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ESSAI HISTORIQUE


S U R L A


S U C C E S S I O N D E S P A G 1 N E .




DE L'IMPRIMERIE DE CHAPELET,
(PCE СБ T i i d l U K D , к ' 9 .




ESSAI HISTORIQUE


SUR LA


SUCCESSION D'ESPAGNE,
P A R L E D« H E N R I Z Ô P F L ,


PROFESSEUR DE DROIT A l'UMVERSlTÉ DE HEIDELBERG;


T R A D U I T D E L ' A L L E M A N D , W/ /


! T *
ACCOMrAGKF. DE NOTES ET DE COMMENTAIRES,


PAR LE BARON DE BILLING,*.
Ancien chargé d'affaires de France à Madrid et à Naples,


Officier de la Légion-d'Honneur,
Commandeur de l'Ordre de Charles III d'Espagne


et de l'Ordre du Christ de Portugal.


Discite justitiam moniti, et nop temnerc Dnw


A P A R I S ,


C H E Z A M Y O T , L I B R A I R E ,






PRÉFACE DU TRADUCTEUR.


J'AI pensé que les fonctions diplomatiques,


que j'ai remplies en Espagne, depuis i83o ,


me désignaient plus particulièrement pour


le travail que je me hasarde de livrer à la


publicité.


Je profite donc des loisirs que ma carrière


me laisse en ce moment pour jeter, dans la


polémique ardente des "partis, ce calme et


savant plaidoyer, dont l'apparition a causé


une si vive sensation en Allemagne. Comme


le dit M. Zôpfl, la vérité ne peut que gagner


à cette lutte pacifique d'opinions contraires.


Par sa nature, cet écrit ne s'adresse pas


à ceux pour qui la forme passe avant tout.


La rapidité, avec laquelle il faut tout faire


en ce temps-ci, me servira d'excuse suffisante


auprès des esprits sérieux, s'ils remarquaient
1




que cette rapidité eût nui à la correction
et à l'élégance de cette traduction. J'espère
toutefois avoir été clair en demeurant fidèle
au texte du savant professeur de Heidelberg.
Le reste n'est que bien secondaire, puisqu'il
s'agirait du frivole amour-propre du traduc-
teur, dans une question qui embrasse le salut
d'un grand peuple, qu'on ne peut avoir visité
sans lui rester attaché par les liens d'une
vive sympathie et d'une sincère admiration.




A V A N T - P R O P O S .


Discite jusùtiam moniti, et non temnere DivosJ


PENDANT qu'on imprimait cet essai de critique


historique, envisagée au point de vue de la léga-


lité, il a paru chez M. Sigismond Schmerber,


libraire à Francfort-sur-le-Mein, un écrit ano-


nyme qui, sous un titre semblable, traite la même


question, avec non moins de franchise que je ne


l'ai fait, comme l'indique assez l'épigraphe que


son auteur a tirée de Tacite : « Mihi Galba, Oilio,


P'itellius nec beneficio nec injuria cogniti. »


La dialectique habile avec laquelle on défend,


dans cet écrit, les prétentions de Don Carlos, lui


donne une importance qui m'impose l'obligation


d'en parler, quoique l'auteur, en gardant l'ano-


nyme , se soit assuré un avantage que mes prin-


cipes ne me permettent pas de partager avec lui.


Les résultats auxquels il arrive sont directe-




ment opposés à ceux que ma conviction m'a four-


nis. Je n'en ai pas moins éprouvé une vive sa-


tisfaction, en voyant paraître cette dissertation


historique, car la vérité ne peut que gagner par


le développement et le choc d'opinions contraires.


Le public, ainsi mis à portée d'examiner et de


comparer les arguments présentés de part et


d'autre les pèse et les apprécie, et dès lors


son jugement ne saurait rester douteux.


Pour moi, quel que soit ce jugement, j'aurai


atteint le but de mes recherches, puisqu'elles


n'ont eu d'autre objet que de porter la lumière


dans le chaos d'idées confuses qui régnait jus-


qu'ici , et par là de déterminer et de fixer le droit.


Alors même que le succès ne viendrait pas cou-


ronner mes efforts, je me retirerais encore de cette


lutte avec la consolation d'être constamment resté


étranger à tout esprit, comme à toute considé-


ration de parti.


L'impression de mon travail était trop avancée


au moment où parut la brochure anonyme dont


je viens de parler, pour qu'il me fût possible d'y


avoir égard. Quelles que soient d'ailleurs la saga-


cité et l'habileté avec lesquelles l'auteur présente




ses raisonnements, comme Us n'ont pu m'ébranler


dans ma conviction-, que je persiste à croire


fondée, et que je pense n'avoir omis aucun


point essentiel dans cet essai, je le publie au-r


jourd'hui tel qu'il était sorti de ma plume et


sans y rien changer. Quelques remarques. qui


m'ont paru nécessaires seront placées dans l'ap-


pendice.


Au reste, d'après son propre aveu, l'avocat


anonyme de Don Carlos n'a été que très imparfai-


tement informé des faits principaux qu'il s'agissait


pour lui d'établir, et n'a eu nulle connaissance


d'un grand nombre d'actes officiels et importants


que j'ai pris pour base de mop argumentation.


On ne sera donc pas étonné de voir conclure tout


différemment deux écrivains travaillant simulta-


nément à combattre et à défendre, avec les armes


d'une dialectique puisée dans la légalité et l'his-


toire, une cause à laquelle ils sont, sous d'autres


rapports, l'un et l'autre étrangers. Aussi suis-je


loin de vouloir accuser mon adversaire de par-


tialité, et moins encore d'avoir altéré sciemment


la vérité. L'insuffisance des matériaux qu'il avait


à sa disposition ne lui permettait guère, je le ré-




— 6 —


pète, d'obtenir de meilleurs résultats, lors même


qu'il se fût livré à un examen plus rigoureux, et


qu'il eût rejeté tout ce qui n'était pas puisé à de


bonnes sources.




ESSAI HISTORIQUE % .


SUR LA


S U C C E S S I O N D ' E S P A G N E .


LE Mémoire sur la succession à la couronne d'Es-
pagne que l'ancien ministre espagnol, M. de Zea
Bermudez ( i ) , a présenté dans ces derniers temps à
plusieurs grandes cours, a déjà excité dans les jour-
naux les plus influents de l'Europe une vive polémique.
C'est à regret que l'on retrouve dans la discussion
soulevée ainsi par la presse, cette funeste influence
des opinions politiques, quia déplacé le véritable point
de vue d'où l'on dok considérer la question de la suc-
cession espagnole.


Tous ces journaux jugent cette importante ques-


(i) Un extrait de ce Mémoire a été donné, en premier lieu, dans
la Gazette d'Augsbourg du 9 mai 1839, pages 946, 948. Depuis on l'a
publié en entier sous le titre : La vérité sur la question de succes-
sion à la couronne d'Espagne, par Don Francisco de Zea Bermudez,
ancien premier secrétaire d'État, président du conseil des ministres
de sa Majesté catholique. Paris, 1839.




tion" d'après les opinions du parti politique qu'ils
représentent, beaucoup plus que selon les règles
établies par les lois constitutives et le droit public inté-
rieur de la monarchie espagnole qui, dans cette ques-
tion , basée sur le droit et nullement sur la politique,
peuvent seuls servir de guides assurés. Si l'on pouvait
se fier aux opinions émises par ces organes de la publi-
cité , on serait tenté de croire que la légitimité de la
Reine Isabelle II dépend essentiellement et nécessaire-
ment de la solution du problème difficile de savoir
quelle forme de Gouvernement convient le mieux à
l'Espagne ; que cette légitimité ne pourrait être dé*
fendue avec succès, tant que les dissensions, les pré-
jugés et les passions qui travaillent la malheureuse
population espagnole n'auraient pas entièrement dis-
paru. On irait même jusqu'à supposer que cette grande
question de droit ne pourra être décidée , tant qu'un
parti politique n'aura pas été complètement asservi
par l'autre.


Nous avouons franchement que notre conviction est
tout autre. Nous avons toujours pensé, et nous pen-
sons encore que la légitimité de la succession au trône
d'Espagne est, sous tous les rapports, indépendante
des principes sur lesquels on pourrait baser la nature
du Gouvernement de ce pays, principes dont peuvent
dépendre le sort de la nation espagnole et la situation
future de l'État, comme monarchie constitutionnelle




ou comme monarchie absolue. Nous croyons plu-
tôt que le Gouvernement légitime en Espagne ne
pourra que perdre si, méconnaissant ses propres inté-
rêts, il se laisse entraîner vers les exagérations de l'un
ou de l'autre des systèmes politiques qui sont aujour-
d'hui la source de guerres intestines dans la péninsule.
Nous sommes convaincu que la cause d'Isabelle n'a pas
besoin d'un argument fondé sur des considérations
politiques pour prouver d'une manière péremptoire et
inattaquable que les droits de cette princesse à la cou-
ronne d'Espagne sont au fond aussi constitutionnels
et aussi légitimes, que les droits qui ont placé sur
leurs trônes respectifs tous les autres souverains de
l'Europe.


C'est cette conviction intime que j'appuierai par des
faits dans le cours de cet écrit. Je parlerai comme
Allemand et comme citoyen d'un des Etats les plus heu-
reux , d'un État resté depuis des siècles étranger aux
guerres continuelles que se sont livrées les partis.
Je n'ai aucun intérêt personnel à voir triompher la
cause d'Isabelle ou celle de Don Carlos. Sans rela-
tions avec l'Espagne, inconnu des partis politiques
ou de leurs chefs, je ne suis guidé ni par la crainte,
ni par l'espérance. Sans rien accorder dans ces con-
sidérations aux luttes sur la question constitutionnelle,
ni aux opinions si directement opposées qui régnent à
ce sujet, et qui malheureusement ont jeté l'Espagne




— 10 —
dans les horreurs de la guerre civile, nous défendrons
le droit de quelque côté que nous le trouvions. Nous
ne montrerons nulle part de préférence, ni pour les
principes politiques qui dominent actuellement à Ma-
drid , ni pour ceux qui sont à l'ordre du jour à Ouate.
Ennemi déclaré par mon caractère et ma position de
tout désordre violent, de toute perturbation sanglante
dans la société, mon premier devoir est de me tenir
en dehors de ces dangereuses régions politiques où la
vérité ne peut que s'obscurcir, troublée et étouffée par
la passion, mais où jamais elle ne saurait ni trouver de
nouvelles lumières, ni acquérir une nouvelle force,
ni augmenter son éclat.


Comme jurisconsulte et publiciste , comme profes-
seur de droit, par dévouement à la science , je ne puis
considérer le grand ébranlement qui a poussé la mal-
heureuse Espagne aux bords de l'abîme, que du point
de vue d'une grande question de droit, dont la solu-
tion juste et légitime est non seulement nécessaire et
urgente pour la paix et le bonheur de l'Espagne, mais
encore d'une grande importance pour la conservation
du principe de la légitimité et de la paix dans l'Europe
entière. Il est déjà bien loin de nous le temps où l'on
regardait les débats pour la succession au trône comme
une affaire concernant uniquement les familles prin-
cières intéressées. On conviendra au moins qu'à notre
époque où une foule d'intérêts opposés encore indécis




et en suspens, peuvent dans les États de l'Europe con-
duire à des troubles et à des révolutions, la question
de succession d'un trône aussi important que celui
d'Espagne est une question européenne, et intéresse
immédiatement, sous le rapport du droit public , tous
les États placés à la tête de la civilisation actuelle. Aussi
ne peut-on méconnaître le puissant appui que le prin-
cipe de la légitimité trouvera contre les tentatives de
l'usurpation dans la solution sage et satisfaisante d'une
des questions vitales du système monarchique, et
lorsque la cessation des guerres de parti, qui désolent
l'ouest de l'Europe, aura de nouveau montré aux na-
tions de quelle importance est, pour le maintien de la
paix générale et des droits de tous, l'union intime
des grandes puissances qui président aux destinées
des peuples. Nous pouvons même espérer qu'après
ces longues années de guerres civiles qui sont pour
notre siècle une tache ineffaçable, les souverains se
verront appelés par la Providence à travailler à faire
renaître en Espagne la paix et la tranquillité inté-
rieure sous l'égide d'un Gouvernement fort et sage. Il
est possible qu'avant peu, cette grande question qui,
jusqu'ici, n'a été débattue que par les armes sur les
champs de bataille, devienne, pour quelques cabi-
nets de l'Europe, l'objet d'une délibération pacifique,
et qu'alors, pour donner à la politique la base la plus
solide qu'elle puisse jamais avoir, c'est-à-dire la base




de la justice, et pour obtenir des garanties pour l'ave-
nir, on revienne à la question de droit, jusqu'ici dé-
daignée et repoussée, et qu'on en fasse dépendre le
triomphe de la véritable légitimité. Pour ce cas, pour
cette possibilité prévue , la science peut bien essayer
de faire disparaître à l'avance, par des considérations
présentées avec impartialité, quelques difficultés et
quelques doutes, en cherchant à établir, par une en-
tente commune fondée sur la justice et la raison,
d'heureuses sympathies entre l'opinion publique loya-
lement exprimée et les combinaisons officielles des ca-
binets.


Voilà .les causes qui nous ont engagé à examiner
cette importante question sous le point de vue de l'his-
toire et de la législation, et à soumettre le résultat de
nos recherches à la critique impartiale du public alle-
mand. Nous nous efforcerons surtout de démontrer
par le droit public positif de l'Espagne, et par l'usage
toujours suivi dans les cas de vacance du trône, que la
succession cognatique, et ce qu'on appelle en Espagne
succession régulière, (sucesión regular), c'est-à-
dire la succession des filles, de préférence aux frères
du père ou à d'autres agnats, a toujours été et est en-
core le droit fondamental depuis les premiers temps
de la monarchie héréditaire jusqu'à nos jours.


Dans un pays comme l'Espagne, où les institutions
les plus anciennes, enracinées profondément dans le




— 13 —
cœur du peuple, portent un caractère religieux et
tout-à-fait monarchique — dans un pays où le sou-
verain, dans l'ancien ordre de choses, réunit dans sa
personne toute la puissance de l'Etat, sans aucune res-
triction — dans un pays, enfin, où l'origine divine
de la royauté a conservé plus que dans tout autre sa
valeur réelle dans la pratique , l'ordre de la succession
au trône est la première, la plus importante de toutes
les lois fondamentales ; il y forme la hase du droit de
souveraineté du prince, le lien sacré qui l'assure de
la fidélité de la nation ; il est le cœur qui anime tous
les membres d'une telle monarchie. Aussi, ne peut-on
pas intervertir l'ordre de succession au trône, sans
troubler en même temps la paix intérieure. Aucune
modification, fût-elle d'une nécessité évidente, ne
peut jamais y être faite sans observer strictement les
formes légales exigées pour un acte d'une pareille
importance. Aussi, en cas de doutes contraires, quel-
que fondés qu'ils puissent paraître, faut-il nécessaire-
ment que toutes les prévisions légales, toutes les me-
sures provisoires, concourent au maintien de l'an-
cien ordre de choses.


Une telle modification dans l'ordre de succession
a toujours été considérée, notamment en Espagne,
comme une circonstance d'une extrême gravité. En
parcourant l'histoire de ce pays , nous trouvons que la
transmission de la couronne n'y a jamais entièrement




— 14 —.


( i j Le chef de la plus ancienne famille princière des Visigoths, les
Balthes, Alaric I , avait été appelé au trône par le choix du peuple.
Jornandes, De reb. gel., c. 29.


(2) Cet usage existait encore pendant la période des Mérovingiens
et des Carlovingiens, chez tous les peuples allemands, qui avaient
adopté la forme monarchique, notamment chez les Francs. Voyez mon
Histoire du droitpublic et civil de l'Allemagne, Heidelberg, 1836,
§ 40. Alaric I étant mort sans enfants, les Visigoths choisirent pour roi
son beau-frère Athaulf(a. 410). Celui-ci ayant été tué (415), Siegerich
usurpa le trône pendant sept jours, puis il fut massacré à son tour,
et le brave Wallia (on ignore si c'était le père ou un parent d'Athaulf)
fut élu. Théodoric I lui succéda (419) ; on ne connaît pas son degré
de parenté avec Alaric. Ensuite régna (451) son fils Thorismond, et
après le massacre de celui-ci (453) , son frère Théodoric II. Théo-
doric fut tué en 466, et son frère Euric parvint au trône. A Euric,
succéda son frère Alaric II (484). Après sa mort (507), son fils na-
turel, Gésalic, régna pendant la minorité du fils légitime Amalaric.
Ce dernier fut tué (511 ) ; alors arriva le roi des Ostrogoths, Théo-


dépendu de la libre volonté du souverain , mais que
toujours la nation espagnole a pris part, d'après sa
constitution , à chaque changement de souverain, et
que cette participation de la nation, éminemment sa-
lutaire pour le pays, même dans les plus grandes
crises, a été régulièrement exercée par les Cortès.


A l'époque de la domination des Visigoths en Espa-
gne, la succession au trône dépendait du libre choix
de la nation ( i ) . Cependant, ce choix avait presque
toujours lieu parmi les membres de la même fa-
mille (a), de sorte qu'on rejetait rarement les descen-




dants légitimes du roi défunt. L'attachement invio-
lable de la nation à la famille arrivée au trône, trait
caractéristique et ineffaçable de toutes les nations
germaniques, fît que chez les Goths surtout ( i ) , on
commença, à défaut d'enfants mâles, à appeler insen-
siblement les filles à la couronne. Ainsi les mêmes
considérations d'attachement et de parenté qui sont
la base de l'héritage civil, devinrent aussi la base de
l'hérédité souveraine ( 2 ) .


doric. Avec Amalaric, mort sur le champ de bataille dans la guerre
avec les Francs, s'éteignit la race des Visigoths, et le royaume fut,
pendant quelque temps, un véritable royaume électif. Voy. Asch-
bach, Hnt. des Visigoths. Francfort, 1837, p. 97 à 186.


(1) C'est ainsi que la nation des Ostrogoths, après la mort de Théo-
doric le Grand, reconnut son petit-fils encore mineur, Athalaric,
fils de sa fille Amalasunthe. Voy. Manso, Hist. du règne des Goths
en Italie. Breslau, 1824, p. 137. Après la mort de tous les membres
mâles de la famille royale des Visigoths, les Amales, la nation choisit
un de ses plus braves généraux, Vitige, sous la condition qu'il se
séparerait de sa femme pour se marier avec la princesse qui restait
encore de la famille des Amales, Matasuntha. Procope, De bello
getico. L. I, c. 11 ; Manso, I. c. p. 201. Chez les Wisigoths, que leurs
longues migrations avaient réduits à un état sauvage, ce principe
ne fut adopté que plus tard, comme nous le verrons par la suite.


(2) On ne peut nier que chez tous les peuples allemands
l'ordre de succession au trône ait été calqué sur le droit civil qui
concorde aussi avec le principe patrimonial, sur lequel repose la
royauté germanique (et par conséquent aussi la royauté en l'Eu-
rope). Lorsque les femmes sont exclues de l'héritage civil par les
hommes, comme chez les Francs, d'après la loi Salique, titre LXIII,




— 16 —


elles le sont aussi de la succession au trône ; et c'est tout au plus si ,
chez ces peuples, la reine-mère peut parvenir au gouvernement
pendant la minorité du prince. Voyez mon Histoire du droit public
et civil de l'Allemagne, §. 40. /


(1) La seule différence qui, selon l'ancien droit espagnol, existe
entre la succession civile et la succession au trône, consiste en ce que
dans l'héritage civil, les fils, les filles, les frères et les sœurs entrent
en partage tout-à-fait égal, tandis que dans la succession au trône,
depuis qu'il est devenu héréditaire par des raisons politiques, et
parce que le trône ne peut pas se diviser, les fils sont préférés aux
filles et les frères aux sœurs. Leges F'isigothorum, lit. IV, Ut. 11,
De successionibus, lex 1, 2, S, 7, 8, 9. Les agnats plus éloignés
n'ont jamais été préférés aux filles, comme on peut le voir déjà par
la raison expliquée dans le passage cité (lex 9 ) , relativement à
l'égalité entre les femmes et les hommes. « Namjustum omnino est
ut quos propinquitas nalurœ consociat, hereditariœ Successionis
ordo non dividat !


(•a) Ferreras. HistoriadeEspana, Madrid, 1710; lin. 11, cap. 14.


Cet ordre de succession qui préfère les filles aux
frères et aux autres agnats du père, ordre que le droit
public et civil de l'Espagne désigne sous le nom d'ordre
héréditaire régulier {sucesión regular) ( i ) , a été de-
puis son origine de la plus grande utilité pour ce
pays. Un profond historien espagnol ( 2 ) a fait à cet
égard des remarques fort justes, qui démontrent
que cet ordre de succession avait pour résultat de
réunir les diverses parties et les diverses civilisations
de l'Espagne en un territoire unique, et de main-
tenir en même temps l'importance politique du




pays en conservant les relations établies entre l'Es-
pagne et les autres États du continent. L'Espagne, dit
un autre écrivain espagnol encore plus distingué ( i ) ,
devait avoir pour but de sortir de cet état de division
intestine où l'avait jetée son morcellement en une foule
de petits royaumes, et de se garantir contre les suites
funestes de son isolement géographique du reste de
l'Europe. L'Espagne, sans son droit coutumier, d'après
lequel les femmes depuis les temps les plus reculés suc-
cédaient à la couronne à défaut d'héritier mâle direct,
et sans le grand nombre de mariages entre les membres
des diverses petites dynasties de la péninsule, l'Espagne,
nous le répétons, ne serait jamais parvenue à cette unité
territoriale qui fait la base de sa force, et à laquelle
elle doit la grandeur politique de ses époques de gloire.
Sans le renouvellement de sa famille royale, opéré de
temps en temps par le mariage de ses princesses héré-
ditaires avec les pr-inces des plus grandes familles sou-
veraines de l'Europe, l'Espagne serait peut-être tombée
dans un triste et funeste isolement. Elle se serait sé-
parée peu à peu du grand système des Etats européens
auxquels, du reste, elle tient à peine par un point.de
son territoire. Aussi n'est-ce pas trop prétendre que de
dire que l'Espagne doit uniquement à son ordre parti-
culier de succession au trône, de s'être constituée en une


(i) Mariana, Hisloria de Espana, lib. i , cap. 3, publicada por
el doetor Sabau; Madrid, 1828.


2




— 18 —
grande monarchie, et d'avoir occupé jusqu'ici un rang
indépendant parmi les nations civilisées de l'Europe.


Cet ordre de succession au trône, presque aussi an-
cien que la monarchie espagnole, n'a été introduit ni
par un prince, ni par la force des événements, ni par
aucun effort des factions ; il ne se manifeste d'abord
que par une suite de faits isolés, devenus peu à peu un
usage général sanctionné par tout le pays ; puis il a été
proclamé, d'une manière solennelle, loi fondamentale
de la monarchie.


D 'un autre côté, le choix de ce principe de succes-
sion n'était pas le fait du hasard j c'était l'ouvrage
d'une grande mais heureuse nécessité, dont il ré-
sultait un bien, un avantage réel pour la monar-
chie , que le temps a fini par affermir et sanctionner
de son autorité. Toute nation possède certaines insti-
tutions, filles de certaines idées politiques, qui lui sont
propres et comme innées, que la nation conserve de gé-
nération en génération, non en suivant un plan médité,
mais par un sentiment exquis de convenance sociale.
Ces institutions prennent peu à peu une forme systé-
matique j les rapports qui les ont fait naître se perpé-
tuant dans l'avenir. Ce sont ces institutions qui forment
le type fondamental, le caractère national, individuel,
et qui laissent entrevoir le plan que la Providence a
appelé chaque nation à suivre pas à pas. C'est parmi
cette classe d'institutions qu'on doit placer, sans hé-




— 19 —
siter, l'ordre particulier de succession en Espagne,
dont l'histoire et les conséquences, pendant le cours
de tant de siècles, sont les preuves les plus concluantes
de la vérité de cette assertion.


Passons maintenant à la démonstration historique
qui servira à nous faire connaître comment s'est formé
et développé en Espagne le principe de la succession
au trône, base antique et inattaquable sur laquelle re-
pose la monarchie.


Nous avons déjà dit précédemment qu'on ne pou-
vait pas, retrouver avec certitude la succession des
femmes au trône dans les premiers temps de la domi-
nation des Visigoths ( i ) . Le principe de l'élection était
encore prédominant, et ce droit se manifestait avec d'au*
tantplus de force que souvent l'héritier du trône, à la
tête d'un parti mécontent, l'enlevait à son prédécesseur
avec la vie, et n'avait besoin qu'en apparence de l'élec-
tion populaire qui, dans ces circonstances, n'était rien
moins que libre. Après l'extinction de la famille
royale des premiers Visigoths dans la personne d'Ama-
laric (531), le droit d'élection fut pendant deux siè-
cles de plus en plus illimité, jusqu'à devenir tout-à-fait
anarchique ( 2 ) . Pendant la durée des règnes électifs,


(1) Il est évident cependant qu'une considération de cette nature
n'est pas restée étrangère à l'élection du roi Athaulf.


(2) Voy. Aschbach, Histoire des Visigoths, p. 257, 258. Grégoire
de Tours, Hist. de France, 1. III, c. 30. « Sumpseranl Golhi hanc