UN MINISTRE GALOMNIÉ SIMPLE EXPOSÉ DES F AITS « Malgré les sophismes et les ca-...
}

UN


MINISTRE GALOMNIÉ


SIMPLE EXPOSÉ DES F AITS


« Malgré les sophismes et les ca-
lomnies, vous avez comprls que les
projets de Ioine 80Dt pas une meDace
pour la liberté, mais seulement pour
celte faction qui est l'éterDelle en-
nemie des t¡bertés fran~aises, »


(Le"r. rk M, J. F.,.,." d la S"';été d'in-
.trlolction de la H4~ne.)


P:ARIS
ANCIENNE MAt!ION CHARLES DOUNIOL


JULES GERVAIS, LIBRAIRE-tDITEUR
29 llUB nE' TOUllIfOIf, 29


1879
"








UN


MINISTRE CALOMNIÉ
RIMPLE EXPOSÉ DES FAITS


« Malgré les sophismos et les ca-
tomnies, vous avez compris que les
projetg deloi ne sont pas une menace
pour la libertó, mms seulement paur
eeUe factian qui est l'éternelle en-
nemie des libertés fran9aises. "
(Lettrl! de AJ, J. Ferry a. la Soci¿té d'iít·


slrw::!ion de la Haute-Garonne.)


PARIS
ANCIENNE MAISON CHARLE8 DOUNIOL


jULES GERVAIS, LIBRAIRE-ÉDITIWR
29, RUE DE TOURNON, 29


1879






UN MINISTRE CALOMNIÉ


C'est une vieille mais bien belIe parole que
ceHe-ci : « Rendez 11 César ce qui est a César
et a Dieu ce qui est 11. Dieu •• Je m'y conforme
et viens vons rendre, monsieur le Ministre, ce
qui vous appartient.


Quoi qu'il en puisse paraitre dans la suite,
mon but en cela n'est point la guerreo


Je ne faisque me défendrc.
Dans un discours queje retrouve au Journal


officiel, vous vous Mes plaint d'étre « en butte
aux attaques d'un parti bruyant et passionné ... ,
d'étre condamné a assister en silence an dé-
chainement de la calomnie systématique qui
falsifie les textes, dénigre, invente, outrage
incessamment (1). »


(1) Discours d'Épinal, 23 avri11879. - M.le Mi-
nistre ne ménage guere les accusations a ses
adversaires. Dans ce méme discours d'Épinal, il




6 DN MINISTIl& CA.LmINIÉ.


Ce partí est le mien, puisquc j'aí le regret
de n'etre point du vótre. C'est done sur moi
que, pour ma quote-part au moins, retombent
ees aecusations si graves de calomnie systéma-
tique, de falsification, d'invention et d'ínces-
sants outrages.


En l'état, vous ne tl'ouverez point mauvais,
je l'espere, qu'accusé je me défende, pOllrvll
que je le fasse sans col¿Te et dans les limites
de la jllslice.


Vous m'y avez contraint : je commencf'.
parle « d'nne campagne de mauvais propM, d'insi-
nuations calomnieuses,. d'accusations absurdes)l
que ses ennemis ont organisép conlre le gouver-
nemenl, représenté par lui sans doule. Aill(:;urs,
c'est contre « les attaqucs injuslcs ct passionnées D
donl il prétend élre I'objet (leltre au maire de Se-
dan), puis de nouveau conlre « les calomnies et les
sophismes » 11 l'aide desquels on le combat, qu'il
proteste énergiquement.


Chose élrang0! M. le MinLtre ne para1t pas se
douter de ce qu'il y a d'imprudcllL de sa part 11
repéler si souvent les lllots de a calomnies el de
sophismes. » Moins intéressés ou plus c\airvoyants,
nos Iccteurs pourraient bien ne pas tarder 11 s'en
apercevoi r.




UN MINISTRil r.ALC,MNIÉ. 7


Calomnie!


Calomnie! Accusation des plus graves que
jr, ne consent.irai cerles jamais a porter a la té-
f{ere contre personne, et encore moins contre
1\1. le Ministre de l'instruction publique. Qu'on
me permette cependant de [aire, a ce sujet, un
tres-court, mais lres-instructif rapprochement.


(( Ce serait, en vérilé,
trop de candeur de notre
part, de nous preter une
foi8 de plus a l'applica-
tion de eette théorie si
commode, qui est eeHe
du parti clérical el que
l\l. Louis Vr.uillot a ainsi
formulér. : (( Je vous de-
mande la liberté quand
vous <'!~cS uu pouvoir,


« Ce n'est pas la pre-
miere [ois que M. Julcs
Ferry prele cette phrase
a lU. Louis Veuillot. Il
I'avait déja rait dans la
presse, }luis a la tribune.
Le démenli auquel il
avait droit lui a été in-
flígé, et il J'a connu.
Il y revient cependant.
De\"an t eette récidive oi!




8 UN MINISTRE CALOMNIÉ.


paree que c'est votre
princi pe; je vous la re-
fuse, quand j'y suis,
paree que c'est le mien.»


(Discours de .tI. ¡ules
Ferry au banquet d'Epi-
nal.)


l'erreur ne peul plus
avoir aucune parl, nous
n'avons plus qu'un mot
~ dire : La citation est
fausse e¿ M. JULES FERRY
A MENTI. » E. V.
(Univers, 27 avril1879.)


Le démenti est formel, eatégorique, et ii n'a
pas été relevé.


Aueun eommuniqué n'est venu protester
eontre les derniers mots de l\i. Eugime Veuillot.


Seraít·ee paree qu'¡¡ n'y avait ríen a ré-
pondre?


J e ne voudrais pas le eroire; mais, quoi qu'i1
en soit, je ne puis que déplorer ee silenee,
ear la véraeité de M. le Ministre est exposée 11
en souffrir aux yeux de bien des gens:




UN MINISTRE CALOMNIÉ. 9


II


Qui falsifie les textes?


Falsification de textes? Mot malheureux en-
core dans la bouche du ministre qui a signé
un exposé des motifs, ou l'on trouve les cita-
tions suivantes :


Citation faite dans l'Ex-
posé des motifs du pro-
jet de loi d¿po.ld par
111. Ferry.


« C'est une erreur de
eroire, lit-on dans le
Rapport adressé au roi
CharlesX, le 28 mai 1828,
par la commission no m-
mée pour eonstater l'élat
des éeoles secomlaires
ecclésiastiques, que les
lois, ainsi que les an-


V rai texte de cette cita-
tion,telle qu'on la trou-
ve dans le Rapport au
noi, commission d'en-
quete de 1828.


« DANS L'OPINION DE
LA MINORITIÍ, e'est une
erreur de croire que les
lois, ainsi que les an-
ciennes rnaximes de la
monarchie, qui veulent
qu'aucune aUlre religion
ne puisse s'introduire en
France, sans la permis-




10 UN MI;-'¡STIlE r:,\LOMI'.;¡P.,


ciennes maximes de la sion expresse de I'aulo-
monarchie qui veulent rilé souveraine, onl. cn
qn'aucune autre religion seulempnt en vuc la ca-
ne puisRe s'inlroduire en pacité relativc 11 la pro-
France sans la permis- príélé ou a sa disposi-
sion expresse de ['aulo- lion ...
rilé souverainr, ont eu
sculement en vlle la ca-
pacité relal.ive a la pro-
priété ou a sa disposi-
I.ion ... (p. 7).


«l\1ais, dit-on, les mem-
bres de ceUe association
religicllsc, sans autori-
~ation légale, ont en ellx-
rnémes une double per-
sonnaliió; ils sont Jé,-
suiles, mais ¡ls sont
ciloyens.


<c Ce sophisme... n'a-
vait pas Irouvé créance
allpres de nos devanciers
de 1828, qui répo17daient
excellemment :


<c On prétend vaine-
ment qu'ü 17e s'agit 'que
de p1'lltres isnlds, obser-
1Jantpourleurnlgime in-
/I:rieul' la regle 11articu-


(( LA. MINORITÉ de la
commission considere
comme un fait positif,
J'existencc de la con-
grégation des Jésuites
dans le~ huit petits sémi-
naires ... On préte17d vai-
17ement qu'ü ne s'agit
que de pretres isolés,
obsrrvant pour leur 1'11-
gime intérieur la regle
particuliere h l'Inslilut
de St-l (lnace, etc .. ,


« LA. MAJORITÉ ... es-
time que la direction des
écolcs secondaires eccl('-
siasliqllrs donnéc par les
I\rchcv~r¡ues ... 11 des [lI'C-




UN MIi'\ISTHE CALO:'INIÉ.


liere a l'lnstitutde Saint- tres révocables a leur
Ignace ... , etc... volonté ... bien que ces


pretres suivent pour leur
régime intérieur la regle
de Saint·lgnace, N'EST
PAS CONTRAlRE AUX LOlS
DU ROYAUME.


Ainsi done, !'exposé des motifs a faussé le
sens d'un documfmt officie1. II a donné pour
!'opinion d'une commission I'avis qu'elle avait
rejeté, ¡'avis de la minorité, avis qu'elle n'avait
rapporté que par égard pout' ceux dont elle
ne partageait pas la pensée (1).


Pour cela, on a dll : 1° Ne ríen díre de l'opi·
nion de la majorité (de telle sorte que ceux qui
ne peuvent pas recouril' aux sources doivent
s'en I'apporter. aux citations que l'on a faitcs);
2° f;upprimer les mots : Dans l'opinion de la
minorité ... La minol'ité de la comrnission con-
sidére, cte.


(1) « Le parlage entre les dcux opinions a élé tel,
que nous avons dcsiré qn'elles fusse!lt lcxluclle-
ment ínsérées dans le rapporl, ainsi que les motifs
qlli les unt diclécs l'une et l'a1l1re, atln que Votrc
lIJajesté connú! la v¡lrité daus !'u plus exacte préci-
~ion, d poar sali;;fair~ en mürnc temps a l:! d,,-
mande d,~ la minorilú dD la Commi~sion, » (Hap-
(>ort au BoL)




t 2 UN MINISTRE CALOMNIÉ.


Et qu'on le remarque bien:


Vune des incises supprimées, « Dans l'opi-
nion de la minorité, » se trouve, au texle de la
piece officielle du temps, comme on peut le voir
dans l'Ami de la ReUgion, placée au milieu
m~me d'un alinéa.


Si elle était au commencement de cet alinéa,
le secrétaire de M. le Ministre aurait pu 1'0-
meUre par mégarde, mais elle est précisément
au milieu du texte.


On pourrait peut·etre encore chercher a
s'excuser, si l'exposé des motifs ne citait que
ce qui suit les mots retranchés ; mais on cite
ailleurs toute la partie qui précMe, jusqu'a ces
mols me mes, moins deux lignes seulement.


11 n'y a done point de faux·fuyant possible.
Dira-t-on: « En définitive, le Roi n'a pas


tenu compte de l'avis de la majorité de la Com-
mission et il a signé les ordonnances. ))


Nous répliquons :


Aussi ne vous accuse-t-on pas d'avoir fal-
sifié la donnée générale de l'histoire. On vous
dit simplement : vous avez gravement altéré le
texte que vous cilez. Pour litre cornplétement
dans la vérité, vous auriez dll écrire: «Char-




UN MINISTRE CALOMNIE. f 3


les X, de son plein pouvoil' royal, ehassa les
jésuites, malgré l'avis de la Commission. »
Mais cela, vous ne l'avez point osé faire. Votre
phrase laisse supposer au contraire que le
vieux monarque obéit a la Commission no m-
mée par lui. Cela ressort de la suppression
que vous vous eles permise, de plusieurs inci-
ses indispensables au vrai sens de votre cita-
tion, et c'est de la que résulte toute l'altération
qu'on vous reproche.


Cette altération constitue-t-elle, une « falsi-
fieation de texte? » - Nous ne voulons pas
répondre, par égard pour M. le Ministre, et
nous préférons laisser a nos lecteurs le soin
d'en déeider eux-memes.


Mais, si e'est la une véritable « falsifieatíon
de texte» a qui done eonvient-íl de !'imputer,
a l'orateur d'Épinal ou au partí dont il se pré-
tendait la víetime (t)?
(~) La conduite du ministre a été séverement


jugée dans la presse. Nous citerons a ce propos
l'appréciation de deux écrivains seulement.


« Tout le monde sait que le ministre répuhlicain,
qui change tout, brouille 10ut autour de lui, non
content d'outrager les personnes, s'est permis de
violen ter les faits el d'interpoler les textes ... Par
une étourderie incompréhensible, qui ressemble




H· UN MINISTHIl CALOMNIÉ.


fort a une volonl~ire supcrcherie, le ministre a mis
au comple de la majorilé dr, la commission le senti-
ment de la minorité; et cela, a trois repriscs ...
ltl. Fcrry ou le seribe a srs ¡;ages csl d'aulant plus
inexcusable qu'i1 a du néccssaircmen 1 lire, pour
faire ses découpurcs, le rappor! tout enlicr. )) (Les
Jésuites et la liberté religieuse, par Antonin Lirac,
p. 94, %.)


Un autre écrivain, plus cruellement indulgent
pour l'I1. Ferry, dit 11 son tour: «L'une d'elles (de
ces crreurs) a ·rail du lort 11 ltl. Ferry : nous vou-
lons parler de la confusion qu'i! a commise en attri-
buan! a la majorité d'une commission I'opinion de
la rninorité. Ce n'était pas un cas pendable assuré-
meut: ce n'était qn'une école el, sur ce point par-
culíer, nous trouvons qu'on a été bien injuste pour
M. le Ministre de I'instruction publique; on I'a ac-
cusé de machiavélisme, il n'a été qu'inconscient."
(Albert Duruy, la Liberté d'Enseigmrnent, dan s la
Revue des Deux ji/andes, 1 cr juin, p. 654.)




UN MINISTRE CALOMNII~. 1 t)


ltl


Qui invente?


A u seuil meme du projet de loi relatif au
conseil supérieur de l'instruction publique et
aux conseils académiques, nous trouvons une
autre inadvertance.


M. le Ministre prétend que ce projet est l'acte
d'un gouvernement • qui s'est donné pour tache
de reslituer a la chose publique, dans le do-
maine de l'enseignement, la part d'action qui
doit lni appartenir et qui va s'amoindrissant
depuis bienlót trente ans, sous feffort d'usur-
pations successives. JI _


D'apres lui, par conséquent, rÉtat, repré·
senté par rUniversité, voit sa part d'action,
dans la direction qu'impriment a l'enseigne~
ment le conseil supérieur et les conseils acadé-
miques, «s'amoindl'ir depuis bientot trente ans
sous l'eftort de certaines usurpations; )) en
d'autres termes, suivant le projet de loi, l'Uni-




-16 UN MINISTRE CALOMNIÉ.


versiLé a été de moins en moins représentée
dans ces conseils depuis trente ans.


Est-ce exaet?
Non; e'est, au eontraire, une nouvelle er-


reur.
Nous le prouvons tout de suite.


Le conseil supérieur
se composait en 1870
d'apres le décret impé-
rial du 9 mars 1852, de:


En U79, d'apres laloi
de 4873, ce meme con-
seil se composait de :


Trois sénateurs. Trois conseillers d'E·
Trois conseillers d'E- tat.


tato Deux membres de la
Trois membres de la


cour de cassation.
Cinq archeveques et


éveques.
Trois représentants des


cllltes non catholiques.
Cinq membres de l'In-


stitut.
Hllit inspecteurs gé-


néraux.
Deux chefs d'jmtitu-


lion libre.


cour de cassation.
Quatre archevéqucs ou


évéques.
Trois membresdescul·


tes non catholiques.
Cinqmembresde l'Ins-


titut.


Quatre membres de
l'enseignement libre.


Quatre professeurs élu5
par les facultes.


Sept membres de IT-
niversité nommés par le
ministre, etc., etc.




UN MINISTRE CALOMNIÉ. 47


Done la loi de 4873 a restreint le nombre des
représentants de la magistrature et du clergé,
et augmenté celui des universitaircs. Elle a en·
levé un siége a la Cour de Cassation, un autre a
l'Épiscopat et elle en a donné trois de plus a
l'Université.


D'ou nous eoncluons ceei : Lorsque M. Ferry
affirme que la part d'aetion de l'État dans le
domaine de l'enseignement est allée s'amoin-
drissant sans eesse depuis trente ans, il est en
contradiction formeUe ave e les faits et il nous
trompe ou, si l'on préfére, il se méprend luí-
m~me étrangement.


Nous voulons bien que cette méprise ne soH
pas volontaire, ruais il n'en ros te pas moins
singulier de voir un ministre parler en si
parfaile ignoranee de cause de la loí m~me qu'il
propose de modifier.




18 UN MINISTRE CALOMNIB.


IV


Un escamotage.


(( Nouvelle et pitoyable équivoque assurément
que eelle qu'on trouve dans l'exposé des mo-
tifs du projet de loi sur la liberté de l'enseigne-
lnCIH supérieur ;


«Nous nous sommes reporté pour la ródactíon de
l'article " dit cet exposé, a celle de l'arLÍc]e 47 de
la loi e1u 4 (\ mars 1850, en rappliquant !lUX écoles
d'enseignement supérieur, donl laaile loi ne pou-
vait faire mention. » (p. 5.)


Est-ce inattention encore ou ironie amere?
Paree qu'il a pris a l'article l. 7 de la loi de 4850,
juste ce qu'il fallait pour voHer la portée de
l'article , de son propre projet; paree qu'il a
copié les termes dont s'était servi le législateur
de 1850, M. le Ministre peut-il eroire que la
nouvelle disposition qu'iI édiete en est devenue
moins odieuse?




UN MINI¡;TRE CALOMNIE. ~9


Qu'on en juge pIutÓt.


L'arl. 47 de la loi du
4 [) mars f 850 esl ainsi
concu :


(( La loi reconnatt deux
especes d'écoles primai-
res ou secondaires.


- fo Les écoles fon-
dées ou entretenues par
lescommunes, les d~par·
tements ou l'Etat, et qui
prennent le nom d'écoles
publiques.


- 2° Les écoles fon-
dées et entretenues par
des particuliers ou des
associations et qui pren-
nent le nom d'écoles li-
bres. »


On voit la tactique.


L'arl. , du projet mi-
nistériel a élé rMigé de
la facon suivante :
~ La loi reconnait deux


especes d'écoles d'ensoj
gnement su périeur.


- 4 ° Les écoles ou
groupes d'écoles fondés
on entretenus par les
communes ou l'Etal, el
qui prennent le nom
d'UNIVIlRSITBS, de FA~
CULTES 016 d'écolel pu-
bliques.


- 2° Les écolea fon-
dées on enlretenllea par
les particuliers ou llllio
associations et qui NE
PEUVENT PRENDRE
D'AUTRE NOM QUE
CELUI d'écoles libres.


La loi de 4850 s'était bien gardée de défen-
dre aux établissements d'enseignement secon-
daire libre de prendre le titre de Lycées on de
Colléges.




20 UN MINISTRE CALOMNIÉ.


M. le Ministre veut, lui, enlever aux établis-
sements libres d'enseígnement supérieur le
droit de porter un nom que leur avait reconnu
la loi de i 875.


Que fait-il ?
Au líeu d'agir franchement, iI simule un pré·


cédent.
11 prend les termes de l'articIe d'une loi da-


tant de trente années, y insere trois mots qui
en changent complétement le sens, comme la
suppression de trois autres mots avaít complé-
tement changé le sens de la citation emprun-
tée a la commission de 1828, puis iI nous dit :


«Je me borne a faire pour l'enseígnement
supérieur ce qui a été fait jadis pour l'ensei-
gnement secondaire. :o


L'erreur estlourde et nous regretterions pour
M. le Ministre qu'il n'ellt pas assez de perspi-
cacité pour s'en apercevoir!




UN MINISTRE CALOMNIE. 21


v


Les « agrégés » de M. J. Perry.


L'article 5 n'est pas aussi funeste que l'artí-
ele 4 a M. Jules Ferry.


Il est seulement pour le Ministre l'occasion
d'une rédaction vicieuse qu'un chef de bu-
reau intelligent eftt du reste suffi a corriger.


Cet artiele est ainsi con¡;¡u :


« Les titres ou grades d'AGREGE,de docteur ... ,etc.,
ne peuvent étre 8ttribués qu'aux personnes qui les
ont obtenus apres les concours ou examens régle-
mentaires subis devant les facultés de l'Etat.»


Rvidemment M. J. Ferry n'est pas agrégé.
Quoique, en qualité de grand-mattre de


l'Université, i\ ait sous ses ordres et les juges et
les candidats du concours ll'agrégation, il n'a
jamais affronté cette solennelle épreuve, et




22 UN MJNISTRll CALOMNIÉ.


peut-étre meme ignore-t-il comment on la
subit.


Nous ne lui en ferions certes pas un repro-
che, s'il était, comme jadis, simple député.


Mais 1\'1. Jules Ferry est grand-maítre de
l'Université, et nous aurions élé ravi, s'il !lons
eut épargné le désagrérnent de paraitre lui
apprendre que l'agrégation se passe en général
devan! des jurys tout spéciaux.


Pour litre correet, l'artiele [) aurait ctü jJar
eonséquent etre libellé de la maniere suivante :


« Les litres d'agtégé, de doeteur, etc ... ne
peuvent etre attribués qu'aux personnes qui
le8 ont obtenus apr~g les concours ou examens
réglemenlalres subís devant les facultés de
l'Etat ou devant des commisstons d'examen
nommées a cet erfet. ,)


Malheureusement le travail de M. le Ministre
a été un peu h:Hé, el, comllle « on n'écl'it pas
de verve deux exposés de motifs et deux pro-
jets de loi comille un conte fantastique, » il
n'est pas étonnant que l'reuvre minístérielle se
l'essente en bien des passages de cette préci-
pitation, que M. J ules Ferry doit aujourd'hui
regretter tout le premier.




UN MINISTRil O.\LOMNIÉ. 2;~


VI


Les outrages.


Ainsi done voila deux projets de loi. en re~
gard desqucls il serait tout a fait désastreux
pour M.le Ministre de placer la citaLion que nous
donnionti :tu commencement de ce trayail, et
ou 1'011 pt'bdigllait tant les tnots de éalontnie
systématique, de falslfication de le:ttés, d'irtvén·
tion et d'outrages.


Par le fait meme, le ministre d'accusateur
deviendrait accusé ou, pour mieux dire, il
serait convaincu et condamné par tous.


Si, abandonnant les travaux parlementaires
de M. Jules Ferry, nous passons maintenant a
ses discours extl'a-parlementaires, nous voyons
ses erreurs devenir plus nombreuses que ja-
mais.


Il est vrai qu'elles sont peut-étre moins
nexcusabIes, les enlrainements de paroIe aux-




2i UN MINISTRE CALOMNIÉ.


quels on se laisse aller au milíeu du cliquetis
des verres d'un banquet étant a la rigueur plus
facHes a comprendre que les interpolations
ou les suppressions qu'on se permet dans le
travail silencieux et réfléchi du cabinet.


Le discours d':Epinal a cependant été bien
séverement apprécié par la presse conserva-
trice tout entiere.


Nous n'en sommes pas étonné.
N'est-ce pas en effet dans ce discours que


M. le Ministre a osé s'écrier :


« Dix ans encore de ce laisser-aller,'de cet aveu-
glement, et vous verriez tout ce beau systeme des
libertés d'enseignement qu'on préconisc couronné
par une derniere liberté, la liberté de la guerre cí-
vile 1 » (Discours d'Epioal.)


Ainsi les éleves des colléges religieux sont
des fauteurs de troubles et des organisateurs
de guerre civil e !


Sur quoi donc se fonde M. Ferry,l'heureux
bénéficiaire de la révolution du q, septembre,
- pour lancer cette accusation a la face de
tonte une partie de la jeunesse fran~aise ~


Sont-ce des éleves des Jésuites qui ont
fait 93?
1:'. Ou la Révolution de 4830?




UN MINISTRE CALOMNIÉ. 25


Ou bien celle de 18i8?
Ou bien encore celle de ~ 870?
Ou enlin les horreurs de la Commune?
Non, apparemment.
Pourquoi done affirmer que ces jeunes gens


feront dans l'avenir ce qu'ils n'ont jamais fait
dans le passé ?


Et n'est-ce point la un outrage, et un outrage
tout gratuit ?




2fi UN ¡'¡INISTHll CAl.OM:'illi.


Vil


Les Jésuite!!l et la éo!10Urrenoe.


Que di re maintenant de cettc autre assertion
de M. Jules Ferry :


« lIs tendenl (les Jésuites) a absorber el a faire
disparaitreprogressivement les établissements tenus
par les ccclésiastiqucs séculiers. AÍnsi ils ne nui-
sent pas seulement aux élablisscmenls libres JaI-
ques ('1); ils font la plus rcdoutable concurrence aux


\ 1) « Ce phénomEme trouye son explicalion toule
naturelle dans la disparition graduelle el continue
des établissements libres I(¡'iques. De ~ 85.\, a ~ 876,
dan s une période de vingt-deux ans, I'enseigne-
men,! secondaire libre non congréganiste a perdu
331 maisons eL ~ 2,000 éleves. Est-il étonnant que
les Jésuites en aient profité? Sans doute, il est re-
grettable que le nombre des pensionnats JaIques
s'en aille ainsi diminuant de jour en jour; il Y en
avait dans le nombrcd'excellents dont la prospérité




UN MINISTHE GALOMNllÍ. 27


élablissemenlS tenus par des ecclésiastiques qui ne
portent pas la marque de leur com pagníe. »(Discours
d'Epinal.)


En vain ée passag'e est-H d'une obscurité
peut-étre caIculée. De quelque maniere qu'on
l'entende, il ne dit pas la vcrité.


Si par les mots « ecclésiastiques qui ne por-
tent pas la marque de leur compagnie, II M. le
Ministre désigne touCes les pel'sonnes non lar-
ques vouées a I'enseignement, sans appartenil'
a la Société de Jésus, il HOUS abuse en noUs
a[firmant que les Jésuites leur font la plüs re-
doutable concurren ce.


Le l'apport du ministre de l'inslruction pu"
blique paru au Journal o({tciel du -!ti scptern-
bre 1878, contient en effet le tableau suivant ;


était intimement liée a ceHe de nos colléges OU
beaucoup d'entre eux envoyait:nt leurs éleves. Maís
iI y en avait aussi de détcslables, qui éláíent exploit
tés par de véritabIcs charlalau5, ou lea mreurs, la
discipline, I'cnseignemenl, tout était 11 réformer.
Ces établissemenls sont tombés. Est-cú un si grand
mal? Les Jésuites ont hérilé d'une parlie de leur
clicntele_ Franchemcul, les pefeS de famille n'y ont
pas pcrdu. » lRevue des Deux-lflondes p. 676, UVfai-
son du 10r juln.)




28 UN MINISTRE CALOMNIÉ.


ÉTABLISSEMENTS POSSÉDÉS PAR LES
CONGRÉGATIONS ENSEIGNANTllS


En 1865. En 1876.


Jésuites.
Maristes.
Lazaristes.
Basiliens.
Picpuciens ..
Doctrinaires.
Prelres de \'Adoration per-


pétuelle.. . . . • •
Prelres des Sacrés-Coours de


J. et de M. . • . •
Freres de St-Joseph. .


14
45


27
22


40


43 89


Ce tableau prouve que TOUTES les congréga-
tions enseignantes, qu'elles portent ou non « la
marque de la célebre eompagnie, » ont vu le
nombre de leurs colléges s'aeeroitre, de 1865 a
4876.


Done M. le Ministre a parlé bien a la légere,
quand 11 a déelaré que ees congrégations sont
victimes de la eoncurrence des Jésuites.




UN MINISTRE CALOMN1É. 29


Mais peut-etre n'avon$-nous pas bien inter-
prété la pensée de M. Jales Ferry.


Peut-litre n'a-t-¡I voulu parler que des éta-
blissements dirigés par des prelres séculiers, et
ce seraient alors ces établissements que les Jé-
suites tendraient « a absorber et a faire dispa-
raitre progressivement. »


Eh bien! ici encore, nous sommes désolé que
M. Jules Ferry, en s'installant au ministére de
l'instrllction publique, n'ait pas cru devoir se
donner la peine de Iire au moins le rapport de
son honorable prédécesseur.


Il y aUÍ'ait trouvé (Journ.al officiel, 45 sep-
tembre 4878, p. 9238-9639) un tableau d'ou il
résu!te ceci :


Dans la période qui s'esl écoulée de ·1865 a
1876, de nouveaux établissements diocésains
ou diriges par des pretres sécaliers ont eté ou-
verts dans TRENTR-TROIS départements. DIX-
HUIT départements seulement ont vu diminuer
le nombre de ceux qu'ils possérlaient.


Tont calcul fait, et malgré le territoire perdu
en 1870, il Y avait en 1876 ONZE établissements
diocesains ou sécuHers de plus qu'en ~8B5.


Est-ce decette augmentation que il1.1e Ministre
a conclu que « les Jésuites tendent a absorber
et a faire disparaitre progressivement les éta-




:lO UN ~ltN1STRE CALOMNIÉ.


blissements tenus par des ecclésiastiques sé-
euliers? ))


'P.:neore une fois, qui done M. Ferry veut-il
surprendre, ou de qut prend-il tant de plaisir
~ se railler?




UN MINISHE GA;Om\lÉ. 31


VIIl


Les « Deux Frances. »


Nons ne voulons rien dire du grand argu-
ment ministériel, de ces de\lx prétendues
l"rances, qU'on éleve cole a cote et qui s'ap-
pretent a s'entre-déchirer.


Cet argument a été appelé par l'Ordrtl une
ce tactlque criminellement perfide, qui consiste
a divisCl' les jeunes génél'ations en deux camps
que ron pousse ¡'un contre l'aulre, au nom de
l'unité de la France et de la préservation so-
ciale. »


C'est etl'e bien dur pour la na'ive constatation
de 1\1. le Mini~\re, et nous le ~el'ons moins.


OUi, il ya deux Franees dans notre pays, il y
en a memo, hélas I plus de doux en politique 1
1\'Iais tontes se réunissent a j'henre du danger
et ne fonl qu'un grand pays, des qu'ij ne s'agit
plus d'opinions, des que le salllt de la pa-




32 UN MINISTRB CALOMNllÍ.


trie est en jeu! Un baut fonctionnaire de l'Uni-
versité, du concours duquel M. J. Ferry, ave e
sa modestie babituelle, a cru devoir se priver,
l'affirmait derni~rement dan s une page trop
beBe pour que nous ne la citions pas. Cette
citation sera, du reste, la meilleure réponse que
nous puissions faire a l'argument dont nOllS
parlons:


«l\léfions·nous, s'écrie M. le Ministro, de ces pré-
tondues libertés qui tendent a dissoudre l'unité
moralo de la France. l\1éfions-nous-en, car ectte
liberté ne peut exister de e:éer deux Frances, la ou
il n'y en a qu'une et de faire deux partís dans la
jeunosse fraw;:aise, ayant la méme origine, étallt de
meme raee, mais n'ayalll les mémes idées ni sur le
passé de la France, ni sur son avrnir, el qui, bien
que parlant la méme langue, finiraient par ne pas
se eonnaltre et ne plus se comprendre. eeUe li~
bcrlé-la, nous la rejelons, car ce n'est pas une
liherté qui se défend, mais une servitude qui se
prépare, el c'est un despotisme qui grandit. .. » (~).


« Que signifient lous ces grands mots? Qu'entend-
on par cette nation une que mettrait en péril, que
diviserait en deux l'enseignement des congrégations
religieuses? Si l'unité nationale ne peut exister,


(~) Discours de M. Jules Ferryaux sociétés sa-
vantes.




UN MINISTRE CALOMNIE. 33


comme on le dil, qu'1i la eondition des mémes
maitres, de la méme éducalion pour lOus, sans
aueune diversité de méthode ou meme d'esprit el
de direetion; si une nation es! divisée con!re elle-
méme, alors que tous les citoyens oe soo! pas jetés
dans le meme moule, élevés a peoser de la méme
maniere, a avoir les mémes idées sur le passé et
sur l'avenir, comme le veut 1\1. Ferry, les memes
seotimenls, les memes croyances ou la meme absence
de croyances; ii faul, pour se rapprocher de cet
idéal, revenir a la monarchie absolue et a sa devise:
« Une fOi, une loi, un roi », ou bien encore a Phi-
Jippe 11, a la Convention et II la Terreur, ou retour-
ner en arriere dans t'anliquité jusqu'a Sparte et a la
Républiquc révee par Platon ...


<' Que\le es! la nalioo, mérnc la plus unie et la plus
forte des ternps modernes, dont on ne pourra pas
dire qu'elle est divisee en plusieurs nations, el en
plusieurs camps?


"L'Angleterre forme-t-eIle plusieurs nations,
quoique l'enseignement libre y ait plus de place
que l'cnseignemcnt d'Etat '1


« Trouve-t-on que la Prusse, m:l.lgré ses élablisse·
ments confessionnels, manque d'unilé?


« p,lur espérerobtenir celte prélendue nnité, qu'on
réve dan s la jeunesse d'abord, puis dans la nalion,
il faudrait encore aller plus loin que le projel
Ferry, jusqu'a l'étouffement, par la force, de
toutes les dissidences entre les citoyens, revenir au


3




UN MINISTRE CALOMNIÉ.


certificat de civisme et ne pas s'arréter a la pro-
scription de quelques congrégations autorisées ou
non autoriséelf.


a: Quelques-uns san s doute, autour du ministre, en
ont la pensée; s'ils sont vainqueurs, ils ne s'en tien-
dront pas a un premier succes. Prenons bien garde
que la diversité des opinions et des croyances,
dont on se plaint, es! en raison méme de la liberté,
en raison de toules les autres libertés, comme de
la liberté de l'enseignement. II faudrait toutes les
anéantir par des compressions de plus en plus
odieuses, pour n'avoir plus en France que des
citoyens qui pensenl comme M. Ferry ou comme le
conseil municipal de Par;s. Comme, ce jou!'-la, nous
serons unis, grands, forls et glorieux! l\lais avant
tout c'est la liberté de la presse qui devrait dispa-
raitre pour ne laisser subsister que les journaux
qui pensent comme M. Ferry. Car combien celte
liberté ne fail-elle pas de Frances diverses! Elle n'en
faíl pas deux seulement comme la liberté d'ensei-
gnement, mais une cinquantaine au moins, dermis
l'Univers ou la Gazette, jusqu'a la Lanterne ou 11 la
RelJolution fran(:aise, en passanl par le Ternps el
le Journal des Débats ou le XIXe Sieele ...


« Malgré la diversilé des esprits, malgré la diver-
sité des ídées el des sentirnents, au sein d'une
rnéme nation il n'y a pas deux nations, il n'y en a
qu'une seule, si I'amour de la patrie bat égalerneJlt
dans tous les cceurs ... Or; nc les a-t-on pas vus (ces




UN MINISTRE CALOMNIÉ. 35


prétres), partou!, fermes et intrépides 11 leur poste,
depuis l'évéque jusqu'au plus simple desservant,
soit dans leur palais épiscopal, soit dans leur pres-
bytere, au milieu des ennemis, soit sur les champs
de bataille, dans les ambulances, au milieu des
ruines de leurs villages pilIés et brülés, donnant 11
tous \'exemple du courage, prodiguant a tous les
soins el les consolations ? ..


« Les élevesdes maisons reli~ieuses n'ont pas élé
indignes des maitrcs. Officiers, soldats, volontaires,
n'ont-ils pas bravement répondu 11 l'appel de la
patrie en danger? Ils sonl accourus méme de Rome,
ils ont meme quitté le pape pour servir la France
sous Gambetta. Se sont-ils montrés sur les champs
de bataille moins dévoués 11 la France, moins braves
que la jeunesse des écoles laIques? Entre les uns eL
les autres, a-L-on remarqué quelque différence 11
leur désavantage? Voyez combien sont longues
dans leurs archives eL sur le marbre de leurs cha-
pelles ces listes glorieuses d'anciens éleves tués 11
l'ennemi!. .. (1))).


(1)~1. Francisque Bouillier, membre de l'Institut
ancien inspecteur général. - (Revue de France,
p. 20', 205, 207).




36 UN MINISTRE CALOMNIÉ.


IX


Les Jésuites « prohibés par toute notre
histoire. »


Le grand argument ministériel pourrait done
bien n'étre qu'un sophisme (1).


L'histoire est-elle au moins plus famiJiere
que la logique 11 M. le Ministre?


(') Nous voulons croire que l'érudition de M.
Jules Ferry est plus sérieuse, rnalgré celte phrase
du discours qu'il prononca le 28 rnai 1870, 11 la
sa\le Moliere: « J'ai connu un jeune homrne qui
avait été élevé chez les Jésuites el qui en avail rap-
porté un grand profit; il pouvait, en sortanl de
leur collége, réciter l'Iliade tout enticre, les nOUZE
CHANTS, en cornmen¡;ant par le dernier verso »
Comrnenl en effet M. Jules Ferry en serait-il encore
a ignorer ce que nous savions en quatricme, que
I'lliade a toujours eu vingt-quatre cbanlS el non
pas douze!




UN MINISTRE CALOMNIÉ. 37


JJ »e Je $8mbJe gUBre/ hélas! témoio .. les bi-
zarres découvertes que M. J. Ferry s'imagine
y faire:


« Ce que nous vísons, dít-il, ce son! uniquement les
rongrégatíons non antorísées, et parmi elles, je le
déclare bien hanl, une congrégatíon qui, non-seu-
lemcnt n'est pas autorisée, mais qui est prohibée
par toute notre histoire, la compagnie de Jésus! »


Prohibée par !'histoire! L'affirmation est
aussi nette que le franQais douteux ; mais, pOllr
nette qu'elIe soit, elle n'en est pas plus vraie.
Au contraire :


Le président d'Eguilles, un magistrat qui
vivait iI y a un siécle environ et qui ne songeait
cerlaioemen t pas a faire piéce a M. Ferry, éeri-
vait en 1i6S, a propos des Jésuites:


oc Aucun roi, depnis leur établissement en France,
qui ne leur ait donné, ainsi que toute sa famille, la
confiance la plus enliere el la plus publique. (Mé-
moires a Sa Majesté le roí Louis XV, p. 36.)


Du magistl'at ou du ministre, qui done a
rai:;on?


Les deux aftirmations étant eontradietoires,




38 UN MINH!TRE CALOMNIÉ.


si le president d'Eguilles a dit vrai, M. Jules
Ferry s'estincontestablement trompé.


Or,nous allons voir que le president d'Eguilles,
homme serieux el versé dans l'histoire, a dit
vrai, parfaitement vrai.


Des huit souverains sous lesquels la Compa-
gnie de Jésus a vécu en France, depuis le jour
oÍ! elle a elé w;¡ue dans ce pays jusqu'll sa
suppression, 6 aoüt 1762, aucun qui ne tui att
donné la confiance la plus entiere et la plus pu-
blique.


e'est Henri II qui, en 1550, dix. ans seulement
aprés la confirmation de la Compagnie de
lésus par le pape Paul m, ouvre la France aux
Jésuites.


Il leur délivre des lettres patentes par les-
quelles:


« Agréant et approuvan t les bulles obtenues par la
Sociélé de Jésus, il permettait auxdils Frcres con-
struire, édifier el faire batir ... une maison et collége
en la ville de Paris .•. pour y vivre selon leurs r~gles
el slatuts, el mandail a ses cours de parlemenl de
vérifier lesdiles leUres, el faire el soufl'rir jouir
lcsdils Freres de leurs dits priviléges. »


Henri II au moins n'a point u prohibé ~ les
Jesuites.




UN MINISTRE CALOMNIÉ. 39


FranQois 1I lui succMe. Va-t-il porter la
« prohibition » en question?


Non. Il intime au contraire au Parlement
l'ordre d'enregistrer l'édit de son royal prédé-
cesseur.


« Le roi, apres avoir entendu que ladite Compa-
gnie (de Jésus) avait été recue es-royaume d'Espa-
gne, Portugal et en plusieurs autres pays, et qu'en
icelle Société pourront etre nourris personnages qui
prccheronl, inslruiront et édifieront le peuple tant ti
¡adite ville de Paris qu'ailleurs, mande a ladite Cour
de procéder a l'homologation eL vérification des-
dites Bulles (du Souverain Pontife) et Lettres (du
roi précédent), nonobstanL lesdites remontrances
faites par ladite Cour » (25 avril Hí60.)


Le Parlement cede et les lettres royales sont
enregistrées.


Ce sera sans doute alors Charles IX qui
« prohibera » les enfants d'Ignace? Pas davan-
tage.


«Ayant Sa Majesté avec la reine mere ... , écrit la
chancellerie de ce monarque, le 21 février 156t,
trouvé que la Société (de Jésus) ne peut que por ter
un grand profit a la religion el utilité , la chré-
tienté, et au grand bien de son royaume ... , mande
tres expressément sa derniere el totale volonté qui




UN MINiSTRil CALOMNIÉ.


es! que ladite Compagnie soit reClle ~ París et par
tout le royallme. »


Henri III « autorise, approuve et confirme
egaleroent J'établissement des Jesuiles et de
leurs maisons professes. » (Mai 1580.)


Henri IV, qui se Jaisse un moment tromper
sur le compte des Jésnites, s'apen;oit bienlót
de son errenr et mande 11 son tour en 1603 ;


«Scavoir faisolls que ... nous a\'ons aecordé el
aecordons par res présentes ... a toute la Société el
Compagnie dcsdils Jésuites, qu'ils puissent et ¡eur
SOil loisible de demeurer et résider es-Iieux oil i1s
se trouvent a présent establis en noslre dicl
royaume, ~ scavoir es-villes de Toulouse, etc ... el
oulre lesdícts lieux, nous leur avons ... accordé et'
permis de se remettre et establir en nos villes de
Lyon, Dijon et partieulieremenl de se loger en
nostre maison de la Fleche, en Anjou ... ))


Le 4 O avril i 608, le meme roi écrit au Pél'8
genéral des Jésuites :


... - «Vous m'avez donné une lelle fiance de
votre affeelion au bien de ma couronne que je veux
que ceux que vous enverrez ei-apres en mon
royaume ... qu'ils soient étraogers et non Francais,
y soient admis, tou! ainsi que mes subjels ... me




UN MINISTRE CALOMNIE


reposan! et me confiant sur la preuve que j'aí jA
faite de l'affection el du respect que Iadicte Com-
pagnie porte a mes intentions ... »


Louis XIII, ¡¡dele a la politique de son pere,
délivre, en 4610, de nouveJIes leures-patentes
oil on lit:


«Afio que pel'soune ue puisse sorLÍr de nostrevo-
¡ooté ... Avolls par ces présentes signées de nostre
maío, par \'advis de nostre tres chOre el tres-ho-
norée la Royoe Régenle, no~tre mere. des prinres
de noslre sang el principaux officiers de la cou-
ronne. loué, ralifié, confirmé el approuvé, louons,
ralifions, confirmons el approuvons l'establisse-
ment desdits JésuÍles en cesluy nostre Royaume,
pays, terres el seigneurics de nostre obéissance ... "


Louis XlV se décJarc le protecteul' el le fon-
dateu)' du collége Louis-le-Grand, qu'il a insti-
tué « pour favoriser les soins qu'ils (les Jésui tes)
prennent si utilement d'élever lajeunesse daos
la connaissancc des bonnes lettres et de luí
apprendre ses véritablcs obligations envers
Dieu et envers ceux qui sont préposés pour
gouverner les peuples. D


II est en me me temps le protecteur déclaré
des missions. Dans les Jettres-patentes accor-




4,2 UN MINISTRE CALOMNIÉ.


dées, au mois de juillet 1650, aux J ésuites fran-
\(ais qui travaillent dans les deux Amériques,
illeur donne « pouvoir de s'établir dans toutes
les Hes et terre-ferme de son obéissance avec
pouvoir d'y acquérir des maisons, terres eL
héritages ... avec tous priviléges et exemptions,
et avec défeuse de les troubler dans leur jouis-
sance ... »


CeUe défense de Louis XIV serait-elle par
hasard une des « prohibitions » dont parle
M. le Ministre?


Louis XIV descend dans la tombe. Les philo-
sophes s'efforcent de cil'convenir le Régent
pour qu'il « prohibe » le collége Louis-le-
Grand. Mais c'est en vain.


«Jamais, répond le due d'Orléans, jamais, lant
que je gouvernerai la Franee, je ne permettrai que
le eollége de mon oncle subisse quelque ehange-
mento »


Louis XV lui-méme comble d'abord les
J ésuites de toutes sortes de llienfaits. C'est
seulement en 1762 qu'il cMe a ses Parle-
ments et qu'a contre·coour il ratifie les meiiures
de rigueur édiclées contl'e la Compagnie de
Jésus.




UN MINISTRE CALOMNIÉ. 43


Ainsi, dans l'espace de deux cent dix ans, les
Jésuites sont « prohibés » une fois, et encore ne
tombent-ils que sous une cabale!


Est·ce lit. ce que M. Ferry appelle etre « pro-
hibé par toute notre histoire '? ))


Les gouvernements qui suivirent Louis XV
n'eurent pas a « probjbel' » les Jésuites qui
n'existaient plus. Gependant l'Assemblée con-
stituante s'occupa d'eux dans une circonstance
mémorable. Elle venait de décréter (février
4790) la suppression des ordres monastiques et
délibérait sur les pensions a accorder aux
religieux dépossédés. La Société de Jésus avait
été supprimée trente ans auparavant; les
Jésuites n'avaient par conséquent droit a
aucune pensiono Néanmoins, plusieurs mem-
bres de l' Assemblée proposérent de leur en
accorder une, et leur amendement fut adopté.


Sous Napoléon, il n'y avait pas de Jésuites en
France. Louis XVIII les laissa s'y rétablir.
Quant a Charles X, on n'ignore plus que c'est
par pure faiblesse et, n'en déplaise a M. le
Ministre, rédacteur de l'exposé des motifs
dont nous avons parlé plus haut, malgré l'avis
de la majorité de la commission nommée en
~ 828, qu'i! ferma les petits-séminaires dirigés
par les Jésuites.




H UN MINISTRE CUOMNJÉ.


Louis-Philippe les toléra dans son royaume.
Bien plus, malgré la tempete qui ~'éleva contre
eux dans la presse et 11. la tribune en 18';:', il
n'alla jamais jusqu'1I. exiger leur sorLie de son
royaume.


Et quoi qu'en dise, en se trompant encore,
M. le Ministre,' jamais 1i la suite de cet orage
• le Pape lui-meme, le prédécesseur de Pie IX, ))
ne ~ donna l'ordre aux Jésuites de quitter la
Franee. »


Quant a M. Thiers, on sait comment il ra-
clleta, en 1850, son discoUi'S de 18'5, et com-
ment il avoua simplement qu'il avait ehallgé
d'avis.


Je me résnme,
L'histoire, prétend M. Fcl'l'y, a toujours • pro-


hibé» les Jésuites.
Et l'histoire répond :


De 4550 11. 4879, ,¡'ai vu ces religieux succes-
sivement approuvés par Henri 11, Frangois n,
Charles IX, Henri HI, IIenri IV, Louis XIII.
Louis XIV, le Régent, el Louis XV (jusqu'en
4762); je les ai vus établis en France sous
Louis XVIII, sous Charles X, sous Louis·,Phi-
lippe, sous la République, sous le second Em-
pire, et sous la seeonde République.




UN M1NISTRE CALOMNIÉ. 45


Or, ces noms résument les trois derniers
siécles.


En s'appuyant sur les quelques attaques iso-
lées qu'ont dil'igées contrc les Jésllites les pro-
testants, les parlcments, les jansénistes et les
encyelopédisles, pour affirmer que la Gompa-
gníe de Jésus est « prohibée» par loute notre
histoire, M. Jnles Ferry s'est done misétourdi-
ment en opposition flagrante avee eette histoire
entU~re.




4" UN MINISTRE CA.LOMNIÉ.·


x


La «tradition nationale » au Ministere
de l'instruction publique.


M. le Ministre affirme que ses projets sont au
moins conformes 11 « la tradition nationale
la plus -constante. »


Nous ne savons ce qu'il entend par la trlldi-
tion nationale, mais ce que nous n'ignorons pas,
c'est que les Jésuites ont pour eux :


1° A peu pres tous les gouvernements qui se
sont succédé en France depuis 1550;


2° Les villes et les provinces, qui, des leur
arrivée 11 Paris, solliciterent d'eux la fondation
de nombreux eolléges;


3D Les peres. de ramille qui lcur confierent
aussitót leurs enfants et qui les leur confient
encore aujourd'hui;


4,0 L'épiscopat franQais qui fonde, au XVI" sie-
ele, leur premier collége en Franee; quí, en




UN' MINISTRE CALOMNIÉ. 47


161', demande qu'on multiplie ces établisse.
ments et qui, en ~879, comme en ~762, éleve
courageusemenl la voix pour les défendre;


5° Enfin, l'affection el le témoignage d'hom-
mes comme Montmorency, Villars, Boufflers,
Luxembourg, Condé, Bossuet, Fénelon, Des-
cartes, Corneille, Bufron, Voltaire, Lalande,
Chateaubriand et Cauchy, pour n'en pas nom-
mer d'autres.


Que reste-t-il apres 'cela pour faire « la tra-
dition nationale » dont nous parle M. Ferry?


Rien, sinon un mOl, un de ces mots redon-
dants a l'aide desquels on parvient quelquefois
a leurrer les simples et a tromper les nalfs.




48 UN MINISTRE CALOMNJÉ.


Xl


Les colléges des Jésuites n'ont ( jamais"
été inspectés.


Tout entier lt « la jouissanee profonde de pou-
voir élever la voix au milieu de ses eonci-
toyens, )) M. Jules Ferry ne s'est point sum-
samment soucié, nous parait-il, de mesurcr sa
paraJe et, lui permettant tout Jes eapl'iees, il n'a
point eru trap s'avancer, en disant a propos des
ínspections :


« Nous avons le droit de pénétrer dans IOUS leR
établissements d'instruction publique, quels qu'ils
soienl, de visiter non-seulement les maisons, mais
les cahiers. En (ait, celte inspection dans les eta-
blissemenls tenus par les Jesuites n'a .T AM AIS eu
lieu. ))


Jamaís, monsieur le Ministre! Jamais, oh !
pardon:




UN MINISTRE CALOMN1É. 4[)


J'ai sous les yeux des docurnents que je dois
11 l'obligeance de ceux que vous attaquez et qui
prouvent péremptoil'ement que ceue inspection
a eu lieu dans TOUS les colléges des Jésuites,
TOUTES les tois que les inspecteurs l'ont désiré.


e'est ainsi que, pour ne vous point nornrner'
tous ces établissernents, les colléges du Mans,
de Bordeaux, de Dóle, de Mongré, de Poitiers,
de Reirns, de 'foulome (Sainte-Marie), ont,
malgré votre étl'ange assertion, été inspectés
rÍlgulH~rernent chaque année,


A Dijon (école fondée eu 1873), la visite a eu
lieu le ~ er rnai 4 87~, le 29 avril ~ 875, le 30 avril
4876, le 5 mai 4877, etc.


A Lille (fondation en 1872), elle a été faite le
~o avril t87~, le 22 avril1875,le 28 avril1876, le
20 avriI4877, le 29 avril 4878, le 2 rnai 1879.


Enfin,11 Paris, le collége de Vaugirard a re¡¡u
la visite des inspecteurs aux dates suivantes :


~ 853-5' 2~ janvier t 856..
4854-55 6 janvier t 855,
~855-56 9 novembre 18/)5,
~ 856-57 10 février ~ 857.
~ 857-58 30 novembrc ~ 857.
i 858-59 (i novembre 1858,
1 ~59-60 18 novembre 1859.
1860-6~ 26 janvier 486L


,




50 UN JIIINISTRE CALOMNIÉ.


"86t -62 fi décembre .f86~.
~862-63 7 février ~'863.
t863-6~ 13 novembre 4863.
186'~-65 ~3 déeembre ~86~.
1865-66 30 mai 1,861)'.
1.S,66-6.7 1,7 novemhrel866.
*867-ti8 (j févr1er 4.868.
1868-69 6, février 1869.
4869-70 :íl mai ~870.
1870-71 1:íl janvier 1874,
4871-7:íl 12 janvicr 4872.
4812-73 '13 juin ,1873.
tB73'-7i 2'B mars 4'874.
4874-7,j 21 octobre 4874.
'1875-76 '!8 janvier 4876.
tB76-7'1 '22 mars U'7.
18,77-78 2 février 487&.


Quant 11 l'école Sainte-GenevHlVe, voici les
dates exactes des inspections dont elle a été
l'objet :


485tl-56 8 octobre 4 &55.,
-\856-5.7 28 février 4857.
48&7-58 t 9 décembre .857.
4858-59 8 novembre 4858,
'1859-60 ,10 février '1860.
t860-64 2 février 486,4.
,18M-52 49 novembre 1861.
4862-63 28 février 4863.




UN ~flNjSTj{E CALOMNIÉ. 51


,1863-(j~ G octobre 1863.
,18o~-65 ,16 novembre 1864,.
t8G5-GIi 7 juin1866.
,1866-67 25 janvier 1867.
186i-tiS 4 novembre 1867.
1868-69 -ti janvier ,1869.
186!J-70 n janvier 1870.
'1871-7Z ':!O décembre 1871.
Hlí2-73 13 février 1873.
4873-7q, 19 janviel' 1874.
1874-75 2!) octobre 1874.
t875-76 26 janvier 1816.
187(1-77 26 mars 'J8n.
1í<77-78 10 janvier 1878.
"878-79 1 O févricr 1879.


Voilil, MonsíeUl', les dates en présence des-
quelies vous avez ell l'extraordinaire impru-
dcnce d'affil'mel' « qu'en fait, cette inspection
dans les établissemen(s tenus par les Jésuites
n'avait JAMAIS fU licuo »


Que si, pour échapper au démenti que vous
infligent ces dates, vous cherchez a équivoquer
et a vous rabaUre sur l'obscurité de votre
phrase, en prétendant que vous n'avez pas
voulu parlc!' de l'inspectioll des colléges, mais
seuJement de !'inspection des cahiers, je vous
réponds:




52 UN MINISTHIl CALOMNIE:


Ce faux-fuyant est inadmissible, car ce dont
vous parliez et ce que vous affirmiez n'avoir
jamais eté rail, e'est l'inspection des colléges
et non pas l'inspection des cahiers. Je n en
veux d'autre preuve que la phrase - effrayantc
assurément - dont vous fai-siez suivre votre
affirmation si hasardée et que voici :


1\ Jusqu'a l'établissement rlu gOllvernement répu-
blicain définitif (c'est-a-dire san s doute jusqu'en
.1879), il n'eíU pus été sans pél'il pour un {onction-
naire de se hasa,rde.r a (ranchir le seuil des tnaison$
tenues par des congrégations non autorisées. »


Les colléges religieux étaient done, d'aprés
vous, des espéces de coupe-gorge et vos in-
speeteurs n'y pouvaient pénétrer. On vient de
voir cambien ceue affirmation est de tout
point exacte!


!'dais, alors méme que je vous accorderais
eeUa équivoque, vous ne pourriez échapper
aux suites de votre imprudente assertion, car
la visite des classes el des cahiers a, été (aite,
mainles et maintes fois dans les colIéges des
Jésuitas,


Ceci dit, je ne fais aucune diniculté d'avouer
qu'il y a d'ailleurs tres peu de chose a chan-




UN MINISTRE CALOMNIÉ. 53


ger a votre phrase d'Epinal pour la rendre
conforme a la vérité.


11 sulfit de substituer un mot a un autre et
au lieu de dire « cette inspeclian ... n'a JAMAIS
el! lif'U • d'écrire simplement : « Ceue inspec-
tiaa a TaUJOURS eu lieu. »




:UN MINISTRE .CALO~INIE.


Xli


Retour en arriere.


Encore un rapprochement et je termine:
Le 42 juin 1875, vous disiez, Monsieur le Mi·


nistre, a l'Assemblée nationale :


< Mon honorable ami M. Bardoux el moi nous ne
demandons pas simplement le statu quo. 11 es! trop
évident que si, tout en maintenant aux facultés de
l'Etat la coUalion des grades, nous vouJions obliger
les éleves des facultés libres, que nous avons con-
stituées et reconnues, a subir toutes les regles
d'inscription, d'assiduité et de stage qui existenL
aujourd'hui, nous (erionsune Oluvre contradietoire
et de mauvaise (oi.


« Aussi notre amendement porte: « Les candi-
dats aux grades des facultés del'Etat sontdispensés
de l'inscription et de l'assiduité aux cours, s'ils jus-
tifient des conditions équivalentes dans les facul-
tés libres. »




UN MINISTRE CALOMNIE.


Et un pen plus loin, en finissant:


á' Alol's, Hessíevrs, que vous vellezde /J¡i/'e uue
tres-grande chose, que fai fa.ite avec VDUS; alDJ's
que vous vene¡ de proclamer la liberté de 1'.ell.Sei~
gnemPllt, nOD-seuleme1.lt pour les individu.s, mais
pour les association.~; aloJ'sq.ue vous venez .d'.aulo-
riser une grallde, tres-grallde expérience, une si
grande nouveauté dalls le pays, arrétez-vous la, n.e
compliquez ,p8.S le probleme, d que, avantde nOllS
séparer, nous n'emportions pas la responsabiJi1é
redoutable d'avoir lroublé Ji'une maniere irrépn.
rabIe les hautes études de notr,e chereFrance ! )l


Un an apres, vous remontiez a la tribune. et
devant ious voscollegues, devant tout le p.ays,
on vous entendit vous écrier:


« En remettant i'enseignement a tous les degrés
dans les mains d'un corps constítué comme l'Uní-
versité, l'empcreur Napoléon ler avait réaiisé le
plus monstrueux despotisme sur les opinions et les
¡<loo:> qu'il y ail en dans le m{lnde. Il n'y avait qu!'
le corps ~s ulémas a lui comparer. Qui.ll. détruit le
moao¡wle uuiversitaire ? La réllllblique ...


• Le monopole cxistait dans l'enseigoement se-
condaire. La ConstitulÍon de 4 8,\.8 est faite; cette
Constitulion, votée par une grande majorité répu-
blicaine, honuBte el libérale, aplacé dans sa nou-




UN MINISTHE CALOMNIÉ.


velle Déclaration des droits la liberté de l'cnscignr-
ment, el c'est l' Assemblée de 1850 qui l' a réalisée ;
elle l'a fait, a mon avis, d'une maniere ínsuffisante,
avee un resle de privilége, el qu'il sera nécessaire
d'amender quelque jour.


« e'est I'Ássemblée républicaine de 1850 quí a
abolí le monopole universitaire en ce qui concernr
l'enseignement second'lire, et e'est la Hépublique
de f 875 qui vous a donné la liberté de l'enseigne-
ment el quí a supprimé le dernier vestige du mono-
poJe universitaire ...


« Quant a moi,dans l'assemblée de 1875, j'ai
voté le principe de la liberté d'enseignement. Je ne
regrette pas mon vote, et si ta liberté de l'en~eigne­
ment était atteinte, le jour ou elle leserait, JEMON-
TERAIS A LA TRIBUNE POUR LA DÉFllNDRE. J'


e'est l'engagement que vous avez pris de
nouveau, il y a quatre mois, lorsque vous avez
écrit.11 M. le Préfet de la Seine :


• L'opinion du conseil municipal pour les maUres
« Jaiques n'est pas une atteinte a la liberté, puisque
« le droit d'ouvrir des eco les . libres reste entieT et
« inco.nlesté. Si ceUe liberté était menacée, ELLE
« NOUS TROUVIlRAIT AU PREMIER RANG DE SES DÉ-
.( FENSEURS. ))


Et cependant, malgré ces promesses, vous




UN MINISTRE CALOMNIÉ. 57


vous appretez a soutenir devant le Parlement
un projet qui est la négation formelle de tout ce
qui précMe.


Etait-cc done en prévision de ses futurs
ministres et a leur adresse, que M. le Présidenl
Grévy disait, il y bien longtemps déja : .


« s'n était vrai qu'i! falhll, pour gouverner au-
jourd'hui laFrance. faire tout ce que vous avez tant
reproché au gouvernement que vous avez tant com-
battu, démentir lous vo~ discours, fouler aux pieds
toutes vos doctrines, vous deviez laisser a D'AUTRIlS
CETTE TRISTE TACHE ... (Tres-bien!) el ne pas
donnerune foisde plus a la France le spectacle affli-
geant d'hommes politiques désel'tant au pouvoir les
prineipes qu'ils ont arborés dans l'opposition.


« Depuis trente ans, toujours le méme speclacle:
les hommes politiques changeant de langage el de
conduite, en changeant de position; répudiant en
entrant au pouvoil' leurs doctrines, leurs principes,
LEURS PROMESSES; Sil FAISANT JETER CHAQUIl JOUR
A LA FACE LEURS DlSCOURS D'AUTREFOlS. El vous
demandez pourquoi le peuple u'a foi ni dan s les
hommes ni daus les príncipes, pourquoi le scepti-
cisme et le découragement le gagnent! !lueHe vertu
civique résisteraít a ce spectacle démoralisant?




UN MINISTIlE CALO~lN[Ii.


« EL vous, ministres de la République, qui vous
eles chargés de le guérir, quel remede apporlez-
vous '? A ce besoin d'améliorations sociales, quelle
satisfaction avez-vous donnée depuis trois mois?
Aucune. QueHe satisfaction donnerC'z-vons a l'ave-
nir? Aucnne. Aux progres effrayants de la décom-
posiLion quí ravage le corps social, qu'opposez-vous ?
ta continuation du spectacle et des causes úu elle
a pris sa soorce. Toujours le méme mépris de la loi,
du droit, des príncipes; TOUJOURS L'EXllMPLB D)l.S
lIIE!lmS PALINOD!ES. e'est le gouvernement déchu
qui a am~mé la France a !'état oa nous la voyons,
et e'est 11 ses erremenLs que 'Vous vous altachez.


« Vous ne comprenez pas qu'au point oa est ar-
rivée aujourd'hui la France il est impossible de la
gouverner autrement que par la liberté. Vous aveZo
entrepris la tache crim'inelle et insensée de la rame-
ner trente ans en arriere, comme si elle pouvait
durer longtemps! Vous profitcz pour la charger de
liens d'un de ces moments oa, épuisée par une
convulsiondouloureuse,eJlesemble avoir pel'du l'in-
teIligenceetle besoin de liberté! Vous lui applíqucz
encore une fais ce sysleme de compressíon qu'elle
a brisé si souV8nt! vous recommencez la tache de
vos devanciers, vous vous mettez a votre tour a
rouler le rocher jusqu'il ce qu'il retombe el von~
écrase ....


« Dites..¡noi, si vous aviez entrepris de décrier le
gouvernemenL républicain aux yeux du monde el de




ú'A' H/A'/Sf'RE: C¡({'(]HA'lé. S!I


le faire prendre en dégoíit par la Franee, que feriez~
vous de plus? J)


Ces paroles séveres, Monsieur le Ministre,
nous saurons demain, s'i! ne convient pas de
vous les appliquer sans pitié.




UN MINISTRE CAJ.OMNIE.


XIII


Un dernier moto


J'ai linio


II Y a deux mois, vous di¡;;iez, monsieur le
Ministre:


.... Quand on est eondamné ¡\ assister en sitenee
au déchalnement de la ealomnie systématique, qui
dét1gure les intentions, falsifie les textes, dénigre,
invente, oulrage incessamment ... c'es! une jouis-
sance profonde et un grand soula¡;(ement de pou-
voir élever la voix au milieu de ses concitoyens ... »


Je me suis autorisé de cette paroJe, qui m'ae ...
cusait, pour vous répondre, et je dois vous
¡'avouer en terminant :


Condamné, moi aussi, a assister au déehal-
nement d'une ealomnie qui a défiguré bien des




UN MINISTRE CHOMNIÉ 61


intentions, falsifié bien des textes, dénigré bien
des personnes, inventé bien des choses, la
jouissance profollde et le soulagement que
vous espéríez éprouver, il me semble que je
les golite en CP. moment.