essuya les expressions
les plus injurieuses , ne réussit pas, et se retira
en pleurant de rage. La querelle avait été si
forte, que pour éviter d'étre entendusde ceux
qui traversaient les galeries, les membres du
comité résolurent de transporter le lieu de
Ieurs séances a l'étage supérieur, Le rapport
centre la secte de Catherine Théot fut fait a la
convention. Barrere , pour se venger de Robes-
pierre a sa maniere, avait rédigé secretement
le rapport (pie Vouland devait prononcer. La




CONVENTION N.-\ TION AU (1794). 367
secte y était représentée comme aussi ridicule
qu'atroce. La convention, tantót révo1tée, tan-
tót égayée par le tableau tracé par Barrere ,
décréta d'acousation les príncipaux chefs de la
secte, et les envoya au tribunal révolutionnaire.


Robespierre, indigné el de la résistance qu'il
rencontrait, el des propos injurieux qu'il avaít
essuyés, reuonca a paraitre au comité, et ré-
solut de ne plus prendre part a ses délibéra-
tions. 11 se retira dans les derniers jours de
prairial (milieu de juin ). Cette retraite prouve
de quelle nature était son ambition. Unambi-
tieux n'a jamais d'humeur; il s'irrite par les
obstacles, s'ernpare du pouvoir, et en écrase
ceux qui l'ont outragé. Un rhélenr faible et
vaniteux se dépite, et cede quand il ne trouve
plus ni flatteries ni respecls. Danton s'était re-
tiré p:1r paresse et dégoút; Bobespierre par
vanité blessée. Cette retraite lui fut aussi fu-
neste qu'a Danton. Couthon restait seul contre
Billaud-Varennes , Collot-d'Herbois, Barrere ,
et ces derniers allaient s'emparer de toutes les
aífnires.


Ces divisions n'étaient pas encore ébruitées ;
on savait seulement que les comités de salut
public et de sñreté générale n'étaient pas d'ac-
corrl ; on était enchanté de cette mésintelli-
gence, on espérait qu'elle empécherait de nou-


t




3G8 III(VOLUTlON FR AN~,\.ISE.
velIes proscriptions, 'Ceux qui étaient menacés
se rapprochaient du comité de süreté générale,
le flattaient, l'imploraient , etavaient méme
re<;u de quelques membres les promesses les
plus rassurantes. Élie Lacoste, Moyse Bayle "
Lavicornterie , Dubarran, les meilleurs des
membres du comité de süreté générale, avaient
promis de refuser leur signature a toute nou-
velle liste de proscription.


Au milieu de ces luttes, les jacobins étaient
toujours dévoués aRobespierre; ils n'établis-
saient pas encore de distinction entre les di-
vers membres du comité, entre Couthon,
Robespierre, Saint-Just d'un coté, et Billaud-
Varennes, Collot, Barrere de l'autre. lis ne
voyaient que le gOllvernement révolutionnaire
d'une part, et de l'autre quelques restes de la
faction des indulgents , quelques amis de Dan-
ton, qui , a propos de la loi du 2'.1 prairial,
venaient de s'élever contre ce gOllvernement
salutaire. Robespierre , qui avait défendu ce
gouvernement en défendant la Joi, était tou-
jours pOllr eux le premier et le plus grand ci-
toyen de la république ; tous les autres n'é-
taient que des intrigants qu'il fallait achever de
détruire. Aussí ne manquerent-ils pas d' exclure
Tallien de leur comité de correspondance,
paree qn'il n'avait pas répondu aux aecnsations




CONVENTION N ATION ALE ([ 794). 369
~lirigées 'centre Iui dans la séance du 24. Des
ce jour , ColIot et Billaud- Varennes, sentant
l'influcncc de Robespierre , s'abstinrent de pa-
raitre aux Jacobins. Qu'auraient-ils pu dire?
Ils n'auraient pu exposer leurs griefs tout per-
sonnels, et faire le public juge entre leur 01'-
gneil et celui de Robespierre. Il ne leur restait
qu'á se taire et aattendre. Robespierre et Con-
thon avaient done le champ libre. Le bruit
d'une nouvelle proscription ayant produit un
effet dangereux, Couthon se háta de démentir
devant la société les projets qu'on leur sup-
posait contre vingt-quatre et méme soixante
membres de la convention. « Les ombres de
« Danton, d'Héhert , de Chaumette, se pro-
« menent , dit-il , encore parmi nous; elles cher-
« chent a perpétuer le trouble et la división.
« Ce qui s'est passé dans la séance du 24 en
« est un exemple frappant; on veut diviser le
« gouvernement, discréditer ses membres, en
« les peignant comme des SyIla et des Néron;
« on délibere cn secret , on se réunit , on forme
« de prétendues listes de proscription , on ef-
« fraie les citoyens ponr en faire des ennernis
« de l'autorité publique. On répandait , il Y a
« peu de jours, le bruit que les comités devaient
« faire arréter dix-huit membres de la conven-
« tion ; déja mérne on les nommait. Défiez-


VI.




370 nÉVOLUTlON FIlANc.;;AJ5Ji.
« vous de ces insinuations perfides; ceux qui
« répandaient ces bruits sont des cornplices
« d'Hébert et de Danton; iLs craignent la pu.
({ nition de leur conduite criminelle; ils cher-
« chent as'accoler des gens purs, dans l'espoir
« que, cachés derriére eux , ils pourront aisé-
11 ment échapper a l'oeil de la justiee. Mais ras-
11 surez-vous , le nombre des coupables est heu-
11 reusement tres-petit ; illl'est que de quatre,
« de six peut-étre ; et ils seront frappés, cal'
« le temps est venu de délivrer la république
« des derniers ennemis qui conspirent centre
« elle. Reposez-vous de son salut sur l'énergie
« et la justice des comités. »


Il était adroit de réduire a un petit nombre
les proscrits que Robespierre voulait frapper.
Les jacobins applaudirent, suivant l'usage, le
discours de Couthon; mais ce disconrs ne ras-
sura aucune des victimes menacées, et eeux
qui se croyaient en péril n'en continuerent
pas moins de coucher hors de beurs maisons.
Jamais la terreur n'avait été plus grande, non
seulement dans la convention, mais dans les
prisons, et par toute la France.


Les cruels agents de Robespierre, l'aceusa-
teur Fouquier-Tinville , le président Dumas,
s'étaient emparés de la loi du 22 prairial, et
alLaient s'en servir pour ravager les prisons.




CONVEN'l'fON N ATJON ALE (1794). 371
Bientót , disait Fonquier, on mettra sur leurs
portes cet écritean : Maison alouer. Le projet
était de se délivrer de la plus grande partie
des suspects. On s'était aeeoutumé a les con-
sidérer cornrne des ennemis irréconciliables,
qu'il fallait détruire pour le salut de la républi-
que. Immoler des milliers d'individus n'ayant
d'autre tort que de penser d'une eertaine ma-
niere, et souvent mérne ne pensant pas autre-
ment que leurs persécuteurs, semblait une
chose toute naturelle, par l'habitude qu'on
avait prise de se détruire les uns les autres.
La facilité a faire mourir et a mourir soi-méme
était devenue extraordinaire. Sur les champs
de bataille, sur l'échafaud, des milliers d'hom-
mes périssaien t chaque jonr, et on 11'en était
plus étonné. Les premiers meurtres commis
en 93 provenaient d'une irritation réelle et
motivée par le clanger. Aujourd'hui les périls
avaient cessé, la république était vietorieuse,
on n'égorgeait plus par indignation, mais par
l'habitude funeste qu'on en avait contractée.
Cette machirre formidable qu'on fut obligé de
eonstruire pour résister a des ennernis de
toute espece commencait a n'étre plus néees-
saire ; rnais une fois mise en action, on ne sa-
vait plus l'arréter. Tout gouverneroent doit
avoir son exces , et ne périt que lorsqu'il a at-


'lIJ·




372 RÉVOLUTION FRt\N~Arsl~.
teint cet exceso Le gouvernement révolution-
naire ne devait pas finir le jour méme oú les
ennemis de la république seraient assez terri-
fiés ; il devait aller au-dela , il devait s'exercer
jusqu'á ce qu'il eút révolté tous les cceurs par
son atrocité méme. Les choses humaines ne
vont pas autrement, Pourquoi d'affreuses cir-
constances avaient-elles obligé de créer UlI
gonvernement de mort, qui ne régnerait et
ne vaincrait que par la mort?


Ce qui est plus effrayant encore , c'est que
lorsque le signal est donné, lorsque l'idée est
établie qu'il faut sacrifier des vies, et qu'en les
sacrifiant on sauvera l'état , tout se dispose
pour ce bu t affreux avec II ne singuliére faci-
lité. Chacun agit sans remords , sans répu-
gnance; on s'habitue a cela comme le juge a
envoyer descoupables au supplice, le méde-
cin a voir des étres souffrants sous son ins-
trument, le général a ordonner le sacrifice de
vingt mille soldats, On se fait UJI affreux lan-
gage suivant ses nouvelles oeuvres ; on sait
mérne le rendre gai, on trouve des mots pi-
qnants ponr exprimer des idées sanguinaires.
Chacun marche, entrainé , étourdi avec I'en-
scmble ; et on voit des hommes qui la veille
s'occupaient doucement des arts et du com-
merce , s'occuper avec la méme facilité de
mort el de destruction.




CONVENTHlN NATJONAU~ ('794). 373
Le comité avait donné le signal par la loi


du 22; Dumas et Fouquier l'avaient trap bien
compris.Il fallait cependant des prétextes pour
immoler tant de malheureux. Quel crime pou~
vait-on leur supposer, lorsque la plupart d'en-
tre eux étaient des citoyens paisiblcs , incon-
nus, qui n'avaient jamais donné al'état aueun
signe de vie? On imagina que plongés dans
les prisons ils devaient songer aen sortir, que
leur nombre devait leur inspirer le sentiment
de leurs forces , et leur donner l'idée de s'en
servir pour se sauver. La prétendue conspira-
tion de Dillon fut le germe de eette idée , qu'on
développa d'une maniere atroce. On se servit
de quelques misérables qui étaient détenus ,
et qui consentirent a jouer le role infame de
délateurs. lIs désignerent au Luxembourg
cent soixante prisonniers qui , disaient - ils,
avaieut pris part au complot de Dillon. On se
procura quelques-uns de ces faiseurs de listes
clans toutes les autres maisons d'arrét , et ils
dénoncerent dans chacune cent ou deux cents
individus comme complices de la conspiration
des prisons. Une teutative d'évasion faite a la
Force ne servit qu'a autoriser cette fable in-
digne, et sur-le-charnp ",on commen<;a a en-
voyer des centaines de malheureux au tribunal
révolutionnaire. On les acheminait des diverses




374 RÉVOLIlTION FRAN<,;AISE.
prisons a la Coneiergerie, pour aller de la au
tribunal et a l'éehafaud. Daos la nuit du 18 au
19 messidor (6 juin ), -on traduisit les eent
soixante désignés au Luxembourg. Ils trem-
blaient en entendant eet appel ; ils ne savaient
ce qu'on leur imputait, et ce qu'ils voyaient
de plus probable, e'était la mort qu'on leur
réservait, L'affreux Fouquier, depuis qu'il était
nanti de la loi du 22, avait opéré de grands
ehangements dans la salle du tribunal. Au lieu
des siéges des avoeats, et du bane des aecusés
qui ne eontenaient que 18 ou 20 places , il avait
fait construire un arnphithéátre qui pouvait
con tenir cent ou eent cinquante accusés a la
fois. Il appelait cela ses petits gradins. Pous-
sant son ardeur jusqu'á une espece d'extrava-
gance, il avait fait élever l'échafaud dans la
salle meme du tribunal, et il se proposait de
faire juger en une méme séanee les eent
soixante aeeusés du Luxembourg.


Le comité de salut public, en apprenant
I'espece de délire de son accusateur pub1ic,
l'envoya ehercher, lui ordonna de faire enlever
l'échafaud de la salle oú il était dressé, et lui dé-
fendit de traduire plus de soixante individus a
la fois. Tu veux done, lui dit Collot-d'Herbois
dans un transport de colere , démoraliscr le
suppliee? 1\faut cependant remarquer que Fou-




CONVENTJON NATIONALE (J 7!/1)' :h5
quier a prétendu le contraire , et soutenu que
c'était [ui qui avait demandé le jugement des
cent soixante en trois fois. Cependant tout
prouve que c'est le comité qui fut moins ex-
travagant que son ministre, et qui réprima
son délire. Il falIut renouveler une seeonde fois
aFouquier-Tinville J'ordre d'enlever la guillo-
tine de la salle du tribunal.


Les cent soixante furent partagés en trois
troupes , jugés et exéeutés en trois jours, La
procédure était devenue aussi expéditive el
uussi affreuse que celle qui s'employait dans
le guichet de I'Abbaye dans les nuits des '2 el
3 septembre. J,es charrettes , commandées poul'
tous les jours, attendaient des le matin dans la
cour du Palais-de-Justice , et les accusés pou-
vaient les voir en montant au tribunal. Le pré-
sident Dumas, siégeant eomme un furieux,
avait deux pistolets sur la tableo Il demandait
aux aceusés leur nom seulement, et y ajoutait
a peine une question fort générale. Dans l'in-
terrogatoire des cent soixante, le président dit
al'un d'eux , Dorival : Connaissez-vous la cons-
piration? - Non. - Je m'attendais que vous
feriez cette réponse , mais elle ne réussira paso
A un autre. - Il s'adresse au nommé Cham-
pigny: N'étes-vous pas ex-noble? - Oui. --'
A .un autre. A Guedreville : Etes-vous prétre ?




376 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
- OIlÍ, mais j'ai prété le serment. -- Vous
n'avez plus la parole. A un autre. Au nommé
Ménil ; N'étiez-vous pas domestique de l'ex-
constituant Menou? - OuÍ.-A un autre. AH
nommé "\"ely ; N'étiez -vous pas architecte de
Madame?-Oui, maisj'ai été disgracié en 17l;S.
- A un autre. A Gondrecourt ; N'avez - vous
pas votre beau-pere au Luxembourg? -- Oui.
- A un autre. A Durfort: N'étiez-vous pas
garde du corps? - Oui , mais j'ai été licencié
en 1789. - A un autre.


C'est ainsi que s'instruisait le preces de ces
rnalheureux: La loi portait qu'on ne serait dis-
pensé de faire entendre des témoins que 101'5-
qu'il y aurait des preuves matérielles ou mo-
rales; néanmoins on n'en faisait jamais appeler,
prétendant toujours qu'il existait des preuves
de eette espece. Les jurés ne se donnaíent pas
méme la peine de rentrer dans la salle du eon-
seil. Ils opinaient a l'audience méme , et le ju-
gement était aussitót prononcé. Les aeeusés
avaient eu a peine le temps de se lever et d'é-
noneer leurs norns, - Un jour, il y en eut un
dont le nom n'était pas sur la liste des accu-
sés, et qui dit au tribunal: Je ne suis pas ac-
cusé, mon nom n'est pas dans votre liste... -
Eh qu'importe! lui dit Fouquier; donne-Ie vite.
- Ille donna, et fut envoyé a la mort comrne




CONVENTION NATIONA.LJ<: ('794)· 377
les autres, La plus grande négligence régnait
ilans cette espece d'administration barbare.
Souvent on omettait, par l'effet de la grande
préeipitation, de signifier les actes d'accusation ,
et on lesdonnait auxaccusés al'audience méme.
On commettait les plus étranges erreurs, Un
digne vieillard , Loizerol!es, entend prononcer
a coté de son nom les prénoms de son fils; il
se garde de récIamer, et il est envoyé a la
mort. Quelque temps apres , le fils est jugé a
son tour; et il se -trouve qu'il aurait dú ne
plus exister , cal' un individu ayant tous ses
noms avait été exécuté : c'était son pere. II
n'en périt pas moins, Plus d'une fois on appela
des déteuus qui avaient déjá été exécutés de-
puis long-temps. Il y avait des centaines d'ac-
tes d'accusation tout préts , auxquels on ne
faisait qu'ajouter la désignation des individua.
On faisait de mérne pour les jugements. L'im-
primerie était a coté de la- salle mérne du tri-
bunal; les planches étaient toutes prétes , le ti-
tre , les motifs étaient tout cornposés ; il n'y
avait que les nOIl1S a y ajouter; on les trans-
mettait par une petite lucarne au prote. SUl'-
le-champ des milliers d'exernplaires étaient ti-
rés, et aHaient répandre la douleur dans les
familIes et l'effroi dans les prisons. Les petits
colporteurs venaient vendre le hulletin du tri-




378 n.ÉVOLVTlON l'RAN~AISE.
bunal sous les fenétres des prisonniers , el!
criant : Foici ceua: qui ont gagné ti la loterie
de la sainte guillotine! Les accusés étaient exé-
cutés au sortir de l'audience, ou tout au plus
le lendeipain , si la journée était trop avancée.


Les tetes tombaient, depuis la loi du 22 prai-
rial , par cinquante et soixante chaque jour.
(:a va bien, disait Fouquier, les tetes tombent
comme des ardoises, et il ajoutait : ll faut que
fa aille mie!!x encore la décade prochaine; il
m'en faut quatre cent cinquante au moins *.
Pour cela, on faisait ce qu'ils appelaient des
commandes aux moutons qui se chargeaient
d'espiouner les suspects. Ces infames étaient
devenus la terreurdes prisons, Enfermes comme
suspects , on ne savait pas au j liste quels étaient
ceux d'entre eux qui se chargeaient de dési-
gner les victimes; mais on s'en doutait a leu!'
insolence , aux préférences qu'ils obtenaient des
ge6liers, aux orgies qu'ils faisaient dans les
guichets avec les agents de la police. Souvent
ils laissaient connaitre leur importance pour
en trafique!'. Ils étaient caressés ~ implorés par
les prisonniers trembJan ts; ils recevaient méme
des sommes pour ne pas mettre un nom sur


* Voyez pour tons ces détails le long preces de Fou-
(JlIier-Tin ville.




CONVF:NTION NATroNAI.E (1794)· 379
leur liste. Ils faisaient leurs choix au hasard ;
ils disaÍent de celui-ci qu'il avait tenu un pro-
pos aristocrate ; de celui-la , qu'il avait hu un
jour oú ron annoncait une défaite des armées,
et leur seule désignation équivalait a un arrét
de mort. On portait les noms fournis par eux
sur autant d'actes d'accusation, et 011 venait le
soir signifier ces actes aux prisonniers, et les
traduire ala Conciergerie. Cela s'appelait dans
la langue des geóliers lejoumal du soir. Quand
ces infortunés enlendaient le roulement des
tornbereaux qui vcnaientIes chercher, ils étaient
dans une anxiété aussi cruelle que la mort ; ils
accouraient aux guichets, se collaient contre
les grilles pour écouter la liste, et tremblaient
d'entendre leur nom dans la houche des huis..
siers. Quand ils avaient été nommés, ils ern-
brassaient leurs compagnons d'infortune, et
recevaient les adieux de mort. Souvent on voyait
les séparations les plus douloureuses : c'était
un pere qui se détachait de ses enfants, un
époux de son épouse. Ceux qui survivaient
étaient-aussi malheureux que ceux que l'on
conduisait a la caverne de Fouquier-Tinville ;
ils rentraie,nt en attendant d'étre promptement
réunis a leurs proches. Quaud ce funeste appel
était achevé, les prisons respiraient, mais jus-
qu'au leudemain seulernent. Alors les angoisses




380 RÉVOLUTION FHAN~':AISE.
recommencaient de nouveau, et le funesto
roulement des charrettes ramenait la terreur.


Cependant la pitié publique commencait a
éclater d'une maniere inquiétante pour les ex-
terminateurs. Les marchandsde la rue Saint-
Honoré, oú passaient tous les jours les char-
rettes , fermaient leurs boutiques. Pour priver
les victimes de ces témoigoages de douleur, on
transpOl'ta l'échafaud ala barriere du Treme,
et 00 ne rencontra pas moins de pitié daus ce
quartier des ouvriers que dans les rues le mieux
hahitées de Paris. Le peuple, dans un moment
d'enivrement , peut devenir impitoyable pOlir
des victimcs qu'il égorge Iui-mérne ; mais voir
expirer chaque jour cinquante et soixante mal-
heureux, contre lesquels il n'est pas entrainé
par la fureur, est un spectacle qui finit bien-
tót par l'émouvoir. Cependant cette pitié était
silencieuseet timide encore. Tout ce que les
prisons renfermaient de plus distingué avait
succombé; la malheureuse soeur de Louis XVI
avait été immolée a son tour; des raugs éle-
vés on descendait déjá aux derniers raogs de
la société. Nous voyons sur la liste du tribu-
nal révolutionnaire a cette époque, des tail-
leurs , des cordonniers, des perruquiers, des
bouchers , des cultivateurs, des limonadiers ,
des ouvriers méme , condamnés ponr seuti-




CONVF:NTroN N ATION ALE ([ 794). 38 [
ments el propos réputés centre - révolution-
naires. Ponr clonner enfin une idée du nombre
des exécutions de cette époque, il suffira de
dire que du mois de mars 1793, époque ou le
tribunal entra en exercice, jusqu'au mois de
juin 1794 (22 prairial an 2), il avait condamné
cinq cent soixante-dix-sept personnes; et que
du 10 juin (22 prairial) au 9 thermidor
(27 jnillet), il en condamna mil1e deux cent
quatre-vingt-cinq; ce qui porte en tout le nom-
bre des victimes jusqu'au 9 thermidor, amille
huit cent soixante-deux.


Cependant les exécuteurs n'étaient pas tran-
quilles, Dumas était troublé, etFouquicrn'osait
sortir la nuit; il voyait les parents de ses vic-
times toujours préts a le frapper. Traversant
un jour les guichets du Louvre avec Sénart ,
il s'effraie d'uu bruit léger; c'était un individu
qni passait tout pres de lui.-(l Si j'avais été seul,
s'écria-t-il, il me serait arrivé quelque chose.»


Dans les principales villes de France la ter-
reur n'était pas moíns grande qu'á París. Carrier
avait été envoyé a Nantes pour ypunir la Ven-
dée. Carrier, jcune encore , était un de ces étres
mediocres et violents qui, dans l'entrainement
des guerres civiles, deviennent des monstres
de cruauté et d'extravagance. Il débuta par
dire , en arrivant a Nantes, qu'il faHait tont




382 RIhrOLUTION }'IUNC;:AISE.
égorger, et que, malgré la promesse de grace
faite aux Vendéens qui mettraient bas les ar-
mes, il ne fallait accorder quartier a aucun
d'entre eux, Les autorités constituées ayant
parlé de tenir la parole donnée aux rebelles,
- « Vous Mes des j ... f..... , leur dit Carrier,
vous ne savez pas votre métier , je vous ferai
tous guiIlotiner; » - et il comll1enc;a par faire
fusiller et mitrailler par troupes de cent et
deux cents fes malheureux qui se rendaient. Il
se présentait a la socié té populaire le sabre a
la main , l'injure a la houche, menacant tou-
jours de la guillotine. Bientót eette société ne
lui convenant plus, il la fit dissoudre. Il inti-
mida les autorités aun tel point, qu'elIes n'o-
saient plus paraitre devant lui. Un jour elles vou-
laient lui parler des subsistances , il répondit
aux officiers municipaux que ce n'était pas son
affaire, que le premier b ..... qui Iui parlerait
de subsistances , il lui ferait mettre la tete a
bas, et qu'il n'avait pas le temps de s'occuper
de leurs sottises, - Cet insensé ne croyait avoir
d'autre mission que ceHe d'égorger.


Il voulait punir a la fois et les Vendéens re-
belles , et les Nantais fédéralistes , qui avaient
essayé un mouvement en faveur des girondins,
apres le siége de leur viIle. Chaque jour, les
malheureux qui avaient échappé au massacre


\




, f. 38',:'»CONVFNTION N ATION A LE (179'4),
da Mans et de Savenay arrivaient en fonle,
chassés par les arrnées qui les pressaient de
tous cótés. Carrier les faisait enfermer dans les
prisons de Nantes, et en avait accumulé la
pres de dix mille. Il avait ensuite formé une
compagnie d'assassins , qui se répandaient dans
les campagnes des environs, arrétaient les fa-
mili es nantaises , et joignaient les rapines a la
cruauté. Carrier avait d'abord institué une
commission révolutiounaire devant laquelle il
faisait passer les Vendéens et les Nantais. JI fai-
sait fnsiller les Vendéens, et guillotiner les
Nantais suspects de fédéralisme 00 de roya-
lisme. Bielltot il trouva la formalité trop Ion-
gue, et le supplice de la fusillade sujet a des
inconvénients. Ce supplice était lent; il était
diíficile d'enterrer les cadavres, Souvent ils
restaient sur-le-champ du carnage, et infec-
taient l'air a tel point, qu'une épidémie régnait
dans la ville. La Loire , qui traverse Nantes,
suggéra une affreuse idée a Carrier : ce fut de
se débarrasser des prisonniers en les plongeant
dans le fleuve. Il fit un premier essai, chargea
une gabarre de quatre-vingt-dix prétres , sous
prétexte de les déporter , et la fit échouer a
quelque distancede la ville. Ce moyen trouvé,
il se décida aen user plus largement. Il n'em-
ploya plus la formalité rlérisoire de faire passer




384 RÉVOLUTION FlIAN9AfSF..
les condamnés devant une commission : il les
faisait prendre la nuit dans les prisons, par
bandes de cent et deux eents, et conduire sur
des bateaux. De ces bateaux on les transpor-
tait sur ele petits bátiments préparés pour eette
horrible fin. On jetait les malheureux a fond
de cale; on clouait les sahords , on fermait
l'entrée des ponts avec des planches; puis les
exécuteurs se retiraient dans des chaloupes ,
et des charpentiers placés dans des batelets
ouvraient les flanes des bátiments a coups de
hache, et les faisaient couler baso Quatre ou
cinq mille individus périrent de cette maniere
affreuse. Carrier se réjouissait d'av¿ir trouvé
ce moyen plus expéditif et plus salubre de dé-
livrer la république de ses ennemis. Il noya
non-seulement des hommes, rnais un grand
nombre de femmes et d' enfants. Lorsque les
familles vendéennes s'étaient dispersées apres
la déroute de Savcnay, une fouJe de Nantais
avaient reeueilli des enfants pour les élever.
« Ce sont des Iouveteaux ,» dit Carrier; et il
ordonna qu'ils fussent restitués ala république,
Ces malheureux enfants furent noyés pour la
plupart.


La Loire était chargée de eadavres; les vais-
seaux, en jetant l'ancre, soulevaien t quelquefois
des bateaux remplis de noyés. Les oiseaux d('




( 4 38t.CONVJ,NTION NATIONALE 179). ""
proie couvraient les rivages du fleuve, et se
nourrissaient de débris humains .... Les pois-
sons étaient repus d'une nourriture qui en ren-
dait l'usage dangereux , et la municipalité avait
défendu d'en pécher. Aces horreurs se joignaient
une maladie contagieuse et la disette. Au mi-
lieu de ce désastre , Carrier, toujours bouillant
de colére , défendait le moindre mouvement de
pitié, saisissait au collet, menacait de son sabre
ceux qui venaient Iui parler, et avait fait affi-
cher que quiconque viendrait solliciter pour
un détenu serait jeté en prison. Heureusement
le comité de salut public venait de le rem-
placer, car il voulait bien l'extermination , mais
sans extravagance. On évalue aquatre ou cinq
mille les victimes de Carrier. La plupart étaient
des Vendéens.


Bordeaux , Marseille, Toulon , expiaient leur
fédéralisme. A Toulon, les représentants Fréron
et Barras avaient fait mitrailler denx cents ha-
hitants , et avaient puni sur eux un crime 'dont
les véritables auteurs s'étaient sauvés sur les
escadres étrangeres. Maignet exercait dans le
département de Vaucluse une dictature aussi
redoutable que les autres envoyés de la con-


.. Déposition d'un capitaine de vaisseau dan s le procés
de Carrier.


VI. el:)




386 HÉVOLUTION j<'HAN~AISE.
vention. Il avait fait incendier le bourg de Bé-
douin, pour cause de révolte, et, a sa requéte,
le comité de salut public avait institué aOrange
un tribunal révolutionnaire, dont le ressort
comprenait tout le Midi, Ce tribunal était 01'-
ganisé sur le modele méme xlu tribunal révo-
lutionnaire de Paris, avec eette différence,
qu'il n'y avait point de jurés , et que cinq ju-
ges condamnaient, sur ce qu'ils appelaient des
preufJes morales, les malheureux que Maignet
recueillait dans ses tournées. A Lyon, les san-
glantes exécutions ordonnées par Collot-d'Her-
bois avaient cessé. La commission révolution-
naire venait de rendre compte de ses travaux, et
avait fourni le nombre des acquittés et des con-
damnés. Miliesix cent quatre-vingt-quatre indivi-
dus avaientété guillotinés, fusillés ou mitraillés,
Mille six cent quatre-vingt-deux avaient été
mis en liberté, par.lajustiee de la commission.


Le Nord avait aussi son proconsul. C'était
Joseph Lebon. II avait été prétre , et avouait
lui-méme que dans sa jeunesse iI aurait poussé
le fanatisme religieux jusqu'a fuer son pere et
sa mere, si on le lui avait ordonné. C'était un
véritable aliéné, moins féroce peut- étre que
Carrier , mais encore plus frappé de folie. A ses
paroles, a sa conduite , on voyait que sa tete
~tait égarée. TI avait fixé sa principa!e rési-




CONVENTION N ATION A.LE (1794). 387
dence a Arras. Il avait institué un tribunal avec
l'autorisation du comité de salut public, et par-
courait les départernents du Nord , suivi de ses
juges et d'une guillotine. Il avait visité Saint-Pol,
Saint-Omer, Béthune, Bapaume, Aire, etc.,
et avait laissé partout des traces sanglantes.
Les Autrichiens s'étant approchés de Cambray ,
et Saint-Just ayant cru apercevoir que les aris-
tocrates de eette ville entretenaient des liaisons
cachées avec I'enuemi , iI Y appela Lebon, qui
en quelques jours envoya a l'échafaud une
multitude de malheureux, et prétendit avoir
sauvé Cambray par sa fermeté. Quand Lebon
avait fini ses tournées, c'est a Arras qu'il re-
venait, La, il se livrait aux plus dégoútantes
orgies, avec ses juges et divers membres des
clubs. Le bourreau était admis a sa table, et y
était traité avec la plus grande considération.
Lebon assistait aux exécutions , placé sur un
balcon; de la il parlait au peuple, et faisait jouer
le s« ira pendant que le sang coulait. Un jour ,
ii venait de recevoir la nonvelle d'une victoire,
il courut a son balcon , et fit snspendre l'exé-
cution, afin que les malheureux qui allaient
recevoir la mort eussent connaissance des suc-
ces de la république.


Lebon avait mis tant de folie dans sa con-
duite , qu'il était accusable, meme devant le


'25.




3H8 nt:VOLUTION FRANQAISE.
comité de salut publico Des habitants d'Arras
s'étaíent réfugiés aParis, et faisaient tous leurs
efforts pour parvenir aupres de leur conótoyen
Rohespierre , et luí faire entendre lenrs plain-
tes. Quelques - uns l'avaient connu , et méme
obligé dans sa jeunesse; mais ils ne ponvaient
parvenir a le voir, Le député Guffroy, qui
était d' Arras, et qui avait un grand courage,
se donna beaucoup de mouvement aupres des
comités pour appeler leur attention sur la con-
duitede Lebon. Il eut me me la noble audace
de faire a la convention une dénonciation ex-
presse. Le comité de salut publicen prit COIl-
naissance, et ne put s'empécher de mander
Lebon. Cependant , comme le comité ne vou-
lait pas désavouer ses agents, ni avoir raíl' de
convenir qu'on pút étre trop sévere envers les
aristocrates , il renvoya Lebon aArras, et em-
ploya en luí écrivant les expressions suivantes':
« Contínue de faire le bien , et fais-le avec la
« sagesse et avec la dignité qui ne laissent point
« prise aux calomnies de I'aristocratie. » Les
réclamations élevées contre Lehon par Guf-
froy, dans la convention, exigeaient un rap-
port du comité. Barreré en fut chargé. «Toutes
ce les réc1amations contre les représentants,
« dit-il , doivent étre jugées par le comité, pour
ce évitf'r des débats qui troubleraient le gou-




CONVU'ITWN NATIONALE (1794). 389
( vernement et la convention. Gestee que nous
« avons fait ici, al'égard de Lehon ; nous avons
ce recherché les motifs de sa conduite. Ces mo-
« tifs sont-ils purs? le.résultat est-il utile ala ré-
({ volution? profite-t-il á la liberté? les plaintes
« ne sont-elles que récriminatoires, ou ne sont-
« elles que les cris vindicatifs de l'aristocratie?
({ c'est ce que le comité a vu dans cette affaire.
({ Des formes un peu acerbes ont été employées;
({ mais ces formes ont détruit les piéges de l'a-
« ristocratie, Le comité a pu sans doute les
({ improuver; mais Lebon a complétement
« battu les aristocrates et sauvé Cambray; d'ail-
« leurs que n'est-il pas permis a la haine d'un
({ républicain contre l'aristocratie! de combien
« de sentiments généreux un patriote ne trouve-
.« t-il pas a couvrir ce qu'il peut y avoir d'acri-
« monieux dans la poursuite des ennemis du
« peuple? Il ne faut parler de la révolution
« qu'avec respect, des mesuresrévolutionnaires
« qu'avec égard. La libérlé est une uierge dont
({ il est coupable de souleoer le voile. »


De tout cela, il résulta que Lebon fut auto-
risé acontinuer, et que Guffroy fut rangé paemi
les censeurs importuns du gouvernement révo-
Iutionnaire , et exposé apartager leurs périls. 11
était évident que le comité tout entier voulait le
régime de la terreur. Rohespierre , Couthon,




390 RÉVOLUTION FRAN9AISE.
Billaud , Collot - d'Herhois , Vadier , Vouland,
Amar, pouvaient étre divisés entre eux sur
Ieurs prérogatives, sur le nombre et le choix
de leurs collégues 11 sacrifier; mais ils étaient
d'accord sur le systeme d'exterminer tous ceux
qni faisaíent obstacle a la révolution. lis ne
voulaient pas que ce systeme fút appliqué avec
extravagance par les Lebon, les Carrier; mais
ils voulaient qu'á l'exemple de ce qui se faisait
a Paris, on se délivrát d'une maniere prompte,
súre et la moins bruyante possible , des enne-
mis qu'ils croyaient conjurés contre la répu-
blique. Tout en hlámant certaines cruautés fol-
les, ils avaient l'amour-propre du pouvoir, qui
ne veut jamais désavouer ses agents; ils con-
damnaient ce qui se faisait aArras, a Nantes,
mais.ils l'approuvaient en apparence , pourne
pas reconnaitre un tort á leur gouvernemellt.
Entrainés dans cette affreuse carriere , ils avan-
«;aient aveuglément, et ne sachant oú ils al-
laient aboutir. Telle est. la triste condition de
l'homme engagé dans le mal, qu'il ne peut plus
s'y arréter. Des qu'il commence 11 concevoir
ura doute sur la nature de ses actionsvdésqu'il
peut entr.evoirqu'il s' égare , au lieude rétro-
grader, il se précipite en avant, comme pour
s'étourdir, eomme pourécarter les lueurs qui
l'assiégent. Pour s'arréter, il faudrait qu'il se




CUNVENTiON NATION ALE ('794). 391
calrnát , qu'il s'exarninát , et qu'il portát sur
lui-méme un jugement effrayant dont aucun
hum me n'a le courage.


Il n'y avait qu'un soulevernent général qui
pút arréter les auteurs de cet affreux systeme.
Dans ce soulevement devaient entrer , et les
membres des comités, jaJoux du ponvoir SH-
préme , et les montagnards menacés, et la con-
veution indignée, et ton!'> les coeurs révoltés de
cette horrible effusion de sango Mais, pour ar-
river acette aLlianee de la jalousie, dela erainte,
de l'indignation, il fallait que la jalousie fit des
progres dans les comités, que la crainte devint
extreme a la Montagne, que l'indignation ren-
dit le courage ala convention et au public. Il
fallait qu'une occasion fit éclater tous ces sen-
timents ala fois ; il fallait que les oppresseurs
portassent les prerniers COllpS, pourqu'on osát
les leur remire.


L'opinion était disposée , etIe moment arri-
vait oú un mouvement au 110m de l'humanité
contre la violence révolutionnaire était possi-
ble. La républiqne étant victorieuse , et ses en-
nemis terrifiés, on al!ait passel' de la craiute
et de la fureur a la eonfiance et a la pitié. C'é-
tai t la premiere fois, dans la.révolution, qu'un
tel événement devenait possibJe. Quand les gi-
rondius, quand les dantonistes périrent, il n'é-




3~)'l miVOLUTION f'RANQ.AISE.
tait pas temps encore d'invoquer l'humanité
Le gouvernement révolutionnaire n'avait en-
core perdu alors ni son utilité ni son crédito


En attendant le moment, on s'observait , et
les ressentiments s'accumulaient dans les coeurs.
Robespierre avait entiérernent cessé de paraitre
au comité de salut publico Il espérait discrédi-
ter le gouvernement de ses collegues , en n'y
prenant plus aucune part; il ne se montrait
qu'aux Jacobins, oú Billaud et Collot n'osaient
plus paraitre, et oú il était tous les jours plus
adoré. Il commencait ay faire des ouvertures
sur les divisions intestines des comités. «Autre-
( fois, disait-il (13 messidor), la faction sourde
( qui s'est formée des restes de Danton et de
« Camille Desmoulins, attaquait les comités en
(e masse; aujourd'hui , elle aime mieux attaquer
ce quelques membres en particulier, pour par-
« venir abriserle faisceau. Autrefois, elle n' o-
« sait pas attaquer la justice nationale; aujour-
« d'hui , elle se croit assez forte pourcalomnier
« le tribunal révolutionnaire, et le décret con-
« cernant son organisation; elle attribue ce qui
( appartient a tout le gouvernement aun seul
( individu; elle ose dire que le tribunal révo-
(( Iutionnaire a été institué pour égorger la
« convention nationale, et malheureusement
( elle n'a obtenu que trap de confiance, On a




CONVENTION N ATlON AU: (1 79'1)' 393
« cru ases calomnies, on les a répandues avec
« affectation; on a parlé de dictateur , on I'a
« nommé; c'est moi qu'on a désigné, et vous
( frémiriezsije vous disais en quel Iieu, La vé-
« rité est mon seul asile contre le crime. Ces ca-
« lomnies ne me décourageront pas sans doute,
« mais elles me Iaissent indécis sur la conduite
« que j'ai a tenir. En attendant que j'enpuisse
I( dire davantage, j'invoque pOUl' le salut de
« la république les vertus de la convention,
tf les vertus des comités, les vertus des bons ci-
« toyens, et les vótres enfin, qui ont été si sou-
« vent utiles a la patrie. »


On voit parquelles insinuations perfides Ro-
bespierre commencait a dénoncer les comités,
et arattacher exclusivement a lui les jacobins.
On le payait de ces marques de confiance par
une adulation sans bornes, Le systeme révolu-
tionnaire Iui étant imputé a lui seul , il était
naturel que toutes les autorités révolutionnai-
res lui fussent attachées , et embrassassent sa
canse avec chaleur. Aux jacobins devaient se
joindre la commune, toujours unie de principes
et de conduite avec les jacobins, et tOU5 les
jugeset jurés du tribunal révolutionnaire.Cette
réunion forrnait une force assez considérable ,
et, avec plus de résolution et d'énergie, Ro-
bcspierre aurait pu devenir tres - redoutable.




3~)l1 IU~VOLUTroN FRAN(¡:,\ISE.
Par les jacobins, il possédait une masse turhu-
len te, qni jusqu'ici avait représenté et dominé
l'opinion; 'par la commune,' il dominait l'au-
torité locale, qui avait pris l'initiative de toutes
les insurrections, et surtout la force armée de
Paris. Le maire Pache, et le commandant Hen-
riot, sauvés par lui lorsqu'on allait les adjoin-
dre a Chaumette, lui étaient dévoués entiere-
mento Billaud et Collot avaient profité, il est
vrai , de son absence du comité pour enfermer
Pache; mais le nouveau maire Fleuriot, l'agent
national Payan, lui étaient tout aussi attachés ;
et on n'osa pas lui enlever Henriot, Ajoutez a
ces personnages le président du tribunal Du-
mas, le vice - président Coffinhal, et tous les
autres juges et jurés, et on aura une idée .des
moyellsque Robespierre avait dansParis. Si
les comités.et la convention ne lui obéissaient
pas, il n'avait qu'a se plaindre aux Jacobins, y
exciter un mouvement, communiquer ce mou-
vement 11 la commune, faire déclare~ par .l'au-
torité municipale que le peuple rentrait dan s
ses pouvoirs souverains , mettre les sections sur
pied, et envoyer Henriot dernander a la ton-
vention cinquante ou soixante députés. Dumas
et Coffinhal ,et tout le tribunal, étaient en-
suitc a ses ordres, pour égorger les députés
qu'Henriot aurait ohtenus amain armée. Tous




CONVENTION N ATWNALll (1794). 395
les moyens enfin d'un 31 mai, plus prompt,
plus sur que le premier, étaient dans ses mains.
Aussi ses partisans, ses sicaires l'entouraient
et le pressaient d'en donner le signa!. Henriot
offrait encore le déploiement de ses colonnes,
et promettait d'étre plus énergique qu'au 2 jUill~
Robespierre, qui aimait mieux tout faire par
la parole, et qui croyait encore pouvoir beau-
coup par elle, voulaitattendre, II espérait dé-
populariser les comités par sa retraice et par
ses discours aux Jacobins, et il se proposait
ensuite de saisir un moment favorable pour
Les attaquer ouvertement a la convention. n
continuait, malgré son espece d'abdication , de
diriger le tribunal, et d'exercer une police ac-
tive au moyen du bureau qu'il avait institué.
n surveillait par la ses ad versaires, et s'ins-
truisait de toutes leursdémarches. Il se donnait
maintenantun peu plus de distractions qu'au-
trefois. On le voyait se rendre daos une fort
belle maison de campagne, chez une famille
qui luí était dévouée, a Maisons-Alfort, atrois
lieues de París, La, tous ses partisans l'accom-
pagnaient; la, se rendaient Dumas, Coffinhal,
Payirn~· Pleuriot, Heuriot y venait souvent-avec
tous ses aides-de-camp ; ils traversaient les rou-
tes sur cinq de front, et au galop, renversant
les pcrsonnesqui étaient devant •eux, et ré-




396 ¡dVOLUTJON FIII\N<;A [SE.
pandant par leur présence la terreur dans le
pays. Les hótes, les amis de Robespierre fai-
saient sonp<:;onner par leur indiscrétion beau-
conp plus de projets qu'il n'en méditait , et
qu'il n'avait le courage d'en préparer, A París,
il était toujours entouré des mémes personna-
ges; il était suivi de loin en loin par quelques
jacobins ou jurés du tribunal, gens dévoués ,
portant des bátons et des armes secretes, et
préts a courir a son secours au premier dan-
gel'. On les nommait ses gardes-du-corps.


De leur coté, Billaud-Varennes , Collot-d'Her-
hois , Barrere , s'emparaient du maniement de
toutes les affaires, et, en l'absence de leur ri-
val, s'attachaient Carnot, Robert Lindet et
Prieur de la Cote-d'Or. UU intérét commun
rapprochait d'eux .le comité de süreté. géné-
Filie; du reste, ils gardaieut tous le plus grand
silence. Ils cherchaient a diminuer peu a peu
la puissance de leur adversaire , en réduisant
la force armée de Paris. Il existait quarante-
huit compagnies de canonniers, appartenant
aux quarante-huit sections, parfaiternen t or-
ganisées, el ayant fait preuve dans toutes les
circonstances de l'esprit le plus révolution-
naire. Toujours elles s'étaient rangées pour le
partí de l'insurrection, depuis le 10 aoút jus-
qu'au 31 mai, Un décret ordounait d'en laisser




~ONVEiVTION NA'lrONA.LE (1794). 3~n
la moitié au moins dans Paris, mais permettait
de déplacer le reste. Billaud et Collot ordon-
nerent au chef de la cornmission du mouvement
des armées, de les acheminer successivernent
vers la frontiere. Dans toutes leurs opérations,
ils se cachaient beaueoup de Couthon, qui, ne
s'étant pas retiré eomme Robespierre, les ob-
servait soigneusement, et leur était incom-
mode. Pendant que ces choses se passaient ,
Billaud, sombre, atrabilaire, quittait rarement
Paris ; mais le spirituel et voluptueux Barrere
allait a Passy avec les principaux membres du
comité de súreté générale, avec le vieux Va-
dier, avec Vouland et Amar. Ils se réunissaient
chez Dupin , ancien fermier-général, fameux
dans l'ancien régime par sa cuisine , et dans la
révolution par le rapport qui envoya les fer-
miers-généraux ala mort. La, ils se livraient a
tous les plaisirs avec de belles femmes, et Bar-
rere exercait son esprit centre le pontife de
l'Érre-Supréme, le premier prophéte, le fils chéri
de la mere de Dieu. Aprés s'étre égayés, ils sor-
taient des bras de leurs courtisanes, ponr re-
venir aParis, au milieu dn sang et des rivalités.


De leur coté, les vieux membres de la Mon-
tagne qui se sentaient menacés se voyaient se-
creternent, et táchaient de s'enrendre. La femme
généreuse qui, a Bordeaux , s'était attachée a




398 H~VOLUTION FRANl;:AISF.
Tallien, el Iui avait arraché une foule de vic-
times, l'excitait du fond de sa prison afrapper le
Iyran. A Tallien, Leeoin tre , Bourdon de I'Oise ,
Thuriot, Panis, Barras, Fréron , Monestier,
s'étaient joints Guffroy, l'antagoníste de Lebon;
Dubois-Crancé , eompromis au siége de Lyon et
détesté par Couthon; Fouehé de Nantes, qui
étaít brouillé avec Robespierre, et auquel on
reprochait de ne s'étre pas conduit a Lyon
d'une maniere assez patriotique. Tallien et Le-
eointre étaíent les plus audacieux et les plus
impatients. Fouché était surtout fo1't redouté
par son habileté a nouer et a eonduire une
intrigue, et c'est sur luí que se déchainerent
le plus violemment les triumvirs.


A propos d'une pétition des jaeobins de
Lyon , dans laquelle ils se plaignaient aux ja-
cobins de París de leur sítuation actuel1e, 00
revint sur toute l'histoire de cette malheu-
reuse cité. Couthon dénonca Dubois-Crancé ,
eomme il l'avait déja fait quelques mois aupa-
ravant , I'accusa d'avoir laissé écbapper Précy,
et le fit rayer de la liste des jacobins. Robes-
pierre accusa Fouché, et luí imputa les in-
trigues qui avaíent conduít le palriote Gaillard
a se donner la mort. Il fit décider que Fouché
serait appelé devant la société pour y justifier
sa eonduite. C'étaient mOlOS les menées de




CONVENTrO'l/ NATlONALE (17~)4). :)99
Fouché aLyon , que ses menées a Paris, que
Robespierre redoutait et voulait punir. Fou-
ché, qui sentait le péril, adressa une lettre
évasive aux jacobins, et les pria de suspendre
leur jugement, jusqu'á ce que le comité auquel
il venait de soumettre sa conduite et de four-
nir toutes les pieces a I'appui , eút prononcé
une sentence. « Il est étonnant , s'écria Robes-
« pierre, que Fouché implore aujourd'hui le
« secours de la convention contre les jacobins.
« Craint-il les yeux et les oreilles du peuple?
« craint-il que sa triste figure ne révele le crime?
« craint-il que six milIe regards fixés sur luí ne
« découvrent son ame dans ses yeux, et qu'en
« dépit de la natnre qui les a cachés, on n'y
« lise ses pensées? La conduite de Fouché est
« celle d'un coupable ; vous ne pouvez le gar-
« del' plus long-temps dans votre sein ; il faut
« l'en exclure.» Fouché fut aussitót exclu,
eomme venait de l'étre Dubois-Crancé. Ainsi
tous les jours l'orage grondait plus fortement
contre les montagnards menacés, et de tous
cótés l'horizon se chargeait de nuages.


Au milieu de cette tourmente, les membres
des comités qui craignaient Robespierre , au-
raient mieux aimé s'expliquer, et concilier leur
ambition, que se livrer un combat dangereux.
Robespierre avait mandé son jeune collégue




qoo nÉVOLUTION l'RANyA [SE.


Saint-Just, et ceIui-ci était revenu aussitót de
l'armée. On proposa de se réunir, pour essayer
de s'entendre. Robespierre se fit beaucoup
prier avant de consentir a une entrevue ; il Y
consentit enfin, et les deux comités s'assern-
blérent. On se plaignit réciproquement avec
beaucoup d'amerturne. Robespierre s'exprima
sur lui-mérne avec son orgueil accoutumé, dé-
nonca des conciliabules secrets , parla de dé-
putés conspirateurs a punir, bláma toutes les
opérations du gOllvernement, et trouva tout
mauvais , admínistration, guerre et finances.
Saint-Just appuya Robespierre , en fit un éloge
magnifique, et dit ensuite que le dernier espoir
de l'étranger était de diviser le gouvernement.
11 raconta ce qu'avait dit un officier faít prison-
nier devant Maubeuge. On attendait , suivant
cet officier, qu'un partí plus modéré abattit le
gouvernement révolutionnaire, et fit prévaloir
d'autres príncipes. Saint-Just s'appuya sur ce
fait, pour faire sentir davantage la nécessité
de se concilier et de marcher d'accord. Les an-
tagonistes de Robespierre étaient hien de cet
avis, et ils consentaient a s'entendre pour res-
ter maitres de l'état; mais pour s'entendre il
faIlait consentir' a tout ce que voulait Robes-
pierre, el de pareilles conditions ne pouvaient
Ieur convenir. Les rnembres du comité de sú-




CONVENTION NATIONALli (1794). 401
reté générale se plaignirent beaucoup de ce
qu'on leur avait enlevé leurs fonctioIls; Élie
Lacoste poussa la hardiesse jusqu'a dire que
Couthon , Saint-Just etRohespierre formaient
un comité dans les comités, et osa méme pro-
noncer le mot de triurnvirat. Cependant on
convint de quelques concessions réciproques.
Rohespierre consentit aborner son bureau de
police générale a la surveil1ance des agents du
-comité de salut public; et en retour, ses adver-
saires consentirent acharger Saint-Just de faire
un rapport ala convention, sur I'entrevue qui
venait d'avoir lieu. Daos ce rapport, eomme
on le pense bien, on ne devait pas convenir
des divisions qui avaient régné entre les co-
mités, mais on devaitparler des commotions
que l'opinion publique venait de ressentir dans
les derniers temps, et fixer la marche que le
gouvernement se proposait de suivre, Billaud
et Collot insinuérent qu'il ne faHait pas trop y
parler de l'Etre-Supreme, cal' ils avaient tou-
jours le pontificar de Robespierre devant les
yeux. Cepeudant Billaud, avec son air sombre
et peu rassurant, dit aRohespierre qu'il n'avait
jamáis été son ennerni , et on se sépara sans
s'étre véritablement réconciliés , mais en pa-
raissant un pell moins divisés qu'auparavant.
Une pareille réconciliation ne pouvait rien


VL 26




402 nÉvoLuTION FRAN9AISE.
avoir de réel, cal' les ambitions restaient les
mérnes ; elle ressemblait a ces essais de trans-
action que: font tous les partís avant d'en ve-
nir aux mains ; elle était un vrai baiser Lamou-
rette; elle ressemblait atoutes les réconciliations
proposées entre les constitúants et les giron-
dins, entre les girondins et les jacobins, entre
Danton et Robespierre.


Cependant sí elle ne mit pas d'accord les
divers membres des comités, elle effraya beau-
coup les montagnards; ils crurent que leur
perte serait le gage de la paix, et ils s'effor-
cerent de savoir quelles étaient les conditions
du traité. Les mernbres du comité de súreté
générale s'empresserent de dissiper Ieurs crain-
tes. Élie Lacoste, Dubarran , Moyse Bayle, les
membres les meilleurs du comité, lestran-
quilliseJ'ent, etleur dirent qu'aucun sacrifice
11' avait été convenu. Le fait était vrai, et e'était
une des raisons qui empéchaient la reconcilia-
tion de pouvoir étre en tiere. Néanrnoins BaI'-
rere, qui tenaitbeaucoup á ce qu'on fut d'accord,
ne manqua pas de répéter dans ses rapports
journaliers que les mernbres du gouvernement
étaient parfaitement unis, qu'ils avaient été
injustement accusés de ne pas I'étre , et qu'ils
tendaient, par des efforts communs, a rendre
la république partout victorieuse. Il feignit




eONVENTION N ATIONALE (J 79{~). 403
d'assnmer sur tous les reproches élevés contre
les triumvirs , et il repoussa ces reproches
commc des calomnies coupables et dirigées
également contre les deux comités. «Au milieu
« des cris de la victoire, dit-il , des bruits sourds
(e se font entendre, des calomnies obscuros cir-
« culent , des poisons subtils sont infusés dans
e( les journaux, des complots funestes s'our-
« dissent , des mécontentements factices se
« préparent, et le gouvernement est sans cesse
« vexé, entravé dans ses opérations, tourmenté
« dans ses mouvements, calomnié dans ses
« pensées, et menacé dans ceux qui le com-
(e posent. Cependant qu'a-t-il fait?)) Ici Barreré
ajoutait l'énumération accoutumée des travaux
et des services du gouvernement.






CONVENTION NATlONA.LE (1794). 405


CI-IAPITRE VIL


EG7


Opérations de l'armée du Nord vers le milieu de 1794.
Prise d'Ypres. -Formatioll de l'armée de Sambre-et-
Meu~e.Bataille de Fleurus. Occupation de Bruxelles. -
Derniers jours de la terreur; lutte de Robespierre et
des triumvirs contre les autres membres des comités.
Journees des 8 et 9 thermidor; arrestation et supplice
de Robespierre, Saint-Just. - Marche de la révolu-
tion depuis 119 jusqu'au 9 thermidor..


PENDANT que Barrere faisait tous ses efforts
pour cacher la discorde des comités, Saint-Just,
malgré le rapport qu'il avait a faire, était re-
tourné al'armée, OU s,e passaient de grands évé-
nernents. Les mouvements cornmencés sur les
deux ailes s'étaient continués, Picbegru avait
poursuivi ses opérations sur la Lys et l'Es-
caut , Jourdan avait cornmencé les siennes sur




406 RÉVOLUTION"FnANC;;;AISl-:.
la Sambre. Profitant de l'attitucle défensive que
Cobourg avait prise a Tournay, depuis les ha-
tailles de Turcoing et de Pont-a-Chin , Pichegru
projetait de battre Clerfayt isolément. Cepen-
dant il n'osait s'avaneer jusqu'á Thielt , et il
résolut de commencer le siége d'Ypres, dans
le double but d'attirer Clerfayt a lui, et de
prendre eette place, qui eonsoliderait l'éta-
blissement des Franeais dans la West-Flandre,
Clerfayt attendait des renforts , et il ne fit au-
eun mouvement. Pichegru alors poussa le siége
d'Ypres si vivement , que Cobourg et Clerfayt
crurent devoir quitter leurs positions respec-
tives pour aller au secours de la place me-
nacée, Pichegru, pour empécher Cobourg de
poursuivre ce mou vement, fit sortir des troupes
de Lille, et exécuterune démonstration si vive
sur Orchies , queCobonrg fut retenu a Tour-
nay; en méme temps i1 se porta en avant, et
courut a Clerfayt, qui s'avancait vers Rousse-
laer el Hooglede. Ses mouvernents prompts et
bien concus lui fournissaient encore l'occasion
de battre Clerfayt isolément. Par malheur, une
divisiun s'était trompée de route, Clerfayt eut
le temps de se reporter ason camp de Thielt,
apres une perte légere. Mais trois jours apres ,
le 26 prairial (13 juin), renforeé par le déta-
ehement qu'il attendait , il se déploya a l'im-




CONVI-:NTJON NATJONALI-: (J 794)· 407
proviste en face de nos colonnes avec trente
mille hornmes. Nos soldats coururent rapide-
ment aux armes, mais la division de droite ,
attaquée avec une grande impétuosité , se dé-
banda, et laissa la división de gauche décou-
verte sur le plateau d'Hooglede. Macdonald
commandait cette división de gauche; il sut la
maintenir contre les attaques réitérées de front
et de flanc auxquelles elle fut long-temps ex-
posée ; par cette courageuse résistance, il donna
a la brigade Devinthier le temps de le rejoin-
dre, et il obligea alors Clerfayt a se retirer
avec une perte considérablc. C'était la cin-
quiérne fois que Clerfayt, mal secondé , était
battu par notre armée du Nord. Cette action ,
si honorable pour la di'Vision Macdonald, dé-
cida la reddition de la place assiégée. Quatre
jours apres , le 2g·prairial (17 juin) , Ypres ou-
vrit ses portes, et une garnison de sept mille
hommes mit bas les armes. Cobourg aIlait se
porter au secours d'Ypres et de Clerfayt, lors-
qu'il apprit qu'il n'était plus temps. Les évé-
uements qui se passaient sur la Sarnbre , l'obli-
gerent alors ase diriger vers le coté opposé du
théátre de la guerreo Il Iaissa le duc d'York sur
l'Escaut , Clerfayt a Thielt, et marcha avec
toutes les troupes autrichiennes vers Charle-
roi. C'était une véritable séparation entre les




/~o8 RÉVOLUTION FllAN<;AI8E.
puissances principales, l'Angleterre et l'Au-
triche, qui vivaient assez mal d'accord, et dont
les intéréts tres-différents éclataient ici d'une
maniere tres-visible. Les Anglais restaient en
Flandre vers les provinces maritimes , .et les
Autrichiens couraient vers leurs communica-
tions menacées. Cette séparation n'augmenta
pas peu leur mésintelligence. L'empereur d'Au-
triche s'était retiré aVienne, dégoüté de cette
guerre sans succes ; et Madi, voyant ses plans
renversés, avait de nouveau quitté l'état-major
autrichien,


Nous avons vu Jourdan arrivant de la Mo-
selle a Charleroi, au moment oú les Francais ,
repoussés pour la troisieme fois, repassaient la
Sarnbre en désordre. Apres avoir donné quel-
ques jours de répit aux troupes, dont les-unes
étaient abattues de leurs défaites, et les autres
de leur marche rapide, on fit quelque chan-
gement a leur organisation. On composa des
divisions Desjardins et Charbonnier, et des
divisions arrivées de la Moselle, une seule ar-
mée, qui s'appela armée de Sambre-et-Meuse;
elle s'élevait a soixante-six mille hommes en-
viron , et fut mise sous les ordres de Jourdan.
Une division de quinze mille hommes, com-
mandée par Schérer , fut laissée pour garder la
Sambre , de Thuin a Maubeuge.




CONVENTION NATlONALE (1794). 409
Jourdan résolut aussitót de repasser la Sam-


bre et d'investir Chat-leroi. La division Hatry
fut chargée d'attaquer la place, et le gros de
l'arrnée fut disposé tout a utour , pour protéger
le siége. Charleroi est sur la Sambre. Au - delá
de son enceinte , se trouvent une suite de po-
si tions forrnant un demi-cercle , dont les extré-
mités s'appuient a la Sambre. Ces positions
sont peu avantageuses, parce que le demi-
cercle qn'elles déerivent est de dix lieues d'é-
tendue, paree qu'elles sont peu liées entre
elles, et qu'elles ont une riviere a dos. Kléber
avec la gauche s'étendait depuis la Sambre
j usqu'á Orehies et Traségnies, el faisait garder
le ruisseau du Piéton , qui traversait le champ
de hataille , etvenait tomber dans la Sambre.
Au centre,Morlot gardait Gosselies ; Champion-
net s'avancait entre Hépignies et Wagné; Le-
fevre tenait Wagné, FJeurus et Lambusart. A
la droite, enfin, Marceau s'étendait en avant du
hois de Campinaire, et rattachait notre Iigne
a la Sambre. Jourdan, sentant le désavantage
de ces posit ions , ne voulait pas y rester, et se
proposait, pour en sortir , de prendre l'initia-
tive de l'attaque le 28 prairial (16 juin) au
matin. Dans ce moment, Cobourg ne s'était
point encore porté sur ce point; i] était a
Tournay , assistant a la défaite de Clerfayt et á




1JO RÉVOLIlTION FRAN~~AISE.
la prise d'Ypres. Le prince d'Orange, envoyé
vers Charleroi, commandait l'armée des coa-
Iisés. n résolut de son coté de prévenir l'atta-
que dont il était menacé , et des le 28 au matin ,
ses troupes déployées ohligerent les Francais
a recevoir le combat sur le terrain qu'ils oc-
cupaient, Quatre colonnes, disposées contre
notre droite et notre centre, avaient déja pé-
nétré dans le bois de Campinaire, OU était
Marceau, avaient enlevé Fleurus a Lefevre ,
Hépignies a Championnet, et allaient replier
MorIot de Pont-a-Migneloup sur Gosselies,
lorsque Jourdan , accourant apropos avec une
réserve de cavalerie , arréta la quatrierne co-
lonne par une charge heureuse , ramena les
troupes de Moriot dans Ieurs positions , et ré-
tablit le combat au centre, A la gauche, War-
tensleben avait fait les mémes progres vers
Traségnies. 1\Iais Kléber, par les dispositions
les plus heureuses et les plus promptes, fit
reprendre Traségnies, puis , saisissant le mo-
ment favorable, fit tourner Wartensleben , le
rejeta au-delá du Piéton, el se mil a le pOllr-
suivre sur deux colonnes, Le combat s'était
soutenu jusque -la avec avantage , la victoire
allait méme se déclarer pour les Francais , lors-
que le prince d'Orange, réunissant ses rleux
premieres colorines vers Lambusart , SUl' le




CONVENTION NATIONALE (179{~)' 41 [
point qui unissait l'extrérne droite des Fran-
-;ais a la Sambre , menaca leurs cornmunica-
tions. Alors la droite et le centre durent se
retirer, Kléber, renoncant asa marche victo-
rieuse , protégea la retraite avec ses troupes ;
elle se fit en bon ordre. Telle fut la premiere
affaire du 28 ( 16j uin ). C'était la quatrieme fois
que les Francais étaient obligés de repasser la
Sambre ; mais cette fois c'était d'une maniere
bien plus honorable pour leurs armes. Jourdan
ne se découragea pas. Il frauchit encore la Sam-
bre quelques jours apres , reprit ses positions
du 16, investit de nouveau Charleroi , et en tit
pousser le bombardement avec une extreme
vIgueur.


Cobourg, averti des nouvelles opérations de
Jourdan , s'approchait enfin de la Sambre. 11
importait auxFrancais d'avoir pris Charleroi
avant que les renforts attendus par l'armée au-
trichienne fussent arrivés. L'ingénieur Mares-
cot ponssa si vivement les travaux, qu'en huit
jours les feux de la place furent éteints , et qlle
tout fut préparé pOllr l'assaut. Le 7 messidor
(~6rjuin), le commandant envoya un officier
avec une lettre po ur parlementer. Saint-Just ,
qui dominait·W\ljours dans notre camp, refusa
d'ouvrir la lettre, et renvoya l'officier en luí
disant : Ce n'est pas un chiffon de papier, c'est




412 nÉvoLuTION f'RAN<;:AISE.
la place qu'il nous faut. La garnison sortit de
Ja place le soir méme , au moment oú Cobourg
arrivait en vue des lignes francaises. La reddi-
tion de Charleroi resta ignorée des ennemis.
La possession de la place assura mieux notre
position, et rendit moins dangereuse la bataille
qui allait se livrer, avec une riviére a dos. La
divísion Hatry, devenue libre, fut portée a
Ransart ponr renforcer le centre, et tout se
prépara pour une action décisive , le lendemain
8 messidor (26 juin ),


Nos positions étaient les mérnes que le
28 prairial (16 juin). Kléber commandait ala
gauche, a partir de la Sambre jusqu'á Trasé-
gnies. MorIot, Championnet, Lefévre et Mar-
ceau, formaient le centre et la droite, et s'é-
tendaient depuis Gosselies jusqú'a la Sambre.
Des retranchements avaient été faits a Hépi-
gnies, pour assurer notre centre. Cobourg HOUS
fit attaquer sur tout ce demi - cercle, au lieu
de diriger un effort concentrique sur l'une de
nos extrémités , sur notre droite, par exemple,
et de nous enlever tous les passages de la
Sambre.


L'attaque commenea le 8 messidor au matin.
Le prince d'Orange et le génér!!l Latour, qui
étaient en face de Kléber, a la gauche, replié-
rent nos colonnes , les poussérent atravers le




CONVENTJOl'f N ATIONALE (1794). 4J3
bois de Monceaux, jusque sur les bords de la
Sambre, aMarchienne - au -Pont. Kléber, qui
heureusement était placé a la gauche pour y
diriger toutes les divisions , accourt aussitót sur
le point menacé , porte des batteries sur les
hauteurs, enveloppe les Autrichiens dans le
bois de Monceaux , et les fait attaquer en tous
sens, Ceux-ci, ayant reconnu, en s'approchant
de laSambre , Clue Charleroi était aux Francais ,
cornmencaient a montrer de l'hésitation; Klé-
ber en profite , les fait charger avec vigueur,
et les oblige a s'éloigner de Marchienne-au-
Ponto Tandis que Kléher sauvait l'une de nos ex-
trémités , Jourdan ne faisait pas moins pour le
salut du centre et de la droite. MorIot, qui se
trouvait en avant de Gosselies, s'était long-


, temps mesuré avec le gélléral K wasdanovich ,
et avait essayé plusieurs rnanoeuvres pour le
tourner, finit par l'étre lui-méme. 11 se replia
sur Gosselies, apres les efforts les plus honora-
bles. Championnet résistait avec la méme vi-
gueur, appuyé sur la redoute d'Hépignies;
maisIe corps de Kaunitz s'était avancé pour
tourner la redoute, au moment mérne oú un
faux avis annoncait la retraite de Lefévre , a
droite; Championnet, trompé par cet avis, se
retirait , et avait déja ahandonné la redoute,
Iorsque Jourdan , comprenant le danger, porte




414 11 Évor.UTION FRANf,<AlSJo:.
sur ce point une partie de la division Hatry,
placée en réserve , fait reprendre Hépignies, et
lance sa cavalerie dans la plaine sur les troupes
de Kaunitz. Tandis qu'on se charge de part et
d'autre avec un grand acharnernent , un combat
plus violent encere se livre pres de la Sambre,
a Wagné et Lambusart. Beaulieu , remontant
ala fois les deux rives de la Sambre pour faire
effort sur notre extreme droite, a repoussé la
division Marceau. Cette división s'enfuit en
toute háte a travers les bois qui longent la
Sambre, et passe méme la riviere en désordre.
Marceau alors réunit alui quelques bataillons,
et ne songeant plus au reste de sa division fu-
gitive, se jette dans Lambusart, pour y mou-
rir, plutót que d'abandonner ce poste contigu
a la .Sambre ;et appui indispensable de notre
extreme droite, Lefevre , qui était placé aWa-
gné, Hépignies et Lambusart, replie ses avant-
postes de Fleurus sur Wagné, et jctte des
troupes a Lambusart, pour soutenir l'effort
de Marceau. Ce point devient alors le point
décisif de la bataille. Beaulieu s'en apercoit , et
y dirige une troisieme colonne. Jourdan, at-
tentif au danger, y porte le reste de sa ré-
serve. On se heurte autour de ce viUage de
Lambusart avec un acharnement singulier. Les
feux sont si rapides qu'on ne distingue plus




CONVENTION NATlONAL.E (1794). 415
les coups. Les blés et les baraques du camp
s'enflamment, et hientót on se bat au milieu
d'un incendie. Enfin les républicains restent
mairresde Larnbusart.


Dans ce moment , les Francais , d'abord re-
poussés , étaient parvenus arétablir le combat
sur tous les points : Kléber avait couvert la
Sambre ala ganche; Morlot, replié aGosselies,
s'y maintenait; Championnet avait repris Hé-
pignies, et un combat furieux a Lambusart
nous avait assuré cette position. La fin du jour
approchait. Beaulieu venait d'apprendre, sur
la Sambre, ce que le princed'Orange y avait
appris déjá , c'est que Charleroi appartenait
aux ,Francais, Cobourg alors , n'osant pas in-
sister davantage, ordonna la retraite générale.


Telle fut cette bataille décisive , qui fut une
des plus acharuées de la campagne, et.qui se
livra sur un derni-cercle de dix licues, entre
deux armées d'environ quatre-vingt mille hom-
mes chacune. Elle s'appela batailledé.Fleurus,
quoique ce village y jouát un role fort secon-
daire, paree que le duc de Luxembourg avait
déja illustré ce nom sous Louis XIV. Quoique
ses résultats sur le terrrain fussent peu consi-
dérahles , et qu'elle se hornát a une attaque
repoussée, elle décidait la retraite des Autri-
chiens , et amenait par la des résultats immen-




416 RÉVOLUTION FRAN9AISE.
ses ". Les Autrichiens ne pouvaient pas livrer
une seconde bataille. Il leur aurait fallu se
joíndre ou au due d'York OH aClerfayt , et ces
deux généraux étaient occupés au Nord par
Pichegru. D'ailleurs, menaeés sur la Meuse, il
devenait important pour eux a.e rétrograder,
pour ne pas compromettre leurs communica-
tions. Des ce moment, la retraite des eoalisés
devint générale, et ils résolurent de se con-
centrer vers Bruxelles, pour eouvrir cette ville.


La campagne était évidemment décidée ;
mais une faute du comité de salut public em-
pecha d'obtenir des résultats aussi prompts et
aussi décisifs que ceux qu'on avait lieu d'es-
pérer. Pichegru avait formé un plan qui était
la meilleure de toutes ses idées militaires. Le
duc d'York était sur l'Escaut a la hauteur de
Tournay; C\erfayt, tres-loin de la, a Thielt,
dans la Flandre. Pichegru, persistant dans son
projet de détruire Clerfayt isolérnent, voulait
passer l'Eseaut aOudenarde, couper ainsi Cler-


.. C'est a tort qu'on attribue a I'intérét d'une faction le
grand effet que la bataille de Fleurus produisit sur l'opi-
nion publique. La faction Robespierre avait au contraire
le plus grand inrérét a diminuer dans le momcnt l'effet
des victoires, comme on va le voir bientót. La hataillc de
Fleurus nous ouvrit BruxeUes et la Belgiquc , ct c'cst lá ce
'lui lit alors sa réputation,




CONVENTION N ATIONALE (1794). 417
fayt du duc d'York, et le battre encore une
fois séparément. Il voulait ensuite , lorsque le
duc d'York resté seul songerait a se réunir a
Cobourg, le battre a son tour, puis enfin ve-
nir prendre Cobourg par derriére , ou se ré-
unir a· Jourdan. Ce plan qui, outre l'avantage
d'attaquer isolément Clerfayt et le duc d'York,
avait celui de rapprocher toutes nos forces de
la Meuse, fut contrarié par une fort sotte idée
du comité de salut publico On avait persuade
a Carnot de porter l'amiral Venstabel avec des
troupes de débarquement dans l'ile de Wal-
cheren, pour soulever la Hollande. Afin de fa-
voriser ce projet, Carnot prescrivit a l'armée
de Pichegru de filer le long de l'Océan , et de
s'emparer de tous les ports de la West-Flandre;
il ordonna de plus aJourdan de détacher seize
mille hommes de son armée pour les porter
vers la mero Ce dernier ordre surtout était des
plus mal concus et des plus dangereux. Les
généranx en démontrerent l'absurdité aSaint-
Just, et il ne fut pas exécuté ; mais Pichegru
n'en fut pas moins obligé de se porter vers
la mer, pour s'ernparer de Bruges et d'Ostende,
tandis que Morean occupait Nieuport.


Les mouvements se continuérent sur les
deux ailes. Pichegru laissa Moreau, avec une
partie de l'arrnée , faireles siéges de Nieuport


VI. 27




418 nÉVOI.UTION FRAN<; .HSR.
et de l'Écluse , et s'empara avec l'autre de Bru-
ges, Ostende et Gand. Il s'avanca ensuite vers
Bruxelles. Jourdan y marchait de son coté.
Nous n'eúmes plus a livrer que descombats
d'arriere-garde, et enfin, le 22 messidor( 10 juil-
let), nos avant-gardes entrérent dans la capi-
tale des Pays - Bas, Peu de jours apres , les
deux armées du Nord et de Sambre-et-Meuse
y firent leur jonction. Rien n'était plus impor-
tant que cet événement ; cent cinquante mille
Francais , réunis dans la capitale des Pays-Bas,
pouvaient fondre de ce point sur les armées
de l'Enrope, qui, battues de toutes parts,
cherchaient a regagner les unes la mer, les
autres le Rhin. On investit aussitót les places
de Condé, Landrecies , Valenciennes et IJC
Quesnoy , quejes coalisés nous avaient prises ;
et la convention, prétendant que la délivrance
du territoire donnait tous les droits , décréta
que si les garllisons ne se rendaient pas de
suite, elles seraient passées 3U fil de l'épée.
Elle avait déja rendu un autre décret portant
qu'on ne ferait plus de prisonniers allglais,
p~>ur punir tous les forfaits de Pitt envers la
France. Nos soldats n'exécuterent pas ce dé-
cret. Un sergent ayant pris quelques Anglais,
les amena aun officier. -ti: Pourquoi les as-tu
pris? lui dit.l'officier, -Paree que ce sont au-




CONVENTION N,\TJONALE (1794). 419
tant de eoups de fusil de moins a reeevoir, ré-
pondit le sergent. - Oui, répliqua l'offieier;
mais les représentants vont nous obliger de
les fusiUer. - Ce ne sera pas nous, ajouta le
sergent, qui les fusillerons; envoyez-les aux
représentants, et puis , s'ils sont des barba-
res, qu'ils les tuent et les mangent, si c;a leur
plait. »


Ainsi nos armées agissant d'abord sur le
centre ennerni , et le trouvant trop fort, s'é-
taient partagées en deux ailes , et avaient filé,
l'une sur la Lys, et l'autre sur la Samhre. Piche-
gru avait d'abord battu Clerfayt a Moucroén
et a Courtray, puis Cobourg et le due d'York
a Turcoing, et enfin Clerfayt encore a Hoo-
gIMe. Aprés plusieurs passages de la Sambre
toujours infruetueux, Jourdan, amené par une
heureuse idée de Carnot SUI' la Sambre, avait
décidé le succes de notre aile droite aFleurus.
Des cet instant, débordés sur les deux ailes,
les coaLisés nous avaient abandonné les Pays-
Bas. TelIe était la eampagne. De toutes parts
on eélébrait nos étonnants succes. La victoire
de Fleurus, l'occupation de Charleroi, Ypres,
Tournay, Oudenarde, Ostende, Bruges, Gand
et Bruxelles , la réunion enfin de nos armées
dans eette eapitale, étaient vantées eomme des
prodiges. Ces succes ne réjouissaient pas Ro-


27·




4~w RÉVOLUTlON FRAN<;AISE.
bespierre , quivoyait gralldirla réputation du
comité, et surtout celle de Carnot, auquel, il
faut le dire, on attribuait beaucoup trop les
avantages de la eampagne. Tout ee que les co-
mités faisaient de bien on gagnaient de gloire
en l'absence de Robespierre devait s'élever
contre lui, et faire sa propre condamnation.
Une défaite au contraire eút ranimé ason pro-
fit les fureurs révolutionnaires, lui aurait per-
mis d'accuser les comités d'inertie 011 de tra-
hison , aurait justifié sa retraite depuis quatre
déeades, aurait donné une haute idée de sa
prévoyanee, et porté sa puissanee au comble.
Il s'était done mis dans la plus triste des posí-
tions, celle de désirer des défaites; et tout
pronve qu'il les désirait, Il ne luí convenait
ni de le dire, ni de le laisser apercevoir; mais
malgré lui, OI) l'entrevoyait dans ses discours ;
il s'effor<;ait, en parlant aux jacobins , de dimi-
nuer l'ellthousiasrne qu'inspiraient les succes
de la république; il insinuait que les coalisés
se retiraient devant nous eornrne ils l'avaieut
fait devant Dumouriez , mais pour revenir bien-
tót ; qu'en s'éloignant rnornentanérnent de nos
[routiéres , ils voulaient nous livrer aux pas-
sions que développe la prospérité. Il ajoutait
du reste « que la victoire sur les armées en-
« nernies n'était pas celle apres laquelle on de-




CONV};NTION NATIONALE (1794). 421
« vait le plus aspirer, La véritable victoire ,
« disait-il , est eel1e que les arnis de la liberté
« remportent sur les faetions ; c'est cette vic-
( toire qui rappelle chez les peuples la paix,
« la justiee et le bonheur. Une nation n'est
« pas illustrée pour avoir abattu des tyrans
« ou enchainé des peuples. Ce fut le sort des
« Romains et de quelques autres nations:
« notre destinée, beaucoup plus sublime, est
« de fonder sur la terre l'empire de la sagesse,
« de la justice et de la vertu.» (Séance des
Jacobins du 2 J messidor. - 9 j uillet. )


Robespierre était absent du comité depuis
les derniers jours de prairia1. On était aux pre-
miers de therrnidor. Il y avait pres de qllarante
jours qu'il s'était séparé de ses -collegues; il
était temps de prendre une résolution. Ses af-
fidés disaient hautement qu'il fallait un 31 mai:
les 'Dumas, les Henriot, les Payan, le pressaien t
d'en donner le signa!. I1 n'avait pas, pour les
moyens violents, le mérne goat qu'eux , et il
ne devait pas partager leur irnpatience brutale.
Habitué a tout faire par la parole , et respec-
tant davantage les lois , il aimait mieux essayer
d'un discours dans lequel il dénoncerait les
comités, et demanderait leur renouvellement.
S'il réussissait par cette voie de douceur, il était
maitre absolu, sans danger, et sans souléve-




422 n évot.uriox FRAN«AISE.
mento S'i1 ne réussissait pas, cemoyen pacifique
n'excluait pas les moyens violents ; il devait an
contraire les devancer. Le 31 mai avait eté
précédé de disconrs réitérés , de sommations
respectueuses, et ce n' était qu'apres avoir de-
mandé, san s obtenir, qu'on avait fini parexiger.
Il résolut donc d'employer les mémes moyens
qu'au 31 mai, de faire d'ahord présenter une
pétition par les jacobins, de prononcer apres
un grand discours , et enfin, de faire avancer
Saint-Just avec un rapport. Si tous ces moyens
ne suffisaient pas, il avait les jacobins, la coro-
mune et la force armée de Paris. Mais iI espé-
rait du reste n'étre pas réduit a renouveler la
scene du '2 juin. Il n'avait pas assez d'audace ,
et encore trop de respect envers la convention,
pour le désirer.


Depuis quelque temps il travaillait aUD dis-
cours volumineux, oú iI s'attachait adévoiler
les abus du gouvernement, et arejeter tous les
maux qu'on lui imputait sur ses collégues. JI
écrivit aSaint-Just de revenir del'armée; il re-
tint son frere qui aurait dú partir pour la fron-
tiere d'Italie ; il parut chaque jour aux Jacobins ,
et disposa tout pour l'attaque. Comme iI arrive
toujours dan s les situations extremes, divers
incidents vinrent augmenter l'agitation géné-
raleo Un nommé Magenthies fit une pétition




CONVENTION NATIONALE (1794). 4'23
ridicule, pour demander la peine de mort
contre ceux qui se perrnettraient des jurernents,
dans lesquels le nom de Dieu serait prononcé.
Enfin, un comité révolutiormaire fit enfermer
cornme suspect$ quelques ouvriers qui s'étaient
enivrés, Ces deux faits donnaient lieu 11 beau-
coup de propos centre Robespierre ; on disait
que son Étre-Supréme aIlait devenir plus op-
presseur que le Christ , et qu'on verrait bientót
L'inquisition rétablie pour le déisme, Sentant
le danger de pareilles accusations , il se bata
de dénoneer Magenthies aux jacobins, comme
un aristocrate payé par l'étrangerpour décon-
sidérer les croyances adoptées par la conven-
tion; il le fit mérne livrer au tribunal révo-
lutionnaire. Usant enfin de son bureau de
poliee, il tit arréter tous les membres du co-
mité révolutionnaiee de l'Indivieibilité.


L'événement approchait, et il parait que les
membres du comité de salut public, Barreré
surtout , auraient voulu faire la paix avec leur
redoutable collegue ; mais il était devenu si
exigeant qu'on ne pouvait plus s'entendre avee
luí. Barrere , rentrant un soir avec 1'un de ses
confidents, lui dit en se jetant sur un siége :-
« Ce Robespierre est insatiable, Qu'il demande
Tallien , Bourdon de l'Oise, Thuriot , Guffroy,
Hovere , Lecointre, Panis , Barras, Fréron ~ Le-




424 lt~VOLUTION FltANc,;AISF:.
gendre, Monestíer, Duboís-Crancé, Fouché,
Cambon , et toute la séquelle dantoniste , a la
bonne heure; mais Duval , Audouin , mais Léo-
nard-Bourdon , Vadíer, Vouland, íl est impos-
sible d'y consentir.e-s-On voit que Robespierre
exigeait mérne le sacrifice de quelques membres
du comité de súreté générale, et des-lors , il
n'y avait plus de pai.x. possible; il fallait rom-
pre, .et courir les chances de la lutte. Cepen-
dant aucun des adversaíres de Robespierre
n'aurait osé prendre l'initiative; les membres
des comités attendaient d'étre dénoncés ; les
montagnards proscrits attendaient qu'on leur
demandát leur tete; tous voulaient se laisser
attaquer avant de se défendre; et ils avaient
raison. Il valait bien mieux laisser Robespierre
commencer l'engagement, et se compromettre
aux yeux de. la convention par la demande de
nouvelles proscriptions. Alors on avait la po-
sition de gens défendant et leur vie, et méme
celle des autres; car on ne pouvait plus pré-
voir de terme aux immolations, si on en souf-
frait encere une seule.


Tout était préparé, et les premíers mou-
vements commencerent le 3 thermidor aux
Jacobíns. Parmi les affidés de Robespíerre se
trouvait un nommé Sijas, adjoint a la com-
mission du mouvement des armées. On en




CONVENTION NATIONALE (l 794). 425
voulait acette commissionpouravoir ordonné
la sortie successive d'un grand nombre de com-
pagnies de canonniers , et pour avoir diminué
ainsi la force armée de Paris. Cependant on
n'osait pas lui en faire un reproche direct; le
nommé Sijas cornmenca par se plaindre du
secret dont s'enveloppait le chef de la commis-
sion, Pyle, et tous les reproches qu'on n'osait
adresser ni aCarnot ni au comité de salut pu-
blic, furent adressés ace chefde la commission.
Sijas prétenditqu'il ne restait qu'un moyen ,
c'était de s'adresser a la convention, et de lui
dénoncer Pyle. Un autre jacobin dénonca un
des agents da comité de süreté générale. Cou-
thon prit alors la parole, et dit qu'il fallait
remonter plus haut, et faire a la convention
uationale une adresse sur toutes les machina-
tions qui menacaient de nouveau la liberté.
« Je vous invite, dit-il , a lui présenter vos ré-
l( flexions. Elle est pure; elle ne se laissera pas
(( subjuguer par quatre a cinq scélérats. Quant
II a moi, je déclare qu'ils ne me subjugueront
(C pas. » La proposition de Couthon fut aussitót
adoptée. On rédigea la pétition, elle fut ap-
prouvée le 5 et présentée le 7 thermidor a la
convention.


Le style de cette pétition était , comme tou-
jours , respectueux dans la forme, mais irn-




4~6 RivOLUTION FRAN~AlSE.
peneux au fondo Elle disait que les jacohins
venaient déposer -dans le sein de la convention
les soilicitudes du peuple ; elle répétait les dé-
clamations accouturnées contre l'étranger et
ses complices , centre le systérne d'indulgence,
contre les craintes répandues a dessein de di-
viser la représentation nationale, contre les ef-
forts qu'on faisait pourrendre le culte de Dieu
ridicnje , etc. Elle ne portait pas de condusions
précises , mais elle disait d'une maniere géné-
rale : ( Vous ferez trembler les traitres , les
fripons, les intrigants; vous rassurerez l'homme
de hien; vous maintiendrez cette union qui
fait votre force; vous conserverez dans toute
sa pureté ce culte sublime dont tout citoyen
est le ministre, dont la vertu est la seule pra-
tique; et le penple , eonfiant en vous, placera
sondevoir et sa gloire arespecter et adéfendre
ses représentants jusqu'a la mort. » C'était dire
assez clairement : Vous ferez ce que vous die-
tera Robespierre, ou vous ne serez ni respectés
ni défendus. La lecture de eette pétition fut
écoutée avec un morne silence, On n'y fit au-
cune réponse. A peine était-elle achevée, que
Dubois-Crancé monta a la tribune, et san s
parler de la pétition ni des jacohins, se plaignit
des amertumes dont on l'abreuvait depuis six
mois, de l'injustice dont on avait payé ses ser-




CONVENTION NATIONA.LE (179[1)' 427
vices, et demanda que le comité de salut pu-
blie fút chargé de faire un rapport sur son
compte, quoique dans ce comité, dit-il , se
trouvassent deux de ses accusateurs. Il demanda
le rapport sous trois jours. On accorda ee qu'il
demandait, sans ajouter une seule réf1exion,
et toujours au miJieu du méme silence. Barrere
lui succéda a la tribune; il vint faire un grand
rapport sur l'état comparatif de la France en
juillet 93 et en juillet 94. Il est certain que la
différence était irnmense, et que si on compa-
rait la Franee déchirée a la fois par le roya-
lisme , le fédéralisme et l'étranger, ala Franee
victorieuse sur toutes les frontiéres et maitresse
des Pays - Ras, on ne pouvait s'empécher de
rendre desactions de graces au gouvernement
qui avait opéréce ehangement en une année.
Ces éloges donnés au comité étaient la seule
maniere dont Barrere osát indireetement at-
taquer Robespierre; ille Iouait méme expres-
sément dans son rapport. A propos des agita-
tions sourdes qu'on voyait régner et des cris
imprudents de quelques perturbateurs qui de-
mandaient un 3. mai , il disait ce qu'un représen-
ce tant qui jouissait d'une réputation patriotiqne
«méritée par cinq années de travaux, par ses
« principes imperturbables d'indépendance et
« de liberté, avait réfuté avec chaleur ces pro-




423 RÉVOLUTION ¡"RAN<;:A.TSE.
« pos contre-révolutionnaires. » La convention
écouta ce rapport, el chacun se sépara ensuite
dans l'attente de quelque événement impor-
tanto On se regardait en silence, et on n'osait
ni s'interroger, ni s'expliquer.Le lendemain 8 thermidor, Robespierre se
décida a prononcer son fameux discours. Tous
ses agents étaient disposés , et Saint-Just arri-
vait dans la journée. La convention, en le
voyant paraitre 11 cette tribune oú il ne se mon-
trait que rarement, s'attendait aune scene dé-
císive. On l'écouta avec un morne silence.
« Citoyens, dit-il, que d'autres vous tracent
« des tableaux flatteurs, je viens vous dire des
« vérités utiles. Je ne viens point réaliser des
« terreurs ridicules, répandues par la perfidie;
l( mais je veux étouffer, s'il est possible, les
" flambeaux de la discorde par la seule force
« de la vérité. Je vais défendre devant vous
« votre autorité outragée et la liberté violée. Je
« me défendrai moi-méme : vous n'en serez pas
« surpris; vous ne ressembl ez point aux tyrans
« que vous combattez. Les cris de I'innocence
" outragée n'importunent point votre oreille,
« et vous n'ignorez pas que cette cause ne vous
« est point étrangere.» Robespierre fait ensuite
le tableau des agitations qui ontrégné depuis
quelque temps, des craintes qui ont été répau-




CONVENTION NATIONALE (1794)· 42 9
dues , des projets qu'on a supposés au comité
et a lui contre la convention. (1 Nous, dit-il,
« attaquer la convention! et que sommes-nous
cc sans elle! Qui l'a défendue au péril de sa
« vie? Qui s'est dévoué pour l'arracher aux
« mains des factions?» Robespierre répond
que c'est lui; et il appelle avoir défendu la
convention centre les factions, avoir arraché
de son sein Brissot, Vergniaud, Gensonné,
Pétion, Barbaroux, Danton, Camine Desmou-
lins, etc. Aprés les preuves de dévouement
qu'il a données, il s'étonne que des bruits si-
nistres aient été répandus. « Est-ilvrai, dit-il ,
(c qu'on ait eolporté des listes odieuses oú l'on
« désignait pour victimes un certain nombre
« de rnembres de la convention, et qu'on pré-
« tendait.étre l'ouvrage du comité .de salut pu-
« blie, et ensuite le mien? Est-il.vrai qu'onait
« osé suppos~r des séances du comité, des ar-
« rétés rigoureux qui n'ont jamais existé , des
« arrestations non rnoins chimériques? Est- il
« vrai qu'on ait cherehé a persuader aun cer-
« tain nombre de représentants irréprochables
« que leur perte était résolue? atous ceux qui,
« par quelque erreur , avaient payé un tribut
« inévitable ala fatalité des circonstances el a
« la faiblesse humaine, qu'ils étaient voués au
« sort des conjurés? Est-il vrai que l'imposture




¡PO RÉVOLUTION FRANQAISE.
« ait été répandue avec tant d'art et d'audace ,
« qu'une foule de membres ne conchaient plus
« chez eux? Oui , les faits sont constants et
( les preuves en sont an comité de salut
« puhlic! »


Il se plaint ensuite de ce que l'accusation,
portée en masse contre les comités, a fini par
se diriger sur luí seul. Il expose qu'on a donné
son nom á tout ce qui s'est fait de mal daos le
gouvernement; que si onenfermait des pa-
triotesau lieu d'enfermer des aristocrates, on
disait:: Cest Robespierre qui le veut; que si
quelques patriotes avaient succombé, on disait :
C'est Bobespierre qui l'a ordonné ; que si des
agents nombreux du comité de súreté géoérale
étendaient partont leurs vexations et leursra-
pines, 00 disait : C'est Robespierre qlli les en-
ooie ; que si une loi nouvelle tonrmentait les
rentiers, on :disait : C'est Robespierre qui les
ruine. Il dit enfin qu'on l'a présenté eomme
l'auteur de tous les maux pour le perdre, qn'on
fa appelé un tyran, et que le jour de la tete
a l'Étre-Supréme , ce jour oú la convention a
frappé d'un méme conp l'athéisme et le des-
potisme sacerdotal, oú elle a rattaché a la ré-
volution tous les coeurs généreux, ce jonr enfin
de félicité et de pure ivresse , le président de
la convention nationale, parlant au peuple




CONVENTION NATIONALE (1794). 431
assemhlé , a été insulté par des hommes cou-
pables , et que ces hommes étaient des repré-
sentants. On l'a appelé un tyran! et pourquoi?
fXlrce qu'il a acquis quelque influence en par-
lant le langage de la vérité. « Et que prétendez-
« vous, s'écrie-t-il , vous qui voulez que la vérité
« soit sans force dans la bouche des represen-
« tants fin penple fran<;ais?La vérité sans doute
« a sa puissance, elle a sa colére , son despo-
« tisme; elle a ses acoents touchants , terribles,
« qui retentissent avec force daos les eoeurs
({ purs comme dans les consciences coupables ,
« et qu'il n'est pas plus donné au mensonge
« d'ímiter, qu'á Salmonée d'imiter les foudres
({ du ciel. Mais accusez-en la nation , accusez-
« en le peuple qui la sent et qui l'aíme? -Qui
«<suis-je, moi qu'on accuse? un esclave de la
« liberté, un martyr vivant de .la: l'épuLlique ,
« la victime autant que l'ennemi du crime, TOllS
(( les fripons m'outragent; les actions les plus
« indifférentes , les plus légitimes de la part
« des autres , sont descrimes pour moi. Un
« homme est calornnié des qu'il me connait ;
« on pardonne ad'autres leurs forfaits; 011 me
« fait amoi un crime de mon zele, Otez-moi ma
« conscience , je suis le plus malheureux des
« hommes; je ne jouis pas méme des droits de
« citoyen, que dis-je , il ne m'est pas méme




432 nÉVOLUTJON FRANQATSE.
« permis de remplir les devoirs d'un représen-
« tant du penple. »


Robespierre se défend ainsi par des décla-
mations subtiles et diffuses, et , pour la pre-
miere fois, il trouve la convention morne, si-
leneieuse, et eomme ennuyée de la longueur
de ce diseours. Il arrive enfin au plus vif de la
question : il accuse. Parcourant toutes les par-
ties du gouvernement, il critique d'abord avee
une méchanceté inique le systéme ifinancier.
Auteur de la loi du 22 prairial, il s'étend avee
une pitié profonde sur la loi des rentes viagéres ;
il n'y a pas jusqu'au maximum, eontre lequel
il semble s'élever, en disant que les intrigants
ont entrainé la convention dans des mesures
violentes. « Dans les mains de qui sont vos fi-
« nances? dans les mains, s'écrie-t-il , de feuil-
« lants, de fripons eomius, des Cambon, des
« Mallarmé, des RameL Jl Il passe ensuite a la
guerre, il parle avee dédain de ces victoires,
« qu'on vient déerire avee une légereté acadé-
« mique , eomme si elles n'avaient conté ni sang
« ni travaux. Surveillez , s'écrie-t-il, surveil1ez
( la victoire; surveillez la Belgique. Vos enne-
( mis se retirent et vous laissent avos divisions
(( intestines; songez a la fin de la campagne.
( On a semé la division parmi les généraux;
« l'aristocratie militaire est protégée; les géné-




CONVENTlON NATIONALE (1794). 433
« raux fideles sont persécutés; l'admiuistration
« militaire s'enveloppe d'une autorité suspecte.
« Ces vérités valent bien des épigrarnmes. »
Il n'en disait pas davantage sur Carnot et Bar-
rere ; il laissait aSaint-Just le soin d'accuser les
plans de Carnot. On voit que ce misérable
répandait sur toutes choses le fiel dont il était
dévoré. Ensuite il s'étend sur le comité de su-
reté générale, sur la fou1e de ses agents, sur
leurs cruautés , sur leurs rapines; il dénonce
Amar et Jagot comme s'étant emparés de la
police, et faisant tout pour décrier le gouver-
nement révolutionnaire. Il se plaint de ces
railleries qu'on a débitées ala tribune apropos
de Catherine Théot, et prétend qu'on a voulu
supposer de feintes conjurations pour, en ca-
cher de réelles. 1l montre les deux comités
comrne livrés a des intrigues, et engagés en
quelque sorte dans les projets de la faction
antinationale. Dans tout ce qui existe, il ne
trouve de bien que le gouoemement réoolution-
naire, mais seulement encoré le principe, el
non l'exécution. Le principe est a lui , c'est lui
qui a faít instituer ce gouvernement , mais ce
sont ses adversaires qui le dépravent.


Tel est le sens des volurnineuses déclamations
<leRobespierre. Enfin il termine par ee résumé :
~{ Disons qu'il existe une conspiration eonfre


VI. 28




!¡31, RHOLLTION FH,\ N~:,\ ISr.
( la liberté publique, qu'elle doit sa force aUlH'
« coalition criminelle qui intrigue au sein méme
( de la convention; que cette coalition a des
l( complices au sein du comité de süreté géné-
« rale, et dans les bnreaux de ce comité qu'ils
( dominent; que les ennernis de la république
(( ont opposé ce comité au comité de salut pu~
(( blic , et eonstitué ainsi deux gouvernements;
« que des mernbres du comité de salut public
(( entrent dans ce complot; que la coalition
« ainsi formée cherche aperdre les patriotes et
( la patrie. Quel est le remede a ce mal? Punir
« les traitres , renouveler les bureaux du comité
« de súreté générale, épurer ce comité lui-
( méme et le subordonner au comité de saIut
« public , épurer le comité de salut public lui-
« meme , coustituer le gouvernement sous l'au-
« torité supréme de la convention natíonale,
« qui est le centre et le juge, et écraser ainsi
( toutes les factíons du poids de l'autoríté na-
« tionale , pour élever sur leurs ruines la puis-
(( sanee de la justice et de la liberté. Tels sont
« les príncipes. S'il est impossible de les récla-
(( mer sans pélsser pour un ambitieux , j' en con-
( clurai que les príncipes sont proscrits , et que
( la tyrannie regne parmi HOUS , mais non que'
( je doive le taire ; cal' que peut-on objecter a
« un hornme qui a raison , et qui sait mourir




CON H:NTlUN NA. TlON A LE lI794). 435
« pour son pays? Je suis fait poul' combattre le
« crime, non pour le gouverner. Le temps n'est
« point encore arrivé oú les hommes de bien
« pourronl servir impunément la patrie. »


Robespierre avait commencé son discours
dans le silence , il l'achéve dans le silence. Dans
toutes les parties de la salle on reste rnuet en
le regardant. Ces députés, autrefois si empres·
sés , sont devenus de glace; ils n'expriment
plus rien, et semblent avoir le courage de res-
ter froids depuis que les tyrans, divisés entre
eux , les prennent pour juges. Tous les visages
sont devenus impénétrables. Une espéce de
rumeur sourde s'éleve peu a peu dans l'assem-
blée ; mais personne n'ose -encore prendre la;
parole. Lecointre de Versailles, l'un des enne-
mis les plus énergiques de Robespierre, se
présente le premier, mais c'est pour demander'
I'impression du discours , tant les plus hardis
hésitent encore a livrer l'attaque. Bourdon de
I'Oise ose s'opposer a l'impression , en disant
que ce discours renferme des questions trop
graves, et il demande le reuvoi aux deux co-
mités. Barrere , toujours prudent, appuie la
demande de l'impression, en disant que dans
un pays libre il faut tout imprimer. Couthon
s' élance ala trihune , indigné de voir une con-
testation au lieu d'un élan d'enthousiasme , et


2.8.




1,3L~ ,
'. u HEVOLlITJON FHA_"'VA1Si':.


réclame nou-seulement l'impression, mais I'en..
voi a toutes les communes et a toutes les ar-
mées. Il a besoin, dit-il, d'épancher son cceur
ulcéré , cal' depuis qnelque temps on abreuve
de dégoút les députés les plus fideles ala cause
du peuple; on les accuse ·de verser le sang,
d'en vouloir verser encore; et eependant, s'il
eroyait avoir contribué a la perte d'un seul
innocent, il s'imrnolerait de douleur. Les pa-
roles de Couthon réveillerent tout ce qui res-
tait de soumission dans l'assemblée; elle vota
l'irupression et l'envoi du discours atoutes les
municipalités,


Les advorsaires de Robespíerre allaient avoír
le désavantage; mais Vadier, Cambon , Billaud-
Varennes, Panis, Amar, demandent la parole
p<mr répondre aux aceusations de Robespierre.
Les courages sont ranimés par le danger, et la
lutte cornrnence. Tous veulent parler a la fois.
On fixe le tour de chacun. Vadier est adrnis le
premier a s'expliquer. Il justiíie le comité de
súreté générale, et soutient que le rapport de
Catherine Théot avait pour objet de révéler
une conspiration réelle, profonde, et il ajoute
d'un ton significatif, qu'il a des pieces pour en
prouver l'importance et le danger. Cambon
justifie ses lois de finan ces , el sa probité, qui
était universellement connue et 'admirée dans




CONVENTION NATIONALE (1794). 437
un poste 011 les tentations étaient si grandes.
Il parle avec son impétuosité ordinaire; iL
prollve que les agioteurs ont seuls pu étre lé-
sés par ses lois de finances , et rompant enfin
la mesure observée jusque-la. (( 11 est ternps ,
« s'écrie-t-il , de dire la verité tout entiere.
(( Est-ce moi qu'il faut accuser de m'étre rendu
(( rnaitre en quelque ehose? l'homme qui s'é-
« tait rendu maitre de tout , l'homme qui pa-
« ralysait votre volonté, c'est eeLui qui vient
(( de parler, c'est Robespierre.» Cette véhé-
menee déeoncerte Robespierre : eomme s'il
avait été aeeusé d'avoir fait le tyran en matiere
de finan ces , il dit qu'iL ne s'est jamais melé
de finances, qu'il n'a done jamais pu gener la
convcntion en cette matiere , et que du reste,
en attaquant les plans de Cambon , il n'a pas
entendu attaquer ses intentions. Il l'avait pour-
tant qualifié de fripon. Billaud-Varennes , non
moins redoutable , dit qu'il est temps de met-
tre toutes les vérités en évidence; ji parle de
la retraite de Robespierre des comités, du dé-
placement des cornpagnies de canonniers , dont
on n'a fait sortir que quinze, quoique la loi
perrnit d'en faire sortir vingt-quatre; il ajoute
qu'il va arracher tous les masques, el qu'il
aime mieux que son eadavre serve de. marehe-
pied a un amhitieux, que d'autoniser ses at-




438 HlfVOLUTlOl\' :FJtAl'i~,:,USj,.
tentats par son silence, Il demande le rapport
du déeret qui ordonne I'impression. Panis se
plaint des calomnies eontinuelles de Robes-
pierre , qni a vouln le faire passer pour auteur


.des journées de septembre; il veut que Ro-
bespierre et Couthan s'expliquent sur les cinq
ou six députés, dont ils ne cessent depuis un
mois de dernander le sacrifica aux jacobins.
Aussitót la mérne chose est réclarnée de tontes
parts. Rahespierre répond avec hésitation qn'il
est venu dévoiler des abus, et qu'il ne s'cst pas
chargé de justifier ou d'accuser tel ou tel. -
Nommez, nommez les individus ! s'écrie-t-on,
- Robespierre divague encare, et dit que
lorsqu'il a en le courage de dépaser dan s le
sein de la convention des avis qu'il croyait
otiles, ilné pensait pas.... : - On l'inter-
rompt encore, Charlier lui crie : « Vous qui
« prétendez avoir le conrage de la vertu, ayez
« celui de la vérité, Nommez, nommez les in-
« dividus!» La eonfusion augmente. On re-
vient a la question de l'impression. Amar in-
siste pour le renvoi du discours aux comités.
Barrere , voyant l'avantage se prononeer pour
ceux qui veulent le renvoi aux comités J vicnt
s'excuser en quelque sorte d'avoir demandé le
contraire. Enfin la convention révoque sa dé-
cision , et déelare que le discours de Robes-




CONVJéNTION NATIO?'ALJé (r 794). 439
pierre , au lieu d'étre imprimé, sera renvoyé a
l'exarnen des deux comités.


Cette séance était un événernent vrairnent
extraordinaire, Tous les dépUlés, habituelle-
ment si soumis, avaient repris courage. Robes-
pierre, qui n'avait jamais en que de la morgue
el point d'audace , érait surpris , dépité , abattu.
Il avait besoin de se remettre; il court chez ses
ficleles jacobins pour retrouver des amis, et
leur emprunter du courage. On y était déja
instruit de I'événement , et on l'attendait avec
impatience. A peine parait-il qu'on le couvre
d'applaudissernents. Couthon le suit , et par-
tage les mémes acclamations. On demande la
lecture du discours. Robespierre emploie en-
core deux grandes heures a le leur répéter.
Achaque instant il est interrompu par des
cris et des applaudissements frénétiques. A
peine a-t-il achevé, qu'il ajoute quelques paro-
les d'épanchement etde douleur. (( Ce discours
(( que vous venez d'entendre, leur dit-il , est
« mon testament de mort. Je l'ai vu aujour-
« d'hui; la ligue des méchants est tcllement forte
( que je ne puis pas espérer de lui échapper.
« Je succombe san s regret; je vous laisse ma
(( mémoire; elle vous sera chere , et vous la
« défendrez, » A ces paroles , on s'écrie qu'il
u'est pas temps de craindre el de rlésespérer,




440 nÉVULUTlON ],'RA..NC;;AlSE.
qu'au contraire on vengera le pére de la patrie
de tous les méchants réunis. Henriot , Dumas,
Cufinhal, Payan, l'entourent, et se déclarent
tout préts a agir. Henriot dit qu'il connait en-
cure le chemin de la convention. « Séparez ,
« leur dit Robespierre, les méchants des hom-
« mes faibles ; délivrez la eonvention des scé-
« lérats qui l'oppriment; rendez-lui le service
« qu'elle attend de vous, comme au 31 mai et
« au 2 juin. Marchez, sauvez encore la liberté!
« Si malgré tous ces efforts il faut succomber,
« eh bien! mes amis, vous me verrez boire la
(1 cigue avec calme. - Robespierre , s'écrie un
« député , je la boirai avec toi l » - Couthon
propose a la société un nouveau scrutin épu-
ratoire , et veut qu'on expulse al'instant méme
les députés qui ont voté centre Robespierre;
il en avait sur. luí la liste, et la fournit sur-le-
champ. Sa proposition est adoptée au milieu
d'un tumulte épouvantable. Collot-d'Herbois
essaie de présenter quelques réflexíons , on
l'accable de huées; il parle de ses services, de
ses dangers, des deux COllpS de feu de Ladmi-
ral : on le raille, on l'injurie , on le chasse de


. la tribuue, Tous les députés présents et dési-
gnés par Couthon sont chassés , quelques-uns
méme sont battus, Collot se sauve au milieu
des couteaux dírigés contre luí. La société se




CONHNTION NATIONALE (179~)' 441
trouvait augmentée ce jour-Ia de tous les gens
d'action qui, Jans les mornents de trouble , pé-
nétraient sans avoir de cartes ou avec une
carte fausse. I1s joignaient aux paroles la vio-
lence , et ils étaient mérne tout préts a y ajou-
ter l'assassinat, L'agent national Payan, qui
était homme d' exécution , proposait un projet
hardi. Il voulaít qu'on allát sur-Ie-champ en-
lever tous les conspirateurs, et on le pouvait ,
car ils étaient en ce moment méme réunis en-
semble dans les comités dont ils étaient mem-
bres. On aurait ainsi terminé la lutte sans com-
bat et par un 'Coup de main. Robespierre s'y
opposa; il n'aimait pas les actions si promp-
tes; iJ pensait qu'il fallait suivre tous les pro-
cédés du 31 mai. On avait déjá fait une péti-
tion solennelle ; il avait fait un discours ;
Saint-Just, qui venait d'arriver de l'armée, fe-
rait un rapport le lendemain matin; luí Ro-
bespierre parlerait de nouveau , et, si on ne
réussissait pas, les magistrats du peuple, ré-
unís pendant ce temps a la commune, el ap-
puyés par la force arrnée des sections, décla-
reraient que le peuple était rentré dans sa
souveraineté, et viendraient délivrer la con-
vention des scélérats qui l'égaraient. Le plan
se trouvait ainsi tracé par les précédents. On
se sépara en se promettaut pour le lendemain ,




442 nÉVOLUTlON FRAN0A1SJ:.
Robespierre d'étre a la convention , les jaco-
bins dans leur salle, les magistrats munici-
paux a la eommune, et Henriot a la tete des
sections. On eomptait de plus sur les jeunes
gens de l'école de Mars , dont le commandant,
Labreteche, était dévoué a la cause de la com-
mune.


Telle fut eette journée du 8 thermidor, la
derniere de la tyrannie sanglante qui s'était
appesantie sur la France. Cependant, ce jour
encore, 1'horrible machine révolutionnaire ne
cessa pas d'agir. Le tribunal siégea, des victi-
mes furent conduites a l'échafaud. Dans le
nombre étaieut deux poetes célebres, Houcher,
l'auteur des lYIois, el le jeune André Chenier,
qui laissa d'admirahles éhauches , et que la
France regrettera autant que tous ces jeunes
hommes de génie, orateurs , écrivains , géné-
raux, dévorés par l' échafaud et par la guerreo
Ces deux enfants des Muses se consolaient sur
la fatale charrette, en répétant des vers de
Raeine. Le jeune André, en montant al'écha-
faud , poussa le eri du génie arrété dans sa car-
riere: Mourir si [eune l s'écria-t-il en se frap-
pant le front; ily avait quelque chose la!


Pendant la nuit qui suivit, on s'a'gita de
toutes parts , et chacun songea a recueillir ses
forces. Les d~·ux. comités étaient réunis , el dé-




CONVENTION NATION ALE (17~i¡). 443
libéraient sur les grallds événements de la jour-
née et sur ceux du lendemain. Ce qui venait
de se passer aux Jacobins prouvait que le maire
et Henriot soutiendraient les triumvirs, et que
le lendemain on aurait a lutter contre toutes
les forces de la cornmune. Faire arréter ces
denx principaux chefs eút été le plus prudcnt,
mais les comités hésitaient encore; ils vou-
Iaient , ne voulaient pas; ils se sentaient comme
une espéce de regret d'avoir commencé la lutte.
Ils voyaient que si la convention était assez
forte ponr vaincre Robespierre, elle rentre-
rait dans tous ses pouvoirs, et qu'ils seraient
arrachés aux coups de leur rival, mais dé-
possédés de la dictature. S'entendre avec lui
eút bien mieux val u sans doute; mais il n'était
plus temps. Robespierre s'était bien gardé de
se rendre au milieu d'eux , apres la séance
des jacohins. Saint-Just , arrivé de l'armée de~
puis qnelques heures , les observait. Il était si-
lencieux. On lui demanda le rapport doot on
I'avait chargé daos la derniere entrevue , et on
vouluten entendre la lecture; il répondít qu'il
ne pouvait le communíquer, l'ayant donné a
lire a I'un de ses collegues, On lui demanda
d'en faire au moins connaitre la conclusion ;
il s'y refusa encore. Dans ce moment , Collot
entre tout irrité de la scene qu'il venait d'es-




444 RÉVOUJl'lON FRAN~AISE.
sUYeI' aux Jacobins.-«Quesepasse-t-ilauxJa-
«( cobins ? lui dit Saint-Just. -Tu le demandes?
«( replique Collot avec colere ; n'es -fu pas le
« complice de Robespierre? n'avez - vous pas
« combiné ensemble tous vos projets? Je le
« vois, vous a vez formé un infame triumvirat,
«vous voulez nous assassiner; mais si nous
« succombons, vous ne jouirez pas long-temps
t( du fruit de vos crimes, )J Alors s'approchant
de Saint-Just avec véhémence : « Tu veux, lui
« dit-il , nous dénoncer demain matin; tu as
( ta poche pleine de notes contre nous, mon-
« tre-les.... » - Saint-Just vide ses poches, et
assure qu'il n'en a aucune. On apaise CoIlot,
et on exige de Saint-Just qu'il vienne a onze
henres du matin communiquer son rapport,
avant de le lire a I'assembléev Les comités,
avant de se séparer, conviennent de demander
a la convention la destitution d'Henriot, et
l'appel a la barre du maire et de l'agent na-
tional.


Saint-Just courut a la háte écrire son rap-
port qui n'était pas encore rédigé; et dénonca
avec plus de brieveté et de force que ne l'avait
fait Robespierre, la conduite des comités en-
vers leurs collégues , l'envahissernent de toutes
les affaires, l'orgueil de Billaud-Varennes , et
lesfausses manoeuvres de Carnot, qui avait




CONVENTIO:-i N ATJON AU: (J 794). MI:')
transporté l'armée de Pichegru sur les cotes
de Flandre , et avait vonlu arracher seize mille
hommes a Jourdan, Ce rapport était aussi per-
fide, mais bien autrement habile que eelui de
Robespierre. Saint-Just résolut de le lire a la
convention sans le montrer aux comités.


Tandis que les conjurés se eoneertaient en-
tre eux, les montagnards, qui jusqu'ici s'étaient
bornés a se communiquer leurs craintes , mais
qui n'avaient pas formé de complot, couraient
les uns chez les autres , et se promettaient
pour le lendemain d'attaquer Robespierre d'une
maniere plus formelJe, et de le faire décréter
s'il était possible. Il leur fallait pour cela le Con-
cours des députés de la Plaine, qu'ils avaient
souvent menacés, et que Robespierre, affec-
tan! le role de modérateur , avait autrefois dé-
fendus. lis avaient done peu de titres a leur
faveur. Ils allerent cependant trouver Boissy-
d' Anglas, Durand - Maillane, Palasne - Cham-
peanx, tous trois constituants, dont I'exem-
pIe devait décider les autres. lis leur dirent
qu'ils seraient responsables de tout le sang que
verserait encore Robespierre, s'ils ne censen-
taient a voter eontre lui. Repoussés d'abord,
ils revinrent a la charge jusqu'á trois fois , et
obtinrent enfin la promesse désirée. On con-
rut encore toute la matinée dn 9; Tallien pro-




!¡!¡6 !dVOLUTION 1'l\ANyA ISE.
mit de Iivrer la premiereattaque , et demanda
seulement qu'on osát le suivre.


Chaeun courait a son poste; le maire Fleu-
riot, 1'agent national Payan, étaient ala corn-
mune. Henriot était acheval avee ses aides-de-
camp, et pareourait les rues de Paris. Les
jacobins avaient eommencé une séanee perma-
nente. Les députés , debout des le matin , s'é-
taient rendus a la convention avant l'heure
accoutumée. Ils parcouraient les couloirs en
tumulte, et les montagnards les entretenaient
avec vivacité, pour les décider en leur faveur,
Il était onze heures et demie. Tallien, a l'une
des portes de la salle, parlait a quelques-uns
de ses collegues , lorsqu'il voit entrer Saínt-
Just, qui monte a la tribune : ce C'est le mo-
ment, s'écrie-t-jl , entrons, »<On le suit , les
bancs se garnissent, et on attend en silence
l'ouverture de cette scene , l'une des plus gran-
des de notre orageuse république.


Saint-Just, qui a manqué a la parole donnée
a ses collegues , et qui n'est pas allé leur lire
son rapport, est a la tribune. Les deux Robes-
pierre , Lebas , Couthon, sont assis a cóté les
uns des autres, Collot-d'Herbois est au fauteuil.
Saint-Just se dit ehargé par les comités de faire
un rapport, et obtient la parole. II débute en
disant qu'il n'est d'aucune faetion, ct qu'il n'ap-




COl'iVENTION NATIONALE \ [794). 447
particnt qu'a la vérité ; que la tribune pOllITa
étre , pour lui comme ponr beaucoup d'au-
tres, la rocheTarpéienne, mais qu'il n'en dira
pas moins son opinion tout entiere sur les di-
visions qui ont éclaté. Tallien lui laisse a peine
achever ces premieres phrases , el demande la
parole pour une motion d'ordre. Il l'obtient.
« La république, dit-il , est dans l'état le plus
« malheureux, et aucun bon citoyen ne peut
« s'empécher de verser des larrnes sur elle.
« Hiel' un membre du gouvernement s'esl isolé,
« et a dénoncé ses collegues ; un autre vient
« en faire de méme aujourd'hui. C'est assez
« aggraver nos maux ; je demande qu'enfin le
« voile soit entierernent déchiré, J) A peine ces
paroles sont-elles prononcées, que les applau-
dissements éclatent, se prolongent, recommen-
cent encare, et retentissent une troisiérne fois.
C'était le signal avant-coureur de la chute des
triumvirs. Billaud-Varennes, qui s'est emparé
de la tribune aprés Tallien, dit que les jaco-
l)ins ont tenu la veille une séance séditieuse ,
oú se trouvaient des assassins apostés, qui ont
annoncé le projet d'égorger la convention.
Une indignation générale se manifeste. « Je
« vais, ajoute Billaud-Varennes , je vais dans
« les tribunos un des hommes qui menacaient
f( hiel' les députés fHleles. Qu'on le saisisse l .




41,8 RÉVOLUTION FH AN~AISI'.
- On s'en empare aussitót , et on le livre aux
gendarmes. Billaud soutient ensuite que Saint-
Just n'a pas le droit de parler au nom des co-
mités, parce qu'il ne leur a pas communiqué
son rapport; que c'est le moment pour 1'a5-
sernhlée de ne pas mollir, cal' elle périra si elle
est faible. - Non, non, s'écrient les députés
en agitant leurs chapeaux, elle ne sera pas fai-


. ble, et ne périra pas ! - Lebas réclame la pa-
role, que BilJaud n'a pas cédée encore; il s'a-
gite, et fait du bruit pour l'ohtenir. Sur la
demande de tous les députés, il est rappelé a
l'ordre. JIveut insister de nouveau.-AI'Abbaye
le séditieux! s'écrient plusieurs voix de la
Montagne. - Billaud continue, et, ne garclant
plus ancun ménagement, dit que Robespierre
a toujours cherché a dominer les comités;
qu'il s'est retiré lorsqu'on a résisté a sa loi du
22 prairial , et al'usage qu'il se proposait d'en
faire; qu'il a voulu conserver le noble Lava-
lette, conspirateur aLiIle dans la garde natio-
nale; qu'il a empéché I'arrestation d'Henriot ,
complice d'Hébert , ponr s'en faire une créa-
ture; qu'il s'est opposé en cutre al'arrestation
d'un secrétaire du comité, qui avait volé cent
quatorze mille francs; qu'il a fait enfermer,
au moyen de son bureau de police , le meil-
Jeur comité révolutionnaire de Paris ; qu'il a




f:ONVF:NTION N HIONALE (r 794)· 449
toujours fait en tout sa volonté, et qu'il a
voulu se rendre maitre absolu. Billaud ajoute
qu'il pourrait citer encore beaucoup d'autres
faits , mais qu'il suffira de dire qu'hier les
agents de Robespierre anx Jacobins, les Dumas
les Coffinhal se sont promis de décimer la
convention nationale. Tandis que Billaud énu-
mérait ces griefs, l'assemblée laissait échapper
par intervalle des mouvements d'indiguatiou.
Robespierre, livide de colere , avait quitté son
siége et gravi l'escalier de la tribnne. Piad'
derriere Billaud, il demandait la parole al! pré-
sident avec une extreme violence, Il saisit le mo-
ment oú Billaud vient d'achever, ponr la rede-
mander encore plusvivement.-A bas le tyran l
abas le tyran rs'écrie-t-ou dans loutes les partics
de la salle. Deux fois ce cri accusateur s'éleve , et
annonce que I'assemblée ose enfin lui donner
le nom qu'il méritait. Tandis qu'il insiste, Tal-
lien, qui s' est élancé a la tribune , réclame la
parole, et l'obtient avant lui, (( Tout a l'heure,
« dit-il , je demandais que le voile Cutentiere-
ee ment déchiré; je m'apercois qu'il vient de
« l'étre. Les conspirateurs sont dérnasqués. Je
ce savais que ma tete était menacée , et jus-
« qu'ici j'avais gardé le silence; mais hiel' j'ai
« assisté a la séance des jacobins , j'aí vu se
« former l'armée dn nouvean Cromwell, j'ai


VI. 29




!~!)o HÉVOLlITION FRAN~,:AISF.
({ frémi pour la patrie, et je me suis armé
({ d'un poignard pour lui perccr' le sein , si la
( convention n'avait pas le courage de le dé-
« créter d'accusation. » - En achevant ces mots,
Tallien montre son poignard, et l'assemblée
le couvre d'applaudissements. Il propose alors
l'arrestation du chef des conspirateurs , Hen-
riot, Billaud propose d'y ajouter eelle du pré-
sident Dumas, et du nommé Boulanger, qui,
la veille, a été l'un des agitateurs les plus ar-
dents aux Jacobins. On decrete sur-le-champ
I'arrestation de ces trois coupables.


Barrere entre dans ce moment, rour faire a
l'assemblée les propositions que le comité a
délibérées dans la nuit , avant de se séparer.
Robespierre, qui n'avait pas quitté la tribune ,
profite de cet intervaJle pour demander encore
la parole. Ses adversaires étaient décidés ala lui
refuser , de peur qu'un reste de crainte et de
servilité ne se réveillát asa voix. Placés tous au
sommet de la Montagne, ils poussent de nou-
velles clameurs , et, tandis que Rohespierre se
tourne tantót vers le président , tantót vers
l'assemblée. - A has! ahas le tyran! s'écrient-
ils avec des voix de tonnerre. Barreré obtient
encore la parole avant Robespierre. On dit
que cet homme, qui ,' par vanité, avait voulu
jouer un role, et qui, par faiblesse , tremblait




CONVENTJON .NATlONALE (J 794). 451
maintenant de s'en étre donné un, avait deux
discours dans sa poche, 1'un pour Robes-
pierre , l'autre pour les comités. n développe
la proposition convenue la nuit : c'est d'a-
bol ir le grade de commandant - général, de
rétablir l'ancienne loi de la législative, par la-
quelle chaque chef de légion commandait a
son tour la force armée de París, et enfin d'ap-
peJer le maire et l'agent national a la barre,
pour y répondre de la tranquillité de la capitale,
Ce décret est adopté sur-le-champ , et un huís-
sier va le communiquer ala cornmune au mi-
lieu des plus grands périls.


Lorsque le décret proposé par Barreré a été
adopté, on reprend l'énumération des torts de
Robespierre; chacun vient ason tour Iui faire
un reproche. Vadier , qui voulait avoir décou-
vert une conspiration importante en saisissant
Catherine Théot , rapporte, ce qu'il n'avait pas
dit la veilIe, que dom Gerle possédait un cer-
tificat de civisme signé par Robespierre, et
que, dans un matelas de Catherine, se trouvair
une lettre dans laquelle elleappelaitRobespierre
son fils chéri. Il s'étend ensuite sur l'espionnage
dont les comités étaient entourés , avec la dif-
fusion d'un vieillard et une lenteur qui ne con-
venait pas a l'agitation du morncnt. Tallien ,
irnpatient , remonte a la tríbune et prend en-
~I~) .




452 nÉvoLuTION I'I\AN~:AISlc.
co/,e la parole , en disant qu'il faut ramener la
question a son véritable point. En effet, on
avait décrété Henriot , Dumas, Boulanger , 011
avait appelé Robespierre un tyran, mais on
n'avait pris aucune résolutionr!écisive. Tallicn
observe que ce ne sont pas a quelques détails
de la vie de cet hornme , a ppelé UIJ tyran,
qu'il faut s'attacher , mais qu'il faut en montrer
l'ensemble.Alors, il cornmence un tableau éner
gique de la conduite de ce rhéteur láche , or-
gueilleux et sanguinaire ..... Robespierre, suf-
foqué de colere , l'interrompt par des cris de
fureutv-e-Louchet dit : Il faut en finir ; l'arres-
tation contre Robespierre! - Loseau ajoure :
L'accusation contre ce dénonciareur í c--L'accu-
sation ! l'accusation! crient une foule de dépu-
tés.-Louchet se leve) et regardant autour de
lui., demande si on l'appuie.-Oui ,Olli. ,répon-
dent cent voix, - Robespierre le jeune dit de
sa place: « Je partage les crimes de mon frere ,
« nnissez-moi a lui. » On fait a peine attention
á ce dévouement.-L'arrestation! l'arrestation !
críe-t-on encere. - Dans ce rnoment , Robes-
pierre, qui n'avait pas cessé d'aller de sa place
au bureau, et du bureau a sa place, s'approche
ele nouveau du président et lui demande la
parole. Mais Thuriot, qui remplacait Collot-
d'Herbois au fauteuil , ne lui répond qu'cn




2


CONHNTION NATIONALJo: \l/\;,LI). 45J
agitant sa sonnette. Alors Robespierre se tourue
vers la Montagne et n'y trouve que des amis
glacés ou des ennemis furieux; il dirige ensuite
ses yeux vers la Plaine.-( C'est a vous, dit-il,
« hommes purs, hommes vertueux, c'est a
« vous que je m'adresse el non aux hrigands. »
On détourue la tete, OH on le menace. Enfin , il
se reporte encore vers le président, et s'écrie :
« Pour la clerniere fois, président des assas-
« sins , je te demande la parole.» Il prononce
ces derniers mots rl'une voix étouffée et pres-
que éteinte. - Le sang de Danton t'étouffe,
l!Ji dit Garniel' del'Aube. - Duval , impatient


de cette futte, se leve et dii : ce Président, esr:
« ce que cet homme sera encoré long-temps le
« maitre de la convention?- Ah! qu'un tyrall
ce est dur aabattre! ajoute Fréron.-Aux voix!
« aux voix l » s'écrie Loseau. Varrestationtant
proposée est enfin mise aux voix et déerétée
au milieu d'un tumulte épouvantable. A peine
le décrct cst-il rendu , que de tous les cótés de
la salle Gil se leve en criant : Vive la liberté!
vive la répuhlique l les tyrans ne sont plus!


Une Ioule de membres se levent et diseut
qu'ils ont entendu voter ponr l'arrestation des
complices de Robespierre, Saint-Just et Cou-
rhon. Aussitat 00 les ajoute au décret. Lebas
~lf'malldp :. v étre adjoint; on lui accorde sa


. .


a




454 HÉVOLUTION FftAN~AISf:.
demande ainsi qu'a Robespierre jeune. Ces
hommes inspiraient encore une telle appré-
hension, que les huissiers de la salle n'avaient
pas osé se présenter pour les traduire a la
barre. En voyant qu'ils étaient restes sur leurs
siéges, on demande pourquoi ils ne descendent
pas ala place des accusés; le président répond
que les huissiers n'ont pas pu faire exécuter
I'ordre. Le cri : A la barre! a la barre! devient
aussitót géneral. Les cinq accusés y descendent,
Robespierre furieux, Saint-Just calme et mé-
prisant, les autres consternés de eette humi-
liation si nouvelle pour eux. Ils étaient enfin
a cette place oú ils avaient envoyé Vergnialld,
Brissot , Pétion , Camille Desmoulins , Danton,
et tant d'autres de leurs collegues , pleins OU de
vertu, ou de génie; ou de courage.


Il était cinq heures. L'assemblée avait déclaré
la séance permanente; mais en ce moment, ac-
cablée de fatigue, elle pf'end la résolution dan-
gereuse de suspendre la séance jusqu'a sept
pour se donner un peu de repos. Les députés
se séparent alors ,et Iaissent ainsi a la com-
mune, si elle a quelque audace , la faculté de
fermer le Iieu de leurs séances et de s'em-
parer de la domination dans Paris. Les cinq
accusés sont conduits au comité de súreté
genérale el interrogés par leurs collegues




CONVlmTION N ATION ALE (1 7!J4). 455
en attendaut d'étre traduits dans les prisons,


Pendant que ces événements si importants
se passaieut dans la convention, la commune
était restée dans l'attente. L'huissier Courvol
était alié lui signifier le décret qui mettait
Henriot en arrestation , et mandait le maire et
l'agent national ala barre. Il avait été fort mal
accueilli. Ayant demandé un recu , le mairc
lui avait répondu: Unjour comme aujourd'hui
on ne donne pas de rer¡u. Va ti la convention ,
va lui dire que nous saurons le maintenir, el
dis á Hobespierre qu'il n'ait pas peur, car lWUS
sommes iei. Le maire s'était exprirné ensuite
devant le conseil général de la maniere la plus
mystérieuse sur le motif de la réunion; il )1('
parla que du décret qui ordonnait a la com-
mune de veiller a la tranquillité de Paris ; il
rappela les époques oú cette commune avait
déployé un granel courage, désignant assez
clairemeut le 31 mai. L'agent national Vayan,
parlant apres le maire, avaitproposé d'envoyer
deux membres du conseil sur la place de la
cornmune , oú se trouvait: une foule immense ,
pour haranguer le peuple el l'inviter a se ré-
unir ti ses magistrats pour sauver la patrie.
Ensuite ou avait rédigé une adresse daos la-
quelle on disait que des scélérats opprimaient
Hobespierrc, ce citoyen uertueux qui jir décré-




456 RÉVOLUTION l"II.AN(,,:AISE.
ter le dogrne consolateur de l'Étre-Supréme et
de l'immortalité de l'dme ; Saint-Just, cet ap6-
tre de laniertu , qui jit cesser la trahison au
Rhin etau Nord ; Couthon , ce citoyen uertueutc
qui n'a que le corps et la téte de vivants.mais
qui les a brtllants de patriotisme. Aussitót
apres , on avait arrété que les sections seraient
convoquées , que les présidents et les com-
mandants de la force armée seraient mandés a
la commune pOlll' y recevoir ses ordres. Une
députation avait été envoyée aux jacobins
pour qu'ils vinssent fraterniser avec la com-
mune , et qu'ils envoyassent au conseil général
leurs membres les plus énergiques et un bon
nombre de citoyens el citorennes des tribunes.
Sans énoncer encore I'insurrection , la com-
mune en prenait tous les moyens et marchait
ouvertement ace but. Elle ignorait l'arrestation
des cinq députés , et c'est pourquoi elle gar-
dait encore quelque réserve.


Pendant ce temps, Henriot était monté a
cheval et courair les rues de Paris. Chemin
faisant , ji apprend qu'on a arrété cinq repré-
sentants; alors il se met ~l exciter le peuple,
en criant que des scélérats oppriment les dé-
putés fideles , qu'ils ont arreté Couthon, Saint-
Just et Rebespierre. Ce miserable était amoitié
ivre ; il s'agitait sur son cheval et bl'alldissait




CONVENTfON NATIONALE (J 794). 457
son sabre comme un frénétique. Il se rend d'a-
bord au faubourg Saint-Antoine pour soulever
les ouvriers, qui comprenaient apeine ce qu'il
voulait dire, et qui d'ailleurs commeucaient a
s'apitoyer en voyant passer tous les jours de
nouvelles victimes. Par un hasard fatal, Hen-
riot rencontre les charrettes. En apprenant
I'arrestation de Robespierre, on les avait en-
tourées ; et comme Robespierre était supposé
l'auteur de tous -les meurtres, on s'imaginait
que, lui arrété , les exécutions devaient finir.
On voulait, en conséquence, faire rebrousser
chemin aux condamnés. Henriot, survenant
en cet instant, s'y oppase et fait consommer
encare cette deruiere exécution. Il revient en-
suite, toujours au galop, jusqu'au Luxembourg,
et ordonne ala genrlarmerie de se réunir a la
place de la maison commune. l1 prend un dé-
tachernent a sa suite , descend le long des quais
pour se rendre a la place du Carrousel et aller
délivrer les prisonniers qui se trouvaient au
comité de súreté générale. En courant sur les
quais avec ses aides-de-camp, il renverse plu-
sieurs personnes. Un homme qui avait sa
femme sous son btas, se tonrne vers les gen-
darmes, et s'écrie : (( Gendarmes, arrétez ce
hrigand, il n'est plus votre généraJ.); Un aide-
de- camp lui réponcl par un ceup de sabre ..




458 RÉVOI.UTlO.N J,'RAN9AlSE.
Henriot coutinue sa route, el se jette dans la
rue Saint-Honoré ; arrivé sur la place d 11 Pa-
lais-Egalité (Palais-Royal), il apercoit Merlin
de Thionville, et pousse a lui en criant: « Ar-
« rétez ce coquin! e' est un de ceux qui persé-
« cutent les représentants fidéleslsOn s'empare
aussitót de Merlin, on le maltraite et on le con-
duit au premier corps-de-garde. Dans les cours
du Palais-National, Henriot fait mettre pied a
terrc a ceux qui l'accompagnent, et veut pé-
nétrer dans le palais. Les grenadiers lui en re-
fusent l'entrée et croisent la haionnette. Dans
ce moment, un'huissier s'avance et dit :-«Gen-
f( darmes, arrétez ce rebclle; un décret de la
« convention vous l'ordonne. »-Aussitót OH en-
toure Henriot, on le désarme, lui et plusieurs
de ses aides-de-camp , on les garrotte et on
les conduit dans la salle du comité de súreté
générale, aupres de Robespierre, Couthon,
Saint-J ust et Lebas.


Jusqu'ici tout allait bien pour la conveu-
tion ; ses décrets, hardiment rendus , élaieut
heureusement exécutés ; mais la commune et
les jacobins , qui n'avaient ras encore proclamé
ouvertementl'insllrrection,allaientéclatermaín-
tenant,etréaliser leur projet.d'un s juin. Parbou,
heur, tandis que la convcntion suspendait im-
prudemmeut sa séance, la commune faisait de




COl'<VENTION N,HIONALE ('794). 459
méme.et letemps était perdupour toutle monde.


Le eonseil ne se rassemble de nouveau qu'a
six heures. A cette reprise de la séance, l'ar-
restation des cinq députés et d'Henriot était
connue. Le conseil, a eette nouvelle, ne se
contient plus, et déclare qu'ils'insurge contre
les oppresseurs du peuple, qui veulent faire
périr ses défenseurs. n ordonne de sonner le
tocsin a I'Hótel-de-Ville et dans toutes les sec-
tions.n députe un de ses membres dans chacune
d'elles , pour les pousser a l'insurrection, et les
décider a envoyer leurs bataillons a la com-
mune. Il envoie des gendarmes fermer les bar-
rieres, et enjoint a tous les concierges des pri-
sons de refuser les prisonniers qui leur seraient
présentés. Enfin ji nomme une commission
exécutive de douze membres , dans laquelle
se trouvent Payan et Coffinhal, pour diriger
l'insurrection , et user de tous les pouvoirs sou-
verains du peuple. Dans ce moment, on avait
déja réuni sur la place de la commune quel-


, ques bataillons des' sections, -plusieurs com-
pagnies de canonniers , et une grande partie de
la gendarmerie. On comrnence afaire préter le
serment aux commandants des bataillons actuel-
lement réunis. Ensuite on ordonne aCoffinh.al
de se rendre avec quelques cents hommes ala
convention, pour délivrer les prisouniers.




460 RÉVOLUTlON }o'RAN~AJSf:.
Déja Robespierre ainé avait été conduit au


Luxembourg, Robespierre jeune a la maisou
Lazare, Conthon a Port-Libre , Saint-Just aux
Écossais, Lebas a la maison de justice du dé-
partement. L'ordre donné par la commune aux
concierges fut exécuté, et on refusa les pri-
sonniers. Les adrninistrateurs de police s'en
ernparerent , et les conduisirent en voiture a
la mairie, Quand Robespierre parut , on I'em-
brassa, on le combla de témoignages de dé-
vouernent , et on jura de mourir pour le dé-
fendre lui et tous les députés fideles. Pendant
ce temps, Henriot était seul resté au comité de
süreté générale. Coffinhal , vice-président des
jacobins, y arriva le sahre it la rnain , avec quel-
ques compagnies des sections , envahit les sanes
du comité, en chassa les mernbres , et délivra
Henriot et ses aides-de-carnp. Henriot, délivré,
courut sur la place du Carrouse1, retrouva en-
corc ses chevaux , s'élanca sur l'un d'eux , et,
avec assez de présence d'esprit, dit aux com-
pagnies des sections et aux canonniers qui se
trouvaient autour de lui , que le comité venait
de le déclarer innocent, et de lui restituer le
commandement. Alors on I'entoura , i1 se fit
suivre par une foule assez nombreuse, se mit
a donner des ordres contre la convention , el
a préparer le siége de la salle.




CONnNTION NATIONAU: (1794). 461
II était sept heures du 5011'. La convention


rentrait apeine en séance, et dans l'iutervalle
la commune avait acquis de grands avantages.
Elle avait, eomme on vient de le voir, pro-
clamé l'insurrection , envoyé des commissaires
aux sections , réuni déja autour d'elle beau-
coup de eompagnies de canonniers et de gen-
darmes, el délivré les prisonniers, Elle pou-
vair ,avec de l'audace , marcher promptemcnt
sur la convention, et lui faire révoquer ses dé-
crets. Elle comptait en outre sur l'école de
Mars , dont le commandant Labreteche lui était
entierement dévoué,


Les députés s'assernhlent en tumultc, et se
cornmuniqueut avee effroi les nouvelles de la
soirée, Les membres des comités, incertains,
effrayés, sont réunis dans une petite salle, a
coté du bureau du président. La, ils déliberent
saos savoir aquel parti s'arréter. Plusieurs dé-
putés se succedent a la trihune , et raeontent
ce qui se passe dans Paris. On rapporte que les
prisonniers sont élargis , que la eommune s'est
réunie aux jacobins, qu'elle dispose déja d'une
force considérable , el que la eonvention va
bientót étre assiégée.Bourc1on propose de sor-
tir en eorps et de se montrer au peuple, ponr
le ramener. Legendre ¿'efforee de rassurer l'as-
semblée , en lui disant qu'elle ne tronvera par-




462 I1ÉVOLUTION FRAN9AISE.
tout que de purs et fideles montagnards préts
;\ la défendre, et il montre dans ce moment
de péril un courage qu'il n'avait pas eu contre
Robespierre. Billaud monte a la tribune, et
annonce qu'Henriot est sur la place du Car-
rousel , qu'il a égaré les canonniers , qu'il a
fait tourner les canons contre la salle de la
conventian, et qu'il va commencer l'attaque.
Callot - d'Herbois se place alors au fauteuil ,
qui, par la disposition de la sane, devait re-
cevoir les premiers boulets, et dit en s'asseyant:
« Représentan ts , vaici le moment de mourir a
« natre poste. Des scélérats ont envahi le Pa-
« lais-National. lJ-A ces mots, tous les députés ,
dont les uns étaient debout , dont les autres
erraient dans la salle, prennent Ieurs places ,
et demeurent assis dans un silence majestueux.
Tous les citoyens des tribunes s'enfuient avec
un bruit épouvantable , et ne laissent apres
eux qu'un nuage de poussiere. La convention
reste abandonnée , et convaincue qu'elle va
étre égorgée, mais résolue a périr plutót que
de souffrir un Cromwell. Admirons iei I'ern-
pire de l'occasion sur les courages! Ces mémes
hornmes si long-temps soumis au rhéteur qui
les harangnait, bravent aujourd'hui les canons
qu'il a fait diriger contre eux, avec une su-
blime résignation. Des membres de l'assemblée




CONVENTION N ATION A u; (1 79/¡)' /,63
entrent el sortent , et apportent des nouvelles
de ce qui se passe au Carrousel. Henriot y
donne toujours des ordres. - Hors la loi , hors
la Ioi le brigand1 s'écrie-t-on dans la salle. -
On rend aussitót le décret de mise hors la loi ,
el des députés vont le publier devant le Palais-
National.


Dans ce moment , Henriot , qui avait égaré
les canonniers , et avait fait tourner les pieces
contre la salle, voulait les engager a tirer. Il
ordonne le fen, mais ceux-ci hésitent. Des dé-
putés s'écrient : « Canormiers , vous déshono-
« rerez-vous? ce brigand est hors la loi. »-Les
canonniers alors refusent positivement d'obéir
a Henriot. Abandonné des siens, il n'a que le
temps de tourner hride , et de s'enfuir ala corn-
mune,


Ce premier danger passé , la convention met
hors la loi les députés qui se sont soustraits á
ses décrets, et tous les membres de la com-
mune qui sont en révolte. Cependant , ce n'é-
tait pas tout. Si Henriot n'était plus a la place
du Carrousel , les révoltésétaientencore a la
commune avec toutes leurs forces, et avaient
encore la ressource d'un coup de majo. 11 fal-
lait obvier a ce grand péril. On délibérait sans
agir. Dans la petite salle situéederriere le bu-
reau, oú se trouvaient les comités et beaucou p




464 nÉvaLuTION PitA N~.A ISE.
de représentants, on proposa de nommer un
cammandant de la force armée , pris dans le
sein de l'assemblée. - Qui? demande-t-on. --
Barras, répond une voix, et il aura le courage
d'accepter. - Aussitot Vouland caurt a la tri-
bune, et propase de nornrner le représentant
Barras' paur diriger la force armée. La conven-
tion aeeepte la proposition , nomme Barras, el
luí adjoint six autres députés, paur cammander
sous ses ordres, Fréron, Ferrand, Rovere ,
Delmas, Bolleti , Léonard Bourdon , et Bour-
don de l'Oise, A cette proposition , un membre
de l'assemblée en ajaute une antre , qui n'est
pas moins importante, c'est de ehoisir des re-
présentants pour alter éclairer les sectians, et
leur demander le secours de Ieurs bataillons.
Gette derniere mesure était la plus nécessaire,
cal' il était urgent de décider les sections in-
certaines ou trornpées,


Barras court vers les hataillons déja réunis ,
pOLIr leur signifier ses pouvoirs, et les distri-
buer autour de la convention. Les députés
envoyés aux sections s'y rendent POUI' les ha-
ranguer. Dans ce moment, la plupart étaient
incertaines; tres-peu lenaient pour la commune
et pour Robespierre. Chacun avait harreur de
ce systéme atroce qu'on imputait aRobespierre,
el désirait un événement qui en délivrát la




CONVENTION NATION AU: (1794). Li65
Franee. Cependant la erainte paralysait encore
tous les citoyens. On n'osait pas se décider. La
commune, a laquelle les sections étaient habi-
tuées aobéir, les avait mandées , et quelques-
unes n'osant résister, avaient envoyé des com-
missaires, non pas pour adhércr au projet de
l'insurrection, mais pour s'instruire des événe-
ments. Paris était dans l'incertitude et l'anxiété.
Les parents des prisonniers, leurs amis , tous
ceux qui souffraient de ce régime cruel, Sor-
taient de leurs maisons, s'approchaient de rue
en rue vers les lieux oú régnait le bruit , et
táchaient de recueillir quelques nouvelles. Les
malheureux détenus ayant aper<{u de leurs fe-
nétres grillées beaucoup de mouvement, et en-
tendu beaucoup de rnmeur, se doutaient de
quelque chose, mais ils tremblaient encore que
ce nouvel événement ll'aggravat leur sort. Ce-
pendant la tristesse des geoliers, des mots dits
a l'oreille des faiseurs de listes, la consterna-
tion qui s'en était suivie, avaient un peu dis-
sipé les doutes. Bientót on avait su par des
mots échappés que Robespierre était en péril ;
des parents étaient venus se placer SOU5 les
fenétres des prisons, et indiquer par des signes
ce qui se passait;alors les prisonniers se ré-
unissant avaient laissé éclater l'allégresse la plus
vive. Les infames délateurs tremblants avaient


Vi 30




466 nÉVOLUTJON .FRANC;;:AISE.
pris quelques-uns des suspects apart, s'étaient
efforcés de se j usti6.er, et de persuader qu'ils
n'étaient pas les auteurs des listes de proscrip-
tion. Quelques -uns s'avouant coupables, di-
saient cependant avoir retranché des noms;
l'un n'en avait donné que quarante , sur deux
cents qu'on luí demandait; un autre avait
détruit des listes entieres. Dans leur effroi', ces
misérables s'accusaient réciproquement, et se
renvoyaient l'infamíe les uns aux autres.


Les députés, répandus dans les sections, n'a-
vaieut pas eu de peine a l'emporter sur les obs-
curs envoyés de la commune. Les sections qui
avaient acheminé leurs bataíllons a l'Hótel-de-
Ville les rappelaient , les autres dirigeaient les
leurs vers le Palais-National. Déjá ce palais
était suffisamment entouré. Barras .vint I'an-
noncer a l'assemblée , et courutensuíte él la
plaine des Sablons, pour remplacer Labrete-


.-che, quí était destítué, et amener l'école de
Mars au secours de la convention.


La représentation nationale se trouvait main-
tenant a l'abri d'un coup de main, En effet ,
c'était le cas de marcher sur la commune, et
de prendre l'inítiative qu'elle ne prenait pas
elle-méme, On se décide a marcher sur l'Uotel-
de-Ville, Léonard Bourdon, qui était a la tete
d'uu grand nombre de bataillons, se met en




CONVENTfON NATIONALE (1794). 467
marche. Au moment oú il annonce qu'il va
s'acheminer sur les rebelles, « Pars, lui dit
« Tallien, qui occupait le fauteuil, et que le so-
« leil en se levant ne trouve plus les conspira-
« teurs vivants.» Léonard Bourdon débouche
par les quais, et arrive sur la place de l'Hótel-
de- Ville. Un grand n'mbre de gendarmes, de
canonniers, et de citoyens armés des sections,
s'y trouvaient encore. Un ageIit du comité de
salut public , nommé Dulac, a le courage de se
glisser dans leurs rangs ,et de leur lire le dé-
cret de la convention qui mettait la commune
hors la loi. Le respect qu'on avait contracté
pour cette assemblée, au nom de qui tout se
faisait depuis deux ans, le respect pour les
mots de loi et de république, l'emportent. Les
bataillons.se séparent: les uns retournent chez
eux, les autres se réunissent a Léonard Bour-
don, et la place de la commune reste déserte.
Ceux qui la gardaient, et ceux qui ,viennent
d'arriver pour l'attaquer, se rangent dans les
riles environnantes pour occuper toutes les
avenues.


On avait une telle idée de la résolution des
conspirateurs, et on était si étonné de les voir
presqne immobiles dans l'Hotel-de-VilIe, qu'on
hésitait a approcher. Léonard Bourdon crai-
gnait qu'ils n' eussent miné l'Hótel-de-Ville.


30.




468 RÉVOLUTION FRANfAISE.
Cependant il n'en était rien ; ils délibéraient
en tumulte, proposaient d'écrire aux armées
et aux provinces, ne savaient pas au norn de
qui ils devaient écrire, et n'osaient pas pren-
dre un parti décisif. Si Robespierre eút osé,


_en homme d'action , se montrer et marcher sur
la convention, elle eút été mise en péril. Mais
il n'était qu'un rhéteur, et d'ailleurs il sentait,
et tous ses partisans sentaient avec lui , que
l'opinion les ahandonnait. La fin de cet affreux
régime était arrivée; la convention était partout
obéie, et les mises hors la loi produisaient un
effet magique. Eút - il été doué d'une plus
grande énergie , ilaurait été découragé par ces
circonstances , supérieures a toute force índi-
viduelle. Le décret de mise hors la loi frappa
tout le monde de stupeur , lorsque de la place
de la cornmune il parvint a l'Hótel-de-Ville.
Payan, qui le recut , le lut a haute voix , et,
ave e une grande présence d'esprit, ajouta a la
liste des personnes mises hors la loi le peuple
des tribunes , ce qui n'était pas dans le décrer,
Contre son attente, le peuple des tribunes
s'échappa avec effroi, ne voulant pas partager
l'anathéme lancé par IUfconvention. Alors le
plus grand découragement s'empara des conju-
rés, Henriot descendit sur la place pour ha-
r:mg'~ler les canonniers , mais il ne trouva plus




CONVENTION NA1'IONAL¡'~ (]79{~)' [~69
un seul homme. Il s'écria en jurant: « Com-
« ment! ces scélérats de canonniers qui m'ont
« sauvé iI ya quelques heures, m'abandonnent
« maintenant l » AIors iI remonte furieux pour
annoncer cette nouvelle au conseil, Les conjn-
rés sont pIongés dans le désespoir ~ ils se voient
abandonnés par leurs troupes, et cernés de
tous cótés par celles de la convention; ils s'ac-
cusent et se reprochent -leur malheur. Coffin-
hal , homme énergique, et qui avait été mal
secondé, s'indigne contre Henriot, et lui dit :
« ScéIérat, c'est ta Iácheté qui nous a perdus. »
Il se précipite sur lui, et , le saisissantau mi-
lieu du corps, le jette par une fenétre, Le
misérable Henriot tomhe sur un tas d'ordures,
qui amortissent la chute, et empéchent qu'elle
ne soit mortelle. Lebas se tire un conp de pis-
tolet; Robespierre jeune se jette par une ferie-
tre; Saint - Just reste calme et immobile, une
arme a la main , et sans vouloir se frapper;
Robespierre se déeide enfin a terminer sa car-
riere, et trouve dans eette extrémité le courage
de se donner la mort. Il se tire un coup de
pistolet qui, portant au-dessous de la levre , lui
peree seulement la joue, et ne lui fait qu'une
bIessure peu dangereuse,


Dans ce moment, quelques hommes hardis,
le nommé Dulac, le gendarme Méda , et plu-




470 RÉVOLUTION FRAN~A.ISE.
sieurs autres ~ laissant Bourdon avee ses ha-
taillons súr la place de la commune , montent
armés desabres et de pistolets, et entrent
dans la salle du conseil, a l'instant méme ou
Ie .bruit des deux eoups de feu venait de se
faire'entendre, Les officiersmunicipaux allaient
óter Ieur écharpe, mais Dulac menace de sabrer
le premier quisongera él s'en dépouilJer. Tout
le monde reste immobile; on s'empare de tous
les officiers municipaux, des Payan , des Fleu-
riot, des Dumas, des Coffinhal, etc.; on em-
porte les blesséssur des brancards, et on se
rend triomphalement ala convention... JI était
trois heures du matin. Les cris de victoire re-
tentissent autour de la salle, et péuétrent jus-
que sous ses voútes. Alors les crisde vive la
liberté! .vive 'la -conventióu! .a, bas .les tyrans!
s'élevent de tomes parts. Le président dit ces
paroles: « Représentants, Robespierre et ses
{{ complices sont él la porte de votre salle; voulez-
({ vous qu'on les transporte devant vous?» -
Non, non, s'écrie-t-on de tous cótés ; au sup-
plice les conspirateurs!


Robespierre est transporté avec les siens dans
la salle du comité de salut publico On I'étend
sur une table , et on lui met quelques cartons
sous la tete. Il conservait sa présence d'esprit ,
et paraissait impassible. Il avait un habit hleu ,




CONVENTION N ATION ALE (1794). 471
le méme qu'il portait ala fete de rEtre-Supréme,
des culottes de nankin, et des bas blancs,
qu'au mílieu de ce tumulte il.savait laissé re-
tomber sur ses souliers. Le sahg jaillissait de
sa blessurev.il l'essuyait avec un fourrean de
pistolet, On lui présentait de temps en temps
des morceaux de papier, qu'il prenait pour s'es-
suyer le visage. Il demeura ainsi plusieurs heures
exposé a la curiosité et aux outrages d'une
foule de gens. Quand le chirurgien arriva pour
le panser, il se leva lui - mérne , descendit de
dessus la table, et alla se placer sur un fauteuil.
Il subit un pansement douloureux , sans faire
entendre aUCUDe plainte. Il avait l'insensibilité
et la sécheresse de l'orgueil humilié. U ne ré-
pondait aaucune parole. On le transporta en-
suite avec Saint-Just- Couthon et les autres , a
la Conciergerie. Son frere et Hení-iot avaient .
été recueillis amoitié morts , dans les mes qui
avoisinent l'Hótel-de-Ville.


La mise hors la loi dispensait d'un jugement;
il suffisait de constater l'identité. Le lendemain
matin , 10 thermidor (28 juillet), les coupa-
hles comparaissent au nombre de vingt et un
devant le tribunal oú ils avaient envoyé tant
de victimes. Fouquier-Tinville fait constater
l'identité, et á quatre heures de l'apres-midi illes
fait conduire au supplice. La foule, qui depuis


-




472 RÉVOLUTION FRAN~AlSE.
long-temps avait deserté le spectacle des exé-
cutions, était accourue ce jour-la avec un em-
pressement extreme. L'échafaud avait été élevé
ala place de la Révolution. Un peuple imrnense
encombrait la rue Saint-Honoré , les Tuileries ,
et la grande place. De nombreux parents des
victirnes suivaient les charrettes en vomissant
des imprécations; beancoup s'approchaient en
demandant avoir Robespierre : les gendarmes
le leur désignaient avec la pointe de leur sabre.
Qnand les coupables fnrent arrivés a l'écha-
faud, les bourreaux montrerent Robespierre
a tont le peuple; ils détacherent la bande qui
entourait sa joue , et lui arracherent le pre-
mier cri qu'il eút poussé jusque-lá, Il expira
avec l'impassibilité qu'il montrait depuis vingt-
quatre heures. Saint-Just mourut avec le cou-
rage dont il avait toujours fait preuve. Cou-
thon était abattu; Henriot et Robespierre le
jeune étaient presque morts de leurs biessures.
Des applaudissements accompagnaient chaque
COllp de la hache fatale , et la foule faisait écla-
ter une joie extraordinaire. L'alJégresse était
générale dans Paris. Dans les prisons 00 enten-
dait retentir des cantiques; on s'embrassait
avec une espece d'ivresse , et on payait jusqu'á
30 fr. les feuilles qui rapportaient les derniers
événements. Quoique la convention n'eút pa~




• <


CONVENTION NATION HE (J 794)· 473
déclaré qu'elíe aholissait le systeme de la ter-
reur, quoique les vainqueurs eux-mérnes fus-
sent 00 les auteurs ou les apótres de ce sys-
teme, on le croyait fini avee Robespierre,
tant il en avait assumé sur lui toute l'horreur.


Telle fut eette heureuse catastrophe , qui
termina la marche ascendante de la révolution,
pour eommencer sa marche rétrograde. La ré-
volution avait, au J 4 juillet J 789, renversé
l'ancienne constitution féodale ~ elle avait, au
5 et au 6 octobre , arraehé le roi a sa cour,
pour s'assurer de lui; elle s'était fait ensuite
une constitution, et l'avait confiée au monar-
que en 1791 comme a l'essai. Regrettant bien-
tót d'avoir [ait cet essai malheureux, déses-
pérant de coneilier la cour avee la liberté , elle
avait envahi les Tuileries au.r o aoút, et plongé
Louis XVI dans les fers. L'Autriche et la Prusse
s'avancant pour la détruire, elle jeta, pour
nous servir de son langage terrible, elle jeta,
eomme gant du combat, la tete d'un roi et de
six mille prisonniers; elle s'engagea d'une ma-
niere irrevocable dans cette lutte, et repoussa
les coalisés par un premier effort. Sa colere
doubla le nombre de ses ennemis; l'accroisse-
ment de ses ennemis et du danger redoubla
sa colére , et la changea en fureur. Elle arra-
cha víolemment do temple des lois des répu-




474 RÉVOLUTION FRAN~ÁI5F:.
blicains sinceres, mais qui, ne comprenant
pas ses extrémités, voulaient la modérer. Alors
elle eut a combattreune moitié de la France,
la Vendée et l'Europe. Par l'effet de cette ac-
tion et de cette réaction continuelles des
obstacles sur sa volonté, et de sa volonté sur
les obstacles , elle arriva au dernier degré de
péril el d'emportement , elle éleva des écha-
fauds , et envoya un million d'hommes sur les
frontiéres. Alors sublime et atroce a la fois,
on la vit détruire avec une fureur aveugle,
administrer avec une promptitude surprenante
et une prudente profonde. Changée par le be-
soin d'une actionforte, de démocratie turbu-
lente en dictature absolue, elle devint réglée ,
silencieuse et formidable. Pendant toutela fin
de 93 jusqu'au-eommencement de 94, elle
marcha unie par l'imminence du péril. Mais
quand la victoire eut couronné ses efforts, a
la fin de 93, un dissentiment put naitre alors,
cal' des coeurs généreux et forts, calmés par le
suceés , criaient : « Miséricorde aux vaincus! »
Mais tous les eoeurs n'étaient pas calmés en-
core ; le salut de la révolution n'était pas évi-
dent atous les esprits j la pitié des uns excita
la .fureur des autres, et il y eut des extrava-
gants qui voulurent pour tout gouvernement
un tribunal de mort, La dictature frappa les




4


CONVENTION NAl'IONAU: (1794)· 47 5
deux nouveaux partís qui embarrassaient sa
marche. Hébert; Ronsin, Vincent, pérircnt avec
Danton, Camille Desmoulins. La révolution
continua ainsi 'sa carriere , se couvrit de gloire
des le commencement de J 794, vainquit toute
l'Europe, et la couvrit de confusión. C'étaitle
moment oú la pitié devait enfin l'emporter sur
la colére, Mais il arriva ce qui arrive toujours: de
l'incident d'un jour, on voulut fairé unsys-
terne. Les chefs dugouvemement avaient sys-
tématisé la violence et la cruauté , et, Iorsque
les dangers et les fureurs étáient passés , vou-
laient égorger et égorger encore; maisI'hor-
reur publique s'élevait de toutes parts. A l'op-
position , ils voulaient répondre par le moyen
accoutumé : la mort ! Alors un méme cri par-
tit a la fois delenrsrivaux de pouvoirvde-leurs
collegues menacés, et ce cri-fut le sign:iLdu
soulevement gériéral. 11 fallut quelques instants
pour secouer l'engourdissement de la crainte ;
mais on y réussit bientót , et le systérne de la
terreur fut renversé.


On se demande ce qui serait arrivé si Bobes-
pierre l'eút emporté. L'abandon oú il se trouva
prouve que c'était impossible. Mais eüt-il été
vaiuqueur, il aurait fallu ou qu'il cédát au sen-
timent général, ou qu'il succombát plus tardo
Cornme tous les usurpateurs, il auralt été forcé




476 nÉVOLUTION FRAN~AISE.
de faire succéder aux horrenrs des factions,
un régime calme et doux. Mais d'ailleurs ce
n'est pas alui qu'il appartenait d'étre eet usur-
pateur. Notre révolution était trop vaste pour
que leméme homme, députéá la constituante
en 1789, füt proclamé empereur ou protec-
teur en 1804, dans l'église Notre-Dame. Dans
un pays moins avancé et moins étendn, eomme
l'était l'Angleterre, oú le méme homme pou-
vait encore étre tribun et général, et réunir
ces deux fonctions, un Cromwell a pu .étre a
la fois homme de parti au cornmencement,
soldat usnrpateur a la fin. Mais dans une ré-
volutiou aussi étendue que la nótre , et ou la
guerre a été si terrible et si dominante, oú le
méme individu ne pouvait occuper en méme
temps la tribune et les camps, les hommes de
parti se sont d'abord dévorés entre eux; apres
eux sont venus les hommes de guerre, et un
soldat est resté le dernier maitre,


Robespierre ne pouvait done remplir chez
nous le role d'usurpateur. Pourquoi lui fut-il
donné de survivre a tons ces révolutionnaires
fameux, qui lui étaient si supérieurs en génie
et en puissance, a un Danton, par exem-
ple ? .. Robespierre était integre, et il faut une
bonne réputation ponr captiver les masses. JI
était sans pitié , et elle perd ce ux qui en Oll t




a


CONVENTION NATIONt\LE (1794). 477
daos les révolutions. n avait un orgueil opi-
niátre et persévérant , et c'est le seul moyen
de se rendrc toujours présent aux esprits, Avec
cela, il dut survivre a tous ses rivaux. Mais il
fut de la pire espece des hommes. Un dévot
sans passions , sans les vices auxquels elles ex-
posent, mais sans le courage, la grandeur et
la sensibilité qui les accompagnent ordinaire-
ment, un dévot ne vivant que de son orgueil
et de sa cl'oyance, se cachant au jour du dan-
ger, revenant se faire adorer apres la victoire
remportée par rl'autres , est un des étres les
plus odieux qui aient dominé les hommes, et
on dirait les plus vils, s'il n'avait en une con-
viction forte et une i ntégrité reconnue.


FIN DU TOME SIXIf.:ME.






DES CHAPITRES


CONTENUS DANS LE TOME SIXJEMK


CHAPITRE l.
Retour de Danton. - Divisions dans le parti de la Mon-


tagne, dantonistes et hébertistes. _ Poli.tique de Ro-
bespicrrc ct du comité de salut public.-Danton, accusé
aux Jacobins, sejustifie; il cst défendu par Robcspierre.
- A.bolition du culte de la Raison. - Derniers perfec-
tionnements apportés au gouvernement dictatorial ré-
volutionnaire. _ Énergie du comité contre tous les
partis.-Arrestation de Ronsin, de Vincent, des quatre
députés auteurs du faux décret el des agents présumés
de l'étranger ............•..... " '.' 1


CHAPITRE 11.
Fin de la campagne de 1793. Manoeuvre de Hoche dans


les Vosges. Retraite des Antrichiens et des Prussiens.
Déblocus de Landau. - Opérations a l'armée d'Italie,
- Siége et prise de TouIon par l'armée républicaine.
- Derniers combats et échecs aux Pyrénées. - Excur-
sion des Vendéens au-delá de la Loire. Nombreux com-




4l:lo TABUI DES CHAPITRES.
bats ; échecs de l'armée républicainc. Défaite des Ven-
déens au Mans, et leur destruction complete aSavcnay.
- Coup d'ceil général sur la campagne de 1793.. 39


CHAPITRE 111.
Suite de la lutte des hébertistes et des dantonistes. - Ca-


mille Desmoulins puhlie le Viena: Cordelier. - Le co-
mité se place entre les deux partis , et s'attache d'abord
il réprimer les hébertistes. - Disette dans Paris. -
Rapports importants de Robespierre et de Saint-Just.
- Mouvement tenté par les hehertistes, - Arrestation
et mort de Ronsin , Vincent , Hébert , Chaumette, Mo-
moro, etc. - Le comité de salut public fait subir le
mérne sort aux dantonistes. ~ Arrestation , proces et
supplice de Danton, Carnille Desmoulins, Phifipcaux ,
Lacroix, Hérault-Séchelles, Fabre- d'Églantille, Cha-
bot, etc ..•...•.. o•.. o........•........... 101


CHAPITRE IV.
Résultats des derniéres exécutions contre les partis enne-


mis du gouvernement. - Décret centre les ex-nobles.
- Les ministeres sont abolis et remplaces par des com-
missions. - Efforts du comité de salut public pOllr
concentrer tous les pouvoirs dans sa main.c-c Abolition
des sociétés populaires, excepté celle des jacobins, -
Distrihution du pouvoir et dc l'administration entre
les membrcs du comité. - La convention, d'aprés le
rapport de Robespierre, déclare, au nom du peuple
francais, la reoonnaissance de l'Étre-Suprérne et de l'im-
mortalité de l'áme.. " . o • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •• 227


CHAPITRE V.
Étatde l'Europe au commcncement de l'année 1794 (an 11).


- Prcparatifs universels de guerreo Poli tique de Pitt.




e


T AnI.F. DES CHArITRES.


Ji bS, tU S


48r
Plaus des eoalisés el des Francais. - État de nos ar-
mées de terre et de mer ; aetivité et énergie du gouver-
nement ponr trouver et utiliser les ressources, - Ou-
verture de la eampagne; occupation des Pyrénées et
des Alpes. - Opérations dans les Pays-Bas. Combats
sur la Sambre et sur la Lys, Vietoire de Turcoing. -
Fin de la guerre de la Vendée. Commencement de la
guerre des chouans. -- Événements dans les colonies.
Désastres de Saint-Domingue. Perte de la Martinique.
- Bataille naval e.. . . . . . • . . . • . . . . . . . . . . . . .. 263


CHAPITRE VI.
Situation intérieurc au commencernent de l'année 1794.


- Travaux administratifs du comité. - Lois de finan.
ces. Capitalisation des rentes viagéres. - État des pri-
sonso Persécutions politiqnes. Nombreuses exécutions.
- Tentative d'assassinat sur Robespierre et Collot-
d'Ilerbois. - Dorninatiop pe Robespierre. - La secte
de la mere de Dieu, 7:,.1)es divisions se manifestent
entre les comités. -.p~ al'Btro supréme, - Loi du
22 prairial réorgani'9t,lo tribunal révolutionnaire.c-i-
Terreur extreme. G~MIes exécutions aParis. Missions
de Lebon, carrier~"M~ignet;cruautés atroces com-


o
mises par eux, Noye:; dans la Loire, - Rupture entre
les chefs du comité -:salut pubÍ1c; retraite de Robes-
pierre...... , ... ,., •. .. .....•............. 315


CIIAPITRE VII.
Opérations de l'armée du Nord vers le milieu de 1794.


Pl'isc d'Ypres. - Formation de l'armée de Sambre-et-
Meusc. Bataille de Fleurus, Occupation de Bruxelles. -
Derniers jours de la terrenr ; lutte de Robespierrc el


VI. 31




TABLE DES CHAl'lTRES.


des triumvirs contre les autres membres des comités.
Joumóos des 8 et 9 thermidor ; arrestarion et supplice
de Robespierre, Saint-Just. ~ Marche de la rcvolu-
tion depuis Hgjusqu'nu 9 thermi-lor. .•........ t,"/)


FB DE LA TABLE.