ORGANISATION DE LA LIBERTE D'ENSEIGNEMENT DANS LES LIMITES DE L'INSTRUCTION...
}

ORGANISATION
DE LA


LIBERTE D'ENSEIGNEMENT
DANS LES LIMITES


DE L'INSTRUCTION SECONDAIRE.


PREMIE:RE PAIITIE :


DE LA SUR VEILLANCE
DEUXIEME PARTlE :


DE LA CAPACITÉ D'ENSEIGNER
TROISIEME PARTlE :


DU CERTIFICAT D'APl'ITUDE.


(E:drait du CORRZSP01lfDAKT.)


PARIS
LIBRAIRIE DE SAGNIER ET BRAY, ÉDITEURS~


RUE DES SAINTS-PERES, 64.
1841




" PAlm. - TYPOGIlAPBIE D'A. RENÉ u C·,
ll.ue d. Sollle, 32.




ORGANISATION


DE 11 lIBERTÉ D'ENSEIGNEl\IENT.


PREMIERE PARTIE :


DE LA SURVEILLA.NCE.


Le travail que nous publions esi une muvre collective : il repré-
sente l'opinion que se sont faite sur une question d'une importance
capitale, et apres une discussion approfondie, plusieurs des rédac-
teurs habituels du Correspondant.


Ce travail se divise en trois parties : la premiere traite de la sUl'Veil-
lance des établissement~ libres; la secondo, do la capacite d' enscigncr;
la troisieme, du résultat des études, représenlé aujourd'hui par la col-
[alion des grades.


Ccux de nos amis qui out coutribué au résultat que nous offrons au
public n'ont aucuuemeulla prétention d'imposer leur maniere de voir




lt ORGANISATION
et de faire de leurs conclusions une regle de conduite pour l'opinion
catholique. Ils ont rédigé un avis sur une matiere qu'on a peu envisa-
gée jusqu'ici du point de Vlle pratique. Il y a entre leur travail et le
but qu'on veut atteindre toute la distance qui existe entre une con-
sur/atíon et unjugement.


Une seule citation suffira pour caractériser l'intention dans laquelle
notre publication a été con<~ue. Un homme qui manque aujourd'hlli a
la cause de la liberté d'enseignement et dont nous ne saurions trop
déplorer la perte, M. I'abbé Poullet. admis a se faire entendre par la
fameuse commission de 1844, s'exprimait en ses termes: {( Je ne
« connais . que trois manieres d'élever la jeunesse, la speculation,
« l'administration et l'aposlolat. La spéculation me répllgne, je na
« erois pas 11 l'administration, et I'apostolat satisfait seul ma con-
C( science. l)


Nous fondant a notre tour sur cr.tte belle distinction, non s vonlons,
de toute la sincérité de notre ame, décourager la spdculation, échapper
a la tyrannie administrative, el détruire les entra ves qui s'opposent
aujourd'hlli a l'apostolat.


En agissant ainsi, nons pouvons apporter une pierre a I'édifice, el
nous ne genons en rien l'activité de ceux qui en concevraient alltre-
ment la construction.


Quelles chances réserve a la question de l'enseignement la
session prete a s' ouvrir? Nous l' ignorons, et nous n' avons
pas beso in de répéter combien peu nous fondons sur elle de
présomptueuses espérances. Accoutumés, on le sait, a mesurer
le progrés accompli non relativement au point de départ, mais
par rapport au but, nous conviendrons, si l' on veut, que la
situation n'a rien ou presque rien perdu pour notre cause de
ses difficultés et de ses périls; mais tout observateur attentif
nous concédera du moins que, favorable ou non, un change-
ment notable est en voie de s'y faire sentir. La. discussion tend




DE LA LIBERTÉ D'ENSEIGNE:\fENT. 5
a quitter le domaine de la t1léorie pure pour s' établir de plus en
plus sur le terrain des applieations. Apresdes manifestations
parlementaires et éleetorales dont il ost plus faeile de con tes-
ter la valeur comme engagement que la signifieation comme
symptóme; apres que M. de Malleville pas plus que M. Guizot,
M. Vavin pas plus que M. Muret de Bord, n' ont hésité a confes-
ser les grands principes qui forment le fond de nos doctrines de
liberté; ces principes peuvent bien encore etre l' objet d' atta-
ques vives et passionnées, mais ils ont nécessairement acquis
une force de résistanee que nul ne leur présageait a 1'époque
si rapprochée de nous ou le dédain semblait etre le sentÍ-
ment le moins hostile qu'ils pussent inspirer dans le monde po-
litique et dans le pays légal. De lit une modification inévitable
dans la taetique employée pour les combattre. C' est surtout dans
leurs eonséquenees qu' on s' attaehera désormais a les diseréditer;
on présentera ceUes que nous entendons en déduire comme de-
vant excéder toutes les bornes du raisonnable et du possible;
on dira que notre logique conduit en droite ligne a la pertul'-
bation et au seandale, et ron s' efforeera de mettre plus d'une
conseienee a 1'aisc en lui persuadant qu'elle n'a pu valablement
s'obliger a nous suivre tete baissée dans ce fatal chemin.


C'est en vue de cette nouvelle phase du débat que nous
croyons de\Toir pénétrer plus avant que nous ne l'avions fait
j usqu' iei dans l' examen des questions pratiques auxquelles la
réalisation du VffiU de la CharLe doit donner lieu. 11 ne s' agit pas
ici d' entrer dan s tous les détails en rédigeant un projet de loi:
nous laissons ce soin a l'initiative de la couronne ou a celIe des
membres du Parlement; ni de dieter fierement un ultimaturn.
a nos adversaires ; les grands airs et les paroles hautaines sont
peu a notre usage. Si quelques-uns de nos amis ne partagent pas
nos idées, nous respectons profondément des dissidences qui
pl'ouveraient au besoin la sincérité de nos convictions, et qui
n'empechent pas que, prise dans son ensemble, la polémique
des défenseul's de la liberté d' enseignement ne soit empreinte
d'une remarquable unité. Cal' ils n' ont pas plus varié dans leur




6 ORGANISATION


insistance a revendiquer les droits sacrés de la conscience et de
la famille que dans leur empressement a faire aux droits de
l'Etat une juste et large parto


Notre but est beaucoup plus modeste, et nous nous propo-
sons tout simplement ceci : montrer qu'il est possible en fait
d' organiser r enseignement libre tel que nous le comprenons,
sans tomber dan s l'impraticable, sans choquer la raison, sans
compromettre aucune des nécessités du pouvoir, aucun des be-
soins matériels ou moraux de la société.


Nous ne prétendons nullement que les moyens que nous indi-
quons soient nouveaux, et nous ne nous attribuons a cet égard
aucun mérite d'invention; mais ce qui aurait été dit a une au-
tre époque serait, nous le croyons, plus particulierement utile a
l'épéter dans le moment actuel. Nous ne prétendons pas davan-
tage que ces moyens soient les seuls, et nous nous rallierons de
grand creur a tout systeme qui présentcrait des garanties plus
completes aux grands intérets engagés daI:s la qllcstion; mais
avoir prouvé qu'il en existe ce sera déjá, selon HOUS, avolr fait
faire un pas a cette importante controverse.


Trois points principaux ont tOlljOurS appelé l'attention en
cette matiere : A quelles conditions !'instituteur libre sera-t-il
admis a enseigner? Lorsqu'il sera en exercice, a quelle auto-
rité sera confiéc, que! caractcre et quelle forme revetira, a quels
actes de coercition pourra aboutir la surveillance a Iaqllelle son
enseígnement sera sujet? Comment les résultats de cet ensei-
gnement seront-ils appréciés relativement á ses éleves et en
tant que pouvant les rendre aptes a cntrer dans les carricres
de la vie civile dont lajustification d'un certain degré d'instmc-
tion peut seule ouvrir l' acces ? Tel est l' ordre naturel des idées
ct ce luí que nous avions d'abord cm devoir suivre dans notre
examen.


A la réflexion cependant, nous nous sommes déterminés a
l'intervertir, et a donner le premier rang a la question de la
surveillance, qui logiquement n'auraitdroit qu'au second. Nos
motifs sont qu' elle est de toutes la plus simple, la moins sus-




DE LA LIBERTÉ D'ENSEIGNEMENT. 7
ceptible de distinetions fondées sur l'importanee de l'établisse-
ment ou sur le role qu'y doit jouer chaque membre de son
personnel, que e' est aussi eeUe qui a le plus généralement
préoccupé l' opinion et donné 1ieu devant les eolléges éleeto-
raux aux déclarations les plus explicites, et qu' enfin sa solution,
selon qu' elle assurera plus ou moins efficacement la découverte
et la répression des abus, influera nécessairement sur la sévé-
rité plus ou moins grande des conditions a exiger de eeux qui
voudront se livrer a l' enseignement.


l. - A QUI SERA CONFIÉE LA SURVEILLANCE?


II Y a en fait de surveillance un premier principe sur le-
quel nous sommes d' accord avec nos plus ardents contradie-
teurs : e' est que l' Etat a le droit de s' assurer de ce qui se passe
dans les écoles libres, et de sévir contre ce que leur tenue pour-
rait avoir de répréhensible ou de dangereux. n yen a un second
que HOUS ne eroyons ras moins essentiel, mais qui nous est vi-
vement eontesté, et sur lequel porte, a vrai dire, toute eette par-
tie du débat, e' est que le droit dont il s' agit ne doit pas etre
exereé par l'intermédiatire de l'Université et de ses agents. La
justesse et la néeessité en ont été reeonnues par des hommes
d'opinions fort diverses, et il n'est pas de point sur lequel nous
puissions présenter un faiseeau d' engagements électoraux plus
compacte et plus imposant t.


n n' en est pas non plus qui souleve plus de résistance
parmi les universitaires. Ils se récrient au malentendu et a.
la surprise 2, et soutiennent qu'en y regardant de pres t on


i Voir dan s le Compte-rendu des élections de 18l¡6 publié par le Co-
mité électoral pour la défense de la liberté religieuse, les professions de
foi ou déclarations de \1.\1. Ferd. de Lasteyrie (p. 44), Vavin (ibid.),
Chazot (p. 52), Darnaud\ p, 99), Stourm (p. 100), Clapier (de l\farseille)
(p. 103), Taillerer (p. 1.22), Royer (p. il¡1), de la Guiche (p. 205), Drouyn
de I'Huys (p. 223), Portalis (240), Drault (p. 246), etc.


2 Voir a cet égard un article fort curieux de la Revue de l'Instruction
publique, rapporté dans le Compte-rendu des élections de :18&6, p. 86.




8 ORGANISATION


doit infaillibIement revenir du préjugé quí a pu faire con si-
dérer une surveillance confiée a leurs soins comme incompa-
tible avec la liberté de l'enseignement. A l'appui d'une telle
prétention, ils avancent d'abord qu'iIs s'acquitteraient de cette
surveillance avec l'impartialité la plus rassurante, ensuite qu'iIs
offrent pour une mission de ce genre des garanties d' aptitude
et de zele qu' on chercherait vainement en dehors de leurs rangs.
Voyons ce qu'il faut penser de l'une ot de 1'autre assertion.


La premiere a le tort tres-grave d' etre un démenti donné
sans preuves a une de ces convictions généraIes fondées sur
l'observation de tous les temps et gravées dan s la conscienee
publique. Qu'il existe des hommes capables de rendre bonne
et pleine justieo a leurs rivaux, nous n' avons garde de le nier :
c'est un fait quí honore l'humanité en montrant dans son so in
des vertus capables de s' élever au -des sus de ses faiblesses :
mais l'admiration meme qu'il excite quand il se produit lui im-
prime un caractere évidemment exceptionnel, et vouloir enfaíre
sortir une présomption commune en faveur d'une classe d'hom-
mes, si honorable qu' elle soít, chercher a priori dans la con-
currence une condition favorable a l' impartialité, c' est aller a
l'encontre d'un sentiment trop universel pour qu'iI soit permis
de le combattre par des suppositions gratuites. 11 ne faudrait
rien de moins qu'une expérience prolongée pour en contester
l' applicatíon.


01', précisément icí l'expéríence manque, telle du 111oin8
qu'elle devraitetre pour conclure en faveurde l'Université. Sans
doute, celle-ci inspecte maintenant un assez grand nombre
d'institutions privées, et tous les chefs de ces établissements
ne se plaignent pas de ses rigueurs. Plusieurs ont' meme ,
M. Thiers 1'atteste dans son Rapport de IBM 1, déclaré devant
la commission dont iI était !'interprete qu'une surveillance de
plus en plus active de sa part ne pourrait que combIer leurs
vreux.


l Page 47 de l'édition primitive rlistl'ibuée a la Chambre des Députés.




DE LA LmEI1TÉ D'E~SEIGNE\IENT.
Mais, ele bOllne foi, qu'y a-t-il de commun entre la situation


actuelle et celle qui doit sortir de l' exécution sincere et com~
plcto de l' arto 69 de la Charte? Entre l' enseignement privé
d'aujourd'hui et 1'enseignoment libre de demain? Entre ces
pensions, ces institutions, étr;:ngcres a l' Université, en ce
qu'elles ne puisent pas it son budget, mais toujours placées
sous sa main, n' existant que sous son bon plaisir. lui deman-
dant presque toujours les principaux éléments ou tout au
moins le complément indispensable de l'instruction qu' elles
distribuent 1, et des maisons d' éducation vivant de leur vie
propre, tenant leur titre de la loi, et luttant franchement, sons
l' égide du droit commun, contre l' enseignement officiel ? Qu' on
ajoute a ces diITérellces fondamentales toute l' excitation pro-
duite par les débats des dernieres années, et qu' on dise s'U est
possible c!'attendre de l'Université, ínvestie d'une míssion de
controle sur son égal et sur son concurrent, l' équivalent de la
bienveilIance dont, en suzerain débonnaire, elle daigne sou-
vent user enyers son va,ssal'


Cette bienveillance, apres tout, ne serait-elle achetée par
aucun sacrifice? S'il en faut croire un homme profondément
versé dans ces matieres et qui joint la pratique a la théorie de
l'enseignement 2 , un échange de complaisances réciproques, de
tolérance d' une part et de seryilité de l' autre, explique ave e
une effrayante vérité 1'hommage rendu par plus d'un insti-
tuteur privé a la sllrveillance universitaire, et nous sommcs
en mesure d' affirmer que meme dans les maisons assez forte-
ment constituées, meme chez les hommes au CCBur assez haut
placé pour ne pas condesr,fmr]re a d'humiliantes transactions,
la nécessité de ne pas hellrter de frollt certaines préventions


I En lSl¡3, sur 1,016 établissements particuliers d'instruction, 23
seulement avaient le plein exercice ou le droit de conduire leurs éleve~
jusqu'au terme des études classiques, le baccalauréat es-Iettres. (Rap-
\,><;Y\~\' 'ó,\). ~13\ o;;\).~ ~\\\.o;;\,~\).~\,\",\\. o;;~~",\\.\l.:a.\~~, <3,.\). ?, ID.'a.~'" i.1!.(~:>'.\


2 "'1. Gasc fils, dans son oUlTage intitulé: La RéfOl'me et la Ligue uni-
vcrsitaires, p. 291, 29l¡, 338,405.




fO ORGANISATION
des inspecteurs, certaines traditions routinieres dont ils sont
les dépositaires et les organes, se faít sentir d'une maniere es-
sentiellement genante et préjudiciable a tout progres, et ne eon-
tribu e pas peu a maintenir les établissements privé s dan s un
état d'infériorité et de langueur dont on argue ensuitc pour
alarmer les partisans de la liberté sur r effieaeité de ses résul-
tats: dangereux paralogisme qui a peut-etre jeté le déeourage-
ment dans plus d'une ame et contre lequel nous ne saurions
tropprémunir nos amis.


Il faut que ceei soit bien eompris pour que la législation
nouvelle ne repose pas sur une illusion ou sur un mensonge.
Laisser ces établissements, sous le rappart de la surveillancc,
dans une situation analogue a r ordre de ehoses aetuel, c' est les
vauer a ce dépérissement progressif, a ectte absorptioll plus ou
moins proehaine dont un pays voisin naus a donné un si fmppant
exemple. « ...... Si l' on veut qu' ils aicnt de la réalité, de la vi-
/( gueur, de J'avenir, qu'ils entreut sérieusemeIlt en concur-
« renee avec les établissements publics, cela ne se peut qu'au-
( tant qu'ils ne rcleveront que d' cux-memcs, ct qu'ils auront le
« cllOix des moyens, des procédés indispensables, pour engager
« la lutte avec quelque chance de succes. S'ils doivcnt conti-
« nuer a se modeler exactement sur les établissements publics,
« a n'en etre, pour ainsi parler, qu'une pitle contre-épreuve, a
\( n'exister qu'a titre de succursales, ils sont tot ou tard con-
\( damnés a périr. A mesure que les établissements publics de-
« viendront p1us nombreux et plus flotissants, qu'ils étendront
( le ehamp de leurs conquetes, on yerra les établissements
( privés qui n' ont pas les memes ressources, et ne peuvent,
« dans aueun cas, enseigner iJ. perte, s' éteindre et disparaitre
(r peu a peu. C' est ce qui est arrivé en Prusse. En 1839, dix-
« huit ans apres la promulgation de la loi qui a réorganisé sur
( des bases larges et puissantes l' enseignement public , il ne se
( rencontrait plus, dan s tout le royaume, une senle institution
( privée qui flit demeurée debout.» C'est a M. le due de
Broglie que nous sommes heureux de pouvoir emprunter ces




DE LA LIBERTÉ D'ENSEIGNEMENT. 11
considérations i. L' illustre pubIiciste, il est vraí, n' en tire qu' a.
demi la conséquence, et croit avoir assez fait pour l'indépen-
dance de l'enseignement privé en le délivrant de l'autorisa-
tion discrétíonnaire et révocable, et de la fréquentation obli-
gée des cours profess6s dan s les institutions de l'État; mais de-
vait-il oublier que l'indépendance est eh ose peu divisible de sa
nature, et que ce n' est qu' erI se sentant affranchi de toutc cn-
trave qu' on peut contracter les allures énergiques de la liberté?


Disons-le done: l'impartiaIité que nous promct l'Université
est une chimere. Condescendance pour quí s' effacera devant
elle, c'est-a-dire anéantissement en fait de la liberté proclamée
par la loí; hostilité envers qui résistera a son influence, cause
íncessante de vexations, de conflits et de guerre rlans le monde
enseignant: voila la seule alternative que par la force meme
des choses elle ait a nous offrir.


Mais, reprend-elle, il vous faut bien une inspection, et qui
~ait inspecter comme moi ? Vous aurez beau chercher, imaginer
d'autres surveillants, vous n'en trouverez aucun qui me vailIe,
et, de guerre lasse, c'est a moi que vous serez obligés de re-
venir.


Oui sans doute i.l faut une inspection ; mais est-ce bien une
inspection te11e que vous l' entendez et que vous la faites, quí
peut répondre au beso in de la société? Est-ce une inspection
littéraire ct scientifique tendant a constater la force des études
et a contróler les procédés de 1'instruction ?


Cette question se lie íntimement a une autre question capi-
tale en faít de liberté d'enseignement, et doní l'examen appro-
fOIl di trouvera mieux sa place dans une autre partie de ce tra-
vail, mais dont nou.;; ne pouvons 6viter de dire des a présent
quelques mots, á la qucstion de la liberté des métlzodes.


Si, comme on nous en a souvent accus6s, nous nc vouEon s
que substituer dans l'instruction publi.que l'influencc sacerdo-
tale a l'iniluence universitairc ; si. tout se réduisait pour nous a


f napport a la Chambre des Paírs sur le projet de loí de 1844. (Díscus-
sion de ce projet publiée chaz Hachette, p. 55.)




12 OnG,\NISATIO~


une rivalité d'ascendant sur la jeunesse et sur le pays, nous
pourrions nous contenter d'une liberté toute personnelle, si
l' on peut s' exprimer ainsi, e' est-a-dire de celle qui assurerait a.
tout citoyen, sans distinction d'habit et de croyance, la faculté
d' ouvrír nne école, indiffórents. a~r~s. ~~h 'i>UY \~ "'J'",teme i:1' en-
seignement auquel il pourrait etre astreint. L' obligation de se
conformer aux errements adoptés clans les colléges de rEtat
ne serait pas en elle-meme un embarras poul' le clergé, qui
est généralement accoutumé a les snivre dans ses propres éta-
blissements. Mais nons n'envisageons pas les choses a un
point de vue si excIusíf, et nons reconnaissons, et nons te-
nons a conserver au príncipe posé par la Charle un sen s plus
large et plus fécond. Nous ne voulons frustrer notre patrie
d'aucun des avantages qu'illui est possible d'attendre d'une li-
bre et réelle concul'rence dans r éducation de ses enfants, et
tout en attribuant aux intérets de l' ordre moral une juste pré-
éminence, nous sommes loin de dédaigner ce qui peut assurer
aux générations (luí s' élévcnt une initiation TlJieux entendue et
plus fructueuse aux di verses }mwches du savair. Bien plus,
TIOUS ne souhaitons rien tant que de voir s'établir entre la pu-
r~t~ des doctrine;, et des mceurs, et 1e perfectionnement des
études, une sorte de solidarité, et les hommes dévoués a la
noble tache de former de jeunes cceurs a la vertu cbercher dans
la supériorité de leurs métbodcs el' enseignement un moyen de
conquérir la confiance des familleR, et de faire produire ti, 1em
:r:ele des fruits plus abondants : précieuse et salutaire assoCÍa-
tion du bon et du beau, du vrai et de 1'utile, du bien absolu et
du bien relatif, qui répandra a. la fois sur la société tous les
donsd' unecivilisation appropriée a la double nature de 1'homme,
et conforme aux bienfaisants desseins de son Créateur.


Si jamais la liberté des méthodes fut désirable, c' est a une
époque de transformation sociale comme la notre; e' est quand
le développement prodigieux de la classe moyenne appelle l' 01'-
ganisation sur une vaste échelle d'un degré d'instruction dont
ríen dans le passé n' avait pu donner l'idée, ni faire éprouver




DE LA LIBERTÉ D'ENSEIGNnIENT.
le besoin; quand des situations qui jadis demcuraient étran-
geres a toute culture de l' esprit, réclament une mesure d' en-
seignement qui soit a la fois en rapport avec leurs nécessités
matérielles et avec le niveau, comparativement plus élevé,
qu'elles occupent aujourd'hui dans le monde; quand il faut
faire marcher de front ce qui ne s' 6tait jamais rencontré dans
l' ancien régime, les notions générales et les connaissances
techniques, l'éducation semi-classique et 1'éducation profes-
sionnelle; quand un redoublement d'activité en toutes choses a
tellement accru le prix du temps, qu'il ne suffit plus d'appren-
dre bien si l' on ne parvient aussi a apprendre vite. En pr6sence
d'une situation auc;si nouvelle, qui peut songer a maintenir dans
son intégrité leplan d' étudf's que nous ont légué les siecles anté-
rieurs? Et qui aurait la prétention de jeter au moule d' apres
une simple théorie précon<;ue, les modifications profondes qu'il
réclame? Des hommes compétents, sans doute, ont déja déve-
loppé quelques idées; mais en est-il un seul parmi eux qui ne
regardc une expérimentation large et suivie comme le con-
trole nécessaire des combinaisons qui l' ont séduit i A la liberté
seule il appartient de résoudre le probleme : avec un corps en-
seignant unique ou n'ayant devant lui que des rivaux condam-
nés a une imitation servile de ses méthodes, la question ne
Jera jamais un pas. Qu' on se rappelle plutót tout ce qui a été
dit depuis seize ans par les membres du conseil royal et par
les ministres de l' instruction publique sur les progres a réa-
liser dans l' enseignement, qu' on mette en regard ce qui a 6té
fait f, et l' on sentira aquel point M. Saint-Marc Girardin était
bien inspiré lorsqu'il disait, comme rapporteur du projet de loí
de M. Guizot-:


« On discute beaucoup en ce moment sur les diverses mé-
({ tllOdcs d'enseignement. On dit beaucoup qu'il faut réformer
(( les études. - Selon nous, la grande réforme que le projet de


i On peut voir dans l'ouvrage déja cité de ~f. Gasc (l.a Rdforme et 1ft
Ligue universitaires, p. 357) a quoi se réduisent en réalité les réformes
que l'Université ~e vante d'avoir opérées depuis quelques années.




f4 ORGANISATION
1( loi fait dans les études, c' est de proclamer la liberté d' ensei-
(e gnement; car, grdce a ceUe liberté, loutes {es réformes sont
« possibles. J)


Ca que déclaait en 1837 avec une louable franchise cet
honorable dignitaire de l'Université, un de ses eollegues a été
amené en 18M, par la puissance irrésistible de la vérité, a le
confesser sans le vouloir. N' est-ce pas dans le remarquable ma-
nifeste apporté par M. Cousin a la tribune du Luxemhourg au
nom de 1'Université tout entiere que se trouve cette phrase:
(e Nous sommes, messieurs, un eorps eonservateur. Nous ad-
« mettons successivement toutes les améliorations lorsqu' elles
(( ont conquis le suffrage public et que de sérieux succes les
« signalen t a notre attention ; mais notre role n' est pas de eourir
« apres les innovations i ?» Et qui ne voit que, sans la liberté,
un tel systeme enferme le progres dans un cercle vicieux et
eondamne l' enseignement a une immobilité éternelle?


Restent les objections prises du danger de voir s'abaisser,
suivant la locut1on rec;ue, le nireau des études sous l'influence
d'un aveugle esprit d'innovation ou d'un effronté charlata-
nisme. Mais eomment s' arreter a de pareilles eraintes quand
l'Université sera la, alimentée aux sourees inépuisables du hud-
get, parée de tout le lustre qui s'attache en Franee, M. Thiers
1'a remarqué avec raison 2, a toute institution revetue d'un ca-
raetere publie, quand elle sera lit, disons-nous, comrne type
offieiel, non plus des proeédés a employer, mais des résultats a.
obtenir? Quand des examens qui, dans notre pensée, devront
étre conc;us et dirigés de maniere a constater plus réellement
qu'ils ne le font aujourd'hui le savoir des éleves, venant don-
ner la mesure des [orces respectives des dirers éttlblissements,
l' enseignement libre aura pour premierc eondition d' existence
de ne pas se montrer inférieur dans ses produits a l' enseigne-
ment donné aux frais de l'Etat? On en eroira sans doute M. Vil-


! Discussion du projet de ¡oi de 18l1á, p. 1ú6.
i P. 63 de son llapport.




DE LA LIBERTÉ D'ENSEIGNEMENT. 15
lemain avouant en ces termes que la. est la véritable garantie de
la. force des études :


« En assurant la liberté des écoles particulieres, l'Etat doit
I( veiller a ce que r enseignement se maintienne et prospere.
I( Comment le peut-il? Ce ne sera pas par une surveillance
« minutieuse et continue, mais par le degré d' élévation 011 il
I( maintiendra les grades, qu'il faut tenir haut pour tout le
« monde, et qu'il ne faut pas rabaisser dans l'intéret de quel-
u ques-uns t. ))


Ajoutons, pour ceux qui éprouveraient encore des hési-
tations et des scrupules, qu' en fait il y a maintenant en
France une certaine liberté des méthodes, mais une liberté
inféconde et furieste quí est a la fois une des plaies de notre
systeme d'instruction et sa critique la plus sanglante. Nous
voulons parler de la facilité dont les jeunes gens usent de plus
en plus de se faire dresser en quelques mois par de purs
exercices de mémoire a cette épreuve du baccalauréat qui
suppose légalement plusieurs années de préparation classi-
que: travail épuisant et stérile dont il ne reste ríen que du
dégout, et dont la masse des éleves se venge en renon<;ant a.
jamais a tout ce quipeut le leur rappeler, tandis que les intel-
ligences d' élite sont réduites a acquérir sur nouveaux frais,
par des efforts personnels et indépendants, les connaissances
dont un diplóme mensonger les déclare pourvues. Substi-
tuer a cette liberté subreptice et btttarde, dont nul avantage
ne compense les tristes effcts, une concurrence franchcment
avouée et pratiquée au grand jour entre les pédagogies qui se
prétcndront le plus propres i1 atteindre le but commun par une
route faciJe et sure, a qui persuadera-t-on que ce soit démériter
de la science et compromettre ses destins parmi nous ?


Mais si les méthodes sont libres, l'inspection littéraire ct
scientifique disparait; car elle a pour but de vérifier si l'institu-
teur emploie convenablement les procédés dont iI doit se servir


I Discours du 6 mai 1844. (Discus:sion, p. 720.)




16 ORGANISATION


pour communiquer a ses éleves les connaissances qu'il doit leur
transmettre. Comment done s'exereera-t-elle la ou il n'yaura
plus de proeédés obligatoires, plus de programme eommun dont
on ne puisse s'éearter, sauf, bien entendu, les eonséquenees qui
résulteront pour les éleves, et qui rejailliront néeessairement
sur les maitres, d'un enseignement défeetueux ou ineomplet?
Qu' aura-t-elle a voir dan s une classe OU le professeur pourra
dire a l'illspeeteur: « Vous trouvez que je m'y prends mal;
«( mais j'ai la eonvietion, moi, que je m'y prends bien, et que
«( e' est vous qui vous trompez sur ce que j' aurais a faire. Cette
«( conviction, j' ai le droit de la maintenir en face de lavotre; les
«( résultats prononeeront entre elles l) '? Conyoit-on un surveil-
lant et un surveillé sans une regle reconnue par tous deux, a
laquelle celui-ei soit tenu d' obéir, dont celui-la ait charge
d' assurer l' observation ?


eeUe vérité si simple et si palpable, que n'a pu entierement
méeonnaitre, que n' a osé entierement aeeepter la haute intelli-
genee de M. le due de Broglic, réduite, dans toute eette diseus-
sion de 18M, a un eompromis perpétuel entre la logique et le
partí pris f ; eette vérité fixe clairement le earactere de la sur-
veillanee que I'État, nous le répétons, a le droit et le devoir
d' exereer sur les éeoles libres. L' objet en sera précisément ee
que la liberté elle-meme ne saurait mettre a la diserétion de
ehaeun : le bon ordre, les mf.Burs, la constitution du pays. Or,
qucl titre aurait done I'Université pour etre, de préférenee a


t En proposant, au nom de la commission, de rayer la négligencc per-
manente dansles études de la liste des infractions passiblcs de peines dis-
ciplinaires, iI s'cxprimait ainsi : « II nous a paru qu'on ne pouvait rendre
l'autorité publiquejuge du cas de négligence permanentcdans les études
san s la rendre arbitre du systeme général de l'enseignement, du choix
des méthodes, de la distribution des henres, sans entra ver toute liberté
réelle et effective. Ici l'abus du pouvoir serait trop pres de l'usage pour
que la sagesse des inspecteurs put etre considérée comme une garantie
suffisante. » (Discussion, p. 92.) C'était bien reconnaitre que l'inspection
ne devait pas porter sur la maniere d'enseigner; pourquoi done tenir a
n'en charger que des bommes compétents sous ce rapport ?




DE LA LIBEUTÉ D'ENSEIGNE~IE.'iT. 1.7
tous autres, constituée gardiennc de ces gl'ands intérets ? Quelle
mission spéciale, quelle aptitude particuliere pourrait-elle faire
valoir? En droit, est-elle une magistrature ccnsoriale ou un
corps poli tique ? En fait, peut-elle se van ter d' etre en posses-
sion de tous les secrets de 1'a1't si difficile de prémunir la jeu-
nesse contre les entrainemenis des passions et contre les éga-
rements de l'esprit? Loin ds la, elle-merne a confessé plus d'une
foís par la bouche de ses membres les plus éll1incnts et les plus
dévoués que l' éducaticn proprement dite était un probléll13
resté jusqu'a ce jour insoluble pour elle t • Et, pour ne nous
attacher qu' au coté politique de la question, celui a l' occasion du-
quel elle récrimine le plus volontiers contre les ennemis de son
111onopole, la tendance républicaine signalée par les plus graves
témoignages chez les éleves confiés a ses soins 2 , n' est sans
doute pas bien faite pour démontrer qu' elle sache mieux que
personne comment on eníretient dans la jeunesse le respect et
l'amour de la monarchie constitutionnelle.


Dira-t-on qu' a défaut d' autre garantie, des homrnes voués dc-
puis longues anuées a l' instruction publique, ayant souvent
parcouru les divers échelons de la hiérarchie enseignante, ont
acquis en matiére de discipline scolaire une certai11e habitudc
d' observation qui rend leur cou p d' mil a la fois sur et rapide,
qui leur permet de juger en entrant dans une étude, dans une
classe ou dans un dortoir, si tout y est dans l' ordre le plus
propre a maintenir la discipline et a. prévenir les abus; de de-
viner sur un mot, sur un geste, sur la physionomie des élévcs,
ce qui échapperait pendant longtcmps a des regards moins
excrcés? Nous ne leur contesterons pas absolument cet avan-


t Voir les aveux de MM. Guizot, Cousin, Dubois et Saint-1Iare Girardin,
reeueillis par M. Corne, ancien député, daos son ouvrage iutitulé : De
l'Education publique dans MS rapporls avec la (amille el avec CEtal, et les
réflexions personneIles de l'auteur dans le meme sens. (Liv. 1, ch. 3,
p. 54-67.)


2 Etudes historiques el critiques de M. Gase, p. 335. Mémoire sur.l'in-
slruction publique el sur la liberté d'enseignement, par M. Llabour, pro-
fesseur de philosophie, p.67.


2




iS ORGANISATION
t'age; mais ce serai t, selon nous, grandement l' exagérer que
de luí attribuer une importance décisive, Les inspecteurs uní-
versitaires sont assurément loin de tout voir, non pas seule-
ment dans les colléges gu'ils visitent au pas de course (ce
dont, pour le dire en passant, ils ne se font point faute), mais
dans ceux-la m~mes auxquels ils consacrent un examen sérieux ;
et si l' on substituait a leurs appréciations, toujours plus ou
moins fugitives, l' observation permanente d'une autorité pla-
cée habituellement a la portée de l' établissement a s urveiller,
les dépositaires de cette autorité trouveraient, nous n' en dou-
tons pas, un précicux supplément a ce qui pourrait leur man-
quer d'abord en instinct d' homme du métier dans des commu-
nications plus fréquentes, dans des visites plus réellement
imprévues, et dans la facilité de recueillir toutes les rumeurs
accusatrices et tous les éléments d'un légitime soup~on.


Nous l' avouerons d' ailleurs: dans notre pensée, l' éducation,
elle aussi, a uroit a la liberté des méthodes, qui anéantit tout
le mérito des inspecteurs spéciaux~ quand leur intervention ne
la met pas en péril. Qui ne sent, en effet, que l' action du maitre
sur rame de 1'éleve peut, sans se mouvoir hors du cerc1e tracé
par la morale universelle et par l' Ol'dre public, revetir des for-
mes tres-différentes? Le but m~me de cette action peut varier
en un certain sens; tel instituteur, par exemple, se proposera.
de développer le sentiment religieux dans toute sa puissance; tel
autre lui fera une moindre part; c' est aux familles a voir ce qui
leur convient le mieux, et le pouvoir qui vOlHlrait ramener tour
en ce genre a un type commun se rendrait coupable d'une
odieuse tyrannie. Quant aux moyens, ils se diversifient essen-
tiellement selan qu'on prend pour point d'appui le cccur de
l' enfant, sa raison ou la régularité de ses mauvements exté-
rieurs. Que chacun de ces procédés puisse etre préféré de
honne foi, que leur emploi. soit également licite, c'est ce que
nul ne saurait nier, et ce que M. T11i.ers lui-meme a reconnu
dans son Rapport, lorsqu'apres avoir dépeint avec une prédi-
lection marquée, et peut-etre sous des traits un peu flattés, la




DE LA LIBERTÉ D'El'\SEIGl'\EMENT. 19
discipline sévére, inflexible, rigoureusement égale pour tous,
des coIléges royaux, il a admis la possibilité de chercher dans
les soins plus individuels, dan s la surveillance plus directe
qu' offrent les établissements particuliers, un moyen de réveil-
ler plus surement les intelligenees paresseuses, et de faire se-
conder l'influence de l'instituieur par celle de la famille t. Cela
posé, COllllllent les habitudes d'esprit puisées dans la pratique
de te1 systerne seraient-elles une eondition favorable pour ap-
précier la mise en action d'un systeme opposé? Comment des
hommes fa(jonnés ti. voir le heau iJéal, en fait d' éducation, daBs
des pensionnats nombreux et militairement dirigés, jugeront-
ils impartialernent la tenue des instítutions dont les ehefs n'ad-
mettent par príncipe que peu d' éleves, et veillent particuliére-
ment et i~1CeSSall1ment sur chacun d'eux, eonvaincus, comme
M. Gase, qu'il ne peut y avoir de vraie éducation qu' a ce prix 2?
Des dispositions parfaitement adaptées a l' ordre établi dan s la
maison ne leur apparaltront-elles pas eomme des symptómes
ou des élélllents de désordre? Et comme nous le disions tont á
l' heure pour les procódés de l' enseignement, ne s' élévera-t-il
pas entre le maUre et l' inspecteur un conílit sans issue, faute
d'un point de départ commun ?


Tont nous ram ene donc a cette idée : les choses a l' égard
desqnelles I'Université pourrait allégner en sa favenr quelques
motifs de compétence, sont précisément celles qui, placées dans
le domaine de la liberté, ne tombent pas sous le genre de sur-
veillance qu'une loi de liberté doit admettre. Nous n'avons
done pas a rechercher si elle les surveille aussi efficacemcnt
qu' elle le dit; nous nc nous prévaudrons pas du reproche que
M. Thiers ne peut s'empeeher de lui adresser sur le peu d'acti-
vité de ses inspecteurs ;¡; nous tairons les plaintes parties de
son propre süin, qui n' accordent el' autre effet a ses inspections
que d'humilier le professeur elevant les éleves, et de surexciter


f I)ages 68-70.
t Eludes historiqucs el C¡'Wqucs sW'/'instruclion secondaire~ p. 284.
5 P. 76 de son rapport.




20 ORGANISATION


la ten dance a négliger toute une classe pour soigner quelques
sujets d' élite d'Jnt on compte se faire honneur 1; nous omettons
les aveux les plus significatifs et les remarques les plus con-
cluantes sur l' affaiblissement des études entre ses mains ; 'nous
concéderons, assez bénévolement peut-etre, qu'elle a dans son
organisation actuelle tout ce qu'il faut pour bien remplir une
mission littéraire et scientifique. Mais ce n' est pas a une te11e
mission qu'il s'agit de pourvoir, et devant cette considération
s' évanouit tout ce qui pouvait donner un peu de consistan ce a
ses prétentions.


Aussi rien de scmblable n' avait-il été admis par une légis-
lation qui u' a l'égi la France que durant peu d' années, mais
dout l'autorité ne saurait etre récusée par les défenseurs ex-
clusifs de l'Université, celle de 1802. Personne n'a parlé avec
uue admiration plus passiounée, et de la grande époque du
cousulat en général, et de ses conceptions relatives a l'instruc-
tion publique en particulier, que l'honorable M. Cousin 2; 01',
la loi du 11 floré al au X, qui, par la création des lycécs, orga-
uisait l' enseignement officiel, attribuait-elle aux fonctionnaires
préposés a cet enseignement une inspection quelconque sur les
écoles privées? Nullement. Un orateur du tribunat expliquait
ainsi les principes adoptés par elle quant a la surveillance de
ces établissements :


(1 Les écoles dont nous venons de parler ne sont ... sous la dé-
« pendance que pour garantir les citoyens des vices qui s'y
1( pourraient glisser, et protéger ces memes écoles lorsque les
(( maltres se conduiront de maniere a mériter l' estime publi--
« que. Afin d' éviter les préventions qui naissent des ¡ntérets
« tres-rapprochés, c' est au magistrat d'un ordre supérieur que
(( la loí confie la surveillance, au préfct :>. »


t JIhnoire de M. Llabour, p. 23, 44.
2 Discussion de 1844, p. 137.
:; Histoire de l'inslruction publique et de la liberté de {enseignement, par


M. de Riancey, t. II, p. 8[¡.
En supposant, ce qui est possilJle, que ce fCtt avec la surveillance mu-




DE LA LIBERTÉ D'ENSEIGNEMENT. 21.
Et cependant les écoles privées n'étaient déja plus des éco-


les libres, car la meme loi les soumettait a la nécessité de l' au-
torisation préalable. Mais, suivant le commentaire fourni par
l'orateur que nous venons de citer, le gouvernement, auquel
cette autorisation devait etre demandée, n' avait a se préoccu-
per que des garanties morales qu'offrait le postulant; c'en était
assez pour qu' on fUt logiquement conduit a n'imposer a l' éta-
blissement, une fois formé, d'autre controle que celui du ma-
gistrat administratif. Ce qu'on avait jugé rationnel sous un tel
régime ne le devient-il pas bi.en plus encore sous celui de la
liberté?


Les développements qui précédent nous dispensent de discu-
ter la premiere question qui se présente, l'intervention de I'Uni-
versité écartée : créera-t-on pour surveiller les éeoles libres un
corps d'inspecteurs spécial et permanent, quoique constitué en
dehors de I'Université? Les raisons que nous avons invoquées
contre l'inspeetion universitaire conservent presque toute leur
force contre eette création. Un pareil eorps, par les antécédents
et les relations des bommes qui seraient naturellement appelés
a en faire partie, aurait trop de ressemblance et trop de liens avec
l'Université pour ne pas subir jusqu' a un ceríain point son in-
fluence. IlIui emprunterait ou iI se fcrait bicntOt a lui-meme des
théories pédagogiques qu'iI chercherait a faire prévaloir, et dans
un systeme eomme dans l' autre, les avantages de la spécialité se-
raient plus que balancés par ses inconvénients. Ce n'est done
pas a cette combinaison que nous pouvons nous arreter, et
nous n'avons pas a répondre aux objections tirées des difficul-
tés et de la bizarrerie qu' elle présente, par eeux quí ont sup-
posé que nous y aurions néeessairement recours i.


nieipale qu'on elit entendu mettre en opposition eelle du préfet, l'argu-
ment n'en \'audrait pas moins eontre une inspeetion eonfiée au eorps
chargé d'enseigner au nom de l'Etat. La proximité des intérets 'le s'ap-
préeie pas toujours par la distanee des lieux, et il n'y en a eertainement
pas de plus rapproehés ni de plus proprcs a engendrer des préventions
que eeux d'un rival.


, Ilapport de M. Thiers, p. 5i.




22 ORGANISATION


Celle que nous adoptons est simple, et découle sans effort de
l' objet et du caractere que nous avons été conduits a assigner
a la surveillance dont il s'agit. Encore une fois, cette surveil-
lance ne portera ni sur les méthodes, soit d' enseignement, soit
d'éducation, dont le choix appartient au libre arbitre de l'in-
stituteur, ni sur les résultats de l'enseignement, auxquels les
examens serviront de pi erre de touche, ni sur les effets éloi-
gnés de l'éducation, dont 1'appréciation est réservée a 1'a-
venir, mais uniquement sur ses effets immédiats, c'est-a-dire
Sur le point de savoir si elle ne produit pas chez les éleves,
soit la dépravation des mceurs, soit l' altération des notions es-
sentielles de la morale ou des sentiments qui doivent ani-
mer le citoyen a l' éganl de la patrie et des institutions qui la
régissent. L' autorité qui en sera chargéc devra des lors re-
présenter aussi exactement que possible tout ce qui, dan s la
société, a en pareille matiere la mission la plus directe et l'in-
téret le plus pressant, savoir: d'un coté le pouvoir ccntral
dan s ceBes de ses attributions qui concernent le maintien de
l' ordre social et poli tique ; de l' autre, les peres de famille, qui
sont particulierement en cause lorsqu'il est question de la con-
duite et des dispositions morales de la jeunesse. Nous avons
d'ailleurs fait pressentir que cette autorité nous paraissait de-
voir etre assez rapprochée des établissements soumis a son ac-
tion pour pouvoir 1'exercer d'une maniere continuc, et s'en-
tourer des renseignements etdes lumieres qu'un séjour habituel
dans la contrée met seul a portée de recueillir. C' est a ces di-
verses données que nous essayons de satisfaire par l' organisa-
tion dont nous aUons esquisser le plan.


Toute école libre sera soumise á la surveil1ance d'un conseil
de sept membres, composé de la manierc suivante :


Le préfet du département, président;
Un magistrat inamovible du département, désigné par la


Cour royale du ressort ;
Le membre du conseil général, représentant la circonscrip-


tion électorale dans laquelle se trouvera l' école ;




DE LA LIBERTÉ D'ENSEIG:\fEM:ENT. 23
Lemembre du conseil d'arrondissement remplissant la méme


condition f ;
Le maire ue la commllne OU l' établissement sera situé;
Et deux notables, choisis par les cinq membres qu' on vient


d' énumérer panni les citoyens inserits sur la liste électorale et
domiciliés uans le cantonoll meme dans l'arrondissement.


Ce choix sera renouvelé tous les cinq ans aussi bien que ce-
lui du magistrat dont la désignation est confiée a la Cour.


Il y a la, comme OH le voit, deux représentants directs de
l'autorité proprementdite, l'un appartenant a l'administration,
l' autre a la magistrature, e' est-a-dire aux deux pouvoirs qui
coneourent par des moyens divers a faire respecter l' ordre et
les lois; deux membres investis du mandat de leurs conci-
toyens; un cinquieme, le maire, réunissant au titre électif la
délégation administrative; deux en fin qui, tenant leur mission
dn suffrage des cinq premiers, participent au caractere mixte
fIu' avait le conseil avant leul' adjonction. Il nous paralt diffieile
ue tenir la balance plus égale entre les deux éléments que nous
avons cru devoir y admettre.


Nous ne dissimulerons pas noLre regret de n' avoir pu rendre
la présence de l'un u'eux plus sensible et plllS immédiate en-
core, en appelant les peres de famille de la contrée a instituer
eux-memes, par une élection ad ¡lOC, les dépositaires d'un de
leurs plus chers intérets. Nous avons reculé devant l'idée de
multiplier les élections sans une nécessité absolue, dans un
temps que l'insouciance des uns et les calculs intéressés des au-
tres rendent si peu favorable aux manifestations sinceres de


1 Il yen a quelquefois deux pour un seul canton (loi du 22 juin 1833,
arto 21). Il sera facile alors d'établir une regle pour le choix a faire entre
eux; de décidcr, par exemple, que si tous deux n'ont pas dans le canton
leur domicile réel, le domicilié sera préféré; que hors ce cas, ce sera le
plus agé, ou bien encore celui qui aura, lors de l'élection, réuni le plus
grand nombre de voix. U est évident du reste qU'une organisation spé-
ciale serait necessaire pour le département de la Seine, dont la repré-
sentation locale est constituée sur des bases exceptionnelles.




24 OHGANISATION


l'opinion publique. Nous appelons de tous nos vmux le jour OU
une réaction salutaire, triomphant a la fois de l'intrigue et de
r apathie, pour nous former enfin a la vie des peuples libres,
permcttra de nous convier plus souvent a l'exercice d'un droit
dont nous connaissons encore si peu la véritable valeur; nous
aimons a ero ir e qu' en attendant, si l' cxpédient que nons avons
adopté faute de mieux vient a prévaloir, tout ce qui porte une
ame honnete et un ereur dévoué a ravenir de la Franee lut-
tera avec une consciencieuse énergie pour imprimer a ces
élections locales, trop souvent dominé es aujourd'hui par les
eonsidérations les plus vulgaires, un caractere <le haute mo-
ralité digne du nouveau genre d'influence attaché a leurs 1'6-
sultats.


Nous n'avons point, comme on en a eu quelquefois la pensée,
réservé dans le conseil une place pour le clergé; iI nous a
paru préférable de ne point appeler un tiers, quelque respec-
table qu'il püt etre, entre les deux principaux Íntéressés qlW
nous avons voulu mettre en présence, la fami11e et l'Etat : la
famille, qui a besoin de liberté pour assurer sa perpétuation
morale, et qui ne peut toutefois s' accommoder de la licence ;
l' Etat, dont la mission est de veiller au maintien de l' ordre,
mais a qui la constitution défend de lui sacrifier la liberté;
chacun ayant ainsi un point de départ qui lui est propre, tous
deux devant se rencontrer la OU deux principes différents, mais
non ennemis, peuvent s' appliquer simultanément sans se dé-
truire. Ils se trouveront d'autant mieux sur ce terrain commun,
ce nous semble, qu'ils se sentiront plus livrés i1 eux-memes,
plus dégagés des préoccupations bien ou mal fondées qu'une
intervention quelconque pourrait leur inspirer.


D'un autre coté, sous l' empire de la liberté de conscience, la
regle morale qui peut servir de base i1 la surveillance officielle
des écoles ne saurait, comme l'a tres-bien fait remarquer
M. l' éveque de Langres t., se confondre exactement avec celle


! Instruction pastol'ale du 28 octobre 1846 sur le droit divin dans l'E-
glise (p. 52, 51!).




DE LA I,IRERTf: D'ENSEIG;\,E~IENT. 25
qui prend son point d' appui dans le dogme religieux. Associer le
pretre a eette surveillanee, e' est done le mettre dans le eas, ou de
paraitre approuver ce qui blesse ses sentiments intimes, ou de
s' attirer des accusations d'intolérance par des suseeptibilités
légitimes, mais mal eomprises, peut-etre de tomber dans ces
rleux éeueils a la fois : situation fausse et périlleuse d' OU l' exé-
cution de la loi de 1833 sur l'instruction primaire a prouvé
qu'il ne pcut sortir aueun bien. Qu'il conserve son indépen-
dance; que dans le for extérieur 1 l' enseignement ait aussi par
rapport a lui toutc la sienne, et qu'il ne s' étahlisse entre eux
que des liens volontaires fondés sur la eonvietion du maitre et
sur le vam des parents. Ainsi s' organisera la vraie surveiIlanee re-
ligieuse, la seule dont iI solt permis d'aitendre d'heureux fruits.


Nous avons également laissé al' éeart tout représentant de
l'enseignement lui-memc, soit offieiel, soit privé. Lui aussi se-
rait un tiers, et nous ne lui reconnaissons pas d'intéret suffisant;
cal' nous voyons dans la liberté d' enseignement beaueoup moins
le droit du maltre que eelni de l' éleve. DCtt-on d' ailleurs nous
taxer d'une défianee exeessive envers la spécialité, nons ne ea-
cherons pas que son intervention, meme a titre d'élément par-
tiel, nous serait tres-suspeete. L'homme qui cst réput6 par ses
antéeédents avoir des notions pratiques sur la ehose dont il
s'oeeupe en eommun avee d'autl'es hommes, alors meme qu'il


! Nous disons dans le {ur e.rté¡'ieur, paree qu'aux yeux de la conscience
éclairée par la foi, le droit et le de,oir pour l'Eglise do surveillel' l'é-
ducation au point de vue religieux et moral, l'obligation pour les insti-
tuteurs et les familles de reconnaitre et d'accepter cette sUl'veil1ance,
cxistent indépendamment de toute prescription de la loi civile. Tout cela
est de droit rlivin sllivant la doctrine solidement établie dans la belle in-
struction pastoraledéjil citée. Mais son illustre auteur a grandsoind'ajou-
ter que cette doctrine ne suppose et ne récJame l'emploi d'aucun moyen
extérieur de coaction, et malgré la sage réserve avec laquelle iI évite
de trancher une question non nécessairement Iiée it son sujet, il est fa-
cile d'entrevoir qu'i1 trouve moins d'inconvénients que d'avantages a ce
que l'action du pretre en cette matiere, privée de tout appui temporel,
n'ait d'autre sanction en ce monde que la soumission libre du fidele a la
libre parole du pasteur (p. 57).




26 ORGANISATION


ne s'agit pas précisément d'envisager cette chose sous l'aspect
auquel il a eu principalement a s' attacher, cet homme ac.quiert
sur ses collegues un ascendant inévitable, et nous avons encore
id une le~on a tirer de l' exemple des comités créés par la loi
de 1833 et absorbés presque partout par l'Université 1. Quand
la présence de l' homme du métier. n' aurait d' autre eITet que
d'encourager, par la facilité de se décharger sur lui d'une
bonne partie du travail, la paresse trop ordinaire dans l'accom-
plissement des fonctions gratuites, ce serait déja un inconvé-
nient grave qu'il importe d' autant plus d' éviter, que la difficulté
de vaincre cette paresse de fayon a obtenir une surveiHance
effective, est peut-etre le seul argument spécieux qu'on puisse
invoquer contre l'institution que nous proposons.


Nous ne le croyons cependant pas péremptoire, et 110US 11e
jugeons pas assez séverement des hommes recommandés a no-
tre confiance par le choix de l'autorité publique ou par celui de
leurs concitoyens, pour présumer que, lorsqu'ils sauront que
sur eux seuls repose toute la l'esponsabilité d'une mission quí
touche d' aussi pres aux fondements de la. société et a la sécu-
rité des familles, ils ne se fassent pas un devoir impérieux de la
remplir en conscience, et d'y apporter plus de zele et d'assi-
duité qu' on n' en met a siéger da11s mainte commission admi-
nistrative d'un intéret secondaire et mal défini. Qu' 011 veuille
bien remarquer d'autre part que sur les sept membres du con-
seil de surveillance, un n' en fera partie que pour les écoles li-
bres d'une seule commune, trois pour ceHes d'un seul cantan!,
un pour celles de deux cantons tout au plus '1, et tres-générale-


I Nous voulons parler des comités d'arrondissement, les seuls qui aient
jamais eu quelque consistance. La présence d'un seu! universitaire dans
leut' sein, et surtout les rapports établis entre eux et les inspecteurs
nommés par l'Université, ont suffi pour amener le résultat que nous
signalons.


s Le membre du conseil d'arrondissement et les deux notables, en sup-
posant qu'ün ne les prenne pas dans tout l'arrondissement.


5 Le membre du Conseil général dans les lieux ou deux cantons sont
réunis en une seule circonscription électorale, paree qu'il y a plus de
de trente cantons dans le départcment. (Loi du 22 juin 1833, arto 3.)




DE LA LIBERTÉ D'E'vSEIGNEMEJ\T. 27
ment d'un seul, et qu'il n'y en aura que deux qui aient a
étendre leur sollicitude sur toutes celles d'un département. En-
core ne voyons-nous rien qui empeche d' autoriser le préfet a.
se faire remplacer par un délégué, et la Cour royale a désigner
plus d'un magistrat dans une meme circonscription de préfec-
ture. Il nous semble aussi tres-simple, et meme tres-utile sous
plus d'un rapport, de ne pas exiger que l'action du conseil soit
toujours collective, et de conférer a chacun de ses membres le
droit de visiter de sa personne l' établissement a surveiller aussi
souvent qu'il le jugera convellable, sauf a rendre compte a ses
collegues, dans des réunions périodiques obligatoires, ou dans
des réunions extraordinaires provoquées par lui en cas d'ur-
gence, du résultat de ses observations, Un service organisé de
la sor te n'aura certainement rien de fort pénible, et, s'il devait
eire au-dessus des force s morales de ceux qui seraient appelés
a le faire, il faudrait vraiment désespérer de jamais naturaliser
darmi nous ces habitudes de participation des citoyens ti. la ges-
tion des affaires publiques, sans lesquelles i.l ne peut y avoir de
véritable liberté.


Nous venons de signaler un des avantages de l'introduction
dans le conseil d' éléments qui changent eu égard ti. la situation
topographique de chaqlle école, celui d'alléger le fardeau en le
divisant. Elle a encore ti. nos yeux celui de prévenir la formation
d'un mauvais esprit de corps, la domination invariable sur
toute une contr¿e de ten dances plus ou moins facheuses, et
toujours it redouter par cela seul qu' elles seraient exclusives.


Les conseils de surveillance ainsi constitués, voyons de qui
ils relcveront eL commellt jI:;; devront fonctionner.


n. - QUEL MINISTRE AURA DANS SES ATTIUEUTIONS LA SURVEIL-
LANCE DE L'E"ISEICNElUENT LIBRE ET LES RAPPORTS AVEC LES


CONSEILS?


Il paraitrait rationnel, apres avoir dégagé les conseils de
survcillance de toute spécialité pédagogique, pour ne leur




28 OHGANISATION


€cmfier qu'une mission de haute police dans l'acception la plus
élevée du mot, de ne pas les faire ressortir fIu ministere de
l'instruction publique, mais du ministere de l'intérieur. Mais
n')us savons que ce dernier département tend bien plutOt a se
flécharger de plus en plus de ses anciennes attributions qu' a en
acquérir de nouvelles, et nous n'avons aucun motif sufflsant
pour combattre cette disposition, qui est raisonnable en e11e-
1lleme et favorable it l' expédition des affaires. Nous ne contes-
').ons done pas la compétence du ministre de 1'instruction pu-
blique; mais nous ne saurions l'admettre qu'it une condition:
c'est qu'il ne sera plus grand-maitre de l'Ulliversité, et que ce
poste éminent redeviendra ce qu'il n'aurait jamais du eesser
el' etre, le couronnement de la hiérarchie o1ficielle de r enseigne~
ment, placé comme elle en dehors des révolutions de eabinet et
des oscillations de la politiqueo Cette séparation ele deux cho-
ses mal a propos confondues peut seule faire au ministre la
situation impartiale qu'il eloit avoir entre l' enseignement di-
rigé par I'Etat et l' enseignement privé; seule aussi elle peut
assurer it l'Université sa juste part de légítime indépendance,
et, suivant l'expression d'un professeur que nous avons déja
cité 1, rendre a ce grand eorps l' ame dont l' avait pourvu son
créateur; et eette eonsidération nous touche beaucoup plus
que ne le supposent eeux qui veulent voir en nous des ennemis
de I'Université, sans comprendre que, tout en attaquant son
monopole, nous apprécions les éléments utiles qu' elle renferme
ut les services que sous l' aiguillon ele la concurrence, et avec
ene meilleure organisation, elle est appelée a rendre a la
science et au pays.


Il est sans doute superflu d'expliquer que, si nous n'enten-
dons pas que le granel-maUre surveille l' cnseignement privé,
nous n'aceordons pas davantage ce droit au Conseil royal. Une
telIe prétention n' aurait plus meme de prétexte depuis que son
nom tout spécial lui a été restitué, et ron conyoit assez tout


t. M. Llabour, l'rIém. sur l'instruct. pub{ •• p. 1.03.




DE LA LiBERTÉ D'ENSEIGl'E~IENT.
ce qu'elle aurait de contraire a la franche exécution du vmu de
la Charte et au libre développement des écoles rivales de ceUes
de fEtat.


IlI.- QUELS SERO~T LES RAPPORTS DU MINISTRE AVEC LES COi\"-
SEILS DE SURVEILLANCE? QUELLE PART PREi\"DRA-T-II, A I,EUR
ACTIO¡'¡? Co~n1ENT CETTE ACTION S'EXERCERA-T-ELLE?


Nous avons déjit répondu en partie a cette derniere question.
Chaque conseil aura le elroit de faire dans chacun des étahlis-
scments soumis a son inspection des visites collectives ou indi-
vieluelles dont rien ne devra limitel' ni le nombre ni les cir-
constances. A toute heure du jour ou de la nuit, les portes de-
vront céder it son autorité. Il recevra les plaintes qui pourrollt
lui etre portées, les avis qui lui seront donnés, et se livrera
par suite a toutes les vérifications qu'il jugera convenables.
Des réunions périodiqucs empecheront qu'il ne se relache in-
sensiblement de l'accomplissement exact de ses elevoirs; eles
réunions extraordinaires, le cas échéant, assureront la promp-
titude du remede qu'appellera un mal grave découvert inopi-
nément.


Quant au ministre, il correspondra avec les conseils, rece-
vra leurs rapports, leul' adressera ses observations, leur signa-
lera les points sur lesquels leur attention lui semblera elevoil'
se porter, et aura le droit el' exiger qu'ils en eléliberent, et qu'ils
en fassent, s'11 y a lieu, l'objet d'une enqucte. Il sera investi,
en un mot, de tous les pouvoirs nécessaires pour stimuler leur
zele san s porter atteinte a leur inelépendance.


Nous ne parlons pas encore de celles des attributioIlS, soi't
des conse11s, soit elu ministre, qui peuvent se rapporter non
plus a la simple surveillance, mais a la répression; nous allon!;
etre amenés a nous en occuper en traitant des pénalités et du
mode de leur application.




30 ORGANISATION


lV. - QUELLES PEINES POURRONT ETRE ENCOURUES POUR LES IN-
FRACTlONS QUE LA SURVEILLANaE AURA FAIT DÉCOUVRIR? COM-
MENT ET PAR QUELLE AUTORITÉ SERONT-ELLES APPLlQUÉES?


Cette partie de notre tache sera la plus facile; car nous n' au-
mns que peu de modifications a. propaser au systeme adopté
par la Chambre des Pairs dans la uiscussion de 18M.


Une distinction se présente u'abord entre les faits de nature
a. devenir passibles des peines établies par la législation ordi-
naire et ceux dont le caractere échappe a ce genre de répres-
S1On.


Pour les premiers, un seul point peut etre mis en question :
le droit commun en contient-il une énumération assez com-
plete? Et ne conviendrait-il pas d'ajouter a la liste des délits
qui peuvent se commettre uans une écolc, mais qui peuvent
aussi se commettre ailleurs, un certain nombre de faits quí de-
meureraient impunis sur tout autre th6&tre, et qui doivent ces·
ser de l' etre par cela seul qu' ils auront eu líeu dans un établis-
sement consaeré a l' éuucation? Sans entrer a. cet égard dans
des développements que ne nous permet pas le caure de ce tra-
vail, nous nous prononcerons pour l' affirmative; nous croyons
que l'influence immorale uu maitre sur l'éléve peut se mani-
fester par des actes qui, inuépendamment de la répression dis-
ciplinaire, méritent un chatiment plus exemplaire et plus ri-
goureux, tandis que ces memes actes accomplis uans d' autres
circoustances et au milieu d'hommes faits ne seraient jamais
tombés sous la vindicte de la 10Í. Nous uemaudons en con sé-
quence qu'une sorte de code spécial prévoie autant que possi-
bIe tous les cas de ce genre, les définisse, avec précision, et
leur applique des pénalités en rapport avec la gravité de cha-
cnu d'eux.


A plus forte raison nous empressons-nous de souscrire a la
disposition insérée, sur la demande de M. Barthe, dans l'ar-




DE LA LIBERTÉ D'ENSEIGNEMENT. 3i
tic1e 25 du projet de loi am~ndé par la Chambre des Pairs, d'a-
pres Iaquelle les f( crimes, délits ou contraventions prévus par
{{ la loi .... seront réputés avoir été commis publiquement s'ils
{( ront été en présence des éleves, quoique dans l'intérieur de
«( l' établissement. ))


Quant a la compétence et a la procédure, nulle difficulté
possible. Les regles communes sont la, et il n'y aurait point de
raison pour s' en écarter.


Mais, quelque détailléque soit le code pénal que nous récla-
mions tout a l'heure, iI ne saurait embrasser tout ce quí, dans
la tenue d'une école, peut exciter l'animadversion de la so-
ciété. Il Y a des abus, des désordres, quí, par leur nature com-
pIexe, par leur forme variable et indécise, défient toute défini-
tion légale assez étr01te pour servir de base a une poursuite au
criminel, et auxquels cependant i1 est impossible de laisser un
libre cours. De la la nécessité d'une répression disciplinaire
destinée a rassurer pleinement l' ordre et les mamrs, en attei-
gnant ce que la répression pénale ordinaire est essentiellement
impuissante a saisir.


L' objet de cette répression nous parait avoir été convenable-
mcnt déterminé par les arto 2lJ et 25 du projet amendé sous les
quaIifications suivantes :


Désordre grave dans le régime el la discipline intérieure de
l'aablissement.


Inconduite personnelle de son chef ou de ['un des maUres.
lmmoralité dans l'enseignement.
On établit une dífférence entre ces trois cas en ce guí con-


cerne l' imputation. Le chef de r établissement est toujours
responsable dan s le premier; les deux derniers donnent action
contre l'auteur de la faute, guelque rang gu'il occupe parmi
les personnes préposées, soit a l' enseignement, soit a la surveil-
lance. La distinction est raisonnable; et toutefois ne serait-il
pas possíble de donncr a la société une garantie de plus en con-
stituant les écoles de telle sorte que la responsabilité du chef
dut s' étendre a tous les faits punissables de ses subordonnés?




32 OHGANlSATION


Nous nous bornons a indiquer cette idée, dont le développement
pourrait nous entrainer trop loin.


Le projet primitif assirnilait au désordre grave la llégligencc
permanente dans les études. eette qualification, retranchée par
la commission dan s la crainte qu'on n'en abusat pour porter
atteinte a la liberté des méthodes, puis reproduite par elle
lorsque ce danger lui parut écarté par l'attribution aux tribu-
llaux civil s de la juridiction disciplinaire, fut définitivement
supprimée sur la proposition de M. de Montalivet. On devine
aisérncnt que nous n' élcverons pas la voix pour la faire ré-
tablir. Mais si, eornme nous y incIinons, on venait a ranger
parmi les obljgations légales de l'instituteur eeUe de faire eon-
naitre a l' avanee son programrne d' études et d' y rester fidele,
en ce sens du moins qu'il ne lui serait pas permis de demeurer
en de~a des engagements pris par lui enver;,; le public, iI semit
simple etjuste d'attacher une peine de discipline a l'inexécution
de ces engagements. La, en elfe!, il ne s'agirait plus d'appré-
cier le mérite d'un procédé d'instruction, mais de constater un
fait matériel; on ne rechcrcherait pas si le maUre enseigne bien
ou mal, mais s'il enseigne d'une maniere quelconque ou s'il
n'enseigne pas du tout rune des sciences qu'il avait promis de
eommuniquer a ses éleves, et les progres de l' art pédagogique
n'auraicnt rien a redouter d'une rigueur qui ne frappcl'ait
qu'une évidente et insigne mauvaise foi.


Le cas d'iJlconduitc personndlc ne fut l'objet d'aueun débat.
II n' est peut-etre pas inutile de faire observer que nous l' en-
tendons dans le sens le plus large, e' est-a-dire comme pouvant
comprendre meme des faits étrangers a l' enscigncment et qui
se sont passés hors de l' école, s'ils tendent a priver le maltre
de la considération dout iI a besoin dans ses rapports avec les
éleves, ou a prouver qu'il est indigne de la confianee des familles
et de la société. Parmi ces faits, il y en aurait meme qui devraient
excIure de plein droit leurauteur de l'enseignement; eeseraient
ceux qui, s'ils avaient eu lieu avant qu'il se présentat pour en~
seigner I l' en auraient rendu légalement incapable. Que cette




DE LA LIBERTÉ J)'ENSEiGNEMENT. 33
incapacité, par exemple, soit attachée, comme on l'a toujours
proposé, aux condamnations énumérées dan s l' arto 5 de la loi
du 28 juin 1833; il est évident qu'une de ces condamnations
encourue penCl.ant que l'instítuteur sera en exercice ne lui
permettra pas de continuer a tenir école. Nous ne voudrions
pas poser une regle absolue pour les condamnations correction-
neUes en général; cal' nos lois en admettent qui laissent l'hon-
neur etla moralité elu condamné parfaitement intacts; mais nous
applaudirions it la sévérité de lajuridiction elisciplinaire, toutes
les fois que le jugement serait ele nature a ternir cette fleur ele
bonne renommée sans laquelle nous ne concevons pas qu' on
puisse prendre part a l' éducation de la jeunesse.


Un amendement de M~t Franck-Carré, Bourdeau ct Boullet,
tendait it faire assimiler a l' enseignement immoral l' enseigne-
mellt contraire aux [oís da royal/me. Combattu par M. de Bro-
glie, au nom de la commission, par les ministres ele l'instruction
publique et de la justice, par MM. Barthe et Laplagne-Barris,
il ne fut pas adopté, et nous ne pouvons mieux justifier la dé-
cision de la Chambre qu'en transcrivant ces paroles du rap-
porteur ;


« ••••••• n ne s' agit de rien moins 'que de ceci : il faut que
« tous les faits quelconques, qu'ils soient qualifiés ou non par
« la loi, que toutes les tendances quelconques que peuvent avoir
«( des doctrines, Iorsqu' on pourra dire qu' elles sont contraires
(( aux lois, que tous les enseignements puissent etre traduits
(f pele-mele devant les tribunaux civils, quí jugeront, non d'a-
« prcs des textes, non meme d' apres des faits, mais d' apres des
«( opinions. Si c' est lit ce qu' on veut, il vaut mieux tout símple-
({ ment établir la censure; il n'y a qu'elle quí puisse prévenir
(\ ce genre de délits.


«( Il est clair que du jour ou ron pourra traduíre devant les
(1 tribunaux te11e ou te11e doctrine qu'il plaíra de trouver con-
«( traire aux lois en général, sans etre tenu d' en donner la.




ORGANISATfON


11 preuve, il n'y aura plus aucune liberté d'enseignement f .... JI
Les peines disciplinaires reconnues par le projet amendé


(art. 24 et 25) sont la réprimande, et l'interdiction a temps ou
a toujours. La commission voulait faire précéder la réprimande
du simple avertisscmcnt, par analogie de ce que prescrit a 1'é-
garel eles magistrats la loi du 20 aV1'il 1810. Nous n'avons rien
a dire ni pour ni contre cette gradation; mais nous éprouvons
quelques doutes sur la convenallce et l'utilité de l'interdiction
a. temps, et nous inclinerions a penser que la profession d'in-
stituteur est de ceHes pour lesquelles les garanties morales ne
peuvent jamais étre trop entieres, et qu'une faute assez grave
pour en faire suspendl'e l'exe1'cice ne permet pas qu'il soit 1'e-
pris, rnerne au bout de plusicurs années, sans inconvénient et
sans scandale.


Le meme projet n'applique pas indistinctement toutes les
peines aux trois cas prévus. Il ne veut pas que le dés01'dre
grave puisse, lorsqn'il est constat6 pour la premiere fois, don-
ner lien a une peine plus forte que la réprimande, et réserve
ponr la récidive ceHe de l'interdiction (art. 24). Au contraire,
iI paralt entendre que ceHe-ci sera seule infligée au maltre COll-
vaincu d'inconduite personnelle ou d'immoralité dans l'cnsei-
gl1emcnt (art. 25). Nous adhérons volontiers a. cette distinc-
tion.


Nons arrivons en fin a la question la plus importante, ceHe de
la COillpétence. Le gOLlvernement proposait une doulJle juridic-
tion, ceHe un conseil académique et du conseil royal pour le
désordl'fg/'ave (auquel ilréunissait, comme nous l'avons vu, la
négligence permanente dans les élude.~); ceHe des trilJunaux ci-
vils pour l' inconduite et l' immoratité.


Dans la discussion tout le monde s'accorda, meme M. Cou-
sin 2, a retirer au conseil 1'oyall'attribntion exorbitante de p1'o-
noncer contre les concurrents de l' UnÍversité une peinequi pour-


i Discussion du projet de 18l¡!¡, p. 1263, 1264.
I P. U77.




DE LA LIBERTÉ D'ENSEIGlXE11ENT. 35
rait entrainer la ruine de leurs établissements. L'idée de les lais-
ser frapper d'une simple réprímande par le conseil académique
rencontra plus de partisans; mais on désira du moins régler la
composition de ce conseil de maniere 11 assurer son impartialité;
á cela on trouva des difficultés de plus d'une espece, et pour y
éehapper OIl prit le partí de renvoyer toute r6pression discipli-
naire aux tl'.ibunaux, queDes que fussent et la peine applica.-
LIe et la nature des faits incriminés. L' enseignement libre se
tl'ouvait ainsi placé d'une maniere absolue ::lOUS la sauvegarde
de l' autorité j udiciaire.


Ce systeme n' a pas trouvé grace devant la commission de la
Chambre des Députés; elle est revenue 11 peu de chose pres a.
celui du gouvernement, et en laissant aux tribunaux le soin de
s6vir contre les faits individuels d'inconduite ou d'immoralité,
elle a saisi la hiérarchie universitaire de tout ce qui auraít trait,
soit au régime eL a la discipline intérieure, soít a l'enseígne-
ment ele l'étaLlissement pris dans son ensemble, la réprimande
Llevant 0t1'e prononcée par le conseil aeadémique, la suspension
par le eonseil royal. Seulement elle a coneédé, comme garantie
contre I'ahus que celui-ei pourrait faire d'un tel pouvoir, le re-
cours au conseil d'État par la voie contentieuse contre ses
décisíons.


n nous est év idemment impossihle d' entrer dans un tel ord1'e
d' idées, puisque le nótre repose sur l'incompétence radicale
de l'Université et de ses agcnts cn ce qui touche les insti-
tutions libres. Mais nou, avor;s a nons prononeer, dans les di-
rerses hypotheses qui VICnnent d' etre indiquées, entre la com-
pétellee des tribullaux et ceHe des eonseíls de snrveilIanee dont
nous avons l'éclamé la création.


Et d'abord, qui devra statuer quand il ne s'agira que de ré-
priman del' l'instituteur? Malgré l' autorité qui s' attaehe au vote
de la Chambre des Pairs, nous avons peine a refuser au conseil
de surveillanee le droit d' appliquer ce premier degré de l' é-
cllelle pénale disciplinaire. Préeisément paree que nous pen-
son s que la plus légere flétrissure doit avoir pour l'instituteur




3S ORGANISATION


les conséquences les plus graves, il nous semble que dans les
cas ou il n' y a pas lieu de lui faire subir ces conséquences, il
importe d'éviter avec soin tout ce quí tendrait a le flétrir, et
qu'une simple expression de blame qui le laisse a la tete de
son établissement ne saura:t avoir un earactere trop paterne1.
Or, ce caractere se concilie difficilement avec l'intervention de
la justiceordinaire, dont les eoups, quelque modérés qu'ils soient
en eux-memes, atteignent toujours rudement, par cela seul que
c' est son bras qui les a portés.


On sent que la meme considération ne nous arretera pas
quand les griefs de la société seront de nature a mériter la peine
de l'interdiction. On n'a pas a craindre a10rs de frapper trop
fort, mais seulement de ne pas frapper juste; et quoi de plus
naturel que de chercher un préservatif contre l' erreur dans l'in-
tervention du pouvoir le plus accoutumé a constater des faits et
a en apprécier le caractere? Question d' honneur pour l' instituteur
inculpé; question de propriété tant pour lui que pour toutes les
personnes qui peuvent etre pécuniairement intéressées al' exis-
tenes de 1'établissement; quoi de plus conforme aux principes
que de déférer tout cela a la ma3istrature, gardienne ordinaire
de l'honneur et de la propriété des citoyens? A ceux qui suppo-
seraient que le défaut de connaissances pratiques en fait d'é-
ducation peut la rendre trop indulgente, nous opposerions le
Rapport de M. Thiers, arguant pour l'exclure de ce que les in-
tituteurs privés redoutent plus sa censure que celle de l' Uni-
versité elle-meme l., A ccux que toucherait au contraire cette
derniere objection, nous répondrions avec 1\1. Gasc :


(1 Quelle pitoyable raison que celle que vous d0I111eZ en disant
« que le Conseil royal est en général plus indulgent que la jus-
«( tice ordinaire! Vous voulez sans doute par la rassurer les es-
{( prits qui craignent les séveres chatimcnts du conseil univer-
( sitaire; mais quí done a demandé de l'indulgence pour les
« délits d' éducation? Pour notre part, nous voulons, au con-
I( traire, qu' on soit de la plus grande rigueur en yers les chef ti


t r. 48.




DE LA UBEIITf; D'ENSEIG~El\fENT. 37
e( d' établissements qui rnanquent a leur mission. Plus iI y a de
« de liberté dans un pays, et plus les loís doívent etre séveres
(( pour empecher 1'abus et la licenee t • l)


Lorsque le pouvoir judiciaire doit etre saisi, e' est au tribunal
civil de l'arrondissement que nous attribuerons, apres la Cham-
hre des Pairs, le droit de statuer, sauf l' appel a la Cour royale;
ce droit s' exercera dans la forme prescrite par l' arto 7 de la loi
du 28 juin 1833 sur 1'instruction primaire, e'est-a-dire en
chambre dn conseil et sans débats publics. On eon\(oit, en
effet, qu'en pareille matiere la pnblicité aurait des inconvénients
tels qu' on est contraint de renoncer a eette garantie si impor-
tante et si préciense toutes les fois qn' elle cst possible.


Personne ne sera surpris que nous n' admettions pas la clis-
position qui donne a la plainte dn rwcteur l' effet de mettre en
mouvement l' action disciplinaire; fonctionnaire de l' U niversité,
le recteur n' a rien a reqnérir contre les institutions libres. Le
droit de plainte, dan s notre systcme, appartiendra en premiere
ligne au conseÍl de surveilIance; rnais nous n' entendons pas
que l'inertie de ce eonseillie les rnains du ministre de l'instruc-
tion publique, dont la sollieitude peut etre éveillée soit par
quelque dénonciation directe, soit par des informations trans·
mises par le préfet; car il entre dan s les attributions générales
de celui-ci de signaler au gouvernement tout ce qui tend a.
troubler l' ordre, ct le role qu'il joue dans une organisation spé-
dale ne saurait lui en enlever le droit. Ce droit est aussi de
eeux dont est naturellement investí le procureur du roi, et pour
lJu'aucune incertitude sur la limite exacte de ses pouvoirs ne
vint en paralyser l' exercice, nous voudrions qu'une disposition
formelle l' autorisat a pénétrer aussi libremcnt que les mem-
hres du conseil de surveillance dans l'intérieur des étahlisse-
ments privés, non-seulement pour y constater des crimes ou des
délits, mais pour y vérifier tout ce qui pourrait intéresser la so-
ciété et les familles, et le signaler a l' attention, soit du conseil,
soit dn ministre. Les moyens de s' éclairer ne manqueraient


1 La Ré(orme et la Ligue universitaires, p. 300.




38 ORGANTSATION
done pas a ee dernier, et, quant a son aetion, nous ne la sub-
ordonnerions qu'a une condition unique, ceHe de mettre préa-
lablement le conseil en demeure d'agir lui-meme ou de faire
un rapport; mais les conclusions de ce rapport fussent-elleR
expressément opposées aux poursuites, le ministre n'en reste-
rait pas moins le maltre de faire déférer l' affaire au tribunal.


A plus forte raison lui appartiendrait-il, dan s les cas qui ne
devraient entrarner dans son opinion qu'une simple réprimande,
d' obliger le conseil de surveillance a se saisir et a prononcer.
Mais la s'arreterait son pouvoir; car ce serait compromettre
également l'indépendance du conseil et la garantie due a ses
justiciables que d' autoriser le gouvernement a réformer une
décision rendue, apres examen des faits, en faveur de l'inculpé.
Par une juste réciprocjté., cene qui lui scrait contraire ne de-
vrait etre susceptible d' aucun recours.


V. - QUESTION PARTlCULlERE CO~CERNA'\'T T.ES RAPPORTS DE
L'ENSEIGNEMENT LIBRE AVEC LA PRESSE.


Sans nous flatter de n'avoir omis aucun détail, nous croyons
avoir parcouru tout le cercle des questions qui se rattachent a
la surveillance officielle de l' enseignement privé. Mais il y a en-
core une autre espece de sllrveillan.ce dont iI convient ele ten ir
compte parmi les nations libres, ceHe de l' opinion qui a pour
principal agent la presse. Cene-la allssí, nous la voulons sé-
ríeuse et efficace, et nous proposons dans ce but une innova-
tion législative que nous expliquerons en peu de mots.


On connalt la distínction capitale aelmise par nos 10is entre la
diffamation envers de simples particuliers et celle qui s' atta-
che a des fonctionnaires publics. A l' égard des premiers, iI n' est
jamais permis d'alléguer un fait qlli porte atteinte a Ieur hon-
neur, quelque vrai qu'il puisse etre, et par suite on n'est pas
re<;u devant la juridiction correctionnelle, seuIe compétente
en pareil cas, a prouver les imputations pour lesquelles on est
poursuivi. Mais lorsqu'il s' agit des seconds, cornme il :est de




DE LA LIBERTÉ D'ENSEIGNE.~mI\jT. 39
l'intérét public que leurs prévarications soient mises au grand
jour, chacun a le droít de les signaler a ses p6rils et risques,
et échappe a toute condamnation en démontrant au jury qui
connait de ces sortes d'affaires, qu'il n'a avancé que des faits
réels. En d'autres termes, le simple citoyen est protégé contre
la médisance, le fonctionnaire ne 1'est que contre la calomnie.


t'instituteur privé n'a évidemment pas ce dernier carac-
tere, et si l'on demeurait dans les termes du droit commun, il
serait fondé a faire punir quiconque lui aurait imputé un fait
blamable, sans qu' on put se prévaloir de la vérité de ce fait. Mais
le pays a d' aussi graves motifs pour ten ir l' mil constamment ou-
vert sur sa conduite que sur ceHe des agents du pouvoir, et
cette consldération justiflcrait pleinement, selon nous, une di s-
position exccptionnelle quí, sans le qualifier de fonctionnaire
(un te1 abus de mots pourrait amcner de facheuses confusions
d:td.~~",,\, H~\\d.,att ti la. diftamat\.Gl\ dcmt il serai.t l' Gbiet ~ et la.
comp6tence des conrs d'assises et le droit ponr le prévenu d'é-
tablir par pieces ou par témoins l' exactitudc de ses allégations.
Un controle de plus viendrait ainsi se joindre a celui de l'an-
torité; une nouvelle responsabilité menacerait sans cesse le
ma1tre prévaricateur.


VI. - RÉSUMÉ.


On peut juger mairitenant si nous usons d'une molle com-
plaisance envers l' enseignement libre, si nous prétendons af-
faíblir les garanties que la société réclame contre ses écarts.


Deux classes de personnes doivent attacher une importance
particuliére a lenr sévérité. Nous soumettons avec confiance a
l'examen de 1'une et de l'autre cette premiére partie de notre
travail.


Il y a d' abord les hommes qui envisagent la question en e11e-
meme, sans passion et sans parti pris ; qui ne se défient pas de
la part que pourront se faire dans l' enseignement affranchi
les convictions désintéressées, mais qui craignent de voir




ORGANlSATlON


l' esprit de spéculation y pénétrer a leur suite ou sous leur
manteau~ et y apporter tous les genres de eorruption. Nous
comprenons parfaitement le sentiment qui les domine; nous
l' éprouvons nous-meme : pourquoi ne l' avouerions-nous pas?
Et c'est sous son inJluenee que nous avons recherché avee tant
de soin les préeautions les plus propres a prévenir l'abus de la
liberté; mais nous les adjurons de nous dire en quoi nous aurions
pu pousser ees préeautions ]llus loin que nous ne l' avons fait.


N'avons-nous pas suivi presque pas a pas les traces d'une
assemblée politique pleine d'hommes renommés par leur ex-
périenee, qu' on n' a jamais aceusée de ten dances aventureuses,
et qui, dans la question de l' enseignement en particulier, n' a
certes pas eédé aux entra1nements d'un libéralisme excessif?
Notre systcme ne differe essentiellement du sien que par la
8uppression de 1'inspection universitaire; mais n' avait-elle
pas fait un pas décisif dans cette voie en retirant a I'Univer-
8it6 sa juridiction? Et aprcs tout, la surveillance de ce grand
corps, meme dans la plénitude d' omnipotenee que les dé-
crets impériaux lui ont eonférée, quelle sécllrité réelle a-t-e11e
a. nous offri!'? On a vu la masse des ehefs d'institution de
Paris eélébrer sa mansuétude, et, sur les seules données que
fournit la eonnaissanee du cceur humain, il est permis d'affirmer
que les trafiquants d'instruction, toujours les plus obséquiellx et
les plus souples, seraient par cela meme les moins exposés it des
rigueurs naturellement r6servées aux hommes de conscience
qui jouteraient eontre l' enseignement offieiel avec toute l' é-
nergie d'une ame dévouée et d'un caractére indépendant. Les
faits ne nous manqueraient pas a l'appui de ceLte asse1'Lion,
et quiconque connalt l' état acíuel de l' ellseignement privé
demeurera d' accord que les moyens de surveillance indiqués
par nous auront a tout le moins l' efficacité nécessail'e poul' em-
pecher de s' aggraver les plaies que laisse subsister la tuteUe de
1'Université.


!\laís tous ne se préoceupent pas du meme péril. Graces a
de tristes préjugés, héritage du dernier siécle, beaueoup




DE LA LIBERTÉ D'ENSEIGNEME~T.
prennent moins d' ombrage des calculs de la cupidité que des
inspirations de la foi. Le spectre qui se dresse devant leur ima-
gination, ce n'est pas le spéculateur, e' est le pretre, et pour eux
le plus grand mal que puisse enfante1' la liberté de l' enseigne-
mcnt, c' est1' accaparement del' éducation par le cle1'gé. A ceux-la
nous ne répétel'ons pas que nous ne voulons point de cet acca-
pal'ement, ils ne seraient pas obligés de nous croire; nous n' es-
saierons meme pas de leul' démontrer en fait son impossihilité,
quoique manifeste a nos yeux. Mais nous leur dil'ons : Voyez
en quellesmains nous remettonsla surveillance. Lequel des mem-
bres de nos conseils vous parait avoir été choisi eoml11e pouvant
1l0US offrir des gages partieuliers de sympathie ou de faiblessc
envers 1'influence cléricalc, jésuitiquc, ou COl11me vous voudrez
l' appeler? Est-ce le préfet? Mais vos soup<;ons a son égal'd 1'e-
monteraient jusqu' au gouverncment; et si le gouvernement
pouvait jal11ais les mériter, rien ne devrait plus vous alal'mer que
le maintien patent ou dégllÍsé du 1110nopolc, eal' rien ne donne-
1'ait plus de facilités au pouvoir poul' vous t1'a11i1'. Est-ce le
mai1'e, trié par l' administration sur tous les l11embres d\m corps
électif qui, dans peu de localités assurément, contient dans
une proportion pl'édoll1inante l' élément qui cause vos terreurs?
Est-ee le magist1'at délégué par la eour royale? Ignorcz·.
vous done l'esprit qui re.:;nc maintenant dans nos compagnies
souveraínes, et cussiez· vous l' étrange idée de réputer jésuite
tout ce quí dans leurs rangs date de la Restauration, ne savez-
vous pas que la meme OU de consciencieuses démissions n' en
ont pas profondément ll10difié le p~r:::;onnel en 1830, le cours
naturel des choses dcpuis seize ans en a renouvelé la majorité
par des ordonnanees eOlltresignées D uponl (de rE ure) , P crsit ou
Jlarlin (duNord)? Sont-ee enfin les membres duconseilgénéral
e tdu conseil d'arrondissemcnt, rcprésentation pure du pays
légal, expression si universellement fidele des préventions qui y
exereent tant d' ell1pire, que beaucoup de nos amis trembleront
a la pensé e de voir des établissements qui leur sont chers SOUl11~S
a un tel controle? Quantaux deux notables, ils refléteront néees-




42 ORG ANISATION
sairementla couleureommune de eeuxqui se les seront adjoints.


Voila pourtant, avee le procureur du roí qu' apparemment vous
ne récuserez pas, voila les surveillants que nous acceptons. Apres
cela, nous ingénions-nous a énerver leur action ? Nous ne négli-
goons rien pour qu'elle soit incessante, énergique, efficace. La
répression qu' elle peut amener, l' enchainons-nous dans des défi-
nitio11s étroites entre lesqucllesil resto un large passage aux abus?
Nous lui laissons toute la latitude que les voix les moins suspec-
tes n' ont pas proclamée essentiellement inconciliable avec la li-
berté. Enfin, a quelle autorité confions-nous le soin de prononcer
définitivement sur 1'infraction et sur la peine? A cetto memo ma-
gistrature dont nous vonons de caractériser et dont vous con-
naissez aussi hien que nous les éléments et les tendances; et de
peur que la vigilanee du survei11ant ou ·la formeté du juge ne
se trouve parfois en défaut, 110US allons leur cherchcr des sup-
pléants auxquels nul avant nous n' avait songé: au surveillant,
la presso dans laquelle on sait si nous comptons moins d'ad-
versuires quo d'amis; <tu jugo, lo jury sur la partiulité duquel
on ne nous uccusera sans doute pas de spéculer.


Il faut vraiment que nous ayons unefoi bien profonde dans la li-
berté, une bien haute idée de la vigueur qui lui est propre pour
l' exposer ainsi aux chances de mauvais vouloir qui peuvent chan-
gel' en ontraves tant de précautions accumuléos sur son chemin.


Si ces précautions ne vous rassurent pas encore; si pour
dormir tranquilles vous avez hes01n de la savoir épiée dans tous
ses mouvements, traquée clans tous ses asiles par une rivale ir-
ritée et jalouso, maintenuo par rapport a elle dans un état de
vasselage qui ne décourage pas moins qu' il n' humilíe; le croi-
l'ait-on enfin? livrée, au moindre écart, a cette meme rivale, et
forcée de reconnaitre en olle l' arbitro de ses intérets de fortune
et d'honneur; si tel est votre derniel' mot, pcrmis a vous de le
maintenir; mais nous serons compris par tous les hommes de
sens et de CCEur quand nous vous jetterons pour toute réplique
ces paroles de M. le duc de Broglie: « Il vaut mieux tout sim-
« plement établir la censure. )




DEUXIEME PARTIE :


DE LA


CAPACITÉ D'ENSEIGNER.


Personne ne conteste ni ne peut contester le príncipe meme de
la liberté de l' ellseignement, puisque ce principe est adopté et
proclamé dans les termes les plus absolus par la Charte; mais
ses advcrsaires, profitant des craintes qu'inspire toujours 1'ap-
plication d'un droit nouveau, ainsi que de la juste sollicitude
dont la société entoure les générations naissantes, exigent du
législateur qu'il impose aux citoyens qui voudront user de la li-
berté d'enseigner, une multitude de conditions en apparence
tres-Iégitimes, tres-simples, tres-faciles a remplir, mais dont
l' effet n' en serait pas moins de rendre a peu pres im possible la
fondation d'un établissement libre d'instruction secondaire, ou
de ne laisser a cet établissement, si 1'on parvenait jamais a le
créer, qu'une existence incertaine et san s cesse menacée. Cette
tactique, qui a pour objet d' annuler dans la pratique chacune
des concessions que l' on a été forcé de faire sur la théorie, ne
manque pas d'habileté, et elle a séduit plus d'une personne
éclairée, amie meme de la liberté, mais peu versée dans la
pratique de l'enseignement. Toutefois, il est aisé de la déjouer.


Lorsqu'il s'agit de déterminer les garanties a exiger du ci-
toyen qui veut embrasser la profession de l'enseignement libre,
n faut, comme en toute matiere, commencer par posel' les prin-
cipes génél'aux, c'est-a-dil'e par fixer les rapports de cet insti-
tuteur avec la société, et, quand on passe ensuite al' application
de ces principes, ne pas oublier que le cours naturel des cho-




ORGA~ISATION


ses et l'intéret privé viennent en aide a la loí et la suppléent
souvent avee bonheur, et que lui imposer l' obligatíon de tout
prévoir et de tout régler par elle-meme, e' est ou la eondamner
a l'impuissance, ou la rendre destructive de la liberté. Nous
suivrons cette méthode en traitant la partíe la plus délícate
et la plus combattue de l' organisation de la liberté de l' ensei-
gnement.


La premiere question qui se présente est celle de savoir si
la loí doit exiger certaines garantíes du eitoyen qui veut, en
vertu de l'art. 69 de la Charte, ouvrir un établissement d'in-
struction seeondaire, et si elle ne trouve pas dans la sollicitude
et les lumieres des peres de famille tous les gages de sécurité
qu'elle peut réclamer.


Il serait a souhaíter, a-t-on dit, qu' aucune mesure préven-
tive ne vlnt gener l' exercice d'un droit constitutionncl que la
Charte a proclamé sans y apporter aucune restrictíon, et que
la liberté d'enseignement ne füt pas traitée avec moins de fa-
veur ni de eonfianee que la liberté de la pl'esse. l\1ais, on ne sau-
raít le nier, ces deux libertés Ollt chaeulle un mode d' existen ce
différent. La presse, eomme on le répcte avee raison, guérit e11e-
meme les blessures qu'elle fait; cal' elle ne vit que de luttes,
que de eontestations, et ne répand pas une seule erreur san s
en pubIier aussitót la réfutation. L' enseignement, au contraire,
se dérobe aux regards du publie, au contróle de l' opinion, a
toute discussion, et des moyens répressifs, si rigoureux qu' on
les suppose, viendraient toujours trop tard pour réparer le mal
causé par un instilUteur ignorant ou corrompu. Cet instítuteu
pourrait d'autant moins se plaindre de se voir dépouillé pré-
ventivement de ce qu'il appe11erait son droit, que ce droit a été
établi en faveur des peros de famille et non des instituteurs,
qui ne sont que de simples agents.


Certes l' mil attentif, ou pour mieux dire le camr du pere de
famille, devrait se suffire a lui-meme et rendre superflues tou-
tes les garanties légales; maís quí ne craindrait pas d'affirmer
que dans l' état actuel de notre société, si laborieuse, si agitée,




DE LA LIBEI\TÉ D'ENSEIGNEMENT. 45
si bruyante, au milieu de cet entrainement général vers les in-
térets matériels, le plus grand nombre des peres de famille au-
ront assez de loisir, de lumieres et de conscience de leurs de-
yoirs pour distinguer l'apparenee de la réalité, et ne pas céder
aux séductions du charlatanisme ou aux appats trompeurs du
bon marché?


Nous ne faisons aucune diffieulté de reconnaitre ce qu'il peul
y avoir de fondé dans ces observations, et d' admettre en prín-
ei pe que la société a le droit d' exiger des garanties de tout
citoyen quí veut ouvrir une maison d' éducation, mais sous la
réserve expresse que ces garanties seront efficaces et qu' elles
ne pourront jamais etre tournées contre la liberté. Recherchons
maintenant s'il est possible de déeouvrir des garanties de ce
genre.


Les garanties a exiger de l'instituteur doivent se rapporter
a la morale et a l'instruction, ou, en d'autres termes, attester
que le citoyen qui se présente pour élever et instruire la jeu-
nesse est lui-meme un homme honnete et instruít.


l. - Du CERTlFlCAT DE MORALlTÉ.


Au premier abord rien ne semble plus facile que de déter-
miner les cas dans lesquels on doit accorder ou refuser a un
individu ce qu' on appelle un certificat de bonne Tie el meeurs.
Des 10is et des ordonnances fréquemment appliquées prescri-
vent, dans certains cas, la production d' attestations de ce genre,
et l' on n' a pas entendu dire que les magistrats chargés de les
délivrer éprouyassent beaucoup de difficultés a rcmplir leur
devoir. lIs interrogent le requérant, consultent les personnes
qui le connai8scnt, ses amis, ses voisins, et apres cette enquete
sommaire, accordent ou refusent l' attestation demandée. A vrai
dire, un pareil certificat ne constate guere autre chose sinon
que celuí qui en est r objet n' él pas subí de condamnation judi-
cíaire ou ne porte pas la flétrissure d'une détestable réputa-
tion. Mais lorsqu'il s'agit d'appréeier sérieusement le carac-




46 ORGANISATIO:'ol
tere d'un homme que ron ne connait pas ou que ron connait
a peine, de sonder ses principes religieux et moraux, de péné-
t1'er ses idées, ses mceurs, ses gouts, ses faiblesses, de reche1'cher
si pendant toute la durée de sa vie il est resté fidele aux regles du
devoir, aux 10is de 1'honneur et si son avenir semble suffisam-
ment garanti par son passé ; quand, disons-nous, l' on n' a pour se
diriger dans une investigation aussi épineuse que des témoigaa-
ges vagues, incomplets ou suspects, alors surgissent en foule des
incertitudes de toute sorte, íncertitudes que la conscience la.
plus rigoureuse, fut-elle servie par une volonté forte et un ju-
gement sur, serait le plus souvent impuissante a surrnonter.
Dans le langage habituel, le brevet d'honnete ou de rnalhonnete
hornrne se distribue avec infiniment de facilité ou pour mieux .
di re de légereté; mais qu~ n'éprouverait pas une anxiété pro-
fonde s'il1uí fallait décider, la main sur la conscience, qu'un
cito yen dont il n' a pas suí vi et étudié attentivement la vie tout
cntiere, est digne d' entrer elans une carriere qui exige pour
ainsi elire la réunion de toutes les vertus?


Les auteurs des différents projets de 10i présentés elans ces
dernieres années sur la liberté de l' enseignement sont venus
tour a tour se heurter contre un obstacle, qu'ils n' out pu sur-
monter qu' en sacrifiant tantOt le elroit constitutionnel eles ci-
toyens, tant6t les garanties morales elles-memes. Aucun point
ele législation réglementaire n'a aussi souvent ni aussi vaine-
ment fatigué l' obstination des publicistes les plus habiles et les
plus expérimentés. L'histoire de leurs déceptions a quelque
chose ele curieux, et nous allons essayer de la tracer en peu de
mats.


Le projet de loi présenté a la Chambre eles Députés, le 1. er fé-
vrier 1.836, par M. Guizot, portait que tout Franyais qui vou-
drait former et eliriger un établissement el'instruction secon-
daire, sera1t tenu de déposer un certificat délivré, sur l' attesta-
tion de trois conseillers municipaux, par le maire ele sa com-
mune, constatant qu'il est digne par ses mreurs et sa conduite
de diriger une maison d' éclucation.




DE LA LmEllTÍ~ D'ENSElGJ\E",IEl'\T. 47
L' exposé ues motifs ne contenait aucune explication sur le


caractere du certificat de moralité. Le ministre sc contentait
de déclarer ce certificat nécessaire~ et d' avertir les magistrats
municipaux de la gravité de leur attestation et du scrupule trop
souvent oublié qu'ils devaient y apporter.


l\'l. Saint-Marc Giraruin ne s'ar1'ete pas, dans le rapport qu'il
p1'ésenta a la Chambre des Députés, sur le certificat de mora-
lité. Il parait le regarder comme un acte sans grande impor-
tance, et les véritables ga1'anties se trouvent, selon lui, dans le
brevet de capacité qui devait etre délivré par un jury spéciaI.


(( Lebrevet de capacité tel que nous l' entendons, dit-il,répond
i:t, divers ordres d'idées. Pour etre un bon maUre, il faut savoir
ce qu' on veut enseigner; il faut etre honnete homme et avoir de
honnes mc.eurs. Il faut aussi n' étre ni grossier, ni brutal, ni mal
élevé. l\'ous ne mettons pas les bonnes mmurs et la politesse en
paralleIe avec la science et la vertu. Nous ne voulons pas ce-
pendant, surtout quand il s'agit d'instruction secondaire, que
nos enfants soient élevés par des brutaux, pas plus que nous
ne voulons qu'ils soient élevés par des ignorants ou par des li-
bertins ... II ne s'agit ici ni u'une enquete sur la vie d'un can-
didat, ni d'un examclluc conscience. Le candidat doit, ueux
mois avant la session uu jury, adresser au recteur de l' Acadé-
mie un certificat de llloralité délivré par le maire de sa com-
mune. Cette formalité a pour hut de saisir le jury de la con-
naissance de ce qui touche a la moralité des candidats, et de
bien l'avertir qu'iI n'est pas jugo seulement de la sciencc du
candidat, mais qu' il est juge de l'llOmme tout entier. ))


Ainsi, dan s ce systeme, le certificat de mo1'a1ité délivré par
le maire n'était qu'un commencement de preuve destiné a diri-
ger dans ses recherches le j ury, auquel appartenait souveraine-
ment le droit de juger l' aptitude du candidat sous le triple rap-
portde la moralité, du savoir liLtéraire et des connaissances
pédagogiques.


Le projet de loí présenté par M. Villemain, ministre de 1'in-
struction publique, le i O mars 18lti, reproduisait, sur les gar-




[¡8 ORGANISATION


ranties morales a exiger de l'instituteur, les dispositions con-
tenues dans le projet de loi de 1830. C'était toujours un certi-
ficat délivré par le maire, sur l' attestation de trois conseillers
municipaux, qui devait consta ter que le requérant était digne,
par ses mrours et sa conduite, de diriger une maison d' éduca-
tion, et, en cas de refus, le tribunal civil qui statuait (art. 4,
S 10).


La commission nommée par la Chambre des Députés pour
examiner ce projet de loi, et dont le président était M. le
comte de Salvandy, ne déposa pas de rapport; mais elle fit
connaitre { le résumé de ses travaux et les points sur lesquels
elle avait différé d' opinion avec le gouvernement. Nous voyons
sans surprise qu' elle rejeta absolument le certificat de moralité:
mais elle n' évita cet écueil que pour aller donner conire un au-
tre plus redoutable encore. Voici au surplus le texte de sa déli-
bération, que, par plusieurs motifs, nous croyons devoir remet-
t1'e sous les yeux du publico


« La commission décide :
« La suppression du certificat de moralité pour tous les chefs


d'établissements privés, auquel elle substitue une simple dé-
c1aration de l'intéressé et une information facultative du rec-
teur, suivie, s'jl y a lieu, d'une opposition devant le conseil
académique, dans l'intéret des mrours publiques, avec appel
devant la Cour royale, quí statue; la suppression du certificat
de capacité et du jury d'examen, en se contentant, pour les
chefs d' établissement, du grade de bachelier es-Iettres, et de
bachelier cs-sciences pour les établíssements scientifiques; la
suppression du grade de bachelier pour les maUres d' études,
les professeurs y restant sculs soumis ; le maintien du certificat
d' études, comprenant la rhétoriquc et la philosophie pou1' les
ccmdidats au baccalauréat; le mainticn des petits séminaires
dans le régime spécial qui leur a été attribué jusqu' a ce jour;
l' ohligation, pour les éleves de ces établissements qui vou-


l Gazett8 de l'InstrucliOIl p¡¡bliqu~J du 15 févricr 18M, p. 66.




DE LA LIBEIlTÉ D'ENSEJGNEMENT. 49
draient se présenter au baccalauréat, en renonyant a la car-
riere ecclésiastique, de produire le certificat d'un cours de phi-
losophie, suivi, soít dans un établissement public ou privé, soit
dans la maison paternelle. ))


Cette commissíon, comme on le voit, proposait d' ouvrir une
enquete sur les mreurs et la vie du citoyen qui voulait fondel'
une maison d'éducation. Mais a qui confiait-elle le soin de
faire cette enquete? au recteur, chef universitaire de la cir-
conscription académique. Qui devait prononcer dans le cas oú
le recteur aurait émis un avis défavorable, dicté par la pré-
vention ou fondé sur des preuves insuffisantes? le conseil aca-
démique, c' est-a-dire le tribunal privé, disciplinaire de l' Uni-
versité. N' est-il pas évident que si une pareille proposition eút
été accueillie, l' autorisation préalable, au lieu de disparaitre,
ainsi que la Charte r ordonne, serait simplement passée des
bureaux du grand-maitre dans ceux du recteur de chaque aca-
démie, au détriment des citoyens, quí auraíent eu a lutter
contre tou tes les petites passions qu' engendre l' esprit de loca-
lité, et contre des intérets, adversaires bien plus redoutables
que ne le sont les convictíons et les doctrines. A la vérité, la
commission ouvrait la voie de l' appel en Cour royale au de-


.. mandeur repoussé par le conseil académique, et croyait par lá
donner au droit des citoyens une tuteIle aussi élevée que puis-
san te. Nous croyons devoir faire a ce sujet une observatioH
applicable a d'autres matieres encore que ceHe que nous trai-
tons.


ta Restauration commit une faute grave, et dont elle se re-
pentit trop tard, quand, au mépris du príncipe de la divisioll
des pouvoirs, elle conféra aux cours royales une juridiction pu-
rement politique sur les écrits périodlques. Ces cours de justice,
s' étant pour la plupart laissé entralner au courant de l' opinion
dominante, dcvinrent bient6t l' appui le plus solide de l' 0Ppo-
sition, qui, par une reconnaissance tres-naturelle, célébra en
tous lieux l'indépendance, la fermeté, la sagesse, le désinté-
ressement uu pouvoir juc1iciaire, dernier refuge de la liberté


4




50 OIlGA:'oiISATIOX
méconnue et proscrite; répéta et fit croire aux citoyens que
leurs droits politiques, continuellement menacés par une royauté
jalouse, ne seraient en sureté que quand ils auraient été placés
sous la garde des corps de justice. Des que l'opposition parvint
au pouvoir, elle n'eut rien de plus pressé que de faire interve-
ni.r les cours royales dans la r6vision des listes électorales; et,
fermement convaincue que l'inamovibilité enfante l'indépen-
dance, comme si 1'inamovibilité excluait l'ambition de s'éle-
ver, nou:,:; 1'entendons encore aujourd'hui réclamer en faveur
de la magistrature des attributlons contrai.re.s a r ob}e.t meme de
l'institution judíciaire. Cette erreur doit elre signalée comme
une des plus dangereuses entre toutes celles que le líbéralisme
de la premiere époque nous a léguées.


Il se peut dOllC, et nous sommes meme tres-dísposés a le
penser, que la commission de 1841 ait cru qu' en OUVl'ant aux
citoyens un appel devant les cours royales, elle éloigllerait l' ar-
bitraire et préviendrait l' abus que le recteur et le conseil aca-
démique pourraient faire de leur autorité. ~1a.is quí ne voít
l' étendue de cette musion? Une cour royal e est une réunion de
magistrats chargés de prononcer en dernier ressort sur les pro-
ces que suscite entre les particuliers le droít de propriété, ainsi.
que sur les débats relatifs a l' état eles personnes ; leurs études,
leurs travaux de chaqne jour et leurs habitudes ne les dispo-
sent pas a remplir el'autres fonctions ; or, une pareille assem-
blée, si grandes qu' on suppose les verius et les lumieres de
ceux qui la composent, posséderait-elle par hasanl une apti-
tude spécíale pOlI!' scruter les pensées, les mreurs, le carac-
tere, la vie antérieure (l'un individu, et d6cidcr s'il cst digne
d'excrcer les nobles et difficiles fonctions d'Ínstituteur de la
jeunesse I? Non, assurément. Des lors, manquant sur ce point


1 Ce que nous disons ici n'infirme nullement la part si grande que,
dans notre premier article, nous "ayons faite a l'intervention des tribu-
naux. n s'agissait alors des dilits commis dan s l'enseignement, et ces
délits rcntraient naturi3l1cment dan::; la compétence des cours de jus-
tice .• - L'appréciation toutc ll1ol'ale des antdcidents d'un iustituteur est




,


DE LA LIBERTÉ D'ENSEIGNKIIENT. 5i
d'aptitude, ou elle sanctionnera aveugJément la décision du
conseil académique, ou elle le cassera sans motifs réels. Dans
le prfllier cas, son intervention serait inutile ; dan s le second,
elle pourrait etre injuste et regrettable. Le commission de 18hi
donna une preuve de sagesse en repoussant le certificat de
moralité délivré par le maire ; mais quand iI s'est agi de rem-
placer ce certificat par une attestation de nature différente, elle
voulut innover, et invoquer le secours de l'Université et de la
magistrature clans une circonstance OU l'une devait etre exclue,
et l'autre ne devait pas etre appelée.


Poursuivons le récit des efforts qui ont été faits pour vaincre
une difficulté insurmontable.


Dans le projet de loi présenté a la Chambre des Pairs, le 2
féuier 18Ml, par M. Villemain, nous voyons reparaitre le cer-
tificat du maire, ot le recours au tribunal en cas de refus; mais
}' attestation des trois consoillers municipaux n' est plus requise.


(( J'insisterai peu, disait le ministre dan s l' exposé des motifs,
sur ces premieres disposítions, déja connues, et pour ainsi dire
éprouvées par le déhat ou la publicité. J)


Cependant, le droít attribné an maire de délivrer le certificat
de moralité, sans aucnn controle et sons son unique responsa-
bilité, suscita, lors de l'examen du projet de loi dans les bu-
reaux de la Chamhre, une réprobation unanime, dont la com-
mission se rendít publiquement l'organe quand elle proposa
l'adoption d'un systeme tout nouveau.


« Les maircs des potites communos rurales, disait i\1. le duc
de Broglie, rapporteur de la commission, sont malheureuse-
ment, pom la plllpart, tres-pen éclairés; les maires des grandes
communes et eles villes, en butte a des attaques continuelles,
sont en général dans une position qui les renel circonspocts,
timides meme, qui les oblige á ménager les influences diverse~
dont ils sont entourés, á éviter de se faire des ennemis. L'ex-


une chose différentc <lui nc saurait etre abandonnée it une interpréta-
tion arbitraire, et, sous ce rapport, l'intervention des tribunaux n'olIri-
rait aucune garantie.




52 ORGANISATiON
périence du systeme proposé a été faite en matiere d'instruc-
tion primaire ; elle a tres-médiocrement réussi: les certificats
ont été tres-souvent délivrés de complaisance; quelquefois ils
ont été refusés par suite d'inimitiés de village et de tracasieries
subalternes. ))


L'honorable rapporteur critique avec non moins de force ni
de raison l'intervention du pouvoir judiciaire.


« Le recours aux tribunaux ne porterait aucun remede a l' a-
bus des certificats de complaisance, puisque ce recours n' est
ouvert qu' a la partie lésée, et en cas de refus, dans ce dernier
cas, il courrait risque de dépasser le but; car si le refus d'ull
certificat de bonne vie et mmurs était confirmé par un arret
juridique, cet arret équivaudrait presque a une déclaration
d'infamie. Tout ce systcme a paru inadmissible a votre COffi-
mlSSlOn. »


Sans 11uI doute ce systeme était inadmissible, et l' 011 11e pou-
vait pas mieux en faire ressortir les vices; mais par quel autre
systeme ]a commission proposait-elle de le remplacer? Elle in-
stituait un comité d'arrondissement, composé du président du
tribunal civil, du procureur du roi, du plus ancien curé du
chef-lieu, d'un membre du conseil général dé signé annuelle-
ment par le conseil, et d'un membre du conseil d' arrondisse-
ment, également désigné par le corps dont il était membre.
Les demandes de certificats devaient etre adressées par le sous-
IH'éfet de l' arrondissemcnt a ce comité, qui statuait souveraine-
mento


« Ce comité, ajoutait le rapporteur, sera tres-puissant; 11
sera tout-puissant,)) Est-il néeessaire d'indiquer les cffets iné-
yitables de eeHe toute-puissance ? A qui pCl'suadera-t-on qll("
les hommes les plus considérables de I'arrondissement, réunis
('n comité, se renfermeront daus l' appréciatioll ues mmurs et
ele la conduite de l' aspirant; qu' ellgag6s tous, hormis un seul,
sous les hannieres polit~ques qui divisent notre nation, ils dé-
poseront t011t esprit de parti, t011t dé sir de faire triom phel',
me:118 dan s une circonstance particulicre, leur opinioll, quand




DE LA LmERT(~ D'ENSEfG:-.'DIEJ'liT. 53


i1 faudra décider, non pas, a vrai dire, si l'aspirant est homme
de bien, mais s'il importe, dan s l'intéret privé de l'arrondis-
sement Oll du départemcnt, comme dans 1'intéret général, d'au-
toriser un établissement nouveau d'instruction publique, et de
créer un concurrent de plus a l'Université ? Notre confiance ne
va pas jusque-lit, et l' omnipotence d'un tel comité ne nous pa-
rait nullement rassurante pour la liberté. Plus on avait apporté
de scrupules á bien composer le comité, plus on avait multi-
plié les chances pour qu'il franch1t les limites tracées par la
]oi et devint un comité poli tique. Alors aurait reparu l' autori-
salion préalable, non pas tempérée par la responsabilité mi-
nistérielle, mais aggravée par l'irresponsabilité d'un comité au
sein duquel aurait dom iné l' esprit de parti tel qu' il existe dans
les petites villes, c' est-a-dire plein de petitesse et d' aigreur.


Nous ne craignons pas d'atlirmer que de tmItes les combi-
naisollS proposécs pour remplacer le certificat de bonne vie
(~t 111mlU'S dt'~li\TÓ par le lI1aire, celle que mit au jour la com-
miss ion de la Chambre des Pairs, en 18ltlt, fut, sous tous les
J'apports, la moins heurcuse, la moins conforme a l' esprit de
la Charte, la plus favorable a l' abus qu' on croyait prévenir.
Et crpenclant ceHe meme commission n'avait ras craint de dé-
clarer qne (de c1roit d' enseigner, était, en France, un droit con-
stitutionnel, un vrai droit civique 1 ! ))


On IlC peut savoir si de nouveaux essais ne seront pas tentés
dans cette voie, illustrée déjiL par tant de revers; mais ce dont
nous sommes certains, ce que l' expérience indique assez, e' est
qu'a moins de vouloir poursuivre éternellement un but chimé-
rique, il faut l'enonccr a ces certificats, qui, ne certifiant rien,
n'ayant aucune valeur morale, peuvent aisémcnt devenir une
arme dangereuse contre le droit et la liberté. Qu' on veuille bien
remarquer que nous ne repoussons pas en principe le sysieme
des certiflcats de moralit6; mais nous nOllS arre ton s Llevant les
obstacles que présente l'application de ce systeme, obstac1es


1 page 38.




ORGANlSATlON


que tant d'efforts infructueux, tentés par des hommes assuré-
ment tres-habiles et tres-expérimentés, autorisent a qualifie
d'insurmontables.


II faut d'ailleurs reconnaitre qu'il sera toujours facile de se
jouer des prescriptions de la loi en matiere de certificats, par
le moyen d'une substitution de personne. Qui pourrait jamais
empecher un individu dépourvu de certificat de bonne vie et
mceurs, ou auquel ce certificat aurait été refusé, de former une
société poUl' l'étahlissement et l'exploitation d'une maison d'é-
ducation, avec quelqu'un qui posséderait déja ou qui obtien-
dl'ait sans difficulté une attestation pareille ~ Le chef apparent
de 1'institution aurait obéi a la loi, le chef réel se serait dé-
robé a ses injonctions; et le législateur chercherait en vain les
moyens de déjouer cette fraude, pratiquée ouvertement de nos
jours dans des cas, non pas semblables, mais analogues. Cal', iI
ne faut pas l' oublier, tandis que nous nous épuisons a rédiger
des lois qui ne donnent prise a aucune exception ni a aUCUl1
abus, l'intéret privé travaille de son coté ave e une inaItérable
persévérance a renverser nos prévisioIlS et a tromper nos es-
pérances.


11. - DES INCAPAClTÉS.


L'abando11 du certificat de b01111e vie et mamrs ne condui
pas a l' admissi011 dans la carriere de l' enseignement libre de
,quiconque voudrait y entrer, meme des individus qu'une con-
damnation judiciaire aurait frappés. Sur ce point, nous souhai-
tons que la 10i future se montre rigoureuse, et qu'elle étende le
,cerde des incapacités légales beaucoup plus loin que ne pl'OpO-
:sajent de le faire les différel1ts projets de 10i dont nous avons
parlé.


Les auteurs de tous ces projets adoptaient le systeme d'in-
capacités fondé par l'art. 5 de la loi du 28 juin 1833, sur 1'in-
struction primairc, ainsi C011\(U :


« Sont incapables de tcnir école :
1( 10 Les condamnés a des peines affiictives ou infamantes;




DE r,A LIBEnTÉ D'ENSEIG"'EillEl'iT. 55
(( 2° Les conuamn¿s pour vol, escroquerie, banqueroute, abus


de confiance, attentat aux mmurs, et les individus qui auront
été privés par jugement de tout ou partie des droits de fa-
mille mcntionnés aux paragraphes 5 et 6 de l' arto 42 du Code
pénal t;


(( 3° Les indívídus interdits, en exécution de l'art. 7 de la
présente loí, ))


Ces exclusions ne nous paraissent pas assez étendues. Le
droit d'enseigner est un droít civique, ainsí que la commission
de la Chambre des Pairs de 1844 l'a déclaré; des lors les indi-
vidus privés par un jugement correctionnel, en tout ou en par-
tie, de l'exercice des droits civiques, ne doivent pas conserver
la jouissance de celui de ces droits qui, a nos yeux, est le pre-
miel' de tous, Il y auraít quelque chose de blessant pour la
mOl'ale publique a ce qu'un homme déclaré indigne d' etre élec-
teur, éligible, juré, fonctionnaire public ou employé de l'ad-
ministration, put, en sortant du tribunal qui vient de le flétrir,
annoncer qu'il va ouuir une maison d'éducation, Nous en di-
rons autant de l'índividu privé du droit de témoigner en jus-
tice, u'etre expert ou employé comme témoin dans les actes.
Il faut que l' enseignement libre soit, aux yeux meme de ceux
qui ne le considerent que comme une profession, la plus no-
ble, la plus helle et la. plus pure de toutes les professions, et
que le citoyen qui porte au front une tache, meme légere, ne
puisse pas en approcher.


Nous désirons done que la loi nouvelle, au lieu ue s' en réfé-


1 Art. 42 du C(ldc pénal: Les tribunaux jugeant correctionnellement
pourront, dans certains cas, interdire en tout ou en partie l'exercice des
droits civiques, civils et de famille, suivants : 1" de vote et d'élection;
2° d'éligibilité; 3° d'Gtre appelé ou nommé aux fonctions de juré ou au-
tre fonction publique, ou aux emplois de radministration, ou d'exercer
ces fonctions ou emplois; 4° du port d'armes; 5° de vote et de suffrage
dans les délibérations de famille; 6° d'Gtre tuteur, curateur, si ce n'est
de ses enfants et sur l'avis seulemeut de la famille ; 7" d'étre expert Oil
employé comme témoin dans les actes; 8° de témoignage enjustice au-
trement que pour y faire de simples déclarations.




56 ORGA:-lrSATJON


rer simplement ponr les incapacités a celIe du 28 juin 1833,
modifie ainsi qu'il suit le deuxieme paragraphe de 1'art. 5 de
cette loi.


({ Les condamnés pour vol, eseroquerie, banqueroute, abus de
eonfianee, attentat aux moours, et les individus qui auront été
privés par iugement de tout ou partic des droits mentionnélJ
dans les paragraphes 1, 2, 3, 5,6, 7 el 8 de tarl. á2 d'u Codc
pénal. »


Nous entrevoyons icí une objection quí est spécieuse et que
nous ne laisserons pas sans réponse. Vous voulez, dira-t-on,
que la profession d' instituteur libre soit pure et placée tres-
ha\1t dan s l' estime publique; 01' vous n' en excluez absolument
que les individus fl'appés de peines afllietives et infamantes;
cal' pour les eondamnés correctionnels vous admettez certaines
distinctions : eomme si un individu, par cela seul qu'un a1'r0t
déshonorant ne 1'a pas taché, peut etre tenu pour religieux,
honnete, sage, digne, en un mot, de formel' la jeunesse it tous
les dcvoirs et a toutes les vertus. Vous repoussez, iI est vrai,
les eondamnés pour vol, escroquel'ie, banqueroute, abus de
confianee, attentat aux mmurs, etc. ; mais vous aeeueillez san s
difficulté l'homme vieieux, eorrompu, impie, dont la vie s'est
consumée dans le désordre, dont la fortune est le fruit de quel-
que industrie honteuse, et qui sans etre flétri par la justiee,
l' est eependant par la eonscience des gens de bien.


Notre réponse sera simple et franche : oui, nous admettons
cet hornme, et nous l'admettons sans aucune crainte. Voici pour-
qllOi. C' est qu'il ne concevra pas meme la pensée de se faire in-
s1.iülteur, et que si, par impossible, il la cOllcevait, iI se trou-
verait dans l'impuissance de la réaliser, ou conduit immédiate-
ment a sa ruine.


Descendons des régions de la théorie dans le domaine étroit
de la pratique, et voyons comment les c1lOses se passeront.


Trois conditions sont naturellement imposées a celui qui veu t
fonder une maison d' éducation : une certaine connaissance des
matieres qui sont 1'objet de l'éducation et de l'enseignement,




DE LA LIBERTÉ D'ENSEIGNEMENT. 51
ues capitaux et des collaborateurs. 01', un individu te1 que ce-
lui que nous venons de peindre ne parviendra jamais a réunir
ces trois conditions de succes, quelques efforts qu'il fasse.


Celui dont la vie se serait écoulée dans les plaisirs ou le
désordre, et qui n' aurait d' autre pensée que de s' enrichir ,
eomprendrait, si peu qu'il eut de bon sens, que manquant
d'aptitude pour faire prospérer une maison d'éducation, alors
qu'il aurait a lutter contre la concurrence d'instltuteurs an-
ciennement établis, connus et estimés des familles, ce serait fo-
lie il. lui que ue tenter de ce eóté la fortune : il irait donc la
ehercher ailIeurs. Que s'il persévérait dans une premiere idée
follement COll<;¡ue, la difficulté de se proeurer les capitaux l1é-
ces~aires, et de trouver des professeurs et des maltres d' études
([ui cOllsentissent a compromettre leur avenir en associant leurs
efforts aux siens, découragerait hientOt son obstination et le
repousserait loin de la carriere de l'enseignement. Soyons per-
suadés que les ehoses se passeraient de la, sorteo


Mais afin de !le pas etre accusés d' affaibl ir la force des objec-
tions qui peuvent etre dirigées eontre !lOS propres idées, nous
supposerons qu'un homme notoirell1ent, mais non pas légale-
ment indigne, parvlnt a surmontcr tous ces obstacles et a ouvrir
une maison d' édueation. Nous irons meme plus loin ; 110US eon-
céderons que ceí llOmme, usant el'un charlatanisme trop en fa-
veur de nos jOUl'S, surprendra la confiance des peres de famille,
et parviendra a aHirer dans SOl! institution un nombre d' éléves
considérable. A10rs le comité de surveillance, dont la sollici-
tu de aura été éveillée par les tristes antécéclents de l' illstitu-
teur, scrutera d'un mil inquiet et sévcrc les diverses parties du
régime et de r enseignement de cette maison; et comme il faut
admettre que ce régime et cet enseignement laisseront tout a
désirer, nous pouyons affirmcr que peu de temps apres son ou-
verture Yinstitution sera fermée et le chef ruiné. Voilil. ce quí
ne manquera pas d' arriver, si l' on veut absolument supposel'
qu'un homme éloigné de la carriere de l' enseignement par son
caractere, ses habitudes, sa position sociale et sa vie antérieure,




58 ORGANISATIO:\'


s' obstinera a y entrer en dépit de son propre intéret. Si, au con-
traire, l' on ne s' écarte pas de l' ordre des faits réels, on arrivera
a cette conclusion que la liberté de l' enseignement, c' est-a-dire
la concurrence, appliquée avec sincérité, sans méfiance, sans
l'egrets, éloignera de cette grande et noble profession tous ceux
qui ne seraient mus que par un intéret sordide, bien plus sure-
ment que ne pourraient le faire ces attestations, ces certíficats,
dont on ne sait aquí confier la délivrance, et quí, impuissants
pour le bien, n'auraient d'efficacité que contre le droit. QU'Oll
ait done confiance dans la liberté : elle aussi saura chasser les
vendeurs du temple; et si par hasard quelques-uns de ces spé-
culateurs éhontés échappaicnt au fouet dont sa main est armée,
ce ne serait que pour retomber sous l' empire de dispositions
pénales qui ont été indiquées, dispositions suffisantes pour ga-
rantir tous les intérets ei réprimer les abus au moment meme
de leur naissance.


111. - DES DlPL6~IES DE GRADES.


Nous avons, des le début de ces considérations, reconnu
a la société le droit d'exiger que tout citoyen qui veut exer-
cer la profession d'instituteur ait re~u lui-meme ce qu'il pré-
tend donner aux autres, e' est-a-dire une bonne et complete
éducation. Ne serait-il pas, en effet, dangereux et ridicule de
voir un homme iUettré se placer sans difficulté a la tete d'un
établissement d'instruction secondaire? j\iais quelles garan-
ties littéraires ou scientifiques imposera-t-on, soit a l'in-
stituteur, soit aux professeurs et surveillants qu'il emploiera?
Telle est la seconde question que nous avons a examiner.


Les écrivains et les oratcurs universaires ont, dans ces der-
niers temps, demandé avec insistance que l' on exigeat du chef
d'institution et de ses collaborateurs des diplómes de grades
élevés, par la raison fort simple que c'est l'Université qui ac-
corde ou refuse ces diplómes, et que l'attribution de ce seul pou-




DE LA LlBEIlTÉ D'ENSEIG'lEMENT. 59
voir lui eonférerait le droit de "ie et de mort sur l' enseigne-
ment libre.


La progression des prétentions de l'Université en eette ma-
tiere mérite d' etre signalée.


Le projet de loi de 1.836 se contentait, pour le chef d'un éta-
blissement d'instruetion seeondaire quelconque, des diplomes
de bachelier es-lettres et de bachelier es-sciences. C' était, on
doit le reconnaitre, se montrer a son égard le moins rigoureux
qu'il se pouvait, selon les idées universitaires.


Le projet de loi de 1.8lJ1. divisait les établissements libres en
deux classes : les pensions et les institutions de plein exercice.
L'aspirant devait p1'oduire, soit le diplome de bachelier es-let-
tres s' il prétendait au tit1'e de maitre de pension, soit les deux
diplomes de bachelie1' es-lettres et de bachelier es-sciences, ou
seulement le diplon1e de licencié es-lettres, s'il pnttendait au
titre de chef d'institution (art. 7, § 2). Nul ne devait etre pré-
posé a la surveillance des éleves, ou a quelque partie que ce soií
de l' enseignement littéraire al! scientifique, s'íl ne justifiait du
diplome de bachelier es-lettres dans tous les cas, et du diplome
de bachelier es-sciences mathématiques ou es-sCÍences physi-
ques, selon la section d' enseignement scientifique a laquelle il
devait etre préposé (art. 1.0, § 3).


On a vu que la commission de la Chambre des Députés pro-
posa de ne demander aux chefs d' établissements de tout ordre
que le diplome de bachelier es-Iettres ou celui de bachelier es-
scienees, et qu'elle supprimait le grade de baehelier pour les
maltres d' études, les professeurs y restant seuls soumis.


Le projet de loi de 1.8M reproduisit les principales disposi-
tions du projet de 1.8lJ1. (art. 6 et 8), mais s'empressa de com-
bler une lacune inexplicable, d'apres les préjugés et les inté-
rets universitaires, que présentait ce dernier, en déclarant que
les chefs d'institution ne seraient ~econnus, dans tOU3 les cas,
comme ayant le plein exereice et donnant l'enscignement se-
condaire complet que s'íls avaient dans leurs établissements,
pour professer les classes de rhétorique et de philosophie et




6,0 OnGANISATIO;\f


mathématiques, deux maUres au moins pourvus du diplome de
licencié es-Iettres, et un maltre pourvu du diplóme de bachclier
es-scicnces mathématiques (art. 9).


La comll1ission de la Chall1bre des Pairs, qui avait adopté
le principe de la liberté de l'enseignement, mais a la condition
de ne le jamais appliquer, accueillit avec satisfaction ces pres-
criptions véritablement excessives. L'honorable rapporteur di-
sait, avec son esprit a la fois élevé et subtil : (( Le grade obtenu
est, dans la carriere de l' enseignemcnt, ce qu'est dans la carriere
politique le cens électoral ou le cens de l' éligibilité. 11 ne faut
\,as S" ,"e, U:\s,,"rrY,~"CT, \:,c'i,'i,C o'o\\gaúon sera pour les maltres tres-
pesante eL tres-onéreuse; mais en ceci comme en toutes choses,
la demande enfantera la production. » L'assimilation entre les
grades universitaires et le cens électoral est assuréll1ent fort
ingéniense; mais qne dirait-on si quelqu'un proposait d'attri-
buer au ministere la faculté d' accorder ou de refllser aux élec-
teurs de l' opposition le droit de voter dans les colléges électo-
l'aux?


La commission de la Cllambre des népulés guí examina le
projet de loi de 18M, et dont M. Thiers fut le rapporteur, en-
ehérit encore, comme on devait s'y attendre, sur toutes ces
exigen ces déraisonnables. Elle exigeait du maltre de pension
les diplómes de bachelier 6s-1ettres et es-sciences mathémati-
ques, 011 le diplóme de licencié es-lettres seulement; du chef
d'institution, les diplomes de licencié es-lettres et de bacheliel'
es-sciences mathématiques, ou le diplóme de licencié es-scien-
ces seu1ement, et vou1ait bien se contenter des grades imposés
par le projet de 10i aux professeurs et aux surveil1::tnts, avec cette
aggravation toutefois que, dans les établissernents de p1ein
exercice ou institutions, le professeur qui en philosophie en-
seignerait les mathématiques. serait pourvu du diplóme, non
plus de baclJelier, mais de licencié es-sciences mathématiques;
or, l' éprenve de la licence es-sciences mathématiques est la
plus redoutable de toutes ceHes que r Université fait subir aux
aspirants.




DE LA LIBERTÉ D'ENSErGNEMENT. 61
Si nous sommes revenas sur ces précédents, ce n'est pas


dan s l'espérance d'y trouver des lamieres propres a nous diri-
gel', mais pour montrer que les adversaires plus ou moins dé-
cidés de la liberté d' enseignement considerent les grades moins
eomme un moyen de fortifier l'instruction de la jeunesse, de
faire fleurir les études, d' en élever le niveau, que eomme une
mesure préventive, comme un obstacle habilelllent opposé a la
fondation des institutions libres.


Les discussions antérieures ont clairement démontré qu' exi-
ger dans toute institution de ce genre la présence de quatre
licenciés, lorsqae l'Université n' aecorde ce grade a ses propres
enfants qu' avee une pareimonie jalouse; qu' exiger de tous les
surveillants le diplome de baeheller es-lettres, quand l' Univel'-
sité elle-memc éprouve les plus grandes difficultés a se proeu-
rer pour ses eolléges royaux des surveillants munis de ce di-
plome, quoiqu' elle leur offre comme appat l' exemption de la
eonseription, la pcrspcctive dé l'avancement et les droits a la
retraite apres trente années de service, e' était reudre a peu
pres impossible la fondation d' un établissement libre, et jetel'
dan s le sein de eeux: qui, en dépit de tels obstacles, parvien-
draient a se eonstituer, un germe permanent de désordre et de
dissolution; cal' les chefs de ces établissements seraient dans la
dépendance absolue de ces trois licenciés, sans lesquels au-
cune institution ne pourrait subsister légalement un seul jour.
Que pourrions-nous ajouter a tout ce qui a été dit sur ce sujet
i.t la Chambre des Pairs ? Laissons done de cOté les détours et
les ruses de 1'Université, avee laquelle nous ne diseutons pas
en ce moment ; ne nous arretons pas davantage aux terreurs de
ces hommes d' Etat qui parlent saIlS eesse de la liberté et n' 0-
5cnt jamais la eonsidércr en faee, et examinons la condition de:3
grades en elle-meme.


Des éerivains célebres se sont plu a traeer le tableau des
'\crtus nécessaires á quiconque se voue a la belle et difficile
mission de former la jeunesse. Ils ont dit que celui qui n'em-


hrasse pas la professlOn d'ínstítuteur paZ' dérouement, par




62 ORGANISATION
amour du bien, par une sorte de vocation intérieure, en est
indigne. Tous, quelle que soit la diversité de leurs vues ou de
leurs désirs, sont d'accord pour reconnaitre que ce n'est pas la
science des langues anciennes, l'érudition ni le bel esprit qui
font le véritable instituteur, mais la pureté de l' ame et les qua-
lités du creur, unies a cette intelligence de l' éducation qui lui
permet de mainienir parmi les enfants confiés a ses soins la
paix, r ordre et l' amour du travail, sans efforts, sans contrainte,
et de donner a une grande institution l'aspect d'une sage et
heureuse famille.


Si l'instituteur posséde la science nécessaire pour apprécier
le mérite des professeurs qu'il emploie et les progres de ses
éleves, a notre avis, il en sait assez; cal' son devoir n' est pas
d' enseigner les belles-lettres, mais de donner l'impulsion et
de surveiller; mais d'étendre également sa vigilance sur toutes
les parties de l' éducation et de l' enseignement, et de ne pas la
concentrer sur une sr.ule. Si, trop amoureux de la science, il
cédait au désir de s' asseoir dans une des chairr.s de son éta-
hlissement et de se faire a son tour professeur, le régime re-
ligieux et moral de cet établissement serait exposé a un danger
véritable, cal' l' ordre n' existe que quand chacun reste a sa place
et remplit la tache pour laquelle il cst le plus propre.


M. Guizot et M. le comte de Salvandy avaient done grande-
ment raison lorsqu'ils demandaient, l'un en 1836, 1'autre en
18lJ1, que l' on n' exigeat du chef d' une maison d' éducation quel-
conque que le diplóme de bachelier es-Iettres, ou, r.ll d'autres
termes, qu' on ne luí ímposat pas l' oblígation d' etre un savant,
et, par conséquent, de ne voir dans l'éducation que l'ens::igne-
ment; de tout sacrifier, par l' effet naturcl de ses iclées et de
ses habitudes, á ce qu'on appelle la force des études. On se
plaint chaque jour que, dans 1 'Université et hors de l'Université,
l' éducation soit réléguée bien loin en arriére de l' enseigncment,
et, par une contracliction étrange, on veut que la loi consacre
au sein des établissements libres ce renversement de la raison,
en ordonnant que les chefs de ces établlssements soient avant




DE LA LIBERTÉ D'ENSEIGNE:\lENT. 63
tout, non pas des instituteurs, mais des savants, des gradués,
des écrivains. Si l'Université, qui ne songe qu'a ses grades, quí
en poursuit et en opprime tout le monde, obtenait gain de
cause sur ce point, elle éleverait peut-etre, nous sommes loin
toutefois de l'affirmer, ce qu'elle nomme le níveau des études,
maís elle abaisserait certainement le niveau des ames et des
caracteres. Est-ce lit ce qu' on veut?


La loi ne doit donc exiger de l'instituteur libre qu'une attes-
tation de savoir littéraire équivalente an diplome de bachelier
es-lettres t. S'il croit utile a ses intérets, au renom de samaison,
de se pourvoir d'un diplome universitaire de licencié ou de doc-
teur, il se mettra en mesure de l' obtenir, rien de mieux. Nous
trouvons naturel qu' it ce sujet il cede aux opinions dominantes,
aux gouts des parents, aux usages re0us; mais ce qui nous pa-
raltrait dangereux et souverainement injuste, ce serait qu' Oil
rendit obligatoire une preuve de science, non-seulément inu-
tile, mais contraire aux vrais intérets de l' éducation publique.


Nous avons (H'ja dit que les prétentions des adversaires de
la liberté de l' enseignement n' étaient pas moins excessiYes et
mal fondées a. l' égard des professeurs et des surveillants des
établissements libres que relativement aux chefs d'institntion.
La progression dans les exigences a été la meme pour les uns
et pour les autres.


Le projet de loí de :1836 ne demandait aux professeurs que
le diplome de bachelier es-lettres ou es-sciences; peu a pen 011
en est arrivé au Rapport de M. Thiers, qui n'accordait le plein
exercice qu' aux établissements libres pourvus de trois profes-
5eurs licenciés, non compris le chef de la maison. Il serait, ce
HOUS semLle, impossible d' aller plus loin, et ele renelre aussi'
surement la liberté d' enseignement une pure dérision.


L'art. 13 du projet de ]oi de 1844 prononvait une amen de
contre tout chef d' établissement pal'ticulíer d' ínstruction SCCOIl-


i La question que nous ne faisons qu'indiquer ici sera traitée dans
notre troisieme partie. A ce sujct, ueallcoup d'écJail'cissements seront


donnés et beaucoup d'objectIons réfutées.




6[¡ ORGANlSATIO~


daire qui auraít employé dans cet établissement des mattres
non pourvus du diplóme de grade prescrito En cas de récidive,
le maximum de l'amende pouvait etre doublé; 01', selon les
déclarations formelles des défenseurs du projet de loí, plu-
sieurs condamnatíons de ce genre constituaient le cas de né-
gligence permanente dans les études ou de désordre grave dans
le régime et la discipline, et devaient amener la clOture de la
maison, conformément a l' arto 1l¡. Nons le demandons i1 tout
homme qui n' est pas aveuglément hostile a la liberté, quel se-
rait le róle d'un chef d'institution quí, du jour au lendemain,
pourrait etre mis en infraction et exposé a la ruine, par le ca-
price, la mauvaise humeur ou les prétentions exagérées d'un
des trois licenciés, qui seuls donnent l' existence légale a son
établissement? Ne voit-on pas que ce chef apparent deviendrait
l'escIave de ses t1'ois gradués, et que le bon ord1'e, la subordi-
nation, la sécurité, disparaitraient d'une maison ainsi consti.
tuée? Nous ne vouIoos pas accuser l'Université ou ses organes
de ruse et de machiavélisme; nous ferol1s seulement remar-
quer que, dan s ce systeme, 1'exercice d'un droit reconnu par
la Charte peut etre annulé par l' Université, arbitre irrespon-
sable des grades; et que ces grades, conférés par elle a la suite
d' examens dont elle íixe arbitrairement le programme, au lieu
d' affermir l' exisience des institutiol1S libres, deviennent pour
elles un principe de mort.


Comment cherche-t-on a pallíer ce qu'une pareílle loi aurait
d' inconstitutionnel et de déloyal? Par 1'intéret des études. 11 ne
fant pas, dit-on, que la rhétorique, la philosophie et les ma-
thématiques puissent etre enseignées par des professeurs qui
n'auraient pas prouvéa l'Université qn'ils savent, comme e11f'
r entend et autant qn' elle le "eut, la philosophie, la rhétoriquE'
8t les mathématiques. La. so1licitude de 1'Oniversité pour]e suc-
ces des établissements libres est cel'tainement tres-rnéritoire:
ccpcndant nous croyQns que sur ce point iI serait bon de s'el1
l'apporter davantage a l'intérCt bien entendu des instituteurs, et
de ten ir un peu plus de compte de la liberté des méthodes, li-




DE LA LIBEnT{~ D'E\SE1G:\'E\tENT. 6.')
berté peu relloutable et qui semblait rCC01l1WC san s diflicuIté.


MonteS(luieu a dit qu' iI ne fallait pas faire par les lois ce qui
pouvait se faire par les mceurs. AppIiquant eette sage pensée
au sujet que nOllS traitons, nous dirons qu'iI n'y a aueune uti-
lité á ordonncr aux instltuteurs de faire ce qu' ils feront natn-
rellement et sons l' impuIsion de Icm seul intéret. Ils ne fon-
deront pa,; (les lllaisons (1' édl:catiol1 pour qu' elles de,meurent
désertes, et pnisque d' habiles professeurs, experts dans l' art
de former les éleves al'épreuve du baeealauréat univcrs;taire,
ou, eomme nous le dirons ailleurs, á une éprcuvc équivalcnte,
seront un de leurs prineipaux éléments de sueces et de renom-
mée, il est évident qu' ils se les proeureront au prix eles plus
grands saerifices. Si les parents eroient qne des lieenciés pen-
vent seuls enscigner la rhétoriq ue, la plJilosopbie et les mathé-
matiques, les cllds d'institution se garderont de heurter ectte
opinion,leur partit.elle sans fondement, et i.ls appelleront a
eux plus de licenciés peut-etre que la. loi n' en exigera. J\Iais
uans ce cas, iI" agiront libl'cment, et ne se troureront pas pla-
cés dalls la dépendance des proí'esseurs qu'ils auront associés
aleurs efforts.


L' obligation d' avoir dans ehaque institution trois licencié s
repos~üt, selon le sysieme des projets de loi de IBM et de 18M,
sur la distinction établie entre les pensions et les institutions,
e' est-ü-dire entre les maisons d' éducation offrant ou n' offrant
pas le cours complet d' études néeessaires pour se présenter ú
l' examen du baccalauréat. Cette distinetion, repoussée par le
projet de loi de 1836, est absolument contraire ala liberté des
méthodes, que l'intél'ct public commanderait de respecter,
meme dan s un pays Ol!. la loi fondameu tale n' aurait pas pro-
clamé la liberté de l' enseigllement, cal' elle est le gage le plus.
assuré des progres de l' édueation.


L'Université pense que le systcme d'études classiques adopté
au X VI· siede est encore aujourd' hui le meilleur; qu' on ne
doit admettre un éléve aux épreuves du bacealauréat s'iI n'a
parcouru, dans un nombre d'années égal pour tons, ehaenne


5




66 OHGANlSATfON


des classes de g1'ammaire, de belles-lettres, de rhétorique et
de philosophie ; que vouloil' innover en eeUe matiere, e' est eou-
1'ir au devant d'une déeeption. Malgré l'autorité des exemples
fournis par plusieurs pays étrangers, nous voulons bien ne pas
dire qu' elle se trompe; mais nous sommes eonvaineus que l' es-
poir d'améliorer un systeme d' études aussi ancien, et qui a été
l' objet des critiques les plus vives de la part de plusieurs éeri-
vains tres-éclairés, n'a1'ien de ehimérique, et qu'enehainer les
établissements libres a ce systeme, que leur ordonner d'ouvrir
dans leur sein des eours de rhétorique et de pbilosophie abso-
lument semblablcs a eeux qui sont professés dans les eolléges
royaux, e' est détruire de plein gré tous les avantages que la so-
eiété pourrait reeueillir de la eoneurrenee, et poursuivre la li-
berté jusque dan s une région ou elle ne devrait porter aueun
ombrage a ses ennemis.


Que la loi n' 6puise done pas la rigueur de ses prescriptions
et de ses clauses pénales pour obtenir des ehefs d'institution
ce qu'ils feront d' eux-memes, par eonseienee de leurs devoirs
ou par soin de leurs intéréts. Contraints, sous la menaee d'une
amen de plus blessante eneore qu' oné1'euse, d' avoir continuel-
lement t1'ois lieeneiés dans leur maison, ils aeeepteront ayec
empressement tout licencié qui se présentera fierement a eux,
sans oser rechercher si ses principes religieux et mOl'aux sont
purs, si son ca1'actere est honorable, si sa science est 1'ée11e. Que
la loi laisse au contrai1'e a ces chefs le cllOix de leurs collabora-
teurs, alo1's ils ne s' humilieront plus devant un parehemin dé-
livré par l'Unive1'sité, et, obéissant au plus sur de tous les gui-
des, ils n' in tl'oduiron t dan s leurs insti tu tions que les professeurs
qui leur auront donné toutes les gal'anties désirables sous le
rappol't de la morale eomme de la science ; cal' ils ne pourraient
plus se justifier aux yeux des parents d'un choix douteux ou
mauvais, en a1l6guant l'obligation de maintenir a tout prix au
complet le nombre fatal de trois lieeneiés.


Ce qUl vient d'etre dit sur les pl'ofesseurs nous conduit a
parler des surveillants ou maitres d' étude.




DE LA LlBEnTf~ D'ENSEIGZ'iE.\lENT. f.i7
La composition de cette c1asse d'instituteurs est, on le sait,


la plaie de 1'enseignement en France. Dans l'instruction publi-
que telle qu'elle existe aujourd'hui, tout ce qui se rapporte a
l'éducation proprement dite est abandonnée a des personnes
dont la condition est peu honorée, le travail mal rétribué, et
qui le plus souvent manquent elles-memes de ce qu' elles sont
chargées de donner aux enfant,. Des pbintes énergiques et per-
sistantes se sont élev6es de la tribune et retentissent encore clans
le public contre un tel état de choses. A ces doléances, l'Uni-
versité répond en offrant sa panacée universelle, c'est-a-clire
ses gradcs, comme si un c1iplOme de bachelier attestait clan s
celui qui le posseclc les rares et difficiles vcrtus nécessaires a
l'accomplissement des fonctions de maltre d'étude. Avec les
idées et les penchants de notre société, on ne peut guere sup-
poser qu'un pere de fmnille, pauvre ou nécessiteux, se con-
damne pendant huit :tns a de durs sacrifices pour faire de son


. fils devenu hachelier un simple maitre el' étude. Il lui permet-
tra de traverscr ces ingrates fOllctions, dan s l' espérance de le
voir panelli1' p1'omptcment h un rang plus élevé; il no l'y des-
tincra paso 01' celui-Ja n' est et ne sera jamais un véritahle ma1-
tre d' étude, qui ne fera pas de ccs fonctions l' ohjet et le but de
sa vie, et ne 1m; considérera que comme nne épreuve pénihle a
laquelle la nécessité le condamne pour un temps t. L'amhition,
l'unique stimulant employ6 par l'Université, l' ambition, si ré-
glée et si modeste qn' on la suppose, ne suppléera jamais a eette
abnégation de soi-meme et a. ce dévouement infatigahle dont la.
religion senle possecle le seeret. Le législateur continuera de
ten ter des essais plus OH moins incertains pour l' amélioration
morale de la ebsse des maltres d' étude; mais il sera un jour
contraint de confesser son impuissance, et de reconnaltre que
c' est a la religion, dont la sollicitude s' étend sur tous les intérets
moraux auxquels l'autorité civile ne peut pas pourvoir, qu'iI


t Ceci sait dit sans préjudice des systemes d'éducation dans lesquels
on sait se passer des maUres d'étude.




68 ORGANISATION


appartient de doter les établissements d'instruction publique
de surveillants qui y soient les vél'itables gardiens de la piété,
de l' ordre, du travail et de la pureté des mcrurs.


Sans nous arréter davantage sur une pensée dont l'exécu-
tion rencontrerait pour obstacle tous les préjugés conjurés
contre la liberté de l'enseignement et tI'autres encore, conten-
tons-IlOUS de dire qu' en l' état actuel des cllOses, ordonner aux
chefs des établissements libres de n' em ployer comme maitres
d' étude que des bacheliers, qlland on n' acconlerait et qu' OIl
ne pourrait meme accorder a ceux-ci aucun eles avantages dont
jouissent leurs pareils dans I'Université, ce serait leur imposer
une obligation absolument impossible a remplir, et qui suflirait
a elle seule pour rendre illusoires les promesses de la Charte.
Nous repoussons cette exigence, non parce qll' elle nous sem-
ble en soi inutile ou mauvaise, mais parce qu'il n'existe aucun
moyen d'y satisfaire, a moins qu' on ne vellille prenore au sé-
rieux cette plaisanterie d\m homme d'Etat, ol'dinairemcnt plus
grave et mieux inspiré; «( La demande cnfantcra la produc-
tion. ))


Nous croyons avoir démontré que le certificat de bonne vie
et mamrs et les diplGmes de grades sont contraires au ul'oit
ou inutiles, et que, pour les familles et la société, les plus
sures garanties, et, a vl'ai dil'e, les seules l'éelles, se trouvent
dans l' intéret bien entendu des instituteul's, excité par la so11i-
citude des parents. Ne voir dan s cet inténjt qu'un guide trom-
peur et dangel'eux, ce serait niel' une loí morale sans Iaquell~
le gouvernement des hommes serait impossible.


IV. - Du JURY DE CAPACITÉ.


Si les rédacteurs des divel's projets dont nous venons de
parler différaient beaucoup d' opinion les uns des autres sur le
choix des moyens propres a constater la moralité et le savoir
des aspirants a la profession d'institutellr, ils se sont tous ac-
cordés a demander que ces aspirants fussent tenus de prouver




DE LA LTBERTÉ D'ENSEIGNE!liENT.
devant un jury, dans le sein duquel siégeraient un certain
nombre de membres de l' Université, qu'ils possedent les qua-
lités et les connaissances nécessaires tI. un bon instituteur.


Cettc nouvcllc restriction imposée au droit a soulevé des dé-
bats tres-animés. Il a été clairement démontré lors de la dis-
cussion du projet de IBM par la Chambre des Pairs, que ce
jury, Mritier de l' autorisation préalable, n' aurait véritable-
ment d'autre fonction que d'exercer sur les opinions religieuses
et poli tiques du candidat une inquisition dirigée par l' esprit
de parti. En effet, l'aspirant prouvait, dans le systeme des troi8
projcts de loi, sa moralité par le ccrtificat du maire, son instruc-
tion par le diplOme de bachelier ou de licencié. Que pouvait-
on lui demander de plus? Jl faut ouyrir le Moniteur pour voir
dans quc! embarras cette simple objection a jeté les partisans
du jury de capacité. Apres de nombreuses tergiversations ils
en sont arrivés h cette conséquence, que le jury interrogerait
le candidat sur la phl({.r¡ogir ou r art d' 61evcr la jeuncsse, et
rechercherait en meme temps s'il n'a pas oublié, depuis lejou!'
oú il a rct;u un diplóme de grade, son grec et son latino C' eút
été, il faut en convenir, un curieux spectacle que de voir ce
jury interrogeant le candidat sur une science qui n' est profes-
sée nulle part en France, et qui, tI. vrai dire, n' existe pas, et
faisant expliquer Homere et Tacite a un homme dont la vie,
déjil. longue peut-ctre, a pu s' écouler dans la pratique de la
vertu et meme de l' éducation plus que dan s l' étude des auteurs
anciens, et qui, par cela meme, serait un excellent chef d'in-
stitution. L' Université, si CXDerte en programmes et en exa-
mens, écIJOua compléLement ici; car les matieres d'un examen
sérieux manqllaient, eL le jllry de capacité, comme le comité
chargé de délivrer le certificat de moralité, aurait exercé son
zele sur toute autre chose que sur le plus on moins d'aptitude
de l' aspirant il. exercer les fonctions de chef d' établissemcnt.
NOllS sommes loin de partager l' engouement de notre époque
pour les examens, épreuves si souvent trompeuses; cependant
nous concevons un examen dont la base est réelle et solide, qui




70 ORGANrSATION


s'applique a une sciencc positive; mais l'examen oral, quand
i1 doit porter sur quelque chose d'indéfini et d'insaisissable,
n'est qu'un moyen de tl'ansférer a l'examinateur un pouvoir
discrétionnaire sur le candidato 01', en annon\,-ant la liberté
de l' enseignement, la Charte a déclaré, non pas que le pou-
voir discrétionnaire passerait du ministre a un comité ou a. un
jury quelconque, mais qu'il cesserait d'exister. Il faut done re-
noncer au projet d' établir un jury de capacité, et il nous sem-
ble que ses partisans doivent se résigner avec d' autant plus de
facilité a ce sacrifice, qu'au fond on ne peut jamais etre cer-
tain des effets d'un pouvoir arbitraire, et que ceux qui l'ont
créé en sont souvent les premieres victimes.


V. - Du PROGRA~1ME n'ÉTuDES ET DU REGLEMENT INTÉRIEUR.


Il nous reste a parler d'une obligation que les projets de loi
antérieurs imposaient aux chefs d'établissements libres, et que
nous adoptons pleinement : il s'agit de la publication et du dé-
pOt légal du programme d' études et du regIement intérieur de
tout étabIissement d'instruction secandaire.


Le citoyen qui auvre une maison d' éducation peut adopter
le made d'enseignement qui lui parait le meilleur, suivre les
méthodes usitées ou en introduire de nouvellcs ; mais puisqu'il
prend envers la société et envers les familles des engagements,
il faut que ces engagements soient écrits et publiés, afin qu'il
puisse y etre rappelé s'illes méconnaissait, et que le comité de
surveillance ait toujours sous les yeux un document propre a
le diriger dans l' accomplissell1cnt de ses fonctlons. Dans notre
conviction, la publicité du programmc d' études et l' obligation
de l'exécuter rigoureusement oireent plus de garantie que tous
les certi.ficais préventifs et que tou1es les inspections universi-
taires. Il est bien entendu que le cas d'inexécut,ion persistante
du programme doit amener la clóture de la maison.


L'instituteur doit indiquer en tete de son progranul1e la re-
ligion que lui-meme professe et le genre d' instruction religieuse




DE J,A LIBERTÉ D'ENSEIGNEMENT. 71
qui sera donné dans sa maison ; car la liberté des cultes ne com-
prend pas la faculté de n'en pratiquer aucun, surtout pour un
instituteur. Mais ici se présente une question grave, celle de
savoir s'il sera forcé d'adopter l'enseignement religieux d'un
descuItes reconnus aujourd'hui par l'Etat, ou s'il jouira en
cette matiere d'une liberté plus étendue.


On sait combien de discussions yives a suscitées dans les deux
Chambres l'application de 1'art. 5 de la Charte ainsi COlll;U:
(¡Chacun professe sa religion avec une égale liberté et obtient
pour son culte la meme protection. » Nous ne reviendrons pas
sur ces discussions, dont M. de Fontette a présenté aux lecteurs
du Correspondant, avec heaucoup d'exactitude et de talent, les
phases diverses et les conséquences; nous dirons seulement
que nous ne pouvons pas, quand nous cherchons a fixer les ba-
ses d'une loi sincere sur la liberté d'enseignement, tenircompte
de l' opinion professée en ce moment par les Chambres et par
le gouvernement sur le sens et la portée de l'art. 5 de la
Charte, opinion qui peut changer et qui changcra, nous 1'es-
pérons, sinon nous serions a juste titre accusés de préparer
une loi de circonstance et non une loi durable. Chacun obtient,
dit la Charte, ponr son cuIte la meme protection ; or la premiere
de toutes les protections, en matiére religieuse, est de pouvoir
faire élever ses enfants dans la religion que l' on professe, lors
meme que cette religion n'aurait pas été reeonnue par 1'Etat,
eonformément a des lois et a des décrets antérieurs a la Charte,
contraires a son esprit, a son texte, aussi bien qu' a toutes les
idées de justice et de liberté. L'usage du drel: que nous récla-
mons pour les chefs d'institution sera peu fréquent, iI faut en
convenir, et ron s' étonnera sans doute que nous cherchions
i1 prévoir une éventualité semblahle ; mais iI est grand temps,
ce nous semble, de mettre nos lois constitutionnelles d' accord
avec la Charte, et de ne plus les appeler a se preter secours les
unes aux autres, dans l'unique but de mieux fausser les prínci-
pes et de mieux violer les droits légitimes des citoyens. La lé-
gislation poli tique d~ la France ne sera définitivement fixée que




72 ORGANISATION


quand les lois dont elle se compose sembleront dictées par la
pensée memo qui a dicté la Charte. Jusque-lá, tout doit etre
regardé comme provisoire et n' obtenir de nous que le degré
de respect accordé _ aux lois écrites sous l'impression du mo-
mento


Vl.- RÉSU1I.É.


On a pu facilement reconnaitre dans les considérations pré-
cédentes, que nous sommes peu favorables aux mesures pré-
ventives, lorsqu'il s'agit de l'exercice du droit d'enseigner.
Cependant nous avons examiné sans prévention et sans parti
pris le méritc de ces garanties, et nons sommos arrivés a cette
conclusion, non pas que des mesures de ce genre seraient,
par leur nature, plus ou moins contraires au droit, qlli pour-
rait en douter? mais que toutes celles que l' on a proposé d' a-
dopter sont illusoires pour att8ster les qualités morales de
l'instituteur, inutiles pour certifier son savoir ou le sayoir de
ses col1aborateurs. NOLls croyons que quiconqno, avant d' étu-
dier cette matiere, commencerait par hannir les traditions d'un
temps ou la liberté n' existait pas, et les préventions accrédi-
tées par l' esprit de partí ou par l' intéret universitaire, arrive-
raít au meme résultat. l\Iais plus nous sommes contraires
aux mesures préventives, plus nous sentons l,~ besoin de ren-
dre efficaces et rigoureuses les mesures répressives. Si le sys-
teme pénal du projet ele loi de 18Ml, qui consistait EL punir
le chef d' établissernent, en cas de négligence permanente
dans les études et de désordre graye dans le régime et la disci-
pline de la rnaison, d' ahord de la réprimande, et, en cas de
récidive, de la suspension, et qui le rendait, aillsi que los pro-
fesseurs et les surveillants, passible de peines correctionnel1es
en cas d'inconduite et d'immoralité; si, disons-nous, ces puni-
tions ou celles que nous avons proposées dans notre article pré-
cédent semblent insuffisantes, qu'on en présentc de plus dures,
nous sornmes preís a les adopter; que l'intercliction a temps ou
a toujours de su profession soit prononcée contre tout chef




OHGANISATION DE L.·\ LIBEllTf; D'E.'\SETGNE'lENT. 73


u' institution , professeur ou sllrveillant qui aura failli; que la
responsabilité pese a la fois sur l' agent et sur le chef qui ]' em-
ploie; que le seandale des édileurs responsables, e' est-a-dire de
ces mereenaires qui aeeeptent, pour une sommc stipulée, la
responsabilité de faits qui leur sont étrangers, eesse d' étre pra-
tieable dans la earriere de l' cllseignement; nous applaudirons
de grand emur á toutes ces sévérités, ear elles ne portent au-
cune atteinte au droit,


On prétend que l' éduealion publique appelle les mesures
préventives, paree que le dommage que eáuse un mauvais in-
stituteur est irréparable, et que la punition dont on le frappe
n'arrache pas dll cmur de ses éleves les gennes funestes qu'il y
a déposés, A ectte ohjcctio11, nous répondrons que les mesures
répressivcs, quand elles sont rigourellses et séverement appli-
quées, deviennent par le faít de véritables mesures préventi-
,es; cal' elles détournent d' une pl'oCession périlleuse eeux qui,
dépourvus de yoeation ou d'aptitllde, songeraient á l'embrasser
dans des yues sordides, Si un spéculateur, indigne par son édu-
r!liion, ses mreurs el l' ohjet qu'il se propose, d' élever la jeu-
11esse, concevait la pensée d' ouvrir un établissemeLt d'instruc-
tion secondaire, soyez eonvaineu que la réflexion lui ferait
promptement eomprendrc qu'il va entrer dans une earriere ou
r attendent immanquablement, avee la concurrence redoutable
des vrais et bons institnteurs, la ruine et la honte, et aussitót
il s' arreterait. Les garanties préventives 11e serviraient done que
contre les gens de bien, eontre cenx qui se ,:ouent a l' ensei-
gnement dans la seule pensée de servir la religion, la mor'ale et
la scienee, eontre eeux, en un mot, que nous devons appeler
de tous nos eIforts a eeHe noble et laborieuse mission. Voila
pourquoi nous repoussons les mesures préventives, et pourquoi
llOUS dcmandons au 16gislateur de ne pas persister a placer en
pUes sa confiance.


-






TROISIEME PARTIE


DU


CERTIFICAT D'APTITUDE.


S I. DE L'EXA'IEN DU BACCALAliRÉAT DAXS L'UNIVERSITÉ ACTUELLE.


Nous en venons it la derniere partie de notre travail; et elle
110US amfme a prendre en eonsid6ration un intéret grave, res-
pectable, et qu' 011 ne manquera pas de nous opposer : celui de
l' élévatioll et de la dignité intelleetuelle de la France.


Nous sommes les premiers a le dire : e' est lit un des intérets
les plus r6cls ct les plus sérieux d'une nation; ct ici nous ne
nous préoeeupons pas seulement des scienees et de leurs pro-
gres, des lettres et de leurs chefs-d' amvrc, de la gloire que
peuvent donller a un peuple les monuments du génie et du sa-
yoir. Au fond, l'éducation n'a pas pour but de susciter des
hommes de génie : le génie se passe d'elle, ou il sait la trouver.
Maís notre préoccupation prineipale, quand il s' agit d' éduca
tion publique, c' est ectte élévation générale de la pensée eom-
mune, c'est ce degré d'instruction, de littérature, d'habitude
de penser quí caractérise l'homme bien élevé. C'est ce que nos
aYeux, dans une langue meilleure que la notre, appelaient la




76 ORGANISATION


politesse, et ce qui constituait a leurs yeux les Iwmu1tes gens
(deux mots que TIOUS avons détournés de 1eur sens). C' est ce
lliveau qu'il importe a un peuple de ne pas laisser descendre;
cal' c' est par la masse de ses hommes bien élevés, par ses hOIl-
uNes gens, qu'un peuple se classe parmi les peuples. C'est ce
lliveau que, memedansun intéreL de morale, il ne faut pasabaisQ
ser. Non pas sans doute que les lumieres fassent la vertu, et
que l'homme soiL toujours estimable dans la meme proportion
flu' il est instruit. iVIalheureusement non. Il n' en est pas moins
vrai pourtant qu'un degré supérieur d' éducation, par cela meme
fIu'il classe plus haut, impose plus de devoirs et obtient plus
d'efforts. ¡Yob!e.~se oblige, disait-on autrefois. On peut dire au-
jounl'llUi: sa'Coir oblige. Savoir, penser, réfléehir, lire, étudier,
tont cela n' est ras toujours un invincible appui pour la vertu ;
e' est cependallt une ehanee de pI liS eontre le vice.


n y a done iei un véritable intéret public dont nous prenons
la défense autant que de tout autre. Nous sommes d'aceord a
cet égard avee les amis de r Uniyersité. Nons iJ'ons plus loin, et
nous reconnaitrons ayec eux que, dans nos m<rurs, et par des
causes qui nes' effaceront pasde sitót, le signe principal, sinon le
plus important, du moins le plus apparent, de cette éducation
libérale, e' est la connaissanee des langues de l' antiquité. Les
systemes plus ou moins ingénieux qui ont tendu a substituer
pour l' enseignement une autre base it eelle-la, réduiraient en
définitive 1'instruetion a n' Ctre plus que la pr6paration spé-
ciale a une earriére ou a un métier, et finiraient par faire dis-
paraitre eette éducation libérale qui ne prépare en partieulier a.
auenne profession, mais qui prépare en général a toutes les
carriéres supérieures; qui ne fait ni l' avocat, ni l'illgénieur, ni
le magistrat, mais quí faít I'homme poli et distingué. Nous sur-
tout, catholiques, nous nous gardons de preeher l'abandon de
la langue eatholíque par excellenee, dont I'Eglise, avee une sa-
gesse qn' on n' approfondíra jamais eomplétement, a faít la base
,le l' édueation civilisée; eette langne catholique et 11 plus forte
raison européenne; la seule vraie langue européeJJDe : Ca]' JJ[)-




11


tre idiome, quelque populaire qu'il soit en Europe, n'y exerce
et n'y exercera )amais, par ce1a meme qu'il est un idiome"VÍ.-
vant, qu'une supériorité douteuse, enviée, contestée, COm-
battue.


Ainsi done, et l'importance de ce qu'on appelIe 1'éducation
libérale, et l' acceptation de la langue latine comme signe prin-
cipal de cette éducation, sont deux principes que nous procla-
mons tout les premiers. Loin d' employer la liberté el' enseigne-
ment a leur faire b. guerre, nous croyons la liberté d' enseigne-
ment destinée a les servir. Comment se fait-il done que san,;
cesse on la combatte au nom de ces prineipes? que les partisans
du monopole, luttant avee peine sur le terrain de la moralc, se
réfugient dans le domaine de la littérature? que, faisant hon mar-
ché de l' édueation, iIs se rabattent sur l'instruction, dont íls se-
raient les seuls gardiens fideles et les plus súrs dépositaires?
qu'ils tremblent ponr ce qu'ils nomment le niveau des étudesY
qu'ils críent a la barbarie, a 1'ignoranee, paree qu'il est qnes-,
tion de fonder quelques écoles a coté des lcurs; 11 la perle ch\l
latin, parce que d'autres qu'eux montreraient le latin? Exa-
minons.


Certes, nous pla~ons icí I'Uníversité sur un terrain qui lui est
favorable. Nous ne lui demalHlons pas compte de son éclucation:
elle s' est reconnue plus (['une foís, et par la bouche de ses
meilleurs Ol'ganes, incapable de donner l' éducation i. Nous ne
lui parlons pas de sa morale: elle évite \'olontiers de la eléfinir.
Nous ne lui faisons pas de querelle d' orthodoxie: elle est déja
en assez médiocre odeur aupres des juges de l' orthodoxíe, l' é-
piscopat et la papauté. Non; mais nous la mettons sur le te1'-
rain qu'eIle aime. Elle se proclame supérieure dans l'instruc-
tion, nécessaire a l'instruction; nous luí demandons comment
elle inst1'uit. Elle fait grand bruit de ses études, ele son latino


t Nous ne faisons pas plus de citoyens que de dévots dans nos col-
léges. Nous instruisons, nous n'élevons paso Nous cultiyons et déve-
loppons l'esprit, mais non le cceur. (SAINT-MARC GIRARDIN. De I'Instruc-
tion intcrmédiaire, etc., t. 1I, p. i77.)




78 OnGA..'HSATIO:.'í


de ses lauréats; nous lui parlons de ses lauréats et de son latin.
Que fait 1'Université en faveur des études, des humanités, de


l' édueation littéraÍre? - Que pourra faire la liberté d' ensei-
gnement? - Voila ce qui nous oecupe.


La puissanee de 1'Université est grande, ses ressourees nom-
breuses; les hornmes qu' elle attire a elle sont souvent des horn-
mes de talent, et en meme temps son zele semble ardent pour
les études : elle doit done faire beaueoup pour les études. Et
en effet, le principe de l'instruetion littéraire domine chez elle
tout autre principe. Seienees exaetes, histoire, enseignement
meme de la langue maternelle, tout est seeondaire aupres du la-
tino Dans ses [¡6 eolléges royaux, dans ses 312 eolléges eommu-
naux, dont quelques-uns pourtant ne m!'ment les études que
jusqu' ala troisieme, quelquefois jusqu' ala sixicme, le latin est
toujours fondamental et obligé. Les additions que depuis que]-
ques années elle a admises a eet égard, ou sont demeurées iL
l' état de reglement, sans applieation et sans réalité, ou sont res-
tées insignifiantes, par leur multiplieité ll1eme; ou en fin sont
rentrées dans le cercIe de l'instruetion littéraire. Malgré ces in-
novations, e' est done surtout une instruetion littéraire que don-
nent les eolléges. On les en félieite, OIl les blame; mais le fait
est pour tout le monde iIleontcsté.


Or un examen doit eouronner eette édueation littéraire ; et
un programme hérissé de seienee, elevant lequel plus d' un
aeadémieien reeulerait, est eelui sur Jequel uu écolier de
dix-sept aus est appelé a répoudre. Il ne eomprend pas seule-
ment la littérature et les humanités qui out été enseignées au
collége, mais les scienees, la géométrie, la ehimie, la physique,
dont le eollége n' a pas dit grand' ehose. Depuis la psychologie
jusqu'aux équations du second degré, depuis l'histoire des peu-
pIes slaves jusqu'a la géographie de l'empire chinois, depuis
Virgile, Bacon et Pascal jusqu' a la eristallisatiou et l' attrae-
tion moléeulaire, eette eneyclopédie des éeoliers comprend tout,
ou au moius quelque ehose de tout. En vérité, n' est-ou pas sa-
vant quand on a passé par eette épreuye? Et ne doit-il pas sor-




~DE LA LIBEHTÉ D'ENSETGNE:\IENT. 79
tir de la une pépiniére d' hommes universels, qui posséderont
a un égal degré Newton et Tite-Live, Moliere et Pythagore,
l' enthymeme et la catachrése aussi bien que la bouteille de
Leyde et la loi de Mariotte; qui pourront, selon les termes du
programme, « indiquer les principales époques de la poésie
greeque, citer les poetes quí ont brillé dans chaeune d' elles en
suivant l' ordre des genres, en indiquant les dates de leur nais-
sanee et de leur mort, et les titres de leurs principaux ouvra-
ges, J) et qui pourront aussi, selon les termes du meme pro-
gramme, énumérer « les propriétés de quelques-uns des seIs
les plus employés, tels que le sel marin, le salpetre ou nitrate
de potasse, le platre ou sulfate de chaux , l'alun, le carbonate
de chaux, le phosphate de chaux f ? »


Mais ce n' est pas tout, et pour que des génies si eomplets
soient eependant en grand nombre, l'épreuve de eet examen
est imposée a des milliers de candidats.ll faut traverser cet in-
tel'l'ogatoire encyclopédique et posséder toute cette science,
non-seulement pour etre avocat ou magistrat, mais pour etre
avoué; non-seulement pour etre médecin, mais pour etre éleve
en pharmacie; non-seulement pour etre préfet ou conseiller
d'État, mais pour entrer a I'École forestiere. L'Université au-
rait voulu meme que l' examen du baccalauréat précédat l' en-
trée a I'École polytechllique, qui est achetée déjit par un si rude
labeur et des études spéciales si absorbantes : si elle ne l' a pe,s
fait, c'est qu'elle n'a pu le faire. Il n'a pas tenu a elle de com-
pléter ainsi son systéme, et de forcer les capitaines d' artillerie
et les ingénieurs des mines a etre aussi érudits que les juges et
les avoués. Bienheureux le temps ou ce systeme aura enfin fruc-


t¡llé, oú les pbarmacÍelIs saUI'Ont tous ¡¡re Eur!p!de, et 0& les
gardes a cbeval de l' administration des finan ces charmeront
par les souvenirs classiques "de Vírgi1e, ou par les pensées phi-
losophiques de Descartes, leurs longues heures de solitude dans
les forets!


I Voyezle programme. Questions litUrairel. 36-37. Questions de phllsi-
fJlU et de chimic. 45.




80 one A:\ISATIOX
Ces temps néanmoi1l8 ne sont pas encore venus, et malgré


tout le zele de l'Universit6, toute l'exigence de ses reglements,
1'illusion de cette France si savante demeure une chimere que
nous repoussons perpétuellement yers l' avenir. tes badlCliers
se répandent par centaines et par mi11iers dans le pays, mais le
niveau de 1'intelligence dans le pays hausse-t-il a proportion?
cleceptant avee l' Université, avee nos ma:urs et avec les merms
de l'Europe, la connaissanee des langues aneienncs commc le
signe principal d'une éducation lihérale, verrons-nous ce sym-
ptóme se populariser ou disparaltre, déero1Lre OH augmenter '?
Soyons franes : la g6nération qui avait fait de vigoureuses étu-
des; qui, dans les distraetions de la vie de famille et le tumulte de
la vie pubiigue, dans la magistrature, dans les afl'aires, dans
les camps meme, n' avait pas laissé eífacer la forte empreinte
que le collége lui avait laissée; qui, revenue des al'mées, de la
mer, des assemblées, des révolutions, ele l' exil, nous citait en-
core, it nOllS autres ignol'ants écolier8, Cic:érOll et Virgile avec
une sureté de mémoi1'e que me me alors nous n' avions ras; ceHe
gén6ration est passée. Hu' était pas bachclicr es-lettres et il ne
l' aurait jamais 6t6, tel capitaine d'infanterie d' avant la Hévolu-
tion que je voyais amuscr sa vieillesse entre les Lettres de Ci-
céron a Atticus et un probleme de géométrie sur l'angle de ré-
llection et l'angle el'incidence. Je me figure qu'on poul'l'ait au-
jourd'hui laisser sans dangor au plus fort helléniste de nos
co11éges le roman gree de Théaghl( el Charie/él', que l'honnete
tancelot arracha jusqu' it sept fois des mains de Racine. Et Ra-
cine, quel que fut son génie, n' 6tait pas it cet égard dans
l' exception. Le chancclier d' Aguesseau employait a composer
une tragédie latine les quelques minutes que l\JlllC la chancelif~re
le faisait attendre pour dincr. (1 Dans ma jeUllcsse, disait le
P. Tournemine, déplorant la décadcllce Jos étudos, il y avait
bien un tiers des conseillers au Parlement qui savaient écrire le
grec; aujourel'lmi iI n'y en a guere que cinq ou six. )) Que di-
rait-il iL présent ? Dans le sein meme de l' enseignement, la science
s' est affaiblie : ce sont des étrangers qu' jI a [aUu [aire venir




DE LA LIBEHTÉ D'ENSEIGNEMENT. 81
pour donner a la France des éditions correctes des classiques
grecs. Et, dans les examens, dans les concours, l' usage de la
langue latine, qui florissait encore i1 y a quelques années, qui
fleurit toujours en Allemagne, disparait chaque jour, s'íl n'a
entierement disparu i.


Et qu' on ne dise ras qu'il s' agit ici d'une érudition de pur or-
uement, d'une science spéculative dont un pays peut apres tout
se passer! Il n'y aurait qu'¡\ voir jusqu'¡\ quel point les études
spéciales se ressentent de cet affaiblissement des études géné-
rales. Il n' est pas si inutile qu' on le pense a un médecin de lire
le grec d'Hippocrate, ou a un avocat d'entendre le latin des
Pandectes. Quand ces deux professions pouvaient comprendre et
écrire les langues mortes, il y avait en elles par cela meme
un coté sérieux, grave, désintéressé, par lequeI elles savaient se
soustraire au métier et parvenir jusqu'¡\ la science. Mais si ces
professions continuent ¡\ se débarrasser de plus en plus (~e leurs
antécédents érudits, de plus en plus le métier se substituera a
la science, et avec le métier viendra la rontine, les vues étroi-
tes, la haine du progres, 1'esprit de trafico Le Parlement dé-
fendait autrefois de traduire les Pandectes en franyais; aujour-
d'hui on a si bien tont traduit, tout fJ;ancisé, que rien n' est plus
facile que de prendre ses grades en droit romain sans lire un
mot de latín; et, tout bachelier qu' on est, c' est en général ce
qu' on ne manque pas de faire. Mais de la aussi l' excessive et
toujours croissante faiblesse des études juridiques; le Mémoire
récent et pIein d'autorité de M. Laboulaye en est témoin. Sans
doute les causes de cette décadence sont diverses; mais parmi
ces causes, il faut ccrtainement compter la faiblesse de l' é-
ducation classiquc, par suite de laquelle, privé de la langue
qui lui est propre, l' élément scientifique est effacé. L' étude


1 L'usage du latin a été supprimé pour les leyons et argumoniation1!
philosophiques (Arrété du 12 soptcmbre 1830). Il I'a été égaloment par
1\1. Cousin pour l'argumentation dans les concours pOli)' les chaires de
droit. On a également cessé dans les écoles de droit d'examiner elllatin.
(Ordonnance du 25 juin 1840.)




82 ORGANI.5ATION
d'nne science devient la préparation a un méticr; ce qui serait
presquc une branche de la phílosophie rentre dans les pro-
portions d'une routine de palais.


Qu'on insiste, du reste, et que l'on continue a se persuader
l'inutilité des études classiques et de la préparation littéraire;
je l'accorderai. Mais je demallderai alors : A quoi sert l'Ul1iver-
sité? Vous trouvez le latin inutile : mais l' Université n' cst pas de
votre avis; elle tient bon pom son latino A coté de l' enseigne-
lllent classique, tout autre enseignement n'oceupe ehez elle
qu'une place étroite ct contestée. Elle ne prétend faire ni des
mathématiciens, ni des artistes, ni des agronomes, pas plus
qn' elle ne prétend faire des pretres, des dévots et des jésuites ;
elle prétend faire des humanistcs, des hommes lettrés, des hom-
mes instI'uhs. Et sj e]]e n' en fah qu'un tres-petlt nombre; si, au
lieu de relever les études classiques, elle les laisse dépérir,
encore une fois, a quoi sert dOllC l'Université?


Maís il faut expliquer ieí pourquoi ses efforts sont si impuis-
sants et l'appareil de ses reglements si peu effieace pour l'hon-
nem de l' érudition et des études, auxquelles pourtant elle sa-
crifie bien des ehoses.


Il y a dans l' Université, nous n' en doutons pas, quelque gout
pour les bonnes études, quelque prédileetion littéraire, quel-
que tendresse pom le latín et le grec; mais il y a encore autre
chose : il y a, eomme dans ious les eorps, l' esprit de corps;
comme dan s tous les pouvoirs , la ten dance a devenir absolu;
comme dans toute seete et toute eorporation, l'amour de soi,
jaloux, despotique, exclusif. Si l'Université pense a faire les
affaire s du latin et du gree, elle pense aussi a faire les affaires
de sa propre puissance et de sa propre ambition. Et e' est cette
ambition, légitime en elle-meme, honorable, utile, quand la
conemrence la stimule et en meme mps la limite; eet esprit
de eOfps, exeellent quand il trouve es bornes dans la liberté
d'autrui, détestable quand il a le ~roit d'etre tyrannique et
compte sur les gendarmes et les tribunaux au licu de eompter
sur ses propres efforts; c' est ce principe qui vicie les meilleure,s




DE LA LIBEI\.TÉ D'ENSEIG:.'\E1IENT. 83
intentions, et, Horce de rendre l' Université puissante pour elle-
meme, la rend impuissante pour la cause du grec et du latino Le
droit exclusif de l' Université fait ici la faiblesse de l'Université.


Quelques détails nous le feront bien comprendre. Pourquoi,
par exemple, les méthodes de l' enseignement universitaire.
attaquées depuis si longtemps, et souvent par des universi-
taires, ne se sont-elles pas améliorées? Pourquoi les critiques
de 1\1. Thiersch, que les lecteurs du Correspondant se rappel-
lent avoir lues, si graves et revetues d'une telle autorité, n' ont-
elles provoqué aucune réforme? Pourquoi la France en est-elle
encore, en fait d' enseignement des langues mortes, aux pro-
cédés, bons peut-etre pour le XVI" slécle, que les Jésuites
du XVI" siecle ont mis en honneur? Pourquoi? paree qu'un
corps ne se réforme pas lui-meme ; paree que, sans un stimu-
Jant étranger, sans une puissance supérieure qui lui impose
es réformes, sans une concurren ce qui les provoque; sur de


sa puissance, tranquiUisé sur son avenir, étouffant les rlvali-
tés au lien de les combattre, illle manque jamais de s' en dormir
dans sa facile routinc, et de suivre commodément, certain que
personne ne viendra a la traverse, l' orniére, bonne ou mauvaise,
ou il a toujours marché. 11 faut qu' on nous permette de répéter
cette phrase que nous citions plus haut : « Nous sommes un
corps conservateur, disait M. Cousin au nom de l'Université ...
notre róle n' est pas de courir apres les innovations. » En eITet,
les hOllmes sont novateurs, les corporations sont conservatri-
ces: dispositions excellentes lorsqu' elles se compensent l'une
par l'autre, lorsqu'en dehors ele la corporation l'homme peut
agir, lorsque la routine n'est pas légalement tOl!lte-puissante et
le progres légalement impossible.


Ainsi encore -1' examen qui termine les étndes se présente,
sans eloute, avec une certaine pompe cl'érudition. Cette science
est-elle sérieuse ? i\ous le dirons plus tardo Mais le pur amour
de la science n'a pas dicté toutes les conditions ele l'examen, et
3. coté de lui se réveIe l' esprit de corps, ou plutót quelque
chose de moins noble, il faut le clire, l' esprit de lucre et d' ac-




8ft ORGANrSATION


eaparement. Il faut que la scienee, si écIatante qu' elle soit, ait
payé son tribut au fise universitaire et qu' elle porte l' estam-
pille du percepteur. Encore le tribut s' est-il aggravé : 1'01'-
donnance royale exigeait un an d' études; le eonseil de l' Uni-
versité en exige deux, paree quelaphilosophie, dit-il,présuppose
la dlélorique, et bientót, sans doute, comme la rhétorique aussi
présuppose la seeonde, il en exigera trois. On serait ehimiste
aussi bien qu'helléniste; on eonnaItrait la géograpltie de l'em-
pire persan sous Darius ler, tout aussi bien que les prapriétés
du chlore el de l'iode 1; encore faut-il n' avoir appris qu' en bon
lieu toutes ees belles choses, ou, pour mieux di re (car ce n'est
guere l' Université qui les enseign~), il faut, avant de les ap-
prendre, avoir payé pendant deux ans sa rétribution a l' Uni-
versité.


Mais, comme si ce n' était pas assez pour l' esprit de eorps, il
faut de plus que les juges de l' examen appartiennent a l' Uni-
versité. L'examen, par ceh mcme qu'iI est étendu au del a de
toute mesure, et que l'enseignement le plus llarf:út n'en a pu
approfondir toutes les parties, laisse une large place a l' arbi-
traire du juge. Je voudrais croire qu'une vcriu plus qu'hu-
maine anime les juges universitaires, en général professeurs
de collége; qu' entre les eandidats qui ont passé par leurs col-
léges et ceux qui tiennent de moins prcs a em: et a l'Univer-
sité, entre ceux qui arrivent avec 1'imposant certificat d' études
qu' a délivré un professeur de collége royal, et ccux qui n' ap-
portent que ce pauvre certificat d' études domestiques, signé
de la llJain suspecte d'un pere et d'un onele, ils tiennent tou-
jours la balance égale. l\Iais il n' en saurait guere etl'e ainsi. He-
marquez que de cOlHlitioIlS sont réunies commc tout cxpres
pour tendre un piége a la fragilité humaine et ten ter les plus
impartiaux : - un programme tres -large et qui laissc né-
cessairen:ent une grande latitude pour admettre ou refuser
san s Ulle trop choquante iniquité ; - des certificats exigés dans


j l' cye.:: le programme.




DE LA LIBERTÉ D'ENSELGNEMENT. 85
le seul but, ce semble, de désigncr aux préventions de l' exa-
minateur quels éleves appartiennent a sa maison, quels éleves
a la maison, a la corporation, a la doctrine rivales; - et en fin
le choix pour l'examen de ceux-la memes qui ont enseigné
et formé une partie de cette jeunesse, auxquels l'autre partie
a tenté de se soustraire. n faudrait vraiment qu'il n'y eut, ni
chez le membre d'une corporation amour jaloux pour sa cor-
poration, ni chez le maitre préférence pour ses éleves, ni dé sir
de succes chez l' h0111111e de lettres, ni beso in d' avancement
chez le fonctionnaire publico Dans le sein 111eme de l'Univer-
sité, de collége a collége, de coIlége royal a collége royal, r es-
})rit de rivalité s' est montré dans toute la nudité de ses partis
pris, etj'ai sons les yel1x les plaintes longuement détaiUées d'un
collége, d' une ville, d' un département, qui énoncent, comme
faits notoires et publics, qu'au chef-lieu de l' Académie leurs
p.leves sont mis (l ['in de;¡; , tortur(ls , disséqués dans les exa-
mens, el 111'on trOltre tOlljollrs moyen de {rs rr(usrr f.


Grace a de telIes conditions, le caractere de l'examen change
tout entier. Ce n' est plus un corps savant qui reconnait et pro-
clame la science; c'est bien plutót une administration fiscale
qui vérifie et plombe les matieres sujettes au~ droits. C' est
aussi une pensé e morale, politique, religieuse, comme on vou-
tira, qui, n' étant pas assez süre de réussir par la persuasion,
s'impose par la force. Ne nous émerveillons plus trop de ce zele
scientifique qui prcscrit a tomes les carrieres, et souvent aux plus
obscures, la condition savante du baccalauréat. Comme le bac-
calauréat suppose les étueles universitaires et l' approbation uni-
versitaire, e' est tout simplement ]' attribution exclusivement
fa.ite de toutes les ca.rl'Ícrcs publiques aux djsciples du corps
universitaire. Pour etre quelque clJOse, ne seraít-ce qu'éleve en
pharmacie, employé des finances, garde eles foréts, il faut avoir
payé une certaine dette, avoir vécu SOU8 un certain régime,


I Voyez sur ces préventions contre les éleves du coILége royal de :\1acon
le Joumal de Saóne-et-Loire. 25 février 1846.




86 ORGANISATION
avoir l1échi sous la loi d'un certain corps; il faut avoir passé
par son étamine,luiappartenir, savoir son catéchisme, etrede sa
religion. Laissez grandir ce systeme, laissez-le gagner l'Ecole po-
lyteclmique comme i1 a déjit tenté de le [aire; 1aissez-le s' éten-
dre sur les carriéres militaires comme il y sera logiquement


mené; laissez-le envahir celles des carriercs civiles quí luí
échappent encore, et vous aurez deux nations en France : une
nation universitaire, appelée a tout, et une nation inférieure, ex-
cIue de tout; un peuple de lettrés et un peuple d'illettrés; des
mandarins et des sujets. La Chine est le beau idéal de ce sys-
teme; il est vrai que la Chine, sous ce régime, est arrivée a un
état complet d'inel'tie, de stationnement, de dépravation : la
religion, l' esprit militaire, la philosophie, les lettres meme et les
sciences, tout s' est énervé sous le despotisme paisible et régu-
lier de la caste des lettrés ; et la Chine est désormais de tous les
peuples du monde le plus régulierement organisé et le plus im-
puissant.


Cal' (et ceci nous ramene a notre pensée premiere) les lettres
et les sciences seront toujours mal servies par le principe d'une
domination exclusive, quelle qu' elle soh. J e n' en voudrais d' au-
tre preuve que ce programme d' examen, cette encyclopédie,
effrayante au premier coup d' mil, qui semble avoir eu pour but
de faire de tous les avocats et de tous les employés Ju gouver-
nement de nouveaux Pic de la Mirandole. A quoi se réJuit cette
colossale exigen ce en fait de science et de littérature? Tout le
monde le sait. Dans aucun collége, aucuDe école, pas plus dans
le plus prospere des colléges royaux que Jans le plus obscur
des petits séminaires, cet enseignement universel n'est Jonné.
L' écolier qui termine sa philosophie, si brillantes qu' aient été
ses études, ne sait pas la moitié de ce quí luÍ faudrait saro!1'


pour l'examen. Bien des eh oses ne lui fUl'ent jamais ensei-
gnées; bien d'autres lui ont été enseignées a dix ans de di s-
tance, quand il était petit enfant et faisait sa septieme. Qu'il ne
s'inquiete pourtant paso En trois mois, il saura tout ce qu'il faut
savoir. II trouvera des maUres mille fois plus habiles et des mé-




DE LA LIBERTÉ D'E'.\'SEIGNE~IENT. 87
thodes bien plus abrégées que ceUes du collége. Grace a ces
maitres et a ces méthoeles, toute l' encyc10pédie du programm8
se casera elans sa tete; il refera el'un meme eoup sa sixieme et
sa rhétorique; iI eleviendra tout d'un trait latiniste, helléniste,
chimiste, géometre, philosophe. Savant pour une heure, por-
tant ces trésors de science dans sa mémoire soigneusement fer-
mée a clef, il va subir l' examen; l' examen passé, il tourne la
det, la porte s' ouvre et toute eette scienee s' éeoule. Et le jeune
acaelémicien de elix-huit ans se retrouve tout juste aussi instruit
ouaussi ignorant qu'ill'était trois moís auparavant en quittant
le eollége '.


Qu' on ne s' étonne plus elu déc1in des études. Cet enseigne-
ment tout mécanique qui supplée par une elemi-science a l'in-
suffisance des études du collége, ce savoir artificiellement in-
jecté dans 1'~sprit, dans le seul but de l'examen, ne survit pas
un jour a l' examen. Prenez le bachelier un an , un mois, une
semaine apres le jour OU il a reyu son diplóme, interrogez-Ie
sur la moinure partie du programme, que saura-t-il? Tout ce
qu'il savait en SOl'tant de classe, c'est-a-dil'e fort peu de chose.
-Apres le bachelier prenez l' étudiant; iI sera bien plus loin
encore de son grec et de son latin. -Prenez l'avocat et le mé-
decin, la dose du savoir c1assique sera tout autrement dimi-
nuée. La science est comme la richesse : ce qu'on acquiert vite
est vite dissipé.


Ainsi l'examen, qui est le but et le eouronnement des étu-


I Voici une improbation parfaite, quoique bien involontaire, de ce sys-
teme. u Pour la délibération linaJe sur le résultat de l'examen, il n'y
aura que les connaissanccs devenues véritablement la propriété des
éleves qui soient décisives. De semblables connaissances ne s'obtien·
nent ni par des efforts extraordínaires pendant les derniers moís avant
l'examen, ni en apprenant par creur une masse confuse de noms, de da-
tes ou de notions incohérentes entre elles. Ces connaissances ne peu-
vent étre <{ue le fruit lcntcment muri d'un travail régulier ot constaat
pendant tout le cours du gymnase. n


Mglcment prussien du 14 décembre 1834, § n, dans l'ouvrage de
M. Cousin, De {'Instruction publique en Prusse~ 3e édítion, t. 11, p. 287.




88 OHGANISATION


des, devient lui-meme la perte des études. Des la troisieme,
lorsque l'écolier n'a guere que quinze ans, cette préoccupa-
tion de l'examen vient tout troubler. Comme le programme
des études et le programme des examen s ne sont pas et ne sau-
raient etre d'accord l'un avec l'autre, il néglige le premier
pour ne penser qu'au second. Il ne s'agit déja plus de s'in-
struire, il s'agit de répondre. Le temps lui manque pour sa-
voir; il se contente d' apprendre par cmur. Il passe la se-
conde; il fait tant bien que mal ses deux années obligées de
rhétorique et de philosophie, pour arriver bien vi te avec les
bribes de chimie, de physique et de géographie qu'il s'est Mté
de recueillir, a cette épreuve capitale de l' examen. Et parfois
il arrive que ceux qui aiment les études pour elles-memes,
fatigués de cette pesante et anti-scientifique préoccupation de
l'examen, commencent par s'en débarrasser selon la méthodc
ordinaire; puis, cette formalité remplie, libérés de cette tache
légale, comme a vingt et un ans on est libéré de la conscrip-
tion, ils retournent a leurs véritables et sérieuses études, et
reviennent s' asseoir bacheliers sur les bancs du collége, OU
ils ont toute liberté d'esprit pour s'instruire. Mais cet amour
désintéressé de l'étude est rare; le grand nombre se contente
d'etre bachelier, et se tient fort dispensé d'etre instruit. Et
l' Université, avec tous ses reglements, ses programmes, son
t:ele, son amour du latin et du grec, aurait peine a reconnaltre
ses lauréats dans ces milliers d' avocats, de médecins ou de
fonctionnaires qui ne savent jamais le grec, tres-rarement le
latin, et pas toujours le franpis.


Avant de terminer cette appréciation des institutions univer-
sitaires et de nous demander ce que la liberté d' enseignement
peut mettre a la place, il y aurait encore un point bien important
a faire connaitre, mais que nous avons a peine le temps d'indi-
quer. Depuis vingt et trente ans, on réclame en France ce qui
existe dans d' autres pays, et surtout en Allemagne sur une
grande écheUe, une instruction intermédiaire entre ceUe des
écoles et ceHe des colléges; une instruction propre a faire non




DE LA LIBERTÉ D'E.NSElGNEMENT. 89
plus des lettrés ni des magistrats, mais des agriculteurs, des
commer~ants, des manufacturiers, sachant leur langue, pour-
vus de quelques connaissances générales, préparés en un mot
a leurs utiles professions par l' éducation qui leur est le plus
appropriée. On plaint, et avec raison, cette multitude d' enfants,
que l'amour-propre souvent excusable de leurs parents ne veut
pas enfermer dans l'instruction si limitée de l' école primaire,
et qu'iI::; ont mis au collége, faute de trouver autre chose que
le collége; qui y font tant bien que mal des études ruineuses
pour le patrimoine de leur famille; qui, souvent, pour ne pas trop
prolonger de tels sacrifices et commencer enfin un état profi-
table, laissent ces études a moitié, c' est-a-dire complétement
inutilcs, et meme, quand ils achévent leur instruction classi-
que, sortent du collége avec une science toute de luxe, des con-
naissances parfaitement stériles pour leur état, et loin d' etre
préparés aux professions qu'ils exerceront, sont, au contraire,
par leur éducation meme, impropres a ces professions. Les
hommes les plus distingués de l'Université ont accueilli ces
plaintes. M. Cousin, en 1833, écrivant au ministre de l'instruc-
tion publique, développait ces idées en cinq ou six pages ex-
cellentes : « Un cri s'éleve d'un bout de la France a l'autre,
disait-il en finissant, et réclame pour les trois quarts de la po-
pulation fran9aise des établissements intermécliaires entre les
simples écolcs élémentaires et nos col1éges. Les vreux sont
pressants, ils sont presque unanimes. Voila donc un point de
la plus haute importance sur lequel il est aisé de s' entendre.
Le vam général, de nombreux essais, plus ou moins heureux,
appellent ici la loi et la rendent a la fois néccssaire et facile 1.»
A la meme époque, M. Saint-Marc Girardin était envoyé en AI-
lemagne dan s le but spécial d' étudier cette éducation intermé-
d:aire; et dans les remarquables conclusions de son rapport,
critiquant les prétenducs réformes que I'Université avait cher ....


I Voyez son ouvrage: De l'In,ltruction publique dans quelques paysd' Allt-
magne, t. le<, p. 305 et suiv.




90 ORGANISATION


ché les années précédentes a introduire dans son sein, iI rnon-
trait qu'on s'était totalement mépris j qu'au líeu de créer, ce
que le vreu et la nécessité publique réclamaient, des écoles
diverses, on avait, sans fruit et sans hut, multiplié dans les
memes écoles des études díverses j qu' au líeu de séparer les
éleves, on avait réuni les enseignements; et il term.inait une
page que je voudrais pouvoir copier, par ces paroles excellen-
tes: «( Moins d' éleves dans la meme école, moins de le con s dif-
férentes dans la meme classe, un plus grand nombre d'écoles
distinctes : voila quels sont, selon moi, les véritables princi-
pes de la réforme des classes en France t. »


01', par suite de ces VffiUX unanimes et pressants, de cette né-
cessité facile a satisfaire, de ce besoin commun aux trois quarts
de la population fran¡;aise, de ces observations si graves, de ces
voyages, de ces rapports, que s' est-il fait ? Rien. Les éleves sont
toujours amoncelés dans les memes classes j le plan d'6tudes
le plus compliqué leur est toujours imposé j les écoliers, selon
l' expression de M. Saint-:\'Iarc, «( écoutent plus et retíennent
moins, apprcnnent plus ct savent moins. )) D' enseignement in-
termédiaire, nulle trace séríeuse. L'Université a bien consenti
a attacher a quelques-uns de ses colléges ce qu' elle a appelé
des écoles primaires supérieures j maisces écoles, par cela
meme qu' elles étaient subordonnées aux co1l6gcs et placées
vis-a-vis d' eux dans une situation inférieure, n' ont pas eu de
succes. Personne n'a voulu faire de ses enfants les humbles voi-
sin s de l'aristocratique jeunesse du collége; personne n'a vouln
de cet enseignement en sous-ordre, qui semblait n' etre rap-
proché de l'enseignement supérieur que pour et1'e plus abaissé
par son voisinage. e'est en deho1's de I'Université que s'est fait
le petit nombre d' essais fructueux qui ont eu líeu; e' est en de-
hors d' elle et sans son concours que se sont fondées les deux
écoles de commerce ct d'industrie qui exístent a París; c'est
en dehors d' elle que se sont élevés les établissements des Frcres


I De I'lnslruction intermédiaire. t. n, p. 36i.




DE Ll\ LIBEHTÉ D'ENSEIGNE~IE"T. 91
a Passyet ailleurs, premiere tentative d'une véritable instruc-
tion primaire supérieure (si toutefois ces deux mots peuvent
marcher ensemble). Loin de suivre cette voie, l'Université ré-
siste, et sa lutte judiciaire contre les écoles primaires a pen-
sionnat est un signe de sa résistunce. Au fond, l'Université
n'aime et ne peut aimel' que ses colléges. Par cette spécialité
d' affectioll qui est le proprc de toute corporation, elle préfé-
rera á toute autre l' institution qu' elle a udoptée la premiere
et par laquelle elle se croit supérieure. A ses colléges, elle sa-
crifie les Facultés qui sont au-dessus et qu' elle annihile, plutot
que de diminuer un peu le programme de ses études scolai-
res; a ses colléges, elle sacrifie l' éducation intermédiaire, qui
devrait former le degré au-dessous, et qu' elle annihile égale-
ment en l'allnexant comme une vassale a ses colléges.


Dans tout ceci, y a-t-il parti pris, mauvais vouloir calculé?
J e ne le erois point. Y a-t-il impossibilité de mieux faire? J' en
suis persuaué. C'est, ce me semble, un frappant exemple de
cette impuissance OU, disiollS-110US, sont tous les corps a se
réforrne1', si la 1'éfol'me ou UU moins la provocation a la réforme
ne vient du dehors. Voila une r6forme que le veeu public ap-
pelle depuis plus de vingt ans ; que M. Cousin, il y a treize ans,
proclamait urgente et facile; que les hommes les plus distin-
gués dan s rUlliversité, hors de l'Université, ont approuvée, et
dans le sens de laquelle cependant aucun pas sérieux n' a été
fait.


S 11. - DES EXAMENS SOUS J"E RÉGUIE DE LA LIBERTÉ
D'ENSEIGNE)IENT.


Apres eeUe exposition de l' état des choses sous l' empirc de
l'institution universitaire, il s'agit de dire ce que la liberté d'en~
seignement pourrait y apporter de remedes et de réformes.


Iln' entre pas dans notre plan de discuter les méthodes pé-
dagogiques; il suffit de remarquer que la liberté d' enseigne-
ment, et elle seule, les rend toutes possibles. On a vu avec




92 ORGANISATLON


quelle sévérité M. Saint-Mare Girardin juge les ehangements
(je ne puis pas dire les réformes) qu' on a prétendu opérer de-
puis quinze ans dans le systeme des études universitaires. Il est
clair qu'il ne lenl' aecol'de aueune valeur. Par la liberté d'ensei-
gnement, au contraire, tous les ehangements sont possibles: les
ehangements hasardeux et inintelligents, qui ont tout au plus
un jour de sucees; mais aussi les ehangements intelligents et
utiles, qui l'éussissent et qui durent. Par la liberté d' enseigne-
ment, l'Université peut etre provoquée aux réformes; elle peut
meme arrivel' a en prendre l'initiative. Cal' il ne s'agira plus
seulement de bien faire, mais de faire le mieux possible ; de sa-
tisfaire a un reglement, a un programme immuable, mais de sa-
tisfaire a tous les besoins d'une société libre, qui peut exiger
impérieusement cette satisfactiqn.


Et en particulier, cette réforme capitale dont nous parlions
tout a l' heure, cet établissement d'un enseignement intermé-
diaire que l'Université reconna1t si nécessaire et dont elle se
passe, doit suivre de prcs la loi qui donne une liberté d' ensei-
gnement sérieuse. Quand iI y a d'un coté nécessité pour le pu-
blie, et de l' autre liberté chez les individus, bien des gens se
rencontrent sans retard pour mettre a profit cette nécessité.
Ils commeneeront peut-etre par mal faire; mais enfin ils fe-
ront, et d' autres apres sauront faire mieux. Si 011 attend, au
contraire, 1'initiative de l'Université et du pouvoir, on ris-
que de 1'attendre longtemps encore, comme on l'attend depuis
trente années.


Et cette innovation, loin de nuire aux études classiques, est a
n08 yeux un grand service qu' on leur rendra. n est plus qu'inu-
tile, dans l'intéret de ces études, que les ballcs des colléges
soient encombrés par de futurs cultivateurs, marchands, fabri-
cants, qui ne suivent les classes que pour obéir a la vanité de
leurs parents, qui en sortiront de bonne heure pour des raisons
d'économie ou pour la nécessité de leur avenir, et qui seront
souvent d'autant meilleurs marchands et agriculteurs qu'ils au-
ront été moins bons écoliers. Si, au contraire, selon le désir de




DE I.A LIBERTÉ D'ENSEIGNEMENT. 93
M. Saint~Marc Girardin, on ouvrc des (( éco1es nouvelles quí dé-
barrasseront les écoIcs 1ittéraires de cette queue d' éleves ínca-
pabIes ou dégoutés quí ne travaillent pas et nuisent a ceux qui
veulent travailler; » si, selon le vam de l'honorable professeur, on
fait par la disparaitre ces classes monstrueusement encombrées
des colléges de Paris, ou un seuI maitre donne a soixante ou
quatre-vingts éleves une instruction uérisoire et impossible, les
études littéraires poul'ront reuevenir sérieuscs. Données d'une
maniere plus compU~te et plus grave, données a ceux-la seuIs
que leur carrierc et 1eur professioIl n' en uoivent pas éloigner,
elles pourront laisser pendant toutc la vie de fortes traces. On
trouvel'a, il est vrai, un peu moins de ces commis dc banque
et de ces chefs d' ateliers qui pourraient encore, a la rigueur,
décliner rosa et domilllls. mais qui maudissent le temps qu' on
leur a [ait perdre a ces études superflues; en revanche on aura
dans la magistrature, dan s le barreau, dans la médeeine, dans
l'administration, uans le clergé, des hommes fortement élevés,
et dont l'instruetion littéraire plus profonde sera cette fois un
utile instrument pour leur état, une véritable oecupation pour
leuJ's loisirs. C' est la tout ce qu' il faut a une nation. Intellec-
tuellement parlant, elle ne se classe pas d'apres sa moyenne,
mais d'apres son 61ite : ce qui l'honore, ce n'est pas le nombre
des éeoliers qu'elle eompte sur ses banes; c'est la valeur des
hornmes distingués qu' elle possecle dans son sein.


1\1ais c' est asscz de ce seul mot sur la question des études,
question sur laquelle la loi n' aura pas a statuer, et qu' elle lais-
sera tout entiere a la liberté. Elle ne peut y toueher que par un
~oint, l~ pl'ogramme de l' examen. Arrivons done a. eette ques-
tlOn vraunent capitale de l' examcn.


y aura-t-il un examen?
Que1 en sera le bui ?
Quels en sefont les jugcs?
Sur quels objets portera-t-.il ?
Quelle en sera la forme?
Voila les questions que nous allons résoudre brlévement. Les




94 OnGANISATlON
observations que nous avons faite s sur l' état actuel des choses
abrégeront singuIierement notre tache.


y AURA-T-IL UN EXAMEN?


La société, qui a laissé a chacun la liberté d'étudíer comme
il a voulu et oil il1'a voulu, est-elle en tIroít tIe lui faire rendre
compte de son savoir? Lui demanaera-t-elle ce compte a 1'6po-
que seulement oil iI va commencer l'exercice a'une carriere? Et
alors lui demandera-t-elle uniquement les connaissances spé-
ciales qui sont propres a cetie carriere? Ou bien, au contraire,
des l'instant oil ses étuaes spéciales vont commencer, lui de-
mandera-t-elle compte des 6tudes générales qui en sont la pré-
paration? Interrogera-t-elle sur la médecine seulement cclui
qui va etre médecin, sur la jurisprudence celui quí va devenir
avocat? ou, au contraire, avant meme qu' on étudíe ou la méde-
cine ou le droit, interrogera-t-elle le futur avocat et le futur
méclecin sur les leUres, sur les humanités, sur cette instruction
li16rale que les carrieres libéraJes sernblellt appeler?


Ce dernier parti est celui que l' on suit en France et dan s pres-
quetoutel'Europe, si je ne me trompe. Les études supérieures,
les études spéciales, ne sont ouyertes, ou du moíns ne sont utile-
ment accessibles que pour cclui qui justifie ele son instruction
premiere. C'est aussi ce partí que HOUS croyons utile de suivre.
Nous avons dit assez en commen~aIlt quelle est l'importance
dans l'intéret d'une nation de cette éducation libérale quí fixe
le niveau inte11ectuel d'un pays. Si on ne 1'impose pas meme a.
ces carrieres que l' on appelle libérales, a qui les deman-
dera-t-on? Et avec la tenclance de notre siecle a préférer a
toute chose ce qui est matériellement utile, que deviendront
ces études et la dignité intellectuelle qui en est la suite, si ces
études ne sont nécessaires a la fortune de personne? Que devien-
dront meme les carrieres libérales, si, dispensées ainsi de toute
préparation littéraire, elles sont précédées tout au plus cJ'une
instruction spéciale qu' il est facile de recevoir et meme de donner




DE LA LIBERTÉ D'E~SElGl\"E:\IENT. 95
sans aueune érudition et sans la eonnaissanee d' aueune langue
savante? Elles deviendront de plus en plus ee qu' elles ne tendent
déja que trop a devenir, affaire de routine, de métier, de tra-
fie. 11 faut done que l'instruetion littéraire soit exígée; et il est
juste qu' elle le soít des le commeneement des études spéeiales:
serait-il loyal de laisser s' engager dans des travaux, dans des
dépenses, dans un inutile laheur de trois ou quatre années,
celui qu'au hout de trois ou quatre ans on refusera faute d'in-
struction llremiere~ La société a u.onc intéret, elle a u.roit, elle
est obligée llar devoir a avertlr de son incapacité celui qui s' a-
vance vers une earriere pour laquelle il n' est point préparé.
Libre ensuite a luí d'entrer dans les écoles, de suivre les cours,
d' étudier; comme l' étudíant allemand qUÍ, en sortant du gym-
nase, n'a pas obtenu de certificat de maturité, n'en est pas
moins admÍs autant qu'ille veut a suívre les eours de l'Univer-
sité; il est seulement averiÍ que, tant que ee certificat lui man-
que, les études qu'il fait ne lui ouvrent point de carricre.


Ce qu' exige ainsi l' Allemagne, la Belgique l' exige également.
L'examen de candidature suit les études ordinaires et précede
les examen s spéciaux. Nul n'est re\(u candidat en droit s'íl n'a
déjiL été re\(u candidat es-Iettres ou en philosophie; nul n' est
re\(u candidat en médecine s'il n'a déja été admis au meme
grade en fait de science 1. Partout 1'éducation particuliere du
médecin et de l'avocat a pour antécédent nécessaire l'éducation
générale de l'homme lettré.


BUT DE L'EXAl\IEN.


Mais quel titre, quel examen, quelles conditions exigerons-
nous? Il Y a une distinction a faire; elle est importante.


Partout ou il existe des corps enseignants, de véritables uni-
versités, elles soumettent a une épreuve ceux qui ont étudié


! Loi organique de t'instruction $upérieure du 27 septembre 1835, ar-
ticles 37, 38.




96 ORGANISATION


sous leur direction; par cette épreuve , elles reconnaissent leur
science et leur talent; elles la constatent par des diplómes, par
des grades; elles les font licencié s ou docteurs. Elles n' ont pour
cela aucnne délégation du pouvoir public; elles ne font point
acte de gouvernement. Corporations plus ou moins privilé-
giées, plus ou moins reconnues, souvent meme tout a fait indé-
pendantes et revetues d'un caractere purement privé, elles ne
sont pas 1'État. Le titre qu'elles délivrent n'a aucune force de-
vant 1'État; ce n' est pas un titre légal. Sa valeur, quoique réelle
et sérieuse la plupart du temps, est une valeur toute morale,
proportionnée a l' importance, a la célébrité, a la bonne renom-
mée de l'université qui le délivre. On est doctenr de Louvain,
d'Iéna, de Cambridge; et ces titres d'honneur par lesquels ces
universités garantissent au monde savant la science du disci-
pIe qu'elles ont formé, ont un poids et une importan ce diffé-
rente, selon la valeur scientifique du sceau dont ils sont revetus.


Mais, on le comprend, a la société civile, agissant officielle-
ment et par l' organe des pouvoirs publics, il faut des titres
d' une autre nature. Ce n' est pas un diplome universitaire, plus
ou moins valable, selon le renom de la corporation qui l'a dé-
livré, que la société peut accepter comme garantie. Ce n' est pas
une épreuve subie devant le corps enseignant lui-meme, et OU
le corps enseignant, appréciant ses propres truvres, serait sus-
pect de partialité, qui rassurera les pouvoirs publics, surtout
depuis que ce corps enseignant, au lieu d' etre unique et officiel,
est partagé en diverses institutions rivales. Tout au contraire,
c' est la société qui voudra elle-meme, et par ses délégués immé-
diats, controler l' reuvre des corps enseignan ts. Elle ne s' occu-
pera point de reconnaltre et d' honorer des savants, mais de
reconnaitre et de breveter les hommes qu'elle juge en état de
remplir les fonctions sociales; elle jugera moins encore la science
au point de vue théorique et abstrait que la capacité au point
de yue pratique et applicable; elle ne fera point de bacheliers
ni de docteurs; elle délivrera a ceux qu' elle juge capab1cs des
certificats de capacité.




DE LA LIHEHTÉ D'K\SElGNE~lE~T. 97
Ainsi le COl'pS enseignant, ou pour mieux ¡Jire chaque corps


enseignant, pourra, a ses risques et périls et dans la mesure de
la confiance qu'il insp~:e, garantir par des diplomes le mérile
de ses éleves. Méme aujourd'lmi ces diplómes privé s existent;
l'École spéciale du commerce, l'École des arts et manufactures,
deux institutions purement privées, ¡Jélivrent, l'une des diplü-
mes de capacité, l'autre des brf~Yets d'ingénieur civil, titres
sans force légale, adressés non pas it 1'État, mais au public, qui
les apprécie paree que ces établissements sont estimés. Mais
les corps enseignants, quels qu'ils soient, ne sauraient lier la
société; I'État n'accepte pas leur sceau pour garantie; il faut
que ces bacheIiers ou ces docteurs qu'ils ont faits passent exa-
men elevant d'autres juges que ceux,qui les ont instruits, sur
d' autres bancs que ceux de leur éeole, sous une garantie autre
que le cachet de leurs maltres. Ce n' est plus ici le corps ensei-
gnant qui reconnalt et proclame ses ffiuvres devant l' opinion
et le monde savant; c' est la société qui vérifie les ffiuvres des
corps enseigllants, les approuve et les tient propres a son usage.
Il ne s'agit plus de baccalauréat a conférer; il s'agit d'uu cer-
tificat d'apt ilude a délivrer. Changement de mots, dira-t-on.
Ne serait-ce que cela, iI est déjil utile de rendre aux mots lem
véritable ernpIoi.


M::tis de plus. eette notion ainsi reetifiée, des conséquenees
importantes vont en soriir.


QUET.S SERONT LES IDGES?


En eITet, le hut de l' examen une fois établi, la question relatiye
aux j uges se trouve hien pres d' etre résolue. Lo juge ne sera plus
le délégué du corps cnseignant, mais le délégué immédiat de
l'Etat. n y a plus, et eomme le eorps enseignant a eessé d' etre
unique, comme il y a maintenant plusieurs établissements quí
enseignent, rivaux, eoneurrents, presque hostiles, le juge, pou!'
peu qu' on le veuille impartial, sera pris en dehors de ces éta-
blissements, queIs qu'ils soient.


7




98 ORGAl\IS,\'I'ION


leí un cri va s' élever : «( "lais quoi done? Qui peut juger l' en-
seignement, sinon ceux qui em;eignent? Qui peut examiner sur
le latin, sinon des professeurs? Seront-ce les représentants 01'-
di naires de l'Etat, e'est-a-dire: le maire, les adjoints et les con-
seillers municipaux qui interrogeront sur Homere et sur la
syntaxe des écoliers les trois quarts du tcmps plus instruits
qu' eux? Vous excluez des examens quiconque sait quelque
chose et vous appelez les ignorants a juger le savoir. »


Cette objection s'est faite et se fera sans doutc. Mais d'abord
ron ne songe pas quel blime indirect elle jette sur l' Université
a.ctuelle. Nous avons parlé de la décadence des études, dont.
l'Université est en partie du moins responsable. Mais combien
cette décadence serait plus compll~te encore s'il était vrai qu'en
dehors de ceux qui sont voués par état a l' enseignement, iI n'y eut
personne en Franee capable d'interroger sur l'histoire et sur le
latin des écoliers de dix-sept ans! Comment done! Tous les jeu-
nes gens appartenant aux familles un peu aisées passent par
vos colléges; pendant dix ans le grec et le latín sonL leur étude,
sinon exclusive, du moins principale; vos écoles sont la pépi-
niere ou se recrutent forcément et sauf quelques exceptions la
magistrature, l'administration, le barreau, la médecine, toutes
les professions libérales : et parmi ces milliers d'hommes répu-
tés lettrés, bacheliers de par vous, que vous avez au bout de
dix ans lancés dans le monde, íI ne s'en irouverait pas vingt,
quinze, dix, cinq, dans un départemcnt, demeurés assez in-
struits pour s'assurer par des questions de la force d'un éco-
líer! Le latín que vous enseignez a tous rcsterait dans la, tete
des seuls professeurs! Et eeHe instruetion, payéc a si grands
frais par TEtat, si rigoureusement imposée aux familles, servi-


raít seulement a former des maUres destinés a leur tour. et uni-
quement destinés, a former d' autres maltres!


Non ~ il n' en est pas ainsi. Sans doute, parmi ceux qui ap-
prennent le latin, beaucoup sont 1stinés a l' oublier ; beaucoup
ne garderont de leurs études classiques qu'un demi-souvenir
fréquemmcnt utile, l'habitude du travail d' esprit et cette élé-




DE LA LIBEllTÉ D'El\'SEIGl\El\IENT. 99
vation de l'intelligence qui la porte a se dégager ave e plaisir
des eh oses et des intérets pour arriver jusqu' aux idées. e' est déja
beaucoup; e' est peut-etre le plus grand fruit. Mais l'instruction
serait bien imparfaite, et a coup sur elle ne porterait ce fruit que
pour un bien petit nombre, si pour quelques-uns elle n'avait un
résultat plus direct encore; si ce qui. est appris était compléte-
ment perdu pour tous, du moins a titre de connaissances posi-
tives; si ceux-Ia surtout dont la pensée reste fixée par état dans
le domainc du sayo ir et de l'intelligence, n'en oubliaient pafO
moins, malgré leur vie érudite, les premiers éléments de sa-
voir que le collége leur a donnés. Nous croyons, il est vrai,
que tous ces résultats, l'Université ne les obtient que d'une
maniere insuffisante; mais nous serlons injustes et ses défen-
seurs seraicnt coupablcs de calomnie envers elle, si les uns ou
les autres nous allions pubEer que ses études sont tellement
faibles, laissent si peu de trace, agissent si mal sur les milliers
de jeunes gens qu' elle forme, qu' arrivés a trente ans, meme les
plus lettrés d' entre eux ne seraient pas en état d' examiner un
écolier.


Il y a plus, et nous pouvons dire que ces lettrés, ces latinis-
tes qui ne sont pas pr?fesseurs, le jour oil on voudra les cher-
cher, non-seulement seront révélés au pouvoir par une noto-
riété facile a reconnaitre, mais qu'ils le sont des aujourd'hui
encore par des positions a peu pres officielles. Tout en chargeant
le préfet de chaque département de dresser une liste des nota-
bles lettrés comme i1 dresse une liste des notables commen;ants,
on trouvera a Paris les membres de l'Institut. dans les pro-
vinces les archivistes départcmentaux et les correspondants
des académies, partout les bibliothécaires des vilIes ou de rE-
tat, les lauréats de l'Institut, les présidents et les secrétaires
des sociétés savantes autorisées par le gouvernement, pour for-
mer un jury scientifique suffisant par le nombre et certainement
par la science.


Il faut bien d' ailleurs en venir a cette rcssource. Les commis-
sions d'examen aujourd'hui en usage ont été dan s la discussion




100 ORGANlSATION


de la Chambre des Pairs trop positivemcnt condamnées et par
la commission dont IVI. le duc de Broglie était l' organe, et par la
Chambre, qui s' est réunie pour les repousser. LesFacultés que le
vote de la Chambre a mises a leur place appartiennent, C0111111e
les c0111missions d' examen actuelles, a l' Université; ee seraie11t
toujours des membres d'un eorps enseignant jugeant les amvres
des i11Stitutio11S rivales. Et de plus, il n'y a que dix Facultés des
lettres dans toute la Franee, et ee serait imposer aux candidats
une dépense, des voyages, une perte de temps tout a [ait désas-
t1'euse, que de les oblige1' a aIle1' chereher leurs juges si 10in
d' eux. Di1'a-t-on qu' 011 augmentera le nombre des Facultés? I1


118 serait nÍ sensé nÍ pratÍcable de faÍre un tel cIlangement, ct
d'imposer au budget une te11e charge dans la scule vue des
examens, quand les Fac.1ütés qUl eXlstent sont déja si languis-
san tes , quand déja, et avec grande raison, 1\1. Cousin a pu se
plaindre de 1eur éparpillement 1.


Nous arrivons donc nécessairement a ehercher en dehors de la
profession cnseignante un personncl scientifique pour le t1'av:1il
des examens; et ce personnel ne nous manqlle paso Chez les hom-
mes que j' ai désignés et chcz d' autres qu' on pourrait désignel'
encore, la science n'est pas moindrc que parmi eeux qui ense1-
gnent; le dévouement s8['ait égal; l' absence de toute préven-
tion est plus certaine. Une autorité impartiale 8t compétentc,
l'Institut par exemple, choisira ou dans son sein ou hors de son
sein une liste de [¡O, 50, 60 exarninateurs qui, a eles temps
marqués, comme ccux de r Eeole polytechnique, parcourront
deux it dcux un certain nombre <le départements. Dans chaque
chef-lieu, se joindront a ces deux exarninateurs deux autres pris
parmi ceux que IlOUS designiotl3 tout a l'heure, et qui habitent
le pays. Les quatre réunis illte¡rogerollt les éleves, et deux voix
contraires rnotiveront le rejct. AirlSi seront compensés l'un par
l' autre l' esprit de localité, rtue1quefGis moins impartíal, r esprit
métropúlitain, quclquefois llioins attentif. Aux examillateurs


I Voyez le meme ouvragp , t. l, p. :175.




DE LA UIIEfiTÉ D'ENSEIGNE:\IENT. 1.01.
Iocaux, pris a tour de role sur une liste qui pourra aisément ~tre
nombreuse, iI ne sera impos6 qu'un faeile travail, un déplace-
lllent peu incommode, si toutefois il y a déplacement pour quel-
ques-uns d' entre eux, rémunéré d' ailleurs, comllle ilI' est pour
les eommissions d' examen, par une juste indemnité. Pour les
examinateurs métropolitains, le choix de l'Institut, la situation
élevée qu'ils prendraient dans la science, une rémunération Ié-
gitime, seraient, ainsi qu'il arrive pour les examinateurs des
éeoles seieutifiques, plus qu' une suffisante compensation de
leurs travaux. Mais ni les uns ni les autres ne seraient appelés
qu' a tour de role et a des intervalles assez longs. 11 ne faudrait


. pas que eette charge accidentelle devint une fonction con-
stante; qu'il se fOl'mát une corporation d'examinateurs perma-
nente et circonscrite qui imposát a. la France son esprit, ses
méthodes, ses préventions. Il ne faut pas que les examinateurs
fassent corps plus que ne le font en France les électeurs et les
jur6s. Mais nous u' ayous pas a. eutrer iei daus de trop minu-
tieux détaiIs; il sufIit que le personnel existe. Il sera facHe de
trouver le meillenr moyen de l' employer.


Du PROGRA~U1E ET DE LA FORME DE L'EXAMEN.


Vient maintenant la questiou du p1'ogramme. Celui que l'U-
uiversité impose a ses candidats, détaillé a l' exces et fort como
p1'éhensif en apparence, u'amEme pas, uous I'avons déja dit et
chacuu le sait, d' examen sérieux. Pour avoir trop demandé, OH
a moius obtenu. II pose jusqu'a trois cent cinquante question~,
eomme il les appelIe, dont chaeune serait tres-raisonnable-
ment le sujet d'un gros livre. Il est vrai que pour le candidat,
une foís assis sur les banes, les t1'ois cent einquante questions
sont réduites, et réduites par la voie du sort, a sept : une pour
chaque branche d' enseignement; et comme répreuve orale pent
n'litre que de trois quarts d'henre, y compris l'explication des
classiqnes, cela ne fait guere plus de cinq minutes ponr chaque
question et chaqne science. Dn reste, ponr ces motifs ou pOUl'




i02 ORGANISATlON


d' autres, le programme a été presque unanimement repoussé
par la Chambre des Pairs. C' est M. le due de Broglie, c' est
M. Barthe, c' est lVI. le comte de Montalivet, qui, déniant a l' U-
niversité le droit de faire un programme, ont voulu, par un
amendement que la Chambre a adopté, et auquel j\l~ Villemain
consentait ou a. peu pres, faire remonter cette tache j usqu' au
Gónseil d'Etat: solution dont le mérite peut et1'e contesté, mais
qui atteste la condamnation par la Chambre du programme uni-
versitaire.


Quant a nous, ent1'ons dans quelques détails, ct ne séparons
pas le programme de l'examen d'avec la forme de l'examen,
deux choses qui se corroborent l'une l'autre. Et d'abord cette
multiplicité de qucstions dans le programme, cctte surabon-
dance de détails serait a nos yeux la premie re chose a écartel'.
Quand un écolier de dix-huit aus apporte elevant des juges sa
jeuue science, il n'est pas a déslrer qu'il sache beaucoup; il est
a désirer surtout qu'il sache bien. Il n'est pas nécessaire qu'on
lui pose des questions diverses, multiples, abstruses; mais il est
nécessaire que sur le petit nombre d' ohjets qui ont clu compo-
ser son enseignement 11 soit exalll1ué murement, équitable-
ment, sérieusement.


Pour cela, 1'épreuve écrite est infiniment supérieure a 1'é-
preuve O1'ale. Dans la derniere, un lapsus lingua:, un peu de
trouble, une légere émotion peut fausser complétement les ré-
ponses; dans la premiere, tout ce que le candidat a de talent
et de savolr a pour se produire tout 10islr et toute liberté. Le
programme actuel admet une épreuve écrite, mais une seule,
la versionlatine. Pourquoi des épreuves écrites de genres divers
n' attesteraient-elles pas sa capacité pour chacune des branches
de l' enseignement ? Pourquoi se refuser ce moyen d' éclaircisse-
ment plus sur, moins fugitif, plus murement appréciable ? Les
Allemands, dont l' esprit réfléchi et l' expérience ont tant de va·
leur en pareille matiere, quand ils font subir a l' éleve des gym-
nases l'examen qui précéde le passage al'Université, comme
Ghez nous l' examen d u baccaJ.auréat précede les études supé-




DE LA LIBERTÉ D'E~SElGNEMENT. 103
rieures et spéciales, lui imposent le quadruple devoir d'une
eomposition allemande, d'une composition latine, d'une version
grecque, d'une eompo¡;¡ition mathématique. Cette tache rem-
plit quatre jours, a huit heures de travail par jour. C'est la et
ce doit etre la partie capitale, paree que e' est la partie la plus
positive et la plus eoncluante de l' examen.


Des lors, l' épreuve orale perd de son importan ce : les exa-
minateurs ont (léjit une mesure assez eertaine du savoir de
l' élicwe; il ne s' agit plus que d' éclaireir quelques doutes qui se-
raient demeurés dam; leur esprit. Des lors aussi on n'a plus be-
soin de ee programme minutieux et détaillé dont la Chambre
des Pairs renvoyait le travail au Conseil d'État. Tandis que notre
programme fran«ais [(ve e ses t1'ois cent cinquante quesLions rem-
plit ele longues pages dans les reglements universitai1'es; dans
le reglement prussicn, que M. Cousin nous a fait connaitre, le
programme de l' examen écrit contient une rage et huit articles ;
celui de l' examen oral, deux rages et treize articles. Ce pro-
gramme comprend cCJlcndant deux objets d'enseignement qui
sont étrangers au notre : la religion, sur laquelle nous n'jnterro-
geons pas, et une langue vivante, la langue franr;aise. Il exige
ce que nous ne demandons ras en France, que le candidat, pen-
dant une partie de l' examen, soit interrogé et l'éponde en langue


4
latine. Sur chaque point il indique brit'wement it l' examinateur
quels doivent etre la nature, le but, la mesure de ses questions.
Il est, en un mot, beaucoup plus positif quoique plus conó"
que le nOtre, de meme que l' examen est plus approfondi quoi-
que moins étenda.


Le programme simplifié sur ce modele, qui s' oppose a ce
qu'il soit inserit dan s la loi meme ? Dira-t-on qu'il est sujet a
changer trop fréquemment? .Te répondrai encore par l'exemple
de la Prusse : le réglement actuel est de 18M; celui qui le pré-


cédait était de 1812 ; celui qui l'avait précédé, de 1788. Ce ne
sont pas la, ce semble, des changements trop fréquents pour
que l' action législative soit incapable de les suivre. Dira·t-on
que les Chambres qui font les 10is sont peu instruites en pa-




104 ORe ANISATION


reillesmatieres? Je répondrai d'abord par la simplicité du pro-
gramme prussien que j' offre comme modele, et qui est fort sai-
sissable pour tout homme instruit; et Imis je dirai des Cham-
bres ce que tous les orateurs de la Chambre des Pairs disaient
un conseil d'Etat, que si en majorité elles sont incompétentes
en fait d' enseignement comme elles peuvent ]' etre en fait de
chemins de fer, de travaux publics, ele finance, de marine, il est
dl1ns leur sein des hommes compétents qu' elles écoutent, et
que « le mérite éminent du gouvernement représentatif est de
condamner les hommes spéciaux a se [aire comprendre et ap-
pl'ouver par le bon sen s général, el' appeler les hommes du COI1l-
mUll, eL de les élever jusqu' á la hiuteur des qllestions tech-
niques t. ») I1 y a plus, et il est meme utile que les hommcs d1l
commun interviennent, ne sel'ait-ce que pour garantir contre
l' exces des prétentions scientifiques la liberté du caudidat et le
droit, que la Charte lui assure, d' admissibilité a tous les emplois,
s'il a les connaissances que ces emplois exigent. En un mot, tout
cela est plus simple qu'on ne le croit; on a exagéré l'impor-
Lance, l'étendue, la diversité, la dimension duprogramme, et
c' est ainsi que de la rédaction du programme on a fait une si
grande affaire.


Maintenant quels objets comprendra ce programme? Sans
aucun doute la langue franyaise, la langue latine, la langue


grecque : -La premiere a vec une rigueur qu 'OIl ese lolll d'y lllet-
tre aujourd'hui, puisqu'unc version du latin en fr<1:n~ais est le
seul Rpécimen que fournisse le candidat de sa connaissance de la
grammaire, de son style, de son aptitude a composer; - La se-
conde sera l' objet d'un examen presque aussi sévere, parce
qu'il faut que dans eette langue, base fondamcntale de notre
instruction, l' éléve soit arrivé a ce que j' appeIlerai le sens litté-
mire; - Pour le grec enfin, la eonnaissance de la grammaire, la
science des éléments de la langue, l'explication des auteurs les
plus faeiles suffira a París comme a Berlín.


I M. le duc de Eroglie, dans la discu~sion de la Chambre des Paies.




DE LA LlBEHTÉ D'E:.";SEIGl'iEMENT. l05
Vient l'histoire. Il faut élaguer icí cet étalage vraíment ex-


cessif de science historique quí figure dan s le programme ac-
tuel. Veut-on qu'un écolier de seize ans, qu' un enfant n' ait plus
rien a apprendre en histoire? Et quand 00 lui demande, parmi
quarante-neuf questions semblables, ((l'histoire de la Russie et
de la Pologne depuis l' avénemen t d' 1 van III W asiliewi tch jusqu' á
celui de Pierre-Ie-Grand, » veut-on, peut-on vouloir qu'il sa-
che tout cela sérieusement? La Prusse, si savante, se contente
de moins: {( Quant a l'histoire et a la géographie, dh-elle, iI
faut s' assurer si les éleves possedcnt un aper<;u clair de l' en-
semble de I'histoire, et s'ils ont acquis une connaissance exacte
de l' histoire ancienne, principalement de I'histoire grecque et
l'omaine, ainsi que de I'histoire allemande et nationale, et s'ils
~ont assez avancés dans les {'Iéments de la géographie mathé-
lllatique, physique et politiqueo Il Et encore elle ajoute: (( Les
examinateurs doivent s'abstenir de toutes questions qui entre-
raient trop dans les détaiIs 1. ))


Quant aux sciences, iI serait juste également de s' en tenír a
une límÍtation asscz étl'oite. Pour ceux quí veulent entrel' dans
les écoles de médecine, un examen scientifique spécial est exigé
et sera toujours exigé. C' est donc a de futurs avocats que ron
demande les équations du second elegré et la construction ele
l'hygrométre a cheveu. Cujas ou Gerbier auraient pu etre ex-
clus elu barreau faute desavoir assez de chimie.


Reste la philosophie, sur laquelle, tout le monde s' en sou-
\ient, le débat a la Chambre des Pairs a principalement porté.
Si queIque chose est résulté de ce débat, c' est le blame jeté
sur l' enseignement philosophique eles colléges; c' est le danger
de cet enseignement pour de jeunes tetes; c' est le d6sil' que la
philosophie, au moins dans ce qu' elle a de plus avancé, ap-
partienne a l'enseignement supérieur. La, en effet, les audí-
teurs sont des étudiants libres; iIs peuvent discuter, comparer,
rcjeter les systémes qu' OIl leur offre, qu' on ne peut plus Ieur


t A¡'t. 2'1, § 7.




106 ORGA.\TISATION


imposer. Le professeur qui leur parle ne parle point seul. Par
le monde, la lecture, la conversation, on peut le juger et le
rectifier. L'écolier, au contraire, n'est pas libre; il n'entend et
ne lit que son maltre; il faut, en vertu de la discipline du col-
lége, qu'il en accepte pieusement toutes les le<;ons, son maUre
serait-il Hobbes ou Spinosa. D'ailleurs, il ne suffit pas de dire
qn' on enseignera la philosophie et qu' on examinera sur la phi-
losophie; il faudrait dire sur quelle philosophie. Et l' on en
viendra forcément la, ou, l11algré ses protestations, en "ient
forcél11ent 1'Université, a faire dans un pays qui ne veut point
de religion de 1'Etat une philosophie de 1'Etat. Il faut done que
tont ce qui est systéme, opinion, idée individuelle soit écarté,
sinon de l' enseignement, sur lequel la loi ne peut plus agir di-
rectement, au moins de l' examen qu' elle est appelée a régler.
Mais, en dehors des systemes, restent deux cIlOses sur 1es-
quelles l' examen üoit porter : -la logique d' abord, qui n' est
que l' applicatioll l11éthodique d'une des facultés de l' esprit
lmmain ; - ensuite la connaissance du langage philosophique,
langage commun a tous les srstémes, nécessaire pour les en-
tendre, indispensable préparation a l'enseignement propre-
ment üit de la philosophie.


En résul11é, la langue franºaise au point de vue grammati-
cal et littéraire, la langue latine sous ce meme et double as-
pect, la langue grecque dans un but plus excIusivement gram-
matical; l'histoiresainte, I'histoire ancienne, I'histoirenationale,
la géographie, non dans leurs détails, mais dans leurs grands
traits; les mathématiques dans ce qu' elles ont de plus élémen-
taire; en fait de philosophie, la logique, suivie de questions
assez multipliées pour s'assurer que 1'intelligence du langage
philosophique ne manque pas au candidat ; - en d' autres ter-
mes, un programme moins vas te , moins chargé de détails
que le programme actuel de l' examen, mais qui, par cela
meme, pourra etre plus sérieux; - des épreuves écrites bien
plus encore que des épreuves parlées , paree qu' elles sont plus
équitables et plus concluantes; - quatre juges, parmi lesquels




DE LA LIBERTÉ D'E:,,/SEIGNEMENT. 107
deux voix suffiraient pour entralner le rejet : telles devraient
étre, ce nous semble, les formes et les conditions de l' exa-·
meno


Faut-il en ajouter une de plus et continuer a imposer a l'as-
pirant la nécessité du certificat d' études ? C' est par la que nous
terminerons.


Nous avons déjiL montré le but fiscal et l'intéret de corpora-
tion qui ont íuspiré la pensée premiere de ce certificat. De tels
motifs sont complétement incompatibles avec la liberté d' ensei-
gnement. Quand une seule institution est maitresse et a droit
d'enseigner, qu'elle vérifie si les éléves qui. se présentent lui
appartiennent, et s'ils n' out pas fait fraude a son monopole,
cela est logique. Mais quand, moyenllant des conditions qui
U'ol1t rien d'impraticable, tout homme pourra donner l'instruc-
tion, quand nul euseignemem ne sera illégal, a quoi scrvira un
certificat qui ne pourra plus manquer a personne ? Ce ne serait
plus qu'une note offerte aux préventions ou aux préfé1'ences
des cxamínateurs, afiu de détourner leu1' esprit de la question
de capacité quí doit les occuper excluslvement. Ce serait
comme un stigmate destiné a les faire souvenir, s'ils sont in-
justes et prévenus, que te] él(we, capable et insLruit, est sorti
d'un établissement qu'ils n'ai111aient pas; que tel autre, inepte
et ¡guorant, est sorti d'une école qui a leurs affections. Ce serait
en un mot, pour peu que l' cxaminateur eut des préférences ou
des sentiments hostiles en fait d' ócoles, une garantie de partia-
lité.


Cette incompatibilité du certificat d' étudeo; avec la liberté
d'enseignement avait frappé M. Cousin, dont les paroles, quoi-
qu' elles aient déjá été citées, sont bonnes a l'eproduire. (( Il faut
abolir l' obligation de passer par les écoles secondarres publi-
q\l~S "}l<:l\lt etr~ admis a, r examen du baccalauréat .•. Ce mouo-
pole doit etre détruit. II n' existe pas en Prusse, et les gym-
nases n'ont d'autres priviléges qu'une excellente organisation
et l'habileté de leurs professeurs. Ce sont lá les seuls que je ré-
clame pour nos colléges. Ainsi, que la jeunesse fraw;aise soit




108 OIWA¡VISi1TlOZ'¡


cntiel'ement libre de suivre ses colléges, et que non-seulement
de la maison paternelle, mais aussi des établissements privés,
011 puisse se présenter a l'examen sans autre certificat d'études
que les connaissances <1ont on fait preuve t. ))


Ainsi écrivait en 1836 M. Cousin; et plus tard, quand ces
paroles lui ont été rappelées a la Chambre des Pairs, il a fran-
ehement avoué que s'il avait changé el'opinion, s'il soutenait
les certificats d' études qu'il attaquait autrefois, ce n' était chez
lui ni affaire de principe ni question scolaire, mais affaire de po-
litique, de moment, de circonstance; qu'en un mot il ne voulait
des certifieais d' études que paree qu'il avait peur des Jésuites 2.


Oui, en effet, la était bien pOUl' tous, OU pour presque tous,
la sérieuse, l'unique questioll. S'illl'y avait pas eu a nos portes
(leux eolléges tenus par des Jésuites, le certifieat d' études ,
inutile et dépourvu de sens sons le régime du libre enseigne-
ment, n' cut été soutenu de personne.


En vérité, c'était faire aux Jésuites trop d'honneur. Tout en
les proclamant vaincus, abaissés, humiliés, étrangers a notre
siecle, inférieurs par la scienee, par l'habileté, par les talents,
on les redoute et on ne redoute qu' eux. Il y a en France des
piétistes, des méthodistes, des républicains, des socialistes, des
communistes; aucun de ceux-la ne fait peur. A aucun d'eux on
ne ferme les colléges; a aucun d'eux on ne demande de ser-
ment qui l'exclue de l'instruction publique. Mais iI y a en
Francc, ou hors de France, deux cents, OL! si vous l'aimez
mieux, six cents .T ésuites fran<;ais, race stupide, ignorante,
plcine de préjugés, qui méconnaissent profondément la France
et le XIX· siecle, que la France et le XIX' siecle détestent. Ce
sont ccux-la qui exeitent tontes nos craintes. Si par malheur
ils vcnaient a s'introduire parmi nous, s'ils y fondaient trois ou
quatre colléges, nos libertés, notre constitution, les grands
principes de 89, les conquetes immortelles de la révolution y
passeraient. Cinquante pretres, mal appris, en vieilles soutanes


t T. n, p. 358.
1 Chambre des Pairs; lléance du 1.4 mai 18M.




DE LA LIBEHTÉ D'ENSEIGNE~fENT. iOU
rapiécées, fluffiraieut pour opérer ce prodige. Aussi n'y aura-t-il
pas assez de lois préventives, assez d'afiirmations, assez de ver·
rous pour les exclure. Ce n' est pas meme tout. Ils n' auront pas
d' écoles en France ; mais ils peuvent en avoir il l' étranger; ils en
ont déjil deux, et ces deux écoles, situées hors du territoire, loin
du camr de la France, loin des familles, nous font encore peur.
Les cent ou cent cinquante écoliers qui peuvent en sortir tous
les allS au maximum seront le levain imperceptible qui corrom-
pra une société de trente-six millions cl'hommes. Il faut y pl'en-
dre garde et nous servir du certificat d' études comllle d' un
houclier contre les éleves, comme l'affirmation nous sert de
rempart contre les maUres. Nous sommes si faibles contre le
jésuitisme, et le jésuitisme est si fo1't contre ]lOUS !


Séricuscment, nous honorons et nous révérons la Société de
Jésus; mais, en vé1'ité, tous tant que nous sommes, soit ennemis,
soit meme amis, nous sommes portés a lui fai1'e une trop grande
place, une trop petite a l'Eglise. n semble que l'Eglise ne se
meuve que par ce ressort caché. Si elle marche, si elle combat,
si elle reculc, c' est qu'il y a del'riére elle un J ésuite qui la
pousse. Saint Athanase n' avaitpourtant pas un conseil de Jésuites
quand il triomphait par sa résistance des princes ariens. Il n'"f
avait pas de Jésuites non plus du temps de saint Thomas de
Cantorbéry, autre époque OU l'Eglise, attaquée dans ses dro11s,
donnait quelque embarras a cet aimable pouvoir civil qui saTait
si bien appe]er les assassins a son aide. Il n'y avait pas non plus
de Jésuites en France en1792, époque OU l' épiscopat a tenu bon
jusqu'au sang contre les violences schismatiques de la révolu-
tion. En vérité, on Ilatte trop les Jésuites en supposant, comme
onIe faít, que l'Eglise ne peut parler, protesü'r, demander, refu-
ser, si elle n' a aupres d' elle quelque Jésuite pour la souffler. I~t
l' on parle ainsi apres avolr Iu, étudié, cnseigné l' histoire! et
ron ne pense pas qu'il vaudrait mieux nommer tout simple-
ment, tout simplement attaquer l'Eglise! De la part des habiles,
ce serait plus de franchíse; ce serait plus de bon sens et di
pénétration de la part des autres.




110 OHGANISATION


J.a question sort ici de notre cereJe, nous en convenons.
C' est une question de politique et non d' enseignement. Mais
c' est liL meme ce qui condarnne les prétentions hostiles am:
corporations catholiques. Ce n' est ni a:mvre d'intelligence,
ni muvre de liberté, que de faire passer dans une des lois
constitutionnelles du royaurne de vieilles rancunes que le bon
sens effaljait lorsque régnait le bon sens. Nous ne voulons pas
du certificat d' études cornme nous ne voulons pas de l' affirrna-
tion, non seulement paree que nous ne partageons pas contre
certains hornmes des préjugés de moins en rnoins justifiables,
mais encore parce que nous ne voudrions pas ernployer de pa-
reilles armes contre uos plus grands ennernis.


Finissons et résurnons en quelques mots cette derniere partie
de notre travail : Restitution aux grades universaires de leur
caractere véritable, désignation d' exarninateurs impartiaux,
suppression uu certificat d' études : voil:'t ce que nous faisons
pour la liberté. Liberté de méthode dans r enseignernent, ré-
daction d'un programme d' examen plus sérieux, épreuves plus
approfondies et rnoins fugitives : voila ce que nous dernandons
dans l' intéret des études.


Et nous sornmes convaincus que ces moyens sont efficaces.
Si le cornrnerce, l'industrie, l' agrículture a besoin de liberté,
l' étude en a besoin plus qu' eux. L' étude a besoin de diversité
dan s les allures; elle a besoin de ne pas etre emprisonnée dans
une voie unique, sans pouvoir dévier iL droite ni agauche, sans
pouvoir rien tenter, ríen innover. Les hornrnes ne rnarchent pas
au progre s intellectuel en rang et sous les ordres d'un chef,
cornme un régirnent :'t l' exercice.- L' Angleterre, libre dans son
enseignernent, demeure, au rnilieu de ses préoccupations po-
litiques, cornrnerciales, industrielles, adrnirablernent savante
et bien plus classique que nous. L' Allernagne doit sa supério-
rité scientifique, non a ses gouvernements et a leurs lois, mais
a ses universités plus vieilles que les gouvernernents et les




DE LA LiBERTÉ D'EN5EIGNEl\1ENT. 111
lois; a ses universités, nées de la liberté du moyen age, ou
regne une liberté d' étude qui nous effraierait, accoutumés que
nous sommes a cettc cxacte distribution de tache qui nous est
partout imposée; et cette liberté d' études (Lehrfreiheit) est
(( le principe fondamental» sur lequel repose tout l'enseigne-
ment universitaire 1. L' Autriche, qui s'est écartée de ce prin-
cipe, est uans un état d'infériorité que tout le monde recon-
nait. A mesure que les études se concentrent, elles s' affaiblis-
sent; a. mesure que la science se discipline, elle diminue.
L' Université de Paris avait plus de valeur quand les autres
universités du royaume n' étaient pas encore éteintes. Elle en
avait plus quand la concurren ce des Jésuitcs la stimulait; et
quand les dernieres corporations enseignantes ont disparu,
et qu'a 1'Université de Paris s'est substitué un corps unique
désigné par le nOID si impropre d'Université de France, sous
eette direction unique, sous ces maitres sans concurrents, les
études sont-e11es remontées a l'ancien niveau?


Je n'hésite pas a le penser : si l'Université était un corps pu-
rement savant et littéraire, son jugement serait tout autre sur
la question de la liberté d'enseignement. «Ne craignons pas de
le dire, écrivait un de ses membres; la concurrence du libre
enseignement a manqué jusqu'ici au développement complet
de l'lnstruction uniyersitaire. Que cette condition essentielle
de tout progres durable soit enfin remplie, que toute satisfac-
tion soit donnée aux familles et a la société, que des rivalités
sérieuses et dignes viennent de toutes parts éyeiller les coura-
ges et redoubler les efforts, toute amélioration deyient possible,
tout perfectionnement est probable "l. »


Pourquoi 1'Ulliversité ne partage-t-elle pas cette confiance?
Nous catholiques, nous l' avons bien. L' enseignement catholi-
que n'a pourtant ni les priviléges quí resteront toujours a 1'U-
niversité, ni les dotations que l'Etat lui accorde généreuse-


1 Saint-MarcGirardin, t. 1I, p. 257, 228, et surtout t. l, p. S3-8lt.
1 M. Rendu, Code universitail'e~ préface, p. XIII.




112 OnGA~ISATIO:'J DE LA LlBEPtTf; D'ENSEIG~E~IENT.
ment, ni eette auréole qui s' attaehe en Franee a tout ce qui
ém3.ne du pouvoir; et dans cette situation, e' est l' enseignement
e:ttholique qui demande la liberté, et e' est l'Université qui la
redoute!


Ne nous le eaehons pourtant pas : les eonditions de la liberté
seront dures pour nous. Ce qu' on nous aecordera sera parcirno-
nieusement marchandé; et meme avee les eonditions dont nous
venons de trace!' le programme, les difficultés seraient grandes
encore , le travail serait rude : la loí., si libérale qu' elle puisse
etre, ne eonvertira pas le pays légal tout entier 11 notre foi ..
Les préventions qui nous refusent la liberté d'enseignement
conspircront pour nous en rendrc l'usage plus laborieux. Ni
ces conseils que nous demandons pour la surveillance des éco-
les ne seront en général pénétrés d' affection pour les écoles
eatholiques; ni ces examinateurs, dont nous essayons de for-
mer la liste, ne seront partieulierement choisis parmi nos amis :
nous le savons bien. Si nous demandions la liberté pour notre
commodité et notre repos, nous aurions bien tort. Mais nous
la demandons pour la conservation de notre foi et pour la paix
de notre conscience. Quand nous demandons la liberté, nons·
demandons le travail et la lutte. Ce que l'Université redoute
pour son pouvoir ct sa renommée, nous ne le redoutons pas
pour notre foi. Nous amenons notre foi dans une arene OU tous,
protestants, juifs, incrédules, athées, communistes, combat-
tent contre elle a armes égales. Mais nous savons la puis-
sanc€: de notre foi : et nous pouvons dire que nos adversaires
la savcnt. Autre:nent refuseraient-ils le combat? Fermcraient-
ils l' arene? Et nous, que tout le monde prétend avoi!' vaincus
et tenir sous ses pieds, nous que de tous cotés on dit faibles,
écrasés, expirants, serions-nous les seuls a ,demander que la
lice soit ouverte?