HISTOIRE . , , DIX - HUITIEMESlECLE. l'QlIE l. Lés formalités...
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HISTOIRE
. , ,


DIX - HUITIEMESlECLE.


l'Ql\IE l.




Lés formalités prescri~f!S par la loi ayant été remplies,
les éditeurs poursuivr~,wmÍllecontre~act~,~, tout dé-
hitant d'exemplaires qui ne seraient pas revetus de'la
signattire 'de M. Brieré:




HISTOIRE
DES RÉVOLUTIONS. POLITIQUES ET LITTÉRAIRJ<:S


D.E L'EUROPE
AV


DIX-Hl]ITIEM.E SIEctE,_
PAR F. <C; SCHLOSSER"


PIlOI'USIUl\ n'SISTOIB. A L'U1IITIlMt'l'á n'SUnILBIlBG ;


PAR W. SUCKAU,
PROJi'J/.S8RlJR AV COLLÉGB ROTAL DB UIKT-·LOlJIS.


PARIS,
J.'L. J. BRIE,RE, Il'QB IAUfT-ANDILÉ-DB5-ARTS', N° 68;
PONTHIEU ,.PA~~S.' ILOTA., GALBRIK DK B015;
P. nOPONt, ILUB DU~:"ULOT, UÓTBL DKS WEILMES, NO 2ft.






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~1Me~-rl6iat~ ~fzér rIe ~ ~tÓn


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el'lmlte; Ime; IHM~Ut/ ~et el4H4~ ü ()t/ la. UC<!~IQíH.Ce; .
. ()t/ f'J"u~,






PRÉFACE
DE L'ÉDITEUR.


Le dix-huit~eme siecle occupera toujours
une place tres-importante dans 1'histoire.
C' est l' époque d'une révolution' universege,
dans :les systeínes et dans les idées, opérée
par l~ philosóphie. C'est da~s ce siecle, qui a
~ changé la face de l'Europe, que le génie, long-


temps escIave a la suite des préjugé3 et du
droit de la force, a repris enfln le premier
rang, quand Montesquieu, Beccaria, Rousseau,
Voltaire et Ieur! éleves eurent reconquis les
droits de fhomme.


/


L'histoire de ce grand siecle, ou la Iumiere
captive brisa toutes ses entraves, est digne san s
doute des méditations du philosophe. La pen-




VJlI PRÉFACE


sée y trouve une IDoisson abondante ; l'iluagi-
nation s'y plait et s'y ex:alte; l~ crtriosité y reo-
contre achaque pas des aliments nouveaux;
et la postérité s'átrétera IOllgúement sur le
spectacle d'un temps si riche et si fertile.


Dans l' esquisse ra pide de ce b~au siecle,
l'auteur, partant d'un point fixe, s'est proposé
d' offrir au lecteur un tableau des événements
de l'Europe , : comparés . entreeux d'apres les
rapports immédiats ou éloignés qui les' unis"
sent, et de rendi'e' ces rappoPís plus:e.laitset


, .


plus sensibles pár des aper~us quelquefois
neufs et presque toujours piquants, qui ~ ani-


\


IDent la narration historique de tout l'intéret
des métTIoires, et qui facilitent l'enchaine-
ment des faits, sans fatiguer jamais l'attention.


Si ron ne trouve pas toujours dans cet ou-
vrage tout ce qu' exige la sévérité de l'histoire;
si l'auteur sacrifie quelquefois a l'agrément
pour souieÍlir r~oteret, 00 ne lui en fera plus
un . reproche, aujourd'hui que le pédantisme
de l'école est tombé, et que des hommes de




DE L'ÉDI1' EUR. IX


génie out prouvé qu'on peut instruire sans
ennui.


Ajoutons que relever habilement les faits
partieuliers, et les placer sous un nouveau
point de vue, e' est les faire ressortir avee plus
d'avantage; e'est rendre saillant ce qui parai-
trait a peine, eonfondu ave e les grands événe-
ments; e' est la vraie philosophie de l'histoire,
qui consiste a· dévoiler le génie: du siede
qu'elle juge, par le réeit des aneedotes qui
peignent les mceurs.


Ce n'est done pas une aride compilation,
spécialement destinée aux savants, que 1'0u-
vrage dont notis présentons ici la traduction ;
c'est un livre pour l'usage des gens du monde,
pour les hommes de lettres, pour ceux qui
étudient l'histoire politiqueo L'auteur a re-
noneé aux citations prolixes, -a cet étalage de
lieux communs dont on sent maintenant le
ridicule; il s'est abstenu aussi de ces dévelop-
pements fastidieux, qui fatiguent le lecteur
sans lui rien apprendre. D'ailleurs, le cadre


H. I. b




x PREFACE


qu'il s'est tracé est si vaste, qu'il a du mar-
cher saos cesse a grands pas vers le but
principal, embrasser rapidement la masse des


. fai~s, et laisser les détails peu importants aux.
écrits dont le plan est moins resserré.


A coté des grands tableaux de l'histoire po-
litique, il a faUu marquer les progres et les
efforts de la philosophie qui, dan s ce siecle, a
gagné tant d'influence; il a faUu suivre la
marche de la littérature en Enrope, la ten-
dance de l'esprit public, et les intentions
des écrivains qui , si long-temps étrangers aux
choses de ce monde, ont alors pris part a la
politiqqe.


Depuis la découverte de l'imprimerie, les
lumieres ne s' étaient propagées qu'avec len-
teur et sans beaucoup d'éclat; au d~~-huitieme
siecle elles déborderent a grands flots; les
auteurs firent une puissance; le génie donna
des lois; et I'Encyclopédie étonna au moins
ceu~ qu' elle ne put soumettre. Des-Iors, la
voix des peuples ne se fit plus entendre que




, I


DE LEDITEUR. Xl


dans les journaux et dans les livres; et a ja:-
mais la presse regne, quoi qu'on fasse, oú
régnaient jadis les abus et l'arbitraire.


n n' en faut pas douter un instant, encore
un coup, la face de l'Europe est changée; ce
ne sont plus les idées des vieux siecles; les lois
d~s temps d'autrefois ont pour notre ·temps
une forme étrange et choquante; et tons les
immenses bienfaits d'une civilisation inconnúe
avant nos peres, la chute du despotisme et
des coutumes féodales, la ruine des supersti-
tians, l'abolissement légal des priviléges, la li-
berté et les idées généreuses sont .les fruits et
les rés1.iltats du dix-huitieme siecle et de la
littérature philosophique.


Afin de mieux faire observer l'influence de
la littérature sur les événements, chacun des
livres qui partagent cet ouvrage par grandes
périodes, sera divisé en deux parties; l'uBe
comprendra l'histoire politique, l'autre tra-
cera la marche de la littérature, de la phi loso-
phie et des sciences , . et nlarquera l'impulsion


b.




xu PRÉFACE


qu'elles ont ,do~née a l' esprit du siecle et aux
faits qui l'ont rempli.


Les faits principaux forment seuls une
masse imposante: la guerre de la succession
d'Espagne, et les Bourbons rois des deux
cotés des Pyrénées; la quadruple-allia~ce; la
guerre du nord; les débats de la succession
d'Autriche; la guert'e de sept ans; l'union de
l' Angleterre avec l'Écosse; la prise de Gibral-
tal'; les hatailles de Pultava, de Malplaquet,
de Denain, de Fontenoy; la paix d'Utrecht;
l' origine de la puissance colossale de la Russie;
l'usurpation de Frédéric de Brandehourg, et le
despotisme militaire qu'il établit en Prusse;
la chute de la Pologne, pressée par ces deux
voÍsins ambitieux; l'érection du royaume de,
Sardaigne; la suppression des jésuites; le sys-
teme. de Law; la régence; la conquete de la
Sicile par Don Carlos; l'expédition du prince
Édouard en Écosse; l'affranchissem~nt de l'A-
mérique ; les revolutions de la Belgique et de
la Hollande; et enfin la France régénérée par




, ,
DE L EDITEUR. XIII


une révolution prodigieuse, dont toutes les
suites u' out pas encore été calculées.


La France, l' Angleterre, la Russie et la
Prusse occupent la plupart des pages de l'his-
toire de ce siecle. L'Autriche, au faite de la
prospérité, sans beaucoup d'efforts, resta sou-
vent neutre dans les débats des autres puis-
sanees; rarement elle fut ébranlée par les
forces extérieures ; ~ais, plus d'une fois, la fai-
blesse et l'impéritie de son gouvernement ~a
nlirent a deux doigts de sa perte.


Le pouvoir concentré de la Piusse n' est pas
d'abord en évidence; mais la Rus'sie s'éleve
des le commencement du siecle; et le regne
de Pierre-Ie-Grand attire sur ses destinées
brillantes tÓut l'intéret de l~observateur.


La France et I'Angleterre prélidaient alors,
en quelque sorte, aux progres et aux événe-
ments de l'Europe. Elles ne décidaient pas
seulement des affaires de la politique géné-
rale; elles fixaient encore l'opinion, réglaient
les idées et les mreurs; et tous les États voi-




XIV PRÉFACE


sins cherchaient a les prendre pour modeles.
Depuisla lutte brillante qu'ils avaient sou-


tenue pour leur liberté, les Pays-Bas s'étaient
placés, en Eur~pe , au rang des puissances de
premier ordre. Ils avaient r.ésisté a Louis XIV
da.ns ses beaux temps; mais, des le commen-
cernent de ce siecle, On les voit déchus de
lel,lr grandeur et s'avancer chaque jour vers
~a dé.cadence.


La Suede, que Gustave-Adolphe et Char-
les X érigeren t, pour son malheur, en puissance
militaire factice, s'écroula un moment sous
Charles XI. Les projets insensés de Charles XII,
Inalgré les faveurs de la fortune et la rare
váillan~e de ce héros, eussent amené infailli-
blement. le résultat ordinaire de tous les sys-
temes de conquetes, la ruine de l'État, c¡uand
meme la bataille de Pultava n'eut pas haté
cette ruine.


Charles XII et Louis XIV, que Pierre prit
pon!' modeles dans l'organisation de sa puis-
sanee, avaient adopté une politique qui s'é-




DE L'ÉDITEUR. xv


tablit bientot de gré ou de force dans tous
les petits États; cette politique faisait consister
la force dans l'argent; et, jusqu'a la révolution,
on calcula l' étendue d'une puissance sur ses
revenus; on s'appuya d'armées soldées,· en-
tretenues a prix d'argent, séverement discipli-
nées, commandées par des chef s habiles; les
monarchies compterenf, non plus sur le droit,
mais sur le pouvoir; et la souveraineté consista
dans la force.


GuilIaume 111, en Angleterre, chercha a in-
troduire cette meme politique ; mais i~ne put
l'employer qu'au dehors, paree que la consti-
tution n'en souffrait ancnne applica1;jon daos
1'in térieur.


Les effets dWt puissance militaire des An-
glais et de leut marine formidable, se firent
sentir, surtout a la fin du siecle, dans le pil-
lage des deux Indes, lorsque la soif de l' or
et l'inhumanité froidement calculé e eurent
étouffé tout sentiment généreux.


Mais si les souverains, imitant Louis XIV"




XVI PRÉFACE


5' emparer~nt d'un pouvoir immense dans les
monarchies européennes, leur . empire ne se
signala pas toujours d'une maniere si funeste;
et le despotisme eut aussi sa bienfaisance. Ilfal-
lait auxmonarqueslepouvoirqu'ils usurperent
pour déraciner les abus surannés du moyen
age, défendus par tant de gens intéressés, avan-
tageux au petit nombre, mais nlortéls a la li-
bertécommune; il leurfallut la force pour
élever le peuple et abaisser les castes a privi-
léges, pour rétablir, quoi't{ue tres légerement,
une sorte de balance entre les états et les pro-
fessions. Les droits des seigneurs, les préro-
gatives du clergé, ceHes de la bourgeoisie, les
corporations, toutes les vieilles institutions
féodales n'avaient conserv.e ce qu'elles
avaient de vicieux et de dépravé:' tous les
avantages de cet état de choses avaient dis-
paru; la masse était esclave; il fallait des des-
potes pour commencer de l'affranchir; et un
jour on reconnaltra que Louis XI a bien mé ..
rité de la patrie.




, ,
DE L EDITEUR. XVII


FrédérÍcIl et ceux qui voulurent suivre ses
exemples, donnerent a la puissance mili-~
taire du continent européen, apres la guerre
de . sept ans, une teIle étendue, que des-
lors les souverains ne purent décidément
asseoir leur pouvoir que sur leurs al'Ínées; et
que tout se justi6a par le canon. Ce systeme
aurait pu réussir et durer dans un siecIe. de
,superstition et d'ignorance, avec des peuples
assez doux pour se preter comme des machi-
nes aux calculs de le~rs maltres. Mais quand
Montesquieu, Helvétius, Diderot, Voltaire
eurent parlé ,les fondements de cet' édifice
s'écroulerent; et la révolution amena a sa
place le regne de l'-éloquence et du . génie.


Cependant on a VU, au commencem~nt du
dix;-neuvieme siecle" le pouvoir militaire re-
prendre le sceptre, que peut-etre il porte ~n­
eore, et qu'il cach~ a regret sous le masque
des loíS.


Mais si l'histoire politique est féconde, l'his-
toire littéraire l'est Qavantage encore. Quelle




XVIII PRÉFACE


puissante armée de grands hornmes nous pré-
sente le dix-huitieme siecle! La vieillesse de
l'ere précédente: Malebranche, Cassini, Dod-


o well, o Newton, Fénélon, Leibnitz, Huet,
Flamsteed, Burnet, et a leur sllite Boulainvil-
liers, Addisson, Steele, Prior, Vertot, Mont-
faucon, Clarke, Swift; Boerhaave, Polignac,
Wieland, Goethe, Schiller, Pope, Fontenelle,
Rollin; Dubos, Locke, J. J. Rousseau,Voltaire,
Fielding, Volney, Montesquieu, Haendel, Mo-
zart, Hogarth, Middleton, Banier, Lessing, Fré-
ret, Muratori, Dumarsais, Velly, d'Alembert,
Helvétius, Diderot, Musschenbroeck, Clairaut,
d'Olivet, Hénault, La Condamine, Mercier,
Buffon, Kant, Lalande, Chénier, Mirabeau,
Champfort; et tous ces philosophes, tous ces
écrivains encore vivants, déja immortels, et qui
ont légaé Ieur gloire a notre siecle.


Assurément, pourles partisans de la gravité
de l' école , le beau siecle e' est le dix-septieme,
a cause de sa pureté classique. Mais, pour
le bonheur dugenre humain, on lui préfé-




, ,
DE L EDJTEUR. XIX


rera le siecle de philosophie qu'il a préparé;
et Montesquieu n'aura pas moios de droits a
notre admiration que le tendre Racine.,


D'ailleurs, c'est toujours aux écrits utiles que
le génie semble s' etre attaché_ de préférence;
et La Fontaine, Bayle, La Mothe-Le-Vayer,
Corneille et Moliere avaient préparé les voies
aux philosophes.


L'intéret que le dix-huitieme sieda doit in.
spir~r est encore vivant pour nous; c'est le
siecle de nos peres; nous l'avons vu flnir et
nous jouissons de ses bienfaits. Mais nous
sommes déja pour lui la postérité, et le droit
de le juger nous est acquis. Aussi, plusieurs
écrivains en ont essayé l'histoire ; et la, matiere
est si grande qu'il es! bien rare qu'ils aient
manqué d'attacher vivement le lecteur.


C'est ce siecle tant de fois esquissé, souvent'
re tracé avec talent, que M . .schlosser vient de
peindre de nouveau, d'une maniere rapide et
originale; et, ce qui est plus précieux peut-etre"
nous devrons asa quajité d'étranger une fran ...




xx PRÉFACE


chise impartiale que nous ne pouvons attendre
de nos historiens compatriotes.


Beaucoup de faits, dont nous connaissions
malles causes, sont développés dans son livre,
avec des détails curieux, puisés dan s des sour-
ces qui nous étaient ignorées.


Pour la France surtout, l'auteur allemand est
bien plus la postérité que nos écrivains natio"':
naux, et la France tient la plus grande place
dans le tableau qu'il a fait du dix-huitieÍne
sii~cle. On aimera a reconnaitre en lui un ju-
gement sain et pur; on le verra re.ndre égale
justice. a tous ; et il est rare qu' on puisse ré-
clamer contre ses arrets .


. Quelquefois cependant il a pu etre trompé
dans les renseignements qui lui ont été ,fournis
durant son séjour a Paris; et, généralement
équitable envers les personnages de notre ré-
volution derniere, il a jugé des hornmes qui
vivent encore, sans les bien connaltre. Ainsi ,
on le trouvera injuste a l'égard de M. Rrederer,
et de quelques autres personnes, auxquelles




DE L'ÉDITEUR. ~xt


il prete des sentiments qu'elles 11'ont jamais
eus. Il reproche, par exemple, a M. Rrederer
d'avair accepté les chaines doré es de l'empire,
apres avoir défendu les idées républicaines.
Mais ce reproche banal peut tomber sur tout
ee que la France compte d'hommes recom-
mandables.


M. Rrederer a toujours été du nombre des
partisans de la monarchie constitutionnelle ; et
soit qu'il ait pensé, comme beaucoup de sages,
que la Franee, en 1793, n' étai t pas mure encore


. pour la répuhlique; soit que cette forme de
gouvernement lui ait semblé peu convenable
a nos idées et a nos mreurs, ilest constant


, .


qu'il ne figura jamais parmi les républicains
détermillés. S'il servit l'empire, c'est que l'em-
pire représentait alors la patrie; et s'il fallait
attribuer les torts du despotisme impérial a
tous ceux qui eurent part aux grandes actions
de l'empire, cambien de Fran<;ais mériteraient
le meme reproche!


e' est encore sur un renseignement vague et




X:XII PRÉFACE


peu digne de foi, que l'autellr allemand appli-
que a l\I.'Rrederer l'odieuse allusion: Ego Jum
qui tradidi eum, a l'occasion du 10 aout. Car,
'en conseillant a Louis XVI de se confier a la
garde des représentants, du peuple, M. Rre-
derer avait l'intime conviction que le roi l1'a-
vaitplusalors d'autre refuge,contreles fureurs
de la populace, que dans le sein de l'assemblée
législative.


D'ailleurs, ce n'est pas cette démarche qui
perdit Louis XVI; et la révolution était con-
sommée avant le 10 aout. Les exces qui suivi-
rent étaient les crises inévitables d'une maladie
dont on chercha trop tard le remede, et qu'on
ne suipas traiter avec franchise.


Hormis quelques taches rares et légeres, du
gen re de celle que nons relevons ici, nous
osons présenter la traduction de.l'ouvrage de
M. Schlosser comme un livre qui aura droit a
tous les suffrages, et qui occupera un rang
distingué dans la galerie historique de nolre
époque.




'f -DE LEDITEUR. XXIII
M. Guizot, en appelant du jugement porté


par l'autcur aUemand sur l' Esprit des lois et
les Lettres persanes, a bien voulu joindre a
cette intéressante publication quelques re-
marques pour démontrer l' erreur de certaines
assertions de M. Schlosser.


Le traducteur, professeur au collége royal
de Saint - Louis, a étudié pendant quelques
années a l'univer~ité d'Heidelberg OU il·a suivi
les cours d'histoire de M. Schlosser; il a ét~ a
meme d'apprécier el sa profonde érudition, et
l'impartialité de ses jugenlents. Cette traduc-
tion est done un hommage qu'illui rend et un
monument de sa reeonnaissanee.






HIsrl~OIRE
DU


, ,


DIX-HUITIEME SIECLE.


LIVRE PREMIER.


Ire PARTIE~- HISTOIRE POLITIQUE.
: ¡ ;;


CHAPITRE PREMIER.


GUEJUtE DE LA. SUCCESSION D'ESPAGNE.1


l. État des eh oses avant la guerreo - H. Guerre de la sucees-
sion. - III. Changements eausés en Europe par les traités
d'Utreeht, de Rastadt et de Bade.


l. Les causes qui amenerent la guerre de la
succession d'Espagne n'appar~iennent' plus au
siecle qui demande notre attention. Il suffit de
nous rappeler que l'archiduc Charles, fils puiné
de Léopold ler, et le petit-fils de Louis XIV,
prétendaient a la couronne d'Espagne comme


H. I.




~ ~(STOIRE DU XVIUIl SIECLE.
a un h¿ritage de famille; qu'apres bien des dif-
férents, el des conventions de part et d'autre,
il avait été concIu, pendant la vie meme de
Charle~ II, par l'intervention des puissances
mari times , un traité de partage, le 3 mars et
le 21 du meme mois 1700; que ce traité ne fut
poinJ ratifié par I'Espagne, ñlais appuyé par
l'empereur d'Autriche et la France. Charles II
étant mortle ¡ernovembre 17oo,le9, Casteldos
Rios, ambassadeur d'Espagne pres de la cour de
France, présenta a Versailles un testament dans
lequelles ducs d' Anjou et de Berri, petits-fils
de Louis XIV, étaient institués héritiers di-
rects de la couronne, et par I~quell'archiduc
Charles, en cas de refus oa de l' extinction de
leur famille, était nommé héritier de tons les
royaumesd'.Espagne. lis comprenaient alors
l'Espagne proprenlent dite, les Pays· Bas, le
Milanajs, Napl~s et la Sicile, I'A[Jléfiqu~, les
colonies des indes orientales, dont les Philip-
pines étaient le& ~llls considérables.


Le m~rquis d'Hareourt, ambassadeur de
:Louis XIV a Madrid, avait su se procurer le
testa¡pent par des artifices et des intrigues,
que le eabinet ignor.ait et dont le roi et lui
seul étaient instruits. Torey, ministre des af-
faires étrangeres en Franee, était encore, au




LIVRE 1, CHAPITRE l. 3
mois de septembre , fermement décidé a obser-
ver le traité de partage 1 ; il ne changea d' opi-
nion que lorsqu'il eut pénétré l'idée de son
maltre. Les autres membres du conseil, et
meme madA.e de ~Iaintenon , refuserent long-
temps de reconnaltre le testamento Torcy vit
la route qu'il avait a suivre; s'insinuant aupres
de Louville, un des conseillers et confidents
du jeuneduc d'Anjou" qui, comme fils puiné
du Dauphin, était désigné pour monter sur le
treme, ii chercha a s'assurer en lui un instru-
ment capable de faire réussir le plan projeté.
LouvilIe de son coté désirant jouer un role en
Espagne, gagna les suffrages de la cour et des
princes. Louis combattit pendant trois jours
l'opinian de son conseil et ceHe de madame de
MaÍntenon. eette derniere, ,depuis 1686, de ...
venue secretement son épouse, le dissuadait
alors, par dévotion, et avec la plas grande
fermeté,' d'un acte qui rendait]a guerre inévi-
tableo La volonté du roi dut enfin l'emporter
sur toutes les raisons qu'on lui opposait, et le
testament fut reconnu et publié solennelle ..
lDent le 12 novembre. Le jeune due d' Anjou


I Mémoires secrets sur l'étahlissement de la maison de Bourbon
rn Espagne, extraits de la correspondan ce du marquis de Lou- ,
'Ville. Paris 1818, 2 vol. in_SO, tomo t ep , pago 19.


I.




4 HISTOIRE DU XVII le SIECL E.
partit le 4 décembre pour l'Espagne sous la
garde du marquis de Louville, prit le nom de
Philippe.V et le gouvernement du royaume.
On vit alors combien un empire peut tomber
quand on en néglige l'administra.n. A la mort
de Charles II, toutes les affaire s du cabinet qui
regardaiellt l'économie et l'entretien meme de
la cour, se trouvaient dans un état misérable l.
L'armée était tellement diminuée, que ron
comptait a peine six mille soldats dans la pé-
ninsule,et tout au plus vingt mille dans les
possessions espagnoles. Il ne s'a'gissait plus de
police: la populace régnait a Madrid, la force
et l'anarchie prévalaient dans tout le royaume.
Philippe V n'avait ni les moyens, ni le pouvoir
d'arreter le mal, et bien moins encare de dé-
tourner les périls qui le mena<;aient au dehors.
Ce n'était pas l'Autriche seule qui rejetait le
testamentet lepartage; c'étaient surtout l'An-
gleterre et la Hollande, sur lesquelles Guil-


I .. Le roí n'a pas un sol. Je suis un babile homme paree que
j'ai trouvé de quoi faire mettre une porte neuve a la cave, et
acheter des serviettes. On était a la veille pour cet usage de se
servir des serviettes des marmitons. Les valets de pied espa-
gnols qui sont sous le majordome major demandent l'aumone
et sont tont nuds. Le sort des chevaux est encore pire avec
le caballerise-major~ car ils De peuvent point demander l'~u-


. mone.,. (Lettre de Louville it Torcy, tomo ler des Mémoires
de Loul'ille, page 162.)




LIYRE J, CH~PITRE I. 5
laume III dominait en roí et en gouverneur
héréditaire. Guillaume avait bien plus d'in-
fluence en Hollande qu'en Angleterre. Le mi-
nistere libéral I qu'il s'y était formé, paree que
la plupart des Torys (royalistes) étaient jaco-
bites, s' opposa a la guerre et riduisit l'armée
a sept mille hommes en Angleterre, et a donze
mille en Irlande. Il ota au roi les moyens d'as-
surer a ses partisans des hiens et des places,
et le for<{a meme a renvoyer ses cinq mille
gardes en Hollande.


C'était en vain qu'on se préparait en ce pays
a des hostilités, qu'on faisait des traités avec
le Danemarck, le Palatinat et d'autres états
de l'Allemagne, pour en obtenir des troupes.
Guillaume, trouvant en Angleterre les esprits
tout-a-fait contraires a la guerre 2 , n'osa pen-
dant long-temps porter la Honand~ a des nle-
sures trop promptes. D'ailleurs la Hollande
devait demeurer tranquille, cal' l' électeur de-
Baviere, cornrne stathouder espagnol des Pays-
Bas, venait d'ouvrir les places fortes aux Fran ..
<¿ais ; les quinze mille hommes de troupes hol-
landaises, en garnison dans les places frontieres,


1 Le Whig-Ministereo
:a Coxe memoirs of the Kings of Spain , ofthe house of Bour-


bon , chapo 110




ti HISTOIRE Dll XVIIle Sd:CLE.
auraient done' été infailliblement arretées, si
la Hollande avait pris une attitude hostile.
Tandis que les puissances maritimes laissaient
tranquillement enfreindre le traité conelu avec
elles, l'empereur,.comme archiduc d'Autriche
et roi de Hongrie, déploya toute l'activité pos-
sible pour soutenir les droits de sa famille, les
armesalamain. Il,compta,danscetteelltreprise,
sur Dieu, et sur le prince Eugene qui avait
déjél rendu des services signalés él l'Autriche.
Léopold, sans déelarer la guerre a la France, '
avait fait entrer en Italie une armée comman-
dée par Eugene, comme pour appuyer son
fils l.


Louis XIV, sous prétexte de porter secours
a Philippe V, son petit-fils, et sans faire égale-
ment la moindre déelaration de guerre él I'Au-
triche, envoya le maréchal de Catinat, le plus
brave et le plus hahile de ses généraux, prendre
le commandement des troupes fran~aises él Mi-
lan. Eugene et Catinat opposaient Vun él l'autre
depuis quelque temps les memes talents et les
memes force s , lorsqu'a la grande satisfaction
d'Eugene" Catinat fut rappelé par Louis XIV
et remplacé par le maréchal de Villeroi, créa-
ture de madame de Maintenon.


I Avril, 1701.




LIVRE 1, CH APITR E 1. 7
Cependant le roí, malgré le peu de confiance


qu'il avait en Victor - Amédée 11, duc de Sa-
voie, et en son amitié pour la. France 1, avait
cherché a le· gagner en fian<;ant sa fille Marie-
.Louise au roí d'Espagne, et en le nommant gé-
lléral en chef de l'armée franc;aise en Italie.


Pendant que les Franc;ais et les Autrichiens
combattaient en Italie, Guillaume III ne négli-
gea pas d'exciter les Anglais a la guerre contre
]a France, et Louis XIV lui en facilita les
moyens en reconnaissant comme souverain
d'Angleterre, Jacques, fils de I'ancien roi 2 , et
en a}grissant aínsi contre lui les Whigs, qui
étaient les fauteurs du principe que, « ce n'est
« pas le sang , mais la voix du peuple qui donne
( la dignité royale, » et qui jusqu' alors s' étaient


I La princesse fiancée exprime dans une lettre dll 20 juillet
1701 sa reconnaissance pOllr le portrait dll roí, qu'on luí avait
envoyé, et le 29 Louis écrit a son petit fils:


" J'ay ereu devoír différer votre mariage sur les avis que j'ay
« re~us du peu de sincérité du duc de Savoye; vous connoissés
• son caractere.» (Mémoires de Lou~'ille, Tom. I er . pago 189.)


2 Quelques auteurs, et pal'mi eux Gaillard, dans la Rivalité de
la France et de I'Espaglle, ont déja faít observer que ce n'était
point lit , comme on le soutient en général, la premiere cause de
la guerre, mais qu'elle avait été décídée long.temps avant. Coxe
memoirs, tomo 1, ch. VII, désigne tres-exactement le· 7 sep-
tembre comme le jour OU Guillaume conclut a La Haye le traité
pour l' Angleterre et la Hollande avec l' Autriche, et le J 7 ,
eomme le jour ou Louis XIV reCODnut Jacques. •




8 HISTOIREDU XVIJIC SIi-:CLE.
fortement prononcés pour les mesures pacifi~
queso Si le nouveau ministere de Guillaume ,
composé de Torys, était moins porté pour la
guerre, le nouveau parlement en· revanche se
composa presqu'entierement de Whigs, qui
se preterent aux désirs du roi, en appuyantles
mesures qu'il proposait contre la France. Au
milieu de ces préparatifs, Guillaume III mourut
l'an 1702, le 8 mai, et Anne, sa belle sreur,
lui succéda. Elle se forma aussitot un minis-
tere, qui approuva .d'autant plus la guerre,que
le parti républicain en Hollande avait alors le
dessus et que le grand pensionnaire Heinsius
l'appuyait contre la France.


11. Eugene, malgré la perfidie du duc de
Mantoue et la défeetion du due de Savoie , avait
repoussé, l'année précédente, les Frall~ais de
Mantoue, de J\Iodene et de Guastalla; les avait
forcé s de reporter leurs quartiers d'hiver jus-
que derriere I'Oglio. L'année suivante, le 15
mai 17°'1., l' empereur d' Autriehe, les. états-gé-
néraux et l' Angleterre, déclarerent formelle-
ment la guerre a la Franee. Malgré l'aslC>cia-
tion des cercles de l'Autriche, de Franconie,
de Souabe, du haut Rhin et du Rhin électoral
par le traité de N ordlingue, iI ne fut pas en-
Core question de la guerre de I'Empire, et Louis




, LIVR E (, CHAPITRE L 9
n'en fit aucune mentíon dans son manifeste
du 1110is de juillet. Ce ne fut qu'au mois de sep-
tembre 17°2, 10rsque les Fran<;ais occupel'ent
Cologne, que le cel'cle des électeurs, et apres
lui les autres cercles de I'Empire, se déclal'e-
rent ponl' la guer., dont la c~nduite couvl'it
la constituti~n et le gouvel'nement de l' Alle-
magne d'une honte et d'une ignominie éter-
nelles. A la tete des Anglais et des Belges, dans
les Pays-Bas, était le favori de la reine Anne,
lord Marlborough, qui fut duc dansla suite, et
run des plus grands guel'l'iers de son siecle. Des
rappol'ts intimes l'attachaient au prince Eu-
gene, général en chef des armées impériales.
Ces deux généraux, sujets a de grandes faibles-
ses de caraétere, avaient les memes talents ;
mais Eugene ne se laissa jamais influencer, au-
tant que son ami, par un sordide intéret. Les
Fran~ais trouverent ces deux ennemis en Ita-
lie et dans les Pays-Bas; ils cherchel'ent donc
a se frayer un chemin par la Baviere, afin d'at-
taquer l'Autriche meme,'comptant pour le suc-
ces de leur expédition sur l'assistance des Ba-
varois. Catinat, qui réunissait sous ses ordres
Villar~ et Guiscard, fut chargé de pénétrer en
Baviere sans attaquer Louis de Bade, général
en chef de·l'armée de I'Empire; cal' on savait




10 HISTOIRE DU XVIIle SIi~CLE.
que cet électeur était entierement atfachéaux
Fran~ais, et que la noblesse du pays n'avait
pas des sentiments tres-patriotiques l.


Villars prétendait bien avoir remporté une
victoire sur Louis de Bade a la hataille de
Friedlingen 2, ce qui lui vAlt le bato n de ma-
réchal; cependant il ne put jamais effectuer
dans cette année ·la jonction désirée; ce fut
seulement l'année suivante que son armée, ren-
forcée par les troupes de Tallard, joignit les
Bayarois pres de Dutlingen, le 12 mai 1703:
alors lesaffaires de l'Empire changerent de face.
Le comte de Mansfeld, surnommé prince de
Tondi,président du conseil aulique de la guerre,
désespéra Louis de Bade par les fausses mesures
qu'il avait prises. A la sollicitation de Louis il
fut enfin destitué, et le prince Eugene nommé
a sa place. Le général Styrum qui cOlnmandait
les Autrichiens en Baviere se 6t hattre a Hochs-
téedt le 12 septembre 1703, et perdit touteson
artillerie avant d'avoir tiré un seul coup de
canon. Eugene lui-meme ne put obtenir en
ltalie sur le brave et habilc Vendome les memes
avantages qu'il avait remportés précédemment


I Les pieces justificatives de cette derniere assertion' se trou-
vent dans le Theatrum eUl'OpeallUm, yol. XVI, pago 693.


:1 Le 14 octobre 170 :l.




LIVRE 1, CHAPITRE 1. 11


sur le maréchal de Villeroi. L'ineptie, ou le peu
de talents guerriers du duc de Baviere, offrit du


,moins une compensation a l'Autriche; car cet
électeur se brouilla sérieusement avec Villars l.


Aussitót apres leur jonction avec les Bava-
rois, les Fran«;;ais avaient formé le plan de se
réunir a l'arrÍlée fran«;;aise d'ltalie conlmandée
par Vendome, qui était posté a Trente avec
vingt-cinq mille hommes. L'électeur s'avan«;;a
jusqu'au Brenner; mais les Tyroliens s'étant
soulevés firellt rouler des quartiers de roches
du haut des montagnes, allumerent des feux
sur toutes les hauteurs, et furent habilement
dirigés par des officiers autrichiens, et par lenr
propre sénéchal Sterzinger. Apres la premiere
défaite des Bavarois dans la vallée de Finster-
munz, Zirl, Schwatz, Scharnitz, Hall, furent
pris par les paysans, Inspruck menacé, et l'é-
lecteur se vit forcé de sauver par une retraite
précipitée, ses troupes, dont la plus grande
part~e trouva la Dlort dans le Tyrot 2.


1 Il Y avait l0l!g-temps qu'ils n'étaient plus d'accord. L'é-
leeteur trouvait l'uniforme des Fran~ais trop simple, Villars le
nombre des Bavarois trop petit, il ne voulait pas non plus etre
souslesordres de l'électeur. Il expédia un courrier a París, ql,li
rapporta la réponse suivante, u que dan s l'absence de l'élec-
• tenr, Villars commanderait; sinon, illui serait adjoint eomme
• envoyé extraordinaire ...


2 Aout 1703.




12 HISTOIRE DH XVIIIc SlECLE.


S'il y avait en de la mésintelligence entre
Villars et l'électeur avant cet échec, elle s'aug-
menta ensuite bien davantage l. Villars fut en-
fin rappelé par Louis XIV, pour que l' électeur
n'abandonnat pas le parti de laFrance, comme
le due de Savoie venait de le f<1ire, et surtont,
pour que le fardeau de la guerre' contre la
moitié de l'Europe ne tombat point de l'Es-
pagne sur la Franee. Louis XIV s'était toüjours
méfié du due de Savoie, quoiqne la duchesse
de Bourgogne, qui méritait a si juste titre son
alnitié, et qui avait toute sa eonfiance, fut prin-
cesse de Savoie. Il donna a Ja.reine d'Espagne
une dame d'honneur 2 qui luiparut entiel'e-
ment attaehée et dévouée; son choix tomba sur
la prineesse des Ursins, née fran<;aise, unie plus
tard a un prince romain. Elle se fanliliarisa avee
les mreurs et la langue espagnoles, ce qui a
ROlne meme parut convenable a l'épouse d'un
grand d'Espagne. Comme camérera de la nou-
velle reine, elle dirigea bientot toutes les af-
faires 3. Elle aurait voulu empecher le voyage


1 Villars se plaignit que l'électcur employait ies subsides a
nourrir ses maitresses, et a payer ses dettes de jeu.


2 I Camérera-mayo,'.
3 On apprend par les Mémoil'es de Noailles quels moyens elle


employait pour y parvenir, et quel triste tableau présentait
l'intérieur du palais de Philippe V.


Coxe Memoirs 1, ch. lV, a consacré un chapitre entier a ces




LIVRE 1, CHAPITRE r. 13
de Philippe V en ltalie, l'an 17°'2; mais le roi
partitmalgré ses conseils. Il ne put néanmoins,
se passer long - temps de son épouse et de la
princesse des Ursins, et il revint dans le mo-
ment meme ou sa présence en Lombardie était
d'autant plus nécessaire, que la défection du
duc de Savoie se faisait pressentir l. Le duc,
sommé de renouveler son traité avecLouis XIV,
éluda la question, s' engagea avec l' empereur,
et signa un traité formel avec luí a.Turin, le '25
octobre~. Louis demanda comm.e gage de ]a
neutralité que les forteresses du pays lui fus-
sent remises. Le duc s'y étant refusé, la France
luí déclara la guerre le ti décembre 1703, avant
que les troupes iInpériales eussent opéré leur
jonction avec lui. A la fin de l'année, il avait
perdu presque toute la Savoie, et il lui restait
peu d'espoir de la recouvrer, rnalgré les talents
d'Eugime et ele l\1arlhorough, qui, l'année sui-
vante, par l'heureuse réunion de leurs troupes,
avaient presqu' entierement détruit les armées


miseres. Louville 1 , chapo XII, page 358 , entre dans de plus
grands détails.


x Mémoires de LOll~·ille 1, pago 325-26.
, Les conditions en furent tres - hrillantes ; le point essen-


tiel fut que l'empereur accorda l'agrandissement du territoire,
que ni l'Espagne, ni la France, ne pouvaient et ne voulaient
reconnaltre.




14 H I STOIRE DU' X VlIle SIECI,E.
franc;aise et bavaroise, illa journée dll 13 aout
1704 , nommée par les AIlemands, bataille
d'Hochstredt, et par les Anglais, hataille de
Blenheim l. Les luauvaises dispositions de la
part des Allemands \ la bizarrerie {le Louis.de
Bade, et le départ de Marlborough, forcé d'alIer
dans les Pays-Bas, rendirent cette victoire moills
éclatante dans ses résnltats qu'on n'aurait du
l'espérer; cependant elle aluena la soumission
de la Bavier~ a l' Autriche pour toute la durée
de la campagne, et elle rendit, pour quelque
temps, l'absence d'Eugene moins sensible en
Allelnagne. Un traité que l'électrice de Baviere
conclut avec le roi des Romains, Joseph, trois
mois apres la bataille d'Hochstredt, le J 4 no-
vembre I70{I, dans le camp devant Landau,
livra la Baviere a l'Autriche, et lui fit évacuer
les places fortes. Le sort de ce pays devint de
plus en plus déplorable, surtout depuis l'avé-
nenlent de Joseph Ier au trone 3• Ce prince ne


J Enviran trente-cinq mille hommes furent ou faits prisoll-
niers ou tués, 28 bataillons et 12 escadrons de Fran~ais cou-
pés dans le village de Blenheim pres d'Hochstredt.


2 Marlborough écrit en confidence au grand pensionnaire,
q~'on pouvait prendre Landuu en quinze jours; mais que d'a-
pres la bonne maniere allemande, on n' était pourvu de ríen,
et qu'il avait été obligé de faire venir des Pa~ys-Bas de la poudre,
et d'autres provisions. Le siége dura done troi~ mois, et la
place ne capitula que le ~4 novembre.


3 Le 5 mui 1705.




L 1 V R.E 1, e H A PI T R E 1. 15
conserva point envers la maison de Baviere,
son alliée, les ménagements que son pere avait
toujours observés, et qu'illui avait encore re··
commandés a son lit de mort l. En ltalie, Eu-
gene manquait d'argent; il avait contre lui les
deux Vendome ( le grand prieur et le maré-
chal); il ne put donc emptkher les préparatifs
que les Fran<;ais firent en 1705 pour prendre
Turin. La perte de cette ville aurait ravi au
duc de Savoie les moyens de nuire aux Fran-
c;ais, et toute l'ltalie supérieure serait tombée
en leur pouvoir. Le prince Eugene aurai t trouvé
de grandes difficultés dans l'exécution de ~on
plan, si Vendome avait pu exécuter en per-
sonne ceh;Ji qu'il avait projeté; mais Villeroi
ayant déposé le commandement dans les Pays-
Bas, apres la défaite qu'il venait d'essuyer a
Ramillies contre Marlborough 2, Louis XIV ap-
pela Vendome a sa place.


Philippe, dnc d'Orléans, depuis régent, alla
en Italie avec des ressources immenses en trou-
pes et en provisions 3. Le duc n'était point dé-


1 Cette conduite était d'autant plus noble, que l'électeur,
dans un manifeste de 1704, avait osé attribuer la mort de son
fils a un empoisonnement ordonné par l' Autriche.


2 Le ~3 mai 1706.
3 Heinrich Deutsche Reichsgeschichte (Histaire de l' empire


allemand) tomo VII, p. 512, donne de plus amples renseigne-
ments.




16 HISTOIRE DU xv 1 Be SIECLE.
pourvu de talents 1; mais sa Inaniere de vivre
et d'agir le rendait odieux él Louis XIV et a
lnadame de l\Taintenon; iI eut done les lnains
liées par Marsin , qlli lui fut subordonné et qui
le retint, malgré lui, avee plus de cinquante
mille hommes dans son eamp devant Turin,
au moment ou Eugene avan~ait au seeours de
la ville ave e trente mili e' hOlnrnes. Le dne avait
prévu l'issue de ces lenteurs. Attaqué dans ses
retranchements, iI fut totalement battu le 7
septembre 17°6, et obligé d'évacuer l'ltalie
septentrionale. Toute l'Espagne était alors au
ponvoir de l'archiduc Charles qui s'y était
rendu en personne. Cependant Philippe V se
maintint sur le trane par la fermeté qll'il mOD-
tra dans le malheur, et par la victoire que le
dncde Berwick 2 remporta,en 1707,pres d'AI-
manza. Louis XIV sentit des ce mOlnent tout
le fardean de la gnerre, et voyant que la France


1 On peut dire qu'il était capitaine, ingénieur, intendant
d'armée, qu'il eonnaissait la force des troupes, le nom et la
capacité des offieiers les plus distingués de chaque eorps, qu'il
sut s'en faire adorer, les tenir néanmoins en discipline, et exé-
cutcr, en manquant de tout, les eh oses les plus difüciles. e'est
ce qui a été admiré en Espagne et pleuré en ¡talíe qualld il pré-
~·it fout, et que Marsin lui arréla le bras sur toat. ( Mémoires de
Saillt-Simon, édition in-8° de 1789, t. II, p. :& l.)
~ Le duc de Berwick était un des Anglais qui avait suivi


Jacques 1I dans son exil, et qui fut hientOt naturalisé en France.




LIVRE 1, CHA.PITR.E l. 17
épuisée ne pouvait plus subvenir aux frais des
3 rmemen ts 1, iI trai ta a vec les alliés, et chercha a
f~lire consentir son petit-'fils au partage des
royaunles d'Espagne 2. Autant Philippe et les
EspagnoJs étaient peu disposés a entendre par-
ler de cession, autant ils se trouvaient peu en
état de défendre lenr pays qui manquait de
soldats et de généraux franc;ais. C'était done a
Louis XIV seul a décider de.la guerre ou de la
paix. Il avait fait un nouvel effort dans les
Pays-Bas, mais iI fut encore battu par les ar-
mées coalisées d'Eugime et du duc de Marlbo-
rough, pres d'Oudenarde, le 11 juillet 1708.
Beauvilliers, président du conseil des finances,
le controleur général Desmarets, le chancelier
Pon~chartrain , et Chamillard, ministre de la
gnerre, déclarerent qu'il était impossible de ti-


t D'apres les Mémoires de Noailles, les revenus annuels de
l'Espagne étaient tomhés a cinq millions de florins ; ce royaume
ne pouvait done pas fournir de subsides.


2 Mémnires de LouIlille, t. II, pago 164: «La France, ou
plutot son roi, montrait alors moins de constance. Peut - étre
la journée fataJe de Ramillies imposait-elle de nouveaux de-
voirs a un prince accablé de rever s , qui aimait son peuple, et
qui ne se croyait pas Dieu. Il est sur que des 1706 commen-
cerent ces instances tant de fois réitérées du cabinet de Ver-
sailles a celui de Madrid, pour obten ir de Philippe qu'ilsacrifiat
une moitié, ou méme la totalité de sa couronne au bien de la
paix .• Les négociations que Louis fit aupres des alliés se trou-
vent dans Lamberty, tomo v, pago 266; Walpoles answer to
Bolingbroke, pago 173.


H. l. 2




d'Í H l ~ T o l RE D U X V 11 l e S d: e I, E.
rer de la Franee l'argent et les homnles lléees-
saires a une nouvelle expédition. Le l'oi des-
lors se décida non-seulemeIit él sonscrire aux
eonditions faites au président Rouillé, qui de-
puis le moís d'avril était él Voerden, mais il en-
voya meme le marquis de Torcy, nlinistre dcg
affaires étrangeres, a La Haye, avec plein pou-
voirdefairc la paixa toutesconditions. Parmiles
quarante articles que Torey et Rouillé, malgré
leurs pouvoirs, n'oserent accepter, Louis XIV
n' en trouva que cinq qu'il crut devoir refuser 1 ~


'Ces cinq articles donneront plus que toutes les explications
une idée de la dure té des 35 autres.


¡er arto Le duc de Savoie gardera cequ'il a pris aux Fran-
~ais, mais iIs seront tenus a lui rendre leu!'s conquetes.


:.l. Les électeurs de Cologne et de Baviere perdront leurs
pays pour avoir emLrassé le partí des Fran~ais.


3. Jusqu'a ce que la paix soit entierement conclue, la France
aonnera en otage toutes les piaces fortes qui la défendent dan s
les provinces du nord.


4. Elle cédera pour toujours plusieurs de ses forteresses.
5. Elle aideTa a chasser Philippe d'Espagne.
Ces grands sacrifices de I,ouis XIV prouvellt que la passion


de la guerre et le besoin des conquetes étaiem chez lui sub-
ordQnnés au bonheur de son pel1ple. Napoléon, dans des cir-
constances it pen pres semblables, aima micux exposer le~
restes infortunés de ia plus brillante jeunesse de France, que
d'act¡uicscer a des C'Onditions beaucoup moins onéreuses; aussi
ces deux princes entre lesquels il y a plus d'un rapport, re-
cueiUirent chacl1n ce qu'il avait semé. Louis XIV fit de grands
sacrifices au peuple, le peuple lui en tint compte, et ne lui
fut pas moins attnché dans les temps de revers que dans ceux
de la prospérité. Napoléon au contraire ne put maltriser le pell-
chant irrésistible qui l'entrainait á la guerre; ii sacrifia l'in~




L 1 V R El, e H A P 11' R E 1.


et iI finit par en aecepter trois l. Polignae et le
maréehal d'Uxelles entalnerent en 1710 une
nou v elle négoeiation a Gertruydenberg pres de
Bréda. Soit qu'Eugene et Marlborough n'aient
pas ajouté foi a eette grande eondeseendanee,
soit qu'ils n'aient pas vou)u faire la paix en
eomptant trop sur l'épuisement des Fran(jais,
il est eertain qu'ils ne retrancherent aueun des
articles, et. qu'ils donnerent par la a Louis XIV
l'avantage d'en appeler a l'orgueil national et
a l'indignation que les Fran(jais ressentirent
des humiliations qu'on voulait leur faire subir
aussi bien qu'a leur roi. Une mutation a la eour
d'Angleterre et la mort de Joseph ler, arrivée
le 17 a vril 1 7 1 1, changeren t les rapports des
alliés. L'archiduc Charles, par la mort de son
frere, devint empereur des Allemands et son-
verain de l'empire d'Autriehe sous le nom de
Charles VI. Les alliés ne pouvaient done plus
désirer qu'il réunlt l'Espagne a ses États. Le
ehangemen t opéré en Angleterre demande plus
de détails.


Depuis l'avénement de la reine Anne au


téret de la France a son orgueilleux entetement ; la France sé-
para sa cause de la sienne, et elle ne se défenditqu'autant
qu'il était nécessaire pour ne point perdre l'honneur de vingt~
cinq ans de victoires (Note da traducleur. )


J Louis n'excepta que le :1 e et le 5 e de ce~ articles.
9 ..




:lO HlSTOlRE DI! XVII1 e SJ1~CLE,
trone, rAngleterre était entierement gouver··
née par les Whigs, et la famiHe Marlborough
posséda't toutes les places ou les avait a sa dis-
position. Godolphin, ministre de l'intérieur,
n'agissait que d'apres la volonté de J\'Iarlbo-
rough, dont la cupidité et la sordjde avarice
ternissaient les grandes et brillantes qualités.
Robert Harley, depuis comte d'Oxford, était
le seul horrlme dans le ministere qui n 'approuvat.
point la potitique des Whigs, et qui s'opposat,
mais en vain, aux autres ministres: illui faliut
céder. Toutefois avant de déposer sa charge, il
avait su prévenir la reine en flattant son faible
COl1tre les Whigs. Ce faible était sa prédilection
pour l'Église épiscopale, que les Whigs atta-
quaient vivement, et qui avait trouvé un zélé
défenseur dans le docteur Sacheverell) prédi-
cateur de la cour. Sacheverell ne precha pas
seulement c6ntre les ministres, iI fit meme im-
primer ses discours, et les Ininistres attaque-
rent puhliquement, l'an 17°7, ses principes ,
tandis que le peuple le regardait comIne rnar-
tyr. C'était dans le temps oú mistriss Masham ,
niece de la duchesse de Marlborough, cher-
chait a gagner ¡es honnes graces de la reine.
Mistriss Masham, pour faire hien sentir a cette
princesse ce qui devait résu1ter des principes




LIVRE 1, CHAPITRli I.


des Whigs, ne lui montra pas seulement jus-
qu' 011 pouvait aller un parti qui considérait la
résistance a un gouvernement établi et légi-
time comme licite et conforme a la relígion;
mais elle décida meme la reine a assister au
proces du docteur Sacheverell, pour se COll-
vaincre que les príncipes des Whigs étaient réel-
lement contraires a l'Église épiscopale et a la
royauté. A vant que la rei ne eut entierement
changé d'idées, Rohert Harley était éloigné de
sa place de secrétaire d'état; sir John~ depuis
lord Bolingbroke, n'étant plus ministre de la
guerre, la reine se trouva tel1ement entourée
de Whigs, qu' elle se vit enfin forcée de cons-
pirer elle-meme contre son propre ministere.


Offensée cruellement par son amíe intime,
la duchesse de Marlborough, Anne fit venir en
secret Robert Harley, l'an 1710, et résolut, sur
son avis, de disgracier la famille de Marlbo-
rough. Elle remercia d'abord Sunderland, se-
crétaire d' état et gendre de Marlborough, Go-
dolphin, lord de.l'échiquier, ensuite toutes les
créatures du partí l. Elle cassa le parlement des


1 De tous les hommes importants du parti des Whigs ~
l\Iarlborough seul resta en place; Harley fut noromé lord de
l'échiquier, et sir J olm secrétaire d' état. Ce dernier, sous le
DOro de lord Bolingbroke, est conDU comme un admirateuI'
aveugle des FraD~ais.




2'1 HIS1'OIRE DU XVIlIe SrECLE.


Whigs au mois d' octobre 17 JO. Pour q u' on put
s'en passer, la paix devenait nécessaire; pour
pouvoir la traiter, il fallait chercher un pré-
texte plausible dans la diminution des charges
du peuple etdu fardeaude la guerreo Un homme
qui pendant la guerre avait vraisemblablemcnt
servi a Louis XIV d' espion a Londres 1, fut le
premier qui entama la négociation entre l' An-
gleterre et la France : on employa plus tard le
poete Prior, et enfin Ménager, officier muni-
cipal deJa ville de Rouen , jusqu'alors'¡nconnu.
Ce dernier régla les préliminaires, et la mort
de J oseph en hata la conclusion; on les signa
le 8 octobre 17 JI, au grand déplaisir des Pays-
Bas et de l' empereur d' Autriche 2. Le prince
Eugene chercha en vain a relever le duc de
Marlborough par sa présence a Londres; iI
neput empecherqu'on ne lui demandatcompte
des moyens viIs q'u'il employait pour s'enri-
chir, et qu' on ne le révoquat de ses fonctions.
Des ce moment les négociations furent pour-


. suivies avec plus de zele; toute l'année 1712 se


1 Le fran~ais Gautier, qui avait été chapelain de la mai-
son de l'ambassadeur impérial. ~oxe, en parlant de lui, dit avec
assurance: Originally a frenc1t spy.


2 Le comte de Gallas, ministre impérial , fut obligé de quit-
ter l' Angleterre pour avoir fait imprim((r les préliminaires qu'il
s'était procurés, et qui devaient exciter le peuple.




LIVRE ], CHAP1T.Rl~ J.


passa en délibérations a Utl'eeht, sur la paix;
et on for<;a, pour ainsi dire, les États-généraux
d'aceepter les cOllditions que la Franee et l' An-
gleterre avaient stjpulées d'avanee. La paix fut
signée le 1 1 avril 17 J 3 par l'Angleterre , lo
Franee, la Savoie, le Portugal, la Prusse et les
États-généraux. L'Empereur et l'Enlpire eoriti-
nuerent la guerre, mais de maniere a exeiter,
meme alors, les plaintes réitérées et publiques
des patriotes oe l'Allemagne l. Tant que le
brave et expérimenté Louis de Bade resta a la
tete de l'armée de l'Elnpire, les frontieres
furent au moins eouvertes; n1ais apres sa mort
les Fran«;ais leverent des eontributions jus-
qu'au fond de l' Allemagne, et l' on évalue a neuf
millions les sommes ex:igées seulement dans le
eercle de la Souabe. L'état des ehoses resta le
meme lorsque le nouvel éleeteur Georges Louis


1 Le commandement des troupes de l'Empire passa, l'all
1707, a la mort de Louis de Bacle, dan s les mains dll mar-
gral'e Chrétien Erllest de Bayreuth. Celui-ci perdít aussitót
contre Villars, les lignes pres de Stollhofen que Loui~ de
Bade avait long-tero ps défendues, et 1 {) 6 canons. Les princes
allemands, et meme la Prusse, lui conseillerent de déposer le
cornmandernent ; iI répondit a la Prusse qu'il venait d'ap-
prendre , non san s quelque altération, par la Iettre ,,!-rnicale


, de son cousin, du 18 du mois passé, que le Brandebourg
désirait qu'il abdiquat; mais qu'il ne fallait pas s'étonner si
les affaire s allaient mal, puisque le cousin méme refusait le
contingento




~4 BIS'I'OIRE DU XVIII4I Srf:CLE.
de Hanovre prit le commandement; car OH oh-
servait lnalheureusement dans toutes les affai-
res de l'Empire une marche aussi ridicule que
fausse 1; et tandis que les Fran~ais levaient des
Olillions dans l'Empire, on ne put s'accorder
sur deux cen t lnille écus demandés pour fon-
der une caisse d' opérations de guerre, et on
perdit une année entiere en délibérations sans
engager les trois mille hommes de cavalerie
saxonne cornme on l'avait projeté 2. Eugene ~
qui avait déja été a la tete des Allemands avant
que l'électeur de Hanovre se rebutat, et qui
n'avait repris qu'il regret le cornmandement,
ne fut pas plus heureux que ce dernier. n
trouva contre lui, dans l'année de la paix d'U-
trecht , le vaillant maréchal de Villars que
Louis XIV avait envoyé sur le Rhin avec des
renfo'rts considérables. Lalldau et Fribourg
dans le Brisgau furent occupés par les Fran-


I La Diete de l'Empire, étonnée par la prise des lignes de
Stollhofen, décréta qu'il ne suffisait pas de donner des arl'~­
tés pompeux pour continuer la guerre présente de I'Empire,
et pour soutenir le bien de la cause commune, lorsqn'on ne les
exécutait pas avec plus de !mcces qu'on ne l'avait faít jusqu'a-
lors en mainte occasion.
~ Il est dít a la fin qU'Oll avait manqué non-seulemeut d'in-


structions, mais encore de fonds nécessaires. Ce point ne fut
done plus délibéré, et le décret de I'Empire resta sans valeur.
(Voyez sur ces faÍts le Theatrum europ., vol. vrIl, p. 1 () ~ z.
Édit. de 1708.)




LIVRE 1, CHAPITRE 1.


({ais 1, toute la Souabe menacée, sans qll'il pút
y mettre obstacle. Lorsqu'Eugime meme con-
seilla la paix, l'Empereur lui donna le pouvoir
de presser pendant le blocus de Landau les
négociations entamées a Rastadt; mais apres
la prise de Fribourg, Villars fit des demandes
si exagérées qu'Eugene quitta avec indigllation
le lien ou se traitaient les affaires 2 et se rendit
a Stuttgard, tandis que Villars restait a Stras-
bourg. L'empire d'Allemagne, et menle les
princes isolés, prirent alors, pour la premiere
fois, une attitude mena<;ante, et Louis XIV ju-
gea a propos de donner de Ilollvelles instruc-
tions a Villars. On signa les préliminaires de
la paix de Rastadt , le 6 mars, entre la France
et l'empereur d'Autriche, sans la participation
de l'Espagne. La paix avec l'Empire, ret~rdée
de quelques mois, fut enfin ratifiée a Bade
comme l'Empereur l'avait arretée d'abord a
Rastadt.


lII. La monarchie espagnole, sous Philippe V,
fut réduite a la péninsulp- et aux Hes de la mer


f Le géoéral Harsch défeudit d'ahord la ville avec la plus
grande opinia.treté, se soutint eosuite daos les forts jusqu'au
15 novembre, OÚ Eugene meme lui permit de se reodre.


2 ViIlars oe voulut cepeodaot pas proposer qu'on créat, pour
la priocesse des Ursios, uo duché souveraio daos les Pays-Bas
d'Autriche; et il répoodit que c'était une chose honteuse a
aemander, et me me a proposer.




26 HISTOIRt De XVIlle SIECLE.
d'Espagne, y compris les possessions des Espa~
gnols dans les lndes orientales et accidenta ..
les l. MiJan, Naples, la Sardaigne, et quatre
places fortes sur la cote de Tose:tne 2 furent
cédées a l'Autriche. On donna an dnc de Sa-
voie la Sieile, les forts d'Exilles, de Fenestrelle,
et de Chatean - Dauphin. Les Pays - Bas espa-
gnols tomberent en partage a I'Antriche, et la
France rendít plusieurs villes qui luí avaient
été cédées autrefois; mais on réserva aux États-
généraux le droít de joindre leurs troupes au~
garnisons des places fortes des Pays - Bas, et
l'empereur d'Autriche fut tenu a faire avec eux
un traité de démarcation. Ce traité devenu si
important sous le regne de Joseph Il, ne fut
arre té que le 15 novembre 1715. Aussitot les
Pays .. Bas, jusqu'alors eomme ótages dans les
mains des États-généraux, furent livr:és a l'em-
pereur.


La condition principale du traité était d'en-


1 Le gouvernement commenc;¡a par détruire les priviléges de
l' Aragon et de la Catalogne. Les bra ves Catalans fureut les vic-
times de la misérable poli tique des Anglais, et Barcelone
montra autant de dévouement que Saragosse en montra plu's
tard contre Bonapal'te.


(San Philippe, ensuite Berwíck mémoires, tomo Il, p. 174,
et C<?xe memoirs, t. II, chapo XXI, ont bien tracé le tahleau
de ces efforts.)


2 Parmi elles fut Porto~Longone.




LIVR El, CH A.PIT RE L


tretenir dans ces provinces trente a trente-
cinq mille hommes, et en eas de guerre qua-
rante nülle. L'empereur en fournit trois cin ...
q:uiemes et les États-généraux les deux autres.
Les villes de Namur, Dornik, Meenen, Furnes,
Warneton, Ypres, le fort Knoek, ne devaient
reeevoir dans leurs garnisons que des troupes
des Pays-Bays ; a ces droits des États-généraux
s'attaehait un grand nOlTIbre d'articles onéreux
pour l'empereur. Quant a l'Angleterre, elle se
rendait caution de l'exécution du traité. L'é-
leeteur de Brandebourg, reeonnú eomme roi
de Prnsse par Louis XIV, eut le quartier de la
haute Gueldre.


La Franee, en garantissartt au Hanovre la
suecession au treme d'Angleterre, saerifia le
Prétendant aux Anglais; et leur eéda la Nou-
velle-Éeosse, la baie d'Hudson, Terre-Neuve,
et Saint-Christophe. L'Espagne livra a l'Angle-
terre Gibraltar. Minorque, le Port-Mahon, et
pour trente ans le traité de l'assiente, c'est-a-
dire la traite exclusive des negres dans l' Amé-
rique espagnole. En Allemagne les deux élec-
teurs proserits, eelui de Cologne et de Baviere,
rentrerent dans leurs droits. Louis XIV obtint
Landau, mais il fut obligé de rendre Fribourg,
Brisach et Kehl; au reste la paix de Rjswiek fuf




~8 HISTOfRE DU XV]lI e SIECLE.
maintenue; un des articles préliminaires de la
paix avee I'Angleterre portait déja que ,t'Espa-
gne et la Franee ne seraient jamais réunies
sous le meme seeptre, et que Philippe V devait
renoneer pour Iui et ses héritiers a la sucees-
sion de la eouronne de Franee.


CHAPITRE 11.
GUERRE DU NORD.


l. Depuis le traité de Bade jusqu'a la bataille de Pultava.-
II. Depuis la bataille de Pultava jusqu'aux traités qui ter-
minerent la guerreo - IlI. Changements causés en Europe,
par la guerre du Nord.


1. A l'époque OU l'on voyait tout le midi et
l'occident de l'Europe sous les armes, le sep-
tentrion et l'orient étaient engagés dalls une
guerre générale, qui til'ait aussi son origine du
siecle passé, et qui amena des ehangements bien
plus importants dans les relations de l'Europe
que le partage \ de la monarehie -d'Espagne et
l'élévation d'un Bourbon au trane de ee pays;
ear la Russie sáumit des-lors la Pologne et la
Sued,e.


La prineipale eause de la guerre dll Nord fut,
loros de l'avénement de Charles XII au trane de
Suede, l'espoir que eon<;llrent le Danemarck,




LIV Rl: 1, eH APITR}<~ JI. 29
la Pologne et la Russie de reconquérir les pri-
viléges et les provinces qu'ils avaient perdus
antérieurement. On était bien loin de prévoir
alors qu'un monarque adolescent qui,jusqu'au
moment de la guerre:n'avait aimé que le faste
et la débauche, se montrerait tout-a-coup un
héros: car, peu de temps avant que les enne-
mis de la Suede se fussent ligué s , Charles XII
avait obtenti, par les démarches du comte Pi-
per, qu'il serait affranchi de la tutelle a laquelle
le soumettait sa jeunesse : les États suédois, en
lui déférant le pouvoir absolu, le 9 novembre
1697, lui accorderent, le 20 du meme m9is, une
puissance dont l'étendue ne conservait plus
que le nOID de l'ancienne constitution. Les en-
nemis de la Suede attendaient, del'inexpérience
'et de l'étourderie du jeutie roi, le plein succes
des projets qu'ils avaient con((us depuis long-
temps. Patk1.lJ, un des nlembres de la ch:eva.-
lerie livonienne, opprimé et dépouillé par
Charles XI, fut l'ame de la ligue qui se forma
contre la Suede. C'est lui qui , par la hardiesse
.de ses représentations contre les démarches du
roi;opposées a la constitution, et par ses efforts
alarmants, avait tellement irrité Charles XI,
qu'étant venu en Suede comme député des che-
valiers de Riga, le roi le fitarreter, juger, et




30 HI STOIR E UU X VI (le SÜ~OLE.
condanlner a mort, et illui.en couta beaucoup
de cornmuer eette peine.


Patkul ayant trollvé plus tard les "moyens
de s' échapper, alla porter les armes en Saxe,
d'ou il passa en 17°1 art service de la Russie.
Auguste, roi de Pologne, électeur de Saxe, et
Christiern V, roi-de Danemarck, avaientbien
contracté une alliance le 24 mars J 6g8 ; mais
la circonspection de Christiern avait empeché-
qu'elle ent des résultats. A l'instigation de Pat-
kuI, les Saxons chercJ:¡erent a faire une .. nou·
velle alliance ayec Frédéric IV qui venait de
succéder a son pere : Frédéric envoya secrete-
ment son grand chancelier Revendau a Dresde,
ou il fit, avec le tout puissant Flernming, un
traité formel, offensif et défensif contre la
Suede; personne n' en fut instruit que Patkul
qui, envoyé ave e CarIowiz ~ Pierre Ier, le dé-
termina le 1 1 novembre a signer ce traité. Le
Danemarck cOllunen<;a les hostilités en traitant
.en ennemi le duc de Holstein, beau-frere de
Charles XII, depuis long-temps alIié de la Suede,
et en rOlupant la paix d'Altona.


Presqu'a la nleme époqpe, des troupes saxo-
nes marcherent contre Riga, et Pierre Ier en-
vahit la Livonie et l'Esthonie ave e ses Russes
encore mal disciplinés. Des que la. guerl'e eut




LIVRE 1, CHAPITRE 11.


éclaté, OH s'aper<;llt que 1'on s'était t,'olnpé sur
le caractere de Charles XII; 11 n'attendit pas
que les garants du traité d' Altona, et leur ar~
mée commandée contre le Danemarck, eussent
forcé Frédérie IV a maintenir la paix; il fit
preuve d'une témérité sans égal~ 1, alla droit
en Zélande, et aborda le 25 juillet 17°0, en
présenee de ton tes les forees danoises. Il se
proposait, aussitot que son artillerie serait ar-
rivée de Suede, de bloquer, avee qninze mille
hommes, la,viUe de Copenhague. A son grand
déplaisir, et avant qu'il eut rassemblé le In a ..
térieI du siége, la pajx fut faite au mois d'aout,
par la Inédiation des garants du traité d'AI-
tona, a Traveridahl, dans le chateau du dne
de Ploen. Elle assura él la Suede et au dnc de
l-l01stein-Gottorp une satisfaetion éclatante.


Sur ces entrefaites les Saxons éehouerent de-
vant Riga. Pierre eommen<;a le siége de Narva
le 17 septcmbre 1700; et Charles, a pres un
eourt séjour en Suede, se dirigea en toute
hate 'vers la Livonie et 1'Esthonie eontre les


1 La flotte danoise était dans le Chenal; les fIottes anglaises
et hollandaises, quoique envoyées au secours des Sriédois,
avaient rec;u l'o.dre formel de ne pas faciliter l,e passage des
Suédois en Zélande. Cha~les XII for~a son amitalle comte de
Wachmeister a passer par la Flintrinne , proprement dite, OU
Óll a"ait cru jusqu'a présent le passage desgrands batiments im-
possihle. Les autres fioUes furent alors obligées de le secorider.




32 HISTOIRE DU XVIlIe SI1~CLK
Saxons et les Russe~. Il débarqua avec son ar-
mée, le 5 octobre, pres de Pernau. Les Saxons,
dont l'entreprise ne fut ni approuvée ni ap-
puyée par les Polonais, qui ne partageaient
point l'opinion de leu!' roi, s'étaient retirés.
Charles alla done au-devant des Russes qui as-
siégeaient Narva. Toute l'armée russe, organi-
sée depuis peu, était forte d'environ quarante
mille- hommes; Charles n'en avait que dix-huit
mille, encore le terrain ne lui permettait-il
el' en faire agir que huit milie. Cependant il
remporta du 20 au 21 une victoire si complete
que tout l'état-major, cent quarante-cinq ca-
nons et vingt-huit mortiers tomberent en son
pouvoir. Il passa l'hiver en Livonie et conc;ut
des-Iors le projet de détroller le roi Auguste
en Pologne, et d'exercel' ainsi s~r lui une ven-
geance san s exemple. Les dissensions intérieu-
res des Polonais, les différents entre les fa-
milles de Sapieha et d'Oginsky en Lithuanie 1
firent entrevoir a Charles la réussite possible
1e son projet, contr~ire cependant a la con-
stitution et aux usages du pays; mais il comptait
que les armes d~s Suédois lui donneraient le
droit de hasarder des dIoses nouvelles.


I Supplément de Nordherg -a la lIje de Charles XII, ( 3 vol.
in-4°.) piece nO XII et xxx des suppléments.




LIVRE 1, CIlAPITRE n. 33
Pendant que Charles se préparait á trans-


porter la guerre en Pologne, Pi erre et le roi
Auguste eurent a Birzen en Lithuallie une en-
trevue qui dura depuis le lnois de février jus-
qu'au mois de mars 1701, et dans laquelle ils
contractt~rent une alliance plus intime qu'aupa-
ravant. Dans ce nouveau traité, tout l'avantage
était encore du coté de Pierre; il parvint a
tourner la puissance entiere de Charles contre
Auguste, et, pendant la campag~e de Pologne
et de Saxe, il eut tout le 10isir d'occuper I'ln-
grie 1, et de porter a diverses reprises la guerre
dans l'Esthonie et dans la Livonie. Charles mit
d' abord les Saxons e~ déroufe, et a la demande
de la diete l'entrée de la Pologne leur fut in-
terdite : enfin, les mécontents, et parmi eux le
primat et l'archeveque de Gnese, le cardinal
RadzewusJ{y, en trerent en correspondance ave e
le roi de Suede; celui-ci leur exposa s~n projet
de détroner le roi Auguste et de faire une nou-
velle élection. Mais le moment de la déchéance
n'étaitpasencorevenu,etCharlesagissaitmeme
contre les lois et les coutumes de la Pologne,
malgréles tOl;ts qu'on pouvait reprocher au roi
Auguste d'avoir violé sa capitulation.


I Pierre Ier jeta, comme on sait, d"es l'an -1'704, les fonde-
ments de Saint-Pétersbourg.


H. I. 3




34 HISTOIRE DU XVIlle SIECLE.
La Lithuanie et la Courlande furent ravagées


par les Suédois; les Saxons sueeomberent par-
tout en Pologne, et l'armée polonaise de la
couronne, enfin rassemblée sous les orares
du roi, essuya une défaite si cornpIete, pres
de Clissov, entre Varsovie et Craeovie, le 20
juillet 1702, que le camp, avee toute l'artil-
lerie et les bagages 1 , tomba au pouvoir de
Charles qui occupa Cracovie le 10 aoUt.


Malgré les maux que la Pologne endurait
de la part des Suédois et meme des Russes ses
alliés, la proposition de la déchéanee y trouva
encore bien des adversaires; et ce ne fut que
le 21 janvier 1704 qu'un parti se rassernbla a
Varsovie, se eonstitua en confédération géné-
rale, se déclara dégagé, de l'obéissanee envers
le roi, prononc;a la vacan ce du trone et fixa
une nouvelle éleetion. Si les deux fils alnés de
Jean Sobiesky, gui, eomme roi de Pologne,
s' était acquis une gloire I>ternelle par le secours
qu'il porta a yienne assiégée et par ses victoires
sur les Tures, n'avaient été arretés, eontre le
droit des gens, en Silésie, et eonduits a Leip-


I Un seul trait caractérise Auguste et Charles XII. Auguste
députa au roí de Suede, avant de faire, la paix, la helle
KrenigsnÍarck; il refusa m~me de la voir. Charles trouva dans
le camp de Clissov cinq cents dames de la suite d' Anguste;
il les fit conduire sous escorte jusqu'aux frontieres de la Saxe.




LIVRE 1, CJlAPITRE XI. 35
sick par des troupes saxonnes, d'apres un or-
dre du roi Auguste, un d'eux aurait sans
doute réuni les suffrages. Alexandre, leur ca-
det, refusa la couronne, par égard pour ses
freres. Sans ce refus, Charles aurait certaine-
ment donné la préférence a cette famille l. Mais
aucun des membres de la maison de Sobiesky
ne pouvant etre élu, il suivit son affection per-
sonneHe et exigea que les Polonais nommas-
sent Stanislas Lescinski, vayvode de Pose, qui
avait su gagner ses bonnes graces.


Autant le cardinal primat était indisposé
contre Frédédc-Auguste, autant l'élection de
Stanislas lui déplaisait. Il refusa de présider a
l'élection, et l'éveque déposé fut obligé de le
remplacer le ¡er juillet 17°4, jour des votes.
Le général Rorn , commandant la garnison sué-
doise a Varsovie tint dan s lerespectl'assemblée
électorale; enfin, a neuf heures du soir ,. l'ar-


I Une lettre de Charles, datée de Heilsberg, du 13 décem-
hre , dans V oltaire; rie d' A uguste, pago 447; dans Lamherty,
tom.UI, p. 33 la ; dans Schmauss, t.lI, pag.,3 !)O, recommande
Sohiesky. •


Nordherg regarde tout cela comme úne fiction de Voltaire ;
la raison qu'il en apporte n'est pas solide. Ilattaque l'authen-
ticité de sa lettre, en soutellant que Charles n'était pas encore
a cette époque a Heilsberg. Son traducteur a déja fuit quel9ue!J
objections, et Weisse, Kursoochsische Geschichte, (Histoire de
la Saxe électorale) tomo V, pago 374, regarde la lettre comme
authentique.


3.




36 H ISTOIRE DU X V IUe SIltCLE
gen t, les troupes suédoises, et les liqueurs fortes
assurerent tous les suff~ages a Stanislas. Le car-
dinal primat n'osa point désavouer le nouveau
roi que Charles venait de reconnaltre; mais
l'éveque rusé ~luda la fonctíon du couronne-
ment par un prompt départ pour Dantzick, et
Stanislas ne fut solennellement couronné que
l'année ~uivante, .au ntois d'octobre 1705, a
Lemberg, par l'archeveque de cette ville, en
présence de Charles XII.


Le COUl'onnernent avait été retardé par la
tournure que la guerre venait de prendre. Char-
les, apres l'élection, marcha de suite sur Lem-
berg. Auguste, renforcé par des troupes russes,
avait profité de son absence pour faire capitu-
ler Horn el: les Suédois a Varsovie, et pouren-
voyer l'éveque de Pose a Rome. Les socces des
Saxons et les· irruptions des Russes en Livo-
nie et en Lithuanie ne donnerent pas un in-
stant de repos aux Soédois, quoique Auguste
demenrat toute l'année 1705 en Saxe.' Il fallut
a Charles une nouvelle victoire décisive pres
de. la Vistule, a la fin du mois de juillet 1705,
pour que toute la Pologne retombat au pouvoir
des Suédois.


L'année suivante, Charles fut retenu en Li-
thnanie, on le roi de Pologne détroné eut une




LIVRE 1, CHAPITRE tI.


conférencé" avec Pierre Ier. A son retour, Au-
guste résolut de surprendre Varsovie pendant
l'absenee du roi de Suede, et eette tentative va-
lut a Rhensehmld, général suédois, 1'occasion
de se distinguer par un des plus brillants faits
d'al'mesque laguerre duNord aitproduits? Aux
Saxons commandés par Schulenburg et dont
les troupes seules étaient déja plus nombreuses
que l'armée suédoise, se joignirent encore des
Polonais et six mille Russes. Cependant Rhens-
chreld 5' opposa pres de Fraustadt ou V schova
au passage des S'lxons, n'hésita pas un instant
a donner hataille et décida en deux heures la
victoire, le 14 flvrier 1706. Toute l'armée
saxonne fut entiereme'nt dispersée, l'artillerie
prise', et Auguste voyant son plan 'sur Varsovie
manqué, alla d'abord a Cracovie, puis en Li'-
thuanie. Charles voulant terminer a sa maniere
tous les différents de la Saxe et de la Pologne',
marcha sur I'Allemagne, a la tete de vingt-
deux lnille soldats,aussi braves que mal vetus,
sans s'inquiéter des menaces de l' empereur et
des déerets de I'Empire 1; et, du 22 au 26 ao~t,
ayant traversé la Silésie, il entra en Saxe sans


1 Le cabinet de Vienne, d'abord san's nommer Charles,
ensuite le nOJIllnant expressément "avaitdéclaré qu:il serait I'e-
gardécomme ennemi de l'Empire s'il passait l'Oder, pendant la
guerre contre les Fran<;ais.




38 HISTOIRE DU XVIIle SI:ECLE.
en demander la permission a l'empereur alors
souverain de la Silésie.


Aussitot que Charles fut entré en Saxe, Au-
guste sollicita sérieusement la paix. On la con-
clut au mGis de septembre 1706 a Alt-Rans-
tredt pres de Leipsick, d'apres les conditions
onéreuses que Charles prescrivit. Auguste fut
obligé de se soumettre a une autre humiliation
pour ne pas irriter le vainqueur; il se vit forcé
de recevoir non-seulement Charles, mais aussi
Stanislas, et de saluer ce dernier comme roi.
L' équipage de Charles dans cette occasion fut
aussi singulier que son discours l. La condition
la plus ignominieuse de la paix fut ceHe de li-
vrer le malheureux Patkul, dont on ne saurait
approuver le caractere et les menées, mais en-
vets qui le droit des gens et de l'humanité se
trouvent quatre fois violés; la premiere foís,
par le ministere saxon, dont il dévoila la pe-
titesse et qui le fit arreter malgré son titre d'am-
bassadeur de Russie; en second lieu le meme
gouvernement le li vra a un ennemi irrité; en-


1 On trouve une peinture tres-avantageuse de Charles XII,
par un Polonais témoin oculaire, qui a cité au moins les faits
avec fidélité, dans I;.amherty, tomo IV. page 436-37. L' 0-
pinion contraire , rapportée par un Anglais , s'y trouve a
c6té, pago 439, ou il dépeint en m~me temps ,A.uguste Sta-
nislas.




LIVRE 1, CHAPITRE JI. 39
suite Charles le 6t rouer de la maniere la plus
cruelle 1 ; enfin Pierre Ier par poli tique ne se
vengea point sur la Saxe de la violation du
droit des gens et des horreurs qu' elle se per-
mettait envers ses plénipotentiaires.


Charles demeura plus d'une année en Saxe,
équipa toute son armée a neuf, la recruta, et
leva des sommes immenses 4ans un pays épuisé
par l'administration infame de Flemming et par
la prodigalité d' Auguste; l' électorat lni paya en
Qutre six cent rnill~ ~cus par mois; et 'cepen-
dant les Saxons le trouverent plus éqnitable
envers eux que leur propre souverain et leur
noblesse 2.


Le séjour en Saxe avait porté l'ar~ée sué-
doise a trente quatre mille homm~, mais ce
n'étaientplusdevieuxsoldatsaguerris;c'étaient
de jeunes paysans rassemblés en Suede, ou
de Inauvais sujets enrolés a la, hateo


An nlois de septembre, Charles se mit en


1 Wei~se, Histoire de la Saxe électorale, tomo V, pago 384,
indique les ouvrages OU l'on peut trouver les notions les plus
exactes sur cette histoire.
~ Flemming avait. l'impudence de demander au roi, que


dan s la tépartition des tailles, il voulut faire attention que
la noblesse et toutes les autres personnes exemptes , ne fussent
point chargées de cet impot. Le roi répondit tres-judicieu-
sement qu'il voulait bien qu'elles restassenttoutes exemptes,
si de rien elles pouvaient faire de l'arg~nt.




40 HIS'rOIRÉ ])U XVIIle SJECLE.
111arche contre Pierre; il demeura quelque
temps pres de Pose avant de décider s'il irait
en Livonie ou directement él J\ioscou. Pi erre
venait d'occuper et de coloniser toute l'Istrie,
de ravager I'Esthonie, la Courlande et la Po-
logne; et Lrewenhaupt , le général le plus dis-
tingué de Charles, ne défendait qu'avec heau-
coup de peine la Livonie contre les Russes. Tout
le monde s'attendait a voir Charles chasser d'a-
bord l' ennerni des provinces de la mer Baltique,
et pénétrer ensuite, renforcé par Stanislas et
ses Polonais, plus avant en Russie. Son carac-
tere violent en disposa autrement.


Mazeppa, chef des eosaques, ber~a le roi
de Sued~ de l'espoir qu'il s'unirait él lui avec
tout son lleuple, s'il s'avan~ait par la Pologne
en Ukraille, et de la directement él Moscon.
Charles agréa cette proposition qui flattait ses
idées, sans examiner les ressources de Mazeppa;
et il se mit en marche malgré l'hiver, depuis le
mois de février jusqu'au 17 maiI708. L'armée
suédoise gagna la Lithuanie et s'arreta quelque
temps pres de laBérésina. En continuant sa mar-
che, tout le SUCct~s dépendait de sa jonction
avecLrewenhaupt qui amenaitde la Livonie des
chevaux, des vivres, des munitions, des ren-
forts, et toute l'armée qu'il y avait commandée·




LIVRE J, CHA.PITRE Il. 4.t
Charles aurait :dli alors se diriger vers Smo-


lensk, ou attenclre Lrewenhaupt a l'endroit
fixé pour leur réunion, ou s'avancer apetites
journées. Il ne fit rien de tout cela; au lien d'aI ..
ler a SmoIensk, ii pri tune route tout opposée
pour se rendre en Ukraine, et,au lien d'attendre
Lrewenhaupt, il fit des Inarches forcées, du 15
au 25 septembre : aussi ce général, poursuivi
par toute l'armée russe, ne put atteindre le
roi de Suede, et, attaqué par quarante milte
Russes, iI livra le 28 et le 29 septembre 1708
une bataille mémorable entre Lisna et Pro-
pOlsque, oú iI demeura maltre du champ de ,
bataille. Il rejoignit enfin son lnaitre le 13
octobre avec ses troupes réduites a dix mille
hommes, il s'était vu obligé de détruire son
artillerie, se~ bagages -et ses provisions, pour
conserver les chevaux, de se faire jour a travers
un ennemi trois fois supérieur, et detraverser
des déserts horribles, par de~ routes inconnues "-
et non frayées. Les provisions que Lrewenhaupt
avaitamenées, et qui étaient indispensables aux
Suédois, s'ils vou]aient avancer, étaient aussi
perdues. l\lazeppa venait d' etre abandon~é de
ses soldats, et on avait manqué Staradub, le
meilleur défilé en Ukraine.




42 HISTOIRE DU XVIlIe SI:ECLE.
L' opinüitreté que Charles montra tan t de fois,


put seule exposer une si belle armée a une
perte évidente. Des besoins de toute espeee,
la fa~m, le manque de vetements, le froid en
170 9, (eomme en 1740 1 ), plus rigoureux
qu'on ne l'avait jamaiséprouvé en Europe,
et les travaux pénibles exéeutés dans un
terraill gelé pour fortifier Pllltava, eouterent
la vie a des milliers de Suédois. Les attaques
des Russes tirent aussi, périr beaucoup de
monde.


Des le moÍs d'avril il n'y avait plus de suc-
ces a espérer de tous les efforts de Charles et
de son armée ; a11 mois de mai to~s les ouvrages
faits par les Suédois étaient détruits; cependant
Charles passa le'mois de juin dans une inaction
complete. 11 donna enfin le ID juillet une ba-
taille do'nt l'is~ue était facile a prévoir. n parait
que Rhenschreld, fatigué d'un entt~tement sans
exemple 2, que pourtant H avait favorisé d'a-


I Et cotmne en 1812.
2 Charles XIT fut eaprieieux , mais il ne fut point fou. Rühs,


Geschiehte von Sehweden, A,llgemeine Weltgesehiehte (Bis-
toire de SuMe, dans l'Bistoire ulliperselle) , vol. LXVI, p. 285,
ou li V. XVIII, § 41 5 , n' aurait done pas dñ raeonter, sur la foi
de Gyllenkrrek, que Charles s'était proposé d'aller abSolument
en Asie , et qu'il avait eru y arriver sans heaucoup de peine.
Adlerfeld raconte eette histoire d'une maniere bien plus rai-




LIVRE 1, CHAPITtU! 11. 43
bord, négligea les dispositions qui auraient
pu assurer le succes de la bataille~ Piper et
lui se rendirent aux Russes pour éviter les
effets de la coIere du roi. Toute l'armée
suédoise fut détruite, et les dix-huit mille
hornmes qui, sous la conduite de Lrewenhaupt
etKreuz, échapperent au carnage, capitulerent
avec précipitation. Charles seul se sauva par
sa térnérité; il passa le Bog avec deux mille
hornmes, parcourut du 14 juillet jusqu'au ¡er
aout l'Ukraine, arriva a Bender ,se mit sous la
protection des Turcs, et voulut demeurer en
Turquie, jusqu'a ce qu'il pút fondre sur la Rus-
sie a la tete d'une armée ottomane.


H. Tandis qu'a"Bender Charles voulait régner
sur la Suede et faire la loi au sultan; tan-
dis qu'il renversait les grands visirs qui lui
étaient opposés, et que ses ambassadeurs dé-
terminaient les Turcs a décIarer la guerre a la
Russie, ses ennemis n'étaient pas moins actifs.
On renouvela d'abord au mois de juin 1709
le traité entre le Danemarck el: la Suede. En-


.,


-- sonnable. Kolomark, dit-íl, n'étantéloigné que de sept lieues
de l'endroit ou le pays des Tartares Nogais commence, le vieux
Mazeppa, pour flatter le roi, s'approcha de luí a cheval, et s'é-
cria, qu'ils n'étaient qu'a huit lieues de l' Asie. Le roí luí ré-
pondlt en souriant: Sed non conveníant geographi,. et Mazeppa
demeura confuso




44 HISTOIRE DU XVIJIe srECLE.
suite Wurtembe.rg, Revendau et Fleluming ;
favoris du premier roí de ,Prusse, du roi de
Danemarek et' de l'éleeteur Auguste, délibé-
rerent eomment la Prusse pourrait prendre
part au démembrement de la Suede. Auguste
enfin se dirigea sur la Pologne a la tete de
quinze mille Saxons. Il se mit en marche le 8
aout. Le manifeste d'apres lequel iI reprit le
litre de roí, et rompit la paix d'Alt-Ranstadt,
ne parut que ·le 18 du me~e mois; mais avec
son- arrnée brillante d'or, d'argent et de soie,
a laquelle se joignait une garde a eheval eom-
posée de eomtes, vieorntes et marquis fran-
c;ais, écossais, italiens, un corps de satellites
et de gardes du eorps du nlelne rang 1 ; iI n' osa
point attaquer les neuf mille Suédois en souque-
nilles que Crassau arnenait de la Pologne en
Poméranie, et auxquels Stanislas se joignít plus
tard, avee huit mille Polonais demeurés fideles
a son parti.


I Le roí étaít lui-m~me capitaine de cette garde a cheval; un
ital~l en était lieutenant-capitaine. L'uniforme était excessÍ-
vement riche et galonné.Cette garde se composait de quatre
brigades dont chacune comprenait soixante cavaliers. I1 fallait
a chacun deux ou trois chevaux et un palefrenier; plusieurs
avaient six chevaux, un cuisinier et un valet de chambre; plus
ils en avaient, plus ils étaient considérés. Les soixante satel-
lites a cheval, commandés par Flemming, étaient équipés de
meme, ainsi que les gardes du corps.




LIVRE 1, CHAPITRE II. 45
Les Da.nois ayant envahi Schonen, au mois


d'octobre, furent totalenlent battus en Alle-
magne. Les garants du traité de Travendahl
désirerent conserve!' la paix. L' empereur, les
Pays-Bas et l' Angleterre, pour réprimer la guerre
au nord de l'Allemagne, et pour avoir la fa-
culté d' agir avec plus d' énergie sur le Rhin,
contre les Fralu;ais, offrirent aux Suédois, dans
la convention de La Haye, au 20 ll'lurs 1710, de
défendre leurs pays allemands, s'ils consen-
taient a ne point porter le théatre de la guerre
d~ns l'Empire, ni sur le territoire de I'Allema-
gne. La régence suédoise aceepta eette propo-
sition, mais Charles la rejeta avec le plus grand
mépris; cependant la paix ne fut point trou ..
blée pendant quelque temps.


Charies, de Bender qu'il occupait toujours,
ne cessait d'exciter le sultan a combattre la
Russie. Il vit enfin ses désirs réalisés, et il par-
vint au mois demaiI 710, a faire nommer vi-
sir Achmet Kupergli qui lui était entierement
dévoué. Achmet ne put se soutenir; et néan-
moins la guerre fut déclarée au nlois de no-
vembre. Charles XII pe:r:dit par sa faute ·tous
les avantagesqu'ils'en étaitpromis. Lenouveau
visir Mehemet Battadschi, déja ennelui des Sué-
dois, s'irrita encore plus des bravades de Char..,




46 HISTOIRE bu XVIII" Sd~CLE.
les et de son refus de lui rendre une visite' dans
son campo Il négligea a dassein de profiter des
avantages de la campagne.


Pierre comptant sur son ami Cantemir,
hospodar de la Valachie, s' était hasardé, comme
Charles XII, d'apres les promesses de Mazep-
pa, dans des contrées ou les vivres lui man-
quaient. Il voulut ensuite réparer sa faute en se
dirigeant du Niester vers lePruth, mais a peine
en touche-t·il les Dords qu'il se voit cerné\de
tous cótés. Le 1.0 juillet 171 I , les Russes pri-
rent le parti désespéré de briller, dans les re-
tranchementsbloqués par l' ennemi et enfermés
par le Pruth, tous les chariots' et tous les ba-
gages; l'armée resta sans vivres, les chevaux se
nourrirentde feuillages et d'écorces, et les sol-
dats, ponr se défendre de l'ennemi, éleverent
autour d'eux un rempart des cadavres de leurs
freres. Charles, ayant appris la position des
Russes, comptait le lendemain apprendre ~ cha-
que instant que lenr armée était entierement
détruite ou faite prisonniere, quand on lui an-
non~a que le visir n'avait pas seulement signé
la paix,maislivré passage a toute l'armée russe l.
La violence de l'envoyé suédois Poniatowski,


I Pierre I.er attribue, comme on sait, dans un manisfeste ,
.a Catherine, qu'il avait déja déc1arée aloI's son épouse el qu'il




LIVRE 1, CHAPITRE II.


qui s'opposa au visir et voulait melne lui don-
ner des ordres, h:ha san s doute le traité, et le
roi de SuedQ, accourant enfin lui-meme, ar-
riva deux jours trop tardo Des ce moment Char-
les, XII rompit ouvertement avec les Turcs et
leur livra a Bender une bataille rangée. De
la il se retira a Demirtasch et ensuite a De-
motique, ou iI demeura huit mois en proie a
sa mauvaise humeur.


Sur ces entrefaites, le Hanovre s'associa en
secret a ses ennemis ; une armée de Russes, de
Polonais et de Saxons entra dans la Poméranie
suédoise, en occupa une partie , et se disposa
a assiéger Stralsund. Stettin fut bloqué, Wis-
mar assiégé par les Danois, qui pénétrerent
au nombre de douze mille, au mois de juillet
1712, dans les duchés de Brelne et de V oorden,
alors a la Suede l.


I .. a nation suédoise épuisée, donna une
nomma ensuite impératrice , la plus grande part de ce change-
mento II est cel'tain qu'elle l'avait pris a calUr et qu'elle avait
m~me sacrifié tous ses hijoux.


1 11 est vrai que cela ne pouvait pas se faire sans la conni-
vence du Hanovre. Cet État ayant pr~té cent mille écus au Da-
nemarck, en avait re~u, comme possesseur d'Oldenhourg et de
Delmenhorst, ce dernier comté en ótage, mais son8 la con-
dition expresse que le Danemarck. occuperait Bréme et V rer-
den, les donnerait au Hanovre et reprendrait Delmenhorst en
échange. Le Hanovre lailsa done passer les Danois, contre tout
dr~it des gens, par le territoire de Lauenhdurg.




If8 HISTOIRE DU XVIlle ~Ii:CLE.
preuve de son énergie en équipant une armée
de vingt-quatre mille hommes, que le général
Stcnbock conduisit le 14 septembre a Stral-
sund. Stenbock attaqua malheureusement les
Danois, au lieu de tourner ses arrnes contre
les Russes et les Saxons. n n'échappa que par
une marche hardie aux armées qu'illaissa der-
riere lui, et battit ensuite, au milieu du mois
de décembre, les Danois pres de Gadebusch;
lnais iI souilla sa victoire par la barbarie qu'il
eut de mettre le feu a Altona l. Des -lors la
fortune lui tourna le dos; serré par les Russes
et les Danois, il s' avan~a dans le Hols tein , san s
avoir formé aucun plan: une intrigue de Grerz,
nlinistre de Holstein-Gottorp, depuís si céle-
bre, lui favorisa l'entrée de la forteresse de
Trenningue; mais le 19 nlai 1713 il se vit forcé
de se rendre avec toutes ses troupes.


1 On dit ordinairement que ce fut par représaiUes que les
Danois avaientbombardé Stade, m~is Stenbock méme n'en dit
pas un moto V oici comment iI s' exprime la -des sus dans sa lettre
(V oyez Lamberty, t. VIII, p. 291 ) : '" Les Russes ont entiere-
" ment dévasté la Poméranie; je vais done bruler dans le Holstein
" autantde villes et de villages qu'ils en ont brulé en Pomérallie.»


Il est a remarquer que l'incendie des grandes villes est as-
sez fréquent dans les gnerre8 du nord , et l' on en con~oit faci.
lement la raison. eomme on a besoin d'abri pendant l'hiver,
dans ces climats affreux , c' est détruire son ennemi que de le
laisser a la merci des éléments; les effrayants résultats del'em-
,brasement ~ Moscau en fournissent une preuve a jamais
mémorable. (Note dll tradllcteur.)




LIVRE 1, CHAPITRE II. 49
La puissance suédoise parut alors totale-


ment anéantie. I".- Danois oceuperent le Hols-
tein-Gottorp ; Breme et Voerden n' épargnerent
que Stralsund et les Iles. Par une nouvelle
intrigue du eomte de Grerz, des troupes
neutres du Holstein-Gottorp et de la Prnsse
furent luises en garnison a Stettin et dan s une
grande partie de la Poméranie ; mais le carac-
tere de Frédéric-Guillaume, nouveau roi de
Prusse, qui venait de prendre les renes du
gouvernemellt au mois de février 1713; la
somme considérable 1 qu'il paya pour la neu-
tralité de Stettin, les promesses secretes, faítes
probablement par Grerz, ainsi que tont l'état
des choses, laisserent peu d'espoir que cette
partie de )a Poméranie revint jamais aux Sué-
dois.


La nouvelle que tons ses États allemands
étaient perdus, qu'un nouveau siége n~ena<;ait
Stl'alsund, réveilla enfin Charles a DéInotique


1 Grerz avait, déj a peu auparavant, obtenu des alliés, que
Stettin et Wismar fussent reconnus neutres, en cas que la
ville de Stettin fut occupée par des troupes de Prusse et'/ du
Holstein-Gottorp ; mais le commandant suédois, Meyerfeld,
ne voulu t pas en entendre parler. '


La forteresse fut assiégée, mais Grerz gagna Menzikoff, le
favoriavide de Pierreler~ parquatrecentmilleécusque laPrusse
paya, pour qu'apres la prise de la ville, iI ne la remlt ni aux
Russes ,ni aux Saxons, mais aux trouI~s neutres de Prusse et
<Iu Holstein-Gottorp.


TI. J. I , ~




50 HJSTOIRE DU XVIIle SI'ECLE.
et il partit subitement avec une folle précipita-
tion poul'laSuede.Il avaiten.urqllieaussi pell
de cl'édit que soo. royaume avait d'importance
en EurQpe l. Un négoéiant anglais lui fournit
par générosité de l'argent pour son voyage,
qu'il fit a cheval depuis les frontiere'S de la Vala-
chie jusqu'a Stralsund, du 73 octobre au 11
novembre '714. Aussitot qu'il y fut arrivé,
le rusé comte de Grerz 2 gagna sa confiance
et joua alors, dans les affaires de l'Europe, le
lnetne role que dans leHolstein-Gottorp 10rs-
qu'il entraina le duc et le pays dans la meme
ruine 3.


L' occllpatioo de Stettin par les Prussiens
fut la premiere difficulté que le roi de Suede
l'encontra a Stralsund ; et Grerz essaya en vain


IOn a évalué que la guerre de Charles XII, dans l'année
17°9, avait déjit conté a ]a SuMe, peu populeuse, environ
quatre cen~ mille hommes. L'an 1714 tous les impóts furent
doublés , les soldats et les matelots levés de force, et les bour-
geois contraints de donner leur argenterie II tit.re de prét.


2 Leur connaissance date déjil. de l'an 17°7, ou Goorz et
Marlborough furent en Saxe pres de Charles; Grerz étant alors
plus ,consulté et méme plus employé que Piper, ne vivait pas
en tres-bonne intelligence avec lui.


3 Wedderkopp y domina avant Grerz, dont il était exacte-
ment le pendant. Grerz le renversa par une série de cabales
et d'injustices honteuses ; prodigua l'argent de son maitre a
ses créatures; tint Charles en Turquie par Fabrice dans ses
filets, et flt perdre a son maitre, le neven de Charles t le
Holstein et In SuMe.




LIVRE 1, CHAPITRE U. 51
ses artifices a Berlin pour rentrer en possession
de la ville. Il y perdit son argent et ses
peines l. Le roi de Prusse, pénétrant les projets
de Charles, s'associa l'année suivante aux en-
nemis de la Suede, désarma les soldats du Hol-


I


stein-Gottorp, qui étaient en garnison a Stettin
avec les Prussiens, les fit prisonniers de guerre.
et marcha, au mois de juillet 1715, a la tete
de vingt milI e hommes, sur Stralsund ,ou il
trouva l'armée danoise, tandis que Charles n'a-
vait pu amener pour la 'défendre que quinze
mille Sl1édois.


C'est a tort qu'on accuse Charles XII de n'a-
voir vouln se preter a aucun accommodement2.


1 11 s'en tira tres-mal. Sachant que Gumrbkow, dont l'avi-
dité était sans bornes, dirigeait entierement Frédéric-Guil-
laume, iI lui préta quatre mille écus; celui-ci néanmoi~s lui
fit dire sechement, lorsqu'il vint l'an 1714 a Berlín, de s'en
aller sans délai. Il demanda alors son argent, qu'on ne lui ren-
dit paso Le roi luí envoya son secrétaire, et lui fit signifier de
quitter sous dix heures la résidence, et en vingt-quatre laPrusse,
puisqu'il ne faisait (ipsa 'Verba) que brouiller ses ministres. Les
autres pieees justificatives se trouvent dans Lamberty, t. VIII,
pago 876 et sui".


2 Flassan (Histoire de la diplomatre franfaise) donne des
notions sur sa liaison avec Louis XIV et Colbel't-Croissy (le
frere du ministre Torcy), sur son voyage a Berlin et a Stral-
sund. Le rapport du baron de LottuII\ prouve que Charles
commenfiait a fléchir. (Voyez Schlrezer Staatsanzeigen, Annonces
politiques., page 468, dans la COI"responda.ncs de Lamberty;
Nordherg, ríe de CI,arles XIl, tomo 1lI, pago 197. Büsching,
JJfagasin, t. xx, 'page ,32 el SU;".)





52 HISTOIRE DU ~VIIle srEcLE.
Le roi d'Angleterre Georges Ier, qui monta sur
le trone á l'époque ou Charles quittait Démo-
tique, accéda aussi au mois de juillet a ce traité
inique,mais. seulement en qualité d'électeur
de Hanovre, et iI envoya un petit nombre de
troupes se join~re aux Danois devant Wismar.
Le p~ix de la paix était Breme, Voerden" et le
pays de Hadeln que les Suédois avaieht occu-
pés jusqu'alors, comrne troupes de cercle, par
ordre . de TEmperenr 1 ..


JJe" Hanovred'ailleurs ne dé clara la guerre
qu'au moís d'octobre, lorsqu'on ouvrit les tran-
chées devant Stralsund. Charles défendit cette
ville avec beaucoup de valeu~ et de persévé-
rance, lDais il n'en tira d'autre fr'uit que la perte
du reste de ses braves Suédois. Il fut obligé
d' abandonner la ville, le 1 o décembre 1715, sous
le fen de l'ennemi, et le général Duckert capi-
tula aussitot apres son départ.


Au mois d'avril 1716, Wisrnar fut pris pa~ les
Danois, et la Suede vit toutes ses possessions
perdues en de<;a de la roer 13altique. Depuis


x Dans les conditions manifestes, on ne lui en donna que
six cent mille écus, et deux cent soixante-dix-sept mille d'im-
pots restants; mais en secret (voyez Bassewitz, Éclaircisse-
ments; aans nüsching . Magasin, tomo IX, p. 327) le ministre
de la Grande-Bretagne et celui de Hanovre luí garantirent la
possession de la partie de Sleswick, énle\'ée au duc de Hols-
tein-Gottorp.




LIVRE 1, CHA.PITRE 11. 53
ce llloment Grerz commen~a ses opérations de
finan ce en Suede; plus tard il se lia avec A.l ..
béroni, qui jouait en Espagne le meme role que
lui en Suede. Tous les deux voulurent réfor-
mer les gouvernements de:France et d'Angle-
terre par la violence, et constituer rEurope
selon leur maniere de voir. Les Anglais décou-
vrirent assez t6t la liaison qui existait' entre
le ministre suédois el l' eS'pagnol. Grerz, arreté
au mois de février 1717, :en Hollande, ou il
s' érait rendu pour conduire l'intrigue de 'plus
pres, demeura prisonnier jusqu~au- mois de
juillet.


Cependant il était parvenu a rapprocher
Pi erre Ieret Charles XII , . et a éloigner pen-
dant quelque temps la guerre des Russes
eontre la Suede l. Mais, tandis qúe 'G~rz et
Albéroni rendaient Pierre favorable:: a:leuÍ's
prójets 2, et qu'ils le décidaient enfina entrer
formellement en négociation, Charles; fit. des
expéditions réitérées en N orvege; iI y perdit,


• en se l'etirant du'pays, un grand .. nombre de
J Grerz, rendu ida liberté, quittad'abord la Hollandepourse


retirer dans une terre qu'il avait a.huít licues de1lerlín, etIlé~
gociá en appUl'ence avec laP~usse; iI se tOllrnaensllite tout
_ de hon versFlemming en Saxé, aUa de lit á Sáint-Péfersbourg.;
et ce ne fot qu'alors qu'il se lia étroiteme)lt'avec Altéroni.


2 Coxe memoirs , tomo II , chapo XXIX.




54 HISTOIRE DU XVlIle SIi;(a~E.
soldats pres de Ffiedrichshall, qui n'était dé ..
fe!ldu cependant que par la milice"; ce qUI lui
suggéra l'idée de s' emparer de ce passage pen-
dant l'hiv~r~' Il poursuivit le siége des différents
forts séparés, pendant le froid le plus violent.,
avec son activité ordinaire; et déja la tranchée
était ouverte, devant la place 1 lorsqu'il fut tué
d'un coup de fusil, le I 1 décernbre 1718, a
neufheures du soir. On croit généralement que
le coup partit de la main d'un de ses propres
officiers. Un d'eux, nommé Siggert, s'accUt;ait
ineme, en 1 T:J.2 , daos un acces de folie, d\~tre
son meurtrier. Cependant le fait est resté dou-
teux jusqu'aujourd'hui 2. Ce qui est c.ertain,
-c'est que Grerz fut 3rreté ímmédiatement apres


I


1 Friedrichshall n'était pas tres-fortifié. Tout a coté s'éÍeve
sur les autres rochers qui s'avancent, Friedrich-Stein, autour
de ce fort Stoore-Taarn, 00 la haute tour, Oever Beerget ou
Oberberg et Gülden-Lrewe-Schanze; a l'assaut de ces! der-
niers retranchements, il avait planté lui-~me l'échelle, et
des deux cents grenadiers il fut le second qui escalada la mu-
raille.


3 Ce qu'il y a de plus nouveau la ,¿tessus se trouve dans
Rühs, qui, dans son Histoire de SuMe, croit que Charles fut
assassiné; iI est étonnant qu'il n'ait pas considéré ce que
Schlre~ Briefwechsel ( Correspondance, nO. 3, p. 144; nO. 4,
p. 230; et,ensuite dans les Annonces poütiques, 11°.24, p. 454)
avait citédu rapport du général suédois de Leutrum. 11 est


'vrai que ce général était Hessois, et si le meurtre fut commis
ce ~e fut qu'a l'instigation du parti qui nomma ensuite le Land-
grave roí de Suede.




LIVRE 1, CHAP.ITRE 11. 55
la mort de Charles et ql1'il périt victime d'nn
jugement injuste l.


Les Suédois, ayant déja pris leurs mesures
avant la mort du roi, proclamérent une COll-
stitution qui ota au roi tont pouvoir, et, pour
etre en état de la maintenil', ils exclul'ent de la
successiOll le duc de Holstein-Gottorp, fiis de
la sreur aillée de Charles. Sa sreur cadette,
unie au landgrave de Hesse-Cassel, souscrivit
a toutes les conditions et reconnut publique-
ment que c'était l'élection, et non son droit de
naissance,qui l'avait faít montersur le trone 2 •


Le résultat le plus funeste de ces nouvelles
dispositions fut de rompre tout d'UIl coup, en
haine de Grerz 3, les négociationsouvertes avec
Pierre, car on craignait que ce prince De pro-
tégeat le duc de Holstein-Gottorp, que le COll-


1 Quant a l'arrcstation de Grerz, nous avons le rapport d'nn
téllloin oculaire dan s Schlrezer, COl'l'espondance, nO. 4, p. :135,


:2 Les vingt - quatrc cQnseillers de l'Elllpire gouvernaient
dans le fond , et on ne disputait que pour savoir si la famille
et le partí de Horn qu'on appelaít BonTlets ,ou si les famílles de
Gyllenhorg et Tessin, llommés Chapeau~, devaient régner.
Les derniers remporterent la vjctoire l'an 1738. La malheu-
reuse guerre cOl1tre 1... Russie en 1741, jusqu' au mois d' aou t
1743, et depuis, des comhats perpétuels en furent la suite.


3 Grerz fut exécuté le 13 mars 1719; il avait mérité; comme
BassewÍlz le remarque avec raison, ce sort en Holstein, et 11011
en Suede. Rihhíng, le pJ'ésident de la justice criminelle mé-
rita, par sa conduite dans cette circol1stance, une place aapres
de Jefferson et de Fouquier-Tainville




56 HISTOIRE DU XVIlle Sd:CLE.
seil de l'Empire venait de priverde ses droits,
et on ruina ainsi entierement la Suede. Pierre


, entra sOlIvent, les deux années suivantes, dans
ce pays, fit de:s ra vages extraordinaires, dé-
truisit meme les mines et leur exploitation 1,
et il fallut enSn accepter la paix a des con-
ditións bien plus désavantageuses que celles
qu'on aurait pu obtenir auparavant.


III. Une des suites les plus importantes de
la guerre du Nord, fut que la Russie passa de
l'état de puissance asiatiqne a celui de pnis-
sance européenne; qu'elle fonda une nouvell~
capitale, nommée Saint - Pétersbourg; qu'elle
employa des miUiers de Suédois prisonniers a
la CÍvilisation de ses sujets; qu'elle organisa.
dans le cours de la guerre, des troupes qui
se conlposaient d'excellents officiers, pris
a l'Europe entiere, surtout aux débris de l'ar-
mée suédoise, et de soIdats sortis de cette na-
tion, conservant leur énergie; enfin que
l'arnlée russe se recruta toujours depuis des


x A la ~escente pres de Nikreping, outre le grand nombre
de moulins et de chateaux brúlés, quatre forges, deux mines
de cuivre furent entierement encombrées; treize cent soixante
villages et vingt villes devinrent la proie des flammes. Parmi
les forges , iI Y en avait une que les Suedois voulaient l'acheter
t'tois cent mille écus; d'ailleurs des bois entiers furent mis en
cendres; on tua plus de dix mille breufs, et l'on jeta dans le
fleuve quatre vingt mille lingots de fer.




LIVRE 1, CHAPITRE 11.


aventuriers les plus habites et les plus intelli-
gents de l'Europe.


On peut regarder eomme la conséquenee la
plus immédiate de ces débats le ehangement de
la eonsti tution suédoise, souree de troubleséter-
neIs, qui mirent le royaume, apres une nou-
velle guerre malheureuse eontre la Russie ( de
1741 a 1743), dans des rapportshonteuxavee
ce puissant État, et qui amenerent l'an 1772
une nouvelle révolution.


Les ehangeinellts produits par les traités de
paix sont plus faeiles a démontrer que ce que
nous venons d'exposer. Le premier traité avec
le Hanovre fut conclu par la médiation des
ministres anglais et fran«;ais l. Le 20 novelnbre
1719/, la Suede eéda Breme , Voerden, et le
droit, d'hypotheque au Hanovre, qui paya un
miIlion d'écus, dans l'espace de trois ruois,
aux Suédois entieI~ement dénués de ressour-
ces 2. Elle conserva le droit de siéger et de
voter a la diete, pour prix de la Poméranie
qu' elle avait cédée a la Prusse; eette derniere


1 Campreuon et Cartcret.
2 lis;' conclurent ensulte, le 21 janvier 1720, un traité of-


fensif par Jequel la dignité royale d' Angleterre et de Suede
fut surtaut garantie~ Touteso deux craignaient Pierre; l'une
appréhendait qu'il ne secondat le Prétendant, et l'autre qu'il
ne soutint le Holstein-Gottorp.




58 HlSTOIRE DU XVIllC SÜ:CLJ~.
s'engagea a ne poiilt établir de douanes sur la
Peene et a payer, l'année meme, trois millions
d'écus. Carteret etCampredon, eherehant a
faire la paix avee le Danemarek et le Hanovre,
lui saCl'inerent le duc de Holstein-Gottorp. La
Suede n~ fit point mentian du neveu dépouillé
d~ la reine. L' Angleterre et la Franee assurerent
au Danemarck, par le traité signé au mois de
juin et de juillet J 720, la possession de Sleswiek
enlevé au duc. Le Danemarck rendit a la Suede
la ville et la forteresse de· Stralsund, 1'ile de
Rügen, toute la Poméranie jusqu'a la Peene,
le fort de Marstrand, Wismar 1, et lui donna
six eent mille écus. La Suede a son tour re;
non~a a toute liaison avec le dnc de HoJstein~
Gottorp, ainsi qu'a la délivrance de SUlldzoll.


La Suede ne continua la guerre contre la
Russie que pendant deux ans, et, dan s cet in-
terv~lle, elle fu t ravagée d' une maniere affreuse
dans son intérieur et sur ses cotes, jusqu'it ce
qu'elle conchit, le Ioseptembre, a Nystadt,
tlne paix plus désavantageuse qu'elle ne l'an-
rait été immédiatement apres la mort de Char-
les XII. La Livonie, l'Esthonie, l'Ingrie, une
partie de la Carélie et du fief de """ybonrg,


1 La. ville de Wismar ne fut cédée que ~;ous la conditioll
qu'elle ne serait plus fortifiée.




LIVl\F. 1, CHA.PITRE 11. 59
une partie de la Finlande, les Hes de Dagoe,
d'OEsel, de Moen furent cédées a la Russie 1
qui ne donna en échange que le faible reste
de la Carélie, et l'autre partie de la Finlande
paya deux milliolls d' écus 1 ,et abandonna le
duc de Holstein-Gottorp 2.


CHAPITRE 111.


1. Frédéric-Gnillaume ¡er. -H. Albéroni. - IIJ. Le Régent.
-IV. Élisabeth d'Espagne et Ripperda. - V. Le cardinal
FJeury. - VI. L'empereur Charles VI.


I. Ce n'est pas id le lieu d'examiner si une
graildeur factice peut etre avantageuse aux
sujets et a des États entiers; mais ce qui
De peut etre contesté, c'est que Frédéric ler,
Frédéric-GuilIaume et Frédéric 11 surent don-
ner cette grandeur factice a leur royaume. Le
premier, en prenant le titre de roi, fonda plu-
sieurs institutions que ses successeurs, malgré
leur économie, ne purent entierement anéan-


1 La Russie accorda d'exporter tons les ans des hlés jus-
qu'a la valeur de cinquante mille roubles sans qu'on payat la
douane.


2 Elle ne l'exprima pas positivement, mais elle dit qn'elle
renon~ait á toute intervention daos les affaires intérieures de
la SuMe.




60 HISTOIRE DU xv lile SIBCL1L
tir; le second organisa le trésor et l'armée, el
le troisieme en usa d'apres les circonstances.
Frédéric-Guillaume, étant parvenu au trolle,
réforma toutes les dispositions onéreuses et
mit sa maison sur un pied moins élevé que
celui de la maison d'un simple ci toyen. n avai tia
parfaite. conviction que l'État devait etre gou-
verné comme le ménage d'un particulier, tan-
tot dirigé par les soins d'un bon pere de fa-
mille, tantot par les ordres d'un maltre sévere.
Il prit eette maxime pour regle de son regne.
Comme ses sujets ne blamerent point eette
conduite, et qu'on ne s'éleva jamais contre
son gouvernement, on I'a souvent accusé de
cruauté et dedespotisnle l. En pere de famille
sévere et prévoyant, il s'attachait surtout a
mettre l'ordre dans les finan ces. Les revenus
de l'État consistaient, ou en domaines, ou' en
contributions indirectes, et on les adminis-
trait de maniere qu'il pouvait voir a tout in-
stant le produit net des recettes et des dépeil-


1 Frédéric ¡er, d'ailleurs indulgent, usa de la meme ma-
niere de son crédit domestique. Un de ses favoris, alchimiste,
5urnommé le comte Cajetano, l'avait tioll}pé; iI le fit pendre
sans grandes formalités dans un habit de papíer doré, a une
potence revétue égalemellt de papier doré. Un seul éprouva ce
50rt; mais qu'on lise dans Prellnitz t.lI, pago 98 et suiv., coro-
roent Frédéric-Gúillaume traitait la cour quand elle luí don-
nait quelque sujet de mécontentcment.




LIVRE 1, CHAPITRE 111 ...


ses. Il mit régulierement, presque tous les ans,
un milI ion d' éc~s en réserve ; mais il laissa cet
argent oisif,· paree que, nlalgré son économie,
il ignorait les spéculations mercantiles. Il était
tres-sévere pour le soldat et pour les affaires
d'intéret 1 ; du reste hon, malgré son caraetere
violent, et pieux jusqu'a I'exces.


Il él eva une capitale sur un terrain maréca-
geux, et organisa une excellente armée, aidé
des conseils du prince Léopold d' Anhalt, ¡'un
des meilleurs éleves du prince Eugene ; mais
la maniere dont il fonda ]a ville, lui fut re~
prochée comme la plus grande injustice, par
le digne prévot Rolof, pendant sa maladie, l'an-
née qui précéda_sa mort 2 • La discipline de I'ar-


1 On prétendait que Hesse, J'eceveur des douanes en
Prusse, avait dérobé quatre milleécus 'des cleniers (jI se trouva
ensuÍte qu'il était innocent); un tel délit demandait, d'apres
les Iois, quatre allnées de prison dans une forteresse. Le roi
donha le l'escrit suivant : " CeluÍ qui a volé dix écus doit ~tre
(( pendu, Hesse m'en a volé quatre mille, iI le mérite done a
"plus forte raison. »


2 Nous n'empruntons qu'une seule histoire authentique !t
Büsching, Beitrage zur Lebensgeschichte denkwürdiger Per-
sonen (Pieces relatifles au:e biographies des homme:r rema rq uables ),
Halle, 1783, t. ler, page 32 1, et suiv.


Le colonel Derschau et le bour'gtnestre Koch dirigent la
construction,ils désigrient les personnes qui doivent faire batir;
le rpi signe, et toutle monde est te~u a l' obéissante, ~ans obtenir
les moindres dédominage'rrients; voilit comme le ministre, M. de


. Marschal, s'exprime unjour nettement; le lenuemain il pnrait
une liste des }Jarents du ministre, et parmi eux son beau-frcJ'e;




6~ HISTOIRE DU XVlIle SIECLE.
mée, confiée a Léopold, prellait le caractt~re
cruel de son chef. L'enrólement était injuste et
jmlnoral;~on recherchait avec affectation des
hommes d'une taille extraordinaire. Cette pro-
digalité faisait un contraste f~appant ave e la
parcimo~ie du r~i 1.


Ce fut bien Frédéric-GuilIaume qui institua
le systeme de cantons, d'apres lequel chaque
régiment avait son cercle, qui lui fournissait
entemps de paix trente hommes, et cent en


huil membres de sa famille rec;urenl rordre de faire remplir
un grand et profond marais dan s la Friedrichsstrasse ( rue
de Frédéric), et d'y élever des batiments. TI y avait parmi
ces personnes M. de Nüssler, assesseur du tribunal, qui avait
rendu hien des services et qui n'avait pas 'encore d'appointe-
ments ; le riche chancelier de Ludwig, a Halle, en était le
beau-pere. M. de Nüssler ayant prié le colonel Derschau de
l' épargner, celui - ci lui offrit de décider le roi a obliger
son heau-frere de lui avancer l'argent. M. de Nüss}er s'.en dé-
felldit et adressa une requéte au rOÍ; qui luí répondit Iqu'il
avait a batir une maison a la place indiquée, sans faire les
moindres ~bjections, s'il ne voulait encourir la disgrace de
sa majesté royale. La maíllon COtIta douze mille écus, et n'en
valait pas deux mille. .


I C'est ce qu'on remarque surtout dan s la garde surnom·
mée la Parade de Potsdam, régiment qui se composait de
trois bataillons, dont chacun était de cinq cents hornmes,
deux bataillons étaient a Potsdam, le troisieme it Brande-
bourg. Six a huít cents hommes n'étaient point rangés. Le roi
donna une fois quarante-trois mille Borins pour quarante-trois
hommes de cette garde, et une autre foís cinq rnille pou~ un
seul. Ce m~rne homme se fit voir comme géant en France et
en Angleterre, et ne fut que dan:; le quatrieme rang apres le
chef oe file.




LIVRE 1, CHAPITRE 111. 63
tempsde guerre. Ce systeme, de mettre l'armée
au complet de soixante-douze mille homn1es,.
ne futdnstitué que l'an 1733, et .la taille des
hommes exigés par Frédéric - GuiUaume pour
les régiments en campagne, rendít l'enrole-
ment indispensable hors du pays l. L'activité
infatigable du roi, son érudition en théologie,
et le soin qu'il portaít a l'Église, aux intérets
ecclésiastiques et aux sermons, contrastaient
singulierement avec sa fa~on d'agir ordinaire,
avec le ton de sa société 2, qu'on appelait la
tabagie de Potsdaln, et avec les manieres peu


1 Tous les premiers rangs de l'armée prussienne devaient
étre composés d'hommes qui eussent quelques pouces au-dela
de six pieds. Il y avait plusieurs régiments qui. ne recevaient
que des hommE's de cinq pieds huit pouees. OIl a compté qu'un
homme decinq pieds dix pouees coutait a Frédéric-Guillaume
sept cents écus, un homme de six pieds, mi\le f ainsi en pro-
gression de chaque pouce. On a évalué que plus de douze mil-
lions sont passés a l'étranger, pe~dant son regne, pourpayer
les enrolements.


a Voltaire n'en avaitdéja pas fait un portrait trop avanta-
geux-; on aurait done bien pu se dispenser d'imprimer les me-
moires de sa filIe. C'était plutot son naturel que le manque
d'édncation qui lui donna le gout exclusif pour le militaire.


On lit dans Prellllitz, Mémoires pourse",ira l'histoiredes qua/re
derniers SOltvel'ains de la maisonde Brandehourg I 79 I, Berlin, t. Ier,
page ~ I8 : La reine, amie de Leihnitz, et de toute instruction
soignée, portait sa complaisance pour son fils jusqu'a assister
quelquefois aux exerciees qu'il faisait faire a ses cadets, mais
comme elle désirait heaucoup lui faire perdre le gout ex-
clusif qu'il montrait pour les armes, et luí en inspirer pour
la politesse et ponl' les leures, elle lui faisait lire en sa pré-
senee des livres propres a fonner l'esprit, etc.; mais le prinee




64 HISTOIRE DU XVIIle Sd:CLE.
gracieuses qu'il prenait, meme avec sa fenlme
et ses enfants.


Frédéric-Guillaume, devenu maitre de la Po-
méranie, se garita bien de s'engager dans une
guerre ~ il demeura l'ami constant de l' empe-
reur, ,tant par le profond respect qu'il l,ui
portait que par l'influence que' Seckendorf,
envoyé impérial a Berlin, avait toujours
conservée sur ce prince, en lui faisan t venir des
États · de l'-Empire des hommes d'une taille


. 'énorme I • 11 ne se servit de ses troupes con-
stamment exercées, qu'une seule fois, en


s'acquittait de tont cela d'une maniere a faire voir que ce qu'il
en faisait , était plutot par obéissance que par gotit.


( I Un journal,du temps nous fait voir combien on crai-
gnait peu de aire en public que le roi' se laissait facile-
ment gagner p.ar des hommes d~ne grande taille. Le duc de
Mecklenbourg s' était engagé dans uIle telle controverse
avec ses États et ses parents , que l'Empire fut obligé d'inter-
venir par les armes, d'e déférer le gouvernement .i1 Chrétien-
Louis, frere puiné du duc, et de faire entrer da~s le pays.
des troupes de Hanovre et de Prusse.


Les États jugerent a propos de demander des soldats a des
princes moins puissants, pour que l'occupation ne se changeat
pas en possession. Le Hanovre retira aussitot ses troupes , et
on dit de la Prusse, dan s le journal de Francfort de 1735 ,
"que lesÉtatset l'administration de l\'I.ecklenhourg avaient prié
" sa majesté deretirer ses troupes du pays, qu'autrement les
" troupes de Schwarzbourg, que son altesse l'administrateur et
IX les États avaient re~ues, ne p011rraient ni subsister ni etre
" bien payées. » Il est dit en m~me temps que l'administrateur
et les États firent présent au roi de Prusse de six heaux
hommes qui avaient couté bcaucoup (l'argent.




LIVRE 1, CHAPITRE lII. 65
1735, pres du Rhin, pour ne point donner
de subsides; car, comme État de I'E~pire, il
ne payait pas meme les mois romains a la guerre
de l'Empire l.


11. L' étrange caractere du roi d'Espagne le
rendít toujours dépendant des personnes qui
l'environnaient, et son tempérament l'attacha
tellement a ses épouses, qu'il en fut insépa ..
rabie, et qu'il partagea leurs penchants et
leurs passions. Sa derniere femme était gou-
vernée par la princesse des Ursins, qui dirigea
pendant des années entieres les affaires de l'Eu-
rope, par l'influence qu'elle avait sur le roi et
sur la reine. L'Espagne était alors le centre de
toutes les négociations 2. La princesse sut gar-
der son ascendant sur le faibleet mélanco-
lique monarque, apres la mort de sa premiere
femme 3 , qui s'était concilié l'amour de toute
la nation espagnole; et le bruit courait meme


J Lorsque son ministre lui rappela de payer lel mois ro ..
mains, il dit sechement qu'il n'avait pas d'argent.


!> Celui qui aime les anecdotes trouvera des notions sur la
vie domestique du roí d'Espagne dans les M émoires de N oailles,
les Mémoires de Saint-Simon, tome 11, page 140-170; Lou-
ville, t. 1 et II, enstiite avec les plus grands détails dans Coze
memoirs, et dans Lacretelle, Bistoire de France, ¿iz-hui/ieme
si~cle. Celui qui ne serait pas satisfait, pourra cOJI.Isulter les
quatre-vingt-dix premieres pages des .Mémo~fes de Ducws,


3 Elle mourut le 1 4 février 17 1 4. .
H. l. 5




66 H 1 S l' O IR E D U X V Jll e S d: e LE.
que, nlalgré l'age avancé de la princesse, Phi-
lippe V en ferait son épouse. Outre le ridi-
cule 1 et l'impossihilité de cette idée, elle con-
naissait trop le tempérament du roi pour y
songer. Elle lui cherchadonc une fernme qui
luí devraít a elle seule le honheur de' se voir
reine, et qui fut trop simple pour se'meler du
gouvel'pement. Mais pour cette fois l'ad~oite
fran«;a~e fut surpassée en ruse par Albéroni ,
pretre italien, qui ensuite parvint a jouer en
Espagne, pendant plusieurs années, le role que
la princesse des Ursins avaít rempli, et qui
mit toute l'Europe en feu 2.


I Son second mariage avait été conelu l'an 1675 ; on était
alor~ a l',année 1714.


2 Tous les FUllC$ais, comme Saint-Simon, Duelos, et méme
Voltaire, ne font <¡u'une caricature d'Albéroni, et ne le dé.
peignent que du cóté le plus défavorable. Coxe, dans la moitié
du second volume de ses mémoires, et Ortiz, dans le septieme
volume de son Bistoire d'Espagne, sont trop prévenus en sa
faveur. L'auteur des Lijes 01 tlze cardinal Alheroni, tlze duke
01 Ripperda and marquis 01 Pomhal, etc. , ne connait pas assez
l'histoire , mais il est cependant tres - utile ,puisqu'il a écrit
d'apres Coxe. Poggiali, Memorie istol'iclze di PiaceTtza , est une
des sources principales, mais suspecte. Les pieces qu' Albé-
roni publia lui-méme, d'abord a Genes, ensuite aRome, ca-
ractérisent le mieux sa vie publique. Les Harrington papera
suiv:ent le dédale des cabales du temps. .


Comme nous n'avions pas les pieces imprimées d' Albéroni a
notre disposilion, nous en ferons plus bas des remarques d'a-
pres le manuscrit de la hibliotheque de MONSIEUR, manuscrit
fran<;ais, Hist. nO 657 (de la bibliotheque de Lamartiniere),
soixante-seize pages in-folio, remplies des deux cotés. Le ca-




'LIVRE 1, eH A.PITRE 111. 67
Albéroni, avant de se lier avee la princesse ,


avait parcouru toutes les classes de la société;
tantot savant; tantot maitre-d'hotel ou cuisi-
nier, tantot négoeiateur ou interprete, tantot
bouffon, il avait été employé dans des affaires
importantes, et avait su se faire ainier sons
toutes les formes. C'était l'homme qui semblait
a laprineesse le plus propre a l'aider, dans le
ehoix d'une reine, et il la décida adroi!ement
pour la pripeesse de Parrne Élisabeth Farnese.


Laprincesse dés Ursins l'eeonnut enfin
qu'elle s'était trompée dans son ehóix. Elle
voulut empecher les fian<;ailles dans le mo-
ment meme qu'elles dévaient se eélébrer; il
n'en était plus temps. Elle fut bannie d'une
m~niere bien singulieré, sans doute a l'insti-
gatión de la eour de Frálite,· des la premi~'re
entrevue qu'elIe eut avee la reine, el avalit que
celle-ci eut vu son époux.


La nouvelle reine trouva d'ailleurs Albé-
"'1 d'E \ h 'd'f. rom a a cour spagne eomme'e arge a -


faires de son oncle le duc de Parme, dont
le ministre le marquis de Casali, ,a son ,dé-
part, lui avait confié le soin. Albéroni ué a
talogue de la bibliothéque ne nomme que la. piece la moins
importante; les lettres connues du' cardinal A lhéroni a 7l . car-
dinal Paulucci,. mais les 'pieces adjointes méritent bien plus
d'attention.


5.




68 HISTOIR.E DU xv lile SI:ECLE.
Pañne , envoyé en sa qualité, avait naturelle-
ment plus d'aeees que toutautrepresde la nou-
velle reine, qui 6.t son entrée a Madrid la veille
de N oel 1714; et il sut profiter de son erédit
sans reehereher d'abord~our lui.meme aueune
ehargeimportante. 11 voulait, avant tout, as-
snrer sa puissanee, et etre cardinal avant d' etre
ministre. Il se borna done long-temps a jouer
le role de eonfident du roí et de la reine. Gri-
maldi fut nommé seerétaire d'État, et le car-
dinal del Giudiee premier ministre. Albéroni
demeura modestejusqu'a ce qu'il eut mis l'An-
gleterre dans ses intérets, abusé la Franee, ga-
gné le pape par le seeours qu'illui preta eontre
les Turcs, et que le cardinal del Giudice lui
avait refusé auparavant; alors il jeta le mas-
que [. Son crédit s'accrut lorsque la reine ae-
coucha d'un prince a qui elle. désirait procu-
rer Un duché; la monarchie espagnole devant
etre l'héritage de ses deux beaux-fils, l'Italie


1 Pour Alhéroni, l'inventeur du drame , il en fut le héros,
et re~ut le prix de ses manreuvres consommées; sans entrer
d'ahord dans le minístere, íl jouít de la faveur entiere de la
reine, e' est-a-ilire de tout le pouvoir royal, et se fit bien venir
dans l'opinion publique, en la vengeant de ceux qui avaient
été les fléaux de la nation. Le nouveau meneur était trop
adroit pour caresser pers~)llne aux dépens du peuple épuisé ,
lorsqu'il se sentait au-dessus de taute cabale. Mémoires de Lou-
pille, tomo III, pago 176.




Ll VRE 1, ClIAPITRÉ 111. 69
seule pouvait lui offrir ce duché. L' oncle de la
reine et son frere Antoine ne pouvaient plus
compter sur des héritiers males, on pouvait
done négocier l'acquisition de Parme et de
Plaisance.


Ces duchés parurent trop peu importants a
Elisabeth. Le projet était trop simple' pour AI-
béroni, qui avait l'idée de réformer l'Espagne
et de changer la fa ce de l'Europe l. Il essaya
de gagner l' Angleterre pour un plan plus vaste,
par un traité de cornmerce, et en refusant de
reconnaitre le Prétendaht. Georges Ier, effrayé
par une descente de ce prince, et par l' expé-
rience qu'il venait de faire que le partí des
Stuarts était toujours grand enAngleterre, pré-
féra l'alliance de la Hollande et de la France a
ceHe qu'Albéroni lui proposait, puisqu'elle lui


1 Duelos, ¡J;lémo¡res secrets su/' les regnes de Louis XIV el de
Louis XV, tomo Ier; Buisson 1791, pago 339. Le plan d'AI-
béroni était, disait-il : .


1° De sauver l'honneur gu roi d'Espagne. - 2° De maÍn-
tenir le repos de I'Italie. - 3° D'assurer aux fils de la reine
d'Espagne les succesiions de Toscane et de Partne, et d'oh-
ten ir pour le roí d'Espagne Naples, la Sicile et .les ports de
Toscane.-4° De diviser l'État de Mantoue, en donnant la ville
et une partie du territoíre aux V énitiens , l'autre partie au duc
de Guastalla. - :, ° Le Milanais entier et le l\lontferrat a l'Em-
pereur. - 6° La Sardaigne 311 roí Victor, pour le dédommager
de la Sicile.-7° De restitu'er le Commachio an pape. - 8Q De
partager les Pays-Bas catholiques entre la France et la Hol-
lande. -




70 HISTOIRE DU XVlIle SIECLE.
assurait la eouronne d'Angleterre, et donnaít
a la Franee la régence de l'Espagne. Aussitot
apres I il fut eonelu entre la Franee et l'Angle-
terre, a La Baye, u~e allianee qu' on nomma la
triple alliance, lorsque les Pays-Bas eurent ac-
eédé a ce traité le 4 janvier 17172. Dne des
condition~ était de d~eider le due de Savoie,
ou, a l' extrén~.ité, d~ le foreer a donner la
Sid1.e a l' emp~reur en éehaQge de la Sardaigne.
Cette. condition. dut offenser le due de Sa-


, ) ¡,. , . . .


voie, et Albéroni.vit clairement que la Franee
et les puissápees .lTlaritimes ne s'intéresseraient
point al~. plan qu'il méditait contre Charles VI.
n gag.p.a done le duq d~ Savoie par la promesse
dehú .Géder un~ par;tie du Milanais, qu'il íallait
d' abor~:l.. pren~re ,a l',empereur.


L'Espagne n'avait jamais faít de traité avee
Charles; Albéroni COlnmen<;a de suite contl'e


1 Au mois de juillet.
2 Les époques sontprises dans Flassan., Histoire de la dí-


plomatie franfaise, deuxiem~ édit., tomo IV, pago 430, OU il
faut lire les détails.- Coxe, tomo II, a la fin du chapo 24, qui
avait sous les yeux Íes papiers de légation des Anglais, indique
ainsi les époques: Au mois de janvier l' Angleterre contracta
la premiere alliance avec la France; au mois de février elle
renouvela le traiié avec les Pays-Bas; au mois de mai elle Jit
un traité défensif et óffensifavec l'empereur, sous la clause
extraordinaire qu'ils se garantissaient les possessious futures,
qu'ils acquerraient d'un consentement mutuel. Flassan, t. IV,
pago 4 44, dit: .. Le TraiÚ de la triple A llianee fut en général
.. désapprouvé du publico •




LIVRE 1, CHAPITRE IIl. 71'
lui les hostilités auxquelles il s'était préparé
des long-temps. 11 prouva alors par le faít, a
l'étonnement de tout le monde, que I'Espagne
était en état de mettre sur pied Une force ¡m-
posante. Il équipa une armée et une fIotte con-
sidérables, et l'arrestation du grand inquisiteur
lors de son passage par Milan , lui fournit le pré-
texte de faire une ."descente en Sardaigne. La
conquete de ce pays fut tres-rapide. Albéroni
se fIatta de l'espoir d'occuper NapIes aussi
promptement, puisque le duc de Savoié s?en-
tendait en secret avec lui, ne faisait point de
grands préparatifs pour la défense de l'He, et
que les Napolitains étaient fatigués du joug
des Autrichiens.- Une nouvelle expédition était
partie pour la Sicilé; Palerme'et d'autres places
étaient prises lorsque les Anglais, sans ,avoir-
déclaré la guerre, détruisirent la fIotte pres de
Messine, et déjouerent ainsi l'attaque sur Na-
pIes.


Ces révers irriterent beaucoup le cardinal
contre l'Angleterre, mais n'empecherenfrii.la
reine Élisabeth ni Albéroni de former des pro ..
jets extraordinaires et sans fin l. Une rio},lvelle


I Coxe, qui cherche partoutailleurs a justiñer Albéroni, et
qui cite en entier toutes 'les cabales, les négociations, les dis-
cours diplomatiques et al,tificieux de ce témps, doit etre rec-
tifié d'(apres les Mémoires de Louville ,dans la missioD remar-




T.A HISTOIRE DU XVlIle SlECLE.
fIqtte devait porter le Prétendant en Angle-
terre, et un parti considérable en France,
attaché a l'Espagne, devait conspirer ponr
éloigner le Régent du gouvernement, qUl de-
venait alors nécessairement le partage de Phi-
lippe, par la médiation d'un agent de la cour
de Madrid.


Charles XII et Pierre Ier étaient en négocia-
tions de paix dans rIle d'Aland, et ils venaient


" de signer les préliminaires. Ils devaient en-
suite tons les denx, joints a l'Espagne, faire
une descente dans les Iles Britanniqnes et en
chasser Georges, pendant que I'Espagne pour-
suivraitla guerre en Italie I • Cesprojets échoue-
rent, ou lous a ~a fois, on séparément. Les
puissances qui avaient condu la triple alliance
obtinrent d'abord, le 21 juin 1718, la paix
quable de ce dernier a Madrid. On y trouve l'instruction
d' Albéroni et d'autres actes; iI devait renverser Albérolli : ce-
lui-ci ne rendít donc par la suite que la pareille au Régent.


Flassan, tomo IV, p. 467, en rapportant les détails d'une
seconde cabale, dit ensuite, page 469 : ex L'instruction en-
ex voyée au duc de Saint-Aignan, ambassadeur fr,an«;ais a Ma-
e drid, devait avoir été rédigée par le marquis de Louville,
.. a qui un long séjour en Espagne, au sein de toutes les in-
.. trigues de la cour de Philippe V, avait appris l'art de perdre
" les hommes en place, les uns par les autres. Ce qui peut
.. excuser le Régent, c'est que le cardinal Albéroni lui rendait "1
ex bien la pareille par le prince de Cellamare. »


On voít bien ,qu'il faut plutot admettre le contraire.
I San Philippe t MémQire3, tom. III, page 357.




LI"VRE 1, CHAPITRE 111. 73
honorable de Passarowitz, entre les Tures et
l'empereur. Celui-ci aeeéda le 2 aout a l'al-
lianee 1, qu' on appela depuis la quadruple al ..
lianee en eamptant sur l'assoeiation des Pays-
Bas, qui ne s'effeetua eependant qu'au mois
de février de l'année suivante. Le due de Sa-
voie se vit obligé de se soumettre aux condi-
tians preserites, pour ne pas perdre la Sieile
sans dédommagements. Une des eonditions
qu'on lui imposa, fnt de d<:>nner la Sieile a
l'empereur en éehange de la Sardaigne. Il ae-
eéda au traité le 8 novembre 1718. L' espair
qu'on avait mis en Pierre Ier et en Charles XII,
s' évanouit a la mort de ee dernier, et lors de
l' exéeution de Grerz. Il en fut de meme de la
derniere espéranee qu' on avait con~ue de ren-
verser, a l'aide des méeontents de Franee, le
Régent ~t le sysÍ(~me de ee royaume 2 ; l'impru-
denee du prinee de Cellamare3 , qui dirigeait


1 Stanhope et Dubois signerent les articles préliminaires a
Paris ,le 1 S juillet; ils allerent ensuite ensemble a Londres, OU
ils signerent le traité, le :& aout, eux, et le haron de Penten-
rieder, pour l' empereur.


2 Les enfants naturels de Louis XIV, le cardinal de Poli-
gnac, les pre~ieres personnes de l'État en France, savaient
que le Régent devait étre arrété la veille de Noel, et conduit
en Espagne. .


3 Le meilleur portrait de lui se trouve dans les Mémoires du
maréchal duc de Richelieu, que Flassan, tomo IV, page 475 , a
compilés •.





74 HISTOIRE DU xv lile SLECLE.
toutes les affaires eomme ambassadeur d'Es-
pagne a Paris 1, la trahison d'un certain Buvat,
qui était aux gages du cardinal Dubois 2 et l'ar-
restation de l'abbé Porto-Carrero pres de Poi-
tiers 3, en furent la véritable cause.


Les deux pieces contre l'ambassadeur d'Es~
pagne tomberent par l'arrestation de Porto-
Carrero dans les mains du ministere anglais.
Il fut arre té , et les deux eours, alHées par le
sang, se déclarerentformellement la guerre en'!'
viron un mois apres la mort de Gharles XIL


L'empereur et I'Angleterre venaie~t de pu-
blier le manifeste de guerre, au mois de dé-
cembre ] 718, la Franee ne le publia qu'au
nlois de janvier 1-719' ,


Le lnaré~hal: de Villars refusa le eomman-


1 Le prince de Cellamare était un proche parent du cardina I
del Giudice, et jadis meme ministre au cabinet de Madrid.


2 Le roi Georges en donna la nouvelle au Régent, et au car-
dinal Dubois, son ministre et son confident; l'imprudent Cella- ~
mare employa d'ail~eurs ún grandnombre de copistes qn'il ne
conllaissait pas assez , entre autres Buvat, un des espions de
Dubois, qui continua de travailler jusqu'a ce qu'illui cut ap-
pris qu'il avait copié le plan de tonte l'entreprise en cinquallte
chapitres, et que le neveu de l' ambassadeur don. V incen te
Porto",Carrero porterait cette·copie a Madrid~


:> On peut lire cette hístoire da"ns Voltaire, Siecle dI! Louis X P,
dans Lacretelle et Duelos, l'rl émoÉres secrets, tome 1, pag. 41 1
et suiv., mais, d'apres ce que nous avons dit plushaut,. iI faut
réduire leurs anecdotes a. lenr juste valeur. Lacretelle, dans.-
une note, tome 1, page 237, a indiqué la meme chose.




LIVRE 1, CHAPITRE lIT.


dement de farmée destinée contre l'Espagne;
mais le marécha~ de Berwick, malgré son titre
de grand. d'Espagne, se mit sans hésiter a la tete
des troupes l. Il serait injuste de ne pas recon-
naitre ici le talent d'Alhéroni, qui, seul, avait
mis l'Espagne en état d'organiser une puissance
respectable sur mer et sur terre \ et de sou..:
tenir une année entiere la lutte contre les plus
grands États de l'Europe, sans SUCct~s il est
vrai, mais avec peu de pertes.


Pour gagner la reine d' Angleterre, on offrit
encore dans ce moment allX Espagnols, les
memes avantages qu'on leur avait proposé,sau":
paravant pour les amener a la quadruple al-
lianee. Ces avantages étaient l'investiture éven-
tuelle :impériale. de Farme., de· Plaisance et de
Toscane 3, et la déshérence de ces duchés a un


J On prétend que le manifeste de la guerre fut rédigé par
Fontenelle.


2 Une flotte considérable et une armée de terre avaient été
équipées et armées contre la Sicile; la premiere fut presque
entierement détruite par les Anglais; les troupes de terre hat-
taient les Impériaux, hie,Q qu'ils fussent en plus grand n.ombre,
Le roi devait conduire ]ui-m~me une autre armée contre les
Fran~ais. Au mois de m~rs 1719 on envoya encore une .fIotte
nomhreuse, six mille soldats de terre, des armes pour trente
mille hommes, sous .les ordres du duc d'Qrmond, en Écosse,
pour y conduire le Prétendant.


3 La Tosca~e, comme fief de l'Empire, devait retomber. a
l'Emp~~e, vu que le dernier duc d~ la famille des Médicis était
mort sans laisser d'héritiers.




76 rIlSTOIRE DU .XVIlle Sd:CLE.
des fils d'Élisabeth et de Philippe. TOU5- ces
États s'accordaient sur ce point, qu'il n'y avait
pas de paix a espérer, tant qu'Albéroni serait
au timon des affaires.


Les deux puissances principales, la France
et l'Angleterre,ou plutot leRégent, le duc d'Or-
léans et Georges Ier, avaient été offensés per-
sonnellementpar Albéroni; elles voulurent s' en
venger. Ces deux États ne crurentpas manquer
a leur dignité en convenant entre eux, qn'ils
n' entendraienta aucnne conditiondepaixavant
l'éloignement d'Albéroni I~ ils allerent meme
jusqu'él se servir du crédit de la nourrice de
la reine, qui était alors sa premiere femme de
chambre , et de ceHe du due de Parme 2, pour
décider le -roi Philippe V a renvoyer le cardi-
nal sans délai.


Ce ·ne fut pas dans un billet, comme les
Fran~ais le disent, mais dans un décret for-
mel,' présenté él Alhéroni par le marquis de
Tolosa secrétaire d'État 3, qu' on lui signifia,


1 C'était un article formel de la convention de La Haye du
10 novembre 1719.


2 Selon Coxe, Daubenton, le confesseur du roi, les deux
abbés de Sicile PJatania et Carracioli, les dames Astafeta,
Laura Piscatori et Scotti, le député du duc de Parme, y
coopérerent; cependant Ripperda, qui espérait d'obtenir la
place d' Albéroni , y contribua aussi par ses écrits.


3 San Philippe, tome III, page 4:A,,; Duelos, Tolume II ,
page 61-63, n'a rapporté que des erreul's.


> •




LIVRE 1, CHAPITRE 111. 77
le 5 décembre 1719 au matin, de quitter l\tIa-
drid sous huit jours, et l'Espagne sous trois
semaines, apres avoir travaillé la veille au soir
avec le roi, a des affaires d'État l.


Philippe accéda des le 25 janvier a la qua-
druple alliance; la France suspendit toute hos-
tilité, et, le 17 février, un nouveau traité fut
conelu a La Haye. L'empereur seul eut d'a-
bord de la peine a se décider pour la paix et
meme pour l'investiture du prince d'Espagne.
Il accorda bien enfin l'acte de l'ínvestiture au


1 Le cardinal Polignac le fréquenta ensnite aRome et lni
rendit meme des services signalés. Faucher, Histoire du car-
dinal de Polignac, tome n, p. :l 1 5, et sniv., donne des notions
tres· intéressante'i sur Albéroni. Coxe, Memoirs, tomo II,
chapo xxx, a la fin, dépeint ses mérites (qu'il éleve beau-
conp trop) et ses dernieres 9.ventures. On est dans une grande
erreur lorsqu'on croit qu'il avait emporté le testament de
Charles II; il dit lni.méme, fol. 44, recto du manuscrit, qu' on
«l'avait arre té a une lieue de Barcelonne l)our chercher, par
ordre de Sa Majesté, certain écrit ayant rapport au testament
que elle fit pendant sa dangereuse maladie, qne je remis avarit
mon départ au pere Daubenton, hien fermé et bien cacheté.
M.le marquis de Grimaldi me fit demander cet écrit, sons le
nom de codicille, par un conrrier qui me tronva a Saragosse;
j'avoue qu'nne pareille demande me surprit, et je renvoyai le
courrier avec la réponse que, non-seulement je n'avais point
de codicille, mais qu'il était entre les mains du roi. On me
dépecha a Lérida un autre courrier qui me dit que si l' OIl
m'avaitlltparlé de codicille, c'était une pure question de nom,
et qa'on me demandait un certain papier écrit de la maín du
roi apres son retour de l' Escurial a Madrid, etc. lO Albéroni
donne d'nne maniere tres-exacte et positive les notions de ce
qu'il a fait en Espagne; nous y reviendrons plus tardo




78 IIISTOIUE DU XVJIfe SI:ECLE.
llouveau con gres de Cambrai, mais il voulut
toujours rester gralld-maitre de la toison-d'or,
porter le titre de roi d'Espagne, et demanda
que les cortes espagnoles ratifiassent la renon-
ciation de Philippe V, aux anciennes posses-
siol1s d'Espagne l. L'empereur et I'Espagne de-
meurerent donc toujours sur un pied hostile.


III. On voit rarement des hommes nés avec
plus de talents que Philippe d'Orléans; mais on
en voit encore moins qui réunissent comme luí
a tant de bonnes qualités un si grand lnépris
des hommes, et une immoralité aussi profonde.
Il faut chercher les causes principales de sa dé-·
pravation précoce dans les principes honteux
que lui avait inculqués son gouverneur, l'in-
fame Dubois, dep~is nommé cardinal a la honte
de l'Église catholique. Plus les réglements
de la cour de Louis XIV avaient été rigoureux,
plus n1~dame de Maintenon avait été sévere,
plus la dévotion de l'ancienne cour avait été
affectée, plus l'influence des nouveaux prin-
cipes fut fatale a la cour et a la haute noblesse.
La légereté, le mépris de tout sentiment hon-
nete, que le Régent et ses amis manifesaient,
]a vie dissoluc qu'ils menaient, el le précepte ,
qu'il faIlait etre Jibertin pour etre utile et pour


1 Flassan, Histoil'e de la diplo1natie franc¡aise, t. V, pago 17,




LtVRE 1, CHAPITRE llI. 79
avoir de l'esprit, qu'ils donnaient et approu-
vaient publiquement, furent d'autant plus per-
nicieux, que le désordre dans les finan ces , la
prodigalité inoule d'une cour débauchée et de
tous ceux qui cherchaient a s'enrichir a ses dé-
pens, l'exeInption d'impots de classes entieres
de citoyens, écrasaient le reste du peuple.


Des le regne de Louis XIV les dettes et les
exactions étaient si grandes, que le ministre
des finances, l'habile Desmarets, a qui on im-
puta la faute de ce qu'il n'y avait pas d'argent,
prouva, en rendant compte de son adminis-
tration, qu'a. la mort de Louis XIV} arrivée le
1 er septembre 1715, tous les revenus étaient
déja assignés d'avance jusqu'en 1717; que la
masse des dettes était aussi grande que l'année
de la guerre OU elle était montée au plus haut
degré. Le Régent, au líeu de songer a l'éco-
nomie ou a la convocation des États, négligée
depuis 1714, aima mieux, pour sortir d' em-
barras, recourir el une mesure indigne de lui l.


1 On trouve rassemblé dans la Pie privée de Louis X P ,
Londres 1781, tout au commencement du premier volume,
tout ce qu'il y a de plus scandaleux; mais, ce qui est bien
plus important, ce sont les pieces justi6catives de ce temps,
qui ~se trouvent jointes au premier volume de m~me qu'aux
trois autres. On trouve l' essentiel la - dessus dans Lacretelle,
vol. Ier, page 133 et suiv. Nous remarquons seulement, pour
expliquer ce texte, que. ce fut le duc de Saint-Simpn qui pro-




80 HISTOIRE DU XVIIle SIECLE.
Il oeeasionna , ou au moins iI toléra long-temps
une duperie formelle de tous ses sujets, par la-
q~elle les fripons se virent enriehis et les hon-
netes gens ruinés.


Un banquier d'Éeosse, nornrné Law, fut
ehoisi pour mettre ordre a l'embarras péeu-
niaire de la Franee par les memes moyens
qu'Albéroni avait ernployés préeédernment
pour rernédier au déficit de I'Espagne. Les
premieres dérnarehes furent raisonnables , car
une banque bien établie aurait facilité les opé-
rations finaneieres du gouvernement, et Law
entendait assurénlent mieux le systeme de la
banque que tout autre homme en Franee et
peut-etre merne en Enrope l. On adopta en-


""-
posa l~ banqueroute ; que la dette comprenait trois milliards,
cinq cent soixante-dix-huit millions de notre monnaie d'au-
jourd'hui., et qu'on en paya cinq cents millions par le visa tlt
les billets d'État par lesquels tout le monde perdít un, deux,
trois et quatre cinquiemes du capital.


x Il est dit, a cet égard, dans les 1Jfémoires du maréchal duc
de Ric/zelie.u, tome II, page 95, que le duc régent avait chargé
Noailles d'examiner le plan de Law. NoailJes assembla le pré-
vot des marchands, d' Argenson, Amelot, Le Blane, et pIu-
sieurs banquiers qui ne furent pas tres-favorables au sys-
teme. Law se retourna, et proposa l'établissement d'une
banque, composée d'nne compagnie, qui ferait un fonds de
six miliions. Cet étabIissement pouvait étre utile au commeree.
Il termine ainsi le chapitre IV, page 96: u Noailles et Rouil-
« lere purgerent les plans de l'aventurier de tout ce qu'il y
" avait de téméraire et d'injuste, pour ne laisser que de siro ...
« pIes moyens de faciliter le coromerce. "




LIVRE 1, CHAPITRI~ UL 81
suite ce nouveau systeme dans l'administra-
tion financiere du royaume, par un édit qui
constitua la banque de MM. Law et compa- .
gnie, banque générale de toute la France. L'é-
dit portait « que cette banque procurait l'a-
(( vantage d'échanger l'argent a grands intérets
c( contre du papier, qn'oH pouvait le réaliser en
« especes a tout moment contre la SOlnme qni
« s'y trouvait énoncée.» L'année suivante (1717)
une compagnie des Indes occidentales fut réu-
nie a cette banque son s la direction de Law;
on la nomma compagnie du Mississipi, parce
que le Régent luí donna, au nom du roi, des
terres immenses le long de ce fleuve, et qu'on
répandait partout le bruit que son commerce
rapportait des intérets énormes. Tout le monde
s'empressait d'acheter les actions de cette COIll-
pagnie, et les billets de banque de Law, d'au-
tant plus qu'on acceptait pour leur valeur in-
trinseque les papiers de l'état qui perdaient
.alors 50 et 60 pour cent. Dans l~ moment ou
les richesses augmentaient en apparence par
la grande quantité de ce papier - mOIlnaie qui
circulait, on fit, malgré tout~s les représenta-
tions du gouvernernent, des changements de
monnaies qui firent varier la valenr de ¡'ar-
gent tant aneien que nouveau, et qui favorise-


H. I. 6




th HISTOIRE D.o XVlIle SI.ECLE.
rent le eours du papier. La banque de Law
devint enfin une banque royale. Une folie suÍ-
vit l'autre, l'intéret porta les eitoyens a ~iaeer
tout ieur argent eomptant dans eette maison.
Les paiements en especes au-dessus d'une
sornrne fixée furent interdits 1 : enfin, au
mois de février 1720, il fut défendu, sous des
peines séveres, d'avoir plus ele einq eents
franes éeus chez soi.


Une telle mesure devait convaincre tont
homme possédant la moindre idée de com-
merce, que l'état avait établi une banque 8i-
lllulée, dont le créateur fondait sa riehesse sur
la banqueroute générale. lUais les Fran<;ais en
furent les dupes et poursuivirent long-temps
ee commerce de papiers. 'L' esprit de vertige


I Duelos, Mémoires, vol. Ill, page 93, est ici surement le
meilleur garanto Les profllsions du Régent, dit-il, charmaient
la cour et ruinaient la nation. Les grands payerent leurs dettes
avec du papier, ce qui n'était qu'une banqueroute légale. Ce
gui étaít le fruit du travail et de l'industrie de tout un peuplf',
fut la proie du courtisan oisif et avide. Le papier perdit biell-
tot toute faveur par sa surabondance seule. On chercha 11 le
réaliser en especes; au défaut de matieres monnoyées, on
achetait 11 quelque prix que ce fUt les ouvrages d'orfévrerie,
de meubles , et généralement tout ce qui pouvait conserver
une valeur réelle, apres la chute des papiers; chacun ayant le
meme empressement, tout devint d'une c,herté incroyable, et
la rareté des especes les faisait resserrer de plus en plus. Le
gouvernement, voyant l'ivresse dissipée et qu'il n'y avait plus
moyen de séduire, usa de violeuce; ror, l'argent, les pierre-
ries, furent défendus, etc.




LIvn .... : 1, CHAPITRE II!. 83
avait atteint son plus hant degré, lorsqu'a
la compagnie du l\;Iississipi on joignit ceHes
de la traite des negres, du Sénégal, de la
Chine et des Indes orientales, le n10no-
pole du tabac, et meme celui des douanes;
qu'on promit quarante pour cent d'intérets et
qu'on fit Law controlenr général. Il ne fallut
que deux moÍs pour conduire ce systeme ab-
snrde de la plus haute fortune a sa chute,
et pour changer généralement la position
domestique de tout honlme d'une aisance
médiocre l. Aussit6t que le systeme se mani-
festa dans sa nullité, Law en porta seul pu-
bliquement toute la faute:J, quoique tout le
monde sut bien que le Régent, Dubois, la
cour et les grands avaient .amassé et pro-
digué pendant trois ans des trésors immenses.
Il fut 9b1igé de céder, en décembre 1720, au
parlement qui l'avait toujours poursuivi ; et il


IOn peut de meme ajouter foi a ce que Duelos, tome III,
page 95, dit la·dessus: " On n'entendait parler a la fois que
d'honn~tes familles ruinées, de miseres secretes, de fortunes
odieuses, de nouveaux riches étonnés et indignes de l' ~tre, de
grands méprisables , de plaisirs insensés, de luxe scandaleux ••


;¡ Au mois de mars on défendit absolument d'avoir chez soi
de l'argent ou de I'or monnoyé, ou de lui donner cours.
Le 2 1 mai on baissa tous ces papiers, les actions de banque
et de compagnie de la moitié de leur valeur; ainsi tout crédit
rut anéanti. C'est en vain qu'on révoqua-ensuite l'édit et qu'on
cherrha a relever la banque par des moyens factices.


6.




)


84 HISTOIRE DU XVIlle Sd~CLE.
lui fallut meme abandonner ses richesses -par-
ticulieres 1.


Si les affaires extérieures étaient mieux ad-
rninistrées que les finances, il est a remarquer
qJlecen'était pasl'ouvrage dUlninistre. Dubois,
qui dirigea en partie les affaires de l'Europe, se
vendit au roi Georges 1 er, pour une pension
de 900,000 livres. La religion profanée par les
discours et les rnreurs de la cour et du clergé ,
devint odieuse et méprisable au peuple qui vit
commentondisposaitdesbénéfices et des char-
ges ecclésiastiques. Il ne faut done pas s'éton-
ner de la voir des-Iors plus que jamais servir
de but aux railleurs, qui se multiplierent de
jour en jour. On pouvait croire que les biens
de l'Église étaient destiné s a récompenser le
vice, l'irnmoralité et la bassesse.


Duhois, lihertin, séducteur, entremetteur,
compagnon d' orgies, rninistre inique du Ré-
gent, ayant déja sept ahbayes, voulut s'assu-


1 Law avait quatorze comtés; les commissaires nommés
pour l'enquete rencontrerent de grandes difficultés; les hon-
netés gens perdirent Ieur argent, lit les fripons furent quittes
pour une punition légere. Duelos, Mémoil'cs, tomo II, p. 134 ,
dit: Cl Le rappel du parlement (de son exil ridicule a Pon-
e toise) décidait l'expulsion de Law, qui partit prudemment
.. deux jours avant la rentrée, dans une chaise aux armes de
• lVI. le duc, accompagnée de quelquesvalets a la livrée de ce
• prince, qui senaient d'une espece de sauvegarde, et a tout
« événement muni de passe-ports du Régent. a




L 1 V R t: 1, e H A P 1 T R E 1 1 1. 85
rer un rmnrart ecclésiastique contre tont chan-
gement futur et fixer ses revenus a douze mil-
lions de livres; iI demanda, avec une arroga n ce
qni étonna le Régent lui-melneI , l'archeveché
de Cambrai; il lui fut accordé; et, ne se trou-
vant pas encore satisfait, iI sollicita et obtint
du pape la dignité de cardinal. Toute I'Europe
apprit avec indignation qu'un athée avéré, qui
faisait parade d'athéisme dans ses discours et
dans sa conauite, fut investí d'une des pre-
mi eres dignités de l'Église~. Mais la politique
paraissait le demander et elle l'emporta.


1 Duelos, tome II, page 79, lui met l'apostropbe suivante
dans la bouche. "Toi, archeveque de Cambrai? toi! e'est ac-
tuellementque tu reves! • -11 insiste davantage. Le Régent, en-
nuyé de la liste et fatigué de la persécution, espéra s'en défaire
en lui disant : " Mais tu es un sacre ..... ! et quel est l'autre
sacre •.. .? qui voudra te sacrer ? ... D Il a tout prévu .... " Votre
premier aumónier, monseigneur l'évéque de Nantes, iI est
d ans votre antichambre. D


2 11 est dit dan s les Pltilippiques, chant V, stance JI ( du
reste lilleHe infame et misérahle ) ;


Soleil! dissipe ce fantome "
Qui parait dans un si grand jour ;
A ton départ c'est un at6me.
C'cst un colosse a ton retour.
Rome, que veux-tu que je croie,
De voir que ta pourpre est la proie
De cet infame scélérat,
Par qui l' obscurité de Brive ...
Pour rendre la Gaule captive,
Acheve le triumvirat.


;. La grandeur de Dubois.
u Lieu de sa naissance.




86 HISTOIRE IUI XVIIlC SIECLE.
Tels furent l'aveuglement de ce temps et


l'influence des opinions du jour, que tous ces
désordres, qui amenerent une révolution COlll-
plete dans les rapports extérieurs, changerent
les mreurs et les principes des classes élevées
de l'Europe qui vinrent puiser presque ex-
clusivement a Paris la regle de Ieur conduite,
ne fixerent pas plus l'attention générale,
que ces événements ordinaires, auxquels
nous n'attachons aujourd'hui aucune impor-
tance.


Quel bien aurait pu faire une puissance mé-
diatrice entre le gouvernement et le peuple!
Le parlement avait annulé le testament de
Louis XIV et accordé un pouvoir iIlimité a
Philippe; mais ce qui occupa bien plus sé-
rieusement l'esprit et l'attention des Fran-
c;ais, ce fut la rescision de l' ordonnance de
Louis XIV qui donnait a ses fils naturels les
droits de princes du sango Les dissensions avec
le parlement, les querelles de l'Église, la dis-
pute des partisans serviles du pape et des jan-
sénistes durerent d'ailleurs pendant toute la
régence.


IV. Les faiblesses de Philippe V , son carac-
tere et son tempérament, le rendirent, tout-a-
fait incapable de régner, et son épouse, aidée




L 1 V 1l El, e H A P 1 T R E II I.


de Grimaldo l., He put supporter le fardeau
du gouvernement qui retompa sur elle apres
la mort d'Albéroni. Le caractere bizarre de
Philippe , sa folie concentrée et extérieure-
ment raisollnable, empecherent la reine de l'a-
balldonner a lui-meme~. Ripperda en profita
pour marcher sur les traces d' Albéroni ; il of.
frit d'exécuter ce que la reine avait projeté.


Ripperda était d'une bonne famille des Pays-
Bas; ce ne furent done ni son origine ni sa vie
privée, Inais ses vastes projets, qui lui rnérite-
rent le titre d'aventurier, qu'on avait si juste-
ment donné a Albéroni. Issu d'une ancienne
maison de Grreningue, il avait servi cornrne co-
lonel dans l'arrnée des Pays-Bas; il fut nornmé,
en 1715, ambassadeur des États en Espagne. Il
s'y lia avec Albéroni 3, les jésuites et la reine, et


J Il ne prit que plus tard le nom de Grimaldi.
~ Nous avons marqué plus hant, ou se trouvent les anecdotes


de la vie privée de Philippe V; comme ce ne sont pour la
plupart que des choses de curiosité et non d'instruction, 110\15
les paisons avec raison sous silence.


3 Albéroni, dans la lettre écrite a M. le marquis N. N. ,
fol. 61 1 verso du mannscrit cité, en fait mentíon, lorsqu'il
parle des peines qu'il s'est données ponr les manufactures et
les fabriques d'Espagne (il faut cemarquer qll' Albéroni ré-
pandait cet écrit l'an 1721).


Le cardinal, dit-il, s'attachant saos délai a l'économie, in-
troduisit les manufactures en Espagne. 11 ut a cet effet élever,
avec une dépense et des travaux immenses, le? eaux de la
riviere de Heuares, et établit a Gllada11.xara l' .' f~l'<r:"!' vrai-




88 IiISTOIRE DU XVllIC Sd:c"LF.
croyantpouvoirjoueren Espagne un plus grand
role que dans sa république il quitta le ser vice
deson pays, changea dere1igion aumoisdejuin
1718, et chercha une place a la cour de Madrid.


Tant qu' Albéroni tint le gouvernail des
affaires, H.ipperda, malgré son influence sur
le cabinet et sur la reine, qu'il employait
quelquefois pour obtenir de l'argent des
ministres anglais, ne put guere parvenir.
Soutenu par la cour, iI établit cependant aux


ment ro]ale de draps tres-Rns, apres avoir fait venir en une
seule fois de Hollande cinq cents familles qui débarquerent a
Bilbao avec tous leurs meubles, ustensiles et outils nécessaires.


Parmi ces familles presque toutes protestantes trois seulement
étaient encore restées fideles a Ieur religion lorsque le cardinal
quittal'Espagne.ll tira des hopitaux de Madrid un grand nombre
dejeunes gar~ons quiactuellementsesont rendus habiles enl'art
de filer. Il appela.d'Angleterre de bous teinturiers, peuplant
ainsi, avec les nouveau-venús, la vaste solitude de l'Espagne


. et retenant l'argent dan s l'intér.ieur du royaume, tandisqu'au-
paravant, tout compte fait, l'Espagne, par la vente des Iaines,
ne retirait pas des étrangers le quart de ce qu'il luí en cou-
tait en achetant ensuite les draps dont elle avait besoin. 4-u~
jourd'hui les troupes du roi sont habillées de draps fabriqués
en Espagne, quand peu d'années auparavant on les achetait
dans d'autres pays. Par I'entreprise du baron de Ripperda,
ambassadeur de Hollande it Madrid, homme de qualité, tres-
ami du cardinal (amitié qui eut toute la part a la conversion
du baron a la religion eatholique ), iI introduisit a Madrid
des fabriques de linge de table et d'autres toiles de Hollande,
d' ou il avait tiré, 'h eette occasion, des ouvriers, ayant fait
instruire quatre cents religieux espagnols dans la maniere de
filer avec la m~me perfection qu'en HoIlande. Ce fut par son
moyen qu'on établit pres de Madrid une fabrique de cristaux ~
dont iI fit expédier un ample privilége a don Juan de Goe-
neche, etc ....




L 1 V R El, e JI A P 1 T R E lIt. 89
frais du gouvernement une fabrique 1 , a.,vec
des ouvriers qu'il tira de la Hollande , et re«;;ut,
comme récompense , une terre considérable et
une forte pensiono Albéroni favorisait ses entre-
prises sans qu'il en cherchat moÍns a renverser
lé cardinal; il échoua, et perdi t, a vec la direction
de la fabrique, sa terre et sa pensiono Apre~ la
chute d'Albéroni il se sentit renaltre a l'espoir,
mais il ne trouva pas de sitot l'occasion de se
rendre nécessaire d'une maniere signalée.


L'Espagne s'était de nouveau étroitement
alliée avec la France. Le duc régent avait fiancé
l'Infante avec Louis XV; et de ses deux pro-
pres filles (les princesses de Montpensier et
de Beaujolais), l'une avait été mariée au
prince des Asturies , l'autre fiancée a son
frere et envoyée en Espagne pour y etre éle-
vée. La France et l'Angleterre étaient alors
en parfaite harmonie. Le congres de Cambrai
durait toujours. Un homme d'état comme Rip-
perda ne pouvait done pas se faire remarquer.
Mais les affail'es ne tarderent pas a prendre
une autre face. Philippe succomba bientot en-
tierement a sa mélancolie; et rien ne put le


l Cette fabrique était située a Guadalaxara, OU eHe s'est main-
tenue jusqu'aujourd'hui. L'endroit, eité plus haut, se rap-
porte done a Ripperda, meme dans le eas OU le rusé AlbéronÍ
ne le nomme paso




90 HlSTOIRE DU XVlIle SI1~CL}:.
dissuader d'abdiquer, au grand mécontente-
lnent de son épouse, le 15 janvier 1724; il
transmit le trone a son fils atné du premier
lit, Louis, alors prince des Asturies, et se re-
tira ave e la reine a Saint:-Ildephonse.


Grimaldo, qui les accompagna, tint pen-
dant quelques temps les renes de l'état; mais
on vit bientot que Louis était fatigué de Ja
tutelle a laquelle on le souluettait. I..'éloigne-
lnent que ce prince avait pour sa belle-mere,
fournit a Ripperda l' occasion de se rendre
nécessaire a la reine; illui suggéra l'idée d' en-
voyer ses bijoux et des sornmes considérables
a Parme. Sur ces entrefaites, a la grande sa-
tisfaction de la reine, Louis mourut peu de
mois apres, et on ne négligea ·rien pour dé-
terminer le malheureux Philippe a reprendre le
gouvernement. Tous les efforts d'Élisabeth
furent inutiles. Son confesseur l'ayant enfin
décidé, apres bien des peines, a remonter sur
le treme au lllOis d'aoút 1724, la reine n'eut
d'autre idée que ceHe d'assurer a son fils don
Carlos les duchés italiens 1, pour lesquels on


I Il existait encore un prince du premier lit, nommé Fer-
dinand, qui fut ensuite roi; ou ne pouvait guere songer a
prendre possession de ces principautés pour don Cados, tant
que les poiuts que nous avons cités en peu de mots restaient
en controverse entre l'Espagne et l' Autriche.




LIVRE 1, CHAPITRE III.


négociait toujours a Cambrai; Ripperda devait
suivre une route toute particuliere en s'adres-
sant directement él l'empereur. Les ministres
impériaux et surtout le comte Sinzendorf,
l'ame de toutes les affaires, étaient alors guidés
par cet esprit usurier et mercantile qui avait
désolé la France. Ils entreprirent de Trieste un
commerce considérable dans la mer Adriatique,
et le fameux Law, qni habitait Venise, fut ap-
pelé él Trieste, pour imaginer des expédients
qui pussent faire fleurir de suite le cornmerce
du Levant qu'on avait négligé jusqu'alors.


Tont cela dépendait de l'ernpereur qui,
pendant son séjour él Ostende, pennit de
porter le comrnerce, sous le pavillon im-
périal, jusqu'aux lndes orientales, jusqu'él la
Chine et uu Japon. Les États-généraux lui en
disputerent le droit, mais Charles se souciait
si peu des plaintes que les Hollandais 1 élevaient


J Les Hollandais déclarerent que l'empereur n'avait obtenu
les Pays-Bas que sous les mémes conditions que les Espagnols
les avaient possédés. Les cinquieme et sixieme articles de la
paix de Munster renfermaient cependant la promessc des Es-
pagnols, qu'ils suspendraient tout commerce de leurs pro-
vinces d'Europe avee les Indes orientales.


Les Hollandais avaient renoneé de leur coté a passer par le
détroit de Magellan. Les puissances maritimes avaient protesté
contre la compagnie des lndes orientales, et l'Espagne avait
appuyé la protestation. Les traités de Ripperda furent d'autant
plus étonnants.




92 lIJSTOIRE DU XVIUe SItCLE.
contre ~on commerce dans les lndes, qu'il.
étabJit au contraire une nouvelle compagnie
avec la plus grande soIennité et qu'il en fit
publier le réglement, le 28 juillet 1723, a
Bruxelles, ce qui causa de la mésintelligence
entre lui, les puissances maritimes et la France,
alors tres -liée avec l' Angleterre. Ripperda
fonda lél-dessus l'espoir de plaire en meme
temps et él la reine d'Espagne et él l'empereur,
en faisant réussir un projet que toutc l'Eu-
rope regardait comme impossible et insensé.


Il alIa, au mois d' octobre 1724, él Vienne,
y demeura, dans un fauhourg, sons le nom dll
comte de Pfaffenberg, négocia jllsqu'au mois
de février 1725, san s qu'un ambassadeur ou
ministre, excepté ceux qui furent dans le se-
cret, se doutat de la présence d'un agen t es-
pagnol. L'empereur et ses ministres ne joigni-
rent a leut's prétentions que des promesses
et de froides assurances d'amitié. Ripperda
aurait difficilement réussi, si un événement
d'une autre nature n'eút offensé et irrité la
reine d'Espagne comme femme. Élisabeth
chercha tout-a-coup, et él tout prix, a ache-
ter des alliés contre la France. On venait
de renvoyer sa fille, élevée jusqu'alors dans
ce royaume, comme l'épouse future du roi,




LIVRE 1, CHAPITRE III. 93
et traitée avec tous les égards dus a une reine,
_pour donner une autre femme a Louis xv l.


Le duc régent étant mort le 2 décembl'e
1 723,Louis XV,déclaré majeur seulenlentpoul'
la forme, fut confié a la tutelIe du duc de Bour-
hon, dont les projets ne s'accorderent point
aveccetteunionavecl'Espagne.Ilordonnadonc
de renvoyer la princesse espagnole en prétex-
tant sa trop grande jeunesse et la nécessité de
hater le mariage du roi. Cette offense aurait
sans doute aHumé une guerre entre la France
et l'Espagne, si cette derniere puissance avait
en les moyens de la soutenir. A défaut de ces
moyens, la reine se contenta de rompre toute
union avec la Franee, et de renvoyer de meme
les deux filIes du Régent. Il était naturel qu' on
donnat alors a Ripperda rordre de souscrire a
toutes les demandes de l' empereur pour en
obtenir un traité; on accusa meme Charles VI,


, et avec plus de raison ses ministres, d'avoir
partagé entre eux la plus grande partie des
quatre cent mille florins dont Ripperda ne
put rendre compte. On traita d'ailleurs les
choses essentielles 2 verbalement, et il parut


1 Au moment des fian<¡ailles, l'infante Marie-Anne-Victoire
n'avait que trois ans et demi , Louis XV dix ans.
~ Nous dirons plus tard quels furent les points essentiels.




9!1 HlSTOlHE DU XVIIl e SIJ~CLE.
qu'on était convenu de tromper Ripperda, a
qui ron se garda bien de communiquer les ar-
tieles principaux du traité écrits et signés. Les
ministres impériaux les nierent par la suite,
et l'Europe serait encore aujourd'hui dan s l'i-
gnorance sur cette affaire, si les deux Wal-
pole n'avaient publié leurs écrits politiques l.


Quatre traités rnystérieux furent conclus
alors entre l'Espagne et l'Autriche, c'est ce
qu'on appelle la paix de Vienne, et Rip-
perda se glorifiait surtout des articles princi-


Moore assure que Ripperda seul était un trompeur. Le comte
ele Krenigseck aurait joué alors un role bien plus misérable
qu'il ne le joua en effet; les écrits politiques des deux Walpole
eclaircissent tout; cependant, en comparant les l'rlemoirs de
sir Robert Walpole, chapo XXVII, avec les 1'tfemoirs de Ldrd
Walpole (Horace), page 139, iI reste encore a savoir si
l'empereur fut informé de ce que ses ministres avaient fait. ,


1 Toute l'histoire se trouve rapportée dans Coxe, Ilistory ~f
the llOuse of Austria, tome, III; Flassan, tome V, p3ge :1 1,
donne le contenu du quatrieme traité secret :


1° Une ligue offensive et défeusive dans tous les cas qui
pourraient survenir en Europe.


2° Une garantie de la part de l'Espagne pour le commerce
d'Ostende.


3° Une promessede l'empereurd'employeraupres de l'An-
gleterre des bons offices et autres voies pour la restitution de
Gibraltar a l'Espagne.


Tels sont maintenant les articles concertés de vive voix, et
qui importaient le plus a la reine.


Les deux archiduchesses devaient épouser deux princes es-
p;:¡gnols,l'un don Carlos, et l'autre Philippe. L'empereur ai-
dait a prendre Gibraltar de force et a ramener le Prétendant,
si Georges Ier ne voulait point accéder a ce traité.




LIVRE 1, CHAPITRE IIl. 95
paux UU quatrieme traíté faít le 30 avril et
le 2 mai. Ils lui valurent, au mois de novem-
bre 1725, la charge de premier ministre en
Espagne. Ces conditions inquiéterent la France
et l'Angleterre, quoique le cabínet d'Autriche
en 11iat absolument l'existe'nce, et elles don-
nerent lieu a une contre-alliance entre l'Angle-
terre, la France et la Prusse, qui fut concIue
a Hanovre, le 25 septembre 1725. Ces puis-
sanees s'engagerent dans le traité avec toutes
les provinces de lenr dépendance, a lnainte-
nír la paix d'Utrecht pendant quinze ans; et
si, par les menées de Seckendorf et de Grumb-
kow ~ , Frédéric-GuiIlaume se retira ensnite de
l'alliance, la Hollande prit sa place au mois
,d'aout 1726.


Cependant 011 armait de tontes parts 2; mais,
excepté l'Angleterre, aucune puissance n'avait


1 Grumkow, surnommé le Buveur ( Biberius ), dans le jour-
nal secret du baron Christophe Louis de Seckendorf (a la lin
du second volume des Mémoires de la margrare de Bayreuth.
Cotta, Tubingue 1811 ), doit, d'apres la meme SOllrce, avoir
tiré plus de vingt-cinq mille florins de la cour impériale. La
maniere dont il s'y prit, lui et Seckendorf, a brouiller Fré-
déric-Guillaume avec le Hanovre, est rapportée avec les plus
grands détails dans les Mémoires cité s de la margrare.


" L' Angleterre et l'Espagne se faisaient déjit dan s le fon,d la
guel're, car l'une avait envoyé des flottes aux In des occiden-
tales et sur les cotes d'Espagne; l'autre commen'Sa, le 22 fé-
vrier 1727, le siége de Gibraltar. Fleury sut accommocler tOl1S
ces différents.




,96 HISTOIRE DTJ XVIIle S-jECLE.
les moyens de faire la gue,rre; on s'en tint
done aux préparatifs, et I'Espagne ne l'em-
porta a la vérité, que par la eondeseendance
de l'Angleterre.


Ripperd,a, apres quatre mois de pouvoir,
avait été renversé par sa propre imprudenee
et par l'infIuenee du comte de Krenigseck, am-
bassadeur d' Autriehe a Madrid. Patinho com-
men«;ait a jouir d'un grand crédit'o La reine
s'aper«;ut enSn qu'on ne pensait pas sérieuse-
ment a l'union de l'archiduchesse, et que les
lninis~res' d' Autriche la trompaien t. eette puis-
sanee s'était jouée quatre ans de I'Espagne. La
reine demanda (ce qu'elle eut du faire long-
temps avant), une réponse catégorique ; et,
la réponse qu' on lui fit étant évasive ,elle s'u-
nit étroitement a la Fr.ance et a l' A!lgleterre.
Cette alliance lui valut par la suite plus qu'elle


. n'avait espéré. On conclut entre la France, la
Grande-Bretagne et l'Espagne, a Séville, le 9
oetobre 1729, un traité,auquelles États-géné-
raux aceéderent le 2 I. L'Espagne retira aux
sujets d'Autriche les' priviléges qu'elle leur
avait accordés par le traité de Vienne, pour
faire le commerce dans tous les pays du


J Patinho ne fut premier ministre que l'an 1734, mais il
dirigeait déja toutes les affaires bien avant ce temps.




J_IVRE 1, CIIAI~J'fnE IlI. 97
royaume, et rétablit les compagnies anglaises
et franc;aises dans leurs anciens priviléges.


Pour dédommager I'Espagne des avantages
qu' elle accordait aux alliés du Hanovre, et
qu'elle ravissait it l'empereur, on consentit
que six mille soldats espagnols fussent en-
voyés a Livourne, a Porto-Ferrajo, a Parme,
et assurassent au prince don C~rlos la posses-
sion de la Toscane, de Parme, et de Plaisance.
eette mesure indigna l' empereur et surtou t le
duc de Toscane, qui voyait qu'on disposait de
. ses états pendant sa vie, sans daigner ~Hhne le
consulter. L'Empire fut sornmé d'y prendre
part l. Cinq cercles et quatre électeurs, dont
trois ecclésiastiques et un palatin, s'armerent
en effet; lnais l' Autriche sentit heureusement
sa pl~pre htiblesse , et suivit l'idée de la Prag-
matique - sanction sur la succession hérédi-
taire; elle accepta les dispositions du traité de
Séville, le 6 mars 1731, en signant la paix
qu'on nomma la seconde paix de Vienne, et
don Carlos parut en Halie avec bien moins de
troupes qn'on ne lui en avait accordé~·


V. Louis XIV avait confié l'éducation du
1 L'Empire, a qui le grand duché de Toscane appartenaiJ,


rt'avait pas été consulté, et don Car l.)f¡ en l'ec;¡ut l'hommage du
vivant du grand-dnc, san:'S rechercher l'jnvestiture de l't::mpe-
reur et de l'Empire.


H. I. 'i ¡




98 HISTOIRE ou xv lIle SIECLE.
dauphin au duc du Maine, un de sesfils na-
turels; il ne pouvait s'acquitter de cet emploi
qu'-en sa qualité de prince du sango Le due
régent l'ayant privé de ee! honneur, le maré-
chal de Villeroi fut seul ehargé de gouV8l'ner
le jeune monarque, paree que le régent était
retenu par ses oceupations et ses débauehes.
Villeroi avait obtenu pourTéveque de Fr~jlls,
Fleury', la fonetion de préeepteur. Celui - ei
renon<;a a son minee éveché , et se voua exclu-
sivementa l'édueation de l'enfant-roi l. Doux,
humble et fier, rusé, savant, dévot, rampant;
sans reproches dans les relations extérieures
de la vie, Fleury sut, comme particulier,


. comrne ecclésiastique et cornme précepteur,
tirer parti de ses artífices monas tiques , depuis
la flatterie permise, et ~elne les pienses' ré-
prirnandes, jusqu'a la dissimulation. Étant
ministre il fit, pour le bien de l'État, preuve
d'habileté en maintenant la dignité du gouver-
nement sans verser le sang fran~ais; lnais il ne
songea pas que son earactere se preterait a
nourrir l'hypoerisie et les mauvaises habitudes
dans son éleve, et q\le son systeme de paix
et de négociations avilirait'la nation.


1 Saint-Simon, Mémoires , tome III, page 99-r03, le racontc
d'une maniere concise, máis mordante.




L 1 V R El, e u A P 1 T lU~ II l. 99
Le jeune roj, dont le creur ne connaissait pas
~ncore fe vice, crllt voir en lui le seul hornrne
vertueux dans une cour corrompue.ettout-a-
faitpervertie;leseulhornmemoral,pieux,aima-
ble, qui lui fut dévoué pararnouret non par in-
téret;il s'attacha done a lui de plus en plus, lui
futentierement abandanné apres qu' on eut éloi-
gné Villeroi 1 , et lorsque des hommes comme
le cardinal Dubois chercherent, par de basses
et vtles flatteries, a gagner du crédito


A l'age de quinze ans (au mois de février
17 ~3) Louis prit lui -meme en apparence les
renes de l'état, mais au fond ce fut le duc-
régent qui, comme premier ministre, régna
jusqu'a sa morí, arrivée le 2 décembre sui-
vant. Le duc de Bourbon (petit-fils du grand
Condé) demanda alors au jeune roi la régence
de l'étaP; et, malgré son ineptie générale-
rnent reconnue, sa demande lui fut accordée,
d'apres les eonseils de l'éveque de Fréjus. Taus
les contemporains croyaient qu'il avait des-


1 Duelos en donne de courtes notices. Saillt-Simon, t. IlI,
page 201, qui y coopéra lui-méme, est assez prolixe.


:2 Cette affaire ayilit été concertée d'avance. VrilJiere tenait
déja la patente toute préte; le roí, agé de quatorze ans, re-
garda Fleury; celui-ci, n'osant désapprouver la chose, fit de
nécessité vertu.


\
,... ¡ .


/




100 HISTOIHE DU XVIlle Sd:CLE.


Iorscon<;u l'idée de se nlettre un jour a la tete
du gouvernernent l.


Le dnc de Bourbon ne gouvernait que pour
la forme les affaires de l'état. La marquise de
Prie 2 , sa maitresse en titre,Jes dirigeait réel-
lement. A défaut de lumieres, elle consultait
ses trois freres, fils d'un aubergiste des Alpes,
gens pleins d'énergie et d'esprit. Cependant
l'éveque de Fréjus prenait de jpur en jour
plusd'ascendant sur leroi: il assistait aux con-
seils les plus secrets de sa majesté avec le duc,
et disposai t seul de la feuille des bénéfices. La
chose la plus importante que fit le duc de
Bourbon, pendant son ministere, fut de con-
dure le mariage du roi, et de rompre toute
alliance avec l'Espagne, ce qui irrita tellement
cette puissance qu'H n'y avait plus de rappro-
¿hement a espérer qu'en éloignallt le duc de
la cOl{r. La politique seule aurait nécessité cet
éloignement, mais il ne fut renversé que par


1 Ñ/émoires secretsde Duelos, yol. II, page 285; Féveque de
Fréjus, en procurant le premier ministere a M. le duc, su-
vait bien qu'il ne lui confiait qu'un dépot, et faÍsait lui-meme
trop Feu de ca,s de la reconnaissance FOlil' en eSllérer beau-
coup d'un prince ; mais il voulait, sous un fantome respecté,
accoutumer la cour a son crédit, et la préparer a sa puissance.


JI Elle était l'épouse de l'ambassadeur de France a Turin.
On trouve les horreurs de cette histoire dans les Mémoil'es
de Richclieu, tome IV, an commencement.




LIVR:E I,CIIAPITR"'~ lIJ. 101


sa conduite imprudente.envers Fleury, qui pos-.
sédait toute la confiance du roi ct qui la mé-
ritait surement plus que lui. Le duc de Bour-
bon, pour assurer son influence, avait nlarié
le jeune roi a la fille du roi Stanislas 1, hannÍ.
de la Pologne, qui vivait alors a Wissembourg,
sans ressources et sans appui. I


. ComIne la llouvelle reine lui était entiere-
mentdévouée, et que Louis XV l'aima d'abord
ave e passion, le duc résolutde travailler avec'
sa maj.esté, dans l'appartement de la reine, et
d'en exclure Fleury. Ce dernier, qui connais-
sait son. crédit aupres de Louis, et qui savait
que le roi s'apercevrait bientot de son ab-
sence, ,eut l'air <le se retirer des a ffai l' es , . se
rendit tout d'un coup a Issy,2, et fut rappelé
subitement, par ordre du roi, a Paris, ou
iI obtint a son tour l'exil du duc de Bourbon.


l. Marie Lescinska.
2 Duelos, Mémoires , vol. II, page 31)6. « Horace Walpole,


ambassadeur d' Angleterre et frere de Robert, ministre de la
m~me cour, cultivait beaucoup l'év~que de Fréjus dont iI pré-
voyait la pnissance et sentait déja le crédit solide et caché; il
fnt le seul qui ,a la premiere nouvelle, courot a Issy faite a
l'évéque des protestations d'amitié. Comme c'était avant le dé-
nouement de l' affaire, tout défiant qu' était le vieux prélat, par
caractCre et par expérience, iI eut toujours en Walpole une
confiance dout celui-ci tira grand parti au préjudice de notre


_ ]llarine et de nofre commerce. "




10~ HISTOIRE DU XVIlle Sd~CLE.
Des ce moment (1 l-juin 1 T~6) FleuJl'Y, devenu
cardinal, depuis le mois de septembre précé-
dent, gouyernait sous le nom du jeune prince.
Il chercha ir ramener la douceur, la justice,
les honnes mretIrS et l' économie, cal' il sentait
hien qu'il lui manquait les talents élevés qui
caráctérisent un grand homme d'état.


Comparé au gouvernement espagnol et a
celui d' Autriche, le gouvernement fran<;ais,
sous le ministere de Fleury, offrait sans doute
le modele d'une bonne organisation; mais la
sensualité et le lúxe augmenterent de jour en
jour au sein d'une longue paix, et eette na-
tion belliqueuse ne trouva plus assez d'occa-
sions d' exercer ses talents militaires.


n n' est pas prouvé que Fleury ait laissé le
jeune roi dans la société de jeunes gens fri-
voles et légers, et qu'il ait favorisé sa passion
pour la chasse 1; mais ce qui est certain, c'est
que la liaison avec la comtesse de Charolois
devint des-lors la cause et la raison de tous
les maux qui éclaterent dans la suite.


Le faible gouvernement de I'Empire, le man-
que de patriotisme parmi les princes, la triste


1 Les aff~ires de r état étaient gouvernées par Fleury, tandis
que le roi allait a la chasse ; car, avec la meilIeure volonté,
il ne pouvait plus travailler a son retour.




L 1 V n El, e TI A P 1 T R J.~ IJ I. 1 03
position de la eour impériale, fonrnirent ce-
pendant a Fleury l'occasion de faire pour la
Franee, sans les moindres efforts, une aequi-
sition que le cardinal de Richelieu et Louis XIV
avaient cherchée en vaÍn. L'Allemagne, si sou-
vent victime des dissensions étrangeres, le fut
encore dans eette circonstanee, a l'occasion
des différents sur la Pologne. Ce malheureux
royaume était bien retombé au ponvoir de
l' électeur Auguste; mais les Polonais en étaient
si mécontents, que l'an 1717, úneguerrefor-
melle e-q fut la suite; elle se termina par une
paix des sujets avec leur roi. Cette paix ne fut
pas seulement conclue par la médiation des
Ru~ses, mais Pi erre Ier se <léelara me~egarant
de ses conditions. Des ce moment la Russie
regarda la Pologn~ comme un rQyaume tri- ,
butaire, et empecha que leHIs du roí Auguste,
Maurlce, qui s' est depuis ímmortalisé en France
sons le nom du maréchal, de Saxe, fút créé
ducde Courlande, quoique la chevalerie cour-
landaisel'eut nommé selon ses priviléges, et
qu'il fut appuyé de la Pologne, qUÍ cOInptait
ce pays panni ses provinees.


La position de la Courlande fut assez sin-
guliere au commencenlent du dix-huitieme
siecle ; il ~e restait que deux rejetons de la rnai-.




104 HISTOIRE BU XVl11 c Sd:CLE.


son de Kettler I "Frédéric-Guillaume, lnarié 2
a la fille de Pierre-le-Grand et mort l'année
d'apres son mariage, et son frere Ferdinand.
Ces deux princes étaient sans hé~itiers. OIl
nomma Ferdinand Hégent de la CourJallde,


e


ma.is il n'€,ll avait que le titre et vivait misé-
rablement a Dantzick, tandis que des Russes
occupaient le pays, et que la princesse Anne ,
veuve du dernier duc , ensuite impératrice, en
était véritable souveraine.


Anne protégeait 1\Iaurice 3; cependant il fut
obligé de céder, et la Courlande resta sous la
dOlnination des Russes jusqu'a ce qu'appelée au
trone· de Hussie, Anne donnat ce pays a Biren
son favori. Si l'ininlitié des Russes rendait.
Maurice malheureux, leur amitié rendait bien
plus a plaindre Auguste IlI, fils alné du roi
AugustelI. Ce prince ressemblait a son pere 4,


1 Cette famille était depuis 1560 a la t~te du gouvernement.
:l En 17 10•
3 Cela fut encore Í' an 17 26. Le prinee Menzikoff, qui ré-


gnait en Russie au nom de Catherine Ire, n'agissait en Courlande
que d'apres ses propres eonseils. Anne alla done a Saint-Pé-
tersbourg, pour s'en plaindre, mais elle fut bientot obligée
de revenir. Ce qu'elle effectua pour la Courlande se trouve
rapporté dans un style de palais en : Das verrenderte RussI[!.ud
(La Russie ehangée), Hanovre, 1739, in-4°, t. III, p. 67.


4La foree'de son·corps, l'adresse, la galanterie, une ma-
jesté royale, et un grand talent de représentatioll, distingue-
)'ellt Augustc n. Son fils, corps sans ame, était paresseux,




·LIVRE 1, CH,\.PITRF. IU. 105


seulement pour l'extérieur, et son favori le;
. comte de Bl'ühl ne réunissait a tons les défauts
de Flemrning presqu'aucune de ses qualités /
brillantes I • Le prince électeur, elevé jusqu'a-
lors dans la religion protestante, l'avait déja.
abjurée en 171 1 pour obtenir la couronne de
Pologne; on avait caché son abjuration jus-
qu' en 17 17 ou il paru t nécessaire de la publier
ponr lui gagner peu á peu les suffrages des
Polonais.


L' empereur d' Autriche, la Prusse'et la Rus-
sic, ne semblaient d'abord nulleinent disposés a
soutenir le prince de Saxe ; aussi ces trois puis-
sanees, des la liouvelle de la lnaladie de son
pere a Berlin, Gonclurent, au mois de dé-
cembre 1732. , le trai té de Lcewenwald 2, dans
flegmatique, imbécile, et Seckendorf, dans son journal, le dé-
signe tonjours par le sobriquet de Potsdam : Mantelsack (porte-
mantean).


1 Flemming, malgré une prodigalité qn'on reprocherait á
des 1'o(s, laissa a ~a mort neuf milli.ons d'écus. Il était généra-
lement détesté en Pologne et en Saxe; cependant la maniere
dont il se mit en faveur, est plus noble' que ceHe que BrühI
employa. Un ouvrage essentiel; quant a6x faits, est : Leben
und Charakter des koniglich - polnischen und kurfiirstlich-
sachsischen P1'emierministers Grafen von B1'ühl, in vertrau-
lichen Briefen entworfen. ( ríe el caractere du comte de Briiltl ,
premier miilistre du rOL de Pologne ei de l'électeul' de Saxe, dépeillts
en letlres familieres), 1760, in_SO.


2 Ce "traité futainsi nommé paree qu'il fut conelu par la
médiation de M. de Lrewenwald, grand-écuyer russe. et du
général Seckendorf.




106 HISTOIRE DU XVIIIC SIECLE.


lequel ils convinrent de donner le royaume
de Pologne a un prince portugais. Il est évident
que la Russie ne songeait pas a exécuter ce
traité l. Auguste II mourut 2 avant qu'il fut
ratifié , et la plus grande partie des Polonais
se pronon~a pour le rétablissement du roí
Stanislas ,ainsi que les Fran<;ais qui se donne-
rent des peines incroyables pour remettre le
be:,tu-pere de leur roí sur le trone. La Russie
et l' Au triche redoutant l'influence des Fránc;ais
en Pólogne, firent avancer des troupes; mais
Fleury déclara d'une maniel'e énergique, et
avant que l'elnpereur se fut joint aux Saxons,
qu'il regarderait la lnarche des Al~trichiens
vers la Silésie comme un acte d'hostilité 3.


Trois armées Russes occupaient déja les
frontiere& des le moís d'avril; elles étaient sans


I Pour connaitre les causes qui amenerent ce traité, et pour
s'initier dans la politique des trois cours, on fera bien de lire
la conversation du général Seckendorf avec le général Thule-
meier, dans le journal de Seckendorf, page 13.


2 Auguste II momut au moÍs de février 1733.
, 3 La chose n'était pas tout-a-fait ainsi, mais teIle que le
rapporte Flassan, Histoire de la diplomatie fl'ant¡aise, tome V,
page 65, dans la note. Le roí de France avait donné, du mo-
ment de la marche des troupes de l' empereur vers la Silésie ,
une déclaration portant : oc Que sa majesté ne pourrait regarder
" toutes le,'; démarches ou entreprises, faites pour contraiudre
« les suffrages des Polonais, que comme un dessein de troubler
« le repos de l'Europe. J) L'empereur donna en réponse une
déclaration par laquelle il s'engageait lui-méme a soutenir la




L 1 V 1\ El, e H ,~p 1 T R E II l. 1°7
doute destinées contre Stanislas, mais ll9'n
contre la Saxe.


La Russie ne se ~éclara pour Auguste <}lile
lorsqu'il eut renoIlcé a la Courlande; }' empe-
reur Charles VI l'imita, au mois de juillet
1733, aussitot qu'Auguste se fut désisté de ses
prétentions a l'héritage d'Autriche, et qu'il
eut 'reconnu la Pragmatique - sanction; la
France, comptant sur le parti des patriotes
Polonais 1, n'abandonna pas en~ore Stanislas,
fit enlbarquer des troupes et parut équiper
une flotte a Brest pour conduire ce prince par
mer a la tete d'une graude armée en Pologne.


Tandis que les Russes attendaient leroi Sta-
nislas en pleine mer 2, il allait déguisé, seule-
ment accompagné de Solignac, par terre, sur
Berlin tout droit a Varsovie, ou il arriva le 9
liberté' des suffrages dans la nation polonaise, et il ajoutait
« qu'en qualité de souveraio, iI n'avait aucuo eompte a rendre
u de la marche de ses troupes en Silésie. »


Cela eut lieu au mois de mars; au mois de mai la France
effectua la confédération en Pologne.


J Cette confédération fran~aise avait fixé d'abord 1; jour de
l'éleetion au mois d'aout, elle le fixa eosuite an 12 septembre '"
et décréta de plus qu'uo piast (Polonais noble iodigime) seul
ponrrait étre élu ; que le pere et la mere du candidat devraient
avoir été catholiques, et que le primat seul pourrait pr0da~"
mer le roi.


2 Le ehevalier de Thianges, qui ressemblait beaueoup a
Stanislas, changea d'habits avec lui a Charnbord, et s' ernbar~
qua sous son norn sur la fIotte de Brest. /




108 HlSTOlRE DU XVIllC SlECL.E .
. '


septenlbre, et le 12 il fut réeIu roi par les Po-
tauais, rassemblés sur le champ d'élection a
W~la.


Environ trois rnille nobles., partisans de
l' éveque de Craeovie et du prince Wiesno-
witzky, vendus ·aux Russes, protesterent con-
tre eette éleetion. Réunis sur l'ancien champ
d'élection pres de Praga, ou Henri de Valois
avait été él~ jadis, ils prodamel'ent le 13
septembre, l' électeur de Saxe roi de Pologne.


Le ministre russe, appuyé par eelui d' Au-
triche, avait dédaré au mois d'aout que sa
souveraine emploierait la force pou!' exclure
Stanislas <Iu ú6ne. Aussit6t apres l'(:lcctioll,
Lasey entra en Pologne, a la tete de trente
mille h9mmes; il fut suivi de I'un des meillcurs
généraux de l'école d'Eugene, l\Iünnich, qui
amenait une al'lnée formidable. Les troppes
russes et saxonnes repousserent bient6t Stanis-
las jusqu'a Dantziek, et si quinze cents Fran-
c;ais accoururent a son secours, ce fut plutot
une entreprise particuliere insensée du eomte
de Plelo, ambassadeur de France a Copenha-
gue, qu'une assistance du gouvernement fran-
<;ai5. Leseinsky, obligé de s'enfuir sur le terri-
toire prussien, retourna eusuite conlnle exilé
et fugitif en France , et y resta j Llsqn'a ce qu'il




LIVIU~ I,.CHAPITRE III. r09


fút dédommagé aux dépCllS de l'elnpire alle-
mando


. Le 25 septembre, Fleury gagna le roi de
Sardaigne, qui espérait·aequérir par eette a1-
li¡:tnee le Milanais, et le 2.5, oetobre, ilobtint
un traité semblable 1 des Espagnols, par la
promesse qu'illeur 6t de leur assurer Naples
par la paix. La Franee venait de déclarer la
guerre a l'empereul', le 10 oetobre 2 • Les Pays-
Bas d' Autriehe s' étaient constitués ne~tres, par
un tr~té avec les États-généraux; l'Allelnagne
ne prenait aueune part aux dissensions de la
Pologne ;aussi le théatre de)a guerre n'aurait
du etre porté qu'en Italie; lnais les Fran<;ais
oceuperent la Lorraine sons prétexte de la
séquestrer, vu queFran~ois-Étienne, duc de
ce pays, élevé a Vienne, vivait el la cour impé-
riale et éta i t des tiné a devenir l' époux de Marie-
Thérese 3. .


Non 'contents de s' etre emparés de la Lor-
raine, les Franc,;ais prirent Kehl, forteresse
de l'Empire ; leur armée ne se süutint que
par les réquisitions faites dans les viUes et


I Le traité de l'Escurial.
2 A l'effet de venger l'injure ·que ce prince venait de lni •


faire, dans la personne de son beau-pere.
3 Le mariage fut conclu l' an (736.




1 JO HISTOIltE DU XVII le Sd:CLJ~.
districts voisins. Ces vexations donnerent a
l'empereur la facilité d'engager l'Empirc a la
guerre au mois de mars 1734, ce qui fut d'un
grand avantage pour les FraiH;ais. Sans bles-
ser le droit des gens, ils pouvaient alors pil-
ler les états patriotiqnes; car les autres états,
ou ne fournissaient pas de troupes, ou faisaient
des traités particuHers, ou se tiraient d'affaire
comroe le roi de Prusse.


Lorsque le maréchal de Berwick parllt sur
le Rhin 1, au lieu des cent vingt mille hornmes
de l'armée de l'Enlpire, a peine se trollva-t-il
douze mille soldats rassemblés; les trois gé-
néraux de l'Empire, Alexandre de W urtem-
berg, Albert de Brunswick-Bevern, etLeopold
de Dessau se disputaien t le commandement 2,
etavant qu'Eugime le prit, Bevern fut battn
par les Franc;ais. La Baviere conclut un traité
de subsides avec la France ,et refusa le passage
aux Impériaux; cet exemple fut suivi pa~ le


x Le maTé chal de Berwick fut tué dans les tranchées devant
Philisbourg. _


2 Celui qui ne voudrait pas lire tout au long les délihéra-
tions et les décrets de l'Empire, sur la charge du général feld-
maréchal catholique et évangélique, dans le dix-huitieme vol.
de Reichs-Fama (Fame de l'Empire) ,oudans lesoixante-qua-
trieme et soixante - cillquieme vol. de F~ber, Staats-Kanzel~i
( Chancellerie d'état) trouvcra les choses essentielles dans les
Exploits du grand général Eugene, Nuremberg, 1736, tome
VI, page 679 et suill.




LIVRE 1, CHAPITHE lIT. 111


Pahltinat et Cologne. Eugene, qui arriva au
mois d'avril ] 735, comptait dans son armée
dix mille Prussiens, parmi lesquels ét~t le


J grand Frédéric. Il ne put et ne voulut couvrir
que les contrées en-de~a du Rhin, et souffrit
qu'on prit Phi1isbourg sous ses yeux, tandis
que les Fran~ajs levajent des contributions
daos le Bas-Rhin.


Pendan tque le princeÉugene,/agé de soixante
et onze aIis 1, cherchait a trainer la guerre en
longueur 2 pour que les puissances maritimes ,
qui avaient garanti l'ltalie a l'empereur, fus-
sent en fin obligées de se déclarer, on perdait les


1 IL mourut l'année suivante 1736.
:A Eugene souffrit d'ailleurs a cause de son grand Age, et,


tout bien considéré, son armée n' était point en étatde tenir
eontre les Franc;:ais. Un poete de l'éeole d'Opitz 6t une épi-
taphe a notre héros, que nous transerirons ici pour dífférentes .
raisons.


« Eugene devait- iI a voir une fin si douee et si paisible! que ne
« mourut-iI, ce prinee plein de eourage et d' ardeur, au son
• de la trompet.te, au cri joyeux de la gllerre, au bruit
« des armes et du canon! La postérité, en lisant les exploits
« de ce guerrier, ne pourra done pas dire qu'Eugime ex-
« pira au champ d'honneur! telle est la plainte que fait en:-
• tendre Mars, les levres décolorées : mais la renommée, dans
" son enthousiasme, publie partout que ce héros, qui l).e sut
« jamais que triompher, attaeher la gIoire et le bonheur a ses
" pas, vainere et l'ennemi, et l'envíe, et la cour, et en fin luí-
e meme, dut mourir en paíx, et n'avait besoin d'aucun 1110-
« nument a sa mort! A vec moi le Thels, le PÓ, l'Escaut, la
" Meuse, le Rhin, tous ses ennemis, le répctcnt; il est im-
« mortel' ..




112 HISTOIRE DU XVIIle SIECLE.


avantages obtenus dans la péninsule italique.
Déja vers la linde l'année 1733, le Milanais avait
été oecupé par des troupes de Franee et de Sa-
voie, et don Carlos, s'étant déclaré majeur de sa
propreautorité, venait de se eonstituer due de
Parme et de Plaisanee. Élisabeth, dans l'espoir
de voir le sueees eouronner tous ses désirs, en-
voya le,marquis de Montemar avec une armée
considérable d'Espagnols en Toseane. Des le
IllOÍS d'avril, trois millehom~es entrerent a Na-
pIes, et le 10 mai don Carlos fut proclalné roi.
L'armée üllpériale en Italie, commandée par un
nouveau chef, résolut de risquer une bataille
a une époque défavorable. -Jusqu'alors les
~onseils de Caraffa n'avaient pu l'emporter sur
le systeme du comte de Traun, qui voülait
temporiser. et disperser les forees de l'armée,
pour laisser du temps aux puissanees mari-
tirnes. Le combat livré trop tar<1 futperdu, et
les memes généraux italiens de.l'armée im-
périale, Qattus aupr~s de Bitonto par le mar-
quis de ~lontemar 1, abandonnerent l'empe-


1 Un article dans un journal de ce temps, fera parfai-
tement c,onnaitre comment on traitait et racontaitalors ces
choses en Allem::lgne. Nous l'empruntons du gl'and général
Eugene, tome VI, page 858.


« Apres l'abolition de l'ancienne jnnte 011 eollége de
«la juridiction royaJe, il en fut constitué unenouvelle
" nommée degl'ínconfidenti pour former le proces cóntte ceux




LIVRE 1, CHAPITRE JII. 113


reur dan s le Jort de la guerre, pour ne pas
perdre leurs terres dans les États napolitains,
et reconnurent le nouveau roi. On donna an
marquis de Montemar le titre de due de Bi-
tonto. Il conquit l'année suivante toute la Si-
cile.


Dans l'ltaliesupérieure les affaires de l'Empe-
reur, n'avaient pas plus de suect~s. Le nlaréchal
de Broglie et le roi de Sardaigne se partageaien t
le eommandement des armées alliées. Le gé-
néralMerey eommanda d'abord les Impériaux;
-il prit de force, au mois de juin 1734, Colorno
sur le territoire de Panne 1, le perdít ensuite
de la meme maniere, fut hattu le 29 pres de
Parme, et tué sur le ehamp de h~taille. Les
deux armées suspendirent alors les hostilités,


, jusqu'aumoment ou on appela le comte de Kre-
lligseck a la tete des Impériaux. Il surprit le


" qui lle reconnaitraient pas le nouveau ]'oi jusqu'a une époque
• fixée. Laplupart, parmi lesquels les princes d'Ottojano, di
• Forano , de Belmonte, de Caraffa, de Monteleone, et le
• comte de Conversano, erurent plus eonvenable de s'accom-
« moder au. temps, et de suivre plutot l'astre qui s'élevait,
« que de perdre Ieurs biens par une plus longue opiniatreté ,
« ce qui n'aurait point été d'une grande utilité a l'Empereur
• leur maitre; ils allerent done l'un apresl'autre a Naples,
" prett~rent le serment de fi~élité, et furent re<sus en grace. "


1 On dit qu 'Eugtme, e~lDlDe présidellt du eonseil aulique de
la guerre, lui éerivit de pronter des erreurs des généraux fran-
<,;ais, d'autant qu'il ne pourrait pas faire de grandes conquétes.


H. '1. 8




114 llISTOIP.E DU XVIUe SIECLE.


Inaréchal de Broglie a Quistello, demeura lnai-
tre du camp et fut sur le point de faire prison-
nier le maréchal dans son lit. Les alliés tire-
rent vellgeance de l'affront du 15 septembre,
le ~ 9, par la bataille de Guastalla, ou les Im-
périaux essuyel'ent une défaite.


ToutsemblaitannpncerenI735quelaguerre
aUáit etre conduite avec plus d'ardeur que ja-
maís; dix-huit mille Russes venaient enfin de
se montrer sur le. Rhin,tlorsqu'~n entra en
Ilégoéiations secretes avec l' Autriche. Fleury
cherchait la paix potlr pouvoir se passer dé
Chauvelin et de ses amis 1 qui empechaient
Georges II de sontenir l'Empereur autant qu'il
l'aurait vonlu, et que ,son aUian~~ le deman-
dait. Charles VI avait consenti d'ahord a se ser-
vir de l'intervention des puissances mariti-
mes; mais voyant qu'il serait obligé de toutes
les manieres de sacrifier une partíe de l'ltalie ,
il aima mieux négocier directement avec ses
ennem'is, la France etl'Espagne. En effet, il ne
pouvait alors rien faire de plus sage que de con-
dure la paix le plus tot possible; paree que son
armée, sesflnances, son gouvernement étaient
dans un état déplorable, et que I'union ne ré-
gnait point parmi ses luinistres.


t C'étaient les deux Walpole.




LIVRE 1, CUAPITRE IIJ. lIS


Eugene était vieux et capricieux; la comtesse
de Bathyani son amie vendait les places ; depuis
long-telnps les conseils du prince n'étaient plus
écoutés. n mourut et le comte de K..renlgs-
seck, jusqu'alors vice-président du conseil
aulique de la guerre, fut nommé président;
ses différents avec Khevenhüller ,son ennemi
juré, appelé plus tard a la vice - présidepce ,
firent beaucoup de tort a la cause publique.


Sinzendorf, <¡ui avait fait preuve d'une
grande habileté, de beaucoup d' expérience et
d'adresse a Utrecht, et ensuite a Soissons,
était premier ministre; rnais iI était facHe de
le séduire. Bartenstein , référendaire privé et
secrétaire du cabinet; en avertit son souverain
et ~ut:ptendre en secret le plus grand aseen dan t
sur lui. Il était adroit, inébranlable dans ses
résolutions, mais honnete, et il composa
bientOt a lni seul avec I'Empereur tout le mi-
nistere l.


I Dans le Jo~rnal sccret du haron de Seckendorj, page 151 ,
00 lit ee dialo-gúedé Seckendorf dvec le poi de P¡'l1sse.


SECltENlJORP. Oui, sire, Bartefistein iaii a cette heúre l~
pluié él 'lé hea1i te'mps. ~LE ROl. Et ce Bartenstein est un
homl~te homme?--SECKENDOBF. Ouí, sire.-LE ROl. Mais
je ne comprends pas comment rEmpereur, qni saít qu'il est
trompé par Sinzendorf et par tant d'autres, ne punit pas ces
gens selon la rigenr?-SEcKENDORF. C'est la déhonnaireté de
la maison d' Antriche qui l'en emp~che. - LE ROl (en sou-


8.




,


II6 HISTOIR¡'~ DU XVIlle SIIi:CLEo
On racante de différentes manieres, eomment


on entama, menle avant la mort du prinee Eu-
gene, et sans l' en informer, des négoeiations
avecl' Autriehepar la voiedeSinzendorf. Cequ'il
y a de plus vraisemblable, e' est que les eomtes
de Neuwied et M. de Nierodt en furentles pre-
miers médiateursIoLa Beaune nevint queplus
tard, et par ordre de Fleury, a Berneastell et en-
fin a Vienne, oú les préliminaires étaient signés
dcsle 3 oetobre 1735. Cependant la reine d'Es-
pagne, mécontente des conditions, ne voulut
accepter, qu'au mois d'avril 1739, la paix for-
mellement conclue a Vienne le 8 février 1738.


Elle obtint néanmoins le royaume des Deux-
Sieiles poúr son fils, qui s'était engagé a céder
Parme et Plaisance a l'Empereur, et la Toseane
au duc de I .. orraine. Fran<;{ois - Étienne devait
livrer de suite, pou~ la Toseane, le duché
de Bar et la Lorraine, aussitot apres la mort
du dernier duc de Toscane de la maison de
Médicis ~ o Stanislas, a qui on permit de gar-
riant et en imitant le dialecte autrichieno ) Que voulez - vous?
mon pere Léopold et mon grand-pere Ferdinand ont été trom-
pés et n'en ont pas eu de ressenliment, je ne puis done pas
en agir autrement.


1 Seekendorf, Joumal recret, page 130 et suiv., en fait un
rapport exacto


3 Le dernier due de Lorraine mourut l'an 1737, au mois
de juillet.


(




LIVRE 1, ClIAPITRE 111. 117


der le titre de roi, obtint pendant sa vie les
duehés de Lorraine et de Bar qui aph~s lui
devaient etre réunis a la Franee. On -don na au
roi de Sardaigne, pour le réeompenser dn
role qu'il avait joué, plusieurs seigneuries
qu'on détaeha du Milanais. .


VI. L'histoire du regne de Charles VI doit
etre divisée en deux périodes. La premie re com-
prend le temps ou sa bonne intelligenee avee
les alliés et les talents d'Eugene agrandirent
ses États, hérédit~ires des plus belles provinees
que I'Espagne eút possédées en Europe, 00
Charles hurnilia les Turcs, 6t perdre au roi
de Sardaigne la Sieile, et projeta des spéeula-
tions mercantiles, qui devaient lui assurer
une fIotte et les richesses des Indes.


La seconde période nous le présente mé-
content de ses ministres, trahi par ses servi-
teurs les plus habiles, et vendu par des em-
ployés subalternes l. N ous le voyons fléchir
d'une maniere honteuse devant les puissanees
lllaritimes, sacrífier son beau-fils, céder une
partie du Milanais au roi de Sardaigne 1. et
presque tont le reste de l'ltalie au prince d'Es-


\


~ On .trouve dans Flassan, tome V, le compte des sornmes
que le duc de Richelieu donna a son ministre pour se faire
des partisans.




118 HISTOIRE DU XVllle SIECLE.


pagne. Son trésorsetrouveépujsé, etlesTur,cs,
qu'il attaque avec l'aide des Russes, le forcent
de faire peu avant sa mort une paix ignomi-
nieuse. On á déja parlé des p'remieres actions
de son regne.Nous ~ verronsmaintenant do-
luiné par le caprice de vouloir assurer a sa
filIe la succession desÉtats héréditaires de l' Au-
triche par des traités, au lien de la mettre en
état de se soutenir dans ses' possessions, par
une armée bien organisée et un riche trésor.
Si ron disait combien ]a négligeIlCe daIis ton-
tes les branches de l'administration intérieure
augmentait avec la vieilIesse de Charles, il
semblerait qn'on se propose d'écrire une sa-
tire contra l'aristocralie p'Autriche, ou contre
le ministere qui met tout le bien-etre ou 'le


/' malheur d'nn peuple entre les mains d'une
seule personne, sans savoir si ses qualités per-
sonneIles la rendent propre a cette char-ge im-
posante l.


I Toute la monarchie, y compris NapIes et le Milanais, don-
naient environ quarante millions de revenu par ano Ceue
somme fut payée l' an 1 794 par la Hongrie et l' Autriche senles
(sans y compter la Stirie et la Carinthie), .et elles n'en fu-
rent pas accablée~. V lJistoire de Ma1'te- Thél'Jse, cinq volum'es
in-8°, 1743, tout au commencement du premier vol., cite
un des exemples qui prouvent que cet argent fut sínguliere-
ment employé. La maSS6 des fiuanciers proprement dits, (')u
des gens qui, outre les employés de la juridiction ou de l'ad-
mÍnistration, vivaient du salaire de I'Empereur, comprenait




LIVRE 1, CHAPITRE IJI. 1]9


I./origine de la fantaisie de Charles VI, de
constituer la Pragmatiqne-sanction en faveur
de la snccession de Marie-Thérese, date dela
paix d'Utrecht; iI n'avait cessé depnis de cares~
ser ce projetr. La Baviere senle avait refusé
constamment de renoneer a ses prétentions
qui n'étaient fondées sur aucun droit .


. La France, garante de la Pragmatique-sane-
tion, depuis la derniere paix, fut impliquée
imprudemment et, pour ainsi dire, eámme
arbitre naturel et direet dans les dissensions
qui se préparaient. A en juge'r par la maniere,
dont on avait fait la derniere guerre, par la
paix qu'on s'était fajt prescrire, et par la triste
position des fin~nees de l'Autriehe)- une nou-
velle' guerre ne pl~ésentait que de nouveaux


quaraute mille personnes des deux sexes~ et c011tait une somme
de neuf miUions et demi : dans les notes de cuisine on trou-
vait la 60mme de quatre mille fIorins wpensés pour du persil ;
dans les notes de cave, entre aJltres articles aussi ridicules ,
les suivants : « Donné a l'impératrice, veuV'e Amélie Wilhel-
« mine, pour boire avant de se coucher, tous les soirs, douze
« pintes de vin de Hongrie; fourni deux pieces de vin de
" 'Tukai, pour tremper le pain des perroquets de l'Empereur ;
ot pour un bain ,quinze seeaux de vin; la fauconnerie seule
" coutait quarante mille écus~ »


1 On trouve toutes les notices diploma tiques - et toute la
marche de cette affaire da-fiS un ouvrage cyclique de ce temps.
Histoire de la grande erise de t'Europe, ou des suites de la Prug-
~ati~ue .. sanetion el de la mort de CIUll'ld Vl; Londres 1743,
m"S.




I~Ó . IIISTOIRE DU XVIUe $IECLE.


désastres; mais l' espoir de pouvoir arracher
la Moldavie et la Valachie aux Turcs, l'emporta -
sur toute corisidération raisonnable, et meme -
sur l~équité et le droit naturel.


Le feId - maréchal Münnich, a la tete des
Russes; commandés ~lors par les plus habiles


# officiers de l'Europe, dispersés par la guerre
du ~ord ou de la succession, et équipés aneuf,
venait de conquérir laCrimée, de hattre les
Turcs, les ,Tartares, el songeait a une expédi-
tion contre ·Rumilie. /


Un traité de 1726 engageait les deux cours
cbrétiennes impériales a se preter, en cas de
~ guerre contre la Porte, un seCQurs mutuel de


trente millehomptcs; mais les Turcs recou-
rurent a l'in~ervention de l'empereur d1Aútri-
che qui demanda assez singulierement pour
lui-meme la Moldavie et la Valachie. Cela em-
pecha l'intervention, e~ la Russie réclama les
troupes auxiliaifes promises.


Dans l'état ou les choses se trouvaient alors, -
cette circonstance n'aurait point amené de
guerre avec la Turquie ,; mais Bartensteil! et
quelques autres I eurent l'idée de profiter de
l'embarras des Tures, pour faire des eonque-


1 Le baron de Schmettau ct le prince de Hildhurghausen.
Les détails se fi'ouvent en : Lehensgeschichte des Grafen von




·/
LIVRE 1, eH A PITRE lIl. 121


tes, el ils aimerent mieux déclarer la guerre
que fournir des troupes auxiliaires.


La premie re expédition contre les Ottomans,
en 1737, fut dirigée par Seckendorf qui ,comme
protestant, d'apres les idées re<;{ues a la cour,
n' était point en état de se signaler par de hauts
faits. D'ailleurs avare et arbitraire 1, il avait
sons lui le duc de Lorraine, époux de Marie-
Thérese, qui n'entendait ríen a·l'art militaire
et qui pourtant aspirait au cornmandement.
Le conseil aulique de la guerre, ~ont Kh~ven­
hüIler était président, et qui avait désiré se
mettre el la place de Seckendorf, dunna des
ordres d'un coté; l'Empereur, du fond de son
cabinet, en donna d'autres; ainsi, il ne faut
pas -s'étbnner si les affaires prirent des le com-
mencement une rnauvaise tournure, et si les
Turcs, battus de tous cotés par les Russes, ohli-
gerent les Impériaux el faire une retraite dés-
avantageuse. Seckendorf pouvait etre ~ coupa-
Schmettau, von seinen Sohn dem Hauptmllun von Schmettau.
Biographie da comte de Schmettaa, écrÜe par son fils te capitaine
de Schmettaa. BerliB, 1806, pago 14 et suiv. ,


• I PQtllnitz, t. 11, pagé 15g,dit:.1l áffectait la probité germani-
que qu'i\ ne connaissait pas, et, sous les dehors tromj,eurs dé la
dévotion , il suivait tous les principes de Machiavel. A un es-
prit d'intérét sordide, il joignait des manieres g¡'ossieres; le
mensonge luí était si habituel, qu'il aváit perdu l'usage de la
vérité. C'était l'ame d'un usurier, qUi passait -tantot d~n's le
corps d'un militaire, tantot dans celuid'un négociateur, etc.




12~ HIS'¡'OIRE UU XVIJJe Sd:CLE.
b)e, mais jI était .injuste de lui faire porter a
lui seulla peine d'une faute générale. Arreté,
le 3 noyeIJ1Qre 1737, impliqué 'dans un long
prQees,iln.e p\lt'reeQuvrersa liberté, pendant
Jq. vje d~ J'E:rllpereur, Jnalgré le vif interet que
OharJe,& preQait ft le défendre, et 'malgré la
eonyie~ionqq'n ~vait de son innocenee l.
L'~~pépitiQn &uiyante, dirigée par le due de
LQr~~hw ~t·)~ ~pmt~ de Krenigse~k, justjfia
~eckaI)porf ;, fQQS l~s ~~.Q.1ifirent,daDS l'année
1738, d~sf~~t~S'M g-r~ssiares~' que le duc' se
vjt eontraint d'aband~nn~r le commandement
de l'armée, et que Krepigseekfutobligé de se dé;.
mettr~ de la présidenee dll COJlscil aulique de la
gpefre, Ge d~:rp.ier eut'cependant untQut autre
sprl' qu~· Se,*eQdp:rf, e,aF' Qn' bá donna la. :pre-
m~er~ ch~rg~ de la cour. En! 739 Wallis et Nei·
p~rg, deu~ ennemis jurés, furent mis a la tt~te
des arroées- impériales, et le prémier 6t a
d~~seiQ. p~~~er le Danubea' l~autre pour avoir
seul l'hon~eur d'une vietoire qu'il croyait
assurée.


Les Tures étaient cOIDlJlanqés eette anllée,.la
par le mar.quis de BODneval, un des· plus ha-


1 o~ tl'9Jlve AaIlS Scbmettau, pllge 30 et sui¡l. le ~écit le
plus e~ct ~ ~~tte ~~péditioD. Seckendorf y est recounU tout-
a-faít ~9up~ble t plt-ge 5.4~ .


2 I{~ev~p.hüner vint lf! qer.nier de VienQe.




. LIVRE h CHAPITRE 111. 123
. hiles officiers de la ~hrétienté l. Cet homme
si~gulier, forIJlé a, l'écol~ des généraux' de
Louis. XIV, avait servi sous Eugene; ~on or-
gueil blessé lui avait fait abjuJ:er sa religion,
et on reeonnait f~cilement ses dispositions
da~s la discipline etdafJS 1'0rdre de l'armée
tl;lrque a la .pataille de Grot2:ka, le 23 juil-
let I739' .


Les Impériaux n'y essuy~rent pas seulem~t
une ~éiaite ignpmjIlieu~e ~ mais les ,deux géné-
rau~ W~.llis ei ~ e~p~rg~uraieJltété e~llierem'ent
'séparés l'uri de l'autre, si les Tures avaient
suivi les conseils de Bonneval,aussi bien apres
que pendant l~ h~taille. .
U~ pé4~1~ q~wtrigq~s,des ord~es op'posés,


l'activité du ministre fran~ais V~ll~l1eu:ve, ~
le désir de Marie -Thérese ~ de voir la guerre


1 Le marquis de Bonneval, issJl d'UlJe tres - bonne famille
franftaisc, se distÚlgua dans la guene de la succession i maÍs il
s' offensa lelleqle~t d'une impertinence du ministre de la guerre
~hamillafd , qp.'il se ~rut alltorisé a paS$Cl' a 1"eDnemi. 11 se
mil dans les ho~nes graces d'Eugep~, 'mó$itac:1epuis 1704 de
gl'a4~ epgrade, etfutllommé généf~let copseillev aulique de la
guerre.U~H~ e~s~ite ~n diffé~~~,.v~c le stathouder des-Pays;'
Bas, le marquis de Prie; aUa, l'an. 1721, en Turquie, ety:par-
vint de méme a un haut rang, $OUs le IlO~ dEl p~~h.~ A~hmet.
Quant a ses autres aventures', 'elÍ~s ne sonípluli.~iter ¡ci;
ou les trouve dans les Mémoires du domte de B~1l;e,P91, ~vec des
notes par M. Guyot - Desherbiers; Paris, 1806-, ~ volumes
in-SO, Mémoires sur le comte de JJonneval, par te pri~ce de Li{Jne;
Paris, IS07, in.So.


, I Il ne peut pas étre contesté que Mal'ie - Thérese avai,




124 HISTOIRE DU XVlne SIi~CLE.
contre les Turcs terminée avant la mort de
son pere, embrouilIerent les négociations de
paix qu'on avait entamées, et amenerent la
conclusion . d'un traité honteux pour l'Empe-
rtmr., Ce traité, basé sur la . paix de Passa-
rowitz" fut signé les 1 er et 15 septembre 1739,


On céda Belgrade a la Turquie, malgré
l'intljgnation que montra Charles VI quand
on lui, rendit compte du' véritable état des
choses. Wallis, ainsi que Neiperg , furent bla-
més publiquernent et arretés. Une longue cir- _
culaire, envoyée a tous les ministres impé-
riaux des cours étrangeres 1, lit connaltre que
l'Empereur se regardait cornme trahi et vendu,
et la paix ne fut ratifiée qu'au mois de- dé-
c~mbre 1739,
donné deS ordus 8e~ets a Neiperg; on le voit d'ailleurs <fa-
pres la maniere toute différente dont elle traita les trois pri-
sonniers d'État a son avénement au trone. Seckendorf fut
rendu a la liberté, on supprima toute enquéte contre lui,
et il fut méme employé de nouveau ,apres un cuurt séjour
dans ses ter res. Wallis obtint aupsi 5a liberté, mais on lui
signma, en termes tres-durs, de se retirer de la cour. Neiperg
fut reconnu innocent de la maniere la plus honorable, et em-
ployé immédiatement apreso


1 On trouve la note circulaire dans l' Histoire de la grande
crise d(J l' Europe, page 55-81, de méme qn'un récit40mplet
des faits, qui est suivi dll traitk de paix avec ,tous s~s détails.




LIVRE PREMIER.;


PAR TIE LITTÉBAIRE.






LIVRE PREMIER.


SECONDE PARTIE.
HISTOIRE LITTÉRAIRE.


l. La Frauce . ..;....Ii. L'Ángleterre.-ÍII. t'Allemilgne.


l. Autant les pattis en Franee different dans
leurs idées sur la religion, le gonvernement
el les relations de la vie, autant le jugement
sur les auteurs, qui ont eu f daos :les p:rogres
de l'esprit", l'influence la plus directa, estton-
tradietoire; puisqu'un párti reeonnait comme
pernicieux, ee que l'autre regarde eomme sa-
lutaire', et que Tun bénit ee qui est maudit
par l'autre.


Sans discuter sur le plus ónmoins de Iilé-
rite des écrivains, nous ai~ons mieux étabiir
eorome certain que la linérattire, les ffibdes,
l,es mreurs et le gouvérnement franQais'influen~
cerent trop ~orfement toute l'E-qt'ope, depuis
le commencement du dix-huitieme si(~cle jus-




128 HISTOIRE DU XVIIIe SIECLE.


qu'a la guerre oe la ~uccession d'Autriche.
Cet te influence se fit sentir en Ángleterre, et
tlonna bientot une autreteinte a la littérature
de ee pays.


La tendanee de la littérature franc;aise qui
nous üecupe id, celle qui influa direetement
sur l'État, ses mreurs et sa vi e, s' était fait sentir


7'
dans ]a derniere partie du dix-septieme siecle.
On avait tüut rapporté, en Franee, a l' étude
des aneiens, autant que la natioQalité fran~aise
le permettait l. Les regles pédantesques qu' on
übservait du temps de LÜllis XIV dans les rap-
pürts jüurnaliers de la vieet de la südété, furent
<le meme übserv~esd~ns tüus les üuvrages
d' esprit, qui se trouverent répandus par les
réfürmés fran~ais,~ engagés partüut eümnle
güuverneurs des prinees; car la langue et les
usage~ fran~ais étaient uevenus indispensables


1 J'enappelled'autantpIusaunFranctais,quedepuisplusieurs
années j'avais l~s memes idées sur la marche de la littérature
fran«iaise que M. de BARANTE, dans son livrede la Littél'aturefl'an-
faise pendant lp dix-huitieme si~cle, page 36. n dit, page 38,39 ;
cOn oublia entierament ces anciens chants; toute traditÍoD-natio-
nale devint le patrimoine exclusif des doctes qui connaissaient
bieIi Horace et -Pindare, mais qui oubliaient la nature. Ceue
imitabon des anciens eut d'abordun caractere pédantesque et
entierement hors de la vérité. Peu a peu iI se forma une sorte
de mélange, le~ cir~onstances réelles modifierent les emprunts
qu'on faisait a la littérature ancienne, et il résulta de ceUe
double action une direction moyenne, dans laquelle on a ton-
jours ma~ché depuis. "




LIVRE 1, PARTIE LITTÉRAIRE. 129
a toutes -les cours et dans toutes les affaires
diplomatique~.


On sentira facHernent, d'apres ce que nous
venons d'exposer, cornment et par quelle rai-
son avant les encyclopédistes 1, quelques au-
teurs franc¡ais purent changer les idées et les
opinions de toute l'Europe. On vit le con-
traire de ce qui s'était passé du lemps des ef!1-
pere,urs romains. Alors le christianisme opéra
une révolution qui sortit du peuple et- se ré-
pandit sur les hautes classes; ici,ce fut les 'áu-
teurs de bon ton qui en effectuerentune autre,
en commenc;ant.par les classes élevées, afin
de la répandre ensuite sur le peuple.


Pour ne pas" etre injuste envers les fri;.
voles disciples des docteurs de Paris, il faut
remarquer d'abord qu'ils n'avaient inventé ni '
le genre ni la maniere, mais que la tendance
contre la religion et leculte s' était rnontrée déjil,
en Angleterre, au dix-septieme siecle,' eomme
en ltalie auseizieme,dans les écrits des penseurs ,
les plus distingués; ~l faut ensuite se rappelér
que la profession d'auteur devenant un rné;
tier, on' spéc~lait sur les passions et les désirs
de la foule, ou bien,on écrivait seulement pour


• Noua appelons ainsi l'epoque de la guerre de sept nns , et
les dix années qui suivirent. '


H. l. 9




·30 'Hl5TOIR'E UU XVlIIe SJECLIL
entretenir et amuser le public; il faut obser-
ver encore que l'absence, de toute peine ou
_réprimande, meme dans les choses les plus
graves, ne prit son originé que dan s les Pays ..
Bas, et dans quelques autres contrées 1, ou les
réformés fran~ais s'établirent. Ce fut le hesoin
qui obligea les protestants émigrés a montrer
d~ns des écrits leur talent, leur éloquence,
leurs connaissances diverses, leur esprit na-
tUl!el, oppos~a l' érudition insensée des écoles,
enfin leur facilité a s' exprimer, Fésultat du siecle
de Richelieu, de ~Iazarjn et de Louis XIV. G


Ces' auteurs se procurereftt ainsi, surtont
dans les P~,s-Bas, des moyens d'existence; ils
fournirent des livres a la France et tirent fleu-
"ir la librairie hollandaise, ayant en ce pays
toute liberté d'écrire, pourvu que les illtérets
de la nation fussent toujours respectés.


Comme nous n'indiquons ici que les épo'*
ques principales,. il serait horsde propos de


. parler de tous les hommes qui méritent
d'etre compris dans cette derniere catégorie;
~ous n' en citerons que quelques-uns comme
exemple. Bayle occupé parmi eux, sans 'contre-


1 Ceci est expliqué et recherché de plus loin, d'apres le
caractere général de l'homme, et d'apres la marche naturelle
de l'esprit huma in, dausl'ouvrage spirituel de M; DB BUlANTB,
intitulé de la Littératu;'~fran~ais. pendant le dix - huitieme siecle.




LIVRE 1, PARTIE LITTÉRAIItE. .31
dit, la premiere place, quoiqu'il appartienne
pIntot au siecle précédoot I ; iI inHua puissam-
,ment~ le publicpar son grand Diciionnaipe
critiqueet par son Journal; il fournitaux mil ..
leul"~ et aux auteurs frivoles, mais habites de
rage suivant, les matériaux qu'íls n~aur-a'¡'ent
jamais su rassembler sans' luí. Il joignit a une
érudition profonde une grande connaissance
du creur humain.
TQ\lt~a-fait,ex>empt·de préjugé&2; ilput ser-


vi .. · tO\l$ ~s pat"tis·, et si ondoit lui reproch<er
quelques traits sardooiques, 00 ne pourra ja-
maisl'accuser' de s'etre porté a ·de véritables
injures. Qu'il ait flattéquelquefols les désirs et
le caraetere futile, aiors encorecaché dans la
haute classe, elest ce qu'on peut'avouer: sarlS
lui faire le moindre tort, pUiSqtl'il voulait ·etre
In; lnais la plupartde sesnomhr-eu~ onvrages


1 Bayle mourut l'an 1706.
2 J e ne crois pas pouvoir mieux dépeindre Bayle que par


UIle anecdote que F01Icher, Bis/oire 4' caivlinal de Polignac,
Par.is, 1~77" deux vol. iu-8°, tpme I,page 4u>, ~po~le de
!tú : e Le cardinal Pollgnac demandait a Bayle de :quelleJSeCte
etde quelle opiniqn il était; eebli-ci l'épOlldit par 1m-pauage
de LuOl'eee; pre~sé de JiI;<Mlveau, il, se contenta ~di¡re: epa'il
était hon protesJ~t, ce. qui ne signifiait pas dar.mtage; plus
vivement pl'essé, il répéta, ane une sortecrimpa~:floCe.: oui,
~nsieur, je suU bo" p,.o~6taRt ,daRs t(Aa/e la force da. ter~,
C4r .. 4~s lefQ¡uj demon ame, jeprotest4'CQlJlre·tolll ce qui se dit
etsefait ••





132 . HISTOIRE DU XVIlle Sd~CL'E.
50nt écrits pour .de vrais savants; il offre '
toujours dans ses' traits mordants le pour et
le contre, il n'est ni malveillant, ni digne de
blame,puisqu' on doit supposer aux lecteurs la
faculté de discerner et de juger les choses. Bayle
d'aiUeQrs est toujours cité lorsqu'on parle des
prédécesseurs des encyclopédistes ; Baillet l' est
~oi.ns. Cependantson ouvrage intitulé : Juge.. .
ment~des Savants mérite d' etre regardé comme
un ouvrage im,partial ~Iqui dépeintparfaitement
son tempset celuiqui le précéd'a; mais sou-
vent ce n'est qu'une compilation.


Il faut que BailIet ait eu une tres .. grande
influence sur les géuératjons suivantesen
Franc:e, Ol! il faut adrileltre que Sabatjerde
Castres .a menti en cent occasions t.


Nous citerons aussi Jean Leclerc, quoique,
dans ses quatreoovingtdeux volumes qui paru-
rent d'abord comme Bibliothéque générale,
ensuite comme Bibliothéque choisie, il :p.'ait


t Baillet vécut de l'an 1649 jusqu'a l'an 1706, et mourut a
Paris, mais son livre appartient a la littérature du dix-huitieme
-sioole. Sabatier de Castres, dans les ·Trois Siecle.r de la Litté·
raturefranfaise, trois 'Y01. in-8°, 1784, tome 1 ,page 79, dit:
.. Presque toutes les préfaces des ouvrages de Baillet formellt
autant dtarticles dans le Dictionnaire Encyclopédique, sans
qu'on ait pris la peilile d'en avertir le lecteur .• Cela m'a été as-
suré a París par plusieurs autres personnes qui étaient plus
digoes de foí que Sabatier; do reste, je ntal jamaisfait mo.i-
mhne cette coJllparais.on.




LIVRE 1, PAR'fI~ LI'fT:f:RAIRE. J 3'3
eu l'intention que de donner une suite a' la
République des lettres de Bayle et qu'il se pro ...
posat le meme but. Nous parlerons d'autant
lnoins -du nombre pr.odigieux· d'auteurs. q.ui
écrivirellt alors dans les Pays-Bas, sur l'histoire,'
la littérature, la· philosophie et ·les . relations
de la' vie, que plusieurs d' entre eux, prin-
dpalement le 11larquis d'Argens, qui.ont in-
fIué sur I'Allemagne, par leu~liaison:avec


. Frédéric II, doivent etre mentionnés. plusbas.
Quap.t aux auteurs fran~is, -en ,Fra~ce .meme,
les poetes aussi bien que les prosateurspri-
rent déja, avant le regoe absolu de Voltaire,
le. ton léger en vogue a lacour du Régen,t, et
~ournerent toutesles·choses sérieuses et graves
en dér.ision.


Voltaire et Montesquieu faciliterent le·'dé..;
veloppement des connaissances' d'une roa·
niere adroite et ingénieuse. Ils ap.lanirent
les difficultés , exposerent le sérieux' sous
une enveloppe plaisante et rendirent les prín-
cipes, d'apres lesquels les princes et les pte-
tr.es avaiellt' gouverné le monde, odieux: bu
ridiéules .dans les cercles Oll on les' lisait.' lIs
acheverent ce que les auteurs répúblicains
de Hollande et d' Angleterreavaient con~
meneé.




134 .HISTOIRE DU XVI He sIl~cLE.
Quant auxpoetes, leur ton de légereté se


'manifesta dans' ·teurs ouvrages des le siecle
meme de LoGis XIV~ Jean-Baptiste llousseau,
dan s ses JÍpigramm:es, se perdait quelquefois
dans ,la ·a~1aisoD et dans l' obscene 1 ; Chaulieu
qo? Oh lisait peut-etre plus 'lúe Rousseau fut
mo·ins ,amer 'et IIJoins licenciellX ;mais le ca-
.ractere de ses' poésies . donne lieu de cToire
que. ses admi:Mteurs tie suivirent pas franche-
IDeRt la' momIa fib ehtistianistiJe:).


Les deu~ autet1rs ptíncipaux qui infltterenf ,
eommeréformatetlrs, sur les gouvernements
de I'Europe et sur les' principes, la vie et les
relatiotts des hattteselasses, ne doiveilt etre
eonsidárés r ici que' sOtíS ueux points de ~ue.
D'abord du coté de la finesse,' jusqu'alors
ÍDouie, ave-c laquelle íls surent gagner les es-
prits 'et flattel' les passit>lls; ensnite du coté


I Ce genre de satirse, auquel le Uvra Jean-Baptiste Rous-
leao , dut. surprendto tout lé iíloBie, et ltii lit a"autant plus
de torl, qu'il voulait passer pot41' un poll~ sérieux, paa- ses
6des , ses psaumes, et ses autres chants religieux. ,


•• Cene société' m. Temple dont ii a chanté tes plaisirS Ílvee
tant de ;srace el. d'abandon , était l'héritiere de la société des
Tourn.ellés. La gaieté des amis de Ninon avait pa$Sé, en pre-
Dant 11D C81'acte.re plus licenclest:;c, chtz les couFtisans dti grand-
prieur de, Vendome. On sait assez qnelles habitudes ce prince
et sun frer'e apportaient dans les camps , quels exemples ils
y donnai.ent; quelles opinions ils y professáient, sans ~e
I'etenu. ~ le re.spect dti a leur rang, etc. • M. DE BA.B.A.NTB ,
de la Liitérature franfaise pendant le dix-huitieme siecle, page 42.




LIvnE 1, PARTIE LITTÉRAIRE. I~5
de l'habileté Qvec laquelle 'ils porterent, mem~
dans les choses les plus sérieuses , le badinage
et le ton moqueur de la haute société avec la-


"-


quelle ils étaient en relation.
Voltaire qui devint ensuite, en 1740 oú


• rastre de Frédéric se leva, l'ami et le. maitre
de cet homme vraitnent grand, le juge-absolu
dJl gout en Allemagne et meme dans le Pala-
tinat, .et qui d9nna ph~s .tard( 1764) 4eslpis
a St.-Pétersbourg , s' était frayé danS la période


- que nollS parcourons le chemin qui devait le
conduire au point de gloire qu'U atteignit par
la suite.


Le long séjour de Voltaire en Angleterre
eut lieR au eqmmeneement dQ. ·fiiec}e l.; il Y fut -


\
si intimetnentlié a.vee Bolingbro~e et quel<Iu~
atUres ennemis du christjallislll~et de .l~ ~~ ...


. vérité des stiences ánciennes, qu'il {ut reté en
Angleterre avant de l'etre en Allemagne. Il
venait de fixer, en meme temps comme auteur
dramatique et par le premier essai de sa Hen-
riade 1, toute·l'attention de sa nation. Bientot
I'Europe entiere fut remplie de sa gIoiré. Il
donriá. a la phiÍosophie et a l'bistoire la cou-


x Voltaire fut en Anglete'rre de l'an 172.~ ~ 1729.
:a La Henriade ne fut publiée, l'an 171,3 J que SOUi le titre


de la Ligue.




136 IIISTOI~E DU ,XVIIle SIECLE.
leul' et le ton qui convenaient aux hautes clas~
ses l. Il se moqua de la relig~on , des mreurs
etde ladécence, dans un chef-d'reuvre d'es-
prit et d'obscénité, répandu en manuscritdaus
toutes.les sociétés distinguées 2. Il était des-Iors
ramí intime du prince royal de Prusse.


De meme que Voltaire prit·, en Angleterre,
tant par les amis qu'il y.avait que par'l'étude
qu'il 6t de, plusieurs ouvrages anglais, une
nouvelle -direetion;, de meme Montesquieu,
qui apparti~nt aussi a la premiere moitié de ce
siecle, adopta, dans son ouvrage le plus mar-
quant, une maniere tout-a-fait anglaise, bien.
que l' ouvrage qui lui valut sa premi<~re célé-
bríté -en Fraliée fU. ~crlt·d'un ton fort léger
et dáns l'esprit de la société du Régent. Ce
premier ouvrage par lequel Montesquieu dé-
buta, les Lettres Persanes 3; dut plaire par. la· .


Z Comme nous verrons V oltaire plus tard nu falte de sa
grandeur, il suffira de désigner ses ten dances ,d'apres llordre
chronolQgique dans Jequel sesouvrages parurent alors.


t 706, Petites poésies;- 1718, OEdipe ;"'1723, la Ligue,
(connue ensuite sous le nom de la Henriade); - 1724 a
1729, tragédies et autres pillees; - 1730, Brutus;- 1731,
Charles xn ; - 1733 , Leltres philosophiques , Dictionnaire phi-
losophique; - 173-6, .A lzire, l'Enfant prodiGue; - 1738 ) EIé-
ments de laphilosopltie de Newton, Essa; surta naturedufeu ,"-
1739, Défense du llewtonianisme.


• La Pllcelle fut répandue en manuscrit par parties détachées
des l'année 1730.


3. Les Lettres persanel parurent l' an 172 I ; nous croyons




LIVRE 1, P,A.RTIE LITTÉRAIRE. 137
politique ,souvent obscene; amere et satirique
qu'il contenait ~dans un temps ou la mémoire
de Louis XIV, qui s'y trouvait outragée, était


d'~illeurs ,qu'outre l'instruction que l'anteur del'Esprit des
Lois avaif acquise en lisant des l'efátions de voyages, son éru-
dition De fut. pas bien éteDdne (comme l'a remarqué Vol-
taire, ennemi déclaré de tonte érudition); du reste, nous
n'examinons point Montesquieu soos ce rapport. Nous prenons
l'homme tel qu'il est réputé o,rdinairement. Nous le r~gardons
d'apres l'histoire t de méme que Voltaire, comme la.propriété
de l'opinioll publique. Nous remarquons en méme temps que
M. Guizot, ami de l'a~r .de .la;.Litt{raturefranfai4~ pendant
le dÍ3;~huit~ liecle (M.deBarante), n'a nullement approuvé
ropiniou 'fIW no\8 -.vons énoncée sur le premier ouvrage de
Mont~eu; elle peut étre fausse, nous ne cherchons point a
abuser llotre reclenr, mais elle est notre opinion invariable * .


• M. Schlosser ne nous semhle pas avoir justement apprécié toute l'im-
portance des Lettres persanes et de leur sueces; la forme, il est vrai, en
est légere, et U se peut .qtl~, bo.rs de France et apres no siecle , quelques
allusíona ne paraissent pas claires, 00 soient devenues moius piquantes.
~:_ L6ttre~ Pfr-ltfM6ont no plus baut .Dlériteque.l'agrémentcdelá
latire , et ont produit un bien autre effet que d'amoser ~_málignité des
contemporains. Elles ont émancípél'esprit de la Franca sur.le despotisme '
et les mreurs des cours. L'éclat du regne de Louis XIV avait insJ,>iré a la
nation une admiration sincere; les plus grands esprits, éblouis ou iJ!timi-
dés , avaient perdutoute hahitude de juger le pouvoir ; a peipe quelques
bommes entrevoyaien~ilsla profonde faiblesse du systeme de gouver:ne-
ment qui. prévalait, &t tont príncipe politique, tOot 5eD.timent patriQtique
disparaissaient graduellement saos que personne ft1t choqué de ('ette se-
crete décadence. Montesquieu le premier tit sentir, daos les Lettres per-
sanes. les vices de ce systeme, et quel affaiblissement, quelle corruption.
mena~aient no paylo11 J.a conr était tout , sous ongouvernementlivré aox
plns misérables intrigues. Plus tard ces .,vices devaient. etre'¡attáqués
par des doctriDes, mélées de beaucoup d'errenrs, mais conséquentes et
énergiqna: au momentde.la PQhlication des.Lettrespersane" ces doc-
trines n'existaient point encore, lepublic n'était pqint ~ncore .vivement
préoceopé de raisonnements et de ,tbéories: politiques; l'ironie de Mon-
tesquie\l devat;t~a les théories et leur fraya le-ch~min en frappaut de ri~i­
cule ce que bientÓt elles devaientrenverser.,Malgré la légereté de la,




138 \ BISTOIRE DU XVlIle SIf~CLE.
encoré toute récente, et ou 1'011 ressentait la fa·
tale influence du systeme de Law, qui s'y trou ..
vait dépeint sous le jour le plus odieux; lnais
ces lettres n'ont plus aujourd'hui le. rneme
sel , paree que les ·allusions sur les mreurset
les partieularités du temps deviennent natu-
rellemént plus obseures. •


Le séjour de Mpntesquieu en Angleterre
donna une' autre direction a ses idées, et, a vant
qu'il fit paraitre l'-llsprit des Lois '\ il s'occUpa
du droit publieproprement dit;.lsentáit com- .
bien le gouvernement franc;ais ruinait alors
ses sujets. Il écrivit dans le prernier fen de ses
nouvelles inspirations, en 1714, les, Considé-


'rationssur les causes de la. grafuJeur des Ro-
maitu 'etlkleuriJécadence, li.re qui mériteune
place a coté des dialogues de M,achiavel sur
fonne, .rialgré ~ ton quelquefois cynique de la satire, i1 y a áu fond, daD5
léSL'ettres persanes, des idées et des sentittlént!lplúsÜrlbux, pluslllo..
ranlt m~nl.eque depuis long-temps la Fl'IUlce á'~ aeooutmn~e a eIl voi1"
porler en pareilIe 1ítá~ J et élles ctmtribuePéDf ¡m~eD:t a affran ..
chir les esprits que plus tatd l' Esprt't 'tIes Ló~ detéh éclai~. On ¡e
trompe sur le mérite '&5 écrltS d'lin bOinme de géntC:i , si l"ón M 15e re-
pó~i léur époqú-e-, cái' ónt(ryoit plUs aloM que Fmtnepbitosophique
oú liiter.ure ; on oublíe quelté plaée-ih oot tefiue, queDe inilnmuie amiTe
et I'éelle ilS out eXercee clault le coUrs·Cle8'táits :m :lJ4ttres pin-rliMs, qili
De sOntaujó'n.'ra'Jltti qu'une Satil'e; Iürtmi en t7~t un ffftém~nt. elles
firent haute attX 'tónteinporams '<Hl fa frirolliéde fordre so.ciaL, dé loor
pi'opre ftivoliM. et leur Í1I.SpireFeIl t ami lb besoin de maiurs plus Cortes
et d'inrerets plus smeus:. e' est par la /mrtóut qu'elIes 80n1 un ~pertaD t
ouVrage , et doiTent ~re rangées au nombre des symptÓmes ataca CaUfie&
d~ progres de ce sieCle, qai en a fuit de si gt'ftDds. (F. G.).




LIVRE 1, PARTIE LIT'NRAIRE. 139
Tit~Live,autant a cause des bonnes que des
mauvaises -idées qu'il renferme.


L'histo¡'re,dll peuple romain est représentée
daos cet ouvrage de maniere a faire bien res-
sortir le contraste d'une nation énergique,
disposée a. agir et -a penser; avec un etat gou-
verné systématiquement par une couí' que
trop de civilisation semble avoir énervee, C'est,
comme ton s les autresouvrages' fran«;a:ts qui
obtinrent dansce siecle de la célébtité ,ptutOt
le proouitde l'tHoquencé ,qu"nne bistoíre OH
une suite de recherches philosophiques; le
plus bel éloge qn' on puisse en faire, e' est qu'il
retentit, comme la voix d'un homme qui pense,
aux oreilles etlgounlies dO: peuple;mais s'il
Wlait lui acoord:erle méri>te qU'ttn-&aíl~ais
luí reconnrut, nous avouons que'notistl~ pOtlt--
rions porter le meme jugement sur aucnn
ouwage allemand, san's désbon6rer pour cela
n0tre natioo l.
~M, LaeretelIe dit, e:n parlant de eet onvrage : 'c qu'il pretait


c aux eolllpatriot~s de l' auteur ,el) le lisallt, le phís gránd
c charme; oui J le mérite le plus solide, de se sentir, apres l' a-
« TOir lu, mIgré toute l'admiration pbul' les Romains, plus
c heureux d'~tre. Fl'a~ais. • •


J'avais d'abord l'idée de supprimer eette note, ¡uisqn'on m'a
prbúvéque e' étaituil8és cOJites qné M~ Lacretelle dehitait depuis-
<D\'il n'était plus jacobin, pour expíer Ses' VieGx:péchés; maiS
je la laisse pour faire observer eornment. ces messieurs traitent
1'lílsliOlte.




JAo 'IUSTOlilaE DU XVIllc SI tCLE;
L' Esprit des lois, rendít au gouvernemel1t 'et


a la législation le memeservice"<}ue les Consi-
dérations -sur les'causes de la grandeur des Ro-
mainsetd{! leur.décadence rendirent a l'histoire:
car,dans lepremierouvrage,le gouvernement
anglais et 5a législatioIl étaient aussi hi~n ex-
posés"que., dans le dernier, l'histoire romaine
an;cienne ..


, Apres avoir"reconnu le principe, que tous
l,es auteuts) que: nous: venons de nommer, et
leurs. nombreux imitateurs, étaient ennem~
du eu] te 'existan t et des dogmes adoptés, en
considérant que, maitres de la Jangue, i1s em-
ployerent toutes les finesses dü cornmerce so-
cial dans leurs ·écnts,. pour .répandre leurs·
idées; on expliquera facilement comnlent et
pourquoi ilspréparerent peua peu une révo-
lution, que. nous verrons éclater plus tardo


H. Il sera facHe de démontrer, saos' ent~er
plus avant dans l'histoire de la littératür~ an-


. glaise, qu' elle ne fut pas aveuglement emprun-
téecomme . celle des Allemands au'xFranc;ais;
que c'étaiellt plutotles Anglais qui influerent
sur leurs plus grands auteurs, mais que les écri~
vains anglais changereIit cependant de tonet
de maniere, soit avant les Franc;ais ,soitd'ap~es
leur exemple. Nous pouvons passer sous: si-




LIVRE 1, PA.RTIR LITTÉRA.IRE. 14l


.Ience Toland, et tonte la série .~esenne~is
proIloncés de l' Apocalypse, surtout ceux de
la religion chrétienne, puisqu'ils appartiennent
réelleJIlent an siecle précédent, et qu'ils n'eu-
rent jamais une grande influence sur lanation ;
mais il fant nécessairement parler de ces feuil-
les périodiques, desquelles les Anglaisdatent
leur nouveau style, et la nouvellemaniere de
trai ter les .belles-lettres.Elles-furen t .regardées
.pendant long-:temps commesclassiques, 'et le
sont encore en partie, car elles avaient été rédi-
.géespardeshommesattachésal'écolefranc;aise,
maist qui n'approuvaient pás la légereté et qui
préféraient au contraire une morale sévere l.


Steele commenc;a le Tadler ( Causeur ), Ad-
di~son le continua avec lui ;ils tr.availler.ent
ensuite tous les deux auSpectator (Specta- '
tenr) et iJs entreprirent plus tard le Guardian
( Inspecteur ) 2. En jettant les yeux sur ces


K Ces jou.rnaux tombent eneora dans le temps sérieux des
FwIlCiftis. Le Tadler date du mois d'avril ~09, jusqu'en jan-
vier 1711.


Le Spectator du mois de mars 17II, jusqu'en décem-
hre 1715.


a Le GuarJian de l'an 17 I 3, jusqu'en 17I'¡.
Eichhorn, Geschichte der Litteratur (Histoire de la Lit-


térature) ,tome IV, part. 11 , page .207, C'Íte ungrand nombre
d'autres journaux de eette espece que lesuceeideoeux meD-
tionués avait fai! naitre.




14!l ,HISTOJ RE DU XVI He SI ECL E.


deux écrits1· OU en lisant le Caton d'Addis-
son, si célebre alors, on reconnait aussitot
que les reglesdel'école fMnf(aise y pl'édO'mi-
nerent l.


Ce qllC. cesoommes avaient exécuté d'UB
coté, &>1ingbroke et ses par.tisans l'effectue-
rent de l'autre. lIs voulaient avec Voltaire lais-
ser la superstitio:Rau peuple ; mais les hautes
:classes devaient en· etre 6xemptes et se mettre
au-dessusde tollt-cequi n'existe que ilansla
foi.


Bolingbr<>ke surtout-eontribua heaucoup par
ses écrits a faire accueillir et gouter Vohaire
et Montesquieu en Angleterre~ L'influence mu-
tualla dti 'Fr~n~ais eol des Anglais·, ·etleurs·cf-
liorts réuni~ pout opérer un changement dans
les idées religieuses et politiques, en répan-
dant les lumieres dont ils avaient été éc1airés,
se manifestentplutot dansles prosateurs que
dans les poetes, et surtout dans lesphiloso-
.phes. • • .


Locke se forma presque seul , par l' étudc de


x Cowley, Dryden, Prior. Waller, méme Thomson et
Pope, ont bien plus de regle et d'élégance qu~ d'originalité et
d'éll~rgie, qualitésqui con"Viennent aux Anglais. Il serait dif-
ficÍle de po:rter un jugement sur Swift. Glover doit étre nom.mé
~i ; Young tom},e dans une époque plus moderne. Ses Nuits
ne parurent que Pau 1741.




LIVRE 1, PAllTIE LITTÉRAIRE. 143
la philosophie ~rtésienne, a devenir ce qn'il·
fut plus taro; et son Essai sur fintelligence hu-
maine .servit ensuite de base a la philosophie
franc;aise réfléchie, qui fut exposée, sous les
formes les plus diverses, par toos ces hommes
que nous citer.ons dans.la suite, . quoiqu'ils
different tant entre eux, et qu'Oll reconnaisse
si peu Locke dans leurs systemes.


Antoine-Asthley Cooper.,' plus .cormusous
le nom de eorote de ~haf~bul'y ~, suiyit pre&.
que avec la rMOle tendance que. Voltaire la.
route d'une philosophie légere et adaptée a
la vie, et la sellsation que ses écrits, rassenl-
blés ensuite SdllS le titre de Caractéristiques,
ont pr-oduite ,a -été, en. quelque fru;on, plus
forteque ceUe qúe les auteurs fraw;ais pe ce
genre ont causée.


L'histoire dut prendre de meme une, ten-
dance toute fran~aise depuis qu'en 1737
H~me joignit a .l'esprit et a la saillie la con-
nrussance du creur humain, la finesse et l' é-
légance du style, et· une ooucation entiere-
ment franc;aise. Hume et Gibhon al/aient
achevé leqrs étq~es e.1,l Fta~ce. Hume resta ,


1 La philosophie de lord Chesterneld en ca1qIMe sur les
m$t¡es bases,. mals moins sY!ltématique; el~ n'ese pour ainsi
dire qu'un pur égolsme.




144 B15TOIRE DU XVIIl6 SI:F.CLE.
meme apres, toujours"en rapport avec les Fran~
c;ais, en suivant l'ambassadeur anglais aux
cours deParis, de Vienne et de Turin. Nous
ne parlons d'ailleurs id que de ses essais
historiques, puisque son ouvrage principal,
l' Histoire ti' Angleterre, ,appartient au temps
qui va swvre ..


111: En tournant nos regards sur I'Allemagne
et:sur la littérature allemande de cetteépoque I,
HOUS ne nous étonn:rons pas devoir des ambas-
sadeurs, des nobles' instruits par desvoyages,
des hommes atalents-, qui,n'avaient point suivi
la routine, des universités, des princes élevés
presque tous sansexception 2 pnr des Fran«;ais ,
lnontrer de larépugnance pour -les 'écri~s de
leur prop~enation et s' entourer ,de gens qui
parlaient une autre langue, et qui avaient
d'autres moours que le peuple dont ils de-
vaient etre les souverains et les peres. Com-
ment un homme tel' que Frédéric 11, prompt
et énergique, riche en saillies et en connais-
sance deshommes, comment, dis-j e, pouvait-
il prendre en.'affection ceHe philosophie lente


I Dei'ivá, N ouvelie 'Vie de Frédér,ic '11, Amsterdam, 1789,
in-So, chapo IV, 'page 37 et suiv., eu parle a sa maniere. c'est-
il-dire superfieiellement.


2 Frédéric-Guillaume (l'AÍlemand dans la (orte du terme)
m~me awit eu m~dame de Rocole ¡mur gouvel'nante.




LIVRE 1, PAIlTIE LITTÉRAIRE. 145
et pédantesque, cette poésie dénuée d'esprit,
ceUe rhétorique sans gout eteeHe langue bar-
bare, qui demandait un Gottsehed pour se
faire supporter ? . eomment un prince admira-
teur des Fran<;ais pouvait-il diriger et gOllver-
ner de son fauteuil tous ses États, et plus tard
les affaires de l'Europe, et suivre', en meme
temps, la marche de la révolution miracu ..
leuse qui changea tout-a-fait la, face de la lit-
téra ture dans les vingt dernieres années de son
regne, et la porta a un degré d' originalité qui
retombe sur les Fran<;ais, malgré toutes les
peines qu'ils prirent pour s'y opposer.


Leibnitz, qui, comme grand esprit, sut en
toutes choses, meme dans la· philosophie et
dans la théologie, s'accommoder· au gout pu ..
blic, sans se faire tort a lui - meme ou a son
opinion, avait di¡ rendre homnlage aux usages
fran<;ais: il avait du se servir de la langue fran-
<;aise afin d' obt-enir l'influence qui devient un
besoin pour un esprit aussi é~evé l •


. Il lui faUnt entretenir des connaissances et
des liaisons avec l'Angleterre et la France·,


x Boyneburg, chancelier de Mayence, qui le premier re-
connut le grand esprit de Leibnitz, et qui .voulllt l'employer
dan s les affaires d'Etat, l' engagea a se rendre en France" et
iI resta á Paris, comme onsait, l'an 1672 etI6¡3,etensuite
pendant quinze mois, en 1675 el 1676.


H. I. JO




J46 HISTOIRE DU XlVIII- SdO:CLE.
comme avec I'Allemagne; il ne voyait que
dans ud avenir bien éloigné la langue et
la littérature alle:rnandes 'prendre un carac-
tere na.tional. Si les próneurs et les admira-
teurs de ce gra~d homme, dont la plupart
des ouvrages sont écrits en fran<;ais correct,
mais dur, 'ou en latill melé de galliéismes,
avaient montré le meme zele que lUl pour la
langue et la littérature allemandes, on n'au-
rait pas eu besoin de Gottsched pour les ré-
'fomerl.


Il est vrai que la natioD allemande oe man-


1 Gottsched écrivit une. brochure excellente intitulée: Ge-
danken wégeIi. Verbesserung der deutscnen Sprac,he (Réflexions
sth larJfonne .. /aire daiu la langue allemande), oa il dit, § 24:
• On apprend, pu ,les décl'ets de l'Empire et par d'autPes
actes állemands, quel fut le so1't de cette langue. Elle 'était
parlée ~sez correctement dans le siecle de la réforme ,
mais mélée de quelques mots italiens, et méme de mots espa-
gnols, qui' s'y étaient glissés en dernier lieu par la cour impé-
riale et par quelques servrteurs étrang~s; mais lors de la guerre
de trente ans, r Allemagne fut mondée de peúples étrangers
et indigenes, la langue en souffrit ainfl que le pays, et OD
voit les acles de l'Empire de ce temps remplis de mots que
nos. aieux auraient démentis. Apres les traités de paix de
Munster et des Pyréllées, la langue et la puissance &anctaises
dominerent chez D-oUS. La France fut, pour ainsi djre, pro-
poséecommemodelede toute élégan$:e. " On voit que ce grand
homme avait tres-bien saisi la chose. On trouve cette brochure
tout entiere dans Leibnitz. Collect. etymol., ex edito J oan
Georg. Eccardi. Hanov. 1717, in-SO" et enextrait dans Schrif-
ten der Mannheimer Gesellschaft ( Ecrits de la Société allemande
de Mallnlceim) , tome 11, page 201.




LIVRE 1', PARTIE LITTÉRAIItE. J 47
quait pas enCOFe d' auteurs vraiment nationaux,
~ais ils ne furent reconnus ni des savants· ni
des gens de qualité, qui seuls donnaient alors
le ton; car malheureusement ils étaient pas-
sés ces jours de cordialité el de probité avec
la mutation du systeme de gouvernement et
avec les progres de la civilisation 1, . et l'in ...
fluence frant;aise 'se faisait sentir en partant
d'une source élevée.


Les théosophes nevoulaientpas des dogmes
de la Bible , mais ils demarid~ient un systemel
Les efforts de Spener, de 'Godefroi Arnold, et
de plusieurs auíres, dont le mérite, pour la lan-
gue et le caractere allemands, n'ont pas en ..
core été assez qignemellt appréciés, ne fu ..
r-ent utiles qu'it un petit nombre 2; le génie
transcendant de Jacques Brehm passa sur ·lá


1 11 s'agit ici des piétistes; nous ne chercherons ni a les dé-
fend~e,Di a les accuser; maís tout le monde conviendra que
les príncipes qu'ils donnerent valaient mieux que fe dogma.
tique insipide qui régnait, comme une nouvelle doctrine
sc;olasti<¡ue, des le dix-septieme siecle, dans PÉglise luthé-
rienne; il fallait qu'il y eut quelque eh ose de national pour
qu'ils se répandissent si promptement dans toute l' Allemaglle.


2 Parmi les vingt-cinq ouvrages principaux de GodeftoiAr-
noId, son Histoire de r Eglise et des lIérétiques, sa ríe des Fi-
deles, ou Relation des Izommes pieux qui se sont surtout signalJs
dans les deux derniers sreeles, son Histoire el 'tfsc,.iption de la
Tkéologie mptique, et enfin les Eerits religieu¡Q.J.e han Nusbl'O-
c/Uus; Die paraissent les plus importants. '


10.




J48 1IISTOIRE DU XVIIl8 SIECLE.
nation comme un souffle, puisque la parole
lui manquait, et que ses orades philosophi-
ques ne, trouver'ent point de prophete I qui
leur servitd'interprete.


Leseul qui, daos le nouveau chemin, cher-
cha a. res ter aHemand, fut Chrétien Thoma-
sius. Ses Pensées ingénues, gaies, sérieuses,
ou dialogues 'des mois sur divers livres, et sur-
tout sur les nouveaux ouvrages, conserverent
-le caractere nationaldanstoute sa pureté, mais
'aigrirent les esprits et firent beaucoup de
bruit. Thomasius, excité par la masse des pré-
jugés et du pédantisme invincible des univer-
sités et de leurs apologistes, passa du piétisme
a la philosopbie réfléchie. Du moment qu'iI
reconnut lesysteme de Locke, il fray.a, sans
le savoir et sans le vouloir, le chemin a la nou-
velle philosophie fran~aise.


De la science proprement dite, qui trouvajt
encore de fórts soutiens dan s Leibnitz, Tho-


, masius et autres savants contemporain~, ~i
ron passe auxbelles lettres, nous voyons déja
Opitz méconnaitre la langue de sa nation,


r 1I'pO({)~T"G. Il y avait, comme on sait, des gens attachés
a l'oraele de Delphes, qui versifiaient les sons inarticulés de
la pretresse lorsqu'elle se trouvait ~ans un saint délire, et qui
les transmettáient ainsi a ceux qui venaient la consulter.




LIVRE 1, PARTIE LITTÉ.ft.AIRE. 149'
suivre les Fran~ais et les Belges qui travestis-
saient en quelque sorte les anciens, et re-
commander, en plusieurs endroits de ses poé-
sies, l'imitation des nouveaux modeles. Ses
conseils ne furent, hélas! que trop bien suj-
vis l. N eukirch , le poete le plus distingué de
ce temps, vonlut versifier le Télémaque. De
Besser, qui n' occupait pas un rang moins élevé
parmi les poetes, entreprit un poeme épique
sur la vie du gralld électeur Frédéric - Guil-
laume ; Patsch, une épopée sur sa majesté im-
périale; de Krenig ,une sur le roi de Pologne.
Enfin Postel fit un poeme épique, en. dix
chants, intitulé le Grand lritteküzd 2 ,;


Qui aurait pu s'attacher a de tenes produc--
. tions, apres avoir lu et compris les livres anglais


et fran~ais? Les compatriotes de Frédéric,mal-
1 Voyez le huitieme volume des suppléments de Sulzer; iI


est vrai que tout ce qui y est donné comme histoire de la
poésie alIemande n'est pas trop profond, mais cela n'était pas
Don plus le but qu'on se proposait; e'est un récit vrai, pru-
dent, dans lequel on a mis trop d'importance aux dissensions
puériles des Lipsiens et des Suisses.


:1 Le grand Wittekind est un' poeme en dix chants, que
Gottsched loue beaueoup. N ous croyons pouvoir donner une
idée suffisante de ce poeme et de tous ceux que nous D.vons
placés dans la ~me catégorie, en citant les premi6l's vers : '


.. Divinité, qui as b¡:illé surle Sinai, daigne embraser mon
.. esprit par ton ardeur, l'éclairer par ta lumiere, et le forti-
.. fier par ta grace; qu'un transport illuminatif se manifeste
.. seulement devant toi. lO




150 HISTOIRE DU XVI n e Sd:CLE.


gré leur moralité et leor habileté, le faisaiént
m'óurir . d'ennui; il lisait les étrangers avec
plaisir, quoiqu'iI méprisat et rejetat Ieur phi-
losophie et leur' doctrine. Il est vrai qu'il y
avaitquelques poetes eomme Amthor, Ri-
chey, etc., qui ·valaient un peu mieux; mais
combien leurs idées étaient faíbles. Brokes
meme, dont le Plaisir terrestre en Dieu, de-
meurapendant un demi-siecle un livre popu-
lail'e, ne s'élt,ve porot, comme poete, a une
place éminente. Go ttschedpanit enfin, et
quoique nons ne puissions adopter l'opiníon
de ceux qui méeonnaissent entierement son
grand mérite, il nóus parait cependant con-
stantqu'il avait la :parfa:ite conviction que les
poésies el les ouvrages d' éloquence se faisa:ient
de la meme maniere que l' écolier fait son
theme. D'apres cela, le modele et la regl~
étaient pour lui la chose essentielle. Il ne les
emprunta aux anciens que de temps en temps;
mais souvent aux Franc;ais et a lui-meme. Tout
cela suffit póur expliquer la sensation qt}'il
. produisit. Gottsched, favorisé .de Menken, vint
a. Leipsick; eeUe ville possédait albrs le droit
decritiquer les ouvráges allemands, et il fut
bientot au fait de toutes les petites finesses par
lesquelles on se procure des amis et de la ré-


I I \




LIVRE 1, PARTIE LITTÉRAIRE. 15l


putation : on va d'abord doucement, on rampe,
ensuite on protége, on répand par ses pro-
tégés une auréole autour de soi, on se fait
encenser; et ceux qui font le service de l'au-
tel, parviennent par des recommandations a
des places qu'ils ne mériteut pas, el devien-
nent meme de grands hommes avant d'en
avoir le pressentiment.


Le journal, qu'il publia d'abord I, fut d'ail-
leurs tout nouveau dans son genre et, comme
réveil des Allemands endormis, une entreprise
méritoire. Ilexcita l'intéret sur les livres écrits .
dan s la langue maternelle, méprisée jusqu'a-
lors parmi les savants. Ses propres ouvrages,
qu'il écrivit dans l'intentiQn de fo~der une
littérature eIl Allemagne, n' eurent, au com-
mencement, d'autre succes, que de faire pa-
raitre un grand nombre d'écrits, qui n'étaient
ni fran«;ais, ni allemands, ni dans le gout an-
cien, ni dans le nouveau; ils causerent cepen-
dant enfin un mouvement. dan s la natioD et
produisirent un chaugement complet dan s la
maniere de penser et d'écrire; car les ouvra-
ges de Gottsched, ou directement, ou par les
eDtr~ves qu' on opposait au 'Douveau dictateur,
do-nnerent le jour a la littérature allemande,


I Die Tadlerinnen (les critiques ).




152 HISTOIRE DU XVIIIC SLECLE.


qui comln/en~a a briller a peu pres dix ans
avant la révolution fran<;aise. Le prernier et le
principal ouvrage de Gottsc~ed, dans le- gen re
dont je viens de parler, fut sa Poésie critique,
qui parut en 1730. Ce n'était qu'un résurné
des regles fran<;aises, appuyées sur des mo-
deles fran~ais. Un tel manuel, rédigé en alle-
mand, dut e!re utile alors, mais il n'est pas
nécessaire de dire que tout hornme d'esprit
dut préférer les sources.


Dans ,sa Rhétorique raisonnée, publiée en
1736, ce sont moins les Fran~ais que les
Grecs et les Romains qu'il suivit avec soin et
él la lettre; mais a coté des exemples des Grecs
et des Romains, il présente les siens . d'une
maniere tres-assurée. Gottsched,- dans la cita-
tion et dans la critique des prosateurs, qui
s'étaient distingués en quelque sorte, et qui
avaient écrit depuis 1680, nous faít déjél voir
combien il y avait peu d' Allemands, él la fin
du dix-septieme et au commencement du di x-
huitieme siecle, qui écrivissent passablement
leur langue.


Scriver, Müller, Lassenius furent des ora-
teurs ecclésiastiques. Lohenstein, Francisci,
Puffendorft de Ziegler, Fuchs, Canitz, Besser,
Thomasiús , des écrivains séculiers; et, si l' on




LIVRE ], PARTíE LITTÉRAIRE. 153
remarque que Gottsched et ses disciples de-
vinrent alors les juges du gout et qu'ils vou-
lurent meme réformer le théatre, on aura tout
dit. Gottsched fut tellement eonvaincu de son
talent poétique, qu' en 1737 il fit chasser, par


. madame N euber, qui était a la tete de la troupe
la plus distinguée des eomédiens du temps, l'ar-
lequin du théatre, avec une solennité ridicule,
et qu'il erut donner, dans son Catan mourant,
a la nati?ll allemande, la premiere tr~gédie
véritable.


Lorsqu'oIl suit la marche de la littérature
Jt


aIlemande jusqu'en l'année I74o, on ne ~'é-
tonne plus de voir que tout homme instruit,
qui n'était pas 'scolastique, ou qui n'apparte-
nait pas au vulgaire, ne voulut ríen lire d'al-
lemand.


FIN DU LIVRE PREMIER.






I \


LIYR·E DEUXIEME.


PARTIE POLITIQUE.






!LIVRE DEUXIEME.


PREMIERE PARTIE.
HISTOIRE POLITIQUE.


CHAPITRE PREMIER.
GUERRE DE ,LA SUCCESSION D'AUTRICHE.


l. Depuis le commencement jusqu'a la :fin de la premiere
guerre de Silésie.- 11. Depuis la paix de Breslau jusqu'au
commencement de la seconde guerre de Silésie. - 111. De-
puis le commencement de la .seconde guerre de Silésie
jusqu'a la paix de Dresde . ..:- IV. Du traité de Dresde jus-
qu'a la paix d,' Aix-Ia-Chapelle.


l. Irnmédiaternent apres la mort de Char-
les VI, arrivée au mois d' oetobre 1740, les
bases faetices dela Pragmatique-Sauetion, que
Charles avait j etées avee tant de soin, s' éerou-
lerent. Aueune des puissances qui avaient
garantí a la filIe de Charles VI l'intégritéde
la succession 1, ne se montra disposée ~a rem-


• L'Histoire de la crise de l'Europe, page 87-98, cite toutes
les puissances qui, par traités, avaient accédé a, la Pragma-
tique-Sa~ction, ainsi que les articles des diffé~ents traités qui
parlent de cette garantie.




158 HISTOIRE DU XVIIl8 SIECLE.
plir l'obligation contractée. Mais ~arie-Thé­
rese, . pa!' ses lumieres et sa fermeté, par le
parti qu' elle sut tirer de l'attachement du peu-
pIe a ses souverains, par l'admiration qu'ins-
pirait sa grandeur d'ame au milieu des dangers
et des troubles, se soutint seule, sans recourir
aux traités de son pere, aidée des seuIes ar-
mes de ses sujets et surtout de la bravoure des
Hongrois.


L'Espagne et la Baviere n'avaient pas d' abord
reconnu Marie-Thérese. L'Espagne prétendait
a la monarchie de Charles-Quint, n'ayant ja-
mais approuvé le partage des anciennes pro··
vinces espagnoles, stipulé par les traités d'U-
trecht et 4e Rastadt; la Baviere s' était élevée
des l'an 1724 d'une maniere formelle et pu-
blique contre la Pragmatique-Sanction; elle
chercha alors a faire valoir le testamen t de
Ferdinand 1, e-n appuyant ses prétentions sur
une clause du codicille et du contrat de ma-
riage qui rénfermait les conditioHs auxquelles
Anne, fille de Ferdinand, avait été mal'iée a
Albert V, trisajeul de l'éIecteur régnant. Lors-
qu' on eut prouvé la nullité de ceUe clause, la
Baviere eut recours a quelques autres chicanes
de droitI.


• La Bavjere, qui avait vu deux fois des filies de la maison




LIVRE 11, CHA.PITRE f. 159
Les réclamations de l'Espaghe et de la Ba ..


viere étaient dans le fond peu a craindre; l'Es ..
pagne seule ue pouvait rien entreprendre, et
Charles Albert de Baviere, prince faible et
pieux, n'avait ni argent ni armée, et se laissait
-conduire tantot par ses ministres, tantot par
ses maitresses; ~adame Morawi tzka qui épousa
le prince Portia, et la comtesse de Fuggerfurent
celles, qui conserverent le plus long - temps
leur influence.


La Prusse présentait un tout autre aspecto
Frédéric 11, ayant succédé a son pere au mois
demaiI 740, chercha avec empressement a
se distinguer par de hauts faits et a déployer
la grandeur de son génie. Sa propre situation
et celle de l'Eur<>pe alors ne pouvaiellt lui etre
plus favorables. Son pere lui avait laissé un
riche trésor, soixante-doúze mille hommes,
armée considérable pour ces temps-Ia: elIeavait
d' Autriche unies a ses électeurs, prétendit que la clause du
testament de Fréderic ler disait: • qu'en cas qu'un souve-
rain d' Autriche mourrait sans laisaer d'héritier mMe, toute
la succession reviendrait aux desct!Iidantíi de ces épouses d' .Al-
bert de Baviere; • mais le vice - chancelier de Slnzendorf fit


, convoque!' tous les ministres étrangers qúi se tróuvaient el
Vienne, et leUr 'montra la piecé originale, qüi parlait
d'héritiers légitimes, tandis que la copie de Baviere port~
héritiers males. La Baviere eut alors recours au droit d'hé.
rédité regressíve, ou la succession, d'apres le drbit romain-
aUeman~, fllt confondue avec l'ordre de &Uccession d'apl'es
les coutumesallemandes en )ignes directes.




160 HISTOIRE DU XVIII- SIECLE.


été formé e par un éleve d'Eugene , et Frédérie
a son avénement au tróne en av~it banni tout
ce qui n'était que parade 1 OH exagération ri-
dieule. Il' put employer cette armée a sa vo-
lonté, car c'étaient des troup~s salariées. Outre
qn'il la regarda comme une maehine a sa di s-
position, iI considéra les revenus de son
royaume comme son bien particulier, et ~on
génie'neconnaissait aucnn obstacle quand il
s'agissait d'exéeuter ses projets, quand meme
il ent fallu saerifier l'indépendanee des ci-
toyens.


Frédérie II fut le premier qui , les armes a
la main , fit valoir son droit a une partie des
états de Charles VI, en déclarant dans tous ses
manifestes qu'il n' attaquait point la Pragmati-
que-Sanction, quoique l'Autriehe ent violé les
conditions en échange desquelles la Prusse
s'était rendne caution 2; il demanda les duchés


1 Il Y avait bien encore dans l'al'mée prussienne quelque
prédilection pour les hommes d'une grande taille, puisque les
officiers restaient, et que cela se transmet comme tradition.
Les opinions sur le trésor que Frédéric- Guillaume laissa sont
partagée~; Frédéric ne déclara que huit milliGlls écus , et par
de bonnes raisons; tI'ente millions écus s'accorderaient avec
le rapport que Frédél-ic Guillaume me.ttait tons les ans buit
cent miUe écus de coté.


2 La famille régnante dans le Palatinat était prMe a s' éteindre,
et Charles Théodore, descendant de la ligue de Sulzbach , hé-
ritait de tous les pays du Palatinat. Prédéric-Guillaume, en




J,IVRE 11, CHA.PITnl~ 1. 161
Silésiens, Liegnitz, W ohlau, J'regerndorf, Brieg ,
et il ne commen<;a pas comrne la Baviere par
des négociations 1; mais au mois de décerobre
il entra en Silésie avec une armée au moment
ou l'on s'y attendait le moins. Leministere en
Baviere était part~gé; Unertel,alors chancelier,
et le grand-écuyer comte de Preysing étai:ent
par des raisons tres-plausibles contre le projet.
de faire valoir les droits de la Baviere sur
toute la succession de l'Autriche¡ Trerring seul
appuyan ce plan; el a cet effet il a\rait entre-
tenu avec la France des rapports qui n'avaient
pas toujours été honorables pour lui 2. :Fleury
qui gouvernait les affaires de la France n'ap-
prouva pas le plan de cette vaste entreprise
lorsque Trerring vint en 1738 a Paris 3; et le


accédant a la Pragmatique-Sanction, avait obtenu de l' Autriche
que le pays de .Berg serait excepté et gu'il reviendrait a la
Prusse, comme une possession enlevée antérieurement a la
maison de Brandebourg. La France et l' Autriche l'a'Vaient ga-
ranti, mais elles l'etirerent Ieur parole, et la Prusse se vit dé-
gagée de . son obligation.


J Frédéric; abandonnant les négoéiations a des hommes de
robe, prit de suite les armes. On trouvefous les écrits sur la
prétention de la Prusse a la Silésie dans Faber, Staa~s-Kau-
ze]ei (Chancellerie de ['Etat) , tom.- 78-79-80. .


2 Trernng ayant formé depuis plusieurs années uueétroite
liaisouentre la France et la Baviere, s'opposa,depuis l'a~ 1735,
a ce que la Baviere donnlh le contingent a la guerre. de l'Em-
p~~ -


3 La Chroniqu~ scandaleuse (Joumal de Seckendoif) rap-
H. l.




16~ HISTOIRE DU XVIU8 SIECLE.
cardinal ne se serait. jamais décidé pOUI' la
guerre si les deux freres Bellisle ne l'y euss~nt
engagé pour ainsi dire malgré sa répugnance.
On se servit alors pour' la premiere fois de
l'influence fatale li'une maltresse du faible roi
Louis XV, qu' on avait enfin éloigné de la reine
son épouse, et qu'on entraina ensuite par de-
gré jusqu?aux dernieres débauches t •


. Frédéric >11 se serait contenté alors de quel ..
ques provillces de la Silés.iesi l'Aútriche n"'ent
toutrefusé. Ce ne fútpourtantqu'au commen-
cement de l'année 1741 que le feld-maréchal
Neiperg, a la tete d'une armée autrichienne,
re~ut l'ordre de se porter sur les provinces
en v.ahies; il chassa au moís de mars les. Prus-


porteq~'Unertel aurait bien voulu ~tre débarrassé pour qUel-
qúe temps de Trerring, qui commen"ait a jouir d'un tres.gran<l
crédit, el que la comtesse de Fugger, niece de Trerring, n'en fut
pas fachée, paree qu'il désapprouvait sa liaison avee l'électeur.
Fleury disait alors que quoiqu'il erut plus avantageux pour la
Baviere de ne pas mentioriner les droits éventuels de la mai-
son de Baviere a la suecession d' Autriche, que l' électeur ee-
pendant pouvait eompter sur la Fninee qui' remplirait a la
lettre l'obligation contraetée avee la Baviere. Louis XV donna
l~i-meme eette réponseéquivoque a l'ambassadeur d'Autriehe,
quand illui annonc;¡a l'avénement de Marie-Thérese au trone.


I La maltresse de Louis XV était alors madame de Mailly;
son inHuenee ne surpassait pas eelle de Fleury. mais elle l'ero-
portait quelquefois sur lUÍ, ou ,il eédait. Les deux Bellisle, le
cornte et le chevalier, s'adressaient a madame de Mail1y, qui
montra au jeune roi que Fleury laissait flétrir la gloire des
Fran~ais.




LIVRE 11, CHAPITRF. l. J63
siens de la Haute-SiÍésie et leur offrit le com-
bat le 20avril , a une petite lieue de Brieg pres
de Molwitz. Ce fut la premiere bataille' a la-
quelle le roi assista en personne. Le prince
Léopold de' Dessan et le comte de Schwerin
remporterent uné victoire complete I , a laquelle
Frédéric n' eut aucnne parta Cet événement
facilita les projets du comte de Bellisle : aidé
de solf fl'ere et de leurs amis, il avait enfin ga-
gné Louis e~a vanité desFran~a:is. lIs avaient
fait a.dopte'r le plan de donner un Empereur
a I'AlJenlagne et de démembrer l'Autriche.


Des le mois de mars Bellisle l'ainé, devenu
depuis maréchal, ,fut envoyé en Allemagne
pour faire nornmer empereur T électeur de Ba-
v~l'e. Un grand nombre d'agents subalter~es
l'accompagnaient partout ou il se montrait,
et toutes les'cours allemandes se laisserent ou
éblouir par sa magnificence, ou gagner par
ses largesses 2.


:r Frédéric lui-méme, dans l' Histoil'6 de mon temps, est assez
modeste pour avouer qu'il fut spectateur de la hataille et non
cause de la victoire. Le prince Léopold de Dessau commanda


• la réserve avec beaucoup de sueces, et le comte de Schwerin
tira parfaitement parti du petit feu.


2 Le 9 avril 1741 , le comte de Bellisle se rendit incognito
a Berlín, et de la a Bonll, Coblentz, Mayence, Dresde, puis
en Silésie au camp devant Brieg (Trerring l'accompagna a
Berlineten Silésie), et a Munich, entin a Mannheim; le s5
juin il était a Frandort, et le 1 1 juillet de retour a v ersailles.~


JI.




16!J HISTOIRE DU XVlIle SIECLE.
Il était él peine depuis deux mois en Alle-


rilagne que, se réunissant a Tcerrirl'g et aux
négociateurs d'Espagne ,il fit conclure le 18
mai 1741 le traité de Nimphenhourg, dont les
véritables dispositions n'ont jamais été bien
connues I • La France et la Baviere furent les
principauxcontractantsdans ce traité.La Fran-
ce s'engagea a Journir quarante mille hommes
et él empecher le Hanovre, Treves, l\iayence
et les Pays-Bas des'opposer aui'-projets de la
Baviere. L'Espagne accéda pour elle et le roi
des Deux-Siciles ( c'est-a-oire pour la Sicile),
él la ligue contre Marie-Thérese. I~a Prusse, porir
gagner le Palatinat, renOllí,{a au point depuis
long-temps en .litige, sur la succession de Ju-
liers et de Berg. La Pologne, la Saxe et la Sar-


1 D'Ohlenschlager, Geschichte der Interregnums ( Histoire
de l'lnterregne) , venait de I'indiquer dans le second volume;
dans le troisieme vol., page 39-40, il donna'le traité entre la
Baviere et la France, mais ii dit en meme temps que BellisIe avait
déjil déclaré alors, par la voie des journaux, qu'il était sup-
posé: de méme Fiassan, Bistoire de la Diplomatle fram¡aise.
Comparez W ~isse, Geschichte der Kursrechsischen Sta aten
(Bistoire des Etats de la Saxe électorale ), tome VI, page 132 ,
ou iI faut lire mai pour marso


Le cornted'Hauterive, garde des archives aux affaires étran-
geres, m'avait promis trois fois positivement de m'éclairer sur
ce point et sur un autre; il avait méme éloigné mes scrupules,
lorsque j'appris tout d'un coup, par une voie indirecte, que
M. le comte ne tiendrait pas sa promesse; je ne pus done in-
sistel' davantage sans blesser les convenances;




LIVRE IJ, CHAPITRE I. J 65
daign~ s'unirent a, cette ligue I ponr prendre
part au bulin. La seule puissance en état 'de
preter secours a Marie-Thérese était la Graride-
Bretagne; mais Walpole, a qui le parlelnent
était vendu, craignait de s'engager dans une
guerre; la voix du peuple l'avait bien forcé
malgré lui de faire une expédition navale con-
tre l'Espagne; mais il pouvait éviter une guerre
sur le continent sans offenser lavanité de sa
nation. Georges 11, par crainte pour ses États
d'Allemagne, n'osa, sans i'assistancedes An-
glais, employer les trente mille soldats hano-
vriens qu'il avait rassemblés pour secourir
l\Iarie-Thérese son alliée. J~a crainte de Georges
pour le Hanovre étant connue, la France fit
passer la Meuse a un corps d' armée , et la Prnsse
envoya une armée d'observation, sons la Con-
duite du vieux prince de Dessau,sur le territoire
de Magdebollrg. Ces menaces eurentleur 'cffef,
et Georges prornit, dans un traité conclu le 27


,septembre a Hanovre, non seuÍement de res ter
neutre:1; mais il s'engagea "en outre a donner


, La Saxe ne prit les armes contre Marie-Thérese qu'au mois
d'octobre 1741, en alléguant pour cause la co-régence de
I<'ranc;:ois.


:1 La dette nationale de l' Angleterre provenait en grand'e
paptie de ce que Georges Ier et Georges I1 furentimpliqués , a
cause du Hanoyre, dans 'toutes les affaires dn continent, et'




166 HISTOIRE DU XVIIIC SJECLE.
;


lo~s de l'élection d'un empereur, sa voix a l'é-
le"cteur de Baviere.


Marie-Thérese resta donc abandonnée a elle-
n}(~me. Si Fleury av~it gouté le projet duma-
réchal de Bellisle, s'il avait, d'apres la méthode
observéede nos jQurs par les Franc;ais, écrasé
I'Autriche par une armée de cent quarante
inille homlues, le systeme des États de l'Eu-
rope aurait pu etre changé; mais Fleury comp-
tait sans raison sur la Baviere , et il prétendait
que la France ne faisait point la guerre a l' Au-
triche, lnais qu'elle .envoyait deux corps d'ar-
mée de trente et de vingt milIe hommes au
secours de l' électeur de Baviere'. Les troupes
alliées eurent bientot occqpé l'Autriche. I~e~
Saxolls se réservant la Haute-Silésie et la Mo-


pay~rent des subsides, ce quí irrita beaucoup lous les vrais
Anglais.


Le fils excellent de Georges II , F rédéric , prince de Galles,
qui mourut l'an 1751, fut toujours de l'opposition, et, étant
avec son roí en discussio~ publique et scandaleuse aínsl que
Georges II l'avait été avec son pere, des scenes comme on les
trouve rapportées dan s les Memoirs ol the life and administra-
lion 01 Robert IValpole, 3 -vol. in-4° , ou 5 vol. in-8°, 1798,
tome IV, page 585, n'étaient pas rares.


Deux .ingements opposés sur les freres Walpole se trouvent
d'ailleurs dans deux livres anglais; le défavorable dans les
premieres pages de R eview 01 the reign 01 Ge01we II, 1762 ,
in-So; el le favorable dan s Memoirs o[ Horatio lord Walpole,
ttc. "y Will¡am eore, troisieme édit., 1820, in-8°, tome 11,
tout au commencement.




LJVRE JI, CHA.PIT.RE J. 167
ravie, leur g~néral Rutowsky, a la tete de vingt
mille hommes, se joignit aux Fran<;ais et aux
Ravarois qui, le 26 novembre, se rendirent
rnaltres de Prague.


Le roi de Prusse rompit 5a promesse, donnée
dans une conférence , de demeurer neutre pen-
dant quelque temps, du moment qU'UIl traité
avec la France, du ler novembre 1741, luí
assura la possession de' la Basse-Silésie l. Marie,
abandonnée· de tous cotés, se réfllgia aupres
des Hongrois, et ces derniers· montrerent au
mondequ'un peuple qui sent sa dignité et qu¡'
est inspiré par un véritable enthousiasme,
lorsqu'il s'agit de défendre une cause chere
et sacrée, devient invincible.


La reine étaitpartie au mois de juillet pour
la Hongrie; elle s'était attaché le peuple par
son amabilité et par sa déférence pour les
mreurs dll pays; elle avait excité les plus grands
transports dans la nation par le discours qu' elle
pronon<¡a du haut de son trone ~, le I 1 sep-


r La conférence des Prussiens et des Autrichiens eut líen le
9 octobre 1741 , a Petit-Schulendorf, ou Frédéric promit de
continuer les négociations de paix pendant I'hiver; mais on
n'eut pas grande con6ance en ses promesses.


2 La chose serait plus touchante , si je racontais que MarÍe-
Thérese entra dans l'assemblée des Hongrois, tenant dans
se~ bras J oseph II, son Ills, alol~s agá . de six ans ; qn6
les Hongrois tirerent leurs épées r el; jurerent • moriamur




168 HrSTOIRE DU XVllIC sJi.:CI,E.
tembre 1741, quand elle remit ses destinées
entre les mains des Hongrois. Ce qui ne con-
. tribua pas peu a la satisfaction du peuple, fut
que le hon Fran~ois son époux déposa, d'apres
le désir de la nation, la co-régence qu'il ,avait
acceptée sans le· consentement des États, et
qu'il ne reprit plus tard qu'avec l'assentiment
des Hongrois. Fran~ois resta d'ailleurs dans la
suite sans la moindre influence dans le gou-
vernement des pays hé.réditaires, car Marie-
Thérese était tres-jalouse de son autorité. Ce
ne~ut qu'en Hongrie qu'elle consulta sou-
vent le vieux palatin comte de PaJfy.


La reine, pour fIatter la nation, s'habil1ait
a la hongroise. Elle rétablit la constitution
telle qu'elle avait existé avant les troubles de
Ragotzky et de Trekely. Les Hongrois épuise-
rent leurs mines d'argent pour lui fournir des
subsides. Une grande partie de la noblesse


.. pro rege nostro Maria Theresia,., comme Engel, dans
l'Bistoire de Hongrie, le rapporte. Le jésuite G. Ferrarius,
Res bello gestre ausp., lIJar. Theres, Vind, 1733, dit: .. Ora-
.. tione et infantuli Josephi aspectu excitavit Panonicorum
« animos; » mais Coxe prouve, par le rapport de l'amhassa-
denr anglais Robinson, que l'enfant ne fut transporté que
le 20 septemhre a Presbourg, el présenté ensuite aux États. n
est dit m~me, dans l' Histoire et les actions de lJ1arie - Tlté-
"ese, 1 7 4 3 , quatre vol. in-So, OU toutes les pieccs justifica-
tives du temps se trouvent, tome ler, page 585, que Joseph
ne fut transporté que le 20 septembre a Preshourg.




LIVRE 11, CHAPITRE I. 169
prit les armes, et une foule prodigieuse de
troupes légeres accoururent de toutes les con-
trées du royaume.


Au mois de décembre 1741, l'électeur de
Baviere re((ut I'hommage des Bohémiens qui ,
si ron en croit Frédéric 1I, lui étaient plus
attachés qu'aux Autrichiens; mais il· quitta
presque aussit6t la Boheme, pour aller a
Frencfort ( on était sur le point de le -procla-
mer empt:reur), lorsque Khevenhüller passa
les frontieres de la Baviere, pres de Linz', et
que Menzel fit des incursions en Baviere a la
tete de ses Croates et Pandours.


Au commencement de l'année suivante (le
17 janvier 1742), le général bavarois Trer-
ringl se trouva cerné entre deux petits fleuves
et totalement battu par Brerenklau qui sortait
de Schrerding et par Menzel qui venait de Vils-
hofen. Sa défaite. ex posa la Baviere, mit I'ar-
mée fran((aise en Boheme dans une position
critique, et for((a le général franc;ais Ségur de
capituler a Linz, en se réservant la liberté de
se retirer avec dix mille hommes, tandis que
Charles VII était -élu par les Franc;ais et cou-
ronné empereur d' Allemagne.


/


I Tre~ring avait été posté jus<Ju'alors en Bohéme avec
Broglie.




170 HISTOIRE DU XVIIi- SiECLE.


, Les Impériaux occupaient sa capitale, les
hordes 'barbares de Menzel t ravageaient ses
États héréditaires. Charles convoqua bien une
diete et une assemblée des États de l'Empire
a Francfort"mais il n'avait pas le moindre cré~
dit dans l'Empire, et il se vit bientot dénué
d'argent et de toutes ressources:¡. 11 parut en
vain une nouvelle armée fran~aise. Les affai-
res des alliés devenaient de plus en plus dés-
espérées , et Robert Walpole ayant été éloigné
le 3 février J74~ du ministere d'Angleterre,


t Menzel se dépeint lui et ses hordes le mieux possible par
le décret contre la milice de Baviere, qu'il publia le 7 janvier
a Nied: « Si la milice osait i'élever et agir-bostilementenvers
1( moi, je ne la reconnais plus pour milice, et je ne la feraí
«point punir d'~pres les lois de la guerre, vu qu'eile n'est
« composée que de rebut, de gens misérahles et odie'ux, qui
• n'~ront d'autre traitement ou pardon a attendre de moi.
« qu'a étre condamnés a se couper les uns les autres le nez el
• les oreilles, et a étre livrés ensuite a la juridiction civile pour
.. étre rendus. JO


2 Si l'on veut savoir a quelle extrémité il fut rédu~t l'année
suivante, et combien les princes allemands, qui préféraient
voír assister ainsi leur empereur, au lieu de fournir eux-mémes
de l'argent, étaient peu animés par une vraie gloire nationale,
iI faut lire les Mém'Oires de Noaítles. Il y est dit, tome V,
page 359 : « Comme l'Empereur était réduit a demander nqn-
" seulement la continuation des subsides pour ses troupes,
t( maís un subside alimentaire pour sa personne, le maréchal
« crut devoir lui prOCllrer au moins de quoi ne pas mourÍr
.. de faim; illui 6t toucher quarante mille écus sur une lettre
.. de crédit qu'il avait. Ce prince ne les accepta qu'il condi-
• ·tion deg subsides qui devaient lui revenir. »




LIVRE 11, CHAPITRE I.


un nouvel ennemi formidable I nlena<;a la con-
fédération.


La Baviere étant occupée, et les Fran<;ais
menacés d' etre bloqués dans Prague, Frédé-
ric seul s' éleva, parmi les pygmées du temps,
comme un colosse, et, pour la premiere fois,-
montra él rEurope étollnée ses talents mili-
taires. Ils lui assignent le lneme rang qu'a Cé-
sar, qui l' emporte sur Ini comme auteur et
historien, mais qui n'approche pas de Frédé-
rje, quant a la connaissance et au mépris des
hommes.


Pendant que Marie-Thérese cherchait la vic-
toire dans sa confiance en Dieu, dans la bonté
de sa cause, daos l'amour de ses sujets et le


. droit héréditaire, soutenu par l'opinion de~
1 En lisant les cinq gros vo1um~s des Memoirs 01 the Lije


and administration 01 sir Robert Walpole, by Coxe, et sllrtout
la fin du cinquieme volume, on dirait que la voix du peuple
m~me n'était rien; mais iI faut aller un peu plus au fond de
la chose. Le roi de Prllsse, dans ses OE u"res posthumes, tomo 1,
page 242, montre bien qll'iI ne peut nullement se figurer un
tel gouvernement. Walpole lui est cher, iI regarde sa chute
comme une cabale, iI dit que tous. les seigneurs voulaient ve-
nir au miúistere, la voix du peuple est intrigue a ses yeux.
L' Anglais, qui a écrit Tite Lije ofGeorge II, page 64, dit au con-
traire • que Robert Walpole, s'étant .aper~u de la violence
de la chambre, et reconnaissant combien iI était détesté, avait
quitté la chambre et déclaré qu'iln'y retournerait jamais. Le
jour suivant, le 4 févríer, le roí prorogea les deux chambres
de douze jours, ce qui causa une grande 'indignation. Robert
Walpole , dans cet intervalIe, fut créé comte d'Oxford. "




172 H 1STOl RE DU XV 11 le Sd~CL}<:.
peuples, Frédéric la trouva dans la persuasion
que l'esprit et la force constitllaient le droit
et devaient etre tous ses ,dieux, sans qúe cette


,conviction le portat a des crimes.
Frédéric s'était maintenu d'abord dans sa


position en Moravie, ou Lobkowitz l'observait,
et ne s'était retiré que lorsque Fran~ois eut
confié le commandement de l'armée d'Autri-
che a son frere., le prince Charles Albert de
Lorraine, car il ne pouvait guere compter sur
les Saxons indignés contre lui, paree qu'ils
s'apercevaient tres-bien qu'il ne songeait qu'a
ses intérets personnels. Frédéric désirait en
venir a une bataille, qui lui assurat une paix
dont il put dicter lesconditions, et qui ne l'ex-
posat pas trop en cas de reverso En signant la


\ paix iI rompait bien sa promesse, mais il De
se faisait point de scrupule de tromper les
Fran~ais; il était persuadé que plus tard on
serait obligé de recourir de nouveau a lui l.


Charles de Lorraine, parfaitement secondé
par les deux habiles généraux Krenigseck et
Brown, offrit spontanélnent a Frédéric, le
17 mai, entre Chotusit~ et Czaslau , la bataille


1 Frédéric II, OEupres posthumes, au commencement du
tome II, a tres-bien ex posé les raisons qui le porterent a la.
paix.. .




LIVREII, CHA.Pll'RE I. 173
qu'il cherchait. Les Pr'ussiens, supérieurs pour
l'unité et la célérité des n10uvements, battirent
le prince Charles. Les députés anglais repri-
rent de nouveau le cours des négociations in-
terrompues depuis la conférence du 9 octo-
breo Bartenstein., qui garda sur Marie-Thérese
le meme ascendant qu'il avait exercé sur son
pere, comptait encore sur les Fran<;ais. Son
cspérance ayant été dé<;ue, il conseilla ensuite'
a la reine d'abandonner la Silésie, que les mo-
tifs religieux faisaient pencher plutot pour la
Prusse. Appuyés par Bartenstein, les députés
anglais réussirent, le 11 jllillet 1742, a con-
dure la paix de Breslau, par laquelle la Haute
et la Basse Silésie, a l'exception de Troppau,
de Jregerndorfet des monts au-dela du fleuve
Oppa avec le cornté de Glatz I furent cédés a
la Prusse. La Saxe fut avantagée, et Auguste,
douze jours apres, accepta la paix, ratifiée le
28 d~ meme lllOis, a Berlin.


H. Les puissances prussiennes et saxonnes
s'étant retirées du champ de bataille, les trou-
pes autrichiennes se tournerent' d'un coté
contre la Baviere, et de l'autre contre Prague 2


1 La Prusse avait profité du moment OU la Baviere semhlait
~tre en possession légitime de la Boh~me pour se faire céder
Glatz ; l' Autriche devait alors confirmer cette cession.


2 Les troupes autrichiennes s'étaient portées vers Prague,




J74 HISTOIRE DU XVIJIe SIECLE.
ou elles tinrent cernée l'armée fran«;aise, qui
venait de repousser avec fierté la proposition
ignominieuse de se rendre prisonni~re de
gúerre. Broglie et Bellisle commandaient en
Boherne.' Harcourt conduisit en Baviere une
nouvelle arlnée qui chassa les Autrichiens de
Munich ; mais elle eut tellement a souffrir du
climat et des aliments qu'elle y perdit plus de
dix mille soldats. On envoya le maréchaI de
Maillebois l , a,la tete de trente mille hommes,
au secoufs de l'armée fran«;aise, enfermée a
Prague, et dénuée de vivres et de munitions.
Maillebois s'avan«;a jusqu'aux frontieres de la
Bohenle; les assiégés de Prague firentúne
sortie; mais ce général ayant des ordres expres
de ne pas risquer une bataille, sans laquelle
il n'y avait pas moyen d'éloigner l'armée au-
trichienne, qui le séparait des assiégés, iJ re-


depuis que Broglie, tout-a-fait hrouillé avec BeBisle, s'y était
rendu: Les afTaires de guerre méme furent regardées en France
comme une cabale de com', ainsi qu'il est rapporté dans les
lrlémoires de Richelieu, tome VI, page 236 : .. Les uns favo-
risaient Bellisle, les autres se montraient les partisans de
BrQglie. La reine, N angis, madame de Mazarin, les Chatillon ,
les ministres, Orry surtout et Maurepas, défendaient Broglie;
le roi et madame de MailIy soutenaient Bellisle. que les
N oailles, excepté la comtesse de Toulouse , ne pouvaient
~sou'ffrir.


1 Maillehois avait commandé en Westphalie l'armée d'oh-
servation contre le Hanovre.




LIVRE 11, CHAPITRE lo 17'.J
tourna subitement et abandol1Ila l'armée de
Prague a sa destinée. Bellisle réussit alors a
sauver a l'improviste, par une lnarche déses-


. pérée, au milieu d'un froid excessif, la partie
de son armée qui avai t échappé a la faim.
Son aetivité lui fit/ gagner, avec onze mille
hommes d'infanterie et trois mille cinq cents
cavaliers, dans la nuit du 16 au 17 déeembre
1742 , environ vingt-quatre lieues sur le prince
de Lobkowitz, et iI árriva en onze jours a
~gra, en laissant, -il est vrai, toute hl route
couverte de cadavres. L' exees du froid et la
disette rendent eette marche remarquable
dans les fastes de l'histoire militaire. Il ne faut
pourtan~ pas la cOlnparer, comme l'a fait Vol-
taire, avec la re traite des dix mine.


Apres la prise de Prague, presque toute la
Baviere fut oeeupée par les Autrichiens, et
Georges II, dont le ministere 1 avait enfin dé-
terminé la nation anglaise a faire la guerre et
a payer des subsides a l'Autriche 2 , marcha a


l Lord Cartcret avait remplacé Walpole et était en faveur
aupres du roi. Le duc de Newcastle, san frere, Pelham et le
chancelier Hardwick jouissaient de la plus grande infIuence,
et Georges 11 fut forcé, l'an 1744, de Ieur sacrifier le mi-
nistre.


2 L' Angleterre dOllua cinq millions et cinq cent mille fIorins
de subsides a Marie-Thérese. I1 est a remarquer qu'en Alle-
magne des Hessois se battaient contre des Hessois; il Y eu




) 76 HISTOIRE DU XVlIle SIF:CLE.
la tete de ses Anglais, des Hanovriens et des
Hessois qu'on appelait par ironie l'armée prag-
lllatique; d'abord sur Hanan, ensuite sur As-
chaffenbourg :. cette armée se trouva entre
Aschaffenbourg et Seligenstadt dans une posi-
tian tout-a~fait critique; car le maréchal de
Noailles occupait toute la rive opposée dll
Mein; il venait de prendre Seligenstadt et de
séparer l'armée de ses roagasins a Hanau l. Les
deux armées en vinrent ensuite aux mains entre
Petit-Ostheim et Dettingen. La situationdes
lieux rendait les Fran<;ais maitres de la vic-
toire, mais ils perdirent, au mament décisif,


/


par l'imprudence du dnc de Grarnmont, neveu
de leur chef, tons les avantagrs de Ieur pre-
roiere position. Obligés de se retirer, ils lais-
serent le passage libre aux alliés 2. La perte
de la bataille de Dettinge¿ n'eut pas étéd'un
grand préjndice aux Fran<;ais, si la guerre
n'eut éclaté d'un autre coté en France.


avait six mille au service des Anglais, et les Bavarois en comp-
taient un pareil nombre sous leurs étendards.


I Nons remarquerons, a eette oecasion, qu'il faut eonsulter
iei le einquieme et le sixieme yolumes des Mé,moires politiques et
m ilitaires , -eomposés sur les pieees originales recueillies par
M. de Noailles, maréebal de France et ministre d'État, par
Millot, page 177, six vol. iu_BO.


2 Frédéric se moque de Georges JI, qui s'était mis a la
bataille de Dettingen, cornme un maitre d'armes, l'épée nue
i.¡ la tete de ses gardes hallovrielllles.




LIVRE 11, CHAPITRE J. 177
Seckendorf, qui commandait. les Bavarois,


ne fut jamais d'accord avec Broglie, général de
l'armée fran<;aise; ils se firent séparément
attaquer par le prince de Lorraine. Les retran-
chements des Bavarois, pres. de Braunau, fu-
rent emportés d'assaut, et les Fran<;ais se trou-
verent' tellement pressés pres d'Ingolstadt,


, qu'ilne Ieur restaít d'autre choix, que de se
faire enfermer dans le~ fortifications de la
ville, ou de repasser le Rhin l • BI:oglie préféra
ce dernjer parti. La co:ur de France lui ~onna
. sa re traite ~. Seckendorf crut _endre service a
son empereur en cédant de hon gré la Baviere
aux Autrichiens 3, et en promettant de rester
neutre, pour réunir son armée sur le Rhin ,
ou elle fut pórtée ensuite a dix~huit miUe
hornmes. Cette neutralité se prolongea jus-
qu'all 26 mai 1744, époque ou les A utrichiens
arriverent sur le Rhin.


1 Munich fut pris pour la troisiellle fois dans cette guerre,'
le 8 juin 1743 ; pour la prellliere le 13 février 17 4 ~ , et pour
la seconde le 6 lllai de la m~me année.


2 La cour de France prétendit que Broglie avait agi saos
la cODsulter, et ce fut la cause de sa disgrace.


3 L'Empereu~ était dans une position bien facheuse; il fut
obligé, Comme DOUS l'avonJ prouvé plus haut, d'accepter des
lettres de change de Noailles, pour payer le plus nécessaire.
L'an 1742 iI avait été forcé de demullder cinquante moís ro-
mains, presque comme aumolle, a l'Empire, pour entretenir
le conseil aulique et les ambassades.


H. J. 12




178 1I1STOIRI~ HU XVIJlc Sd':CLE.
Les Autrichiens obtenant partou!" des avan-


tages, et les Espagnols ayant éehoué 1, malgré
l'appui du roi des Deux-Sieiles, le fardeau de la
guerre parut pres de' ~omber uniquement sur
la Franee; mais 1'Empereur devait sueeomber.
Des le mois de déeembre 1743, la Saxe s' était
jointe a l'Angleterre et a l'Aufriche;ce qui dé-
cida le roide Prusse a faire publier dans les
Pays-Ba.s l'énergiqne déclaFation qu'il soutien-
drait I'Ernpereur, en casde be$oin,avee une
armée. Pen detemps apres il y eut un· nou-
vean traité, con~lu entre la Saxe et l'Autriche,
le 13 mars 1744; on n'y 6t pas mention de la
paix de Breslau, et la Saxe s' engagea a fournir
vingt mille hommes stipendiés par l' Angle-
terreó La Franee s'éleva alors avee 'loute sa
puissanee; et, le 15 mars 1744, elle déclara
formellement la guerre a I'Angleterre et en-


1 Ce meme marquis de Montemar, célebre par la bataille de
Bitonto, ne put entrer en Lombardie; ii resta dans l'État ee-
clésiastique , et quinze mille Espagnols, auxqnels on accordait
le passage par la Franee, arriverent trop tard. On rappela
Montemar par dépit. Les troupes espagnoies de¡¡cendue,s a:N aples
étaient d'ailleurs trop faibles a elles seules, et le général <J,nglais
forc;¡a le roi des Deux-Siciles, en le menac;¡ant de bombarder
Naples, d'aecepter une neutralité, qui cessa l'an I744. L'his ..
toire privée et honteuse du roi d' Espagne, que son épouse
ne savait plus' diriger que par le chanteur Farinelli, expli-
querait ici bien des choses; mais elle n'appartient qu'a l'his-
toire spéciale de l'Espagne, et non a l'histoire de l'Europe.




LIVRE II, CHAPITRE J. 179
suite, le 26 avril, a I'Áutriche; quelques
DlOis apres, le 13 septembre, le roi de Sar-
daigne s' engagea, par le traité de W orms, a
coopérer a la défense des États Lombards de
Mari e-Thérese. Le roi de Prusse, ne eroyant
plus devoir hésiter, déclara hautement que
pour ne pas etre troublé dans la possession
de la Silésie, il accédait a l'union de Franc-
fort; mais on ne peut guere indiquet préci-
sément les avantages qu'il sy était résérvés l.
Cette unioo de Francfort, du 2~ mai 1744,
fut conclue entre I'Empereur, le Palatinat, la
Suede, Hesse-~assel, et la Prusse, pour assu-
rer aux aIliés leurs possessions, maintenir la,
constitution allemande et rétablir l'autorité
de l'Emperenr légitimement élu. Frédéricdé~
sira faire entrer la France dails cette alliance.
Il faHait done préalablement renverser le mi-


• On publia des articles séparés entre la Baviere et la Prusse,
mais ils sont absurdes en etÚ-mémes, el De furent d'ailleurs
}las reconnus de ces deux puissances. F!assan prétend que la
Prussc avait assuré la BoMme a l'Empereur, et qu'~lle s'était
réservée la Haute-Silésie, comme une possession appar~enant
it la Bohéme; mais les dépeches de Chavigny prouvent que
c'était le cercle de Krenigsgratz. C'était l'autre point que j'es-
pérais éclaircir par le comte d'Hauterive, d'autant plus qu'il
fait encore moins de cas de l'ouvrage de Flassau que je n'en
avais faít jusqu'alors, et qu'il me nt conrÍaitre IDeme les rai-
~()ns plausibles qui empecherent que l'ouvrage de Flassan ne
fut plus exact, mHi~ cela con!! couduit trop loin et n'e't pas
Je notre re5sort.


1 'l.




180 HIS:rOIRE DU XVlIIe SIECLE.


nistre Amelot, par une cabale de la maitresse
du roi : l'éloígnement d'Amelot laissa conclure
en tre Fr·édéric et la France, le 5 juin 17117 , un
traité, par lequelcette derniere puissance ac-
céda a l'union de Francfort. En France la pé-
riode . fatal e de l'autocratie apparente du sou-
verain venait de commencer; les créatures de
la maitresse du roi; et non pas les ministres,
tenaient les renes duGouvernement.


LouisXV tamba· d'abord, c'est-a-dire im-
médiatemellt apres lamort de Fleury 1, dans
d'assez bonnes mains, car madame de Cha-
teauroux ne négligea rien pour le décider a
s'occuper des affaires de 15État 2; elle le con-
firma dans' sa résolution d'aller en Flandre et
de s'y mettre a la tete de ses troupes. Elle sui-
vit meme le roi a l'armée, avec tous ses par-
tisans, a l'instigation du dllc de Richelieu, ce
qui indigna le peuple et les soldats; mais le
roí possédait encore alors l'amour de ses Sll-
jets; cet amour se manifesta pendant sa ma-
ladie.


III. Au milieu de l'année 1744, les affaires
de l'Enrope prirent une autre tournure; I'Au- .


I Janvier 1743.
2 Maurepas était contre madame de Ch¡heauroux, qui avait


le célebre duc de Richelieu pour con6dent, Jequel lui doit
son élévation.




LIVRE I1, CHAPITRE I. lSI


triche, au líeu de perdre ses propres posses-
sions, semblait songer a faire des eonquetes.
En Italie, les armées d'Autriche et de Sardaigne
eombattaient avec sueces eontre les Espagnols
et les Fran~ais; elles s'emparerent m~me de
Genes, dans les années suivantes, etJa maltrai-
terent a un te] point, que le peuple de eette
ville, irrité, étonna l'Europe par son énergie
et prouva au marquis de Botta que tout sen-
timent de liber.té n'était pas éteint dans sa ré-
publique;il soutint avec- avantage dan s ses
murs un eombat eontre toute l'armée vieto-
rieuse· des Autrichiens.


En Alle,magne, la Baviere était oceupée; les
Fran~ais chercherel1t'en vain a empecher le
passage du Rhin. Nadasti' et Trenck 1 passe-
rent ce fleuve, le ¡,er júillet 1744, pres de
Schreck, et immédiatement apres Baerenklau
le passa pres de Wissembourg. Des Croates et
des Pandours inonderent la ·Lorraine etl'AI-
sace:l. ,On s'empressa de réprimer cette supé-


1 Trenck et Menzel sont a mettre dans la meme catégorie ;
le dernier avait trouvé, dan s I'He des Muriers, pres deW orms,
une mort tout-~fait digne de lui.


2 Le prince Char]es de Lorraine cornmandait l'armée pour
la forme; Khevenhüller, ensuite Traun, lui fureht adjoints.
Traun présente un exemple de l'illgrati-tude de l'histoire; il
n"est pOlnt question de lui, tandis qu.e c'était lui qui remplar-
tait les victoires. Frédéric JI lui rend justice et dit qu'on




182 HISTOIRE DU XVllle SJECLE.


riorité des Autric~iens, de deux cotés oppo-
sés; en attaquant les Pays - Bas, qu'on avait
épargnés en faveur de la république 'hollan-
daise,et en faisant faire au roí de Prusse une
invasion en Boheme.


Louis. XV dirigea en personne l'attaque des
Pays-Bas. Des les premiers jours du mois de
Inai, il s'était rendu a l'armée commandée par
le duc de Noailles, et il avait Pl'js plusieurs
petites forteresses, lorsqu'on lui manda que
les Autrichiens avaient passé le Rhin. En ap·
prenant que son propre territoire était me-
nacé, il mar<?ha a grandes journées avec des
renforts consi~érables sur le Rhin, mais il
tomba dangereusement~alade a Métz. Aussi-
tot qu'il fut rétabli, et, apres avoir demeuré
peu de temps ~vec les troupes destinées con-
tre l'Allelnagne, il joignit l'armée des Pays-
Bas, pour etre témoÍn des victoires que son
général, Maurice de Saxe, un des plus grands
hommes de son siecle, remportait sur les al-
liés. C'était le meme Maurice, fils du roi de
Pologne, électeur de Saxe, auquelles Russes
n'avaient pas voulu accorder la possession de
voyait par lui combien le gouvernement d' Autriche s'était peu
entendu en généraux, en le renvoyant, apres des expéditions
parfaites, en 1744 et 1745 , sur le Rhin et en Bobéme, et en
rappelant Lobkowitz de l'Italie.




LIVRE Il, CHAPITRE I. 183
la Courlande; il refusa ses services a son. in-
grate patrie et con sacra ses talents et ses armes
a la France, qu'il affectionnait par gOÍlt et
par inclination. Pendant cet intervalle, l'inva-
sion du roi de Prusse dans les pays d'Autriche
avait éloigné la guerre des contrées du Rhin.
Ce prince, étant entré a la tete de dix mille
hommes en Boheme, s'était rendu maitre de
Prague, avant que l'armée autricwenne put
arriver des bords du Rhin au secours de ~ette
place. Marie - Thérese et ses conseillers met-
taien t plus d'importance a éloigner le roi de
Prusse de la Boheme qu'a s~ soutenir sur le
Rhin. .


Louis XV, apres sa guérison~ commanda lui-
memc, pendant guelque temps, l'armée du
Rhin et occupa le Brisgau ,mais, comme on
vient de le dire, il tourna ensuite l'élite de ses
troupes vers les Pays-Bas. Les Franc;ais ne s'a-
vancerent point sur la Baviere, comine on
l'avait cru; Gbarles de Lorraine avec une ar-
mée considérabled'Autrichiens, renforcée de
vingt-d'ellX mille Saxons, marcha en· Boheme
et pressa tellement-·Frédéric avec toutesa puis-
sanee, qu'ill'obligea d'évacuer le pays iÍ la fin
de l'année meme I • Le seul avantage que le


1 FréMric II dit qu'apres la prise de P.rague, il avait mau-




184 HISTOIRE DU XVlIIe Sd:CLE.
malheureux Charles VII retira des entreprises
de ses alliés , fut ,de pouvoir retourner dans sa
résidence, et il aurait été forcé de prendre de
nouveau la fuite, si la mort ne l'eut enlevé
fort a propos l.


Immédiatement apres la mort de Charl es ,
Seckendorf, qui n'avait jamais sérieusement
soutenu les Fran«;{ais contre l'Autriche, fut
remplacé par· Trerring; les Franc;ais et les Ba-
'var01s se trouverent néanmoins forcés d'éva-
cue! le pays , et J\'Iaximilien, le nouvel Empe ..
reur, se vit eontraintd~abandonner sa capitale.
LesAutrichiens étaient postés pres du Lech,
lorsque Maximilien consulta a Augsbourg son
conseíl de guerre , pour savoir s'il fallait faire
la paix avec l' Au t'ri che ; com¡ne il ne l'y trouva
pas disposé, il chargea Sed~endorf des négo-
ciations. Celui-ci les continua ensuite a Füssen


qué de vivres et de nouvelles; que les paysans auxquels le gou-
veruement avait promis de restituer Ieur perte, s'étaient réfu- '
giés dans les hois et avaient enfoui leur blé, et qu~ils avaient


'évité, par hain, de religion, d'entrer dans le moindre rap-
port avec l'ennemi, ét de lui donner la moindre nouvelle, a
quelque prix que ce fUt.


On apprend , par les Mémoires de Noailles, vol. V, quel ar-
tifice , qu.elle dissimuIation, quelle flatterie et quelle ruse em-
ployaít Frédéric II dans ses négociations, combien iI était su-
périeur a tous ceux qui traitaient avec lui 1 car lui-méme n'en
parle paso


J Le· 20 janvier 1745.




LIVRE 11, eH APITRE 1. 185
lorsque l'éleeteur alta a Mannheim. Le 18 avril
on eonclut une treve, et le 22 on signa la paix
a Füssen. En vertu de ee traité ,'la Bavh~re sé-
para ses troupes de l'arlnée franttaise et pro-
mit ses suffrages a l' époux de Marie-Thérese,
pour l'éleetion a l'Empire. De tous les er~l1emis
de I'Autriehe, la Franee et la Prusse seules
étaient alors a redouter; l'Espagrie ne montrait
pas la moindre énergie dan s la Péninsule ita-
lique, et la Saxe, dans l'espoir d'un butin a
faire sur la Prusse, venait de se Her étroitement
avee l' Autriche 1 ; mais la Franee et la Prusse
ne furent jamais plus formidables, que lors-
qu'elles n'eurent aueun allié, ear l'Europe n'a-
vait pas de général qui put se mesurer eontre
Frédérie et le maréehalde Saxe.


Le roi de Prusse ne se borna point a éva-
euer la Haute-Silésie, illaissa meme entrer les
armées alliées des Saxons et des Autriehiens ~


1 Il fut conelu un traité de subsides a Varsovie, au mois de
janvier 1745, entre les États - généraux, l' Angleterre et la
Saxe , d'apres lequelle roi Auguste dé~ait envoyer trente mille
hommes en Boh~me, et toueher de l' Angleterre et de la Hol-
lande dix .. sept milliolls et de mi de florins de subsides. La Saxe
et Marie-Thérese eontraeterent une allianee au mois de mai.
Onpromettait alors a la Saxe, si les affaires aUaient hien, de
lui donller Magdehourg, et méme quelques partiesdu terri-
toire de la Prusse, dans le eas ou Frédéric serait ohligé de eé-
der a l' Autriche la Basse-Silésie et Glatz.


:l L'armée des Saxons et des Autrichiens était cornmandée
par le prin(~e Charles et le due de Weissenfels.




186 HISTOIRE DU XVIJIe SIE:CL.E.
en Basse-Silésie, les attaqua a l'inlproviste
pres de Hohenfriedherg entre Schweidnitz
et S trigau, le 14 j uin 1 745, ou il remporta la
plus brillante des victoires. Les deux armées
tirerentalors vers la Boheme, ou elles demeu ..
rerent pendant quelques mois en face l'une de
l'autre, sans risquer un coup décisif, jusqu'li
ce qu' on eut reconnu la voix électorale de
Boheme, en Autriche, et proclamé Empereur
Franc;ois Étienne, époux de Marie-Thérese, le
13 septembre 1745'.


Le prince Charles voulut sans doute illustrer
l'élection de son frere par une victoire sur les
Prussiens, qui avaient une armée moitié moins
forte que la sienne; ílleur présenta la bataille,
Frédéric l'accepta avec empressement, rem ..
porta une victoire entre Sor et Trautenau, et
se retira ensuite en Silésie.


Affectant de déclarer l'alliance de la Saxe
avec l'Autriche comme une rupture formelle
de paix, il voulut a]ors détruire la Saxe, avant
decontinuer la guerre contre l'Autriche 2 • Il
commellc;a par chasser l'armée autrichienne


1 Les deux électeurs du Palatinat et de Brandebourg, pro-
testant contre I'élection de .Franqois, furent convoqués de
nouveau solennellement par l'électeur de Mayence avant qu'on
en vInt a l'élection.


:1 Le prillce Charles et lec!! Saxons avaient, a ce que Fl'édé-




LIVRE 11, CHAPIl'RE I. 187
de la Lusace. Une partie de son armée joignit
ensuite le corps que le prince d' Anhalt-Dessau
avait rassemblé pres de Halle, et s'avan<;a dans
le fort de décembre contre Meissen, pour at-
taquer les Saxons renforcés par les troupes
autrichiennes que Brown eommandait. Les
Saxons, dans une posi~ion invincible , par une
faute semblable a eeHe du jeune Grammont a
Dettingen, furent totalement battus le 13 dé-
ceInbre 1745. Leur défaite amena la jonction
de Frédéric avec le prince de Dessau, l'occu-
pation de Dresde, et hata les négociations de
paix entamées quelques semaines avant la ba-
taiHe I par la médiation de l'ambassadeur d'An-
gleterre.


Il y eut, le 2.5 décembre, une double paix
conclue entre ]a Saxe et la Prusse. I.Jes deux
dernieres puissances se tinrent a la paix de


rie rapporte, l'intention de l'attaquer méme dans l'hi~er; la
premier devait passer, dans ce but, la Lnsace, pendant que
les derniers tireraient sur le Havel et l'Elbe.


¡ Frédérie II ne voulut point continue~ seul la guerre pour
l'amour des Fran~ais; les déclarations de la Russie faisaient
d'ailleurs craindre qu'elle ne prit le partí des Saxons. 11
envoya done, an eomJ)1eneement de 1745, son ambassadenr
Podewils des Pays-Bas en Hanovre, ou Georges et le ministre
anglais Harrington se tronvaient. Les garanties qu'il avaÍt
demandées luí furent accordées par la eonvention de Hanovre
du 26 ao!).t 1745 par l' Angleterre, les Pays-Bas et les autres
alliés; iI ne luí manquait que l' Autriche et la Saxe.




188 HISTOIRE DU XVIlle SdWLE.
Breslau, mais la Prusse reeonnut en outre
Franc;ois ¡er eomme"Empereur, et promit la
meme chQse pour le Palatinat, eomme onl'avait
arreté dans la convention de Hanovre; la Saxe
seule fut tenue a supporter tous les frais de
la guerre l.


'IV. Lapaix de Dresde avait ehangé la faee
des affaires. La guerre de la sueeession d' Au-
triehe s'était transformée en une guerre sans
but et sans raison , eontinuée en ltalie par l'Es-
pagne et la Franee contre l'Autriche, dans les
Pays-Bas, par la Franee seule 'eontre I'Angle-
terre et I'Autriche réunies, et plus tard aussi
eontre la république des ~ays-Bas. En...Jtalie
les Espagnols et les Franc;ais avaient éprouvé
un éehec eomplet; l'ann'ée suivante, les Autri-
chiens ayant été battus en Boheme et dans les
Pays-Bas, une arnlée de Napolitains, de Génois,
d'Espagnols, eommandés par l'infant Philippe ,
ou plutot par le maréehal de Maillebois , parut
de nouveau dans la Lombardie, oecupa Tor-
tone, soumit Parme et Plaisanee, entra le 20


1 Les États et la ville de Leipsick ne furent.,pas seulement
tenus a payer , sous la garantie du souveraill, les contributions
arriérées, mais aussi a donner un million d'écus avec les in-
tér~ts a la foire de Paques. Tous les Saxons qu' on avait ineor-
porés a l'armée prussienne y demeurerent, et les différents
des douan~s furent conciliés comme la Prusse le trouvait le
plus convenable.




L J V R E IJ, e H A P 1 T R E I. 1 89
décembre 1745 dans le Milanais, et les alliés
se crurent ll1altres de la Lómbardie, lorsque
la fortune les abandonna tout-a-coup. lIs es-
suyerent bien des pertes dans les mois de fé-
vrier et de mars, sans avoir livré decombats;
ils perdirent en outre la bataille de Plaisance,
et leur armée, forte de quatre-vingt mille hom-
rnes, se trouva réduite a environ trente lnille
par les maladies et la chaleur.


La mort de Philippe V apporta encol'e de nOll-
veaux changements. Philippe, dont on a remar-
qué la faibIesse d'esprit, avait été gouverné
jusqu'au dernier nloment de sa vie par Élisa-
beth d.e Parme, qui ne cherchait que l'agran-
dissement de ses enfants. Ferdinand, fils de
Philippe, mais du premier lit, adopta, des son
avénement au trolle, le 9 juillet 1746, un sys-
teme a peu pres semblable. Faible comme son
pere, il se laissa guider par son épouse, prin-
cesse portugaise, amÍe des Autrichiens l. Les
chefs des troupes en ltalie , Gages et Castellar,
qui n'étaient pas d'accord entre eux, mais qrii
favorisaient tous les deux le parti des Fran~ajs ,


I L'épouse de Philippe avaÍ.t assuré Naples a son fils ainé
don Carlos, Parme et Plaisance au puiné, et elle voulait, par
la guerre, rendre le cadet maltre de la Lombardie. Ferdinand
n'avait l.laturellement pas le meme zele pour son bean - frere
qn'elle pour son lils.


12'"




190 H 1 S T o 1 RED U X VIII e S I~: e LE.
furent rappelés, et remplacés par le marquis
de Mina, connu par la haine qu'il portait a la
France. :Mina ordonna a ses Espagnols de quit-
ter 1'ltalie. Les Fran<;ais ne purent se soutenir
seuls. Genes tomba dan s les mains des Autri-
chiens; la Provence et le Dauphiné meme vi-
rent, pour la seconde fois depuis Charles-
Quint, des ennemis sur leur territoire.


L'état des choses était bien différent enFlan-
dre, ou le fils d'un électeur allemand 1 snt
prendre les Fran<;ais tout-a-fait selon lenr ca-
ractere, et ou la présence du roi fit encore
qnelqueimpressionsur lesesprits,carLouis XV
et ses maltresses n'avaient pas encore abjuré
toute pudeur et toute décence; on avait com-
meneé l' expédition en 1744; le 1 1 lllai 1745


I Maurice de Saxe était né soldat; iI avait servi sous Marlbo-
roughdans laguerre de la succession; il s'était distingué ensuite
parmi les troupes saxonlles devant Stralsund. L' an 1717 il fut
avec Eugene devant Belgrade; depuis 1720 iI fut an service
des Fran~ais. Il inventa de nouveaux exercices et de nouvelles
évolutions, refusa, l'an 1733, le commandement de l'armée
polonaise-saxonne , se distingua, l'an 1741, al' expédition en
Boheme , ramena ensuitc les troupes vers le Rhin, et prit les
lignes de l'ennemi pres du Lauter. Il fut nommé maréchal
l'an 1744, sans qu'il fut obligé de changer de religion, ou de
preter le serment ordinaire; iI resta toujours endetté, quoi-
qu'il cut, outre ses revenus en France , une pension de trente
mille écus en Saxe, et un fief en Thuringe qui lui rapportait
~uit mille écus par ano Il est reconnu qu'il était le fils de la com-
tesse de Krenigsmark , et le frere consanguin d' Auguste lI.




LIVllE 1I, CHAPITRJ<: lo 191


les Frao«;ais gagnerent la bataille de Fontenoy,
en arrachant la victoire aux Anglais qui péri-
rent sans céder le terrain. C~<Njctoire livra
aux Fran<;ais, daos la meme année, Gand,
Oudenarde, Bruges , Dendermonde, Ostende,
N euport et Ath. Madame d'Étioles, depuis
toute puissante en France sous le nom de la
marquise de Pompadour, dominait alors en-
tierement sur l' esprit de Louis XV qui aurait
bien voulu etre dédommagé des dépenses et
des peines de la guel're, si Marie-Thérese De
s' était refusée a toutes concessions.


La guerre continua Inalgré le roi, et au com-
mencement de l'année suivante Bruxelles, Lou-
vain, Malines el meme Anvers se trouverent
occupés par les Fl'an<;ais; de toutes les pIaces
fortes des Pays-Bas il ne restait que Limbourg
et Luxembollrg au pouvoir .des Autrichiens.
Les progres des Fran~ais furent d'autant plus
rapides cette année-Ia, que le duc de Cumher-
land et ses Anglais avalent été rappelés pae
Georges II ponr arre ter les entreprises des par-
tisans de la maison des Stuarts, cornmandés


, par le fils du PrétendanP , que les Fran~ais


x On nomme le Prétendant ordinairement le chevaliel' de
Saint.G~orges. C'était le fi.ls de Jacques II, et sa légitimité fut
fortement contestée; il épousa , en 1719 , Marie Sohieska, qui




19~ HISTOIRE DU XVIlIe SIECLE.
avaient conduit en Écosse. Charles-Édouard,
léger et étourdi, mal secondé par la France,
entraina dan. perte tous les sujets fideles
qui s'attacherent a sa cause; car la victoire de
ses Écossais aupres de Preston-Pans, apres la-
queIle ils avancerent en Angleterre, au mois de
septembre 1745, n'eut aucun résultat. Totale-
ment battus pres de Culloden, les Écossais
perdirent le-reste de l'ancien systeme féodal,
qu'ils avaient conservé jusqu'alors; plusieurs
nobles qui ne resterent point sur le champ de
bataille périrent sous le glaive d'une prompte
justice l. Le prince échappa heureusement,
mais se désbonora en France par sa conduite.


Les Angla,is se vengerent des Fran~ais par une
descente sur les cotes de la Bretagne; apres
la bataille de Culloden ils firent repasser leurs
troupes dans les Pays-Bas, oú Charles de Lor-


lui donna deux fils, Charles-Édouard et Hellri·Benoit. Celui-
ci, devenu cardinal d'Y ork, perdit ses revenus du temps de la
révolution, mais Georges III lui lit une pensiono


J AUllsitót que sir John Cope et ses trois milIe hornrnes eu"
rent été forcés d'ahandonner le champ de bataille a Preston-
Pans, les lords Kilmarnock, Elcho, Balmerino, Ogilvy, et le
fils de lord I,.ovat, arriverent. Le due d'Argyle, le comte Su-
therland, lord Rae et plusieurs autres seigneurs de l'Écosse et du
nord de l' Angleterre, avaient appelé leurs propres vassaux aux
armes et enrOlé des étrangers. ~ord Gordon, John Drummon:l,
le comtc de Cromartie, 5uninrent plus tard avec un assez
grand nombre de troupes.




LIVRF: 11, CHAPITR,E I. 193
raine rassembla une armée eonsidérable, et
se retraneha entre Liege et. Maestrieht sur les
bords de la Meuse. Mauriee attaqua l'armée
alliée malgré l'avantage de 5a position et gagna
la bataille le 11 oetobre I, aupres du village de
Roeoux. Les puissanees maritimes, sans s'in-
quiéter des négoeiations qu'on venait d'enta-
mer, eonc1urent un traité avee la Russie. L'im-
pératriee clevait fournir trente mille hommes
pour dessubsides. Les Fran<;ais, qui avaíent faít
préeédemmel1t des invasions sur le territoire
Hollandais, déclarerent enfin la gllerre aux Pa ys-
.Has-Unis, au mois d'avril 1747, et pénétrerent
dans les provinees de la république meme.


La suite naturelle des· eonquetes franc;:aises
fut, eomme sous Louis'XIV, en 1672, l'intro-
duetion en Hollande edu systeme monarehi-
que qui amena une révolution daos eette
eootrée; cal' le peuple des Pays - Bas, apres
la mort de Guill;!ume III , ne reeopnut pas
eornrne géoéral- stathouder 2 son héritier le
prinee de Nassau-Diez~ Jean-Guillaume Friso,




1 Frédéric II rapporte que le prince de Wald~ck, chef des
Belges, s'était mal posté; que le prince Charles De l'avait point
!lecondé, mais qu'il avait rait couvrir sa retraite par Louis de
Brunswick. Les alliés arriverent a Maestricht saos essuyer de
grandes p<;rtes. .


2 Le prince de Nassau-Diez partagea la succession allodiale
H. l. 13




194 HISTOIRE DU XVIIIe SIECLE.
gouverneur de la Frise, de Gueldres et de
Grreningue. Chaque province se gouverna
elle-meme, de maniere que le parti' aristo-
cratique (les patriotes) avait le dessus dans
les villes et dans les États séparés.


Guillaume Friso s'étant noyé, en J 7 1 [, son
fils Guillaume IV delneura stathouder, des
trois provinces que nous venons de nommer.
Les autres resterent livrées a l'oppression des
familles' riches, qui considéraient toutes les
places, meme celles d' officiers, comme le par-
tage exclusif de l'oligarchie. Le peuple témoi-
gna souvent son mécontentement, et attri-
bua, non sans raison, la triste situation de
la fIotte, de l'armée et des places fortes, aux
menées des familles dominantes.


Quand les Frall(;ais etltrerent dans le pays,
l'indignation du peuple contre le misérable
gouvernement qui avait négligé l'armée et la
fIotte, ne connut plus de bornes; il se souleva
dans toutes les villes contre les magistrats,
obligés de reconnaitre comme stathouder des
provinces, amiral, général et capitaine .de l'ar-
mée~ Guillaume IV. Celui-ci sut les éloigner
de toutes les places. L'année suivante, la di-


avec le roi de Prusse; ce partage fut la cause de longues di!-
scnsions.




LIVRE 11, CHAPITRE I. Íg5
gnité héréditaire de stathouder lui fut accor-
dée avec le droit de succession meme pour ses
des~endants féminins. Ce changement ne put
naturellelnent opérer des effets subits, et le
duc de Cumberland, alors général en chef de
l'armée des alliés, était aussi peu capable que
le prince Charles d~ tenir tete el Maurice. Les
Fran~ais remporterent done 1 une nouvelle
victoire au mois dejuillet, pres de Maestrieht,
a coté du village V ál ou Laffelt, et prirent
Breda et Berg-op-Zoom, ehef-d'ceuvre de Co ..
horn, dan s le court espace de deux mois 2.
La Franee, épuisée par la guerre, par la pro':
digalité de la cour, par des pensioIls et par la
rapaeité de la nobles se ,était fatiguée ;malgré
ses brillants sueees. Madame de Pompadour
et ses créatures eraignirent que Louis XV ne
s'habitUélt el la vie des camps. La eour soupi":
rait apres la capitale; tous ces motifs firent
aeceptér la proposition d'un congres a Aix-Ia-
~. Frédéric 11 dit que la cour était alors a charge· a l'armée,


qu'il y avait tous les jours dix mille rations de plus, et une
quantité d'intrigues. Le duc de Cumberiand nt malles dispo-
sitions de la bataiUe, mais bien ceHes de la retraite, et Clermont':'
Tonnerre ne suivit point les ordres réitérés de fondre avec la
cavalerie sur l' ennemi.


:a Le général Cederstroem, d'une famille suédoise de l'an-
áenne école, agé de quatre-vingt-quatre ~ns, commandait dans
le fort; Lrewendahl, suédois de la nouvelle école, fut nommé
maréchal de France pour avoir pris la ville de Breda.


J3.




196 HISTOIRE DU XVlIl e Sd~CL.E.
Chapelle sur la demande du ministre anglais.
Trois raisons h:herent l'issue des négociations;
la convention faite l~ 26 février 1748", ~ La
Raye, par les alliés 1 ; la paix de Maestricht,
par les Fran~ais, le 7 mai; et l' arrivée des
Russes sur le Rhin 2.


L' état des choses en ltalie, ou l'armée des
alliés avan~a jusqu' en Provence, et ou les Gé-
nois, secondés par les troupes fran~aises, He
défendirent qu'il peine leur ville, qu'ils avaient
reprise par une va~eur héroique sur les Autri-
chiens, fournit le moyen de dédommager les
Fran~ais lorsqu'on leur redemanda toutes les
conquetes faites dans les Pays-Bas. Telle fut
la base' des négociations, Au grand étonne-
ment de l'Europe, la France, l' Angleterre et
les Pays-Bas signerent les préliminaires de la
paix, le 30 avril 1748. Au mois de mai le


I La convention de La Haye fut signée par l' Autriche, l' An-
gleterre, la Sardaigne et la Hollaude. On s'engagea mutuelle-
ment a porter l'armée a cent quatre-vingt.douze milIe hommes,
sans compter les soixante mille que l' Autriche devait faire mal'-
cher sur l'Italíe. La Sardaigne devait ensuite joindre trente
mille hommes a cette derniere armée, et .le roi en etre le gé-
néral en chef. L'Angleterre paya trois cent mille livres sterling
de subsides a la Sardaigne et quatre cent millé a Marie-Thé-
rese, a condition que 1'0n diminuerait ces sommes a mesure
que le nombre des troupes diminuerait lui-merne.


a Le parlement anglais avait voté exptessément 317,881
livres sterling pour les Russes qui mareherent sur le Rhin.




LIVRE 1I, CHAPITRE r. '97
eomte de Kaunitz, quicommenc;ait ajouerdes
ce moment un role important en Europe, les
signa pour Marie-Thérese. La France rendit
toutes les conquetes, el l' Angleterre lui remit,
en échange, le cap Breton et d'autres posses-
sions dans les lndes orientales et occidentales;
ce qui fut tres - avantageux a sa navigation.
L'impératrice consentit que la possession de]a
Silésie et de Glatz fut garantie au roi de PrUS5e
par toutes les puissances. Philippe, dernier
frere consanguin du roí d'Espagne. obtínt les i
duchés de Parme, de Plaisance et de Guastalla ;
mais, comme iI y avait peu d'espoir que Fer-
dinand ent des hé.ritiers, on ajouta la clause
que ces duchés retourneraient a la maison
d' Autriche, aussitot que Philippe de,viendrait
roi de Naples, puisque son frere Charles"deve-
nait alors roi d'Espagne.


Genes reprit sa liberté et son indépendance 1;


J On vit alors, comme on a vu dernierement encore J qu'il
est déraisonnable d'esp~rer qu'une classe entiere d'hommes
renonee spontanément el des priviléges pour se plier aux eir-
constances. Le peuple de Génes avait délivré la ville, il l'avait
défendue en 1747. La noblesse redouta que le peuple ne vou-
lilt s'arroger de nouveaux droits et ñégocia avee l' Autriche.


Cela causa naturellement des différents entre la noDlesse et #
le peuple. Richelieu fut alors envoyé a Génes, et on aSlli-
gua deux cent cinquante mille livres par an aux Génois. Le.
paysans Jurent gagnés. Riehelieu avait .cependant des Ol'dres
secrets du roí de France d'indulre le pauvre peuple de 'Génes




J98 HlSTOIRE DU XVJlle SI:ECLE.
tous les peuplesreeonnurent enfin qu' on avait
agi sans aueun but, en reJetant.sur les sujets
le fardeau inoui d'une guerre, dont leurs pe-
~its' fils se ressentent eneore aujourd'hui.


CHAPITRE 11.


INTERVALLE DE LA GU~RRE DE LA SUCCESSION D'AUTRICH1t
A LA GUERRE DE SEPT ANS.


l. Frédéric 11 et sa puissance militaire. -no L' Autriche.-
111. LaFrallce.-IV. La Sax~.-V. L' Angíeterre.- VI. La
Russie. - VII. Causes éloignées et récentes de la guerre ~e
sept ans. - VIII. Principaux événements de eette guerreo
- IX. Changements et relations politiques qui occasion-
nerent la fin de la g:uerre de sept ans. -


Frédérie II, hal par l'Autriehe et par Geor-
ges 11, observé avee défiance par le gouverne ..
ment fran~ais, tres - mal dans l'esprit, de la
toute puissante impératriee de Russíe. a eause
~e ses saillies, n'avait, dans toute I'Europe,
d'autre ami et d'autre appui que Iui-meme. Il
lui fallut done, pour se soutenir, se eréer une
puissanee militaire, ee qu'il fit avee une habi-:-
leté étonnante.


en erreur. 11 avait l'instruetion d'assurer.la noblesse, que son
roi leur garantissait Ieur gouvernement, et qu'illeur promet':'
tait de ne jamais retirer ses troupes de G~nes, si le peuple
n'était ramené a l'obéissance due a ¡es souverains légitimes.




L I V R E 11, e H A PI T RE .I I. 199
Il avait joint la Silésie a ses États; illa ren-


dit bientot, par ses institutions.et par ses soins
pour le bien etre public, une des provinces
les plus importantes de tout son royaume; et,
pendaut qu'il se moquait comme philosophe
de tous les sentiments religieux, il se plac;;ait
comme poli tique , par la défense de la cause
des protestants, a la tete du eorps évangélique
de I'Empire, dont la Saxe se retira spontané-
ment l.


Dans tous les autres pays la eour englou-
tissait les trésors de I'État; Frédéric seul fit
des éeonomies sur ses propres revenus, pour
enrkhir J'État , qu'il regardait eornme sa pro-
priété. Douze e.ent mille écus, desquels eent
mille servaient a l'entretien de l'opéra italien,
suffirent a toutes ses dépenses, et l'accroisse:'
ment d'une armée salariée ne l'empecha pas
d'amasser un trésor. Lui seul fut toot et en
tous lieux; il se ehargea meme de l' emploi sa-


1 Une clause favorable aux ehrétiens évangéliques ayant
paru nécessaire dans la eapitulation de l'empereurromain, ram-
bassadeur de Saxe ne voulut poiót tenir une conférenee; eelui
de Brandebourg la donna. Les princes· de Hohenlohe, Schil-
lingsfürst et Bartenstein, ne s'étant faits eatholiques que
depuis la paix de Westphalie, opprimaient leurs sujets pro-
testants. Anspach fut obligé, par les soins de Frédéric, d' exé-
cuter les décrets que le conseil aulique de l'Empire avait por-
tés contre eux. .




~oo HISTOIRE DU XVllle Sd:<;LE.
eré de juge et du travaille plus pénible, ceIui
d' amender les lois l.


Il ne faut pas croire que le gouvernement
de ce roi philosophe approchat de la républi-
que de PIaton 2 ~ mais ii faut convenir que
Frédéric '11 avait su se concilier l'estime de
toute l'Europe, long-temps avant la guerre de
sept ans, par sa justi~e sévere, son économie,
sa surveillance sur toutes les branches de l'ad-
ministration et par ses soins pour l'intéret de
ses sujets 3.


II. l\larie-Thérese voulut aussi faire des ré-
forInes, mais le gouvernement aristocratique
de tous ses États s'y opposa; et, quand Frédé-
ríe traitait son royaume eomme une maehine,
tous ses fonetionnaires comme de simples res-


1 Tous les rapports parvenaient dans le cabinet du roi; il Y
fépondait lui - méme, ou par ses secrétaires qui étaienten
grande considération. . '


2 Frédéric 1I nt publier au son du tambour qu'on ne prétAt
plus rien a son fameux et spirituel chambt'llan Prellllitz. Il
changea les jugements des tribunaux, défendit a un pasteur
de Berlín de donner des séances I'elígieuses, et le permit a un
arti~an qui se plaignait d'une défense semblable du ministre.
Quant a Cocceji, ses changements de juridiction et tout ce
qui y est analogue, Selchow, juristische . Bibliothek (B ib/io-
théque du j urisconsulte }, donne le pour et le contre.


3 Pour se convaincre que le roi de Prusse avait de l'influence
sur l'Europe, méme avant la guerre de sept ans, ji faut se rap-
peler un passage de l'écrit politique qu'Horace Walpole nt pré-
sen ter a Georges II en 1751, au moisde novemhre, par sa mai.
tresse la comtesse de Yarmuth.lralpole, Memoirs, t.lI. p. 3 :lO.




LIVRE Il, CHAPITRE II. 20r


sorts, et qu'il écrasait toute individualité, toute
ame et tont sentiment par son esprit; en Au-
triche l'innovation la plus sensée fut toujours
étollffée par le /legme naturel de ses hahitants.
La quantité de généraux et de maréchaux ren-
dirent impossible une réforme générale dans
l'armée, quoíque le eomte Daun exécutat alors
le projet que KhevenhüIler avait con<;u, et
ql.~'il 6t partager les exercices militaires a
toutes les branehes de l'armée autrichienne.
On déracina dans l'administration de la justice
les abus qui frappaient le plus les yeux 1 ; et
Haugwitz sut, dans les 6nances, sans établir
aueun nouvel impot, donner a Marie-Thérese,
meme ap1'e5 \a perle ne "~p\e~ e't ne \~ ~1c\\e ,
les revenus que son pe re avait a l' époque ou
il réunissait tous ces États sous son sceptre 2.


Les relations, dans le cabinet, demeurerent
• long-temps telles qu'eIles avaient existé sous


1 La police et la chambre des douanes furent séparées, les
chancelleries de provinces supprimée~; on constitua un tribu-
nal spécial pour tous les pays allemands.


:lFrédéric U. OEupres, t. 111, page 26, dit bienlam~mechose;
mais il porte un coup malicieux au bon empereur Fran~ois,
qui eu vérité ne jouait qu'un r6Ie secondaire; il: prételld
qu'il 's'était faít banquier et fournisseur, qu'il avait pris a
ferme les douanes de Saxe, qu'il s'était associé a Schimmel-
mann pour faire des fournitures, et méme en 1756 pOUl' Ja
Prusse ,- lorsque son épouse, a laquelle il prétait sur gages ,fai-
sait la guerre a eette puissance.




~02 HISTOIRE DU XVllle SI:ECLE.
Charles VI, jusqu'a ce que Kaunitz, l'homnle
le plus orgueilleux et le plus singulier de l'Eu-
rope, mais aussi le politique et le diplómate
le plus habile a dévoiler les intrigues des ea-
binets, crut, aínsi que Marie-Thérese, que pen-
dant son ambassade a Par~s, depuis 1750 jus-
qu'en 1755, il trouveraít le moyen de ramener
la Silésie al' Autriche, et de faire cesser la dou-
leur, que l'impératrice éprouvait de ]a perte de
eette province. Bartenstein alors perdit sa
place, et Kaunitz dirigea durant pres d'un demi-
siecle, avee une véritable astnce italienne, les
affaires diplomatiques de l'Europe l.


III. Si nous voulions développer systémati-
quement les raisons du ehangement opéré a
la fin du siecle, nous serions obligés de remon-
ter a l'histoire de la régence et de dépeindre
la dipravation des moours dans laquelle tom-
berent, sous le regne de Louis XV, et la cour
de France, et toutes les hautes classes de l'Eu-
rope, formées sur le modele fran~ais. n nous
faudrait montrer ensuite comment, a coté de
la superstition et de ses menées, tout principe
et tont sentiment religieux furent imités par


I Un FraJl~ais caractérise Kaunitz parfaitement en ces mots:
« Un seigneur qui joiguait a la légereté d'un Fran~ais, l'as-
tuce d'un Italien et la profolldeur d'un AutrÍchien. n




LIVRE 11, CHAPITRE 11. 203


l'hypocrisie, dans les cours et dans les classes
élevées; mais nous ne devons qu'indiquer les
faits et nous nous hornerons a quelques ob-
servations.


Louis XV était déja bien déchu avant la- fin
de la guerre d'Autriche; le duc de Richelieu
,et ses partisans trouvaíent leur intéret dans
l' oubli ou il était de lui-meme, et madame de
Pompadour savait al1ier aux artifices d'une
coquette consommée, ceux d'une entremet-
teuse 1.


Le changement que, la corrllption de la
cour et des courtisans produisit dans les sen-
timents de la natíon pour son roi, semani-
festa, dan s les _ dernieres années de la gu~rre
de la succession d'Autriche" d'une manie~e si
prompte, que Louis XV était encore adoré de


1 Il ne sera peut-étre pas hors d,e propos de rappeler ici
quelques anecdotes du temps, qui font assez bien connaitre
eette c ... n titréf, et l'influence qu' elle exer~ait sur le so uve·
rain.


Louis XV disait un jour au Dauphin , que madame de Pom-
padour parlait parfaitement l'allcmand ... Oui, sire, lui dit le
« prince, mais on trouve qu'elle écorche furieusement le fran ..
• <;ais. " Le Dauphin fut exilé a Meudon.


Lorsque madame de Pompadour, dont le nom de famille
était Poisson, se vit élevée au rang de duchesse , elle demanda
pour son frere le cordon bIeu ; a son royal amanto Le roi con-
sulta Ia-dessus un seigueur de sa cour, qui luí dit: .. J e ne crois
a pas, sire, que ce poisson-lil vaille la peine d'~tre mis au bIen. lO


Ce poisson fut faÍl marquis de Vandieres; lescourtisans, par
dérisioll, l'appelaient marquis d' aflant-hier. (Note du traductellr.J




204 HISTOIRF. DU XVIJIe SlECLE


ses sujets en 1746, et que, trois années apres 1
un vieux cpurtisan peu accoutumé a dire des
vérités aussi dures a son maitre, lui déclara
nettement qu'il ruinerait son royaume, s'il ne
cherchait a regagner l' estime publique l.


Ce conseil fut inutile; et, meme depuis,
Louis XV abandonna publiquement les 'af-
faires de l'État a sa maitresse: elle les diri-
gea de la maniere la plus scandaleuse, tandis
que les ministres se disputaient tantot avec le
parlement, tantot avec les jésuites, et soule-
vaient de nouveau l'ancienne querelle des jé-
suites et des jansénistes 2, ou naturellement la
cour dOllnait de tous cotés prise sur elle. eette
lutt~ éternelle dévoila l'impéritie et la faiblesse
du gouvernement. Les ministres furent nom-


1 Mémoires de Noailles, tome VI, page 322 : • Pardonnez-
• rnoi, sire, écrit le maréchal , d' avoir osé entrer dans un aussi
• triste détail avec votre majesté, rnais je la supplie de consí-
• dérer que c'est le dernier effort du courate et l'effet de la
• juste confiaBce que l' 011 doit avoir dans sa droiture et dans
• son amour pour la vérité, que d' oser lui annoncer que son
• gouvernement s'affaiblit, que son autorité se perd, que les
• liens qui lui attachaient les peuples se rompent journelle-
'" ment, et que l'opinion des étrangers s'altere. "


Le méme homme, demande en 1758 qu' on donne, en
récompense de ses services, a son fils sa charge de capi-
taine des gardes, et a son petit-fils, la survivance de cette
charge.


2 La haine entre les jésuites et les jansénistes est hien loin
d'étre éteinte. N'a-t-on pas vu dernierement en France refuser
a un vieillard de quatre-vingt-quatre aus, monsieUl' Lal~be,




LIVRt.: 11, CHIlPITRE 11. 205


més et destitués par madame de Pompadour.
On commen~a par remercier Maurepas, mi-
nistre de la marine; Machault et d'Argenson
partagerent bientot son sort, et, des ce mo-
ment, la maitresse du roí et ses créatures dis-
poserentseules de toutes les places, a l'armée,
sur la fIotte et dan s le cí vil. Les revenus de
l'État furent engloutis par la prodigalité im-
mense de la cour.


IV. En comparant l'état de la Saxe a celui -
de la Prusse , il nous serait facile de démontrer
qu' Auguste, électeur de Saxe et roí de Polo-
gne comme son pere, gouverné par son mi-
nistre, le fameux comte de Brühl, se trouva a
peu pres dan s la meme position que Louis XV
vis .. a-vis de sa maitresse. Nous n'en ébauche-:-
rons que quelques traits.


LaPrusse avait alors une fois plus d'hahi-
tants que la Saxe; elle n'avait point de dettes,
et les taxes n' étaient pas trop élevées; la Saxe
succombait sous les impots et devait quatre
cent millions. La Prusse avait une armée de
cent cinquante mille hommes; la Sáxe n' en
comptait que dix-sept mille.
ancien maire de Troyes, les secours de la religion, sous le
prétexte qu'il était janséniste. Cette scene, aussi révoltante
que pénible, est consignée daos le Courrier fran«¡¡ais du ~ 6 no-
vembre 1824. (Notedu traducteur.)




206 HISTOIRE DU XVIlle SIECLE.
Brühl avait le grand rnérite d'etre le com-


pagnon de son maitre et de partager ses en-
nuis; iI était extremement vain et savait se
présenter. Il avait déja renversé, en 1738, le
prince Sulkowsky, s' était entouré de ses créa-
tu res , et avait réuni en lui tous les titres et
tontes les charges possibles. Depuis 1746 il
était premier ministre et jouait le souverain.
Il comptait jusqu'a deux cents domestiques,
des jardins, des cabinets de minéraux, des
galeries de tableaux etd'objets d'arts, des bi-
bliothéques, et il regardait le bien de l'État
comme le sien propre, cal' iI fit démolir une
partie des fortifications de -Dresde, pour
agrandir ses jardins. Des opéra, des bals et
des fetes de toute espece se succédaieIit chez
lui; des FraIu;ais et des Italiens composaient
sa société. Celui qui parlait klal de lui était
traité et puni COIllme un criminel de haute
trahison; et tout le pays était appauvri par la
guerre de sept ansa


Ce simple particulier laissa une fortune qui,
déduction faite de toutes ses dettes, montait
a environ douze millions, pendant qu'il avait
épuisé tout le crédit du royaume ; mais iI se
souciai t peu de la détresse des Saxons. Pour
avoir de l'argent comptant il créa le papier-




LI VRE 11, CHAPITRE ] lo 207


monnaie, vendit, en 1751, des troupes saxon-
nes aux puissances maritimes, et mit une
partie de la succession de Saxe - Weissenfels ,
tombée en partage a l'électeur, en gage au Ha-
novre contre un pret de q_uelques millions.


V. Le contraste d'un gouvernement, garanti
par une constitution et des lois, administré' par
plusieurs ministres responsables sous un chef
inviolable, dont les fonctionnaires jouissent de
la confiance du peuple et ont la voix publique a
redouter, avec un gouvernement qui n'est
dirigé que par le pouvoir absolu et le hasard,
ne pourrait mieux se faire sentir qu'en com-
parant l'histoire d'Angleterre,!sous le regne de
Georges II, avec le tablean précédent.


Georges ne s'entendait pas trop aux af-
faires du gouvernement. Il regardait le bien
public cornme le sien, iI ne voulait d'autres
ministres que ceux qui lui convenaient per-
sonnellernent, il avait ses maltresses qui le
gouvernaient, dont tróis se melerent succes-
sivement des affaires de l'État. La quatrieme,
Sophie de Walmoden, nornmée comtesse de
Yarmuth, eut, dans son cabinet, des confé-
rences avec les hommes d'Etat qui voulaient
bien s'y pretero Le roi exigea ensuite de ses
ministres que les relations politiques fussent




208 HISTOIRE UU XVIlIe SIECLE.


liées ou rompues d'apres ses affections ou ses
aversions personnelles; lllais cela ne put avoir
tout au plus qu'une influence répressive sur
la marche gé~érale des affaires. Son nlinistere
fut toujours nommé cOntre 5a volonté ; on se
passa de ses lumieres, en ne Jui accordant
qu'une voix négative. Ses maltresses ne pu-
rel1t influer q~e sur des choses indifférentes,
ou sur de petites ames dans le ministere,
cr&r tout au plus un nouveau pair, ou don-
ner l'ordre de la jarretiere; ses dépenses
étaient resserrées dans des bornes fixées, et
meme les subsides a des princes alIemands,
souvent tres-mal employés, n'étaient, d'apres
la maniere dont on en parlait dans le parle-
ment anglais, qu'une perte légere pour eux,
et devenaient tres .. ignorninieux pour les prin-
ces qui les acceptaient.


Si l'Angleterre, sous le regne de Georges 11,
ne souffrait guere des maux qui pesaient sur
le reste de l'Europe, ce royaume n' en sentit
que plus fortement le coup que le mjnistere
anglais, .d'une maniere toute particuliere,
porta a la morale publique. Comme ces prín-
cipes, énoncés par les deux Walpole ~ se trou-
vent cOlocidents daos leurs effets avec les
autres causes intérieures, qui bannirent la




tlVRE Ir, r.HAPITRE JJ. 209


pndeur de la politique'l Hons 1es réunirons id
sous le meme point de vue. Frédéric JI fut le
premier qui, par son esprit supérieur et son mé-
pris pour les hommes,dégrada le-genre humain,
ell traitallt l'État cornme une machihe, et en
réduisant le bonheúr de l'homme ~ un bien etre
qu'il ne trouvait que hors de lui-rneme.


Louis XV, et tous ceux qui l'entouraient,
rendaient d'un autre 'coté homrnage a la vo.:.
lupté la plus grossi~re en bravant ouvertement
la décence et en.blessant les lois les plus sacrées.


La philosophie fraw;aise, qui ne respirait
que la douceur, semblait bien y opposer de~
moyens de salut, mais les auteurs qui, dans
ce siecle. révélaient en partie les noblesprin-
cipes de l'humanité, furent les'précurseurs de
cette. démence qui ne considere que les sens
dans l'homme et qui regarde le pur épicurisme
comme la véritable sagesse. Presque tons les
philosophes célebres alors parmi les Fran<;ais, I
ne firent de l'homme qU'UIl etre sensuel, qui
a re«;u la raison ou l'espl'it COlnme un moyen
et non comme un but dans son existellce.
L' exemple des souverains, imité par les grands
et les riches du monde, soutenus par ces princi-
pes dév~loppés d'une maniere séduIsante 11 ne
putque donner les plus violentes secousses


Ro 1.




.. .


210 HJSTOIRE DU XVIII6 SIECI,E.


aux bases éternelles detoutes les relations so-
ciales de l'homme; voila ce qui se répandit, par
les Franc;ais, en Angleterre¡ Lesdeux Walpole,
surtout Robert, 'par leur systelne de corrup-
tion; ébranlerent, sous le regne de Georges 11,
toute confiance en un amour pUl', en up
sentiment vrai et en des motifs plus nobles
que Ceux de l'avidité et de l'égolsrne. Wal-
pole énonc;a' hauternent le principe que tont
homme avait son prix, que tout était vénal ,
et son rninistere ne le' prouva malheureuse-
ment que trop.' L'histoire) meme en Angle-
terre, prit des -lors un ton analogue a cette
maxime. Malgré l'amitié que le roi lui portait
Carteret ou Granville dut céder au parlement
et Georges fu t obligé de souffrir que les
Pelhams, qu'il détestait, fussent a. la tete
des affaires; et meme pendant le ministere
du duc .. de N ewcastle, qui se donna toutes
les peines possibles pour se mettre dans les·
honnes graces du roi ; le comte de Chesterfield
se vit forcé de, céder a la jalousie de ~es col-
légues , a cause des conférences secretes qu'il
avait avec le roi dans le cahinet de la conl-
tesse de Yarnluth.


La maniere dont Pitt l'ainé ~'éleva par lui-
meme, pendant ce miI1istere, prouved'ailleurs


'/




LIVRE 11~ CHAPITRE IL 11 t


que le talent avait bien plus d'ascendant sur
toute la nation que la faveur. Pitt devint telle-
mentredoutable pour Walpole au parlemeilt;
que celui -ci chercha de toute maniere ou a
l'intimider, ou a le gagner. Placé au~jnistere;
il montra bientot qu'il était trop grand pour
se contenter d'un role secondaire. Lorsqu'il
en sortit, l'attention publique était de nouveau
fixée sur lui, jusqu'a'ce qu'on l'ap.t enSn;
contre le désir et la vólonté du roi, au timon
des affaires.


VI. Pierre-,Ie-Grand avait fait de la nation
russe, adroite et imitative, un peuple belli-


'" queux. Il s'était entoure des officiers les plus
habiles de Charle~ XII ~et de l'élite des tneil.;:
leuresarmées de toute l'Europe. Il avait pris
aux Suédois les provinces allemancles de la mer
Baltique, et il venait die fonder une nouvelle
capitale. L'empire devint donc bientot sous ses
successeurs une puissance formidable. Ce ne
fut qu'en RussÍe que le systeme militaire de
Louis XIV et de Frédéric-Guillaume put etre
développé avec succes, car il faut des siedes
avant que les lumieres de l'Europe soient a la
portée des paysans russes, ou que les intri-
gues de.la cour donnent du scandale aux habi.;.
tants des vil,les et des campagnes.




:112 ftISTOIRB DU XVII18 5IF:CLE.


Il est done fadle d'expHquer cornment avec
. le soin continuel des différents' gouverne-


ments, d'attirer les étrangers, et de faire
mouvoir cette masse de barbares par l'esprit
de l'Eurdpe, la force d'une nation, encare
pure, s'accrut malgré toute ]a perversité" de
la cour et de ses serviteurs. '


Apres la mort de Pierre Ier, Menzikaff éleva
Cather.au trone, en 172.5, pour, régner
sons son' nomo La vie débauchée de l'impéra-
trice et un ulcere aux poumons ayant causé
sa mort prém'aturée et subite, Menzikoff, en-
core plus connu par ses vic'es que par ses ta-
lents, distingué par Pierre ¡er, fut accuse d'a-
voir voulu, par sa mort, se frayer le chemiri. au
trone, car le bruit courait généralementqu'il
l'avaitem,poisonnée. Quoi qu'il ~n soit, .Menzi-
koff, pour conserver le maniernent des affaires,
décida ou plutot fort;a l'impératrice, dans ses
derniers moments, a déclarer hériti~r de l'em-
pire, .le fils du' malheureux Alexis, que Pier-
re Ier avait fait exécuter. Pi erre II monta sur
lt~ trone, l'an' 1 72.7, a l'age de douze sns; mais
Menzikoff dévoila trop tot ses projets amhi-
tieux. Une double alliance devait unir Pierre
a sa filleetsonfils a la sreur du czar. Ce fut
le signal de sa perte. Les princes DoIgoroucki




LIVRE 1l, CHAPITRE 11. :lI3


s'~mparerent du" jeune czar, le déciderent a
abandonner subitement Menzikoff, a le bannir
et a le poursuivre meme jusque dans sQn exil;
ils s'arrogerent, eux et leurs parents, apres


. SO~l éloignement, la meme influence qu'il avait
eue sur le gouvernement. Les Dolgoroucki
youlurent aussi établir le~r pouvoir a jamais,
en mariant le czar ave e leur sreur; mais le
jeune empereur mourut a,u mois (le j.anvier
1730 d'une maniere si subit.e, qu'ori n'eut pas
~em~ letemps de lui faire désjgner son suc-
~e~seur, d'apres la loi de Pi erre Ier. .


A la mort de Pierre II, les Dolgoroucki gou-
yernaient l'État, et ce fut par leur crédit que
dans l'assemblé~ des g~ands de l'empire, con-
yoqués p9ur élire un llouveau souverain , l' é-


,lection tomba sur la princesse de la maison
de Romanow, qui avait moins de droits que
tous les autres héritiers. Les DoIgoroucki pou-
vaient d'autant plus espérer de régner sous
son nomo Cette princesse était Anne, fille du
frere ainé de Pierre et duchesse douairi,ere de
Courlande. Av:~nt de déclarer l'élection, les
Dolgoroucki firent promettre a Anne .de ne
point amener en Russie son favori Biren,
et de remplir en outre 'd'autres conditions
onéreuses. La nouvelle ímp~ratriCe ne pu~




HfSTOfRE nu XVIlIc SIE:CLE.


se séparer de Biren. La restriction du pou-
voil' impérial dans ces conjonctures était ridi-
cule; Anne trouVél done facilement les moyens
de l'éluder et de ,égner en souveraine abso-
lue. La . premiere suite de cette capitul~tion
anéantie fut la chute, et, immédiatement
;:¡pres, la poursuite cruelle de la maison Dolgo-
roucki etl'élévation de Biren au gouvernement
de cet immense empile ~.


__ Pendant que Biren régnait en despote dans
l'intérieur" des généraux de l' école d'Eugene ,


. et surtout Münnich, qui avait bien dis-
~ cerné le caractere de la natjon, formaient
l'arméé a la discipline et lui inculquaient
le sentim~nt de la gloir~ militaire; ils montre-
rent aux Polonais que leur république n'était
qu'une ombve et, en ~eme temps, combien il
5e~ait facile a des yoisins puissants, qui nom-
maient aujourd'hui un roi, d'occuper demain
le pays. '


La Russie disposait déja du trone de la Polo,-
gne. Ce fnt Münnich e't ses Russes, accoutumés
a la mort et aU'meurtre, qui donnerent a Au-
guste 11 la couronne, qui firent perdre le trone
a Stanislas et empecherent les Frant;ais de lui


I Biren ou Büren s'appela de ce moment Biron, et se dit
parent de la famille' fran«taise de ce nomo




I,lVRE 11, CfIAPITRE 11. ~I5
preter secours. Ce furent encare les Russes
qui, en 1737 , forcerent la noblesse de Cour-
lande d'accepter, pour due, Biren qu'elle n'a-
valt pas voulu recevoir membre de la cheva-
lerie, et qui étdufferent les protestations des
Polonais par le bruit de lenrs armes. La guerre
de Turquie, qu'ils firent conjointement avee
l'Autriche, fut glorieuse et meurtriere; l'a-
vantage qui en résulta a la fin de I'année
1746 ne fut pas grand, mais le chemin a des
conquetes fntures était frayé. et le rapport
de l'armée russe a ceHe des Turcs se trou-
vait fixé.


Biron t gouverna l' empire pendant dix ans
sous le nom de J'impératrice Anne, mais il
éprouva le menle sort que Menzikbff, dans r es-
pérance qu'il av~it con<;:ue de reten ir l'au~orité
apres la mort de l'impératrice. Ill'avait déci-
dée a reconnaitrepour successeur le jeune
Ivan, fils.de sa niece, mariée au duc Antoine


.'It Ulrich de Brunswick, sous'la condition qu'il
resterait a la tete des affaires: mais il avait en
Münnich un rival caché. Quoique jusqu'alors
intimement ·lié avee lui, Münnich persuadé


x Biron, d'apres une lettre de Suhm, dan s sa correspon-
dance avec Frédéric 11, de l'an 1737, préta de l'argent au
prince royal que son pere surveillait de preso




~16 HI5TOIRE 1)U XVl11e SItCLE.
qu'il ue devait plus fOllder d'espoir que sur la
famiHe tl'.lv~n ~ s'p..nit a eHe pour perdre Biren.
Ille fit arreter '. et nommaUlrich el son épouse;
régents de rempir~ ; mais son tr~omphe fut de'
courte durée&Lestoeq,cQ.irurgien fr~n.«;:ais ~
forma le plan d' élever Élisabeth "filIe de fierre-
le-Grand, au trane, ~t iI l' exécuta pendant
l'absence de Münnich, pui~queleducdeBruns-:
wick ,n'av~it ~~i¡ l'activité, ni l'énergie néees-
saires pour prévenir le danger qui le m~na«;:ait.


Élisabeth fut procl~ée iInpératrice au mois
de décembre 1741 , peu de temps apres le cou~
ronnement de Frédéric II. Elle eon«;:ut aussitót
une inimitié morteHe eontre luí, caro elle n' é:-
taitpas disposée a sacrifier aux affíl:ires le te~ps
qu' elle consacrait a ses plaisirs licencieux, dont
l~ roi de Prusse fit les critiques les plus ameres.
La vanité d'Élisaheth n'oublia jamais eette of-


. .


fense.
VII.LaFI'a~ce et l'Angleterre, pour ne point


retarder la conc1usíon de la paix d'Aix-Ia-Cha-.
pelle, renvoyerent a d'autres négociations rae-
commodement d'une mésintelligence tres-im-
. portante pour leurs possessions et leur com-
merce dans l' Amérique septentriollale. Ces
deux nations s'aecuserent ensuite mutueIle-
ment de ne pas agir avec honne foi ~ et apres




LIVRE Il, CHAPITRE II. ~I7


une correspondan ce tres - yiolente, elles ~n
vjnrent bienfot a des hostj]jtés. Les F.ranfais
avaientde$ colonies a l'Ohio, a la Louisjane, et
aU fh~uve St.-Laurent dans le Canada. Les An-
glais possédaient les États-Unis de l'Amériquc
d'aujourd'hui, qui étaient alors encore resser-
rés dans l'intérieur des montagnes bIenes. Les
Francais montrant l'intention de fonder des
~ ,


forts et des établiss.ements depuis lé Callada
jusqu'a rOhio, les Anglais se ,yirent exposés a
perdre tout leur commerce de pe}leteries et a
voir leurs colonies entourées par l'ennemi.
La discussion semblait insignifiante, ~ais elle
ne le fu~ pas, c0!Dme les Fran~ais et les An-
glais le reCODJlurent hien, puisqu'elle ]~l~r pa-
rut une raisciri suffisante pou~ se faire la g,uerre.
La rupture eut lieu dans le, temps. ou .le mi-
nistere de Georges II était eJ?~i~rement dévoué
a ses volontés personnelles. En d~pit de toute
saine politique , le roi d'Angl~terre: s'étaitJi~.
étroitement, al'Autriche c;ontr~ 1~¡Prll~se. IL
se sépara de FrédéricU', et, au lieu de soute-
nir avec lui le développement libre de~ prin ..
cipes du protestantisme, il fit, par patriotisme
allemand, de, la cause de la souveraineté im-
périale la sienne propre. Enfin il se vit , COlnme
lnalgré lui, poussé a embrasser la cause de




218 HISTOIRE DU XVI11- Sd:CLE.


Frédéric, qui, lui-meme, se détacha a regret
du parti de la France.


Des ~hangements s'étaient déja opérés a la
cour de France, en 1752.; on suivait deux sys-
temes différents dan s le cabinet et dans le con-
~eil privé; Frédéric et la France réunirent tout
Ieur créditt pour que Joseph 11 ne fut point
nommé empereur des Romains du vivant de
son pere, tandisque Georges 11, maIgré l' op-
posiiion du parlerrient, cherchait a gag~er,
pour cette élection, les électeurs par l'argent
de l' Angleterre. Georges, si fidelement attaché
a l'Autriche, devait bien s'attendre qu'eIle dé-
fendrait le Hanovre contre les attaques des
Fran~ais, sans égard pour l'Empereur et l'Em-
pire, mais il en fut tout autrement. Kaunitz,
alors ambassadeur a la cour de France, n'a-
vaitrien négligé,depuis la fin de l'année 1750.,
pour désunir la Franee avec la Prusse; il
avait décidé Marie-Thérese a éerire a madame'
de Pompadour, et a I'appeler sa couiine, tan-
dis que Frédéric la persiflait d'une maniere _
mordante et n'épargnait pas meme son royal
amanto


I Suivant 1'Ilvis de Frooéric, Vergennes, alors ministre a
Treves, Cut député par les Fran<¡ais a Hanovre, ou Georges
avait assemblé un congres des électeurs.




LIVRE IJ, CHAPITRE 11. 2.19


Le conseilprivé était entré depuis long.temps
dans les vues de Kaunitz, avant que, dan s le
ministere, Puysieux et Tiquet, qui lui était
subordonné, voulussent entendre parl~r·d'un
traité avec I'Autriche. Le cabinet franc;ais
balanc;ait enc~re entre une alliance avec la
Prusse ou cette puissance, dans le moment
ou les Anglais, profitant des différents qui
s'étaient élevés sur les possessions de l'Amé-
rique, prenaient des vaisseaux franc;ais I san s
avoir ~éclaré laguerre~ Sur ces entrefaites, ma-
dame de Pompadour venait de faire conclure
en secret un traité avec I'Autriche par l'abbé
de Bernis depuis cardinal 2 •


·Le roi d' Angleterre chercha alors aernpecher
une invasion dans le Hanovre; Frédé.ric 11 s' oc-
cupa de défendre la Silésie éontre les~égo­
ciations de I'Autriche, et d'assigner a la Prusse
une place' parnli les premieres puissances de
l'Europe. Ces efforts rapprocherent ces deux


I En 1753 et 1754 les Anglais et les Franc;ais étaient hattus
en Amérique, dans l'intérieur et a l'entour des forts. En 1755,
au mois de juin, les Anglais prirent des vaisseaux franCiais;
ramiral anflais Boscaven avait rectu l'ordre d'agir hostilement.


2 Le trallé a'Yec l' Autriche , que le roi de France ne put nul-
I,ement présenter it'tQut son conseil d'état, fut d'ahord négocié
¡\ la fin du mois d'avri'l ¡7'S5, dans une maison de campagne
de.madame de Pomp~dour, ensuite dans la maisoll d'un par-
tlculier a Paris. La notice qui se trouve lit-dessus dans la vie
de Schmettau, page 31 1 , mérite cependailt quelque attention.




,


LIVI\}r'II,CHAPITRE JI. . 221


honnete homme; les moyens qu'íl employa
pour gagne~ les secrétaires d~l'ambassade im ..
périale a Berlin , ne sont pas moíns odieux l.


On n~ \leut cont~stel' ~ue la l\.ussie , la Sax.e
et l' Autriche faisaien t des' arnlements, mais le
témoignage des officiers généraux prussiens ,
et surJont celtii du éomte qe Schmettau , prou-
ventjusqu'a l'évidence qu'il n'y avait pas encore
d'époque fixée, et qu'en Boheme on n'avait
pas faít lesmoindres lYréparatJfs. Quoi q'u'il ~n,
soit, Frédéric a vait hien -deyiné la' ligue 'de ses
eonelnis. Il crut plús prlldent de sacrifier la
Saxe que d'etl'e Iui-meme victime', et il aima
mieux commencer la guerre, que d'attendre
qu'on l'attaquat. Apres avoir rasse~hlé ses
troup~ avec 1a.·Jlus grande célérité au mois
dé juílIet I,75~6, Frédéric entra le mois suivant
de trois cotés en Saxe; la F~ance et l'Angle-
tetre se faisaient la guerre depuis le m~is
d'avril. '


VIII. Au moment de l'ínvasion des Prussiens


• Men~l, secrétaire a la chanceUerie de Dresde, Cut ppé
parl'ambassadeur prussien de Malzahn, pour comm~niqu~r
désactes. 11 seservit de' faússes clefs pour ouvrir les armoÍre§
ou les actes étaientenfermés. La c.our de. Sa~e étanJ: allée en
Pologne , 'le cónseiÜerp~vé Eichel , de Potsdam, lui envoya
un 'tAOUsseau de clefs; Í'nicune ·d'elies n'allant auxserrures des
aI'IDoiJ:es, Menzel marqua a Éichel les changemeftts qu' on de-
vait taire aux clefs. L'autre 'histoire élt de la m~me fac¡on.


.#




,


LIVREII, €HAPITRH JI. ~2.1


honnete hon1me; les moyens qu'il employa
púur gagner les secrétaires d&.l'ambassade im-
périale a Berlin , ne sont pas moins odieux l.


On ne peut contester que la Russie, la Saxe
et I'Autriche faisaient des arnlements, mais le
témoignage d~s officiers généraux prussiens,
et surJout celui du éarnte Qe Schmettau, prou-
ventjusqu'a l'évidence qu'il n'y avait pas encore
d'époque fixée, et qu'en Boheme on n'avait
pas fait les·moindres préparatifs. Quoi qu'il ~n
soit, Frédéric avait bien -deyiné la ligue de ses
ennemis. Il crut plús prudent de sacrifier la
Saxe que d't~tl'e llli-meme victime, et jI aima
mieux commencer la guerre, que d'attendre
qu'on l'attaquat. Apres avoir rassemblé ses
troupes avec la. ,lus grande célérité aumois
de jllÍllet 1.7 5~6, Frédéric entra le mois suivant
de trois cotés en Saxe; la France ét l'Angle-
terre se faisaient la gllerre depuis le mois
d'avril.


VIII. All moment de l'invasion des Prussiens


I Menz~l, secrétaire a la chancellerie de Dresde, fut gagné
par l'amhassadeur prussien de Malzahn, pour communiqu~r
des· actes. II seservit de fatÍsses Clefs pour ouvrir les armoire&
ou les actes étaient enfermés. La cpur de Saxe étant allée en
Pologne, le conseiller p~ivé Eichel , de Potsdam, lui envoya
un tAOusseau de cJefs; aueune d'enes n'allant aux serrures des
al'moi¡:es, M'enzel marqua a Éichelles changements qu'on de-
nit faire aux clefs. L'autrehistoire est de la m~me fact0n.




-


2~~ HJSTOIRE DD XVIII- SIECLE~
en ~axe les préparatifs de l'Autriche n'étant
pas terminés, s~~ troupes surprises se virent
obligées de battre en retraite; mais Bernis était
ministre de~ affaires étrangeres en Fra.nce, et,
en eette quaÍité, il conclut avec l' Autriche un
nouveau trai té, en vertu duquella Frances' 0-:
bligeait a donner deux m,illions a eette puis-
sanee, a mettre cent mille hommesen cam-
pag¡¡¡e, apayér de plus a la- Suede des s~bsides ,
pour que ce pays, alors impuissant, j9uat aossi
U11 role actif dans la guerre; la conduite de '
Frédéric ~ Saxe. en fournit le prétexte. La ,
Russie et l'Autriche, comme alliées, la France
et, la Suede comme garants de l~ paix de West-
phalie s'en déclarerent ,les vengeurs. , _


La Saxe promptement oc.ripée an mois de
septembre, Brown, général des Autl'Íchiens,
voulant secourir l'armée saxonne enfermée
pres de Pirna, fut battu lé 1 er octobre pres de
Lowositz; tpute l'armée saxonne obligé~ de se
rendre aux Pruss,iens, fut traitée, c,omme le
pays, avec une dureté que la nécessité la plus
pressante. peut 'a peine excuser. ,La Pologne
abandonnason roi; l' AHemagne, ou plutot la
diete se déclara, a la majorité d~s voix , la pre-
miete' contre la Prusse 1 ; mais elle devint de


J Tout,le parti évangélique s'étant déelaré contre la 'pros·




LIVRE '-'11, CHAPITRB 11. ~~3
nouveau, par la mapiere donton fit la guerra
de l'empire, la risée de toute' l'Europe.


L'année ,~uivante, 1757, préseÍlta le grand
tablean ,d'nn homme énergiqne et actif a la
tete d'une armée dévonée, luUant contre des
ennemis innombrables ; Frédéric, attaqué de
tons cótés, r.~al secondé par ses alliés, sortit c~­
pendallt tonjonrs victorieux des co~bats qu'il
dirigea en personne. D'apres l'obligation que
Georges II e,' étaiÜmposée,'il devait fonrnir une
armée pour la défense dti Hanovre:, dans' le
cas ortles Fran«;ais attaqueraient le pays. Mais
le min~tere de Hanovre 1 lnit d'ahord de la
lenteur; le dnc de Cnmberland prit ensuite
des mesures toQ.t oppos~es.Le prince anglais 2


cription de la Prusse, et une séparatíon des parties ét.nt a\
craindre, si elJe fut adoptée , olÍ se contenta, apres une négo-
ciation ~i se prolongea du mois de septembreI756 jusqu'au
mois de janvier 1757, de s'en tenir ,\ l'armée misérable de
l'Empire ehargée de l'exécution. ,


1 Frédérie 11, OEuvres, tome In, page 13 1 ,parle a cette
occasion, sur le ministere de Hanovre', entierement dans le
ton d'on Saint-Just ou d'on Buonaparte. '


:1 Pitt ayant été éloi8Dé des affa.ires au mois de novembre,
175'5 , on forma un ministere dévoné au due de Cumber"'nde
BIs ainé ~e Georges. Ce ministere fut {lirigé par Fox. L'année
smvante Fox fut forcé. de céder la place a Pitt qui ~pI:it le ti-
man des affajres,; il avait une tout autré opinion sur ledoc de
Cumberland et sor le Hanovre que son prédécelseur, qui avait
conSé au prince le commandement des troupes destinées pour
l' Alle~agne. Le prince ne voulut point aller en AlIemagne , a


-r




2~4 HISTOIRE DU XVIII- Sd:CLE.
ehercha a soutenir son systeme de défense
anssi long - temps qu'il le put, mais les Fran-
c;ais, une fois au W éser, le forcerent de livrer
bataille a Hastenbeck, pres de Hameln, le ~6
juillet 1757; il fut battu et il aurait perdu en-


I eore plus de monde, si les deux générílux en-
nemis, d'Estrées et Maillebois, avaient été en
nleilleure inteHigence.


Le prince héréditaire de BrunswÍck rnontra,
pour la premiere fois, dans cette hataille, ses
talents militaires l. Richelieu, nornmé immé-
diatement apres la bataille de Hastenbeck, gé-
néral en chef de l'armée franc;aise, pressa tel-
lement le duc de Cumberlaná a Breme et a
v rerden, ou ilI' enferma, qu'il ne lui laissa d'au-
tres ressources que ceHe de capituler. eette
capitulation fut concIue d'une maniere tres-
précipitée et tres,;,imprudente, au monastere
de Seven, par le comte de Lynar, piétiste,
alors gouverneur danois de Delmenhorst et
d'Oldembourg; on aba.ndonna entierement l'é-


I


moins que Pitt ne fut éloigné du mini§tere. Ce dernier se vit
contraint de se retirer le 5 avril 1757. Le roi et tous les nou-
veaux ministres n'avaient pas la majorité des voix au parle-
mento On fut obligé , au mois de juillet , d' employer Pitt de
nouveau et de lui laisser le soin d'organiser un ministere a
son idée.


x Frédéric II, OEuvres, tomo III, p. 190, parle aussi avan·
tageusement du co]one] Breitenhach.




LIVRE 1I, CHAPITRE II. ~2.5
lectorat de Hanovre l. Frédéric se serait vu
aiors dan s une position fort critique si son co-
lonel Balby, qu'il envoya a Hanovre, n' eut
su faire accueillir favorablenlent de Richelieu
différentes représentation~, quoique le due
ne put entrer dan s les propositions princi-
pales 2. La convention déplut d'ailleurs aux
deux puissances pour lesquelles elle avait été
faite, c'est-a-dire a la France et a l'Angleterre;
les Fran<;ais, mécontents de ce que l' on ne
renvoyait que les troupes alliées 3, se plai-


_gnaient aussi qu'on n'eut rien décidé sur les
Anglais, et que les Hanovriens restassent ar-
més dans le Lauenhourg. Georges ne pouvant
refuser nettement la capitulation, traina en
longueur les négociatiolls qu'on avait enta-


1 On trouve le rapport dans les petits écrits du comte de
Lynar; nous n'y releverons rien, maÍs il est impardonnahle
que, dans toute la convention, il ne soit nullement question
de la contrihutioll et restitution du Hanovre ahandonné. Le
comte de Lynar n'agissait d'ailleurs que d'apres les ordres
du ministre danoi!! Bernstorff.


2 SoulAvie, ~fémoires de Riclzelieu , tome IX, page 198, va
bien plus loin en disant : u RicheIieu temporisa; iI resta pen-
dant pres de deux mois a Halherstadt, attcndant pour ainsi
dire l'arrivée de Frédéric n, communiquant avec lui au moyen
d'une machine a chiffres. lO •


Je n'y attache pas trop de foi; mais la premiere note est
tres-remarquable, ainsi que les lettres de Vienne, page 203.


3 Les troupes alliées furent composées de soldats de Hesse.
de Brunswick, de Gotha et de Lippe.


H. I. 15




226 HISTOIRB DU XVIIl e !IECLE.


mées pour la ratifier, jusqu'a ce que la bataille
de Rosbach lui donntlt, pour la premiere fois,
la meme opinion que Pitt; iI ordonna aussi-
tút a ses troupes de reprendre les armes I •


Le roi dePrusse était perdu si les Russes, qui
dévastaient son pays, avaient voulu ou pu agir
avec l'énergie nécessaire; car Frédéric venait,
il est vrai, de battre les Autrichiens, le 6 mai
1 757, a Prague , ,et d' occu per presqu e tou te la
Boheme, mais la fortune s'était tournée contre
lui depuis la perte de la bataille de Collin, le
28 juin 1757' Elle fut d'autant plus funeste,
que la relraite malheureuse du prince héré-
ditaire de Prusse, auquel le roi avait confié
une partie de son armée, le mit dans un em-
barras bien plus cruel encore que la perte de
la bataille meme 2. Frédéric vit alors les Au-
trichiens occuper la Silésie, pendant que les
Fran({ais, joints a l'armée de I'Empire, mar-
chaient sur la Saxe, et, apres la défaite qu'il


I La' convention du monastere de Seven fut faite au mois de
septembre et rompue au mois de novembre.


2 Cela explique la colere du roí de Prusse. On trouve le rap-
port du prince héréditaire, apres les lettres de Frédéric a Fou-
quet ; la faute principale est attribuée a Schmettau; ce fait est
détaillé dans sa biographie. Schmettau prétend que le prince
héréditaire avait, dans le fond, commis taute'la (aute, mais
qu'on la rejette sur l'accusateur Winterfeld. Celui-ci, a ce que
l'on dit, apres avoir donné le mauvais conseil, sut, en vrai
courtisan, s'en défendre publiquement.




LIVRE 1I, CHAPITR.E 11. ':A ':A 7
essuya, le 30 aoút, pres de Grand-Jregerndorf,
il commenc;a lui-meme a craindre pour l'issue
d'une entreprise admirée de toute PEurope.


Les généraux russes qui se retireren t dan s
ce moment par des raisons personnelles a l'hé-
ritier de leur treme, sauverellt Frédéric, en
lui laissant le temps de .marcher a la rencon-
tre des Fran<;;ais et des troupes de l'Empire.
Le 5 novelnbre il remporta, contre toute
attente, une victoire décisive, et la fortune
tourna de nouveau du coté du talent et de
l' énergie. Les Allemands se moquerent ce-
pendant bien a tort de l'armée franc;aise a
cause de la terreur panique qui l'avait saisie
a la bataille de Rosbach. lIs auraient du piu-
tot se moquer du prince de Soubise et des
officiers efféminés qui 1'entouraient, et qui
devaient leur place a la naissance el a la fa-
veur. CeUe victoire, et le changement dans
les mesures de l' Angleterre qui en résuIta, ré-
tablirent en quelque sorte la balance: le grand
génie de Frédéric 6t le reste.


Avant la bataille de Rosbach, Pitt avait con-
voqué le parlement pour le 15 novembre. A la
nouvelle du suc'ces brillant de Frédéric, il re-
cula la session de quinze jours, quoiqu'il n'y
eut aucun exemple d'un tel ajournement dans


15.




~28 lHSTOIR~ "DU XVIII!: Sd:CLE.
l'históire anglaise, et il conc;ut, dans l'inter-
valle, le projet de s'unir a la Prusse et d'agir
de concert avec elle. Ce fut dan s ce hut que
Frédéric lui communiqua ses plans l. La capi-
tulation faite au monastere de Seven fut dé-
clarée nulle. Les Hanovriens et les Anglais r.e-
prirent les armes. Pitt convint, avec le roí de
Prusse, que Ferdinand de Brunswick com-
manderait les troupes alliées, et Frédéric sou-
scrivit a tous les changements que Piu.fit dans
ses pIans; car celui - ci aUiait a la grandeur
d'ame un esprit étendu, et a ses autres projets
la direction de la guerre en Allemagne 2 •


Pendant que les préparatifsde l'expédition,
dans la Basse-Saxe, se poursuivaient avec acti-
vité, Frédéric répara en Silésie par la victoire
éclatante'de Lissa, ou de Leuthen, le 8 décem-
bre, tont ce que le dnc de Bevern avait perdu,
le 22novembre, par la bataille de Breslau 3 ;


1 Les traités entre la Prusse et l' Angleterre du mois de jan-
vier 1756, du 11 avril et 7 décembre 1758, et les notices né-
cessaires sur leur prolongation jusqu'au 9 novembre 1759 et
I!l décembre 1760, se trouvent dans les A~lecdotes 01 the l[fe
01 W. Pitt, 8e édit., tome 111, page 18-31, appendix. E.


2 Frédéric II re«;¡ut de l' Allgleterre quatre millions d'écus en
hon urgent qu'il cOllvertit en dix millions, écus, mauvaise
monnaie de Suxe.


3 Le prince Charles de Lorraine déposa le commandement
ponr avoir perdu la bataille de Breslau. Il fnt cependant pn-
blié en Autriche, " qu'il était défendu a tout le monde de bla-




LI VRE 11, CHAPITRE 1I. ~29


la ville de ce nom, qui, apres la défaite du duc,
était tombée dans les mains des Autrichiens ,
fut reprise, et la garnison, forte de dix-sept
mille hommes, se constitua prisonniere. L'an-
née suivante, l' armée anglo-hanovrienne, sou-
tenue par Frédéric, fit des progreso rapides l.
Les Franc;ais évacuerent des le mms de mars le
pays au-dela du Wéser. Le 23 juin ils furent
battus a Crefeld, et le prince de Clermont, qui
les avait commandés en dernier lieu, re-
tourna couvert de honte a Paris.


Quoique la France désirat la paix avec la
Prusse , que les officiers et les soldats ne vou-
lussent plus se battre contre Frédéric, le roí
et madame de Pompadour persévérerent dans
leur volonté. On réforma les officiers qui dé-
plaisaient a madame de Pompadour; Bernis,
qui insistait pour la paix, a cause du délahre-
ment des finances, fut obligé de se retirer du
ministere; l'ambassadeúr franc;ais a la cour de
Vienne, depuis duc de Choiseul, fut nommé
a sa place, et, le 28 décernbre 1758,on cOnclut


" mer le prinee, relativement a eette bataille, pnisque , pen-
~ dant le combat, il n'avait fait qu'exécuter les ordres de
«l'Empire. » Quelle maniere étrange de diriger I'opiniollpu-
blique!


1 L'al'mée anglo-hanovrienne avait commencé l'expédition
au mois de uécembre par le siége de Haarbourg.




23Q HISTOIRE. DU XVlIle SIECLE.


un nouveau traité" par Jequel on promit aussi
des subsides aux SaXODS et aux Suédois. 00
invita la Russie 3. reconnaitre ce traité l ; Bro-
glie et Contades furent mis a la tete des ar-
mées renforcéesqui s'avan~aient surJe Wéser.
Frédéric avait, outre les Autrichiens, les Sué-
4ois .. et les Russes '¡i combattre; il remporta
une victoire sur ces derniers, le 25 aout 1758,
p~s 'de Custrin·3. Zorndorf, mais il se laissa
surprendre,le 14 o ctobre , par les Autrichiens
3. Hochkirch. L'état 'des,affaÍres se trouva,
él la fin de l'année, 3. peu pres le .meme
qu'au commencement, a l'exception que la
pauvre Allemagne fut saccagée et pillée tour-
a-tour par :ses alliés et ses ennemis.


Le 13 avril 1759, les Fran«;ais'gngnerent la
bataille <!e Bergen, pres de Francfort, sur le
Mein, repasserent de nouveau le Wéser et se
soutinrenten Hesse et en Hanovrememe aprés
la perte de la bataille de Minden, le 1 er aout.
La position du roi de Prusse devint tres-criti-
q~e. Wedel, songénéral, avait été hattu par
les Russes , lorsqu'ils sortirent enfin de la Po-


~ La Ruasie demanda, par une circulaire du 28 octobre
et 1 er décembre 1 759, que la Prusse proprement dite luí
f~tcédée, au moins jusqu' a ce qu' elle fut dédommagée des frais
de la guerreo




LIVRE 1I, CH.A.PIT~E 11. :l3J
logne pour ,se joindre aux Autrichiens ·pres d,e
.Züllichau 1 ..


Le 23 juillet, apres la jonction des Russes
avec Laudon, les armées aUiées défiren t si


• r


complétement Frédéric, pres. de Kunersdorf
sur l'Oder, que toute la guerre aurajtpuetre
terminée p.ar eette seu le bataiUe 2, si le géné-
ral Soltikoff l'avait voulu. Les Russes se plai-
gnaientde la Jenteufo de Daun el du manque
<le provisions. Pendant les discussions de$es
-ennemis,; Frédéric ras-sembla une n()uveUe ar-
mée, et lorsque les Autrichiens se .disposel'ent
enfill a s'avance.r, Soltjkoff se retira suhite-
ment enPologne; le roi de Prusse, voulant a
cette Qccasion .é.loigner de la Bohcme les AU7
trichiens ·comman.d~ par Daun, éch~adansr
son cl1treprise ~t y perdit, l~ 2p ~v~re
1759, le petit corps d'armée du génél'al Fjnk~.


XLa hataille de Züllichau porte aussi te nom de K,rai ou de
Palzig.


2 Frédédc U était déja maitre de la víC!0ire; maís v01Jbmt
entiereinellt détruire les Russes, comme a Zorndorf, iI perdít
tant de monde, qu'il réunit a peine jllsqu'an soir dix miUe
homroes sous .ses drapean-x; le lendemaíQ. il en avait dix~huit
mille, et quelqries jours apres vingt-huit mille a sa disposition.


3 Aussitot Fink et quelques autres généraux furent cassés
par le roí; la paix étantsignée, le conseil de guerre les con-
darona a une réclusion limitée dan s une place forte. Fink mou-
rut chef de l'arroée danoise, et Rebentisch général des Por ..
tugais.




~3~ HISTOIRE DtJ XVIUe"'SI:E:CLE.
L'année suivante, l'année du prinee Ferdi-


nand de Brunswick, obligée de donner douze
mille hommes a Frédérie, se vit paralysée dans
ses entreprises. ,Le général Fouquet, l'ami in-
time dti roi de Prusse, fut ensuite totalement
battu a Landshut, le 23 juin, et meme fait
prisonnier. Frédérie se rendit en Silésie pour
ranimer le courage de ses guerriers par une
vietoire'qu'il remporta, le 15 aout 1760, sur
Laudon a Liegnitz, etdont il ne tira point d'au-
tre avantage. Il to"mba des lors dan's une posi-
tion eneore plus embarrassante. Les Fran~ais
oeeupaient 'la Westphalie et la Basse - Saxe,
l'armée de l'Empire était postée dans la Haute:-


, Saxe, les Russes se trouvaient au mois d' oe-
tobre a Berlin, Daun était sur le pointde se
joindreaux troupes de l'Empire et de tenir Fré-
dérie eerné entre plusieurs·armées. Ce général
crut meme se rendre redouJable aux Prussiens
sans livrer ~ataille ,en se retranchant dans son
camp, pres de Torgau, ou il ne supposait pas
qu'onput l'attaquer; mais Frédérie résolut de
le 'Íoreer dans ses retranchements, et de se
délivrer par eette attaque, él laquelle personne
ne pouvait s'attendre. Les Prussiens réussi-
rent, le 3 novembre 1760, dans leur entre-
prise, quoique Daun eut, jusqu'a 6 heures du




LIVR~ J, CHAPITRE 11. 233
soir, la ·victoire entre ses mains. Cette journée
ne valutguere au roi que le champ de ba-
taille et I'honneur. Dresde resta aux Autri-
chiens , avec une partie de la Saxe et de la Si-
lésie; les Fran<;ais étaient postés au- dela de
Grettingue.


IX. Si la campagne de 176ln'offrait rien de
décisif, ni meme auenn fait important, les n~­
gociations n'en furentque plus vives. Pitt sa-
chant diriger la guerre de maniere que les
Anglais fussent ohligés de la }'eg=:trder comme
une affaire nationale et mercantile, presque
toutes, les colonies fran<;aises étaiellt tODlbées
~ au pouvoir de l' Angleterre. Lecommerce et la
puissance maritime de la Franceétaient an,éan-
tis, et toutes leUrs ressources sur le point de
tarir. Les ministres fran<;ais, obéissant a la
nécessité, chercherent alors a obtenir des Añ-


I


glais une paix particuliere l. Pitt refusait tQute
paix spéciale; les Fran~ais conclurent un traité
d'alliance avec l'Espagne, qui mena~ait de de-
venir dangereux pour la· Grande - Bretagne ;
cela occasionna dans le ministere anglais une
mutation qui fut d'un grand préjudice a la


x Tous les documents de la négociation da mois d'avril jus-
qu'en juillet 1761, se trouvent rassemblés dans les Anecdotes
of the LiJe 01 W. P. M. Appendix, H •• tome UI, page 57-145.




234 HISTOIRE DU :XVIII· SItCLE.
Pmsse; lepacte.de lamille entre la France et
l'Espagne devait.lHlir-les deuxroyaumes a ja-
mais 1 et réintégrer les Fran~js daos leurs ,co-
lonies, par l'occupation du 'Portugal : mais
eeUe ligue ue servit qu'a. impliql1er l'Espagne
dans une guerre pernicieuse, sans lui proc~
rer d';autredédí?mmag.em.ent qu-e le vainhon-
neur 4e se trouver ,él-evée au Ineme rang que
la France, .hollUeur qu'elle lui ,avait (lisputé
j'llSqu' alore.


Tant quePitt, qui 'a \Yait r~~u du maréchal
·Keith, ambassadeur de Frédéri~ en Espagne ,
une copie du traité, resta a la tete du minis ...
tere anglais, il .fit toutes les dispositions né-
cessairespour tournel'la.puissance aQglaise
contre . les Espagnols ;D1ais la mort du roí
cpangea le systeme du gotlvernement anglais
et ravit a Frédéric son unique allié. Georges III
a peine majeur, venait de monter sur le trone
le 25octobre: u'étant que prince de GaIles,
il avait été .entieremelltdirigé par Lord Bute,


1: Apres la mort de Ferdinand VI, Charlesltt rut contraire
a l'intérét de rAllgleterre. L'artic~pr.incipal.du pacte de fa ..
mille portait : " que les deux branches étanteonsidérées eomme
• lam~me maison, leurs (!onqu~tes et leon pertes seraient
• communes; de sorte que les avantages de l'une compense-
If ratent les pertes de l'autre. »


·Ce pacte de famille Cat .signé le 15 aout et ratil.ié leS ~ep­
tambre 1,61.




LIVRE 11, CHAPITRE 11. 235
iI chereha alors a le faire entrer au ministere.
Cela ne pouvait se faire pendant la durée de
la guerre I. Lord Buté gouverneur du prinee
royal, ne garda plus aueune mesure pour
renverser Pitt; il fit crier et écrire publique-
ment eontre le pere et prédécesseur du roi,
eontre ses maitresses et contre le due de Curo-
berland; on l'appela au ministere. Pitt voulait
déclarer la guerre el l'Espagne ~ on 5'y opposa ,
c'était lui donner sa démission. Pitt l'ayant d~
mandée le 5 octobre 1761, tout le ministere
fut changé, et Lord Bute, contre la volonté
du peuple, fut mis a la tete des affaires.


Il commenc¡a par traiter avec la France, et
par refuser des subsides a 'la Prusse. Cepen ..
dant l'impératrice de Russie venait de mourir
au mois de janvier 1762; Pi erro JII son suc-
cesseur qui se montra admirateur fon de Fré-
déric, et qui l'imita jusque dans les plus pe-
tites choses, fit joindre les troupes. russes a
l'armée prussienne, pendant que les négocia-
tions entamées avec l' Angleterre arretaient
l'armée franc¡aise. Frédéric ne jouit pas long ..
telnps des avantages qu'il se promettait de
la jonction de ses troupes aux Russes, car
Pierre fut détroné au mois de juiUet par son


• Anecdotes and speechest elc., tome. 1, page 3Iti.




236 HISTOIR:B DU XVIII- SItCLE.
épouse Catherine 11, princesse d' Anhalt-Zerbst.
Lan~uvelleimpératrice, ne se sentait nulle-
m~nt disposée a 'prendre les armes en faveur
des Autrichiens. Ils' venaient d' etre battus a
Freíberg ,. par le· prin'ce Henri; le roí de Prusse
Ieur avait pris Schweidnit~;, cette puissance
pencha donc aussi pour la paix : les prélimi-
naires en avaient été signés par l' Angleterre
et la France au mois de novembre ] 762. L'Au-
triche et 'la'Pruss~' jugerent alors a propas de
suspendre les hostilités en Saxe et en Silésie :
cal', quoiqu'il ne fut pas question de l'Allema-
gne, les deux parties belligérantes retirerent
leur armée de ce pays, et Marie - Thérese
n'avait nulle envíe de; continuer seule la
guerreo


IeJes négociations pour la paix n'éprouverent
pas de grandes difficultés, puisque Frédéric
ne prétendait pas a des cOQquetes, et que le
prince électeur de Sa~e donnait l'assurance


. que Marie-Thérese pensait sérieusement a
traiter. On négocia él Hubertsbourg, chateau
de plaisance de Saxe, et la paix conclue le 15·
février 1763, fut, quant a l' Autriche, ceHe de
Breslau ,et pour la Saxe ceHe de Dresde , a l' ex-
ception 'que l'électorat porta tout le poids du
traité et paya toutes les contributions arrié-




LIVRE 11, CHAPITRE 11. 237
rées 1, apres avoir déja donné environ soíxante-
dix millions d' écus pour cette guerre fatale
dont elle fut la victime.


L' Angleterre trouva seule, dans la destruc-
tion de la puissance maritime des Franc;ais,
dans l' occupation des colo ni es et dans les ces-
sions faítes par la paix, quelques dédommage-
ments a l'augmentation de ses dettes. Frédéric
p~r ses exploits venait d'élever son armée et
son peuple au faite de la gloire, et avait placé
la Prusse au rang des premieres puissances de
l'Europe; tous les autres souverains avaient
chargé en vain Ieurs sujets d'un fardeau exor-
bitant d'impots; ils laisserent a leurs petits-fils
une masse de dettes qui rendít tot ou tard les
Étáts le jouet des usuriers, comme nous en
avons fait la triste expérience.


1 Les, dettes que la cour de Saxe s'engagea a payer a la
Prusse, allaient jusqu'a deux millions et demi d'écus. L'écu
de Saxe vaut quatre franes de no.tre monnaie.


.'






,


LIVRE DEUXIEME.


PARTIE LITTÉRAIRE.






LIVRE DEUXIEME.


SECONDE PARTIE.
HISTOIRE LITTÉRAIRE.


PROGRES DE J.A LITTÉR.\'rURE EN FRANCR ET EN ALLEIUGNB.


l. La Frauce. - 11. L' Allemagne.


1. L'ínfluence luérítée que Voltaire exerc;a sur .
presque toutes les branches de la littérature,


. se fit sentir plus ou moins dans rEurope en-
tiere.


Depuis long-temps le systeme de l'école et
l'autorité exclusivement reCODDue des anciens
philosophes,avaientlaissé peu d'empire au hon
sens; mais la maniere ingénieuse et facile ayec
laquelle Voltaire jugea, peut-etre trop légere-
ment, les choses divines et humaines, dissipa
tout-a-coup les vieux préjugés : elle pénétra
J'ahord dans les c0!lrs et de la successivement
dalis toutes les classes de la société. Ce qui
n'av~it été qu'un jeu présomptneux a la conr


H. I. 16




242 HISTOIRE DU XVIlle SI~:CLE.
devint ailleurs une arme dangereuse. Ou VoI-
taire ne réussissait pas comrne auteur, il sut
l' enlporter cornme courtisan. Cette tache lui
était d'autant plus fadle, que, suivant les maxi-
lnes du grand monde, il méprisait toutes les
classes du peuple, et les confondait indistinc-
tement sous l'ignoble appellation ,de vulgaire.


I Frédéric, Catherine, et beaucoup de princes
et princesses d' Allemagne, qui charrnaien t
leurs loisirs en cultivant la littérature , se glo-
rifiaient d'etre en relation avec lui, et ils en-
tretenaient, a Pans , ,des agens qui leur com-
muniquaient le plus petit ouvrage sorti de sa
plume, ou écrit dans son esprit.


Frédéric alla encore plus loin; 11 ne croyait
pas satis' doute que :les' conversaÜons fran<;ai-
'ses, qui le délassaient le soir , influeraient un
jÓur sur le caractere grave ~t réflechi des AI-
IémaIids. tI re«;ut, dáns son intimité, 'des au-
teur¿ 'dorit'les entretÍens spirituels étaient pour
tui 'moins iristructi'fs qu'amusants; leurs ou-
vr~ge's~ qu'H accrédita, furentd'autant plus per-
iíi~teüx',' qti'ils avaient moins de mérite réel.


A.ü reste si ron considere avec attention cette
fo'ule a' écrivains qui, pour se faire un nom,
antagónistes ou disciples de VoItaire, le coro-
bátláient, ou luí eInpruntaient leurs idees: si




LIVRE II, PARTJE LITTÉU¡\1RE,' 243
l'on cotnpare avec son grand talent leur es-
prit, Ieur style et Ieur versification, on ne s' é-
tonnera plus de le voir s' élever au lnilieu d' eux
comme un colosse.


:pe Prades , La Beaumelle et La Mettrie 1 du-
rent a Frédéric seuI I'importance qu'ils eurent
dans la littérature, et l'influence momentanée
qu'ils exercerent sur la société; nons n'en par-
lerionspas si leurs succes ne caractér'isaient
les 'hautes classes de ce temps.Un athée a' di1:
que La Mettrie avait preché la doctrine du' vic~
avec l'arrogan'ce d'un insensé; cependant ses
ouvl'ages eurent trois éditions, et Fr~déI:ic fit
prononcer son éloge ~.


I La Mettrie a écr~t, il est vr,ai, ,<Juelq~es .o~vI:~ges NU' la mé-
decine , qui ne sont pas sans ínérhe, a ce que ron dit; mais
iI f~ut bien ;se garo~r de le confoo.dre ,a'VecLa Methtie,!natil.
raliste distingué. , . . .",


Les écrits du premier, Bisto;"e natul'elte de l'ame, 1745,
in-So, et I'Hnmme machine, Leyde, 1748, Jurent hdllés par
ordre du gouvernement; lui-méme fut poursllivi. C'étaient des
rai'Son~ asse1; fortes pour engager le roi' de 'PI'usse a l'appeler
allpres dtl lui. La Mettrie suivit S?ll jnvitat.i~ 3\l .moi!l: de ~.
vrier 1748 , se mit de suite sur un pied familier avéc Fré~é­


/ rie, et -étrivit son Sénhlue' et Anti-Séneque,. l' Homme pldnle ;
l'Artdejouir; Yénusllzétapltysique, ou t'Origine des ames.


2 Frédéric 11 fitlire par d' Arget, a l'académie de Berlin,
50ll ÉlogeJe La ,Me/trie. LeS: reunes de ce dernier :parurent
dallscetteviHe, en 1751, in-4°. En 1774, on dOJ;luaune nou-
velle édítion en doúze v~lu~;és in-8° , et la Al~~e ~nnée, il en
par.utu:ae troisieme a Amsi:erdam.J"a Mettrie monl'Uten 1751,
dausl~ m~i80n de l'awh:.tss'adeur,aAgla.i~ l'~r,cpnncl., d'une ma·
niere' digne de ~a philosophie. - .




244 HISTOIRE DU XVIIle SJECLE.
D' Arget, secrétaire du roi de Prusse ,joua un


role peu nlarquallt; uéanmoins il cúntribua
a naturaliser en Allemagne l'esprit de la litté-
rature fran(faise. Le roi se servait de lui dans
ses rapports avec une académie allemande,
qui ~'écrivait qu'en fran<;ais.


La route que se fraya Frédéric, parfait~ment
en harmonie avec sa situation et son caractere,
lui était également tracée par la poli tique et ]e
soin. de sa propre gloire.


En France, la course séparaitdeplusenplus
de la partie éclairée de la ¡lation; la premiere,
malgré toute la dépravation de ses mreurs, sui-
vait extérieurement les anciens rites du cuIte
catholique, tandís que l'autre s'en moquait de
jour en jour plus hautement.; rune blessait
et poursuivait, ces memes hommes, auxquels
l'autre donnait les marques les moins équivo-
ques de son admiratioh.


Frédéric , ~n butte 11 la haine des grands de
sonroyaumoe, n'av:ait ríen de mieuxa faire
que de gagger la natíon: il y parvint, non-seu-
lem-ent en favorisant les Fran~ais et en accueil-
lan t les hommes qu' on persécutai t, mais encore
en établissant, par sa maniere de vivre et de
gouverner; un contral@ frappant avec la cour
de France, livrée extérieurement a la dévotion.




LIVRE li, PARTIE LITTÉRAIRE. 245
Parmi ceux que Frédéric re<,;ut dans son in-


timité, et auxquels il donna quelque influence
littéraire, le marquis d' Argens est un des plus
connus. Il avait vécu long-temps en Hollande
du produi t de sa plumeo Voltaire et Montes-
quieu s'étant acquis unegrandecélébrité, l'un
par ses Lettres .Anglaises, et l'autre par ses Let·
tres. Persanes, d'Argens,dans l'espoir d'acqué-
rir la meme gloire, écrivitsesLettres-Chinoises,
Juiveset cabalistiques ;enesformerentung~and


'nombre devolumes, el trouverent beaucoup
de lecteurs sans obtenir un véritable succes.
Ces écrits légers, et d'autres du meme genre,
le firent passer pour une tete ingénieuse, et at-
tirerent sur lui l'attention de Frédéric, alors
prince royal. Ill'invita a se rendre pres délui;
roais d' Argens n' osa d' abord accepterses offres;
car il craignait, a cause de sa haute taille;d'etre
enrolé par le vieux roi c.Jans sa garde~ Des que
Frédéric-Guillaume futmort,ilse rendit a l'in-
vitation du nOllveau monarque, qui lui confia
la direction des belles-Iettres a l'académie de
Berlin. Il écrivit dans cette ville une vingtaine·
el' ouvrages, ou il atta qua des doctrines et des,
systemes auxquels il n'entendait rien. Ces ou-
vrages sont remplis de cette érudition facile ,.
qui fait fortune dans la conversation, quoi-.




246 HISTOIREDU xv lile SI:BCLE.
qu'on n'y trouve nihut, ni plan, ni connexion I •


Frédéric fit aussi un accueil honorable a
Helvétius, qui, dansson livre de l' Esprit, qu' on
a peu In, rapporte systématiquement toutes
les ~ctions de'l'homme a l'amour propre, et
qui·, Ae l'esprit des personnes de sa connais-
sance el de son siecle, vo~lnt faire celui de
,tout~s.l~s générations et de tous les peuples.
Ohlig.é d~ quitta- la France ~ ce p,hilosophe,
aprep ~voir .passé par la Hollande, se rendit a
Berlln ou Frédéric luifit connaitre l!état de
ses finances, et lui demanda des conseils pour
augnlellter ses revenus 2.


L'auteur de l'Histoire du Commerce et des
Établifsements áesEaropéens áans les ·áeux
lnáesJut .moins bien accueilli par le roi phi-
losophe; iJ n'était pas meme en France tres-
estimé dans les classes élevées. Si Raynal De
jouissait pas alors d'une brillante réputation,


x D' Argens retourna de Berlín en Provence, ou iI mourut
en 1771. .


i Helvétius, a rin$tár de béaucóup' de défenseurs les plus
violeJlts des principes irréligieux , était bien loin de les prendre
pou~ regle de sa vie. 11 rut cause, sans le vouloir, que Frédé-
rie orgánisa une administratio~ de douanes et d'accise fran-
"aisesj Helvétius, intéressé pendant quefque temps a la douane
tran~a:ise, se.laÍssa engager a faire venir de Paris des douaniers
qui traitaient tout en fran~ais dans un pays allemand. 11 y a
un exemple de la maniere dont ces gens se conduisaient en-
vers les émployés aUemands, dan s les leUres de Hamann a Ja-
oobj, a l' occasion du congé qu'il demande.




¡,IVRE 1I, PARTIE LITTÉRA1RE. ~47
ilne fal;lt pas précisément l'attribuer a son p~
de solidité et de bonne-foi, a sa vanité et a. se~
déc1amations ; mais a quelques idées qui. :lui
étajent p~rticulieres ; a la place des principes
de piété du vi~\~xsystewe thé()logique et phi-
losophique ,et des ma"imes d' égolsmequ'on
trouvait achaque page dans Locke et Condil-
lae, il youlait intropuire l~ systeme d'iridépeo ..
dance et de p~ilantro~~e, .pl1,ls. g~P;ltltpour
les libertills, ~t rklicul~ au~y~ux. des gl,'ands ..


Qllel q~esoit le jllgement qu'9n p.or~~ ,s~r
Raynal, eomme éc:rivaio, il est eert~io ,. qu'a
cause des matit~res qu'il traitait,il ent parmi le
peuple plus de leeteurs qlJe les philo,sophes.
Si .Buf(Oll av~it_,chqis.~ '\l.!)' .pw. npllveau pOU)'
rhistoire d~ J¡l ~~lij.,J:e, y pl~~ e~ !.\¡1Y.D,al; Q9111"
neren t J¡l'his toire"p.~9w~~·ent di \~." ~n.~ 4np~.l­
SiOll qu'ellen'avait poiot eue jusqu'a~ors. T()~s
les dc:uxne rapportereot plus la lDílrcheqes
choses aux idées ~héoJogiques de .l.e.urs l?rédé-
cesseurs.; ils r~jeterent mem.~ la pe~sée {l'un
ordre supér,ieq.r·et d'une prov.idence éternelle ~
dont Voltairese moquaalJl~rementd~ns Z(¡tdig
et daos Candide.
To~s les hommes dont nous avoJlS parlé, et


B,uffon lui-meme, ~lans so,n gra~ld et inlmortel
ouvrage de la terre, des homrnes et eles ani-




248 HISTOIRE DU XVIII- SIECLE.
maux, malgré la ~isparité de leurs talents et
de leurs dispositions, s'accorderent dans le
principe que la fli et l'intelligence étaient in-
'compatibles, que l'hornrne subsistait par lui-
rneme, et que toutes les institutions humaines
étaient-des créations de son esprit, qu'il chan-
geait et amendait' a mesure qu'il se dévelop-
pait. AJoutez a cela, qu'on avait juré une haine
irréconciliable a la religioncatholique, depuis
dix siecles incorporée a l'État; que les j ournaux
de toute espece se répandaient de plus en plus;
que chaque pensée nouvelIe se présentait en
meme temps sous mine formes diverses aux lec-
teurs, dont le nombre croissait chaque jour; et
vous concevrez sañs peine que la génération,
grandie, pour ainsi dire, pendant la guerre de
sept ans, dut recevoir, de cette premiere in-
structÍon, des principes tout autres que ceux
qui avaient fait jusqu'alors la base de l'ancien
systeme politique et ecclésiatique. L'éducation
plus libérale et les conversations plus Jibres
devaient naturéllement se trouver partout
en opposition forrneHe °avec l'ordre établi, les
formes usitées, les autorités reconnues et le
style indispensable de la cour.


Pour achever cette révolution intérieure et
ponr oter au vieux systeme poli tique et reli-




LIVRE 11, PARTIR LITT~RAIRE. 249
gieux des États catholiques son 'soutien princi-
pal, l~s diverses cours de la maison de Bourbon ,
ignorant qu'elles allaient mettre par-la l'in-
struction de"Ia jeunesse en des mains bien diffé-
rentes, se réunirent contre les jésuites aux-
quels les jansénistes avaient faÍt perdre, des
long-temps, et par des moyens souvent tres-
équivoques, l' estime acquise depuis des siecles.


En Espagne et en Portugal, les jésuites ayant
pris part a des différents politiqries dont nous
parlerons plus tard, avaient irrité le gouver-
nement. On en tira une vengeance despotique
et on punit de ]a maniere ]a plus dure et la
plus injuste des citoyens innocents, et souvent
tres-respectables, pour des attentats qu'il fal-
lait attribuer a leurs statuts fondámentau~: ou,
tout au plus, aux supérieurs de leur ordre. La
Fran~e eut bien des démarches a faire aupres
du pape pour obtenir l'autorisation de prendre
des mesures, qui devaient changer entiere-
ment le systeme d'éducation daos toute l'Eu-
rope catholique.


11 est vrai que tandis qu'un nouvef esprit,
une nouvelle énergie, se répandaient parmi' le
peuple, les jésuites avaient lalssé tomber leurs
écoles jadis florissantes; mais. il fant avouer
qu'ils possédaient l'art difficile,et si important




'~5o HISTOI'RE DU XVIlJe SIECLE.
pour les sciences, d'attaeher les éle\!es autant a
leurs maitres qu'al'étude. .


En France, les jansénistes s'étaient déclarés,
depuis long-temps, leurs ennemis. 00 les baiSo-
saitdans les parlelnents; les UDS, parce que,
eomme gallicans, ils voyaient en 'e.ux les enne-
mis des lihertés de rÉglise, de France, et les
fauteurs 'de 'la . suprém.atieabsolue du· siége
apo~tolique; les ,autres, pareé que, comme
jansénistes, ils' détestaient le:nrs príncipes re-
lachés sur la pénitence et Ía (grace~ lis avaient
de plus contre eux la nouvelle doctrine de
Voltaire et de sespartis.ans; mais ils étaient
assez adroits,po,ur prendre ·les philosophes
dans leuFs propres filets ,:landis. que. la . séYé ...
rité : nexorable des jansénistes, e;n Jait de mo-
rale, et leurvio lence con tre les j ésui tes, frayaient
lechemin aux novateurs,etaugmentaient leur
parti de tous ceux qui redoutaient l'~natheme
religieux.


L'Espagne -et le Portugal auraient . perdu
leurs peines, les parlements fraq93is auraient
en valn rendu mut l'ordre des jésuit€s respon-
sable 'desspéculations d'un ,frere religieux 1,
dans ce .fameux proces qui roula sur une ban-


" queroute, et ils auraient cherché inutilem6IÑ,
I Le P. Lavalette.




LIVRE 11, PARTIE tITT~RAIRE. 251
dans les constitutions de l'ordre, la raison
d'une enql1ete judiciaire, siChoiseul n'avait
fait cause commune avec tous les ennenl'is des
jésuites ,et si madame de Pompadour n'avait
voulu perdre cet ordre par bien des raisons
qui sont étrangeres a. l'histoire générale.


J./instrumentde leur destruction fut un
pape qu'on avait élevé au siége apostolique 1 ,
dans l'espoir qu'il prononcerait la suppression
de cet ordre. "


En meme temps que, le corps enseignant
des jésúites fut dispersé, Un nutre, d'un gen re
tout .opposé, s'éleva; il se conlposait de tons
ceux qui travaillerent él l'Encyclopédie. N ous
passerons'sóus silence un grand nombre d1~h_
cyclopédistes'; nous ne'citeroI1s que 'd'Aleltt-
bert et Diderot I,¡eur influencesur rAngle-
terre et 1'1Ulernagne fut, ponr ainsidire,
encore ,plus grande que ceHe de Voltaire,
dont ils étaient les disciples. Il 'est facHe d' en
comprendre la· raison; ces denx 'philosophes
étaient recherchés par tous les hornmes de


J: Ganganelli, nommé pape sous le nom de Cléme~t XIV,
naquit en 1705; éleTé par Benolt XIV, Clément xm , protec-
teur des jésuites, lui donna le chapean de cardinal, en 1769 ;
promu, la méme année, au souverain pontificat, pár- le crédit
des ~Ol1rs de France et d'Espagne, il signa, au mois de juillet,
LJ blllle de 8uppression de l' ordre des jésuites ;et mourut deux
moís apreso




~52 HISTOIR'E' DU XVIII- SI1!:CLE.
l'Europe, qui cultivaient la littérature avec
quelque succes 1; d' Alembert était d'ailleurs
avautage:usement conllU comme mathémati-
cien, bien a:vant qu'il débutat comme philo-
sophe et bel esprit.


Parmi ses ouvrages philosophiques, histo-
riques et littéraires, il faut remarquer ses
ÉlogeJ desacadémiciens qu'il pronon<;a comme
successeur de Fontenelle; ce qu'il avait dit des
morts Jemit en crédit aupres des vivants. Sa
défense de l'infame abbé de Prades, entrois
volumes, prouve jusqu'a l'évidence, de memec
que sa correspondan ce avec Voltaire, , que 111i.
et ses partisans croyaient sérieusement rendre
un 'service au monde en détruisant la religion.,
Dans les éléments de la philosophie, atixquels
il 'ajouta des articles, a rinstance dll roi de
Prusse, d' Alembert fit, pour ainsi djre, un
systeme des principes de matérialisme qu'il
avait énoncés d'abord en général dans sa cor-
respondan ce avec Frédéric et l'impératrice de
Russie.


Diderot alla bien plus loin, et influa aussi da-
vantage sur le peuple; comme auteur dramati ..


J Les plus célebres maisolls que Voltaire méme respectait,
Curent celles de madame dú: DefCand, de mademoisclle de l'Es-
pinasse; bien plus tard, celles de madame d'Épinay et du :ba-
ron d'Holbach




LIVRE 11, PARTIE LITTÉRAIRE. ~53
que, il servit le premier de modele aux Jün-
ger, Iffland, Kotzebue; il mit en scene des
personnages mélancoliques et malheureux, et
introduisit la bourgeoisie sur le théatre. Il
mela ensuite dans ses romans, d'une maniere
habite, le sentjmental el l'obscene. Dans le
grand nombre de ses ouvrages, l'apologie de
l'abbé de Prades est peut-etre un de ses ~crits
les plus supportables. Jacques le Fataliste estun
de ces romans qu' on ne peut pas lire quand on
conserve quelque pudeur; ses BiJoux indiscrets
ne valent guere mieux. Son roman intitulé la
Religieuse·, est rnécharnment conc;u et." exécnté
avec une scandaleuse indécence.


Cependant c~s hommes durent surtout Ieur
crédit a la connaissance' qu'ils avaienf des
haures classes oisives qui, rehutées· par le pé-
dantisme, craignent-et halssent l'école; a Ieur
talent pour la conversation ; el lenr facilité
d' expliquer et de relldre, pour ainsi dire,
palpables, les choses les plus difficiles, et de
ne jamais décourager par un sérieux hors de
saison.


Quant a l'Encyclopédie, le vraibut d'une
entreprise, qui devait comprendre tout ce
qu'H est utile a l'homme de savoir, ne pouvait
rester ignoré de personne , lorsque d' Alembert




2. 54 11 1 S T o 1 RED U X V 111 e S 1 i~ e L.E.
et Diderot 1 étaient a la tete, et que Voltaire
cherchait a rassembler des collaborateurs. Di-
derot formalt, a proprement parler, le centre
de toute l' entreprise. Prédicateur effronté de
l'athéisme, iI eut soin de donner la teinte de
5a philosophie nH~me aux ar'ticles qui ne trai-
taient ni de religion ni de morale. Il rédigea
le prospectus, ii classa les branches séparées
des sciences sous le titre ambitieux de S)"steme
des connaissances humaines; il se chargea en-
tierement des articles des arts et métiers, et s' as-
socia a d'Alelubert pOUI' revoir les mItres.
I....'introchIction que celui- ci mit en tete de
I'Encyclopédie 2 est généralement regardée
comme un écrit qui, avec l'ouvrage séduisant
de Buffon, a ·contribué infinirnent a porter
dans ce siecle toutes les nations de l'Europe
vers l' étude de l'homrne, de la terre, de la
nature, des lois qui gouvernent le monde et
de rordre qui en est le résultat.


1 Diderot était le plus zélé défenseur de l'athéisme. Ses pe n-
sées philosophiques, publiées en 1746, lui attirerent des pour-
suites méritées.


2 Les deux premiet's voIumes de l'Encyclopédie parurent
en 1751. Dinerot fit insérer, rlans l'article In toléran ce , la fa-
meusa lettrepar Iaquelle il engagea son frere a renoncer au
christianisme., et luí dit en propres termes d'aJ)diquer un sys-
teme atroce. L'article ame mit a découvert l'athéisme insensé
de ce philosophe,




LIVRE IJ, P A Il TI E L 1 TTÉR AIRE. - 255
D'Alenlbert montra, avec une noble élo-


quence, el' sans un vain fatras de paroles, la
grandeur de l'esprit humain, qui se manifeste
dans la recherche des lois de la terre et du
ciel, et son exposition a avancé d'une maniere
étonnante le développement des sciences par
l' étude des mathénlatiques et de la physique ,
qui, depuis la moitié du dix-huitieIne siecle,
6t des progres prodigieux. Ce serait en vain
qu'on voudrait forcer les générations vivantes
a reprendre la foi entierement aveugle ou la
trompeuse superstition. Son Diseours prélimi·
naire, rédigé avec noblesse et sans dé clama-
tion, est un extrait de tont ce qui peut atta-
cher l'esprit de l'hornme pensif aux sciénces
sérieuses, et dévoiler la grandeur de l'ame
humaine, merne dans les effets ou elle ne eher-
che qne la science et non pas Dieu.


Telle était la faiblesse du gouvernement
franc;ais de ce temps, qu'apres avoirdéfendu de
publier cet ouvrage, il se vit bientot contraint
de révoquer cette ordonnance. La négligence
que ron apporta dans l'exécution de ee décret,
et l'indulgenee avec laquelle on laissa entrer
en Franee les livres imprimés dans des pays
étrangers·, attirerent l'aUention et la curíosité
du peuple sur les écrits prohibés~




256 HISTOIRE DU XVIUO SIf:CLE.
C'est ainsi qu'il connut I'Encyclopédie, ou-


vrage bien propre a lui faire prendre en haine
les formes offensantes d'un gouvernement en-
tierement dévo]u a certaines classes de la na-
tion, et le systeme hiérarchiqne dont tous
les avantages appartenaient uniquement a ces
classes privilégiées en France comme en Al-
lemagne.


Pendant que les principes de ces hommes se
tépandaient dans la littérature, l,'enseignement
et les mrenrs de la société, il s' éleva un homme
d'un tout autre caractere : Jean-Jacques Rous-
seau. 11 ne fut jamais secondé par Frédéric ni
par aucune coterie; nlais iI sut captiver les
suffrages des femnles et ~ettre dans son parti
les amis de la vertu et de la religion, qui dé-
testaient également Faveugle superstition du
vieux systeme, et l'athéisme révoltant des gens
qui, dans leur hardiesse, se disaient exclusi-
velnent philosophes.


Rousseau, né dans une ré.publique , fut ré-
publicain des sa naissance; néanmoins, ses
deux premiers traités, dont les idées fonda-
mentales se retrouvent dan s tons ses autres
écrits, prouvent qu'il avait revé des hornmes
qu'il chercha depuis partout, et dont iI admit




PA.RTIR LITTÉRAIR.E. 'l.57
la possibilité, quoiqu'il n'en trouvflt nulle part
l'existence. 11 alla jusqu'a s'hnaginer que eette
société avait fleuri dans les temps de l'age
d'or.


Les philosophes qui voulaient détruire l'an-
cien désordre en France étaient habitués a
faire sensation dans le monde en défendant les
theses les plus singnlieres; ils avaient meme
forcé Rousseau d'en soutenir une qui semblait
absurde; ils en furent done d'abord tres-con-
tents; ils l'aceueillirent amicalement eomme
un de leurs partisans, le feterent, le regarde-
rent, malgré I'improbation qu'il donnait a l'af-
féterie de leurs soirées, a lenr luxe, a leurs
sciences et a leur érudition, eomme un nou-
'yel allié dont ils admiraient les talents et dont
ils répandirent partout les onvrages. Ronsseau
se conduisait eependant tont autrement; ear,
excepté Voltaire, il les lnéprisait trop ponr
se déelarer lenr champioll.


La révolution qu'il causa fut bientot plus
importante que celle qu'avaíent amenée Dide-
rot et ses partisans. Sa réforme embrassa les
choses les plus essentielles: la religion qn'il
respecta, les mreurs qu'il chereha a purifier,
la vie domestique qu'il simplifia, et l'éducation
qu'il ramena a l'état primitif. 11 signala la va-


. H. I. 17




258 11ISTOIRE DU XVIIle sJi.:CLE.
nité des re1ations du grand monde, il s'attacha,
dans son Héloise, a mettre le sentiment a la
place de la saillie et a réintégrer la nature dans
tous ses droits. ~Ianiant habilement sa plum e ,
il sut exciter les passions par une éloquence
persuasive, et montrer que, saIlS recourir a
la révélation, OH pouvait croire en Dieu et ad-
m~ttre ulle providence.


Son Émile renversa tout le systeme d'in-
struction , et ébranla dans l'Europe entiere les
bases d'une éducation qu'on disait classique,
et qui réellement n'étaitqu'un misérable fatras
de paroles et qu'un sévere pédantislne. Les
Fran<;ais et les Anglais se contenterent d'appli-
quer a l'éducation particuliere et publiqUé les
plans d'nn hO'rnme qui ne éoncevait nuUement
qu'une nouvelle génération ile peut se com-
prendre elle-meme, sans avoir une connais-
sanee parfaite de ceHes qui l'ont précédée.
Les Allemands , aux quels Basedow et ses suc-
cesseurs donnerent le systeme de Rousseau
dans une forme moins belle, bouleverserent
tellement l'instruction publique, qu'il a faUu,
quarante ans apres, chercher a se rapprocher
de l'ancien systeme.


Enfin,leslittérateursfranc;aisinfIuerentd'une
maniere prodigieuse sur Ieur siecle. Le chris-




LIVRE 11, PARTIE LITTÉUAIRE. 259
tianisme ordonnait a l'homme de se reeueillir
en lui-lneme et de ne se meter en ríen du gou-
vernement; la philosophie propagea une nou-
velle c1vilisation: toute force fut tournée en
dehors, et toutes les idées qui tendent a f~lire
voir a I'h0111me qu'il est plus qu'un etre pas-
sif dans la soeiété, se développerent plus dans
les trente allnées qui suivirent la guerre de
sept ans, que dans deux ou trois siecles des
temps antérieurs.


II. L' Allemagne, au eommeneement de eette
époque, vi t briller une lumiere toute nouvelle ;
mais malheureusement l'influence de Berlín et
les ouvrages de Wieland, malgré l' opposition
du earaetere et de la nature énergiques des AI-
lemands, firent peneher leur théatre et leur
éducation vers le genre sentimental et léger
des Fran~aÍs l. On a vu Gottsched, au falte de
sa gloire, ne ríen négliger pour naturaliser le
gout fran<;¡ais dans sa patrie par ses tradue-


I Les moyens employés par les encyclopédistes, pour in-
fluencer le public, sont tres-bien dépeints dan s l'Administra-
tion de Necker, par lui - méme , page JO ,on iI dit : .. Ce
e sont des élans combinés et des mouvements systématiques
«qui créent des sentiments avec de l'esprit, et des vertus ave e
ti des opinions exagérées ... Necker, ii est vra1, ne parle pas
des encyclopédistes, mais de ceux qui donnaient le ton dans
l'assemblée nationale~ Nous n'avons pas beso in , a ce que je
crois, de nous expliquer davantage.




260 llISTOIRE DU XVIIle SIECLE.


tions et eeHes de sa femrne; mais cornrne elles
étaient sans aueun mérite, il s' éleva bientot
eontre lui un parti eontraire qui inclinait vers
la littérature anglaise. Le premier antagoniste
de Gottsched, Pyra, sous-recteur a Berlin,
homme plein de talent pour la poésie, tenta
en vain ,en 1743, de lTIOntrer que l' école de
Gottsched gatait le gotit. Aecablé de libelles,
d'in jures, et blessé an fond de l' ame, il mourut
l'année suivante. Apres lui, les Suisses dessille-
rent peu a pen les yeux du publie allenland.
Albert de Haller écrivit en 1729 ses Alpes, et
en 1732 il donna ses Essaú de poésies suisses.
Bodmer et Breitinger, meilleurs juges que
Gottsched, ne eomposerent eependant que de
fort médiocres ouvrages. Le plus grand mérite
de Bodmer , et qu' on méeonnut presque entie-
rement de son temps, fut sans doute eelui de
renvoyer aux sourees d'une littérature alle-
mande du beau temps de la Souabe.


Hagedorn, Liscov, Rabener, débuterent
dans la earriere des lettres, lors de la guerre


_ de la sueeession d'Autriche, et Gottsehed ne
rougitpas de eonfondre Hagedorn avee le
rnisérable Stoppe; heureusement pour l' Alle-
magne, la nation prenait part aux sucees et
aux eontroverses de ses savants. Une fonle de




LIVRE 11, l>ARTIE LITTÉRAIRE. 261


journaux et de feuilles périodiques furent ac-
cueillis par le peuple, et les discussions des
partis formerent peu a' peu le jugement des
individus.


Gottsched employa tous les artifices, par
lesquels les hommes ordinaires se font un
nomo On publia des journaux dans lesquels
ses partisans furent 10ués, ses antagonistes
injuriés l. Affable, et s'intéressant aux travaux
de sesarnis 2 , qui jouissaient de la"considération
publique, il protégeait ceux qui le révéraient
cornme un granel homrne. Il vivait en intiInité
ave e des gens de beaucoup de mérite, comme
Gaertner, Rabener, Gellert, Krestner, Jean
Élie et Jean-Adolphe Schlegel, Cramer, Ébert,
Gieseke et Zacharire. Ces derniers re:rfdire,nt,
il est vrai, de grands services a une nation dont
la langue devait (~tre purgée de la barbarie
et du pédan tisme de l' école 3; mais ils se sen-


I Beitriige zur kritischen Geschichte der deutschen Sprache,
Poesie , Beredsamkeit, herausgegeben von einigen Gliedern
der deutschen Gesellschaft in Leipzig. (Suppléments a l' f¡is-
toire critique de la lllngue, poésie et éloquelice allemandes, publiés
par qllelqlles memhres de la snciété de Leipsick) 8 tomo 1732-
1744.-Neuer Büchersaal des schonen Wissenschaften und
freien Künste (Nolll'elle bibliotheqlle des helles -leUres et des
beaux-arts) , 1745-1754, JO vol.


2. Gottsched s'intéressait a tOllS ce.!lX qui avaient travaillé
a la traduction de Bayle et de RoBin.


3 Nous ne nous proposons pas de faire ici l'énumération de




262 HISTOIRE HU XVIUe SI i~CLE.
tirent trop faibles pour donner a la littérature
une direction nouvelle et pour la détourner
del'imitationmalheureusedesFran<;ais qui eux-
m~mes n'avaient pas un caractere original l.


Dans cette époque ou l'intéret était gé-
néralement excité, Otl le ridicule était senti,
et ou tout le monde prenait pour modele
les Fran<;ais qui déployaient l'esprit du temps
et non la sagesse de l'étude, ~n vit pa-


tous leurs ouvrages, mais nous remarquerons que presque
tous ces écrivains avaient travaillé aux Belustigungen des
Geistes und Herzens (Amusements de l'esprit el du caur) , mais
qu'ils crurent devoir faire apres un choix plus rigoureux des
morceaux, et les soumettre a une critique plus sévere qu'ils
n'avaient faÍt jusqu'alors. Gaertner, Cramer, Schlegel, en tra-
cerent le plan, ainsi que Arnold, Schmidt, Ebert et Zacharire;
ensuite, au second volume, Gellert, Giescke et Hagedorn.
e'est l'oRgine des: Neue Beitrage zum Vergnügen des Ver-
standes und Witzes (Nouveaux suppléments pour omer et récréer
l'esprit) , plus connus sous le nom de Bremer Beitrage (Al'ticles
de Bréme), qui parurent depuis le mois d'octobre 1744, et
qui eurent une grande influence sur la littérature moderne.


1 N ous sommes bien loin de partager l' opinion de M. Schlos-
ser. D'ailleurs, presque tous les savants allemands sont trop
prévenus contre la littérature fran(pise. M~me en admettant
que Moliere ait puisé ses' sujets dans Plaute, Térence et
dans la comédie espagnole, 011 ne pourra nier qu'il surpassn
ses modeles; que le premier il sut peindre et développer par-
faitement le caractere de l'homme. Le TartuJe, l'A~'are, sont
des conceptions originales, et portent le cachet du génie.


Qui oserait nommer Racine et Voltaire de simples imitatenrs?
Ce fut Racine qui as signa a la. tragédie fl'an<¡aise le pl'emier
rang ; ce fut Voltaire qui, d~ns le roman , se créa un genre
tout particulier, et s'éleva au·dessus de tous lOes devanciers.


. (Note du traducteur.)




LIVR E II, PAHTIE LITTÉRAIRE. 2.63
raitre deux hommes qui auraient flní par IlOUS
faire recourir aux seules sources des Grecs et
des Germains, si Nkolai et ses partisans ne
s'en fussent nH~lés. Ces deux hommes furent
Klopstock et Lessing; l'un était pénétré du
vrai sentiment national, l'autre doué de tmItes
les connaissances et de la sagacité d'esprit qui
caractérisent le critique habile et impartial.


Klopstock publia, en 1746, les premiers
chants de sa Messiade. En 1751, le roí de Da-
neluarck lui flt une pension qui le mit en état
d'achever tranquillement ses travaux poéti-
queso Gottsched essaya en vain de lui oppo-
ser le Nimrod, poeme épique de N aumann, en
vingt-quatre chan ts, et le Hermann du baron
de ~choenaich, en douze,livres l. L' Allemagne
sentit que la langue et la dignité de Klopstock
n'étaient point l'ouvrage de l'école, mais une
création poétique. L'admiration générale que la
Messiade excita dans toute l'AUemagne, s'atta-
chait cependant encore étroitement a l'ancien
systeme de l'orthodoxie et aux formes dont
l'Europe cherchait a se défaire.


Pour que la nation abandonnat la maniere
1 Le Baron de Schoenakh fit encore réimprimer, en 1805 ,


ce poeme, avec la préface de Gottsched, in-4°, et le hillet
que Voltaire lui adressa, et qui contient ces paroles ironiques :
• Une langue qu'un Gottsched et vous illustrent. J)




264 HIST01 RE DU XV] U e Sd:CLE.
antique, et pour la transporter de l'ancien
temps dans le nouveau, il fallait des ouvrages
qui fussent plus liés aux diverses habitudes
du monde et de la vie privée. Pour y parvenir,
iI était "nécessaire d'attaquer, d'une nlaniere
judicieuse, les principes et les doctrines qu' on
avait jusqu'a ce jour regardés comme irréfn-
tables~essing et ses ami s , qui créerent alors
une nouvelle prose allemande, se chargerent
de ce pénible et glorieux travail.


Depuis 1753 jusqu'en 1756, les essais de
Lessing, ses critiques, ses fabIes, ses poésies
légeres, s'étaient tellement accrédités, qu'on
en faisait partont le recueil. 00 y reconnait
déja parfaitement la tendance directe contre
l'orthodoxie despote de ce temps. Le pen-
chant que Lessing montrait, dans ses premiers
écrits, a renverser l' exagération et le ridicule de
l'ancien systeme, le lia surtout avec Nicolai qui,
admirateur aveugIe de Frédéric 11, aurait donné
vololltiers le caractere frant;:ais a toute la lit-
térature allemande. Dans les Épitres littéraires,
ouvrage si important pon!' les savants d'Alle-
nlagne, Lessing et Nicolai prirent la meme
route quant au changement de ton 1; mais


l Rammler et Sulzer ( un des Suisses que l'tIaupcrtuis pro-
pasa a Frédéric paur membre de son académie ), ne commen-




LIVRE JI, PARTIE LIl'TÉRAIRE. ~65
lorsque Nicolai destina entierement la Biblio-
thequegénérale allemande a persiffler l'ancienne
littérature et a élever la nouvelle 1, Lessing re-
fusa de rester son collaborateur et s'opposa
directement, dans sa dramaturgie, a l'école
qui recOlnmandait Eatteux comIne le vrai
principe du goút.


1\'lalheureusement les fauteurs de l'ancien
systelne n'étaient pas familiarisés avec l'art
difficile d'abandonner l'accessoire pour con-
server l'essentiel. Ils se brouillerent avec Les-
sing et avec les nombreux écrivains qui s'at-
tachaient a lui comme a leur maltre. N'ayant
point ses armes a leur disposition, ils se ser-
virent, dans la lutte qui s'engageait, des arme~
franc;aises faciles a manier. N ous indiquerons.,


cerent qu'en 1750 a don~er les Nachrichten aus clem Reiche
der GelehrsamkeÍt CNotions du domaine de l'érudition) , qu'ils
ne continuerent que pendant le cours d'une année. Lessing
fit alors heauconp de sensation par son supplément littéraire
au journal de Voss. Nicolai écrivit ensuite, en 1754, des leUres
sur la belle littérature.


1 Nicolai venait de commencer la Bibliotheque générale des
belles-lettres, a laquelle travailla MOlse Meudelssohn. Lessing
n'a donné qu'un article; Weisse s'en chargea apreso Tout ce
que Lessing a fourni aux épitres littéraires se trouve réuni.
daos le vingt - sixieme volume de ses ouvrages. Nicolai ne
donna que qu_elques articles; MOlse Meudelssohn et Aht y
coopérerent le plus: Grillo et Sulzer ne donnerent que deux
lettres. Resewitz travailla heaucoup au dernier volume, mais
avec trop de légereté, de moquerie et de hardiesse.




266 HI STOIRE DU XVIllc SI ECL E.
dans le livre suivant ,comment la nation se
divisa alors entierement, comment Goethe,
Schiller et d'autres furent trop élevés pour la
multitude, qui sentait le besoin de lire; com-
ment Wieland, la société de Berlin et tous
ceux qui spéculerent a Leipsick, a Weimar et
a Gotha sur le produit de leur plume, s'em-
parerent du peuple avide de lecture, en lui
donnant des romans insipides et de mauvais
drames. Au lieu de lui rappeler qu'il devait
chercher son bonheur en Dieu, et dans l'in-
térieur de sa maison, ils lui precherent une
philosophie tout épicurienne et famuserent
par le jeu léger de leurs saillies obscenes.


Le germe d'un caractere distinctif et natio-
nal, entre la France et l' Allemagne, se déve-
loppa a l' occasion du bes?in d'une certaine
piété. Quand on vit qu'il était possible de ré-
former 'la religion sans la détruire, les céré-
monies du culte et la croyance aux dogmes
mystérieux purent tomber dans l'Allémagne
protestante, mais la religion du creur et la
croyance en certaines maxilnes, éternellement
vraies, subsisterent au moins jusqu'a ce mo-
ment fatal ou ron bannit des écoles, avec la
version de la bible de Luther, son langage
cordial et ses exhortations paternelles.




LJVRE IJ, PARTlE LITTÉRAIRE. 2.67
La France, au contraire, ne présentait qu'un


abime entre le présent et l'avenir; les jansé-
nistes eux-memes y furent entrainés; l'exagé-
ratio n de leur foi, le ridicule de leur sévérité,
leur aIliance imprudente avec les philosophes
contre les jésuites, porterent a leur cause des
coups terribles; mais, lorsqu'en élevant l'éten-
dard de la révolte, ils eurent abattu le rempart
de la foi romaine, il fut facHe de les renverser
du haut de leur fanatisme l.


Cette fa<;on de penser, différente dan s les
deux pa ys, se manifesta lorsque les sophistes
tenterent inconsidérément de faire nlarcher
la génération a la lueur incertaine et mourante
du flambeau de leur philosophie hasardeuse.
Dans le petit nombre de ceux qui, suÍvant une
autre route, ont conservé jusqu'a nos jours
l'estime de Ieur nation et des hommes sages,
également ennemis d'un despotislne outré ou
d'une liberté effrénéé, tant dans la religion que
dans la société, on doit placer au premier rang


l Outre Rousseau, qui, a proprement parler, n'admettait
aueune religion, on ne saurait eiter en Franee un seul homme
qui ait rendu au dix-huitieme siecle les services que Pasealse
proposait de rendre au dix-septieme par ses Pensées. Entre les
mains des antagonistes des philosophes, elles devinrent une
arme dangereuse , tandis qu'elles auraient pu, comme en Alle-
magne, servir a resserrer de nouveau les liens de la philosophie
et de la théologie.




268 IUSTOIRE DU XVIIlC Sd:CLE.
Moeser d'Osnabruck. Celui - ci resta étranger
aux controverses théologiques; en politique
habile, et connaissant a fond le creur humain,
il chercha, dans un langage pIein de force, de
franchise et de simplicité, a démontrer le dan-
ger de discuter sur la religion de I'État et de
provoquer le doute dans l'ame de ceux aux-
quels OH ne peut cornmuniquer ni sa propre
indifférence ni une croyance nleilleure.


Tel est l'esprit de l'excellente brochure in-
titulée : Lettre a ¡}J. le l/icaire savoyard pour
remettre a AJ. J. J. Rousseau, que Moeser écri-
vit contre le philosophe de Geneve qui, dans
son Vicaire savoyard, attaque toute religion
révélée. Nous citerons encore C. F. de Moser,
caractérisé par son ouvrage le Seigneur et le
Passal, ou cet auteur, a l'instar de Moeser,
dan s ses fantaisies patriotiques, défendit con-
tre la doctrine misérabIe des flatteurs, les prin-
cipes de la vraie liberté, les droits du citoyen
et ceux du peuple foulés aux pieds, a vec une
conviction, un courage et une noblesse qui
attirerent a cet homme pieux de grandes per-
sécutions. Malheureusement la dévotion a la-
quelle il rendít hommage ne convient qu'a.
une société, toute composée ~e quakers ou
freres moraves.




IJIVRE 11, PARTIE LITTÉRAJRE. 2.69
Hamann, dont la maniere de penser était


entierement opposée a ceHe de l'école de Ber-
lin, n'eut ni les moyens ni le désir de gagner
heaucoup de crédito Il n'en eut pas les moyens,
car il affectait de négliger son style; il ne le
voulut paint, car il sentait qu'il fallait des an-
nées entieres avant que le calme put succéder
aux secousses que la nation venait d'éprouver
dans ses idées. C'est le spectacle que nous of-
frent aujourd'hui quelques parties de l'Alle-
magne.


FIN DU L1VRE DEUX..E:ME.






\


LIVRE TROISIEME.


PARTIE POLITIQUE.






~~~~~~,~~,~~~~~,~,-~~~"-~~,~,~"'~~
!


LIVRE TROISIEME~


PREMIERE PARTIE.
HISTOIRE POLITIQUE.


CHAPITRE PREMIER.


ACCROISSEMENT D}<~ LA PUISSANCE DE LA RUSSIE. -RÉVOI,U-
nON DANS LES GOUVERNEMENTS ET LES CONSTITUTIO~S


ÉTABLIES, JUSQU' A LA RÉVOLUTION FRANt;:AISEo


lo Le Portugal.-lI. L'Espague.-lll. Le Danemarcko-
IV o La Suede.


l. De la fin du seizieme siecle jusqu'au mi-
lieu du dix-septieme, le Portugal, qui venait
d'etre réuni a I'Espagne, n'avait ces sé de dé ...
cheoir de sa premiere grandeur. La famille de
Bragance occupait le trone: trop influencée
par l'Angleterre, ellé n'eut pasassez de pouvoir
sur le clergé et la noblesse pour rendre a l'État
son ancienne gloire; aussi le Portugal déchut-
il encore bien plus dans le dix-huitieme siecle.


Jean V, malheul'eux imitateur de Louis XIV,
H. r.




:.174 HISTOIRE l>U XVIIl" SIECLE.
épuisa ses trésors par un luxe qui n'était utile
qu' a l'industrie de la Fran ce et de l' Angleterre.
n dépensa des SOInmes énormes pour obtenir
du chef de l'Église l'autorisation d'établir une
sorte de papauté portugaise, et d' entonrer ,
d'une conr de cardinaux, le patria/che revetu
de cette nouvelle digníté. Cela eut líeu dans
un temps ou toutc l'Europe était montée sur
un pied militaire. Un tel gouvernement ne put
qu'apauvrir de jour en jour le Portugal, mal-
gré ses richesses immenses , et, au milieu de la
splendeur que les produits de l'industrie des
pays étrangers répandaient autour de lui, le
roi se présentait toujours avec la plus grande
simplicité.


Vers la fin de sa vie, il abandonna les af-
faires de I'État au franciscain Gaspard 1 : des-
lors plus d'administation, tont se fit au hasard,
et les Portugais, sans police, se plaisaient dans
lenr oisjveté, lenr indigence, leur saleté, et
poursuivaient ilnpnnément le cours de leurs
vengeances particulieres.


T Gaspard était issu de la familIe d'Avt:iro. Le ducd' Aveiro,
tout puissant sous le regne de J{~an V, devait done étre fu-
rieux de se voir, par les menées de Pombal, sans erédit sous
le roí Joseph ler. Il est done assez prohable qu'un régieide
meme ~ui aurait peu eouté , s'illui eut assuré son ancienne in-
fluence.




LIVRE IU, CU.APITRE 1. 275
Jean V , pendant ic ministere du frere Gas-


pard, employa a Londres et a Vienne Sébas-
tien-Joseph de Carvalho, nommé comte de
Oeyras, et plus tard nlarquis de Pombal l. Ce
seigneur apprit, dans les cours étrangeres, que
les intrigues qui régissaient sa patrie ne s'ac-
cordaient pojnt avec le gouvernelnent militaire
des divers États de I'Europe; on prétend qu'il
indiqua les moyens de renverser le gouverne-
ment ecclésiastique de Lisbonne, et de mettre
le Portugal sur le meme pied que les autres
pays ; c' est pourquoi on Ht tout pour l' éloigner
des affaires; et Carvalho ne put obtenir de
place importante pendant la vie du roi Jean.


Mais celui-ci étant mort le 30 juillet 1720,
la mere du nouveau roí Joseph le 6t entrer au
ministere2 • N ommésecrétaire·d'Étatdesaffaires .
étrangeres, il sut gagner entierement le roí


J De tons les écrits pour et contre Pombal, je ne citerai que
son apologie, qui ressemble souvent a une ~ccus/:\tion ironique.
Cet ouvrage parut sous le titre : I'Administration de Sébastien
Joseph de Can'atlzo et bfélo, comle de OEyras, marquis de Po m ..
bal, etc. , Amsterdam , 1789, quatre vol. in_So. Je rapporte
eette apologie non pour le tcxte, mais pour les pieces justi-
llcatives originales de l'histoire de ce temps, qui $e trouvent
a la fin du deuxieme. troisieme et quatrieme volumes, et qui
l'endent le texte inutile.


:> La mere du roí Joseph était une princesse d'Autriche.
Carvalho avait épousé a Vienne une comtelise de Dann, bien vue
dans l'esprit de la reine douairiÚe.


18.




276 HlSl'OIRE DU XVllle SlECLE.
en lui donnant l'idée de rétablir la souverai-
neté l. Ce n'est point ici le lieu de juger les
dispositions qu'il fit cornme premier ministre,
ou par lui-merne, et par les membres de sa fa-
lniUe, ou par ses créatures ; quelques-unes de
ses ordonnances montreront qu'il fut guidé
par l'idée de jeter des constitutions sur le pa-
pier, oú il suffit de commander pour se créer
un état, des citoyens, un gouvernement, un
esprit public tels qu' on les désire. Le marquis
de Pomba} sut engager le roi a des réformes vio-
lentes, en lui faisant entrevoir que c'étaitle seu)
moyen de se déli vrer de cette espece de tyrannie
qu' exer~aient, dans les affaires, les grands du
royaume; et sahaine contre la société de Jé-
sus 2 lui concilia les jansénistes et les philoso-
phes fran~ais si puissants alors dans l'Europe.


D'apres son systeme, le Portugal avait trop
1 L'abbé Georgel, jésnite il est vrai, donne elle ore une


autre raison. Il dit, dans ses 1Jfémoires, tomo 1, p. 19 . « Cet
homme connut bientot les faiblesses de son maitre et les moyens
de s'emparer de sa confiance; iI entoura le fainéant et volup-
tueux Joseph ¡er de tout ce qni pouvait alimenter et prolon-
ger sa passion ponr l'oisiveté et les femmes. »


:a Georgel, dan s ses mémoires, rapporte: « Leprince de Kau-
nitz me disait que, daus un entretien, iI avait OUl Carvalho se
plaindre amerement de la superstition qui asservissait sa pa·
trie, et qu'il avait jugé que des-lors il méditait une grande ré-
volution dans les opinions religieuses. "


Cet entre ti en eut lieu Iong-temps avant que Pombal fUt mi-
nistre, pendant son séjour a Vienne.




LIVRE 111, CHAPITRE 1. 277
de vignes et ne cultivait pas assez le blé; il
publia une ordonnance par laquelle la troi-
sieme partie des vignes fut s~crifiée a la cul-
ture du blé, dans un terrain qui souvent ne
lui était pasfavorable. LePortugahnanquaitde
commerce, de manufactures, de fabriques et
d'ulle puissance maritime. L' or des lndes pas,:"
sait en Angleterre , le ministre en défendit aus-
sitot l'exportation, sans indiquer les moyens
de subvenir aux besoins. Il établit des compa-
gnies dans les lndes et en Chine, avant qu'ily
eut un assez grand nombre de négociants qui
pussent correspondre avec elles. Voyant la
dépravation des Inreurs et le libertinage por-
tés a l'exces, il défendit par une ordonnance
de se moquer des époux. malheureux dans le
choix de leurs moitiés, et, tandis qu'il mena-
<;ait les gens frivoles de punitions séveres, il
laissa le vol et le meurtre iInpunis, et fit pen-
dre, en un jour, cent personn~s sans qu'on
Ieor eút fait Ieor proceSo


Dans les lndes, de vastes contrées étaient
entre les n1ains des ecclésiastiques, ou de sé·
culiers qui ne pensaient point a les défricher;
tout le Brésil était la possession des familles
auxquellcs les rois avaient autrefois donné
de~ districts : par un décret, ces donations




278 HlSTOIUEDU XVII le SIECLl:.
retournel'ent au gouvernement. Un volnme
contiendrait él peine toutes les lois, les réfor-
mes et les changements de Pombal dans les
premieres années de son administration; lnais
quelques lignes renfermeraient aisément ce
qu'il 6t d'essentiel et d'utile.


Il faut cependant, a moins que d\~tre in-
juste, accorder quelque infIuence durable a
l'a.tivité de ce ministre. C'est lui qui parvint
a réfonner le systeme d)instruction en Portu-
gal et a fonder une puissance militaire illimi-
tée l. Le changement dans l'instruction ne fut,
pour ainsi dire, que le résultat d'une lutte lon-
gue et opinüitre, qu'il soutint contre les jésui-
tes. Cette révolution s' opéra, presque en meme


1 Si M. Schlosser veut seulement ici louer l'activité de Pom-
bal, et prouver qu'il exer~a une influence durable sur le pays
qu'il gouverna, je suis loín de combattre son opinion; il Y a
plus, je loue sous tous les rapports la mesure qui changea
dans, le Portugal le systeme d'.instruction publique; mais ce
que je suis loin d'admirer, ce que je regarde comme un grand,
attentat politique ;c'est d'avoir donné :lU pouvoir le tnoyen
d'opprimer a son aise les peuples déja presque sans garantie.
Personne n'jgnore qu'une puissance militaire illimitée con-
duit tot ou tard au despotisme, et SQuvent a la tyrannie. Le
gouvernement a toujours, par sa position m~me, le moyen
d'exercer une grande influence, tandis que le peuple le mieux
garanti n'est point a l'abri de tous les actes arbitraires. Que
sera-ce done si vous mettez a la disposition des ministres une
puissanee illimitée, qui abandonne les peuples a leurs capriccs,
quand ils devraient etre comptables de leurs mesures méme
constitutionnelles? (Note du traducteur. )




I,IVRE 111, CHAPITRE l. ~79


temps, dans les deux gouvernements de la pé-
ninsule : car I'Espagne et le Portugal venaient
de s' a lli er con tre l' ordre qui tenait alors presque
toutes les écoles de l'Europe catholique l.


Ce qui animait surtout Pombal contre les
jéstÍites, c'est que les principes qui dil'igeaient
cet ordre étaient les memes que ceux qui le
faisaient agir; ils croyaient unanimement que
le hut sanctifie les moyeos ; luais Pombal se
proposait un hut terrestre, tandis que les Jé-
suites prétend-aient que le Ieur était le cíel, ce
que nous n' osons c01uhattre ni défendre 2.


Les colonies et les missions des jésuites au
Paraguay fonrnirent a Pombal l'occasion de
leur faire sentirles effets de sa haine. Apres de
violents démelés sur la démarcation de leurs
limites réciproques dans l'Aluérique roéridj~:..


1 Pour rendre le texte plus clair et plus exact, nous diroIls :
En I 7 54, les Anglais proposerent auJé Portugais de mettre un
terrne a leurs dissellsion-s éterneIles avec l'Espagne, en lui cé·
dant la colonie de San-Sagramento, située le long du Rio de la
Plata, et servant de refuge aux contrebandiers. Le Portugal
demanda en échange des colonies situées sur la rive gauche
de la Plata et la seigneurie de Tu)', appartenant a la Gallicie.
Les Espagnols , rtíalgré les représentations des jésuites • accep-
terent l'échange.
~ Un des gricfs des jésuites contre Pombal, fut la hardiesse


du P. l\Ialagrida qui fi.t jouer, sous le titre d' Aman, dan s un
des collégcs de sa soci.été, une piece OU Pombal se trouva trop
ressemblant. Il s'en vengea bien par la suite sur l'auteur.


( Note da traducteur. )




~8o HISTOIRE DU XVIUe SIi!:CLE.
nale, l'Espagne et le Portugal avaient enfin con-
elu un traité; I'Espagne cédait le Paraguay au
Portugal et recevait en échange la florissante
coloniede San-Sagramento. Les jésuites, depuis
la conversion des Indiells, avaient changé le
Paraguay e.n un État hiérarchique patriarchal;
ils ne souffraient point que les Espagnols
s'approchassent de leurs prosélites , gouvernés
corome des enfants et des moutons. Ils sa-
vaient tres - bien que les Portugais ne cher-
chaieut, d:tns le Paraguay, que des mines d' or
al' exploitation desquelles ils auraient employé
les Indiens 1; ils prévoyaient tous les maux
que les nouveUes dispositions des froids finan-
ciers préparaient a ce peuple innocent, et ils
refuserent long-temps de recevoir les envoyés
du Portugal.


Malheureusement, ils n'en resterent pas aux
protestations: ils aigrirent, dit-on, l'esprit des
Indiens jusqu'a les exciter a la guerreo L'oc-
cupation tranquille du Paraguay devint impos-
sible. Les habitants resterent décidés a ne
point reconnaitre la nouvelle puissance, et
les Portugais con<;;urent enfin le projet inoui
de transporter toute la population du Para-


1 Le Portugais Gomez Perail'a prétendait qne le P9.raguay
renfermait dans son sein des trésors immenses.




LIVl\E UI, CHAPITRE I. 281


guay dans une autre eontrée, ehose plus faeile
a ordonner qu'a exéeuter.


Les difficultés s'aeeumulaient, le gouverne-
ment portugais ne déployait pas une grande
énergie ; les Indiens persistaient dans leur op-
position. La chose en resta la jusqu'au nlÍnis-
tt~re de Pombal. Celui-ci; nommé premier
ministre, traita cette affaire tout autrement
qu'on ne l'avait fait jusqu'alors; il ehargea son
frere, en 1753, d'exécuter, par la sévérité et
la force, les ordres de sa cour, OH plutot sa
propre volonté. Tous les rapports du nouveau
gouverneur, de meme que ceux des Espa-
gnols désignaient les jésuites COlume les fau-
teurs de la résistance qu'on éprouvait dans
l'Inde. Des troubles éclatés a Porto, des dis-
cours violents contre le ministre ( qui décréta
alors la peine de mort contre ceux qui bUlme-
raient ses mesures), devinrent les crimes des
jésuites, dont on voulait détruire la société.


En 1741, le pape s'était vu obligé de lancer
une bulle sévere I contre les abus d'un ordre


1 Les jésuites, qui s'étaient emparés du commerce et de la
mercerie du PortJlgal, ruinerent les particuliers, paree qu'ils
ne payaient pas d'impót pour leurs marchandises, et qu'ils éta-
blissaient des maisons de change. Benoit XIV le lcur défendit
par la bulle imme.nsa pastorllm principis du 2.0 déeemhre 1741 ;
mais ils s'en inquiéterent fort peno




28:l HISTOIRE DU XVlIle Sd:CLE.


qui n'a été égalé en poli tique que par les ja-
cobins de la révolution fram;aise. OIl employa
alors, aupres du souverajn pontife, tantot les
instances, tantot les mellaces, ponr le décider
a supprimer ou au moins a réformer la com-
pagnie de Jésus. Le pape tardant a faire ce
qu'on lui demandait, Pombal trouva, dans
l'attentat réel ou supposé a la vie du roi, le
3 septembre 17581, le prétexte de perdre a la
fois ses ennemis a la cour et les jésuites. Il
était d'autant plus facile d'impliquer cet ordre
dans la conjuration contre le roi, que le pape,
a sa priere, venait de porter un coup terrible
a la société.


Benolt XIV avait donné au cardinal Sal-
danha, patriarche de Portugal, le plein pou-
voir de réformer 2 l'ordre et toutes ses institu-
tiOIlS, quant au Portugal. Supposons d'ailleurs
qu'une conjuration cut été tramée contre le
roí, ce qui est resté tres-donteux, il n'y avait
d'autres complices que les anciens amis du


1 Lisbonne était alors en ruine par les suites funestes du
trembleroent de terreo Le roí, demeurant a Belero, quittait
a onze heures du soir sa maitresse, fille et sreur des conjurés;
trois firent feu sur sa voiture, mais ils ne l~ Olesserent que
légerement.


2 llenolt XIV avait donné au cardmal Saldallha le plein
pouvoir de réformer l'ordre des jésuitcs en Portugal, par la
bulle: In specllla supremre dignitatis. dn 1 er avril' 1788 .




LIVRE 111, CHAPITUE I. ~83
roi; et l'attentat asa vie ne pouvait etre qu'une
tentative insensée de la famille Tavora 1, qu'il
avait grievement offensée. CeUe famille cepen-
dant ne pouvait etre guidée par d'autres motifs
que par le dessein de se venger, ou de 1'0u-
trage que le roi voluptueux lui avait fait,
comme a beaucoup d'autres familles, ou des
mortifications et des refus qu' elle avait essuyés
pres de lui, a l'instigation de Pombal. Il se
pourrait encore qu'a la mort dll roi elle espé-
rat voir renverser le ministre tont puissant et
que le dépit d'avoir perdu son influence dans
le royaume 2 la fit agir.


La seuIe raison de connivence alléguée en-
tre les supérieurs des jésuites et les promo-
teurs prétendus de l'attentat a la víe dll roi,
est la reconciliation subite entre le duc el' A-
veiro, chef supposé des conj urés, et l' ordre
détesté qui, pendant tout le regne précédent,
avait vécu avec lui en dissension publique et
scandaleuse 3. On remarqua aussi que trois j é-


1 J oseph Mascarenhas , chef de la famille Tavom, avait le
litre de duc d' Aveiro, et la charge de grand-maitre d'hotel a
la cour.


, 2 Le pere Gaspard était l' oncle du duc d' Aveiro qui, par
cette raison, avait joui d'une grande influence 8011S le regne
précédent.


3 Tous les détails de cette affaire se trouvent rassemblés dans
le proces et la sentence publiés par ordre d11 roí. n faut étre




~84 HISTOIRE DU XVIJle SIECLE.
suites eonsidérés étaient liés avee la fenlme
instigatrice de eette affaire; et ce sont la tous
les reproches qu'on peut faire aux enfants d'I-


,


gnaee dans eette cireonstanee l.
Pombalfut tellement satisfait d'etre, dans ce


proces, aeeusateuret juge, et de perdre tous
ses ennemis.a la fois, qu'il déeouvrit bientot
apres une nouveIle eonspiration du meme
genre, ou ,il irnpliqua toutes les personnes
mécontentes de son ministere desp?tique; il
les fit arrther, jeter dans les eaehots les plus
horribles; il les y laissait lentement périr de
misere et de besoins, s'il ne les faisait point
condamner a mort ineontinent.


Ayant demandé au pape, d'une maniere
mena«;;ante, la suppression entiere de l'ordre
des jésuites, iI se brouilIa ave e le Saint-Siége
et se vit forcé de traiter les affaires religieuses
sur un pied lnilitaire. Benolt XIV, qui avait
restreint les priviléges de cet ordre, n'était


tres.circonspect dans son jugement; car il y avait assez de gens
qui ne croyaient pas a la conspiration, et qui regardaient le
pro ces comme une ruse employée contre les premieres familles
du royaume et les jésuites. Le roi d'ailleurs avait séduit l'é-
pouse et la fille du duc d' Aveiro.


1 On n'imagina l'histoire de la conspiratioll que deux mois
apres l'attentat; et de ces trois jésuites considérés, le P. Ma-
lagrida, qui avait soixante douze ans, était depuis long-temps
en prison cornme fou. (Note du trad!lcteul'.)




LIVR"E 111, CHA.PITRE T. 285
plus; son successeur CIément XIII, protecteur
des jésuites ne voulut entendre parler ni de
leur suppression, ni meme de leur réforme.
Il reprit le pouvoir que Benolt XIV avait
donné au cardinal Saldanha et députa le car-
dinal Acciajuoli comme nonce a Lishonne
avec l'instruction d'agir contre le ministre;
mais Pombal sut se débarrasser aussi bien du
nonce que des jésuites. Il alla jusqu'a refuser
au cardinal les civilités d'usage et profita de
la premiere occasion pour l' exiler du royaume
de Portugal.


Toute les causes, jusqu'alors soumises au
pape, furent renvoyées au patriarche de Lis-
bonne. Pombal rompit tous les rapports avec
le Saint-Siége, et, sans consulter le souverain
pontife, iI chassa les jésuites , privés depuis
six ans de toutes leurs places. On confisqua
leurs biens et, en Ieur 1aissant a chacun, en
particulier, un revenu de cent 'reis 011 huit
sous a peu pres par jour, on les obligea de
quitter l'habit de Ieur ordre, en cas qu'ils vou-
lussent demeurer dans le royaume.


Mais, soutenu par le chef de l'Église, l' or-
dre ne put déposer 1'habit religieux, ni se dis-
soudre ainsi lui-meme : c'était cette désobéis·


• •
sanee prévue que Pombal attendait pour la




286 HISTOlItE DU XVIIlc Sd:CLE.
punir. Cent vingt jésuites furent arretés et
transportés en ltalie sur un vaisseau ragusain.
On ne fournit a ces hornmes, la plupart tres-
agés et tres .respectables, aueun moyen d' exi-
stence. Le manifeste que le ministre, au nom
de sa cour, lanc;a contre le pape, a cette oe-
casion, était en parfaite harmonie avec l'opi-
nion publique, fixée par les Frall(;ais , et il ne
contribua pas peu a changer les idées de l'Eu-
r-Ope catholique.


Clément XIV qui oecupa bientot apres le
Saint-Siége, parl'influeneede laFraneeet de I'Es-
pagne, ayant approuvé, par une bulle, la eon-
duite de Pombal envers les diseiples de I~oyola,
ce lninistre rétablit en apparenee les anciens
rapports du Portugal ave e la cour de ROlne,
mais e' en était fait de la juridiction du nonce .
. Dans tous les changements opérés par Pom-
bal, l'utilité était souvent douteuse 1, le pro-
cé{!é injuste et barbare; le seul avantage qui
résulta de sa sévérité militaire ne se fit sentir
que plus tardo Le changeulCnt dans l'éduea-
tion de la jeunesse et la propagatioIl d'ull
nouveau gen re de littérature , n'influerent que


J On ferait tout un code des ordonnances de Pombal. Celui
qui désirerait s'eu instruire, trouvera , dans l' Administra-
tion du marquÍs de Pombal, le regisftoe complet et l'apologie de
toutes ses ordonnances.




LIVRE III, CHAPITR.E I. ~87
bien des années apres sur une partie de la na-
tion. Ce ne fut que de nos jours qu'on rejeta
les anciennes idées.


N ous parlerons plus favorablement des au-
tres réformes que Pombal effectua par la
force et la vio]ence. Sa réforme du systeme
patriarchal et l'incorporation aux domaines·
des biens immenses de la ridicule papauté
de Portugal, méritent une mention honorable;
il en est de meme de la reconstruct1on de
Lisbonne, détruite par un tremblel1len\ de
terreo


Il établit d~s écoles primaires, qui avaient
luanqué jusqu'alors, et fonda, en 1766, pour
les hautes classes de la société, un collége en-
tierement organisé sur les nouveaux. princi-
pes du jour. C'est lui encore qui,ramenant la
discipline parmi les soldats, leur fit trouver
dans leur noble profession un honneur qu'ils
avaient, pour ainsi dire, oublié. Il est assez sin-
gulit~r que, dans la réforme Dlilitaire, bien des
institutions que Frédéric II avait prises a toute
l'Europe aient passé en Portugal.


Par une des conditions du pacte de famille,
conclu entre I'Espagne et la Franee, pendant
la guerre de sept ans, le Portugal était désigné
pour victime; les Fraw;;ais l'abandonnerent a




288 llISTOIRE DU XVllle Sd:CL.E.
l'Espagne qui équipa une armée pour porter
ses armes dans ce royaume sans défense. Les
Anglais envoyerent des troupes a son secours,
et Pombal 6t les préparatifs de guerre ave e sa
promptitude ordinaire. La patrie dut son salut
ason aetivité.Ilnepouvait seprésenter une oc-
easion plus favorable d' organiser une Ilouvelle
arméé;le eomtedeLippe-Buekelubourgquien,
fut chargé, connaissait parfaitement le systeme
militaire de. son temps et contribua beaucoup
a faire revenir les Portugais de leur aversion
et de leur mépris pour les armes. Cependant
on ne pouvait créer tout d'nn coup une armée
entierement nationale. Il fallut recourir, d'a-
pres l'usage, aux enrolements dans l' étranger.
L'argent du Portugal décida des Allemands,
des Irlandais, des Fran<;ais et des Sujsses a
entrer au service de eette puissance. 11 n'était
done pas étonnant que Pombal se vil souvent
forcé d'exercer, a sa maniere, une justice
exemplaire envers des régiments en tiers.


La réforme des ordres Inonastiques et de
l'université de Coimbre, la suppression des
confréries, l'abolition de plusieurs jours de
fe te et de rites insignifiants, ainsi que l'abro-
gation de la différence entre les nouveaux et
anciens chrétiens, les encoul'agements don-




L 1 V R F: 1 1I, e R A P 1 T R l~ J. 289
nés a l'imprimerie dúrent agjr avantageuse-
ment sur sa nation , ll1algré les voies despoti-
ques qu' on employa a eonstituer ees nouvelles
dispositions. l,e ministre, en détruisant l' oli-
garehie de la haute noblesse, en düninuant les
« ~ •


revenus et l'influenee du clergé, les avait na-
turellement soulevés eontre ses réformes:
aussi leurs menées et lenr opiniatreié le por-
terent souvent a des nlesures violentes.


Le roi fut a peine filort que les harpies
éloignées reparurent. Joseph qui, pendant sa
Inaladie, ava}t remis le gouvernement de l'É-
tat a la reine, le 29 novembre 1776, lTIOUrut
le 23 février 1777. On ouvrit aussit6t les pri-
sons d'État; il en sortit une foule de malheu-
reuxde toutes les eonditioIlS de la soeiété, qui,
languissant depuis bien des années dans les
eaehots, relnplirent le peuplc d'indignation
eontre le ministre despote.


On commem;:a par séparer les eharges, que
Pombal avait réunies dans sa personne; en-
suite iIdonna 5a démission. L'hOInme redouté
n'étant plus aU eabinet, les jésuites, fauteurs
de la superstition aveugle, et la haute noblesse,
entOl1rerent Marie, la nou'veIle reine, filIe de
Joseph, et implorerent s~ vengeanee eontre
Je ministre Moigné, en 1ui irnputant tous les


n. T. 19




290 IHSTOIRE DU XV11le sd:cr.E.


crimes iInaginables. Les enfants d'Ignace, im-
placables dans leur haine, parurent a la cour
sous leurnom, malgré lasuppression de leuror-
dre, et parvinrent lneme a obtenir une enquete
judiciaire contre leurardent persécuteur r.


Le 3 avril 1781, la révision des grands pro-
ces intentés par son ordre fut terminée, et
tontes les personnes conaamnées, comme cri-
lninels d'État, sans jugement régulier, furent
acquittées. Le tribunal de justice pronon<;a
des peines séveres contre lui, mais la reine
lui accorda sa grace 2; iI monrut l'année sui-
vante au mois de mai 1782; sa familIe fut ré-


1 La dénominatioll odíeuse que l'auteur donne ici aux jé-
suites 1 est parfaitemcnt en harmonie avec tout ce que l'histoire
nous offre dans tous les pays OU ces religieux eurent quelque
influence. Au reste, ce n'est point M. Schlosser qu'i1 faut ac-
cuser d'anímosité contre eux; il plaint les partícnliers ; il con-
damne Ieurs persécuteurs; il leur acrorde, sinon le talent
d'élever la jeunesse, da moins celui de l'instruire. On peut
m~me dire qu'il est injuste envers ceux qui les priverent de
Ieur crédit; car, en avonant que leurs statuts fondamentaux
sont tont en dehors des intérets de la société , il bIame d'avoir
faít tomber sur les mernhres la punition que le corps seul avait
méritée; mais, je le demand" comment détruire une corpo-
ratio n sans atteindre les partículiers <{ui la composent, et
qui aiment mieux mourir que de s'en séparer ou m~me de
renoncer aux marques extéJ¡ieures qui la distinguent des autres
sociétés religieuses. (Note du tl'údllCteUl'.)


> La reine Marie, ayant In la sentence prononcée contre
PomhaI, déc1ara qu'en considération de son age et de sa
santé, elle adoucissait la peine; elle se contenta de le bannir
il vingt lje:le.~ (le la cour.




LIVRE 111, CHAl)ITHE [. 291


intégrée dan s toutes les dignités qu'elle avait
occupées sous le regne de Joseph.


Les résultats de l'administration de Pombal,
malgré eette réaetion, se firent toujours sen-
tir seereteluent et préparerent les événements
dont nous avons depuis été les témoins.


II. Les opinions qui avaient ehangé la faee
de la France eOlnmen<;ment a se propager en
Espagne. Elle ehercha a se rapproeher d"es au-
tres États de l'Europe qui l'avaient devancée
d'un siecle. Cette nouvelle selnence, san s avoir
pris allssitotracine, porta enfin lesfrllits désirés.


Pendant le regne de PhiIippe V, on plutót
d'Élisabeth de Parme, l'Espagne, quelle que fút
son importance dans le systeme européen, a
cause de ses rapports avec l'Italie, n'avait été
que faiblement influencée par la France et les
autre5 royaumes. Albéroni n'effectua, dans le
gouvernelnent, qu'une réfornle Iuomentanée.
La maladie d' esprit de Philippe, la faiblesse
de Ferdinand VI qui, eomme son pere , aban-
donna les affaires de l'État a son épouse, prin-
cesse de Portugal, firent de l'Espagne un théa-
tre on tont était conduit par le hasard. Cette
direction fatale se prolongea lneme apres le
ministere d' Albéroni et de Ripperda; elle du-
rait encore lorsque Élisabeth de Parme, de-


19·




2~2 HISTOIRE DU :XVIII'" Sd':CL}~.


venue veuve, pleurait les crimes nombreux
de sa longue administration. Un fameux chan-
teur, l' eunuque Farinelli, avait encore conservé
sur Ferdinand l'ascendant qu'il avait sur
Philippe. n s'opéra cependant un change-
lnent dans les principes <Iu gouvernement,
vers la fin du regne de Ferdinand, par la
politique de Keen, ministre anglais a la cour
de Madrid, qui déjoua le plan des Fran<;ais et
fit entrer I'Irlandais Wall au ministere.


Les Fran~ais voulurent, en 1754, engager l'Es-
pagne dans la grande ligue contre le Hanovre,
l'Angleterre et la Prusse; F'arinelli, favori du
roí, et Carvajal, son premier ministre, avaient
adroitement tout disposé pour cette fin. Le
marquis de la Ensenada qui, a la mortde Carva-
jal, avait été chargé de son portefeuille, con-
tinuait ce qu'avait commencé son prédéces-
seur , 'lorsque l'Angleterre se nH~la tout, d'un
coup de ceUe intrigue de cour. Keen et le dnc
de Huesear firent embrasser a Ferdinand VI
un autre systeme, avant que Farinelli put s'y
opposer. Le marquis de la Ensenada fnt arreté
le 20 juillet; on nomma ministre des relations
extérieures l'irlandais Wall, jusque la ambas-
sadeur d'Espagne aupres de l'Angleterre J • Wall


J Le parti anglais en Espagne, soutellu par la reine, aJant




I~ 1 v II I~ Il 1, e H A. P 1 T R E 1. 2. 9 3
ayant séjourné plusieurs années en Angleterre,
fut consulté, meme dans les affaires intérieu-
res, et prépara bien des changements confor-
mes a l'esprit du siecle. S'il ne resta pas au
ministere, sous le regne suivant, il n'en con-
serva pas moins une grande influence clans les
affaires l.


Ferdinand, la reine et la cour étaient
trap ennemis de toute réforIne pour souffrir
seulement que la poli ce de la capitale flit
organisée comme clans les autres États. Le
trone devint le partage du fils ainé d'Élisabeth
de Panne qui, sous le nOln de Charles III,
avait régné jusqu'alors sur Naples; malgré son
age avancé, Élisabeth acceptala régence 2 , jus-
fait reconnaltre l'échange mentionnéavee le Portugal, de laEn-
senada en instruisit Charles III, alors roi de Naples, comme
héritier présomptif du trone. Celui··ci fit présenter une pro-
testation formelle, ce qni occasionna la chute subite de la Ense-
nada. Charles, parvenu a la couronne d'Espagne, rappela cette
protestation, annula, en 1761, tout le traité d' échange, et des
dissensions sanglantes éclaterent de nouveau.


1 Onorato Gaetani, Elogio Storico di Carla III re delle
Spagne, etc., Napoli, 1789 eou nous avons puisé différentes
Botices avec la circonspection nécessaire), page 86. "Wall fu
« un grand' uomo , e un gran ministro, ed iI re CarIo ebbe per
{( luí deIla tenerezza anche dopo che quegli avea lasciato iI
« suo servizio; quando il re andava in Aranquez si tratteneva
" con lui. "


2 É:lisaheth était sur le point de perdre toute influence, 10rs-
que Philippe V abdiqua pour quelqne temps; alors elle von-
1 ut gouverner le royan me du fond de la solitude de Saint-Il-




294 HISTOIRE UU X V 1 IIe Sd~CLE.
qu'a l'arrivée de son fi1s. Charles. en quit-
tant l'ltalie, laissa son frere maltre de Parme
et de Plaisance, déclara son fils ainé imbécile ,
emmena le pulné, comme héritier présomptif
de la couronne d'Espagne , et nomma le caclet
Ferdinand, régent de Naples et de Sicile, en
l'instituant son successeur dans les deux royau-
mes qu'il ne pouvait, a cause de quelques trai-
tés, réunir a celui d'Espagne.


A son avénement au trone, le 15 aout l76 1,
la France et I'Espagne renouvelerent rancien
pacte de famille, par lequelles habi fants des
deux pays devaient en tOllt se regarder comIne
cOlnpatriotes. Cela dut rendre le cornmerce
plus intime avec la France et donner un grand
ascendant a l'homme d'État qui favorisait le
plus la politique et la littérature fran~aises.
C'était le comte d'Aranda, le meme qui, ayant
quitté ses charges en Espagne, en 1773, et
s' étant faít nornmer ambassadeur a París,
brilla seize ans dans la société des philoso-
phes, sans partager la pétulance et l' orgueil


uephonse. Louis mourut fort a propos, et Élisabeth décida son
époux a reprendre de nouveau sa place au treme; mais, des ce
moment, elle ne put le diriger que par Farinelli. Philippe
étant mort en 1746, Élisabeth se vit sans le moindre crédit; •
on ne lui permit pas meme de se rendre en Italie aupres de
ses enfants, et on exer~a :'!ur elle une sorte de surveillance.




LlVRE IlI, CflAPITftE 1. 295
de plusieurs d'entre eux. De concert avec le
lninistere fran<;ais et Pombal, il avait su tirer
parti de la résistance des jésuites et de leurs
colonies,lors de l'échange du Paraguay, pour
ébranler d'un seul coup toutes les bases de
l'éducation. Non content d'avoir, en 1762,
restreint le pouvoir de l'odieux tribunal de
l'inquisition I, il lit signer au pieux roi d'Es-
pagne, le 17 février 1763, un décret contre les
jésuites, semblable a cehú qu'avait donné le
roi de Portugal. L'exécution de ce décret avait
été confiée au cOlnte d'Aranda 2, qui tint l'af-
faire secrete jusqu'a ce qu'il eút pris toutes
les mesures nécessaires 3. Ce ne fut que le 2
avril qu'il tlt chasser, en meme temps, de leurs
maisons ,les jésuitcs indigenes, et du royaume,
les jésuites étrangers.


Cet ordre :lyant été exécuté dans toute sa
sévérité, et les eufall t5 de Loyola emharqués


J Le grand-inquisiteur venait de prohiher un livre fran~ais.
2 L' abbé Georgel, clans ses Mémoires, tome 1 , p. 9:' suiv. ,


donne plus de détails; iI cite }\/[ontalegre, Camvomanes, Mo~
nino (depuis eomte de Florida Blanca), eomme eeux qui
donnaient leurs avis, rédigés ensuite par le eomte d' Aranda.


3 Le eomte d'Aranda adressa, le 20 mars 1763, une cir-
eulaire aux juges ordinaires du roi, dans tous les endroits OU
il y avait des jésuites. 11 y joignit un petit paquet eacheté,
qu'ils ne devaient ouvrir que le 2 avril, pour exéeuter alors
sans retard les ordres qui y étaient contenus. 11 leur était dé-
fendu de parler a personne de la circulaire et du paquet.




296 HISTO 1RE DU X V lllC Sd:CLE.
sur des vaisseaux espagnols pour l'Italie, les
lnaisons d'éducation, a l'exception de quel-
ques écoles de piété, furent soustraites a l'in-
fluence du clergé. Les professeurs pouvaient
etre séculiers; l'instruction, iI est vra~, n'y
gagna rien, mais au moins elle ne resta pas la
meme.


Le crédit du comte d'Aranda s'augmenta
encore, en 1766, 10rs du nouveau réglement
de police, fait a Madrid, et des dispositions
onéreuses el la perceptioIl des tailles, données
par le ministre des finances, Squilazi, qui por-
terent le peuple a une révolte dangereuse l.
Tout le pouvoir civil et militaire en Castille
demeura six ans confié el ses soins~. n fut


J Depuís long-temps, la place d'un président du conseil de
Castille n'avait pas été occupée. On la renouvela alors pOUl'
d' Aranda, et on le nomma capitaine-général de toute la Castille.


2 Bourgoíng, Tableau de l' E spagne moderne, seconde édi-
tíon, 1797 - 8., tome 1, page 317 : ti Malgré ce qu'on a dit
.. de M. d' Aranda pendant et depuis son ministere de sept ans,
« on se souviendra long-temps en Espagne des talents qu'il a
.. déployés pendant son administration. Madrid surtout n'ou-
t( hliera pas ce qu'il a fait ponr son emhellissement, ponr sa
" surelé, et meme pour ses plaisirs. C'est a sa prudence et a
{( ses soins que l'Espagne doit l'expulsion des jésuites, prépa-
« rée dans le plus grand secret et exécutée sans éclat. Il lui lit
« connaltre sa population, sur laquelle on n'avait que des
.. dounées tres-vagues. Grace a lUÍ, la vie dissipée et souvent
« liceucieuse des moines a fait place a des rnceurs un peu plus
.. conformes a leur état. L'ahus de l'asile que les plus odieux
K crimillels trouvaient dans les églises a été r{·primé. L'auto-




I.IVRE 111, CHAPITR.E I. 297
forcé, ii est vrai, en 1773, de demander sa
démission, mais les lumieres commen~aient a
pénétrer en Espagne et ii se préparait une ré-
volution dans le systeme du gouvernelnent
ecclésiastique et politiqueo On venait ~e sen-
tir le besoin de tirer parti des expériences des
autres .États de l'Europe; les traductions des
ouvrages fran~ais répandirent bientot la nou-
velle philosophie. Charles favorisait la révo-
lutÍon; le ministere se composa done sou-
vent d'hommes instruits et formés dans les États
constitutionnels ou démocratiques, comnle
don Diego Gardoqui. La France qui, depuis
long-temps, n'avait pas convoqué ses États-Gé-
néraux, l'Espagne, qui se ressouvenait a peine
de ses anciennes Cortes, en participant a la
guerre de la liberté en faveur des Atnéricains
contre I'Angleterre, se yirent dans une posi-
lÍon singuliere, qui contribua beaucoup a dé-
voil'er les cléfauts de la vieille administration.
" rité temporelle a été défendne contre les prétentions dn
« Saint-Siége; iI a mis des bornes a ces pratiqnes extérienres
o. de la religion (les processions jonrnalieres, connnes SOU9
« le nom de rosarios), bien plus cheres a la fainéantise qn'a la
" vraie dévotion. - n a meme enchainé, a plnsienrs égards,
.. comme nous le verrons plus bas, le pouvoir du fanatÍsme.
ti Il eut été bien plus loin san s la fnneste intervention du
.. confesseur de Charles III, qui, dans tont ce qu'il croyait
« du ressort de la conscience, balan~ait l'influence du comte
« d' Al'anda. lO




298 IIISTOIRE nu XVIlle SIECLE.
Plusieu"rs réformateurs de la nouvelle phi-


losophie furent les victimes de la haine qu'ils
inspiraient aux défenseurs du despotisme et
aux ennemis de toute espece de réforme; 111ais
ces persécutions donnerent lieu a des combats
sans lesquels un nouveau systerne ne 5' éleve
jamais sur les ruines d'un plus ancien. Un
homme distingué par ses lumieres en politi-
que et en religion fut le plus célebre martyr
de sa philosophie. C'était le Péruvien don Pa-
blo Olavides 1, nomlné intendant des quatre
rovaumes d' Andalousie et assistant de Séville .


.J


Olavides posséda tellement la confiance du roí
qu'il fut chargé de l'exécution du grand proj et
de faire cultiver et peupler la partie de la
Sierra Morena qui se trouve sur la route de
Madrid a Cadix. Olavides accueillit des e olons
de t011S les pays et surtout de I'Allemagne.


I Don Pablo Olavides était né a Lima capitale du Pérou.
Voyez les recherches sur cet intéressant personnage, dans les
OEurres de Diderot, tomo 111, pago 384. Paris, Briere, 1821.
(Note du traducteur.)


Olavides fut obligé, 10rs de su condamnation, de lire les
actes sur lesquels elle était fonJée ; nons pouvons assurer ici
que les auteurs fran<¡¡ais y jouerent un rOle. lllutentre autres
le rapport détaillé de toute sa vie, qu'il avait fait lui-mcme; iI
avoua qu'il avait fréquenté, clans son voyage, les pbilosopbes qui
se moquaient de la religion ,surtout Voltaire et Rousseau; qu'il
était retourné en Espagne plein de préventions contre le clergé,
persnadé que les priviléges ecclésiastiques et les opini9ns de
la eDur de Rome empcchaient l'aisanee extérieure des États; iI




I. 1 V R E 1 IJ, e II A P 1 T R E J. 299
Pour la premiere fois, depuis Charles V, des
protestants furent tolérés en Espagne; OIl Ieur
promit, dans ces colonies, le libre exercice de
lenr religion; mais un capucin allemand ar-
reta ce progres des lumieres.


Le chef de son ordre lui avait confié l'in-
spection des missions dans ces établissements;
il cherchait a faire des conversioIls, et par pro-
sélitisme il se melait souvent d'affaires qui ne
le regardaient en aucnne maniere. O]avides
réprima les élans d'un zele mal entendu. Des
10rs , le pretre rancuneux anima plusieurs AI-
Jemands contre Ieur protecteur, au point que
les colons ingrats porterent contre luí une
p]ainte au conseil de Castille. Le fanatislue
peignit an roi cette affaire sons les couleurs
les plus noires. Olavides, appelé a Madrid, au
mois de novembre 1775, ne vit plus dans l'a-
venir qu'une triste perspective. Tandis que,
pendant deux longues ,années, il languit dans
les cachots de l'inquisition, qu'on avait excitée
contre lui, la tolérance fut de nouveau bannie,
les fabriques détruites, et les colonies dépéri-
rent de jour en jour. Son injuste condamna-
convint qu.e depuis qu'ilavait présidé aux colonies de la Sierra"
Morena, il s'était exprimé imprudernment sur les obstacles
que ces colonies trouveraient a s'élever, ainsi que sur l'infail-
Jihilité du pape et sur les trihunaux de l'inquisition.




300 HISTOIRE DU XVIJle S¡j~CLE.
tion, le grand intéret que les Espagnols in-
~\ruit5 priren\ a son 50rt, et \e triompbe que
lui décernerent les Fran~ajs, cornme un mar-
tyr ues lurnieres, lorsque, échappé a la 5urveil-
lance du clergé, il se réfugia aupres d' eux , in-
fluerent plus sur I'Espagne et parIerent plus
haut en faveur de sa doctrine, que ne l'auraient
fait l'appui de la cour, et la plus brillante
fortune.


Le comte de Florida Blanca lui-meme, qui
jouit, depuis 1777 jusqu'a 1789, d'un crédit
presque absolu en Espagne, quoique entouré
de moines et de pretres, favorisa la propaga-
tion des nouveaux principes. Il renferma dans
de justes limites la trop vaste autorité de la
cour de Rome. Il empecha l'augmentation des
biensdu clergé, et s'opposa aux prétentions
qu;il s'était despotiquement arrogées de déci-
del' des affaires politiques.


Il ne faut point ollblier que les coups portés
au systerne hiérarchique ébranlaient aussi dans
sa base le gouvernement monarchique absolu.


Florida Blanca suivitune toutautre conduite,
lorsque la révolution fran<;aise eut éclaté; mais
les événements oont ii fut l'instrument ou
la cause, appartiennent pIutot a sa biographie
qu'a l'histoire générale.




LIVllE Jll, CHAPITUE 1. 301


III. Dans le court aperc;u que nous alloIls
donner de l'histoire du Danemarck, nous
sommes obligés de mentionner les. troubles
intérieurs, les changements dans le cabinet,
les cabales et les intrigues amoureuses qui
désoIerent pendant quelque temps ce In al-
heureux pays; le scandale public, qui en fut
la suite, est d'une haute importance histori-
que, puisqu'il dévoila les secrets des cours
aux yeux des peuples et signala les horribles
résultats d'un gouvernementdespotique; néan-
nloins, nous ne jetterons sur ces événements
qu'un co~p d'reil rapide, puisque l'histoire
des cours n' entre qu'indirectement dans le
but que nousnous sommes proposé.


Le Danemarck, par l'acquisition duSleswicl\,
se trouvait dans des conjonctures difficiles. La
Russie s' était, pour ainsi dire, engagée a réta-
blir un jour le duc de Holstein d~ns ses droits.
I .. a position du Danemarck devint plus 'criti-
que, lorsqne le dllC de Holstein, déclaré l'hé-
ritier présomptif de la couronne des Czars,
manifesta hautement, et a plusienrs reprises,
l'intention Ol! iI était de tirer vengeance des
torts que le Danemarck avait faits a sa famille.
Il faUnt alors a ce petit état un ~ouverain sage
et un ministre habile, comme iIles posséda,




302 HISTOIRE nu XVIlle SIECLf:.


depuis 1746, dans Frédéric V et Berns torff
l'ainé. Ils surent, par lenr prudence, gagner
des alliés, et, malgré leur piété, ils ne dédai-
gnerent point d'employer la voie des intrigues
a la cour de Saint-Pétersbourg, pour prévenir
des dangers futurs.


Les Danois, en se montrant tres-dévoués
aux ministres russes, chercherent, avec le chan-
eeHer Bestuscheff, a tenir l'héritier du trane
éloigné de l'impératrice Élisabeth, et se lierent
avec l' Angleterre, pour avoir un appui de plus.
La chute subite de Pierre IJI délivra bien le
Danelnarek du danger eertain d'une attaque
hostile; mais ce royaume tomba presque en-
tierement sous la dépendance de la Russie,
qui devait reconnaltre la eession du Sleswiek
et garantir l' échange du Holstein eontre Oldem-
bourg et Delmenhorst; les ministres russes
Saldern et Philosophoff prirent, a Copenhague,
a peu pres le rrJ(~me ton qu'a Varso;vie.


Les arts et les sc.iences trouverent, pendant
l'administration de Bernstorff, un protecteur
dans le roi; mais Chrétien VII, fils de Frédé-
ríe V, lui sueeéda n1alheurensement quelques
années trop tat, et sa vie lieeneieuse devint
le germe d'une aliénation d'esprit; malgré
eette rnaladie, les ordres directs du eabinet




Llvn E 111, eHA I~ITnE I. 3u3
furent les seu les lois et le seul mobile du
gOllvernement, tant était vicieuse la constitu-
tion danoise. La confusion, la cabale, l'injus-
tice, le pouvoir arbitraire, tout con$pirait 1 a
affaiblir la confiance que les peuples du con-
tinent avaient ene dans leurs gouvernements
monarchiques; elle disparut presque généra-
lement vers la fin du dix-huitieme siecle.


Chrétien VII était monté sur le trone, en
1766, et, q uoi qu'il n' eut que dix-sepf ans, il
avait épousé la sreur de Georges III, Caroline
Mathilde; il parcourut une partie de l'Europe
accOlnpagné d'l1n jeune médecin allemand,
nomIné Struensée, qui s' était insinué, a force
de soins, aupres de ce roí voluptueux. La
jellne reine ne vécut pas en trop bonne intel-
ligence avec son époux, et, pour comble de
malheur, des dissensions éclaterent entre elle
et la reine douairiere, Julienne-Marie, née
princesse de Brunswick-W olfenbuttel, qui au-


1 Les F:ources oú iI faut rechercher ces histoires sont assez
conoues; nous n'indiquerons que deux ouvrages fran~ais:


Quelques pa/'ticularités relatives ti l' Itistoire du Danemarck, par
un ofGcier hollandais, auxqllelles 00 a joiot son voyage en
Suede, La Raye, 1789, in.-So.


Mérnoil'es llistoriques et inédits sllr les l'é~'olllt¡ons al'l'i"ées efl
Danemal'ck el en Suc!de pendan! les allllées 177 O , 1771 et I 772 ,
par ¡eu ['aMé Roman, Paris, io~So.


Le premier ouvragc est écrit avec beaucoup de circons,pec-
tion, l'autre avee bcaucollp de hardiesse.




304 IUSTOIRE DU XVIlIe Sr:f~CLE.
rait désiré pouvoir donner plus d'importance


, a son fils cadet Frédéric.
Le roi, de retour dans ses États, n'accorda


pas d'abord autant de crédit a Struensée; mais
les deux Holk et quelques alltres jellnes gens
porterent Chrétien a de nonvelles débauches,
qui exténuerent entierement ses faculté s in-
tellectuelles. Tant que les Holk et leur partí
dirigerent le roi devenu imbécile, tout le
pouvoir denleura dans les mains de la noblesse,
des vieux lninistres et du conseil d'État qui,
menle apres la'révollltíon de 1660, avaient con-
servéquelque autorité dans le royaume. La
jeune reine et Struensée s' emparerent ensuite
du faible roi, et éloignerent les freres Holk,
ce qui changea la face des affaires.


La vaccine n'était pas encore trop connue
alors;Struensée inocula hel1reusement la petite
vérole au prince royal, ce qui le luit dans J'in-
timité de la reine et lui valut la place de gou-
verneur du prince. COlnme conseiJIer, il eut
part a l'administration de l'État et il demeura
toujours le favori de la reine. La passion qu'il
lui avait inspirée, devint si forte, que cette
épouse adultere crut qu'elle pouvait sans rou-
gir laisser paraitre au grand jour sa scanda-
)euse inclination. Struensée devint insolent <'t




LIVRE 111, CHAPITRE lo 305
impérieux, iI ne se contenta point d'avoir éloi-
gné un des Holk, dans un voyage que le· roi
fit el Sleswick, au lDOis de juin 1770, et d'avoir
rétabli Brandt, son compagnon fidele, dans
les Lonnes graces que Holk lui avait faÍt per-
ore. Il voulut réformer le royaunle et s' édger
seulen n1altre. Au mois de septembre, l'autre
Holk et tons les ministres rec;;urent leur desti-
tution; au mois de déeembre, le couseil d'É-
tat fut congédié, et toutes les affaires renvoyées
au roí furent administrées par le bizarre favori
des deux époux. Le magistrat de Copenhague
meme fut obligé de céder el Struensée, paree
que l'ainhitieux alIemand désirait voir toutes
les plaees oecupées par ses créature~; sans avoir
l'énergie de caractere qu'il fallait pour jouer le
role des Richelieu des Mazarin, et des Pitt, iI
ne reconnaissait, comme eux, d'autre pouvoir
que le sien. Les changements qu'il voulut ef-
feetuer ne trouverent d'ailleurs pas un accueil
plus flatteur aupres du peuple, qu'ils favori-
salent, qu'aupres des nobles auxquels ils
étaient eontraires. Il diminua les appointe-
111ents, mit sa cour sur un pied moins élevé,
retira les pensions, réforma l'amirauté, les
chancelleries danoises et allernandes, diminua
les impots, réduisit le nombre des corvées et


H. 1. 2Q




306. HISTOIRE DU xv lile SÜ:CLE.
prépal'a ainsi, en Danelnarek, l'affranchisse-
ment de la se~vitude, prononeé plus tard par
une Ioi générale; mais en voulant réformer les
gardes et le~ troupes, iI donna a ses ennemis
des armes contre lui. I.Ja reine et Struensée
prouverent combien iIs connaissaient peu
leurs intérets : on donna a la signature du fa-
v9ri la meme a,utorité qu'a la signature royale
dans .les tribunaux et dans les bureaux de
l'administration; il -s'arrogea insolernlnent le
titre de eomte et de ministre privé du ea-
binet.


La liberté entiere de la presse qu'il aceorda
et qu'ilrestreignit trop tard, en renouveIant
l'aneienne loi eontre les libeUes, lui devint
préjudieiable, paree que sa eonduite avec la
reine, OH plutot eelle de la reine avec lui,
était trop scandaleuse, et qu'il se rnontra
craintif et faible dans différentes occasions;
par exemple, 10rs de la sédi tion oecasionnée
par quelques matelots de N orwege, et encore
lors de la. suppression des gardes a pied. La
reine douairiere profita habilement de chaque
imprudence de Caroline Mathilde.


Struensée offensait les nobles en les exilant
dans leurs terres; mais ce qui les hUlniliait
davantage et les animait le plus contre lui,




L IVRE 111, eRA PITRE I. 307
c'est qu'il regard~it les hautes fonctions comme
le partage du mérite et non celui de la no-
blesse.


Ce qu'il y eut de plus répréhensible dans la
eonduite de la reine et du favori, c'est qu'ils
ne songeaient qu'a leurs plaisirs a Hirsd{holm,
tandis que Brandt traitait le roi d'abord comme
un enfant et ensuite eorome un prisonnier. Les
ennemis du gouvernement, alors en faveur,
ehercherent a s' emparer du roi , en intimidant
Brandt par des menaces, ou en le gagnant par
des promesses; mais l'ayant trouvé incorrup-
tible et attaché a Struensée , ils cont;urent le
projet hardi d'éloigner Struensée et Brandt
de force etd' envelopper la reine dans leur perte.


Ce projet n'aurait pas réussi, si Struensée
avait montré quelque fermeté ou s'il avait eu
seulement un peu du eourage que Caroline
Mathilde déploya l. La reine mere était l'ame
de toute la ligue de plusieurs hommes miséra-
bIes contre des imprudents devenus arrogants
par la prospérité, qui, dans leur insoucianee,


~- 1 Ne pouvant donner ici que le sommaire de l'histoire scan-
daleuse, nous passons sous silence toutes les hassesses Oll des-
cendirellt les deux partis, ainsi que les marcjues de crainte que
Struensée donna et les mesures ridicules qu'il prit. Le ministre
auglais Keith lui conseilla eofin tout franchement de se retirer ;
il voulut s'en aller I mais la reine s'y opposa.


:1.0 •


..




308 IIlSTOlRE DU XVIIl(;' Sd~CLE.
donnaiellt a tont moment prise eontl'e eux.
En s' emparant de Chrétien, on voulait lui faire
signer la perte de Struensée et de son partí,
eomptant exéeuter le reste par la force et la
ruse. On désigna le eomte de Ranzau-Aseh-
berg, les colonels Keller et Eiehstaedt eornme
les instruments de la eonspiration, et on ehoi-
sit la nuít d'un hal de cour, du 16 au 17 jan-
vier 177 r, pou!' l' exécution.


La reine mere et son 6.ls Frédérie, aeeOID-
pagnés de Ranzau, pénétrerent dan s la eharn-
bre a coucher du roi, l'éveillerent hrusque-
ment par la fausse nouvelle d'une révolte et
le déciderent, pour ainsi dire nlalgré lui, a
signer l'ordre de l'arre¡;tation de Struensée·et
de la reine. Strue~sée 6.t preuve de laeheté, la
reine, au eontraire, de fermeté et de eourage 1;
ils furent arretés sans que personne songeat a
prendre leur défense. Le prinee Frédérie se
montra, irnmédiatement apres, avee le roi a


T Les nouvelles sur la maniere dont la reine fut arretée
different beaucoup l'une de _l'autre. Une des plus exactes et
des plus vraisemblables, me parait celle de Wraxall, Me-
moirs 01 the courts 01 Berlin, Dresdert, H.Tarsr,llt and Yienna,
London, 1800, deux vol. in-8°, premier vol., page 71 et
suiv. Si Struensée, arreté avant l'ordre précis du roi, avait
demandé a lire la signature, et s'il s'était adressé aux of6.ciers
qui n'étaient pa~ initiés dans le secret, le colonel"Ke\\er au-
rait sans doute échoué.




L 1 V In: 1 IT, e H A P 1 T R E I. 309
toute la capital e ~ Chrétien et sa signature se
trollvant depuis dans les mains de sa nlere
et de son parti, toutes les ordonnances éma-
nerent d'elle ou de ses créatures. .


Le point historique le plus important dans
toute ceHe affaire c'est que, pour se justifier,
le parti tl'iomphant fut obligé d'ordonner une
enquete judiciaire et de publier tons les scan-
dales. On voit par-la que le gouvernement,
malgré sa souveraineté, avait a redouter la
voix du peuple, et qu'il cherchait a gagner 1'0-
pinion publique. Les curés, dans lenr saínt
zele contre l'anlonr coupable de la reine, ne
contribuerent pas peu a faire onblier a la na-
tion le but que Struensée s'étaü proposé. Le
roi demeura prisonnier, eomme auparavant,
et on nomma un tribunal pour examiner les
relatjons de la reine avec Struensée, quoique
Georges nI s'y opposat de tout son pouvoir.
I.a reine avait contre elle les ténioignages peu
équivoques de ses filIes d'honneur et I'aven
de son favori meme; mais on n' osa pas faire re-
monter leur liaison avant la naissance du prince
royal, et le faible roi assura lui-mem~" que la
princesse était réellement sa filIe, ce qui n'em-
pecha pas de prononcel' le divorce. Struensée
et Hrandt, condamnés a mort, furent exécu-




310 HISTOIR:E DU XVIIle SIi~CLE.
tés le 28 avril; on permit a la reine de se re·
tirer dans sa patrie, et elle finit ses jours a
Zelle, au mois de mai 1775.


Les hommes qui avaient secondé la reine
Julienne-Marie dans ses projets, trouverent la
récompense qu'ils avaient méritée dans la
perte de leur ínfIuence. Le prince Frédéric et
sa mere gouvernerent seuls l'État, jusqu'en
1784, lorsque le prince royal, agé de seíze
ans, fut déclaré majeur. Il se procura par les
moyens, déja plusieurs foís employés, la si-
gnature de son pere et renversa au nom de
l'autorité royale le gouvernement précédent.
Le prince Frédéric, il est vrai, tint encore sa
place au conseil d'État, mais l' organisation des
ministeresfutentierementchangée.Eichstaedt,
quoiqu'il eut été gouverneu,r du prince royal,
re~ut rordre de quitter la cour. Dans ces nlU-
tations, on fit usage du meme pouvoir absolu
que Struensée s'était arrogé.


IV. Si nons avons vn dans les trois royan-
mes, dont on vient de parler, le ministere
s'élever contre le roi, le peuple ou la noblesse,
nous vQyons, au contraire, en Suede, le roi et
'ses soldats opérer une révolution, agréable a
'la majorité du peuple, contre une constitu-
tion injuste et une oligarchie misérable. La




LIVRE 111, CHAPITRE I. 31 J


Suede, plus heureuse en cela que les autres
royaurnes, avait de tout temps joui du privi-
lége de ne pas etre simplement constitution-
neBe, mais de compter l' ordre des paysans
parmi les autres ordres de l'État. eette insti-
tution ancienne ne put etre abolie lors de la
réforme du gouvernement, qui eut lien apres
la mort de Charles XII, mais on chercha, avec
adresse, a en empecher les effets bienfaisants:
Ulrique-Éléonore, et plus encore Frédéric de
Hesse, son époux, furent obligés, pour mon-
ter sur le trone, de souscrire a toutes les con-
ditions qu'on ]eur imposait. Le conseil du
royaume reprit, sous lenr regne, tous ses an-
ciens droits. Un comité secret des trois pre-
miers corps de l'État, revetu d'un pouvoir im-
lnense, opprima les paysans et les accabla d'im-
pots. Achaque assemblée des États, malgré
l'opposition des deux autres, OIl augmenta les
prérogatives de la noblesse. Les pIaces devin-
rent le partage exclusif de certaines familles,
et les snites pernicienses de cette oligarchie
se firent sentir ~ci comme partont ailleurs l. Les


1 Douze sénateurs avaient tout le pouvoir exécutif et une
partie du pouvoir législatif. La diete seule pouvait leur de-
mander compte; ils constituaient le premier tribunal et con~
voquaient, au nom du roí, les États, qui devaient se rassem-
hler tous les !rois ans. Le Sénat se réunissait sans attendrc


20*




312 HISTOIRI~ UU XVIII C Sli~CLJ~.
finances tomberent, les affaires publiques fu-
rent négligées, la Suede se vit perdue dans
l'estime de l'Europe et paralysée dans sa puis-
sanee exécutive : plus de discipline dans l'ar-
mée, plus de concorde dans la nation, et lBs
Snédois se vendaient él l'étranger.


La France suivait alors, au détriment de ses
finances, la funeste maxime de payer, dans
toutes les' cours, un parti qlli exécutait tous
les ordres des ministres franc;:ais, au préjudice
de son propre pays. Ce parti se composa en
Suede d,es hornmes qu'on nomma ensulte le
parti des clzapeaux, paree qu'ils nourrissaient
le fol espoir de reconquérir sur les Russes les
provinces perdues. Les chapeaux, comme par ti
politique vendu él. la France, étaient contre)a
constitution et auraient préféré un gouverne-
ment plus monarchique. Lellrs antagonistes,
les bonnets, tenaient avec fureur él l'oligar-
chie; ils se vendirent él. la Russie . et cherche-
rent él. soutenir, par la terreur des armes étran-
geres, la nouvelle constitution qui ótait au
roi le pouvoir. L'argent fran<;ais l'emporta. En
1738, le parti des chapeaux eut le dessus et
l'ordre ni la présence du mOllarque, ouvrait les dépéches
des ministres a des cours étrangeres , etc. Le roi avait bien le
droit d' élire les sénateurs parmi les trois candidats proposés
par les États; mais on sut le réduire ;, une simpll' formalit~.




LIVRE III, CHAPITRE 1, 313
il en résulta une guerre funeste eontre les
Russes. Cette imprudenee aurait eouté des
lors la Finlandc aux Suédois, si l'impératriee
n'eut trouvé plus avantageux de donner un
roi a la Suede.


La paix fut done aehetée au prix de l'hon-
neur; le neveu du grand-pere de 1'héritier
présomptif de l' empire russe, fut imposé aux
vaineus et saisit ee m,eme seeptre qtt'on avait
formelIement refusé, a la mort de Charles XII,
au neveu de son pere l. La Suede, par eette
paix honteuse, se vit, comme la Pologne, 80U-
mise a la politique russe.


Le nouveau roi, nommé Adolphe-Frédérie


I La ligne de Holstein-Gottorp était alors:


~-----...... -----~----........ ------
Frédéric IV + 1702.


I
Charles Frédéric


+ 1739


1


Chrétien Auguste + 1727-
---------- ------------Adolp. Fréd., Fréd. Aug., GeorgesLouis~


roí de Suede. éveque + 1727-
de Lubeck.
+ 1786


Charles.Píerre-Ulrich, Gustave TII.
I


p'e. Frédéric p"e. Fréd.
empereur de Rus-
sie, sous le nom de
Pierre 111.


I
Pauir.


Guillaume, Louis.
1;mbécile.




314 HISTOIRJ': DD XVllle SIi~CLE.
de Holstein-Eutin, monta sur le trone, en 1757.
La confusion parvint au plus hant degré sous
son regne. Si l'un des deux partis proposait
un projet tItile, l'autre aussitót, pour ruiner son
crédit, calomniait ses intentions, s'y opposait
de tont son pouvoir et soutenait au contraire
avec une méchanceté inouie les choses les
plus préjudiciables. Des-lors plus de liberté
individuelle, plus de justice impartiale, le
droít de propriété cessa d'etre sacré. Les deux
partis poursuivaient mutuellement les hom-
mes de mérite qui leur étaient opposés et,
dans ceUe scission générale, queIle adminis-
tration eut' été possible !


Le comte de Brahe et le maltre des céré-
monies Horn avaient échoué dans leurs tenta-
tives de réformer le gonvernement; ils furent
exécutés apres les tourments les plus cruels:
leur sort arretait tous ceux qui áuraient voulu
les imiter; le roi meme n'osa secouer le joug
de l'oligarchie, quoique le parti des chapeaux,
d'abord contraire a ses entreprises, se joignit
plus tard a lui 1, quoiqu'il eút la majorité des
voix dans l'asseI.11blée des États, et que tont
sembUlt se preter a une révolution.


1 La convocation des États royalistes opposés au sénat,
ayant été refusée en J 76 8, le roi abdiqua a la fin du mois de




LIVRE lB, CHAPITRE I. 315
Au commencement du regne, les ministres


anglais, russes, fran<;ais avaient imposé et in-
flué autant l'un que l'autre a Stockholtn; la
prodigalité déraisonnable des Fran<;ais, sacri-
fiant des millions au systeme ministériel et a
la vanité, leur ohtint la prépondérance et
augmenta considérablement le parti des roya-
listes de ces hommes qui tiennent plus an
rang et a la fortune qn'a l'honneur et a la pa-
trie.On ne s'étonnera done pas de voir que le
prinee royal, a la mort de son pere, arrivée
an mois de février 1771, concerta lui-meme,
avec le ministre franc;ais Choiseul, les mesures
de la révolution qui devait renverser la COll-
stitution.


Tandis que Gustave III se liguait a Paris
avec les ministres frallf;ais, le partí suédois,
opposé a la cour, sut, par l'influence des
Russes et des Aoglais, faire entrer daos ses
vues la 1Dajorité des députés des trois derniers
États. Les fauteurs de l' oligarchie se trom-
paient d'ailleurs en eroyant avoir le dessus
par la majorité des voix qui étaient vendues.
L'ahus qu'ils firent de leur suprématie, et de
décembre pour quelques jours; iI reprit les renes du gouver-
nement des que la diete fut accordée. Le prince royal joua
alors un rOle qui le famili.1.risa avee celui qu'il devait prendre
dans une révolution.




3r6 HISTOIRE DD xviu l ' Sd~CL.E.
cette majorité vénale, pendant la session nH~me,
hata les desseins du jeune roí, qlli se propo-
sait d'établir un gouvernement militaíre l.


Les États, guidés par le parti des bonnets,
insisterent pour que les lois restrictives, qui
avaient limité le ponvoir du dernier roi, fllS~
sent conservées. lis oserent enfin díssoudre le
sénat, ou le partí des cllapeallx avait en jus-
qü'alo!'s la supériorité, et le foreerent de
s'attacher sans restrietion au souverain. Gus-
tave, couronné le 28 mars 1772, fut forcé
de signer une dure eapitulation : le sénat fut
reeonstitué, et les deux partís reeomnlenee-
rent él agir publiquement l'un contre l'autre.
Le roi traina l'assemblée des États en Ion-
gueur, et gagria les officiers et les soldats; les
amis de l' oligarchie chercherent él leur tour él
séduire des troupes pour leur partí; tandis
que le roi employait le lieutenant - eolonel
Sprengporten, le capitaine et commandant de
Christianstadt Hellichius, ses adversaires se
servirent de Pechlin et de plusieurs autres
pour poursuivre, avee une grande sévérité, les
auteurs des libelles répandus, él l'instigation
de la cour, eontre le gOllvernement établi.


1 Gustave III n'avait que vingt-cinq ans, et il tenait de !la
ID ere , niece de Frédéric JI , un peu du caractere prussien.




LIVRE 1I1, CHAPITRE l. 317
L':une de toutes ces entreprises du parti


lllonarchique fut Gustave lui - merne; OH
avait envoyé de France, pour le soutenir, Ver-
gennes revetu d'un titre brillant. Ce ministre


, répandit l'argent a pleines mains. Les soldats
seuls opérerent la révolution. Sprengporten
devait amener les trollpes de Finlande, Helli-
chius avait occupé Christianstadt pour le roi,
et lancé un manifeste violent contre les États.
Les freres du roi, Charles et Frédéric, rassem-
blaient des troupes a Schonen, Blekingen et
dans l'Est de la Gothie, en leur faisant preter
serment de défendre Gustave et la nouvelle
constitution. '


:i\Iais si, dans le midi, la révolte contre le
gouvernement établi avait éclaté, la garde et
les soldats de Stockholm n'étaient pas encore
gagnés. On attendait que Sprengporten arri-
vat de la Finlande dans la capitale, mais il
ne venait pas, et le roi n'avait devant les yeux
qu'une triste perspective. Le conseil d'État et
le comité secret prirent alors les mesures les
plus énergiques. Hellichius fut déclaré rebelle
et coupable de haute trahison; le roí se vit
obligé de signer d'apres la constitution la sen-
tence de ses propres partisans l. n ne put non


1 Le roí abusa le sénnt, en ayant l'air d'approuver toutes




3d~ HISTOIRE DU XVIlIc SIF.CL.E.
plus enlpecher que le régiment d'Upland, dé-
voué aux amis de l'oligarchie, ne fut appelé
a Stockholm. Ce régiment devait arre ter le roi,
et le conseiller d'État Funk prendr'e le com-
mandement a Schonen pour agir contre Helli-
chius et les freres du roi.


Le régiment d'Upland n'étant qu'a quatre
lieues de la capitaIe, iI devint urgent de pro-
fiter du tnoment, ce que le roi lit avec une
grande adresse. II se chargea lni -meme du
role principal, harangua d'un ton solennelles
officiers de la garde qui étaient ce jour-la de
service au chatea u , avec cette facilité que lni
avait donné l'habitude de parle~ la langue
suédoise; iI appuya particulierenlent sur la
décadence prochaine de la nation et les mit
tous dans ses intérets. Une autre division de
la garde se joignit bientot a la premiere; toutes
les deux preterent serment de fidélité, et pour
témoigner qu'ils avaient embrassé le parti mo-
narchique, ils se mirent au bras une écharpe
blanche, que le roi lui-meme portait depuis
ses mesures; il accompagna la garde nationale lorsqu'elle fai-
sait patrouille, et la gagna. Quaud le prince Charles lui écri-
vit qu'il avait rassemblé cinq régiments, le roí déclara au sé-
nat qu'ils étaient destinés contre Christianstadt f el lui demanda
d'en dODller le commalldement uu prillce royal. Mais le sénat
le refusa, et confia le commandement a Funk; alors le roí
reconnut qu'il ne devait plus tarder.




LIVRE 111, CH.\P1THE J. 319
le 19 aout 1772. Le conseil d'État fut aussitot
enfermé dan s la salle rneme de ses conféren-
ces I et le comité secret dispersé; toute la
garde preta sermen t. Les régiments d'U pland et
de Sudernlannland se soumirent; les marins et
le peuple triompherent. Trois jours apres on
convoqua les États; la nouvelle constitution 2
qui donnait au roi toute la puissance exécutive
et une partie de la législation, fut lue; l'ac-
clamation de ceux qu' 011 avait OH gagnés ou
intimidés, étouffa l'opposition, et l'acte, sans


t Trente-six grenadiers s'avancerent la baionnette a la main;
les sénateurs qui étaient a délibérer descendÍrent au bruit. Les
grenadiers les forcel'ent de rentrer dans leur salle et la ferme-
rent ensuite aclef.


2 Le" conseil du l'oyaume n'avait que dix-sept membres, dont
les grands employés de la eouronne et le gouverneur de la Po-
méranie faisaient partie. Dans le eonseil, le roi délibérait sur -
la guerre et la paix, les allianees et les traités. Il doit, a pro-
prement parler, suivre la majorité des voix, mais il décide
des qu'une seu le voix est pour lui. On voit bien que la der-
niere loi annule la premiere. Un roi, né dans l'étranger, ne
peut pas sortir du royaume san s consulter les États, un roi
indigene le peut arbitrairement. Le souverain a le droit de
donner des titres de nobles se , de faire grace, de monnayer ,
et de nommer a toutes les charges ecclésiastiques et séculieres.
Le roi et les États unis, et Don l'un sans l'autre, peu~nt
donner une llouvelle loi, ou abolir Ulle ancienne. I,e mo-
narque ne peut pas établir et le ver de nouveaux impots saus
l'assentiment des États, a moins que l'ennemi n'attaque subi-
tement le royaume. Le comité secret des États , muni de tout
Ieur pon voir, d élibere avec le roi , c' est-ft-dire lui est entiere-
ment subordonné. Le roi seul convoque les États et les dis-
sout, lui seul commaude a l'armée et al,IX fIoues; les États ne


, peuvent délibérer que sur les affaires qu'il propose.




320 HISTOlItE DU XVIlI C SlECL1~.
autre délibératioll, fut écouté, rec;u et signé
dans le meme momento Les États preterent le
serment dicté par le roi, et personne ne pro-
testa par éerit, eomme plnsieurs avaient fait
en 1720.


Le roi avait Jéployé dans toute eette affaire
beaucoup d'aetivité et de talent, iI usa avec
donceur de la vietoire qu'il venait de rempor-
ter, et tout le royanme s'en réjouit. La Rllssie
seule, de toutes les puissances, témoigna quel-
que mécontentement de ce triomphe des prin-
cipes monarchiques sur l'oligarehied'une man-
vaise constitution 1 ; les écrivains fran<;ais, que
Gustave admirait et prenait pour modeles,
oubliant leur amour pour la liberté, et leur
haine contre la souveraineté, célébrerent le
monarque suédois a vee la nleme ehaleur que
le gouvernement militaire en Prusse.


La eonstitution qu'on venait d'abattre u'a-


1 Sheridan, surement une des meilleures sourees sur ectte
révolution, dit mot a mot d'apres l'anglais: " Le roi qui le
matin se leva eomme le lUonarque le moins absolu de 1 'Eu-
rope, se trouva, dans l'espace de deux heures, aussi absolu
a Stoekholm, que le roi de France a Versailles et le Grand-
Sultan a Constantinople. Le peuple vit avec plaisir que le pou-
voir d'une aristocratie insolente passa dans les mains d'un roí
possédant l'amour et l'estime de la natÍon. JI


Le roí déclara d'ailleurs, en toute occasion, qu'il ne son-
geait pas a la souveraineté, mais qu'il voulait rétablir l'état
des eh oses te! qu'il était avant 1780.




LlVRE lll, CnA.PITnI~ J. 321
vait ríen produít ni pour les arts, ni ponr les
sciences; on avait a la fois négligé l'utile et
l'agréable; Gustave mérite sans doute quel-
ques louanges pour avoir pris une marche ab-
solument contraire; il imita tout ce qu'il avait
vu en FraIlee, mai~ it ne ~ut ~()int ~e tenh'
dan s les bornes que sa position lui assignait;
son royaume Qevait moins que tout autre ex-
citer l'adnliration de l'Europe par son éclat 1 ,
son luxe, les arts, les sciences, les spectacles,
en un mot par tout ce qui faisait briller la
France, et qu'on ne pouvait naturaliser en
Suede qu'au prix des sueurs du citoyen et
surtout dll cultivateur.


Voulant sans doute paraitre en héros sur la
scene du monde, Gustave s' Qccupa trop de l'art
militaire. 11 empiéta de plus en plus sur la haute
juridiction qu'il avait été obligé de créer; ii
établit des monopoles d'autant plus onéreux,
qu'ils retombaient sur les choses les plus néces-
saires aux Suédois, comIne les droits de brasser
et.de distiller. C~tte conduite aigrit les esprits 2.


I Le Carrousel cmita a la pauvre Suede quatre cent mille
écus en monnaie du payiO, ce qui n'empccha pas que rannée
suivante iI n'y en eut encore un.


2 Les qualités personnelles du roi, la facilité avec Jaquelle
ii écrivait le fran~ais, et la quantité d' excellentes institutions
qu'il fit organiser, ne nous intércssent pas ici, puisqu'elles
ll'empecherent pas les résultats dont nous avüns parlé dans


H. l. 21




322 HISTOIRE DD XVIll e Sd:CLE.


La révolution qui s' était opérée dans le gou ver·
nement fut suivie d'un changement tota,1 dans
les rnceurs, les doctrines et les habitudes de la
vie. Cornme ce changement n' était dans le fond
qu'un triomphe du plus adroit et du plus fort
sur le plus faible et le plus imprudent, l'en-
thousiasme se ralentit et disparut avec l'ivresse
qu'avait excitée la chute des orgueilleu~ et mi-
sérables fautéurs de l'oligarchle. Des que le rOl
se vit obligé de puiser dans la bourse de ses su·
j ets pour satisfaire a 5a ma gnificence, le nombre
des mécontents s'accrut. On voit par les diffé-
rentes dietes, convoqué es sous le regne de Gus-
tave III, que le parti qui lui était contraire gros-
sissaitchaquejour.Ala diete de 1778, lespropo-


. sitions du roi ne ftirent presque pas contestées
et passerent toutes; en 1786, on n'approuva
presque aucune des propositions royales; en
1778, les impots avaient été accordés pour un
temps illimité, en 1786, seulerrlent pour quatre
ans.


Dans le discours que le roi prononC;a pour
la clóture de la derniere diete, il se plaignit


le texte; mais iI faut rernarquer, puisqu'on connatt Gustave
seuIem<ent comme écrivain !¡'an~ais, qu'il fut, depuis Char-
les XII le premier qui, au irone de Suede, parh\t bien le
suédois. I1 écrivit aussi quelques pie('es clans sa langue, tre~­
estimées de sa nation.




JJIVRF. IlJ, CHA.PITHE J. 323
hautement de l'opposition; mais pOUI' rega-
gner au moins en partie la favenr du peuple,
iI se vit obligé bientót apres de renoncer au
monopole odieux qu'il avait établi sur l'eau-
de-vie. Le mécontentement général augmenta
lorsque le roi chercha a se faire la réputation
d'un héros aux dépens de la Russie, en ou-
bIiant cornbien l' état des choses venait de
changcr depuis Charles XII. A la vérité, il
apaisa le courrouxde lanoblesse pourquelque
temps, mais iI se forma contre lui une conspi-
ration qui devait amener une nouvelle révo-
lution et qui n'eut ponr tout résultat que le
régicide.


CHAPITRE 11.


ACCROISSEMENT IMMENSE DE LA RUSSIE, ET PARTAGE


DE I.A POLOGNE.


l. La Russie sous Catherine 11 J considérée surtout dans ses
rapports vis-a-vis de la Pologne, jusqu'en 1769. - 11. Dé-
membrement de la Pologne.


1. L'imprudence de Charles XlI, la fai-
bIesse de la Pologne, les guerres onéreuses de
Louis XIV, la confusion des affaires de l' Au-


21.




324 HISTOIRE UU XVlIle Sd:ctE.
triehe dans les dernieres années du regne de
Charles VI, avaient facilité a Pierre Ier les
moyens de fonder une puissanee qui menac;ait
pour l'avenir la liberté de tous les anciens
États de rEurope. Il ne transforma pas seu-
lement en tres-peu de temps sa nation vigou-
reuse en une puissance militaire du premier
ordre, mais il s' empara aussi de toutes les
provinces sur la cote de la mer Baltique. J-"a
Pologne et la Suede, a proprement parler, sans
gouvernement et sans armée, devinrent bien-
tot ses tributaires. Le Danemarck, dans la
crainte que la Russie ne prit un jour la dé-
fense du due de Holstein qu'on avait dépouillé
de ses biens, se laissa diriger en tout par les
ministres russes. Toutes les guerres eontre les
Tures firent voir la supériorité que la puis-
sanee nouvellement organisée avait sur les
hordes de I'Asie, et les armées indiscipliné es
du sultan. Il fu t tres-heureux que la constitu-
tion de l'Empire allemand empeehat Pi erre Ier
de s'arroger une voix a la diete, eomme il en
avait eu l'idée. Les forces m11itaires de la Rus-
sie s'étaient développées de plus en plus, de-
puis la mort du czar jusqu'a l'avénement de
Catherine II au trone (au mois de juillet 176'2).
IJes soldats avaient fait toutes les révolutions




LfVnF: III, CHAPITll.E 11. 32.5
de fElnpire , c'était donc sur les soldats que
chaque nouveau czar devait fonder son pou-
vOJr.


Catherine avait renversé son époux infor-
tuné, surtout a l'aide de cette partie de l'ar-
11lée russe, qu'il avait offensée par sa prédilec-
tion pour les troupes du Holstein et les antres
soldats allemands, et par son amonr pour la
discipline prussienne. L'Europe s'aper~ut a~c
étonnement, sons le regne de Cathel'ine, qu'une
pnissance colossale venait de s' élever dans 1'0-
rient, et qne ces barbares, qui n'étaient pas
encore amoIlis par la civilisation, pouv:aient
devenir redoutables aux autres États affaiblis.
L'impératrice, dans ses rapports ave e les di-
verses puissances de I'Enrope, etsurtout avec
la France, prit Frédéric II pour modele; en
adoptant lenr croyance et leurs dogmes, elle
s'attacha les philosophes qui ppuvaient éten-
rlre sa renommée; et pour étouffer le cri gé-
néral qu'excitaient ses prétentions inouies sur
les États voisins, et ses conquetes pendant la
paix, elle sut adroitement faire retentir le
monde du bruit des louanges qu' on donnait a
ses lumieres, a son esprit, a ses écrits et a ses
ukases qui sonventne devaient ni ne pouvaient
etre exécutés. Son plan réussit parfaitement ;




326 HISTOIRE DlJ XVIlle SJ:ECLJ~.
et, quelque opinion qu'on ait encore de ses
rnreurs et de son systerne d'adrninistration, 00
ne peut lui refuser la gloire d'avoir possédé
un génie profond et un talent particulier pOUI'
gouverner les hornmes.


L'impartial historien ne pourra guere approu-
ver toutes les mesures de Catherine ni louer sa
vie privée; mais il ne pourra nier que, depuis
son regne, l'opinion des hommes éclairés de
l'Europe commen~a a gagne~ en Russie quel-
que influeoce sur les affaires publiques. Si les
résultats ne furent pas aussi brillants qu' 00
devait l'espérer, c'est rnoins a l'ünpératrice elle-
meme, qu'aux circonstaoces ,a quelques Fran-
~ais devenus les organes exclusifs de l' opioion
et a leurs imitateurs, qu'il faut en imputer la
faute.


La position de rEurope devenait tres-favo-
rable a Catherine pour déployer les forces
prodigieuses de la Russie. La Pologne était pa-
ralysée, sans argent, sans arrnée, dévorée par
des divisions intestines, et, pour comble de
rnalheur, elle n'avait pas d'état moyerr 1 et
manquait de peuple 2.


1 Wraxall Memoil's, tome II, page 3-4.
2 La Pologne avait alors :
l° Environ sÍx millions de paysans bien malheUI'eux;




L 1 V R J~ I II, e II A P 1 T R E 11.


La Suede était en butte a un plus grand dés-
ordre encore; le Danemarck se trouvait dans
une inquiétude continuelle a cause du Hol-
stein l. L'cmpire turc faisait chaque jour un
pas vers sa ruine. La Prusse et l'Autriche, ré-


2° Un clel'gé extremement ignorant et fanatique;
3° Une noblesse, ou la nation proprement dite ; celle-ci se


composait: l. De la Itaute noblesse; quatre ouCillq familles
jouissaiellt de richesses immellses et d'une influence royal e ;
douze OU seize avaiellt une supériorité absolue pal' leurs biens
et leur crédit, et a peu pres cent autres familles exer~aiellt la
haute juridiction;


11. De la nlJhtess,e moyellul.e; celle.ci vivait dans ses terres et
les cultivait. Elle fournissait la plus grande partie des députés
qui se laissaient faci!ement gagner par l'argent et le parti do-
minant;


lIt De la basse llob/esse, composée d'environ un million et
demi d'homrues encore presque sauvages et indomptahles, fiers
de leur liberté, rendue ilUpossibl~ p~r 1Jne lQi de leur régle-
ment;


IV. Des bourgeois; ce n'étaient que les marchands dans les
villes. surtout dans ceHe:; situées du cOté de la me».'


V. Des juifs, au nombre d'un million.
1 Pierre était héritier du' Holstein-Gottorp. Con\me on ne


faisait pas la moindre attention a luí en Russie, le J)uneJ,llarck
avait décidé la SuMe, en 175 o, a lui céder la tutelle et
l'administration, qui lui appal'tenaient de droit, comme a
la hranche la plus proche. Catherine envoya aJol's l'C;>llcle.de
son fils, le prince Georges, pour gouyerner le pays. Le Dane-
marck ne voulut d'ahord pas l'accepter, mais futhientot
ohligé de le reconnaltre. L'impératrice ayant fait des menaces,
les Danois évacuerent Kiel et députerent M. de Haxthausen a
Saint~Pétersbourg pour y présenter des excuses. En 17'73, Ca-
therine pro posa, au nom de son fils , d' échanger OldembDurg
et Delmenhorst contre le Holstein, ce qu'on accepta ayec le
plus grand empressement. Elle donna ensuite ~s deux pays it
la ligne cadette, dont le chef était a\oJ!s Frédérjc-Auguste,
évéque de Luheck.




328 HISTOIRE BU XVIlle SIECL.E.
eoneiliées en apparence, s'en voulaient plus
que jamais. L' empire allemand ~ depuis la
guerré de sept ans, ne présentait qu'un corps
désorganisé, un elupire sans souverain, et n' en
conservaít que le nomo Qui aurait pu empe-
cher la Russie de donner des lois aux pays
que l' Angleterre nepouvait corrompre par
son. argent, ni la France séduire par ses adroi-
tes flatteries? Les écrivains franc;ais, accueillis
par Cathe!rine, comme par le grand Frédéric,
célébrerent dans I'Europe entiere la généro-
sité, les IUlnieres et les institutions de l'impé-
ratrice qui établissait des écoles, ~aisait fleurir
les fabriques, les manufactures et protégeait
les arts et les sciences. Tout le lllonde ac-
~ourait pour participer a sa libéralité; elle sut
distinguer le talento 11 ne faut done pas s'é-
tQnner que les Russes intelligents et dociles
aient fait, durant son regne de trente ans, les
progres de plus d'un siecle dan s tout ce qui
est extérieur, comme la politesse, les modes,
les manieres, etc.


Ayant trop rapidementpassé de l'ignorance
a eette sorte d'urbanité, ils resterent tou-
jours étrangers a la vie religieuse, civile et
chevaleresque du reste de l'Europe; formés.
sur le lllodeIe des Fran~ais, enfants de la ré-




LIVRJ: 11I, CHAPITRE 11. 329
volution , ils ne font aucun cas de tout ce qui
n'est point pour les sens. Transportés sans in-
tervalle de la barbarie a la civilisation, ils
n'ont pas connu cette période de la vie des
peuples ou l'homme n'agit que par les nobles
impulsions de l' ame, et ou les belles contempla-
tions de la religion sont un véritable besoin.


Tandis que Catherine influen<;ait l'opinion,
et que la position de la Russie lui donnaít la
supériorité sur les autres États, ses ministres
faisaient impérieusement la loi aux cours
de Copenhague, de Stockholm et de ·Varso-
vie. Philosophoff dirigea, jusqu'au temps de
Struensée , la cour danoise, ainsi que Repnin
celle de Pologne l. Il serait difficile de d~cider
lequel de ces deux ministres s'arrogea le plus
de droits. Si la Russie rencontra quelque op;..
position a Stockholm, il fant l'imputer au
pernicieux systeme de Choiseul : ce vaniteux
ministre acheta des alliés dans toute l'Europe,
et répandit, avec une inconcevable légereté,
des richesses si nécessaires dans l'intérieur de
la France.


Lors du démembrement de la Pologne, la
Russie fit sentir toute sa prépondérance aux


( Kaiserling avait élevé Stanislas Poniatowsk y au tróne de
Pologne,ou Repnin régnait a sa place.




330 IIIST01RE DU XVJlle SJi.:CLE.


autres puissanees du premier ordre, qui en-
trerent dans le partage. Elles ne purent main-
tenir la part qui leur était échue, qu'en sui-
vant le principe des Russes, adopté ensuite
par les auteurs de la révolution fran~aise. D'a-
pres ce principe, ledroit n'est qu'Ulle conven-
tion arbitraire, et la possession n'est valable
_qu'autant que l'agresseur est le plus faible:
d'ailleurs, si la Pologne subit le joug de la
Russie, si elle fut traitée avec plus de dureté
qu'un pays de eonquete 1, e'est a sapropre
eonstitution, et a l'usurp4tion de quelques fa-
luillcs qu'elle doit son avilissem.ent et son op-
pression.


Au milieu du seizj{nne siecle, Sigismond
Auguste avait aecordé a la noblesse polonaise
quatre prérogatives, qu'il faut regarder eomme
un présent tres-funeste. L'expérience a prouvé
eornbien les deux premiers priviléges furent


1 Rulhieres, Bistoire de l'anarchie de Pologne, trois vol. in-SO,
malgré l'imperfeetion de son ouvrage, sert ¡ei de souree prín-
eip~le. (On trouve un bon jugement sur l'hjstoire de. Rul-
hieres, dans Flassan, Bistoire de la diplomatie franc¡aise, t. V.
page 423.) .


On pourrait eonsulter, outre ):lulhieres: Coxe, Wraxall,
et surtout Facts relatil'e to tlze dismembcrmeht of Poland, ql1i
se trouvcnt en entier dans Bistory of Poland fo the commence-
ment oftlteyear 1795. LOlldon, 1795,in-8°; ensuiteLifeof
Catlzarine 1I, elUpress of Russia, troisieme édit., troía vol., 1799,
London.




LIVRE JlJ, CHAIlJTRE JI. 33[
pernicieux x ; le troisieme, par ce fameux libe-
rum veto, ou l'opposition d'un seul Polonais
arrete le décret de toute la diete, devint la
cause de bien ~es malheurs 2. Le quatrieme,
s'il n' empecha pas entierement la civilisation
du pays, la retarda du moins beaucoup3. Les
Polonais n'avaient jamais possédé ni un gou-
vernement ni une armée, ni une admini-
stration. Les puissances étrangeres, depu;s un
siecle, avaient disposé, soit par l'argent, Boít
par la force,. de l'élection des rois; mais jamais
la Pologne n'avait été traitée si durement pen-
dant la paix que par la Prusse et ]a Russie.
Immédiatement apres l'avénement de Cathe-
rine 11 au trone, cet empire ne se contenta pas
de déposséder le prince Charles de Saxe,
en bannissant Biron 4, nornmé duc de Cour-
lande, avec l'approbation de l'impératrice Éli-
sabeth et de la république polonaise; mais la


J 10 Le royaume est électif. On ne nomme jamais pendant la
vie du roí son successeur au trone. .


2 0 Des que le roi agit contre les Ipis ou viole les priviléges
de la. nation, elle n'est plus tenue a S011 serment.


:1 Tous les denx: ans ii doit y avoir des dietes générales. En
vertu du liberum 'Veto, une seule voix arr~te toutes les délibé.
rations .


. 3 A l' élection dn roi, la noblesse sente a une voix, maís
qui est accordée a tout individn parmi elle.


4 Pierre III rappela Biroll de Sibérie, Catherille II le réta~
blit dans son duché sans consulter les Polonais.




332 HISTOIRE DU XVIIlC Sd:CL.E.
lueme arluée, qui vit la Courlande occupée
au nom de Biron, entradans la Pologne et
mena<;a Varsovie. Tout cela se fit sous prétexte
que le roi ne savait pas maintenir l'ordre, et
que l'impératrice. sentait l' obligation de so u-
ten ir le parti Czartorinsky contre le parti Rad-
zivil.


Le roi prit la fuite; on attendait les Russes
d'un jour a l'autre., a Varsovie. Les Prussiens,
postés de l'autre coté de la Pólogne, pénétre-
renP dans ce pays, et y exercerent une juri-
diction tont - a -fait arbitraire. Les Polonais
s'adressaient-ils au ministre de Prusse, a Var-
sovie, iI n'était pas visible; allaient-ils jusqu'a
Frédérjc, il avait l'air, d'ignorer les exd~s de
ses fonctionnaires; forcé· enfin par les irnpor-
tunités et craignant sans doute une responsa-
hilité trop pesante en Enrope, le roi donna, il
est vrai, a la priere des Inalhenreux PoIonais ,
l'ordre a ses officiers de ne pas s'arroger le droit
de juger et d'exécuter a la foís sur un territoire


\


étranger; ¡nais ces memes officiers, trop bien
1 Les Prussiens palliaient cette invasion tantot par le désir


qu'ils avaient de ramener leurs sujets réfugiés en Pologne,
tantot par leur obligation de faire payer aux seigneurs justi-
ciers les dettes contractées envers les paysans polonnis, qui
s'étaiellt mis sous leur protection ; les officiers se permettaient
it cette occasion les injustices les plus criantes; ils s'érigeaient
en .iuges , et cxécutaient en meme temps leurs sentences.




LIVH.E 111, CHAPITHE 11. 333
instruits des secretes volontés de lenr sou-
verain, déclarerent qu'ils n'avaient pas d'or-
dres directs a recevoir du roi, qu'ils n'obéis-
saient qu'a leurs généraux. Le roi de Pologne
lui-meme, Frédéric Auguste, ne voyait plus
personne; son ministre Brühl était, disait-il,
chargé des affaires de la Saxe, et celles de la
Pologne ne le regardaient en aucune maniere.


Une alliance étroite existait entre la France
et l'Autriche. Frédéric II, sans alliés a .cette
époque, chercha a conserver l'amitié de la
Russie; il sacrifia la malheureuse Pologne a
ses rapports politiques. Aussi personne ne
s'opposait réeHement aux vues de'la cour de
Saint-Pétersbourg. Lorsque Auguste mourut,
le 5 octobre 1763, l'impératrice de Russie ré-
solut d'élever sur le trone vacant son ancien
favori, Stanislas Poniatowsky, homme sans ta-
lent, et dont la famille et le parti n'avaient ni
crédit ni puissance.


Par une déclaration du 16 mars 1764, les
cours de Vienne et de Versailles abandonne-
rent l'élection a la czarine 1, et par un traité
du 1 1 avril suivant 2, le roi de Prusse em-


1 Le marquis de Paulmy, arobassadeur de Franee a Varso-
vie, déclara a la diete que Louis XV ne se méIerait pas de
l'élection.


2 Frédéric II avait envoyé le eorote de SoIros a Saint-Pé.




,
334 HISTOIRE DU XVIUe SIECLE.
brassa satis restriction les projets de Catherine.
Les Czartorinsky, désirant voir leur parent
Stanislas sur le trone, ne pouvaient pas tenir
tete an parti des Radzivil; les Russes leur pre-
terent secours; ils occuperent Varsovie , éloi-
gnerent le vieux maréchal, qui n'entrait pas
dans leurs vues, et mirent un Czartorinsky a
sa place; ils dépouillerent ensuite le conné ...
table de sa dignité pour la donner a un autre
membre de la famille qu'ils favorisaient. Cent
vingt mille Russes ayant pénétré en Lithuanie,
Radzivil, Branicl~y et leur parti commencerent
une guerre en regle l. Radzivil fut vaincu
apres un combat opinühre , et Branicky ne put
se soutenir plus long-temps. La crainte qu' on
avait de la Russie décida enfin les Polonais él
élire Stanislas Poniatowsky, le 6 septembre
1764, presque a l'unanirnité. Si ron espérait,
par cette élection cornmandée, sortir de la tu-


tersbourg, pour conclure le traité défensíf et offensif entre la
Prusse et la Russie. On ajouta a ce traité les c1auses suivantes :
m les deux.contractants ne souffriront jamais que la constitution
polonaise soit changée (pour éterniser l'anarchie); et ils ne
reconnaitront pas de roi héréditaire. JI On avait décidé que Sta~
nislas Poniatowsky serait élu roi.


~ Rulhíeres, Anarchie de la Pologne, vol. II, rapporte, avec
les plus grands détails, les bassesses dont le partí russe, ainsi
que les Potocky, les Radzivil et les Branicky se rendirent
coupables.




L I V n E llI., e Il .\ P lT R El!. 335 .
telle onéreuse des Russes, on reeonnut bien-
tot que c' était une erreur. Repnin alla bien
plus foin dans ses prétentions que Kaiserling.
Il ne luanqua pas d'occasions pour monfrer
dan s ce .malheureux pays son esprit domina-
teur. Les troupes russes y demeurerent; on 6t
une nouvelle ligne de démarcation au grand
préjudice de la Pologne. On pro posa une aJ-
liance offensive et défensive qU\i rendait la
perte de ce royaume inévitable. En6n l'inipé-
ratl'ice prit les dissidents sous sa protection.
Cette tolérance prétendue, et surtout l'em-
pressement de la Russie a soutenir l'Église
gl'ecque en Pologne' ne 6t illusion a per-
sonne ; cal' iI était facile de concevoir que les
Russes ne prenaient le parti des dissidents,
que pour pouvoir se meler plus décemment des
affaires les plus secretes de la républiqlle. Le
nouveau roi devait etre l'organe des étrangers
a la diete; méprisé des Polonais , eomme créa-
ture russe, il ne put et ne voulut pas se son-
mettre sans l'estriction aux ordrés de la Russie,
contraire's a la constitution. Cette puissance ne
garda done bientot plus de nlesüres envers lui.
Repnin traita le faíble Stanislas sans aucun
égard, et meme avec violence; il l'offensa
a dessein et a1la jusqu'a chercher l'occasion de




336 HISTOIRE DU XV[Ile Sd:CLE.
lui montrer du mépris l. Catherine se faisait
elle-meme un plaisir d'humilier son ancien
favori. La confusion fut done plus grande que
jarnais en Pologne. La nation, offensée des
long-temps pa.r les Russes, se vit encore excitée
par le fanatisme, et le prétexte de la religion
preta de nouvelles arnles a leurs funestes scis-
sions, filIes de l' ambition et de l' a'vidité 2.


L'animosité contre la Russie étant montée
au plus haut degré , on convoqua en 1766 une
diete pour décider la cause des dissidents.
Tous les ministres des puissances, dont ces
uerniers avaient réclamé le secours, y firent
des représentations pressantes en faveur de


1 Repnin était le neve u et le favori de Pantn, a qui Cathe-
Tine II conflait la direction de son eabinet. Btanislas, iI est
vrai, ne se faisait nullement respecter ; sa légereté ne eonnais-
sait pas de bornes. Wraxall (du reste, mauvaise source) , .I.tle-
Tlloil's, tome Il, page 45, rapporte a ce sujet plusieurs anec-
dotes.


2 Les dissidents, c'est-a-dire les protestants et les Grecs,
avaient flni, dans le seizieme siecle, par se faire tolérer en
Pologne, et me me par avoir part uu gouvernement. La paix
d'Oliva, de 1660, assura Ieurs droits; en 1733, ou les ex-
cIut entierement des dietes. Des -lors les troubles augmen-
taient de jour en jour ; on leur opposa enfin une nouvelle loi,
par laquelle les dissidents qui s'adresseraient aux puissances
étrangeres, pour faire maintenir les droits de leur religion,
sel'aient déclarés eoupables de haute-trahison. Les Grees re-
eoururent a la Russie, qui avait entretenu avec so in ce diffé-
rent; les protestants démand('rent l'intenention de la Prusse ,
du Danemarck et de l' Angleterre, comme garants du traité
d'Oliva.




LIVRE 111, CHAPITRE 11. 337
\'Rg\ise gl'ecque et des \?l'otestál\ts.Le, pl'ince
Repnin demanda non-seulement que ces dis-
sidents fussent tolérés, mais encore qu' on les
admlt aux charges publiques. Le roi et ses
partisans ainsi que le primat, archeveqne de
Gnesne, voyant qu'ils ne pouvaient ni nlainte-
nir leurs mesures séveres, ni éluder les de-
mandes des quatre pllissances, le déclarerent a
la diete, et irriterent par cette déclaration les
éveques fanatiques. Ceux-ci ,non contents d'at-
taquer le roi et le primat dans des libelles, for-
merent meme des confédérations armées. Rad-
zivil, absent jusqu'alors, revint en Pologne. Les
dissidents prirent les armes; le sang coulait de
tous catés, et le roi, opposé depuis long-temps
aux Russes, recourut alors a lenr assistance.


Les troupes russes occupaient Varsovie,
lorsque Stanislas convoqua une diete extraor-
dinaire, en 1767' OIl mena<;a les confédérés
el' employer la force pour les souIJ,l.ettre; lnais
les Polonais montrerent de l'énergie et ne flé-
chirent que le 15 octobre l. Repnin fit alors


1 Igelstrom , colonel russe, arr~ta l' év~que de Cracovie a la
table du eomte de Miniseheek, le m~me jour qu'il avait parlé
avec violence eontre le roi, le primat , les Russes et les dissí~
dents. L' évéque de Kiew, les vayvodes de Cracovie, de Dotín
et plusieurs nobles partagerent son 50rt. On devait aussi ar-
reter l'éveque de Caminieck, mais iI échappa et fonda la ligue
que Pulawsky ftt connaitre trop tOt. La diete foreta le roí de


JI, J. 22




338 HI!TOIRE nu XVIIIC 5d~CLE.
arreter et transporter en Sjbérie ceux qui s1é_
levaient violemment contre la réceptjon des
dissidents a la diete. Apres l'éloignement des
chefs de l'opposition, il ordonna aux autres
d'approuver un décret eontre lequel ils avaient
d'abord unanilnement protesté; et quand ces
affaires furent terminées, les troupes russes
demeurerent en Pologne. Repnin dirigea tout
en roi a Varsovie; les puissanees de l'Europe
le souffrirent, parce que la Prusse avait be-
soin d'etre bien avee la Russie, et que l'An-
gleterre avait été gagnée par un traité qui lni
promettait de grands avantages eommereiaux.
Les Fran<;ais seuls ehereherent a susciter les
Tures, fournirent de l'argent aux Polonais, et
les engagerent a fomenter de nouveaux trou-
bIes. Les Polonais fanatiques ou mécont~nts,
excités par Krasinsky, Pulawsky, Potocky et
d'autres, formerent des eonfédérations, et
ayant rassemblé un grand nombre de Jeurs
partisans a Bar 1, ils prirent Cracovie et y
PoIogne de demander a Repnin la liberté de ces prisonniers ;
mais celui-ci ne fit pas attention a ses représentations, et iIs
resterent pendant six ans en Sibérie. Repnin, dans un ac;;te mé-
morable, revétu de sa si.gnature, dé clara a la diete que pOUl'
maintenir la liberté, iI avait détruit la licence.


I Bar est un pctit bourg en Podolie, a 5 lieues de Cami.
nieck. Les Polonais mpcontents s'y rpunirent a la fin de févriel'
17 68 .




LtVRE 11 1, CHAPITR E n. 339
établirent la république. Les troupes régulieres
des Russes demeurerent naturelleInent tou-
jours supérieures aux troupes indisciplinées
des Polonais et vengerent par des crjmes les
atrocités auxquelles on s'étaitporté envers eux.


Admettons que le manifeste affreux de
l'impératrice aux cosaques saporogiques ait
été fabriqué par des ennemis des Russes 1 ~ il
n'est pas moins vrai que ces cosaques agirent
tout-a-fait dan s le sens du manifeste. Les Turcs;
a l'instígation des Fran<;;ais, s'armaient en fin
contre la Russie, iI ne leur manquait qu'une
raison plausible pour faire la guerre; ils cru-
rent la trouver lorsque les Russes poursuivi ..
rent les Polonais fuyards au-deHt de la frontiere
turque, et brúIerent la petite ville de Balter.


Cfpendant l'inhabilité des Musulmans fit
échouer les desseins de la politique fran<;aise ;
de grosses sommes d'argent furent vainement
dépensées; la guerre éclata, 11 est vrai, mais
elle prit une tout autre tournure que ceHe
qu'en espéraient ceux qui l'avaient suscitée.


U. - Lorsque le's Turcs eurent déclaré la


1 Le manifeste est du 20 juin 1768, et se trouve dans les
Manijastes de la république confédérée de Pologne, du 15 no-
vembre 17()9, 1770; les eosaques y sont appelés (page 261)
pour extirper et abattre, avee l'aide ele Dieu, tous les Polo-
nais et les juifs hIllsphf.mateurs de notre sainte religion.
2~.




340 HISTOIRl! DU XVJ1Ie Sl1{CLl';.
guerre a la Russie, la Pologne se trouva quel-
que temps plus libre; car les armées de la
czarin<t avaient passé le Danube et étaient en-
trées dans la Valachie et la Moldavie. Le mi-
nistre russe mit tout en reuvre pour exci-
ter les Grecs a une révolte. Les Frant;ais au
contraire uonnerent des subsides réguliers t
aux Polonais confédérés; Dumouriez, devenu
si célebre depuis, les dirigeait par ses con-
seils.


Tandis que ce général obtenait en France
qu'on fournlt aux Potonais de l'argent, des of-
ficiers et tout ce qu'il leur fallait, Joseph I1,
alors co-régent momentané, avec sa mere 2.,


I Les Franeais donuaient aux Polonais eonfédérés six mille
ducats de subsides par mois. L'habile et éloquent général
Mokronofsky offrait au duc de Choiseul de faire adopter la
confédération a toute la Pologne, s'il donnait deux millions de
franes, et reconnaissait le eornte de Vilheorsky eornme mi-
nistre de la eonfédération de Bar a París. Choiseul y était dis-
posé, mais la cour de Vienne ne goíha pas ee projet, et l'en.
dissuada.


2 Marie. Thérese avait d'abord confié a Joseph II, no mm,:
eo-régent, toutes les affaires, mais voyant eombien iI était pout'
la guerre et pour des mesures promptes, elle reprit ave e son
ministre l'administration ,et ne laissa a son fiIs que les affaíres
militaires et le comrnandement de l'armée.


Quant au démembrement de la Pologne, CaraeeioIi, ríe df'
Joseph 11, dit de l'impératrice : ti Ce qu'il ya de sur, e'est que
• Marie - Thérese, vivement sollieitée par son fils de prendre
" part au partage, ne le fitqu'avee la plus profonde douleur, el
.. qn'apres avoir consulté Rome et les plus sa,-ants juriscon~




LIVi\E 111, CHAPIT R E [1. 341
leur aecorda la permission de se rassembler
sur son t(uritoire en Hongrie, et d'entrer dans
la Pologne. Frédéric II 6t, avec sa finesse ordi-
naire, le négoeiateur aupres des deux partis.
L'empereur et le roi eurent alors deux entre-
vues, la premiere au mois d'Aout 1769, ou
Joseph fit une visite au roi de Prusse, a Neisse;
l'autre au mois de septembre 1770, a Neu-
stadt en Moravie, ou FI'édéric visita l'empe-
reur a son tour. Dans la derniere entrevue., la
question du démembrement de la Pologne fut
agitée. Un mois apres, Catherine consentit vrai-
sembJabJement au partage; e' est le prinee Henri
qui lui 6t prendre eette résollltion , en lni re-
présentant 1 que c'était le seul moyen d'em-


« sultes, pour savoir si elle pourrait, sans ble&ser sa con-
~ scÍence et le droit des gens, participer a cette invasion .•


Rome, dans cette affaire, cut moins de scrupules que Ma-
rie-Thérese.


1 Le prince Henri alla, en 177 o, au mois d' octobre, a
SaÍnt - Pétershourg, y arrÍva le 1 2 , et reto urna a Berlín en
1771, au mois de janvier. Frédéric II, OEUfJres posthllmes,
tome V, page 60, faÍt eutendre qu'il y négocia le partage de
la Pologne. Flassan, tome VI, page 84, ainsi que Lije 01 the
empress Catharine II, tome II, page 28, répNent le mot que
Catherine doit avoir dit au prince Henri :


11 J'épouvanterai la Turquie, je flatterai l'Angleterre; que
la Prusse se charge de gagner l' Autriche pour en dormir la
France. lO


Les détails exacts se trouvent dans Dohm Denkwürdigkei-
ten. (Mémoires) , vol. 1, p';g. 483 et suiv. 11 a méme joínt a
ce volume, dans les suppléments, un article tr\'s-étendu sur




342 HlSTOIRE DU X V 11 le SI ECLE.
pecher l'intervention armée entre elle et la
Porte. Ainsi les Turcs furent les victimes du
machiavelisme de Frédérie: ils avaient donné,
en 1771 huit millions de florins pour les ar-
mements de I'Autriche ; ils apprirent bientot
apres, a leur grand étonnement, que eette
puissance allait tourner contre eux-memes ces
armements qu'ils avaient payés. Lorsqu'on
cherche a savoir pourquoi l'Autriehe agissait
de la sorte, pourquoi Frétléric et Joseph , qui
ne s'entendaient du reste nullement, se rappro-
cherent ainsi l'un de l'autre ; lorsqu'on veut
admirer la poli tique du roi de Prusse, dont
les actes n'étaient déterminés, ni par une af-
fection ni par une aversion personnelle, on
n'a qu'a jeter un coup d'reil sur la marche
de la guerre entre la Porte et la Russie.


Les généraux de Catherine gagnent sur le
Pruth une bataille qui eut d'imlnenses résul-
tats. Bender et Chotzyln furent pris, le pays
des Tartares Nogais occupéjusqu'ida Crimée;
Otschakof et tout le Budschack conquis, la
Bessarabie enlevée; et les provinces de M~l­
davié et de Valachie rendirent hommage a la
czarine par des députations.


le premier partage de la Pologne et la part que Frédéric prit él
eette affaire.




LIVRE 111, CHAPITRE 11. 343
Cependant une floUe russe se montre dans


la mer Naire, une autre entre dan s la Médi-
terranée. Les Grecs se soulevent dans les Hes,
en Épire et en Morée. AH, bey de l'Égypte,
leve l'étendard de la révolte et se met sou~
la protection des Russes l. Les descentes des
Grecs en Syrie et sur les cotes de l' Asie mi-
neure furent puissamment favarisé es. Alors
Alexandre Orloff, avec toute la pompe des
anciens .. ois de l' Asie , donna des lois, au nom
de sa souveraine, des cotes de l'ltalie jus-
qu' aux rivages de la mer N oire 2.


Enlin, le 6 juillet 1770, le lendemain d'un
combat naval pres de Scio, ou la victoire était
restée indécise_, la fIotte russe, dirigée par des
amiraux anglais et cornmandée par Spiridoff,
brida et détruisit, dans la baie de Tschesmé,
la fIotte innombrable des Ottomans. En vain
les Turcs, au commencement de l'année sui-
vante, remporterent -ils quelques avantages
dans la Valachie 3 ; en vain firent-ils attaquer


1 Orloff députa Plestchejeff a Ali bey en Égypte. Cet en-
voyé a fait un rapport détaillé de sa mission; on le trouve
dans les rariétés de littératul'e, vol. IX, pago 477'


2 Orloff et ses officiers sont bien dépeints dans the Life o/
the empl'ess Ca/harina J1, vol. 1, pago 49.


3 Les Polonais confédérés eurent alors tellement le dessus ,
qu'ils prononcerent la déchéance de Stanislas, el qu'ils luí




344 HISTOJRE UU XyIUe SlECLE.
les Russes par les Tartares de la Crimée, leurs
succes furent monlentanés, ils perdirent bien-
tot trois nouvelles batailles. Romanzoff prit
ses quartiers d'hiver dans la Moldavie et la
Valachie. Les Tartares de ]a Crimée furent
poursuivis par Dolgoroucky 1 jusque dans len!'
pays fortifié, le kan en fu t chassé et la Criulée
occupée.


Immédiatement apres, les Russes donne-
rent aux Tartares un nouveau souverain. Ce
kan se déclara indépendant de la Turquie;
mais au congres de Fokschiani, tenu le '2 aout
J: 772, par la médiation de I'Autriche et de la
Prusse, Catherine demanda aux Turcs de recon-
tlaitre solennellement que les Tartares étaient
les tributaires de la Russie. Ce congres n'eut
aucun résultat; de nouvelles négociations s'en-"
tarnerent a Bncharest. Les Turcs furent con-
traints de céder. Le démembrement de la Po-
logne était résolu entre la czarine et les nlédia-
tenrs. La France seule aurait pu et du Inettre
obstacle a cet injuste partage; mais les affaires
extérienres de ce royaume étaient alor5 diri-
en nrent intimer le décret dans su résidence. Le 3 septembre
177 J, ils l'aui'aient presque enlevé de Varsovie, si Lukawsky,
Stravensky et Kosinsky fussent restés en aussi bonne intelli-
gence apres cette entreprise , qu'ils l'avaient été avaut.


IOn donna a Dolgoroucky le titre hOllorinque de Crimsky.




LIVRE 111, CHA.ll ITRE JI. 345
gées par le due d'Aiguillon, qui s'oceupait
plutot de lui-meme que de l'État.


Marie-Thérese, la seule qui, parmi les sou-
veraines du temps rnoderne, n'oublia point sa
dignité de fernme sur le trone, qui, eornme
épouse et eomme veuve, honora son sexe et
illustra son regne en soumettant la politique
a la morale et a la religion, eéJa a la ~olonté
de son fils et de Kaunitz qui voulait plaire a
ce dernier. Elle eonsentit au dépouillement
du prinee 'foisin sans l'approuver au fond de
son ame. Avant que la résolution des trois
puissances transpirat, des troupes prussiennes,
russes et autrichiennes entrerent en Pologne,
et l'empereur oeeupa, eomme sa propriété, le
Palatinat Zips, jadis engagé, par les Hongrois,
a la Pologne. Le systeme de l'Enrope, le hon
ou le mauvais droit, l' équité et le sort futur de
la nation polonaise, embarrasserent bien moins
les trois puissances, que la diffieulté de eoncilier
leurs intérets personnels. La Russie et la Prusse
s'entendirent les premieres; la derniere eut
en partage Pomerelle, daqs la Grande-Polo-
gne, situé au - deHt du fleuve N etze, l' éveehé
d'Ermeland, les Palatinats de Marienbourg et
de Culm, les distriets les plus beaux et les
plus peuplés de la Pologne , mais il Iui faIlut re-




346 HISTOIRE DU XVIlI e SlECLE.
noncer a ses prétentions sur Dantzick et Thorn.


La Russie et la Prusse s'étant accordées, le
12 février 1772, sur leur part au butin, les
traités furent signés le 17 et le ] 9 février. La
Prusse s' engagea alors 1 a décider l' Au tri che
a un accommodement; il s' écoula encore quel-
ques mois avant que le pacte définitif, sur-
tout entre l' Autriche et la Russie, fút ratifié,
et on ne termina le traité de partage que le
5 aoút, a Saint-Pétersbourg 2 •


Trois armées, chacune de dix mille horn-
mes, occupaient la Pologne; les généraux de-
luanderent aux États, assemblés a Varsovie,
la cession des provinces envahies, et, le 18
septembre , parut un manifeste bienveillant


I 00 trouve les notions et les détails sur ces traités dans
Manso, Histoire de l'état de Prusse, depuis la paix de Huberts-
bourg, jusqu'au deuxieme traité de París, vol. i , pago 30 et
suivantes.


2 Herzberg, Recueil, tomo 1, pago 385, rapporte l'acte de
partage ; et donne de plus le mémoire qu'il avait fai~ sur le
droit supposé du roi de Prusse, au port de Dantzick, et aux
bouches de la Vistule. Dohm présente parfaitement la nature
du partage en ces mots: La Russie eut la plus grande part ,
mais la moins peuplée et la moins fertile; l' Autriche, la plus
fertile et la plus productive ; la Prusse la plus petite, mais la
plus peuplée et la plus importante. La Pologne perdit cinq mil-
Hons d'habitants: la Russie en eut un million cinq cent milIe;
l' Autriche, deux millions cinq cent mille, et la Prusse, huit cent
soixante mille.


Manso, pago 33 et 37, nous raconte les moyens que Fré-
déric employa pour augmenter sa parto




LIVRE 111, CHAPITRE 11. 347
des tI'ois monarques, qui justifiait leurs in-
tentions et défendait leurs droits sur la Polo-
gne. Stackelberg, ministre russe a Varsovie,
présenta, avec le traité , une proposition con-
cernant les changements dans la constitution
polonaise, nécessités par le partage 1 ; on ne
détacha pas seu lement de force des provinces
entieres de la Pologne, mais on demanda
meme au roi et aux États qu'ils conflrlnassent
le traité des trois, puissances. Cette conduite
exaspéra tous les esprits, et ni l'argent ni les
menées ne purent assembler une diete sui-
vant les formes ordinaires. Le roi se vit alors
obligé d'organiser une confédératión générale
pour pouvoir nommer des commissaires qui
exalninassent les propositions. Cette diete s'as-
sembla le 19 avril 1773; ni les menaces des
trois cabinets, ni la barbarie exercée dans les
provinces limitrophes, ne purent décider ses
membres a donner leur assentiment aux pro-
jets qu'on leur pl'ésentait. Il fut nomnlé, au


1 La Pologne avait perdn la meilleure part de ses revenus,
et cependant les trois puissances demanderent a la nation de
pourvoir a l'entretien du roí qui par le partage avait été dé-
pouillé de toU!! ses domaines et du tiers de ses revenus. Elles
exigerent en outre qu'elle étabUt un fonds assuI'é pour en-
tretenir trente mille soldats.


Par manque d'argellt, presque toutes les troupes, a l'excep-
tÍon de la garde, avaient été réformées.




348 HISTOIRE DD XVIlle SItCLI::.
1110is de mai, un comité qui, n'osant al~toriset·
l'injustice, négocia jusqu'au mois de septem-
breo Les plus forts l'emporterent enfin sur les
opprimés , et le comité signa le décret que per-
sonne n'approuva, mais qui ne s'en exécuta
pas moins. La diete, il est vrai, ne le confirlna
que le 13 avril 1775.


La demande la plus dure était contenue
dans la note présentée, le 13 septembre 1773,
par les ambassadeurs des trois cours. D'apre~
eette note la constitution ancienne devait etre
maintenue, sauf quelques changements qui
rendaient toute amélioration impossible l. On
donna encore plus d'infIllence a la noblesse;
on lui laissa le liberum veto, et on restreignit
considérablement le pouvoir royal. Toute
rEurope retentit des justes plaiutes des Po-
10nais. On reconnut alors que la poli tique et
la morale devaient des ce moment etre sépa-
rées pour toujours l'une .de l'autre. La con-


1 1 0. La Pologne restera a jamais un royaume électif.
2° Aucunétranger ne sera plus élu roi.
3° Le gouvernement Polonais demeurera toujours libre,


indépendant et républicain.
4° La nature du gouvernement Polonais constitue la ha-


Jance entre le roi, le sénat et la noblesse. La derniere, jusqu'a-
lors tout-a-fait exclue de l'administration dans l'intervalle des
dietes, y aura sa parto -Le pouvoir exécutif sera confié a un
conseil permanent, composé du roi , des sénateurs et de la
noblesse.




LlvnE IU, CHAPITRE 11. 349
fiance des peuples européens, en une balance
supposée de l'Europe, fut perdue a jamais, et
la 10i du plus fort rec;ut une sanetion solen-
nelle l.


Dantzick et Thorn éprouverent bien des
vexations de la part de la Prusse; l'Autriehe
semblait vouloir s'arroger de nouveaux droits,
lorsque Catherine, apres avoir étouffe la re-
bellion de PugatschefÍ'l et fait la paix avee les
Turcs a Cuttsehuck, Cainardschi, en Bulgarie,
an mois de Juillet 1774 3, arreta toutes les
prétentions ultérieures. La Pologne jouit alors,
jllsqu'en r 778, d"un calme assez constant.
A eette époque, la Russie et l' Autriche s' enga-


1 La Pologne, comme on sait, était alors dans un état dé-
plorable, et le faíble roi ne gardait que l'ombre du pouvoir.
On apprend d'ailleurs de Wraxall memoirs, qu'en 1777 tout
le monde prévoyait la dissolution de ce malheureux royaume.


;¡ Pugatscheff joua son role en 1773; au commencement
de l'année 1774 tout avait éclaté. Au mois de septembre, il
fut transporté a Moscou, et exécuté en 1775, au mois de jan-
vier.


3 Les malheureux Grecs, qui ne s'étaiellt soulevés que dans
l'espoir d'etre soutenus par la Russie, furent abulldonnés a
leur mauvaise fortune. Cette paix assura aux Russes le passage
des Dardanelles, et le droit de navigation dans la mer noire et
dans toutes les mers de l'empire Ottoman. Ils conserverent
Azow, Taganrock, Kertsch et Kinbnrn, mais rendirent les
autres conquétes. L'indépendance de la Crimée était un article
principal de ce traité. La Porte, en donnant une somme d'ar-
gent peu considérable a la Russie , lui céda le pays littoral de
la mer noire, entre le Bog et le Bori~thene.




350 HISTOIRE DU X VIII' SIECLE.
, gerent dans une nouvelle guerre contre la


Turquie. Frédér'ic Guillaume II voyant avec
inquiétude l' agrandissemen t de ses voisins,
déja si puissants, désirait empecher l'oppres-
sion des Turcs. Pour effectuer ce projet, iJ
fallait exciter les Polonais a refuser avec fer-
meté l'alliance étroite que la Russie leur pro-
posait. La Prusse consentit que la' diete abolit
la constitution passée de force en 177 5, qu~elle
demandat l'éloignement des troupes russes,
et qu' elle proposat meme une réforme de
l'ancienne constitution l.


Frédéric Guillaume ne s'elJ tint pas a ces
dé marches , il se lia étroitement avec les Po-
lonais; la Prusse et la Pologne ayant conclu ,
signé et ratifié un traité offensif et défensif, le
29 mars 1790, Potocky et l'éveque de Cami-
nieck firent le plan de reformer l'ancienne
constitution. Comme on sentait que la Po-
logne, en quali té de royaume électif, serait tou-
jours exposée aux corruptions et aux menaces
des étrangers, on voulait en faire un état hé-
réditaire et assurer la couronne, avec l'assen-
timent des assemblées provinciales, a ]' ex-


1 On reconnait l'iutervention des Prussiens a la note de
M. de Buchholz du 19 llovem bre ' J 778 , et á la répOD:1e des
f:tats ou 8 décembre.




I.IVRE 111, CHAPITRE 11. 351
ception de celle de Volhynie, a la Saxe-, ce
qui du reste était contraire aux pactes con-
venus. Les Polonais favorisaient la réforme de
leur constitution; encouragés par la révolu-
tion frall(;aise, ils s' engageren t, le 3 mai 1791,
en présence du roí et dans son palais, a ef-
fectuer ce changement a la diete pl'ochaine.
Les enthousiastes, a l'instar de ceux qui dé-
truisirent en France, dans une nuit, tous les
droits de la féodalité avant d'en avoir múri
les suites, firent passer en Pologne pour ainsi
dire de force la nouvelle constitution 1, et mal-
gré toutes les réclamations de la minorité de
la nation, elle fut acceptée le jour lneme qu'on
la proposa. Les dix - huit députés de la no-
blesse, ayant refusé de la reconnaitre, protes-
terent des les lendemain.


Les puissances limitrophes, qui détestaient
au-dela de toute expression l'assemblée natio-
nale en France , et qui craignaient d'en voir


1 On lit les articles principaux de cette constitution dans
Manso. Geschichte des preussischen Staats. \ Histoire de l'état
de Prusse), volume 1, pages 313-316. Il faut comparer avec
cela toute la fin du 1 er voh:tme, ou l'histoire est présentée
sous un tout autre point de vue. On trouve d'ailleurs la con-
stitution en entier dans la Gazette de Leyde, et dans tous les
grands journaux du temps. La critique n'est pas ici a sa place,
et me semble inutile puisque toute constitution ne peut étre
jugée que par l'expérience, ou par le philosophe qui ne s'at-
tache qu'aux principes.




352 H 1 S T 01 R:E D II X V 1 II e S J1~ e L J~.
renonveler aillellrs les scenes effrayan tes ..
trOllVerent dans la protestatíon des nobles un
prétexte assez plausible pour s'jmmiscer clans
les affaires de la Pologne. Le roi de Prusse ne
déclara pas seulement a la diete, par son oli-'
nistre, qu'il donnait son assentiment a tout
ce que les Polonais venaient de faire, et sur-
tout a l'élection de la maison de Saxe, il écri-
vit meme le 23 mai 1791 une lettre autographe
au roi Stauislas. Le député Russe Bulgakoff
avait présenté le 18 ·mai une déclaratiou tres-
violente oú il 6t valoir la caution de son im-
pératrice pour l'ancienne cOllstitution 1, et OU
il annonca i' entrée des troupes russes en Po-
logue. Il aurait faUu, dans ces circoustances ,
un homme énergique a la tete des affaires.
Tant qu'il ne s'agissait que de parler ou d'é-
erire, Stanislas était adroit et habile, mais
aussitot qu'il fallait agír, il 1110ntrait son carac-
tere faíble et pusillanime. Les Polonais avaient
compté sur l'assistance de la Prusse; lnais ils
ne furent pas long - temps sans reconnalh'e


1 D:ms eette fatale scÍssion, ii Y avait bien eles Polonais
qui invoquaient l'appui des Russes. 00 publia le 14 mai, a
Saiot-Pétersbourg, une protestation signée par Branicky, Fe-
¡ix Potocky, Rzewusky, et d'autres qui se trouvaient aJors
daos la capitale de la Russie. Une conftdération á Targowie7.
fournit aux Russes une raison plausihle d'occuper la Pologne.




LIVRE lIT, CHAPITRE II. 353
combien ils avaient été trompés, lorsque la
Russie se mit en devoir d'en venir a des voies
violentes.


La Prusse, sur le poin t d~ faire la guerre
a la France, chercha un misérable suhterfuge
pour ne pas fournir aux Polonais les secours
promis, et déclara, le 8 juin 1792, qu'elle
n'assisterait pas la république de Pologne,
paree qu'elle avait fait un traité avec les Polo-
nais de l'ancien régime, et que ce traité n'a-
vait pas été renouvelé depuis la révolution.
Le roi de Prusse montra dan s la meme ré-
ponse sa méfJance contre la nouvelle constitu-
tion, et offrit d'une maniere équivoque sa mé"-
diation entre la Pologne, la Russie et l' Autriche.
Les Polonais rassemblerent enfin une armée,
lllais ils en donI)(~rent le commandement au
prince Joseph Poniatowsky, qui montra dans
eette éampagne toute sa lacheté et toute son
impéritie. Un seul hornme, Th~ddams Kos-
ziusco 1, se distingua par ses exploits; mais il ne
put sauver un pays qui se trahissait lui-melne.


Pendant toute l'apnée 1792, la Pologne
attaquée sur tous les points devint le théatre
du plus affreux carnage et de toutes les hor-
reurs. Le dénouement de cet horrible drame


J Ou plutot Kostschiefsky.
H. J. :.!3




354 HISTOIRE DU xv lile SIECLE.
fut un nouveau partage. Les premiers sei-
gneurs du royaume, Branicky, Rzewusky et
surtont Felix Potocky s'étaient vendus a la
Russie. Alors, avec la meme légereté qu'il avait
signé la réforme, le roi déclara a la diete
que la nouvelle constitution était nulle, et
que l'ancienne était rétablie. Le maréchal de la
diete et quatre mille nobles protesterent
contre ce décret; mais ni la lacheté duo roi ni
la guerre imprudente des amis de la patrie'ne
purent changer la résolution des cabinets
rllsse et autrichien, qui venaient enfin de
s' eritendre avec la Prusse sur la cession de
Dantzick et de Thorn.


Le 6 jaIlvier 1793, la cour de Berlin donna
un manifeste; elle y annon~ait l'entrée des
troupes commandées par Mrellendorf, et don-
nait, pour raison de cette mesure, la propa-
gation des principes démocratiques frant;ais.
Le ~4, les Prussiens étaient a Thorn, Les con-
fédérés de Grodno, assemblés par l'influence
russe, protesterent, le 3 février, contre la vio-
lence de son alIié, ce qui n' empecha pas la Prusse
dedonner, le ~4 du meme mois, un nouveau
manifeste sur l'occupation de Dantzick.


L'Autriche s'était déclarée, le 14 février,
contre"tous ceux qui s'opposeraient aux vues




LIVRE 111, CHAPITRE 11. 355
de la Russie. Elles furent publiées dans un
ukase sur le l10uveau partage des provil1ces
polonaises entre les trois puissances. Cet ukase
devait etre lu le 27 mars dans toutes les églises
de la Pologne. Catherine se déclarait sur sa
part, ainsi que le roi de Prusse l'avait fait
le 25 du meme lDOis. Le 9 avril, le ministre
russe adressa une nouvelle note tres-sévere
aux confédérés de Grodno, ou il exposa les
dangers que les États d'Enrope couraient par
les clubs et les principes de liberté répandus
en Pologne, et ou il démontra la nécessité de
démembrer un État basé sur des fondements
dangereux.


Les confédé-rés s'éleverent, le 28 avril,
contre les principes des trois puissances , avec
la meme force qu'elles s'étaient élevées elles-
11lemes contre les príncipes de la natiol1 po-
lonaise; mais, en attendant, les Russes domi-
naient a Varsoyie, et les confédérés étaient de
toutes parts pressés de reconnaitre le nouveau
partage, cornme ils avaient signé le pI:écédent.
La malheureuse Pologne, inondée de soldats
russes et prussiens, demeurait exposée aux
maux d'une guerre intestine et aux mauvais
traitements des armées étrangeres. La confé-
dération de Grodno, excítée par le rOÍ, espé-


23.




356 HISTOIRE DU XVII!C SlECLE.
rait, vers le mois de juin ou de juillet , obte-
nir qnelque adoucissement, a force de soIlici-
tations aupres de la Russie, mais cette espérance
était illusoire. L'ambassadeur russe demanda
positivement que le partage et le traité d'al-
liance et de commerce avec la Russie, qu'il
présenta, fussent acceptés sans restriction. La
diete refnsa avec fermeté de souscrire a toutes
les demandes qui paraissaient préjudiciables
a la patrie. Alors Catherine fit ponr ainsi dire
formellement une déclaration de guerre et
mena<;a la diete de séquestrer les biens et pos-
sessions de ses membres et de Ieurs familles ,
si les décrets de la Russie n'étaient pas ac-
ceptés sur-Ie-champ. Voyant que les Inenaces
avaient été vaines, et que les débats se pro-
longeaient chaque jour avec plus d'aigreur et
de vivacité, le ministre assiégea 1 la diete,
en toura de grenadiers et de canons le lien ou
le roi et les députés étaient assemblés, et leur
signi6a que personne ne sortirait avant que
les ordres ne fussent exécutés. La diete, obligée


I Cet ultimatum de M. de Sievers est concu en ces termes: Le
so~ssigné se voit obligé de signifier aux Ét~ts de la république
que pOUl' éviter de nouveaux troubles, il a cru oevoir faire
ranger deux bataillons oe grcnadiers avec ({uatre canons a
l'entour du chateau, et donner le commandement au major
général Rautenfeld, chargé de s'entendre avec le maréchal de
Líthuanie pour le maintien de la tranquillité.




LIVR:E UI, CHAPITRE 11. 357
de céder a la force, espéra pouvoir au moins
négoeier avec la Prusse. Mais eette puissanee
eut recours aux memes mesures que le cabi-
net russe avait employées; elle fit arre ter
quatre memb~es de l'assemblée, dont le cou-
rage, la fermeté et le patriotisme échouerent
contre la violenee 1; ils furent transférés
sous une escorte militaire dans leurs pro-
vinces. I .. e ehat'au, ou la diete tenait ses
séances, fut eerné de eanons et de soldats.
Comme les Polonais ne voulaient pas eon-
tinuer leurs délibérations, un général russequi
se promenait, en présence du roi, dans la salle
oules députés étaient assemblés, demandad'un
ton tantot persuasif, tantot mena<;;ant, qu'on
reeonnut le partage prussien, eomme celui de
la Rus~ie. Cinq heures s' écoulerent ainsi. Les
Polonais demeuraient inébranlables et les sol-
dats ne bougeaient pas, lorsque le député de
Craeovie 2 ouvrit un avis que la diete agréa;
il conseilIa de protester contre la maniere dont
on avait extorqué leur assentiment; mais d'é-
eouter avec un silenee luorne la proposition


1 Krasnodemesky de Liva, Szydlusky de Plock, Mikersky
de Wyszogorod et Scharzynsky de Lomza, furent arrétés a la
diete.


20Le comte d' Ankwiez, député de Cracovie, était homme a
faire un trafic de sa conviction, ou de ce qu'il donnait pour tel.




358 HISTOIRE DU XVlIlC SJ:ECLE.
du maréchal et d'approuver ce qu'on ne pou-
vait refuser. Des ce moment, chaque individu,
ainsi que le faible roi, ne songea qu'a ses pro-
pres ¡ntérets, et on ne délibéra guere sur la
constitution et sur ce que la R~ssie proposa.
On souscrivit a tout en masse. Le traité de
commerce avec la Prusse,. onéreux pour la
Pologne, ou plutot pour ce qui restait de ce
misérahle pays, ne fut pas fatifié irnmédiate-
ment; on le laissa a la disposition du nou-
veau conseil permanent.


Ce partage réduisit la Pologne a un tiers
de ce qu'eHe avait été autrefois. L'impératrice
Catherine, pour récompenser le roi de la
conduite qu'il avait tenue dans les derniers
temps, se déclara caution d'un emprunt de
ving - sept millions de florins qui d€vaient
payer ses dettes particulieres 1, et ne répondit
que de dix millions pour la république entiere.


Malheureusement, l'impétuosité polonaise
éclata encore une foís mal-a-propos, a la elo·
ture de la mémorable diete de Grodno. La
derniere séance UU 23 au 24 novembre, pro-
longée jusqu'a neufheures du matin, fut aussi


'1 n faut remarquer qu'apres le démembrement de la Polo-
gne, tousles revenus de l'Étatne mOlltaient qu'il seize millions
de florins, et qu'il ne restait au roí que deu" millions de re-
venus par ano




LIV RE 11 J, CIIAP ITR E 11. 359
orageuse que les premieres, et on fournit tres-
imprudemment aux Russes l'occasion désirée
de recourir de nouveau a des mesures vio-
lentes. On renouvela un ordre militaire institué
dans la guerre contre les puissances étran-
geres , et supprimé par des raisons poli tiques
a la demande de l'impératrice de Russie. Il fut
reconnu de nouveau par un décret, au milieu
du tumulte de l'assemblée, quoique le roí et
le maréchal de la diete Inontrassent-l'urgence
de révoquer ce décret. La diete se sépara. Le
conseil permanent garda l'administration, mais
Catherine émit, le 24 décembre, une décla-
ration tres-forte relativement aux di~positions
qu' on venaít de prendre. Le consei~ perma-
nent, pour conjurer l' oráge, se permít de suppri.
mer l'ordre et envoya une députation a Saint-
Pétersbourg"pourfaire des excuses. Apres toutes
les humiliations que les Polonais venaient
d'endurer et qu'ils méritaient en partie, ils
eurent encore a subir l'affrant de livrer el la
Russie tous les actes poli tiques , passés depuis
1788 jusqu'en 1791, et de consentir a leur
destruction.


La natian parut enfin, malheureusement
trop tard, sentir sa dignité; elle s'adressa a un
homme plus estimé par ses amis el: ses ennemü;




360 I1ISTOIRE DU X V II le Sd~CLE.
que ne l'était le faible et vaniteux roí, adonné
aux femmes et a la déclamation. La noblesse
polonaise prit de tous cotés les armes et se
rassembla autour de Kosziusco, croyant recon-
naltre en lui un chef aussi versé dans la poli-
tique que dan s l'art militaÍre; il avait étudié
les premiers éléments de la tactique en Ii'rance,
avait servi en Amérique sous Washington et
s' était distingué en Pologne.


Les députés de la convention franc;aise,
apres lui avoir faÍt un accueil honorable, lui
avaient promis douze lnillions, dans l'intention
secrete de tenir ainsi le roi de Prusse éloigné
de la France, et de l'occuper dans les troubles
de la Pologne. Kosziusco se voyant , au mois de
février 1794, a la tete des troupes polonaises,
chassa six cents Russes de Cracovie, et adressa,
le 24 mars, une proclamation aux Polonais. Ses
liaisons avec la France l'obligerent de procIa-
Jner la liberté générale de tous les individus; ii
ne gagna personne, et il rebuta la lnajorité de
la n~tion. Le paysan polonais, soit qu'il n'eut
aucune idée de la liberté, soit qu'il fut encore
trop peu civilisé pour s'en servir a propos, ne
gotita pascesprojetsd'indépendance; d'ailleurs
il n'avait pas encore l'habitude de la guerre;
non-seulement eette proclamation inteIDpes~


I




LIVR:E IIJ, CHAPITRE 11. 361
tive déplut a la nablesse riche et belliqueuse,
mais encare elle donna a la czarine le moyen
plausible d'excuser la conduite qu'on 'tint par
la suite envers la Pologne; car le premier de-
voir des États et des individus est de songer
a leur sureté et a leur propre défense.


Depuislong-temps, touta Varsovies'achemi-
nait vers une révaIte. Le général russe Igels-
troem qni vit la fermentation toujours crois-
~ante, crut devoir se mettre, lui et ses soldats,
a l'abri de la fureur du peuple. en faisant
arreter les patriotes qu'il connaissait. eette
arrestation fut le signal d'une sédition générale.
Le 18 avril, tout le peuple deVarsovie 1 tomba
les armes a la main sur les Russes et en tua
plus de deux milIe. Le général lui-meme ne
dut son salut qu'a la ruse: iI s'échappa dans le.;
camp fortifié que les Prussiens avaient pres
de la ville. Des. troubles semblables éclaterent
a Wilna, oú on se contenta de traiter les Russes


1 Igelstroem avait demandé la reddition de l'arsenal, on s'y
était opposé opiniatrement. Kosziusco étant sorti de Cracovie
avec des troupes , le 8 avril, pour se rendre a Varsovie, Igel-
stroem réitéra sa demande; iI maltraita le ehancelier Sulkowsky
qu' on luí députa, et le 17 avril six mille Russes recommeneerent
les hostilités. Les Polonais ne faisaient d'abord que se défen-
dre, et le roi meme dit que ses soldats devaient venger leur
honneur outragé par les Russes. II faut considérer que la Po~
logne était encore a eette époque un État libre dont IgeIstroem.
voulait désarmer les troupes libre/!.




362 1llSTOIRE DU XVllle Sl~:CLE.
en prisonniers de guerreo Les viIles de Chelm
et de Lublin suivirent l'exemple de Varsovie et
de Wilna. Trois régiments polonais, au serviee
'des Russes, passerent a leurs compatriotes.
Toute la Pologne était sous ]es armes, et le
roi Stanislas se voyait pour ainsi dire dan s sa
capitale prisonnier de ses propres sujets.


Frédérie-Guillaume II, se détaehant alors
peu a peu de la ligue contre la Franee, pen-
chait .pour la paix et espérait peut-etre effaeer,
par une expédition eontre les Polonaisrebelles,
l'ignominie dont son armée s'était couverte
dans la eampagne contre les Franc;ais révolu-
tionnaires. Il se mit lui-meme a la tete de ses
troupes. Les Prussiens prirent Craeovie, blo-
querent Varsovie, mais ils y échouerent et
furent obligés de se retirer vers la frontiere de
Silésie I ; les armées russes, commandées par
Suwarow et Fersen, se mirent alors en marche,
Kosziusco, voulant attaquer Suwarow avant
qu'il n'arrivat a Varsovie, se vit arre té , le
19 octobre, par Fersen; les deux généraux
désiraient une bataille, elle fut sanglante
de part et d'autre; les Polonais la perdirent


I ,Les Prussiens pour pallier leur l'etraite de Varsovie, in-
voquerent la sédition éclatée dan s le midi de la Prusse, et les
progres que l'insurrection faisait dans la partie occidentale du
meme royaume.




LIVRE 111; CIIAPITRE 11. 363
-par la faute de Poninsky ; Kosziusco, blessé,
tomba entre les mains des Russes. La con-
corde et le courage disparurent avec lui ;
les Russes s'avanc;erent sur Varsovie, et les gé-
néraux polonais Madalinsky et Dombrowsky
se jeterent dans la ville avec leurs troupes,
tirées du midi de la Prusse.


Suwarow ayant réuni sous ses ordres les
divisions des généraux Fersen , Denison , etc. ,
employa contre les Polonais les memes mayens
dont il s' était servi contre les Turcs. Il prit
d'assaut, le 5 novembre 1794, apres un car-
nage horrible, les fauhourgs de Varsovie 1,
et une capitulation lui ouvrit, le 7 , les portes
de la ville. On dispersa bientot les Polonais ,
qui cherchaient encore a résiste~. La destruc-
tion entiere de la nation se justifia alors maI-
heureusement par le príncipe que les Fran-
c;ais invoqueren t plus tard pour excuser toutes
les révolutioIlS ettous les changements violents,
c'est-a-dire que le salut de toute l'Europe de-
manclait le démembreInent des États isolés
qui déviaient d'un systeme de gouvernemen~


I Les Russes donnerent l'assaut malgré les fortifications de
Prague et les cent canons qui s'y trouvaient; ils avaient ordre
de ne se servir que de la haionnette; ils tuerent ensuite vingt
mille hommes tant armés que s~ns défense. Le pillage fut aussi
horrible que le carnage.




364 HISTOIRE DU XV'lIle SIi<:CLE.
universellement adopté. La Russie et la Prusse
firent le partage de la' Pologne, et l' Autriehe,
qui n'avait envoyé pour eette expédition ni
soldats ni argent, eut sa part de ce royaume
enfin détruit et qui peut-etre ne sortira jamais
de ses ruines.


CHAPITRE 111.


l. Réformes de Joseph Il. - JI. Révolution hollandaise.-
111. Révolution beIge.


l. Joseph II était, plus qu'aueun autre sou-
verain, supérieur a sa nation et a son sickle ;
néanmoins, jamais monarque ne laissa en
mourant ses peuples plus en arriere de la ci-
vilisation des autres peuples eontemporains 1;
mais e'est sans eontredit a ses réformes dans
l'administration et dan s le gouvernement qu'il
faut attribuer les ehangements extérieurs qui


Z Nous avons consulté outre PezzI, Charakteristik Josephs
des lIten (CaractéristiquedeJoseph JI), 1790, Heinrich, vol. 8;
Coxe, Huber, Dohm et autres sources plus connues , les anec-
dotes et traits caractéristiques de la vie de Joseph II, 1 vol.
in-So; la vie de Joseph II empereur d'Alle,magne, roi de Hon-
~grie et de Bohéme, du marquis de Caraccioli, a Paris, chez
Couchet, 1790, in-SO. Les derniers ouvrages méritrnt d'au-
tant plus de foi, que ce sont des éloges qui conduisent l'ob~
servateur impartial a la critiq~.




LIVRE III, CHAllITRE 11. 365
subsisterent meme malgré la marche rétro ..
grade que ses successeurs adopterent.


Nous n'examinerons pas le caractere de
I'Empereur et les principes qui le dirigerent;
mais, en rapportant les faits prinéipaux de son
regne, nous démontrerons qu'il agissait tou ..
jours, Ineme dans les intentions les plus
philantrophiques, arbitrairement et d'apres le
principe militaire monarchique de son temps,
et qu'il contribua beaucoup a affaiblir la con-
fiance des sujets en leurs souverains l.


Joseph n'avait montré, dans sa jeunesse , ni
djspositions ni talents 2; en grandissant, il
prit pour modele le grand Frédéric, sans
avoir été comme lui instruit a l'école du mal-
heur, et sans eti'e con1me lui a la tete d'un
gouvernement militaire qui n'admettait pas
de constitution, et dont l'aristocratie et le
clergé se voyaien t pour ainsi dire sans pou-
voir. Des le principe, Joseph méconnut tel-


I Caraccioli, daos sa préface, page IX, dit : La passion de
changer et d'améliorer le poursuivit au milien des voyages,
au sein des armées, jusqu'au moment de son sommeil. C'est
un prince aont les actions paraissent aussi rapides que les pen-
sées, un monarque qui semble avoir le pressentiment d;une
mort prochaine, et qui se hate de finir un ouvrage, dans la
crainte de le laisser imparfait.


:2 Wraxall J}femoirs, fidele a sa profusion, s'étend heaucoup
sur les premieres années de Joseph II.




366 HISTOIRE DU XVlIle SIECLE.
lernent sa position qu'il con~ut l'espérance de
faire de la dignité irnpériale en Allemagne,
plus qu'un simple titre; car n'osant s'aball-
donner entit~reHlent a son esprit turb\Ilent, iI
n'avait encore rien changé dans l'Autriche.
Co-régent de sa mere, depuis 1765, il ne
jouissait que d'uné influence précaire dans
les États héréditaires. Devenu autocrate, a la
IDort de son pere, on le seconda d'abord dans
les efforts qu'il 6t pour réformer la justice de
I'Empire; mais la viiitation de la chambre im ..
périale ayant duré nenf ans, les désagréments
qu'il y éprouva, les résultats insignifiants qu'il
obtint, et l'impossibilité de passer de la forme
au fait le dégouterent de nouvelles tentatives l.
Des ce moment, il régna plus pour lui que
pour les États quicomposaient sous son em-
pire la confédération germanique.


Les empereurs donnaient autrefois les bé-
néfices; il renouvela cette prétention depnis
long-temps prescrite; il enrichit ses États hé~
réditaires au préjudice de Salzbourg et de
Passau, il disputa Ratisbonne a son éveque et
meme apres la paix de Teschen, il manifeBta


I Le seul résultat qu'eurent les tentatives de Joseph, fut que
la chambre impériale agréa la division du sénat, et que les as-
sesseurs, dont le nombre avait été réduit a dix-sept, fut porté
de nouveau a cinquante.




L 1 V RE 1 II, e H A PI T RE 1 II. 367
de nouveau le désir d'acquérir la Baviere, en
faisant entamer des négocia'tiOI\s sur l' échange
de ce pays contre les Pays-Bas de I'Autriche.
Des-Iors, le lien de I'Empire fut rompu et ron
ne reconnut plus dans Joseph l' empereur d' Al-
lemagne 1; il se forma meme contre lui une
ligue de princes patriotes, qu'il faut regarder
comme une ligue des' membres de la confédé-
ration allemande contre leur chef, quoi qu' en
disent Dohm et lean de Müller. Le Hanovre,
la Prusse, la Saxe s'entendirent, au mois de
Juillet 1785, sur les points essentiels de la réu~
nion des princes contre les pIans de Joseph;
Mayence, Deux-Ponts, Bade et Anhalt, ainsi
que tons les princes séculiers un pen impor-
tants, entrerent dans ceUe aUiance 2. Faut-il
done s'étonner si l'Empereur abandonna en-
suite de son coté la grande cause de la liberté


J Si Joseph, dans cette occasion, agit moins en empereur
d' Allemagne qu'en souverain d' Autriche, il est cependant
juste d'avouer qu'il se montra meilleur allemand que Frédé-
ric II et Marie-Thérese. Frédérie ne parIait que le fran<;ais
avee tous eeux qui l'entouraient et l'approchaient; avant Jo-
seph, l'allemand était entierement banni des grandes soeiétés
de Vienne. Il ne parla et lle souffrit le franc¡ais qu' en cas de
besoin, mais iI ne put l'emporter.


2 Par égard pour la Russie, le Wurtemberg"et Oldembourg
n'aeeéderent point a la ligue des prinees; Hesse-Darmstadt
n'entra pas dans eette allianee, paree qu'il dépendait de l'Em-
pereur d'envoyer une commission de créance dans le pays.




368 HISTOIRE UU XVIlle SLECLE.
ecclésiastique allemande, et s'il ne voulut pas
augmenter a ses dépens la puissance des ar-
cheveques l ?


Joseph, n'ayant pu effectuer comme Empe-
reur une réforme selon ses principes, voulut
l'exécuter ensuite comme souverain des pays
héréditaires; mais il se laissa entrainer par sa
vivacité et son impatience, et ne fut pas
assez circonspect dan S le choix de ses moyens.
Comme simple .co-régent de sa mere, c'est
lui, et non Marie~ Thérese, qui insista ponr le
démembrement injuste de la Pologne 2; il eut
le plus grand soin de s'entourer d'une armée
pour faire respecter sa volon té.


Lorsque le treme de Baviere se trouva va-
cant, Joseph chercha a s'enrichir au préjudice
des héritiers légitimes, et on jugea avec rai-
son qu'il se sentait disposé a renverser l'ordre


1 Le pape avait été censé hlesser les droits des archevéques
en établissant, en 1785, une noncÍature a Munich; les dé-
marches aRome ayant été infruetueuses, on ehereha a éta-
blir une administration eeclésiastique en Allemagne. On pré-
senta a ce sujet, au eongres d'Ems, un projet en vingt et un
articles, pour mettre ordre aux abuso Les arehevéques s'étant
adressés a J oseph , eelui-ei ne parvint que deux ans apres a
renvoyer eette affaire par un déeret a la diete, ou elle fut na-
turellement oubFée.


2 On voit, par les mémoires de l'abhé Georgel, tome 1,
pages 248-49, que Marie-Thél'ese n'approuva point le démem-
hrement de la Pologne.




LIVRE 111, CHAPITRE 111. 369
des choses d'une maniere violente et arbitraire.
Labranche de Bavii~re, de la famille de Wittels-
bach, s'éteignit le 30 décembre T777 par la
lnort de Maximilien-Joseph. Charles-Théodore
du Palatinat, n'ayant pointd'enfants légitimes 1,
fut gagné par les persuasions desecclésiasti-
ques et par la promesse que l'Autriche lui fit
d'établir ses enfants naturels; il consentit que
la cour de Vienne occupat une partie consi-
dérable de la Baviere sur un titre prétendu et
contre les 10is de la bulle d'or 2. L'ordre de la
Toison servit a récompenser Charles- Théo-
dore; iI aurait fallu avoir le consentement
du· plus proche héritier du duc de Deux-
Ponts" mais Joseph ne s'en inquiéta pas, et


1: Nous renvoyons a Manso, tome 1, page 45 et suiv. , pour
les actes et les détails de cette histoire.


2 Caraccioli, Pie de Joseph ll, page 87, se tire ainsi de
l'affaire: .. La cour de Vienne s'empressa de faire connaitre
ses ti tres de reversion, appartenant a la cour de Boheme. n y
eut a ce sujet un manifeste daté de Ratishonne, dans lequel
011 exposait solidement les droits de la maison d~ Autriche ,
pour revendiquer des fiefs, dont la püssession luí fut assurée
par l' empereur Math~as, en 1614 , et confirmée par ses suc-
cesseurs. Les troupes autrichiennes se répandirent en con sé-
quence dans la Baviere , et la prestation de l'hommage par les
vassaux du pays de Straubiug eut lieu avec tout l'éclat que
requierent ces actes de souveraineté. On vit le commissaire
impérial, la tete couverte , assis sous un dais, recevoir le ser-
ment des Bavarois , qui se présenterent dans la salle préparée
pour cette imposante cérémonie. On se mit pareil1ement en
possession du baillage d'Obernherg, situé sur 1'Inn.


H. I. 24




370 HISTOIRE DU XVIlIC SIECLE.
6t occuper aussitot par des troupes autri-
chiennes les districts réclamés. Le duc de
Deux-Ponts, trop faible pour maintenir ses
droits les armes a la main, fut sur le point
de signer une convention avec l'Empereur,
lorsque la Prusse, se melant de l'affaire, em-
pecha le duc de souscrire au démembrement
de son héritage, luí assura son secours et de-
manda, de concert avec la Saxe, que les trollpes
autrichiennes évacuassent la Baviere. Les re-
présentations demeurerent sans effet; une
armée, commandée par Frédéric et son frere
Henri, entra en campagne 1, ce qui provoqua
la guerre de la sllccession de Baviere. Marie-
Thérese sentit l'injustice des prétentions et
de la guerre; Frédéric crut imprudent et con-
traire a son but de risquer un coup décisif;
Joseph reconnl~t bientot qu'il n'était pas né
guerrier; ses généraux eurent les mains liées
par Marie-Thérese, et, des l'année suivante,
l'Empereur sentit qu'il avaít sacrifié sans nuBe
raison la confiance des princes allemands en
leur chef, et il permit que des négociations
fussent entamées a Teschen.


I LesPrussiens entrerent eomme amis et défenseurs en Saxe
el en Lusace , et eomme ennemis en Boh~me, l'an t 77 8, an
mois de juillet.




LIVRF. 111, CHAPITRE IlI. 371
La Franee y défendit l'intérth de I'Empe-


reur, mais Repnin, plénipotentiaire russe;
chercha a restreindre les prétentions de l' Au-
tri che , en faveur de la Prusse, ou plutot de
l'héritier présomptif de la Baviere, de sorte
que les aequisitions de Joseph furent réduites
de deux cent trente - quatre mBles carrés a
trente-hui tI. Cependant a la mort de Marie-
Thérese, qui arriva le 29 novembre 1780,
Joseph publia plusieurs ordonnances et lit di-
vers ehangements dans l'administration 2. 11
oublia que les institutions hurnaines sont as-


I Le baron de Thugut avait été employé comme négociateur,
et la paix de Teschen ne fut conclue que le 15 mars 1779.


2 Pour prouver ~ombien J oseph. 11 aimait les réformes.
nous citerons les vingt - un articles que Pezzl rapporte dans
son esquisse : •


l° Suppression des processions, pélerinages et mascara des
religieuses;


2 ° Amendement des livres de priere;
30 SoumissÍon des moines sous l'éveque de diocese, et sup-


pression de leurs rapports avec le général de l'orclre aRome.
4° Renvoi de toutes les causes matrimoniales a l'évéque dio-


césain, et défellse de s'adresser pour ces affaÍres aRome.
5 ° Abolition des moÍs romains et des indults.
6° Protection accordée aux opprimés contre le cardinal Mi-


gazzi , el interdiction des bulles: ln cama domini el unigenitus ;
7° Édit de tolérance pour tous les États de l' Autriche ;
8° Abolition de plusieurs couvents;
9° Concession des droits de bourgt'oisie aux juifs, en les


obligeant au service militaire;
10° Abolition de la servitude dans toute la monarchie;
1 l° Obligation des moines qui u'étaient pas réformés de


remplir les fonctions sacerdotales;




37 2 HISTO [RE nu XVIIle SI~~CLE.
sujéties a la marche du temps, et que le grand
talent du législateur consiste a savoir, d~année
en ant1ée, de siecle en siecle ~ améliorer in-
sensiblement les anciennes lois par des dé-
crets nouveaux. L'ingratitude de ses contem-
porains lui empecha d'effectuer ses IneiIleurs
projets, et ce neJut point sa génération , mais
la génération suivante plus éclairée, qui pleura
sur son tombeau et qui bénit sa mémoire.


Les violentes mutations dans l'administra-
tion intérieure étaient incompatibles avec-Ie
gouvernement qu'il voulait maintenir, et tout-
a-fait opposées au principe monarchique qui


12° Abolition du serment que les éveques d' Allemagne pre-
taient au pape;


13° Abolition du serment qu'on faisait pour attester la
croyance a la conception spirituelle de la sainte Vierge ;


14° Défense d'envoyer de l'argent aRome pour des cas ré-
servés;


15° Concession aux protestants d' élever des églises a leul'
culte publi.c;


16° Interdiction de toutes les fian<.:ailles contractées pOUI'
des enfants;


17° Abolition de toutes les scenes théatrales et ridicules
dan s l'église ou pres de son enceinte;


18° Augmentation et réforme des écoles de ville et de vil-
lage;


1 9 ° Ordonnance d' employer les biens des églises et des
couvents supprimés a l'entretien des pauvres et des malades;


20° Défense de danser dans les églises; réglement des chants
d'église;


21° Réforme de la procédure ; punition et cassation des ma-
gistrats mauvais et ineptes.




L 1 V R]: 111, e 1I A PI T R E JI 1. 373
le guidait 1 , de rnelne que ses entreprises con-
tre des États étrangers n'étaient nullement en
harmonie avec le repos de l'Europe et le sys-
teme des traités.


Passons sous silence la guerre contre les
Turcs aussi injuste que funeste; nous parle-
rons seulement des différents avec la HoHande.


Marie-Thérese, a l'instigation de son fils,
venai t de décIarer, en 1776, que le. traité de
démarcation de ] 775, et tout ce qui y était
relatif, n'était pas obligatoire, paree que les
Hollandais n'avaient pas eu les garnisons
completes, ni travaillé autant qu'il le fallait
aux fortifications. L'impératrice cependant
n' entreprit jamais rien contre la Hollande;
son successeur, comptant sur l'amitié de la
France, ne balan<;a pas a lui faire sentir sa
supériorité .. Apres avoir été en personne 'dans
les Pays-Bas, au ruois de juillet 1781, il de-


J Caraccioli, Pie de Joseph II, page 190: " Mais ce qui ne
peut échapper a l'esprit du lecteur, c'est de voir presque tous
les plans de l'assemblée nationale, qui se tient actuellement
(1790) a París, ébauchés par l'Empereur. Abolítion de la
servitude, du droit d'ainesse, des dimes, des chasses impé-
riales, curés salariés, j uifs et protestan ts déclarés citoyens, to-
lérance civile accordée, nombre des paroisses diminué, tout
sujet capable de parvenir aux premiers emplois. pIaces don-
nées au concours, projet de mettre toutes les provínces en dé-
partements; telles sont les réformes. - Ríen de plus ressem-
blant! »




374 HISTOIR};~ BU XVIIJe SlJ.:CLK
manda positi vement, au mois de novembre,
que les Hollandais retirassent leurs garnisons
de ses plaees. Obligés de eéder, puisque au-
cune puissanee ne prit leur parti, ils éva- .
cuerent les forteresses, au mois de mars 1782.
L'Elupereur n' en demeura pas la; dans toutes
les querelles qu'il leur ehereha, il en vint
toujours a des voies hostiles. La Hollande se
soumit a sa volonté, jusqu'au moment oú
Joseph attaqua son cornmerce, et qu'il" de-
manda, au ruois d'aoi\t 1784, que ses sujets
ne fussent plus restreints dans leur droit na-
turel par des traités, et qu'ils eussent la li-
hertéde sortir avec leurs vaisseaux du port
de I'Escaut. Les Hollandais s' opposerent en ""
mena<;ant de faire feu sur les vaisseaux qui
sortiraient du port. Kaunitz eonseillait la eir-
conspection. La Fra¡nce quoique tres-étroite-
ruent liée avec I'Autriehe s'éveilla; toutes les
puissanees d'Europe s'éleverent I. Les Hollan- /'
dais nrent enfin feu sur deux galio tes , sor-
tant du port de l'Escaut, au ruois d' oetobre.


I Les puissances d'Europe s'éleverent avec raison contre les
prétentioDs de J oseph 11; car les négociations sur l' échange de
la Baviere contre les Payi-Bas, commencerent alors avec l'ap-
probation et l'assistance de la Russie, et furent conduites avec
tant de vivacité, que Charles-Théodore se vit obligé de puhlier,
le 13 février 1785 , un manifeste pour rassurer ses sujets.




LIVRE IlI, CHAPITRE IIl. 375
Tout le peuple des Pays - Bas se prépa-


rait a la guerre, tandis que l'Empereur faisait
lnarcher ses armées eontre eux. Les traités
étant rompus ouvertelnent, Joseph aurait dú
exécuter ses projets a.vec énergie, pour faire
mettre le sysÍ(~me de la force a la place du
systeme de droit établi; il ne s'attendait a au-
cune résistance et cepenuant toute la nation
hollandaise s'armait. La Franee faisait des mou-
vements a la frontiere des Pays-Bas d'Autriche,
oú il n'y avait que peu de troupes, et JQseph
se vit forcé de nouveau d'eiltrer dans les pro-
positions du ministere franc;ais. L' Autriehe, re-
llonc;ant alors a ses prétentions, 6t une de-
maud(! d'arge,~.t, sur laquelle on négo.<;ia, du
moisde février jusqu'au moi~de juin 1785,
..I'une maniere tout-a-fail mercantile l. On
Jonna a I'Empereul' neuf millions de flol'ins,
quan(l la marche seule de ses troupes hu en
avait couté dnq 2.


I Joseph ayant d'abord demandé quinze millions, se con-
tentait alors de neuf. Les Hollandais n' en voulurent donner que
einq; la Frau~ y aj()l1ta eulla quatre miUions et demi, paree
que le moiadremouvelaent hpstile lui aurait eouté day~ntage.
C',est a -cette occasionqu'on dit que la reineenvoyait a son
frere des sommes considérables du trés.or fran~ais.


:z Geo.rgel,tom. 1, page 557, donne des no,tices tres intéres-
sao,tes .sur cette histoire et l'iofluence de la reiI).e; roais, comme
partis&n de Roh~n et eJ;Ulemide la reine, iI nemérite pas trop




376 HISTOIR.E DU X V lile SIE:CLE
lI. Les aristocrates républicains dans les


Pays-Bas-Unisavaient de tout temps ménagé
l'amitié de la France l. Le parti du stathouder
ayant presque toujours les classes inférieures
du peuple pour lui, s'était attaché a l'Angle-
terre; e'est pourquoi on lui reprocha d'avoir
livré aux Anglais le commerce et la marine des
Pays-Bas, quoiqu'on doive attdbuer encore
a d'autres raisons la diminution des richesses
de la Hollande et l'abaissement de sa puissance
maritime.


Guillaume IV étant nommé stathouder par
l'influence des Anglais, 'les Pays-Bas sem-
blaient entierement venclus a la Grande-Breta-
gne;' et on reproche au duc Louis-Ernest de
Brunswick, tuteur de Guillaume V, d'avoir
dirigé le gouvernement d'une maniere beau-
eoup plus favorable a I'Angleterre qu'aux Pays-
Bas.On l'accuse aussi d'avoir voulu étendre sa
puissance, tout-a-fai t insupportable au parti aris-
tocratique, all-dela du temps légal, et d'avoir


de foi, lorsqu'il dit: " L'empereur demanda trente millions.
Les Hollandais s'obstiDerent a De vouloir en donner que dix-
huit. M. de Vergennes, sur les instances de la reine, décida
le roi a payer les douze autres. "


1 Outre Dohm, Ségur. dans sa rie de Frédéric-Guillaume JI,
donne une tres-bonne histoire des troubles de la HolIande.
On trouve l'essentiel dans Manso, vol. 1, pages 151-16 l.




LIVRE IIJ, CHAPITRE lIf. 377
eherehé a miner la liberté hollandaise, en fai-
santsigneraGuillaume V l'acte deeonsultation.


Ces aeeusations, quoique exagérées 1, ne
sont pas dénuées de fondement, eomme quel-
ques faits évidents le prouvent. Louis-Ernest
s' était arrogé le droit ~e disposer des plaees.
Dans la guerre d'Amérique, iI avait voulu don-
nerauxAngIais les gardes éeossaises dustathou-
der, et les envoyer contre le Nouveau-Monde,
faisant agir ainsi l'armée d'un État libre contre
la liberté et l'indépendance. Il avait refusé la
co~erve aux héhiments ehargés de munitions
de guerre pour l' Amérique; et pe~dan t la
guerre contre les Anglais, les instruetions qu'il
donna aux officiers furent contraires au bien de
I'État. On lui imputa particulierement la faute
de ne pas avoir profité de la guerre d' Amé-
rique, et d'avoir trop tard fait accéder la Hol ...
lande a la ligue des puissances nelltres. Ces
dernieres se proposaient d'aholir le despotisme
de la mer qu'avaient usurpé les Anglais, ou
plutot d'empecher les violen ces qu'ils exer-
<;aient sur les vaisseaux qui naviguaient sous


I LouÍs-Ernest de Brunswick, avant feld-maréchal au service
d' A.utriche , fut le tuteur de GuiUau-me V, éle-puls 1. 748 lUs-
qu'en 1765. Illui nt signer, la derniere année, l'acte de con-
sultation. En 1784, les États l'obligereut de résigner, et on lui
imputa la faute de tous les maux.




378 HISTOIRE DU XVIlle ~IECL}=.
la sauvegarde de la neutralité. Vergen n es, pen-
dant la guerre de l'Atnérique septentrionale,
avait proposé que toutes les puissanees, ex-
eepté la Franee et l'Espagne, alors en guerre
avee I'Angleterre, fissent publier et maintenir
par les armes les réglelnents d'apres lesquels
les vaisseaux neutres devaient etre traités.
Catherine 11 gouta ee plan 1 , et il parllt une
déelaration de la Russie sur les réglements de
la marine neutre. Le Danemarek, la Suede,
ensuite la Prllsse, l'Autriehe, le Portugal les
reconnurent 2, et les premiers États ~e pré-


1 On constitua, comme hase, que la mer devait étre libre
aux commercallts neutres. Les états neutres doive,nt avoir la
faculté de faire leur commerce comme s'il n'y avait pas de
guerre; des vaisseaux neutres peuvellt porter des marchan-
dises d'un p.artí helligérant a l'autre, méme par cahotage,
sauf celles que des traités antérieurs auraient déclarées con-
trehande.


2 Les principes que les puissances neutres établirent, étaient:
10 La cargaison des vaisseaux neutres doit rester intacte ,


quand méme eHe appartiendrait aux puissances helligérantes,
a l'exception des m.archandises prohibées;


2 o Des vaisseaux neutres doivent a\:oir la liberté d'aller en
sureté d'un port A l'autre , de passer méme aux cotes des peu-
pIes en -guerre ;


30 L'impératrice de Russie, auteur du manifeste, déclare
qu'elle comprend sous le nom de U1archancilises prohihées,
ceHes qui se trouvent spécifiées dans le dixieme et ollzieme
ar.ticIes de -son traitéde co.mmerce avec l'Angletene. et veut
que les autres puissances reconnaissent cette ohligation ;


4° Un port hloqué est celu.i que .les vaisseaux d'une puis-
sanee assaiBante tiennent tellement enfermé, qu'ils en empe-
chent l' entrée ;




LIVRE 111, CIIAPITRE 111. 379
parerent a les défendre les armes a la maine
Si les Hollandais s'étaient joints a cette ligue,
la marine et le commerce anglais auraient
éprouvé un terrible échec. Les partisans des An-
glais en HoHande, ayant empeché pendant long-
tenlps que la république n'accédttt a la ligue,
la Grande-Bretagne trouva, dans le traité par-
ticulier que la ville d'Amsterdanl avait vouln
concIure ave e I'Amérique septentrionale , une
raison plausible pour déclarer, .le 20 décem-
bre 1780, la guerre a la Hollande. Les Pays-
-Has ne purent done se réunir a la neutralité
arnlée, vu que leur décIaration ne fut donnée
que le 24 décembre él la cour de Saint-Péters-
bourg, et qu'ilne fut question que des États
qui n'étaient pas encoreen guerreo


On imputa lamalheureuse issue de cette
guerre contre I'Angleterre auparti du stathou-
der et surtout au duc de Brunswjck. Le duc
fut úbligé de quitter le pays; car la majorité
dans les États:- généraux se· pronon<;a contre
Guillaume. Ses partisans ameuterent la popu-
lace contre les républicains, et il s'éleva une


50 Ces priviléges dQivent ~tre les seuls d'apres lesqllels on
constitueune honne prise.


On trouv.e les actes dans les collections connues ainsi que
,dans Tlle lije 01 Ca/harina JI, vol. IV, pages 520-543, sous les.
numéros XIV, XV, XV!" XVII.




380 HISTOIR.E DlJ XVIlle Sd':CLJ:..
discussion a la Raye, qui se reproduisit par-
tout dans les provinces séparées. Le paint
qu' on discutait fut de savoir si les États avaient
le droit d'exercer eUx-n1emes la haute ju-
ridiction, ou s'ils étaient obIigés de la faire
exécuter par le stathouder. Les richesses
comme la magistrature étant partout dan s les
mains du parti aristocratique, les États s'ar-
rogerent bientot ce droit par force r.Les mi-
nistres anglai.s auraient bien voulu porter se-
cours a Guillaume, mais ils avaient les mains
liées, et Herzberg conseillait au grand Fré-
déric de se llleler de l'affaire. « Vous pouvez ,
lui disait-il, employer au moins les menaces,
puisque le stathouder est marié a la sceur de
l'héritierprésomptif de la couronne de Prusse.»
Dans ces conseils, qui furent inutiles, Herz-
berg suivait toujours la meme opinion, lnais
iI vouIait faire exécuter par la balonnette le
projet dont auparavant il espérait obtenir le


1 Les États-Généraux, voyant qu' on se servait du peuple
contre eux, et qu'on ne voulait pas employer les soldats a
leur défense, donnerent des ordres direets a l'armée sans re-
quérir le stathouder, et firent faire de nouveaux drapeaux.
Comme ils se croyaient souve~ains, ils demanderent que la
porte du palais administratif, seulement ouverte au stathou-
der, le fút aussi pour les membres séparés des États- Généraux.
n est évident que l'on confondit ici toute l'assemblée avec les
membres séparés, ce qui causa la premihe sédition de la po-
pulace, le 17 mars 1784.




L 1 V R F II T, e H A P J T n t: 1 Il. :) 8 J
résultat par de longues négo~iations. Frédéric
mourut le 17 aout 1786, et iI eut pour suc-
cesseur le frere de la régente ; elle se mela des
affaires d'État, et le nouveau roi envoya le
eomte de Grerz a la Haye, qui excita d'autant
plus le mécontentement que son langage de-
vint plus in1périeux, et que l'ambassadeur
anglais Harris se lia plus étroitement ave e lui.
La discussion s'échauffa bientot au point d'ar-
lner les deux par~is l'un contre l'autre. Les
républicains firent exercer la milice et en-
rolerent des soldats. Guillaume voulait occu-
per Utrecht de force, pour étouffer ses dé-
marches antí-constitutionnelles. La populace
lneIlac;ait d'assassiner les membres des États-
Généraux, et les villes d'Amsterdam et de
Rotterdam, entierement républicaines, se dis-
posaient a cnvoyer des troupes a la Haye,
pour défendre la diete. Le stathouder hérédi-
taire ayant quítté avec son épouse le terri-
toire de la répubJique, les États-Généraux le
déposerent de sa dignité. La Prusse et surtout
le duc dlt; Brunswick, tout-puissant au conseil,
a la tete de l'armée prussif'nne, chercherent
alors un prétexteplausiblepour s'imnliscer avec
quelque droit dans ce différent. Il se préscnta
bientot. L'épouse du stathouder s'étant aviséc




382 HISTOIRE DU XVIJIe SI"ECLE.
tont d'un coup de se charger du role de mé-
diatrice et de retourner de son chateau de Loo
a la Haye', les États hollandais prirent ce re-
tour pour uü signe donné a la populace de
massacrer les aristocrates, et ordonnerent
d'arreter l-.princesse él la frontiere de Hollande,
et de l'empecher de continuer son voyage. Cet
ordre fut exécuté, dans la nuit du 28 au 29
juillet 1786, avec grossiereté par la milice et
les commis des États, qui savaient aussi peu
les regles militaires que ce Hes de l'étiquette et
de la galanterie. La simplicité un peu brusque
des Belges se montra ici dan s tout son jou!',
quoique les chefs, chargés de cet ordre, aient
mis ensuite plus de délicatesse dans l' éxécution.


Les Prussiens ne se récrierent pas móins
contre l'offense faite a leur roi, dans la per-
sonne de sa sreur. La Prusse et le duc de
Brunswick, qui espérait venger en meme
temps l'outrage fait a son oncle, ne pouvaient
rencontrer une' occasion plus favorable. Jo-
seph, en guerre avee ses propres sujets, et
Catherine ne purent point employer leurs
troupes dans l'Oecident, paree que l'Orient
ne les occupait que tropo Le plan projeté a
Mohilef et a Saint,-Pétersbourg 1 , et tout-a-


1 La Russie et la Prusse furent ~troitemellt liées jusqll'en




LIVRE IlI, CJIAPITRE Uf. 383
fait développé dans une nquvelle entl'evue
entre les deux monarques a Cherson, en 1787,
devait etre exécuté par la jonction de leurs
armées. Les républicains mal commandés
et peu discipliné s furent de . tóutes parts
assaillis par la populace des villes et les trou-
pes régulieres. La France aurait du a.1ors sou-
tenir les Pays-Bas, mais soit qu'elle entrevit
déjil les maux précurseurs de la révolution,
soit qu'elle ne s'attendit pas a voir les affaires
des Pays-Bas sitot terminées, il est certain
qu'elle mit la plus grande lenteur a rassembler
une armée au camp de Givet. Ainsi qu'autre-
fois les Russes entrerent en Pologn~, de menlC
les Prussiens entrerent au nOlnbre de vingt
t 780; la premiere puissance aceornrnoda ses différents avec
la Porte, coneernant la Crimée et les Tartares Nogais. En 1780,
Potemkin gagna l'impératriee pour le plan romanesque de
chasser les Tures de Constantinople et de partager les États de
l'empire ottoman. Joseph gotita beaucoup ce plan. La Russie
voulait commeneer par occuper la Crimée. Panin avait su
maintenir jusqu'alors l'alliance avec la Prusse; on disait qu'il
était tomhé malade de chagrin; il est certain qu'il se retira des
affaires. Catherillc ayant promis a J oseph de le seconder dans
l' échange des Pays-Bas contre la Baviere, abandonna les Turcs.
Cela fut déeidé par Catherine et Joseph a Mohilef, au mois
de juin 1780; l'Empereur aUa ensuite a Moscou et a Saint-
Pétershourg. La France détourna alors le coup dirigé contre
les Tures. En 1783 , le général Balmain prit C,!-ffa; Suwarow
soumit les Tartares au Cuban et dans le Budschack, et Po-
temkin eeux au-dela du Cubano On oeeupa tout le pays pendant
la paix; on destitua le Kan; on lui promit une pension , mais
on la paya fort mal.




384 IUSTOIR.E DU XVIIle SI1~CLF:.
mille hOlumes, sur trois colonnes, dans les
l)ays-Bas, mais ils montrerent plus d'humanité.
Le rhingrave de Sal m , chargé de défendre
Utrecht, disparut d'une maniere presque co-
mique pendant plusieurs mois. La saison ne
favorisa point les sublnersions, et avant la fin
de l'année 1787, les Pays-Bas furent obligés
de se soumettre au stathoudérat. Quoique les
soldats prussiens ne se portassent pas a des
exces condamnables, et que GuillaUlue n'a-
busat point de sa victoire, tous les patriotes
furent cependant éloignés du gouvernement
et les magistrats nornrnés par les États-Gé-
néraux que le stathouder choisit. On con-
fisqua les biens de plusieurs particuliers.
Comme la révolution comrnen<;ait en France,
les fau:teurs d'un gouvernement tout-a-fait
républicain se réfugierent a Paris; leurs écrits
s'accorderent avec le ton du temps 1, ~t la
France, accoutumée a soutenir le parti con-
traire a la maison d'Orange, l'abandol1na alors
et donna par poli tique 2 des pensions aux


x 1\1irabeau éCl'ivit alors, avec l'approhation du gouverne-
ment fran"ais , son livre intitulé: A ux Bataves, sur le Stathou-
Jirat, qui est entierement rédigé dans l' esprit du coté gauche
lle l'assemblée nationale fran"aise .


.l Il faut lire avec quelque circouspection le l'écit que Cail-
lard, et apres lui Lacretelle, font de ces troubles.




I,IVRE 111, CHAPITHE JIr. 385
républicains, pour qu'ils l'aidassent á renver-
ser son gouvernenlent et sa constitution l.


III. Les Belges avaient de tenlpS immémo-
rial une constitution libre comme les Pays-
Bas du nord. Les États provinciaux et les villes
différaient beaucoup dans leurs droits et
leurs institutions.


Entrés d'abord dans la ligue contre Phi-
lippe II, lorsqu'il voulut supprinler leurs an-
ciennes prérogatives, ils se séparerellt cnsuite
des provinces septentrionales qui suivaient
la réforme, parce que leur religion parut plus
surement protégée par I'Espagne que par leurs
compatriotes protestants, depuis que les suc-
cesseurs de Philippe av~ient abandonné le
plan formé de renverser la constitution.


Apres la guerre de la succession d'Espagne,
les puissances maritimes, en assurant a la luai-
son d' Autriche la possession des Pays-Bas, luí
imposerent expressément l'obligation de lais-
ser á ses habitants leurs priviléges. Comme le
Brabant et Limbourg seuls avaient des actes
écrits, le prince, dans la plupart des provinces,
jur:=t de maintenir les anciellnes coutumes. Ce
serment; qui constatait les droits des sujets et


I Les mouvements éclatés a Liége nous paraissent trop peu
importants pour ~tre mentíonnés icí.


H. I.




386 IIJSTOIHE DU XVIII" SIECLE.
les devoirs du souverain, fut appelé la Joyeuse-
Entrée l. Les articles principaux de ce traité
étaient: Que toutes les places de l'administra-
tion ne devaient etre données qu'a des indi-
genes, qu'un citoyen ne pouvait etre aJ'reté
sans une action juoiciaire. Les États seuls, ex-
cepté dans la Flandre, réglerent les impots,
leur perception, leur distribution, leur em-
ploi. Ces derniers étaient représentés par un
comité entre les assemblées.Le gouvernement
des Pays-Bas cependant n'avait pas le moindre
rapport avec celui des au tres États hérédi-
taires. Le clergé innombrable 2, la nohJesse et
la bourgeoisie privilégiées ahusaient souvent
de leur influence, et. me me les trois tribunaux
(le tribunal de Gueldres, le conseil de :l\la-
lines et le grand conseil de Brabant), aux-
quels les décrets du gonverneUlent devaient
etre sounlis pour avoir une force légale, dé-
cidaient bien des fois sur de simples préven-
tions. J\lais le pellple était habitué a regarder
ces tribunaux comme des institutions libé-


1 On trouve l'acte, tel que Joseph II l'accepta, ainsi que
les ordonnances de l'Empereur, dans Meiners und Spittlers
Gotting. histor. Magazin (Magasin ltistoriql!e de Gottingue, ré-
digé par Meiners et Sl'ittler) , vol. 1, nO ti, page' 724.


2 Les Pays-Bas avaient un archevéque, sept évéques. cent
huit a hhayes, dont quelques-unes passaiellt pour les plus riches
de touk l'Europe.




LIVRE lJ1, Cl1APITIU~ I1I. 387
rales, et a coosidérer la religioo émanée de
l'uoiversité de Louvaio corome la seule véri-
table l. Des siecles s'étaieot écoulés sans qu'on
eut songé a réformer les études des ecclésias-
tiques, OH a diminuer les couvents, les proces-
sions, les confréries. Joseph II toucha le pre-
Inier cet.te corde sensible: il retira a l'université
de Louvain son pri vilége exclusif de rassem-
blerdans son sein d~s docteurs etcles étudiants,
óta aux éveques la surveillance de ,l'instruction
publique et fonda, malgré la résistance opi-
niatre du gouvernement, de l'archeveque de
Malines et du nonce dLl pape, un séminaire
général oú quinze cents jeunes gens devaient
etre rassemblés comme dans une caserne.


Cette mesure causa, au mois de \décembre
1786, une grande rumeur; pour l'apaiser, iI
fallut recourir a la force armée 2. L'Empereur
en fut tellement irrité que, dans un premier
mouvementde c'oIere, il supprima par un seul
décret, en janvier 1787, toute la constitution
provinciale, et qu'illuit a sa place un gouver-


1 L'université de Lonvain avait des revenus immenses; mais
011 en tirait peudeparti, et les príncipes ultramontains, que Jo-
!wl'h' cherchait a extjrper, avaient dans cette universíté une
racine profonde.


1 Joseph rappela ensuite l'archeveqtie de Malines et ren-
yo:va le nonce.




388 lIISTOIR:E DU XVIU C StI;:CLE.
nement général. Un second décret cassa le
lueme jour les tribunaux patrimoniaux et na-
tionaux. Au mois de mars, les Pays-Bas, trai-
tés comme une nouvelle conquete, furent di-
vjsés en cercles a l'instar de l' Autriche. Par
ces dernieres mesures, Joseph venait d'orga-
niser en quelque sorte lui-merne une révolu-
tíon. Au IllOis d'avril, il éclata dans tout le
pays des troubles excités et fomentés par les
États et les membres du gouvernement pré-
cédent. Tout ce qu'il y avait de gens éclairés
dan s le ministere autrichien, meme la sreur
de 1'Empereur, l'archiduchesse Christine 1,
jusqu'alors régente des Pays-Bas, chercherent
a réconciliel' les partis, tandis que Joseph et
Catherine faisaient a Cherson des plans contre
les Turcs. J oseph a son retour désapprouva
tout ce qu'on avait fait sans le consulter; il
rappela le stathouder général, et il aigrit tel-
lement les esprits, que les Belges, depuis le
mois de nlai jusqu'au nlois de septembre, se
préparerent a une guerre civile.


Si les affaires des Turcs avaient pris la tour-


1 L'archiduchesse Christine et son époux , le duc Albert de
Saxe - Teschen , avaient toujours le ministre plénipotentiaire
de Joseph a consulter. Le gouvernement de Bruxelles cepen-
dant fut regardé comme indépelldant, et il y résidait m~me
des ministres étrangers.




1~I\'Rl: 111, CII:\PITRE JI!. 389
Hure que I'Empereur avait espérée, il n'au-
rait pas balaneé un moment a enlployer la
force des armes pour se faire obéir; mais le
mauvais état dan s lequel son armée se trou-
vait sur les frontieres de la Turquie, l' obligea
de eharger le eomte de Murray de ten ter a le
réeoneilier avee les Pays-Bas. Murray eassa les
derniers déerets, rétablit la eonstitution et
reeonnut la Joyeuse-Entrée au mois de sep-
tembre 1787' L'Empereur n'en fut pas moins
méeontent, et le peuple ne s'abandonna pas
moins a ses soupc;ons.


Joseph mit, immédiatement apres, le géné-
ral d'Alton a la tete des troupes, et nomma
Trautmannsdorf gouverneur par intérim a
Bruxelles; mais il ne se pressa pas de terminer
les différents religieux, eonformément aux
désirs du peuple superstitieux, et se brouilla
avee le Tiers-État qui lui refusa des subsides;
pendant tout le eours de l'année 1788, l'af-
faire demeura en suspenso En 1789, de nou-
veaux troubles ayant éclaté a Louvain, d'AI-
ton prit des mesures séveres; Trautmanns-
dorf au contraire montra des dispositions
bienveillantes. L'archiduehesse memeet son
époux retournerent dans le pays, mais la paix
ne fut pas de longue durée.




390 HISTOIRE DU XVllIe SIE:CLl~.
L'odieux sélninaire général fut rouvert au


IIJois demail 789 et Oil se porta a de nOll-
velles violences. Les États s'opposerent aux
décrets de l'Empereur, et dans le InOInent
meme ou les droits des peuples et les devoirs
des souverains étaient séverement cxaminés a
)'assemblée nationale fran~aise, et ou toute
j~Europe espérait que les disciples de J.-J. Rous-
sean et les philantropes ramtmeraient l'état
primitif, l'innocence, Joseph eut l'imprlldence
d'abolir, au moins en partie, la Joyeuse-Entrée
et de dissoudre les États le 18 juin. Les
troupes autrichiennes en assez petit nombre
devaient ensuite empecher le peuple, par la
force, de lever l'étendard de la révolte. Plu-
sieurs des plus considérés et des plus riches
habitants des IJays-Bas, appuyés en secret par
l'épouse de Guillaume V, stathouder général
de Hollande I, nonlmerent a Breda un comité
qui se mit en rapport avec les mécontents du
pays, lnais qui nlalheureusement ne comprit
dans son sein que des hommes, ou san s pa-
triotisme comme van der N oot et van Eupen 2,


1 Elle espérait réunir toos les Pays-Bas soos sa aomination.
L'Angleterre et la Prusse la confirmaient aans eet espoir.


2 Nous employons iei, quoique avee grande eirconspeetion,
l'ouvrage d'un homme qui joua un granel role dans la Bel-
gique, et Cfui, violent et révolutionnaire, donna meme son




L l. V R.E II 1) e Il A PI T R E 11 l. 39 [
ou guidés par un faux patl'iotisme COIlHne l'ar-
cheveque de Malines, l'abbé de Tongerloo et
Krumpipen. Van der N oot sut gagner du cré-
dit; les députés du Tiers-État employercnt un
lfloyen bien immoral pour lui faire avoir
une procuration l. Van del' N oot alla a BerIin
ou iI obtint une audience 2, tandisque le co-
lnité de Breda organisait aux frontieres une
armée a la tete de laquelle van der Mersch
entra du coté de Turnhóut dans le pays.


Quoique les troupes du nouveau général
des provinces de Brabant 3 n'eussent que de


110m a un parti : Abrégé ltistorique, serllant d'introduction allX
considératiolls impartíales sur l'état actuel da Erabant, par
lH. V onck, traduit du flamand, et augmenté de plusieurs
notes. A Lille, chezJaeques, imprimeur-libraire, sur ía Pe tite
Place, 1 vol. in-SO.


1 Vonck, page 14: " Dix-sept des soixnnte-trois doyens de
Louvain out signé eette proeuration de leur propre main,
les lloms des autres y furent écrits par un ou deux des elix-
sert qui, }lour mieux couvrir eette fraude, se servaient d'encre
et de plumes différentes ...


2 V onck ,page 16 : " Van der N oot elltl'eprit done au mois
d'aout le voyage de Berlin , OU iI obtint enfin, par la reeom-
malldation de la prineesse d'Orange, une audienee du mi-
nistre. Celui - ci apen;ut en van dér N oot plus de vengeanee
que de raisonnement, plus d'ambitioll que de connaissanees
poli tiques ; mais pour ne pojnt le rebuter ouvertcment, et
pour pouvoir tirer parti de la révolution, en eas que l'es-
prit d'insurrection eontiuuat ehez les Belges et que eette révo-
lution eut un sueces heureux) il douna a van del' Noot quel-
ques paroles en l'air, et lui eonseilla d'attendre jusqu'au prín-
temps ele l'année suivante. J)


1 Pour pouvoir négocier avec honneur en Hollande et a.




392 HfSTOIR.E DU XVIlle SIF:CLE.
grandes fourches, des massues et des batons
pour armes, elles ne tarderent pas a se ré-
pandre,parce que le peuple s'éleva dans tou-
tes les villes contre les soldats, et que les scenes
de la révolution fran~aise donn~rent alors a
toutes les émeutes populaires un caractere
plus redoutable. Les troupes de I'Empereur
reculaient partout; les Pays-Bas furent entie-
rementévacués, du 27 octobreau 14 décembre
1789.


L'archiduchesse et son époux s'éloignerent
pour la seconde fois. Les mesures d' Alton
contredisaient les déclarations de TrautmanllS-
dorf. D'Alton, en faisant sortir ses troupes,
agissait hostilement. Trautmannsdorf au con-
tI:'aire 6t publier, au llom de l'Empereur,
une déclaration en vingt-un articles, par la-
quelle il promit une amnistie, remit en vigueur
la Joyeuse-Entrée, et voulut rétablir l'ancien
ordre des choses. Limhourg, qui était demeuré
tranquille pendant quelque temps, finÍt par se
joindre aux autres provinces; Luxembourg
seul fut défendu par le général Bender, tout
le reste forma une république, gouvernée par


Berlin, les confédérés de Breda avaient publié un mallifeste,
le 24 octobre 1789, par lequel les provinces de Brabant se
.léclarerent indépendantes.




LIVR}~ lB, CHAPITRf: TU. 393
un congres, et appelée depuis le J 1 janvier
1790 la République-Unie. Joseph mourut au
mois de février, avant d'avoir faít les prépa-
ratifs d'une expédition militaire contre les
Belges.


La discorde, qui régnait dans cette répu-
blique a peine constituée, ou un parti inju-
riait, accusait et poursuivait l'autre, dans
des écrits et des sermons, facilita a Léopold 11,
frere et 8uccesseur de Joseph, les moyens de
reconquérir la Belgique. Trois partis luttaient
dans l'intérieur. I}un, ennemi des troubles et
du désordre, aspirait d'autant plus a etre réin-
corporé a }' Autriche, que Léopold réhabili-
tait la Belgique dans ses anciennes préroga-
tives l. L'autre, fauteur de l'anarchie, était
heureux du role que chaque individu y jouait.
Un troisieme parti, a la tete duquel se trou-
vaient Vonck.et van der Mersch, voulait une,
réformation entiere et une alliance étroite
avec les Fran~ais. Comme tous les États mo-
narchiques de l'Europe redoutaient cette li-
gue, la Prusse et les, autres puissances firent


1 La plupart des graudes familles des Pays-Bas étaient étroi-
tement liées avec l'aristocratie de l' Autriche. Les ducs d' Arem-
berg et d'Ursel, le comte de La Mark, voulaient une révo-
lution enticre, mais non l'anarchie des États dirigés par van
der Noot et van Eupen.




394 HISTOIRE Dlf XVIIIC Sll~CLL
des démarches au pres du parti insensé q ui ré-
gnait, et le bert,{ant d'jllusoires promesses,
elles le détournerent de toutes les mesures effi-
caces, etempecherent ainsi que la constitution
ne fut changée selon le gré des réformateurs
fran~ais. Cela recula l'alliance avec la France
révolutionllaire, jusqu'a ce que Léopold eut
pu renforcer ses troupes et se préparer a la
guerreo Il ne négoci~ pas mojns pendant les
ruoís de mai et de juin, quoique inutilement,
ave e les Belges. Les délibérations des cabinets
SUI' les troubles de France, comm€ncerent a
eette époque. L' Autriche et la Prusse termine-
rent 1 a l'alniable leurs différents concernant la
guerre contre les Turcs, et déciderent qu'il fal-
lait mettre des entraves a toutes nouvelles me-
nées révolutionnaires des Belges.


Autant les troubles de la France semblaient
demander la pacification de la Belgique, au-
tant les trois puissances qui s'étaient liées avec
les Belges, cherchaient a éloigner le soupc;on
de les avoir trahis. Elles leur proposerent l'in-
tervention de l' Angleterre, de la Prusse et de
la Hollande; elles convoquerent un con gres a
]a Haye, ou les Belges pouvaient espérer d'a-
bord d'etre admis comme InClnbres princi-


1 A Reichenbach.




LIVIU: 111, CHAPITUE 111. 395
paux l. lIs en furent exclus par leur faute, et
on négocia ensulte sur lenr sort pour ainsi
dire sans les consulter 2 • lIs avaient refusé par
une brava de insensée les dernieres ressour-
ces d'un accommodement amical qu' on leur
offrait et ils le reculerent meme, au moment
OIl Léopold 6t avancer son armée de Bo-
heme sur la l\leuse. Tandis qu'on discutait a
]a Hay e les conditions qui devaient réconci-
líer les Belges et I'Empereur, les troupes de


1 Vonck, page 79 : « Il (Léopold) arreta avec les trois
}luissances , l' Angleterre, la Prusse el la Hollande, un cOllgres
a la Haye, ou les plénipotelltiaires de ces trois derllieres ter-
minerent conjoillternent avec le cornte de Merci-Argenteau ,
plénipotentiaire de l'Empereur, les affaires des Belges. JI sern-
blait d'abord que les députés de la nation beIge y auraient
été adrnis avec pouvoir de traiter eomme l'exigeait naturelle-
ment le droit des gens. J)


:>. Vonck, ídem. u A eette fin, les plénipotentíaíres des trois
puissances conseilIerent aux États , par une note verbale du 17
septembre 1790, de consentir entre - temps a une suspension
d'armes avec l'Empereur; mais hélas! le refus incollsidéré de
cette proposition, et les raisons puériles qu' en donnerent a la
Haye les députés du congres beIge, a l'instigation des deux
instruments des :f:tats de Brabant, van Eupen et van der
Noot; la persévérance opiniatre et la conduite imprudente et
indécente furent cause que l'Empereur, indigné avec raison
de ce procédé. . . . . . . " publia la déclaration du 14 oc-
tobre suivant, et qu'ainsi son ministre, le comte de Merci-
Argenteau, et les plénipotentiaires des trois puissances, dis-
poserent du sort des braves Belges, eomme ils le jugerent
convenir au bon plaisir et a l'intéret particulier de leurs maltres,
sans que l'on permlt en cela aucune influence a la nation ~
eomme si elle eut été en tutelle.




396 IIISTOIRE DU XVII{ SIECL.E.
Léopold passaient la Meuse, et se rendaient
maitres de tout le pays, presque sans rési-
stance. Aussi, quoique le plénipotentiaire au-
trichien eut, le 10 décembre 1790, signé con-
jointement avec les ministres des puissances
médiatrices une coilvention qui assurait aux
Belges leurs anciennes prérogatives, I'Empe-
reur, dont l'armée occupait toute la Belgique,
ne voulut pas reconnaitre ce traité sans queJ-
ques restrictions. On conserva cependant les


I


principaux articles de la eonvention l.


CHAPITRE IV.


I. Illfluence pécuniaire de l' Angleterre. - 11. Effets de la
révolution d' Amérique en Europe.


I. Nous séparons entierement l'histoire
d'Angleterre de ceHe des autres nations de
l'Europe, paree que ectte He, défendue par sa
position et la forme de son gouvernement , ne
se ressentit point des secousses qui éhranIe-
rent les États du continent. Au commence-
ment de ce siecle régnait partout une monar-


1 La convention se trouve dans Herzberg, t. Jll, p. 223 ,
et dans la collection de Martens, tome 111, page 34~.




LIVRJ~ II 1, CHAP ITH.E 1 v. 397
chic absolue? qui s' était ~levée sur les débris
des anciennes constitutions. Bien des gouver-
nements s'étaient mis au-dessus de l'esprit du
temps et de la voix du peuple. eette opposi-
tion fit éclore des principes démocratiques;
ils durent produire tot ou tard une révolu-
tion? ne pouvallt l' emporter que dans une
lutte ouverte contre les priviléges et le ca-
price. En Angleterre seulement la monarchie
se confondit de plus en plus avec la démo-
cratie, jusqu'a ce que la révolution fran<;aise
fit prévaloir de nouveau le príncipe monar-
chiqueo


N ous ne nous occu perons pas ici de l'his toire
d'Angleterre proprement dite, nous nous bor-
nerons a rappeler comment, long-teinps meme
avant la révolution fran<;aise, s,e pays com-
menc;a a fleurir, a mesure que l'avidité des
plaisirs, l'égoisIne, l'esprit mercantile, l'ar-
gent et le luxe imposerent a l'Enrope des
chaines encore plus fortes que la hiérarchie,
la chevalerie et le despotisme, a qui seuls nous
attrihuons souvent tous nos nlaux.


L'art de gouverner et l'art militaire étaient,
depuis Louis XIV, organisés de maniere a
ravir insensiblement el l'homme sa dignité.
L'argent était le senl lllobile nécessaire; il




3~)8 HISTOllU: BU XVIUc S[~:CLJ~.
servait a entretenir les troupes qui devaient
maintenir l'ordre; il attachait les serviteurs
salariés a leur patrie, il récompensait les tral-
tres et faisait soutenir le faste qui bientot
éclipsa le rang et le vrai mérite. Peu d'États
purer;¡t trouver en des cas pressants tout l'ar-
gent qu'il leur fallait. lis furent tous plus Oll
moins écrasés de dettes, et la Hollande servit
long-temps de banque' a l'Eurape entiere. Les
richesses de ce pays provenaient de sa marine
et de son COlnmerce. L'Angleterre s'en em-
para a la fin du dix - septienlC siecle, et, au
commencement du dix-huitierne, la splendeur
des Pays-Bas avait entierementdisparu. La Hol-
lande perdit des-Iors tont son crédit; ses fIoUes
ne purent plus ~e mesurer avec celles de l'An-
gleterre, et ses arlnées fllr~nt cornmandées
oepuis la guerre de la succession el' Autriche
par un homrne dévoué a la Grande-Rretagne.
Le Portugal était de melne vendn a l'Angle-
terre, et l'Espagne se voyait obligée de payer,
avec l'argent qu~ene tirait de ses c?lonies, les
marchandises qu'elle achetait aux Anglais.
Dans toutes les parties du monde, les colo-
nies principales étaient au pouvojr des insu-
lall'cs; dans la Méditerranée, Gibraltar et Mi-
llorque reconnaissaient leurs lois, tanrlis qu'íls




L 1 V RE T 1I, e HA P 1 T R F. 1 v. 399
faisaien t presque seuls le cornmerce avec le
Levant. Toutes les négociations et tous les
traités donnerent de nouveaux avantages a
l'Angleterre dont l'industrie et l'acti vité aug-
mentaient avec la puissance rnaritime. L'anglo-
manie et le désir de se procurer une douce ai-
sanee, rendirent l'Europe entiere tributaire
d'un pays, Otl les agl'érnents de la vie (com.fOrts)
sont regardés comme les plus grands des
biens. L'industrie semblait avoir passé en An-
gleterre, et toutes les guerres dépendaient de
ses subsides avant merne qu'elle eut consolidé
son regne dans les Indes orientales, et chassé
les Fran~ais et les Espagnols de l'Amérique,
avantqu'elle ne les eÍlt privés des avantages de
leurs propres colonies.


Sous le ministere ele Pitt atné, Lord Chat-
ham 1, pendant la guerre de sept ans, l'Angle-
terre acquit d'abord dans les Indes orientales
sa premiere préponderance; elle I'augmenta
depuis d'année en année, et, ayant humilié la
France et l'Espagne par la paix de Paris, elle
se vitsouveraine de la mel'. La paix de Paris
du Ter novembre 1762, la plus ignorninieuse


r Nous avons remarqué plus haut que Pitt quitta, au moj~
d'octobre 1762, le ministere. La paix de París ne fut concilie
qu'au moís de novemhre ; il Y avaít cepend:mt coopéré.




400 HISTOIR}~ DU xv lIle SI ECLE.
que la France eutjarnais signée, ne rendit pas
seulernent aux Anglais l'ile de Minorque,
qu' on leur avait prise au cornrnencernent de
la guerre, Inais la France perdít avec Acadie
le Canada et tont le fleuve de Laurence, Gre-
nade, les Grenadines, et en Afrique toutes les
colonies le long du Sénégal. L'Espagne fut
obligée de souffrir que les Anglais coupassent
la garanc'e dans la baie de Hondoura, et qu'ils
prissent les Florides. Outre les avantages ac-
cordés par la paix a l' Angleterre , eUe avait
encore en l' occasion dans la guerre de détruire
les floues de ses rivaux, lorsqu'un nlinjstt~re
abusé voulut restreindre de force la liberté des
Américains septentrionaux. La guerre d' Amé-
rique fut conduite avec moins de succes, et la
Grande-Bretagne se vitcontrainte, par la paix
de Versailles, du 19 j anvier 1783, de rendre les
conquetes qu'elle avait faites sur les Fran-
<;ais, les Espagnols et les Hollandais. Elle avait,
cependant affaibli la puissance rnaritime de
France, d'Espagne et des Pays-Bas-Unis, et
déjoué le projet des autres puissances mariti-
mes d'abolir par une neutralité armée le droit
infame qu'elle exer<;ait sur la mero Tous les
États de l'Europe succomberent sous le far-
dean des dettes accumulées par la guerre d' A-




'LIVRE IU, CHAPITRE IV. 401


lnérique. L'Angleterre seule trouva dans sa
dette nationale un nouveau lien de la société,
un refuge des capitalistes et un levier d'indus-
trie et de cornmerce.Des ce moment, la pros-
périté anglaise devint de jour en jour plus flo-
rissante, et les richesses qui ne corronlpirent
que plus tard chez eux la religion, les rnceurs
et les nobles sentiments des seigneurs provin-
ciaux, jusqu'alors l'élite de la nation, donne-
rent aux Anglais le moyen d' éblouir les sots
par un extérieur élégant et riche, et de ga-
gner a leur cause tous les fripons en pouvoir.
L'Europe se vit ainsi sous l'influencé de l' An-
gleterre, et aujourd'hui l'argent et les ban-
quiers asserviss~nt a la honte des générations
actuelles, et les Hes britanniques et tous les
royaumes du continente .


n. Ce n'est pas dans un ·aperc;u général
de l'histoire Européenne, que l' on peut rai-
sonnablement discuter les causes, le~ événe-
ments et les résultats des troubles de l' Amé-
rique. N ous nous bornerons a faire observer
qu'ils ébranlerent les premieres bases. des
constitutions humaines; et qu'alors les princi-
pes d'une liberté idéale, si séduisante dan s la
spéculation, furent appliqués a la liberté civile
qui convient él une société réelle. Le droit


H. l.




402 HIS'fOIRE DU XVIlle SIECLE.


que l'Angleterre s'arrogeait, de charger sa
colonie d'impots, fut en Amérique lapomme
de discorde,· et provoqua les premiers mou-
vements, en 1765 et 1766.


La réponse que franklin donna au parlement
Anglais, lursqu'on le consulta devant la cham-
bre des communes, et le discours énergique
de lord Chatham effectuerent alors la révoca-
tion d'une loi si odieuse, et p·acifierent les
esprits ; mais on nedonna pas une décision
positive sur le véritable point en litige, et il en
résulta bientot de nouvelles dissensions plus
redoutables que les premieres.


Townsend, pour consoJider le principe COn-
testé, mit, en l'fry., un impot léger sur le
thé, le papier, les couleurs et le verre. Mais
les défenseurs attentifs des droits coloniaux
pénétrerent bientot les intentions des minis-
tres. Des-Iors il n'y eut plus de tranquillité en
Amérique, et lord North, qui dirigeait tout le
ministere, ne put espérer, que dans un fol
aveuglement, d'étouffer par des soldats, a<che-
tés aux princes allemands de Hanovre, de
Brunswick, d' Anhalt-Zerbst , de Hesse .. Cassel,
des tl'oubles qu'il prit pour un mécontente-
m.ent momentané.


En 1773, les prellüeres hostilités réelles




LIVRE 11[, CHAPITRE lV_ 403
entre les1nglais et les Américains éclaterent
a Baston, et, en 1774, au mais ~e septembre,
le premier congres de liberté fut ten u a Phi-
ladelphie par cinquante et u~ membres' des
onze provinces; c'est ici qu'on émit la mélnora-
ble déclarationqui fixait les droits de l'homme
par rapport a 1'1hat. Elle convellait peut-etre
a la république naissante d'Amérique, mais
nullement aux États dont les principes sont
fixés par l'histoire. Toute l'Eurape l'accueillit
a vec transport; la France et I'Espagne en per-
mirent la traductian ~ la publication , les com-
mentaires, et la laisserent insérer dan s les jour-
naux et lesouvrages detoute espece, tout cela
dans l'intentioñ de nuirea l' Angleterre.


Le cri de liberté retentit alors dans l'En-
rope en tiere. Les hommes irréfléchis con ..
fondirent la véritable indépendance avec la
licence el la dissolutjon. L'audace et l'enthou-
siasmedes Américains, qui osaientse mesurer
avec les Anglais, redoutables sur lecantinent,
étonna a la fois et électrisa toutes les ames
généreuses.


Au mois de juillet 1776, Jefferson, Adams
et Franklin composerent avec la plus grande
habileté l'acte qui consacrait l'indépendance
~ltlH~ficaine. et le firent préceder d'une intTo-


26.




404 HIS'fOIRE DU xv IlJ e sIl:CLE.
duction1 , qui ressemble a un manifeste contl'e
les gouvernemen ts monarchiqucs. Aussi ces
derniers trouverent-ils partout beaucoup d'an-
tagonistes. e'est alors seulement que se fit
sentir Í'influence des ouvrages de J.-J. Rous-
seau. Les philosophes de ,son école croyaient
toucher au moment ou leurs r~ves chimériques,
allaient se' réaliser. Toutes les ames nobles et
sensibles, en France, comptaient avec impa-
ticnce sur un avenir plus heureux. Franklin
enflamma encore cet enthousiasme a Paris et
dans toute l'Europe. Envoyé, I'an 1777, en
France pour obtenir du roi qu'jI reconnut le
nouvel État des Provinces-Unies comme répu-
blique, tous les Franc;ais éclairés le recher-
cherent; il devint leur orade; cal' il sut réunir
a la finesse de l'hornme du monde l' extérieur
d'un sévere réptiblicain et d'un quaker. A vant
que la cour se déclarat pour l' Amérique, les
plus nobles jeunes gens transportés allerent
en foule dans ce pays si vanté de la liberté
combattre pour conquérir un avenir plus glo-
rieux si ardemment désiré.


1 Cette introduction comprit la déclaration de la liberté et
de l'égalité naturelles, de la démocratie et du droit ou plutot
de l'obligation du peuple, de changer et de réformel' sa con-
stitution et son gouvernement. Tout cela était bien développé,
et selon les príncipes des philosophes franc;ais.




LIVILE 111, CHAPITRE IV. 405
Lafayette était a la tete de ces jeunes en-


thousiastes philantropes ; l'humanité ou la va-
nité, et peut-etre ces deux passiolls réunies,
lui firent sacrifier une grande partie de sa
fortune, et cet aete généreux lui mérita de la
part de la cour autant d'éloges qu'il en re<;ut
plus tard de malédictions. La Franee, ayant re-
eonnu, a la fin de l'année 1777, l'indépen-
dance des États-Unis, eonclut, au mois de
février 1778, un traité de eommerce et d'amitié
avee la nouvelle république, et entreprit une
gnerre qui augmenta de quinze a dix-huit
millions de franes la' masse de ses dettes. Cette
guerre heureusement tel'minée, une foule de
guerriers, tous opposés au gouvernement de'
Ieur patrie, retournerent en Europe. Les mili-
taires fran~ais, la plup*t officiers qui avaient
défendu la cause de I'Amérique, depuis 1778
jusqu' en 1783, propageren t chez eux les ídées
de ce pays, et tous les journaux de l'Europe
se' helterent de les publier. Ríen n' était done
plus simple, en Franee , que de' changer I'an-
cienne forme de l'État, surtout quand le gou-
vernement lui-meme reconnaissait hautement
qu'il ne pouvait la maintenir. Le résultat fa-
eile a prévoir fut obtenu quelques années
apres; et celui qui étudie l'histoire avec atten ..




406 HISTOIRE DU XVIIle SJECLE.
tion ne peut s'étonner que l'édifice de l'ancien
gouvernement fran<;ais se soit écrbulé subite-
ment et pour ainsi dire de lui-merne.


:a ••




,


LIVRE TROISIEME.


PARTIE LITTÉRAIRE.






SECONDE PARTIE.
HISTOIRE LITTÉRAIRE.


NOTICE SUR LA LITTÉRA'rURE CONSIDÉRÉE iOUS SES.
RAPPOR TS AVEC LA POLITIQUE.


l. La France. - 11. L' Allemagne.


l. N ous ne répéterons pas ce que Chénier et
apres lni MM. de Barante et Latretelle ont pré-
senté sons trois points de vue diftérents. D'ail-
leurs les temps sont trop rapprochés de nous,
et le caractere allemand trop sérieux pour oser
juger des besoins littéraires et du COlnmerce so-
cial d'unenation viveetlégere;llousdirons seu-
lernent que la littérature fran<;aise était cultivée
par deux sortes de personnes qui s'éleverent
contre l'ordre établi dans l'État et dans I'É-
glise, paree qu'il fallait tout renverser ou tout
maintenir.


Le- premier parti était forIné des ~neycIo­
pédist~s, des partisa~ de la philosophie




4 1 o H 1 S T O 1 RED U X ,r 1 I 1 e S J I~ e LE.
d'Auteuil, des aluis de d'Holbach, de Galiani,
de Grirnm , etc.


Le second partí se composait des philau-
tropes, divisés en deux classes : la premiel'e
l'enfeflllait les disciples de Rousseau et de Ber-
nardin de Saint-Pierre; elle ne voulait que l'é-
tat de la nature; la seconde comprenait les éco-
nomistes, les matérialistes et tous les ennemis
de la barbarie judiciaire des parlements. Les
~ncyclopédistes suivaient ~e qu'il y a de per-
nicieux dans la 'doctrine de Voltaire ; les phi-
lantropes adoptaient les principes de douce
humanité qu'on rencontre plus souvent dans
ce philosophe.


L' encyclopédie devint alors en quelque fa<;on
classique; les éloges de d'Alembert grossirent
son parti de tous les hommes jaloux de leur
propre gloire, OH du moins les empecherent
de s'élever contre lui. Les écrits polémiques
ponr et contre les jésuites , les ridicules dont
les jansénistes se couvrirent, la banqueroute
du perela Valette, les mémoires mordants et
parfaitement rédigés des le Pelletíer de Saint-
Fargeau, des la Chalotais et autres, ponr rendre
la société entiere solidairelnent responsable
de son banquier, donnerent aux ennelnis du
ehristianisme le Inoyen de rcnverser ce He re-




LIVRE IJI, PARTIE LITTÉRAIRE. 411


ligion et de tourner ses pretres en ridicule.
Buffon, doné d'nn esprit vraiment poétique,


rempli de scienee et d'expérienee, dévoila
avee une éloquenee entrainante et souvent
dithyranlbique, le seeret de la nature , eher-
eha a l' expliquer par elre-meme et a trouver en
elle les lois quí la gouvernent. Il détruisit ainsi
toutes les méditations théologiques faites sur
la nature. Lalande, le plus célebre astronome
de son siecle, soutínt qu'il n'y avait pas de
Dieu , ni dans les cieux, ni sur la ter re , pré-
tendít que les hommes les plus éclairés étaient
de son avis, et pOllrsuivait son opinion jllS-
qu'a l'extravaganee. Voltaire, depuis la guerre
de sept ans, patriarche de la littérature eu-
ropéenne, décida du gout a Saint-Pétersbourg
comOle a Paris.


La haine eontre la hiérarehie devint de plus
en plus dangereuse, paree que tous les hom-
mes qui désiraient acqllérir quelqlle crédit dans
le monde littéraire, étaient obligés de lui
plaire, et pour y parvenir, illeur fallait saeri-
fier a son idole, c'est-a-dire a/ son, aversion
pour le christianisme. Tous les princes de
l'Eu~rope , les-souv~rains memes eomme Gus-
tavellI, roi de Suede, et Stanislas Poniatowsky,
roí de Pologne, vinrent a París puiser a la




412 HlSTOJRE DU XVIIle SI1~CLI:.
SOllrce de cette philosophie fatate. lIs y
voyaient d; A]embert soit chez mademois"elle
de I'Espinasse, sOlt chez lui; iIs rencontraient
dans les sociét.és qu'ils fréquentaient Diderot
qui, avant et apres son voyage de Saint-Péters-
bourg, étourdissait par ses déclamations toutes
les personnes de l'Europe, remarqllabtes par
leur rang et leur fortune r. Catherine, Fré-
déric, Kaunitz, tous les princes alIemands
en état deles payer, avaient a leurs gages des
gens comme le fameux Grimm , dont on a pu-
blié il Y a quelques années la vaste correspon-
dance; ceux-ci leur communiquaient chaque
hon mot, chaque misérable anecdote qui cou-
rait a Paris. Les petits bourgeois allemands,
pellpIe pIein de bonhomie, se rassasiaient ainsi
des miettes qlli tombaient des tables franc;:aises;


x M. Schlosser,a ce qu'il nous semble,n'accorde pas a Diderot
le mérite que ses memes ennemis sont obligés de lui reconnaltre.
Égaré par sa haine contre quelques sociétés religieuses, ce philo-
sophe publia , iI est vrai , ses Pensées p!t!los0l'hiques , et attaqua
la religion chl'étienne, lorsqu'il n'aurait du blamer que les
vices de plusieurs de ~es ininistres; mais il ne faut cepen-
dant pas oublier que ce fut Diderot qui, apres avoir travaillé
avec Eidous et Toussaint a un Dictionnaire universel de méde-
cine, con~ut le premier le plan de l' Encyclopédie. Les articles
qu'il donna a cet ouvrage vraiment national, ne sont palO toos
dirigés contre la rel.igioll révélée; il Y professa le plus souvent
une morale claire et pure, et dans les sciences et les arts ce
fut lui qui, de concert ayec d' Alembert, étendit le cercle des
connaissances humaines. ( Note da tl'aducteur.)




LIVRE 111, PARTIE LITT.ÉRAIRE. 413
des-Iors la licence fut mise a la place oe la
liberté et l'irréligion a la place du sentiment.
eette lnaladie gagna une partie des hautes
classes.


Les résultats du systeme philantropique
furent bien différents. Les philantropes vou-
laient une morale, une religion ; ils reCOIIl-
mandaient, au lieu d'une érudition' inutile a
tout]e monde, une charitévéritable: « Ne re-
cherchez point, disaient-ils, !'inflní en vous-
meme, tachez de le comprendre hors de vous.»
Toutes les alues bien nées en Europe, meme
parmi les familles les plus élevées, rendaient
hommage a ce príncipe. D'Holbach et les
hommes de son école ne gagnerent des suf-
frages qu'en le reconnaissant, qu'en le prati-
quant et qu'en opposant a la singuliere hu-
mani té des nloines une religieuse bienfaisance I •
La doctrine séduisante de Jean-Jacques était
parfaitement en rapport avec ce qu' on en-
tendait de Franklin, et tout ce qui se passait
en Amérique. Tandis qu' on ne songeait pas en-


I Naigcon, qui porta son athéisme presque au méme point
de folie que Lalande, fut obligé de saisir l'esprit de ce prín-
cipe philantropique dan s son éloge du baron d'Holbach, ce
qu'il lit d'une maniere tres-ingénieuse. On trouve. cet éloge
dans le journal de Paris du 9 février J 789 , n" 40, et le sup-
plément dil11s.le 11° 43, page J 19,




414 HISTOIHE DU XVIIle SIi~CLE.
core a réfol'Iner les gouvernelnents, elle ef-
fect~la une réfonue dans l'éducation qui sen-
tait trop le pédantisme; la severe étiquette
disparut, elle fut remplacé e par la franchise et
la simplicité. Rousseau, ayant rendu sa doctrine
universelle par son HéloiSe et par son Émile,
jouissant lui-menle du plus grand crédit, pu-
blia ses idées spéculatives dans le Contrat so-
cialet dans les Lettres ardentes et démocrati-
ques écrites dB la montagne. L'esprit d'une
chat'Íte douce, malheureusement peu en har-
monie avec les désordres de la société, se ré-
pandit aussi par l'organe de Rousseau, de
Bernardin de Sai~t-Pierre et de leurs partisans,
parnli la haute noblesse de France ,et ranima
les creurs refroidis des grands, surtout chez
les femmes. La doctrine de la chute originelle
et de la natUl'e primitive universellement cor-
rompue fut remplacée par le dogme contraire.
L'éducation et le gouvernement seuls, disait-
on, rendaient l'homIne hon ou méchant.


La législation, l'administration, et surtont
la procédure criminelle formaient le plus grand
contraste avec cette doctrine. Tonte l'Europe
écouta bientot la voix de Beccaria et ceHe de
Filangieri. Les parlements ne faisaient pas
moins rouer, pendre et torturer, jusqu'a ce




LIVILE IlI, PARTlJ~ LITTÉRAIRE. 4.5
que Turgot, et a vant tons, le noble, sage et
savant Malesherbes, digne d'un nleilleur siecle,
firent triompher la philantropie. En meme
temps que les tribunaux écoutaient la voix de
l'humanité, et respectaient les droits. de
l'homme, meme dans le criminel, le príncipe
de la natul'e l'emportait dans l'administration.
Toutes les sectes de physiocrates ou écono-
mistes, désirant -la vérité et la simplicité,
étaient entier~ment opposées au systcme des
cours, d'apre~ lequel le luxe doit fayoriser
l'industrie et augmenter l'aisance; elles n'al-
maÍent pas meme les fabriques. Quesnay, le
martyr de la doctrine des économistes, se dé-
clara ouverteínent contre le systeme de com-
nl€I'Ce et ~d'industrie; il De voulait entendre
parler que d'agriculture. Vincent, de Gournay
fut bien moins ennemi du commerce, mais
il en demanda la liberté absolue, s'attacha peu
au prix de la possession, et ne chercha que
dans le travaille vrai prix des choses. La phi-
lant.ropie pénétra meme jusqu'a la cour. Tur-
got (1775) et Malesherbes furent nomnlés
ministres. Les journaux et les livl'es répandi-
rent le triomphe de laphilosophie et de l'hu-
manité sur la superstition et le despot}sme.
Turgot déc]ara au nom du roi que la liberté




416 HISTOJRE BU XVJIIe SIF:CLE.
du commerce serait dorénavant absolue, et
la gabelle abolie; l' onéreuse féodalité allait
disparaltre, la taille réelle remplacer lacapi-
tation; on promettait de répartir également
les impóts, de proclamer la liberté des cultes
et de fermer plusieurs cloitres. Combien le
peuple et ses représentants durent-ils souf-
frir, lorsqu'une cabale de conr fit échouer
toutes leurs espérances dans un temps ou la
philantropie et le hon sens repoussaient les
préventions et la barbarie de l'esprit de caste
et de tribu, ou les meilleurs hommes en
étaient pénétrés! Turgot et ses amis chel'che-
rent en vain a les introduire dans l'administra-
tion de l'État; ils furent traités d'hérétiques
par les fauteurs de l'ancien systeme et par ces
gens qni ne peuvent ou ne veulent jamais se
conformer aux circonstances, et ils ne purent
réfoI:mer ces abus surannés.
. La sévérité de l'ancienne étiquette, le regne
des femlnes et des courtisans emptkherent
de meme N ecker, pendant son ministere, d' exé-
euter ce qu'il avait annoneé hautement, et il
ne put inflllencer l'opinion publique en fa-
venr de son administration, quoiqu'il l'eut
sonvent invoquée dans· ses comptes rendllS l.


J Quelque contraire que soit, aux Allemands ronds et franes,




LIVILE IU, PA.RTIE LITTÉRAIRE. Lp7


Apres l'éloigl1ement de Necker et de Turgot,
apres la lutte de Beaumarchaisavec le parle-
ment l\'Iaupeou, les opinions des personnes
éclairées dans toutes les classes du peuple
fran<;ais, énoncées dans des ouvrages, étaient
en lutte perpétuelle avec le gouvernement.
La morale de d'Holhach donna un coup Inor-
tel aux mreurs, ainsi que les romans de Dide-
rot et de ses sectateurs. Beaumarchais fit alors
représenter sur la scene qui devrait toujours
etre l' école des mreurs, le Mariage de l?igaro,
et ce chef-d'ceuvre immoral servit de modele
a heaucoup de pieces du lneme genre, qui se
jouent encore aujourd'hui sur le premier
théatre de la France.


JI. Depuis la guerre de sept ans jusqu'a la
révolutíon fraIH;aise, la littérature alIenlande
suivit absolument la marche de la philosophie
régnante, et, si ron en excepte Goethe 1, t011S
les écrivains nationaux chercherent cornme
cette maniere de vivre, de p3rler et d'etre, cette brillante so-
ciété de madame de Sta el , iI nous faut cependant convenir
qu'a coté de la sombre philosophie de Diderot, madame de
N ecker et son cercle surent rester purs et vrais, et propager
les príncipes de la morale.


L'Élog'e de Colbert n'eut rien de bien remarquable; cepen-
dant Necker, qui en est l'auteur, doit etre préféré a tous ces
gens, auxquels il étaít ímpossible d' ouhlíer qu'íl avait été
commis.


1 Schiller suivit entit'>rement le Kantisme.
H. J.




!Jl~ HlSTOIH.E IH1 XVlll e SI1~CLJ':'
Herder une philosophie nouvelle, ou nlirenl
en harmonie avec celle du jour leurs 111anie-
res et leur langage, et firen t tous leurs efforts
pour dévancer leur siecle. Les idées de dévo-
tion et des dogmes calqués sur les principes
de W olf, prédominaient au comlnencement du
siecle. lIs donnerent le jour a la Messiad.e de
Klopstock, et él la Noaclllde. Le ton sentimen-
tal de ces épopées singulieres fut emprunté
aux romans d'un monde pastoral alors en vo·
gue, ou aux Idylles des Suisses. Klopstock, Bod-
mer et leurs nOlubreux imitateurs donnerent
naissance él une vie séraphique = mais la nation
allemande se rapprochait encore trop de la bar-
barie, et les écrivains contemplateurs étaient
trop fastidieux pour qu'ils pussent en etre gou-
tés. Elle prit done bientot le ton des Fran<;ais,
lorsque la philosophie de Berlin se répandit
en Allemagne. Wieland lui servit de modele ou
plutot luarcha de p~ir avec Nicolai. Il dut son
influence él ses heureuses traductions, et surtout
au talent avec lequel son pinceau badin et dé-
cent peignit, sous des couleurs él moitié fran-
<;aises, le léger et l' obscene. Il insinua aillsi, par
des paroles mielleuses,dans les creurs allemands
un poison qu'ils ne sentaient pas, en donnant él
la langue l'harmonie, aux périodes la ron-




LIVRE llI, PARTIE LITTÉRAIRE. 419
deur, él l'expression la facilité, et en éloignant
le pédantisme de l'école.


Tandis que Wieland gagnait le public par
ses ouvrages, les savants formaient, sous les
drapeaux de Lessing et de Nicolai 1, deux
partis tout-a-fait opposés, qui tous deux tra-
vaillaient a une révolution littéraire. Lessing,
s'étant fait un nouveau genre de philosophie
d'apres Spinosa, ne pouvait pas etre directe-
lnent contre l'ancien systeme; il en admettait
au contraire les conséquences; car il voyait
combien la Inorale publique s'y attachait faci-
lement. I1 ne s'éleva contre ce systenle, que
lorsque des zélateurs insensés proscrivirent
le choix, la critique , et jusqu'a l' examen.
Bien plus, dans la lutte contre ceux qui criaient
san s cesse a l'hérésie, Lessing parut un philo-
sophe qui aimait mieux qu'on conservat une
relig;jon austere, que de n'en paint avoir. Ni-
colai etMendelssohn penserent tont autrement,
et le dernier ne démentit jamais son caractere
de juif ..


Lessing, vraiment nourri des anciens, vou-


I Pour éviter une erreur, HOUS remarquerons que l'immor-
tel Lessing ne se trouve íci que par hasard en parallele avec
Nícolai. Tous les deux étaient a la tete d'n» partí, mais ces
partís différaient alltal1tfun de l'autre queleurs deux chcfs.




420 H 1 S T O 1 R 1<: D U X V 1 11 e S 11<: e LE.


lut mettre le culte aimable des Romains et
des Grecs a la place des rnysteres sombres de
la pénitence effrayante et souvent hypocrite
des enfants de Jésus-Christ. Illui semblait qu'il
valait mieux vivre gaielllent que lllourir avec
gloire. Ce príncipe sourit a Ja jeunesse alle-
lllande. Le gen re larmoyant fut banni jusqu'a
ce que les Werther et Siegwart, dont l'un fut
mal et l'autre bien entendu, le ramenerent
pour quelqnes années. La littérature allemande
se développa alors avec succes. Le patriotisme
et la dignité de la langue éleverent les camrs ;
toutes les ames nobles qui désiraient s'in-·
struire et répandre des lumieres firent tacite-
ment entre elles une alliance sacrée, eornme
Gleim, Jacobi, Dohm, Goekingk, le noble
Schlosser 1, Clalldius, Herder, Goethe, Hein-
sius, J ean Müller et une infinité d'autres de
caracteres tout opposés; V OSS, Hrelty, les deux
Stolberg, qui font encore l'honneur de leu!'
nation, et Bürger leur ainé, se réllnirent pour
propager les anciens en Allemagne, par des
traductions ou par des imitations. La Iallgue
allemande parut renaltre; alors on vit se dé-


x L'auteur n'est point parent de ce Sehlosser; s'il lui at-
tribue eette qualité, e'est qu'il lui eonnait le mérÍte et les
vertus qui eonstituellt la véritable nohlesse.




L] V R f: I JI, PAR 'lTE LIT Ti R A 1 RE. 42 J
velopper d'une maniere admirable les germes
d'un talent et d'un zele studieux qui malheu-
reusement se ralentissent aujourd'hui. 11 se
forma dans toutes les villes, meme parmi les
gens peu versés dans les leures, des so cié tés
IÜtéraires, oú l'OIl ne s'attachait pas seulement
~1 lire des gazettes et des romans. Le nombre
des théatres augmenta. Il parut plusieurs jour-
naux presque tous excellents; on vit se rap-
procher les savants et ceux qui l1e l'étaient
pas, jusqu'alors séparés par une distance im-
mense; le sentiment national les 6t tous mar-
cher vers le meme but; leur langue fut épurée
de l'ancien idiome, enfin ils eurent une litté-
rature. Le parti gouverné par Nicolai fut llloins
indépendant. Frédéric II et son frere Henri ,
qui encore plus que le premier 111éprisait les
Allemands, leurs mreurs, lenr langne et leur
religion, furent leurs ¡doJes, et les idées de
Frédéric, de ses sociétés du soir et de son aca-
démie a rnoitié fran(,;aise, exercerent sur tous
leurs travaux la plus grande influence.


Batteux fut lenr rnaltre, et Rammlel' leur
poete lima tous les ouvrages sans distinction
et cl'itiqua tout d'apres les regles les plus
sével'es. Le hut des philosophes de Berlín étant
moins pUl' que celui des autres, ils furent




ft22 HISTOIRJ~ HU XVlIlc SIj.:CLf~.
moins scrupuleux dans le choix des moyens.
lIs vonlaient calquer la philosophie des Alle-
mands sur ceHe des Fran~ais; ils appelaient
protestantisme la religion de Rousseau, et
pour ne point effaroucher les Allemands, dont
les creurS ont besoin de la foi, plusieurs mem-
bres adroits du parti de Berlin, proprement
dits encyclopédistes fran~ais, s'appuyerent sur
la nouvelle interprétation de la Bible et sur
les ~ogmes qu'on devait réformer. Afin de
recueillir toutes les parcelles de cet esprit, la
vanité él eva la Bibliothéque générale. Lessing
n'y travailla janlais. Bientot ces ahnales n'of-
frirent que des idées communes et superfi-
cielles, la trivialité y passa sons le bean nom
dephilosophie oud'esprit,sansqu'on songeata
poser les bases d'un nouveau systeme.On dé-
truisit l'ancien en voulant changer la théologie
etla philosophie, on renversa aussientierement
l'instruction et l' éducation; car depuis Me-
lanchthon elles avaíent plutot rétrogradé
qu'avancé, et quand meme ces principes eus-
sent été meilleurs, ils devaient succomber
sous l'attaque, s'ils n'étaient point adaptés aux
relationsextérieuresde la vie. Basedow, Wolkc,
Salzmann , Campe, hommes éclairés et in-
struits, mais sans solidité, sans érudition, sans




LIvnE III, PARTIE LITTÉRAIRE. ~23
profondeur, n'avaient pas meme bien com-
pris ce systeme de Rousseau qu'ils voulaient
faire adopter. lis voulaient réaliser un songe
pour satisfaire les parents; cependant Jean-
Jacques lui-nleme, a l'instar de PIaton , avait
dit hautement que son éducation n'était pas
de ce monde.


n faut placer ici une remarque importante.
La réforme trouva en France de puissants
ennemis dans l'autorité de l'Église, dans les
parlements et les autres tribunaux, et néan-
moins l'opinion publique se prononc;a de jour
en jour plus vivement contre l'état des choses;
en Allemagne, an contraire, la réforme mar-
cha sans efforts a la suite de la nouvelle philo-
sophie, encouragée par le protestantisme plein
de tolérance.


Quant a la religion, on se serait aperc;u bien
plus vite quels résnItats le nouveau systeme
devait avoir, si W reUner et Bischoffswerder
n' eussen t porté Frédéric Guillaume II a une
opposition fausse et imprudente, et excité
par la meme les modérés contre les dogmes
qu' on voulait despotiquement lenr faire ac-
cepter.


Relativement a la philosophie, Kant attaqua
la lnanie de parler au hasard et de lnettre la




424 H 1 S T o 1 RED U X VIII e S 1 :E e L T~.
science a la portée de tout le monde. l .. e jour-
nal de Jene s'éleva contre les partisans de
Berlin et triompha par le Kantisme: des-Iors
une réaction se fit sentir, et quelque senti-
ment qu'on ait sur le romantisme 1 nais-
sant, sur le mérite, des deux Schlegel, sur la
philosophie de Fichte et sur celle de Schelling,
iI n'el1 est pas moil1s vrai qu'ils porterent les


1 N ous voyons aujourd'hui, dans la littérature, ueux partís
tout opposés se disputer le premier rang ; les classiques croient
avoir satisfait a toutes les demandes de l'art en observant peut-
etre trop servilement les regles d' Aristote; les l'Omantiques,
cherchant a peindre la nature, s'abandonuent entieremellt a
l'essor de leur imagination.


Sans nous permettre d'examiner JequeJ des deux gen res se-
rait a préférer, nous ferons seulement remarquer que le mé·
rite d'une production dramatique lle repose pas exclusivement
sur la beauté des vers, mais encore sur le caractere national du
Bujet et la grandeur des pensées. e'est ce que nous trouvons
dans le G uillallme Tell de Schiller.


Il ne faut cependallt pas que le drame devienne un simple
roman dialogué, eomme le Goe<; de Berliclting'en de. G oethe,
patriarehe de la littérature allemande.


En Franee, les imitatellrs du genre romantique, faussement
surnommé tudesque, se trompent lorsqu'ils s'imaginent avoir
rempli leur tache, en habillallt des idées vulgaires clans des
métaphores, auxquelles le génie de la langue fran\aise ne se
prete paso - Voltaire se livre a tout son talent satirique en
parlant de Hamlet et d'autres pieces de Shakspeare; mais, sans
approuver entierement le défaut d'unité et le earactcre sombre
qui prédomille dalls les productions de ce grand pocte, nous
sommes obligés de lui accorder le mérite d'avoir su peindre
1 'homme dans ses vertus et ses travers.


Il ne fut réservé qu'a Racine d'allier a une versification sé-
duisante, le selltiment le plus tendre et la grandeur ele la
pensée. (Note du traductellr.)




LIVRE 11[, PARTLE LITTÉRAIRE. 425
derniers co'ups aux idées et au style vulgaires,
au superficiel, et qu'ils donnerent a la littéra-
ture allemande un caractere plus national
qu'elle n'avait en jnsqu'alors.


FIN ou TOME pREMIF.R.




T ABLE DES MATIERES
CONTENUES DANS CE VOLUME.


= e =---


LIVRE PREMIER.
PREMIERE PARTIR. - HISTOIRE POUTIQUE.


CHAPITRE P REMIER.


Guerre de la succession d'Espagne.
1. État des choses avant la guerreo Page
n. Guerre de la succession d'Espagne. 8
IU. Changements causés en Europe par les traités d'Utrecht,


de Rastadt et de Bade. 25


CHAPITRE DEUXIEME.


Guerre du nord.


1. Depuis le traité de Bade jusqu'a la bataille de Pultava. ~8
n. Depuis la bataille de Pultava jusqu'aux traités qui termi-


nerent la guerreo 43
lII. Changements causés en Europe par la guerre du NorJ. 56


CHAPITRE TROISIEME.


l. Frédéric-Guillaume Ier .
n. Albérol1i.
nI. Le Régent.
IV. Élisabeth d'Espagne et Ripperda.
V. Le cardinal de Fleury.
VI. L'empereur Charles VI.


LIVRE PREMIER.
SECONDE PA.RTIE. - nfSTOIRE LITTÉRAm:E.


l. La France.
n. L'Angleterre.
IlI. L' Allemagne.


59
65
78
86
97


117




TAnLE ~H:S l\IATII~R.ES.


LIVRE DEUXIEME.


PREl\IJERE PARTlE. - HISTOlRE POLlTIQUF.:.


CHAPITRE PREMIER.


Guerre de la sllccession d'Autriche.


l. Depllis le commencemellt jusqll'a la fin de la premiere
guerre de Silésie. Page 158


n. Depuis la paix de Breslau jllsqu'au commencement de la
seconde guerre de Silésie. 173


IIl. Depuis le commencement de la se conde gllerre de Silésie
jusqll'a la paix de Dresde. 180


IV. Du traité de Dresde jusqu'ida paix d'Aix-Ia-ChapeUe. 188


CHAPITRE DEUXI~ME.
lntervalle de la guerre de la succession d' Autriche a la


guerre de sept aus.


l. Frédéric II -et sa puissance militaire.
n. L' Autriche.
IIl. La France.
IV. La Saxe.


198
200
202
205


V. L' A.ngleterre. 2 07
VI. La Russie. 211
VII. Causes éloignées et récentes de la guerre de sept aos. 2 I 6
VIII. Principaux évéoements de eette guerreo 2::1 1
(X. Changements et relations politiques qui occasionnerent la


fin de la guerre de sept aRS. 233


LIVRE DEUXIEME.


SECONDEPARTIE. - HISTOIRE LITTÉRAIRE.


Progres de la littérature en France et en Allemagne.


l. La France.
n. L' AUemagne.




'1' A B L.E D.E S 1\'[ A T 1 E H.I~ S.


LIVRE TROISIEME.
PREMIERE PARTIE. - HISTOIRE POLITIQUE.


CHAPITRE PREl\HER.


Accroissement de la puissance de la Russie. -Révolution dans
les Gouvernements et les Constitutions établies, jusqu'a 11'
révolution fran<;;aise.


I. Le Portugal.
II. L'Espagne.
IlI. Le Danemarck.
IV. La Suede.


qHAPITRE DEUXIEME.


Accroissement immense de la Russie et partage de la
Pologne.


l. La Russie sous Catherine II, considérée surtout dans ses
rapports vis-a-vis de la Pologne, jusqu'en 17{)9. 323


n. Démembrement de la Pologne. 339


CHAPITRE TROISIEME.


l. Réformes de Joseph lI.
Il. Révolution hollandaise.
In. Révolution beige.


CHAPITRE QUATRIEME.
l. Influence pécuniaire de l' Angleterre. 39(;
!l. Effets de la révolution d'Amérique en Europe. 40 r


LIVRE TROISIEME.
SECONDE PARTn~. -HISTOIRE LITTÉRAIRE.
N otice sur la littérature considérée sous ses rapports


avec la politiqueo
l. La France.
II. L' Allemagne.




.HISTOIRE
DU


TOME 11.




~~ \


Les formalités prescritespar la.Ioi ayant été rempli~
les éditeurs poursulvront, COÚlme contrefacteur, tont d~ ,
hitant d'exemplaires qui ne seraient pas revetus de la
signature de M. Briere.




HISTOIRE
DES l\tVOLU'flONS POLITIQUES liT LITTtRAlllliS


DE L'EUROPE
AU


DIX-HUITIEME SIECLE,


PAR F. C. SCHLOSSER,
I'R01"llli&lH\ D'SISTOIRE A L'UIUVEl\SI'l'. D'SJ1IDJlLlIJi.RG ;


TRADUITE DX L'AL¡'EMAND


PAR W. SUCKAU,
PflOl'RSliHUR AlJ COLLÉGE ROYAL DE 5AINT-LOUI'.


PARIS,
J. L. J. BRIERE, aUB SAINT-,U'fDRX-DBS-Al\TS, l'{°68;
PONTHIEU, PALAIS ROYAL, GALERlE DE BOIS;
P. DUPONT, RUB DU-ROULOY, HOTEL DBS J'RRMES,:NI> 24.


] 8~5.






HISTOIRE
DU
, ,


DIX - HUITIEME SIECLE.


H. 11.






HIs~rOIRE
DU


, ,


DIX - HUITIE1\lE SIECLE.


LIVRE QUA.TRIEME.
RÉVOLUTION FRAN<;AISE.


CHAPITB.E PREMIER.


APER<;U DF. L'HISTOIRE DE FRANCE, DEPUIS LA GUERRE DE


SEPT ANS JUSQU'EN 1787.


l. Fin du regne de Louis XV.-I1. Commencement du
regne de Louis XVI.


I. Louis XV 1, gouverné par madame de
Pompadour, s'était rendu méprisableet od.ieux
au monde en-tier; abandonnant les affaires de
l'État pour la chasse, et abjurant toute pudeur


1 M. de Lacretelle et beaucoup d'autres écrivains, méme en
Allemagne, ont si bien caractérisé l'histoire de ce temps, que
nous nous croyons dispensés d'entrer dans les détails. Ic.i il
n'y a pas de partialité a craindre, puisque tous les partís s'eff-
tendent sur le point essentiel, c'est-a-dire sur la corruption
générale.


I.




4 HISTOIRE DH XVl11C S(ECLl~.
dans ses plaisirs, on vit bientot son regne
déplaire au peuplc, paree que les eréatu-
res de la eour avaient seules quelque erédit,
et que les ministres s'arrogeaient un pouvoir
arbitraire et despotique. Ceux qui ne jouis-
saient pas de la faveur de la cour, de quelque
condition qn'ils fussent, se virent assujétis a
une dépendance ignominieuse ; les familles les
plus considérées, surtont en province, montre-
rent au milieu du dix-huitieme siecle, dans les
différends avec le parlement, et dans toutes les
occasions ou ron voulut user de violenee, la
ferme volonté de ne pas souffrir le despotisme
nlilitaire; les habitants de Paris firent meme
paraitre leur mépris et ,leur lnécontentement
d'une maniere si visible, que Louis X V les prit
en haine l. Les impots multipliés et souvent
cxorbitants retombaient alors presque uni-


1 L'an °1750, le lieutenant de poli ce et ses agents exercerent
un pouvoir tellement arbitraire eontre les gens qu'ils appelaient
sans a"Veu , et se permirent tant el' exaetions , qu'il éclata une
révolte formelle.


La maison du lieutenant de poliee fut forcée; iI se réfugia
lui-meme ehez le président du parlement, qui parvint él apai-
ser les mutins. Les exécutions les plus erueUes suivirent eette
explosion du mécontentement publico Louis XV affecta d'é-
viter la capitale, et la nouvelle route qu'il fit faire par Saint-
Denis, pour ne pas ctre obligé de traverser Paris en alIant
de Compiegne a Versailles , fut nommée le chemill de la ré-
polte.




LIV RE IV, CHAP I'rRE I. 5
quement sur les classes inférieures, dépour-
vues de tout moyen de résistance.


Les biens-fonds étaient ou dans les mains
des classes privilégiées de la noblesse et du
clergé, ou ne pouvaient ~tre que difficilement
chargés de nouveaux impots parce qu'il fallait
que les parlements voulussent bien les en re-
gistrer. La cour, pour son malheur, fut penaant
la seconde moitié du dix-huitietne siecle jus-
qu'a la révolution toujours en guerre ouverte
avec le parlement, tantot a cause des jansé-
nistes, tantot a cause des impots. Les disputes
sur le jansénisme éclaterent de nouveau en
1752, lorsque le curé de Saint-Étienne refusa
les sacrements au duc d'Orléans, grand-pere de
Louis-Joseph-Philippe; le parlement dé clara
formellement que la bulle Unigenitus n'é-
tait point un article de foi , et le conseil
d'État révoqua cet édit. COlnme le clergé et
le parlement balan({aient alors a eux senls le
pouvoir des ministres, la conr et le ministere
voulurent profiter de cette occasion favorable,
ou ponr opprimer le clergé par la puissance
des parlelnents, ou pour porter a ceux- c'i un
coup funeste sans irriter le peuple. Le ministre
des ,finan ces , Machault, penchait pour la
premiere idée, legarde-des-sceaux, d' Argen ...




G HISTOIRE DU XVlIl(' Sd:CLE.
son, était pour la derniere. Tant que la cour
se mela des affaires religieuses, la querelle
entre les parleJllents et l~ parti jésuitique dn
haut clergé s'échauffa. de plus en plus.


Le parlerpent convoqua les pairs dans son
assemblée; le roi leur défendit de s'y rendre;
ils murmurerent, et le prince de Con ti s'éleva
hautement contre cet acte de la cour. Le par-
lement attaqua le ministere, parla de son
pouvoir usurpé, voulut examiner le droit que
s'arrogeaient les ministres de faire expédier
par le roi des leUres de cachet dont le minis-
tere et les courtisans faisaient alprs un fré-
quent emploi. Les orateurs de l'opposition se
prononc~rent ameremeht, dan s les assemblées
parle~entaires, contre madame de Pompadour
et ses indignes menéese Il n'en fallut pas da-
vantage pour provoquer les mesures les plus
violentes. Les rninistres, suivant l'usage, recou-
r.urent a laforce; quatre membres du parlement
furent relégués dans des forteresses ; on ban-
nit les conseillers de. toutes les chambres,
excepté de la grande x qu' on devait orga~iser
sur un nouveau plan; mais elle s' opposa el tous


1 La chambre d'enquéte et la chambre de requéte se com-
posaient presque entieremen¡ de jeunes gens. La grande cham-
bre, dont les membres étaient presque tous des hommes agés,
lI.'avait pas approuvé Ieur vivacité dans eette eirconstance.




LIVRE IV, CHA.PITRE I. 7
les ordres qu'elle put reeevoir desque eette
question fut agitée; eomme tous les moyens
employés pour la faÍre fléchir furent inutiles,
on l'exila a Pontoise; elle persévéra dans sa
résolution ,et le nlinistere , apres de longs. dé-
bats, se vit obligé, en 1754, de preter la main
a un aeeommodement. Maehault fut contraint
de céder. Le pa,rlement remporta la vietoire
la plus éclatante, et la cour. s' en servitcomme
d'un allié dans ses dtseussions avec le clergé.


La paix ne fut ras de Iongue durée ; deux
années a peine s'étaient écoulées, que le parle-
ment de Paris s'associa non-seulement les
princes et les pairs , mais aussi tous les parle-
ments du royaume, qu'il s.ubdivisa en diffé-
rentes classes, dont París devait etre regardé
eomme le point central. L'autorité royale
échoua contre l'opposition, dans les deux
séances solennelles de septembre et de dé-
eembre 1756 l. Ce ne fut qu'apres l'éloigne-
lnent définitif de Machault et de d'Argenson,


) C'étaient des lits de justice, qui devaient représenter ran-
cien champ de Mars ou les cours plénieres. Le roi était assis
sur un siége de cinq coussins (Lectus); l'un lui servait de
siége , un autre de marche-pied, UD troisieme de dossier, et
deux pour les bras.


On votait a voix basse; le chancclier recueillait les suf-
frages; qui done pouvait le démentir, quand méme il aurait
trahi la yérité?




8 HISTOIRE DU XVllI C SIECLE.
que les parlements reprirent leur ancienne
forme l. Il n'y eut aucun trouble, tant que
Bernis, créature de madarne de Pompadour ,
garda le timon des affaires. Mais le conseil
qu'il donna, en 1758, de terminer l'ignomi-
nieuse guerre d'Allemagne, fut cause de sa
disgrace 2. Choiseullui succéda, et l'administra-
tiondesfinancesdonnalieuad'autresdifférends
dont nous allons tracer en peu de mots l'his-
toire fatale jusqu'au ministere de Silhouette.


Depuis que les États n~étaient plusconsultés
sur les impots, et que la dépravation de la cour
et de ses créatures engloutissait des sornmes
iInmellses, le trésor public était abandonné a
celui qui inventait de nouveaux moyens d'é-
puiser le peuple. Machault succomba paree
que ses projets ne pouvaient s'accorder avec
ceux du parlement; apres lui, Moreau de
Sechelles, Moras et Boulogne tenterent aussi
inutilement d'opposer des ressources propor-
tionnées aux besoins toujours croissants. Le
choix de Silhouette seInbla enfin, pour la pre-


r Quelque répugIiance que nous ayons a citer Bezenval,
surnommé le suisse de Cythere, pour des choses sérieuses , iI
nous faut convenir qu'iI donne des détaiIs tres-exacts de cettl'!
affaire, dan s ses Mémoil.'es, tome 1, page 303 et suiv.


2 Apres une longue adulation, il f:rouva sa perte dans sa
trop grande franchise.




LIVRE IV, CfIAPITRJ.: J. 9
miere fois , combler les désirs du peuple et les
vreux de madame de Ponlpadour. Mais la po-
pularité que le nouveau ministre des finanees
avait affeetée, disparut eette année-Ia meme,
aussitot qu'il donna l'édit de subvention.
Pour prévenir l' opposition du parlement, on
le eonvoqua, le 22 septembre 1759, en au-
dience solennelle, V l{ ersailles. Il protesta eontre
tout ee qui s'était faít dans eette eireonstanee,
et personne ne voulut prendre a ferme le
nouvel ¡mpot. Le erédit était perdu ; les paie-
ments publies furent suspendus pour un an;
on retira l'argent des eaisses, et on envoya
l'argenterie royale a la monnaie. De~ ce mo-
ment, les eontroleurs-généraux véeurent en
mésintelligence avec les parlements, que Choi-
seul, de eoneert avee madame de Pompadour,
employa contre les jésuites ; nlais les deux


. partis garderent assez de modération pendant
la vie de l'aneienne maitresse du roi.


Apres sa mort , le duc de Choiseul, que les
horreurs du pare aux ceifs n'avaient pu bles-
ser, et qui avait toujours gouverné la Franee
selon les volontés de madame de Pompadour,
se scandalisa du ehoix de la nouvelle favorite
qu'on donnait a Louis xv. Il alla jusqu'a
refuser il-madame du Barry l'hommage que le




10 HISTOJRE DU X\'IUe SJECLE.


roi Ineme lui accordait a la revue et dan s
d'autres solennités publiques. Cependant elle
obtenait plus de crédit que madame de Ponl-
padour n'en avait jamais eu; elle rencontra
dan s le due d' AiguilJon plus de complaisanee
que dans le due de Choiseul. e' est pourquoi ,
ce dernier, par un motif de jaIousie, appuya
en secret les parlements, lorsqu'ils attaque'rent
le premier, tandis que, le roí meme le défen-
dait de tout son pouvoir. Le parlement de
Rennes, etson proeureur-général. La Chalotais,
le meme qui, dans l'affaire des jésuites, s'était
distingué par ses écrits, impliquerent le dne
d'Aiguillon, alors commandant de la Bretagne,
dans un proces infamant, sur la soustra~tion
des deniers publies; la cour prit sa défense.


Lors de la diseussion de eette affaire, les
États de Bretagne se joignirent au parlement,
mais le roi renvoya ave e dédain lcur députa-
tion, a la tete de laquelle se trouvaít La Cha-
lotais. Rejeté par la cour, iI ehereha des alliés,
et eonduisit adroitement une correspondance
avee les Inembres les plus. i'mportants des par-
lernents de Rouen, de Paris et de Toulouse.
Le due d'Aiguillon déclara que cette corres-
pondance était un crime de haute trahison.
Ji.Ja Chalotais, son fils, et trois e~mseillers




LIVRE 1 V, CIIAPITRE I. 1 [


parlelnentaires déposerent leur ehal'ge, et fu-
rent arretés du 10 au 1 1 novembre 1765 ;
une cornmission dll conseil d'État, la chambre
royale de Saint-Malo, devait les juger au préju-
dice de leur tribunal compétent.


Le parlernent de Paris crut alors devoir s'en
meler, il fit des représentations; aussitot Ren-
nes, Rouen , Toulouse suivirent son exemple.
Plu~ieurs troubles éclaterent et on en vint
a différentes mesures de part et d'autre ; apres
. de longs débats, toute l'affaire fut assoupie a
la fin de l'a~née 1766, mais la mésintelligenee
derneura toujours la meme.


Louis XV avait envain déclaré dans une
séance mémorable , qu'il ne tenait sa couronne
que de Dieu, et qu'il ne souffrirait pas d'in-
novations. Les parlemmÜs ne voulaient point
se désister des droits que le roi leur disputait.
La lutte se poursuivait encore lorsque les
écrits pour la cause des Américains, favorisée
et soutenue par la Franee, éveillerent ou ra-
nimerent le respeet pour la justice et les an-
ciennes eoutumes.


On conclut en 1770 la malheureuse union
du Dauphin avee Marie-Antoinette d'Autriehe,
et le eha~celier Maupeou eonc;~t le plan de
réformer la mauvaise juridiction dll royaume,




12 lIlSTOlRE DU XVIllc S-Ü:CLE.


et de mettre un terme a la résistance des par'-
lenlents contre les ordonnances royales, tou-
chant les finances que l'odieux contróleur-gé-
néral Terray se proposait de publier.


Le duc d'Aiguillon, attaqué par le parle-
ment deParis , conlme précédemment par ce-
lui de Rennes, et soutenu par la cour, fut la
cause d'un nouveau différend. Le parlement
avait déja disputé au roí le droit de faire
arreter un índividu quelconque arbitraire-
ment par lettres de cachet: il renouvela cette
discussion avec violence, et alla jusqu'a me-
nacer de citer devant son tribunal tous les
membres du conseil royal qui s'étaient pre-
tés el juger l'affaire de La Chalotais. Pour prou-
ver que le roi seul était le premier juge du
royaume, le proces intenté contre le due d'Ái-
guillon devait se poursuivre dans un lit de ,
justice, le 27 juin 1770. Le parlement, qui
prévoyait le coup, déclara, meme avant la
séanee, que « Tout aecusé absous dans un lit
« de justice serait regardé comme non justi-
c{ fié. )} Il prononc;¡a en outre la sen ten ce que le
due d'Aiguillon avait forfait a l'honneur, et ce
jugement fut répandu par toute la Franee.


Des que Louis en fut informé, iI opposa a
ce décret un décret dll conseil d'État, et fit




LIVIn~ IV, CHAPITRE I. 13
enlever des archives parlementaires tons l(>s
actes con<;ernan t l' affair'e du duc d' Aiguil-
Ion. Le parlement s'inquiéta fort peu de cette
démarche. de la conr; car il avait pour luí
tous les princes de la famille royale. La Iutte
ne discontinua pas; apres une nouvelle séance
solennelle, ou, par ordre du roí, le dne prit
place parmi les pairs, et ou Louis XV preseri-
vit les eonditions les plus dures au parlement,
ses membres déclarerent enfin que, dans la
douleur qui les accablait, ils ne se sentaient
plus la force d'exereer leurs fonetions de juges.


Rien ne pouvait etre plus favorable aux
projets de Maupeou. Il répandit alors dans le
peuple que le parlement, tout oeeupé de ses
querelles particulieres, négligeait d'adminis-
trer la justice du royaume. eette aeeusation
paraissait d'autant mieux fondée, que pendant
quinze jours le roi avait en vain eherehé a
rappeler le parlement a ses fonetions judiciai-
res, tan t par ses ordonnances verbales et
éerites, que par des leUres de son conseil,
munies du seean royal.


Madame du Barry venait de renverser Choi-
seul; le dnc d'Aiguillon régnait dans le conseil.
On commen<;a en 1771, au moís de janvier,
a employer la force armée eontre les eonseil-




1 L, H 1 S T O 1 RE lnr X V 1 11 e S 1 ~: e LE •.
lers du parlement, et on tl'availla toute l'an-
née suivante a donner a la France une nou-
velle juridiction qui fut constituée dans tout
le royaume a la fin. de l'an 1772. On fonda a
Paris un nouvean parleruent, en restreignant
son autoritéjudiciaire. Maisonne futpas heu-
reux dans le choix des membres de ce tribu-
nal. Le public l'appelait par ironÍe le parle-
lnent ~aupeou; Beaumarchais le tourna en ri-
dicule et le rendit méprisable I par les satires
mordantes qu'j! publia dans ·les actes de son
proceso Comme l'enregistrement des décrets
d'impots ne pouvait avoir líen, tout crédit dis-
parut, et l'abbé Terray, qui trouva un déficit
de trente millions lorsqu'il entra en charge,
ne put qu'avec peine obtenir cette année le
faible emprUlít de huit millions. Cependant iI


1 Pour donner une idée du mépris général qu'inspirait ce
parlement, nous citerons le trait suivant, qu'on lit dans le
Clzoix d' anecdotes anciennes et modernes, Paris, 1824.


On rapporte qu'un filou, condamné a etre marqué, se re-
tourna, un instant avant I'opération, vers l'exécuteur, et le
pria de lui accorder une petite grace; celui - ci réponuit
que son état le mettait peu dans le cas d'accorder des graces,
mais enfin qu'il n'avait qu'a di re de quoi il s'agissait. « e'est
(t une hagatelle, répondit le patient; faites - moi l'amitié de
" mar,quer sur mon épaule la date de l'année et du jour de
• mon exécution; j'espere que tout ceci changera, et que I'an-
~ cien parlement reviendra : alor8 je me flatte de me faire réha-
« hiliter; car les arréts de celui-ci n'ont pas le sens commun. »


( Note du 'radllcteur.)




L 1 V H. 1~ 1 V, e H A. P 1 T R E 1. 1 5
avai~ l'etranché ccrtaines rentes, suspendu
plusieurs paiements, ajouté aux deux vingtie-
mes un nouvel ¡mpot, augmenté la capitation,


"et SOlIvent meme donné huit édits bursaux
dans un seul jour.


En 1774,il se vit obligé de déclarer nette-
ment qu'il ne connaissait plus aucun moyen
de subvenir a des dépenses de quatre cents
millions, quand les revenus de l'État ne s'éle-
vaient qu'a trois cent soixante-quinze. Sur
ces entrefaites Louis XV mourut, le 10 mai
1774.


n. A peine Louis XVI fut-il Inonté sur le
troue, qu'on vit dispara'itre de la cour toute la
-turpitude qui sous le regne précédent avait
dégradé la personne royale ; mais la déprava-
tion des mreurs resta la meme; la frivolité prit
la place de la licence. Louis, qui aurait été un
citoyen aimable, et un homme de lettres
assez distingué, n'était pas né roi, il le sentit
lui-meme, el malheureusement il choisit pour
guide un vieux courtisan, le COlnte de Maure-
paso Toutes les affaires paraissaient dirigées par
ses conseils, tandisque la reine en secret gou-
vernait avec une incroyable, légereté la cour
et le royaume.


Louis reconnut qu'une réforme devenait




lO I1ISTOIRE DU XVlIIe Sri~CLE.
llécessaire , que la prodigalité de la conr,
qu'il n'autorisait point par son exemple, de-
mandait de nouvelles ressources. Il n'apprit
que trop tot que la bourgeoisie s'était élevée
au-dessus de la noblesse, et que, de concert
avec les meilleure( et les plus riches familles
de eette classe de citoyens, elle désirait voir
finir le systeme de l'arbitraire. Il annonc;a des
changements dont il concevait les meilleures
espérances; mais en le laissant agir, la cour
sut déjouer tons ses projets. Le peuple ainsi
abusé s'indigna, et son courroux fut encore
excité par les écrivains philosophes, politi-
ques, économistes, et par un grand nombre
de nobles, offensés de la légereté de la reine.
Des poli tiques tres - considérés, ennemis du
systeme de l' Autriche, prédominaient depuis
le fatal hyménée; leur patriotisme les porta a
travailler contre la cour. Turgot, Malesherbes,
Saint-Germain, insistaient sur les réformes que
demandait la nation. Si le ministre de la guerre
était imprudent, Turgot et Malesherbes étaient
guidés par des idées nobles et généreuses, et
si l' on eút exécuté leurs projets, les mouve-
ments dans l'intérieur ne seraientpas devenus
aussi redoutables qu~ils le furent par la suite.
J .. e parti de la cour, ayant a sa tete la reine et




I.IVRE IV, CHAPITRE 1.


le jeune conlte d'Artois, espérait empeeher
sans grandes diffieultés toute la réforIne dont
il était menaeé, ainsi que ses eréatures. Dans
cette vue il se servit du parlement, avee le-
quel en effet Turgot et Malesherbes se brouil-
lerent bientot a la grande satisfaetion de
Maurepas qui lui-meme les avait appelés au
nlinis tere.


Aussitót apres l'avénernent de Louis XVI
au trone, l'ancien parlelnent avait été rappelé,
pour imposer aux novateurs, malgré les avis
réi térés de ne ras ehanger le nouvel ordre
de juridiction auquel on eommen<;;ait a s'ha-
hituer. Des son rétablissement., iI s'opposa


• aux desseins de Turgot et a ses efforts pour
modérer le systeme féodal et celui des eorpo-
rations. Six édits, sur des abus moins impor-
tantsqui devaient préparer les réformes de
ce ministre, furent mal accueillis en 1776.
Comme ii ne dissimulait pas son mécontente-
ment, on lui envoya sa démission, et Males-
herbes donna spontanément la sienne. Toul
resta sur l'ancien pied , mais l'attention pu-
blique était excitée, et il fallait trouvcr de l'ar-
gent. Alors se présenta Necker, dont nous
n' examinerons pas iei les talen ts : ton t le monde
sait que madame de Staelle déifie, tandis que


H. 11. 2




lB lIrSTOIRE DU XVIIlc SIECL.E.
les fauteurs aveugles de l'ancien régimc le ca-
lomnient et l'outragent.


Ce qu'il y a de bien certain, c'est que ce
ministre dut son entrée dans le grand monde
a un homme suspect, et qu'il méconnut 5a
position et ses force s quand iI espéra sauver
la France. Connu depuis long-temps comIne
banquier habile et comme homme bienfai-
sant et éclairé, il déploya son talent comme
potitique dans l' Éloge de Colbert, lorsque le
fils d'un marchand de fer de Versailles, de-
venu, on ne sait par quel moyen, marquis
de Pezay, lui fit avoir acces aupres de Man-
repas et de Louis XVI.


L'abbé Vermont, qui avait donné une édu ...
cation fran~aise a la reine et qui la dirigeait
toujours 1, recommanda Necker a Marie-An-
toineUe. n fut mis a la tete des finances,
d'abord sons un titre peu important, ensuite
sous celui de directeur-général. N ecker, pro-
testant, de mreurs simples et irréprochables,
se faisait grandement iUusion, lorsque par ses
seules qualités il espérait réformer des désor-
dres si profondémeilt enracinés.


Depuis 1776 jnsqu'en 1781 , il suivit son
I J e ~'ose assurer si l' OH doit ajouter foi a tout ce que ma~


dame Campan dit de l'abbé Vermont dans ses Mémoires,.




I,IVRE J V, CHAPITRE I.


systcme d'Clnprunt; la confiance dont ii jouis-
sait, comme négociant, lui fit trouver l'argent
qu'il cherchait; mais iI se vit malheureusement
frustré dans son attente; illui Eallait COulpter
sur de grandes épargnes qu'il ne pouvait in-
troduire; et la guerre d'Amérique absorbait
toutes les sommes emptuntées dans un autre
but. Necker, au cOffilnencement, fit des éta-
blissements tres-utiles, c' est un faÍt incontesta-
ble 1 ; mais 'le ton doctoral qu'il avait apporté
de Geneve, mais ses fornles et sa vanité le
rendirent odieux a la reine. L'intégrité de ses
principes et de sa vie choquerent les coürti-


cependant il fant que son rapport ne manque pas de véracité,
puisque plusieurs personnes émettent sur son compte la m~me
opinion.


1 Sur l'Administration de M. Neckel',par lui.meme, Paris, 179 J.
(livre insignifiallt) page 16. " L'établissement des assemblées
provinciales, dont je posai les premieres hases en 1779 , de-
,,'ait associer toute la nation a la gestioIl de ses intérets et sou-
Jever le voile que tenaient depuis si long - temps dan~"'leurs
mains un petit nombre de commissaires nommés par le roi.
Cet établissement donnait des guides et des protecteurs pater-
neIs a toutes les provinces, attachait les citoyens au bien pu-
blic, y attirait leurs pensées, et faisait servir les lumieres gé-
nél'ales a l'avancement de la prospérité de rÉtat. »


Une seconde institution, non moins importante, fut la dé-
termination, prise par le roi, de donner la plus grande pu-
blicité a l'état des nnances; il fondait deeette maniere la
eonflance sur la base la plus solide; il appelait la nation a la
eonnaissance et a l'examen de l'administration publique, et
il faisait ainsi, pour la premiere foís, des affail'cs de l'État une
c~ose commune.


2.




20 HJSl'OlRE DU XVlllc SIi~CLE.


sans; ses prétentíons et sa religion l' éloigne-
rent du roi. Nous avouons que la famille de
N ecker était noble, généreuse, libéraIe et éclai-
rée, mais elle avaitla manie qu'elle a conservée
jusqu'á nos jours de se donner elle-meme,
ou de' se faire offrir par ses partisans, un
encens SOlIvent ridicuIe et toujours insuppor-
table. On pouvait en outre, avec queIque
droit, lui reprocher d'avoir nourri l'ambition
et les idées républicaines an sein de la mo-
narchie l.


Tout-a-fait apposé au systeme et aux usages
du gouvernement fran<;ais, Necker chercha du
crédit et un appui dan s la confiance du peu-
pIe; c'est pourquoi il 6t publier" en 1'].81,
ses comptes rendus, ou l'état des finances. Une
telle publication était, san s doute, inconsidé-
rée , l'appel a la nation hasardé; mais la cour
fut encore plus imprudente que Necker en le
destituallt, lameme année au mois de mai.


Les ministres des finan ces , Joly de Fleury
et d'Ormesson ne purent se soute'hir que peu
de temps. Calonne, leur successeur, fermait
les yeux a toutes les dépenses, et empruntait


I M. Schlosser nous parait aller trop loin dans les reproches
qu'il adresse a madame de Stael et a son pere , et ne pa~ rendre
assez de justice a la supériorité de leur esprit et a la pureté
de leurs intentiolls. (Note dll traducteur.)




J,IVRF. IV, CHAPITRE I. 21


de rargent pour sout(-'uir les profusions des
princ~s et de leur parti. D'apres son systeme,
le luxe favorisait l'industrie, et la prodigalité
était indispensable dans une rnonarchie, paree
qu'elle nourrissait, disait-il, beaucoup de gens
Jésreuvrés, et ne laissait pas la foule méprisée
des classes ouvrieres amasser des richesses qui
l'auraient entiereníent ,détournée du travail.
N ecker et Calonne eurent une vive altercation
relativement au vrai déficit du trésor; rancien
ministre, accusé de trahir la vérité, exposa
une seconde fois au grand jour, en 1785,
l'état des finances; son ouvrage parut a pen
pres au moment ou Calonne se trouvait en
opposition avec le parlement sur le troisieme
vingtieme qu'il demandait. La discussion de-
vint une des plus violentes qu'on eut jamais
vues. Le roi ordonna trois fois au parlement
de reconnaltre le nouvel impot, sur lequel
Calonne devait fonder un emprunt de quatre-
vingts millions. Le parlement protesta trois fois
et l' orüre du roi demeura sans eHet. On le
convoqua enfin a Versailles, pour rayer de-
vant lui sa protestation des registres. C'est
alors que les écrits sur la révolntion d' Améri-
que se multiplierent et que Marie-Antoinette
se brouilla ave e le comtt-' <1' Artois. Le duc




22 HJSTOIRE DU XVIllc SI:E:CLE.


d'Orléans et la famille de Rohan avaieut été
mortelleme.nt offensés. La force de l'aristocra-
tie fut paralysée jusque dans les membres qui
ne connurent point l'esprit bienfaisant de
la phiIantropie de Ieur siecle. Le duc d'Orléans
devint d'autant plus dangereux qu'il perdit son
crédit; car ses richesses immenses pouvaient
lui gagner une foule de gens qui devaient
l'emporter dans un temps orageux sur les
nombreux pensionnaires de la cour. Il ras-
sembla, en effet, autour de lui des hommes
pervertis, dont le talent el l'influence sur la
masse devinrent de jour en jour plus redou-


/ tables. La famille de Rohan se sentit outragée
dans la personne du cardinal de Rohan qui,
méprisable il est vrai sous tous les rapports,
croyait par son état etre au-dessus du mépris.
Grand-aumonier de FraIlce, éveque de Stras-
bourg, il vivait comme ambassadeur a Vienne
avec une magnificence toute royale. Il employa
tous les moyens pour rentrer dans les honnes
graces de la reine qui lui avait fait perdre
eette dignité; nlais, au moment meme ouil
croyait toucher au but de ses désirs, il se vÍt
humilié publiquement et arreté' par un ordre
expres dú roi.


CeUe arrestation méritée, mais imprudente,




LIVRE IV, CIIAPITRE 1.


cut lien le 15 avril 1785, et fit naltre un scan-
daleux proces qui mit au grand jour la lé-
gereté et l'impudeur des premiers personnages
de l'lhat. I .. c cardinal, quoique absous judi-
ciairement, fut néanmoins condamné par
lJouis XVI. Ce proces est connu sous le nom
de l'histoire du collier; cal' le cardinal avait
espéré de gagner la reine par un collier de
seize cent mille livres, et ~ait été trompé par
une misérable femme, a laquelle il avait donné
5a confiance l. L'animosité contre la famille
de Polignac, jouissant seule d'une grande
faveur, le dépit qu'on ressentait des préroga-
ti ves • accordées a quelques personnes de la
cour, étaient a leur combIe, lorsque Calonne
résolut de ne pas consulter les parlements,
pour étouffer la résistance qu'ils élevaient
contre le projet d'ohliger les états privilégiés a
contribu~r aux impots. Pour exécllter ce pro-
jet, Calonne voulait convoquer les notables,
ce qui était déclarer publiquement que l'admi-
nistration et le gouvernement ne pouvaient
plus subsister dans l' ordre étal:~li.


1 La violence avec laquelle l'abbé Georgel, défenseur pro-
noneé de l'ancien régime, client de la famille de Rohan, s'é-
leve en toutc occasion contre la reine et tons ceux qui sont en
l'apport avec elle, pro uve combien les Rohan haissaient la
reine, et combien de personnes partageaient leur npinion.




24 IIrSTOIRJ~ nu XVIIle SIECL ~E.


CHAPITRE 11.


l. Depuis la convocation des notables en 1787, jusqu'au nou-
vean ministere de Necker,en septembre 1788.-11. Depuis
la rentrée de Necker au ministere jusqu'au 20 juin 1789-.


l. Calonne, ne pouvant plus remplir par des
emprunts le trésor épuisé, proposa de consul-
ter la voix du peuplé, eorome Henri IV et Riche-
lieu l'avaient essayé avec sueces en 1626, e'est-
a-dire, de convoquer les notables qui , s'ils n' é-
taient sous l'influence de la cour et de CaIonne,
avaient du moins les memes intérets que lui;
mais ce ministre oublia que Louis XVI n'était
point Henri IV, ni lui Riehelieu .. Le clergé
craignait de voir diminuer ses revenus; les'
grands seigneurs n'attendaient qu'une oeca-
sion pour faire éclater leur haine contre le
ministere.


Le comité des privilégiés 1 , chargé de cher-


1 L'assemblée se composait de sept princes du sang, de
quinze éveques, de trente-six ducs, comtes et marquis, de douze
membres du conseil royal, de trente-huit députés nommés par
le parlement, et du lieutenant civil de Paris, de seize députés
des États, de vingt -cinq maires des villes et de cinq minis-
tres. Elle fut répartie en sept bureaux. On voit, par Bertrand
de Molleville, Histoire de la I'évolution franfaise, 14 vol. in-So,
premiere partie, page 76, quel f¡atal esprit animait tous ces
hommes. Bertrand indique tout sériensement les moyens que




,"'


LIVRE IV, CHAPITRF. II. 2:J


cher) presque a. titre d'alunone , les cen t douze
millions qui devaie.nt couvrir le déficit, était
assemblé a peine depuis un lnois, lorsque
Calonne reconnut que la majorité des voix
était contre lui, et que le comte d' Artois, a
qui il avait ouvert le trésor, ne pourrait le
sauver. En effet, il se vit obligé de quitter
son portefeuille, le 9 avril. Son éloignement
était en partie l'ouvrage de l'archeveque de
Sen s , Loménie de Brienne, qui briguait la
place de premier ministre 1 et vit, ponr quel-
que temps, ses désirs couronnés. n parut, le
27 avril, avec le roi, dans l'assemblée; mais
loin de demander au clergé aveuglé, et a la
noblesse endurcie de la cour, une réfor~e gé-
nérale, il n' osa pas meme leur proposer de
renoncer généreusement a l' exemption des
impots. Il ne fut question que de quelques
amendements, ainsi que d'une modique sub-
vention qu'on négocia du 27 avril au 23 mai.
Monsieur, frere du roi , montra dans ces dis-
cussions. sa bonne volonté a céder quelques


Calonne aurait df:t employer pour consulter les notables sans
les écouter.


1 M. de Fourqueux, d'abord nommé a la place de Calonne,
céda bientot le portefeuille a l'archeveque de Sens. Les conve-
nances assignerent a ce dernier le premier rang, et lui valu-
:rent le titre de premier ministre.




26 HISTOJR}: DU XVIIlC Sd:CLK
prérogatives. Le marquis de Lafayette se dé-
clara des-Iors, dans quatre discours violents,
pour une réforme complete: le résultat bril-
lant 1 qu'on avait annoncé se réduisit a fort
peu de chose. Trois nouveaux impóts, le
timbre et la subvention, proprement dite, fu-
rent les seuls poi~ts qu'on régla. e'est ainsi
qu'on éluda la taille réelle, qui devait se ré-
partir sur toutes les terres sans exception , et
une grande partie de ce nonveau' fardeau
retoluba encore sur le peup]e. On impute 01'-
dinairement a l'ar~eveque 'de Sens la fante
de ne pas avoir profité de ce résultat insigni-
fiant de l'assemblée des notables. Il est vrai
qu'il ne fit point parvenir leurs décrets au~
parlements dans leur ordre véritable, et qu'il
facilita ainsi l' opposition 2; mais toute person-
nalité nous parait hors de saison, lorsqu'il
s'agit d'une cause si importante pár elle-meme.
Des cas accidentels pouvaient tout au plus


J On devait abolir les corvées, réformer la gabelle, mettre
un terme aux entraves du commerce de l'intérieur, organiser
les haillages sur un nouveau pied, donner une meilleure ad-
ministration provinciale, et nommer des conseillers provin-
ciaux.


2 L'histoire ne semble demander un jugement sévere que
sur les personnages dont l'influence fut décisive. C'est ce que
DOUS remarquons bien dans Louis XVI, m3is nullement dans
ses ministres.




LIVRE IV, CIIAPITRE TI. '1.7
avaneer Oll retarder l'explosion dont on était
menacé, mais, tot ou tard, elle était inévitable.


Le parlement se trouva fort embarrassé par
le nouveau subside qu' 00 lui proposa; ses
lnembres en étaient le plus grévés; il n'osa
done le refuser direetemeot, dans la eraiote
de paraitre protester par égoisme. Il demanda
le budget, et, sans aucun droit, il s'arrogea
ainsi les prérogatives d'une assemb.lée des États.
Ces prétentions firent naitre une nouvelle dis-
eussion. L'enregistrement du subside fut re-
tardé, etle ministre adressa maladroitement an
parlement la taxe odieuse sur le timbre, qu'il
rejeta aussitot, a la grande satisfaetion de la
nation.


Dans les différents qui éclatt~rent alors, ee
fut san s eontredit l'arehevcque de Sens
qui, par sa eonduite, porta le peuple turbu-
lent a la plus haute fermentation; mais le
parlement a son tour oublia momentanément
qu'il appartenait"au moins d'un coté a la no-
blesse, et donna le signal d'une révolte réelle
du peuple eontre l' oppression aristocratique.
Il reeonnut plus tard que ses intérets en souf-
fraient; iI voulut apaiser les tl'oubles, mais il
n'était plus temps l.


1 11 déclar~ d'abord que le parlement n'avait point le droit




28 HISTOIRE DU XVIUe sJi.~CI,E.
Pendant les débats du parlement SUl' la laxe


dl! timbre, les mouvements du' peuple pre-
naient un aspect alarmant : on portait cornme
en triomphe1es conseillers qui s'étaient élevés
contre les ministres, tandis qu~on persiflait
les autres. Duport et d'Esprémenil, dont l'un
ne savait pas ce qu'il voulait, cornme jI 1'a
prouvé par la suite, se virent confirrnés et sou-
tenus dans leurs lnesures violentes par l'opi-
nion générale. Les pairs assistaient en grand
nombre aux séances; le duc d'Orléans se
chargea alors du role de défenseur des droi t5
du peuple.


En 1787, au mois d'aout, le parlemellt se
brouilla entierement avec la cour par rapport
a l' enregistrement des décrets d'impots dan s
son' protocole, et demanda que l'assemblée
des États fut convoquée. Le roi la manda a
Versailles et eut la faiblesse de s' en rapportel"
a son ministre, plutot que de suivre les in-
spirations de son caractere pacifique; il or-
donpa l'enregistrement des impots en maltre'
qui veut etre obéi; mais le parlement qui
connaissait sa douceur et sa condescelldance


d'ac.corder de nouveaux impots , qu'il fallait convoquer pour
cela les États-Généraux. 11 s'opposa ensuite á la double r~pré-
sentation du tiers-état. .




L 1 V R. J~ 1 V, e H A PI T R E 1 1.


protesta contrele décretroyal; et1 par un décret
contraire, dé clara nnl tont ce qu'on avait fait.
Des-Iors la scission fut formelle.' La cour apres
avoir tenté envain de faire céder le parleluent.
l'exila a Troyes; c'est iei qu'il triompha en
quelque sorte du ministere: cal' il célébrait
des {ctes tous les ,jours au lieu de rendre la jus-
tice. Au hout de deux IDois il capitula enfin,
avee le 111inistre, d'une maniere également
ignominieuse pour les deux partis l. Le parle-
ment néanmoins retourna en triomphe a Pa-
ris, et le peuple maltraita ses adversaires 2.
Le gouvernement se sentait trop faible contre
l' opiníon générale, pour arreter le peuple par
des luesures séveres; la eour meme crut ne
pouvoir plus refuser la convoeation des États,


1 Le roi abandonna la taille réelle, et le parlement s'enga-
gea a prolonger le terme du vingtieme levé et encore a lever ;
c'est-fl-dire, le roi ota le fardeall au parlement , et celui-ci en
rejeta une partie sur le peuple.


2 lntroduction aux révolutiolls de París, dédiéelda nation, 1790,
in-So, page 52. On trouvera le jugement que l'on porta
par la. suite ~ sur ces événemcnts, dans un passage de Prud-
homme ( Cet ouvrage ne fut point rédigé, dans le commen-
cement, par de~ démocrates acharnés). " 11 acheta son retour
"en enregistrant nne prorogation de vingtiemes, c'est-a-dire
"par une contradiction et tine Iacheté. Ceux <tui ne l'avaient
"pas pénétré auparavant, eurent une donnée de plus pour
« juger ~on héroisme grimacier et sa l'éelle bassesse. » - 11 est
vrai que c'est écrit dans un temps ou on cherchait a exciter
les esprits contre le parlement.




30 HISTOIRE DU XVIIle Sd:CLE.
et dans une séance solennelle, le 19 novelnbre
1787, le roi tit la promesse expresse et n1é-
lllorahle de les convoquer dans cinq ans.


Dans cette meme séance 1, ou les conseillers
du parlernent, Freteau et d'Esprétnenil dé-
ployaient leur vive éloquence, en présentant
les tristes vérités 2 qui agitaient alors le pu-
blic, le due d'Orléans déclara une guerre ou-
verte a Louis XVI3. Son exil le rendit ¡rnpor-
tant, et l'arrestation des deux conseillers jus-


J On ehoisit une séance ro.rale, 011 le l'oi parut sans les
marques de sa dignité, pour éviter l'odieux d'un lit de jus-
tice; puisqu'alors on ajoutait toujours la formule: .. Par
" ordre expres du roí. »
~ On avait proposé un nouvel emprunt considérable, et de-


mandé en outre qu'on donnát aux protestants tous les droits
civils. Le ministre crut avoir gagné la majoríté du parlement,
mais le partí libéral tint ses assemblées chez Duport, ou la
diseussion fut extrémement vive.


3 Le parlement voulut qu'on pronon~at le résultat eomme
décret de la majorité; les ministres prétendirellt, au contraire,
qu'on n'all~t aux voix que pour la forme, et que les ordres du
roi seul fussent intimés a l'assemhlée. Le duc d'Orléans, dé-
(~idé avec peine a eette démarche, demanda alors a haute voix :
.. Sire, j'ose demander a votre majesté si la séance présente
«est un lit de justice? » .. e'est une séance royale, répondit
«Louis XVI. » Le due proteste formellement; le roi ordonne
d'enregistrer, mais oe leve pas la séance ; il Jaisse ainsi au duc
d'Orléans le temps de retourner au parlement et de jouír de
son triomphe. Les eonseillers du parlement, qui avaíent voté,
retirerent lenr voix, et le parlement déclara , dans la m~me
séance , qu'il regardait les décrets antérieurs comme íllégaux.
et qu'il n'avait pl'is aueune part a l'enregistrement des em-
prllnts progressifs.




LIVR1~ IV, CHAPITRE JI.


tifia el! quelque sorte l'attitude mena<;ante que
le parlement de Paris et tous ceux du royaume
prirent contre le gouvernement; mais les ex-
pressions dont les conseillers se servirent dans
leurs remontrances, ne convenaient nulle-
ment a leurs rapports antérieurs avec le gou-
vernement l.


Il s'engagea des-Iors une lutte que ne pu-
rent soutenir ni Louis XVI ni son ministre.
L' organisation des grands baillages et d'une
chambrepour toutes les affaires extra-judiciai-
res des parlements 2, ne fnt pas seulement ri-
dicule et infructueuse, mais enfanta meme
des troubles en Bretagne et dans le Dauphiné.
C'est él la nouveUe discussion que Paris dut


t Il est dit : " Sire, si le duc d'Orléans est coupable, nous le
sommes tous! D On invite ensuite le roí d'effacer un exemple
qui finirait par opérer la destruction des lois, la dégradation
de la magistrature, et le triomphe des, ennemis du nom fran-
~ais.


2 On ne saurait guere imaginer rien de plus absurde que,
dans le moment m~me Otl il s'agissait des droits de la nation ,
de vouloir les meUre entre les mains d'une chambre compo-
sée du roí, du chancelier, du président du parlement, des
princes du sang, du grand-aumonier, des grands.officiers de la
couronne, des pairs ,de deux archev~ques , de deux évéques ,
de deux marechaux:, de deux commandants de province, de
deux lieutenauts-généraux , de quatre personnes qualifiées , de
conseillers d'État , de maitres des requetes. Chaque province
donnait en outre son député. Qui blamerait ensuite les hommes,
dans Prudhomme, introduction, page 33, lorsqu'ils disent :
" C'eut été vraiment une conr pléniaire du despotisme. »




32 HISTOIRE DU XVIUC SIECI.E.
ses premiers clubs OH sociétés poli tiques ,
ainsi que la Bretagne ses premiers cabinets
littéraires. Ces derniers fOluenterent dans leur
sein le club de Bretagne 1 qui s'éleva par la
suite.


S'il en faut cl'oire la renommée , le due d'Or-
léans aurait alors donné l'argent nécessaire,
pour répandre un grand nombre d'éerits pé-
riodiques, et pour payer la résistance de la
foule contre la police 2.


Le parlement enhardi par l'opinion publi-


1 Bertrand de Molleville, dans ses l~'lémoires, ainsi que dans
le premier volume de son Histoire de la répolution franr¡aise ,
s' étend heaucoup sur les trouhles de Bretagne, et se montre
tres-rigide dans le sens de ceux qui croient que les événements
dépendent des mesures qu'on prendo Il dit, dan s ses Annales
de la répolution franc¡aise, tome 1, p. II 8, noto 1 . " Il Y avait
alors a Rennes deux chambres de lecture; l'une n'était com-
posée que de gentilshommes, l'autre l'était principalement de
memhres du présidial, d'avocats, de procureurs, de hourgeois;
mais on y voyait aussi de temps en temps quelques gentils-
hommes. Ce fut dans la premiere que Moreau, alors prévot
des écoles de droit a Rennes, et depuis général fameux des
armées franc;¡aises, aUa offrir, au nom de ses camarades, leur
réunion en armes a la jeunesse de Rennes, pour attaquer le
régiment de Rohan; mais heureusement les gentilshommes,
qui se trouvaient alors dans la chambre, furent assez sages
pour rejeter la proposition. »


2 M. Schlosser, dans la pl'éface de son ouvl'age, avoue qu'il
n'a pas voulu s'élever ici contre une opinion généralement
accréditée en France. Il Cl'oit cependant pouvoir révoquer en
doute ces récits, comme exagérés et fahuleux, d'apres les ren-
ieignements que lui donnerent des personnes bien dignes de
foi. (Note d" lraducteur. )




LIVRE IV, eH Al)ITHE 1I. 33
que, protesta sur l'avis de d'Esprémenil, con-
tre.la suppression de son tribunal dont on
l'avaitmenacée. Cette protestation 1 ressernble
beaucoupa la fameuse réclamation des droits
nationaux (petition of rights ), que le parle-
ment anglais fit sous' Charles 1. Les faits prou-
vent quel parti avait raison. Le ministre par ..
sévéra dans son aveuglement el ordonna des
arrestations qui ne pouvaient pas changer
l'état des choses. Gn arreta cinquante - un
députés des États de Bretagne, chargés de
s'élever contre la suppression 9-es parlements.
On licencia un régiment entier pour s'etre in-
téressé a la cause de ses' compatriotes, et 011
envoya seize mille hommes en Bretagne, poUI'
apaiser la voix du peuple a coups de balon ..
nettes.


Le Dauphiné s'était soulevé, le clergé avait
méconnu l'esprit du sÍecle au point de pre ...
cher contre la tolérance; le ministre renon<;a
a tous ses projets : il ne lni restait plus d'autre


1 La cour .....•... déclare: que la Franee est une monar-
chie dans laqnelle le roí gouverne par des lois fixes et établies;
qu'au nombre de ces 10is iI en est de fonda mentales , ceHes
qui assurent la couronne a la maison réguante, a ses descen-
dants de maIe ~n maJe, par ordre de primogéniture ; eelle qui
conserve aux Etats - généraux seuls, con'Voqués légalement,
le dróit d'octroyer les impo~s; celle qui assure l'inamovibiJité·
des affaires demagistrature; ceHes qui maiútiennent la liberté
individuelle et la propriété des citoyens, etc ....


H. JI. ~1




34 HISTOIRE DU XVllltl SIECLE.
moyen pour prévenir une· banqueroute que
de réforrner entierelnent le systeme des finan-
ces. Les grands hailliages et la cour pléniere
périrent ainsi en naissant, et le roi se vit
obligé d'avancer de trois ans le tertne flxé
pour la convocation des États; l'archevet¡ue
de Sens céda aussi a la haine de la nation. Il
quitta le ministere, le 25 aout 1788, apres
avoir tenté en vain tons les moyens pOUI' dé-
cider Necker a partager avec lui la direction
des finances.


Le peuple qui, excité par des orateurs pu-
blics, se portait souvent a des voies de fait
contre le militaire, fit tomber tout son res-
sentiment sur l'archeveque. Necker, rappelé
aux fillances, réunit les suffrages de toute la
nation. La lJlalheureuse reine, qui avait fait en-
trer le cardinal au ministere, co'rnme tout le
monde le sait aujourd'hui I, ne pouvait souf-


1 La reine y fut portée par son funeste mentor de Vienne,
rahhé de Vermont, comme madame Campan le rapporte
dans ses Mémoires. On apprend cependant, dans le vol. 11.
page 65 ,que cette derniere était en mauvaise intelligence avec
rabLé de Vermont, et fachée de ce qu'elle et sa famille ne pou-
vaient seules influencer la reine. Elle ne le dépeint done pas
trop bien.


La nomination du cardinal se trouve dans le volume 1I,
page 28, apres l'hístoire du Collier, ou elle dit: • La reine
fut forcée, par le caractere du roí et par le peu de confiance
qu'il accorda a l'archevéque de Sens, de se méler des affaires.




LIVRE IV, CH¡\PITRE JI. 35
frir Necker. eomme elle gardait toujours son
ascendant sur son époux, le parlement meme
la présenta des-Iors au peuple eomme l'enne ..
mie ae toute réforme et la protectriee des
courtisans frivoles et de l'otguei1 des grands.


II. Privé du fruit de ses travaux par les pré-
rogatives de la nobles se , le moyen état con<;ut
une haine implacable contre elle; tous les
écrivains et les journalistes s'efforcerent de
r éclairer sur ses droits dans le Hen social,' ce
qu'ón avait négligé jusqu'alors. Les hommes
vraiment nobles de la c1asse privilégiée, firent
cause commune avec les opprimés, et, dans
leur enthousiasme, ils aimerent mieux devoir
leur rang au mérite qu'a la naissance; peut-
l~tre espéraient-ils, en cas de réforíne, se main-
tenir dans ce rang qu'ils oecupaient, tandis que
eeux d'entre eux qui s'étaient déclarés les en-
nemis des progres dll sit~cle se verraient dé-
chus de leur grandeur usurp ée.


En Bretagne, la disput~ entre la noblesse et
la rotUre venait de se transformer en guerre


Tant que M. de Maurepas vécut, elle évita ce dang'er; on le
voit par les reproclles que le baron de Bezenvallui fait dans
ses mémoires, sur ce qu'elle ne profita pas du rapprochement
qu'il avait préparé entre elle el ce ministre, qui cotnhattait
l'ascendant que la reine et ses intimes auraient pu prendl'e sut
l'esprit du roi .•


3.




'36 H [STOIRE DU XVIlle SIi:CLE.
ouverte; a Paris elle éclatait en invecti ves.
Quoique la noblesse ignorante de la cour ne
contest:lt point le mérite de Necker, elle le
méprisait paree qu'il était roturier et Géne-
vois l. Celui-ci reconnut faeilernent que les
nobles ne preteraient pas la main a ses ré-
formes, et que les États ne se rendraient uti-
les qu'en diminuant les prérogatives de l'aris-
tocratie et de la hiérarchie. Il fallait pour cela
que le tiers-état eut la majorité dans les déli-
bérations de l'assemblée. Necker chercha done
a doubler le nonlbre de ses députés, pour
augmenter son crédit, mais il s'attira ainsi
l'animadversion du parlement2 •


I On apprend , par les Mémoires de madame Campa1l, tomo 1,
page 339, dans la note,jusqu'ou la folie aBa encore dans les
derniers temps, et combien les Franr;ais doivent redouter avec
raison son retour.


2 Le meilleu~ jugement sur Neéker, se trouve dans Bail-
leul, Examen critique de l'ouvrage postltume de madame de Stael,
tome U, chapo 11; en prouvant que Necker n'était point faÍt
a la haute politique, iI dit, pages 19 et 20 : Aheurté a quelques
principes généraux de morale, tres-justes en eux-mémes~ (in
Platonis Republica), dont iI parlait sans cesse, iI en faisait
toujours l'application au plus pres (in Romuli frece); et eette
applicationse trouvait trop souvent en sens inverse de ce qu'au-
l'ait exigé l'état des cboses hien apprécié. C'est ainsi qu'il disait
un jour a Mirabeau : u Vous avez trop d'esprit, pour ne pas
«reconnaitre tot ou tard que la morale est dan s la uature
.. des choses. » Le caustique Mirabeau dot bien rire dans sa
barbe en entendant cette grave apostrophe, sur laquelle iI se




I,IV;RE IV, CHAPITRE JI. 37
Ce tribunal s' épouvanta de ce qu'il avait


d'abord demandé, et le meme d'Esprétnenil,
qui s'était montré le défenseur des droits du
peuple, proposa un déeret, en vertu duquel


. le parlement, demandait expressérnent a gar-
del' la forme de 1614, a conserver le nH~rne
non~bre de députés pour les trois États et a dé-
libérer séparérnent d'apres leurs sections.
N eeker désirait opposer d'autres ,autorités a
eelle du parlement, il en avait eherché et
tro~vé une dan s le public; les notables
devaient luí en fournir une autre: il les con-
voqua done une seconde fois, pour le 9 no-
vembre 1788, mais ils se cléclareren t formel-
lement contre ]a proposition de Necker. Il
aurait dille prévojr, si safernrne etuladarne de
Stael, sa filIe, par leurs adulations et celles de
leup cercle ne l'eussent abusé sur sa propre
position.


La faute de ce refus tomba sur les courti-
sans, et les homules les plus éclairés de la na-
tion dépeignirent alors sous les couleurs les
plus fortes, san s blesser la vérité·, la maniere
de vÍvre adoptée a la cour, et ceHe des parti~
sera,bien gardé d'élever le moindre doute. II y avait en outre
<lu vague dans ses idées, une sorte d'exagération romantique
dans sa sensibilité, de l'illuminisme dans son ame et ses opi,.
nions.




38 HISTOIRE DU XVlIIe SIECLE.
sans du comte d'Artois qui cherchaient de- ..
puis a se faire valoir comme défenseurs de
Dieu, de la- justice et de la religion.


On soumit a un examen sévere les. príncipes
des fau teurs de tous les abuso L' Essai sur les
priYiléges, par le comte d' Antraigues; Qu' est-
ce.que le tiers-état? par l'abbé Sieyes 1, furent
l'épandus partaut et fixerent presque exclusi-
vement l'opinion publique.


L'abbé Sieyes, dans la premiere moitié de
son ouvrage, détermine d'une maniere c1aire
et positive le rapport des états entre eux et la
Ilation, en assign~nt au clergé sa vraie place 2,
mais dans la seconde partie i1 se perd dans
des spéculations.


I Sieyes dit ~ page 5 , • Les places lucratives et honorifiqlie~
y sont occupées par des membres de rordre privilégié. Lui
en ferons-nous un mérite? Il faudrait pour cela, ou que le
tiers refusat, ou qu'il fut moins en état d'en exercer les fonc-
tions. On sait ce qu'il en est; cependant on a osé frapper
l'ordre du tiers d'interdiction. On lui a dit : .. Quels que sOlent
tes services, quels que soient tes talents, tu iras jusque la , tu
ne passeras pas ou're; ii Jl'est pas hon que tu sois honoré. D
De rares exceptions senties comme elles doivent l'étre, ne sont.,
qu'une dérislon, et le langage qu'on se permet dans ces oc-
ca,sions, une insulte de phl$.


( e'est la la véritahle cause de la révolution fran<;aise, ce
qu'on observe si rarement.)


Il poursuit, page 7, dans la note: .. On soutient d'un coté,
avec éclat, que la nation n'est pas faite po u!' son chef; quelIe
folie que de vouloir, d'un autre coté, qu'elle soit faite pour
qqelques-uns de ses memhres! 11


2 Sieyes, page 8, note 1 .•




LIVRE IV, CH4.PIT~:t: 11. 39
Sieyes, Mirabeau et Talleyrand sentajent


que sans un bouleversement la nation ne pou-
vait etre ramenée a un état raisonnable, tel
qu'il était énoncé dans eet ouvr~e. 00 y lit
done presque achaque page qu'une réforrne
complete et violente devenait nécessaire 1, et
iI fant avoner qu'un homme impartial ne s~Ul'"
rait ríen opposer aux raisolls, pleines d~ chuté,
de précision et de force qui s'y trouvent.


Sieyes pronan<;a d'avanee son jugement
sur l'assemblée- future des États, e,n cas q\le
la volonté du parlemen t infIuen<;at son ehoix:l,
et prédit avee assurance les ehang-ernents qui
allaient s' opérer dans l' opinian et d~ns l~~
idées 3.


Pendant que les écrivains cités illq~g~aie:qt
le public eontre les états privilégiés, les prin ..
ces, a l' exceptiQn de Monsieur" présenterell t


1 Sieyes , page 13: .. Pourquoi le peupte ne l'envel'rait,·il pas.
dans les foréts de la Franconie toutes ces familles qui c;onser-
vent la folle prétention d'étre issues de la race des c:onquérants.
et d'avoir succédé a leurs droits't JI


2 Sieyes, page 19 : • N~est-i1 pas certain que .la est une véri-
table aristocratie, ou les États-généraux De sont qu~uDe assem-
blée clerico.nobili·judicielle? JI


3 Sieyes, page 42: «Lorsque, dans quelques aDnées~ on "ien·
dra a se rílppeler toutes les difficultés que l'on fait essuyerau ..
jourq'llU,i a, ia trop modest~ demande du tiers, on s'étonnera
et qu P~q de valeur des prétextes qu'on y oppose, et encore
plus de l'intrépide iniquité qui a osé en chercher .•




40 HISTOIRE nu XVIIIC SJECLE.
aux notables un manifeste violent contre 1'0-
pinion du jour. Ce manifeste exaspéra d'au-
tant Vlus les esprits 1, que l'assemblée des no-
tables se sépará, le 9 décembre 1788, sans
s'etre pretée aux désirs de Necker ,concernant
la double représentation du tiers·état 2. Necker
exécuta alors ce qui aurait obtenu d'abord
pIuslde sucd~s. Il fit donner par le roi' au tiers-
éta t "le droi tde -doubler ses rep résen fan ts ,
mais nialheureusenlent avec le pédan tisme qui
lui était propre 3; cal' on ajouta au décret le
." r :Sieyes, pase 100: Ir On se plaint de la violence de queIques
écvivains~ du tiers·état¡ Qu'est-ce que la maniere de penser d'un
individu ~solé? rien."",",:","Qu'on les compare a la démarche éga-
lement aitthentique des' princes contre le peuple 9ui se gardait bien
de les attalJuer. D •
". t Sieye~, page 5!:1 : "M. Necker s'est abusé. Mais pouvait-il
'itnaginér; qüe ces mémes hommes ,qui avaient voté pour ad-
meltre le íiers ennqmbre égal dans les assemhlées provin-
ciales, rejetteraient cette égalité pour les États-généraux ? Quoí
qu'il en soit, le public ne s'y est point trompé. "


3 Le journal de Pa,.is, nO 2, du 2 janvier 1789, donne le
résultat d'un conseil d'État royal:
. l° Que les députés, aux proehains États-généraux , seront
au moi:ps: au nomhre- de mille;


2 0 Que ce nombre sera formé, autant qu'il sera possihle,
en ~aison composée de la population et des contributions de
chaque b~iHiage;


3 o Que le nombre des députés du tiers-état sera égal a celuí
des deux autres ordres réullis, et que cette proportion sera
établie par les lettres de convocation;


4° Qu~ ces décisions préliminaires serviront de base aux
travaux nécessaires pour préparer sans délai les lettres de con-
vocation ,ainsi que les autres dispositions qui doivent les ac-
"ompagner.




LIVRE IV, -CHAPITRE II. 4r
rapport de Necker au conseil-d'État, dans le-
quel on accorda a la voix publique une in-
fluence qu' elle ne peut pas avoir dan s des
monarchies absolues, ou qu' on ne peut re-
connaitre sans faire officiellernent entrer le
penple dan s tons les secrets de l'administr~­
tion l. Dans ce rapport, le ministre signala en
meme temps au roi et a ~on conseilcertaines
classes de la société COlllme contraires a l'in-
téret du tiers-état, ce qui occasionlla naturel-


1 Le JOllrnal de París consacre les numéros 2 , 3 et 4 a ce
rapport. Il y est dit. page 10 : « On compte, en faveur de
« l'opinion qui réduit le nombre du tiers-état a la moitié des
" représentants des deux autres ordres réunis :


" 1° La majorité décidée des notables;
• 2 ° Une grande partie du clergé et de la noblesse;
• 3 ° Le vren prononcé de la noblesse de Bretagne;
" 4° I;.e sentiment connude plusieurs magistrats, tant du


« conseil du roi que des cours souveraines;
.,5° Une sorte d'exemple, tiré des états de Bretagne, de


" Bourgogne et d' Artois ;
" 60 Plusieurs princes du sang, dont les sentiments se sont


" manifestés d'une maniere positive. D
On voit, d'un autre coté, en faveur de l'admission du tiers-


état, dans un nombre égal a celui des deux alitres ordres
réunis :


• 10 L' a vis de la mi.o.orité des notables, en tre lesquels, etc. ;
" 2°L'opinion de plusieurs gentilshommes qui n'étaientpas


" dans I'assemhlée des notables;
" 3 o Le vreu des trois ordres du Dauphiné.
Nous passons sous silence les trois articles insigninants qui


suivent.
• 70 Enlln , et par-dessus tout, les adres ses sans nombre des


"villes et des communes du roya:ume, et le vreu public de cette
"vaste partie de vos sujets, connue sous le nom de tiers-état. _




42 .HISTOIRE HU XVlIIe SIECLE.
lenlent une dissension violente a l'ouverture
de l'assemblée.


N ecker comme protestant et roturier avait
bien plus a craindre de l' oligarchie de la eour,
que des mouvements du peuple. Il ne fut done
pas faché qu'a l'élection des députég, on nom-
Inat les partisans les plus arden ts de la liberté po-
l¡tique, représentanls du tiers-état. Lorsqu' on
considere l' état des cñoses,on ne peut pas ah-
solumentdésapprouverlesentimentdeNecker,
lnais il faut blamer cette négligence qui per-
met aux électeurs de s'occuper de toute autre
chose que des élections. n en résulta que
ceux de Paris s'arrogerent aussitot apres une
autorité publique qui ne leuT.' convel,ait nul-
lement.L'intervatle qu'ily eut entre la convo-
cation et l'assemblée' des États lut employé,
par le parti du duc d'Orléans, a lui gagner des
amis 1, et a susciter des ennemi~ a la cou.r.
Un hiver rigoureux augmentá la misere de la
population immense et redoutable du fa~­
bourg Sajnt-Antoine 2 et'Qu-quartjer voisin,


1 On ber~a le duc d'Orléans de l'espoir- qu'il serait nommé
régent du royaume. Si Louis XVI avait hesoin d''Un· guille, ce
n'était sttrement pas le duc qu'illui fallait.


2 Journal de París, nO 2, du 2 janvier 1789 :
Le curé Laugier de Beaurecueil , en demandant des aumones


pour ses paroissiens , dépeint ce d~plorable état de la maniere
suivante: • V oici , messieurs, ce qu' est roa paroisse : elle com-




LIVRE IV, CHAPITRE II. 43
ce qui facilita aux hommes méprisables, ga-
gnés par le partí opposé a la cour, le moyen
de former une armée mercenaire avec la plus
vile populace.On l'exerc;a pour la premiere
foís aux manreuvres dans lesquelles elle de-
vint ensuite si habite, en lui permettant le
pilIage de la fabrique des papiers peints du
sieur Réveillon ,ce qui se passa peu de temps
avant l'ouverture de l'assemblée des États l.


Si nons voyons d'un coté un parti, égale-
ment contraire a Louis XVI et a la liberté,
rassembIer et exercer ses forces , employer la
populace comme levier 2 , et tenter jusqu'a
<t prend tout le faubourg Saint-Antoine, et contient la (Jixieme
"partie des habitants {le Paris. Ces habitants sont tpus ou-
<t vriers, a l'ex.Ceptio~ d~un nombre ~nilDeIlt pe~i~ d~ pEP'''
"sonnes riches et aisées; elle n'esl pas, il s'en faut beaucoup,
«dam la situation de ces paroisses heureuses, ou l'abondance
" des riches prévient et eombIe la mesure des besoins d~s pa"-
"vres qui les habitent; elle n'a que la misere en Pilrtage, Iors-
.. que la ressource du tl'avai,l vient a luí manquer : aJors le
« nombre de$ p;luvres, qu.i es~ ordinairem~pt de huit a d,i¡c
" mille, /accrott jusr¡u'a vingt et trente mil/e. » __


] 11 faut remarqner que la lettre dll roi, pou,~ la conyQqalio~
des États-gélléraux a VersailIes, De fut publiét;! qqe le :a 7 I¡I.v~i~
1789, daDs le Journal de Paris, 6 fé"rie.f 1789,:qo 37; etque
le tumulte ent lieu le :& 7 et le 28 , e' est-4-dire le jour fixé PQur
l'ouverture de I'assemblée ajournée.


2 Babeuf, dalls le famellx proces plaidé a l~ b~"\e COU.f (:le
Vendome, les mois de mars et avril 1797, dit , en, parlant de
la séance du premier germinal: .. On a attribué le 14 juille.t 4
la canaill~ pal'isienne; mais de bons citoyens el des patriotes.
éclairés ont préparé el dirigé ses mouvements; satis eux ja-




44 HlSTOIRE DU XVIIJe SIi~CLE.
quel point ses machinations le seconderaient ~
nous remarquons de l'autre coté dans toute
]a nation le plus bel enthousiasme s'allier a ux
plus nobles transports. L'A,,¿s sur le.r élec-
tions, imprimé et distribué aux dépens du due
d'Orléans 1, ne demeura pas sans fruit: OD
ehoisit presque exclusi vement les gens les
plus éclairés et les plus éloquents, ainsi que
les hornmes d'affaires les plus habiles de toute
la nation. Celui qui désire connaltre la vraie
cause du mécontentement général ,et la con-
fusion des affaire s dans l'ancienne France, dont
la génération actuelle n'a plus"- le moindre
souvenir, peut consulter le!.cahiers des dif-


férents bailliages, ou se troAvent exposés les
griefs et les abus qu'ils désiraient voir abolis;
on y trouve encore les réformes qu'ils deman ..
daient 2.


A vant la constitution des États, les députés
furent présentés au roi, mais l'observance de


mais le peuple n'aUJ:ait songé a s'insurger, et nous serions
encore sous la tyrannie. J>


Il s'en faít, avec raison, un titre justificatif.
1 Nous ne saurions décider si Sieyes fut l'auteur de cette bro-


chure. Bertrand de Molleville l'affirme ; Mallet du Pan le ré-
"Yo que en doute.


2 On a fuit, au' mois de juin 1789 , un résumé de tous les
Cahiers des différents hailtiages, 3 vol. in- 8° , OU on peur faci~
lem~nt s'orienter, moyennant la table raisonnée.




1.1 VRE 1 V, CHAPITRE 11. 45
l'ancienne étiquette de la cour, et le choix des
costumes dans cette circonstance, aigrirent les
esprits déja mal disposés de ces Fran~ais qui
s' étaient rassemblés ponr faire ces ser tous les
différents entre les États. Ces députés avaient
été choisis presque tous dans l'intéret du tiers-
état. lIs étaient d'ailleurs encouragés et sou-
tenus par les hommes les plus instruits et les·
plus considérés de la noblesse; ils renfermaient
parmi eux des curés 1 ,et comptaient trente-
sept voix de plus que les deux autres états
réunis 2, paree que la noblesse de Bretagne
n'envoyait pas de députés.


I.Je 27 avril, le héraut d'armes proclama
l'ouverture des États ajournés au 4 mai; le I el"
de ce mois eut lieu la présentation, dont nous
venons de parler; le 4, on vit a Versailles une


1 II Y avait, dans la chambre du c1ergé, quarante-huit arche-
'"~ques et év~ques, trente-cinq abbés ou dé can s , deux cent
hui! «urés. La chambre de la noblesse comprenait deux cent
quarante-deux gentilshommes, vingt-huit membres des parle-
ments. Dans la chambre des communes se trouvaient deux ee-
clésiastiques, douze nobles .. ·dix-huit membres des magistrats
de ville, cent deux membres des bailliages et autres tribunaux
inférieurs, deux cent douze avocats, seize médecius, deux
cent seize marchands et paysans.


2 Ilnous faudra souvent citer le Poínt du jon,., ou résultat de
ce qu¿ s'est passé aux États-généraux, etc.,. par Barrere, alors
digne libéral, et non pas encore le révolutionnaire de 1793.
Il donne, page 1 et 8, les notices sur la présentation et le
costume, cite ensuite les noms des députés, et dit : • Une
troisieme distinction entre les ordres a signalé eette singuliere




46 HISTOIRE DU XVIlIe SJECLE.
procession brillante, 0'11 parurent toute la COUl'
-et tons les États-généraux l. Le duc d'Orléans,
dans cette solennité, se sépara des princes et
prit sa place parmi les députés, auxquels iI
adhérait 2 : on ouvrit l'assemblée des-:Etats-gé ..
néraux le 5 maí; le roi dan s son discours s'ap-
pesantit trop sur la fermentatioll des esprits;
en jetant un coup-d'reil sur les choses qui ve-
naient de se passer 3, il avait annoncé , que des
joumée; les deux premiers ont été admis dans le cabinet du
roi, et le troisieme dans sa chambre. Le6 deux battants n' ont été
ouverts que pour le clergé. Un troupeau de moutons défile
ainsi, forcé de précipiter sa course par les aboiements des
chiens qui le pressent et I'épouvantellt. Les communes t tres~
aflectées de cette différence dans la présentation, plusieurs
gr()upes sé sont aussitot formés. On a pro posé , avec quelque
véhémence, tle porter a l'instant mén'le une réclamation au
pied du trone, etc. »


1 MadameCampan, tome tI, page 3-6 : .. Lors de la pro~
cession des États.généraux ,des femmes du peuple, en voyant
}laSSer la reine, crierent vive le due d'Orléans! avec des accents
si factieux, qu'elle pensa s'évanouir. On la soutint, et 'Ceux
qui l'environnaient craignirent un moment qu' on ne fut obligé
d'arr~ter la marche de la pro(:ession. »


2 Point du jour, page 38, l'ordre de la noblesse : tr M. le
duc d'Orléans y marchait dans son rang de député de Crépy
en Valois.» Page 39 : .. La reine, par les graces de sa figure, sa
taille avantagepsé, sadémarche noble et aisée, sa parure élé-
gante el riche, attirait tous les regards. Cómbien de sentiments
sa vue n'a·t~elle pas excités! Comme elle serait aimée, disait-
en ,si elle voulait! qu'elle est a plaindre, d'étre subjuguée par
des courtisans avides et corrompus! "


3 Point du jour, page 45 : ti Une inquiétude générale, un
.Jésir exagéré d'innovation, se sont emparés des esprits, et
finiraient par égarer totalement les opinions , si Pon ne se ha-
tait de les fixer par une réunion d'avis sages et modérés. "




LIVRE IV, CHAPITRE 11. 47
l~éformes devenaient néeessaires; mais Neeker


. ayant pris la parole apres le roi et le garde ...
des-seeaux; déclara positivemellt, dans un dis-
cours fort long r, que sans l'assistance des
États, une banqueroute ignominieuse était iné-
vitable. Il était done impossible de eongédier
ou d'ajourner l'assemblée. Tout dépendait des-
101's des démarehes qu'allaient faire les dépu-
tes des nobles et du clergé, désignés avec af-
fectation par le noin de privilégiés, et bien-
tot apres par eelui d'aristocrates. On croyait
qu'en séparant la délihération ou en organi-
sant trois chambres, le parti des arjstocrates
paralyserait la supériorité du tiers-état. Celui-
ei insista ave e ehaleur sur une délibération
générale., et l' emporta paree qu'il avait pour
lui le talent, l'opinion publique, le penehant
seeret de tous eeux des deux autres ordres ql1i
se distinguaient par la générosité de leur5
sentiments.


n paralt évident que Nec1\.er n'avait songé
1 Point du jour, page 59:" Le directeur-général des nnances


a commencé la lecture de son discours, mais son étendue, véri-
taólement indiscrete, ne lui ayant pas permis de l'achever, il
a chargé M. Broussonnet, secrétaire de la société-royale d'a-
griculture, de le suppléer; ce discours, de trois mortelles
heures, a dévelOppé, etc. »


On trouve ce discours dan s le nO 1 34 ~u JOllrnal de Paris,
du 14 mai 1789.




48 HISTOIRE DU XVllle Sd~CLE.
qu'a une seule chambre, car autrement sa
double représentation n'était que ridicule. Les
príncipes, qui guiderent le tiers-état, se trou-
vent indiqués dans l'écrit de I'abbé Sieyes, ainsi
que presque toute la marche que I'assemblée
adopta. On voit que tout était calculé et fixé
d'avance par Sieyes et son ami ~lirabeau,
quoiqu'il entr~h plus rarement en lice et qu'il
laissat a d'autres la gloire de l'éloquence.
La dispute sur l' examen des pouvoirs qu' en-
tamerent les deux premiers états, et que ron
continua pendant tou t le mois demai l , mit
d'ailleurs a découvert la faiblesse du gouver-
nement aristocratique et hiérarchique. Mira-
heáu irrité y trouva en meme temps l'oc-
casion de caractériser, avec une éloquence
irrésistible, devant l'assemblée, les gens aux-
quels on avait a faire. Les négociations entre les
États sur leur réunion furent infructueuses;
le tiers-état les rompit le 19 mai, les reprit
par égard poür le roi, mais déclara posi tive-
ment ,des le 10 juin , qu'il se constituerait seul,
et s'arrogea, dans la séance mémorable du
17 juin, le titre d'asselnblée nationale. Onap-


I Le Point du jour donne, dans le premier yolume, les dis-
cours des députés, et les particularités jusqu'au J 7 juin. On
trouve, dans Mirabeau, Lettre x e, a ses commettants, les dis-
cours et les motions du 17 juin.




I,IVRE IV, CIIAPITRE JI. 49
prend, dans l'ouvrage de Sieyes, ce que ce
titre signifiait. Ce ne fut cependant pas luí qui
proposa de l'appeler ainsi, mais Legrand,
député du Berry. La seission dans le clergé,
et la minorité visible de la noblesse faciliterent
beaucoup eette démarehe l.


Le tiers-état, pour s'assurer le pouvoir lé-
gislatif, jojgnit a son décret la, déclaratioli ..
que tous les imp6ts qu'on levait étaient contre
la loi, et qu'on ne les percevrait que jusqu'au
moment oiJ-l'assemblée actueIle serait dissoute
de que]que maniere que ce flit. On ne néglj-
gea pas de gagner les nombreux rentiers, en
déclarant que l'assenlblée nationale, apres la
régénération de 1'État, aurait soin de préve-
nir une banqueroute publique. Cette derniere


, démarche fut trop importante, et la conr trop
.irritée, pour que l'aristocratie n'en fut pas


I La eolleetion que Lallement publie depuis 1818, ehez
Eymery, commenee avecle 17 juin: Choix de rapports, opinions
et discours prononcés a la tribune nationale, depuis 1789 jus'lu' a
ce jour, tome 1; mais l'authenticité de plusieurs pieces nous
parait suspecte. Pru.dlwmme, Réllolutions de Paris, t. 1, p. 65, dit:
"Dans la ehambre de la noblesse, les apotres de la réunion
anient toujours été plus nombreux et plus puissants. Le due
d'Orléalls était a leur tete, et son Dom faisait déja UD grand
poids dans la balance; mais le due de La Rochefoucauld, et
quelques autres noms estimés et illustres, lUontraient plus de
zeIe encore, eallsaient moins d'enthousiasme, et méritaienl plus
d'estimc. JI


H. 11. 4




50 HI STO lR f: 'D U XV Jll e Sd':CLI<: ..
alarmée; N ecker meme commen<;a a s'inquié-
ter, et on résolut, lorsqu'il n'était déja plus
temps, de donller une constitution.


Le crédit de la cour avait disparu; le gou-
vernail avait échappé aux mains de ceux qui
l'avaientmal dirjgé; les soldats des gardes-fran-
<;aises s'étaient faits patriotes, paree que ]eurs
officiers étaiellt des nobles; la populaee était
excitée, et un nouveau pouvoir venait de s'or-
ganiser a Paris, sans que le cabinet, étourdi de
ce coup, eut pris les moindres mesures l. En con-
sidérant tout cela, la séance au Jeu-de-Paume,
a Versailles, s' explique facilement. Les députés
des comIllunes braverent, le 20 juin, l'ordon-


1 Les électeurs donnerent, des le 8 mai, un décret contre
un arret du conseil du roi, lequel avait été lancé contre le
journal de Mirabeau, États-généraux, nO l. On l'appelle ici
un éCl'it aussi condamnable au fond que répréhensible daos la
forme : le décret des éJecteurs y réplique : « L'assemblée du .
.. tiers - état de la ville de Paris réclame unanimement contre
.. l'acte du conseil du 17 mai. lO


Au mois de juin, les électeurs se déclarerent permanents et
s'ajol1i'nerent au 7 Ilans que personne y mit entrave.


Le J.l1oniteur, nO 2 , du ti au 14 mai, contient l'acte de
l'arret, et l'extrait d'une lettre de M. le comte de Mirabeau a
ses commettants, OU ce dernier termine en ces mots : " Je con-
«tinue le journal des Etats-généraux, dont les deux premieres
« séances sont peintes, quoique avec trop peu de détail, dans
« les deux premiers numél'Os quí viennent d'etre supprimés,
« et que je vous fais passer . .,


On voit, par lit, que le pouvoir royal n'avait plus de poids
pour Mirabeau.




LIVRE IV, CHAPITRE II. 5r
nance du roi, dans Iaquelle iI leur était en-
joint d'ajourner leurs délibérations a cause des
préparatifs pour la séance royaIe, ou N ecker
voulait faire adopter une espe~e de constitu-
tion. Ils se rendirent au Jeü-de-Paume, et ju-
rerent de ne pas se séparer avant qu'ils n'eus-
sent donné eux-memes une constitution a la
patrie l.


Par cette séance, on venait de déclarer en
quelque. sorte au public 2, qu'on devai t don-
ner une constitution a la Franee, sans con-
sulter le roi. Louis XVI dut alors se montrer
eomme médiateur entre les partisans de I'an-
cien réginw et ceux du nouveau, les pusilla-
nimes et les exaltés; s'il laissait passer ce
moment, il n'en avaít plus le pouvoir. Telle
était l'idée de Neeker; ee ministre supposait
d'ailleurs qu'il existait une tendance a détruire
toute institution ancienne, du lnoins chez ceux
qui se servaient avee tant d'habileté des cla-
meurs insensées des orateurs du Palais-Royal,


1 L'assemblée des communes se rendit ensuite a l'église de
Saint-Louis, ou uue partie du clergé se joignit a elle.


2 Plusieurs députés publierent les actes, puisque les jour-
naux ne l'oserefit pas encore a cette époque. Voili:t l'origine du
Point du Jour, ainsi que ceHe des Etats - généraux de Mira-
heau, qu'il Domma, lorsque son nUméro Ier avait été prohibé,
LeUres a ses eommettants, et plus tard, Cow'rier de Prol'ener.





,.


5:J. HISTOIRE DU XVIIle SIF:CLE.
parmi lesqueIs Saint-Huruge, a moitié fon ,
joua un grand role.


Necker devina alors l'intention de Mira-
beau, que celúi-ci énon<;a d'ailleurs assez c1ai-'
rement dans ses discours et surtout dans ses
États-généraux ou lettres a ses commettants. Le
ministre proposa au roi d'accorder toute chose
équitable, pour prévenir les demandes in-
justes. Louis XVI ayant approuvé le conseil de
Necker, une constitution ou déclaration royale
fut projetée. Le roi devait la faire publier ,
le 23 juin , luais cornme la reine prit malheu-
reusement part aux affaires 1, on ]a changea
tellement, par son avis, que -Necker ne la re-
connut plus pour son travail. Il est fadIe de
juger de la I1att\re de ces changements faits a
la constitution, en suivant le rapport qu'en


~ Nous voyons , par le protocole mémorable de l'inter-
rogatoire qu'on nt subir a Marie-Antoinette devant le tribunal
sanguinaire, qu'eUe avait pris part aux affaires ; on reconuait ici
combien des hommes vulgaires, méme en qualité de juges ,
et comme organes du pouvoir, cOlltrastimt avec la vraie 110-
blesse d'une ame bien élevée.


1Woniteur, nO 26 , an II, page 104:" V otre mari , lui de-
mande le président, ne vous a-t-il pas Iu le discours une demi-
heure avant d'entrer dans la salle des représentants du peuple,
et ne l'avez-vous pas engagé ti le prononcer avec fermeté?


• L' accusée.-Mon mari avait beaucoup de confiance en moi,
et c'est ce qui l'avait engagé a m' en ¡aire lecture, mais je ne
me suis permis aueune observation."




LIVRE IV, CHAPITRE 1I. 53
fait Bertl'and de Molleville, un des défenseurs
les lllus acharnés de toute forme ancienne 1:.


Les députés, parfaitement instruits de tout
ce qui se passait a la cour, eomptaient trop
sur lenr pouvoir, pour aeeepter les offres
adoucies, sur l'avis du eomte d'Artois, et expo-
sées dans la déclaration du roL La séanee
royale, au lieu de mettre un terme aux projets
des novateurs, ne servit qu'a montper- a la
nation qu'une puissanee plus grande que eeHe
du roi et de ses ministres, nourrie dans son
sein, venait de s.'élever en Franee. Dans eette
oecasion, comIne dans bien d'autres 2, Mira-


1 Bertrand de JI1vllp.ville, tome 1, page 197. apres avoir
rendu (~ompte de la séance du Jeu-de-Paume, hUme Necker,
qni était malad'e a Paris. . . . . . . . ., ou plutot tel fut le
prétextedont iI couvritl'humeur que lui avaient donnéc les cor-
rec'ions légeres faites a ses projets de déclaration pour la
séance l'oyale, quoique ces corrections n' eussent été adoptées par
le roi que sur l' avis de son conseil, ou MONSIEl1R, iJ'1. le comte
d' A rtois , el plusieurs conseillers d' É tar, out ét.! appelés . e/l cetie
occasion.


Necker, Sur la révolution de Frallce , 1797, in-So, ne donne
pas le plan dans sa premiere forme, ll'lais il rapporte que fe
couseil d'État avait été interrompu subitement, et le roi rap-
pelé; que Montmorin, assis a coté de luí, parla ainsi : « Il n'y
• a ríen de faít. la reine seuIe a pu se permettre d'interrompl'e
" le cOllseil d'État.; les princes apparemment l' ont circonve-
• nue t et 1'0n veut, par sa médiation, éloigner la décision du
lt roí. » Le conseil d'État, dont Bertra~d de MoHeville parle,
eut lieu deux jours apreso


2 U faut lire dans Jrlirabeau, leltre treizieme a ses commet-
(<luts, comment iI détruisit, dans eette séance, l'autorité royale,




54 HISTOIRE DU XVIIle Sd:CLl-:.
beau sut toucher la véritable corde et prendre
le ton convenable. Observant les temps et les
lieux, il fut jusqu'a modérer dans son journal
des expressjons qu'il n'avait point hésité
d'employer contre le roi dans l'assemblée.
Louis XVI avait ordonné aux députés de dé-
libérer séparément, état par état, et de quitter
la salle. Le grand-maitr.e des cérémonies rap-
pela cet ordre auquella plupart des membres
des autres états s'étaient soumis. Mirabeau
donna le signal de la résistance , et son éner-
gie yalut au tiers-état le champ de hataille l.


11 dit, entre autres, pago 5: «Apres cette déclaration de volonté
impérative, le roi a prononeé un discours dans lequel on a
remarqué eette phrase singuliere: a J' ai voulu aussi, .messieurs,
« vous faire remettre sous les yeux les difféfents bienfaits que
.. j'aecorde a mes peuples. » Gomme si les droits des peuples
étaient des bienfaits des rois! •


«Ensuite on a lu une déclaration des intentions du roí, dans
lesquelles il s'en trouve quelques-unes vraimeQ.t sag.es et po-
pu]aires : mais dcpuis quand ]a puissance exécutive a-t-elle
l'initiative des 10is? Voudrait-on nous assimiler a une assem-
blée de notables? ,.


1 Les expressions propl'es d~ Miraheau sont rapportées par
Beaulien, Essais historiques sur la réllolution-, tome 1, p. 236.
Mirabeau lui-meme, iettre XIII e a ses commettants, page 9,
dit qu'il répondit aiusi: " Oui , Dlonsieur, nous avons en-
tendn les intentions qu' on a suggérées au roí, et vous, qui ne
sauriez étrc son organc aupres des États.généraux, vous qui
n'avez ici ni place, ni voix. ni droit de parler, vous n'étes
pas fait pour nous rappeler son discours. Cependant, pour
éviter toute équivoque et tout délai, j~ vous déclare que, si
ron vous a chargé de nous faire sortir d'ici, vous deve7. de-




LIVRJ: IV, CH!.P1TRE [l. 55
Autant l'asselnblée nationale redoubla de con-
fiance en elle-meme, autant la cour flotta dans
l'indécision. On commen<;;a par Inontrer a
l'assemblée les gardes qui entouraient la salle,
san s en faire usage ; on décida ensuite le clergé
et la noblesse a suivre le décret des députés
du tiers-état 1 , au mépris de celui que la no-
blesse avait émis le 25 juin. On les engagea
Ineme a ne constituer qu'une chambre avec le
tiers-état. Cela n'empecha pas la cour de ras-
sembler une armée considérable pres de Paris.


mander des ordres pour empIoyer la force, car nous ne quit-
terons nos pIaces que par la puissance de la balonnette. »


e'est la derniere phrase qQ'on a changée. Le Choix de rap-
porls, etc. , tome 1, page 9 , la donne daos sa premiere dureté.
On voit d'ailleurs, par la, (:e que c'est <J.~e l'hi,itoire. Mir~;
heau en opposition avec lui-meme! Le Móniteur aussi n'a in ..
séré que la phrase modifiée.


La véritahle commence : Dites a votre maitre, etc.
• Mirabeau, XI/e leftre a ses commettants, caractérise la mal-


adresse que les ultras parmi les nobles montrerent en cette
occasion, et comment ils céderent.


Ou íls n'auraient pas dti se rendre a la sé~nce, ou ils de-
vaient consentir sans restrictÍon. La déclaratioll du roí, el
tout ce qui s'y rapporte, se tl'ouve dans le numéro JO du 1110-
Tllleur de 1789, du 20 au 24 juin.


-.




56 HISTOIRE DU XVHle SI:E:CLE.


CHAPITRE 111.


DU 23 JUIN 1789 JUSQU'A L'ORGAN1SATION DE LA
RÉPUBLIQUE.


l. Du 23 juin :1789 jusqtt'a la fuite du roi.-U. Depuis
, la fuite du roi jusqu'a l'organisation de la répuhlique.


l. Depuis la séance du Jeu-de-Paume et
r opposition du tiers-état, a la séance royale ,
la force magique du trÓne avait disparu, le
peuple et les troupes n'avaient plus ni crainte
ni confiance en un gouvernement composé de
tant d'éléments. Il dut s'écouler beaucoup de
temps avant qu'un autre mode de gQuverner fut
constitué; la pollee ne put se soutenir sur l'an-
cien pied, tous les scélérats qu'elIeavaitenchai-
nés ne connurent plus de frein. G'est ainsi que
s' explique une foule d'horreurs commises des
ce jour, daos. la capitale et dans les pro~
vinces.


D'autres atrocités furent le résultat de l'idée
adoptée par les deux partis, que la bonté de la
cause sanctifiait les mauvais moyens 1; car la


1 Il est dit, dans l' Adresse de l'assemblée nationate a ses com-
mettants , jointe a la quatorzieme lettre de Mirabeau el ses com-
mettants, page 2.3 : " e'est dans une classe vénale et corrompue




LIVRE IV, CHAPITRE IIJ.


religion avait perdu depuis, long-temps son
influence, et les hommes les plus vils dans des
bouleversements, sont regardés comme les
plus utiles et les plus actifs. Ce n'est point a
l'armée commandée par Broglie 1, qu'il faut at-
tribuer les mouvements qui éclaterent a París,
au mois de juillet; l'exemple des gardes-fran-
~aises, qui avaient entierement ahandonné le
roi 2, prouve que le militaire n'est pas ~ re-
douter. La raison en fut plutot la victoire
que le partí aristocratique venaít de remporter
a la cour, et qui se fit connaltre par la dis-
grace de Necker et par le changement du mi-
nistere 3. On remercia Necker, le 11 juillet,
que nos ennemis chercheront a exciter des tumultes, des ré.
voltes, qui embanasseront et retarderont la chose publique ..
V oi la les frui ts de la liberté, voila la démocratie, affectent
de répéter tou~ ceux qui n' ont pas honte de représenter le
peuple eomme un troupeau furieux qu'il faut enchatner! 1;ous
ceux qui feignent d'ignorer que ce méme peuple, toujours
calme et mesuré lorsqu'il est vraiment libre, n'est violent et
fongueux que dans les constitutions oi! on l'avilit pour avoir
droít de le mépriser. "


1 Trois régiments étaient campés au Champ-de - Mars ;
d'autres a la Muette, a Passy, a Sevres, a Saint-Denis. Toute
l'artillerie se trouvait rangée a VersaiHes; mais iI n'y avait ni
ferme volonté, ni possibilité de l'employer.


:& Les patriotes du café de Foi, section des réunions popu-
laires du Palais-Royal, délivrerent, le 30 juin, les gardes-
fran<saises, mises aux arrets pour des délits de discipline, et
adresserent une députation a l'assemblée nationale qui alors
eneore la renvoya.


3 Le Maniteur, nO 17, annonce ce changemellt de ministres




58 HISTOIRE DU XVlIle Sd~CLE.
et iI quitta secretement la Franee, eomnle il
avait promis au roi, le 12 au matin. Camille
Desmoulins, jeune avocat, ensuite rédaeteur
du C,(Jurrt"er de Brabant, connu pour un des
ennemis ·lesplus acharnés de tout gouverne-
ment monarchique, excita le pellple par ses
disc'ours au Palais-Royal; et les patriotes,
dans des clubs organisés depuis quelque temps,
firent jouer leurs re.ssorts. S'il est vrai que
l'argent du due d'Orléans éblouit, gagna et
nourrit une foule de misérablfts 1, tels qu'on
en trouve dans toutes les grandes vi Hes, et que
cet argent servit aussi a corrompre les gardes-
fran~ises qui fir~nt feu ,sur les Suisses et les
troupes allemandes, il n'est pas moíns vrai
que pes hornmas excellents crurent l~ moment
déeisif arrivé, et que tout Paris prit les armes.
La capitale se tint sur un pied de révolte dans
la nuit du 13 au 14 juillet : les s~ldats furent
obligés de eéder, on ne reconnut plus ni ju-
ridiction ni police. A un signal secret, les
bourgeois de toutes les viHes de Franee, sui ..
d'une maniere malicieuse. Les non veaux. ministres étaient:
Breteuil, de La Gala:isi.ere, le maréchal de Broglie, de La
POJ'te et Folllon. "


I Voilit ce qu'on peut affirmer avec assurance, sur la foides
histoires du club de lUontrouge, et"de ses prétendus chefs,
Sieyes, Mirabeau, Laclos et Latouche. Les autres particulal'i.
tés se trouvent daos Bertrand de Mollcl'il/c, tome 11.




LIVRE IV, CHAPITRE IJI. 59
vant l'exemple de Paris e~ de Yersailles, s'é-
taient arnlés 1, sans attendre une déclaration
formelle de l'assemblée nationale. Des ce mo-
ment la confusion, le trollble, le carnage et
l'incendie furent les signes affreux de cette
allégresse, a laquelle on se livrait en voyant
s'établir enfln un gouvernement plus conforme
a la na ture des choses.


Les électeurs de Paris proflteren t de la
faiblesse \lu gouvernement pour se constituer
magistrats provisoires. Flesselles , jusqu'álors
prévót des marchands, flnit par accepter la
présidence de la nouvelle magistrature. Le
lieutenant de poli ce , apres lui avoir donné les


IOn lit, dans une note a l'íntroductíon du Moniteur, nO 10,
du 8 8.Jl JO juillet : ca Q~oíqu,e l'on ~()jt c9Pv~np qu'il pe se-
raít pas dit un mot dans l'adresse des gardes hourgeoises, iI
faut observer que ce q~'en a dit M. le comte de Mirabeau,
dans son discours, ne produisit pas moins son effet. Le lende-
main Paris .et Versailles étaient armés. Peu de jours apres
tout le royaume le fut ...


Quant a l'anecdote COnnue, que Dupont doit avoir donné
cent mille écus pour répandre prompternent, par des cour-
riers, le bruit que des milliers de brigands marchaient sur
Paris et sur les endroits qu'on voulait aruter, nous n'osonsni re-
connaitre sa véraci.1:é , ni la contester, quoique madame Cam-
pan l'afflrme , et que-des personnes bien informées, et qui se
trouvaient alors a París, nous l'aient assuré.


Celui qui désire avoir une idée dutalent qu'on déploya
pour armer le peuple, pour aínsi dire, ayec une vitesse élec-
trique, par le cri séditieux, guerre aux chelteaux, paix aux
chaumieres, n'a qu'a lirePAGANBL, Essais critiques sur fhistoil'l?
de la ,.élJ!)lution franfaise t tome 1, pages 149-150.




60 HISTOIRE DU X V lIle SIECLE.
instructions néces§aires, déposa sa charge.


" On divisa Paris en seize quartiers, et on em-
. ploJa d'une maniere prudente les soixante
districts électifs POU}' consolider la nouvelle
organisation. Toute la bourgeoisie fut divisée
en autant de légions armées qu'il y avait' de
quartiers.


Malheureusement, a ces délnarches pai'sibles
se joignit un arlnement violent de la nom-
breuse populaee. Une émeute réelle éclata,
et l'arsenal fut pillé; la populace prit d'assaut
la Bastille, prison d'État trop pen fortifiée,
cal' le gouverneur était lache, et ne pouvait
guere compter sur ses troupes. Les meurtres
se succédaient; et dan s le transport qu' exci-
taient le commencement d'une ere nouvelle
et le renverselnent de l'oligarchie, la rneil-
le~re partie des bourgeois, qui désirait balan-
cer les projets des fauteurs de l'ancien sys-
teme, fut obligée de souffrir tout ce que le
rehut du p~uple cornmit, ou par férocité natu-
relle, ou a l'instigation des Orleanistes, OH par
le désir du pillage. Le prernier rapport que
le Moniteur fait de ces troubles comprend
en peu de ruots tout ce qll'a d'efIrayant l'abo-
lition des lois et de l' ordre établi l.


1 On peut lui appliquer le ver s d'Homere : « Patrocle a




L 1 V R E [V, e HA. P 1 TR E JI r.


La nouvelle de ces désordres décontenan<;a
entierement le roi. Lors meme que l'assem-
blée nationale délibérait sur les troubles, lors-
que chaque jour édairait de nouvelles hor-
reurs, le faible Louis XVI annon<;a aux États
qu'il venait de retirer les troupes, et d'ap-
prouver l'organisation de la nouvelle nlilice
et de la nouvelle autorité. Cette pusillanime
condescendance augmenta la hardiesse de ses
adversaires, au point que le parti du duc
d'Orléans 6t proposer par SilJery une adresse
ou les ministres étaient appelés conseillers
perfides, et ou on demanda, en mena<;ant,


e succombé , Hector l'a désarmé, en agitant son casque: » ce
peu de paroles annoncent a Achilte la mort de Patrocle. .


lI1oniteur, nO 18, du 13 au 15 jllillet, page 79: .. La dit.
cussion s'engage, et lt:s débats devenaient tres-vifs, lorsqu'on
annonce M. le vlcomte {le Noailles qui arrive de Paris, por-
tant des llOuvelles désastreuses. Il entre dans l'assemblée, en-
touré d'autres députés. qui se pressent autour de luí. Des qu'il
parait , iI se fuit le plus grand silcnce. Il rend compte de ce
qll'il a vu; il dit que la hourgeoisie est sous les armes, et di-
rigée dans sa discipline par les gardeg.-fran<;aises et les Suisses ,
que l'hotel des "Invalides a été forcé; qu'on a enlevé les ca-
nons et les fusils ; que les familles nobles ont été obligées de
se renfermer dans leurs maisons ; que la Bastille a été enlevée
d'assaut; que M. Delaunay, qui en était le gouverneur, et
qui avait fail tirer sur les citoyens ,a été pris, conduit a la
Greve, massacré par le peuple, et sa tete portée au haut d'une
pique.


" Víent ensuite la députation de París, qui rejette toute la
faute sur un escadron de hussards, qui s'est présenté dans le
faubourg Saint-Antoine ,a répandu une alarme générale et ex-
cité la fureur du peuple. "




62 HISTOIRI~ DlJ xVlne Sd':CLE.
qu'ils fussent éloignés, comme une peste, de
I'État l.


Mais ce qui est encore plus horrible que
les scenes de Paris, ce sont les rapports dictés
par Prudhomme et ceux que CanIille Desmou-
lins 6t lui-meme, assez impudent pour pren-
dre le titre de procureur-gén:éral de la lan-
terne, énergumene qui alla jusqu'a van ter le
supplice sans arl'ets ni proces 2. Lorsqu' on
demanda enfin au roi qu'il éloignai effective-
ment l'arnlée qui se tenait pres de Paris, il
tint un long conseil pour savoir s'il devait
partir. La reine avait tout enlballé ; I-"Ollis XVI
allait prendre la fuite, lorsque la majorité de
son conseil s'étant prononcé~ contre son dé-,
part, iI préféra reprendre un ton populaire
et détourner pour un instant le mal, non par


1 Moniteur, nO 19, M. le comte de ft'lirabeau: "Je propose
d'ajouter a l'adresse la phrase suivante: Sire, Henri IV, IQrs-
qu'il assiégeait Paris, faisait passer secretement des blés a la
capital e ; et aujourd'hui, en temps de paix, on veut réduire
eette m~me ville aux horreurs de la famine 'sous le noro de
Louis XVI ...


2 Le Moniteu,. aussi sert la bonne cause par de mauvais
moyens. Il commence par faire un rapport affreux· des inten-
tions de la cour, et termine ainsi ; .. Tel est l'horl'ible tissu
de forfaits , de brigandages et d'assassinats qu'une troupe de
scélérats et de femmes perdues méditaient avec une joie bar-
bare dans le tumulte de leurs exécrables orgies, pour forcer
París a capitnler avec la tyrannie. lO


Le récit analogue de la prise de la Bastille et de ses causes
se tl'onve dan s le llfonileul' , nO :¡ o.




LIVRE IV, CHAPITRE 111. 63
les armes, luais par des concessions. Il se
rendit dans l'assemblée nationale a pied, sans
le moindre appareil, s'engagea a ne point
employer la force militaire, et loin d'aviser
lui-meme aux mayens de rétablir l'ordre dans
Paris, il chargea les États de ce soin et les
laissa maltres du choix des moyens.


L'assemhlée, en vertu de la commission
rayale, envoya trois députés a Paris. Deux
furent aussitot revetus de dignités nouvelle-
ment créées; Lafayette 1, nommé chef de la
garde nationale, et Bailly , maire de la vale. Le
rai annon<;a bientot a l'assemblée qu'illui sa-
crifiait son nouveau ,ministre 2, et finit meme


1 Lafayctte organisa alors systématiquement la garde natio-
nale de París. On laissa le choix des officiers aux hourgeois ;
cependant on pla<;¡a, auta1lt que possible, des officiers qui
avaient servi ; toute la garde formait six légions ,et chaque lé-
gion dix bataillons ; on ne pouvait l'ien faire de mieux, mai~
une erreur détruisit tout. Ces légions devaient avoir de l'artil-
lerie; chaque hataillon eut deux canons; le service devenait
trop pénihle aux autres hourgeois; des charrons , des for-
gerons, des serruriers et des houchers composaient a eux
seuls l'artillerie, et devinrent par la suite les plus puissallts :
les jacobins fonderent la-dessus leur influence ,et eurent tou-
jours, en dépi.t des hons citoyens, l'artillerie a leurs ordres.


2 Le sophiste B.'lrnave revendique ainsi a l'assernhlée natio-
nale le droit de voter dan s les affaires: " Quoiqu'en principe
il soit vrai que l'assemblée n'a pas le droit de demander ni le
renvoi d'un ministre, ni le rappei d'un autre, il n'est pas
moins vrai cependant que, lorsqu'un ministre n'a la confiance
ni de la nation, ni de ses représentants, l'assemblée natio-




64 HISTOIRE DU XVlIle SII~CLE.
par rappeler N ecker. Des-Iors la victoire de
la nation sur ]a cour fut décidée: les person-
nes 1, qui redoutaient surtout la haine du
peuple, commencerent a émigrer, et occasion-
nerent ainsi des maux dont nous plaignons
encoreaujourd'hui les résultats 2. Louis XVI
alla a Paris, le 17 juillet, et y fut re<;u, pour
ainsi dire, en triomphe 3. n prit la cocarde
nationale et reconnut les nouvelles antorités
de la ville, lnais il recourut en meme tenlpS
a des moyens indignes de son rang ponr ga-
gner des partisans. Il ne put cacher la douleur
qu'il ressentait de la nouvelle organisatlon et
nale peut et doit déclarer, qu'elle ne eo:rrespondra poillt avec
lui sur le¡:; affaires du royaume; 'et qu'alors le renvoi d'un te!
lllinistre devient néeessaire~ •


I I,e eorote d' Artois , le prince de Condé et ses enfants, le
due et la. duchesse de Polignac, leur filIe, la duchesse de
Guise, la eomtesse Diane de Polignae, sreur du duc de ce nom,
et l'abbé de Baliviere.


2 C' est ainsi que, dans les meilieures intentions , le gouver-
nement cherche de nos jours a remédier aux malheul's cau-
sés par la révolution; mais, loin de fermer les plaies encore
saiguantes, on ne fait que rappeler des souvenirs trop fuuestes;
et, au líeu de répartir les effets de la clémence royale sur toute
la nation, ce ne sont que certains individus qui en jouisser~t,
au détriment de la majorité des Fran<sais. (Note da traduc-
teur. )


3 Moniteur: « Le roi, arrívé a Paris vers trois heures, l'a tra-
versé en voiture san s gardes , entouré de la députation de l'as-
semblée nationale, entre deux haies de milice hourgeoise,
précédé et suivi de eette méme miliee, tant a pied qu'a
cheval; BaiUy lui dit « que le peuple avait rcconquis son roí. 8




T.IVRE IV, CIIAPITRE IlI. 65
'des 111aux qui en étaient inséparables; plus il
cédait, moins on lui donnait de confiance. La
mailvaise intelligence entre le roi et l'assem-
blée nationale cDntinua donc rnalheureuse-
ment, et augmenta beaucoup par l'aversion
que la reine et ses conseillers montraient pour
toute esptke de réfonne. La nation fondait
encore de grandes espérances sur Necker. D,es
sa rentrée au ministere, les assassinats, les
abolitions des anciens instituts et les destruc-
tions des chateaux et des fiefs se multiplierent
de jour en jour l. I~a discipline de l'armée
disparut, et le roi se vit obligé d'approuver
la défection de ses gardes )/comme iI l'avait
fait pour la désertion des soldats 2; et cepen-
dant on osa se flatter que N ecker rétabIirait
l'ordre des finances.


Tandis que les vrais auteurs de la révolutiol1
intimidaient les amis des anciennes formes


I L'AIsace, la Franche-Comté, le Dauphiné, furent le plus
saccagés; on compte, dans le Dauphiné seul, trente-six chá-
teaux détruits, dans le laps de trois mois.


"Journal de Paris, nO 204, page 916, le roi écrit a Lafayette :
" Je suis informé qu'nn nombre considérable de soldats de
divers de mes régiments en a quitté les drapeaux, pOUl' se
joindre aux troupes de París. Je vous autorise, etc ...• '
Quant aux gardes franc;¡aises, je les autorise a cntrel' dan s les
milices bourgeoises de rna capitale, et le u!' pret et nourriturc
sera continué jusqu'ú ce que ma ville dc Paris aÍt pris des
'll'rangements relatifs a leur suhsistance. »


H. 11. 5




ú6 HISTOIRE DU XVIUe Sd:CLE.
par la populace, l'assemblée nationale, parmi
tous les troubles, travaillait a une nouvelle
constitution. Elle en puisa adroitement les
matériaux dans les commissions des diverses
assemblées électorales, et il est hors de doute
que les points sur lesquels tous les cercles
électoraux étaient d'accord , comprenaient les
principes de tout gouvernement monarchique
modéré; et que les articles controversés pré-
sentaient des problemes qui ne pouvaient etre
résolus que par une assemblée des États l. On
mela malheureusement de pures spéculations
aux réformes de l' ordre établi, et on oublia


x Moniteul', nO 25, page 108 : Résultat du dépouillement
des cabiers; príncipes avoués :


1° Le gouvernement fran~ais est un gouvernement monar-
chique;


2 ° La personne du roi est inviolable et sacrée ;
3° L'l couronne est héréditaire de mll:le en mMe;
4° Le roi est dépositaire du pouvoir exécutif;
5° Les agents de l'autorité sont responsables;
6° La sanction royale est nécessaire pour la promulgatioll


des lois.
7° La natío n raít la loi avec la sanction du roi.
8° Le consentement national est nécessaire a l'emprunt ou


a l'impot;
9° L'impot ne peut etre accordé que d'une tenue d'États-


généraux a l'autre;
10° La propriété sera sacrée;
I 1° La liberté individuelle sera sacrée.
Suivent ensuite les articles a discuter, ou les cahiers ne


s'accordent paso




LIVRE IV, CHAPITRE 111. 67
que l'histoire seule avait une voix décisive dans
la question présente. I


On passa du triste état dans lequelle gou-
vernement et l'administration avaient été
jusqu'alors en France,jusqu'aux:extrémités des
relations sociales. On voulut, a l'instar de l'A-
mérique, proclamer les droits primitifs de
l'homme et du citoyen, et on négligea d'exa-
miner préalablement si la théorie préférée
était exécutable l. Tandis que, dan s les nleil-
leures vues, on discutait avec talent et éloquen-
ce, sur les principes et sur les c011stitutioIlS,011
adopta de part et d'autre un systeme d'anar-
chie. Des voyageurs furent arre tés , des aris-
tocrates poursuivis; l'assemblée se vit obligée
de nommer une commission, qu' elle chargea
d'examiner les menéespolitiques.L'état des fi-
nances au lieu de s' améliorer, depuis le re tour de
Necker, devint de jour en jour plus misérable.


Pour ne pas voir des malheurs partout, avec
ceux auxquels ces changements tirent per-
dre des droits, il faut considérer que dans un
temps ou une sorte de fanatisme, jusqu'alors
inconnu, transportait meme des ames ordi-


x Mirabeau, avec un talent qui n'était propre qu'it luí,
proposa d'ajourner la discussion des droits, jusqu'it ce que la
constitution fut achevée, c'est-a-dire, il voulut 1'ajourner a un
temps illimité.


5.




68 UISTOIRE DU XVlIlC SIl~CLE.
naires, des réformes néeessitaient un boule~
versement el~tier, eomrne Mirabeau le remar-
que, avee sagaeité, et eornrne iI l' énonee dans
la définition qu'il donne du lllOt réCJolution. Il
est incontestable que l'enthousiasme, des
luembres vraiment généreux de l'assemblée
nationale facilita ce bouleversement. Ces me-
lues membres de la noblessc, qui donnaient
le ton dans l'assemblée 1, sacrifierent spon-
tanélnent, dans la nuit mémorable du 4 aout,
tous les priviléges du systeme féodal. Les dé-
putés du cIergé, entrainés par ce bel exemple,
renoncerent aux dimes ecclésiastiques; lual-
heureusement, eette affaire importante, qui
changeait l'état dll royaume et la fortune de
plusieurs milliers d'hornrnes, avait été dé-
eidée avec trop de précipitation et sans qu'on
eut examiné avant si son exécution était pos-
sible 2.


1 Un des Noailles, heau-frere de Lafayette, donna l'exemple;
le due d' Aiguillon, les deux Lameth, Víctor de Broglie, Mont-
morenéyet La Rochefoucauld le suivirent.


2 Point du Jour, tome IlI, nO 48, jeudi 6 aout: .. e'est
de la nuit, a ce qu'il parait, qu'il faudra dater, pendant ecHe .
révolution , les événements les plus remarquables. CeHe du 14
juillet fut affreuse par le complot qu'elle couvrit de son voilc.
CeHe du 4 aout sera a jamais mémorable, par les bienfaits
qu'elle a fait éclore. Aucun détail particulier, aucun débat m!-
nutieux, aueune discussion orageuse, ne l' ont profanée; le
patriotisme franctais a porté lui-mémc, au colosse féodal, des




T~ 1 V RE 1 V, e JI A PI T R E 11 I. 69
L)assemblée nationalc travailla des-Iors a


une nouvcllc constitution, avec une adlni-
rabIe activité; lllais les idées des 11leInbres
respectif:" étaient trop différentes, et les con-
'seillers du roi cxer<,;aient sur lui une trop fa-
tale influencc , pour que les gens raisonnables
pussent espérer dans les délibérations l'unité
si nécessaire et si ardemment désirée. Une
partie des députés s' opposait a toute réforme,
une autre demandait la constitution anglaise,
projet que Sieyes, dans son Tiers-état, hUme
déja comme un aristocratisnle insensé 1 ; d'au-
tres, comIne Lafayette et ses enthousiastes
ami s , voulaient créer'un ordre tout nouveau;
Barnave , AdrienDuport , les Lameth, s' effor-
~aient de faire disparalt~e de la constitution
presque tont principe monarchique, et fa~
cilitaienf ainsi les pl'ojets de Le Chapelier,
Pétion, Buzot, Robespierre et autres qui tra-
vaiIlaient a la destruction de la royauté. Ces
derlliers savaient alors se servir du llléconten-
tement de la fonle, exalté e par des affiches, des


coups plus terribles qu'it n'en avait rec,¡us de la politiquc fa-
l'ouche de Louis XI et de Richelieu. lO


IOn décréta done aussl qu'il n'y 'aurait qu'une chamhre
législative, quoique ce ne fUt pas l'opinion ue Mirabeau, de
Lameth et de Lafaycttc, et qu;ils ne cédasscllt ({ue par poli-
tique.




70 HISTOIRE DU XVIIle SIECLE.
proclama tions, des feuilles périodiques, des
journaux, des chansons et par une foule de
broch;ures, pour por~er par la terreur la ma-
jorité de leurs collégues, mieux pensants et
plus habiles, él des décrets qu'ils n'auraient
jamais donnés spontanément l. Ce ne fut pas
sans raison que, lorsqu'il s'agit de confirmer
les décrets du 4 aout, le roi montra une
longue hésitation qui occasionna dans l'as-
semblée meme des débats violents, sur l' espece
de veto 2 qu'on accorderait au roL
Pour obtenir plus t6t la sanction de Louis XVI,


on eut recours él la mel~e tactique dont on se
sert toujours dans des cas pareils, et dont on-
était parfaitement maitre alors. On provoqua
des clameurs et du tumulte parmi la populace;
mais ce fut plutot le parti du Palais-Royal,
initié dans la politique 3, qu'on employa dans


1: Pour connattre l'état malheureux dans lequel la France se
tr6uvait alors, il faut lire les discours des denx ministres, de
l'archevéque de Bordeaux et de Necker, qui parurent le 7
aout a l' assemblée nationale. M oniteur , nO 36, page 1 5 I.


2 On discutait si on accordel'ait au roi un 'Veto suspensif ou
absolu : on se déclara enSn pour le premi~r.


3 Son élite était dan s l'assembléenationale. Monitellr, nO 48,
page 197: « Les habitués du coté droit s'attacherent a les
discréditer et a les entacher du titre de factieux; donnerent
le nom de coin du Palais-Rojal a la partie de la salle qu'ils
avaient adoptée , et comme les députés de Bretagne y parais-
saient les plus assidus, les mesures vigoureuses et les projets
républicains furent appelés arrétés bretons. Les partisans de




LIVRE IV, CHAPITRE,IIJ. 71
cette affaire d'État 1, que la masse des habi-
tants des faubourgs. Le roi eut encore la
faiblesse d'accorder, le 21 septembre, aux
demandes tumultueuses , ce qu'il avait refusé
aux instances pacifiques, et de confirmer a re-
gret les décrets qui pronon~aient l'abolition du
systeme féodal et des priviléges de la hiérar-
chie. Le peuple devenait d'ailleurs plus facile
a soulever. Mirabeau et Sieyes s'en étaient
rendus maltres ; l'un, spirituelet violent, avait
étudié tous les gouvernements ,depuis la
Prusse jusqu'aux Pays-Bas; l'autre, froíd, som-
bre, pensif et dur, le seconda admirablement
dans ses projets; et tous deux ensemble, par
le ministere de Danton, de 'Camille Desmou-
lins et dequelques autres, organiserent, pon!'


la liberté se répandaient de Ieur coté en reproches contre leurs
adversaires, et les accusaient d'aristocratie.


1 Prudhomme, Révolutions de París, nO 5,.page 33, dit : " La
défense de faire des motions au Palais-Royal n'a pasproduit
l'effet qu'on en attendait : les groupes n'ont pas été moins
nonIDl'eux. Ce foyer, qui a si heureusement fait éclore le dé-
sir de la liberté, ne s'éteindra pas tout-a-coup. Cinq a six cents
habitués du Palais-Royal ont dressé et signé des réclamatiol1s
qu'ils nous ont Cait rhonneur de calquersur les pages 20, 21
et 22 de notre numéro précédent. »


00 voit quelles idées de liberté ces gens avaíeot des-Iors,
page 37 : • Ce soir uo particulier, i'vre ou fou, s' est permis ,
daos le jardín du Palais - Royal, de parler contre J.\tI. le duc
d'Orléans et en faveur de M.le comte d'Artois. 11 a été arret~
et conduit au corps de garde. »




72 1llSTOIRE DU XVIIle SI ECLE.
ainsi dire , ~ne hiérarchie populaire; et, tout
en se moquant des enthousiastes et des noms
historiques ,ils surent en tirer l'argent qui
leur était nécessaire.


L'ancienne maréchaussée était dissoute ~ et
l'armée 1 n'était plus sous les ordres absolus
du roi. La disette de pain a Paris, qui fut ou
une disposition maligne, ou une suite des
circonstances et de la stérilité des préeédentes
années, attira la foule pres des boulangeries; il
n' étai t done pas difficile de la provoquer a toute
heure 2 : dans eette situation critique oú
tout ordre avait disparu, dans un temps ou
. Mirabeau seul avait assez de erédit et de fer-
meté pour indiquer les mesures qu'il fallait
opposer aux projets féroces des démagogues,
la reine s'avisa malheureusement de se mon-
trer 3 a un repas que les gardes - du - corps
demeurés fideles, donnerent, le I er. octobre,
aux officiers d'un régiment appe1é a Ver-
sailles. Elle prit Ineme part a la distribution


I L'armée jura fidélité au roi; a la nation el a la loi. Elle ne
put agir que sur la réquisition d'un fonctionnaire civil.


2 Dans un aper«;¡u des événements principaux, on ne doit
s'attendre ni a la peinture des désordres, ni a la critique des
mesures qu'on leur opposa; a plus forte raison, on y cherche-
raít en vain les efforts séparés de quelques individus.


3 Le duc de Luxembourg eut la malheureuse idée de don-
ner ce conseil au roí ainsi qu' a la reine, qui avait vouIu l' éviter.




LIVRE IV, CIIAPITRE LU. 73
des cocardes 1 qui devaient servir de mar-
que distinctive entre les amis de l'ancien Gou-
vernement et les partisans de la nouvelle
constitution. L'imprudence de la cour, la
lnaniere légere dont quelques officiers et sol-
dats se comporterent pendant le festin, et la
proposition ridicule faite, le 2 octobre an dé-
jeuner des gardes - du - corps, de marche!'
contre L'assemblée nationale, donnerent aux
démagogues effrénés pleine liberté d'agir 2.
On exagéra le dan gel' que l'assemblée natio-
nale courait; on répandit les bruits les plus
absurdes, et Mirabeau osa presque intenter
contre la reine une accusation formeHe devant
toute la nation ,ou illa désigna si clairement,
qu'íl était impossible de ne pas la reconnaitre 3.


I l\-Iadame Campan, qui nous parait bien informée, mais
suspecte, nie ce fait.


:z Gorsas surtout , dans le Courrier de Versailles, s"éleva
contre cette féte, et répandit le bruit qu'outre les soldats
fraternisés du régiment de Flandre, quatre mílle chevaliers de
Saint-LouÍs víendraient a París.


Prudhomme, tome 1, nO 13 : " Il faut un second acces de
révolution, disions-nous il y a peu de jours, et tout s'y pré-
pare; l'ame du partí aristocratique n'a point quitté la cour.


3 Mirabeau, dans la séance du 5 octobre, fit une motion
particuliere sur cette affaire, et y embrassa encore quelques
autres articles. M. de Monspey, pOUI' en prévenir les résultats,
demanda une accusation signée a Pétion, qui en avait été
le premier instigateur. Mirabeau s'engagea a la donner, si
on déclaraÍt que personne n'était inviolable, exccpté le roL




74 HISTOIRE DU X V lIJe SIi:CLE.
Un tu multe qui éclata alors a Paris, fut sans


doute le résultat de ce diseours. -n parut de-
vant l'hotel de ville une armée de femmes et
d'hornmes de la lie du peuple, qui se plaignit
de la disette, murmura eontre la reine et de-
manda d'aller a Versailles, disant que le roi
seul était en état de fairecesser tous leurs he-
soins. Les promoteurs de eette émeute avaient
surement l'intention d'empeeher la fuite du
roí I , et de profiter de sa faiblesse , pour trans-
porter a Paris le théatre des scenes qui de-
vaient suceéder. Les nouveaux magistrats de
la capitale tenterent en vain d'apaiser les mu-
tins. Lafayette vit son autorité nléconnqe et
sa popularité en danger 2; il déelara a l'assem-
blée des représentants de la commune qu'il


Cette interpellation soudaine, et si justement appliquée,
frapped'étonnement l'assemblée, et M. de Monspey se hate
de retirer une motion qu'il eut mieux. aimé n'avoir pas faite,
et qu'il eut été peut-étre plus avantageux de poursuivre.


Pétion s'offrit comme accusateur, mais le président Mou-
nier écarta cette affaire.


(Le MOlliteur, nO 64, du 28 au sg septembre, donne trois
longues colonnes sur eette fuite préméditée.


2 Les gardes..fran<¡¡aises m~mes, alors l'élite de la garde na-
tionale, ne répondirent aux exhortations de Lafayette que par
ces deux mots, a Persailles, a Pel'sailles! D'ailleurs Marat-,
dans son Ami du peuple. avait rendu suspects Bailly et La-


. fayette : dans les Rél'olutions de Paris, Prudhomme eoromen-
"ait a exciter des soup<¡¡ons sur ieur conduite.




LIVRE IV, CHAPITRE IIJ. 75
ne savait plus réprimer le mal, et il se 6.t ex-
pédier l'ordre d'accompagner la populace,
pour, diminuer les désordres au moyen de la
garde nationale qu'il amenerait. Ces hordes
parisiennes arriverent vers les trois heures a
Versailles. Maillard, qui se donnait lui-meme
le titre de trancheur de tete, et qu'on mettait
toujours enavant, quand il s'agissait de pro-
voquer des horreurs, parut dans l'assemblée
nationale comme accusateur de la fete de
Versailles. L'assemblée et le chatean furent as-
siégés aIternativement. I.a foule traita les gar-
des-du-corps comlne des ennemis de l'État. Le
roi se vit obligé de recevoirune députation de
femmes du peuple. Le régiment de Flandre
qui l'aurait pu défendre fut gagné, et la fa-
meuse amazone Théroigne de Méricourt joua
ici pour la premiere fois le role brillant qu'elle
remplit ensuite dans toutes les émeutes.


Pendant plusieurs heures le roi avait ponr
ainsi dire snpporté un véritable $iége, et
craint plusieurs fois ponr sa vie, quand La-
fayette arriva enfin avec la garde nationale,
et occupa les portes du chateau. L'assemblée
pro6.ta de ce tumulte fatal, pour obtenir du
roi qu'il acceptat la constitution telle qu' elle
était alors, ainsi que la déclaration des droits,,~;'




"


...


76 JIISTOIRE DU XVIIlCsd:CLE.
de l'homlne, sans restrictioll, ce qu'il avait re-
fusé d'abord l.


Il est difficile de déterminer de quelle ma-
niere la populace effrenée entra au chatea u de
Versailles, le 6 octobre au matin, pendant que
Lafayette était allé se reposer un instant.
Tout parait prouver qu'on en voulait a la vi'e
de la reine; car a peine ces hordes furieuses
eurent-elles pénétré dans le chateau, et assas-
siné les gardes-du-corps de service, qu'elles
se précipiterent vers l'appartement de la reine.
l\Iarie Antoinette, a moitié habillée, n'eut que
le temps de se sauver dans le cabinet du roí 2.


I


J MOfliteur, nO 7 1 , page 29 0 :« Surles onze heures, M. Mou-
nier, président, arriva. La salle était remplie d'amazones et
de lanciers de Paris, au milieu desquels on distinguait a peine
quelques représentants que la curiosité semblait y rctenÍr. 11
lit rappelcr les autres a l'assemblée au son du tambour, et lut
au peuple, dans I'intervalle, l' acceptation faite par le roi de
divers articles de la constitution; elle était ainsi con~ue: «J'ac-
« cepte purement et simplement les articles de la constitution,
«et la déclaration des droits de l'homme, que ]'assemblée na-
u tionale m'a présentés. »


2 Madame Campan, tome III, page 107 : « Ma sreur enten-
dít la premiere ces mots terribles: Sau"ez la reine. Le garde-
du.,corps qui les pronon~a re~ut treize blessures, a la porte
meme d'ou ilnous avertit. Si'les femmes de la reine s'étaient
couchées , sa majesté était perdue; elles n' eurent que le temps
de se précipiter dans sa chamhre, de l'arrachcr de son lit, de
jeter une couvertnre sur son corps, de l'emporter dans l'ap-
partement du roi , et de fermer ~ le mieux qu' elles purent, ]a


.. porte du corridor qui y conduit. Elle tomba évanouie dans
les bras de S011 auguste époux. »




LIVRE IV, CHAPITRE lB. 77
Celui-ci vit assassiner devant ses yeux plu-
sieurs de ses fid~les défenseurs, et fut obligé
de consentir a aller habiter Paris, ou les appar-
teInents n'étaient pas encore préparés; il fut
forcé de suivre le meme jour une procession ,
dont la marche était ouverte par les callni-
bales qui portaient sur des piques les tetes de
ses dévoués serviteurs.


On' atteignit parfaitement le but qu'on
s'était proposé. Le roi, accompagné d'une dé-
putation de l'assemblée nationale, fut con-
duit en prisonnier a París. J} éclat de la ma-
jesté royale disparut, l'auréole de grandeur
qui brillait depuis bien des siecles autour du
front conronné des llourbons s'évanouit. Le
peuple cessa de respecter la royauté, et nc vit
plus des-lors dans le roi qu'un hOlnme ordi-
naire. Louis XVI, iI est vrai ~ ne se croyait
obligé a' rien de ce qu'il avait accordé á la
nation par la violence; iI n'avait cédé qu'aux
soUicitations de Lafayette, que lui et la reine
haissaient. Il n'y avait done aucune confiance
de part ni d1autre.


L'assembléc nationale décréta sa translation
de Versailles a París, le 12 octobre, et la 6t
exécuter le 19. Le dnc J'Orléans que le Moni-
teur, au moyen d'une accusation formidable




78 HISTOIRE DU XVIJle SlECLE.
- contre la reine chercha des ce lTIOment a jus-


tifier, d'avoir avec ses partisans provoqué le
tumulte 1, parut si dangereux au marquis de
Lafayette, qu'ille forc;a de quitter pour quel-
que temps le royaume, sans que cela mit en-
trave a la chute de l'autorité royale. L'organi-
sation de la nouvelle constitution, du pouvoir
judiciaire et législatif fut subordonnée a la sur-
veillance de la populace parisienne et de
ceux qui la faisaient agir. Des ce monlent,
les amis de la monarchie constitutionnelle
commenc;erent a désespérer de ]eurs ressour-
ces 2. Sortis de l'assemblée nationale, ils lais-
serent le champ libre aux démagogues. Un


1 Nous apprenons par les rapports du résident de Venise
a, sa république, que 1'0n regardait généralement le due
d'Orléans comme un des auteurs principaux de tous les exceso
l/oyez Raccolta cronologico-ragi~nata dei documenti inediti ,
che formano la storia diplomatica della rivoluzione e caduta
c1ella repub\ica di Vene7.Ía, tomo 'I.


On en trouve aussi l'essentiel dans Daru, Histoire de la ré-
públique de l/enise, deuxieme édition, tomo v, pago 339-61. ,


2 Moniteur du 12 au' I3 octobre, pago 297:« C' étaitM. Le Cha-
pelier qui remplissait alors les fonctions de chef du corps lé-
gislatif; car M. Mounier, désespérant de la tolérance des Pa-
risiens pour ses opinions politiques, ou UU salut d'un empire
dont iI n'aurait pas lui-m~me posé les bases de la législation,
avait déserté ce poste pour aller chercher en Dauphiné des
auxiliaires et des admirateurs, et étab\ir la liberté du peuple
sur ses deux príncipes favoris, le 'Veto absolu d'un sénat et
du roi ...


011 reconnait ici facilemtmt le ton de Mirabeau.




LIVRE JV, CHAPITRE IIJ. 79
manifeste du roí, ou il assurait ne pas etre
prisonnier; Ulle déclaration de Lally-Tolen-
dal qui avait cru devoir se retirer a Geneve 1 ;
un décret de l'assemblée de ne plus donner
dorénavant de passeport a auenn député, a
moins que les raisons de son voyage ne fus-
sent diseutées publiquement, augmenterent
les inquiétudes des fauteurs d'une liberté
modérée. Une joie malieieuse s'empara des
admirateurs aveugles de rancien gouverne-
ment; car ils voyaient avee plaisir que les
féroees démagogues prenaient le dessus; ils
travaillaient meme ave e ardeur pour obtenir
ee résultat, paree qu'ils pressentaient que la
lieenee détruirait la liberté et qu'elle frayerait
la route au d,espotisme.


L'existenee poli tique du clergé fut alors sa-
crifiée avee ses biens 2. L'éloquenee de l'abbé
Maury ne put ehanger les idées de l'assem-


1 Il suffit de comparer les Actes des apotres, tomo 1, p. 22.
D'ailleurs cette fine satire el cette saillie de· la honne société
étaienl hors de saison. Le brusque langage de L' Ami du peuple,
du Courrier de Brahant, du Pere Duchesne, était a l' ordre du
jour; et ceux qui entendaient la fine saillie, ou ne l'em-
ployerent pas, ou en rurent mortellement blessés.


2 Talleyrand de Périgord, alors éveque d' Autun, en :6t la
premiere proposition. On évalua les revenus du clergé a
cent cinquante millions par ano Talleyrand et Miraheau pour-
suivirent la méme route, et la proposition était concertée d'a-
vance entre eux.




80 HISTOIRE DU XVlIIe SIECLE.
blée, et Grégoir~, qui n'avait pu rénssir dans
la défense des ordres monastiques, échoua en-
core cctte fois dans la proposition qn'il fit
d'assigner au moins aux curés des biens-fonds
qui pussent subvenir a leurs premiers be-
soins. La majorité n'attacha pas une plus
grande importance aux établissements reli-
gieux que ne le 6t de nos jours la plupart des
États -généraux de l'Allemagne méridionale.
On rega"rda les biens du clergé comme hypo-
theque de la dette nationale, et on voulut que
tous les ecclésiastiques fussent salariés par
l'État. La juridiction pédantesque de l'aristo-
cratie fut renversée e,t tomba sans le rnoindre
bruit. La dissolution facile des parletnents ,
qui eut lieu bientot apres, prouve suffisam-
ment combien la révolution avait pris racine,
et combien les idées étaient généralelnent
changées.


Ce fut alors qu'on vit s'élever Robespierre,
secondé par Marat et sa propre furenr. :Mira-
beau, qui aspirait a un portefellille, sentit
qu'il était temps d'agir; il aurait peut-etre fini
par obtenir plus_ tard la direction du nlinis-
tere, si Robespierre et Lanjuinais, par des lno~
tifs opposés, ne lui eussent oté le pouvoir de
rester membre de l'asselublée ('11 deycnant




"


J~IVRE IV, eH A.PITRE IlI. SI
ministre; cela l'attacha encore pendant quel-
que temps a ses anciensamis. Robespierre
venait d'ailleurs d' opposer a la poli tique de
Mirabeau, son opinion de la préférence qu'o~
doit accorder a un ignorant sur les travers
d'un esprit trop cultivé r, et ses idées tonchant
son syste~e de poursuite 2.


OIl vit aussi le pouvoir du peuple, propre-
ment dit, s'augmenter de plus en plus; les
tentatives des membres de l'assemblée, qui
voulaient conserver la royauté et renverser
l'anarchie, resterent naturellement infruc-
tueuses. La loi pl'oposée contre les attrou-


I Il s'agissait des voix dan s les assemLlées électorales, ou
Mirabeau donnait déj~ la supériorité a la fouJe aveugle;
iI demandai~ néanmoins qu' on donnat une contribution de
trois journées pour voter dans les assemblées primaires, qu'on
payat dix francs pour etre électeur, qu'on eut un mare d'ar-
gent, et une propriété fonciere quelconque pour devenir
député.


Selon Robespierre, tout vagabond devait avoir le droit de
voter.


:! C'est ainsi que s'exprime Robespierre apres une longue
tirade. (Moniteur, nO 76.) " 11 fautentendre le comité des rap-
ports, iI faut entcndre le comité des recherches, découvrir la
conspiration, étouffer la conspiration.... Alors nous· ferons
une constitution digne de nous et de la nation qui l'attend .•
-1Jf. de Caza/es. « Je demande que le préopinant donne les
notions qu'il a sur la conspiration, sinon, iI est criminel en-
vers le public et l'assemblée. ..


U faut remarquer que Cazales défendait rancien systeme a vec
la plus grande éloquence, et que Robellpierre n'était nullement
orateur.


n. U. ti




8:'1 HISTOIRE DU XVIII- Sd:CLE.
pements et le drapeau rouge a l'hotel de vine,
embleme de la loi martiale, ne put etre
maintenue faute de soldats et de police; un parti
puissant <iu conseil regardait au contraire
comme nécessaires les troubles et les émeutes
de la populace l.


C'est a cctte époque qu'eut lieu la scission
fatale d'un club, établi rue Saint-Honoré, dans
le local qui avait serví de bibliothéque aux
freres jacobins 2. Ce club avait organisé dans
toute la France des confréries avec lesquelles
il entretenait une correspondance. Dans son
origine, iI· comprit toutes les personnes qui
denlandaient une réforme. Les gen,s de qualité,
entre autres Crillon, Talley'rand, La Roche-
foucauld - Liancourt et un avocat, nommé
EmnlCry, le trouverent alors trop vulgaire et
trop turbulent; on forma de nouveaux clubs
a l'hotel Crillon 3, et dans deux autres en-


J Moniteur nO 78 : te Euzot, Robespierre et plusieurs autres
repoussaient avec chaleur l'idée d'une loi martiaIe; elle leur
paraissait portée contre la faim, plutot que contre lesémeutes. »


2 D'abord société des amis de la constitutioll; ensuite amis de
la lilJerté et de l' égalité.


3 Dumouriez, (Mémoires, tomo 1, pago 71) qui s'enten~aít
aux intrigues aussi bien qu'un autl'e 7 dit: .. Ce club, étant
.. devenu plus nombreux, engendra celui de 1789, et de son
• démembrement s' est formé celui des F euillallts. Alors les ja-
• cobins irrités ne garderent plus de mesure, et on finít par
.. vexer et détruire ton s ces clubs .•




LIVRF: IV, CHAPITRI~ IIJ. 83
droits; ainsi on renom;a entierement a la po-
pularité. Les Lametll, Barnave, Adrien Du-
port ,Laborde, d' Aiguillon , d'abord membres
principaux de la société des jacobins, s'en re-
tirerent; car ils voulaient bien abaisser les
grands, mais non élever le peuple. Ils espé-
raient en vain se maintenir seuls; ils virent
bientot leurs soeiétés se dissoudre. I.Jeur éloi ..
gnement rendit Robespierre, Danton, Sieyes,
alors membres du meme club, tout puissants
dans le royaume l. Chaque nouvelle institu-
tion, dan s la lllonarehie qu' on devait organi-
ser, re«¡;:ut une forme tout-a-fait démoeratique.
On fit une nouvelle division de la Franee; le
peuple, dans des a,ssembléesbruyantes, nomma
aux eharges de toutes les adrtlinistrations des
départements, des distdets eomnlunaux et des
munieipalités; les juges memes devaient etre
élus, quels que fussent rinutilité et le danger
de eette disposition, d'apres l'établissement des
jurys. Ce temps de eonfusion ne fit que dété-
riorer les finanees. On paya les biens d u
dergé avec le papier-monnaie 2, connu sons


1 Paganel Essais, tomo 1, chapo 18, parle de l'organisation
de ces sociétés qui donnaient a Jeurs membres des diplomes ,
atnsi que de l'influence de ces trois membres qui seuls avaient
la m~me opin¡on. Paganel aussi était autrefois jacobin, et ud.
versaire prononcé de tout royalisme.


# II Depllis le J 9 décembre J 786 , ce papier-monnaie passa
6.




84 llISTO[HE DU XVIII" Sd:CLE
le non1 d'assignats. On eut de plus la malheu-
reuse idéede vouloir se meler de la consti-
tution civile du c1ergé, qui, selon les principes
dela religion catholique, se trouve entierement
séparée de l'État. C'est alor5 que Mirabeau
commew;;a a changer lentement de parti 1; lui
seul conserva a Louis XVI le droit de décider
de la gllerre et de la paix; c' est pourquoi dans
toutes les places et les rues de la capitale, il
fut déclaré traltre a la bonne cause 2.


Quoique les admil1istrations des départe-
ments fussent ponr la plupart composées
d'hommes aisés,. arnÍs de la liberté et de la
royauté, le nornbreux conseiL d'État de Paris
a lui seul forma, d'apres la nouvelle constitu~
comme assignats pour l'argent des biens eeclésiastiques; iI
perdit d'abord 5 , ensuite 3 du cent. Depuis le mois d'avriI
1790 , iI eut pIeine cireulation.


I l\lirabeau cut alors I'entretien ave e la reine, non comme
M. de Lacretelle lerapporte, dans ses appartements, car on s'en
serait aper~u, mais dans le jardín de Saínt-Cloud. l\Iarie All-
toinettc commen~a ainsi son diseours : " Auprcs d'un ennemi
ordinaire, d'un homme qui aurait juré la perte de la monar-
chie, san s apprécier l'utilité dont elle est pour un grand peu-
pIe, je ferais en ce moment la démarche la plus déplaeée,
mais quand OIl parle a un Mirabeau .... Heu! quantllm mutata
ab illa?


2 Le diseours de Mirabeau se trouve dans le Monitellr de
1790, nO 142, pago 573. L'affaire fut traitée le 20 maí; on
répandit une brochure intitulée la Trahison de Miraheall, et
Maillard quí, le 5 octobre 1789, l'avait secondé dans ses pro-
jets, devait étre son bourreau le 2 o mai 1790.




L 1 V R.E 1 V, e H A P 1 T R}: 1 JI. 85
tion, une république turhulente l. Ces innova-
tions provoquerent de grands troubles a Tou-
Ion, Marseille, Montauban et Bordeaux; il
fallut done établir une haute eour de justiee
pour les erjmes de lese-nation. l .. e nouveau
tribunal devait détruire, a ee qu'on disait, les
aristocrates et les pretres qni preehaient la ré-
volte. Mais ponr nlettre la eour a découvert
devant la Franc~, 00 produisit le livre rouge 2 ,


1 Deux cent quatre-vingts personncs formaient le grand
conseil d'État; cent vingt, le corps administratif anquel on
.lccordait le droÍt d'inspection et de révision.


2 Bertrand de Molleville, Hist. de la révolutioTl, tOID. III,
consacl'e le chapo 26 a ce livre rouge; ii dit, pago 83 : « Le IÍvre
rouge était un registre in-folio, relié en maroquin rouge. Les
dix premiers feuillets contenaient des dépenses faites sons le
regne de Louis XV;·· ceHes qui avaient été ordonnées par
Lons XVI, étaient rapportées dans les trente - den x feuillets
suivants; le reste du registre était en blanc: chaque article de
dépense étaÍt écrit de la main du controleur-général, ou du'
ministre des nnances, et paraphé de la maín du roi; chaque
changement d'administrateur était marqué dan s ce registre par
un arreté de la main du ministre, avec la signature entiere du
roi ... Marat, Ami du peup!e, nO 126, avril 1790. Suite des
Réjlexions de l'Ami du peuple, sur la dénonciation de M. Nec-
ker, fait connaltre dans quelle intention on avait demandé le
livre rouge: " Combien de fois t'es-tu fait demand~r cette liste
d'anth~pophages a"'ant de la donller? Diras - tu que tu n'as
pas cpnseillé au souverain de la garder? diras-tu que, remis
en tes mains par le souverain lui-m~me, tu n'as pas dénié la
remise qu'il t'en avait faite? D


Nous voyons que Marat se trouva aussi avoir quelques
droits envers Louis XVI, en lisant ce mot de madame de Stact:
.. Le livre attestait les torts de LOllis XV, el la tl'Op grande bonté
de Louis Xrl .•




86 HISTOqlE DU XVIlle SI1~CLE.
et dans la tnalheureuse affaire de Favras, eon-
vaincu d'avoir conspiré eontre la nation,
l\Ionsieur n'éluda qu'avee peine un prod~s
formel. Le roi resta tout le temps passif,
et sanetionna, par faiblesse et non par convic-
tion, les articles d'une constitution qui lui
otait absolument tout pouvoir.


La postérité hénira les auteurs de cette
constitution, que la génération, actl1elle vou-
drait élever au rang des héros. e' est a elle en
effet que la France doit l'égalité de tous ses ci-
toyens devant la loi, et mille autresbienfaits
non moins signa.lés. Il faut cependant y re-
connaltre un défaut essentiel, c'est qu'elle
rendait les lois et les institutions tout-a-fait
démocratiques. Lorsque plus tard Buónaparte,
sans changer les lois, adapta les institutions a
son despotisrne, il en résulta le phénomene
sillgulier. d'un gouvernement absolu ave e
une loi républicaine.


1.es Etats d'Allemagne, qui avaient des pos-
sessions en France, et auxquels des traités de
paix assuraient la jouissanee de leurs droits
féodaux, devaient accepter la nouvelle orga-
nisation; car le droit prilnitif de l'hornme, di-
sait-on, renversait le droit des traités. Les
princes d'Allemagne se plaignirent et s'éleve-




LJ VR E 1 V, eH APITRE lIT. 87
rent enfin sérieusement contre leur dépouille-
mento Lorsqu'on présenta cette affaire a l'as-
semblée nationale, Miraheau ne fut nullement
embarrassé de répondre an conclusum du
cercle du Haut-Rhin l. Cependant l'assembIée,
admettant alors, d'apres le principe de l'équité
et du droit, tonte réclamation, ne se montra
pas éloignée de s'accommoder avec les étran-
gers. Heu reusemen t pour les provinces Rhé-
nanes, il n'en fut rien. Plus on poursuivit les
réformes, plus on y mit de violences, plus la
popularitéde l'assemblée diminna. Une partie
de la nation penchait encore vers rancien sys-


I teme, mais la majorité préférait l'énergie des
Marat, des Robespierre, des Camille Desmou-
lins, an caractere sentimental des constitution-
neIs, et a l'avenglement singulíer de Gré-
goire, qui espérait allier la religion chrétienne
anx principes des jacobins zélés ,on plutot
a la furellr contre toute majesté et tout éclat
dans la royauté.


1 Mirabeau dit, apres la lecture du conclusum, le 1 Ifévrier :
.. Il est nécessaire de connaitre les faits et les actes; et per-
sonlle, sans etre préparé, ne poul'rait l'épondre a l'érudit
cOllclusum des princes d' Allemagne. Comme le droit public ger-
manique se trouve parmi les choses inutiles que j'ai apprises
dans ma vie, jc demande a pl'duver que, meme d'apres les
principes germaniques, les réclamations ne sont pas fondées.
Je ne vois pas comment la nation pourrait etre tenue d'uDe.




88 HISTOIRE DU XVllle SIECLE.
Le parti eonstitutionnel perdit ainsi de jour


en jour dan s l'opinion publique. Les vrais
auteurs de la révolution, pour regagner les
suffrages, chercherent par une infinité de
Inoyens factices a ranimer l'enthousiasm@ et a
occuper le peuple de la capitale. Le 14 juillet
1790, conune élnniversaire de la prise de la
Bastille, fut désigné ponr effectuer une réuni0n
des troupes de ligne et des gardes nationales,
souvent en mauvaise intelligence, et pour ras,..
sembler a Paris, de toutes les parties de la
France, les fauteurs des idées nouvelles.
Soixante mille députés de l'armée, des gardes
nationales du royaume, des communes, et des
milliers de spectateurs devaient se placer de~
vant l'École militaire. Dans eette circonstance,
on ron présentait l'assemblée devant toute la
nation, le roi ne devait paraitre que comme
l' égal. du présiden t ,1:


Avant de pouvoir exécuter ce projet, les
enthousiastes de la monarchie modérée, exci-
tés par les railleries des partisans de l'ancien
régime, se rendirent, dans une seule séance,
méprisables aux yeux des hommes plus calmes
indemnité, pour avoir agi selon les príncipes du dro!t natu-
rel, qui doivent etre les príncipes de toutes les natíons, etc. »


I On trouve les discussions et le décret définitíf sur eette
~ffaire da-lls le Moniteur du 7 au 8 juin 1790, p. 649 et suiv.




LIV RE IV, eHA P ITRE 111. 89
et plus sensés, paree qu'ils toléraient une
seene ridieule, ressenlblant a une momerie,
et qu'ils terminaient dans un moment une af-
faire de la plus haute importanee. Dans la
séance du 19 juin , on assura d' abord des hon-
neurs et des récompenses 1 a tous ceux qui
avaient pris la Bastille, et dont le caractere
moral et politique n' était que trop connu.


On admit ensuite devant l'assemblée Clootz
du Val- de - Graee, baron prussien, ridicule
par son athéisme, ave e une quantité de gens
gagnés, qui se disaient défenseurs du genre
humain; et, a la proposition d'un député du
Rouergue, appuyé par Lameth et Lafayette,
la noblesse et tous ses ti tres furent abolis 2.


I :Mon'iteur,nO 17 2 , 179o,page 702 : Camus lepropose,et
termine ainsi: .. Un brevet honorable sera aussi délivré aux
'Veu'Ves de ceux qui ont pé1'i au siége de la Bastille, 101's de la.
fédération du 14 juillet; il leur sera désigné une place ou la
Frunce puisse contempler a loisir les p1'emiers conquérants de
la liberté. Leur nom sera inscrit dans les archives de la na-
tion. L'assemblée nationale se réserve de prendre en considé-
ration ceux a qui elle doit des gratifications pécuniaires. Ce
décret est adopté par acclamation ...


2 Moniteur, ídem, M. Lambel ,député de Fille/ranche de
Rouergue: " C'est aujourd'hui le tombeau de la vanité. Je de-
mande qu'il soit fait défense a toutes personnes de prendre les
quaiités de comte, baron, marquis, etc. - M. Charles de La-
meth. J'appuie la premiere proposition du préopinant; les titres
qu'il vous invite a détruire blessent l'égalité qui fait la base
de notre constitution; ils dérivent du régime féodal, que vous
avez anéanti; ils ne sauraient dOllC subsiste!" sans une absurde




90 H15T01RE DU XV/He S'¡ECLE.'.
Lors de la fete du 14 juillet, ou le roi et


l'assemblée nationale preterent un sel'nient
qu'iIs ne voulaient et ne pouvaient tenir ni
I'un ni l'autre , le peuple seul agit sincerement;
car l' éveque meme qui célébra la messe,
Talleyrand, a prouvé par la suite, et dit hau-
tement, qu'il ne croyait point au mystt~re qu'il
célébrait. Les écrivains de tous les partis con-
viennent que le sentiment de la régénération
du peuple animait et vivifiait tous les Fran<;ais
qui, des frontieres de la Flandre jusqu'a la
Méditerranée, se reconnaissaient membres
d'une seule famille. Ainsi le jour le plus nébu-
leux devillt un des plus heaux jours de l'his-
toire de France.


Malheureusement, le duc d'Orléans , le re-
fuge de tous les nléchants, I',evint bientot
apres d' Angleterre; les jacobins et les constitu-
tionnels se brouillerent san s retour; les roya-
listes, fauteurs de l'ancien régime, se réuni-
rent aux jacobins pour provoquerdes troubles,
ineonséquenee. 11 doit ~tre défendu a tous les citoyens de
prendre dans leurs Retes les titres de pair, dne, comte,
marquis, etc ... J'appuie également la seeonde proposition; la
noblesse héréditaire enoque la raison et blesse la véritable li-
herté. Apres Lameth, Lafayette prend la parole : Cette Dlotion
est tellement nécessaire que je ne erois pas qu'elle ait besoin
d'étre appuyée; mais si elle en a hesoin, je vous annonce que
je m'y joins de tout mon creur. •




LIVRE IV, CHAPITRE IIJ. 91
mettre tout en désordre, et prouver ainsi
l'instabilité des nouvelles institutions. Les dis-
putes sanglantes qui éclaterent a Nancy nous
en donnent un exemple l. Bouillé, soutenu
par les constitutionnels, était parvenu a les
apaiser, ce qui n'irrita pas moins les déma-
gogues que les fauteurs de l'ancien systeme 2.
De meme que J\-Iarat, Danton 3 et leurs amis


• Les régiments Mestre-de-Camp, ChAteauvieux, les cara-
biniers du roí, /le révolterent formelIement; Bouillé, oncle de
Lafayette , chargé par l' assemhlée nationale, apaisa hientot
tous les trouhles, a la t¿te de la garde nationale et des hatail·
lons restés fideles.


2 Bertrand de Molleville, tome IlI, page 283, nous présente
ainsi l'opinion des royalístes : " Mais d'un autre coté, si les ré-
voltés de Nancy eussent triomphé, iln'est pas douteux que le
crédit de l' assemhlée nationale, déja tres-chancelant , n' eut été
entierement anéantí. L'efycacité de ses décrets pour tout hou-
leverser, leur impuissance poul' établir l'ordre et la sureté des
personnes et des propriétés , eussent été plus démolltrées que
jamais. La révolution eut été chercher ses législateurs dans la
populace , dont les clameurs n'étaient pas encore tout-a-fait
des lois, et le cl'édit de l'assemblée se serait perdu dan s I'a-
hime qu'elle avait ouvert elle - meme. Aussi les cOIlstitution-
neIs , qui connaissaient hien le danger quí les mena~it,
ne furent-ils pas moins satisfalts que le roí des sueces de
M. Bouillé. » •


Voilit la politique des hommes qui· ont fait plus de mal a
la France que tous les jacobin!!o Marat, d'ailleurs , ne donne
a Bouillé que l'épithete d'assassill.


3 Mirabeau reconnut dans Danton l'homme qu'.illui faUait,
aíDsi qu'a son siecle. Ce trait caractérise de nOllveau son grand
génie. Lorsque nous mettons Dallton ici ,ainsi qu'autre part,
dans la catégorie des partisans de Miraheau, iI faut se rappe ..
ler que Talleyrand était l' Ol'gane des constitutionnels , et Sieyes




9'1 H ISTOIRE DU XVIll 8 Sd~CLE.
s'entendaient dan s eette affaire avee les défen·
seurs de rancien régirne, de rnerne ils s'ae-
eordaient quand il s'agissait d'expulser N eeker,
que les trois partis rnaudissaient alors. Les
royalistes, pare~ que, d'apres leur opinion ,
tout le mal provenait de lui; les eonstitution-
neIs éclairés et plus impétueux,' paree qu'il
les genait depui,s qu'il leur avait rendu les
serviees qu'ils demandaient; les jaeobins, par-
ee que 5a délieatesse , son hurnanité et sa pro-
hité ne s'aceornmodaient nullement avec leur
systeme. Lafayette sentait déj:\ sa faiblesse 1 ,
celui des démocrates de la classe éclairée des philosophes;
Danton ne se tenait qu'au bas peuple des bouchers, des forge-
ron s et des serruriers, et Gamille Desmoulins agissait entic-
rement dans les vues de Danton. Le discours du sieur Arthur,
pronoueé au club des jaeobins, le 5 avril 1794, prouve eom-
bien il fut utile a Mirabeau. Moniteur, an !l, nO 200, p. 80g :
.. En 1790, Dantoll (alors avocat) fut porté, par le distriet de,s
cordelíers, a la place de notable de la commune de Pal'is;
iI fut rejeté par l'aristocratie; mais Mirabeau, qui influen<;¡ait
l'assemblée, le fit nommer au département. D


J Marat restait impuni. cependant sa feuilIe du 28 juin 1790
portait le titre: dénonciation contre M. de Lafayettc,. alar-
mant projet du sieur Bailly et de ses administrateurs munici-
paux. La feuille du 6 j.uillet avait pour titre, la conjuration du
sieur Bailly . ••.•. :, adrésse aux 'Vainqueurs de la Bastille
et aux défenseurs d& la patrie, les ei - ¿erant gardes -fi·anfaises.
Saisie d' écrits incendiaires faits a naifel Mirabeau . ........ .
L'Ami du peuple réclame eu faveur de l'opprimé Babeuf, pri-
sonnier a la conciergerie, ]a généreuse assistance que les,dis-
tricts ont donnée aux prétendus incendíaires des barrieres. Le
13 juillet, on porta une nouvelle dénonciation contre M. de
Lafayette.




LIVRF: 1 V, CHAPITRE Ilf. 93
111ais ne voulant point encore reconnaltre qu'il
n'agissait que d'apres la volonté des autres, il
ne put parvenir a réprimer la populace. N ecker
n'éluda l'attaque du peuple qu'en se retirant
aussitot a sa maison de campagne. Il passa en-
suite la frontiere; mais arreté a plusieurs re-
prises, iI ne dut son saIut qu'a un décret de
l'assemblée, qui lui facilita une retraite /a Ge-
neve. Les embarras 1 s'accumulerent, lnais les
nouvelles institutions prirent de profondes
raci:nes. Tont l' ordre des choses fut interverti ;
lanation s'empara des droits, biens etpriviléges
perdusdepuis dessiecles; il n'auraitfallu qu'une
mOl'ale pure et une bonne religion du creur
pour former un corps d'État sain dan s tous ses
membres 2. Au lieu de tenir séverement au
maintien des rnreurs, et de rendre inutiles
des céréJnonies superstitieuses, les hommes
qui donnaient alors le ton, chercherent a sub-


1 Les catholiques et protestants de Nismes et du département
du Gard avaient des différents sanglants ; les gardes nationales
de l' Ardeche, eb l'Hérault, de la Lozere, se liguerent au bourg
de Jales en fédération catholique, qui fut ensuite vivement
persécutée par des décrets de l'assemblée.


2 Tous les censeurs de la constitution. que j'ai vus, 50nt
injustes envers ce travail, par haine contre ses auteurs et ses
résultats. '


PagalJel, tome 1 de ses Essais historiqlles, chapitres XI-XII t
pages 1870"216, en montre le bon coté et consacre plusieurs
chapitres a l'analyse de ses dispositions.




94 HISTO [RE nU XVlIIe SIi~CLI::.
ordonner la morale a la politique, et la reli-
gion établie a la loi positive. eette derniere
institution choqua surtout, lorsque les législa-
teurs citoyens s'immiscerent dans la discipline
ecclésiastique, et qu'ils demanderent au clergé
un serment devenu inutile, si OIl voulait res-
ter conséquent. La dureté avec laquelle on
exigea que les pretres pretassent le serment a
la constitution civile du clergé 1, aurait détruit
en tout autre moment la popularité de l'as-
semblée nationale; mais le culte avait depuis
long-temps perdu son caractere imposant. La
résistance des ecclésiastiques ne fit qu'aug-
menter la haine que les nornbreux railleurs
de la religion chrétienne lui portaient; elle
occasionna dans les contrées, oú la super ..
stition prédominait, des troubles et des
guerres sanglantes contre les fauteurs de la
révQlution et exaspéra les deux partis. D'ail-


x La populace de la capitale cerna l'assemblée le 4 jan"
vier 1791. Cazales dit:. Voulez-vous entendre les cris qu'on
« pousse autoul' de l'assemblée ..... ? -lJlacon. Que M. le mail'e
« aille done fail'e cesser ce désol'dre.--- Plusieurs 'Voix. 11 y est
« alié .... lO •


Vient ensuite la ¡¡Cene des ecclésiastiques inassel'mcntés;
on présente enlin une adresse au roi, ponl' le pl'iel'de donnel'
ses ordres pour la prompte et entiere exécution uu décret du
':J.7 novembre del'llier envel's les membres <le l'assemblée na-
tionale ecclésiastiques, fonctionnaires publics, qui n'ont pas
pl'été le serment })l'escrit llar le dit décret, sanf, etc.




LIVRE IV, CHAPITRE 111. 95
leurs quatre éveques seulement 1 et un tres-
petit nombre de curés preterent le serment. Il
en résulta un schisme complet; l' assemhlée
nationale exerc;ait par des décrets sa fureur
t;ontre les pretres inasserrnentés; les antago-
nistes de toute religion et, de tout ordre
excitaient la populace; les ecclésiastiques par
leur violence firent éclater des scandales. Les
tan tes du roi quitterent alors le royaume, en
grande partie pour ne pas souffrir des pretres
assermentés, et le roi fut long-tenlps a se dé-
cider avant de confirmer le décret contraire
a S3 croyanee.


Les puissanees étrangeres s'alarmerent; une
quantité d'armes fut distribuée parmi les
gardes nationales; et les ennemis redoutables
de tout ordre, que les républieains regardaient
dans l'assemblée eomme utiles a leurs pro-
jets, ne se contenterent plus,ainsi qu'aupara-
vant, de fomenter des clameurs. Les membres
bourgeois, enthousiastes de l'assemblée, pous-
sés par leur haine contre la cour, et ceux
d'entre les constitutionnels, qui n'agissaient
que par ostentation , aigrirent le peuple et le


1 C' étaient l' odieux cardina 1 de Brienne, en sa qualité d' ar-
cheveque de Sens, Talleyrand de Périgord, comme éveque
d'Autun, Jarente, d'Orléans et Savines, de Viviers.




ti 9 HISTOIRE DU XVIII- s d':CLJ·:.
porterent a des voies de fait. Enfin il se con"
stitua, de sa propre autorité, surveillant du
rOl, et écouta naturellement Marat 'plus que
les prédicateurs de la vertu l. Miraheau, qui
défendait alors le maintien de l'ordre avec la
plus grande énergie '!, mOUl'ut 1 .. 2 avril 179 I.
Jamais mort ne fut plus intempestive. Le faible
I'oi preta de nouveau 1'oreille aux insinuations
de la reine et des partisans de l'ancien régime.
Rien ne put etre plus agréable aux amis de
la confusion que l'indécision de Louis XVI;
elle les excusait et les jllstifiait parfaitement.


1 C'est ainsi que Marat, Ami du peuple, nO 269, s'éuonce
le Jer novembre 1790: u Laissez·lit vos ridicules assernblées
" de section, ou des fl'ipons, vous étourdissant de leur crimi·
" nel bahil, glaceraient votre ardeur ; ne vous rassernblez que
" dan s les places publiques, et que ce soit pour vous nommer
.. un tribu n militaire : armez-le de la force publique pour trois
.. jours seulement, marchez sous ses Ol'dres, et qu'íl abatte
.. sans pitié les tetes criminel1es, qui depuis quinze moís eon-
e spirent eontre vos jours: mais, a,'ant tout, volez a Saínt-
.. Cloud, ramenez dans vos murs le roi et le dauphin, ren-
" fermez l' Autrichienne, renfermez son beau-frere, renfermez
" le maire et le général, jetez tous les ministres dans les fers ,
.. emparez-vous des porte-feuílles, connaissez toute la profon-
.. deur des machinations infernales préparées contre vous. lO


2 Le MOTliteuT', du 25 février 1791, nO 56, rapporte com-
ment Mirabeau soutint, contre tous les députés de París
et les poissardes "qu'on avait introduites dans l'assemblée.
les débats qui s'éleverent relativement au départ des tantes
du roi.


Pagunel, E ssais ltisto,.iques el critiques sur la l'évolution ¡ran-
r¡aise, 3 vol. in-8°, tome 1, chapo VIII, page 148 et suiv., ca·
ractérise et dépeint parfaitcment Mirabeau.




LIVRP. IV, CHA.PITHE JII. 97
I~ club des Jacobins venait d'organiser quatre
conlités 1, et d'établir une correspondan ce
ainsi que l' espionnage systématique des pro-
jets du parti contraire; on vil aussi le club
des Cordeliers prendre part aux affaires; iI
fut par la suíte présidé par Danton, dont
l'extérieur dévoHait l'ame rude et forte 2. Le
roi chercha du secours chez les peuples voi-
sins 3, s'unit au corpte d' Artois, et voulut se
jeter dans l'une de' ses propres forteresses.
Bouillé 4 lui indiquait Valenciennes et Be-
san<;on, cependant iI se décida pour Mont-


1 Comité de trésorerie, de correspondance, des recherches,
de présentation.


:l Danton, en parlant de lui-m~e, dit, dans un de ses dis-
cours: « La nature m'a donné en partage les formes athlé·
tiques et la physionomie apre de la liberté .•


3 L'Eropereur, le eorote d' Artois, Alphonse Durfort, le dé.
puté du roí et de la reine, s'assemblerent it Mantoue le 2 o
maí 179 lo Il suffit de lire Bertrand de Motleville, tome V, un
des intrigants qui y coopérerent, pour voir cette affaire dans
tout son jour; Dumouriez, 1JUmoires, et les pieces troufJées
dans l'armoire de fer, ne prouvent que trop quels misérables


. ressorts on mit en jeu; parmi tous les conrtisans qui se propo-
saient de sauver Louis XVI, il n'y en eut pas un seu't qui ait
su donner quelque heureux expédient. Ils prodiguaient des
soromes immenses pour payer des parophlets contre les hornmes
les mienx pensants oe l'assemblée, qu'ils irritel'ent; et ils se
Hattaient en vain de l'emporter sur le pel'e Duchesne, L'Ami dl'
peuple, le Courrier de Brabant, ou "Orateur du peuple, etc.


4 Bouillé dit, dans ses JI! émoires sur la révolutiolZ ¡ranfj1.ise :
.. Valenciertnes étant a quarantc lieues de Paris, Besan~on a
soixante - dix , Montmédi it quatre-vingts, le roí choisit eeHe
derniere ville, a cause de sa proximité de Luxembourg. •


H. JI. 7




98 HISTOIRE DU XVIJIO SIECLE.
mécli ; mais il prit de si fausses mesures que,
deux· mois avant, l'intention qu'il avait de
fuir n'était plus un secret l. Les préparatifs
de la fui te du roi, les négociations avec les
puissances étrangeres , ainsi que le voyage du
comte d'Artois, et tout ce qui se traita a Co-
blelltz 2 fOIlt connaitre l'esprit de cahale et
d'aveuglement des misérables courtisans, amis
de l'ancien régime. Dans les plans que pré-
senterent Calonne et Breteuil, ils ne s'en-
viaÍent pas moins la préférence que s'il eut
été question d'une place de miuistre. Le cmnte
de Fersen, confident détesté de la reine, fut
chargé de disposer tout pour la fuite. Cette
malheureuse ré~olution ne put d'ailleurs etre
prise dans un temps plus opportlln pour les
antagonistes de hi cour. Par la, les constitu-
tionnels s'emparerent du roi. Quantaux en-
nemis affreux de tous sentiments nobles et
généreux, COmIne Marat et Danton, leurs ac-


1 Les mémoires de Choiseul éclaircissent bien des choses
relatives a la fuite du roi, mais ne satisfont pas entierernent
l'esprit. Nous voyons, dans la Re/alíon du départ de Louis XI/J,
pages 53-54, que les courtisans regardaient jusqu'it la position
critique du roi cornme un moyen pour parvenir; que repro-
cheraient-ils de plus a Danton?


2 11 faut mettre dans eette catégorie les sourdes menées du
ministre Montmorin, et l'armée ridicule d'émigrés du prince
de Con dé contre la patrie.




LIVUE lV, CHAPITRE IIJ. 99
cusations injustes, leurs clameurs féroces pri-
rent une apparence de vérité. Les républicains
mieux pensants 1 pouvaient espérer qu'avec
la chute de la constitution monarchique, la
chimere d'une république se réaliserait; des
gens comme Dumouriez trouverent l'occasion
tres-favorah le ponr se renQre importants 2.
Les membres les plus a plaindre de l'assemblée
étaient ces hommes d'un c~ractere vraiment
élevé, qui voulaient transformer lenr patrie
en- république, d'apres les fausses idées qn'ils
s'étaient faites sur les anciens États grecs et
romains; ils avaient meme soulnis les élections,
a la masse ignorante du peuple. Ils oubliaient
clone que cette masse éloctive et dominante se
laisserait, ainsi que ses guides, entrainer par
l'éloqnence d'nn Marat et de ses partisans,
dont le style n'était pas moins énergique. Ces


I Madame Roland, Mémoires, dit « Que Rohespierre mar-
quait heaucoup d'anxiété a la llouvelle de la fuite du roí; mai!'
que Pétio~ et Brissot s'en réjouissai~nt, parce que cela leur
semblait nne preuve que Louis XVI ne tiendrait point la
constitutiQU qu'il avait jurée. Voila le moment, disaient·ils ,
de s'assurer une constitrition plus homogcne, et de préparer
les esprits a la répuhlique. Robespierre leur demande d'un ton
moqueur et en ronge:mt ses ongles : qu'est-ce que c'est qu'une
république? Cela ne les empecha pas d'éhal1cher le plan d'un
journal. J)


2 Dumouriez, Mémoires, tomo II, p. 1 1 l.





, \


100 HfS'fOlRE DU XVlIl e SIECLE.


hOlnmes 1 connaissaientd'ailleurs trop peu leur
oatioo et leur siec1e, pour croire faire un sa-
crificea I'État en adoptant l'opinion de Ro-
bespierre, dont les vues ne potlvaient pas etre


. équivoques 2 , et en décrétant qu'aucun Inem-
bre de l'assemblée constituante ne serait éli·
gible a la prochaine assemblée législative. De-
puis la mort ue ~I)rabeau, Cazales, l' orateur
le plus éloquent du coté dro~t, courait jour-
nellement les plus grands dangers; car, pen-


t San s nous arréter a la hrillante conversation de madame
de StaeI, nous la laissons parler pour montrer a nos lecteurs
ce qui lui parait digne d'éloges:


.. La légereté franc,:aise s'alliant aux questions les plus sé-
l'ieuses de la politique ... ; la force de la liberté se melant il
l'élégance de l'aristocratie. Les femmes ..•... adoucissant par
leurs graces la sévérité des sujets; les aristocrates se moquant
du partí contraire; les journaux faisant de spirítuels calem-


o hourgs sur les circonstances les plus importantes'; l'hístoÍre
du monde se changeant en commérage. "


Voy. Bailleul, t. 1 , p. 354; nous partageons son opinion.
:& Nous trouvons, dans le discours de Robcspierre, Acles


des Apótres, chapo V, tome ¡er, pages 59-65, Moniteur, nO 138,
du 18 maÍ 1791, une preuve de son éloquence. Il termine
ainsi son discours du 16 mai: " Je crois les raisons que j'ai
présentées tellement décisives, que l'assemhlée peut décréter,
des ce moment, que les me~lhres de l'assemblée nationale ac-
tuelle ne pourront etre élus a la premiere législature. " - Ap-
pLaudissemellts. L'assemblée ordonne, a la presque una,nimité,
l'impression du discours de M. Rohespierre. L'assemblée dé-
crete,il la presque unanimité, que ses membres ne pourront étre
élus a la premiere législature. L'assemblée s'applalldit enfin
elle-meme; les tribllnes sortent en silence.




LIVRJ:<: 1 V, eH AP ITRl! IIJ. JOI


dant qu'il restait sans appui, les émigrations
augmentaient. Pétion, Buzot, Robespierre,
Rewbell, faisaient la loi dans l'assemblée, et les
véritables constitutionnels disparaissaient peu
a peu J. Ce n' est done pas sans un motif vrai-
sem91able qu'on prétendit plus tard que La-
fayette avait été informé de la fui te du roi' et
qu'ille 6t arreter pour relever sa popularité.
Ce probleme est a pen pres résolu de nos
jours; quoi qn'il en soit, ill'a toujours nié, et
il s~utient encore aujourd'hui que la reine
avait témoigné la joie de ce que s'étant donné
en otage pour le roi, il serait probablement
assassiné par le peuple révolté 2.


1 A vígnon venait de se soustraire au pouvoir du pape; les
atrocités les plus horribles a vaient été· commises; pendant une
année enticre , le coté droít et les constitutionnels avnient em ...
peché qu'on remit cette ville ti la France; dans la séance du
17 maí ils furent obligés de céder. On ne décréta pas expres-
sément la réunion, mais on l'ílccorda avec quelque Festl'iction •.
Moniteul', n° 145, p. 603 ; ftf. Cazales: .. Entendez-voQs des
cris dans les Tuileries? » ( La populace gagnée criait bravo,
A "ignoll est a la France:) .


2 Le roi avait ,donué sa parole a Lafayette qu'il ne parti-
rait paso On apIlrend, par la Re/ation da Cliolselll, page .68,
que Lafayette, en parlant de, la reine, avait dit la vérité " Que.
" Marje Antoinette avait eu la fantaisie, avec une badine qn'elle
" tenait a la main, de chercher a toucher les roues de sa voiture ...


Les femmes de chambre de Marie·Antoinette disaient tout
haut, dans l'antichambre, lorsqu'elle accordait une audience
particulierc a Lafayette" qu'il était dangereux qu'un rebellEl
et chef d'e brigands restat seul avec la rein~.




"


IO~ HIST01RE D"U XV1I1e SIii:CLE.
Dans la nuit du 20 au 21 juin 179 J, le roi,


la reine et Monsieur avec son épouse quitte-
rent París, mais ils prirent de si fausses me-
sures, que c'eut été un mirac1e de yoir
Louis XVI exécuter le plan qu'il avait pro-
jeté. Le délai du voyage du 19 au 20 ne fut
pas aussi préjuuiciable que Bouillé le pré-_
tend 1 ; Monsieur se qirigea vers Valenciennes
et atteignit henreusement la frontiere; mais
le roi, aper~u el ChaIons, reéonnll a Sainte-
Menehould par le furieux jacobin Drouet et
son fils, et poursuivi jusqu'a Varennes, fut
arre té par le peuple de eette ville. Les propo-
sitions que llegnaud, Vernier et Camus im-
proviserent, dans la séance du 21 juin, et la
maniere dont un des députés parle du retonr
du pouvoir exécutif a sa source 2, font recon-
naltre facilernent que cet événement avait été
prévu. Les députations d'enfants, et d'autres
bouffonneries des émeutes populaires, dans les
derniers jours qui précéderent le, départ du


I Relation du dépal't de Louis XVi, page 43; ce qui détruit
entierement la fable, que ce retard de villgt-quatre heures
avait dérangé le plan convenu; il n'y a influé en aucune ma-
niere.


2 On demandait qu'on tirat le canon de dix en dix minutes.
Martineau déclare ceUe mesure contraire a la tranquillité pu-
blique. G oupil reprend : « Les canons, ils annoncent que le pou-
voir exécutif retourne naturellement a sa source. "




LIVRf: IV, CHAPITRE 11 l. 103


roí, avaient été sans doute préparées pour aug ...
mente!' la terreur, etpour presser sa fuite,
qui servit ensuite de base aux accusations les
plus atroces l. L'arrestation de.Louis a Varen-
nes, a dix lieues de ~Iontmédi, ou il avait
vouln se rendre sous la garde des troupes de
Bouillé, dura jusqu'a ce qu'il eút été joint
par l' aide-de-camp du général Lafayette qui le
suivait de pres 2. La cQnduite du peuple; .etle
peu de zele que montra l'escorte, devaient
prouver au roi combien l'opiníon était changée
et combien un retonr a l'ancien régirne de-
venait impossíble; Inais les Franc;ais qui émi-
graient ne youlurent jamais en convenir.


JI. L'assemblée nationale tenait depuislong- .
tempscette espece de pouvoir exécutif qu' on


1 Nous citerons les paroles suivantesde Marat, d'autant plus
qu'il est absolument impossible de les appliquer a Louis XVI.
Ami du peuple, 22 juin 1791, page 4 : « La nuit, Louis XVI en
soutane a pris la fuite avec le daupbin, Monsieur et le reste
oe sa famille. Ce roi parjure, san s foi , sans pudeur, sans re-
mords, ce monarque indigne du trone, n'a pas été retenu par
la crainte de passer pour un infame. La soif du pouvoir. ah-
solu qui dévore son ame le rendra bientot assassin féro~e;
bient(Jt il nagera dans le sang de ses concitoyens qui refuse-
ront de ~e soumettre a son joug tyrannique. En attendant, il
rit de la sottise des Parisiens qui se sont stupidement reposés
sur sa parole. »


2 S'il faut en croire la Retafion de CllOiseul, pages 93- 94'-
le roi se montra dans eette occasion aussi faible que plus.
tard, le 20 juill et le 10 aout 1792.




1'04 HISTOIRE DU XVIUe Sd~CLE.
voulait bien laisser a la France, et Louis XVI
ne gai'dait que le titre de roL Ainsi Oll ne re-
Jnarqua pas de changement essentiel, lorsque
la législation réunit aussi 1 quant a la forme, le
pou~oir exécutif; qu'el1e nomma et surveilIa
les ministres, et qu'elle envoya des commissai-
res dans les provinces pour y exerccr l'autorité
royale. Deux cent quatre-vingt-dix membres
de l'assemblée protesh~rent en vain contre tou-
tes ces mesures et contre la suspension de la
garde du roi. On députa IJatour-Maubourg,
Pétion, Barnave, pour ramener la famille
royale, et une commission de l'assemblée I re-
~ut la déclaration du roi et de la reine SUl~
lenr fuite. Cette derniere démarche n'était an
fond qU'ull interrogatoire f-ormel, puisqu,e le
roi, dans un manifes te 2, s' étai t expliqué sur
]es raisons de son départ, et que l'assemblée
nationale avait publié un contre-manifeste 3.
pan s l'instruction sur la (uite du roi, ~n
put remarquep la supériorité que les consti-
tutionnels, auxquels Barnav,e se . joignit des-


I D' André, AdrÍen Duport, Tronchet.
,. Mémoire du rOl, ou aéclaration de sa majesté ti tous les Fran-


cai.J ti sa so rIle de París.
• 21 A dresse de l'assemblée nationale aux Fram¡ais, ti l' occasion
du départ du roí el en réponse ti la déclaration de sa majesté.


Quant aux actes, on les trouve dans les Notes de Bertrand
de Molleville et les Mémoires de Choiseul.




LIVRE IV, CHAPITRE 111. 105


\o~~ 1. , 'é:\'l'é:\\en\ d'é:\n~ \''é:\~~embl~e et d'é:\n~ la na-
tion; ce qui n'ernpecha pas les Jacobins et les
Orléanistes d'ameuter la lie du peuple et de
répandre la terreur dans la capitale ; malheu-
reusement aussi les amis de la constitution
jugerent a propos de tenir le glaive suspendu
sur la tete de Louis XVI, jusqu'a ce qu'il eut
enfierement approuvé leur travail; ils laisse-
rent ainsi a .la nation le temps d'oublier in-
sensihlement qu'elle' avait un roi, et s'attire-
rent la haine mortelle de tous les royalistes.


Le 12 juillet, la suspension fut prolongée,
quoiqu'on ent déclaré tacit~pIent 2 que le roi
ne pouvait pas etre jugé 3 ; on lui demanda
néanmoins de reconnaitre l'acle de constitu-
tion tout entier, pour etre réintégré dans ses
droits. e' est ainsi qu' on extorqua son con sen-
tement, et qu'on luí ota toute part dan s l'or-


1 Le plus éloquent et le plus adroit des royalistes, Cazales,
résigna le 9 juiBet. Pagauel, Es;;ais historiques et critiques sur
la rél'olution franfaise, tome 1, chapo VIII, page 152, en porte
un tres-hon jugement.


2 Pétion, Monitellr; nO 197, 14juillet 1791, page 806,
a parlé contre le projet des comités. 11 a conelu a ce que le
roi fUt mis en cause et jugé, ou par l'assemblée nationale,
ou par une convention.


3 Pétion, Ricard, Buzot, Prieur, Vadier, Grégoire, Pu-
trainck , Rohespierre seuls, se prononcerent fortement contre
le roi; l'avocat Éhrard d' Aurillon s'y joignit plus tardo D' An-
dré ,Adrien Duport, Lameth, Barnave, quoique violents ad-
versaires de la cour, défendirent la cause de Louis XVI.




106 HISTOIRE DU XVIIIO SIECLE.


ganisation du gouvernement, surtont depuis
que, le 'I5et le 16, on eut'ajbttté a: la constitu-
tion trols articles quide'Váient empechcr
toute réactión flíture l., Les républicains,
ayant a leur téte Buzot ,'Brissot et Pétion,
réunis átlx Orléanistes, ue pouvai~nt souffrir
qu'on conservata Louis XVI le titre de roí;
le club des jacobins, devenu autQritépublique,
puisque les"électioll's'des'députés aHaient dé-
pendre de luí" applaudrft tniutement a la pro-
positiol1 d'un de ses I\lem·bres, de ne plus re-
conllaiti'e l~alltorité roy~le 2. Dans les trouhles


, 10 Si le roi, apre:~'. \yoi~ prété serment a la constitution,
~\:r~tracteJil ,aeta p'~l)sé avoir abdiqué.


2,0 Si leroi se meJ. ~ la tete d'une armée pour en diriger la
force contt'e la nation', ou s'il' ordonne a ses généraux d'exé-
cuter un te! projet, ou enfin, s'il ne s' opp06e pas, par un
acte formel , a toute action de cette espece, qui s'exécuterait
en son nom, il serait censé avoir abdiqué.


3° Un roi qui aura abdiqué, ou qui sera censé l'avoir fait,
redevieudra simple citoyen, et il sera accusable, suivaut les
formes ordinaires ,pour tous les délits postérieurs a son abdi-
catiqn.


2 Il se forma le troisieme club dont nous avous parlé plus
haut, qui ne se composa, ainsi que tous les autres, que des
Jacobins; cepenclant les Jacobins et les Cordeliers, ou Orléa-
nistes, devaient alors en etre excluso Ce club manquait de toute
énergie; et 'Marat, Ami du peuple, -vendredi 5 aout 1791,
-page 3 , \'apo¡:,tl'0l)\,e ain¡:,i: ... Ao.ore'l. encore les opinions au
juif Barnave, des Lameth et de leurs complices ; ils ne s' étaient
introduits , ées sycophantes, nu milieu des sociétés patrioti-
ques, sous l'habit de berger, que pour dévorcr sUl'ement les
hrebis. Avec ce déguisement,ils sont parvenus a conna\tre les
franes patriotes : et vous enfel'mez les loups dans la bergerie!




LIVRE IV, CHAPITRE IIJ. 107
excités sous prétexte de présellter des péti-
tions contre les constitutionnels, la populace
des jacobins et les ci-devant gardes franc;aises,
alors élite des gardes nationales de Lafayette,
se livrerent un combat sanglant, le 17 juillet.
BailIy, en sa qualité de maire de Paris, avait,
d'apres la loi, donné l'ordre de faire feu sur
]a populace; on lui en fit plus tard un crime,
et Hlui en cOlIta la vie.


Lafayette, devenu l'objet de 1 a haine géné-
rale, eut l'esprit si fasciné, qu'il ne songea
pas aprofiter de sa victoire. La garde llatio-
nale aurait ·détruit volontiers tout le jacobi-
nisme, en détruisant leur club. Sur le point
d'exécuterce projet, Lafayette arreta lui-meme
les braves citoyells et soldats, paree qu'il avait
besoin des Jacobins contre la cour.


Au mois de septembre se termina enfin la
révision d'une constitution qui ne con~enta
personne, si ce n' est les hOmnle5 qui poursui-
vent encore aujourd'hui leurs chimeres l.
La re traite des conspirateurs qui vous engueusent est aux Feuil.
lants; c'est la le club des monarchiens qui vous préparent des
fers, lorsque les Pétion, les Robespierre, restent attachés aux
patriotes dans la société fraternelle des jacobins. J)


1 Les niais, comme on les appelle a París, auraient néan"
moins conservé la nobles se , si le coté droit ne les cut poussés.
entieremellt a bout. Paganel, to~. 1, chapo XI, page 187, dit:
"Le pouvoir royal fut recollstitué, saos doute, mais dénué de-
tout llrestige, mais en quelque sorte solitaire, mais ne ré·




J08 HISTOrRE DU XVIIICl SJECLE.


Presque en meme temps, LéopoId II venait de
s'accommoder avec la Prusse au con gres de
Pillnitz; l'Autriche et la Prusse promirent, il
est vrai d'une nlaniere bien évasive., au corote
d' Artois et aux émigrés qui se rendaient en
foule dans les provinces allemandes situées le
long du Rhin, et qui commenc;¡aient a former
d~s armées, de leur preter des secours en
troupes; car on ajoutait imprudelnment foi
a ce que les courtisans irrités et incorrigi-
bIes, inventerent sur l'opinion de la nation.
Le traité 'de Pillnitz fut tres-équivoque. Bar-
nave, Lameth et les ministres qu'ils avaient
donnés au roi, excepté Montmorin, Iui con ..
seillerent d' accepter purenlent et simplement
l' ouvrage 'précipité d'une constitution,' tout a:
la fois démocratique et monarchique. Ce fut
un conseil fatal: quelle confiance aurait in":
spiré,comment pouvait se maintenir une con ..


. _ fléehissant aueune splendeur, et ne payant l'adoration par au-
eune de ees brillantes faveurs qni luí soumeUent toute~ les
passions, qui lui attirent tons les hommages, qui eommandeIÍt
r",üm\y",\\()l). ~\ \~ Tes;pect a ceux m~mes auxquels 1'ambition
et la vanité sont interdits; en'un mot, le pouvoir royal repa-
rut aux regards du peuple comme un pouvoir populaire, et
le roi comme un dieu sans temple et sans adorateurs. yne
tellemonarehie ne pouvait ~tre qu'une eréation éphémere, etc."
Page 189: <l Les royalistes applaudirent a cet essai de constitu-
tion , bien persuadés que l' opinion publique, indignée, rede-
manderait bientot la noblesse el ses llOchets, la royauté Jéoda/e
et lous ses 'I'ieux mensonges. "




LIVR E 1 V, CHAPITRE 11 L 1°9
stitution, ou l' on voulait forcer le souverain et la
nation a se rapprocher, et qui ne fut acceptée
ge part et d'autre qu'avec l'intention de ne
pas la tenir? D'ailleurs, ne trouvait-elle pas des
antagonistes meme parmi ceux qui l'avaient
dictée; n'avait-elle pas été I'objet des sarcas-
Ines et des railleries de la populace révoltée
~vant meme qu'eUe fút terminée? I.Je roi, s:f
famille et les puissances étrangeres ne s'ar-
maient-ils pas pour la renverser?


Sur ces entrefaites, les Jacobins, propose-
rent une loi contre les émigrés, et une ordon-
nance sévere contre ceux qui n'avaient pas
voulu preter le serment a la constitution ci-
vile du clergé; mais Le Chapelier sut profiter
d'une maniere habile de l' enthousiasme géné-
ral, pour détourner une proposition que le roi
ne voulait et ne pouvait nuUement accepter.


Le 3 septembre, on rendit la liberté au roi
quijl1squ'alors avait été sous lasurveiUance de
Lafayette. A netif heures du soir, soixante dé-
putés lui présenterent l'acte constitutionnel; et
on ne s'occupa que de la législation jusqu'a la
fin du mois üU les anciens députés devaient
faire place a une nouveUe assemblée l.


I On rlisait qu'elle avait achevé la partie constituante , el
qu'elle ne travaillait qu'au plan de la législation.




1 10 HISTOIRE DU XVIIle Sd:Cr,I~.


Parmi les lois faites a eette époque, se
trouve malheurensernent aussi eeHe dé la réu-
nion définitive d'Avignon a la France. eette
loi était tout-a-fait contraire aux principes
purs auxquels les eonstitutionnels feignaient
de rendre hornmage. Le roi déclara le 13,
par écrit, qu'il acceptait la constitution; le 14,
il prit dans l'assemblée la place humiliante
qu'elÍe lui accordait, su·y la meme ligne que le
président, et pendant quelques moments de-
bout devant l'assemblée assise 1; néanmoins,
tous les députés l' accOlupagnerent a sa sortie
en. processioIl solennelle jusqu'a sa demeure.


1 La scime se trouve dans le jJ;[ oniteur, nO 2 5 8 et sui v. ,
page 1075 : « Un 'Illissie,.. - V Qilft le roi. Le roi entre dans
la salle, accompagné de tous ses ministres, n'ayant d'autre dé·
coration que la croix de Saint-Louis. L'assemblée se leve. Le
roi va se placer a coté du président .... Le rvi. - Messicurs ,
je viens consacrer ici solennellement l'acception que j'ai
donnée a l'acte constitutionnel; en conséquence, je jure .•.
(L'assemblée s'assied .... ) d'etre fidele a la nation et a la loi ;
d'employer tout le pouvoir qui m'est délégué a maintenir la
constitution décrétée par l'assemblée nationale constituante, et
a faire exécuter les lois. JI Le roi. s'apercevant qu'i! est seul de-
hout, s'assÍed. (La salle retentit d'applaudissements.) Puisse
cette grande et mémorable époque ~tre ceBe du rétablissement
de la paix, de l'union, et devenir le gage du bonheur du
peuple et de la prospérité de l'empire. (La salle retendit pen-
dant plnsieurs minutes d'applaudisscments et des cris de 'Viw~
le roi!) M. le président debout: De longs abus, qui avaient
long.temps triomphé des bonnes intcutions des meilleurs rois,
et qui avaient san s cesse bravé l'autorité du trone, opprimaient
la France. (Le roi reste assis; 1\1. le président s'assied.) •




LIVRE IV, CHAPJTRE 1lI. 111


Mais ce qu' on devait regarder cornme un pré-
sage funeste, e'est qúe le Moniteur, en pu-·
bljant l'acte de la constitution, donna aux
Fran<;ais dans le plus grand détail,x une dé-
claration des freres du roi, de l'empereur
Léopold et du roí de Prusse , ainsi que de tous
les princes émigrés, qui était entierement op-
posée aux paroles de Louis XVI. Le 30 sep-
tembre, le roi retourna a l'assemblée, promit,
dans. son discours, qu'il ne négligerait rien
ponr maintenir la eonstitution, mais il ajouta
qu'on lui avait laissé trop peu d'autorité 2 ; sur
quoi le président leva la séaneeo Il est a re-
marquer que les États, convoqués pour anlé-
liorer l'état des finan ces , ne firent que l'em-
pirer en créant le papier-monnaieo Le peuple
n'accueillit avec transport que Pétion, nornmé
plus tard m~ire de Paris, et Robespierre, alor5
accusa teur publico


En nommant Danton, député de la nou-
velle assemblée législative, ainsi qu'une foule
de jellnes gens exalté s 3, républicains bien


I Moniteul', nO 267 ~ pages 1003-4.
2 Il dit, MOlliteur, nO 271 , page 1047: « Apres avoir ac-


cepté la constitutioll que vous avez donnée au royaume, j'em-
pLoierai tout ce que j'ai I'efu par el/e defOlus el de moyells, poltr
assurer au,J; Lois le I'espect el [' obéissallce qui /eul' sont dus. »


3 LeIer octobre, la nouvelle assemblée fnt ouverte; chaque
député devait avoÍr vingt-cinq ans. Le doyen d'age dit, a 1'0u-




112 HISTOIRE 1>U XVJIle SIECLE.


pensants et habiles en théorie, mais fantas-
ques, on prouva évidemrnent que la nou-
velle constitution plaisait aussi peu a la masse
du peuple ,qu'aux politiques praticiens. Ce-
pendant la premie re assembl~e offrait une
réunion de talents et de lumieres, un mélange
de générosité, de théorie et de pratique, ou
1'on voyait confondus les principes anciens et
les nouveaux principes populaires. C'est ce
qu'on cherchait inutilementdans la seconde l.


De meme que précedernment Mirabeau s'é-
tait guidé sur la métaphysique de Sieyes, de
merne'celle de Condorcet servit de regle aux
républicains, parmi Iesquels Pétion et Brissot
jouaient un grand role. Quelque différence
qu'il y eut dans leurs iqées et leurs- pIans ,
ils montrerent, des les preluieres séances,
qu'ils agissaient dans les nlt~rnes intentions.
lIs abolirent les titres de majesté et de sire,
n'accorderent pas de siege particulier an roi,


verture : « Si, parmi MM. les députés, iI en est qui n'aient pas
commencé leurvingt-sixieme année, qu'ils se présentellt. " Un
grand nombre de députés s'approchent du bureau.


1 Il Y avait alors , dans cette ass~mblée, quatre cent quatre-
vingt-douze députés, dont trois cents avocats, quatre - vingts
prétres assermentés, dix-neuf nobles et protestants; le reste se
composait d'employés, de juges et de fonctionnaire~ pubIics.
Parmi eux siégeait 1e fameux Danton, comme substitut du
procureur-général de la cornmune.




LIVRE IV, CHAPITRE JI!. 113


et voulurent absolmnent le lnettre au ¡neme
rang que leur. président.


Le;; préparatifs ridicules des érnigrés; le
plan singulier du roi de SlH~de, que Brissot
dans un discours aux Jacobins appelle assez
justement le Don Quichotte du Nord; plan
qui consistait a conduire, avec l'assistance de la
Russie 1, trente-six mille hommes par mer a Pa-
rís; les troubles qui éclaterent dans l'intérieur,
lorsqu'on voulut forcer le peuple d'accepter
les pretres assermentés, donnerent l'occasion
si ardernment désirée, de présenter le roí en
opposition avec le peuple. Pour mieux la faire
ressortir, on donna du nenf au douze no-
vembre une loi contre les émigrés, et les
pretres inserlnentes'l.. LOllis_, COlnme OH l'avait
présumé, se servit de son droit constitution-
nel 3 , et refusa son approbation ; des-Iors il se


x Catherine II écrivit, en 1790, une lettre autographe a
la reine de France, ou elle indique la marche et la conduite
que Louis XVI avait a observer. Jfadame Campan, tomo II,
page 106, rapporte les conseils de l'impératrice en peu de
mots : « Les rois doivent suivre leur marche sal1S s'inquiétcr
a des cris dn peuple, comme la lune suit son cours san s etl'e
• arrctée par les aboiements des chiens. "


2 «Les pretres iusermentés seront déportt-s, lorsqu'nne d6-
nonciatiol1 de vil1gt cltoyel1s les présentera comme ennemis dn
nouvel ordre des choses. "


3 La cOl1stitution avait accordé a Louis XVI le droit ou
d'approuver une loi par la formule, le roi/era e.u!cuter, ou d . .!
la Tejeter par la formnle, le rOl e:r;uminerrl.


n. n. 8




114 IIISTOIltE DU XVIIIC' SIE3CLE.


vit sans cesse assailli des clameurs du peuple t.
En retardant l' exécution de ces décrets, en
procurant secretement queIque argent aux
émigrés, en poursuivant la correspondance
avec les puissances étrangeres, iI ne 6t que ser-
vir le parti républicain, qui formait la majo-
rité de l'assemblée. Marat, Fréron, et des
créatures de Prudhomme tirerent de sa fai-
blesse le prétexte de se jouer impunément de
tout sentiment noble et généreux. L'assem-
blée émit d'abord un décret contre les prin~es,
sans demander l'approbation royale, ensuite
un autre contre les partisans du roi, qui cspé-
raient des secours de l' étranger 2. Louis ne


1 Marie - Antoinette dit a Dumouríez, en présence du roí:
ti Vous me voyez désolée, je n' ose pas me mettre a la fenetre
du coté du jardin. Hier au soÍr, pour prendre l'air, je me
suis montrée a la fenétre de la cour; un callonnier de garde
m'a apostropbee d'une injure gr.ossiere, en ajoutant : Que
j'aurais de plaisir a voir ta té te au hout de ma halonllette! Dans
cet affreux jardin, d'un c()té on voit un homme monté sur
une chaise, lisant a haute voix des horreurs contre nous ; d'un
autre, c'est un abhé ou un militaire qu'on traine dans un ha5-
sin, en l'accahlant d'injures et de coups ; pendant ce temps-la,
d'autres jouent au hallon, ou se promenent tranquillement.
Quel séj our! quel l)eu pIe! "


2 Moniteur, nO 13; séance du 14 janvier 1792; il Y est dit,
page 60 : ti Les ministres ont été introduits et ont informé l'as-
semhlée que le roi a donné sa sanction au décret qui déclare
infame el traitre a la patrie tout législateur I tout agent du
pouvoir exécutif, tout Fran~ais, qui assisterait directement ou
indirectement a tout congres des puissances étrangeres, a toute
démarche ou entreprise tenJante a apporter des modifications




LIVRE IV, CHAPITRE 111. 115


put refuser son assentiment. Il se vit enfin
meme obligé de former son ministere de ré-
publicains 1, auxquels on joignit, pour les re-
lations extérieures, Dumouriez, hornme san s
principes et meme sans systeme.
a la constitution, a toute médiation avec les rehenes, et a
toute composition avec les princes ci-devant possessionnés en
France pour le maintien ou la conservation des droits féo-
daux, supprimés par l'assemblée constituante.


I Pétion était maire de París, quand les ehefs de la Gi.
ronde eurent avee Thiéry, valet de chambr.e du roi, cet en-
tretien auquel Bailleul, tome II, pages 44-45, ajoute tant
d'importance. n ne s'ell5uivit que la lettre imrJertinente que
Gensonné, Vergniaud, Guadet, écrivirent au roi, ou plutot
a Boze. On la trouve dans les pieces officieIles de la nenvelle
édition de Dumouriez, lJIIémoires, tome II, page 422, note e;
on y lit, page 423 : dI n' est done que trop constaq.t que l' état
actuel des choses doit amener une crise dont presque toutes
les chances seront contre la royauté. Page 426 : Parmi les
six conseils qu'ils dotinent au roi, le nO 6 est a remarquer:
11 serait bien important que le roi retirat des mains de M. La-
fayette le commandement de l'armée. 11 est aú moins évident
qu'il ne peut plus y servil' utilement ]a chose publique. "


On soutenait qu'il y avait a la cour un comité autrichien.
composé des ministres de Lessart, Montmolin et Bertrand de
Molleville. Les propres mémoires de ce derniel' en sont un
sur garanto Les Jacobins qu'il employa le trahirent. Koch, en
sa qualité de réfél'endaire du comité diploma tique , était chargé
de l'accusation contre de Lessart; il la remettait d'un jour a
l'autre lorsque Brissot la présenta, soutenu par Vergniaud et
annoncé par Guadet. Moniteur, 1791, nO 71 , page 293 et
suiv.: " Dnmouriez et Lacoste, ministre de la marine, étaient
membres du club des Jacobins; la femme de l'integre RolaDd
s'arrogeait, a proprernent parler, le porte-feuille de son époux.
Dumouriez seul avait peine á se laisser guider par elle, ce qui
explique l'opinion peu favorable qu'clle énonce surlui dan s
ses Mémoires. Dumonriez était trop hornme du monde pour
étre républicain ou jacobino •


8.




116 1IISTOIRE DU XVII{ Sd:CLE.


Dumouriez ne manquait pas de talents, car il
~vait été employé dans des affaires politiques;
ce fut lui qui, a la satisfaction de Marat, in-
troduisit dans la langue diplomatique le ton
rude, que les Franc;;ais out conservé jusqu'a
.la restauration.


Une partie de l'assemblée avait, depuis le
rnois d'octobre, désiré et demandé la guerre
contre I'Empereuret les princes allemands. Dif-
férents motifs portaient a l'entreprendre; d'un
coté les effQrts des Jacobins, de l'autl'e les
plans qu'on avait formés contre la cour et la
constitution; enfin on espérait que la révolu-
tion frallcaise servirait a soulever les Allemands , ,
qui habitent les bords du Rhin. Opprimés par
la fierté des nobles, ils gémissaient sons le
joug de la féodalité et de l'autorité arbitraire.
n serait done facile de les disposcr a des ré-
formes, en Ieur dévoilant h~s abus de leur gou-
vernement. Le nouveau ministere se pl'(~ta
sans répugnance aux vues de ses partisans;
on déc1ara la guerre tandis qu'iL venait d' en
éc1ater une Bien plus redoutable dan s l'inté-
rieur, dans les administrations, les États et
meme dans les familles l. La mort de Léopold


J Surtout depuis que le décret !lu 5 mars séquestrait les
biens des émigrés.




I.IVRE IV, CHAPITRE I1r. 117


hata l'accomplissement du vreu des républi-
cains, cal' Fran~ois II, qui, a l'age de vingt-
quatr'e ans, prit l'administration des pays hé-
réditaires, au luois de mars 1 79~2, n'avait pas
~ comme son pthe d'anciennes plaies a fernler,


et il penchait plut6t vers le systeme (le Jo-
seph, que vers celui de Léopold. Les puis-
san ces étrangeres auraient encore fardé, si
Dumouriez n' eut demandé une déclaration po-
sitive, si le ton des journaux fran~ais, et les
principes universellement énoncés par les
amis d'une liberté raisonnable 1, n'eussent ag-
gravé de jour en jOUí' les dangers qui lllena-
<;aient tous ces souverains. La réponse du ca-
binet autrichien a la demande de DUlnouriez
rendit enfin la guerre inévitable.


D'apres la constitution fran<;aise, le roi avait


1 Il est dit dans l'introductioll a la déc1aratÍon de guerre :
'" L'assernblée nationale déclare que la nation Fran<]aise fidele
aux principes de sa constitution, de n'entreprendre aucuno
guerre dans la vue de f,tire des conquetes, et de n'employer
jamais S8S force s contre la liberté d'aucun peuple, ne prend
les armes que pour la défense de sa liberté et de son indépen-
dance: que la guerre qu'elle est obligée de soutenir, n'est
point une guerre de natíon a natíon, mais la juste défense
d\m peuple libre contre l'injuste agressíoll d'un roí. Qu'elle
adopte d'avance tous les étrangeTs qui, abjurallt la cause de
ses ennemis, viendront se ranger sous ses drapeuux, et con-
saerer leurs efforts a la défense de sa liherté; qu'elle favorisera
m~me, par tous les moyens qui sont en son pouvoir, leur éta~
blissement en Franee. "




118 HISTOIRE DU XVIlllt' SIECLE.


le droit de faire la guerre et la paix, mais il
ne pouvait la cléclarer san s un décret du Corps-
législatif. Loui~ parut don~ le 20 avril a 1'as-
seInblée et proposa la guerre contre l' Autriche;
on l'accepta avec allégresse, et on en fit aussitot
la déclaration formeHe, sans y etre préparé,
car la cour espérait que l)Empereur aurait la
victoire. Les différents partis, qu'un seul hut
unissait alors; les enthousiastes, qui, a Paris,
ainsi qu'aux rives de la Garonne et de la Loire,
ne revaient 1 que Rome et la Grece; les hom-
mes méprisables, comme Chabot, Bazire,
Merlín de Thionville, Collot-d'Herbois et au-
tres; les ennemis jurés de toute pensée ma-
gnanime, comme Marat, Rohespierre et les
partisans de Danton, tous voyaient enfin leurs
désirs accomplis 2. Lapopulace était en mou-
vernent, et le pouvoir qui aurait pu l'apaiser


t L'insensé Clootz était du n.ombre; se disant orateur du
genre humilin, le 22 avril il parut de nouveau a l'assemblée;
iI y parla de son dernier ouvrage, la Répuhlique unifJel'selle,
dont le titre seul fait frissonner les aristocrates, ou il se sert
de la belle tonrnure: .. Je serais trop henreux si la contagion
de mon exemple Con rit) accélere la chute des oppressions.»


2 P aganel , tomo 1, p. 35 1 : el De cerner, de miner le trone,
et d'ensevelir l'autorité royale sons ses débris; oui, teIle était
l'arriere-pensée des' Jacobins; de cette société a qni le calme
eut semblé le néant; qui, assise sur les bords enflammés du
volean, en agitait sans cesse les matieres, impatiente de jouir
de l'embrasement du monde. »




LIVRE IV, CHAPITRJ~ 111. 119


se trouvait paralysé. Les administrations des
départements, composées de bons cifoyens fi-
deles a la constitutjon, étaient en guerre ou-
verte avec les administrations municipales du
royaume. A Paris~ dans la haute magistrature,
Pétion et ses amis soldaient la popu-Iace ar-
mée, organisaient la révolte et appelaient dans
la garde nationale les farouches lancim's a la
place des citoyens honnetes. Depuis que la
guerre avait éclaté, Lafayette s'était rendu a
l'armée sur les frontieres, et la garde natio-
nale de Paris restait sans comrnandant. Les
six chefs des légions devaient en remplir al-
ternativement les fonctions. On prétexta d~a­
bord qu'un tel commandant avait trop de pou-
voir; mais on connut le véritable motif de
cette délnarche, le 10 aout 1792, lorsque
eette eharge, qu'on disait incompatible ave e la
liberté, fut rétablie par les républicains et con-
fiée a Santerre, chef redoutable du bataillon le
plus féroce du faubourg Saint-Antoine. On se
moqua alors de la constitution, et on dévoila
l'ünpuissance 1 de ses faibles défenseurs qui


( Je n'aime pas a répéter les invectives de Bailleul, dans son
ouvrage sur les considérations de madame de Stael; mais je re-
marque que Paganel m~me, comme membre de l'assemblée
législative, dit, tomo 1, chapo XVII, pago 327, «que les réso ..




J 20 UISTOIRE DU XVIIlc SIF.:CLE.


formaÍent le club des Feuill~nts. L'esprit na-
tlonal s'éveilla chez les Fran<;ais, et la crainte
de l'ennemi du dehors enchaina l'indignatioIl
qu'on éprouvait contre les démagogues.


Ainsi toutes les scenes suivantes s'expli-
quent sans peine. La guerre une fois déclarée,
les dépufations et les troubles se lnultiplierent.
Le roí se vit outragé et injurié dan s les pIaces
publiques, dans les rues, par les députés et
par la populace qu'on rassemhlait aux Tuile-
ries et dans les environs du chateau. Les tri-
bunes de l'assemblée nationale se remplirent
de crieurs achetés. eornme on craignait la ré-
sistance dcs gardes suisses et de la gardc" con-
stitutionnelle, fixée au nOlnbre . de dix-huit
cents hommes, mais quiétait bien plus forte
alors et cornmandée par Brlssac, tous les coups
se tournerent contre elles, avant qu'on en
vint a une attaque contre le roi lui-Ineme l.


lutions les plus extremes étaiellt déja prises, et que le coté
droit et le coté gauche sacrifieraient avec un úle égal la con-
stitutioll, l'un ponr rendre au trane S011. despotisme et S011.
éclat, í'autre poul' le renversel', et constituer la France en
répnblique. »


1 S'il faut en croire la Relafion de Dumouriez : que la garde
c~nstitutionelle avait été portée a six mille hommes ; que des
vieux officiocs y étaient appelés, et que les fils des citoyens
envoyés des provinces, faisaient place a des aventuriers et des
handits enrolé s , iI faudra convenir que les partisans de 1'an-




L IVRE IV, CHAPITRE 111. 121


Kersaint, un des partisans les plus nobles
de la liberté, présenta a l'assemblée UJle
plainte eontre eette garde et les suisses du
roi, mais elle fut rejetée, paree que le parti
eonstitutionnel avait eneore trop de supé-
riorité. Cette question ayant été agitée de
nouveau, au rnois de Inai, Pétion et ses in-
times poursuivirent avee le plus grand sued~s
la lutte eontre les constitutionnels ,ils surent
organiser la révolte de la populace de Paris,
avec adresse et habileté, et iIs répandirent gé-
nél'alement le faux b1'uit que le roi songeait a
une nouvelle fuite, et qu'un comité autrichien


"' devait siéger a la cour. Aussi l'indignation
qu'excita cette perfidie supposée, fut-elle a
son con1ble dan s toute la France, dans les
villes comme dans les campagnes.


Chabot 1 et Guadet profiterent de ces dis-
positions. lIs proposerent de déclarer la séance
de l'assemblée permanente; et malgré tous les
efforts des fauteurs les plus prononcés de la


cien régime ne travaillaient ici que pour les furieux démo-
crates.


1 Brissotdit, JJlonit., nO 152, pago 631 :« Quoique M. Jau-
court vienne de me menacer de cent coups de baton, je n'en
continuerai pas moins mon opinion, car ni ses hatons, ni ses
épées ne m'effraieront jamais. "




12.2. HISTOIRE DU XVIIle Sd?CLE.


liberté 1 , ils parvinrent 2 a faire congédier la
garde du roi, et a le livrer 3 aux gardes na-


x Girardin, Monit., nO 1 5 ~ , pago 629, apres avoir rap-
porté les mesures que les J acobins et la commune de Paris pri-
rent contre l'assemhlée législative, ajoute: .. Mais si ces faits
sont protivés, il n'est pas moins vrai que d'un autre coté l'on
chcrche a exciter les citoyens par des discours, par des écrits
calomnieux contre un pouvoir constitué, aussi respectahle que
le Corps-Iégislatir, puisqu'il sort de la meme source; je veux
dire l'autorité royale. Si d'un coté on preche l'assassinat du
Corps-Iégislatif, de l'autre on préche le régicide. D


2 Pendant la discussion, la minorité de l'assemblée céda a
la force. Monit., pago 629. '" C' est un heau talent, dit F ron diere,
que celui de tromper le peuple .... J'ai dit a M. Guadet: De-
puis six mois, j'ai entendu vous et vos pareils déclamer a la
tribune; faí vu les agitateurs du peuple .... lIs l'invectivent
ensuite, ellui otent la parole : Léopold .....• Je vous prie, M.le
p~ési~ent, de réprir::'cr les mouvements eles tribunes. II est
bien etonnant que Ion rappelle un memtre a l'otdre pour
avoir donné son opinion, et que ron n'y rappelle pas les
étrangers qué insultent journellement r assemblée. •


3 Monitelfr,no 182 ,pago 631. '" L'assembléenationale, con-
sidérant que l'admission, dans la garde du roi, d'un grand
nombre d'individus qni ne réunisselll point les conditions
exigées pour ce service par l'acte constitutionnel, que l'esprit
d'incivisme dont ce corps est généralement animé, et]a con-
duite de ses officiers supérieurs , excitent de justes alarmes, et
pourraient compromettre la súreté personnelle du roi et la tran-
quillité publique, décrete qu'il y a urgence :


10 La garde soldée actuelle du roí est licenciée, et sera
sans délai renouvelée conformément aux ]ois.


2° Jusqu'a la formation de la nouvelle garde du roi, la
garde nationale de Paris fera le service aupres de sa personlle,
aillsi et de la meme maniere qu'elle faisaitavant l'étab]issement
de la garde du roi.


A )a proposition de Merlill, le décret d'accusation contre
Brissac, chef de la garde, fut pl'écipité d'une maniere indigne
et sans désemparer. »




LIVRE IV, CHAPITUE lB. 12.3


tionales que Pétion, Manuel et leurs amis
espéraient influeneer par le erédit de Santerre.
Vergniaud , Guadet, Kersaint, Gensonné,
madame Roland et quelques autres person-
nages généreux, mais sans expérienee, avaient
la ferme résolu tion de fonder une république.
Les ennemis de rancien régime eroyaient ,l'a-
bolition de la royauté néeessaire; ils étaient
persuadés que, tot ou tard, les fauteurs des
abus viendraient réclamer leurs prérogatives
et trouveraient un appui dan s le roi. Malheu-
reusement on se servit, dans eette eonjonc-
ture , de la líe du peuple que Marat, Danton,
Robespierre, Chabot et d'autres seélérats
avaient a leurs ordres. L'arene fut ouverte a
la lieenee de eette masse effrénée, el e' est a
elle qu'on 1ivra le pouvoir exéeutíf. Ainsi se
prépara la sctme du 20 juin, qui, restera une
tache éternelle dans l'histoire de Franee.


Les orateul'S exalté s de la Gironde, eomme
Guadet, Vergniaud et Gensonné, ne vou-
laient et ne pouvaient prononeer les horreurs
qu'a l'instigation, ou plutot par l'ordre de
l'assemblée, on répandit avant ce jour dans le
peuple, pour perdre le roi et les partisans de
la eonstitution monarehique , et pour justifier
la révolte. Il faUut done reeourir au misérable




\
124 IUSTOIRE DU xv lIle 51.ECLE.
eapucin Chabot l. Cette premiere atta que
éehoua eependant, paree que Chabot mela a ses
invectives impudentes eontre Louis des men-
songes affreux eontre Lafayette, alors a la tete
de l'armée. Trois jours apres 2, on fit une
nouvelle proposition eontre le roi et la eonsti-
tution. Sous prétexte de renforcer l'armée et
de eélébrer la fcte du 14 juíllet, vingt mille
eannibales devaient etre rassemblés a Paris.
Cette demande fut agréée le soir meme ,Iet
réalisée aussÍtót; car les délibérations dure-
rent toute la nuit , et le décret passa lorsque
les députés du parti contraire, fatigués, eu-
rent laissé le ehamp libre 3. Des-Iors les amis
de la eonstitution et le parti dominant dans la


tLell1onit., 1792 ,no 158,donne le long et impudent rap-
pürt de Chabot, auquel Riblé réplique : «Que les vrais membres
du comité autrichien, auteurs de tOU5 nos malhenrs, étaient Du-
mouriez, Bonnecarrere et d·Orléans, t:t qu'illes dénon~ait. lO


2 On disait des 10rs hautement qu'ón avait le plan d'assas-
siner le roi. -lI1onit., nO 161, p. 668 : .. Des intrigants, des
fripons, impriment, publient, placardent qu' on veut attenter
aux jours du roi, qn'un granel complot est formé pour exécu-
ter cet horrible projet. "


3 « L'assemhlée décrete, 1° que la force armée'seraaugmentée
de vingt-mille homIlles, :& ° que tOU5 les cantons seront admis a
fournir des 'Volontaires natiollauJJ pou,. celfe lerée, 3° que ces
vingt-mille hommes seront réunis a París pour le 14 juiUet. J)


Les lI1émoires de Barba/'oux nons prouvent aujourd'hui
clairement que les scenes du 10 30l'¡t a vaient été amenées par
la Gironde; ses memhres, a l'exception de Lanjuinais et de
quelques autres qui avaient été re~us dans la Convention, s'en
glorifíaient encore apl'i~s.1e 9 thermidor, dans tous leurs discours.




LIVRF. IV, CIIAPITRE 111. 12.5


Convention agirent hostílement l'un contre
l'autre, et la municipalité de Paris se trouva
en gnerre ouverte avec l'administration des
départements. Rrederer, alors procureur-gé-
néral- syndic, et La Rochefoucauld, admi-
nistrateur du département de la Seine, mon-
trerent ici un caractere entierement opposé.
Le premier agit, comme tOl,ls ces gens qui
d'abord amis et serviteurs de Robespierre , se
sontfait républicains, et ont fini par accepter,
avec le titre de barons et de comtes, les
chaines dorées de l'empjre l. Le second montra
au contraire toute la générosíté et toute la
fenneté de son ame 2 ; malheureusement, le


Monit., 1795 et 1796. "Barbaroux dit en propres termes,
qu'il avait fait venir les assassins de 1\Iarseille, que Santerre
s'était montré moins décidé que luí; il indique ensuite le role
que Pétion y jouait, et rapporte qu'il les avait priés de lui
donner pour la forme une prison domestique .•


I L'auteur se trompe sur le caractere de 1\1. Rrederer; iI ser- •
vit la cause royal e avec tout le úle possibIe; ce zele fut pa-
ralysépar la force des circonstances, et si, dans la suite, M. Rrede-
rer accepta des titres et des distinctions, ces récompenses ét:1ient
cIues a ses talents. (Note de l'éditeur.)


2 Pag'anel, tomo ler, page 333. «Appelé fréquemment a la
harre, il Y fit plus d'une fois, avec toute la liberté dout un
grand fonctionnaire et un excellent citoyen pouvaient user sans
blesser les convenances et la hiérarchie des pouvoirs, pres-
sentir les déplorahles suites de cette agitation intestine, de ce
désir inquiet de nouveautés, qni travaillait l'assemblée, qui
tourmentait et égarait l'opinion publique. On l'écoutait dans
un respectueux silence, et s'il eut été possible a la vertil de
former un partí contre l'ambition, la cupidité et les haines,
le sage La Rochefollcauld eut ohtenu ce beau triomphe. »




126 HI5TOIRE DU XVllIe SJECLl1:.


parti de la cour compta trop sur le secours de
l'étranger, et resta en intelligence avec les en-
nemis déclarés de la nouvelle constitution.


Le roi, tourmenté par ses propres ministres,
fut sommé de donner son assentiment a des
mesures qui lui semblaient pernicieuses l. n
ne voulut jamais y consentir, et ils menac{~­
rent de l'abandonner dans un temps ou per-
sonne n' osait se charger du ministere.


Les ministres républicains étaient en grande
discussion avec le roi qui refusait de sane-
tionner deux de leurs déerets; ils se brouil-
!erent meme avec Dumouriez, par rapport au
mooe de délibération, et au placement de
certains hommes qu'ils haissaient. Celui-ci se
flatta de pouvoir former un ministere qui fut
plus favorable a lui-meme et a la cour. Il con-
firma Louis dans sa r'ésolution de ne pas cé-
del', ce qui fournit aux ennemis de la royauté
l'occasion de se livrer a des ilCcusations calom-
nieuses.


Madame Roland dicta a son mari une lettre
violente, ou iI dit au roí les vérités les plus
dures 2. Roland, ainsi que tout le ministere


I Il ne s'agissait que d' affirmer le décret de la déportation des
prctres illsermentés, et de reconnaitre le renvoi de la garde.


2 On trouve les torts de la cour, la forme tout·a.fait anti-




L1VRE IV, CHAPITRE 111. 12.7


donna sa démission. La lettre fut lue au milieu
des. bruyantes acclalnations de l'assemblée
nationale et envoyée 1 dan s tous les départe-
ments. Dunlouriez reconnut, en faisant son
premier rapport, qu'il ne pourrait se mainte-
ilir et bien moins ene ore former un ministere.
Il abandonna done le roi, sons prétexte qu'il
ne signait pas le décret de poursuite contre
les pretres insermentés. Lui .. meme ,. en in-
trigant consommé, se réfugia parmi les Ja-
cobins de la basse c1asse 2, et, par Ieur moyen,
conserva son crédit; de meme qu'il avait
échangé peu de temps avant le ministere des
affaires étrangeres contre celui de la guerre,
de meme il abandonna le dernier pour pren-
dl'e Le commandement de l'armée aux fron-
tieres des Pays-Bas, ou les an tagonistes des
constitutionnels, connus sons le nom de
Feuillants, travaillaient 3 a la perte de La-


constitutionneUe sous deux points devue différents dan s Paga-
nel, pago 340, et dans les mémoires de madame Campan.


1 Cette leure se trouve a la fin du volume de la nouvelle
édition des mémoil'es de madame Roland. Lettre A. Elle com-
menee ici tout autrement que Dumouriez la rapporte : « Sire,
cette lettre-ei restera éternellement ensevelie entre vous et moi. D


2 Quoique Dumouriez soutienne le contraire, ce fait n'en
est pas moins certain.


3 Quand Lafayette appelle Dumouriez a la fois, farc-bou-
tant des Jaeobins et des Girondins, cette contradiction, (¡ui
semble si ridicule a ce dernier, n'en est une qu'en apparence.




128 IIISTOIRE DU XVIUe 5IECLE.


fayette, paree qu'il mena~ait les Jacobins avec
la force aymée. Ce général, avec les meilleures
intentions, bata, par sa lettre mena<;ante du
16 jnina l'assemblée et par les exh~rtations
qn'il adressa an roi_ 1, l'explosion du complot
infame par lequel up parti voulait réintégrer
les ministres répllblicains, et l'autre extermi-
ner la famille royale. La composition d'llne
requete, et la cérénlonie ridicule d'élever un
arbre de liberté, donnerent le prétexte de
rassem91er la populace qui oevait assaillir le
chatean, mais la véritable raison n'était pas
inconnue;.on savait melue que la lutmicipalité
favorisait l'ent~eprise. Les ministres annonce-
rcnt qu'un projet d'assassinat était concerté:
ils engagerent radministration des départe-
ments a prendre des mesures; celle-ci ne né-
gligea pojnt de faire tOllt ce que la constitll-
tion lui prescrivait; mais la municipalité,


1 Les lettres de Lafayette au roi et a l'assemblée législative.
sont écrites dans un ton qui ne convient nullement a un par-
ticulier. ~!onitellr, nO 183, page769: "Persistez, sire, fort de
l'autorité que la volonté natiunale vous a déléguée, dans la
généreuse résolution de défendre les principes constitutionnels
contre tous ledrs €nnemis; qne eette résolution, soutenue par
tous les actes de votre vie privée, COlIlme par un exercice
ferme et complet du pouvoir royal, clevienne le gage de
l'harmonie qui, surtout dans les momeI,lts de (~rise, ne peut
manquer de s'établi'r entre les représentants élus du peuple et
flon représentant héréditaire. »




L.1VRF: IV, CllAPlTltE IlI. 12.9


présidée par Pétion, avai t de bonnes raisons
pour ne pas y preter l' oreille.


Rrederer parut en vain devant l'assemblée
législative p0ur obtenir une loi contre la con-
duite des démagogues. Les républicains cru-
rent cette fois que l'espoir d'un grand résultat
autorisait une actíon affreuse, et exeusait un
jour d'horreur. lIs empeeherent done toute
réaction. Le J 9, une troupe de eette populace,
convoquée sous le nom de fédérés, lors du
déeret donné pour réunir vingt mille hommes
pres de Paris, se présenta a l'assemblée na-
tionale. Ces gens et leurs orateurs blamerent
hautement l'inaetion des députés et déclare-
rentqu'Üs étaient résolus d'agir. Le lendemain,
les trois faubourgs, habi tés par les classes
ouvrieres, sonnerent l'alarme. Santerre, qui
n'était qu'un instrument entre les mains de
Pétion,. conduisit ces forcenés a travers la
salle de l'assemblée; on eut l'impudenee de de-
mander l'impression du discours de Gonchon,
le Cieéron de ces hordes 1 , lorsque le prési-


1 Dans l' Hist. de la Réllol. par deux amis de la liberté, t. VIII,
p. 25, il est ainsi dépeint: " Cet homme était d'une complexion
robuste; avait une voix forte, une éloquence barbare, mais éner-
gique, qui faít un effet bien plus décisif sur la multitude, que la
logique la plus démonstratí ve, et les discours les plus sublimes. J)


Au club des jacobins du temps de la poursuite des Giron-
dins, on dépeint ainsi Gonchon. (Monit., an 11, nO '.l70'


H. n. 9




130 HlST()IRI~ DU XVIlIC SIECLE.
dent leva la séance, guidé par la prudence
plutót que par la, Plldeur. La popula<ye , au
milieu des cris et des troubles, se porta
aux Tuileries. Le roi et toute sa famille reste-
rent depuis quatre jusqu'a huit heures du
soir dans des transes mortelles. Lou"is refusa
néanmoins, avec beaucoup de fermeté, de
confirmer les décrets, et de reprendre le minis-
tere républicain, mais il fut assez faíble pour
se laisser mettre le bonnet rouge des Jacobins
sur la tete 1; et, dans l' espoir de plaire a ce
pago 1142): « Un membre. Vous connaissez tous le ci - devant
patriote Gonchon, orateur Rolandisé et payé par le partí
Brissotin, pour 'désirer en SR faveur. Il a été arre té et mis en
prison, mais rel;\ché ensuite sur sa paro le, etc., etc. »


I Bistoire de la Répolution de France par deux amis de la li-
berté, t. VIII, 1797, p. 2-3, (pou;r la note et le texte.) Note:
.. Ce prétendu principe, (que les rois ne tenaient leur puissance
que de Dieu et de leur é-pée) que la superstition et la "poli-
tique avaient créé, s'était tellement enraciné, que, malgré les
écrits des philosophes et des publicistes modernes qui l'avaient
vivement réfuté, et surtout malgré les violentes secousses
que l'on avaitdepuis la révolution portées a l'oint du Seigneur,
il agissait encore seIlsibIement, involontairement sur les per-
scmnes meme les plus exemptes des préjugés religieux. »


1:l fa~t comparer avec cela le texte page 3 : " Mais quelque
faible que fUt le monarque , et malgré sa ridicule condescen-
dance a s'affubler du bonnet'rouge, iI persista dans ses pré-
cédentes résolutions. On n'osa pas pousser plus loin la vio-
lence, les ministres ne rurent pas rappelés, et Louis XVI
reprit encore pour quelque temps la fragíle couronne que
l'odicux bonnet rouge avait pour jamais flétrie .•


L'excuse que madame Campan met dan s la houche du
roi, que cet homme ivre lui aurait passé, en cas de refus, sa
pique par le corps, nous parait insuffisante.




LIVItE IV, CIlAPITRE I11. 131


lnisérable rebut du peuple, iI fit semblant de
boire a une bouteille qu'un hOlnme de la foule
lui présenta.


La députation, déléguée par l'assemblée
législative pour la défense du roi, parut enfin.
Vergniaud s'éleva sur les épaules de deux
hornmes et" chercha a calmer, par son élo-
quence, cette multitude ivre de sango BnBn
Pétion et "la véritable garde nationale arri-
verent; la populace se retira en· poussant
des vociférations et en vomissant des injures l.
Tous les partis tremb1erent pou!' eux-memes
et pour la France, lorsqu'ils apprirent qu'une
troupe de sans-culottes venait de déshoriorer
le roi et la nation. On fit des enquetes, on pu-
blia des proclamations; Lafayette quitta la
frontiere et se rendit dan s l'assemblée législa-
tive, pour faire, au nom de l'armée, des re-
présentation~ contre les exces des démago-
gues, et contre l'esprit de parti; rnais tout le


t Quant a San:terre, iI dit a la reine dé son propre chef,
heaucoup de grossieretés parmi lesquelles il y avait peut-étre
quelques vérités; il ajouté: « c'est le cri universel du peuple
fran~ais; .. elle repartit : le ne fais pas r injure au peuple fra1U¡ais
de le jugel' d'apres vous; En montraÍlt les gardes nationaIes
quí lui restaiettt fid~les : Je le reconnais dans ces Iwnnetes gehs
que voila, : ces derniel's étaient de la section des filles de Saint-
Thomas, la plupart des hanquiers de la me Vivienne avec
Ieur!! fil!! et leurs commis.





J32 I1ISTOIRE DU XVIllc SIECLE.


talent de la Gironde exalté e se tourna contre
lui ,et ses amis purent a peine faire agréer sa
,requete l.


La scene du 20 juin semblaít cependant
avoir été utile au roi, mais il manquait mal-
heureusement de l'énergie nécessaire pour
tirer aussitot parti de son avantage~ L'assem-
blée savait que'Louis comptait sur le secours
de l' étranger. Les démarches des princes,
malgré toutes les protestations et les mani-
festes du roi, lui nuisirent dans l'opinion
publique qui, des ce moment jusqu'a nos
jours, cherchait dans les é~igrés les amis des •
Jacobins, et les fauteurs de ladépravatjon en
les désignant tous deux a la haine, comme
ennemis de l'ordre établi. En outre, les senti-
ments 'connus de la reine firent naltre l'idée,
et non sans une espece de fondement, que


J La reine avait une aversion si forte contre Lafayette et la
constitution, qu'a son instigation, le roí lit répondre aux
gardes nationaux restés lideIes a sa personne, lorsqu'ils de-
manderent s'ils devaient répondre aux vues du gé~éral La-
fayette, ens'unissant a lui dans lesdémarches qu'il ferait pen-
dant son séjour a París: le leur enjoinsde ne le pas ¡aire.


La reine répondit a la proposition de Lafayette de la
conduire, elle et la famille royale a Rouen: qu'on Ieur of-
fraít Lafayette comme ressource; mais qu'iI valait ~ieux pé-
l-ir, que de devoir son salut a l'homme qui Ieur avait fait
le plus de mal, et de se mettre dans la nécessité de traiter
avec lui,




LIVRE IV, CHAPITRE lIT. r33
le roi partageait l'opinion des prinees émi-
grés l.


Pendant que Louis temporisait, ~t que les
constitutionnels demeuraient tran'quilles, les
démagogues se renfor<;aient des vagabonds
qu'ils rassemblaient dans tout le royaume,
sons prétexte de eélébrer la fédération du
14 juilIet 2. .


La Prusse déclara alors la 'guerre, et fa
Franee répond'it sur le meme ton. Le due de
Brunswick, eommandant de l'armée prus-
sienne, apposa sa signature a un manifeste,
favorable au roi et offensant pour la nation;


j 1 Les Mémoires de madame Campan, tomo 11, pago 228,
donnent la p:reuve que Louis XVI et Marie-Antoinette De
comptaient que surle secours des puissance6étrangeres .• Une
nuit d' été, entre le 20 juin et le 10, aout, la reine s',éveilla et
me dit, que dan s un mois elle ne verrait pas cette lune sans
etre dégagée de ses chaines, et sans voir le roí libre. Alors
elle me confia que tout marchait a la fois pour les délivrer,
mais que les opinions de leurs conseillers intimes étaient par-
tagées a un point alarmant;, que les uns garantis$aient le succes
le plus complet , tandís que les autres Ieur ta,isaient entrevoír
des obstacles insurmontables. Elle ajouta qu'eUe avaít l'itiné-
raire de la marche des prii1ces et du roí de Prqsse, que tel
jour ils seraient aV erdon, te! autre dans un llut-re endroit, que
le siége de Lille allait se faire.


Le roí, disait-elle, n'est pas poltron, iI a un tres-grand cou-
rage passif, mais iI est écrasé par une mauvaise honte, une
méfiance de lui-meme, qui vient de son éducatlon autant que
de son caractere. 11 a peur du commandement, et cralnt I,lus
que toute autre chose de parler aux hommes réunis. JI


2 On lit comme post-scriptum d'une des proclamations 'de




134 HISTOIRE DU XVII1C SlECLE.
l'Empereur l'avait approuvé dans toute sa ri-
gueur, IDais la Prusse le modifia dans quelques-
unes de ses formes. Ce manifeste, ouvrage
de M . .de Limon, ancien Orléaniste, outrageait
la nati,on fran~aise 1, et venait bien a propos
pour ceux qui voulaient détruire jusqu'él l'om-
bre de l'ancien régime. La Gironde, alors
tres-active, chargea Barbaroux de faire venir
les huit cents Marseillais él Paris pour se join-
dre aux hordes de Santerre. Marat, Hébert et
leurs partisans déclarerent, sans retenue ,
leurs intentions régicides et inconstitution-
nelles. Les républicains, abandonnés él leurs
chimeres, se joignirent él eux. Brissot, dans
un di~c()urs', éloquellt, :avait fait entrevoir au
mois de j-uiUet la possibilité de détroner'
le roi ~; un grand nombre de requetes ap-
puyaient cette mesure; deux jours avant la
Pétion: Monit.,n° 184, 1791, du:¡ juillet: -des soldats dela
eonstitution viennent a Paris peur eélébrer la féte de la li-
berté avee les vainqueurs de la Bastille. Les bons citoyens qui
seront jaloux de loger un frere, un ami, peuvent se faire in-
scrire chez te prQc~reur de la commune (Manuel.) JI


1 Moniteur, nO 216, pago 90 7.
2 Moniteur, nO 19 2 , pago 802: .. Je demande done au nom


du roí, que saeonduite soit examinée, et qu'apres avoir dé-
cIaré que la patrie est en danger, vous exarniniez l'article de
la constitution, qui veut que, dans le cas OU le roi ne s'op-
poserait pas formellement aux entreprises formées en son nom
~ontre la eOllstitution, il sera censé avoir abdiqué. "




LIVRI~ 1 V, CHAPITRE IIJ, 135
seconde aUaque de la populace contre les
Tuileries, eette meme question fut agitée dans
I'assemblée 1 , leS aout, a l'instigation des Gi-
rondins qui commen<;aient a reculer devant
l'ablnle qu'ils s'étaient creusé eux-memes.
Qui ne plaindrait pas avec nous l' esprit borné
de tous ces hornrnes élevés parmi des adula-
teurs, an milieu d'un luxe fastidieux, en lisant
Bertrand de Molleville, alors confident de la


. Jd · d' , , reIne, es prInces et es pUIssanees etrangeres,
et en eonsidérant Marie-Antoinette, au lno-
ment oú elle épanche son ereur dans le sein
de rnadame Campan, et qu'elle lui parle des
projets du roi et de ses amis : ou de fuir OH de
gagner un misérable comme Santerre ~? En


1 La Gironde montra combien elle méconnaissait son temps
et sa posítíon, en chal'geant les municipalités de la haute po-
lice , et en donnant une loi générale pour poursuivre un projet
secondaíre.lJtlonit., an v, llo 187, pago 748, col. b. Vaublanc,
au conseil des cinq cents, dit él cette occasíon : • Lorsque Gen-
sonné présenta dans l'assemblée législative son f.1tal projet de
police , qui dOllnait un si grand pouvoir a' la commune de
París, le coté droít le combattit de toute sa force; je m'y op-.
posai, et je déclarai qUé je souhaitaís de me tromper, maís
que je craignais bien que les auteurs de ce projet n'en fussent
eux-memes victimes.lls l'ont été, ajoute-t-il, (le 22 mars 1797)
et celte loi tyrannique a été la cause la plus féconde et la plus
cruelle de nos malheul's. »


:1 Bertrand de Molleville, Mémoires particuliel's, 1797, 8°;
surtout Histoire de la l'évolution, tomo IX, chapo XXVIII, p. 60
et sui v.; Histoire de la révolution de France -, par della; amis de
la liberté, tomo VIII, pago 1 - 142.




136 IIlSTOIR.E DU XVIJIe SIi~CLE.
consultant, d'un autre coté, Paganel, membre
libéral 1 de l'assernblée législative, et les mé ..
moires des arnis du systeme républicain sur
leurs négociations avec la cour, qui ne ver ...
raít qu'ils ne eonnaissaient ni leur position ~
ni ceux a qui ils avaient affaire? COlllment,
daos eette ,indécision de la cour et des républi-
cains, les chef s déhontés de la populace, les
homm~s qui ne respectaient et oe redoutaient
rien, eornme Danton, Chaumette et les ora ..
teurs des clubs des Jacobins et des Cordeliers,
ne seraient-ils pas restés seuls maitres du champ
de bataille 2 ? Ils se moquaient avec raison de


t Pagan el, tom .. 1, p. 394 ... lis traiterent av-ec le roí, méme
avec la reine, présente aux conférences le jour OU des déter-
minations ultériellres devaient étre définitivement prises. Pour
sauver le monarque et sa famille, la reine exigeait qu'une
fuite libre Ieur fut garantie. •


Page 395 ... Guadet, Gensonné et Vergniand venaient de
signer et d'adresser au roi une leUre qui fut lue a l'assemblée
le dernier jou!' du mois de juillet; c'était moins une lettre
qu'un traité entre ces députés et le trone. Cet écrit, hasardé
dans des circonstances aussi périlleuses, dévoila les moh'ts d~
patriotisme et .l'éloquence de ces trois orateurs. »


2 Pagana!, tomo 1, pago 343. " Le jour fatal est prét a luire.
A son approche, les hommes qui l'avaient le plus invoqué,.
en redouterent l'issue. Les Gensonné, les Guadet, les Ver-
gniaud, Brissot, Fauchet, Condorcet, ces ardents adversaires
de la cour et des ministres, frappés enfin des dangers de la
patrie, quel que dut étre le vainqueur, se mOlltrerent tont a
coup circonspects, modérés et conciliateurs. Mais le te~ps des
négociations était passé, et la lettre que trois chefs de la Gi.
ronde avaient écrite au roi, pOUI' l'amener a des stipulations




LIVRE IV, CHAPITRE 1I I. 137
ceux qui croyaient apaiser les troubles, et
empecher les crimes, par les idées de liberté
et de vertu. Pour comprendre Paganel , il faut
se rappeler que les républicains, effrayés de
la ferme1'itation populaire, de l'interruption
des débats de l'assemblée nationale, occasion-
née par le bruit horril;lle dans les tribunes,
et craignant que toute administration du
royaume ne tombat entre les mains de la com-
mune de Paris, avaiellt demandé a la cour
qu'on éloignat momentanément le roi des af-
faires.


Malheureusement, Louis XVI parut ici de
nouveau, comme sous tutelle, et Marie-An-
toinette assista en personne a ces conférences.
Guadet, il est vrai, comptant sur une issue
heureuse, venait de proposer une adresse
au roi 1, et Brissot s'était élevé contre les
partisans de l'anarchie '1; mais on vit bien-
conciIiatoires, atteste moins Ieur patriotisme que- leur la-
cheté, Ieur sagesse que Ieur ambition. Cette lettre ne pro-
duisit d'autre effet que de faire perdre, aux homIñes qui l'a-
vaient signée, la connance de Ieur propre partí, d'exciter la
jalousie du parti contraire, et d'allumer des haines inextin-
gui~les. "


1 Monit., nO 210, p. 883:« La nation seule saura sans doute
défendre et conserver sa liberté, mais elle vous demande, Sire,
une derniere fois de vous unir a elle pour défendre la consti-
tution el le treme. "


:l Monit., nO 2 10. Brissot développant ensuite la marche a




138 HISTOIRE DU XVJIIC Sd~CLE.
tot que des négociations, si contraires au hon
sens et a la nature des choses, ne pouvaient
avoir un résultat favorable. La Gironde s'a-
bandonna au torrentqui l'entralnait. Le 3 aout,
Pétion ,au nom de la commune de Paris, re- .
nouvela, dans les termes les plus révoltail ts 1, la
denlande de la déchéance du roi; plusieurs dé-
putations suivirent, quelques jours apres, son
exemple. On fit cependant des relnontrances,
mais les cris des trihunes ll'accorderent la pa-
role qu'aux ennemis du roi, et Brissot déclara
lui-meme que les sans-culottes seuls étaient
de vrais. patriotes.


Pour perdre et le roi et les constitutionnels,
Brissot employa, le 9, toute son éloquence,
afin d'obtenir de l'assemblée un décret d'accu-
sation contre le général Lafayette qui depuis


suÍvre pour obtenir ces mesures, ~ngage a se défendÍ'e de
l'opinion des patriotes exagérés, qui perdent tout par trop de
précipitation, a envirollner la discussion sur la déchéance, de
tant de précautions, que si elle était prononcée, la nation en-
tiere y donnat son assentiment.


[ Le 4 aout, iI parnt de nouvean deux députations· et un
des oratenrs dit : « Le mail'e de París vous a exposé hier a la
barre les crimes de Louis XVI. Les trente mille citoyenl de
la section de Gravilliers ont voté en connaissance di canse,
a u'ois reprises différentes, toujours a l'unanimité, la det:héance
du roi. » Un autre orateur parle des grelladiers de la garde na-
tíonale ..... u Quelqnes UllS se sont déshonorés pendant la révo-
lution, pour s'attacher au Pou/Joir exécutij, (dénomination que
le peuple donnait au roi) et baiser la main a sa femme. D




IJ j V lU~ IV, e H A P 1 T R E II 1. I 39
long-temps avait adressé des menaces, qu'il
ferait, disait-il, exécuter par son armée. La
motion échoua comme la pren1iere fois; iI
semblait, des-lors, que le roi et les constitu-
tionnels n'avaient plus qu'a se réunir pour'
se sauver mutuellement, ou qu'ils devaient '
s'attendre a périr- ensemble; mais il régnait
entre eux une inimitié quí seule les em-
pecha de réunir leurs forces. Chabot, Barere
et autres , meme Pétion, dans l'incertitude
d'une réconciliation, n'avaient que l'alterna-
tive, ou de res ter en inquiétude perpétuel1e
devant J..;afayette, son armée et ses nombreux


-partisans, ou de perdre sans délai le roí et
d' envelopper tous les constitutionnels dans sa
ruine l.


Us prirent naturellement le dernier parti.
On donna le signaI, la nuit du 9 au 10 2; les
hordes mercenaires, précédées des l\Iarseillais,
soldés par la municipalité, suivis de toute la
foule des habitants des faubourgs, curieux et
avides de pillag"e, assaillirent les Tuileries.


J Le Moniteur, nO :u3,2 2 4, en rapportant les infamies qu'on
exer~a en cette occasion, dit que les députés furent meme in-
sultés dans la salle.
~ Les députés se précipiterent dan s la salle, et a deux heu-


res du matin, ils furent en assez grand nombre pour délibé-
rer. Pétion, retenu par les gardes nationales, comme otageau~
Tuileries, fut aussitot délivré.




140 HISTOIRE DU XVIIlC SIECLE.


l.ouis ne montra ici, conlme dans toute autre
occasion , qu'un courage passif. 11 ne déploya
ni énergie, ni dignité, ni présence d'esprit,
ni meme la ferme résolution de braver la
mort, en se luettant a la tete des Suisses et des
gardes nationales, restés fideles a sa cause.
Rien ne put l'empecher de suivre les conseils
de Rrederer , donnés peut-etre a l'instigation
des auteurs de toutes les atrocités. Il se rendit
avec tout.e sa fan"liUe a l'assemb\ée nationa\e 1,
ou iI resta depuis neuf henres du soir jusqu'a
deux heures du matin, dans une petite cham-
bre destinée au tachygraphe, et ou il enten-
dit toutes les horreurs qu'on décréta contre
lui. Si le roi ent montré quelque fermeté, et
eut su se conduire en chef habile, avant qu'on
fit entrer les canonniers de la garde nationale
et qu' on l' enfermat dans les cours étroites ,
un moyen de salut aurait été possible; c'est ce
que les Suisses lui prouverent. lIs combatti-
rent ave e succes la populace jusqu'au IIJoment


1 On le reprocha hautement a Rrederer, des la chute de
Robespierre, en 1795. Ri{)her,;,Sérisy, dan! l'AcclIsateur pub/ic,
n° v, le met en scelle avec Merlín, ou celui - ci lui demande
pago 31: Mais toi! Conseiller Ju parlement de Metz, toi ex-
constituant, toi du club de 89, toi procureur syndic royal du
département de Paris, ne crains-tll pas qu'il ne t'accuse aussi
de royalisme? RfEderer, ah! c'est OU je t'attends, je n'ai qu'un
mot a luí dire, tu ro'entends .... Ego suro qui tradidit eum.




L I V lU~ 1 V, e H A P 1 T R E 11 lo 1 4 [
oú iI leur ordonna, pour leur maIheur etle
sien, de ne plus tirer sur les assailIants. La
résistance des Sllisses et le carnage qu' elle oc-
casionna couterent la vie a plllsieurs milliers
d'hornmes sans défense; les chefs d'émellte
resterent cependant au fond de la scene, et
laisseren t l'honneur du premier role el Danton 1,
Legendre, Santerre, Panis, Chaumette et
Chabot. Le mellrtre, le pillage et le feu déso-
laient les environs de l'assemblée nationale ;
avec eux dominaient l'hnpudence et les Mar-
seillais, lorsque les enthousiastes éloquents et
courageux des républiques anciennes crurent
devoir entrer en lice; mais ils s'étaient joints
el ces hommes qui ne songeaientqu'aux assassi-
nats et el leurs propres i~térets, et qui leur ren-
dirent bientot ce qu'ils avaient fait eux-memes
aux constitutionnels. Vergniaud et Guadet,
de concert avec Jean Debry, proposere~t, dans
la nuit affreuse du 10 au 1 1 aout, en' présence
du roi , des décrets sur la suspension provisoire
de la royauté, sur l'organisation d'un in ter-
regne, et la maniere de consulter la nation ,
relativement el l'entiere destruction de la mo-


1 Danton dirigeait tous les mouvements dans l'intérieur de
Paris; Chabot excitait, par son éloquence jésuitique , ]a popu-
lace du faubourg Saint-Antoine. Les Jacobins, cependant, ne
donnerent pas leur confiance a Pétion, et iI C8ssa d'etre maire.




142 HISTOIRJ.: DU XVllle SIJ.:CL"E.


narehie l. On devait convoquer une Con ven-
tion nationale, la revetir de tout le pouvoir
du peuple et faÍl'e une nouvelle constitution.
00 proclama une égalité générale. Le roi,
traité d'abord en simple particulier d'une ma-
niere indigne, fut bientot apres, le [3 aout,
conduit comme prisonnier dans la tour du
Temple. Les eonemis jurés de l'infortuoétr
]\'Iarie-Antoinette, le maire Pétioo et le pro-
eureur Manuel, homme du reste distingué
par ses talen.ts, eurent la cruauté d'aceompa-
gner, malgré elle, la famille royale a sa prison.
Des ce monlent 2, la Franee ne reconnut plus
~ On trouve dans l' Histoire de la Révolution par deux amis de


la liherté, tomo VIII, p. 191, un tres-hon jugement du décret
suspensif, et des considérants de Vergniaud. " On apercevait
dans ce décret la marche lente et mesurée des Girundins qui en
étaient les auteurs. Croyant encore it la possibilité d'effectuer
leur projet de régner sous le nom du prince royal, ils s'effor-
~aient d'étayer la constitution, et n'avaient rien laissé échap-
per, qui put inspirer l'idée de détruire la monarchie. JI


Barbaroux dit expressément dans ses mémoil'es, ce que les
autres font deviner, que tout était concerté et préparé d'a-
vanee; mais j'avoue que ces mémoires me paraissent tout-a-
fait sutpects.


2 Les particularités se trouvent dans Bertrand de Molleville,
Bist. de la Révolution franfaise, Pieces justificatives, vül. IX;
dans les mémoil'es de Barharoux, dans Poultier, Bis!. dll 10
aoút, in-8° , dans les mémoires de Ferrieres, et dan s les éclair-
cissements des nouveaux éditeurs.


Madame Campan, mémoires, tom. u, ch. XI, pago 228 éalair-
cissements, lettl'e K, présente ces changements sous un point
.de vue, et le Tém'Jin oculaire SOU!! un tlutre.




LIVRE IV, C~iAPITIU~ 111. 143
que la volonté de la commune de París',
qui venait de se constituer, dans la nuit dn
10 aoút, au nom de la nation. Pétion ne garda
pas la moindre infIuence dans cette nouvelle
commune, quoiqu'il la présidat qllelq~e
temps pour la forIne. Les exaltés ne conser-
verent aucun crédit, aussi bien dans les 'mi-
nisteres que dans la municipalité. La nlajorité
fut bien en apparence composée de Girondins
et de républicains; mais Danton , nommé mi-
nistre de la justice, se moqua secretement
des exaltés pédantesques, qui s'ímagínaient
pouvoir fonder, sur une base criminelle, une
vraie démocratie, la constitlltion de la plus
pure vertu, telleql1c Montesquieu meme au-
rait dil l' enselgller.


Tandis que la Gironde- s'abandonnait a ses
re ves , le jacohin Jean Debry qui, comme
tout le monde sait, aimait la liberté, autant
qu'elle pouvait lui etre utile, eut soin de pla-
cer les Jacobins et leurs amis au timon des
affaires, en proposant que tous les Fran<;ais,
a l'exception des vagabonus, fussent admis
a l'élection de la nouvelle assemblée con-
stituante, chargée de décider définitivement
du 80rt du roi et (lu royaume. Pour fo-
menter les exces dans toutes les administra-




1\


14LJ HISTOIRE DU XVIlle Sd;:CLE.
tions, la jeunesse violente eut aeees a toutes
les plaees lo Les statues des' rois, les mar-
ques, de l'autorité royale disparurent ~lors,
non devant la fureur aveugle des Marseillais
et de la populaee~ qui se plalt a détruire,
m~is devant la loi, eon<;ue de sang froid par
Thuriot, républieain n10déréo Tous eeux qui
semblaieut préférer une eonstitution monar-
ehique a,l'ombre d'une république, furent
bientot apres appelés devant un tribunal; ou
ils étaient eondamnés d'avaneeo On se trom-
perait d'ailleurs, si on ne voyait iei que l'ou-
vrage d'une faetion; e'étaít plutot l'enthou-
siasme d'un peuple enivré de joie, et sa fureu!'
eontre une espee"e d'hommes, nommés aris-
toerates, habitués a mépriser en Franee tous'
les roturiers et les gens sans fortune; eette
fureur éclata dalls la eapitale et meme dans
les provinceso La population d'une grande
ville, et bientot eeHe de tout le royaume, op-
primée et infeetéeen partie des vices de ses
oppresseurs, se sentit subitement dégagée de
,toutes ses ehaines Inorales et physiqueso Elle
rejeta loin d' elle la religion et ses ministres,
avee l'obéissanee ~t la erainte du roi; elle


IOn avait fixé partout a vingt-cinq ans l'année normale
pour étre député o




LIVRE IV, CIIAPITRE 111. 145
parut reconnaitre, pour la premíere foís, qu'a-
vilie pendant des siecles, elle avait été con-
damnée ou a porter le fardeau de l'État, ou
a ne goúter que les jouissances qu'on voulait
lui accorder. Aucune puissance humaine n'au-
rait alors arreté tout d'un coup la dissolution,
et aucune armée étrangere n'aurait obtenu
de force ·ce que le temps et l'oisiveté natu-
relle a la Inasse des perlples purent seuls effec-
tuer dans la suite. Heureusement pour les
souverains d'Europe, Robespierre et ses exé-
crables partisans ne connurent que l'abus
des armes qu'ils avaient a leur disposition, et
non leur usage redoutable l •.


J Paganel, tome II, page 57 : " On se proflosait d' établir une
cornmunication rapide de principes; et cependant on prétcn-
dait briser tous nos liens d'intéret, d'amitié et d'habitude avec
les autres nations. On provoquait Ieur indifférence et la haine
de leurs gouvernements. On rattachait les pcuples au joug en
leur montrant, non plus eette aimable liberté qui resserre les
liens des hornrnes entre eux, qui brise les liens tissus par la
tyrannie, rnais la licence prornenée sur un char dévastateur·,
mais l'insubordination prechée par de sales propagandistes,
mais la dérnagogie, ayant pour cortége le vandalisme et l'im-
piété ••


}1. 11. 10




J/.6 HISTOIRE DU XVlIlc SIECLE.


CHAPITRE IV.


DEPUIS LA SUSPENSION DU ·ROI JUSQU'AU ~8 FllUCTIDOlL


I. Depuis le 11 aout 179~, jusqu'au 31 mai 1793.-I1. De-
puis le 31 mai 1793, jusqu'au 27 juilIet 1794: histoire
de l'intérieur; marche de la guerreo - III. Depuis le 27
juillet 1794, jusqu'au 27 octobre 1795: histoire de l'inté-
rienr; marche de la guerreo - IV. Du 27 octobre 1795,
jusqu'au 4 septembre 1797 : événements de la guerre et rap-
ports extérieurs ; factions et mouvements intérieurs.


1. Si les membres de la . ligue républicaine '
ou les Girondins avaient pu revenir sur Iellrs
pas, ils l'auraient fait sans doute; car toute
la part qui leur revenait de la destruction de
la royauté, se réduisit a une petite place dans
le ministere ou Danton présidait. Il ne fut
nllllement question du dauphin, au nom du-
quel ils avaient voulu régner et préparer les
institutions, les lnreurs, les lois et l'éducation
d'une répuhlique future. On organisa un con-
seil exécutif provisoire, et on énlit une infi-
nité de décrets, con<;us dans le .meme esprit
que si la république eút été déjil constituée.
Le roi étant prisonnier, 5a condamnation de-
venait inévitable ; le triomphe du vice sur la
vertu était facile a prévoir, et Vergniaud,




LIVRE IV, CIIAPITRE IV. 147
Gellsonné s'associaient a ces hommes crimi-
neIs et sanguinaires 1 !


Qui aurait pu et qui aurait osé arreter les
progres de l'incendie, pret a embraser toute
la nation ,et a consumer entierement l'arbre
antique de la monarchie ? La masse dI} peuple
attendait avec impatience le nloment ou tous
les grands allaient tomber; les administFa-
tions des départements, composées d'aristo-
erates, firent done' place aux municipalités
démocratiques; la constitution parut dans sa
nullité; des exaltés et des ambitieux seuls pu-
rent espérer de la maintenir. Lafayette meme
et ses amis apprirent bientot qu'il était plus
faciJe de porter la parole et de briller dans les
cercles de femmes, et dans les ·salons, que de
fonder un État sur des bases factices dont la
chute entralnerait ceHe de l'édifice lui-meme.
Lafayette comptait sur ses troupes, mais Du-


• Sansparler de Marat, d' Armonville, et de leurs pareils,
nous dépeindrons senlement l'affreux prétre Joseph Lehono II
se caractérÍ5e ainsi dan s une lettre a Lecointre, qu'on trouve
dans les Crimes des sept membres des ancieTls comités du salat pu-
bl¡~ et de súreté générale, par Lecointre, page 147 : « Cal', en
vérité, les hommes sont de vilains h o o o o o o , et je ne vois pas
a qui me fiero J'ai le soin de discuter tout avec l'impartialité
la plus sévere et la plus grande réflexion, encore n'en trouvé-je
pas le tempso O dictateur ! o Fayétistes! o Brissotins ! comme
vous me f o . o •• l'ame a la renverse! sacré mille triples gueux ,
comme je suis en colere! • J OSEPH LERON o


10.




148 HISTOIRE DU XVIU6 SIECLE.
mouriez avait depuis long-temps organisé des
cabales dans l'armée 1; iI ne suivait plus les
ordres du vieux maréchal Luckner, et n'atten-
dait qu'une occasion favorable, pour s'élever
aux dépens de Lafayette 2. Celui-ci, en har-
monie avec la municipalité de Sédan et avec
l'administratioIl départemcntale, fit arre ter
les commissaires. que l'assemblée nationale


I Voila ce que nous apprenons par les Mc!moires de Dumou-
riez et par sa Biographie, écrite par lui-mime. Pour montrer qu'il
nous est facile de donner aussi des preuves pour d'autres points,
qu'on révoquerait en doute, nous ne cÍterons ici qu'hn seul
document,


Billaud-Varennes, le plus terrible des Jacobins, qui surpasse
m~me Robespierre en atrocité , vivait avec Dumouriez clans la
plus grande intimité, La lettre de Lecointre, dans les obsen'a-
tioTls apres la délation officielle des sept mcmbres, en est une
preuve. Il dit ( l'original de cette leUre est déposé au comité
de sureté générale; la leUre est du 20 septembre 1792, pages
243 - 244 ) : l( Arri vé delmis trois jours, lUon cher géné-
ral, achaque instant, a chaqueminute, j'aí en l'intention
de vous éCJ'ire, sallS pouvoir trouver cette satisfaction. Je vou-
lais d'ailleurs vous dOllller des nouvelles de la situation dans
Iaquelle j'ai trouvé Paris, tant pour les choses que pour les


\ personnes. C'est hier seulement que j'ai pu avoir la parolc
pour lui faire le rapport de ma conduite a l'armée, et des
faits dOllt j'ai été le témoin .... Le porteur de cette leUre est le
citoyen Laribeau, mOD ami intime; ce sera pour vous un
homme de confiance; c'est mon ami que je dónne a mon ami,
et cela seul allége le sacrifice que je fais de l'un a l'autre. Je
vous demande une grace, ceHe de m'écrire allssi daTlS les cir-
cOTlslances décisifJes, pOUl' me mettl'e en mesure d'agil'. Bon jour,
mon cher général; croyez-moi votre ami pour la vie ,


B. Varennes. »
2 Dumouriez écrit, des le 18 aoút, Moniteur, nO 236,


page 996, apres avoil' marqué l'intelltion qu'il avait de déli-




LIVRE IV, CHAPITRE IV. 14g
lui déléguait, et s'appreta a marcher sur Paris
avec vingt mille h01umes qu'il avaitrassemblés
a Sédall. Couthon, jacobin hoiteux, sons pré-
texte de prendre les bains de Saint-Amand ,
se concerta avec Dumonriez. Lafayette reCOIl-
nut bientot que l'ascendant des clubs démo-
cratiques était bien plus fort, meme a l'armée,
que l'autorité d'un général qui n'avait jamais
conduit ses soldats a la victoire, et j.l: ne vit
rien de plus sage que de quitter la France.
Le soir meme de son d.~part, l'assemblée lé ..
gislative agréa son accusation; le lendeluain
elle décréta son arrcstatíon I. Victor de Broglie,
Dietrich, maire de Strasbourg, et Desaix, de-
venu célebre sous Bonaparte , Brige et le cou-
rageux Cafaralli - Dufalga ne fürent pas plus
heureux, et les deux premiers payerent de
leur vie la tentative de maintenir la constitu-
tion par la force. Les chefs des.déma.gogues de
Paris s'empresserent d'autant plus de déve-
v:rer les députés arrétés a Sédan : .. La )lation et ses l'eprésen-
tants peuvent entieremel1t compter sur mon dévouement et
sur celui des braves chefs qui seront chargés de me seeonder :
aueun aristoerate nrosera venir se méler au mílieu de nos b~­
taíllons patriotiques, et je vous assure que les promotions,
que je vous proposcrai, etc.


1 Outre Lafayette, Bureaux - Puzy, Latour - Maubourg ,
Alexaudre Lameth furent les victimes de la haine des émi-
grés. Onles déporta d'ahord it Wesel, ensuite a Magdebourg,
et euSn a Olmutz, ce qui les déroba a la terreur. '




150 HlSTOIRE DU XVlIle SIiWLE.


lopper leur systeme, qu'ils rencontraient par-
tout des entraves. lIs décréterent d'abord le ~3
une déportation génerale de tous les pretres in-
sernlentés 1, ensuite, lorsque l' Augleterre sem-
hlait vouloir accédcr a la ligue des autres
puissances, que toute l'ltalie et l'Allemagne
prenaient une attitude menac;ante , et que des
Prussiens et des Autrichiens marchaient sur
Verdun , ils conc;urent le projet d'assassiner a
la fois to~s les hommes envoyés a Orléans pour
etre jugés sur le crime de lese-nation. Les
arrestations se succédaient a Paris; toutes les
prisons se remplissaient des hommes attacbés
a l'ancien systeme; le 28 , on décréta une ré-
volte en masse et une information générale
contre tous les conspirateurs 2, ponr avoir la
facilité de perdre sans proces lons les parti-
sans de la constitution, du roi et de l'ancien


1 Moniteur~ nO 238, page 1009, Un oratmr de ladéputation:
aIl est temps que les criminels d'Orléans sojent transférés a
Paris, pOUI' y subir le supplice du a leurs forfaits. Si vous
n'accordez cette demande, nous ne répondons plus de la ven-
geance du peuple. (11 s'éleve des murmures.) Vous nous aver.
entendus, et "Vous savez que l'insurrection est un delloir sacré. »-
Un des cit@yens de la sectioll da Finistere, .. envoyer au comité
des douze, c'est vouer a l'oubli : nous voulons une vengeance
prompte, non par les formes anciennes, mais par une cour
martiale ...


2 Le 27 aout Clootz reparut dans l'assemblée, fut applaudi,
et termina ainsi son discours: « Gallophile de tout temps ,
lnon creur est fram;ais, mOD ame est sans-culotte. »




LIVRE IV, CHAPITRE IV. 151


régime. Le ministre de la justice Danton et ses
amis organiserent eux-memes les préparatifs
du carnage qui eut lieu au mois de septembre.
e'est dans le rebut desfaubourgs qu'on choisit
les bourreaux; les républicains, surnommés
Brissotins ou fedéralistes, recuIerení enfin de-
vant ces horreurs, sachant que tous ceux qu'on
avaít jetés dans les cachots étaient voués a
la mort. Ils voulurent établir une autre mu-
nicipalité 1 a la place de ceHe qui s'était con-
stitllée d'elle-meme; mais elle était déja bien
plus l)uissante que la majorité de l'assemblée
nationaIe. Chaumette en était le président, et
Tallien le greffier. L'impudence, le tal.ent dia-
lectique et l'art de faire des phrases, guidaient
l'aveugle fureur et la folle stupidité; qui aurait
pulutter contre ce projet médité par le crime!
Dans les premiers jours de septembre, 00
égorgeait indistinctement les prisoooiers, tant
a Paris que dans les villes oú 00 avait envoyé
des commissaires. La lnaio se refuse a dépeio-


1 Le 30 aont, au nom de la commission des vingt-
un, Grangeneuve dit : " Les circonstances ont fait établir a
París une municipalité provisoire ; ces circonstances sont
changées; peut-étre leur doit-on de la reconnaissance pour le
nouvel état des choses, mais peut-étre aussi conservent - ils
maintenant le méme esprit qu'ils avaient alors, quoique la
scenesoit bien différente. J e demande que l'assemblée déclare que
l'ancienne municipalité reprendra sesfonctions.-M. GuaJet:
L'opinion de M. Grangeneuve me dispense de tout rapport. »




152 HISTOIRE DU XVlIIe SLECLE.


dre l'horreur des scenes meurtrieres qui eurent
lieu a l' ombre de la nuit; les formes qu' on y
garda leur donnerent qn caractere encore plus
affreux. Les prisons se changerent en bouche-
ríes; on assassina pendant sept jours, a l'aide
de haches et de massues, et rien ne désigne
mieux 1'esprit de sophisme de ce temps que le
fait suivant: l'homme qui, avec le président de
la municipaHté Huguenin, en avait donné le si- ~
gnal, s'en lava entierement les mains, et vécut
ensuite dans la plus grande considération. Cet
homme était le greffier Tallien; et le signal
¿onvenu étai t un appel adressé aux Parísiens ,
signé par lui et le président. On y annon({ait
que l'ennelni se trouvait aux portes de la
ville.


Ces assassinats, ainsi que les nouvelles ar-
restations, donnerent toute la victoire aux
terroristes; leurs chefs montraient d'ailleurs
bien plus d'activité qu'on ne pouvait en at-
tendre du caractere de Guadet et de Gen-
sonné l.


~ Paganel, tome Il, pages 7-8 : « M~me avant les élections,
nous pumes prévoir de queIs éléments se composerait la roa ..
jorité de la Convention, et quelle minorité dangereuse y se-
rait introduite par la commune de Paris. Aux derniers jours
de la cession législative, Robespierre a la harre, Billaud de
Varennes dans sa correspondance, affectaient en son nom
u_ne insolente tyrannie. Les assemblées éIectorales s'acc,?rde-




I.IVRE IV, eH A PITRE IV. 153
La majorité des membres de la Conven-


tion, qu' on nomma alors, était, a l'honneur
de l'humanité et de la nation fran~aise, com-
posée des ames enthousiastes de la liberté,
mais ils étaient bien loin d'approuver le dé-
sordre, la confusion et l'homicide.


Il nous suffira de citer quelques noms de
la minorité, pour prouver que rien ne pouvait
les arreter, qu'aucun crime ne leur coutait,
et qu'ils devaient naturellement infIuencer les
membres faibles de l'assemblée, et perdre
ceux en qui ils remarquaient de l'énergie. Ma-
rat, lTIOnstre d'atrocité, Chabot, Robespierre
et Couthon, le l:lche et perfide Barere, Bil-
laud-Varennes , Collot-d'Herbois, le frere peu
important de Robespierre, Panis, Sergent,
David, Vadier, l'homme aux soixante ans de
vertu, Amar) Vouland, BazÍre, entrainerent
facilement les autres; car ils trouverent bientot
des compagnons supérieurs en talents, et qui
leur offraient volontiers leur expérience. Ces
hommes formerent la partie de l'assemblée,
surnommée quelque temps apres le ~[ont­
Sacré.
rent a refuser leurs suffrages a quieonque était soup~onné
d' ~tre attaché a la mOllarehie et a la personne du monarque ;
elles eomprirent dan s eette sorte de proscription les légisJa-
teurs qui avaient absous le généraI Lafayette.




154 llISTOIR.E DU XVIJle Sd:CL.E.
La majorité des députés se composait ou


de gens faibles d' esprit, ou d'hommes farou-
ches I, qui souvent ignoraient le rés~ltat que
pouvaient avoir leurs décrets. Sieyes, toujours
aux aguets, marchait en silence, et pOUl'
ainsi dire, a pas de loup, en attendant le dé-
nouement. Grégoire, malgré sa piété, se laissa
prendre par son faible, méconnut sa place,
et devint un instrument des Jacobins; c'était
lui qui., lorsque la Convention s'était consti-
tuée, sons la présidence de Pétion , proposa
d'abolir la royauté, sans autre discussion 2. Le
véhément Bazire s'éleva en vain contre la
prolllptitude avec laquelle on accueillit cette
proposition 3. Grégoire et Roger Ducos, par


1 Armonville, fileur de Reims, qui se nommait lui -m~me
Al'monville-Bonll(]t-Rouge, est parmi eux le plus eonnu. Assis
a coté de Marat, eelui-ei lui disait: Leve-toi; reste assis. Il
fut presque toujours ivre, ee qui ne l'emp~cha pas de jouer
son rOle. Il est mort a l'hopital.


2 Jloniteul', nO. 266, page 1130 : « Nous savons trop bien
que toutes les dynasties n' out jamais été que des races dévo-
rantes qui ne vivaient que de ehair humaine; mais ii faut plei-
uement rassurer les amis de la liberté. Il faut détruire ce ta-
lisman, dont la forme magique serait propre a stupéfier encore
bien des hommes: Je demande done que, par une loi solen-
nelle, vous eonsacriez l'abolition de la royauté. " L'assemblée
entiere se leve par un mouvement spolltané, et déerete, par
acclamation, la proposition de M. Grégoire.


3 Mon.iteur,nO 266:« Ou ne peut qu'applaudir acesentimeut
si concordant avec celui de l'universalité du peuple fran~ais;
mais iI serait d'un exemple effrayant pour le peuple, de voir


,




,


LIVRE IV, CIIAPITH.E IV. 155
de nouvelles attaques, le premier eontre tous
les rois, et le dernier eontre l'i nfortuné
Louis XVI, le réduisirent au silenee. Le dé-
cret de la Convention transforma aussitot la
France en république; l'ere de cette républi-
que éphémere fut datée du jour ou l'on émit
ee décret. Des-lors le pa~ti de Marat, de Ro-
bespierre et autres poursuivit toujours eomme -
par instinet la route qu'il s'était frayée. Les
Girondins, lnontrant une sagesse et une jus-
liee intempestive, voulurent suppléer a l'éner-
gie 1 par la finesse, et tomberent eux-meules
victimes de leurs propres rnse~ 2. Lanjllinais,
une assemhlée , chargée de ses plus chers intérets , délihérer
dans un moment d'enthonsiasme. Je demande que la question
soit discutée. lO


x Bailleul , tome 11, page 17 1 ¿: u En se reportant dans le
passé, ils voulaient arréter l'élan et comprimer une énergie
qui ne leur paraissait désormais propre qu'a produire des ra-
vages; ils étaient, a cet égard , approuvés par les gens raison-
nables et paisibles ; mais a quoi ces gens-la sont-ils bons dans
des temps de crise? JI


2 Paganel, tome II, page 1 1 : " Des ses premieres séances, la'
_ Convention se divisa en deux partis,également ardents a se'
combattre , également avides de domination; Robespierre for-
tifiait de l'opinion des JacobillS le parti dont iI s'était déclaré
le chef. Su cause était celle de la commune; et la commune
disposait a son gré de la force publique. Déja de sinistres symp·-
tomes présageaient l' époque quí devait frapper tous les peu--
pIes d'étonnement et d'horreur. Le courageux Louvet essaya
de hriser l'ídole au moment OU Marat, Hébert, etc. , l' of-
fraíent a l'adoration de la multitude égarée. D




J 56 HISTOIRE DU XVlne SIi:CLE.
Vergniaud et leurs ami s souffrirent qu'on
donnat toutes les charges publiques a des gens
imbus des principes de Marat. Ils eonsentirent
a ce qu'on décrétat partout des élections na-
tionales, et qu' on confiat les tribunaux a des
homlnes qui SOlivent meme n'avaient aueune
notion du droit.


Toute déviation du principe de ceux qui
voulaient toutbouleverser et faisaient regarder
leur opinion COTIune la volonté du peuple,
passa alors pour faction. La commune de Pa-
rís étendit de plus en plus son pouvoir. Que
pouvaient done appose!' ces hommes éloquents
a une puissance organisée surquarante lnille
clubs dans le royaume, et a la démagogie qui
régnait partout; puisque chaque village avait
son Robespierre? Les Girondins abusés n'a-
vaientplus d'autre ressourceque de se réconci-
lier avec le roi; la plupart en étaient persuadés,
et auraient volontiers sauvé Louis XVI, mais
fentreprise était difficile et dangereuse. Tous
leurs efforts ne servirent qu'a leur faire jouer
un role singulier dans le proces du roi. A vant
qu~ on parlat de condamnation , les deux partis
de la Conventíon avaient fait deux sorties vio-
lentes l'un contre l'autre. L'un eherchait a
prouver que Robespierre avait aspiré au rang


,




LIV RE IV, CHAPITRE IV.


de dictateur 1, et voulait enlever a la com-
mune de Paris l'autorité qu'elle'avait usqrpée.
Ces projets échouerent. L'autre, qui cher-
chait a renverser Brissot et ses partisans, en
aeeusant la commune .de Paris, ne fut pas
plus heureux.L'aete d'aceusation se fondait
sur les papiers trouvés au chateau, par les-
quels o~ se proposait de démontrer que Bris-
sot et ses intimes avaient entretenu une cor-
respondan ce perfide 2.


00 songeait alors en Franee a séparer pour
toujours l'aneien et le nouveau régime, en
faisant péTil' le. l'oi e.t sa fallli\\.e: on croyait
que le. gl'and norobl'e (le gens interesses a ce


x Sa réponse nous donne l'énigme de la durée de l'esprit
J acobin : • Que nous reproche-t-on? des arrestations illégales ?
estoce done le code criminel a la main qu'il faut apprécier les
précautions salutaires qu'exige le salut public, dans les temps
de crise, amenés par l'impuissance des lois? que ne nous re-
prochez-vous pas aussi d'avoir consigné les conspirateurs a la
porte de cette cité t d' avoir désarmé les citoyeus suspects? que
ne faites-vous le proces a la municipalité et an corps électo-
raI, et al1X sections de Paris, et aux assemblées primaires des
cantons, et a tous ceux qui nous ont imité s ? car toutes ces
eh oses étaient illégales, aussi illégales que la révolutiOn , que
la chute du treme et de la Bastille, etc.


Cependant quelques réflexions nousporteront a l'horrible
aveu qn'il y a pour le genre humain des erises OU la morale
doit étre ajournée et voilée. "


,2 C' était plutot le comité de surveillance de la' municipalité
qui agitacette question; on lui avait demandé coínpte des de-
niers publics, qu'il ne put donner, a moins de faire imprimer
les sommes employées a payer les Septembriseurs.




158 HISTOIRE DU XVIIlC SJECL.E.
meurtre judiciaire, serait un obstacle a toute
réconciliation: on se flattait de donner, par
une nouvelle distribution des biens, une tout
autre organisation aux deux premiers États ,
et d'inculquer de nQuveaux príncipes a la


. jeunesse, en abolissant l'ancien culte et le
systeme d'éducation.


Le feu qui consumait la France se porta
aussi en Allemagne et en Belgique; car les ar-
mées alliées d'Autriche et de Prusse, dont
les mouvements étaient toujours subordon-
nés au calcul fatal d'une politique cabalis-
tique, avaient dépassé Verdun , et marchaient
sur Paris; mais Luchesini, intrigant con-
sommé, avait entamé des négociations se·
cretes avec Thouvenot, confident de Dumou-
riez, et l'amitié de la Prusse pour l'Autriche
commenc¡ait a s'affaiblir. On trouvafacilement
un prétexte pour pallier la retraite; car les
provisions manquaient, les routes étaient
mauvaises. L' enthousiasme des gardes natio-
nales et de tous les Fraw;ais pour le nouveau
svsteme, se montra a découvert, démentit les


01


érrligrés, et Dumouriez prit de bonnes mesu-
res pour arreter les armées étrangeres.


Dans le moment meme qu'on s'attendait a
une bataille décisive, les tronpes alliées se




L 1 V R E 1 V, e H A PI T R E 1 v. 1 59
disposaient a se retirer; avant que les troupes
prussiennes et autrichiennes se fussent sépa-
rées en Champagne, Biron avait fait faire de
Strasbourg une diversion, dont le succes sur-
passa toute espérance. Custioe n'était pas
fort habile daos l'art de la guerre, mais son
caractere farouche et vraitnent militaire le
faisait regarder commebon républicain. Se-
condé au commencement par la fortune, il
occupa Spire, le 28 septembre, a la tt~te d'une
troupe de gens enrolés, que l'enthousiasme
ou la nécessité appelaient sous ses drapeaux.
Encouragé par B~hmer , Stamnl , et quelques
au tres généraux allemands, il avan<;a hardi-
ment, et prit, le 21 octobre, sans en faire le
siege, Mayence, forteresse importante de
I'Empire l. Dans cette ville, une grande partie


t Les Mémoires du génél'al Custine, par un de ses aide.r - de-
camp, Hambourg et Francfort, 1789, ne caractérisent pas seu-
lement Eickenmayer, que tous les partis blilment, mais rap-
portent aussi, tome 1, page 2:13 : " Nous avons déja dit que
les encouragements et les promesses que le général Custine
avait re~us de ses amis de l'intérieur de la ville, avaient pro-
duit l'effet de le rassurer; il ne fut pas trompé dans les espé-
rances qu' on lui avait données, et nous vimes bientot que les
intrigues 1}u'on avait fait jouer pendant le temps qui s'écoula
entre les deux sommations, avaient réussi a souhait ...... On
avait travaillé sur l'esprit du général Gimnich .... Aussitot que
la lettre du général fran~ais lui fut parvenue, iI demanda
l'assemhlée d'un conseil civil et militaire, pour y délihérer
sur les circonstance~ oúon se trouvait. Le commandant y




¡(lO HISTOIRE DU XVIlIe Sd:CLE.


de la classe éclairée, a laqllelle on donna en-
suite le nom de clubistes, espérait, a l'aide des
Franc;ais, renverser le régime aristocrati -hié-
rarchique. Le commandant de cette place était
un homine sans tete et sans énergie, et son
confident Eickenmayer, était vendu aux Fran-
~ais, OH a lenr systeme l. Custine, qui se Hat-
tait de trouver dans les Allemands au-dela du
Rhin la meme opinion qu'il avait trollvée en
de<;a, avan<;a trop loin 2.: et il s'abusa, car
peignit sa position telle qu'on la lui avait fait voir, et se mon-
tra, en conséquence, disposé a rendre la place; le baron de
Stein, .envoyé de la cour de Prusse, qui avait été ad.nis a
cette conférenee, appuya l' opinion du général Gimnieh, en
disant, qu'apres les nouvelles qui lui étaient parvenues, il n'y
avait pas la moindre espéranee de recevoir des secours exté-
rieurs; ainsi rendre la ville était une nécessité dont le retard
pourrait avoir des suites funestes. " ~


1 Mémoires da général Castine, tome 1, page 226 : " Ce fut
a peu pres a l'époque OU nous sommes parvenus, que le lieu-
tenallt - colonel Eickenmayer, que nons avons vu influer
d'une maniere si décisive sur la reddition de la viUe de
Mayenee, mit le dernier seeau a la bassesse de sa conduite pré-
cédente .•... ; plus impudent qu'aucun, l'illgénieur Eicken-
mayer, voulant recueillir le plus d'avantages possibles de sa
perfidie, osa entrer un service de la république fran<¡aise, ou
iI fut admis au grade de colone!. Il écrivit une leUre a son
aneien maitrc , l' éleeteur de Mayenee;· en lisant cet écrit iI est
diffl.eile de démeler s'il a cru excuser sa conduite a l'égard de
ce prince, OH bien s'il s'est permis l'insolence de le braver de
nouveau ...


:a L'espoir de Cusrine se fonclait d'a1.1tant plus sur l'arrivée
des troupes pr1.1ssiennes a Coblentz, qu'influencées par les dé-
putés de la Convelltion, dans l'armée de Dumouriez, elles
n'avaient pas poursuivi Kellermann.




LIVI\E IV, CHAPITRE IV. ] 61
les pays protestants, ou ron trouve une li-
berté modérée et un clergé qui ne rejette pas
les ,droits de la raison, ne se laissent pas aisé·
ment entrainer a une révolution. Francfort,
Friedberg, Nauheim, une partie de Nassau
étaient au mois de novembre occupés par les
Fran«;ais, qui tenaÍent tout le pays de Co-
blentz jusqu'aux frontieres de l'Alsace 1; mais .
des troupes de Hesse et de Prusse s'étant
montrées dans la Vetteravie, les Allemands
reprirent Francfort, le2 décembre.


Tandis que toute la force de Ieurs armées se
tournait vers Mayence, alors boulevard des
Fran<,;ais, ces derniers remportaient en ltalie .
plusieurs victoires consécutives. Les troupes
fran<,;aises avaient été rec;ues abras ouverts en
Savoie comme sur le Rhin. La Sa.voie était


1 Custiue sentait hien qu'il aurait da occuper Coblentz;
pour se disculper, il en jeta la faute sur Kellerma:nn, et écrivit
au président de la Convention en ces termes: • C'est dans ces
príncipes que je dénonce Kcllermann indigne du nom de gé-
néral, plus indigne encore de diriger les force s de la Répu-
blique. Je saurai prouver qu'il a fui lachement a Dauchheim,
et ma correspondance avec l~i prouve a la fois sa basse ja-
lousie, son orgueilleuse ivresse de commander une armée
( passioll toujours compagne de la nullité); et l'irréflexion de
ses pIans est démontrée par mes dernieres réponses ...


Kellermann répond a la Convention que Custine luí avait
communiqué ses p!aintes, mais que eelui qui en était l'auteur
ne pouvait avoir enfanté eette production que dans un acces
d~ démence, ou bi~n dans un moment d'ivresse.


lT. Ir. 1 I
/




162 HISTOIRli DU XVllIe SIECLE.


unie 11 la Franee eomme département du
MonttBlane. En Belgique, Durnouriez, ayant
battu les Autriehiens, le 6 novembre 1792, él
Jernmappes pres deMon~,fut él sonentrée pro-
clamé libérateur de la patrie; il travailla a
faire ineorporer la Belgique a la Franee. Ces
jonetions, une fois consolidé es , devenaient de
la plus grande importance pour l'Europe en-
tiere, puisque la masse d'hommes, rendant
hommage au nouveau principe, se trouvait
ainsi eonsidérablement augmentée, et que
tous le~ gouvernements monarehiques mena-
~aient alors de s'éerouler.


h'apres les principes énoneés par les pré-
dicateurs de la liberté fran~aise, l' obéissance ,
la dévotion et la piété étaient inutiles, lneme
méprisables, paree que quelques vils défen-
seursdel'anciensystemeenavaientabusé.J?uir
de la vie, et Illontrer de l'énergie, leur sem-
blaient le seul but de l'homme et de ses rela-
tions civiles. Ce principe qui changea toute la,
natjon s'est conservé jusqu'él nos jours, puis-
que pendan t vingt ans il anima leurs arrnées.
D'ailleurs le mérite militaire ne trouvait nulle
part une perspective plus brillante que dans
un gouvernement qui ne s'attachait qu'aux
résultats sans s'inquiéter de la dignité per-




LIVRE 1 V, CHAPITRE 1 V. 163
sonnelle. Aussi, un géuéral jacobin voyait-il
ses efforts piutot couronnés de succes que ce-
lui qui restait fidele a la lnonarchi~. Les ar-
~ées ouvraient une grande carriere au talent
des hommes le mieux intentionnf>~, a l'esprit
turbulent des ambitieux, a tous les gens
avides, a l'activité de ceux qui voulaient
échapper aux vices. Cette carriere était fer-
mée a tous les nobles. C'était en outre la
premiere lutte que les Franc;ais soutenaient
pour la patrie depuis l' origine de leur monar-
~chie; il n'est done pas étonnant que leur puis-
sanee militaire soit arrivée au plus haut degré
de grandeur.


Alors commen~a le prod~s de l'infortuné
monarque. L'accusation fut décrétée le 6 dé-
cembre 1, sans qu'elle trouvat beaucoup d'op-
position, et vingt et une personnes furent char-
gées d' en rédiger l' acte ..


Il est difficile de retracer les bassesses et
les outrages auxquels se porta la commune
qui surveillait le roi et sa famille dans leur
prison. On ne saurait dépeindre la patience


I L'accusatioll du I'oi avait été décidée le 16 septemhre a
l'assemblée législative, le 7 no~embre a la Convention; d'a-
pres le décret du 6 décembre, les commissaires, nommés a
cet eff~t, avaient fait, le 7 et le 10, les rapports des crimes
imputés a Louis XVI.


JI.




164 HISTOJRE DU XVIII4I Sd:CLE.
que Louis opposa a ses persécuteurs, mais
on en connaltra bientot tout 1'héroisme, en li--
sant le rapport de son valet de chambre,
Cléry 1 qui, dans ces scenes tragiques, nous
présente le caractere le plus noble a coté de
Lanjuinais et de Malesherbes. Si ce dernier,
ainsi que Cléry, suivait la voix de son cceur,
Lanjuinais Dlontrait bien plus la noblesse de
son ame: car il n'était ni ancien ami du roi ni
meme royaliste, et il ne combattait ni pour
une opinion humaine ni pour des coutume~
sanctionnées par l'usage, mais pour la vertu et
la justice, dont les lois sont immuables.


Le prenlier interrogatoire eut lieu le 11 dé-
cembre, et le second le 26. Les Jacobins em-
ployerent cet intervalle a faire réussir leurs
projets et a augmenter le nombre de leurs
complices, autant que possible 2.


1 Il faut d'ailleurs séparer la cause de la personne du roí.
·La cause était mauvaise, quand meme on n'eut pu le prouver.
Mais avait-on jamais tel1U parole a Louis XVI? s' était-il jamais
vu maitre du pouvoir que la constitution lui laissait? Com-
ment l'aurait-il aimée? qu'étaiel1t ces scenes du 20 juin et
du 10 aout? a quellejustice devait-on s'attendre, qual1d toute
justice cessait? N ous rappelons expres ces faits, paree qne tous
les mémoires, meme ceux de M. de CltOiseut et de madame
Campan, écrits dans un esprit royaliste, démontrent que la
cour était en conspiration perpétuelle contre la nation.
~ Bistoire de la rél'olutiofl, par deux amis de la liberté, t. IX,


page 221 :" On ne faisait pas deux pas da~s IC5 roes de Paris,




LIVRE IV, CHAPITRE IV. 165
QQ.oique les membres de l'assemblée con-
~entionnelle fussent bien loinde croire lé-
gale l'illstructioll du proces du roi , ou ils lle
reconnaissaient qu'un probleme politique 1,
ils voulurent cependant observer les formes
judiciaires. On permlt donc aLouis de prendre
pour défenseurs l\tIalesherbes , agé de soixante
dix~huitans, qui s'était proposé lui-meme, ainsi
que Tronchet et Deseze. Du '25 décembre ~
jusqu'au 7 janvier 1793, ces dt>rniers déploye-
rent envain toute leur éloquence pour sauver
le roi; la Gironde, demandant du délai ou un
appel a la nation, ne fut pas plus heureuse ll.
sans trouver des baladins montés sur des tréteaux;, qui, quand
ils avaient attiré autour d' eux la lnultitude,. par le son de quel-
ques instruments, entamaient ensuite un dialogue, dans lequel
on traitait Louis XVI d'anthropophage, et dont la péroraison
était qu'il fallait que sa tete tombftt pour l'affermissement de
la liberté. Des furibonds , le sabre a la main, hurlaient le soir
dans le Palais-Royal : A la guillotille, Capet.' a la guillotine!
Des sociétés populaires écrivaiént des départements, qu'ilfal-
lait que le sang de Capet expiat ses crimes; des hommes, bles-
sés a l'affaire du 10 aout, défilaient, dans le sein de la Con-.
vention , sur des Lrancards, en criant vengeance. Des orateurs
des sections affluaient a la barre, et, demandant une sentence
contre Capet, déclaraient hautement que l'humanit~ ne regne-
rait sur la ter re que quand il n'y aurait plus de rois , et la
vertu que quand iI n'y aurait plus de prétres."


1 Barere l'exprime positivement: " La sureté d'une répu.
bliquc uaissante demande la punition du tyrau et du conspi-
rateur. L' expul.i.ion de Tarquín ne fut qu'une mesure de sureté
généraIe, et la république romaine fut fondée. Ne raisonnOlU
done plus SOllS le rapport des lois et des jugements. »


1 Tous les discours se trouvent rassemhlés dans le Pour H




166 HISTOIRI~ DU XVIl.Ie Sd:CLE.
Le talent oratoire de Vergniaud ne brilla ja-
mais d'un plus grand éclat que dans cette oc-
casion, ou il luttait en meme temps contre
Robespierre et ses créa tures aux tribunes. Gen-
sonné et Lanjuinais échouerent aussi contre
leurs adversaires qui avaient toute la popu-
laee él leurs ordres. Le 7 janvier, Kersaint et
Guadet, fauteurs de la république, jugerent
a propos de demander la cloture de la discus-
sion, et de fixer le 14 eorome le jour Otl. 1'ar-
ret devait etre prononeé. Les membr~s rusés


. de la Convention, ou se firent donner des
commissions avant ce jour, ou prétexterent
quelque maladie, ou retarderent leur retour.
Les chefs du par ti , qlli ne se croyaient d'autre
moyen de salut que de perdre entierement
leurs ennemis, accablerent ceux qlli restaient
de tous les effets de la terreur, qu'ils savaient
manier avee tant de sucees l.


le Contre, ou recueil complet des opinions prononcées el l'assemhlée
conl'elltwnnelle, dans le proces de Louis XrI, 7 vol. in-So, chez
Buisson.


1 'Buzot Jit, Jans le Uoniteur, janvier 1793, nO 13, p. 57 :
ct Il est vrai que les membres de la Convention ont été insul~
tés, par ces memes hommes, aux portes de ce sanctuaire; si
des provocations au meurtre frappent tous les jours nos oreilles,
et j'en atteste tous mes collegues (pres de deux cents memhres
se levent a la fois en criant : Oui, oui, e'est vrai. Quelques
memhres du cóté opposé-Allons, aehevez votre diatribe.)
Quand trente a quarante au plus, flétris ou ruinés, qui ont




LIVRE IV, CHAPITRE 1 v. 167
Le 14 jan vier, les questions sur lesquelles


devaient prononcerles membres de la Conven-
tion, en meme temps juges et jurés, furent
ainsi classées: l? Louis XVI est-il coupable?
2 0 la sanction de la sentence sera-t-elle réser-
vée ti la nation? 3° quelle punition faut-il infli-
ger? La position des questions seule suffit pour
fait'e tomber la Gironde dans le Dleme ablme
qu~elle avait auparavant creusé aux autres par
son zele pour la république et par sa haine
contre l'orgueil des aristocrates l. D'apres le
décret, qu'une seule voix de _plus constituait
la majorité, Lanjqinais échoua dan s sa der-
ni ere tentative en faveur du roi. Il demandait
les trois quartsdes voix po.ur constituer la
peine capitale.


Le 15 janvier, de sept cent soixante-une
hesoin de troubles pour vivre, qui se rassasient de crimes ,
composent ou dirigent dans chaque section les assemhlées
permanentes, quand ces assemblées sumsent pOW' remue.r tout
Paris, quand nous sommes environnés sans cesse de ces co-
quin s , peut-on croire a la liberté? Ganeler. - Vous calom-
niez. París ..•. ; vous préchez la guerre civile.


Cependant l'organisation d'une force al'mée, pour le lieu
des séances de la Conv~ntion, que Rabaut avait pro posé e , fut
ajournée ...


I Guadet et Lanjuinais, Moniteur, nO 17, page 76, cherchent
en vairi a faire poser autrement les questions, lorsque Cou-,
thon s' écrie: CI Voilit trois heures que nous perdons notre temps '
pour un roi! sommes - nous des républicains? Non, nous
sommes des esclaves. Un cri unanime.-Oui, oui, o.ui, etc. lt




í68 HISTOIRE DU XVllIc SIECLE.
voix, six cent quatre-vingt-treize déciderent
la premiere question affirmativement 1 , et né-
gativemellt la seconde a la majorité de quatre
cent vingt-une voix centre deux cent quatre-
vingt - trois. Les séances du 16 et 17 furent
employées a la discussion de la troisieme, et
les débats durerent pres de quarante lieures 2.


L'arret étant prononcé, les défenseurs de
Louis XVI, Tronchet, Deseze et Malesherbes
cherchaient en vain un "délai ou une tergiver-
sation dans le·droit et dans les lois. Ils avaient
raison, car la majorité absolue des voix n'é-
tait pas pour la sentence de mort; mais oú
regne la passion, la justice se tait. Ce fut en-
vain que Manuel, quoique ennemi déclaré
de la royauté, quitta brusquem-ent la salle,
avant que "l'arret fut prononeé 3; il reconnut


1 On trouve, dans les Fas tes de l' anarchie et dans d' autres
ouvrages, le nombre des membres présents el absents, ainsi
que de ceux qui voterent avee restriction.


2L'appel nominal commen«;¡a le 16 janvier a dix heures du
matin, et se prolongea jusqu' a huit heures du soir. Il n'y avait,
de sept cent soixante - une voix, que trois cent. soixante - si"
absolues pour la mort~


3 Les protestations publiques de Man.uel et de Kersaint, les
premiers auteurs de la force employée contre la cour, leur
font honneur. Manuel donna sa démission. Sa décIaration com-
menee ainsi ~ « Qu'avez - vous faít, citoyens représentants?
Tels que vous étes (la vérité m'échappe), oui, tels que vous
etes, vous ne pouvez plus sauver la France; l'homme de hien.
n'a plus qu'a s'envelopper dan s son mantean. lO




...


LIVRE IV, CHAPITRE IV. 169
trop tard son erreur, et cet acte de vébé-
mence n'ent que des suites facheuses pour lui-
meme et son parti. Les Danton, Iles Chau-
mette , les Robespierre et les Couthon avaient
déja trop de pouvoir 1 : l'arret sanguinaire fut
sanctionné, et le régicide consommé le ~ 1 jan-
vier [793.


Si d'un coté, des procédés révoltants, l'in-'
justice et la cruauté la plus crian te excitent
notre indignation , nous ne pouvons con tes ter
de l'autre, que ~cet assassinat judiciaire con-
solida la révolution et ses réformes, en établis-
sant une inimitié éternelle entre les partisans
des nouveaux et des anciens principes, et en.
élevant entre ces -deux systemes une digne qui
empecha leur réunion pendant un si long es-
pace de temps. Les auteurs de ce forfait au-
raient dli sentir que saos considérer cette ac-


I JJfoniteur, page 106 : .. Au commencement de la séance ,
Danton interrompt Garran de Coulon, et Lou vet s' écrie: Tu n' es
pas encore roi, Danton ; quel est done ce privilégc ? J e demande
que le premier qui interrompra soit rappelé a l' ordre. Dall-
ton. - Je demande que l'insolent, qui dit que je ne suis pas
encore roi, soit rappelé a l'ordre avec censure. Cambon dit
ensuite, je demande él rapporter un fait relatif a l'opinion de
Mailhe. Seconds.-Je demande aussi la parole pour un faite
PblSieurs 'Voix.- La parole est a Cambon. - Seconds. - La
parole ou la mort ( on rit). »


I1 fau~ remarquer que Cambon faisait partie des terroristes,.
dont le symbole ~tait des-Iors, la liberté ou la mort.,




170 HISTOIRE DU XVIIle Sd:CLE.


tion sous son rapport moral, la politique
meme s'opposait a la condamnation; que I'a-
nimosité de la nation se changerait bientot en
pitié, que le chef de I'État, auparavant en
butte a la haine, serait pleuré cornme martyr,
qu' enfin on confondrait la personne avec la
cause elle-me m e !


Pendant les débats du proces, une scission
se manifesta entre les deux partís principaux
de la Conventiol1, et la Gironde, irrité e du ré-
gicide, eut des-Iors a soutenir la lutte la plus
violente. L'issue de ce combat contre Danton
et Robespierre était facile a prévoir, si les Gi-
rondins ne parvenaient pas a rétablir la po-
lice et les tribunaux qu'ils avaient eux-memes
détruits, et a ramener ainsi la poplllace dans
les bornes de la vie ordinaire. Ils le tenterent,
mais inutilement. Ils désiraient faire condam-
ner judiciairement les Septembriseurs, mais
ils échouerent dans leur projet, quoiqu'ils
eussent obtenu de la Convention qu'une en-
quete formeHe fut décretée 1. Leur ministre,


1 Voilil la vraie cause de la chute de la Gironde. Bailleul,
tome 1I, page 167, dit : .. Je tiens d'un député de notre coté,
run de mes camarades d'infortune, qui avait cependant con-
servé des relations avec Danton , qu'il y avait des conférences
a Sceaux entre les chefs des deux partis, dont le but était un
rapprochement, s'il étaitpossible. JI Guadet, avec une énergie
qui lui était particuliere , ne voulut entendre a aucune trans-




LIVRE IV, CHAPITRE IV. 171
l'impassible Roland, secondé par les talents
de sa- femme ,voulait que la vertu servlt de
base. a l'administration de l'intérieur. Il apprit
avee douleur que ses amis n'avaient pu le
soutenir. Il se retira des affaires, le 23 janvier
1793, et les Jaeobins se virent obligés d'aban-
donner Pache leur ministre de la guerre; mais
Roland perdit t01~te influence eomme politi-
que, tandis que Paehe, lors de la chute de la
Gironde, fut nommé maire de Paris, le 14 fé-
vriel' l.


Le bruit se répandait quejes Girondins
eherehaient a faire de la France un État fédé-
ratif, sur le modele de .1' Amérique. Brissot
était le seul parmi eux qui se fut distingué
eomme écrivain. 11 joignait une éloquence fa-
ciIe a une imagihation féeonde; mais rarement
il savait garder les eonvenanees du temps et
du lieu ou il éerivait. Dans son ouvrage sur-
l'Amérique, il s'était rQontré grand admirateur·
de la constitution de ce pays. On le désigna.
méehamment eorome le meneur de ses aInis;:
action relativement aux poursuites. Danton lui adres se ces pa-
Toles: Guadet. tu ne sais point faire le sacrifice de ton opinion
a la patrie; tu ne sais point pardonner; tu seras 'IJictime de tOfl
opinídtreté.


I La commune du 10 aout avait été dissoute le ~ décem-
lIre 17 9 ~ , OU, a proprement parler, on avait expulsé les Gi ..
rondius.




17~ HISTOIRE DU XVIII' SIECLE.
et le nom de Brissotins ou de fédéralistes fut
donné él tous les républieains modérés l.


L'Angleterre, la Hollande, I'Espagne, se li-
guerent alors avee les autres puissftnees con-
tre la Franee; le parti colossal des J acobins
s'accrut él mesure que le norubre des enne-
rriis augmentait. 11 prouva, quelques mois
apres, él toute l'Europe étonnée, quelle éner-
gie formidable se trouvait dans une nation
portée tout d'un coup an plus hant degré d'ex-
altation. Les Jacobins eréerent COlnme par en-
chanternent douze arrnées, sans argent etsans
offieiers ; ils firent tete aux alliés du dehors,
ils résisterent aux sectateurs de l'aneienne re-
ligiori, quis;élevaient dans la Vendée, ainsi
qu'aux partisans de l'anCien gouvernement,
qui faisaient la guerre en Bretagne. Leur res-
sources s'accurnulerent avee le danger. Tant
que la victoire sourit él .Dumouriez, on Iui
laissa le cornmandement de l'armée, quoi-
qu'on soup<;onnat qu'il eherehait él mettre sur
le trone la famille d'Qrléans , dont le membre
le plus agé se trouvait dans ses troupes. On
le sonffr!t meme encore apres qu'il eút éerit


1 Les députés du Midi songeaient cependant a organiser
leur pays sur un autre pied. Voyez Barhal'oux, Mémoires,
pago 37-39, ou il négocie avec Roland, et pago 41-43, OU i}
s'agit de gagner le général Montesquiou.




LIVRE IV, CHAPITRE IV. 173
une lettre tres-violente el la Convention [ ;
mais la défaite qu'il éprouva, le 19 mars, a '
N eerwinden, fut le signal, le prétexte et l' é-
poque de sa disgrace.


Durnouriez n'était pas un homme qu'on put
facHernent abuser, aussi ne se livra-t-il pas a
ses ennemis ; i1 pouvait beaucoup plus que La-
fayette compter sur son armée; ou les habitu-
des militaires avaient remplacé les habitudes
civiles. Il n' était point gouverné par les égards
d'une conscience trop délicate, ou par le trans-
port d'un patriotisme exalté. Des qu'il ne put
plus douter que lui OH ses enneinis devaient
succomber, il s'assura un refuge, en cas que
son plan échouat , par deux conférences qu'il
eut, le 22 et le 27 mars, avec le prince de Co-
bourg, chef de l'armée autrichienne. Une seule


1 Lacroix et Danton, tous deux suspectés d'étre par-
tisans du duc d'Orléans, défendirent Dumouriez a la Conven-
tion. Quant a l'Orléanisme, nous remarquerons, qu'apres toutes
les recherches possibles, nous n'en avons pas pu trouver la
preuve , et que les initiés nous out affirmé la méme chose. Le
Girondin Bailleul, que les circonstances changerent en vio-
lent Jacobin, a fépoque OU il écrivit, dit, torne 1, page 307 :
" A l'ouvertUl'e de la Convention on parlait beaucoup du partí
d'Orléans; quelques députés en révaient; ils le voyaient par-
tout. J'y ai regardé, j'ai écouté, j'ai interrogé ; j'avoue que je
ne rai vu nulle parto »


Bailleul, nommé commissaire avec Laplaigne et Rulh, par
la Convention, pour examiner les papiers du duc d'Orléans,
est dans ce seul point parfaitement q'accord avec madame de
Stael.




174 Hl STOIRE DU XVIIle SIECLF..
faute déjoua tous ses projets. Plusieurs offi-
ciers étaient gagnés; un régiment de hussards,
composé la plupart de soldats allemands, lui
était tout-a-fait dévoué, l'armée le respectait,
lorsqu'il eut l'iInprudence de confier son plan
aux commissaires jacobins, Pereyra, Proly et
Dubuisson; de plus il temporisa deux jours,
quand il n'y avait pas un moment a perdre.
Pereyra et ses amis'~nstruisirentlesJacobinsdu
plan que Dumouriez avait formé, de marcher
sur Paris. Aussitot, un décret cita le générala
la barre de la Convention, et les députés Ca-
mus, Banca(et Quinette furent chargés de l'ar-
reter. Beurnonville, ministre de la guerre,
les accompagna pour prendre le commande-
mento Dumouriez fit les quatre députés pri-
sonniers, retourna sur ses pas , mais il recon-
nut bientot que les troupes lni obéiraient
3p,ssi peu qu'a Lafayette. Un bataillon, com-
mandé par Davoust, plus tard prince d'Eck-
mühl, fit feu sur lui et son es corte dans le
moment meme qu'ils espéraien t se rendre
maitres du fort Condé; alors Dumouriez
chercha son salut dan s la fuite comme avait
fait Lafayette. Pour échapper promptement
aux poursuites, il se fit conduire par les deux
amazones de la révolution, les demoiselles




LIVRE IV, CHAPITRE IV. 175
Fernig qui avaient glorieusement combattu
ave e lui dans toutes les batáilles, au bac de
Boucaulde, et passa heureusement l'Escaut.
e'est a tort qu'on l'accuse d'avoir pillé la
caisse de l'armée, car les demoiselles Fernig et
leurs parents ne le laisserent pas manquer
d'argent. Elles abandonnerent la France avec
lui; mais n'ayant pas trahi leur patrie, elles ne
trouverent nulle part une retraite assurée.


Des qu'on n'eut plus a redouter Dumouriez
et son armée 1, et qu'on ne parut plus crain-
dre le rétablissement de la monarchie, la dis-
sension des deux partis acharnés, qui sem-
blaient tous les deux désirer une république,
éclata et devint une lutte sanglante 2.


i Les Gil'ondins ne se montrent pas moins craintifs que
les J acobills, et Pétion éerit a Miranda, ami de la Glronde
( Notes sur les JJfémoires da général Dumouriez, écrits par lui-
méme, et cOl'respondance al'ec le général Miranda, etc., pago 77,
nO LV, Paris, le I3 mars 1793 : Pétion au général Mi-
randa) :


• Mon ami, je crois qu'il y a trahison dans nos armées, et
que eette trahison est liée a un grand complot contre la répu-
blique. Dites - moi franchement ce que vous pensez des om-
ciers -généraux 'lui commandaient l'avant-garde de Valence.
Dites-moi ce que vous pensez de tout ce qui arrive; n'y met-
tez, je vous prie, aueune réserve; j'ai besoin de le savoir pour
la cause publique. »


2 Bail/eul, tome II, page 176 : • Nous avions des talents
brillants , et pas une té te en état de conduire une si vaste ma-
chine. Vergniaud, qui était un étre adorable, manquait d' é-
nergie, et n'avait aucun esprit de suite : apres un admirable




t 76 H lSTOIRE DU XVllle SI:ECLE.
La Gironde demandait un gouvernement


civil, mais sage et modéré, elle aurait sou-
haité etre débarrassée de Marat et de la popu-
lace dont elle s'était servie jusqu'alors. Mais
les démagogues les surpasserent en activité,
et en fines se 1. Danton , Tallien, Fouché et au-
tres dirigeaient absolument toutes les 'émeutes


discours, il retombait dans son apathie accoutumée; il mu-
sait, jouait avec les petits - enfants de Boyer-Fonfrede, et le
moins enfant des trois n' était pas celui qu' on pensait ...• Gen-
sonné était trop lent et trop fortement prévenu, Guadet trop
emporté. Buzat disait d'un tol1 solennel, en parlant des dé-
nonciations des seetions de París, qu'il enverrait sonmani-
feste a son département. BrÍssot manquait de justésse et de
force dans les idées; Valazé, avee un eourage imperturbable,
avait peu de talento Louvet, avee heaueoup d' esprit, ne voyait
que des fantomes; il était morose et soup~onneux; carae-
tere irréconciliable avee l'art qu'exige le mariiement des af-
faires. Pétion était un homme tout-a-fait ordinaire. Barba-
roux, Boyer-Fonfrede, Ducos, ne pouvaient; étre considérés
que comme jeunes gens a qui ii eut fallu plus d'expérience. lO


t Histoire de la l'éfJOlation. pa/' deux amis de la liberté, t. XI,
pago ~ 2 2 : « On a vu les Vergniaud, les Louvet, les Barharoux,
les Gensonné, démasquer les amhitieux, et prédire a la tri-
bune, etc. On a vu leurs heaux diseours prévenir ces désas-
tres, mais rien que des heaux diseours, et jamais, ou tres-
rarem~t, des effets; car un reproche a faire aux membres de
la Gironde , ou dllmoins a la majeure partie d'entre eux,
e'est qu'ils faisaient eonsister leur vanité, leur bonheur, dans
les phrases oratoires qu'ils ~hitaient au sénat , et , qll'une fois
applaudis, ils abandonnaient le ehamp de hataille pour aller
jouir de Ieur triomphe dans les eoteries partíeulieres, OU, au
líeu de suivre et de travaiLler un plan queIconque, pour s'op-
poser a une désorganisation générale, iI se dédommageaient
par des· plaisirs de la peine qu'ils avaient prise a polir ehez
eux une belle harangue. »




LIVRE IV, CI1APITRE IV. 177
popula'¡¡oes, et Robespierre fit proclamer, par
l'insensé Mara,t, ce que la populace apprit
avec allégresse, qu'on ne laisserait a la France
rnenacée par les ennemis du dehors et des ci-
toyens mécontents , que des cabanes, du pain,
<Iu fer et des soldats. La Gironde aurait alors
voulu une constitution pOUI' résister au tor-
rent qui l'entrainait. Le 15 février, Condorcet,
au nom d'une cornmission, ven~it d' én COlTI-
muniquer le projet. Elle avait été rédigée d'a-
pr-es toutes les regles de la logique; mais, daus
ces temps de licence et d'anarchie, cet Oll-
vrage chimériql1e ne convenait qu'aux répu-
blicains qui cherchaient a déployer leurs ta-
lents oratoires dans des discours briHants l.


Marat de ,son coté excitait le peltple a piller


'[ Bailleul, tome 11, page 172: .. Afin de douner aux opéra-
tioos de l' assemblée , et a leurs votes, plus d' ensemble, et ann
d'éviter les mal- entendus ou les dissidences, ils avaient, a
l'exemple des montagnards, formé une espece de club. Je fus
invité, a plusieurs reprises , a me trouver dans cette réunion,
ou 1'0n comptait de cinquante a soixante députés ...... Neuf ou
dix des principaux membres s'attribuaient exclusivement la
parole, et se distribuaient les roles dans l'assemblée. II pa-
rut aux autres qll'ils n'étaient appelés la que pour admirer
ces messieurs et leur servir d'instruments : eette observjlion
]11'oduisit le plus mauvaiseffet. J'en puis. parler avec certitude,
éar j'ai souvent re~u ces confidences et ces plaiufes. I,es mon-
tagnards se montrerent bien plus adroits; ils accueillaient, ils
employaiellt, n'importe commeut, tous ceux qui se montraient
dévoués dalls leur sens. »


1I. !J. 12




1 7 8 H 1 S T O 1 II K 1) U X V 111 e S Ii~ e l. J~.
les boulangcrs, a lnassacrer les lnarehands de
blé, et a persécuter les riehes. Quoiqu'il n'at-
teignit pas entierement son but ,la fonle effré-
née ne négligea pas ses conseils et pilla les mer-
ciers. Les Girondins firent enfin arreter 1\larat
et le traduisirent devant ]eur tribunal 1 ; roais
absous, eorome on aurait dú le prévoir, ee
misérable dut a eette eireonstanee plus de eré-
dit qn'il n'en avait jamais en 2, Son triomphe
était, a proprement parler, une vietoire de eette,
partie de l'assemblée, qui semontrait ennemie
~le tout ordre et de toute loi ,soit paree qu'CUe


I Le premier pillage des boutiques eut líeu le 25 févríer;
le 26, l'assemblée décréta l'accusation de Marat, mais la chose
en resta la jusqu'au 13 aVI'il que I'on instruisit son proceso
Le 24, la populace pilla de nouveau les boutiques; le 26, Ma-
Tat fut absous et conduit en tl'iomphe.


2 Paganel (~obin et membre de la Convention) torne II ,
page 170, dit: "L'ame de Mara~ était fermée a toute ambition.
Ce nohle selltiment est étranger a de tels monstres. Anthro.
})ophag'e avec une extr~me bassesse, il aurait préféré a Robes-
pierre un roi ql1i tui aurait livré plus de victimes. Il caressait
le tyran non par affection pour sa personne, mais pour ~tre
le ministre de la tyrannie. C'est pourquoi on ne peut attri-
huer aucun mérite a Marat, soit pOlll' a voir vécu désintéressé,
soit pour étre mort pauvre. Il n'était altéré que d'nne sorte
de soif, et ce n'était pas ceHe des richesses. Durant le cours de
la révolution, si féconde en hommes bizarres et en caricatures
de tout genre , iI ne p'arut pas de personnage plus ridicule que
Marat. Vit-on, dans aucun temps, de farces plus risibles que
son apothéose? Il était également indigne de périr comme chef
de parti , et de vivre dan s la mémoire des hommes .... Il n'v
a pas en de partí ~fl1l'alis[e, íI était m~me impossihle d'en ro;.
mer un .•




1,IVRE IV, CHAPITHE IY. 179
espérait, en détruisant la Gironde, ramener
l'nnité dans les lieux oú régnait la discorde,
soit parce qu'elle soutenait le principe cruel
que, pour consolider le nouvel ordre de cho- ,
. ses, il fallait auparavant extirper ce qui re-
stait de l'ancien systeme, par le fer et le fen,
par la violence et le meurtre: les Jacobins et
les Cordeliers parurent, pour lapremiere fois,
en eette occasion, maltres de la capitale; ilsse,
moquerent de la faiblesse des vrais :républi-
cains, dOllt la---vertu passa alors ponr exalta-
tion, et toutes les lois servirent a organiser
leur dominatíon. Kersaint, un des enthon-
siastes, avait proposé, au commencement de
l'année 1793 , de créer un comité de défense
généra\e l. Les partisans des Marat, des Ro-
bespierre, s'étant emparés de eette· idé-e, don-
nerent a ce comité un tel pouvoir, qne le gi-
rondin Buzot le dénoI.l~a des la fin de janvier
eorome le tribunal de la plus affreuse tyrannie,


l Bailleu/ , tome II, page 173 : « Afin de prévellir les d~­
chirements, on imagina de créer un comité sous le nom de
déjense génél'ale, composé de vingt-cinq memhres, pris parmi les
chefs des deux partis. On s'y entendait encore un peu moins
que dans la Convention. Ce ne fut pas le moyen d'y maintenir
le calme que d'autoriser tous les membres de l'assemblée a
assister a..,ces séances, el m~me a y prendre la parole. Cel
établillSement ne dura que dix jours. "


12.




180 I-1ISTOIRE DU XVIU C S!i;:CLE.


qu' on av~i t oh tenu par artifice dans une séance
du soir l.


Le 21 lnars, époque ou ron était occupé a
faire sortir peu a peu tous les bourgeois bien
mis des assemblées de sectioD et a remplacer
tous les honlmes armés de fusils par les lan.,
cier~ de la garde nationale, on organisa aussi
la police des fanatisés de tout le royaume, sur
les citoyens tranquilles etceux qu'on redoutait.
On nomma d'abord a París, ensuite dans tou-
tes les communes, parmi ces hommes farou-
ches, un comité de surveillance 2, qui en-
voyait ses rapports au comité de salut public,
cornme on l'appela par la suite. Celui-ci, muní
de la' puissance d'ul) dictateur, décrétait en ...
suite l'exécution de" ce qui avait été proposé 3.


1 Buzot, le Girondin, dépeint ce comité, des le 27 janvier,
sous les. cou)eurs les plus noires (Jfoniteur, 1793, nO 29,
page 1 I 2). 11 dit, entre autres : .. Si vous etes persuadés que la
liberté individuelle soit la base de la liberté publique ~ vous
devez rapporter ce décret funeste par íequel vous avez ordonné
que le comité de sureté générale serait composé de douze
membres, décret qui a été rendu dans une malheureuse cir-
constan ce , dont, on a bien su profiter, et qui a été exéduté
dan s une séance du soir, Ol! il ne se trouvait presque per-
sonne .•


2 Ilfut établi a laproposition<lelean Debry, faite le 20 mars,
d'abord seulement comme moyen de sureté contre les étran-
gers.


3 Pour donner une idée de la maniere dont ces rapports
étaient faits, nous transcrirons un acte de cette espece : " Picces




LIVRE lV, CHAPITRE IV. 181


Aussitot qu'on fut instruit de la fuite de
Dumouriez ,on profita de la terreur que eette
nouvelle répandit, pour réformer l'organisa-
tion du cOlnité de salut publico On dim.inlla le
nombre des Inembres, on n'y adrnit plus de
partisans de la Gironde , et on donna aux élus
un pouvoir si étendu qu'il ne tenait qu'a eux
d'exercer la tyrannie la plus révoltante sur la
Convention et le royaQ.me. Le Ilom qu'on ac~
corda a eette nouvelle institution exprimait
déja une influenee illimitée, mais l'intérieur
fut organisé de maniere a inspirer a la Franee
entiere l'horreur et l'effroi, eomme on l'avait
prémédité. Une telle institutioll detnandait
un tribunal analogue ,mais, avant de le con.,
stituer, o.n fit des lois d'apres lesquelles on


almexées au rapport des Pingt - un, SUl' faccusation, etc"
nO 1 29, page. 94. Le comité de surveiUance de la commum;
de Pamiers au montagnard VaJier, r~présentant du peuple,
préiiident du comité de sllreté générale : "Nous faisons passer
au comité de sureté générale 1:) déposition a charge contre les
détenus de notre commune aux prisons de París et autres qui
méritent le m~me sort. S'il n'y a point ass,ez de preuves, nous
travaillerons a un supplément; les patriotes ne taisent point
la vérité. Tu trouveras, page 195, témoin soixante-si,xieme,
un. fait contre MOllsirbent, apothieaire t. a raison du rassem-
hIement a la Boulbenne; iI serait instant qu'Oll le flt ouir sur
ce fait, Nous avoQs eru devoir envoyel' la piece originale. Nous
espérons, citoyen représentant, que le peuple de Pamiers sera
bíE'ntot vengé des forfaits eommis par les monstres t et que la
patrie, délivrée de ee.s seélérats, sera totaJement purgée de
tous ses ennemis. »




J8:l HJSTOJRE DU XVIlle SJl:CL}:.


devait égorger lesvictim~s. On comprit dans
la condamnation des émigrés tous leuI's pa-
rents, et ceux qui leur étaient attachés. On
désigna anjuge comme émigrés tous ceux qui,
pourquelque motif et en quelque temps que
ce fut ,s' étaient soustraits au nouvel ordre de
choses., ,Póur donner une idée des moyens que
les. parti,sans des, Robespierre, des Danton,
alors, encore conjurés contre la Gironde, em-
ployaient .dans ces occasions , nous rapporte-
rons l'organisation de l'affreux tribunal,
l10rnmé d'abord extraordinaire, ensuite révo-
Zutionnaire. Le 9 mars, Prieur, Perrin, Rulh,
Lamarque, Bentabolle, Mailhe, effrayerent les
laches, nornmés dans ila Convention le marazs,
en leur citant nn grand nombre de sections
sous les arnles, a ce qu'ils prétendaient. Jean
Bon de Saint-André déclara en fin que la section
du Louvre demandait absolument un tribunal
criminel l. Carrier changea cette demande en


1 Le tartufe ex-pr~tre préfet de Mayence, qu~ me ~jt un jour,
a WiesLaden, qu'il n' avait pas répandu une gout,te de sang,
rapporte, dans le lIfolliteur, 1793 ,no 70, page 32I ; « David
et moi nous nous soromes relldus a la section du Louvre. Le
concours était considérableo o o o • o . lIs nous ont dit ; Tandis
que nous allons combattre les ennemis du dehors, nous de-


; mandons que la Convention punisse les traitres et anéantisse
les intrigans de dedanso C'est l'intrigue qui a étouffé et cor-
~orupu l'esprit publico Ces citoyens pensent aussi que les in:-




L 1 V R E IV, e H A P 11' R E IV. 1 83
une motion. Les Jacobjns ~pplaudirent haute-
ment; la majorité des llWlllbres' tremblant de-
vant le peuple garda le silence. Guadet se leva
envain; on ne luí accorda pas meme la pa~
role, et ilue put .obtenir que le principe fut
discuté. Lanjuinais I s'eff?fCa inu.tilemel1t de
restreindre le trjbunal a la seute vjlle de P.a-
rjs; OH n'admit aucune. tpodificati~n ~on n'ap·
prouva que la partie la pl~lS dure. de la loi 2.
Robespierre, dans un dis.c.Qurs pieio de fiel,
désigna .clairenlent les constitutíonnels et les
vrais républicains corome les hommes contre
qui ce tribunal devait procéder.


Les Jacobins s'arrogere~lt .. ledroit e-xclusif
de le former.,. et ~CharJi.er pn)p.~saq~. rem~Hre
la nomination des cinq juges et des douze


..


dividus que, la, Conventiq~ a portés au ministere sont peu dig~e$
de la confiance dont ¡ls on.t besoín pour bien remplir Jeurs
f~nctions. :~


,1 L:mjuhla~s, Monite,ur, p;tge 321 : .. Je propos~nám~n~
dtllUe.lt;' ce~l::rf!t, affr;eux par les circonstancesq~i naus en-
virouneut, affrellx parla violatiou de tOllS lespfinc,ipes des
dl'oits .. de l'llOmme, affreux par l'abominable irrégularité de
11:\ aUpPfes¡¡iQn d'app~l en matiere criminelle. Je demande que
ce· SQit au seul dépafte~ent de París que s'étende cette c~la­
mité. "
. - ~ Lovasseur: .. Je propose la rédaction suivante: La Conven-
üon déq'ete l'établissement d'uu tribunal crimine! extraordi.
naire ,sa~s appel et sans recours au tribuual de cassation, pour
le jl1gement de tous les tf¿litreset conspiratellrs .... Est adopté. JI


On trouve le plan des réglements du tribunal el ses puni-
tions dans le Moniteur, nO 71 , page 3~6.




184 HISTOIRE DU XVIUC SIi~CLK
j urés a une séance du soir ; mais elle n' eut pas
eette fois le résultat que ces foreenés s'en
étaient prOInis. Tant que persista le partí de la
Gironde, le nouveall tribunal sanguinaire ne
put éluder toutes les formes, d'autant plus
que depuisson organisation les Girondtns ve-
naient de ..reprendre plus d'influence. lIs par-
vinrent a déjouer le plan infame des Jacobins
et des Cordeliers, qui voulaientfaireassassiner
tous les hommes éclairés et modérés de la Con-
vention par les lanciers des sections. Le mi-
nistre de la guerre, Beurnon viUe, empeeha,
l'épée a la main, l'exéclltion de ce forfait;
Vergniaud dévoila plus tard, dans un discours
éloquellt, les artifices de ses adversaires 1 ; mais


:t JI oniteur , nO 75, page 336, Vergniaud dit, entre autres :
" La seetion des Quatre-Nations fait porter dans les· autres
sections une adresse· ainsi con<tue : lO (f!ls ne·s'arréteront pas a
vous peindre les menées odieuses des Roland, des Brissot, des
G'ensonné, des G'uadet, des Pétion, des Barbaroux, des
Louvet, etc. Aux yeux de tous les Fl'an~ai8 lihres, ces trai-
tres sont plus que démasqués, car ils ont la conviction intime
de toutes leurs trahisons, etc. Qui a pu· en arreter le- sucees?
1-0 La surveillance du conseil exécutif, qui, enveloppé dans


·la proscription, pressait de toute son influence la commune.
Beurnonville a erré une grande partie de la nuit dans les rues
a snivre de l'reil et de son sabre les manreuvres des eonjurés;
2 o la surveitlance de la- commune, qui a empéehé de fermer
les barrieres, de sonner le toes in , et que vous avezo justement
décrétée avoir bien mérité de la patrie; 30 l'assurance donnée
aux conjnrés, par quelques espions, que plusieurs des mem-
bres, dont ils désiraient le plus de hoire le sang, n'éta.Íent pas




LIVRE IV, CHAPITRE IV. 185
bientot les circonstances seconderent les Ja-
cobins et les partisans de Danton. Les maúx
toujours croissants de l'ana~chie consoliderent
leur systeme de la terreur, qui devait rame-
ner l'nnité et l'énergie. I ... a publication impru-
dente des décrets de l'assemblée nationale
enfanta une guerre sanglante él Saint·Domin-
gue, entre les blancs', les negres et les colons.
La France perdit une de ses possessions les
plus importantes', et avec elle, une grande
partie de son commerce. Les départements de
l'Ouest prirent les armes, lorsqu'on Ieur dis-
puta de force leur religion et leurs pretres :
alors éclata la guerre horrible de la Vendée
qui dura jusqu'au temps des consuls.


Apres la, trahison de Dumouriez, l'activité
seule des J acobins ,. et non l'insouciance des
Girondins, put défendre contre l'ennemi du
dehors un. État bouleversé au-dedans.


Les Jacornns ne laisserent pas échapper cette
occasion, dans la séance permanen te du 3
au Ioavril, lorsque'Dumouriez-mena({ait Paris,


présents a la séance de la nuit; 4° l'as8urance qui lenl' fut
donnée que le bata ilIon des fédérés de· Brest, SOl' le départ
duquel vous avez eu une discussion si chaleureuse , était sur
pied, prch a ~archer au secours deja Convention au premier
mouvement <pI'on ferait pour l'attaquer. »


Le dernier article ne nous parait pas digne d'attention.




186 HISTOIRE DU XVJII C Sd:CLE.
el la h~te de l'arlnée. lIs donn~rent au nouveau
tribunal la juridiction la plus étendue 1, mi-
rent le COluité de sureté en r~pport intime
avec le comité de salllt public, et, en le com-
posant de dix membre~,. coÍnme ce derniel' ,
ils le,r~vetirent d'un pouvoir apsólu. TOU5 les
de~xservirent des-IOl'~S d'in~trtiments aux Ja-
cobi~s et aux partisa.ns ,de Dan ton 2. Robes ..


I Moniteuf', ~o 98, page 437:'" IOLaConventionnationalerap-
porte l'article ..•••. ,de son décrel duo .•••. , qui o,rdon~ait ¡,
que le tribunal extraordinaire ne pourrait juger les crimes de
conspiration et délits' nationátix que sur 'le décretd' accusa-
tion porté par la Convention; 2 o l'accusateur public, pres du-
dit tribunal, est autorisé a faire arréter, poursnivre et juger
tous prévenus desdits crimes, sur l'accusationdes autorité$
constitpées ou des citoyens ••.


Nous' passo~s soussilence les deux autres ar~icIes.
2 Le comité·· d~ súret~ se' composa' . d"allOr:a aJ' Bárer~ •


Delmas , Bréart ~. Cambon, Jean Debiy, I)~nton " ~ac¡ioix,
Gniton - Morvaux, et de Treilhard. Jean Debr'y lit en-
suite place a Roberl Lindet. lIfoniteul', 1793, n° 99; p. 441:


" 10 Il sera formé, par appel .nominal, un comité de salut lit;!.-
bli.c , composé de .neuf membres de la Conv.ention nationale;
2 o ce comité délibérera en secret; il sera chargé de surveiller et
d'accélérer l'action de l'administration con6ée au conseil exé.
cutif pr~visoire ~ dont il pourra meme suspendre les ~rretés ,
lorsqu'il les croira contraires a l'intéret natipnal, a la chai'ge
d'en informer sans délai )~ Convention; 30 ~l est alltorisé a
prendre, dans les circonstanc~súrgent'es, des mesures de dé-
fense générale extérieure et illtérieure, et les arnhés, signés
de la majorité de se!/: menibres rlélibérants, qui_.ne pourront
etre au-'dessous de deux tiers, seront exécutés sans délai par
le cOllseil exécutif provisoíre; il ne pourra, en aUCun '~as ,
décerner des m¡mdats d'amener ou d'arrét, si ce n'est cOlltte
des agents d'exécution, a la charge d1en rendre compte sans
délai a la Conventioll. »




LIVRE IV, CHA.PITRE IV. 187
pierre aurait voulu ilupliquer Brissot et ses
amis dans l'affaire de Dumouriez; máis iI ne
put y parvenir, malgré les députations qu'il
fit admettre a la Convention, ponr les accuser.
Il sut cependant pousser jusqu'au dernier
point la tyrannie que les classes indigentés
exer«;aient sur les citoyens les plus disti~gués
et les plus riches.


On donna aux députations du faubourg
Saint-Antoine une marche et une tactique ré-
-gulieres; les prostituées de la caeitale, connlles
sous le nom de./édérées, s'einparerent: des tri-
bUlles de la Convention. On accorda aux dé-
putés de cette chambre une autorité illirnitée
dans les armées; on favorísa' ··UD assaut sur
les Tuileries contre les' girondins, :ét on .mit
une taxe sur le blé. n fant néanmoins conve-
nir,que la démagogie répandit dan s les basses
classes ce sentiment de fbrce et de résistance, .


. qui put seulconsolider dans la nation .entiere
une révolution émanée c!es hautes dasses, au
point de chang~r en dix ans le fond du carac-
tere national ~ e't de rendre la France entÍere
ennemie de l'ancien régime. On ne manqnait
pas non plus de troupes, car la COllvention avait
décrété que tous les célibataires et les veufs
seraient toujours en état de réquisition ponr ,




188 H ISTOIRE DU xv II l~ SI~:CLI~.
l'armée l. Pour peu que les Girondins eussent
partagé l'actiyité et l'énergie de leurs adver-
saires, ils auraient profité de la scission qui
éclata entre les amis de Robespierre ~ et les
partisans de Danton 3, maltres du local des
Cordeliers. Pour humilier leurs antagonistes,
les amis de Robespierre les appelerent Orléa-
nistes, ·et décréterent l'arrestation de fous les
Inembres de la famille de Bourbon et la dépor-
tation de rancien dnc d'Orléans, a Marseille.
Robespierre dominait dans le club des Jaco-
bins qui n'entraient jamais dans celui des
Cordeliers, tandis que ces derniers se voyaient
obligés de se réunir a eux. Celui qui faisait la
loi dans le club des Jacobins, devait naturel-
leroent l' enlporter sur Danton , quoique celui-
ci surpassat tous ses adversaires en esprit, en
force, en courage et en intrépidité. Robes-
pierre se servit en outre des journaux de Ma-
rato Le pouvoir principal de ce tyran dissimulé


J On nt, da~s toutes les grandes villes, des listes des riches;
ilsn'eurentd'autrealternative que de fournir l'argent nécessaire
a l'équipement de l'armée ou de monrir; il Y eut aussitot trois
cent mille hommes sur pied, onie armées; et Carnot, qui, dans
l'assemblée législative, avait dirigé la guerre, dressa les plans
et donna aux généraux leur direction.


:1 Couthon , Saint-Jllst, Collot d'Herbois, Barere, Devieu-
sac , Dubois-Crancé , etc.


3 Fabre d'Églantine, eamille - Desmoulins, Legendre et
autres.




LIV RE, 1 V, CHAPITR E IV. 189
reposait eependant sur la eommune et les
assernhlées de seetions. Le magistrat infame,
qui influen<;ait "alors la Convention , avait de-
lnandé plusieurs fois la mort des vingt-deux
députés que Robespierre par jalousie, et Ma-
rat par hassesse, halssaient, eomme les
bommes les mieux pensants et les plus élo-
quents de l'assemblée. eeHe demande fut
plusieurs fois réitérée par les femmes, sur-
llommées plus tard les furies de guillotine de
Robespierre, paree qu'elles assistaient a toules


I
lesexéeutions, etqu'elles injuriaiel1t meme les
vietimes.


Les Girondins sortirent enfin de leur léthar-
gie. Le, 18 rnai, Guadet dévoil~ le despotisme
de la eommune de París avee tant d'élo-
quenee que tous les membres de la Con ven-
tion se sentirent épollvantés, et que meme
les laehcs qui donnaient par erainte leur as-
sentiment a Robespierre demanderent la dis-
solution de la munieipalité. On aurait pu alors
publier un déeret de salut ponr la Gironde,
et de terreur ponr les démagogues 1, si Barere,


I iJ'[oniteur, nO 141, page 606 : "Je propose a la Conveo-
tioll les trois mesures suivantes :


10 Les autorités de Paris sont cassées ;
:10 La municipalité sera provisoirement, et dans les vingt-


quatre heures, l'emplacée par les présidents des sections.




190 H ISTOIRE DU X VIlle SI ~:CL}:.
par ses paroles hypocrites et artificieuses, qlli
le relldaient si utile a ces hornmes av id es de
sang, n'eÍlt fejnt de l'amitié pour la Gironde
et détourné le coup fiortel qni menac;ait la
tete des Jacobins. Pour opposer une digue a
la municipaIité et a la popuIace, pour défen-
dre les députés, iI conseilla de nom,mer une
eommission de douze membres que ron r-e-
vetirait d'une grande autorité l •. Des qu'eIle
fut organisée, eHe fixa ses regards sur deux
hommes infames, le, procureur de la cOlnmune
Chaumette, et son substitut Hébert; ce der-
nier, ainsi que Marat, était odieux a tont le
monde; mais Hébert ilevenait absolument né-
cessaire a tous ceux qui ne trouvaient ancun
moyen trop vil pour atteindre leur but.Per-
sonne n~ sut mieux que lui ameuter ¡es fau-
b~Hlrgs et l:llie du peuple, eomme le prouve
son Pere Duchesne, journal abhorré de tous
les partís, m·ais dévoré par la populace. n


30 Les suppléans de l'assemblé'e se réuniront a Bou;ges,
dans le plus court ,lélai, sans cependant qu'ils puissent entrer
en fonctioIl autrement que sur la nouvelle certaine de la dis-
solution de la Convention. D


I lJfoniteur, nO 141, page E 10 : « De créer une commission de
douze' membres , dans laquelle les ministres de l'intérieur et
des affaires étrangeres et le comité de sureté générale seront
entenuus, et OU ron prendra les mesures nécessaires ponr la
tranquillité publique. "




LIVRE IV, CIlAPITRF: IV. Igf


connut lnieux que Marat le lallgage et les
passions abjectes du rebut de la capitale, et
sut avec plus d'habileté suscit~r les troubles
populaires.


Le journal d'Hébert apprit a la Convention,
par deux sections de la vil1e, que les employés,
chargés de la police de Paris, osaient dire en
propres termes: «Que le salut de l'Étatdeman-
dait qu'on assassinat, le 23 mai, sept a huit
mille citoyens, et au moins vingt-deux députés
de la Convention, qui poursuivaient toujours
le reve d'une répub tique idéale I.)) Qudque
positive et affreuse que Hit cette déc1aration ,
les partisans de Danton et de Robespierre
travaillant de concert a la perte d'un troisieme
parti, empecherent qu'on n'y donnat quel-
que attention. La populace soldée aurait done
inf~lilliblement exécuté C~ que Hébert avait
annoocé et 00 áUl'ait vu se renouveler, le
23 mai, la scene meurtriere du 2 septembre, si
les vingt-dellx membres proscrits n'eussent pré-
féré ne pas se rendre a la Convention,jusqu'a


1 Les meilleurs. éclaircissements de l'histoire des"jours sui-
vants se trouvent dan s le MOlliteur, nO 184-190. Débats de la
Convention Ilatiollale da Jer au 8 germinal an Uf, a l'occasion
de l'accusation et de la défense de ceux qu'on appelait la queue
de Rohespierre, car les restes de la Gironde ct ses soixante·treize
amis venaient d'~tre re~us dans le sein de la Convention.




192 HISTOIRE DU XVJIle SIECL¡'~.
ce que la commission des douze, nommée a
l'instance de 'Guadet, put prendre des me-
sures de su reté ; elles consistaient a faire arre-
ter Héhert et a priver ainsi le has peuple de
son chef.


Ce proj et eut a peine transpiré que Chau-
mette, en meme telups député de la Conven-
tion, prit le parti de son substitut; que la
commune, dont il était l'organe 1, demanda
avec son impudence ordinaire la liberté de ce
misérable, ef que les Jacohins firent jouer
toutes leurs I'essources. Des sections détachées,
composées d'unc populace a laquelle on
communiquait tont ce qu'elle devait entre-
prendre, et enSn toute la commune, parurent
etredemanderentHébert. LaConvention mon-
tra enfin du caractere en renvoyant ces hom-
mes atroces e.t leur président. I.Je Girondin
Isnard, le meme qui avait créé le comité de
salut public, opposa aux demandes arrogan-
tes la fermeté et la dignité, quoique ~a ré-
ponse luí fút, ainsi qu'a son parti, tresipréjudi-
ciable 2. Il est vrai que les Marat, les Danton,


I Chaumette était dans la commune ce que RohespielTe
i-tait dans le comité de salut publico Tous les deux rivalisaient
a qui l'emporterait en atrocités, jusqu'a ce qu'il s'engageat
ootre eUK une lutte ou Chaumette succomba.


:1 La premiere répome d'Isnard Hnit ainsi : tl Si, par des




LIVIlE IV, CHAPIT.RE IV. 193
les Couthon, les Thureau ses collegues lui
dirent, en présence de la scandaleuse députa-
tion, les plus grandes inj\lreS l. La députation
ayant InanqU€ son hut, les femmes terribles
de la confrérie traverserent Paris, et assailli-
rent, avec leurs camarades, la prison, pour
délivrer de force I'exécrable Hébert. Toute la
capitale était en mouvement, ce qui n'empe ...
eha pas le ministr.e de l'intérieur ,au lien de
proposer des mesuresgénérales , de déclarer,
n1algré l'évidence, que le calme était rétabli.
La Gironde, s'apercevant ql\e ses adversaires
se proposaient de porter la Convelltion pusil-
lanime a un décret precipité, voulut lever la
séance ; 11lais ses ennemis surent la prolonger
jusqu'á minuit; on nomma pl'ésident Hérault
insurrections toujours renaissantes, il arrivait qu'on portat
atteinte a la représentation nationaJe, je vous déclare, au nom
de la France entiere, que Pari~ serait anéanti; Gui,.ltt France
entiere tirerait une vengeance éclatante de cet attentat, et
bientot 011 chercherait sur la rivede la Seine si Paris a existé. »
Sa seconde réponse se termine par ces mots : « La Convention
est occupée a discuter la constitution, elle s'occupera de votl'e
pétition dans un autre momento " .


1 L' un s' écrie : u Vous etes un tyran, un infame tyran. lO Un
(.wtl'e dit : « Vous ne parlez pas de constitution, lorsque vous '
admettez a la barre des aristocrates qui viennent déclamer
contre les patriotes. JI Un tr;o¡sÍl~me : .« Nous ue voulons plus de
votre commission des douze, de votre comité autrichien.» Dan-
ton en fin termine: IX Je vous déclare que tant d'impudence
commence a nons pesel' ; nous vous résisterons. lO


H. 11.
')


L)




194 HISTOIRE DU XVlIl C Sd~CLE.
de Séchelles, homme du meme caractere que
Barere, mais doué de plus de courage, rené-
gat de I'ancien syst~me, et, comme celui-ci ,
sans confiance dan s le nouveau régime.


Héraúlt 6t entrer cinq a six cents hommes
armés dans la salle que les amis de l' ordre
quitterent insensiblement; il souffrit que la
populace se melat parmi les députés et qu'elle
donnat sa voix, comme si elle constituait la
Convention. Leprésidentproclalua les décrets
ainsi donnés, comme actes de la chambre. La
commission des douze fut dissoute et Hébert
mis en liberté. Aussitot qu'on apprit cette
violence envers la Gironde, cet attentat a la
nation et a ses députés, une section de Paris ,
la butte des Moulins, -enslllite la ville de Bor-
deaux proposerent de soutenir la juste cause
les armes a la maill. L'une voulut se' charger
de défendre les amis de l'ordre contre les fau-
teurs de l'anarchie, fautre s'engagea a en-
voyer une puissance départementale pour gar-
del' et pour maintenir ses députés. La Gironde
refusa l'un et l'autre , se montra, au mo-
ment décisif , faible et chance-Iante comme
Louis X VI, et bientot éprouva le meme
sort.


Elle cassa, le 28, le décret que Hérault




LIVRE IV, CHAPITRE IV. 195
avait fait donner par le rebut du peuple 1 ;
mais Fonfrede, un de ses merobres, appuya
la mise en libt:1rté d'Hébert; un' autre, Rabaut-
Saint-Étienne, sortit, par crainte, spontané-
ment de la commission des douze. Les Jaco-
bins agirent tout autrement; sans cesse actifs,
ils organiserent une révolte permanente a
París, qui dura jusqu'a ce que, le 29 mai a
dix heures du soir, ils donnassent le grand si ...
gnal' par le bruit du tocsin. La populace se
réunit bientot, et on forma dans la nuit, ainsi
qúe les deux jours suivants, une assernblée
souveraine du peuple, connue sous le noro
de l'assemblée de l'archevéclzé, dont les dé-
crets devaient et~e exécutés par les comités
révolutionnaires de toutes les sections.


La rnunicipalité dll 10 aout, réformée au
mois de décembre par les Giroudins, fut dis-
soute le 31 mai; avec elle disparurellt tontes
les charges inférieures et tous les bureaux
cOllstitués par la Gironde. On conserva, íl est
vrai, la rnunicipalité, rnais on lui fit preter
un nouveauserment., et on confia le comrnan-
<lernent général de tonte la force année de


x Ce fut encore Lanjuinais qui s'éleva ave e éloquence contre
le pouvoir révolutionnaire, contre les arrestations et le regne
3rbitraire des démagogues de París.


13.




196 HISTOIRE DU XVllle S(]~CLE.
Paris a un anden douanier, espion de police ,
flétri encore commecontrebandier, nororoé
Henriot. On prit ces dispositions sans consul-
ter la Convention. Le conlmandement général
était d'autant plus important que, depuis
Lafayette, jaroais un seul individu n'en avait
été revetu, et qu'il devenait dangereux ponr
tont homme bien mis de se mon trer dans les
rangs.de la garde nationale. Des-lors les reve-
nus de l'Étatservirent a solder le criroe, puis-
qu' on promit a tout vagabond, a tout indigent
quarante sous par jonr, s'il voulait servir,
c'est-a-dire faire tont ce qu'on lui demandait.
On organisa ainsi une armée salariée de ter-
roristes, -qu' on entretint pendant long-temps
aux dépens de l'État.


Tandisqu' on décrétait ces hOl'reurs dans
l'assemblée de l'archeveché, et qu'on faisait
faire la liste ·de proscription, la Convention
était toujours assiégée, et ne pOllvait pas meme
deviner ou l'on en voulait venir r. Ni Robes-
pierre, ni ses partisans ne savaient alors queI
but on se proposait, paree. qu'ils laissaient
l\1arat, Chaumette et le rehut de l'humanité


J Plusieurs personnes soutiennent que Chaumette et son ad-
ministration municipale nourrissaient des-lors l'idée de détruire
toute la Convention.




LIVRJ~ IV, CHAPITRE IV. 197
rnaltres <le la comluune de Paris, dans l'inten-
tíon seule de perdre la Gironde. Le 31 mai, les
chefs d'émeute, accompagnés de Ieurs hordes,
parurenta laConvention et menacerentdemort
tons ceux qui nc reconnaltraient pas aussitót
les quatre déc~ets qu'ils lui présentaient l. Ver-
gniaud,ordinairemcntfaible etirrésolu, montra
alors une ¡ronie intempestive que Bertrand de
Molleville interprete faussement comme la-
cheté. Il voulut qn'on décrétat que les sans-
culottes avaient rendu d'éclatants services a la
patrie, et qu'on envoyat ce ~écret dans les dé-
partements.


Le comité de salut public ne se présenta
pas directemen L COlume allié de la populace;
pour sauver l'apparence et faire croire que
c'était la Convention et non le peuple qui don.
nait des Iois dans le royaume, iI affecta de


J Dans les propositions on avait su allier ,d'une maniere
adroite, l'intérét sordide de la plus vile populace a l'intérét
de Robespierre et de Danton. On demanda:


l° Qu'il ftit organisé une al'mée révolutionnaire, composée
d'indigents, qui restat a Paris, et dont chaque individu ellt
quarante sons par jour, que les riches paieraient.


2° Qu'on publiat un décret d'accusation contre la commis,:,
sion des douze et contre vingt-un autres députés.


3° Qu'on arrétat les ministres Lebrun et C!aviere.
4° Qu'on renvoyat de l'armée tous les officiers nobles.
5 ° Que le prix. du pain a ~.iiis et dans les départements fU t .


.fixé a tr.ojs souS. ,.




Ig8 HISTOIRE DU XVlIle Sl.ECLE.
proposer de son propre chef, au milieu des
troubles et des clameurs, quelques-unes des
lois que Henriot et son parti demandaient. Ce
fut encore Barere qui, ici comme partout
ailleurs, se chargea par bassesse d'un role
avilissant, celui d'appuyer ce projet par son
talent oratoire. Le décret que Barere proposa
couronnait l'reuvre; car, apres avoir dissous
la commission des douze, l'armée des sans-
culottes se trouvait payée par l'État, mais on
réclamait la mort des députés odieux. L'élo-
quence des Vergniaud et des Lanjuinais était
rlangereuse ; l'insurrection continua toujours.


11. Le 31 Mai n'ayallt pas eu les résultats que
fY' étaient promis et les implacables adversaires
de toute civilisation, et les amis de l'ancien
régime, qui exécutaient et fomentaient les
exces des Jacobins, Henriot reprit, le )er juin,
le cours de ses entreprises. La Convention
résista aussi tout ce jour avec fermeté. Le 2 ,
un dernier assaut décisif devait avoir lieu
eontre elle .. et, dans la nuit du ¡er au 2 juin,
on commen<;a a sonner le tocsin, a trois heures
du nlatin. Le comité de sureté demanda a
Henriot compte de ses actions, lnais celui-ci
savait de qui ii était l'instrument, et dans
quelle intention les membres énergiques de la




LI VUE 1 V, CHAPITR E IV. '99
Convention agissaient; il répondit done que le
peuple souverain s'était levé de llli-meme et
qu'íl ne s'apaiserait pas avant que les traltJ'es
ne fussent arretés l.


Toute l'entreprise était d'ailleurs eoncertée
avec les députés du parti contrair,e aux Gi-
rondins; ceux-ci súrent mener si bien les af ...
faires, que la séance de la Convention,ouverte
le I er a neuf heur~s du soir, etait levée a mi-
nnit. Lorsqu'on s'y rendit de nouveau, le len-
delnain matin , on trouva les portes de la salle
oecupées, et, au eommeneement des débats,


I Fonfrede rapporte bien ce fait; il l'éfute le l'écit menson-
gel' du misél'able Roux qui traite les députés de conspirateurs.
Fonfrede ne fut pas du nombre des vingt-deux proscrits, mais
de leurs soixante-treize amis qu' on arreta a cause de leurs
protestations. Il écrivit a aordeaux une leure quEi le comité
révolutionnaire intercepta: " Ce mouvement rapide, dit ~ il ,
que la Convention anit imprim~ depuis deux jours a ses tra-
vaux, son examen des registres d'une commune qui avait déja
vingt fois usurpé la puissance souveraine, présageait qu'il y
aurait un combat a outrance entre la nation et eette commune.
Le combat eut lieu. et ce fut la Convention qui succomba.
Hébert, dans une feuille du pe,'e Duclleslle , signée de lui,
osa, a ceHe époque, invite!' -le peup]e a égorger trois cents
de ses représentants. Le comité des douze le fit arreter; alors.
la commune arma tous les assassins qui lui étaient dévoués; ,
les trihunes furent remplies de ces satellites qui accablerent
les bons dépl1tés de mena ces et d' outrages. Guadet demande
justice, et Legendre le prend f: la gorge; le comité des douze
veut répondre , et 00 lui refuse la parole. Il n'y cut jamais de
Conyention ni dans la séallce du 31 mui, ni dans ceHe du,
:1 juin. Tout est perdu si on ne prend des mesures, ll}ais s.i
nous périssons , du moins soyez libres. ,.




:lOO: HISTOJRE DU XVlIle Sd~CLE.
OIl se vit au pouvoir de Henriot., Lanjuinais
s'éleva inutilement avec force contre les dé-
luagogues; il ne put obtenir de l'assemblée
qu' elle prit des mesures séveres contre la com~
mune, ~ontre Henriot et ses désordres. Les
conspirateul's hypocrites ehercherent alors,
d'une maniere infalne, a déeider les proscrits
a un dévouement généreux 1, et toute la Con-
vention quiua en vain solennellement la salle
ou on la tenait enferrnée. Les Girondins ref'u-
serent ave e lnépris ce qu'on Ieur demandait;
Iaderniere scene surtout outragea tous les
Fran~ais, paree que le eorps législatif et le
gouvernement d'une grande nation yavaient
été insulté s par la populace et ses chefs atroces.
Il ne fut permis a la Convention de se séparer


t Barere le pl'oposa au nom du comité de salut puhlic. Isnard
et Fouché l'approuverent, par~e que, disaient-ils, quand on
met dans la balance un homme et la patrie, c'est a la patrie que
l'homme pur doit se dévouer.


Barbaroux déclare que, comme interprete de la volonté du
peuple , il n'avait point de droits sur lui-meme.


Lanjuinais dit: o: N'attendez dC,moi llidémission, ui suspen-
sion (on murmure). J'ai vu des victimes ornées de fleurs qu' on
conduisait a l'autel ; le pretre les immolait, mais il ne les in-
sultait pas.» Alors Marat, qui était avee Legendre et Robes-
pierre a la tete des sections et dénonciateul' des vingt-deux ,
s'écrie: « Je désapprouve la mesure proposée par le comité,
paree q,u'il donne a des conspirateurs les honneurs du dévoue-
ment; il faut etre pur pour offrir des sacrifices a la patrie,
(~est a moi, martyr de la liberté, et j' offre ma suspension ...




LIVRE IV, CHAPITRE 1 V. 201


que lorsqu' elle eut agréé les demandes de la
lie du peuple, et qu'elle eut décrété une prison
domestique contre vingt-deux de ses membres,
et contre les ministres Lebrun et Claviere l.
Couthon, qui fut par la suite un des trilUU-
virs, avait proposé ce décret; la Convention ne
put se retirer qu'a dix heures du ~oir, lors-
qu'il eut été adopté.


Quelques-uns des hommes persécutés, aux-
quels on joignit les douze inspecteurs de la
salle, chercherent du secours et un refuge
dans leurs départements; d'autres trouverent,
parmi les. constitutionnels, une assistance qui
fournit a leurs ennemis le prétexte de les dé-
clarer hors la toi 2# Dans le département de


1 On demandait d'abord ~ingt-cinq victimes, mais Marat fit
excepter Lanthenas', qu'il appelait bon-homme, et sauva Dus-
sault; on excepta ensuite Saint-Martin, Ducos , Fonfrcde. Les
autres étaient: Gensonné, Vergniaud, Brissot, Guadet, Gor-
sas, Pétion, Salles, Chamhon, Barharoux, Buzot, Biroteau,
RaLaud, Lasource, Lanjuinais, Grangeneuve, Lesage, Louvet,
Vallazé, Valady, Fonfrede, Doulcet de Pontécoulant. Les
douze inspecteurs de la salle étaient Kervélégau, Gardien, Lo"
monte, Boileau, Rabaut, Saínt - Étienne, Bertraud, Vigée,
Mollevaut, HenrÍ-Lariviere, Bergoíng, Dussault.


2 Des le 28 ,juillet, ceux des hommes poursuivis qui avaíent
pris la fuite, furent déclarés hors la loi ; on n'intenta le proces
aux autres qu'au mois d'oct()bre; la liste en avait été augmen-
tée de Carra, de Fauchet, de Sillery, de d'Orléans. On trouve
le proces ou ces républicains se lIlontrent tres-faibles, dans le
1I1oniteul', an II, nO 36, du 3 brumaire, supplément.


Un député du parti contraire comparait devallt le tribu--




202 HISTOIRE DU XV lIJe SIJ.;CL.E.


l'Eure, on se leva en leur faveur, et les consti-
tutionnels, cornrnandés par Wimpfen , mar-
cherent sur Paris. On les dispersa sans peine,
car person,!ed'entre euxne savaitpositivement
pour quelle cause il combattait. Lorsque
Charlotte Corday, animée par Barbaroux, et
exaltée p~r le fanatisme politique, eut assas-
siné Marat qui aurait mérité une toute autre
mort, les Danton, les Fouché, les Barere
surent en tirer un tres-grand partí. L"approche
des armées ennemies leur servit meme a ren-
dre suspect tout homme riche ou considéré , a
exciter ou a bouleverser toute la nation.


On organisa partout des sociétés nationales,
ou le plus hardi prit la parole, ainsi que. des
comités révolutionnaires qui, réunis au club
des Jacobins, firent bientot la loi a la Con-
vention. La municipalité de Paris, l'organe
de Robespierre, se constitua premiere magis-
tratnre de l'État. Elle avait pris, le 4 juillet,
le titre imposant de Conseil d'État révolution-
naire. Ori avait formé de ses membres un
comité chargé de tyranniser la Convention. Il
était done tont naturel que soixante-treize
amis des Girondins proscrits, attachés a leurs


nal sanguinaire eomme témoCn prétendu , mais a proprernent
parler , eorome accusateur.




LIVRE 1 V, eH API TRE IV. 203


prillcipes, déposassent secretement une pro-
testation contre tous les décrets futurs de la
Convention, puisqu'elle n'était plus libre.On
ne peut guere nier qu'un tel acte ne soit un
crime d'État. C'est ainsi que les Jacobins le ju-
gerent des qu'ils en furent informés; ils sai-
sirent cette occasion pour se débarrasser de
ces colIegues irnportuns et en firent arre ter
soixante-onze l.


La commune de Paris, ou plutot les hom-
mes qui connaissaient et qui dirigeaient les
ressorts des émeutes populaires, devinrent
a]ors tont puissants, et le club des Jacobins
adressa des décrets tout faits a ]a Convention
qui n'eut qu'a les approuver 2 • Le comité révo-
lutionnaire de la cornmune s' était chargé de
toutes les affaires secretes 3, surtout de l' es-


I Cela eut lieu le 3 octobre 1793; deux des soixante-treize
avaient péri; on voulait tous les voir mourÍr, lorsque Robes-
pi erre les sauva. On trouve la protestation des soixante-
onze dans le Moniteur, an IlI, 12 brumaire (2 novembre 1794),
nO 42, page 183. On y lit la note suivante : • Les trente-deux
proscrits, mis en arestation, partagent sans doute les m~me9
sentiments, mais aucun J'eux n'a souscrit la présente décla~
ration. "


2 Le Moniteul' rapporte, dans l'intér~t de l'histoire , les actes
de la comrnune de París et les débats des Jacohins a coté des
débats de la Convention.


3 Bailleul: • Au líeu de lois, ils prononcerent des arrets qui
déciderent qn'une partie de la population était patriote, et




204 HISTOIRE DU XVIIIC Sd~CLE.
pionnage des gens suspects ; il arretait '. pour-
suivait devant le tribunal, faisait les per-
quisitions et prenait des mesures inouies
jusqu'alors pour découvrir des opinions et des
discours imprudents.


De meme que la Convention renvoyait les
cauf,e,f, au comité de f,a\ut pUb\lc, de meme
la municipalité les adressait au comité révo-
lutionnaire, qui donna incollsidérément un
ordre par lequel la dignité de la nation fut
encore outragée dans ses représenta.nts. D'a-
pres ce décret, on arreta tout député qui
voulait s'éloigner de Paris. Ponr con soler la
nation de l'exclusion des soixante-treize et des
persé~utions qu'on faisait endurer a quarante-
quatre~e ses représentants, on accusa la Gi-
l'autre contre-révolutionnaire; la premiere fut chargée de' re-
couuaItre et de poursuivre la secollde; cette mesure n'attei-
gllait pas seulemellt les cOlltre-révolutiollnaires; elle mettait
tous les hommes paisibles a la disposition de tous les in-
trigans. La mesure de la sureté de chactlIl était dans les opi-
nions, les dispositions d'esprít ou les caJculs de son voisin. »


Tous les membres des comités odministratifs nous appren-
nent le mieux jusqu'a quel point cela alla. Réponsedes membres
des deux anciens comités de salut public el de súreté générale aux
imputations l'enollvelées contre eux par Laurent Lecointl'e . •... , a
París, I'an III de la république, page 86:« C'est au comité
qu'il faut imputerl'les pl'évarications qui peuvent avoir été
cOffimises p!lr vingt mille comités révolutionnaires qui étaient en
activité, c' est-a-dire par deux cellt cinquantc mille jOflctionnaires
publics! ..




J.IVRE IV, CHA.PITRE IV. 205 •


, ronde d)avoir empeché l'établissement d'une
constitution. On présenta ensuite, au bout de
quinze jours, le projet d'une constitution dé-
mocratique tout-a-fait singuliere l. La nation
l'accepta; et on la proclalna avec beaucoup
de pomp'e, le 10 aoút. On luí preta serm·ent,
mais elle ne fut pas mise a exécution; car elle
dépendait, ainsi que le choix des employés
publics, de la cOllvoeation des assemblées pri-
maires, qll' on ne eonvoqua jamais. On déclara


. positivement, et par llne loi formelle, le 28 ,
qu'on ne voulait pas de eonstitution en Franee,
pendant quelque temps, qu'elle resterait,
comme la loi s'exprime, ajournée et voilée. La
Franee, disait-op, restera dans l'etat de révo-
lution et soumise a pn gouvernement révolu-
tionnaire; jusqn'a ee,que toutes les puissanees
l'aient reeonnue eornme république indépen-
dante. Le farouche Saint-Just, qui voulait tont
rapporter a des principes phílosophiques,


IN ous allons-relever an hasard quelques articles de cette con-
stitution." Le corps législatifne constitue qn'une chambre, ré-
élue chaque année par les assemblées primaires : la commune
fait bien les lois, mais iI faut que les communes les acceptent.
Le pouvoir exécutif doit étre confié a un collége, dont les
membres représentent les départements; le corps législatif
choisit les membres, et la moitié est renouvelée tous les ans.
Il n'y a ni tribunaux ni procédures ; des juges-de-paix et des
arbitres décident de toutes les affaires. »




206 HISTOIRE DU XVIlle SLECLE.


donna ensuite un certain ordre a cette anar-
chie ':


Tant que le club des Cordeliers, présidé
par Danton, resta en harmonie parfaite avec
celui des Jacobins, et qu'ils reconnurent Ro-
besp~erre corome chef, rien de plus formida-
ble et, de plus analogue au temps ne pouvait
etre inventé que ce nouveau gouvernement,
pour mettre Ulle tout autre nation a la place
de l'ancienne. Mais pendant que ron arretait
partout l'instrnction, et qu'on ponrsuivait lés
hommes instruits, aussi bien que les riches,
on concentra, ponr ainsi dire, tout le gonver-
nement en deux comités, et tous les membres
de la Convention ne furent plus que de simples
instruments; on employa tous les hommes
qui, a la haine de l'ancien régime ou a un
amour ardent de la liberté, réunissaient la
perversité, la lacheté, l'amhition , ou la vanité.
Carnot, dans l'administration de la guerre;
Danton, partout ou iI s'agissait d'exterminer
des ancienspréjugés ou principes; Barere avec


x SaÍnt-J ust proposa, le 10 octobl'e ¡ 793 , le décret sur le
mode de gouvernement provÍsoire et révolutionnaire.


Moniteul', a11 11, nO 23, page 93 : le premier article est:
" Le gouvernement provisoire. de la France sera révolution- \
naire jusqu'a la paix.« Son organisation formelle ne fut termi.
llée que le 4 décembre 1793.




LIVRE IV, CHAPITRE IV. 207


sa rhétorique et ses phrases, eomme rappor-
tcur et organe du comité de salut public ;
Fouquier-Tainville, cOlnme aeeusateur public
da.~s un tribunal 1 tel quel'histoire ne nous
en a jamais présenté un semblable; et le mar-
quis d' Antonelle, comme président des jurés de
ce tribunal; tous étaient sortis des classes
élevées de l'ancien régime ! Ces derniers, aux-
que]s on en peut encore assimiler un grand
nombre d'autres, comme Fouché 2, soule-
verent la populace et les hommes cOl'roro-
pus de toute espece , impuissants et igno-
ran ts sans eux, con tre les riches , les nobles et
les gens éclaÍrés, pour réaliser la définition
que Mirabeau et Sieyes avaient dpnnée d'une
révolution. Il se forma alors une nouvelle gé-
nération; ce sont les Fraw;ais d'aujoud'hui ,
qui ne ressemblent nullement a ceux de la fin
du dix-huitielne siecle 3.


[ Les noms des juges et jurés des quatre sections du tribu-
nal criminel extraordinaire, séallt a París, se troDvent dans le
JIIlolliteur du 28 septell1bre 1793, page 1 157.


2 De ce nombre est l'affreux comte et marquis de Marihond.
Montaut , astre brillant dans la queuedc Rohespierre, qui, ac-
cusateur de sa swur et de sa propre mere j. les fit arréter, et
concluisit toute la COllvention a la guillotine, l'anniversaire de
l'exécution de Louis XVI. Parmi eux figurent encore ChOD-
dieu, Hérault-Séchelles, Souhrany, Peissard, etc.


3 Les principes en étaient a peu pres les suivants : Dix
hOll1mes, nOll1més par la Convention au nom dD peuple, dé-




:~o8 lUSTOlRE BU XV lIle SJ-ECLl~.
Cependant a Orléans et en Bretagne , OH S~


portait a toutes les horreurs, depuis que Léo-
nard Bourdon avait été blessé dans cette ville,
et que les Chouans s'étaient montrés chez les
Bretons. L'intéret qu'on prit a la Gironde, fit
naitre, a Lyon, une guerre civile entre les
riches et les pauvres. Dans la Vendée et dans
le département de la Loire-Inférieure, Car-
rier se livra a nlille atrocités. A Paris, l'assas-
sinat que décrétait le tribunal, obtint une
-forme légale l. Il y' avait des clubs dans tous
les quartiers; vingt milIe cOlnités révolution-
naires étaient organisés dans le royaume , et
Yenvie que les basses classes portaient aux
'classes supérieures fut fomentée partout avec


cident, sans restriction , de la vie, de la liberté et de la pro~
priété. Il Jeur est suhordonné un tribunal, sans formes, sans
procédures, sans défense de l'accusé et sans appe!. Des que les
dix ont parlé, tous partent pour l'armée, tous payent a l'État
ou a..l'armée les rétributions demandées; le refus est suivi de
la mort.


Aycc l'apparition des plénipotentiaires de la Convention,
toute autorité locale, toute loi cesse; l'ordre du commissaire
devient loi • et tous sont obligés de s'y conformer. Tout délit
est puni de mort; celui qu'onne peut exécuter par la loi, Tous
les ennemis du peuple méritent la mort, périt d'apres une autre
loi qui ordonne que tous les .suspects subissent la morf.


1 Il ya, dans la proposition des suspects du t 7 septembre,
les classes suivantes : l1obles, faljatiques , incl'édules, aventllriers,
étrangers, opulents, paUl'res, citadins, habitants des campagnes,
politiques, marchallds, banquiers I éloquents, indifférents, écri·
..,ains politiques, lcttré.\".




L 1 V R E 1 V , e Ii A P 1 T R E 1 V • 2°9
une ruse infernale l. Le gouvernement ne sem-
blait pas présenter de point central, ce qui
dura tant que l'insolent Danton partagea l'au-
torité; mais, des que Robespien'e régna seul,
iI développa clans le comité de salut public
une force révolutionnaire a laquelle tout céda,
paree que lui et Saint-Just ne respectaient et
ne redoutaient rien.


On ne recula ni devant la violence, ni de-
vant le meurtre.Cent députés de la Con-
vention ,envoyés en nlission, p'0rterent les
troubles de Paris dans toute la France, extir-
perent rancien régime, et inculquerentaux ar-
mées et au pe1,lple l'esprit des faubourgs de la
capitale; mais l' envieux Robespier.re était l'UIne
de toutes les entreprises 2. 00 estsurpris de


1 Réponse des membres de l' ancien comité de salut public dénon-
cés etc., page 91 : ti Mais le reproche qu'on leur faít est d"au-
tant plus injuste, que la rédaction de l'arreté des 4 et 6 ther-
midor ne permet pas de douter que ce n'était qn'une préeaution
prise, au moment de la erise qui allait éclater, pour entrer t!It
fulte avec les dictateurs sans qu'ils eussent sur nous d'Qlltres apall-
tages que l' excessive injluence que leul" dOllnait leul popula·rité. »


2 Bailleul, vol. Il, pages 2 20-~ 1 : «Robespierre, plein de
l'idée de sesperfeetions et de la hautimr de ses coneeptions ,
ne devait ressembler en rien aux autres révolutionnaires; ceux-
ci sentaient qu'ils faisaieut t~te a un orage, mais que la fievre
qui les agitait devait cesser avec sa cause; lui était calme et se
trouvait dans son élément; il voyait déja la vertu dans le
peuple; et tout ce qu'on abattait a droite, agauche, ne faisait
que conduire les eh oses a l'établissement de sa rvertu. Le sen~


1I. IJ. 14




~lO HlSTOIRF. DU XVIIlCl SIf:CLE.
·voir que cethomme, qui domina sur la France
e~ tyran, ne fut doué que d'un espr.it et d'une
capacité ordinaires; mais, si l' on ne peut lui ac-
cordel' ungFand talent, on ne peut non plus
lui trouver de grands vices. Il eut, sans doilte,
quelqu.e chose du caractere de Marat, mais
jamais on ne pourra lui reprocher tant de
eruauté. Désintéressé, dans un temps ou, par
le pillage et le meurtre, 011 rassemblait I des
biens pour les eomtes et les barons de l'em-
pire de Bonaparte, il était dévoré d'ambition,
et rien ne pouvait l'arreter dan s l'exécu~ion
de ses :projets. L'envie, eeHe furie qui le tour-


timent qui le dirigeait était done d'une nature bien autrement
fnneste que n'eut été l'hypocrisie; il se regardait comme un
étre privilégié , mis au monde pour étre le régenérateur, l'in-
stituteur des nations: de la cette séeurité, eette tenue dé-
eente,et ee quelque chose de -rnystérieux, que lui reeonnait
maaame de Stael. En regardant eomme ennemis de la révo-
lution non seulement les ennemis des príncipes consaerés, mais
les ennemis de la vertu, eorome il l'entendait, il donnait a
l'aetion révolutionnaire une .etendue indéunie , qui frappait
indistinetement sur toutes les classes de la soeiété; de la eette ter-
reur qu'il avait eréée dans la terreur ... Ce quiy ajoutait encore
était l'ardeur avee laquelle il poursuivait ce qu'il appelait les
ennemis du peuple, les bypoerites, les fri.pons, etc ...... Et
comme. tout ee monde-la attaquait la vertu, ils attaquaient
done le príncipe du gouvernement : e'étaient done des con-
spirateurs : par ce biais il se trouvait que. les trois quarts des
Fran'iais étnient en état de eonspiration .•


I Pendant la terreur le meurtre était a l'ordre du jour ,tan~
dis que sous le direetoire on _ se livrait au vol et a la rapine.




LIVIU~ IV, CHAPITRE IV. 211


mentait Sal1S cesse, ne lui laissa pas un instant
de repos jusqu'a ce qu'il eut renversé Danton
et son parti, ponr faire seulla loi. Danton ,
¡ndolent et entieremellt adonné a ses plaisirs,
sentant sa supériorité, le méprisa trop pour
organiser contre lui un systerne de résistance,
et iI tomba; ponr le honheur des Fran<;ais,
son sang justement répandll 6t entrevoir la
perte de Robespierre qui, sans cela, aurait
encore pu régller long-temps.


On ne saurait nier que le gouvern.enlellt
sanguinaire effectua de grandes choses dans
l'intérie!1r et contre I'ennemi du dehors; un
siecle ou le talent parvenait facilement aux
hOllueurs, ou tout était enthousiasme, ou la
carriere militaire paraissai t moins dangereuse
qlle la carriere politique, oú 1'0n voulait ra-
Inener le genre humain a l'état primitif de la
nature, devait naturellement etre plus riche
que tout autre en grandes actions; cependant
les vices et les crünes étaient hien plus com-
muns que les vertns. Nous parlerons dans un
autre endroit de la marche de la guerre; nous
remarquerons seulement ici que Toulon, ar-
raché de nouveau aux Anglais, fut saccagé
d'une maniere affreuse; que Maignet extermi-'
llait les hornmes en masse dans les départe-


11·




212 HlSTOIRE DU XVIll e SIECLE


ments des Bouches-dll-Rhone etde Vaucluse r;
que, pour rédllire Marseille sous le joug du
parti dominant, on seporta anxinemes cruautés
qu'on avait exercées a Lyon. La garnison de
Mayence, qui s'était retirée conformément a
une capitulation avec les Prussiens, fut em-
ployée avec succes depuis le nlois de juin dans
la Vendée ; et, lorsque la cruauté et la barbarie
du go{¡vernement étaient portées au plus haut
degré, les armées de la République rempor-
taient partout d'éclatantes victoires.


Rousseau, dont les écrits ne respiraient
que l'amour et le sentiment, devint alors la
cause de bien des crimes. Saint-Just et Robes-
pierre voulaient ramener de force la religion
et la civilisation a l' étatprimitif que ce phi-


I Maignet écrit a Couthon (Rap. des vingt - lln, pieces nO 41) .
• S'ilfallait exécuter,dans ces contrées, votredécretqui ordonne
la translation a Paris de tous les conspirateurs , il faudrait une
armée pour les conduire; des vivres sur ]a route en forme d'é-
tapes; car il faut vous di re que, dans ces deux départements, je
porte de douze a quinze mille hommes ceux qui out été arretés.


Il faudra faire une revue et prendre tous ceux qui uoivent
payer de leur tete leurs crimes, et comme ce choix ne peut se
faire que par jugement, iI faudrait tout amener a Paris. Tu
vois l' impossibilité, les dangers, les dépenses d'un tel voyage,
d'ailleurs il faut épouvanter, et lecoup n'est vraiment effrayant
qu'autant qu'il est porté sous les yeux de ceux qui ont vécu
avec les coupables ...


Le tribunal fut organisé, et on exécuta, dans la petite ville
d'Orange seule, trois cent quatre-vingts victimes, comme le dit
le bourreau dans son interrogatoire apl'es le 9 thermidor.




I.IVRE IV, CHAPIT,RE IV. 213


losophe avait imaginé dans ses reveries. La
science devait disparaitre avec la religion, le
luxe avec les richesses. Le monde trop eivilisé· .
étant une fois anéanti, un monde sans civi-
lisation devait renaitre sur ses ruines. C'était
la certainement l'opinion de Robespierre et
de Saint-Just; et le brigand Couthon, le der-
njer de ce beau triumvirat, s'appelait, en fai-
sant allusion a eette théorie, Aristide-Couthon.
L~s partisans de Dallton, ainsi que leur chef,
connaissaient trop bien le monde pour s'aban-
donner a des chimeres; iIs se moquaien t au con-
traire de ces idées qui Ieur facilitaientle crimc ..
J..,' exces de ces horreurs brouilla Robespierre
avec les compagnons des bacchallales de Dan-
ton. Celui-ci sentit ou allait la tyrannie, il erut
que l' audace avait été poussée assez loin, il aban-
donna ses arnis criminels, et employa la plume
deCamille contre l'horrible triumviraP. Robes-
pierre prévint l'attaque. Les royalistes, plus
outragés par les blasphemes, et les vices atroces
des ChaUlnette, des Hébert et autres, que par
un despotisme qui devait se détruire lui ..
meme, se joignirent a lui. Des hommes cornme


J Camille écrivit le Yieux CorJeliel'. Il eut la hardiesse de
dire qu'il était bien vrai qu'il avait vou)u une république,
mais une république de Cocagne.




:1 14 HISTOIRE DU XVI1Ie Sd:CLE.
Grégoire, amis de la religion et de l' ordre, se
l'éjouirent de ee qu'on allait mettre en fin un
t~rrne au seandale. Avant que Robespierre
s'engageat dans la lutte eontre Danton, tous
deux, eornme jadis les triurnvirs de Rome, se
saerifierent mutuellernent des institutions an-
eiennes, des établissements et des antagonistes.
I..les Dantonistes ~ la plupart partisans de Phi-
lippe d'Orléans, ennemis jurés de la reine, la
conduisirent., apres de longues souffranees.,
de la prison a l'éehafaud. Enfin, ils furent
obligés de sacrífier le duc d'Orléans a Robes-
pierre 1. L'affreux Hébert fut le premier du
partj,pllissaJlt de Danton qui se vit alors forcé
de céderaux véritables Jacobins 2 • Momoro et
Chaumette le suivi¡:ent' de preso Conjointe-
ment avec Clootz et autres de la meme espeee '.
ils avaient attaqué et injurié la religion, pen-
dant la terreur, saos que Robespierre et
Saint-Just, malgré leur dépit secret, eussent pu


1 Comme les Fastes de l'anarchie, tome I, page 311, citent,
dans cette occasion, leurs sources, les dernieres paroles du
duc d'Orléans rapportées dans la note sont, par différentes
raisons, toures dignes d'aUention.


2 Barere, toujours l'organe du parti dominant, alors l'in-
strument des Rohespierre, des Couthon et Saint-Just, dit, le
20 mars 1794 a la Convention, en parlant du journal de
Héhcrt : • Ce pere Ducltesne, qui, avec un langage brutal et
ordurier, corrompait l'opinion et la morale publique .•


Cependant deux mois avant il avait réuni tous ses suffrages.




LIVRE IV, CHAPITRE IV. ~15
s'y opposer. On persécntait et OH assassinait
les pretres , on ferrnait les anciennes écolcs,
on abolissait le dimanchc; on pillait, on pro:-
fanai t les églises et les vases sacrés, enfin on
étejgnait dan s les eDfants les principes les plus
simples de la morale.


On vjt bientot él la Convention des pretres
laehes ou infamesdésavouer publiqllement
Dieu et leur foi; l'évequede Paris, OU plutot
l'homme 'qui en prenait le.titre, Gobel enfin,
gagné par l'appat d'un vil rilétal ~ leur en avait
donné l'exemple I, et venait de scandaliser,
par son athéisme, meme eeux qui 'se penmet-
taient toutes les horreurs. 'Apres- 'cessceiies
révoltantes, on ·travailblit encore a déraci.ne.r
systémat.iquement la morale el: "la religion.
Clootz precha devant les vi Ilageois !l., on eé-


J La misérable scene entre la Convention et Gobel, provo-
quée par les menées de Clootz, se trouve dans le Moniteur,
an II, nO 49, pages 198-199. Pour se faire une id,ée cOlllrnent
les hornmes, qui sont censé s avoir de bons sentiments. traitent
l'histoirt>, nous conseillons de. compar.er les Fastes de L.' allar-
chie, page 312, avec le ~loniteur, page 200. .


2 L'auteur de }' Bistoire de la conjllratio"r de llfaximilieTl Rn-
heo!pierre, 2 8 édition., a Paris, 1796, dit, page 129: 0:. An.a~
charsis Clootz était l'apotre de la secte qu'avait fondée Hébel't.
(J'ai vu des personnes qui ont entendu l~s paroles que nous
aUons citer). J'ai entendu ce Clootz, dans les villagt's voisins
de Paris , mettre tout en reuvre pour faire entrer dans les
creurs des habitants de campagne la doctrine homicide que
préchait Hébert dans ses feuilles .•




216 HISTOIRE DU XVllIe SJ.:ECLE.


lébra les fetes ridicules de la raison, et le li-
braire Momoro, parmi les autres atrocités
dont il se rendit coupable dans ses rnissions,
fit adorer 5a femme dans les égli.ses eorome
déesse de la raison.


Au milieu des exces de Clootz et de Chau-
mette, Robespierre ne put faire agréer clai-
J'emenfses principes de vertu I; Saint-Just 2 de-
vintinndele a Montesquieu et a Rousseau;
Vadier passa ses soixante °ans de vertu , eomme
iI les appelait lui-meme, parmi les hom-
mes les plus perverso Enfin, l'hypocrisie de
Couthon échoua contre le vice que l'impudent
Hébert affichait hautement 3. Aussi Danton,
ayant<pénétré la folie de ses partisans, se
vit-il contraitlt, ponr plaire aux Jacobins, de
seconder Robespierredans son aUaque contre
la civilisation. D'apres la théorie que Saint-Just
avait présentée d'une démocratie, les denrées
furent mises au plus hant prix : ce fut un
crime pour tout homme honnete de possé-


1 Le príncipe de Robespíerre était alors : .. Le ressort du
gouvernement populaire, daus la paix , est la vertu; le ressort
du gouvernement populaire, en révolution • est la vertu et la
terreur; la vertu san s laquelle la terreur est fnneste ; la terreur
sans laquelle la ver tu est impuissante .•


2 A1oniteur , an 11, nO 176, page 711, col. C.
3 Moniteur, an lI, nO 68" page 273.




LIVRE IV, CHAPITRE IV. 217


der de l'or et de l'argent; on abolít les acadé-
mies, oh changea le calendr!er, les noms des
mois et des jours, on éleva la guillotine dans
toute la Franct( , et Paris devint un cachot, un
tribunal sanguinaire et un théatre d'assassi-
nats l. En exécutant les accusés l'un apreso
l'autre, on affaiblissait trop lentement la po-
pulation; toute la Convention autorisa donc
les Carrier, les Lebon, les Couthon, les Fouché·
et leurs partisans, a traiter de l'extermination
du peuple par masses, et successivement sur
tous les points de la France. Les ordres furent
exécutés avec la derniere rigueur. La démence
de Clootz2 , le vandalisme de ChauIgette contre
les arts, les discours de l'agent national Hé-
bert qui reconnaissait le vice et le pillage
comme garants du patriotisme, et la barbarie
de Chaumette a la tete de la commune, ex-
dterent enfin l'envie de Robespierre, que SOlI-
vent meme ils ne consultaient pas, et leur
perte fut résolue.


Le but du tyran était de préparer la ruine
1 Lecointre : Les crimes de sept memores, etc., page 7 3 ,


.Pieces annexées au Rapport des 'Vingt-un, nO 1, page 106;
Bulletin des prisons présenté le 20 mai 1794 au conseil-géné-
ral de la commune.


2 Les ~thées Chaumette et Héhert, étaient des scélérats;
Clootz et ses partisans n' étaient que fanatisés pour les erreUl'S
qu'ils défendaient. Clootz avait l'éuni en un livre son maté.




2.8 I-IlSTOIRE nu XVIlle SIECLE.
de Danton et des autres Cordeliers; de ren"
verser Hébert 1 et Chaumette, pour mettre la
municipalité de Paris entierement au pouvoir
des Jacobins, enfin de regagner les hommes
integres mais craintifs, c'est-a-dire, la majo-
rité de la Convention.


Rohespierre changea de ton, il commen<;a
a precher contre les atrocités, et laissa suCcom-
ber les Bazire, les Chabot, les Carrier et au-
tres. Saint-Just 2 et lui furent les seuls qui ose-
rent défendre hautement la cause de la vertu
et de la divinité. I,es Clootz, les Chaumette ,
les Ronsin, les Momoro, les Maillard ,les Hé-'
hert, les Pache, par leurs bassesses et leurs
importunités 3, étaient trop dignes du, mépris


rialisme insensé, ,intitulé, Certitudfl des preuI'es du malwm4-,
ti·sme.


I Marat, Hébert, Fréron , ne durent leur importance qu'a
leurs feuilles périodiques. Mais le POUVOif d'Héhert était si
grand, que les deux comités réunis ne pouvaient le balancer,
et que Robespierre commell~ait a redouter la fin. Réponse des
membres des deu:6 allciens comités, etc., page 62.


:a Rohespierre dit, daos son discours contre Hébert, Clootz,
Momoro, JJfoniteur, an II, nO 66, page 66 : • Si la philoso-
phie peut attacher sa moralité a d'autres bases qu'a la reli-
gion , gardons-nous néanmoins de blesser cet instinct sacré et
ce sentiment universel des peuples. Quel est le génie qui puisse
en un instant remplacer,pal' ses inventions, 'celte grande idée
protectrice de l'onlre social et de toutes les vertus privées? lO


3 On ne put se débarrasser des iniportunltés de Clootz que
par la guillotine; il troublait meme , dans lescotllités diplotlla-
tiques, comme nous l'avons appris de Grégoire, les négocia,-




LIVR.E IV, CIIAPITRE IV. 219


et de la haine publique, pour que Danton s'at-
tachat a leur cause. Il les abandonna donc a
leur mauvaise fortune, et perdit avec eux son
soutien. Les royalistes se lignerent avec Ro-
bespierre contre Hébert et ses atroces corn-
pagnons avec d'autant plus de plaisir qu'en
attaquant Danton et Philippeaux, il ne faisait
que miner sa propre autorité. Westermann
offrit alors envaiu a l'indoIent Danton de le
défendre les armes a la main; ceJui-ci se
croyait tropau-dessus des Robespierre et des
Couthon pour les redouter.


Danton souffrit que Robespierre réfo¡rmat
a son gré la municipalité qui, jointe aux réu-
nions populaires des scélérats payés dans; les
sections .. et unie aux comités révolutionnaires ,
gouvernait la ville et la Convention, depuis
qu'il avait impliqué tous les chefs des CordeHers
dans la conspiration prétendue des étrangers.
Le 15 mars OH arreta Claatz, Mamara, Vince nt
et Ronsin; le lendemain l'affreux capucin
Chabot, et ses collegues Bazire, Fabre - d'E-
gIantine, Delaunay et Julien. Les premiers,
auxqueIs on ajouta encore dix-neuf victimes,.
tions les plus sérieuses, par ses réves d'une république univer-
selle. Comparez l'adresse, Anacltarsis Clootz au:¡; 6ans-cu/,Qttes
Batalles. Monit., an II, nO. 40, pago r63.




~20 HISTOIRE DU XVIII· SlECLE.
monterent le 24 sur l'échafaud, les autres
furent réservés jusqu'au jour ou tomba le re-
doutable Danton. Depuis long-temps on\avait
su l'éloigner, ainsi que ses partisans, du comité
de sureté, composé, depuis ce Inoment jus- ,
qu'au 9 thermidor, du meme décernvirat l.
Robespierre fonda ainsi son pouvoir absolu
sur la terreur générale 2. Le parti de Dantan
s'éleva alors inutilement, les Jacobills étaient
nombreux, et tellement considérés que per-
sonne d'entre eux, comnle nous l'avons remar-
qué plus haut, ne se 6.t recevoir au nombre des
Cordeliers, tandis que ceux-ci se rangerent
parmi les Jacobins.


Aussitot la scission découverte,. tous les


1 Depuis le 23 décembre 1793 jusqu'au 27 juillet 1794,
e'est- a -dire de frimaire jusqu'en thermidor de l'an II, les
membres principaux du comité étaient Maximilien Robes-
pierre. Barere, BilIaud-Varennes, Carnot, Collot-d'Herbois,
Prjeur, Lindet, Couthon, Saint-Just, Jean-Bon-Saint-André
et Vadier.


l Briex. dans une remontrance, avait appelé l'attention de
la Convention sur la tyrannie du comité de sureté: BiUaud-
Varennes, Barere, Robespierre se levent , et le dernier dit:
"Je pense done que la patrie est perdue, si le gou vernement ne
jouit pas d'une confiance illimitée, et s'íl n'est composé
d'hommes qui la méritent. J e demande que le comité de salut
public soit renouvelé .• (Non, non, s'écrie-t-on de nouveau
dans l'assemblée entiere.) Briex, épouvanté, révoque tout ce
qu'il a proposé, et ajoute : .. Je.déclare en outre que je ne me
erois pas assez de talents pour étre membre du comité de salut
public, ainsi je n'accepte point. »




/


LIVRE IV, CHAPITRE IV. 221


l'oyalistes et les lnembres de la Convention
qui étaient amis de la vraie liberté et de la
vraie religion, s'attacherent a Robespierre.
Tous les adversaires de l'athéisme et du mé-
pris des hommes 1, de Danton enfin, sorti-
rellt de leur léthargie et donnerent aux Jaco-
bins la supériorité. Le gendre meme, d'abord
ma telot, ensui te houcher, et alors un des mem-
bres principaux de la Convention, chercha en-
vain a élever la voix 2; son parti succomba, et
Danton, Camille Desmoulins, Lacroix, Philip-
peaux, furent conduits a I'échafaud dix jours
apres I'exécu6on de leurs alnis 3.


1 Camille De.~moul¡lls, questionné devant le tribunal révo-
lutionnaire sur son age et sa demeure, répond : J'ai l'Age du
sans ~ culotte Jésus , trente - trois ans. Danton. - 1\1a demeure
sera bientot le néant; quant a mon nom, vous le trouverez
écrit dans le panthéon de l'histoire. Hérault-Séchelles, ex-eon-
seiller du parlement. - J e m'appelle Marie-J ean, noms peu
saillants, meme parmi les saints. Je siégeais dans eette salle,
ou j'érais détesté des parIementaires.


:. V oyez le rapport de SaÍnt-J ust, dans le Moniteur, nO J 9 2 ,
an lI, ou il dit, page 777 : • I1 ya queIque chose de terrible
dans l'amour sacré de la patrie; il est tellement exclusif, qu'il
immole tout, sans pitié, sallS frayeur, sans re"spect bumain , a
l'intéret publico II Précipite ManIius, iI immole ses affections
privées, jI entraine Régulus a Carthage, j"ette un Romain dans
un abime , et met Marat au Panthéon victime de son dévoue-
mente


Dans un autre endroit il s'écrie : " Une révoIution est une
elltreprise héroique, dont les auteurs marchent entre la roue
et l'immortalité. »


3 Le décret d' arrestation qu' on nt servir ensuite comme acte




222 HISTOIRE DU XVlIle SIi~CLE.
On ne peut contester a ces hommes une


certaine espece de grandeur d'ame et un sen-
timent de supériorité sur les esprits serviles;
persuadés qu'ils avaient voulu affermir par les
maux du présent le bonheur de l'avenir, ils
croyaient que leurs crimes et leurs vices
étaient d'autre nature que les crimes cornmis
en des temps paisibles par des hommes peu
marquants, d'un esprit peu élevé et poul' un
hut ordinaire. Le sentiment de leur générosité
et la conviction que leurs persécuteurs et
leurs juges ne valaient pas mieux qu'eux,
remplirent Ieur ame de dépit contre Chabot
et Barere, qu' on leur avai t associés 1. lIs em-
harrasserent leurs juges sanguinaires pendant
I'interrogatoire, e~ citerent devant le tribunal,
-eomme témoins Oil plutot conlme amis et al-
liés, tous les luembres de la Convention aux-


J


d'accusation des membres des comités, est sans date et n'in-
dique pas le motif. Rapport des rvingt-un, pieces anllexées,
nO 70, page,224 : "Les comités de salut public et de su-
reté générale arretent que Danton, Lacroix, du départe-
'ment d'Eure-et- Loire, Camille - Desmoulins et Philippeaux,
tous membres de la Convention nationale, seront arretés et
conduits dans la maison d'arret du Luxembourg, pour y etre
gardés séparément et au secreto Charge au maire de Paris -de
remettre sur-le-champ le présent arreté a exécution. Suivent les
signatures.


1 Monit., an II, nO 195, p. 792. «Lacroix, eamille Dés-
moulins et autres ont témoigné·leur étonnement de se voir,
-di$aient-ils, ~ccolt>s ave e des fripons. "




LIVRE 1 V, CHAPITRE IV. 223


quels ils étaient étroitement liés et qui les on~
veugés dans la suite l. Pour abréger le proces
critique, Saint-Justse vitd'abordobligé deme-
nacer le redoutable Fouqu.ier-Tainvine, et de
lui donner ensuite, par une loi de la Conven-
tion, un pIein pouvoirdans ce nouveau meurtre
judiciaire 2. Les dernieres paroles de Danton


1 Rapport au nom de la commission des Vingt- un, etc. Pie~p:s
indiquées dans le rapport, ou servant a l' appui des faits qui
y sont développés; nO 71, page 245, leUre du président et de
l'accusateur public du tribunal révolutionnaire au sujet de la
demande faite par Danton el autres d'entendre des députés en
témoignage. Paris, ce 15 germinal de l'an deuxieme de la Ré-
publique fran~aise une et indivisible.


" Citoyens représentants, un orage horrible gronde depuis
que la séance est comn1encée; les accusés en forcenés récla-
ment l'audition a décharge des citoyens députés Simon, Cour-.
tois, Laignelot, F,réron, Panís, Ludot; Calon, Merlih de
Douay, Gossuio, Legelldre, Robert-Lindet, Robin , Goupil-
leau de Montaigu, Lecointre de Versailles, Brivat el Merlín
de Thionville. lis en appellent au peuple du refus qu'ils pré-
lendent éprouver; malgré la fermeté du président et du trihu-
nalentier, lellrs réclamations multipliée-s tr¿ublent la séance,
et ils annoneent hautement qu'ils ne se tairont puint que
Jeurs témoins ne soient elltendus. Sans un décret, nous ne
savons que faire; nous vous invitolls a nous tracer définitive-
ment notre regle de conduite sur cette réclamation , l'ordre
judiciaire ne nous fournissant aucun moyen de motiver c¡
refus. A. V. Fouquier et Herman, pl'ésident. J)


2 Ils furent exécutés le lendemain, le 5 avril 1794; cal'
Saint~Just avait obtenu l~ décret demandé par Fouquier, de
les mettre hors des déhats, par l'illfamie qu'il eut de présen-
ter a la Com'ention une fausse lettre, qu'ils s'étaient opposés
a la jnstice. Pieces indilJuées, etc., nO 72, page 246, Rapport
fait au nom des comités de sa/ut pulJlic et de szireté générale: .. L'ac-
cusateur public du tribunal révolutionnaire nous a mandé que




224 HISTOIRE DU XVIll e SlF.:CLE.


sur I'échafaud, son discours au peuple, et la
maniere dont jI mourut, montrent une grande
force de ·caractere, une connaissance pro-
fonde des hornrnes 1, et justifient entierernent
le choix de Mirabeau qui l'avait lancé dans la
vie publique. Il prédit aussi positivement a ses
assassins leur chute. Couthon, Saint-Just, Ro-
bespierre, formerent d'ailleurs, des ce moment,
un comité dans le comité meme , et dirigerent
seuls, avec la cruauté la plus révoltante, l'ad-
ministratjon intérieure. La commission de la
police générale qn'ils avaient inventée, plai-


la révolte des coupables avait fait suspendre les débats de la
justice, jusqu'il ce que la Convention nationale ait statué. Vous
avez échappé; etc. . • . . ',' vos comités estiment peu la vie ;
ils font cas de l'honneur. Peuple, tu triompheras; mais puiss~
cette expérience te faire aimer la révolution par le péril au-
quel elle expose tes amis! 11 était sans exemple que la justic~
ait été insultée ... Les malheureux, ils avouaient leurs crimes
en résistant aux Ioís; iI n'y a que des criminels que l'équité
terrible épouvante. Combien étaient-ils dangereux tous ceux
qui , sons des formes simples, cachaient leurs complots et
Ieur audace! En ce moment on compire dans les prisons en
le~r faveur, en ce moment l'aristocratie se remue; les lettres
qu'on va vous lire vous démontreront vos dangers .... »


C'était toujours un moyen efficace •.
1 Tais-toi, cria-t-il aux crieurs payés; il avait dit aupara-


vant: " Peuple ingrat, tu vois un vrai républicain; que mon
nom soit flétri, pourvu que la république s'établisse. » Un de
ses camarades de supplice youlait l'embrasser, Danton dit :
" Va, nos tetess'embrasseront dans le paniel'. Voyant deux
décapités :devant lui, en voilit déjit deux qui dorment le som-
meil du juste ...




LIVRE IV, CHAPITRE 1 v. ~25
sait d'autant plus él leurs collegues I qu'elle
leur donnait les moyens de se disculper. lIs I
prétendirent qu'ils signaient aveuglément l'un
pour l'autre, tandis que Robespierre., Couthon
et Saint-Just pouvaient seuls etre regardés
cornme lesauteurs du Ineurtre 2.


Les exécutions se muItipliaient tous les
jours; car iI fallait sacrifier comIne Dantonistes
un nouveau parti républicain et une foule de
brigands, de voleurs, d'assassins et de scélé-
rats audacieux de toute espece, qui aupara-
vant avaient rendu de tres-grands services. Le
nombre en montait a Paris seul a trente et
meme soixante par jour 3, et si les meurtres
et les désordres_cesserent él Lyon précisélnent
10rs de l' exécution de Danton, il ne faut pas
croire que ces deux circonstances dépendis-
sent l'une de l'autre 4. Dans ces condamnations


I Réponse des membres des deux anciens comités de salut public
et de sureté générale, a París, l'an JI!, pages 64-65.


2 C'est ainsi que les autres membres du comité eherchent
a se diseulper : Prieur, Moniteur, an In, nO 14, page 71 ,
col. e: • Je termine par un fait, c'est que toutes les délihéra-
tions du comité, autres que eelles cfui avaient rapport a la po-
lice générale, étaient prises a l'unanimité, et que les arrétés
n'en étaient signés que de Robespierre, Couthon et Saint-Just.
En dernier lieu, Saint-Just voulait nous les faire approuver,
mais nous refusames de le faire. »


3 On devait en massacrer un jour cent cinquante-huit,
lorsque Fouquier les divisa et les ut égorger en trois foís.


4 Le meurtre et la destructíon, sous ¡"ouché, Collot-d'Her-
H. Ir. 15




226 HISTOIRE DU XVlIlCl Sl:ECLE%


con ti n u elles , une exécution en nécessitait
toujours dix autres; il aurait fallu changer
toute la France en désert, pour réaliser l'état
de vertu que revait Robespierre, et l'état de
nature que Saint-Just empruntait a Rousseau.
~ant~n avait donc fU préd~re avec raison ~ue
bIentot ses enneOllS et meme la ConventIoIl
seraient écrasés. Robespierre, pour trouver
quelque appui pármi les honnetes gens, con-
tre les terroristes, qu'il avait mortellement of-
hois, Couthon, Laporte et vingt-quatre députés du club des
Jacobills, durerent du mois d'octobre 1793 jusqu'au 6 avril
'1794. Collot-d'Herbois dit, dans le Rapport des 'Vingl-un,
pieces anllexées, nO 46, page 214 : « Nous avons ranimé l'ac-
lion d'une justice républjcainc, c'est-a-dire prompte et terrible
comme la volonté du peuple : elle doit frapper les traittes
comme la foudre, et ne Jaisser que des cendres. En détruisant
une cité infame et rebelle, on consolide tontes les autres; en
faisant périr les scélérats, on assure ton tes les générations des
hommes libres: voila nos principes ! N ous démolissons a coups
de canon et avec explosion de la mine, autant qu'il est pos-
sible; mais tu sens bien qu'au mílieu d'une population de
cent cinquante milIe individus, ces moyens trouvent beaucoup
d'obstacles. La hache populaire faisait tomber vingt tétes de
conspirateurs chaque jour, et iJs n'en étaient pas effrayés ......
Soixante - quatre de ces conspil'ateurs ont été fusilIés hier au
méme eridroit 00. ils faisaient feu sur les patriotes; deux cent
trente vont tomber aujo"rd'hui, etc .• Numéro 49, Acllard
a Gravier: .. Encore des tétes, et chaque jour des tetes tom-
bent. Quel délice tu aurais gouté, si tu eusses vu avant- hier
cette justice nationale de deux cent neuf scélérats! Quelle ma-
jesté, quel ton imposant! tout édifiait. Combien de grands
coquins ont ce jour-Ia mordu la poussiere dans l'arene des
Brotteaux! Quel '2.iment pour la république! En voil:i cepen-
dant' déj:i plus de cinq cents; encore dcux fois autant y pas-
seront sims doute, et puis cta ira. 10




LIVRE IV, CHAPJTnE IV. '1.27


fensés en faisant exécuter Chaumette, Hébei·t,
Danton, et contre les républicains ardents,
qu'il avait irrités par la lnort dC1. Philippeadl
et de CamilleDesmoulins, chercha a rnettre en
avant la croyance en Dieu; rnais bien loin
d'y réussir, il creusa par la meme, son propre
tombeau. Rien dé plus apsurde que le décret
de l'existence de Dieu, .et surtout la série de
fetes qu'on voulait instituer. Rohespierre pa-
rut a la fete de l'Étre-supreme environné de
la pompe la plus ridicule x ; son discours ne
pouvait qu'exciter la pitié. Il n'était plus alors
en bonne intelligence avec les hornmes im-
portants de son parti. Tallien, l' orateur le
plus habile de la Convention ,avait été l'ami
du tyran jusqu'au moment ou on l'envoya
comme commissaire du meurtre a Bordeaux;
il sépara sa cause de ceHe de Robespierre de-
puis qu'il fut re~u dans l'intimité de la veuve
de Fontenay, fille du directeur d~ la banque
de Madrid 2. Fréron, qui se vantait toujours
~ llistoire de la conjuration de Robespierre, page 194: • Ro-


bespierre, vétu d'un habit bIeu, parut dans le Champ-d'e-
M.ars ,sur le sommet d'uDe espece de petit rocher, bAti avec
du pIatre. C'est de la, qu'agitaDt d'uDe main un bouquet, de
l'autre son chapeau, il iDvoqua l'Etre-Supreme.«


2 Le jacobin Duhem dit, IOl'sque le reg~e de madame Ca-
barrus était passé et qu'on. avait fermé le club, le 21 bru·
maire an IV : .. Tout cela a été combiné dans les houdoir"


1 5.




228 I1ISTOIRE DU XVIIle SIECLE.


de l'amitié de Marat, et qui avait travaillé
souvent pour lui a l'Ami du peuple, mais
~i devait bientot prendre un tout autre ton,
était rassasil de carnage. Legendre, ami de
Danton, que diverses raisons mettai~nt a l'abri
de toute attaque, n'attendait qu'une occasion
pour éclater. Fouché, Carnot, Bourdon, Mer-
lin, étaient exaspérés du role que jouait un
hOlnme qui leur était bien inférieur l. Barere,
de madame Cabarrus, dont le pere a établí la banque de Saint-
Charles, et voudrait régir nos finances; c'est ce quí fait atta-
quer'les meilleurs patriotes par Tallien. " .


1 Carnot, iI est vrai, présente l'affaire sous un autre point
de vue. mais en otant a ses paroles son ton d'apologie, on
retrouve le faít tel que nous le rapportons : Exposé de la con-
dúitepolitique de M. le lieutenant-généraICal'fWt, depuis le pre·
miel' j uilletI 8 J 4, Paris, 1 8 1 5 , pages 32 -33 , dans la note .....
• Tout cela n'aunonce pas qu'on meregard~t en France comme
complice de Robespierre. Toute la Convention savait au con-
traire que c'était mon plus .rnortel ennemí, et que la cause
de cette haine profonde était précisément que je ne voulaís
pas partager ses fureurs. On savait qu'il avait promis de faire
tomber ma tete aussitot qu'il n'aurait plus besoin de moí ;
tnais il se pressa trop de demander l'acte d'accusation de ses
ennemis, et ce fut la sienne qui tomba avec celle de Saint-
Just et de Couthon, que j'avais hautement désignés sous le
nom de triumvirat. Je dil'ai meme, a cette occasion, que Saint-
Just proposa un jour en ma présence, au comité, roon ex-
pulsion, corome on avait proposé, quelque temps auparavant,
ceHe de Hérault de Séchelles, ce qui I'avait aussitót mené a
l'échafaud. Je répondis froidemeut a Saint-Just qu'il sortirait
du comité avant moi, ainsÍ que tout le triumvirat, et le co-
mité frappé de stupeur garda le silence. D'autres personnes
auxquelles iI faut absolumen~ des coupables , ont dit que cette
inimitié personnelle de Robespierre contre moi n' étnit que
i'effet d'une rivalité oe doroination qu'il craignait de roa p!U'tj




LI V IU: 1 V, CIIA.P ITRE 1 v. 229


Collot d'Herbois, Billaud - Varennes ¡ ex ami ..
naient avec inquiétu<;le d'ou venait le vent
pour tendre lellrs voiles d'un autre coté. Rien
n'échappa aux triumvirs; car ils 4lvaient en-
touré d'espions tons ceux qui jouissaient de
quelque considération; ils résolurent de vouer
encore plnsieurs de leurs colleg~es a la mort"
et de n' épargner que les hommes lfiches et
faibles. Ils reconnurent hientot qu~ilsavaient
cette fois affaire a des ge~s qui Ieur étaiE~Q.t
égaux en hardiesse et en crime, et supérieurs
en ruse et en éloquence.


Fouché fit un signe a Tallien I , ils s'enten-


mais si Robespierre avait quelque rival a eraindre sous cerap~
port, ce n' étaít certainement pas moi. Chacun sait que, dans
ces temps orageux, il fallait, pour se mettre a latéte d'une
faction, ne pas quitter. les tribunes. des sociétés populaires ; or
je n'ai jamais mis le pied, a Paris au moins, dans. aucune so-
ciété populair.e; je n'ai jamais oc cupé les tribunes des assertl-
blées nationales que quand je n'ai pu faire autrement; et les
discours séveres que j'y ai toujours tenus étaient loin de ten-
dre él démoraliser le peuple. lO


1 Tallíen dit, Moniteur du 22 thermidor an 111, (9 aout.
1795), nO 32 7, page 1317: " Fouché était proscrit par Ro·
bespierre, paree qu'il avait contrarié a Lyon les mesureS
prises par Collot; Fouché démasqua Robespierre avec cou-
rage, et déclara que, dut sa té te tomber, il ferait conn,aitre
ce dictateur au peuple. Chaque jour Fouché venait nOus ren-
dre compte de ce <Juí se passait au comité de salut public , et
la veille du 9 thermidor, il nous dít : La division, dans le
comité, est complete, dernaÍn il faut trapper. Le {endemaln
le tyran n'était plus. Fouché, dans le méme temps, écrivit a.
5a sreur : Dans peu le tyran sera puuí; Robes:pierre n'a "plu~




230 HISTOIRE DU XVIlle SIECLE.


dirent avec Carnot et Barere, et bientot les
Jacobins' s'éleverent contre les Jacobins. Le
comité. de salut public était divisé depuis
long-temps. en trois partis. A la tete du pre-
mier se trouvait Robespierre maitrisé par la
passion de dominer; a la tete de l'autre Carnot,
guidé p~r une aversion profonde contrel' ancien
désordr~, par l'orgueil et l'ambition; Barere,
Collot d'Herbois et :aillaud-Varennes , hornmes
craintifs ou avides, adonnés aux débauches I,
formaient le dernier parti. Ce qui n'était d'a-


que quelques jOÍlrs a régner. Cette leure a été interceptée par
Bó, qui l'envoya a Robespierre .•


I Le Dantoniste Fréron, collegue de Barere, trace le ta-
bleau du rOle qu'il Joua pendant ~ terreur. Quoique l'article
s.uivant soittiré d'un journal partial, il porte néanmoins telle-
ment le cachet de la vérité, qu'on ne· saurait méconnaitre
Pbomme daos ce portrait. Orateur du peuple, du 15 bru-
maire, nO 26, page 205 : • Barere avait cédé cette virtuose a
Dupin, et Dupin a Barere la Demahy, courtisanne logée dans
un superbe hotel, rue de Richelieu. Ces deux belles, avec une
autre belle encore et plus jeune, étaieut les trois graces qui
embellissaient de leurs attraits les charmilles délicieuses a
l'ombre desquelles les premiers législateurs dressaient leurs
listes de prosCription .... Page 206 : Tous les matins l'autí.
chambre de Barere était remplie de solliciteurs avec des péti ..
tions a lamain, attendant l'heure de son heureux réveil. 11 se
présentait envelol)pé ·de la robe d'un sibarite, recueillait avec
les manieres et les graces d'un ministre petit .. maitre les placets
qu'on lui présentait, co·mmen~ant par les femmes, et distri.
Luant des galanteries aux plus jolies; iI prodiguait des pro-
messes et des protestations; iI rentr¡pt gaiement dans son cabi.
net, et, a l'exemple du honteux cardinal Dubois, il jetai~ au feu
la poignée de papiers qu"il venait de recueillir. "




L IVRE IV, eH--\. PITRE IV. ~31
bord que division devint hientot scission gé-
nérale. Fouché et Tal1ien s'allierent avec Le-
gendre et quelques autres intimes de Danton
ou admirateurs de l\iarat. Des qu'ils furent
certains qlle le décemvirat ne soutiendrait
pas leur attaque 1, ils donne~ent par de pe-
tites escarmouches le signal de la lutte géné-
raleo Fouché, alors président du club des Ja-
co bins, eut le 1 1 juin une tres-vive altercation
avec Robespierre; le lendemain Bourdon,
Lacroix et Tallien, autrefois les terroristes les
plus violents, en eurent une autre dan s la
Convention avec le comité de salllt public,


1 le ne saurais mieux dépeindre cette s"Cime qu'en citant les
paroles du proscrit Girondin Henri-Lariviere, quand iI rentra a la
Convention : '" L'anden comité de salut public a été composé
de trois partis. Dans le premier étaient Robespierre, Couthon
et Saint-Just; dans le second, Barere, Collot et Billaud; dans le
troisieme, Prieur de la Marne. (Plusieurs 'Voix.-Et Jean·Bon-
Saint-André!) a.qu'il ne s'est agi que d'aller au but qu ils
aspiraicnt tous Z'Jf' massacre des citoyens et l' envahissement
des fortunes., ijs,.ont été d'accord; mais lorsqu'il a .fallu par-
tuger la proie ~'Robespierre, le plus ambiti~ux d'entre eux, a
voulu se réserver le supréme pouvoir et les dominer tous; la
division s'est étahlie; ils ont lllutuellement chel'ché a se per-
dre pour s'attrihuer la part de celui qui succomberait. Ceux
qui restent (il le dit le aS mai 1795) ont été les plus heu-
reux; ils ont survécu , mais ils n' en sont pas moins coupables.
II n' est pas un endroit sur la terre ou ils puissent se retirer en
paix; partout ils seront sans cesse effrayés par les cris ter-
ribles de la vengeance, qui retentissent au fond de leurs ames,
partout ils seront déchirés par les remords, partout ils seront
inondés du sang des victimes qu'ils ont impitoyablement égor-
gées , el des larmes de ceux qui les pleurent. JI




232 HISTOJ RE DU X VJ n e Sdi:CLE.


lorsqu'on y proposa la nouvelle organisation
d'un tribunal criminel plus imposant. Celui
qui examine les discours prononcés a cette
occasion, prévoit sans peine quJun des deux
partis devait succomber l.


Le lacheRobespierre comptaencoretrop sur
le club qui venait d'expulser tous ses adversai-
res, sur les sections, sur la populace et sur la
municipalité. Le meme jour (23 prairial) qu'il
attaqua Fouché dans le club des Jacobins, il
quitta formellement le comité de salut public,
on plutot il cessa d'y travailler conjointement
avec ses collegues. La cause en fut une dis-
pute avec Carnot; celui-ci, extremement ja-
loux de son autorité absolue dan s le nlinis-
tere de la guerre, eut une discussion violente
avec Saint-Just, au sujet de l'administration nü-


1 C'est ce que nous voyons a l'évideneeAs la séance des
Jaeobins, du 23 prairial, et ceHe de la Convll!on du 24. Dans
la derniere (du 12 juin 1794), Moniteu1' ~ 1I, nO 266,
p. 1084, Bourdon dit : «Est-ce etre eontre-révolutionnaire? Le
comité de salut publie me reproche mon discoUl's d'hier , et,
en me donnallt eette mercuriale, iI me dit que je parle comme
Pitt et Cobourg. Si, en lui répondant, j'usais de la méme
liberté, ou en serions-nous ? »


Lorsque Tallien a rapporté, page 1085, eombien on était
entouré d'espiolls, Robespiel'l'e prend la parole: " Le fait est
faux; mais un fait vrai, e' est que Tallien est un de ceux quí
parlent sans cesse de la guillotineavec effroi et publiquement,
comme d'une chost qui le regarde, puur avilir et troubler la
€onvention nationale. TaUien. - Il ne fut ras du tout questiou
des yin-~t mille espions. »




LIVRE IV, CHAPITRE IV. 233
litaire. Les autres membres tenterent en vain
de rappeler a la modération le dernier qui se
brouilla entierement avec eux l. Le lendemain
Saint-Just, tenant Robespierre par la main 2,
parut dan s le comité, mais il trouva tpus les
membres mal disposés contre lui et son défen-
seur. Il en résulta une scission. Robespierre se
déclara contre ses collegues 3 , contre les rap-
ports de victoire qu'avait composés Barere 4, et
contre les partisans de Carnot, placés comme
comrnissaires de Ja Convention aux armées.
Robespierre dirigea des-Iors les exécutions de


t Réponse dr.s membres, page 103 et suiv. : « Dans le com-
mencement du mois de floréal, dans une séance du soir, iI
s'éleva brusquement une querelle tres-vive eiltre Saint-Just et
Carnot, au sujet de l'administration des armes portatives ;dont ,
Carnot n'etait pas chargé ... Dans eette querelle, faite inopiné-
ment par Saint - Just , on vit clairement son imt qui était d'at-
taquer les memhres du comité qui s'occupaient des armes,
et de perdre leurs coopérateurs ..•. Au milieu desinculpations
les plus vagues et des expressions les plus atroces, proférées
par Saint-Just, Carnot fut ohligé de les repousser en le trai-
tant lui et ses amis d'aspirer it la dictature et d'attaquer suc-
cessivement tous les patrio tes ,pour rester seul et s' emparer du
pou'voir supreme avec ses partisans. .. .


:1 Tiens, les voilit, mes amis; voilil ceux que tu as attaqués
hiero (Notes, page 105.)


3 Ses expréssions favorites étaiént : • Tout est perdu, il n'y
a plus de ressources : je ne vois plus personne po u!' la sauver ,
s'écriait-il toujours. lO (Notes, ¡bid.)


4 Il nous paraissait poursuivi par ses victoires comme par
des furies, et souvent il a reproché au rapporteur du comité
la longueur et l'exaltationde ses rapports sur les triomphes
des armées. ( Notes, ¡hid.)




~34 HISTOIItE DU XVIUG Sd:CLE.
chez lui, ou il se faisait porter les actes 1 , et
bientot il eut recours a ses mesures ordinaires.
Dans le courant des quatre déc~des, ou il ne
visita le comité que quelques ~~stants, il dé-
clara positivement au club des Jacobins qu'il
y avait une mésintelli,en~e entre l~s m~mbres
des ~omités, parla d'une conspiration 2, et son
a~i Henriot n'atteq~it qu'un signal pour re-
nouveler la scene du 31 ~uai 1793, clans la
Convention et aux environs.


On n'a qu'ft nommer quelques-uns de ces


s Dans la Réponse des membres des deux ancleTu comités, etc. ,
page 94, ceux-ci répondent au reproche que, pendant l'ab-
senee de Robespierre du comité, il Y a un plus grand nombre
d'exécutions,: • C'étai, le pro,duít inévitable de la loi du 23
prairial, qui n'était pas ~ouvrage d~sc(mlités;.e'était le but
effroyable que se· pr<>posaient sans doute les au,teul"s de ce
décret de multiplier les exécutions depuis cette époque; maís
cela doit beaucoup moins étonner, paree que Robespierre t
fuyant les séances du comité pendant les quatre décades t il
avait plus de temps pour se livrer, avec les juges du tribunal
ses complices, a son naturel féroce, ombrageux et sanguinaire:
Robespierre, s'étant constitué pendant le mois de messidor en
état de 'guerre constante avec les comités, ne s'occupait que
des moyens d'accélérer le sncces de la conspiration, de vio-
lenter l' opinion publique, d' exaspérer les esprits , de terrifier
les citoyens, et amener une erise si forte, que, pendant r ol'age
de la fermentation, il pul parvenir a concerter avee la com-
mune et la force armée un 3 1 mai ...


2 Le 1 3 thermidor, Robespierre termine ainsi u~ de. sea
discours au club des Jacobins: • Si ron me for'iait de r~~on­
cer a lUle part.ie des foneti<n1s dont je me &uis chargé , il me
resterait encore !Da qualité de représe.o.tant du peuple, el jo
ferais une gu~rre a mort aux tyrans et. aux conspirateurs. •


.




LIVRE IV, CHA.PITRE IV. 235
gens, auxquels Rohespierre et son parti
avaient a faire, p9ur prévoir qu'une tOtlt~


. autre lutte que celle d~ 31; mai les attendai,t.
lIs avaient contre eux Legendre, homme ro-
bus te , souteriu par un parti puissant, éller-
gique dans son éloquence vulgaire, arrqg~nt
comrne Danton; Merlin, entierement-dév~~~
aux Jacobins, d'une force remarquaple et en
intimité avec ¡alIien; ce dernie~ étai,t élbquent,
Thuriot intrépi~e, et Fouché astucieux. On
en vc;>ulait d'ailleurs cette. fois a Carnot, a Du-


. -


bois-Crancé et a Fouché, qui s'étaient plus
que personne élevés avec la révolution. On
triornpha facHernent au club des Jacobins, ou
ron fit d'é\bord le pro~~~ a F~~~lté. qU~':f~t
exclu avaIlt {l'elre cité devant la Conveútion.
Ici on t~urna l~ premier~Jl~t3:que s~ l'ivrogne
Duboís-Crancé; iI fut aecusé au Dom des jaco-
bins, le 7 thermidor (25 jllillet 1794), par un
orateur qui annonc;ait une nouvelle cODspira-
tio~ l. Les adversaires de Rohespierre 0ppo-


1 Réponse des memhres des de1,l~ 'f1l.cicns comitis , etc., p. 45 :
.. La conjuration, <l:écouverte ~e9, tb~JP,.d.Qr, npus prouve la·
distribution des róles d~ cette scene moce et contre-révolu'l'
tionnaire, préparée par tant de ie~reure~ d' artifice. L~ maire
et les officiers mumcipaux cherchaient a égarer les se~tions ,.
Dumas et Coffh¡hal s'occ~paien~;4 ~sanglantel'larobe sac,ée:
d~ la justice; Henriot, Dufresn~ et La~allette auraie~t ét~
chargés q.'entourer la ConventWn nationale; Le~as, ~aipt~
Just, Coutlion et Robespierre áuraient dénoncé les Dl.embr;es




236 HJSTOIRE DU xv JIJe SlECLE.
seren t Ieur tactique a la sienne. Dubois ob-
tintde la Convention qu'on renverrait sa
cause aux co~ités chargés de fair-e 'un, rap-
port, en trois jours, ce 'qui montra évidem-
ment combien Dubois - Crancé était persuadé
que l~ niajorité des comités u' obéissait pIusau
triumvir~t) 'auteur de ~on accnsátion.


'Robespierre devina l'intention de ses enne-
mis. Pour les prévenir, il compqsa un de ces
disconrs adroits, danS lesquels il avait l'habi-
tude de se van ter lui-memeet de préparer les
espritsade nouveaux assassinats. Saint-Just de-
vait tire un rapport au nom de la commission
de p.olice.'Tous les' deux échquerent. Robes-
pie~¡'e ne put: l'emporter par so~ discpurs , il
eu't ponr la premiere fo'is, le 8: therrilidor, la
majorité des voix coatre lu~. J..es colIegues de
Saint-Júst dans le comité de salut public de-
vaie~t le, forcer de ·leur co~muniquer son
de l'a!Ís~mblée qui i~ur auraient fait ombrage , et auraient as-
sassiné ainsi la représentation nationale et la liherté publique
avec le secours de cette commune , dont la conspiration perma-
nente avait massacre les détenus le s septembre, avait porté
la teÍ'teur dans tous les départements pat des arre tés imprimés
et4es commissaires factÍeux, avai~ rivalisé cent foÍs l'autorité
de 1aConvention nationale, avait réveillé le fanatisme par les
temples de la raison, avait fait centupler les détentions arbi-
traires " avait tenté en vain de rallier les comités révolution-
naires a son conseil- général ,et qui méditait sans cesse l' en-


'vahissement des pouvoirs nationaux e\ la dissolution de la
représentation du peuple. .. .




LIVRE IV, CHAPITRE IV. j,37
rapport avant de le lire a la Co'nvention. On
vit, le 26 juillet, combien ces affreux trium-
virs étaient encore a redouterpeu d'jnstants
avant ]eur chute, puisqu'on décréta, sur la
proposit~n de Couthon, l'impression du dis-
cours' calomniateur de llobespierre, , et que le
lache Barere y donna son assentiment l. Cette
proposition adoptée, les adversaires des trium-
virs reconnurentqu'il s'agissáit dé vaincre ou
de mo~rir. Cambon, BHlaud-Varennes, Pan,is,
Charlier, Fouché, s'éleverent et avec eux toute
la troupeinfáme des sophistes.Deleurnom:br~
fut Amar, autre Barere pour faire des phra-:-
ses pompeuses et des périodes arrontlies,
possédant plus _ que celui-ci. J}ne dialectique
pour ainsi dire infernale.


Barere, remarquant que bientot les affaires'
allaient changer de face, vota contr'e Conthon,
dont ilavait appuyé le premie.,rapport. On
proposa d'envoyer dans les départements le
discours dont l'impression avait été résoiu~.


1 Barere possédait le style qui persuade la multitude , paree
qu'il n'est pas náturel; il ne se montre sous sa propre forme,
comme paisible bomme d'affaires, que depuis 1789 jusqu'en
1790, et ensuite en 1815, ou iI Cut nommé député pen-
dant les cent jours; partout ailleurs iI rot l'organe du parti
dominant : accusé ensuite, un des soixante-treize dit avee rai-
son qu'il fallait l'envoyer a,ux enfers pour y tailler sesear-
magnoles.




:138 BISTOIRE Dl1 XVlllt SltCLE.
Cette demande fut rejetée, et le diseours mema
adresséaux comités pour etre examiné. C'était
trop pour R0bespierre, il sorti t éeuman t de rage
de la Convention " et se rendit en toute hate
ati club des Jacobins. Les comités dq. gouver-
nemeilt avaient droit de redouter les décrets
des jacobins , ils envoyerent done deux de
leurs inembres, Collot et BilJaud, pour épier


. leuts démarches 1; ils apprir"ent que le lende-
main on ferait jouer contre eux toutes les me-
sures de la demagogie 2. Saint-Just venait de
mettre son ~apport en sureté, il passa cepen-
dant toute la nuit dans les comités pour arre-
ter les mesures qu'on aurait 'pu (prendre, et
ne se déroba aux poursuites qúe le 9 thermi-
dor a cinq heures du matin. Depuis six heures
jusqu'a midi les comités chercherent a pré-
par~r une réaction pour conjurer l'orage qui
les meÍla<;ai~, lorsqu'ils re<;urent a midi un


E 7l.éponse des memhres des deux anciens comités de sa/ut pub/ie
-etde súreté générale. (Notes, page 107,)


2 'Ún trouve mieux ces particularités dans Toulonceon, t.lV,
páges 3,6-77, que dans les Deux amis de la liherté; et Pages,
tomé il, page 200. Beaulieu, Essais historiqueJ tome V, ellt
partial ainsi que Bertran-d ,de Molleville.


3 Réponse,. idem, page 100: • On arr~ta le projet de fáire
destituer par la Convention les chefs 6e la force publique, et
de les faire mettre en état d'arrestation; de dénoncer les faits
l'eprochés a Saint-Just, Robespierre et Couthon, et de pré-
parer une proc1amation pour prévenir les événements qui




LIVRE IV, CHAPITRl!: IV. ~39
billet de Saint-Jti st, qui leur apprit qu'il avait
profité d'un moment ou la Convention était
peu nombreuse pour monter a la tribune ~
pour lire le rapport d'une nouvélle conspira-
tioD x. Mais Saint-J ust avait a peine commencé
sous de funestes auspices la lectura de la rela-
tion de mort, qu'il vit, meme avant que les co-
mités parussent dans la salle, la Conventi'onen


pourraient survenir dans de telles circonstances; a six heures
du matin le 9, le rapportellt prépara le travail pour rorga-
nisation dé la gai'de riationale, pour l'arrestation des chefs, et
ñt le projet de proclamation. Vers les dix heures, époque in-
diquée par Saint-Just pour lire ses rapports, les divers mem-
hres des deux comités se réunissent et déliberent en raUen-
dant, sur la proclamation, sur Benriot et ses complices. La
discussion se faisait lorsque Couthon entre et demande, d'un
air assez troublé, El connaitre le sujet de la délibération; lors-
qu'on le luí expose, il- dit qoe noUS anons fáire la contre-ré-


-volution et que e'est lit le moyeri dé PN5duire u'n: mouvement
terrible dans Paris: qu'Henriot lui a paro un horí patriote; le
comité entier se Jeve contre Couthon, et délibere l'accusation
des chefs de la garde nationale et la proclamatiqn. Couthon
attaque alors Carnot personnellement et lui dit des. paroles
outrageantes. Je savais bien, lui dit-il, que tu étais le plus
méchant des hommes - .. Et toi 1 le plus traitre, lui répond
Carnot ••


I Réponse, ídem. 11 était midi, un buissier de la Convention -
vient noos avertir que Saint-Just esl a la tribu ne. 11 porte en
méme temps une lettre de ce député-, con'sue en ces termes:
«L'injustice a fermé mon creur, je vais l'ouvrir tout entier i
la Convention nationale.» On veut garder la leure, Couthonla
déchire. Rhul, indigné, se leve, et dit : • alIons démasquer ces
scélérats, 011 presenter nos tétes a la ConventioD .• No,us nous
rendons aussitot a l'ássemblée, oil chacun de nous remplii SOQ
devoir civique, lorsque la Convention terrasse le triumvirat.




240 HISTOIRE I>U XVIIIe SI:ECLE.


guerre ouverte avec les Jacobins. L'impudence
du club alla jusqu'au point d'envoyer ,,"ses
horribles émissaires dans la Convention et au
milieu dés députés. Billaud-Varennes saisit de
sa propre main un de ces espions 'et le ,mit a
la porte aux accIamations de tous les dépu-
té~ 1, il se tournaensuite vers la tribune, in-
terrompit Saint-Just 2 ; Lebas, Robespierre et
Couthon s' efforcerent en vain d' obtenir de nou-
veau la parole pour leur rapporteur ou de la
prendre eux-memes. Le président agita conti-
nuellement la sonnette contre les tyrans, et
le mot, si souvent employé par leurs créatures:
« Tu n'as pas'la parole? »joint aux cris perpé-


.. i Hier, eommence Billaud-Varennes, lasociétéde$ Jacobins
était remplie d'homll1es apostés, puisqu'aucún n'avait decarte.
Hieron a développé, dans cette société, le plan d' égorger la Con-
vention nationale (il s'éleve un mouvement d'horreur); bier
j'y ai vu des hommes qui vomissai~nt ouvertement les infamies
les plus atroces contre ceux qui n'ont jamais dévié de, la ré-
volution. Je vois sur la montagne un de ces hommes qui me-
na<;ait les- représentants du peuple. Le voilit (de toutes parts
on s'écrie, arretez, al'l'etez!) » L'individu est saisi et entrainé
hors de la salle au mílieu des plus vifs applaudissements .


.. 2 Je m'étonne, s'écrie-t-il, de voir Saint.Just a la tríhune,
apres ce qui s'est passé,: il avait promis aux deux comités de
Icur soumettre son discours ,avant de le lire a la Convention,
et m~me de le supprímer, s'illeur semhlait danger~ux. L'as-
semblée jugerait mal ~es événements si elle se dissimulait
qu'elle est entre deux égorgem.ents. Elle périra si elle est
faible~ (Non, non, s'écrient tous les membres·, .en se levaut
a la fois et agitant leurs chapeaux.) JI




t


LIVRE IV, CHA.PITRE IV. 241


tuels : « A bas le tyran » étoufferent la voix de
Rohespierre. Tallien s'éleva alors avec une élo-
quence triomphante contre les tyrans: Barere,
jusque la n'avait fait que par l'ordre des
triumvirs des rapp~rts de mort et des procla-
mations de victoires 1, mais enfln il présentá
un rapport :in llom du comité de sala': publico
11 proposa de réforlner l'Qrganisation de lapo-
pulace armée,. qti' on avait I silbstituée aüx
vérjtables gardesnatjonales de PaHs, et de dé,;,
trúire ainsi le pouvoir d'Henriot, comman-
dant-général de ce rehut salarié, sur lequel
comptait Robespierre 2. AussitO:t la proposi-
tion adoptée, Barere présente Une proclama-
tion violente da.us, laqqeUE}' oh 'instruisait ·le
peuple ,du danger qúe laJpátrl~ etJnrait , e.t~oú
ún le provoquait a lá veilgeance contre la' die.:.
tature qu'on voulait lui imposer 3.


y Conformément au plan concel,té, que1qucs voix appelaient
tou j ours Barere, Barere, en. tre les eí'is; a ¿iiS le Íjlán. '


;a 10 Tous grades supérieurs a celui de chef de légio~, son~
$uppriniés. La garde nationale repreiulra sa p1'!!miere orga~i­
sation ; ~ conséquence , chaque chef dé ]~gi.il cOrrím-andéra i
son tour; ~o lemIlÍl:e,d • .l~aris e~ ~ag6Ilt¡~3:tÍQnal, qui Sera!!ll
tOlJr de éórrimandbr 'ía ~r(1e rialÍo"nale ~ véiHci'ont :l' la "sureté
de la repl'ésentation nationale; ils,répondmnt Sur leur té.te de
tous· les troubles qui pourraient sUl'venir a Paris; le présent
déeret sera el1voyé sur-Ie-champ" au) maire 'deP'áris~ j .. '
. 3'MoniteuI',an,U,uo 3 Io,'páge fl .7°, col. a;ia pí'oclalÍlatidÁ
.eommence aUis¡ :. ... Le.tl'á\1'án.,¿ a8'lá Coíiveótiort-' SOnts'téíln:~!I,
le courage des arrnéea deviem nu), si le~ cit.oyens· 'fran~ilis


H. 11. J6




\


242 HISTOIRE DU XVIlle Slj.~CLE.
CeUe proclamation ayant été approuvée, il


s'éleva dans la Conventiondu bruitet du hl~
multe, imoge6dele de l'anarchie. Toutle Inonde
crjait contre R?bespierl'e et s.es partisans , et
on ne Iaissa pas menle les injuriés et accusés
se déf~ndre. Le président ne leur accorda pas la
parole, les Dantonistes exhalerent leurfureur;
Robespierre prononc;a les plus grands blasphe-
mes, et, a11 milieu du trouble, son arrestation
ainsi que celle de son frere , de Couthon, de Le-
bas,de Saint-Just,etla permanencedelaséance
furent décrétées et exécutées sur~le,..chalnp.


Le savonnier Wilstrich, plus attaché 'a la
comD)U~~ ~t. aux Jacobins qu'á la Convention,
était comnü~saire ·t!e.P9lice dans la prison ou
ron condtlisit les triuinvirscontre le vceu des
comités. n refusa d'admettre Robespierre, l'en-


o voy a a la commune , ou ses amis et la muni~
cipalité raccueillirent avec allégresse. Celle-ci,
comptant sur Robespierre et ~es Jacobins, se
déclara dégagée dn devoir d' obéir a la Conven-
tion. Henriot rassembla ses cohorte& patriotes
de 1789, -les fédérés- de la sodété fra térn elle des
Septembriseurs prirent les armes, et Dleme le


. ,


mettent en' Palance ,quelques hommes et la patrie. Des pas-
Si9B:Spersonnelles ont usurpé:la place dubien.public, quelques
ch~ de -la force armée semblaient meoacer l'autorité natío-
nale, etc. ~




LIVRE IV, CHAPITRE IV. 243
département offrit son seconrs. Si on l1~vait.·
en affaire qu'a de bons citoyens comme a&-
trefois , Robespierre aurait sans doute encore
triomphé; mais les partisans de DaQton et de
Marat étaient ~Qntre lui; les 'premiers, paree
qu'ils voulaient venger la mort de leur chef;,
les autres, paree que les anciens con~deDts de:
Marat travailIaient el· renverset' Robespierre r,:
pour s'élever sur ses r1.iines~ Les qua~tíersile
laville habités par d'honnetes gens oftri'"
rent leurs services 'a la Convention. Les som..,
mes qu'il faIlait a Rohespierre el" a Saint-Just,
pour gagn'er les faubourgs, les etDpechaien~
de s'enrichir; ils manqu.aient en ;outre .de
courage et de talent, ils s1JccOmbe~eIit,dooé
des qu'ilfurent abandonnés de leur~' vQH4'~nts
défenseurs. .. .


La Convention avait fait arreter fe maire;
le président du comité révolutionnaire el' son
représentant, ainsi que Henriot;· inals' ¡es


ro Collot-d'Herbois dit : • A la féte funilbre de Marat'\ Ro-
bespl~rre par~a long-temps. a latribune, que ron 8"fait dI'~s$ée
devant lé Luxembourg, et lenom de Manit -iu~ 'sartit paS';1i~
seule foÍs de sa houche~ Le pe1lplepe1lt .. ireroi~qu'dIÍaiftle .
Marat, lorsqu' on déclare avec hllmeur qu'on neYedtpá,,'hn
~re assimilé. Non, ils avaient he8:U~- ces hy'pO'crites ,'parler
sans cesse de Marat, de Charlicr; i1.s n'aimaient ni Chal'Uer ,ni
Marat. (Charliet est comme Milr:it tme de~ apparitions les- plus
affreuses de la révolution.) Charlier, dont j'aí vu la condlÚté',
dont j'ai chéri, admiré,. i"esl'ecté les vertus! .. . .


16.




~44 HISTOIRE DU XVIII! SIEOLJ.~.
hgnlmes chargés d'exécuter ces ~rdres i ne sa"
chant qui rester~it enfin mattre de la vilie,
laisserent ,échapp~r Henriot 1 qui parcourut
toute la c;lpitale pour rassembler ses- parti-
san$. Les }acobins se leverent~n masse, en-
tourereJlt le comité: de su reté, marcherent con-
tre la,Colfyenti.on; et avaient déja fait braquer
les ~anons. coutre les Tuileries, lorsque les
aQversaires tIn triurnvirat parvinrent a armer
~s habitants des faubourgs, leurs anciens amis,
pour abattre la municipalité. D'ailleurs, les
Jacobins h'éraient pas e~ bonne ~ntelligence,
puisque'~acoste annon~~ a la CoIiventioIl le
-s,ecours ,du; faubourg Sain t -An toine. ~a Con-
v.elltion-"p9ssurée par cesa:uxHiaires, proscri-
vito Henriot; et Barras, qneRobespierre avait
vainement taché de gagner, se chargea des
mesures lllilitaires contre les Jacobins.'
.. )3a-rras, alors un des membres les'- plus COIl-
sidérés <le la Convention, devait, en sa qualité


I lJi,st. de la conjurati91l de Maximilien Ro¡'espierl'e, p. 214 :
« L~6:g~ndarmes de la Gonvention se laissereBt désarm,er sans
QPposer la plU4 lége.rel'éfistance. Henriot ét ses aides-de-camp
furtJll dé\iés.et em~eBés par Coffinhal et Lumiere.ll eS,t in con-
t(!'table que si ceu~~ci 1 apres eette expédition, se fussent por-
t~s, dans ,la. -cour du chateau des Tuileries i et de la dans la
salle oil les députés étaient assemblés, la journé~ était déci-
dée, et la Convention vaincue ;.mais au lieu de faire cette ma-
nreune si .simple, ils s'éloign~rent en grande hAte d~ chAteau
des Tuileries et de la coutdu Carrousel. •




LIVllE IV, CHAPITRE IV. !145
de noble et d'ancicn officier, ou se déclarer
ouvertement pour la revolution, , ou la COIn-
battre de tout son pouvoir. 11 avait embrassé
le premier parti : on l'envoya, cornme com-
missairede la Convention, a Mal"seiUe et
dans les contrées voisines, ainsi qu'?t la prise
de Toulon , ou il s'abandonna aux plus atroces
crua·utés, commandant lui-tneme le meurtre
et ,le pillage. Mais sa paresse et ses <téba:uches
rempecherent 'de se livrer comme 'dépúté ~
des travaux poli tiques de quelque importan ce ;
ilne manqúa cependant pas d'ériergie au roo-
ment du danger.


Tandis que Robespierre" Saint-Just el ia
municipalité p~rda~ent a la, commune leur
temps en pourpaflers, Barras;sec~ndé par Un
grand nombre d'hommes révolutionnaires i
de la ·Convention; fit ses préparatifs militaires;
hi municipalité fut cernéé a trois heures du


J /rloniteur, an II, nO 3 I2 , page 127l>, ·col. ·h. r oulaná;
• Citoyens, il faut Un chef a la garde nationale, mais il fau't
que ce chef soit a ,·ous, el, pour cela, il faut le prendre dans
votre sein. Les deux comités vous proposent ]e citoyen Barras,
qui aura le courage d'accepter ... (L'assemhlé~, au mil~eu d'ap ..
plaudissements, nomme le citoyen Barras pour diriger la forc~
armée. )


Sur sa demande, la Convention lui adjoint les membres
qu'elle investit des pouvoirs attribués aux représentants d tl
peuple pres des armées. Ces six membre's sont"Ferrand ,'Fré-
ron Roverei Debnas, BoUett, Léonard Boul·don et BdIlrdon
de l'Oise. • ..




~46 HISTOIRE DU X VIne SIECLE.
matin; on demanda irnpérieusementqu'on li-
vrat les accusés ~ . et Bourdon pénétra merne •
dans les appartements du fond pour y arre ter .
toutes les personnes assemblées. Aucun de
ces assa~ins n'eut le courage de vendre che-
rement sa víe, ou de se dérober par une mort
volonta\re a la. vengeance de ses adversaires.
Lebas seul se tua d'un coup de pistolet 1 ~ Les
autres furent arretés, et ~a Convention ne leva
la séance que le 10 thermidor ( ~8 juillet) . a
six heures du matin.


Le tribunal révolutionnaire et Fouqui~r­
Tainyille prouverent que Robespierre savait
:p~en. cho~ir son monde. Des que la nouvelle
de son arrestation ~e futrépandue, quoique
toutes les attaques fussent dirigées principa-
lernent contre le président et le défenseur de
ce tribunal, tous ses membres parurent néan-
m(}ins devant la ,Convention, pour y offrir
leurs services; mais olÍ n'était guere disposé
a les agréer. F0w:J;uíer-Tainville ehercha a re-
tarder l' exécutíon , en aUéguan t qu'il étai t diffi-
elle de fixer légalement l'identité des proscrits
avec les victimes qu' on voulait condamner, ~


IOn t4'aHen:riotd'Une Í¡)a¡~ d'ai¡;ance;Robespierre futblessé
;\la michoire ;par un coup de pistolet; son frere se précipita
du h\Ut d'une croisée et· se cassa les bras et les jambes.


2 La l()i <lerilandait que l'identité des personnes {lit consta-




LIVRE IV,',CHAPITRE IV. ~47
ce qu'il ll'avait jamajs .imaginé jusqu'alorS.


On devina incontinent ses desseins a 'la
Convention, et Tallien trouva facilement les
llloyens d'ijplanir la diffieulté J ; H annon<;a , le
28 juillet, peu de teUlps avant la clóture de
l~ séance, a neuf heures du soir, l' exécution
de Saillt-Just, de R.Qbespierl'e· et ,d~ nenf au ...
tres coupables principaux¡>;' ' , , '


Le l~ndeJ.Ilain, toutela :Uluniei,alité 1 ~Qíl
chef ettputefo le~ pafaónnes qui loor .étaient
attac.hé.es, au nóm.bré desoi~an te-onze, motI-
terellta l'échafaud. La: Convention décréta
el)~\lite: qlH~ laquatrieme partie des meIPl)re~
des cQI1}ités de gouvern~ment·s~ait d9'J;'~Da ..
vant ch~Dgée chaquemois, et qÍl~ ceux quj't!Q
sº.rt\r~~t ·\le potJ",fiieIlt ~tre: réélWl' :qu~u'1
I1).ej~ apres~ On resserra aus,Si leUrautortté,
et, l~ 14 ther1l1idor, 011 f(}AvQya a ol)~e CQn;tHé,s
tée par deux officiers de la municipa'lité, et ils étaient' tous
pFo~rits.


1 Tallien: .. La Convention doit prendre des mesures .pour
que les conspirateurJ> soient frappés sans délai; toutaélai sera
préju~~iable a la Rép~9]~q~. l~ {IHlt qp, r éch~faJl~ s~i~ cJr~s.s~
sur-Ie-champ; qu'avec les tétes d~ ses complices tombe 311-
jourd'hui la téte de cet infame Rohespietre quinous IlI1DOn-
'1aitqu'il croyait a l'Etre-Supréme ,et .qui ne croyait qu'~ la
force, du crime. Il faut que le sol q.e la Rép~blique soit purgé
d'un monstre qui ét~it en mesure' pourse faire proclamer t~i.
J e de~~de <¡ue le Jrib~~al .. se \'etire p~r-~e~'a~!t le comité ~e
sureté génér~le pour prendre ses ordres et qu'il retourne a
son poste ...




248 HISTOIRE DU"VIIIC SIECLE.
l'inspec~ion des différentes branches de l'ad..,¡
ministration pour laquelle on nomma des
commissions.


La nation fran~aise, par la vivacité~e son
esprit et son amour pour la gloire, excelle sur-
tout dan s ,les négociatíons et l'art de la guerreo
C'estce que l'oll;rec;onnut de nouveau dan s
ces temps de'troubles. D'ailleurs ,. si la France
vit sa ~enolPmée militaire s' élever au pl~~ hau t
degré pendant Ja révolution ;si elle créa plu-
sieurs armées et forma plusieurs généraux ,
qui pinel~ent et épuiserent bientot l'Europe
entÍere; si elle forc;a presque toutes les puis ..
san~'e&,eur,opéenDes', et- surtput le/saínt em ...
pire 'romain; d~ penOncer ~ ~oyen age, et de
prt.clamer la nouvelle ere ; elle . ne,le "dt1t 'pas
séülement a son habileté et aux cabales qui ré ...
gnaientdans lesgouvernements et parmi les mi ...
l1istres~ C'ét~it un combat pqur la patrie; la li-
bei'té,célébrée dansles chants nationaux, exalta
~e& ereurs des sold.ats bien plus que ceux des au-
tres citoyel)s, puisql1~ils n'avaienf,' pour ainsi
<ljr~., aueune conllaissance des horreurs qui se
commettaient chez eux. L'officier De voyait
qu'upemortincertaipe,tandisqu'ilavaitdevant
lui la perspeetive de parv'enir promptement
~llX :pl~JS hauts grades. Dans sa liaison av~c




LIVRE IV, CHAPITRE IV. ~49
Robespierre, Carnot n'avait eu d'autre hut que


, d'affermir la gloire nationale par des victoires.
Illaissa done a Rohespierre le pIein pouvoir
de tyranniser l'1ntérieur, pour qu'illui ahan~
donnat la direction des armées et toute la
marche de la guerreo On prenait de force les
hommes, les mnnitions, lesvivres. Celui qui
faisait la mOlndre résistance encourai~ la pei~e
de mort. La .. sagesse· des capitaines ·qu'on op-
posa /l ces légions rassemblées, échoua contre
leur hrav()ure féroce; d'aillellrs, la discorde
régnait parmi lescours et les généraux alliés,
et les voisins de la France, surtout les hahi ..
tants de Liége, de la rive gauche du Rhin et
de quelques pa~ties de la Belgique, se ser~ient
imposé volontiers "les' plus -grands fardeaux ,
póur sedélivrer' de l'oppression du régime
féodal.


En. 1793, la mauvaise intelligence entre le
duc de Brunswick, alors a la tete des Prussiens,
et W urmser, chef des A u trichiens, devin t la
cause de bien des désastres. Le duc ayant dé-
posé le commandement, au. mois de janvier
1794, l'armée pl'ussienne, soudoyée par l' An-
gleterre, s'avan<;a, sons la conduite de Mrel-
leqd()rf; mais il ne régna pas plus d'accord
entre eux. Les Anglais et les Belges, qui leur




250 HISTOIRE DU XVJlIc fd:CLE.


étaient entierc.qlent vendus j depuis 1747,
avaientdéclal'é la guerre, en 1793, au mois de
février. Les- Autriehlens, eomm3¡lldés par le
prince de Cohourg, avaient pris des renforts,
et Dumouriez, meme avant sa fuite, ne soIt-
geait qu'a la retraite; mais les succes des alliés
ne servi~nt qu'a les désunir.


Dampierre, Lamar~he et Custine succéde ...
rent a DUlnouriez dans le co~mandement
des armées, mais 'ils ne furent pas pll.lsheu ...
reux. Apres la prise de Condé, Valencienne~
se rendit aux alliés le 28 juil!et 1793, cinq
jours apres que les Prus~jens eurent occupé
May~c6 ; ~ai~ des ce ¡IIlomen.t , les Prussien~
et les Autrichiens, postés su.r le Rhiu, ne
consultaient ql;t61eurs intérets pal'ticuliers,et
oubliaient la cause commune. Les Anglais et
les Autrichiens n'agissaient pas mieu~ dan s la
BeIg~que; au .. lieu de potlrswvre ensemble
Jeurs ava,ntages ; .le due d'Y o,rket le prince de
Cobourg s'arreterent au long siége des pInces
frontieres, puis chacun voulait .s'appreprier
sapart; le ductira enfin sur Dunkerque et le
prince sur Mé\ubeuge. .


Trois arroées fran«;aises, de la Mosen~, des
Ardennes et du'Nord mena«;aient la Belgique.
Houchard battit, le 8 aoút 17~3, le dllC d'Y.or]i,




LIVRE IV, ClIAPITRE IV. 251
pres de Hondscote , et Jourdan chercha a ser-
rer le prince de Cobourg ,pour qu'il passat
la Sambre. Jourdan resta maltre du champ
de bataille, pres de Wattignies, le 16 octobre,
trois jours apres que les Prussiens, alors en-
core commandés par le duc de Brunswick,
ayant passé les lignes de Wissembourg, se
furent portés de nouveau sur le ·.so} fraD~aiS.
Le prince de Cobourg se vit obligé de se re-
tirer. Oh ne tira pas· parti de la prise· des
lignes; ear des dissensions eontinuelles entre
le due de 13runswick et W urmser, ainsi qu' en-
tre les officiers prussiens et autrichiens les em··
pechaient d'agir de concert dans leurs entre-
prises. Les Fran~ais mirent jU6tementalorsdes
hommes, commeH~ehe. etPichegm, nés gé-
néraux et sachant gagner et transporter leurs
soldats, a la tete des (roúpes. L'arinée du
Rhin et de la l\Ioselle reprit les lignes perdues,
et quoique le tyran Sáint-Just éloignat et
poursuivit, COlnme commissaire a l'armée , le
violent Hoche" Miehaud occupa toute la rive
gauche du Rhin jusqu'a Mayence, depuis le
24 décembre I793 jusqu'au 17 juillet 1794;
lorsque les Prussiens abandonnerenf peua pen
la c~use eommune, et que le duc de BruIiswick
déposa le commandmnent.




252 llISTOIRE DU X'\TIUe SIECLE.


Le vieux Moollendorf n'était guere en état
de tenir tete aux Franc;;ais. La mauvaise volonté
s' en mela; les. Prussiens resterent dans une
inaction complete'; l'Empereur était dénué de
ressources, l'Angleterre ne voulait et ne pou-
vait fournir que des subsides. Les tyransde
la Franc~, 'au ~ontraire, mirent, par la terreur,
par la requisition etla loi des suspects l , un
million d'hommes sur pied, et ils virent hien-
tot la victoire s'attacher a leurs paso P~chegru
chassa l'ennemi des cotes de la Flandl'e, et
remporta un avantage sur les Anglais, pres de
Turcoiug, le 18 rnai J 794.
- Quinz~ jburs apres, les trois armées du
NOrd ~ jusque+-laséparées, frirent réunies sous
l~s ordres. de Jourdan. Ce général, sous 1equel
Kléber, Marceau et .. BernadoÜe se distin-
guaient alors, se vit a peine a la tete de l'armée
coalisée, nOlumée depuis l'armée de Sambre-
et-Meuse, qu'jl chercha a engager les trou-
pes autrichiennes et belges dans une ba,;.
taille .décisive. U y parvint le 26juin, pres de
Fleurus. L'archiduc Charles, :commandant


1 Le .~ot suspect était dénni d'unc maniere si vague, que
toot le monde pouvait y étrecompris. Tous les riches, tous
le~ nobles, tous ceux qui ne partageaient point le vertige gé.
né~al, voyaient chez enx leur perte assurée, tandis qu'a l'ar.,.
m,ée ils n'étaient exposés qu'aux dangers des combats.




Ll VRE IV; CllAPITRE IV. 2;53
une division, sous le prince de Cobourg, s'y
battit honorablement , et pour la premiere fois
contre l~ général Jourdan.


La perte de cette bataille, la séparation des
Autrichiens et des Belges, l'éloignement du I
prince de Cobourg, eurer~t pour les ,alliés les
suites les plus facheuses.IIsneprófiterentpasdu
secours prussien, payé de l'arge.nt des,Anglais~
puisque la Prusse se laissa séduire parles pro-
messes que lui fir~nt les Fran<;ais, de les en~
richir en Allemagne au détriment des autres
~tats. Malheureusement pour l' Allemagne et
la Prusse, ]a cour de cette derniere puissance
était alors le jouet de différentes passions et des
cabales .. Des ge9s enmme Haugwitz et Luche-
sini; qui ne perisaient. qll'a eux et a la poli-
tiqlie cabalistique des temps passés; lorsque
l'armée oe connaissait que l'ancienne maniere
de faire la guerre, ne ponvaieitt et ne von ..
laient pas reconnaitre qu'a de llouveaux prin ..
cipes il fallait opposer des moyens nouveaux.
lIs humilierent leur souverain par un traité, en
vertlldllquel il s'engag~a a faire, pour de l'a~­
gent, ce qu'il avait d'abord promis spontané ..
ment, et le déciderent a ahandonner s~s alliés,
pour n~ veiller qu'a son intéret propre. Le 19
.avril 1794, laPrusses'engagea: envers les puis-




~54 flISTOIRE DU X'71Ile SIECLE.
sances maritimes., a fúurnir contre les Fran-
~ais, moyennantune sommed'argent, soixante-
deux mille hommes, sous le c?mlnandement
du feld-maréchal de Mrellendorf. Ces troupes
et surtout leur chef garderent contre l' Autri-
che lameme jalousie et la meme méfiance
qui, l'année précédente, avait occasionné la
retraite des Allemands jusqu'~u Rhin, et qui,
dans cette nouvelle expédition , eut des résul-
tats aussi funestes.


Les alliés, depuis la bataille de Fleurus ,
serrés de toutes parts par les Fran~ajs, dési-
raiént que lesPrussiens, postés jusqu'auHunds-
rnck, se joignissent a eux au-dessus de Treves.
Les Prussiens négligeant d' occuper cette ville,
Moreáu les prévint. On les en accusa haute-
ment; les généraux se défendirent avec aigreur,
le roi partagea leur dépit, et la cause publi-
que en souffrit, a la grande satisfaction des
eIlnemis.


Le prince de Cobourg ayant pris de l'hu-.
meur, avait quitté le commandement. Clair-
fajt,. qui lui succéda', ne put tenir tete a Jour-
dan, et repassa le Rhin a la fin de l'année
1 794. Jo~rdan eut bientot occupé tout le
pays , depuis le Waal jusqu'a lV[ayence, et Pi-
chegl'u avanc;a jusque sur le territoire hollan-




LIVRE IV, CHAPITRE IV. 2.55
dais; alors toute la Belgique se trouvait au
pouvoir des Fran<;ais.


111. Apres la chuté -des triumvirs, le gou ..
vernement prit, en apparence, une direction
plus douce; mais les hommes qui avaient
triomphé dáns cette grande lutte ne purent
consentir a l'adoption d'un nouveau régime ;
car dans ce cas ils rentraient dans le néant,
tandis que le royalisme se relevait~ lIs ne pOll"o
vaient non plus voir d'un reil indifférent le
parti si puissant des homlnes qdon avait im-
molés, r"eprendre de l'inf]uence; car ils avaient


\


tont a craindre de son ressentiment. Tallien,
Fréron et autres, qui désiraient terminer la
révolution, pourvu 'qu'ils restassent a la tete
des affaires, sevirent donc, presque malgré
eux, portés d'abord a la modération, ensuite
au rappel des Girondins qui avaient survécu
et de lenrs, soixante-treize partisans. Pendant
cette indécision, le robuste Legendre ferma ,
le 9 thermidor, le club des Jacobins I ; bien-


1 Hist, de l~ conjuration de Maximilien Ropespierre, p. 216:
.. Legendre; arme d'un pistolet, et suivi seulement de dix:
hommes, se transporte dans l'assemblée des Jacobins. Il marche
droit a Vihiers Ieur président, avec l'intention de lui bruler
la cerveIle. Vihiers s'échappe de sonfauteuil, s'élance dans la
fonle et dispara!t; les spectateurs, tes ~embres de l'assemblée
prennent l'épouvante. _ Ils se jettent les UDS sur le,s autres , se
11ressent nux portes, se dispersent dans les rues, el fuient




~56 IIISTOIltE DU XVIllu SIF:CLE.
tot apres, il permit qu'on 1'0UVrlt de nouvealC.
On arreta les juges criminels, le président des
jurés et l'accusateur public, mais on les ren-
dit a la liberté. Catrier et Lebon 1, ayant
exercé, au nom de la Convention, des atroc~·
tés Ínouies dans les départements, devaient
s;enjustifier; mais, secondés par plusieurs ter-
roristes, ils surent décider la majorité de la
Con ven tion en leur faveur 2. Commentd' ailleurs


eomme si une armée nombreuse les pressait l'épée dans les
reJns. lO


Legendre, en saisissant cette occasion de se venger 1 si ar-
eemment désirée depuis la mort de Danton, se ca:tactérise
parfaitement dans son discours : Moniteur, an II, n° 312 ,
page 121..7, col. c. et J 278 , col. a. L'histoire meme de ces évé-
nements se trouve dans les déhats del'an II, du 12 vende-
~iaire. Ce <¡ui est le p~us a remar,que" e'est la déc1aration
de Legendre. Monltcul', an 1I, n° i 4, page 70, col. b. , au
milieu.'


I Quant 11 Lebon, nous y reyiendrons plus tardo On trouve
les horrenrs des noyades et des fusillades sons Carrier et son
comité, rassemblées dans le Proces criminel des membres du co-
mité réJlolutionnllire· de Nantes, el du ci-devant repr¿senlant du
peuple Carric,., instruít par le tribunal l'évollltionnaire. étaMí ti
París par la lvi da j{j mars 1793. A París, chez la ~¡toJenne
Toubon, sous les galeries du théátre de la RipuNique, ti t;óté dit
pasiage vitJ:é " l'an III de la Républiqu(',


3 LecointJ'e, le m~me chez lequel Fouquier.oTainville , les
jl,lges et les principaux jurés du tribunal rév.olutionnaire se
rasscmblaient, et faisaient les listes de leurs victimes, proposa,
des le. 12 fructidor ( 29 aout), que BaJ'ere, Eilland-Varenues,
CoUot - d'Herbois, Vo~land, ~adier, Amar et David fus-
scnt cxpulsés de la: Convention. Apre~ de violel)ts débats, la
méme ~tssemb]ée, qui, ¡'enfqrcée par 'des Girondins, déclara
fllsuite ces hommes emlcmis ct brig:mds, l'ecollntlt, a la pro"-




LIVRE IV, CHAPITR.E IV. 257
ajouter foi a l'accusation de Lecointre, mar-
chand de toile de Veriailles, qui défendait,
comme les meilleurs citoyens , les memes per-
sonnes que la veille il avait présenJées sous les
traits les plus hideux?Quelle confiance pouvait-
on avoir en Tallien qui cherchait a fonder sa
fortune sur la ruine de ses compatriotes?'Com-
ment un Barere aurait-il permis que le parti,
qu'il avait lui-menle suivi, et avec lequel il
s'était ensuite brouillé ajamais; reprit son as-
cendant?


C'est ce que Barere et autres exprimerent
clairement devant la Convention 1; leurs par ..


position de Thuriot, que ces memhres n'avaient cessé de dé-
fendre la cause du peQple et de combattre pour la République.
On obtint ce décret pour ainsidire de force, car Vadier avait
a la tribune un pistolet a la main; le déeret étant révoqué , il
fut bientot apres confirmé de nouveau, et Lecointre déclaré
calomniateur. Moniteur, an IJI, nOS 345-46.


1 Buere, d'abord avocat auparlement de Toulouse, et en-
suite conseiller a la sénéchaussée de Bigorre, dit, a l' oceasion
de la proposition de Tallien, d'employer ladouceur (Moniteur
an 11, na 328, le 24 thermidor, page 1342, eol. b.) : .. Il faut
aborder franchement la question; on a demandé beaueoup de
lumieres pour avoir, quoi? •. un gouvetnement.juste; mais,
est - ce juste a la maniere des aristoerates? Non, sans doute
(on applaudit) ; nous avons été sauvés par le gouvernement
révolutionnaire; les intrigants, les fripons, ne eraignent que
le gouvernement révolutionnaire; e'est done a cette base
unique , a ee gouvernement aceélérateur des mouvements des
armées, conservateurdes vietoires, qu'il faut tout rapporter. »


Mais le 2 fructidor, Bouehet, apres un long préambule,
dit: " Je demande que la justice la plus sévere comprime la plus


H. n. 17




258' IIlSTOJRE DU ,XVIllc SIECLE.
tisans étaient si nDmbreux, que Tallien et
FrérDn firent usage de tDUt leur art pour mo-
dérer l'influence de la pDpu)aee et de ses'.
chefs pa~ ceHe du mDyen-état qu'ils s'attaehe-
rent l. On cessa de dDnner les deux franes
que J' Dn payait auparavant a la He du peuple
et aux indigents, pDur qu'ils assistassent aux
assemblées des sectiDns, et en éloignassent,
par leurs c1ameurs, tDUS les'citDyens honnetes.
Des ce mDment ils ne reparurent plus. Les
assemblées interdites aux Duvriers, pDur cer-
tains jDurs, furent fixées aux décades. On
serna ensuite la divisiDn entre les JacDbins et
la jeunesse de Paris qui cDmment;;ait a se dé-
gouter de l' égíllité des sans:'eulDttes, et qui ne
pDuvait souffrir ces femmes déhontées qui
servaient d'instruments ~ux JacDbins. Le parti
d'entre eux qui dominaitalorsa laConvention,
parce qu'il était soutenu par ceux qui vou-
laient rétablir, l' Drdre, cherchait a transférer
de nouveau les bases du gouvernement, du
club ·des Jaeobins a la Convention, pour s'em-
parer ainsi de toute autorité. Leur intention
n'échappa pDint a leurs adversaires, aux Col-


infame aristocratie et le lache modérantisme, qui partout re-
levent leur t~te insolente ...


• Toul~"'Keon, vol. V, pages 99-135.




LIVRE IV, CHAPIT.RE IV. 259
lot-4'Herbois et aux Billaud - Varennes qui,
depuis le mois d'aout jusqu'au mois de no-
vembre, empl~yerenr vainement tous les
rnoyens pour conserver a Ieur club un pon-
voir pret a passer en d'autres mains l.


Paris présentaít a eette époque l'image de
l'anarehie la plus affreuse. Les hordes de Fré-
ron, excitées par rOrate.ur du peuple écrit
dans le style de Marat, pénétrerent jusqu'aux
tribunes des Jaeobins el les injurierent jus-
qu'au milieu de leur assemblée. lei les jeunes
gens faisaient un tapage effroyable, quand
on parlait de la Convention et de tout ce
qui y avait rapport; les Jaeobins, de Ieur
coté, envoyere~t les femmes de guillotine de
RQhespierre, ainsi que tous les patrio tes irn-
pudents a leur solde, daos les tribunes de
la Convention, pour y exciter des clameurs .
e't proYoquer des troubles 2. 11 s' éleva rncme
un violent eombat entre les députés qui sou-
tenaient les Jacobins, paree qu'il, en avaient
besoin, et eeux qui voulaient les anéantir,


1 Orateur du peuplc nO 26, du 15 brumaire, page 204 :
« Le calcul des victiines, san s jugement quelconque, du seul
ordre de Carrier, se monte, hommes, femmes, enfants, vieil-
lards de tout 1ge (sic), de tout sexe, de dix a onze mille fusiUéi
011 noyés; les officiers de san té peuvent attester ce faít .•


2 Orateur du peltple nO '19, du '11 Lrumaire, llage 226.
17·




260 HISTOIRE DU XVlI le SIECLE.


paree qu'ils n'en espéraient rien. eette lutte
dura depuis le 6 jusquJau 11 novembre. Pour
donner aux autorités publiques et a la poli'ee
un prétexte plausible de poursuivre le parti
eontraire, les élégants ,qui 6.guraient dans les
salons de madame Cabarrus, ou q~i étaient l' or-
gane des sociétés du bon ton, eomme Fréron 1
et Tallien, firent insulter publiquement les
J aeobins, par des gens dévoués a leur cause;
des qu'ils quittaient la salle des eonférenees,
on leur jetait de la boue et des pierres; les fenl-
mes memes étaient inveetivées et souffletées.
Ces hOl1unes, autrefois si orgueilleux, mon-
trerent toute leur faiblesse el leur Iacheté,
en laissant impunies ces scenes scandaleuses ,
que fomentaient secretement les comités du
gouvernement pour dévoiler l'impuissance des
Jacohins. Le 19 brumaire, les élégants, qui
jouaient cette fois le role de la populace, 6.-
rent du Palais-Royal un siege en regle contre
la salle du club de la rue Sain t-Honoré 2; on
y entra de force, on en chassa les Jacobins,
on fustigea les femmes, entr~ autres celle


1 Fréron avait a peine víngt-six ans , ce qui ttt que la jeu-
nesse dorée l'entourait; iI est mort en 1803, a l'age de trente-
cinq ans.


2 Beaulieu, E ssais ltistori'lues sur la ré¡Iolution de France,
vol. VI, page 117 et suiv., en fait une peinture tres-vive.




LIVRE IV, CHAPITIlE IV. ~61
d'l1n député, nommé Crassous, eton joignit,
au chatiment de ces femmes orateurs patriotes,
le sage conseil de rester dorénavant dans leur
ménage l.


La poli ce laissa nlaltraiter impunément les
Jacobins. Les comités de sureté générale, de
législation et de salut public, ainsi que- le co-
luité militaire se réunirent en fin le meme
j<?ur, a 8 heures du soil', pour prendre des
mesures contre les désordres qui régnaient
dans la ville. Lenr intention ne put échapper
aux Jacobins 2. Les troubles continuerent . .sur


1 Fréron, Orateur da peaple, nO 30, du 23 hrumaire,
page 238 : «Les clefs de ce paradis des intrigants ont été dé-
posées aux archives du comité de sur~té gé~érale, qui a pro-
mis de prendre toutes Jes précautiont pour les empécher de
se rouiller. Le méme comité ayant cru, par mesure de police
générale, devoir suspendre provisoirement les séances de ladite
société, a fait part a la Convention_ dans la séance du 22, de
cette mesure. C'était vraiment une pitié de voir la face contris-
tée du lion Billaud, et la mine affligée de Collot de Lyon , et
la grimace du marquis de Montaut, et la tristes se du pretre
Chales, et la désolation du prétre Bassal, et le désespoir du
diacre Audouin , et les lar mes du haron de Vieusac (Barere) ,
et les convulsion.s du grand trésorier de France Aucas, et la
syncope du chevalier de Ruamps, et les contosions du derriere
de madame Crassous, peintes en traits de douleur sur la large
face de monsieur son époux. "


.2 Le J acobin Duhem raconte a la Convention, ]I-[oniteur,
nO 53,page ~128,col.b.:« Enentendantcesexpressionsetl'agi-
tation sourde qui régnait autour de moi , je me retournais du
coté de celui qui avait tenu ce propos, et je lui disais a voix
hasse-: Me voila, que me veux-tu.? tiens, me voilit, huveur de
sang, en voila, bois-en; il me mettait le poing sous le nez. J'e




!lth HISTOIRE DU XVIIp! Sd~CLJ.:.
la proposítion de Rewbell et au nom .des co-
mités, le club fut d'abord suspendu provisoi-
rement 1 dans la nuit du 20 au 21, et Jermé
définitivement le 22 brumaire. Le 24, une
loi positive changea totalement le systerne des
clubs en Franee, de meme que le rapport qui
existait entre les sociétés partieulieres et l'État;
le rendez-vous des Jaeobins devint une salle
d'armes. lis se brouilIerent a jamais avee tous
les gens modérés; et Tallien et F'réron, anciens
amis de Marat, qui alors rédigeaient les jour-
naux, déclamaient sans cesse contre le sys-
teme de meurtre qu'on avait adopté. Les
membres les plus puissants de la Convention
étaient cependa. partisans de Robespierre ,
ou au moins de ces Jacobins qui lu~ étaient
entierement dévoués. Pour leur opposer une


le saisis; un de mes collegues, un député de la Convention,
me le demanda. Je ne voulus le remettre qu'a la force armée;
je ne voulus de méme remettre un assassÍn , que j'avais pris
a la porte de notre salle, qu'a la force armée, quoique mon
collegue Carnot me le demandAt; car il faut que vous sachiez
qu'on a hrisé nos portes, et qu'on est venu contre nous avec
des pistolets et de~ poignards .•
~ Le 20 hrumaire, Rewhell, comme président des quatre co-


mités réunis, lit les propositions suivantes :
1° Les séances des Jacobins seront suspendues jusqu'a ce


qu'il en ait été autrement ordonné.
~ o Les comités de salut public, de législation et de smeté


générale, présenteront illcessamment une loi contre les calom-
niateurs. .




LIVRE IV, CHAPITRE 1 V. ~63
résistance qui fut durable, il faUut s'attacher
tous lesennemis du club et de son systeme.


On proposa dOllc, le 8 décembre 1794,
d'admettre de nouveau les soixante-onze dé-
putés, arretés el suspendus a cause de lenr
protestation contre les scenes du 2 juin 1793,
ce qui passa presque sans la moindre opposi-
tion. Des-Iors commen«;a une réaction d'une
toute autre espece ; les royalistes redoutaient
les répuhlic~ins, dont le parti s'était renforcé.
Craignant une constitntion, ils soutenaient
les fauteurs de l'anarchie ; ils leur semblaient
bien moins dangereux que les amis de la li-'
berté et que la classe élevée de la hoilrgeoi ..
sie ,qu'ils ne p~uvaient espérer' decorrom-
pre. lis se flattaient degagner ;¡isément les
misérables démagogues f:t' force d'argent et
de vains honneurs, ou d'appeler la haine pu-
blique sur leurs atrocités. Le& répnblicains ,
ponr en imposer aux Jacobins et aux roya:-
listes 1, firent décréter l'instruction des com-
plices du tyran qu'on avait renversé, et ad-


1 Lecointre renouvela l'accusation, Merlin fit le rapport et
n' excepta, des sept accusés Vadier, Collot, Billaud, Barere ,
David, Amar, Vouland, que les quatre premiers; il proposa
\lile cQmmission de vingt - un membres qui feraient le rap-
port. Saladin lit ce rapport, connu SOl1S le nom de Rapport des
'Vingt-14n.




264 1IISTOI1,tE DU ~VIJle Sd::CLE.
fllettre a la COllyention ceux des Girondins
proscrits qui s'étaient soustraits a la mort. On
vit alors a l:assemblée et dans toute la viUe
combien le JacobinislI,le était enraciné, et
quelle infl~ence le parti déchu du tyran avait
encore sur le peuple.


La commission des vingt - un, nom.mée 1
poul" faire les rapports sur Vadier, Barere ,
Billaud-Varennes et Collot-d'Herbois, différa
long-temps de publier ses délibérations; l'ac-
cusation étant décrétée, le peuple s'ameuta et
se porta aux dernieres extrémités, avant meme
que le rapport fut présenté. Les Jacobins se-
merent de faux bruits qui répandirent par-
tou~ la terreur; ils employerent la violenceet
toutes sortes, d'artifices, pour provoquer une
augmentation subite dans le prix des denrées.
I.Ja disette commen«;:ait a se faire sentir a Paris,
et les cris : du pain, du pain! devinrent le si-
gnal de ralliemel1t des hordes infames qu'ils
avaient a leurs ordres. Une impudente di-
lapidation des deniers publics, la création de
nouvelles places, données a des parents et a


1 Rapport des '/}ingt- un, du 2 mars 1795 = tII La commis-
sion des vingt - un, pendant l'instruction de cette grande
affaire, a communiqué toutes les pieces aux prévenus ; elle les
a entendus dans tous leurs moyens de défense : c'est ce qui a
dñ nécessairement retarder un rapport si long-temps attendu ...




LIVRE IV, CHAPITRE IV. 2.65
des amis, la négligence a suivre les débats sur
l'établissement d'une nouvelle constitution,
afin de prolonger son pouvoir, avaient attiré
sur la Convention le mécontentement général.
Les Jacobins, pour profiter de cette disposi-
tion du .peuple et l'intéresser a leur cause, se
plaignirent de l'état des finan ces et demau-
derent avec acharnement la constitution de
1793.


:La Convention avait été des Ion g-temps ~e
théatre scandaleux d'une lutte publique, ou
l' on se portait aux invecti ves les plus gros-
sieres l. Malgré toutes les clameurs des Jac.o-
bins, qui poul'suivaient le proces des quatre
accusés, on ré~olut d'opposer l~ journée dn
10 aout au gouvernement républicain, co~me


J .lJloniteur an 111, n° 99, page 410, col. c. Duhem .•••• " Si
Clauzel, que je regarde comme un infame calomniateur (vio-
lent murmure), Clauzel. - Je demande a répondre a Duhem.
- Si Clauzel, qui a eu l'audace de me dire en face que j'étais
en correspondance avec les émigrés. en Suisse, pe me prou\'e
pas ce fait, je déclare que je l'assassinerai moi-méme. :t'assem-
blée et tous les citoyens des tribunes manifestent la plus vive
indignation. Duhem .ote Sft cravate. N .... Je demande que l'as-
sassin Dnhem soít l'appelé a l' orgre (vifs applaudissements).
Plusieurs 'Voi.1:.-A l'Abbaye, a l'Abbaye! ..


Le 4 germinal, Moniteur an 111" nO 187: ". Deux députés
et Jacobins, Gaston et Ruamps, se déclarerent publiquement
champions des femmes déhontées de la populace , et cepen-
dant il est dit :.l1s menacent Legendre en l'appelant vil bou-
cher. Legend1:e.- Oui, j'ái été bouch;er, et ie m'en frus hon-
neur. )J




266 HÚTOIRE DU XVIII C SIECLE.
on l'avait faÍt eOlltre le roi en 1792, et de
perdre la Convention, eomme auparavant
I.Jouis XVI. On eut bientot rassemblé la p()pu-
laee, oeeupé les entrées de eette ehambre, et,
le 1 er germinal (21 mars 1795), on vit en-
trer dans la salle une troupe d'hommes et de
femmes, a,laquelle on n'opposa aueune rési-
stanee. Ils poussaient des el'is épouvantables
et demandaient du pain et la cvnstitution de
1793! Ce bruit affreux . étouffa toutes les voix
qui eherehaient a se faire entendre. Reureu-
sement, les eonlités savalent ~ <les la nuit pré-
eédente, ee qui devait arriver le.lendemain.
Fréron avait conv.oqué les royalistes, qui comp-
tarent sur lui eorome· chef, et ils avaneerent


. sous les armes eomme garoes nationales.
Des qu'ilseurent délivré la Convention de


la populaee qui la tenait assiégée, on décréta ,
sur la proposition de Sii~yes , une loi luartiale,
et une commission' fut ehargée de s'oceuper
du plan d'une nouvelleconstitution l. De cette


1 Dans le rappol't que Sieyes met a la t~te de son plan de
lois, Moniteur, an HI, nO 185, pago 753, col. b. c., et 754,
col. a. et b.; il montre parfaitement l'état des dloses, et ca-
ractérise les partis avec cette sagacité qui luí est propre, La loi
m~me contient 2 chapitres : le premier a 6, le second 19 ar-
tieles. Le dix-huitieme artiele donne quatre dispositioIlS en cas
que la Convention nationale fut dissoute :


10 Les membreg se rassembleront alors a Chalons , ou dans




LIVI-tE IV, CHAPITRI<: IV. 267
manIere, les trolJ.bles furent apaisés pon!"
quelques temps, mais la disette devint bientot
extreme, par le peu de valeur des assignats,
par les entraves qn'épronvaient les transports
des vivres et le soin que certains particuliers
prenaient de les accaparer. Le pain était I~are,
les premiers besoins de la vie s'achetaient en
sacrifIant les effets les plus précieux. On
ponrsuivit néanmoins le proces des quatre qui
avaient suscité toutes ces menées, et durant
leur défense, Barere lit briller le sbphisme
infernal "de l'éloquence révolutionnaire. Car-
not 1, Lindet, Foussedoire, Montant, l'ami de
Fouqnier, et Lecointre, deux fois accusa-
teur des assassins, cherchaient maintenant a
les défendre avec tons les raisonnements d'une


un autre endroit; ou la majorité des membres se trouvera, la
Convention sera constituée.


2 o Les députés demeurant dans la colnmune OU la Cónven-
tion nationale a été levée, ne peuvent pas rrésider a des
fonctions publiques; plusieurs d'entre eux n'áuront pas de
voix délibérative; on mandera de toutes les armées des divi,..
sions de troupes a la défense de la Convention.


1 Carnot dit:. Je pourrais me tenir a l'écart en ces cir-"
constances, puisque je fus constarilment opposé aux mesures
'v'Íolentes; puisque depuis long-temps j'avais atta qué Robes-
pierre et Saint-Just dans le sein du comité de salut public;
puisque je n'avais cessé de m'y élever contre Henriot et la
municipalité conspirattice; j'ai combattu souvent les prévenu.
eux-mémes, lorsque tout Héchisflait devant eux, je les défen-
drai maintenant que chacun les accable. "




268 HISTOIRJ<2 DU XVIJlC Sd~CL.E.
logique serrée, en altérant les faits, et en exci-
tant des passions assoupies, par la véhémence
la plus farouche. Cependant les assignats pero.
daient de jour en jour de leur valeur, et la
disette augmentait, dans la ville ainsi que les
difficultés d'amener des vivres, dont l'entrée
était souvent meme elnpechée de force par la
popul,ace, ou figuraient surtout les felnmes. De
son coté, le parti opposé 6t venir a Paris, des
armé es et meme des départements, un grand
nombre d'homn1es qui lui étaient dévoués. Au
grand avantage des royalistes, Pichegru se
trouvait dans la capitale. Ce général, depuis
quelque temps, penchait vers le royalisme,
et, a ~on re tour a l'armée, al!- mois d'avril, il
se mit ineme en correspondance avec Condé
et les émigrés. L'orage du Jacobinisme se pré-
para pendant cinq jours et on s'attendait d'un
moment a l'autre, qu'il allait éc1ater de nou-
vean sur la Convention, ce qui arriva enfin, le
7 germinal (27 mars 1795).


Des troupes de femmes déhontées com-
posaient l'avant-garde; venaient ensuite des
hommes tout-a-fait dignes d'elles. Les tri-
bunes de la Convention étaient reníplies de la
He du peuple qui par ses clameurs otait la
parole a tout député: «. Du pain el la constitu-




L 1 V RE 1 V, e HA P I T R E 1 V. 269
tion de 1793, » furent encore le cri de ral~
liement; ce.,s lnots se trouvaient sur les dra-"-
peaux et les inscriptions qu'on avait attachées
aux chapeaux. TOldes ces femmes impudentes
voulaient pénétrer dans la salle, ou forcer les
portes; on en fit enfin entrer une députation
de vingt; elles apostropherent le president par
des injures, mais manquerentcette fois le but
qu'on s'était promis de leur assistance. Au mi-
lieu de ces désordres, un des députés 1 con-
seilla d'ajour;ner l'accusation des quatre; mais la
Convention lapoursuivit néanmoins avec fer-
meté. Des ce jour, le, tumulte allait t()ujours
croissant 2 ,jusqu'ace'qu'enfin la populaceTem-
portat unevictoi~e complete. Les Jacobins ne
pI'ofiterent pas long-temps de ces avantages ;
. car les auteurs de ces troubles n' eurent ni as-


,


1 Isaheau rapporte ce jour au nom du comité de sureté:
.. 11 existait une correspondan ce suivie entre les sections et les
faubourgs; l'agent national du département vient de nou&
écrire qu'il avait entendu dire a un citoyen des fauhourgs;
nous sa¡¡ons qu'il y a tous les joul's des che¡¡aux sellés et hridés
pbur porter des représefltants dans nos quartiers s?il y a¡¡alt, da
trouhle; nous en avons autant, et nous avons aussi nos repré-
sentants. lO


2 Il parut le 1 1 germinal une députation des fauhourgs
dont l'orateur dit : « Nous sommes debout pour sontenir la
liberté. lO Le reste était si gl'ossier et si impudent, que Tallien
proposa de faire imprimer et afficher cette adresse et la ré-
ponse du président, paree que cela devait produire plus d'effet,
sur lell hODn~tes citoyens, que tonte proclamation.




2.70 HISTOIRJ~ DU XVIlle SIJ~CLF:.
sez de force, ni assez d'adresse puur tirer
parti de leur victoire.


Le 1 2 g~rminal ( ler avril) , ils entourerent
le lieu ou se. tenaient les séances de la Con-
ventioll, . prirent la salle d'assaut, insulterent
les deux députés qui occuperent alter,native-
ment le fauteuil' du président, et interrompi-
ren! toutes les délibérations.


Vatec, le meme orateur qui ~vajt parlé le
31 mai 1793 lors de l'attaque confrela Gi-
ronde, se présenta devant la barre 1 ; lnais il
aurait fallu, un Danton pour diriger l'action ;
car Fouché , Carnot et autres, qui en auraient
eu le talent, ne voulaient pas se prononcer
définitivementpourlesJacobins,puisqu'ilscon-
naissaient la haine que toute la nation avait
vouée a ces hommes sanguinaires, et qu'ils
étaient surs de jouir, de quelque maniere que
ce fut, des fruits de la victoire.l/ancien éveque
Huguet, Amar, Foussedoire~ Duhem, Chales,


x Vatee dit: .. Il est temps que la classe indigente ne soit
plus victime de l' égoisme des rich~, et de la cupidité des
marchands. (La foule: oui, oui, les membres de la gauebe
applaudissent vivement.) Faites-nous done justice de l'armée
de Fréron, de ees messieurs a baton. (La fonIe: oui, oui, vifs
applaudissements des membres de Pextrémité ganche.) Et toi ,
montagne sainte, qni as tant combattn ponr la République, les
hommes du 14 juillet , du 10 aout , et du 3 I mai te réclament
en ce moment de crise; tu les trouveras toujours pr~ts a les
-soutenir, préts a verser Ieur sang }lour ]a République. »




LIVRE IV, CHAPITRE IV. 271


Léonard Bourdon, se chargerent de conduire
les mouvements de la populace dans la salle;
et ne rougirent pas ·d'injurier leur propre pré-
sident, conjointement avec le rebut du peuple l.
lIs ne surent pas indiquer des mesures éne~gi­
ques, laisserent a la Convention le temps de
revenir a elle, et aux honnetes citoyens la faculté
de lui porter secours. L'assemblée prolongea
la séance jusqu'au matin du '13 germinal, et
donna, dans la nuit, une foule de décrets qui
semblaient nécessités Piar les circonstances. Il
fallut, pour affermir son courage dan s cette
conjoncture pressante, que la disposition de
plusieurs quartiers, prets a commencer \lncom-
bat contre l'armée des J acobins, hli ftit com-
muniquée par des députations, tandis que les
citoyens prenaient les armes.


Les comités du gouvernement ne néglige-
rent pas non plus de prendre des mesures mi-
litaires contre la multitude furieuse; c'est a


1 Le président répond a une des députations qui promet-
tent a la Convention l'assistanee des honnetes citoyens : " La
Convention aura le eourage de dire la vérité. Les royalistes et
les assassins cherehellt a exeiter un mouvement. Choudieu:
le royalisme est la : (montrant le fauteuil du président.) Le
président: ils conjurent l'orage; ils ignorent que la foudre
tombera sur leur tete. Ruamps: la foudre, e'est ton armée du
Palais -Royal. Le président : la Convention connait le dé-
vouement et la force des bons citoyens de Paris"et c'est avec
les armes de la vertu qu'elIe frappera les restes du crime .•




272 HISTOIR E nu XVII le SIi~CLE.
cette fin que Barras et Auguis 7 deux députés,
anciens militaires, parcouraient la ville et di-
rigeaient la force armée. Barras retourna en-
fin a la Convention, et la garde nationale en-
toura la populace; a un signe des députés, qui
la faisaient agir, elle se retira. On résolut
alors de faire cesser tous les déhats sur les
accusés et de hannir par un décret, sans au-
tres formalités, , les trois compagnons de Ro-
bespierre, auxquels on avait adjoint Vadier. On
confia le commandement de toute la milice
de Paris au général Pichegru l. Legendre ce-
pendant n'ayant pas trop de confiance en lui~
ohtint qu' on lui assocÍélt Barras et Merlin de
Thionvllle. Pichegru fitdésarmer toute la sec-
tion des Gravilliers qui avait été employée
par les J acobins, et la Convention décréta que
tous les membres, qui avaient pris une part
active au tunlulte dans la salle, seraient arre-


1 Barra.s termine ainsi son rapport: el Je demande que la
Convention déclare"{ue la ville de Paris est en état de siege ;
eette mesure donnera au .commandant de la force-armée, le
moyen de maintenir l'ordre, et fera aeeé~érer l'arrivage des
subsistances; car alors elles seront destiné es pour une ville
assiégée. Je demande ensuite que la Convention nomme, eom-
mandant-général de la force - armée, le gélléral Piebegru.
Peuple • ressouviens - toi que les colonDes des tyrans coalisés
n'ont jamais teDu devant S011 armée, et erois qu'une poignée
de misérables ne tiendra pas elevaut lujo ..




LJVRE 1"', eH APITRE IV. 273
tés 1, mais on épal"gna ceux qu'on a-vait dé-
clarés rehelles dans le premier rnouvement
d'indignation; Choudieu , Amar ,Ruamps, Du-
hem, furent les seuls envers qui on usa de .. i-
gueur, ils devaient etre transférés au fort
de Ham.


Le lendemain un nouveau tumulte éclata;
car le peuple chercha a empecher la déporta-
tion des condamnés Vadier, Collot, Billalld
et Barere ; mais Pichegru, faisant usage du
pouvoir qu'on lui avait délivré, rétablit 1'01'-
dre; la Convention élle-meme ne voulut pas
couper le mal dans sa racine. Les aut1'es, ar-
retés, conduits 3U fo1't de HalTI, lorsqu'on les
déporta, se moquerent de leurs adversaires,
en lenr reprochant qu'ils ne s'entendaient
nullement en révolution. Tallien meme 2 ne
put jamais décide1' la Convention a p1'endre
des dispositions décisives contre les véritables
auteurs et les provoc~teurs secrets des trou-


1 Ruamps, Thuriot, Cambon, Maribon~Montant, Dllhem,
Amar, Choudieu, Maignet, lIenzo


2 Tallicns'écrie: • Je me décharge de la responsabilité des
-maux que vos lenteuts peuvent entrainer. JI Il avait dit d'abord :
• Oui, l' on conspire contre vous, on conspire sous vos yeux. Oil
est Thuriot, l'ami de Dopsent, l'ame de la conspiration? ou est
Fouché qui écrivait les feuiUes de Babeuf? OU est Cambon? OU est
Lecointre, qui seme ici sans - cesse la division? J e demande
que ces quatre membi'és soient arr~és, et que ceux qui n"ont
pas obéi au décret de l~ Convention, soient mis hors la loi. •


H. n. 18




274 HI5TOIRB DlJ XVIII· 5Ji~CLE.
bles.On décréta, le 16 germinal (5 avril) , l'ar-
restation de neuf aufI:,es députés jacobins 1;
mais par la. on montra au peuple que la dis-
pute n'était que personnelle; car; tandis que
1'0n exécutait Fouquier-Tainville et son tri-
bunal, on conserva les hornmes dont ils n'a-
vaient été que les instruments, pour effectller,
par lellr moyen, de nouveaux changements \l.


Les hommes qui avaient une influence
réelle dans l'assemblée , ne voulaient ou ne
pouvaient permettre qu'on ravlt a la popu-
lace toutes les personnes qui possédaient
l'art de la mettre tont d'un coup en mouve-
mento Personne n'était content du gouverne-
ment 3 de la Convention '1 et la valellr des as-
signats diminuait de jour en jour. De nouveaux
troubles éclaterent au mois de mai. Dans cet in-


t Moise-Bayl~, Chales, Foussedoire, Huguet, Léonard-
Bourdon, Granet, Levasseur, Crassous. Lecointre de Ver-
saiUes. '


2 N ous verrons les J acobins, prisonniers et menaeés de la
mort, jouer un grand r6le sous le Directoire. Fouché aussi
fut arrété eorome terroriste.


3 Tallien dit a la Convention , le 25 germinal an III, ( 1 4
avril 1795,) nO 208: .. 11 n'y aura pas de centre de gouvcr-
nement tant qu'il sera divisé en tant de mains, tant qu'il y
aura une bureaucratie qui suffirait a l'Europe elltiere. Je de-
mande que ron présente sans délai un rapport sur l'organi-
sation du gouverneroent. Montrez un gouvernement au peuple,
et bientot les malveillants, les fanatiques et les terroristes
.eront détruits .•




LIV RE IV, eH A PITR.E 1 v. 27 5
tervalle, entre le tu multe précédent et les nou.:.
velles menées populaires, les Jacobins surent,
tant par leurs discours dans l'asselnblée que par
leurscabales dans les comités, entra ver les teu-
tatives que faisaient les amis de l'ordre pour
réformer la police de la capitale. Chénier, au
contraire, obtint qu'on prh de nouvelles me-
sures violentes contre les émigrés. La consti ..
tution occupait alors la Convention, et Lan-
juinais avait déclaré hautement que lui et ses
amisseraient obligés d'insister sur une con-
stitution avec deux chambres législatives. Cela
déplut entierement aux Jacobins, ce qui leur
lit hater la nouvelle attaque contre la Conven-
tion; tres-bien ~nformée des sctmes qu' on tra-
mait, . elle attendit traoquillement l' explosion
puisqu'elle avait, daos les comités du gouver-
nemeot, des Jacobins qui paraIysaient la force
des autres.


Le 19 mai, les provocateurs porterent l'im-
pudence ju~qu'a faire imprimer Ieur plan qui
fut distribué le lendemain 1 er prairial l. On
avait fixé l'exécution a minuit; les femmes·
étaient encore en avant. On battit, a cinq heures
du sOlr, la générale aux faubourgs Saint-An- ,


J Ontrouvo ce plan dans le Moniteur, an IlI, nO 244,
pago 985. "-


18.




276 HIS'l'OlRE DU XVIIl" SIF.CLE.
toine et Saint-Marceau; a huit heures, le co-
mité de síueté fit rassembIer, an son du tam-
bour, les citoyens des autres quartiers de la
ville; ils ne se réunirent que lentenlent, paree
que peu d'entre eux s'intéressaient a la Con-
vention. A onze heures la séance fut'ouverte.
Environ deux heures apres, les députés jaco-
bins donnerent le signal convenu .. Aussitot
les fernmes firent un bruit si épouvantable
dans les tribunes, qu'oneut peine a s'entendre,
et le tumuIte horrible qui avait Heu dans la
sall«, p-;'oduisit le plus profond. silence dan s
l'assemblée. Tandis que Jes furies respiraient
un moment, et q~'elles accordaient aux dépu-
tés quelques minutes de repos, un général
de brigade, arrivé par hasard, se présenta a
la barre. La COIlvention le chargea oe chasser
des tribunes les femmes qui excitaient tous
ces désordres. Accompagné de quelques gré-
nadiers et de plusieurs gens armés de crava-
ches, iI parvint a les faire sortir. Les tribunes
se désemplírent; mais , dans le meme instant,
tonte la populace parut devant les portes. Les
femmes retournent aux tribunes, la porte est
enfoncée, tonte la foule se précipite dan s la
salle, les députés se retirent sur les ha.ncs él e-
vés, et les gendarme~ formentnne haie entre




LIVRE tv, CI{A..J>JTllE IV. ').77
eux et la multitude effrénée. Le vieux Vernier,
Dumont, Boissy-d'Anglas, se succedent alors
alternativement au fauteuil de président. Les
dameurs, les injures, les mena ces et les ris
bruyants de la foule étouffent la voix des
députés; enL1n arriva le secours qu'envoye-
rent quelques sectiollS. Un combat s'engage
dans la salle, la populace succombe, on lui
fait évacuer l'enceinte de l'assemblée, on re-
ferme la porte qu'elle avait enfoncée, et les dé.
bats reprennent leurs cours. A peine a-t-on
joui d'un quart-d'heure de tranquillité, que le
vacarme et le bruit recommencent a la porte,
elle est brisée de nouveau, la garde fléchit et
la foule reIuplit la salle. Un. jeune député,
plein d'intrépidité, nommé Férand, apres
avoir commandé dans les derniers tcmps une
troupe armée et défendu, contre les terroris-
tes, le libre acces des provísions, a París cou-
vre alors inutilement l'entrée, la populace
pas~e sur son corps; a trois heures trente trois
minutes. du matin l'anarchie avait triomphé;
mais ses fauteurs ne sureot point en profiter;
car des gens, comIne Sieyes et Fouché, ai-
maient mieux récolter plus tard les fruits se-
més par le peuple que de se luettre avec luf
dans les memes rangs.




~78 HISTOIRE DU XVIII- SIiwLE .
. Boissy-d'Anglas acquit, dan s eette occasion,


une gloire immortelle par la dignité impertW'ba·
ble qu'il montra lor'sque, pendant le tu multe, il
occupaitleJauteuil de pr_ésident; tandis que l'un
le nlenace d'une pique, que l'autre ajuste son fu·
sil, et que cent balonnettes sont tournées vers
sa poitrine. Dans ce péril imminent Férand vole
a sa défense, un coup de pistolet le blesse et
le renverse 1; aussitot une des furies le frappe
avec son sabot sur la figure, on l' entraine, on
lui coupe la tete, on la met sur une pique, et
on la présente deux foís au président. Boissy-
d' Anglas ne céda point et garda toujours la
meme contenance, mais ]a p]upart des autres
membres de l'assembléese disperserent, quoi-
qu'ils se fussent vantés souvent de mourir a
leur poste. Les Jacobins prirenl alors la parole,
ils donnerent un grand nombre de décrets ré-
volutionnaires, etchargerent de leur exécution
une comnlission qui se composa de Duques-
Jloy, Prieur et Duroy. Carnot, qui joue id le
Ineme role qu'autrefois dans les temps de la
terreur, refusa la quatrieme place qu' on luí
réservait, et en laissa l'honneur a Bourbotte.
Tandis que Romme faisait des propositions in-
sensées, pour remédier incontinent a la di-


1 MOlliteur, an III, nO 245, pago 988.




LIVRE IV, CH.A.PITRE IV. ~79


,sette de pain, et tandis que Duroy, Gonehon,
Garnier, Albitte, Forestier, Thuriot, par-
laient de la nouvelle organisation, les trois co-
mités déc1arerent qu'ils ne reeonnaitr.aient
aueun décret de )a Convention, tant qu'eUe'
resterait assiégée, et confierent a Delmas 1 -le
commandement de la force armée de Paris.


Legendre parut a la tete de ses anciens
a mis, des Septembriseurs, des Cordeliers ; mais
Auguis et Barras firent sonner le tocsin dans les
quartiers habité s par les honnetes eitoyens; ils
sevirent, vershuit heures du soir, entourés de
troupes assez eonsidérables. Les gardes natio-
nales eernerent peu a peu lesTuileries, empe-
cherent l'aftluence, et a onze heures Legendre
se ren4it dans l'assemblée, pour inviter, an
nom des comités, la populace de se séparer.
Ayant en vain essayé d'obtenir la parole, il pa-
rut aceompagné de Chénier, Auguis, Kervé-
legan, Bergouin et de gens armés, comman-
dés par Raffet , et entra de force dans la saUe.
A minuit préeis le combat corn¡nenc;a, et un
coup de sabre étendit presque aussitot Kervé"'\,
legan aux pieds du président. La foule céda


) Delmas avait commandé, le 9 thennidor, SOU!! les ordres de
Barras; d'abord offi,cier de la milice, il aw.it ensuite l)assé
Cornrne aide-rnajor a la garde nationale de Toulouse.




280 HISToIRE DU XVIlICl SIE:CLJ::.


enfin. Les membl'ps qui avaient pris la fuite
reparurent; les débats reprirent Jeurs cours,
et on arreta les instigateurs de ces troubles l.
La Convention se sépara le 2. prairial; mais
00 reconnut le meme jour qu'on avait en-
core a craindre des hostilités formelles entre les
quartiers de la ville habi tés par les classes
ouvrieres et les autres sections. Vers les huit
heures du soÍr, les deux partis s'étaient poul'
ainsi dire rangés en ordre de bataille, pres des
Tuileries, et une Convention nationale, consti-
tuée a l'hotel de ville par les terroristes, bra-
vait l'assemhlée qui siégeait au chateau.
Quelque~'d~putés $urent prévenir une guerra
ci.ile.La ConventiQn leva sa séan~e a quatre
heures. Les rehelles réunÍs a l'hotel de
ville furent faits prisonniers, ainsi que l'as-
sassin de Férand, cependant le combat re-
commen~a le IendemaÍn 3 prairial.


L'assemblée de l'hotel de vilIe, sans égard
ponr les décrets de la Convention, continua
ses séances, arrllcha des maips de la justice le


1 Ceux qui , dans I~s sé'nces des 1 2 et 1 6 germinal, étaient
décrétés d'arrestation, le furcnt de nouveau dans la séance
suivante. On déclara ensuite en état d'accusation, et on arréta
Duquesnoy, Duroy, Romme, Bourbotte, Prieur, Soubrany,
Gonchon, Albitte l'ainé, Paynard, Le Carpentier, Pinet l'ainé,
Bori l' amé.




LIVRE IV, CHAPITRE JV. 281


lneurtrier de Féraud que l'onconduisait au
supplice, et insulta meme au trib\lnal supreme
qui l'avait condamné. Les jeunes gens des au-
tres quartiers venaient de prendre les armes
par ordre des cornités; arrivés á la rue Saint-
Antoine, ils s'étaient emparés des canons des
habitants des faubourgs; mais ne s'étant pas
assez assurés des rues par 00. ils s'étaient
avancés, on leur coupa la re traite et on les
forc;a de rendre les <;anons.


Enfin, la Convention prit des Inesures sé-
rieuses; Delmas, Aubry anden capitaine d'ar-
tillerie, et Gillet qui avait servi comnle com-
missaire aux armées, réunirent vingt mille
hommes, que ron ut passer pour .gardes, na,.
tionales, mais qui n' étaient réeUement que l'é-
lite des soldats convoqués secret6ment, et de-
puis long··temps a París l. Cette circonstance
est d'autant plus él remarquer, que des-Iors les
troupes jOlH~rent toujours le principal role
dans les différents civils.


"1 Doulcet de Pontécoulant, dans le Monitellr,an IlI9 nO 249,..
pago 1006, dit: • Nous devons consaerer eette vietoire d'une
maniere solennelle: ceux qui 1'0nt remportée étaient pour la
plupart a Fleurus, et dans les combats fameux qui ont illustrá
les armées républicaines. Aujourd'hui ils n'ont point démenti
leur courage, et n'ont pas moins bien mérité de la patrie. Je
demande que la Convention nationale nomme une commission
qui se rende aupres des colonnes qui défilent en ce rooment
sous les murs du Palais national. .




~8~ HlSTOIRE DU X VIII- SfECLE.
Le général Menou., autrefois membre de


l'assemblée constitúante, et qui penchait
beaucoup pour l'aristocratie, obUnt le com-
mandement. 'Les faubourgs, qui avaient sous-
trait l'assassin de Férand a l'exécution, et qui
prenaient sa défense, furent cernés, ét si
~I~nou n'eut interposé son autorité, les dé-
putés qui le suivaient auraient fait mettre le
feu aux maisons. Menacés d'un siége formel,
les habitants des faubourgs prirent enfin le
parti de livrer l'assassin qlÚ, a cette nouvelle,
se donna lui-meme la mort, en se p'récipitallt
par une croisée. Cette condescendance en né-
cessita bientot une autre; interpellés de nou-
veau, ils se virent obligés de livrer .Ieurs ca-
nons et de rendre leurs armes.


Apres ces scenes, la Convention dé clara que
la constitution de 1793 ne pouvait etre rétablie;
les officiers qui avaient soutenu les Jacobins
furent licenciés par Aubry; plusieurs meme,
comme Bonaparte qui chercha envain pen-
dant long-temps a se concilier la faveur de
ce général, se virent humiliés dans leurs rap-
ports ou arrachés a leur carriere, de sorte
qu'ils furent obligés de demander eux-memes
leur démission., et de vivre dans la position
la plus facheuse.




LIVRE IV, CllAPITR:E: IV. -
I
~83


On interdit ensuite aux femmes les tribunes
de la Convention, on n'y admit les hOlnmes
qu'avec des cartes d'entrée. Lagarnison de la
vilIe fut composée de troupes régulieres ou
d'une légion de police générale, et on prit
d'autres mesures, confornles aux besoins du
jour l.


La conyictión ou ron était de la nécess~té
de la royauté, l'aurait peut-etre emporté alors'
iúr la haine ,qu'on lui avait vouée et a tous
ses partisans, si les émigrés et les Anglais
n'eusseht tourné, dans le moment melne,
contre les fauteurs de l'ancien régime tout le
ressentiment que la nation portait aux Jaco-
bins , et s'ils n' ~ussent approuvé plusieurs dé-


I Au nombre des mesures qu'on prit, il faut citer le décre'
qui devait assoupir les troubles récents, tendant a la délivrance
des terroristes : '


1° Le décret du 12 germinal, qui , par mesure de sureté
générale, ordonne la déportation de ColIot, Billaud, Barere
et Vadier, est rapporté. .


2° La Convention nationale décrete d'accusation Barere,
ColIot, Billaud el Vadier; el ordonne qu'ils seront traduits
au tribunal criminel de la Charente-Inféricure, pour y ~tr.
jugés~


3° Le comité de législation présentera demain la rédaction
de l'acte d'accusation. I


4° Pache, Audouin son gendre, Bouchotte ex-ministre, d' Au-
bigny son adjoint, Clémence ci - devant employé au comité
de sureté générale, Héron ci-devant commis du comité de su-
reté générale ,Marchand, idem, Hassenfratz, seront traduits
au tribunal criminel du département de l'Eure et Loire, pour
y étre incessamment jugés.




~84 HISTOiRE l>U XVIl.le SllLCl-E.
nlarches des terroristes lorsqu'on travaillait a
les exterminer l.


Les troubles de la Vendée, las bdgandages
des Chouans dan s l'ancienne Bretagne, recom-
mencereot avec la guerra civile. Les Anglais les
fOluentaient, pour prendre, daos l'iotervalle,
les colonies hollandaises et fran<;aises, pour
détruire les tIoUes, et pour affermir leur au-
to~ité sur l'Océan. Daos la crainte que la
tranquillité ne se rétablit en France, ils con-
duisirent dans la baie de Quiberon tous les
Fran<;ais qui étaient a Ieur solde. Charette avait
repris les arnles depuis le 24 juin 1795. Ainsi,
guidés par une poli tique infernale , les Anglais
parvinrent, le ~6 et le 27 juin, a perdre les
trois vaisseaux de guerre fran<;ais, qui étaient
dalls ces parages; en outre ils attiserent une
haine implacable entre les royalistes et les
constitutionnels. Le nlauvaÍs succes de leur
entreprise devint nH~me avantageux a la
Grande-Bretagne, puisqu'il détruisit les meil-
leurs marins de leurs rivaux, et l'élite de Ieur
armée, en leur épargnant des sommes Ílnmen-
ses, qu'il aurait faUu employer a leur eotretien.


1 Le 9 prairial, (le 28 mai) on décréta l'arrestaliQn de
tous les anciens membres des comitésadIQinistratifs, a l'ex-
ception de Louis de Niederrhein ,de Prieur et de Carnot; car
ce dernier disait-on, a organisé la victoire !




LIVRE IV, CHAPITRE IV. 285
Pendant Qn mois entier, le général Hoche,


et Tallien commissaire de la Convention, ...
s'opposerent ~ la descente dans la baie de Qui-
beron. Les Anglais trahirent et abandonnererit
alors les pauvres abusés qu'ils livrerent a la
discrétion de l' ennemi, pour se sauver eux-
memes. Les Franc;ais abordés furent tués par
l'artillerie de leurs cOlnpatriotes , ou condam-
nés a mort par trois commissions de guerre ,
malgré la capitulation. Ce fut précisément .' le
jour de l'anniversaire de la chute de Robes-
pierre que Tallien fit a la Convcntion son
rapport sur cette expédition et ses exploits
sanglants l.


La commissiol) des onze lui présenta enfin
aussi son projet de constitution; mais on y
adapta encore eette fóis trop d'élénÍents pui-
sés dan s les reyeS de ces hommes entierement
adonnés a la théorie, et qui connaissaien t peu
l'histoire; l'élection de tons les magistrats
resta au peuple, et les autorités furent divi-
sées. On chargea le Conseil des Cinq-cents,
d'ébaucher la législation et d'établir les loís.,
dont la discussion fut confié e au Conseil des
Anciens, composé de deux cent cinquantedé-


1 On trouvera le complément de ces événements plus has)
dan!! l'histoire de la guerre de '795 jusqll'en 1797.




286 HISTOIRE Dtr XVIlJO 51ECLE.
putés agés de quarante ans. olÍ remit le gou-
vernement des affaires entre les mains de cinq
directeurs a qui l'on adjoignit six ministres.
Mais comment latranquillité pouvait-elle re-
naltre dans un royaume d'une si grande éten-
due lorsque, d'apres le texte de la cOllstitu-
tion, tout corps public renouvelait tous les
ans le tiers de ses membres, et qu'un direc-
tcur résignait chaque année , et ne pouvait etre
réélu que cinq ans apreso Nous passons sous
silence les autres ordonnances de cette con-
stitntion éphémere; mais nous dirons quel-
ques mots sur les pleces annexées, puisqu'elles
devinrent la source de tous les maux. Elles
furent produites "le 2 fructidor (19 aout), com-
mentées le 13; et, le 3 brumaire (25 octobre),
on y ajouta un nouveau supplément qui eut
des résultats bien plus fnnestes que les ordon-
nances dont nous venons de parler.


Les décrets du 3 brumaire durent le jour a
des événements plus récents; ceux du 2 fructi-
dor furent surtout occasionnés par le désir
qu'avait la Convention Ilationale de se main-
tenir elle-meme dans la possession du gouver-
nement. Les deux tiers du nouveau Corps-Ié-
gislatif devaient etrc composés de membrés
qui avaient déja siégé dans l'assemblée, et




LIVRE IV, CIJAPITRE IV. ~87
le reste, de gens qui n'avaient pas encore été
élus. Les prenli~rs craignaient avec raison
que personne ne Ieur donnat de hon gré SOl'!
suffrage, puisque les différents du terrorisme
avaientfait connaitre les atrocités qu'ils avaient
exercées ou tolérées; aussi a peine trente a
quarante parmi eux conserverent une ré-
putation intacte. D'un autre coté, il pouvait
seII1hler nécessaire que les derniers députés
républicains eussent droit de siéger a la nou-
velle assemblée , car si on les excluait, un
granel nombre de députés du coté droit, ad-
mis dans les salons de madame de Stael 1,
faisaient assez entendre qu'ils rameneraient
avec le grand ~onde: les noros historiques,
l'afféterie et la faiblesse de la constitution de
1789- Pour contrebalancer leur influence
iI fallut, d'apres la malheureuse politique de
la révolution, relever les Jacobins et dispo-


I


I Tallien, qui grossissait alors de nouveau le nombre des
Jacobins, dit, en parlant de la députation re~ue a la Conven-
tion: • Tous ces hommes sont les mdmes qui, a la fin de ]'as-
semhlée constituante, ont sollicité la révision, qui formerent
la majorité de l'assemblée législative, qui voulureut maintenir
la royauté, et qui aujourd'hui dirigent certains journaux. lIs
se réunissent dans les coteries particuliercs .•


Quant aux assemblées des journalistes, et a leur fabrique
de constitution , voyez les notices dans Beaulieu , Essais, etc.
tomo 'VI: • C'est la qu'ils disaient, il Y a deux jours, qu'il n'é-
tait pas encore ternps de juger les événements du 10 aout, et
que Lafayctte avait bien fait d'abandonner son armée ••




288 HISTOIRE DT.1 XVIIIC SJl.~CL}:.
ser des soldats dans la ville et aux environs.
Les patriotes de 1793 arretés furent relachés,
et on ]eur rendit leurs armes. Quand on crut
avoir répandu par la une terreur suffisante,
on convoqua les assemblées primaires pour
qu'elles acceptassent ou rejetassent la con-
stitution et ses pieces annexées l. Aucun article
supplémentaire ne parut plus préjudiciable
que l'ordonnance qu'on avait ajoutée le
13 fructidor; le peuple devait avoir le droit
d'élire les membres de la Convention qui en~
treraient ,dan s la nouvelle assemblée; mais en
éas que les élections dans plusieurs colléges
électoraux tonlbassent sur les memes 1l1em-
bres , la Conve!1tion aurait le pOl1voir de com-


, pléter le nombre par une électíon faite dan~
son sein. L'intentioll infame qu'on avait eue
en faisant ce supplément était trap évidente


1 Le discours du député de la section du Mail prouve que
les Parisiens sa:vaient bien quel but la Convention se pro-
posait. Car iI dit, de COl1cert avec M. LacreteIle jeune qui
parait apres lui eomme orateur rle la seetion des Champs-
Élysées : • Poul'quoi ces troupes autour de París? sommes-
nous assiégés ou a la veille de l'etre? voudrait-on traiter le peu-
pIe eorome un Lama, qll'on adore en dieu, et qu'on enferme
en esclave? Depuis le premier prairial, la nation est rentré~
dans ses droits, elle a juré de ne pas souffrir d'usurpation ... 1.a
garde parisíenne a-t-elle démérité pour qu'on l'envirollne de
troupes? Lá Vendée se grossit dit - OD. Eh bien! laissez nos
freres d'armes a11er ceindre leurs fr.ont~ de Douvenux lauriers,
~lOUS v('illerons dans l'intérieur:




L I V R f: IV, e H A PI T RE J V • ~ 89
pour qu'op espérat que les citoyens indépen-
dants lui donnassent ja~ais leurs suffrages.
On eommenc;a done par recueillir les voix de
l'armée et on donna ainsi aux généraux un té-
nloignage seeretque, eelui parmi eux qui se
sentait assez puissant pOUI' régner sur les sol-
dats pouvait bientot devenir le maitre de
l'État l. Des que les troupes eurent voté, Tal-
lien , Fréron , Barras, Legendreet les aneiens
a,mis de Danton, se servirent des memes
moyens que Danton et ,Garat avaient enl-
ployés préeédemment, pour faire agréer la
eonsti tution de 1793 2.


Legendre s'éleva dans la Convention eontre
madame de Stael et ses eercles avee toute la


1 Le président du méme Corps-Législatif, qui venait de dé-
clarer que l'armée était essentiellement un corps ohéissant, dit ,
le 11 fructidor, ainsi bien avant qu'on ne songeat a consulter
le peuple: • Déja IflS braves soldats du camp so'us París ont
accepté la constitutíon républicaine.»


:1 Garat, instrument de Danton, raconte dans ses Mémoires
sur la Révolution, pago 163:. Danton, couvrant ce qu'il y
avait de sauvage dallS sa voix. ce qu'il y avait de sensible
dans son coour : eh bien! me dit-il, Garat, si vous voulez que
cela ait líeu, laíssez done la votre ennuyeuse modération,
heltez-vous de prendre loutes les mesures pour envoyer par-
tout eette eonstitution, pour la faire partout accepter; faites-
vous donner de l' argellt , et ne l' épargnez pas; la République
len aura toujours assez. S'iI ne tíent qu'a cela, lui répliquai-je.
l'eposez-vous sur moi; je sais que penser de la constitution
qu' on nous donne. mais son acceptation me paralt l'unique
moyeo de sauver la République, et je vous garantis sur ma
tete qu'elle sera acceptée. "


H. JI. I ~)




290 HISTOln E DU XVlIle sli~CLE.
force d~une éloquence grossicre, qui sentait
son ancien état. On fit entrer dans les sections~
malgré totItes- les protestations 1, les hordes
des sans- culottes. On rassembla meme, dans
une salle de l'hotel des invalides, tous les 801-
dats et officiers répandus dans Paris pour vo-
ter; néanmoins la constitution fut acceptée
dans la capitale, et les suppléments rejetés;
on vit la memechose dans la plupart des as-
semblées primaires de la Franee, mais la
Convention s'en i~quiéta fort peu, et publia ,
le 1 er vendemiaire' (23 aout) , que la eonstitu-
tion était adoptée avec ses pieces annexées.


Les Parisiens, y ajoutant peu de foi, de-
manderent conlpte de la maniere dont on avait
recueilli les voix, ce qui n'était 'nullement
dans la volonté, ni dans le pouvoir de hl Con-
vention. Les députés des sections formerent
une assemblée générale des éleeteurs, a 1'0-
déon. La Convention l'annula, et, a l'aide de la
force-armée, la dispersa le 10 vendémiaire. Le
peuple en murmurait hautement, ¡nais il n'en


1 Mémorial lle Sainte -Ilé/ene par le comte de Las - Cases,
Paris 1823, tomo II, pago 206 .• Lesquarante-huit sections dePa.
ris se réunirent, ce furent quarante-huit tribuues daus lesquelles
accoururent les orateurs les plus virulents : La Harpe , Sérizi,
Lacretelle jeune, Vaublanc, Regnault, etc. Il fallait peu de
talents pour exciter tous les esprits contre la Convention , et
plusieurs de ces orateurs en montrerent beaucoup .•




LIVr.E IV, CHAPITHF: IV. 291
villt pas a une révolte. Les sections et leurs
électeurs, s'appuyant sur le mécontentemellt
général, se mailltinrent dans une espece de
permanence; les électeurs de lasection Lepel-
letier, résidence, du royalisme, semblerent
surtout, comme en 1789, vouloir s'ériger en
corps constituant et se meUre en état d'insur-
rection. Des émigrés, des anciens officiers et
des jeunes gens de bonne famille se mon-
traient disposés a vider le différent contre la
Convention, les armes a la main l.


1 En lisant les Lettl'es sur quelques pUl'ticulal'ités St'cl'lj(es de
tHistoire pendant l'intcl'reglle des Bourbons, 3 volumes in_So,
París 1 S 1 5 , on eonviendra que les hommes a la Convention
qui criaient alors eontre les nobles et Ieur influence, n' étaient
pas dans leur tort. Cet éerivain qui regarde tout roturier eomme
eanaille, l'homme de leUres eomme plumiste, et qui dit, tomo 1,
pago 38: • Je n'ai d'ailleurs jamais aimé la province, paree
que les provineiaux sont, en général, envieux, jaloux, médi-
sants, d'un commérage et d'un ennuí mortels; paree que Ieur
oisiveté, qui ue eesse presque jamais, les lasse et les fatigue
eux-mémes; paree que Ieur esprit bégaye ;Jlarce qu' enfin leurs
mreurs aussi. corrompues que celles de la capitale n' ont pas tUl
si beau vernis. " Le meme homme, a peine éehappé a la terreur,
devint électeur aMantes. et Réal et Prudhomme l'aecuserent
publiquement de fomenter la eontre-révolution. Il dit, tomo 1,
pago 302 : • Il existait bien quelque chose de vrai dans les dé-
llonciations de MM. Réal et Prudhomme.


«A la bU d'un souper d'élec~eurs, j'avúis remis a chaeun une
eocarde blauehe, et nous avions dit entre nous, a huis-dos,
mais de hon creur;" Vive Louis XVIII!


.. J'avais fait rassembler une cinquantaine de royalistes,
lesquels, dnns une campagne isolée, pendallt la nuit, préterent
serment entre mes mains sur les saints évnngiles d't~tre fideIes


19-




292 HlSTO[HJ~ DU XVlII c SIECLf:.
Lorsque la Convention se vit ainsi en mau-


o vaise inteHigence avec la ville, ceux de ses
Inembres qlli étaient initiés dans le secret de
la démagogie recoururent aux anciens artí-
fices. On commen<;a par Jire des lettres a
l'assemblée, ou ron disait que Charette et la
Vendée s'étaientjoints aux Parisiens;on ren-
voya les adresses et pétitions des ho~netes ci.
toyens, des qu'ils seprésentaient en masse;
on accueillait ceHes des patriotes et des sans- .
culottes avec allégresse, et on fixa la pre-
nliere séance du nouveau Corps-Législatif au
5 brumaire (27 octobre): l'opposition des Pa-
risiens et lenr lutte contre les défenseurs de
la Convention continuaient toujours J. Elle
a Louis XVIII, et de m' obéir en tout ce que je leur com-
manderais ou ferais ordonner pour la cause du trone et de
l'autel. I1s jurerent aussi de recruter des ho~mes dont ils se-
raient surs, dans les pays environnants, pour aller renforcer
les sections de Paris, ou l'armée des Chouans, ( contmandée
par le jeune comte de Frotté en N ormandie) si je le trouvais
plus a propos. Des Ja~objns nous épierent malgré ma surveil-
lance personnelle, et ceHe de quelques braves gens qui m'é-
taient affidés et tres-dévoués: mais ces Jacobins n'oserent nous
dénoncer qu'au moment OU nous perdimes notre proces .....
Bien des personnes se rappellent encore l'enthousiasme que
j'excite dans les sections de Paris , lorsque j'y arrive en qua-
lité d'éleetcur et député aupres d'elles. ..


7 Il Y cut, le 3 vendémiaire, au Palais-Hoyal, un combat
entre les eitoyens et les gendarmes de la Convention, suseités
par les députés; le 6 ,des généraux, des officiers et des ter-
roristes de l'aneien régime en vinrent aux mains, ce qui occa-
síonna un nouveau combato




LIVRE 1 V, CHAPITR E IV. 293
avait appelé secretement a París un grand
nOlnbre d'officiers et tle soldats; elle venait
d'interuire les assemblées de sections comme
illégales,et d'ordonner, par une loi expresse, a
toutes les réunions de se dissoudre dans les
vingt-quatre heures. On vit bientot que le
différent ne pourrait etre terminé que par la
force. C'est pourquoi on avait envoyé quel-
ques députés dans les faubourgs, pou~ ras-
sembler les ouvriers et les cohortes ordinaires
'des Jacobins; mais ils n'y trouverent pas un
accueil favorable, car le peuple se rappelait
encore comment il avait été abusé au mois
de prairial. On recourut done aux patriotesde
1793, auxSeptembriseurs, aux héros de la Bas.-
tille.On en organisa au jardín des Tuileries une
légion, surnOffilnée la légion sacrée, contre les
troupes du Palais-royal, composées de han-
quiers . et de leurs commis, de négociants
royalistes de I'ancien régime, de savants et
d'artistes distingués. Cette légion, comprenant
el peu pres trois mille hommes 1, fut appelée
l'armée de la Convention 2. ,


1 D'apres le Mérnorial dl~ Sainte- Hélene, c'est quatre mille
cinq cents hommes qu'on divisa en trois hataillons, et qU'Oll
mit soos les ordres du général Berruyel'.


;¿ Le 12 vendémiaire, ilsprésenterent une adre!!lse a la Con ..
vention. Le redoutahle Dubois-Crancé proposa de la faire




29[1 ,IIISTOIR.E DU XVIlle SIECL1~.
Les hostilités commen~erent le 1 I vendé-


miaire lorsque l'assemhlée nationale siffIa au
théatre fran~ais le décret qui lui ordonnait de
se séparer en vingt-quatre heures. On s'atten-
daitau combat péndant la nuit,et laConvention
resta assemblée jusqu'a trois heures..du matin;
mais lelendemain l'affaire oevint plus sérieuse.
Depuis la pointe du jou!' jusqu'au coucher du
soleil, la section Lepelletier resta sous les ar-
mes. A huit heures du, soir, lorsque le péril
s'approchait, ]a Convention 6.t une proclama-
tion, et le général Menou, depuis quelque
moisa la tete de la force-armée 1 ,rec;ut I'ordre
d'intercepter les munitioÍls- et d' en tourer de
soldats et de terroristes la section qui n'avait
pas d'artillerie. Elle était cernée 2, on était en
présence, ]orsque les autres sections rassem-
hIerent toutes les forces qu' elles avaient dans
les différents quartiers de la ville, et, -deux
heures apres , trente mille citoyens étaient sous
les armes. Menou n'aimait pas a répandre le
sang, malgré l' ordre qu'iJ en avait re~u, puis-


imprimer et afficher en y joignant la réponse polie et encou-
rageante du président. La proposition fut acceptée.


1 Le général Menou faít partie des officiers bien désignés'
par le sobl'iquet de Talons rouges.


2 Nons nons permettous de révoqner en doute la déclaration
de M. le eomte de Las-Cases, vol. 11, pago 208.




LIVRE IV, CHAPITRE IV. 295
que on pOllvait le lui imputer, comme autre-
fois a Bailly; et la Convention apprit a minuit,
a son granel dépit, qu'on s'était séparé en paix.
Qui pourrait décrire la rage a laquelle se li-
vrerent les hornrnes de ce telnps, qui ne res-


• piraient que la violen ce et les combats les
plus sanglants I? lIs choisirent parmi eux des
cannibales pour exécuter leur décret. On
donna le commandement de la force-armée a
narvas que les ruines de Toulon rendaient vé-
ritablement digne de }pur confiance, et qui
avait sous ses ordres Delmas, Laporte et Gou-
pillean. Barras trouva en Bonaparte un homme
a qui tout moyen était hon pourv!l qu'il le
conduis!t a son but. Il le fit done sortir de
cette inaction a laquelle Aubry et le parti roo-


. dére l'avaient condamné. Bonaparte, mainte-
nant chargé de diriger te canon, n'était pas a
vjngt-cinq ans l'homme qui, secondé par la
populace, aurait h.ésité de faire jouer la mi-


1 Poultier s'écrie: " A la téte de la force-armée est un an-
cien b~on. 11 est im}lossible d'imaginer le langage de bassesse
du ci-4evant baron de Menou a la sectioIl Lepelletier. Un gé-
néral n'est pas ellvoyé pour délibérer. Je demande que les
comités examinent la:conduite de Meñou .• Apres de violents
débats, Loupet dit enfin : • Une négligence extrémement cou-
pable, si ce n' est pas la plus cri minelle , a paralysé les mesures
de vos comités du gouvernement. Les comités ont su, des la
matinée, qu'une poiguée de L'lctieux battait la générate , bat-
taít des appels, fuisait des proclamations .•




296 HISTOIRE DU XVIIle SI~:CL}=.
traille sur d'honnetes citoyens. lis avaien t, il
est .vrai, á leur tete des officiers aguerris et
pour chef un général; mais Danícan, él qui
ron avait confié la direction principale des
mouvements, 6.t preuve dans toutes les 'cir-
constances d'autant d'ineptie, que Bonaparte ~
lnontra d'habileté. J.Je combat <levait commen-
cer a six heures 1, mais chaque partí craignait
d'attaquer le premier. Enfin Bonaparte provo-
qua deux coups de fusil de la part des section-
naires, il Y lit a11ssitot répondre par le canOD.


L'action n'était sérieuse qu'en peu d'en-
droits; elle dura cependant jusqu'él sept heu-
res du soir, et Barras ne put annoncer la vic ..
toire' a la Convention qu'a neuf heures. Le
rapport qu' en fait le Moniteur prouve meme
qu~il avait faUu acheter la "ictoire au prix du
sang d'un grand nombre de citoyens 2.


"Mémorial de Sainte-Hélene, tome lI, pages 216-17: <1 A
chaque instant les affaires empiraient. A trois heures, Danican,
général des sectiolls , envoya un parlementaire somm~r la Con-
vention d'éloigner les troupes qui mena~aient le peuple, et
de désarmer les Terroristes. Ce parlementaire traversa les postes,
les yeux handés , avec toutes les formes de la guerreo JI fut
intl'oduit ainsi au mi\ieu du comité des QU81'ante, qu'il émut
beaucou{> par ses mellaces; on le renvoya vers les quatre
lIeures. La nuit approcha, et il n'est pas douteux qu'elle Ile dut
ctre favorable aux sectionnaires, vu le grand nombre. Ils pou-
vaient se faufller de maison en maison dans toutes les avenues
des Tuileries déja étroitement bloquées. »


2 Callclaux (noMe comme Barras et Bonapa¡'te, et roa-




LIVRE IV, CHAPIT RE IV. 297
Comme on ne pouvait guere étab1ir un tri·


bunal révolutionnaire, on recourut aux com·
missions militaires. On en institua trois pour
écarter tous ceux qui sen1blaien t gener le
parti dominant.


On eut alors tont le loisir de donner, le
3 brumaire, la loi affreuse qui exclut plus d'un
tiers de la nation franc;aise de la législation
et de toutes les charges, puisqu' on dé clara
morts civilement les parents des émigrés,
ainsi que tons ceux qni avaient en quelque
part au rejet des pieces annexées a la con-
stitution, jusqn'a la paix générale. •


Ces derniers événements angmenterent dans
la nation entiere l'aversion -que l'assemblée
avait contre les Jacobins 1. Les nonvelles élec-
tions en furent une preuve. On élut presque
jor avant la révolution) et autres y furent employés; Bo-
naparte seul nt jouer la mitraille; il balayait les quais ou les
seetions défilaient. Fréron dit done dan s un autre endroit:


(Molliteur an IV, nO 22, page 88) : e N'oubliez pas que
Bonaparte, nommé dans la nuit du 12 pour remplaeer Me-
nou , et qui n' a eu que la matinée du 1 3 pour faire les dispo-
sitions savantes dont vous avez vu les heureux effets, avait été
retiré de son armée pour le faire entrer dans l'ínf.1nterie .•


I Le décret de déportation contre Billaud. Collot, Bal'ere
et Vadier, avait été changé en décret d'aceusation, mais Col-
10t et Billaud avaient disparu.; le dernier est encore aujonr-
d'hui journaliste de la COUl' et de l'État a Saint - Domingue ;
Vadier s'était rendu invisible: il ne restait que Barere. Ayant
alors retiré le décret d'aceusation, on voulut qu'il fUt déporté,
rnais il s'échappa de sa prison et se réfugia a Saintes.




298 HISTOIRE HU XV J I fe SI .l~CLE.
partou t, pour le nouveau tiers, des hommes qlli
n'étaient nullement les admirateurs pronon-
cés de la révolution; on choisit dan s la Con-
vention ceux a qui l'on s.upposait des inten-
tions modérées; majs ceux qui Il'avaient pas
été élus furent secondés par leurs fideles sec ..
tateurs. eomme il n'y avait a la Convention
que peu d'hommes dignes d'etre réélus, ils
avaient ~té nommés en menle temps dans p]u-
sieurs col1éges; ainsi cent quatre places res-
taient vacantes. Ce cas avait été prévu. dans
les suppléments.


La Convention ne laissa point, aux députés
élus en deux endroits, le ehoix entre la mis-
sion des aeux département~, pou.' qu' on put
procéder a de nouvelles éleetions dans ehaeun
des départements qui se trouvaient'ainsi sans
députés, mais elle se eonstitua elle-Incme en
eoIlége électoral de Franee, s' en donna le
titre etilisposa ainsi de toutes les éleetions.


La nouvelle législature se eomposai t de trois
parties eontraires, dont chaeune avait un rap-
port tout différent avee la nation : 10 I .. es dé-
pt~tés nouvellement élus, qui se regardaient
eomme les seuls représentants du peuple.
2° Les trois eent soixante-dix-lleuf memhres 1


I Le nombre en devait ~tre de trois cent quatre-vingt-




LIVRE IV, CIIAPITItE ¡IV. 299
qui étaient odieux a tous les hommes éclairés
et dont les sentiments n'étaient pas assez ré-
volutionnaires pour ces gens qui ne voulaient
entendre parler, ni d'ordre, ni de· Dieu;
30 enfin les cent quatre élus par eux-memes
qui se trouvaient toujours en opposition avec
le nouveau tiers.


La confusion fut portée a son eomble; car
la connexion des deux Corps-Iégislatifs était
contre nature, tant par rapport a eux-memes
que par rapport au directoire. La proposition
des lois ne venait ni du conseil exécutif ni de ce-
lui des' Anciens, et, a l'élection meme de ce
dernier conseil, on ne s'était, pas exaetement
conformé aux réglements de la, constitution l.


A la fin de l'année 1794, les Fran~ais oc-
eupaient d'un coté tout le Rhin; Mayence
et Manheim seuls les arretaient; de l'mItre
coté Piehegru, arrivé a la frontiere de la Hol-
lande, songeait a envahir les sept provinces,
comme on l'avait fait de la Belgique-Autri-
chienne. Les ennemis se voyaient en outre


seize, mais le mauvais état 'des colonies empécha qu'on fit
venir leurs députés a Paris.


I Pour eBtrer au Conseil des Anciens, il falIait etre marié ou
veuf, et avoir passé quarante ans. On tira d'abord cent soixante-
neuf noms des membres de la Conventioo, ensuite soixante-
trois du nouveau tiers pour compléter le nombre.




300 HISl'OIRE DU XVIlle Sd~CLE.
obligés de faire de nouveaux efforts en Italie
pour seconder leurs alliés.


Aux frontieres d'Espag~e, la fortune sourit
aussi aux :Fran<;ais; les Espagnols cherchaient
la paix, tandis que depuis long-temps la PrU$se
la négociait pour elle-meme. Quant a la Hol-
lande, le comité de salut public avait réuni
tous les mécontents et les patriotes I. Le gé-
néral DreudeIs, passé au service de la France,
s'avanca avec des proc\amations et des troupes
hollandaises 2, et un froid rigoureux facilita le
passage des fleuves et des marais. Depuis le
mois de décembre 1794, jusqu'au J 6 janvier
J 795, 00 vit se répandre dans tout le pays avec
les Franr;ais la révolte contre les anciens magis-
trats. Ceux-ci furent partont cootraiots de se
désisterdeleursemplois,etlestathoudermeme,
dont la charge était héréditaire, apres avoir


I


I Les patriotes avaient formé un comité révolutionnaire a
Allvers; Herzogenbusch étant occupé , le comité y fut traus-
féré, d'ou il entretiut une corresponoanee avee toutes les villes
et les partieuliers qui étaient opposés au parti d'Orallge.


Z La circulaire. du général Drendels, qui occasion~a une
révolte a Amsterdam et a Leyde, était con~ue en ces termes:
" Les représeutants de la uation fran~aise demandent de ]a
Hollande qu'elle se délivre elle - méme. lIs ne veul~nt pas la
traite:z; en vainqueurs, ni la foreer de prendre des assignats
pour de l'argent; ils désirent s'unir it elle comme a une nation
lihre. Les villes de Dordrecht, Harlem, Leyde, Amsterdam,
effeetueront done a elles seu)es la révolution , et en avertiront,
par des députés, les représentants de Herzogenbuseh. »




L IV R E 1 V, e H A P 1 T RE 1 v. 301


tenté inutilenlent d'acheter la paix au prix de
plusieurs millions, abdiqua le 18, et passa
ave.c son fils en Angleterre.


Les Anglais une fois chassés de toutes les
provinces, les Hollanuais, dont le gouverne-
ment semblait épuré par l'expulsion du stat-
houder, chercherent a négocier avec les Fran-
<;ais. Paulus, comnle plénipotentiaire des
États-Généraux, dirigeait leurs affaires avec
beaucoup d'habileté. Les Fran<;ais envoyerent
en Hollande Síeyes et Rewbell, les hommes les
plus astucieux, les plus froids, qui ne se lais-
saient point enthousiasmer, et qui s'enten-
daient parfaitement avec Carnot, chargé d'af-
faires du comité _de salut publico


Plusieurs membres de la Convention s'éle-
verent envain contre la générosité prétendue
de leurs commissaires'. Ceux-ci ne conclurent
pas mOlOS, avec les Hbllandais, une paix quileur
valut une somme irnmense d'argent comptant,
et qui mit ce peuple dans une/position plus
facheuse que s'il eút été traité eomme con-
quete fran<;aise, par la raison meme qu'on lni
laissa, sous les dehors d'une existenee indépen-
dante, tous les fardeaux qui s'y attachaient l.


1 Le traité f¡e trouve dans le Reclleil de Martens : les Hol-
landais dOllnerent cent millions, et toutes les places fortes




302 llISTO IR E HU xv 1 I1e S 11~:CLE.
L'histoire des deux années suivantes dé-


voile quels faibles avantages furent assurés aux
Hollandais. On signa le traité le 16 mai 1795.
Piehegru prit le eommandement des troupes
du Rhin et entama aussitót, eomme on le
sait ,positivement aujourd'hui 1, des Ilégoeia-
tions avec les émigrés qu'on détestait en
Franee 2. Elles ne puren t res ter secretes, de-
vinrent une souree de méfianee et causerent
tons les lnaux qui éclaterent dans la suite,
puisque Pichegru fonnait, a lui seul, une puis-
sanee contre le gouvernement alors établi.


Ce général, de concert avec Condé 3 , ne vou-
resterent au pouvoir des Fran~ais. Les HoIlandais devaient
conserver Ieur. constitution, mais abolir le stathoudérat.


I Fastes de l"anarcltie, tome 1, page 426.
:1 Piclu'gru et Moreau, GU 18 fructidor an 17, suivi de la conju-


ralion de ce dernier, pendallt tes allnées 111, Ir el 1"', et de la
correspondance deS nommés Drake et Spencer Smith, ambassa-
deurs ang/ais, pendant le mois de mars dernier, tendaut a rellouer
les trames contre la France et la perSOnTle du premier consul; it
Paris, de l'imprimerie de Bertrand.Pottier, germinal, an XII,
in-SO.


3 Pichegru et Moreau, pages 8-19; dan. les Pieces trow'ées
a Offenbourg, voIume 1) Page 122, un des négoeiateurs
fait le rapport suivant d'un entretien qu'il eut avee Piehegru


lau mois de février 1796 : ti On ne peut croire que je ne fasse
pas ce que l' on désire de moi, quand méme mon opinion ne
m'y porterait pas en pIein. Vous savez que le gouvernement
me déteste sans oser me le montrer , et me eraint. Vous savez
comme je me suis prononeé et me pronouee tous les jours,
méme trop, cOlltre les gueux qui au fond sont les seuIs qui
soutiennent opiniatrémellt la guerrc, et qui seuls ticndront




LIVIU: 1 V, eH Al1 l TUI<: IV. 303
lait point passer le Rhin , mais il se vit obligé
d'avancer lorsque Jourdan, a la tete de l'ar-
mée deSambre etl\leuse, alla a larencontrede
Clairfait. Jonrdan, accompagné de Kléb~r, di-
rigca uans le N ord, et Pichegru, dans le Sud,
l'attaque eontre l'Allemagne; l'un, depuis les
frontieres de la Belgique jusqu'a Manheim,
'et l'autre, depuis Huningue jusqu'a eette melUe
ville. Au commencement du mois de septem-
bre, Kléber traversa le territoire de Prusse
malgré la neutralité, et Championet passa le
Rhin pres de Dusseldorf. Pkhegru prit Man-
heim le 21 septembre. Il s'élevait déja alors
tant de clameurs contre lui que Moreau, et
tous les générau~ qui avaient 'commandé en
lIollande sons ses ordres, lui envoyerent un
témoignage public de son patriotisme et de ses
talen ts mili taires, signé de leurs noms, et le
firent insérer dans les gazettes officielles. Le
parti républicain favorisa Jourdan; cal' il avait
pénétré 'les motifs qui portaient Pichegru


toujoUl'S les rimes. Que dois-je espérer par la suite, si ce n'est
d'abord des inculpations, puis des perséeutÍons, et a la suite
pis peut-etre cncore? Vous voy€z done que. je suis personnel-
lement intéressé a une chose que mon opinion prescrit, et que
mon ereur désÍre qu'on soÍt bien persuadé qu'ayant concluit
la ehose aussi loin qu'elle rest ,je saurai sans doute anssÍ saisir
le momellt favorable, tel qu' il le faut pour ne pas manquer le
coup. »




304 HISTOIRE DU XVIlIe SIi~CLE.
a temporiser.Cesdeux généraux n'étaientdollC
pas en parfaite intelligence, ce qui facilita aux
Au trichiens les moyens de délivrer l' Allemagne
a la fin de l'année, lorsque Clairfait et Wurm-
ser se mirent de nouveau en mouvement, l'un
contre Jourdan. et l'autre contre Pichegru. La
meme désunion, la meme inimitié, régnait
entre les défenseurs des émigrés et ceux des
patrio tes , mais on ne les "it jamais perfides
comme Pichegru, dont les relations avec
Condé ne resterent pas entierement secretes
pour Wurmser qui sul adroitenlent en pro-
fiter.


Quosdapowich battit, le 10 octobre 1795,
la division qui s' était avancée de Manheim
a Heidelberg. Clairfait, s'appuyant sur la vio-


I lation de la neutralité du territoÍre prussien
par les Fran<;ais, lors de leur passage du Rhin
pres d'Eichelkamp, la rompit a11ssi de son
coté et tourna l'aile gauche de Jourdan. Les
Fran<;ais, chargés du butin qu'ils avaient fait
sur les paysans et de feurhaine, voyant la
victoire leur échapper des mains, prirent la
fuite. Clairfait les poursuivit avec habileté et
sansperdre de temps. Il les atteiguit pres de
Nidda,ou Jourdan risqua une attaque; il fut
chassé du village le J 2 octobre, et de la il se




LIVRE IV, CHAPITRE IV. 305
retira en toute hate dans les ligues qu' 00 avait
tirées devant Mayeoce et autour de cette vUle.
Quelques jours apres, Clairfait Ieur doona un
assaut général et les emporta. Les troupes
fran~aises furent ~bligées de lever le siége de
Mayence, le 29 octobre, tandis que W urmser
bloquait Manheim et mena<;ait de le bom-
barder.


L' électeur du Palatinat de Baviel'e, ainsi que
les autres princes, ne songeant qu'a leurs pro-
pres"iotérets, v~naieot d'abandonner la cause
commune, et d' entamer des négociations ~vec
le comité de salut publico Manheinl fut oc-
cupé le 22, novembre; Pichegru, voyant tous
ses efforts inut_iles, . s'était retiré -.derriere
le Queich. Dans cette retraite, il avait fait
preuve du plus grand talent l11ilitaire. Une
treve termina l'expédition d'une maniere
tres-a vantageuse pour les Fran<;;ais; Clairfai t,
qui étaitallé a Vienne, se brouilla avec le
conseil aulique de la guerre et le ministre
Tbugut, ce qui le décida a déposer son cpm-
mandement.


D'ailleurs, des le milieu de l'année, toute
l'Allemagne septentrionale avait abandonné


. a le,ur malheureux sort l'Empereur, la partie
111éridionale et les freres du Rhin.


n. JI.




306 HISTOIIl:! DU XVUle SI:ECLE.
lA Prusse avait fait la paix, et réglé avec


les .Fran~ais la ligne de démarcation des hos ..
tilités et plusieut's artides· qui ne furent pas
mis au jour.Depuis la fin de l'année l"794 ,
cette puissance avait traité avec la F'rance une
paix entre elles, qui futetlfin signée par leurs
plénipútentiaires, le 5 avril 1795.


Ces pléllipotentiaires, qui déciderent d'a·
vanee dusort de l' AUemagne , et qui invente-
rent la sécularisation, furent Hardenher-g et le
ci-devant marquis de Barthélemy. Ce derniel"
avait déja été mnployé sous l'ancien régime,
et Dumouriez l'avait envoyé en Suisse, lors ..
qu'jl était au ministere des affaires étrangeres.
Les . conditions partitulieresde ce traité ne
transpirerent pas, mais, d'apres les ·articles
connus, il est facite de prouver que l'empire
allemand et 5a cons ti tu tion , ainsi que la rive
gauche du Rhin furent abandonnés. Cette
paix enleva a l'Empereur et aux Étatsqui étaient
en guerre, le secours de tous les compatriotes
et de tous les membres ·de l'Empire, compris
dans la ligne de démarcation fixée, le 17 mai,
a Bate. Comment, apres cela, parler encore
d'un empire allemand ?


La Hesse suivit, au mois d'aout, l'exemple .
de la Prusse; le Hanovre merne préférala paix,




í LIVl\E IV, CHA.PITRE IV. 307
et l' Allemagne, abandonnée de ses propres
enfants, se 'Vit aussi trahie par la fortune. La
paix d'Espagne livra ce pays a Don Manuel
Godoy, créé, plus tard, duc d' Alcudia et
prince de la Paix., ce qu' on peut regarder
corome la prerniere cause de tous les change-
ments opérés depuis dans ce royaume. AussÍtot
apres la révolution ,le comte d' Aranda , nom-
mé de nouve.aU au ministere, employa tons
les moyens pour empecher la guerre que la
reinevoyait avec plaisiréclatercontre la France.
Don Manuel, qui n'avait d'alltre rnérite que
de se faire remarquer par sa beauté et ses
talents dans la nlusique, gagna la faveur de la
reine. Celle-ci le recommanda art faible. Char-
les IV , le fitpasser successivernent par toutes
les dignités, le nornma seerétaire d'É,tat, et
ensuite premier ministre. Apres avoir renversé
d' Aranda ; ce fut lui qui détermina a la guerre
contre la France. Les Espagnols ·obtinrent
d'abord quelques sueces, ils s'avan.;;erent sur
le territoire frau<;ais et s'y soutinrent, en 1794,
meme apres la victoire décisive, que Dugom-
mier, a la tete des Fran~ais, avait remportée
pres de Bagnols. lIs tenaient alors quatre
places fortes dans ce paYi" Dugommier périt
sur le champ de bataille, le 17 octobre 1794;


20.




-308 HISTOIRE DU XVIII- SIEC¡'E.
Pérignon se chargea alors du commandemtmt,
entra en Catalogne, mena~a Girone et Tor-
tose ~ prit Bilbao et occupa la Biscaye et Gui-
puscoa.


Les F~an9ais éprouvereni le sort ordinaire
~es troupes étrangeres, dans les provinces
brulantes de l'Europe méridionale. vi. grand
nombre succombaauxépidémies eta ladisette.
Une partie tomba sous le poignard., Lorsque
la fortune des Francais COlnlnencait a chance ...


!) !) i


ler, le patriotisme se réveilla dans le erenr des
Espagnols, avec de nouvelles espéranees. Le
duc'd'Alcudia, généralement détesté du peu-
pIe, chercha tout-a-coup en France un appui
eontre les nombreuxennemis qu'il avait meme
a la cour. '


Bourgoing, qui connut l'Espagne mieux que
tout autre, fut en voyé a Madrid, par les
hornmes qui faisaient alors la loi en Ftanee. Il
arreta d'abord avec Godoy les articles partí-
culiers qui regardaient le favori et non le
royaume. La paix terminée a Bale ftit enfin
ratifiée le 14 juillet 1795. Le faible roi, pour
réeompenser don Manuel, lui accorda le titre
de prince de la Paix, sous Iequel il aequit en-
suite une triste célébrité .


..


,En Italie, le grand due de Toseane' avait




LI VRE IV, CHAPITRE IV. 309
fait la paix, au mois de février; le roi de Sar-
daigne avait perdu la Savoie et presque_ tont
le Piémont. L'anuée fran<;aise était entrée sur
le territoil'e de Gimes, pendant qu'on établis-
sait en Franee le nouveau gouvernemeut et la
llouvelle eonstitution.


IV. A eette époque, la Franee, asservie a un
pouvoir militaire, vil, le 18 fruetidor, la ré-
volution s'aehever par la force des armes. TI
est done utile et néeessaire de donner leré-
sumé des événements qui remplirent toute la
nation d'enthousiasme pour les exploits mili-
taires. On ne se·laissait alors entrainet que
par l'ivresse d'une gloire aequise au ehamp.
de bataille et les armes a la main.On ne re ...
eonnaissait que la violenee et le erime eonduits
avee adresse; mais bientót l'armée d'Italie et
son général attirerent tons les yeux et fixerent-
toutes les pensées; quant a la guerre inté-
rieure, elle ~vait dli disparaitre, lorsque le
gouvernement prit des formes plu~ modérées.


Les deux ehefs prineipaux de l'insurreetion
de la Vendée, Charette et Stofflet, avaient mis.
bas les armes le 19 février 1795., des qu'o.n
eut promis a leurs compatriotes de ne .plus
troubler leur eulte et leurs pretres. Quand les
Anglais conduisi·rent ensuite les malheureux




3 (O HISTOIRE DU XVlIIt SI"ECLE.
émigrés sur la cote de Bretagne et occasiou ...
nerent le carnage de Quiberon, Charette et
Stofflet se leverent de nouveau, le 24 juin ;
mais ce dernier se vit trahi et livré par
son prgpre parti. Charette; Georges Cadoudal
et autres trouverent dans Hoche un adver-
saire supérieur, ferme, éloigné cependant de
toute cruauté.Ce généraI tira parti des avan-
tages de son extérieur, pour apprendre et dé ..
jouer par des femmes les pIans des royalistes;
iI employa en meme te~ps les colonnes IDO-
hiles, appeIées, p~ndant la terreur, Colonnes
inflrnales, ponr empecher OH prévenir les atoo
troupements. Comme Hoche possédait la con-
fiallce des directoors ., et que la prompte


1 Réponse de Camol au rapp0l't fait sur la conspiration da
1,8 fructidor, de r an r, par J. C. Bailleul, au nom du comité
choisi. Londres I Hambourg, Altona, t. VIII p. l6 ~. Il rap-
porte ici de quelle maniere iI sauva Hoche, et comment ille
mit a la tete des trois armées de l'Ouest.


11 poursuit, page 164: .. C' était un homme a grands moyens
que Hoche, et qui ne pouvait manquer d'étre tres-danSereux
en prenant un parti quelconque dan s les affaires politiqlles. Il
affectait un grand mépris pour Pichegru SOlJ.S le rapport des
talents militaires. LNlr rivalité avait commencé a la levée du
siége de Landau, ou Pichegru, protégé par Saint-Just et Le-
Las, alors représeJ¡laQts du peuple pres l'armée du Rhin, et
tres - pl'épondérants, avait pourtant cédé le commandement
en chef des armées réunies a Hoche, soutenu par Lacos~e et
Baudot, représentants du peuple pres l'armée de Moselle. Au
commencement de la guerre, Hoche, étant encore peu connu,
envoya au comité de salut public un mémoire sur les moyens




LIVllE IV, CHAPITRE IV. 311


destruction de QuiberQn luí donnait des titres
a une récompense, le nouveau gouverne~ent
le nOluma général en chef des trois arrnées de
l'Occident ou des cotes de l'Océan, et lui ac-
corda un renfort de quarante milIe hommes.
Au mois de mars. 1796, Charette tomba dans
ses mains; il fut fusillé, le ~9, a Nantes. Serant,
d'Autichamp, Georges CadQudal excitaient
néanmoins, de temps eu temps" en clifférents
endroits, des ins.urrectiollS qui ~e prolongerent
jusqu'au regne consulaire; cependant le di-
rectoire instruisit, le 16 juillet (28 messidor
de l'an VI) le Corps~lpgislatif, par un message
qirect, que la tranquillité étai,t entieremeut .,4-
tablie d(lns les départemeuts d~ l'O\l~st.


Quaud lIoche eut apaisé la guerre civile"
il voulut attaquer les Anglais en Irlande; il
équipa une floUe avec beaucoup de peine, fit
toutes les provisions nécessaires pour une oe$-
cente, et quitta le port de Brest, avec un vent
favorable, le 14 décelubre. La flotte entra dans


de pénétrer en Belgique. Qu~nd j'eus In ce mémoire, je dis,
par f~mne de conversation, 3U comité: Voila un sergent d'in-
fanterie qui fera bien du ehemin. Mes collegues me deman.,
derent de qui je parlais : amusez - vous, leur dis - je, a par-
courir ce mémoire; san!! ~tre militaires, iI vous intéressera.
Robespierre le prit; quand !l l'eut achevé, il dit: Volla un,
homme excessivement dangereux; et je erois que c'est de ~
moment meme qu'il résolut de le faire périr. "


/




3I~ 1IISTOIRE DU XVIII- Sd:CLE.
la baie de Bantry, mais son vaisseau ayant été
séparé des autres, son armée n'osa rien entre-
prendre sans lui. Il échappa presque miracu-
leusementaux ennemisa son retour,etatteignit
un port de la cote franc;aise. Dans le Haut et
le Bas-Rhin, Jourdan, général en chef de l'ar-
mée deSambre-et-Meuse, et Moreau, qui avait
succédé a Pichegrll, dirigeaient, au coromen-
cement de l'année 1796, tous les mouvelnents
militaires de Huningue jusqu'a Manheiro. Les
relations de Pichegru n'étaient plus un sccret
pour person:ne. Le directoire ne put guere le
souffrir'a l'armée 1, et voulut lui donner l'am-
hassacle de Suede, mais i1 la refusa. Les trou-
pes autrichiennes perdirent aussi Clairfait qui
avait concluít l'expédition glorieuse, a la fin de
l'année I795. Il flvait condu une treve ponr
aller a Vienne, et ponr faire des représenta-
tions contre les fraudes et les friponneries


I Montgaillard,entrahissantd'unemaniereaussiin(amequ'im-
prudente la cause qu'il servait, avait livré les plans et les papiers.
Le directoire n'osa ni ébruiter l'affaire, ni attaquer Pichegru.
Ce dernier s'était retiré dans l'abbaye de Bellevaux ,qu'il avait
achetée; il Y resta jusqu'au ler mars 1797, ou il entra au
Corps - Législatif. Bonaparte • voul;mt se disculper de l'odieux
assassinat dont iI s'était rendn coupable envers Pichegru , 6t
publier'. en 1804. les actes contre Pich,egrn; ouvrage connu
sons le titre de jforeau et Pichegl'u, que nous citerons souvent t
puisque tous les royaIistes, et m~me Fauché-Borel, en re-
connaissellt aujourd'hui l'authenticité, contestée en 1796 et
en 1804. .




LIVRE IV, CHAPITRE IV. 313
des fournisseurs; il trouva que l' entrepreneur
avait plus d'amis parmi les grands, que les
soldats nlourant de {aim, et que le mi.nistre
Thugut etquelques autres savaientmieux,dans
le cabinet, que Iui-meme dans le eamp, ce que
le général vainqueur aura!t dli faire. Offensé
de eette injustice, il déposa le commandement
en chef. L'archiduc Charles, agé de 24 ans,
fu t mis, en Allemagne, a la tete de l' armée autri-
chienne, qui renfermait en outre les troupes
de Saxe, de Souabe et de Franconie, ainsi que
les contingents de quelques États de l'Empire,
demeurés fideles a la cause cornmune.


Charles déclara, le 21 mai 1796, par le
lieutenant-général Kray, que l'armistice était
expiré. Barras et'Carnot projeterent contre lui
l'immense plan d'opérations, d'apres lequel
farrnée d'Italie et ceIle du Rhin devaient, de
l'Italie jusqu'él Cologne, marcher conjointe-
ment sur l'Autriche, en traversant, l'une la
Lombardie, et l'autre toute l'Allemagne. Bo-
naparte attaqua le Piémont; Moreau mena«;a
Wurrnser, posté s.ur la rive gauche du Rhin.
Jourdan avan«;a au-dela du fleuve Lahll., pour
rOlnpre, aupres de Wetzlar., les lignes des
Autrichiens él la Dill. Son attaque échoua, les
Alltriehiens le repol1sserent, le 15 juin , jus-




314 HISTOIRE :pu XVJlle ~IF:CLE.
qu'a Cologne, tandis que Moreau se préparait
a passer le Rhin. W urmser, obligé d' envoyer
une partie considérable de son armée en Ita-
lie, repassa le Rhin, car i1 ne put tenir tete
a J ourdan et a Moreau qui faisait faire quel-
ques mouvements contre Manheinl. Wurmser,
s'étallt retiré de la rivegauche dn Rhin, Mo-
reau le pass a pres de StrasbQurg et de Gams-
heim, le 24 juin , et forc;a ainsi l'archiduc d'a-
b~ndonner la poursuite de Jourdan, et de se
tourner vers la Souabe. Moreau pénétra en ~
suite dan s le cceur de I'Allemagne méridionale
apres etre resté maitre du chalup de bataille,
dans de\l~ combats opiniatres_pres de Rastadt
et d'Ettlingen. I-,es A\ltrichiens s'étaient retirés
en Baviere, tandis que Moreau inondait la
Souabe et marchait sur la Baviere. Jourdan'
s'était de nouveau avancé sur le fleuve de Lahn
et avait occupé, ari lnilieu du mois de juil-
let, tout le pays au~dela de WlU'zbourg.


La prudence et la rnodération défendent ici
a I'Allemand qui veut écrire l'histoire de cette
année, sans blesser sa conscience, d'entl'er
dalls les détails. Comment rapporterait-il, sans
une amere et triste indignation, que la pauvre
Allemagne, par sa propre fante et son défaut
d'unioQ, se sentit opprimée par l'ennemi , et




LIVRE IV, CHJ\..PITRE IV. 3 .. 5
que chacun, oubliant ses compatriotes, ne
songeait qu'a soi-meme ? eomment raconter ,
saos dépit, qu'on désarma l'enneI!li a force
d'argent, et que la moitié des sommes que ron
saerifia aurait été plus que suffisante, si on
avait su l'employer pour sauver les alliés, et, ce
qui vaut mieux encore, l'honneur de la nation,
dans toute son intégrité -? eomment dire, avec
calme, a queIle instigation et dans quelle vue le
roi de Prusse donna ses conseils aux prinees as-
semblés a Pyrmont? Qui décrirait eornment
de mauvais conseillers déciderent Frédérie-
Guillaume I1, prinee pieux et magnanime mal-
gré ses faiblesses, a profiter des besoins des
États inférieurs. de ia Franconie, pour les for ..
cer de renoneer au droit héréditaire etan lien
saeré, qui les attachait a l'Empereur et a l'Em-
pire? eomment rapporter de sang froid que,
dans le moment meme ou Jourdan entra en
Franconie b la Prusse occupa tout le territoire
de Nuremberg, soumit les faubourgs et incor-
pora deux autres villes impériales a ses États ?
Il nous para!t plus sage et plus sensé de nous
condamner au silence; nous remarquerons
seulement que tous les princes furent obligés
de renoneer a leurs possessio~1S le long de la
rive gauche dn Rhin, quoiqu'ils se fissent pro-




3.6 HlSTOIRE DU XVIIle SIECLE ..
m'eUre des dédommagements 1 par l'ennemi,
aux dépens de leurs aIliés et ~les États de la fé ..
dération-. Ndus ajollterons, qll'a l'exception
de la Saxe, tous payerent des contributións
immenses sans etre délivrés des garnisons et
de lons les fardeaux qui en sont inséparables.


Le 29 juiUet, en faisapt désarmer les trou ..
pes de SOllabe, le magnanime Charles ma ...
,nifesta ~n milieu de la guerre l'indignation que
luí causait la défection générale. Les Autri ..


1 COl'respondance inédite, tome VII, page 123. Le ministre
Dclacroix écrit le 26 mai 1797, a Clarke et a Bonaparte: "J'ai
l'honneur de vous envoyer, citoyens généraux, les extraits
de la correspondance, qui peuvent vous intéresser relative-
ment a la ~égociation dont vous é~s cliargés. Vous y verrez
que tontes les grandes maisons d' Allemagne désirent qu'il soit
pris des arrangements convenables a la République, sur les
,frontieres vers le Rhin; que la cession de la rlve gauche n'é-
prouvera pas d'obstacles sérieux de leur part pourvu qu'ils
soient dédommagés sur l'autre rive par des sécularisations
équivalentes. Quant a la Prusse, elle paralt un peu confuse
du role qu' elle a joué en réclamallt l'intégrité de l'Empire ger·
manique, tandis qu'elle est liée avec nous par une convention
secrete, qui suppose la ces~ion a la Répuhlique de toute la
partie gauche, moyennant un dédornmugement pour eHe et
pour le stathouder également pris sur la rive droite du Rhin .•


Le 19 ao"t, le ministre Talleyrand écrit, page 22 : • C'est
dans ce systeme de sécularisation , auquel iI faut en veI)ir tot
ou tard, et qui est déja consenti par la Prusse, la Hesse,
W urtemberg et Bade, que l'Ernpereur trpuvera a la fois un
dédommagement plus ample et un arrondissement plus conve-
nable a ses États héréditaires, que dans ses provinces italiennes
agitées par les principes de la démocratie, et qui d'ailleurs
seraient pour sa maison des sujets perpétllels de guerreo •




tlVRE IV, CHAPITRE IV. 317
chiens, abandonnés de tous les Allemands ,


r pressés par deux armées fran<;aises, furent
forcés de reculer jusqu'a ce qu'un renfort de
quinze mille grenadiers hongrois se joignlt a
Ieurs étendards, ce qui eut líeu a la fin du moÍs
d'aout, lorsque les avant-gardes de Moreau
étaient postées a deux lieues d'Il1golstadt, et'
que .les troqpes de Jourdan se trouvaient a
trois lieues de Ratisbonne.


L'armée fran<;aise allait atteindre son hut;'
Bonaparte occupait la Lombardie, Wurmser,
envoyé contre lui avec des renforts, se vit,
comme son prédécesseur, contra¡nt de fléchir
devant le génie supérieur de ce jeune général
qui le repoussa . jusque dans les défilés du
Tyrol. Moreau songeait a se réunir aBona;":
parte, lorsque l'archiduc Charles releva pour
quelques temps, par une attaque intrépide,
le courage abattu des Autrichiens, leur con-
fiance en eux-memes, et délivra l' Allemagne.
n tourna la droite de farmée de Jourdan ,
culbuta .Bernadotte, a peu de distance de
Teining, le poursuivit 'de pres jusqu'a ce que
Jourdan lui offrit, le 3 septembre, dan s les en-
virons de W urzbourg, une bataille qu'il perdit.
Alors la confusion se répa.o.dit parmi les Fran-
~~is, suite ordinaire des 'défaites qu'ils éprou-




318 H ISTOIRE DU XVIIle SIECLE.
vent sur un sol étranger t. Les paysans alle-
mands vengerent en meme temps les violen ces
que les vainqueurs avalent d'abord exercées
sur les vaincus. L'armée de Sambre-et-Meuse
recaunut :1101's combien il était dangereux de
laisser des pIaces .. fortes derriere soi, puis.
que lesgarnisons de Manheim, de Mayence,
d'Ehreilbreistein et meme du petit Krenig-
stein lui rendaient sa retraite bien plus difficile.
Les Fran<;ais, atteints dans leut' ret'taite; pres
de Lirnbourg, essnyerent un nouvel échec le
16 septembre ; l'armée fut mise presque enth~ ..
rement en déroute, et la France ne cónserva
de $es conquefes sur la rive droite du Rhin,
que la h~te du pOÍlt pre~ de N eUwied ~t Dussel-
dorf. Imnlédiatement apres; Beurnonville, <¡ui
jusqu'alors avait commandé l'armée du Nord,
se chátgea de la direction des troupes du Rhin
jusqu'a l'arrivée de Hoche.


Tandis que le due Chal'les se précipitait sut
l'ar-mée de Jourdafi, Moreau feignit de vou-
loÍr prendre WUrmser par derriere; et se réu-
nir ensuite a l'armée de Bonaparte en Italie ,
par le Tyrol. Il passa le Lech, le 21 aout,


I Pichegru et Moreáu se sont surtout immortalisés par Por-
dre qu'ils ·surent maintenir dans leur retraite. Bonaparte,
dan s la Correspondance inédite, s' en moque; mais il ne serait
pasmort a rile Sainte·Hélenes'il en avait eu quelque idée.




LIVRE IV, CllAPITRH IV. 319
chassa les Autt'ichiens des collines de Fried-
bourg, et, par une mal'che forcée en Baviere,
obligea l'électeur du Palatin:U de signel' un
traité aussi ignominieux que celui des autres
princesa Morean obtint alors et sur.le champ,
de la Baviere; dü Wurtemberg et de Bade,
plus d'argent, de munitions, de vivres et de
chevaux, qu'ils n'en avaient donné debon
gré ,pendant tout le teolPs de la guerre a l'ar-
mée de la pati'ie.


\


Moreau hésita! quelques jout's ; il nesavait
s'il avancerait vers I'Autriche, ou le Tyrol,
lorsqu'il apprít subitement qu'il était menacé
par derriere. L~archidnc meme cessa de poui'-
suivre Jourdan ,póur se to~tner 'vers le Da-
nube. Mais déja les Atltrichiens avaient cérné
Morean qu'on crut perdn pour la France.
Ce général acquit, dan s eette occasion, par la
retraite la plus extraordinaire, ptesque la
meme gloire que Bonaparte s'était acquise en
Italie par des succt$ prodigieux; maís le pre-
mier n'immola ,jamais personne a 5a gloire ,
tandis que l'autre lui sncrinait tout. Moreao ,
pour pl'évenir Charles, attaqua le général La-
tour pre~ de Biberach , le repoussá et occupa
les vallées 'par ou l'archiduc aurait pu fondre


. sur tui; ensuite iL passa dans le plus grand




~~o IIISTOIRE DU XYfneSIE eLE.
ordre par la Spuabe avec $on armée, son ar~
tillerie et tous ses bagages.


La Suisse accorda aux Fran~ais ce qu'elJe
refusa aux Allemands. Moreau pla~a une par-
tie de son artillerie -dans les ~rsenaux suisses,
et traversa les cantons pour rentrer en Fra!lce.


L'issue d~ l'expédition de Bonaparte en
Italie fut tout autre, ainsi qlle sa position
vis-a-vis du directoire et de la nation fran-
~aise. Il devint, dan s la meme année, maitre
de ses arméés et de ses généraux, protecteur
de l'Italie, comme il le fut plus tard de la
confédération du Rhin, l'idole d.e la nation et
la tet:reur du gouve~nement _1.


Ni Scherer, ni Ke.llermann D,e. paraissaient
en état d'exécuter le proj~t hardi de" vainGre
l'Autriche en Italie. Pendant que le gé'1éral
Aubry refusait d'employer Bonaparte, celui-ci
fit connaltre ses talents pour la tactique mi-
litaire a Carnot qui, dan s la suite, obtint pour
lui le commandement de l'armée d'ltalie ~ ;


1 Daru, Histoire de renise, tome V, p. 440, rapporte que
Bonaparte lui avait dit en partant : ti Dans trois mOls je serai
a Milan 011 a Paris. »


2 Réponse de Carnot, pages 40-42: " 11 f3ut ici dévoiler
l'atroce perfidie de ces trois brigands (Barras, Rewbell, Re-
veillere). Bonaparte leur fut toujours odieux, et ¡la ne per-
dirent jamais de vue le projet qu'ils eurent de le faire périr.
J e n' en excepte point Barras; ses grincemellts de dents, loraque




LIVRE IV, CHAPITRE IV.


car, étant pour ainsi direltalien, il connais-
sajt parfaitement ce pays.


Il parut, le 20 mars 1796, a l'arlnée qui man-
quait de tout 1, et qui, outre l'Autriche, avait
]a Sardaigne, Parme, Plaisance, Modene, le
pape et N aples a combattre. Les ,troupes enne-
mies formaient deux divisions, l'armée de Sar-


j,:;


le général envoya Sahuguet a M~rséil1e, ~es ~oriies c~ntre 'les
prélirninaires de Leoben, !4es grossiers et calbtntlieU:x sartasmes
c!lntre une per80nne qui doit etre chere a Bonap~ftc, décelent
la noirceur de son arriere-pensée. Cethomme, s'ous l'ecorce
d'une feillte étdurderie, cache la férocité d'un Caligula. 11 u'est
point vrai que ee sojt lui qui ait proposé Bonaparte pour le
commanclement de rármée d'ltalie, e1éstiuoi-írieme; inais pour
cela on a laissé filer le témps pour ¡¡avoir eotument il réussirait,
et ce n'est que parmi les intimes de Barras, qu'il se va!lta d'a-
voir été l'auteur de lá proposition faite ati dire'ct'oire. Si' "Bona-
parte eut échoué, c,' e~t moi q1,li étaj~ ~~p¡~Ne; j' avais proposé
un jeune homme sans éxpériepce, un intrigant; favais évidem-
ment trahila patrie; les autres ne se melaient point de la guerre;
c'était sur moi que devait tombér toute la responsahilité: Bo-
uaparte est triomphant, alors e'est Barras qui I'a faít uommer ,
e'est a lui seul qu'on en a l'obligation : il est son fléfenseur, son
protecteur contl'e mes attaques; moi, je suis ja]oux de Bona-
naparte; je le traverse dans tOU5 ses desseins ,je le persécl,lte ,
je le dénigre , je lui refuse tout secours, je veux évidemment
le perdre. Telles sont les ordures dont on remplit dans le
temps les_ joui'naux vendus a Barras .•


• Correspondance inédite, offitielle el conjidentielle de Napoléoll
avec /escours étrangeres, les pr;llces, les ministres et les générallx
franfais,. Paris, Panckoueke, 1819, in-SO. tome J, p. 10: .. L'ar-
mée est dan s un dénuement a (¡tire peur; j'ai de grands obstades
a surmollter; mais ils sont surmontables: la mÍsere ya autorisé
l'indiscipline, et saos discipline point de victoire »


Use plairit ensuite dé ce qu'on lui proteste"les lettres de
change.


H. lI. 21




312 HISTOIRE DU XVIII- SIECLE.


d'aigne, commandéé 'Par Colli et Pro vera , et
ceHe d'Autriche, sous les ordres de B~aulien
et d'Argenteau.


La derniere couvrait Turin €t faisait tete a
la partie de l'armée qui était postée an Saint-
'Bernard; an mont Cenis, au Illont Genevre "
dans· les vallées de Stura et de Maira. Elle
eut jusqu'au 1 4 ~vril quelqnes succes, lorsque
Bonaparte changea tout-a-cóup la scene. Beau-
lien, voülant force: le i"rH~me jotir le centre
de l'armée fran~aise, pres de Montenotte,
'avait emporté toutes les redoutes, quand ses
efforts échouerent contre le dévouement de
quiri~ .~e.nts ,gr~nadiers, que le général Rarn-
ponenthousiásma tellementpar ses discours,
qu'lls tinrent ferme jusqu'a ce qué Ma~séria e:t
Laharpe tournerent l'ennemi sur la droite.
Lorsque Beanlieu se disposait, le lendemain, a
renouveler l'attaque, Laharpe menac;ait de le"
prendre en queue , Masséna pressait sa droite,
et Merci-Argenteau, qui avait le commande-
ment de cette aile, retollrllait imprudemment
a Dego. Argenteall tenait un rang tres-élevé
dans la noblesse d'Autrlche, mais il ne jouis-
sait pas d'une grande renommée lnilitaire ; il
se retira. 'malgré les ordres expres q~'il avait
rec;us, et il fut cause que les Franc;ais ohtin,rent




:.>


T"IVRE IV, CHAPITRE IV. 323
des avantages bTillants, le 13, pres de M~lle­
simo, et le 15, pres de Degó. 'B'eanlieú Se ~it
'alors obligé de pli)er; il mit le gériéia:l ilé-
gligent aux arrets;' niais lá tour le nomma
feld-maréchal de 1'Empire.


Les Autrichiens' ayant éié vaincusirnmé-
diatement apres dans plusieurs'coinhats,' Ser-
rurier avait fr·anchi les Apennins, et les Fran-
<;ais; inaitres 'dEis' vallées "dé' Tanaro et de
Bormida, 'avái'ent coupé l~s Autrichiens de
l'armée de Sard'aigne; éelle-ci a)T3nt été bat-
tue le ~ 2 a Mondóvi, ProveI'a, l'un de ses
chefs, fut fait prisonnier pres de Cosseria. Les
Franc;ais menac;ant alors Turiri sJ:rp'procne-
rent de eette ville"~ a' rá'dlsHítict ltie :¿'euf
tienes.


Il yavait en melne temps 'a,es' escarrnou~hes
continuelles entre les Autrichiens, qui se re ti-
raient lentement et les Fran<;a~s, qui avanc;aient
avec rapidité. Des éornbats plus sérieux se li-
vrerent,'depuis le 22 jusqu'au 25 avri!. Le ~3,
le& chefs de l'armé~, de Sardaigne dernande-
rent une treve, et 'bientot la poli tique insi-
dieuse de Bonaparte, parfaitement en harmo,-
nie avec le rnisérable systeme, des cours
italiennes, devillt plus pernicieuse aux Autri-
chiens que 'ses turnes.


21.




3:A4 HISTOIRE DU XVIlle SlECLE.
, ¡


. Il fit craindre au roi de Sardaigne de favo-
riser les troubles , inévitables dans le pays si la
guerre contiouait, et lui fit espérer de le main-
tenir dans la po~session du Piémonts'il consen-
tait a la paix. Cela eut le résultat désiré. Le roí
de Sardaigne fut trompé plus indignement que
les princes allemands qui, au moins, n'avaient
pas de places-fortes a livrer a l'ennemi. Bona-
pal'te ne pouvant pas conclure depaix accorda
des t~eves .. Salicetti, Corse et commissaire du
· gouvernement,y joua un role secondaire, et le
général ne laissa meme rien autre chose a faire


· au directoire que de reconnaitre ses armistices,
· comm~ ¡~es ~raités form~ls depaix. \
... ~u.co~mencement, Barras n'était pas tre~­
content de / tout cela. )30napal'te entl'etenait
une cOl'respondance particuliere ave e Carnot 1
qui le pl'otégeait surtont et savaitapprécier
ses talents. Mais Carnot aussi reconnut bien-
tot que ce général s'élevait trop aux dépens
des autres 2, et il con<;{ut alors le projetde


, Bonaparte écrit a Carnot le 9 mai 179 o: • J e vous dois
des remerciements particuliers pour les attentions que vous
voulez bien avoir pour ma femme; je vous la recommande ; elle
est patriote sinc~re, et je l'aime a la folie. J'espere que les
choses vont bien, pouvant vous envoyer une. douzaine de
millions a París; cela ne vous. fera pas mal pour l;armée du
Rhin.. .


2 CorreJpondance, t. 1, page J 59 : u Au reste, vous me trou-




LIVR.E IV, ClIAPITiu: IV. 325
diviser l'armée. Ce plan fut communiqué a Bo-
naparte; celui-ci n'hésitait pas un instantá exé-
euter toute mesure immorale que· lui ordon-
nait le gonvernement, él dépouiller toutes les
collections, les galeries et les trésors de l'ltalie"
a piller Genes et él suivre ensuite dans le pil-
lage de Lorette le plan tracé par'le ditectoire.
Il se pretait a tout,. soit qu'il fallut envahir
Rome et le pays napolitain ~soit qu'il s'agit de
s'emparer par perfidie de Livourne, po.rt ap-
partenant au dnc de Toscane qui avait fait la
paix depuis long-temps 1; mais servir a coté de
Kellermann, voilá ce qu'il refusa po~itive­
Iuent 2.


verez toujo,urs dans la ligne· droite ; je dois a la Republique le
sacrifice de toutes mes idees. Si l' on cherche a me mettre mal
daos votre e~prit, ma reponse es! dans mon cmur et daos ma
conscience ...


1 Cql'respondailce, t. 1, page 161: « L'expedition sor Li-
vo~roe, Rome et Naples ,est tres-peu de chose : elle doit etre
faite par des divisions en échelons, de sorte que ron puisse,
par une marche rétrograd~, se tfouver e~ force «()nt:r;e les
Autrichiens, etc., etc. •


2 COl'respondance, t. 1, page 160 : "Kellermano eomman-
dera ~ussi bien. quemoi, ear personne n' ~st plus eonvai~cu
que· je le suis qqe les victoÍres sont dues au courage et a
l'audace de l'armee; mais je erois que réunir Kellermann et
moi en Italie, c'e~t· vouloÍr tOllt perure. Je ne puis pas servir
volontiers avec un homme qui se crúit le premier général de
l'Europe, et d'aiUeurs je crois qu;il fiwt plutot un mauvais
gé~éral que deux bO~lS. La guel're est com~e le gouvernement,
c'est une affaire de tacto »




326 HISTOIRE DU XVIlIG SIi:CLE.
D~ns la crainte de l' off enser , on fut obligé


de re~on:cer ~ie pl~~¡ ilafrach;~ ~~ attendant
des millions au roi de Sardaigne qui en outre
fut cont~ai,p.~· de hü céder toutes les places
fortes, C?ni, Exjlles, Suse, CI~at~au-paupbin,
T!<?rto~e, A:lexa~drje ainsi que la Savoie, pen-
d;I,Pt 1ft tr~Y~,.<;on),me apres la paix. Le roi ne
g~g}l.ápa~ ce- tr:;titéqu~ l'a.vantage f~_c~ice de
~jg~~r ~ d~n's ~~. "résjd~q~e, les ¿rdre~ donnés
par" un c¿lJseÜ "exéc~tif ~ irifl~eri~é par le~ in-
strúction~ du qU:,l_~tier-gén,~r<l:l des Franc;ais.
. A pres lé;l d'éfection de la Sardaigne , les Au-
trj~hie~s plierent partout, et Beaulieu lit en
vain de grands préparatifs pour empecher
Bonaparte de traverser le Po a Valen ce , puis-
que les.Franc;ais passerent ensuite,san~aucun
o~stayI~, pres.de.Plajs~.l1ce. Une f~Pte com-
mise par ses artilleurs le fit échouer dans sa
tentative d'emptkher au moins l'armée fran-
<;ais~ depasser le Tésin, pres de Pavie.
Bonaparte avanc;a incontinent jusqu'au fleuv~
Adda.


Des-Iors, ilfitvoiret reconnut luj-meme toute
sa supériorité sur son siede malheureux et sa
gé~ération, pour laquelle il avait autant de
~épris que frédéric pour l~ sienpe ; car t.o.us
les deux n'avaient jamais connn et bien moins




LI V n E 1 V, e HA.r 1 T R t.: 1 v. ~~ 7.
enco:re senti le bo~heur d'~ne vert?- paisible,
d'une douce ami~ié et d'~n vé.dtabI~ ~m~ur.
Le style de se~ bu~letins 1, ses proclamati.Q~s
aux soldats 2, sa corresppndance avec les
pirinces, le~ minist~es et les gouvernen?ent~
républicains de Ge;n,es et de V en~se, ~ommen­
cerent des-Iors ~ déyoiler son ca~actere jIl1pé-
rieux; et, si la politiq~~ du .~irectoiFe ~~em­
pechait de provoq~~~ les peuple~ . d~ l'Italie
o~vert~me~t ~.la révolte ~ ,il I.~ lit cep~n~~nt
d'pn~ ~aniere indjrecte, par ses ,discqur& aux
s()lq~ts' 3 .' . . . . ' .


I Berthier semble l'avoir sénti; chef de l'état-major, il dit,
en faisant alIusion a Pichegru el aux royalis.tes siégeant dans
le Corps-Iégislatif, qu'il nomme Chollans: • Si qúelqlles Chouans
doutent du compte que nous présentons des prisohniers faits
par les Répuhlicains, répondez-Ieur, etc., etc .•


2 "Soldats, dit Bonaparte dans une de ses procIamations,
Vous avez, en quinze jours, remporté s~x yictoires, pris vingt-
~n drapeaux, cinquante pieces de canon, plusieQrs places.
forte~ ~ cooquis la partie la plus riche du Piéroont, etc. Tous
veulent humilier ces rois orgueilleux qui oserent méditer de
~ousdonner des f~rs, tous veulent dicter 'une paix glorleuse.,
et qui indemnise la patrie de tous les sacrifices qu'elle a faits:
tous vetilent, en rentrant dáns leurs villages, pouvoiJ; dire avec
6.eft~ : J'~tais· d~ l'a:rmée conquérallte d~ l'Italie!' •


3. Peuples d~.l'Italie t l'armée fran~ise vient pour rompre
yos .chaines; le peuple frap~ais .est l'ami de tous les peuples;
venez ·au.devant d'elle; vos propriétés, vos usages, votre re-
l¡~ion seront respectés. N qus ferons la guerre en ennemis g~
né~eu~, et nous n'en voulons qu'aux tyrans qui vous asser"!'
vissent. »


'On apprend, par le rapport suivant, combien on remplit
ces promesscs. Nous ne oous arrétons pas aux réquisition$l




32& HISTOIRE DU XVIIJ C s J:l.:CLE.
Pres de Lodi " Beaulieu cherchait a défendre


le passage de l'Ádda, et il raurait pu facile-
Inent~ puisque un pont d'environ sojxante
toises de longueur, bordé de trente canons,
ne peut griete etre pris' d'assalit; mais' les Au-
trichiens se laisserent intirnider par la pre-
iniere attaqueimpétueuse des Fran~ais. Avec
la prisede Lodi, le' sort de la Lombardie était
fixé. Les Frant;ais disaient, en parlant de ce
fait : ies troupes n'osaient avancer, le canon
ravageait les rangs des assaillants, lorsque
Bertnier, Masséna, Cervoni, Dallemagne,
IJannes et Dupas se mirent a la tete des colon-
~es: le¡PQnt' fut emp.or~é; mais Berthier, en
parlantld'~n'événement pareil, indique. la vé-
ritable raison du succes '). '
aux ~xactions en vivres, et aux cinquallte - un lingots d'ar-
genterie qU'Oll prit aq Milanais, a Lodi et a Bologue. La L«;>m-
hardie dOIllla vingt-cinq milliollS de francs; Mantoue huít cent
roille, les nefs del'Empi~'6 qe~lx cent ~ille, Modene dix mil-
lions" Masse et Carrare six c;ent mille, P~rme et Plaisance. Viligt
mlIlions, le pape trente millions, Bologne et Ferrare trois
miUiolls sept ceht mille ~ les magasins auglais huit millions.
C'est ainsi que Bonaparte PQt dir~, el} 1797, a ses sl;)ldats;
qu~ les cOIltributi~llS imposées aux pay& conquis luí avaient
fait entretenir son armée pendant onze mois, et luí avaiellt
per~is, en outre, d'envayel' tr~llte millions en France.


I Monite~,., an V, nO 73, page ~90: .. Nos troupes, a plu-
sieurs reprises, se porterent, au p'as de charge, pour el1l~ver ce
pOllt, mais n'ayant pa!. la premÍere fois déployé la me me au-
dace qu'ilU pont de Lodi, elles furent repoussees uans leul's
tentatives réitérées ...




LIVRE IV, CHAPITllE IV. 3:19
Long-temps avant eette époque, lé diree-


toii'e avait engagé Bonaparte a envoyer, d'I-
talie a Paris, tous les ehefs-d'reuvre de ee pays.
A cet effet, le générallui avait demandé deux
experts, pOUI' servir de commissaires dans ce
vol qu10n devait faire aux arts. Les cinq,
üdieux et n1éprisés, espér:aient sansdoute
par~Ia gagner l'estime des Parisiens. Bona-
parte, voulant attirer tous les yeux sur lui ,
ne pouvait trouver une occa~ion plus favora-
ble, eut done soin d'~outer 'él tons les trai-
tés une clause concernant les productions des
beaux-arts. 011 le vit surtout, 10rs de .rarmis-
tice, qu'il accord~ avec une doueeur apparente
aux ducs de' Parme et de Modene, et 'qu'iI ot
ensuite changer par le directoire en un traité
formel de pajx l. Pármi les conditions, on
énuméra, COlllme article principal, cehú de
livrer des tableanx.


1 Le 5 uovembre ]a France, n.t la paix avec Parme, par
l'intervention de l'Espague. Le traité avec Modene peut ser-
vir de modele des conditions ql,l'pn ~tipnlait ordinairement.


l° Le ducde~odene donne~a ida Ré,publique franqaise sept
millions cinq cent mille livres, payables ~ans un mois.


2 0 Le duc de Modelle fournira en outre deux millions cinq
~ent mille livres en clellrée-s, poudre et autreS' munitions de
guerre que le généra! en chef désignera.


30 Le duc de Modene sera tenu ,de liuer vingt tableal\x a
pr~ndre dalls 6a galerie ou ~alls ses Etats~ au choix des citoyen~
qm seront a cet effet comIDlS.




~3o HISTOIRE DU XYUlo SIECLE.
l~ prit alors Vérone de force aux Vénitiens,


traita ~omme ~es yalets les patriciens qu'on
lui délégua 1, et fit connaltre ses dessein~.
D':lilIeur~, depuis que les Autrichiens avaient
tout perdu en' Italie, a l'exception de Man-
toue; qepuis que f"lilan ~t le fort de eette vill~
~Yfl~ent ~apitulé, la guer!,e nefayait pas seu-
leme~t ~es frais de l~ guerfe, mais on envoyait
aussi des millio~s ~ Paris , OU une misérable
;¡dfPinistrat~on avait épuisé toutes les res-
sourCe$ du. plus' riche p~ys 2. Par les réquisi-
tions, J30naparte donna au directoire le$
l~~y~n~ de faire face aux dépenses les plus
llé«~l?s~ir~s; ~ais il s'en réserva l'emploi, et
lit p3:sser de temps ~n lemps de fort~s sommes
a M,oreau et a KellermanD , qui command~ien\
rarmé~ des Alpes. Tandis qu'on feignait de
protéger en It:die les arts et les sciences, et
qu'on promettait aux Italiens de les déliv~er
de l'ignorance dans laquelle était plongée
l'Aut,riche 3, on dépouillait le pays, les princes,


y paru', tome V, page 453 etsuÍv.'
:a Correspondance inédite ~ tome 1, page 461., r .. e dir~cto~re


dit eIltre autres : " Les secóurs que l'armée d'Italie fournit au
tréso~ national, sont d'autant plus précieux , que la crise est
plus forte. lIs onl aidé a qéjouer les trames de nos enuemis
jntérieurs. JI


3 Bonaparte écrit a l'astronome Oriani : • Les sciences qui
honorent l'esprit humain , les art! qui embellissent la vie, et




~IVRE IV, CHAPITRE IV. 331,
les universités, les jardins, les bibliot~éque~,
pour .faire de la eapit~le de la FraJ}.ee le centr~
de tous les trésors de l'éruditiqI~, des arts' et'
des sciences l.


La Toscane était en paix avec la Franee ;mais
le eomlnerce de Livourne tenta l'avidité du dj·
reetoire qui ordonna d'occuper le por~ dty c~tt~
ville; aussitot Bonaparte en voy a une divisiori
de l'arnlée fran<;aise el} Toseane, ét 6t eontl.&-
quer a Livourne tous les bien~ dC$ étranger~:
le buti,q fut, bien moins eonsjqérable qu' on n~
l'avait espéré; en effet, Bonaparte et sop eom-
missaire se plaignirent alnerement que les
gens qu'il fallut empJO)7er ,pour eet~~, e,~p~~i­
tion, eussent , par leurs wal vers:)~~QJlS ~t le:y¡r~
ra)?~n~~' ?' di:lp'i~~é" de cinq ~,six 'Jllill\9ns 1~
gain auquel on s'était attendu,-


Le duc de Toscane s'éleva mojns contre ee~
transmettent les .grandes actions a la postérité, doivent étre
spécialement honorés dans les gouvernemcnts libres. Toas les
hornmes de' gé'nie ,tous ceux qui ont obtetiú mi rang distingtié
d~ns la république des lettres sont fran~ais, quel que soitle pays.
qui les ait :v~s naitre. Les sav~nJs, dans l\1!la~ , n'y jo~i!isaieJ;l~
pas de 'la' considération qu'ils devaient avoir; retirés dans le
fond de leurs laboratoires, ils s' estimaient ,heureux que les rois
et les pretres lle vouhissent point Ieur faire de mal. lO ,


1 Bonaparte écrit dans le lI1onit., ~n ¡V, nO :1 8 4, p. II 310-
le 19 juin J 796 : u Les vinnt tableaux que doit nous fournir
Parme,~ont l?llr,t,is; l,c ~~Ie~r~ tableau de $~ipt-Jérome est
tellement estimé dans ce pays, qu'on offrait un million ppur
le racheter. Les tahleaux de Modene sont également parti,s. "




332 HISTOIRE DU XVl11e SIECLE.
acte de violen ce que contre les trQubles
qu'on cherchait a lui susciter dans son propre
pays pendant la paix l. On luí fit les réponses
les plus dures, et on l'assaillit de nonvelles de-
mandes. Quoique eette conduite ne pút guere
disposer les esprits en faveur des Fran«;;~is, et
que l'indignation contre eux se pronoiH;at
hautement dans l'ltaliesupérieul'e, ou le Mi-
lanais avait acheté vingt millions la perspec-
tived'un gouvernement républieain, le pape
etNaples se virent cependant obligés de eon-
dure la paix.


Le pape eut trop tard recours a l'interven-
tion de l'Espagne,lors'{u'il signa, au moís de
jo.in, u~e trev~ ql1'on né transforma qu'au mois
d' octobre en une paix formelle. Il ·paya une
sornme irnmense d'argent, livra les plus beBes
productions des arts, laissa l~s Fran<;áis en
possession des légations de Ferrare et de Bo-
logne) re<;ut une garnison a Ancone, sans
parler des autres conditions auxquelles il
souserivit~ ~e roi de Naples ne perdít r¡eI~,


1 Le Juc de Toscane envoya le marquis Manfrédini a Bo-
nap;ll'te. S. A. R. se p}¡ünt de ce que le ministre fran<,¡ais chercbe
a former ·un parti contre le gouvernement en donnant des es-
pérance!> alJX IÍlécontents, conduite contraire a la bonne har-
]~onieet a l'amitié <¡ui subsistent entre la République fran'iaise
et la Toscane. Le général a re~u assez froidemcnt le mentor
du gralld-duc, etc.




LIVRE IV, CHAPITRE IV. 333
• il fut seulement obligé de séparer ses vaisseaux


de la flotte anglaise, ainsi que, ses troupes de
farmée autrichienne.


I '


Pour apaiser les révoltes qui éclaterent
daus les villes de l'Italie supérieure, Augereau
et Bonaparte tirent tuer et fusiller plusieurs
centaines d'hommes , et désarmer des vil1es et
des contrées entieres. Lncques, république
fort pauvre, qui n'avait trempé dans ancune
sédition, el défaut de tont autre contri~ution,
donna six mille fusils et cela, comme Bona-
parte le rapporte d'un ton railleur, de gréa
gré.


Au mois d'aoilt, l' Autriche préparait aux
Fran<;ais de nouyeaux combats. Bonaparte se
mit en marche, le 1 eÍ' de ce lTIois, pour aller
art-devant de la nouvelle armée impériale
commandée par Wurmser. Un pro~pt départ
lui assurait la victoire, il lui sacrifia done les
cent trente - quatre canon s el mortiers. avec
leurs munitions qu'il avait employés au siege
de Mantoue; certain de _ les reprendre, il les
abandonna aux assiégés. .


Sa méthode ordinaire de diviser farmée
. ~.


ennemie, et d' écrase~ sépar,é¡IPent les, ,eorps
détachés av~ toutes ses fon~es, lui fut,ene:ore
facilitée par les Autrichiens ,'puisque Quosda-




334 HISTOIRl! DU XVIIlo SJi.:CLE.
¿owüih et W utmser cond.uisil'ent leurs trou-
pes par des clletnins différents. 11 repoussa
d'abord Q~osdanowich et remporta une vié-
toire SlIr Wtirmser pres de Castiglione. Bona-
parte attribua cet avantage a Augereau qui
lui était entiere:ment dévoné, dont il n'avait
pas a redouter la politique, et a qui il donna
meme plus tard le titre de due de Casti-
glione.


Wurmser1 qui, dans cette expédition, 6.t
jouer tons les ressorts de la force et de la
ruse, recruta son armée, tandis que Bonaparte
entrait dans le Tyrol, et chercha a se frayer
derriere lui un chemifi vers Mantoue, en des-
cendant la Brent~, ce qui favOI'isa les succes
des Fran<;ais. Bon~parú~ renversa, le 4 sep-
tembre, Jes lignes des Autrichiens destinées
a couvrir le Tyrolpre~ de Roveredo, prit des
cárioos, des drapeaux et fit des prisonniers
'aVant 'de marchet directement contre Wurm-
ser. Ce dernier, poursuivi par toute la puis-


. sanee franc;aise, perditl dan s plusieurs com-
bats la plus grande partie de ses troupes; m<1is
~tin il se lit jOltr atravers l'arínée enncnlie,
'el 'aftei'gnit, ~Ú grand étonnement de son ~d-
~<:ria:kt-:, la ph.cede Mantocte, a la t-ete de 'dix
ilinlehbriún~s. Avant que les Autriehieils fis-




LIVRE IV, CHAPITRE IV. 335
sent une nouvelle tentative pour secourir
cette ville, Bonaparte avait enlevé la Corse aux
Anglais; Salicetti, par son ordre, partit pour
ce pays. Les demandes continuelles qu'il faisait
aux républiques de Genes et de Venise, gou-
vernées par les aristocrates, et les querelles
qu'il leur cherchait a tout moment ne lais-
saient que trop entrevoir la chute prochaine
de ces États. Il encouragea les habitant~ du
duché de Modene a la défection, transforma le
pays en république d'apres leurs instances, et
rompít la paíx que le duc avait si cherement
achetée. On incorpora Bologne ainsi que Fer-
rare a cette république fac~ice ,jusqu'a.~e qUé
la politique .permit de rédu~re Milan :sous le
joug des Ftan<;ais, en luí promettant la li-
berté. Les Girondins et les royalistes du Corps-
législatif sentirent que Bonaparte réunissait a.
toutes les qualités d'un grand homme le sys-
teme de la terreur et de la perfidie. lIs le dé-
c1araient hautement, mais ils donnaient par la
meme a la partie perverse da directoire un
appui dans l'armée d'Italie et un ami en Bo,,:,
naparte.


Carnot comprit alors, aussi bien que les
royalistes, quel était l'homme qu'il avait élevé;
~t, lorsque cenx-ci le faisaient attaquer par'les




336 HI STO IRF. DU X VI Ile SI ECL ,,~.
journaux 1" il envoyaen Italie, pour observer
ce général alnhitieux 2, Clarke, a qui .iI avait
confié jusqu'alors la direction de son bureau
topograp~ique. C~arke reconnut bientót que


- 1 Reveillere-Lepeaux, dan!; la longilEi lettre qu'il aaresse a
Bonaparte, le 15 thermidor, au nom du directoire, dit : " Le
directoire voit avec indignation la perlidie avec laquelle ces
follituláires coalisés se, sont permÍs d'attaquer la loyuúté, la
constante fidélité de vos services, et il se doit a lui-méme le
démenti formel qu'il dou'ne aux abs~rdes calomnies que leur
a fait hasarder le besoin d'entretenir la mangnité, par quelques
récits qui puissent l'aiguillonner el faire lire leurs produc-
tions. Les uns, ouvertemenl royalistes, répandellt crument
une fausseté, les autres, se disant patriotes par excellellce, mai!;
marchant au méme hut, la commentent, etc., etc.


C' est ce qui fait dire a Bonaparte, le J 7 novembre J 796 :
II,Wurmser n'est heureux que dans lei journaux que les en-
t< nemis de la Répuhlique soldent a París. D
, Cela explique le 'ton qui regne dans ~a lettre de consolatÍon
qu'il écrivit a Clarke, lorsqu'Éliot, le neveu de. ce dernier,
venait de tomber dans la bataille d' ArcoIe a coté de 'lui : • Il
~st mort, dit-ji, avec gloire, et en face de l'enllemi; il rí'a pas
'souffert lÍn instant. Quel est l'homme raiSOllnable qui n'en-
vierait pas une telle mort? quel est celui qui, dans les vicissi-


. tudes de ]a vie, ne s'abollnerait pas pour sorti¡', de cette
maniere, d'un monde. si souvent méprisable? quel est celui
d'entre nous qui n'a pas regretté cellt fois de ne pas ~fre ainsi
'soustrait aux effets puissaÍlts de la calomriie, de l'envie et de
toutes les .passions haineúses qui semhlent presque exclusive-
mentdiriger les actions des homrnes? ..


;¿ ftfolliléul': "V~ 29 brumaite 3n VI (19 novetnhre 179ñ);
le général. Clarke, chef· du bureau topogrllphique des re-
lations extérieures. est ellvoyé par le directoire it la cour de
Vienne. Il est muni du ponvoir nécessaire pour ouvrir (fes né~
goCiations de paix. Il a dú, prendre la route d'ltalie, afin de
conférer avec le général Bonaparte, avant d'arriver a sa desti-
nation. Les horribles instructions qu'il re<;ut, se trouvent dans
~a r;:orrl'spondance inédite, tome II, pages 393.4 2 1 • .,




LIVREIV,CHAPITREIV. 337
eelui, qui le nomma par la, suite duc de Feltre,
pouvait lui etre plus utile que le directoire et
tous les législateurs. Il se lia avec lui, se mon·
tra toujours disposé a exéeuter ses projets,
lui fit part de tous ses rapports, les coneerta
avec lui, et trompa Carnot et Barthélemy. Les
négociatjons qu'il entama avec l'Empereur
n'enrent d'abord aueun résultat, paree que ce
dernier comptait sur l'issue de la conjuration
dé Piehegru et de ses ami s avec les émigrés;
et plus une partie du direetoire et le Corps-Ié-
gislatif désiraient la paix, plus Bonaparte et
Barras eherehaient aja retarder.


Tandis que Bonaparte faisait sentir a son
~rmée et a l'ltalie son bras de fer, qu'il vou-
lait en apparence entrer en négociations, et
qu' on dépouillait tou tes les armées et tout
l'intérieur de la Franee, pour le renforeer de
soldats et de munitions de guerre, l'Autriehe
venait d'organiser une nouvelle armée, sous
le commandement d'Alvinzi. Ce général de-
vait seeourjr Wurmser qui se soutenait avee
beaueoup d'habileté et de fermeté a Mantoue;
mais la séparation de l'armée, déja deux fois
fatale aux Autriehiens, fournit de nouveau a
Bonaparte 'l'oeeasion d'employer les memes
Inesures dont il s' était servi auparavant.


H. H. 22




338 1IISTOIRE DU XVIJle sd~cLJ::.
Alvinzi alla a Bassano en descendant la


Brenta; Davidovich, lnarchant vers Trente le
long de l'Adige, remporta quelques avantages
sur les Franc;ais, paree que Bonaparte s'était
dirigé avec toutes ses forces contre Alvinzi.
Du 13 au 16 novembre 1796, les Autrichiens
et les Franc;ais se disputerent dans un combat
opiniatre la possession du village et du pont
d'Arcole. Bonaparte et ses générallx eurent id
en vain recours au Inoyen qu'ils avaient em-
ployé a Lodi l. Ce qu'ils ne purent emporter
par la force ,~ls l'obtinrent, le 16 janvier, par


I Dans son rapport au directoire (Afoniteur, an V, nO 7:1 ,
page :.. 8 5 ), Bonaparte dit: " ~e fut en vaÍn que tous les
généraux, sentant l'importance du temps, se mirent a la tete,
pour obliger nos colonnes a passer le petit pOllt d' Arcole; trop
de courage llulsit, ils furent presque tous blessés: les généraux
Verclier , Bon, Verlles, Lannes, furent mis hors de combato
Augereau, empoignant un drapean, le PQrta jusqu'a l'extré-
mité du pont, ilresta la plusieurs minutes sans produire au-
cun effet ...... Je m'y portai moi-meme. Je demandai aux soldats
s'ils étaient encore les vainqueurs de Lodi, etc., etc .• Batllier
rapporte, UO 73, page 2!)0, la !mite: ti Il se jette a has de
son cheval , saisit un drapeau, et s'élance a la tete des grena-
diel's ,et court sur le pont en criant:. Suivez votre général !
La co]onlle s'éhranle un instant, et on était a trente pas du
pOllt, lorsque le fen terrible de l'elluemi frappa la colonne ,
la fit reculer un moment méme ou l'ennemi allait prelldre
la fuite. C'est dans cet instant que les généraux Vignole et
Lannes sont blessés, el que l'aide-de-camp du g~néral en chef,
Muiron, fut tué. Le général en chef et son état major sont cul-
hntés; le général en chef 111i-méme est renversé ayec son che-
val dans Ull mar<!is sous le fen de l'ennemi; iI est reti¡é avec
peine, etc. ~





L I V n E 1 V, e H A PI T R t~ 1 v. 3 :~9
la jonction d'une division qui descendait de
l'Adige. Alvinzi essuya le soir meme une
grallde défaite. Aussitot apres la victoire, Bo-
naparte se désista dt! sa poursuite, et s'avan~a
contre Davidovich qui venait de battre, pour
la secollde fois, pres de Rivoli, les divisions de
l'armée fr'an<;aise envoyées eontTe tui. Le gé':'
néral autrichien lui échappa \as~ez heureuse-
ment, quoique Bonaparte, dans son bulletin,
s'arrogeat eles avantages qu'il n'avait réelle-
ment pas eus sur le champ de bataille. D'ail-
leurs, l'affaire était assez brillante en elle-
meme, puisqu'il avait chassé de l'ltalie, pour
la seeonde fois, l'armée impéríale qui, dans
ces combats, comptait au tnoins vingt mille
hommes de plus que lui.


La supériorité d'esprit et le génie militaire
que Bonaparte avait déployés pendant toute
laguerre ~'Italie, meme contre Wurmser; une
infiiúté de fautes, et la lenteur d' Alvinzi et
·de Davidovich auraient du décider le gouver-
nmnent autrichien a lui opposer un autre gé-
néral. N éanmoins, on se .con tenta d' envoyer, au
mois de décembre, des renforts considérables
a l'arlnée du Tyrol.
Wurms(~r ne put tenir a Mantoue que jus-


qu'a la fin du mois de janvier. Alvinzi, qui en
2? .




340 . HISl'OIRE DU XVIlle SIF:CLE.
était instruit, chercha a pénétrer jusqu'a cette
ville. Il fut d'abord assez heureux; mais, dans
la bataille de Rivoli et de Corona, livrée le
13 et le 14 janvier, Bon~arte remporta une
victoire décisive. Le 2.7, il jojgnit a ce succes
la défaite de Provera pres de la Favorita. Pro-
vera fut faít prisonnier pour la deuxieme fois
dan~ cette guerre, et six mille sept cents
hornmes tomberent au pouvoir des Franc;ais.
Des que les Autrichiens vaincus eurent quitté
l'ltalie, Mantoue capitula, et Bonaparte put
alors étendre de plus en plus le systeme de
pillage que lui et le directoire avaient adopté
publiquement l •.


Pendant tont ce temps, le p-llpe avait donné
sujet a des plaintes bien fondées; mais sa con-
duite para!t excusable quand on considere ce


1 Correspondance, tome 1, page 392, Bonaparte écrit le
28 décembre 1796, au directoire exécutif: • Vous trouverez
ci - jointe la lettre écrite par le général Alvinzi, et la réponse
du général Berthier ~ en conséquence, le baron V incent el
Clarke se réunissent a Vicence, le 13 de ce mois. Mon opi-
nion est que, quelque chose que l'on puisse stipuler pour le
status quo de ~antoue, l'exécution en sera toujours impos-
sible. Si l'Empereur conclut l'armistice sans le pape, l'avantage
de pouvoir retirer trente millions, cet hiver, d'Italie, et de pou-
voir en donner quinze aux armées de Sambre-et-Meuse et du
Rhin, est une considération telle qu'elle nous permet d'ouvrir
la campagne prochaine avec avantage; mais si l' Empereul' veut
y comprendre le pape, rarmistice nous fera perdre Mantoue,
l'argent de Rome, et donnera le temps au pape d' organiser
une force militaire avec des officiers autrichiens. "







LIVRE IV, CHAPITRE IV. 341
qu'il avait perdu, ee qti'on se proposait en-
core de lui enlever, et eomment Bonapar,te,
malgré toutes ses promesses séduisantes, se
vantait cependant d'etre un des principaux
soutiens du parti anti-monarchique et anti-
religieux.


Le pape, eomptant sur l'assistance de l'Au-
triche, prit enfin les armes, ce qui fourriit au
général fran~ais le pl'étexte de livrer LoréUe
au pillage, eomme iI l'avait prémédité de-
puis long-temps, et de menaeer Rome elle-
meme. Il ne voulait point aller jusqu'a eette
ville, puisque les menaces seules étaient le
moyen le plus sur d'en extorquer de l'argent
et les chefs-d'reuvre des beaux - arts.I. Rome
était d'ailleurs trop éloignée; on entama des
négociations. Bonaparte s'arreta pres de To-
lenti.no et entra en une correspondanee polie
et ami cale avec le pape, qui s.e termina par
une paix dont tous les avantages furent pour
le gouvernement Ínsatiable de la Franee. En
vertu de ee traité, signé le 19 février, mais


1 Moniteur, an V, nO 165, page 657 : -La commissio~ des
savants a fait une honne récolte a Ravenne, Rimini, Pesare,
AneGne , Lorette et Perugia; cela sera incessamment expédié
a Paris. Cela joint a ce qui sera envoyé de Rome. nous aurons
tout ce qu'il y aura de heau en ltalie, excepté un petit nombre
d'objets qui se trouvent a Turin et a Naples. JI




342 HISTOIRE DU XVIIle SIECLE.
devenu officiel seulement depuis le 30 avril,
le pape paya des sornmes énormes 1 et livra
aux Fran«;ais tout ce qu'il leur plut de de-
mander. n renon<,:a SPQntanément a ses pré-
tentions sur Avignon et le Ven:,lissin, céda les
légations de Bo]ogne, de Ferrare el de la
Romagne,. qui formaient une partie de la ré-
publiqu~ Cispadane, et qu'on devait ensuite'
réunir a la république Cisalpille que, des ce
moment, Bonaparte s'occupait a établir. n ne
manquait que deux ch()ses pour accomplir ses
plans: la destruction des Qeux républiques de
Venise ~t de Genes, et une paix avec I'Au-
tri che , pour ~ssurer toqs ~es triomphes, et


1 La paix avee le pape comprend vingt - six al'ticles, dont
nous citerons les dixieme , onzieme et douzieme:


« X. S. S. s'engage a payer et a livrer a Foligno aux
trésoriel's de l'armée fran~aise, avant le 15 du mois de ven-
tose courant (mars 1797, v. st.) , la SOlv-me de quiD7& mil-
lions de livres tournois de FTanee, dont dix millio~s en, nu-
meraire , et cinq en diarnants et autres effets préeieux, sur
ceHe d'environ sei~e;! Illillions qui restent dus suivant l'~r­
ticle XI de l'armistice signé a Bologne.
• XI.Pour acquitter définitivemeut ce qui restera a payer pour


l'entiere exécution de l'.armist¡ce signé a Bologne, S. S. fera
fournir a l'armee hl,út cents chevaux de trait, des breufs, des
humes et autres produits du territoire de l'Église.


XII. ~ndépendamme~t de la somme énoncée dans les deux
artides, le pape paiera a la Répuhlique fran~aise , en numé-
l'aire et diamants ou autres valéurs, la somme de quinze mil-
lions de livres tournoÍs de Franee , dont dix dOlns le courant
du moÍs de mal'S , et cinq millions dans le courant du mois
d'avril prochain. »




LJVRE IV, CHAPITRE IV. 343
pour consolider toutes les dispositions qu'il
voudrait prendre. La perte de Genes et de Ve-
nise était toute préparée ; une nouvelle ex-
pédition devait. amener la paix, Iorsque Bo-
naparte envoya ses généraux en Tyrol, 3U
mois de mars 1797, et qu'il se mit lui-meme
~n marche vers )a Carinthie et la Carniole.
L'Autriche eut a lutter contre l'ennemi et
contre des traitres de toute espece.


On appela en vain l'archiduc Charles a la
défensedes pays héréditaires; car, quand meme


/Bonaparte ne l'eút point surpassé en talents,
qu'aurait pu fajre Charles, lorsqu'il avait les
lllains liées?


Mack et Thugut gouvernaient a Vienne; l'un
était aussi fécond en pIans que malheureux
dans lenr exécution; l'autre se Iaissait alors in-
fluencer par l' Angleterre, comme autrefois iI
s'était vendu aux Fran<;ais a Constantinople.
Dans ces conjonctures, personoe n'aurait pu
douter de l'issue de la guerre, si le directoire
n'eut porté toute son attention sur l'armée de
Sambre-et-Meuse commandée par Hoche, et
s'il n' cut eu quelques lllotifs de suspecter la


. fidélité de Morean, a cause de son intimité avec
Pichegru. L'arrnée du Rhin resta sans aucune
assistance, ce qui lui fournissait un prétexte




344 HISTOIRE DU XVIIJe SIECLE.
pOUI' se dispenser -de régIer ses mouvements
conformément aux entreprises de Bonaparte.


Nous verrons, plus tard, que le directoire
fondait des projets particuliers sur Hoche et
ses troupes.


Ce généraI, peu de temps avant 5a mort,
était posté au sein de I'Al1emagne, lorsque
Bonaparte, a dix-hnit lieues de Vienne, dé-
termina l'Empereur ou-plutot Mack et Gallo
a ce que les préliminaires de la paix de Campo-
Formio fussent signés a Leoben. eette paix
est hors de la tache qúe nous nous sommes
imposée; nous passerons done sous silence ses
articles, d'autant plus que IeurJéveloppement
ne peut etre que douloureux et ame!' ponr
tout honnete homme et surtout ponr l'alle-
mand impartial.


Bonaparte méditait le plan d'abuser l'Alle-
magne et de lui ravir un jour son unité na-
tionale l. Car iI s'expliqne icid'une nlaniere
alarmante sur les droits que, dans le commerce
politique, l~ puissant acquiert sur le plus fai-


1 Correspondance inédite, tome 1I, page 565 : « Je n'ai pas
en 'Allemagne levé une seute contribution ; il n'y a pas une
seule plainte contre nons. J'agirai de meme en évacuant ; et,
sans ~trc pr'ophete, je sens que le temps viendra ou nous tire-
rons parti de cette sage conduite; elle germera dans t~ut~ la
Hongrie, et sera plus fatale au treme de Vienne que les vlctOlres
qni ont illustré la guerre de la liberté. •




LIVRE IV, CHAPITRE IV. 345,
ble l. Pour achever le triomphe de la Franee,
iI faUnt qu'on appelat au ministel'e des affaires
étrangeres Talleyrand qui, el l'expérience, la
connaissance et la finesse de l'ancien régime ,
r~unissait toute l'immoralité des temps nlO-
dernes, et qui regaruait tonte pudeur comme
un préjugé de l'jgnorance.


N ous avons exposé comment la Convention
nationale garda son illfluence dans la nouvelle
assemblée, apresavoir concentré, pendanttrois
ans un mois et quatre jours, tout le pouvoir,
le gouvernernent, la jllstice et la législation.
On· comprendra, sans doute, toute l'impor-
tance de cette relnarque, si 1'0n considere que
cette redoutabl~ Co~vention avait porté onze
nlille deux cent dix décrets, découvert trois
cent soixante conspirations, ou par une dé-
claration formeHe de toute l'assembIée, ou
par ses membres et ses comités, et déclaré offi-
ciellement cent cinquante insurrections. Il n'y


1 Bonaparte écrit, le 26 mai 1797, au directoire ( Corres-
pondance inédite, tome llI, page 3): Ir Venise Vil en déca-
dence depuis la découverte du cap de Bonne-Espérallce; et
la naissance de Trieste el d'Ancone peut difficilement survivre
aux coups que nous venons de luí porter : population inepte,
Iache , et nullement f.1.ite pour la liberté. Sans terre , sans eau ,
il parait naturel qu'elle soit laissée a ceux a qui naus dannons
le continente Nous prendrons les vaisseaux, nous dépauilIe-
rans l' arsenal, nous enleverons tous les callons, nous détruirolls
)a hanque, et nons garderons Corfou et Ancone, etc. "




346 HISTOIRE DU XVII le SI1~CI.E
avait pas seulement dans le nouveau Corps·
législatif la rnajorité des Jacobins odieux de
la Convention; rnais une amnistíe généraIe
avaitaussi rendn a la liberté tous lesTerroristes,
tous les hommes sanguinaires qu'on avait au-
paravant jetésdans les prisons. En observant en
outre que les lois séveres contre les émigrés
et leurs parents, ainsi que la loi dn 3 brumail'e,
excluaient presque le tiers des citoyens deschar-
ges puhliques, on concevra facHernent quels
pouvaient etr'e les gens a qui ces emplois fllrent
confiés. Pendant que des brigands, des assas-
sins et Ienr parti se partageaient les places, l'irn-
luoralité établissait partont son regne. Le gou-
vernement facilitait la di.lapidation des biens
nationaux et la distribution dn butin fait sur
les émigrés et les proscrits. Les finances se
trouvaient dan s le plus triste état; madame
de Stael dit qu'il y avait cent mille fl'ancs dans
le trésor; elle se trompe; il n'y avait pas un
sou. Les assignats n'avaient plus de valeur; el'
pour combIe de maux , iI n'existait point de
systenle d'impot de recettes, ni de revenus.
Dans cet embarra~, 0:1 emprnnta des capitaux
quand on pOllvait en trouver, rnalgré le cré-
dit perdu. Le cornmerce des assignats et les
spéculations sur les rescriptions de l'État dé-




LIVRE IV, CHAPITRE IV. 347
trnisirent le reste de la moralité. Les armées
étaient dépourvues de tout, et les institutions
publiques tombaient l. Pour remédier a ces
désordres, iI aurait falln choisir cinq hommes,
d'une actívité et d'nne intégrité prouvées.
L'esprit de parti en décida encare autrement.


La majorité du conseil des Cinq .. Cents de-
mandait -des membres de la Convention, mais .
elle craignait que le conseil des Anciens ne les
rejetat. Elle présenta done, conformément a
la lettre de la loí, une liste de ci.nquante dé-
putés, parmi lesquels on devait en choisir
cinq; mais quarante-cinq, excepté Cambacéres,
étaient des hommes entierement inconnus et
qui n'avaient jamais été employés dans des
affaires importan tes 2. Le choix tomba sur


J Baitleul, tome II, page 335 : 11 e'est pendant cet intervalIe
que la disette fut affreuse, que la dépréciatinn des assignats
porta au combIe le désordre dans toutes les transactions, et
1aissa le gouvernement sans ressources; nos soldats étaient sans
hahits, et quelqnefois san s armes; j'en ai vn portant des sabres
sans fourreau, d'autres qui avaient des pistolets OU iI n'y avait
pas de batterie, d'autres qui n'avaient d'armes d'aucune es-
pece; les cbevaux crevaient faute de nourriture; tous les ser-
vices publics étaient en souffrance, et les chemins elevenaient
impraticahlesfaute de réparations. D


2 Dupont de Nemours dit au cOllseil des Anciens, a I'occa-
~ion de la liste: .. Loin de nons la 'pensée qu'en rapprochant
de qnelques législateurs célehres un granel nOlllbre d'hommes
¡gnorés, on ait voulu forcer le choix du conseil, et donner a
la pa trie des rurecteurs qui n' aUl1~ient pas subi la double épreuve
que récJame la constitution, et réunir {'assentiment libre des




348 HI STOIRE DU X V Il Le S IECLE.
Rewhell, Barra~, Letourneur, Reveillere-Le-
peaux et Sieyes. Rewhell ne manquait pas d' ex-
périence et de talents, mais il se laissait do-
miner par la cupidité et l'ambition; ilne
croyait ni a la liberté ni a la vertu, et préférait
le despotisme le plus tyrannique a une mo-
narchie légitime et constitutionnelle. Barras,
rempli d'un orgueil aristocratique, esclave du
vice et entierement dévoué aux femmes de
l'ancien régime', a vait cependant sauvé deux
fois la Convention. Brouillé a jamais avec les
partisans de la maison de Bourbon parmi les
royalistes, il ne songeait qu'a ses plaisirs.


Letourneur, autrefois capitaine du génie,
était unhomme tout-a-fait singulier.


Reveillere - Lepeaux, auparavant avocat a
Angers, fut, dans cette nouvelle position,
trop sentimental et: trop doux, etdevintbientót
l'objet de la risée publique, par son théophi-
lantropisme l.


deux conseils. Robespierre avait conquis la France par la force,
ce serait, la conquérir par la ruse. •


1 Réponse dt L. N. lrl. Camo!, clto.ren frant¡ais, ll11 des !Oll-
dateurs de la ¡lépublique, et melllbre constitationnel du diree/oire
eIécutij, aa rapport fait sur la cOlISpíration du 1 S fractidor de
l' an r, par J. C. Ba!l/eul, au nom da comité cltoisi: Londres,
Hambourg, Altona, in-So, pago 170: • Parmi les triumvirs,
Rewbell est le seul qui ait un plan suivi et des connaissances
positives; mais il croit la liberté impossible, et De voit de




LlVRJ:<: IV, CHA.PITR.E IV. :149
Le ru~é Sie!es ne jugea pas a propos d'ac-


cepter un emploi aussi pénible que dangereux.
Il re fusa done le directoire ainsi que la place
au conseil des Anciens, et préféra siéger parmi
les Cinq-Cents. ComIne il falIait nornlner un
autre membre a sa place et présenter une liste
de dix députés, Duplantier recommanda en
vain au conseil des Cinq-Cents ce que DUpOIlt
avait proposé a l'assemblée des Anciens, de
choisir des hommes connus. On eut soin de
faire la liste, de sorte qu'il n'y eut de choix
qu'entre Carnot et Cambacéres; le premier
l'emporta.


Nous aimons a croire que les cinq direc-


gouvernement que dans le despotísme le plus absolu ; e'est
ce qui regle sa marche.


Barras ne s'en faít point accroire; iI sait qu'il ne peut
marquer qu'en révolutionnant, et iI est touiours pret a révo-


. lutionner, n'importe daus quel sen s ; d'abord profondément
8l'istocrate, ¿ est-a-dire ennemi de tout ce qui tend a rappro-
cher les bommes de l' égalité. Reveillere, tourmenté par le
désir d'etre fameux et se démenant de toute maniere pour y
parvenir, s'est fait théophílantrope .... Mais voyant que cela
ne lui réussissait pas, iI a préféré devenir tyran que de se
borner a conserver la réputation d'homme de bien, avec la-
quelle iI était arrivé au directoire. Je ne sais, au surpIus,
sur quoi pouvait étre fondée cette réputation •.. ; mais il n'y a
certainement pas d'etre plus hypocrite ni plus immora! que
Reveillere. La nature, en le rendant puant et difforme, sem-
ble avoir eu pour objet de mettre en garde ceux qui en ap-
pr-ochent eontre la fausseté de son caractere et la profonde
corruption de son creur ...




350 HISTOlRE DU X V IUe SIECLE.
teurs montrerent d'abord de l'aetivité, eomme
le rapporte le violent défenseur du systeme
anti-monarchiqlle 1, qui, du reste, est tres-
prévenn en lenr favenr. n y avait une scission
dangereuse dans le Corps-Iégislatif; les roya-
listes étaient plvs entreprenants que jamais.
Des meurtres avaient été commis dans le midi
de la France, et on avait él redouter des dé-
marches pernicieuses contre les aneiens au;.
teurs des seenes violentes de la terreUf. Le
fatal moyen choisi par le directoire pour ne
succolnber, ni son s le royalislne, ni sous le
Jaeobinisme, fut un systeme de bascule, d'a-
pres leque~jllaissa les uns l'emporter sur les
autres, en leur opposant ainsi alternativement
leurs forces respectives. Les directeurs étant
restés quelques mois dans leurs charges, les
femmes de la société rouvraient leurs salons,
et les damesTallien, Recamier et plus tard
madame de Stael regagnerent une grande in-
fluence dans lesaffaires politiques ~, ce qui


1 Bailleul, tome JI, page 264 : • Six mois ne s'étaient pas
écóulés, que l'ordre régnait partout : les subsistances étaient
abondantes, et le numéraire· effectif avait remplacé les assi-
gnats, mais aussi les directeurs s'asseroblaient le matin a huít
heures précises jusqu'a quatrc et cinq du soir, et a huit heures
du so ir jusqu'a quatre et cinq du roatill~ •


2 Il Y avait aussí assez de femmes patrio tes qui ~ au líen
de s'occuper de Ieur ménage, répandaient la confusioll dans




Ll VRI~ IV, CHAPITR,E IV. 35,
fit naturellelnent renaitre les clubs l. Les roya-
listes s'assemblaieilt a Clichy; el l'hotel de
Salm, il Y avait un club qui travaillait contre
eux. Il y eut plusieurs réunions poli tiques
jusqu'au moment ou les Jacobins se consti-
tuerent de nouveau au Panthéon, sous la pré-
sidellce du Florentill Buonarotti, démocrate
acharné.


La majorité du directoire et des conseillers
se composait d'hommes qui avaient plus ou
lnoins figuré dans les troubles du tenlps


l'État. Carnot méme eut reeours él ces femmes; il dit qu'avant
le 18 fructj.dor an V, la citoyenne Éblé, sreur du célebre gé-
néral d'artillerie de ce nom ~ était venue le voir: .. Est-il done
décidé , citoyen Carnot, me dit-elle, que Pichegru abandonne
les patriotes? Je n'en sais ríen, lui dis - je, mais sa conduite
n'est rien moins que rassurante. Je veux, me dit-elle; aller le
voir; je veux enon lire dan s son ame et connultre sa pensée.


J'approuvai sa démarche. Elle revint deux ou troÍs jours
apres, et me dit : Non, Pichegru ne nous abandonne pas ;
il demande ce qu'il doit faire pour nous prouver qu'il n'aban-
donne pas les patriotes. " Carnot l'instruit ensuite de ce que
Pichegru a él faire.


I Lorsqu'en 1797, au moís de jnillet, les clubs jacobins se
constituerent de nouveau sous le nom de cercles constitution-
neIs, et que le Corps-Iégislatiflan~a un décrct formel contre
eux, un des défenseurs des Jacobins dit expressément:


MOlliteur, an V, nO 310, p. 1239, col. c. (;ommaire: .. Mon
amendement est essentiel; car ie déclare au peuple fran~ais ,
s'il y a en une réuuion de Clichy ... , JourdOll des Bouches-du-
Rhóne, moi je déclare que,si laréunion de Clichy s'est formée,
c'est qu'a notre arrivée ici, ii ya dix-huit mois, n011S avons
trouvé l' associatjon de ¡'hotel de Noailles. Une joule de 'Vol.1: • ..-
Cela est vrai! D'autres.-Noailles n'est plus, fermezCiichy! ..,




HISTOIR E lJU XVIlie srA'eLE.
passé. Sachant combien tous les esprits étaient
exaspérés contre eux, ils prirent toutes les me-
sures possibles pour se mettre en silreté. Ils
commencerent par exclure quelques membres
du Corps-législatif, qui ne selnblaient point
parvenus a la hauteur de la révolution. Jean-
Jacques Aylné fut le premier qu'ils repousse-
'rent de leur sein, et que, par dérision, les
Jacobins surnommerent Job, malgré toutes
ses protestations. Ferrand-Vailland n'eut ja-
mais la parole. lIs étendirent cette nlesure sur
Mersan, Polissart, Lecerf, Fontenay et Palhier.
La"njuinais succomba, lorsqu'il chercha a dé-
cider ses collegues a nomUlcr au moins une
commission et a suivre la constitlltion l. Le
directoire, de son coté, suivit la meme marche .


. Il organisa un ministere de poli ce , le 10
déc~mbre 1795, et en chargea le violent
M"erlin de Douay qui plac;a des Jacobins
dans les différents elnplois de la police, et se
mit en rapport intinle avec Fouché. Celui-ci,
ayant échappé a l'arrestation et au ressenti-
ment public, habitait la vallée de Montmo-
rency, ou il épiait l' occasion de se rendre


J .. Vous me rappelleriez, s' écrie Lanjuinais , cent mille fois a
l'ordre, que cela ne prouverait qu'une seule, que vous avez
attenté a la constitution. Au surplus, je demande qu'il Boit
nommé une commission .•




LIVRE IV, CHAPITRE IV. 353
nécessaire. Comme ii craignait de paraitre
partout oú il Y avait du danger, iI entra en né-
gociation avec Babeuf. Cet homme bizarre,
exalté et pIein de vanité, s'était déclaré dé-
fensenr d'une égalité absurde, et lui sacrifiait
son sang et son bien, sans qu'il en ait jalnais
retiré aucun avantage. Fouché et Barras, au
contraire, enrichis par ce systeme, ne voyaient
en Babeuf que l'instrument qui devait faire
réussir leurs projets. Déja, dans les derniers
temps de la Convention, iI avait été inculpé
par Fouché qui inséra dans son journal, des
articles remplis des principes de la terreur,
sans les signer de son nomo Il devint alors la
victime de la poli tique infernale des gens qui
remployaient. 11 nomma son journal, dont le
style ressemblait beaucoup él celui de Marat,
et qui accusait et condarnnait tOllt le monde,
le Trwun du peuple. Il se crut lui-meme
l'homme le plus important du royaume, le li-
hérateur de la nation, changea de Dom de
bapteme, s'appela, au lieu de Fran<;ois-Noel,
Caius-Gracchus, et bientot tous les fauteurs
de l'égalité se servirent de son journaI, comme
auparavant de celui de Marat l. AntoneIle re- .


l. Réponse de e amot, etc., pa ge 1 94 : .. Ceci me rappelle
une anecdote assez remarquable. Un de ces hommes, que l'on


H. Ir. 23




354 HISTOIRE DU XVIl¡e SltCLE.
parut sur la scene; et les anciens temps senl~
bla{ent vouloir revenir avec ce marquis in-
sensé. Il avait autrefois acquis une triste
célébrité comme président des jurés du tri-
bunal rév¿lutionnaire; sans etre méchant, H'
avait puisé dans ses reveries politiques une
espece de philosophie qu'il débitait dans son
journal, surnommé le Journal des lwmmes
libres. Ledirectoire essaya de le faire servir a
ses desseins, mais les patrio tes gardaient trop
peu de réserve, et sans le différent de Rewbell
et de .Barras avec Carnot, .on leur aurait depuis .
long-temps imposé silence l. J~es partisans


cherche a égarer dans tous les projets qui se succedent pour
la destruction du 'gou'Verneinellt, vint chez ll10i, un matin,
apres l'arrestation de Babeuf. C'était un cordonnier; il m'ex-
pliqua comment on travaillait la classe des ouvriers. Je lui fis
apporter a déjeuner et le 6s causer sur tont ce qu'il savait.
Entre autres propos curieux, il me dit : Mon Dieu, citoyen
Carnot, combien j'ai été surpris de ce que vous ayez fait contre
Babeuf; je vous croyais un Brutus. -Quand il le faut, luí
dís-je. Je vis que l'on entretenait les citoyens de cette partie
de la société dans des idées tellement exaltées, que toute con~
stitution, toute loi, tont gouvernement quelconque, leur pa~
raissait un attentat contrc la liberté, tous les hommes en place
des tyrans, et ceux qui proposent de les tuer, surtout cenx
qui se chargent de l'exécution, comme autant de Brutus. »


I Picllegru et Moreau, etc., page 86 : " A cette époque la
nation gémissait d'une fonle de lois révolutionnaires; mais
elle craignaít de voir entrainer des loís salutaires par des abo-
litíons précipitées. La séparatíon du bien et du mal de la ré·,
volution n'avait pu etrc faite par des hommes sensés, les pas·
sions seules étaÍeI1t aux prises. Tout conserver était le langagc




LlVRE IV, CHAPITR:E IV. 355
qll'ils avaient dans les conseils ne connurent
plus de bornes. lIs intenterent une accusation
contre les anciens Girondins et leurs adrni-
rateurs, et contre les hornmes qui se réu-
nissaient a Clichy, pour y discuter préalable-
nlent leurs délibérations; mais ils échouerent
dans leurs tentatives le 30 mars 1796.


Des-Iors le directoire pencha de nouveau
vers le par ti opposé. Les patriotes venaient
Je rouvrir leurs clubs; ils annoncerent hau-
teInent leurs 'opinions, et on ferma aussitot
les clubs 1; les orateurs furent condarnnés au.


(l'une faetíon; tout détruire était le langage de l'autre. La masse
du peuple souffrait, ~'inquiétaít, attendait. NuUe regle, nuI
príncipe sur quoi un esprit raisonnable put s'appu:yer. Chacun
sentait que tout allait "mal; personne de raisonnable ne savait
encore distinctement, on n'osnit dire eomment tobt irait bien.
Le Corps-Iégislatif était partagé eomme la nation ; le direetoire,
composé de einq membres, était et devait ~tre divisé de me me
Dans ce.s eorps, composés d'éléments hétérogimes, ehaque
membre s'étonnait, s'indignait d'en voir quelque autre a cOté
de lui : les haines, les préventions personnelles aigrissaient
les esprits plus encore que la différence des opinions. La presse,
que l'on croyait libre et que ron regardait eomme le palla-
dium de la liberté publique, était un instrumeut entre les
l'1ains des étrangers, et ue servait qu'a envenimer les hames. "


1 Carnot dit, en parlant du directoire : <t Il ne nous restait
qu'une inquiétude :r:éelle; c'était eeHe que nous donnaient les
anarchistes, conspirant hautement au cluh du Panthéon , pro-
voquallt chaque jour l'égorgement du Corps-législatif, du di-
rectoire, et voulant, par toutes sortes de forfaits , rétablir la
constitution de 93 .... ;. Quoi qu'il en soit, le directoire ne
yit alors de moyen de salut que dans la fenneture du club du


23.




356 HISTOIRE DU XVIII' SIECLE.
silence, et le fameux Drouet ne put faire
agréer dans le Corps-législatif sa proposition
de tolérer ce5 réunions pour animer l' esprit
populaire.


IJe jacobin Merlin, éloigné de la police, fut
nommé ministre de la justice; a la fin du mois
d'avril, le directoire obtint d'envoyer a l'armée
la légion de police, composée de patriotes. Ces
derniers, s' opposerent ~ il est vrai, dans le pre-


. mier moment, a leur séparation; mais on les
désarma et on les enrola de force le 1 er mai.
]\lIerlin fut remplacé par Cochon qui, eomme
député de la Convention, comnle juge de
Lol1is XVI et eomme membre du comité de
salut public, avait reoou hommage a la révo-
lution; on croyait cependant alors qu'il com-'
lnen~ait a se tourner vers le systeme royalis\e.
On alIa jusqu'a l'accuser d'avoir nommé chef
de burean a la nouvelle police le baron de
Batz 'qui, 1'anl 794, s'était soustrait, par la fuite,
:tu comité de sÍlreté et a la mort, et qui avait
trouvé son salut dans la derniere amnistíe;
maisCochonleniaconstamlnentl. Les Jacobins,


Panthéon. Bonaparte, commandant la dix - septieme division
militaire, fut .:hargé de l'exécution qui eut lieu le soir m~me .•


1 Cochon déclare au contraire formellement au directoire ,
qu'il uvait fait chercher le baron de Batz~ ponr le faire arl'~fer;
et Carnot, dans sa Réponse, p. 198, s'explique ainsi:" Co-




Ll VRE IV, ,CHAPITRE IV. 357
irrités de ce que le directoire les avait abusés,
préparerent a Paris un coup décisif, pendant
que des royalistes et des fanatiques s'armaiel..lt
dans le midicon tre leurs anciens ennemis,
pour en tirer une vengeance sanglante. Les
royalistes proprement dits, c'est-a-dire ceux
qui n'étaient pas vendus aux émigrés , comIne
Willot et Pichegru, formaient des partis tont-
a-fait opposés et sentaient .combien il ,était
difficile de concilier l'ancien régime ave e le
nouveau l. La majorité des conseillersétait
chon et Malo contribuerent autant que moi a déjouer les agents
de Louis XVIII; mais Lonis XVIII a été vengé par les direc-
teurs républicains: ils ont proscrit Cochon et Malo. L'esti.
mable, le tres-estimable ministre Cochon)- plus actif mille fois,
plus courageux ,plus J'épuhlieaiD ~ tOllS nos, directeurs ré-
publicains, fut celui qui dévoila au directoire cette histoire
des fils légitimes, dont BaiUenl orne son rapport. Tons les dé-
tails qu'il donue sont tirés des mémoires que Cochon avait
saisis par le moyen de ses agents .•


Quel affreux dédal~ de trahisops et d'astuce!
1 Démougé, Rappor-t áu :1 mai 1796 sur le 'Voyage de Pi-


eltegru a Paris, Pieces trou."ées a Offenhourg. tome 1, 1: 8 6e
piece, page 480 et suiv. : .. Pichegru, pendant spnséjour,
s'est ¡¡ppliqué.a connaitre a fond l'esprit public : iI yest pal'-
venu,mais il avouequ'il ne,s'attendait pas a le voir si erroné;
généralement, tout ce qu' n'est pas Jacobin demande le gpu-
vernement d'un seul; les grosses tétes mémes. et le dire«;:toire
en voi~nt le besoin et le désjrent; mais on est bien divisé sur
le, choix a faire. La tres-grande pluralité ( ce qui a étonné ·:Pi-
chegru) est pouql'Orléans. Carnot, dudirectoire méme, enest
le plus zélé .partisan. La mere d'Orléans, qui est a Paris, et
que ,Pichegru a refusé de voir, a l'air de s'y refuser, disant·
que son fiIs serait assassiné le lenclemain de sa promotion.




358 HISTOIIlE DU XVIlle SIECL"E.
pour la modération; mais les Jacobins comp-
taient d'autant plus sur leur parti, dans la ca-
pitale , q~'ils étaient soutenus par tous les
anciens députés de la Convention qui ne
siégeaientpoint au Corps-Iégislatif. Afin d'exé-
cuter les desseins des Jacobins, Babeuf, An-
tonelle J le député Drouet et ses amis con-
~urent le projet atroce d'un meurtre général.
Leur prétexte était de rétablir la constitution
et le gouvernement de 1793; mais avant de
s' etre accordés sur l' exécution de ce plan.
lIs eurent l'iInprudenée de faire insérer les
plus terribles menaces dans l'Ami du peuple de
Babeuf~


Ces intentions ne demeurerent pas long-
temps secretes; cependant le directoire n' en in-
forma pas moins le Corps-législatif I avec beau-


Ellfin les gens sensés que Pichegru a vus en grand nombre,
conviennent tous qu'il y aurait une guerre civil e interminable,
si d'Orléans ou le Prétendant étaient d'abord iustallés, etc., etc.,.


1 Cette déclaration au conseil des Cinq-Cents est con~ue en
ces termes : .. Citoyens législateurs , un horrible complot de-
mit éclater demain des la pointe ~u jour; son objet était de
renverser la constitutíon fran«,¡aisc 1 d'égorger le Corps-Iégis-
latif, tous les membres du gouverllcment, l'état-major de l'ar-
mée de l'illtérieur, toutes les autorités constituécs de Pal'is ,
et livrer eette grande eommUlle Ú un pilIage général et au plus
affreux massacrc. Le directoire exécutif, informé du lieu ou
les chefs de cette affreuse conspiration étaient l'assemblés, et
tellaient lenr comité de révolte, a donné des ordres pour les
faite arn~ter; plusieun. d'entrc cux 1'0nt hé en effet, et e'est




L1VRf; IV, CHA.PITRE IV. 359
coup d'éclat et d'emphase. On voit, par les fai-
bies ressources des conjurés, cOlubien cette
conspiration était peu a craindre; iI Y avaitd'ail-
leurs, depuis le dernier mois, des trollpes pos-
tées a l'entour de Paris. Ce seul fait démontre
combien la morale de la révolution avait déja
été fatale jusqu'alors, combien le gouverne-
ment et les représentants de la nation avaient
ouhlié toute dignité et toute pudeur, pnisque
Babeuf, l'anteur du plan homicide", était cet
homme avec qui Fouché avait traité,. trois
mois auparavant, au Dom du directoire , a qui
iI offrit le ministere des finances, et dont il
disait encore, 1ue1ques mois avant ~ que s:al ...
lier avec lui était f.ormer une alliance avec la
vertu mernc. D'ailleurs iI est incontestable que
plus de soixanlc membres des dcux conseils
étaient instruits dn projet insensé des conspi-
rateurs. Vadier, Amar, Cholldier, Ricard et
quelques au1res luembres redoutables de la
Convention épierel1t le moment de regagner
dtl crédito


Parmi tous les actes qu' on publia en six
voIumes, l'année sllivante, apres que le pro ces
fut terminé, la lettre' .que Babeuf écrivit daos


"avec douleur que nous vous apprenons que parmi eux se tr.ouv.e
un de vos collcgucs , le citoyen Drouet, pris en flagrant délit. J)




360 HI'STOIRE DU XVIIle SIECLEo
sa prison au direetoire, est sans contredit le
document le plus remarquable pour celui qui
désire connaitre l'état de la Franee a eette
époque. Nous y voyons de quel aveuglement
était dominé Babeuf, quelle confiance ii avait
en lui-meme, et eomment le gouvernement
d'une nation de vingt-huit millions de eitoyens
se trouvait mis en paralleIe avee un exalté l.
A jugel', d'apres le début, on se serait attendu
a une ju~tiee prompte et sévere; lnais il paralt
constant qu' on ne vonlait faire qll'une grande
sensation et attirer l'attention de toute ]a na-
tion sur la scene qu'on préparait. Elle se passa
a Vendome,ouelle:6t la plus vive impression;
elle cauta meme dessommes immenses, en-
fin rien ne fut épargné poul' que la révolution


% Toulongeon et le Moniteur, an V, nO 243, donnent
cet acte. Baheaf y écrit entre autres aux directeurs : el Regar-
deriez-vo1ls au-dessous de vous de traiter avec moi comme de
puissance a puissance? Vous avez vu a présent de quelle vaste
confiance jesuis le centre. (I1 écrit de la prison) : Vous avez
VD que IDon parti peut hien balancer le votre; vous avez vu
quelles immensesramifications y tiennent : j' en suis presque con-
vainc1l; cet aper'Su vous a fait trembler. Est-il de votre inté-
r~t, est - il de l'intéret de la patrie de donner de l' éclat a la
conjuration que vous aTez décou'Verte? Je ne le pense paso
Je motiverai comment mon opinion ne peut elre suspecte.
Qu'aniverait-il si cette affaire paraissait au grand jour? que
j'y jouel'ais le plus glorieux des roles. J'y montrerais toute la
grandeur d'ame avec l'énergie que vous me conllaissez, la
saintcté de la conspiration, dont je n'ai jamais nié d'étre
membre .•




LIVRE IV, CHA.PITUE IV. 361
poursuivit toujours samatche. Conformément
a la cons-titution, un député, impliqué dans
un crime d'État, devait d'abord etre interrogé
et accusé par les conseillers ,ensuite jllgé avec
tous ses compiices par un tribunal expres;
-c'est ce qu'on fit á l'égard de Drouet. Mais
personne ne croyait vér1tablement a la conspi-
ration, et cette affaire auraité~é'assoupie, si les
royalistes n'cussent occasionné dans la police,
aUIDoyen des Jacobins, un autre mouvement
sérieux qu'on ne pouvait, ni révoquer en
doute, ni laisser impuni. Les plaintes de Tal-
lien 1 prouvent que la police penchait alors
vers le royalisme ; ce que semblent encore con-
firmer et le. róle_ que Dossonville joua pendant
toute sa '\Tie, et le titre qU'Oll accorda a Batz,
apres le retour des Bourbons 2 • Drouet s'était


t Talliell dit, MOllitellr, 3n IV, nO 267, page 1067; « Com-
ment les patriotes, les républicains, ne seraient-ils pas parti-
culierement en butte aux poursuites de la police, lorsque c'est
un baron de Batz qui est a la téte de la police de París; Batz,
enllemi juré detout ce qui fut patriote, Batz, compromis dam.
toutes les affaires ou iI y a des contre-révolutionnail'es a pu-
nir ; Batz , correspondant avec les émigrés , avec les étrangers;
Batz, poursuivi a juste titre, échappé par miracle, et agent
des princes. Comment, dis-je, de tels outrages ne seraient-ils
pas répétés contre la représentatión nationale, quand un autre
chef de la police est Dossonví1le, chef de la poli ce d' AUlar •
assassin des républicaills, et l'un des premiers agents du -sys-
teme de telTeur qui a précédé le 9 thermidor. J)


:! Batz e~t dans ce moment maréchal-de-camp en retraite.




362 HISTOIRE DU XVIllC Sd:CLE.
échappé; les anciens députés de la Convellt1on,
quoique bannis de Paris, resterent en rapport
avec le peuple qui les avait servis pendant des
années entieres, et qui étai~ guidé par des
gens dont l'impudence surpasse toute idée.
Il y avait p_armi ces hommes plusieurs géné-
raux et officiers supérieurs du temps de l~
terreur qu'on avait employés dans la Vendée;
mais qui tomberent ensuite dans leur néant,
conlme les Rossignol, les Fion et autres.
Germain, officier de chasseurs en 1798, un
des premiers orateurs dn club ~es Jacobins au
Panthéol1, se distingua le plus parmi eux;
il poursuivit sa marched'un pas d'autant plus
assuré, que Fouché et Barras avaient toujours
soin de ne jamais se mettre en avant 1 , et que
d'ailleurs les autres directeurs ne jouissaient
Dossonville était, pendant la présence de l'auteur a Paris, en
[ 8 2 2, commissaire de police de l'ile de Saint-Louis. Il est cer-
tain qu'il servait les comités cornme royaliste, puisque lOU5 les
actes parlent de lui ...


1 L'affaire ayant éclaté, Barras :Gt appeler Gennain , et luí
dit: " Si on m'eut laissé faire avant le 13 vendémiaire, j'au-
rais encore travaillé la marchandise avec vous ...


On vil. le 17 fructidor, que Barras le prit sérieusement;
car ce Germain, qui, devant la haute-cour, se conduit comme
un fou, ote son habit pour gesticuler. n'y est pas seulement
absous, mais , le 17, iI est dit, dans le Moniteur, 110 348 , dans
une déclaration du directoire : " Germain est nommé commis-
saire du directoire, l'res l'administration centrale de Seine-
ct·Oise. »




LIVRE IV, CHAPITRE IV. 363
pas de l'estime publique. La police savait bien
que les amis· de Babeuf avaient un appui dans
le directoire et dans les conseillers ; mais elle
n'ignorait pas non plus que les prolnoteurs
avaient aussi peu de prudence et de crédit
qu'ils étaient arrogants. Elle savait, en outre,
que les Jacobins tendaient a corrolnpre les
soldats postés pres de Paris, et qu'ils en·
avaient déja gagné une partie l. C'est la-dessus
qu' ehe/onda le plan de les prendre dan s leurs
propres filets. .


Les conspirateurs devaient'séduire les troUr
pes qui' se trouvaient pres de Vaugirard,
dans la plaine de Grenelle, délivrer Babeuf
de force, et rétablir la constitution de 1793.
La police, illformée J'avance de tout ce qui se
tramait, avait chargé Hatry, le général de
I'intériem', d'observer les démarches des révo-
lutionnaires qui comptaient particulieremellt
sur l'ancienne légion ele police , composéc
alors d'un régiment de dragons; mais les ad-
versaires des Jacobins n'avaient den négligé
pour oter a ce régiment les moyens de nuire.
A la maniere maladroite dont on cherchait a
exciter les soldats, par des femmes prosti-
tuées? de l'argent et du vin, OH reconna!t fa·


1 I1 fallut remoyer des légions et des batai~lons cntiers,




.,


364 HISTOIRE DU XVIlle SlECLE.
cilement que la populace qui se chargeait seule
cette fois de l'exécution, n'avait point été in-
fluencée par les anciens fauteurs de la déma~
gogie, et ceux qui autrefüis gouvernaient ]a
Convention; mais tout au plus par ses députés
Huguet et Javoques. On se proposait de pé-
nétrer dans le camp, d'entralner les soldats,
et d'assaillir le Luxembourg ou siégeait le di-
rectoire. La multitude quise porta sur le
palais fut bientot repoussée par sa garde, le
sabre a la J:llain, tandis qu'a Vaugirard, une
autre troupe échauffée par le vin s'abandon-
nait a toute sa fureur, le soir meme de l'exé-
culion dU2.3 au 24 fructidor (9 et 10 sep-
tembre ).


Hatry y envoya, pour la forme, un aidede
campo Quoique la populace nt feu sur lui, on
se garda bien d'agir contre les assaillants; au
contraire, on leur laissa toute sécurité, jus-
qu'a ce qu'ils eussent pénétré dans le camp
avec la fonle, les felnmes et les soldat~
ivres. L'in vasion nocturne de ces hordes af-
freuses,leurs cris et leurs clameurs servirent
a effrayer les troupes que ron ne put gagner
ni par le vin et les femmes, ni par la pers-
pective ,du .pillage et la fraternité. Elles ren-
contrerent un chef de légioll, qui n'était pas




LI "RE 1 V, CHAPITUE 1 Vo 365
de leut' parti : on repoussa done, sans auenne
peine, la force par la force, et le gouverne-
ment et ses eonfidents atteignirent parfaite-
ment, en eette occasion, leur but de se débar-
rasser incontinent de plusieurs importuns lo
Cornme c'était une émeute publique, les con-
seillers autoriserent, a la demande des diree-
teurs, les visites domiciliaires, et le lieu de
l' exécution renclit légales les commissions
militaires, nommées pour la condamnation de
ceux qu'on avait voués a la mort.


Cent quarante de ces Jacobins insensés fu-
rent faits prisonniers OH dans le camp, ou en
fuyant, ou plus tardo Les commissaires eon-
damnerent a mort, et firent exécuter par in-
tervalle les prisonniers, en~re autres Hugu~t


(Rapport du minjstre de police, il1oniteur, an IV, nO 356,
page 414 : • Je ne sais encore les noms que d'un petit nom-
bre d'individus arr~tés ; ceux dont les noms me sont paI'venus
jusqu'a présent, sont tous membres des anciens comités et
armées révolutionnaires, ou connus par leur attachement a
la constitution de 1793. Cependant on en a entendu crier
quelques-un~, qu'on n'aurait pas de repos qu'en nous donnant
un roi. Ce qui prouve que tous les ennemis de la cause pu-
blique s'entendent, parce qu'ils ont un but commun, le ren-
versement du gouvernement actuel... Les factieux, en entrant
au camp, ont crié d'ahord Vive la République! et ensuite Vive
la Constitution de 1793! A has les conseils! a bas les nonveaux
tyrans! •


II parait cependant que la police n'avait pas tout-a-fait tort,
que les ultra-roya listes jouaient ici comme ailleurs leur rOle,
ce que Barruel-Beauvert indique assez clairement.




366 HISTOIR E DU XVlIIe SIECLE.
et J avoq ues. On sauva,/de différentes mani(~res,
les plus coupables et ceux qui savaient faire
lllouvoir tous les leviers des émeutes popu-
laires. Drouet avait pris la fuite depuis long-
tempsI. Rossignol, Fion 2, Germain et autres
furent renvoyés au tribunal de Vendome,
comme impliqués dans la conspiration précé-
dente. Avant l'ouverture meme de la haute
cour de justice, il éclata, dans d'autres con-
trées, de nouveaux troubles cOlncidents avec
les desseins d'nn autre parti. Les désordres
prirent un caractere redoutable, dans les pro-
vinces méridionales, dan s les districts, 011 le
fanatisme est enraciné, et on n'avait pas été
heureux dans le choix du généra~ que ron
envoya pour les apaiser, ou par la douceur, OH
par la force. Il 6t au contraire tont ce qui dé-
pendait de lui , ponr provoquer pne sanglante
guerre civile 3. Vendu aux émigrés, il parut


I Dl'ouet s'était réfugié en Suisse; il, se proposait d'aller aux
lndes, lorsqu'il apprit, a son étonnement, qu'il avait é~é ah-
sous par la haute-cour de Vendome.


:l La sentence contre Fion est concue en ces termes: «Jean-
Joseph Fion, agé de quarante-huit a;1s ,général de hrigade ... :
a été renvoyé a la haute-cour de justiee, eomme complice de
la conspiration de Baheuf. n a refusé de dOllner le nom et la
Jemeure des personlles chez qui ii s 'étnit réfugié apres le dé-
CI'et <i'accusation lancé contre lui. "


3 Le directoire écrit, le 1 er aout 1796, a Bonaparte ( COI'-
l'cspondance inéditc, tome 1, page 405): « Les troubles qui




Ll V RE 1 V, e II A. P J T R E 1 v. 367
plus tard uans toutes les séditions, comme
leur instrument, et, revellu en Europe apres
la déport~tion, iI montra encore son amitié
pour les Anglais et les émigrés l.


Depuis le mois d'aoút jusqu'au mois d'octo-
bre, Willot avait si bien cOllduit les affaires,
qu'une arluée entiere semblait nécessaire ponr
rétablir le calme. Il avait réuni un grand
nombre de soldats, lorsque Bonaparte, a qui'
on enlevait ses troupes, entra clans une. vio-
lente eolere, et le désigna an direetoire eomme
un homme entierementdévoué aux royalistes 2.
Il lui reproche d'avoir déc1aré l\farseille eH
état de siége, les habitants de plusieurs dé~
partements indignes dn titre de eitoyens#t de


viennent de se manifester dans le département des Bouchesw
du-Rhbne, et notammcnt a l\farseilIe et Aix, nous ont pOl'tés
a y envoyer sur-le-champ le général WilIot qni a notre con-
Ganee. -,Nous l'invitons a sUl'veiller ee département avee un
soin partieulier, et empceher, autant qu,'il sera en son ptlU-
voír, que la guerre civilc n'éc1ate. D


1 On en trouve la preuve dans les Papiers saisis a Bareutlt
el a lrlende, départcmcnt de la Lozere, publiés par ordrc du {fOU.
I'Cl'nement, an .. K ( 1801 ) ..


:& COl'respolldancc inMite, tome JI, page 86: " Le général
Willot a servi, au commencement de la révolution, a l'armée
d'Italie ; il jouit de la l'éputation d'un hrave homme et d'un
hon militaire, mais d'un royaliste enragé. Ne le connaissant
pas, et n'ayant pas en le temps de peser ses opérations, je suis
bien loin de conurmcl' ce jugement; mais ce qui me parait
bien avoué, c'est qu'il agit dan s le Midi comme dan s la Vcn1
dée, ce qui est un hon moyen pour la faire naitre. »




368 HISTOIRE nu XVlIIe SIECLE.
n'elnployer que la force contre eux. Quoique
Bonaparte eut l'aír de ne parler d'affaires
d'État, qu'autant qu'il avait besoin des trou-
pes que Willot lui retenait, on reconnait
cependant, a la maniere énergique dont iI sou-
tenait ses assertions, qu'il regardait des-]ors
le directoire COlnme un tribunal subordonné
asa volonté r. Les directeurs qui avaient bien
pénétré ses desseins, arreterent son despo-
tisme, et le royalisme leur fut encore tres-
utile.


Bonaparte avait appelé en Italie les colon-
nes mobiles du département du Var, qu'on
avaitlevées pour apaiser les troubles intérieurs.
Le département l'avait refusé avec l'approba-
tion des directenrs. Bonaparte voulut sus-
pendre le général Willot de ses fonctiQns, le


1 Correspondance inédlte, tome Il, pages 86-87 : .. Je vous
pl'ie d'oter de dessous mes ordres la huitieme divisioll, paree
que les principes et la conduite du général Willot ne sont pas
ceux qu'il doit avoir a sa place, et que je me croirais rlésho-
noré de voir, dans un endroit OU je commande. se former un
ferment de troubles, et de souffrir qu'un général sous mes
ordres ne soit qu'un instrument de factíons. Par sa désobéis-
sanee et son insubordination, iI est la cause des horreurs qui
se commettent dans ce moment dans le département des Alpes-
Maritimes. Le convor des tahleaux, chefs-d'amvre d'lialie , a
été obligé de rentrer a Coní : 11 eut été pris par les barbets.
Si le général Willot n'obéit pas sUl'-le~chamI) a l'ordre que je
lui ai donné, de faire partir la quatre-vingt-troisieme demi-
brigade, mon projet est de le suspendre de ses fonctioDS. »




LIVRE IV, CHAPITRE IV. 369
directoire retrancha de son cornmandement
la huitieIl)e division militaire , que Willot avait
s011S ses ordres. On voit, par l' explication qui
fut donnée a Bonaparte relativement a Willot,
quelle était la faiblesse du gouverllement, et
la puissance du général en chef de l'armée
d'ltalie l.


Mais bientot les idées et la position du di-
rectoire changerent tout-a-fait; on découvrit
a Paris !lne nouvelle cabale des prince~ émi-
grés, on en désigna comme les auteurs trois
esprits faibles, l'abbé Brotier ~ impliqué I'an-
née précéclente dans une pareille affaire, }' ex-
maitre des requetes, Berthelet de Lavilheur-
nois, et Duverne-Dupresle; mais ces hommes
n'étaient réellement que des lnachines, que
I'on faisait mouvoir tandis que le point de réu-
nion de la ligue était tout différent.


La, redoutable propagation du royalisme,
que la découverte de certains papiers mit dans


I Correspondance ;nédiú, tome II, page 167. Le directoire
écrit a Bonaparte :.c Le général Willot n'a cessé de donner
des preuves de són patriotisme a l'armée des Pyrénées, ou il
s'est beaucoup distingué : c'est lui qui a préparé en partie la
pacification réelle de la Vendée , si glorieusement achevée par
le général en chef Hoche ; et sa conduite, dans cette circon-
stance, est une preuve de ses sentiments républicains, et dé-
truit toute sorte de SOUp~OIl d'attachement de sa part a la
royauté et a ses partisans. "


H. 11.




370 HISTOIRE DU XVlIIC SIECLE.
tout son jour, et les élections dont nous au'"
rons bientot a nous occuper, forcerent le gOl1-
vernement de lacher de nouveau la bt'ide
aux sanguinaires Jacobins l. On avait differé
long-temps d'établir a Vendóme un tribunal ~
devenu inutile, puisque Drouets'étaitéchappé;
organisé enfin avec beaucoup de peine et de
frais", l' enquete se p"rolongea pendan t les mois
de mars et d'avril 1797. On donna a dessein
a ce proces un éclat scandaleuxet indécent,
et ilsemble que le directoire lui-memese ré-
jouissait de voir que 1'autorité des tribunaux
n'était plus respectée; le nombre des accusés
s'éleva a soixante-quatre, dont dix-sept étaient
absents; parmi les quarante-sept autres, Va-
dier, Amar, Babeuf, Germain, Rossigno1 2 ,


1 Réponse de Carnof., etc., page 172 ; " Les 17 et 18 fructidor
répondent précisément au 3 et 4 septembre, époque des fa-
meux massacres de 93. Plusieurs de ceux qui s'étaient signa-
lés a la premiere septembrisation, ont étéles directeurs secrets
de la seconde, et ont fait adroitement coincider les dates pour
mieux identifier les deux événements. Ils ont voulu se faire
heaucoup de complices, diviser, par la similitude des circon-
stances, sur un grand nombre d'individus, l'horreur qui était
concentrée sur eux, et faire que l'opinion publique, qui les
harcelle toujollrs, cessat de les poursuivre isolément. Il est
certain que les nouveaux Septembriseurs ont fait cause eom-
mune avec les premiers, que ceux - ci leur ont fermé la
bouche .... J)


:a Rossignol était eomme Baheuf, a ce qu'il parait, tres-at-
t3-ché a son parti. Échappé a la condamnation, il demeura un
des soutiens du partí anarehique, jusqu'a ce qu'il fUt impliqué,




LIVRE IV, CHAPITRE IV. 37 1
qui n'avait jamais su rougir, prirent un lan-
gag e tout-a-fait inoui. lIs raillaient lellrs juges,
outrageaient le gouvernement, célébraient,
aux acc1an1ations du peuple présent, le Terro-
risme et toutes ses mesures; a la fin de chaque
séance, ils chantaient les chansons les plus hor-
ribles, otaient meme leurs habits, pour gesti-
culer avec plus de liberté, et demeuraient
sourds a toutes les remontrances. Une femnle
patrio te commen~ait des chants révolutionnai-
res, auxquels répondait toute la populace. Il
afflnait a Vendome une telle foule de monde,
parmi laquelle on remarquait surtout les par-
en 1800, dans la conspiration de la machine infernale contre
Bonaparte, et déporté avec les autres. Bis/oire de la double
conspiration de 1800 eo.ntre le couvernement consulaire, et de la dé-
portation qui eut lieu dans la deuxieme année du consulat, etc., etc.;
par "M. Fescourt, Paris, 1 S I 9, in-SO p. 15 '1-5 3 : "Rossignol fut
une des premieres victimes de l'épidémie (a l'ile d' Anjouan,
dans lamer d'Afrique). Jusqu'a son dernier moment ses paroles
ne démentirent poi'nt son caractere impétueux et son courage
intrépide. Un quart d'heure a vant d' expirer ir s' écria, ·dans les
moments couvulsifs, et en se tordant les bras: • Je meurs
accablé des plus horribles douleurs; mais je mourrais content
si je pouvais apprendre que l'oppresseur de ma patrie, auteur
de tous mes maux, endurat les mémes peines et les mimes
souffrances! • Il fut vivement regretté de tous ses compagnons
d'infortune, qui, malgré leurs propres maux , trouverent en-
core des Jarmes pour pleurer son trépas. Du reste, un homme
de ce caractere devait étre essentiellement utile a ses compa-
gnons. Fallait·il agir avec vigneur, il était le premier, et son
activité paraissait infatigable: fallait-il souffrir avec résigna-
tion, il donnait l'exemple d'une ame stoique et il encourageait
tous les autres a supporter la rigueur de lenr sort. "


24·




372 HISTOIRE DU XVIIle Sd~CLE.
tisans des aceusés, que la législation se vit
obligée de eréer une poliee partieuliere pour
eette conjoncture. Il falhit cependant changer
souvent les troupes, parce que les enquetes
les fanatisaient, et abréger le proees ,paree
qu'une révolte formelle était a craindre, et
que Babeuf et ses compagnons d'infortune
se portaient tous les jours a de nouvelles cla-
meurs et a de nouvelles in!ures. Les débats du
proces n'avaient été qu'une fade bouffonnerie,
dont on rendít toute la France témoin; iI ne
se termina pas d'une maniere plus imposante.


Babeuf seul fut vietime des principes in-
sensés dQut il se montra opiniatrement le
défens~t1r. On lui associa Darthé qui lui res-
semblait sous bien des rapports. Avant la révo-
lution on l'avait vu membre de la Bazoehe, en-
suite il av~itété l'undes assaillants de la Bastille ,
et enfin secrétaire et confident du terrible Jo-
seph Lebon. Darthé , cómplice de ce dernier,
avait, dans les temps précédents, nlérité la
mort a différents titres; mais il n'avait été, et
n' était, a proprement parler, qu'un instrument
entre les mains de plus grands criminels.


Les vrais coupables furent épa~gnés; ,on
voulut les conserver pour s' en servir dans
l'occasion; d'ailleurs on craignait trop d'ir-




LIVRl\ IV, CHAPITlU~ IV. 373
riter leurs partisans. Amar, Vadier ,. Ross'ignol
et d'autres,. furent aussitot relachés; Buona-
roui, ex-président du club des Jacobins au
P~nthéon , devait etre déporté a~nsi/ que Ger-
main, Maroy ,. Cazin , Blondeau, Bouin et Mé-
nessier; mais bien loin que cette sentence fut
exécutée, ils obtinrent au contraire des char-
ges importan tes, des que le différent entre le
directoire et le Corps-législatif éclata.


La mésintelligence entre les deux corps d'É-
tat n' étflit plus un secret; m,ais elle De devint
pernicieuse qu'au moment ou, d'apres la con-
stitution, le tiers du Corps-Iégislatif et un di-
recteur durent etre remplacés. On o.e se con-
tenta plus alors ,de simples discussions. On vit
Lyon , Marseille et tout le Midi, dans leur fu-
reur, assassiner ceux qui, ,dans les jours de la
terreur, avaient montré un patriotisme outré,.
ain~i que les républicains proprement dits et
les protestants. Tous les jourllaux étaient a la .
disposition des royalistes ; la luéchanceté et la
calomnie présenterent, S011S les co~leurs les
plus noires, les travers qu'avait enfantés la triste
perversité de ce temps. L'exaspération des
esprits parvint a son combie. Les élections tom-
herent presque toutes sur des hOlumes con-
traires au systeme de prodigalité et de dilapi-




374 IIISTOIRE DU XVIlle SIECLE.
dation 1 , qu'on avait suivi jusqu'alors. Mais
eomme parmi eux se trouvaient Pichegru,
Willot et quelques autres ambitieux, vendus
aux émigrés, l'aversion de tous les nouveaux
lnembres eontre les aneiens, favorisa le plan
de renverser la nouvelle eonstitution qui
d'ailleurs ne pouvait se soutenir long-temps
d' elle-meme.


Carnot crut voir alors, en Chénier et Louvet
ses anciens amis, des hommes sur lesquels
on ne pouvait nullement compter, mais dont
l' éloquence et le talent sophistique amime.
raient tot ou tard une nouvelle révolution.
La direction qu'on donna aux affaires mili-


1 Hardy, Girondin persécuté, alors en faveur, dit : " U
n'en était pas ainsi dans les beaux jours de 1789, au temps de la
liberté naissante; alors toutes les places , toutes les fOllctions
étaient confiées a la partie éclairée et hOllnéte de la classe que
ron désignait sous le nom de tiers-état; tout était bien alors:
les usurpateurs ont tout déshonoré; les hommes de biell ont
été chassés des emplois publics, et ces emplois ont été livrés a
la sottise , a l'immoralité , au fanatisme, au brigandage . .,


Dupont de Nemours, dans une délibération de finances,
raconte l'anecdote du ,jeu de mots, que l'officier fait en parlant
a un ministre des 6nances. et continue ainsi : «Tout le monde
aujourd'hui veut étre du camp /Jolant, parce que trop de gens,
dans la révolution, ont perdu l'habitude du travail, et iI y a
peu de gouvernants assez grands pour n'étre pas tentés de
gouverner un camp volant. Les subalternes donnent des voix
dont on dispose dans les élections, et les places supérieures
sont des amies utiles parmi ceux qui pourront ayoir a les de-
mander un jout. JI




LIVRE 1 V, CHAPJTUE IV. 375
taires l'avait brouillé avec Barras. L'exécution
des projets des royalistes lui parut tout-a-fait
impossible. 11. n'hésita point de s'attacher aux
partisans des Bourbons, jusqu'a ce que le
temps lui eut tracé la route qu'il avaii: a
prendl'e. Le 1 er prairial de l'an V (20mai 1797),
la nouvelle assemblée législative fut ouverte.
On re<;ut tous les députés exclus l'anllée pré-
cédente cornme royalistes,parents des émigrés,
ou comme intéressés aux trQubles,de vendé-
miaire. On rejeta Barere, représentant de la
terreur, qu'avait élu le département des Hau-
tes-Pyrénées. La majorité du conseil des
Cinq-Cents leva aussitot le masque et déclara
la guerre.a ses adversaires. Leconseil nomm'~
le général Pichegru premier président, a l'é-
poque ou le directeur sortant fut remplacé
par Barthélemy. Celui-Gi, ancien marquis et
ambassadeuren Suisse, était, par sa naissance,
ses mceurs et ses liaisons, entierement adonné
a rancien systeme. Toutes les démarches des
législateurs, qui n'étaient que trop adroite ...
ment cOlnbinées, senlblerent bientot tendre
vers le IYH~me but. Barthélemy et Carnot for-
merent une opposition contre Favidité et l'im-
pudence de leurs collegues. Les Jacobins et
les royalistes se réjouissaient d'une scission




376 HISTOIRE D,u XVIIIe SIECI,:E.
qui devait occasionner une lutte sanglante;
cependant ces derniers ne pouvaient guere y
gagner, selon toute apparence, puisque les
troupes étaient toutes contre la royauté.


Des les premie res sessions, on aholit les
lois du 3 brumaire contre l'expulsion des pa..;
rents des émigrés, et de ceux qui avaient pro-
testécontre les pieces annexées de la constitu-
tioo; bientot apres, la religion chrétienne et
ses sectateurs furent soustraits aux persécu-
tions.


eette derniere mesure aigrit a la fois un
petit nombre d'insensés qui avaient un di-
rooteur a Ieur tete; des gens honnetes et rai-
sonnables, tels que les Jacomns, et presque
tous les soldats. Le premier parti , nommé des.
théophilantropes, effrayé par le nom de reli-
gion chrétienne, resta peu important 1; mais
lesdeux autres méritent plus d'attention.
-Les gens honnetes s'irriterent de ce que le
clergé répandai t parmi le peuple une foule de
pretres exaspérés et fanatiques, qui se rappro-


I Réponse de Carnot, page 50 : " Le petit Reveillere avait ell
effet tellement peur du pape, qu'il le voyait san s cesse a su
poursuite, étendant ses doigts pour lui douner su hénédiction.
Le vicaire de Jésus était un dangereux rival pour luí qui.
voulait aussi étre chef de secte. Reveillere imagina de se feter
parmi les théophilantropes. ,. "




LIVRE IV, CHAPITRE IV. 377
chaient plutot des fauteurs de la superstition
que des prédicateurs de la doctrine charitable
et sage de Jésus-Christ.


Les Jacobins et les soldats se parterent a
tous les exces ,parce que la licence et l'irr;e-
ligion leur semblaient de l'énergie, la vio-
lence et le droit dO' plus fort de la liberté; ils
regardaient le piIlage comme une récompense
due aux peines du combat, une aveugle
obéissance au général qui ohtenait le plus de
succes comme le premier des devoirs. Rien
n'était plus odieux a l~r orgueil que le retour
de la tranquillité et de I'ardre, qu'une vie de
paix, et que le regne de la 10i éternelle des
hornmes. auxq~el~ on Be pouvait affrir qu'une
profonde estime et qu'une pure vénération r.
Les Jacobins, dans les conseils et dans les ar-


I lci Carnot a saIlS doute raison, lorsqu'il dit ,dans la Rd-
l'0nse, page 68, ou il apostropbe le rapporteur el le défenseur
des trois direct~urs victorieux le 18 fructidor: el Mais vous-
méme, Bailleul , vous, leur fideIe i:qterpl'ete , ne faites - vous
pas leur profession de foi et la votre, lorsque vous dites au
Corps~législatif: .. Ballnissons, je le répete , ces absurdes théo-
ríes de prétendus príncipes, ces invocations stupides de la
constitution. » Tout votre systeme, tont celui de vos héros,
est dans ce peu de paroles : Les príncipes ne sont que pour
les sots; la constitutíon n' est que pour les sots, la honne foi,
la fidélité aux engagements, ne sont que pour les sots; il n'y
a de hon d,roit que ponr les plus forts; toutes les autres
théories de prétendus principes sont absurdes; celui qui les.
invoque est un stupide ...


/




378 'HISTOIRE DU XVlIle SIECLE.
mées, s'éleverent done hautement et avee ira-
nie dans les journaux et a la tribune contre
la piété de leurs antagonistes; et la question :
« SuiíJez-vous la religiolZ de ?JOS peres? ») était
une railleri,e tres-ordinaire. Si, a la premiere
vue, on est porté a croire que, par les boulever-
sements de la révolution, 'les Fran<;ais étaient
alors parvenus a établir un gouvernement,
basé sur des principes, des lois et la politique,
un exanlen plus scrupuleux dévoile bientot le
contraire.


Des femmes et des ~oteries de salons in-
fluencerent l'État a eette époque, eomme de
tout temps; cal', nH~me dans cette position
critique, Talleyrand ne dut son retour en
Franee, et plus tard son entrée au ministere,
qu'aux relations de madame de Stael avee
Chénier. Elle dit elle-meme, dans ses Considé-
ratiolZs, qu'elle l'avait fait ministre, dans l'es-
poir de prévenir par la les malheureux résul-
tats de la scissionr


Les adversaires les lnieux pensants du di-
rectoire tomberent d'aillellrs dans la melne
faute que les Girondins. Par leurs diseours et
leurs sentiments généreux, ils gagnaient l'es-
time publique" tandjs que le directoire n'em-
ployait que la force des armes. On ne saurait




LIVRE IV, CHAPITRE IV. 379
contester que Pichegru, Willot et d' autres ,
vendus ou dévoués aux Bourbons, poursui-
vaient constamment leur but 1; mais le reste
de leur parti ne secondait pas leurs efforts,
parse qu'il eherehait a se tenir dans les bornes
de la eonstitution. Le eonseil des Cinq-Cents
rétablit, pour la su reté de l'assemblée, la eom-
mission des inspeeteurs de la salle; mais lors-
que la dispute devint sérieuse, Aubry ne put
obtenir, ni qu'on augmentat la garde du
Corps-législatif, d'une eompagnie d'artillerie
et d'un eseadron de eavalerie, ni meme qu'on
les mIt sous I'ordre direet des inspeet.eurs. Il
ne manqua pas d'ailleurs de seenes sean da-
leuses entre les_ députés des deux partis 2. On
remarquait vers la fin du mois de juillet les


1 Pichegru, Wi1lot, et autres, sont a Carnot les meneurs
dont il parle, lorsqu'il dit : " Mais combien étaient-ils ces me-
lleurs? pas quinze. Il s'agissait de les exclure des eommissions,
et e'était le parti qu'avaient enSn pris les hommes sages et
éclairés. On eommencsait m~me a exéeuter ce projet : le diree-
toire tremblait qu'on ne parvint a un arrangement qui aurait
tranquillisé les eitoyens : ear alors il aurait peut-~tre manqué
d~ prétextes et de moyens pour l' exéeution de ses grands des-
selns. »


2 Le 2 8 juin, Delahaye, sur la tribune, saisit Males par la
gorge; eelui-ci le repousse et lui fait descendre les esealiers :
daos la séanee suivante, Madier, en faisant allusion a eette
scene , dit : 11 Tant que nous pourrons entrer ici vétw;
eomme des jokeys, iI est peu étonnant que nous en consel'-
vions les manieres .. "




380 HlSTOlRE DU xv HlC SIECLE.
sympt6mes toujours plus visibles d'une ac-
tion et d'une réaction; cal' le directoire
permit au club des Jacobins, de se réorga-
niser sous le 110m de Cereles eonstitutionnels,
et a leurs journalistes, de reprendre le lan-
gage qu'ils avaient déj<\ tenu auparavant.


A la meme époque, le Conseil exécutif ou
plutot sa majorité fit déclarer, pOUl' ainsi dire
officiellement, p,ar Lenoir-Laroche, nornmé
ensuite pour quelque temps ministre de la po-
lice 1, qu'une menée en nécessitait une autre, et
qu'on devait opposer aux royalistes les Jaco-
bins, comme au club de Clichy les cercles
constitutionnels2 • Le melue luanjfeste pronon~a


1 Lenoir Laroche et M. Trouvé, qui imprime mainte-
nant le Drapeau hlane, étaient les ames damnées du directoire,
et rédigeaient les articles officiels du Mordteur; cependant
Carnot rappoJ'te l'origine du plan qu'on poursuivait alors, a
un temps bien antériellr.ll dit, Réponse, p. 126 : .. Le projet
de mutiler la représentation nationale fut formé des le temps


,des éleeteurs de l'ap. V. Ce futRewbell qui le con~ut; les autres
ont acqui~scé ~ ce projet, quand on leur a montré les détaiJs
et qu'on leur en a assuré le sueees. "


:1 Moniteur, 29 messidor an V (7.7 juin 1797), nO 279,
page 1114 : " Mais un club cOlltre appelle toujours un club
pour; e'est la loi inévitable des réactions. Cette lai mesure 1:1
résistance a la compression , la défense' a l' attaque; il est méme
natur~l que plus on eroit la canstitution et le gouvernement
menacés, plus ceux qui veulellt les mainte~ir redoublent de
zele et d'énergie. Qu'Qn ne demande (lone plus pourquoi le
eercle constil1itionnel existe; e' est paree que le club de Cliehy
n'est pas tlissous. »





LIVllE IV, CHAPITRE IV. 381
aussi positivement que les patriotes devaient
sauver la patrie menaeée l.


00 s'éleva ave e une extreme violeoce eon-
tre la mention qu'on tit de la religion ehré-
tienne. Grégoire était alors au eonseil des
Cinq-Cents une apparition tout-a-fait parti-
euliere; puisque les royalistes le détestaient
eomme impie, et ses eollegues les libéraux ~ se
moquaieot de lui, eomme ehrétien orthodoxe.
Les nobles et les fideles partisans des émi-
grés et des pretres organiserent les soeiétés
de Jésus, du soleil, des Verdets 3; mais elles ne
virent, a proprement parler, jamais le jour. Les
femmes qui dominaient dans la capitale, dési-
raient le retourdes temps brillants de la pre-


I Moniteur, ídem: « Tant que la majorité du COl'ps.législatif
a lutté contre ceHe odieuse corruption, les amis de la Répu-
blique ont mis en lui leur espérance, et se sont reposés, sur sa
fermeté, du soin de la défendre. Mais depuis le premier prai-
rial, quel est le citoyen qui, sans etre jacobin ni terroriste,
n'est frappé de crainte a l'aspect de cet esprit de vertige qui
semble précipiter une partie du conseil de Cinq-Cents dan s les
mesures les plus alarmantes, et les moins compatibles avec la
dúrée du gouvernement? »


2 Eschasseriaux, l'ainé, ft!/oniteur, an V, nO 299, page 1196,
col. b. : .. La philosophie nous a arrachés a des siecles d' esclavage:
non, elle ne périra paso Vous qui parlez sans cesse de la religion
de vos peres, non, vous lle DOUS ramenerez pas a d'ahsul'des
croyances, a d'ahsurdes préjugés, a lllle déliranfe superstition. lO


3 On en trou,,-c toutes les notices uans la déclaration du
directoire, le 16 messidor an V, dans celle de Willot, et dans
le discours de Camille-Jollrdan, etc. Monit. , p. 1174-1195."




382 HISTOJ RE DU XVJ I1e SIE:CLE.
miere constitution. Elles agirent done de leur
coté, enthousiasmerent les jeunes gens de leur
cercle, partous leurs noms historiques,au point
de faire adopter un collet noir comnle marque
de parti.;La mode, le désir d'appartenir aux élé-
gants du jour, le mécontentement qu'on sen-
tait contre les Terroristes sales, impudents et
rassasiés de carnage, assurerent la vogue de ces
collets. Le directoire ne crut point déroger a
sa dignité en y faisant attention; a un signal
du gouvernenlent, les porteurs de la marque
distinctive se virent grievement insultés par
les soldats et les patriotes: toutes les place s
publiques, surtont le Palaís-Royal, furent
journellement témoins de rixes sanglantes.


Long-temps avant,les troisdirecteurs avaient
retenu a Paris Augereau quí y vint déposer
les drapeaux que Bonaparte avait pris a Man-
tone, pour le mettre a la tete de I'armée de
l'intérieur. Ensuite, nul moyen ne leur avait
conté, pour brouiller le chef de l'armée d'lta-
líe avec la majorité des conseillers l. Celui-ci,


I La plupart des journaux étaient royalistes; ils dévoilaient
les projets de Bonaparte. Il est dit, dan s le Rédac,'eul' du
13 jlol'éal: «Apres avoir vu le général Augereau déposer entre
les mains du directoire exécutif les trophées de la prise de
Mantoue, il ne sera pas moins intéressant de voir arriver le
général Masséna qui doit apporter les préliminaires de la




LIVRE IV, CHAPITRE IV. 383
des qu' OH eut signé les préliminaires de Leo-
ben, avait lancé une proclamation contre Ve-
nise, pour etre en état de dédommager l'Em ...
pereur; cette proclamation était a peu pres
rédigée dans le meme ton qu'il prit plus tard
ponr déclarer que tel prince ou tel État avaient
cessé de régner ou d' exister 1.


La constitution de Genes étant renversée ,
une dérrlOcratie franc;aise avait remplacé l'an-
cienne aristocratie de l'ltalie.


Ces démarches de Bonaparte, ainsi que
l'acte arbitraire qu'il venait de se permettre,


paix, ratifiés par l'Empereur. L'intérét sera encore plus grand
lorsque Bonaparte rentrera en France, et que la conclusion
dé6nitive du traité de paix .et les circonstances permettront
au direc:foire de lui -accorder le congé qu'il réelame. Je de-
mande, dit-il, du repos, apres avoir justifié la cOllfiance du
gouvernement et acquis plus de gloire qu'il n'en fant pent-
etre pour etre heureux. La calomnie s'efforcera en vain de me
preter des íntentions pedides; ma carriere civile sera, comme
ma carriere mili/aire. conforme aux príncipes républicains. »


r _ V u les griefs ci-dessus, et autorisé par le titre XII, ar-
tiele 328 de la cOllstitution de la République, et vu l'urgence


I des circonstances, le général en chef requiert le ministre
de France pres la république de Venise de sortir de ladite
ville : ordonne aux différents agents de la république de Ve-
nise, dan s la Lombardie et dans la Terre-Ferme vénitienne,
de l'évacuer sous vingt-quatre heutes; ordonne aux différents·
généraux de division de traiter en ennemies les troupes de la
république de Venise, de faire abattre , dans la Terre-Ferme,
le lion de Saint-Marc. Chacun recevra, a l' ordre du jour de
demain, une instruction particulíere pour les opérations mili-
taires ultérietues. :.




· .


384 HISTOIRE nu XVIlle SIECLE.
en organisant la république Cisalpine, com-
posée des pays transpadans, de l'ancien Mila-
nais, de Mantou~ et de quelques parties du
Vénitien; en y nommant einq directeurs, en
fixant leurs appointements, et en mettant un
général fran<{ais a Ieur tete, donnerent Iieu a
de grands débats dans le Corps-Iégislatif. Du-
molard, royaliste eonstitutionnel , auparavant
luembre de l'assembIée législative, ami de La-
fayette et son défenseur lorsqu'on vot;tlut l'ac-
euser avant sa fuite, s'éleva tout particuliere-
ment eontre cette nouvelle puissance luilitaire.
Mais le direetoire s'inquiéta peude la résistanee,
sanetionna et justifia toutes les aetions de Bona-
parte, 'et Carnot meme, a son grand dépit, fut
obligé de signer eette pieee 1 , ce qui r~sserra
les nceuds du général et du gouvernemellt. Le
Conseil exéeutif et Bonaparte émirent a l'envi
des manifestes violents contre les eonseillers
eonstituants. La fete dll ) ti juillet fournit le
prétexte auN. plus vives déclamations des di-


1 MOfliteur, an V, nO 301, Paris, le 30 messidor: " Le di-
l'ectoire exécutif au général en chef Bonaparte : Le d.irectoire
exécutif a pensé, citoyen général, qu'il devait aux importants
services que vous avez rendus a la Répu11ique depuis votre
entree en Italie, de vous en manifester hautement sa satisfac-
tion. Il vous déclare, en conséquence, qu'il approuve pleine-
ment la conduite politique et militaire que vous avez tenue,
notamment a l'égard de Venise et oe Genes. •




LIVIlE IV, CHAPITRE 1 v. 385
tecteurs I, et. a une espece de déclaration de
guerre de la part de l' armée d'ltalie 2.


Le directoire tendait des-Iors a vider le dif-
férent les armes a la nlain, et le général Hoche,
avec une partie de l'armée de Sambre-et-
Meuse; en devait etre l'instrument. Hoche se
trouvait alors avec ses troupes dans le creur de
l' Alle'magne 3; car Moreau et lui venaient de pas-


I Cet acte est con~u dans le ton le plus mordant. Il y est
dit : fl Mais que peuvellt ces efforts cO,nvulsifs contre la volonté
nationale, qui demande un terme a la révolution? En vain
l'allíance est faite entre l'anarchie et le despotisme, entre la
fureur etl'hypocrisie, entre Louis'XVIlI et l'ombre de Ma-
rat, pour anéantir le pacte social de 95; ils ne réussiront
pas plus a le détruire par une explosion subite qu'a exécuter
le projet de le démolir píece a píece ...


2 Bonaparte harangue aínsi~' troupes: « Soldats, je sais
que vous etes profondément affectés des maux qui rnenacent
la patrie; mais la patrie ne peut courir des dangers réels. Les
memes hommes qui l'ont fait triompher de l'Europe coalisée
50nt la. Des montagnes nous séparent de la France, vous les
franchiriez avec la rapidité de l'aigle, s'ille falIait; pour main-
tenir la constitution et les républicains. Soldats, le gouver-
nement veille sur le dépot des lois qui lui est cO:t;l.fié. Les
royaUstes, des l'instant qu'ils se montreront, auront vécu.
Soyez san s inquiétude, et jurons , par les manes des héros
qui sont morts a coté de nous pour la liberté, jurons, sur nos
nouveaux drapeaux, guerre implacable aux ennemís de la Ré-
publique et de la constitution. "


3 Dans le M¿mor;al de Sainte-Hélene, tome III, page :37 5 ;
M. le comte de Las Cases fait dire a Bonaparte ; '" Hoche cher-
chait toujours a se faire un partí et n'obtenait que des créa-
tures; moi, je m'étais créé une imrnensité de partísans sans
recherchel' nuUement la popularité. De plus, Hoche était d'une
ambition hostile, provoquante; il était homme a venir de


H. IJ.




386 HlSTOl1\,E DU XVIllC SlECL.E.
ser le Rhin pour épuiser le pays, au moment
ou Bonaparte entrait dans l'intérieur des États
d'Autriche. Avant de se rendre a son poste,
Hoche avait imposé des contributions immen-
ses au district de l' Allemagne , qui s' étend de
Dusseldorf jusqu'au Mein, et iJ les faisait per-
cevoir avec une sévérité inexorable. Il quitta
le quartier-gén éral , pos té alors a Friedberg
dans la Vetteravie, le 31 mai; arri vé a Paris, il
prit desmesures conjointement avec les.diree:-
teurs, donna les ordres nécessaires a ses offi-
ciers, et consentit a se charger du ministere
de la guerreo


Hoche conduisit l'affaire sur un pied mili-
taire l. Le ministt~re entier fut obligé de céder ,
et l'armée de Samhre - et - Meuse seule fut


Strasbourg, avec vingt. cinq mille hommes, saisir le gouver-
nement par force, tandis que moi je n'avais jamais en qu'une
politique patiente, condoite toujours par l'esprit do temps et
les cireonstances dn moment. »


1 Réponse de Carnol, page 162 : • J' avais sauvé la vie a
Hoche avec beaueoup· de peine du temps de Robespierre;
je l'avais fait mettre en liberté immédiatement apres le 9 ther-
midor, et j'avais fait réunir les trois armées de rOuest en une
seule ,pour lui en donner le cornmandemcnt; paree que je
De voyais que lui qui put terminer la guerre de la Vendée et
rles Chouans. JI savait cela, et iI paraissait se reprocher son
iDjustice envers moí, et sa faiblesse pour le partí dans lequel
iI se Iaissait entrainer. Il me donnait ¡\ entendre qu'il y étnit
retenu comtne malgl'é lui par des femmes: il est certaiD qll'elles
ont joué un role tres-actif dans la révolution de fructidor .•




LIVRE IV, CHA.PITRE IV. 387
investie du pouvoir d'opirer la nouveHe ré-
volution.


Laphilosophiede Talleyrand, qui luí fit voir
10rs de l'assemblée constituante que le plus
prudent n'avait qu'a s'attaeber aux novateurs,
lui -app.rit alors que le direetoire lui présen-
tait le plus grand avantage, comme plus tard
Bonapal'te; et, lorsqu'il reoonllut que eelui-ci
avait joué son role, les Bourbons obtinrent
ses suffmges. Il eut done le ministere des af-
faires étraDgeres avec l'assentiment des deux
partis, puisque l'un espérait heaucoup delui,
et que l'autre savait ce qu'il devait en at-
tendre.


Cochon était tropéfroitement lié avait Car-
not, et s'était montré, dans les derniers temps,
trop favorable aux royalistes pour garder le
Ininistere de la poliee 1.. On l'éloigna, et
Hoche fut nornmé ministre de la guerreo Mer-
lin seul oonserva la justice; Fran~ois-de-Neuf­
chateas rempla<;a bientot apres Bénézech dans
le miuistere de 'l'intérieur. '


Boche, jeune , vif et ardent, voulut , meme
avant d'etre reconnu ministre, déraciner La
royauté , la baionnette a la main, ,et conserver


y Lenoir-Laroche 5uccéda a Cochon dans le ministere de
la police; mais il De Testa que peu de jours en Sl'ctivíté.


, 25.




388 HISTOIRE DU XVIIle SIECLE.
l'anarchie : iI 6t done avancer pIusieurs de ses
régirnents. Le district de douze lieues de poste,
dans lequel le directoire ne put faire entrer
de troupes nileur donner de logement, sans
l'approbation des conseillers, fut franchi.
Quatre régiments se lTIOntrerent a onze lieues
de Paris, a la Ferté-AIlais, et d'autres troupes
de l'armée de' Sambre-et-Meuse entrerent a
Soissons.


Carnot et rancien ministre de la guerre
encore en place, n'en savaient rien; on se
plaignit formellement au Corps-Iégislatif de ce
que la constitution avait été violée. 00: fut
jusqu'a demander si Hoche avait l'age con-
stitutionnel pour etre ministre. I.Jes trois di-
recteurs se montrerent craintifs; ayant l'air
d'ignorer la marche des troupes, ils' s' excuse-
rent et 6rent tomber toute la faute sur Hoche.
Celui-ci, irrité de cette lacheté, se livra aux
derniers emportements, et refusa'le ministere.
Scherer.fut nommé ministre de la guerre, et
Hoche partít pour l'armée. Quoique les trois
directeurs fussent en mésintelligence avec lui,
ils ne suivirent pas moins les memes plans
dans le commencement. De nouvelles troupes
se mirent en marche et Hoche vint a Reims;
mais l'inquiétude et l'indécision du directoire




LIVRE tv, CHAPITRE IV. 389
rindisposérent enfin sérieusement. Il voulait·
agir ouverternent; le directoire eut recours a
la ruse, c'est, ce ·qui acheva leur désunion.
Hoche retourna a l'armée, et les directeurs
chercherent a arriver a leur but par d'autres
moyens; ils les trouverent en partie dan s les
patriotes qui, ici comme dans tout autre
bouleversement, affluaient a Paris, et présen-
taient l'attitude la plus mena<;ante a Ieurs ad-
versaires 1, et en partie dans le grand nombre
de troupes postées aux environs de Paris. lIs.
comptaient eu outre sur le secours de l'ar ...
mée d'ltaIie et sur Augereau qu'on avait re ...
tenu dans cette vue.


Carnot etBarthélemy avaient, il est vrai,
protesté contre toutes ces démarches de la '
majorité du directoire. lIs avaient fait enregis-
trer Ieur protestation dans le protocole des
actes directoriaux; mais les triumvirs sen-


1 Boissy-d'Anglas dit : u Il y a quillze jours, on distribuait
des armes, et le ministre le savait; iI est destitué. On fabrÍ-
quait des lances capab'les de résister a la canlerie : le ministre
le savait, et il est renvoyé! Une foule de brigands étrangers
affluent a Paris; le ministre le savait, les surve.illait, il Ieur
donnait la chasse, et il est renvoyé. Vous avez chaque jou!' la
preuve de la présence. a Paris des principaux agents de la ter-
reur; faites-vous un pas a París sans étre effrayé de l'appari-
tíon d'un assassin révolutionnaire? n'avez-vous pas vu Four-
'llier l' Américain, qui commundait le massacre des prisons
d'Orléans? n'avez -v01}S pas vu Léonard Bourdon, et tant
d'autres? Que -firt-ils a Paris? "




390 HISTOIRH DU XVIU C SIECLE.
taient trop Ieur supériorité sur leurs adver ...
saires, composés des restes de la Gironde , des
constitutionnels et ultra-royalistes.


Laréaction des conseillers constituants était
lente et pusiHanime. Les généraux Pichegrll
et WiHot furent adjoints aux inspecreurs de
la sane; on interdit les clubs des Jacobins, on
proposa une nouvelle organisation des gardes
nationales. C'étaient au moins des précautions
qui pouvaient etre utiles; lnais Ij lieu de dé-
clarer la patrie en danger, au lieu de proscrire
les trois directeurs, le Corps-Iégislatif com-
menc;a une enquete puérile, pour savoir si
Barras, a son entrée au directoire, avait J'age
de quarante ans, Dxé par la loi l. Lorsqu'on
aurait dú faire agir la garde nationale, on se
borna a faire marquer la distance de douze
licues, que les troupes ne devaient point fran-
chir, par des pO,teaux , et on y 6t graver la pu-


I Notre jugement est ici parfaitement en harmonie avee ce-
lnide Tallien; et quelque fallacieuse que soit sa proposition
du 6 thermidor, il a cependant raison lorsqu'il dit: .. Pour-
qlloi, 3n lieu de déc1amations aussi stériles que lH1isihles, ne
pas dénoncer h~utement, légalement le direetoir~, et ne pas
remplacer les accusés par des magistrats plus dignes de la
confiance du'peuple fran~ais? La Constitution ne conuait que
ceHe marche généreuse, ~lutaire; et tant que j'y venal sub-
stituer des sarcasmes, des personnalités toujours dangereus~s,
et pOUI' le parti qui atta que , et pour celui qui se défend,
certes, il me sera alors permis de reconnaitre les pass ion s ell-
tourées de leurs armes meurtrieres. »




LI VRE IV, CHA.PIT RE IV. 391
nition infligée par la loi aux généraux qui dé-
passeraient cette limite. Quels impuissants
moyens con tre,des hommes qui pouvaient énon-
cer leurs opinions dans le journal de'Poultier,


, collegue de Pichegru 1 ! Les trois directeurs ob-
serverent une toute autre marche. Hatry, jus-
qu'alors général de l'intérieur, était trop étroi-
tement lié avec Hoche pour etre employé sans
lui. N ommé inspecteur-général de l'infanterie
de l'armée de Sambre-et-Meuse, Augereau lui
succéda dans la place qu'il venait de quitter.
Le role qu'on donna a ce dernier, s'accordait
parfaitement a"ec son caractere. Ambitieux,
jntrépide, sans le moindre crédit politique,
et sans talents pour aspirer a une dictature,
dans les relations les plus intimes avec Bona-
parte et l'armée d'Italie, il surpassait Pichegru
et Willot en force COlnme en hardiesse. A
peine A ug@teau fut-il général dans l'intérieur,
que les divisions de l'armée d'ltalie l'assailli-
rent d'adresses, tOlltes dans un style mena-
<;ant, toutes publiées par les trois directeurs
dans leur feuille officielle.' Il re<;llt d'abord


,


1 Poultier rédigeal' Ami deslois.- Leclercdes rO.5geJ s'écrie,
dans cette feuille : u O thermidor, ton soleil nous quittera-t-il
sans avoir éclairé le supplice de nos !yrans L.. Ces pr~tres ,
ces soi-(1isant législateurs, ces émigrés, ces égorgeurs, ces mi-
nistres royaux, ce directeur ivre de sang, etc. »




39~ HISTOIRF. DU XVlIIo SIECLE.
cel1e de la premiere division qu'avait com-
mandée Masséna, vint ensuite la deuxieme
qui avait été sous les ordres d'Augereau, la
troisieme sous Bernadotte, la quatrieme son s
Serrurier, bientot toutes les autres divisions ,
et Berthier a la h~te de l'état-major. Bonaparte,
quelque irrité qu'il fút contre les chefs du partí
opposé 1, ne se déclara pas ouvertement dans
l'espoir de s'approprier les avantages que le
direetoire s'était préparés pour lui-meme. Au
contraire jusqu'au derniermoment ilabusa Car-
not, par sa conduite astucieuse et par ses assu-
ranees d'amitié 2. Le eommandant, de la ville
de París, Dartubi~, ainsi que le généraI en chef
de l' artiUerie Chanez, eurent Ieur démission 3,


1 On lit, dans toutes ces adresses : .. Tl'emblez, vos iniqui-
tés sont comptées, ~t le prix en est au hout de nos baion-
nettes. Remarquez qu'une partie des 80ldats ~esse ces pa-
roles au Corps-Iégislatif de toute la nation. " Ioniteur, an V,
nOs 325-26.


2 Dumolard, qui bIama tous les actes de violence contre
G~nes et Venise, entra, apres le 18 brumaire, au Corps-Iégis-
latif; mais Bonaparte ne le nomma jamais chevaIier d'hon-
neur, queIs que fussent les services qu'il rendit au comite de
finan ces. Aubry ne put obteni~ qu'on le rappelat de son exil,
comme on l'avait fait a l'égard des autres victimes du 18 fruc-
tidor. Nous aVOllS parlé plus ,haut de la haine de Bonaparte
contre WilIot et Pichegru. Au conseil des Cinq - Cents, Talot
)'eproche, avec beaucoup de finesse et d'amertume, a Aubry,
le 21 thermidor, d'avoir l'évor¡ué Bonaparte et Masséua de leurl
¡onetions.


3 Répol/se de Camol, page 176: " Quelqne temps apres, et




LJ VRE 1 V, eH AP ITRE IV. 393
et deux généraux de l'arméed'ltalie furent nom-
més a leur place. On éloigna ensuite Malo qui
avait déjoué lesattaques des patriotes sur les
troupes campées dans la plaine de Grenelle, et
l'entreprise insensée de l'abbé Brotier et de ses
amis royalistes. COlllme on ·ne pouvait ni cor-
rompre ni éloigner Ramel, commandant de
la garde du Corps-Iégislatif, on gagna les offi-
ciers et les soldats séparément l. Depuis long-
temps tout était pret pour porter un coup dé-
cisif; mais Carnot, qui pendant trois nlois
présidait l/e directoire, en empecha l'explo-


c'était, je erois, six jours avant le 18 fruetidor, Lavalette
vient, et me dit: Vous devez ftre bien rassuré sur les nuages
que vous avez cru s'etre élevés dans l'esprit de Bonaparte a
votre égard. 11 m'annonce qu'il vient de vous éerire, par le
meme courrier, que vous pouviez compter sur toute son es-
time et toute son affeetion; qu'il voyait les événements poli-
tiques absolument de la meme maniere que vous. Je marquai
a Lavalette toute ma sensibilité; mais, lui dis-je, la lettre ne
m'a point été remise. »


1 En lisant le jugement que l'aristocrate Barruel-Beauvert
porte sur les deux hommes poursuivis comme complices des
eonspirations royalistes, par le directoire, on reconnaitra
combien il y avait peu d'amitié parmi les adversaires du direc-
toire. Barruel-Beauvert, tome 1, page 330, dit : .. La conspi-
ratian de MM. de Lavilheurnois, ex-maitre des requetes,
l'abbé Brotier, Duverne-Depresle et un certain Orléaniste,
nommé Prosny, avait étédénoncée par Malo, ci-devant frere-
lai des Cordeliers et apostat, mais devenu général , et par le
nommé Ramel, ancien laquais, chef de la garde du directoire
( il veut dire Corps-législatif). Je plaidai chaudement, dans ma
feuille périodique, en faveur des royalistes. Tout le monde
eriait, mais en vain : Lihera nos a malo. ,.




394 HISTOIRE DU XVlIl e SIE:CLE.
sion. Apres lni, la présidence aurait dñ passer
a Barthélemy, comme directeur nouvellement
re~u, mais on l' obligea, le 7 fructidor, de
céder la place a Reveillere - Lepeaux. Alors
Bernadotte reviut de l'armée d'Italie, sous
prétexte de présenter quelques drapeaux ou-
bIiés 1; mais, a proprement parler, pour faire
élever, dans le discoul's qu'il adressa anx di-
recteurs, et dans la réponse du directoire
tons deux imprimés, les plus grandes in-
vectives contre Pichegru et Willot, ainsi que
contre tous leurs partisans dans les cham-
bres. \Ces deux discours furent prononcés
ave e une énergie digne de l'ancien telnps du
Jacobinisme~. Au moment ou les hostilités


1 C' est ee que Bonaparte mande au directoil'e.
2 Le gopvernement rougit si peu de ee ton, que le diree-


toire publia offieiellement une eonversation dudirecteur-pré-
sident avee le ~hef de division Malo. Ce del'nier se plaint
d'avoil' été destitué; les raisons alléguées par le directeur ne
le contentent pas; iI menaee , met la main a son épée-, et dit:
.. Un pareil triumvirat ..• ! son l'egne ne tardera pas a finir ...


Le gouve~nement doit y avoil' l'épondu, a ce que la· pre-
:.niere personne de l'État l'apporte: « Allez dire a tous ceux
qui vous ressembleut, et qui veulent renve.fsel' la République,
allez dire surtout el vos génél'aux, et vous savez oe qui je
veux parler, que je me f. . d'eux. " Jlloniteur, an V, nO 343,
page 1371, il répond ainsi a Bernadotte : " Bl'ave général, e'est
en vain que les ét~rnels ennemis de la liberté fran~aise redou-
blellt d'efforts poul' la rellverser, e'est en vain que, ponl' les
seconder, des li\ches déserteurs de la cause républicaine ont,
par un pacte honteux I vendu .l'étranger et a la race des
Bourbons et leur honneur et leuI' patrie, que chaque jour Jetll's




LIVRE IV, CHAPITRE IV. 395
allaient éclater, 101'sque les trois directeurs, de
concert avee Marbot, Roger-Dumas, Poultier
et autres, au eonseil des Anciens; avec Pou-
lain - Grandpré, Boulay, Chazal, Villers,
Sieyes au conseil des Cinq-Cents, résolurent,
dans la nuit du ] 7 au 18 fructidor , de purger
le Corps-Iégislatif él leur maniere; les coalisés
lnontrerent la plus grande faiblesse. Tont le
lnonde savait que des soldats de Vincennes
et de Mendon étaient entrés él Paris; des es-
pions en informerent les inspecteurs de la
salle, rássernblés par Pichegru et Willot. On
convoqua les conseillers, mais on lalssa a Au-
gereau assez de temps pour occuper les por-
tes avant que les députés fussent tous pré-
sents. Le parti contraire s'était en attendant
constitué a l'école de médecine, eomme con-
seil des Anciens, et comme conseil des Cinq-
Cents au théfltre Fr3n~ais. Augereau lit cerner
de "troupes les Tuileries, ou les Cinq-Cerits te-
uaient leurs séances, et le Palais Eourbon ou
siégeait le conseil des AIiciens. Il occupa les
bords de la Seine, depuis le Pont-:au-Change
jusqu'au pont Louis XVI, 6t braquer des ca·,
mains criminelles _sapent l'édince de nos lois, et que leur
bonche impure essaie de ternir l' éclat des plus bcal1x.,., des plus
étol'mants, des plus nobles, des plns touchants résultats de la
forme du gouvernement et du triomphe de nos armées. lO




396 HISTo.IRE DU XVIllC SIECLE.
no.ns parto.ut, et se chargea lui-meme de la tache
la plus difficile. Ce fut Augereau qui entraina
les grenadicrs du Co.rps-Iégislatif, qui élo.igna
leur chef Ramel, en ldi arrachant ses épau-
lettes, et qui ,acco.mpagné de so.Idats, péné-
tra dans la salle de co.nférence, o.ú iI arreta
Pichegru avec les illspecteurs de la salle l.


Tous les députés, désignés par les tro.is di-
recteurs, se cacherent o.U furent arretés; d'au-
tres qui se précipitaient dans leur salle d'as-
semblée, re~urent l'o.rdre de se rendre dans
l'endroit o.u les membres attachés aux tro.is
directeurs s'étaient réunis depuis long-temps.
Le conseil des Cinq-Cents au th~atre fran-
~ais s'inquiéta fort peu de ne point siéger
dans un lieu co.nwmable, de ne pas etre' en
nombre co.mpétent, et de n'avo.ir pas co.m-
meneé légalement les débats. Il ne chereha
meme pas a co.nfirmer suffisamment, o.u seu-
len1ent a fixer en quelque so.rte l'accusatio.n
co.ntre tant de perso.nnages aussi respectables.


J Les détails du 18 fructidor se trouvent mieux présentés
Jans Beaulieu, Essais historiques sur la ré"olution fram¡aise,
tome VI, pages 350-418, que dans Toulongeon t tome VI •
pages 200 - 227, quoique tous ¡les deux écrivissent sous le
regne de Bonaparte.


Beaulieu entre aussi dans les motifs qui déciderent le direc-,
toire de t~ire déporter les hommes de principes les plus op-
posés, comme Cochon, Vaublanc, Boissy-d'Anglas, etc.




Ll VRE 1 V, CHAPITRE IV. 397
Le collége passa par dessus toutes ces consí-
dérations. Il porta les décrets que lui demandai t
l'avide et tout a la fois prodigue triumvirat.
De meme que le conseil des Anciens s'était
prere lentement et apres beaucoup de rési-
stance aux démarches violentes du conseil des
Cinq-Cents contre la révolutioIl et ses héros,
de meme il voulait alors lui opposer des res-
trictions 1 ; mais il manquait de toutes les res'"
sources qu'il fallait pour donner du poids
a ses refus. Lorsque. les conseillers avaient
pu consentir a ce que le directoire appe-
lat dans la ville autant de troupes qu'il
voudrait, l' orsqu'un homme comme Auge-
reau était á leut' tete, quels résultats pou-
vaient avoir les délibérations et les mesures
des conseillers pacifiques. La premiere suite
de la victoire des triumvirs fut le renvoi de
leurs deux collt~gues. On déporta Barthélerny,
et Carnot n'évita l,e meme sort qu'en se ca ..
chant. On suspendit ensuite l'administration
centrale du départelnent de la Seine et les
douze mairies de la ville de Paris; le seul bu-


T Du conseil des Anciens, ou déporta Batbé-Marbois, Ma-
thieu-Dumas, Ferrand-Vailland, Lafond-Ladebat, Laumont,
Muraire, Paradis , Murinais, Portalis, Rovere, Tronr,¡on-Du-
coudray; les autres, quarante - un déportés étaient tous du
conseiÍ des Cinq-Cents.




398 HlSTOJR E DU X VIIle Sd:CL.E •.
reau central de la police demeura en activité [.
Cinquante-troisdes députés proscrits devaient
etre déportés , ainsi qu'un grand nombre d'au-
tres persolll~es de partis tout-a-fait différents
et souvent opposés. On proscrivit aussi les
gazettes et leurs l'édacteurs; quaran te .. trois
journaux et feuilles périodiques furent décla ..
rés contre-révolutionnaires. On arreta vingt-
deux folliculaires, ponr qu'ils défendisscll t
leurs opinions d-evant le tribunal, et QD hu-
milia toute la nation, en déclarant nuBes
les é]ections de quarante-huit départements.
On devait faire la recherche des émigrés re-
venus dans leur patrie, pour les poursuivre,
etopprimer de nouveau le clergé; on devai t
'arreter le culte religieux des chrétiens et dé-


I Richer-Serizy au ¿il'ectoire, Rouen , floréal an VI, p. 41 :
" Apres les comités revolutionnatres et les commissions mili-
taires, un des actes les plus monstrueux du despotisme dans
eette révolution ,est l'établissement des Dureaux centraux sur
toos les points de la France; les hommes qui les oomposent,
la plupart des petits Busiris a livrée, joigllent au plus lourd,
comme au plus effroyable brigandage , le plus odieux despo-
tisme, d'autant plus intolérahle, qu'il l1'est exercé que par
des b~tes féroces. Le pouvoir des ad'millistrations municipales,
départementales , de la constitution méme, est nul devant
le pou'Voir de ces petits tyranneaux ; j'ai entre les mains plu-
sieurs arrétés de ces bureaux centrlll1X; je les rendrai bientOt
publics: ce sont des monuments de stupidité , de démence,
J'immoralité, de servitude et d'ignorance. O !m,inte liberté! tu
ue de8cendras jamais parmi nous! )j




LI V R"~ 1 V, CHAPITRE 1 v. 399
por ter les membl'es de la famille des Bour-
bonsqui, échappésau Terrorisme,demeuraient
en France l. Le triumvirat sangúinaire de la
constitution de 1793 respecta done encore
plus la ver tu de la noble veuve du duc d'Or-
léans, que le triurnvil'at de ] 795. Une COln-
rnission de cinq, présidée par Sieyes, adressa
trente-neufordonnanees, toutesfaites auCorps-
législatif. On les décréta en masse le soir du
18 fructidor, presque tOlltes mirent entrave
a la liberté; la plupart, surtout les condamna-
tions, étaient cruelles et injustes 2. Envain quel-
ques membres modérés, observaien t qu' 011


I Le prinee de Con ti ~ les duehesses de Bourbon et d'Or-
léans.


2 Au conseil des Aneiens, (;¡rod-Puzot dit : .. La commis-
sion n'a pu se proeurer les pieees originales qui servent de
preuves contre les eonspirateurs; elle n'en a re<,¡u d'autres que
eeHes qui vous ont été lues leÍ.. .. La commission a pensé que,
pour prononcer sur l'une et l'autre de ces dispositions (la dé-
portation des hommes désignés eomme royalistes et l'abolition
de tont ee qui avait été fait dans les quarante-hnit assemblées
électorales), iI fallait avoir des connaissances des lieQ.x et des
personnes, que ces membres ne possedent paso JI •


Lecoulleux, qui prend apres lui la parole, s'exprime en-
core dtune maniere plulI positive : • On sollieite notre opio¡on
sur les individus que ron propose de déporter. Il me semble
que pour que nous puissions nous en former une, i-1 faut
examiner s'iJ y a des pieces, et j'avoue que je n'el'1 vois 31lCUne
qui puisse faire comprendre heaucoup de ces individus dan!'
la mesure de déportation. Devrons-nous leur infliger cette
peine a cause des opinions que nous Ieur avons entendu
émettl'e? Mais la déportation est une peine terrihle. "




400 HISTOIRE DU XVIJle SIECLE.


ne reprochait a plusieurs accusés que Ieur
opinion et non des crimes; que 1'0rléanisme
.des uns ainsi que le royalisme des autres, et
meme celui de Pichegru n'étaient conflrmés
que par des actes surannés. lIs ne purent ni
empecher, ni arreter la marche de la violence.
On recourut encore a toute la tactique des
Jacobins, et Tallien, au conseil des Cinq-Cents,
prit le détour qui lui était si farnilier, avant
que madame Cabarrus-Fontenay l'eut co.n-
verti r.


Au reste, la sentence de déportation ne fut
exécutée que con tre Barthélemy, Barbé-Mar-
bois, Pichegru, Willot, Ramel, Delarue, Ro-
vere, Bourdon, Lafond-Ladebat, Murinais,
Tronc;on-Ducoudray, Aubry, Dossonville, La-
vilheurnois, Letellier, Brotier. Les autres se
sauverent facilement, puisque toute la France
leur offrait un asile, et que plus tard OH con}-
mua la peine contre une détention libre dans


I Tallien dít : « On a faít la proposítion de faÍre de cette
résolution (c' est - a'· di re de ces trente-neuf theses affreuses.
dont chacune est une loi importante; et dans lesquelles on
traite les choses les plus hétérogenes) des résolutions particu-
lieres : .le m'y oppose. Si vous laissez a l'opinioll, le temps de
divaguer et de s'éloigner du but, la tranquillité publique peut
étre compl'omise, et·vous seriez vous-memes responsables des
événements. Je demande que la résolution soit a l'illstant
envoyée au conseil des Anciens. Jean Dehr.r. - J'appuie la
proposition. JO




LIVRE IV, eH APITR]~ IV. 401
l'He d'Oleron, pour tous les autres, a l'excep-
tion d'Ayrné, Gilbert, Desrnoulieres et Perlet.
On avait eu la prudence de ne point employer
les horribles patrio tes , cal' on avait assez des
soldats. Lorsqu'on considere que, par suite ,de
l'entreprise du 18 fructidor, le jacobin lVIerlin
de Doua, remplac;a Carnot qui avait dirigé
toutes les guerres de la révolution, préparé
toutes les victoires; lorsqu' on observe ensuite
que le versificateur Fran~ois-de-Neufchateau
'déposséda: le sage et l' expérimenté politiqne
Barthélerny, on reconnalt facilement que, par
cette révolution, et par ces deux hornmes, pro ..
pres plutot a toute autre chosequ'a gouver-
ner un royaume ,on n'avait rien gagllé, mais
beallcoup perdu. Cela n'épuisait pas encare
tout le mal de la France, dont les baionnettes
étaient dans les mains de grands prodigues,
d'administrateurs ineptes, de régents méprisa·
bIes 'et méprisés 1, de Iégislat~urs impi~s et
vaniteux, de généraux durs et farouches. Qui
aurait pu sauver l'État d'entre leurs mains?
quel autre que cet honune, qui aux talents


t Réponse de Ca I'IlO t , page 200: .. Rewbell était coJistam~
menl le patron de gens accusés de vol et de dilapidatioDS;
Banas celui des nobles tarés et des pourfendeurs; Reveillere
celui des pr~tres scandaleux ••


H. n.




4o~ HISTOIRE DU XVIII6 Sd:CLE.
et a11 caractere de Danton réunissait la finesse
et l'astuce de Fouché 1, qui, comme poli tique
et soldat, alliait a la science et a l'expérience
de Carnot, le génie qui eré e , I'audace qui
exécute, la vio]ence qui détruit, pille et
ravage, et enfin cette qualité plus étonnante
que toutes les autres, cette intelligence
forte, eette sagesse hardie et mesurée, qui
n~agit jamais qu'a propos' 'et rétablit tout
commepar enchantement?Quel autre que cet
homme devant qui tous les Franc;ais se pros-
ternerent comme devant leor idole, cet
hQmme qui avaít a sesordres Augereau' et
l"armée' d'ltalie, , cet homme que déifient en-
, ¡ 1 Ceux qui mettent Bonaparié, stt'r la foi de'Chaboulon et
de Las Cases t au rang des dieux, liront avec plaisir ·le passage
suivant, oú Bonaparte, meme avant son élévation, énon4ia
des 'idées (''llcore plus généreuses qu'apres sa chute a Sainte·
Hélene.


Il dit, dans la Correspondance inédite, tome VII, p. 286,
,a l'occasion de la paix de Campo.Formio : .. Je crois avoir faít
ce quechaque ~embredu directoire eut fail. a ma place. J'ai
mérité, par mes services, l'approbation du gouvernement et
de la nation; j'ai re4ill des marques réitérées de son estime.
n ne me reste plus que de rentrer dans la foule, reprendre
le soc de Cincinnatus, et de donner l' exemple du respect pour
lefmagistrats et de l'aversion pour le régime militaire, qui a
détruit tant de républiques et perdu plusieurs États ... Cette re-
marque nous est insinuée par la considération dont jouissent
en Allemagne les productions de Chaboulon, de Las Cases, et
l'écrit de la faction, pub lié par l'organe d'Omeara. Quant a la
critique de' ce dernier ouvrage, voyez Qual'fBI'ly-Review, 1823,
february, nO 60, p. 219.




LIVRE IY, CHA.PITRE IV. 403
eo.re aujo~rd'hui ,~eux qui s,e lai~~ent éblouir
par l' éclat brillant des qualités extérieures"
paree que la nature Ieur a refusé le 4o~d~
reeonnaltre et de priser la, grandeur, d'une
vertu paisible et d'une arne vraiment reli-
gieuse I?


Il faut done avouer, que la providenee a en-
voyé Bonaparte dans 'la France ;sauveur d'un
parti de¡ pygmées et d' égoistes ,ila été pour
d'autres l'ange du jugement, pour son glorieux
mais infortuné siecle, le restaurateur de l'or;.
dre, le réformateur de tous les pays , qui sem-
blaient n'attendre qu'une révolution.


1 Réponse de Camot, page 144 : • Le directoire, au lien
d'employer les haionnettes, aurait du demander l'expulsion
des quinze ou seize roya listes au Corps-Iégislatif; cet acte eut
été incontestahlement adopté par la grande majorité des COll-
seils, par tous ceux au moios que le 'directoire a jugés dignes
d'y res ter le 18 fructidor. Des-lors il n'y avait plus de disso-
lution du Corps-législatif; ce n'était plus le dírectoire qui opé-
rait, qui écartait de son autorité privée, par les canons et les
baionnettes, ceux qui lui déplaisaient. JI


Page 146." Alors il n'y avait pas besoin de faire faire des
adres ses par l'armée d'Italie; iI n'y avait pas hesoin de faire
cerner Paris par l'armée de Sambre-et-Meuse ; il n'y avait pas
besoin d'óter le commandement de la dix-septieme division
( armée de l'intérieur) au brave Hatry ,pour ]a mettre entre
les majns d'un brigand. Quand 011 11'a que des vues droites,
on n'a besoin que d'instruments purs. " I


On lit, page 1;66: CI Rewhelllui-meme, en voyant Augereau
cntrer la premiere foís a París, pour déposer les soixante dra-
peaux remportés par l'armée d'Italie, s'écrie : Il a bien l'air
d'un factieux, quel ner brigand! •




404 HISTOIR.E DU XVIlle SIECLE.
Il avait déja lui-meme tellement reconnu


eette destination, que l'empreinte de ce senti-
lnent semanifesta dans toute sa conduite lors
de son retour a Paris l.


1 M. Schlosse~ interrompt ici le cours de sa narration, sans
aller précisément jusqu'a la fin du siecle; car il se propose, ir
ce que nous pouvons assurer ave e quelque certitude, d'écrire
en outre l'histoire de Bonaparte , et de rapporter tous les évé-
nements qui, depuis la chute du directoire jusqu' a la restau-
ration ,ont consolidé au dix-neuvieme siecle les institutíons
de la révolution fran«taise, anéanti le regue du pouvoir arbi-
traire, et donné a la France et a quelques autres pays une eer-
mille garantíe co~tre ~es prétentions despotiquei des ministres,


(Note du traducteur.)


fIN DU iEOONDET DEI\NIER VOLUME.




T ABLE DES MA TIERES
CONTENUES DAl'fS CE VOLUME.


LIVRE QUATRIEME.
R:iVOLUTIOlf PIU.N~USE.


CHAPITRE PREMIER.


Aper~u de l'histoire de France depuis la guerre de sept ans
jusqu'en 1787.


l. Fin dll regue de Louis XV. Page 3
n. Commencement -cln regne d4! Lopis·XVI. 15


." . CHAPITR~ tlEU.XIEME.
. . .


.. . t', • l. Depuis la cOIlvocation efes n.ot~eS'·.en 178í, jusqu'au
nouveau ministere de Necker ep septemb.re Í7SB. 24


n. Depuis la rentrée de Ne~ke .... a~l ministhe, jusqu'au 20
juin 1789.. 35


.. - ,


CHAPITRE TRG·l~IEME.
Du 23 juin 1789 jusqu'a l'organisation de la Répuhlique.


l. Du 23 juin J 789 jUl!lqu'lt la fuite du roi. 56
U. Depuis la fuite du roi jusqu'a l'organisation de la Répuhli-


que. 103


CHAPITRE QUATRIEME.
Depuis la suspension du roi jusqu'au 18 fructidor.


I. Depuis le II aout 1792 jusqu'au 31 mai 1793. 146




406 TABLE DES MATIERES.
n. Depuis le 31 mai 1793 jusqu'au 27 juillet 1794.-His-


toÍre de l'iIitérieur. - Marche de la guerreo Page 198
111. Depuis le 27 juillet 1794 jusqu'au 27 octobre 1795.


- Histoire de l'intérieur. - Marche de la guerreo 255
IV. Du 27 octobre 1795 jusqu'au 4 septembre 1797.-Évé-


nements de la guerre et rapports extérieurs. - Factions
et mouvements intérieurs. 309


PI. D.R L ... T A B L B,


, PARI&, IlllPRIMaRIK na GAULTl&R-LAGUIOlUa, IIÓ1'aL n¡¡s FaRlIlEI.