H18TOIRE DE LA RE8TAURATION. DE LA RESTAURATION ET DES CAUSES QUl ONT...
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H18TOIRE
DE


LA RE8TAURATION.






DE LA


RESTAURATION
ET DES CAUSES QUl ONT AlIIENÉ


LA C111'TE IH: LA 1\I\A\\<:lIE AI?\ÉE DES BO[JJH¡O~S,


PAR JI. CAPEFIGUE.


+-


--000--


PARIS,
CHA l\Pr:NTI En, LIBUAIRE-EDITEU n ,


in, Rl:E DE SE1NE.


1SLd.







DE CETTE NOUVELLE ÉDITTON.


DEPUlS la derniere édition de ce livro, les idées de gou-
vcrnement ont fait de notables progres : il faut déja s'en
féliciter; on marchevitedans le mal; on ne remonte au bien
que lcntcment. L'Histoire de la Resuuutuioti fut écrite ¡:\
une époque d'agitation et d'érncutcs : tous les prineipes
étaient alors eompromis: la rcligion, le pouvoir, la pro-
priété. Ces temps diffieiles s'cflaccnt pell a peu, et les
principes de ce livre, qui furent alors considérés eomme
des opinions trap européennes et fortement gouvernemen-
tales, marchcnt vers leur accomplissement. Que sont dcve-
nues aujourd'hui les théories de 1\1. de Lafayette v Qui
oserait prendre pour drapean les principes du vieux libé-
ralisme '~


On arrive graduellement aux idées d'un pouvoir fort ,
ti la nécessité impérative de le mcttre en dehors de toule
contcstation, de tout déhat. Les intclligenccs d'avenir
s'y rattachcnt , cal' notro pals ne sera grand, vis-a-vis de
l'Europo et de lui-rnóme, que lorsque l'autorité sera placee
dans une sphere libre et indépendante.


Plus tard, Iorsque la justice arrivcra , il faurlra hien
admettre que les seize années de la Hcstaurntion n'ont pas
été sans gloire pour le pays; les hommes forts et capables
de cette époque IlC sont-ils pas cnrore aux afTaires? no




1.1


nous ont -jl~ pas pré~:ené des folies qu'imposaicut <'r In
France les vieux amants de la vicille révolution ? La paix
de l'Europe , la force de gouvernemcnt a été maintenuc
par les hommes d'État que la Restauration a forrnés ; ceux-
ci n'avaient pas cette étrange nouveauté d'nílaires qui 11
compromis si souvent la sécurité du pays.


Si ron trouve , dans eette nouvello édition , quelques
changements, c'est que les révélations des faits sont suc-
cessivemcnt arrivées : mais l'auteur reste dans ses prin-
cipes; il n'eu abdique aucun. Un tcmps viendra oú il fau-
dra bien admettre que les folies de la Constitunnto, ses
théories de liberté, ont annulé la Franco au dehors pour
un siecle , quand eette vérité sera bien démontrúe , il se
formera naturellcment, parmi les jeunes hommes d'intel-
ligence et d'avenir , une école véritablcmcnt gouvcrne-
mentale, C'est elle qui aura la tñche de sauver notre pap
en le ramenant aux vrais principes de force, de devoir et
d'autorité.


J'ai dú eompléter cet ouvrage par un précis sur la mar-
che des idées politiques, de la philosophie el de la litté-
rature pendant la Hestauration ; j'ai toujours pensé que
les grands changements se prépnraicnt par les idécs avunt
de s'accumplir par les faits; une révolution est toujours dc-
vancée par les enseignemcnts et les Iivres avant de s'accom-
plir par les actes; les doctrines ont été , pcndant quinze
ans , contre la Hcstauration ; elle cst tombéc , cela dcvait
étre. Aujourd'hui qu'il n'est plus de préjug(~s contre elle,
l'impartialité cornmcncc.


J'ai laissé une lurge part ula diplornatic daus ce livre ;
c'est de cette partic des aílaircs que la gélH'~rnt¡on pr(:;l'lllc
est surtout mal informéc , l'écolc diplomatiqnc de la He-:-




11.1


tauration , d('pui~ l\I, <1(' Tal!eF"IHI .ill~<jlÚ'I]\I, de Polignac
lui-méme , cstmarquóc d'llIw grande el large cmprcintc :
il cst curicux de voir qu'il II'Y a pas en une seulc \;\chclé
pendant cctte longuc période , el qu'aprcs nvoir rcru la
Frunce deux [ois cnvahie , les Ilourhons l'out rcndue daus
une position indépcrulante , forle et honorable, On ne
s'étonnern donc pas qu'un pen de justiec ait été reuduo
aux hommcs poliliquc« de ccttc époque. Les partis ont
taut de poétcs ct d'oratcurs qu'il m'a parll csscntiel que le
pouvoir ait cnlin l'aumóne d'unc hisloire impartiale.


Cctte histoire e~t maintcnaut réduito aux proportions
dans lcsquclles jc désire qu'cllc reste; je me suis éclairé
de tous les faits : j'ai consulté íoutcs les sources ; j'ai mis
mon devoir ú rccucillir tous les documents , Ú corriger les
erreurs , a développcr les pnrtics impnrfaites. L'his-
toire n'urrive Ú quclque pcrícction qu',\ travers les en-
f[uet(~s. Interprete hnbitucl des vicillcs chroniques, j'ui
chcrché " porlcr <In!!:; Ir:, [t'n;p:~ modcrnes ce caractóre de
hounc roí naivc des moincs de ~';a¡llt·nc!lis; eux aussi s'en-
quéraicnt partout. Ici , (llwIH] le hellroi sonnait la guerl'c;
1 , l les vi , . 1 r ioucs l 'JiI, fIllllllC s YlCU'.: Sillllh ¿¡¡,ucut par t' aux anüq s 2-
o'nlld{'~ '. Ipli" (l'l'l'ld le" 1")11,,1,(,1'" s'étnicnt 1),,1 1' 1" "'IVb v., - '-., \,' , lL' L.. .... ,:'1 11 \. ,~, r, l.... , '1 , '<..," -{.. . ~ ;: 1. u. ~¡ t t. ...., ,O '1 _\.
halles (1" Pnris un t('P'I)S (}1" le: p"lll'rT]';O'l]IO·)Q nt lr.sit \._~_ l"-' _ f. .,' l~ ~ .... il '- _ d \....,-, j,_J,~ c,J u ntJl ... , 1-l l J V '\.1 '-. ...)
:i.I"'l')fl'I"'''S "\ uicnt "1,1·('1'(" L,!,!, .. coulcurs


.... l.. 11([~ Hl\__d. o ..~l" ',r, ;.)J. H._· { ::'1 \}\.. .. \...-Ul. ..>.


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.. ons nu milicu d,',,. ('OI't"IlI''';>'·';'''' et (-1""" ""1!"'1"~ du dramc :~ ,.1 ~ ~ U 4. 5 J ~ ,"-,!i" "\~" I _ _ lo. \,' l' \J 1 r . 4 •••. ' \., '--. • ~ {~t. '<. c., l i.' ,," _ ti U. 'v,


1 . f ¡ .' I 1 • , I " • 1qu' qU(',;-UllS !'O rt JnOI',S (~CPll! i\ uermcrc CdlL1011 oe ce
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, '1' 1 ' -' - f !'" .. T 1-'S('C au mí ¡cn (¡i':~ UJ!OllOn~ ¡;U;;¡¡'.¡IlCS; .,L de Lfla.'errOíl-
I¡ ' ' . · ¡ I 'l· I J 1!' l l'¡¡;¡~S cst a (~. JOH!Cli'l' :,011 1l0LlC illl1l e uuc (te ll¡c le len;


1i!1i.' mor! pl'ompl(' 1';1 ~'ais¡ ,IU mi'ien de Home) I'nil c1e




IV


toutes les ames éprouvées: M. oc Rayneval , jeune cncorc,
s'est immolé au service publie dans cettc ambassade de
Madrio ou je le vis si profondément affccté des exces
d'une révolution qui brisait la diplomatie de Louis XIV;
le chef méme de l'école politique, M. de Talleyrand n'est
plus. A chaque cercueil sa justice; ú chaqué vie politique
son illustration et sa force.


J'ai jugé avec calme l'Europe comme la Franee; j'ai d11
hautcment reconnaltre et proclamer les illustrations, les
capacités des hommes qui dirigent les eabinets; et ne le
faut-il pas aujourd'hui, plus que jamais, lorsqu'on vient de
traiter le prince deMetternich d'hommc d'Étut médiocre, et
M. de Tallcyrand de tete eomplétement incapable? Et qui,
juste ciel ! jette ces injurcs? une coterie d'hommes qui n'a
jnmais touché le pouvoir SIlIlS le eompromeltre et le perdrc,
Ces pallvres brouillons s'imagincnt qu'avec les vieilleries
de drapean révolutionnaire, dc Constitution et de Marseil-
laise on fait les aflaires d'un pcuple, et qu'on peut diriger
avrr des phrnscs la politique g(~IJ(~l'ale des cabincts.




nrsrome
UE


I
f i
.' .


DE L\. lHUJ\CHE Ali\ÉE DES BOUHBOT~~
. ,?::..~!,-' " .Ó: ',
¡r-~)


CHAPITHE PHElUIER.
TE~T.\TlVES ))1::8 IWYALlSTES rocu l'IIÉPAILElt LA


(PREMIERE PÉRIODE.)


Vt"Jlligl';ltiuu. - IJa co alit ion , -- La Veudcc , - Les Priuces daus l'(~l1Jigra­
tion. - Les Ilova listcs apl't's le D tlrer-m irlo r. - Quiberon et l Tlc-Dieu r--;
tes ageIJts Ú l'ilJtt~l·ielll·. - ArénelllelJt de Louis XV!II et de SOIJ conseil ,
- O{frcs faltes it Pichcg ru. - ~égociatiolls avcc narras. - Les Roya-
listes au 18 ln-umnire. - Famille r oynlc a Minan. - Gcorges, Pichcgru
ct Morcau, - Louis XVlIIl'cllllallt l'Empíre. - Hartwell ,


1~89-181'~.


La tempete qui avait emporté la 'l\Iaison de Bourhon, ou, pour
parler plus exactcmont , la monarchie de Louis XVI, avait son
origine dans l'école du XYInc siecle , dans ces idées qui s'étaient
répandues panni toutes les classes de la sociétédepuis la Bégence.
La partiedramatiquc et sanglante de la Hévolutionfraucaise ne fut,
avrai dirc , que la réalisatioudes systemes du barón d'Holbach,
rl'Helvétius , de Itousscau , le scnsualisuie dans la vie , l'athéisme
dansla inoralc , la souvcraineté du peuple dans le gomenH'lllcnt.
On nc joue pas en \ ain aH'C des idé('s de Ieu : le pcuplc les prit au
sérieux ; iI se lit done une n~\ oluf,ion daus le gouv erncment et


l. 1




:2 mSTOIRE DE L\ HESTAUlATIOi\.
dans la propriétú, Le chef de la :Uaison de Bourhon , Louis .\..,1,
monta sur l'échafaud ; les autrcs princcs errercnt en cxilés, el,
tant le sentimcnt du droit est puissant , dcpnis le jour oú ils
quittércnt la tcrre de Franco ils nc cesscrcnt d'aucndrc et d'cs-
pércr une rcstauration.


te 16 jnillet 1789, aux lueurs de la Rastille en flanunes, le
comte d' Artois émigra; le prince de Coudé le suivit : c'était une
vieille habitudo de la noblcssc , dcpuis la Iléfonnc el la Fronde.
Ce fut du Piémont , oü les Priucos se rHllgit'reut, qu' ils Iircnt le
premicr appel ~l la noblcsse franraisc. Quelques gcntilshommes
vinrcnt les joindre , cal' l'émigration n'était pas encore UIH' mude.
Dans ces perites réunions <1' éniigrés, on exprimait le désir el la
volonté d'une rcstauration. « Le peuplc francais était étrangcr ~I
la rébellion de quelques Iacticux , ji allait se hütcr de rclcvcr le
tróuc de ses rois. La noblcsse de l'Europe était une. C'était la
cause de tous les princes , de tous les gcntilshounues qu'on allait
déícndre. On dcvait marchcr 1\ la tete de la noblcssc de toutcs
les nations pour délivrcr le Monarquc infortuné, » La íuitc de
Louis XVI, l'arrivée de ,)IO;\SIECH (COIllU' de I'rovence) '~IBruxelles
détcrminercut ce mouvcmcnt de l'éiuigration. C'était alors un
point d'honncur parmi la uohlcssede quiuer ses chátcaux et d'allcr
rejoindre les Princcs et I'année d(' Conde, l'n gcntilhommc n'avait
pas de bcllcs manieres, lorsque le soir, h l'Opéra , il ne douuait
pas rendez-vous ~l Coblentz. Ccux d'cutre cux <1I1Í rcstaicut ('U
Franco étaicnt taxés de Iáchctó, Les nobles damoscnvovaicnt des
quenouilles aux gentilshounnes (1U i préféraicn! ~l C('tI e prise d'ar-
mes sur le Ithin le sen ice du Itoi (·t la défcnsc de sa pel'sonue.
Ce rassemblement s'accrut de tous les officiers qui n'avaicnt pas
voulu preter serment ¡\la Constitutiou de 1791. BiculúL Coblcntz
devint une cour brillante, une espt'ce de Ycrsaillcs, aH'C ses
plaisirs , ses dissipatious , ses folles joies , ses Iausses ospéranccs,


Au nom de <fui agissait ;\1. le prince de Condé ? au norn <le la
nohlesse, IWe voulait rcnt rer dans SI'S <1 roiIs , ses pri\ iIt'g('s 110-
uorifiques et r(>('ls; ell(' rovcndiquait la Iéorlalité clle-mém«, Ce
fut alors que s'iutroduisit daus le camp de:\l. le princc de Condé




CHAPlTRE 1. 3
ce principc , <fni est dcvcnu la hase du droit public des Bourhons :
qu'un roi pcut étrc captif , quoique libre, au mílicu de ses sujets,
et qu'il y a d'autrcs jugos qnc lui-méme pour apprécicr le degré
d'indépcudancc de sesacres, Selon la noblcsscréuuie sur le Ilhin,
Louis XVI n'était pas libre depuis la déclaration du 23 juin , et
voila pourquoi les Princcs cux-mémos s'étaicnt débarrassés de
l'ohéissance. Le Iloi lcur prcscrivait certains dcvoirs ; ils répon-
daicnt flue le lloi était captif, el continuaicnt amépriscr sesordres,
Le Boí lcur écrivait que]'émigration compromettait ses intérets,
exposait sa tNe, et ils répondaicut encere qu'ils ne rcconnais-
saicnt pasdes lettrcs , pourtant écrites de sa main et revétues de sa
signature, paree qu'il était sous le joug des factieux. Singulier
raisounemeut qui Iaisait du dévoucmcut une faculté capricieuse, et
laissait aux passions el aux intéréts le soin de détcnuincr le carac-
tere et le degré de I'obéissancc !


La peusée de recourir ~\ l'intcrvcntion étrangere fut contcm-
porainedes premiers jours de l'émigration. A toutes les époques ,
la noblesse s'était cousidérée comme solidaire. Hcnri tv avait sol-
licité les sccours d'Élisahcth d'AJlgll'tcrre et des princes protes-
tants d' Allemngno. Dans 11n Jlémoirc publié a Turin le 3O octo-
bre 1789, c'cst-a-dire trois mois apeine apres le départ du comte
d'Artois, on posait au roí de Sardaigne les qucstions snívantcs :
« Ne serait-il pas urgent que M. le comte d'Artoia envoyat en
Espagnc qnelqu'uu de súr , pour lui mandcr l'état actucl du
royaumc, et ce qu'on y pensé des trouhles de laFrnnce ? Quelles
sont ses dispositions, les personncs en crédit ? Le roi de Sardaigue
a paru pcnser que le gouvcrnomeut prussien serait disposé asou-
tenirnotro cause. 11 serait couvenahlc que le Iloi se chargeüt lu1-
memedefaire quelque communication i\ cettc conr. Le Iloi pensé-
rait-il qu'il y ait de l'iuconvénieut que le comtcd'Artoís écrivit a
M. lecomtcd'Escars, qui lui estattaché, et qui setrouve aVienne,
deeonder les dispositions de l'empereur ? La honteuse défectiou
d'une partie des troupcs Irancaiscs ne parait pour le moment
laisser aucun moycn i\ prcudre dans le sein de la Franco. Il Iaut
done le cherchcr dans les Puissances étrangercs. On pensé qu'il




h HTSTOmE DE J.r\ nF.S'f,HiJl.ATI01\".
est urgent de táter les dispositions de l'clllpcrcur , des rois d'Es-
pague et de Sardaigue. Si l'Espagno fournit des subsides, on ne
doute pas qu'on ne puisse lever beaucoup de monde en Suisse
et dans les perites principautés de l' Allemagne, Alors les troupes
espagnoless'avanceront par les Pyrénées ; les Piémontais , par les
Alpes; les Allcmands, des hords du Ilhin , et les Suisses par la
Frnnche-Comté. Les Princes se feront précédcr par uu mauifeste
oú 1'0n proclamera l'illégalité des .Étals généraux actuels. »


L'Europc avait accueilli les émigrés avec indiífércncc. L'em-
pereur Léopoldet ses ministres, le prince de Kaunilz el le comte
de :\Iercy étaient opposés au systenm de l'émigration, Le cabiuet
prussien partagcait ces répnguances. Non point que les souve-
rains ue vissont avec peine la propagatíon des idécs liberales en
Frailee, mais l'idée d'une gucrre , la joic mnnc qu'ils éprou-
vaieut a l'aspect des trouhles qui devaicnt diminuer la prépou-
dérance du cahinet francais , les cmpechaícutde prendre une part
active aux projets de l'émigration, L'Espagne et la Sardaigue ,
malgré les liaisons de parenté , se hornaient ;\ des oífres de sc-
cours pécuniaircs sans (!fficacit('. Quellc qm~ fút la prorligicuse
activité du eomte d'Artois , ;1 Padoue ct aPilnitz les alliés s'ar-
rétérent ;1 de simples déclarations vagues, ;\ des (1101'S ct en des
en cas .. qui étaient loin de répondre aux impatienccs armées de
l'émigration. Deux seuls cahincts ont recu les éloges des solda tsde
Condé, la Suede et la Ilussie : le roi Gustavo Ill ct l'impératrice
Catherine 11. Il Yavaitdans le caracrére de Gustave quelque chose
de chevaleresque ct de noble: N'avnit c il pas hrisé les états de
Suede ? N'avait-il pas opéré une conire-róvolution? Aussi ne par-
Iait-on , sous les tentes de Condé , que de ses gráces , de sa [('1'-
meté ; on lisait tout haut sa lettre au chef de la noblesse fran-
«;aise .oú il exprimait sa douleur sur les maux de la famille royalc,
et promettait de prompts secours, L'irnpératrice Catherinc écri-
vait : ce M. le maréchnl de Broglie , c'cst ;. vousque je m'adrcsse
pour faire connairre ü la nohlesse Iranraise , toujours inébran-
lable daus sa fldélité pour son souverain , combicn j'ai été sell-
sible aux sentiments qu'elle me témoigne. Sans nohlosse , iI n'y




enAnrrns 1.


a point de monarchíe. tes gcntílshonunes prodiguerrnt leur sang
el leurs elforts pour rétahlir les droits de Henri IV et les Ieurs.
Faites éclater dans vos actions le méme esprit. ]~Iisabeth secou-
rut Heuri IV, qui triompha de la Ligue ~I la tete de vos ancé-
tres. Cette reine est digne sans doute de servir de modele ~I la
postérité , et je mériterai de lui étre comparée par ma persévé-
rance dans mes scntimeuts pour le petit-fils de Henri IV. En em-
hrassant la cause des rois dans celle de votre monarque , je ne
fais que suivre le devoir du rang que j'occnpe sur la terreo » Tous
ces rapprochcments parlaient vivemcnt ~l l'imagination de la
noblesse; mais , pour les secours, ils ne vinrent paso Gus-
tave Ill fut frappé par un bras fanatique , et Catherine II
était trop occupée du partago de la Polognc et de la guerre contre
la Porte, pour secourir les émigrés. Les choses en vinrent ü ce
point, qu'excepté dans quelques principautés d'Allemagne, telles
que les terres de Hohenlohé-Barthcnstein, les émigrés furent ohli-
gl~S de se séparer. 11s y reparurcnt en armes, lorsque la guerre
fut enfin déclarée par la Frunce ~t l'Autriche et ~I la Prusse. I~es
émigrés pouvaient-ils se rrompor eux-mémcs sur le hut de l'in-
vasion ? Les placesconquises étaicnt administrées au nom des coa-
lisés: leurs couleursIlottaient sur lesmuraillcs. Le priuce de Condé
voulut faire de son propre chef un mouvement sur Landau : il
envoya prier le prince de I1ohcnlohl:, qui ccmmandaít une ar-
mée aurrichienne , d'appuyer son opération. II Iui fut répondu :
« J'eu suis désespér« pour le prince de COJl(l{', mais il n'entrc
pas daus le plan des Puissances qu'il occnpc en ce moruent Lan-
dau, ni aucune antro place de l'Alsace. » Les mémes intcntions
d'un partage de la Franee se trouvcnt formcllcmcnt exprimées
dans le tcxte du congres d'Anvers, entre la Prusse el. I'Autriche.


Ce fut au momont méme de la coalition la plus ardcntc , 1<1
plus implacable, qu'éclaterout les trouhles de la Vcndéc. tes
(lllligrés voulaicut restaurcr le tróuc , tcl qu'il existait au siecle
de Louis XIV. tes V('!H[{'pus s'armaient pour restaurcr les au-
t-ls , avcc cettc foi vive l't ardcnre des époqucs du moyeu ftge.
La situation de la Ycudée , el particulíercmcnt du Bocago )




6 mSTüIRE DE LA nESTAIJllATIO:\.
les mceurs de ses hahitants, expliquent tres-bien les causes de
la guerre civile. Ces proviuces du Poitou , de l' Aujou , du :Uaine
avaient conservé la piété des temps primitiís, La nohlcsse n' était
point riche; quelques chátcaux Iortifiés cntourés de métairies, dont
les plus opulentes n'excédaíent pas 600 livres de rentes, des
chemins de traverse entourés de hales hautes et scrrées , des
terres coupées en tous scns par des fossés et d'une culture mé-
diocre , tel était l'aspect du pays, le paysan y était simple, at-
taché a son seigneur , et plus encere ~l son curé. Aucune des
commodités de la vie, aucunc des aiscs de la civilisation u'avait
pénétré dans cette terre ; les cháteaux étaieut sans luxe; les mé-
tairics offraient l'aspect de la misereo les prcmiers mouverueuts
dans la Yendée se lient a la puhlicatíon de la consutution cívilc
du clergé. Lorsqu 'on rcmplaca les curés réfractaires de la Ven-
déc par des prétres assermeutés , les paysans rcfuserent d'aller a
la messe , el préférerent assister dans les bois aux instructions el
aux sacriíices de leurs ancieus pastcurs. Aprcs le 6 octubre '1 j~9,
il s'était formé daus la Ycndéc une coalition de gentilshonnnes ,
pour soutcnir les droits du trf)Jw ct les illth'l~ts de l'autcl. Cette
coalition dounait la rnain a toutr-s les sociétés du inéme genre
dans la Bretagne , l'Aujou el la Noruiaudic , qui se liércnt plus
tard au camp de Jales. ñlais tel était l'esprit qui animait alors
la noblcsse , qu' elle courut outre Hhin, abandonnaut lcs chances
d'une confédération intérieurc. ;HJI. de Lescure el de Laroche-
jaquck-in eurcnt toutes les peines du monde aconserver leur
honneur intact, paree qu'ils avaicnt pn'{('l'ó 11' scrvice aupres du
Monarquc dans sa gard« coustitutionuelle i, la Iuitc ü Cohleutz,
L'insurrcction des Veudóens éclata i, l'occasion de la 11"('(' des
::\ no 000 hommcs , ordonnée par la Convention; quelques pay-
saus de Challans , dans le Has - Poitcu , el de Saiut - Floreut en
Anjou , résisterent aux ordrcs de l'administration ceutrale ; des
magistrats voulurcnt les haranguer , ils deviurcut plus hardis ;
une pit'~ce <le canon ful hraqué« contre cux , ils S'('11 emparercut ,
el SOlIS la conduitc de Cathclineau , voiturior , colportcur de laine,
ct de Stofflet , gardc de chassc de Mauleuier, ils se rendircut




ClJi\PITRE l. 7
maitres de leur villagc, el en déíinitive de Cholet, chef -Iieu de
district. Jusqu'alors les paysans sculs avaicut agi; le motif de
leur soulevemeut était puremcnt déíeusif contre une mesure de
la Convcntion, hlaquelle ils nc voulaieutpas se soumettrc. ~lais,
apres la prise de Cholet , les Vendéens virent bien qu 'il fallait
donner une plus grande importance ~l leur insurrection et la re-
gulariser, Ils parcoururcnt done les chñteaux, demandaut au petit
nombre de gentilshouuncs qui restaieut de se mettre a lcur tete.
MM. d'Elbée et Bonchamp, tous dcux auciens officiers, prirent
le conunandement. Dans le Bas-Poitou I'insurrcction s'était éten-
due de Foutenay ~t Nantes, d'abord sous les ordres d'un nommé
Gaston, pcrruquier, et puis de M. de Charette, Le, mouvement
s'organisait avcc heauconp d'eusemble. lUJ1I. de Larochejaque-
lein et de Lescure lui donnerent une impulsion toute royaliste
et religieuse ; la cocardc hlanche et la croix devinrent les signes
révérés des Vendéens. Di's ce moment , la guerre civile la plus
sanglanteet la plus deplorable fut organisée, Les bleuset les bri-
qasu!« dcvinreut les dénominations par lesquelles les répuhlicains
el les relldéens se <I{'sig'lIi'rent nuuuellcment. La Vendée fut en-
sanglautóe ; des combats doutcux , des victoires disputées , des
traits sublimes, et surtout du sang Iraucaisrépandu hgrands 110ts,
voilá le spcctaclequ'oflrirent ces contrées! Tous ceux qui ont le
souvcnir de ces temps de desastres pcuvent dire quel sentiment
inspirait cettc luttc aflrcuse ! Qui aurait pu appeler de ses V<.BUX
une rcstauration opérée par cctte épouvantahle guerre chile!
Pouvait-on souhaiter le triomphe du partí des Stofllet et des
Charcttc pour orgauiser ensuite un gouvernement sur ces bases.


La Constitution si épouvantablcmentéuergiqno de 1793, les
moycns terribles dn Comité de Salnt puhlic, Iajoumée du 31mai
el la proscription des Girondins nvaicnt produit en France une
commotion violente. L'esprit de Iédéralisme s'était partout éten-
<In, en Nonuandie , ¿t Lyou , dans le Midi, h Bordeaux, aMar-
sr-ille , ü Toulon. Le príncipe de ce mouvement n'avait ríen
d'ahord de royalistc , c'était une résistance pnre el simple ;1 la
tvrauuie de la Convention uatlonale , un appui oílert aux députés




8 mSTOTRE I>E LA I1ESTAITnATlOl\.
proscrits et fuyant la mort.T,« partí <le l'émigration manqua tou:
jours ~I ses destinécs , paree qu'en s'asscciaut aux rnécontents ,
<fuelles que fusscnt leurs couleurs , il voulut immédiateruent leur
imposer son esprit, sans adopter aurune des conditions nouvelles
de la société, La Ilestauration , depuis 1789, unie aux Vcndécns
comme aux répuhlicains ombrageux , s'était toujours présentée
avcc la monarchie de 1787, sans considércr si, par cette inflcxi-
bilité de son principe , elle n'éloignait pas d'ellc des bras qui au-
raient pu la scconder. Le mouvcrnent fédératif n'cut ríen de roya-
liste dans son origine; les armées départcmentalcs furent créées
au profit de la Gironde, contre la Constitution de 1793 ct les clubs
qui cffrayaicnt la partie paisiblc de la population. A Marscillc , Ü
Toulon, aBordcanx , ü Lyon , re fut d'abord une gnerrc entre les
scctions et les clubs ~I l'oeeasion de l'acceptatiou ou du rcfus de
l'organisntion révolutionnaire. .:\Iais lorsque la rupture fut com-
plete entre la Convention ct les départomcnts soulevés, les roya-
listes arriverent pour faire profiter de ces divisions la cause des
Bourbons qu'ils défondaicnt. A Marscille l'armée départcmcntale
se placa sous le commandement de JI. de Villcncuvo , émigré ,
si bien que Iorsque le députt~ Hohecqui , proscrit , arriva dans sa
villc natalc , la douleur qu'il éprouva de YOir le partí royaliste
triomphcr , le determina au suicide. On trouva son corps a In mer,
Cependant , ~l JIarsC'ille, on n'cut pas le temps de prendrc les
couleurs des Bourbons el de proclamer Louis XVII. Lorsque Car-
tC:IUX y erriva , la lutte était encere dans toute sa force
eitrc IC's scctionnaircs ct les cluhistcs. A Toulon , Ie.: rovaiistcs
prircnt en main toute la dircctiou ; 1(' drapean blanc Iut a1'1>01'(' ct
Louis XVII proclamé , tandis quc l'arsenal d('H~Ila i1 la proi« des
Anglais el des Espagnols, MO}\~JEml devait y établir le sirge de
son gourernenwnl : sa prudenre , les ohstaclcs que 1l01lS aurous
a raconter, el surtout les rapides suec('s <1(' l'anuée de Dugun-
mier, clllpt'ch<"rent I'arrivóc du chef de la Iamille des Bourbnns
sur le tcrritoirc de la répuhliquc. J". de Pr('cy d(:felldit 1 von au
nom du régont. Les ('lIligrt's avaient depuis lougterups compll'
sur cette ville , el, dans tous les plaus d'invasiou ou de COIIII'{,-"




CHAPITRE J. 9
l'l'Yolulion, ilsla fnisaicnt entror ('01111n(' hase de lenrs opératlons
militaircs ou de lours intrigucs ; dans la Normandie ct la Girondc,
lesdéputésproscrits voyaion t aH'C douleur qucls dessei ns les roya-
listes avaient cachés sous 1(' prétexte de la résistancc naturcllc ü .
la tyranniode la Convention. te partí de la Gironde fut rcpoussé
commc la révolution méruc. L'émigratiou se montra telle ({U' elle
avait ronjours N{'; aussi ses forres diruinuerent-cllcs , el la Con-
vention Iut bientót mattrcssc d'une résistance qui se séparait do
l'opinion ct dr la Francp.


J,C's événcmeuts marchcnt : mais il Iaut que jc revicnne un
}WU sur les temps, ])I"s (lile )lO.\SIEUl (comtede Provence) cut
qnitté le sol de la France , il prit eu maiu la direction des mou-
vcments extérieurs contrc la révolntion franraisc , ct de ce qu'on
appelait les tentatircs pour opércr la rcstauration de la monar-
chic. M01\SlEliH n'avait pas de qualité ofllcicllcmcnt reconnue
par les cabinets; il n'était ¿l lcurs FUX que le Irere ainé du roi
Louis XVI. On l' accueillit avcc dúíércucc , conuue on lH ait fait
pour lecomtcd'Artois; maisles rapports politiqueacontinuerent,
COIllIlH' par le pass(';, avpe la rour des Tuilcrics. L'agcnt sccret et
de confiance de Louis XVI, ~1. d(' Brcteuil , était le seul aceré-
dité aupres des C011rs de l'Europc pour les uííaires de la monar-
chic Iraucaise. Cepeudaut i\IOl\'SJEUR, peu satisíait de cctte
position équivoquc , no ccssait d'agir aupres des cabinets
étrangcrs pour se faire rccounaitre sous un titre officiel qui püt
devenir un centre COmUHIl1 d'action. :UO:\SIELR propageait, au-
tant qu'il le pouvait, l'idóe que le Iloiétait captif, el que, par
conséquont, il fallait établir une régenco. En réponse h une
lettrc qu'écrivait Louis X VI a Louis-Stauislas-Xavier, prince
francais, Irere du Hoi, )IONSIEUR répoudit : (( Sire , mon frere
etseigneur, JI. de Vergcnncs m'a rcmis de la part de Votre l\Ia-
jcsté une lettrc dont l'adrcsse , malgré mes noms de haptéme qui
s'y trouvaicnt , cst si Ill'U la micnne , que j'ai pensé la lui rendre
sans l'ouvrir ; sur son assurancc positivo qu' elle était pour
moi, je l'ai ouverte, et le nom de frerc , que j'y ai trouvé , ne
m'avant plus laissé de doute , .lr l'ai 111(' avec le rcspcct que [e




10 mSTOIRE DE LA RESTAVRA'rIO\.
dois a I'écriture et au seiug de Votre )Iajesté. L'ordre qu'ellc
contient de me rendrc auprcs de Votre 11ajcsté n'cst pas l'cxpres-
sion libre de sa volonté , et mon honncur , mon devoir, ma ten-
dressc méme me déícndent égak-ment d'v ohéir. »


Ces distiuctions , posees par )1. le comte de Provencc ,
n'étaicnt point admises par les cabincts séricuscmcnt préoccu-
pés de la révolurion francaisc. Louis-Stanislas-Xav ier ll\ ait heau
invoqucr les letrrcs-parcutcs d'institution de régcncc que Iui
avait d(~li\ récs son frerc le Goctohre lors du rlépart de Yersaillcs
pour Paris , ces Icttrcs avaicnt {'1{~ de fait annulérs par le 1'('tOUI'
de LouisXVlet I'acccptatiou de la Constitution de 1791. Tdlc était
l'opinion du liaron de Bretcuil ot des ministres des cabinets étran-
gers. Apri's le 10 aoüt, de nouvclles dómarchcs Iurcnt Iaites aussi
inutilement, la captivité du roi LouisXVI était récllc au Tcmplc ,
mais les sollicitations de l\lO:\SIEtll ne trouvórent appui que
lorsque la catastrophc dn 21 janvier 179:~ cut appel<" Louis xvn,
mincur , a la couronne dc Francc. Ce fut alors que le comte d' .\n-
traigues publia son famCJ1X :U{'moire sur la régcuco , qui lui Ya-
lut toutc la confiancc de M(t\SJEGII.J<:mmanud-Louis-j lcxandrc-
Delannay , comtc (L\Il1I'aiglH's, avait {'1(~ d{'pU1{~ de la uoblcsse
aux f.:1ats généraux, JI s'y était distinguú par une séric d'ócrit»
pleins d'érudition ct de sagacité sur l' origine de ces états. :\Iais,
apres la prise de la Bastille et le mOUH'IlH'nt rapide de la révo-
lution , le comte s'était nssis a droite , et avait votó avcc les mcm-
hres les plus ardeuts de ce coté de i'asscmbléc. Il quina la Franco
en févricr 1790 et se retira en Suisse , oú il écrivit plusieurs hro-
chures en faveur de l'émigrntion. L'une d'cutre elles, sous le ti-
trc : Tout ou rien, lui avait gagné l'attr-nrion des Prillces. (;'é-
tait une áme ardcnte , mais tempóréo par une raison froide et de
véritables lumicrcs. te comtc d'Autraigucs avait un bcsoin
de 1110UYClllent qui le rendait propre Ü conduiro les aílaires
de l'émigration, le lUémuire de lU. d' Antraigues sur la ré-
gcnce fut publié ;\ NeufchfltC'1; il Y était dit : « qne le ponvoir
legitime, que la liberté de Louis :\.VI avait cessó du jour U1l l'As-
scmblée nationalc prononca l' exécrahle serment de ne plus J'('-




ClL\PITHE 1. 11
connaitre au Iloi le pouvoir de la dissoudre, En fait de régence ,
il demeure prouvé qu'il Iaut s'en rapporter a la loi fondamen-
tale, et que cettc loi veut qu'eu eas de minorité ou d'cmpéchc-
ment du Iloi, la régcnce soit déíéréc au plus proche parent. Et ,
en eonséqucnee, l\lO:.\SlEUll, frero du Iloi, a ohéi aux lois Ion-
damentalcs en preuant le titre de régcnt , en imitant Charles V
et Charles VU, et en se prorlamaut seul et sans aucune autre
iutcrvention le l('gi time admiuistratcur de l' cmpire pendant la mi-
norité de Louis .x.VIL Au licu de blámcr l\ION5lECR de s'étre
emparé de la régencc aprcs l'assassinat de Louis XYI, c'cst d'a-
voir ditT{-n:' jusqu'a ce moment d'obéir aux lois de l'État qu'il aura
ase justifier aux yeux de la postérité. La loi était precise. I...a pri-
son du Iloi était manifeste dcpuis le 6 octobre t 789. Des eet in-
stant , l'cxercicc de la royauté était dévolu au plus- proehain hé-
ritier de la couronue. la prison de Louis XYI , martyr , était
millo fois plus rigoureuse quc cclle de .J can, prisounier d'Édouard,
quaud CharlesVse déclara régeut. Maintenant que sous le glaive
du régicide rcposont les tetes les plus sacrées , que le jeune Iloi
ll'apel'(:oit autour de lui f[Ue les assassins de son pere , c'est pré-
cisémcnt dans ce morucnt dillicilcque le l('gi lime régent de Frunce
doit en réclamcr le titre; c'cst lnrsquc tout est perdu qu'il doit
espérer encore ; c'cst lorsque les luis sont anéanties qu'il doit at-
testcr par son exemple lcur indestructible empire, Ainsi se con-
duisit Charles Y1I, ainsi s'est conduit J{Ol\SlEUR; et on ose im-
prouvcr en lui un acre de courage dont ses augustos ancétres lui
avaicnt donné l'cxcmplo ! 11 aurait dü , dit-ou , aüeudre la re-
counaissancc des Puissauces ; non, il dcvait la prévenir. Les Puis-
sanees pcuvont ignorer nos Iois ; c'cst ü l'héritier du trónc ~. les
lcur rappcler, c'est ¡. luí ~, lcur dirc : Le Iloi ne meurt jamais en
Franee; il vit en Louis XY JI, el il agit par moi , l('gilime régcut
de son empire. ) Ce 'I(~lI1oire était destiné tout ~, la fois ~, eon-
vaincre les émigrós (I('VOll('S au comtc d'Artois , qui nc voulaieut
pas de la régence paree qu'elle allait centraliser les intrigues et
les aITaircs dans les maius de l\lo.\smcll, et les cabincts étran-
gors , qui , dans leur dessciu de conquctc et de partage de la




12 IIl5TOIHE DE LA HE5TALlL\llU\.
Francc , s'opposaient ü l'adoptiou d'un titre royal en Iaveur d'un
mcmbre de la Maison de Bourbon. Les émigrós s'entcndircut ü
la fin. L'autorité fut ainsi divisée : le eomte d'Artois recut la di-
gnité de lieutenant-général du royaumc , et l\lONSLEUH celle de
régent, 1..es Royalistes reconnurcnt ces deux titres, Ils furent mis
ü l'ordre dans I'armée du priuce de Condé.


Quant aux cabinets étraugers , le conitc de l\loustiers se char-
gea de la négociation. Il lui fut ordonné par JIONSLEUH de dé-
montrer aux cours l'urgence d'organiser un centre commun pour
diriger le partí royaliste en Franco. Une premiére conférence OÚ
assistaient le duc de Brunswick , le prince de Hohenlohé-Kir-
ehebert, le prince de Nassau et le marquis de Lambert , ne pro-
duisit aucun résultat. Les négociatlons se poursuivirent avee pcr-
sévérance. L'impératricc Catherine reconnut la régoncc , el ac-
crédita le comte de Homansow, Les nutres cahinets ne Iurcnt
jamáis franes dans la reconnaissance de cette qualité, Il Ycut hé-
sitation et tátonnemcnt. JUONSLEUH, devenu régent, apres avoir
séjourné quelques mois en Allemagne , vint habiter Véroue. Il y
forma, de sa eour, un conscil de régence composé de JI. le duc
de la Vauguyon, du baron de Flachslandcn ct du marquís de Jau-
court. lU. de la Vauguyon, de la famille des Quelen, homme d'cs-
prit et de manieres, était Iils unique du due de la Vauguyou ,
gouverneur des Enfants de France. II avait porté le titre de duc
de Saint-ñlégriu , et fait la gucrre de Sept-Ans ; l'un des mcnins
du Dauphin, depuis Louis XVI, il fut successivement nmbassa-
deur ~l La Haye, ministre des aflaircs étrangeres , puis ambas-
sadeur ~l Madrid; il avait acquis uue ccrtaine réputation d'habilctó
diplomatique , mais au fond peu capahlc d'aílaires , se piquant
d'insouciance ct d'originalité. On lui dcmandait un jour son sen-
timent sur la révolution francaisc , il répondit : « Je ne suis pas
ennemi de la liberté et de l'égalité. Jc suis cosmopolitc. ) Son
fils, le prince de Carcucy, prodigue, spirituel, instruit, rcmplis-
sait alors la Suisse et l'Italie de sa célébrité aventureuse. Le ha-
ron de Flachslaudcn et le marquis de Jaueourt u' cxcrcaicnt (IU'une
iníluence sccondaire, Tout sc Iaisait directementpar le duc de la




CIIAPJTHL 1. 1;)
l'auguyon , OH confidcruiclk-mcnt par le couue d',\va1'ay, l'ami
intime du régcut , mais qu'il n'aimait point ¿I méler dans les
aflaircs. te prin ce de Broglic avait en un moment le miuistere de
la gucrrc , mais il avait des rapports plus directs avec la partie
active de l'érnigrr.tion ct l'arméc de Condé. L'homme important ,
l'homme agissant ótait le comte d' Antraigues. Le régent lui avait
ronfié la cor1'espondancc ~\ l'íntérieur. JIavait organisé les agences,
rondé les associatíuns en Franco. L'on peut dire qu'il y mettait
un zelc et un dévoucmcnt rcmarquablcs. lU. de i\Iontgaillard
n'avait point encere oflcrt ses serviccs. l\DI. de la vauguyon et
el' Antraigues Iaisaiervt tout , et ils avaient la coufíance entiere du
régcnt, Au reste, une foule d'iutrigauts , de courtisans se prcs-
saicnt autour de ce pouvoir déchu, C'était un trafic d'argcnt ,
une vóritable exploitati on des suhsidcs de l'Espagne , de l'An-
gletcrre et des nutres P'uissances.


La cour de M. le comte d' Artois était cutiercment sóparée de
colle du rógent. Il y avait mémc de la jalousic, de la haine entre
ces dcux íractious ómigrées. ]U. le comte a'Artois suivait les avis
de M. de (Ialonuc , son favori. Hicn ne se faisait que par la co-
torio de ce ministre. Le co.ut« Franrnis d'J';scars, le marquis de
Iliviere , le comtc Jlelchior -dc Polignnc étaicnt dans les amitiés
et dans les Iaveurs du priucc. Il trouvait daus ces nobles íavoris
des agents pour répondre 11 I'activitó incessante de son esprit.
JI. le comte d' Artois , innuéuiutcment apres avoir reru le titre
de lieutenanl-géMral du royanme, se dirigen sur Saint-Péters-
bourg , d'apres l'invitation de I'impératrice Catherine. Il y fut
rcru av ce honneur ; ruais son st"jour dans la capitalc de la Ilussic
laissa une Iáchcuse impressinn su r son caractere. 11 s'agissait de
lui coulicr 30 000 Ilusscs , que les subsides de l'Anglctcrrc de-
vaient conduire sur les cótes de Bretagnc, pour scconder les von-
déens, ~lais le comre cl'Artois monrra si peu d'cmprcssement ,
que le princc Eslerhazy au nom d(' l'Autriche et le comte Platon
dl' Zowbow, Iavori (le I'impératricc , abandouncrcnt ce projet.
TOlltl'Íois, pour cxciter le caractere chevaleresque du prince ,
caracterc dout on parlait alors , Cathcrine lui donua une épée


1. 2




1h lIlSTOlRE DE L\ BESL\UL\llO;\.
dont la poiguée était garnie en diamants el lu i dft : « Que ecuo
épée vous ouvrc le royaume de Frauce , comme ~\ !lIenri IY, votre
aieu]. )) te eomte répoudit : (( Jc vous jure qun je me rcndrai
digne de la haute opinion de Votre Majcsté Imp érialc. ») Que lit
ensuite l\1. le comtc d'Artois? Arrivé a Londres., il vcndit l' épée
donnée par l'impératrice l~ 000 liv. sterling , qu'il cmploya en
des secours généreux cnvers l'émigration, L' l'lpée u'avait point
été remiso pour faire des actos de hienfuisann«, mais pour con-
quérir un royaumc !


Le régime de la Constitution de '1 n.l:> avait si violcunucnt tendu
les ressorts, si cffroyahlcmcut mis en jcu la machine du gomer-
ncment , qu'apres la chute de Ilobespierre une réaction vive ct
caractérisée se manifesta centre la Ilépuhliqu«..La révolution faite
au sein de la Conventiou natiouale el des Comités n'avaít ricu de
royaliste ; les hommes qui l'avaicnt tcnté« avaicnt donué des gagos
sanglants ala Terreur : tous étaicnt régicides ; mais ceux qui font
un mouvemeut n'en prévoient jamáis \a porté e , il eutrainc tou-
jours au dela du but qu'on se propose : le 9 thcrmidor ouvrit la
porte aux plus eflrayantcs réactions; Irl Convention, les autorités
constituócs , tour fut poussó par les -11018 de l'opinion publique,
"\pr('s le 9 thcnnidor, le royalismc ün une mude. Lcsjeuncs gens
de París et des provinces n'osaient point ouvcrtcmcnt porter la
cocardc blanchc : mais des signes les distiuguaicut ; les cadc-
nettes , les habits a collets longs el rabauns , le nom de Jlusca-
dius les séparaient des Itépublicalus , désignés par I'épitheto de
Tcrroristes, Aux théátrcs , au Palais-lloyal , on poursuivait les
patriotes des cris de proscriptiou ct de l'air du Bccci! du Pcuplc,
II y avait chaque jour des cornbats sanglauts entre les Jacobins
et les jeunes gens de bonne compaguie. Dans les réunions, dans
les hals , les dauics n'accueillaient que ccux qui avaient cassé
au moins un bambou sur les {'paules d'un patriote ou d'uu Con-
ventionnel, Partout, danslc )Iidi, s'étaient organisécs des handes
ardeutcs comme le climat de Provence ; sous le nom de Conipa-
gnie de J CSUS ou du Solcil, elles massacraicnt les Ilépublicains,
Avignon avait vu vcuger ses gluciercs, :'larseille était témoiu




CHAPITRE 1. 1.'5
d'un no.uveau 2 septembre, dans le fort Saint-Jean ; Fréron,
Coudroi , Durand - -'laillane, avaicnt enflauuné de l'csprit
d'uno cruellc réaction , toute la jeunesse méridionalc, Chaque
[our la Convention écoutait en frémissaut le récit de quel-
que nouveau massacre , non plus au profit de SOl} pou-
voir, connne les mitraillades de Lyou , de Touloll, mais pour le
triomphe de la cause proscrito. La Convention avait été forcée,
par l'opinion puhlique , de rappclcr , par un décret général , les
p':oscrits du 31 mai , journéc íatale ~\ la Gironde; la porte était
a.insi ouverte ¿\ l'émigratiou. SOIlS le pretexte qu'ils étaient Yic-
'times de cette proscrip:ion répuhlicaine, une multitudc de roya-
.Iistes étaient rentrés en Franco ct s'étaicnt fait raycr de la liste
des élllig1'és ; l'un prenait un ótat manucl pour mieux cacher son
origine, l'autre eherchait ¿\ se pousscr dans l'administration pu-
blique. Ainsi, le r(~g('l1L, alors ¿\ Yérone , le comte d'Artois, le
princc de Coudé , avaient des amis dans les districts de departe-
ments et dans le seiu méme de la Convcntion. Les asscmhlécs pri-
maires s'étaient réunics pour l'acccptatíou de la Constitution de
l'an IIJ.L'<·sprit puhlir: s'y manifestai! contre la Convcntion ct
en favcur du royalisiuc. La section Lcpcllcticr, qui mcnait toutcs
les autrcs, vovait chaque jour des orateurs excitcr les ciiovcns ¿\
prcndrc les armes; la gardo nationale de chaque scctiou était par-
Iaitcment disposéc ü soutcnir ce mouvcment. l\Dl. Richcr-Sé-
risy, Lacretellc , en étaicut les oratcurs ; OH suivait leur impul-
SiOH de guerrc centre la Convenrion uatioualo. Le pretexte portait
bien sur des griefs constitutionnels, mais le fond de tout le mouve-
ment était royalistc. Derricrc les droits de la souvcraincté du pcu-
ple qne l'on défendait , se montraicnt M. le comtc de Provcnce ,
sa cour ct ses agcuts ; c'était l'csprit de l'époque.


Il n'y avait qu'un grand mouvemcnt qui pút délivrcr la Con-
vention OH faire triompher la cause royaliste. Il fut tenté le 13
vcndémiaire, Que scrait-il arriv é , si la rcstaurarion s'était opé-
róe ¿\ cette époque ?Elle u'aurai t pas duré trois mois. L'emigra-
tion, encoré toute Iralchc, serait arrivée ayer ses prétentions et
ses préjugés vivaces. La révolution , que le régimo de l'Empirc




16 msromr DE LA UESTArnATIO:\.
u' avait \)oint ene ore assounlie , aurait O\)\)O~l~ son éner\hk', el S('S
forces , ct dans une crise nouvclle la famillo des Bourhons , peut-
étre tout entiérc , aurait disparu, Le royalismc de 179:"i était plu-
tót la haine du régime de la Torreur , qu'un cuthousiasme et un
dévouement pour la noble famille. ]·:tsi, daus les temps paisíbles
de la premiere Ilcstauration de 181[¡, les Bourbons commirent
des fautes , quelles plus grandes leur étaicut réservées , ~l une
époque oú la Ilépubliquc avait conservé ses males caracteres: !
Napoléon n'avait point encere ramolli ces crünes sous son gan-
telet de fer.


La situation des esprits en Frunce avait fait penRer aux
chefs de l' émigration que le nunncnt était vcnu de Irapper
avec énergie et de sccondcr les mouvcmcnts de I'intérieur. OIl
a vu que le comte d'Artois , dans son voyage de Ilussie , avait
recu la promesse d'un sccours de 30 000 Ilnsscs, que l'on
transporterait sur les cótcs de la Bretagne ct de la Normandic ,
pour opérer, a l' aido des Veudéens et des Chouans sous les or~
dres de 1\1. de Puisaye et de Charette , une diversión sur la
capitule. Le cabinet anglais, craignant de He point obrcnir I'as-
scntiment du Parlemcnt pour les suhsidcs ,'"vait renoncé ~l un
si coütcux transpon de troupes étrangeres. On arreta scnlement
qu'une tlotte réuuirait les régimcnts émigrós au service
d' Auglctcrrc , ainsi que quclques troupes britanniques, et
qu'on les débarquerait sur les cotes de Nonuandic ct de Bre-
tagne , oú 50 ou 60 000 Yeudccns devaient les joindre. I'our
donner plus d'importance et d' cfficaciré ~I cette expédi tion, les
Priuces francais dcvaieut se mottrc ~I la téte des corps de déhar-
quement. On le proposa ~I lU. le comte d'Artois , qui accepta.
D'apres les renseigncmcnts fournis par ;U. de Puisaye , rien
n' était Iacile connnc le SUCcl'S de ccue cxpédition. La Bretagne,
oú l'on devait d'ahord marcher, avait rccu une forte organisa-
tiun royaliste. Ala tete de l'administration se trouvait un conseil-
général de Bretagne , dont la juridict ion se divisait en quatro
arrondi5scmellts: le Mürhihí\l\, l'Illc-ci-vílaine 1 les C6t('s-du-s
Nord rt le Finistere. el'S quatre arrondísscmcnrs fcrmaicut




CHAPJTRE 1. 17
quarre armées , sous les ordres de Georges Cadoudal , de Puy-
save , de Stoíllet el de Scepcaux. Elles se suhdivisaieut en com-
pagnies de paroisse el de canlon , chacuue sous un chef militaire,
Ces mémes divisions se produisaient pour l' organisation civile,
(fui obéissait au couscil-géueral , composé de treizc membrcs,
en systeme d'étroite snrvcillauce répondait de la Iidélité des
ongagcmcnts, La Ycudéc , la Normandie , avaient également
reru leur organisation. Le comte de Puisaye avait rédigé avcc
beaucoup de soins une proclamation au nom du jeune roí
Louis XVII. « Il vcnait centre cette Iaction parricide (fui,
depuis cinq ans , avait causé tant de malheurs, S'il est vrai que
l'esprit de modération el de justice guido ceux qui s'intitulcnt
les représcntants , pourquoi n'ont-ils pas rappelé dans le scin de
leur Iamille el rétabli dans la posscssion de leurs droits et de
leurs biens cenx que la tyrannie a Iorcós de Iuir ? Pourquoi cct
intéressant el augusto rejcton de tant de rois , le fils du malhcu-
reux Monarque u'est-il pas rendu au tróne de ses peres , et
environné de ses gardes el conseils uaturels ? Pourquoi cetro
re1jgion sainte , qui de¡Hlis qualol'zP sit'c!es a fait le bonhcur et
la consolation du pcuplo , u'est-cllc pas r{'!ahli{' dans la pleine
liherte de son cnlte N l'cxercicc public de ses ministres! » Lo
hut de l'cxpédition de Quiberon était done determiné : c'était un
Iíeutenant-général des armécs du Iloi , commandant de l'nrmée
catholique et royalc , qui venait pour rétablir les émigrés dans
lcurs droits et hions, rcstituor le tróne ;1 Louis XVIl , et ;1 la
religión carholique toute sa puissancc, Cctte expédition nc POll-
vait réussir : elle devait trouvr-r trop d'ohstarlcs. .vucnnc con-
cession n'était faite ;1 la marche des tcmps ; c'était la centre-
tévolutiou plciu« I'l ('nti('re.


Le prcmier dóharqucmcnt Iut malhenrctrx pour les Itovalisros,
refoulós HTS la 1IH'l' par les H('pllblicaills; el c'cst al! hruit du
canon retentissant sur la IH'CSIIll'J1(', au momcnt oú 1'0n apprc-
nait la mort du roi eníant {'( la proclamation de Louis ,"YJH,
([t\(' M. le couue d'_\rtois viut ;1 l'Ilc-Dicu. Son Altcsso
HOF\k, en s'cmbarquant ;\ DOll\TCS, avait pris I'cngagemcnt d{'




iR mSrOIRE DE tA RESTAUflATJON.
desccndr« en Bretagnc , pour se. mcttre a la tete du mouvcmeut
royaliste. On comptait en eflet beaucoup sur la présonce d'un
prince de la famille des Bourhons, pour élcctriser les pOllu-
lations dévouées. te comte d' Artois avait annoncé , dans
les salons de Londres , qu'il marcherait sur Paris , avec ses
Iidelcs Vendéens et Bretons, Des qu'on sut dans le conseil-
général de Bretagne et de la Vendée l' arrivée de M. le comte
el'Artois ¿l l'Ile-Dicu , on se háta de lui députer lU. de Yauhau ,
l'un de ses membrcs , et qui avait le titre de maréehal-des-
logis-général de l'arméc catholiquc et royale, M. de Vauban
avaitlongtemps compré parmi les offlcicrs de Son Ahcsse Royale;
il était porteur d'un arrété ainsi conru : « Le conseil-général
eh il et militairc des armées catholiques el royales de la Breta-
gne , arréte : 1\1. le comte de Vauhan, maréchal-dcs-logis de
l'armée , sera envoyé aupres de JI. le comto d' Artois , pour Iui
donncr les renseignomcnts qu'il pourra désircr sur la situation
du royaume. J) )1. de Vauhan se rcndit en efIet aupres de Son
Altesse Iloyalc. 11 était tard le prcmicr jour, el il nc pUL s'en-
trotcnir avec elle que des objcts HlgUCS el g{'n(TaU\ de sa mis-
sion. On lui demanda quclles ('taienl 1<08 forres (les Iloyalistcs. On
comptait 120000 honnucs ; [)OOOO étaicnt annés de Iusils de
munition , 100()ü étaieut mal équipés ; le reste n'avait pas
d' armes. On ne Iaisait point en trcr encore , dans ces calculs ,
les lcvécs du jeune comte de BOUrIIlOllt, sous :,1. de Scepcaux ,
son g{'néral, et l'arméc de Xormandie , SOtlS ;\1. d(' Frotté, V·
lcndcmain , JI. de Yauban reviut cJl('Z ,'l. le ('omtc d';\l'tois.
« Avoucz , mon chcr comtc , luí dit Son Altcssc Hoyalc , que
vous avcz commis une grande indisrrótion , en Iaisaut IIll si pom-
peux étalagc des Iorccs de la Brelagne et en exaltant si fort
l'importance de JI. de Puisayc. - Ce!a cst vrai , mais Yotrc
Altesse lloyale se trompe en qualifiant cctte conduite d'indis-
crete. Ce langage cst rour moi un dcvoir. JI faut rendí e justice
Ü un hmume si dévoué ü la canse royaliste.- Jlon cher comte ,
quand tn me parles de ,1. de Puisaye , tu me préseutcs la l(~le
de Ilobcs.iicn e, .1: Be 1eux avoír \\UClIUC conííancc en cet




ClTAPITRE r. 19
hommc-la. Quand jc te dis d'aller en Bretagnc , je pensáis qne tu
m'cn dóharrasscrnis. - Yotrc Altesse lloyalc se trompe cncore sur
le comptc de M. de Puisaye. Pcrsonuc n'a rendu plus de services.
Comrnent se fcrait-il qu'oílicicllcmcnt JI. de Puisaye fút revétu
d'un si grand pouvoir et qu'il inspirñt intéricuremcnt si peu de
confiance? - Je trouve bien élonnant, reprit le coarte d' A.rtois,
que M.. de Puisaye se permcnc de donner une si grande quan-
tité de grades dont il s'érige le dispensateur, - Tout chef qui a
des honuues it organiser est ohligé de conférer des grades, qui
d'ailleurs ne sont dounés qu'avcc l'asscntiment du cOllseil-gén(~­
ral, - Et que] est ce conscil-général? Des créatures de JI. de
Puisaye, qu'il prend el choisit ü sa volonté ! - Jlais ces noms
sont portés par des personncs intelligeutes el dévouées ~l votrc
cause; ce que nous JHHJS le plus ~l déplorer, c'est la división qui
existe entre Charettc el Stoíllet. -.le Ieur ai écrit de se rae-
commodcr. - Cela n'a pas suíli ; les divisions cxistent.-l~h
bien! que fairc?-Votre Altcsse Itoyale n'a qu'un partí ~l
preudrc , un seul : c'cst de se mcurc ~l notre tete. Ce n'cst
pas de Ioin <]11(' 1(' Boi l't 1t's Prinrr-s pourront diriger les
factions. venez agir et rmuhattrc , \011:\ tout le sccret. » En
muuc temps le couuc de Yaubau remit au cointe d'Artois une
lcttre du conscil-gónéral ainsi concue : « Tout délai Ilétrirait
votre gloire. Votre .\ ltessc ltoyale ticnt dans ses maius la COll-
ronne de son fr{'rt'. Elle IH'lIt la placer sur la tNc du Hoi, ou la
laisser tnmhcr :\ 1('1'1'(', Si, apn"s avoir parll sur la cóte , Yotru
Altessc no~ ale 11(' déharquait pas, les ltoyalistes serout plongés
dans la plus grall(le constcrnaí ion. La préscncc du Princo
pcut el doit tour sauvcr : il sera recu :\ hras OUHTtS par
des Iorccs imllll'ns('s.)) J,(' couuc d'Artois demanda vingt-
quatre heures pOllr réíléclnr sur ccttc Icttrc. Le lcndcmaiu
~l. de Vauban re, int. « ""on chcr comtc , lui dit Son Altesse
Iloyale, je truuv« ('('!le I('un' trop pronoucée , trop impérativ«.
El/e me réduit au plus grnnrl embarras. Est-elle transcritc sur le
J'('gisll'(, des délihórat ions? - Oui , ainsi que toutcs les délibú-
rations,- Eh bien! il Iaut qu'on m'cn écrivc UIlC nutre moins




20 mSTOInE DE LA RESTACHATION.
forte, ct qui me laisse plus maitre des circonstanres. - Daus
une mission aussi importante, le premicr devoir est de parler
¿l Yotre Altesse Iloyalc un langage éucrgique el vrai. - Copen-
daut , dit le comte d'Artois avec lnuueur, je no veux pas aller
chouanner, Mais, s'il le faut, je saurai prcudrc un bateau et
me faire jeter sur la cóte sous deux fois vingt-quatro heuros. -
Ce n'est pas ce que nous désirons, Yotre Altesse Ilovale doit y
étre recue par des forces consiMrabl(ls.- Ditcs-iuoi , nion cher
comte , en que! licu nous pouvons débarqucr ? Je ponsc que
l'entrée de la Vilaine est la co1<' la plus convcnable , COUH'rte
commc elle le sera par une arméc de Iloyalistcs. JI


Sur ces paroles , le comte d'Artois rompit la conversation , et
rcmit aquelques jours ,,1. de Vauhan, en l'invitant a [aire ses
préparatifs, Le lendemain le prince l'cnvoya chercher de nou-
veau ; des qu'il l'apercut, il vint a lui : « Vous me voyez ,
mon cher comte, dans une grande agitation. Un cuttcr , arrivé
cette nuit <1' Angleterrc , m' a apporté les ordrcs pour l'évacuation
de l'Ile-Dicu , et me rappelle immédiatr-mcnt dans la Graudo-Brc-
tagne. Je ne puis done pas attcndrc plus Iongt('J\Ips. 'úms anrous
deuiain matin une conversatiou pOllr \OIlS en dire les motifs. _
Si Votre Altesse Iloyalc qnine la cótc , le d(lsespoir s'cmparcra
des Iloyalistcs. - Que Iaire , mon clicr comtc? iI n'v a pas
moycn de ne pas ohéir. » Le lcndernain ;\1. de Yauban étant re-
tourné ahord du cutter, ;\1. le comte d'Artois ajouta : « Je suis
cxtrémement pressé ; les Anglais IH' me donuent qm' Cjne!(i I1 CS
moments. Voilh, mon cher comte, vos inst rurtions. Di tes aux
différcnts chcfs royalistes que je hrülc (le 111(' lIH'ttreak-ur 1l~1(';
qne cet événcment ne retardera (iue de 1)('11 (/e momonts cclui 011
je rcmplirai leurs \WUX, mais je nc puis luttcr contr« la volonré
impt.'ricuse du gouvcrucmcnt all~lais.» Dcux lcttrcs Iurent /Jl-
suitc remisos par Son Altessc ltoyalc ; «llcs contcnaionr 'les
instructions pour son prochain déharqnemcnt, Les rommissairps
de l' arméo rnyalo apprircnt le lendemain qne M. le coiuto d'Ar-
tois , abandonnant l'Ile-Dieu , ótait rotournó dans sa rctrailc
d'Édimhourg. M. d(\ vauban ~ "ppelé cfllel(IlH.'s jours apres ;\




cn\ r rmr r. 21
.Londros pom les affaires du ronscil-général de Brctaguc , se
trouvait avcc 1\DI. les conucs de Woronsow ct de Starcmherg ,
ambassadeurs de llussie el d'Autriche, Il exposait dcvant cux
l'étonneiucut que lui Iaisait éprouver la conduite du gou-
vcrucmcnt britanuiquo , qui avait dépcusó plus de 25 iuillious
pour ccttc expédition et favoriser le déharqucmcut de :U. le
comte d'Artois , qui , ensuite , l'av ait fait avorter en rappelant
immédiatcmcnt Son Altcsse Ilovalc. les dcux amhassadeurs se
regardaicnt d'un air rnystéricux et moqneur. .A la fin, M. de
Srarcmherg , s'adrcssant ~I JI. le comte de "'orowiow, dit : « Il
faut bien le lui apprcndrc , puisqn'il IW le sait pas; cal' il yerra
les ministres et nc sama pas d'apres quelle base se conduire
arce eux. » te comro de 'Yoronsow prit alors la parolo : ( Vous
savcz , dit-il, (flH' le COJIIU' d' Artois a toujours témoignó le désir
d'aller S(' mettre ~I la t(-t(· dos Ilovalistcs. te gouvcrnoment bri
tanniqlle avait acc('dé ~I sa demande. Son Altesse Hoyalc était
trop avancéc pour reculer. Les préparatiís étaient faits. Le comte
s'emharqua , mais 11 rogrot ; il avait chargé le duc d'Harcourt
de sollic iter innnérlia temml son retour. Mais cclui-ci n'avait
éprouvé qu'un froid rcfus du gouverncmcnt anglais, Alors le
comte d' Artois a pris le partí de demandcr luí-mémc. Il a dix
fois écrit aux ministres; ses lcttres sont restées sans réponse,
Le ministéro anglais a appris I'arrivée inopinéo du eomte ~l
Portsmouth. Lord Gremille en a été si indigné, qu'il nous a
fait venir et nous a dit « Vous savez, l\lcssicurs, tout ce que le
gouvcrncmcnt britannique n'a ecss(~ de Iairc pour les Royalistes.
Vous savez aussi que ~1. le comto d'Artois a désiré allcr en Bre-
tagne. Nous aY()JlS mis en mer une expédition digne de Son
Altesse Iloyale ; ü peine ombarquéc , elle a Iait fairc des dé-
marches; ct voici deux Iettres originales, par Iesquelles elle
demande son retour : je ne lui ai pas répondu , ct j'apprcnds
que Son Altess« Iloyalo est arrivéc d'elle-méme sur la frégate
le Jasen. » On apprit hientót , dans la Vendéc et la Bretague , la
condnite du comte <1' Artois; elle y produisit un eífct déplo-
r;¡hlp, (It renvorsn l¡ls espérances dos chcfs dr parti ; i\f. (lr




22 mSTOlHE DE tA RESTATTRATfON.
Charette Iuricux adressa , dans son rcssentimcnt , une leure bien
peu mesurée a Louis XVIII sur la conduite de lU. le eomte
d'Artois,


« Sire , la Iácheté de votre frere a tout perdu. JI ne ponvait
paraitrc sur cctte cote qne ponr tout perdre ou tout sauver. Son
retour en Augleterrc a décidé de notro sort. Aujourd'hnl il u'y
a plus qu'a périr inutilcmcnt pour votre servicc.


" J e suis avcc rcspcct , de Votre c1lajcst(·.....
« CIlAHETTE. ))


Dcpuis , les amis du comte d'Artuis ont expliqué son étrange
íaiblcsse de Quilx-ron. (e l'DI. de Puisaye el Charetto , out- ils
dit , lui étaicnt moins dévoucs qu'ü Louis XVUI; Son Altessc
Itoyal« connaissait la división des cluIs , J(. 1)('U d'harniouic qui
existait dans les mesures; le gOllVCl']H'lllcnl auglais ne voulaut pas
sinccrcment un monvement royaliste , le princc des lors n'avait
pas dú s'cxposer a un piege ! H Était-ce ainsi que raisounait
Ilenri IV quand il se jctait en Normaudie , avec quelqucs geu-
tilshounncs , contre l' anuéc de la Ligue!


Lne des ponsécs de Louis xvur el du comtc rl'Antraigues
avait toujours été d'opérer la rcstauratiou par l'iutérieur. C'cst
dans ce sens que le conscil avait agi. On avait éprouvé tant d'hu-
miliations, tant de dégoüts de l'éuangcr, que Louis XVIII s'étnit
cnfin convaineu qu'il u'y avait de rcstauration possiblc que
par les Francais, C'est dans ee hut que le comte d'Antraigucs
avait étahli des agenccs royales dans toutes les provinces. I...a
Franco était divisée en trois agences : I'une comprcnait la
Franchc-Comté , le Lyounais , l'Auvcrgue , le Forcz; une nutre
les provinces móridionales. Elles furent succcsslvcnu-nt placees
aConstauce ct ü Augsbourg , sous la dircction de M. le président
du Vezet, de ~DI. Dandré , Imbcrt-Colomes et Précy. La troi-
sieme agence, qui s'étcndalt sur le reste du royaume , était diri-
gée par les commissaircs de Paris , savoir : Brottier, Duverne
de Preslc et Lavilhcuruoy. Toutes trois ne dcvaient agir que de
concert, Tout mouvemcnt partiel leur était interdir cxpressé-




CIJAPJTHE lo 23
mcnt, le gouvcrncmcnt anglais avait pris I'cngagcmcnt de Iour-
nir les subsidos pour toutes los dépenses jugéos néccssaires,
, Ce qni porta un prcmicr coup aux agences intéricures du roya-
lisme, ce fut la découvertc des papiers de l'abbé Lemaitre , et
de sa correspondance avec les Princes. Le canon de vendémiairc
rctentissait encore , lorsque l'abhé Lcmaitrc fut arrété dans sa
maison, rue Sainto-Croix-de-la-Bretouneric , n° 75. On trouva
chez lui une vnste correspondance de Louis X Vl Il du temps de
sa régencc, Elle était écrite en encre sympathique dans l'inter-
valle des lignes d'une écriture ordinairc et insigniflaute ; chaquc
personnage était designé par des chiffres: le régent , par le chif-
fre [19, le comtc d'Artois par 115, ct le prince de Condé par 77.
On Ylisait : « Si Paris voulait aller, que ces gens fourhes et atroces
seraicnt trompés! Faites faire explosion ; criez Vive le Roi! Nous
n'avons d'espoir que dans les troubles intérieurs. J..es chansous
étantce qui convient le mieux au peuple írancais, nous en avonséta-
bli une fabrique. Nousvous en envoyons le prospectus, vous le fe-
rez imprimer; vous ferez gémir la presse sous les chansons, ce sera
un peu plus gai. La Ycndéo ! la Vendée ! c'cst la notre salut.
Quelqu 'un, qui arrive de Paris , nous dit (IU 'il y a bien des par-
tis : il y en a un pour M. le duc de Chartres : ma's les masses
sont répuhlicaines. J..es principaux chefs sont Las-Cazos , Lacre-
teIle et lticher-Sérisy. Ces honnnes , cepeudant , ne sont pas ré-
publicains. Ne scrait-il pas possible de leur faire senil' le régent?
Lachose la plus grave, y est-il <lit eucorc , est au sujet de l'amni-
stie. Je ne pense pas qu'on doive accorder un pardon général a
tous ccux qui ont voté la mort du Hoi ; mais ce serait une chose
bien différcntc que le pardon aceux d'entre eux qui, par leurs
services , sauveraient la monarchie. Je ne scrais pas étonné que
Cambacéres fút du nombre de ceux qui voudraient le retour de
la royauté. Je l'ai vu souvcnt , c'est un homme d'esprit , il doit
désirer le rétablissemcnt de la monarchie. Le partí dominant de la
Conventiou songe au rétahlissement de la royauté. Celui qui m'a
porté ta lettre était envoyé par les chefs pour voir s'il y aurait
moyen de traitcr avec les Princes pour se procurer des süretés, »




2ú 1l1STOlllE DE LA BES'L\LHATlO\.
Telle était en résumé la correspondance de l'abhé Lcmaítrc ;


il fut condamné 1\ mort par une commission militaire. Cette exe-
cution sévere He détourna pas les agcnces, te 12 pluvioso an y,
Ie ministre de la police , Cochon , lit au conseil des Cinq-Cents
un long rapport pour dénoucer une conspirauon au proíit de la
cause royale. Les auteurs de cctte conspiration étaient l'abbó
Brottier , connu par ses ouvrages d'uuivcrsité et particuliere-
mcnt par une traductiou de Plutarque ; M. Duvcrne de Preslc ,
anclen officierde marine, et Luvilhcuruoy, hommes ardcnts pour
la cause royaliste, Jamais conspiration n'avait été plus indiscreto
et plus imprudente. Les agcnts étaient bien les honunes les plus
légers , les plus incousidérés. ~\pr('s avoir recruté quelques pro-
sélytes isolés , Lavilhcurnoy s'adrcssa directcmcnt au chef d'es-
cadron Malo, qui couunandait un régiment de dragons ¿l París.
Cet officier le laissa bien s'cngager ; et , en correspondant avcc
le ministre de la police , il lui rcndait compro chaqué jour des
avcux ct nalvetés des agents royalístcs. Eníin Malo les réunit dans
sa maison ; il aposta des gardes, et la conversation, suivante s'en-
gagea sur les projets des Iloyalistcs. Théodorc Dumas, l'un des
agcnts , prit la parole el dit : « Louis XVIII est un homme infi-
niment prudent et le plus digne de ruouter sur le tróne ; c'est
lui qui doit rétablir nos íinanccs. Quant aM. le prince de Condé ,
il n'cst pas fort instruit : il est méme ignorant, mais c'cst un
héros. A combien se monte la garnison de Paris '? - A 12 000
honunes. -:Eh bien! en donnaut sept sous ¿l la cavalcric ct ciuq
sous ¿l l'infanterie, cela fera ¿l pen pr(os 3 600 JI'. par jour. )) Alors
Lavilheuruoy moutra les pouvoirs illiuiités qu'il avait recus de
Louis XV III , et qui lui conféraient le droit de nouuner les olli-
cicrs et agcnts, :\1. Brottier lut a haute voix plus de víngt-ncuf
articles , dont voici les principaux : (' On posera des corps-de-
garele et des gens súrs atoutes les barrieres ct aux murs de cló-
ture. On ne laissera entrer que les approvisiounements ct ceux
qui répondront aux mots d'ordro. On s'cmparera des Invalides,
de l'Éeole militairc , du magasin des Feuillants , du t{']{'graphe
ct des Tuilerics ; on s'assurcra du cours de la riviéro. 'I'rois ceuts




CI LU'111..1. 1.


honunes s'emparcront de 'leudon, d'Essone , de Corheil el de
Yinccnncs. Le 'I'omplc sera le quarticr-géuéral des représcntants
du Iloi. On conticndra les Iaubourgs Saint-.\n toinc el Saint- .11ar-
ccau par les moyens militaircs. Une hatterie sera étahlie ~\ .1lont-
martre pour maintenir París. La tete des Dirccteurs sera mise a
prix , s'ils ne sont pas volontaircment ramcnés par les promcsses
d'amnistie. On consignera chez eux les mcmbrcs des deux Con-
seils : on devra s'assurer des muuicipalités, des Jacobins et des
principaux Tcrroristes, et brülcr les journaux, tels que le Perc
Duchéne, les Houuncs Libres, la Scnuncllc, l' Ami des Luis ~ etc.
On rétablira les cours prévütales pour juger sur-Ie-champ ceux
qui ticndraicnt des propos séditicux ; on proclamera une amui-
stie au nom du Boí. Les tribunaux conservcront lcurs fonctions.
On fera des proclamatious honorables pour les armées , ainsi que
pour les Puissances. On Icra circuler de nombrcuses patrouillcs,
et on jettera des grcnades dans les rues pour dissiper les attrou-
pements. La gcndanucric repreudra son nom ele maréchausséc ;
elle continuera i\ faire son servicc de police. Enfin, eles procla-
mations seront ('nvo~ ées en province pour annonccr I'avénement
de Louis XVII r. On punira sh ('l'cn:elll les ltoyalistes qui se livrc-
ront ades représaillcs. On envcrra des couunissaires exrraordi-
naires dans Ull rayon de vingt licues pour assurer les subsistan-
ces, el ordonncr atous les ci-dcvant intcndants de se rcndre dans
leurs ancienncs pruviuces. On donncra sur-lc-champ ~\ JU. de
Yauvillicrs la couuuission de dirccteur-général des approvision-
ncmcnts, M. de la 'Ulliere reprendra la direction des ponts-et-
chaussées. On appcllcra tous les anciens magistrats du conseil qui
étaient chargés du connnerce, ('( on les désiguera sous le noin de
préícts du connnerce. Bien cutcndu (ille tous cespom oirs ue seront
que provisoircs el jHSqU'~1 l'arrivée de Sa :\lajesl('. )) Puis venait
une proclamatiou du Iloi, qui devait ('t1'(\ publico dans Paris : « La
Providence , toujours impénétrahlc dans ses décrcts , a pcruiis ,
pour l'instruction des rois el l'utilité des pcuplcs , fIue le royaume
de France Iüt boulcversé par des faclicux. Cette Providcncc a
daigué jcter un rcgard de couuuisératíon sur un empirc hcurcu-


1. 3




26 IlISTOInE DE LA HESTACIUTlO\.
scment augmenté pcndant quatorze sieclos , gouvcrné par une
Maison qu'une descendance de huit cents ans rendait assez
illustre pour lui faire espérer un mcilleur sort , en égard surtout
aux nombreux hienfaits qu'elle s'était plu ¿l répandrc sur les
Francais. Leurs ycux se sont ouverts : ils sout rcvcnus aux sen-
timents d'amour pour leur souvcrain légitime, De notre coté, ou-
bliant l'égarement d'un peuple cntrainé par le torrent des Iac-
tions, nous ne voulons lui montror que le pero tendre qui, sa-
tisfait du repentir de ses enfants, impose silence ala justice ponr
verser sur eux tous les trésors de sa clémcnce. Oui , Franrais ,
nous vous pardonnons avec autant de plaisir que vos tyrans en
mettaient avous immoler. La justice du Dieu vivaut nc ressemble
pas ¿l celle des hommes. Abandonnous-Jui les coupahlcs ; seul
il peut lire dans les cceurs. »


Les ageuts avaient composé d'avauce leur ministere. Alfa/res
étranqeres, 1\1. Henin , anclen premicr commis; el l'iJttérieur~
laisser 1\1. Benezech; á la marine, 1\1. de Fleurieu ; el la jllSÚC('~
1\1. Siméon ou Baresseux; aux [uumces ~ 1\1. Bernignot de Grange,
rue Saint-Florrntin , ou :U. Barbé-Marbois, qlli a des talcnts, de
l'instruction ; ancien intcndaut de Saint-Doruinguc, il passe pour
avoir de la prohité ; ú la police, laisser Cochon; on y mettra Por-
talis ou Siméon , si Baresscux cst ¿l la justice. Cochon a voté
la mort du Roi : il effaroucherait les Itoyalistes. » te plan était
suivi d'instructions de la main de 1\1. de la Yauguyon , ainsi
concues : « Parrni tous les moyens d'accroitre le partí des agcnts
du Iloi , il en est trois principaux : écarter cfllcacemeut de l'ad-
ministration les régicides , leur chef et ceux des Jacohins ; tra-
vaillcr a assurer les succes des nouvelles élcctions ; gaglH'l' ct
ramcner le plus grand nombre des merubrcs du partí connu
aujourd'hui sous le nom de Vciurc. »


Taudis que les trois agents principaux se laissaient aller aleurs
indiscrétions avec Malo, le harou de Poly, l'un d'entre cux, s'ou-
vrait avec non moius de nalvetú a Ilamel, commandant la garde
du Corps législatif.- « Et quels sont 'os moycns ? lui dit celui-ri.
- Nos uioyeus sont el dans les secours de l'Angletcrre el daus le




CHAPITHEI. 27
mécontentcmcn¡ de la Frunce. Le jour oú Louis X VIII on son
licutenant-générnl se montrcra ¿l 1)aris , ü la te le des colounes
royales commandócs par ~DI. de Bouillé , le priuce de Poix ct
Puísayc , 12000 honunes doiveut s'insurger dans le Jura, el
Lyon levera l'étcndard de la róvolte. - Que! serait le prcmier
acte de Louis XVIU? - Une aJlwisLie générale; nrais le Parle-
mcnt qui s'installe préu-nd que le Iloi u'a pas le droit de Iaire
grñce , ct il ordonucra la pris« de cOJ'ps de l\DI. La Faycttc ,
?llathieu Dumas, .'\Ienon, Lameth et d'Aiguillon. Nous ameno-
rons La Fayette dans une cago de Ier. - J11ais ceux quí out joué
de grauds roles dcpuis le 10 aoút? - Xous les cnvcrrons aux
galeres. -Et quel cmploi me réscrvez-vous done? -Proclame1'
¿l París LouisXVIIr. » 'Iel était le plan des agents de Louis X VIII.
Sans doute, ce princc voyait micux N plus loin que ces prétcn-
dus amis; mais connuent de tcllcs idées pouvaicnt-elles s'accom-
plir ? Des hommes sagcs étaicnt choisis pour ministres; les agcnts
avouaient néanmoins que ce n'était qu'une concession temporaire
ct qu'on revicndrait ¿t l'ancicn rógime, tel qu'il existait en 1788;
et quellc arunistic, grand Dieu! Exclure tous les patriotas, tous
les constitutionncls , rétahlir le Parlciucnt pour lui faire rejcter
les pardons accordés par le HOl!


le 3 juin 179,), le .jeunc Louis XVIl, conune on 1'adit, était
mort au Temple. Des que la nouvclle de cct événcment Iunebre
fut parvcnuc au régcnt , il prit iuunédintcment le nom de
Louis XYIll ct le titrc do roi de FJ'(IJlce el de Nacarrc ~ et le
comte d'Artois celui de Jlo~sIEun, tout en gardant sa qualité de
licutcuant-général du royaume. La cour cxilée devint Iort active,
et la correspondancc du ltoi s'étcndit ~t toutes les aITaires; il an-
nonca son avénemeut h I'anuéc de Condé el ¿t tous les cabinets de
l'Europe. Il u'y cut cependant que deux ou trois agents diploma-
tiques accródités aupres du nouveau Iloi ; Louis XVIII crut devoir
adresser , dans ces circonstances soleunellcs , une proclamation
aux Francais : c'était toujours le méme langage de pardon d'un
pero ct d'un maitre. « Vous rutes infideles au Dieu de vos péres,
et ce Dicu justcment irrité vous a fait sentir tont le poids de sa co-




28 I1ISTOTnE DE L\ nESTArI1\TfO:\.
lére, VOUS rutes rebclles ~I l'autorité qu'il avait établie pour vous
gouveruer , et un despotismo sanglan1, lIIW auarchie non moins
cruelle, se succédant tour-a-tour, vous out sans ccsse déchirés
avec une fureur toujours crnissantc. il faut revenir 11 cctte rcli-
giou sainte qui avait attiré sur la Franco les hénédictions du ciel.
Il Iaut rétablir ce gouvcrnemcnt , qui fut peudant quatorze siecles
la gloire de la Frauco ct les déliccs des Francais , et qui avait fait
de votre patrie le plus florissant des Úats ct <k vous le plus heu-
reux des peuples. Tous les Francais qui , abjurant leurs npinions
funestos, viendrout se jetcr aux pieds du tróne , yseront rccus ;
ceux qui, dominés cncore par un cruel enll~I(ll1lenl, se háteront
de revenir ~l la raison el au devoir, scront aussi nos enfants. Il est,
cepeudant , des Iorfairs (que m- pouvont- ils s'clfacer de notro
souvcnir ct de la mémoire des honuues l) il cst des forfaits dont
l'atrocité passe les bornes de la clémoncc , les régicidcs ;Ia pos-
térité ne les nommera qu'avcc horreur : la France cntiere appelle
sur leur tete le glaive de la justice. ») Louis XVIII maintint son
ministere, ]U. de la Vauguvon conserva los aílaires étrangeres, et
par conséquent continua 11 diriger toutes les relations extéricures.
M. de Flachslaudon excrcait les Ionctions del chancelicr ; le comte
(Lharay, ministre d'État, était capitainc des gardes; le duc de
Fleury, gentilhonnne de la chambre; lH. d' Ilarcourt represen-
tait le roi 11 Londres , .!\l. de Saint-Pricst a Vienne; mais il par-
courait les dillérentcs conrs de l'Europe pour y négocier dans
l'intérét du RoL ~DI. Dumoustier, de Damas, d'Hautefort, d'Ha-
vré , d'Escars et de l\Iontagnac avaient (lgalenH'nt certaines mis-


o sions diplomatiques ; "'1. d'Autraigues dirigcait les mouvcments
d'intéricur , 011 étaient cmployés en chef)1. de la Ferrouniere ,
esprit juste ct droit , ct le comte de Précy, cl'l0bre par sa défensc
de Lyon, La cour de Vérone était fort simple , quoique agitée
par heaucoup d'intrigucs. Louis XV]]I portait le litre de comte
de tille; sa vil' était réguliero ; il était levé de bonne heure, ct
des le matin il paraissait , suivant l'ancienne étiquette , avcc ses
croix el ses insignes; une grande partie de la matinéc se passait
ti (l('rirr, et il ll'(·tnit visible alors qnr pour son chaucclier, ,1. dr




ClL\ PIT!:¡'; /. 29
Flarhslanden ; sa tahl« était frugalc. Dans l'npres-midi il donnait
quelqucs audicuces el réunissait ses plus íideles servitcurs pour
entendre des lcctures 011 jouir des chanues de la conversation ;
il ne sortait jamais ponl' rcndre les visites. Louis XVJIl lisait
exactement tous les jouruaux Irancais , et partículierement le
Monucur ; il n'avait de revcnu Ilxe que 3()OOO fr. par mois,
que lui faisait l'Espague. Ceuo sonuue était ainsi divisóe : au rOÍ,
J2000 fr. par mois; a la reine, S 000 fr.; a la comtesse d'Ar-
tois , 8000 fr.; aux ducs d'Angouléme et de Berri , chacun
~. 000 fr.


Cctte petit« cour allait Nrc obligéc de quittcr Vérone. te Ui-
rcctoire avait eu connaissanco des mouvcments et des intrigues
qn i s'y tramaicnt contiuuellement ; il avait demandé au sénat de
Vcnise I'éloignement du Prétendant, te sénat avait fait d'ahord
quelques objcctious , mais al'approcho de l'armée victorieuse de
Bonaparte, il n'hésita plus aacceder aux exigences du Directoire;
et le sénatcur Carlotti, noble véniticn, vint significr aLouis XVIII,
au nom de son gouvernement, qu'il eüt ¡l quitter le territoire
de Venisc dans Ic plus hrcf délai, « Je partirai , dit le Roi, mais
j'cxige dcux conditíons : la prcmierc , qu'on me presente le livro
d'or oú ma famille est inscritc , afin que j 'en raye son nom de ma
main; la seconde , qu'on me rcnde l'annure dont l'amitié de moa
aieul lIenri 1Vlit présent ala répuhliquc. » Cette réponse pleine de
uoblesse et de dignité ne changea rien aux disposítions du sé-
nat , et le Iloi se mil en mesure d' abandonner Vérone. Sa suite
ótait alors composécdu comte d'Avaray et de M. el' Agoult, aide-
major de ses gardes ; JI. le duc de Flcury, son prcmier gentil-
houunc , le précédait ; puis vcnait dcrrierc le duc de Villequicr,
le coiutc de Cossé , le viconue d'Hautcfort , cnfin le conscil , qui
sc composait toujours (le l'BL le duc de la Vauguyon , du
haron de Flachslandcu et du marquis de Jaucourt.


LouisXVIII séjourua quolquc lourps ~l l'arméo de Condé; aprés
s'(~lrc arrrté;\ Irillingcu , OÚ S('S jours Iurent menacés par un
assassin, le roi proscrit vint Iixer sa résideucc ~l Blanckeruhourg :
S;¡ pl't il<' runr l'v suivit. C'cst tI qn'arriva la disgrñce du prc-




30 IlISTOlnE DE Li\. nEsTAIIUTIO\i.
~).':,\,,"'" n':\\':,,:,W,,"', ~,"\. \W,\'~~ "'\'\'\~W\ \)\'- ••~ \)'\\'& V'~ '''-'S'''\~\~ \\\.\. \,\",\. \:"'-
curcut la conuuunicatiun suivante : « Monsicur, ]U. le duc de
la Vauguyon n'étant plus cmployó au scrvicc de Sa Jlajcsté, elle
me charge de HHlS prevenir de ccsser avec lui toute correspon-
dance relativo au senice du Iloi, el de vous en tenir ala forme
d{'j~\ établic, Les dépeches seront donc dircctcmcnt adressées ~\
Sa Majesté, sous le nom de ,,1. le comte de Lille. )) Cet ordre
du cabiuct était sign{' par ~1. de Flachslaudcu , chancclier du
Hoj. La cause publique de la disgráco de JI. de la Vauguyon pa-
raissait (~lre des indiscrétions conuuises par le ministre, et les
mesures inconséqucntes qui avaicut Iait échouer les projets in-
t{'l'i('urs, évcntés par la conspirntinn de Lavilheurnov. Toutcfois
t/(. ]Wlits acres arhiuaires, tI(' petiL('s dissiruulations envcrs lc Iloi
('Jl {'Iaient les moíifs r(·('ls. ~J. de la Yauguyon disaiL: (( J'ai
011\('1'1 par m{'prise une IdtJ'(' qui nc ru'ótait pas adl'l'ss('('; si JI'
I'ai lile, ccst (jll(' je sa\ ais (1'1(' Vutre .'lajesló Iaisait runsulu-r
ccttc pcrsoune paree qu'ellc avait des opinions diílércuu-s dos
mienncs , el que je voulais m'éclairer pour le hicn de votre ser-
vice. Il n'cst point vrai que j'aie garM dcvcrs moi la kure qnc
'\ otrc Jlajeslé adn'ssai! :111. de Saint-I'ricst: il est vrai (IlIe
lorsquo je Ius Ü Yotrc "'Jlljl'st(~ un projct de Icttre pour une ccr-
tainc personnc , Votrc .:Ulljestó in'ordonna de nc point écrirc
tous les détails <Iue le projct contcnait, el que nóanmoins j'ai
laissé.ma lcttre tellc qu'clle était. )) Yoila qucls étnieutlcs grieís
imputes au prcmier ministro. Le Itoi ne lui pardouna point, sa
disgráce fut absolue ; Sa ',laj(·st(· ne donna le poste de prcmier
ministre ü pcrsonnc ; elle travailla avcc .'1 U. <1'.\ varav et de Flachs-
]2nt1en.


L'{'migr"t¡Oll se divisait alors en plusicurs cotcries ou partis,
Le ro; LOlii~-;\.. \ 111 {'[ait cntouré <1(' quclqucs !l0l1l111eS de talcnt,
tcls que1DI. cL\lJtraifl,lIes d de .laucourt : c'étaitla partic po-
I, , ·1 \1 r' • l' 'j' . r 1 1 t t· .'Ü¡(lIH' u' J ('jJllg,'a!lOl!' . ',ll me iance 1))'0101]( (' (e 011. ce qUI
vcnait de !'.\ngiPlClTe, elle aurait \ oulu que la rostaurntion
pút s'op{'\'í'r par l'illlérieur. {)lwl(!l1l'S-UllS U(' yoyail'nl de j'('S-
sourccs <fue dans 1'.E:.;pagnc; c'élail l'opillion ptrs~nnclle de




CHAPITHE 1. 31
M. de la Vallgllyon, ct il Iaut méme croire que la paix de Bale
contribua puissamnu-nt ¡l la rlisgrácedu ministre, car I'Espagne
avait reconnu la Itépubliquc Irancaisc. La coterie de )1. le comtc
d'Artois n'avait pas les ruémes répugnanccs pour l'Anglcterre :
c'était dans ce cabinet qu' elle placait toutes ses esperances. La
restauration opéréc par 1'\1. le eomte d'Artois aurait reposé sur
deux pivots, les Anglais et les Vendécns. Un troisieme parti de
l'émigration comprcnait les Coustitutionnels , sons l'influence de
Mme de Staél , et dont les chefs étaient .MM. de Narbonne , de
Montmoreney, le comte de Montesquiou , cte. e'était par eux
que la Itestauration aurait dú agir pour obtenir quelque crédit
enFrance : mais e'étaicnt précísémcnt ceux que l' émigration pure
avait en horrcur : on les considérait conuue les auteurs de la
révolution , counne les honnues qui avaient renversé la vieille
monarchie. Ccpcudant Louis X VIII, dont l'esprit était si juste,
consultait souveut les principaux d'cntro les Constitutionnels , et
ce fut d'apres leur avis qu'il lanca sa proclamation explicative ,
apres la tentative malheureuse de Lavilheurnoy, et voieien quels
termes: (( Franoais , nous avons (lit il nos agents et HOUS leur
répérons saus ccsse : Happe1ez notro pcuplc ¿l la salute religión
de ses pcrcs et au gouvernemcnt pateruel qui fut si longtcmps
la gloirc et le honheur de la France; cxpliquez-Iui la constiuuion
de l'Úat, qui n' cst calomniée que paree qu'elle est méconuue ;
instruisez-Ic a la distinguer du rcqnnc qui s'était introduit depnis
trop longtcmps , montrez-Iui (IU'elle cst également opposée Ü
l'anarchic el au dcspotisme ; consultez les hommes sagcs et
éclairés sur les partics dignes de perfection dont elle cst suscep-
tihle , ct Iaitos connaitre les formes qu'il faut adopter pour tra-
vailler il son améliorntion, )) Ce n' était plus le méme langage : une
fois ces conccssions Iaitcs,il Ya\ ait moycn de rapprochement.


les éllligrés n'avaieut ptl croire 11 cct cnfantemcnt des annécs
républicaines débordaut sur toutes les rivcs du Ilhin. Ils eesse-
reut de pcnscr qu'il suflirait de se montrer en armes pour porter,
sur lehouclier, le roí de France aycrsailles, Ce fut alors que des
agents qui cutouraicnt le priuce de Condé lui pcrsuaderent qu'on




32 mSTOTHE DE L\ BESTAl B\TIOi\.
pourrait enrralner ~l la cause royal« quclquos-nns des clufs dr-s
années républicaines , el l'on jeta d'ahord les veux sur
Pichegru. Pichcgru avait c0Il1111and{' avec le plus grand éclat les
arméosde la n(~IH1hliqne ; il vcnait de conquérir la Hollando avec
une hardiesse de valcur ct de taciiquc qui avait excité l'admira-
tion de l'Europc, Il commaudait l'aruiéc Iranraise du Haut-Rhin,
opposée précisémont au corps d'('migrés du priucc de Condé,
Le géuéral répuhlicain était chargé d'arretor les Autrichiens de-
vant Huninguc.;On savait dans le camp de Condé que l'ambítion
de Pichcgru n'était pas satisfaite , qu'il avait 1\ París un partí po-
litique dans les Consvils ; qtl(1 l'armée qui obéissait ases ordres
était mal payée , mal vétue , el qu'il y avait moycn d'cn gagner
plusicurs chcfs, En ronséqueuce le princ« de Condé chargea (/('
cette pórillcuse mission un lihrairc deB¡lIe, lU. Faurhc-Iíorcl ,
homme actíf , plcin d'nrdeur et de courag«. l\l. Fauche se rendir
~l Lauterbourg , centre des opérations du géuéral en chef. N'ayant
pu le joindre , il court ~l I1uningue, el s'introduit sous diflércnts
prétextcs dans la pirre oú se promenait le g{'u{Tal. Fauchc-Borel
le regarde flxcmenr, ot .ayec tant d'am'ctalion, que Pic}¡('grn,
soupronuant <111'il a quelqne chose ¿l luí connnuniquer , dit ~l
haute voix : « Je ne dincrai point ici anjourd'hui ; j'irai ¿l Bolp-
sein , chez Madame Salomon . (c'érait la maltressc de Pichc-
gru). EIl mémo temps il jeta IlIl regnrd tres-exprcssif sur Fau-
che-Borcl. L'agcnt hardi se hat(, d(' se trouver au rcndcz-vous ;
lorsqu'il le vit seul , le g{'lll'ral Iui dit : « Vous cherchcz ¿\ me
parlero - Oui , gónéral , Iui répondit Fanch« aH'C émotion. J'ai
(,tó assez hcurcux pour que :\1. Dupuyron me I{'gllat des mann-
scrits de Itousscau, voudrioz-vous mr- pel'llH'ttl'(~ que jl' vous les
dé.liassc? 0- Counuc je n'approuv« [las les prillcipe:·; de Ilous-
sean, Iaites venir les manuscrits , j(~ les rnnsulterni , el vous
~\\'l~1 \\\~ Y~i)\)w::,\'. » C\' \\\t ~\\\w:; \)'w \lam\w , jl'\an't anumr U(~
lui des ycux inquicts : « Cl'Il(';ral, j'aurais ~l vous parler de choses
plus importantes. - El qu'v a-r-il? -.le n'ai pas craint de me
chargcr d'une haute mission, - Et de la part de (lui "? - Ve
l\I le prinre de COlld{" -,- El (pl(l !He "'111 - il? ~- G{lll{'l'iIJ,




CJlAPTTTIE r.


iI vous croit trop hon Franrais pour n'avoir pas corupris quo
depuis longtemps vous regardez la répuhliquc commc une chi-


. mere, et la France commc ne pouvant cicatriscr les plaies de
la révolution qu'en rappelant ses princes légitimes. Le prince
de emulé désirerait se concerter avec vous pour réunir son armée
11 la vótre, et lui faire prétcr scnnent de fidélité au Roi. -Rien
que cela? répondit Pichcgru.v-« Cénéral , c'est bien quelque
chose. -Oú sont vos pouvoirst-s-Jen'en ai pas, dans la crainte de
me compromettr« et de vous compromcttre, -Eh bien! retournez
vers le prince, et ayezde lui un écrit qui justific votre mission. »
Fauche s'en revint vcrs le prince de emulé, et en rapporta la
lettre suivantc : (( Puisque (1,) (Pichegru) est toujours aussi hon-
nére homme que jc l'avais espérú, .le désircrais, d'apres ce qu'il
m'a fait dire , qu'il envoyat ici uno persoune de conflance aquí
j'expliquerai les avantagcs de tout gcnre que j'assurerai, rl lui et
11 ses amis, dansle fas oú il Ierait ce qui a été commuuiqué de ma
parto Le porteur sera, aussi lougtemps que (L) le voudra, l'in-
termédiair« de notro correspondaucc sous le nom de Louis. Les
Autrichicns, auxquels il n'est pas tcmps encere d'en parler , y
seront désignés sous la /cUre Y, pt Ir g{onéral sous la lettre L )J
Une fois possessenr de cetro garanric , Pichcgru exposa le plan
qu'il avait conru. te prince de Condé proposait de livrer Hunin-
gue, de faire arborcr le drapean hlanc sur Strasbourg , ct de
proclamcr le Iloi dans l'arrnée répuhlicaine. Le généralrépondit :
«Assurcz le prince qu'il pcut comptcr sur moi. Ce qu'il me pro-
pose ne pcut avoir lieu : .le connais le soldat , il ne faut pas lui
donner le temps de prévoir un mouvemcnt : il fant l'entrainer.
Des qucje l'aurai transporté sur la rive droitc du Ilhin, je serai
sur de lui. Que le prince me désigno le point du fleuve le plus
facile pour me réunir ü son année. .Te crois que Xeubourg serait
le plus favorable. Qu'il indique le jour , l'hcure, la quantité
d'hormucs et l'especc d'armcs qui lui convicnnent. En passant ,
je laisserai un ponton, comme si ma promicre colonne devait
etre suivie d'une sccondc, ct aussitót arrivé sur la ríve droite .le
proclamcra! In rovauté. Par ce IllOYt11l 12 OH 1/1000 honnne«




3', flfSTOIILE DE LA flESTAUHATIO'\.
des mions sr joimlront ;\ l'anuée des princes. Nous marchrron:
hras dcssus, hras dcssous, Les places d'Alsace s'ouvriront devan
llOUS, ct en quarorze marches nous serons ~l Paris, lUais il faui
que le prince s'eutendc avcc les Autrichions pour qn' ils resten I
sur nos dcrriercs. » Pour récompcuser un si heau dévouo-
meut, on promcttait ;\ Pichrgru le grade de maréchal de Franr«,
(lUe!(I1JCS - uns discnt 1ll0111e le litre de connútahlc , avec 1('
chatean de Chambord , un million d'argcnt comprant , el
200000 écus de rentes. Mais (1(' prcmiercs diflicultós s'{'-
lcvercnt. Les i\ utrich icns voulaient qu'on lcur livrñt conuue
gagc Iluniuguc ('¡ Strashourg. Pichogru disait (ltÚUW tollo COll-
duito hcilleraiL des souprous el alicncrait tonte l'armóe. Le
conue de J!oIlt¿;ailJard avair hcnu Iui écrirc (( qu'il était granel
eí qu'i! dnilit {¡¡ire de grmuh¡ c1ws(','oi )) ; I/ll sClllilllm! de pu-
dcur arrétait e¡¡('ore ]P g('!l(Tal Irancais pn~1 ;1 livrcr l'\Isacc
aux ennomis de son pa~ s,


Tcl était l'état des ll('gocialiolls suivies avec un grand soin par
le princc de Condé , le comte de ~Iolltgaillard ct Fanche-Borcl ,
lorsquc Louis XYHI écrivit dirl'd('IllI'llt ;\ Pichogru, J cetro
('poquc les grl1ud:,; Stl('('t'S de llollaparll' en Italie avaicnt Iait
suspcudr« le plan d,' rcstuuration par P¡c111'grll. L'armóe autri-
chieunc sur le Ithin avait l't(~ [(¡l'ch' ([(' se Mgarnir. Voici le [('\.te
de la lcttre r0: a]I' : (( Vous conuaissoz , :'\lonsil'm', les lIwlhclI-
rcu» é\l-lH'IlWllls qui out ('11 liou ou Italic, La néccssité d'cn-
YO: el' 30000 honuucs dans cettc parlie a Iait suspcnrlro ddi...,
nitivcment le projct d(' passer ](' nhin. Votn' anachemcnt ;1 ma
pcrsonne vous fcra jugor it quol point je suis afr('ctl~ d(' ce conrrc-
tcmps , dans le moment surtout 01'1 j(~ vovais les portes de mOI\
rovautuc s'ouvrir dcvaut mojo D' un a1111'(' Cflll' ces dcsasuc»
~uouicraienl, s'il ('tail possihle , it la coníianrc qm' VOI1S m'avcz
inspirée ; j'ai cclle (lIW \ ous rótahlirez la monarchie Iraucaisc.
Dans le cas oú vous jugcrcz ;1 propo» de Iaire Iairc des démar-
ches auprcs des g('n0raH\. de l' annéc d' Italic , vous eles le maltru
de décider it cct égard. .Je d('posc en vos l1lains la pl('nilnde de
ma puissance el de l1l('S droils. Si les intelligenccs que vous




CJIAPITHE l. 35
vez dans les proviuccs , si vos talcnts el votro caracú-re surtout
ouvaient vous pcnnettre de craindre , ou si quelque évéucuien! ,
mpossible ¿l prévoir, vous ohligcait ¿l sortir du Ilovaumc , e'est
ntre M. le princc (le Condé et moi que vous trouvericz votrc


place. Si j'en connaissais de plus digne de vous, je vous l'oITri-
ais.... Je ue vous parlerai point de mon estime, de ma re con-


naissance ; le seutimcnt <fue vous devez avoir de vous-méme
épond de tout ce que je peusc et de tout ce que je sens pour


vous. I.OUIS. » Daus une autre let tre, Louis XVIII disait encore
au général Pichegru : « Je ne mets aucune borne aux ploins
pouvoirs que M. le prince de Condé vous a trausmís, J'approuvo
et ratifie tous les avantages qui vous ont été promis en mon
nom par le prince de Condé. Je cede au bcsoin de moa cccur.
Monsieur, c'cn est un pour moi de vous dire que j'avais jugé, il
ya dix-huit mois , que l'honneur de rétablir la monarchie fran-
caise vous était reservé, Vous avez su allicr la bravourc du ma-
réchal de Saxe au désintéressernent de M. de Turcnne el ¿l la
modestie de Catinat. »


Le plan dn prillce (/(' COlldé aurait-il pu réussir ? En suppo-
sant que Pichegru I'cút mené jusqu'a exécutiou , qu'il cút 01'-
donné ason armée de prendrc le drapcau blanc , de rccounaltrc
le Roi, cette armée aurait-clle ohéi ? Les officiers ct les soldats
de la Iíépuhlique auraicnt-ils serré la maiu aux Autrichiens et
marché liras dessus, liras dessous sur Paris? Le plan reposait sur
une Iausse combiuaison. Picliegru supposait mal a propos que
le Roi était pour le soldar au Iond du verrc. Il y avait un sentí-
ment d'houneur et de gloire dans l'armée répuhlicainc victo-
rieuse! Une correspondance si active avcc le priuce de Condó
ne pouvait durer Iougtcmps sans étre soupcounée ; Pichegru fut
rappelé ü Paris, oú iJ ne joua plus des Iors qu'un role politique
presquc eflacé.


Louis XVIII conuucncait ¿l voir la Frauce tclle qu'elle était.
Un rapport íidcle de M. de la Ferrouierc sur l' état des esprits
et, des ~pinions avait .éc~air~ le princ;~ .Sl~l: l' cspéce de concessiOl~"
uecessarres , ct le ROl II uvau plus hósité a se mcurc en C01l111lQ.c\


.' .......'
f oC:<'
'-.




;)6 1I1S'fülHE DÉ L\ HESTAUIL\TJOi\.
nicariou avcc le parti constitu1ionnel , non pas qu' il oút prérisó-
mcnt ouhlié ses justes antipathics pour les patriotcs de 1791, tels
que JIU. de La Faycttc , de Latour-Mnubourg el de Narbonne;
mais il s'était formé un partí puissant coutrc la faible et fati-
gante administration du Dircctoire ; et commc ce partí s'appuyait
sur la Constitution de 1791, ce fut avec ces fractions du ConseiJ
des Cinq-Cents et des Ancicns que I ..ouis XVIII entama des
négociations. Depuis la Constitution de l'an III ct le renouvcl-
lcmcnt fractionnalre , les dcux Conseils s'étaient COlllpOS{'S en
majorité d'hommes fort raisonnables ct en opposition avec le
systéme républicain, Il y avait d'abord des royalistes avoués ct
sur lesquels Louis X VIII pouvait compter; tcls étaient Imbcrt-
Colomes , Hcnri Larivierc , Dandré , Pichegru qui avait ohtenu
la présidcnce. Puis venaient les Constitutíonncls modérés ,
MM. Portalis, Sirnéon, Camillc-Jordan ; puis les constitution-
nels de 1791. Enfin les Orléanistes, qui pensaient que la monar-
chie était le seul gouvernernent couvcnahle i\ la France , mais qui
ne croyaicnt il la possihilitó d'unc monarchie constitutiounellc
qu'avcc un changemcnt de dyuastie.


Les eílorts des négociateurs tendaicnt done ü fortiíicr la frac-
tion purcmcnt royaliste , et afoudre toutcs ces nuanccs diverscs
dans les intéréts de Louis XVIII. La nécessité d'une coustitu-
tion paraissait généralcmcnt admise , et le Prétendant n'en était
pas éloigné. Des que des négociations avaient été cntamées avcc
les Couseils, il fallait bien admettre ces deux corps comme base
de la coustitution nouvclle. On allait jusqu'a ce point rl'établir
que Louis X VIII prendrait la place puro el simple du Dircctoire ,
et qu'on centraliserait le pouvoir des Directcurs en son gouvcr-
nement. Les négociateurs étaient-ils de honne foi en faisant ces
promesses? Il est possiblc que le désir de s'emparer des renes
du gouverncmcnt les ait engagés )l ces grandes concessions, en
se réservaut toujours , une fois maitrcs de l'autorité , de faconner
sur le modele de l'ancienne constitution monarchiquc. Quoi
qu'il en soit, les diversos nuances du partí des Clichistes ou des
ñlonarchistes se couíondaicnt daus une haine counuuuc coutre le




ClI:\ l'l'I'UL 1. 37
Dircctoire , coutre <In Gouvcrncmcnt. L<' Directoire lui-mcmc
était di, isé. Barthélemy votait avec la réunion clichiste ; Carnot
n'en était pas séparé ; quoiqne opposé au rétablissemcnt des
Bonrhons , il voyait aH~C peine la marche du gouvernement
qui pcsait sur la Itépnhlique. Peut - étre adhérait - il au sys-
teme d'une largo monarchie constitutiounclle au profit de
Louis XVIII ou du duc d'Orléans. Le ministre de la police
Cochon et l'agent Dossonville marchaicnt dans le sens des Cli-
chistes , ils étaient désignés par l'opinion royaliste comme des
appuis sur lcsquels on pouvait s'étayer.


D'un autre coté, l'action des journaux secondait le mouvcment
des Bourbons. La plus grande licence de la presse régnait alors.
Les journaux qui u' étaient soumis aaueune condition restrictive,
qui ne payaient qu'un faible timbre, remuaient chaque jour les
esprits au profit de la cause de Louis XVIII et eontre le Direc-
toire. Notre liberté actuelle , grave et constitutionnelle, ne peut
étre eomparée ace debordeiueut d'épigrannues , a ce feu rou-
lant d'invectives et d'injures, La Quotidienllc et quaraute autres
journaux au moíns , grands et petits , ne tarissaient pas sur les
dilapidations de Barras et sur son épicurisme ; sur Merlin de
Douai, ou Laréveillere-Lépaux avee sa théophilantropie , et sur
tous les membres des deux Conseils qui seeondaient les Direc-
teurs. Les salons n'étaicut occupés que de ces feuilles éphémeres ,
souvent spirituelles, Les jeunes gens de bon ton, les Jfuscadins
collet noir, en répétaient les bons mots aux théátres et dans les
cafés.


Au milieu de ce mouvement d'opinion, la fraetion attaquée
du Directoíre cxéeutif prenait ses mesures pour sauver son pou-
voir et empécher la restauration royaliste de s'accomplir. Bona-
parte, dan s sa campagne d'Italie , s'était emparé aVenise d'un
portefeuille du comte d'Antraigues , ministre de Louis X VIII. Il
contenait diverses pieces , et particulierement les notes d'une
conversation avec le eomtc de Moutgaillard , dans laquelle tout
le plan des intrigues dans les dcux Cunseils se trouvait développé.


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3R JlISTUIHE DE L\ HESTALJL\Tlff.\.
Quoique le comtc d'Autraigues eüt refusé de siguer les papicrs
saisis , ils furent cnvoyés ~l Paris , et le Dircctoire , qui venait de
recevoir les déposítíons de Duverne de Prcsle sur la conspirntiou
royaliste de l'intérieur, fit de ces pieces la base de ses projets
contre les Conseils. En méme temps , le républicain Augercau,
détaché de l'armée d'Italie , venait en toute háte ~l Paris , pour
seconder les mesures du Directoire. Dans cctte situation de
choses, il fallait se háter d'agir, mais les différentes nuauces du
parti clichiste ne s'entendaient pas, et toutes les opérations tral-
naient en Iongueur. Ceux qui avaient recu de l'argent de l'exté-
rieur , le gardaient pour eux, de sorte que les inspccteurs de la
salle..du conseil n'avaient pas méme de fonds pour organiser ct
solder une police, Pichegru apporta toute l'hésitation de son
caractere ; enfin la foi incertaine des agents royalistcs al'égard
des Constitutionnels paralysait les résolutions counnunes. Cepcn-
dant on s'arréta sur une mesure décisive : on devait mettre en
accusation le Directoire , et organiser la garde nationale, pour
l'opposer aux troupes de ligne; mais Barras recut un hillct du
prince de C..... y, fils du duc de la V..... n, par lequel illui
demandait un rendez-vous dans un Iieu sccrct pour une COlU-
muuication importante. te Directeur consulta ses collcgues et
s'y rendir. U., le jeunc priuce , séduit par la pollee et une fenuuc
qu'il aimait , dévoila tous les projets du parti royaliste , el le
Icndemain , la fameuse jouruée du 1RIructidor éclata, Quarantc-
deux députés clíchistes furent destines ~. la déportation , ainsi
que les deux directeurs Barthélcmy el Carnot, le ministre de la
police Cochon, et Ilamel , commandant la garde du Corps lé-
gislatif. te méme sort fut réservé aux rédacteurs de joumaux ;
en un mot , le partí royaliste et constitutionncl fut frappé de mort,


La journée du iR fructidor était l'rcuvre de Barras. Le parti
royaliste avait été terrassé par les mesures énergiques du Direc-
teur, qui, aprés cette époque, gouvcrua la France, Barras, h0l111UC
de plaisirs et de fcrmeté, devint pourtant le point de mire des
mouvements pour la Ilcstauration. Gcntilhomme devieillcsouchc,




enAPlTRE I. 39
parent de lU. de Blacas , (fui, jcnne alors , était agent de
Louis XVIII a Saint-Pétersbourg , et qui , depuis , exerca une
si grande inf1uence en 181 li , le vicomte de Barras n'inspirait
pas al'émigratíon ces répugnanees qu'elle éprouvait pour les 1'0-
turiers parvenus <fui dirigeaient la Hévolution. Les prcmieres ou-
vertures furent faites aBarras, dans une partie de ehasse aGros-
hois , par un nommé David l\Iounier, qui avait quelque liaison
avec Bottot, secrétaire intime du Directeur. Barras les écouta
avec eette légereté de manieres qui déguisait souvent des des-
seins plus profonds; il ne répondit paso Trois jours aprés, David
Mounier, dinant chez le Directeur, Barras, s'adressant alui en
souriant , lui dit : « Eh bien! I'homme aux propositions étranges,
vous ne m'en parlez plus. » Ces paroles enhardirent David )Iou-
nier , et une confércnce avec le Directeur fut indiquée dans un
jardín rue de Babylone. Barras finit une longue eonversation par
ces paroles: « Mes plans sont faits; j'en ai einq, nous ehoisi-
rons, Il est temps de finir tout ceci qui s'écroulera unjour; par-
tez.' Je m'expliquerai quand on se sera expliqué; indemnité et
snreté, voilá tout ce que je demande. » Quatre personnes Iurent
mélées acctte négociation : dabord David ñlounier, le marquís
de la )Iaisonfort, le duc de Fleury, iU. de Blacas. II fallait faire
cnnnaitrc au Hoi les propositíons de Barras, et obtenir les süretés
et les iudemnités qu'il demandait; il fallait enfin communiquer a
quelques-uns des cabinets coalisés les nouvellcs espérances de
restauration , afin d'en rctirer les subsides nécessaircs,


te marquis de la '\Iaisonfort se chargea d'exposer au roi
Louis XVIII le but et l' importancc de la négociation : « Sire , il
est Impossiblc qu'il se présente jamais une ehanee plus avanta-
geuse pour Votre l\Iajesté; ce n'est plus une misérahle conspira-
tion qui se trame par des particuliers sans moyens, sans alen-
tours, sans connaissance du flux ou reflux des faetions; c'est le
rhcf du gouvernement, c'est I'hommc presque assisavotre place
qui YOUS l'offre; c'est cclui des cinq qui a le plus d'énergie ,
celni qui, danscemoment , a le plus de prépondérance, celui qui,
dans le partage du pouvoir, a la survcillance de tons les corn-




40 mSTOJRE DE lA RESTAURATIO:\".
plots et la grande poIice de la Ilépublíque ; celui , enfin , contre
leqnel on ne peut rien, et que Carnot dédaigna sottement au
18 fructidor, Au milieu de quatrc avocats, c'est un gentilhomme,
et, quoi qu'on en dise , attaché ¿. des sentiments monarchiques ,
paree que, en sa qualité de gentilhomme, il lcs a sucés avee le
lait de son enfanee. Sire, Barras est l'homme le plus comurode
a réeompenser; il ne veut imiter ]\[onek que par I'action qu'il
fit; il n'eu veut pas les récompenscs, La raison luí dit qu'il se-
rait une monstruosite dans votre eour ; il ne songedone aycon-
scrver ni place, ni crédit , ni honneur; il vcut sculement süreté
et indemnité. Un des plus grands avantages du plan de Barras,
Sire , c'est que s'il veut en finir avec la Républíque, il veut que
vous en fillissiez avec la Ilévolution. Il ne passerapas, comme le
feraient l'avoeat Merlin, le théophilantrope Laréveillere , l'atra-
bilaire Rewbell, le diplomate Treilhard , un hiver avous faire
cinq cents pagesde conStu ution; il veut que vous soyez ici sans
-préambuie el sans restriction. ))


Louis XVIII adopta avee empressement l'idée d'ouvrir une
négociation direete avee Barras; et, malgré l'opposition du due
de Flcury, qui voulait suivre seul cette affaire, M. de la Mai-
sonfort envoya les lettres-patentcs du lloi en íaveur de Barras.
Elles eontenaient: ( Que le général Paul de Barras consentait á
rétahlir la monarchie en la pcrsonne de Louis XVIII, et que
ron se chargeait, en échangc , de satisfaire aux deux premiercs
conditions en faveur de 1\1. Paul de Barras, savoir, süreté et in-
demnité, en engageant sa parole sacrée de s'interposer entre
Paul de Barras et tout tribunal quelconque qui voudrait con-
naitre de ses opinions et de ses votes, et d'annuler, par son
pouvoir souverain , toute reeherche aeet égard; le Roi lui pro-
mettait en outre une large indemnité évaluée en une somme au
moins de 12 millions de Iivrcs tournois, équivalente adeux an-
nées de ses bénéfices dans les fonctions de directeur. On n'y
comprenait pas 2 millions distribués ü ses coopérateurs, sans
compter les sommes nécessaires aux Iraisdu mouvernent 11 eflcc-
tlH'I' dans rl\r¡~, )} Cf'R lí·ttr('~ ('tniC'Ht flignérs dunni, con trf'~sigl)(~{·s




r.HAPlTRE J. 41
par le comte de Saint-Priest , qui tenait alors de Louis XVIII le
portefeuille des aífaires étraugeres: elles furent scellées du grand
scel. Il ne fallait plus que réunir l' argent promis a Barras.
Le Directeur était-il de bonne foi? ne voulait- il que s'em-
parcr des sommes qu'on lui offrait , pour agir ensuite ainsi
qu'il I'entendait et que les circonstances pouvaient l'indi-
quer? C'est ce qu'il est impossible de savoir; la seule chose
certaine , c'est qu'en 1814 les lettres-patentes furent invoquées
par Barras comme des titres favorables sous la nouvelle Restau-
ration.


En méme temps que ces lettres-patentes étaient expédiées a
Barras, l\HI. de Blacas et de la Maisoníort exposaient a Paul I"r
les bases de la négociatíon et sa haute importance ; ils sollieitaient
des subsides pour menor a fin cette affaire. Paul Icr avait alors
chaudement épousé la querelle de Louis XVIII. « S. l\I. l'em-
pereur de Russie, est-il dit dans la note de ál. de la Maisonfort,
est suppliée d'aeeorder sa puissante entremise a la négociation
avec le direeteur Barras, et de vouloir bien s'entendre avee son
généreux allié le roi d'Angleterre , pour les sommes dont le paie-
ment doit précéder la rcstauration de la monarchie par le direc-
teur Barras. » te eahinet de Saint-Pétersbourg répondait lt cette
note: « Sa )lajesté a envoyé , le 3 juin , un courrier au comte
de "Toronsow. te ministre d' Angleterre en a fait autant en
rópondant d'avance de l'assentimcnt du gouvernement bri-
tannique. » Les agents continuaient ainsí : « La somme que ré-
clame d'ahord David ñlounier pour bien disposer le Directoire ,
est d' enviren 1100 louis. - Accordé. Que cette S0111111e soit
remiso a David )Iounier. » «Que par les orares de Sa ñlajcst« Im-
périale , les ministres chargés de traiter avec -'1. de la i\laison-
fort veuillcnt bien lui faire expédier un passe-port, non-seule-
ment pour partir de Saiut-Pétersbourg , maís encoré pour sor-
ti" de Ilussie , soit par mor, soit par terreo - Accordé. On a
mis tous les soins possiblcs pour abréger et rendre le voyage de
M. de la )Iaisonfort le plus agréable. » « )1. de la )Iaisonfort désire
étre mis en rapport directarcc le comtc de Wuronsow, a ton...




h2 mSTOIRE DE J.A RE.STAFfL\TT01\.
dres , et Son Excellence le général KorsakofT. - Accordé, Ceei
a été exécuté par le eomte Ilostopschin. » « Aussitótla communi-
cation faite a Sa lUajesté Impériale , le roi de Franco partira de
ñlittau ineognito , pour l'armée du général Korsakoff', OÚ il sera
rcconnu. Le général Piehegru se rendra soit a l'armée du gé-
néral KorsakofT, si elle est en préscnce de l'ennemi , soit le plus
pres possible des avant-postes de l'année francaise, que Barras
lui destinera. .1\1. Korsakoff y sera probablcment avec quelques
officiers surs , dont il aura fait ehoix, el une caisse militaire suf-
fisante pour porter tout ~l coup l'abondauce HI OÚ nous avons eu
soin d'entretenir la disette. - Accurdé. S. M. l'empereur a
declaré a1\1. de la Maisonfort que s'il priait le gouvernemcnt au-
glais de se eharger des trois sommes ponr Barras, Bottot et David,
il s' engageait a fournir a tout ce qui était néccssaire pour le
voyage du roi de Franee et son entrerieu a l'armée , et aux pre-
mieres sommesindispensables au général Pichegru. Il ajoute que,
ponr ce dernier objet, le général Korsakoff avait dl'ja ses ordres,
ct prendrait les sonnucs qu'il Iaudrait sur sa propre caisse, ,) Ainsi
done se suivaicut les négociations royalistes pcndant les victoires
de Suwarow,


Les grands suecos de Ronaparte en Italie, eette merveillcuse
campagne oú les vicux généraux fuyaient étonués devant une
tactique prodigicuse et nouvelle , avaient íixé l'attcntion de
Louis XVIII ct de l'Europe. En méme temps que des négocia-
tions s'étaicnt ouvertcs avec Pichegru sur le Ilhin , le e0111te de
Montgaillnrd avait couru le projet d'auirer dans les intéréts de
Louis XVIII le vainqucur de Melas el de "'unnser, le couqué-
rant de l'ltalic. On devait proposer ~l J1/. Bonapartc le conlon
hlcu , le litre de maréchal de France , et la vicc-royamé hérédi-
tairc de la Corseo Soit que ce projot n'cut pas de suite , soit que
Bonaparte l'ait repoussé , on a YU toute la part que prit l'armée
d' ltalie au H~ fructidor, et par conséqueut a la défaitc des Roya-
listes. Lorsque le '18 hrumairc cut centralisé l'autorité aux mains
du Prcmier Cónsul, les memos négociations se produisircnt : dcux
démarches Iurent Iaites , l'une par Louis XVJII , l'autrc au 110m




r.nAPITRE l. h3
do comte d'Artois, l\I. l'abhé de iUontesqniou, qui était agent du
Hoi a Paris, s'ouvrit au consul Lehrun, ancien secrétaire du chan-
eclier lUaupcou, et lui remit une lettre de Louis XVIII, pour
Bonaparte. Jamais les élogcs n'avaient été prodigués avec une
plus exquise délicatcsse.te Roi disait : « Je ne puis rien sur la
France sans vous, et vous-memo ne pouvez faire le honheur de
la Franee sans rnoi; hátez-vous done... » Les plus grands avan-
tages étaient oíferts a Bonaparte : on lui assurait la dignité de
connétable, avcc la direction de la guerreo Les Républicains eu-
rent vent des démarches faites auprés du Consul. Le ministre de
la police Fouché rédigea un rapport sur le danger d'une intri-
gue qui tendait ¿I reudre le treme aux Bourbons. Il finissait en
dísant a Bonaparte : « Citoyen Consul, vous étes l'hornme de la
Ilévolution; si vous séparez vorro cause d'elle, quel sera notre
avenir? Vous aurez votre gloire éclipsée , et les ingratitudes des
Bourbons. » Le Consul s' était déja déterminé. Lebrun fut forte-
tement réprimandé pour avoir accueilli les ouvertures de l'abbé
de Montcsquiou , et celui-ci rerut l'ordre de mettre plus de cir-
conspcction dans ses démarches.


La négociation du comte d'Artois n'eut pas un plus grand suc-
ces. La duchesse de Guiche 1, fcmme d'esprít et de bon goüt, fut
chargéo de se rapprochcr de Joséphine, qui , par l'iutérét qu'elle
portait aux émigrés , faisait supposer des scntiments royalistes,
Le Premier Cónsul fut instruit par Fouché de ces négociations
sccretos , et la duchesse de Guiche rccut l'ordre de quitter la
Frunce. Bonaparte s' était d'ailleurs fortement expliqué sur sa ré-
solution de ne point traiter avcc Louis X VIII. « Tant que je gou-
vernerai , les Bourbons ne rentreront pas en France. Si j'avais
su l'aflairc des lettrcs- patentes de Barras , je les lui aurais fait
placer sur la poitrine , et je l'aurais fait fusiller sur-lc-champ. »
'I'els étaient les sentiments du Premicr Consul , a l'égard des
Hoyalistcs; représentant de la Révolution, il voulait suivre


, Su-ur du une tic Polignac, dcpuis duchcsse dc Grarnmont; clle
JI 'étuit poinL rcutréc cu Francc , comrne hcaucoup d'émigrés ; elle y
avait fait sculerucnt un voyagc.




1I[¡ HISTOIRE DE LA RESTAURATIO:\".
sa destinée. Tout prenait cependant les formes monarchiques;
la Constitution de I'anV1II, la loi administrativo du 2tl pluviñse ,
centralisaient I'autorité et reconstruisaient un ordre de choses
favorable a cette monarchie que les Hoyalistes réraient eucore.
Ce svsteme de préfets et de maires nommés par le Gouverne-
ment, cette méfiance envers le peuple , exclu de toute partici-
pation aux affaires de l' État, I'annihilation d'une partie du Tri-
bunat, l'institution de tribunaux spéciaux , I'ordre partout établi,
faisaient disparaitre les obstacIes matériels émanés de la révolu-
tion, et qui pouvaicnt rendre impossible le rétablissement de la
royauté. En méme temps les portes de la France étaient ouvertes
a l'émigration. Sous pretexte d'amnistie et de rendre a la patrie
les fructidorisés, une multitude d'émigrés furent rayés des listes:
beaucoup recurent leurs biens d'une loi plus juste et indulgente,
ou de la munificence du Consul ; tous ceux qui voulaient s'atta-
cher a sa fortune et a son service trouvaient d'amples récom-
penses. Les aclministrations locales se peuplerent d'émigrés. te
Premier Cónsul se faisait représentcr le~ listes, et eífacait de sa
propre main les noms illustres et les scrvices de tous les siécles,
L'administratiou marchait, et la France respirait, entrai-
née par la main de Bonaparte, Voiei l'opinion que les agcnts de
l ..ouis XV1II se faisaient, ~l cette époque, de l'état de la France
et des chances de la restauration ; ces renseignements sont
puisés dans un rapport de 1\1. de Précy : « Sire , il n'existe
en ce moment qne deux factions actives et bien prononcées:
ccllc des J acobins et celle du Premier Cónsul. te parti du Prc-
miel' Consul , quoiqne le moins nombrcux en cc momcnt , esl
cepcndant le plus fort; n a l'autorité en main. Bonaparte est
tout cntier ~l son objct : il no se borne pas aux innovations: il exó-
eute lui-méme , ou survcille l'exécutiou. 11 cst p(IIlNré des in-
tcntions des J acohius , el de la néccssitó d'cxercer sur eux U1W
surveillance continuelle : il parait mém« qu' il a un prossentiment
qu'il doit Hrc lcur victime. Cetro conduite dn Premier Consul ,
la maniere dont il traite et décide les affaires publiques, le pcu
de cornmuuications qu'il a avec les deux nutres consuls et ]('S au-




CHAPTTRE r. li5
torités du gouvcmement, lui font encoré quantité d'cnnemis, Il
est en France des personnes qui supposent aBonaparte des in-
tentions royalistes , et qu'il travaille intérieurement pour Votre
Majesté; ce qui n'est assurémcnt paso On lui a fait a ce sujet des
propositions malheureusement trop formelles et trop peu secre-
tes: ce qui l'a plutót éloigné que rapproché de cette mesure. Du
caractere dont il est, il ne veut aucun conseil qui luí óte le mé-
ritc apparent d'étrc créateur de ce qui peut, suivant lui , ic con-
tluire á la qloirc et á l' immortalité. »


1/organisation admiuistrativc donnée ¿. la France par la con-
stitution eonsulaire ramcnait violemment la socíétédans lesvoies
de l'ordre. tes deux partís extremes, les ardents amis de la ré-
publique et les agents royalistes voyaient s'afTaiblir leurs espé-
rances , et tous reportaient leur haine sur le Consul. Les révolu-
tions créent des caracteres fortemcnt trempés, et font surgir ces
hommes doués d'ñmes énergiques , auxquels les temps d'orage
permettent dese développer, Rien de plus mále , de plus romain
que les figures d'Aréna , de Cerrachi , de Topino Lebrun, de
Metge, d'Humbert et de tous ces débris de la République expi-
rante ; en mérue temps, quels dévouements que ceux de Georges
Cadoudal, Limoélan, la Haye-Saint-Hilaire, et des agents armés
du partí royaliste !


Lorsque au milieu de dcux opinions passionnées nait un prin-
cipe d'ordre , un gouvernement protecteur , les deux extrémités
vaincues se rapprochent par une allianee naturelle. Si leurs sen-
timents politiqucs ne sont pas les mémes, leurs desseins díffé-
rent peu ; cal' ils veulent également se débarrasser du principe
qui les gene, et du gouvcrnement qui les comprime. Depuis l'in-
stitutiou du Consulat, grand nombre d'hommes ardents s'étaient
réunis aParis, pour se débarrasser de Bonaparte. Déja une ten-
tative avait été faite par les Bépublicains aI'Opéra, Quoiqu'elle
n'eüt pas réussi , on n'en fut pasdécouragé. Ceparti s'agitait en
tous sens pour organiser le renversemeut du nouvel ordre poli-
tique. L'un d'eux , Chevalier , longtemps employé dans l'atelier
dos poudres ele ~Jeudon 1 sous le (¡Olllit(· de Salut puhlio , coneut




lt6 IlISTOIHE DE f,A RESTAUGATION.
la premiére idée d'une rnachine destinée ~l faire périr Bonaparte.
De concert avec le nornmé Vcycer , il construisit une espcce de
baril cerclé en fer et garni de clous , auquel iJ adapta une bat-
tcrie qu'on pouvaít faire partir al'aidc d'une ficelle. L'essai de
cette machine produisit une détonation si cílrayaute , que les
Ilépublicains y renoncérent,


Les Chouans ne renoncerent pas ü l'idéc de se débarrasser du
Prcmier Consul. GeorgesCadoudal, arrivé dans le JUorbihan, par-
courait toute la Brctagnc , avec la missionde réorganiser le partí
royaliste : il s'était fait suivre de la plupart de ses officiers , JUer-
cier dit la Vendée, de Bar, de Sol de Crisol ct Guillemot, hom-
mes a caractére déterminé. JI avaít envoyé ses agents ~l Paris ,
Limoélan, Saint-Ilégcnt, Joyaux et Saint-Jlilaire, pour y décou-
vrir les moyens d'attaquer de vive force le Premier Cónsul. Les
Chouans s'étaient entendus ~l París avec tons les partisans de la
cause royale , et ils assuraient partout qu'ils allaient faire un
mouvement, Sur les vagues indications données par Saint-Ilé-
gent, qui ne lui dit pas les moyens odieux d'exécution, un écri-
vain royaliste, qu'll voyait beaucoup alors , rédigca une procla-
mation au nom d'un gouvcrnemcnt provisoire, CeL écrivaiu ala
plnme éléganto , académicicn depuis , Iaisait sa partie dans une
maisou royaliste, lorsqu'il eutendit une détonation cffrayante ;
il se retira un moment sous un prétexte , et brüla, dans un lieu
écarté, l'original de la proclamation, Ce qu'il y avait d'habile dans
la conjuration de la machine infernale, c'est que les plus ardeuts
de la chouannerie voulaíent en jctcr l'odicux sur les Jar.ohins, ct
il y avait vraisemhlancc , cal' la premiero idée venait des ftépubli-
cains et des cnraqés. Cependant l'expérience de Fouché n'eut
pas de peine ~l découvrir la méramorphose qu'avait subie le com-
plot. Saint-Régent et Carbón furent convaincus et punis de
mort ; leur sang se mela ~l celui des républicains ardents que le
Prcmier Consul fit comprcndre dans une proscription arbitraire.


Des lors, a l'idée d'une restauration hourhonnienn« vintse
méler un sanglant souveuir : quarante personnes étaient tomhées
victimes de cette machinc infernale; un quarticr cnticr d(' la ra-




ClL\l'JTHL J. h7
pitale al ait éré ébrnulé par l'cxplosion. Les agents du Iloi, ü París,
avaieut beau désavoucr la pcnséc de. cct atrentat , il n' en restait
pas moins la conviction que pour le triomphe de la cause roya-
liste le sang avait coulé, et que la plus eflroyablc des conspi-
rations avait été imaginéc par les Bourbons, De la , cetro habitude
du peuple , de donner le nom de briqands aux agents royalistes.
Lesvoitures publiques étaicnt arrétées, les caisses de l'.Étatpillées;
le sénatcur Clément de Ilis fut enlevé par des bandes armées.
Le commcrce Ianguissait de ces violences contre les propriétés
publiques et privées. La causc.royaliste pcrdit beaueoup dans
l'opiniou, Qui eüt alors voulu subir I'épithctc de Chouan? Ces
souvenirs furent une des difficultés de la Restauration !


Ces complotsau prolit des Bourhons se tramaient en Franco,
tandis que; le roi Louis XVIII, forcé de quitter sa rési-
denee de Blauckemhourg, implorant vainemcnt un asile en Saxe,
se réfugiait a Mittau ; c'est la qu'il fixa sa petite eour,
composée alors du comte d'Avaray, du duc de Guiehe 1, capi-
taíno des gardes , du comte de Cossé , du marquis deja Chapelle ,
ministre de la guerre; M. de Saiut-Pricst , ministre des.affaires
étrangércs ; le marquis de Jaucourt , sans portefeuilIe; le due
de Yillcquier , premicr gentilhonuue ; le vicomtc d'Agoult , le
chevalier de Monlaignae, et le chcvalier de Botherel , i\DI. Guil-
lcnny et Courvoisier, maitrcs des requétes. C'était lü que se rédi-
gcaient les instructions des agcnccs. Louis XVIII, avec ce taet
exquis qui le distinguait , ce bonheur et cctte mauie de style
épistolairc , passait des journées a sa corrcspondance ; i1 écrivait
lcttres sur Iettrcs pour parler des malheurs de son peuple , si
heureux pourtant sous le Cousular. te Hoi rccevait a Miuau une
r~l\te de 20lH)Oü rouhlcs, ou envirou 600000 írancs , de l'cm-
pereur Paul , cutre 8ú 000 francs que Iui Iaisait l'Espagne. Ces
sommes suffisaicnt a l'cntrcticu de toute la eour : chaqué sei-
gneur, logé, chauffé ct nourri , rccevait 100 louis par an pour
ses dópcnses, Sa Iamille n'était pas tout entiere autour de lui : le


1 Depuls duc de Grarnmont, pero du duc <le Guiche , mcnin du
."..---'Dauphiu, due d'Anaeuléme, r~


u .~\'-"'~




48 BlSTOlHE DE LA RESTALHATW,\.·
comte d'Artois continuait ü vivre en Angleterre, C'était LIme
des complots qui se tramaient en France , et de ces agitations sur
les cotes de Bretagne, qui troublaient le gouvernement de la Hé-
publique. Oepuis sa deplorable conduite a l'Ile-Dieu , le comte
d'Artois inspirait peu de confiance et de considération au cahinet
anglais. Il avait des dettes , et cependant on lui assurait un
subside pour ses besoins et ceux de ses principaux amis, Ses
deux fils, les ducs d'Angouléme et de Berri , avaient paru un mo-
ment al'armée de Condé; le prcmier vivait aupres du Hoi, l'autre
voyageait sur le continent. Leurs caracteres ne se distinguaient
par aucun trait sailJant ,par aucune supériorité : le duc d' An-
gouléme avait l'esprit peu étendu, mais une certaine rectitude
de j ugemen 1 corrigeait les défauts d 'une éducation négligéc , le
duc de Berri , ardent , impétueux , sans grandeur de manieres,
ne manquait pas de cceur, et dans quelques engagementsqu'avait
soutenus l'armée de Condé il avait montré un brillant cou-
rage.


C'est al\littau qu'arríva Madame Royale, éehangée centre les
représentants du peuple captifs; elle avait alors dix-huit ans, Une
longu~ captivité avait laissé des traces profondes dans son esprit
et dans son cceur. La fille de Louís XYI fut recuea Mittan avec
tendresse. Jeune et infortunée, elle inspirait ce respect mélan-
colique attaché au malheur. Elle fut unie au duc d' Angoulérue ,
dans la chapelle catholique de l\littau. Une lettre du Boi , écrite
a lU. le duc d'Harcourt, son amhassadeur a Londres, indique
que ce fut a cetteépoque que S. A. H. le duc d'Orléaus se ré-
concilia avec la famille royale. Il était arrivé a IUiuau un jeuue
homme de vingt-quatre a vingt-cinq ans, qui , conduit par sa
mere, était noblement venu se rapprocher du roí Louis XVIH.
Le Boi disait dans sa lettre : « Je m'empresse de vous Úlil'e part,
1\1. le duc , de la satisfaction que j'éprouve d'avoir pu exercer
ma clémence en faveur de M. le duc d'Orléans, mon COUSill. Sa
respectable mere, cette princesse vertueuse ra été trop grande
dans ses malheurs, pour recevoirde ma part une uouvelle atteinte
quí auraít porté le déseepoir et la mOl~t daus :soo ceeur. Elle a




CllAPITRE 1. 49
été l'intermédiaire entre son roi et son fils. J 'ai recueilli avcc
sensihilité les lannes de la mere, les aveux et la soumission du
jeune prince , que son peu d'expériencc avait livré aux sugges-
tions coupables d'un prince monstrueusement criminel. )


Alors la Russie s'était déclarée contre la République. En pas-
sant a ~Iittau, Suwarow avaitbaisé les mains du Iloi et lui avait
dit : « Sire, le jour le plus hcureux de ma vie sera celui OU je
répandrai la derniere goutte de mon sang pour vous mettre en
état de remonter sur le trñne de vos peros, ) I..esespérances roya-
listes furent décues , et Korsakoff fut vaincu ¿l Zurich. Du zéle
le plus ardent pour cette cause, Paul passa tout aeoup ¿l la plus
froide indifférence. L'admiration pour Bouaparte alla, dans ce
cceur demi- barbare, jusqu'a l'exaltation, et un ordre du 21 jan-
vier f8Ó1 intima au roi Louis XVIII qu'il cut aquitter sa re-
traite de ~littau. Au milieu du noir climat de la Ilussie, le Itoi,
Madame d'Allgouleme se mirent en marche, .traversant les neiges,
les glaces de la Courlande et de la Livonic. La petite cour cou-
chait tautót dans une simple et sale auberge, tautót dans les chá-
teaux de quelques vieux geutilshonnnes qui bravaient les séveres
défenses du Czar, pour avoirl'honneur d'héberger un roi. Enfin,
on arriva al\lemel, oü I..ouis XVIII fut obJigé de congédier ses
gardes du corps, ces fideles serviteurs , qui s'étaient réunis au-
tour de sa personne aprés la mort de Louis XVI. te gouverne-
ment prussien ne consentit ¿l recevoir Louis XVIII qu'a l'expresse
eondition qu'il ne serait point traité en roi, et qu'il prendrait le
simple titre de eomte de Lille.


Quelle espérance restait-il encoré a la cause royale? Le seul
cnnemi qui avait Iait faee a la Francc et soutenu les droits des
Bo~rbons venait de traiter avec le Premier Consul; la paix d' A-
miens avait été concIue. L'arméedc Condé fut dissoutc. Beaueoup
d'émigrés, ala faveur de l'amnistie, étaient reutrés en France ;
d'autres sedisperserent en Allemague. Sur ces entrefaites, )1. de
Meyer, présidentde la Diete de Varsovie , se préseute au Hoi (le
26 février 1803), et lui Iait, en termes tres-mesurés, la propo-


1. 5




50 mS'f01HE J)E J.'\ HESTALJUTlOl\.
sition de rcuonccr au tróne de Franco pour lui et les sicns, Connuo
prix de ce sacrificc, Bonaparte était disposé ¿I assurer au Roi et
ü sa famille des indenmités ainsi qu'une cxistcnce brillante.
Louis X VIII ne voulut point entcndré ces propositions , et fit
avec dignité la réponsc si connue, qui fut remiso par écrít ¿l
M. lcprésident Meyer. Cette réponse devait étro ensuite traus-
mise au Premier Consul. « Je ne coufonds par M. Bonaparte avcc
ceux qui 1'on précédé ; je lui sais gró de plusieurs actos d'adrni-
nistration, cal' le bien que l'on fera ü mon peuple me sera tou-
jours eher; mais il se trompe s'il croit m'engager ü transigcr
avec mes droits : bien loin de la , il les établirait luí-méme, s'ils
pouvaient étre litigieux, par la déuiarchc qu'il fait en ce moment,
J'ígnore qucls sont les desscins de Dicu sur ma rafe et sur moi ;
mais je eonnais les obligations qu'il ru'a imposées par le raug oú il
lui a plu de me Iaire uaitre. Chrétien , je remplirai ces ohligations
jusqu'a mon dernier soupir; fils de Saint-Louis , je saurai, a son
cxemple , me respecter jusque dans les fers ; successcur de
Francois I'", je veux du moins pouvoir dire comme lui : Tout
est perdu, fors l'honncur. » Toutcs les instanccs furr-nt inutik-s ;
on fit entrcvoir aLouis XVIII que cette note, si pleine de gran-
deur et de fierté, pourrait blesscr le Prcmier Consul; il répon-
dit qu'elle était aussi modérée que possihle ; que ~I. Bonaparto
n'aurait pas le droit de scplaindre, Iors mémc qu'on l'aurait
appelé reholle et usurpateur. - .'lais il scrait possihle , luí ajou-
ta-t-on , que les Puissauccs qui vous accordcnt des subsidcs
fussent obligées de vous les rctircr. - Je He crains pas la pan-
vreté, répondit le Hoi; s'il le Iallait, je mangerais du pain noir
avec ma famille et mes fideles scrviteurs, Jlais jc n'cn scraí ja-
mais réduit HI : j'ai une autre ressource , dont je ne crois pas
devoir user tant que j'aurai des amis puissants ; c'est de Iaire
connaitre mon état en France , et de tendre la main, non au
gouvernement usurpateur , cela jamais , mais ~l mes fldeles su-
jets , et croyez - moi, je serai hieutót plus riehe que je ne suis.
-l\lais il scrait possihle (!U'OH Iút contraint de nc plus YOUS




r.nA PIrRE T. 51
donncr asile daus un État ami avcc la Franco. -.Te plaindrai le
souverain , dit le Iloi , qui se croira forcé de prendre ce parti ,


. ., ..
mais en ce cas , J'' m en irar. »


Louis XVIII donna eonnaissance a sa famille des propositions
qui lui avaient été faites , et tous les princes , le eomte d'Artois ,
les ducs d'Angouléme et de Berri , le duc d'Orléans , les princes
de Condé et de Conti signerent la protestation suivante : «Nous,
princes , soussignés, frér«, neveux et eousin de S. ~I. Louis XVIn,
roí de France et de Navarre, pénétrés des mémes sentiments
dont notre souverain seigneur et roi se montre si glorieusement
animé dans sa noble réponse a la proposition qui lui a été faite
de renoncer au tróne de France , et d' exiger de tous les princes
de sa maison une renonciation aleurs droits imprescriptibles de
suceession ace méme tróne , déclarons : que, notre attachemeut
anos devoirs et a nutre honneur ne pouvant jamais nous ])er-
mettre (le transiger sur nos droits, nous adhérons de cceur et
d'áme ala réponse de notre roi; qu'a son illustre exemple , nous
ne nous préterons jamais a la moindre démarche qui puisse avi-
lir la MaisoJl de Bourhon; et que si l'injuste emploi d'uue force
majeurc parvenait (ce qu'á Dicn ne plaise!) a placer de fait et
ajamáis de droit sur le tróno de Franco tout autre que notre roi
Iégitime, nous suivrions avec autant de confiance que de fidé-
lité la voix de l'honncur, qui nous prescrit d'en appeler jusqu'a
notre dernier soupir aDieu , aux Francais et anotre épée. »


Alors seulement le roi Louis XVIII et les Iloyalistes ne comp-
terent plus sur Bonaparte. Avaient-ils hesoin du meurtre du
duc d'Enghien pour s'en convaincrc ? Imiter lUonck, c'était un
role Mja pris ; il fallait quelquo chose de neuf et de plus grand
au génie de Napoléon !


Le desseín du Consul ¿l l'empire n'était plus un secret. Déja
Lucien avait publié sa Inmenso brochure sur le parallele de
1lo71ck ~ Cromrceíl et Bonaparte. Les préfets recurent 1'01'-
dre de préparer les esprits a la eonstitution nouvelle, dont Oll
discntait les bases dans les réunions de Saint-Cloud et parmi les
ronfidents du Conseil-d'État. César visait a la pourpre d' ¡\ u-




52 HISTOInE DE LA RESTAURATI01.\'•.
guste. Dans cette situation d'esprit , un véritable méeontente-.
ment se manifestait dans l'armée. Bonaparte trouvait bien un
dévouement absolu parmi la garde consulaíre, dans ses jeunes
lieutenants des armées d'Italie et d'Égypte, et dans quelques
généraux sans idées politiques , tels que Lefebvre , Junot, Sa-
vary ; mais Moreau, Masséna, Jourdau, tous les vétérans des
armées de Sambre-et-ñleuse et du Rhin détestaient l'ambitieux
jeuue homme qui aspirait a la dictature impériale, Déja cette
oppositionde l'armée s'était mauifestée lors de la publication du
Concordar et des cérémonies du culte catholique. Un vieux gé-
néral républicain s'était écrié: « Bonaparte , tu veux done réta-
blir les préjugés que nous avons effacés dans le sang? ) Un autre
avaít dit : « C'est beau, mais il n'y manque que le million
d'hommes sacrifiés pomo détruire toutes ces capucinades. )
Bonaparte revenait bien tout éclatant de la gloire de Marengo,
mais la bataille de Hohcnlinden était un fait d'armes plus décisif
encore. Moreau s'était couvert de lauricrs, et rapportait une
réputation plus pure , plus désintéressée que celle du Premier
Consul; son état-major le chérissait , lui était dévoué surtout;
ses lieutenants Lecourbe, Dessolle et Lahorie, tous les hommes
de son école , ne dissimulaient pas la haine qu 'ils portaient a
Bonaparte.


Les Royalistes , toujours a l'añüt des ehanees favorables qui
pouvaient s'ouvrir pour le rétablisseruent de la Maison de Bour-
hon , cherchaient ase rapprocher de cette partie mécontente de
l'armée, Pichegru avait quitté Londres pour se rendre ¿l Paris.
Il avait servi de líen naturel au complot contre le gouvernement
de Bonaparte. Pichegru avait connu Moreau al'armée du Rhin.
On annoncait méme que queIques ouvertures sur le rétablisse-
ment de la lUaison de Bourbon avaient déja été faites aMoreau.
Une grande partie des officiers de Gcorges Cadoudal étaient
également arrivés de l'armée royale du Morbihan a Paris. De
fréquentes eutrevues avaient eu lieu entre Lajolais , aide-de-
camp de Moreau, et Pichegru. Quel pouvaít en etre l'objet?
On no sait pas si ~I()reUl1 VOllluit la resrauratíon des BOl1rhons;




CHAPlTRE T. 53
mais il n'est pas douteux qu'il n'adoptát avec faveur tout projet
qui tendait a renverser le pouvoir de Bonaparte. Bientót la po-
liee fut prévenue que 1\HI. Armand de Polignac , Jules de Poli-
gnae, Charles de Biviére étaient a Paris, qu'ils y avaient vu
Georges et ses lieutenants. Bien ne transpirait sur leur dessein.
n n'existait encore aucune conviction. Le Premier Consul 01'-
donna cependant qu'ils fussent tous arrétés : Georges, les deux
l\DI. de Polignac, le marquis de Riviére , Pichegru el Moreau
lui-méme. L'arrestation de Georges fut violente. L'énergique
chef de l'armée du Morbihan renversa d'un coup de pistolet
l'officier de paix qui tenait la bride de son eheval. l\DI. de Poli-
gnac et de Iliviere furent sueeessivement saisis ehez une femme
qui leur avait donné asile. lIs subirent leur interrogatoire, dont
i1 résulta de curieux détails sur les projet de restauration. Le
conseiller Réal demanda a Georges : « Quel est le motif qui vous
a amené aParis.- J'y suis venu daos l'intention d'attaquer le
Premier Consul. - Quels étaient vos moyens d'attaque? - L'at-
taque devait étre de vive force. - Oú comptiez-vous trouver
toute cette force-la? - Dans toute la Franee. - II Ya done dans
toute la France une force organisée a votre disposition et acellc
de vos complices? - Non, mais il y aurait eu une réunion de
forces a Paris, - Quels étaient done vos projets et celui de vos
conjurés? - De mettre un Bourbon a la place du Premier Con-
sul. - Quel était le Bourbon désigné ? - Louis-Xavier-Stanislas ,
ci-devant MOXSJEUR, reconnu par nous pour Louis XVII r. »


1\1. Armand de Polignac fut également interrogé. ( Quels
motifs ont dérerminé votre voyage et votre séjour actuel en
France ?- Le désir de voir mes parents, ma femme et mes
amis, - Le prince cornte d' Artois n'était-il pas attendu en
France pour le mois de févricr? - Je n'en ai pas la eertitude;
mais si le prince en avait eu l'intention , je suis assuré qu'il ne
se serait rien passé de vil ni d'odieux. Si Georges et les siens
sont ici d'aprés les ordres du prince , ils n'auraient ríen entre-
pris sans que le prince Iüt arrivé , et alors il y aurait eu engage-
ment personnel et loval entre le prince , soutcnu de ses partí-




5lJ HISTOIRE DE IA nESTA{TnATIO~.
sans, et le Premier ConsuI. » I\l. de Jliviere répondit aínsi a
l'interrogatoire de la polire : « Quels sont les motifs de votre
voyage ? - I)e m'assurer de l'état des partis et de la situation
politique intérieure, afind'en faire part aux Prinees qni auraient
jugé, d'apres mes ohservations, s'ils devaient venir en Franco
ou rester en Angleterre. Je dois dire que je n'avais recu aueune
mission particuliere d'eux dans ce momento - Quels sont les
moyens dont on voulait se senil' pour assurer ou opérer le
rétablissement que le prinee et tous ses adhérents rcgardaient
comme prochain? -.Te ne sais pas positivcment, mais je erois
que c'eüt été la réunion d'une force imposante pour s'attirer
des partisans.- Accusé de Iliviere , reconnaissez-vous ce por-
trait?·- C'est celui de monseigneur le eomte d'Artois , qu'il
eut la bonté de me donner. La légendc qui est dcrriérc est de
mon écriture ; en voici le eontenu : paroles de monseigneur :
« (íonscrre-toi ]Jom' moi, cnrers et contrc nos ennemis C011l-
11lUJlS~' 22 oaobre 1796. Donné par -1\l¡;1' le eomte d' Artois a
son ami fidele de Ilivierc et son aide-dc-camp , a son rctour de
plusieurs voyagcs dnngoreux ¡\ París et rlans la Vend(·c.» le
comte rl'Artois m'a remis ce portrait :\ la suite de la nouvelle de
ma mort qui s'était répanduc.» 11. Julos de Poliguac. (( "\ quelle
époque avcz-vous quitté l'Angleterre? - A peu pres en janvier.
- Avec qui avcz-vous débarqué ? - Je me rappell« qu'il y
avait dans le vaisscau le gónóral Pichegru. - Quclles sont les
raisons qui vous ont détorminé ¡\ passer en Franco? - Pour
rejoindre mon frerc ct rctourner en Hussie. -\vez-vous parlé
au comte d'Artois a Londres? - Bien souvent.- ,'a,('z-vous
pas eu de coníérenccs mTC lui sur la France ? --.1(' ne peux
dissimuler que j'aie cntcndu transpircr qnelqm: chose par rap-
port ¡\ un changement de gouverncmcnt ; mais je ne parle que
d'apres les gazettes anglaises, - Avez-vous vu Pichegru ? - .Je
l'ai vu une fois , mais je u'ai ríen su de la couspiration. »


Au milicu de ces déhats une révélation importante vint jeter
de vires lumieres : Bouvet de Lozier, I1n des conjurés , avait
chcrcl.é aattenter ¡\ ses jours en se pcndant. 11apI)('1(' ü la vic, il




CHAPlTRE T. 55
demanda ¡. faire des aveux, et voici la déclaration solennellc qu'il
adressa au graud-juge, ministre de lajusticc: « C'est un homme
qui sort des portes du tombeau , encere couvert des omhres de
la mort , qui demande vengeance de ceux qui, par leur perfidie,
l'ont jeté lui et son partí dans I'abimc OU il se trouve. Envoyé
pour soutenir la cause des Bourbons , je me suis vu obligé ou de
combattre pour Morcan ou de renoncer a une entreprise qui
était l'unique objet de ma mission, lUONSIEUR devait passer en
France pour se mettre a la tete des Hoyalistes, Moreau promit de
se réunir ala causedesBourbons. Lesltoyalistes rendus en Franco,
Moreau se rétracte; il leur propose de travailler pour lui et de
se faire nommer dictateur. Voici le fait : dans des conférences
qui ont en lieu aParís entre Morcau , Pichegru et Georges, le
premier manifesté ses intcntions , et déclare ne pouvoir agir que
pour un dictateur et non pour un roi. De la , l'hésitation , la dis-
sension et la perte presque totaIe du partí royaliste. Il y cut en-
core une coníérence le 26 janvier entre Moreau , Pichegru et
Gcorges; j'étais présent ; elle nons fit présager ce que plus tard
)Joreau proposa ouvertemeut a Pichcgru tout seul; savoir : qu'il
n'était pas possiblc de rétablir k Jloi; il proposa d'étre mis a la tete
du gouvernemcnt comme dictateur, ne laissant aux rovalistcs
que la chance d'étre ses collaborateurs ou ses soldats. Je ne
sais de quel poids sera auprés de vous I'assertion d'un homme
arraché depuis une heme ala mort; mais je ne puis retenir le
cri du déscspoir, et ne pas attaqucr un hounnc qui m'v réduit. »


Des 101'8, il était évident que le parti royalisto voulait se servir
des méruntents que Iaisait dans l'arméc l'ambition de Bonapartc ,
pOllr tenter un coup de fortune. Pichegru et Moreau s'étaient
rapprochés, non pas dans le méuie desseiu , mais tous deux ani-
més d'uue haine égalc centre l'hcureux Cónsul. Les mécontcnte-
mcnts surx écurent daus I'armce , mais la conspiration royaliste
{choua. Georges Cadoudal el quatorze de ses oflicicrs porterent
avec Iicrté leurs tetes sur l'échafaud. Ils n'avaicnt point voulu
J¡.s rourber. Les Iamillcs éplorées de -'1'1. de Hivierc et Poliguac
ohtinrcnt pon!' cux, du uouvel Empcrcur, une commutation de




56 msrorns DE LA RESTAURATIOl\.
peine. Ainsi furent sacrifiées d'autres victimes aux tentatives in-
completes de la Restauration. En politique, la force la plus
grande, c'est le temps et l'a-propos,


La Ilévolutíon avait bouleversé toute la vieille société, Qui au-
rait pu sous le Directoire reconnaitre les vestiges de l'ancienne
monarchie? Le peuple était dans les institutions politiques. La
violence militaire sauvait quelquefois le pouvoir, mais l'adminis-
tration publique, partout collective, partout dans les mains des
assemblées primaires, n'offrait aucun des éléments de ce gou-
vernement monarchique que la Restauration voulait rétablir. La
royauté , la noblesse, le clergé, la distinction des rangs et des
castes , tout cela était proscrit, Supposons que la restauration
eüt éclaté au milieu de ces faits nouveaux, que d'ohstacles n'eüt-
ellepas rencoutrés ! Comment les Bourbons, avec leur gouver-
nement mou et décousu , auraient-ils pu ployer cette nation in-
docile et nouvelle al'adoration des idoles qu'elle avait renversées?
Élever la Restauration sur les ruines de la République était
chose impossible. Il fallait un gouveruement intermédiaire, qui
de sa main de fer ramenát la société dans les proportions monar-
chiques. Napoléon s'en chargea, La Constitution de l'an XII, qui
établit le pouvoir impérial , fonda une monarchie absolue. Un
Sénat nommé par l'Empereur sur des candidats désignés; un Tri-
bunat discutant a peine; un Corps législatif muet et sans pouvoir
d'amendements; un Conseil-d'État com'$osé d'hommes habiles ,
mais sous la main du prince : voila quelles étaient les garanties
politiques. L'administration centralisée transmettaut son impul-
sion par des préfets; une police forte, active, soupronneuse , ar-
hitraire ; des tribunaux assouplis , sans action sur I'administra-
tion, et réduits aleur scule fonction judiciaire , aux discussions
entre particuliers ; l'institution du jury, appelé seulement pour
les crimes privés: les trihunaux spéciaux remplacant les cours
ordinaires de justice; voila ce qui composait l'organisation du
nouvcl Empire, Il ne restait plus aucun vestige de la Ilépublique.
])es le Consulat, Bonaparte avait institué l'ordre de la Légion-
d' Honneur, sur le modele des vieilles institutions monarchiqnos




CHAPITRE L 57
de Saint-Louis et du mérito militaire. LeDirectoire avait distribué
quelques sabres d'honneur ; mais ces récompenses isolées n'ap-
portaient aucun priviJége, ne constituaient pas un ordre , une
hiérarchie de chevaliers : la Légion-d'Honneurjetait les premiers
germes d'une noblesse nouvelle, elle rappelait les distinctions abo-
líes, Son objet était élevé, généreux, mais elle anéantissait le
principe de l'égalité républicaine.:


L'Empereur ne s'arréta point. La Constitution de 1'an XII
remít sur la scene les titres rajeunis de la féodalité. La Franco
revit une nohlesse. 11 y eut des ducs , des comtes, des barons,
des chevaliers, Le titre de numseiqneur, le cérémonial de cour
emprunté aux somptuosités de Versailles, l'étiquette de deuil,
de réception, reprirent leur puissance. Peu apres , la noblesse
devint héréditaire; les majorats furent constitués; il Y eut de
grands fiefs militaires, des gouverneurs de provinces, tout l'ap-
pareil de l'ancienne monarchie, moins la royauté antique, La
religion catholique sortit éclatante et ses autels furent releves.
Les prétres échappaient a peine aux persécutions du Dircctoire,
lorsque le Concordat de l'an x rétablit le culte. Bientót l'Église
catholique cut sa hiérarchie , ses cardinaux , ses évéques , son
abbaye de Saint-Denis avec ses pompes. Le nouvel Empereur se
fit sacrer dans l'église de Notro-Dame aParis, comme les fils des
Capets aReims. Des lors il y cut aux Tuileries des chapelains, des
aumñniers , toute la troupe religieuse des cours de Louis XIV et
de Louis XV; meme les sépultures royales furent rétablies.


Aiusi Napoléon ramenant la société en arriere , l'entralnait a
la Restauration; mais son regard pénétrant avait mesuré les vices
de ses institutions. Tout fut dirigé vers la perpétuité de la nou-
velle dynastie; tout dut faire oublier l'ancienne. Un systeme
d'éducation publique entierement concu dan s les idées de dicta-
ture concentra les émotions de la jeunesse dans l'amour de son
Empereur, On savait apeine, en Frauce , s'il existait des Bour-
hons , et le culte secret des autels domestiques de quelques fa-
millos patriciennes se perdait effacé au milíeu do cene relígion
{l'rnth()n~itlsm(l ot ele gloil'l' fomlér par le f1;éniú de Napo]tíon.


{




58 HISTOIRE DE lA RESTAlTRATION.
L'esprit philosophique, comprimédans tontos ses cxpressions de
liberté politique, n'en conserva pas moins ses franchises contre
les ridicules de la vieille société religieuse et bóurbonnierme. JI
s'abaissait devant l'homme de la fortune; mais cet homme aimait
la civilisation, et toutes ses merveilles.. Tous les arts concou-
raient a céléhrer son rl~gne., a perpétuer' ses immortels faits
d'armes. Une grande partie de son armée lui était dévouée jus-
qu'a la mort. Illa menait de victoires en victoircs, tantót éblouis-
sant ses généraux par l'éclat de ses succés, tantót les accablant
par ses prodigalités habiles; majorats , pensions, décorations ,
grades, couronnes, tout s'offrait a leurs esperances. Apres la
brillante campagne de 1807, 120 millions furent distrihués ~t ses
lieutenants. C'est ainsi qu'il étouffalt les regrets pour la Itépu-
blique , et cherchait arendre imposslble le retour des Bourbons,
Sa politique était toute de fusion et d'oubli du pássé , pour con-
centrer tous lesintéréts, tous les sentiments dans le présent, Il
rendait aux emigres leur fortune, leurs propriétés, pourvu qu'ils
consentissent aunir leurs filles ases généraux, Les grades étaicnt
assurés dans ses armées aux Itépublícalns comme aux Chouans
qui voulaient adorer sa fortunc.


A voir ce vaste Empirc se mouvoir depuis Hambourg jusqu'á
Venise avec un admirable ensemble, on l'aurait cru d'une éter-
nelle durée. Cependant bien des causes de dissolution se mánl-
Iestaient. Il fallait cette grande distraction de conquétes pour
l'empécher de se heurter contre les vices de sa propre naturc.
Lorsqne I'Empereur résidait dans sa capitalc , lui seul donnait
l'impulsion a eette immense machine administrative; mais ,
presque toujours ala tete de ses armées , il était obJigé de dé-
léguer son pouvoir a un eonseiJ de grauds dignitaires et de
ministres chargés chacun d'une branche spéciale de senice.
lU. Cambacéres, archichancelier de l"Empire, joulssait de la
plus haute confiance de Napoléon. C'étaít celui qui, sans arriére-
pensée, par un besoin d'ordre profondément senti, le servait
avec le plus de dévouement. C'étaít un hommedesens , tres-
versédans I'étude deslois , voyant avee une grande sagacité les




CHAPITUE lo 59
qucstions politiqucs, Il présidaít le Conseil : ses parolcs étaient
écoutées avec attention; dans les délibérations administratives,
I'Empereur se déterminait rarement sans avoir consulté Cam-
bacéres, ~Iais, timide a l'excés , sa voix s'élevait a peine pour
contrariar le maitre dans ses desseins. Parmi les hommes de poli-
tique et d'admiuistration , Cambacéres jouissait d'une réputation
élevée; la caricature royaliste et républicaine aimait as'exercer
sur les faiblesses et les vanités de l'archichancelicr, Au fond,
Cambacéres était un homme fidele ases devoirs, un peu ébloui
de sa fortune. Dans son exil, Louis X VIII en faisait le plus
grand .cas. 1\1. de 'I'alleyrand , esprit fin, délié , ayant par-dessus
tout cette fleur de bon goüt , ces grands airs qui distinguaient
l'ancienne cour, avait eu d'abord toute la confiance de Napo-
léon qu'il servit avec dévouement au 18 brumaire, De lougucs
habitudes de cour,. des aflaires souvent embarrassées, avaient
emraiué lU. de Tallcyrand dans cctte vil' de mouvement qui déja
l'avait ,fait distinguer sous le Dírectoire, Une grande souplesse
d'esprit , une dextérité admirable pour.savoir sortiravec conve-
nance et avantage des positions les plus difficiles, lui avaient fait
une grande réputation d'habileté, Jamais physionomieplus im-
passible , jamais parole plus officielJe et plus légere tout ala fois.
Comme morale politique, M.de Talleyrand affichait une grande
iudifféreuce , et il rattachait presque toutes ses combinaisons ades
idees plus égoístes que cellesdu bien public, Une seule ambition
dominait toutes les autres, celle dediriger par lui-méme ahsolu-
mcnt et exc1usiverncnt les affaires du pays. Avec de telles. pen-
sées, M. de Talleyrand ne devait pas longtemps s'accorder avec
Napoléon : il fut disgraciécn 1t-)08, lebruit eourut qu'il s'était
opposé al'invasion de l'Espagne et aux plans gigantesques ar-
relés a. Erfurtentre les deux Empereurs, Cela le rendit popu-
pulaire; cal' l'oppositiou aux projets ambitieux de Napoléon
commencait al'étre beaucoup alors,


La nuance qui distinguait Fouché de M. de Talleyrand était
sensible : esprit non moins actif, non moins habile a se replier
sur lui-méme dans les positions difficiles, il n'avait pasces formes




60 BlSTülHE DE LA nES'l'ALJIL\.nO~.
élevées, ces bonnes manieres que le grand monde seul peut
donner. Ses allures de police , les rapports qu'elles imposent,
l'avaient habitué ane jamáis s'adresser qu'a la partie corruptible
du cceur humain. n ne voyait souvent que ce coté daos la poli-
tique, et voilá pourquoi son incontestable habiJeté fut si souvent
déjouée. lU. Fouché apportait quelqnefoisdans les affaires· une
extreme légéreté , une sorte de bonhomie. JI avaít une ré-
pngnance invincible pour les excés ; sa police était protectrice,
modérée; jamáis les opinions hostiles n'eurent a s'en plaindre;
elles le considéraient comme un appui contre les violences de
Napoléon. Personne ne connaissait mieux le parti patriote , ses
intéréts , ses complots, son coté fort, son coté niais, comment
ilfallait le conduire et le trompero Le caractére particulier de
Fouché était de n'appartenir jamais apersonne, de traiter avec
tous, afin de toujours surgir en premiére ligne atout événement.
Quand il vit que I'Empereur, incorrigible dans son ambition ,
devait périr par la guerre, il eüt désiré un changement; cal'
c'étaitI'homme qui savait le plus habilement abandonner une
cause, lorsqu'il la croyait perdue; mais toutes ses prévoyances
de révolution prenaient pour base la mort de l'Empereur,
En 1.809, tandis que Napoléon combattaít en Autriche ,
Fouché organisa les gardes nationaJes et repoussa l'expédition
anglaise de Valcheren. Bernadotte était ala tete des troupes. Le
Sénat agit de sa propre impulsion. Plus tard on· apprit <fue cet
acte vigoureux se liait aune pensée encore vague d'indépendance
politique , et que si Napoléon avait été tué a 'Vagram, on aurait
tenté un affranchissement de la patrie. Fouché n'avait pas la
confiance entiere de Napoléon , qul s'en servait: comme d'une
puissance redoutable, et qui s'en débarrassa quand le temps fut
venu, Des lors les deux hommes les plus hábiles en poli-
tique, MM. de Talleyrand et Fouché , se rangéreát dans le parti
des mécontents, mais avec prudence. Ce fut póur l'opposition
une 'grande conquéte : cal', qu'étaient lesautres dignitaires de
rEtnpire! M. Lebrun, en dehors des atTaires, longtemps en
dib-grate-dans son gouvernement de Géll('s; -Savary, espece de




CJJA.lll'rlÜ; 1. 61
gendarme en politique ; MM. de Caulincourt et Maret, esprits
exercés, mais sans étendue, sans volonté? Le Conseil - d'.État
offrait des hommes habiles et spéciaux, Treilhard, Berlier, Mer-
lin , Regnault de Saint-Jean-d'Angely , Muraire, Francois de
Nantes, Bérenger, Dejean; mais les hommes politiques avaient
disparu, Il y avait mille mains, mais une seule tete: NAPOLÉON!


Le Sénat , institution tout impériale , offrait dans ses actes
extérieurs l'image de la servilité; c'était le sénat de Rome
aux pieds de César. On se serait trompé cependant si l'on
avait jugé qu'il existát un dévouement íudividuel des Sénateurs
envers Napoléon : on confond souvent la docilité avec le dévoue-
ment; l'une nait de la crainte , l'autre vient du ceeur. Le Sénat
comptait lesdébris de l'ancienne République, les vieux généraux
de 1789 et 1791, toutes les sommités de la société intelligente
et politique. Le prestige attaché ¿t la gloire de Napoléon , ses
merveilleuses victoires, le désir de conserver leurs biens et la
paix domestique, portaient toutes ces ames molles et fatiguées a
subir les volontés du maitre. Quelques boules noires se joignaient
ü peine aux votes indépendants de :MM. Grégoire, Lanjuinais et
Boissy-d'Anglas , esprits étroits ct systématiques. Les sénatus-
consultes pour la levée de quelques ccnt mille hommes , se rédi-
geaient dans le cabinet de l'Empereur, et recevaient la sanetion


"aveugle du Sénat. La conunission sénatoriale pour la liberté de
la presse et la liberté individueJle, dérision amere, se réunissait
apeine; mais on aurait porté un jugement erroné sur le Sénat,
si l'on y avait cherché une force pour le tróne impéria1. ~Bl. de
Talleyrand et Fouché y comptaient un grand nombre de partí-
sans; les hommes d'opinions diverses , tels que Barthélemy,
l\longe, Serrurier, supportaient avec peine cette humiJiation
d'obéissance, que l'Empereur ne prenait méme plus la peine
d'ado!Ol(~ir. Aussi I..ouis XVIII, du fond de sa retraite de ~lit­
tau, comptaítsur le Sénat. Il ne lui manqua pas en 1814.


Le Tribunat avait cessé d'exister en 180S. Apres la campagne
de Prusse, les eutrevucs du Niémen et d'Erfurt , l'Empereur
a, ait jugé ínutile .toute discussiou publique. Le Trihunat J déja


l. 6




62. HlSTOlRE DE LA RESTAURATlOl'\.
décimé sous le Consulat, fut complétement supprimé , commc
une superfétation coüteuse. 1..e Corps législatif , dont la nomi-
nation appartenait, pour ainsi dire, au Sénat conservateur, se
réunissait apeine trois mois de l'année, Il n'y avait pas de con-
tradiction; deux orateurs du Gouvernement portaient un projet
de loi au Corps législatif, et en exposaient les motifs dans des
discours froidement débités; une commission était nommée, puis
on passait au scrutin sans discussion! cependant le Corps lé-
gislatif muet comptait des hommes de conscience et de liberté.
Le projet du Code pénal , conception arbitraírc , trouva 102 voix
d'opposition, plus d'un tiers des membres votants : aussi I'Em-
pereur étonné adressa-t-il une note de cabinet a ses ministres,
pour qu'ils eussent a rappeler au Corps législatif', qu'il se faisait
une bien fausse idée de sa position, s'il pensait représenter le
peuple; que l'Empereur était le premier et le seul rcprésentant
de la nation. C'était ainsi un commentaire de la loi regia; ma-
jcstatis -' en faveur du nouvel Auguste. Cette situation des corps
politiques était loin de fortiñer le pouvoir imperial, Au moindre
revers de fortune, ces institutions devaient courir a lcur in-
dépendance, comme a la conquéto de Ieur honneur et de leur
popularité, et par conséqucnt devenir hostiles a Napoléon.
Louis XVIII épiait ce moment , et recommandait ~l tous ses an-
ciens partisans d'entrer dans les corps de I'État pour le servir
dans les circonstances.


L'armée , je le répete , contenait aussi un foyer d'opposition.
Aucun des généraux de l'Empire ne possédait les talents miJitai-
res de Napoléon, mais beaucoup avaient son ambition , révaient
des couronnes , ou soupiraient apres le reposo Cette élévation de
toute la famille de I'Empereur, ces médiocrités couronnécs en
Espagne, en 'Vestphalie, en Hollaude , excitaient la jalousie des
vieux guerricrs tels que Masséna, Bernadotte, Augereau, qui se
demandaient pourquoi un jeune homme imberbe portait la cou-
ronne a Cassel , et Joseph a Madrid, tandis que les vieux capi-
taines qui avaient sauvé les armées de l'Ernpereur, n'étaient en-
core que ses lleutcnants, Beaucoup de ces vétéraus des annécs




crrAPITRE I. 63
aspiraicnt au termo de si longnes fatigues. Dans les rangs ínfé-
rieurs , ¿\ travers fe dévouomont avcugle a Napoléon et a la vic-
toire , s'était glissée la société secrete des Philadelphes , qui nour-
rissait l'esprit répuhlicain ; leur organisation mystérieuse obéis-
saít aun chef inconnu, mais respecté. Le colonel Oudet, fusillé
apr('s la hataille de "Tagram, passait pour le grand maitre des
Philadclphes , ct le guet apens qui lui fut tendu, au moment OU
Beruadotte venait de délivrer le territoirc francais a la tete des


. .


gardes nationaux, tenait sans doute ¿\ la crainte d'un complot
plus étcndu, et qui a été euseveli dans le tombeau d'Oudet. Aiusi,
une police sévere s'exercait sur l'armée : l'Erupereur y veillait
plus encoré que sur son empire; cal' qu'était son trñne sans ses
soldats l


Apres les mécontentements de l'armée venaient ceux de 1'.É-
glise, Le catholicisme avait été d'abord tout d'amour et de re-
counaissance pour le restaurateur du culte, mais les actes orga-
niques du Concordat, la conduite fatale de l'Empereur envers le
pape, avaiont soulevé un grand nomhre de prétres et de pieuses
pcrsonncs, D('ja apres le Concordat il s'était formé une petite
église qui n'avait pas voulu obéir ala convention conclue avec le
Saint-Pere ; elle conservait son dévouement pour les évéques
que la révolution avait chassés de leurs dioceses , et qui n'avaient
pas voulu donner leur démission. Plus tard , apres I'excommu-
nícation de l'Empcreur , il s'établit une société catholique en cor-
respondance avec Pie vn ; son siége étail placé aLyon et a Ge-
neve; on répandait les monitions du pape contre le gouverne-
ment impérial et des lettres encycliques. Des cardinaux et des
éveques étaíent ¿\ vinccnncs , ou détenus dans d'autres prisons
d'.État; des especes de missionnaires voyageurs, parmi lesquels
se distinguait Mja l'ardent l\l. Franchet , répandaient les bulles
parmi le peuplc. Les catholiques fervents n'obéissaient qu'avec
peine aux archevéques et évéques nommés sans étre institués;
s'il y avaít un clergé complaisant qui , a l'exemple de l'abbé de
Pradt ct du cardinal Maury , prenait possession des places lu-
cratives , des archevéchés et des évéchés opulents; d'autres plus




64 HISTOIRE DE LA RESTAUHATTO\.
saínts , plus scrupuleux, refusaient les dígnitésqui n'étaient poiut
données par le chef de l' Église catholiquo. Les rigueurs de la
police venaient échouer devantcette volonté ferole ; l'Église re-
muait les consciences et créait une oppositiou sourde centre le
gouvernement de I'Empereur; ces associations devinrent le prin-
cipe de la congrégation , qui depuis a joué un si grand role dans
la politiqueo


L'opinion publique est une puissance qui échappe a tous les
despotismes, méme acelui de la gloire, I..es prodiges du regue
de l'Empereur avaient attaché la nation ~I son chal'; mais la par-
tie moqueuse, ce faubourg Saint-Germaiu , société apart, le
salon de madame de Staél, la fraction constitutionnelle des écri-
vains qui n'avaient pas voulu s'agenouiller devant l'idole; tou-
tes ces bouches sérieuses ou spirituelles se liguaient contre les ri-
dicules vanités de la cour nouvelle ; une épigramme de madamc
de Staél trouvait partout des échos , et venait troubler les joies
de la victoire sur le champ de bataille d'Austerlitzou d'Iéna. La
police était aux aguets atoutes les portes, écoutait tous lesépan-
chements; que pouvait-ellc contre des femmes qui trouvaient
dans la persécution un aliment de vanité nouvelle? tes écrivains
politiques Daunou, Guinguené, Bcnjamin-Constant , éliminés
du Tribunat , vivaient dans la retraite sous une continuelle sur-
veillance; mais le talent se soustrait par tant de moyens h la po-
lice! et la disgráce environne souvent de tant de consídération !
Ils cultivaient les lettres comme un soulagement , et brülaient
encore un eneens ala liberté qu'ils avaient révée, L'Empereur
ne laissait passer aueune occasion de les signaler eomme des fai-
seurs d'utopies.


La taetique de Louis XVIII, au milieu de tous ces éléments
d'oppositíon , était simple: se présenter comme homme de la
liberté, comme le précurseur d'un systéme constitutionnel.
Le Roi et le comte d'Artois vivaient depuis longtemps séparés:
une froideur marquée existait entre les deux írcres ; dans la cir-
constance solennelle du sacre du nouvel Empereur , ils crurent
devoír se rapprocher, L(I rendez ... vous Iut donné h Calmar, (In




ellA PlTBE L 65
Sui'de ils v vinrent le :) octohre 1ROll. AIH'es des conférences, .
multipliées , 011 arréta une déclaration aux Fraucais. Le roi
Louis XVIII "Y promenait de maintcuir les grades, les honueurs ,
achacun sespropriétés ; l'égalité et la liberté des personnes , l'ouhli
du passé, une amnistíe génerale , et terminait ainsi : {( Au sein de
la Baltique, en face et sous la protection du riel, fort de la pré-
sence de notro frere , de cclle du duc d' Angoulérne , notre ne-
veu , de l'assentiment des autres princes de notre sang, qui tous
partageut nos príncipes et sont pénétrés des mémes sentiments
qui nous animent, attestant et les royales victimes et celles que
la fidélité , l'honneur, la piété , l'innocence, le patriotisme , le
dévouemcnt offrirent a la fureur révolutionnaire , ou ~l la soif et
~I la jalousie des tyrans ; iuvoquant les manes du jeune héros que
des mains impies viennent de ravir ~l la patrie et ¿l la gloire r ,
offrant a nos peuples , comme gage de réconciliation , les vertus
de l'auge consolateur que la Providence , pour nous donner un
grand exemple, a voulu attacher a de nouvelles adversités en
l'arrachant aux hourreaux et aux fers ; nous le jurons! jamais on
ne nous verra rompre le nreud sacré qui unit nos destinées aux
vótres , qui nous líe a lOS famillcs , avos cceurs, avos conscien-
ces; jamais nous ne transigerons sur l'héritage de nos peres , ja-
mais nous n'abandonnerons nos droits, Francais ! nous prenons
a témoin de ce serrnent le Dieu de Saint-Louis, celui qui juge
les justices,


« Donné le 2 décembre , l'an de grñce 1804, et de notre regno
le dixieme.


{( Signé LOUIS.»
Cette déclaration fut imprimée en petit format in-32 , ct ,


chose curieuse! envoyée par la poste aux autorités coustituées
et aux Franrais notables. le roi Louis XVIII Yavouait enfiu les
changements survcnus depuis 1789. On entrait dans un systeme
de concessions.


La coalition de 1805 se Iormait alors , et les agents royalistcs


, 1.1' tille' d'Enghil'll.




56 nrSTOTnE m: r,i\ nESTATTHATTO]\'.
cherchcrcnt ~I la 1Il0kr ~I <les i<lées <le restauration. 011 proposa
de mcttrc ü la tete d'un corps de Suédois l\l~I. les ducs de Berri
ct rl'Orléans qui vivaient aLondres. Le duc de Berri avait ac-
cepté , mais les événements firent échouer ces projets, L'Autriche
fut vaincue , la Prusse avait succombé ason tour. Alexandre et
Napoléon s'étaient unis d'une étroite alliance; Louis XVIII re-
vint ~I son idée primitive d'agir par l'intérieur , et de renverser
l'empire de Napoléonpar ses proprcs élémcnts, D'apres une note
fournie au Roi , et sans doute bien incxacte pour certains noms
propres , voici sur quels personnages la restauration comptait
alors : « Lebrun, archi trésorier; Serrurier, maréchal ; Lefebvrc,
maréchal : Pérignon , maréchal: Lamhretch , Lacépedc , Lan-
juinais , 1)1óville le Pclcy , Ahrial, Jnucourt , Boissy-d'Anglas,
Bal'hé-lUarhois, Pontéruulant , Clément de Bis, Chaptal , Beur-
nonvillo , Í<:mery ; B;¡rthéh1my, Dcfcrmont , Pelet (de la Lozere ),
1Holli('n, JU;¡sséna, qui , quoiqne élevé en dignités , n'est pas pour
cela plus attaché aBonaparte; Brune , maréchal d'empire, Des-
solle, général; il était , a l' armée de Hanovre, ami partículier de
lUoreau; ñlacdonald , qui a rcíusé d'étro employé; Lecourhe ,
cxilé Ü quarautc licues de París , pour avoir donné un signe d'ap-
probation a JHoreau, daus une des audiences du tribunal crimi-
ncl oú ce général avait parlé; Jourdan , maréchal d'cmpire; le
généralDejean , ami particulier de Pichegru; le général Souham,
oncle de l'abhé David, aimé de I'armée ; le général Bégnier ,
disgració pour avoir tué en duel le génél'al d'Estaing , partisan
de Bonaparto a son retour d' Égyptc : le général Delmas , exilé ~I
soixante licues de Paris , pour avoir dit it Jíouaparte qu'il ne fai-
sait que des capuciuades ; les g{~néraux ]~:bl{~, Férino , Ycrdier .
Saint-Ililaire , ami particulier de lUaedonald; Fouché, Iléal ,
{fui ont dans les mains de quoi Iaire naitrc une conjuration nou-
vello au moment oú ils eroiront qu'ellc sera néccssairc. »


C'était done par la romhinaisnn des partis républicains , roya-
listes ct constitutionnels que Louis XYIII voulait opéror ; et plus
tard , la conspiratiou 3Iallet rcposait sur ces élóments. Aussi les
agents de Paris n'avaicnt-ils plus le mémc caractére : le petit




CHAPJTRE J. 67
nombre des correspondants de Louis XVIII formait comme un
mélange de royalistes et de doctrinaires constitutionneIs. C'étaíent
l\HI. l'abbé de Montesquiou , Iloyer-Collard , Camille-Jordan ,
qui servaicnt les intéréts du Roi dans la capital e , et entretenaient
sa correspondance , mais avec une extreme timidité. Les Roya-
listes, presque sans espérances, ne cessaient cependant d'agir ;
ils entamerent , en 1807, une négociation avec Berthier, devenu
prince souverain de Neufchátel. Déja une précédente négo-
ciation avait été essayée en 1798; et, tandis que Louis XVIII
ofTrait le cordon bleu a M. Bonaparte, il assurait le cordon rouge
et le rang de lieutenant-général a Berthier. En 1807, on avait
travaillé sur de plus larges bases; et le grade de maréchal de
France Iui avait été ofTert. Mais ríen ne réussissait; presque
ton tes les tentatives avaient échoué, et le Roi, aqui on deman-
dait de nouveaux pouvoirs ct des instructions, répondit : « QueIles
instructions puis-je donncr ? queIs pouvoirs puis-je répartir? qui
en revérirais-je ? On demande que je parle de nouveau ; aqui?
comment , en quel Iangage? Tout est renfermé dans ma décla-
ratíon de Calmar. S'agit-il d'un militaire? conservation de l'em-
ploi, avancement proportiouué aux services , abolition du regle-
ment de 1781 , tout y est assuré, Veut-on aborder un adminis-
trateur ? son état sera maintenu, D'un homme du peuple? la
conscription, cct impñt le plus onéreux de tous, sera abolie. A
un nouveau propriétaire? je me declare le protecteur des droits
et dcsintdl'éts de tous. Aux coupabIes enfin ? les poursuites sont
déíenducs, l'amnistic générale est solennellement annoncée, la
porte du rcpentir ouvert«. Si jc me trouve , comme Henri IV,
dans le cas de rachcter mon royauuie , jc donnerai des pouvoirs
aqui cela sera néccssaire , mais actuellcment , ce n' est pas le caso


« Mitlau, "22 rnars 1ROG.
« Sl~gnd LOUIS. »


Les idées avaient ainsi bien changé depuis les déclarations de
179/¡. Ce n'était plus un stérilc pardon qu'on ofTrait, mais on
commeneait a traiter ayer. la Ilévolntiou sur <les bases constitu-




68 HISTOIRE DE I.A RESTAURATION.
tionnelles. Le comte d'Antraigues, dans un l\lémoire fort étendu,
abordait méme les questions vitales, celles de l'aliénation des
biens des émigrés, « A parler clair, disait-il , quel est le parti
qui a créé Bonaparte et qui le soutient? ce sont les Jacobins;
non pas la populace de ce parti, mais les chcfs dans le gouvcr-
nement , dans les armées, dans les départements, Lui seul peut
aussi le renverser, Que doivent désirer, pour opérer ce graud
mouvement, les chefs de ce parti tout-puissant? 1°. La súreté
individueIJe de leurs personnes; 2°. la perpétuité de' tous les
emplois dont ils sont revétus ; 3°. l'assurance la plus positivo
de la jouissance des propriétés qu'ils ont acquises , de quelque
nature que soient ces propriétés et le moyen employé pour les
acquérir. 01', je pense que I'cxécutíon de ces trois articles est
devenue en 1806 une nécessité irrésistible par la scule force des
événements et des choses , et par conséquent que I'assurance
que 1'0n doit placer sur leur exécution , ne reposantplus sur les
promesses des hommes, mais sur l'absolue nécessité, au lieu
d'une assurance morale , devient une assurance physique. tes
régicides ont, sans doute , commis un grand crime; mais ceux
qui renverseraient le tyran actucl, rappelleraient le Roi sur le
trñne de ses peres , et donncraient ainsi la paix a leur patrie et
le repos au monde, rendraient le plus étonnant de tous les ser-
vicesqu'il soit au pouvoir des hommes de rendre al'univers , et
ace titre, sansdoute , ils ont droit ad'étonnantes réeompenses.
C'en est une étonnante, en effet , qu'une existence assuréeet la
possession de leurs richesses , ou l'acquisition d'une grande for-
tune-apres les événements qui se sont passés : et je suis con-
vaincu que le consentement universelde l'Europe sanctionnerait
les promesses sacrées que ferait le l\lonarque. La Bévolutiou a
fait quelques établisscments utiles; elle en a détruit qu'il est im-
possihle de restituer, L'autorité royale saura légitimer ce que la
Révolution a fait de bon et l'amalgamer méme avee ce qu'il cst
utile de rétablir. Qui peut faire ce travail, si ce ne sont les ma-
gistrats aetuels au courant des affaires des hommes et de l'inté-
riit national? Qnant au militaire. on comif'nclra ([n'il on Iant




í.HUITnE 1. 69
en France; qu'il le faut habile , primant , en état de maintenir
la sécurité au dedans et le respect au dehors : et si jamáis il fut
nécessaire d'avoir un état militaire imposant, c'est surtout aun
roi qui succede aune révolution et qui la termine. En ce mo-
ment, l'I~tat est faible s'il n'est fortifié par une force militaire
capable de commander les égards et le respeet au dehors comme
au dedans, Quel roi serait assez fou pour chercher un autre état
militaire que celui qui existe, et dout les succesont si bien con-
staté la force? Uestent les possesseurs de biens nationaux, et
cette question rentre dans celles des süretés que tous désirent.
Elle était tres-difficíle a traiter avaut 1800. l\lais il a plu aDieu
de la simplifier. En 1800, la tres-grande partie des anciens pro~
priétaircs étaicnt hors de France , et réclamaient les héritages
dont la violenee seule les avait dépouillés, JUais lorsque le tyran
aetuel a ouvert les portes de la France aceux qui lui promet-
taient ñdélité , et qui préalablement consentirent a la vente de
leurs propriétés, des lors les anciens propriétaires ont été libres
de conserver l'intégrité de leurs prétentions ou d'en faire le sa-
crifice. Personne n'a provoqué, personne n'a empéché leur ren-
trée; d'apres ce que l'on m'a dit, Je Roi ne l'a pas autorisée,
il ne l'a pas défendue; il s'est tu, laissant aehacnn disposer de
lui et de ses hiens suivant sa eonscienee et sa volonté. 11 n'y a
done eu, dans eet événement , aucune espece de eontrainte, il
ne peut done y avoir acet égard aucune espéce de réclamation.
Ceux qui sont rentrés se sont soumis aux lois du tyran , et luí
ont livré leurs propriétés; ils s'en sont bien légalement dépouil-
lés, » Cet exposé était eneore bien loin des principes qu'il fallait
établir pour constituer une restauration durable; mais un pas
immense était fait, les qucstions vitales étaient franchement
abordées , et celle des biens nationaux résolue.


Apres la paix de Tilsitt, LouisXVIII comprit que son séjour
¿llUiUau pourrait embarrasser la politíque d'Alexandre avec Na-
poléon. Il est memo certain que déja quelques insinuations
avaient été faites de la part de I'empereur de Russie pour que
ir noi rOl h qnltter 8(\ l'P\raitr, ('t elwrchM asile dans d'autres




70 mSTOIRE DE LA RESTAURATTO~.
contrées. 'I'out le continent obéissait alors a I'influence de Ka-
polóon. Le Roi, le duc d' Angouléme , le duc d'Avaray, qui
réunissait tous les titres ministériels , M. de Blacas , son parent ,
.iU. de Damas-Crux , aide-de-camp dn duc d' Angouléme , s'em-
harquerent sur la frégate la Fraua que le roi Gustave-Adolphe
avait fait mettre a leur disposition, Les iIlnstres passagers avaient
choisi l' Angleterre pour retraite.T,e cahinet anglais n'était point
prévenu , et lorsque la nouvclle de lenr arrivée se répandit,
S. A. R. le comte d'Artois et la coterie de ses plus intimes confi-
dents s'opposerent vivement au débarqnoment de Louis XVIII,
ct proposercnt ¿l M. Canning, ministre des affaires étrangeres,
de I'envoyer dans l'intérieur, afin qu'il ne püt exercer aucune
inílucnce sur les démarches des émigrés a Londres, lU. Canning,
en effet , adressa des ordres ¿l tous les chefs de port , pour qu'ils
cussent ¿l intimer ala frégate la Frasja d'aller toucher aLeirh ,
ct que Louis XVIII cut a se retirer ¿l Édimbourg. Le Roi ré-
pondit : « Qu'il ne venait point demandcr un asile; que le hut
de son vovage était entierement politique , et qu'il avait pour
objct ses intéréts comme roi de Franco. »


V' cabinet délihéra penrlanr trois jours : I'opinion de 1'1. Can-
ning fut balancéo par celles de plusicurs nutres memores du mi-
nistere. On arréta défiuitivemcut que J..ouís XVIII pourrait dé-
harquer ¿l Yarmouth; mais seulement comme simple particulier,
En conséquencc la note suivante lui fut adressée : « Si le chef
de la [amillc des Bourbons consent ¿l vivre parmi nous d'une
maniere conforme ¿l sa situation actuclle , il Ytrouvera un asile
honorable et sur, mais nous connaissons trop la nécessité d'avoir,
pour la guerre dans laquelle nous sommcs engagés , l'appui una-
nime du peuple anglais, pour compromotrrc la popularité qui ,
jusqu'a ce jour, a accompagné ectte guerreo En rcconnaissant
Louis X VIII, nous oflririons une bclle occasion aux ennemis du
gouvernement de l'accuser d'iutroduirc des intéréts étrangers
dans une gnerre dont la physionomie est purement britannique. )
Le cabinet anglais déclarait ainsi qu'il ne voulait point s'engager
en ce qui touehait la famille des Bourhons ctsa restauration.




CIIAPITnE 1.


'I'outcfois Louís X VIII fut géuéreusement accueilli conuue par-
ticulier, et toute eette illustre famille de réíugiés habita Gosfield-
Hall, cháteau du due de Buekingham, oú la reine ct l\ladame
lloyale vinrcnt se joindre en 1808. Louis X VIII quitra eette ré-
sidence en 1810 pour Hartwell , petit cháteau du comté de
Buckiugham , ~\ seize licues de Londres, C'est fu qu'il devait
passer les dernieres années de son exil.


Napoléon touehait alors au faite de la grandeur et de la puis-
sanee: tous les trónes s'étaient abaissés devant lui; les vieilles
dynasties luí servaient de cortóge , et une archiduchesse , la
niece de Marie-Antoinette, partageait sa couche; presqne toutes
les familles illustres, tous les grands noms de la monarchie an-
tique entouralcnt son tróne sous 1'habit de chambeJIan OH sous
le brillant uniforme d'officicr d'ordunnauce. Dans la maison ci-
vile de l'Empereur, on comptait un Ségur, grand-maitre des
cérémonies, un Mortemart , gouverueur de Itambouillet. Le
fils tl'une petítgentilhomme de Corse pouvait done s'enorgucillir
de voir parmi ses chambellans les noms de Coutades , Croí , Mon-
tesquiou , .Iust de Noailles, Albert de Braucas , Charles de Gon-
tault, Auguste de ChaboL, Lur-Saluccs ct Bcauvcau. Les plus
sémillants des ofliciers d'ordonnance étuient le comte de MOHt-
morency, de Chabriant , de ",lortcmart, et de Montesfluiou.
Dans la maison de l'Impératrico , le premier aumónier était le
comte Fcrdinand de Ilohau , ancicn archevéque de Catubrai.
Parmi les dames 130ur accompagucr, se trouv aicnt Mesdames de
Talhouet, de Bouillé , de Briguolles, de Périgord , de Bcauveau ,
de Mortcmart , de Mounuorcucv; et , daus les maisons de José-
phine, de Pauline , d'Hortense , se trouvaicnt i\Iesdalllcs de Yiel-
Castel, de Rémusat, née de vcrgcunes , de Béarn , de Colbcrt et
de Turenne.


Cet appareil de cour ílauait l'orgueil de Napoléon, Jamáis la
vieille monarchie, al'époquc de sa plus haute splendcur, n'avait
olfert un cérémonial plus séverc , une étiquette plus puórile, Les
pas étaient comptés , les robes, les toileucs , minutiousement
décritcs el imposées, On devuit Iairc un ccrtain nombre de ré-




i2 HlSTüJHE DE LA HESL\LlL\TlU.\.
vérences pour S. JI. I'Empereur el Hoi, pom l'Impératricc , la
reine Hortense, l'Irnpératrice mere. lU. de Ségur passait une
journée arégler les toques et les robes ti r¡llCllC ~ et le vaínqueur
d'Austerlítz hurniliait brutalement quelques jeuncs femmes qui
avaient voulu s'aífranchir de l'étiquettc, venir a la cour sans
rouge, ou s'yprésenter avec une robe qu'elles avaient déj~\ mise
une fois! Dans le eérémonial du mariage, on avaitvu se réveiller
toutes les vieilles formules monarchiques : les hérauts d'armes ~l
hlason , les pages a plumes , les voitures armoriées. A Notre-
Dame, on emprunta les priores du mariage de Louis XVI avec
ñlarie-Antoinette. Lorsque le Iloi de Ilome naquit , il Ycut une
maison des Enfants de Franco : une comtessc de lUontesquiou en
fut la gouvernante, jusqu'a l'áge de sept ans , qu'il devait passer
dans les mains des hommes , comme le Dauphin de Franco. En
un mot on suivit pas a pas I'Almanach royal de 1786, mais avcc
un cérémonial plus minuticux encoré, Tout, jusques aux mceurs,
prenait l'allure de la vieille cour : les aides-de-camp , les cham-
hellans, les auditeurs musqués , rempla(jaient les mousquetaires,
les ofliciers aux gardes et les petits ahhés. Los canapés de Pau-
line et d' Élisa voyaient se succéder de nouv elles conquétes. La
plupart des dames de la cour suivaicnt cet cxemple si entrainant
de deux princesses jeunes et belles , qui n'apercevaient , daus le
cortége rcsplendissant du vainqueur de l' Europe , que les belles
formes de quelqucs colouels de la garde l '


Quel contraste alee la colonlc royale d'Hartwell! La perite
cour de Louis XVIII venait d' éprouver le double deuil de la
mort de la Reine et du comte d'Avaray. Cet ami sincere, que
tant de fatigues avaicut épuisé , était allé chereher un climat
doux et sain sous le del pur' de l\ladcl'e. Une eorrespondanec qui
reste eucore , nous montre quelle douee sympathie unissait le
Roi a ce Hdele et vieil ami de toutes ses fortunes. On Yremarque
surtout les ídées fIu 'ü eette époque Louis X.V 111 se faisait sur
l'état du contillent. Les premiercs lettres de cette eorrespondanec
({ue HOUS avons eue sous les .~'eux sont r.ell\pl~es de d~tails S~ll' la,
maladie et la mort de la Heme. « Je sais , dit le UOJ, dans une




ClUPlTnE 1. '""Ii)
lcttrc qui suivit ce triste événemcnt, je sais CI"C je parle non-
sculement ~l mon ami, mais eucorc ~l I'hommc spirituel et sen-
sible qui me compreudra , qui sympathiscra avec moi, qui peut-
etre , hélas! comparera ses scnsations aux miennes. Enfin , la
famillc de Nnpoléou a un héritier. Si réellement c'est le fils de
l'iuíortunee archiduchesse , ou s'il est entré par la porte, c'est
une question de peu d'importance ; plusieurs personnes en atta-
chent beaucoup ~l cet événement , je ne pense pas de méme , et
je vais vousdire pourquoi, Si Dicu a condamné ce monde, Bo-
naparte ne manquera pas de successeurs: mais, au contraire ,
si la colore du ciel doit s'apaiser, rien sur la torre n'empechera
la ruine de l'édificc d'iniquité, »


I..e Roi parle, dans chacune de ses lettres , de la situation des
armées de Wellington et de iUasséna, ({U'U appelle , avec une
complaisante ironie , L' cnfant ¡JoU/'J'i de la victoirc , lors de la re-
traite de Portugal. Le '17 janvier UH1 , il écrivait : « J'ai recu
une lettre du duc d'Orléans, datée de Palerrne, le 1"r novembre,
JI m'informe de la naissance de son fils , et s'excuse de ne pas
m'avoír soIlicité d'étre le parrain de l'enfant , en me disant que
le roi de Xaples lui en avait exprime le désir, 11 me prie cepeu-
dant d'etre:le secoud parraiu, conjointement avec la Reine, ¿¡ qui
il écrit sur le méme sujet. »


A son départ pour lUadere, lU. le duc d'Avaray désigna )1. le
comte de Blacas-d'~\ulps h la confiance du Iloi pour diriger ses
allaires, Ce fut lü l'origine de la grande fortune de ce ministre,
qui devint le favori de Louis XVIII. Déja , ¿¡ Hartwell , ::\1. de
Blacas comrnenrait aadopter ce systéme d'excIusion, qui ne lais-
sait approcher du Iloi que les personnes qui consentaient asu-
bir les influences du ministre. La vil' du Iloi était fort paisihle
11 Hartwell. Selon S011 hahitude , i1 lisait tous les journaux fran-
cais, et.particuliérement le .L1lo11itcu7'. Le 12 avril 1810, on recut
la nouvelle de la célébration du mariage de Napoléon avec ñlarie-
Louise, I..ouis XVJII se promonait dans le jardin lorsqu' on lui
porta le paquetdes journaux francais qui courenaient la cérémonie
du mariage. 11 couvoqua sa pelite cour: JI. de la Chapelle, )~: 1


7 I \1.-' < :....¡
: ....0


. '--.iaS




7h mSTOlRE DE L\ REST\LH,\TIO:\.
nistre de la guerrc, quelques-uns de ses gardes du corps qui l'a-
vaient suivi , et qui vivaicnt, aLondres, du travail de leurs mains.
Le prince leur lut ~l haute voix le programme du cérérnouial ,
et l'on d!t qu'á chaqué phrase il s'arrétaír , et quoique prét a
toutes les désertions de la fortune, il ne put se défcndrc d'une
surprise nouvellc achaque preuve de l'entier oubli de sa cause.
La relation du mariage de Napoléoneonstatait la plus minutieuse
soumission de tout ee qu'on avait regardé comme les élé-
ments de la monarchie. D'abord ct des les premiéres lignes du
compte rendu , Louis XVIII remarqua les noms des princes
étrangers qui étaient venus en Franco pour faire les honncurs
de l'Empire a ",L Bonaparte. Al'énumération des évéqucs assis-
tants, le Roi reconnut un grand nombre d'évéques déserteurs ;
et voyant le nom d'un Rohan, ex-archcvéque de Cambrai, cornme
premier aumünier de l'Impératrice ñlario-Louise , il laissa échap-
per l'expression d'un rapprochement de funesto augure pour la
jeune princesse. « Yoici encoré un Ilohan et une archiduchesse
d';\utriche ! » Les chambellans étaient signalés par le prince
pour des gentilshommes naguere les plus favorisés de sa mai-
son. On regarda , ~l Hartwell , cene circonstanec connne la dcr-
niere des catastrophcs : le blason , passaut ainsi au service d'un
parvenu , semblait mcttre le comhlc a toutcs les conquétcs , et
un eandide seigneur de cette cour s'écria que tout cela pouvait
bien n'étre qu'un mensonge du 11lollitcur. « Je vois, dit-il, dans
cette liste, des eomtes ct des barons qui ont été princes et
ducs: un geutilhomme u'ouhlie jamáis ses titres. Ces mcssicurs
des Tuilcries sont tout simplcment quelqncs mauvais sujets
qui ont pris de beaux noms : on lour a donné des places ponr
déconsidérer la nohlessc, )J Le Hoi ne rccut personue pendant
plusieurs jours ; enfin il fit réunir sa petite cour, et uITrit a tous
ceux qui pouvaient le désirer , dos passeports pour rentrer en
France, tant le triomphe des Bourhons paraissait désormais im-
possible.


Il nc lui restait plus en effct , a ccttc cause, que quelques
intrigues d'intérieur, auxquelles se mélait l'cspiounage de I'An-




CIJAPITHE 1. 75
gleterre, et souvent celui de l'Empire, L'agent de pollee Perlet
entretenait l'idée qu'il existait en Franco un comité secret en
favcur de Louis xvnr. Ce comité avait des ramifieations dans
le Sénat , dans le corps-Iégislatif C'est avee ces rapports que
1)('1'1et soutirait l'argent de l' Anglcterre, et cherchait 11 entrainer
un jeune prince sur le contincnt, pour le livrer ensuite au général
Snvary ou au préfet Duhois, Louis XVIII et le cahinet de
Londres étaient trompes par les récits mensongers des émigrés
ou des généraux méconteuts , tels que Sarrasin qui , du camp
de Boulogne, était vcnu chcrchcr un refuge en Angleterre. Ce-
pendant, la véritahle situation de l' Elllpire répondait a la prévi-
sion de Louis XVIII. Ce princc disait sans cesse : « Le tcmps
vicudra. ) I~t en eflct , ce vasto colosse si adrnirablement orga-
nisé pouvait étre fracassé par le plus léger obstacle.


La gucrre centre la Ilussic avait appelé l'empereur Xapoléon
et la grande année 11 500 licues de la France. Un sénatus-con-
suIte organisait la garde nationale en trois banes. Le prernier
halle, appelé dans l'intérieur , avait été placé sous le comman-
demeut de vieux officiers , la plupart répuhlicains , qui avaient
fait l:ur soumission. Quelqucs dépóts de régiments foruiaient la /:~;;
garmson des placesfortes, coucurrenuucnt avec les cohortes. 4'r:,,~-,>:. c':
garde iuipériale comptait ¿I peine 500 hommes de dépñt ¿II)al:iS'{' ~::.:
deux régiments de la garde municipalc complét~ient les mof~~s..~-:;
de force du gouvcrnement au centre de son acuon, L'admlf!l~- :·:.'i~
tration tout entierc était déposée dans les mains de Call1bae41~/.-~':_,~::
Il reccvait les ordres du camp impérial , et y faisait parv!~ifi~' .. o::
son travail par des auditeurs. Le général Savary, le consciller.
d'état Iléal , le géuéral lIullin, étaicnt les hommes de confiance-, í:',
de l'Empercur et gouvcrnaicnt en son nom. On n'avait point·'··~I,.:
.cncore songé al' établisscment d'une régcnce en favcur de l'Im-
pératrice, C'est dans cene situation de choses, que le général
Malet commenca son étonnaute eutreprise. Il faIIait une tete
bien forte etadmirablcmcut organisée pour concevoir et exécuter
au conuncncemeut de lB12 , c'est-a-dirc au temps de la grande
pnissance de l'Empirc , le gigautcsquc projet de le renverscr.




76 HISTOInE DE tA RESTAúRATlON.
Le général de brigade Malet était issu d'uue famille noble de
Franche-Cornté ; ancien mousquetairc, puiscapitainede cavalerie,
iI fut successivcment promu, par son patriotismo et son courage,
aux grades de chef d'escadron, adjudant-général , enfin général
de brigade, S011S Championnet, en 1799. Au moment du couron-
nement de l'Empcreur, Malet refusa son serment, et fut rappelé
de l'armée. Compris dans une conspiration , mais sans aueune
preuve pour le traduire en jugement, il Iut enfermé dans une
prison d'état. En 1811, il ohtint d'étre transíéré dans une mai-
son de santé de la rue de Charonne ; c'est la qu'il traca le pre-
miel' plan de la conspiratiou. JI y avait dans cctte maison de santé,
détenu en mrrne temps que le général Malet, un agent ohscur,
du nom de Labbé Lafont , déja impliqué dans des projets en
faveur des Bourbons. te général répuhlirain et le royaliste se
rapprocherent, et tous deux conrurent, dans une petite chambre
de quatre pieds carrés , le projet de renverser le gouvernement
'immense de Napoléon, La restauration de Louis XVIII devait-
elle s'ensuivre ? S'agissait-il seulcment de hriser le colosse im-
périal, sauf ¿\ se déméler ensuite? Ou verra par les faits que les
résultats n' étaicut pas hien arrN('8. 1)t'8 le mois (1' avril '18'12 ,
lorsque la grande armée ('tait sur les hords de la Vistule, le gé-
néral )Jalet et Lafont se mirent ü l'<rUHC. Tous les soirs réunis,
ils rédigeaicntde concert des proclamations, des ordres du jour,
(les sénatus - consultes. La hase de toutcs ces mesures était la
1110rt de Napoléon, la déchéance de sa famille, et l'etablissement
d'un gonvernement provisoirc, OÚ figuraicnt le général Jloreall,
1\1.'1. )Jathieu de ;\lontmor('l1cy, de Noailles et Frochot. On rc-
marqucra que la supposition de la mort de Nnpoléon fut ton-
jours le prétexrc de toutes les tcntatives pour modifler le régime
de l'Ernpiro. Un caporal des régiments de la garde de Paris ,
nommé Hatean, servait de sccrétairo aux deux cheís de la
conspiration.


Depuis qninzc jours Paris était sans nouvelle dp la grande ar-
mée de Ilussic ; les communicatious paraissaiout intcrrompues ;
une rertaine inquiétude sr- mnniícstait dans l'opinion. 'J(\1ct




CHAPITRE l. 77
s'apcrcnt que le moment d'agir était arrivé. Son point d'appui
était le Sénat et cette couviction profonde que lorsqu'un corps
politique est mécontcnt , il suflit de vouloir pour lui , et de le
surprcndre pom qu'il vous SlÜlC. Le Sénat , réuni au nombre de
membres prcscrits par la Constitution de l'an XII, devait décla-
rer, au nom dll peuple franrais , la déchéaucc de l' cmpercur
Napoléon et de sa famillc, ordonner qu'il serait créé une commis-
sion de cinq mombrcs , pour excrcer provisoirement tous les
pouvoirs du gouvcrnemcnt. Le sénatus-consulte ct la proclama-
tion ne décidaient pas définitivement la forme dn gouvcrnement ;
il u'appelait pas Louis XVIII, il ne décrétait pas la répnblique,
C'était habi'e ! il fallait reunir les esprits dans un hut conunuu ,
sauf adécider ensuite en Iaveur de qui serait la victoire. On af-
firma plus tard que le géuérul el Lafont étaient convcnus de pro-
clarner Louis XVIII et la Constitution de 91 , COllllllC garantie
tout ala fois pour les royalistes et les républicains,


Le 12 octobre , aonze heurcs du soir, Malet, aceompagné du
caporal Ratcau, se rcnd dans une maison OU ils avaient eu soin
de [aire tcnir préts dcux uniformes et deux chevaux ; )Ialet re-
vel celui de généra! de division el Ilateau celui d'aide-dc-camp,
et tous dcux se transportent dans le quarticr du 2" régiuient de
la gardc de París. Le fuctionuaire cric: qui vivc ! « Ilonde d'of-
flcier supérieur ; le général commandmt la di, ision veut parler
au coloncl. » On lui indique le logement; il s'y rcnd; le coloncl
se révcille en sursaut et demeurc tout étonné de voir a cette
heure un officier gónéral en grande tenue dcvant sen lit. « Cü-
loucl , lui dit ~Ialet, la nouvclle de la mort de l'Empercur est
arrivéc depuis quelques hcures ; le Séuat est asscmblé : il a dé-
daré déchuc la famille impérialc, Il a nornmó le gouvernemeut
provisoirc , el jc vicns d'en rcccvoir la lcttrc de service puur le
couunaudemcnt dc la 1TI' divisiou militaire. J e dois pourvoir it la
süreté de la capitak- ; votre régimcnt doit prcndre les armes sans
hruit , el rcuiplir Ir3 dispositions presentes par le nouveau gou-
\ ornemcnt. » te g(~néral rcmit une séric de picccs officielles au
colonel qui He résista poiut h tant de preuves <1(' conviction ; il




78 HISrOIRE DE lA RESTAUHATlO;\\.
réunit son régiment , et el'apres l' ordre de ~Ialct, se porta au
quartier de la 10c cohorte ele la garde nationale. La le chef de.
hataillon Soulier reconnutégalement le géuéral , qui , maitre
d'une force imposante, drrigea des pelotons sur la Poste aux
lettres, la Banque , le Trésor, l' Hotel-ele-Ville. Les officiers
avaient des instructions cachetécs qu'ils devaicnt ouvrir a huit
heures du matin. ñlalet se rendit a la Force, y délivra les géné-
raux Guidal et Lahorie , ses camaradcs de déteution ; 1'un fut
revétu du titre de préfet de police; 1'autre de celui ele ministre
de la police; ils prirent possession des dcux hótels. ~nI. Pasquier
et le général Savary furent conduits ;1 la Force; de la, Malet
marcha en toute háte vcrs l'hótel du commandant ele la place,
comte Hullin. Le commnndant fut révcillé ; il était aJors scpt
heures et demie du matin; ñlalet entre prócipiraiument dans la
chambre ;1 couchcr. « Général , lui dit-il , j'ai quelque chose
d'important avous communiquer, » Taudis que le commandant
s'hahillait , Malet ajoute : « l'Empereur cst mort! Je suis chargé
par le gouvernemeut provisoire de vous rcmplaccr. » Le comro
JIullin était terrassé , lorsqu'nne voix sortant de I'alcüvc (c'{tlajt
cclle de madarne Hullin ) , dit : « ~lais mon ami ,si Monsieur
doit vous rcmplacer, il doit avoir des ordrcs. » « En eílct , s'écria
le commandaut , cú sont vos ordres , lUonsieur? » Le général
Hullin s'était levé de sa chaise en prononcant ces mots , el sa
stature colossale lui donnait un air menarant. Malct, sortant
alors un pistolct , le tira a bout portant sur le général, en lni di-
sant : les voici ; le comte Hullin tomba la mñchoirc fracasséc,
ñlalct sortit en ordonuaut de no laisscr ccmmuniqucr personne
de la maison avec le dehors. Il se rendir ensuite dans les bureaux
d' érat-major, aupres du chef de hataillon Laborde , chargé de
la police ruilitaire ; il s'assure de sa pcrsonne , et le laisse sous la
garde de dcux hommes; de Bl, il vint chez l'adjudant-commau-


u'<uu DoUCe(, cñer' (CéW[-llJajor; íI avaít un paque; a I'adrcsse de
C(~t oilicu»: supérrcur ; il s'assied á son Iiureau , et luí fait part
des événemcnts, Mais, pcndant ce tcmps, Lahorde s'était échappó
par une porte dérohée ; il était parvcnu dans la chambre de Dou-




C,ITAPITllE 1. 79
et, anqucl il fit quclques sigues d'intclligcncc , sans etre aperen
e "Ialet; tous dcux se précipitcnt alors sur le géu('ral, se sai-
sscut de lui, le désarmeut et le confient ~l des gendarmes de
lanton dans l'hótel ; Laborde sort, harangue la troupe , qui ,
rt étonnée d'avoir été trompóe , passe subitement de l'ohéis-


rnce qu'elle portait a ~IaleL, ala plus vire indignation , et cou-
uit ~l la prison militaire celui qui naguere était asa tete. Une


oís le chef captií, la couspiration fut déjouée. Cependant aI'Hó-
el-de-Ville, 1\1. 1"rochot Iaisaitpréparer la salle destinée au Gou-
ernement provisoire; Cnidal dirigeait le miuisterc de la police,
ccevait les employés , el Lahoric déjeunait tranquillement ü la
rble du géuéral Savary. 'I'andis que ces événemeuts se passaient ,
ambacéres dormait dans son hótel : voici conuuent il fut pré-


-enu. M. Réal , de son cabiuet de travail , fue du Bac , avaít vu
III grand mouvcment de troupes au ministére de la police ; il
envoya un de ses valets de pied pour s'iníormer de ce qui s'y
iassait ; on ne voulut pas le laisser pénétrer. « -lUais c'est de
a part du comte lléal. - Il n'v a plus ni baron , ni comte , luí
'(·pondiHlIl. )) lU. Iléal jugca qu'il se passait quolqne ehosed'ex-
raordinaire , el rourut ('hez Cambacércs, Jugez de la surprise


el de la frayenr du chef du Gouvcrnemcnt lorsqu'ou luí raconta
ce qni se passait au ministerc de la' pollee. Quelques instants
aprl's arriva un rapport , du cununaudant Laborde , sur les éYé-
nomcnts de la nuit. Cnidal el Lahorie furent conduits ala Force;
k géu{'ral Savary et M. Pasquier délivrés. Plus le Gouvernement
avait {ot{. surpris , plus il montra de vigueur , une fois la conspí-
ration échonée. Donze individus furcut coudanmés ü mort ; JUa-
lct ne (~"lll()ntit pas un momcnt son caractere ; il répondit 11
1'1. D('j('au, séuateur, qui luí dcmaudait OU étaient ses cómplices :
« Yous-mémc , sí j'avais réussi, l) Lafont, d'ahord caché, se ré-
fugia 11 Bordeaux.


La conspiration de JIalet montra toute la faiblesse du Gou-
vcrncmeut impérial , et ü quoi il tenait, tes Bourbons en eon-
(urent des espórancos, Malct avait été déja comprís dans une
précédcntc conjuratiou sénatorialc ; ct, lorsque le bruit de la




SO mSTOITIE DE LA TIFSTAt:nATlOi\'.
conspiratíon se répandit, une réunion de quclquos sénateurs cut
lieu dans un hotel, rue d'Anjou, pour aviscr aux moyens ~l
prcndre dans ces circonstances; jJ en fut méuie donné avis ü
Fouché , qui habitait Ferriéres , c'est alors qu'il fit cetre répons«,
qui a été jusqu'ici reportée ~l une autre époque : Je ne traraillc
pas en serre-cluuulc l. Au mémc moment éclatérent d'autres
complots contre le Couvcrucment imperial : ü Toulouscil y eut
des exécutions sanglantcs, SOllS prétextc de royalisme , d'espión-
nage pOllr les Anglais, et de eonjuration républicaine centre
Sapoléon.


¡ C'est mal Ú ))I'OPOS qu'on a prétcndu que i\L\f. le dile de Dalbcrg el
(le Juurourt nvaient fail partle d(~ ('('Ile réuulon : ils ne songcalcnt cu-
core ú rieu qui püt resscmhlcr á un n.ouvcmcnt centre NilJlo:éon.




CHAPITHE Ir.


~/(lrrE~IE~T POLITlQU;; rEIlS LA RESTA[lUTlO~.


(DE"UXIEME PÉRIODE.)


Affaissrnlellt oc; l'Empirc. - Il cvers (le Napol(:(lll. - Réslstance des eorps
politiques. - n¿'marrllcs (le Lonis X VI [[ .- JIlanc·seillf;s. - Pro messes,
Congrcs de CIJtlliIlolI. - Dr-marches plllr pl'(~parcr la Rcstauration. -
Démoustrntious l'oyalistes Ú 'I'royr-s , :i Ilo rdcnu x. - 'I'eutativcs i¡ París.
La jouruée du 3 I marso


JUSQU'AUX grauds revers de Napoléon , l\ ces secousses pro-
fundes et répétées , qui avaicnt ébranlé l'Empire , on pouvait
justcmcnt avancer qu'ancune chance possible u'était ouverte a
la Rcstaurauon. la générarion 1I011ye]]e connaissait il peine les
Bourbons; l'éducation des colléges tournait toutes les idées vcrs le
culte absolu de l'Empercur ; qui aurait pu saluer quclqucs vieux
et nobles souvenirs, ¿l travers les rayons éhlouissants de taut de
gloire? ñlais lorsque les rcvcrs se fircnt sentir, les chanees rcpa-
rurent , les partís reprircnt leur action , et les royalistes re-
commcncércnt ¿l s'agiter, Louis XVIII et les ageuts royalistes
insinuercnt aux puissauces, el particulieremcnt ¿l l' Anglcterre et
ala Ilussie , de se senil' du g('néral 3Ioreau et de Bernadotte ,
centre le gouvernement de Napoléon, JI y avait longtemps que
le partí de Louis XVIJI chcrchait adiviscr ainsi l'armée ; déja
en 1811 ~I. le comte d'Avaray écrivait : « Le Iloi , partageant
la confiance que parait avoir le marquis de 'YeJIesley dans les
talents du général }Iorean, scrait fort aisc qu'il füt appelé par
le gouverncmcnt liritauuique , dont Sa }[ajeslé approuve l'ar-
ricrc-pcnsé« sur l'Espagne. )) Ces arricrc-pcnsécs étaient d'op-
poser 110l'ran cnncurronuucnt avcc le tIuc de '" ellington , ¿I




82 mSTOInE DE [A RESTArRATIOJ\'.
Suchct , a Jourdan et aux généraux qui conunandaieut l'armée
francaise en Espagne , et d'employer tont ~\ la fois son talcnt
militaire et son influencc sur les oílicicrs et les soldats , vieux
déhris des victoires républicaines. Ce projet fut ajonrné; mais,
apres les desastres de Jloscou, l'empereur Alexaudre , voulant
donner a la guerre qu'il portait dans le midi un caractére de
nationalité et de liberté, qui permit a l'Europe de séparer Na-
poléon de la France , appela )foreau sur le contineut. n lui
écrivit : « Jlonsieur le général 1lm'eau, connaissant les sentiments
qui vous animent , en vous proposant de vous approchcr de moi,
je me fais un plaisir de vous donner l'assurance furmclle que
mon unique hut est de rendre votre sort aussi satisfaisant que les
circonstauces pourront le permettre , sans qu'en aucun cas vous
soyez cxposé a mettre votre eonduite en opposition avec vos
principcs. Soyez persuadé , Mousieur le g('néral Jloreau, de
toute mon estime, ainsi que de mon aífection. ALEXANDRE. »


Ce fut sur les instances de 1\1. Hyde de Neuville , que JIoreau
consentit a se rcndre en Europe. Le but de son voyage u'était
pas exactement déíini : les agcnts des Bourbons voulaient en
fairc un instrument de restauration; la pensé» de l'empercur
Alcxaudre n'était pas aussi precise, te théátrc de la guerre
pouvait se porter sur le Ilhiu, et le Czar avait besoiu d'un géué-
ral qui püt conuaitre tout ~\ la fois les localités, pénétrer la
tactique de ~apoléon, et jeter quelque división dans ses forces,
L'esprit mystique de I'empereur Alcxandre visait alors moins
aux conquétes territoriales, qu'a justifier cet esprit de liberté
et de nationalité que les puissauccs mircnt en avant pour appe-
ler les populations aux armes. Arrivé sur le Rhin, -'loreau de-
vait publier une proclamation politiqnc : « Francais , je n'ai
point quitté ma retraite du Xouveau-jlonrle pour comhattre ma
patrie, mais dans le dessein de me réunir aux alliés , qui veulent
délivrer la France de I'honune qui l'opprimc. Je fais done un
appel a tous les vrais patrio tes , pour seconder les intentions des
puissances. Cinq cent mille hommes YOUSdcmandent la paix , et ,
s'il le faut, l'empereur Alexandrc et ses magnanimes alliés por-




CJlAPITRE lf. 83
teront ce nombre a un miJlion. Ils uc vculeut point de con-
quétcs , ils assureront a la France ses ancieuncs limites, qui
scront méme étenducs jusqu'au Hhin. MOREAD. » Dans toute
cctte proclamation , il n'est parlé que de l'iudépendance de la
patrie, sans qu'il soit question une seule fois des Bourhous,
Est-ce a dire que le général Morcan ne se mélát pas a eette
restauration ? Ceei u' est pas crnyahle. Lorsque la uouvellc de la
mort de ~loreau parvint ~t Hartwcll , M. le duc d'Havré écrivit :
« .Je regarde la nouvclle de la hlessure du général Moreau
comme une calamité d'autant plus grande, que sa perte , qui nc
saurait étre remplacéc , cst incalculable dans ses suitcs , surtout
d'apres l'eífct que sa présence a prorluit sur les armées alliécs et
sur les troupes de Napoléon, ) Dans la solitude d'Hartwell, le
général ~loreau était consideré comme le successeur de Pi-
chegru.


Bernadotte, vieux général républicain , nourrissait contre
Napoléon de proíonds resscutiments, Une rupture écla-
tante l'en avait séparé en 1R09; lors de l'expédition de Val-
chercn, iI avait reru de Fouché le commandcment des gardes
narionales, Cette cxpMition avait un lmt politique autant que
militaire. tes méüanccs de Napoléon augmcntercnt , et e'cst
ace momcnt que Bernadotte fut adopté par les États de Suede
comme prince royal et successeur du roi réguant, Napoléon vit
avec peine eette grande fortune qu'il n'avait point faite et qu'il
n'osa point empécher ; et toutes les Iois que la Suede cut a trai-
ter avec lui , il la négligca. Le prince royal avait en rccours ~I
l'empereur Napoléon pour la rcstitution de la Finlande , et ce-
lui-ci lui avait répondu d'un stylc llloqueur : « Adressez-vous a
l'empcreur :Ucxallarc, il est grana et généreux, J) Bcrnaaottc
avait été outragé dans des bulletius , dans des actes publics et
dans le J1lonitclll'. Lors de l'invasion de Ilussie , en 11;12, Napo-
léon avait négligé son alliauce , et lorsqu'il apprit qu'un traité de
suhsides venait d'unir la Suedc a la coalitiou , il lui adressa une
note violente et maladroite. Bernadotte revenait de son entrevue
d'Abo avec l'empereur Alexaudre , et certaines conventions




84 mSTülHE DE LA RESTACRATLU.\.
avaient été arrétées sccretement sur la France, dont le Czar
assurait , dit-on, la couronne au prince royal. A ce sujet :\l. "la-
rct adressa une note insidieuse au roi de Suede ; elle occasionna
une réponse de Bernadotte; le prince royal disait « que tant
qu'on avait agi directement au nom de Napoléon, il IÚ1Yait fait
qu'opposer le calme el le silence , mais qu'aujourd'hui la note
de .1\1. l\larct cherchant a jeter entre le roi el lui-méme les
mémcs brandons de discorde qui faciliterent l'occupation de
l'Espagne, il croyait devoir lui rappeler la conduitc franehe el
loyale de la Suede , méme dans les tcmps les plus difficiles.» Il
lui exposait que des que Napoléon entra en Itussie toutes les
mesures avaient été prises pour qu'il y restát prisonnier; qu'il
avait échappé a ce danger, mais que la plus valeureuse armée
qui füt jamais n'existait plus...; « Qu'a ce tablean déchirant ,
Sire , ajoutait-il, votre ame s'attendrisse , et s'il le faut, pour
achever de l'émouvoir, qu'elle se rappelle la mort de plus d'un
million de Francais restes sur le champ d'honneur, victimes des
guerres que Votre Majesté a entreprises. » Bernadotte ajoutait
que les dispositious des alliés étaicnt pacifiques, qu'il ap-
partenait a Napoléon de cicatriser les plaies d'une révolution
dout il ne restait a la Franco que le souvenir de sa gloire
militaire et des malheurs réels dans son intérieur: « Je suis né
dans cette hclle France que vous gouvcmez , Sire; sa gloire et
sa prospérité ne peuveut jamais m'étre indifférentcs, ñlais, sans
cesser de faire des vreux pour son bonheur, je défendrai de
toutcs les facultés de mon ame et les droits du peuple qui m'a
appelé , et l'honneur du souverain qui a daigné me nommer son
Iils. Dans cette lutte entre la liberté el l'oppressiou , je dirai aux
Suédois : « Je combats pour vous el avcc vous, el les vceux des
nations libres aecompagneront nos cllorts! ))


l ..esgrandes opérations militaires de Lutzen el Bautzen avaient
amené les négociationsdu congres de Prague pour lapaixgénérale.
Dans toutes les conférenccs que provoqua la médiation armée
de .l'AUlriche, il ne fut pas une seule fois question de la eolonie
d' Hartwell, Dans les notes publiques ou secretes du prince de




CIIAPJTRE H. 85
llletlcrnicll, mórne c/u couuc d'l\nstett, plénipotentiaire de la
llussie , aneien émigré , et de I'ambassadeur de Prusse , on ne
parla en aucune maniere de Louis X YIII, de ses droits. Ilne
s'agit jamáis que d'une plus ou moins grande cessíon de terri-
toíre , et de garanties politiques i, exiger poul' ramener l'équi-
libre de l'Europe, Une note de -'1. de -'letternich proteste méme


'formellemcnt « contre toutes les intrigues qui pourraient se lier
au vovage du général -'[oreau en Europe.. La m¿diatioll enuée
de l' Autriche se transforma bientüt en une véritable adhésion
iI la coalition. ~'Ioreau fut frappé devant Dresde , et Bernadottc
vainquit a Gros-Beeren. Alors viurent les désastres de Lcipsick ,
le soulevement de l'Allemagne , les aíliliations des sociótés
secretes et des uuiversités. Patrie! liberté! furent les cris de
guerre avec lcsquels ·ll's alliés se présentercnt sur le llhin.
Chose triste a dire ! Lorsqu'onapprit a Ilartwell Ies épouvan-
tables desastres de l'armée Irancaise a Leipsick , ce fUI une
grande joie parmi les serviteurs de Louis XVIII. « Yoici une
affaire, écrivait le duc d'Havré, dont les conséquences peuvent
étre majcurcs, C'est bien le cas de crier Vive le Roi! Le Uoi y
a été tres-sensible. Ah ! si les Puissances voulaicnt se rappeler ce
ni tont francais , en ajoutant au souligué le norn de Lonis XVnI,
tout serait hientót terminé; cal' cette victoire de Leipsick est le
coup de cloche de l'agonie de Bonaparte , et un second doit
I'achcver.. Et pourtant les grandes cours ne tenaicut point
compre des Bourhons daus leurs négociations pour la paix Oll
dans les cl.ances de guerreo Lorsque , le 2 déccmbre 1813, un
congrés fut íixé a ..\lanheim, aucuue note publique ou secrete
des cabinets ne parla du rétablísscment de I'aucíenne dYllJstie.
Les alliés éludcrcnt , par des motifs particuliers , les bases
proposécs par)1. de Saiut-Agnau pour la paix avec Napoléon.
L'empercur Alexandre pouvait prévoir la possibilité d'uu chan-
gement de gouvernement en Frauce , ce fin 'avait indiqué la
présence ases armées de '¡orean et de quelques émigrés, et du
haron d'Anstett dans son cabinet ; mais les alliés n'avaient certaí-
nemcnt aucuu desseiu arrété sur la rcstanrotiou de Louis X VIII.


l. 8




86 mSTOIRE DE LA RESTAL'HATIO\.
L'opposition du Séuat avait grandi : de sourds mécontente-


ments se faisaient sentir, méme parmi les plus dévoués. Les uns
craignaient pour leur existence , les autres scntaient une pudeur
secrete de tant d'obséquicsité. Le partí constitutionnel , les séna-
teurs Lambrechts , Grégoire, Lanjuinais , Boissy-d'Anglas, Des-
tutt de Tracy, ospéraient sauvcr le territoire de l'iuvasion , 'en
frappant l'Empereur. l\I. de Tallcyrand .. sans preudre encore
aucun parti décisif , étudiait les événcmeuts , les voyait venir
pour en profiter et les diriger ¿l tcmps. Quclqucs assemblées in-
times et politiques avaient lieu chez Iui ; on y prévovait un dé-
noüment , mais sans le préciscr cncorrv Une autrc réunion , a
laquelle ]U. de Caulaincourt n'était pas étranger, songcait a la ré-
gence de lUarie-Louise commc un moyen d'arriver ¿l la paix. Au
reste, la majorité du Sénat restait avec toiite sa servilité : elle au-
rait voté, au hruit des phrases souores de ~I. de Fontanes: « que
l'Empereur avait sauvé la Franco ¿l !\loseou, et délivré la patrie
¿l Leipsick. ))


Le Corps législatif avait vu se Iormor une opposition plus sail-
lante ct plus vive. Sur plusiours projers de loi , prcsquc un tiers
de houles noires avait constaté une -résistanrc forte ¿l I'arhitraire
de Xapoléon. Par le rcnouvellcmcnt des sérics , le partí consti-
tutionnel avait encorc graudi ; il était entré dans le Corps legisla-
tif plus de ciuquautc mcmbrcs nouveaux qui s'associaient al'au-
cienne opposition , ct parmi losquols on comptait :\Ul. Laiué ,
Maine de Byran , Flaugcrgues , Ilaynonard , Callois, dont les
opinions se rattachaicnt aux principcs de la liberté, Quel-
ques-utls d'entre eux , ctparticulicrcmcut JI. Lainé , avaicnt
été , dit-on , travaillés par les émissaires des Bourhons ; tous
prévoyaieut la possibilité d'un changement , aH'C ou sans la
dynastie irnpériale , qui pourrait proíiter ¿l la liberté publique.
Dcpuis la conspiratiou de .'lalet, surtout, oú personne n'avait
pensé a l'hérédité du tróne impérial ct au roi de Ilome , les
organes du gouvernenicnt , les adrcsses des villes , la prcsse ne
cessaient de parler des droits sacrés de la couronne, du cri de
nosperes, le Boi cst uiort .. vive leBoi. Napoléon , alors préoc-




f.n;\ PITRE IT. R7
cupé de tonto Sil hainc centre les constitutionucls I ne voyait pas
qu'cn rappelant tous les souvenirs de la vieille monarchíe il creu-
sait le tomheau de sa propre race,


Quelques jours apres I I'Empereur prit la dictature, Un simple
dérrct imperial douhla toutes les contrihutions; des Ievées en
masse furcnt ordonnées par des actes du cabinet. En ces circón-
stances I la gardc nationale parisiennc rccut sa derniere organi-
sation : elle était dcstinée ü joucr un grand rñle dans la Restau-
ration. Napoléon I en rétablissaut la gardc uatiouale , s'efforca
d'cn paralyser l'aetion par le choix des officiers , qu'il s'était
cxclusivemcnt réservé : lous les chcís des légions furent pris
parrni les hommes les plus dévoués au régime impérial. Les
chamhcllans , les couseillcrs d'État I l'DI. de )Iontcsquiou, Ile-
gnauIt de Saint-Jean-djngely, Choiscul-Praslin I rccurent des
cormuandemcuts, L'Empereur compta sur eux pour lui répondrc
de la garde natioualc, Les royalistes , ~\ leur tour, s'·y firent en-
róler : 1\D1. de Fitz-James, Sosthencde La Itochcfoucauld, etc. ,
cntrérent dans les rangs. lis savaicnt que LOt ou tard cette garde
seraí t app('l(í('it s(' prononccr, ct qne son opinion aurait une in-
íluence sur la fin du dr.uno (Pi i se préparait, soit que le dénoü-
mcnt vint d'un mouvcmcnt intéricur. soit que les alliés y mis-
scnt un tenue par l'occupation de l'aris. Le cri puhlic était alors
la P(II::~:; l'opposition des salons , fortifiéc par les manomvres des
mécoutcnts , n' cut plus que ce rcírain. Elle fut si fortc , cctte
opinion , que 1(' Couvcrnerucnt imperial ne s'occupa plus, dans
ses journaux , qu'a prouver que ~apoléoll avait Iait tous ses ef-
íorts pour avoir la paix , ct que les alliés sculs ne l' avaicnt point
voulue.


Les armécs alliécs passaicnt le llhin. En mettant Ir picd sur
le territoirc francais , comme si ellesavaicnt en quelquc effroide
toucher cette tene de victoirc qui , dcpuis vingt ans , donnait des
lois h la moitiéde ]'Europe , elles erurent devoir proclamer leurs
intentions. tes Puissances se rappclaient le mauvais eífet du
manifesté du duc de Brunswick ; elles disaicnt done: (( que les
alliés nc faisaicnt point la guerrc ¡\ la France , mais ¡l cette pr~\1


' __ ",'9
Jo.... ;
.....


~




R8 IIISrOTnE DE L\ nESTACnATlO'\.
\)O\)l\{'l'al\c(' hautel\wl\t al\\\o\\c(>,e, ,que , \)\)\W le \\)"lh~,w U~
l'Europe et de la France , l'empercur 'apoll'on oxcrrait hors des
limites de son empirc ; (Iue les sonvcrains coalisés étaient una-
nímement d'accord sur la puissance que laFranco devait conser-
ver dans son intégrité , et en se renfermant dans ses limites natu-
relles , qui sont le Rhin, les Alpes et les Pyrénécs, » tes procla-
mations du feld-maréchal Blürhcr ct du prince Schwartzemberg
étaient concues dans le méme seus. ''l. de Caulaincourt avait
tardivement adhéré au nOIl1 devapolóon ;\ ces bases posees par
les alliés ; il avait alors vainomcut demandé la réunion du congres
fixéa Jlallheilll. te prince de :'lc!trrnieh lui répondit le 10 dé-
cembre : « qn'avant d'ouvrir les coufércnccs il fallait qu'ils'entcn-
(lit ayer ses allíés : ce n'était lit qu'un prétext« de rcrard , il cst
aujourd'hui certain que lord Abcrdeen , le harrn d« Humboldt
étaient aupres du prince de ~Ietternich lors de la réroption des
dépéchcs de ~1. de Caulaincourt, Tontcfois , aprt'S leur entrée en
France , les alliés consentirent ti la réunion d'un nouvcau con-
gres aChátillon-sur-Scine.


Les plénipotentiaires éraicnt , pour la Ilussic , le eomte Ilasou-
mofTski; pour la Prusse , Ir baron de Humboldt; pOllf I'Autrí-
che, le eomte de Stadion; pour l'Anglcterrc , les lords .\ ber-
deen , Catheart, Stewart ct Castlereagh : 11. de Caulaineourt y
représcntait la Franco. tes conditions oílertcs par le plénipoten-
tiaire francais, 1\ Chñrillon, furent les mémes que cellcsflui avaient
été admises par les cours alliées , lors <le la nl'gocialion de ,1. de
Saint-Agnan , les limites naturclles ; mais les progres des alliés
en Franco en firent modiücr les hascs : elles Iurcnt ainsi posées,
le 17 févricr, par les qnatrc grandes conrs. « L'ompr-reur .dcs
Francais rcnoncera 11 la totalité des acquisitions faites par la
France depuis 1792, et 11 toute inflnence ronstitutionnelle hors
de ses limites, Il remettra dans de tres-hrcfs délais et sans ex-
ceptiou les fortercsscs des )1a~'s cédés, et toutes celles encoré
occupées par ses troupcs serón t rcm ises dans l' état oú elles se
trouvent avcc lcur artillcrio , munitions , otc. Les places de Be-
san\()n 1 Iléfort 1 IJuningnc, seront couflées aux nl'lll<\'s alJiées




el/ APITnE H. 89
(ogalellH'lll sans délai et ¡\ titre de dépót , jusqu'a la ratificatiou de
la paix déíinitivc l. » Dans cet intervallc , le traite de Chaumont
avait été conclu le 11\' mars , et les quatre grandes cours alliées
arrétaieut : « que dans le cas oú Xapoléon refuserait la paix sur
les bases qui lui avaicnt étó proposées le 1 7 Iévrier, elles s'en-
gageaient, savoir : la Ilussic , l' Autriche et la Prusse a tenir
chacnnc, en campagne activc , 130000 honuncs au complet, et
I'Anglctcrre afouruir un suhside annucl de 120 millions.. Des
articles secrets posaicnt une répartitiou du territoire europécn ,
qui servit plus tard de hase au traite de París et au congres de
Vicnne.


Tandis que ces négociations ostensibles se poursuivaient aChá-
tillon, deux intrigues paralleles s'y dounaient la main et balan-
<;aient I'influcnce des propositions oíficielles de I'Empereur. Des
l'instant que les alliés avaicnt séparé la nation francaise de son
chef, l\l. de Talleyrand et ses amis sougerent aprofiter de cette
circonstance pour faire sortir de la erise un autre gouvernement
flue la dictature organisée de Napoléon..M. de Talleyrand avait
conservé de nombrcuses relations diplomatiqucs ; de hautes ami-
tiés rcndaicnt hommage lt ses talents et avaient su lui tenir compto
de son opposition aux gigantesqucs projets de I'empcreur des
Francais. 11 cugagca des négociations di rectes avcc le congrcs
de Chátillon , ct plus directemeut encere avec le prince de ~Iet­
ternich et :\1. de Nesselrode. Ces négociations comprcnaicnt-
elles la famj]]e des Bourbons eomme condition esscnticlle ou
seulcment counue l'cxprcssion d'un voiu ? Les documents poliri-
fiues que j'ai sous les ycux discnt qu'on posait tous les cas eren-
tucls que pouvait amcner la déchóancc de Napoléon: ainsi le
cas de la régence de ~Iarie-Louise, la monarchic arce un princc
nouvcau choisi par la nation, el enfin la maison de Bourbon , si
I'Europe voyait dans cctte dynastic une plus forte garantie de
SPS intéréts el OC sa stahilin'. Il n'cst pas bien certain non plus


r Uncautre note exigca l'occupntiou par les alliés , pcndant cinc¡
alllll',{':" des placcs de Strnsbourg , Lille el \alrnciellnes. .




90 mSTüIRE DE lA RESTAURATlüN.
que M. de Caulincourt n'eüt pas déjü fait aussi quelques ouver-
tu res al'empcreur Alexandre sur la régence de ñlarie-Louise.


L'intrigue parallele était purcment bourbonnicnne; elle se
poursuivait par :U. Arnaud de Vitrolles, esprit actií , qui avait
recu en seeret ele :\1. ele Tallevrand l' autorisation de prcssclltir les
al1iés sur le rétablissement eles Bourbons. 1\1. de Vitrolles outre-
passa ses pouvoirs : altéré par les royalistes ou cntrainé par ses
sentiments, il négocia et plaida cxclusivement pour la Ilcstaura-
tion, tandis qu'il avait mission de no poser ce cas que commc
une éventualité , quant aM. de 'I'alloyrand , il menait de front
ces négoeiations diversos, II était l'homme de tous les systemes
sans se prendre de passion pour une idée , et s'exposer ainsi ~l
toruber avec elle. M. de Vítrolles trouva peu d'accueil ases pro-
jets..rai lu et tenu un doeument dans lcquel le négoeiateur se
plaint de la froideur des alliés pour la maisou de Bourhon et
pour le príncipe de la légitimité. Il exposc que les cabinets sont
sans préférenee pour aueun systeme , pourvu que la Frauce nc
soit plus acraindre, et que rnéme l'Autriche parait tres-disposée
~l traiter avec Xapoléon ou arce une régence.


Cependant l'cspoir étant rcveuu au «PUl' des Bourhons apres
le désastre de -'loscou, les cxilés d' Hartwell avaient vivcment
compris la possibilité de rcssaisir la couronne. Louis XVIII avait
fait une démarchc noble et habile auprés de l'cmpereur de
Ilussie , paree qu'elle était tont ~l la fois un acte d'humanité el
un moycn de rappeler qu'il cxistait un roi de Frailee. Il lui
avait écrit pour le prier de prcndre soin des prisonniers franrais.
« le sort des armes a fait tomber dans les iuains de Yotrc jla-
jcsté Impériale plus de 1;')0 000 prisounicrs, Francais ponr la plu-
parr. Pcu importe sons qnels drapcaux ils ont servi ; ils sont
malheurcux ; je ne vois parmi cux que mes enfants. Jc les re-
commande ü la honté de Yotre Jlajcsté Impériale; qu'elle daigne
adoucir la rigueur de leur sort ct considérer comhicn un granel
nombre d'cntrc eux out <!{j;l soulfcrt! Puissent-ils apprcudre
que leur vainqucur cst l'ami de leur pl're! Yotre 'l;rjeslé ne
pcut donner une prcuve plus touchantc de ses scutiuu-nts POUl'




CHAPITRE rr. 91
moi. » Louis \.SIB, en rappclant dans ses sollicitatious bien-
íaisantes ses titrcs aupres du puissant monarque du Nord, se
réservait ainsi la faculté de les réclamer en temps et Iieu. Pen-
dant la campagne de 1813, la colonie d' Hartwell se tint paisihle;
elle épiait les derniers desastres de Lcipsick pour commcncer
ses tentatives sur le contincnt. Au moment OU les alliés tou-
chaient le territoire de Frunce , unedéclaration fut promulguée,
dans laquelle Louis XVIII appelait le Sénat aopérer a lui seul
le renversement de la tyrannic de Bonaparte et la restauration
de la maison de Bourhon. De plus, 11. de Blacas remit a plu-
sieurs agents, des écrits avec les noms en blanc , et qui étaicnt
ainsi COlH;US: « Le Iloi, ne voulant négliger aucune occasion de
faire connaltre ases sujets les sentiments dout il est animé, me
charge de donncr en son nom a N..... toutes les assurances
qu'il peut désirer. Sa "Iajesté sait tout ce que N..... pcut [aire
pour son pays , non-seulement en contribuant a le délivrer du
joug qui l'opprime , mais en sccondant un jour de ses lumieres
I'autorité destinée ~l réparer tant de maux. Les promesses du
Boí ne sont au reste que la suitc des engagements qu'il a pris a
la face de I'Europc , el qui ne tcndent qu'a oublier les erreurs ,
récompeuser les services , étoufler les resscutiments , légitimer
les rangs , consolidcr les fortunes , au'occasionncr, en un mot,
que la paisible transi tion des calamites et des alarmes présontcs
au bonheur et ala sécurité a venir.


(1 Hartwell , 1e. décernbre IR 1:J.


« ,-'hgnd comte BLAr.AS n'AULPS. »


Il Yavait dans le chef de la maison de Bourhon un esprit de
suitc , une grande hahilctó pour saisir les circonstances et pré-
parer la fortune. Cetro protertion , accordée a tous les rangs de
fonctionnaircs , fut d'un trcs-hon cllet ; elle saisissait les hommes
par le point sensible : les houncurs et les intéréts, On en Vil le
résultat au 30 mars 18 trI. Tne question rcstait 1\ résoudre. Les
princes de la maison de Bourbon auraient-ils l'autorisatiou d'aller
sur le continent pour prcndre part aux opérations des armées




92 mSTOIllE DE L.\ nESTArJL\TIO}\.
eoalisécs? De hautes démarches furent Iaitcs ~I Londres. Euíiu ,
apn'.s bien des sollicitations, on convint que les princes pour-
raicnt se rendre aux armées , mais sans autre litre qne celui de
volontaires, Les cabinets voulaicnt avant tout se réservcr les
moyens de traiter avee la Franee, sans la condition d'imposer
la maison de Bourbon, si elle n'était pas demandée. Pour obtenir
eette autorisation, les prinees firent valoir l'existcnee d'un co-
mité royaliste h l'intérieur ct d'uu partí qui pouvait soutenir la
eoalition et diviser les forees de l'usurpateur. D'aillcurs la cause
des Bourbons n' était ricn moins que populaire ~\ Londres; quels
que pussent etre les sentiments personnels du prinee régent pour
Louis XVIII, un ministre n'eüt point voulu compromettrc sa
responsahilité , en liant trop intimcment la cause de la nation
anglaise au sort des Bourbons. Le duc d'Angouléme s'cmbarqua
le premier et vogua vers l'Espagne , pour joindre l'arméc du
due de 'Yellington, alors aux Pyrénécs. MONSrEUn, eomte
d' Artois , aborda le 2 février en Ilollande. Son Altesse Royale
se dirigea vers le quartier-général des alliés par la route de la
Suisse , et rejoignit l' arrierc-garde ~\ VesonI. te duc de Berri
vint ~\ Jersey pour seconder un mouvemcnt qui , disait-on , se
préparait en Normandic et dans la Vendée. Jamáis pourtant ces
pays n'avaient été plus tranquillcs ; on était alors trompé aHart-
well par les rapports de I'agent de la police impériale , Pcrlet ,
C1l qui )1. de Blacas avait une grande eonfianee. J\l. le duc de
Berri , appclé sur le continent par les Iaux avis de la police im-
périale , devait étre saisi ct Iusillé COl1lll1C le duc d'Enghein.


Ce qu'il y a de certaiu , c'est que les alliés He prircnt aucun
cngagemcnt avec la maison de Bourhon; aussi , quoique géné-
reuscment accueillis au quarticr-général , les princcs n'ohtinrcnt
pas de commandement. Il Ieur fut declaré que lcur préscnce aux
armées u'empécherait aUCUBe des négociations qui pourraicnt
s'cngager alee l'empereur Xapoléon et le Couvcrncmcnt de
France. Cette condition fut méme spécialcmcnt et sccretcmcnt
stipulée dans le traite de Chaumont , sur la demande de I'Autri-
che. L'Angletcrre, qui avait toujonrs parn s'occnpcr plus pani-




ellA PfTHE JI. 93
rulierement des Bonrbons , n'y mit aucun obstaclo. On yerra
meme que le duc de "ellington pria le duc d' 1\ ngoulémc de se
tenir ~\ l'arrierc-garde , ot de ue pas compromcttre par sa pré-
senee les intéréts de la coalition et les négociations engagées ~¡
Chñtillon.


A mesure que les alliés s'avanraicnt en Franee, le faible partí
des Bourbons cherchait Ü révciller les souvenirs de la vicille dy-
nastie. Les armécs comhinócs avaieut pénétré jusqu'au cceur de
l'Empire , aucun cri pour Louis XVJII ue s'était encore fait e11-
tendré. La résistanee était plus ou moins vive; le gouvcrncment
de Napoléon avait partout assoupli les opinions; et la pensé« de
la royaut« des Bourhonsétait tout-a-fait étrangere a lagénération
qui s'élcvait. A Troyes ccpcndant , dcux Itoyalistcs , le marquis
(le Widranges ct '\1. de Gouault, anciens émigrés , firent une
tentativo aupres des alliés. L'cmpcreur de Russic et le roi de
Prusse avaient fait leur cntré« ;\Troves. Le marquis de Widran-
gcs, animé des plus vifs scntiments de royalisme, se rend ehez
le prince hérérlitaire de "llrtemherg, et le prie de lui donner
qnclqucs rcnscignomcnts S\1l' les intcntions Iutures des alliés, par
rapport ;¡ la nation Irancaise r-t aux Ilourbous. Le prince dude
d'abord la question : '\1. de Widranges insiste. « Eh bien! mou-
sieur, lui dit le princc hórédirairc, conuncnt nous prononcorions-
nous pour les Bourhons?dans aucnne des villes que l10US avons
travcrsées il u'en a été dit un mol. tes puissances coalisées out
adopté un principe invariable , c'cst de He prendrc aucune ini-
tiative dans le choix du souvcrain cn Francc. Si vous croyez que
les Bourhons aient des partisans l\ Troyes , donnez l'impulsion ,
et cela sera d'un hon efi'e! sur l'cmpcreur Alcxandre. )) Le mar-
quis répondit qu'il ne pouvait Nre sür d'un mouvcmcnt. Le
prince le congédia avec politessc , mais sans prcndre avec lui
d'engagemcnts d'aucune especc. Les deux émigrés ne perrlireut
pas courage , et s'adrcsserent au comtc de Hochechouart, officicr
d'état-major de l'anuéc russe , et ;l l'adjudant Ilapatcl , ancien
aidc-dc-cauip de "Iorcan, .ct alors en cettc qualité auprcs de




94 HlSTüIRE DE 1,1\ fiESTA CflATION.
l'cmpereur de Ilussie. Le eomte de Rochcchounrt dit au marquis:
« Il est temps de se prononeer : dans plusieurs villes, dans plu-
sieurs cháteaux , les chevaliers de Saint-Louis ont repris leurs
croix, et le peuple , dans plusieurs eantons, arborc la cocarde
hlanche. » Aussitót 1\1:\1. de Widranges et Gouault attachent ¿l
Ieur boutonniere la croix de Saint-Louis , et pareourent les rues
avec la cocarde blanche, Un comité se forme, on rédige une
pétition , et, par l'entremise du général Barclay de ToIly, les
royalistes obtiennent une audicnce de l'empereur Alexandre.
Le 11 févricr, environ vers rnidi , une députation , eomposée de
1\DI. Gouault, Ilichemont , de "Iontaigu, l\langin de Salabert,
Guelon, Delacour Bureau , Picard , doctcur-médecin., se reud
chez l'empereur Alexandre , ct la le marquis de "'idranges lui
adresse ainsi la parole: « Sire , organes de la plupart des hon-
uétcs gens de la ville de Troves, nous vcnons mettre aux genoux
de Yotre Majesté Impériale l'honnnagc de leur plus humhle
respect , et la supplier d'agréer le Hl'U que nous formons tous
pour le rétablisscmeut de la maison royalc de Bourbon sur le
tróne de Franco. - ñlcssicurs , n~pondit\lexandre, je vous
vois avcc plaisir : je vous sais gré de votrc démarchc , mais je la
crois un peu prématuréc ; les chauccs de la gnerre sont inccr-
taines , je serais Iáché de voir des braves tels que vous compro-
mis ou sacrifiés. Nous 11e vcnons pas pour donncr nous-mémes
un roi ala Franco ; nous VOUlOllS connaltre ses intcntions, et e'est
a elle a se prononccr. - Mais tant qu'clle sera sous le coutcau ~
répliqua l'ardent marquis , elle n'oscra se prononccr en Iavcnr
de ses souverains légitimcs. Son, jamais , tant que Bonaparte
aura l'autorité en France , jamais l'Europc nc sera tranquille.
- C'est pour cela, répondit le Czar, qu'il faut le hattre! le
hattre ! le haltre! nL'empcreur Alexandre avait ainsi éludó la
question de la restauration , il ehangea méme tout h coup de
conversation, et cntretint les députés de l'état des hópitaux, des
maladcs, et des intéréts de la ville, Le marquis de Widranges,
peu satisfait de la íroideur des alliés pour les Bourhous, se rendit




CIlAPLTRE 1I. 95
aupres de M. le comtc d'Artois a-Bale, et lui exposa l'état des es-
prits et la réponse du Czar. M. de Gouault rentra dans Troyes.


L'empercur de Ilussie semblait avoir prévu les événements.
Les merveilleuscs victoires de Napoléon ramenérent l'armée
francaise a Troyes, et c'est UI qu'il apprit les tentativas des roya-
listes en faveur de la maison de Bourhon. « Il ya, dit Napoléon
~I un conunissaire de police , cinq persol1nes qui ont la croix de
Saint-Louis. - Votre ;Uajesté est mal informée, il n'v en a que
deux. - Quclles sont-ellcs ? - Ce sont JUl\I. de Widranges et
de Couault. - Quelle est lcur moralité? - Je u'en ai jamáis
entcndu di re que du bien. - Qu'on les arréte. » M. de Wi-
drauges était ahsent, .i\I. de Couault fut seul pris , ct traduit de-
vant une commission niilitaire. Il fut condamné ~I mort ct passé
par les armes, avec cct écriteau sur la poitrine : Traitre á sa
patrie. Le lendcmain parut le décrct suivant : « JIsera dressé une
liste des Fraucais qui, étant au scrvice des puissances coalisées ,
out accompagné les armées euncmics dans l'invasion du terri-
toire de I'Empire, depuis le 20 déccmbrc 1813. Ils seront jugés,
condanmés aux peines portées par les lois, et leurs biens confis-
qués au , proíir du domaine de l'État , coníormémcnt aux lois
existantes. Tout Francais qui aura porté les signes on les decora-
tions de l'ancicnnc dvuastie , sera declaré traitre , ct commc tcl ,
j ugé par une connnission militaire et condamné amort. Ses hiens
seront conlisqués au profit du domaine de l'État. ) Ces décrcts
violcnts de l'cmpcrcur Napoléon produisirent l' eílct contraire qu'il
se proposait; ils révcillércut des souvenirs presquc éteints : ils
Iircut pcnser aux Bourbons , aux couleurs et aux décorations de
'ancienne dynastic : ils crécrcnt ainsi un danger nouvcau pour
la Iamillc de Napolcon ; d'ailleurs , si la violcnce est Iatale memo
aun pouvoir fort, elle cst mortclle pour une autorité affaiblie :
pendaut que le JloniteuJ' publiait le jugeuicnt et l' cxécution du
marquis de Gouault , le 12 mars éclatait ü Bordeaux.


M. le duc d' Angoulrllle avait joint le quartier-général du duc
de "rellingtou ~l Saint-Jcan-de-Luz. Le coiute Étienne de Da-
mas , le comte d'Escars et le duc de Guiche, qui avaicnt suivi
~j




1l1STüLHE HE L\ HES'L\LlUTlO.\.
S. A. Il., n'avaient pas pu prendre rang dans l'arméc anglo-es-
pagnolc. Quclques jours apres son arrivée , le duc d'Angouleme
avait adressé aux soldats du maréchal Soult la proclamation sui-
vante : ce Soldats ! j'arrive , je suis en France , dans cctte Franco
qui m'est si chére. Je vieus briser vos fers; je viens déployer le
drapean hlanc , le drapean sans tache. Ilallicz-vous autour de luí,
braves Francais , marchons tous ensemble au renversement de
la tyrannie. Généraux , officiers , soldats <tui vous rangcrez sous
l'antique banniére des lys , au nom du roi mon oncJe, qui m'a
ehargé de faire connaitrc ses intcntious patcrnclles , je vous ga-
rantis vos grades, vos traitcments ct des récompeuscs proportion-
nées a la fidélité de vos services. Soldats , mon espoir ne sera
pas trompé, je suis le fils de vos rois , et vous étcs Fraucais l »


Cette proclamation était dcstinée ~l divisor l' année francaise ,
~\ démoraliser ses torces. Aussi le vaillant capitainc qui résistait
avec tant d'énergie ~l l'invasion de l' ennemi s'cmprcssa-t-il d'y ré-
pondre par un ordre du jour : « Soldats! le général qui com-
mande l'armée centre laquellc HOUS nous hattous tous les jours a
eu l'impudeur de vous provoqucr el de provoqucr vos compa-
triotes ~l la rcvolte ct ala sédition. 11 parle de paix et les hran-
dons de la discorde sont a sa suite. JIparle de paix, et il excite
les Francais a la guerre eivile. Gráces lui soient renducs de nous
avoir Iait connaitre lui-mémc ses projets! Des ce moment , nos
forces sout ccntuplées, el des ce moment aussi il rallie lui-méme
aux aigles imperiales ceux qui , séduits par de trompcuses appa-
ronces, avaient pn croire qu' il Iaisait la guerre ;1'1 ee loyautó. »


Le maréchal Soult chcrchait ainsi ü faire croirc que la pro-
clamation du duc d' Angouléme était I'ceuvre du g(~l\l'ral en chef
de l'arrnéc anglaise, el qu'ellc était destinéc ~l aífaihlir encere les
forees qui lui étaient opposécs, S. A. Il. était tcllcment dégoütéc
du peu d'attcnrion qu'on portait a sa pcrsoune, du peu de sou-
rcnirs qll'elle l'éreillait áens les prorinces Irenceise» des Prf(~­
nées , qu'elle était résolue d'abalHloullcr le contincnt pour re-
tourner en Allgletel'n~, lorsqu'arriva au quartier-généraI de
Saint-.1ean-de-Luz, le marquis de Lal'och('ja(luclein, drputé de




C1L\[llTH1:: 11. 07
Bordeaux ; il venait faire conuaitre au prince ct au géuéral en
chef l'état des esprits dans cette ville , et l'cxistence d'un comité
royaliste en favcur de la maison de Bourbon.


Depuisquelques annécs, il s'était formé 11 Bordeaux une petite
association royaliste bien secrete et bien innocente, sous la con-
duite de M. Taffard de Saint-Cermain , qui prenait pour quel-
ques amis le titre de commissaire de Louis XVIII. Cette asso-
ciation s'était recrutée de quelques gentilshommes du ñlédoc ,
sous l'influence de lU. de Larochejaquelein et de Mme la mar-
quise Donissan. On faisait de l'opposition obligée coutre tous les
actes de I'Empire. On accueillait avec une bienveillance particu-
liere les prisonniers espagnols qui avaieut comhattu pour Dieu el
le Roi. On lisait en sccret les bulles d' exconununication contre
Eusia-paieur. l\I. le chevalier de Gombault conduisait une asso-
ciation religieuse, sorte de congrégation politique. Tout cela se
liait a une vieille pensée d'insurrcction dans la Vendée et la
Guyenne, sous les ordres du marquis de Larochejaquelciu. l\lais
ce n'était eucore que des projets concus et morts dans les épan-
chcmcnts d'une partíc de whist.En atrendaut , on favorisait les
conscríts réfractaircs : on les cachait contrc les poursuites des
préfets de Napoléon. Lorsque les épouvantabh-s desastres des
campagnes de 1812 et 11'\13 eurent afTaibli le pouvoir de l'Em-
pereur, Bordeaux devint le centre d'une opposition plus sail-
lante et plus ouvertc, 31. Lainé , proscrit pour son rapport cou-
rageux au corps législatif, s'y était retiré. ;U. de Sezey entretenait
une correspondance active. ,,1. Lynch , maire de Bordeaux , était
passé sans transition de l'adrniration pour le grand homme i\ des
sentiments bien opposés. Autour de ces chefs , se groupait la
ieunesse élégante et tapageusc , uouvellcmeut échappée a la
conseription et aux gardes-d'honneur. On cherchait des ducls
avec les officicrs des troupes de ligne, dévoués a l'Empereur.
C'était une mode que l'opposirion au gouvcmcment imperial.
Lorsque l'armée du duc de "ellington arrivait a Bayonnc ,
l\l. de Larochejaquelein s'ouvrit en confidence a :U. Lynch sur
ses cspéranccs pour le retour des Bourbons, Le maire de Bor-


l. 9




98 HISTOIRE DE LA llESTAt"RATIOl\'.
deaux recut cette nouvelle avec emprcssemcnt. « LHon ami, lui
dit-il, vous n'avez pas de partisan plus dévoué; c'est moi, c'est
le maire de Bordeaux qui aspire ~\ I'honneur de proclamer le
premier Louis XVIII. »


C'cst a la suite de ces communications que LH. de La-
rochejaquelein s'était rendu aupres du duc d' Angoulérne et
de lord Wellington. Son dessein était de les appeler a Bordeaux,
et d'opérer, avec leur secours, un mouvement royaliste
favorable a la maison de Bourbon. I..e duc d'Angouléme l'ac-
cueillit avec transport; mais le général anglais lui dit: « Mon-
sieur, les souverains alliés traitent en ce moment avcc l'empe-
reur Napoléon, et il m'est impossible de favoriser un mouve-
ment qui pourrait contrarier leurs desseins. - ñlais , dit le
marquis de Laroehejaquelein, il existe un comité royaliste fluí
peut disposer de grandes forccs, - Prenez garde de vous com-
promettre; vous vous étes toujours exagéré les forces de votre
parti. Au reste, demeurez a mon quartier-généraI , je vais for-
cer l'Adour , et puis nous verrons. » Les opérations militaires
rapprochant le théátrc de la gucrre de Bordeaux, le duc de
"ellington crut qu'il était essentiel de profiter du dévouemcut
des royalistes , ~our favoriser ses plans de campagnc , sauf en-
suite ajuger Ieurs prétentions. l\I. le duc d'Angoulémefut invité
a se rendre au quartier-général a Saint-Severe, La survint un
nouveau député royaliste , l\l. Bontemps du Barry, pour .inviter
\~ ~én(>,r<.\\ tln~his la se l)orter l'<\\)id\'ment sur BOf(kaux. -
« Maís , dit le duc de 'Vellington , jamais Bordeaux ne se décla-
rera contre Napoléon. » Telle était aussi l'opinion du duc d'An-
gouleme. - « J'en réponds sur ma tete, répoudit le iuarquis de
Larochejaquelein. » Sur cette assertíon , le maréchal Reresford
fut détaché a la tete de 15000 honnnes, pour marcher sur Bor-
deaux.


A mesure que l'armée auglaise s'avancait , le comité roya-
liste faisait tous ses efforts pour soulever le peuple. Déj~l les au-
torités impériales avaient quitté la ville, l\l. Cornudet, sénateur
et commissairc extraordinairc , avait fait évacuer les employés




CHAPJTRE H. 99
de tout grade et les caisses publiques. le général Lhuillier qui
commandait la division, fit sa retraitc. Les royalistes se trou-
vaient maltres des lors d'opérer leur mouvement en liberté.
C'était beaucoup pour le comité d'avoir en leur faveur l'autorité
légale, M. Lynch, maire de la vilIe. Ils purent régulariser avec
ordre le mouvement qu'ils préparaient, Lorsqu'on apprit que le
maréchal de Béresford approchait , M. Lynch et deux adjoints ,
MM. de Tauzia , de lUontdenard et une fraction du conseil mu-
nicipal, se rendirent aupres du maréchal. lU~1. de Larocheja-
quelein, de Gomhault, de Saluces, Lautrec, J\lacarti, Gauthier,
Bontemps du Barry suivaient ¿. cheval. Sur leur route, ils firent
arhorer le drapean blanc ¿. Roquefort et Bazas. Ce cortége mar-
cha vers I'avant-gardede l'arméc anglaíse , et M. Lynch, s'avan-
cant auprés du maréchal, lui dit : « Si vous venez comme vain-
queur, vous pouvez , général , vous emparer des clefs sans qu'il
soit besoin que je les donne; mais si vousvenez comme allié de
notre augusto souverain Louis XVIII, je vous offre les clefs de
cette ville intéressante , OU vous serez bientót témoin des preuves
d'amour quí se manifestcront partout pour notro Roí légitime. »
te maréchal Bcrcsford réitéra les assurauces de protection don-
nécs par le duc de Wellington , et promit de traiter la ville en
véritable alliée. Aussitót , M. Lynch détacha son écharpe ronge
sous laquellc était une autre écharpc hlanchc, et prit la cocarde
royaliste ; cet cxemple fut lentement imité dans la ville , et le
drapean hlanc arboré sur la tour de Saint-)lichel. Cene fut que
graduellementque l'enthousiasme se communiqua et qu'il devint
populaire.


Le 12 mars, le duc d' Angouléme fit son entrée 11 Bordeaux :
la ville était pavoisée de drapcaux blancs; quelques flots de peuple
volaient au devant des Anglais, aux cris de vive Louis XVlIl!
1'Íve le duc d'Anqoulénic ! M. l'archevéque harangua le prince
comme le représentant du Boi ldgitime. Rientüt, la poésiect les
théátres mélerent les noms du duc d'Augouléme , du duc de
Wellington et de Turenne. On fit des vaudevilles comme tou-
jours, Un homme d'esprit , appclé plus tard ¿. jouer un role po-




100 IITST0mE DE L\ RESTAURATlO;\,.
Iitique, prodiguades Iouanges hvpcrboliquos au vainqueur de
Salamanque. Le bon ton pour les honunes conune pour les
femmes fut alors de flétrir le régime imperial. Triste situation
d'un peuple de ne plus trouvcr d'éloges que pour l'étranger qui
prenait ses villes! Le mouvement de Bordeaux fut plus décisif
sur la Bestauration qu'on ne l'a pensé. D'abord il cngagea for-
tement le gouvernement anglais, de maniere ane plus reculer.
Il constata l'existence d'une opinion uationale en faveurdes Bour-
bons. Il servit aussi d'excmple aciter dans les conférences di-
plomatíques pour la Ilestauration.


Quand Bordeaux se prononrait pour le Bourbon, Paris était
dans une agitation profondc. Partout , sur les théátres , dans
les rues, le peuple était excité par des couplets patriotiqucs et
par des représentations scéniqucs oú les grands souvenírs de
résistance nationale contre l'étranger étaient rcproduits, Charles
Martel , I'oriflamme , Charles VII, toutes les archives de notre
vicille histoire étaient fouillées et mises en action. La plus
grande ardeur régnait dans cette partie des faubourgs qui au-
raient pu donner un puissant secours : mais I'aristorratie de
l'Empire n'osait pas se servir de ces instrumenta: elle crai-
gnait de confler des armes aux horumes qui n'auraient pas
toujours respecté ses salons dorés. Le gouvernemcnt était resté
dans les mains de l'Impóratrice , reine régente. Elle présidait
le Conseil des ministres, le Consei-tl'État , le Sénat; mais tout
se faisait habituellement sous l'inílucncc de l'Empereur , de
telle sorte que, lorsque les communications furent coupées,
le Gouvernement resta sans chef et sans guide. Joseph , qui
avait le titre de licutenant - général, était sans rósolution et
sans courage. Camhacéres , homme de savoir et de regle, mais
saus énergie, ne pouvait prüter, en présence de circonstances
difficiles , la moindrc force h un gouvernement. Au mlnistere
de la guerrc , le générnl Clarke portait un caractére décidé et
un dévouement envers ~apoléoll, dont on a mal ü propos
douté. ,,1. de l\1onúllivet, exccllent ministre pour les tcmps de
calme , lorsqn' il faHait prrparer une f(\tr OH attirer les p;ellS de




CIIAPITHE 11. 101
lcurcs aux éloges de Napoléou dans les grandes solennités du
mariage de :Uarie-Louise ou de la naissance du roí de Home,
n'avait pas assez de capacitó politiqueo Il sav ait exactcmcnt
combien il fallait Iaire de saluts pour la réception de la prin-
cesse Pauline , de la reine Hortense, dans un hal ou dans une
féte; mais , lorsque la tete de Xapoléon lui manquait , M. de
l1lontalivet n'était plus qu'un gcntilhonnne poli a qui l'on trou-
vait d'exeellentes manieres. le général Savary avait le minis-
tere important, la pollee : il y veillait avee une aetivité infa-
tigable, mais avec peu d'intelligenee. La police avait pris ,
depuis 1~H:~ et au milieu des circonstances difficiles , une vil'
cxtraordinaire. On rcdoublait de suneillanee sur les projets
des ennemis du Gouvernement, et tandis qu'on s'arrétait ades
niaiseries sans importance , la grande conspiration , c'est-a-dire
le mouvemcnt senatorial de lU. de Talleyrand échappait aeette
police sans portée, Elle avait cependant une grande habileté
pour remuer l'cnthousíasme populaire. De ses bureaux, et sous
la direction de lU. Boulay de la Meurthe , partaient des artieles
de jouruaux el cene Iittératurc de commande qui parlait au
pcuple. lU. Réal , d'une aptitude plus généralc que le général
Savary et d'une certaiuc Icnneté , sccondait le ministre de la
pollee. ~I. Pasquier , dont la haute capacité politíque n' était
point consultéc , se tenait autant que possible en dehors de
ecuo aetion et s'efforcait de réduirc ses fonetions a la simple
édilité, Par toutes les habitudes de sa vie , M. Pasquier devait
se rapprocher d'un mouvcmcnt qui Ierait rcntrer la société
dans les voies de la modération et de l'ordre,


Les autres ministres étaicnt sans influcnce sur le GOUH'rne-
ment. )1'1. de Cessac , Dccrcs , Mollicn , coneentrés dans les
alIaires de Icur départemeut , s'occupaient peu de politiqueo
JI. le comte -'[olé, appd(' jcune encoré h l'administration de
la justice , eherchait i\ mériter cettc Iaveur d'uJl bcau fa/cm
dans un bcau uoni, par un dévoucment absolu h la dynastie
impérialo. JI. Lcbrun , assidu au Couseil, s'abstcnait de toute
participation politiquc, ,1. de Chahrol, préfet de la Seino , son


·. / ::~:~. i.¡
./ n.~V




'102 IlTSTOIHE DE LA HE5TUiI1\TTO\.
gendre, s'occupait des affaires municipales et du tirage de
la conscription avec beaucoup de zelc , que sa rócente et
grande fortune lui commandait. Le conseil municipal ne
partageait pas cet élan pour la dynastie de. Napoléon,
MM. Bellart , le Beau, de Montarallt, Bosheron , Gauthier ,
Pérignon et Vial, membres du conseil général, subissaient avec
quelque impatience les sacrifices que la position désespérée de
l'Empereur imposait a la grande cité. Le commandement et la
police militairc étaient toujours aux mains du général Hullin
et du chef d'état-major Laborde que nous avons vus déjouer
la conspiration Malet. Ils placaient au-dessus de tous les de-
voirs le dévouement envers Napoléon. Leur zele avait tout mis
en activité pour le scrvice de la capitalo , les vétérans , les in-
valides, les éléves de l'l~cole Polytechnique et de Charenton,
On pouvait compter sur les elforts de ces officiers - généraux
pour la défense la plus sanglante de la capitale. Mais il man-
quait une tete capable de diriger tous ces ressorts dans des
circonstances si difficiles, et cela n' était pas étonnant; l'Em-
pire n'avait jamais subí d'aussi mauvais jours, Les caracteres
n'étaient point trempés ~\ des événements de cettc force: il y
avait rage impuissante chez les uns, mollessc , étonnement ou
frayeur chez les autres. Le Gouvernement aIlait encore dans
son allure générale , mais plutót par une vieille impulsion que
par une direction forte et préseute,


A coté de ce Couverncmcnt, il s'en était formé un autre d'hom-
mes habiles et mécontents. On a déj~\ parlé des négociatious se-
cretes entamées par la seule iufluence de 1\1. de Talleyrand avec
le COlIgreS de ChMillon. 1\1. de Tallcyrand inspírait une haute
confiance aux alliés. Sa réputatiou d'habilctó , ses manieres de
politesscqui souvent , connnc onl'a dit , avaient tempéré les exi-
gences impéricuses de :\apoléon ~l l'égard des cabinets , son op-
position connue aces actos qui avaicnt excité le plus granel mé-
contentement en Europc , les gucrres d'Fspagnc et de Ilussie ,
toutes ces circonstances donnaicnt ases relations beaucoup d'im-
portance. Il était cortain quc JT. de Tallevrand avait ('Ir, COIl81111('




CHAPlTRE n. 103-
par les alliés bien avant leur entré e a Paris. A son départ pour
l'armee , Nal)oléon hú avait offert \e ministerc des añaires étran~
geres , qu'il avait refusé, L'Empereur , irrité de ce refus , hésita
un moment pour savoir s'il ne s'emparerait pas de la personne
du vice-grand-éiectcur. 11 en fut empéché par des considéraríons
particulieres. JU. de Talleyrand prenait part aux délibérations du
conseil de régence en sa qualité de prince grand dignitaire, mais
il s'ahstenait de tout avis décisif. Ce n'était point la qu'était le
foyer réel de ses négociations actives. La société intime de M. de
Talleyrand se composait alors de lUiU. le duc de Dalberg, le
marquis de Jaucourt. Dans le commencement de l'année HHh,
1\1. l'abbé de Pradt , archcvéque de Malines, était venu se join-
dre acette petite société , oú se préparaíent en silence de grands
événements politiques. Le duc de Dalherg était l'homme de la
plusgrande intimité de 1\1. de Talleyrand, Issu de famille princierc,
il avait connu lU. de Talleyrand , ministre des affaires étrange-
res, et avait concu pour lui un dévouement absolu ; le ministre,
ason tour, avait pris pour le jeune de Dalberg la plus vive ami-
tié. 11 I'avait Iait uatnraliscr et épouser madcmoiselle de Bri-
gnolles. A la fin de HH 3, ]H. de Dalbcrg s'était retiré des affai-
res. Proche parcnt de M. N"cssclrode , ami du c0111te de Stadion,-
alors a la tete du cabinet ~l Vienne, de M. de :1letternich et du
baron de Yinccnt , 1\1. de Dalbcrg jouissait d'une certaine in-
fluence diplomatiquc. te marquis de Jaucourt , l'un des me111-
hres de l'assemblée constituante, avait d'abord émigré ; rentré
en 11:'03 , il avait présidé le trihuuat jusqu'a ce que le prcmier
consul I'cüt appcló au sénat. Il avait conservé un peu de l'oppo-
sition qui distinguait la cotcrie de madame de Staél. ]H. de Pradt ,
écrivain actif, infatigable, homme d'esprit, mais sans suite dans
les résolutions et les idées , s'était joint au salen de )1. de Tal-
leyrand. II avait alors passé d'une grande admiration pour l'Em-
pereur h de vifs mócontemonts. )L de Talleyrand l'accueillit ,
et , selon son habitude , saus s'ouvrir précisémeut ~l lui , partagea
son désir pour un changemcnt qui pút amcner l' ordre et la paix




1OL~ mSTOIRE DE LA nESTAURATION.
en Europe '. Autour de ce groupe d'honnucs capables vcnaient
se placer une foule d'agents sccondaires : JDI. Laborie , de Bour-
rienne , de Vitrol1es, cte. Tous , sauf JI. de Vitrullcs , ne préci-
saient pas le hut des efforts eommuns; ils ne parlaient des Bour-
hons que comme d'une chose probable, d'une éventualité qui
ne devait en écarter aucune autre.


Il y avait une autre cotcrie dont le caractere bourbonníen était
plus saillant. Avec les événcments malheureux dont l' Empire
avait été le théátrc , le comité royaliste de I'intérieur avait pris
de nouvelles forces. Il s'était rapproché , par l'intermédiaire de
l'ahbé de Jlontesquiou , de -'1. de Talleyrand et des constitution-
nels. '\1. de -'lontesquiou possédait ~l un haut dcgré un caractero
de probité el de modératiou : membrc et président de la con-
stituante , il avait emporté l'estime et les suffrages de cette mé-
morable assemblée. Depuis , il avait été le correspondant de
Louis XVIII ü París. Il revenait de son exil , ü Menton, lorsque
le comité royaliste s'agita au profit de la dynastie des Bourbons.
Les principaux membres de l'association royaliste étaient JDI. de
ñlonuuoreucy , de Quinsonas , Clermont de -'lont-Saint-Jean,
Just de Noaillcs , Sosthcnc de la Hochefoucauld. Quelques-uns
ne s'étaient jamais attachés au gouvcrncment de Xapoléon; d'au-
tres, par exemple , lU. Sosthene de La Ilochcfoucauld , avaicnt
en l'honneur d'etre préscntés chez S. :\1. l'Empereur et Hoi;
mais le temps des grandes solcnnités du mariage était passé !
Vers le 30 Iévricr , -'DI. -'Iathieu et Adricn de -'lontmorency
avaient recu et propagó une proclamation de S. c\. H. -'1. 1('
comte d'Artois , daté« de Vosoul ; une pressc clandcstiue en avaít
multiplié les cxcruplaircs. « Xous Charles-Philippe de Frailee,
fils de France , -'IO,\SIECR, eomte d'Artois , lieutcnant-géuéral
du royaume , cte., ~l tous les Franrais , salut : Francais, le jour
de votre délivrancc approrhc : le frerc de votre roi est arrivé.


1 ;\1. de Pr.idt rccevuit nlors les [ournaux anglais auxqucls 011 aun-
chnit b(';}IICOIIP d'i.nportnnre. L'Ernpcreur avait douné (mire lJU'OIl les
rcíusát á 1'1. oc 'I'allcyraud , al! minisl ero des uñalrcs éunngércs.




CHAPTTRE rr. 105
Plus de tyran , plus de guerre , plus de conscription , plus de
droits vexatoires. Qu'a la voix de votre souverain , de votre pere ,
vos malheurs soient ellacéspar l'espérance , voserreurs par l'ou-
bli , vosdissensions par l'union dont il veut étre le gage. Les pro-
messcs qu'il vous rcnouvellc solennellcmentaujourd'hui , il brüle
de les accomplir , et de sígnaler par son amour et ses bienfaits
le momcnt fortuné qui , en lui ramenant ses sujets , va lui ren...
dre ses enfants. Vive le Iloi !


Signe CIURLES-PHILIPPE. ))


A mesure que les alliés se rapprochaient do Paris, l'associa-
tion royalistc prenait un caractere plus prononcé encere. Les
salons du faubourg Saint-Germain s'emplissaient de gentilshom..
mes en rapport avec les priuces sur les frontieres ; on y discu-
tait des projets de mouvcments Ü París , en faveur de la cause
royale ; mais on ne dissimulait pas que rien ne serait plus diffi-
cile que de faire triompher, sans la présence des alliés, une dy..
uastíc que personne ne connaissait plus. JI y avait dans la capi-
tale une hahiturle d'obéissancc ü la famillc impériale , et c'était
une cntrcpriso hasardcnse , qne de substiruer les flcurs de lis de
Bouviues aux aigles d' Iéna et d' Ausrerlitz el de Fontenoy.


JI Nait une condition esscnticlle pour le gomernement impé-
rial, c'était de rcstcr au sein de la capitale , afín de donner I'im-
pulsion ü la résistance , el snrtout d'cmpóchcr les ennemis de la
dynastie de Napoléon d'cn préparer la ruine. Le 28 mars on mit
en délibération , dans le conseil de régence , si l'Impératrice et
le roi de Rome dcmcnreraicnt ¿I Paris , en cas de siége. Le
conseil décida d'abord qu'on resterait; rnais Joseph et l'archi-
chancelier montrerent un ordre de l'I~mpereur, qui pre-
scrivait de quitter la capitale , si les ennemis parvenaient ¿l la
surprendre. II fut décidé que la régcnce se retirerait a Blois,
ainsi que tous les membres du Convcruemcnr. On avait tant
parI(; d'oriflammo , d'invasion de Maures et de Sarrasins, sous
Charles-jlartel , et des Anglais , sous CharlesVII, qu'on s'ima-
giuait qm' B10is doviendrait 1(' si{'ge dn (~Ol1n'r1l('ment , comme




106 mSTOInE DE I,A RESTAURATION.
Bourgcs , sous le dauphin , fils de Charles VI. París n'étaít plus
alors qu'une ville ordinaire. Une fois que le siége du Gouverne-
mcnt était porté autre part , Marie-Louise devait invoquer l'an-
tique fidélitó des Francais, Lespolitiquosd'administration croyaient
aussi que les hurcaux étant transportes ¡l Blois, París serait dés-
organisé, et que les alliés n'y trouvcraient pas les éléments
d'une révolution.


Le partí de M. de Talleyraud n'avait plus ¡\ craindrc la pré-
sence du Couvcrncmcnt central l. Il s'agissait sculcmeut pourlui
d'atténucr la résistance , et, autaut que possiblc, d'amcner par
une capitulation faite ~l temps ~ la constitntion d'un gouverne-
ment sur les ruines de Napoléou. vaincmcnt les buttes .:\Iont-
martre et Chaumont Iurcnt-ellcs défcndues avcc un courage
acharné, vaiucment les élévcs de l'écolc Polyrcchnique et de Cha-
renton couvrirent-ils la terrc de cadavres russes et prussicns ,
vainemcnt une poignée de .soldats avaient vaillammcnt soutenu
l'honneur et la gloire de la patrie. Ou apprit ~l quatre heures
que le maréchal 'Iarmont, apres une héroique résistance 2, avait
conclu un armistlcc qui alIait 0tre suivi d'une capitulation. Le
30, ü trois hcurcs , le iuaréchal avait euvoyé plusicurs oíficicrs
au prince de Schwartzcmberg , pour lui Iairc connaitrc qu'il était
prút ü cntrer en arrangement. Ln de ces officicrs , conduit de-
vant le gl'néral Barclay de Tolly, demanda une trevc de dcux
hcurcs, Le généra! franrais promcttait d'évacuer tout lc terrain
qu'il occupait encare hors des barrieres, et s'engagcait , l'ar-
mistice expiré, ü souscrire ü la rcddition de la capitale. les al-
liés acceptercnt avec cmpresscmcut les conditions proposées ; la
rcddition de Paris était un poiut important de leurs opérations
militaires ; cal' ils vcnaient d'apprcndrc la marche précipitée de
Napoléon par Troycs ; avant quaranlc-h~lit heurcs il allait rtre


I .\\l. de Talleyrnnd , pour donner le rhangc , avait fail ses dlspositions
pour partir: il s'étalt mérnc mis en route , mais iJ se fit arróter á la
barriere par un poste. Son salan en avait besoin á París.


, 11 avait combattu comme un soldat; ses habits étalent criblés de
halles: la défcction du due de Itaguse ne fut point lá.




CIJAPITRE ir. 107
sur leurs derriercs , avecune armée de 60000 hommcs , bouil-
lante de courage et impaticnte d'arrachcr Paris aux alliés! D'un
antre coté, la capitale , sous le point de vue politique , pouvait
offrir des élémcnts pour aífaiblir et divisor les forces de Napo-
Iéon , et senil' les desscins des alliés , qui ne craignaient que Iui
dans cette guerreo La capitulatiou de Paris ne fut pas l'ceuvre
exclusive du maréchal Marlllont, sur lcquel plus tard tout
l'odieux en a été jeté. Elle lui fut commandéc par Joseph, Plu-
sieurs notables allercnt , quclques moments apres l'annistice,
prondre des nouvclles chcz le maréchal ('11 son hotel, rue de Pa-
radis-Poissouuiere : on y remarquait )DI. Laffire ct Perrcgaux,
qui parlercut tres-vivcmcnt pou1' la capitulatiou , comme d'une
néccssité , aíiu de sauver les intéréts du commerce. Ils érablirent
fort nettcmcnt que les Parisicns étaient las de la luttc , et qu'il
ne fallait pas exposer tant de grands intéréts aux chauces du
combato


Pcndant qu'on discutait al'Hótel-de-Villc les conditions d'une
rapitulation , ¡l la suitc de l'armistice , 1\1. de Fitz-James liaran-
gua un hataillon de gar(/<'s narionalcs qui voulaicnt franchir les
barrieres pour marchcr ~I l'onncmi , el lui persuada (Iue ce n'était
pas HI le devoir de la ganle nationalc. On cmpéchait la circula-
tion des proclamations adressóes au pcuple ; des agents cher-
chaient acomprimcr l'élan des citoycns ; mais pas un cri Iavo-
rahle aux Bourhons nc se Iaisait cntcndre. ~rais des que la capi-
tulation fut siguóe , ,1. d<' 'I'allcyraud ouvrit dircctcment des
connnunications avcc l' empcrcur Alcxandre et les ministres des
Puissanccs alliécs. II réponrlit des autorités pour opércr un mou-
vement contre Napolóou ; a son tour I'cmpereur Alexandrc placa
la plus haute coufianccen )1. de Tallcyrand , et pour en donncr
un gage officicl aux partís qui pouvaicnt se prononccr dans la
capitale , il consentir ~I dosccndrc dans l'hótel du prince, Les ap-
parrcmcnts qui donnrnt sur la place Louis XV, furent préparés
afin de rccevoir un hóte si important. Le 30 au soir, les prin-
cipaux motenrs du mouvemcnt sénatorial , }B1. de Jaucourt , de
Dalberg , l'ahhé de lUontesquiou , l'abhé de Pradt , le baron Louis




108 IllS'fOlHE DE L\ BESL\UL\TLOl\.
se réunirent chcz 31. de Talleyrand : on discuta sur la situation;
différentes questions furcnt posées : on examina la régence de
l'Impératrice, les chances diverses que pouvait avoir cettc com-
biuaison , et l'appui qu'elle trouvcrait infnilliblcmcnt dans l'em-
pereur Francois. Quand on en vint aux Bourbons , M. de Dal-
herg exposa la difficulté de concilier un systemc lihéral avec les
préjugés et Icshahitudes de légitimitó ahsoluede la branche ainéc
des Bourbons. Le nom de l\I. le duc d'Orléans fut prononcé ;
mais M. de Talleyrand et l'ahhé Louis se montrérent les chauds
partisans de la légitimité comme príncipe. Il fut décidé qu'on
s'arrétcrait dófinitivcment au rctour de Louis XVIII, avecune
constitution Iibérale; corte délibération fut adoptée en termes
généraux sans ricn préciscr ; '\1. de 'I'alleyrand se chargea d'agir
en ce sens aupres des souverains alliés el du Sénat qui n'étaient
ricn moins que décidés ¿l prendr« ce parti. La seule donnéc qu' on
cut encore , e' est que l' ciupercur Alcxaudre et ses alliés paráis-
saicnt hésiter ~l traiter désonnais avec Napoléon. On n'ignorait
pas la conversatiou du Czar avec la princcsse Stéphauic de Hade:
« Si Napoléoune traite pas, et si nous passons k Ilhiu , avait-il
dit , nous ne pourrons plus traiter av ce 111i, et IlOUS le renvcr-
serons, )) JI. dc 'I'allcyrand savair que plusieurs {'velltllaJités
avaient ét{· poseesentre les pléuipotcntiaircs au cougres de Chá-
tillon, et qu'il n'existait pas un accord parfait entre les puissances ,
si ce u'est sur ce point : qu' il fallait établir un état de choses
stable , qui püt mainrenir la paix et la süreté de I'Europc.


,\ mesure que les chances du Gouverncmcnt de Napolénn
s'aflaihlissaicnt , :\1. de Tallovrand voyait son salon se remplir de
toutes les nuauccs d'opinions , qui \ enaicnt y chercher direction
el appui. Ilépuhlicains, Bonapartistes, lloyalistcs , tous s'v ron-
contraicnt pólc-mélc , el ,1. de 'I'allovrnnd , avec une souplesse
parfaite , répondait ¿l tous quelqu« chosequi pomait relever lcurs
esperances ou ílattor km amour-propr('. Aux Ilépublicaius , iI
disait : que les souvoraius alliés voulairnt laisser la nation mal-
tresse de décídcr de son gom('l'lH'IlH'llt; aux Impérialistes, que
leur avenir serait assuré et lcur place couscrvée ; qu'il y avait des




CIL\PJl\E 11. '109
chauccs pOllr la régpnce de Jlarip-Louisc : mais qu'il Iallait se
hátcr de détruirc I'ohstaclc : le pouvoir de l'cuipercur :\apoléon ;
aux royalistes il faisait cntrcvoir que le rétablisscincnt de la -'lai-
son de Bourbon érait dans ses vceux ; mais qu'on le devrait ü
I'habileté de conduitc el ~I la sagcsse des opiuions.


.\ u dehors , les partís s'agitaicnt tumultucusemcut el saos
guido, Le gouvcrnemcnt de Napoléou avait trop de graudcur, il
avait créé trop d'intéréts pour tomber sans sccousses, l'organi-
sation de sa police multipliait ses partisaus avcc une activité sur
tous les points répandue par des puhlications adroites ct patrio-
tiques jetécsdans les fauhourgs, Lacapitulation du maréchal }Iar-
mont était considéréc comrue uue véritable trahison par cetro
multitude. II était facile aux partisans He ]'Einpire de réveillcr des
idées de gloire ; leur objet était de faire rompre la capitulation
ct d'cnu-aincr la résistance nationale. lis parcouraieut les Iau-
bourgs aux cris de Vire l'Empereur ! Vire Napoléon! lIs arrétc-
rcnt méme M. de Thouiansoff', que les alliés envoyaieut a l'Hótel-
de-Ville, afin de convenir des mesures nécessaires pour assurer
le séjour des alliés daus París,


De leur coté, quclqnes royalistes s'étaient réunis sur la plccc
Louis XV, afín d'opérer un mouvcmeur. Le prcmier qui arhora
un mouchoir hlauc au bout d'un háton , le 31 mars , ~I ueuf
hcures du matin , fut 1\1. de Yauvineux , agent dévoué ~l Mo]\-
SIEUH comte d'Artois ; il poussa le premier cri de Vive le Boi l
il fut joint par ~nI. Thibaut de .l\Iontmorency, le comte Gus-
tare d'Hautefort , le chevalier du Theil, Charles de Crisnoy el le
comte César de Choiseul, II~ formerent un petit groupe , .et sui-
vírent la me Iloyale , apr(~s avoir pris la cocarde bJanche. Le
comte de Montmorency les précédait , il agitait une cspece de
drapean blanc , et chcrchait ~I parler au peuple. « Vengcons,
disáient les uns , la mort du duc d'Enghien. » « Ilallions-nous Ü
un l\lontmoreney, disaieut les autrcs, » :\lais toutcs ces parolcs
se pcrdaient parmi le peuple <fui HC coruprcnait pas le but de
cctte démoustratiou. Les écrivaius ro) alistes avoucut que le cor-


1. /' 11 Ui. 10
r1.,t. 1f9


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1'10 m5'fOIHE DE LA HESTAlilL\Tlt):\.
tége nc se grossit dans sa marche que du comte de Laícrté-3Ielln,
du duc de lUouehy, du duc de Fitz-James , Adolphe de Las-
Cazes, Florian de KcrgorIay, le vicomte de Cháteaubriand el le
comte Mallrice d'Adhémar, Ce eortége n'excitait que l'étonue-
ment muet, et quelquefois moqueur des Parisiens. Sur le hou-
levard des Italiens , l\UI. le vicomte Dubois de Lamotte, le vi-
comte Malartic, Charles de Béthisi , le marquis de Pimodan , el
Alexandre de Mazanconrt , parcouraicnt ¿l cheval le court cspace
qui sépare le café Tortoni du café Hardi , el montraient vaiuc-
ment ¿l la foule les avantagcs de la racc antiqne des Bourhons,
Le peuple n'applaudissait qu'aux promcsses d'ordrc , de paix ,
d'abolition d'impót et de cnnscription , qne n'éparguaicnt pas les
chcís du partí royaliste. Sur plusieurs nutres points , ¿l la ruc du
Bac , h la me Saiut-Dominiquc , de scmblablcs tcnrativcs étaient
faites , mais sans aucun succés, te cortége nc se composait que
de quelques gontilshonuucs. Vainement lisaient-ils des procla-
mations aux portes Saint-Denis et Saint-álartin , on rcstait froid
¿l Ieurs discours , et dans plusicurs lieux mérnc lis Iureut Yio-
lcmment mcnacés. La gardc nationale ne prcnait aucun parti ,
se hornant ¡l mainrcnir l'ordre. Soldats el officicrs porraicnt en-
corc ¿l leur chapean la cocarde aux trois coulcurs , ils parcou-
raicnt tous les quarticrs de Paris , protégeaieut les propriétés et
les personllcs. ~1. de Fitz-Jamcs , officierdans cetro gardo , avait
voulu Iaire prcndre a quclques-uns de ses soldats la cocardo
blanche ; ils s'v étaient constammcnt refusés, Tous u'cutcudaicut
rccevoir des ordrcs que du maréchal "oll('ey.


C'cst dans cette agitation de partis que les alliés [¡r('HI Ieur
cutrée h Paris. Le priuce Schwartzcmherg s'était fail précé-
del' d'unc proclamation qui , dl's le matiu , avai! (·té aIlichéc.
( Parisiens, disait-il en finissrnt : vous counaisscz la situation de
votre patrie; l'occnpation amicalc de LYOll, .la conduitc de Bor-
doaux , les maux attirés sur la France , el los dispositious y(>ri-
tables de vos roncitoycns. Vous trouvercz dans ces cxctuples le
tel'111C de la gUClTC étraugerc el de la discorde civile. Vous nc




r.nAPITRE n, 11'1
sauriez plus le chercher aillcurs. e'cst dans ccttc espérance
que l'Europc, en armes daus vos murs, s'adresse Ü vous. Hátcz-
vous de répondre ~l la confiaure qu'elle met dans votre amour
pour la patrie et dans votre sagesse, )) Cette proclamation avait
été concertée avcc 1\1. de Talleyrand : le modele en avait été
méme envoyé au quartier-général et longtemps délihéré. Tous
les partis y trouvaient des motifs d'espérance. On y parlait aux
Ilovalistesde l'excmple de Bordcaux ; aux Ilépublicains, et méme
aux partisans de Napoléon , du désir des alliés de Iaisser la
uation maltrcssc de choisir la forme de son gouverncmcnt,
On Ilattait l'amour - propre national par cette phrase hahilc :
« que l'Europe en armes dcmandait la paix ü la capitule de la
Frailee. II


les armées combiuécs traversercut les houlevards , garuis
d'un pcuple curicux de voir cet asscmhlagc de troupes de tant
de uations et de pcuples diífércuts. A cette curiosité de con-
temple!' un spectacle si nouveau , se mélait parmi le peuple un
scntiment de rristessc. Par un contraste frappaut , des groupes
de Icnuncs agitant lcurs monchoirs , saluaient les alliés du titre
de lihérrucurs. Les Iloyalistcs , qui s'étaicnt promcnés dans la
marinée par la capitale , précédaicnt l'cmpercur Alcxandre , et
chcrchaicnt par leurs démonstrations hruyantcs ~l lui signaler
l'état de l'opinion. la proclamation du prince de Schwartzcm-
berg avait rassuré les esprits : les boutiques, les marchés se
rouvrirent. les soldats , les officiers russes, prussiens, allemands
se répandirent dans les rucs de París. -'1. Pasquier maintint 1'01'-
dre public ; il se mit en rapport direct avec les chefs des armées
alliées ct les ministres influcnts aupres des souverains. Bientót
M. Pasquier conquit cette confiancc qui arrivc toute seule ~l la
capacité. n avait été, jusqu'au dernier moment, fidélc au gou-
vcrnement de Napoléon , et surtout aux devoirs de sa magistra-
ture municipalc. Il n'alla chez JU. de Talleyraud que le 31 mars
11 quarre honres. C'est alors qu'il se mit ~l l'eutiére disposition
rlu salou oú allaient se discuter de si grands intéréts,




112 mSTOTRE DE J.A nESTAlinATTON.
En r('sum{' , Paris se trouvait fort heurcux d'étrc dehors , ¡\


la Iois, de la peur d'un siége ct du gouvcrnemcnt de S apoléon,
Quand un pouvoir fatigue. tout ce qui "VOUS en délivrc OIl le
saisit. Une grande capitule, foyer de luxe et d'activité , n'oflrira
jamáis ni I'excmple d'uu grand dévouemcnt ni la force d'un sa-
rrificc patriotiqnc,




ACCO:\IPLISSE ME:'iT DE I.A RESTAl.:RATI O:"•


L'empcreur Alex andrc dans le salon de j\J. de Talleyraud. - Couférenccs
pour la Rcstnnratiou. - Déclaration contre Bonapartc.~ Le Séuat COII-
servateur. - l~tahlissemellt d'ull gouyernemeut provisnir-c , - Composit ion
d'uu premier miuistcre, - Déchéance de l'Empercur , - Adlu'sion du
Corps législatif.- L'En~pereur it Fonta ineblenu . - Marie-Louise it Blois,
Confércuccs pour la régellce. - Ahdication de l'Empereur, - Travai l
du S(:nat pour la Constitution , - Louis XVIII proclamé. - Action de la
presse. - Acles du gouyernemellt prnviso ire, - Le comte d'Artois lieu-
tenaut-général du royaume. - Ses prcmiers ar-tes. - Louis XVIII jusqu'n
Saint-Oueu, - Coufúrenccs pour la 11ú,laralioll q ui précede la Charle.


filEN" n'était décidé par rapport ¿l la Ilestauration. les alliés
étaient maitres de la capitale; mais ils u'aunoncaicut pas l'in-
tcntion de renvcrscr le gouyernel1lent rógulier de Napoléou, Des
intéréts , mémc hostiles les uns aux autres , devaient cmpécher
une résolution communc parmi les souvcrains : il était urgent
qu'un partí Iüt pris ; M. de Tallcyrand en sentait l'importancn,
Lorsqu'un trop grand nombre d'hommcs cousidérablcs sont
compromis, ils préfcrent hriser un pouvoir , plutót que de su-
hir sa réaction , et e'ost ce qui rend nn changemcnt inevitable.


te 31 mars , h six heurcs du soir, l'empercur de Russic prit
possession des apparteruents qne M. de Tallcvrand lui avait Iait
préparcr : coux-la que l'on voit encere sur la rue de Hivoli, au
coin de la ruc Saint-Florentiu , et que distiuguent de largos
halcons en pierrc '. Apri"s quclques iustants de repos , l'objet de


1 l\I. de Tulleyra tul aimalt ú fa i re visitcr ce Sil Ion, dans ses [ours de
disgr¡\('(', pour moutrcr l'Ingratitudc de la Itcstauration CIlYCI'S lui.




l1h HISTOIRE DE J,A RESTAURATfON.
la convcrsation roula sur les moyens 11 prcndre pour mettrc un
tenue ~\ la lf,uerre. A1eKan(lre, d'uu ('arac,t~lr"~lf,én('xeux, qUl..l\l..\ue
un peu dissimulé ,' avait alors une seule préoccupation , celle
d'assurer la paix du monde. Son amhition était de faire un uoblc
contraste avcc Napoléon, granel surtout par la guerreo Quoique


.l'intimc inf1uence de madame Krudner sur l'esprit d'Alexandro
n'ait commencé qu'en 1815, le Czar avait déj~\ recucilli certaincs
ielées mystiques et de prédestinatiou , qui lui faisaient croire 1
que sa mission était ici-bas de remplir le róle de paciíicatcur
au moyen de ses immcnses années. C'était uno de ces ámcs
usées par toutes les émotions , conune on en rcncontrc en Rus-
sic. On aurait dit qne, préoccupé par fe souvenir d'un cruel
accident de sa vie qui lui pesait conune le rrmords , jf se jetait
uvcc passion dans le bien commc vcrs le repcntir ! AIl reste le
Czar était un homme Iacile a mauier pour JU. de Talleyraud ,
dout l'expression, toujours noble , toujours heureuse , savait si
bien parler a ses préjugés généreux. 1'1. de Nesselrode , son
chancelier, possédait sa plus haute confiance : diplomatc instruit,
~I formes élégantos et polies, M. de Ncsselrodc partageait la
penséc de l'empercur, son maitrc , sur la paix généralc, se ré-
scrvant tout entier pour la question du grand duché de Varsmie ,
au congres , comme prix des eITorts de la Ilussie daus la coali-
tion. Le général-mnjor Pozzo di Borgo cxercaít également une
haute iuíluence sur l'esprit d'Alcxandre, Né en Corscv.ct , dit-
on , separé de la Iamille de Bonapartc par une rctulctu: héródi-
taire , JU. Pozzo, d'ahord memhre de l' Asscmhléo IégislaLiH', el
patriotc distingué , avait pris du sen ice en Hussie, s'était élcvé
au grade de général-major, e'élait un cnncmi pcrsonncl de
Napoléon ct une intclligcncc active. "'1. de Talicyraud , tou-
jours prévoyaut , avait pIaeé aupres du roí de Prussc le
g{'néral Beuruonville , Iongtemps ambassadeur a Berlin , que
Frédéric-Guillaumc honorait d'une vicille confiance. Il l'avait


I Madamc de Krutlner avaít persuadé a Alcxnndre que Napoléon
était le diablo noir ou Ic géuie des bataillcs , el que luí étuit I'angc
blane ou le génic de la paix.




CTlAPLTRE IIJ. H:"i
chargé de lui Iaire connaitro l'opinion de la France ot des partís.
Le chancelier de Hardenherg avait eu de nomhreuses rolatious
avec 11. de Talleyranrl , aux affaircs étrangéres : et il aimait
11 se souvcnir avec quelle modération le ministre de ~a­
pnléon avait temperé les ordres sévercs de son maitre sur la
Prusse. ~ Aup1'es du prince de Schwartzemberg , muni des
pleins pouvoirs de l'cmpereur d'Autriche , 1'1. de Talleyrand dé-
pécha le duc de Dalherg , que d'anciennes relations rappro-
chaient aussi de 1\1. de Metternieh. Ici la chose était plus im-
portante : les intéréts de :Harie-Louise , la question de la
régence se mélaient ;\ la déchéancc de Napoléou. II fal/ait déter-
miner l'empcrcur d'Autricbc ü ahandouncr les droits de sa fille
el (h~ son petit-Ills, Dans une conférence préliminaire avec le
prinrc de Schwartzeruberg , :n. de Dalbcrg s'était assuré que
I'empereur d' Autriche el l\I. de 'Icttcrnieh étaicnt d'avis que
la eontinuation de l'existcnce souveraiue de Napoléon était in-
compatible avec le repos de l'Europe, Des lors il était faeile de
conclure contre la régence , qu'elle ne serait que la continua-
tion du rcguo de Napoléon ; mais e'était néanmoins un point
diflicile iI faire résondre par le pere de ñlarie-Louise.


la premiere couférence officíclle sur la Ilcstaurarion s'ouvrit
le :5'1 mars , de trois a quatre heures du soir, Elle se tint dans
le grand salon de M. de Talleyrand. Du coté droit et le plus rap-
proché du meuble d'ornement du milieu se trouvaient le roí de
Prusse elle princc de Schwartzembcrg. iU. le duc de Dalherg était
;\ la droite du prince, Puis venaieut ~nI. Pozzo di Borgo et le
prince de Lichtcinstein. M. de Tallcyraud avait pris place a la
gaucho du roi de Prusse. L'cmpereur Alexandrc se promenait a
grands pas et parlait par plu'ases eutrccoupées , vives et souvent
éloquentes : « Ce n'est pas moi, disait-il , qui ai commencé la
guerrc : on est venu me chercher chez moi, Ce n'est point la
soif de conquéte ct de vengeance qui m'améne a Paris. J'ai tout
Iai: pOllr épargner cetro grande capitale. J'aurais été inconso-
lable si elle avait été atteinte. Je ne fais point la guerre a la
Franco, el mes alliés ne rcconnaisscnt que deux ennemis: 1'e111-




11() nrSTOTnE DE 1.\ nnsr.nnvrto«,
perenr ""apoléon ct ceux qu i S' opposcnt ¿. la liherté des Fran-
cais. ::,\'est-cc pas b l'oplnion de Sa l\lajesté?» dit-il au roi
de Prusse. Le roi Guillaume répondit : « Je suivrai l'avis de
Yotrc Majesté ; mais mon opinión serait de combattre ct détruire
d'abord Napoléon; il est aFontainehlau avec une armée dévouée ;
le combattre est le point essentiel : je ferai d'ailleurs ce que
Votre 1Iajesté décidera. » « l\lessienrs, continua l'empereur de
Russie, en s'adressant a1DI. de Talleyrand et de Dalberg , les
Francais sont parfaitemcnt libres de choisir le gouvernement qni
lcur conviendra. » Alors trois questions furent posées : 1°. faire
la paix avec Napoléon , en demandaut toute especc de garantie
contre lui ; 2°. établir la régence; 3°. rappeler la Maison de
Bourbon. M. de Tallcyrand prit la parole sur les deux premieres
qucstions , et fit sentir tous les inconvénicnts de l'cxistcnce sou-
vcrain« de ~apo]('on, qui néccssitcrait POUl' toutes les Puissauces
une oCCllpation armée ou un état militaire exorbitant, « Les
souverains alJi~s veulent la paix , une paix durable, solide, quí
donne ¡. l'Europe une garautic de sécurité ; avec Napoléon il n'v
aura qu'une treve, )) Il combattit égalemcnt la régence, qui ne
serait que le regne de Napol{'oll continué. J~e rétablissement de
la :\IGison de Rourhon lui parut la seule chose qui convint , qui
füt désirée , qui pút étre acceptée généralement. Cette restau-
ration mettait un tenue a la tyrannie , donnait les garantics
tant souhaitées pour les libertés , et présageait i. l' Europe
de longues années de paix : « .,Nous pouvons partir des lors ,
ajouta- t-il, d'un príncipe Iixe, l'ancienne dvnastie et les an-
cicnncs limites. )


1..e prince de Lichteiustcin contesta vivcmcnt que l'opinion
publique appelñt la _'Iaison de Ilourbon. L'arrnée alliée avait tra-
versé la France, et elle n'uvait pas rencontró un mouvcment
favorable aux Bourhons , si l' on en cxceptait Bordeaux. La ré-
sistance de 1'arméc n'érait-ellc ps» iJ craindre? Elle se trouvsu
au méme rlogré dans les corps de nouvellcs levées, que daus lesvé-
térans. Il n'y avait done ele sécurité que dans un traite qui ticndrait
compre de la forro dI' ces opinions. « ()ut'l movcn proposez-vons ,




CIIAPITRE nr. 117
dit I'empereur Alexandre ¡¡ M. de Tallevrand , pour ohtenir le
résultat désiré ? - les actes des autorirés constituécs, Jeme
fais fort du Sénat. L'impulsion donnée par celui-ci sera bientót
suivie par Paris et la Franco. Si Sa Majesté n'ajoute pas une
cntiere confiance ü mon témoígnagc , jc lui demanderai la per-
mission d'introduire en son .conscil l'BI. le barón Louis et de
Pradt , qui pourront justifier ce que j'avancc. » L'empereur
ayant consenti, l\HI. le baron Louis et de Pradt furent appelés.
Alexandre se promenait toujours ü grands pas, répétant les mémes
expressions par lcsquelles il avait ouvert la séancc. (1 Xapoléon
est l'ennemi connnun. Je suis l'amí de la paix, Et vous, :Uonsieur
de Pradt , que pcnsez-vous? - NOllS sommes tous royalistcs , ré-
pondit l'archevéque de Malines , toute la France l'est comme
nous. Si elle ne s'est pas montrée , c'cst acause du congres de
Chátillon. Paris se prouoncera des qu'il pourra le faire et qn'il
y aura süreté, D'apres l'influence que Paris exerce sur la France,
son exemple sera elécisif. » Le baron Louis tint le méme langage,
avec des expressions plus ardentes encore centre Napoléon.
M. Louis était alors le promotenr le plus violent de la restaura-
tion, le plus acharné des cnncmis de l'Empcreur, Commc onlui
faisaít ohscrvcr que Xapol(~on n'était point mort, méme politi-
quemcnt , il répondit : C' es! un cadarrc ; seulenicnt il ne pue
P({S encere. « Votre lUajesté, reprit Alcxandre en s'adressant au
roí de Prusse , persiste- t-clle dans sa résolution contre l'ernpe-
reur Napoléon? Et vous, princc de Schwartzemberg , y donnez-
vous votre consentcment? » Sur lcur réponse affirmative ,
Alexandre , vivemeut agité, se promenant toujours agrands pas,
s'écria : « Je déclare que je ne traiterai plus avec Napoléon. -
Mais, dit lU. de Talleyrand, Napoléon se trouve seul excIu par
eette déclaration, qui n'atreint pas sa famille. - J~h bien! ajou-
tez: Ni avec aueun des mcmhres de la famille, »


JUaitre elu terrain , 1'1. de Talleyrand prit la plume et rédigea
un projet ele déclaration. Quelques observations furent préscn-
tées. Une rédaction déflnitive ayant éré arrétéc , ]\J. de Xessel-
1'0<1(' en nI dr SíI main une copie , r'('lait l'acte le plus impor-,


,.


r,
....~.


....r.:-.
.~


--,




118 IIlSTOIRE DE I.A RESTAUlUTfON.
tant des conférenees: « tes armées des puissauces alliées ont
oeeupé la capitale de la France. tes souverains alliés accucillent
le vceu de la nation francaise. lIs déclarent : qu'ils ne traiteront
plus avee Napoléon Bonaparte , ni avee aucun membrc de sa
familIe. Qu'ils respeeteront l'intégrité de l'ancienne Francc ,
teIle qu'eIle a existé sous ses rois Wgitimes. Qu'ils reconnaitront
et garantiront la constitution que la nation francaise se donncra,
Ils invitent par conséquent le Sénat adésigncr un gouvcrnemont
provisoire , qui puisse pourvoir aux bcsoins de l'administratiou ,
ct préparer la constitution qui convicndra au peuple francais. ))
Apres avoir apposé S1 signature , Alcxandre hésitait encere pour
la publication qui était une rupture ahsolue avcc Napoléon. En-
fin, entralné par les vives instances de -'l. Pozzo di Borgo , que
les Boyalistes avaient cntouré , il eonsentit ~l ce qu'clle füt im-
primée et publiée, Un des freres illichaud se trouvait dans
l'autichambre de M. de Talloyrand , et recut de sa main copie
de la déclaration; elle fut - imprimée sur place ct dans moins
d'une heure affichée dans tout París. lU. de 'I'alleyrand et le
parti royalistc avaicnt ainsi engagé l' cmpercur Alexandre ;c'est
ce qu'ils voulaient. 1A~ Czar, poursuivi par un sombre pres-
scntiment , avait conservé de Napoléun une idéc de grandeur
avec le souvcnir des entrerues de Tilsitt et d' Erfurth. Il se
croyait predestiné ane lui survivre que peu de temps,


La déclaration de l'empereur Alcxandre rcconnaissait les
droits qu'avait le Sénat de proclamer les iutentious du peuple
francais sur la forme de son gouvernement ,ce qui entrait dans
le plan de l\I. de Talleyrand et de ses amis, lIs savaientque des
qu'il y aurait un gouvernemcnt organisé en dehors du pouvoir
impérial , toutes les autorités secondaircs vicndraicnt S'~' grou-
pe!', et que la restauration s'opererait sans crise et par le seul
mouvement d'ohéissance imprimé depuis quinze annécs atous
les corps adrninistratifs. Le but de :\1. de Talleyrand était , sur-
tout, de donner ala Ilestauration une origine nationale , et d' en
faire comme l'expression d'un vcou public , en méme temps
qu'il remplissait les intentions de Louis XVl1I, qni , dans sa




CIIAPITllE UI. 119
proclamation du mois de janvier 181h, avait appelé le Sénat a
détruire le gouverncmcnt de Bonapartc. Les sénateurs n'étaicnt
poini alors tous a París. Depuis le mois ele janvier, un granel
nombre avait été envoyé en mission pour organiser la résistance
dansles départemcnts , et , sous le titre de conunissaircs extraor-
diuaircs , ils avaient donné l'impulsion a toutes les forces natio-



nales. D'autres , en leur qualité de grands dignitaires, avaient
suivi l'impératrice Maric-Louise aBlois. 11 ne restait que 80 ou
100 memhrcs tout au plus, sur lesquels ,\l. de Talleyrand devait
agir, On a d(Üa dit quelles étaient les diflércntes nuances qui
composaient le SénaL. Desle mois de j anvier 1814, l'opposition ,
qui , en 1810, n'allait pas au dela de ~DI. Lanjuinais, Lam-
breehts, Grégolre , Garat, Destutt de Traey, s'était grossie
d'une vingtaine de membrcs, Mais eette opposition était toute
républicaine , ou pour une monarchie tellement pondérée,
tellement libre, que le monarquc , sous un titre héréditaire , ne
Iút , dans le Iait , qu'un présidcut de république, Quant a la
majorité du Sénat , elle était dévouée II la dynastie de Napoléon,


M. de Talleyrand devait proceder avec mesure, pour ne point
s'aliéncr les divcrses nuauccs du Sénat, S'il avait de prime-
abord annoncó son arricrc-peuséc , ses plans coucertés avee ses
amis, il aurait trouvé de la résistance dans les séuateurs dévoués
soit II la famille impóriale, soit aux idécs républicaines, JI fallait
d'abord se réunir autour d'unc de ces mesures cssenticllcmcnt
provisoires , qui nc pouvaient cílaroucher personue , blesser
aucune opinion , et laissaient toutos les espérances dans leur
activité, ~nL de Dalbcrg el de Tallcyraud convinrcnt done de
proposer au Sénat une conunission prise dans son sein , ou
panni des hommes dont les noms pourraicnt répondrc a toutes
les évcntualités de la situation politique, Le 31 mars au soir, la
liste en fut arrétée daus le cahinct devl. de 'I'alleyrand , qui en
rctint la présidcucc, Elle fut d'ahord composée de ?lDI. le due
d~ Dalberg, lc eomte dc Jaucourt et l'abbé de ~Iontesqlliou.
Tous avaientjoué un role plus ou moins aetif dans le mouvemcnt
politiqueo On y ajouta le géuéral conue dc Beuruonville , paree




120 IUSTOIHE DE LA HESTALHATlO~.
,


qu'il fallait un militaire dans le gouvcrncment provisoire : le
eomte de Beuruonville devait plaire a tontos les opiuions du
Sénat ; offieier de l'ancien régime, général sous la Hépublique,
ami de Carnot et des Ilépublicaius, il olIrait des garanties atous
les partis.


Le lendemain les sénateurs reeurent une lettre de convocation
> ~


pour se réunir en séancc extraordinaire , sous la présidcnce du
prince vice-grand-électeur ; toutes les formules de l'Empire
étaient ainsi exaetement observécs : c'était le 1"r avril, a deux
hcures et demie. J..e Sénat, au nombre de soixante-einq mem-
hrcs , s'était rendu ~l cctte convocatiou , en costume, ]U. de Tal-
leyraud avait passé touLe la matinée aenvoyer des expres chez
tous les sénatcurs , pour les cngager avenir acette séanec; quel-
ques-uns refuserent par dévouement , d'autrcs se cachérent : on
fut plus de trois heurcs avant d'entralncr ]U. de Pastoret : la
séance ne s'ouvrit qu'a trois heures, 1'1. de Talleyrand prit
ainsi la parole: « Sénateurs , la lettre que j'ai en l'honneur
d'adresscr achacun de vous, pour vous prevenir de cette con-
vocation , leur en fait counaitrc l'ohjet. JI s'agit de vous trans-
mcure des propositions; ce mot seul suHit pour vous indiquer
la liberté que chacun de vous doit apporter dans cette assemblée.
Sénatcurs , les circonstances , quelquc graves qu'elles soicnt ,
ne peuvent étre au - dessus du patriotismo éclairé de tous
les mcmbres de ceHe asscmbléc , et vous avez sürement seuti
tous également la iiéccssité d'une délibération qui fcnue la
porte a tout retard, el qui ne laisse pas écouler la journée sans
rétablir l'action de l'administration , ce preuiier de tous les be-
soins, par la formation d'un gomerncment dunt I'autorité ,
établic pour la néccssit« du momcnt , ne pcut qu'étre rassu-
raute.. Ce discours , hahilciucut eOlJ(;U, fut aceueilli avec un
asscntiment unanime. _1 peine quelques mcmbres fircnt-ils
entendrc des ohscrvations sur l'étcndue des pouvoirs de ce gou-
vcrnement provisoire ; plusieurs rédactions furent proposées et
discutées; en fin un projet de sénatus-consulte fut adopté en ces
termes: « '1°. Il sera établi un gouvernement provisoirc chargé




CIJAPJTllE 1U. 121
de pourvoir aux hcsoins de l'administration et de préscuter au
Sénat un projct de constitutiou qui puisse convenir au pcuplc
francais, Ce gouverncment est composé de cinq mcmbres , sa-
voir: 31'1. de 'I'alleyrand , de Beurnonville , comte de Jaucourt,
duc de Dalberg, l'abbé de Montesquiou. L'acte de notification
du Gouvernement provisoire sera notifié au peuple francais par
une adressc des membres de ce Gouvernement. )


l\I. de Talleyrand prit de nouveau la parole : « Sénateurs , l'un
des prcmiers soins du Gouverncment provisoire devant étre la
rédaction d'un projct de constitution, les membres de ce gou-
vernemcnt, lorsqu'ils s'occuperont de ectte rédaction , en don-
neront avis a tous les meinhres du Sénat , qui sont invites ¿l
concourir de leurs lumiercs a la perfection d'un travail aussi im-
portant, )) te Sénat répondit :« Qu'il chargeait le Gouvcruemcnt
provisoire de compreudre , en substance, dans son adrcssc au
peuple francais , 1. ". Que le Sénat et le Corps législatif scraient
déclarés partie intégrante de la eonstitution projetée , sauf les
modifieations jugées nécessaires pour assurer la liberté des suf-
frages et des opinions. 2°. Que l'année, ainsi que les officiers et
soldatsen retraitc , H'llH'S, etc., conservcraient les grades, pen-
SiOHS ct honneurs dont ils jouisscnt. 3°. Qu'il no serait porté au-
cune atteiute á la dctte publique. 4°. Que les rentes de domai-
nes nationaux scraient irrévocablcuicnt maintenuos. 5°. Qn'aucun
Francais nc pourrait étre rcchcrché pour les opiníons politiqucs
qu 'il a pu émcttre. 6". Que la liberté des cultcs et des conscien-
ces scrait maintenuc ct proclamée , ainsi que la liberté de la
presse. 7 '. Eufin , que le Gonrernement provisoire serait chargé
de préscntcr Ull projct de constitution , tel , qu'il ne Iút porté
aucune attciutc aux priucipcs qui font la hase de ces proposí-
tions. )) On procéda cusuito ¿I la signature du preces-verbal dans
I'ordre suivant : Les sénatcurs Ahrial, Barhé-Jlarhois, Jlarthé-
Iemy , le cardinal de Bayanc, de Bc1dcrImseh, Bertl101et, Lau-
bat , Cholet, Colaud , Cornet , Davonst , de Gr0gory, lUerco-
rengo, Dembarrere, Deperc , Destutt de Traey, d'Harville ,
d'Ilaubcrsaet , d'Ilédouville , Dubois-Dubaís , Fabre , Férino ,


1. 1'1




122 IIISTOInE DE LA RESTACRATlON. .
Fontanes , Garat, Grégoire, Herwyu , Jaucourt , Journu-Au-
bert , Klein, Lcgeas , Lambrechts , J...anjuinais , Lannoy , Lebrun
de Hichemont, Lemercier, Lespinasse , ñlallcvillc , lUcennan,
lUonbadon , Pastoret, Péré , Pontécoulant , Porcher-dc-Itiche-
bourg, Roger-Ducos, Saint-Jlartín de la ;\Iotte, Saintc-Suzaune,
Saur, Schimmelpenninck, Serrurier , Soules , Tascher , de Va-
lence , duc de Valmy , Van Dedcm , Van Depoll, Vaubois, Vil-
letard , Yirnar , Yolney, -i-Prcsidcni ~ le prince de Bénévent; sc-
crétaircs ~ comte de Yalence , Pastoret. Le comte Barthélemy,
»icc-présidciu du Scnat ~ lut des lettres d'excuse des sénateurs
comte Yerdier , Dccroix , Garrat, Coulon , Francois de Neuí-
chátcau , qui , pour canse de maladie , n'avaient pn assister ala
séance.


Un premier pas était done fait, et le Sénat complétemcnt en-
gagé dan s les idees de JI. de Talleyrand, l\lais la formation d'un
gouvernement provisoire, ne décidant aucune des questions po-
litiques, ne pouvait soufTrir de grandes difficultés dans le Sénat ;
les embarras commcnceraicnt a naitrc seulement pour la ques-
tion de déchéanco contrc Napoléon , qui formait une scconde
halte dans le projet de ,1. de 'I'alleyrnnd. Ici , les partisans de
l'Empereur conscntiraicnt-ils ü se séparer de luí ? Le Sénat en
comptaít un graud nombre. Le partí républicaiu , ílatté par le
Gouvernement provisoire de l'espérance d'une large eonstitution
libóralc , se chargea de proposer la déchéance, C'était une idéc
qui luí était dcpuis longtemps familier». 1\1. Gr('goire se vantait
alors dans le Sénat ( et de quoi ne se vautc-t-on ras aux jours
de la victoire !) d'avoir rédigé depuis deux aus un projet mo-
ti ré de déchéauce qu'j] ¡¡rait comnwlliqué aquelques ouus. M. de
Tallcyrand se coníia done a la haine des vieuxIlépublicaius con-
trc Napoléon. Le 2 avril , ~l sept heures du soir , le Sénat se réu-
nit pllr suite d'Ul1C conrocation cxtraordinaire du Gouvernclllcnt
provisoire. Tout éraitprépan'>, 31. Barthélcmy , lié d'opinion avec
1'1. de Talleyrand , présidait la séance. M. Lambrechts prit la
parole , et demanda que l' ompcreur Napolé.on ~t sa fa~ni~l~ fus-
S(',l\t d~dlUS du trol\(', , atteml~ quc h.\ GO\l'6\.l.\.utl.G\\ a'Valt e\.(', {Ou.-




C,HAPITRE In. 123
lée aux pieds par Ir despote ; el qu'cn conséqucnce le peuple
francais et les armécs fussent dl'gagés du serment de Iidélitó. Le
parti républicain et les amis du Gouvernement provisoire ap-
puyérent cctte proposition. Quelques sénateurs , personncllemeut
dévoués aNapoléon et II sa dynastie, quittercnt la séance. On
parla peu sur ce sujet , grave ccpendant, La questiou fut mise
en délibération immédiate , et le Sénat adopta , ~l une grande ma-
jorité, la résolution de déchéance, 11 déclarait Napoléon Bona-
parte et sa familie déchus du tróne , déliant en conséquencc le
peuple franrais et I'année du serment de fidélité. Alors 31. Lam-
hrechts s'écria : ce Jo demande que l'acte qui vicnt d'étre pro-
noncé , soit précédé des considérants qui en cxposeut les motifs.
- Adoptó! adopté! s'écric-t-on de toutcs parts sur les banes ré-
publicains, - Qu'on rédigc ces motifs séaucc tenante. » lIs vou-
laieut par ce moyen obtenir une sorte de déclaration de priucipe
et d'engagements de la part du Gouveruement provisoire. « Bor-
nons-nous, quant aprésent, au décrct; les considérants ademain ,
répondent les sénatcurs dévoués al\I. de Talleyrand. -A demain
les considérants, - Qui les rédigera ? s'ócrie-t-on. - Eh bien!
l'\I. Lambrechts lui-mémc. » Alors 31. de Fontaues exposa avcc
gravité : « qu'atteudu I'importance de la mesure qui vcuait d'etre
prise pour sauver l'arméc francaisc el arrcter I'cITusion du sang,
lH. le présídcnt scrait ehargé d'iuvitcr, des le soir, lesmcmhrcs du
Couvcruement provisoire ~l la faire counaitrc au publico » Le but
était done ainsi attcint. Le coup porté était inuneusc, Le Séuat ,
ensortaut de cette séancc , fut admis al'audicnce de l'empereur
Alcxandre. Le Czar, toujours agité, éprouvant encore le hesoin
de sejustifier , leur dit : « lUessieurs, je suis charmé de me trou-
ver au milieu de vous. Ce n'cst ni l'ambition ni l'amour des con-
quétes qui m'y ont conduit, Mes armées nc sont entrées en Franco
que pour repousscr une injusto agrcssion. Votre Empereur a
porté la guerre chez moi , lorsque jc ne voulais que la paix, II
est juste, il est sage de donncr ü la France des institutions for-
tes et libérales, qui soienten rapport avecles lumieres actuelles. »
La question semhlait etre ainsi décidée contrc Napoléon , mais




12ú fllSTOIRE DE LA HESTAURATION. .
eelle des Bourbons était loin d'étre résolue. Elle íormait une au-
tre partie du plan des politiques.


te Gouvernement provisoire avait été compasé par )1. de Tal-
levrand de maniere ~\ répondre a toutes les chances. te priuce
. ,


était déterminé arappeler les Bourhons, mais il voulait que cet
acte , afind'etre durable, füt environué de toutes les apparcuces
de liberté et de délihérations publiques. 11 n'y avait dans le
Gouvernement provisoire d'opinion exclusivcment dévouée a
Louis XVIII, que celle de l'abbé de Montesquiou, et encore
était-ce un homme sage , enclin aquclques préjugés , mais qui
accordait que la liberté était un besoin de son époquc. L'instal-.
lation du Gouvernement provisoirc cut lieu le 1er avril au soir ,
sous la présidencc de lU. de Talleyrand. OH s'y occnpa d'ahord
de mettre la garde nationale , la seulo force puhlique reconnue
légitime a Paris , sous le commandcment d'un chef dévoué au
nouvel ordre de choses; le génóral Dessolle, alors en disgráce et
l'ami de Morcau, recut cette importante fonction. Tous les mi-
nistres de l' empereur N'apoléon étaient ~\ Blois aupres de la ré-
gente. Des commissaircsfurent nommés achaque département;
M. Henrion de Pansey , magistratintegrc , éclaíré , cut la justice ;
le comte ele la Forét , homme de capacité, anclen ambassadeur
~\ Madrid, l'une des créaturcs de lU. de Talleyrand , fut placé
aux affaires étrangeres ; ]U. Beugnot, qui avait aequis quelquc
réputation dans sa préfecture du Nord, fut commissaire al'in-
térieur, Par une faute inconcevable , le général Dupont, taré
dans l'armée par sa fatale capítulatíon ele Baylen , obtint le mi-
nistere de la guerre; ]U. de JUalouet, royaliste honorable et an-
cien administrateur de la marine, cut ce départcmont ; M. le
barou Louis prit les finances , en récompcnse de ses services;
1\1. Angles , ministre des requétcs et fils d'un magistrat, fut placé
a la police. On nomma également pour sccrétaire général du
Gouvernement provisoirc, M. Dupont de Ncmours ; M. Laborie
fut sccrérairc adjoint. C'était , comme on le disait spirituclle-
mcnt , le cabriolet du Gouverñcment provisoire. 1\1. de Bour-
ricnne , que sa bronillerie avec son anclen condisciple et de mau-




CllAPlTRE tu. 125
valses affaires avaicnt réuni hquclques agcnts du partí royaliste ,
s'empara de sa propre autorité de la direction des postes, si
importante pour répandre dans les départements la nouvellc des
changements qui vcnaient dc s'opérer, te Gouverncment pro-
visoire l'r laissa. Commc il arrfve toujours dans les révoiutíous,
il y a des gens qui courent aux places , les prennent d'assaut et .
y demeurent , comme chose h cux appartenant,


DIle série d'actes marqlla l'existence du Gouverncment pro-
visoire. Sa tache était lahorieusc , difficile; il ne pouvait se (lis-
simuler que son origine plus ou moins légale se mélait al'occu-
pation de l' étranger ; qu'il avait h Iutter centre une opinion forte
et active, et centre une armée dévouée. Des proclamations suc-
cessives annoucercnt aux soldats qu'ils n'étaient plus ~\ ~apoléon,
mais qu'ils ne ccssaient pas d'appartenir h la patrie. On les in-
vitait h se souuiettre ~\ l'autorité du Sénat. Pour complaire au
vceu des alliés et prevenir l'ceuvre de la paix générale , le Gon-
vernement provisoire arréta que tout ohstacle qui s'opposait au
rctour du Pape dans ses ]~tats et de l'infant Don Carlos en Es-
pague, serait levé; il s'adressa ensuite au peuplc dans une pro-
clamation solcnuellc : « Fraucais , au sortir des discordes civiles
vous avez choisi pour chef un homme qui paraissait sur la scene
du monde avec les caracteres de la grandeur ; vous avez mis en
lui toutcs vos esperances : elles ont été trompécs. Il n'a su ré-
gner ni dans l'intérüt national , ni dans I'intérét méme de son
despotismo. Enfin cctte tyrannie a cessc ! Les Puissances alliées
vienucnt d'entrcr dans la capitale de la Franee; le Sénat a dé-
claré Napolóon déchu de son tróue ; la patrie n'est plus avcc luí.
Francais ! rallions-nous ! la paix va meare un tenue aux boulc-
verscments de l'Europe ; les augustos alliés en ont donnó Ieur
parole. La patrie se rcposcra de ses longues agitations, et, mieux
{'dairéc par la double éprcuvc de l'anarchic et du rlespotismo ,
elle rctrouvera le honhcnr dans le retour rl'un gouvcrnemcnt
tutélairc, »


1'OII[('s ces pi(~ces du Sénat contrc Napoléon étaicnt envoyées
dans les pays OCCllp('S par l'cnncmi. Desrovalistes se chargcaient




126 HISTOIRE DE LA RESTAURATlüN.
de les colporter, méme dans les départements encore sous le ré-
gime des autorités de l'Empire. Les agcnts de toute espece pul-
Iulaient autour du Gouvernement provisoire; ils ne manquent
jamáis a la chute d'un pouvoir, Chaqué jour voyait éclore des
propositions nouvelles, et toutes plus bizarres les unes que les
autres. JU. de Talleyrand faisait la part de chacune avec hahí-
leté, se jouait de toutes avec bon goüt , et n'en marchait pas
moins ~\ ses fins. JI était évident pour tous les hommes qui l'ap-
prochaient, que son plan était arrété dans sa tete et qu'il avait
pris des engagements formels a l'égard de Louis XVIII, avec
Iequel déja il entretenait une correspondance suivie. A ses inti-
mes, il répondait dans ses épanchcmeuts : « Je ne connaisqu'un
terme atout ccci , ce sont les Bourhons, » Tous les accidentsde
la position étaieut subordonnés acetro idee principale et arrétéo ,
ce qu'il importait a111. de Talleyrand, c'était d'cntourer le Gou-
vcrnement provisoire de plus de force possible , (le ne pas le
présenter seulement comme l'reuvre du Sénat, mais de l'ap-
puyer sur l'adhésion de tous les corps constitués. La plupart des
autorités civiles de la capitale adhérerent au Gouvernement pro-
visoirc. Le Corps législatif , ou , pour parler plus exactement ,
quelques-uns des mcmbres restes ~l Paris , apres la dissolution ,
avaient individucllement approuvé l'institution de cette commis-
sion du Gouvernement et la déchéance de Napoléon prouoncée
par le Sénat. lU. de Talleyrand tenait beaucoup a une approha-
tion légale du Corps législatif; cal', depuis sa résistance libérale
¿l Napoléon et sa dissolution, ce corps érait dcvenu tres-popu-
laire : c'était done une force prétéc au Sénat. 31'1. Félix Faul-
con, Haynouard, Flaugcrgucs , Gallois , sans prendrc eneore
une attitudc politique , avaient heaucoup vu M. de Talleyrand ;
il lcur inspira de se réunir quoique en minorité tres-Iaihle ; il Y
avait apeine un tiers de dépntés aParís. tes acres émanés d'une
telle réunion étaicnt irréguliers commc cenx du Sénat , mais
dans les jours diflicilos on n'y reganle pas de si prés ; Iorsqu'il
Iaut-décidor des destins d'un pays , le pouvoir légitimc est celui
qui agit et réussit. On so rénnit done do ]n'0IJrio motu , il fut




CllAPITRE IIJ. 127
facile de persuadcr aux membrcs du Corps législatif qu'ils
n'avaieut pas été légalcmcnt dissous par le décret irnpérial ;
e'était pourtant une questiou constitutionnellc fort grave. bn
passa outre ; le Corps lógislatif delibera et adopta une declara-
tion solennelle qui fut écrite par M. Bengnot : « Vu l'acte du
Sénat , du 2 de ce mois , par lequel il prononce la déchéance de
Bonaparte et de sa famille, et declare les Francais dégagés en-
vers lui de tous les licns civils ct niilitaircs ; vu l'arrcté du Gou-
vernoment provisoire du uiéme jour, par lequel le Corps légis-
latií est invité aparticiper aceuc importante opératiou ; le Corps
législatif, considérant que Napoléon Bonapartc a violé le pacte
constitutionncl ; adhérant a l'acte du Sénat ; reconnait et dé-
claro la déchéancede Napoléon Bonaparte et des membres de sa
faiuille. »


Bientñt nrrivercnt d'autres adhésions pour appuyer le Gou-
vcrnsment provisoire. Des le 1(-1' avril , le conscil-général de la
Seiue s'était prononcé d'une maniere énergique , non-sculement
centre Napoléon , mais encere pour Louis XVIII; e' était un des
premiers actos favorables a la Ilcstauration. Vinrent cnsuite les
avocats, la Cour de cassation , la Cour d'appel , le Conscil-d'État ,
en UIl mot les corps constitués , qui , par Ieur importance , pou-
vaient préter "appui aux délibérations du Sénar, Toutes ces
adresscs contcnaicut des phrasos plus ou moins chaleureuses
centre l'cmpercur j~apoléon , des témoignages de dévoucmcnt
envcrs le Sénat ; quelqucs-uncs parlaient du Gouvernement
légitime , du sccptrc de nos ancicns rois; elles avaient été
11resclue toutes connuuniquécs d'avance au Gouveruemeut provi-
soirc , qui -cn avait pesé ct conunandé les cxprcssious. On vou-
lait aider par ces adrcsses l' expression de l' opinion populairo.
Ce résultat n'étnit pas difIicile ¿l obtenir. Il u'y a ríen de plus
ingrat qu'une uatiou quand elle cst Iatiguée d'un gouvcrnemcnt,


La commission provisoire avait hesoin de ce secours d'opinion ,
pour résistcr ¿l un rudo coup qui allait lui étre porté. Le 110m
de ",apoléoll cxcitait toujours panui les alliés une terreur se-
rr(\('; on couuaissait son géni« militairo , sa hardiesse admirable




128 msrornr DE 1,A RESTAI:nATION.
que tant de suecos avaient si gloricusemcnt couronnées. Napoléon
avait encore 30 000 hommcs de troupes éprouvécs , parmi les-
quelles se trouvait sa vieille garde; les corps des maréchaux
lUarmont et 1\1ortier pouvaient lui Iournir 18 Ü 20 000 hommes,
ce {fui portait ü 50 000 soldatsaguerris et dévoués les ressources
du grand eapitaine. Avecdes lcvéesen massedanslesdépartemcnts,
qui obéissaient encorc tl l'aigle ímpériale , un coup de fortune
sur París était possible. L'empereur Napoléon pouvait comptcr
sur l'appui de l'irnmense population des fauhourgs. En supposant
mérne qu'il ne vint pas it Paris , nc pouvait-il pas marcher sur le
ñlidi, se joindre aux corps des maréchnux Soult et Suchct, écraser
le duc de '''ellington, atteindre en Italie Eugene de Beauhar-
nais , ramasser ses garnisons des places du Nord , ct reparaitro
dans les plaines de Champague avec 180000 hommes ? Ce plan
était vastc , mais était-ce trop présumer du génie de Napoléon !
On savait méme qu'il roulait dans sa grande tete quelque chose
de gigantesque. Depuis qu 'il avait appris la capitulation de Paris,
il passait des heures ~I méditer ; son année était calme et dé-
vouée. jUais cette ardeur des soldats n'était plus partagée par les
offieiers généraux, Déja des éuiissaires len!' avaient óté envoyés
de Paris. tes proclamatíous du Gonverncmcnt provisoirc circu-
laient dans les rangs , ct ce fut dans ces circonstauccs que le ma-
réchal "Iacdonald et son corps d'année arrivercnt a Fontainc-
hlcau, te maréchal avait eu connaissance des événements de
Paris , de la déchéanco prononcée par le Sénat, Des qu'il cut
atteint Funtainchlcau , il se reunir aux antros maréchaux pour
se concerter sur les résolutions ¿l prcndrc, On an(¡a qu'il 1'al-
bit cxposer ~I l'empcrcur Xapoléon I'érat ré(>] du moral de l'ar-
mée , cr la nécessitó , pour lui impéricuse , d'une abdication en
faveur de son fils,


La cornbinaison d'unc régence n'était poiut une idée subite ,
concuc ponr les bcsoins de la positinn; il Ya longtemps, commc
on l'a VU, qu'elle était devcnuc la hase de certains projets ¿l la
tete dcsqnels on pOHv'ait cornpter surtout, 31M. de Caulaiucourt
el Fouché ; elle ílauait les hormncsde l'Empirc , paree qu'elle en




CHAPITnE nr. 129
conscrvait les institutions et la forme; elle avait des chanees
d'appui et de SUCc(lS aupres de l'empereur d'Autrichc , et -'1. de
Caulaincourt se réservait de la faire adopter par l'empcreur
Alexandre , dont il avait toute l'estime.


tes maréchaux l\Iacl1onald et Neyse chargerent de la démarche
auprés de Napoléon, Ney surtout paraissait tres - fatigué de
l'Empereur et tres-eruprossó d'adhérer ~\ sa déchéance. l\I. de
Beurnonville, membre du Couvernement provisoirc.vcnait préci-
sémeutde leur envoyer l'acte de déchéanceprononcépar le Sénat,
et la déclaration de l'empercnr Alcxandre de ne plus traiter avec
Napoléon et sa famille. Ces dcux pieccs servireut de texto aux
conférencesdes mar{'chaux avec lcur Empereur. Napoléon entra
d'abord dal~ un état d'irritntion convulsivo. Les paroles calmes
et dévouées du maréchal l\laedonald, ainsi quc les insinuations
de i\I. de Caulaincourt, qui lui fit sentir les avantages de la ré-
gonce de Marie-Louise, le ramenereut peu ~t peu asigner un
premier acte d'abdication concu en ces termes: « Les Puissances
alliées ayant déclaré que l'cmpercur Napoléon était le seul
ohstacle au rétablissement de la paix en Europe, l'empereur
Napoléon , fid¿.Jc a ses serments , declare qu'il cst prét ~\ des-
cendre du trúne , ¿l quittcr la Franco et méme la vie pour le
bien de la patrie, inseparable des droits de son fils, de la régence
de l'Impératrice, du mainticn des lois de l'Empire. » Ainsi deux
opinions, deux systemes allaient entrer en lutte : I'un, celui de
l\l. de 'I'alleyrandet du Couverncment provisoire, tendait évidem-
ment ~l la restauration de la Maiscn de Bourbon; I'autre, celui
de )1. de Caulaincourt et des maréchaux de l'armée, voulait
la régence de JUarie-Louise,


Cette régence était alors établie ¿\ Blois, et peut-étre son at-
titude inccrtainc contribua-t-cllo ~l faire prévaloir la restauration
des Bourbons. On a vu qu'a l'approche des armées alliées, JUarie-
Louise et le roi de Home avaient quitté la capitale ; ce triste
rortége avait pris la route de Tours par Hambouillet ct Chartres :
c'était déplorable avoir que eette longue file de voitures OU se
trouvaient la mere de l'Empereur, l'Impératrice, le roi de Borne,




1.30 HISTOlRE DE LA RESTAURATlON.
sur les genoux de madame de Montesquiou, quelques fenunes du
palais , fideles au malhcur. Des détachcments de cavalerie pré-
cédaicnt les fourgons qui contenaient le trésor ; d'autres fer-
maient la marche. Dans ce cortége de tant de grandeurs humi-
liées , on rcmarquait l'embonpoint extraordinaire des dames du
palais qui avaient caché sous leurs robes leurs diamants, Ieurs ca-
chemires; l'impératrice Marie-I..ouise clle-mérne n'avait pu se
défendre de cette vanité de Iemme , cal' elle avait ceint son corps
des beaux cachemires, présents du Sultan et du schah de Perseo
1..es Ireres de l'Empereur , tous les officicrs de la famille impé-
riale, les grancls dignitaires, offraient un asscmblage tout a la
fois pénihlc et bizarre, de physionomies constcrnées ; ,,1. de
Montalivct et M. de Ségur avaicnt méme oublié l' étiquette,
Comme il arrive toujours dans ces grandes disgrüces de la for-
tune, l'ordre et la. subordination étaient complétcmeut mécon-
nus; on n'avait plus de respect pour ces majestés déchues. Un
reste de pudeur , et surtout le titre de fille de l'empereur d'Au-
triche, environnaient Marie-Louise d'un respect sombre et si-
lencieux. A chaqué halle de voyagc , ¿I chaqué moment on criait
aux armes. La craintc Iaisait cntrevoir ¿I chaqnc pas une nuée de
cosaques. Quelques officíors d'ordounauce caracolaicnt autour
des voitures et venaicnt rassurer l'Impératrice et ses fcnunes.
Enlin l'on arriva aVendo me OU des dépéches de l'Empereur
fixcrent le siége de la régence a nIois.


Le 1cr avril, le jour méme de l'établissement d'un Gouverne-
ment provisoire ¿I Paris, I'Impératricc régente, le roi de Ilome,
firent leur cntrée aBlois; il Ycut peu d'cnthousiasme dans la
population; on était comme absorbé par l'aspect de cette prin-
cesse d'uu sang si illustre , et aujourd'hui si abaissée , de cet en-
fant destiné ¿I un si haut avenir, <le ce bercean placó dans la ville
éternelle, et qne la Iortune capricieuse livrait aux tcmpétes l
C'est ¿l Blois qne la régcncc s'orgauisa ; un conseil composé des
freres de Napoléon , des grands diguitaircs , sous la présidence
de l'Impératrice , se réunit; I'Empcrcur lui avait prescrit une
marche décidée ; plus de qnatre cents commis ot tous les hu-




ClIAPlTHE 111. 131
reaux de la guerre étaicnt réunis , et, en ímprimant une dircc-
tíon forte ü des préfets dévoués , ¿l cctte machine administrative
si admirahlement organisée sous l'Empire , il était possihle de se-
conder ~apoléon dans sa résistance ; mais il Iallait un ensemble
de volonté , des déterminations éncrgiqnes , en un mot ce qui
faisait la force du systemc de l'Empereur ; rien de tout cela
n'existait a Blois ; l'Impératrice n'était point d'accord avee ses
beaux-Ircres , ct particulierement avcc Joseph. Quelle résolution
de fermeté et de courage attendre de Cambacérés , de M. He-
gnault de Saint-Jean-d'Angely, de M. de :Uontalivet? Tous
étaient ineertains sur leur avenir; ils avaient Iaissé a Paris lcurs
hótels , lcurs familles , leurs fortuncs; ils auraient préíéré rece-
voír une Icttrc de la capitule ü tonto les chances que la fortune
pouvait réserver ¿l leur dévouemcnt, Quand un gouvernement


;


est ü sa Cm, il se trouve partout des ames pusillanimes qui l'a-
chevent.


Cependant les dignitaires de la régenco avaient recu-des
ordres de Napoléon; le conseil prit des mesures pour rcndre
la résistancc nationale; le 2 avril , un hulletin émanóde l'rm-
pératrice annonca l'occupationde la capitale; le lcndemain, 3avril,
une pruclamation fut cnvoyée dans les départemcnts, Elle était
l'reuvre de JI. )lolé, resté l'un des dcruicrs aupres de Marie-
Lonise. .'1. de :Uontalivet l'avait contrc-siguéc connnc secrétaire
de la régence ; elle fut répauduc avcc profusion dans tous les dé-
partcments en de~'¡l de la Loire ; en méme tcmps des circulaircs
et des ordres ministóriels adrrssés aux préíets , commaudaicnt
des levées en masse, prescrivaicnt des mesures de vigueur pour
seconder l'Empcreur et Itoi. Tclle était la situation des choscs et
des esprits ; dcux gouvernelllents étaient ainsi opposés : l'un pro-
visoire et sénatorial , étahli dans la capitale , avant en main 10U8
les grands moycns de centralisation que l'Empire avait réunis ü
Paris ; il était appuyé sur les anuécs étrangeres, sur l'occupation
des vílles par les alliés ; l'autrc avaít sa force dans les souvcnirs
de l' Empire , dans eettc hahitudc d'obéissauce partout iiuprimée
~l la machinc administrative,




'132 lIlS'f01HE DE LA HESTALlL\TIOi\ •.
011 était pourtant ü Paris dans la plus grande inquiétude ; ~\


chaqué instant circulaient les bruits les plus alarmants sur les
dispositions de Napoléon ; on disait, parmi le peuple , qu'avant
vingt-quatre heures un grand mouvement s'opcrerait ; que la
garde impériale , les corps des maréchaux Macdonald, Oudinot ,
ñlarmont et ñlortícr, réunis, feraient une trouée dans la capitale.
Les Impérialistes paraissaicnt triomphants ; les fauhourgs , ani-
més par des i'tllletins c1andestinement distribués , étaicnt préve-
nus pour seconder la tentativc de l'Empereur, On parlait dans
les boutiques du pillage , comme punition des traitres , ct récom-
pensé des braves qui délivreraicnt la patrie. Des Ienétres de M. de
'I'alleyrand on pouvait voir, par les dispositions militaires des
alliés , que ces craintes n'étaient pas sans Iondcmcnt : les troupes
étaient massées dans les Champs-Élysées , sur .lcs quais ; des
corps considérables avaient quitté París pour se 'portcr sur les
diííércuts points qui pouvaient étre menacés ; on croyait 11 chaqué
instant étre atraqué. Jugez de la Irayeur de tous ceux qui avaient
pris part au mouvement sénatorial, ü la dóchéance de Xapoléon l
Que de repentirs sccrets ! que de regrers! quclle terreur ! les
salons de 1\1. de 'I'alleyrand n'étaicut pas aussi pldins , aussi ac-
tifs. 1.. 'aspect sérieux des souvorains et des généruux alliés n' était
poiut proprc ~l rassurcr les esprits.


Ce fut sur ces cntrefaites que les pléuipotemiaircs de l'empc-
reur Napoléon arriverent ~l Paris , et ohtinrcnt sans diffieulté
une audience de l'empcreur Alexandre , pour lui counnuuiquer
le projct d'abdicatiou de l'cmpcrcur Napoléon en Iaveur de son
Iils. Cet actc était concu en termes vagues: Xapolóou n'avait
méme pas fait mention du Sénat dans son alxhcation , ni des
adhésions du Corps législatií; il Y parlait des Iois de l'Empire ,
connue si l'Empirc cxistait encere. Il ne s'adressait qu'aux alliés,
conune s'il ne voulait pas rccounairr« ce qui s'était fait dans les
eorps politiqucs ! En cene situation de choses , quelle devait (otre
l'anxiété de M. de Tallcyrand ! II avait chcrchéa gagner les ma-
réchaux dans une conversation préparatoire , el leur avait ex-
posé combien de perseuucs allaieut étre compromisos s'ils réus...




ClL\PlTHE iu. '133
sissaicnt dans leurs desscins. « Vous livrcz rous ceux qui sont
entrés dans ce salon , avait-il dit au marérhal -'Iacdonald. Sou-
venez-vous que Louis XVIII est un príncipe, et tout le reste n'est
qu'une intrigue. » La loyauté des plénipotentiaires de la régencc
ne lit aucune attention ~\ ces paroles, Le salon d'Alexandre s'ou-
vrit, et la confércncc s'engagea a une heure du matin. L'opi-
nion des maréchaux pour la régence fut unanime. Macdonald
se fit leur organc avec chalcur ct dévouement pour Napoléon,
conduite d'autant plus honorable que le maréchal avait eu ase
plaindrc de ses injustices. (( Xous avons, dit-il , de pleins pou-
voirs pour la régcucc , pour l'armée et pour la Francc. L'empe-
reur Napoléon nous a Iormcllcmcnt défendu de rien spécifier de
persounel. - Cela nc m'étonne pas , répondit Alcxandrc are e
une tristesse admirative. - Votre J1lajesté, rcprit -'Iacdonald
doit des ménagemcnts ~, sa vicillc amitié pour Napoléon.La
gloire militaire de la Frunce mérite bien quelques égards,
Ce serait pour nous une lácheté d'abandonncr la race de celui
qui si souvcnt nous conduisit a la victoire, Que Votre Ma-
jesté se rappclle (IU(' les allíés ont déclaré n' étre point venus en
Frauce dans l'iutention de Iui imposcr un gouvcrucment. » Le
maréchal l\('y el 31. de Caulaincourt soutinrent la négociation
dans le mémc sens , et ce dcruicr, avcc cct asccndaut que lui
donnait l'ancienne eonfiancc du Czar. «( tes affaires sont bien
eugagécs dans le sons du Sénat », répondait sans cesso l' cmpc-
rcur Alcx andrc.


Ce Iut le géuéral Dcssolle qui se chargea de répondre aux ma-
réchaux dont I'éloqucnrc el la frauchise militaire avaient viYe-
meut ébranló l'cmpcrcur Alcxandre. « Votre -'lajesté doit voir,
dit-il, combicn de IWl'sonnes se trouveraicnt compromisos pour
avoir agi sous la prutccüou de votre parole. Elle a pris l'enga-
gement en Iaco de l'Europr- de ne plus traitcr avcc Xapoléon el
sa famillc; qu'ellc rélléchissc bien que la régcnce }H' sera encoré
que Xapoléou continué. » Ici le rcsscutimont de l'ami de )Iorcau
se révélait tout entier ; la vicillc armée du Ithin preuait parti
contre I'anuée d'Ilalic. L'empcrcur Alexandre fut tellement


l. 12




'13ll IIlSTOlRE DE tA RESTAUIUTJOl\.
embarrassé , tcllement cntrainé , qu'il ne 1TOUya d'autre moycn
de s'en tirer que par un faux fuyant, « JUessicurs, je ne suis
pas seul: dans une aussi grave circoustancc , il faut que je con-
sulte le roi de Prusse, cal' j'ai promis de no rien faire sans lui
parlero Dans quelques heures vous connaltrez rna résolution. »
Cette résolution était sans douto déja arrétóe. On devait rétablir
les Bourbons. Le maréchal :Uacdonald sortit tres-agité de cette
conférence vers einq heures du rnatin ; elle avait duré plus de
trois heures. !\l. de Beurnonvillc lui ayant adrcssé une question ,
le maréchal jeta sur lui un regard hautain et répondit : « Nc me
parlcz pas , JUonsieur, je n'ai rien a vous dire; VOl{S m'avcz Iait
oublier une amitié de trente aus, )) Puis , s'adrcssant au gé'népl
Dupont qui se trouvait-dsns un premien salen :¡(~ V()trc eonduite,
dit-il , al'égard de l'Empereur n'estpas génórcuse;' Il a .ét{~ in-
juste envers vous; mais depuis quand vengo-t-on unc'injurepcr-
sonnelle aux dépens de son pays! ~ ~ .. '» On coutinuait-ase parler
ainsi avec bcaucoup de vivacité dansI'antiehambre de l'empe-
reur Alcxandre, lorsque M. de Caulaincourt , n'ouhliant pas les
lois de l'étiquettc , lcur dit : « Prcncz garde , JlIessiclll's, que
vous étes ici chez l'cmpcreur de Itussie. » JI. de' Tallcvrand ,
qui sortait de chcz Alexaudre , ajouta : « lUessicurs, si vous
voulez disputcr.. discutcr, dcsccndez chez mol. - Cela serait
inutile , reprit )Iacdonald; mes camarades et moi ne recouuais-
sons pas le gouvernemcnt provisoirc, » Enfin ,1\1. de Talleyrand
et quclqucs-uns des membrcs du Gouverucmeut provisoire, rcn-
trant dans le cahinct d'Alcxandre, fortilierent sa résolution
premiare, et annouccront en sortant que les alliés avaicnt for-
mcllemcnt Melaré qu'ils ne trouvaient pas daus la régencc des
garanties suflisantes pour le rcpos de l'Europe. Le prince de
Schwnrtzeurbcrg avait écrit ü I'cmpcrcur Francois, alorsaTroves,
ponr le détennincr a prendre eettc décision contre sa propre
filIe. Les parrisaus de la régencc s'étaient aussi adressés au pero
de Maric-Louisc ; inais l\I. de )letternieh fit rejeter toute espece
de eonciliation arce la Iarnillc de Napoléon , comme désonnais
inutile et compromcuaute pour la paix, Le rctard d'un courrier




CHAPITllE IIl. 135
acheva de désoricntcr toute ecuo négociation. L'cmpereur d'Au-
triche fut convaíncu qu'il devait se sacrifler au repos du monde.
On ne traita plus avcc les envoyés de Napoléon que des condi-
tions de I'abdication absolue , tant pour Iui que pour sa famille,
Par le traité de Fontainehlcau , on lui assura la souverainctó de
];ile d'Elhe et son titre impérial , une rente de deux millions de
francs sur le trésor de Franee, et de deux millions cinq cent
millo francs pour sa famille; le-duché de Parme, de Plaisance et
de Guastala, érigé en principautó en faveur de l\larie-I..ouise et
du roi de, Ilomc ~ 'lé domaiuecxtraordinaire, réduit 11 dcux mil-
lions , devais étrc mis ala disposition de l'Empereur pour grati-
fication ~t ses servitcurs ; quatre ccnts hounr.cs de sagarde de-
vaicnt suivrc Nap'u~oú ü rile d'mbc..d)es troupes polonaises
conservaientIctü' décoration ct 'pouvaicnt rcntrer librement dans
lcurpairie.r'Oc tráit(~ fut signé le 11 a~Til par le maréchal Ney,
MJ\l. deCaulaincouitc.álcnernich , Stadion, Nessclrodc, Castle-
reagh. . ,'" ,,':


1] y cut bien des mouvcments pour amcncr ce résultat, 1'1. de
Dalbcrgavait tout a Iait gagn{~ 11 ses idées le prince de l\lctter-
nich. D'un autrc cül0, M. Pozzo di Borgo , qui représentait
AlpxalHlre aupres du' Courcrncrucnt provisoire , agissant par
hainc contre la race de Bounpartc ~ aigrissait violemmcntl' esprit


, Iaihle' ct imprcssionablc du Czar. l'\l. de Talleyrand s'adressa
méruc dircctemcnt aux négooiareurs de Napoléou , et chercha a
aflaiblir leur zele par des promesscs adroites et d'habiles iusinua-
tions. Une des causes qui agirent le plus sur l'esprit d' Alexandre
et la résolution des alliés , Iut l'adhésion du maréchal ñlarmont
au gouvcrnement provisoire ; elle priva l'armée d'un corps de
vaillantcs troupes , {fui, ignorant les démarches de lcur chef,
firent éclatcr Ieur indignation lorsqu'ellcs en eurcut connais-
sanee, Ce maréchal Iut détcnninó acet abaudon si décisif par
de secretes négociations que le Gouvernemcnt provisoirc avait
déjil ouvertes aupres de lui , et particulieremeut par le gé-
néral Dessolle, « Vous conuaissez , disait ce géuéral , mon peu
d'ambition ; mais les circonstanccs m'ontparu si graves, que j'a¡




136 mSrOIRE DE TA. nESTAFnAT[O~.
résolu de jouer un role dans le mouvement de Paris. Je suis
convaincu que I'iutérét et le salut de mon pays le commandent.
Liberté, Iiherté sage, aiusi que tout hon citoycn doit la désirer, »
On avait ajouté a ces instances officiclles plusieurs lettrcs des
amis personnels du maréchal , on l'y sonnnait , au nom de ses
plus chers intéréts , de l'honueur, de la gloire, de faire sa sou-
mission au Gouvernement provisoirc, et dc séparer la cause de
laFranco de ceHe de l'empereur Napoléon, te maréchal se laissa
entraincr : une correspondance s'engagea entre lui et le princc
Schwartzemberg; le g{~néral autrichicn invitait le maréchal ~l se
ranger sous les drapeaux de la bonne cause francaísc. te 3 avril,
le maréchal répondit : « L'opinion publique a toujours {·té la
r('gle de ma conduite ; l'annéc et le peupl« (·tanl d{·ji{'s rlu 8('1'-
ment de íidélité envors l'cmporeur Napoléon , jc snis PI'l't ~l
quitter cctte armée avec mes trnupes, »


Aussi, conuneon le pcnse bien, l'adhésioudu maréchalhlarmont
fut-elle recue avec enthousiasme par les mcmbres du Convcrne-
ment provisoirc, Lorsque le maréchal rcvint 1\ París, aprcs avoir
calmé la sédition qui óclatn parmi sos troupes ;l Versailles, le salon
bleu de M. de 'I'allevrand n'cut pas assoz d'cxprossiou pour témoi-
ner sa rcconnaissancc ;1 ccluí qlle 1'1wJ}lH'IIl' mili/aire ;lIll'"i¡ jllgé si
séveremcnt. La défectiondu maréchal )Iarmollt:changea toutes les
comhinaisons militaircs; les alliés ne eraignirent: plus Napoléon,
abandonné succcssívcmcnt par ses troupes , par ses généraux
qui trouvaient daus ccttc conduitc un exemple ponr adhércr aux
actes du Gouvcrucment provisoiro. Le maróchal X{'y écrivait ;1
l\l. de Tallcyrand : (( Je me suis rendu hier ;1 Paris , chargé de
pleins pouvoirs pour défcnrlrc la dynastie de Napoléo» pres de
S."1. l'empereur de Ilussie : mais, un évéuerncnt huprévu 1 ayant
tout ü coup arrété les négociations , I'Empereur consent ~l l'ab-
dication entiere et sans restriction. »


Tant que la lutte avait été engagée entre les partisans de Na-
poléon , le Sénat et le Couvcrncment provisoire , le partí roya-


1 L'adhésion du maréchal Marmont au gouvernernent provisolre.




eH wrrnE u 1.
l;s/e' avai: montré uno gralld(' (/("1'("1'('1]('(' pOllr k-s Constimtion-
nels : il savait hicn qu'il n'avait fJw' pcu (11' crédit sur l'opiuion
puhliquc , el móme sur J'('Jl1p~-I'('ur Alexandr«. "ai:; des (1110 ce
parri conuut le triomphe du Converncmcnt provisoiro, ct l'érhcc
reru par les ('llroyés de Napoléou pour la r(-grilee, ji commcnca
ase séparcr de ccux qui avaicnt assnré le trñnc aux Bourbons ,
ct comhattit arce acharucmcnt les Coustitutionncls. En pronon-
cant la déchéancc de :"apoléon, le Sénat avait posé en príncipe
que', daus une monarrhie ropréscntativc , le monarqnc n' exis-
tait qu'ou vortu <le la Constirution. Les Hovalistcs avaicnt laissé
passer ce prinripe largo et lihóral en Iavcur de l'actc sénatorial
qui les dólivrait d(' Xapol(;on; mais ils commcucercnt ¡, se 11l01l-
tror avec Icur opinión porsonncllc dans h' (léhat sur la COIl--
stitution. le Sénat provoqué par "\1. de 'I'allcyrand avait choisi
dans son sein une COIllIll ission IHllll' r(~d ig('l' 1111 aele <le ga-
rantie. Ime Iut composée <le M'I. Lallllm,'chts,lkstutt de
Tracy, Barbé-vlarbois , I':ymery ('t Lehrun ; les deux prcmicrs,
é/('ves de l'école républiraino : Barh{'-"Iarhois, magistral austero.
partisan de la mouarchie rcpréscntativc ; EYlllery, consciller
d'érat SO[lS l'Empire, sans opinion politiquc hicn tranchéc ; 11. Le-
hrun , ancicn sccrétairc du cluncr-lu-r JIalllwou, s'acconunorlaut
tres-bien de tour S1'SI("I11(' de gOUYCr!lel1lCnt d'ordre el de paix.


La commission arréta les bases de son travail , mais encere
d'une maniere vague. M. Lamhrcchts Iut chargé de les SOIl-
meure an Sénat. te GOU\C'rtl('IlH'I1t prm isoire et le comtc de
Ncssclrodo dcvaiont assisrcr ¡I la sóance secrete, Les conversa-
tions (cal' alors il n'y avait pas ¡lp véritablc séance ) portercnt
sur ces donnécs : en Sr-na!. hóréditairc dont les mcmhrcs se
uommcront ('U\"-1I10111('S SUj' une préscntation de candidars qui
serait Iaitos par les co1J(g<'s élcctoraux. ln Corps Iégislatif élu
par ces coll{-ges dans les formes (!<,,:-;j~~Il{o(';; pI' la loi. Liberté des
1)('rSOJllH'S ot (1<' la ¡m'sse, irrévocahili: (; d(' la \cn!(' des domaines
n.uionanx , pllblicil(' des d{'hals <1<' la trihuuc. 'lnyemnnt ces
g;¡rilllries cI)JlstillllioUll<'J!es, lí' S,'-,lal ap¡dail lihrcmcnt au trfJnc
Louis - Stanislas- \a\"i(lr, f\'(\I"(' du d('ruj('r roi <les Frnnrnis. La




1 ~8
Constitution dcvait (·tn' soumise ü la sauction du pcuple Iran-
falso L'arriclc sur le Sénat qui formait la hase du projet fut sou-
mis d'ahord ~I la discussion. Le nombre des sénateurs avait été
flx(~ l\ cenlpar le \W()ict. M. l' ah\)é t\.c ~l()ntc'6qui()u attaqua cene
limitation, ct soutint que les sénateurs devaicnt étre nommós
par le Iloi , et leur nombre illimité, « iUais alors , <lit 1\1. Lam-
brcchts , le Iloi sera le maitrc de la Constitutiou.- Eh quel mal
y aurait-il que le petit-fils de I1enri IV püt récompcnsor libre-
ment tous les grands senices !-Eh bien ! dit ;\1. Grégoire, fixcz
le nombre h deux ccnts. - Il m'en Iaut ccnt cinquante mille si
le Iloi le juge couvcnahlc , répliqua ]U. de Moutesquiou. - En
ce cas , micux vaut ne pas avoir de Constitutiou. JI La discussion
s' engagea cnsuite sur le libre appcl de Louis X VJII par le Sé-
nat, et la désignation faite de Louis-Stauislas-Xnvicr , comme
frere du dernier roi, » I~OlÚS XVIII n'a pu cesscr de réguer ,
s'écria l'abhé lUontesquion; il n'est pas frere du dernier roi,
mais oncle (le Louis XVII, h qui un long martyrc n'a point fait
pordre sa qualité de roi de Franco. - Vous ne comptez done
ponr rieu , répondit 1lI. Dcstutt de Trae)', tous les évéuemcnts
intermódiaires qui se sont passés dcpuis '1789? Vous ne voulez
pas tcnir compte des faits? 0- C<.'S faits ne sont ríen centre les
droits, dit !\I. lUonlesquion. )) Un long murmure suivit ecuo ré-
ponse. On en vint cnsuitc a I'article qui dounait a la nation le
droit de fairela paix et la guerreo « Il u'y a pas de rnonarchic,
s'écria encoré :\1. de lUontcsqlliou, lil OU le Iloi ne peut pas dé-
cidcr de la paix ou de la guerrc, - Depuis tant de guerrcs en-
treprises par l'ambition des rois , répondit JI. Grégoir«, il se-
rait tomps qu'on mit ce droit impic de sacrificr le sang des sujets
en la main de la nation. )


Ou JW s'cnrendit pas dans cctte promiór« confércncc , et l'irri-
tation allait toujours croissant, mais dans la nuit arrivercnt los
maréchaux porteurs des prnpositions de l'Empcrcur pOli!' la 1'('-
gcncc (le "Iarie-Lonis(" La fraction royaliste <In GOUYCI'Jl('Ili('nl.
provisoirc en prit IH'lII', el chercha dans la soirée ~l ralnu-r I(~
manvaiscflct produitpar les sorties irréflérhios d(' ]'ahh(~ (1<' '1011-




CTIAPITllE m. 139
tesquiou. Onfit 100Ite ospece de promesscs aux sénatcurs sur leur
dotatíon , sur l'héréditó , sur leur cxistcnce politíquc, Ils avaient
montré sur tous ces points , dans les précédcntes conférences ,
des mes iutércssées. lU. de Talleyrand cxigea d'cux, en retour,
quelques concessions sur des questions politiquea ct les droits
de la eouronne. Enfin une rédaction déíinitivc fut adoptée et ap-
prouvée, et le 6 avril soir parut un sénatus-consulte sous ce
titre : Acte constiuaionncl. te 7 an matiu , le Gouvernement
provisoirc en ordonna la publication. Il portait : ( Que le gouver-
nement francais scrait monarchiquc et héréditairc de mñle en
mále , par ordre de primogéniturc, - Que le pcuple francais ap-
pelait líbrcmcnt au tróne de Frunce Louis-Stanislas-Xavicr , frere
du dernicr roi , et aprcs Iui. les autres mcmhres de la ",laison de
Bourbon, dans l'ordre accoutumé. -Que la noblcssc ancicnne
reprendrait ses titres ; que la nouvcllc conscrverait les siens hé-
réditairement; la Légiou-d'Honneur serait maintcnue avec ses
prérogatives; le Iloi , le Sénat et le Corps législatif concourraient
~l la formation des lois. - Que chaque département nommerait
au Corps l{>gisIatif le llH'UH' nomhre de députés qu'il y envoyait ;
le Corps Jégislatif aurait le droit de discussion ; ses séances sc-
raicnt puhliquos , sauf le cas OIl il jugerait ~l propos de se for-
mer el~ comité général; l' égalité dans l' impót qui ne pourrait
étre établi que pour un an, - Que la loi détermiucrait le modo
ct la quotité du rccrlltcment.- Que I'indépcndance du pouvoir
judiciaire serait garautie , et (Iue nul ne scrait distrait de 8('S
jugcs naturcls. -Que les militaires en activité , les oíliciers el
soldats en rctraite , IC's H'U\C'S el les officicrs peusionnés COll-
serveraicnt lcurs grades, lours honneurs ct lcurs pensíons, -
Que la pcrsonnc du Jloi ótait inviolable ct sacrée ; la liberté
des cultes el des conscicnccs garautic ; la liberté de la prcssc en-
tiére , sauf la réprcssion lrgaJe des d(·Jjt s qu' elle pourrai t ontrai-
nor. -Qu'aucull Francais nc serait rechcrrhé pour les opinions
ou les votes qu'il a pn óuicttrc. - Que tous les Francais seraicnt
{'galelllPIlI admissihlcs aux emplcis civils el militaircs. - Que
Louis-Stnnislas-Xavicr sorait proclamé roi des Francais aussitñt




1ft\) nrSTOTRE DE L\ BESTAI'IL\TIOl\.
qu'il aurait juré ct signé la Constitution par un acre portant
J'accepte la Constitution. Jo jure de I'ohsorver ct de la faire
ohserver. »


Était-ce sincérement que le Gouvernement provisoire avait
consentí ala publication de cet acte? La constitution était-clle
un simple leurre pour amener , dans une forme légale la procla-
mation de Louis XVIII couune roi des Francais ?'I. de Talle\'-


) - ..'


rand trompa-t-ille Sénat, ou fut-il trompé par le parti royaliste ?
Ce qu'il y a de positif, c'est que les autorités ne se rangerent
d'abord a I'obéissance que du sénatus-consulte. Était-ce un
instrument dont on se servait un jour pour le briser le len-
demain de la victoire ? C'est ce qui arriva. Quant ¡l la constitu-
tion, elle n'était pas la meilleure possible ; el puis , de quclle
autorité émanait - elle? Le Sénat , sans crédit dans l'opinion ,
réuníssait ¡l peine un tiers de ses mcmbrcs. Il avait sordidcmcnt
stipulé ses dotations et avait fait de ses rcvenus un article consti-
tutionnel. La presse eut méme beau jcu pour auaqucr par la
raillerio l'acte sénatorial.


Une des grandes armes de la Rcstauration Nillt la presse pé-
riodique. L'Empire l'avait cnchalnée sous millo ceuscurs, Ni la
scéne , ni les journaux ne pouvaicnt s'abandonner aux inspi-
rations de la liberté. La littérature clle-méme était esclavo :
souvent ses chaiucs étaient d' 01'; mais le génie indépcndant gé-
missait de ses cntraves el salua la Ilestauration commc une ere
d' affranchisscrnent. En 1811 , par une mesure de poI ice, émanéo
du général Savary, la propriété des journaux avait ('Ié cnvahie.
On en avait distrihué les actions aux fumilicrs de la Iittératurc
impériale, Les legitimes actionnaires en étaicnt dépouillés. te
JDuma/ de L'Em]Jirc avait été \'ictimc, surt OHr, d« ceue spoliation.
C'était une puissance (Jlle le JOI(I'J/({/ de t'HlJlpirc! il se tirait
ü plus de 25000 cxcmplaires , uuiquc lccture <les chñteaux,
<les grands pcrsonnagos de tous les régimes. Lc 30 mars , au
momcnt de la capitulation de Paris, des royalistcs éprouvés ,
l'DI. Bertin, rcntrerent dans leur ancicnne propri{'ll~, N prirent
la direction dn Jouru«! de I'Rlllpl}'('. qui parut J(' 1("Hl('ll1ain




c:rrAPTTRr: nr, 1[11
sous son titre primitif de Journa! des Dcbats. Tontos les piecos
royalistes qui pouvaieut senil' ¿i la llcstaurarion , les proclama-
tionsdu Iloi ct de JI. le comte d' Artois y trouverent place. Tout
fut dirigó dans le scns des Bourhons. Il cxerca une immcn se
influenc« sur les esprits , el própara la popularité de la fa-
millc antiquc, Son action fut si vive ot si pnissautc , que le
Sénat conservateur reclama lui-mémo du Couvcrncment provi-
soire une censure préalahle , ct un arrété de ce Gouvernement
porta que les journaux seraiont soumis ¿I une commission
présidée par lU. lHicha\l(l I'ainé , de I'Acadéiui«. On vcilla avec
un soin particulier 11 ce qu'il ne parút plus d'artirlcs aussi sail-
lants , anssí prononcés p01ll'Lolli s XYIIl. Dans ce mémo
moment se puhliait la hrorhure de ~1. de ChfHeallhl'iand , sous
le titr« : De Bonapartc ct des BOIlJ'!IOllS • Jamais hrochnrc no
fit plus d'improssiou , ne produisit UI1 cllet plus snrprcuant. la
~(>l\(>rl\t\.m\ \\G\.\\'dte uc couuaissait 11as les Bourhous, i\I. de Chñ-
tcaubriand les lui dépeignit avec ses magiques couleurs. « te
fr("re de notro Iloi, Louis XVUI, qui doit r('gner le prcmier sur
nous , disait-il , est un prince connn par ses lumicres , inacces-
sihlc aux pr('.Íng{>s, {-trange!' ¿I la \ellgeJncc. De tous les souve-
rains qui peuvr-nt aujnunl'[rui gou\ernrr la Franco, c'cst peut-
etre cclni qui convicnr 11' micux :1 notrc position el ¿I l'esprit du
siecl«. M. le comtc d'c\rlois, d'un carnctere si franc, si 1m al, si
francais , se distingue aujourd'hui par sa piété , sa douceur, sa
bonté, comme il se faisait rcmarquer, dans sa prcmiere jeunesse,
par son grnnd air et ses graces royales. :\J. le duc d'Angouléme
a paru rlans une nutre proviucc. Bordcaux s'cst jeté danS ses
bras , et la patrie de Hcnri IV a reconun avec des transports de
joie l'héritier des vertus du Béarnais. Et corte jeunc princessc,
que nous avons pcrsécutée , que nous avons renduc orpheline ,
regrettc tous les jours , dans les palais é!rangers , les prisons
dI' la Franco. Elle ponvait rccevoir la maiu d'un prince pnissant
et gloricux , mais elle prN('l'a unir sa destinée ü celle de son
cousin , pauvre , exilé , proscrit , paree qu'il était Francais , et
qn'ell« no vonlait pas se s('parrr de Sil famillo. « Ah! je le scnsv~¡,


/.,:;?
(~
\.'~
..




1h2 mSTOInE DE LA RESTAURATlON.
disait-ellc un jour avcc douleur , je n'aurai des enfants qu'en
Frnnce ! )) Pouvons - nous cntendre de teIles paroles sans 110ns
jeter ¿l ses pieds et implorer son pardon au milieu des sanglots
du rcmords... ? Parlerai-je de M. le duc de Rerri? nos annécs
n'out pas vu de chevalier plus hrave. M. le duc d'Orléans
prouve, pat sa noble fidélité au sang de son Itoi, que son nom
est toujours un des plus bcaux de Frunce. J'ai déja parlé des
trois générations de héros : JU. le prince de Cond(~ I lU. le duc
de Bourbon. Je laisse ¿\ Bonaparte ¿\ nommcr le troisieme.... ))
Quelle improssion de tels tablcaux nc devaicnt-ils pas Iaire sur
les gónérations nouvcllcs de la Franrc l Comhien ils devaient
populariser la royauté des Bourbons ! Jamáis ouvragc ne se dis-
tribua ¿\ un plus grand nombre rl'oxcmplaircs, M. de Cháteau-
briand put se vauter d'avoir c1'{'6 la puissancc moralo de la
Ilrstnuration. Et puis , chose déplorablc ¿\ dire pour le C<I'LU'
humain ! les idées et les hommes qui flrent ecttc Restanration
sont devenus , par la suite, ce que les Bourbons ont le plus
profondémcnt détesté et proscrit le plus voloutiers ! ! ! Pas un
honnne politique du mouvcment de HHl¡ qui n'ait été en dis-
gráce : J\IJI. de Talleyrand , de Dalberg , de Jaücourt , Louis ,
])c'ssol!e, de Pradt, Chátcaubriand !


Lorsque la Constitution du Séuat fut pnbliéc, la prcsse pério-
dique s'cmpara de ce travail. Il parut un granel nombre de bro-
chnres pour OIl contre l'Actc sénatorial. 1\1. Grrgoire le trourait
imparfait, no donnant que pru de garantics au peuple, qui heu-
reusement, selon lui, était appelé ase prononcer. L'ahbé Barucl
répondait au sénateur comte Grégoire : ce Quoi! du jacobinismo
encorc ! )) l ..es grands politiques du parti royaliste s'cn ruélerent,
1\1. Bcrgasse puhlia des réílexions sur l'Acte constitutionncl du
Sénat. 11 lui contestait le droit de prononccr la déchéancc de
Napoléon , pour avoir motif de dirc qu'il n'avait pas pu appeler
Louis XVIII légitime souverain avant la promulgation de cet
acte.


Le Gouverncment provisoire , jusqu'a la dcrnierc cntrcvue
des maréchaux chez l'empereur de Ilussie , avait agi avcc une




CIJAl'nHE 111.


extreme circonspcctiou. H nc voulait bk::;sel' aUClllll' opiniou,
afin de se réservcr toutcs 1cllrs [orces. Louis S nn aait pro-
clamé, el cepeudant la gantc nationale , les troupcs de ligue
portaient cncorc la cocarde tri colore. Quelques royalistes avaieut
cousu la couleur hlauc':e a leur chapeau , mais rieu encoré
n'était décídé sur le drapean fraucais. Les acres de l'autorité
étaicnt intitules au nom du Gouvernemcnt provisoire, M. de
Talleyrand répondait ,. a toutes les impatiences des royalistes ,
qu'il fallait agir prudennucnt , pour ne pas compromettre le
succes : il ajoutait qu'on n'aurait I'arrnéc et les autorités consti-
tuées que par d'habilcs tcmpérmucnts, La seulc dómonstrntion
permiso était con/re les insignes de Napoléon, On rcnvcrsait sa
statue , placée au haut de la colonue Vendóme , et le royaliste
qui lit l'action d'éclat d'attachcr la corde au colosse de hronzc,
a fait inscrire son nom daus les fastes de la fidólité ; les chiITres
de l'Empereur étaient cílacés , mais rien n'iudiquait encere un
changement dans I'administratiou et la politique.Le Gouverne-
mcut ordonnait au Conseil-d'État de repreudrc ses Ionctions ,
el défcm1.'mtd 'aflidwl' des j>}acJrds dans les mes, conlll'mailles
reglcmcnts 'Sur -I'imprimeric el la Iihrairie, cll. de Fontaues
élailpriédc.conliIlucl' ses [onelions de grand-maítro , seulcmcnt
le mode d'éducauou était changé: les lycées prenaient le nom de
colléges , et la cloche était subsütuée au tambour. Enlin , le 9,
un arrété du Couvcrnement provisoire ordonna ~l JI. le général
Dessollc de Iaire prendre la cocarde hlanche ala garde uationale
de París. Cinq jours se passerent encoré avaut que le pavillon
et la cocarde royalistes fussent considérés couune le drapean et
la couleur de l'État, e'cst ¿¡ la suite d'une conférence fort
longue et fort disputée que cette résolution fut prise ; les Boya-
listes la regardercnt uéaumoius C011n11C un triomphe,


Mais alors Napoleón avait signé son acte d'abdication a Fon-
taiuehleau; la régence de JUarie-Louise était dissoute; on avait
vu toute cette cour exiléo se dissiper apres la soumission du
corps du maréchal Marlllont a Essoue ; un commissaire des
alliés étail vcnu chercher Maric-Louisc et son fils; on n'avaít




1l1STOll~E DE L\ HESL\LlU II()~\.


plus songó qu'a s'adjngcr de largos gratiíications sur le Trésor ,
(IU'~1 dóvorer les deruiers tlébris de l'Empirc , qu'a adhérer aux
aux acles du Couvcrnouieut provisoire. jI. Cambacéres écrivait
Ü 1U. de Talleyrand , le 7 avril , de Blois : « Les princcs grauds
dignitaires étant sénatcurs , jc crois devoir, en tant que besoin
serait , déclarer que j'adhere ¿l tous les actes faits par le Sénat. »
1\1. Regnier priait S. A. S. le princc de Bénévent de lui dire s'il
le considérait eucore commc présidcnt du Corps législatif; en
cette qualité , il adhérait , en tous les ras, aux actes du Gomer-
nement provisoire. Quant aux corps militaires , les adhésions
arrivcrent succcssivcment ct dans cct ordrc : Le ti , les généraux
Nansouty, Lagraugc ; le 7, le ruaréchal Oudinot; le 8, le maréchal
.Jourdan , les généraux 3lilhaud,Kcllennan , le maréclu! ~"or­
ticr, le comte de Sógur ; le H, le maréchal 110ncey, Berthier ;
ce ne fut que le '14, apres avoir terminé sa noble et deruiere
mission , que le maréchal Macdonald adhéra aux actes du Gou-
vernement provisoire. Apres toutcs ces adhésions , on se crut
maitrc , et on frappa le grand eoup précurscnr de la restaura-
tion monarchiquc. OH arbora le panache hlanc , toutes ces
images que l'on devait giorieusemcut rclcver avec les noms de
Jlcnri IV et de Louis XIV.


Le Gouvernement provisoire avait agi avec habileté , de
quelque maniere qu'on le juge, soit qu'il ne jouát qu'une simple
comedie politiquc , soit qu'il voulüt atteindre le but d'UHC
grande mouarchicconstitutionnellc. Comment aurait-il obtenu
I'adhésion unánime d-e la Francc , s'il avait tout i\ COU}) jeté au
milieu de cette population , qui ignorait j usql1'i! l'cxistcnce des
Bourbons , le nom de Louis XVU 1? 11 pr('para les esprits par
une gradatjon prudente: la dl·d¡l'allCC de Xapoléon d'abord ,
puis la Constitution , l'appeJ de Louis ~\ VJJI, el tour cela avec
une apparellcc admirabic e/e lx.nue foi ; si bien qu'un journal
ayant annoncé la Ionuatiou duue garde royale , le Gouverne-
ment se háta de Iaire déclarcr qu'il u'existait ct qu'on ne recon-
naissait que la garde uatiouale. te Jourual de Paris avait aussi
publié une proclamatiou de Louis XY111; le Jlolllú':ul' annonca




CHAPlTRE nr, 145
que cette piéce n'était rcrétnc d'uucun caructcrc d' authcnticué,
Toutefois le Gouvernerncnt provisoirc fut sans cesse entouré
d'intrigues qui le compromirent souvent , méme ¿l l'égard eles
étrangers. Un gentilhomrne fort célebre, recut a cette époque,
du Gouvernernent provisoire, une mission extraordinaire , dont
le but, s'il faut l'en croire , était d'attenter ala personne de Na-
poléon, Toutefois les ordres du Gouvernement provisoire ne
contenaient ríen d'explicite. lIs enjoignaient seulernent aux au-
torités de préter rnain-forte au porteur des ordres signés par les
commissaires ; on prétendit depuis qu'il ne s'agissait que d'ar-
réter les diamants de la COU1'Ollne et les fonds détournés de leur
destinatíon par la régence a Blois. Dans cette hypothese , ce
serait de 'quelques agents secondaires du Gouvernernent pro-
visoire que l'officier royaliste aurait recu , si elle lui a été don-
née , la rnission spéciale de se défaire de Napoléon , et on
n'aurait a reprocher a M. de Talleyrand qu'un seul signe de
tete approbatif, préparé peut-étre par les insinuations de
quelques chefs de partí. Le seul résultat de cette mission secrete
de JI. de lUaubreuil, fut le vol des diamants de la reine de
'Yestphalie, sceur du prince Paul de 'Vurtemberg. te Czarap-
prit avec colere les outrages qu'on avait prodigués a sa royalo
parente , et s'en plaignit avec aigreur au Couvernement provi-
soire. Les diamants furent retrouvés et rendus. IIn'en fut pas
de méme de quelques sacsqu'on disait pleins d'or, et qui furent
rctrouvés remplis de pieces de 2 sous,


On ne peut se faire une idée des cxigenccs de tout genre aux-
quelles le Gouvernement provísoire se trouvait alors en butte.
)\l. ele Talleyrand était deveuu le point de mire de toutcs les
prétentions, des ambitions les plus folles. C'est la plaie de toute
administration qui commence : cependant il faut dire , al'éloge
<in Gouvernement provisoire , qu'il donna peu de places; il ne
lit qu'uu seul général de división. Mais il n'avaít lJus la force
de se maintenir dans la voie qu'il avait choisie; il était (U'bordé
par le parti royaliste , auquel il avait ouvcrt les portes dn pou-
voir, Il n'inspirait plus aucuue confiancc au parti républicaín dont


1. 13




1.lt6 mSTOInE DE I.A HESTACR.\TIOl\.
il avait trompé les cspérauces. Il vivait de I'esprit el de t'lu-
íluencc de ~l. de Talleyrand. Il ue jouait plus qu'un role d'incer-
titudc et de faiblesse , au 12 avril , lorsque ,1. le couue d'Artois
lit son entréc aParís; et ieiconuucncaient desdifllcultés nouvcllcs.


Depuis son départ de Ycsoul , M. le comte d'Artois avait suhi
diverses fortunes, Il avait passé durant tout le congrés de (;ha-
tillon de cruels moments d'incertitude ; mais lorsque le Gouvcr-
nement provisoire fut formé, et la déchéance de Napoléou pro-
noncee , JI. de Tallcyrand écrivit ~I Son Altesse Iloyalc que ious
les chernius étaient préparés pour la restauration royaliste, JI. le
comte d'Artois , a son départ d'Angleterrc , n'avait reru aucun
pouvoir du roí Louis XYIII. Tous les titres qu'il pouvait
prendre , ou qu'on luí douuait , étaient supposés; il est rnustant
que :\1. le comte d' Artois ne tcuait pas de son Ircre la lieutc-
nauce-générule du Iloyaume , que le lloi se serait bien gan/I"
de lui confiero .\vec les habitudes de Son Ah'esse Iloyalc , ses
amitiés , ses préjugés , il était )leu probablcqu'elle voudrait se
préter aux concessíons et aux méuagcmeuts que le Couveruc-
mcnt provisoire avait crus néccssaircs pour opérer la restaura-
tion avec le moins de hcurtcmcnts possiblcs, Toutefois une gráce
parfaitc de manieres, une cxpression particulier« de bouté el
de hieuveillauce , corrigeaicnt dans Son Altesse Itoyale le mau-
vais effet produit par la vicille éducation. M. le comte d' Artois
marchaít d'ailleurs précédé de ces paroles : « Plus de conscrip-
tion , plus de droits reunís », el ces promesses , vivcment ac-
cueillics par le peuple fatigué d'impóts ct de le, ées e\Ll'aol'di-
naires, lui donnaicnt de la popularité. Le prince arriva le 1() au
chatean de Livri , posscssiou de JI. le COIll te Charles de Damas.
C'est dans cene résidcnce que rouuneucercut les premieres ué-
gociations politiques pour la licutcuancc-généralc du Itovaumc
et l' entrée ü París du précurscur royal. Depuis que le Séuat
avait appelé Louis ~\ V111 al! tróne , les déurarchcs du parti
royaliste blessaient profondérueuL les séuateurs libéraux qni
avaient si puissauuncut aidé la ltcstaurutiou. Non-seulcmcnt ils
avaient vu leur acle coustitutionucl livré a tous les exccs de la




en \PITI1E nr. 147
press(l royaliste , mnis sur plnsieurs points dn territoire fran-
rais, ]('S chefs du partí rovaliste avaicnt excitó le peuple centre
l'n-uvrr du Sénat. 11 avait ('ll~ brülé par la main du bourroau;
C}1H'1([l1CS prétn-s ardcnts préchaient centre la Constitution; les
Royalistcs , qui ne manqnaicnt ni d'csprit ni de plaisanrerics ,
l'auaquaient avcc Iureur dans lcnrs pamphlets et dans leurs
canscries de salon. C'était partout de la Iurcur centre le príncipe
du Couvcrucment. La conduite servile des sénateurs sous l'Em-
pire, le soin qu'ils avaient pris de s'assurer constitntionuclle-
ment leur dotatinn dnunaicnt priso 11 la vcrv« moquensc des
écrivains du partí; l'irnpopularitó de c<' corps politique servait
les menées c1('S ennemis d<' la liberté.


M. d<' 'I'allcyrand cherchait 11 concilier les opinions. lUais
cmrnueut convaincre l\J. le comte d'Artois de la néccssité de
certains ménagcments pour les souvenirs de la Hévolntion? Les
treupes et les vaisseaux n'avaient point le pavillou blanc, et
pourtant 1\1. le comtc d'Artois n'avait pas d'autre coulenr, et il
n'était plus qu'a quelqnes licues de Paris! On aurait dit que Son
\lIrsse Iloyale aflcctait mémo de n'avoir rl'autrc préoccupatíon


I(l1e de faire revivre ia vieille monarchie. ,\ tontes les persouncs
(111 i avaicnt I'honncnr de l' approcher, Son Altcsse ltuyale répon-
dait : « Depuis Yesoul jusqu'ici , j'ai passé 11 travers une haie de
cocardes blanches. )) Elle portnit un ruhan blanc ¿l sa houton-
niere ; elle en distrihuai t des fragrncnts ¿I tous ceux qui vcnaient
;\ sa rencontre; ses serviteurs les plus dévoués préchaient en
quelque sorte la royauté des lis: « C'est 111, disaient-ils , la
coulcur de notro Jloi. » L'entrée de Son Altesse lloyalc était
retardéc au sujet d'une grave contestation élevée entre elle et le
~éoat. Les amis de S. A. H. avaicnt supposé l'existence du
titre de lieutenant-générnl comme inhérente h sa qualité de
comte d'Artois: ils supposaient méme , comme on l'a (lit, que
Je mi Louis -xvnr le lui avait conféré , ce qni était matérielle-
monr faux ; no soutenait qu'il n'était pas besoin que le Sénat le
reconnüt de nouveau. Le Sénat nr voulait point se dessaisir de
l'autorité sans la d<-f(')'pr ronstitutionncllement , et en vcrtu de




148 mSTOIRE DE LA RESTAURATION.
la souveraineté populaire: ceci continua d'étre l'objet d'une
vive discussion entre le conseil du comte d'Artois et -les
sénateurs inOuents. l'\f. de Talleyrand et le Gouvernement
provisoire se rendirent vainement 'intermédiaires dans ce débat ;
on ne les écouta ni d'une part ni d'autre. Le 12 avril , lorsque
l\I. le comte d' Artois fit son entrée solenneUe aParis , la discus-
sion durait encore, si bien que le Sénat se refusa d'aller en
eorps au-devant du cortége. Fouché , qui venait d'arriver a
Paris , se mela de cette contestation , et fut, de concert ayce
lU. de VitroIles, un des conciliatcurs entre le Sénat et le prince.
Jl y cut de l'enthousiasme. Cette journée du 12 avril fut popu-
lairo. Son Altesse Iloyalc se montra gracieuse; elle parla avec
honré aux maréchaux. Le Gouvernement provisoirc recut le
eomte d'Artois a la barriere, et 1\1. de Talleyrand l'accueillit
par ces paroles : ce lUonseigneur, le bonheurque n011S éprouvons
sera a son comble, si l\Ionseigneurrecoit avec la bonté divine
qui distingue son auguste lUaison, l'hommage de notre ten-
dresse religieuse. » te comte d'Artois répondit quelques phrases
vagues, mais son esprit d'a-propos lui manqua. te soir les
membrcs du Gouvernement provisoire , et les conseillers in-
times de Son Altesse Royale, sentant la nécessité de faire quel-
ques-uns de ces mots populaires qui pussent réussir dans l'opi-
nion, calmer les méfiances , se réunirent en conseil. Chacun
d'eux composa de son mieux une de ces phrases d'apparat, une
de ces réponses qui pussent se répandre dans Paris et la France.
Les uns voulaient que Son Altesse Royale parlát comme lieu-
tenant-général du royaume , et promit des institutions ; Ies
autres , qu'elle se renfermñt dans ces mots vagues et alors a la
mode : Drapean sans tache, pallache blanc, fils efe Saint-
Louis .. etc. l\Iais enfin une rédaction commune a MM. Beugnot
et dc Talleyrand fut adoptée : on l'envoya a Son Altesse Royale,
qui l'approuva, et elle fut consignée au lUdniteur du lendemain
dans les termes suivants: « l\Iessieurs les membres du Gouver-
nement provisoire, je vous remercie de tout le bien que vous
avez fait pour notre pays; plus de division , la paix et la Franco.




CHAPITRE IIJ. 149
Je la revois , et ríen n'est changé , excepré qu'il y a un Fran-
f.ais de plus . Cette réponsc , pleine d'habileté et de bon goüt ,
produisit un exceJ1ent effet. Un Te Deum avait été préparé a
Notre-Dame. Le Sénat refusa encore de s'y rendre , amoins
que le comte d' Artois ne renoncát ases titres de l\IONSIEUR et de
lieutenant-général du royaume. On remarqua l'absence des sé-
.uateurs dans cette cérémonie d'actions de gráces, M. de Talley-
raed vit bienqu'il fallait négocier, si l'on ne voulait pas laisser
a la Restauration des embarras sans nombre; et lorsque le
comte d' Artois fut revenu de la premiére émotion d'une jour-
née heureuse , mais fatigante, illui exposa 1'importance de ne
point se séparer du seul corps constitué dont 1'opposition pou-
vait amener en France une véritable guerre civile,


En effet, le Sénat s'était réuni sur une convocation extraor-
diaaiee, J.\Ilij. ~ltrechts et Lanjuinais dépeignirent la situation
du P3-Y".. les exc{w auxquels s'étaient portés les Royalistes, qui
éuíe.nL¡Ués jusqu'a faire déchirer, comme on 1'a dit, par la
-JUa.iD du bourreau, l' Acte constitutionnel. Ils disaient que la
France n'étaít pas un pays conquis, et que la race des Bourbons
ne dcvait pas lui étre imposéc. I..es deux. orateurs proposereut
en conséquence au Sénat de ne se rendre en aucune cérémonie
publique, et de se refuser a reconnaitrc le comte d'Artois
comme lieutenant-général du royaume au nom du Roi, et ane
point lui donner la qualité de 1\I0NSIEUR; enfin ane lui confier
Je gouvernemcnt provisoire qu 'a la condition expresse que la
Constitution décrétée serait acceptéc par I..ouis XVII r. M. de
Talleyrand porta ¿\ lU. le comte d'Artois l'opinion du Sénat ,
lui montra la résístance inevitable qui allait s' ensuivre. Des
nouvelles peu rassurantcs arrivaient des armées ; il Y avait cu
sur plusieurs points de véritables séditions militaircs, tes soldats
et les chefs refusaient d'obéir dans les places Cortes; on n'avait
pas les adhésions des corps du i\lidi, des maréchaux Soult et
Suchet. Si la división s'établissai t encore entre le Sénat et le
comte d'Artois , que de malheurs on pouvait redouter !


l.c8 conscillers de S. j\. H. ne se reluserent plus aun~~ J
, ....Q"
.,




1.50 mSTOIRE DE I,A RESTArnATIO:\'.
action. Toute la journée du 13 avril se passa en pourparlcrs
cntre le Sénat et le prince. Le soir on arréta les points suivauts :
te Sénat ne reconnaitrait point la qualité de lieutenant-général
du royaume qu'on disait confiée par Louis XVIH a j\L le comte
d'Artois , mais le Sénat décernerait cette qualité a Son Altesse
Iloyale , et par eonséquent la lieutenancc-géuérnlc du royaume.
011 De donuerait point au prince le titre de )IONSIEUR; on re-
nouveUerait la nécessité de l'acceptation constitutiounellc. Une
députation se rendit en effet le soir chez S. A. n., et 31. de
Tallevrand lut un discours longuement délihéré, On y disait
entre nutres expressions : « te Sénat désire , avec la nation,
affennir pour jamais l'autorité royale sur une juste division de
pouvoirs et sur la liberté publique, scules garantics du bonheur
et des intéréts de tous. »


te Gouvernement provisoire avait été consulté pour la ré-
ponse de ,,1. le eomte d'Artois , et M. de Talleyrand l'écrivit de
sa main: « Je vous remercie, au nom du Itoi mon frere ,de la
part qne vous avez ene au retonr de notro souverain légitime ,
et de ce que vous avez assuré par HI le bonheur de la France ,
pour laquelle le Iloi et sa famille sont préts asacriíicr leur sang.
Il ne peut plus y avoir parmi nous qu'un sentiment : il ne fant
plus se rappelcr le passé ; nous ne devons plus former qu'un
peuple de Ireres. Pendant le temps que j'aurai entre les maius
le pouvoir, temps qui, je l'espere , sera tres-court , j'emploierai
tous mes.moyens a travailler au honhcur public.» Des engage-
ments étaient pris de part et d'autre. te pouvoir était aillsi
donné sons condition. Mais on dut rcmarqucr que Son .vltcssc
ltovale avait fait une réponse plus expansive au Corps législatif,
dont 1(1 président n'avait pas prononcé le mot de constitution.
Le comte rl'Artois avaít méme dit a ,1. Félix Faulcon: .« Vous
nous exprimerez les maux de la nation, vous qui étes ses 1'(;/,1-
tablcs représentants.» Par la le prince cherchait a décrier l'au-
torité du Sénat , qui , selon les Ilovalistes , n'exercait qu'un
pouvoir usurpé.


Par l'acte du Séuat, ,1. Ir comte d'Artois se trouva maltro du




CIJA PITI1E lIT. 151
gouvemement. ,1. <le Tallevrand conserva l'asrrndant sur le
conseil du prinre ; toutefois les llovalistcs ct les amis <I'{'IlIigratiou
('ommrnc('rrnt adominerrlansIr8délibératious intérieu res. Encon:
éhlon i du grand spectacle do lanation Iranraise, le lieutenant-génó-
ral du royaume se laissait souvententralucr l\ l'heureux instinct de
sapopularité ; mais seshabitudes, sesamitiés étouffaient hientót ses
élans du ccmr. 'Le princo conserva les ministres tels qu'ils avaicnt
"'t<~ choisis par le Gonvcrncment provisoire, Jls avaient tous se-
rondé le mouvcment royaliste , et se trouvaient ainsi di'ja fami-
liers avoc les idées de la Itcstauration. lis eurent la couíiance du
«nnte d' Artois. Tontefois le prince forma un Conseil-d'Étatpro-
visoire composé de 1\1'1. de 'I'alleyrand , des maréchaux "lollcey
('f Ondinot, du comte de Beumonville , du duc de Dalberg, du
marquis de Jaucourt , de l'ahhé de ñíoutesqnion et dn général
Dessolle. 1\1. de Vitrolks était nommé sccrétaire d'État. C'était,
comme on le voit, le Gouvernement provisoire agrandi de quel-
ques nouveaux noms, l\lais qu' était-ce done, ce nouveau Conseil-
d'l~tat? Le Conseil-d'État de l'Empire était-il supprimé t
Était-r« un ministére opposé a11 ministére aportefeuillc! Que
signifiait C(' titre <Ir serrétairc d'I::tat donné a )1. de Vitrolles?
Lui préparait-on la sncccssion de "'. J\laret!


te premior acte du Iicutenaut-général du royaume fut l'eu-
voi de commissaircs extraordíuaires. L'état des départements
l'exigeait : il fallait les réorgauiser, modifior l'esprit des fonction-
naires, et suhstituer l'ndministration de la Hestaurntion ¿l celle
d.. l'Empirc, Lcur mission était de répandre dans le pays une
connaissance exacto des événcments qui avaient rendu la Franco
a ses souverains légitimes ; d'assurer l'exécutíon de tous les
actes du Couvcrnement provisoire, de prendre toutes les mesures
que les circonstances exigernicut pour faciliter l'établissemcnt
er l'action du Couvernement ; enfiu de recueillir des informations
sur toutes les porties de l'ordre publir. Ces hauts fouctionnaircs
Iurcnt nn mélange d'anricns commissaires royalistes dans les
prm luces et de quelques hommes nouvcaux, 1\1. le dnc de Don...
<Ira", illo rlut cxcrcer ces íonctions importantes a )Il'zieres; le




152 mSTOlRE DE J,A nESTAt:HATfOK.
maréchal Kellermann, ü JUetz; M. Roger de Damas, aNallcy;
le chevalicr de Lasalk-, ~\ Strasbourg; le marquis de Champagne,
~\ Besancon : le comte Augusto de Juigné, aGrenoble; le comte
Bruno de Boisjelin, a Toulon ; le vicomte d'Osrnont , a JUont-
pellier; le comte J ules de Polignac , ü Toulouse; le comtc Dc-
jean ,a Bordeaux; Gilbert-Desvoisius , ala Ilochelle; aReunes,
le comte de Ferriere ; a Bouen, JU. de Bégouen : aCaen, ]\1. Le-
brun; aLille, le maréchal JUortier; ~\ Dijon, le général Nan-
souty; ~\ Lyon, ]\1. de Noailles; aPérigueux, le général Mares-
cot; aBourges, lU. Otto, conseiller d'État ; a Tours, ]\1. l\Iathieu
de Montmorency. On voulait, par ce choix fait dans tous les
rangs, commencer ce systeme de fusión et de concorde que la
Restauration s'était chargée de faire triompher, Les instructions
publiques des commissaires extraordinaires avaient un hut d'u-
tilité générale, et elles s'expliquaient tres-bien par la situation
du royaume; mais des instructions secretes furent données a
quelques-uns de ces commissaires, aceux surtout que d'anciens
services royalistes recommandaient a I'intimité de Son Altesse
Ilovale. On leurditdefavoriser le rnouverncnt de la Ilestauration,


"
non point dans le sens que l'avait entendu le Sénat conservateur
par sa constitution, mais dans l'esprit pur et simple de la 11l0-
narchie, JI y eut méme ace sujet d'étranges indiscrétions com-
mises: dans une conversation de congé que 1\1. Gilhert-Desvoi-
sins eut avec lU. Beugnot, qui avait le portefeuille de l'intérieur,
ce ministre, avec cette spirituelle légereté de propos qui le ea-
ractérise, dit au commissaire extraordinaire, comme aun affidé :
« Allons, j'espere hientót vous revoir au parlement de Paris, cal'
tout ce que HOUS faisons ici est provisoire , et il faudra bien en
revenir al'ancienne constitutíon monarchique. » La conduite des
cornmissaires du Gouvcrnement ne fut pas en tous points uni-
forme; si quelqucs-uns favoriserent le développemeut de la Res-
tauration coustitutionuellc , les hommes tels que MM. de Poli-
guac , de Boisjelin, de Champngnc provoquaient une réaction
vers l'ancien régime dans tous ses développements. Ce fut dans
les départements qu'ils administraieut , que se produisirent les




en APITRE lII. 153
plus grandes oppositions politiques centre l'Acte constitutionnel
du Sénat. Quoi qu'il en soit, s'ils ne furent point les auteurs de
ces obstacles , au moins est-il bien constant que les exces ne
trom-erent pas de résistances dans les agents du lieutenant-
général du royaurne,


M. le comte d'Artois était dans une position fort délicate : il
se trouvait en présence d'une nation qui l'avait fort bien accueilli,
mais dont il connaissait a peine les habitudes et les nouveaux
intéréts, Ce n'était pas un Francais de plus ~ maís un proscrit
qui avait fui la patrie en 1789, et qui revenait apres vingt-cinq
ans d'exil au milieu d'idées et de sensations auxquelles il était
étranger. Sa cour se composait ou d'émigrés ou de ces hommes
de J'Empire qui n'avaient vu et salué dans la Hestauration que le
passage d'un despotismo ¿l un autre. Ajoutez acela la présence
des armées alliées , les exigences de lcurs chefs , les promesses
qu'avait faites le comte d' Artoís d'abolir les droits réunis et les
impñts vexatoires , la conscription et les levées en masse, la né-
cessité de satisfaire les ambitions et la cupidité excitées par la
Ilestnuration ! Depuis un mois les impñts étaient mal payés; le
Trésor menacé; les réquisitions grcvaient épouvantahlemcnt les
provinces, te comte d' Artois Iut ohligó de signaler son avéne-
ment au pouvoir par un arrété qui ordonnait que les contribu-
tions, légalement et illégalemeut imposées, continueraient d'étre
levées, Une émission de hons du Trésor, jusqu'a concurrence de
10 000 000, fut également ordonnée; enfin, au lieu de I'aholi-
tion des droits réunis, promise par le lieutenant-général du
royaumev on se borna ales réduire d'un dixiemc, Tous ces actes
se faisaient par la seule volonté du prince, et de l'avis de son
conseil, Il y avaitcependant aParís un Sénat, un Corps législatif
donton avait reconnu et invoqué l'appui, lorsqu'il s'était-agi de
faire la Restauration, mais on les dédaígnait déja ; le lieutenant-
général du royaume décidait de sa propre autorité en rnatiere
d'impót et de finance, et continuait le systeme des derniers jours
de I'Empire, La perspicacité de M. de Tallevrand fut id en dé-
fant ; l'ahhé Louis ne prit point garde également a toutes les




154 mSTOTRE DE tA nESTAI'n \TrON.
conséquences irnpopulairrs de ce petít despotísme, Cepcndant
laHestauration inspirait tellement de coufiancc, que les Ionds
publics s'élevaient tous les jours, Quand un gouvernemcut
commence avec popularité , il peut tout oser : on ne Iui conteste
rien. Le traité du :2:~ avril lit néaumoins une doulourcuse im-
pression ; d'un seul trait de plumo, 'J. (h~ Talleyrand f{'da toutes
les places fortes situées en dehors des limites rlu royaume, tcllcs
qu'elles existaíent en '1792. C'Í'tait la conséquence naturelle du
príncipe POSt' : « Que la Franco scrait réduite ~l ses aucieuucs li-
mites. » D'immcnses arsenaux , un matériel cnnsidérabl«, des
positions qui pouvaient assurer ~I la Franco un traité de paix
plus avautngeux, furent abandonnés aux alli(ís en échangc d'nne
simple promcsse de Iever les hlorus ct ele faino rcsser 1('8 1I0s1 iJi-
tés, Ce traité du :2:~ avril fut pourtant l'muvre de". de 'I'allev-
rand , qui , sous le channe de la Jtcstauratiou et de l'ascendaut
des alliés, céda tout ce qu'on lui demandait pour se débarrasscr
de I'occupation. "l. le comte d'Artois n'v mit pas le moindrc
obstacle. La maguanimitú des sotn erains alliés s(- trouvait ainsi
fonnellcmcnt démcntic. Malgr{' les enthonsiasmes de 1'( >p{'ra, OÚ
l'ou mélait le noui d'Alexandrc al! triomplu' de Trejan : malgr«
les seenes d'Académie francaise , oÚ". Lacretcllc rappclnir quc
le Czar Picrre était venu chercher en Frunce les arts et la civili-
sation, mais que son petit-fils .vlexandro nnus rendait bien le prix
d 'un si glorieux servicc ; malgré ton tes ]¡-s oxpressions élevécs
d'une politique qui s'intitulait europécnne , les souverains
voulaient tirer de la conquéte le meilleur partí possihlc, surtout
depuis qu'ils ne craignaient plus \apo)(·ol1.


L'administration iutérieure du comtc d'Artois ne fut pas plus
hcureuse , dirigée par }l. lleugnot, ministre ehargé de ce dé-
partement , en rcmplnccmcnt de Jl. Benoit, qui l'avait orcnpé
par intérim ; on aurait dit qu'on prcnait iI tache, par des mal-
adresses de tout gellre, de détruire pirce 11 pieco la popularit« de
la Ilestauration. Quant ü,r. le comtc d' Artois, sa grande préoc-
cupatíonétait le drapean hlanc ; il distribuait la cocarde hlan-
che, la décoratíon du lis. Cheval hlanc, panaclu- hlanr , ,oi);, tout«




CHAPITRE IlI. 155
l'hahilcté qu'ou voulait déployer ; le palais des Tuileries n'était
OCCUpl' qu'ü distrihuer des hrevets de chevalicrs du lis , alors
d'autant plus sollicités qu'ils étaient une sorte de passe-ports pour
les places daus les minlstercs. .ta Iureur des lis devint si géué-
ralc , que la garde nationale , qui d'abord avait fait des diílicul-
tés pour quitter la cocarde tricolor« ,I'adopta avec euthousiasmo.


I ..eschosesétaient en cet état, lorsqu'on apprit le débarquemeut
de Louis X, JI [ aCaláis, el sa marche bien lente sur la capitale,
La petite colonic d'Ilartwcll avait connu les évéucments de Í>a-
ris , des le havril, par des émissaires royalistcs , et la corres-
pondauce coníldcnriellc de -'1. de Tallcyraud. Louis X '111 avait
répondu au principal moteur de la Ilcstuuration , qu'il le char-
gcait nbsolumcnt des intéréts de la Couronne el qn'il cut ¿l s'cn-
teudre avec les autorités, Ce ne fut que le '12 avril , apres que
le Séuat cut proclamé Louis X VIII, que l' Angleterre reconuut
le nouveau roi de Frunce. Louis X VIIl quitra Hartwell le 18
avril , et lit son entrée a Londres , avcc une grande solcnnité ,
le 20. Il Y fut reru par le prince régent, qui lui parla en ces
tenues : « Votre ,"ajcs[(~ me pcnuettra de lui oífrir mes Iélici-
tations les pIus sinceres, Sil r le grand (.\ éncmcut qui a toujours
été l'un de mes souhaits les plus ardeuts. Le triomphe et les
transports qui sigualerout l'eutrée de Votre -'lajesté daus sa pro-
pre capitale , pourrout apeine surpasser l'allégresse que la res-
tauration de Yotre ~Iajeslé sur le tróue de ses ancétres a Iait
naitre dans la capitalc de Tempire britannique. » I ..ouis XVIII
répondit : « Je prie Votre .vltessse Iloyale d'agréer les plus vives
et les plus sinceres actions de gráces pour les félicitations qu'elle
vient de m'adrcsser. Je lui en rcnds de particuliercs pour les
atteutions soutcnues dout j'ai élé l'objet , taut de la part de Vo-
tre Allessc Iloyale que de chacun des membres de votre illustre
'laison. C'est aux couseils de Yotre Altesse Iloyale , a ce glo-
rieux pays et ala confiaucc de ses habitants que j 'attribucrai tou-
jours, apres la divinc Providcnco, le rétahlisscment de notre iU~ison
sur le tróuc de Sl'S ancétrcs , el cet heureux état de choscs qui




'156 JlISTOIHE DE LA RESTAUHATlON.
promet de fermcr les plaics , de calmer les passions et de rendre
la paix , le repos et le honheur atous les penples, »


Cette réponse, qui manquait de tact, était surtout dirigée centre
l'influencede l' empereur AlexandreaParis, dont le Roi n'était pas
parfaitement satisfait. Louis XVIII cut ponr'le régent toute espece
de courtoisie; il éehangea l'ordre du Saint-Esprit contre celui de
la Jarretiere, Les deux princes s'embrasserent cordialement, au
milieu de la population de Londres et d'un petit nombre d'éml-
grés qui accompagnaient Louis XVIII. On ne comptait, en effet ,
dansla suite du Iloi , que madame la duchesse d' Angouléme , le
prince de Condé , le duc de Bourbon, lU. le duc d'Havré , le
comte de Blacas, les ducs de Serent , de Duras, de Cramont ,
de Lorges, le chevalier de Iliviére , l\DI. de Pradel , Hue, Cou-
chcri , le pere Élysée. C'est avec ce cortége que Sa l\Iajesté se
mit en route pour Douvres; un yacht royal le transporta aCalais ,
oú les autorités et la foule l'aeeueillirent avee attendrissement,
Le roi Louis XVIII en débarquant sur le rivage cut une expres-
sion de bonté religieuse qui toueha le peuple. Apres vingt-trois
ans d'exil , Louis XVIII foulait enfin le sol de la patrie! Le Hoi
possédait d'ailleurs cette pantomimo de la royauté qui parle au
creur. De viís applaudissements de la foule le suivírent sur toute
la route jusqu'a Compiegne , séjour fixé pour les arrangements
politiques de la Ilestauration. Le Roi mit une gráce charmante
dans toutes ses réponses et dans ses manieres. La foule des di-
gnitaires s'était portée sur Compiegue pour complimenter le
prince; quoique un peu soufIrant, il répondit a tous par des
a-propos délicats, citant a chacun ses services, aux maréchaux
leurs victoires ; sa table fut sans cérémonial , chose remarquablc
pour Louis XVIII! Le Roi but du vermout 11 la santé des ar-
mées francaiscs , et pour mettre la derniére main a cette fusion
de l'ancienue et de la nouvelle monarchie, le maréchal Berthier,
le fils de la révolution , parla dans son discours du pauachc blanc
de HCnJ'i IV.


U\ était l'cxtérieur de la Ilestauration , si l'on peut s'expriuicr




(;HAPITHE 1[l. 157
aUJSI; mais des dillicultés politiques se multipliaicnt a mesure
qu'il fallait ahorder la question de l'Acte constitutionncl du Sé-
nat, te Iloi avait recu cct acte lorsqu'il était encore a Hartwell,
il l'avait examiné daus sa solitude royale , et un moment il avait
été tenté de l'accepter; mais des réflexions suggérées par :'1. de
Blacas ct ses alcntours , des formes d'étiquettc, l'empéchaieut de
suivre ce premier mouvement. D'abord accepter une constitu-
tion , nc régner que par elle, c'était faire résulter les droits de
Louis XYln d'une autre origine que la naissance et la gráce de
Dicu. La constitution sénatoriale donnait au prince le titre de roi
des Francais ,. les prédécesseurs de Sa Jlajcsté s'intitulaieut roí
de FJ'((IlCC el de Nas-arre ~ quoiqu'en.remontant un peu plus
haut dans la monarchie on trouve 7'C,1: Franconun ; c'était done
une modification d'étiquette tres-importante dans le palais , et
puis , Louis XVIII u'unai: jmnais ccssc de rcqucr ; il fallait
alors donner a ces actcs l'iutitulation de l'aunée OU ce regne avait
commencé.. Teiles étaient les objections principales qui avaient
empéché LouisXVIII d'acceptcr l'Acte constitutionnel du Sénat.
narrivait donc en France comme roi, on le proclamait partout,
et cependant aucuue garantie u'était donnée a la nation ; la vo-
lonté du Sénat était considérée commc non avcnuc , ce qui ex-
citait de violeuts murmures. « Nous sounucs done joués , disait
le partí coustitutiounel , qui avait provoqué le renversemcnt de
l'Empire. » M. de Tallcyrand cherchait acalmer leurs plaiutes :
« Nous aurous une constitution , disait-il, soyez trauquilles ,
mais nous avons affaire a un roi spirituel et instruit ; préparez-
vous ¡. défcndre votrc ouvragc, » Ces convcrsations flattaient l'a-
mour-propre de quclques-uns des sénateurs , qui se félicitaieut
d'entrer en controverse avec Louis XVIl l ; mais ceux qui avaicnt
quclquc rectitude dans l'esprit ne se dissimulaient plus que c'en
était fait de la Constitution du Séuat et du príncipe populaire qui
en formait la base, c'est-a-dirc de l'appcl libre au trñne de
LouisXVIII roi desFrancris. Quelle que püt étre désormaislaCOIl-
stitution , (n.ané: du prince seul , elle ne serait point un hom-
rnagc rcndu ala souverai II cté uationalc ; les sénateurs Grégoirc..,--


"l. 14 (,'1..
i .,:.'1


-.-",




158 nrsrorus DE LA HESTAUUTIOl\.
Lanjuiuuis , Lamhrcchts en manifestercnt toute leur mauvaisc
humeur ~l -'1. de 'I'allcyraud , el elle se montra hientOt; le Corps
législatif envoya une dépuratiou ¿l Compiegue au - devant de
Louis XVIII; le Séuat ne suivit point cet exemplo ; il rcíusa de
députer méme quelques-uns de ses membres ; mais le Gom cr-
ncmeut provisoire s'y rendit en corps , et plusieurs confércnccs
sérieuses eurent licu sur les points priucipaux d'uue constitu-
tiou. L'cmpercur Alcxnndrc excrra une inlluence trós-Iihéralc
sur les dispositions de Louis X Ytri; ji s'était reudu aCOlllpi(\-
gne , et cut 1\ ce snjet une fort longue conversatiou alee le Hoi.
« .I'ai promis pour Yotre -'Jajest{~ une coustitution libre, dit
Alexandre , et je crois qu'elle est nécossaire 11 son regne; il Iaut
il la Frunce deux Chamhres, la presse libre ; e'est ce que je lile
propose de fairc pour la Pologue : les lumiercs de Yotrc1lajt'sté
me répondcnt de cctte concession. » Alcxandrc ne pUL néamuoius
entrainer le Iloi aadopter puremeut el simplement la Constitu-
tiou du Séuat ; il fallait pourtant trouver un hiais pour sortir de
cet embarras. Louis xv BIne pouvait rejetcr I'Actc constitution-
nel et surtout en dire les motifs réels , qui cusscnt étó fort pcu
populaires : on prit done le prétcxto des inipcrfectious que I'acte
séuatorial contcnait (ce qui était rcrounu de tout le monde) ,
pour faire vivre le príncipe de l'oetroi royal; on supposa que la
précipitation avec laquelle avait agi le Sénat rendait sa eonsti-
tution imparfaite , et d'apres ce motif , I'autorité royale rcssaisis-
sait le príncipe qu'elle nc voulait pas reconuaitrc,


Les bases de la coustitution royalc avaient été arrétées aCom-
piegne. Le Roi et l' emperenr Alexaudre s'étaicut aussi coucertés
sur les priucipes généraux d'uue Charte constitutionucllc. Il faut
reudre cette justice il ,1. de Tulleyraud , que, jusqu'aux dcr-
nicrs moments qui précéderent la déclaration de Saint-Oucn , il
persista dans l'idée d'une coustitution énianée des eorps poliLi-
qnes, et acceptée par le Iloi : sclon lui , elle donnait nlus de gage
pour l'aveuir qu'uue simple couccssion royale. Le roi Louis XVIU
défendit son opiniou avcc une téuacité qui venait mqins de son
esprit que des préjugés de son éducatíou el des iusinuatíons de




r.HAPITRE lIT. 159
ses conscillers intimes. Cela fut ponssé si loin , qne M. de Tal-
Ieyraud, démontrant au ltoi les avantages d'accepter la Constitu-
tion du Sénat , recut c('Ue brusquo réponse: « Si j'acceptais
ecU(' constitntion, vous seriez assis , 11. de Talleyrand , et jc
serais dchout. )) Cependant Louis ~Yll [ devait {aire son cntréc
~l Pnris le :~ mai. Sc montrcrait-il h la capitale sans prendre
d' cngagements , sans promcttre ces lihertés qui avaient été une
des espéranccs d(' la Itcstauration ? Le Séuat avait (~té admis en
corps h Saiut-Ouen , et M. de 'I'alleyrand avait dit en son nom :
« Sire , le retour de 'olr!' "ajesté rend ¿¡ la Franco son gouvcr-
nemcnt uaturel ct ton les les garantics nécessaires ü son repos et
au repos dr I'ElIl'opr. Le S{lnat, profondémcut ému , heureux de
roufondre ses sentiments aver: ceux du peuple , vient comme lui
déposcr an pied du trñne les térnnignagcs de son respect ct de
son amour. elle Cluin c consunuionnelle réuuira tons les iuté-
réts tl celui du tróne, et fortifiera la volonté premiere du con-
rours de tontos les volontés. Vous savez mieux que nous, Sire ,
((ue de telles institntions , si bien éprouvées chez un peuplc voi-
sin, dOJIIH"nl d('8 appuis et non des barrieres aux monarqncs
amis des lois <'l pl"r(ls des pcuplcs, Oui, Sin', la nation ct le
Séuat , pleius de confiaucc dans les hautes Iumieres et dans les
seutirucnts magnanlmos de Votr<' "aj('st{~, désirent ayer elle que
le Fraucc soit libre pour que le Hoi soit puissaut. »


11 était impossible que l'entrée de Louis XYlll a París excitát
quclquo euthonsiasmc, si elle n'était précédée d'une déclaratiou
de principes claire el preciso sur les drois des Fraucais, Plusieurs
projets avaient él{~ discutés aCompiegne ; l'un, présenté par les
sénateurs coustiturionncls , contcuait implicitemeut l'approba-
tion des bases el des principcs sur lesqucls reposait la Constitu-
tion du Sénat, On y disait : « Ilappelé par l'amour de Bolre
peuple au tróne de nos peres , instruit par l'cxpérienco , éclairé
par les malheurs de la uation géuércuse que nous sommes appelé
;\ gouverner, jaloux de sa prospérité plus que de notre pouvoir,
p(:Jl(:(ré de lanécessaé de conscrrcr autour de nous ce Scnat, au»
luinicres duqnel nous reconnaissons devoir en portie notre 1"C-




160 IIISTOlRE DE tA RESTAURATIüN.
tour dans notroroyall1ne, et résolu enfin de Iaire pour la tran-
quillité publique tout ce qui ne portera pas atteinte au» droiis
denafre J.lfaisan ainsi qu'a la dignité de notre couronne, arous
dcclarc el déclarons ce qul suit : La monarchie, dont nous
somrnes le chef souverain, aura une eonstitution, gage mutuel
et sacré de la eonfianee des Francais en leur Iloi et de notre
amour pour eux. Nous maintiendrons le gouvcruement repré-
sentatif tel qu'il existe aujourd'hui , divisé en deux corps, savoir :
le Sénat et la Chambre composée des députés desdépartements.
L'impót sera librement consenti; la liberté publique et indivi-
duelle assurée; la liberté de la presse respcctéo , sauf les pré-
cautions-nécessaires ~t la trnnquillité publique. La rcligion ca-
tholique , apostolique et romainc , professée par la majorité des
Francais , sera la religion de l't:tat, sans touteíois qu'il soit mis
la plus légére' cntraveala liberté des eultes. Les propriétésseront
inviolables et sacrées; la vente des biens uationaux restera irré-
vocable; les ministres responsahles pourront étro accusés et
poursuivis par une des Chamhres qui composent le gouveme-
roent, et )ugés P<w \' antrc. 1,cs jugcs serom inamovibles, \c
pouvoir [odicieire incZépi'ncZant, la justicc éta~ll le plus précieux
des hicns que nons nous cmprcsserons de rendre ü nos Iideles
sujets. La dette publique sera garantic , les pensions , grades,
honncurs militaires conservés , ainsi que l'ancienne et la nou-
vello noblcsse. La Légion-d'Honneur, dont nous déterminerons
la décoration, sera maintenue. Tout Francais sera admissiblc aux
emplois civils et militaires. Enfin nul individu nc pourra étre
inquieté pour ses opinions et ses votes. Tels sont les príncipes
sur lesquels sera établie la Charte que nous jnrerons el ferons
jurel' d'ohserver des qu'elle aura été consentie par les Corps Te-
prcscnuui]s, et accepuie par le peuplc [ranrais. »


'eeUe déclaration , rédigée par les sénateurs, Cut repoussée
par le conseilcomme attentatoire aux droits de la Couroune. Le
Iloi lui-rnéme, et M. de lUontesquiou , apres lui, en avaient ha-
tonné tout ce que nous avons indiqué en italiques. Quelques-uns
disent que ,1. de Talleyrand ne présenta ce contre-projot (1'1('




CJIAPTTRE JIT. 161
pour tromper le Sénat , et que sous main il conseilla la déclara-
tion pure ct simple de Saint-Oucn. D'autres projets ne conté-
naient que la promesse d'une réformation, ce qui couvenait
tres-bien aux prétentions ultérieures des Royalistes purs. lis
furent également rejetés conune dangereux et pouvant compro-
mettre la popularité royale. Enfin une rédaction définitive fut
adoptée; ce fut celle si connue de la déclaration de Saint-Ouen
qui servit de base a la Charte constitutionnelle. La déclaration
de Saint-Ouen était habilement rédigée. En promettant des li-
hertés aussi larges, des garanties aussi désirables que celles
qu'avait établies la Constitution sénatoriale, elle ne préjugeait
aucune des grandes questions politiques ; elle. posait un fait re-
connu par tous, que la Constitution du Sénat était imparfaíte,
et qu'elle se.ressentaít de la précipitation avec laquelle on l'avait
concue. IWe ne disait point que la Charte promise émanñt de la
puissance royale seule; tout au contraire, le Roi s'engageait a
mettre gOUS les yeux du Sénat et du Corps législatif le travail
qu'il aurait fait concurremment avec une commission choisie
dans ~ sein de ces deux corps, C'était un ingénieux moyen d'élu-
del' toutes les difficultés.


Aussi la déclaration de Saint-Ouen fut-elle accueillie avec un
véritable enthousiasme qui prépara l'entrée de Louis XVIII a
Paris. Cette cérérnonie brillante autant que populaire n'excíta
point cet entraincment pUl' et sans nuage qu'on avait remarqué
al'entrée de l\lONSIEUH ; le spectacle de la vieille garde, suivant
morne , silencieuse , la voiture de Louis XVIII, jetant ses tristes
et nobles regards sur les monuments de sa gloire; tout cela fai-
sait vibrer je ne sais quel douloureux sentiment. Le peuple, GU-
bliant hientót le royal cortége pour consoler ces males courages,
étouITait les cris de vi'vc le Boi ! par ceux de »ire la »icillc qardc!
et encoré ces consolations populaires ne pouvaicnt distraire ces
glorieux vétérans des grands et sombres regrets pour leurs aigles
humiliées. La multitude moqucuse des Parisiens remarqua aussi
cene étrangeté de costumes et dc physionomies qui formaient le
cortége intime de la royauté. La figure de honté de Louis XVIII




\6~ 11lSTOll\E DE L\ l\ESTAt'l\ATION.
ne pouvaít {aire pardonner sa eorpulenee anglaise et la difficulté
de ses mouvements ; on riait de la robe et du chapean disgra-
cieux de MOle d'Angouléme , de la tournure carrée de M. le duc
de Berri , et méme eles ailes de pigeon du petit-fils du grand
Condé. Ces émigrés en vieux costl1l~es faisaient dans l'imagina-
tion du penple nn étrange contraste avec les souvenirs de ces
jeunes et hrillants états-majors qui accompngnaient nagnére le
grand capitaine aux commémorations d' Austerlitz ou de Wa-
gramo


Ainsi , aprés 25 ans d'exil , Louis XVIII rentrait anx Tuile-
des; tout était changé dans la patrie: meeurs , lnstitntions ,
esprit religieux, Une génération nouvelle était néc et croissait
¿l l'ombre des opinions et des idées de la révolutíon francaise;
le gouvernement de la Restauration allait se trouver placé dans
des circonstances difficiles; il fallait faire oublier son origine
due, sinon a l'étranger, du moins aux circonstances d'une inva-
sion et aux malheurs de la France ; il Iallait ne poínt manquer
de reconnaissanee pour les services d'une émigration fldele , et
ne point froisser des intéréts nouveaux aussi légitimes; une cour
vicillie et une Franco jeune , l'érnigrariou et la révolution allaícnt
vtre en présenee ; jamáis gouvernement nc s'était trouvé dans
une circonstance plus délicate, les hommes d' Úat et les souve-
rains étrangers eux-mérnes ne le dissimulaient paso


A travers toutes les protestations d'amitié et d'allianee que
donnaient les monarques alliés a I ..ouís XYIU, il y avait bien d<'s
mécontentcments. Lorsque Fouché arriva aParis,dans les pre-
miers jours de la Itestauration, il fut conduit par 31. de TaJIey-
rand chez l'cmpereur Alcxandrc , qui lui dit dans un entretien
particulicr : « Pourquoi arrivez-vous si tard ? vous nous aurioz
étó utile, Que penscz-vous de tout ce que nous avons fait id? \)
Fouché lui rópondit : « Jo crois que Yotre ñlajcsté s'est fait
éclairer avant de prcndre ses dóterminations ; e' cst une ceuvrc
fort difficile qu'elle a entreprísc : dans quclques mois ce pro-
bleme sera résolu. - Mais , répliqua l'Emporour , ce n'est
pas moi qui ai fait tous ces arrangements; s'ils ne rénssisscnt




f.lL\PITIlE IJI. 163
pas , il fant s'en prendre ;\ ~J. de 'I'alleyrand , au Sénat et ala
ville de París : j 'ni voulu Iaisserles Francais libres d' exprimer leurs
HEU\". Quant üma Iaconde peuser personnelle ,jc n'ai pas de pré-
dilertion partlculierc pour les Bourbons, )) Le Czar avait-il hérité
eles sentimcnts de Catherine pour le comte d' Artois? Í~lait - il
hlessé des exprcssions de reconnaissancc exclusive de Louis~VIII
pour l' Augleterro et le princo régcnt ? prévoyait-il déja, commc
cela se réalisa au congres de Viennc , que la France et ¡U. dr
'I'alleyrand échapperaicut ason influenec? voulait-il, par la con-
naissance personnelle qu'il avait des opinions de Fouché, se cm'
server les scnriments d'un personnage dont il rounaissait la s,"
gacit{~ et la haute inílucnrr- ? Alexandre , comme chacun sait,
u'était pas tonjours sincere; pcut - étre jouait - iI une doube
politiquc avcc un homme qui , ccpendant , pénétrait tout et se
livrait bien rarement.


Cette intimité de l'empereur de Ilussie avee les personnages
i.iíluents du lihéralisme, 1'action exercée par lui sur l'esprit de
Louis XVIII, pour la puhlication de laCharte, lui furent plus tard
l'(llH'ochées. Lorsqu'on apprit ü Yienue le débarquement~ Napo-
léou , l'cmpcrour d'.\utrirhc, s'adrcssant ü Alexandre , lui dit :
( Eh hien! Sire, voyez ce qu'il est arrivé d'avoir protlw" vos Jaco-
hins de París! )) - « C'est vrai, répondit Alexandro ; mais pour r('-
parcr mes torts, je mets ma personne et mes armées au service
de Yotre ¡Uajcst{~ 1 ))


r Cette réponse a l't(~ faitc publiqucmcnt , 1In solr, chcz l'Impérutrlc«
d' Aulrichc, oú I'on [oua it une scene Oll tablean rivont , representa IJ t
I'cntrevuc de Maximilien 1'" et de Marie de Bourgognc.




CHAPITRE IV.


LE GOUVER~EMENT DE LA RESTAURATION EN 1814.


la m aison du Rui , - Le Millislhe. - Le Gouverncrncut. -- Couféreuces
pOlll' la Charle. - Constitutiou des Chamb rr-s. ""-o La prcmiere ChamLre
des Pairs, - 1.01 Chnmbre des Dépntés. - Les arlresses. - La jlresse.-
N(:gociatiolls diplomariques pOlll' le traité de Paris. - La FamiJle roya/c.
- La Cour. - l'aris el les c!(:partcmcllts. - Les n-avaux l(:gislatifs.


1URi-O~tobre :un...


lORSQU'UN pouvoir absolu s'écroule, les premicrs jours d'un
gouvernemcnt libre sont toujours fáciles, paree qu'il se fait au-
tour de lui tant de bruit , qu'il peut agir sans qu'on y prcnne
ganle; mais la premiere effervescence passée , cette liberté de-
vient inquiete; ce qu'elle a salué comme un heureux événement,
elle Je critique comme un ohstacle. A tout prendre , mieux vaut
pour un pays un gouvernement énergique qu'un príncipe de
liberté qui dissout incessamment les forces et les hommes
de la société. Louis XVIII était enfin aux Tuileries, ala tete de
ee gouvcrncrnent de Frauce , objet de sa constante ambition ; il
méditait son regne depuis 20 ans, a travers les fortunes diversos
de sa vie agitée. Louis XVIII avait l'áme francaise ; iJ était fiel'
de sa nation comme de sa race, Il avait vu l'enthousiasme popu-
laire ; cal', il Iaut se háter de le dirc , les Bourhous ne Iurcnt
pas recus arce répuqnance ; ils furent considérés par le plus granel
nombre commc un gage de paix et de liberté! Napoléon avait
fatigué la n-ance de gloire et de conquétes : on avait besoin de
rcpos ; iI Yavait bien quclques méflances centre l'entourage de
la royauté , mais on s'abandonnait avec joie aux promesscs de
la Ilestauration. Ln premierc nuit de Louis XVIII aux Tuileries
fut une nuit d'émotion et de bonheur. te Roí aimait a raconter




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CIfAPITRE Ir. 165
toutes les impressions qu'il avait éprouvécs a la vue de ces appar-
tementssi richement ornés , de ces pompes depuis 20 ans étran-
geres ~l sa royauté exiléc : il remarqua les aigles cachees sous des
faisceaux de drapeaux .blaucs, et le souvenir de tant de gran-
deurs tombéeslui inspira quelques-unes de ces réminiscencesphi-
losophiques qu'il allait si heureuscment ehereher dans Horaee.


te premier soin du Roí fut de former sa maison : elle existait
déja dans l'exil. C'était une grande affaire d'étiquette, et le Roi
n'oublia aueun des noms qui avaient droit aux eharges, alors
méme qu'il avait eu ase plaindre des personnes ; c'est ainsi que
1\I. le duc de Hichclieu fut rappclé ~l son poste de premier gen-
tilhommo de la chambre , quoique Louis XVIII ne lui eüt ja-
mais pardonné de l'avoir abandonné dans l'émigration , pour
prendre du service en llussie. Il n'avait pu concevoir qu'un des-
cendant de Itichclieu préférát un gouvernement aOdessa, aun
service d'honucur aupres du roi de France, Tous les anciens
titulaires des charges en reprirent l'exercice, lU. le prince de
Condé fut graud-maitre ; ~I. de Talleyrand-Périgord grand-au-
mónier ; 31M. d'Havré , de Gramont , prince de Poix, Luxem-
hourg conservereut Ir litre de capitaines des gardes ; les ducs
de Duras, de ViJlequicr, de Ilichelieu, de Fleury, celui de pre-
miers gentilshommes ; ~1. de Blacas fut grand-maltre de la garde-
robe, en remplacemcnt du duc de La Ilochefoucauld-Lian-
court 1; 1\1. le marquis de la Suze , grand maréchal-des-Iogis;
1\1. le marquis de Dreux - Brézé, granel - maitre eles cérémonies,
Les graneles fonctions du palais n'étaient point une nouveauté
pour le peuple , habitué aux somptuosités de la cour impériale.
Il y avait sous l'empereur Napoléon une étiquette et un céré-
moníal aussi séveres. Xéanmoius , toutes les femmes auxquclles
on devait l'éclat eles fétes de l'Empire s'exilerent de cctte cour ,
qui n'avait plus POUl' elles lesmémesplaisirsni les mémes libertés,
lUalgré l'esprit fin et délicat de Louis XVIII et son admirable


1 C'est de Blauekemhourg que Louls XVIII avait fait demander la
dérnísslon de M. Liancourt , alors aux I~lats-Pnis. Le due renvoya aussi
son cordon hleu.




166 HISTOIRE DE f,A RESTAITTIATJON".
scntimcnt des convenanccs pour réparer les maladrcsscs com-
mises, plus d'une femme de maréchaux s'enrevint éplorée des
Tuilerics, Lorsque, dans les ópanrhemcuts du toit domestique,
fes fcmmes racontaient qu'elles avaient suhi les sarcasmes spiri-
tuels de quelques vicnx et nobles débris de l'ancienne cour , la
rougeur montait au front de ces vaillants généraux; qui avaient
couvert l'Europe de leur rcnommée,


Un grand luxe fut surtout (léployé dans la composition de la
maison militaire dn Roi. eCHe maison avait {'tr, considérablc-
ment réduite sous 1<' ministere du comte de Saint-Germain
('11 178;'), et l'on ne comptait plus alors que les quatre compa-
gnics de gardcs-du-corps, Napoléon songcaít ;\ la fin de son
regne ~I organiscr cette garde de jcuncs oflic iers , mais il n'avait
point osé cxécuter un projct qui hlessait profondément les
vieilles légions accontumécs ;\ hivonaquer autoiir de sa tonto,
]){'.i~l 1('8 cscadrous de gardes d'honnour , appdést\ l'armée
en 181:~ , malgré lcur valcur ct leur dévouement, avaient excité
de vives jalousics daus les divers corps. La gard« impériale con-
tinua le service all!'treS <1(' la personm: (l(' _'íapol(·oll. La maison
mllitairc rln Roí nc Irrt fJ<1S seulcmcut Ol:!!,·éllJi.~·(;C CIJ 181 ~ HUI' les
bases d'économlc érahlics en 178,), mais sur dI' plus Iarg('s
données. Dos reglements du 2;, mai rappelaient les services
rendus aux prédécessours du Roi par les gardes-du-corps , et
rréaient six compagnies , dont une portait le nom do cOHipagnie


\'COS8.Ú8C et conscnalt ses ,,'\C'1\1C8 lwh'og<\úws c\ lw\,elyllnentl..'s.
Lne autre ordonnance réorganisait la compagnie de chcvau-


/llg('rs. Pu¡s /('S I1lO11sqlletc1JÍY'S ('{ IN; gens d'armes, ¡(lSgC1ly!es de
la porte et I'anciennc compngnie de grenadiers , c(· qui complé-
tait tour le luxe militaire de la como de Louis xrv. L'apparition
de ces corps brillants fut d'un trcs-mauvaís eílct sur I'armée, qui
se crut méprisée et laissée ~I l'écart. Cette maison du Roi, par
l'éclat de ses uniformes, la bizarrerie de quelques-uns de ses
costumcs , et jusque dans ses allures eíféminécs et tapageuses ,
excitait la jalousie de l'ancionno arméo el les. quolibets des Pa-
risiens. Cette réunion brillante de jeunes officiers était bravo




CHAPURE IV. 1.67
&111S doute , mais de ceue bravoure fougueuse el sans expé-
ricuce , de ecuo valcur de gcutilshouuucs de cour , de ces mar-
quis auibrés qui , sous Louis XV, rossaicnt Le guet, enlcvaient
les Icnunes el les fines des bourgeois de París.


Lnc affaire plus grave pour le Iloi ct la Franco était la for-
mation du nouveau iuiuisterc ; plus de huit jours s'étaicnt
écoulés depuis l'cntrée de Louis XVII 1, et aucun arraugemcnt
n'avait eucorc été pris ; cela tenait a une négociation couduite
par )1. de Yitrollcs , qui. voulait constitucr en sa Iaveur une
cspcce d'organisatiou miuistériellc , scmblahle ~l ce qui exisrait
sous l'Empire, c'cst-a-dire un sccrétaire d'Étar , avec le coutre-
seing , auqucl vieudraicnt aboutir toutcs les affaires. L'intriguc,
protégée par)1. le comre d'Artois, échoua , gráce aux efforts
coruhinés de 31-'1. de Tallc~ rand ct de macas. I.:enipereur
Alexaudre avait d'ailleurs conru de fácheuses impressions
sur le compte des Iloyalistes ardents, :U. de Talleyraud avait
rendu trop de services pour ne point Iaire partie du nou-
veau Cabinet, Louis XVl Il n'uiruait pas )1. de Talleyrand; sans
aucuue couíiancc ('U son caractéro,il ouhliait diflicilemcut sa
conduitc daus la Ilévolution, Les manieres décisives el ofliciclles
de;\l. de Tallcyrand , ces formes qui imposaieut une opiuion
plutót qu'elles nc donuaient un couseil , déplaisaicnt au Iloi qui
voulait surtout avoir l'air de Iairc quelquc chose par lui-móme ;
mais alors M. de Tallevrand était la plus haute rópntation d'ha-
hileté , le Iloi se résigua ~l ce choix. On discuta plusieurs listes,
el Louis X VIn resta quelqucs jours saus se détermiuer. Presquc
tous ses choix Iurcnt Iaits sur des souvenirs et des impressious
aucicnnes ; Louis XVIII avait un pcu cette mémoire des vicil-
lards , qui ne sort pas des impressious de la jcunesse ; er, paree
que tel honnne avait joué un role, s'était montré oratcur a
l'Assemblée législative ou constituantc , paree qu'il s'érait dis-
tiugué au parquet en 1787, c'était un motif pour le croire
capahlc en 1.814. Le nouveau ministére fut installé lc 13 mal.
II se composait de l\Hl. Dambray, chaucelier et ministre de la
justícc: 1\1. de Talleyraud conserva le porteíeuílle des aífaircs




168 IllSTüInE DE LA RES'f:\CHATlON.
étraugcrcs , l'abbé tloutesquiou l'intérieur, le general Dupontla
gucrre, le baron 'Ialouet lamarine, le baron Louis les finances;
1'1. de Blacas fut ministre de la maison du Iloi , et M. Beugnot
cut la direction générale de la pollee, llar la formation de ce
ministere , le Conseil provisoire devait se tronver de plcin droit
dissous; il n'en Iutrien pourtant : on cut alors un double
eonseil, l'un de ministres a portefeuillc, l'autre composé de
membres irresponsables, conseildont quelqucs-uns des ministres
aportefeuille, par exemple le haron Louis , se trouvaient excluso
)1. Damhray, chancelicr , avait acquis une certaine eélébrité
comme avocat-géuéral , mais la révolntion s'était accomplie de-
puis , et )1. Darnbray y était dcmeuré tout ¿I fait étranger, JI ne
connaissait ni les IlHEUÍ'S ni les exigences de la' société nouvellc.
Ses fonctions de chancelier garde des sceaux ne le mettaicnt
pas en rapport avec l' Admiuistration , mais il allait étre appelé ü
faire connaltrc les intcntions du Roi, et il était acraindre que
ses pcnsécs ct ses expressions ne se rcssentissent du culte qu'il
avait voué a l'ancienne Monarchie et aux Parlcruents. L'abbé
l\lontesquiou, longtcmps l'agent de Louis XVIII, était un hon-
note homme , mais d'une ignorance absolue des affaires, Sa
préoccupation , disons mieux , la manic de son ministéro érait
de déprécier les régimes précédents et de démontrer qu'ils
avaient fait tout le mal que la Ilestauration était appelée aré-
parer. )1. de .:Uontesquiou avait cette probité crédule , le plus
grand défaut d'un homme d'État , lorsqu'il y joint une bonne
opinion de soi-méme qui ne souffre pas les observatíons, M. de
~lontesquiou avait une conflancc si grande dans les Bourbons ,
qu'il ne concevait pas une force capahle de les renverser. Peut-
etre íaisait-il entrer dans les cuanccs favorables a la l\estaura-
tion un certain amour de sa propre capacité. Ses deux grands
faiseurs étaient .'\1. Guizot, trés-jeuuc alors , esprit d'étude ct
de réflexion , et ~I. Bcnoit, chef de división sous 1\1. de ;UOll ta-
livet, qui faisait valoir , comme titre de royalisme , la circon-
stance pour lui fortuite de ne pas avoir suivi , comme tout son
ministere , la régenre a Blois. L'abbé de lUOlltcSquiou voyait




GlIAPITHE IV. 169
beaucoup alors JI. Iloyer-Collard, son anejen collegue pour la
correspondance avec Louis XVIII, et qui obtint la direction
de la librairie; JI. Quatremere de Quiney, homme de talent, de
science et de prohité , mais ¿\ vues systématiques ; .:\1. l\lichaud,
alee ses habitudes de conspirations royalistes , son esprit fiu ,
ingénicux; M. Raynouard, caractero probe , mais intéressé , qui
mélai; ason indépendance honorable une grande activité de sol-
licitations miuistérielles , et 1\1. Lainé , le rcpublicain le plus
dcvouc aux Bourbons j eomme disaient de lui les Royalistes qui
11e comprenaient pas la Monarchie constitutionnelle, l'union du
tróne et -de la liberté.


Ona déja. dit lesautécédents du général Dupont. Des qu 'il fut
porté définitivement au miuistére de la guerre , il commenca son
systeme de désorganisatiou. Le général n'avait pas été étranger
a la formatieu de la maison du Hoi; mais ce n'était la que
l'origine d'un systéme qui comprenait l'armée tout entiere.
Toutes les dénominations de l'ancien régime reparurent. Il y
cut les régiments du B.oi, de la Reine ,da Dauphin , des gre-
nadiers royaux de France ; les titres de lieutenants-généraux,
maréchaux-de-camp remplacercnt ceux de généraux de división
et de brigade illustrés par tant de hauts Iaits d'armes, Beaucoup
d'excellents oflicicrs fureut mis a la retraite , davantage eu-
eore en demi-solde, Il était impossible a la Franco de garder
le vaste état militaire qu'elle avait sous l'Empire , mais les ré-
formes furent faites avec tant d'lmprévoyauce , de fácheuses
préventionsprésiderent si malheureusemeut au choix des sujets,
qu'elles souleverent d'immenses mécontentements. M. Malouet,
rovaliste sage, mais vieux , épuisé , ami de Fouché , fut mis a
la marine. C'était un poste difficilc, cal' il fallait défendre nos
escadres de cette invasión d'anciens ofliciers de Quiberon , ha-
hiles dans les campagnes du comte d'Estaing, de M. de Grasse,
de Lamotte-Piquet, mais qui , depuis trente ans, n'avaient pas
HI la mero C'était s'exposer encore a se voir privé d'officiers
jeunes et actifs en íaveur d'un impotenl état-major, c'était re-
doubler ses grieís , justifier ses vives plaintes, lU. lUalouet ne


L 15




170 mSTOIHE DE LA HESTA(jlL\TlO~.
put l'évitcr. M. l'abbé Louis, qui avait joué un role actif dans le
Couvcrnemcnt provisoire , cut le ministere des' íiuances. J.'CIll-
pen'ur Xapoléon entendait mal les grands sysl(~m('S de crédit
public qu'il confondait avec l'agiotage; il levait des contri-
hutions par la conquéte de l'étrauger, <'t par de simples décrcts
en Franco. Quand les caves des 'I'uilcries s'cmplissaicut d' 01' , JI
croyait l'Etat riche , e'était une maule du despotisrue. Copen-
dant une grande écouomie présidait ~I cetto administration ; ja-
mais les contributions n'avaicnt été plus régulicrcment Icvées ,
et, sous ce rapport , l'Empire ue léguait aucuu désordre ~l la
ltcstauratíon : mais les dépeuscs cxtraordinairos de J813 et HHú
avaieut laissé un arr iéré ; 01', JI. Louis avait quelqucs dillicultés
a vaincre , ne Iút-ce que le rétablissemeut d'un systellle régu-
lier de crédit , et le retour de la contiaucc publique cuvcrs les
engagements du Trésor,


De tous les membrcs du nouveau miuisterc , le plus puissant
fut jI. de Blacas , qui u'avait que le simple titre (le ministre de
la maison du Iloi, Le ministre de la maison du Iloi , depuis
l' établisseuient, en France , du systemc rcprésentatíf, u'a jamáis
joué qu'uu rule secondaire en politiqueo 11 n'eu fut pas de méme ,
~l l'origiuc , pour JI. de Blacas; Louis xVIII s'était habitué ~I
lui dans I'exil : les rois ont toujours besoin d'un ministre de pré-
dilection el de confiance; lU. de Blacas servait d'intennédiaírc
entre le Iloi et SUH conseil; rieu n« se Iaisait que par lui, Vou-
lait-ou parvenir jUSqU'¿1 Sa Majesté, il fallait passer par le mi-
nistre de sa maison , maitrc de I'autichambre , il ne laissait ainsi
arrivcr jusqu'au Hoi que les plaiutes el les ohsenatiolls qui uc
contrarinicnt pas son systemc. Ce ministre n'était pas dépourvu
d'agrétnents : poli, mais vaniteux de la haute Iaveur dont il jouis-
sait auprés du priuce , il apportait dans ses rapports avec le public
une certaiue coufiance en lui-niúmc, qui lui faisait croire, couuúe
l\ M. de ~lontesquiou, que la l\cslauration était un ían indes-
tructible, surtout conduite par ses maius, M. de Blacas cuneen-
trait la directíon des Irautes affaíres, M. de 'I'aileyrand 's'était
~'él)cné toute Ja diplomatic, s'absorbant dans les négocíauons




f.HAPITRE IV. 171
ponr le traité de París, te plus grand nombre des ministres ne
travaillait pas directcment avec Louis XVIII; ils rcmettaient
leurs portefeuilles au ministre de la maison du Iloi , qni seul
avait les grandes ct' petites entrées. L'administration publique
dépoudait dn ministére de I'iutéricur-, et était placéc sous la di-
recrien de ,1. Guizot. La poliee fut conflée ¿\~L Reugnot, qui
prit le titre de directcur-géuéral. M. Reugnot avait passé un mo-
ment au ministere de l'intérieur : comme on s'était fait une
grande idéQ de son habilcté , 011 avaít rru placer en honnes mains
la police , ce grand ressort administratif C'était en cflct un
honrne d'esprit , mais un caractero singulicr et raillcur daus sa
maniere de voir et d(~ juger. JI aimait ¿\ définir les hommcs et
les posítions par de ces mots , qnelquefoís spirituels , mais qni
hlesscnt souvent , paree qu'ils sont raremcnt moderes ot justes.


L'administration, au reste, était fort difficile apIl'~ l'Empire,
et ron jugerait mal N partialcment cctte époque o/,, ·1 Rlu, si
I'on jctait toute la cause des seCOllSSCS publiques sur' Jqcapacité
...les ministres. n y eu t aussi la faute des événements ". d~ la si-
tila! ion. La France ava ir taut S011(ferl :131' l'invasion l }u olqncs
déparremcnrs nvaicnt (-t{. rcras{'s par j(.;; coutrihntions c. ¡ns r{'-
quisíti.ms de guerreo Le conuucrc« intérieur était n -t le
commcrce mari time se hornait au cabotaqe. La 11I'Sl";)tion
avait , il cst vrai , imprimé une grnnde et premiere imj. "on ¿l
toutes les négociatious commcrcialcs . mais le systemc pnF isoire
dos douanes , en ouvraut immédiatement aux marchandisos an-
glaiscs les ports de Frunce , causa un préjudice notable au-: en-
treprises manuíacturiercs. Pendant son long svstem« prohihitif,
l'Empire avait enfauté des industries nouvelles, Les mcrveillcs
des manufactures avaient suppléé ¿\ tous nos bosoins , ct le rnm-
merce , dcpuis 1R07 jusqu'en 1R1h, s'était ongagé d'apres cette
échelle. L'administration publique froissa des lors mille intéréts.
La propríété fonciere étnit écrasée , mais I'agriculture florissantc.
La (li,isioIl úes propriéu-s avait mu\tip}i(~ partout la culture (\es
t('ITeS; les méthodes s'étaicnt amélioróes. Déja dans les hureaux
de l'intéricur on commeneait tl répandre les idées sur la néces-




1.12 mSTOIRE DE J.A RESTAURATlON.
sité des majorats, de I'agglomération des propriétés , comme
base du systéme monarchique; d'un autre coté, de véritables
hostilítés séparaient les possesseurs de biens d'émigrés des au-
ciens propriétaires. La déclaration de Saint-Ouen avait ratifié la
vente de ces propriétés , mais la cour étaitdominée par des
hommes qui regrettaient leurs bcaux chñteaux , leur terre pa-
trímoniale , passés en des mains étrangeres. De la unegrande
agitation dans les esprits, que le ministére devait s'elTorcer de
calmer.


J..es préfecturessubirent, sous M. l'abbé de )Iolltesquiou, de
graves modifications pour le personnel. Le roi Louis XVIII avait
promis a tous les fonctionnaires publics de les maintenir dans
leurs emplois; mais quelques-uns s'étaient dévoués ;1 la fortune
de l'Empire , et n'avaient pasvoulu lui survivre ; d'autres avaient
quitté leurs postes, chassés par des mouvements populaires et
des réactions; d'autres furent destitués sous pretexte d'opi-
níons politiques. Le ministre de l' intérieur, appelé ;1 faire de
nouveaux choix de préfets et de foncrionnairos , y apporta,
sauf qnelques exceptions, assez peu d'habileté. C'est ce qui
arrive toujours daos les grands monvements de places ; on les
donne sans disceruement a qui vous presse , et comme le
prix de la course. Il y cut des provinces oú l'on se horna
purement et simplementanommer les anciens intendants , alors
gens vieillis et incapahles , qui étaient loin de comprendre
le but et les besoins de la Ilestauration, La police , contiée a
1\1. Beugnot, commit encoré plus d'ímprudences. Les fautes en
furent d'autant mieux senties , qu'elles touchaient ala vie pri-
vée , et a ces habitudes domestiques devant lesquelles le pouvoir
doit s'arréter avec respect. La police de l'Empire avait été vio-
lente et soupconueuse , celle de la Hestauration fut décousne et
tracassiere, L'on s'attacha aux perites ehoses , auxactes que la
conscience veut excrccr en toute liberté. En entrant en fonc-
tions, lU. Beugnot adressaaux divers employés de son adminis-
tration une circulaire sur le but de la pollee, qui devait étre
morale ét reliqieusc ~ et qu'il aimait a comparer ¡1 la goutte




CTlAPTTHE IY. 173
d'huile qui fait aller les ressorts du gouvernemcnr. Un antre
acle de )1. Beugnot excita eucorc de plus uuivcrselles réclama-
tions; ce fut son ordonuance sur l'observation des fétcs et di-
manches. I..es cxpressions en étaient mystiques ct singulieres :
« Considérant que I'observation des jours consacrés aux snleu-
nités religieuses est une loi communc ~I tous les peuples policés ;
qne l'obscrvation du dimanche s'est maintenue avec une pieuse
sévérité dans toute la chréticnté , el qu'il y a ét(· pourvu , pour
la Franco en particulier , par dj[{-rentes ordonnanccs de nos
mis, etc., ordonnons ce qui suit : les travuux seront interrom-
pus les dimanches ct les jours de fétc, Tous les ateliers seront
Icrmés, Il est défendn a tout marchand rl'ouvrir sa hontique ; a
tout ouvrier , porte-faix , voituricr , etc, , de travaillcr de leurs
états lesdits jours , et a tout étalagistc de rien exposer en vente.
Il est expresséruent défendu aux marchands de vin , maltres de
café, de billard, etc. , de tenir leurs établissemcnts ouverrs les-
dits jours, pcudant L'officc dioin , depuis hui! heures du malin
jusqu'a midi, Des amendes de 100, 200 et 500 fr. seront pl'O-
noncées contre les conrrevenauts, sans préjudicc des poursuircs
judiciaires , cte. » Cettc ordonnance , empruutée aux mreurs
graves et sévéres de la Grande-Bretagne, s'adressait aux senti-
ments 1 s plus susceptibles et les plus,ifs des Parisiens; empü-
cher les plaisirs d'une population toute de plaisir, imposer l'of-
fice diviu et supprimer les déjeuners , c'était trop a la fois, Le
spectacle de Paris , sombre ct désert , de ces boutiques et de ces
cafés Iermés , faisait une vive impression sur cette jeunesse en-
jouée qui nc pouvait plus courir ¿l la quinqucuc et au bal cham-
pétrc, Le peuple de Paris ne ressemblait point a la multitudc de
Londres, et il y avait dans ces mesures maladroites et sans ohjet
dequoi perdre la popularité bourgeuise de la Ilestauration.


te rol Louis XVIIl, dans sa déclaration de Saiut-Ouen , avait
pris l'engagement de convoquer le Sónat et le Corps législatif
pour mettre sous lcurs yeux le travail Iait avec une commissíon
choisie dans le seiu de ces dcux corps. C'était une opération dif-
Iicilc quc 1<' choix des mr-mhres de crUp commission , cal' le




17hmSTomE DE LA RESTArnATTOX.


Roí ne pouvait onhlirr qnr le parti répnhlicain avait été l'agent
Ir plus actif pour le reuverserncnt de la dcrniere dynastie. Fal-
lait-il I'cxclurc ? mais alors l'csprit de la rcstauration se serait
tout aIait dévoilé, Fallait-il l'appeler ? mais il était ¿l craindre
qu'il n'imposát des conditions trop dures, et ne fit entrer dans
la Charte eonstitutionnelle des dispositions qu'on voulait en rc-
ponsser. On s'arréta done aun choix mitoyen , aces hommes de
modération qui se plient an pouvoir tout en conservant une
allure de liberté. Les commissaires furent done, pour le Sénat :
l\HL Barbé-Marhois , Barthélemy, Boissy-d'Anglas, Fontanes ,
Gamier, Pastoret , Sémonville, le maréchal Serrurier, Vimar.
Pour le Corps législatif: ~Br. Bois-Savary, Blanquart de Bailleul,
Chabaud- I..atour, Clausel de Coussergues, Duchesne , Duha-
mel , Faget de Baur, Félix Faulcon et Lainé. C'était , comme on
le voit , un choix d'hommes honorables et éclairés , qui , bien
qu'appartenant a des nuances diverses , ne pouvaient en aucuue
maniere se déclarer hostiles au pouvoir royal. On avait soigneu-
scment écarté toutes les sommités du partí répnblicain qui
avait demandé la déchéance de Napoléon , ~nr. Grégoire, Lam-
brcchts , I ..anjuinais, OH pouvait dl's lors rspérrr une concilia-
tion facile sur les points les plus ardus du droit puhlic des Fran-
cais. Le 22 mai , la premicrc réunion des commissaircs cut liou
dans l'hótel de la chancellerie. Tous les sénateurs et les d('putés
désignés étaient présents, Le Roi avait nommé pour ses commis-
saires : Ml1. Dambray, chancelier ; l'abhé de Montesqniou,
Ferrand et Beugnot , ministres d'ttat. ,1. le chancclier ouvrit
la séance en disant que Sa 'Iajest{~ voulait réunir antour d'elle
les notables de son royaumc , « dont elle avait l'intcntion , pour
le moment, d'agrandir son conseil n , afin d(' rédiger la grande
r.h arto. Ilfit méme , ¿I e(' sujot , l'('marql1rr que ce n'était pcint
conune sénatcurs et ronune dépntés qu'ils étaient appelés ;1 d('-
lihérer, mais comme simples notables, c'est pourqnoi iI les in-
vita ;1 s'asscoir indistinctemcnt. ,1. le chancelier prenait ce1\(1
tournure pour annonccr sans doutc qne, dans l'opinion du Iloi ,
le Sénat et le Corps législatif avaicnt ccssé d'oxistcr counne




CHAPl'fHE ¡Y. 17.)
assembléos politiquea On convint cependant que les artic1es
seraient adoptés ou rejetés ala pluralité des suffrages et soumis
cnsuite aSa 'laj esté.


La premiare séance s' ouvrit par l' examen de deux questions
prélíminaires, Fixcrait-on , dan s la Charte, le systéme électo-
ral? Itéglerait-on les bases de la monarchie, telles que la suc...,.
cession au tróne , la régence et les autres lois fondamentales ? Le
projer de Charte présenté par M. le chancelier ne contenait rien
sur ces deux points. M. de Fontanes fit valoir l'excelJenee du
systeme d'élection , tel que la eonstitntion de 1'Empire 1'avait
fixé; seulement il reconnut qu'il était impossihle de laisser la
liste des candidats a la disposition de la Chambre des Pairs ,
eomme elleétait auparavant ala discrétion du Sénat, Des objec-
tions furent faites. On ne put s'enteudre que sur un point :
c'est que la Charte contiendrait le principe du systeme électo-
ral ; sauí ensuite '3UX lois arégler l'organisation des colJéges. Un
membre fit observer qu'il était essentiel que ron placát ; en tete
de la Charte, l'ordre constitutionnel de la sueeession a la cou-
ronne. I\J. le chaucelier répondit ce que le Ilci n'avait pas l'in-
tention de promulguer de nouveau toutcs les lois politiques du
royaumc ; que les antiques lois restaient en vigueur, sauf les
d{n'o~/:tions qui seraient exprimées dans la Charte; que, parti-
culierement a la loi salique , jamais les Francais n'en avaient
micux connu le prix , qu'au moment oú le Roi se trouvait in-
vesti , conune législateur, du suprémc pouroir de concilier les
iutéréts de ses sujets : que l'intcntion du Iloi n'était pas qu'il
fút qucstion du principe successnrial , ni de la régence , ni de
tout ce qni te.iait al'ordre de succcssion ou de Iamillc.»


La position eles n:,'::1h:'ed de la conunisrion ne permettait pas
une discussiun Iihre ('~ ild('peadante dcvant la volonté du Itoi,
On passa done ~l la lccturc d ü l'examcn des trois premiers arti-
des: l'égalité des Francais devaut la loi , la contributíon pro-
portionnelle aux eharges, et I'admissihilité ü tous les emploís
puhlics : ils furent adoptes sans contcstation. Sur I'article h, rela-
tif ~l la liberté individuollo , quelqnes memhres rédam(jrent~;:




176 IUSTOIRE DE lA RESTAURATION.
maintien de la cornrnission sénatoriale de la liberté individuelle;
mais l'article de la constitution de l'Empire était tellcment vague,
le Séuat s'était montré si indifférent., que l'on préféra les dispo.-
sitions pureset simples de la Charte. L'artiele 5 était concu , dans
sa premiere rédaction , de cette maniere: « La roligioe catho-
lique , apostolique et romaine , est la religion de I'État. Néan-
moins, chacun professe sa religión avec une égale liberté, et
ohtient pour son culte une égale protection. \1 Lorsque 1\1. l'abbé
de ñlontesqniou eut lu cet article, JU. Boissy-d'Anglas prit la
parole; il exposa que, d'apres ces expressions, il résultait que
la liberté des cultes n'était qu'une exception , et la préséance du
culte catholique la regle. L'article fut done interverti : la liberté
des cultes fut posé e comme le principe , et la préséance du ca-
tholicisme ne devint que l'exception posée palo l'article qui prit
le n- 7. L'article 8, sur la liberté de la presse , donna lieu ~l une
controverse _plus vive encore; il était ainsi concu : «Les Fran-
cais ont le droit de publier et de faire imprimerleurs opinions ,
en se conformant aux lois qui doivent pl'él'cJnj' ou réprimer les
abus de cette liberté. \) ñlais, s'écria-t-on de toutes parts , la
liberté de la presse n'est point assurée , cal' la restriction la tue.
Alors M. de Fontanes montra tous les ahus de la liceuce et l'im-
possibilité pour un gouvernement de résister a cene grande
action de la pensée indépendante: « Pour moi , s''Ícria-t-il, je
déclare que je ne me regarderaí jamais libre ,la OU la presse le
sera.» 1\1. Boissy-d'Anglas répondit a ;\1. de Fontanes qu'il n'y
avait pas de gouvernement représentatif sans la liberté de la
presse, « Vous craignez la licence , dit un autre mernbre ! Pour
qui donne cette liberté, c'est changer une pique en une plumo;
et croyez-vous que ce ne soit rieu pour le Gcuveruemeut ? )) Sur
ces obscrvations , ·la majoritó décida que le mot pl'évCJi.ú' serait
eílacé de la Charte,


Les articles 9, 10 et 11, sur l'irrévocabilité de ventes des
hicns nationaux , sur la juste indenmité pour le sacrifico d'une
propriété particulíére et I'amnistie générale , ne dounerent Iiou
a aucune discussion, Sur l'article 12, on ajouta au pr~jrt C('S




CJHPnfiE Ir. 177
mots : «. La conscription est abolle v, qu'il ne contennit paso
L'article13, sur I'inviolabilité du Itoi et la responsabilité minis-
térielle , fut adopté sans coutestatíon , ainsi que le fameux ar-
tic1e 14; tant i1 est vrai que lors de sa rédaction on II 'y attachait
pas d'importance. On discuta longuement sur cet article : Le Roi
propose la loi. Et M. Vimar fit observerque dans la Constitution
anglaise chacun des memhres du Parlement pouvait proposer la
loi, et qu'il serait utile d'introduire cette faculté daos la Charle
francaise. L'ahhé de lUontesquion répondit : (f JI Ya de grands
dangers a donner l'initiative des lois ü tous les députés, Ou
en a vu l'inconvénient dans plusieurs de nos assemblées dé-
libéF¡ntes, et particulieremeut en 17R9. Le Roi a résolu de ne
pointse départir d'un droit ínhércnt a la Couronne et néccssairc
ala prespérité de son peuple. Ce n'est pas sans méditation qu'il
s'y estdetenuiné. n considere cette prérogative comrne un des
ñeurons de sa couronne. )


Leprojet de charte ne contenait aucune disposition sur la liste
civile. lU. Clanscl de Coussergues, citant les paroles de Guil-
laume JII, qui ne se crut véritablement roi que depuis que sa
liste chile avait été votée pour tout son régue , demanda qu'un
article de la Charte mcntionnát fonnellement une semhlable dis-
position. lU. le chancclicr fit ohserver que l'intcntion du Roi était
qu'on ne délibérát que sur les articles proposés en son nom ,
qu'il soumettrait aSa l\Iajesté la proposition de M. Clausel de
Coussergucs. Elle fut le Ieudemain adoptée par le Roi, et c1assée
parrni les dispositions de la Charte. Tous les articles relatifs ala
pairie, asa composition, a sesdroits, furent votés sans observa-
tions. On était convenu , dans la séance préliminaire , qu'on s'oc-
cuperait d'une loi électoralc , el qu'on en poserait les premiares
bases dans la Charte. te mode de renouvellcment par séries fut
préféré, M. Lainé insista beaucoup , en se fondant sur les heu-
reux résultats qu'avaient produits les élections sons l'Empire,
L'article du projet sur le ccns ~lectoral ne contenait d'abord que
trois cents [rones de contrdnuions [onciéres. On fitobserver que
les rnntrihutious personnolles et' mohiliorcs, ot tontes les autres




17R mSTOmE DE LA nEsTAtinATIO:\'.
contrihutions désígnées par cette cxpressíon dircrtcs , dcvaient
('galemrnt entrer dans le cens électoral, Cetto dcrniere exprés-
sion fut (1(·s lors préférée. La nécossité du vote annuol de l'im-
pM passa sans observation, ainsi que la responsabilité ministé-
riolle et l'inamovibilité des jnges, On supprima la proposition
qui déclarait revocables les jugos de paix; enfin on adopta le
dcrnior article de la Charte qui maintenait en viguour le Codeci-
vil ct toutes les lois qui n'étaicnt pas en oppositionavcc la Chane.
Ces délibérations sur des matiércs si importantes ne durércnt
quc cinq jours , du 22 au 27 mai , el encere trois jours furent
pris pour la seule fixation de l'initiative des lois. Ce ne fut pas,
¡\ proprcment parlcr, une discussion libre, fondee sur dos droits
cígílllX, soutcnus avec une iudépcndance égalcmcnt admisc , ('t par
un srrutin. Le chancolier el I'ahhé d(' ;\Jontc'sqnioll partirent d(' ce
point iuvariahlo qne la royauté donnait , rt qu'elle était ainsi
toujours maitrrssc <1e réglcr los courlitions de son bieníait, Tous
les artirlcs foudamentaux Iuront mis d(' prime ahord hors de
<[lH'SiíOIl. On ])( íut plus ('col1l(' qll(' ponr des ,u'u'ssoircs, des
3rlj('il'~; r('g]('lHtJllail'(·~';..\ chaque iuot , ;\ rhaqu« (1)jection,
'L <1.·\font('Stldioll vous parlait <1(';0; droirs dn lIoí, 'l . Dambrav
dlllH iurip« monarchiquc, ,1. F('ll'ilJHl de l'osprit dn Parlcment,
el '1. lleugnot <1(' la Constitution d(~ l'Empiro,


La déclarntion de Saint-Ouen avait convoqué le Sénat et le
Corps l('gislatif pour le 10 jnin, l ne ordonnance rapprocha le
tcrme au 1"1'; une autre le Iixa déflnitivement au !I. La commis-
sion avait fini son travail , ou, pour parlcr plus exactcmeut, le
chaucclicr était prét, Des lcttres closes de convocation avaient
{'Il' ('nvoyées; mais on rcmarqua qne les sénatcurs n'avaicnt pas
tous égalemcnt rocu ces Icttres. LouisX VI JI avait cxcepté un
graud nombre d'ótrangers (rlepuis la nouvelle déli'lllúmioll de
Ia Franre), les ardcnts répuhlicaius, quelques impérialistes el les
r(·gicides. Ainsi, ce n'était pas le ~(~nat qui était convoqué commc
corps politique , mais la majorité des sénateurs. Le Corps ](ígis-
latií ne fut pas non plus appe}(~ cornmc asscmblée constitution-
nellc. Cettc circonstancc excita quolqucs murmures, cal'




CHAPITRE Ir. 179
Louis XVIII avait promis , dans la déclaratiou de Saiut-Oucn ,
de couuuuniquer son travail au Séuat et au Corps Iégislarif L'as-
scmhlcc était nomhrcuse ; elle se tint au palais Bourhon, en pré-
scnce de -tous les diguitaircs , des séuateurs ct des députés,
Louis ,xVIII Yvint accompagué de sa Iamílle el de la cour; il Y
fUI recu avec cnthousiasmc, etlut, avee une voix solcnncllcment
éiuuc, un discours qu'il avait coruposé et écrit Iui-mémc, et dout
je reproduis quelques Iragiucnts : « )Iessieurs, lorsque, pour la
premiere Iois , je vicus dans cette euceintc m'cnvirouncr des
grands corps de l'Úat, des ropréseutauts d'une natiou qui nc
ccsse de me prodiguer les plus touchantcs marques de son
amour , jc me Iélicite d'étre devcnu le dispcusatcur (I(,S hicnfaiis
que la divino Provideucc daigne accorder amon peuplc. J'ai Iait
la paix avcc l'Autriche , la Itussie , l'Augletcrrc ct la Prusse , el,
dans cette paix , sont compris leurs alliés , e' est-a-dire tous les
princes de la ~lrétieut(·. La guerrc était universelle ; la réconci-
liation l' est égalcment. Le rang que la Frunce a toujours occupé
panul les nations n'a élé transféré aaucune autre, el lui de-
mcure sans partage. La gloire des années francaises n'a reru au-
cune attciutc : les ruonumcnrs de la valcur subsistcut , ct les
cheís-d'u.uvre des urts IWLlS apparticnuent désonuais par des
droits plus stablcs et plus sacres que ceux de la victoire. Les
routes de conunercc , si longtemps fcnuécs , vout étre libres; nos
manufactures vont reílcurir , nos, illes maritimes vont rcuaitre.
Un souveuir douloureux vient touteíois troubler ma joic. J'étais
né , je me Ilattais de res ter toute ma vil' le plus Iidele sujet du
mcillcur des rois , ct j'occupe aujourd'hui sa place! Jlais il revít
daus ce tcstament qu'il destiuait ~l l'instruetion de l'auguste ct
malhcurcux enfant auquel je devais succéder ! C'est les yeux
fixéssur cet immortel ouvrage , e' est pénétré des sentiments qui
le dictercnt, e' est guidé par l' cxpérieuce et secondé par les con-
scils de plusieurs d'entre vous, que j'ai rédigé la Charte consti-
tutionnclle, etc. »


Ce discours , comme tout ce qu'écrivaít Louis XVIII, était
plein de convenancc el de digllilé. Sur l'ordre du Itoi, l\I. Dam-




'ISO JlJSTUIHE hE LA Hl~STA(jIL\TION.
hray, d'une voix oflicicllc et posante, ajouta : « lUessieurs les Sé-
natcurs et Messieurs les Députés des départements , vous venez
d'euteudre les parolcs touchantes et lcs intentions paternelles de
Sa ~Iajesté; c'est h ses ministres avous faire les counuunications
importantes qui en sont la suite. Quel magnitique et touchant
spcctacle que celui d'un Iloi qui, pours'assurer de nos respects,
n'avait besoin que de ses vertus ! qui déploie I'appareil imposant
de la royauté pour apporter h son peuple épuisé par vingt-cinq
ans de malheurs , le hienfait si désiré d'une paix honorable, et
celui non moins précieux d'une ordonnancc de l'cfol'mation, par
laquelle il éteint tous les partis, comme il maintient tous les
droits! » A ce mot ordonnaucc de T(fonnation -' un long mur-
mure se fit entendre dans I'asscmblée. 1\1. le chancelier, sans
s'étonner , continua: « 11 s'est écoulé bien des années depuis
que la Providence appela notre monarque au trñne de ses peres,
A l' époql1e de son avénement , la France , égarée par de fausses
théories , divisée par l'esprit d'intrigue, aveuglée par de vaines
apparenccs de liberté, était dcvonue la prole de toutes les fac-
tions , comme le théátre de tous les exces , et se trouvait livrée
aux plus horribles convulsions de I'anarchie. te souffie de Dieu
a renversé ce colosse formidable de puissance qui pesait sur I'Eu-
rope entiére. En plciuc possession de ses droits héréditaires sur
ce beau royaume , le Hoi ne veut exercer l'autorité qu'il tient
de Dieu et de ses peres , qu'cn posant Iui-méme les bornes de
son pouvoir. Il ne veut étre que le chef supréme de la grande
famille dont il est le pére, e'cst Iui-méme qui víent donner aux
Francais une Charro constitutionnclle, appropríée aleurs désirs
couuue a leurs hesoins , et a la situation respective des .hommes
et des choses. Tel est , lUessicurs, l'esprit vraiment paternel dans
Icqucl a été rédigée cette grande Charte que le ltoi m'ordonne de
mettre sous les ycux de l'ancien Séuat et du dernier Corps légis-
latif. Si le premie)' de ces corps a pour ainsi di re cessé d'exister
avec 11 puissance qui l'avait établi ; si le second ne peut plus
avoir, sans I'antorisation du Iloi, que des pouvoirs incertains et
déja éxplrés paur plusicurs de ses séries , leurs membres n'en




CIJAPITRE Ir. 181
sont pas moins l'élite légale des notables du royaume. Aussi le
Roi les a-t-íl consultés en choisissant dans leur sein les membres
que leur confiance avait plus d'une fois signalés al'estime pu-
blique; il en a pour ainsi dire agrandi son conseil, et il doit a
leurs sages observations plusieurs additions utiles, plusieurs res-
trictions importantes. »


La fin de ce discours excita encore un sourd mécontentement.
Quoi ! le Sénat avaitcessé d'exister avec le Gouvernement impé-
rial, qu'il avait renversé au profit d'une Restauration ingrate?
Le Corps législatifn'avait plus, sans l'autorisation du Roi, que
des pouvoirsincertains? Ce n'étaient plus que des notables dont
LouisXVIII avait agrandi son conseil! Cesexpressions si en de-
hors d'un systeme constitutionnel produisirent le plus mauvais
eñet , et les hommes politiques se regarderent avec étonnement.
Ce fut alors que 1\I. Ferrand prit la Charte des mains de M. le
chancelier et la lut ahaute voix. Le préambule fut mal accueilli.
Le Roi n'y parlait que de la divine Providence, comme de la
cause active de la Restauration; il Y disait encore que l'au-
torité tout entiere résidait en Franco dans la personne du mo-
narque , et qu'il faisait volontairement octroi ases sujets d'une
charte coustitutionnclle, A parl les murmures qu'cxcitercnfces
malheurcuses expressions , la Charle fut trouvéo complete el en
harmonie avec les hesoins de la liberté el de la civilisation. Ce ne
fut poiut l'esprit de la Charte, mais la maniere dont elle était CU11-
cédée, qui firent naltre de l'opposition; cal' elle accordait les
grandes basesdu systéme social, la liberté de couscience, el cellc
de la presse, l'égalité devant la lui, le libre vote de l'impót , les
deux Chambres ; en un mot , ce que la révolution avait conquis,


La Chambre des Pairs , institution fondée par la uouvclle
Charte, devait remplaccr le Sénat en participant ~l la puissance
Jégislative. Sa composition était une chose fort importante; aussi,
apres avoir donné lecturc de la Charle, }I. Ferrand se hüta de
conununiquer une ordonnancc royale qui uouunait les nouvcaux
Pairs (\u. roy\\umc. 110m r(-vom\re au préatuhule de la Charle el
ace royal désir de renouer la chalue (les tcmps , l'ordonuaucc


L 16




182 IllSTOlHE DE JJA llE5TALRA'flON.
faisait d'ahord entrcr dans la Chambre haute tous les noms de
j'ancienne pairie , siégeant au Parlement de Paris , par ordre
d'érection , en commeucant par trois des six ancíens pairs
ecclésiastiques I l'archevéque de Reims (lU. de Périgord ) j
l'évéque de Langres (1\1. de la Luzerne), l'évéque comte de
Chálons-sur-ñlarne (1\1. de Clermont-Tonnerre). Voici dans
quel ordre originaire les Pairs étaient nommés: (1572 ) le duc
d'Uzes; (1582) le duc d'Elbmuf ; (1595) le duc de lUontba-
zon; (1599) le duc de la Trcmouillo ; (1619) le duc de Che-
vreuse; (1620) le duc de Brissac ; (1631) le duc de Richelieu;
(1652) le duc de Ilohan ; (1662) le duc de Luxembourg ; (1663)
le duc de Gramont ; (1663) le duc de 1\1ortemart; (1663) le
duc de Saint-Aignan ; ( 1663) le duc de ~ouiJlcs; (1665) le duc
d'Aumont ; (1710) le duc d'Harcourt; (1710) le duc de Fitz-
James; (1716) le duc de Brancas ; (1716) le duc de Yaleuti-
nois; (1736) le duc de Fleury ; (17 57) le .duc de Duras;
(1759) le duc de la Vauguyon: (1762) le duc de Prasliu;
(1770) le duc de I~a Ilochcfoucauld ; (177;)) le duc de Cler-
mont-Tonnerre; (1787) le duc de Choiseul; (1787) le duc de
Coigny, Ces siéges de pairies étaicnt done au nombre de vingt-
six , qui restaient sur les trente-six sióges de pairies au Parle-
ment; dix étaient éteintes. Le Iloi y ajouta le princc de Béné-
vent, onze ducs héréditaires qui n'étaient point pairs anciens.
Ce furent JH1. les ducs de Croy, de Broglie, de Laval-Moutmo-
rency, de Beaumont , de Lorgcs, de Croí-d' lIavré, de Polignac,
de Lévis , de l\1ailIé , de Snulx-Tavannes , de Laforce. Les ducs
abrevet qui furcnt nommés étaient : lUM. les ducs de Castries,
de Noailles, de Doudeauville , ]U. le priuce de Chalais , lU. le
duc de Sérent, Quatorze maréchaux de l'Empire , dout quatre
dt''ja séuateurs : Berthier, ñlacdonald , Ney, Suchet , Augcreau,
le comte de Couvion-Saint-Cyr, Jlarmollt, Oudinot , ~loncey,
ñíortier, Kcllennaun, Lefchvrc, Périguon ,SclTurier. Quatre-
vingt - ouze anciens sénateurs , enfin six oíliciers gt"lléraux
de l'ancien régime; ]u;\l. le comte de Yioménil , de Vau-
dreuil, le bailll de <':1'u8801 , le marquis d' lIarcourt, le




CflAPrrllr. Ir. 1.83
marquis de CIcrmont-GaIIf'rllIHle, le comte Charles do Da-
mas, Tous ces pairs étaient nommés a vie , quoique la Charte
réservát au TI oi la faculté de les créer héréditaires, lU. de ñlon-
tesquiou avait préféré s'en tenir aux formes de la Constitution
de l'ancien Sénat. De faitse trouvaient exclus de la Chamhre
des Pnirs : les sénateurs Chaptal , Roger- Ducos , Sieyes, Dubois-
Duhais, Garan de Coulon , Garat, Lambrechts , Rousseau, Chas-
set, Dyzez , Francols de Neufchñteau , Herwyn de Nevele ,
Journu , Auber, Lagrange , Villctard, Jacqueminot, Grégoire,
Demeunier, Fouché , Itoxlercr, Degregory-Marcorcngo, de Viry,
de Lannoy , Saint-ülartin de Lamotte , Saur , Iligal , cardinal
Fesch , Cambacérés, Ferino, Valence, Timbrune, de Cambiaso,
l<'allettc-Barol, d'Arcmbcrg, de 10¿:, Curée , de la Tour, Lejeas,
JUérode , Caselli, Corsini, Anguissola, Fossombríni , Venturi,
Carbonara, Cochon, de Laville, de Belderbusch , dc Guene-
heuo, de Schimelpennink , Zuylen van Nievelt, van Dcdem van
Golde!', van Depoll, .l\Ieerman van Dalem, Buonacorsi , Spada,
Ql1clques - UIIS n'appartenalent plus aux départements de la
France ; le roi Louis XVIH avait conservé (les répuguances pour
certains noms propres. ñl. de Tallcyrand en élimina d'autres ,
et ron compléta ceue liste d'cxclusion par les régicidcs. Ce tra-
vail fut fort rcuiarquable , paree qu'il fit ressortir les opinions et
les príncipes du roi Louis XVIII; en posaut la question générale
de I'exclusion des régicides , lU. de 'I'allcyrand demanda a Sa
lUajestós'il n'y aurait aUCUBe exccptiou pour ceux quiauraient
rcndu de signalés scrvices. Louis XVIII répondit : (( J' en ex-
cepterais plusieurs , s'il ne s'agissait que de moi , ne serait-ce
que ~nI. Camhacéres, Fouché et Sieyes, dont j'estime les ta-
lents, et dont je ne voudrais pas me priver ; mais que voulez-
vous ~ aucun homme de ma cour ne voudrait siéger avec eux , et
jc ne SU\S pas le maure. )) Louis XVlll ajouta' (le sa main , a la
liste, le comtede Volney, dont les príncipes antireligieux hles-
saicnt la conr; mais il nc voulut pas entcndre parler de iU. Fran-
cois de Neufchátcau. Cepcndant allait-on dépouiller les exclus
de Ieurs trnitcments , de leurs sénatoreries? Sur ce point, la ..
~}
,..:::
. .c,¡l_




184 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
Hestauration se montra largo et facile : une ordonnance priva
le Sénat, comme corps, de .toutes ses dotatíons , et les réunit a
la couronne, mais il conserva achaque ancien sénateur une
pension de 36000 francs réversibles pour 6 000 franes ¿l leurs
veuves. On voulut bien détruire le Sénat, mais on n'osa point
etre injuste.L'autorité royale avait fait son eoup d'État, elle
voulait en dorer les foudres! La nouvelle Chambre des Pairs
recut en dotation le palais du Luxembourg. Le comte Barthé-
lemy, vice-présideut du Sénat , et qui avait été un des.premiers
a valer la déchéance de l' empereur Napoléon , cut la vice-prési-
denee de la Chambre des Pairs: c'était un homme simple, con-
sciencieux. Les émigrés avaient gardé le souvenir de son ambas-
sade en Suisse, dans·laquelle il s'était montré fort partisan d'une
restauration monarchique. Louis XVIII s'était aussi souvenu
que lH. Barthélemy, dirccteur , avait été relegué a Sinamari
apres le 18 fructídor. l\l. de Sémonville obtint le titre de grand-
référendaire , emprunté aux officiers du palais sous la deuxieme
race. .1\1. de Sémonville , homme d'esprit , ancien ambassadeur,
et un de ces modeles de finesse ct de bon goüt dont lH. de Talley-
rand était la vivante image, simple de maniere, mais caustique ,
mordant , savait se plier avee bonheur, de facón ~l échappcr ü
tous les caprices de la fortune.


Le Corps législatif avait été plus ménagé que le Sénat conser-
vateur par les actes de la Restauration. Ce eorps avait acquis
une sorte de popularité par sa résistauce un peu tardive a Napo-
léon. Par la Charte nouvelle , ses prérogatives étaient méme
agrandies, Sous I'Empire , en eífet , le Sénat, d'aprés la consti-
tution, possédait toute la force constitutionnelle. Le Corps lé-
gislatif n'exercait qu'une puissance secondaire , que le droit de
sanetionner les fois de finances et de l'ordre civil. Tout ce qui
tenait aux délibérations politiques appartenait au Sénat.· D'apres
la Charte de 1814, le Corps législatif entrait dans le partage de
la puissance publique entiére ; il allait étre appelé, comme la
Chambre des Communes , en Angleterre, ü jouer un rule actif,
principal. La Chambre des Pairs, quoiquc placée en premiére




CHAPITRE IV. 1.85
ligue, n'était plus ce Sénat qui disposait d'une autorité presque
exclusive; on arrivait au systeme anglais dans lequel la force et
l'action du gouvernement vienncnt des Communes. D'un nutre
coté,on n'avait point procédé al'égard du Corps législatifpar des
('purations comme pour le Sénat. Un seul député ne fut pas con-
voqué ; il avait donné sa démission, fondée sur des antécédents
qu'il croyait incompatibles avec la Restauration. Tous les autres
membres avaient recu leurs lettres closes. Aussi la majorité du
Corpslégislatifaccueillit la Charte constitutionnelle avec les sen-
timents d'une vive reconnaissance, cal' la Charte fondait un vé-
ritahle gouvernement représentatif, appuyé sur la liberté de la
presse ,sur la publicité de ses débats. Elle rendait la langue aux
muets , comme le disait un homme d'csprit. Une autre orden-
nance conservait le traitement des députés pendant la durée de
leurs fonctions; on leur assurait encere la possession du palais
Bonrbon ' Deux questeurs chargés des affaires de la Chambre
étaient laissés au choix du Roí, sur une présentation de cinq
candidats.


En terminant la séance royale , le chancclier avait ordonné,
au nom de Sa lUajesté, aux deux Chambres, de se réunir afin
de se constituer. La Charnhre des Pairs se forma peu nornhreuse,
sous la présidence de ~I. le chaucelier. La premiere opération
dont elle s'occupa fut celle de l'adresse en réponse au discours
de la Couronne. Presque tous les séuateurs qui auraient pu
s'opposer a une adresse de complete adhésion ne faísaient plus
partie de la Chambre des Pairs. Il n'y eut done que quelques
observations de M. Lanjuinais : elle fut adoptée a l'unanimité,
« La grande Charte que Votre Majesté vient de faire publier, y
-disait-elle, consacre de nouveau l' antiqne príncipe constitutif de
mmonarchie fraucaíse, qui étahlit sur ce méme fondement, el
par un admirable accord , la puissance du Iloi et la liberté dn
peuplo, La forme que Votrc J\lajcsté a donnée a l'application de
eN inaltérable príncipe est un témoignage éclatant de sa profundo


I Itcndu au prince de Condé, el loué par le Couvernement f Iüüüüfr.




186 mSTOIRE DE LA RESTAUnATION.
sagesse et de son amour pour les Francais, » Dans cette adresse
insignifiante, a peine le mot de liberté était-il une seule fois
prononcé. On y répétait cette qualiñcation de grande Charte qui
avait fait le fond du discours de .1lI. le chancelier. Toutefois la
Chambre des Pairs évita l'expression oaroser, et lui substitua
celle de publier, ce qui était un terme moyen.


A la Chambre des Députés, la discussion de I'adresse éprouva
quelques difficultés daus les bureaux. La méme commission qui
avait Iait un rapport hostile sur les communicaüons l\ip\omati-
ques de l'cmpereur Napoléon au Corps législatif , fut désignée
pour rédiger l'adresse en réponse au discours du Trüne. Elle se
composait ainsi : 1\1;\1. J...ainé , Maine de Biran, Flaugergues ,
Ilaynouard , Gallois. C'était la fraction libéralc du Corps Mgis-
latif qui s'était réunie franchemeut h la Ilcstauration. Son tra-
vail , généralement goüté , respirait l'amour des institutions
libres. La commission s'abstenait égalcment de s'expliquer sur
l'expression octrosjer, qui devait former la hase de la discussion.
Cependant, la portion austero du Corps législati! (elle .sc rédui-
sait a10 ou 12 mcmbrcs) s'était séparée de la cornmission , et
plusieurs observations avaicnt été préscntées dans les burcaux,
1\J. Durbach, député de la Moselle, lut h quelques amis une opi-
nion (lU'il avait lW('parée sur ecuo grave qucstion. (( En qua\ité
de représentant de la nation, y disait-il , el comme citoyenfran-
cais, toujours fidele aux príncipes de la mouarchie constitution-
nelle que j'ai hautement professés jusqu'ici, je declare que c'est
avec une profonde douleur , avec d'incxprimables rcgrcts que
j'ai vu les ministres de Sa l\lajesté parvcnus ü -détcrmiuer le
Iloi a n'accorder h ses sujcts qu'une Charte uniquemcnt concé-
dce par son autorité, au lieu d'adoptel' ou d'acccptcl' une véri-
tahle constitution lihérale. Je conclus Ü ce que I'adresse ü pré-
senter ~\ Sa lUajesté se borne ü des Iélicitatíous généralcs , sans
faire mention ni de la forme, ni des dispositions de la Charle,
afín de ne pas nous interdirc la faculté de faire un jour , 1\ ce
sujet , nos trcs-rcspcotucuscs rcmouu-auccs ~\ Sa 3Ia,¡cslé. » Les
memhres de la commission , informes de l' opinion de ,1. 0111'-




CHAPITRE IV. 187
hach , craignirent le mauvais effet qu' elle pourrait produire ; ils
firent valoir de vicilles amitiés politiques , et demandercnt ¡l
l'honorablcdéputé de ne poiut émettre cette opinion, pour évíter
toute interprétatíon de la malveillance. iU. de 3Iontcsqniou donna
méme quelques explications sur le mot occ¡,oycr, formule qu'on
avait conscrvée comme un usage plutót que conune l' expression
d'un droit. M. Durbach consentit ü ne point porter la parole.
JIy avait alors, pour la Ilestauration, l'engouement qui suit les
premiers jours du triomphe d'une cause. L'opposition est alors
tiiuide, paree qu'ellc sait qu'cllc cst importune; mais avec le
temps elle grossit et devient souvent l'npinion publique. :\1. Dur-
hach uc se f1t l)oint enlemlre, mais son lliscours {ut \mprin.\6.
quelques jours aprcs et prorluisit un grand cífet au milieu des
opinions hostiles.


La promulgation de la Chartc , la séance royalc donnérent
lieu aune multitude de brochures et d'examens. tc(grands
chaugements politiques sont des époques d'écrits , de publi...
cations. Tous les esprits Iorts ou mediocres vicnnent s'essayer
sur les quesuons ;1 l'ordre du jour. Dans les mois de rnai et
juin VH!I , il fut publié plus de 200 brochurcs , sans compter
leshymnes et les ditiryramhes , les cantares sur le Iloi légisJateur,
lePriucc chcralier, l' AutigOllC [rancaisc, et la Bannierc des Lis.
Parmi ces puhlications quclques-uncs se disiinguérent , d 'au-
tres vinrcnt mort - nées. Apres les liccnces des premicrs jours
de la Restauration, les rcglcments de la libraire et de l'imprimerie
de l'Empirc furent mis en vigueur, Les journaux continuórent
11 étre censurés; les brochurcs seulement échapperent ¡\ ces me-
sures prohibitivcs, II ne fallait pas avoir une grande portéo dans
l'esprit pour comprcndre flue la puhlication de la Chartc allait
fairesurgir une polémique vive el décisive entre les deuxpartis,
qui voulaient cntralncr la Hcstauration dans leur sens, La Charte
mécontenta égalemcn;et les Iloyalistcs exclusiís, qui ne compre-
naicn t pas que la Ilcstauration prit une autre couleur que celle
d(~ rancien régimc , et lesLihéraux , qui pcnsaicnt que les Bour-
hons dcvaicnt puremout et simptemcnt se substitucr ¡\ la Révo-




188 mSTOInE DE LA RESTAURATION.
lution. le partí royaliste eut la palme pour la vivacité, et nous
osons dire , pour cet esprit de mot et de saiJlie qui le distingua
toujours, Dans les hrochures publiées contre la Charle on sou-
tenait que le roi Louis XVIII n'avait pas le droit d'aliéner l'au-
torité royale , qu'il avait recue en sa pJénitude et qu'il devait
transmettre ; on discutait un aun les articles de la Charte ; l' éga-
lité des droits était une idée révolutionnaire, la liberté des cultos
une' impiété , l'établissement des deux Chambres une de ces
nouveautés des temps modernes , qui perdaient la nation en la
livrant aux bavards ; le Gouvernemellt n'était pas possible avec
la liberté de la presse. la monarchie de 1788 avec des états de
provinces, la tolérance des protestants , des États - généraux a
de longs intervalles, voila la Constitution qui convient ala Franco.
A Paris, lUM. Bergasse et Delalot examinaicnt théoríquement
toutes ces questions. En province , 1\1. de VillCle, maire de Tou-
louse, faisaitplus encore ; il protestait contre la Charte et motivait
son refusde serment. Plusieurs membres de l'ancienne pairiemon-
traient des répugnances pour siéger a la nouvelle Chambre des
Pairs , attenduque la Charte n'avait pas rétabli le Parlcment de
Paris. Il circula mémedans lepublic une protestation desanciens
membres de ce Parlement contre la Coustitution nouvelle, qu'on
considérait conune une ordonnance illégale, paree qu'elle n'avait
pas été euregistrée en lit de justice. C'était une observation en-
rieuse ; mais ce qui l'était encore davantage, c'est que ~DI. Dam-
hray et Ferrand, parlementaires par excellence , n'étaient point
étrangers aces petites menées contre la Constitution, quoiqu'elle
eüt été octroyde el [amais. I1s espéraient que I'on reviendrait
peu a peu au régime autérieur aux États-généraux de 1789.


D'un autre coté, le partí lihéral auaquait la Charle par d'au-
tres principes, JI en discutait )'origine imparfaite et la c~nces­
sion illégaJe. Il niait qu'il püt cxister une Constitntion la OÚ il
n'y avait pas de contrat synallagrnatique , véritahlc convcution
entre le Roi el le peuple. Le discours de M. Durbach était dé-
vcloppé avec plus ou moins de talent par des écrivains du parti
1ibéral. tes publications imprudentes des Iloyalistcs favorisaient




f:HAPITRE IV. 189
les cornmentaires et les accusations, Ils en tíraient des conclu-
sions favorables a leur systéme ; ensuite, chaque article de la
Charte était discuté un a un. )ls trouvaient la prédominance du
catholicisme établie par l'artic1e 13 contraire a la liberté et a
l'égalité des cultes; ils considéraientles prérogatives de la Cou-
ronne cornme trop larges , puisque l'initiative était refusée aux
Chambres, et la liberté de la presse mal définie.


Si laposition de Louis XVIII envers la Franco était déj¿l sidéli-
cate, si difficile au milieu des partis agités, combien ne l'était-
elle pas davantage encore lorsqu'il s'agit de stipuler les intéréts
de la nation al'égard de l'étranger! Lessouverains étaient encere
aParis; l'empereur d' Autriche avait rcjoint ses alliés ; la meil-
leure harmonie paraissaitexister entre cux, et tous étaient animés
d'une égale estime pour Louis XVIII. Alexandre surtout visitait
souvent le Iloí, restait avec luí pendant plusícurs heures , jI est
certairr que l'empereur de Russie comptait sur l'alliance de la
Francedans les différendsqui pourraient s'élever sur le duché de
Varsovie. Dans ses idées d'avcnir , il considérait la prépondé-
rance russe snr le cabinet francais comme une heureuse combi-
naison pour maintenir son aseendant dans le midÍ de l'Europe
contre l'Angletcrre et I'Autriche. M. de Talleyrand l'cntretenait
dans cette conviction, avec peu de sincérité sans doute , mais
dans I'objet d'obtenir des conditions meilleures pour le traité
définitif. Quoique l'évacuation militaire cut commencé, la Frunce
était encere a la discrétion des alliés; on ne pouvait parler tres-
haut, ni agir surtout aprés les paroles ; cette position était par-
faitement scntie par Louis X VIII, et ríen ne pouvait aIléger la
peine qu'il en éprouvait. Les conférences des plénipotentiaires
devaient naturellement porter sur deux points : d'abord la fixa-
tiondes Irontieres de la France, ensuite l'établissement de l' équi-
libre général (lel'Europe, auquelle cabinet de Paris devait essen-
tieIlementprendre part. Ces négocíatíons avaient trouvé quelqucs
difficultés. Toutefois, le rétablíssement des Bourbons aplanit
bien des obstacles; cal' on pouvait partir de cette donnée pre-
U~:,


"":J, J




1. 90 HISTOIRE DE LA RESTAURATlON.
miére ~ l'ancíen territoire avec I'ancíenne dynastie. Dans leur
premiére réunion , les alliés étaicnt convenus de s'assurer de
certaines indemnités territoriales. Le traite de Tteplitz avait
arrété des stipulations qui confirmaicnt ala Russie, ~l la Prusse
et a l' Autriche une étendue de territoire au dela méme de leurs
limites, a l'époque OU elles étaient les plus éteudues , c'est-a-
dire en 1805. tes dispositions secretes du traité de Chaumont
n'avaient fait que consacrer le partage de la conquéte. Tout y
avait été réglé d'avance , l'institution du royaume des Pays-Bas,
la reconstruction de la Prussc sur une largo échelle ! la divi-
sion de I'Italie, la neutralité de la Suisse, tes Puissanccs con-
tractantes avaient elles-memes determinó, sans I'intervcntion de
la Frauce , le partage des torres qui devaicnt Nre cédées par
le traité de París en dehors des limites de 1792.


l\Iais le reglement définitif de ces intéréts diplomatiques avait
été renvoyé aun congres général OU les quatre grandes Puissanees,
I'Angleterre, l' Autríche, la Prusse et la Russie, assisteraicut. Vi
Franco ne devait d'abord y intervenir que comme Puissance dé-
sintéressée, Une fois son territoirc íixé , elle était mise immé-
diatement hors de cause, et Iaissait aux hautes Puissances le soin
de se pronoucer sur I'orgnuisation de l'Europc, Cependant ,
comme elle ne pouvait rester étrangere ades solutions de ques-
tions politiques qui touchaient ases frontieres et ason systeme
de défense , le plénipotentiaire fraucais Iut admis aux confércnccs
qui eurent pour objet le royaume des Pays-Bas , la Suisse, la
Confédération germanique et l'Italie. tes négociatours de ce
traité étaient , pour l'Angleterre, lord Castlereagh et le comte
d'Aberdeen, les plus ardents promoteurs de la ligue contre Na-
poléon; le vicomte de Cathcart et Charles Stewart leur avaient
été' adjoínts et devaient les suivre au congres de Yienne. lU. de
lUetternich représentait I'Autriche; le comte Stadion , qui avait
conclu le traité de Chaumont , était le second représentant de
l'empcrcur -Francois, Les plénipotcntiaircs de la Russie étaicnt
le comte Rasoumoski et le comte de Nessclrodo qui , bien qu'cn




CIJAPJTRE IV. 191
seconde ligne dans le traité , n'en était pas moins le principal né-
goeiateur. te priuce d'Hardenberg et 1\1. de Humboldt devaient
soutenir les droits de la Prusse.


Les négociations de Paris ébaucherent toutes les grandes ques-
tions diplomatiques sans en résoudre définitivement aueune. La
Frunce cut atraitcr avec toutes les Puissanees , et illui était im-
possible de prendre pour base aueun des traités conclus depuís
l'année 1792 , ui la paix de Lunéville , ni celle d'Amiens, ni les
traités de Prcsbourg ou de Tilsitt. La Franca y avait stipuléalors
sur une échelle de tcrritoire et d'iufluence plus large que celle
que les alliés voulaientIui rcconnaiue, Les premiares discussions
s'ouvrirent avec la Grande-Bretagne , .d'abord par l'organe de
lord Castlereagh , qui soutint l'uti possidctis , en se réservant
routes les colonies acquises; peu apeu elle se relácha , surtout
par rapport aux établisscments qui ne lui étaient point militaírc-
ment utiles. Elle conserva l'Ile-de-France , le cap de Bonne-
Espérance, Malte et Gibraltar; le protectorat de Hes Ioniennes,
en cédant quclques autres colonies qui désiraient la domination
francaise, et quelques comptoirs sans fortifications dans l'Inde :
telIcs furent le Sénégal et la ñlartinique , les stations isolées de
l'ile Bourbon et Pondichéry, Les eonfércnees avec la Ilussie ne
portercnt que sur un point , la rcconnaíssance sans observatious
de Yutipossidctis sur le grand-duché de Varsovie. lU. deTallej-
rand promit tout a l'empercur Alexaudre, s'obligcant asoute-
nir tes idées du Czar sur la Pologne. Quant a l' Autriche et ala
Prusse, les discussions s'engagercnt sur les frontiéres. On ne
traita pas encoró la questiou de la Saxe, qucstion qui devint si
vive et si importante au congres ; on établit seulemcnt que I'oc-
rupation militairc serait continuée par rapport ~l la Saxe. Quant
aux limites de la Franco , les bases furent adoptées avec assez de
~énérosité. On prit celIc du 1c r janvicr 1792, agrandie de quel-
[ucs fractions de tcrritoire.Lc cabinet francais , ~I son tour, re-
.ounaissait laConfédération gcnuaniquc, laneutralité de la Suisse,
.ur lcsquelles on se réservait de statuer définitivement.


Les bases ainsi posées , le 30 maí 1814, la rédaction du traité




'192 HISTOlHE DE LA HESTAURATIO~.
devint aisée. Le royaume de France conservant l'íntégrité de ses
limites, telles qu'elles cxistaient a l'époquc du 1er janvier i 792,
recevaít quelques cantons annexés aux départements des Arden-
nes, de la lUoselle, du Bas-Rhin , de rAin, et une partie de la
Savoie. On le maintenaitdans la possession d'Avignon, du comté
Venaissin et du comté de Montbéliard , avec les colonies que
nous avons déja indiquées; de plus la Suéde \ui cédait la Gua-
deloupe, et le Portugal la Guiane francaise, De soncñté , la
Franco confirmait la cession d'un tíers detous Ies -vaisseaux ,
matériaux de construction dans les places en dehors'de'ses fron-
tíéres , et la flotte du Texel. Les Puíssances réglaientensuite en-
tre elles les bases d'une organisation européenne, Ainsi la.Hol-
lande , placée sous la souveraincté de la maison d'Orange , de-
vait recevoir un accroissement de territoire non déterminé, On
créait une confédérationin dépendante pour les petits Étatsd'AI-
leinagne et pour la Suisse. L'Italíe, hors des pa'Ys -soutnisa-Ia
maison d' Autriche, devait former une réunion d'États souverains.
On stipulait un oubli des opinions et une renonciationreciproque
a toutes les sommes que la France ou les Gouvernements aHiés
pouvaicnt mutuellement se réclamer. Enfin on détcrminaitqu'un
congres se réunirait a Vienne pour décider les questions posees
par le traité de Paris, On a prétendu depuis que l'empereur Na-
poléou avait abdiqué pour IÍC point vouloir accéderace démem-
brement des limites naturelles. Le fait est inexact. J'ai déja dit
qu'il existe une note envoyée au congresde Chátillon par l'Empe-
reur, dans laqueIle des conditions plus dures sont acceptées, Il
y a lieu méme de croire que le gouvcrnemcnt des Bourbons
fut considéré par les alliés comme une garantie teIle, qu'ils se
relácherent de quelques-uncs des précautions qu'ils auraient im-
posees aNapoléon. Plus ou connaissait son activité et son génie,
plus les chaines auraient été pesantes; les alliés auraient appli-
qué a l'empereur des Francais le systéme qu'il avait lui-méme
appliqué a la Prusse , l'occupation militaire de ses íorteresses,


lUais rcster dans les oncietuies limites de 1792, lorsque IDUS
les .États étcudaient les leurs , étaít une positíon précaire el peu




CHAPlTHE 1v. 193
digne de la France, Quel róle allait jouer le Gouvernement Iran-
cais dans le congres qui aUait s'ouvrir ! Quelle somme de terri-
toire alJaient acquérir ses voisins ! Cet équilibrc de l'Europe ,
dont on parlait tant, n'allait-il pas étre rompu ~u profit de la
Russie , de la Prusse et de l'Autriche , des lors la Franco réduite
au róle de Puissanee de second ordre? On dut faire valoir ces
considérations sans doute , mais la chute de Napoléon avait
désorganisé l'armée Irancaise , le Gouvernement avait affaibli sa
force morale et d'opinion, les alliés oecupaient encore une par-
tie du territoire. Force fut bien d'en finir, et méme d'accor-
del', selon l'usage, de grosses gratifications aux ministres des
Puissanees. Le Trésor envoya quatre rescriptious, chaeune d'un
million de francs, alord Castlereagh, au comte Jletternieh, aux
eomtes Nesselrode el Hardenberg, sans compter les sommcs
de 5 a 600 mille franes qui furent données en gratíficatíons ~t
chacun des autresplénipotentiaires. La paix de Paris coüta en-
viron 8 millions ; elle fut accueillie avee satisfaction, paree que
la Franco était Jasse Re batailles; on la proclama dans les rues aux
ílambeaux la veille de la séance royale pour la promulgation de
la Charte,


Au mois de juillet 1814, la Famille royalo se trouva tout en-
tiere réunie a París. 1\1. le due d'Angouléme venait d'y arrivcr,
de retour de son voyage dansles provinces du lUidi , et lU. le duc
d'Orléans , Sur le point d'aller chcrcher sa famille a Palenue ,
n'avait point encore quitté la capitule. Tous les Bourbous se
trouvaient ainsi rcndus a la patrie. Louis XVIII avait d('ja repris
ses habitudes de cháteau , ses goüts d'étiquette et de pompe
royale, L'empcreur Napoléon avait laissé les Tuilcries dans un
état de somptuosité digne des magnificences de Yersailles. I..a
famlie des Bourbonshabita ce palais , qui reprit sa vieille déuo-
mínation féodalc de cluitcau. Ccpeudaut on travaillait avec tant
d'activité aVersailles depuis l'arrivée de M. le cornte d'Artois ,
que l'on pouvaitsoupconner que ce séjour a Paris n'érait que
provisoire , el qu'on se réservait un peu plus tard de revenir ¡t
l'aucien palais de Louis-Ie-Grand. Les goúts persounels de
. l. i 7




19lJ HISTOIRE DE LA RESTAURATION. .
l~~mis X"VUI étaient simples. n se levau en toute saisou a sept
heures 1 ; en s'éveillant, il sonnait 1 ou bien sa voix criarde et
grondeuse appelait son valet de chamhre. C'était chose diffícile
que de l'habiller; ses souffrances habituelles , la grosseur de son
corps rendaient ce travail long et pénihle, lUalheur au pauvre
Giraud, lorsque, malgré ses soins, i1 pressait un peu trop les
membres goutteux du Roi! Aussitñt un gros juron de reproche
retentissait au loin, et punissait le serviteur craintif. Une fois ha-
billé, le Roi entraít dans son cabiuet, lisait les journaux du matin.
Aneuf heures, le premíer gcutllhornmc de service, le ministrede
la maison et le premier écuyer venaicnt prcndre ses ordres,
C'était la qu'on lui contait les aventures de la nuit, qu'on lui
lisait les bulletins de poliee. A onze heures, la Famille royalo se
rendait dans son cabinet , et passaitavec lui dans la salledu dé-
jeüner : la table était ele trente couverts ; toutes les grandes
charges de la eour, les majors-généraux de la garde, les officiers
de la maison de service , avaient droit d'y assister, a tres-peu
d'exceptions pres"1; les ministres n'en jouissaicnt paso Le Roi ne
prenaitjamais qu'un ceuf frais et du thé. Apres le déjeuner, qui
durait une demi-heure , toutes les personnes de sa table suivaient
le Roi dans son cabinet, avcc la Famillc royale, jusqu'a quelqucs
minutes avant midi : deux ou trois saluts de tete les invitaient a
se retirer, La messe de tous les jours était un usage royalauquel
Louis XVIII ne manquait jamais , bien que ses croyances ne
fussent pas tres-ardentes, En sortant de la messe , lorsqu'il faisait
beau temps , le Roi paraissait au balcon , soit pour se faire saluer
par des acclamationspopulaires, soit pour voir défiler les troupes
de service réunies au Carrousel. Deux fois par scmaíne, le mer-
crcdi et le dimanche , il Y avait conseil. Chaqué ministre avait


I Louis XVIII avalt une pelile veilleuse auprés de son lit; lorsqu'clle
s'étoignalt dans la nuit, il s'évclllait en sursaut , et ne pouvait se ren-
dormir que lorsquc la veilleuse étalt rallurnée. .


2 On n'en cltait mérne qu'une seule , 1\1. le marquis de Brézé , grand-
maltre des cérérnonies , dont la charge n'étalt pas grande, quoiqu'il en
eilt le tltre,




CHAPITRE IY. 195
son jour fixe de travail. lU. de Blacas seul avaít ses entrées a
toute heure. Dans l'aprés-midi , I ..ouis XVIII sortait en caleche
découverte, tontes les fois que le temps le perrnettait, Ses courses
étaient ordinaírement de deux heures , mais toujours d'une ra-
pidité extreme, et il était raro que des reproches amers ne vins-
sent pas aiguillonner l'activité de son cochero « Va done ! s'écriaít-
il sans cesse , je ne te donne pas six mille franes ponr que tu
me condúise comme un fiacre. » Ceci tenait moins, eomme on
I'a prétendu, au 'régiuie que lui avait prescrit la Faculté, qu'á
une exactitude extreme dont se piquait le RoL Tout le monde
connait cet adage qu'il se plaisait arépéter sans cesse : « L'exac-
titude est la politesse des Rois. » Observateur sévére , quelque-
fois outré, de l'étiqucttc, un des traits saillants de son caractere
{ut (le ne permettre iu\l1u\S, autour de lui , qu'on oub1\a.t (~u'i1
était roi, LOllÍS XVIII passait quelques instants de la journée a
écrire deux ou trois billets ades personnes intimes, et plus sou-
vent a ses ministres de conñance : il y avait un art partículier,
Sa perite écriture était d'une netteté remarquable, et ses phrases
élégantes , souvcnt spírituelles et toujours correctes , étaient


aussi soignées qu'un Iivre : il faisait lui-mémc ses cnveloppes ,
cachetait ses hillets. Unjour M. Decazes, au temps de sa faveur,
lui demandait pourquoi il n'avait pas de secrétaire pour s'éviter
un soin aussi minutíeux ; le Roi lui répondit : « On voit bien
que 'Vous n'avez pas cncore l'expérience du gouverncmcnt re-
présentatif Un roi ne doit avoir d'autres secrétaires que ses
ministres: si j'avaís un secrétaire particulicr, il serait hientüt
plus puissant que 'Vous. » te Roi aimait a causer avCc les
hornmes distingués , et surtout a s'en faire écoutcr el applaudir.
Sa couvcrsation était esseutiellcment auecdoriqne , et, dans l'in-
timité, caustique et licentieuse ; ses études Iittéraires , ses rérni-
niscences de vers latins la rendaient agréable aux savants et dif-
ficile pour tous ccux qui n'avaient pas le honheur de posséder
Horace et Virgile. Louis XVIII, chose curieuse, avait toutes les
petites passions et les amours-propres des gens de lettres, et ,1
prit en grippe tel homme politique , paree qu'il faisait un peu




196 HISTOJRE DE r.A RESTAURATlON•.
mieux la phrase que lui, et qu'on parlait un peu plus du Genia
du Christianisme que de Panurqc ou du Voyage á Gand. Comme
honune d'État, Louis XVLII possédait une sagacité sévére , il
u'aimait pointle travail de portefeuiUe ni les détails de l'admi-
nistration; il préférait un premíer ministre de. confiance et des
résumés généraux de politique qui embrassent tout sous un seul
point de vue. Il affectionnait deux seules branches du travail
politique : la partie secrete des affaires étrangeres et la police.
Cela entrait encore dans cette hahiturlo d'anécdotes qui faisait
le délassemeIlt de sa vie. J'c1i tena dans les IllJÍl1S les lettres par-
ticnlieres de M. de Talleyrand au Roi, dnrant le congres de
Vienne; elles ne sont qu'uu recueil d'anccdotes auxquelles le
Roi avait ajouté de sa main quelques petits traits particuliers a
chaqué souverain ou achaque personnagc. Louis XVIII ne vou-
lait pointqu'on lui anuoncát de mauvaises nouvelles, « Pourquoí
me dire ce que je ne saurai que trop tót , disait-il sans cesse a
ses ministres de eonfiancc? JI Ya toujours assez de gens pour me
l:,'i apprendre. » Dans tout ce qui tenait ¿l la représentation ,
LO. is XVIII était admirable: jamais physionomie royale ne
s'éta.t mieux pliée a toutes les émotions de circonstance : la
honté , l'indignation, le courage, la dignité. Ses réponses aux
députations , aux hommages , étaient marquées au coin du bon
goüt, JI savait d'autant mieux dire , qu'il ealculait tous ses mots,
comme tous ses sentimeuts , et que , sous un air d'abandon , il
n'eut jamais d'abandon.'. En 181 li , il n'y eut pas un seul per-
sonnagepolitique qui eüt ase plaindre de Louis XVIII.


S. A. R. MONSIEUR, comte d'Artois , dCImis lit ccssoüon de


1 Une nnrcdolc assez curicusc I el f]lJi prouvc le pCI1 {j'aHrJJlion que
Louis XVIII prétaít a ces discours officicls de députarion , c'est qu'cn
lSI!i, 1\1. Deeazes , alors conseiller a la COUl' royale , íut chargé de
portcr la parole comme mernhre d'une députatlon d'une petite ville,
En iSlG 1 lors de sa plus grande faveur , il cut l'occaslon de demander
au Boi s'Il se souvenait de l'avoir HI : « 1\Ion Dieu ! non, mon enfunt ,
luí répondít le Roi; votre harangue pouvait étre helle , mais jo n'y ai
pris garde. ),




CHAPITRE IV. 197
la licutcnance-générale du royaume, avait pris peu de part aux
aílaires, Tres-souffrant , le eomte d'Artois s'était retiré aSaint-
Cloud, JI y avaiteu déja quelques froideursentre les deux fréres;
Louis XYIII ne lui pardonnait pas de s'étre emparé du gouver-
nement du royaume eomme lieutenant-général , saos en avoir
jamais recu le tirre du lloi; ¡UONSIEUR trouvait qu'on l'avait un
peu trop écarté du Gouvernement; il boudait aussi eontre la
Charte; se regardant eornme l'héritier présomptif de la cou-
ronne , il ne voulait pas concevoir cette aliénation a tout ja-
mais des prérogatives de l'ancienne monarchie. lUONSIEUR avait
un royalisme d'cffusion , sans aucun mólange d'idées eonstitu-
tíonnelles. Son entourage se cornposait de ces Royalistes d'élan
de zéle et d'honneur qui avaient cm la Restauration i. jamais
accomplie , paree qu'ils avaient promené daus Paris quelques
drapeaux blanes. Comme personne n'avait encorejuré la Charto ,
M. leeótnte d'Artois espérait qu'elle ne serait qu'une conces-
sion provisolre, et, ehose surprenante, S. A. R. voulait tenter
cctte restauration épurée par la garde nationale, et voila pour-
quoi elleavaitaccepté avec tant d'ardeur le titre de colonel-géné-
raI. Toute cetro décoration du Lis , tous ces syrnboles alors dis-
tribués aH'C profusion, cachaicnt un desscin secrct de s'appuyer
sur une force populaire , dans le but de s'emparer du pouvoir.
Tout fut mis en jeu dans le l\lidi et la Vendée a cet effcr.


l\l. le duc d' Angouléme arrivait des provinces méridionales ,
qu'il avait parcourues , et oú il était demeuré depuis son entrée
en France par les Pyrénées. Dans ses longues courses a l'étrau-
gel', S. A. n. n'avait acquís ni cette instruetion solide qui dis-
tinguait Louis XVIII, ni cctte gráce de manieres du comte d'Ar-
tois. Esprit csscutiellement limité, avec la consciencede la justice
et du bien, Iacilc ~. se laisser dominer par des affeetions ou une
idée fixe , S. A. n. croyait racheter cette absence de qualités
par une soumission ahsolue et chevaleresque aux volontés du
Roi, son onclet ou de son pere. Les peuples du ~Jidi avaient
salué le duc d'Angouléme par d'unanimes acclamations; mais le
soldat rcmarquait une ahsence complete de formes militaires;


,-
.:......'"


-c..


/'!
..




198 IJISTOIRE DE LA RESTAURATION.
les uommes graves1 UD .défaut j}'jnstr'l1ction et a'espl'it, et les
femmes , eette politessesans chaleur et sans vie ,qui indique
plutót l'usage d'un mondechaste et sévére, que ces émotions
d'intimité, ces habitudes d'abandon qu'elles aiment a retrou-
ver, meme chez ceux qui leur sont indiílérents, S. A. R. lUa-
(lame la duchesse d' Angouleme n'avait point quitté le Roi; ses
longs malheurs avaient attiré sur elle un attendrissement , U11
respect universels, Le Iloi aimait a.se montrer avec celle qu'il
appelait son Antigone. Au théátrc , toutes les allusions étaient
saisies. L'opéra d' OEdipe avait été repris, et dans un de ces
moments que Louis XVIII savait si bien saisir et quelquefois
si bien jouer, il avait serré Madame <.1' Angouleme dans ses bras,
aux applaudissements d'une salle au comble, Les journaux ne
tarissaient pas d'éloges sur Madame d'Angouléme , ange de
bonté, fiLLe de tant de rois , auguste »ictime, orpheline du
Temple ..' mais ceux qui approchaient de S. A. R. remarquaient
en elle une certaine dureté d'expression, un regard hautain,
que les Royalistes pouvaient prendre pour de la dignité, mais
qui jamais ne devaíent étre populaires. Lorsqu'on approchait
de S. A. R. avec ce sentimcnt mélancolique qu'inspire une
grande infortune, on était tout surpris de sa voix rauqnc et
de ce ton sec qui s'alliaient peu avec une émotion d'attendris-
semento Il faut ajouter que le peuple trouva souvent , dans un
regard , dans une parole imprudente, la conviction que S. A. R.
n'avait pu pardonner les malheurs qui l'avaient accablée.


JI a faUu toutcs les magiques couleurs d'un grand écrivain
et la fin tragique de JU. le due de Berri , pour jetcr quelquc
iutérét sur ce caractere, 1\1. le duc de Berri , hrave , loyal et
hrusque, voulait se faire l'homme de l'armée , et par une in-
concevahlc fatalité , ce fut , de tous les princes , eelui qui la
blessa le plus profondément, Napoléon , daus ses coleres mili-
taires , avait, a tres-peu d'cxceptions pres , respecté l'honncur
de l'officier; s'il n'avait pas toujours été juste dans ses gráccs
comme dans ses punitions , toutefois il s'était placé si haut que
le soldat \)anlonnait le granel capitaine; mais quel mañvais eí-




CHAPITRE IV. 199
fet devaít produíre un prince inconnu aux vieux soldats de
l\larengo et d'Austerlitz , qui ne comprenait pas toute la puis-
sanee morale -des épaulettes gagnées sur tant de champs de
bataille! Louis XVIII cherchait a réparer noblement les fautes
de son neveu; mais t malgré sa prodigieuse aetivité ,ses re-
vues , ses honneurs aux drapeaux , le duc de Berri devint
odieux a l'arméc et au parti bonapartiste, qui saisissait toutes
les fautes et augmentait eneore les griefs trop réels , en exa-
gérant les récits de ces scenes déplorables, 1\1. le duc de Berri,
homme d'arts et de plaisir, s'était tres-bien aeeommodé du ré-
gime constitutionnel qui lui perrnettait une vie facile de dis-
sipations, de petits soupers et de coulisses d'Opéra , avec son
vieil et compIaisant ami le comte de Nantouillet. I\I. de la Fé-
ronnays vivait dans une iutimité plus sériense avec 1\1. le duc
de Berri. S. A. R. ne se donnait pas la peine d'avoir une opi-
nion; elle était sans iufluence dans les alTaires.


1\'1. le duc d'Orléans était en Sicile, lorsque la Restauration
s'accomplit, Gendre du roi régnant , il Yavait obtenu une bello
situation. Plusieurs enfants Iui étaient nés, et l'on citait eomme
unexemplc de rnecurs et de bonheur domestiques, eette famille
tout ü fait en dchors de l'aetion politiqueo 1\ladame la du-
chesse douairiere d'Orléans , princesse vertueuse , si estimée de
Louis XVIII, et qui avait aidé a la réconciliatiou entre son flls
et la brancho ainée des Bourbons , vivait encoré. ñlademoisello
Adélalde d'Orléans , si ferme , si décidée , avait serví de guide
¿l son frere , et ne l'avait point abandonné , méme sous la tente.
1\1. le duc d'Orléans , apres les évónements de la Restauration,
vint débarquer 11 Marseille, traversa la France sans ostcntation,
et présenta ses honnnages ¿l Louis XVIII, qui l'accueillit avec
un sentiment d'ouhli et de hicnveillance. lU. le duc d'Orléans
ohtint de Sa !\lajesté, non-seulement de rentrer en France ,
mais encorela promesse d'une restitution complete de son riche
apanagc, Tous ces hienfaits , IU. le duc d'Orléans les recut avec
une reconnaissance religieuse,


LU. le príuce de Condé el le duc de Bourhon son fils , ces noms




200 mSTüIRE DE lA RESTAURATION.
auxqnels s'attachaicnt tant d'ilJustration et de gloire, n'échap-
paientpointa tous les ridiculcs de l'ancien régirne. M.Je prinee
de Condé, vieillard vénérable, était l'homme immobiJe au un-
lieu d'une société OU tout avait changé, Yivant en dehors de la
cour, il avait conservé les principes et les préventions de Co-
blentz etdel'émigration armée. Ainsi , il rnéprisaitLouis XVIII
paree qu'il n'avait été que du troisiemé ou quatrieme voyage
outre Rhin, et qu'il n'avait pas eu cette chaleur d'émigration
qui avait saisi la noblesse au 'llt. juillet '1789. 1\1. le prince de
Condé n'appelait Louis XVIII que du titre de 1'1. de Provence.
« M. de Provence , disait-il sans cesse , est un homme d'esprit ,
philosophe , mais faux eomme un jeton. » Louis XVIII connais-
sait les répugnances du prinee de Condé; il ne les Iui rendait
qu'avec mesure, paree que, disait-il spirituellcment : « J'ai be-
soin des trois générations de Condé ponr l'écJatde ma Maison,
comme M. de Chátcaubriaud , pour le eoloris de ses brochnres
royalistes. » M. le duc de Bourbon vivait avec son pere , et un
peu plus tard avec madarne la baronne de Feuchéres, Ses habi-
tudes étaient rudes, a la maniere des riches gentillatres; ses
journées commencaient par l'aboiement des chíens et fluissaient
par les fanfares des corso TeIle était la FamiJJe royale des Bour-
bons , sur lesquels la malignité parisienne pouvait s'exercer. Cos-
tu mes , habitudes, tout avait un caractere d'étrangeté , qui
d'abord excita la curiosité, puis les moqueríes populaires. Cette
cour, avec ses étiquettes de messe , d'offices , de salut , eette po-
pulation d'évéques , d'aumóniers qui sillonnaicnt en tous sens
les riches salons des Tuileries , OU l'aigle hrillait encore humí-
liée sous la modeste Ileur de lis, tout cela faisait naitre d'étranges
pensées, de tristes et singuliers rapprochements, Hans cette ca-
pitale de dissipation et d'indifférence religieuse , la cour cher-
chaita réchauffer le pieux enthousiasme de l'ancien régime.Les
processions de la Féte - Dieu lt l'extérieur, les ordrcs de police
pour tapisser le devant des maisons , pour joncher les 'rues de
íleurs; le renouvellement des cérémonies du vceu de Louis xnr ,
Iespreparatils du sacrificccxpiatoire sur la place Louis XV ,




CHAPlTRE IY. 20'1
tous ces spectacles , toutes ces émotions nouvelles excitaient
l'étonnement et souvent les rires malins d'une population ineré-
duIe etd'une génération railleuse,


Les départements u'avaient pas salué d'un égal enthousiasme
la restauration des Bourbons, Dans tout le 1\1idi, le retour de
J..ouis XVIII avait été une grande tete. De Bordeaux a lUarseiJJe
l'ivresse était a son comble; les couleurs de la monarchie des lis
étaicnt devenues l'embleme de l'espérance et du bonheur. Les
hahltants de ces contrées , qu'un ciel brülant pousse toujours
aux idées extremes, avaient insulté a la mauvaise fortune de Na-
poléon. Les jours du grand capitaine avaient été menacés, lors
de son passage aOrgon, par une populace furieuse. La Provence,
avec ses imaginations ardentes , était toute dévouée a la Restau-
ration. Dans I'Occitanie , le méme enthousiasme se produisait ,
quoique les protestants manifestassent des craintes sur l'intolé-
rance catholique. En quittant la Provence, s'avancant au nord,
vers la chaine des Alpes, les opinions perdaient de leur vivaeité,
Les départements des Hautes et Basses-Alpes, au milieu de leur
pauvreté et de leur montagnes, respiraient un grand amour pour
la liberté et lc scntimcnt de la gloire nationale, A Grenoble, le
drapean tricolore faisait hattre tous les cccurs, Lyon était mé-
langé; cctte ville devait en grande partie sa jeune et brillante
existence commerciale a Napoléon; la place Bellecour était pour
la dynastie des Bourbons. En remontant vers le Bourhonnais , a
travers la Bourgogne, on trouvait d'abord de l'indifférence, en-
suite de l'exaltation pour les souvenirs de l' Empire. A l'ouest, la
Bretagne, la Vendée , renfermaient les débris fumants des guerres
civiles, et puis , une population renouvelée, des acquéreurs de
biens nationaux dévoués a la Révolution. A l'est, une France bel-
liqueuse avait souffert de l'invasion des étrangers etde l'humilia-
tion du drapeau d' Austerlítz ; les départements du nord offraient
un mélange de sentimcnts de royalisme et de cette obéíssance
passive que l'Empire avait partout imprimée, Il fallait done une
grande prudence dans la direction des opinions diverses, pour
conduire la nouvelle administration. Il fallait se garder d'éveiller




200 mSTOIRE DE J,A RESTAURATlON.
auxqnels s'attachaient tant d'iIJustration et de gloire, n'échap-
paient 'pointá tous les ridicules de l'ancien régirnc, M. leprince
de Condé , vieillard vénérable , était l'homme iuuuobile au mt-
lieu d'une société OU tout avait ehangé.Vivant en dehors de la
cour , il avait conservé les príncipes et les préventions de Co-
blentz etdel'émigration armée. Ainsi , il méprisait Louis XVIII
paree qu'il n'avait été que du troisieme ou qllatrietne. voyage
outre Rhin, et qu'il n'avait pas eu eette chaleur d'éruigration
qui avait saisi la noblesse au '1lt juillet '1789. M. le prinee de
Condé u'appelait Louis XVIII que du titre de M. de Provence.
«( M. de Provence , disait-il sans cesse , est un homme d'esprit ,
philosophe, mais faux eomme un jeton. » Louis XVIII connais-
sait les répuguances du prinee de Condé : il He les lui rendaít
qu'avec mesure, paree que, disait-il spirituellement : « J'aí be-
soin des trois générations de Condé pour l'éclatde ma Maison ,
comme M. de Cháteaubriand , pour le coloris de ses brochures
royalistcs, » 1\1. le duc de Bourbon vivait arce son pere , et un
peu plus tard avec madame la baronne de Feucheres, Ses habi-
tudes étaient rudes , a la maniere des riches gentillátres, ses
journées cornmenraicnt par I'aboiement des ehiens et finissaient
par les fanfares des corso 'felle était la Famille royale des Bour-
bons, sur lesquels la malignité parisienne pouvait s'exercer, Cos-
tumes , habitudes, tout avait un caractere d'étrangeté , qui
d'abord excita la curiosité, puis les moqueries populaires. Cette
cour, avecses étiquettes de messe , d'offices, de salut , cette ])0-
pulation d'évéques , d'aumóniers qui slllonnaient en tous sens
les riches salons des Tuileries , OU l'aiglc brillait encore humi-
liée sous la modesto Ileur de lis, tout cela faisait naitre d'étranges
pensées, de tristes et singnliers rapprochements, Hans cette ca-
pitale de dissipation et d'indifíérencc religieuse , la cour eher-
chait a réchauífer le pieux enthousiasme de l'ancien régime. les
processions de la Féte - Dieu ~l l'extérieur , les ordres de pollee
pour tapisser le devant des maisons , pour joncher les 'rues de
Ileurs ; le renouvellement des cérémonies du V<r'U de Louis XI IJ ,
les préparatifs du sacrificc expiatoire sur la place' Louis XV,




CHAPlTRE IV. 20'1
tous ces spectacles , toutes ces émotions nouvelles excitaient
l'étonnement ct souvent les rires malins d'une population ineré-
du/e etd'uue géllératiOJl rsilleuse.


Les départements n'avaient pas salué d'un égal enthousiasme
la restauration des Bourbons, Dans tout le Midi, le retour de
LouisXVIII avait été une grande rete. De Bordeaux a Marseille
l'ivresse était a son comble; les couleurs de la monarchie des lis
étaient devenues l'embleme de l'espérance et du bonheur. Les
habitants de ccs contrées , qu'un ciel brülant pousse toujours
aux idées extremes, avaient insulté ala mauvaise fortune de Na-
poléon, Les jours du grand capitaine avaient été menacés, lors
de sonpassage aOrgon, par une populace furieuso, La Provencc,
avec ses imaginations ardentes , était toute dévouée a la Restau-
ration. Dans l'Occitanie, le méme enthousiasme se produisait ,
quoique les protestants manifestassent des craintes sur l'intolé-
rance catholique. En quittant la Provence , s'avancant au nord,
vers la chainedes Alpes, les opinions perdaient de leur vivacité,
Lesdépartements des Hautes et Basses-Alpes, au milicu de leur
pauvreté et de leur montagnes, respiraient un grand amour pour
la liberté et le scntiment de la gloire nationale. A Grenoble, le
drapeau tricolore faisait hattre tous les creurs, Lyon était mé-
Jangé; cette ville devait en grande partie sa jeune ct brillante
existence commerciale a Napoléon; la 'place Bellecour était pour
la dynastie des Bourbons. En remontant vers le Bourbonnais, a
travers la Bourgognc, on trouvait d'abord de I'indifférence, en-
suite de l'exaltation pour les souvenirs de l' Empire. Al'ouest, la
Bretagnc, la Vendée, renfermaient les débris fumants des guerres
civiles, et puis, une population renouvelée, des acquéreurs de
biensnationaux dévoués ala Révolution, Al'est, une France bel-
liqueuse avait souffert de l'invasion des étrangers etde l'humilia-
tion du drapeau d'Austerlitz ; les départements du nord offraient
un mélange de sentiments de royalisme ct de cette obéissance
passive cIue l'Empire avait partout imprimée. Il fallait done une
grande prudence dans la direction des opinions diverses, pour
conduire la nouvelle administration. 11 Iallait se garder d'éveiller




202 mSTOIRE DE LA llES1'AURATION. .
les SOUp~OIlS sur le retour des formes de l'ancien régime aux-
quelles trop d'intéréts se trouvaient opposés, arréter l'exagération
royaliste, l'enthousiasme irréfléchi des populations, faire renaitre
la confiance , réparer les malheurs de l'invasion , et régler sur
tous les points l'administration publique; ainsi était la tache des
commissaires extraordinaires, Presque tous resterent au-dessous
de leur mission. Les uns, anciens agents royalistes , n'oubliéreut
pas. assez leur vieille quaJité, et firent dans les départements tout
simplement de la contre-révolution. Comme ils possédaient la
plénitude de l'autorité, ils changeaient les préfets , les íonction-
naires, et les remplacaient par des RoyaJistes incapables ou usés,
Les autres, qui appartenaient au régime de l'Empire, semblaient
vouloir faire oublier par un zeleoutré leur dévouement ü Napo-
léon. Les meilleurs esprits parmi eux , l\I, Gilhert-Dcsvoisins,
par exemple, neo parlaieIlt daIlS leurs pl'Oc1amations que de pa-
noche blanc..de notre sainte reliqion, et n'avaientdans la bouche
que les mots dont le parti royaliste se servait alors contre la
eonstitution. Depuis , quelques-uns on dit qu'ils avaient recu l\
ce sujet des instructions spéciales , d'ahord de 1\1. Beugnot, puis
de l\I. l'abbé de ñlontesquiou. D'ailleurs, ríen n' était difficile
comme leur position : a mesure qu'ils arrivaient dans un dépar-
tement, et c'est ce qu'on voit toujours achaque changement de
systeme , ils étaient entourés par une foule de délateurs exaltés
qui dénoncaient le bonapartismo de tel fonctionnaire , le répu-
blicanismcde -tel autre. Tous ceux qui tcnaient des places lucra-
tives avaient fait des IWl'TCW'S sous la République et l'Empírc,
Ceux qui demandaient a les remplacer avaient tous servi dansla
Vendée,- sous lUlU. de Scépeaux ou de Bourmont, Si l'on n'osait
toucher aux hautes fonctions militaires, on s'en dédommageait
sur les grands et petits Ionctionnaíres dans l'ordre administratif ,
l'inquisition s'étendait jusqu'aux bureaux de tabac et aux gardes
champétres. N'est-ce pas la plaic de tous les systemes nouveaux!


Les commissaires extraordinaires n'empéchaient que faible-
ment les causes d'agitation dans les provinees., cal' la plupart
étaient portés par intérét et par habitude a. favoriser la noblessc




CHAPlTRE IV. ~O3.
et le clergé. Comment t en effet, demander a lU. Jules de Poli-
gnac de s'opposera leurs prétentions? comment confier en ses
mains la mission de repousser l'ancien régime? D'autres vou-
laient gagner leurs éperons a la nouvelle Bestauration ! Au total,
la présence des commissaires oxtraordinaíres fit beaucoup 'de
mal et ne produisit que peu de bien. Elle désorganisa l' adminis- ,
tration impériale, sans en créer une nouvelle, forteet proteo-
trice. Voici ce qu'était l'organisatiou politique et militaire des
départements : Il y avait des gouverneurs-généraux de divisions
militaires, des comrnandants prís presque tous dans I'ancienne
armée; ils disposaient des forces publiques. La magistraturc
avait été moditiée ; beaucoup de préfets avaient été changés. Les
places intérieures avaient été livrées au royalisme cupide, do
sorte que la force armée, la disposition des troupes., rcstaient
aux généraux de l'Empire avcc lcurs souvenirs de Napoléon ,
tandis qu'une administration incapable , en créant des mécon-
tentements, favorisait les projets des agitateurs.


C'est dans ces circonstances véritablement difficiles que le mi-
nistere se présenta devant les deux Chambres avec les travaux
qu'il devait oflrir a leur discussion. Leurs éléments avaient peu
changé depuis le vote des adresses. Dans la Chambre des Paírs ,
la majorité appartenait numériqucment a l'ancien Sénat, mais
ce Sénat offrait lui-méme tant de nuances! La plupart des an-
ciens sénateurs n'avaient pas perdu leurs habitudes. Les uns
agissaient par un simple culte du pouvoir ; tels étaient les comtes
Fontaues , Laplacc , Pastoret; les autres étaient mus par des
scntiments plus intéressés, Une vingtaine de sénateurs s'étaient
réfugiés dans une opposition légale et constitutionnelle, et on re ..
trouvait sur sesbancs MM. Boissy-d'Anglas, Lanjuinais, Destutt
de Tracy, Dedelay-d'Agier,ceux enfin qui n'avaient point adoré
l'Empire;d'autres encore , tcls que l\DI. de Ségur, Abrial t
Marbois, Garniel', sans professer ni l'opinion indépendante de
l'opposition constitutionnellc , ni l'enthousiasme de 1\'1. de Fon-
tanes , se permettaient une sorte de controle législatif qui n'al-
lait pas jusqu'au -refus de suñrage, Les ancíens ducs etpaírs




20ú m5'fOlRE DE LA H.ESTAUHATlO~.
assistaie1lt pCU sux sésuces. Quclques-ullS n'evsieut pas mémc
encore prété serment : ilsétaient conduits parlcmcntairemeut par
M~l. les ducs de la Vaugnyon, de Lévis et de Brancas, qui pre-
naicnt la parole dans presque toutes les discussions , et entretc-
tenaieut la Chambre de Ieur parlage élégant, Des douze maré-
chaux paírs , le duc de Taronte seul avait acquis quelque in-
íluence. En résumé, la plus haute direction de la Chamb..e ap-
partenait, parmi les Pairs , a M. de Talleyrand , aqui laplupart
deváient leur pairie.


La Chambre des Députés était composée des mémes person-
nages que le Corps législatií, mais de son role muet et passif elle
étaitpasséc a l'éclatante publicité de la tribune, Il n'est point
étonnant que des hommes habitués a res scrutins secrets, aces
adoptions tout d'une piéce des projets du Gouvernement impé-
rial , jetés tout acoup sur le terrain d'une discussion parlemen-
taire, y apportassent une grande médiocrité de vueset de ta-
lents. Toutefois, la session de 181ft ne fut pas aussipále qu'on
aurait dü s'y attendre , et il s'y développa une forte opposition.
Au milieu de cctteconfusion qui nait toujours des grands chan-
gcments politiques , on nc pouvait classcr encoró les opinions
avec toute précision de coulcur , en distinguait déja un coté
droit. Il se composait d'abord de ce qu'on pouvait appeler l'école
de :'1. de Fontanes, qui avait voué i\ la Restauration un culte
d'ohéissancc aveugle; puis , des hommes personnellement dé-
voués aux Bourhons , el qui avaient salué de cceur leur retour;
enfin les ministériels, Le Gouvernement pouvait compter sur
cet ensemble de votes; il composait la majorité. C'cst en partant
de ce centre, et en descendant vers la gauchc , que se placaient
en se fractionnant encore par nuances, les députés libéraux. A
I'extrérnité de gauche étaicnt MM. Dumolard , Bedoch , Dur-,
bach , Flaugergues , Souques , Lefcuc-Gineau, ardents amis du
systeme constitutionnel , et qui cherchaieut a fonder queIque
chose qui püt ressembler a l'opposition anglaisc : 1\1. Dumolard,
lJ la psrole [acije et bavarde , msis risant trop .1 I'etlet ; Bcdoch ,
homme calme, de consciente ct de probité ; Durhach , esprit




CHÁPJTRE tv, 205
mide et inflcxmle, qui le preraier avait osé protester centre l'oc,
troí de la Charle; Flaugergues et Souques , de la vieille opposi-
tion du COt'pS législatií; Lefevre-Gineau , tete a príncipes aus-
ti-res, Tels étaient les hommes de l'extréme gauche de la
Chambre des Députés. L'opinion (le M. Raynouard s'en sépa-
rait par une légere nuance; elle avait plus franchement adopté
le changement politique de la Bestauration , et s'y abandonnait
saos arríere-pensée et sans regret. On y comptait des hommes
sages , de talents remarquables, MM. Maine de Biran , Gallois.
lU. Ilaynouard n'avait pas une parole agréable ni facile; un ac-
cent méridional prononcé , une voix criarde et sans grñce, le
rendaient tres-pon propre ala tribune , mais il apportait des tra-
vaux consciencieux, de longues recherchos, et son opinion avait
une grande influence. Une derniere nuauce constitutionnelle,
représentée par MM. Lainé el Sylvestre de Sacy, avait voué
un attachement sincere auxBourbons , un culte de cceur
a la Restauration. M. Lainé voulait la monarchie représenta-
tive ; il aimait la Iibertéavec ardeur; mais l'amour des Bour-
bons, la crainte d'embarrasser leur gouvernement naissant , et
vérirablcment alors aux prises avec des difficultés réelles , le re-
tenaient dans une expression timide de.ses sentiments, Il voulait,
avant tout, la consolidation de l'ordre existant , et il craignait
qu'une opposition trop vive ne troublát cette <:EUHe si difficile.
JI cherchait a faire entendre des conseils , mais il n'osait s'oppo-
ser aux projets,


Telle était la constitution des deux pouvoirs devant lesquels
le miuistere allait agir. te Conseil se divisa les travaux parle-
mentaircs , et voulut , comme en Angleterre, crécr deux grandes
in8uences dans les Chambres. LU. de Talleyrand se réserva les
Pairs, 1\1. l'abhé de lUontesquiou prit la Chambre des Députés,
1\1. de Blacas convint de ne paraitre aux discussions que pour
les atfairesde la maisou du Roi; elles allaient étre nombreuses
daus la session , cal' il fallait régler la Liste eivile, les dcttes du
Iloi aI'étranger. l\l. Louis stipula cxpressément qu'ilne se char-
gerait que des finances, Afin de soulager un peu le Cabinet, et


l. 18




206 IIISTOIRE DE LA RESTAUBATION.
conserver les habitudes de l'Empire , le Conseil désigna deux
ministres d'.État, ;,\11\1. Fcrrand et Beugnot, pour soutenirses pro-
jets aux Chambres. Ces choix ne pouvaient étre plus mal faits.
M. Ferrand, l'homme le moins propre aux discussions par-
lementaires, avait une espéce de cultc pour le pouvoir pa-
triarcal de la royauté, une phraséologie ennemie de la révolu-
tion, un malheureux penchant adogmatiser, Nous avons dit ce
qu'était M. Beugnot, el l'on peut juger' si a la Chambre des
Députés , surtout avee des tribunes publiques, les deux com-
missaires du Roi devaient eommettre des maladresses, Les pre-
miéres discussions qui s'ouvrireut dans les deux Chambres fu...
rent a l'oecasion du réglement. Il fallait, en eífet , établir les
rapports des pouvoírs polítiques entre eux et l'ordre intérieur
des assemblées, Les partisans de la prérogative royal e préten-
daient que le reglement ne devait étre l'objet que d'une ordon-
nance. Le ruinistére sedécida, sur des observations sérieuses, ale
présenter en forme de projet aux Chambres. Aux pairs, la <lis-
cussion du réglement commenca le 16 juin, douze jours apres
la eonstitution de la Chambre, Les premiers articles relatifs ala
police intérieure furent adoptés sans difficultés, Le douzieme
était singuliéremcnt rédígé : « Les Pairs peuvcnt siégcr en ha-
bit francais, mais jamais ils ne paraitront a la Chamhre en habit
négligé, ) Sur l'observation de M~I. Boissy-d'Anglas et Lanjui-
nais, il fut supprimé; mais, excepté. sur cet article si futile,
aucune observation grave ne fut faite. Dans la compositiou de
ses hureaux , la Chambra des Pairs montra un esprit fort mo-
déré, 1\1. Lebrun. présida le premier bureau, il était de Ia cou-
leur de 1\1. de Ségur ; le général Dejean le second bureau, les
Constitutionnels l'avaient porté. 1\1. Barthélemy présida le troi-
sieme , c'était une déférence pour sa qualité de vice-président;
le maréchal ñlacdonald le quatrieme , c'était le parti militaire;
et enfin la vieille pairie avait obtenu la présidence des cinquiéme
et sixiéme bureaux, en faisant passer 1\11\1. de Lévis et de la
Vauguyon.


Dans la Chambra des Députés , les débats étaient plus séríeux,




CHAPITRE IV. 207
sansavoir encore cette importance que l'habitude des discussions
devait lcur imprimer. Les suffrages pour la présidence se por-
terent sur MM. Lainé, Raynouard, Gallois, Félix Faulcon et
Flaugergues, les membres de la commission proscrite par Na-
poléon. La présidence fut déférée aM. Lainé, l'HI. Dupont de
l'Eure, Vigneron, Fornier de Saint-Laryet Poiféré de Cére ob-
tinrent les suffrages pour la vice-présidence, Ils appartenaient
aux diverses couleurs constitutionnelles ou ministérielles qui
composaient la Chamhre..Le 29 juin , M. de l\Iontesquiou pré-
senta aux députés le réglement déja adopté par la Chambre des
Pairs. Le méme jour, lU. Delorme fit la proposition de fixer la
Liste civile du Iloi, « Cal' il est a craindre, dit-il, qu'une noble
répugnance fasse retarder longtemps cette régularisation deve-
nue nécessaire; l'Assemblée constituantc prit l'initiative, hátons-
nous de la provoquer nous-mémes, » On vota cette liste civile
d'enthousiasme; alors, 1\1. Dumolard développa une autrc pro-
position, tendante a ce que le Corps législatif prit le titre de
Parlement de France. « Cherchons un mot, disait-il , qui exprime
la dénomination et la nature de' nos pouvoirs , un nom qui dise
ala natíou conune aux deux Chambres, que, dans tous leurs
rapports , les pairs et les députés agiront a la fois en hommes
libres et en sujets Iideles; prenons le titre anglais de Parlement
national : ce titre se rattache au herceau de la monarchie sous
les deux premieres races, lorsque les Francs de toutes les classes
étaient assemblés en Parlement. »


1\1. Durbach demanda, dans les séances du lendemain, que
la Chambre exprimát le vceu 10 • qu'aucun ministre ni autre
agent du pouvoir exécutif n'eüt le droit d'exercer la censure sur
les ouvrages avant leur publication; 2°. que le décret du 5 fé-
Hiel' 1810 Iút déclaré aholi par la Charte. « On chicane , dit-
il, les auteurs, sur le style, sur les prétendues allusions, on les
décourage , on les désespere, on leur indique des changements
qui dérangent toute la suite de leurs ídécs. Il ne faut pas le dis-
simuler, le directeur-général de la police s'arroge le droit de
faire des reglements qui jettent l'alarme daos la société; nous




208 HlSTOIRE DE J,A RESTAURATION.
en avons , certes, une preuve bien palpable sous les yeux. N'est-
ce pas le direeteur-général de la police quí , en contradietion
avec des lois positives, a ordonné des processions publiques?
n'est-ce pas lui qui a ordónné la 'suspension forcée de toutes les
parties du travail des 'retes et dimanehes? » Des npplaudíssements
partirent des tribúnes; une vive émotion se communíqua dans
plusieurs parties de l'assemhlée, Appuyé! Appuyé! s'écria-t-on
de toutes parts. L'impression ! l'impression! Les deux proposi-
tions furent également rejetées. Le ministere resta victorieux ,
mais l'opposition commenca adevenir populaire; elle eut du re-
tentissement au dehors. M. Dumolard , orateur infatigable, pro-
posa que « le Roi füt humblement suppliéd'ordonnera ses mi-
nistres de mettre sous les yeux de la Chamhre le tableaude la
situation du royaume, » lUais alors les ministres se hátaient de
préparer les communications aux deux Chamhres i les tri-
bunes étaient plus remplies et plus bruyantes {fU'fl'f"ordinah'e;
l\J. Bouvier entretenait la Chambre d'un projet de loi qui
trouvait au dehors peu de sympathies , sur l'ohservation des
fétes et dimanehes, lorsque ~DI. de lUontesquiou ,de Blacas,
Ferrand et Beugnot annoncerent que le Roi les avait char-
gés d'une communication a la Chambre. Le bruit círeulait
que c'était un projet de loi sur la presse; on en connaissait
vaguement les dispositions, « Il Iaut consacrer la liberté de
la presse, dit M. de Montesquiou , de maniere a la rendre
utile et durable. Cette liberté , si souvent proclamée en Frunce
depuis vingt-cinq ans, y est toujours devenue elle-mérne son
plus grand ennemi, Esclavo de l'opinion qu'eIle n'a pas eu le
temps de former , elle a prété ala licence toutes ses forres , et
n'a jamais pu trouver par elíe-méme de moyens suffisants de dé-
fense et de liberté. La loi que je vais vous présenter a surtout
pour objet d'arréter la publieation de ces líbelles que leur mince
volume permet de répandre avec profusión; 'etqui sont propres
a troubler immédiatcment la tranquillité publique. Tout écrit
de plus de trcnt,e feuilles d'impressionpourra étre pnblíé libre-
ment ~ et sansexamende censure \1réalahte,Hen sera de meme~




CIIAPITHE Ir. 209
quc1 que soit le nombre de feuillos , des écrits en langues martes
et en langues étrangóres , des ruaudements , .lettrcs pastorales,
catéchismes et livres de priercs , des 3lémoircs sur proces sigues
d'un avocar, » Toutes les nuances eonstitutionnelles de la Cham-
bre écoutérent, avee un mécontentement marqué, la Iecrure du
projet miuistériel, Quelques honnnes timides de la fraction
Lainé se résiguerent ades amendements pour no pas créer des
difficultés a la Hestauration el au ruinistere, ;\1. Jlavnouard,




rapporteur, dans un travail sérieux et réfléchi , mais au-dcssous
de ce qui a été écrit depuis sur la mem~ matiere , conclut au
rejet du projet, « Sous le rt'gne de nos Rois, dit-il , quoique la
liberté de la presse ne füt pas proclamée , une juste tolérance y
souffrait la publication d'écrits qu'cüt repoussés la sévérité de la
censure. En 1788, le Parlcmcnt de París sollicita la liberté de
la presse , sauf ü répondre des écrits répréheusibles, Louis-le-
Désiré l'a promise dans la déclaration du 2 mai; la liberté de la
presse est le palladium de la liberté individuclle et de la CItarte,
et le moyenle plus sür d'assuror la responsabillté des ministres,
quí sans elle esr illusoire. »


On en était déjü aux époques passionnées. Ce rapport circula
commc une grande el populaire protcstatiou ; on s'cn lit une
arme centre le pouvoir : les partís sont si hábiles ¿I }(IS saisir ton-
tes. La discussion s'ouvrit le ;) aoút, M. Fleury , membre de la
minorité de la commission , soutint le projet du Couvernement :
<t Eh quoi! dit-il , on imaginerait de soustraire h la vigilance de
la police des écrivains qui ont des moyens si dangereux de trou-
hler la tranquillité publique! On doit arréter le poignard de l'as-
sassin, la coupe de I'cmpoisonneur , 11 torehe de I'inccndiaire ,
et il ne sera pas penuis de prevenir la puhlicatiou d'un écrit qui
va porter la désolation sous le toit d'un citoyen , qui V1 flétrir
l'honneur.de sa femme, de sa Iille , qui va détruire b respcct
dú h un Couvernement ! Q(Ji done profiterait de cette liberté de
tout dire? Serait-ce le Uoi? Si c'est lui qui doit trouver , dans
les pamphlets ct dans 1~s journaux , d'utiles vérités , je plaius
vraimeut Sa Majesté d'Nre ohligt,l' de les lire : je plains encere


V",(.fj. L ..!!~ <",.......0.Q
; .~





210 HISTüIRE DE LA RESTAURATIüN•.
plus la France , si c'est la qu'on doit trouver les éléments de la
politiqueo - La liberté de la presse , répondit lU. Gallois,
consacrée depuis vingt-cinq ans, proscrite danslesderniers temps
par un acte fameux du pouvoir arbitraire , doit étre rétablic. sons
un Gouvernement rappelé par la volonté nationale. -Vous vous
trompez sur le projet, dit lU. Thuault; il veut, par une censure
mitigée , vous garantir des pamphlets qui ont inondé la France
en 1789 , 1790 et 1791 , et qu'on a vus demierement rcparai-
treo - La Charte accorde la liberté de la presse, ajoutíllU. Dur-
bach. Cctte liberté est imcompatible avec la- censure préalable,
-. Ajournons, ajournons, s'écria lU. Goulard, cette liberté de
la presse , qui peut compromettre le bonheur de la patrie. »


« Et pourquoi? répondit ñl. Dumolard. Autant aurait valu
dire : on ne publiera , on ne dira rien en Franco que par ordre.
On vous a parlé d'un jury qui réparera les torts de la censure.
Francais , laisserez-vous couvrir la statue de la liberté d'un voile
funébre ? »


Cette discussion devenait fort vive. Le Gouvcrnement avait
manreuvré pour s'assurer de la majorité; il y était parvenu par
des expédients de diverso nature; iI avait tout a fait gagné
une grande partie de la nuance constitutionnelle de lU. Lainé,
Les deux fractions Raynouard et Dumolard restaient done iso-
lées et réduites a leurs propres forces. Pendant six jours cette
discussion vive et sérieuse se prolongea. lU. de l\Iontesquiou prit
cnfin la parole : « Proclamons-le avec vérité , dit ce ministre, la
censure est importante aux bonnes lettres. La censure devint
importune a Bome, lorsque les mreurs se corrompirent. De
meme lorsque les lettres se corrompent, OH He veut plus de
censeurs littéraires, Non, je ne craindrai pas d'en appcler au
rapporteur lui-mñme. Je lui dcmanderai s'il cst utile de laisser
un champ libre aux mauvais écrivains , a ceux qui ignorent les
premiers principes; enfin si ce n'est pas apres de longues mé-
ditations, apres des études laborieuses qu'il a pu produire ses
excelIents écrits. La censure, dlt-on , détruit la liberté de la
presse, Détruisez-vous la liberté de la parole paree que vous




CHAPITRE rr, 211
mettez un termo ~l la licence du théátre ? Nous vous deman-
dons, lUessieurs, de voter selon votre conscience, et d'exami-
ner en véritables législateurs ce que demandent la tranquillité
publique, la süreté des familles et votre propre reposo Lorsqu'on
vous dit que la liberté de la presse n'a pas contribué anos mal-
heurs, on oublie la cause de nos calamités. Que l'on se rappelle
que l\I. l'archevéque de Sens, en invitant au nom du Roi la to-
talité des écrivains apublier leurs opinions sur les États-géné-
raux, ce fut le signal de la discorde et de l'anarchíe. » Le scru-
tin produisit a peu prés le résultat qu'on attendait. Sur deux
cent díx-sept votants, cent trente-sept adoptérent la loi, et
quatre-vingts la rejeterent, lUinorité remarquable, si l'on fait
attention qu'elle s'attachaitaun gouvernement nouveau! L'effet
produit par cette discussion fut trés-malheureux au dehors de la
Chambra Toutes les passions parlementaires s'étaient animées ,
et dans tous les salons deParis on ne parlait que des débats de
la tribune. La France avait échangé les bulletins de l'Empire
contre les bulletins du Parlement.


A la Chambra des Pairs, la loi fut portée quelques jours
apreso Déja plusicurs discussions avaicnt eu lieu, et les majori-
tés s'étaient essayées l. I\I. de Lévis , a l' occasion d'une pétition
des colons de Saint-Domingue , avait rappelé toutes les mer-
veilles de cette immense colonie avant la rébellion des esclaves ,
et demandé un emprunt de 15 millions pour la reprise des pos-
sessions de la colonie. I\I. de la Vauguyon soutint que la Franco
ne devait pas avoir de colouics. I\I. de Ségur appuya la proposi-
tion du duc de Lévis, qui fut prise en considération. Le second
objet en discussion fut le projet de loi sur les lettres de natura-
lisation pour les individus qui faisaicnt partie des départements
séparés du royaume. 1..e moyen était impolitique : soumettre


I On ne trouve dans aucun des procés-verbaux le nom des orateurs
de la Chambre des Pairs, l'usage n'étunt pas de les citer; cependant le
minístére de t8J!l en avait fail préparer pour Louis XVIII un excm-
plaire partlculier, oú les noms se trouvaleut iJ. la maln , afin que le Roi
put [uger les hommes et leur opln'on, J'cn suls déposltalre,




212 HISTüIRE DE I.A RESTAURATIÜN.
l\lasséna, Verrhuel, toutes .ces gloires si francalses , si natio-
nales al'obligation de se faire uaturaliser, e'était blesser toutes
les sympathies publiques. Cependauta la Chambre des Pairs , le
projet souffrit peu de contradictíous, Il s'éleva une question inci-
dente. M. de l\larbois dit : « En examinant le projet de Ioí , j'y
remarque les formes, non d'une simple' proposltionqui , pour
devenir loi, a besoin de 1'adoption des deux Chartlbres ~ mais
d'un acte émané de la volonté seule du Roí. Nulle part le con-
cours des Chambres n'est indiqué. » MM. Bolssy-d'Anglas.Tíe-
delay-d'Agier et de Tracy appuyercnt M. de Marbois. « Lá dis-
cussion qui s'est établie , s'écria M. le chancelier Dambray, ne
tend a rien moins qu'a contester au Roi le droit d'intituler en
son nom les lois de l'État, et vous ne pouvez le vouloir, » A la
lecture du projet sur la prohibition du travail pendant les fétes
et dimanches, M. de Brissac se leva. « Vous voulez, dit-il , faire
intervenir la puissance législative dans la police des cnltes, Ton-
jours elle a été réglée par la puissance royale; le réglement du
direeteur de la poliee suffit; déja le culte s'cxerce avecplus de
pompeo Les citoyens reviennent avcc ernpressemcnt aux sentí-
ments qu'ils avaieut abandonnés ; et París, sous le rapport de
l'observation des Iétes et dímanches , oílre déjá une réritable
amélioratiou. - Les lois sur le euIte, répondit ~I. de Lanjui-
naís , n'ont pas, et ne peuvent avoir un autre caractere que les
lois ordinaires, » L'opposition commenca a se déclarer d'une
maniere forte et a pen pres avee les mémes nuanees qu'a la
Chambre des Députés , en discutant-la loi sur la pressc, M. Cor-
nudet, premier orateur inserit contre ee projet, dit: « Il n'ap-
partient pas plus au Roi qu'aux Chamhres de révoquer direete-
ment ou indirectement les conccssíons faites par la Charte con-
stitutionnelle. La liberté de la presse y est écritc, _.- Rien ne
s'oppose dans la Chartc , répondit M. de Doudeauville , aux me-
.dificaticns apportées a l'exercice de la liberté de la presse, Ré-
primer, dit-on, n'est pas prévenir. l\Jais eelui qui réprime ses
passions, en prévient les exces, el ne détruit pas les passions
elles-mémes. - La question est décidée par la Constimtion ,




CHAPITRE ¡Y. 2'13
s'écría lU. Boissy-d'Anglas, Elle a prononcé , et nous avons tOU8
juré de lui étre fldélcs, Il est impossible d'admettrc des loiscon...
traires alaConstítution. - On craint , s'écria JU. de Vauban,
de porte!' atteinte a la liberté de la presse , mais a-t-on oublié
les maux qu'elle a produits? Vingt-cinq ans de malheurs sont-
ilsdéja effacés de votre souvenir ?On croit le volean éteint , quand
il n'est peut-etre qu'assoupi, Quel beau siecle que celni de
Louis XIV! et n'était-il pas sous le régime'de la censurela plus
rigeureuse l - Ce projet , ajouta 1\1. de Ségur, ne présente
qu'une suspension momcntanéc des droits étáblis par la Charte
constitutionneIle. Pouvez-vous rcfuser au Roí la premiere Joi
qu'ilvous propose , et qu'il croit nécessaire? - Il He s'agit pas,
répondit 1\1. de lUallerille, de suspendre quelque temps la liberté
de la presse. Le préambule du projet et la discussion qui a eu
lieu ala Chambre des Députés , prouvent qu'on a voulu faire de
cesdispositions le complémentéterne1 de l'article 8 de la Charte. »
La Chamhre des Pairs entendit encore , pour le projet ,. MM. de
la Vauguyon, de Brissac et Saint-Vallier; et coritre le projet ,
MU. de Lanjuinais , de Traey et Dedelay-d'Agíer, « Je demande,
s'écria le dernicr de ces Pairs, la question préalahle , eomme
sur-aete nul et contraire , tant au íond que dans la forme, h la
Chane constitutionnelle. » Le Ioyal iUaedonald soutint qu 'il ne
pensait pas que la Constitution permit aux pairs qui l'ont jurée
d'adoptcr une 10i cntieremcnt contraire aux príncipes qu'elle
consacre, « L'article est douteux , répliqua le général Clarke ; et
lorsqu'il s'agit d'interprétcr , u'est-il pas naturel de remonter a
l'originedu pouvoirqui a donué la Charte ". Cette discussion vive,
animée , quí se prolongeaplusde quinze jours, cut plusieurs ré-
sultats, el particulieremcnt la suppression' du préambnle de la
loL{)'était une manie de lU. Ferraud et de l'abhé de :'\IOlltcs-
quiou, de coudrc atoutes les lois de lougucs préfaces , dont les
expressions monarchiqucs rappelaicnt le style des ancienues 01'-
donnances. Et en quoi ces préambules pouvaient-ils étre néces-
'5í\\Y\',~ 1 L~~ \\)\'ill\\~ S\\\\t \,\\~ (,ks couuuontaires ; elles w'cscrivent
el ne dissertent paso ' ,




214 msroms DE LA RESTAURATION•.


Dans la Chambre desDéputés, les déhats s'étaient alors engagés
sur des questions financieres. Au commencement de la' session ,
lU. de lUontesquiou, sur la demande de la Chambre, avait pré-
senté le tableau de la situation du royaume. Cetexposé était moins
un document sur la position actuelle du pays qu'une satire mal-
adroite et forcée de l'administration de l'Empire, une sorte d'é-
légie sur toutes les institutions de l'ancien régime, sur les royales
fondations que la Révolution avait détruites, lU. deñlontesquiou
eífraya la'Chamhre en lui décrivant , par des chíffres, les déplo-
rables consommations d'hommes qu'avait faites Napoléon depuis
1812 : le ministre faisait ici de l'histoire. l\Iais lorsqu'il parlades
préjudices portés aI'industrie et al'agriculture par la Révolution,
lorsqu'il ne vit rien de grand et de beau que dans les siécles de
LouisXIV et de Louis XV, la Chambre et le pays durent s'étonner
d'un langage si étrange et si nouveau. Cet exposé de la situation
précéda la préseutation du budget, qui cut lieu le 22 juillet par
lU. Lonis, ministre des finances. Ceprojet comprenait trois points
essentiels : fixerle service des recettes et dépenses de 1814; pour-
voir a l'exercice de 1815; liquider enfin l'arriéré. Le chiífre des
services, seulement pour le premicr trimestre de 1814, avait
dépassé les recettes de 240000000; la dépcnse pour 1814
était évaluée a 827 h15 000 fr. Les reccttes ne devaicnt pas
dépasser 520000 000. Il en résultait , par conséquent , un dé-
ficit de 307415000 fr., que l'on placait dans l'arriéré, Le
budget de 1815 était évalué , en rccettes , a 6'18000000;
les dépenses régulieres a 545700000 fr. L'ancien arriéré s'é-
levait , suivant le ministre, a 1 308000000, sur lesqucls on
déduisait 244000000, provenant du domaine extraordinaire et
305000000 de cautionnements non exigibles, qui le réduisait
~l 759000000, au paicment desqucls le ministre proposait
d'affecter d'abord l'excédant du hudgct de 1815, la vente de
300000 hectares de foréts , enfin une émission de rentes qu'on
devait offrir aux créanciers , s'iIs n'aímaient mieux opter
pour des bons du Trésor, payables a3 années , a 8 pour 100,
avec faculté d'escompter. Le ministre terminait en exposant ,




CHAPlTRE IV. 215
la théorie d'un amortissernent régulier, C'était pour la premiare
fois qu'on avait analysé sincérement la situation des finances,
pour entrer dans un systcme de crédit teI que l'Angleterrc
l'avait concu , avec une dotation spécialc pour)a caissc d'amor-
tissement, Lcprojet de lU. Louis fut généralement approuvé.
1\1. Delorme , chargé du rapport, demanda que, pour mettre un
termo a l'arriéré, le ministre ne püt dépasser le crédit qui lui
était accordé , a moins d'une ordonnance du Roi, qui serait
soumise aux Chambres, L'intérét de 8 pour 100 pour les enga-
gements du Trésor fut le seulobjet de controverscdans la Cham-
breo Quelques orateurs s'éleverent contre les fournisseurs,
sangsues des Gouvernements et du pcuple. En résumé , la
Chamhre adopta cette grande doctrine d'économíe politique ,
que la fidélité aux anciens engagements est la premiere condi-
tion du crédit publico


lU. de Talleyrand exposa avec une netteté également remar-
quable le projet du hudget ala Charnbre des Pairs : « Il faut en
convenir, dit-il, le Gouvernement a bien peu usé en France de
la pnissance de la fidélité a' ses engagements; et acct égard, il
faut moins accuser les hommes que la nature mérne des choses,
Cal' la théoric d'un crédit régulier et constant ne peut étre éta-
hlie que sous un gouvernemeut représcntatif et constitué , tel
que celui 'dont la munificence du Iloi nous fait jouir pour la
prcuiiere fois. L'établissement d'un fonds d'amortisscment tire
son utilité, sa force, de sa permanence et de son immutabilité,
La loi qui l'aura créé doit étre inviolable. Un seul changement
dans ses affectations en ferait perdre tout le fruit. Cal', d'apres
les lois de l'accumulation, c'est le temps, la continuité, la persi-
stance, qui produisent les résultats prodigieux que la science
seule des nombres semble pouvoir expliquer. » Deux projets se
liaient encore au systeme de finances : c'étaient la fixation de la
Liste civile et le paiement des dettes du Roi a l'étranger, La
Chamhre prévint toute proposition royale avec un haut scnti-
ment de délicatesse et de convenancc. JI n'y cut sur ce point
ni oppositíon ni majorité ministériellc. Il s'agissait du Iloí , et la




216 1l1S'fOlBE hE L\ HES'i'AllUTlOI\.
Chambre vota par acclamation une tiste civile de 22000 (lOO
ronr Louis X VIII el tia famiJJe, el 30000000 POUI' les deues
a l'ctranger , sans comptcr les revcnus des foréts el les jouis-
sanees des palais et cháteaux royaux. L'opposition constitution-
neúe vouiut id 111on\1'e1' que la personue du l\oi Nait en t1c\101's
de toutes les díscussions , et l'autorité royale fut l'objet d'un
culte public a la tribune.


Le 13 septembre, la Chambre des Députés fut réunie extra-
ordinairemcnt, Le but de la convocation était une communica-
tiou du Gouvernement, dcpuis longtemps annoncée et relativo
a la remiso aux émigrés des hiens non vendus, Ce projet, sans
étre populaire , n'eüt pas éprouvé cepcndaut de vives opposi-
tions, cal' on pouvait I'étahlir sur des príncipes Jargcs, invo-
quer l'odieux des confiscations , le ferme désir de maintenir les
ventes consommées. l\lais devait-on se dissimuler qu'il se ratta-
chait h une question de feu , laquelle pouvait alarmer le quart
des propriétaires de France? II Iallaitdonc {me rédaction habile,
une défense plus hahile encoré. Tout fut confié ~\ l'homme le plus
incapablc de mesurc , a ;U. Fcrrand , chez qui la prétention des
phrases monarrhiqucs était la passion dominante. 1\131. de ñlon-
tesquiou et Louis gar<1i'rent un róle sccondaire, « Lorsque apres
avoir essllyé les tourmentes d'une révolution dont l'histoire
n'offrc pas d'cxornples , s'écria ~1. Ferrand , une grande nation
revicut eufiu dans le port d'un Gouvernement sage et paternel ,
le bonheur général qu'elle éprouve peut encere étre , pendant
longtemps, entremélé de malheurs individuels. Un des inconvé-
nients trop souvcnt attachés aux lois qui remplacent les lois
révolutionuaircs, c'est qu'clles ne peuvent avoir l'unique et pure
cmpreinte d'une óquité rigide et absolue. lJéja le Roí , par son
ordonnanc« du 21 aoüt , vient rassurer l'état civil de la portion
de ses snjets désignés sous le nom d'émigrés, Il est bien reconnu
qu'en s'éloignont de leur patrie, tant de hons et fideles Francais
u' avaieutjamais (,H ]' intention de s'eu séparer que pussagerement ;
[etés sur des rives érraugercs , ils pleuraient sur les calamirés
ele la patrie, qu'ils se ílattaicnt tcujours de revoir, A force de




CIIAPITRE IV. 217
malheurs et d'agitations , tous se trouvent au méme point, tous
y sont arrivés , les uns en suivant une ligue droite sans jamáis
en dévier, les autres en parcourant plus ou moins les phases
révolutionnaires au milieu desquelles ils se sont trouvés, C'est
dans cet esprit que la loi a été rédigée. Elle commence par
maintenir tout ce qui a été fait d'aprés les lois sur l'émigration
jusqu'a la Charte constitutionnelle. L'art. 2 restitue tous les
biens actuellement non vendus et faisant partie du domaine.
L'art. 3 ne donne aucune restitution des fruits percus , mais il
assure aux anciens propriétaires les termes de paiement non
encore échus , pour des ventes antérieurement faites. L'art, 4.
étend la restitution sur les hiens qui, ayant été vendus ou cédés,
se trouveraient depuis réunis au domaine. L'art. 5 prévoit le
cas oü un acquéreur , évincé pour non paiement de la totalité
du prix , en aurait cependant payé une portion au domaine.
Toutes ..les rentes purement foncieres dont le Gouvernement
n'aurait pas disposé seront comprises dans la restitution; il en
sera de méme pour les actions de la navigation; le surplus de la
Ioi regle la marche asuivre pour la restitution. »


Au fond, ce projet était équitahle , la Restauration ne pouvait
garderles hiens confisqués par le Gouvernement révolutionnaire,
mais était-il habile d'établir qu'il y avait eu deux nations ?CeHe
des émigrés seuls avait suivi la ligue droite ; l'autre, qui était
la France , s'était égarée. On faisait espérer aux émigrés un
sort meilleur , en termes vagues, de maniere ¿l réveillcr toutes
les craintcs sans satisfaire aucun intérét. M. Bédoch , chargé
du rapport , s'en acquitta avec une vivacité de paroles re-
marquable : « Il est , dit - il, de l'intérét de la patrie et du
Roi de reudre a l' opinión la confiance que ce discours lui a
enlevée.» 1\1. Bédoch concluait au retranchement du mot
Restinuion, quí supposait un acte de droit , et de lui substituer :
Projet de {Di relau] aux bicus non rcndus des cniiqrés ; dans
tous les articles du projet de loi, le mot rCJU!J·é devait remplacer
celui de restituer. 1\1. Bédochvoulait aiusi env isagcr la loi comme
Un acte de pure bicuíaisancc, ñcstauer.. au contrairc , suppo-


l. 1.9




218 msroms DE LA RESTAURArlO1.\".
sait qu'on ne faisait que remettre ee qui avait toujours appar-
tenu aux émigrés.


C'est au milieu de la plus vive agitation que la diseussion s'ou-
vrit. Les diseours roulérent plus sur les motifs de lU. Ferrand
que surle projet de loi. « Aprés de longues révolutions , s'écria
1U. Dumolard , prétendre rétahlir ce qui fut et détruire ce qui
est, serait tenter l'impossible et n'ohtenir que des convulsions
nouvelles. Un hon Roi s'éléve au-dessus de ses souvenirs et de
ses affeetions personnelles; sa providenee plane sur tous; il dit
a ceux que Ieur dévouement ¿l sa personne éloigna de leurs
foyers: Vous acez bien nuJJ'itc de 11Ioi; et aeeux qu'un dévoue-
ment d'un autre genre retint sur le sol natal, qui protégerent
ses frontiéres de leur sang et les eouvrirent de leur gloire: Vous
avez bien l1u!J·ité du Royawne,. et le Royaume et le Iloi n'ont plus
qu'un méme intérét.. - (1 Pourquoi ne pas adopter, répliqua
lU. d'Astorg, la méme mesure qui fut prise en l'an V, lors de
la restitution des hiens des condamnés7 On indemnisa tous
ceux aqui leurs propriétés ne pouvaient étre rendues en nature.
- Le projet de loi, répondit 1\1. Durbach , viole les lois fonda-
mentales de l'État : il est injuste dans son application , funeste
dans ses conséquences, nuisible aux intéréts eomme au crédit
de l' État. - Quand je vois, dit lU. le duc d'Estissac , avee
quelle réserve , aveequelle prudence quelques personnes accueil-
lent ees moyens, avcc quclle inquiétude elles semblent eraindre
qu'on ne répare trop d'injustices, je suis tenté de leur deman-
del' si elles veulent faire l'apologie de la Révolution.» QU'OIl se
reporte a181h, acette époque oú la Ilestauration , jcune encere
et a peine établie , inspirait tant de méfianees; qu'on examine
l'état des esprits , la divergence des opinions; et qu'on juge
l'impression profonde que devaient faire de tels débats au milieu
de cette population d'acquéreurs de biens nationaux. La loi
amendée par la commission passa dans la Chamhre ala majorité
de 168 voix contre 23. Une grande partie de l'opposition con-
stitutionnelle vota pour le projct amendé. Il n'y eut que l'opi-
nlon extreme représentée par l\ll\1. Durhach et Labbey de




CHAPITRE IY. 21. 9
Pompiéres , qui rejeta d'une maniere absolue le projet du Gou-
vernemcnt.


A la Chambre des Pairs , ce projet excita un incideut re-
marquable. 1\1. le maréchal l\Iaedouald développa une propo-
sitiou tendante a créer uu fonds de rentes pour payer l'intérét
des biens vendus aux anciens propriétaires, et les sommes
néccssaires pour acquitter les dotations de l'armée qui n'excé-
daient pas les sommes de 500 a2000 franes. Le maréehal déve-


loppa sa proposition en termes nobles et élevés, ce Oui, sans
doute , disait-il , plusieurs millions d'acquéreurs de biens natio-
naux sont inquiets de la direction que quelques individus cher-
ehent adonner a l'opinion publique, el l'on s'est réjoui de leurs
alarmes, comme si elles devaient amener des abandons volon-
taires ! On s'est bercé du chimérique espoir quedes craiutes ,
habilementjetées dans les esprits , obtieudraient de nouveau des
déplaeements de propriétés, eontre lesquels eüt échoué toute
la puissance du gouvernementle plus fort dont l'histoire ait en-
eore fait mention. Eh quoi! les spectateurs de sa chute rapide
sont-ilseneore assez stupéfaits de cette catastrophe pour n'avoir
point médité sur ses causes? Ignorent-ils que, ni les constitu-
tions, ni les lois, ni les armées ne défendent les gouvernements
contre la masse des iutéréts sociaux7 Ignorent-ils (lue lorsque
ces intéréts sont dans un péril inunineut , les gouverncments sont
atteints les premiers? »


Ces grandes diseussions législatives furent mélées a des pro-
jets moins importants ou de loealités. l'Iarseille avait réc1amé
son port frane; et, malgré les ehangements dans la balance et
les intéréts commerciaux , Marseille obtint son port franc, paree
qu'elle l'avait en 1788. 1..e projet sur la naturalisation fut l'objet
de vives et séveres controverses, et ce qui dut affiiger plus d'un
noble cceur, c'est que l\Iasséna, le fils clu'ri de la Victoire , pour
étre Francais , eut besoin de lettres de naturalisation contre-
scellées par le féal 1'1. Damhray. Ce projet si malheureux fut
comhattu avec vigueur par ~l. Haynouard, qui proposa de na-
turalíser de pleiu droit tous les hahitants des pays qui, penda.l)...t-


7'
, ,{~


"( ..,.'




220 mSTOIRE DE LA RESTAURATION•.
dix ans , avaientété réunis al'Empire , pourvu qu'ils déclarassent
vouloir fixerleur résidence dans le Royaume. Ce systeme ne fut
point admis. Le Gouvernement avait vu dans ce projet un
moyen d'économíe , cal' le ministere se dispensait ainsi de payer
une multitude de pensions militaires et civiles, en expulsant des
grands corps de l'État les membres des départements ancienne-
ment réunis; enfin il empéchait , au profit des gouvernements
rétablis sur les débris de l'Empire , l'expatriation d'une multi-
tude de famiHes opulentes de la Belgique et de l'Italie qui se-
raient venues fixer leur domicile en France, La session offrit
encore plusieurs discussions animées a l'occasion des pétitious.
Ces débats s'appliquant aune plainte, a un grief de personnes,
présentaient plus d'éléments aeette véhérnence de tribuno qui
vit d'émotíons impétueuseset populaires. Plusieurs pétitionsvin-
rent agiter la Chambre. Deux éerits avaient été publiés par
MM. Dard et Falconnet sur la légalité de la vente des biens
d'émigrés, Une pétition fut présentée pour qu'une loi sanction-
nát irrévocablement lesventesnationales. lU. Boirot, membre de
la minorité, erut, dans l'intérét de la paix publique, devoir
présenter un long rapport sur cctte pétition, C( L'impression !
s'écria M. Dumolard, cal' la France est agítée par la crainte ;
vous devez la rassurer.. Des veuves d'officiers morts pour la
patrie se plaignaient de la suppression des maisons et succursales
de la Légion-d'Honneur. De jeunes orphelines allaient ainsi étre
abandonnées dans un áge OU il ne leur restait d'autres ressourccs
que le vice et la prostitution. C( Le Roí a été induit en erreur,
dit 1\1. Lefevre-Gineau, )-C( tes établissements devaient senil'
de refuge, ajouta lU. Dumolard, aux filies des braves aquí la
France dit une reconnaissance éternelle. - C( 1\1adame Lebeau
offre , dit vivement 1\1. Louvet , de consaerer 30000 fr. de
rente, seule fortune qu'eIle posséde , pour maintenir ces insti-
tutions. Les grands-officiers de la Légion-d'Honneur proposent
également leur traitement pour ce saint objet.» - « Le Roi
est le pére des Francais , le pere des braves de l'armée , répé-
taient les membres de l'opposition.. Le maire de Dorna},




CIJAPITRE IY. 221.
M. de Lesterp, dénoneait l'ancien seigneur, 1\1. de Blonze,
qui avait exigé que le sacristain, en vertu des anciennes pré-
rogatives féodales , lui donnát le premier pain bénit, La péti-
tion fut renvoyée a 1\I. le chancelier. Le retour des droits féo-
daux était un objet de terreur dans les campagnes. Le mois de
décembres'avancait , et la session tendait ainsi a sa fin. La ma-
jorité ministérielle s'était afTaiblie, et l'opposition avait conquis
une grande popularité. Dans une des dernieres séances, l\I. Du-
molard, s'exprimant avec une grande vivacité, dit : « D'aprés
la rumeur publique, on va réduire ala moitié le traitement des
membres de la Légion-d'Honneur. Que le Roi soit done supplié
d'ordonner a ses ministres de présenter a la Chambre le tablean
des recettes et dépenses présumées de la Légion-d'Honneur, et
de proposer une loi pour combler le déficit s'il existe.» Le mi-
nistére voyait bien, par la tournure que prenait la session, qu'il
fallait en háter le terme. Il n'était plus assuré d'une majorité in-
variable. L'impopularité la plus grave pesait sur les députés
ministériels. Au dehors, il n'y avait d'applaudissements , de
force d'opínion que pour I'opposition constitutionnelle. La con-
duite faíble et indécise du ministére en avait aussi détaché un
grand nombre de députés, D'abord ils avaient secondé le Gou-
vernement, par le motif qu'il ne fallait pas l'cmbarrasscr a ses
commencements; mais cette timidité faisait hicntót place aun
sentiment plus raisonné , et alors ils passaient a l'opposition. Une
ordonnancedu 30décembreprononcaladissolution delaChambre.
La session avait excité plus d'alarmes dans le pays qu'clle ne
rassurait de craintes. Dans la loi sur la prcsse, on vit un pre-
miel' attentat contre la Charte! La mesure.qui rendait les bicns
aux émigrés souleva la plus palpitante des questions, et le dis-
cours de l\I. Ferrand justifia les alarmes des nouveaux proprié-
raires. Les dispositions si étrangcs sur les fétes et dimanches
rappelerent le vieux régimc. Il n'y cut véritablement de travail
utilc pour le pays quc le budget; les grands príncipes de crédit
étaient reconnus et procJamés.


Au milieu de ectte agitation vive, profonde des ames, la loi




2'22 HISTOIRE DE LA RESTAURATION. .
qui rétablissait la censure n'avait pas éteint tout esprit publico
Quand un besoinde liberté est profondément sentí, il se faitjour
atravers miJle entraves, La pensée est si ingéniense, elle se revét
de tant de formes, et la langue francaise est si riche d'expres-
sions, de tournures fines qui échappent aux plus habiJes surveil-
lances! Une ordonnance royale avait organisé un grand eonseil
dc censure composé de 1Ul\I. Augcr, de Barcntin, Bernardi,
Campenon, Clavier, Dampmartin, Delacroix-Frainville, Dela-
salle, Deleuze, Delvincourt, Dcsrenaudes , Frayssinous, Guizot,
Charles LacreteJIe, le Graverend, Lemontey, Quatremere de
Quincy, Sylvestre de Sacy, Vandcrbourg. Les censeurs hono-
raires institués étaient l\HI. Suard, Bossu, Hardouin, Bosquil-
Ion, Teissier, Cadet Devaux, lUauduit, Haup de Baptestin de
Moulieres , Mentelle , Coupé, Ilobin Pellenc, Sauvo, Johan-
neau, Salgues, Artaud Davrigny, Tabaraud, l\lalherbe, De-
mane, Cohen. Il était évident qu'en étahlissant sur une si large
échelle les fonctions des ccnseurs , et en choisissant des noms
littéraires, IU. l'abbé de Montcsquiou avait pour objet de relever
la censure, et d'en faire en quelque sorte une institution. Le titre
si singulier de censeurs honoraires, qu'on avait introduit dans
l'ordonnance , prouvait qu'il y avait dans la pensée du ministre
un but de permanence et de perpétuité. Par le fait, la surveil-
lance active était confiée adeux ou trois commis qui n'avaient
pas cette sagacité instinctive, laquelle sert adiscerner les arti-
eles dangereux. C'était a ce bureau qu'allait aboutir toute la
presse périodique. Je ne sais si, par la douceur du régime, on
voulait justifier la censure, ou bien si ce fut insuffisance, inha-
hileté ou méme complicité des censeurs, jamáis survcillance ne
fut plus aveugle, plus indulgente ou plus maladroitc. Le pre-
miel' inconvénient de la censure est de rcndre lc Gouvernement
responsable aux yeux du pays et de l'Europe de tout ce qui est
écrit et publié , et ce fut Hi une des armes qu'on employa contre
la Rcstauration de 1814.


La presse périodique avaít plusieurs organes , et les divers
partis s'étaient groupés autour des divers journaux qu'ils sui-




CIJAPlTRE IV. 223
vaient comme une hannierc. La Iiestauration , comme grand fait
social, comme accomplissement d'une pensée de légitimité et de
liberté, comptait le Journal des Debats. On y avait défendu avec
vigueur et talent la liberté de la presse , et une série d'articles de
JU. Dussault avaient montré les avantages de ce droit précieux
d'exprimer sa pensée, La longue et brillante réputation de ses
rédacteurs , la collaboration de 1\1. de Cháteaubriand , donnaient
une grande puissance d'opinion au Journal des Débais , il avait
rendu d'irnmenses services a la Hestauration. Quelques articles
imprudernment insérés par des amis maladroits avaient pourtant
réveillé les craintes des acquéreurs de biens nationaux. La Quo-
tidiennc venait de reparaitre avec ses fleurs de lis et sa rédaction
frappée au 18 fructidor. Quelques feuilletons spirituellement ré-
digés, et qui ont formé ensuite le Bádeur, des articles passionnés
contre les révolutionnaires, une certaine haine des institutions
et des hommes nouveaux , et, par-dessus tout, une politique de
pleurs et de lugubres anniversaires , avaient attaché 11 eette feuille
un nombre assez considérable de vieux abonnés de la Gazette,
dont elle était un démcmbreruent,


La Gazettc de Franco ~ l'antique journal de la JUonarchie,
avaitapparteuu ¿l tous les gouvernements, Un de ses vieux rédac-
teurs , immuable au milieu de tan t de fortunes diverses, lU. Ste-
venin, aimait araconter comment il avait pris les ordres de lU. de
Sartines, puis de l\l. de l\lontmorin, de lU. Rollaud, puis duco-
mité des Douze, de Vergniaud, Guadet, Barbaroux, dictant, au
souper, les séances de la Convention, au milieu de femmes élé-
gantes et de toasts de vin d' Al, puis de Robespierre, puis de Bar-
ras, enfin commeut , par sa persévérance et son habileté, il était
parvcnu á se (ai1'e bcaucoup auner de Fouché , qui luí commu-
niquait des nouvelles. La Gazette appartenait ades propriétaires
particnliers , mais elle s'était dévouée au ministére de la Restau-
ration. Nous ne parierons pas du Journal Royal, et de plusieurs
autres feuilles écrites dans un systeme plus exclusif encore, Tant
il y a que la presse royaliste, par ses imprudentes diatrihes , jeta
une grande perturbation daus les esprits; et comme ces artícles




224 I1ISTúInE DE LA RESTAURATION. .
étaient écrits sous l'approbation de la censure, comme il dépen-
dait du ñlinistere d'arréter ces publications, et qu'il ne le faisait
pas, on en concluait que leGouvernement les autorisait, et qu'il
était dans l'intention d'en réaliser plus ou moins prochainement
les espérances. 01', la plus grande faute d'un gouvernement, c'est
de bavarder sans agir; on pardonne la dictature , mais on n'ou-
blie pas une menace ímpuissante.


Les deux principaux organes de la presse d'opposition libérale
étaient le Censeur européen et le Nain jaune ,. l'un graveet peu
attrayant, comme ses rédaeteurs lUM. Comteet Dunoyer; l'autre
tout léger et populaire : le premier, abordant lesquestionsavec une
certaine hauteur, mais habituellement avec des formes lourdes ;
l'autre attaquant aveeesprit lesridicules dela vieille société, échap-
pant par des allusions spirituel1cs ala sévéríté d'unc censure un
peu niaise. Des portraits ressemblants, des caricatures saisíssa-
bles pour tous , allaient remuer cette société superficielle qui
aime les traits en relief. Le Censeur européen exprimait les opi-
nions des patriotes dévoués 11 la Ilévolution , qui nourrissaient
des méfiances contre le gouvernement royal. Le Nain [aune
n'avait point d'engagements : Bonapartistes , Patriotes s'y étaient
réunis pour attaquer logouvcrnement des Bourhons par tous les
moyens que pouvait permettre la censure. C'était une guerrc a
ce qui existait, sauf ase déméler aprés la victoire, Quelquesan-
ciensécrivainsde l'Empire s'étaient réfugiés au Journal de París,
et eherchaient avecbeaucoup de souplesse aéchapper ¿I la loi de
la censure. Le Journal de Paris réunissait alors MM. Étienne ,
Jouy, que la Restauration avait écartés , on ne sait pourquoi, el
qui ne demandaient pas mieux que de revenir aelle, comme le
prouve l'opéra de Pélaqe de lU. de Jouy. JI faut qu'un gouver-
nement ait perdu le scntimcnt de lui-méme lorsqu'il repoussc .
la force et les talents qui vicnncnt a luí.


En dehors de cctte presse quotidienne ou périodique , des
pamphlets ardents tenaicnt le public dans une alerte contínuellc.
Trois de ces écrits produisircnt sous la Restauration un effet pro-
digieux : 10 le ülémoire de Caruot au R()i; 2° la Leure de




CHAPITRE IV. 225
1\1. Félix Lepelletier sur le serment des maires; 3° l'écrit de
IU. l\Iéhée Latouche. Le général Carnot, que sa défense d'An-
vers avait illustré, s'était complétement éloigné des affaires de-
puis sa soumission au Gouvernement provisoire ; il vivaitdans la
plus profonde retraite, lorsque les freres Béchet mirent en vente
un .Mcmoil'e du general Carnot adressé á S. JI. Louis XVIII.
Toutes les questions a l'ordre du jour y é taient traitées. Carnot
repoussait d'abord l'accusation de regicide -' et justifiait la Con-
vention: « Il voyait la cause des agitations présentes et des se-
cousses pour l'avenir, dans des souvenirs ~l peine éteints, que la
contre-révolution exploitait, dans les accusations multipliées
portées centre des hommcs qui avaient cu la France entiere pour
complíce, J) te lUémoire de Carnot fit fureur; on le colportait
dans les rues , on le distribuait dans les lieux publics.La police
le fit saisir, lorsque parut en quclques lignes un avis du gé-
néral Carnot, qui annoncait que c'était sans son aveu que le
Mémoire avait été imprimé, et qu'il n'était d'abord que des-
tiné au Roi; que les attaques centre les régicides continuant,
jJ en avait fait faire quclques copies, et que c'était sans
son consentement qu'on l'avait publié par cette voic. La police
poursuivit avec sévéríté le Iibrairc et les distributeurs ; mais
I'ellet était produit. Et qu'importait la rigueur des poursuites
contre les éditeurs, lorsque l'écrit circulait dans toute la France
et était lu avec une si grande avidité. La lcttre de M. Lepelleticr,
tristement célebre aux jours de la Ilévolutiou, était la simple
protestation d'un maire sur la formule du serment qui lui im-
posait « de faire connaitre au Roi tout ce qui se tramait a son
préjudice, et que le fonctionnaire aurait appris dans l'exercice
de ses fonctions ou ailleurs. » lU. Lepelletier s'élevait contre ce
serment qu'il appelait immoral , et, a cette occasion, il passait
en revue les actes du Gouvernement, son esprit et sa marche.
« Une fois ,disait-il, les mairies avilies, que s'ensuit-il? le ré-
tablissement de la féodalité et des seigneurs. » L'ouvrage de
IU. l\léhée Latouche roulait un peu dans les mémes idées. C'était
toujours la défense des régicides , l' examen des actes de ,la Hes-




226 HISTOIRE DE LA RESTAURATION•.
tauration. Quand on sait un gouvernement Iaible , tous les brouil-
lons frappent impunémentsur lui ; ils savent que les coups por-
tent haut et fort.


On vit paraitre beaucoup {le réponses royalistes a ces pum-
phlets. La chose sembla si grave, que 1\1. de Cháteaubriand crut
nécessaire de parler au nom de la Restauration. Chaque page de
son écrit était marquée de son granel style et de la noblesse de
ses pensées, L'ouvrage de M. de Cháteauhriand pouvait rassurer
les esprits , s'ils avaient pu l'étre alors. Il adoptait réellement les
idées libérales en les liant ades añections royalistes. Il cherchait
a concilier les esprits , aformer une sorte de famille monarchique
et constitutionnelle, en signalant l'aetion des esprits depuis 1789.
« Il est certain, disait-il, que nous sornmes moins frivoles, plus
naturels, plus simples; que chacun est plus soí, moins ressem-
blant a son voisin. Nos jeunes gens, nourris dans les camps ou
dans la solitude, ont quelque chose de mále ou d'original qu'ils
n'avaient pas autrefois. La religion, dans ceux qui la pratiquent,
n'est plus une affaire d'habitude, mais le résultat d'une convic-
tion forte; la morale , quand elle a survécu dans les cceurs, n'est
plus le fruit d'une instruetion domestique, mais l'enseignement
d'une raison éclairéc. I ...es plus grands intéréts ont occupé les
esprits; le monde cntier a passé devant nous. Autrc chose est de
défendre sa vie, de voir tomber ou s'élever des trónes, ou d'avoir
pour unique.entretien une intrigue de cour, une promenade au
boís de Boulogne, une nouvelle littéraire. Nous ne voulons peut-
elre pas nous l'avouer, mais, au fond , ne sentons-nous pas que
les Francais sont plus hommes qu'ils ne l'étaient il y a trente ou
quarante ans? Cessons done de nous calomnier,de dire que nous
n'entendons rien ala liberté; nous entendons tout, nous sommes
propres a tout, nous comprenons tout. » Aussi cette brochure,
si noblement pensée, Cut-elle bien loin de plaire au partí royaliste
exdusif. « De quel droit lU. de Cháteaubriand , disait le Journal
Royal~ fait-il tenir aux royalistes un langage si extraordinaire?
Quelques propos inconsidérés dans un salon ont donné lieu acette
fiction quin'est point hcureusc. Nous y répondrons en disant que




CIIAPITRE IY. 227
les fidélessujets du Roi, émigrésou restés en Franee, nes'occupent
nideliberté, ni d'égalité, ni du progres des lumiéres, Ils oublient
la Révolntion et sescrimes, la philosophie et ses erreurs, leurs
malheurs particuliers, les iojusticespubliques. lIs s'honorent de
leur détresse, et la vue du Roi, assis sur le tróne de sesancétres,
en adoucit les rigueurs... Coofondus daos la foule de sessujets ,
ils n'examinent point si la Fraoce avait, dans les temps reculés,
le gouvernement qu'elle a aujourd'hui; s'il convient mieux aux
Anglais qu'a nous : ils obéissent au Roi... 1\1. de Cháteaubriand
voudrait, pour éviter des récriminations , effacer des souveoirs,
détruire jusqu'a ces noms d'émigrés, de royalistes , de fanati-
ques, de révolutionnaires , de philosophes... 1I veut confondre
les hommes les plus vertueux et les plus honnétes avec les plus
grandscoupables... »


lU. de Bonald parut aussi dans la lice des écrivains , en déve-
loppant sesthéoriespolitiques; il demandait que le pape füt éta-
bli, cornme chef de la religion catholique, l'arbitre supréme de
toutes les souverainetés, avec l'institution d'un corps de noblesse
héréditaire, qui seul serait chargé de la direction du Gouverne-
ment, tandis que la c1asse travaiJJeuse se Jivrcrait aux entreprises
de l'iodustrie, et de tout ce qui peut fécondcr la partie matérielle
de la société. En mérne temps, lU. Dard faisait paraitre son
pamphlet sur l'iIlégalité de la vente des biens d'émigrés , sur le
rétablissemcnt des droits féodaux et des rentes foncieres, Quel
eífet ne deraient pas produire ces príncipes d'une application si
imruédiate, si intéressée ! Dans quelle agitation ne devaient-ils
pas jeter la société !


J'ai dit les premicrs actes de la Restauratioo; j'ai maintenant
a raconter ses difficultés , ~, tracer la physionomie des partís que
les Bourbons avaient a maintcnir et a réprimer. Toutes les er-
reurs ne vinrent pas de la Couronnc et de sesMinistres en 1814.
Les causes de la décadence rapide de la maison royale ne résul-
tércnt pas seulement de ses [antes. A coté de l'opposition légalc
au systeme du Gouvernement, il n'est que trop vrai qu'il exista
une espéce de conspiration de haíne et de répugnance centre la




228 HISTüIRE DE LA RESTAURATION.
maison régnante. Un empire aussi grand que celui de Napo·
léon ne dure pas dix années avec tant de splendeur et de prestiges,
avec ses merveilles et sa gloire, sans créer des intéréts nom-
hreux, des fortunes nouvelles qui regrettent le systerne tombé.
La Restauration avait maintenu les existences privées, mais elle
avait ahattu les existences publiques. Sauf quelques exceptions,
les noms de l'Empire avaient été frappés dans tout ce qui tou-
chait leur amour-propre, La cour s'était peuplée d'autres illus-
trations. La prodigalité des généraux ne trouvait plus d'aliments
dans les gratifications fréquentes, dans ces riches dotations qui
servaient de stimulanrs aleur zélepour l'Empereur. Peu avaient
compté avec l'avenir. Ceux qui avaient conservé une grande fortune
avaient contracté un besoin d'affaircs, d'honneurs et de repré-
sentations que le nouveau régime ne leur perrnettait plus. Ils
étaient malheureux par vanité, et leur mécontentement dégé-
nérait en haine contre la Restauration. Quelques membres de
la famill e impériale étaient demeurés aParis. La duchesse de Saint-
Leu (Hortense de Beauharnais) I réunissait les brillants déhris de
l'Empire. Encoré pleine de gráce et d'esprit , passionnée pourla
gloire de Napoléon, elle exaltait les tetes par ces propos de
femmes qni touchent si profondément. l\BI. ñlaret, de 0aulain- .
court, Ilegnault de Saint-Jean-d'Augely, Réal, Berlier, Thi-
baudeau , Lavalette, madame Hamelin , si coquette, si gracieu-
sement amoureuse, comme le disait un homme d'esprit , de
tout I'Empire, quclques riches hanquiers , le fournisseur Ou-
vrard , des généraux, des officiers tels que l ..efebvre-Desnouettes,
Lallemand, l ..abédoyerc, voyaient beaucoup cette société impé-
rialiste. On y rappelait les batailles et les hrillantes Iétes de
Napoléon. La Restauration, avec ses allures bourgeoises, mar-
quées de dcuil et de pleurs , tombait sous de spirituelles cen-
sures. D'abord on se borna a critiquer ; c'est en général le


1 L'Impérnuicc Joséphine étnit rnorte dans les premlcrs [ours tic la
It cstuurat ion , tille amil ic mystlque ct une vive syrnpalhie uulssaient
l'cmpcrcur Alcxnudrc ú .loséphiuc : 1\1. de Nessclrode ct une forle es-
corte de la garde russe sulvircnt SOIl convoi.




CHAPITRE IY. 229
mouvement des partis vaincus, aprés la premiere douleur et le
prcmier étonnement de la. défaite; puis on se ravisa, et, des le
mois de juillet, la société de la duchessede Saint-Leu travailla,
sinonencore arappeJerl'Empire et sesfortunes, au moins a rame-
ner un état de choses qui lui oífrit une position moins effacée.


On a vu les causesqui avaient mécontentéle parti patriote dont
lU. de Talleyrand s'était servi comme d'un instrument pour
renverser Napoléon ; la Restauration l'avait ensuite abandonné.
Quelques-uns de ces patriotes, franchement réunis aux Bour-
bons, tels que 1\H1. Lanjuinais, Boissy-d'Anglas, cherchaient
seulement a les ramener dans leur systémc. D'autrcs , exclusde
toute participation aux affaires , tcls que -'DI. Lambrechts, Gré-
goire, Carnot, rcndaient méííance pour méfiance il Louis XVIII.
Depuis I'arrivée des tetes de partís aParis, les Patriotes avaient
pris une certaine organisation de force et d'habileté. lis ne re-
vaient pas encore le renversement de la Restauration; ils
n'avaient pas approuvé ce qui s'était fait; mais paree que c'était
accompli, ils l'eussent soutenu, s'ils y avaient aperen le triomphe
plus ou moins innnédiat de la Révolutiou de 1789. On pouvaít
compter dans ce partí MM. de la Fayette , alors a sa terre de
Lagrange , Benjamin-Constant , dont l'esprit concilian! ct faible
se fút opposé a toute nouvclle sccousse. Les impérialistes dé-
testaient les Patriotes; ils n'avaient aucun rapport d'idées , de
projets, de scntiments. De leur cóté , les I'atriotes óprouvaient
une Iorte antipathie pour les impérialistcs , qu'ils appelaicnt les
partisaus du régime du sabrc, Quelqucs-uus mémcs , entre
autres Barras, nourrissaicnt une haine si profonde contre Na-
poléon, qu'ils eusscnt préféré vingt fois la Ilestauration , rnémo
avec les Iloyalistes ardeuts , au régime impérial. lHais, dans
toutes leurs combinaisons, les Patriotes sentaient la néccssité
d'avoir quelqu'un qui püt parler al'arrnée, Ils s'arrétaicnt tour
a tour sur Eugenc , trop dévoué a son pere adoptif pour ac-
cepter un mouvemcnt sans Napoléon : sur ¡\ugercau , républi-
cain , mais esprit borné; Davoust , ambiticux , capable , mais
mal dans l'opiuion par sa conduite ~\ I1ambourg. Quelql1CS-UIlS,


l. 20




230 HlSTúIRE DE LA RESTAURATIúN.
les plus habiles, étaient pour un systéme qui aurait accordé la
régenee a ñlarle-Louise avee le roi de Rome, entourée d'insti-
tutions républieaines. D'autres appelaient le duc d'Orléaus, Les
Patriotes, se fraetionnant ainsi par nuanees, pouvaientnéanmoins
se divíser en deux grands partis : l'un eonduit par Fouché , l'autre
par Barras. Fouehé, depuis son arrivée aParis, voyait peu de
monde et semblait s'étre retiré des aífaires, Quelques ora-
toriens formaient sa société habituelle; et c'est par 1\1. 1\Ialouet
qu'il se tenait en rapport avee la Restauration; tous les partis
venaient lui faire leurs eonfidenees : c'est ainsi qu'il apprit,
par l'ancien préfet Thibaudeau, les projets des impérialistes; il
les éeouta sans se lier par aueun engagement ; iJ voulait voir venir
les événements; quelques royalistes mémes , et particuliérement
le faubourg Saint-Germain, s'étaient ouverts a Fouché, Avant
de prendre partí pour les Patriotes, il lui importait de connaltre
l'opinion de Carnot, républicain entier, et de Barras, esprit alors
ulcéré. Fouché sollicita une entrevue de Barras pour le sonder
sur ses desseins. Un ami eommun, Lombard-Taradeau , les avait
rapproehés. Ils convinrent de se voir apres minuit sur le
boulevard Saint-Antoine , prés de la maison Beaumarchais.
Fouehé, avee sa bonhomie si bien jouée , expliqua a Barras la
néeessité d'un nouvel ordre de ehoses. « Je sais, dit-il , que tu
veux te lier aux Bourbons, mais comment peux-tu les suppor-
ter? n'as-tu pas des antéeédents eomme nous? - Vous étes des
eoquins, répondit Barras; vous avez servi le tyran , mais moi je
ne me suis pas vautré, et je ne donneraijamais la main aee qu'il
ressaisisse le pouvoir. - Tu as tort, Barras; tu te laisses ainsi
emportcr au ressentiment; iI s'agit bien ici d'autre ehose que de
sonvenirs et de pctites passions ; il s'agit des plus grands intéréts
de la terreo Avec nous, je te promets , tu seras iníluent. Cet
homme , d'ailleurs, est usé et ne sera plus a craindre. Nous ne
voulons le faire rentrer que pour ralIier l' armée et lui redonncr
toutes ses forces ; ensuite , nous nous en débarrasserons. - I\Iais
qui mettrez-vous a sa place? eette vermine de familIe, ce pctit
bambin? - Sois tranquille , nous trouverons bien lo moyen de




CHAPITRE IV. 23t
les annuler. ) Apres cette explication on se sépara, Fouché ne
s'était pas ouvert entierement , mais il avait tres-bien compris
Barras, et ce fut des ce moment que pour obtenir l'appui des
républicains austéres il se rapprocha de Carnot, Quant aBarras,
pour lui faire perdre son crédit dans son parti, on fit courir le
bruit qu'il était rallié aux Bourbons et a Louis XVIII. Fouché
lui-méme n'avait pas entierement rompu avee la cour, et il se
ménageait partout des intelligences. Il avait des próneurs dans
le faubourg Saint-Germain, et heaucoup de grands seigneurs
l'auraient vu sans répugnance ministre de Louis XVIII. Le but
de Fouché était de sonder partout le terrain sans prendre d'en-
gagements avec personne , de maniere a pouvoir soutenir ou
renverser la Restauration, et demeurer maltre du pouvoir en
toute circonstance,


Pour réussir dans tous et chacun de ces projets, il fallait en-
core deux choses : l'armée et l'opinion publique. L'armée était
mécontente; on l'avait privée de ses aigles, de ses couleurs, de
sessouvenirs; habituéeala vie aventureusedes camps, aux pro-
fits de longues campagnes a l'étranger, elle ne pouvaitsupporter
l'oisiveté économe et parcimonieuse des garnisons. Soupirant
d'abord aprés le repos , les généraux ne pouvaient plus s'y souf-
frir trois mois apres ; un grand nombre d'officiers, par mesure
d'économie, avaient été misala demi-solde. Lareconnaissance pour
de vieux servíces avait rempli les rangs de nomsinconnus aux vé-
térans de l'Empire et de la République. La malveillance augmen-
tait encore ces griefs. Des pamphlets étaient distribués dans les
garnisons, parmi les régiments; des chansons patriotiques en.
l'honneur des aigles et de Napoléon circulaient parmi les offi-
ciers; d'autres, plus simples, plus énergiques, allaient remuer
l'áme de ces vieuxsoldats pour qui les souvenirs de leur Empe-
reur étaient un culte. On rehaussait adroitement les espérances
pour le retourdu petitCaporal, du pérela Violctte. Les vétérans,
couverts de cicatrices, conservaient lesaigles au fond de Icur sac ,
et la cocardeblanche dissimulait apeinelesvieilles couleursde Ma-
rengo et d'Austerlitz. Lesmoindresfautes, lesmoindres maladres-




232 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
ses de la Restauration étaient saisies et exploitées habilement. On
alimentait les mécontentements, de sor te qu'on pouvait dire que
des le mois de novembre l'armée n'appartenait plus aux Bour-
bons. L' opinion publique était égalementtravaillée par cet esprit
de pamphlets, de productions clandestines qu'aueun gouverne-
ment ne peut empécher. Caricatures, souvenirs glorieux, por-
tl'aits, tout se1\'(\\ta \,l'O~(\'6el' l'\dée séuitieuse que le gouverne-
ment de Louis XVIII n'était pas national , et que nous le devions
al'étranger 1. La nation francaise , si oublieuse de ses maux , mé-
connaissant l'immense prospérité dont elle jouissait depuis la
Restauration, le développement du commerce , la progression
ascendante des fonds publics , se laissait aller acette impatience
de changement, a ce besoin de mobilité qui est dans son carne-
tere. En France, il Yavait je ne sais quoi de mécontent et de
vague parmi le peuple, et les publications des Patriotes et des
Bonapartistes entretenaient cette inquiétude que lamaladresse
ministérielle faisait fermenter. Les écrivains de l'ancienne poliee
impériale, gens d' esprit et tous habitués aux pamphlets popu-
laires, quelques jeunes gens d'un talent remarquable , vouaient
leur plume a ces ceuvres clandestiues qui allaient rernuer les
masses.


On a demandé s'il y avait eu une conspiration pour opérer les
Cent-Jours ; il Ya des temps OU les conspirations sont dans l'air;
elles se font en plein vent, ala vue de tous. Tel était 181l1.
Tout le monde apercevait la fin du dramc; chacun indlquait du
doigt comment tout cela devait fluir, et chacun se laissait aller
comme entrainé par une fatalité. Ccpendant Napoléon ne tomba
point en France sans prévenir personne. Le sol ne trembla pas
sous la Restauration chancelante sans qu'il cut été miné. Des le
mois de mai 181lt-, une correspondance réguliere s'étahlit entre
Napoléon et le salon de la duehesse de Saint-Leu, Elle avait lieu
par l'Italie, et Joseph, qui habitait la Suisse , servait d'intermé-
diairc, On faisait passer al'lle d'EIIJe des statistiqucs sur l'esprít


J Poye: la collectíon des Estampes ( 1815 , Bibliolhéque royalc.)




CHAPITRE IV. 233
publio en France , sur les fautes des Bourbons , sur les progres
que faisaitla cause impériale parmi le pcuple et dans l'armée. Des
hommes dévoués, telsque l\L\I. Regnault de Saint-Jean-d'Angely,
Thibaudeau , avaient dans leur esprit exact et observateur, dans
leurs anciennes relations de bureaux qu'ils avaient si longtemps
conduits , mille moyens de se procurer des rcnseignements cir-
constanciés, de maniere a mettre l'empercur Napoléon a méme
d'apprécier la véritable situation de la France. Des émissaires,
sous milleprétextes, se dirigeaient vers la Suisse, correspon-
daien~c Mnrat et I'lle d'Elbe. Tout cela se passait avec un
ordre admirable. Les chances étaient calculées avec une certi-
tude remarquable. Le parti patriote n'étaít point aussi avancé.
Carnot et Fouché, bientót rapprochés , s'étaient natureIIemcnt
confié leurs desseins. Mais comment se Iier aFouché qui pou-
vait atout moment vous échapper pour adhérer a la restaura-
tion bourbonnienne, si elle voulait s'abandonner alui? On savait
ses conférences avec le faubourg Saint-Germain, ses entrevues
avec MM. les ducs d'Havré , de Blacas et 1'1. de Talleyrand. Il
ne s'ouvrait complétement apersonne, ne se déclarait exclusi-
vement pour aucune cause. Tous les patriotes n'étaient point
unis d'inteution : les orateurs les plus populaíres de la Chambre ,
l\DI. Bédoch , Dumolard , ne voulaient pas conspirer, mais for-
mer une opposition parlementaire pour entraInel' le gouvernc-
ment de la Restauration dans leur sens. La coterie constitut'on-
nene de madame de Staél , l\DI. de Broglie, Benjamin-Constant
étaient pour la légitimité, et un ordre politique qui eüt POl r
base la royauté et la Charte, Cependant, au mois de novembrc,


. les patriotes ardcnts adopterent comme base qu' on en finirait
avec les Bourbons par un mouvement qui les rendrait maitres
de la familIe royale ; qu'un Gouvernement provisoire serait in-
stallé, oú toutes les nuances patriotes auraient leur représenta-
tion; enfin , qu'un chef, sous un titre quolconque , prendrait
en main l'alrtorité militaire; qu'on établirait un systeme libéral ,
un Gouvcrnement par deux Chambres indépendautes et élues
par le nrincipe de la souveraineté du peuple; mais cette con-




234 IJISTüIRE DE LA RESTAURATION.
vention, vague encore, pouvait étre dissoute par l'habileté et
l'instinct du Gouvernement royal. L'antipathie des Patriotes
pour Napoléon pouvait étre admirablement exploitée et la catas-
trophe ainsi s'éviter,


Dans l'opinion opposée , celle des Royalistes, nous ne di-
sons pas précisément qu'une conspiration existát contre le roi
Louis XVIII, mais il s'était formé un parti puissant ala cour
qni.entralnait la Restauration en arriere. Jamais il n'y avait eu
de véritable sympathie entre le Roi et son frére, 1\1. le comte
d'Artois. Dans les premiéres émotions de la Restauration, ils
avaient joué une mutuelle confiance; mais lorsque la Charteeut
été donnée, lorsque quelques concessions libérales eurent con-
staté l'intention d'adopter un principe de gouvernernent qui ne
füt pas l'ancien régime restauré, l\lONSIEUR manifesta sa mau-
vaise humeur, et devint bientót le centre de petites intrigues
comme il n'avait cessé de l'étre avant la Restauration. l\IONSIEUR
visita plusieurs provinces du 1\lidi; recuavec enthousiasme, il
chercha arépandre ses opinions et ses principes. Le vert se mela
a la blanche couleur du drapeau de France; il propagea toutes
les idees de l'ancienne monarchie :' il fut plus roi du lUidi que
son frere. l\DI. de Bruges , de Polignac, de Vitrolles , de Jui-
gné, de Iliviere , exclus du gouveruemcnr de Louis XVIII,
forrnerent et encouragerent un esprit d'opposition dont le but
était, non pas de détróner le Iloi , mais de l'annuler pour faire
passer le Gouvernement dans les mains du comted' Artois, 1\1. de
Vitrolles, qui visait au poste de secrétaire d' État , i. la maniere
de 1\1. ñlaret , était l'áme de cette espece de gouvernement oc-
culte. 1,011is XVIII craignait son frere , et iI n'était pasétonnant
qu' il se laissát souvent impressionner par eette persévérance
contre-révoIl1tionnaire des alentours de :\IONSlEUU. Que fút-il
arrivé sans le mouvement des Cent-Jours? n'y aurait-il pas
cu unc tentative pour substituer un gouvernement occulte
au gouvernemeut réel? n'aurait-on pas vu des lors ce qui s'est
YU aprés l'ordonnance du 5 septembre 1816? Nous ne pou4
vous le dire; mais il est certain qu'a la fin de 18Hl, le cornte




CHAPITRE IV. 235
d'Artois excrcaít la plus haute influence sur le Gouvernement,
et que pour certaines provinces il était plus roi que Louis XVIII.


C'est en présence de ces partis actifs, audacieux, que le Gou-
vcrnement du roi devait agir, Sa tache était immense; obligó
tour atour de lutter contre des tentatives habilement organisées,
et contre une forte opinion siégeant aux Tuileries, qui, dirigée
par l'héritier de la couronne, avait vu aregret l'ordre de choses
fondé par la Charle. On a accusé les ministres de 1814 d'avoir
tramé une sorte de complot contre la Charte; il est bien possible
que quelques-uns d'entre eux ne vissent dan s cet acte qu'un
provisoire, qu'une concession faite aux caprices, et dont on se
dégoüterait ; mais la majorité du cabinet, et 1\1. l\Iontesquiou
lui-méme, se résignaient ala nouveIle forme de gouvernement.
Ce ministére avait subi quclques modifications depuis son 01'-
ganisation premiére. M. Malouet venait de mourir fort ágé , et
l'on avait enfil.t songé a remplacer le général Dupont au minis-
tere de la guerre , dans ce département OU les fautes les plus
graves avaient été commises. Les mécontentements de l'armée
pouvaient ajuste titre lui étre imputes, On se háta de remplir
la place Iaissée vacante par la mort de M. l\Ialouet, ainsi que
celle du général Dupont , qui lui-méme avait soUicité sa retraite.
Le maréchal Soult, duc de Dalmatie, obtint le portefeuille de la
guerreo Le maréchal Soult avait été d'abord fort mal vu a la
cour. Sa bataille de Toulouse , ses procIamations contre le duc
d' AngouIeme l'avaient perdu aux Tuileries; cependant, ainsi
que tous les maréchaux, iI avait obtenu le gouvernement d'une
7JTOVÚ1CC ~ cornme on affectait de le dire alors, et les journaux
annoncérent que le maréchal Soult était parti pour son gouver-
nement de la province de Bretagne; la mode, a la cour, était
alorspour les cérémonies fúnebres et cxpiatoires, Le maréchal
gouverneur se fit naturcllemcnt inscrire a la téte des souscrip-
tcurs pour le monument de Quiberon : il le devait comme le
premicr dignitaire de la province. Ceue liste contenait ce que la
Vendée avait de plus pur ; les noms les plus ardents el les plus
éncrgiques en royalisme. Cela le fit distinguer par le parti; on




236 1II5TüIRE DE LA RE5TAURATlON.
oublia ses souvenirs de Toulouse, et il fut porté au ministerede
la guerreo 1\1. Beugnot, qui avait donné tant de preuves d'ha-
bileté avee ses pieux arrétés municipaux, obtint le ministére de
la marine. l\I. Beugnot cut au moins la naíveté de reconnaltre
son peu de spécialité administrative, et a la réception qu'il fit
de ses employés, il dit : « Messieurs, jc vous vois avee beau-
eoup de plaisir. Chaeun de vous connait le travailde sadivision;
tant mieux, cal' pour moi je n'en saispas le premier mot. » Pa-
role tres-convenable pour un ministre. Aussi chacun sesouvient
eomment la surveillance de rile d'Elbe fut faitependant l'admi-
nistration de 1\1. Beugnot. La police , sous le titre de direction
générale, fut confiée a lU. Dandré, ancien membre du Parle-
ment d'Aix, et longtemps employé par Louis XVIII dans les
négociations secretes. Imaginez-vous un homme d'esprit, vingt
ans étranger a la Franee, et subitement transporté au milieu
des roueries de la police , teIles que Fouché les avaitorganisées,
au milieu de ce personnel si longtemps dévoué al'Empire , et
qui n'avait pas oublié les gratifications de 1\1. Réal ou de ]U. Du-
bois. La manie de lU. Dandré , vieil emprunt fait a1\1. de 5ar-
tines, était que la police devait se Iaire dans les cabarets. JI y
allait souvent Iui-mérne , nouveau calife Aroun-al-Italschild, sous
divers déguisements, pour surprendre l'opinion publique. Mais
ce n'était la qu'un emploi secondairedans la police; il fallait au
magistrat quelque chose de plus élevé, cette haute intelligence
de toutes les intrigues et des passions de la société que Fouché
possédait si bien. Tout cela manquait ¿l ]\J. Dandré; cependant,
eirconstance assez curieuse, 1\1. Dandré devait en partie sa po-
sition a Fouché, qui, consulté par le Gouvernementroyal sur ce
choix, répondit vaguement qu'il était bono Voulait-il se ménager
la rcconnaissance de M. Dandré , ou bien placer quelqu'un d'in-
capable pour micux manceuvrer a l'aisc? La préíecture de po-
lice , supprimée, fut réunie ala direction générale , dont chaqué
división était sous les ordres d'un maitre des rcquétes, On
parlait de rétahlir la préfecture de police , et ron songeait déja
¿l l\l. Dccazes, jeune magistrat qui avait alors présidé avec hon-




CllAPITnE IV. 237
neur la cour d'assises de la Seinc. M. de Bourrienne pressait
aussi vívement pour obtenir ce poste lucratif qu'il ne perdait
pas de vue.


l\!. Ferrand était directeur-général des postes, branche si
puissante du service public , et qu'il était alors si essentiel de
surveiller. 1\1. Pasquier était passé de la préfecturc de pollee a
la direction générale des ponts et chaussées , circonscrivant
sa haute capacité dans des travaux d'utilité publique. 1'1. Du-
chátel portaitsa scienee spéciale a la direetion des domaines,
1\1. Béranger aux eontributions índírectes. M. Becquey avait la
direction du commr rce , iU. Benoit ceIle de l'intérieur. Ce der-
nier ministérc , si important, était livré aux incapacités tracas-
siéres de quelqueschefs de division. Le eonseil d'État réorganisé
comptait encoré d'excellentes tetes administratives : le prési-
dant Henrion de Pensey, Faure , Corvetto, Francais de Nantes,
Pelet de la Lozere , Angles , Cuvier, et Jourdan des Bouches-
du-Bhñne; mais on y avait adjoint de vieilles rcnommées, telles
que 1\1. de Balainvilliers , ancien intendant de Languedoc, La-
port-Lalanne , Labourdonnaye de Blossac, ancien intendant de
Soissons; Doutremont, ancien conseiller au Parlement, tous
absolumcnt étrangers aux formes nouvelles du Gouverncment.
L'admínistration départementale allait toujours de son allure
hahituellc : c'est chez elle une chose d'instinct. La centralisa-
tion de l'Empire avaitimprimé un mouvementuniformeatoutes
les préfectures ; elle ne permettait pasaux opinions particulíeres
de s'y faire jour : aussi les changements dans le personnel
avaient peu dérangé l'harmonie de l'ensemble. Il y avait quel-
ques expressions plus ou moins turbulentes des sentiments roya-
listes, mais les bureaux restaient ce qu'ils étaient. Dans la po-
lice, le personnel n'avait pas été modifié; les mémes hommes
qui surveillaient, au nom de l'Empire , les chouans et les émi-
grés , surveillaient alors les ímpérialistes au norn des émigrés,
et soit qu'ils se trompassent de date, soitque telles fussent leurs
affections, ils étaient plus dévoués aux survcillés qu'aux surveil-
lants.




238 IIISTOIRE DE' LA RESTAURATION.
Dans eet état de ehoses, le Gouvernement sentait bien qu'il


y avait malaise, non point que la prospérité matérielle ne füt
grande, elle ressortait de toutes les parties du corps social;
mais il y a des temps OU tout est matériellement prospere, et
pourtant la société est inquiete, remuante : c'est qu'il y a sou-
vent dans les nations plus d'instinct que dans ceux qui gouver-
nent; elles sentent venir la crise comme on sent approcher
l'orage; les ministres ferment les yeux, et s'étonnent quand il
éclate, Louis XVIII, avec toute sa sagacité , étudiait les faits, et
prévoyait qu'il y avait quelque ehose dans son Gouvernement
qui blessait les sympathies nationales. La grande faveur de lU. de
Blacas ne faisait que s'accroitre pour paralyser les excellentes
dispositions du Roi! Ricn ne pouvait parvenir directement a
Sa lUajesté: mémoires sur la situation, conseils, tout passait
sous les yeux de 1\1. de Blacas ; et bien entendu qu'il ne laissait
parvenir au Roi que les documents qui ne contrariaient pas les
penséesdominantes du ministre. Louis XVIII avait pour hahi-
tude de consulter ou de faire consulter les hommes marquants
de la Révolution : il y avait plus souvent, dans ces démarches,
curiosité qu'envie de suivre des conseils que toutes les habi-
tudes de sa vie devaient lui faire repousser; mais il désirait ar-
demment connaitre la pensée de tous les hommes et de tous les
partis. Ce fut alors qu'on accrédita le bruit d'une correspondance
qui s'était engagée en 1794 entre le Régent et Robespierre : les
Royalistes ardents, qui n'aimaient pas Louis XVIII, contribue-
rent a répandre ce bruit pour prouver que le Roi était jacobin,
et qu'il n'y avait de pUl' que 1\1. le eomte d' Artois. Si le Uoi
s'était mis direetement en rapport avee les Patriotes, s'il avait
consenti a les voir, touchés d'une si auguste eonfianee, quel-
ques-uns d'entre eux se seraient laissé entrainer aees épanche-
ments qu'inspirent de nobles paroles; mais lU. de Blacas s'en-
tremit entre eux et le Roi. Sous le prétexte que l\lme la Dauphine
tomberait roide morte al'aspect d'un régicide, on ne permit ni
a Barras ni a Fouehé d'approeher Sa l\1ajesté qui désirait les
consulter. Ce fut l\l. de Blacas qui cut la doulcur de foil' les




CHAPITRE IY. 239
deux régicides. Des documents certains nous restent des deux
conversations. Le 30 aoüt 181l!, lU. Barras recut du Roi le
billet suivant : « Les circonstances ne me permettant pas de voir
en ce moment l\I. le général comte Barras, et connaissant les
services qu'il a d('ja cherché a me rendre dans le temps qu'il
était membre du Directoire exécutif, ainsi que ceux qu'il peut
me rendre encore en ce moment, je l'engage acommuniquer
avec MM. le duc d'Havré et le comte de B1acas, auxquels il
doit avoir une pleine et cntiere confiance. LüUIS. »


1\1. le vicomte de Barras vit 1\1. de Blacas. L'entrevue cut lieu
cnc7. ~l. \e uue u'Ha-vré , d()\\t la l()~aut~ ins\1irait une g,rande con-
fiance aux Patriotes. « 1\1. le comte, dit Barras au favori royal,
lOUS étes sur un volean, vous n'ignorez pas les intelligences qui
existent entre I'ile d'Elbe , Murat et Joseph Bonaparte, I'armée ,
les généraux, et méme les Tuileries. Vous avez commis bien des
fautes, et la plus grande de toutes est celle d'avoir éloigné les
Patriotes, et conservé les Bonapartistes en place. -1\1. le vi-
eomte, répondit le ministre, les intéréts personnels excitent
souvent de fausses craintes; il ne faut pas s'en rapporter aux alar-
mistes, qui ne cherchent qu'a grossir le danger de la position
actueIle. - Je savais bien, lui répliqua Barras, que vous ne
me comprendriez paso Vous étes mon parent; a vingt-cinq ans
vous avez émigré, vous avez vingt ans d'émigration, et vous n'avez
rien appris ni rien oublié. Vous ne comprenez pas le danger; vous
en faites courír au Roi, en ne voulantpas vous pénétrer de l'état
des choses. Vous Cíes sur un volean, vous dis-jc, et vous ne vous en
doutez mémc paso ñlais il y a des choses que je ne veux et que je
ne peux dire qu'au Iloi. Du reste, soyez tranquille , jo ne lCUX
pas me placer entre le Roi et '"OU8. Tout ce que je puis vous
dire avous, pour que vous en fassiez le rapport aSa .:\Iajesté ,
c'est que la conjuration est flagrante, que j'en connais tous les
fils , que l\Iuraí n'y est pas étranger..... Sous ce point de vue jc
puis me rendre tres-titile. Cal' de tous les hommes dont j'ai fait
la fortune, étant au pouvoir , tous ont été envers moi des in-
grats, Bonaparte tout le premíer, Un seul m'est resté attaché ,




240 I1ISrOlRE DE LA RE5TAuRATION..
c'est Murat, qui a en moi une entiere confiance. J'oílre au Roi


.de me reudre a Naples , sans aucune mission ostensible. La, je
ferai connaitre a Murat que, les Bourbons étant rétablis sur le
trñnc de France , aucun roi intrus , sur aucun tróne de l'Europe,
ne pourra exister, pas plus lui que Bernadotte, et en consé-
quence , je me fais fort de lui faire comprendre qu'il doit tran-
siger de sa couronne contre les indemnités qu'on lui assurera, et
par la je parviendrai a déjouer la conjuration. Voila tout ce que
je puis vousdire ; mais, quant au fond des ehoses , je le répete ,
je ne puis le révélcr qu'au Roi..... ) Barras rompit la la confé-
rence , et il n'eut plus aueun rapport aveela eour.


En méme temps le Roi ordonnait a lU. de Blacas de consulter
Fouehé. L'habile jacobin avait déja exposé ses idées au Roid'une
maniere précise dans un mémoire mis sous les yeux de Sa l\Ia-
jesté par l'intermédiaire de J1I. le due d'Ilavré, JI y disait : « Gar-
dez le silence sur tous les torts ; placez-vous a la tete du bien qui
s'est fait depuis vingt-cinq ans; rejetez le mal sur les gouverne-
ments qui vous ont précédé , et plus justemcnt encore sur les
événemeuts, Scrvez-vous a la fois de la vcrtu qui a éclaté dans
l'oppression, de l'énergie qui s'est développée dans nos discor-
des, et des talents qui se sont produits dans le délire. Si le ROl
ne prend pas la nation pour point d'appui , son autorité s'affai-
blira , ses courtisans seront réduits ~\ provoquer autour de lui
de stériles hommages qui le perdront, » I..e but de Fouché était
d'appuyer la Ilestaurntion sur les Patriotes, et d'cntralncr le Roí
aeette grande concession, n conscntit done 11 voir lU. de Blacas,
La conférence fut indiquée chcz 1\1. le duc de Dalberg , dans son
hótel , ruc d'Anjou-Saint-Honoré. C'était dans le cabiuct qui scrt
encere aujourd'hui ~l -'1. de Dalberg. Fouché arriva le prcmicr
au rendez-vous. Quelqucs instants apres lU. de Blacasentra et se
placa , appuyé sur la chcminée, Quclqucs mots de politesse a
peine échangés , lU. de Blacas exposa la commission qu'il avait
rccue du Iloi. Dans quelle situation se trouvent leRoi ct laFrance ?
quels sont les moycns de fortifier le Couvernement ? Yoilá les
questions qui furent posees. « .lU. le comte , répondit Fouché ,




CIJAPITHE Ir. 2l~1
avant toute chose , il est essentiel que vous connaissiez parfaite-
ment mes opinions et mes sentiments sur quelques-uns des grands
faits qui se sont accomplis depuis quarante ans. Nousavons suivi,
vous et moi, des banniéres difTérentes; il est donc impossible
que nous ayons une commune maniere de voir et de sentir sur
la Révolution. Je la crois un fait indestructible, et je pense que
le Gouvernement ne peut pas plus exister sans en tenir compte
qu'un corps peut se passer d'appuis. On peut différer d'opinion
sur les actes de la Révolution; et moi aussi il en est des actes que
je deploro I ; il cst un vote que j'ai donné et qui me pese, mais
tout cela n'est pas la Ilévolution , ce sont de cruels épisodes; si
vous voulez lutter avec ce grand Iait , il vous brisera. - ñlais ,
répondit JI. de Blacas , toute transaction est impossible entre la
vérité et I'erreur, entre la Ilévolution et la légitimité; cornrnent
voulez-vous que le Iloi tendc la main ~l ceux qui 1'ont chassé ?
n'était-ce P.1S assez qu'il leur pardonne? - Vous vous trom-
pez; il ne s'agit pas d'une question d'hommes , mais de choses;
il faut que la nation soit bien persuadée que le Iloi adopte la Ilé-
volution ; c'est pourquoi la premiere , et la plus grande faute,
c'est d'avoir suhstitué une couleur noble sans doute , mais étran-
gere panni nous depuis trente ans, au drapean national : c'était
pour le roi Louis XVIII le méme sacrifice que la messe pour
Henri IV. -Quoi! Louis XVIII aurait adopté le drapeau tri-
colore ! les couleurs des bourreaux auraient orné le diadeuie
de la victime! - M. de Blacas , je sens profondément comme
vous; je saisqu'il doit en coütcr aLouis XYlIl , ala fam.ille royale
d'épouser une cause qui a fait tombcr la tete de Louis XVI; cette
tete est un obsracle sanglant entre nous et la Hestauration, el
YOiU\ précisément une des causes du malaisc que la royauté
éprouve , il faut, dans les grandes crises publiques, des ames au-
dessus des sentimcnts vulgaires ! On ne gouverne pas plus les
États avec les souvcnirs et les répngnances qu'avec le remords,
Si 1'on se borne agémir sur les crimes de la nation , on ne peut


I 11 ne faut pas oublicr que Fouché parlait a1\1. de Blacas.~;~:
l. t~I -,.,


:;




242 HI5rOIRE DE LA UE5rAURATION.
invoquer sa confiance et ses services; je suis doué d'une ame
aussisensible que la vótre , lU. le comte ; je hais le sang, et, de
quelque maniere qu'on juge ma vie, méme en la séparant des cir-
constances extraordinaires OU 1'0n ne s'apparticnt pas, j'ai tou-
jours penséque le sang perdait une causc; et ne eroyez-vouspas
que mille fois j'ai réfléchi au 21 janvier l quc cette image de
Louis XVI m'a poursuivi dans ma csrtiere si longue, si agitée!
l\lais enfin e'est un fait irrévoeablement accompli! il faut l'adop-
ter plutót que l'expier. - Quoi, adopter le régicide! vousvou-
lez que le frere de Louis XVI eesse de pleurer l'augustc victime!
- Vous ne me eomprenez pas; il est des autels domestiques,
un eulte privé, et ce n'est pas moi qui veux tarir de justes larmes;
mais ee deuil public, cette protestation continuellc contre la Ré-
volution, ínquiétent les esprits , menaeent tous les intéréts,
Croyez-vous que les acquéreurs de biens nationaux soient tran-
quilles lorsque vous attaquez chaque jour l'autorité qui fonde
leur titre! croyez-vous que l'armée souffre patiemment que vous
cxpiicz , comme un crime, le temps de ses gloires! - l\1ais la
parole du Roi protége les aequéreurs des biens confisqués, l'ar-
mée n'a pasase plaindre, Louis XVIII I'a sauvée des étrangers.
- Je respecte et je crois la parole royale ; ce n'cst pas le Roi
dont la France se' défie , mais de son entourage. Croyez, lU. le
comte,qu'il y a mécontentcment, et plus que cela, désaffection ;
i] peut éclatcr quelqu'un de ces matins un événement , je ne sais
lequel, et vous VCITez l'isolement de la famille des Bourbons. Au
reste, aquoi bon me faire consultor 1 nous différons de princi-
pes; HOUS ne pouvons nous rencontrer, J e pars des faits, mus
partez d'un sentiment! - J'ai suivi les ordres du Roi, répliqua
:\l. de Blacas '; j e me retire. »


Sur cela on se sépara. Le duc d'Otrantc et :\1. de Blacas tra-
versereut l'un apres I'autre le cabinet de l\l. le duc de Dalberg.
Fouché dit au duc en raillant : « Que le Iloi continue ase senil'
de cet homme, et il lui fera perdre dix couronnes les unes apres
les autres. » Le duc de Blacas dit également quelques instants
apres : « Je viens de donner an Roi la plus grande preuve de dé-




CIIAPITRE IV. 243
vouement en me trouvant tete-a-tete arce cct assassin , que le
Roi suive la marche qu'il indique, et il se trouvera hientót sans
appui ni d'un cóté ni de l'autre. »


Telles étaient done la situation des afIaircs et la position du
Gouvernement, lorsque l\I. de Talleyrand quitta Paris pour se
rendre au congrés de Vienne.




CHAPITRE v,


LE CO~GRtS DE VTE~NE; DÉBARQUEMENT DE BONAPARTE.


Situation des Souverains a Yieunc. - Les Miuistre s , - Position de la
France, - Plénipotentiaires. - Bals et l'Iaisirs. - Conférences. - lu-
téréts de la Prusse , - de l'Autriche, - Ri-glemellt des iuderunités, -
Divisious. - Qucstions de la Saxe, - de la Pologlle. - Naples el M urato
_ Opinions eu Frailee sur le Coug res de Vicnne. - Fautes du Minlstere,
_ Premier mouvcme nt patriote el impér-ial iste. - Mural et Napoléoll.-
Déharqucmcut au golfe Juan. - Gouvernemeut royal. - Mesures. -
Causes du suecos de Bouaparte. - Départ de Louis XVIII.


Septenlb.oe 181~. - lllars 1815.


LE plus grand événement politique de la Rcstauration, c'est
évidemmcnt le Congres de Vienne. Les révolutions passent, le~
príncipes sesuccedent, maislestransactionsdiplomatiques restent
toujours debout dans l'histoire du droit public européen. Le
Congres de Yienne est la base sur laquelle se décident encere
toutes les questions : les uns le hláment , les autres le louent;
mais, en toute hypothése , c'est un fait invariablement acquis
et auquel nul Cabinet ne peut toucher sans amener la guerre
générale. Je m'arréte done al'histoire des transactionsde Vienne,
comme sur un des graves événements de l'époque. Le Congres
de Vicnne a deux parties distinctes, l'une publique, l'autre se-
crete, et dont les pieces ne sont plus aux archives du ministére.
.1\1. de Talleyrand a eu la précaution d'en distraire sa correspon-
dance particuliere et anecdotique avec LouisXVIII: il ne reste
plus que la correspondance politique et officielle, ouvragc de
M. de la Besnardiére. Quelques Iettres secretes ont été pourtant
sauvées , et des copies m'en sont parveuues. C'est ¡l l'aide d'une
grande masse de faits et de renseignemenrs qni me sont person-




CHAPITRE v, 2ú5
neis, que j'ai rédigé ce travail, Le trairé de Paris avait déter-
miné que, dans le délai de deux mois , toutes les puissauces qui
avaient été engagées dans la gucrrc cnverraient des plcnipotcn-
tiaires ¿l Viennc, pour réglcr , dans un congres génóral , les ar-
rangements qui dcvaient compléter les dispositious arrétées. La
date du traité de París étant du 30 mai , les plénipotentiaires
devaicnt se réunir avant le 30 juillet ; mais les voyages des troís
Souverains a Londres , le retour de l'cmpereur Alexaudre a
Saiut-Pétersbourg , occasiounerent quelques retards. On an-
nouca que le Congrés ne s'ouvrirait que dans le mois de sep-
tcmbrc. En effet, le roi de Prusse et l'empcreur de Ilussie
firent leur entrée solennclle ¿l Viennc le 25 de ce mois : suecos-
sivcmeut les rois de Danemark , de Baviere , de ""urtemberg(
ct presque toute la Iamille impériale de Ilussie ct de Prusse
viureut faire cortégc aux Souverains a1Ii('s.


Au milieu des retes et des dissipations de la cour de Vienne ,
et de cette colme de Ilois , comme le disait spirituellement le
prince de Ligne , toutes les chancelleries s'organisaient. Les
quatrc grandes cours , dont les résolutions devaient en déíinitive
dominer le Congri's, étaient représcntécs , savoir : L\ utriche ,
par M. de )Ietternich et le baron de "-essrmberg. 1.e priuce de
}letternich, claucclier de l'Empire , esprit souple , hahile ,
éclairé , avait exercé une si grande influcnce sur la chntc de
Napoléon , qu'il conservait aupres de son maitre et des autres
souverains un puissant crédito }I. de 'Uettemich savait admira-
blcment conduirc une négociation; S3 dextérité extreme ne né-
gligeait aucun moyen; personne n'avait plus de perspicacité ,
personne aussi n'en usait avcc plus de ménagements : c'était la
vieille école autrichicnnc , prudente, active et discreto, 31. de
Wessemberg, hommc de travail , n'avait qu'uue iufluence tres-
sccondaire dans }es J}égociation~. L'Anglercrrc était d'abord re-
próscntée par \on1 Ca~tler('ag;h, son premier rl(~nipot('lltiaire 1 :


1 Le duc de \Yl'llillglcll n'arri va que plus Ia.tl , lorsjue Il'~ JiClíS-
sious du l'arl cmeut appcl¿'rcnl lord Casüerea ;': ú Loulrcs.




2h6 mSTOTRE DE tA RESTAURATION.
lord Castlcreagh, d'une énergie puissantc de volonté, était
préoccupé de certaines idées sur l'Europe ; telles étaient la
constitution du royaume des Pays-Bas, la reconstruction de la
Prusse , comme barriere contre la Russie. Le général Cathcart
s'absorhait dans les questions militaires; les lords Clancarty et
Stwart avaient des habitudes de négociations et de travail. L'em-
pereur Alexandre s'étant réservé en personne la partie la plus
active des négociationsrusses, 1\1. de Nesselrode, et 1\1. de Rasou-
moffski, qui lui avait été adjoint, ne jouérent qu'un role passí]
et obéissant dans le Congres.La plus forte, la plus habile des
grandes légations fut celle de Prusse; 1\1. le chancelier de Har-
denberg , avec plus de franchise que JI. de lUetternich, avait
une dextérité non moins grande, quoiqu'il la cachát sous la gé-
néralité des principes philosophiques : il défendit les intéréts
de la Prusse , si compliques et si importants, avee une persé-
vérance , un suecos tcI, qu'on peut dire qu'il joua le premier
rñle au Congrés de Vienne. Il y fut parfaitement secondé par
M. de Humboldt, homme de modération, de science et d'es-
prit.


Les quatre grandes cours avaient arégler entre elles des in-
téréts particuliers résultant des traités dont nous avons déja eu
l'occasion de parlero Il avait été arrété , par la convcntion de
Breslaw, de reconstruire la Prusse sur des proportions statisti-
ques , géographiques et financieres conformes ace qu'elle était
en 1806; le traité de Tmplitz avait également arrété la recon-
struction des monarchiesprussienne et autrichienne telles qu'e11es
existaient en 1805. La dissolution de la Confédération du Rhin,
l'indépendance des Úats intermédiaires d'Allcmagne , le réta-
blisscment de la maison de Brunswick dans le lIanovre, un ar-
rangement enfin entre les trois Puissanccs pour la disposition du
grand-duché de Yarsovie, Dans les traités secrets de Chaumont
et de Paris, ces mémes stipulationsavaient été renouveléesd'une
maniere plus claire et plus explicite, mais un grand nombre de
questions rcstaient a résoudre; il fallait appliqucr ades circón-
scriptions de territoire ces principcs généralcment posés , ce qui




CHAPITRE v. 247
devaít donner lieu ades difficultés. C'est adessein que j'ai placé
la Franco dans une position 11 part au Congres de Yiennc. Ses
limites avaient été inflexiblement déterminées par le traité de
Paris : elle n'avait ríen agagner dans ces délibérations du Con-
gres: bien au contraire, on s'était réuni pour partager les dé-
pouillcs du vaste empire de Napoléon. On allait reeonstituer
I'Europe, et, dans eette ceuvre immense, la Franee ne pouvait
exercer qu'une influencemorale au profit de tel ou tel systéme,
d'une circonscription plus ou moins favorable 11 la balanceeuro-
péenne. l\I. de Talleyrand , 11 vrai dire , le seul plénipoten-
tiaire íraneais , s'était fait suivre de 1\1\\1. de Dalberg, Latour-
du-Pin , Alexis de NoaiJIes et de la Besnardiere, Comme on lui
demandait pourquoi il emmenait une légation si nombreuse , il
répondit avec son ton offieiel et moqueur: ce J'emméne Dalberg
paree qu'il me servira, par ses relations, 11 propager les secrets
que je veux que tout le monde sache '. Noailles est l'homme du
pavillon l\larsan; et a étre surveillé, tant vaut-il que je le sois
par un agentque je choisis , que par un autre qui me serait in-
connu. Latour-du-Pin me servira a signer les passe-ports, et
c'est nécessaire; je me réserve la Besnardierepour le travail. « La
cour de Franee était alors pénétrée de l'idée qu'il fallait posel'
l'absolu principe de légitimité, et par conséquent rétablir les
Bourbons 11 Naples. Au besoin, 1\1. de Talleyrand aurait concen-
tré la capacité loyale de 1\1. de Noailles dans les paisibles tra-
vaux du rétablissement de l'ordre de l\laIte, auquel le jeune
eomte paraissait prendre un exclusif intérét,


La position de la légation francaise aVienne était difficile;
elle ne pouvait oublier, et les alliés oubliaient moins encore
qu'elle que c'étaít 11 leurs succes en France que Louis XVIII
devait le rétahlissement de sa racc sur le tróne de ses ancétres :
on pouvait , atout propos, jeter dans la discussion des reproches
d'ingratitudequi rendraient fort pénible l'attitude de l\I. de Tal-


1 On sait avec quclte légcrcté insultante 1Ir. de Tallcyrand [ugcalt
souvent lcs hommes el les choses i jc rapporte .I'opinion d'un homme ,
mais non l'opinion publique.




248 HISTüIRE DE LA RESTAURATION.
leyrand, Toutefois Louis XVIII, avec un haut sentiment des
convenances et de sa propre dignité , avait rédigé de sa main
des instructions pour son plénipotentiaire au Congrés : elles re-
posaient sur ce principe « que la conquéte et la possession vio-
lente ne donnent aucun droit, si elle n'est sanctionnée volontaire-
ment par une renonciation ou par un traité; » en partant de
cette base, il était facile de défendre les droits du roi de Saxe si
injustement dépouíllé , et de faire revivre les prétentions de la
maíson de Bourbon sur le tróne de Naples, alors occupé par
Mural.


L'Fspagne s'était fait représenter par l\l. de Labrador, qui
avait joué un role important auprés de Ferdinand VII, homme
d'esprit , et d'une certaine hauteur de formes et de prétcntions
que soutenait I'héroíque conduite de I'Espagne dans la derniere
guerre contre Napoléon. Les intéréts de Ferdinand seliaientesscn-
tiellement a ceux de la branche ainée , quoique dans un article
secret , signé en 1814, a Paris, l'Angleterre eüt exigé que la
Franee renoncerait atont jamáis au pacte de famille; M. de La-
brador devait appuyer la méme doctrine par rapport aXaples ,
et surtout pour le rétablisscment de quelques-uns des apanages
des Infants en Italie. TeI était , par exemple, le royaume éphé-
mere d'Étrurie , institué par le premier consul Bonaparte. C'est
sur ce point que I'Espagne devait se trouver particulierement en
opposition avec l' Autriche , qui défendait les droits des archi-
ducs sur ces mérnes portions de l' Italie. Le roi des Deux-Sicilcs
s'était joint a la Frunce et aI'Espagne pour réclarner son héritage
détenu par Joachim :\!urat. te commandeur nutro, qui avaít
joué un role célebre a Naplcs lors des réactions sous la reine
Caroline , un des hommes les plus remarquahles, réclamait avec
chalcur les droits de son maitre; il était sccondé par le duc de
Serra Capriola, second plénipotcntiaire. Murat cherchait, sous
la protection de l' Autriche , a repousser ces prétentions COll-
traires aux traités et ala fois promise; il avait envoyé au COIl-
gres le duc de CampoChiaro ct le prince Cariati, maison parlait
de ne point les admottre commc onvovés de souverain reronnu.




ellA PITRE Y. 24.9
La Suede avait rendu de grands senices a la coalition; et


le Prince royal avait sauvé Berlin dans la campagne de 1813.
Déja elle avait recu en dódommagement la Norwege , possession
ingrate qu'il fallait en quelquc sorte conquérir, te Roi avait en-
voyé au Congres un plénipotentiaire habile , spirituel , le comte
de Lowenhielm. Le Danemark, fidele et dernier allié de Napo-
léon et de la France, était représenté par les deux comtes de
Bernstorff Leur role était difficile; ils avaient ~l demander un
dédommagement pour la cession de la Norwege , et ils ne pou-
vaient se dissimuler que la fidólité un Danemark ~l la cause de
Napoléon serait invoquée centre eux pour leur refuser toute
indemnité. Le nouveau roi des Pays-Bas n'avait rien a réclamer
comme souverain. Le royaume confié a la maison d'Orange était
une création toutc récente , et l'adjonction de la Belgique ala
Hollande était assez avantageuse a la nouvelle dynastie pour
qu'elle n'eüt qu'a désirer la consolidation de ce qui était; toute-
fois, comme maisou princierc et comme Iamille , le chef de la
maison d'Orangc avait droit l\ certaines indemnités pour ses pos-
sessions d'Allemagnc, cal' il était décidé que la Prusse se les
attrihueraít pour arrondir ses ]~Lats: le prince de Nassau était,
sur tóus ces points , vivcment secondé par l'Anglcterrc , ~l la-
quelle le royaume des Pays-Bas devait sa formation. Ses pléni-
potentiairesn'étaient que les échos des résolutions de la légation
anglaise, Tous les autres Í~tats de second ct de troisiéme ordres
avaient également euvoyé des plénipotcntiaires. Le Portugal, qui
n'avait d'autre intérét que celui de ses eolonies et sa limitation
avec l'Espagne, était rcpréscnté par l\BI. de Palmella, de Sal-
danha et de Silveira. le roi de Sardaigne , traité si avantageuse-
ment, cal' on voulait faire de son royaume une barriere contre
la France , avait envoyé le marquis de Saint-Jlarsan et le comte
Rossi. La Baviere et le "Turtel1lberg , si puissammcnt intéressés
dans laquestion de la Confédération genuanique , avaient dé-
puté comme plénipotentiaircs )1'(, le prince de 'Yredc et Vit-
zingerode. Les cantons suisscs, qui attendaient leur constituiion
du congres , s'v étaient fait représcntcr par les landanunans




250 mSTüIRE DE LA RESTAURATION.·
1\DI. de Reinhard et l\Iontmach; le pape, par le cardinal de
Gonsalvi, prélat spirituel, souple, et comme il le fallait pour
une puissance toute morale. 11 n'y avait pas un petit prince d' AI-
lemagne, pas un grand-duc , électeur, prince ou duc , qui n'eüt
sa représentation au Congrés; d'autres plénipotentiaires n'avaient
pu se faire admettre. Nous avons déja parlé des envoyés de Joa-
chim Murat. I1 y avait encore le représcntant du malheurcux
roí de Saxe, privé .de ses États, et alors auguste captif des
puissances alliées; ces puissauces s'annoncaient pourtant comme
réparatrices des injustices que l'esprit de conquéte avait COlIl-
mises depuis quarante ans! te marquis de Brignolles était
envoyé par le gou vernement de Genes pour soutenir l'indé-
pendance de cette cité violemment réunie aux États du roí de
Sardaigne et de Piémont, contre la foi des conventions signées
avec lord Bentinck.


Toute l'Europe était ainsi assemblée a Vienne : les retes y suc-
cédaient aux retes; jamais un pareilluxe n'avait été déployé dans
la vieille capitale de l' Autriche. Des représentations théátrales ,
des bals masqués OU toutes les grandeurs couronnées se mélaient
a la foulq , la familiarité des souverains , la singularité des cos-
turnes, la varié té des mceurs , des habitudes, tout jetait les tran-
quilles habitants de Vienne dans une espéce d'enchantement. Le
Prince de Ligne Iui-méme , ce héros de tant de cours, et qui
avait touché de si pres les grandeurs royales, n'avait pu se dé-
fendre d'une sorte d'éblouissement , c'cst alors qu'il dit ce mot
qui retentit dans I'Europe : « Le congrés danse , mais il ne
marche pas. » Une dépéche secrete de 1\1. de Talleyrand a
Louis XVIII passe en revue tous les personnages politiques
avec leurs intrigues, les aventures galantes des bals masqués; le
mysticisme de l' empereur Alexandre agenouillé dans un oratoire
avec madame Krudner ; les bonnes fortunes de 1\1. "de lUetternich,
les rudes amours de lord Castlereagh. M. de Talleyrand décrit
un de ces baIs, une de ces redoutes brillantes: le roi de Prusse
y avait été longtemps agacé par un domino noir; l'empereur
d' Autriche s'était montré en costume hongrois , avec une on-




CHAPITRE v. 251
doyante pelisse, le roi Maximilien de Baviére portait l'uniforme
de colonel qu'il avait longtemps honoré au service de Napoléon.
J..a figure colossale du roi de 'Vurtemberg était apeine déguisée
par son vaste domino brillant d'or; il avait longtemps causé avec
la duchesse d'Oldenbourg, sceur de l'empereur Alexandre, qu'il
aimait et qui s'était cachée sous l'humble eostume de grisette;
puis le roi de Danemark, avee sa grosse gaieté, que le Prince
de Ligue avait nommé le loustic de la brigade royale , s'était en-
tretenu longtemps avec l\I. de lUetternich. Eugene Beauharnais
attira surtout l'attention de l\l. de Talleyrand; il avait épié ses
démarehes au bal, et on avait remarqué qu'il était l'objet des
vives amitiés de l'empereur Alexandre, ce qui inquiétait. Le spi-
rituel narrateur ne manque pas un costume d'archiducs, de
princes, souverains, dignitaires; ce qui faisait dire aLouis XVIII:
« 1\1. de Talleyrand n'a oublié qu'une seule ehose, c'est de nous
faire savoir quel était son eostume alui, cal' il en a de reehange. »
On ne parlait dans toutes les réunions, a Paris, a Londres, a
Saint-Pétersbourg et Berlín, que du Congrés de Vienne. On ne
se faisait pas une idée bien nette et bien précíse de son esprit,
de ses projcts , de ses résultats définitifs. 11 y avait eu depuis
deux siecles bien des assemblées diplomatiques décorées du nom
de congreso Le congrés de ñlunster avait duré cinq ans, et s'était
terminé par la paix de 'Vestphalie, en 1648; eelui de Nimegue
s'était conclu sous l'influence des deux médiateurs, le pape et le
roi d'Angleterre; celui de Riswick, en 1697, n'avait rien pro-
duit de général : I'Angleterre et la France y avaient traité la paix
apart; celui d'Utrecht amena une paix générale. A Aix-la-Cha-
pelle, en 17h7 , aTeschen, en 1779, rien de grand et de du-
rable n'avait été décidé, On savait aussi les résultats des congres
plus récents de Hastadt et d' Amicns; tous avaient été brusque-
ment rompus ou n'avaient produit que des fruits stériles. Le Con-
gres de Vienne aurait-il une plus haute destinée!


Il ne pouvait y avoir de Puissances influentes au Congres que
les quatre grandes cours alliées , l' Autriche , l' Angleterre, la
Prusse et la Hussie; les autres cabinets ne devaient tirer leur




~J2 II1SrOTnE DE LA HESTAlJHATIO:.\.
force et lcur importancc que des divisions ¿l naitre entre elles
au sujet de la distribution des territoircs. Cclte dircction exclu-
sive que voulaient s'attrihuer les quatrc Puissauces parut dans les
premiers travaux du Congreso Des le 16 septembre, les plénipo-
tentiaires des quatre grandes cours ouvrirent des conférences pré-
limiuaircs sur le premier articlc secret du traité dc Paris , ainsi
COlH;U : « La disposition afaire des territoires auxquels Sa iUajesté
trés-chrétienne renonee, par I'article 5 du traité patent, et les
rapports desqucls dcvait résuher un équilibre réel et durable en
Europe , seront réglés en congres sur les bases arrétées P'!!' les
Puissances allices clles-mémes. » Se fondant sur cet article, les
plénipotentiaires soutinrent que, pour tout ce qui tenait a ces
arrangements , il dcvait étre formé un comité spécial, composé
exclusivcment des représcntants des quatre grandes cours, les-
quels , une íois arrétés sur les bases, les communiqueraient a la
France et a I'Espagne. En conséquence, un protocole fut ar-
reté. Il y était dit : « que les quatre Pnissanccs conviendraieut
entre elles seules de la disposition des provinces disponibles,
d'apres le traité de París, et que la France et I'Espagne seraient
ensuite admiscs pour énoncer leur avis et faire , si elles le ju-
gcaient a propos , des objcctions qui seraient discutécs avec
elles.» Par I'adoption de ce protocole, les intentions de la Hus-
sie , de la Prusse et de l'Autrichc étaient manifestes. Les trois
Souverains étaieut alors préoccupés chacun d'un intérét spécial,
L'empereur Alexaudro voyait , dans la constitution de la Pologne
intimement liée á la Ilussie , la souree d'une grande et complete
influence du cahinet de Saiut-Pétcrsbourg sur le midi de l'Eu-
rope. Alcxaudre faisait de cettc affaire sa pcnsé« exclusive: ce
n' était pas lH. de Nessclrode qui rédigeait les notes ou les mé-
moires : le Czar défendait les prétcntions de sa chancellerie avec
une chaleur , une vivacité de formes et d'expressions qui rcn-
daicnt la pnsition des autrcs chancellcrics diíficilc. Alcxandre
comptait , sinon sur l'appui , au iuoius sur le silcnce de la léga-
tion francaise , si bien que, lorsque cellc-cí voulut prendrc une
attítude indépendantc , Alexandre I iuvoquaut avcc aigreur les




ClL\l'lTUE ro 253
services qu'il avait rendus ~l la maison de Bourbou, dit au pre-


miel' píémpotenuaú'e ri'ancais : « J'auraIs compre sur plus de
reconnaissance, » Les légations russe et írancaise cesserent de
se voir ; les sujets du Czar recurent l'ordre de ne plus se mon-
trer dans les salons du premier plénipotentiaire de Louis X VIII.
La fut le germe des répugnances de l'empereur de Russie pour
1\1. de Talleyrand ; il l'avait trouvé si complaisant, si dévouélors
du traité de París , que le Czar considérait comme une insigne
mauvaise foi les contrariétés qu'il éprouvait; lU. de Talleyrand
écrivit secretemeut aLouis XVIII pour l'informer de eette situa-
tion de la légation francaise aupres d'Alexandrc : il s'agissait
alors d'essayer le mariage du due de Berri avcc une princesse
russe, Cette pensée était un ohstacle aux desseius de JI. de Tal-
leyrand. Entre nutres raisons données par le premier plénipo-
tentiaire franrais pour détouruer Louis XVIII de cette idée , il
en est une singuliére , c'est que l'Empereur n'était 7Jas d'ussez
bonne maisou ; les RomanoIT seraient fort honorés de s'allier aux
Bourbons.


Le roi de Prusse avait égalemcnt sa préoecupation; elle con-
sistait aréunir la Saxe asa monarchie. Sous le rapport territorial,
rien ne convenait mieux au cahinct de Berlín. La convcntiou de
Breslaw et le traité de To-plitz avaieut posé en fait qu'il fallait
reconstruire la Prnssc sur l'échelle de ses possessions en 1RO:', et
la Saxe l'arrondissait parfaitement. Frédéric-Guillaume s'occu-
pait lui-méme de faire consacrer cette triste spoliation sur un
monarque vénérable , alors captif , et qu'on punissait de sa
loyauté envers Napoléon. La Saxe était oceupée par les troupes
prussicnnes , administréc par les autorités prussiennes: le prince
de Hardcnberg se consacra dans le congres ¿l la défense de eet
exclusif intérét. J:Autriche , ¿l son tour, songeait ¿l s'assurer sa
haute influence dans I'Italie dont elle était alors presque mal-
tresse par l'occupation : la distrihution de ce tcrritoiro lui im-
portait fortement. L' cmpercur Franrois se mélait peu d'affaires;
il n'avait pas , conune Al{'xandrc, ce besoin rl'érrirc et de dé-
velopper ses idées; M. de ?letternich seul agissait au congres ;


1. 22




254. HISTOIRE DE LA RESTAURATIO~. '
Francois II était absorbé par cet apparat de retes, de redoutes,
de galas; il cherchait adistraire l'imaginationémoussée 'du Czar,
et l'esprit simple et militaire du roi de Prusse. L'union la plus
intime régnait en. apparence parmi les trois Souverains. L'ai-
greur était réservée pour les notes de chancellerie ; souvent une
conversation intime, a la sortie d'un bal, accélérait des rappro-
chements que les plénipotentiaires avaient vainement cherchés,
Quant a l'Angleterre, sans avoir d'íntérét territorial, si ce n'est
pour le royaume des Pays-Bas et'le Hanovre, dans la distribu-
tion de la conquéte , elleavait pris .une part trop largeala coali-
tion, elle avait une assez grande influence sur le continent pour
entrer dans l'examen-préliminaíre de toutes les questions qui se
.mélaient ala balance générale de l'Europe. Lord Castlereagh ne
vit point d'abord qu'en repoussant la France et l'Espagnede ces
délibérations préparatoires, il se privait , dans la discussion, de
deux auxiliaires qui avaientlesmémes intéréts que l'Angleterre ;
bientót il reconnut son erreur.


Lorsque le protocole du 22 septembre fut communiqué a la
légation francaise , 1\1. de Talleyrand envoya en réponse une pre-
miere note. Il y était dit : « Que la dénomination d'alliés était
tombée par le seul fait de la paix ; qu'il n'existait a ses yeux
qu'un congresgénéral auquel toutes les Puissances étaient appe-
lées aconcourir; qu'ilnc s'opposait point ¡l ce que les quatre
Puissances'forma~sent un comité, mais un comité de simples
propositions. » Cette idée ne fut point goütée par les grandes
cours; elles maintinrent le principe d'un comité dirigeant; mais
de quels plénípotentiaires ce comité serait-il composé? Beau-
coup de notes furent échangées sur ce point; on arréta cnfin
que toutes les Puissances signataires au traité de Paris seraient
appelées afaire partie de ce comité, par conséquent l'Autriche,
l'Espagne, la France , la Grande-Bretagne, le Portugal, la
Prusse, la Russie et la Suéde, JI prít le nom de Comité des
huit Puissanccs. Son premier acte fut une déclaration qui
ajournait jusqu'au 1cr novembrel'ouverture officielle et généralc
du.congrés, paree qu'il était de l'intérét de toutes les parties




CHAPITRE 1'. 255
intervenantesde suspendre la réuníon de leurs plénipotentiaires,
jusqu'a l'époque OU les qucstions sur lesquelles 011 devait pro-
noncer seraient parvenues aun degré de maturité suffisante. On
enregistra sans observations les pouvoirs des plénipotentiaires ,
mérne ceux des légations de Joachim ñlurat , roi de Naples , du
roi de Saxe , et de la république de Genes. A la suite, des comités
spéciaux furent formé s pour chacune des affaires dont le congres
devait s'occuper, savoir : pour le grand duché de Varsovie, la
Saxe, l'Italie , le royaume des Pays-Bas, la confédération ger-
manique , la fédération suisse : un dernier comité fut étahli
pour la solution de quelques difficultés de préséances diploma-
~~ .


Une questíon préJiminaire fut posée : comment procederaít le
congrés pour régler les indemnités? compterait-on par territoire
ou par ames? On se décida pour ce dernier mode; les Cabinets
ne songeaient qu'a l'égoiste intérét de leur agrandissement ; nous
ne disons pas qu'en cela ils n'usassent d'un des droits de la con-
quéte et de la victoire; mais, en présence du roi de Saxe, dé-
pouillé du grand duché de Varsovie livré aux Russes, de ce
morcellemcnt de territoires déterminés par des promesses de
tant d'dmes [aitcs ti {el prince.. on pouvait se dispenser de par-
ler de générosité , et de faire de mystiques déclarations d'huma-
nité et de grandeur! On a déja dit l'intérét personnel et puissant
que mettait l'empereur Alexandre a la constitution d'une Po-
logne, unie a l'empire russe. Un traité secret et particulier lui
avait, sur ce point, assuré l'assentiment et l'appui de la Prusse j
le Czar reconnaissait le dépouillement du roi de Saxe en faveur
de Frédéric-GuiJIaume, et ce prince, a son tour, adhérait a
toutes les prétentions d'Alcxandre sur la Pologne; leur politique
était done ainsi inséparable; les négociations pouvaient se suivre
parallelement ; mais elles devaient se trouver, par la force des
choses , en opposition avec l'Autriche, directement intéressée a
ce que la Russie et la Prusse ne prissent pas une trop grande in-
fluence sur l'Allemagne; avec l'Angleterre, également opposée
a l'accroisscmcnt exorbitant de la puissance russe , déja si formi-




256 IITSTOInE DE lA RESTAURATI01\'.
dable en Asie et sur le Danuhe ; et enfln avec la Franee qui,
dans sa situation géographique , était menaeée par la Prusse. Les
autres Puissanees de second ordre avaient pris le partí de s'an-
nuler, mais secretement elles étaient unies a I'un ou a l'autre
systeme. C'est ainsi que s'engagerent les négociations sur la
Saxe et le duché de Varsovie ; une protestation du roi de -Saxe ,
contre l'administration prussienne, donna lieu, sur ces denx
points , au premier échange de notes; lord Castlereagh eommu-
niqua deux Mémoires au nom de sa cour, l'un a l'empercur
Alexnndre , l'autre au roi de Prusse. « Dans le premier, i1 disait
qu'il s'opposait itérativement el avec force, au nom de sa cour,
a l'ércction d'un royaume de Pologne qui fút uni et fit partie
intégrante de l'cmpire de Russie; le désir de sa cour étant de
voir une puissance indépendante plus ou moins considérable en
éteudue étahlie en Pologne sous une dynastie distinete, et comme
un État indépendant, entre les trois grandes monarchies. » Dans
un Mémoire adressé a la légation prussienne, lord Castlereagh
déclarait qu'il considérait la Prusse comme le seul fondement
solide de tout arrangcment quelconqueaétablir pour la süreté du
nord de l'Allemagne ; quant ¿l la question de la Saxe, il ajoutait
qu'il voyait avec peine une aussi vieille maison dépouillée , mais
que, si ce sacrifico était nécessaire, il n'y avait aueune répu-
gnanee. Ainsi le plénipotentiaire anglais distinguait parfaitement
la question de la Pologne d'avec celle de 1<1 réunion de la Saxe a
la monarchie prussienne; lord Castlereagh considérait alors la
reconstruction de la Prusse eomme une barriere opposée tout a
la fois a la Russie et ;1 la France. A toutes les époques d'ailleurs
les deux cours de Berlín et de I..ondres n'avaient-elles pas été
intimement unies?


L'Autriche , au contraire , envisageait la question de la Saxe
sous un autre point de vue ; lU. de ñlctternich disait : « Les pré-
tentions de la Prusse sur I'incorporation de la Saxe asamonar-
chie sont un véritable sujet de regrets pour l'Empereur. Sa
l\Iajesté Impériale voit avec peine qu'une des plus ancicnnes
dynasties de l'Europe puisse étre mcnacée de perdre tout le pa-




CHAPITRE v. 257
trimoine de ses peres dans un systeme réparateur; si en dernier
résultat la force des circonstances rendait la réunion de la Saxe
inévítable , Sa lUajesté Impériale y mettrait pour conditions,
I'entiere conformité de vue et d'intérét de la Prusse et de 1'Au-
triche, leur appui réciproque dans la question de la Pologne; .
enfin qu'on lierait la question de la Saxe aux arrangements pris
pour les affaires d' Allemagne et sa division en nord et en sud. n
La légation Irancaise agit dans le méme sens que l'Autriche.
Louis XVIII, dont la mere était d'origine saxonne, avait dé-
cIaré en son,conseil <l qu'il ne sanctionnerait jamais la cession
entiere de la Saxe »; lU. de Talleyrand cxposa « que la confisca-
tion, étant bannie du code des nations éclairées, ne pouvait, au
XIXC siecle , faire partic du droit publico Que denx millions de
Saxous ne s'affectionneraient jamais pour la dynastie nouvelle,
et que cette injustice serait peut-étre l'étincelle qui embraserait
un vaste incendie en Allemagne. » Cette cause du roi de Saxe
trouvait partout des sympathies , dans le Parlement anglais
comme dans les salons de Paris et dans les deux Chambres. La
Iégation francaise ayant en eonnaissance de l'attitude prise par
l'Anglcterrc et l'Autriche dans les deux qucstious de la Saxe et
du grand-duché de Varsovic , se sentant des 101's appuyé,e, n'hé-
sita plus a s'expliquer avec fcrrncté : « Les dynasties legitimes
ont été rétablies ; mais l'une d'elles est menacée , la révolution
n'est done point finie : que Iaut-il pour qu'elle finisse? Que le
principe de la légitimité triomphe sans restriction : que le Iloi


, et le rovaume de Saxe soicnt conservés , et que le royaume de
Naples soit rendu au légitime souverain. » M. de Talleyrand
soulevait ainsi une qucstion délicate , celle de Naples, et la liait
aune cause toute populaire, celle de la Saxe. Dans une lettre
écrite au roi Louis X VUI, lU. de Talleyrand expose toutes les
difficultés qu'il éprouve , la mauvaise humeur el'Alexandre qui
s'en va proclamant partout que les Bourhons sont des ingrats,
ses ministres des fourbes, et qu'il était bien raché d'avoir se-
condé la Rcstauration.


-La Prusserépondit avec aigreuraux observations de la France;




258 HISTOIRE DE lA RESTAURATIO~.
1\1. de Hardenherg ménageait l' Angleterre et cherchait a'fortifier
ses Iiens avec la Russie; Alexandre se montrait plus que jamais
décidé dans son projet sur la Pologne ; avant méme que le con-
gres eüt statué, Constantin, qui avait quitté Vienne le 9 no-
vembre, disait aux Polonais, dans une proclamation du 11 dé-
eembre: « L'Empereur, votre puissant proteeteur, vous fait un
appel; réunissez-vous autour de vos drapeaux; que votre bras
s'arme pour la défense de votre patrie et la conservation de votre
existence politiqueo )) Dans une seconde note, le eomte Nessel-
rode declara que huit milJions de Polonais étaient résolus de dé-
fendre l'indépendanee de Ieur pays, Ces démonstrations belli-
qucuses, les expressions vives et impérieuses de l'ernpereur
Alexandre engagerent les trois puíssants plénipotenlia~res de la
Franee, de l'Autriche et de l'Angleterre ase rapprocher de plus
en plus; tout prenait un aspect militaire a Vienne; malgré la
continuité des fétes , l'écIat et la variété des plaisirs de cour, on
ne dissimulait pas une rupture prochaine : les brillants carrou-
sels , les chasses, les tahleaux vivants , les hals parés et masqués
se multipIiaient; l'Impératrice d'Antriche hrodait des drapeaux
pour Alexandre , sur lesquels eIJe inscrivait ponr devise: ils sont
inséparahlemcnt unís ~ et dans le méme moment , les armées
autrichiennes se concentraient dans la lUoravie, et les grands
eorps russes et prussiens restaient au complet sous les armes.
Enfin, le 31 décembre 1814, la légation russe transmit aux plé-
nipotentiaires anglais et autrichien une nouvelle note: ce L'em-
pereur de Russie croit ne pouvoir donner a ses alliés de preuve
plus eonvaincante de l'invariabilité de ses sentiments qu'en leur
communiquant quelques idées qu'il juge propres afixer les rap-
ports entre les États. )) Ces idées étaient de céder quelques frag-
ments de la Pologne a la Prusse et ¿I ]'Autriche , de déclarer l'in-
dépendance des villes de Cracovie et de Thorn; le restant du
territoire devait étre étre dévolu , comme État uni, a la Russie;
l'Empereur se réservait de lui coneéder une constitution natío-
nale, et d'attribuer a cet Élat toute l'étendue intérieure qu'il
jugerait apropos. Pour s'expliquer eette derniere clause , iJ faut




CHAPITRE v. 259
savoir que la pcnsée d'Alexandre était de composer, avee les an-
ciennes provinces polonaises et le grand-duché de Yarsovie, un
grand royaume de Pologne; il avait rédigé de sa propre main
un lUémoire dans cet objeto L'Autriche et la Prusse méme s'y
opposerent., cal' elles prévoyaient bien qu'une fois cette Pologne
russe constituée , les provinces polonaises qui leur étaient attri-
buées par le partage s'y réuniraient tót ou tard; les conseillers
du Czar lui firent méme remarquer que, s'il faisait cette con-
eessionaux Polonais ~ les vieux Russes seraient fort mécontents,
et qu'ils ne répondaient pas méme de sa vie, ñlalgré ces obser-
vations, Alexandre ne renonca qu'avec regret ason projer. Dans
une lettre adressée au président du Sénat polonais , il disait :
« Comte Ostrowski, le royaume de Pologne sera uni al'Empire
russe par le lien de sa constitution séparée: si le grand intérét
du repos général n'a pas permis de réunir toute la Pologne sous
un seul et méme sceptre, je me suis du moins eíforcé d'adoucír
autant que possible la rigueur de leur séparation, et de leur as-
snrer partout la paisible jouissance de leurs coutumes natío-
uales. » Cependant Alexandre n'abandonna jamais cette idée de
réunion de toutes les provinces ; il stipula dans l'acte du con-
gres qu'il se réservait de donner au grand - duché de Varsovie
( toute l'étendue intérieure qu'il jugerait convenable. ) Quant
au royaume de Saxe, H devait étre également incorporé ala mo-
narchie prussienne comme État uni; on donnait au roi Frédéric..
Auguste un établissement sur le Rhin.


Cette note qui, a travers des protestations d'amitié, arrivait
aux fins de la Russie et de la Prusse, amena le rapprochement
plus étroit encore de MM. de Talleyrand , l\1etternichet Castle-
reagh; le Parlement anglais s'était vivement prononcé pour la
conservation du royaume de Saxe et le maintien de l'indépen-
dance de la Pologne ; la paix venait d'étre concIue aGand entre
la Grande - Bretagne et les États - Unís, Ainsi s'était évanoui le
dernier obstacle qui pouvait ernpécher le développement des
forces anglaises, Ce qui arrétait encere 1'alliance intime, c'est
qu'on avait au congres la fausse idée que la Frunce ne pouvait




260 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
pas préter grande force dans le eas de guerre; peu apeu eette
prévention s'affaiblit; les trois plénipotentiaires se rapprocherent
et convinrent entre eux , au nom de leurs cours, d'un traité se-
cret d'alliance. 11 fut proposé par lord Castlereagh, et signé dans
les termessuivants :'« Leurs Majestés l'empereur d'Autriche , le
roíde France et le roi des royaumes unis de la Grande-Bretagne
et de l'Irlande, convaineus que les Puissancesqui avaient aC0111-
pléter les dispositions du traité de Paris devaient étre mainte-
nues dans un état de sécurité et d'indépendance complete, pour
pouvoir fidelement et dignemcnt s'acquitter d'un si irnportant
devoir ; regardant, en conséquenee, comme nécessaire , acause
des prétentions récemment manifestées , de pourvoír aux moyens
de repousser toute agression ~l laquelle leurs possessions ou celles
de l'un d'eux pourraient se trouver exposées , en haine des pro-
positions qu'ils auraient cru de leur devoir de faire, arrétaient
un traité d'alliance offensif et défensif; chacune d'elles s'enga-
geait a mettre 150 mille hommes sur le pied de guerre ala pro-
míére réquisition, » Ce traité fut immédiatemcnt transmis a
Louis XVJII, ratifié par lui, et eommuniqué aux rois de 'Yur-
temberg et de Baviere, qui Y adhérerent l.


Tandis que les négociations pour la Pologne et pour la Saxe
se poursuivaient a travers des difficultés si nombreuses et des
accidents si multipliés, les autres questions diplomatiques , sou-
mises au congres , trainaient également en longueur. La consti-
tution de l' Allemagne avait fait l'objet d'un articlc spécial du
traité de Paris : elle intéressait sons plusieurs rapports la sú-
reté et l'équilibre de l'Europe. On no pouvait réorganiser
la confédération du Rhin, écroulée avcc le protectorat de Na-
poléon. II Iallait constituer ces souvcrainctés diversos de ma-
niere afaire une barriere de la nationalité allcmande , tout ala
fois contre les cnvahissemcnts de la Frailee et de la Ilussic ; la
puissance de l' Autriche el de la Prusse , comparativement si


1 Cecidonna licu a un mouvemcnt de trcupes en Francc : j'en par-
lerai plus tardo




CllAPITRE v. 261
grande avec les nutres États gerrnaniques , devait étre un objet
d'effroi pour ces souvcrainetés du second ordrc; comment éta-
hlir- l'équilihre dans une telle constitution? 1\1. de Metternich
avait porté sérieusement son attention sur l'AIlemagne. La date
toute recente de la Prusse lui donnait moins d'influence sur les
.États secondaircs , mais ses prétentions sur la Saxe, son agran-
dissement vers la Silésie, tendaient a Iaire de cette monarehie
nouvelle une Puissance de premier ordre pour le nord de l'Alle-
magne. lU. de l\letternich avait d'ahord songé a faire revine la
vieillc dignité impériale dans la maison d'Autriche. La Prusse
et l'ernpcrcnr de Russic , lui-i méme , s'opposérent ü cette pré-
tention surannée; des lors en abaudonnant ce titre , il résolut
d'assnrer une grande part d'influcuce a son cabinet , en se ré-
servant la présidcuce de la diete ou du corps politique qui serait
coustitué pour représcntcr la nationalité aIlemande; la tendance
(les souverainetés germaniques dcpuis un siécle avait été cclle-cí :
les souverainetés du second ordre absorbaient autant que pos-
sible les :États du troisieme , ct les souvererainetés du premier
autant que possible cenx du sccond , de maniere qu'il y avait
ccntralisation perpétuelle et ahsorption des petits États dans les
grands. Il n'était done pas difficilc de voir que l'Autriche et la
Prusse auraient la haute main sur la Diete. La Bavierc , le ,Yur-
temberg et le Hanovre furent les scules Puissances admises dans
le comité appeló ~l· détermincr la constitution nouvelle de la
Germanie; le méme systeme d'exclusion frappa le roi de Saxe;
la ligue légitirnc poursuivait toujours le vieillard couronné; les
princes du second ordre , les grands-ducs furent excluso Il y cut
a peine quelqucs observations sur l'organisation du comité; les
plénipotentiaires du Wurtenihcrg et de la Baviere se trouvaient
tout seuls aprotestcr ; cal' le représeutant du Hanovre , le comte
de Munster , uni ala Prusse, n'était , en définítive , que I'Au-
gleterre elle-mémc , et faisait cause commune avec elle; il s'ab-
sorba aJors dans une contestation de purc forme sur la pré-
séance du Hanovre sur le 'Yurtclllberg. Aprl~s ces discussions
oiseuscs s 1\1. de l\Iettcrnich en vint al'objet qui préoccupait sa




262 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
cour , la constitution de l'Allemagne; il presenta le i 6 octobre
une note fort détaillée, dans laquelle il posait les bases de la
eonfédération germanique : le but de eette confédératiou devait
étre la sureté extérieure et l'indépendance , les droits de chaqué
classe de la nation ; ehaeune des souverainetés se réservant néan-
moins la plénitude de ses droits par rapport a ses propres sujets;
on eonstituait en eonséquenee une diete fédérale eomhinée avee
une division de l'Allemagne par cercles ; un eonseil de ehefs de
cercles était formé de l'Autriche , avee deux voix; de la Prusse ,
avee deux; de la Baviere , avec une; du Wurtemherg , avec
une, et du Hanovre égalcment avec une. Ce conseil était chargé
de représenter la Confédération comme corps , a l'égard des
étrangers , et de décider de la paix ou de la guerreo Un second
conseil des princes et des villes composait la puissance législa-
tive de la Confédération. Chaque État n'ayant pas de possession
en dehors de l'Allernagne s'engageait ane jamais faire la guerre
sans l'agrément de la Confédération : quant a l'intérieur, toute
souveraineté devait jouir d'une constitution d'États indépcn-
dants.


Cette note avait été concertée entre lUM. de lUetternich et
Hardenberg; la présidence conférée al'Autrichc était couvcnue
d'avance. Il était évident qu'en se réservant deux voix chacune
dans le eonseil des chefs de cercles , l'Autriche et la Prusse
voulaient s'assurer la direction commune de la Diete. L'indé-
pendanee des autres États , et particulierement de la Baviére et
du Wurtemberg , n'était plus qu'un mot, cal' la constitution
germanique leur ñtait le droit de faire la guerre et des alliances
pour Ieur propre compte. Dans le fait, le but de la Prusse et de
l'Autriche était de dominer les petits États d' Allemagne; sous
le prétexte de faire revivre la nationalité allemande, elles cher-
chaient a en prendre l'absolue direction a leur profit, et de
créer pour eux une espéce d'inquisition et de police : qu'était-
ce, en effet, qu'une ligue OU tout était institué , en défínitive ,
dans l'intérét des deux grandes Puissances qui en forment la
base? Aussl , les plénípotentíaíres du 'Vurtemhcrg et de la Ba-




CHAPITRE v. 263
viere présenterent-ils note sur note: le prince de 'Vredc exposa
les griefs de la cour de lUunich; iJ pensait que les deux voix
que voulaient se réserver l'Autriche et la Prusse pouvaient
donner lieu ade nombreuses diffieultés, etqu'il valait mieux les
éviter , en attribuant ~l tOU8 les memhres du cercIe une seule
voix; en tous les cas, le prince de 'Vrede demandait deux voix,
vu J'importance de la Baviére; en outre, il revendiquait, eomme
un droit inhérent a la souveraineté, la faculté de faire des al-
líanceset de décIarer la guerre, indépendamment de la Confé-
dération germaníque. La Baviére prévoyait ainsi la possibilité
d'un cas de guerre entre l'Autriehe et la Franee; et, par con-
séquent, elle voulait pouvoir librement se prononeer, ce que
n'aurait pas permis l'adoption pure et simple de l'acte de
confédération. La Franee avait un puissant motif pour prendre
parti dans cette question. C'était une de ses anciennes habiletés
de cabinet que de protéger les petits États intermédiaires d' Al-
lemagne contre l'Autriehe; elle s'abstint pourtant d'intervenir.
Préoecupée du triomphe de la légitimité de Naples , intérét tout
de famiJIe pour les Bourbons, elle négligea d' asseoir son ínfluence
dans l'AJIemagne autrement que par la Saxe, 1\1. de lUetternieh,
en réponse a la note du prinee de 'Vn!de , déclara ; « que l'Au-
triche, la Prusse , le Hanovre regardaient comme absolument
nécessaire , pour atteindre le but de la Confédération , que les
États purement allemands ne pussent, sans le consentement de
la Diete, prendre part a aueune guerre, ni contracter aueune
allianee avee les Puissances étrangeres, » Dans cctte situation, le
plénipotentiaire de la Baviére s'adressa direetement a l'empe-
reur AIexandrc, espéraut y trouver un appui; mais le Czar, in-
timement aIlié a la Prusse, répondit tres-défavorablement a la
note du prince de 'Vrcde; iI déclara méme qu'il était décidé a
soutenir par l'interventionIe plan de la confédération établie , si
les cireonstanees l'exigeaient.


Les arrangements pour l'Allemagne curent done eette ten-
dance de saerifier l'importance des petits États a la domination
absolue de la Prusse et de l' Autríche. Toutes les négociations




264 HISTüIRE DE tA RESTAURATION..
pour les Etats du troisiéme et du quatriéme ordrc , pOlll' les
grands-duchés de Bade, l'éleeteur de Hesse-Cassel , la Maison de
Nassau, les ducs de Saxe-'Veymar, Saxe-Gotha, les l\laisons de
Brunswick et de Mecklembourg, Holstein, Ileuss , les villes
libres de Lubeck, Breme , Hambourg et Francfort ; toutes ces
négociations, dísons-nous, ne furent marquées d'aucun carac-
tere de justice et d'impartialité ; on dépouillait les uns, on agran-
dissait les autres selon les convenances, les parentés el les ami-
tiés. Exclus du comité dirigeant, tous ces Princes ou leurs
députés avaient formé un comité particulier dont le caractere
n'était pas diplomatiquement reconnu : on voyait a Vienne la
plupart de ces petits Souverains de vieilles et d'antiques maisons
solliciter ala porte de 1\1. de lUetternich, et mendier la couser-
vation ou l'agrandissement de leur patrimoine féodal; on ne se
détermina dans cette circonstance par aucun des graves prin-
cipes que le congres avait pourtant proclamés. La justice fut
étrangement violée , la légitimité et l'ancíenne possession impu-
demment méconnues; tout fut arrangé ala convenanee des grandes
Puissances intéressées a la Confédération germanique, et de la
Russie, que des alliances de famille rapprochaient de quelques
Maisons princieres de l'Allemagne.


L' Angleterre prit part ~l ces discussions sur la Confédération
germanique , en ce qui touchait le Hanovre ; mais ses plénipo-
tentiaires étaient alors plus spécialement préoccupés de la ques-
tion des Pays-Bas ; c'était l'idée dominante de lord Castlereagh,
que la construction d'une monarchie forte et puissante , qui a
jamáis empéchát la France de réunir la Belgiquc et Anvcrs sur-
tout a son territoire. L' Anglcterre avait trop sentí les daugcrs
qui l'avaient mcuacée sous l'Empire , lorsque l'Escaut était au
pouvoir de Napoléon, toutes les cotes de la Crande-Bretagne
étaient alors embrassées par des arsenaux maritimes , de maniere
a les enlacer depuis Brest jusqu'a Anvers, L' Angleterre songea
done a la coustructiou d'une formidable barriere au nord de la
France , qui pul senil' en mémo temps de point de débarque-
ment a une armée anglaise ; cctte pensée determina la fonuation




CHAPITRE Y. 265
du royaume des Pays - Bas; on ne s'occupa pas de savoir si l'a-
malgame de la Hollande ala Belgique blessait les intéréts , heur-
tait les habitudes et les croyances ; on fit un poste militaire plu-
tót qu'un empire parfaitement uni. Sans indiquer encore spé-
cialement la portion du territoire qui serait réuni , la création du
royaume des Pays-Bas en faveur de la maison d'Orange était une
chose tellement arrétée que, dans le traité spécial du 13 aoüt
1814, entre I'Anglctcrre et la maison d'Orange pour la cession
de quelques colonies hollandaises, on parlait de ce royaume comme
d'un État existant; l' lingleterre s' engageait méme apayer 3 mil-
lions de livres sterling , dont deux devaient étre employés aux
réparations de places fortes sur la frontiere de Franco. Lord Castle-
reagh , assuré d'avance de l'assentiment des hautes Puissances
alliées pour la solution de toutes les difficultés relatives aux Pays-
Has, suspendit jusqu'au 18 janvier 1815 les négociations rela-
tires a l'organisation du nouveau royaume. Le plénipotentiaire
anglais exposa , dans un l\Iémoire presenté au comité des huit
Puissances , que la ligne tracée par les stipulations secretes du
traité de Chaumont n'était pas memo entierement remplie, quoi-
qu'elle fút le niiniunnn recounu ; que lors du traite de Paris on
avait déja amoindri la population du nouveau royaume en faveur
de la France de 50000 ames, que la maison d'Orange d'un au-
tre coté rcnoncait ases États héréditaires d' Allemagne ( d'une po-
pulation de 127000 ames) : il demandait en conséquence une
indemnité territoriale ponr les principautés de Nassau, cédées ~l
la Prusse. Les mois de janvier et de février 1815 se passérent
avant qu'on r{'glat positivement cctte indemnité; le duché de
Luxembourg fut demandé par lord Castlereagh; on luí opposa
d'abord que dans l'organisation nouvelle de la Confédération ger-
manique, le grand-duché , et particulierement la forteresse de
Lnxembourg, devaient y cntrer cssenticllerucnt , cal' ils formaient
une de ses barrieres du coté de la France. JI fut répondu sur ce
point que rien n'empéchait que, pour cctte partie distincte de ses
États , le roi des Pays-Ras entrát dans la Coníédération germa-
nique. L'Angletcrre insístait sur ce point, pour créer une force


l. 13




266 HISTOIRE DE LA RESTAURATIOJX.
de plus a l'influence de la Grande-Bretagne et du Hanovre dans
la Confédération. Ce qu'il faut bien remarquer, c'est que les
deux Puissanees les plus géographtquement intéressées aux négo-
ciations pour le royaume des Pays-Bas , e' est-a..dire la France et
le Danemark , n'y prirent qu'une faible part; il en fut de méme
pour la question de la Confédération germanique, de la Sardai-
gne et de. la Suisse : l\l. de Talleyrand s'annula eomplétement.
Le traité seeret pour la Pologne et la Saxe, avee l'Autriche et
l'Angleterre, ne lui permit peut-étre pas de contrariel' trop ou-
vertement les deux Puissances si essentiellement intéressées ala
constitution de la Confédération germanique et du royaume des
Pays-Bas ; quant au Danemark, le róle qu'il joua dans le con-
gres, malgré l'habileté et le caractére honorable du comte de
Bernstorff, son plénipotentiairc , ne fut que précaíre et sans in-
fluence; la Franee ne lui préta aucun appui, etpourtant il avait
été son dernier allié; il avait droit aune indemnité pour la Nor-
wége cédée a la Suede ; on le reconnut dans toutes les séanees du
congrés , mais on lui déclara : « qu'il ne saurait appartenir au
Danemarek d'indiquer les indemnítés ou de faire aueune propo-
sition a cet égard; la faculté de détcrminer ces moyens se trou-
vait tout entiere dans la vocation des Puissanccs qui eonnaissent
les vceux et les besoins de tous. » Plus tard il fut déclaré a S, lU.
Danoise qu'il ne restait plus rien a distribuer des territoires cé-
dés par le traité de Paris. Des lors le Danemark se trouvait
complétement annulé comme influence politique , placé entre le
royaume des Pays-Bas , la Prusse et la Suede ; sa position mari-
time d'Héliogoland lui fut méme enlcvée par l'Anglcterre.


Les territoires au nord et a l' est étant ainsi distrihués , il no
s'agissait plus que de régler les frontiercs méridionales; on s'oc-
cupa done de la Suisse , et ensuite de I'Italie, Des l'ouverture du
congres , le 2 novembre, le comité des grandes Puissances avait
eréé un comité spécial sur les aífaircs de la Suisse « pour garan-
tir, conformément au traité de Paris , l'organisation politique que
la Suisse se donnerait sous les auspices desdites Puissances, » Ce
comité fut composé du baron de 'Vcssemberg pour l'Autriche ,




CHAPITRE v. 267
Al. de Humboldt pour laPrusse, lord Stewart et 1\1. Strafford Can-
ning pour l' Angleterre, du eomte Capo d'Istria pour la Russie :
la France en fut d'abord exclue , et pourtant il s'agissait de ses
frontiéres , d'une neutralité violée centre elle! mais il cxistait
alors une méfianee tres - grande, méme en Suisse, eontre I'in-
fluenee francaise , et le congres tendait moins aétablir un juste
équilibre de forees que des barrieres eontre les projets ultérieurs
de la Frunce. Les instruetions des plénipotentiaires demandaient
I'intervention des Puissanees pour que la Suisse füt reeonnue dans
son indépendanec et sa liberté actuelle , dans sa neutralité, enfin
qu'elle füt réintégrée en ses anciennes frontiéres avee les adjonc-
tions eonvenables asa ligne militaire du coté de la Franee. In-
dépendamment de la députation générale de la Diete, quelques
cantons , tels que Berne, Saint-Gall , Argovie , avaient envoyé des
députés spéciaux. Une cireonstance marqua I'influenee que la
Russie tendait as'assurer désormais sur le midi de I'Europe. Dans
la réeeption que fit Alexandre aux députés suisses , illeur adressa
une fort vive réprimande, et déclara que si la Confédération vou-
lait son indépendanee, elle devait commeneer par s'en rendre
digne. De quel droit et dans quel intérét le souverain d'un em-
pire ahuit cents licues de la frontiere suisse menacait-il Ics fils
de GuilIaume Ten? La France était exclue du comité, et il s'agis-
sait de ses propres frontieres , et la Russie prenait une part ac-
tive et décisive dans les affaires des eantons ?La ehose était
tellement exorbitante, qu'on revint plus tard sur l'exclusion
de la France, Une premiére question devait précéder toutes
les autres : eomment les Puissanees devaient-elles intervenir
dans les affaires de la Suisse? était-ee une intervention d'auto-
rité, ou bien de pure bienveillance? les Puissances devaient-
ellesimposer ou eonseiller seulement? l\(. Strafford Canning sou-
tint, au nom de l'Angleterre, I'intervention par autorité; les Puis-
sanees devaient intervenir necessiuue rei. Le plénipotentiaire
russe répondit : « Qu'on ne pouvait rien se promettre d'avanta-
geux de l'arbitrage forcé, simple ou limité, attendu l'irritation
0« se trouvaient les parties intéressées , qu'íl fallait se borner a




268 HISTOIRE DE J,A RESTAURATION.
déclarer que les Puissances énonceraient leur volonté sur les COI1-
testations entre les cantons, et attacheraient a l'assentiment de
ceux-ci la reconnaissance de leur indépendance et de leur neu-
tralité perpétuelle. La contestation prenant un caractere général
et passionné , la légation francaise obtint de se faire représenter
dans le comité pour la Suisse ; :\1. de Dalberg .fut admis dans la
séance du 30 novembre ; la plus grande contestation portait sur
le point de savoir si le pays de Vaud resterait détaché de Berne,
conformément a l'acte de médiation , ou bien s'il y serait réuni ;
on opposait aReme son attachement pour la France ; le pays de
Vaud , a son tour, déclara qu'il no se soumcttrait que par la
force. Quelques autres cantons réclamaient des bailliages qui eu
avaient été détachés ; Genere demandait un agrandissemeut de
territoire du coté de la Franco et du coté de la Savoie : on solli-
citait l'érection en cantons nouveaux du Valais et du pays de
Neufchátel , devenu fief rnilitaire de I'Empire en faveur du ma-
réchal Berthier ; la Valtelineet les comtés de Chiavennaet de Bor-
mio, si importants cornme positions militaires , étaicnt égalcment
réclamés par l'Autriche. Toutes ces négociations se suivaient len-
tement et se liaient sous bien des rapports aux arrangements
pour I'Italie.


Si la Russie et la Prusse , en vertu de leur traité d'alliance ,
avaient réclamé , en quelque sorte , la disposition de la Pologne
et de la Saxe , l' Autriche invoquait les mémes dispositions par
rapport al'ltalie; le traite de Treplitz portait : « que la monar-
chie autrichienne serait reconstruite sur l'échelle la plus rap-
prochée de sa situation en 1805. » e'est , appuyé sur ce titre ,
que M. de Metternich engagea les négoeiations relativesa I'Italie,
D'un autre coté, la France , ct plus particulierement les Bour-
hons , étaient forternent intéressés dans la distribution des ter-
ritoires et des souverainetés de la Péninsule italique. La recon-
struction de la rnonarchie autrichienne en Italie fut établie sur
la plus large des échelles. Le traité de París déclarait que I'Au-
triche possederait tout le pays situé entre le PO, le Tésin et le
lac l\1ajeur; elle réclama tout le littoral de l' Adriatique jusqu'a




CHAPlTRE V.· 269
Raguse et Venise elle-memo : sous ce rapport, ríen ne fut plus
libéral que le congrés envers le Cabinet de Vienne, si bien que
M. de Hardenberg fit ohserver que, par ses possessions nou-
velles , l' Autriche acquérait une population excédant l'échelle
de 1805 de 1 800 mille ames. La France ne mit pas le moindre
obstacle a cet agrandissement; la construction de la monarchie
sarde sur ses frontiéres avait été consacrée par le traité de Paris.
Le méme motif qui avait porté les Puissances aétablir au nord,
cornme un avant-poste, le royaume des Pays-Bas , leur avait fait
également attacher beaucoup d'importance ¿l créer une position
semblable dans le midi ; malgré les hautes promesses de lord
Bentinck aux rnagistrats de Genes, malgré les vives antipathies
des Sardes et des Génois, cette antique république fut engloutie
dans le Piémont , sous le pretexte qu'clle était une position
indispensable ala sécurité de l'Italie contre l'invasion des Fran-
cais ; vainement M. (le Brignolles, député de Genes, fit-il valoir
les conventions arrétées par le lord commandant les forces an-
glaises, les proclamations faites aux habitants; tout céda devant
la nécessité politique : il Iut dit que Genes, réunie au Piémont,
jouirait de la franchisc de son port, qu'on rétahlirait son sénat ,
qu 'on garantirait sa dctte particulíere. Par un nouveau protocole
on assura la couronne de Sanlaigne ¿l la maison régnante de
Savoie, avec transmission de maje en mále , et, ¿l son défaut ,
dans la branche de Savoie-Carignan. La seule condition que mit
M. de Talleyrand ¿l son adhcsíon ace protocole, fut que les con-
ventions pour la Savoie feraient partie des autres arrangements
a conccrter pour I'Italie ; le dessein du plénipoteutiairc francais
était toujours le triomphe de la Jlaison de Bourbon aParme et
aNaples.


La Toscane , en 1801, avait été transforméc en royaume
d'Étruric , au profit de l'iufant de Parme; I'Infant était mort,
laissant pour héritier de son royaume éphémcre don Charles-
Louis ; l'Espagne s'était chargée de faire valoir ses droits al'en-
contre de l'archiduc Ferdinand , ancieu graud-ducde Toscane;
elle invoquait les dispositions du traité de Lunéville , l'acte de




270 mSTüIRE DE LA RESTAURATION.
cessiou pure et simple faite par l' Antriche de la Toscane ala
France, et l'institution du royaume d'Étrurie donné a I'Espagne,
en échange de Parme et de la Louisiane; le représentant du
Grand-duc, don Nerri-Corsini, répondait que les traités de Lu-
néville, et toutes les stipulations antérieures au rétablissement
de la dynastie légitime en France ne pouvaientétre invoqués par
les Bourbons, que la Toscane avait été cédée aun archiduc en
éclrangede la Lorraine , par le traité de 1735; enfin, que le
royaume d'Étrurie avait cessé d'exister, du consentement de
l'Espagne, par le traité de Foutainebleau, du 27 octobre 1807.»
Les droits de l'Archiduc , fortement soutenus par l'Autrichc ,
paraissaient prévaloir dans les discussions du congrés , méme
pour Parme promis a Marie-Louise, en vertu du traíté d'ahdi-
cation de l'empereur Napoléon. Le grand-duc de ñlodene, déja
rétabli de fait dans ses domaines, par suite de l' occupatíon de
l'armée autrichienne , n'éprouvait pas la moindre difficulté;
l'archiduchesse Marie-Béatrix d'Est devait posséder en toute
souveraineté le duché de Massa et la principauté de Carrara.
Le cardinal Gonsalvi avait été chargé , dans cett e distrihution
de l'ltalie, de stipuler les intéréts du Saint-Pere. Les troupes
napolitaines occupaient les deux légatíons d'Ancüne et d'Ur-
hin; Murat prétendait les acquérir en vertu des traités secrets
qui le liaient a l' Autriche et a l' Angleterre. Les légations de
Ferrare, Bologne et Ravenne étaient dans les mains des Autri-
chiens. Le cardinal Gonsalvi n'employa aucune expression im-
périeuse ; i1 sentait trop bien la position particuliére du Saint-
Siége; i1 soutint seulement « qu'une atraque non provoquée
centre un lhat faible et ayant proclamé sa neutralité , ne pou-
vait étre appelée gllC1'TC" et, par conséqnent, la possession
militaire qui en était la suite, ne pouvait étre confondue avec
la légitime conquéte et en produire les fruits.» Le Saint-Pero
revendiquait ses droits, tant pour I'Italie que pour le comtat
d'Avignon, « non par des motifs temporels, mais pour le main-
tien des serments 'prétés lors des exaltations pontificales, et qui
ne permettent pas J'aliénation des domaines de l'Églíse. » tes


-




CHAPITRE Y. 271
prétentions du cardinal Gonsalvi soutTraient peu d'opposition ,
cxcepté POU¡; le comtat Venaissin formellement assuré a la
France par le traité de Paris; toutefois, plusieurs des plénipo-
tentiaires soutinrent que ce qui avait été temporellement pos-
sédé pouvait étre temporellement perdu par la conquéte; une
note du prince de Hardenberg alla méme jusqu'a ce point d'as-
surer comme indemnité au roi de Saxe , dépossédé, les trois
légations de Ferrare, Bologne et Ravenne. Dans toutes ces né-
gociations, le duc de Campo-Chiaro et le prince Cariati, plé-
nipotentiaires de Joachim Murat , n'avaient pu se faire ad-
mettre; tout cela tenait aux demandes de M. de Talleyrand et
de la légation faancaise , préoccupés du rétablissement de la
Maison de Bourbon sur le tróne de Naples; cette persévérance
tenait-elle a l'engouement subit du premier plénipotentiaire
francais pour le principe de la légitimité? ou bien ades pro-
messes plus etIectives pour le duché de Bénévent, alors possédé
par 1\1. de Talleyrand? Ce fut pour lui une idée fixe durant
tout le congreso A son tour, Ferdinand IV, l'ancien roi de
Naples, avait envoyé le commandcur RutIo et le duc de Serra-
Capriola aupres du Congres : ils n'avaient été admis que comme
représentants du roi de Sicile, ce qui laissait tout a fait indécise
la question grave de l'a souvcraineté napolitaine. Des les pre-
miers jours du congres ; M. de Talleyrand, dans un entretien
secret avec l'empereur Alexandre , avait sollicité une déclara-
tion contre Murat : en échange, il promettait al'Empereur de ne
point contrarier les vues de Sa Majesté Impériale sur le grand-
duché de Varsovie. Cette entrevue, quoique longtemps niée, est
aujourd'hui certaine et constatée : l'Empereur avait promis,
sans s'exprimer en termes encore précis. M. de Talleyrand osa
des lors une premiare démarche aupres de l'Autriche; mais il
lui fut répondu par .1\1. de ñlctternich , 11 que l'Ernpereur son
maitre était lié par des traités avec Murat; qu'en se décla-
rant contre lui, il pourrait en résulter des mouvements qui
augmenteraient les embarras de la cour de Vienne, et l'oblige-
raient a porter en Italie des troupes nécessaires en d'autres




272 HISTüIRE DE LA RESTAURATION.
lieux, )) 1\1. de Talleyrand ne se découragea pas : il adressa une
note plus pressante encore a lord. Castlereagh, « JI pensait
qu'une décJaration franche et unanirne des Puissances de l'Eu-
rape contre Murat, rendrait inutile tout emploi de la force;
mais que, si le contraire arrivait, le roi Ferdinand n'aurait
besoin que de I'appui de ses alliés qui jugeraient devoir lui préter
leurs secours; que si l'Autriche avait des craintespourl'Italie ,
on pourrait stipuler que Naples ne pourrait étre attaqué par le
continent italien, )) C'était une véritable déclaration de guerre
contre Murat ; le duc de "ellington, qui venait de rempla-
cer au congres lord Castlereagh, se borna a répondre: « que
son gouvernement verrait avec peine que les conronnes de
Naples et de Sicile fussent réunies sur la méme tete. » Les plé-
nipotentiaires de Murat n'jgnoraicnt pas toutrs ces négociatioIls,
et jour par jour ils en instruisaient leur cour. I..e beau-frere de
Napoléon , longtemps en rapport avec l'Ile d'Elhe , ne pouvait
longtemps souITrir l'injure qu' on lui íaisait, de douter de ses
droits; il portait plaintes sur plaintes ~l l\l. de Metternich. Une
note du duc de Campo-Chiaro, du mois de Iévrier 1815, de-
mandait ü l' Autriche l'autorisation de faire passer RO 000 hom-
mes dans le JUilanais pour défcndre les droits de 3Jurat sur les
Alpes. Le 16 février, une dépéche secrete' de 1\1. de TaJleyrand
anuonca a Louis XVIII: « Qu'il serait utile qu'un corps de
SO 000 hommes fút réuni entre Lyon et Chambéry, pour étre
préts aagir ; toutefoís , que le mouvement dcvait se Iaire avec
le moins d'éclat possible , afin de ne pas donner omhragc ~l
l'Antriche et au roi de Sardaigne. )) Une dépéchc subséquente
(23 février) portait : « Que de nouveaux changements surve-
BUS dans les relations diplomatiques Iaisaient dósirer qu'on
usát de moins de ménagements dans ce mouvement de
30 000 hommes: qu'il serait bon méme que ce mouvement füt
remarqué au dehors , afin de prevenir l'opinion que 1\1. de Met-
ternich affectait de rópandre sur la nullité des forces de la
France. )) Ces mouvemcnts ne pouvaient échapper a la légation
de Vienne; une note de ]\J. de l\lctternich fut remisc les 25 ct




·CHAPITRE v. 273
26 février aux plénipotentlaircs francais et napolitains ; on y
déc1arait « CJue Sa JIajesté Impériale était décidée ¿I maintenir la
tranquillité de l'Italie , et a regarder comme ennemie toute
Puissance qui y ferait entrer des troupes. » Te! était l'aspect du
congrés a la fin de février 1815. Aueune des grandes questions
n'y était finie; eelle de la Pologneet de la Saxe avait donné lieu
au traité seeret entre la France , l' Autriehe et l'Angleterre; la
Confédération germanique avait ulceré la Baviere et le Wur-
temberg contre l' Autriche , et hlessé tous les petits l~tats de se-
cond et de troisieme ordres : le royaume des Pays-Bas était
Iondé , mais ses limites disputées et non défiuies , la Suisse était
mécontente; plusicurs cantons avaicnt pris les armes; l'Italie ,
en dehors de la partió autrichienuc , était rnorcelée , divisée, et
l'objet de disputes diplomatiques ; Naples et la Franee armaient;
I'Autriche euvosait 150000 hommes en Italie , et portait des
forees non moins imposantes en ñloravie !


On s'imagine bien que l'opinion , en Francc , était vivement
agitée par les discussions diplomatiques du congres de Vienne :
on s'en occupait a la cour, dans les salons , et jusque dans cette
portion du peuple qui jusqu'alors s'était peu iuquiétée d'affaires
politiques, Louis XVIl[ prenait un vif intéret au roi de Saxe ;
on savait qu'il écrivait tous les jours sur ce snjet ¿I .\1. de Tal-
leyrand , et quelquefois au second plóuipotentiaire , }J. de Dal-
berg. La Famille royale s'intéressait plns partioulierceent a la
légitimité de l'ancien roi de Xaples , et 1\I. de Blacas s'était fait
l'éeho des répugnances de M. le comte d' Artois et de -'l'c d' An-
gouléme pour }Iurat, auprés duquel aueun envoyé francais
n'érait encoré accrédité. JU. le duc d'Orléans Iui-méme et sa
famille, que tant de liens unissaient au roi des Deux-Siciles ,
pressaient de tout leur pouvoir la fin. de cette affaire de Xaplcs.
On faisait publier des manifcstes clandestins eontre l'illégitimité
de ñlurat ; le journal de Francfort , la correspondance privéc des
feuilles anglaises, ne tarissaient pas d'injures centre Joachim
avcc Iequel cependant l'Allgleterre et l'Autriche avaient conclu
des traités récents de subsides et d'alliance. En conséquence des




274 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
lettres eonfidentieIles de 1\1. de Talleyraild et du général Rieard,
le ministre de la guerre (le maréchal Soult) avait échelonné un
corps de troupes de 50000 milles depuis Grenoble jusqu'a Lyon
et la Savoie: ces mouvements ne pouvaient étre un secret, et
I'opinion commencait a concevoir quelques craintes pour la pro-
chaine rupture de la paix a peine conclue. C'était alors le mo-
ment plus que jamais de s'appuyer sur l'opinion, d'user de tons
les moyens pour obtenir cette force de popularité nécessaire a
tout gouvernement qui veut imposer des sacrifices a un pays;
mais le ministere royaliste semblaít se complaire acréer partout
des méfiances , a faire craindre pour les intéréts acquis par la
Révolution. Le ministre de la guerre s'absorbait dans les écono-
mies: on ne parlait dans les casernes que d~s dotations perdues,
du traitement de la Légion-d'Honneur mutilé; l'aflaire du géné-
ral Excelmans, rigueur de discipline si déplorablement amenée
par la violation du cachet des lettres, plus déplorablement en-
core exécutée, avait montré le pouvoir subissant a la fin le dé-
boire de l'acquittement solennel du général Excelmans par le
conseil de guerreo Quand un gouvernemcnt poursuit, et qu'il
ne peut faire condamner, il est affaibli et perdu, L'introduetion
des aumóniers dans les régiments, avec le titre de premie)' ca-
pitaine .. I'obligation de la messe pour les protestants comme
pour les officiers et soldats imbus des fausses doctrines du
XYInü siecle , l'irruption d'officiers inconnus , un état-major
dans lequel, pour nous servir du dicton soldatesque, on s' cnga-
geait dans les colonels.. tous ces griefs fermentaient dans l'esprit
du soldat; sans conspirer précisément encore,' il Y avait dans
I'armée une désaffection si générale, que tót ou tard on devait
voir éclater un de ces mouvements qni renversent les empires.
A mesure qu'on rassemblait des corps plus consídérables de
troupes, et qu'on les rapproehait les uns des autres, les mé-
contentements prenaient une nature plus grave, paree que les
chefs avaient plus de moyens de eommunication. JI y avait, de
régiments arégiments , des affiliations, des signes de reconnais-
sanee; il est méme certain que des émissaíres , soit de Murat,




276 IllSTOIHE DE LA HESTAUHATlO,,:
de perpétuelles déclamations contre la Ilévolution et ses adhé-
rents; on couvrit la France d'un crépe. Une autre cérémonie
fut l'objet d'un véritable soulévement populaíre .Ie curé de
Saint-Roch refusa l'entrée de l'église au corps de l'actrice céle-
bre ruJie Raucourt; iI Yeut déja des attroupements, Il fut facile
aux ennemis du Gouvernement de montrer au peupIe irrité com-
bien la nation était hostile 11. ce systeme, On ne discuta pas les
canons de l'Église et les droits des conciles; mais les intolé-
rances des prétres furent habilement cxploítées par les journaux,
et dans les salons on ne parlait que du luxe des prélats , de l'in-
solence des curés : les écrits clandestins et la caricature propa-
geaient ces idées, La Rcstauration , par son mouvement naturel,
avait favorisé les progres du clcrgé; les instructions des mi-
nistres tendaicnt toutes ü propager les idées religieuses , Ü,con-
fiel' aux prétrcs l'éducation de la jeunesse, On encouragcait les
legs aux églises , la Iormation des corporations enseignantes et
des jésuites. Dans un certain monde on ne croyait la Restaura-
tion possible qu'en I'appuyant sur le clergé. On ne créc pas un
esprit rcligieux, on ne passionnc pas ]' indiffércnce. Dans les
campagnrs , ces tcntativcs se mélaient ü l'idée du retour de la
dime, aux rcdcvances seigncuriales, A tort ou ¿l raison , vous
n' auricz pas trouvé un pa) san de la Charupagne, de la Rourgo-
gne, du Dauphiné , qui ne craignit le retour de son seigneur et
de son xuré décimateur : tous trcmblaient pour leurs biens
nationau , et des menaces maladroites Iavorisaicnt ces fausses
terrcurs de l'opinion.


A la cour , tout rcprcnait les anciennes allures, le roi
Louis X Yll I n'avait déjü plus toute liberté dans ses pcnsécs,
1\1. le comte d'Artois cxercait une iníluence Iüchcuse sur le gou-
verncmcnr. la popularité de Son Altcssc Iloyale daus le midi
avait grandi ses prétcntions : elle contrariait tous les dcsseins de
son frere, et ne permettait pas ¿l la modération de Louis XVIII
de rassurer I'opinion publique. Son Altcssc Iloyale forma sa
maison avec un luxe de senices qui indiquait des pcnsées ulté-
rieures; elle eut, comme le Roi, un premier aumónier, 1\1. l'abbé




CHAPITRE Y. 275
soit de l'empereur Napoléon, étaient venus de Naples et de rile
d'Elbe, qu'ils avaient entretenu dans 1'esprit du soldat des es-
pérances du retour a 1'Empire et a leurs anciennes couleurs,
Une. conspíration ñiilitaire existaitparmi quelques chefs de l'ar-
mée , et , quoique le soldat ne süt pas précisément quel en
était le but, il devait préter appui a un mouvement qui lo
délivrerait d'un ordre de choses antipathique a ses affec-
tious , et incompatible avec ses habitudes. Au mois de fé-
vrier, alors qu'ongl'Oupait des troupes vers Lyon et Gre-
noble, les généraux Lallemand, d'Erlon, Lefevre-Desnouettes
préparaient au nord un mouvement militaire dont le résultat
devait étre de se rendre maitre de la Famille royalc , sauf ase
déterminer ensuite sur le parti a prendre. Cettc conspiration
exist~it patente " le ministere en avait eu vent, et ron n'osait se
déterminer ni ades mesures de fermeté, ni a rentrer dans un
systeme moins hostile. On désaffectionnait maladroitement 1'ar-
mée du Gouvernement de la Restauration, et il ne fallait pas
faire grand' chose pour cela. Ce sentiment allait jusqu'a l'ingra-
titude, cal' les prisonniers qui arrivaient de la Sibérie, ces vé-
térans qui devaient leur délivrancea la paix et aux Bourbons,
regrettaient leurs aigles et leur Empereur; tant il est vrai qu'il
est pour le soldat des prestiges qu'on ne rachete pas par des
bienfaits! Le souvenir de Ieur grand capitaine qui les conduisit
au champde mort et de gloire leur était plus précieux que cettc
famille qu'ils n'avaient jamais vue dans leurs rangs, qu'ils
n'avaient jamais saluée la veille d'une bataille !


A l'intérieur, les mémes fautes augmentaient la désaffection.
Le Gouvernement des Bourbons , depuis le mois de décembre
1814, s'aveuglait plus cncore sur les dispositions de la France.
On a déja parlé de cérémonies expiatoires , de cesdeuils publics
que ron multipliait comme de grands reprochesa la nation; sur
les renseignements d'un M. Descloseaux, on fouilla le cimetiere
de la ~IadeIcine, et Ton crut trouver la tete de la reine lUarie-
Autoinette , et le corps conservé du malheureux Louis XVJ.A
eette occasíon París íut encore tendu en noir ; la chaire retentít




CHAPlTRE v. 2i7
Latil; des aumfmll'rs par qu;WÜI'l' , lleu\. })Yl'mil'Ys gentihh()mn1eS,
le duc de ñlaillé et de Fitz-James ; douzc gentilshonuues d'hon-
neur, deux premiers chambellans , un conducteur des ambassa-
deurs , l~n prcmier écuyer (~I. Armand de Polignac) ; une com-
pagnie de gardes, sous les comtes d'Escars et de Puységur, sans
compter encore les veneurs, les capitaines des chasses, en un
mot, tout le luxe royal. Ce qu'on dut.remarquer dans la l\Iaison
de 3IoNSIEUR, comme dans celle de la duchesse d' Angouléme,
ce fut l'atfectation a ne choisir aucun des noms nouveaux de la
Révolution; il n'y eut pas une seulc gloire de l'armée admise
au service de Leurs Altcsses Iloyalcs: tous les serviteurs de
l'émigration trouvérent place autonr de leur pcrsonne, Et com-
mcnt croire des lors qu'elles n'avaient pas d'autres desseins dans
l'avenir ? Le roi Louis XVIII avait .toujours les mémes froideurs
pour son frere ; mais , soit timidité de caractere , soit puissance
de famille, il se laissait entierement dominer par la faction de
cour ; il sentait bien le mal, mais il n'osait en arracher le prin-
cipe. Ce principe était tenace, ardcnt , redoutable alors , cal' il
s'appuyaitsur une force organisée dans la Vcndée el le midi, ct
tou t afait iudópcndante dn Gouvcrncmcut.


le ministcre ('Iail toujours dans les mémes idées: lU. de Blacas
n'avait ríen perdu de son asceudunt ; il avait grandi au contraire
depuis le dópart de lU. de Talleyrnnd pour le congres de Vienne.
Débarrassé du controle des Charulucs , 31. de Blacas se livrait
aux libres inspiratious de son iurelligcnce , et l'on pcut s'imaginer
comhien el'Uf ilcs mesures étaicn t résolucs. Rien de plus impru-
dcnt et de plus léger que les paroles de 1\1. Bcugnot , et ses con-
fidcnces de salons , ses épauchcments d'audience ; -'1. Dandré,
chargé de la police , n'avait pas une assez haute portéc d'csprit
pour remonter jusques ü la cause des mécontentemcnts.
Louis XVIII en était informé, mais il était dans le caractere du
Iloi de ne point aimer les mauvaises nouvclles ;'1. de Blacas
servait admirablement ce pcuchant. J'ai eu dans les mains quel-
ques-uns de sesrapports au Iloi , depuis le moisde uovembre 1814-
jusqu'eu févricr 1815, et en vérité , ce sont les plus curieux do-


L 24




278 HISTOIRE DE LA RESTAURATlON.
cuments qu'on puisse trouver pour faire conualtre la sécurité
du favori au milieu de la tourmente politiqueo J'en choisis un
au hasard que j'analyse, « Bire , depuis le retour de Votre 1\la-
jesté, l'esprit religieux et monarchique fait de notables progrés;
qui aurait vu Paris et la France sous le tyran, et qui la verrait
depuis sa chute, ne croirait plus étre dansla mémeville; l'amour
des Bourbons est dans tous les cceurs ; peu apeu on eñace les in-
signes, les souvenirs de Bonaparte; les églises s'emplissent de
fideles ; 1\1. l'archevéque de Paris a relevé le nombre de ceux qui
se rapprochent de la sainte table, et les' communions se sont
beaucoup multipliées; l'acquittement du général Excelmans a
produit de l'indignation dans l'armée. Sauf quelques brouiIlons
dont on saura se débarrasser, les officiers et les soldats sont per-
sonnellement dévoués aYotre ñlajesté. et aux Princes de sa fa-
milIe. L'esprit royaliste fait de grandsprogres dans les provinces,
et en modifiant successivement les fonctionnaires, nous -pour-
rions arriver a une direction véritablement monarchique. Il ya
des alarmistes qui, pour se faire des titres aupres de Votre 1\la-
jesté, supposent des dangers imaginaires; 1'amour des Francais
est acquis avotre auguste ñlaison , et qui pourrait s'élever contre
le desccndant de tant de rois, contre le fils de Saint-Louis et de
Henri IV? )1 Tcl était a peu prés le résumé des rapports de
~I. de Blacas, et, comme on le voit, ils étaient de nature abien
éclairer 1'esprit du Roi sur la véritable situation du pays.


Cependant la sagacité de Louis XVIII avait mieux que ses mi-
nistres compris les besoins de la nation; il sentait la nécessité
d'un changement de systéme , mais il n'avait pas la force de le
ten ter ; ce fut a toutes les époques le malheur de Louis XVIII
de n'étre jamais libre dans ses propres idées, JI avait 1'apparence
d'une volonté , mais iI tremblait devant son frere et sa familIe;
rien ne le rendait plus heureux que lorsqu'on le faisait échapper
a eette secrete influence , et c'est ce qui fit en partie la faveur
de ;.\1. Dccazes. Il est certain qu'en janvier 1815 le Roi avai~
concu l'idée d'un changement de ministere : plusieurs listes lui
furent soumises , les apparences de guerre qui se manifestaient




CHAPITRE v. 279
rendaient désirabIe nn appeI a l'opinion publique; on travailIait
dans un sens opposé au paviJIon Marsan ; l\I. de Vitrolles, éloi-
gné des affaires , voulait organiser avec le comte d'Escars, le vi-
comte de Puységur, une administration dans le sens des opinions
du comte d'Artois; chose extraordinaire, Fouché n'était pas,
dit-on, étranger a ces projets; on voulait opposer sa capacité a
celle de M. de Talleyrand !


A Paris, l'hiver avait donné plus d'activité aux salonsde la du-
chesse de Saint-Leu; M. Maret y était devenu l'áme des pro-
jets des impérialistes. Esprit médiocre, mais exact et travaiJleur,
1\1. Maret ne s'étaít pas lassé un seul moment d'agir pour la
cause impériale; c'était l'homme en qui Napoléon avait le plus
de confiance, auquel il s'était ouvert sans déguisement et sans
arriére-pensée , des le traité de Fontainebleau; lU. Regnault de
Saint-Jean d'Angely, avec sa verve spirituelle, sa capacité facile,
dominait dans ce salon; pas un acte royal, pas une mesure mi-
nistériel1e qui ne füt commentée, dénaturée; tous les journa-
listes d'opposition, tous les écrivains que la Restauration avait
blessés, tous les fonctionnaires déchus, tous se réunissaient chez
madame de Saínt-Leu; la correspondance se continuait active
entre Napoléon et ses partisans; des émissaires portaient des
notes a l'ile d'Elbe , et en échangeaient avec l'ex-empereur. On
ne prenait plus la peine de déguiser ses desseins ; tout le monde
sentait que le Gouvernement royal ne pourrait longtemps se
trainer dans l'orniére ; les esperances se réveillaient plus vives a
l'approche du mouvement de Murat vers les Alpes; des lettres
de 1\1. Maret a Napoléon , datées de la fin de janvier, le préve-
naient de l'Hat des affaires, et l'engageaient a se déterminer
promptement, s'il ne voulait se laisser prévenir par un mouve-
ment intérieur militaire ou républicain, qui se rendrait maítre
de la Famille royale et proclamerait un gouvernement provisoire :
ses partisans lui exposaient l'état des esprits , la situation et les
espérances du partí républicain , l'incertitude pour l'Empereur
de reprendre le pouvoir s'illaissait les Patriotes s'en emparer,
l'indíspensable nécessité de se háter : il lui envoyait quelqucs




280 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
notes secretes sur le congres de Vienne, sur les dispositions hos-
tiles des Puissanees les unes cnvers les autres. On dit méme
que M. -'Iaret se procura une copie du traité seeret du '13 février
entre la France , l'Autriche et l'Angleterre; Napoléon s'écria ,
en lisant ce traité : « Yoilá l'allianee naturelle contre le nord ,
c'était la politique que j'aurais dü suivre. )


Tandis qu'a Paris le Gouvernement et les partis s'agitaient
dans leur sphere , Napoléon nc restaít poínt tranquille a I'ile
d'Elbc; 011 IlC concoir pas l'imprévoyance des siguataires du
traité de Fontainebleau , d'avoir ainsi placé un homme si puis-
san! de ialents et d'oplnlon entre la Frunce et l'Italie , en lui im-
posant une espece de captivité souvcraine , snr un point rl'oú
les correspondances faeilespouvaient le jeter au prcmier jour sur
les cotes de Provenee ou de Toseanc; ;\1. Fouché avait pensé
juste el vrai lorsqu'iL avait écrit a ~ap()léon pour l'engager a
quitter l'Ile d'Elbe et se retirer aux "États-Unis '. A.. peine l'Em-
pereur était-il établi qu'une active correspondauce fut engagée
entre Porto-Ferrajo , Naples et París, Napoléon , étant souverain
indépendaut , ne pouvait erre soumis a une surveillance poli-
tique; ses petits navires , avec son pavillon blanc serné d'abcillcs,
déharquaient ses émissaires ~l :Uarseille, a Xaples et aToulon ;
ricn n'était plus facile que de tromper l'attention niaise de la po-
liee royale. Au mois de jauvier, des couY('nti~ns secretes étaient
arrétées entre Xapoléon et )lurat, que les actos du congres avaient
proiorulément blessé ; llllrat eutretetuut de notubrcuses iutclli-
genees en Franco et en Italie; Napcléon , sous le pretexte d'un
licenciement de sa gardc , avait dépéché des officiers et soldats
de toute arme, qui visitaicnt les cascmcs , réveillaieut les cspé-
ranees, aígrissaíent les plaintes. Il était arrété , entre Napoléou
ct Murat , qu'une armée napolitainc, a un signal donné , ferait
un appel a l'indépcndance de l' Italie, que ee signal serait ré-
pondu par un soulévement spontané en Frunce. Au milieu de
ce grand mouvcmcnt , ~apoléon devait déharquer , arborcr le
pavillon tricolore et marcher sur Paris, Les accidents et les dé-


I La lettre de Fouché cst du mois de mal t 8 t '1.




CTJAPJTRE L 281
tails du projct n'étaicnt pcint indiques ni fixés, Telle était sa
pensée généralc,


La Franco était ainsi Iorsque Napoléon résolut de quitter I'ile
d' Elhe ct de tenter un mouvemeut militaire au milieu des par-
lis agites. ,1 e ne répéterai pas cctte épopée si connue de la
marche de ~üpQléon du golfc Juan sur París; ses proclamations
sont partout avcc ses"actes dont il seme sa route; cette dé-
feetion des troupes, l'étrange oubli des senuents faits a
Louis XVIII, les Iaiblesses et les fautes du Gouvemcment
royal, .qui ne sait poiut se défendre contrc cette irruption
subite d'un chef qui porte avcc lui-méme tant de gloirc. 1,C5
prédictions que les Iionuncs d'Útat avaicnt faites sur la Res-
tauration se réalisérent pleincment ; commc cette restauration
n'avait pas pris racine en 181h, elle disparut dans la tcmpéte l.
La uouvellc du débarquement de Bonaparte avec queloues ceu-
taines d'lunnuics fut donnée au Gouveruement du Iloi a París,
par dépéche télégraphiqne arrivée dans la jouruée du 5 marso
.M. de Blacas se chargea de porter cette dépéche au Roí,
ajoutant, pour en affaiblir l'effet , « que Bonaparte s'était jeté
en fou dans les montagnes, qu'une partie de sa pctite troupe
l'avait délaissé.» Le Iloi en parut tout préoccupé et ne partagea
pas la riante sécurité de son ministre. Un conscil se réunit im-
médiatcment aux 'I'uileries ; on n'avait jusqu'alors pour s'éclairer
que la uouvclle télégraphique; ;.u. de Blacas proposa un projet
d'ordonuauce , oú , sur le rapport de ['((me el [cal chccalier
chancclicr de Franco .. le sieur J)alllúmy.. Napoléon Bonaparte
était declaré traitre et rebelle ; « on enjoignait a tous les gou-
verueurs , commandants de la force armée de lui courir sus .. de
le traduire incontinent devant un conseil de guerre , qui, apres
avoir reconnu I'identité , provoquerait contre lui les peines por-
tées par les lois.» Les mémes dispositions s'appliquaieut aux
fauteurs et adhérents de Bonapartc ; le projet fut adopté par le
conseil el signé par le Iloi ; toutefois, Louis XVIII demanda la
convocation des Chambres. « le débarqucmeut de Bouaparte


I J'ai dévcloppécegrand éplsode dans mon tra vail sur les Cent-Jours,




282 IlISTOIRE DE J,A RESTAURATION.
est plus grave que vous ne pensez, dit-il ases ministres; ce n'est
point une folie, lU. de Blacas, comme vous paraissez le eroire;
c'est quelque ehose de plus, e'est un complot: appuyons-nous
sur les Chambres , nous aurons plus de force.» Il faUut toute la
fermeté royale pour obtenir du conseil la convocation des
Chambres, attendu que plusieurs des ministres les considéraient
eomme des embarras. Toutes les journées du 5 et du 6 se pas-
sérent a proposer des mesures extraordinaires; le télégraphe
donna des ordres a toutes les divisions militaires; le corps d'ar-
mée réuni aLyon, ala suite du congres de Vienne, dut s'avan-
ter immédiatement sur Grenohle. LU. le comte d'Artois,
aceompagné du duc d'Orléans et du maréchal ñlacdonald , par-
tit pour en prendre le commandement. Des proclamations, des
adresses, des serments de fIdélité furent prodigués avec un
grand luxe de pbrases; généraux, offlciers, préfets, eorps mu-
nicipaux, université, placérent leur fortune et leur vie aux
pieds de Sa Majesté. Les Royalistes se ehargeaient de la phraséo-
logie un peu sentimentale des adresses, et les officiers ne rou-
gissaient pas de signer des protestations de fidéJité qu'ils ou-
bliaient presque aussitñt.


La nouvelle du débarquement de Napoléon produisit des .effets
différents dans les trois nuances d' opinions qui divisaient les
salons de Paris. Les Bonapartistes des salons de madame de
Saint-Leu, de madame Hamelin, depuis longtemps prévenues,
en éprouverent une vive joie; mais il s'y mélait la crainte que
des mesures de violence et de rigueur ne marquassent les der-
niers actes du Gouvernement royal contre ceux qui n'avaient
cessé de correspondre avee Napoléon. Le jeune auditeur,
1\1. Harel , a l'affüt de toutes les nouvelles, venait sans cesse
annoncer des bruits répandus, TantOt il s'agissait d'une com-
mission militaire pour juger les partisans de Napoléon, tantót
des mesures de süreté , tantót méme d'une Saint-Barthélemy
organisée par les Royalistes et les Vendéens. Il y avait saI1S doute
de l'exagération dans ces bruits; mais qu'on juge des craintes
qui as&iégeaient les amis de Napoléon! Cependant , le 9 au soir,




CHAPITRE v. 283
madame HameJin recut les proclamations datées du golfe Juan
et de Gap..Elles enveloppaient un saucisson dans une caisse
venue par la diligence. Aussitot elles furent réimprimées et ré-
pandues dans Paris. 1\1. Dandré De put jamais savoir l'origine de
cctte immense publicité. Sa police y perdit son temps. Ces pro-
clamaiions , capables d' exciter l' enthousiasme des Bonapartistes ,
circulérent dans les faubourgs, oú elles produisirent un grand
efTet. On se réunissait tantót chez madame Hamelin, tantót
chez lU. Maret ou chez 1\1. de Lavalette : c'était toujours dansIa
nuit que ces réunions avaient lieu. On détruisait toutes les pieces
de conviction, et la police de lU. Dandré n'étaít ni assez habile ,
ni assez dévouée pour trouver les auteurs, sinon d'un complot,
au moins d'une association qui désirait vivement le retour de
Napoléon et de l'Empire. Une fraction du parti républicain , en
répugnance ouverte avec la Restauration, comptait sur un
mouvement politique contre les Bourbons, mais elle vit venir
Napoléon avec méfiance : elle n'avait point oublié le despotisme
de l'Empire. C'étaít aces républicains que s'adressaient spécia-
lement les proclamations du golfe Juan et de Gap afin de les
attirer. Aussi ces llftes les rapprocherent-ils un peu du salon de
1\1. lUaret, qui put des lors compter sur les patriotes de 1793,
les hommes d'action surtout.


Mais les constitutionnels par systéme , ceux que Napoléon
affectaít d'appeler 1'CVCUTS., et qui ne s'étaient opposés que par
accident a la Restauration, et paree que eette Restauration
s'était écartée de son origine, Benjamin-Constant et la société de
madame de Staél vinrent au secours des Bourbons; seulement
ils cherchérent a tirer du retour de Bonaparte des conditions
meilleures pour les idécs Jibérales; ils voulaient s'emparer du
pouvoir, l'enlever au ministere Blacas, former une administra-
tion de lenrs hommes. Des le 8 mars, M. Benjamin-Constant
s'était entendu avec lU. de La Fayette et les patriotes ennemis
personnels de Bonaparte; ils proposaient aux Bourbons, comme
condition de leur appui, le changement de ministere , l'adop-
tion franche et entiere d'un systeme constitutionnel et des cou-




284 HISTüIRE DE LA REST AURATION.
leurs nationales , une nouvelle Chambre des Députés , une pro-
motion de Pairs dans le sens de la révolution et príse parmi les
Patriotes; ils demandaient également qu'on envoyát des commis-
saires aux armées. D'Ul1 autre cóté , les Roplistes ultras vou-
laient faire tourner le débarquement de Bonaparte au profit de
leur cause et eontre la Charte; ils entouraient le trñne , sollici-
taient des mesures de vigueur eontre les eonspirateurs, la sus-
pension de la liberté individuelle, la dictature organisée.: Ils
parlaient de leurs forees, des levées en masse , d'en finir avee le
parti bonapartíste , avec l'ogre de Corse et les Patriotes! Ce
n' était plus de la raison, mais de la fureur; les proeessions re-
commencerent dans Paris commc en 1814; on ne voyait plus
qne drapeaux blancs , cocardes blanches ; ils parlaient de cours
prévótales , de connnissions militaires. Au chateau des Tuilerics
e' était un bruit, un tapage ane plus s'y reconnaitre; les dévoue-
ments pleuvaient en masse; on voulait partir, et chacun avait
son projet, sa victoire en peche. Louis XVIII avouait en 1815
qu'il n'avait jamáis été si erueIlement étourdi par ses fideles
serviteurs.


Ainsi ¿l Paris, en faee de la marche si forte , si étonnante d'ac-
tivité de Bonaparte, le gouvernement du Iloi se trainait dans ses
derniers efIorts. C'était une chose curieuse a voir que les Tuile-
ries et París du 8 au 13 mars ; 51 y régnait une agitation , un
trouble, une terreur, et avee cela de la joie , des esperances. La
policc faisait afficher achaque moment que Bonaparte ct sa
bando ~ dispersée dans les montagnes , n'avaicnt trouvé que re-
pousscments et haine parmi les soldats ; et puis arrivait un cour-
riel' qui annoncait l'oecupation de Crcnohle et de Lyon , et la
défcction de quelqucs nouvcaux corps. Il y avait , C0ll1111e il ar-
rive toujours , deux centres de nouveiles , celles des partisans et
des cnnemis. Chez lH. ñlaret , ou chez la duchesse de Saint-Leu ,
on reeevait de moment ¿l moment des renseignemcnts, des hul-
letins sur la marche rapide de Napoléon, Ces hulletins, que les
journaux censures ne pouvaient donner, circulaient néanmoins
avec une publicité aussi grande; a coté de cela le MOllitNIl' pu-




CIJAPHRf: L 285
bliait tout ce que lui envoyait le ministere , et l'on peut s'ima-
ginerquelle ospéce de vérité laissait pénérrcr :'1. ele Blacas. On
disait mi11e niaiserics, ct on n'osait pas faire un scul acte; com-
ment laissait-on un partí paisiblement conspircr sans se saisir
des chefs! n yavait tous les jours couseil des ministres, et , de
plus, conseil du Iloi ; mille projets étaient discutés et ajournés ,
adoptés et laissés avec une rapidité étonnautc, Il n'y avait pas
d'intrigant , de chef de.police qui n'eüt son projet tout fait d'ar-
réter Bonaparte. Jamais circulation plus grande ne s'était mani-
festée dans les couloirs du chátcau ; il Ya en eITet tant de gens
qui savent qu'il ya bénéfice d'argent ~l senil' les gouvernemcnts
méme qui tomhent. On réveillait le Iloi dans la nuit pour lui
Jire un hulletin , une nouvelle, un plan; Louis XVIII écoutait
tout, et jamais sa sagacité n'était en défaut; il ne partageait au-
cune des sécurités ministérielles ; il ne se dissimulait point la
gravité des événements,


Chaqué ministére en particulier prenait des mesures, et la
guerre plus qu'aucun autre. Apres sa proclamation , le maréchal
Soult fit rendre une ordonnance qui rappclait sons les drapeaux
tous les militaires en semestre ou en congé limité. A quoi pou-
vait senil' cette mesure en présenc« d'une défection active?
Une autre ordonnancc , contresignéc par le gl-néral Dessolle ,
avait un hut plus utile ; conccrtée avec la fraetion patriote qui
oflrait ses services pour eomhatLrc Napoléon , elle faisait un ap-
pel aux gardes nationales. «( C'est principalement par l'union,
y était-il dit, que les pcuples résistcnt ~l la tyrannie ; c'est sur-
tout dans les gardes nationales qu'il importe de conserver
et de resserrer les nreuds d'une confraternité mutuelle , en
prenant un seul et méme point de ralliement. Xous l'avous
trouvé dans la Charte constitutionnelIe que nous avons proruis
d'ohserver et de fairc observcr ~l jamáis. » Ce préambule était
l'ouvrage de 1\1. Benjamin-Constant, qui l'avait rédigé chcz le
général Dessolle; il s'agissait alors, dans l'esprit des patriotes
modérés , de porter le g('néral Dcssollo ~l la guerre , en rempla-
cement du mar-chal Soult, et de prendre cettc occasion pour




286 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
composer un nouveau ministére : les patriotes de la coterie de
madame de Staél donnaient des gages aux Bourbons ; MM. Ben-
jamin-Constant et Comteécrivaient des articles fermes et décidés
contre la tyrannie de Napoléon et en faveur du Gouvernement
de Louis XVIII: c'était en haine du despotisme qu'ils cher-
chaient a soulever le peuple contre I'Empereur. Tout le monde
ne parlait plus que de la Charte, Les Pairs disaient dans leur
adresse : « Vos Iumiéres vous ont appris, Sire , que cette Charte
constitutionnelle, monument de votre sagesse , assurait ajamais
la force de votre tróne ct la sécurité de vos sujets, » M. Lainé
s'exprimait plus librement encorc , au nom de la Chambre des
Députés : « Les reprcsentanis du peuplc [rancais sentent qu'on
lui prépare le sort humiliant réservé aux malheureux sujets de
la tyrannie. Quelles que soient les (mues commises , ce n'est pas
le moment de les examiner; nous devons tous nous réunir contre
l'ennemi commun et chercher a rendre cette crise profitable a
la süreté du Tróne et a la liberté publique. ) Une proclamation
du Roi adressée au Francais fut également l'ouvragede M. Ben-
jamin-Constant, « Tout ce qui aime sincerement la patrie, tout
ce qui sent le prix d'un gouvernemcnt patcrnol et d'une liberté
garantie par les lois ne doit avoír qu'une pensée , celle de dé-
truire l'oppresseur qui ne veut ni patrie, ni gouvernement, ni
liberté; tous les Francais , égaux par la constitution, doivent
l'étre également pour la défendre., .. Le moment est venu de
donner un grand exemple, HOUS I'attendons de l'énergie d'une
nation libre et valeureuse. » Un grand mouvement régnait au
ministere de la guerre , mais il y avait plutót confusion qu'une
activité forte et réguliere ; il faut le dire , sauf quelques hono-
rables exceptions, jamais la parole humaíne n'avait été plus dé-
plorablement jouée : généraux , colonels , officiers, signaient des
adresses de dévouement au Roi et a sa dynastie, et ils étaient a
peine sortis de París qu'ils se riaicnt de ces serments et qu'ils
hrülaient d'ímpatience de se joindre a l'empereur Napoléon,
Dans les garnisons du nord, la conspiration militaire de Lille el
de La Fére avait été réprimée par le dévouement du maréchal




CHAPITRE Y. 287
Mortier, mais ces rares exemples ne peuvent justifier l'armée;
ce fut une triste époque pour la morale politique que eette tra-
hison si suhite de la foi jurée !


Ríen ne se faisait avee ordre et raison; c'est ce qui arrive
toujours a la veille d'un gouvernement qui tombe. On était ar-
reté sur le ehangement du ministre de la guerre; cette conces-
sion était demandée depuis longtemps par le parti patriote, qui.
ne trouvait pas dans le maréchal Soult des conditions suffisantes
de popularité. Le Roi accepta la démission du maréchal, et
comme certains bruits étaient répandus, défavorables asa fidé-
lité, le Roi lui écrivit de sa propre main une lettre pour lui
témoigner son estime et sa confiance. Les Patriotes comptaient
sur le renvoi du maréchal Soult pour organiser une administra-
tion nationale qui aurait pu s'opposer aux progrés de Napoléon.
]U. de La Fayette était arrivé de sa terre de Lagrange. Éloigné
de toutes afIaires publiques pendant l'Empire et la Restauration ,
il venait al'odeur du mouvement patriote, s'appuyant sur 1789
pour repousser Bonaparte. Dans les accidents divers de la société
depuis trente années, lU. de La Fayette était resté immobile.
Esprit poli, amanieres aristocratiques , il avait puisé al'école
amérícaine certaines idées difficilement applicables dans un état
social oú tant d'íntéréts se croisent et se font des conccssions
mutuclles. Il n'y avait , dans lU. de La Fayette , ni du tribun , ni
de l'homme politique; il n'avait pas la capacité de conduire un
gouvernement; il n' avait pas assez de force pour l' attaquer de
front et le renverser : et , avec cela, lU. de La Fayette était un
appui ou un embarras: dans le Cabinet, c'était une impossibi-
lité; en dehors, un obstacIe; a la tribune, on ne pouvait dire
avec plus de convenance , remuer les masses avec l'expression la
plus relevée, la plus éloignée des masses. Aucune popularité ne
pouvait se comparer a celle de lU. de La Fayette; il avait une
espece de coquetterie d'applaudissements, un besoin d'apparat,
de harangue et de place publique. Dans les fétes populaires, il
eút manqué quelque chose a son bonheur s'il n'y avait des cris de
vive La Faqeue filIes recherchaít de son sourire , de son atti-




28H HlSTOlHE DE tA nESTALJHATlO~.
tude , de ses gestes, de sa prole; préoccupé d'nne sorte d'apos-
tolat pour l'ómaucipation du genre humain, iI s'cn allait écri-
vant ~\ tous les peuples , cxprimant sa sympathic ponr tous lc~
aílranchissements , sans s'inquiéter si le temps était vcnu , s'il n.
dressait pas des échafauds aux Patriotes et des embarras ü SOl]
propre Couverncment. Partisan de l'égalité, personne n'avait
conservé plus que lui cette supériorité de manieres, qui rap-
pelait sans ccsse , a travcrs le voile d'une politesse populairc ,
qu'on parlait a 1\1. de La Fayette. Chose extraordiuaire ! dans la
plus longue des "les politiques , avec l'intention du bien, il avait
compromis toutcs les causes, cxposé ses amis par ses impru-
dences , de sorte qu'un ministre de Louis XVIII disait que la
meillcure police , contre les conspirations Iibéralcs , était d'écou-
ter une causerie de l\I. de La Fayette. "'1. Benjamin-Constant,
son ami et son admirateur, avait un de ces esprits fins, délicats,
une de ces ames maladives , comme on en trouve tant dans
l'école allemande. II avait passé toute sa vie dans une position
íausse ct malhct1fcuse; orateur d'opposirion , mais d'oppesition
légalo ct de perfcftiomwmcnt, il ,j'ait été jeté comme malgré
luí dans ce mouvcment des factions rlont la vio oragcuso était
antípathique ~l son ame méditativc , il avait un cnho pour ce qui
{.tait, ct lui-JHemc a avené. (~ne ce qu'il détestait le plus au
monde c'{'tait le despotisn:e , ct avant le despotisme, une révo-
lution ; écrivain élégant et corrert , 3'. Constant savait garder
toutcs les regles de la conx enance, et jamais ~l la tribuno il ne
lui échappa ure parde impótucusc ou brusque ; iI n'appartcnait
pas ades idees si ahsolues que ~1. de La Fayctte : il nc dépassait
pas l'opposition calme et raisonr ée du tribunal, de Jl1\1. de
Guingucné et Andrieux.


Les Patriotes avaient donné des gages r.oinbrcux ; ils espéraient
que le GOllrCrIlement royal viendrait ¿I eux comme ils étaient
allés a lui , el qu'on profiterait du renvoi du maréchal Soult pour
composer une adminisrration dans leurs idées ; iI n'en fut ríen.
Dans les discussions de la Chamhre des Pairs 011 avait remarqué
le dévouement du général Clarkeaux projets du mínísterc Ehcas ;




CHAPITHE v, 289
le général Clarke avait, en efIet, voté pour la loi restrictive de
la liberté de la presse, iI s'était mérne exprime en eette circón-
stance de maniere aconquérir les suílrages du partí royalistc :
iI fut désigné pour remplacer le maréchal Soult. On s'imaginait
d'ailleurs que le général Clarke , ayant eu le ministére de la
guerre sous l'Empire, aurait plus d'influence sur les chefs de
corps, et qu'on pourrait ainsi l'opposer aNapoléon. Par ceHe
combinaison le parti patriote fut entierement exclu des affaires.
Cependantle ministere sentait bien qu'en repoussant les hornmes
de ce parti, il se privait d'une grande force. Se jeter dans les
coups d'État, dans les mesures violentes, c'était perdre le der-
nier appui du Gouvernement. En restant le mérne quant au per-
sonuel , le ministere changeatout afait de langage; ce ne furent
qu' expressions patriotiqucs , et cet esprit se communiqua aux
deux Chambres, 1\1. Lainé exposait au Roi toutes les améliora-
tions que le Gouvernement se proposait de faire dans un court
intervalle sur le systeme des élections, la liberté de la presse ,
les finauces , les douanes, la Légion-d'Honneur; c'étaient toutes
ces améliorations que le génie du mal, par son apparition su-
bite, étaít venu troublcr ! lU. de lUontesquiou exposa devant la
Chambra l'état des départemeuts, C'était toujours le meme sys-
teme de sécurité et de déception : « le Val' avait donné le signal
de l'indignation contre Bonaparte; les Hautes et Basses - AII)eS
l'avaient vu passer comrne l'enuemi public; Lyon avait été sur-
pris et se levait en masse sur les derrieres ; l'armée restait sous
les drapeaux de l'honneur. Napoléon, serré etcomme traqué de
toutes parts, n'avait plus qu'a demander gráce l » Dans la capitale
agitée, il se manifestait quelque enthousiasme pour la causedes
Bourbons: on offrait des volontaires, la maisondu Roi était mo-
bilisée, on allait, on venait sanss'entendre ; tout ce que l'admi-
nistration avait su produire jusqu'alors , c'était la reconstitution
de la Préfecture de police confiée a l\I. de Bourrienne. L'ancien
secrétaire de Napoléon n'était pas dénué de talents ct d'activité ,
mais dans les circonstances graves oú 1'0n se trouvait , était - ce
bien dans ses mai'ns qu'il Iallait confior ce dépót difficile 1 l\1. de


1. 25




290 mSTOIRE DE LA RESTAURATION.
Bourrienne pouvait-il Iutter contre le mouvement miIitairc qui
ramenait Napoléon l Les jeux, les tripots jetaient beaucoup d'ar-
gent ala Préfecture de police, et chacun en désirait le manie-
ment absolu, Au reste, sa courte administration ne produisit rien,
mais elle fut vue avec craiute par les Bonapartistes; ils n'igno-
raient pas que l\l. de Bourrienne avait conservé de vieux resseu-
timents contre les anciens serviteurs de Napoléon; plus que per-
sonne il avait.les moyens de les surveiIler, mais leur conduite fut
si circonspecte, le nouveau préfet si mal servi par les agents in-
certains de la poJice impériale, qu'il ne fut rien de plus que
.l\I. Dandré; seulement il ajouta quelques 111<1Iadresses. Au mi-
Iieu de ces graves círconstances , Louis XVIII conservait un
calme plein de dignité; c'était une confusion ane plus s'entcndre
au cháteau , et le Roi ordonnait avec les mémes habitudes de ses
jours de prospérité, II eut a cette époque plusieurs coníérences
secretes avec des hommes de la Révo\ution, et il neo manifesta
aucune répugnance pour les projets populaires qu'ils lui présen-
taient afin d'arréter Napoléon: mais on prenait a plaisir de le
tromper sur les progres de l'eunemi ; chaqué soir on le réveil-
lait pour lui persuader que Bonapartc et sa bande étaient dis-
persés , que les soldats rcvenaient se ranger sous la banniére des
lis. Conuuent des lors se décider a quelque chose de décisif'?
s. A. R. MONSlEUR s'était momeutanément corrigé de ses anti-
pathies pour les hommes de la Itévolution , il avait vu Fouché
chez 1'1. le comte d'Escars. Une longue conférence s'était engagée;
l\IONSIEUU avait écouté avec une grande attention les paroles de
Fouché; il u'était pas méme éloigné de lui oflrir le ministere ;
mais celui-ci lui dit qu'il était trop tard , que l'habileté ne suf-
fisait pas seule , qu'on n'avait plus d'autres ressources que de
se faire nationaI autant qu'on le pourrait , qu'il ne répondait plus
de rien paree que tout dépendait du hasard. En sortant de eclte
entrevue, Fouché rencontra Benjamín - Constant et lui dit :
« Ne croyez-vous pas qu'ils vont prendre quelque mesure contre
moi 7 » Benjamin-Constant le rassura ; mais l' instinet de pollee
de "Fouché ne l'avait poiut trompé; le Iendemain se passa la




f.HAPITRE Y. 291.
scéne ridicule de la deseente des agents de 1\1. de Bourrienne
chez Fouché, qui s'échappa par une porte dérobée et une éehelle
adroitement placée dans son jardin.


Des scénes plus nobles et plus grandes se passaientala Chambrc
des Députés, Le Iloi s'y était rendu avec toutes les. pompes des
séances solennelles; Louis XVIII, souffrant, avait je ne sais
quelIe majesté du malheur; 1\1. le comte d' Artois le suivait triste
et consterné; les applaudissements d'un sombre enthousiasme
aeeueillirent les Bourbons aleur entrée dans la salle du Corps
législatif. Le Roi , avee une expression sublime de dignité, avait
dit: « l\lessieurs, dans ee momcnt de crise , oú l'ennemi puhlic
a pénétré dans une portion de mon royaume, et qu'il menaee
la liberté de tont le reste, je viens au milieu de vous resserrer
encorc les liens qui vous uuissant a moi font la force de l'État•
.1'ai revu ma patrie, je l'ai réconciliée avec toutes les Puissances
étrangeres qui seront , n'en doutons pas, fideles aux traités qui
nous ont rendu la paix ; j'ai travaillé au honheur de mon peuple,
j'ai reeueilli et je recueille tous les jours les marques les plus
touchantes de son amonr; pourrai-je ¿l soixante ans mieux ter ...
miuer ma carriére qu'en mourant pour sa défense? Je ne crains
done ríen pour moi , mais je erains ponr la France. Celui qui
vicnt allumer parrni nous les torrhes de la guerre civile , y ap-
porte aussi le Iléau de la guerre étrangere , il vient rcmettre
notro patrie sons son joug de fer; il vient entin détruire eette
Charte constitutionnelle que je vous ai donnée , cette Charte ,
mon plus heau titre aux yeux de la postérité , cette Charte,
que tous les Francais chérissent, et que je jure id de main-
tenir! » On ne peut s'imaginer l'effet touchant produit par
ce discours, des cris de l1WU1'iJ' pOU], le Boi l guel'l'e á l' USUl'-
ptüeur l se tirent partout entendro : Constitutionncls, Royalistes,
tous voulaient égalcmcnt combattre. Cet effet s'accrut lorsqu'on
lit l\lONSIEUR s'avancer vers le trüne , et réclamant par un geste
le silence de l'assemblée : (( Sire , dit Son Altesse Royale, je sais
que je m'écarte ici des regles ordinaires en parlant devant Votre
l\Iajcsté, mais je la supplie de m'excnser et de permctrre que




292 nrsromr DE [A RESTAURATJON.
j'exprime ici en mon nom et au nom de ma famille combien uous
partageons du fond du cceur les sentiments et les príncipes qui
animent Votre lUajesté. » Se tournant ensuite vers l'assemblée,
le comte d'Artois ajouta en levant la main : « Nous jurons sur
l'honneur de vivre et de mourir fidele a notre Roi et a la
Charte constitutionnelle, qui assure le bonheur des Francais, »
A ces paroles le Roi tendit la main a 1\10NSIEUR, qui la baisa
tendrement; puis, les deux freres se précipiterent dans les bras
l'un de l'autre. On savait les répugnances du comte d'Artois
pour la Charte; il en fut parlé au conseil du 14 au soir; le
Roi exigca de son frére cette protcstation éclatante pour faire
taire les bruits malheureux-qui couraient sur ses antipathies,
IU. le comte d'Artois résista d'abord : mais lorsqu'on apprit la
défection du maréchal Ney, la résistance s'affaiblit , et Son AI-
tesse Royale consentit a jurel' la Charte. En sortant de la
séance, 1\1. le comte d'Artois alla passer en revue la garde na-
tionale parisienne ; les légions étaient rangées depuis la rue
Royale Saint-Honoré jusqu'a la Bastille. On avait assuré 11 lUON-
SIEUR qu'au moins un bon tiers sortiraient des rangs pour s'of-
frir comme volontaires, c'était l'avis de l'état-major : un seul
colonel, 1\1. Gilbert de Voisins, interrogé , osa lui dire qu'on
le trompait, et qu'il pensait que la garde natíonale défendrait
le Roi et la cité dans les murs de Paris , mais que pour mar-
cher en avant il y aurait peu de volontaires; le comte d'Ar-
tois lui tourna le dos. 1\1. Gilbert de Voisins avait prévu pom-
tant la vérité ! Peu de volontaires sortirent des rangs, et M. le
comte d'Artois s'en revint fort triste de cette journée, I1 yeut
beaucoup de cris , beaucoup d'enthousiasme et de mouchoirs
blancs agités , mais voila tout. Quelques hataillons s'organisaient
cependant en volontaires; les corps , les administrations , la
magistrature, les écoles formerent des compagnies : on remar-
qua en cette circonstance le zele de 1\'1. Decazes, dont la com-
pagnie entiere s'offrit comme volontaire. Une ordonnance royale
conserva dans son intégralité le traitement de tous ceux qui pre-
naient ainsi les armes ponr la cause rovale.




CHAPTTRE Y. 293
L'impulsion de constitutionnalíté une fois donnée par le Roi,


tous les corps politiques s'empresserent d'entrer dans les mémes
idées. Déja M. Delorme avait proposé de mettre la Charte sous
la protection des gardes nationales du royaume. Dans la séance
du 18 , sur la proposition de 1\1. Barrot , la Chambre adopta une
sorte de protestation dirigée tout entiere contre l'empereur Na-
poléon. « Considérant que la nation s'est ieoéo en masse en 1789
pour reconquérir, de concert avec son Roi, les droits naturels
et imprescriptibles qui appartiennent a tous les peuples , que la
jouissance lui en étaít assurée par les Constitutions qu'elle a lí-
brement acceptées en 1791, en l'an V et l'an VIII, que la Charte
de 1814 n'est que le développement des príncipes sur Iesquels
ces Constitutions étaient basées; considérant que depuis 1791 ,
tous les gouvernements qui ont mécormu les droits de la nation
ont été renversés , et que nul gouvernement ne peut se soutenir
qu'en suivant la ligne des principes constitutionnels; que Bona-
parte les avait tous méconnus , et violés au mépris des serments
les plus solennels; que le voeugénéral et spontané appela sur le
tróne une famille que la France était accoutumée avénérer, et
un Prince qui, a I'époque de notre régénération , avait puis-
samment secondé les efforts que son auguste frere avait faits pour
opérer cette régénération , la Chambre des Députés déclarait na-
tionale la guerre contre Bonaparte; elle appelait tous les Fran-
cais aux armes, accordait des récompenses nationales a tous les
défenseurs de la patrie, décernait des médailles , et punissait
enfin toutes tentatives pour favoriser le retour de la tyrannie! »
En méme temps quelques mouvements militaires s'organisaient
aux envirous de la capitale, 1\1. le duc de Berri avait été nommé
cornmandant en chef; le général l\laison avait la direction du
premier corps, le second était sous les ordres de Rapp, la cavalc-
rie sous ceux du général Kellerman, le comte Rutty commandait
l'artillerie , Axo le génie, Le 17, le général l\laison annonca
qu'on allait se porter en avant; mais les dispositions des troupes
était si mauvaises , et Napoléon s'avancait l Alors on mit en dé-
lihération si le Roi défendrait la capitales s'il resterait aux Tui-




294 HISTOInE DE lA RESTAURATTON.
leries ; telle était l'opinion personnelle du Iloi : il la consigna
dans sa dcrniére proclamation aux soldats , tout entiere écrite
de sa main et qu'il envoya lui-méme au Moniieur ~'le 19, il an-
nonca aux ambassadeurs qu'il resterait sur son tróne , et qu'il
les attendait le 21 ala réception au cháteau ; cependant le 19 au
matin un conseil extraordinaire fut réuni aux Tuileries , et l'on
mit en délibération les trois points suivants : le Roi resterait-il
aParis? se retirerait-il dans une ville forte OU I'on transporterait
le siége du Gouvernement, et quelle ville choisirait-on ? le Roi
irait-il a l'étranger? Louis XVIII persista dans sa premie re ré-
solution. « Je resterai aux Tuilcries ,je vcux voir en face I'homme
qui prétend s'asseoir sur mon tróne ; je eompte sur l'affeetion
de mon peuple. )) lU. Lainé partageait eette résoIution du Iloi ;
illui eonseillait de s'entourer des deux Chambres en permanenee,
et d'attendre avec ce cortége imposant l'usurpateur : « Osera-t-il
por ter la main, répétait 1\1. Lainé , sur la représentation natio-
nale? » D'autres , plus prudents , faisaient entrevoir tous les dan-
gers, pour le Iloi et la Famille royale, d'une tclle résolution, « Vous
ne connaissez pas Bonaparte, disaient-ils , si vous croyez le frap-
per par l'éclat du diademe légitime ! Serait-ee le premier at-
tentat qu'il a eommis? Il a déja goüté du sang des Bourbons;
la tete vénérahle de Louis XVIII ne l'arrétera pas; sauvez le Iloi ,
il Y aura des ressources pour sauver la monarchie. » Ce second
parti inc1inait done pour qu'on se retirñt dans une ville forte. 011
proposait également Lille et Dunkerque : Dunkerque préseutait le
voisinage de l'Angleterre , tille celui des Pays - Bas. LTn troi-
sieme parti, celui de MM. Ferrand, Dambray, et en général
des émigrés, penchait pour l'étranger. JI ne croyait pas le Roí
en súreté tant qu'il serait sur le sol francais qu'éhranlait une si
puissante conspiration. Les habitudes d'émigration, les nouvelles
recues du congrés de Viennc donnaieut de l'ascendant ace parti ,
mais iI trouva une opposition personnellc dans les répugnanccs
de Louis XVIII pour l'étfanger, A six hcures on se sépara ; le
Roi avait déja dit : « J 'ira; a Lille »; j] se retira un moment
dans son cahinet et n\ligell de sa main ses adieux asa capitale,




r.I1APTTIlE ro 295
,


« ~oUS pourrions, r dísait-il , profitcr des dispositions fldeles et
patriotiques de I'inuncnse majorité des habitants de Paris pour
en disputer I'eutrée aux rebelles, mais nous frémissons des mal-
hcurs de tout genre qu'un combat dans ses murs attirerait sur
ses habitants ; HOUS irons plus loin rassembler des forces et cher-
cher sur un autre point du royaume, non pas des sujets plus
aimants et plus fideles que nos bons Parisiens, mais des Fran-
cais plus avantageusement placés pour se déclarer en faveur de
la bonne cause. » Daus la uuit du 19 mars le Roi quitta la capi-
tale; jamais speetacle plus touehant; la maison du Roi, les vo-
lontaires, tous pleuraient en suivant ce Prince, qui avait pris ,
dans des circonstances si difficiles , une force d'áme héroíque,
Louís XVIII était souffran t, mais son visage était calme; on em-
porta du chatean les diamants de la couronne, quelques mil-
lions en 01' ou en billets, et on se dirigea avec un tempsaffreux
sur la route de Lille.


Le matin du 20 mars, Paris était sans autorités supéríeures¡
toutes avaient suivi le Roi ou quitté son administration. Ainsi
les autorités sccondaires furent enfin soulagées d'une grande
pcrplexité ; en eflet, pour les gens qui tenaient a leurs places
plLIS qu 'a uII principe, commen t se décider entre Louis XVIII,
alors aParis, et Bonaparte a Autun ou aFontainehleau? Cela
parut d'une maniere asscz singuliere au tribunal de la Seine, le
19 mars : les rédacteurs du Censeur avaient assígné la Ouoti-
dienne en calomnie, paree qu'elle avait dit que les Patriotes
avaicnt conspiré pour appeler Napoléon. Bonaparte allait arríver
aParis : comment condamner pour calomnie ce qui , le lende-
main, serait considéré comme un éloge? MM. Comte et Dunoyer,
avee une grande inflexibilité de caractére , persisterent dans leur
plainte. Quel embarras! I ..e président n'eut d'autre partí que de
rcnvoyer aquinzaine. Qu'on s'imagine la joie des Bonapartistes :
ils avaient passé les dcrnicrs jours dans des transes cruelles ! le
déscspoir avait fait prendrc aux Hoyalistes des résolutions plus
havardes qu'énergiquos ; ils aunonraicnt qu'ils ne quitteraient
pas Paris sans avoir {'gorg{~ tous les partisans de Napoléon. Quelles




296 msrorns DE LA RESTAURATJON.
étaient les transes de ces femmes, l'áme du complot: la duchessc
de Saint-I..eu et madame lIamelin! La joie tint de l'ivresse!
Enfin l'Empire était revenu; on aurait encoré une cour, des
pompes, des fétes ! On ne serait plus humilié par le vieux cor-
tége de l'émigration ! On aurait le pouvoir, l'argent, les affaires!
Chacun se háta d'annoncer l'heureux événement a Napoléon ,
alors a Fontainebleau ; madame Hamclin eut l'honneur d'avoir
lancé le premier courrier; ce fut elle qui donna la bonne nou-
velle et pressa l'Empereur d'arriver, cal' il était acraindre que
les Patriotes n'organisassent sans luí un ,Gouvernement proví-
soire ; c'était le plan de Carnot , Quinette, et des chefs des Ré-
puhlicains: en mérne temps que des courriers étaient expédiés
a Napoléon, lU. Lavalette s'cmparait des postes et donnait par-
tout la nouvelle de l'arrivée de l'Empereur dans sa capitale; les
actes, les proclamations émanées de Napoléon depuis le golfe
Juan étaient envoyées au AloniteuT, avec un ordre d'insérer, si-
gné Regnault de Saint-Jean-d'Angely. Enfinasept heures du soir
l'Empereur entra dans Paris par la barriere de Fontainebleau;
il n'y eut ni pompe ni joie publique, on ne l'attendait pas; et
puis d'ailleurs il ya dans la classe moyenne une certaine pudeur
politique ; elle ne change pas de couleur et d'affection du jour
au lendemain. Aux Tuileries, au contraire, tout fut féte , Na-
poléon se vit comme porté sur les bras des officiers réunis dans
la cour; ce fut de l'ivresse militaire, une de ces joiesdes camps
romains saluant César et les aigles. Napoléon était moins radieux
qu'on ne l'aurait cru. A Paris , il envisageait sa situation avec
bien plus d'étendue qu'au golfe Juan, cal' il était en présence
de l'Europe.




~CHAPITRE VI.


JIOUVEJIENT YERS (;NE SECO::-iDE RESTAURATION PENDANT LES CENT~
JOt:RS.


Nouvclle expérience des révolutious , - Les populatious de la Frnnce. --
Louis XVIII il Lille , - Le Midi et le duo d'Angoult~rne. - Bordeaux et
Madumc. - Louis XVIII !l Gaud. - M. de Talleyrand a Vienue. -
Prévoyauces d'uue uouve lle Ilcstaurnriou, - Examen des Cent-J'ours par
les Roplistes. - Impossihil ité de dl\n~c.-La Cuur de GalJl1.-Ilapl'0l'ts
des llOllrfJU/lS avcc Paris. - Iustinct de la chute de Ilouapart e. - Liaison
avec le parti patriotc. - Les Iiourbons apres Watcrloo , - Marche des
allies, - Fouché et Louis xvnr. - Le duo de Welliuglon JIlMé aux
comhinaisons ministérielles, - Arrivée de 111. de Talleyraud it Mons. --.
Formatiou d'uu nouveau Ministere, - Louis XVIII ~l Arnouvil!c,


I.JES Ccnt-Jours ne forment qu'un court et terrible épisode
dans l'histoirc de la Ilestauration ; cette folie gloriense a coüté
plus de saerifiees a la Franco que dix hataillcs perducs : son ter-
ritoire s'est amoindri, ses fortercsscs ont été détruites , son in-
fluence européenne Iatalement diminnée; il n'y a plus en d'al-
lianees possibles , on s'est méíié de ses propositions de paix; tous
se sont mis contre elle; on s'est habitué a la voir eomme un
objct d'inquiétude. la période des Cent-Jours a formé pour moi
un travail spécial ; une histoire de la Restauration doit eourir
sur ees événements pour arriver aux démarches que la ñlai-
son de Bourbon fit une seconde fois pour recouvrer sa eou-
ronne. Hélas! elle devait tomber sans efforts cette noble Mai-
son. Louis XVIII quitte sa capitalc: en vain il cherche l'appui
des Chambres, en vain les Princes veulent se mcttre a la tete
des mouvcmcnts dans le Midi. Les hóroíqncs cflorts de Madamc




298 HISTOIRE DE LA RESTAURATIüN.
échouent a Bordeaux; lU. le duc d'Angouléme avait vu se con-
sommcr la défection des troupes; M. le duc de Berri avait en
vain entouré sa personne de quelques débris de la fidélité ; main-
tenant tout était consommé, Napoléon était aux Tuileries , et la
guerre civile pleinement apaisée, Mais on se serait trompé en s'i-
maginant que les Bourbons n'avaient plus de force et de puis-
sanee dans le pays : une grande partie des provinces était pour
eux; la bourgeoisie voyait avcc crainte le retour de Bonaparte ;
on comparait la paix et la gucrre , les prospérités publiques de
la Restauration et les privations amenécs par les batailles ; on se
voyaitexposé aux coups de I'Europe , et les gloires militaires de
Bonapartene pouvaient compenser ces terreurs. Tous cesmobiles
devaient agir pour rcndre une sccondc rcsrauration plus facile.


On a vu qu'en quittant Paris , Louis XVIII s'était dirigé sur
Lille ; l'esprit de la garnison, les conscils du maréchal Mortier
avaient déterminé le Roi afranchir les frontieres J. Avant de sor-
tir de France , Louis XVIII rendit deux ordonnances : l'une ,
contre-signée par M. de Blaeas, défendait a tous les Francais de
payer l'impót , a tous les comprables de faire des vcrscments an
'1'1'('801', annulait par avance toutes ventes de bois el de biens
communaux; l'autre , contre-signéepar M. de Jaucourt , faisant
les fonctions de ministre de la guerre , défendait aux Francais le
service militaire. Le Roi voulait par la paralyserles eíforts natio-
naux , principalement dans les provinees du Midi et de l'Ouest ,
et les départements du nord , alors tres-Bourbonniens , OU ces01'-
donnances étaient distribuées avec profusion. Un ordre sccret
manda aussi a la maison du Roi et aux volontaires Iloyalistes de
se disperser, Cette malheureuse maison suivait Sa lUajesté avec
un dévouement exemplaire. Des vieillards , de [euues étudiants,
un fusil sur l'épaule , s'embourbaient dans des chemins de tra-


1 On cut un momcnt l'idéc d'alíer en Angleterre : on préparait méme
le cháteau du marquis de Wclleslcy pour recevoir Louis XVJlI ; c'eút
été une fuutc imrncnse : la préscnce de la fami\\c ro~alc en Angle-
\em~! cU\changé í'opirnon. Sí le roí de Franco cut quitlé le continenl,
[amais peut étre n'eút-il élé restauré,




CHAPITRE VI. 299
verse, au milieu des pluies froides du mois de mars; ils se diri-
geaient sur Dunkerque , point indiqué eomme résistance , mais
ils ne dépasserent pas Béthune. C'est la que la maisondu Roi fut
dissoute. JI. de Berri , qui la commandait , joignit sa famille a
Gand. Ainsi tous les Bourbons étaient enoore une fois exilés de
la patrie. Le premier soin de LouisXVIII, ason arrivé aGand,
fut de réunir son ministere. Le 14 avril, trois seulement de ses
anciens ministres étaient arrivés : le généralClarke, le eomte de
Blaeas, et le comte de Jaueourt, sans portefeuille, ehargé par
intérim des affaires étrangéres. Louis XVIII appela dans son
eonseil l\ll\I. de Cháteaubriand et de Lally - Tollenclal; deux
maréchaux avaient suivi le Iloi , l\Iarmont et Vietor; et parmi
les intendants, 1H. Tabarié qui , plus tard , joua un grand role
royaliste. Il y avait aussi une image du corps diplomatique au-
pres de LouisXVIII. Sir CharlesStewart, quoique aeerédité patO
le priuce régent, ne résidait pas; 1'1. Fagel représentait le roi des
Pays-Bas, et le comte Pozzo di Borgo, la Russie ; il Yavait aussi
un ministre de Prusse, Louis XVIII fut recu avee froideur par
le roi des Pays-Bas, Il y avait un parti beIge favorable a Napo-
léon; et, quelles que fussent les opinions , on eraignait l'inva-
sion des Francais et la vengeauce des troupes impériales contre
un paysqui avaitservid'asile au Prétendaut, 011 établit dans eette
ville une espcce de pollee mixto, toutala fois á la dévotion du roí
des Pays-Bas et du roi de Franco. 1\l. d' Eckstein, plus érudit que
politique, fut ehargé de sadirection, souslesordres de M. Augles ;
le Itoi fonda égalemeut un journal officiel dans le méme format
que le JllolllLelll'; mais le Iloi des Pays-Bas ne voulut pas qu'il
prit le litre de JloJlil('llJ>~ et qu'un Gouvernements'étahlit acóté
de sonCouvernemeut I ; ce qui aurait dessiné la position politique
des Pays-Bas dans la questiou dc la paix ou de la guerreo


Louis XVIII u'avait rien perdu de ses habitudes. Souffrant
dans lespremiersmomcntsde son arrivée, il avait repris sa santé ,


1 ~DI. de Chátcuubriund , de Lally-Tollendal , de Pradcl , BerIiu
étaieut les rédactcurs habitucls du Journa! de Cando




300 IIISTOIRE DE LA RESTAURATIOJ\'~
et travaillait avec sesministres. Sonamitiépour M. de Blacas étail
la méme; le mot si piquant de lU. de lUontcsquiou , en 181 Ú,
n'avait point corrigé le Itoi: « Sire, avait-il dit , les Francaispar-
donuent aux princesleurs maitresses,mais ils ne leur passentpas
un favori, )) Il Yavait une intrigue montée aGand eontre M. de
Talleyrand. Aiusi , atoutes les difficultés de la légation francaisc
a Vienne, on ajoutait eneore celle-ci. On sait quel était le
hesoin du eomte el'Artois de se méler d'affaires et d'agir, Il
y avait longtemps qu'il cherchait a perdre 1U. de Talleyrand, et
il n'était pas homme aainsi oublier une antipathie une fois con-
cue ; la catastrophe du 20 mars n'avait eorrigé aucune de ces
tetes de l'ancicn régime. On accusait des malheurs de la llestau-
ration les concessions libérales que .I\J. de Talleyrandétait censé
avoir imposées a Louis XVIII. Taudis que les esprits graves et
pensants s'élevaicnt jusques aux causesvéritables de la chute du
tróne ; tandis que l'opinion accusait le ministere de 1814 de tant
de Iautes et de maladresses , lUONSIEUR déclamait contre les Ja-
cobins et ceux qui les avaient favorisés ; si bien qu'il paraissait
arrété , dans les derniers jours d'avril , que lU. de Talleyrand
n'aurait plus le titre de ministre des aífaires étrangeres : le Roi
n' osa pourtant pas se décider; plusicurs conférencesqu'il eut avec
lord '"ellington empécherent de suivre les insinuations de son
frere. Le duc n'eut pas de peine adémontrer: « qu'il n'était pas
habile d'adopter des opinions exaltées au moment 00 ellesétaient
si odicuses en France ; que el'ailleurs1\1. de Talleyrand avait été
partie contractante dans le traité secret d'alliauce du 13 février,
et que sa présence aux affaires était une garantie pour l'Angle-
terreo » Ce ne fut pas seulement en qualité de ministre plénipo-
tentiaire (le S. M. Tres-Chrétienne ala courde Suede que M. de
Cháteaubriand fit son heau rapport au Iloi sur les affaires de
Frence , tneis comtne cxercunt le ministére de l'intérieur par ín-
térim ; 1\I. de lUontcsquion n'était pas aGand. On trouvait dans
ce rapport , a travcrs les plus nobles príncipes de liberté, quel-
ques-unesdes préreutions que le grand écrivainavaitlaissé échap-
per dans sa brochure sur Bouaparte el les Bourbons,




UMP1TRE H. 301
Ilne fallait pas se dissímuler que la guerre seulc pouvait dé-


cider le retour des Bourbous : quelles que fussent les espórnnces
du rapport de Jl. de Cháteaubriand sur l'état des esprits a l'iu-
térieur, il n'y avait aucune chauce pour qu'un mouvement
d'opinion restaurát le trüne légitime; il était done trés-impor-
tant pour Louis XVIII de ménagerplus que jamais le congres de
vieunc , oú allaient se discuter les plus graves questions sur la
paix OH la guerre al'occasion du retour de Bonaparte. La nou-
velle du débarquement au golfe Juan était parvenue tres-rapidc-
ment il Vienne. Le 5 mars au soir, les Souverains et une grande
partie du corps diplomatíquc étaicnt réunis dans une de ces
retes, briIIants épisodes aux sérieuses opérations du congres,
Jamáis la poiitique n'avait été plus ouhliée pour les petites in-
trigues amoureuses de salon. Tout acoup on apercoit les empe-
rcurs d'Autriche , de Ilussic et le roi de Prusse qui se retirent
dans un coinj et s'entretiennent fortcment préoccupés, Une vive
agitation se manifeste parmi les spectateurs : on se demande par-
tout avee inquiétude ce qui peut occasionner ce trouble, et
bientót on apprend que Bonaparte a quitté I'ilc d'Elbe le 25 fé- .
vrier, On ne savaít pas encore oú s'était dirigée la flottc , sur
quel poiut Napoléon allait déharqucr. Cette nouvclle , arrivée
conune avol d'oiseau , jeta la plus vive inquiétude, L'état de
fermentation de I'Italie était conuu. Bonapartc allait-il soulcver
cette population mécontente? se portait-il vers Naples pour for-
tifier les résolutions belliqueuscs de Murat? Les mouarqucs
n'iguoraient pas non plus l'état de la France , les partís qui s'y
agitaient violcmmcut autour d'un tróue faible et presque aban-
donné par l'opiuíou. Le 8 mars , il cinq heures du soir, un nou-
veau courrier de Sardaigue apporta la nouvelle que Bonaparte
était débarqué ~l Cauucs , et qu'il se dirigcait au pas de course
vers les moutagues de la Provcnce.


Dans eet intervalle , l\DI. de 'I'allcyraud , le duc de 'Yellinglon
et M. de Metternich étaicnt partís de Vienne pour Presbourg ,
alin de notiíier au roi de Saxe, captif', la résolution du congres
qui Iui culevait une partie de ses États, 1\1. de Tallcyrand , ovaut


L 26




302 HISTOIRE DE LA RESTAL"RATlON.
recu les dépéches de Sardaigne, exposa a ses deux collegues la
nécessité d'une démonstration énergique de la part des grandes
Puissanees, afin d'arréter, par la menace d'une guerre générale,
les progres que Bonaparte pourrait faire en France, Peu d'ob-
jeetions furent présentées , attendu que cette démarchc était
une simple mesure de précaution. Le duc de '" ellington fit
méme observer qu'il pourrait étre utile que la proposition vint
du cabinet de Vienne pour éloigner toute idée d'un eoneours,
d'une intelligenee entre l' Autriche et Napoléon. lU. de Metter-
nieh s'offrit volontairement a porter la parole dans le comité
dirigeant. En conséquence dans la conféreuce du 12 mars, entre
les plénipotentiaires des huit Puissances, I\1. de I\letternich ex-
posa « que Napoléon, en quittant l'lle d'Elbé et en débarquant
sur les cotes de Franco avec des hommes annés, s'était ouver-
tement eonstitué perturhateur du repos publie; que, comme
tel , iI n'était plus sous la proteetion d'aucun traité , ni d'aueune
loi; que les Puissanees signataires du traité de Paris se trou-
vaient particulierement appelées ¿l conserver la paix de I'Eu-
rope , qu 'elles devaieut done décIarer qu' elles étaient prétes , en
cas de besoin , a fournir a Sa I\lajesté Tres-Chrótienne les se-
cours qu'elle pourrait juger convenables pour le maintien de
toutes les stipulations du traité de Paris. ) C'est sur cettc
proposition et a l'unanimité que fut adoptée la déclaration du
13 mars , qui mettait en quelque sorte hors de la loi des na-
tions Bonaparte et ses adhérents, lU. de Talleyraud et la léga-
tion írancaise avaient travaillé les plénipotentiaires de toutes les
Puissanees, et eomptaient sur l'eífct de eette déclaratlon pour
fortifier le partí des Bourbons, et arréter la défection année.
L'espoir de la légation francaise fut décu, On apprit successive-
ment l'arrivée de l'Empereur a Lyou, aSens; tous les courriers
apportaient quclques nouvcauxprogrés , enfin le 26 mars on sut
que Bonaparte était entré a Paris, et , succcssivcmcnt, que le
Roi s'était retiré dan s les départements du Nord, et avait passé
la Irontiere.


Le succés plein et enticr de l'emrcprise de Napoléon frappa




CHAPITnE VI. 303
les alliés q'un étonncment melé de crainte; ils ne se tronvaient
plusdans la position de la déclaration du 13 marso Ce n'était pas
un simple fugitif qu'ils mcttaient hors la loi, mais le chef d'une
puissante nation, le grand capitaine qui tant de fois avait foulé
(~U pied leurs couronnes. lU. de Talleyrand et la légation fran-
caise étaient dans une position fausse. Qu'allaient-ils désormais
représenter au congres? Louis XVIII avait quitté Paris, le dra-
pean tricolore flottait sur les Tuileries! Une des premieres dé-
marches de Napoléon avait été d'cnvoyer al'empereur Alexandre
copiedu traité secret du 13 février entre]'Autriche, I'Angleterre
et la France, dans l'cspérance de divisor la coalition. Alexandre
en rnanifesta hautement son dépit envers la ñlaison de Bourbon;
profoudément bless« contre la légation francaise , ses idées mys-
tiques néanmoins l'emportércnt , il se crut predestiné a frappcr
une scconde fois Napoléou : alors des ordres furent donnés pour
les préparatifs militaires; les monarques aJliés se disposerent a
prcndre les armes contre la Frunce et son Empereur. Dans
toutes les questions qui furent agitées au congres de Vienne, il
Iaut distinguer la guerre contre Napoléon , sur laquelle toutes
les Pnissances étaient unanimcs , d'avcc le rétablissement de la
lUaison de Bourhon : qucstion acccssoire qui ne fut décidée que
plus tard. Des le Havril, un message du Prince-Ilégent , porté
au Parlcrnent , Iaisait savoir : « que les événements récents sur-
venus demierernent en France , en contravcntion aux traités de
Paris , mcnacant d'avoir les conséqucnccs les plus dangereuses
pour la tranquillité et l'indépendance de l'Europe , Son Altesse
Iloyale avait donné des ordres pour l'augmcntatíon des troupes
de terre et de mer; elle alIait se mettre en communicationavec
les alliés de Sa lUajesté pour établir un concours capable de
pourvoir ala sécurité générale et permanente de l'Europe. » Le
comte Liverpool proposa l'adresse dans la Chambre des Lords,
Sa Scigneurie justifiait le traité de Paris , dont les principales
couditions étaient l'établissement de la lUaison de Bourbon et le
maintien actuel des frontíeres. La situation ne présentait que
l'alternative d'une défense armée ou d'une guerre active; « mais




30h HISTOInE DE LA RESTAliRATION.
il y a un point sur lequcl je présume , continuait le noble
comte, qu'il n'y aura qu'une opinion, c'est que le seul moyen
d'étahlir une sécurité générale se trouve dans une prompte ré-
solution d'aífermir la plus intime connexion entre l'Angleterre
et ses alliés. Qui oserait dire , ajoutait le vicomte Castlereagh ,
que le retour de Bonaparte est un acte national? Il est incontes-
table que la France , subjuguéc cornme elle l'est par sa propre
armée, conserve au moins en grande majorité des sentiments
favorables a son estimable Roi. » L'adresse passaaune immense
majorité, Dans les Communes la discussion fut peu animée; il
ne s'agissait jusqu'alors que des mesures de précaution : a peine
quelques ohjections furent faites par }DI. Whith1'ead et Pon-
sonby.


A Vienne, les négociations prcnaient un aspect militaire ;
toutes les solutions de points accessoires étaient renvoyées .apres
que la question Bonaparte aurait été décidéc. tes quatre grandes
cours, ouhliant leurs divisions, s'étaient rapprochées , et le
25 mars il avait été signé un traite par Iequel elles renouve-
laient les stipulations de Chaumont. « En couséquence , les
hautes Puissancos convcnaicnt de reunir toutes Ieurs forces
pour maintenir les conditions du traité de Paris , ct nonnuément
contre les plaus de Napoléon Bonaparte , et d'agir dans le sens
de la déclaration du 13 marso Les forces qu'elles conveuaient
d'abord de mettre sur pied étaient de cent cinquante mille
hommes, dont un dixieme de cavalerie.» Ce traité fut suivi
d'une convention de suhsides. L' Augleterre s'obligeait de four-
nir aux alliés [) millions de livres stcrling, divises entre les trois
souverains , les empereurs de Ilussic et d'Aurrichc , et le roi de
Prusse. IJn mcmoranduni remarquahle fut joint au traité; il
était commandé au cabinet par I'opinion publique, qui ne com-
prend pas en Angleterrc les guerres de principe et de légitimité;
il était ainsi conru : « Le soussigué , en échangeant les ratifica-
tions du traité du 25 mars dernier , de la part de sa cour, en a
recu l'ordre de déclarer que l'article 8 dudit traité , par lcquel
Sa l\Iajesté Trcs-Chrétienne est invitéc ü y accéder sous cer-


, I




CTTAPITRE vr, 305
taines stfpulalions, doit étre entendu , comme liant les parties
contractantes sous des príncipes de sécurité mutuel1e, a un
commun effort contre la puissance de Napoléon Bonaparte, mais
qu'il ne doit pas étre entendu comme obligeant Sa Majesté Bri-
tanníque a poursuívre la guerre dans la vue d'imposer a la
Franco aucun gouvernement particulier. Quelque sollicitude que
le Prinee-Hégent doive apporter avoirSa l\Iajesté Tres-Chrétienne
rendue au trñne , il se croit néanmoins appelé a faire eette dé-
claration, conformément aux principes sur lesquels le gouver-
nement anglais a réglé invariablement sa conduite.» Cette dé-
claration de lord Castlereagh était suivied'une adhésion de
.I\l. de lUetternich, dans le mérne sens; « les príncipes du cabi-
net autrichien ne permettaieut pas de poursuivre la guerre dans
la vue d'imposer a la France un gouvernement quelconque. »


Cette déclaration était-el1e sincere? caehait-elle le dessein de
diviser les forees, de répondre d'avance aquelques ouvertures
que pourrait faire le parti patriote? était-el1e spécialement pour
l'Autriche un moyen de rappeler ñlarie-Louise et la régenee?
Lorsqu'il s'agit de faire adhérer la eonfédération germanique a
l'allianee, le haron de Gagern, plénipotcntiaire de Nassau, dé-
clara: « Que la Franco était entourée d'un triple rang de places
fortes, qu'elle n'avait point acquises ni conquiscs par des moyens
légitimes, mais que ses intrigues lui avaicnt donnécs dans le
cours du dernier siecle , que particulierement l' Alsace se trou-
vait dans eette catégorie; que la paix de Paris , en 1814, avait
été rédigée dans des termes préjudiciahles al' Allemagne : si done
aujourd'hui, continuait le plénipotcntiaire , nos armes sont bé-
nies, si les armées írancaiscs sont défaites , si les forteresses
tombent, qu'il ne soit plus questíon d'une paix eomme celle de
Paris, » tes quatre grandes cours ne s'expliquaient pas sicaté-
goriquement sur les desseins d'un démembrement; ellesétaient
plus habiles, et les stipulations du traité de París étaient tou-
jours invoquées comme l'objet pour lequel les alliés prenaient
les armes. Les masses russes , concentrées dans la Pologne, re-
cevaíent l'ordre de se tenir prétes. te roi de Prusse appelait




306 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
tous sessujets ala guerre contre l'oppresseur commun; de grandes
levées avaient lieu dans l'Autriche , tout prenait un aspcct mili-
taire; les landwehrs étaient convoquées , et l' Allemagne retrou-
vait ses vieux ressentiments contre Napoléon, sollicitant en vain
de renouer les relations diplomatiques avcc l'Europe,


A l'intérieur, tout ne marchait pas dans une opinion com-
mune; le parti royaliste s'agitait dans plusieurs provinces avec
une hardiesse qui tenait aux espérances étrangercs; « on com-
munique avec Gand, disait le ministre de la police , comme on
communiquait avec Coblentz. » Il n'était pas une proclarnation
de Louis XVIII, une piéce officieIle qui ne íút aussitót cIan-
destinement imprimée dans Paris , jetre sur les cotes, répandue
avec profusion dans les départcments du Midi; les chárcaux, les
grandes cítés de Bordeaux, Toulouse, JUarseilIe étaient devenues
le foyer de vastesconspirations royalistes, non plus de ces simples
causeries, de ces espérances étoulIées, comme sous l'Empire ,
dans les épanchements du foyer domestique; il Y avait des co-
mités organisés avec un ensemble qui ne parut que trop, hélas!
dans les réactions qui suivirent les Cent-Jours. La Vendée, quel-
que temps paisible, avait pris les armes; les n0111S célebres dans
les fatales anuales des guerres civiles, les Larochejaquelein , les
d' Autichamp, les Sapinaud , les Suzanet étaient reparus ; des
armées anglaises étaient jetées sur nos cotes; Marseille , en état
de siége, voyait chaque jour des scenes de désordres ; Bordeaux,
foyer d'une vaste conspiration, n'attendait que le signal de la
guerre étrangere pour se prononcer. La liberté de la pressc fa-
vorisait ces sentiments; il Yavait une molle indulgence dans les
poursuites : les juges acquittaieut , et lU. Lainé pouvait impuné-
ment écriro et publier « qu'il invitait tous les citoycns, au nom
de la nation francaise , ane pas payer l'impót au tyran et al'usur-
pateur, et qu'il restait a Bordeaux au» ordres de madame la
duchesse d' Angouléme , pour y conserver l'union et la liberté
de la France , et qu'il ne serait jamais soumis a Napoléon. »
1\1. le comte de KergorIay exprimait un vote dans un sens plus
vil et plus prononcé encere: tout cela se faisait en présence d'une




CHAPITRE vr, 307
autorité indulgente comme la faiblesse, en vertu d'une légalité
impossible dans un temps de crise !


JI Yavait cela de singulier dans l'attitude méme de Napoléon,
que Iorsqu'il était obligé de faire de la popularité, il n'avait pas
d'autres moyens que de recourir a la forme du Gouvernement
de Louis XVIII, aimiter la Charte; ChambredesPairs, Chambre
des Députés, méme jusqu'aux titres de lieutenants-généraux et
maréchaux de camp, n'étaient qu'un grand plagiat de la Res-
tauration. A quoi bon des lors avoir renvoyé Louis XVIII?


Les communications entre les Iloyalistcs de Gand et la France
n'avaient pas cessé t1l1 momentd'étre tres-actives; les frontiéres
sont si étcndues , l'csprit de quelqucs provinces du Nord, et
particuliérement de LiIle, était tellement favorable aux Bour-
hons, que les ordonnances de Louis XVIII étaient publiées et
répandues avec une incroyable activité. Depuis le mois de mai
plusieurs nouveaux négociateurs étaient venus joindre le Roi a
Gand; on y distinguait1\1. Guizot. Dévouéa1\'1. de l\lontesquiou,
M. Guizot avait quitté le ministere de l'intérieur a l'arrivée de
Napoléon ; il s'était tenu en dehors des affaires jusqu'apres l'Acte
additionneJ. Voyant alors que la seule solution possible était la
restauration des Bourbons, il était alIé aGand, porteur de pa-
roles de plusieurs hommes politiques qui assuraient Louis XVIII
de Ieur dévouemcnt et s'engageaient a faire les concessions né-
cessaires pour préparer les voies aune restauration monarchique
et libérale. l\I. Guizot cut avcc le Roi deux entrevues. IIlui ex-
posa l'état de la France, toutes les chances que la Restanration
pouvait avoir '} et la néccssité de quelques concessions, parmi
lesquelles la premiere de toutes était le renvoi de 1\1. de Blacas ,
et la composition d'un ministere avec la présidcnce donnée a
]U. de Talleyrand. te Roi répondit qu'il examinerait; et le mi-
nistre de sa maison continua d'absorber toute sa confiance. Ce-
pendant l\I. le comte d'Artois, qui ne pouvait souffrir les favo-
ris qui n'étaient pas les siens , commcncaít rl'ébranler le crédit
de l\J. de Blacas. S. A. R. avait un ministere de prédilection,
dans lcquol entraient en premiere ligue MM. de Vaublanc ct Ca- ..»:
~\-<!.~


. /~{i




308 mSTüIRE DE lA RESTAURATIüN.
pelle. Toutes les aífaires du Gourcrncnumt royaliste de Gand se
\)ormúent alors 11 ceci : M. ue Jancourt cornmmúquait les dél)C-
ches de Vienne, et le général Clarke suivaitquelques pourparlers
avec des généraux et offieiers de l'armée du Nord , circonstance
qu'il ne faut pas oublier quand on juge le désastre de 'Vaterloo.
Le 20 mai, 1\1. de Chñteaubriand fit un nouvcl exposé sur la
situation de la France: « Cette Franco demande son monarque ;
vos sujets ne dissimulent plus leurs sentiments ; les uns viennent
se ranger autour de vous, les autres font éclater, dans l'inté-
rieur, leur amour pour leur souverain légitime. Bonaparte ap-
pelle l'anarehie au secours du despotisme , cte. » Toutes ces
phrases tendaient ü demander au Iloi une ordonnanee qui dé-
fendait aux procurcurs-généraux , oílicicrs de l'ordre civil ct ju-
diciaire , de poursuivre les [autcurs et complicas de Louis XVIn;
comnie le portait un décret de Napoléon; tout fonetionnaire qui
exécuterait ce décret devait étre traduit devant les tribunaux et
puni conformément aux lois du royaume. Quoique l'ordonnance
fút rendue sur le rapport de M. de Chütcaubriand , elle était
contre-signée par J1I. Dambray, chancelicr de Franee. Des les
premiers jours de juin , les frayeurs commcnccrent ¿I se répandre
a Gand; ehaque jour on annoncait I'invasiondes Francais ct l'ar-
rivée de Napoléon ¿I Bruxelles; on parla des 101's dans le conscil
de changer la résidcnce royale , paree qu'elle était trop pres de
la frontiere ; Louis XVIII répttgnait a ce ehangcment ; et, comme
les nouvelles étaient démenties le lendemain , le Roi se moquait
un peu du dévouement poltron de quelques fideles scrviteurs,


La Farnillo royale ne se trouvait pas tout enticre a Gand.
lU. d' Angouleme , resté en Espagnc , cherchait a réunir une
armée dans la Péninsule pour attaquer par les frontiercs du midi
et seconder le mouvement royaliste, lUadame d'Angouleme , ac-
cueillie en Angleterre, était vcnue voir son oncle a Gand, el
était immédiatement rctournéo a Londres , oú sa couragcusc
conduite aBordeaux lui avait donné une haute iufluence. Elle
insistait aupres du Cabinet pour qu'il interprétñt en faveur de
la famille des Bourbons le memorandum dont le traité du




CHAPITRE vr. 309
25 mars avait été accompagné. J\Iadame d' Angouléme fut en
quelque sorte le négociateur de Louis XVIII auprés du Prince-
Régent. Elle obtint, dans une cntrevue, la promessc , siuon
forme11e, au moins rassurantc , que l'Angleterre ne reconnaitrait
d'autrc Gouvernernent que celui de la branche ainée. J\I. le
comte d'Artois voyait alors beaucoup son frere , se mélait, autant
qu'il le pouvait , d'aííaires , et cherchait a consolider son in-
fluence, Il reprochait au Roi sa conduitc trop libéralc , et attri-
buait acette circonstance la conspiration des Cent-Jours; il en
citait comme prcuve le dévouemeut sans conditions du Midi et
de la Vendée , cal' ces provinces marchaient pour soutenir le
trñne et I'autcl, C'est ¿l l'insrigation de lUOl\SlEUR que le Itoi
fonda l'Ordre de la Fidélité pour tous les servitcurs qui J'avaient
suivi a Gand. IU. le duc de Berri vivait soit aGand, soit aAlost,
oú étaicnt réunis quelques déhris de la maison du Roi. Tous ces
volontaires étaient si peu nombreux , si mal organisés , que les
alliés ne songerent mémc pas a s'en servir pour l'armée active.


C'était dans la guerre que se trouvait la véritable force de
l'opiuion royalistc : c'était sur le congres de Vienne, sur les ré-
solutions hostiles prises contre I'cmpercur Napoléou, que devait
s'appuycr Ieur triomphc, On n'iguorait point ¿\ Vienne la situa-
tion de la France , les efforts mcrveillcux du gouvernement de
Bonaparte : mais on savait également la répugnance des Patriotes
pour I'Empereur, et les menécs des Itoyalistcs. Jamáis admi-
nistration n'avait été mieux surveilléc, mieux percée a jour,
Lorsque le Monitcur apporta aVienne l'examen fait par le Con-
seil-d'État de la déclaration du congres , du 13 mars , le comité
deshuit Puissances crut la pieco d'une importance telle qu'elle
méritait une réponse. Une comruission fut nommée, composée
de l\IM. de Tallcyrand , de Wessemberg et de Humboldt; elle
présenta un travail au comité. « tes Puíssances , y était-il dit ,
n'avaient considéré , dans leur déclaration du 13 mars , l'entre-
prise de Bonapartc contre le roi de Franco que comme un at-
tentat ¿l main armée envers le Souverain légitime , attentat que
tontos les législations punissent des peines les plus graves. Les




310 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
événements qui avaient rendu momentanément a Napoléon
l'exercice du pouvoir changeaient de fait la situation, mais ne
la modifiaient point de droit. Le droit des Souverains alliés, d'in-
tervenir dans la question du régime intérieur de la Franco, était
d'autant plus incontestable, que l' aboluion du poucoir que ron
prétendait y rátabiir étau la condition [ondameniaie c/u traite
du mois de mai 1814; que de l'acceptation , par la nation fran-
caise , du traité et de la décIaration des alliés de ne plus traiter
avec Napoléon, résuItait pour elle la couditiou fondamentale de
ne plus rétablir le pouvoir que les alliés avaient proscrit ; qu'abo-
lir cette clause inséparablc du traité de Paris , c'était rompre ce
traité , et créer le droit d'intervention des alliés. » Ce raisonne-
ment avait son coté juste et habilc : les alliés séparaicnt encere
Napoléon de la nation; ils n'imposaient pas les Bourhons , iIs
disaient seulement : « Rejetez Bonaparte , ce qui est une condi-
tion de la paix de 1814, et alors vous pourrez vous donner la
forme de gouvernement qui vous conviendra. » C'était un dé-
veloppcment du mcmorandum de lord Castlereagh.


Tous les contingcnts étaient préts : l'Europe cntiére entrait
dans la coalitiou, sans en excepter la Suisse , dont on suspcndait
la neutralité pour le cas spécial de la guerre contre Bonaparte.
La Confédérntion germanique fournit son armée; l'Espagne ad-
héra ¿l la coalition , mais sous la condition exprcsse qu'ou l'ad-
mettrait désormais , par l'importance de ses services I dans la
discussion de toutes les questions qui se lieraicnt a l'organisa-
tion générale de l'Europe. La Suede ne fournit aucun contingent
a la nouveIle coalition; l'Angleterre fut en contestation avcc le
Prince royal sur la quotité des subsides. L'acte du congres fut
arrété aYieune , le 9 juin, deux jours avant le départ de Napo-
léon pour l'armée. Le roi de Suede protesta contre ces détermi-
nations, attendu qu'on avait expulsé, sans indemnité, du grand-
duché de Toscane, la princesse :Élisa, parente du Prince royal,
et qu'on n'avaít pas consenti a compenser, en faveur de ce
Prince , la perte du duché de Ponte-Corvo.


La discussion sur les traités de subsides ne soufTrit pas au Par-




CHAPITRE VI. 311.
lement de plus grandes difficultés que la question de paix et de
guerre; lord Castlereagh exposa : « qu'il se félicitait d'annoncer
a la Charnbre que les Puissances alliées , en vertu du traité de
Chaumont, s'étaicnt engagées amettre sur pied 150 000 hommes
de troupes cfTcctives; que déja l'Autriche avait son contingent
employé en Italie , et qu'elle porterait une armée d'égale force
sur le Uhin; que 225000 Ilusses seraient sur les Irontieres de
France ~\ la fin de juin, ainsi que 236000 Prussiens. )) Sa Sei-
gneurie évaluait les forces de la coalition a plus d'un million
d'hommes, tandis que les subsides demandes n'étaient calculés
que sur les l~50 000 stipulés par le traité de Chaumont; le déficit
de troupes que I'Angleterrc ne pouvaitfournir dcvait étre donné
en argent, araíson de 11 liv. 2 sch, par homme. Peu d'orateurs
s'opposérent a la motion, qui fut votée a la majorité de cent
soixante voix. Cettc innnense majorité s'explique par le ressenti-
ment national qu'excitait la presse contre Napoléon; le seul
Jl10nling Chronicle défendait I'Empire avec un talent remar-
quable de moqueries et de sarcasmes prodiguesalord Castlereagh
et au COIIgreS de Vienne.


C'est contre ces grandes masses armées qu'avait a lutter le
génie de Napoléoll. 11 11 'est point dans le but de cette histoire de
retracer les opérations de la campagne de Waterloo. En face de
l'ennemi il y eut plusieurs défections d'officiers; mais la ne fut
point la cause de ce desastre. Il n'est que trop certain que l'ar-
mée était démoralisée ; le soldat apcrcevait dans ses chefs je ne
sais quoi de triste, de préoccupé : ces chefs n'avaient plus eux-
mémes cette éncrgie de la victoire, ce coup d'ceil des grandes
campagues, Les maréchaux Ney, Grouchy, le général Drouet, ne
firent rien de ce qu'on pouvait attendre d'eux; des crís de sauce
qui peut.. des instigations de désordre se faisaient entendre dans
les rangs, II y cut, dans cette campagnc, de la valeur indivi-
duelle , du désespoir, mais rien de ce courage calme, intelligent,
qui caractérisa, en d'autres circonstances, les masses francaises!
« Journée incompréhensible! concours de fatalités inouíes ! s'est
écrié depuis Napoléon, Grouchy, Ney, d'Erlon ! Ya-t-il eu trahi ...




312 IlISTOlRE DE LA RESTAUHATIüN.
son? N'y a-t-il eu que malheur! Ah! pauvre Franco! Et pourtant
tout ce qui tenait a l'habileté y avait été aecompli! Singuliére
campagne , oú dans moins d'une semainej'ai vu trois fois s'échap-
per de mes mains le triomphe assuré de la France! Sans la dé-
sertion d'un traitre , j'anéantissais mes ennemis en ouvrant la
eampagne; je les écrasais aLigny, si la gauehe eüt fait son de-
voir ; je les éerasais eneore aWaterloo, si ma droite ne m'cut
pas manqué. Singuliére défaite, oú , malgré la plus horrible ea-
tastrophe, la gloire du vaineu n'a pas souffert, ni eelle du vain-
queur augmenté ! La mémoire de l'un survivra asa destruetion ,
la mémoire de l'autre s'ensevelira peut-étre dans son triomphe! »


A Paris , une sorte de frémissement, qui précede toujours les
désastreuses nouvelles, avait annoncé , des le 20 j uin , les funé-
railles de Waterloo, On ne connaissait pas encere les détails de
eet événement épouvantable; on avait appris seulement qu'il y
avait eu une grande bataille eomplétement perdue par Napoléon,
et que l'armée anglo-prussienne s'avancait sur Paris a marches
foreées. Depuis le 20 mars, jamais I'opinion publique n'avait été
rassurée; eette formidable eoalition de l'Europe, qui se formait
contre la Frauce , était envisagée par les esprits avec un indicihle
effroi. On avait peu d'esperance : l'étoile de l'Empire avait palio
Qu'on s'imagine done le triste effet produit par le désastre de
'Vaterloo! C'était un deuil dans toutes les réunions oú la patrie
faisait battre les cceurs francais ; on ne s'abordait le soir, dans
Paris , qu'avec crainte ; on se demandait ce que la France allait
devenir, en proie aune eoalition d'un milIion d'hommes. Les
agents de la police de Fouché contribuaieut de tout leur pouvoir
a exagérer les bruits et a Iaire croire qu'il n'y avait plus d'espé-
-rance que daus un traité prornpt et efficace avec les alliés, oú
Napoléon serait sacrifié aux hesoins de la patrie; et la Chambra
des Ileprésentants fut la main qui exécuta la pensée de Fouché,


Le plus graud malheur pour un pays , c'est le gouvernement
d'une assemblée; il est rare qu'ellc conserve I'intelligenee de ce
qu'il faut pour la graudeur de la patrie. Fut-il rien de plus
mesquinque la Chambre des Ilcpréscntants dant les Cent-Jours?




CHAPlTnE ,1. 313
partagée entre ses méfiances contre Napoléon , qui était l'épée ,
et sa répugnance contre la ~laison de Bourhon , le symhole de la
paix 'curopéenne. Aussi Fouché fut-il le seul honune habilc,
il se posa en négociateur, et il fit bien : H amusait la Chambre
avce des mots patriotiques; il caressait les plénipotentiaires des
représentants a la hauteur de l'esprit de 1\1. de La Fayette,
et en méme temps il négociait avec le due de "Tellington et
Louis XVIII a Gand, pour opérer une restauration libérale avee
le moins de réaetion possible. Il arriva une eireonstanee assez
piquante : lorsque les plénipotentiaires des représentants vin-
rent pour arreter Ieurs dernieres instructions, ils entrerent
précipitamment et trouvercnt Fouehé dictant des notes par-
ticuliéres qu'il allait donner aun de ses agents intimes, qui
partait pour le quartier-général du duc de "Tellington, et qui ,
de la, devait se rendre a Gand aupres de Louis XVIII. Le due
d'Otrante ne se troubla pas le moins du monde; il alla au-devant
de l\l. de La, Fayette , le fit asseoir sur une eauseuse, et discuta
pendant une demi-heure avee une gráce et une facilité surpre-
nantes sur les résultats probables de la négociation offlcielle,
Lorsque JU. de La Fayette fut sor ti , il reprit avec la méme faci-
lité les instruetions secretes de son agent '. Fouché savait trop
bien ce qui se passait a Gand et ~I Bruxelles pour espérer un
résultat positif de la démarche des plénipotentiaires présents; il
éloignait des gens qui I'importunaient , et , par la correspondance
qu'il venait el'entamer avcc le duc de 'Yellington, il était maitre
de faire avorter et prolonger, autant que cela lui paraitrait utile ,
les négociations. Le 27 juin, il lisait a la Chambre des Repré-
sentauts une lettre pleinc de dignité adressée au généralissirue
anglais; le 24, il lui avait écrit : « Il est tres-essentiel que les


I Un autre personnagc de la plus intime confiance de Fouché,
1\1. Gaillard, conscil\er ú la Cour de cassation , avait dl-jú cherché ú se
rcndre aGand avcc rnission de s'ahoucher avec Louis Xc VIII; mais il
ne put y parvenir : les moyens de eornmunícalion manquant absolu-
ment , aprés Watcrloo surtout , iI ne put rejoludrc le Itoi que sur la
route.


l. 27




314 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
armécs anglo-prussiennes hñtent leur mouvement sur Paris; il
ne faut plus qu'il y ait du sang de répandu: je réponds de Paris
et de sa soumission ; que le Roi donne des garanties , qu'il éta-
blisse dans des proclamations un systeme large et eonstitutionnel ,
et la Restauration se fera toute seule; je lui écris en ce sens; les
plénipotentiaires sont partis; ce n'est pas avee eux qu'il faut
s'arréter ; donnez-leur des espéranees, retardez la négociation,
et avancez toujours pour ne pas donner le temps aux partis de se
raviser. )) Cette lettre n'était point signée, et le due de 'Vel-
lington se háta de la transmettre a l'ambassadeur anglais, au
quartier-général des Souverains alliés; elle y arriva en méme
temps que les plénipotentiaires francais,


Pour bien compreudre la position de ces plénipotentiaires, il
faut savoir que, depuis la bataille de 'Vaterloo, l'influcnce de
l'Angleterre avait grandi jusqu'a ce point qu'elle offusquait déjá
l'empereur Alexandre, qui, ayant joué le premier role dans la
Restauration de 1814, se voyait réduit a n'en plus suivre qu'un
tres-secondaire ; e' était le duc de '" ellington qui allait décider
du sort de la France, dominer son gouvernement et ses con-
seils. Il avait tout ascendant sur Louis XVIlI, et Alexandre
n'ignorait poiut les coufércnces de Gand et ses liaisons avec
Fouché , le chef du gouvernement existant; le Czar, dans eette
situation , avait háté le mouvement de ses armées sur la France ;
lui-méme précipitait , de concert avec l'empcreur d' Autriche,
sa marche sur Paris, oú , disait-il, il ne voulait pas que tout se
fit par le due de 'Yellington et l' Angleterrc; le vieux Blücher,
qui avait si puissamment contrihué a la baraille de 'Vaterloo,
voyait sa gloire et son influence s'éclipser devant le duc de \Yel-
Jington; de secretes jalousies se faisaient sentir dans l'armée;
autant les Souverains paraissaient unís avant Waterloo , autant,
apres , la ligue était préte ase dissoudre, C'est dans ces circón-
stances qu'arriverent les plénipotcntiaires francais. Ils s'étaient
dirigés par ñlauheim aKayserlautern , quartier-général du ma-
réchal Barclay de Tolly; de la, ils se rendirent a Haguenau ~ oü
les Souverains étaient arrivés, .lU. de La Favettc , qui avait vu




CHAPITRE H. 315
l' empereur Alexandre il Paris , en 1R1!I, lui écrivit directo-
mcnt; il n'en rerut pas de réponse ; il se présenta chez lui
comme simple particulier, il ne put étre admis: mais les confé-
ronces qui d'abord avaient été indiquées adix licues en arriere ,
s'ouvrirent a Haguenau méme. Il n'y eut pas précisément de
plénipotentiaircs de la part des Puissances, mais de simples
commissaires. Ce furent pour l' Angleterre, lord Stewart; pour
l'Autriche, le général Walmoden; pour la Russie, le comte Capo-
d'Istria; et pour la Prusse , le général Kenesbeck, Les alliés
n'avaient aucune intention de traiter; tous avaient des engage-
ments positifs a l'égard de l'Angletcrrc, et le duc de 'Velling-
ton avait mandé a lord Stewart l'état des négociations avec
Fouché; la conférence fut plutót une causerie sur un armi-
stice ou une capitularion , qu'un.e négociation diplomatique de
Puissance a Puissance. Lord Stewart porta la parole pour tous
sescollegues , et :M. de La Faycttepour les plénipotentiaires fran-
cais ; il s'agissait d'abord de fixer bien précisément l'objet de la
conférence; M. de La Fayette déclara qu'on demandait un ar-
mistice, pour traitcr cnsuite des conditions d'une paix stable et
permanente; i1 fut répondu par lord Stewart qu'en l'état des
derniers SUCcl'S de l'anuée anglaisc et de la démoralisation des
troupes francaises , un armisticc serait une force donnée au Gou-
vernement de fait établi aParis, et que, sons aucun prétexte,
il u'avait pouvoir de le consentir. Ceci engagea les plénipoten-
tiaires dans la question du Gouvernement de fait ; le lord Stewart
demanda d'abord si les Puissancespouvaient reconnaitrc les man-
dataires d'une Chambra convoquée par Bonaparte, M. de La
Fayette s'étonna qu'un Anglais püt ignorer qu'uue Chambre ne
tire passa légitimité du pouvoir qui la convoque, mais du peuple
qui lanomme. Le lord Stewart répondit : « Mais est-ce bien le
peuple qui l'a nommée? » - « Il est important, continua M. de La
Fayette , de bien se persuader que tout conviendrait ala France,
exccpté la branche ainée des Bourbons; il n'y a pas de systeme
possibleaveceux ; ilsn'excitentaucune sympathie nationale; dans
six mois ce serait il recommencer. Voyez comment ce tróne a été




316 HISTOIRE DE lA RESTAURATION.
renversé. » Tandis que lU. de La Fayette et M. Oonstant conti-
nuaient ainsi des questíons vagues de principe , lU. de Laforest ,
plus habitué aux formes diplomatiques, avait nettement posé
les propositions des plénipotentiaires francais ; il s'était aperen
que le comte Capo-d'Istria et le commissaireautrichien prétaient
une attention plus favorable a ses propositions et semblaient se
séparer du systeme anglais. Ce fut alors que lord Stewart, se le-
vant, di! : « Messicurs , si vous traitez avcc les Francais , ce sera
sans l'Angletcrre ; cal'je vous declare qne je suis sans pouvoirs, »
11 fut unanimement manifesté par les commissaires qu'il était
impossihlede continuer des négociations pour lesquelles on était
sans pouvoirs ; que, s'il y avait Iieu, on les reprcndrait ultériou-
rcment. De nouvelles tentatives furcnt faltes le Jcndemain , et
les pléniporentiaires s'avancercnt jusqu'a ollrir d'accepter un
prince étranger, le roi de Saxe , un Brunswick, le prince
d'Orange, un duc francaís , de mettre en dépót une ligue de
forteresses C0111111e garautie d'ordrc et de repos. Il fut répoudu
par lord Stewart : « Vous prétcndez étre cntierement libres StH'
le choix du souverain ; je tiens un Monitcur, ct voila une pro-
clamation de votre Gouvernement qui annonce que Napoléon JI
est a la tete de l'Empire. » lU. de Laforest répoudit qu'on avait
de pleins pouvoirs quant ~l ce, et que le choix de Napoléon 11
n'était pas un obstacle ~l ce qu'on prit tout autre arrangement
mieux ala convenance. « Je ne dois pas dissimuler, répliqua lord
Stwart, que la condition premiere et indispensable, e'est que
Napoléon soit livré ~l la gardc des Puissanccs C0111111e conditíon
d'un armistice. ))


C'était pour l'armée, que Fouehé consídérait comme fort dan-
gereuse la préscnce de Napoléon; iI était un point de ralliement;
une fois éloigné, toutes les manceuvres tendirent a s'assurer du
maréchal Davoust, qui la commandait sous Paris. Celui-ci avait
eu , le 25 ou le 26 juin , une conférence avec le maréchal Oudi-
not, qui lui avait fait quelques ouvertures au nom de LouisXVIII.
lU. de Vitrolles , que Fouché avait fait mettre en liberté, était
entré avec plusieurs généranx dans des négociations srcl'('trs. te




CIJAPITRE vr, 317
maréchal Davonst crut devoir en parler 1\ la commission de Gou-
verncment. Dans la séancc du '27 juin , apres avoir exposé la si-
tuation des armées , le maréchal déclara qu 'il n'y avait pas un
moment á perdre pom envoyer au roi Louis XVIII, et lui pro-
poser d'entrer 1\ París sans garde étrangérc , de prendre la co-
carde nationale et de conservcr le drapean tricolore , de garantir
la süreté de toutes les personnes et de toutes les propriétés , de
maintenir les deux Chambres existantes, d'assurer aux fonction-
naires publics la conservatiou de leurs places , quelles que fussent
les fonctions qu'ils auraient remplies jusqu'a ce jour, et a l'ar-
mée celle de ses grades, pensions, honneurs et prérogatives, de
maintenir enfin la Légion-d'Honneur , comme premier ordre de
l' Étar. La commission décída qu' on devait s'en tenir 1\ la ques-
tion militaire. Cependant une fois engagé dans ses idées , Davoust
neles abandonna pas; i1 écrivit le lendemain aFouché : « 11 n'y
a pasde temps aperdre pour adopter la proposition que j'ai faite
hiel'; nous devons proclamer Louis XVIII; nous devons le prier
de faire son entrée dans la capitale sans les troupes étrangeres,
qui ne doivent jamáis mettre le pied a Paris. Louis XVIII doit
régner avec l'appui de la nation, J'ai vaincu mes préjugés, mes
idécs, La plus irrésistihlc uécessité et la plus cntiere conviction
m'ont déterminé ¿l croire qu'il n'y a pas d'autre moyen de sau-
ver la patrie. ) Fouché , qui voulait se réscrver ¿l lui seul la né-
gociation, répondit : « Je suis persuadé comme vous, ]U. le ma-
réchal '. qu'il ne reste ríen de mieux afaire que de traiter prom-
ptcment d'unarmistice ; mais il faut savoir ce que veut l'ennemi.
Une conduite mal calculée produirait trois maux : 1° d'avoir re-
connu Louis XVIII avant tout engagement desa part; '20. de n'en
etre pas moins forcé de rccevoir l'ennemi aParis; 3°. de n'ohte-
nir aucune condition de Louis XVIII. Je prends done sur moi
de.vous autoriser ¿l envoyer aux avant-postes de l'ennemi et de
conclurcun armisticc , en faisant tons les sacrifices qui sont com-
patibles avec vos devoirs ct notre dignité. ) la commission de
Gouvernement jugea que cette lettre était trop politique , et qu'il
fallait que l'armistice füt purcmeut militaire ; Fouché fut a la




318 HISTOInE DE I.A RESTAURATION.
veille , dans eette circonstance , de se laisscr pénétrer; mais les
esprits étaient tellcmcnt ineertains, tellement agités , que per-
sonne n'osa l'aeeuser dans la Chambre des Représentants; cette
Chamhre dansseshainesniaiseset imprévoyantes, poursuivait d'in-
jures ]a famille des Bourbons, que tous les esprits aportée eon-
sidéraient eomme une solution inévitable a la position difficile
dans laquelle on se trouvait, Cette haine se manifesta avee une
grande maladresseal'occasion d'un écrit de 1\1. l\1alleville, mem-
hre de la Chambre des Représcntants, et dans lequel il prouvait
que le rappel de Louis XVIII était le seul moyen de sauver la
patrie. L'écrit pouvait étre une ineonvenanee dans la bouehe de
l\J. Mallcvillc, qui , un mois auparavant , avait proposé de punir
d'une peine tres-forre les cris séditieux : mais les raisons déve-
loppées dans la brochure étaient cxcellentes , et n'étaíent surtout .
pas de nature aexciter les fureurs brntales d'une assemblée po-
litique. Ce fut pourtant du délire ; 1\1. Garreau se laissa allerjus-
qu'a dire que l\l. l\lalleville avait l'infamie de demander qu'on
proclamátles Bourbons , et qu'il fallait le mettre en accusation,
M. Durbaeh· voulait qu'on déclarñt les Bourbons ennemis pu-
hlies : on eriait de toute part : « Point de Bourhons , point de
I ..ouis XVIII ~ » rage impuissante qui laissait pérír la patrie, pour
s'user en déclamations sans avenir!


La commission de Gouvcrncment, voyant que les eonfércnces
de Haguenau ne produisaicnt aueun résultat , avait résolu cepen-
daut d'éviter l'e1Tusion du sang aux portes de la eapitale, et elle
avait, des le 27, député MM. Andréossy , de Valence , 'Boíssy-
d' Anglas', Flaugergues et Labesnardiere au quartier-général du
prince Blücher et du duc de "Tellington. Les instructions éraicnt
toutes rclatives a une proposition d'armisticc , a une ílxation de
ligues militaires : « Sur les qu~stions relativcs ala forme du gou-
vernement de la France , y était-il dit, provisoirement ;\lM. les
conunissaires se horneront ~I entendre les ouvertures qui seront
faites , et ils auront soin d'en rendre..compte, afin que, d'apres
la nature de Ieur rapport , le Gouveruement puisse prcndre la
dótcrmiuationque prescrirait le salut de la patrie. » Lesnouveaux




CHAPITRE VI. 319
commissaires ne furcnt pas plus heureux; admis auprés du duc
de Wellington , ils exposerent comme les plénipotentiairesaHa-
guenau l'état de I'opíníon en France , et la possibilité de fixer
lesbases d'une conventionraisonnable en proclamantNapoléon n.
Le duc de 'Vellingtonrépondit « que, commeindividu, et croyant
pourtant que son opinion aurait quelque importancc , il pensait
que, sous le regne de Napoléon II , I'Europe ne pourrait jouir
d'aueune sécurité , et la France d'aucun calme; qu'il était des
lors indispensable que les Puissanees alliées cherehassent des ga-
ranties dans les cessions de territoires; qu'une seule personne ,
Louis XVIII, lui semblait réunir toutes les eonditions qui ern-
pécheraient I'Europe de demander de semblables garauties,
lU~l. de Valence et Flaugergues dirent que, puisque la famille
des Bourhons paraissait une condition essentielle aux alliés pour
le rétablissement de l'ordre et de la paix en Europe, il était un
autre prinee de la famille, le duc d'Orléans, qui oflrirait plus de


,


gages de sécurité pour la France,
Lc duc de Wellingtonrépondit : u. quc le principe pour le main-


ticn duquel les alliés s'étaient armés soufIrirait également de
l'élévation au trñne de la hranche eadette; que 1\1. le duc d'Or-
léans s'en était Iui-mérnc expliqué; qu'il n'accepterait la cou-
ronne que pour la restituer a son auguste et légitime proprié-
taire. » 1\1. Boissy-d'Anglas énuméra les fautes du gouvernement
de Louis XVIII en 18'1[•. Le duc de 'Yellington répondit qu'il
les connaissait mieux que personne, ct que l'Europe s'en était
justement alannée ; mais quc des garanties étaient promises par
le roi de France , ct, comme preuve de ce qu'il avancait , le
duc rcmit aux counuissaires dcux proclamations , datées de Ca-
teau-Cambresis ct de Cambrai ; il engagea sa parolea faire don-
ner, par le:Roi lui-mémo, toutes les autres garanties que la na-
tion paraitraitdésirer, te duc de 'VeUington avait écrit , en eífct ,
aLouis XVIII: « Il est essentiel que Votre Majesté se fasse pré-
céder par quelquedocument ou actequi annonce des intentions
d'ouhli et de pardon, et qui promette de.marcher dans les voies


, de la Charte, »




320 HISTOIRE DE LA RESTAURATIüN.
Cefut aJlons que M. de TaUeyrand reprit lit haute main dans


les affaires; le duc de WelJington, dans une autre lettre au Roi ,
déclarait « qu'il fallait un homme de lumiére et de capacité pra-
tique. lU. de Talleyrand lui paraissait le seul propre, le seul ca-
pable de comprendre la position difficile dans laquelle se trouvait
la 1\laison de Bourbon vis-a-vis de la France ; sans indiquer per-
sonnellement au Roi les choix afaire , il croyait important de lui
signaler la nécessité d' écarter de ses conseilsleshornmesqui res-
taient impopulaires aux yeux de la nation írancaise, » l\l. de Tal-
leyrand attendait le Roi a l\lons depuis deux jours ; il Y cut la
une longue entrevue; la cour était vivement excitée contre les
auteurs des Cent-Jours , et la premiere proclamation de Catean-
Cambresis , OU l'on mcnacait « de mettre II cxécution les lois
existantes contre les coupables » se ressent de cette irritation des
esprits. Les démarches du duc de Wellington, du comte Pozzo
di Borgo tendaient adécider le renvoi de l\l. de Blacas, condi-
tion premiere de tout arrangement. Il y cut done, acette époque,
deux démarches paralleles et simultanées contre le favori de
I ..ouis XVIII : l'une , diplomatique , favorable a la modération
et II lU. de Talleyrand , cal' malgré les répugnances personnelles
d' Alexandrc pour le prcmier plénipotentiaire Irancais aVienne,
le comte Pozzo di Borgo poussait vers ccue combinaison; l'autre,
pctite intrigue de cour, conduite par le comte d'Artois, tendait
II suhstituer le ministere Vaublanc, Vitrolles et Capelle a1\1. de
Blacas, Ce n'était pas le moindre danger pour le Iavori ; cal' pour
qui a connu Louis XVIII, il est prouvé que ce qui agissait le
plus sur lui c'étaient ces perites persécutions d'intérieur, de son
frere et de sa famille. Cependant la position du duc de Wellington
lui permettait d'imposer des conditions. Force fut bien au Itoi
d'abandonner 1\1. de Blacas , auquel on réserva l'amhassade de
Napleset la mission extraordiuaire de conclure le mariage du duc
de Berri avec une princesse napolitaine; le comte Pozzodi Borgo
ayant eu la plus grande influcnce sur ces arrangements , on prit
quelques engagemeutsavcc lui pour une place dans le nouveau
eabinet; lU. de Talleyrand fut alors eharg{- de la présidence , ct




r.nAPITRE YI. 321
de s'entondre avec le duc de WclJington pour composer un mi-
nistére.


Dans les conférenecs de Cateau - Cambresis et de Cambrai ,
dilférents points furent admis : d'abord l'unité dn ministerc sons
la présidence d'un chef de cabinet; on avait trop senti en 1814
I'inconvónient d'une administration sans chef, et dans laqneIle
chacnn suivait une ligue r. part; on arréta qu'uue proclamation
royale annoncerait le mainticn de la Charte, le développemcnt
des institutions constitutíouuellcs , l'admission de tous aux elll-
plois publics , le pardou général de toutes les fautes; ce fut la
hase de la déclaration de Cambrai. L'opinion royaliste fit ajouter
une cxccption 11 l'égard de tous ccux qui avaient pris part aux
dernicrs évónerucnts. C'était au moins Hile maladresse , cal' il
fallait entrer ¿. Paris , et qui pouvait en ouvrir les portes, si l'on
en cxccptait la plupart de ceux qui détenaicnt le pouvoir? Mais
le roi Louis XVIII alors tres - animé contre les autcurs de
la Révolution et des Cent-Jours , adopta ces idées sans observa-
tions. IUONSIEUR se réserva le soin , une fois entré 11 Paris , de
travailler contrc 1U. de Talleyrand. Telle était la position de
Louis XVIII ¿. Camhrai , Iorsque la Chamhre des Ilepréscntants
se livrait II des déclamatíons furihondos et sans motif contre les
Bourbons. En général, les hommes d'État s'inquietent pen du
bruit et des hayardages, pourvu qu 'ils marchcnt 11 leurs fins,


Fouché n'avait pas ccssé un scul momcnt d'étre d'intelligence
avec Louis XVIII ct le duc de '" ellington, Un agent secret s'était
rendu au quartier-général des Anglais, et avait remis la note
suivante : «( L'arrnée est mécontente paree qu'elle est malheu-
reuse; rassurez-la , elle dcvlcndra íidéle et dévouée, Les Cham-
bres sont indociles , par la méme raison ; rassurez tout le monde,
et tout le monde sera pour vous. Qu'on éloigne l'armée , les
Chambres y conscntiront , en promettant d'ajouter ala Charte
les garanties spécifiées par lc Iloi ; n'cntrez pas a Paris avant trois
jours, dans cet intervalle tout sera d'accord ; on gaguera les
Chambrcs; elles se croiront indépcndantes et sanctionncront
tour. » L'agont trouva :\1. de Tallevmnd au quartícr-général du




322 IJI5TOIRE DE LA RESTAURATION.
duc de '" cllington. Le duc lui ayant communiqué la note,
M. de Tallcyrand répondit : « Apaisez les fraycurs , cela vient
d'étrc arreté entre nous; voici sir Charles Stewart, ambassa-
deur de Sa Majesté Britannique, le comte Pozzo , ambassadeur
de Ilussie , et je suis le prince de Talleyrand, ministre des
affaires étrangeres de S. M. Louis XVIII. » Le reglement de
la capitulation de Paris continua deux jours; on espérait
que la Chambre des Représentants proclamerait Louis XVIII,
éloignerait l'arméc , ce qui aurait prodigicuscmcnt facilité les
arraugcmcnts, Au licu de cela, elle s'abandonna aje ne sais qucl
esprit de rancunc maladroite contre la dynastic qu'ellc no pou-
vait éviter. Ce fut toujours dans les deux Chambres ces cris
éterncls de point de Bourbons. J... e ú juillet , un mcssage de
la commission du Couvcrnement apportait la capitulatíon de
Paris , plusieurs actcs diplomatiques et les deux proclamations
de Louis XVIII de Cateau-Cambresis et de Cambrai. On se forma
en comité secret , et , quoique la majorité approuvát la capitu-
lation, les plus étranges et les plus sinistres propositions furent
Iaites : on parla de traitrcs , de trahisou , et plusieurs députés
résolurent de poiguarder Fouché, s'il avait trahi au proíit de
Louis XVIII. M. Jay, qui voulait détourner I'orage de dessus la
tete du ministree , demanda avec sa voix accommodantc que
toutes les pieces fussent affichécs , afin que le peuple püt j uger
par lui-méme si le Gouvernement avaít merité sa couflance ; par
la, il servait les dcsseins de Fouché qui voulait avant tout ras-
surer l'opinion et populariser Louis XVIII. La capitulation de
Paris , qui portait le titre de conccniion , était honorable; l'ar-
mée se retirait derriere la Loire avec tous ses hagagcs. Les pro-
priétés publiques et privées étaient rcspectécs , aucune recher-
che pou1' les faits et les opinions n'étaient pcrmises ; la garde
nationale conscrvait la police de la ville, alors vivement agitée par
les fédérés et la hasse classe qui criaient aussi ~\ la trahison,


Cependant la capitulation de Paris, étant purcment militaire,
avait besoin de quclques cxplications en ce qui touchait le Gou-
vernement. Le duc de "'ellington désira s'cntretenir arce




CIIAPITRE VI. 323
Fouché; ce n'était la qu'un prétexte; d'autres ouvertures de-
vaieut lui étre faites. Pour ne donner aucun soupcon ases amis,
Fouché rédigea plusieurs modeles d'explication , comme s'il allait
Iaire sigller (lar le dac de ll'ellington de aoavelles gar.Jnties; ii
partít en efIet; il ne fut question au quartier-général que des
moyens de rétablir le Gouvernement de Louis XVIII avec le
moinsde secousse possible, Fouché déclara que, puisque les
Chambres se montraient récalcitrantes et n'avaient pas voulu
proclamer d' elles-mémes le Iloi , il fallait háter l'occupation et
agir militairement. » 11 démontra ce que la capitulation de Paris
ne pourrait produire tous ses résultats que par les mains d'un
homme en possession complete de I'esprit des partis, qu'il s'of-
frait au roi Louis XVIII dans une position assez critique pour
ne pas croire que I'ambition entrait le moins du monde dans ses
vues, mais que si I'on se fiait alui, il promettait le rétablisse-
ment du tróne sans froissement, et qu'il saurait bien réprimer
les factions. » Le duc de 'Vellington fut frappé des vues larges
et habiles de Fouché; il répondit « qu'il avait déja songé a. lui
pour le ministére de la police , qu'il en avait parlé aM. de Tal-
leyrand, Iequel paraissait assez disposé acette concession; qu'il
devait voir le roi Louis XVIII le jour méme , et qu'il le trou-
verait sans doute tout afait résolu, » En effet , le duc de wel-
lington vit le soir Louis XVIII et lui rappelant les services
de Fouché , il ne lui dissimula pas que les conditions de la
paix, qui tenaient au rétablissement de I'ordre en France et aux
garanties de sécurité , seraient peut - étre plus aisées avec
un ministre capable de counaitre et de contenir les partis.
Louis XVIII était preparé a cette concession par M. de Talley-
rand ; les Iloyalistes ardcnts ne voyaient pas non plus avec dé-
plaisir l'entrée de Fouché au ministere ; on savait les services
qu'il avait rendus, on se rappelait sa derniere conversation avec
MONSIEUR. Des lettres de 1\1. de Vitrolles le recommandaient,
dit-on , aux plus ardents royalistes qui entouraient LouisXVIII.
Le lcndemain , Fouché se préparait a retourner chez le duc de
'" cllington. Parmi les pcrsounes qui étaíeut venues pour savoir


/




32h IllSTülRE DE LA HESTALIL\TlUI\.
des nouvelles de la capitulation , se trouvait :U. "Iolé; Fouché
luiproposa de l'accompagner chez le généralissime , au cháteau
de Neuilly, afin d'assister ¡l la conférence; il avait pour objet,
en conduisant M. lUolé, d'avoir un témoin honorable pour cer-
tifier au duc de '" ellington la vérité des faits et la situation de
la capitale. Ils se rendirent, en efIet, tous deux aNeuilly, dans
la méme voiture. Sur toutes les questions délicates adressées au
duc de ",ellington, Fouché invoquait le témoignage de M. Molé ;
il ne cacha pas l'efIervescence de Paris , la nécessité de grandes
concessions, si l'on voulait amener la soumission du peuple a
Louis XVIII, sans qu'il y cut du sang répandu. JI continua de
se présenter comme l'hornme nécessaire de la situation, comrne
le seul qui püt amener le résultat désiré, Le duc de ,rc11ington
répondit : « qu'il croyait indispensable que Fouché exposát lui-
méme ses idées aLouis XVIII, et qu'il allait, en conséquence ,
le présenter au Roi. » Fouché monta done dans la voituredu duc
de 'Vellington; et tous deux se rendirent au cháteau d'Arnou-
ville. Cette présentation ne fut point longue. Le Iloi demanda
a Fouché des renseignements sur la situation de la capitale;
ce1ui-ci ne lui dissimula point l'état des esprits, et prornítde lui
adresser un Mémoire sur la situation dans la journée du )ende-
main, te Roi dit: « Je sais, lUonsieur, les services que vous
m'avez rendus ; le duc de "'elliugton ne m'a ríen caché; jc
vous ai désigné pour le miuistere de la police; vouspouvez m'y
rendre des services encere. » J son retour de chez le duc de
'Vellington, une foule empressée atteudait Fouché pour savoir
quelle garantie avait été obtenue. 11 répondit avec UJl grand
flegrne: « Le duc de '" ellington est un homme admirable; j'ai
tout ce que j'avais demandé, et mémeplus; toutes lesgaranties
sont accordées, » Lorsque cette foule fut sortie, son secrétaire
lui ayant demandé IaquelIe des trois copies avait été signée ,
Fouché lui répondit en riant : « Quoi ! il Ya dix ans que vous
travaillez avec moi, et vous Cíes si béte que cela! je n'ai pas
seulement parlé au duc de Welliugtou de garantie; quand on
est vainqueur 011 fait ce qu'on veut, »




CIIAPITHE vr, 325
C'était dans le chñteau d'Arnouville que devaicnt se régler les


arrangemcnts ministéricls pour la formation d'un cabinet nou-
veau. Les routes de Saint-Denis étant libres depuis la capitula-
tion , une multitude de Hoyalistes s'étaieut rendus 11 la résidence
de Sa lUajesté pour lui présenter lcurs hommages; le Hoi les
avait recus avec sa bienveillancc accoutumée; mais il paraissait
fort préoccupé de sa positíon , de l'état de Paris, de l'agitation
des esprits, des projets définitifs de l'armée de la Loire. Les
Hoyalistes l'entouraient, pour le pousser 11 la résolution ex-
treme d'entrer dans la capitale, le 7, par la force s'il était
besoin. l\I. de Talleyrand, chargé de la formation du ministérc,
cut plusieurs conférenccs avec le duc de "'ellington; voici sur
quoi reposaient les diflicultés. On a vu que les empcreurs de
Ilussie et d' Autriche avaient paru fort mécontents de la haute
influence que le duc de Wellington avait prise sur les conscils
de Louis XVIII; ils pressaient leur marche sur Paris, et
Alexandre n'avait pas dissimulé combien le choix de 1\1. de Tal-
leyrand lui déplaisait; le comte Pozzo qui rencontra les deux
Empereurs aNanci, leur ayant demandé conunent ilsosaient ainsi
s'exposer avec une petite avant-garde de cavalerie légéro dans
un pays si hostile , Alexandre répondit : (1 Nous allons en toute
háte 11 París, cal' nous ne savous pas tout ce qui s'y fait et le pcu
que nous savons nous déplait, » Quelque cnvie qu'eút 1\1. de
TaIleyrand de s'appuyer sur l'alliance exclusive de l'Angleterre,
ilne pouvait pas oublier que les armées d'Alexaudre couvraícnt
une partie de la France, et qu'il en cntrait achaque moment
de nouvelles, Le choix des ministres devait se combiner de
maniere a ne pas heurter .trop ouvertement les opinions et les
intéréts de l'empercur Alexandre, lUaltre du terrain en ce qui
touchait les Iloyalistes : ayant écarté mérne M. de VitrolIes, qui
cherchait a pénétrer encoré une fois dans le Conseil , l\1. de
Talleyrand n'eut plus qu'a manier les arrangements de teIle
sorte qu'ils pussent répondre au Hl:U des étraugers et ~I l'état
des partis de la capitale. 1\ se proposa cn consúquencc de faire
cntrer dans le Conseil deux hommes qui íusseut agréahles ~I la


1. 28




826 HISrOIRE DE LA RESrAURATION.
Russic : le duc de Richelieu, si aimé, si estimé par Alexandre, de-
vait étre placéala maison du Roi, en remplacemeut de lU. de Bla-
cas; le second était le comte Pozzo di Borgo , auquel on donnerait
le ministére de I'intérieur. Le général aurait quitté le service
de la Russie, et, comme il était né en Corsé , il devenaít Franruis,
C'était une immense concession que lU. de Talleyrand voulait
faire achcter par quelque gracieuseté du Czar. Cette combinai-
son, qui portait un général russe, 1\1. Pozzo di Borgo, au minis-
tere de l'intérieur, était trop grave pour qu'on l'osát immédia-
tement en présence de l'exaspération des partis ; il fut done
convenu qu'on créerait un intérim pour quelques jours; il
s'agissait maintenant de trouver un homrnc capablc, qui, déja
memore du Conseil, voulút se chargcr du portefeuílle de I'inté-
rieur. Dans la journée du 7 juillet , lU. Pasquier s'était rendu
au chatean d' Arnouville ; son but , ainsi que cclui des hommcs
politiques d'une haute portée d'esprit, était d'empécher la Rcs-
tauration de tomher dans les folies de parti , d'atténuer l'in-
fluence de ces Royalistes d' élau qui pouvaient compromettre
Louis XVIII et la Franco. En arrivaut au chñteau, 1\1. Pasquier
trouva l'antichamhre obstruéc par tout ce que le royalisme
avait de plus ardent, On déclamait avec violence; on voulait
entrer aParis le jour méme ; l\I. Dambray ayant aper<:u l\I. Pas-
quier, alla prendre les ordres du Roi, et vint lui dire que Sa
1\Iajesté désirait le voir et l' entcndrc, 1\1. Pasquier fut introduit
dans le Conseil; on y discutait deux questions , celle de savoir si
le Roi ferait son entrée le jour meme , ensuitc une ordounance
royale qui renvoyait a leurs places les fonctionuaircs qui les
avaient quittées dans les Cent-Jours. Consulté sur ces deux
questions, 1\1. Pasquier répoudit : ce Qu'il ne croyait pas pru-
dent que le lloi rentrát le jour memc dans Paris ; qu'il y avait
encore danger pour sa persoune. L'anuée de la Loire , presque
mutinée , était en partie au Champ-dc-ñlars , les fédérés parcou-
rant les rues de Paris , la gardc nationale encoré incertaine ; quant
ala seconde mesure, il croyaít qu' ello était imprudente quoi-
qu'elle eüt pour résultat de le faire rentrer ala direction géné-




CIIAPITRE n. 327
rale des ponts et chaussées , cal' elle désorganisaít I'administra-
tion '. » lU. Pasquier se retirait lorsque lH. de Talleyrand, le
rappelant au has de l'escalier, lui dit : « Je vous conduirai dans
ma voiture , l\lousieur Pasquier, j'ai acauser avec vous; je vais
chez le duc de 'Yellillgtoll pour régler définitivement les arran-
gemeuts ministériels et les derniéres díspositions pour l'entrée
du'Iloi il París. Je compte sur vous pour un ministere; voyez,
ehoisissez; voici nos principes : uníté de vue, traité de paix le
plus honorable possible, évacuation du territoire moyennant
indemnité, point de réaetion, saufl'action réguliere de lajustice
eontre quelques-uns des notables auteurs des Cent-Jours. Je
ne dois pas vous díssimuler que Fouché entre au ministere; il
nous est nécessaire. »]U: Pasquier répondit : « Je saisles services
que Fouché a rcndus , et les motifs de reeonnaissanee que sa
conduite depuis trois mois a dí} inspirer aux Royalistes. Je re-
connais méme que lui seul peut-étre est en état d'assurer sans
coup férir la rentrée du Roi dans sa capitale ; maisprenez garde
qu'il ne joue la nouvelle Hcstauration , comme il a joué tous les
pouvoirs qui se sont confiés a lui 1 et n'oubliez pas qu'il faudra
soignenscment survciller celui qui sera chargé de survciller les
autres. » lU. de Tallcyrand répliqua : « C'est une affaire finie;
le duc de Wellington en a fait la demande formcHe au Roi, et
il n'y a plus a y revenir. Voyons, choisissez un ministere , vous
nous étes nécessaírc , et le Roi le désire. » LU. Pasquier indi-
qua le ministére de la justice, pour lequel Fouché avait
proposé 1\1. ñlolé. 1\1. de Tallcyrand dit : « Eh bien! c'est con..
venu: mais il est indispensable que vous vous chargiez par in..
térim du ministére de l'intérieur, » lU. Pasquier se réeria sur
l'immensité de cette double eharge, dans un temps de crise et
d'activité aussi grande. « Ce ne sera pas long, répondit 1\1. de
Talleyrand , vous n'aurez l'intérieur que jusqu'a l'arrivée de
l'empereur de Russie avec lequel j'ai besoin de causer 1 car il
faut lui faire quelque concession. » Le soir, le ministere fut


I Celte ordonnance fut néanmoins envoyée au Moniteur.




328 HfSTOIRE DE LA llESTAUnATION.
completé chez le duc de 'Vellington; le maréchal Couvion-Saint-
Cyr cut le portefeuille de la guerre; 1\1. de Jaucourt, créature
de M. de 'I'alleyrand , la marine; l\l. Louis conserva les finances ,
oú il avait fait preuve de talent en 1814, et alors si violemment
ébranlées. On donna a l\l. Decazes la préfecture de police qui,
de lU. Réal , était tomhée dans les mains de 1\1. Courtin, pro-
tégé de la duchesse de Saint-Leu. l\l. Decazes avait montré un
grand dévouement a la cause de la Ilestauration , et 1\1. de
Talleyrand opposa la ferveur de son zele et sa jeune capacité a
la rouerie de Fouché , dont il était important de contróler lesdé-
marches. Le maréchal ñlacdonald recut la grande chancellerie
de la Légion-d'Honneur, avcc la rnission spéciale de s'occuper
de l'armée de la Loire; lU. Beugnot alla se caser aux postes
et lU. ñlolé aux ponts et chaussées. L'administratiou éraít ainsi
constituée.


A Paris , tandis que se passaient ces événements décisifs,
les Chambres s'occupaient, dans les journées du 5 et du 6 I
d'actes constitutionnels, de déclaratíons solennelles ele princípes;
00 discutait gravement les libcrtés de la nation , les garanties
publiques, et l'enuemi occupait Paris ; lU. Manuel défendait la
pairie héréditairc , lorsqu'uu détachement de Prussiens faisait
évacuer le palais du Luxembourg; Louis XVIII était aSaint-
Denis , qu'il y avait encere des gens a vue assez courte pour
s'imaginer qu'on pourrait obtenir une autre dynastie; le 7, la
.commission de Gouvernement chargea Fouché de se rendre
a Saint - Denis pour y traiter définitivement dans l'intérét
de l'indépcndance nationale. Fouché s'était fait donner cette
mission pour négocier plus librcment avec le RoL L'entrevue
fut précédée d'une lettre dans laquelle le ministre exposait a
Louis XVIII l'état du pays , la nécessité d'une grande clémence,
et de renoncer aux vieux droits d'hérédité pour en adopter de
populaires ; il demandait au Roi qu'il adoptát la couleur tri-
colore, qu'il prononcát la dissolution de sa maison, et qu'il flt
son entrée aParís au milieu de la seule garde nationale. Ces
propositions furent longuement discutées. te conseil du Roi fut




CHAPITRE VI. 329
partagé ; lU. de Talleyrand répugnait aces idées , et alors peut-
étre il avait raison , cal' l'adoption des couleurs nationales a la
seconde Restauration cut été une concession tardive et inutile;
Louis XVIII s'y refusa formellement; mais le mot qu'on lui a
prété : qu'il aimerait mieux retourner en Angleterre, est de
pure invention. Le Roi disait peu de ces mots absolus qui bles-
saient les partis puissants. A son retoura Paris, Fouché décIara
ala commission de Gouvernement que les alliés étaient ferme-
ment déterminés arétablir Louis XVIII, lequel ferait son en-
trée a Paris le lendemain, 8 juiJIet. Il ajouta que le Roi était
dans les plus favorables intentions; que, quant aux restrictions
de sa proclamation de Cateau-Cambresis et Cambrai, elles
seraient interprétées dans le sens de la cIémence la plus absolue.
Il y eut ici une vive discussion entre les membres de la commis-
sion, Fouché n'avait pas dissimulé ases colleguesque , comme
garantie pour les patriotes, il avait accepté le ministere de la
police de Louis XVIII. Alors commencerent a s'échanger des
explications vives; la commission de Gouvernement voulait se
retirer derriere la Loire avec l'armée, avec la Chambre des Re-
présentants; Fouché déclara que, quant a lui, il resterait a
Paris et qu'iI ne donnait pas dans de telles folies; mais, pour la
sureté de sa personne et mettre un terme a ces déhats , il écrivit
un billet secret au duc de" 'Vellington, pour qu'il cut ~l faire
occuper militairement les Tuileries , le Luxembourg et la
Chambre des Députés , ce qui fut fait dans la journée du 7.
Alors la commission de Gouvernement, déclarant que ses déli-
hérations n'étaient plus libres, se sépara et en adressa le mes-
sage ala Chambre des Représentants. De toutes parts on cria a la
trahison; les projets sinistres continuerent contre Fouché , mais
tous avortérent avant l'exécution. París offrait le soir un spec-
tacle triste et singulier; la garde nationale portait la cocarde
tricolore , des drapeaux hlancs pendaient aux fenótres; les Prus-
siens campaient dans les places publiques, et leurs canons
étaient hraqués sur les ponts; le has peuple était indigné; la
garde nationale, circulant dans les rues, avait de la peine a




330 m5TüIRE DE LA RESTAURATIüN.
réprimer cette effervescence. Sur tous le!'! murs de Paris , ¿l
coté des proclamations royales, étaient affichés la déclaration des
représentants , la constitution , les arrétés du maréchal lUasséna.
On ne savait pas sous quel gouvetnement on existait, et pour-
tant Louis XVIII devait faire son entrée le lendemain. lU. De-
cazes avait pris possession le 7 au soir de la préfecture de
police; les rapports étaient alarmants; si le Roi entrait par le
faubourg populeux de la rue Saint-Denis , n'était-il pas acraindre
quelque accideut, quelque attentat? Il proposa aSa l\1ajesté de
tourner par Saint-Ouen , Clichy, et de faire son entrée par les
Champs-Élysées ou le quartier d'Antin; le Roi refusa: ( Il n'y
a plus de ligueurs , dit-il, quand on voit la faee de son Roi. »
La rentrée de Louis X VIII excita de la j oie , mais elle étaít
melée de tristesse, Quel aIlait étre I'avenir de la France? Hnit
cent mille étrangers étaient sur son territoire ! les opinions les
plus ardentes étaient en présence! une armée mécontento se
retirait au dela de la Loire; elle menacait de piller les caísses
publiques, commettait des exces ; il faIlait lutter contre les exi-
gences des ardents Boyalistes avec leurs bandes armées , les as-
sociations organisées dans le JUidi et la Vendée. Que ceux qui
accusent les hommes politiques de ce temps s'y reportent par la
pensée! qu'ils disent ce que serait devenu le pays avec ces esprits
inflexibles qui voulaient jouer le tout pour le tout, et exposer
la France a périr pour le triomphe de quelques vagues prin-
cipes!


Les deux Restaurations furent marquées d'un caractére diffé-
rent: l'une se fit acoté de l'étranger, sans qu'il s'en melat tres-
directement; la seconde fut accomplie sous l'influence du duc
de '''ellington; mais, pour rtre vrai, il faut se háter de dire
que l'action des étrangers fut alors loin d'étre antilibérale.
Alexandro contribua puissamment afaire conceder la Charte , et
le duc de Wellington détermina les premiares mesures constitu-
tionnelles ele Louis XVIII aSaint-Denis. Quelques jours apres, la
société royaliste agit sur les souverains, ct leurs opinions de-
vinrent ardentes contre la Ilévolutiou. TI cst ccrtuiu (flH' sans le




CHAPITRE YT. 331
dénouemcnt précípité qu'amena la hataillc de 'Vaterloo, il eüt
été possible de faire réussir une combiuaison autre que celle
de la branche ainée: on l'avait traitée aVienne, et la légation
francaise , particuliérement MM. de Talleyrand et de Dalberg
n'avaient pas inflexiblernent défendu les droits de Louis X VIII
auprés des empereurs de Russie et (1' Autriche. Le triomphc des
Anglais ~l 'Vaterloo et l'immense influence qu'il créa a l' Angle-
terre et au duc de 'Vellington, les démarches de 1\1. Pozzo di
Borgo, en déciderent autrement, Apres le désastre de l' armée et
la chute de Napoléon , iI n'y avait plus que des réveurs qui
pussent sérieusemcnt penser obtenir autrc chose que Louis XVIII.
On oublie trop aujourd'hui que, si l'on eüt écouté certains
esprits , la Franco aurait pcrdu l' Alsace , la Lorraine et sa
doublc ligne de frontieres , et tout cela pour des théories ah-
straitcs! A tout prendre , rnieux vaut encore les hornmes politi-
ques qui sauventun pays par quelques sacrifices momentanés de
principes , que ceux qui le perdent pour quelques vanités aris-
tocratiques de. rnoins et quelques garanties populaires de plus.




CHAPITRE VII.


PREMIER MINISTERE DE LA SECO~DE RESTAURATIO:'\.


la France, les Part is , le Gouvcmemcut aprcs les Ceut-Jours , -- Adllliuis-
tration du ministere Talleyraud. ~ Sa séparntion cl'nvec les Royalistcs-
Divisious avec le duc d'Angouleme. - Liste (le p roscription . - FOl1ché.-·
La Chnrnhre des Pairs.-Millist(~rcde la guel'l'e ..- Dissollltioll de I'urrnée
de la Lo irc. - Le crédit. -- l\1. Louis. - COlJvocatiou des D(:putés. -
]~puration. - ltapports de ronché. -- Négociatiolls de 111. de Talleyrand
a vec les AlIiés. -- Impuissanoe d'alJOlltír ú uu baité. - SiluatÍoll dcs
Alliés a París. - Exigcnces. - Motifs qui amcllcut la disso lutiun du /111-
lJi,tiTC dc l\T. dc Tul leyi-aud. - Louis XVIII el le premier miuist r«."


Juillet R Sept~nlbre .~.5.


IL est difficile, lorsqu'une idée' nouvcHe arrivc au pouvoir,
lorsqu'un partí s'cmpare des aífaires , d'éviter les réactions ;
la joie du triomphe , le souvenir des souflrances , l'ambition
longtcmps comprimée, toutes ces causes agissent fortement
pour accabler les hommes qui succombent; ne cherchez point
alors la générosité , l'ouhli des injures: il faut qu'un Gouver-
nement nouvcau soit bien sage ct bien fort pour arre ter cette
fougue insatiable qui pousse les esprits ardcnts aux réactions.
Le Gouvcrncment éphémere des Cent - Jours était tombé. Cctte
improvisatiou bizarre , mélange hátard de la Ilépublique sans
éncrgic et de I'Empi1'e sans ses victoires et ses grandeurs, avait
croulé sans laisser de traces. 1\'1 es! le sort des gouvememcuts
qui n'ont pas de racines daus l'opiuiou et dans les' intéréts. Ils
passcnt , et pcrsonne ne s'inquiótc de ce qu'ils sont dcvenus.
Toutcfois, les partis politiqucs étaicnt rcstés dcbout, Jamáis les
passicns haineuses , les exigentes des factions, n'avaicnt été plus
grandes, et le spectaclo de-s malheurs de la patrie , qui devait




CHAPITRE vn. 333
f>trc si puissant sur des cceurs francaís , n'arrétait pas ce débor-
dement des opinions. Le partí royalistc était revenu aParis avec
tout l'orgueil de sa réccnte victoire. Ce parti avait un chef avoué ,
M. le comte d'Artois , une organisation militaire el administra-
tive dans les provinces, A Gand, Louis XVIII avait confié des
pouvoirs extraordinaires ason neveu , le duc d' AngouIeme , pour
tout le midi de la France. Des subdélégations avaient été faites
en faveur des plus ardents partisans de la cause. Partout des co-
mités royalistes s'étaient organisés avec plus ou moins de publi-
cité. Quoi qu'on en ait pu dire depuis, le royalisme était une
force alors, une force impérieuse , turbulcnte; cette force s'était
montrée sanglante a ñlarsciilc , ~l Nimcs , oú le pavillon blanc
avait été arboré dans un mouvement insurrectionnel. Des idées
qui font horreur trouvaient des défcnseurs et des apologistes dans
une eour polie, parmi les femmes les plus élégantes et les plus
délicates, On ne parlait que de réactions, de punitions, de ven-
geances; triste eífet de l'esprit de parti! ces faibles femmes qui
se seraient évanouies a l'aspect d'un échafaud , demandaicnt des
proscriptions et des exils en masse.


o lU. le comte d' Artois avait son ministére tout fait. Il organisa
autour de lui une sorte de Gouvernement, qui, par ses corres-
pondances dans les provinces , par son autorité sur les comités
royalistes, exercait une véritable puissance. Ses dcux agents de
confiance furent le comte de Brugcs, homme d'honneur et d'ac-
tion, et qui ne manquait pas d'un certain talent; le second ,
lU. le comte de Polignac, esprit poli, mais naif et plein de
Iui - méme , qu'un dévouement absolu attachait a Son Altesse
Royale. L'agent le plus actif et le conseil le plus écouté
fut toujours lU. de Yitrolles , dont l'iucontestablc hahileté se1'-
vait les projets de lU. le comte d'Artois , mais qui se serait rap-
proché du Gouverncment de Louis XVIII, si on avait voulu l'y
admettre d'une maniere influente. Autour de ces agents directs
venaient se grouper une fouIe d'instruments secondaires, 11 y avait
des rapports de police au paoillon Marsan .. une nuée de dé-
nonciatcurs , <Íes correspondances établies avec les provinces dans




334 mSTOIRE DE LA RESTAURATlON.
chaque ministere , mi les employés fournissaient des notes, des
révélations au Gouvernement oceulte. Plus tard des intelligences
s'établirent direeternent entre la Chambre convoquée et ñl. le
eomte d'Artois, On ne peut s'imaginer les folies du partí roya-
liste, tout ce qu'il voulait alors , tout ce qu 'il imposait eomme
condition de son adhésion au Gouvernement. Épuration de la
Chambre des Pairs, de la magistrature , invasion du ministére ,
de l'armée par les Iloyalistes, rétablissement des provinces, puis-
sanee du clergé, réprobation en masse d'une multitude d'indi-
vidus, auxquels il ne serait pItIS permís d'aspirer arien. Toutes
ces conditions étaicnt haütement demandées dans les salons du
faubourg Saint-Germain.


Les deux opinions sur Iesquelles s'était appuyéleGouverncment
des Cent-Jours , les Patriotes et les Bonapartistes , étaient, selon
le caractere des individus , ou abattus par la défaite , ou animés
de rage et de vengeanee. Ils exploitaient la déclaration des re-
présentants eomme une dernierc protestation nationale en faveur
de l'indépendance du pays. Le Gouvernement de Louis XVIII se
présentait a leur imagination exal tée eomme l' expression de
l'étranger, et , par la plus bizarro contradiction , les chefs de ce
partí cherchaient a entourer les généraux et les diplomates
étrangers pour obtenir un autre Gouvernement que cclui de
Louis XVIII. Les faubourgs Saint-Antoine et Saint-Marceau n'é-
taient pas désarmés: OH les excitait sourdement par des procla-
mations et des ehansons séditieuses; il n'était pas de jour que ron
n'arrétát des individus , militaires ou Iédérés , qui poussaieut des
eris de vive Napoléon 11 ! et le pavillon.ñlarsan , toujours aux
aguets , exagéraít a dessein ces désordres pour pousser le Gou-
vernement du Roi a des exceso Les timides du parti patriote
avaient quitté Paris , et se bornaient aces épanehements d'hu-
meur, peu redoutables pour un Gouvernement quandils ne de-
viennent point l'opinionpublique, L'armée se retirait derriére la
Loirc, Elle n'avait pas quitté le drapeau tricolore, et formait un
noyau puissant de résistance militaire , autour duquel on erai-
gnait de voir se réunir tous les élémeuts de foree naüonale. A




CIIAPITRE VII. 335
ces craintes intéricures venaient se joindre les oppressions de
l'occupation étrangerc. Les places fortes ne s'étaient pas toutcs
rendues. Le drapeau aux trois coulcurs était encore arboré sur
certaines vilIcs de guerre.Le Iloi était a.París, et l'on se battait
encore avcc acharnement sur plusieurs points de la France;
700000 étrangers couvraient le territoire, accablé de réquisi-
tions et d'emprunts ; l'administration était désorganisée, le 'I'ré-
sor sans rcssources. Les aUiés prenaient prétexte de cette absence
d'unité et d'ordre politique , pour devenir plus impérieux en-
care. Par la capitulation de Paris , le Gouvernement civil de la
capitale devait rester dans les mains des préfets de la Seine et de
police. Un ordre du jour du duc de Wellington et du feld-ma-
réchal Blücher porta que, par suitc de l'occupatíon , les C6111-
mandants des troupes alliées s'erupareraicnt des positions mili-
taires, et que la garde nationale et la gendarmeric obéiraient ,
pour leservicc iutérieur , au général baron de l\lüming, nommé
au gouvernement de Paris. En vertu de cet ordre , les plaees
publiques fureut transformées en campements. Les étrangers se
montraient en vainqueurs insolents au milieu de París humiIié!
Les généraux prussiens voulaicnt s'emparer des caisses, du Tré-
sor, de la Banque et des dcux Préfccturcs, Dans les départe-
meuts , de tristes exces marquaient surtout la préscnce des trou-
pes prussieuncs, Trois préfcts furent cnlevés pour avoir opposé
quelque résistance aux vcxations militaires : ce furcnt l\L\I. le
haron de Talleyrand , préfet du Loiret ; Pasquier , préfet de la
Sarthe ; et de Gasville, préfet de l'Eure. Tous trois furent con-
duits en Prusse ; et une chose remarquable, qui indique jusqu'a
quel poiut allait alors l'iusolcnce étraugere , c'est que ces trois
préfets tenaient par la plus étroite parenté a trois ministres de
J..ouis XVIII : 1\1. le haron de Talleyrand était cousin- germain
du premier ministre, l\l. Pasquier frere du garde des sccaux ,
ct l\1. de Gasville gendre du chancelier. J..es plus fcrmcs instan-
ces du Conseil des ministresne purent obtenir que plusicurs mois
apres la restitutiou des préíets enlevés, Louis XVIII paya la fer-




336 HlSTOIHE DE LA HESTALHATlOl\.
meté de JI. le baron de Talleyrand en l'élevant au titre de con-
seiller d'État en service extraordinaire.


C'est dans ces circonstancesdifficiles que le miuistere de 1\1. de
Talleyrandprit les renes de l'administration publique. En créant
une présidence du Conseil, on avait cherché adonner de l'unité
au cabinet, et par la aprésenter au paysun systeme complet dont
la direction serait concentrée dans un seul homme. Par le fait,
le Gouvernement se divisait entre quatre mains. 1\1. de Talley-
rand se réservait les affaires étrangéres : M. de Gouvion-Saint-
Cyr s'absorbait dans la question militaire, si dífficile et si
compliquée. Fouché avait demandé la direction politique des
opinions ; lU. Pasquicr devait suivre ce qu'on appelle pro-
prement l'administration publique, soit qu 'on appliquát eette
définition aux corps inamovibles, la magistrature , ou aux bran-
ches diverses de l'administration du pays par les préfectures. Il
y avait un vice dominant dans la composition de ce ministere.
Deux hommes aussi actifs , aussi capables que l\l1\1. de Tal-
leyrand et Fouché , devaient naturellement s'exclure, La prési-
dence donnée a l'un était un fait insupportable a l'autre. Fou-
ché devait travailler par la force des choses a s'en aífranchir.
De la ses grandes amitiés pour lU. de Vitrolles , son rapproche-
ment avec le partí de la cour et le pavillon ñlarsan. Il avaít fait
méme allouer des pensions a plusieurs personnages importants
de cette intrigue, sur les fonds de la police. Il avait toujours un
a parte de ses collegues et une especc d'administratíon occulte
a coté de son administration patente. Il y avait dans l'inévitahlc
répugnance des deux ministres influents du cabinet une cause
de dissolution. Le Roi avait prévu les difficultés que ferait naitre
la présence de Fouché dans le ministere , et déja a l'époque oú
le duc de 'YeUington lui en parla, il lui fit observer qu'il serait
impossihle au régicide de se maintenir en face de la cour et
de l'opinion royaliste. De plus, le Cahinet était resté incomplet,
lU. de Riehelicu, nommé ministre de la maisondu Iloi , n'avaít
point accepté. Le duc prétextait , pour refuser un ministere ,
la nécessité d'un prcchaiu voyage ~\ Odcssa, et son ignorance




CHAPITHE "11. 337
complete desnueurs et des usages de la France. i\l. de Richclieu
était, en eflct , d'une modestio extreme; mais la cause réelle de
son refus était qu'il lui répugnait d'entrer dans un miuistére
en sous - ordre de JU. de TaIleyrand, COlTIme colleguo d'un
Conventionuel , et en opposition d'intérét et d'affection avcc
l'empereur Alexandre , son ami et son protectcur. On avait déja
la pensée d'un ministére dont iI serait le chef. Il faIIut créer un
premier interim. Personne ne fut nornmé ala maison du Roi ;
1\1. dePradel, ancien secrétaire de JU. de Blacas, en prit la di-
rectíon. Il y avait égalernent un intérim au ministere de I'inté-
rieur, On ne croyait pas encore le moment opportun d'y appeler
M. Pozzo di Borgo. Lui-mérne , avec cette sagacité et cette fi-
nesse qu'on Iui conuait , avait pensé qu'il jouerait un rñle plus
important et plus actif comme ambassadeurde Russie que comme
-ninistre du Roi de France, méme avec la pairie qu'on lui pro-
posait. En présence de circonstances si difficiles , rien n'était
done encore définitif. Faute capitale; cal' en fait de gouverne-
ment , le provisoire n'a jamais de force, et un ministere incom-
plet est toujours un ministere faible. Cependant il était urgent
d'agir, et des le 11 juillet au soir le Conseil des ministres s'oc-
cupa des diversos questions que soulevait la position actuelle du
pays,


Un premicr projet d'ordonnance sur la convoeation des col-
léges électoraux fut apporté par lU. Pasquier, et on agita la
question de savoir si on convoquerait une Chambre uouvelle, ou
si1'0n rappellerait purement et simplement les députés de 1814.
La secondc de ces opiuious trouva des partisans dans le ConseiL
Dans les circonstanees graves oú l'on se trouvait, on hésitait a
faire un appel aux électcurs : la convocation des derniers dépu-
tés éviterait une grande agitation, peut-étre fatale au trñne. 11
fut partlculieremcnt répondu qu'une Chambre nouvelle pouvait


'seule avoir assez de puissanee sur l'opinion pour préter l'appui
désirahleau Gouvernement du Iloi et imposer de grands sacrifices
au.pays. ñlais d'apres quelles bases convoquerait-on une Cham-
bre nouvcIle? Ilccourrait-on encore aux lois de l'Empirc , aux


l. 29




338 HISTOIRE DE LA RESTAURATlON.
sénatus-consultes surannés? Iln'cxistait que ces précédents ; Ic
Constitutionnels éclairés , les Patriotes les trouvaient imparfaits
et peu en harmonie avec les véritahles príncipes du gouvcrne-
ment représentatif, Déja, aGand, il avaitété rcconnu que l'Acto
additionuel des Cent-Jours contenait ccrtaincs dispositions qu'il
eút été désirahle de voir introduire dans la Charte, Par exemple,
l'abaissement de l'áge pour les Députés , l'augmcntation du nom-
hredes membres de la Chambre, le renouvellement intégral ,
l'initiative donnée achaque député , l'inutilité du rrnvoi dans
les hureaux pour les amendcments, La déclaration de Cambrai
avait annoncé que des modifications seraient faltes ala Charte
elle préparait ainsi le changement proposé par le ministére, Le
projet discute dans le Conseil n'était que I'exécution de ces en':'
gagements. Il n'existait point de loi, poiut de pouvoir politique
autre que la Couronne. Comment agir, si ce n'est par orden-
donnance? Lorsque le Roi revint en 1815, les circonstances
étaicnt plus que graves. En l'absence de tout pouvoir, de toute
Iégislation , il fallait bien une autorité régulatríce, L'ordonnanco
exposait ( que l'intention du Roi avait été de proposer aux Cham-
bres une loi qui réglát les électionsdes députés des départements,
Le désir de Sa l\lajesté était de modificr, conformément aux le-
cons de l' cxpéricncc et au voeu bien connu de la nation , plu-
sieurs articles de la Charte touchaut les conditions d'éligibilité ,
le nombre des députés , et quelques autres dispositions relatives
ala fonnation de la Chambre, a l'initiative des lois et au modo
de ses délibérations,


En conséquencc , la Chamhre de 1814 était dissoute , une
nouvelle était convoquée. Les colléges se partageaieuten colléges
de départements et d'arrondissements. Les colléges d'arrondisse-
ments présentaient des candidats, parmi Iesquels le collége du
département choisissait la moitié des députés. tes électeurs vo-
taient avingt et un an, les Députés étaient éligiblesa vingt-cinq.
On admettait, en vertu d'un sénatus-consulte du moisde février
1806, des légionnaires dans les colléges électoraux : enfin 00
soumettait ala révision du pouvoir législatif les articles 16, 25,




CHAPITlfE VU. 339
35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42,43,44, 45 et 46 de la Charte.
Le nombre des députés était porté de 262 a 395. Il n'était point
question, dans cette .premiere ordonnance, des adjonctíons fa-
cultatives d'électeurs par les préfets; elle cut lieu plus tard, et
par lesraisons que nous fcrons conuaitre,


Il était difficile de procéder par un autre mode électoral; ce-
pendant l'ordonnance ouvrait la porte a une foule d'ahus qui
pouvaient tourner centre le Gouvernement luí ... méme.: Tout
allait dépendre de l'action des préfets, de cette influence dépar-
tementale qui était dans les mains des comités royalistes, On
s'occupa du choix des préfets dans le Conseil du 12 juillet, Ce
choix était fort difficile, particuiiérement pour les départements
du midi , et en voici la cause. J'ai déja dit que M. le duc d'An-
goulémc avait recu du Roi des pouvoirs tres-étendus pour l'01'-
ganisation royaliste des départcments méridionaux. En vertu de
ces pouvoirs, Son Altease Royale avait parcouru les provínces
depuis Toulouse jusqu'aux Pyrénées , et de Bordeaux a Tou-
Ion. Elle avait, par sa seule influence , arrété la marche des ar-
mées espaguoles , et ce service réel avait rehaussé le crédit du
prince. Le duc d'Angouléme avait organisé l'administration ,
nommé les préfets, les fouctionnaires de tOLÚ ordre , et les noms
lesplus royalistes s'étaient trouvés sous sa main. Par cxemple, il
avait designé M. Ferdinand de Berthier pour la préfecture de
Bordeaux, Le Conseil des ministres ne pouvait subir de telles
nominations qui dérangcaient absolument ses plans de rnodéra-
tion , dont la prcmiere basedevait étre la réunion d'uue Chambre
modérécelle-méme: elles mettaient le Gouvernementala díscré-
tion du pavillon Marsan, Le travail des préfets fut done arrété
indépendamment des nominations de M. le duc d'Angouléme ; il
était fait avec quc1que impartialité, On y comptait un Conven-
tionnel régicide , le baron Richard, nommé préfet de la Charente-
Inférieure. 11 avait rendu des services, et avaiteu la mission de
décider l'embarquernent de Bonaparte, I\I. de Bondy lui-méme,
jréfet de la Seine pendant les Cent-Jours, fut désigné pour la
lUoselle. eette nornination éprouva de grandes dífficultés dans le




3l~O HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
Conseil, oú existaient beaucoup de préventions contre les hommcs
de l'Empirc et des Cent-Jours, Une multitude de fonctionnaires
modérés furent appelés aces emplois : MM. de Ilémusat, Malouet,
Tournon , Lezai de Marnesia, Yilleueuvc , de lUezy, lUallevillc,
Siméon, Decazes, de Brosse, JU. de Girardin reprit la préfecture
de la Seine-Inférieure par l'influence de lU. de Jaucourt, Lors-
que JU. le duc d' Angouléme apprit que ses choix n'étaient pas
confirmés , et qu'on y avait substitué d'autres nominations, il se
háta de retoumer a Paris , et, des son arrivée, il manda le mi-
nistre de I'intérieur aux Tuilcries. Son Altcssc Iloyalelui exprima
en termes tres-vifs le mécontentcment qu'il avait éprouvé de
ces nouvcaux choix; il se dit joué par les ministres du Iloi , et
exhiba en effet ses pouvoirs concus en termes tres-étendus,
JU. Pasquier répoudit qu'il avait ignoré I'cxisteucc de pouvoirs
aussi absolus; qu'il était d'ailleurs fort naturcl que le Conseil de
Sa Majesté cut été appelé a organiser l'administration du royan-
me; que Son Altesse Royale connaissait trop bien les devoirs
d'obéissance envers le Roi son oncle pour vouloir substituer aux
choix de Sa JUajesté ses propres ehoix; que d'ailleurs, sous le
systeme constitutionnel , les ministres étant responsables de leurs
actes , il était juste et nécessaire qu'ils fussent libres dans tous.


JI faut rcndre cctte justice a JU. le duc d' Angoulémc , qu'il
comprit tres-bien la puissauce de ces motifs , et reconnut qu'il
ne pouvait existcr deux gouvernements; mais il n'en fut pas de
méme de JU. le cornte d' Artois et des comités qui lui ohéissaient.
Partout en province , les préfets ministéricls éprouvereut de
grandes résistances, et l'action du ministére fut paralysée sur
plusieurs points. Au centre, le Gouverncmcnt cherchaít a 01'-
ganiser ses forces. M. de Barante avait été nommé secrétaire-
général du ministére de l'intérieur, 1\1. Guizot de la justice. On
s'occupa surtout afaire connaitre la pensée de l'administration,
arassurer les esprits alarmés..Dcux circulaires émanerent, l'une
du ministere de l'intérieur, l'autrc du garde des sceaux. La pre-
miere , qui fut assez généralemcnt attribuée a M. de Barante,
disait « que la premiére pensée du Roí, en rentrant dans, ses




CHAPITRE vn. 341
États , avait été de rendre a ses peuples une administration tout


¿l la fois forre et paternelle; les circonstances étaicnr graves, les
maux de la France difliciles a réparer; trois mois de désordres
l'avaient plongée dans des calamites qu'on ne devait pas se dis-
simuler si l'on voulait les guérir. La guerre étrangere, plus ter-
rible que jamais, la haine des partís, le despotismo d'une auto-
rité illégale, l'arbitraire de l'administration locale; des charges
énormes imposées au peuple et réparties sans équité, des viola-
tions continuelles de la liberté individuelle et de la propriété. »)
Tel était l'état de choses qui avait conuneneé le jour OÜ le Roi
avait été éloigué de la France, et qui ne pouvait fluir qu'a son
retour. « Le Roi attcnd de vous, disait-il aux préfets, cette sorte
de constanee ct de force d'esprit qui consiste a ne point se dé-
courager par le spectacle du mal, ane poiut s'effrayer des diffi-
cultés qu'on peut avoir ale guérir, a se placer au-dessus des
préventions et des fauxjugements; asuivre sa route avec calme,
a résister a l'action des opinions et des partís. Vous recueillerez
hientót la récompense d'une telle conduite; vous répandrez au-
tour de vous les consolations, la sécurité et l'esperance d'un
mcílleur avenir. »


L'autre r.irculaire passe pour appartenir plus spécialement a
lU. Pasquier; elle était concue en termes graves : « La viola-
tion des lois fondameutalesdu royaume , le succés et le rcgne de
la force et de la violence , les aífreux désordres qui en sont résul-
tés depuis quatre mois ont pénétré d'aflliction tous les hons eÍ-
toyens; un sentiment d'indignation plus profond a dü saisir les
magistrats; ne les a-t-on pas vus constamment défcudre la di-
gnité du tróne contre les Iactieux, et les libertes des peuples
centre les ontrepriscs du pouvoir ? Comhien n'avez-vous pas dü
soutTrir en vovant cctto succession continuelle d'actes les plus
arbilraires qu'il vous était impossible de réprimer! quel plus
grand' malheur pour des magistrats , que de voir enchainer le
onrrage qu'ils auraient mis adéíendre les droits des citoyens, ¿l
poursuivre la violatiou des lois! ñlais le Hoi est revcnu , et la
jusIcc avec lui, Il vicnt vous rcndre le beau privilége que vous




3h2 HISTOIRE DE LA RE5TAURATION.
avez de protéger lc faible ét l'innocent, de venger la société en
punissant le coupable; vous allez reprendre et exercer vos droits
sacrés; notre exemple et la gravité de nos opinions rameneront
les esprits égarés; votre zéle austero a exécuter les Iois intími-
dera ceux qui voudraient troubler l'ordre et la paixsi nécessaires
a la France. » Qu'on se reporte aux circonstances passionnées
dans lesquelles on se trouvait, et qu'on dise si ce n'était pas
déja quelque chose que de parler un tel langage de rnodératíon,
Aussi les haines du parti royaliste contre le ministere allérent
hientñt jusqu'a une résistance ouvcrte.


D'abord , il était parvenu au Conseil des ministres que les
agents du Gouverncment n'avaicnt pu ohtcnir ohéissance dans
les départements méridionaux. lUaIgré Ies orrlres précis du mí-
nistre de l'intérieur, les commissaires extraordinaires du duc
d' Angouléme continuaient leur mission, perpétuaient leur auto-
rité. Il fallait prendre un parti. Alors qu'ií était si nécessaíre
d'avoir uneaction unique et Corte, cornment souñrir Une mul-
titude de fonctionnaires indépendants du Gouvernement, corres-
pondant avec une autorité occulte qui n'était pas le Roi? Il était
pourtant bien difficile d'arriver a ce résultat naturel, a cette
conséquencc du systéme représentatif; cal' tous les comités
royalistes étaient en rapport direct avec la cour; ils avaient
rendu des services a la Restauration. On hésita quelques jours ;
mais enfin un projet d'ordonnance fut présenté dans le Conseil
du 18, oú se trouvaient révoqués les pouvoirs des commissaires
extraordinaires. C'était un pas immense , cal' on y heurtait de
frout l'action oceulte de l\I. le comte d'Artois et des Royalistes.
« Aujourd'hui que leRoi, y était-il dit, avait repris les renes de
son Gouv,ernement, que le miuistérc était organisé et en cor-
respondance avec les administrnteurs nommés par Sa l\1ajesté,
les fonetions des commissaires cxtraordinaires devenaient super-
ílues et méme nuisibles a la marche des affaires , en détruisant
I'unité d'action qui est le premier hesoin de toute administra-
tion réguliere ; le Roi voulaitdone que les fonctions des commis-
saires extraordinaires cessasscnt snr-le-rhamp. »Cctte ordonnmce




CHAPITRE VII. 3lia
soufTrit peu d'opposition dans le conseil, Louis XVIII lui-méme,
quelles que fussent ses amitiés pour plusieurs comrnissaires ex-
traordinaires, n'y fit aucune objection, 1Uais quelles criailleries
n'excita-t-elle pas parrui les Uoyalistes! Qui préférait-on aux
hommes les plus éprouvés , aux commissaires extraordinaires?
des fonctionnaires incertains et sans consistance , despréfets de
l'Empire, des révolutionnaires sans foi religieuse ni monar-
chique l Cette opposition prit alors une attitude si hostile , que
1\1. de Talleyrand parla de la nécessité. de remonter ala source
principale et de demander au Roi d'éloignerde la Franco son
frere lU. le comte d'Artois, avec lequel tout gouvernement de-
venait impossihle. On abandonna ce projet qui aurait rencontré
trop d'obstaclcs : d'ailleurs , le partí royaliste se serait groupé
autour de l\lADAME, et ~l moins de l'éloigner également, ce qui
était impossible, l'exil de lU. le comte d'Artois n'aurait pas
produit le résultat désiré,


Le Conseil, déja si violemment attaqué , faisait mille efTorts
pour marcher dans un sens de modération et de liberté. Le
15 juillet un nonvean projet fut discuté; il touchait a la presse;
il révoquait la loi du 2'1 octobre 18'14, quisoumettait les écrits
de moins de vingt feuilles d'impression ala censure préalable,
11 fut exposé que les journaux seuls pouvaient, en l'état des
esprits , causer quelques désordres; mais que les écrits long-
temps réfléchis , que les brochures non périodiques , loin de
nuire au Gouvernement, devaient au contraire l'éclairer. Le
Iloi ne partagea pas d'abord ceHe opinion; il garda plusieurs
jours l'ordonnance; il craignait l'action de la presse, le débor-
dement suhit des passions; enfin, sur l'insistance de ses mi-
nistres, il consentir ~l laisser paraitre l'ordonnance , et la presse
fut libre, sauf les journaux. Dans ce mouvement ministériel,
Fouché ne s'était pas tenu ¿l l'écart , cal' il était alors chargé de
dresser une liste de personnages compromís dans les Cent-Jours,
L'opinion dominante de la eour était qu'une conspiraticu avait
runené Bonaparte. Cette idée avait été celle de Gand, et depuis
loagtemps on s'était occupé de projets de vcngeance. Par le fait
~;~1
/~




3M. HI5TOIRE DE LA RE5TAURATION.
quelques personnes s'étaient si précipitamment et si violemment
jetées dans la révolution politique des Cent-Jours, qu'on pou-
vait les soupconner, sinon d'avoir conspiré, au moins d'avoir
désiré avec ardeur le retonr de Napoléoa, Comme il arrive tou-
jours dan s les premiers moments du triomphe d'une "cause, il
Y avait eu des aveux pour méri~er des récompenscs: dans les
Cent-Jours on s'était vanté, glorifié d'avoir préparé le retour
de Napoléon. Des que le gouvernement de Louis XVIII fut ré-
tabli, les ardents demandereut que l'on dressát une liste de pro-
scription contre les príncipaux auteurs de l'interregue, Quel-
qnes-nns des partisans dn systeme tombé avaicnt mémecom-
mis des imprudences depuis la rentrée du Iloi, Ils avaient hau-
tement témoigné leur syrnpathíc et leurs rcgrets pour la dynastio
déchue. D'un antre coté, les alliés demandaient, comme gage
de sécurité pour le nouveau gouvernement de la France et comme
garantie ponr les grandes Puissances, le jugement ou l'exil de
certains personnages qui , par leurs coupables menées, avaient
troublé la paix du monde et preparé la violation du traité de
Paris. « L'Europe , disaient-ils , avait exigé, dan s un hut de
paix et de repos, que ~apoléon füt confié ala garde des quatre
Puissances signataires du traité de Chanmont. L'Europe pou-
vait également exiger certaines rigueurs ou certaines mesures
de précaution contre les partisans de sa dynastie, » Il faIlait enfin
exécuter la déclaratiou de Cambrai OÚ I'on promettait la puní-
tion des coupables; M. de TaI1eyrand éloignait autant que pos-
sible l'exécution de cet engagement: « Attendcz les Chambres,
disait-il , elles désigneront les coupables, » M. de 'I'alleyrand ,
comme tous les esprits aportée, voulait, lorsqu'un Iait était ac-
compli, passer I'éponge sur tout le passé : il avait trop étudié
les révolutions pour savoir que les réactions ne consolident rien;
et lui-méme avait tant hesoin qu'on pardonnüt sa mobilité po-
litique !


Fouché, bien qu'cssentiellement ennemi de toute mesure vio-
lente, sentait que dans sa position il devait plus particuliére-
ment des gages aux Boyalistes et aux cabinets étrangers, Tdl~




CHAPITRE rII. 345
est méme la tcndance des hommes poli tiques compromis, qu'ils
sont portés asacrilier d'abord Ieurs amís , pourévítor tout II la
fois les révélations et les ressentiments de leurs eompliees. D'oú
ces tables de proscription OÚ l'on se livre des tetes! Fouehé four-
nit plusieurs listes préparatoires au chñteau des Tuileries. Il en
fut égaIement présenté par les ministres des Puissances. Elles
furent longuement discutécs, Enfin une liste défínitíve de plus
de cent noms fut portée au Conseil; elle était loin de se justifier
elle-méme. M. de Talleyrand , avec son ton spirituel, dit a
Fouché : « Votre liste contient heaucoup d'¡'llnocents )J; voulant
ainsi faire entendre qu'ils ne valaient pas la peine de les pro-
scrire, Fouché reprorluisit au conscil du 19 sa liste amoindrie
de quelques noms ; elle en contenait encere soixante-dix-sept.
JJa discussion s'cngagca en partant toujours de cette idée simple,
qu'il íallait arréter quelque ehose de définitif, dore la liste, en-
suite qu'il faIlait la réduire de telle sorte que chaque proscrip-:
tion portal son motif et sa justification politiqueo Dans le Con-
seil aucun nom ne fut ajouté; on procéda par élimination. J'ai
eu sous les yeux la liste primitivo dressée par Fouehé, et les
suppressions que ces ministres obtinrent. Ils ne firent en cela
que leur devoir, mais il y a eu quelque mérite a savoir défendre
et sauver les victimes politiques et littéraires au milieu des pas-
sions de cette époque !


Quelques jours avant la promulgation de 1'ordonnance, une
autre liste fut adresséc aM. Decazes ,alors préfet de police, avec
ordre du ministre de faire signifier aux personnes désignées de
quitter París dans les vingt-quatre heures, et de se retirer a
quarante lieues de la capitale pour attendre les ordres du Gou-
vernement. Cctte liste de soixante personnes fut réduite avingt-
quatre : mesdames Hamelin, de Souza; MM. Sébastiani, JUon-
talivet , Benjamin-Constant étaicnt au nombre des proscrits.
l\HI. lUontalivet et Benjamin-Constant en furent rayés par
Louis XVIII. Fouché mit de la ténacité II maintenir certains
noms sur la liste. C'est ainsi qu'il y rétahlit JU;\1. Cluys, Cour-
tin , Garrean, Dirat , qnoiqu'ils eussent été effacés dans le tra-




346 mSTOIRE DE LA RESTAURATION.
vail ministériel. QueIle était la pensée de Fouché? On ne saurait
bien se I'expliquer, cal' ces quatrc personnes n'étaient pas a
craindre; elles n'avaient aUCUIle importance politiqueo Peut..
étre avait-il quelque motif particulier de s'en débarrasser paree
qu'elles savaient trop! La liste arrétée contenait cinquante-sept
noms. Dix-neuf, savoir : le maréchal Ney, Labédovére, les deux
fréres Lal1emand, Drouet d'Erlon , Laborde, Lefebvre-Des-
nouettes, Ameille, Braycr, Gilly, lUouton-Duvernet, Grouchy,
Clausel, Debelle, Bertrand, Drouot, Cambrone, Lavalette , Sa-
vary , compris dans une premiere liste, devaient étre traduits
devant des conseils de guerre compétents. Trente-huit , savoir :
le maréchal Soult, les généraux Alix, Excelmans, Vandamme,
Marbot , Lamarquc , Lobau , Péré , Dejean fils, Hullin; MM. Fé-
lix Lepelletier, Boulay de la ñleurthe , lUehée-Latouche, Fres-
sinnet, Thihaudeau , Carnot , Harel , Barreré, Arrighi, ArnauIt,
Pommereuil, Regnault de Saint-Jean-d'Angely, Réal, Gar..
reau, Bouvier, Dumolard , Merlín de Douai, Durbach, Dirat ,
Defermon, Bory de Saint-Vincent, Félix Desportes, Garnier
de Saintes , Mclliuet, Cluys, Courtin ,Forbin-Janson fils ainé ,
Lelorgne d'Ideville , devaicnt quitter Paris dans les trois jours,
ct se rendre dans les lieux désignés par le ministre de la police.
Ceux de ces individus qui seraient coudamnés ¿l quitter le
royaume par suite de I'ordonnauce , devaient vendre leurs hiens
el en transporter le prix hors de Franco. On déclarait close a
tout jamais la liste des proscriptions,


Sauf quelques notabilités spécialement compromises dans les
Cent-Jours, cette liste était un póle-méle , OÚ l'on jetait sans
motifs et sans ordre des noms propres, Quelle raison particuliere
pouvait justifier, par exemple , l'exil de lU. Arnault de préfé-
rence a tout autre homme de Iettres, aussi dévoué al'ordre de
choses, qui avait péri avec les Cent-Jours ? et comment l'inof-
fensif M. Defermon fut-il désigné plutñt que tout autre con-
seiller d'État, qui avait pris une part plus active aux rédactions
des documents impériaux? Il y cut done, comme dans toutes
les proscriptions en masse , des injustices, de l'arbítraire, lUais




CHANTRE VII. 347
qu'on se reporte aces temps de erise, aux sombres douleurs de
la France envahie , et qui reprochait ses malheurs aux auteurs
des Cent-Jours, coupables sous tant de rapports, et surtout
assez maladroits pour avoir laissé tomher leur ouvrage! Qu'on
se represente une armée étrangere , victorieuse, exigeante, fa-
natisée l le parti royaliste, puissant, organisé, menacant de [aire
supporter les Irais et les contributions de guerre exclusivement
par les Patriotes ! Qu'onjuge surtoutles dernieres fautes commises
par la Chambre des Iteprésentants , les menées actives des deux
factions patriote et bonapartiste méme apres les Cent-Jours, la
résistance de quelques généraux qui faisaient dans les provinces
une guerre de partisans ; et l'on vcrra s'il étaít possihle a un
ministere de résister a tant de causes réunies, a tant d'exigences
impérieuses, J'ai eu connnunication d'un lUémoire tout enticr
de la main de Fouché, espéce de testament politique dans le-
quel il tente de se justifier de l'ordonnance du 24 juillet. « On
m'a dit : Comment ta main no s'est-elle pas desséchée en signant
la proscription des Patriotes , de tes amis, de ceux-la mémes qui
tant de fois se sont abandonnés a toi!... » Le ~Iinistre répond
que ccux qui lui font ces reproches ne connaissent pas les faits.
La liste luí fut imposée par les étrangers; elle contenait trois
ccnts personnes dont ils dernandaient l'exil , comme condition
premiere de toute stipulation pour la paix. Fallait-il abandonner
jusqu'a l'espérance de finir les maux de la patrie! fallait-il se
rctirer devant les circonstances et laisser faire le mal par des
mains trop disposées a frapper! Que fit alors le ministre? 11
eífaca des noms , disputa sur chaqué culpabilité, arracha tout ce
qu'il put ala proscription , et il ne resta plus que les cinquante-
sept noms, Cette ordonnance pesait au duc d'Otrante comme le
remords.


Ce fut alors un triste et bizarro spectacle, Des hommes égale-
ment coupables, ou également innoccnts , furent proscrits ou
appelés dans .l'admiuistration. Fouché était ministre et Carnot
en exil; lU. Molé , directeur des ponts et chaussées, et lU. Ray-
nauld placés sur la íatale liste! Déplorahle résultat des dis-




348 HISTOInE DE LA RESTAUHATION.
sensions publiques et des grandes révolutious ! Le maréchal
Davoust fit ressortir cette contradiction dans une lettre noble-
ment pensée , adressée des .hords ele la Loire a lU. le maréehal
Gouvion-Saint-Cyr. « Il vient ele paraitre id, disait-il, une 01'-
donnanee alaquelle est jointe une liste de proscription criée et
vendue publiquement dans Paris. Il est évidentqu'on va ajouter
a toutes les ealarnités qui pesent sur notre rnalheureuse patrie
les vengeanees et les proscriptíons. Il en est surtout parrni ces
deruieres centre Icsquelles j'ai personnellement aréclamer. Je
vois dans l'article premier les noms eles généraux Gilly, Grou-
chy , Clauscl et Laborde. S'ils y sont mis pour leur eonduite au
Pont-Saint-Esprit , aLyon, aBordeaux et aTouloüse, c'est la
plus grave méprise , puisqu'ils n'ont fait qu'ohéir aux orares
que je leur avais donnés en ma qualité de ministre de la guerreo
Il faut done substituer mon nom aux leurs. Je trouve sur cette
liste le nom de Dejean fils; j'ignore si ron a voulu parler du
général Dejean, fils de l'inspecteur-général du génie; si ron
voit un tel n001 sur une liste de proscription , il n'y a pas de
raison pour que tous n'y soient mis, puisque ce général était
méme sans activité de service ¿l l'époque du 20 mars , et qu'il
n'a figuré dans aucun acte. les réflcxions que je vous pré-
sente, l\lonsieur le Maréchal , sont l'effet de la profonde dou-
leur que j'éprouve pour les maux qui vont fondre sur notre
triste patrie. Du reste, l'armée de la Loire est soumise, et
j'oserai répondre que tous les ordres que vous donnerez au nom
du Roi seront exécutés avec abnégation et dévouement, Vous
connaissez assez l'arméc francaise , lUonsieur le lUaréchal, pour
savoir que la plupart eles généraux qui sont signalés dans 1'01'-
donnance du 24 juillct se sont distingués par de grands talents
et de longs services. Puissent ces réflexions déterminer Votre
ExeeIlence a faire les plus vives représentations au Roi!
puissé-je auirer sur moi seul tout l'cffet de cette proseription,
c'est une faveur que je reclame dans l'intérét du Roi et de la
patrie, »


En méme temps que Fouché signait la malheurcuse orden...




ClL\PlTHE "1I. 349
nance, !\l. de 'I'allcyraud faisait aussi sa perite proscription , plus
innocente , cal' elle se bornait a exclurc quelques noms de la
Chambre des Pairs, On a YU que !\l. de Tallcyrand et l'abbé de
lUontesquiou avaient été les grands organisateurs de la Chambre
Haute en 181lr, Cette Chambre n'avait joué sous la premiére
Ilestauration qu'un role secondaire. On se proposaitde lui don-
ner une plus grande existence. Le projet du Cabinet était
d'abord de rendre la Pairie héréditaire, combinaison anglaise et
aristoeratique de 1\1. de Talleyrand, On songeait également a
augmenter le nombre des pairs , en faisant entrer dans la Chambre
nouvelle des services et des illustrations royalistes qui avaient
brillé d'un plus vif éclat peudant les Cent-Jours, Le projct de
lU. de Talleyrand était aussi de donner séance dans la Chambre
Haute a1\IONSIEUR, soit qu'il voulüt le gagner n'ayant pu le
proscrire , soit qu'il voulút le placer en faee d'une tribuno
publique, afin de mieux suivre ses menées; il devait égale-
ment y appeler les ducs d'AngoulCme et de Berri. Pour ar-
river a ces résultats , il fallait d'abord éearter quelques noms
avec lesquels les pairs royalistes refusaient de siéger. Il y en
avait un certain nombre qni avaient pris place dansla Chambre
des Pairs pendant les Ccnt-Jours : MM. Clémcnt de Ilis , Cor-
nudet , Colchen, d'Aboville ; 1\11\1. de Croí, Dedclay d' Agicr ,
Dejcan, Fabre de l'Aude, Cassendi , l..acépede,Latour-31aubollrg,
le duc de Praslin , Lebrun ; les maréchaux Ney, Suchet, l\lon-
cey, l\lortier, Serrurier ; l'archevéque Barral, Boissy-d'Anglas;
Champagny, Canclanx, Casabianca , le' eomte l\lontesquiou,
Poutécoulant , Rampon, Sógur, Valenee, Belliard. Louis XVIII
vit avec peine porter ccrtains pairs sur cettc liste, mais il signa
pour certaius autres avee délices, Le Roi qui avait toujours ses
grandes idées d'étiquette ne pouvait que difficilcmcnt voir figu-
rer dans la pairie plusicurs uoms dont l'assemblage lui paraissait
étrange; il en riait souvcnt dans ses intimités ; il s'y était résigné
paree que, comme ille disait lui-méme , (( j'ai tant fait de eon-
cessions que je puis encoré faire cellc-ci »; mais des qu'il put
trouver un pretexte pour les cílaccr, il le fit avec une indicihle


1. . 30




350 HISrOIRE DE LA RESTAURArlO1\'. .
satisfaction. Une ordonnance royalc porta « qu'il avait été rendu
compre au Roi que plusieurs membrcs de la Chambre des Pairs
avaient accepté de siégcr dans une soi-disant Chambre des Pairs ,
nornmée et assernblée par l'hornrne qui avait usurpé le pouvoir
en Franco depuis le 20 mars jusqu'a la rentrée du Roi dans son
royaurne. Il était hors de doute, disait-il, que les Pairs de
Franee, tant qu'ils n'ont pas été rendus héréditaires , ont pu et
peuvent donner leur dérnission puisque, en cela, ils ne font que
disposer d'intéréts qui leursont purement personnels; il est
également évident que l'acceptation de fonctions incompatibles
avec la dignité dont on est revétu , entraine et suppose la démis-
sion de cette diguité , et, par conséquent , les pairs qui se trou-
vent dans le eas cí-dessus énoncé ont réellemcnt abdiqué Ieur
rang et sont démissionnaires de fait de la pairie de France. )
On en exceptait eeux qui prouveraient n'avoir siégé ni voulu
siéger dans la Chamhre des Pairs de Napoléon; et e'est en vertu
de cette exeeption que, plus tard, les eomtes d' Aboville et Can-
claux qui, par un pnr hasard, n'avaient pas assisté aux séances
de la Chambre impériale, furent admisdans la nouvelle Chamhre,
quoique proscrits par l'ordonnance. Que de choses bizarrcs l'on
vit par suite de eette mesure! Ainsi M. Lanjuinais , président
de la Chambre des Cent-Jours, et bien autrement compromis
dans le gouvernement intermédiaire que lU. Boissy-d'Anglas ,
ne cessa pas d'étre pair, ct ce dernier, dont le souveuir et le
nom étaient si graves, ne fut point membre de la Chambre, La
ehose parut si étrange , que lU. Boissy fut compris dans 1'01'-
donnance du 17 aoüt et rétabli dans sa pairie.


Cette ordonnance du 17 aoüt qui augmentait la Chambre des
Pairs de quatre-vingt-douze membres avait été longtemps éla-
borée dans le Conseil. Le Iloi , ehaque prince , chaque ministre
y avaient placé ses parents, ses amis. Louis XVIII indiqua les
eomtes de La Chátre , de Blacas, les ducs d'Escars , d' A.varay et
d'Aumont, lUONSIEUR, qui cut une grande action sur cette liste,
designa le vieomte de Cháteaubriand , le eomte d'Ecquevilly,
Mathieu de ñlontmorcncy, Jules de Polignac , le marquis de ni...




CHAPURE VII. 351
viere, le marquis de Juigné; M. le duc d'Angouléme , dont le
gouvernement dans le ñlidi avait appelé tant de services , fit
ajouter le marquis d'Albertas, le général 1\Ionnier, vieux répu-
hlicain en disgrácesous l'Empire, l'amiral Gantheaume, le eomte
du Muy, les corntes de Sabrán, de Saint-Priest et de Damas; M. le
due de Berri , le eornte de La Féronnays , son ami, et le comtede
la Guiche; l\ladamela duchesse d'Angouleme , le chevalierde Vi-
hrays , 1\1. de Talleyrand remplit certains engagementsenvers ses
amispolitiques et fit comprcndre le comte Augustede Talleyrand,
le marquis de Talaru , l'abbé de lUontesquiou, le marquis d'Os-
mond, Bruno de Boisgclin, le comte Latour-du-Pin-Couvernet,
le duc de Dalberg, le liaron de Caraman. 1\1. Pasquier contri-
hua aux nominations du marquis d'Aligre , Boissy du Cou-
draí , comte de CrilIon, Emmanuel Dambray , d'Haussonville ,
Christian de Lamoignon , lUolé, de Mathan , de Mun, de Nico-
laí , d'Orvilliers, de Rougé, de Saint-Romans, Séguier, Olivier
de Vérae. Lorsque Louis XVIII lut le nom de l\l. ñlolé sur la
liste, il l'eflaca de sa main : « 1\1. ñlolé a serví Bonaparte dans
les Ceut-Jours , dit-il , jo le erois déplacé sur eette liste» ; lU. de
Tallcyraud presenta la plumo au Iloi et lui répondit avccdignité :
(e Que le Iloi rétablissc ce nom, e'est .lUathieu ñloló qui le lui
demande », ct Louis XVIII l'écrivit de sa main. La Chambra
des Pairs se trouva ainsi largement agrandie et plus fortement
constituée, Une liste de rcctification ajouta les trois jeunes fils
des maréchaux Lannes , Berthier et Bessicres, Le 20, parut 1'01'-
donnance qui rendait la pairie héréditaire. Ene fut discutée
quatre jours dans le eonseil du Roi, présidé par Louis XVIII ,
qui prouva avec bcaucoupde force que c'était la plus grande con-
eession qu' il faisait a la liberté, et le lien le plus puissant qu'il
.imposait ala Couronne. (e Avec l'hérédité les ambitions m'échap-
pent , dit-il ; quelle action me rcstcra-t-il sur la pairie ? Je n'en
ai plus si 1'0n en fait un droit de famille, sije ne puis plus mettre
une bague au doigt aux gens de ma maison, a la naissance de
lcur ainé. » 1\1. de Talleyrand insista. « Cal', répétait-il, il faut
faire de la stabilité et batir pour un long avenir. J) lU. Pasquier




352 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
fut chargé de la rédactiou de l'ordonnance. Le Roi voulait que la
dignité de pair demeurát héréditaire de mále en mále , et , dans
le cas oú la ligue directe viendrait amanquer, Sa ülajesté se ré-
servaitd'autoriser la transmission en ligne collatérale; les lettres
patentes devaient porter collation d'un des titres de baron , vi-
comte , comte, marquis ou duc. Cette ordonnancefut accueillie
avec le sentimcnt unanime de sa nécessité constitutionneUe, et
toutes les opinions se réunireut pour en faire l'éloge.


Ainsi marchait le Gouvernement. J'ai besoin de m'arréter sur
chaque administration en particulier, afin de micux faire con-
naitre les difficultés dn Cabinet. On a dit quellc était la positiou
de l'armée de la Loíre. Depuis le 15 juillet elle avait reconnu le
Gonvernement royal; mais sous le drapean hlanc elle Ionuait
encoré une force redoutable. La coalitiou lc savaít bien. les al-
liés n'ignoraient pas les oflresfaites par lesVendéens de se réunir
a l'armée nationale , et la concentration de plusieurs descorps
de l'intérieur; 225 000 étrangers filerent du coté d'Orléans et de
Blois pour surveilIer ces mouvemcnts. En méme temps l'empe-
reur Alexandre .exigea , par l'organe de JU. de Nesselrode , la
dissolution immédiate de I'armée dc la Loire et de tous les ré-
giments írancais, préliminairement ~l toute négociation diploma-
tique. La note exposait « que la convention de Vienne du 25 mars
avait été dirigée contre Bonaparte , ses adhérents, et particulié-
rement contre l'armée francaise , dont l' ambition désordonnée
et l'esprit insatiahle de conquetes avaient plusieurs fois trouhlé
I'Europe; que Bonaparte était au~ mains des alliés; que le roi
de Franee avait pris certaines mesures pour rendrc ímpuissants
les efforts des faeticux; ilne restait plus des lors qne l'existencc
de l'armée qui menacait la tranquillité générale. » A cettc épo-
que, il avait été présenté al'cmpereur Alexandre plusieurs notes
secretes sur le mauvais esprit de l'arrnée francaise, Hans une de
ces notes, dontj'ai l'original , on disait : (1 Vingtannées de guerre
et de lieenee ont formé en Franee une population militaire qui
se refuse a tout ordre et atonte soumission. L'armée voulait la
chance des hasards, les dotationsel l'avanccment dans lesgrades.




CHAPlTRE YTI. 353
Elle no les vovait qne dans le rappel de son chef, et ('IIe s'y est
décidée avec rage, L'armée francaise rappelle a la fois le souve-
nir des lUameluks en Égypte, de la garde prétorienne a Rome ,
des Arabes fanatisés sous l\Iahomet. Pour servir aI'époque de la
paíx , cetro armée doit étre décomposée , morcelée , si on ne par-
vient pas a en détruire les trois quarts, Il faut done l'attaquer
sans perdre de temps, Dans cette armée, il reste encore un parti
en faveur d'une monarchie constitutionnelle dont le Roi serait le
chef, et I'on doit s'attendre que les soldatsse battront avec moins
de résolution que les officiers. lUais il n'y a pas ahésiter : il faut
que cette armée soit atraquée , détruite; les prisonnicrs , con-
duits en Russie, doivent y rester assez longtemps pour s'amender
comme les déportés de Botany-Bay. »


lU. de Talleyraud n'opposa pas une tres-vive résistanco a ces
exigenees absolues de l'étranger, qui voulait désarmer la Franca
avant de traiter avec elle. Que pouvait faire le maréchal Gou-
vion-Saint-Cyr? Il n'avait ni la confiance ni l'amitié du Czar;
toute remontrance paraissait inutile devant un parti formellement
arrété, Fallait-il se jeter dans les hasards de la guerre? Les
chances étaicnt incertaines , et dans quel malheur une telle ré-
solution ne pouvait-elle pas plonger le pays ! On se résigna ala
dissolutionde l'armée , comme a une triste nécessité de vaincus.
On ne fit méme pas une ordonnance nouvelle ; on promulgua seu-
lement d'une maniere officielle I'ordonnance du 23 mars 1815,
rcndue al'instant OU le Roi quittait la France., et qui se fondait
sur la réhellion inouic dont une partie de l'armée francaise s'était
rcndue coupable. Non-seulement l'empereur Alexandre imposa
la dissolution de l'armée francaise , mais il ne resta pas mérno
étranger ala formation de la nouvelle armée. Il eut a ce sujet
plusieurs conversations avec Louis XVIII; il insista particulié-
rement pour que la garde, qu'on appellerait royate ~ fu! orga-
nisée a peu pres sur les mérnes bases que la garde impériale
rnsse. Il se passa des choses assez étranges a ce sujet. Des qu'il
avait été résolu que l'armée de la Loire serait dissoute, le ma-
réchal Gouvion-Saint-Cvr s'était occnpé jour et nuit de l'orga-




35ll HISTüIRE DE LA RESTAURATIüN.
nisation de la nouvelle année, Il avait preparé trois projets d'or-
donnance : l'un sur la garde royale, l'autre sur la création de
quatre-vingt-six légions d'infanterie de ligne, la derniere enfin
sur l'organisation de la cavalerie. Ces ordonnances, fort libéra-
lcment rédigées, furent présentées, selon l'usage , au travail du
RoL lU. de Vitrolles, qui assistait alors au Conseil des ministres,
suscita des préventions aLouis XVIII contre ce travail , et par-
ticuliérement contre l'ordonnance sur la garde royale, Cette 01'-
donnance supprimait une partie de la maison militaire , le luxe
des compagnies des gardes. 1\1. de Vitrolles exposa ¿l Sa lUajesté
qu'il n'y aurait pas de súreté pour sa personne s'il cessait de se
conficr ¿l des gcntílshommcs , pour passcr dans les mains d'une
simple garde royale. Le Iloi , qui déja avait eu quelqucs COI1-:
Iérences avec I'empereur Alexandrc sur I'organisatíun militaire ,
lui communiqua le projet du ministre de la guerre; et lorsqu'il
en fut question au Conseil, Louis XVIII imposa a ses ministres
les modifications qu'il avait concertées avec.le Czar. Ceci donna
lieu ade vives explications en pleine séance. 1\1. de Talleyrand,
habituellement si impassible , si froid, se livra a des iuvectives
les plus ardentes contre 1\1. de Vitrolles. Le résultat des orden-
nances de lU. de 'Saint-Cyr sortit tout déílguré de ces délibéra-
tions disputées,


Si de l'armée nous passons aux finances, daus quelle déplo-
rable situation ne se trouvaieut-elles pas alors! Le barou Louis
avait pris le ministerc le 10 juillet au soir, Les caisses étaient
vides, le crédit sans puissauce , les revenus altérés par I'occupa-
tion des provinces , par la cessation du paicment des impüts.
Ccpcudant , il faut le dire , le rétahlissement des Bourhons avait
jetó dans le puhlic une grande sécurité ; les maisons de bauqno
scntaicntle' hesoin de se déharrasscr de la présencode l'étranger
par un honorable concours de sacriíices, tes réquisitions des
alliés, les levées des contrihuuons arhitraires , Ieur paraissaiont
le seulobstacle au retour de la confiance; elles ne dcmandaiont
qu'a voir régulariser d'une maniere délinitive la sonnue de sa-
crifices imposés, Ce qui paralysait leurs eílorts , c'était I'incer-




CHAPITRE vrr, 355
titudc, et ccttc omnipotence des généraux étrangers qui frap-
paient ávolonté des contributions indéfinies. La premiare opé-
ration financiere de 1\1. Louis fut un hommage scrupuleux aux
droits des tiers porteurs. Cinq millions de rente inscrits au nom
de la Caisse d'amortissement avaient été donnés en nantissement
¿\ des tiers. Ces cessions avaient été faitessans droit. Néanmoins
le ministre ne brisa point le transfert; une commission fut
nommée pour en examiner la bonne foi; le ministre désigna les
noms honorables de 1\11\1. Lainé, Rodier, Hottinguer, pour se
livrer a cette investigation. On maintint les ventes des bois de
l'État faites pendant les Ccnt-Jours : rnais les anticipatious , les
délégations conscntiespar le dernier Gouvernement furent annu-
lécs, On adopta le mémcpríncipe en ce qui conceruait la vente
des hiens communaux et le paicment du prix, Des circulaires
adressées aux préfets et aux receveurs-généraux organisaient le
service des finances et des impóts, 1\1. Louis fit de vives repré-
sentations aux ministres des quatre grandes cours, afin qu'en
faisant cesser les réquisitions ils permissent d'établir un sys-
terne régulier de finances. JI fut convenu qu'en remplacement
de ce mode violent de procédcr, le Trésor royal s'engagerait a
payer dans dcux mois la sommede 100 millions , lesquelsseraient
recouvrés au moyen d'un emprunt forcé de pareille somme , levé
sur les contrihuahles et les capitalistes, Le moyen de se procu-
rer ces ressources fut dur, mais ingénieux. La forme habituellc
des impñts était longue, on lui substitua un systéme de traites
payahlcs a diverses échéanccs , que le Trésor püt négocier
moycnnant un faiblc escompte, 100 millions se trouvérent ainsi
a la disposition du Gouvernement. Plusieurs villes, et particu-
lieremcnt Paris, furent autorisées a cmpruntcr et a s'imposer
cxtraordinairement. La position était diflicile , mais elle n'était
pas au-dessus des rcssources de la France , pleine d'espéranccs
par le retour des Bourhons.


Au ministere de l'intérieur on s'occupait de deux choses sur-
tout : I'organisation départementalo et les élections. La premiere
de ces opérations soufTrait de grandes difflcultés. 1\Ialgré Je5




356 HlSTOIRE DE LA RESTAURATWN.
eflorts du Gouvcrnement et la nomination des préfcts , les
comités royalistes n'en continuaient pas moins leur influence
fatalc. On ne pcut s'imaginer. jusqu'a quel point les com-
missaires de JU. le duc d' Angouléme poussaieut I'esprit de
résistance, JU. de Fitz - James (ce n'était pas le Pair de
France), commandant d'armes a Foix , publia un ordre du
jour portant : « que celui chez lequel on trouverait des armes
ou des munitions de guerre serait arrété et traduit devant les
commissions militaires , -qui le jugeraient d'apres les inicntions
r¡u"il leur plairait de lui supposer.. Le garde des sceaux or-
donna que les auteurs de cet ordrc du jour seraicnt traduits
devant les tribunaux. lU. de VilIeneuve-VilIenenve, commis-
saire royal, ne voulut pas céder ses pouvoirs , malgré les injonc-
tions réitérées des ministres; le Gouvernement fut obligé de le
mander aParis, pour qu'il cut a rcndre compte de sa conduite.
Un tel état de choses enfantait mine désordres , et 1\1. Pasquier
proposa un projet de proclamation royale , qui fut adopté a
l'unanimité. Le Roi y disait aux peuples du l\Iidi: « Ce serait
bouleverser l'ordre social que de se faire ala fois juge et exécu-
teur pour les offenses qu'on a recues ou mérne pour les attcutats
commis centre notre personnc, Nous cspérons que cette odieuse
cntreprise de prévenir l'action des lois a déja cessé; elle serait
un attentat contre nous et coutre la France , et , quelque vive
douleur que nous pussions en rcsseutir, rien ne scrait épargné
pour punir de tels crimes, C'est pourquoi nous avons recom-
mandé par des ordres précis ~l nos ministres et a nos magistrats
de faire strictcment respectcr les lois, et de ne motrre ni indul-
genee ni faiblesse dans la poursuito de ceux qui les ont violées. »
Si le partí royaliste ne pardonna pas au ministcre ce langage de
paix , il faut se háter de dirc que le Cahinet trouva proteetion
et appui aupres des étrangers. La question des protestants du
Midi intéressait vivement le duc de 'Yellington et le roi de
Prusse. Ils proposerent de faire filer un corps de troupes au cas
de hesoin , pour garantir la liberté de conscicnce ~l leurs core-
ligionnaires du Languedoc et des Cévennes, L'ocrupation des




CHAPURE 'IJ. 357
Autrichiens dans le lUidi cmpécha beaucoup de désordres,


tes élections absorbaient également le ministere de l'inté-
rieur. Enes tombérent naturellement sous la direction de lU. de
Barante. Les bureaux ne firent point attention a l'état des es-
prits dans les départements : on s'imaginait qu'au milicu de
I'cffcrvesccncc des partís l'administration pouvait aller comme
sous l'Empire, au temps du cabinet de 1'1. de Montalivet , par
des ordres et des circulaircs. C'était l'erreur des habitudes. Les
adjonctions furent faites dans le sens royaliste; elles firent pen-
cher la balance tout d'un cóté, Il est des époques OU les opinions
politiques sont plus Iortcs que les hommes, et puis d'ailleurs ,
le Couverncuient étair-il súr de ses préfets? tes uns , par sen-
timeut , secnndaient l'action des Itoyalistcs , les nutres le faisaient
par ambition; cal' ils prévoyaient le triomphe plus ou moins
prochain de ce partí. Quand il s'agit de nonuner a la présidence
des colléges , les choix Iurcnt faits avec la plus haute impartía-
lité. Pour donner un caractere plus solennel aux élections,
lUONSIEUR, que l'on voulait alors concilier au systeme ministé-
riel, fut nommé ala présidence du département de la Seine , le
duc d'Angouléme au départcment de la Gironde, le duc de
Berri au département du Nord. Parmi les présidents d'opinions
hardies, avancées, OIi pouvait citer MM. de Flaugergues pour
l'Aveyron , Lanjuinais pour l'Ille-et-Vilaioe, le due de Choiseul
pour les Vosges, Gallois, Savoic-Rollin. Époque triste et cu-
rieuse! l'BI. Lanjuinais et Flaugergues étaient portés sur la
liste de proscription, primitivement drcssée par Fouehé. Ils en
furent effacés , et recurent du méme Gouvernement la présí-
denee d'un collége I te général Foy fut nommé ala présidence
de l'arrondissement de Péronne. Je trouve dans des notes mi-
nistérielles sur les présidenccs de eolléges, le renseigne-
ment suivant : « Le géuóral Foy cst dans de bonnes disposi-
tions pour la Maison de Bourbon, et il est facile de l'acquérir
tout a fait. » A. eette époque , lU. ñlanuel fit également des dé-
marches pour se rapprocher du Gouvernement; conduit aun
rendez - vous ministériel , 11. Manuel demandait une place




35~ mSrüIRE DE J.A RESrAURATIüN.
d'avocat-général en province ou méme de substitut a Paris;
Fouché l'appuyait, Le minístére fit la faute énormc de le repous-
ser, et 1'on sait ensuite ce que M. Manuel est devcnu ! Une des
grandes fautes de la Restauration fut de proeéder toujours par
exclusion; elle éloigna tout ce qu'elle ne trouvait pas asscz pUl' ;
elle pensa qu'elle ne devait pas méme corrompre ses cnnemis ;
a la fin elle se trouva seule; c'est ainsi que les causes et les
partís se perdcnt,


I ..e ministérc de la j usticc , plus immédiatcmcnt sous la dircc-
tíon de JU. Pasquier, s'occupait de deux grands objcts : l'orga-
nisation des cours royales et du Conseil-d'État. En 181ú, telle
avait été la négligence de lU. Damhray, que les trihunaux
n'avaient pas encere rccu leur institution. I'cut-étre y avait-il
1'intention secrete d'un remaniement général! Les Iloyalistes
appelaient une épuration absolue des cours de justice. Presque
tous les tribunaux avaient fait des adresses pendant les Cent-
Jours, La cour de cassation surtout s'était montrée ardente pour
le principe de la souveraineté populairc el la dynastie impé-
riale. On résolut done, en donnant une institution nouvell«,
d'épurer avec rnodération les cours et les tribunaux. La cour
royale de París subit la premiere cctte épuration; « les magistrats
étaient appelés ~l fonder la tranquillité de I'État et le repos des
Iamilles; leur fidélité était l'un des plus sürs appuis du trüne ;
qne dans les temps diffieiles OÚ il avait plu ~\ la Providcnce de
placer la royauté , il était nécessairc de donuer ala magistrature
la stabilité et l'institution royale.» Ces épurations, conune dans
tous les temps de troubles , ne furent pas tres-réíléchics. On se
laissa trop entralner a cette idée , qu'un magistrat des Cent-
Jours, quelles que fussent ses lumiercs , ne pouvait s'asseoir sur
le noble siége des jugcs apres la Ilcstauration. Ainsi un exccllent
magistrat , M. Gilbert-Desvoisins , qui avait été appelé duraut


. I'interregne a la prcmiere présidcnce a la cour royalc , en fut
non-seulement privé, mais il ne fut pas méme rcnvoyé ~\ la prési-
dence de chambre qu'il oecupait avant le retour de Bonapartc,


L'organisation du Conseil-d'Étatfut míeux réfléchie. Aprcsle




CIIAPITRE rII. 359
retour du Iloi en 1815, toutes les incapacites avaient repris
leur siége au Conseil , de sorte que les affaires étaient menacées.
Le garde des sceauxne pouvait tout afait s'affranchir d'uu passé
appuyé sur les opinions de la cour; et c'est alors que, pour la
marche du travail, il eréa les services ordinaires, extraordi-
naires et le titre d'honoraires pour les eonseillers, enfin le rema-
niement annuel du Conseil; ce qui permettait de faire entrer au
senice ordinaire ou d'en exclure les membres eapables ou inca-
pables, I..e serviceordinaire fut parfaitement composé. Ce n'était
pas sans doute'Ie vieux Conseil-d'État de l'Empire si plein d'ha-
biletés, mais il s'en rapprochait; cal' au service ordinaire furent
compris "DI. Allent, Becquey, Begouen, Benoist , Beranger,
Labesnardiere, de Blairc , Bourrienne, Corvetto , de Saint-
Cricq , Cuvier, de Gérando, DelamaIle, Dudon, Faure , d'Hau-
terive , Siméon , ñlolé , lUounier, Portal, Portalis, Ileiuhard ,
Iloyer-Collard.Dans le grand mouvement des passions politi-
ques apres les Cent-Jours , le garde des sceaux chercha néau-
moins a couserver les principes et les formes de la justice, Lors
du triste proces de 1\1. Lavalette, les Iloyalistes exigeaient que
l'accusé fút traduit dcvant un conseil de guerre, comme le mal-
hcureux Lahédoyere ; une ordonnance royale rendit hommage a
ce principc que chacun devait étro appelé devant ses j uges
naturels , et M. Lavalctte fut renvoyé devant la cour d'assises.


Quels que Iussent les incroyables efforts de Fouché pour con-
server son crédit a la cour, et malgré ses rapprochements avec
1\1. de Vitrolles, le ministre de la poliee voyait chaque jour son
ascendanL s'aflaiblir ; une vive opposition s'était formée eontre
lui, le régicidc. Dans ces cireonstances difficiles, il s'apercut
qu'il ne pouvait plus s'appuyer sur une autre foree que sur
l'opinion publique, opinión que ses actes avaient si vivemeut
blcssée. C'était son dernier asile, sa ressouree du désespoir:
Fouché savait en généralla saisír habilemeut, Le ministre n'avait
point cessé devoir M. Manuelel quelques patriotes épargnés dans
l'ordonnance du 2l¡.juillet. II se concerta avec eux , et c'est d'un
couunun accord que furent arrétés les deux fameux rapports du




360 mSTOIRE DE LA UE5TALHATlOJ\.
ministre au Iloi , et qui tirent alors une imprcssion si profoude :
Manuel en fut le rédacteur. J'ai vu l'original écrit par lui et


. corrigé par le ministre; il fut remis plus tard au Iloi , par
une de ces trahisons de pollee si fréquentes. Fouché y avait
mis un soin extreme; chaque mot avait été pesé, discuté , ct
j 'ai remarqué toute une page raturée pour trouver quatre ou
cinq expressions. L'un des deux rapports dénoncait la conduite
des alliés vis-a-vis de la France, l'autre signalait les exces des
partis qui divisaient notre malheureux pays: « Les ravages de
la France sont a leur comble ; on ruine, on dévaste , on détruit ,
comme s'il n'y avait pour nous ni paix, ni composition aespérer.
Les habitants prennent la fuite devant les soldats indisciplinés ;
les foréts se remplissent de malheureux qui vont y ehereher un
dernier asile. Les moissons vont périr dans les champs ; hientót
le désespoir n'entendra plus la voix d'aucune autorité , et cettc
guerre, entreprise pour assurer le triomphe de la modération et
de la justice, égalera la barbarie de ces déplorables et trop cé-
lebres invasions dont l'histoire ne rappelle le souvenir qu'avec
horreur, Les Puissances alliées ont trop hautement proclamé
leur doctrine pour qu'on puisse douter de leur maguanimité.
L'une des vues des Souverains semhlait etre d'affennir le Gou-
vernement de Votre JUajesté, et son autorité est sans cesse com-
promise par l'état d'impuissance OÚ onl'a réduite! Que les Son-
verains daignent done s'expliquer ! Pourquoi voudraient-ils se
refuser a ces actes de justice? Qu'ils daigneut réunir toutes leurs
demandes, comme autant de conditions' du repos des pcuples,
et que notre accession a toutes leurs vnes fasse partie d'un traité
réciproque : il n'y aura plus alors de difficultés. Nous avons
besoin du bon ordre pour les seconder, et de leur explication
pour rétablir le hon ordre, Yeulent-ils des sacrifices qui exigent
des répartitions et une prompte obéissance ? il faut pour cela
que l'autorité de Votre ñlajesté soit pleine et entiere. Rien n'est
possible, rien n'est exécutable si la paix n'existe pas de fait , du
moins provisoirement; et, bien loin d'étre en paix , nous éprou-
vous tous les fléaux de la guerreo Quand tout sera ruiné autour




ClIAPlTH.E \11. J(jl
de lcurs armées , comment cellcs-ci trouveront-elles leur sub-
sistance ? Le moment approche : déja l'esprit national prend
eette aífreuse direction ; une fusion se forme entre les partís les
plus opposés; la Vendée clle-méme rapproche ses drapeaux de
ceux de l' arrnée. Dans cet excés de calamités, quel autre parti
restera-t-il a Votre Majesté que celui de s'éloigner? Les magis-
trats quitteront de méme leurs fonetions, et les armées des Sou-
verains seront alors aux prises avcc des individus affranchis de
tous liens sociaux. Un peuple de trente millions d'habitants
pourra disparaitre de la LeITe; mais dans cette guerre d'horume
a homme, plus d'un tombcau renfermcra, a coté les uns des
autres, les opprimés et les oppresseurs ! »


Ce prernier rapport était destiné a faire quelque impression
sur l' esprit des alliés; un second, adressé au Roi sur la situation
intérieure des partis politiques , était écrit avec la méme force.
« La plupart des hommes énergiques, y disait-on, qui ont corn-
hattu et renversé le dernier pouvoir, n'ont cherché qu'a mettre
un terme ala tyrannie; tout gouvernement arbitraire les comp-
tora de nouveau parmi ses ennemis. Une opposition de la meme
nature agite et désunit toutcs les classes de citoyens et jusqu'aux
membresde chaqué famille; elle a son foyer dans les passions les
plus ardentes , dans le désir comme dans la craiute de voir triom-
pher les anciennes opinions. Tous se soumettront au Roi, tous
anront du moins le langage de la soumission; mais les uns de-
mandcut , comme une condition de leur fidélité , que les droits
tlu peuplc soient mainteuus ; les autres , au contraire, veulent
rétrograder, el que tout soit remis en question. Les esprits sont
calmes dans le centre de la France , l'obéissance y sera plus
prompte ; mais il faut Iairc une classc ~l part de la capitale. Celle-
ci n'est plus et ue pcut plus t~tre ni la regle, ni 1'image des pro-
vinces , depuis qu'une opinión factice y prend si facilernent la
place de l'opinion récllc. Le Xord a montré de la modération, et
Yotre 31ajesté' en a recu des prcuves d'attaehemcnt : le caractere
de ses habitants les rcnd diíficiles a s'agiter. Un régime constitu-
tionnel , sous le Couvcrucmcut du Iloi , remplirait le veeu des


L 31




362 m5TOIRE DE LA RE5TAliRATIüN.
départements du Nord. L'Ouest offre un contraste eífrayant, en
grand nombre d'individns , dans la Vendée, dans le Limousin,
dans le Poitou, sont dévoués au Iloi ; mais, depuis vingt-cinq
ans, soit erreur, soit passion , ils confondentla cause de 1'ancien
régime avec la cause royale. 11 ne faut pas croire néanmoins
que l'opinion soit unanime dans ces départements. Ou y a formé
des fédérations armées : une partie des villes est opposée aux
campagnes, et les acquéreurs de biens nationaux y résisteraient
a quiconque voudrait les déposséder, Le royalisme , au ñlidi ,
s'exhale en attentats : des handes armées pénetrent dans les villes
et parcourent les campagnes; les assassinats, les pillages se mul-
tiplient ; la justice est partout mucttc , l'administration partout
inactive ; iI n'y a que les passions qui agissent, qui parlent , et
qui soient écoutées, L'Auvergne, quoique soumise, n'a que des
opinions constitutionnelles. ALyondeux partis sont en présence.


Du coté de l'Est, l'Alsace, la Lorraine, les Trois-f~vechés, les
Ardennes, la Champagne, la Bourgogne, la Franche-Comté , le
Dauphiné, ofTrent un autre genre de danger : une opposition
morale au Gouvernement de la dynastie royale y est presque gé-
nérale; envahis deux fois par les étrangcrs , ces départements
ont plus souffert que les autrcs, Ils avaicnt plutót gagné que
perdu par le commerce continental. La quantíté de Ieurs do-
maines nationaux leur fait craindre davantage les prétentionsdes
anciens possesseurs. Dans la supposition d'une guerre civile , les
Iloyalistes absolus domineraient dans dix départcmeuts : dans
quinze autres, les partis se balanceraient; dans tout le reste de
la France , on trouverait seulement quelques poignées de Ilova-
listes aopposer a la masse du pcuplc, 11 y aurait des éléments
suffisants pour former une armée royalc. L'armée s'est soumise
par divers motifs : dans les uns, cene soumission est un retour
sincere a lcurs dcvoirs envers le Roi; dans heaucoup d'autres ,
un eITet de la nécessité; dans le plus grand nombre, un sacri-
fiee fait au repos de la France ; elle est maintenant blesséc et
humiliée de se voir disloquer ct licencier. 11 cst évident (In 'il y
a deux grandes factions dans l'État : l'une défend les príncipes,




CHAP1TRE VII. 363
l'autre marche ala contre-révolution. La force de ces deux fac-
tions est 11 mesurer. On a fait souvent une fausse remarque au
sujet de l'ancien régime, en disant que les Francais qui ont sup-
porté la tyrnnnie de Bonaparte supporteraient bien plus facile-
ment toute l'autorité royale. On se trompe en cela de plusieurs
manieres, paree que la position de Bonaparte n'a jamais été bien
connue de l'étranger. Sa tyrannie n'a pas été notre ouvrage ,
mais celui de I'Europe. Ce sont les Souverains qui l'ont conso-
lidée par leurs alliances, et méme par leur amitié; et quand
nous lui résistions , les autres peuples se rangeaient sous ses
aigles ou s'humiliaicnt devant lui. Toujours plus cílrayé de l'in-
térieur que du dehors , il savait bien que s'il avait des armées
centre les rois , il n'avait aucun pouvoir contre l'opinion pu-
blique; c'était par l'obéissance des étrangers qu'il essayait de
nous courber sous le joug; il a marché a plus d'une victoire
pour avoir un moyen de plus de réagir sur la Franee. Des mil-
lions d'hommes ont péri pour retarder la chute de l'ancien ré-
gime; il faudrait causer encore plus de maux pour le rétablir, »


Ríen n'était plus hardiment pensé que ce second rapport; il
avait été confidentielIcment comrnuniqué au Roi, mais jamais le
Conseil n'en avait été instruit, chose inouíe sous le systeme re-
présentatif avec un ministére solidaire et responsable. Le pre-
miel' exemplaire en fut remis ¡ll\I. de Talleyrand par 1\1. Decazes.
« Que signifie ce manifeste! s'écria le présidont du Conseil avec
dépit ; est-ce que lU. Fouché veut nous faire la loi , nous impo-
ser sa popularité ! » Le Roi trouva ce travail écrit avec talent et
bien pensé, mais il fut profondément blessé de la publicité que
Fouché lui avait dounée. Quoi de plus étrange, en effet , que la
puhlication d'un rapport tout confidenticl au Roi, et qui mettait a
llU les oppressions de l'étranger et les malheurs de la patrie!
Fouché fit valoir son prétexte ordinaire : « qu'il était étranger a
cctte publication, ct qu'elle 'était la suite d'une infidélité »; mais
porsonne n'y fut trompé. On songea dés 101's ¡l le remplacer, a
modifier le ministere. Ala fin d'aoüt, le Cabinet sentait bien qu'il




3()h msroms DE LA nESTAUTIATlON.
no pouvait plus défcndre un régicide centre I'opinion royaliste
soulcvéc ; sa démission était arrétée dans le Conseil.


lUais alorsil était des causes qui menacaient le Cabinet tout e11-
tier, et ilfaut parler des négociations diplomatiques. Apres la hataille
de 'Yaterloo et la capitnlation de Paris, le due de Wellington avait
pris la haute main dans les affaircs de Franco. C'était lui qui avait
présidé ala composition du Cahinet. l\f. de Talleyrand comptait
'Sur son appui et sur celui de l'Angleterre pour obten ir des condi-
tions meillcurcs dans le traite définitif. L'arrivée ~I París des em-
percnrs de Russie ct d'Autriche, de l\DI. de l\Ietternich, de Nes-
sclrode , Capo d'Istria , de Hardenberg et de Castlereagh avaient
affaihli l'influcnce toute militaire du duc de "'ellington. De la
guerrc on passait ~I la diplomatie , des bataillesaux négocíatíons,
Les conférenees diplomatiques se tenaient ehez lord Castlereagh,
presque tous les jours depuis midijusqu'a trois heures; le due de
'Yellington , lord Castlereagh , le prince de l\letternieh, le baron
de 'Yessemberg, le princc de Hardenherg, le baron de Humboldt,
le prince Ilasoumoffski , le comte de Nessclrode , étaient les
membres constants de ce comité. Ce u'est qu'apres le départ de
]H. de Nesselrode que lU. Capo d'Istria y fut admis. Les proto-
coles étaient signés par les hui! ministres, tous également iuvcstis
de plcins pouvoirs; les acres entre les quatre Puissances alliées
l'étaicnt par lord Castlcreagh, l\DI. de )Ietternich, de Harden-
herg et de Nesselrodc ; M. de Gentz Iaisait les fonetions de se-
crétaírc-général : lorsqu'il était question des affaires militaires
on appelait quelquefois le comte Pozzo di Borgo ct quelqucs gé-
néraux prussiens : dans les discussions sur les matieres de finan-
ces, on prenait l'avis de M. de Bulow , ministre des finanees de
Prusse. Le Roi de France avait nouuné pour ses plénipoten-
tiaires )01. de Talleyraud, de Dalberg et Louis ; mais ils n'étaient
point admis a la conférence des quatre grandes cours. En se re-
portant aux déclarations premiares des alliés a Vienne, aux pro-
clamations des généraux étrangers envahissant le territoire , les
négociations paraissaient Iacilcs, cal' elles dcvaient toutes reposer




CHAPITRE YIJ. 365
sur ce príncipe étahli que les alliés Iaisaient la gucrro ¿¡ Bona-
parte, et non 1\ la Francc , et pour l'exéeution du traite de París.
L'adhésion donnée par Louis XVIII au traité du 25 mars faisait
du roí de Franco un membre de la eoalition. Napoléon était
renversé , eaptif, l'armée francaise dissoute ; les alliés avaieut
rétabli le príncipe et les garanties qu'ils croyaient sans doute
les plus eapables d' ordre et de sécurité, Que pouvaient-ils exiger
de plus?


Les premieres négociations avec les aIliésporterent sur larégula-
risation des serviccs de l'armée envahissante dans les départements.
Elles ne pouvaient offrir de grandes diffieultés, cal' elles étaient
autant dans I'intérét des étrangers que dans ceux du Gouverne-
ment du roi de Franee. Il était impossible, en effet , de conti-
nuer un état de choses qui livrait al'arbitraire des généraux et
de simples commandants les levées d'impóts , les contributions
de tout genre; il n'y avait plus de caisses publiques, plus de
services de Gouvernement, de maniere que les départements
auraient été épuisés dans ees désordres , et les étrangers eux-
mémes sans ressources, Une premiere note fut done adressée par
les ministres des quatre Puissances , le 2ti juillet ; il Y était dit :
« Les ministres soussignés ont pris en mure considération les
ouvcrtures que les ministres du Roí leur ont fait parvenír par
Son Exeellence le baron Louis. Ils sont trop pénétrésde la né-
cessité de prendre , en ce qui touche la marche de l'adminis-
tration , les mesures les plus urgentes et les plus cfficaees pour
ne pas entrer avec empressement dans les vues qui ont dicté ces
propositions. » Une ligne de démarcation devait étre tirée pour
fixer les départcments qui seraient occupés par les armées alliées
et spécialcmcnt destinés a Ieur subsistance , de maniere a ce
qu'il ne se trouvát dans le mérne département que des troupes
de la meme armée ; les autorités du Roí devaient étre immédia-
tement rétablies , et les préfets et sous-préfets remis dans l' exer-
cice de leurs fonctions. II devait ótre nommé des gouverneurs
militaires pour les départcments qui Iormaient le rayon de
chaque année : leur pouvoir ne devait s'étendre qu'aux rapports




366 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
de l'armée avec l'autorité. Une commission administrative était
désignée a París pour se mettre directemcnt en rapport avcc le
Roi. Cette note diplomatique, signée de lUl\l. de :'lettcrnich,
Ncsselrode, Castlereaghet Hardenbcrg, étaitdonnéecnéchange de
la contribution de 100 millions consentie par le Gouvernement
francais, Le méme jour fut communiquée au prince de Talley-
rand une seconde note émanée de lord Castlereagh , laquelle
rétablissait l' état de paix entre la Fraucc et l'Angleterre , fondé
sur ce que Napoléon étant prisonnier du Gouvernement britan-
nique, toute cause d'hostilité avait cessé; les ports étaient
ouverts aux deux pavillons,


A Paris on pouvait déja s'apercevoir, par les violences de 1'oc-
cupation , que la capitulation n' était pas un frein sulIisant pour
arréter les excés de la victoire, Les Prussiens surtout , aigris par
leurs vieilleshumiliations sous 1'Empire, exaltes par leurs suecos
si récents, ne connaissaient plus de lois; lorsque le vieux Blücher
et les jeunes adeptes des sociétés secretes pour la liberté de la
Prusse passaient sous cette colonne triomphale ciselée sur le
bronze germanique, Iorsqu'ils foulaient du picd un pont , une
place publique qui rappelaient les souvcnirs de la campagne de
1807, une vive indignation s'cmparait d' eux; ils l'exprimaient
dans la langue nationale; enfin Blücher, sans rien en communi-
quer a son souverain , an mépris de la capitulation de Paris,
essaya de faire sauter le pont el' Iéna, Le pont résista ~l de prc-
mieres tentativos assez rnaladroitement faites; ce fut alors que
]U. ñlolé , directeur-générul des ponts et chaussées , informé de
l'audace de Blücher, se hñta de voir le duc de WeIlington et
plusieurs des généraux alliés , qui tous répondircnt : ce qu'ils
n' étaient pas maitres d'arréter les soldats prussicns , alors dans
un état d'exaltation diflicilc ¿l réprimer. » lU. lUoIé en parla aux
ministres profondément aflligés de cct événcmcnt, mais que
leur impuissance rendait indiflércnts ~I tout ce qui n'était pas la
délivrance du territoire ; sur-Ie-champ une lettre fut adressée
aLouis XVIII. D'un autre coté on avait agi aupres de JI. de
Humboldt, qui se préta avec générosité aune intervention aupres




CHAPlTllE vrr, 367
de son souveraiu. L'empercur Alexandre , vivement sollicité par
Louis XVIII, écrivit de sa main 11. Blücher , et le due de '" el-
lington manifesta au général prussien sa mauvaise humeur de
ce qu'il agissait dans des aífaires d'une aussi haute gravité sans
le cousulter, et il fit poser une sentinelle anglaise. C'est ainsi
que le pont d'Iéna fut sauvé. OIl a écrit dans le temps que
Louis XVIII avait fait demandcr l'heure oü Blücher ferait sauter
le pont pour s'y rendre et s'y placer; Louis XVIII avait trop
d'esprit pour dire et faire de telles forfanteries.


Tous les jours témoignaient de plus en plus la victoire orgueíl-
leuse des alliés, Le pillage du ñlusée fut une de ces scenes de
vandalismo militaire. Comment ces monuments avaient-ils été
conquis ? Le droit de la guerre autorisait-il les armées írancaises
h ímposer, comme condition de la paix , la cession d'un certain
nombre d'objets d'arts? Quelqucs-uns de ces monuments étaient
cédés par des traités; d'autres n'étaient que le fruit de la vic-
toire. Outre les monuments des arts, il YavaitaParis des objets
d'une haute importance , les archives du Vatican, de La Haye,
de Turin, de 'Vetzlar. Des les premiers jours de l'occupation
de la capitale , les ministres des différcntcs Puissances avaient
réclamé aupres du duc de 'Yellington et du prince Blücher
(1 pour ohtenir du Gouvernement francais la restitution des ob-
jets qui avaient óté violemment enlevés en contravention avec le
príncipe du droit des gens. » Canova , l'ardcnt artiste italien ,
était arrivé avec la mission spéciale du Pape pour réclamer les
chcfs-d'eeuvre cédés par le traité de Tolentino, Le duc de
,,,('llington en parla 11. lU. de TaIleyrand, qui fit d'abord remettre
en réponse la note suivaute alord Castlereagh: « Son Excellenee
lord Castlercagh semhle croire que les deux guerres de 1814 et
de 1815 sont de rnérne nature , et que la seconde, comrne la
premiére , doit étre terminée par un traité de paix; mais ces
deux guerres sont de nature bien différente : la premiere était
f.ritc véritablement ala nation francaise , puisqu' elle était faite
a un homme reconnu son ehef par toute I'Europe, et qui dis-
posait légalcment de toutesles ressources de la France, La guerre




msrornr DE LA RESTArRATJON.


étant faite ~l la nation , un traité de paix était nécessaire. En
181;'), au coutraire , ce méme homme a qui l'Europe a fait la
guerre n'était reeonnu par aucune Puissance; s'il disposait des
ressources de la Franee, iI n'en disposait. pas légalement, et la
soumission était loin d' étre complete. e'cst ~\ lui seul et a la
faetion qui l'a appelé, et non a la nation, que, d'apres ses pro-
pres déclarations , I'Europe a fait la guerreo La guerre s'est done
trouvée terminée et l'état de paix rétabli par le seul fait du
renversement de l'usurpateur, de la dispersión de ses adhérents
et de la punition de leurs ehefs. On ne voit done point comment
la guerre de 1815 pourrait étrc un motif valable pour ehanger
l'état de choses établi par la paix de 181ú. Son ExeelIence le
vicomte de Castlereagh a d'un autre coté posé en fait que des
objets d'arts ne peuvent pas s'acquérir par la conquéte : le mi-
nistere du Roi est bien loin de vouloir faire l'apologie d'aucune
sorte de conquéte. Plüt a Dieu que le nom ni la ehose n'eussent
jamais existé! Mais'enñn , puisque c'est pour les nations une
maniere d'acquérir admise par le droit des gens, le ministero
du Itoi n'hésite pas ~\ dire avec eonvietion que la conquéte d'ob-
jets inanimés , dont le seul avantage est de proeurer des jouis-
sanees physiques , ou, si 1'0nveut, intellectuelles , est bien moins
odieuse que celle par laquelle des penples sont séparés de la
société dont ils sont membres. Il y a a faire, relativement aux
ohjets qui ont été successivement apportés en France , une dis-
tinetion que l'on parait n'avoir pas faite. Parmi les pays auxquels
la France a renoncé en 181 ls , plusieurs appartcnaient bien légi-
timement a elle ou au chef qu'clle avait , et paree qu'ils lui
avaient été cédés. Elle a done pu disposer des objets d'arts qui
s'y trouvaient lorsqu'elle a renoneé ~l cespays; elle les a restitués
tels qu'ils étaient au moment de la rcstitution , et 1'0n ne voit
point d'apres quel droit les Puissances voudraient aujourd'hui
réclamer des choses qui n'ont pas été cornprises dans l'abandon
que la Franee en a Iait, Enfiu , d'autres objets d'arts appartien-


'nent encoré a la Franee en vertu de la cession qni lui en a été
faite par des traités solennels, Son Excellence se trompe si eile




CTJAPITRE YIT. 369
pcnse que le Iloi soit aujourd'hui , plus qu'en 1Rlll, en position
de Iaire cetro cession , ct le ministere ne craint pas d'affirmer
que si, connue il n'en doute pas, toute cession de l'ancien ter-
ritoire , dans le cas oú le Roi y consentirait , lui serait imputée
acrime , celle des objets d'arts ne le serait pas moins, et serait
peut-étre plus fortement ressentie, comme hlessant plus vire-
ment l'orgueil national. »


Cette note est l'expression la plus simple et la mieux déve-
loppée des príncipes de M. de Talleyrand soutenus dans les
discussions pour le traitó de paix : « Point de guerre, donc
point de conquétes, point de conquétes , done point de ces-
sion; seulement des indcmnités , iudcmuités territoriales ne
pouvant dépasser les provinces ajoutécs ;t rancien territoire de
la monarchie , si ron no voulait dépopulariscr Louis XVIII;
quant aux indcmnités pécuniaires , il fallait les limiter dans des
bornes raisonnahles , si I'on voulait que la France püt les ac-
<luiUeI'. » Lord Castlereagh ne presenta pas de nouvelle note;
mais il fut répondu par le duc de 'Vellington « que, lors des
conférences pour la capitulation de Paris , les négociateurs fran-
~ais avaient voulu [aire insérer un article sur le ñlusée et sur le
rcspcct pour les monumcnts des arts; le prince Blücher avait
declaré qu'il s'y opposait , attendu qu'il y avait dans le Musée
des tahleaux cnlevés au roi de Prusse , et dont Louis XVIII avait
promis la restitution. Le duc de 'Vellington avait ajouté qu' étant
dans le momcnt de la capitulation comme le représentant des
autres natious de l'Europe , il devait réclamer tout ce qu'on avait
enlevé aux Prussiens ; que, hien qu'il n'eüt pas d'instruction
relative au .lI1usée, ni une connaissance íormelle de l'opinion des
Souverains sur ce point , 11 devait ucanmoins présumcr qu'ils in-
sisteraient fortement sur l'accomplissement des promesses du roi
de Franee. Les Souverains ne pouvaient faire tort aIeurs sujets,
pour satisíaire I'orgueil de l'armée et du peuple francais, auxquels
il convenaitde fairesentir que, malgréquelquesavantages partiels
et temporaires sur plusieurs Í~tats de l'Europe , le jour de la
restitution était arrivé, et que les Monarques alliés uc devaient




370 IIISTOInE DE LA RESTAURATION.
point laisser éehapper cette oeeasion de donner aux Francais une
grande lecon de morale. ))


lU. de 'I'alleyrand ne voulut point consentir, déclaraut qu'il
ne donnerait point d'ordre, et que les alliés agiraient conune ils
le voudraient. Le due de 'Yellington et le prince Blücher s'adres-
serent alors a M. Denon, directeur du Musée, qui persista 110-
blement a ne rien céder qu'a la force: la force en eñet fut em-
ployée. On avait fait quelques dispositions militaires. Les alliés
arrivérent en nombre. DesPrussiens envahirent les galeries , ct
au milieu d'une population iudiguéc s'opéra le pillage du ñluséc,
I...orsqu'on vint annonccr ¿l 1\1. de 'I'allcyrand ce qui se passait, il
répoudit : «( Laisscz faire, c'est la force! » lUais il ne voulut point
intervenir. Il y cut encoré daus cet événcment quelque chose de
l'inconccvablc légereté qui présidait quelquefois aux négocia-
tions secondaires de 1\1. de Talleyraud. 11 répéta, dans cette cir-
constance , ce mot qui lui est habituel : (l Ce n'est point une
affaire! » et il ne s'en mela plus. L'intervention d'un commis-
saire francais cut évité la porte de plusieurs objets d'arts, Canova
avouait lui-rnéme que si la moindrc réclamation avait été faite,
on aurait pu sauver pour la Franco quclques-uns des cheís-
d'ceuvre. Ainsi Iurcnt perdus pour la patrie les mouuments qui
rappelaient la conquele de l'Italie : la Vénus de lUédicis, l'Apol-
Ion du Belvédcre , les chevaux de Vcnise , le lion de Saint-
Marc , etc. , etc. Aucun ordre ne présida a cette violcnce,
Des chefs-d'muvre de Itaphaél , de lUichcl-Ange Iurent dégra-
dés de telle maniere, que lcur pcrte irreparable est aujour-
d'hui déplorée non-seulcment par la France , mais par l'univers
admirateur des arts. lU. Dcnon ne put supporter uno telle dou-
leur, il donna sa démission.


Le pillage du l\lusée ne fut qu'un accident au milieu des
graves négociations diplomatiques qui s'ongagerent immédiate-
ment apres l'arrivée des Souverains¿l París. On a déja dit que les
cmpercurs de Itussie et d'Autrichc avaient manifesté quelquc
méeontentement de I'iufluencc, presque exclusive, que le duc de
Wellingtonavait prise dans les affaircs de la Franee, aprés la ha-




CIlAPITHE rII. 371
taille de Water/oo.' Ces mécoutenrcrucnts s'étaient accrus, chcz
Alcxaudre surtout, en voyant le prince de 'I'allcyrand ala tete du
Cabinet, ce qui assurait le triomphe des idées ct des intéréts an-
glais. Le rcfus du duc de Richelieu pour le ministere de la maison
du Iloi , les difficnltés qne rcncontraicnt les arrangcmcnts avcc
M. Pozzo di Borgo , tout contribuait a rendre l'attitude de la
Ilussic plus hostilc, et ccpcndant, abien considérer les intéréts et
la situation des diflérents États, si l'Angleterre refusait son appui,
la Itussie seule pouvait apportcr pour la configuration territo-
riale de la Franco, une opinion toute désintéressée. En effet, la
Prussc, [etée sur la frontiere de Franco par le congres de Vienne,
avait un íntérét puissant ¿l prcndre des précautions et des garan-
ties contre la nationfrancaise. L'Autriche avait le meme désir et
tcndait au mérno hut en ce qui touchait le midi de l'Allernagne,
soit pour elle-mérnc , soit pour la Confédération germanique,
soit enfin pour la Suisse. L'Angleterrc, protectrice du nouveau
royaume des Pays-Bas, théñtre si rapproché de la guerre et des
conquétes de la Franco, ne pouvait séparer sa cause de celle de
l' Allemagne. Il n 'y avaitdone que la Ilussic en positiond'cxercer
une influencc favorable aux intéréts francais, La tactique de
lU. de Tallevrand avait été d'abord de divisor la coalition, de
traiter particuliercmcnt avcc chaqué Puissance , afin d' obtenir de
mcilleures conditions. Et a cct cffct, pour s'assurer la hicnveil-
lance particuliere de lord Castlercaghet de l' Auglcterre, sur une
simple et prcmiero note le Couvcrnement francais consentit a
l'abolition absoluc de la traite des Noirs. La négoeiation s'était Cll-
gagée dans les moillcurs tenues, La note de lord Castlcreagh
portait (( qu'cn faisant part aux ministres de S. JU. T. C. de
1'01'd1'e donné par l'amirauté anglaise, de suspendre les hostilités
contre le pavillon Irunrais , il Iui transmettait l'avis que sa cour
lni avait enjoiut, d'inviter le roi de Frunce ¿l porter toute son
attcntion sur le commcrcc des esclavos, ct qu'il se Ilattait que ce
-'Ianarque, si nohlcmcut rétahli sur son trónc, s'cmpresscrait de
maintcnir l'abolition de la traite, sans réserve ni restriction, »
lU. de Tallcyraudrépondit, le 30 juillet « que le Roí, en suite de




372 1IJ5TÜlHE DE lA HESTAUHATJON.
la conversation qu'il avait eue avee sir Charles Stewart, avait
donné des ordres pour que de la part de la Frunce ce conunerce
cessátdes ~l présent partout et pour toujours. ) ]U. de Talleyrand,
en faisant eette concessiou , n'ignorait pas qu'un traité de paix
honorable pour la Franco ne pouvait résulter que d'une división
dans la eoalition. 11 voyait naitre et se développer avec joie les
liens partieuliers qui unissaient l'Angleterre et l' Autriehe. Il
s'eíforcait d'opposer cette alliance aux forces réunies de la Russie
et de la Prusse , alors intimement rapproehées. Mais commcnt
l'espérer? les plénipoteutiaires paraissaient plus unis que jamais,
lcurs conférences étaient intimes, secretes; les plénipotentiaircs
Irancais ne pouvaient pas méme y étre adrnis; leurs protocoles
étaient en quelque sorte discutés en famille ; on ignorait leur réso-
1utiondéfinitive; ils se refusaicnt mérne h faire connaitre leur ulti-
matum, s'enveloppant toujours d'un grand seeret.


La question était simple : les alliés avaient-ils fait la guerre
pour la conquéte ? Napoléon renversé, subsistait-il un état de
gnerre avee la nation? malheureuscment les imprudences de
l'armée , les résistances glorieuscs de quelques plaees fortes
avaient créé des prétextcs , et les plénipotentiaires étrangers son-
tinrent l'état de guerre avec tontos ses conséquences, Ce furent
surtout les petits :États voisins de la Franco qui se montrercnt
impitoyables, Le baron de Gagern, pléuipotentiaire des Pays-
Bas, consulté par la confércnce des quatrc Puissanccs, attendu
l'intérét majeur qne son souvcraiu avait ~l la eonliguration nou-
velle de la Frauce , répondit « qu'il était permis de recouvrer
par la conquéte ce qui avait été perdu par la couquéte , et que,
par conséquent , on userait de beaucoup de mudération cnvers
la Fraucc , vouée , sous le Gonvernement précédcnt , non moins
qne sous ses Ilois , h un systeme d'cuvahissement , si eelte
Puissance n' était tenue qu'a restituer l'Alsace, la Lorraine, la
Flaudre et l'Artois , a leurs ancicns maitres. )) Une tclle prétcn-
tion trouvait de l'écho dans les annécs envahissantes; la Franco
était occupée, pourquoi ne la soumettrait-on pas a toutes les eon-
t é [ucnccs de la conquétc? Il n'y avait d'autres moycns de douip-




CIIAPJTHE YJI. 373
ter la nation francaiso si remuantc , qu'cn la déiuautelant , qu'eu
lui ótant sesressourcesbelliqueuses. 1'1. de Humboldt, au nom de
la Prusse , soutint la meme doctrine, et demanda que la Franco
cédát dilférentes places, teIles que Montmédy, Longwy, Metz,
Thíonville et Sarrelouis, lU. de lUetternieh, développant ce sys-
teme aveccette souplesse de príncipes et d'expressions, caracterc
de son talent, disait : « La Franee, d' apres un systeme constant,
a augmenté le nombre de ses forteresses; elle a eherché 11 dimi-
minucr, par la démolition ou la conquéte , le nombre des places
fortes de ses voisins; c'est ü la faveur de ce systenie , quí lui
donnait tous les avantages de I'offeuslve et de la défensive, qu'elle
avait dü ses principaux succés, Ainsi , on pouvait raisonnablc-
ment exiger que la n-ance renoncát au premier rang de ses
plaees fortes , puisqu'elle en avait trois rangs : il lui resterait
cncore, maIgré cette perte, deux rangs de forteresses qui la
eonstitueraient la Puissance la mieux défendue de l'Europe.
Les Puissancesalliées étaient autorisées , d'apres tous les antéeé-
dents , a exiger de la France 1°. une indemnité territoriale;
2°. une garantie réelle et permanente; 3°. 1'adoption par la nation
d'une forme de gouvcruement conciliable avcc celui des autres
Úats de l'Europe ; ho. la soumission momentanée ü des mesures
de police militaire. »


D'apres les pourparlers prélirninaires , les bases de I'arrange-
ment proposé par les alliés pouvaient ainsi se résumer : 1°. Con-
firmation du traité de Paris, dans celles de ses dispositions qui
ne seraient pas modifiées par le nouvcau traité; 2°. rectification
des frontieres d'apres les données suivautes : Le roi des Pays-
Bas reprcndra la plupart des districts qui ont ancicnnement ap-
partenu ala Belgique , et le roi de Sardaigne rcntrera en pos-
session de la totalité de la Savoie : iI y aura plusieurs changmcnts
du coté de I'Allemagne. Les places de Condé, Philippcville,
~Iarienbourg, Givet, CharIemont, Sarrelouis , Landau , sont
eomprises dans les cessions que l' on demande a la Franee;
3". démolition des fortifications de JIuningue, avec I'engagernent
de ne jamais les rétablir; ho. une contribution de 600 millions,


l. 32




374. mSTOIRE DE LA RESTALRATIO~•.
a titre d'indenmité, pour les frais de guerre; 5°. le paicmcnt
d'une autre somme de 200 millions pour couvrir une partie des
dépenses consacrées-a la construction de nouvelles places fortes
dans les pays limitrophes de la France ; 6°. l'occupation, pen-
dant sept ans, d'une ligne militaire le long des Irontieres du
Nord et de I'Est par une armée de 150 mille hommes sous le
commandement d'un général nommé par les alliés , laquelle sera
entretenue aux frais de la Franee. ) 11 n'y avait que trés-peu a
eompter sur l'appui de l'Autriche et sur la possibilité de la dé-
tacher d'une maniere désintéressée de la coalition. Dans eette
situation diffieile, 1\1. de Talleyrand s'adressa au duc de 'Vel-
lington, pour obtenir appui dans la eonférence. Il lui démontra
facilement que l'Angleterre avait tout aperdre dans eette espéce
de démembrement, et que I'agrandissement démesuré de la
Prusse et de l'Autriche au préjudice de la Franee éhranlait
l'équilibre de I'Europe. Ce fut en conséquence de cette com-
munication que le duc de 'Yellington remit aux plénipotentiaires
une note dans laquelle , sans présenter son sentiment comme
l'expression de la pensée de son gouvcrnement, il était d'avis
« que des mesures proposées par l'Autriche , et particuliercment
par la Prusse et les Pays-Bas, il résulterait un dérangement
notable dans la balance de l'Europe, balance dans laquelle, de
l'aveu de toutes les Puissances , la Franee devait entrer pour un
poids considérable ; que si la séparation de plusieurs provinces
de ce royaume était favorable a ceux qui profitaient de ses dé-
pouilles , elles ne convenaient pas ad'autres États; qu'il ne suf-
fisait pasde détacher des portions importantes de cette monarchíe
dans la vue de l'afTaiblir; qu'il fallait savoir aqui les donner ;
que le royaume des Pays-Bas, qui était l'État que les alliés se
proposaieut principalement de garantir, n'avait pas une armée
assez nombreuse pour occuper des places d'une enceinte aussi
considerable que celle de Valenciennes. » Le duc de 'Vellington
pensait done « qu'on pouvait , en fortifiant quelques villes sur
les frontieres des Pays-Bas, suppléer a la cession de plusieurs
places de la Flandre Irancaise. »




CHAPITRE VII. 375
Dans cette position si délicate , ]H. de Tulleyrand ne pouvant


espérer aucune influenee aupres de l'empereur de Russie, un
traíté scmb1ait impossible, a moins de consentir aun démem-
brement de la France. Louis XVIII s'était adressé aux Souve-
rains, et particulierement ala générosité d' Alexandre; les Princes
vivaient dans la meilleure harmonie; ils voyaieut souvent le roí
de France , dinaient a sa table , et il était raro que Louis XVIII
ne ramenát la conversation sur les énormes sacrifices qu'on im-
posait ala nation. L'empéreur d'Autriche n'avait pas de volonté
politique, il ne faisait rien par lui-rnéme, ]H. de l\Ietternich avait
toute sa eonfiance. Le roi de I'russe n'était pas libre dans ses
volontés : ala tete d'une arméc fanatisée marchant pour I'indépen-
dance et la gloire de la Prusse , il ne pouvait suívre pour la Franee
des sympathies qui n'étaient partagées ni par ses généraux, ni par
ses soldats. Restait done Alexandre avec ses préjugés généreux ,
l'influence favorable de madame Krüdner ; le Czar visait ala popu-
larité; il était partout bien aceueilli en France; aParis, on l'envi-
ronnait comme une espérance. Sur le théátre, dans les inspirations
de la poésie, on faisait allusion asa grandeur, a sa magnanimité,
Sans avoir jamáis eu de la sincérité dans le caraetere , il avait du
respect pour le malheur ; il tenait asa bello et grande réputation
comme au besoin de soulagcr son ame fatiguée d'un souvenir
fatal; on était parvenu a s'attirer madame Krüdner, alors divi-
nité toute-puissante, et qui, par son admirable jeu de mysticisme
jetait je ne sais qucl désordre dans ce cceur usé; alors toujours
vétue de blanc, agenouillée dans des oratoires, elle semblait une
de ces druidesses dont la parole merveilleuse commandait aux
éléments. Dans le mois de septembre , apres une conversation
d'Alexandre et de Louis XVIII, le comte Capo d'Istria , qui avait
remplacé M. de Nesselrode dans la conférenee 1, rccut l'ordre de
cornrnuniquer une note, au nom de son maitre. 11 y disait :
« La délívrance de la Franee du joug de Bonaparte, et la réinté-
gration de Louis XVIII sur le tróne , prcmiers objets de I'al-


[ lU. de Nessclrode devalt suivrc Alcxandrc it Varsovle.




376 IUSTOIRE DE LA RESTAURATION.
Iiance, ont été atteints; il en reste deux autres a remplir, qui
sont de placer la Franco dans la situation intérieurc et dans les
rapports extérieurs rétablis par le traité de Paris. I ..es garanties
que les alliés ont droit d'exiger de la nation francaíse doivent
étre morales et réelles; les Puissanees ne peuvent exiger le droit
de couquéte ; le motif de la guerre a été le maintien du traité de
Paris comme base des stipulations du congres de Vienne; la fin
de la guerre ne saurait done exiger la modifieation du traite de
Paris. Si l'on portait atteinte a l'intégrité de la France , il fau-
drait revenir sur toutes les stipulations de Viennc, proceder ~t
de nouvelles distrihutions territorialés , combiner un nouveau
systeme d'équilihre. )1 Le comte Capo-d'Istrla proposait de renou-
veler le traite du 25 mars pour cxclure Bonapartc et ses adhé-
rents, et la partie défensivc du traité de Chaumont , contre
toute atteinte que la Franee pourrait porter ala tranquillité de
I'Europe; il proposait encare de prendre une position militaire
en Franee pour un temps jug(~ nécessairc a la stabilité du gou-
vernement qui serait adopté; il voulait enfin constituer les États
limitrophes de maniere ~l résister a la Franee par une ligne de
forteresses opposée aux places forres de l'Alsacc et de la Flandre.
La note russe, quoique sévere , garantissait 11 la France l'exécu-
tion du traité de Paris ; mais 1\1. de Talleyrand , une fois engagé
dans le systeme anglais , ne pouvait se jcter dans les bras de la
Russie. JI eherehait a dissoudre la eoalition, a lui présenter la
Franco inquiete, humiliée , mais préte ~l se soulever , eomme
un seul homme, eontre le joug de I'étranger. prt·s de 800 mille
hommes oeeupaient le territoire ; mais était-il impossible au
Roí de faire un appel a 3 millions d'hommes? L'arrnée de la
Loire n' était point encorc dissoute , la Vendée , le l\lidi étaicnt
en armes. En se jetant dans les bras de ses peuples , le Roi pou-
vait conquérír une popularité immcnse et une force capahle de
se débarrasscr de l'oecupation. Ce fut alors que les amis de
l\I. de Talleyrand firent courir le bruit d'une proposition faite a
Louis XVIII par son ministóre , el qui eonsistait ace que le Iloi
et sa famille se retirasscnt dcrriere la Loirc au milieu de l'arméc.




CIIAPITRE VII. 377
Ces bruits ne laissaicnt pas de Iaire une certainc impression


sur les alliés, et ils se rapprochcrent pour arréter Yultimatum
qui serait présenté a la Franco. C'était un grand mal que ce
rapprochement. Il était ainsi constaté que les divisions sur les-
quelles lU. de Talleyrand avait compré n'existaient pas. Un
traité devenait impossible, si on n'adhérait pas aces conditions.
La coalition paraissait indissoluble. On ne pouvait plus négo-
cier, mais il falIait subir la loi. Pendant plus d'un mois on
demanda Yuliimatuni sans pouvoir l'obtenir. Le 16 septembre
seulement , les plénipotentiaires le signifiérent au Cabinet fran-
cais dans les termes suivants : « Les plénipotentiaires des quatre
cours aIliées posent comme uliimatuni les conditions suivantes :
Une ligne de démarcation nouvelle du coté du Nord placera le
canton de Condé hors de la France; iI en sera de méme pour
les territoires de Philippeville , l\Iarienbourg et le canton de
Givet. Sarrelouis et Landau appartiendront al'Allemagne. Du
coté de l'est le fort de Joux sera cédé ala Confédération helvé-
tique; le fort de l'Écluse sera également placé hors des frontieres
de France. Cette puissance renoncera a tenir garnison dans
l\Ionaco. Les fortifications de Huningue seront démolies. Une
contribution de gnerre de 600 millions sera imposée; de plus,
la Franco se chargera d'nne partie des frais qu'entralnera la
construction d'nn certain nombre de places fortes opposées aux
siennes; 200 millions scront payés pour couvrir une partie des
charges nécessitéespar le rétahlissement du systemc défensif des
Puissances. Ceut cinquante mille hommes occuperont provisoi-
rement les positions militaircs le long des frontieres ; on leur
confiera les placcs de Yalcnciennes , Bouchain, Cambrai, I\Iau-
beuge, Landrccies, le Quesnoy, Avcsnes , Ilocroy, Longwy,
Thionville , Bitch, el les tetes de pont du fort Louis. Cette ar-
mée d'occupation sera aux írais de la France. L'occupation
militaire sera limitée ~l sept ans ; mais elle pourra finir avant ce
tenue, si, au bout de trois ans , les Souvcraius alliés réunis
s'accordent a reconnaitre que les motifs qui portaient a cette
mesure out cessé d'exister. » On ne peut rendre la pénihle im-




378 mSTOIRE DE LA RESTAURATION.
pression que fit eet uliimatum sur I'esprit du Roi, auquel le
prinee de TaHeyrand se háta de le eommuniquer! Comment
obtenir la modifieation de eonventions si dures 1 si impérieuses?
Pour en fortifier les eonditions, les plénipotentiaires allaient
renouveler les stipulations d u traité de Chaumont; l'aHianee
eontre la Franee paraissait résolue. A quelle intervention re-
eourir? M. de Talleyrand se háta de répondre a eette commu-
nieation impérieuse ; sa réponse 1 ouvrage extrémement distingué
de l.\I. de Labesnardiere , était basée sur la mémethéorie que sa
note primitive, « Les alliés n'avaient point fait de conquétes:
ils ne pouvaient done demander de cessions territoriales : nous
vivons dans un temps oú , plus qu'en aueun autre 1 il importe
d'afferrnir la eonfiance dans la parole des rois, Des cessions
exigées du Roi de France produiraient l'effet tout contraire,
apres la déclaration OU les Puissances ont annoncé qu'elles ne
s'armaient que contre Bonaparte, apres le traité OU elles se sont
engagées a maintenir, contre toute atteinte 1 l'intégrité des sti-
pulations du traité du 30 mai 1814. Des cessions exigées du
roi de France lui óteraient les moyens d'étcindre totalement et
pour toujours , parmi les peuples, cet esprit de conquéte souf-
fié par l'usurpateur. Cependant 1 et malgré les inconvénients
attachés a toute cession territoriale dans les cireonstances ac-
tu elles , Sa lUajesté consentira au rétablissement des anciennes
limites sur les points OU il a été ajouté al'ancienne Franco par
le traité du 30 mai 1814. Elle consentira également au paiement
d'une índemnité , mais qui laisse le moyen de suffire aux besoins
de l'admiuistration intérieure du royaume , sans quoi il serait
impossíble de parvenir au rétablíssement de l'ordrc et de la
tranquilIité qui a été le but de la guerre ; elle consentira encere
aune occupation provisoire ; sa durée 1 le nombre des forteresses
et l'étcndue des pays aoccupcr seront l'objet d'une négociation :
mais le Roi n'hésite pas a déclarer qu'une oecupation pour
sept ans 1 du royaume , est eutierement inadrnissible. ) Ainsi,
les propositions des alliés et de lU. de Talleyrand reposaient sur
des bases essentiellement diflérentcs. Les quatre cours partaíent




CHAPITRE VII. 379
des points suívants : cession de diversos parties du territoire
írancais pour protéger la süreté des Í~tats voisins; indemnité de
guerre calculéc arbitrairement; nouvelle indemnité pour établir
un systéme de fortifications et de défenses sur les frontieres op-
posées i\ la France; occupation militaire pendant sept ans. M. de
Talleyrand répondait: « Point de cession de territoire, OU, si
l'on veut une cession, respect pour les anciennes frontiercs de
la monarchie; indemnité , mais modérée , raisonnable; occupa-
tion, mais courte et passagére, ) Comment des lors s'entendre
en partant de points si divergents? lU. de Talleyrand voulait
encore tenter quelque división parmi les alliés; mais le résultat
paraissait difficile aobtenir. On pouvait aussi déterminer le Roi
á quelque partí décisif , au projet de se retirer au dela de
la Loire. l'Uais en ce moment des causes diverses son-
naient la derniere heure politique du cabinet de lU. de Talley-
rand,




CHAPITRE VIII.


PREMIER MINISTERE DU DUC DE RICIIEI.IF:U. RÉACTWNS ROYALISTES.


Situation uifficile du minist cr-e Tulleyrand.~ Sa dc:mission.~ Composition
du mi ni st cre Bíchelieu. - Iuíluence r-usse , - Les Ministres. - 1\1. De-
cazcs , - M. de Vau hlanc . - Le g~nc''I'al Cl ar-ke . - I~tat (le la prcssc.
_ Des salons de Pu ri s. - Des Provinces. - Occupatiou des armces
allices. - Massncrcs du ~\Tidi. - Marscil!«. - AI·iguolI. - Déhut de la
Chamhre de 1815, - Sn compositiou. - La Chamlne eles Pa irs. - Pro-
testatioll, ....... Projct d'ac!re:,sc. - .l'íégoriatiou du duc ele Il ichelieu avcc
les Alliés - La Saillte-Alliauce. - Protocole ,Iu 2. octuhrc. -- Paltage
el. iudemnites. - Signatllre du traite, - Héol'galli:,atjoll de l'Europe.


Selttelll.b..-e et Oetobre 1815.


tE ministcre de 1\1. de Talleyrand était tombé devaut un
mouvemcut d'opinion ct une diíficulté diplomatique; il lui était
impossiblede seprésenter dcvant la nouvellcChamhre, et d'ohte-
nir un traité. l\I. de Tallcyrand , esprit supéricur lorsqu'il s'agis-
sait de menor ~l fin une négociatiou, ne comprcnait pas h fond
l'action des partis ct les tendances publiques, príncipes avcc lcs-
quels on négocie difficilcment; JI n'avait pas suffisanunont
démólé la formation occulte d'un nouveau niinisterc , qui allait
passer sous l'influencc de la Russie; 1\1. de Tallcyraud était
trop dévoué a l'idée anglaise , s'imaginant que I'influenco du
duc de "Tellington seulc pourrait amener un traité, Ensuite il
étnit évidcmmcnt déhordé par l'opiniou roynlistc. Tout partí vic-
torieux est impatient ; il ne vcut ras qu'on l'arrete dans ses des-
seins de victoirc.


Trois causes contribuercnt ~t la chute du ministere du princo
de 'I'allevrand : t ". l' impossibilité de s'entcndre avec les alliés




CHAPITRE HU. 381
pour arriver ~l un traité définitif ; 2'" l'action de la cour et de
la coterie de MOl\'slEun, irritées de la marche demi-constitu-
tionnelle de l'administration miuistérielle ; 3°. enfin le résultat
des élections , l'approche de la Chambre ardente de 1815. lU. de
Talleyrand avait conservé quelque espoir sur l' effet de sa der-
niere note aux alliés. 11 espérait que la coalition ne résisterait
pas a des propositions secretes et adroitement faites a chacune
des Puissances , espoir cntiérement décu par le nouvelllltima-
tuni que les quatre grandes cours lui adresserent , le 20 sep-
tembre, et qui résumait les intentions définitives des Puissances :
« Les cours alliées considercnt toujours le rétablissement de
l'ordre et l'aílcrmisscment de l'autorité royale en Franco comme
l'objct principal de Ieurs démarches ; mais persuadées en méme
ternps que la Franco uc saurait jouir d'uue paix solide si les
nations voisines ne ccssent de nourrir vis-a-vis d'elle soit des
ressentiments amers , soit des alarmes pcrpétuelles , ont envisagé
\~ \')r\\\Ül)~ d'\ln~ ~\l\;te \;l\t\stae-ti()\l \')()\W les -pertes et les sacriñces
passés , ainsi que celui d'une garantie suffisante de la sureté des
États voisins, comme les seuls propres ~l mettre un termo a tous
les mécontentements et a toutes les craintes. Ce sont la les mo-
tifs puíssants qui ont engagé les cours alliées a demander a la
France quelques ccssions territoriales. Ces cessions ne sont pas
de nature ~l entamcr l'intégrité substantielle de la Franee; elle
n'en restera pas moins un des États les mieux arrondis , les
mieux fortifiés de I'Europe et les plus riches en moyens de toute
espece pour résister aux dangers d'une invasion. » Par ces motifs
les plénipotentiaires persistaient dans l' ultimatum présenté au
roi de Franee.


En cet état des négoeiations, que pouvait faire le ministére de
1\1. de Talleyrand? Les propositions qu'il avait adressées aux
quatre grandes cours ne luí permettaient pas de subir Yultinui-
tum des Cabinets; il no pouvait faire cette amende honorable
sans se déshonorer complétomcnt, Il songea des lors adonner sa
démission, Ce désir était-il bien sinccrei-La menace d'une dé-
mission ne tcndait-elle pas ~l inspircr plus d' énergie a Louis XVIn,




382 HISTOIRE DE LA RESTAtJRATlON.
al'entrainer aquelques idées de résistance nationale déja pro-
posées? .1\1. de Talleyrand soutient que sa démarche fut dictée
par le sentiment profondément éprouvé de l'honneur írancais ; il
ne voulut point signer un avilissant traité, Ceux qui savent au
vrai les affaires mélent u cette noble susceptibilité la pensée for-
tement éprouvéepar M. de Talleyrand de I'impossihilité demar-
cher dans sa position, soit vis-u-vis l'étranger, soit vis-u-vis la
cour, soit enfinvis-a-vis la Chambre nouvelle. En effet, l'empe-
reur Alexandrene cachait pas ses répugnances pour ]U. de Tal-
leyraud. Dans une conférence avec Louis XVIII, il lui fit en-
trcvoir les difficultés que faisait naitre la présence aux affaires
d'un premier ministre qui, au congresde Vienne , avait trompé
les espérances de la Russie , et, ce qui avait plus profondément
encore blessé Alexandre , refusé l'alliance d'une princesse russe
pour le duc de Berri. Il ne lui dissimula pas également la pos-
sihilité de quelques concessions de la part des alliés , si le roi de
France adoptaitun systeme et un ministere qui inspirassent plusde
confiance. I..ouisXVIII prétait une oreille complaisante acesou-
vertures. J'ai déja dit avec quel secret dépit le Iloi avait accepté
le prince de Talleyrand pour chef de son Conseil , et on concoit
qu'il dut entrevoir avec plaisir l'instant qui le débarrasserait
d'une gene insupportable. D'un autre coté, la cour travaillait
Louis XVIII. Il Ya toujours, dans les premiers moments de la
victoire d'un parti , un élan de force irrésistihle : un ministere
qui veut suivre les lois de la modératíon est emporté; il est brisé
s'il résiste.


Depuis les deux rapports de Fouché au Roi et l'inconcevable
publicité donnée acesdeux grands documents , j] paraissaít 11 pcu
pres certain que le ministre de la police quitteraít lesaffaires , ce
qui, avecle rcfus du duc de Bichelieu, lesretards éprouvéspour
les arrangements avccñl. Pozzo di Borgo, laissait une largeporte
ouverte aux ambitions ministérielles. L'alternative était done
entre un changcmcnt complet, et un changement partiel du Ca-
binet, Une fois M. de Talleyrand personnellement menacé, le
changement devenait nécessairement absolu, puisque latete était




CHAPITllE vnr. 383
frappée, Le pavillon Marsan ne pardonnaít pas au cabinet Tal-
leyrand d'avoir constitué un gouverucment en dehors de son
iníluence,etd'avoir établi ainsi une administration indépeudaute
des comités royalistes, A la cour ce n'étaient que plaintes , que
sourdes menées. On accusait le ministére de retarder la paix,
de comprimer les mouvementsdu royalisme. M. le comted' .11'-
tois agissait ouvertement contre les ministres du RoL On venait
dire chaque jour a Louis XVIII, déja indisposé contre 1\1. de
Talleyrand, que le cri du peuple demandait le renvoi du pre-
miel' ministre. Fouché n'allait plus que rarement au cháteau,
Lorsqu'il entrait dans les salons qui précédent le cabinet du
Roi, c'était toujours un murmure de courtisans contre le
rcqicidc. Le ministre avaít supporté avec sa patíence habí-
tuelle ces petites persécutions. l\Iais un jour que ces murmures
l'ennuyaient plus qu'a l'ordinaire , il s'avanca vers le duc D***,
qui avaitservi la police impériale dans l'exil de Louis XVIII, et
lui dit avec un ton moqueur ; {( 1\1. le due, je ne suis done plus
de vos amis; que voulez-vous, nous vivons dans des temps meil-
leurs; il n'est plus néeessaire a la police de payer de hauts per-
sonnages pour surveiller le Roi légitime a Hartwell. » Le duc
pálit , et l'on fut désormais plus circonspeet a la cour. Hélas !
que pouvaient tous ces jeux d'esprit pour sauver le ministere
alors menaeé par tous les cótés. Le 20 septembre, le résultat
officiel des éleetions fut connu. Presque partout le ministére suc-
comba, et les comitésroyalistes triompherent, On s'était endormi
sur les promesses des bureaux , sur les cartons réguliersdes chefs
de division. Il était impossihle de se dissimulerqu'une majorité
royaliste allait arriver ardente. Un grand nombre de députés
appartenaient aux comités du pavillon Marsan. Presque tous les
commissaires cxtraordinaires frappés par le ministére avaient
été élus, Les malheurs de la patrie allaient donner une haute
influence ala Chambre des Députés appelée aconcourir atous
les sacrifices !


Tant que les élections n'avaient pas été accomplies, la lutte
était encore en pleine vigueur, Le pavillon Marsan ne pouvait




384 ursrouu: DE LA HESTAUHATlON.
pas se vanter d'une victoire parlementaire. On renvoyait toutes
ses prétentions apres la question électorale. Louis XVIII n'avait
pas de motifspour modifier son ministerc, qui, étant un systeme,
devait se présenter et se faire juger devant les Chamhres. lUais
des que le résultat des élections fut connu, des qu'il fut con-
staté que la majorité appartenait aux Royalistes, quelle puissance
le pavillon Marsan ne dut-il pas en tirer! Louis XVIII, qui jus-
que-la avait résisté, n'avait plus de prétexte. Il pouvait selivrer,
sans se compromettre, ases répugnances pour 1'1. de Tallevrand.
Pour se rattacher les meneurs du parti royaliste, le ministére
institua un grand conseil privé, oú furent appelés MM. Dam-
bray, Ferrand, de Vitrolles, de Fontanes, le duc de Lévi, lU:\I. de
Bourrienne, Alexis de Noailles , de Chátcaubriand, LH. de Yi-
trolles devait remplir les fonctions de secrétaire de ce conseil
privé. Ce projet fut gardé quinze jours en porteíeuille, paree que
1\1. de Talleyrand voulait en faire la condition d'un arrangement
avec lamajorité de la Chambre. Cet arrangement n'eut paslieu,
mais la nominationdu conseil projeté n'en fut pas moins signée


/


par le Roi apres la retraite de l\I. de Talleyrand.
Il n'y avait rien de bien précisémeut arrété ¿l la cour dans la


premiere quinzaine de septembre ; on savait seulement les diffi-
cultés de 31. de Talleyrand, lU. de Richelieu n'était point partí
pour Odessa ; quelques ouvertures lui avaient été faites; il les
avait ropousséesjusqu'alors : la situation luí paraissait difficile, n
craignait de se mettre ala tete des affaircs dans l'état OÜ elles se
trouvaient. Il avait eu quelquc velléité d'y arriver en juillet 181;')
a l' encontre de M. de Talleyrand ; mais les aífaircs étaient deve-
nuesdepuis si compliquées , qu 'il avaít une vérirable répuguance
a en prendre alors la haute direction , quoique , autour de luí, il
Ycut des intrigues en sous-ordre , et quelques hommes de partí
surtout, qui, voulant se pousscr , mettaient toujours en avant le
duc de Itichelieu. A Paris , on considérait la position comme
incxtricablc. La Bourse, les rrausactíons étaient dans un état de
langucur. La continuation de la guerre, les exigences toujours
croissente« des alliés, cOlltl'ibuaicnt aaggraver encere la siuuuion,




ClIAPlTUE VIIl. 385
lU. de 'I'allcyraud et ses amis apcrccvaient l'intrigue royaliste et
le l,arti qu'elle tirait de la position difficile du miuistere ; vou-
lant d'abord prevenir la formation d'un ministére dans la couleur
du pavillon Marsan , ils préseuterent au Roi un 1Uémoire sur la
situation et sur le danger decomposer une administration nou-
velle dans le sens des opinions royalistes. Ce lUémoire fut 1'0u-
vragede 1\1. de Dalberg. (( Le Roi se touve repIacé, y était-ildit,
dans la méme position OU il était au mois de mai 181ú. Les
mémes hommes se représentent, et le choix ministériel roule en-
core entre troissystémes, Le Roi, dit-on, doit se fiel' uniquement
aux hommes toujours dévoués a sa dynastie , éloigner des places
tous ceux qui en ont occupé sous Napoléon, et ohtenir par la
I'uníté de volonté et d'action nécessaire pour faire marcher un
gouvernement ferme et vigoureux. ( La Charte constitution-
nelle n'est encore qu'une lettrc morte qui ne peut prendrc vie ,
pour ainsi dire, que par la volonté du RoL La volonté du Roi
ne se manifeste que par l'organe de ses ministres. C'est done
par le choix de ces organes que la nation jugera si la constitu-
tion doit se développer et acquérir une vigueur qui lui soit
propre , ou si elle est destinéc a rester un simulacre inutile ,
a peu prés tel que l'étaient les constitutions de l'Empire.
11 ne suffit méme point que les ministres veuilleut de bonne
foi l'exécution de la Charte, il faut que la nation les croie atta-
chéspar príncipe aux formes constitutionnelles, 01', les hommes
que leur dévoucment a la Famille royale a tenus, depuis le COlU-
mcncement de la Hévolution , éloignés des affaires publiques,
sont, a tort ou a raison , regardés comme ennemis du gouver-
nement représcntatif, Leur confier le ministere équivaudrait, par
conséquent, a déclarer qu'on veut détruire la Constitution, ou du
moins gouverner de maniere a ce qu'elle ne parvienne point a se
consolider : tellesne peuvcnt étre les intentions du Roi. Tous ceux
dont la conduite a été guidée par l'espoir d'une sageliberté sous
le monarque légitime, s'éloignernient du gouvernemcnt, Il serait
donc , sinon plusjuste et plus honorable, au moins d'une meil-
Ieure politíque , <le proclamer ouvertement la révocation de la ./ e


33
'11' ~.l. .~1, .ii;' y




386 HISTOIRE DE LA RESTAUHATIO;\".
Charte constitutionnelle, Les Iloyalistes eles provinces de l'Ouest
parviendraient vraisemblablemcnt aétablir le pouvoir illimité du
Roi dans plusieurs départements, Au l\Iieli, le duc el'Angouleme,
a la íaveur des arméescspagnoles, pourrait íaire prévaloir ce sys-
teme; et enfin le Roi, sccondé des ar~ées étrangeres , serait a
méme de proclamer le rétablissement de l'ancienne monarchie.
Considérons un instaut ce rétablissementcommeopéré, et voyons
si ce mode de gouvernement pourrait semaintenir. Leshornmes
sur lesquels on doit compter pour soutenir un pareil systéme
rentrent, pour ainsi dire tous, dans une des trois classes sui-
vantes: 1°. les émigrés rcntrés en France en 1814; 2°. lesofficicrs
des armées de la Vendée et de la Bretagne; 3°. les membrcs des
anciennes familles nobles. On sait combien le nombre des hom-
mes compris dans ces trois classes est horné. La plupart de ceux
de la premiere et de la troisieme sont afIaiblis par l'áge, ou de-
venus incapahles par leur long éloignementdes affaires, Il ne faut
point se dissimuler que les hommes de trente a quarante ans,
qu'on peut présenter comme le nerf d'unc nation, ont a peine
connu les Bourbons. Élevés au milicu des orages de la Révolu-
tion, les ielées de succession réguliero, de pouvoir légitime, lcur
sont presque étrangéres. Ainsi, ce serait a l'aide de quelqucs
hornmes clair-semés dans la nation qu'il faudrait comprimcr ou
combattre les nouveaux intéréts qui , depuis tant d'annécs, pré-
valent en Franco. L'exécution sincere de la Charte assure au Iloi
le concours des iutéréts , puisquc son premier but est de garan-
tir les hommes et les choscs contre toute réaction , centre tout
usage arbitraire du pouvoir. 01', remettrc le pouvoir ministéricl
aux hommes jnsqu'ici étrangers al'administration de la Fraucc,
produirait le mérne efIet que la déclaratinn ele I'abolition ele la
Charte. JIserait , par conséqucnt, de la derniere ímprudence ele
les placer a la tete des affaircs ; mais pourquoi , dit-on , ne pas
placer acoté cl'eux quclques-uns de ces hommes dont la fidélitó
au Roi, I'attachement ala ñlonarchie, sont éprouvés par un long
et constant dévouement? C'cst proposer de nouveau de recourir
au systemede [usion d'apres lcqucl lc Iloi avait choisi ses miuis-




CHAPITRE HIl. 387
tres en 1814. On vit alors un ministere composé d'hommes qui,
pris individuel1ement, doivcnt étre pour la plupart regardés
commeles hommes les plus capables que le Souverain püt appe-
ler, laisscr échapper peu apeu le pouvoir remis au gouverne-
ment par l'opinion publique; et ce résultat ne saurait étre repro-
ché h aucun des ministres j il provient essentiellementdu vice de
la formation du ministére. Ses membres , obligés de lutter sans
cessc entre eux, pour faire prévaloir leurs opinionsparticuliéres,
consumanten quelque sorte leurs forces dans l'intérieur du cabí-
net, il n'en rcstait plus pour I'action extérieure. Les hornrnes
dont les notos paraissaicnt pOllr la pl'cmícl'c [oís étaíent regardés
comme les véritables conscillers du Iloi , comme les seuls qui
connussentses secí'étes pensées; et la présence des hommes te-
nant au nouvel état de choses n'était jugée que comme une
conccssíon al'opinión qui ne tarderait pas ~l étre révoquée. De la
\\'~\';',';',ü\~\\.t ~~tt~\\\~\\.\\~t\.\~\~, ~~tt~ ü~})y~h~\\'i>il.)\\ d.~ \' ü~ ~nil: ~\u.i
disposaient les esprits al'idée d'un changement. On ne saurait
nier que la faiblesse , l'inccrtitude dans les vues , l'absence de
plan, la lenteur dans l'exécution, lesdivisious intestines ne soient
inhércntcs ¿l tout ministercformé d'éléments hétérogenes, On ne
gouverne que par une volonté prédomínante, et cette volonté ne
pcut cxister lorsque chaqué organe du pouvoir exerce la sienue
dans un scns différent. Que diraient la France et l'Europe si ron
recourait encere a l'application d'un systeme dont l'essai a été si
funestc ? Le Iloi vcut gouverner par sa Charte constitutionnelle;
ses intentions ont été méconnues par des hommes aveugles ou
égarés, Ce ne sont point les protestatíonset les promesses qui les
détrompent; ou est trop las, en France , des proclarnations , de
phrases et de discours. Le jour OU le Roi éloignera de lui ceux
que la voix de l'Europe accuse d'étre eunemisde toute monarchie
tempérée, et OU l'action du Gouvernement sera confiéeadeshom-
mes dont les príncipes et les intéréts assurent I'exécution de la
Charte, les calomnies seront réfutées et lespréventionsdétruites.
La listed'un bonministeresera le meillcur manifesté etla premiere
garantie qni puísse étre oíferteala nation. Que l'action du Gou-




388 HISTOIR.E DI!. LA RESTAURATlON.
vernement soit done toujours d'accord avec les intentions du
Roi; que le choixde ses ministres en garantisse l'exécution; que
tous les actes de leur administration soient autant de consé-
qucnces des principes de la Charte constitutionnelle, el bicntót
llOUS verrons la France jouir, apres tant de malheurs, du repos
et de la liberté sous la monarchie légitime. »


Il faut que j'explique la pensée de ce Mémoire: M. de Tal-
leyrand ne se dissimulait pas qu'un changement de ministére
était indispensable; celui qu'il avait formé en juillet était incom-
plet et sans force; il ne pouvait garder Fouehé a la poliee;
le ministére de I'intérieur était vacant; il Y avait également
un intérim a la maison du Roi; JU. de Talleyrand voulait,
en se réservant de composer une administratíon nouvelle dont
il garderait la présidence , forcer la main au Hoi pour qu 'it f1l
le plus de concessions possibles a l'opinion. Cette combinaison
ne put réussir : tant de causes menacaient le ministere ! 1\1. de
Talleyrand était trop éclairé pour ne pas sentir sa position; il
n'était pas homme parlementaire, et n'entendait rien ala con-
duite d'une assemhlée politique; sa seule force pouvait étre daus
le Roi et dans la réussite de son intervention en ce qui touchait
les négociations avec les étrangers; ces négociations lui échap-
pant, lU. de Talleyrand n'avait plus d'appui , plusieurs fois il
avait pressenti le Iloi , et les réponses de Louis XVIII avaient
été tres-froides ; il avait demandé une marque de satisfaction
royale pour quelques-uns de ses collegues , le Iloi l'avait refusé ;
et comme JU. de Talleyrand lui dit: « Il est bien possihle que
ce refus entramo la démission de plusieurs des ministres du
Roi , et alors cellede tout le Cabinet.-e'est juste; cela se pra-
tique ainsi en Anglctcrre, répondit LouisXVIII. » lU. de Talley-
rand sentit la portée de ces paroles, et voulut encore essayer sa
puissance : il avait fait rédiger, par lU. de Labesnardiére , une
nouvelle note en réponse aYultimatuni des alliés. Sa rédaction
était largement pensée ; le premier ministre et les deux autres
plénipotentiaires, le baron Louis et 1\1. de Dalberg, se renclirent
au chatean pour la faire approuver par le Roi avant de la pré-




CIJAVITRE YTTI. 389
senter aux plénipotentiaircs alliés. Louis XVIII les accueillit
avec un air d'embarras et de dissimulation qu'il savait si bien
jouer. Une prcmiero lecture fut faite; le Iloi ne fit point d'ob-
servation , contrc son usage, car iI aimait aeorriger, mérne sous
de simples rapports littéraires, les documents officiels émanés
de son Conseil; l\1. de Talleyrand fit une scconde lecture, a la
suite de laquelle le Roi entama une conversation générale sur
l'état de la négociation el les rapports des alliés entre eux. II dit
qu'il savait l'impossibilitéde séparer I'alliance entre les quatre
eours, plus unies alors que jamais; qu'il n'y avait plus qu'a
recourir al'intervcntion bienveillante d' Alexandre : « f~tes-vous,
lUessieurs, en position de suivre cette direction nouvelle dans
mes rapports diplomatiques? » ~I. de 'I'allcyrand n'hésita pas ~l
répondre que lui et ses collegues n'étaient pas les personnes les
plus agréables a I'empereur de Russie, et qu'ils s'eugageraient
difficilement dans cette marche pénible de la négociation. Le Roi
parut alors eomme soulagé d'un grand poids, et ajouta: « Je
erois facilement, lUessieurs, ce que vous me dites; l'empereur
de Russie ne m'a pas caché que si je confiais la direction de
mes affaircs en d'autres mains, de meilleures conditions pour-
raient étre consenties; que lui-méme défendrait les intéréts de
la Franco pres de ses alliés , et surtout par rapport aux Prussiens ,
les plus exigeants. - En ce cas , répondit M. de Talleyrand , je
prie le Roi de permettrc qne je me retire de son Conseil; il est
libre de déposer sa confiance en des mains plus dignes. » Le duc
de Dalberg ct le baron Louis olTrirent également leur démission,
Le Iloi dit encorc : « Vous voyez a quoi les circonstances me
forcent; j'ai a vous remcrcicr de votre zelc; vous étes saos re-
proche, et ríen nc vous ernpeche de rester tranquillemcnt a
París. » Cette dcrniere phrase blessa 1'1. de Tallcyrand , qui
répliqua avec chaleur : « J'ai eu le bonheur de rendre an Iloi
assez de services ponr croirc qu'ils n'ont pas été oubIiés; jc nc
comprendrais pas ce qni pourrnit me forcer de quitter París;
j'y resterai , el je serai trop heureux d'apprendre qu'on ne fera
pas SUiH(, au Ilni une ligue capable de comprometrr« sa dvnasti«




390 HISrOInE DE lA HESrAURATTON.
et la Franee. » Louis XVIII fit semhlant de préter }leu d'atten-
tion ¿l ces paroles , répéta quelques phrases obligcantes pour les
ministres, et les congédia, 1\1. de Talleyrand sortit tres-animé
du cabinet du Roi; il dit assez haut en s'adressant a ses colle-
gues: « Nous avons été joués, e'est une intrigue de longue
maín. » Le Conseil des ministres se réunit sur-le-champ, 1\1. de
T.lleyrand, qui [usque-la n'avait fait connaitre a ses collégues
que tres-imparfaitemcnt l'état de la négociation avec l'étranger,
négociation qu'il s'était exclnsivement réservée , leur annonca
ce qui venait de se passer au chatean, et qu'il donnait sa dé-
mission, Les ministres sentaient tous la diffieultéde gouverner;
depuis la publieation des ñlémoires au Roi par Fouché , le Ca-
hinet était disloqué; il n'avait plus aueune unité , aucune force
d'opinion. Tous les ministres résolurent done de donner leur
démission; elle fut envoyée dans la journée au Roi, qui se
trouva ainsi sans ministere,


Des que LouisXVIII cut recu la démission de 1\1. de Talleyralld,
il en prévint l'empereur Alexandre, et manda lU. de Richelieu. Le
Iloi avait eontre 1\1. de Ilichelieu une vieille raneune de gentil-
homme; mais autour de lui se groupait un partí aetif, puissant,
qui le poussait a le ehoisir pour ehef du Cabinet; 1\1. de Iliehelicu
résista longtemps; enfin Alexandre l'en pria si vivement , qu'il
dut accepter la présidenee du Conseil. Les amis de 1\1. de Tal-
leyrand soutiennent que l'affaire était depuis longtemps arran-
gée, el que 1\1. de Riehelieu n'était pas étranger al'intrigue ;
je réponds qu'il n'en fut ríen pour 1\1. de Ilicheliou , personne
ne répugnait plus a entrer dans un ministere , pcrsonne n' en
porta le poids avee plus de fatigue; le noble due était incapable
d'une intrigue; mais iI est évidcnt qu'autour de lui se grou-
paient certains honuncs politiqucs qui travaillaient eontrc le
ministere de M. de 'I'allcyraud , ct qui désignaient le due de
Riehelieu, paree que tout mouvcment politique a besoin de se
personnifler dans un honune considérable ; l'empereur Alexandre
fít le reste. Quant aLouis XVIII, il n'aimait pas JI. de Talley-
raud , et ce fut une joic d'cnfant pour lui que de s'en déhar-




CJIAPITRE VIII. 391
rasser ; le Iloi s'était plaint plusieurs fois dans I'intimité a ses
amis, de la maniere de travailler de .M. de Talleyraud ; le pre-
miel' ministre, dans son expression toujours noble, toujours
respectueuse , avait des formes de conseil qui laissaient peu de
liberté aLouis XVIII; il placait tout son travail sur le burean
du Iloi , lui donnait quelqucs explications , et puis se bornait a
lui dire: « Je feraiobserver au Roi que cet acte est indispen-
sable. » Le Roi signait comme une néeessité, mais dans le fond
de son ame il ronqeait son {rein, dans un jour de mauvaise
humeur il dit méme aun homme politique , depuis hautement
placé dans sa faveur: « IU. de Talleyrand a eu les cartes pour
lni jusqu'a présent , mais je lui garde ma belle. )) JI saisit done
avec ernpresscment l'oecasion qui s'offrait , et il joua sa belle.
Pour le ministerc en entier, il était composé d'hommes capables,
supérieurs méme , chacun dans leur spécialité; mais il manquait
d'unité , de confiance mutuclle, et par-dessus tout il n'était pas
en rapport avec les réactions ardentes. Quand un grand mouve-
ment arrive , il chcrche ase former toujours un pouvoir d'hom-
mes modérés pour arréter les flots des passions; mais il est rare
que ce pouvoir no soit pas ernporté , et qu'il ne cede la place
momentanémcnt ades hommes de parti. C'est un cruel épisode
asubir pour les sociétés, mais elles nc peuvent l'éviter. 1\1. le
duc de Richelieu ayant acccpté le miuistere , s'occupa de la for-
mation du Cabinct : c'était une rudo táche pour lui; presque
étranger a la France, il n'en connaissait ni les hommes ni les
néccssités politiquee. Une liste lui avait été communiquée par
lU. le corntc d'Artois bien avant ce changement ministériel;
ene portait les noms suivants : ]'\1. le général Clarke ala guerrc ,
d'Herhouville ou Vauhlanc aI'intórieur, le président de Grosbois
a la justice , Jules de Polignac ou Bourrienne a la police , Du-
houchage a la marine. Le ministcre des íinanccs n'était pas
rempli : on y aurait désiré lU. de Yitrollcs. C'était sur ces entre-
faitcsque !\J. Decazes s'était rendu chez le duc de Ilichelieu dans
le hut de fortifier sa résolutiond'accepter la présidence. .M. Jules
de Polignar , alors choz le noble duc , se retira un momenr , et




392 IlISTOIRE DE LA llESTAURATION.
lU. de Ilichelieu entama une conversation générale sur les diffi-
cultés de sa position; il ne dissimula pasa1'1. Decazes qu'il avait
jeté les yeux sur lui pour le ministere de la police. l\1. Decazes,
étonné de cette hrusque ouverture, répondit d'abord par un
refus, lU. de Richelieu répliqua: ce Qui voulez-vous donc que
je mette? Préférez-vous étre préfct sous Jules Polignac ou sous
Bourrienne, ou meme sous Angles ? » Cette eondition détermina
tout afait 1\1. Deeazes; il accepta. Alors on discuta les listes
ministérielles : lU. de Vaublanc avait une vieille réputation d'As-
semblée constituante ; l\I. d'Herbouville, au contraire, avait
quelques reproches 11. se Iaire sous l'Empire: on préféra 1\1. de
Vaublanc. Pour la justice , l\I. de lUarbois, homme d'une cer-
taine réputation d'austérité , fut également préféré ¿l M. de Gros-
bois. Une dépéche télégraphique porta l'ordre d'expédier de
Lyon un eourrier 11. l\1. de Vaublanc. l\I. Decazes se rendit aupres
d'un de ses amis politiques pour l'informer de la nouvelle com-
binaison ministérielle. Lorsqu'il prononca le nom de lU. de
Vaublanc, cet ami s'écria : ce Qu'avez-vous fait? Vous ne con-
naissez done pas Vaublanc? Quel embarras vous vous créez ! »
Ainsi averti, lU. Deeazes rctourna chez lU. de Riehelieu; mais
la dépéche était partie. 1\1. de l\Iarbois, qui d'abord avait refusé,
accepta dans la soirée. le général Clarke et l\I. Dubouchage
étaient ministres. Onfitquclques insinuations11. M. Louis pour qu'il
restát aux finanees : iI refusa paree qu'il ne voulaitpas se séparer
de ses amis; mais il désigna 1'1. Corvetto conune l'habileté la
plus propre a le remplaccr. Pour donner ~l ce cabinet une cou-
leur plus prononcée , on nomma lU. Bertin de Yeaux , d'une
supériorité d'esprit rcmarquable , secrétairc-général du ministerc
de la police : :\1. d'Ilcrbouville cut la direction-générale des
postes; JI. Taharié, ardent royaliste, fut secrétaire-général ala
guerre sous le général Clarke ; ;\1. de Barante cut Yint.erim du
ministere de l'intérieur, en attendant l'arrivée de 1\1. de Yaublanc;
M. Angles , homme de modération , prit la préfecture de police ;
MM. de Barrairon el de Saint-Cricq , spécialités de bureaux ,
ohtiurent les deux dircctions générales d... l'cnregistremcnt et




CIlAPITRE YIlI. 393
des douanes ; plus tard , l\I. de Barante , n'ayant pu sympathiser
avee l\I. de Vaublane, fut nommé directeur-général des contri-
butions indirectes,


Le Cabinet qui se retirait recut la preuve qu'il n'était pas en
complete disgráce : les sept ministres eurcnt des lettres auto-
graphes du Iíoi pour les remercier de leurs services, Une pre-
miere rédaetion de ces lettres fut faite par M. Bertin de Veaux ;
elle ne plut paso On en concerta une autre; tous les ministres
sortants étaient créés , sauf Fouehé, ministres d'État ; la
plupart recevaient le grand cordon de la Légion-d'Honneur.
1\1. de Talleyrand s'assura le titre de granel chambellan, haute
dignité de palais au traitement de cent millo francs. Ce fut l'objet
d'une assez longue néguciation, l\I. de Ilichelieu contribua a
vaincre les répugnanees personnelles du Roi, 11 dit et répéta
« qu'il était impossible de renvoyer l\I. de Talleyrand comme un
autre ministre; qu'il avait rendu trop de scrvicesa la l\Iaison de
Bourbon en 181h pour qu'on ne lui assurñt pas une grande ré-
compense. » Tout le monde s'en mela, méme le duc de "'cl-
Jington. Quant ¿l Fouché , sentant bien qu'il ne pouvait rester
en Frunce, il avait obtenu de 1\1. de Talleyrand, lors de sa dé-
mission, I'ambassadc de Dresde. JI avait trop I'instinct de sa po-
sitien pour se fiel' aux promessesde garantie royale; il partit sur-
le-champ pour son poste; ses passe-portsétaient préts : quelques
jours apres il aurait été arrété.


l\laintenant il faut dire la portée politique du uouveau Cabincr,
Le duc de Richelicu avaitacquis, par son gouvernement d'Odessa,
la réputatíon d'un administrateur habile. IJ avait commencé sa
vie panni ces gentilshommes aventureux qui étaient allés chcr-
cher la gloire et les dangers dans les rangs des Russes , au siége
d'Ismaíloff 11 s'y était distiugué, et lorsque la révolution éclata,
il continuasa carriere dans les anuées moscovites, jusqu'a ce quc
Alexandre l'appelát au gouvernement de la Crimée et d'Odessa,
te commerce, la prospérité , la vie de eette contrée , jadis sté-
rile, étaient son ouvrage. Il avait acquis la haute confianee et
l' amitié du Czar, qui le visitait souvent et protégeait ses efforts,




.39l! mSrOIRE DE LA RESTAURATION.
Rentré en France, en 1814, il s'était peu melé d'affaires. ]U. de
Richelieu n'avait pas une grande étendue d'esprit, mais une cer-
taine facilité de travail, une sincérité, un désintéressement et une
prohité atoute épreuve. Loyal et toujours noblement inspiré, le
bien du pays fut pour lui une passion. Mais ce pays , il le con-
naissait imparfaitement; le gouvcmement d'un grand royaume
difTérait de l'administration d'Odcssa, Nousétions dans un temps
de crise, en présence des passions déchaiuécs, de ces tlotsd'opi-
nions qui poussent en dehors du vrai et du juste les caracteres
les plus élevés, lU. de Richelieu laissaitheaucoup faire ases col-
legues, se réservant tout entier pour la question étrangere et cettc
délivrance du territoirc, objet de ses généreux eílorts, de ses no-
blcs méditations.


.J'ai maintcnant aparler de lU. Decazes, de cette fortune mer-
veilleuse de la Restauration, de ce jeune homme sorti de la foule,
et qui pendant cinq années domina le Conseil et la pensée de
I ..ouis XVIII. Je remonte al'origine, lU. Decazes, nommé préfet
de police , et comme pour emportcr la clefde la Chambre des Re-
présentants, avait montré de l' esprit, du zele, de l'activité dans sa
surveillance de }'ouché. Le partí royalistes' é tait rapproché de lui ,
a cause des méfiances qu'inspirait le ministre; cette poliel' dans
les mains d'un régicide n'était pas propre a calmer Ieur peur;
Fonché et lU. Decazesne s'aimaient pas; ils étaient en défiance.
Dans le mois d'aoüt 1815, un ministre d'État , alors en grand
crédit de cour , écrivit ~l 1'1. Decazes: (( te Roi n'a pas con-
fiance en M. Fonché; il désire que vos rapports lui arrivent di-
rcctement ; ayez la bonté de me les adresser pour les mettre
sous les yeux de Sa l\Iajesté » ; lU. Decazes s'y engagea. Quelque
temps apres 1\1. de TaUeyrand manda le préfet de police ; il lui
annonra qu' il y avait eu une tentative 'd'empoisonnement sur
l' ompereur Alexandre: ( te Roi est fort inquiet, dit le ministre;
je désire que vous lui rendiez compte de vos démarches ; vous
screz admis dans son cabinet. » lU. Dccazcs alla chez ~I. de Nes-
selrode; l'alarme était dans la maison de l'Empercur, OIl décou-
vrit , d'apres l'analvse , qu'une bouteillc laissée dans I'office du




CIlAPITRE vrn, 395
Czar contcnait une substancc pour ncuoyer les meubles ; la cour
d'Alexandre fut aiusi rassurée , et lU. Decazes se rendit au chá-
teau ; il fut introduit immédiatemeut dans le cabinet, et rapporta
au Iloi le résultat de sa mission. Louis XVIII, qui aimait les
honues nouvelles, en fut enchanté : « Je suis charmé, Monsieur,
d'avoir un préfet de policc aussi intelligent; vous viendrez do-
rénavant me rendre eompte des événements importants de ma
capitule. » 1\1. Decazes lui fit connaitre ce que lui avait éerit, de la
part du Roi, M. de VitrolJes : « Non, et je vous le répéte , point
d'intermédiaire, quand vousaurez une affaire grave, vous me la
communiquerez » : puis, le Roi, avec un ton de familiarité char-
mante , demanda quelques renseignements sur la famille de
IU. Dccazes : « ]~;tes-vous pareut de la bellc madame Caze, femme
da ferll1ier-général?- Non, Sire. -Eh bien, dit le Iloi en sou-
riant,on n'a pas hesoin d'étre le parent d'une jolie femme pour
étre exeellent préfet de poliee. » Depuis ce moment M. Decazcs
chercha par son zele a conquérir l'amitié du Roi; Louis XVIII
aimait la popularité; 1'\1. Deeazes préparait les paisibles prome-
nades; jamais aucun accident n'inquiétait le Roi; de petits rap-
ports allaient souvent I'égayer; cal' Louis X VIII, comme tous les
Ilois , aimait les révélations de poliee. Au dehors 1\1. Decazes
avait acquis une certaine int1uence sur le corps électoral de la
Seine. Dans les élections de 1.815, il était sorti le secoud de
l'urne , tandis que 1'\D1. Hoy, Pasquier, Louis, n'avaient passé
qu'au second tour de scrutin. Esprit poli, exercé, sans avoir les
larges conceptions de I'homme d'État, il en avait plusieurs qua-
lités, ct particulierement le mauiemcnt des honuncs , cette con-
naissauce intime des pctits ressorts qui font agír le cceur hu-
main. 1\1. Decazes ne possédait peut-etre pas l'intelligence des
partis ; mais il savait admirablcmcut s'adresser a l'homme privé,
l'entourer, l' eutraiucr, et par ce moyen aífaiblir les majorités
passionnées. Douéd'une de ces physionomies douces , expansivos,
il était difficile, memo ~l un ennemi, de le voir sans se sentir dis-
posé avenir h lui. C'est le ministre qui sut le mieux manier cctto
corruptiou qui élevc et n'lnuuilic paso Dans son ministere , au




II1STülRE DE tA HESTALHATlO:\:.


ruilieu dr-s agitations publiques, il se lit IIIle opinion et des amis
qui, chosc rarc, ne le quittcrent pas daus la disgráce, Sous le fcu
de deux oppositions extremes, il réunit une majorité dévouée, el
sans partí politique il eut un partí alui. La postérité , impar-
tiale, lui reprochera des concessions trop fáciles aux circon-
stances et au pouvoir, un jeu de finesse trop saisissable, une in-
tcntion de séduire, un désir d'attirer alui tout ce qui le touchait,
et puis, au-dessus de tout, une habitude de rapprocher les hom-
mes, les príncipes, et d'eífacer les aspérités des caracteres qui
sont souventl'honneur pour les partís,


JU. le général Clarke, ministre de la guerre, quelques jours
avant le 20 mars , avait une haute intelIigence de 1'administra-
tion de ce vaste département avec tous sesdétails ; homme privé,
iI n'était point pcrsécuteur ; mais, appelé au pouvoir conuue
expression d'un parti , il fut obligé d'en subir la loi. Il avait
donné de .grandes preuves de dévouement aux Boyalistes ; la
défection de l'armée l'avait profondément ulcéré; il était d'au-
tantplus sévere pour la foi d'un serment, qu'il l'avait tcnu avec
honneur; i1 se montra d'une rigueur extreme envers l'armée
impériale , décimée par les catégories. 31. de Vaublanc avait


. alors une helle réputatiou d'administrateur, Lougtemps préíet
dt~ la Moselle, il y avait Iaissé d'exccllents souvenirs ; il veuait
d't'lre nonuué préfet des Bouches-du-Ilhóne, OU il avait moutré
le plus ardent royalisme el de la capacité. J)(~j~l il était désigué
a Gand pour le ministere de l'iutérieur par les aiuis de l\!Oi\-
SIEUH. lU. de Vaublanc arriva précédé d'une inunense réputation.
Il avait une probité incontestable; une carrierc d'honncur ;
on ne pouvait lui disputer son zelc pour le bien public , une
certaine habitude d'administration , une bienveillancc pour
tous, mais une vanité extreme qui s'étcndait a la tribuue ,
aux aris , a la science! Quandj'aurai aparler de lU. de Yaublanc
comme de tous les pcrsonnages de la Hestauration, je séparerai
l'honune politiquc de l'honune privé; je pourrai rapporter quel-
ques traditions de bureaux sur les ridicules administratifs d'un
ministre, maisje respecterai les cheveux blancs et les longs ser-




CHAPITRE VIII. 397
vices rendus au pays. 1\1. de Barbé-Marbois était un homme a
visage austere , amanieres seches et roides, d'une haute pro-
bité, mais, aufond , d'une faiblesse, d'une timidité extremes, ce
qui l'avait fait surnommer le roseau peint en [ero 11 allait se
charger d'un pesant fardeau, celui du ministere de la justíce ,
dans un temps de réactíon, lU. de 1\1arbois se montrait tout afait
complaisant pour les opinions ro yalistes, et jamais pourtant il
ne put apaiser les répugnances qu'avait pour sa personne la
majorité de la Chambre de 1815. Cela tenait aux opinions ar-
dentes de bonapartisme de sa fílle , Mme Lebrun, dont les
paroles imprudentes appelaient perpétuelIement, comme on le
disait avec esprit, l'application de la loi sur les cris séditieux
dans le propre salon de 1\1. le Garde des sceaux. Cela se ratta-
chait encore au protestantisme de 1\1. Guizot, secrétaire-général
au ministere de la justice, ce qui pouvait difficilement se ra-
chetet aux yeux d'une majorité catholique. M. Corvetto, cé-
lebre avocat aGenes, conseiller d'État fort distingué sous l'Em-
pire, remplacait dignement, pour l'ordre et la capacité, l\'J. le
baron Louis; il avait des ressources dans l'esprit, de la finesse
dans le jugement; sa probité était irréprochable; mais il avait
une grande indulgence pour des négociations occultes qui se fai-
saient autour de lui et ne compromirent que trop souvent le comte
Corvetto. Le budget si difficile de 1816 est un monument qui
restera; cal' il contenait le germe de toutes les grandes idées de
crédito Enfin, rien ne peut se comparer a 1\1. Dubouchage,
ministre de la marine, vieil officierde génie , de quelque esprit,
mais sans aucune espéce de capacité. C'était une création de
1\1. le comte d' Artois, le résultat d'une inspiration des ses
conseils. Ce ministére, tel qu'il était composé, devait sa forma-
tion presque exclusive ala conr et al'opiníon royaliste. Toute-
fois le refus de subir 1\1. de Grosbois, el la préférence donnée a
1\1. Barbé-Marbois , avaient déja soulevé contre le ministere bien
des orages. Le pavillon Marsan comptait sur une modification
d'avenir qui aurait fait sortir du Conseil 1\11\1. de Barbé-ñlarbois
et Corvetto pour y faire entrer 1\1. de Grosbois et M. de Vitrolles.


1. 34




398 JIlSTOIRE DE LA RESTAVRATION.
1\1. Decazcs n'était point comprisdans laproscription du pavillon
Marsan ; on le maintenaitdansle nouvcau changementdont ¡UO:.\"-
SIEUR préparait le succes ; on le considérait comme un ministre
ardent de royalisme !


Ce n'était pas tout : les partís ont d'impérieuses exigences. Un
ministre qui arrive aux affaires , comme l'expression d'une opi-
nion extremo. est soumis a des conditions t et par la force des
ehoses , une fois en possession du pouvoir, il ne peut qu'impar-
faitement contenter son parti l On ne voit pas dans les affaires
commeau dehors, et des qu'on les touche , on se sent vivre dans
une sphére de raisonet de modération; il Y a mille difficultés a
vainerot mille obstacles ahriser, La violence se trouve comme
enlacée sousune multitude de petites chaines , et c'est ce qui fait
que tant d'hommes de parti sont devenus modérés lorsqu'ils ont
pris un portefeuille; c'est ce qui expliqueégalement comment les
partís ont abandonné leur chef arrivé aux affaires: cal" si les
hommes sé modifient, les opinions demeurent inflexibles avee
leurs folies. Le pavillon Marsan n'était pas eependant le seul eu-
nemi que le ministere allait avoiren tete; il avaitencoréa con-
tenter une Chambredont la majorité avait été élue sous les vives
ímpressions des comités royalistes, Cette charnbre était convo-
quée pour le 24 septembrc, Lorsqu'il fut question d'un chango-
ment ministériel , ellefut prorogéesuccessivementjusqu'au 7oc-
tobre. l\Iais avantd'examincr quels étaient l'esprit et la tendance
de ce pouvoir politique, j'ai besoin dejetcr un coupd'oeil sur
l'état des opinions de la France et de l'étranger,


Dans les premiers mois de la restauration de 1815, on ne
saurait dire combienil est curieux de suivre lapresse étraugere;
je ne parlerai qu'en seconde ligue des journaux de France sou-
mis a la censure de Fouché, journaux alors timides, circonspects
el laissant apeine échapper une opinión ou un fait. Trois es-
peces de journaux étrangers s'occupaientdes affuires politiques :
les feuilles anglaises , libres comme cctte grande constitution,
les journaux belges , les gazcttes de Francfort et d'Aix-Ia-Cha-
pelle. sous I'influence de l'Autriche ou de la Prusse, Les jour-




CHAPlTRE VIII. !gg
naux anglais suivaient diverses lignes. Le Times, qui depuis a
pris une couleur libérale , s'était fait le plus grand ennemi des
hommes de la Révolution et des Cent-Jours, sous l'influence des
royalistes francais, « Le Roi, disait-il dans un artícle du 13 juil-
jet, aurait do entrer a París a main armée, livrer ala justice les
principaux rebelles et les faire pendre en place de Gréve , depuis
Labédovere jusqu'a Benjamin-Constant : c'était le seul moyen
de garantir la tranquillité future de la "France et de l'Europe.


.Quand nous voyons, disait-il eneore , des hommes tels que
Carnot et Caulincourt, se montrer et méme tenter de conserver
leur pouvoir, nous ne pouvons nous empécher de craindre que
l'on ne néglige en Franco ce systeme de justice ímpartiale et
rigoureuse , qui seul peut aífermir la tranquillité de ce pays, et,
par conséquent, celle de l'Europe. Sa lUajesté Trés-Chrétienne
a promis , dans sa proclamation, de réeompenser les bons et de
laisser tomber la punition des lois sur les coupables; I'Europe
attend que cette promesse soit remplie. Les Bonapartistes con-
servent toujours trop d'influence. Nous voyons élever a un poste
éminent lU. lUolé, qui non-seulement a cumulé des places et
des dignités pendant l'empire de Bonaparte, lorsque celui-ci était
reconnu par la plus grande partíe de l'Europe , mais qui encore
l'a servi avec zele depuis sa derniere usurpation. Ces choses
confondent nos idées sur le juste et l'injuste. L'ex-tyran , l'ex-
rebelIe est enfin dans nos mains. Bonaparte a été forcé de se
rendre au eapitaine Maitland ; c'est un criminel qui s'échappe
de son pays pour tñcher de se sauver dans un autre, 00 il eroit
n'étre par attcint par les lois. Peut-il y avoir un doute sur ce
que nous devons faire de lui? nous devons le livrer ~t la justice
de son Souverain offensé. Au surplus, si Bonaparte n'est pas
livré ason Souverain, il pourra toujours étre jugé en Angleterre
comme meurtrier du capitairie Wrigh], JJ A l'occasion des listes
de proscription du 24 juillet , rédigées par Fouché, le Times
disait encoré : (e Nous voyons avec plaisír que le roi de Franco
prend enlin quelques mesures de vigueur; les trois ordonnances ,
qui commencent ou préparent la puuition des infames complices




400 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
de Bonaparte, ont trouvé ici une approbation unanime : seule-
ment on regrette de ne pas y voir figurer quelques noms de plus.
Il faut voír maintenant si les ordonnanees seront fidelement exé-
cutées, C'est de la que dépendront la prospérité et la tranquillité
futures de la Franee; nous pensons que Savary, Lallemand et
les autres traitres qui sont avec Bonaparte, doivent étre livrés a
la justice francaise ; ils vont étre fusillés pour apprendre aNa-
poléon Bonaparte que la rébellion et la trahison sont des crimes
dignes du dernier supplice. » Enfin le Mornitu; Post, l'organe
de la vieille aristoeratie, discutant la nécessité de la restitution
des biens aux émigrés , disait : « JI faut que les Bourbons réta-
blissent la noblesse et les paysans sur l'ancien pied, Aprés l'ex-
pulsion des Stuarts, les paysans attachés aux anciens seigneurs
persistérent a voir avec horreur les nouveaux possesseurs de
leurs titres; que les nouveaux riches deviennent a.leur tour de
pauvres émigrés, et aillent mendier leur pain dans toute l'Eu-
rope. })


. Ces articles étaient moins l' expression des opinions populaires
en Angleterre que le résultat des démarches de quelques émigrés
írancais, 1\IADAME était restée a Londres jusqu'au 17 julllet,
1\1. de Blacas , 1\1. Lynch et le duc de La Chátre, voyaient beau-
coup les ministres; en Angleterre, il est de regle que les feuilles
publiques ouvrent leurs colonnes pour certains subsides, et l'on
doit croire que les émigrés ne négligeaient rien pour obtenir la
grande influence de la presse. D'ailleurs les haines nationales
entre les deux peuples existaient avec les souvenirs de leur an-
tique vivacité. Ce quí est plus remarquable, et ce qui dénotait
plus particulierement les idées du Cabinet de lord Castlereagh,
c'est que le Courrierne s'écartait pas des déc1amationsdu Times
sur la nécessité , en France, d'une administration sévere et im-
placable. « Il ya, disait-il , des bornes ala cIémence; n'existe-t-il
pas des crimes que l'intérét de la Frailee et de l'Europe ne permet
pas de Iaisser impunis1 Faut-il que la loyauté et la fldélité soient
les seules asouffrir des désordres provoqués par les traitres? La
fermeté et la sévérité ne sont pas des crimes ; le juge se con-




CHAPI·TRE VIII. l~Ol
damne luí-méme en acquittant des criminels. )) Le Britisli Presse
et le Mominq-Chronicle restaient seuls armés pour défendre un
systeme de modération. « 11 couvient maí , disait le premier de
ces journaux aux personnes de ce pays , si éloigné du théátre
des événements, de censurer la politique de Louis XVIII. Sa Ma-
[esté a autour d'elle plusieurs hommes d'État habiles et désinté-
ressés qui dirigent avec bonheur son Gouvernement. )) - « Quoi
que disent et fassent les amateurs de potence et de bücher, con-
tinuait le Morning-Chronicle, notre siécle est celui des compro-
mis. Il parait que les alliés eux-mérnes ont engagé Louis XVIII
asuivre un systéme de conciliation, aéloigner les partisans trop
ardents de l'ancien régime, et a s'entourer d'hommes dont les
noms soient des garanties contre toute réaction. » Le Statesman
considérait comme une folie et un crime de renouveler, sans
autre garantie, le traité de Paris de 1.81.4; il annoncait qu'un
noble lord avait démontré au chef du ministére anglais la néces-
sité de réunir au royaume des Pays-Bas toute la chaíne des for-
teresses francaises depuis Dunkerque jusqu'a Luxembourg :
« On parle, disait-il , d'un plan de démembrement de la France.
L' Autriche prendra la Franche-Comté; la Confédération , l' Al-
sace; la Sardaigne, la Provence et le Dauphiné; les Pays-Bas ,
les frontiéres du nord. »


Ce projet d'une grande cession de territoire par la France
était particulíerement soutenu par les journaux prussiens d'Aix-
la-Chapelle. Le Mercure du Bhin , organe des intentions se-
cretes d'une partie de la coalition, mettait toujours l'Alsace sous
la rubrique d' Allemagne; l' Oraclc de Bruxelles usait de la
méme licence pour les villes frontieres du Nord; tous ces jour-



naux se réunissaient pour dire : « La France nous doit une par-
tie des frais de la guerre; au lieu de nous les remhourser en
argent, elle peut nous céder des lisieres de territoire. L' Angle-
terre s'est engagée apayer au royaume des Pays-Bas une somme
considérable pour le défrayer des constructions des fortcresses
nouvelles qui doivent le mcttre a l'abri d'une invasion, L' Angle-
terre serait dégagée d'une partie de ce fardeau si le royaume




402 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
des Pays-Bas acquérait un certain nombre de forteresses depuis
Dunkerque jusqu'a Givet.» 11 a faHu montrer cette action puis-
sante de la presse étrangere pour en tirer, sinon une justifica-
tion, au molns une explication de la conduite des ministres
signataires des ordonnances du 24 juillet, et négociateurs des
traítés de 18i5. Comment suivre toujours une ligue modérée
au milieu de ces passions ameutées non-seulement en France ,
mais en Europe? Comment conserver intacts l'honneur du pays
el l'intégrité du territoire, lorsque les ennemis se montraient si
impérieux , si implacables! Les journaux francais étaient sous
la double main de la censure de Fouché et de l'arbitraire de
ses bureaux. Pour assurer plus particuliérement encore l'in-
fluence du Gouvernement ,Fouché appelalt sans cesse aupres
de lui les directeurs et rédacteurs des feuilles périodiques , les
"engageait par des promesses ou par des menaces a suivre
la ligue qu'il leur indiquait. La presse, si ardente dans les
temps ordinaires, au milieu des circonstances habitueHes, pou-
vait alors avoir une action désastreuse sur la marche générale
des affaires. Les passions étaient en préseuce , la guerre civile
préte aéclater, et puis , les étrangers avec leurs exigences! Un
nmbassadeur, un officier-général de l' arrnée d' occupation se
croyait-il blessé , le ministre de la police se trouvait invité a
supprirner la feuille trop hardie ; comment faire entendre au
haron de l\1uffiing, parexemple, quelques idées exactes sur
I'indépendance des journaux! Apres les Cent-JoursvParis avait
été inondé de feuilles , de publications nouvelles ; outre les grands
journaux qui se divisaient encere par masses d'opinions , roya-
listes et Iíhérales, il avait paru une multitudc de petites feuilJes.
IJe succes du Nain Jaune avait enfanté une myriade d'enfants
hátards, des nains de toute couleur, danS Iesquels l'esprit fran-
cais se montrait avec ses formes vives, sémillautes ; tous cher-
chaient aéchapper a la censure par le format, par les époques
de publication. La censure se faisait alors d'une maniere forte,
impitoyable , mais plus élevée que sous le régime de '1814. Il
était rare de voir pcreer dans les Ieuillcs de ecuo époque qud-




CHAPITRE VIII. 403
ques-unes de ces passions saillantes , de ces atraques trop vives,
si propres aexciter les haines de partis. 1\1ais tel était l'eífet des
passions politiques , que les écrivains oubliaient les malheurs
du pays pour se jeter dans les récriminations les plus insen...
sées ! Leshardiesses allerent ace point, que la censure fut bra...
vée , et qu'alors Fouché se vit contraint de retirer toutes les
autorisations aux [ournaux par son ordonnance du 8 aoüt,
(( L'expérience, disait-il , ne peut laisser aueun doute sur les
maux que les journaux produisent, ni sur le danger de leur :
laisser une liberté absolue. Chaqué jour ils nous eompromettent
avec les étrangers, et, en réveillant les défiances, ils déconcertent
les généreux efforts que fait Votre l\Iajesté pour réunir les
esprits et fermer les plaies de I'État. » Une commission de cen...
sure fut composée de MM. Fiévée , de Torcy, Pellene, Auger
et Mutin : M. Fiévée refusa,


Cettemesure s'identifiait avec la tendance générale de la
presse; elle se justifiait surtout par la situation des affaires, et
par l'allure des journaux royalistes particulierement , expression
d'un parti victorieux et puissant. Déja une mesure partielle
avait été prisc al'occasion d'un article que l'Indépendam avait
puhlié sur l'innocence de 1\1. de Labédoyére. Ce journal fut sup-
primé. ñlais telle était la force du parti royaliste, que la censure
ne put parvenir arayer l'article suivant publié par le AJlemorial
reliqieiuc : « Il [out en finir3 avecune minorité factíeuse , turhu-
lente, ennemie de l'ordre et de la paix, ennemiedu tróne et de
l'autel , cnncmie de la Franco et d'elle-méme, Il [aut en finir3
avec des gens qui veulent sans cesse recommencer les troubles
et les révolutions. 1l [aut en fini1'~ avec des frénétiques qui fini-
raient par tout perdre , si l'ceil de la police n'étaít partout ou-
vert, le bras des gendarmes partout prét ales saisir, le glaive
de la loi partout prét ales frapper, 1l [aut en finiJ'~ avec d'ínso-
lents Iactieux qui crient quand on les ménage, et qui se tairont
quaud on ne les craindra plus. 1l [aut en finiJ'. Que la loi punisse
alee une sage lentcur les crimes passés , mais qu'elle atteigne
commc la Ioudre les crimcs r\ venir. Oue cette loi soit Corte ct~




404 HlSTOIRE DE LA RESTAURATION.
fortement exécutée. Il [out en finir. C'est a la partie saine, a
l'immense majorité des Francais , a prouver a l'Europe que
l'énergie n'est pas exc1usivement le partage des méchauts, C'est
par une activité soutenue , par une volonté ferme , par une grande
surveillance , que nous assurerons notre honneur, notre exis-
tence , notre reposo »


Aprés la mesure décisive de Fouché contre les journaux , il
exista a peine quelques feuilles libérales; la grande puissance
d'opinion fut concentrée dans le Journal des Débats, d'un
royalisme sincere, mais ardent, qu'épurait le talent élevé de
ses rédacteurs; la Quotidienne, sous la direction de 1\HI. Rip-
pert et Malte-Brun, cherchait asurprendre a la censure quel-
ques articIes d'un royalisme passionné ; la Gazette de France,
qui s'était un peu compromise dans les Cent-Jours , cherchait
a réparer sa faute; enfin le Journal Général restait avec son
allure d'ancien régime en toute sa pureté, C'était une tache
immense pour le ministre de la police de retenir une opi-
nion victorieuse dans les écarts et les exigences du triomphe.
La publication des brochures était libre, mais sous une fatale
responsabilité; il Y avait toute liberté de parler pour 1\1. de
Salvandy défendant les mousquetaires; pour l'adjudant-général
Dubourg demandant une épuration royaliste dans l'armée, la
formation d'une garde royale, et un comité militaire oú entraient
1\11\1. de Bruges et de PoJignac; pour 1\1. Michaud improvisant
l'histoire des Quinze-Semaines; pour 1\1. Suleau, jeune Thucy-
dide des hauts faits de M. d'Angouléme dans le 1\1idi; pour
1\1. Désaugiers oubliant son esprit et sa verve dans des couplets
froids sur les événements des Cent-Jours, pour de plats libelles
sur Napoléon et Murat , raoisseurs d'une jeune [emme , pour
l'éternel 1\1. GaIlais, écrivant I'histoire des Cent-Jours; pour
tous les grands et petits faiseurs de dithyrambes en l'honneur
des allíés , de iH. le comte d'Artois ou de ~lADAME ROYALE ; mais
toute hrochure un peu plus hardiment peuséeexposait son auteur
ades arrestations, ades exils , surtout ti l'époque OÚ les minis-
tres furent autorisés par la loi ti arréter tont individu suspect.




CHAPITRE VIII. 405
tes salons étaient alors dans toute leur vivacité; on ne peut


se {aire une idée des choses singulléres et quelquefois cruelles
que l'on disait alors dans les salons si élégants et si purs du fau-
bourg Saint - Germain; les principales réunions avaient lieu
chez la princesse de la Trémouille, les duchesses d'Escars, de
Roban et chez l\ladame de Duras: la venaient aboutir de jeunes
officiers, nobles rejetons de vieille race; beaucoup d'officiers-
généraux des allíés , de jeunes femmes exaltées, des douairiéres
si spirituellement causeuses; quelques seigneurs de la haute do-
mesticité des Tuíleries , des pairs de France, quelques prélats; et
c'est dans l'action du whist, au miJieude lapolitesse et de la galan-
terie que ron discutait les moyens de ralfermir la religion et la
monarchie. La société libérale et bonapartiste était dispersée, ses
chefs proscrits et ses salons déserts; mais elle avait de l' écho
dans le bas peuple, dans les faubourgs. Quelques écrivains res-
taient encore; il Y avait entre eux ces épanchements que l'op-
pression ne peut jamais éteindre. On se voyait dans les cafés,
dans les cabinets littéraires; on se communiquait, dans l'inti-
mité, des projets, des espérances: le peuple, qui n'a pas be-
soin de tant de précautions, s'épanchait plus ouvertement.
Paris était rempli d'officiers en demi-solde arrivés de l'armée de
la Loire; on en faisait évacuer autant que possible, mais il en
rcstait toujours un nombre suffisant pour propager parmi le
peuple l'esprit de révolte contre le Gouvernement et de haine
pour l'étranger J..a Banque demi-libérale était appelée a rendre
de grands services a l'État , et son influence s'agrandissait par
les secours qu'elle prétait a l'accomplissement des emprunts; la
Banque olfrit le plus fort appui a la liberté; elle servit d'inter-
médiaire, de transition, pour conduire le Gouvernement dans les
voies constitutionnelles. La classe bourgeoise et marchande avait
été d'ahord humiliée de la présence des alliés; mais l'exacte
discipline qu'avaient maintenue les chefs, l'énorme dépense
qu'ils faisaientdans la capítale y avaient amené un luxe, un bien-
étre dont on n'avait pas d'exemple. SI les provinces étaient épui-
sées par les réqnisitions sans nombre, par les impóts , les em-




406 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
prunts, París devenaitun puissant absorbant. Telle est l'influence
d'une civilisation avancée, que les étrangers dépensaient plus
d'argent qu'ils n'en retiraient par leurs contributions. Les théá-
tres, les cafés, les lieux publics, les marchands décuplaíent leurs
recettes habitueIles; tous les jeunes officiers avaientdesmaitrcsses
coüteuses, des loges aux théátres, des diners chez Véry. C'est de
cetteannée 1815 quedatent la plupart desfortunes marchandesde
la capitale. On ne peut, en eifet, s'imaginer l'immense dépensedes
chefs des armées coalisées : le grand-duc Constantin et son frere
laisserenta Paris 1500000 roublesdansl'cspace dequarantejours;
Blücher, qui recut environ trois millions du Gouvernementfran-
cais, engageasesterres etpartit ruiné par lesmaisonsdejen. Alexan-
dre , l' empereur d'Autriche et le roi de Prusse, avec Ieur sim-
plicité militaire , ne pouvaient arréter ce luxe et ces dépenses
d'archiducs, de princes, d'aides-de-camp , d'officiers qui, dans
nos villes deplaisirs, oubliaient la guerre et la patrie.On ne
peut compter les familles anglaises qui vinrent alors a Paris;
le Moming-Clt1'Onicle en porte le nombre adeux milIe. Le duc
de 'Vellington occupait l'hótel de la Reyniere , donnant ses au-
diences et y recevant bonne compagnic; c'était ccpendant chez
lord Cathcart , a l'hütel d'Abrentes, qu' avaicnt Iieu les grandes
réceptions; lord et lady Castlereagh demeuraient a l'hótel de
l'ambassade anglaise, faubourg Saint-Honoré; il Yavait cercIe
tous les soirs chez lady Castlereagh ; lord Stewart habitait l'autre
coté de l'hñtel de l'ambassade. Parmi les Anglais de distinction
qui étaient arrivés a Paris on distinguait le duc de Devonshire,
le marquis de Camden, la duchesse de Rutland, le lord l\1im-
ners , le comte Darnley, lord Arthur Hill, sir Sidney Smith.
C'était une modeaLondres de venir habiter Paris, et les meres,
dit le Courrier, envoyaient leur filIe pour y trouver un établis-
sement. Les Parisiens voyaicnt avee étonnement ces groupes de
jeunes ladys scules chez les restaurateurs, ces Anglais prenant a
cheval des glaces chez Tortoni , en un mot ce monde fashio-
nable el confortable qui depuis a été partout imité.


Si París s'enrlchissait par la présence de cetre société hril-




CHAPITRE vnr. 407
lante , il n'en était pas de méme de la province. Les armées al-
liées étaient ainsi partagées : Le quartier-général de l'armée
prussienne était aCaen, oü Blücher avait été recu avec conve-
nance par lU. le duc d'Aumont; cette armée devait occuper le
Fínístére , le lUorbihan, les Cótes-du-Nord , la Manche, l'Ille-
ct-Vilaine, le Calvados, l'Orne , la lUayenne, la Sarthe, l'Eure-
et-Loir, la Seine-Inférieure, l'Eure , Loir-et-Cher, l'Indre-et-
Loire, l\laine-et-Loire, la Loire-Inférieure jusqu'a la rive droite
de la Loire; elle faisait sa jonction avec l'armée anglaise dans le
département de Seine-et-Oise. Le quartier-général du duc de
'Vellington était a Paris ; l'armée anglo-batave occupait une
portion de la Seine-Inférieure , sur la rive droite de la Seine,
Seine-etlUarne, l'Oise , le Nord, la. Somme, le Pas-de-Calais,
La grande armé e russe, sous les ordres du feld-maréchal comte
Barclay de Tolly, avec son quartier-général aMelun , devait oc-
cuper la Seine-et-Marne pour se joindre a l'armée anglaise , et
de plus, l' Aisne , les Ardennes , la Mame, la l\Ieuse, la ñloselle,
la Haute-Mame et l' Aube. Auxerre était le quartier-général du
prince de 'Vrede; l'armée bavaroise occupait le Loiret, I'Yonne,
la Nievre , les Vosges, et se réunissait par la Haute-l\Iarne aux
Ilusses de Barclay de Tolly. Les 'Yurtembergcois devaient
s'étendre dans le Puy-de-Dóme, Le prince Schwartzemberg avait
établi son quarticr-général aFontainebleau ; ses deux nombreuses
armées étaient ainsi divisées : celle du Haut- Ilhin devait occu-
per le Cantal, la Lozere , Ü! Gard, la Loire , la Haute-Loire, les
Bouohes-du-Ithóne , Yaucluse , les Basses-Alpes et le Val' ; l'ar-
mée d'Italie , les départements de la Cótc-d'Or, Haute-Saóne ,
Saóne-et-Loire , Jura, Douhs, Ilhóne , Ain, l\Iont-Blanc, Isére,
Ardechc , Dróme , Hautes-Alpes. Enfin, pour compléter cette
vaste occupation, les Saxons et les Badois prenaient possession
du Haut et du Bas-Ilhin, Aucune des provinces de France n'évitait
l'occupation: toutcs en supportaicnt le poids, Dans plusieurs dé-
partements la guerre se prolongeait encore; au nord, Condé el
Maubeuge n'avaient pas fait Ieur soumission méme dans le mois
d'aoüt ; dans l'Alsace, l'incendie consumait des villages entiers ;




408 HISTOIRE DE LA RESTAURATlüN.
les paysans des Vosges étaient en armes; Huningue , sous le te-
nace Barbenegre , bombardait Bale et refusait d'arborer tout
autre drapeau que les trois couleurs; les généraux Rapp, Le-
courbe prolongeaient les hostilités; l' Auvergne était traversée
en tous sens par des bandes armées, par la cavalerie du général
Vandamme; les soldats de la Loire, mécontents, apres leur dis-
solution par le maréchal ñlacdonald, retournaient lentement dans
leurs foyers; au l\1idi, le général Clausel , le corps du maréchal
Suchet menaeaient les habitants par des réquisitions d'argent et
de vivres. Tous ces efforts isolés, toutes ces tentatives faisaient
dire aux alliés qu'il n'y avait pas moyen de pacifier une telle na-
tion. Dussions-nous étre accusés de parler contre la gloire fran-
caise , nous dirons que ce qui contribua le plus aux dures condi-
tions du traité de Paris, ce furent les efforts inutiles de quelques
généraux pour défendre certaines positions militaires, qui por-
térent les alliés a exiger la cession de plusieurs villes et la démo-
lition des fortifications d'Huningue.


Le Midi supportait moins le poids de l'invasion , mais il était
déchiré par une réaction violente. Une premiere question histo-
rique se présente. Les massacres du Midi furent-ils organisés?
l'ordre arriva-t-il d'un centre commun? faut-il en accuser eette
administration occulte et cette main invisible qui poussa le Gou-
vernement ade si grands excés? A cela je réponds nettement
qu'iln'en fut rien. Les meneurs du parti royaliste furent impla-
cables dans les poursuites judiciaires; ils les provoquerent, Les
esprits les plus élevés de ce parti ne purent se défendre de cet
entrainement; et 1\1. de Cháteaubriand lui-méme, présídent du
collége électoral du Loiret , disait au Roi : « Le moment est venu
de suspendre le cours de votre inépuisable clémenee; vous avez
saisi le glaive que le Souverain du ciel a confié aux puissants de
la terre pour assurer le repos des peuples. » ñlais les Royalistes
ne commandéreut pas de massacres; le cceur se refuse meme a
croire qu'ils y applaudirent. J'explique les faits : dans les Cent-
Jours le parti royaliste s'était admirablement organisé dans le
l\lidi : l'administration faible, incertaine des préfets avait Iaissé




CHAPITRE VlII. 409
se former des associations qui correspondaient les unes aux au-
tres sous la direetion de comités supérieurs. tes arrnementsfaits
par 1'1. le duc d'ángouléme lors du débarquement de Bonaparte
avaient mis a la disposition de ces comités une certaine force
qui, sous le nom de compagnies franches, de garde urbaine, de
compagnies de volontaires, se tenait préte au premier signal, Les
réfractaires, soit de la conscription, soit de la garde nationale
mobile, avaient augmenté ses Corees. On attendait en silence la
nouveIle de l'invasion étrangére pour briser les faibles liens qui
retenaient encore sous les autorités impériales, Ces autorités sou-
vent incertaines, sans énergie, blessaient les afTeetions des masses
sans avoir la fertneté de réprimer leurs écarts, te Gouverne-
ment le plus menacé est celui qui , ofTensant les susceptibilités
du peuple, n' est pas assez fort ni assez affermi pour lui inspirer
la crainte ou la confiance. Ensuite, mieux vaut une tyrannie
grande et ávouéeque ces petites persécutions qui fatiguent. Les
partis subissent une main ferme qui les réprime, et méprisent
une autorité capricieuse qui procede par des vexations mesqui-
nes, Tels étaient les préfets dans le Midi, On avaít blessé quel-
ques croyances cathoJiques. A Nimes, aToulouse, dans le tan-
guedoc, la question poJitique s'était faite religieuse. C'était
l'ancienne et sanglante querelle du catholicisme et du pro-
testantisme. A l\Iarseille, cité commercante, la guerre menacait
toutes les existences. 11 y avait surtout haine contre Xapoléon et
le despotisme de I'Empire; les classes moyennes, probes et re-
ligieuses; ce peuple de marins agenouillés, pendant la tempéte,
devant l'image de la Vierge; la multitude flottante de Génois,
de Catalans, tout cela prétait une force brutale et fanatique aux
projets des comités royalistes,


Dans le courant de juin tout était prét dans le lUidi pour une
insurrection. Les comités se tenaient la main de Toulon a l\Iar-
seille, de l\larseille a Aix, Toulouse et Bordeaux; puis, remon-
tant par la Guyenne, ils se rattachaient a la Vendée. Toutes les
montagnes étaient pleines de jeunes hommes armés, de réfrac-
taires J de eompagníes franches, Les autorités étaient sans force


l. 35




410 mSTOIRE DE LA RESTAURATION.
et sans action contre ces menées. Peu de troupes étaieut aleur
disposition, et le petit nombre qui restait dans les villes se livrait
sans contrainte acette vie militaire qui suscite les jalousiesbour-
geoises. L'insurrection éclata a lUarseillc le 25 juin. C'étaít
un dimanche; la population oisive remplissait les églises, Tout
acoup se répand le hruit du désastre de Waterloo , triste 1l0U-
velle venue comme avol d'oiseau en six jours, Le général Ver-
dier, qui commandait le départemcnt, recoit également une dé-
peche télégraphique qui lui annonce l'abdication de Napoléon et
la formation de la commission de gouverucmcnt, Le coup était
porté. Un général ferme et habite eüt répandu la nouveI1e avec
prudence, il aurait pris surtout les précautions militaires que la
position exigeait. Les populations du ñlidi , plus bruyantes que
hardies, craignent l'habit militairc, Le général Verdier avait asa
disposition un régiment d'infanterie, quelqucs escadrons du 14c
de chasseurs acheval, une batterie d'artillerie et une troupe assez
nombreuse d'officiers en demi-solde, Ces derniers, poussés par
leur instinct militaire , se réíugiérent dans l'un des deux forts
qui commandent la ville, et y firent téte pendant quelque temps
aux efforts de la populace furieuse, Pour le général Verdier, il
commit la faute énorme de ne pas s'assurer de ces deux Iorts,
et de s'y maintenir. La vue de cctte population parcourant les
rues, ct dont l'exaspératiou allait toujours croissant, de ces corps
francs arrivant des campagnes, troubla son imagination, II cher-
cha a réunir ses troupes el aopércr sa retraite sur Toulon pour
se joindre au corps du maréchal Bruno et a I'année du Var.. I1
abandonna done la ville dans la soirée du 25. On ne luiopposa
qu'une faihle résistance. Des coups de fusils tirés attcignirent
quc1ques soldats; d'autres, isolés, furcnt assassinés : une eharge
du ilJe de chasseurs sufIit pour ouvrir le passage, L'insurrection
ayant gagné la campagne, la marche des troupes devint difficile
en sortant de Marseille, dont le tcrritoire cst coupé par de petitcs
murailles, a l'abri desquels les corps franes Iusillaicnt impuué-
mcnt la colonne dans sa re traite.


Peudant ce tcmps lUarscille était livrée aellc-mémc et a l'ac-


,




CHAPlTRE HIl. 411
tion du comité royaliste, La cocarde hlanche fut arborée sponta-
nément, te peuplc y était preparé. Le soir, les réactions com-
mencereut. Danslesprcmiers moments oü un parti triomphe il est
toujours indisciplinable; aucune main, quelque puissante qu'elIe
soit, ne peut le retcnir..J'ai la conviction que le comité royaliste
ne commanda p-as les massacres, mais illes vit avec indifférence et
nulle mesure ne Iut prise pour les empécher l Ces compagnies
franches qui assaillirent Marseillo comme une ville prise d'assaut,
ces victimes désignées a leur vengeance , tout cela semblait se
j,úre ~ve\.', ordre, avcc intdligence \ l'.st-il a cxoirc que les pa~sans
agirent tout seuls, que les handes armées ne recurent pas quel-
que ínstruction ! je ne soulcvcrai pas ce.voilc afTreux. Le mas-
sacre dura toute la nuit et toute la journée du lendemain , 26.
On poursuívait les officiers en demi-soldc, les soldats et tout ce
que 1'0n soupconnaít appartenir a l'armée , comme des bétes
fauves : on les égorgeait a coups de sabre et de baionnette. Des
réfugiés mameluks , débris de la campagne d'Égypte , recurent
également la mort. Leurs femmes, leurs enfants furent massacrés
jusque dans le port , OU ces infortunés s'étaient précipités pour
se dérober a la rage de Ieurs bourreaux , qui les achevaient de
loin acoups de carabine ! La plus élevée de toutes ees victimes
fut un homme d'instruction , d'esprit et d'honneur , une nota-
bilité de l\1arseiIle, 1\1. Anglés-Capefigue. Il avait été l'ami de
l\1asséna, de Barras et de plusieurs sommités de la République
et de 1'Empire. Quelque temps préfet militaire en Italie, il s'était
retiré dans sa ville natale. Son crime , aux yeux des assassins,
était ses relations d'amitié avec le maréchal Brune, pendant son
séjour a l\IarseilIe. Chose affreuse adire, cet homme doux, inof-
fensif, fut percé de milIe coups, trainé dans une écurie derriere
sa propre maison OU on l'acheva acoups de sabre! Sa mere pou-
vait entendre les cris de la victime, et moi jc l'aimais de I'amour
d'un enfant; que de fois tout petit ilm'avait conduit sur le rivage
de la mer pour contempler les grandes vagues et jouer avec le
sable brillant : ainsi, a peine au monde, j'appris a détester les
factions ct amaudire les partís extremes. te comité royaliste ne




412 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
prit aucune mesure répressive; elles étaient difficiles, sansdoute,
dans l'état d'effervescence de la population. Mais il connaissait
les chéfs de bandes, il n'ignorait pas quels ressorts les faisaient
agír, Le comité préféra organiser un systéme de défense. Une
garde urbaine fnt mobilisée, des députés envoyés a l'escadre
anglaise demanderent des secours militaires. Bientót le drapean
britannique s'unit au drapean blanc, et des opérations combinées
propagerent l'insurrectíon dans la Provence. Pendant ce temps,
le général Verdier et les troupes sous ses ordres se réunissaient
au corps du maréchal Brune. Les nouvelles qui arrivaient de
Paris jetaient beaucoup d'incertitude dans les mouvements de
cette petite armée. Par quelques marches fortes et décisives , il
eüt été possible de battre et d'étouffer l'insurrection. lUais, les
chefs, les yeux fixés sur Paris, craignaient le dénoüment du
drame. Le parti qu'ils allaient attaquer serait peut-étre triom-
phant dans quelques jours! Le maréchal Brune temporisa et
attendit les ordres de la commission de gouvernement. Il fit sa
soumission pendant les derniers jours de juillet. Dans l'état
d'exaspération des provinces du lUidi, on avait conseillé au ma-
réchal de s'embarquer a Toulon pour le Havre; cette ame mili-
taire repoussa cette proposition comme indigne de la bravoure
d'un soldat; muni d'un passe-port du marquis de Itiviere, il tra-
versa le département du Val' sans accidento C'est alors que se
commit ce crime épouvantable que la justice muette ou tardive
ne put vengel'. Le 2 aoüt, le maréchal était arrivé aAvignon ; il
Yavait alors dans toutes les villes du Midi une espece de police
populaire, indépendante de toute autorité réguliere ; un homme
arrivait muni de ses passe-ports; les fonctionnaires le laissaient
passer paisiblement; mais des individus, autorisés par je ne sais
quel pouvoir occulte, l'arrétaient, lui faisaient subir des interro-
gatoires. Derriére ces autorités improvisées setrouvait une force
réelle, organisée, qui agissait. Lorsque le maréchal Brune arriva
dans Avignon, il fut remarqué par les agents de cette police oc-
culte; il ne put passer outre, et descendit a l'hótel du Palais-
Royal. Reconnu par un de ses anciens officiers, hientót le bruit




CHAPITRE VIII. 413
se répand que Brune est aAvígnon , la populace se rassemble ;
déja commencent des vociférations de mort; l'intervention du
préfet et du maire sont impuissantes; le maréchal se barricade
dans sa chambre; mais le plancher est eníoncé , et les assassins
se trouvent en présence du maréchal. Brune, qui avait vainement
cherché des armes, leur demande ce qu'ils veulent; ils ne ré-
pondent que par des insultes; deux coups de pistolet lui sont
tirés : l'un lui effleure l'épaule, l'autre fait faux feu; alors un
homme exécrable, dont le nom a retenti dans les débats judi-
ciaires, le tua d'un coup de carabine about portante Son corps,
longtemps traíné dans les mes, fut enfin jeté dans le Hhñne,
Ainsi mourut de cette affreuse mort, un général qui avait illustré
les premiéres campagnes de la République, et dont le nom s'était
soutenu avec éclat pendant les gloires de l'Empire. La gazette
officielle annonca 11 que le maréchal Brune, menacé par la popu-
lace d' Avignon , s'était suicidé d'un coup de pístolet, et que des
mesures allaient étre prises pour poursuivre les auteurs de ce
désordre. » C'était une maniere bien froide de mentir. Ce qu'il
y a de positif pourtant, e'est que le Gouvernement ne fut point
informé de la vérité des faits. Le préfet et le comité royaliste en-
voyerent des rapports desquels il résultait que le maréchalBrune
s'était donné la mort. A eette époque personne n'était maitre
des bandes du l\iidi. Il Y a dans toutes les causes armées des
hommes qui les déshonorent; il serait injuste de rejeter sur
une opinion les erimes que ces hommes commettent. C'est
bien assez déjá que l' esprit de parti corrompe tellement le cceur
humain qu'il s'aveugle sur ses exceso Tels étaient les Boyalistes
alors; ils ne commandaient pas ces criminelles actions, mais ils
les voyaient sans horreur. Le Gouverncment ne dirigeait ríen.
Sans armée, sans policc, sans autorité ferme et dévouée, que
pouvait-il empéchcr ? Dans ces jours de deuil, Avignon vít d'au-
tres massacres; des bandes d'assassins jetaient la terreur dans la
ville ; il suffisait d'avoir appartenu par soi-méme ou par sa famille
a l'Empire ou ala Révolution, pour étre dévoué ala mort; des
hommes parcouraient les villes et la campagne arrnés de cara-




414 HISTüIRE DE LA RESTAURATION.
bines; reneontraient-ils un patriote , un vieux soldat, ils l'ajus-
taient , le frappaient sans autre préliminaire , et le jetaicnt dans
le Ilhóne ; alors parurent d'iníámes eélébrités; Avignon eut de
nouvelles glacieres, et ce qu'il y a d'affreux adire, les assassins
trouvaient asile dans des chñteaux royalístes , et un des vieux
noms nobiliaires de la Provence protégea les meurtriers de
Brune ! Il faut s'en prendre au tempsplus qu'aux hommcs.


Des événements plus graves encore se passaient dans tout
le Languedoc, oú les questions religieuses, avee leurs san-
glants préjugés, dominaient dans toute leur force. Les catho-
liques avaient adopté le symbole de lU. le comte d'Artois, La
couleur verte était devenue le type des vraís royalistes, Les pro-
tcstants n'étaient point en force dans les Cévennes désarmées,
Il y eut alors aNimcs et a Toulouse des pillages, des incendies;
l'invasion avait épargné ces heureuses eontrées, la guerre civile
leur fit plus de. mal encore; c'est le caractere des guerres reli-
gieuses de dépasser en cruauté les gucrres politiques, paree que
chaque parti a foi dans le pardon du Dieu qu'il croit servir. Le
15 aoüt , a Toulouse, le général Ramel , commandant le dé-
partement , fut assassiné par la populace. On faisait sur la place
des Carmes une de ces Iarandoulcs , dause hruyante qui précé-
dait les massacres dans le l\lidi; une haude d'assassins poussait
les eris á bas Bamcl ! Le général sort, se préscnte au peuple :
Que voulez-vous a Ilamcl , s'écrie-t-il d'une voix forte ? » Sa
contenance ficre impose a la multitude ; mais a peine est-il
rentré dans son hotel, que la foule hrise les portes et assassíne
le général , a coups de sabre, sur son lit. Itamcl survécut cncore
deux jours dan s d'horriblcs souflranccs, Une proclamatíon fut
la seule démarchc de l'autorité municipalc, ANimes, le hrave
général Lagarde fut hlessé sur la place publique, au moment
oú il chcrchait a réprimer une sédition. Louis XVIII fut vive-
ment frappé de cettc catastrophc, Les Souverains eux-mémes
exigerent des mesures rigourcuses , ct alors parut l'ordonnance
qui prescrivait de poursuivre les assassins du général Lagarde ,
ct imposait , jusqu'a ce qu'ils Iusscnt livrés , des troupes adis-




CHAPITRE VItI. 415
crétion ala ville de Nimes; cette fermeté n'cut pas une longue
durée, La majorité de la Chambre s'intéressa aune ville si ¡Jure
de royalisme! Toutefois l'état des protestantsdans le Languedoc
avait alors vivement intéressé les Puissances alliées ; il s'était
formé aLondresune société acette Iin;' et dans une lettre que
le duc de 'Vellington lui adressa, il lui fit connaitre tout l'in-
térét que le roi de France prenait aux protestants. M. le duc
d'Angouleme, dans ses voyages du l\lidi, recut l'ordre d'in-
viter les ministres luthériens asa table, et d'avoir pour eux les
plus qrands égal'ds.


Dans la Vendée, la guerre civile était terminée par la ren-
trée de Louis XVIII dans la capitale. Les habitants de ces con-
trées n'cn restaient pas moins armés; mécontents de la marche
du Gouvernement, qui n'aIlait pas dans un sens assez pro-
noncé (le royalisme, les agents de 1\1. le comte d'Artois, bien
aises de s'appuyer sur ces forces occultes, avaient refusé toute
cspece de désarmement. L'organisation des paroisses avec leurs
compagnies existait encore, leurs armes étaient cachées , leurs
munitions toutes prétes, Le pavillon Marsan leur faisait dire que
le Roi aurait bientót besoin d'eux, cal' la Révolution n'était pas
vaincue, Les Vendéens répondaient : « Nous n'avons point dé-
posé les armes ni la cocarde sans tache; point de paíx avec les
révolutionnaires. » Ainsi , -au mois de novembre 1815, le parti
royaliste s'appuyant sur leshandes armées du Midi, sur les Ven-
déens , sur l'organisationde ses comités, était plus puissant que
le Gouvernemcnt. C'est ce qui arrive toujours apres les guerres
civiles. Le partí vaincu et sans force n'est pas le plus grand
embarras pour le pouvoir ; c'cst le parti vainqueur qu'il est
difficile de contentcr et de conduire, cal' il est plein de vie, de
fierté et d'exigence.


Cependant les élcctíons étaient accomplies et les députés con-
voqués accouraient a Paris. Toutc Chambre élue aprés une
grande secoussc politiquc est néccssaircmcnt le produit des pas-
sions. C'est alors que l'on voit les capacitesrejetées, et quelques ..
esprits médíocrcs et ardents préférés aux hommes d'expéricnce~<.:


r,.
• f~·




416 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
etd'atiaires. En \.~\.5, Ol\ IwH~ra \e':; déienseurs du trone e\ ue
l'autel. 1\ll\1. de Grosbois et de Sesmaisons eurent des élections
doubles; tout ce qui était ardent triompha. Des la fin du mois
de septembre, un grand nombre de députés élus se trouvaient
réunis aParis. La convocatíon de la Chambre ayant été retardée
de quelques jours, des réunions particulieres s'étaient formées,
et déja on pouvait pénétrer l'esprit, les opinions des membres
influents. A. cette origine de la Chambre , il n'y avait pas de
nuances bien tranchées de ministérialisme et d'opposition. Les
opinions ardentes , réformatrices, avaient évidemment la ma-
jorité de la nou velle Chambre. Elles se divisaient en trois nu-
ances : 1°. celle des gens de talent et d'esprit qui cherchaient la
fortune dans le triomphe des doctrines pour lesquelles ils
n 'avaient point une prédilection particuliere ; 2°. les·meneurs
engagés avec le pavillon 1\larsan; 3°. enfin la tourbe des esprits
exaltés , provinciaux, religieux, qui, de bonne foi, voulaient
et croyaient possible de reconstituer la société et cherchaient a
tout démolir PQur reconstruire sur des bases nouvelles un vieux
régime en dehors de l'intérét de la Révolution si profondément
détestée. La minorité de l'assemblée se formait de deux nuances
confondues dans un désir commun de résistance contre les exi-
gences trop impérieuses de la majorité, La premiere se com-
posait des hommes entendus en affaires , esprits sürs et appli-
cables; l'autre, de cette fraction nommée doctrinaire , a idées
élevées, absolues, mais que les besoins de la position avaient
franchement réunis a la résistance des hommes habiles .et poli-
tiques.


Parmi les Royalistes, gens d'esprit et d'ambition, lU1\1. de
Vitrolles, de Bourrienne, de Laborie. lIs formaient la tete du
parti. 1\1. de Vitrolles, avee ses manieres agréables , sa pro-
digieuse activité, plaisait essentiellement ala majorité. On savait
qu'il était l'homme de 1\1. le comte d' Artois, qu'il dirigeait le
pavillon 1\1arsan, dont il était I'árne, Sa capacité incontestable,
ses idées de vieille monarchie , de pouvoir absolu, développées
avec esprit, saisissaient les imaginations , alors si portées pour




CHAPITRE VIn. 41i
les institutions, les formes et jusqu'a la phraséologie de l'ancien
régime. 1\1. de Bourrienne , moins capable et plus homme de
détail que M. de Vitrolles, visait au ministere de la police , et
méme des finances. Le mauvais état de ses afíaires lui enlevait
un peu de considération au sein de la Chambre, mais il faisait
bien un rapport, il exprimait ses idées avec précision et netteté.
1\1. Laborie qui s'étaít un peu fait l'intermédiaire du parti,
arrangeait les entrevues, les rapprochements, les diners sur-
tout. Cent de ses petites lettres illisibles étaient mises chaque
jour en circulation au profit de la religion et de la monar-
chie. On ne voyait partout que l'inévitable M. Laborie, Une
certaine facilité de style, non dépourvue d'élégance , et sur-
tout d'abondance, lui donnait un relief littéraire parmi les
Royalistes. C'était le grand faiseur de phrases sur les bienfaits
du clergé , sur les heureux résultats des grands et petits sé-
minaires. La seconde fraction royaliste que j'ai indiquée, était
une véritable émanation dé 1\1. le comte d'Artois, c'était le
pavillon Marsan lui - méme transporté dans la Chamhre des
Députés sous lUl\I. Armand de Polignac, le comte de Juigné,
le marquis de la Maisonfort, le vicomte Bruges et Alexandre
de BoisgeIin, qui tous, avec plus ou moins d'esprit ou d'exagé-
ration, exercaient sur la Chambre cette puissance de grands
seigneurs, que leur donnait la familiarité de M. le comte
d' Artois. Ils étaient les intermédiaires entre Son Altesse Royale
et la majorité. Le comte Armand de Polignac paraissait le me-
neur ostensible de cette fraction de la Chamhre, Le marquis de
la Maisonfort en était le doctrinaire politique; e'était un homme
d'esprit faisant la phrase avec facilité. Le plus sage , le plus mo-
déré de tous, fut M. Alexandre de Boisgelin; lié au minístére
de 1\1. de Richelieu, il ne contrariait que faiblement ses vues el
sa marche politiqueo Ce que j'ai appelé la fraction provinciale
composait au moins une moitié de la Chambre. Elle avait adopté
certaines idées sur l'organisation des provinces suhstituées ala
centralisation extreme de l'Empire. C'était une espéce de haine
contre Paris, un besoin de fractionner la France par grandes




418 HI8TüIRE DE LA RE8TAURATIüN.
circonscriptions. tes provineiaux voulaient appcler deux c1asses
de personnes dans les aífaires : le peuple et les riches proprié-
taires, créer ainsi une espece de patronage et de clientele ; la
classe moyenne leur paraissait la fractíon nationale qu'il fallait
le plus éviter, De la leur répugnance pour les électeurs acent
écus, Les ehefs de cette fraction étaient MM. de Bonald, de
Yillele , de Corhieres ct de Grosbois : M. de Bonald, homme de
mceursdouces, remarquable écrivain, et cntrainé par systemeaux
conc1usions les plus extremes; M. de Yillele , encore humhle
alors, montrant dans de longs et eonsciencieux travaux cette
tete prodigicuse pour le détail des affaírcs , commencant des
lors a manier avec dextérité cetro majorité provinciale , qu'il
eoneluisit plus o tard , avec taut d'hahilcté , ¡¡ la trihune et au
vote; lU. de Corhieres Iaisant vioIence, dans cette période de
sa vie , atoutes ses indolcnces, président de commissions, rap-


o porteur habile, et conquérant ainsi une grande réputation de
travail et de capacité. On a déja parlé ele 1\1. ele Grosbois, candi-
dat porté par la majorité pour les fonctions politiques ele la Cham-
breo Autour de ces drapeanx se groupaient toutes les notabilités
provinciales, les esprits courts, passionnés , haincux contre
le siecle. Cette tenelanee aux réactions paraissait animer plus
particulierement lU. de Labourdonnaye , caractere probo et qui ,
par un triste effet des haines politiques , cut alors presque tou-
jours des votes de proscription ; le comte Humbert de Sesmai-
sons, ala parole ardente , impitoyahle; Hyele de Neuville , el'une
fidélité chevaleresque , mais que le hesoin ele parler et de pa-
raitre entralnait sans cesse 11 la tribune une proposition ala main;
1\1. Salaberry ,spirituel quelquefois, et toujours dans une sorte
d'épilepsie contre la Itévolution et ses résultats. Puis venaient
certaines unités parlementaires qu 'iI était difficile ele classer :
1\1. lUichauel, avec son esprit Iéger, épicuricn , dévoué a un
parti dont il plaisantait avec gráce ; ]U. Piet , honnéte homme,
sorte de grotesque parlementaire , qui se jetait dans les ex-
tremes sans savoir pourquoi ; lU. Parelessus, jurisconsulto
instruit, ardcnt par circonstance plutót que par caractere et




CHAPITRE HIJ. 419
par systeme; 1\1. de Bouville , hommc d'un caractere doux , ohli-
geant, souvcnt avec des paroles enflamrnécs ¡l la tribunc, et
pourtant sans haine privée. Toutes ces nuances royalistes for-
maient la grande majorité,


Comme il arrive toujours apres le triomphe absolu d'une
cause, la fraction vaincue n'avait aucune représentation. Ainsi,
aprés 1815, les Patriotcs n'obtinrent que deux voix dans la
Chambre, MM. de Flaugergues et Voyet d' Argenson. La mino-
rité fut une opposition de résistance contre les ardentes opinions
de la majorité, minorité compacte autour de la prérogative
royale; elle avait pour chefs MM. Iloyer-Collard , de Serres ,
Becquey, Pasquier, Dans le principe , elle ne comprenait pas
plus de soixantc-cinq voix.. Elle grandit dans la suite par cette
force de raison et cette puissance de la tribune , qui , meme sous
les coups des partis , entrainent les convictions solitaires, C'était
pour la premiere fois que 1\1.. Boyer-Collard entrait dans la
Chambre. n avait secondé, en '1814, le ministére de lU. de
l\lontesquiou; et les fautes dont il avait été témoin et complice
l'avaient éclairé, l\l. Iloyer-Collard ne maniait pas encore la
parole avec cette haute éloquence qui produisit plus tard de si
grandes et profondes impressions; doctoral, obscur, son mysti-
cismc polítique n'avait point cette élévation entrainautc: mais
un oaractere.éprouvé , l'excellente position qu'il sut prendre
dans la Chambre avaicnt groupé autour de lui un bon nombre
de boules indépendantes. lU. de Serres , ancien officier emigré ,
n'avait retcnu de l'armée dc Condé que l'amour des Bourbons.
C'était uno ümc ardente , passionnée, et en mérne temps une tete
froide, réíléchie. Jamais faculté plus puissante de la parole
n'avait animé un cceur d'homme. Ennemi de tout exces, magis-
trat austere , il s'était séparé de la majorité pour s'opposer ades
doctrines si fatales au tróne et aupays. lU. Bccquey , esprit plus
étroit, appartenait aeette Iraction de l'assembléc législative dont
chaqué memhre est commcmarqué d'un typc partículier. M. Pas-
quier, cn qnittant le ministere , s'était égalcment rangé dans
cette opinion d'ordre el de résistancc aux exceso On n'a poiut ,


..




420 HISTOIRE DE LA RESTAURATIOl\. '
selon moi, assez apprécié les eíforts de cette minorité coura-
geuse, si pleine d'énergie et de talents. Que scrait-il arrivé sans
cette opinion de résistanee dénoncant les excés a la tribune, dé-
fendant la prérogative royale eontre les invasions de la majorité
ardente des Royalistes? Elle ne fit point cette opposition écJatante
qui renverse , mais cette opposition d'alTaires et de modération
qui seule profite au pays, et seule est digne des hommes politi-
queso Croit-on, en vérité , qu'il soit bien difficile de déclamer a
pleine voix a la maniere des trihuns ? Ceci est trop aisé, La mino-
rité de 1815 fit plus: elle alla a son but et I'atteignit. A peine
un an s'était-il écoulé, et le 5 septemhre éclata, En affaires
politiques, le bruit est toujours facile; ce qui l'est moins, e'est
de réussir.


Telle était la Chambre des Députés, Par le double effetde l'épu-
ration du 24 juillet et de la promotion de quatre-vingt-douzePairs,
on pouvait "également eonsidérer la Chambre-haute commerenou-
velée entiérement. Elle allait prendre une nouvelle importance
par I'autorisation d'y siéger qu'avaient recue les membres de la
FamilIe royale et les princes du sango Il pouvait résulter de la que
cbacun des princes, dirigeant seIon Ses opinions la eonduite
parlementaire d'une des Iractions de la Chambre, aurait ainsi
donné une grande force a son par ti politiqueo l\'lONSIEUR seul
eomprit ce role et s'empara d'une puissante influence. La majo-
rité el la minorité dans la Chamhre des Pairs différaient des com-
binaisons de la Chambre des Députés. La modération y comptait
plus de voix. Le systéme de la Chambre des Députés y trouvait
de I'opposition, et la résistance un appui, L'épuration de la
pairie, faite par l'ordonnance du 24 j uillet, avait amoindrile
parti sénatorial dans la Chambre des Pairs , mais i1 en existait
encoré le noyau. Ce parti, sans volonté pour le bien, était pour-
tant incapable de seconder le mal. Il était ennemi de toute réac-
tion qui, tót ou tard , I'eüt atteint. Le pavillon Marsan avait dans
la Chambre haute, comme dans la Chambre des Députés, une
grande et forte expression réunie autour de lUONSIEUR, qui
eomptait , parmi ses plus ardents prosélytes , le comte Jules de




CHAPlTllE VIII. 421
Polignae, les ducs de Fitz-James , de Serent, d'Ilzes et de Gra-
mont, et 1\1. de Chñteanbriand lui-méme. J'auraí quelque peine
dansle cours des discussions de la Chambre des Pairs a rapporter
les paroles de 1\1. de Cháteaubriand. Quelle époque ardente,
aveuglée, que celle-la , puisqu'un ccenr placé si haut, un talent
aussi merveilleux, put se laisser entrainer a de telles opinions !
A cette premiere fraetion se réunissait un grand nombre de
pairs, gens de cour, tels que 1\11\1. de Lévi, de 1\lontmoreney ,
d'Herbouville, et les monarchistes par théorie , l\'1. de Fontanes
et le marquisde Barthélemy, qui eherchaient le repos al'abri du
pouvoir. Cette fraetion de la Chambre, sans engagements bien
fixes, se portait sur l'un ou l'autre coté de la Chambre pour en
faire la majorité. Puis venait la fraetion un peu éclairée des
grands seigneurs : le due dela Vauguyon qui , danscette session ,
préta appui aux idées libérales; le due de Choiseul , alors cepen-
dant moins prononeé qu'il ne I'a été depuis pour l'opposition.
Dans une opinion plus colorée se rangeaient 1\IM. ñlolé,de Lally,
Garniel'; puis enfin la fraction courageuse, mais étroite, et
sans avenir politique , de M1\1. Lanjuinais, Lenoir-Laroehe ,
Lemercier.


C'est en présence de ces deux pouvoirs politiques que le mi-
nistére devait agir. En analysant leurs forees respectives , il était
certain que tous les ministres n'inspiraient pas la méme con-
fiance ala majorité. La Chambre des Députés était tout afait en
rapport d'opinion avee le général Clarke, 1\11\1. de Vaublane, Du-
bouchage, et, en ouvrant la session, avee 1\1. Deeazes; elle était
indifTérente pour 1\1. de Richelieu, et voulait renverser M. de
l\1arbois et 1\1. de Corvetto. Dans la Chambre des Pairs, 1\1. de
Richelieu seul avait de l'ascendant; la majorité lui appartenait ,
cal' elle savait ses succes ct sonzele pour la conclusion de la paix.
On commencaít aconnaitre les déplorables eonditions imposées
par les alliés, Elles pesaient cruellement sur le coeur du RoL Et
iI fallait s'en expliquer dans le diseours de la Couronne, em-
preint d'une teinte si mélancolique : « Les maux qu'une usurpa-
tion éphémére a laissés anotre patrie, disait le Roi en ouvrant


L 36




622 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
les deux Chambres, m' affligent profondément. S'il eút été possible
qu'ils n'atteignissent que moi, j'en bénirais la Providenee; mais
les peines de mes sujets, de mes enfants, pesent sur mon ceeur, et
pour mettre un terme aun état de choses plus accablant que la
guerre meme ,j'ai dü eonclure, avee les Puissances qui occupent
aujourd'hui une grande partie du territoire , une convention qui
regle nos rapports présents et futurs avee elles; vous connaitrez,
lUessieurs, et la France entiere connaitra laprofonde peine que j'ai
dü ressentir; mais le salutméme de mon Iloyaume rendait eette
grande détermination nécessaire , et quand je l'ai prise j'ai senti
les devoirs qu'elle m'imposait. J'ai ordonné que eette année il fút
versé du Trésor de ma liste civile dans celui de l'État une portion
considerable de mes revenus : ma familJe, instruite de ma réso-
lution, m'a offert un don proportionné. J'ordonne de semblablcs
diminutions sur les traitements et dépenses de tous les services,
sans exeeption. Pour donner plus de poids a vos délibérations,
et pour en reeueillir moi-méme plus de lumieres , j'ai eréé de
nouveaux pairs et le nombre des députés des départements a été
augmenté. C'est avec une douee joie et une pleine eonfiance que
je vous vois assemblés autour de moi, eertain que vous ne per-
drez jamais de vue le bien fondamental de la felicité de l'État :
union franehe et loyale des Chambres avec le Iloi , et rcspect
pour la Charte coustitutionnelle ; eette Charte que j'ai méditée
avee soin avant de la donner, et a laquclle ehaque jour la
réílexion m'attache davantage, que j'ai juré de maintenir, et a
laquelle vous tous, a eonunencer par ma familJe, allcz jurer
d'obéir, est sans doute, comme toutes les institutions humaines,
susceptible de perfeetionnement; mais aueun de nous ne doit
oublier qu'aupres de l'avantage de l'améliorer estle danger d'in-
novel'.. » J'ai eu ce discours tout entier écrit de la main du Iloi
sur une petite feuille de papier ~l Icttre , avec cette écriture si
nette qu'il employait a sa correspondance, Le Iloi consultait ses
ministres, convenait avec eux des points principaux du discours
de la Couronne , de la maniere d'euvisager les questions, et puis
se réservant la rédactiou claire , élégantc de Ses discours , il Y




CHAPITRE VIH. ll23
mettait un soin infini : e'était pour lui une affaire littéraire ala-
quelle il attachait de I'importance, méme de style.


Ce diseours excita de pénibles applaudissements. Il régnait
danseette assemblée je ne saisquelle majesté humiliée. Les mal-
heurs de la patrie aceablaient toutes les ames, et eependant l'es-
prit de parti dominait eneore : triste conditíon du cceur humain
qui , méme au milieu des calamites nationales , eherehait des
idées de vengeanee eontre un partí coupahle sans doute des
maux de la patrie, mais dont la proscription ne pouvait étre
qu'une calamité de plus. Pour donner une plus grande popula-
rité a la Couronne et un caractére plus national ala session qui
allait s'ouvrir, le Iloi avaitordonné a tous les memhres de sa fa-
mille de renouveler le sermcnt a la Charte constitutionnelle que
tous avaient prété quelques jours avant le 20 marso Ceci avait
été l'objet d'une longue négociation avee MONSIEUR: ce qu'on
avait fait dans un moment de crise , fallait-il le renouveler dans
des circonstances paíslbles , 011 rien n'obligeait les Prinees apré-
ter de nouveau serment a une Charte dont on allaitd'ailleurs re-
viser les articles? Voila ce que dísaient les hommes du pavillon
Marsan. lU. le prince de Condé se faisait également des scru-
pules; il se disait malade pour no pas assister ala séance royale,
Cepcndant les Souverains alliés exigeaient que les Princes adhé-
rassent formellement a la Charte constitutionnelle, comme un
moyen de conciliation , une garantie que la ñlaíson de Bourbon
devait donner al'Europe. Lorsque les pairs nouvellement élus
furent appelés apréter serment, deux d'entre eux, l\1J\1. Jules
de Polígnac et Labourdonnaye déclarerent que leur conscicnce
s'opposait a la prestation d'un serment sans restriction a la
Charte constitutionneIle; qu'il y avait un article sur la liberté
des cultes qui n'expliquait pas assez clairement la prééminence
du catholicisme. On crut que JU. le comte d'Artois n'était pas
étranger auxscrupules de son confident le plus intime. En pre-
tant son serment, un député de Montauban , de la majorité
royaliste , demanda la parole. lU. le duc de Hichelieu, aprés avoir
pris les ordres du Roi, déclara qu'il étaít dans les usages immé-




h24 HISTüIRE DE LA RESTAURATION.
moriaux de la monarchie qu'un député ne püt parIer sans la per-
mission de Sa l\Iajesté. Ces incidents manifestaient déja la ten-
dance des Royalistes dans les deux Chambres. Les députés se
réunirent pour se eonstituer, et immédiatement la majorité se
dessina par des choix. Il s'agissait de la eandidature ala prési-
denee. La noble et ferme eonduite de 1\1. Lainé dans les Cent-
Jours ne permettait pas de l'écarler de eette dignité qu'il
avait exercée dans la Chambre de 181.lt. avee éclat. Sur 3h6
suñrages, il en réunit 328 : ce fut une question de convenance
plutót qu'une question politiqueo Sur les seconds candidats, la
majorité et la minorité s'essayerent , le prince de la Trémouille,
lié au pavilJon Marsan, eut 170 voix; lU. de Grosbois, de la
méme couleur, 125; 1\1. Chilhaud de La Rigaudie, d'une cou-
leur plus modérée, obtint un égal nombre de voix. Au second
tour de scrutin, on vit les forces respectives mieux dessinées
eneore. Le prince de la Trémouille, l'expression la plus com-
plete des opinions de droite, obtint 229 suffrages, et 1\1. de La
Rigaudie, candidat modéré, 169: c'était la balance des votes
réunis de chaque nuance. MM. de Grosbois et Bellart furent
nommés vice-présidents ade grandes majorités. MM. de la lUai-
sonfort, Uyde de Neuville, Cardonnel , Tabarié, furent procla-
més secrétaires. On ne pouvait des lors douter de la directíon de
la majorité, L'adresse contenait l'expression d'une profonde
douleur, oü se faisait remarquer cependant l'opinion réaction-
naire de la Chambre. « Les maux de la patrie sont grands; ils
ne sont pas irréparables. Si la nation, inaccessible aux provoca-
tions de I'usurpateur, doit porter la peine d'une défection ala-
quelle elle fut étrangére , elle supportera son malheur. Au miJieu
des voeux d'une concorde universelle, et méme pour la cimen-
ter, e' est notre devoir de solliciter votre justice eontre eeux qui
ont mis le trñne en péril. Votre clémence a été presque sans
bornes; nous ne venons pas cependant vous demander de la ré-
tracter ; les promesses des Rois, nous le savons, doivent étre
saerées; mais nous vous supplions, au nom du peuple méme
vietime des malheurs dont le poids l'accable , de (aire enfln que




CHAPITRE VIII. 425
lajustice marche OU la clémencc est arretée ; que ceux qui, au-
jourd'hui encore , encouragés par l'impunité , ne craignent pas
de faire parade de leur rébellion, soient livres ala juste scvér.ité
des tribunaux. La Chambre concourra avec zele ala confection
des lois néeessaires a l'aecomplissement de ce vceu. Nous ne par-
lerons pas, Sire, a Votre ñlajesté , de la nécessité de ne confier
qu'a des mains pures les différentes branches de votre autorité :
les ministres qui vous entourent présentent a cet égard de ras-
surantes espérances. Leur vigilance sur ce point si essentiel sera
d'autant plus facilement exercée que l'épreuve des événements
a révélé tous les sentiments et toutes les pensées. ))


Ainsi le Roi ne parlait que de clémence et de concorde;
l'adresse répondait par un appel a la justiee et aux tribunaux.
Dans les époques de réaction , les grandes assemblées sont tou-
jours moins calmes, moins modérées que le pouvoir. Puis, la
Chambre des Députés s'associait aux réactions du pavillon Mar-
san contre les fonctionnaires publies : la chose est simple, c'est
que derriére la plupart des questions politiques il est toujours
des questions de position personnelle, Dans la Chambre des Pairs,
les opérations préliminaires avaient un plus haut caractére d'im-
portance. Une question grave se présenta : fallait-il admettre
comme pairs les deux memores qui n'avaient prété serment
qu'avec restriction, 1\11\1. Jules de Polignac et Labourdonnaye?
l\I. de la Vauguyon fit observer que le serment prété dans la
séance royale contenait de plus que l'ancienne formule du
serment des pairs l'obligation d'obéir a la Charte constitu-
tionnelle, obligation qu'il importait de consacrer par une ad-
dition a eette formule, et d'exiger de tous les membres de l'as-
semblée.


1\1. de Riehelieu demanda qu'on prit un tenue moyen et que
la Chambre sursit seulement a la réception des deux pairs, sans
s'exprimerformellement. M. de Montcsquiou ajouta que la qua-
lité de pair était indélébile et indépendante de l'exercice des
fonctions; qu'en Angleterre, dans I'anciennc pairie, il Y avait
eu des pairs avec le titre, qui, par défaut de formes, n'avaient




!,26 IlISTOIRE DE LA RE8TAURATlON.
jamáis siégé an Parlcment, 1\1. l'évéque de Langres proposa de
ne Iaire aucunc mention des restrictíons et de dire qu'on avait
admis tous les membres nommés par le Roi et qui avaient prété
le serment exigé, 1\1. de Lally s'éleva contre tous ces termes
moyens. « Je demande ,dit-il, qu'il soit sursis ala réception de
tout pair qui n'aura pas prété serment purement et simplement. »
On arréta alors de nommer deux eommissaires pour se rendre
auprés des pairs restrictionnaires , afín qu'ils donnassent leurs
motifs. Ces deux commissaires furent lU1\I. de Fontanes et le
duc de Gramont. La Chambre voulait amener une rétraetation.
Les commissaires n'étaient pas trés-chaleureux pour la Charte;
ils revinrent avee des éloges pour les scrupules de 1\1. Jules de
Polignac. Le comte J ules avait dit que Iui et lU. de Labourdon-
naye offraient de préter le serment prescrit par les réglements
de l'assemblée, e' est-á-diré a tout, excepté a la Charte, ne
eroyant pas qu'on püt eonstitutionnellement en exiger davantage.
1\1. de Fontanes fit l'éloge de la pureté des sentimentsque les deux
pairs avaient manifestés dans cette círconstance. lU. de Fitz-
James prit hautement la défensede 1\1. J ules de Polignac; et, ehose
plus incroyable et plus impolitique, 1\1. le eomte d'Artois ne se
sépara pas de ses amis. « D'apresla nomination du Roi, l\I1\1. Jules
de Polignac et Labourdonnaye sont pairs eomme tous ceux qui
siégent dans cette enceinte , dit Son Altesse Royale. Un scrupule
bien respectable sans doute , puisqu'il tient a la religion, leur a
fait apporter quelque légere restriction au serment prescrit par
Sa l\lajesté. Pourquoi refuserait-on d'accueillír leurs explica-
tions et leurs motifs? » La majorité se prononca néanmoins
eontre l'opinion de 1\IONSIEUR. On avait vu percer dans eette
discussiou les petites haines , les secretes animosités contre la
Charte. C'était une faute de n'oser attaqucr de front, et de
prendre ainsi les ehoses par leurs petits détails : il n'y avait ni
courage ni force. Le comte d'Artois fut tres-mécontent de l'at-
titude de la Chamhre des Pairs, Les bureaux se formercnt avec
comenanec. La présidence du prcmier fut donnée ü l\IOl\SlEUR;
11' duc de la Vauguvon en était vice-présidcnt; M. Emmanncl




CHAPITRE VIII. 427,
Dambray, secrétaire, et lU. de Chateaubriand, vice-secrétaire.
On avait tempéré par le duc de la Vauguyon la couleur trop
prononcée de ce hureau. Le second, sous la présidence de
1\1. l'évéque de Chálons, appartenait aux sentiments modérés;
on y comptait comme président le comte de Latour-lUaubourg,
Théodore de Nicolaí et M. Laplace. 1\1. le duc d'Orléans prési-
dait le troisieme hureau avec Mlll. le duc de Choiseul , de Lou-:-
vois et de Talaru. On avait donné le quatrieme au duc de Berri,
avec MM. Barthélemy, de Boisgelin, de Jaucourt; le cinquieme
au duc d'Angouléme , avec MM. le comte de Bournonville , de
Choiseul-Gouffier, ñlathieu de lUontmorency; le sixieme enfin ,
au duc de Coigny, avee le Bailli de Crussol, le duc de Lévi et
Christian de Lamoignon. Le comité des pétitions fut également
mélangé, On y comptait l' évéque de Langres, le marquis d' Al~
bertas, le eomte lUolé, le duc de La Force, 1\11\1. de Montmo-
rency et de Fontanes, On discuta peu l'adresse, dont le projet
avait été rédigé par 1\1. de la Vauguyon. Elle était longue, ver-
heuse, Il y régnait une ambition de phrases, une grande abon-
dance de mots.


Les Chambres, étant ainsi constituées, attendaient les com-
munications du Gouvernement , et surtout le résultat des né-
gociations avec l'Europe, négociations suspendues par la dé-
mission du prince de Talleyrand, L'union des quatre grandes
cours était intime; les efforts des plénipotentiaires francais
n'avaient pu réussir adissoudre et méme aaffaihlir le traité de
ChaU11l011t. La derniere note de JU. de Talleyrand , un peu roide ,
n'avait produit d'autre résultat qu'un ultimatum impérieux.
e'est en cet état que 1\1. de .Richelieu avait pris les aífaires,
Avant d'accepter le portefeuille, le duc avait eu, dans une con-
férence préliminaire avcc l'cmpereur Alexandre , une explication
bienveillante des intentions de la Ilussie. Alexandre lui avait
promis de faire amoindrir de cent millions les contributions de
gucrre; il s'était engagé arectífier au profit de la France la ligue
de frontieres , tellc qu'elle avait été fixée par Yultimatnm, lU. de
Ilichclicu lui répondit « qu' en rcmcrciant Sa l\1ajesté impériale,




428 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
ilne devait pas lui dissimuler qu'il n'acceptait la direction des
affaires que dans la pensée d'un appui frane et direct de la Rus-
sie. » L'Empereur le promit formellement. « Je n'ai d'autre
intérét dans cette négociation, ajouta Alexandre, que d'assurer
le repos du monde et la stabilité du systeme que nous fondons
en Franee. 1) Ainsi la diplomatie prenait un autre esprit. lU. de
'I'alleyrand avait cherché a dissoudre la coalitíon , en séparant
surtout I'Angleterre de l'allianee. lU. de Riehelieu reeourait a
l'intervention bienveilJante de la Russie pour obtenir des condi-
tions plus douees de la part des alliés.


Cette intervention était alors puissante. L' empereur Alexandre,
a la tete de 300000 hommes, était la force de la coalition. JI
venait de rédiger et d' écrire de sa main le traité de la Sainte-
Allíance, une de sesconceptíons personnelJes , traité longtemps
considéré eomme la base de la politique européenne. Depuis le
eommeneement de septembre 1815, l'empereur Alexandre s'oc-
cupait, de eoneert avee madame Krüdner, de la rédaction de
eette piece mystique, qu'on ne peut appeler traité, mais plutót
déclaration de príncipes. Alexandre passait ses journées dans un
échange d'idées de perfectibilité. Sa pensée fondamentale était la
eonstitution d'un droit pubJic européen fondé sur le christia-
nisme et la réunion, dans une foi commune, des églises dissi-
dentes: le catholicisme, le rite grec, le protestantisme, l'angli-
canisme. Alors devait commencer le regne <fe la paix et du hon-
heur généraI. Les peuples devaient se livrer aux transports d'une
eonfiance mutuelle, et préparer ainsi la régénération de l'espece.
C'est eette folie généreuse, cet édifice sans base que l'empereur
Alexandre, par les conseils de madame Kriidner et de M. Ber-
gasse , avait cherché a exprimer dans le traité de la Sainte-Al-
llanee. J'ai eu sous les yeux l'original de ce traité, tout entier
écrit de la main de l'empereur Alexandre, avec les corrections de
madame Krüdner. Le mot de Sainte-Alliance est écrit par cette
femme extraordinaire. Une fois eette piece rédigée, l\I. de Nes-
selrode recut l'ordre de l'Empereur de la communiquer a l\l. de
Mettemich, Lorsque l'habile díplomate , hommc tout positif , re-




CHAPITRE VIII. 429
~ut cette píece, craignant que tout ce rnysticisme ne recélát quel-
que dessein secret, il dit al\'l. de Hardenberg: « lUais que signific
tout ce verbiage? Quel est le projet de I'Empereur? veut-il se
fairele chefde quelqueconfédération européenne?quel role nous
réserve-t-il ? » n garda ce traité pendant quelques jours; et ce nc
fut que lorsqu'il sut, a n'en pas douter , qu'il ne s'agissait que
d'une idée fantastique de l'empereur Alexandre, d'un saint ca-
price, qu'ille sournit a la signature de son maitre, Le Czar en
pressaitvivement laconclusion ; íl ne rencontraitpasun souverain,
un díplornate sans l'entretenir desidées dont il était si fortement
préoccupé. Quand il s'en ouvrit au duc de Wellington , celui-ci
répondit : « La pensée de Votre lUajesté Impériale ne serait pas
comprise au Parlement, 11 serait impossible au Prince-Régent
d'adhérer aun traité sans base, et dont on ne peut connaitre la
portée précise. ) Le roí de Prusse donna sonadhésion pour com-
plaire au Czar, dont il était l'ami et l'allié naturel. Eufin , le
Traité ou Déclaration de la Salnte-Alllance parut le 26 septembre,
Les trois lUonarques s'y engageaient « conformément aux prin-
cipesde l'Évangile , qui commandent atous les hommes de s'ai-
mer en fréres , arester liés par l'indissoluble nceud d'une amitié
fraternelle , a se préter mutueIlement assistance , a gouverner
Ieurs sujets en pére , amaintenir sincerementla religion, la paix
et la justice; ils se considéraient comme les membres d'une seule
et meme nation chrétienne, et, chargéschacun par laProvidence,
de diriger une branche de la méme famille; ils invitaient toutes
les Puissances a reconnaitre ces principes et aentrer dans l'AI-
liance. » La Sainte-Alliance ne fut pourtant pas le fondement de
l'union intime des Puissances alliées contre la France. La basede
la coalition était le traité de Chaumont, renouvelé le 25 mars ,
refait une troisieme fois , apres le traité de Paris , sorte de droit
politique et armé de l'Allianee. Suecessivement les États de se-
condordre donnerent leur adhésion ala Sainte-Allianee, savoir :
la Sardaigne, le Danemark, la Suéde , les Pays-Bas , le Wur-
temberg et la Saxe. Louis XVIII le signa sur la simple invitation
d'Alexandre. Ce fut en cet état que le duc de Richelieu prit YIe.s~'\(\ _ .


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h30 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
négociations, Des les premiers jours il fut proposé par les quatre
cours : Que le traité du 20 mai 1814 serait confirmé. Sur la
frontierc de la Belgique on ne céderaít plus que Philippeville,
lUarienbourg et le canton de Givet. Sarrelouis et le cours de la
Sarre , ainsi que Landau , feraient partie de l'Allemagne. La Lau-
ter servirait de frontiere. Du cóté de l' est, le fort de Joux ainsi
que l'Écluse seraient cédés par la France. Depuis le Bhñne jus-
qu'a la mer, la ligne de démarcation devait étre celle qui, en 1790,
séparait la France de la Savoie et du comté de Nice. La Franco
rcnoncerait i\ tenir garnison aMónaco. I...es fortifications d'Hu-
ningue devaient etre rasécs , sans qu'on püt jamáis les relever.
Les contributions de guerre étaient amoindries de cent millions,
Restait ensuitc aIixer le temps de I'occupatíon , le mode de paíe-
ment des contributions. Sur ce point de nouvelIes conférences
s'cngagerent, Les alliés exigeaient l'occupation pendant sept ans.
1\1. de Richelieu demandait qu'elle püt étre réduite atrois. M. de
1\1etternich surtout se montrait inflexible sur cette condition; il
faisait valoir « l'état de fcrmentation des esprits, l'impossibilité,
pour quelques années au moins, de créer en France une armée
forte et fídclc. » L'occupation tout amicale des alliés avait pour
but de préparer les voies au Gouvernement francais , d'affennír
la dynastie nouvelle et les institutions. 1\1. de Ilichelieu répondit
«( que cette charge de 150000 hommes était accablante pour la
Franco, en l'état de pénurie et de gene oú elle se trouvait ; que déja
frappée de contributions extraordinaires, elle avait encore asup-
porter les réclamations des Puissances alliées ; que la France était
paisible; qu'il faIlait moins de trois années pour reconstituer une
armée dévouée et fidele. »L'intervention de l' empereur Alexandre
fut encore invoquée , et l'occupation réduíte 11 cinq ans.


Dans la conférence du 2 octobre les bases furent adoptées
dans un protocole secreto « A la suite de plusicurs explications
confidentieIles entre MM. les plénipotentiaires d' Autriche, de la
Grande-Bretagne, de Prusse et de Russie, et 1\1. le duc de Ri-
chelicu, il a été convenu aujourd'hui que les rapports entre la
Frunce et les Puissances armées pour maintenir et rétablir la




CHAPITRE VIII. 431
paix générale, seront définitivement réglés sur les bases sui-
vantes : Les limites de laFrance telles qu'clles étaicnt en 1790,
depuis la mer du Nonl jusqu'a la Méditerranée, formeront la
base de l'arrangement territorial; de sorte que les districts et
territoires de la ci-devant Belgique, de l' Allemagne, de la Sa-
voie , qui , par le traité de París de 1814, avaient été ajoutés ~l
l'ancien territoire fraucaís ,.cn resteront séparés. Conformément
a cette base, la France cédera aux alliés les places de Landau ,
Sarrelouis, Philippeville et lUarienbourg, avec les rayons et ter-
ritoires spécifiés dans le projet de traité proposé le 20 septembre
par les quatre Cabinets réunis, 'Versoix, avec le territoire né-
cessaire pour mettre le canton de Geneve en communication
directo avec la Suisse, sera cédé ~l la Confédération helvétique.
Les fortifications d'Huningue seront déiuolies. Le Gouveruement
francais s'engage ~l nc pas les remplacer par d'autres a trois
licues de distance de Bale. La France renonceraa ses droits sur
la principauté de Mónaco. De l'autre coté, la possession d'Avi-
gnon, du comtat Venaissin , du comté de ñloutbéliard et de tout
autre territoire enclavé dans les limites francaises , sera de nou-
veau assurée ala Franco, La Franco paiera aux Puissances alliées ,
~l titre d'indemnité pour les frais de leurs demiers armemeuts ,
la somme de 700 millions de Irancs, Une ligne militaire, basée
sur les places forresde Cambrai , Valcnciennes, Bouchain, Condé,
Le Quesnoy , lUaubeuge, Landrecies , Avesues , Ilocroy, Civet ,
Mézíeres , Sedan, lUontmédy, Thiouville, Longwy, Bitche et la
tete du pont de Fort-Louis , sera occupée par une armée de cent
ciuquaute millo hommes que fouruiront les Puissances alliécs,
Le nuiximuni du tenuede cette occupation militaire sera Iixé a
cinq ans; cependaut , au bout de trois ans, les Souverains alliés ,
de conccrt avec Sa }lajesté le roi de France , apres avoir mürc-
ment examiné la situation ct les intéréts réciproqucs , et les pro-
gres que le rétablissemeut de l'ordre et de la tranquillité aura
faits en Frauce, déciderout , s'il y a lieu, a en raccourcir le
tenue. Uutraité général sera rédigé sur les bases ci-dessus
énoncées , en y ajoutant les articles qui , d'un commun accord ,




432 HISTOIRE DE LA RESTAURATlON.
seront jugés nécessaires pour le compléter. Lecture faite de ce
procés-verbal , lUl\!o les plénipotentiairesl'ont approuvé et signé:
Signe Rasoumoffski, Castlereagh , Richelieu, Wellington, Ves...
semberg, Capo d'Istria, Humboldt, Hardenberg. ))


Ce protocole secret fixait les bases du traité; il n'y avait plus
qu'a régler les conventions d'exécution, si compliquées. D'ahord,
pour les indemnités financieres , indépendamment des.700 mil-
lions stipulés comme contribution de guerre, chaque Puissance
réclamait, au nom de ses sujets, des indemnités pour les pertes
éprouvées par suite des occupations francaises depuis la révolu-
tion de 1789, réclamations immenses, accablantes. J'en ai fait
le relevé d'aprés un document secret: l'Autriche demandait
189 millions; la Prusse, 106 j les Pays-Bas, 88 j la Sardaigne, 73 j
IIambourg, 71 j. Toscane , 4 1/2 j Parme, 2 j ville de Bréme, 3;
ville de Lubeck, 4; Baden, 11/2; Hanovre, 25; Hesse-Cassel ,
1 1/2; Hesse-Darmstadt , Oldenbourg, Mecklenbourg-Strelitz,
Saxe- 'Veimar, 20; l\1ecklenbourg-Schwerin, 1; Danemark,
1. 7; Rome, 29 j Baviére , 72; Francfort, 3; Suisse, 5; Saxe
seule, 15; Saxe avec la Prusse, 5; ce qui forme un total de
735 millions et 1/2. 11 n' était pas une petite nation , pas un petit
itat qui ne réclamát des indemnités pour des sacrifices, Déja
les Puissances accédantes a l'alliance recevaient une indemnité
de guerre de 100 millions , ainsi répartie a raison du contingent
des troupcs: Baviére , pour 60 000 hommes , 25 517 798 fr.
66 C. 1/2; Pays-Bas, pour 50000 hommes, 21 264832 fr.
22 C. 1/2; 'Yurtemberg, pour 20000 hommes, 8505932 fr.
88 C. 1/2; Sardaigne , pour 15000 hommes, 6379449 fr.
66 C. 1/2; Bade, pour 16000 hommes , 6804745 fr. 31 C. 1/2;
Hanovre, pour 10 600 hommes, 4 252 966 fr. 4h c.; Saxe,
ponr 16000 hommes, 6804 746 fr. 31 C. 1/2; Hesse-Darm-
stadt, pour 8000 hommes, 3402373 fr. 15 C. 1./2; Hesse-
Cassel , pour 12 000 hommcs, 5103559 fr. 73 c. 1/2; Mecklell-
bourg-Schwerin, pour 3800 hommes, 1. 616127 fr. 24 C. 1/2;
Mecklenbourg-Strelitz, p. 800 hommes, 340 237 fr. 31 C. 1/2;
Saxe-Gotha , pour 2200 hommes, 935652 fr. 61 C. 1/2;




CIJAPITHE \IIJ. 433
Saxe-weimar, pour 1 600 hommes,· 680474 fr. 63 c. 1/2;
Nassau, pour 3000 hornrnes, 1275889 fr. 93 c. 1/2; Brun-
swick, pour 3 000 hornmes, 1 275 889 fr. 93 c. 1/2; villes
anséatiqucs, pour 3000 hommes, 1 275889 fr. 93 c. 1/2;
ville de Francfort, pour 750 hornmes, 318972 fr. 48 c. 1/2;
Hohenzollern-Hechingen, p. 194 hommes, 82507 fr. 54 c. 1/2;
Hohenzollern-Liegmaringen, pour 386 hommes, 164164 fr.
50 e..1/2; Lichtenstein, p. 100 hommes, 42529 fr. 66 c. 1/2;
Saxe-l\Ieinungen, pour 600 hommes, 255177 fr 98 c. 1/2;
Saxe-Hildhourghaussen, pour 400 hommes, 170114 fr. 66 c.;
Saxe-Cobourg, pour 800 hommes, 340237 fr. 31 c. 1/2;
Anhalt, pour 1 600 hommes, 680474 fr. 63 c. 1/2; Schwarz-
hourg, pour 1 300 hommes, 552885 fr. 63 c. 1/2; Ileuss ;
pour 900 homrnes, 382766 fr. 97 c. ; Lippe , pour 1 300 hom-
mes, 552885 fr. 63 c. 1./2; 'Valdeck, pour 800 hommes ,
340237 fr. 31. c. 1./2; Oldenbourg, pour 1 600 hommes,
680474 fr. 63 c. 1/2. Les 100 millions, ainsi répartis, al-
louaient achaque homme 455 fr. 29 c. 1563/23513 milliémes,
Quelles charges accablantes pour la France? Comment payer
un chiífre énorme de 1 535 millions?


Tous les autres protocoles furent relatifs a ces indemnités
pécuniaires. Le 1er novembre, on arréta , relativement au paie-
ment de la contribution de guerre, « que I'indemnité de 700 mil-
lions de francs serait acquittée jour par jour, par portions
égales, dans le courant de. cinq années. Que le Trésor remettrait
aux alliés quinze engagements de 46 millions, deuxtiers payables,
le premier, le 31 mars 1816, et ainsi de suite, de quatre mois
en quatre mois, pendant cinq années. Ces bons ne pourraient
étre négociés, mais ils seraient échaugés contre des bonsau por-
teur payables aParis, depuis le premier jusqu'au dernier jour des
quatre mois. L'échéance par jour serait divisée en plusieurscou-
pures de 1. 000, 2000, 5000, 10000, 20000 fr. JI n'y aurait
jamais en circulation pour plus de 50 millions de francsala fois.
Le délai de cinq années, accordé pour le paiement, 11'ernporte-
rait aucunc exigcnce d'intérét. Il serait remis par la Franco aux


L 37




h34 IlISTOIHE DE LA ftESTAUHATIOiX.'
alliés, a titre de garautic de la régularité des paicmeuts , une
rente sur le Orand-Livre de la dette publique de France , de la
somme de 7 millions au capital de 1.40 millious, L'intérét était
réglé a5 pour 1. 00 par an, pour ceux des bons au porteur dont
le paiement aurait été retardé par le fait de la Franco. Lorsque
les 600 premiers millions seraient payés, les alliés accepteraicnt ,
si cela convenait au Gouverncmcnt fraucais, la rente stipulée
cí-dessus, au cours qu'elle aurait acette époquc, »


Les autres séances furent consacrées ala rédaction définitive
du traité qui fut signé le 20 novcmbre et inunédiatcment ratifié
sur les bases du protocole du 2 octohre , telles que .le les ai don-
nées ; ce traité était dur , énorme pour la nation; mais il no
faut pas ouhlier la situation de la France , les impérieuses Iois
imposées par l'étranger, les 800 mille honuncs qui couvraicut
son territoire, Comment faire? Fallait-il continuer l'état de
guerre, ce provisoire déplorable qui livrait les peuples ala dis-
crétion des alliés l Le traité une Ioiseonclu, on savait la somme
des sacrificesimposés; la France voyait un tenue il ses maux, un
avenir ouvert devant elle! L'inf1uenee pcrsonnelle du duc de
Richelieu obtint des conditions meilleurcs, Il y avait absence
d'un jugc commun. C'était la force d'un coté, l'impuissancc
de l'autre. On ne peut díre la douleur qu'éprouva le duc de
Richelieu, en apposant sa signaturc au has de ce traité ; elle se
révele par son admirable Ietttre du 21 novembre,


« Ce 21 novernbre,
«( Tout est consonuné , j'ai apposé hicr, plus mort que vil',


1110n nom ace fatal traité, J'avais juré de ne pas le [aire, el .le
l'avais dit au Roi; ce malheureux Princc m'a conjuré, en fon-
dant en larmes , de ne pas l'ahandonncr, ct de ce moment je n'ai
plus hésité. J 'ai la confianee de croire que sur ce point persoIllle
n'aurait fait mieux que moi; et la France , expirautc sousle poids
qui l'accable , réclamait impórieuscmcnt une promprc dólivrance ;
elle conunenccra des demain , au moins ate qu'on m'assure , ct
s'operera successivemcnt et promptcmcnt. « HICIJELlEli. »




CHAPITRE VIII. 435
La faute fut d'avoir, dans I'originc, désorganísé les ressourccs


militaires de la France; la faute en fut également a quelques
ames ardentes et patriotes qui, par des résistances exagérécs ,
continuaient l'état de guerre! Comment les alliés pouvaient-ils
considérer la paix cornme heureusement rétablie, lorsque Hu-
ningue foudroyait Bale, lorsqu'íls étaient forcés de bloquer
quatre ou cinq placesdu Nord et d'ouvrir la tranchée? Le traité
de novembre 1815 fut tout a la fois un traité offensif et défensif.
La Franco avait efTroyablement pesé sur l'Europe; J'esprit de
couquéte , les sentirnents belliqucux qui animaicnt la nation,
toujours redoutés, paraissaient formidables; les peuples eux-
mémes demandaient des garanties; il Yavait, parmi les nations
allcmandcs surtout , un besoin de haine , d'cxagératiou contre la
France, dont j'ai donné des témoignages en rappclaut l'esprit
des journaux, Le systeme de J'Empereur Napoléon , ses guerres
violentes, les oppressions qu'il avait fait peser sur les peuples,
la tvrannie qu'il avait exercée en Prusse, en Allemagne, étaient
encoré présents a leur imagination : de la, ces précautions de
frontieres , ces forteresses élevées dans le Nord, ces fortifications
de Luxembourg et de Landau. Ensuite le traité était ofTensif. Les
Couvcrnements craignaient, en France , ce qu'on appelait un
mourement révolutíonnaire. En s'assurant des tetes de pont
et des points avancés , en prolongeant l'oceupation armée , les
Puissances pouvaient, a la premíére réquisition du Gouverne-
ment francais , ou lorsqu'elles le eroiraient utile au repos de
l'Europe , marcher en France, et, dans soixante heures, se
trouver a Paris : e'est méme dans cet objet qu'elles renou-
velerent , le 20 novembre, et eomme complément du traité
de Paris , l'alliance de Chaumont; ce qui était une formidable
menace. « Le but de l'alliance eoncIue a Vienne, y est-il dit,
lc25 mars 1815, ayant été heureusement atteint par le réta-
blissemeut en Franco de l'ordre de choses que le dernier at-
tentat de Napoléon Bonapartc avait momentanément suhverti,
r.r, l\DI. J'cmpereur d'Autriche , le roí de la Grande-Brctagne,
le' ro! de Prussc ot l'empercur de Ilussie , considérant que le




436 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
repos de l'Europe est essentieIlement lié a l'affermissemcnt de
cet ordre de choses, fondé sur le maintien de l'autorité royale ct
de La Citarte constiiutionnelle , et voulant employer tous leurs
moyens pour que la tranquillité générale , objet des veeux de
l'humanité et but constant de leurs efforts, ne soit pas troublée
de nouveau et fixer d'avance, par un traité solennel, les prin-
cipes qu'elles se proposent de suivre pour garantir l'Europe des
dangers qui pourront encere la menacer, )) Les Hautes Puis-
sanees se promettaient réciproquement de maintenir, dans toute
sa force et sa vigueur, le traité conclu avec Sa l\Iajesté Tres-
Chrétienne; que s'étant engagées, dans la guerre qui venait de
fluir, a maintenir inviolables les arrangements arrétés a Paris
l'année précédente, elles avaient jugé convenable de renouvcler
ce traité et de le rendre mutuellement obligatoire, sauf les mo-
difications qui pouvaient avoír été depuis apportées, notamment
par rapport a l'exclusion a perpétuité du pouvoir supréme en
France de Napoléon et de sa famille. Les hautes parties contrae-
tantes s'engageaient en outre « aétouffer en France toute idée,
toute tentativo de révolution. )) Elles reconnaissaient le devoir
de redoubler leurs soins pour veiller a'la tranquillité des peuples;
« et, disaient-elles, dans le cas OU un aussi malheureux événe-
ment (une nouvelle usurpation) viendrait aéclater, elles concer-
teraient entre elles, et avec Sa l\Iajesté Tres-Chrétienne, les
mesures nécessaires pour la süreté de leurs États respectifs et la
tranquillité générale de l'Europe. Si les corps d'armée d'occu-
pation laissés en France étaient attaqués, ou si les Puissances
étaient obligées de se mettre en état de guerre contre la France,
elles se rapporteraient aux stipulations du traité de Chaumont ,
et fourniraient chacune, sans délai, en sus des forces d'occupa-
tion, le plein contingent de, 60 mille hommes, ou telle partie
de ce contingent, suivant l' exigence du caso Elles ajoutaient que
si, malheureusement, ces forees étaient insuffisantes, les hautes


•parties contraetantes se consulteraient , sans perte de temps, sur
le nombre additionnel de troupes que chacune devrait fournir,
el qu'elles emploíeraíent , en cas de besoin , la totalité de leurs




CHAPlTRE "TTI. 437
forces pour conduire la guerre a une issue prompte et garantir
I'Europe contre le retour d'une calamité semblable. Ainsi les
alliés considéraient ce traité comme le complément des conven-
tions de Paris. lIs y garantissaient la dynastie des Bourbons et
la Charte constitutionnellecommeessentiellement liées au repos
de l'Europe. La France n'intervint en rien dans ce traité , seu-
lement les ministres des cinq Puissancesle lui communiquerent
en ces termes: (1 Les soussignés, ministres des Cabinets réunis,
ont l'honneur de communiquer aS. E. le duc de Richelieule nou-
vean traité d'alliance qu'ils viennent de signer,au nomet par ordre
de leurs augustes souverains. Les Cabinets alliés considérent la
stabilitéde l'ordre des choses heureusement rétabli dans ce pays,
comme une des bases essentiellcs d'une tranquillíté solide et du-
rable. Sa ñlajesté Trés-Chrétienne reconnaitra dans cet acte lasol-
licitude avec laquelleils ont concerté les mesures les plus propres
a éloigner tout ce qui pourrait compromettre a I'avenir le repos
intérieur de la France, et préparé des remedes contre les dan-
gers dont l'autorité royale, fondement de l'ordre public, pour-
rait encore étre menacée, Les engagements qu'ils viennent de
contracter en fournissent la plus certaine preuve. Les Ca-
binets alliés trouvent la premiére garantie dans les principes
éclairés , les sentiments magnanimes et les vertus personneIles
de Sa Majesté Trés-Chrétienne, Sa Majesté a reconnu avec eux
que dans un État déchiré pendant un quart de síecle par des
convulsions révolutíonnaíres , ce n'est pas a la force seule a ra-
mener le calme dans tous les esprits , la confiance dans les ames,
I'équilibre dans le corps social; que la sagesse doit se joindre a
la vigueur, la modération ala fermeté , pour opérer ces chan-
gements heureux. Loin de craindre que Sa l\'Iajesté Tres-Chré-
tienne prétát jamais l'oreille ades conseils imprudents ou pas-
sionnés, tendant a renouveler les alarmes, a ranímer les haines
et les divisions , les Cabinets alliés sont complétement assurés
par les dispositions aussi sages que généreuses que le Roi a an-
noncées dans toutes les époques de son régne , et notamment a
celle de son retour apres le dernier attentat criminel. lIs savent




438 HISTOInE DE LA RESTAURATION•.
que Sa lUajesté opposera atous les ennemis du bien puhlic et de
la tranquillité de son Royaume, sous quelque forme qu'ils puis-
sent se présenter, son attachement aux lois constitutionnellcs
promulguées sous ses auspices, sa volonté bien prononcéed'étre
le pere de tous ses sujets sans distinctlonde classe ni de religion;
d'effacer jusqu'au souvenir des maux qu'ils ont soufferts ; et de
ne conserver des temps passés que le bien que la Providence a
fait sortir du sein méme des calamités publiques. Ce n'est
qu'ainsi que les vceux formés par les Cabinets alliés pour la con-
servation de l'autorité constitutionnelle de Sa lUajcsté Tres-
Chrétienne , pour le bonheur de son pays et pour le maintien de
la paix du monde, seront couronnés d'un suecos complet , et
que la France , rétahlie sur ses anciennes bases, reprcndra la
place éminente a laquelle elle est appelée dans le systéme euro-
péen, )


Cette note". tres - remarquahle , indiquait que les Souve-
rains eux - mérnes voulaicnt cngager la Restauration dans des
voies de liberté et empécher toute réaction politiqueo Faut-il
attribuer cette inf1uence constitutionnclle des souverains étran-
gers a la conviction personnelle des bienfaits de la Charte et de
la stabilité qu' elle assurait au tróne ? Il est certain qu'une grande
conviction existait pour eux a cette époque; ils croyaient que
l'ordre ne pourrait naitre en Franco que par un systeme Iibéral;
tous étaient opposés a un jacobinisme de propagande, ou au
systeme de conquéte de I'Empire; mais tous étaient également
persuades alors qu 'une liberté sagement combinée était le
meilleur moyen d'assurer le repos du monde. De plus, ils sa-
vaient que les contributions de guerre ne scraient exactement
acquittées qu'avec un systemc de crédit et de couflance géné-
rale , lequel ne pouvait exister que par l'exécution franche et
loyale de la Charte,


Les Puissances avaient recu , par le nouvcau traité de Paris,
des portions de territoire et des indemnités pécuniaires qu'il
fallait se distribuer, ct c'cst a quoi s'occuperent les ministres
des quatre grandes cours, dans le mois de noveuibro HH5. te




r.JIAPITRE VITT. 439
prcmier traÍlé [lit rclutii aux ilcs Ionicuues , quc le COllgl'cS de
Vicnne arait d'alJord tenues en réserve IJom' assurer une iudetu-
nité alUurat, en échange de Naples. L'Angleterre en réclama le
protectorat, pour se payer des services qu'elle avait rendus pen-
danr la campagne de 1815. Au congres de Vienne la question
du protectorat avait été remise ~l l'arbitrage ducomte Capo
d'Istria , né dans ces iles , eomme un hommage dtl ace diplo-
mate; le comte Capo d'Istria se décida pour le protectorat de
I'Angleterre, paree que eette forme de gouvernement était la
plus capahle d'avancer la civilisation de sa patrie et de préparer
l'émancipation de la Grécc, L'empereur Alexandre ratifia ce ju-
gement avee hcaucoup de générosíté , et une convention, du
5 novembre, assura done al'Angleterre le protectorat de Cor-
fon, Céphalonie , Zantc , Saiut-ñlaur, Ithaque, Paros et Cérigo.
La neutralité de la Suisse et l'inviolabilitéde son territoire furent
eonfirmées dans un autre traité, du 20 novembre. Enfin, le 13,
fut arrété un protocole pour régler les dispositions relatives aux
tcrritoires cédés par la France.Le royaume des Pays-Basrecevait
les districts ayant fait partie des provinces belges, de l'évéché de
Liége et du duché de Bouillon, ainsi que les places de PhiliI~­
peville et I\larienbonrg, avee leur territoire, et , de plus, 60 mil-
lions sur la partie des contributions destinée arenforeer la ligne
de défense des États limitrophes; ilsdevaient étre employés ala
fortification des frontiércs des Pays-Bas, tes distriets détachés
de la France, dans les départements de la Sarre et de la .Mo-
sclle, par le nouveau traité de paix , y eompris la forteresse de
Sarrelouis, étaient réunis aux États de S. 1\1. le roi de Prusse,
L'Autrichc acquérait les territoires que la France devait céder
dans le département du Bas-Rhin, y compris la ville de tan-
dan. Versoix, avec la Iraction du pays de Gex eédée par la
France , était réuni ala Suisse pour étre incorporé au canton de
Genóve. La commune de Saint-Julien de la partie francaise de
la Savoíe était égalemcnt réunie au canten de Geneve. La neu-
tralité de la Suisse était étenduc au tcrritoire fluí se trouve au
nord d'une ligue ~l tirer depuis Uginc, y compris cette ville , au




h40 HTSTüIRE DE lA RESTAURATTON.
milieu du lac d' Annecy, et de la au lac de Rourget jusqu'au
Ilhñne. La partie de la Savoie qui était restée a la France en
vertu du traité de Paris du 30 mai 1814, devait étre remise a
s. 1\1. le roi de Sardaigne, a l'exception de la commune de
Saint-Julien, attribuée au canton de Genéve. S. lU. le roi de
Sardaigne recevait, en outre, 10 millions de franes sur la par-
tie des contributions francaíses destinée a renforcer la ligne de
défense. Cette somme serait employée a la fortification de ses
frontiéres , conformément aux plans et reglements arrétés par
les Puissances.


J...e traité stipulait ensuitc les arrangements pour l'Allemagne;
et d'abord les compensations entre la Prusse et l'Autriche,
Moyennant ses aequisitions dans le département de la Sarre, le
roi de Prusse s'engageait a satisfaire les grands-ducs de la Con-
fédération germanique, conformément al'article 54 du congres
de Vienne. Les trois cours d' Angleterre, de Russie et de Prusse
s'obligeaient a faire obtenir a l' Autriehe de la part de la Bavíere
la rétroeession des territoires et objets désignés dans l'aete du
congreso En vue de ces arrangements, les grandes Puissances
assuraient a la Baviere une somme proportionneIle sur les con-
tributions francaises destinées arenforcer la ligue de défense
des États limitrophes; la réversion de la partie du Palatinat ap-
partenant a la maison de Bade, aprés l'extinction de la ligne
direete du grand-duc régnant; une route militaire de 'Vurtz-
bourg aFrankenthal; le droit de garnison dans la place de Lan-
dau, qui était une des forteresses de la Confédération germa-
nique. Quant aux arrangements pour le grand-duehé de Hesse,
il Yavait cession par l'Autriche d'un territoire sur la rive gauehe
du Rhin, en indemnité du duché de 'Vestphalie, cédé par le
grand-due de Hesse. L'empereur d'Autriehe renoncait en faveur
de la Baviere , ala réversion du Palatinat appartenant au grand-
due de Bade. La réversion du Brisgaw demeurait a l' Autriehe.
Le traité établissait ensuite le systéme défensif de la Confédéra-
tion germanique. Les plaees de JUayence, Luxembourg et tan-
dan étaicntdéclarécs places de la Coníédératíon, Ponr l\Iayencc,




CHAPITRE VIII. 441
les arrangements actuellement en vigueur , relativement au droit
de garnison dans cette place, continuaient jusqu'á nouvel ordre,
Pour Luxembourg, les grandes cours de Russie, d' Angleterre
ct d' Autriche devaient faire obtenir a S. lU. le roi de Prusse
le droit de garnison dans cette place, conjointement avec le roi
des Pays-Bas , ainsi que la nomination du gouverneur militaíre,
Quant aLandau, sa garnison serait entiérement composée de
troupes bavaroises en temps de paix; mais en temps de guerre
le grand-due de Bade serait tenu de fournir le tiers de la gar-
nison néeessaire ala défense. Une certaine partie de la contri-
bution levée en France était destinée au systéme défensif de
l' AIlemagne. Sur les 60 millions destinés a cet objet, le roi de
Prusse recevait 20 millions pour les fortifications du Bas-Ilhin,
- 20 millions étaient réservés pour la construction d'une qua-
trieme place fédérale sur le Haut-Rhin. - 15 millions étaient
donnés a la Baviere ou a tel autre souverain compris entre le
Rhin et les États prussiens.- 5 millions employés aachever les
ouvrages de l\layence. Ce protocole, signé par le due de 'VeIl-
ington, le prince de lUetternieh, Hardenberg, Castlereagh,
Rasoumoffski, Capo d'Istria, Humboldt, 'Vessemberg, avait la
force d'un arrangement définitif.


Toutes ces dispositions furent faites en dehors du Cabinet de
Paris, sans tenir compte de ses intéréts. On appliquait la contri-
bution de guerre a un systeme défensif dirigé eontre la France
qui fut ainsi tenue, jusqu'au congrésd' Aix-la-ChapeIle, dans un
état de suspicion diplomatique. On prit des précautions pour
annuler son influence; les quatre grandes Puissances délibére-
rent et agirent seules, Ce ne fut qu'a ce congres d' Atx-la-Cha-
pelle qu'on I'admit dans la grande familIe des Cabinets, mais ala
condition d'en adopter absolument le systeme. J'ai donné quel-
que étendue aux négociations de Paris, attendu qu'elles ont servi
de base et qu'elles en servent encoré a la politique européenne.
J...es traités de Paris et de Chaumont subsistent dans leurs dispo-
sitions fondamentales : ils ont été renouvclés, L'Europe les con-
sidere comme une garantir, et cela s'explique. La France, par sa




442 HISTüIRE DE IA RESTAURATIüN.
configuration géographique , par ses ressonrccs immcnscs, était
un objet d'effroi pour l'Europe; elle avait menacé les GOUH'rne-
ments par sesmaximes, les peuples par la conquete ; on était en-
core sousl'impressíon des idécs de l'Empire et des Ccnt-Jours ;
l'épée de Napoléon pesait de tout le poids de ses souvcnirs ; on
voyait la France préte as'élauccr sur le monde, et l'Europe fut
organisée dans cette pensée, Toutcs les petites rivalités entre
Puissances, toutcs les amhitions qui, dans des siecles antérieurs,
avaient armé l' Autriche, la Prussc et la Ilussic les unes conrre
lesnutres, diparurcnt ; elles no viront plus que l'intórét commnn
de leur défense contre la nation francaise ; le gouvernement de
I ...ouis XVIII leur offrait bien une garautic , mais il n'était pas
certain que ce gouvornemcnt pút résistor au mouvemcnt despas-
sions politiques. De lü ces traités de mutucllc assurance , de !ü
surtout cette méfiancequi a toujours fait reculer les troisPuis-
saneesdevant des propositions d'alliance particuliere avec le Cabí..
net francais. 11 faut done attribucr les précautions prises alors
contre la France a son esprit belliqueux, a la grandeur et ala va-
riété de ses moyens, et a cctte colossale image de Napoléon qni
effrayait encere ceux qui l'avaient rcnversée.




CHAPITRE IX.


LA nU:'iCE ET L'ErnOPE A LA nN DE 181~.


La Cour. - Louis X"HI. - Le eomte dArtois. -Les dues d'~\Jlgouleme
et de Berri. ~ L'n.lmiui strution . - La poliee ......... Les Miuistrcs , - M. de
Vauhl auc - Le g(~lIúal Clar ke. - 1.\1. Decazcs. -La session de 1815 .........
Esprit de la Chamhre ......... Projets de loi. -- Amllistic."""" Les COUl'S pré-
vótales. - La Chamhre des I'nirs. - Preces politiques. - \1. ele la
núloycre ......... M. de Lavalette. - Le mnréchnl Ney - Situation de I'Eu-
rope ala fin de 1815.


Selltenlb..·e a Déeenlb..·e 1815.


LA secondc Rcstauration avait donné une nouvelle puissance a
l'esprit de cour; l'époque de 18th avaít été si prompte, si tran-
sitoire, qu'on n'avait pu connaitre ni les caracteres, ni la tendance
des membres de la famille des Bourbons. Maintcnant la dynastie
semblait s'aflenuir, l'Europe entiére en garautissait la force et la
durce ; quelle serait done la conduite ele cette cour au milieu eles
graves événcments politiques? .. Apres les humiliations eles Cent-
Jours, arres les tristes scenes dans lesquclles le roi el les princes
avaient été si impudcuimcnt joués, il cut été granel et elifficile a
la fois d'oublier les antécédents ele ces hommes qui s'étaient 1110-
qués de la foi humaine et avaicnt trahi les Bourhons, cal' il s'était
dit et écrit des parolcs tres-outrageantcs pour le Iloi, pour ñla-
dame d'Augoulcmc, durant le secondexil.


A son retour de Gantl, Louis XVIII avait pris de fortes répu-
gnances pour quelques hommcs, Ceux qui l'cntouraicnt ne ces-
saicnt ele lui inculqucr l'idée que la clémeuce l'avait perdu en
181h, ct qu'il était un tenue a tout , mémc au pardon,
Louis XVIII n'avait pas cctte Icnneté qui sait résister toujours
aux inspiratiousmauvaises , et lorsqu'on lui cut démontré que la




44l~ HlSTOlRE DE LA HESTAUHATlO;\.
rigueur était nécessaire , que des exemples justes, mais donués
vigoureusement , pouvaient seuls affermir la couronne sur sa
tete, il se fit un front sévére, et comprima les émotíons de son
ame. 1\1. le comte d'Artois , meilleur par le cceur que son frere,
allait aux mesures extremes par haine de la Révolution. C'était
un peu le caractére de la faction royaliste d'étre ainsi composée
de gens honnétes , mais qui par passion politique votaient de
cruelles dispositions, 1\1. le comte d'Artois, dansun état de colere
constante contre les hommes des Cent-Jours , se faisait le pro-
moteur ardent de tous les actes de proscription : la duchesse
d'Angouléme était plus encere que lUüNSIEUR violernrnent irri-
tée, Jamais caractere de femme aigrie par de grandes infortunes
n'avait été plus énergiquement implacable. Elle avait beaucoup
souffert; sublime de courage dans les Cents-Jours , elle avait
vu l'arméc l'abandonner, les casernes rester insensibles a ses
pleurs, snbstituer l'aigle de l'Empire au drapeau blanco Tant de
fois elle-meme exilée ou frappée dans sa famille, son ceeur n'avait
pas alors conservé cette pitié que le malheur du passé inspire
pour les infortunés condamnés aux douleurs du présent. C'étaít
une tete d'homme calculant avec chaleur les moycns de réprimer
les factions , et ces factions avaient fait tant de mal a notre
pauvre France!


1\1. le duc d'AngouIeme, profondémentaigri de voir son orga-
nisation administrativc dans le lUidi méconnue, renversée, s'était
beaucoup rapproché des opinions de son pére ; mais sa raison
droite, son désir de générosité militaire, l'empéchaient de se
livrer aux proscriptions et aux vcngeances, Le nom de lU. le
duc d'AngoulCme ne se melajamais aux ordonnances d'exil, aux
mesures violentes. Il avait souffert la trahisonla plus indigne, la
plus déhontée dans sa courte campagne du ñlidi ; il ne s'en sou-
vint que fort peu de temps; plus tard on le verra méme solli-
citer la gráce du général Gilly, qui l'avait forcé a une capi-
tulation au pont de la Dróme, lU. le duc de Berri se mélait
tres-peu d'affaires politiqucs. On parlait de son mariage prét a
s'accomplir avec une princessenapolitainc, I1 s'en occupait moins




CIIAPJTRE IX. 445
que de ses plaisirs d'Opéra, Il n'était pas des intrigues du pavil-
Ion Marsan : soncceur droit, sa brusquerie méme se se.rait mal
accommodée de ces conspirations souterraines, par lesquelles on
voulait faire" triompher un gouvernement occulte.Le duc de
Berri s'amusait, et ses dissípations bruyantes, ses revues mili-
taires laissaient peu de place a la politique dans cette ame impé-
tueuse. Les ministres n'eurent jamais a s'en plaindre; illes
traitait méme avec un laisser-aller favorable aux principes du
gouvernement rcprésentatif, A peine quelques recommanda-
tions venaient-eUes de loin aloin rappcler aux ministres qu'un
fils de France s'intéressait a quelques anciens serviteurs de
l'exil.


L'esprit d'agitation et d'intrigue qui enlacait la FamilIe royale
fut le caractére le plus sailIantde l'époque de 1815. J'en atteste
les hommes d'aflaires de ce temps! Qui ne se souvient du comte
de Sainte-Héléne, si aimé de 1\1. le duc de Berri ! de tous ces in-
connus qui envahissaient les régiments, les administrations, qu'il
faUut ensuite épurer comme les écuries d'Augias ! C'est la plaie
de tout grand changement politiqueo Les princes de la Famílle
royale furent alors entourés de je ne sais quelle espéce de
familiers servant a ravir tous leurs caprices , leurs préjugés,
leurs petites haines. C'étaient chaque jour des bulletins de pollee
admirablement appropriés a la situation d'esprit de la cour. On
aurait dit une conspiration préte aéclater a tout moment pour
renverser Louis XVIII et son Gouvernement. J'ai eu quelques-
uns de ces rapports, En décembre 1815, un de ces agents dé-
nonca le général Rapp, qui avait dans sa cave vingt pieccs de
canon pour un grand mouvement, lequel devait avoir lieu le
lendemain ! Ces rapports absurdes avaient pour résultat de mo-
tiver des mesures d'exccption , ce que le parti désirait alors avant
toute chose. Si un homme de raison , un mitiistre d'expérience
et d'aífaires venaitdémentir de tels rapports, il était alors un li-
béral, un conspirateur lui-méme. C'était bien autre chose s'il
exigeai t le renvoi ou le remplaccment de l'agent du Cháteau, Alors
il voulait mcttrc le tróne en péril ; il voulait éloigner les bons ser-


1. 38*




446 HISTOIHE DE LA nES'L\[jBATlU~.
viteurs, les hommes purs ; onles défendait comme un príncipe.
Il y cut a ce sujet des faits curicux. Un ministre avait demandé
aMadame d' Angouléme le renvoi d'un eertain comte de ***, qui,
employé dans sa maison, usurpait le titre ainsi que les épaulettes
de chef d'escadron, et avait été précédemment condamné en
police correctionnelle. Madame ne voulut jamáis y consentir.
« C'est un excellent serviteur, répondit-elle. » e'était particulié-
rement dans les administrations et au ministére de la guerre
que cette influence d'intrigues se faisait sentir. En général beau-
coup de questions se résolvent par des plaees. Jamáis ceei ne
fut plus vrai qu'en 1815. tes administrations furent prises
d'assaut par une nuée de solIiciteurs, qui rous arrivaient avec
des recommandations royalistes, On mesurait le royalisme d'un
ministre a son zele pour accomplir les recommandations du pa-
villon Marsan.


Au milieu de ce grand mouvement de la Cour, il ne sera pas
inutile de voir la marche de chacune des administrations en par-
ticulier. J'ai dit ce qu'était M, de Vaublanc , espece de [aunto
polítique, voulant tont voir, tout embrasser, conunc ces enfants
qui, le premier jour d'une étude nouvelle, sont tout en feu et HU-
lent tout apprendre. M. de Yaublanc se hñta d'adrcsser une
circulaire aux préfets; elle était d'un honnne tout cssoufllé de la
honne opinion de lui-méme : « Le Hoi a bien voulu me coníicr le
portefeuille de l'intérieur. J'ai tourné aussitót mes regards vers
vous. J'ai pensé qu'au sentiment impérieux de vos devoirs vous
joindriez le désir bienveillant de scconder un ministre qui a vieilli
dans la carriere que vous parcourcz, S. "'1. honore par ce choix
la place que vous occupez, et vous annoncc ainsi l'importauce et
le prix qu'elle met avos travaux. Jamáis l'administration ne fut
plus difficile , jamais aussi elle ne prepara plus de gloire acclui
qui en remplira dignement les fonctions. Les difficultés doivcnt
augmenter votre couragc, Si des désordrcs avaient lieu, n'hési-
tez pas avous transponer sur-lc-champ dans les connuunes. N'at-
tendez pas que le mal ait fait des progres ; qn'ulle courserapule
oppose al'instant méme aux perturbatcurs tout le poids de votrc




CHAPITHE rx, 447
autorité , agissant sur le lieu mémc. Ccuo activité que je vous de-
mande, vous avez le droit de l'exiger de moi. Toutes les fois que
des affairesseront retardées, écrivez-moi , en adressantvotre lettre
ú uioi seul. Je serai heureux de préscnter a Sa ñlajesté les résul-
tats de votre zele et de vos travaux; ce sera pour moi un devoir
bien doux a remplir, lUais si j'apercevais dans votre administra-
tion de la lenteur ou de la mollesse , si vous ne vous y livriez pas
tout entier, j'en instruirais le Roi, aucune considération ne m'ar-
rüterait !.... » M. de Vaublanc, des le troisieme jour, était sur
les dents; la correspondancese trouva arriérée, Il ne put Jire et
pas meme décacheter ses Iettres, Son miuistére devint le théátre
de scenes bien curieuses. Un conunis avait-il fait une rature, ou
écri; en caracteres peu Iisibles , I\1. de Vaublanc recopíait de sa
main la píece , faisait appeler l' employé , et lui disait d'un ton
solenncl : « Monsieur, votre copie était incorrecte; e'est un mi-
nistre du Roi qui a pris la peine de la recopier de sa propre main !
Voyez! il manie la plumo comme la parole a la tribune. » C'était
bien autre chose lorsque le ministre montait acheval dans son jar-
din, l\I. le comte d' Artois lui avait fait présent du cheval blanc avec
lequel S. A. R. avait fait son entrée a Paris. A une heure dite ,
l'huissier ouvrait la porte adeux battants, et disait : « Le cheval
dc Jlollseigncur cst prét, » Alors M. de Vaublanc suspendait ses
travaux , renvoyait ses chefs de division , ou méme les laissait dans
son cabinet; il s'élancait dan s son jardin, puis acheval, et se
mettaít a caracoler en tous sens, aux applaudissements des spec-
tateurs. Apres quelques tours d'exercice , le ministre, tout rayon-
naut de sa propre adresse, venait reprendre son travail. Pour
dernicr trait de caractérc , 1\1. de Vaublanc, dans sa vanité de
de bello nature, demanda, dit-on, a1\1. Lemot de poser pour
la statue équestre de Henri IV. On concoit quelle irnmense in-
íluence le pavillon lUarsan exercait sur le ministre de l'inté-
ricur, C'était dans son ministere surtout que les dénonciations
étaient accueillies, qu'elles arrivaient par milliers contre les pré-
fets, les sous-préfets, les employés de tous grades. lU. de Vau-
hlane voyait 1\I0NS1EUR tous les soirs, 1\1l\f. de Fitz-James, Jules




448 HISTüIRE DE LA RESTAURATIüN.
de Polignae ne quittaient pas son salon. Les derniers préfets mo-
dérés , 1\l~I. d'Houdetot et de Bondy, furent destítués ou ame-
nés a donner leur démission. l.\I. de Girardin avait été frappé an-
térieurement. On les remplaca par la créte du parti royaliste,
1\1. Ferdinand de Berthier recut l'importante préfecture du Cal-
vados. Plusieurs chefs de divisionfurent changésal'intérieur. La
question , comme on l'a dit , se résumait en des places, Chaqué
soir le bulletin en était présenté a MONSIEUR.


A la guerre, 1\1. le due de Feltre suivait une ligne plus pro-
noncée encore. Ce n'était pas assez d'avoir frappé ou destitué
d'anciens camarades: le général Clarke , sous les inspirations de
M. Tabarié, dressait des catégories, faisait des épurations, et pour-
suivait ainsi les débris turhulents mais glorieux de nos armées,
« le Roi, disait le ministre, en ordonnant la forrnation de la
eommission pour l'examen de la conduite des officiers , a eu pour
objet d'écarter du tableau d'activité les hommes dangereux ca-
pables de corrompre eneore l'esprit des troupes; d'établir une
distinction néccssaire entre les officiers qui se sont associés al'at-
tentar de l'usurpateur par I'empressement qu'ils ont misale sc-
conder, et ceux qui ont cédé al'exemple funesto qui leur a été
donné. On rangera dans une premiere catégorie les officiers-géné-
raux et officiers de tout grade, de toutes armes, quí , vingt jours
apres l'arrivée de Bonaparte a Paris, ont abandonné le service
militaire; dans la deuxieme classc, ceux qui , sans quitter le ser-
vice, ont refusé de signer le serment de fidélité aBonaparte et
aux prétendus actes additionnels aux constitutions de l'Empire ;
dans la troisieme classe, ceux qui, ayant signé ce serment, ont
expié cet oubli de leur devoir en quittant , par une démission
volontaire , le service de l'usurpateur ; dans la quatrieme , ceux
qui, entrainés d'abord, ont abandonné le partí de l'usurpateur;
dans la cinquiéme , ceux qui, d'abord employés dans l'armée ,
ont été destitués comme suspects au gouvernement de Bonaparte,
et non pour d'autres motifs infamants; dans la sixiéme , ceux
qui sont restés fideles au service , mais centre lesquels il existe
dans les bureaux du ministere des dénonciations qui honorent




CHANTRE IX. b49
leur attachement au Roi; dans la septiémc , eeux qui, étant en
non activité a l'arrivée de 1'usurpateur, n'ont formé jusqu'au
retour du Iloi aucune demande pour obtenir de 1'activité; dans
la huitíeme , les officiers ou admiuistrateurs qui ont conservé
leur destination avant le départ du Roi; dans la neuvierne , eeux
qui ont fait un service sédentaire a l'intérieur ; dans la dixieme ,
ceux des officiers ou administrateurs qui ont obtenu la confir-
mation des grades ou récompenses qu'il avait plu au Roi de leur
accorder; dans la onzieme , ceux qui ont fait partie de 1'une des
armées formées par Bonaparte; dans la douzieme , eeux des dé-
nommés ci-dessus qui out signé des adresses a Napoléon Bona-
parte; dans la treiziéme , les officiers qui ont commandé des ba-
taillons de fédérés ou des corps de partisans. La quatorziéme
classe se composera des officiers et administrateurs militaires
placés dans les positions ci-apres déterminées : 1°. ceux qui se
sont déclarés pour Bonaparte vingt jours avant le départ du Roi ;
2°. les officiers-généraux et supérieurs qui ont arboré de leur
propre mouvement 1'étendard de 1'usurpation et publié des pro-
clamations séditieuses ; 3°. les officiers-généraux et supérieurs
qui ont réprimé ou puni les mouvements des fídélcs serviteurs
du Roi; h0. les commandants de places et forts qui ont refusé
d'ouvrir leurs portes et se sont exposés a tous les dangers d'un
siége, s'il est constaté qu'ils ont opposé avec intention une ré-
sistance coupable aux ordres du Roi; 5°. ceux qui ont marché
contre les troupes royales rassemblées dans l'intérieur; 6°. ceux
convaiucus d' aroir insulté l'cffigie du Roi ou des princes; 7°. les
officicrs a demi-solde qui, volontairement, ont quitté leurs
foyers pour se porter sur le passage de Bonaparte, et qui 1'ont
accompagné a París, Les officiers compris dans la quatorzieme
classe resteront dans l'état de non-activité , amoins que des re n-
seignements ultérieurs ne fournissent la preuve de leur repentir
et de leur rctour aux vrais principes. )


VoiHt de ces pieces qui excitaient l' enthousiasme et les héné-
dictions royalistes sur M. le général Clarke. Les catégories Cu-
rent suivies avee une extreme rígueur, Parmi d'excellents offi-




liSO IIlSTOInE DE LA RESTAUHATLON.
ciers , on lit entrer je ne sais quels hommes , qu'on fut oblig{~
plus tard d'expulser par pudeur. Les régimcnts s'épurerent
ainsi peu apeu: cal' si les époques de réactions forccnt souvent
a subir des indignités militaires , il se fait , parmi les officicrs
francais , une police d'honneur qui les élague, Le ministre
de la guerre ne se horna point aux instruetions qu'il avait
données. La eommission d'épuration Iut ellc-méme épurée ct
se composa du prinee de la Trérnouille , de ¡no d'Andigné , du
duc de Caylus, du maréchal-dc-Camp de Cauchy , Paultre de
Lamothe, dévoués au systéme de réaction. L'arrnée se ressentit
de l'esprit de cette eommission , qui proceda avec la derniere ri-
gueur. La premiere división mílitairc Int placéc sous le com-
mandement du général Dcspinois ; carnerero dnr, esprit rude ,
il traita les oflicicrs houapartistes avcc une rigucur inflexible. te
eomte de La Roeheehouart, dont le nom se rattachait aux sou-
venirs de l'invasion , recut le comrnandement de la placede Paris.
Tous les gentilshommes agrands noms, la plupart officiers-géné-
raux, imprmisésen1814, obtinrentdesgol1yernementsmilitai1'es,
ou le commandement des divisions ; comment, aprés cela, le gé-
géral Clarke n'aurait-il pas excité I'cnthousiasme de la eour et les
applaudisscmeuts de la eoterie de lUOKSfEUn!


M. le vicomte Dubouchage Iaisait de grandes ordonnances sur
la marine, et, rappelant les ofliciersde l'ancicn régime, destituait
ceux de la marine uouvelle. Que pouvait-on auendre d'un mi-
nistre prcsquc tomhé dans I'cnfance , plcin de mauios , ct avec
lequel il était impossible de causcr une demi-hcuro sans deman-
del' s'il n'yarait pas cas d'jntcrdiclion ! )1. Dccazes , alors plcin
d'ardcur royaliste , ne luttait pas encoré contre le pavillon
Marsan. Cependant sa police , prcsfpw loujours en rapport
avec les polices nomhrcuses du Chale<111, suscitait (les ini-
mitiés et des jalousies, ~I. Decazcs pouvait ménager l\!Oi\SJII.:R ;
mais il ne pouvait croire, sans abjurer saraison, toutes les niaisorics
de police dont on chargeait le Bulletin de la COUl', ot ccci CO!H-
prometrait son dévoucment dans l' esprit des conscillers intimes
de la Famille rovale, Son rólc actif était 3npn\s dn Iloi. 11 ('11<'1'-




CHAPITRE IX. 451-
chait ~l faire contraste avcc les manieres larges de l\l. de Talley-
rand. Toutcs ses correspondances avec les préfetsétaíent analysées
soigneusement, placées sous les yeux de Louis X VIII qui sem-
blait faire ainsi les aííaires du royaume, Cette espece d'associa-
tion au gouvernement était fort agréable au Roi, et commenca
la grande faveur de JU. Decazes. Ensuite le ministre, courtisan
habile , savait avec honheur faire ressortir l'esprit anecdotique
du monarque. Sa convcrsation consista en une certaine maniere
d' écouter et de répondre , qui faisait croire a Louis X VIII que le
ministre était son élevc , qu'ille formait a la direction de son gou-
verncment. La poliee de lU. Deeazes se ressentit de son époque;
mais il y a néanmoins eette justiee arcndre au ministre, qu'il ne
suivit pas tous les ordres, toutes les insinuations des partís. Sur ce
point il s'entendait parfaitcment avcc le Iloi , qui aimait a répé-
ter: « ils sout lrop bétes l ) En eífet , si l'on avait écouté les
Bulletius de la Cour, on aurait, chaque jour, arrété , proscrit,
exilé, On arréta , exila ou proscrivit assez de gens déja, 1\1. De-
cazes suivit l' esprit du moment; en temps de parti , quel est
l'homme qui reste maitre de lui-méme ! Cet engouement royaliste
était tel qu'il s'empara méme de l'esprit si roide, si austero de
)1. Barbé-iUarbois. Ses choix de magistrats , ses mesures, ses cir-
culaires se ressentircnt des circonstances dans lesquelles on se
trouvait. La magistrature fut décimée. On épura quelquefois avec
mesure et sagacité, le plus souvent avec passion ; et ici nous n'ac-
cusons pas les caracteres; qui peut en effet se défendre d'appar-
tcnir a son temps , d'en adopter jusqu'a un certain point les im-
pressions injustos ét passionnées! Cependant, l\l.de Barhé-Marbois
ne se 11t point pardonner, et la faction n'oublia jamais que
l\l. Guizot était protestant : c'était un grand grief alors , cal' l'ac-
tion religieuse était au moins aussi puissante que l'action politi-
que. ;\1. de Corvetto s'absorbait dans les questions fiuancieres, et
ces questions devenaicnt chaqué jour plus difficilcs, JUalgré une
résistance vive et presque générale contre l'impót indirect, il
commcncait ase payer régulieremcnt ; les services furent réta-
hlis , les employés respectés, L'emprunt de cent millions rentrait




452 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
avee un zéle et une ponctualité remarquahles, te traité de paix du
mois de novembre avait fait connaitre la somme des sacrifi-
ces; et déja méme, par la seule eonfianee qu'inspirait le Gouver-
nement des Bourbons, les emprunts devenaient plus facilement
réalisables. 1\1. Corvetto n' avait pas d' opinion politique bien
tranehée; mais par la force de ses antéeédents il devait faire pré-
valoir, dans les conseils, des sentiments de modération.


Dans son ensemble, le Conseil des ministres comptait trois
voix acquises absolument aux Royalistes, lUl\I. de Vaublanc,
Dubouchage et Clarke; deux voix pour le systeme de modé-
ration , 1\1M. de Corvetto et Barhé-Marbois ; ct une voix, encore
incertaine et flottante, lU. Decazes. IJe duc de Richelieu domi-
nait les délibérations, et son seul ascendant entrainait la majo-
rilé. 1\10NSlEUR exercait une immense influencc sur le Gouver-
nement. Tout aboutissait alui. On le vit d'une maniere écIa-
tante hors de la création du comité d'inspection de la garde na-
tionale. l\10NSIEUR, colonel-général de la garde nationale, rccut
la direction absolue de cette grande force publique. Le ministre
de l'intérieur s'en dépouilla. Ce comité devait pourvoir ¿\ tous
les grades, a tous les services de la garde nationale du royaume.
Les trois inspeeteurs-généraux furent MM. les comtcs de Bruges,
Jules de Polignac et Allent , conseiller d'État , homme d'une
incontestable capacité, mais que l'influence de MONSIEUR de-
vait complétement absorber. Le colonel Kettzinguer, qu'on vit
plus tard secrétaire des Suisses, fut désigné comme secrétaire
du comité.' La garde nationale se trouva dans les mains du cornte
d'Artois : tous les officiers d'un royalisme incertain recurent
leur démission. Des nobles et anciens émigrés les remplacerent
dans les départemeuts, Ce fut, il faut le dire , une organisation
admirable, que celle qui fut donnée acette époque par l\10N-
SIEUR aux Royalistes. Jarnais gouvernement n'eut plus de forces
et de ressourees; et la France était cornme enlacée par un partí
qui voulait s'emparer du Gouvernement.


La Chambre des Députés se montrait ardente; il était impos-
sible qu'un ministére se présentát devant elle sans s'emprcindre




CIIAPITRE IX. lt53
de son esprit, sans servir ses craintes et ses ressentiments. Le
Cabinet lui-méme n'y était que trop disposé, Produit d'un mou-
vement de réaction , pouvait-il échapper a toute influence réac-
tionnaire! L'admiuistration de M. de Talleyrand, quels que
fussent les gages donnés par sa liste du 24 juillet, par son épu-
ration de pairie et ses concessions de nécessité , n'avait pu ga-
guer la eonfiance des Royalistes. Il fallait se jeter dans les lois
d' exeeption. Le budget allait imposer de grands sacrifiees, et
par conséquent agrandir le pouvoir de la Chambre. Toute as-
semhlée qui a beaueoup adonner, exige beaueoup ason tour :
e'est une nécessité. La Franco était épuisée et on en aeeusait les
Bonapartistes et les Jaeobins. Dansleseonférenees préliminaires
entre les ministres et les chefs de la majorité, il fut arrété qu'on
présenterait : 1°. un projet eontre les cris séditieux; 2°. un
autre sur la suspension de la liberté iudividue11e; eufin, comme
complément, un troisieme sur les cours prévótales, Ce furent
la les premiers travaux de la session. Le garde des seeaux,
M. Barbé-Marbois, chargé du projet de loi sur les cris séditieux,
ne s'épargna aueun de ces mots sonores et traditionnels chez
tons les pouvoirs qui demandent des lois extraordinaires : « Si
de grands attentats out été commis, si les lois ont été mécon-
nues , si, pour sa propre conservation , le citoyen soumis aux
lois a dú rester immobile devant les bandes séditieuses indísci-
plinées , sans frein , si le crime a joui, pendant quelque temps,
de ses funestes triomphes, les calamités se prolongent méme
quand ses succes ont été interrompus ; alors les révoltés veulent
aforce d'audace regagner leurs avantages perdus, les séditieux
s'excitent nmtuellement, se eherehent, font des efIorts pour
étre apercus en tous lieux , atoute heure, comme assurés d'une
nouvelle victoire. ]1Ya quelques hommes dont l'unique morale
est la crainte des peines. e'est contro des eoupables de cette es-
pece que nos lois sont, aplusieurs égards , impuissantes. » En
conséquenee, le ministre présentait un projet, qui, aprés avoir
défini les eris séditieux, en punissait les auteurs de trois mois a
cinq ans d'emprisonncment , et les placait sous la surveillance




454 ntsrotne DE LA RESTAURATION.
de la haute pollee. Ce projct ne satisílt personnc. JU. lUarhois
n'était ras aimé. Il s'était fait accompagncr de JU. Portalis , con-
seillcr d'État, commissaire du Couverncmcnt ; et les députés de
1\1aine-et-10ire rappelcrcnt que M. Portalis avait été membrc
de la Iédération des Ccnt-Jours , comme présidcnt de la cour
royale d' Angers. On murmura hautemeut. Ensuite le projct fut
trouvé timide et les peines bien faibles, Qu'était-ce que trois
111oi8 a cinq ans de prison ?


Pendant ee temps lU. Deeazes préscntait un projct sur la sus-
pcnsion de la liberté individucllc, Son exposé des motiís , tres-
ardent et plein de haine conlre la Itévolution, fut accueilli avec
faveur par la majoritó royaliste. (( le projet n'avait pour objet
que de réprimer les grands cOl/pabl(Os, prévenir les auenrats de
ces hommes auxquels le remorrls cst érrangor, qno le pardon
ne peut ramener, que la clémence offcnse , que rien ue saurait
rassurer, paree qu'il est des conscicnces qui ne sauraient l'étre.
Les factieux, semblables au génie du mal qui les inspire, mé-
ditent des crimes dont ils ne peuvcnt espérer l'oubli, » C'est au
moycn de ecuo bello rhótorique que le ministre demandait que
tout individu , quellc que Iüt sa profession, qui aurait été ar-
reté comme prévenu de crime ou délit conrre la personue et
l'autoritó du Roi, centre les pcrsonnes de la Famille royalc , ou
contre la sürcté de l':État, pút ctre détcnu jusqu'a I'cxpiration
de la loi. J'ai bcsoin d'expliquer ce qui avait motivé cettc loi. tes
factions victoricusos ont soif d'arbitrairc , la Chambre demandait
des rigueurs par son adresse ; sur tous les points du Iloyaumc ,
les comités royalistes , les préfcts , les maircs avaicnt fait arréter
des personuages particuliercment compromis dans les Cent-
Jours. Quelquefois ces arrcstations avaicnt eu Iícu dans l'intérét
méme de ceux contre lesquels elles étaient dirigécs , et qu'on
Iaisait ainsi échapper aux réactions populaires , si sanglantes
alors, Et puis , les partís vaincus se conduisent souvent avec tant
d'imprudence! il n'est que trop vrai que quclques enfants ])cr-
dus des opinions patriores ou houapartistes commettaicut des
excés, outrageaient le Boj, les princes de sa íamille , proféraicnt




CllAPlTUE IX. 45.)
sur les pillees publiques des cris séditieux , couspiraient méme
pour renverscr l'ordrc établi. Ce sont, en géuéral , ces impru-
deuccs qui tueut la liberté. Elles appellent des mesures d'excep-
tion; elles justificnt cet arbitraire vers lequel le Pouvoir est si
naturcllemcnt entraiué. Ce serait une histoire importante et so-
lcnnelle que de suivrc tout le mal que ces queues de Iactions
ont fait aux paisibles garanties de la liberté.


Le projet de 31. Decazcs fut discuté avant celui de l\I. de
ñlarhois; la majorité préíérait le ministre. En vain quelques
voix Iihérales s'opposéreut au projet; lU. Voyer-ri'Argenson
croyait la loi préscntée daugereusc, « IJ serait essentiel de faire
une euquéte préalablc , comme on 1'.1 fait en 1794 en Anglo-
ten-e; si, d'uu cóté , les oreilles sont déchirées par les cris sé-
ditieux , les crcurs ne le sont pas moius par le récit des mal-
heurs des protestants dans le lUidi. » 1\1. d' Argensou fut vive-
ment interrompu : « Croyez-vous etre au Champ-de-Mai ? lui
cric-t-on. Al'ordre !al' ordrc ! » Vainement l\I. le Président veut-
il maintcuir la parole a ¡u. d' Argenson. A 1'ordre! s' écrie-t-on,
et la Chambre consultée prouonca le rappcl 11. l'ordre. 1'1. Pas-
quicr défendit le projct, mais en restrcignant ses dispositions ;
il ne voulut conficr le droit d'arróter qu'aux ministres et aux
préfcts spécialement déléguós; le détenu devait erre mis en li-
berté, si au bout de quarautc-cinq jours l'acte d'arrcstation
d'un ou de deux ministres u'était signifié au détenu ; il demanda
que la durée de la loi ne püt allcr au dclade quinze jours apres
la prochaine session, L'opposition libérale demanda, comme
l\l. d'.\rgenson, une cnquérc : ce fut alors que M. de Vaublanc
essava pour la premiere fois son improvisation, Il s'élanca 11. la
tribune : « Oui , en Auglctcrre , il Iut Iait une euquéte en 1794 ,
mais les eirconstances actucllcs n'offrcnt-clles pas une suffisanto
nécessitéd'uu pouvoir cxtraordinairc qui vcille au salut de l' État?
L'immeusc majorité de la Fraucc vcut son RoL .. » A ces niots
un granel cnthousiasmc éclata dans la Chaurbrc ; elle se lela
aux cris de cive le Boi! M. de Yaublanc , grandemeut satis-
Iait de lui-méuie , continua : c( Ces acclamatíons sont univer-




456 iusromr DE LA HESTAURATlO:\'.
selles en France , rnais jI se trouve une minorité factiense,
ennemie d'elle-méme , qui ne peut vivre que dans le trouble,
C'est cette minorité si faible et pourtant si dangereuse qu'il
faut surveilIer sans relñche et comprimer par de fortes lois,
paree qu'elle ne peut l'étre par aucune considératíon morale ou
religieuse. » On sent combien ce langage devait plaire ala ma-
jorité exaltée. l\l. Decazes eut peu d'efforts afaire pour obtenir
sa loi.


La discussion sur les cris séditieux souffrit plus de difficultés.
Le rapporteur de la conunission exposa que les formes el les
garnties nécessaires dans les temps calmes devenaient sou-
vent daugereuses quand le crunc veilLait .. s'agitait et menacait
l'existence de la société tout cntiere. Il en conclut d'abord que
le oait: public appelait le rétablissement de juridictions prévó-
tales. Le projet de loi était trouvé imparfait, indulgent, Tous
cris séditieux, d'apres les amendements de la commission,
étaient punis de la déportation, Tout citoyen qui arhorait dans
un lieu public un autre drapeau que le drapeau blanc était
frappé de la méme peine. On punissait sculement d'une amende
et de trois moís a cinq ans de prison la calonmie ou les injures
par lesquelles on tenterait d'aflaiblir le respect dú ala personne
ou ~, I'autorité du RoL On privait les coupablesde tout ou partie
de lcur pension acquise par des services et légalement obtenue.
Cette discussion fut épouvantable. JU. Humbert de Sesmaisons
vota pour substituer la peine de mort a la déportation , dans le
cas oú les actes et les cris auraient porté a changer la forme du
gouvernement du Roi, ou aarborer un autre drapean que le
drapean blanco l\l. Pict s'écria : « Prenez toutes les précautions
pour l'exécution de la loi; que les maires , les adjoints , les
juges de paix, les officiers de gendanuerie en soient person-
nellcmeut responsables. Je demande qu'on Irappe de mort toute
personne coupable d'avoir arboré dans un lieu public un dra-
peau autre que le drapeau blanco » - « Apres tout ce que nous
avons vu, ajouta lU. Josse de Bcauvoir, cst-ce tcrnps de prendre
de vains ménagemcuts '! Depuis le rctour du Iloi , OH s'cst plu a




ClJAPlTUE 1.\. h57
carcsscr le crime plutót que de le Oagellcr; je vote pour les
travaux forcés a perpétuité, - « La mort! la mort! s'écria
]\1. Humbert de Sosmaisons; il faut atteindre les grands cou-
pables, Donnez le tiers de l'amende aux complices révélateurs. »
-(e Il faut les frapper comme des parricides , s'écria lU. Boin,
s'il y a eu commencement d'exécution. » lU. Pardessus se sé-
para de la majorité ardente pour se ranger dans les opinions
de la commission; seulement iI demanda le rétablissement des
cours prévótales, Au milieu de ces fureurs que je rappelle,
comme une espéce de chñtiment pour tous ceux qui se laissent
entrainer aux passions poIitiques, la minorité de la Chambre
s'efforca de faire entendrc des paroles d'humanité. Mais que
pouvaient faire ces voix isolées? Le Gouvernement Iuí-méme
ne dominait rien. La majorité s'arréta comme tenue moyenaux
amendements de la commission, et ne repoussa la peine de
mort qu'en adoptant la déportation. Rien n'est plus terrible,
qu'une assemblée politique dominée par l'esprit de réaction.


Comme complément a toutes ces dispositions, la Chambre
avait demandé une juridiction spéciale; la garantie du jugement
par jury lui paraissait incompatible avec l'appIication prompte
et sévere des peines. Ce projet touchait au ministére du général
Clarke , et la majorité de la Chambre l'avait placé en bonnes
maíns. Ce fut le 17 novembreque leprojet des cours prévñtales
fut présenté par le ministre de la guerreo « C'était acette loi impé-
rieuse de la nécessité qu'était due l'origine des cours prévótales,
créées par le génie des plus illustres magistrats. Le but de la loi
était de faire renaitre enfin dans le royaume ce calme que des
institutions semblables y entretenaient autrefois, d'intimider
les méchants, de les isoler en quelque sorte de cette foule
d'étres faibles dont ils font leurs instruments. » lUl\!. Royer-
Collard et Cuvier étaient chargés de soutenir la discussion de
cette loi, tant les esprits les plus sérieux se laissent aUer aux cir-
constances! Apres deux lois de suspects , on créait une juridic-
tion de suspects. C'est la marche naturelle de toute assemblée
violente. La commíssíou aggrava encore le projet du Gouverne-


l. 39 />.~
,... ..~.


r Jo,,'


'+:';-tI.




458 I1l5TOIRE DE LA llESTAURATlOX.
ment; elle soumit ¿l la juridiction de la cour prévütale les cris
séditieux; elle ne voulut pas que l'on püt accorder un long délai
pour 1'audition des témoins. Elle pensa que le ministere public
devait pouvoir appeler a mínima. La discussion n'offrit rien de
neuf, rien de saillant; ce furent toujours les mémes déclama-
tions contre les factieux. Cette discussion dura une partie du
mois de décembre. La Chambre mit un grand soinaóter toutes
les expressions qui pouvaient faire supposer l'idée du provisoire
dans 1'institution des cours prévótales, .Sous le prétexte qu'elles
étaient dans la Charte , on voulait en faire un articIe constitu-
tionnel; c'étaít un développement a la proposition de l\l. Hyde
de NeuvilIe sur les tribunaux, Alors membre ardent de la ma-
joríté , l\l. de NeuvilIe avait demandé qu'on supprimát une partie
des cours et tribunaux, et surtont qu'on suspendit I'institution
des juges et leur inamoviliilité pendant une année , de sorte que
les juges amovibles eussent été comme des especes de commis-
saires auservice du parti triomphant. Apres tous les grands
bouleversements politiques, il Ya toujours une réaction contre
la magistrature. Les opinions ardentes ne peuvent supporter ces
formes lentes, protectrices, cette iuamovibilité qui refuse de
se ployer a leurs exigences : cal' alors tout frein est importuno
Un des caracteres de cette Chambre de 1815 fut au reste la
manie des propositions; ehaque député se crut obligé de faire
quelque chose pour la religion et la monarchie; on déposa des
propositions sur le sort des prétres , sur la liberté des donations
au clergé, sur les catégories de proscrits. C'est le caractere des
assemblées qui se réunissent dans les grandes tourmentes poli-
tiques; tout député veut alors gagner ses éperons.


A la Chambre des Pairs, les discussions avaient un caractere
plus grave et plus solennel. Le projet de loi sur lafaculté d'arré-
ter tout individu suspect fut présenté par l\I. Decazes. « Cette loi,
disait-il, oflrait a la société une garantic dc conservation et de
repos , aux sujets fideles un juste motif de confiance et de sé-
eurité, aux traitres un salutaire et juste eílroi. » Comment re-
fuser un projet dont les conséquences étaient si hienfaisantes?




CHAPITRE IX. 459
1\1. le duc de Doudeauville approuva la loi comme juste et né-
eessaire : « Enlevons, dit-il , a des hommes, dont le trouble
est l'élément , dont les complots sont l'habitude, l'affreux espoir
de rcnouer leurs trames criminelles. »


« Votre loi est injusto , dit M. Lanjuinais , paree qu'elle
érige en prévention de simples soupcons, et qu' ellefait de cette
prévention un motíf d'arrestation et de reclusion indéfinie,
paree qu'elle óte aux prévenus le droit le plus sacré , le plus
inviolable, eelui d'étre jugés, de l'étre par leurs juges naturels ,
par des juges inamovibles. Je vote done contre ce projet; je de-
mande au moins qu'une commission soit nommée pour le modi-
fiel' dans son essence. ) M. Castellana prit un terme moyen:
puisqu'on croyait la loi néccssaire , il ne répugnait pasala voter,
mais il était essentiel el'en corriger les dispositions par des amen- .
dements précis, « Béglez d'abord les fonctionnaires ehargés de
décerner les mandats ; ils ne doivent pas s'étendre au dela des
ministres et des préfets. Déterminez surtout la responsabilité, en
les oblígeant arendre un eompte exactdes mandats quinze jours
apres l'ouvcrture des Chambres. ) Le duc ele Laforee répondit :
« De quoi s'agit-il? d'une loi ele cireonstance : il est done moins
utile d'examiner ses inconvénients et ses dangers. Peut-on se
dissimuler les manceuvrcs, les esperancesd'un parti auquel nous
devons nos malheurs! - Oui, répliqua 1\1. Boissy-d'Anglas, je
conviens ele ce que les circonstanees ont d'impérieux , d'extraor-
elinaire; j'avoue méme que la loi me paralt indispensable, et
mille elispositions ele détail ont besoin ele la préciser et définir ;
il Y a incertitude sur la qualité des fonctionnaires, et qu'on
s'imagine tous les inconvénients qui pourront en résulter l Cha-
que département , chaqué loealité l' exécutera d'une maniere dif-
férente; et qui sait? son exécution sera plus douce la OU elle
devrait étre plus rigoureusc. -- C'est le vice du projet actuel,
répondit le maréchal ñlarmont , projet si nécessaire qu'a mes
yeux la perte ou le salut ele I'État peut en dépendre. Les dis-
positíons sont obseures, arbitraires ; limitezle droit ele poursuite,
uc le confiez qu'a un ministre responsable. - Alors, s'écria




{160 HISTOInE DE lA RESTAURATION.
1\1. Lenoir-Laroche, nommons une commission spéciale. - La
loi proposée , s'écria 1\1. de Fontanes, répond au vceu exprimé
par la Chambre dans son adresse au RoL Cette adresse recom-
mandait au Roi les droits de la justice; elle semblait redouter
l'exces de la clémence. On vote contre elle par humanité , je
vote en sa faveur par le méme sentiment. 11 faut, amon avis,
faire beaucoup de peur si 1'0n veut faire peu de mal. .- Oui,
dit 1\1. de Brissac, la loi proposée est une mesure d'indulgence;
il a paru suffisant au Gouvernement d'óter a un certain nombre
d'individus les moyens de nuire a eux-mémes et ala société sans
les faire asseoir sur les bancs des accusés. » Un incident sui-
vit cette discussion législative : lU. Lanjuinais ne s'était pas
contenté de prononcer son opinion contre la loi de 1\1. Decazes ,
il avait publié cette opinion en brochure, augmentée encere
d'expressions plus fortes et plus violentes. C'était une action
que 1'0n pouvait trouver hardie que cette protestation en face
du pays; les esprits plus sérieux la trouvaient imprudente, et,
plus que cela, inutile. Il y avait d'ailleurs violation de la Charte
et du réglement de la Chamhre des Pairs , dans la publication
d'un discours prononcé daos une séance toujours secrete. lU. le
duc de Doudeauville dénonca cette infraction a la tribune. « Je
réclame, dit-il , contre la publication d'un écrit OU la premiere
loi de cette session est présentée comme un renouvellement de
la loi des suspects, OU 1'0n ne craint pas d'avancer que les sus-
pects de 1. 793 avaient plus de ressources pour faire entendre
leurs gémissements que n'en auront les suspects de 1. 815. »
Cette dénoncíation n'eut pas de suite efficace; 1\1. Lanjuinais
expliqua sa pensée. Il en resta toujours que cette expression
cxagéréed'une opposition sans hut avaitproduit plus de mal que
de bien, méme ala cause constitutionnelle : c'était du bruit, du
scandale, et voila tout. La conduite de 1\1. Boissy-d'Anglas fut
plus habile.


C'est dans une de ces séances que se passaune scene complé-
tement dans les opinions de l'époque; ellese rattachait d'aillcurs
aux intentions du parti rovaliste dans le Midi. 1\1. JI' dnr d'An-




DIANTRE IX. "61
gouléme avait reudu des services ; le premicr de tous avait été
d'empécher l'entrée des Espagnols sur les terres de France;
mais le partí royaliste tenait moins aexalte!' ce servicc qU'~1 faire
confirmer les nominations faites par .M. le duc d' Angouléme
sous I'influence des comités. 1\1. le duc de Fitz-Jamesse chargea
de cette cspece d'élogc de Trujan , de cette oraison tríomphalc,
oú le noble Pair ne manqua pas de parlcr « des choixdu prinec,
qui n'étaient jamais tombés que sur des hommes recommanda-
bles par Ieurs talents, Ieur moralité et Ieur patriotisme, » La
réponse de 1\1. le comted'Artois a ce discours fut pleine de COI1-
venance; il Yavait dans le cceur de MONSIEUR quelque chose
de noble, d'élevé , de chevalcrcsquo : « Pardonnez a l'émotion
que [ait naitrc dans le crcur cl'un pero I'éloge d'un fils digne de
tout mou amour, digne, j'ose le dire , de l'amour de toute la
Franee. Il ne peut qu'etre flatté des témoignages précieux de
votre estime; mais connaissez toute ma pensée : si mon fils avait
eu le bonheur de déployer contre les ennemis extérieurs de la
France le courage que vous voulez honorer en lui, une telle ré- .
compense mettrait le comble a ma satisfaction et a la sienne,
lUais Francais, prince francais , le duc d'Angouléme peut-il ou-
hlier que c'est contre des Francais égarés qu'il a été forcé de
comhattre? Et combien a coüté a son cceur cette cruelle néces-
sité! Permettez, 1\Iessieurs, que je refuse pour mon fils des re-
merciements acquis a ce titrc, Quant a la retraite des troupes
d'Espagne, ce n'est pasa mon fils, c'est an 3Iidi tout entierque
nous en avons l'obligation; c'cst a l'excellentesprit dont cespro-
vinces sont animées; c'est au dévouement, a la fidélité de la
Frauce pour son Iloi , et al'hommage que le noble caractere es-
pagnol a rendu ¿l eette fldélité , qu'est due la retraite de ce~
troupes. » L'assembléepassa al'ordre du jour, ainsique MONSJEUR
l'avait proposé : il y cut dans tous les cótés de la Chambre des
applaudissements pour ces nobles parolcs


Les opinions qui formaicnt la majorité de la Chambre des
Députés correspondaient ~l la minorité de la Chambredes Pairs ,
minorité ardente , mais avec des formes plus élégantes, plus




ú62 mSTüIRE DE LA UESTAURATIüN.
aristocratiqucs, La discussion s'engagea des le 6 novembre sur
les cris séditieux. .!U. de Ilougé développa la théorie de la peine
de mort pour le cas oú un autre drapeau que le drapeau blanc
serait arboré. « Qu'est-ee qu'un drapeau si ce n'est un signe de
ralliement? Un drapeau arboré aGrenoble a été le signal de nos
derniers malheurs.» - « Je propose un amendement al'articJe 5,
dit ]U. de Cháteaubriand, Cet article porte une peine eontre
toute parole qui pourrait effrayer les possesseurs de biens natio-
naux; eette disposition est barbare, cal' elle menace de la méme
peine un regret excusable ou une machination sacrilége; cet
article atteindra le malheureux émigré dépouilIé, qu'un acqué-
reur jaloux aura surpris versant quelques larmes, exhalant
quelques regrets sur la tombe de son pere. Trainé devant les
tribunaux par la calomnie, il Ysera jugé par la passion; il Y
perdra l'honneur, le seul bien qui lui restait, et tout cela pour
calmer des inquiétudes qu'auraient calmées, si elles pouvaient
l' étre , les promesses formelles de la Charte! pour étouffer ce
bruit inséparable d'une grande injustice! pour imposer un
silence que rompraient au défaut des hommes les pierres mémes
qui servcnt de bornes aux héritages dont on veut rassurer les
possesseurs! - On chcrche aémouvoir l'assembléc , répondit
1\1. de Pastoret, sur le sort de cet infortuné qui, banui du toit
héréditaire , sera tralné en justíce pour avoir plcuré sur un
tombeau. Ah! si telle est l'intention ou l'eITet de la loi, nous ne
saurions la rejeter avee trop d'indignation. ñlais on s'abuse sur
son objet, ce n'est point le malheur, c'est le crimc qu'ellc veut
atteindre.- Pour quel crime la mort sera-t-elle réservée ? dit
1\1. de Frondeville, si la peine de la déportation parait suflisantc
pour les cas mentionués dans l'articlc 1er du projet : ils seront
déportés ; mais OÚ le seront-ils? Avons-nous des Hes pour y re-
légucr de pareils monstrcs! » J e ramasse toutes les passions
ameutées de cctte vieillc ctjeunc aristocratie ; l'histoire u'cst-elle
pas un grand cuseigncmcnt? JI. Deseze lui-meme , qui avait vu
le triste Iruit des passions politiquea et s'était mis entre une
tete royale ct l' échataud , Iit également entcndro de fatales




CHAPlTllE IX. lt63
paroles. « I..cs publícístes les moins sévéres , dít-íl , ont pensé
que la mort était la seule peine convenable aux attentats qui ont
pour objet la destruction du eorps politique. D'oü peut venir
cette pitié cruelle ? L'intention, a...t-on dit, ne peut étre punie
comme le fait, mais e'est done l' événement qui fait le crime,
et eelui qui médite la ruine de I'État ne l'eüt-il pas opérée
s'il en eüt été le maitre! » Quel langage dans un grave magis-
trat, dans le chef de la premiére cour du royaume! punir l'in-
tention comme le fait lui-méme , punir la parole comme l'acte!
De cette discussion était résultée , comme des débats de la
Chambre des Députés, l'opinion qu'une juridiction exception-
neHe devaít également appliquer des peines d'exception, et le
projet des cours prévótales rencontra peu d'opposition dans la
Chambre des Pairs..Il fut adopté presque sans débats, C'était le
temps des tristes procés politiques.


Je vais toucher des questions ardentes , des questions oü se
méle du sang; mes principes, je les dis tout haut : j'ai horreur
de la peine de mort en matiére politique; toute réaction me parait
non-seulement UJl crime, mais une faute; les échafauds ont-ils
jamáis affermi une cause? Souvent il m'est arrivé de m'arréter
devant cette gravure sublime de vérité, oú une simple religieuse
pric devant le cadavre de Ney. Le sentiment que j'ai éprouvé en
présence de ce corps percé de halles, de cette tete oú la gloire
semble respirer encore au sein méme de la mort; tout cela m'a
fait rétléchir: s'il est possible jamais qu'une dynastie se con-
solide par la vengeance! Combien de haines n'amasserent pas
contre la ñlaison de Bourbon les deux exécutions de Ney et de
Labédoyére l Qu'y a gagné l' opinion royaliste? Hélas! ce sang
versé agrands flots est venu hattre les marches du trñue , et le
trüne a eroulé! J'aborde maintenant le cceur plus soulagé , la
question politique et légale; nous vivons aune époque de liberté
oú ron peut tout dire ; qu'on n'attende pas de moi que je cher-
che un moyen de popularité en exhumant aujourd'hui une in-
dignation qu'on n'a pas toujours eue. Je n'aime pas que pour
grandir sa taille et pour ennoblir sa figure politique , on aille




464 mSTOInE DE LA RESTAURATION.
gratter la terre qui couvre un glorieux cadavre. J'ai l'habitude
en histoire de me placer toujours plus haut que le temps OU je
vis. Ce temps est si agité! les passions sont encore si vives!
Nous sommes sous l'empire d'une autre réaction ! C'est done
la main sur la conscience, les yeux fixés sur la postérité , que
je vais parcourir ces pages sanglantes. Je ne pense pas que per-
sonne aujourd'hui puisse contester la culpabilité aux yeux de la
Restauration du colonel Labédoyére et du maréchal Ney. L'un ,
a la tete d'un régiment qu'il avait sollicíté et obtenu quelque
temps avant le 1er mars, s'était jeté dans les bras de Bonaparte,
et avait donné l'exemple de la défectíon. J..e. maréchal Ney,
aprés les protestations les plus éclatantes aLouis XVIII, l'avait
trahi ala tete d'un corps d'armée. On n'oubliern pas non plus
que la Restauration était le gouvernement établi en 1815, et
qu'il a pu considérer comme crime de haute trahison les faits
imputés aux deux accusés,


Avant d' entrer dans les circonstances et les détails de chacun
des proces politiques, et de faire connaitre les secrets de ces
poursuites, il faut examiner une grande question de droit publico
La capitulation de Paris couvrait-elle la culpabilité de tous ceux
qui avaient pris part aux Cent-Jours? Est-ce ainsi qu'on l'avait
d'abord interprétée? Quelle fut a ce sujet l'opinion des étran-
gers, l'opinion du par ti liberal et du parti royaliste? Cette capi-
tulation était-elle obligatoire pour les alliés et pour Louis XVIII ?
Toutes les dispositions de cette convention étaient relatives a la
prise de possession de Paris et a la retraite de l'armée sur la
Loire, avec son matériel, ses canons , ses bagages; l'article 11
garantissait les monuments puhlics de la capitalc. L'article 12
portait: « Seront respectées les personnes et les propriétés par-
ticulieres ; les hahitants , et en général tous les individus qui se
trouvent dans la capitale , continueront ajouir de leurs droits
et libertés, sans pouvoir étre inquiétés ni recherchés, méme
relativement aux fonctions qu'ils occupent ou auraient occupées ,
a leur conduite et a leur opinion politique. » Le texte de cet
article pouvait-il etre interprété dans le gens d'une amnistíe




CTIAPITr.E IX. ft()5
absoluc? S'appliquait-il aux simples habitauts , aux simples
fonctionnaires, á tous les indioidus qui se trouoaient dans la
capitale? Était-elle un acte politique ou une convention pure-
ment municipale? Le duc de Wellington pouvait-il .promettrc
une protection a tous les Francais compromis dans les Cent-
Jours a l'occasion d'une capitulation toute spéciale a Paris?


Si j'avais été le duc de 'Vellington ou le prince Blücher,
j'aurais plutót ofIert ma tete que de souffrir la violation d'une
da use décisive , puisqu' elle touchait ~l la vie des hommes, lUais,
par rapport au gouvernemcnt de Louis XVIII, pouvait-elle
protéger tous les individus compromis daus les Cent-Jours ?
Comment le général GuílIeminot, 1\D1. de Bondy et Bignon
auraicnt-ils stipulé des conditions générales d'nnmistie pour tous
les Francais , lorsqu'ils ne traitaient que comme les représentants
d'une armée qui ne capitulaít pas et n'abandonnait qu'uue po-
sition, et de París qui ouvrait ses portes? M. Bignon doit se
souvenir de ce que portaient ses instructions; on avait interdit
aux plénipotentiairesde traiter des questions politiques. La com-
mission du Courememcnt se les réservait. Lorsque le maréchal
Davoust écrivit ~l cette commission pour lui parler des ouver-
tures qui lui avaient été faltes au nom de Louis XVIII, que
répondit le président Fouché , au nom de ses collegues ? « Con-
cluez une convention purement militaire et municipale. Il n'est
pas hesoin de vous dire , M. le maréchal , que votre armistice
doit étre purement militaire , et qu'il ne doit contenir aucune
question politiqueo » Apres l' ordonnance de proscription du
2l~ juillet, J\[. le maréchal Davoust écrit ~l 1\1. le ministre de la
guerre , Gouvion-Saint-Cyr, pour défeudre la eonduite des gé-
néraux de l'arméc de la Loire portés sur cette liste ; le maréchal
invoque la paroledu ministre, qui avait dit aux généraux Haxo,
Gérard et Kellerman: ce Que l'armée fasse sa soumission pure
et simple, et comptez que le Roi Iera plus que vousne désirez, »
Comment alors le maréchal Davoust ne dit-il pas un mot de la
capitulation de Paris! Et pourraut u'était-ce pas id le cas de




h66 HISTOIRE DE Ji.A RESTAURATION.
l'invoquer comme une garantie, si elle couvrait les généraux de
l'armée de la Loire et tous les Francais compromis?


Voici la vérité, Si la Chambre des Représentants, au lieu de sa
stupide résistance , de ses discussions sans objet, avait consenti
ü proclamer Louis XVIII, il Yaurait eu transaction réelle , con-
vention politique entre la Chambre et la Restauration ; il Yaurait
eu stipulation réciproque , et par conséquent amnistíe politique
et générale ; des pleius pouvoirs du Roi avaient été envoyés a
dix-huit personnages politiques , parmi lesqnels se trouvaient
l\DI. le rnaréchal :\Jacdonald, Pasquier, Dubouchage, Chabrol
de Crousol; quelques-uns d'entr'eux s'étaient abouchés avec
des généranx et quelques hommes influents; i1s avaient droit de
promettre, et pouvaient promettre une amnistíe. Cet accommo-
dement politique eüt empéché la marche de l'étranger. La re-
connaissance de Louis XVIII par la Chambre et l'armée , aprés
la bataille de Waterloo , évitait h la France l'occupation étran-
gere , une grande partie des contributions de guerre; elle aurait
épargné la réaction, ñlais la Chambre des Iteprésentanrs empécha
tont; elle venait d'abattre Napoléon , c'est-h-dire la main
puissante , la ressouree de guerre, elle ne voulait pas de
Louis XVIII, unique movcn de paix, Elle compromit ainsi la
France. Qu'on remarque d'aillcurs qu'en l'état de la double
négocíation rl Hagucnau par les plónipotentiaires et au quarticr-
général du duc de "rellington par Fouché, il était impossible
de supposer que des représentants municípaux venant traiter au
nom de Paris , et JU. Guilleminot représentant de l'armée , stipu-
lassent des couditions politiques pour toutes les cuJpabilités des
Cent-Jours, Comment auraient-ils recu corte míssion , lorsque,
d'une part , les plénipotentiaires fraucais étaient porteurs de
plcins pouvoirs ~l Haguenan, et lorsque Fouché stipuIait, spé-
cialement avcc le duc de 'VelHngton, sur les intéréts du Gou-
vernement ? Ensuite , C0Il1111rnt des généraux francais qui res-
taient sous les armes ct se retiraicnt sur la Loire aurnient-ils
stipulé comme garantie la protcction du duc de 'Vellington?




CIIAPlTRE JX. ú67
L'armée francaise n'était pas dcsccndue si has; elle se retirait
seulement ; elle pouvait étre appelée quelqucs jours apres 11
combattre encoré. 01', une amnistie n' est pas stipulée quand on
ne se soumet pas. J'ai foi en la loyauté des témoins; mais ilfaut
se méfier un peu de ces témoignages apres coup et venus pour
le hesoin des círconstances, Une question d'amnistie générale ,
pour tous les Francais compromis, était une question de gou-
veruement , etqui sortait esscntieIlement des pouvoirs de sim-
ples magistrats municipaux et des rcprésentants de l'armée !
Cela était si vrai , qu'on ne songea pas a invoquer cette capitu-
lation de Paris jusqu'a la moitié du preces du maréchal Ney.
Parla-t-on de la capitulationlors de la proscription du 24 juillet ?
L'invoqua-t-on devant le conscil de guerre OU le malheureux
Labédoyere fut traduit? En parla-t-on mémc devant le conseil
de gucrre qui se déclara incompétent pour le maréchal Ney?
En parla-t-on a la cour d'assises pour préserver l\I. de Lavalette?
Ce fut une idée qui vint tout a coup, un de ces moycns suggérés
a l'occasion d'un incident du preces, et cependant ce moyen
devait précéder tous les autres. n eüt été plus digne de la foi
promise de protégcr les proscrits; le duc de 'VeIlington montra
une réservc malheurcusc pour sa gloirc, et qui pésera sur sa
réputation militaire. Si I'on admet que la capitulation de Paris
pronoucait une amnistíe généralc , cette amnistíe obligeait-clle
Louis XVIII et son Gouverncmcnt? Le duc de Wellingtou avait
les pleins pouvoirs des alliés ; il les engageait par sa stipulatíon;
la capitulatiou fut d'ailleurs ratifiéc par les hautes puissances.
Louis XVIII avait été invité a adhérer au traité du 25 mars ,
rcuouvelant I'alliance; mais on doit se souvenir du memoranduni
de l' Augleterre et de l' Autrichc, déclarant qu'elles ne s'armaient
pas pour imposer il la Franco telle ou telle forme de gouverne-
ment. D'un autre coté, Louis XVIII avait manifesté ses inten-
tions; les déclarations de Cateau - Cambresis et de Cambrai
annoncaient que les coupables des Cent-Jours , désignés par les
Chambres, seraient livrés aux tribunaux. Ces proclamations
étaient connues i. París avant la capitulation , et avaient été




l¡G8 IIlS'fOIHE DE LA HESTAUnl\TIO~.·
aflichées. Je n'arloptcrai pas les prétentions royalistes, soutcnaut
que Louis XVIII ne prolita pas de la capitulation de París. Il
est certain que, sans cette capitulation, l'entrée du Iloi était
difficile; Louis XVIII le savait bien. Ce n'était pasavec la vieille
maison du Iloi ~l Saint-Denis qu'il cut frauchí les murailles de
la capitale : c'est la capitulation qui lui ouvrit les portes de son
royaume. J'ai meme la certitude que lU. de Tallcyrand et Fouché
parlérent dé la capitulation a Louis XVIII ~l Picrrefitte et ~l
Saint-Denis, et que Louis XVIII ne repoussa pas l'idée de la
sanctionner; mais que cette circonstance ait été le fameux secret
de lU. Bignon, ce sont la de ces niaiseries de parti réchauffées
pour la circonstance. Je demande a M. Bignon ce qui l'auraít
empéché depuis de dire ce grand sccret : j'avoue qu'a sa place
j'auraís mieux choisi pour sortir d'embarras,


J'ai rléja dit qu'il eüt été utile et politique d'envisagcr la
question' rlans le sens de la c1émence; on ne le fit pas , et j'en
donne la raison. La pensée de l'étranger, je n'en excepte point
Alexaudre , était que I'Europe ne scrait point tranquille tant que
l'esprit militaire demeurerait aussi ardent , aussi puissant en
France; ce parti helliqueux avait fait cette guerre mcurtriere et
opprcssive, dont le souvenir était odicux ~l tous les mcmbres de
la coalition et aleurs peuples : détruire l'esprit militaire , était
le but qu'on se proposait; les Ccnt-Jours avaient montré qu'il
ne faJ1ait pas compter sur la fidélité des chefs: c'est pourquoi
Alexandrc avait impéricusement cxigé la dissolution de l'armée de
la Loire , la formation d'une uouvellc année , sans aucun rap-
port de gloire el de souvenir avcc l'ancicnnc, Je consideredone
I'époque des Cent-Jours eomme celle qui a fait le plus de mal a
la Franee, ~l sa considération et ~l ses alliances politiques ; on
ne peut dire les exigences des alliés par rapport a l'armée;
toute la diplomatie était Irappée de cette pensée , qu'il fallait
effrayer le partí militaire par des oxemples..Lord Clancarty
disait a ]U. de Gcntz: (' JI faut frapper toutes les tetes de la
conspiration ; autrcmcnt , I'Europe n'en a pas pour un ano «(
La trahison militaire était flagrante dans les Cent-Jours; elle




CHAPITRE rx. 469
avait été odieuse pour la maison royale; les Iloyalistcs ne vou-
laient rien reconnaitre , ni la capitulation de París, ni les vieilles
gIoires qui pouvaient raeheter une faute.


J'affinne que le ministére de ]U. de Talleyrand et de Fouché
ne voulait aueune poursuite sangIante. Lorsque la liste du 24
juilIet parut , des passe-ports furent fournis a tous ou presque
tous les proserits; le eorps diplomatique se préta pour quelques-
uns aeet aete d'humanité; il se trouve dans les eartons du rni-
nistere de la police l'emploi d'une sommede 459 000 francs dis-
trihuée comme secours immédiat aux proserits, afín de leur
fournir les moyens de quitter la Franee. Tous auraient eu le
temps de passer la frontiere. Deux causes contribuerent aleur
arrestation : d'abord le zéle et les dénonciations du parti vain-
queur ; les Royalistes, qui , dans toutes les provinces, allaient
ala ehasseet faisaient des hattues contre les proserits au nom du
tróne légitime, et l'imprudence des proscrits eux-mémes, quine
prenaient aueunes précautions pour se cacher. Et, par exemple,
le coloncI de Labédoyére, jeune et impétueux officier, apparte-
nait par ses allianees aux premieres familIes de la cour; il était
beau-frere du cornte Rogcr de Damas, et du cornte César de
Chastellux, A l'aide de ees proteetions, il avait ohtenu un régi-
ment du gouvernemcnt royal, et dans le mouvemcnt militaire
qui se préparait a la suite du congres de Vicnne, 1\1. de Labé-:
doyere fut dirigé sur Grenoble. Lié au salon de 1\1me de Saint-
Leu, le parti Bonapartiste comptait sur 1\1. de Labédoyero , et
lorsque lU. Fleury dc Chaboulon se dirigea sur l'ile d'Elbe, en
février 1814, il cut une eonversation avee le jeune eolonel, qui
lui donna sa parole que l'Empereur pouvait compter sur luí. En
eífet , iI n'y manqua paso 1\1. de Labédoyere avait été nommé
aide-de-eamp de l'Empereur et mcmbre de la Chambre-des-
Pairs; apres Waterloo, il fut rappelé a l'ordre par le vieuxmaré-
chal Masséna et par le eomte de Valence. Apres le 8 juillet, Fou-
ché tit appeler l\l. de Labédoyere, et lui dit : « Je vous eonseüle
de quitter la Franec; voici des passe-ports ; si vous ne pouvez
avoir de l'argcnt, voici 25 000 franes en 01'; mais partez, »


l. 40




470 Il1STOIRE DE I.A RESTAURATIO:\'.
1U. de Lahédoyére quina Paris, mais il ne dépassa pas Clerrnont.
La cour craignait un mouvement; elle était sans cessc dans des
transes de conspiration, lorsqu'un billet de ses hureaux annonca
al\l. Decazes , préfet de police , et qui dinait hors de chez lui,
que le colonel Labédoyére, arrivé par la diligence , venait d'étre
arre té. l\I. ~Decazes courut''chez Fouché, alors au milieudesfétes
de son mariage avec lUme de Castellano : « Eh bien, lui dit-il,
lU. de Labédoyere est arrété, - Cela n'est paspossible , répondit
Fouché ; quel imprudent jeune homme l Comment Iaire main-
tenant? Je crois qu'il est urgent de l'interroger. ) 1\1., Dccazes
se fit donner par ses bureaux les détails sur l'arrestation ; l\l. de
Labédoyérc avait étó reconnu dans la diligencc par un officier de
gendarmerie qui avait pris soinde le suivre ason arrivée aParis,
et de le dénoncer a la préfecture, On a dit que cet officier était
un agent envoyé tour exprés aClermont par le préfet de police :
d'abord, le préfet n'avait aucune attribution en dehorsde Paris;
ensuite, si ron savait que lU. de Labédoyere était aClermont, a
quoi bon le faire arrétcr a Paris? n'était-il pas plus simple de
s'en saisir aClermont ? et aquoi servait alors l'agent daos la dili-
gence? On connaissait toute l'imprudence de i.\I. de Labédoyere,
et il n'était pas difficile de découvrir sa rctraite. Il faut un peu
se méfler de ces contes sur la police , espece de millc et une nuits
que l'on arrange sur des faits qui s'cxpliquent tout seuls par l'im-
prudencc des hommes, M. Decazes se rendit ala prison de dépót
pour l'interrogatoire. 11 ne connaissait que trés-imparfaitement
1\1. de Labédoyere ; mais il ne put s'empéchcr de lui dire : « Et
pourquoi étes-vous venu aParís, et, qui plus est, en diligence ?
- Jc me proposais d'aller en Angleterre, répondit JI. de Labé-
doyere, et je venais pour embrasser ma fcnuno et ma famille. -
Comment nc pas gagner la Suissc? vous aviez des passe-ports et
de l'argent. - C'est un coup de téte , dit l\l. de Labéboyére ; jc
suis exposé a le payer chcr! »Lo Conseil des ministres se réunit; il
fut unanimcmcnt décidé fIu 'il était impossible de ne pasexécuter
l'ordonuance du 24 juillct sur un point aussi important , et a
l'égard de l'officicr le plus coupable de défectiou. Le maréclial




CHAPITRE IX. h7t
Gouvion-Saint-Cyr fut chargéde composer un conseil de guerre ,
présidé par 1\1. Berthier de Sauvigny , adjudant-comruandant ,
Irere de iU. Ferdinand de Berthier ; les six autres membres
étaient MM. ñlazcnot de l\Iontdesir, Durand de Sainte-Rose,
Saint-Just , chefs de bataillon; Grenier, capitaine; Lantivy ,
capitaine , et Boulenoy , licutenant de gendarmerie ; le chef de
hataillon Viotti était rapporteur. Il résulta des faits, que le
colonel Labédoyere était sorti de Grcnoble, ala tete du T" régi-
ment de ligne, pour aller au-devant de Napoléon. Vainement le
général Devilliers avait couru acheval pour l'arréter ; le colonel
ne l'écouta pas, et marcha ala rencontre de son empercur. Le
malheureux Labédoyere voulut cxpliquer les causes de sa dé-
feetion par le tableau de la situation publique, des espérances
qu'avaient fait naitre les Bourbons, et de ces espérances trom-
pées, « Je connaissais la marche de l'esprit public, dit Labé-
doyere; je savais qu'il existait un mécontentement général : si
les accents les plus faibles peuvent avoir quelque poids au mo-
ment de la mort , je vais dire quelques vérités utiles. La famille
des Bourbons fut revue avec enthousiasme aumoisd'avril1814;
quelle fut la cause du changement de la nation ason égard ? »
Ici lU. de Labédoyere fut interrompu par le président qui, avee
un impitoyahle sang-froid, lui dit: « Accusé, justifiez-vous du
crime dont on vousaccuse; mais, si vous l'avouez, ne cherchez
point a l'aílaiblir par aucune considération. Ilne peut y avoir de
crime innocent! » Le défenseur ayant fait observer que la dé-
fense n'était point entiére, 1\1. de Berthier ajouta : « Je ne souf-
frirai pas qu'il se livreades divagations politiques. » 1\1. de Labé-
doyerese tut, et le conseil le condamnaamort.


Une demande en gráce avait été présentée au Roi par ma-
dame de Labédoyere ; elle s'étaít précipitée aux genoux de Sa
lUajesté; Louis XVIII l'avait accueillie avec froideur : on exi-
geait un exemple. Les usages voulaient que le garde des sceaux
soumit la demande en gráce au ConseiJ. lU. Pasquier la porta
au chütcau , oú les ministres se réunissaicnr. ñladame de
Lahédoyero avait cherché a iutéresscr la cour; sos nobles




472 HISTOIRE DE tA RESTAURATION.
parents, étaient restés insensibles. Elle avait trouvé plus d'in-
térét dans madame de Dino, si puissante sur l'esprit de lU. de
Talleyrand. La gráce était impossible aobtenir; lU. de Labé-
doyere était trop coupable aux yeux du Gouvernement établi;
il l'avait trahi avec des circonstances publiques, avérées; la
Restauration ne pouvait lui pardonner sanstout amnistier : le Roi
refusa décidément la gráce , et la vérité historique veut qu'on
dise que les ministres n'insistérent pas : il y avait une culpa-
bilité trop constante et une trahison trop manifeste. te ma-
réchal Gouvion-Saint-Cyr , si sévére sur I'obéissance et la disci-
pline militaire, fut impitoyable. L'ordre d'exécuter le jugement
fut écrit de sa main , et partit du Conseil. Quelle position pour
le garde des sceaux , trouvant chez lui ason retour madame de
Lahédoyere sans lui apporter la grácel


Le preces de M. de Lavalette offritdes circonstances non moins
tristes. l\I. de Lavalette , caractére ínoffensif et fort aimé , avait
vivement désiré le retour de Napoléon. Lié avec l\l. l\Iaret,
il était désigné conune membre du Gouvernement provisoire qui
devait préparer le retour de Napoléon. M. de Lavalette avait pris
possession de l'Hótel des Postes le 20 mars au matin, et il avait
adressé a tous les directeurs la circulaire suivante: ce L'Empe-
reur sera aParis dans deux heures , et peut-étre avant. La ca-
pitale est dans le plus grand enthousiasme; et, quoi qu'on puisse
faire, la guerre civile n'aura lieu nulle parto Vive I'Empereur ! »
Cette circulaire était partie le 20 mars , et avaitfavorisé la paci-
fication des provinces. M. Ferrand ne pouvait oublier que lU. de
Lavalette , accompagné du général Sébastiani , était venu aI'Ho-
tel des Postes pour le remplacer, La cour se souvenait également
que des chevaux avaient été refusés aplusieurs personnages de
la suite du RoL 1\1. de Lavalette excitaitun intérét universeldans
la population , et parmi cette fraction de la Chambre des Dépu-
tés qui ne votait pas avecla majorité ardente. Tout cela explique
suffisamment I'acharnement des Royalistes contre I'anciendirec-
teur-général. M. de Lavalette, eomme la plupart des proscrits
de l'ordonnanee du 24 juillet, n'avait point cherchéa se déroher




CHAPITRE IX. Ú73
aux poursuites , et il ne fallait pas de bien hautes recherches a
la police pour découvrir son asile; il demeurait a la campagne
de sa belle-mére ou dans son propre hotel. Tous les jours il ar-
rivait du pavillon Marsan des rapports de policepour indiquer au
préfet qu'on avait vu lU. de Lavalette. On mettait en doute déjá
la fidélité du ministre et du préfet : les Royalistes les accusaíent
de protéger les Révolutionnaires; 1U. de Lavalette était consídéré
comme le chef de la conspiration civile ; 1\1. Decazcs se consulta
avec Fouché , et 1'on convint de prevenir 1\1. de Lavalette d'une
maniere détournée. Un agent se présenta ason hotel, et demanda
1\1. de Lavalette de la part du préfet de police ; on lui répondit
qu'il n'y était paso ce Dites-lui , répondit 1'agent, que je passerai
demain matin. » 1\1. de Lavalette, apres cet avertissement, eut
l'imprudence de rester chez lui ; il fut arrété le lendemain, dé-
jeunant paisiblement au milieu de sa famille et sans autre pré-
caution. On ne saurait dire l'intérét qu'inspira parmi d'anciens
amis politiques et d'administration l'arrestation de 1\1. de Lava-
lette; lU1\1. Pasquier, ñlolé , Talleyrand se réunirent pour le
sauver , soit en retardant son jugement , soit en ayant sa gráce
une fois jugé. J'ai dit que pour premier résultat , 1\1. Pasquier ,
alors garde des sceaux, obtint qu'au lieu d'étre renvoyé devant
un conseil ele guerre, comme le colonel Labédoyere , 1\1. de La-
valette serait traduit a la Cour d'assises , ce qui retarderait son ju-
gement de quelques mois. Les passions d'ici la auraient peut-
étre le temps de s'apaiser! En eífet, 1\1. ele Lavalette ne parut
que le 20 novembre devant la Cour d'assises; le jury était com-
posé de MM. Héron de Villefosse, Jurien , Parmentier, Gueneau
de 1\Iussy, le baron de Courville , Commard, Varmer , Nepveu,
Chapcllier , Bintot, Bezard et Petit. 11 était accusé d'avoír ,
le 20 mars , usurpé l'autorité du directeur-général des postes;
d'avoir fait appeler les chefs ele división et expédié un courrier
a Fontainebleau avec une Icttre pour Napoléon ; il avait mis 013-
stacle au départ de 1\1. Ferrand, directeur-général sous le Gou-
vernement légitime ; il avait suspendu le départ de tous les jour-
naux , et particulierementdu!11oniteur et do toutes les dépüche s




474 HISTOIRE DE LA RESTAURATION. '
ministérielles. Les témoins entendus furent lU. Ferrand , qui ra-
conta comment l'ancien directeur avait pris possession de l'Hótel
des Postes. « tes gestes de 1\1. de Lavalettc étaient impérieux,
Privé de tout moyen de résistance, je m'occupal a recucil-
lir les papiers les plus importants, et je fis mes préparatifs
pour suivre le Roi, lorsque lU. de Lavalette m'intima l'ordrc de
me retirer aOrléans. » Le témoin qui chargea le plus 1\1. de La-
valette fut un 1\1. Macarel, alors secrétairc intime de 1\1. Ferrand.
C( Le 20 mars, a sept heures et demie du matin, dit-il, deux
personnes entrérent dans la salle d'audience de l'Hótel des Postes
qui me servait de cabinet de travail , et une d'elles, l' accusé ,
frappant de sa canne, dit ahaute voix : Au nom de l'Empereur,
je prends possession de I'Hótel des Postes. » lU. de Lavalcne nia
tous les faits de cette déposition. (IOn persuadera diflicilement
que je me suis ainsi eonduit, répoudit-il , aecux qui connaisscnt
mon caractére posé, tranquille, ami des bienséances, Le 20
mars au matin, je me transportai ala Poste pour apprcndre des
nouveHes; je reneontrai le général Séhastiani qui m'accompagna;
je voulais savoir dans quel état était eette administration que
j'avais dirigée pendant treize années. Séhastiani et moi étions
tristes, soueieux, et dans un état plus voisiu du déeourage-
ment que de I'exaltation. »


Une déposition imposante vint attester le caractére et la loyauté
de M. de Lavalctte , ce fut celle de 1\1. Pasquier lui-méme ;
il déclara que 1\1. de Lavalctte n'avait contribué en rien au
retour de Napoléon , il dit les scrvices que celui-ci avait rendus
ases.amis pendant les Cent-Jours. Danssa défense, 1'1. de lava-
lette raconta sa vie militaire commcucant au 10 aoüt , dans le
bataillon des Filles-Saint-Thomas ; il avait toujours serví sa pa-
trie avee passion , et sa conseienee ne lui avait jamáis fait de re-
proches. Le jury se pronouca uéanmoins eontrc lui, et M. Héron
de Villefosse lut le verdict de culpabilité sur son ame et con-
science. La peine de mort fut appliquée ; l\l. de Lavalcttc leva
les yeux au ciel , regarda l'heure a sa montre , et embrassant
1\1. Tripier, son défenseur : « Que voulez-vous , mon ami, c'est




eH APITRE IX. 475
un coup de canon »: puis , saluant les nombreux employés des
postes préscnts ala séance : « Adieu, messieurs de la Poste. »


La condamnation ayant été prononcée , les amis de lU. de La-
valette lui conscillerent le pourvoi en cassation pour, se donner
le temps de sollíciter et d'obtenir sa gráce, Le mínistere dc JI. dc
Talleyrand n'existait plus; lU. de lUarbois était .garde des
sceaux , et la Chambre introuvable réunie demandait des exem-
ples de rigueur et de justice. 1\1. de Richelieu ne connaissait
que tres-indircctement la farnille de M. de LavaIette; mais
MM. Lainé , Pasquier, Molé, intervinrent si fortement, qu'il
consentit ~l en parlcr au RoL Louis XVIII répondit : « ,,1. de
Lavaletteme parait coupable ; la Chambre des Députés demande
des exemples; jc les crois nécessaires; je veux bien accorder la
grücea~l. de Lavalette, mais réfléchisscz bien que le lendemain
vousserez hrisé par la Chambre des Députés , et nous aurons de
nouveaux embarras. » On insista plusieurs fois , et le Roi fit la
méme réponse : « Cherchez un moyen pour que la Chambre ne
nous embarrassc pas , et vous aurez la gráce, » 1\1. Decazes (lit a
Louis XVIII: « Eh bien! il me semble que si MADA:\IE deman-
dait elle-méme sa gráce au Roi, cette démarche attirerait sur
S. A. R. une grande popularité et les bénédictions publiques;
d'unautre coté, la Chambre n'aurait pas aen murmurer. -.
Vous avez raison , reprit Louis XVIII; qu'on en parle a ma
niece. » 1\1. Dccazcs en prévint 1\1. le duc de Richelieu qui se
chargea d'en Iaire la demande alUADA:\IE; il trouva S. A. R. tres-
disposée h la grüce : des larmes roulerent méme dans ses yeux
lorsque le ministre lui démontra toutes les acclamations qui re-
monteraicnt jusqu'a elle a la suite d'un si bel acte, 11 fut con-
vcnu que Mm" de Lavalcttc se jetterait aux pieds de lUADAME au
passage du Roi, que S. A. n. demanderait la grñce de lU. de
Lavalette. Cette démarche n'aurait plus permis les plaintes de
la Chambre desDéputés et de la cour. En sortant de chez le Roi,
]U. Decazes rencontra 1\1. Pasquicr, et Iui dit : ( Faites faire une
dcruicre démarche a"1 1l1 " de Lavalettc. - Mais voussavezqu'elle
sera inutile ; HOUS en avons tant Iait ! -- Faites-la , vous dis-je ; iI




lt76 IUSTOInE DE I.A RESTAURATION.
y a espérance de succés, » I1 fut convenu avecles amis de l\Imc de
Lavalette qu'elle serait conduite au cháteau pour remplir en
tout point la lecon recue d'avance. lU. le maréchallUarmont, qui
s'était trés-vivement entremis pour sauver son ancien frére
d'armes d'Égypte, s'offrit pour conduire lUme de Lavalette. Les
choses étaient bien changées! que s'était-il passé dans le cceur
de MADAME? quelle intrigue avait-on fait jouer pour aItérer ses
intentions si cIémentes? Je I'ignore. Mais lorsque M. le ma-
réchal , donnant le bras a Mllle de Lavalette, se présenta au
cháteau , le garde du corps de service Iui interdit I'entrée. lU. le
maréchal Marmont indigné persista, invoqua sa qualité de
maréchal de France, prit la violation de sa consigne sous
sa responsabiJité. Le lendemain il recut une violente répri-
mande, et le garde fut cassé. Je dirai peu de chose de I'éva-
sion de lU. de Lavalette, qui a payé un tribut de reconnaissance
aux efforts combinés de ses amis pour le sauver, a MM. Pas-
quier, Molé, et au maréchalMarrnont. Mais on me demanderasans
doute si le ministére d'alors eontribua a son évasion; on l'a cru
dans le temps, et I'époque serait bien ehoisie pour s'cn vanter,
Eh bien! avec la rnérne sincérité qui me fait donner I'éloge
quand je le crois mérité, je répondrai qu'il n'en fut rien. Ni le
ministére , ni le préfet de police ne se rendirent complices d'un
si noble délit, Il faut en laisser l'invention touchante et la mira-
euleuse exécution aI'amour conjugal! J'ajouterai que lorsqu'on
apprit que l\J. de Lavaletteétait hors de danger, lU. Decazes recut
la visite de lUme de Lavalette. Elle lui dit : « Je viens vous re-
mercier, cal' il est impossible que mon mari se soit évadé sans
votre appui.» Le ministre eut toutes les peines du monde ala
convaincre qu'il n'y était pour rien, et il apercut méme a eette
persévérance , al'reil effaré de )IIllC de Lavaletteles premiers sym-
píOmes d'égarcment qui añligerent une si beIlevie.


La premiere nouvelle de I'évasion de 1\1. de Lavalette fut
portée a JU. Decazes par un agent du cháteau qui vint lui dire
tout eITrayé : Eh bien: « Lavalctteest échappé. » On croyait aux
Tuileries aune conspiration flagrante; Paris allait étre livré aux




CHAPITRE IX. 477
révolutionnaíres: Lavalette est éehappé! les ministres étaient
les compliccs, le Roi , les Princes étaient menaeés; il n'y avait
plus de ressouree; Lavalette était échappé l Dans le peuple, au
contraire , jamais nouvelle n'avait été mieux accueillie, n'avait
produit un plus merveilleux eífet; on se félicitait dans les rues
conune d'une bonne fortune; l'esprit moqueur des Parisicns
trouvait des motifs de chansons sur cet événement.


Dans les salons royalistes, e'était de la fureur : 1\1. Decazes et
1\1. de.Marbois ne pouvaient plus s'y présenter sans que l'orage
grondát sur leurs tetes; de jolies femmes , de jeunes filIes
s'écriaient : Comment a-t-on pu sauver l\I. de Lavalette! Quel
temps que les époques de réactions! A la Chambre des Dépu-
tés, il Yeut de l'indignation, de la fureur : une aecusation vé-
ritablc fut intentée aux ministres. Une proposítion de l\I. HUl11-
bert de Sesmaisons fut faite pour inviter le ministre de la poliee
adonner tous les renseignements qu'il avait pu se procurer sur
les causes de l'évasion de 1\1. de Lavalette. « Un criminel d'État
dit-il , vient de se soustraire, au moins momentanément, au
sort qui l'attendait. Ya-t-il eu un complot habilement tramé, et
dont ehaque délai assurait le succes? Tel est le doute qui assiége
notro esprit. - Oui, s'écría lU. de Bouville, avant que lU. de
Lavaletie se fút échappé de la Conciergcrie , un autre prisonnier
était égalemeut parvcnu a s'évader il y a huit jours, Croirait-on
que le conciergc qui n'a point mis obstacle acette fuite soit resté
en place! Il a fait plus; il ne s'est pas aperen qu'une femme
grande et mince n'avait ríen de commun avec un homme petit,
gros, et dont la tournure devait étre aussi ridieule que grotes-
que sous le déguisement auquc1 il avait eu recours pour faire
réussír cette scene de comédie! » Quel langage , grand Dieu!
lorsqu'il s'agissait de l'échafaud et d'une tete humaine ! 1\1. de
Saint-Romain alla plus loin ; il accusa le garue des seeaux
d'avoir [acorisé les esperances de 1\1. de Lavalette pour obtenir
la gráce de Sa l\lajesté. Expression fatale, et que l'esprit de
parti pouvait seul inspirer ! 1\1. de Kergorlay se mela a cette
accusatíon , repoussée íaihlement par 1\1. le procureur-général




478 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
Bellart. Quels affiigeants débats l et pas une voix qui s'élevát
pour démontrer l'odieux de cette discussion ! On ne combattit
la proposition que paree qu'il était inconstitutionnel que la
Chambre sommát les ministres du Roi de venir rendre compte
de leur conduite.


J'entre maintenant dans le grand proces de 1815, dans cette
poursuite conte le maréchal Ney, qui Iait peser sur la Chamhre
des Pairs un triste souvenir. Historien des temps d'orage , on
n'attendra pas de moi que je juge avec les ressentiments de
l'époque actuelle le pouvoir qui poursuivit l'illustre maréchal,
et la Chambre qui le condamna. La Ilestauration fit une faute
politique en n'accordant pas la gráce a une si grande gloiremi-
litaire; mais elle ne commit pas un crime , elle ne fit pas un as-
sassinat, comme on l'a dit et répété; la Chambre des Pairs put
manquer aquelques formes, mais elle devait condamner. J'ad-
mire la piété filiale, j'honore ces fils couverts de deuil, qui vien-
nent vengel' la mémoire d'un pere ; mais qui oserait soutenir
aujourd'hui que le maréchal Ney n'avait pas trahi les Bour-
bons! On di! que la personne du maréchal était protégée par la
capitulation de Paris; mais eette piéce , qui n'était pas formclle-
ment ratifiée par le roi de France , pouvait-elle erre invoquée
devant un tribunal francais? Quand le Gouvernementla repous-
sait comme lui étant étrangere, était-ce , dans l'ordre des juri-
dictions, a la Cour des Pairs qu'il appartenait d'appliquer un
document oü elle ne lisait que les signatures du duc de Wel-
lington et du prince Blücher ! La postérité doit étre plus calme,
plus réservée dans ses blámes, dans ses flétrissures. La Restau-
ration est tomhée , il serait peu généreux de la poursuívre par
des haines implacables. La conduite du maréchal Ney a l'égard
de la maison de Bourbon était coupablc : il y avait quelque chose
d'odieux dans ce dévouemcnt de la veille et cctte défection du
lendemain. Rien n'est plus vrai que le maréchal Ney avait baisé
la main du Roi ~I son départ , et pronoucé ces fatales paroles :
J'emménerai Bonaparte dans une cage de [cr. Le prince de
Poix, le duc de Duras l'avaient entendu ; un ministre, <fui 1'11-




CHAPITRE IX. 479
tra quelques minutes apres chez le Roi, le trouva tout étonné
des paroles de .Ney; elles avaient méme inspiré aLouis XVIII
une sorte de dégoüt ; il s'cxpliquait difficilement eette haine du
maréehal contre Napoléon, « Quelles expressions! dit le Roi;
cmmcner un ancien camarade, commeune béte fauve, dans une
eage de fer! » Dans les Cent-Jours , la conduite du maréchal
avait été incertaine, malheureuse; sa vieille .réputation s'était
effacée dans les batailles. Sa sortie a la Chambre des Pairs, aprés
'Vaterloo, était inexplicable et supposait de l'égarement, Ney,
le brave des braves, n'avait point une grande portée d'esprit. Il
avait été sincere dans ses promesses de dévouement au Roi, a
son départ; son changementsubit avait été le résultat d'une im-
pression soudaine , la suite d'un eutraincment irréflóchi, Il avait
pour excuse l'opinion de l'arméo , l'état de révolte des régiments
et l'enthousiasme pour l'aigle impériale, dont la vue agissait tou-
jours si puissamment sur des imaginations militaires. La Maison
de Bourbon ne raisonnait pas ainsi. Ney était, a ses yeux, un
grand coupable, son nom excitait la fureur. C'était un exemple
qu'il fallait donner pour rappeler ct consolider la subordination
militaire et la Ildélité au drapean blanco J'ai parlé de la note qui
fut remise d'abord poúr la dissolution de l'armée de la Loire,
ensuite pour l'éloignemcnt de certains personnages qui, par leur
action direete ou par leur influence , avaient amené la catastro-
phe des Cent-Jours. Les étrangers vouJaient frapper le partí
militaire en Franee; i1s le redoutaient comme un élément de
troubles en Europe.


Apres la capitulationde Paris, le prinee de 'I'alleyrand et Fou-
ché firent déJivrer des passe-ports au maréchal .Ney. Ces passe-
ports étaient doubles , portaient de faux noms, et le visa de la
légation autrichienne et suissc. I ..e comte de Bubna, alorsaLyon,
avait loyalement consenti a signer d'autres passe-ports ponr le
maréchal, Fouché lui conscilla de gagner la Suisse. Ney aJIait
touchcr cette torre de liberté, lorsqu'une fatale idée et quelques
difficllltés des autorités sur la frontiérc le ramenerent en France :
il étaít poursuivi par la pensée d'une condamnatiou infamante,




480 HISTOIRE DE LA RESTA{jHATIO~.
qui peserait sur les siens. JI se réfugia au chatean de Bessonis,
propriété de sa famille. C'est dans une auberge du Cantal qu'il
fut découvert et saisi par lU. Locard, préfet du départernent,
ardent royaliste, JI est faux que la police de Fouché ait envoyé
des agents pour se saisir de Ney; elle n'en avait pas besoin; le
maréchal ne prenait aueune précaution pour se caeher; il por-
tait des décorations, son sabre avait son nom gravé sur la poi-
gnée; partout en provinee, et dans le Midi surtout , il existait
une espéce de police royaliste qui dénoncaít les proscrits aux
autorités; le maréehal fut arrété sur une de ces dénonciations.
Une fois amené aParis, le ministere fut contraint de faire in-
struire son proces. Beaucoup de haines de cour étaient soulevées
eontre le maréchal : iJ fallut les subir. lU. Decazes , alors préfet
de poliee, procéda adeux interrogatoires. JI se rendit auprés
du maréchal; les premieres eonversations furent tout entiéres
un éehange de politesses et de souvenirs; Ney racontaaM. De-
eazes le désastre de 'Vaterloo; il en était vivement préoccupé;
i1 lui parla de sa [atole journée : e'est ainsi qu'il appelait le
13 marso « J'ai en effet , dit-il , haisé la main du Roi, Sa Majesté
me l'ayant présentée en me souhaitant un bon voyage. Le dé-
barquement de Bonaparte me paraissait si extravagant, que j' en
parlais avec indignation, et que je me servís en cffet de eette
expression de cage de fe]'. Dans la nuit du 13 au 14 mars,
époque jusqu'a laquelle je proteste de rna fidélité au Roi, je
recus une proc1amation toute faite par Bonaparte. Je la signai.
Avant de lire eette proc1amation aux troupes , je la eornmuniquai
aux généraux de Bourmont et Leeourbe. De Bourmont fut d'avis
qu'il fallait se joindre a Bonaparte, que les Bourbons avaient
fait trop de sottises, qu'il fallait les abandonner. C'était le 14 a
midi que je fis la lecture de cette proclamation a Lons-le-Saul-
nier, rnais elle était déja connue. - Cornment, demanda alors le
préfet de poliee, pouvez-vous done cxpliquerle ehangernentqui
s'est opéré en vous? - e'est vrai, répondit le maréchal, j'ai été
entrainé ; j'ai eu tort; il u'y a pas le moindrc doute. - Qu'est-ce
qui a pu vous entraincr ? El n'est-ce pas vous-méme qui avez




CHAPlTHE IX. h81
cutrainé les troupcs par vos discours et par votre exemple? -
Je n'ai eutrainé personuc. Le coloncl Dubalen du 64" fut le seul
qui protesta, je I'autorisai a se retirer, et j'aí cmpéché depuis
qu'il ne fút arrété. Mon aide-de-camp Clouet tint la meme con-
duite , et me demanda a retourner a Paris; si je I'engageai a
différer de quelques jours , ce fut pour sa süroté. Ce qui m'a dé-
terminé personnellement, c'est la crainte de la guerre chile, et
l'assurance que les agents de Bonaparte m'avaient donnée que
les Puissances alliées étaient d'accord avec lui, que le .roi de
Rome et sa mere resteraient en otage aYienne jusqu'a ce qu'il
eüt donné a la Francc une constitution libérale, )1 Le maréchal
rapporta ensuite que, vivant sous le poids d'une pénible impres-
sion depuis sa proclamation du 14, cette disposition de son esprit
n'avait pas échappé al'Empercur, qui , en le voyant arriver pour
le Champ-de-ñlai , luí dit : « J e vous croqais emignJ. - J'aurais
di't le [aire plus tot .. répondit Ney, nuuntenant il est trap tard. 1)
La Iemme du maréchal et le maréchal lui-méme furent ac-
cueillis tres-froidcmeut par I'Empereur, dans la maison duquel
j'étais regardé, dit N"ey, comme la bétc naire. Le maréchal ter-
mina cet interrogatoire en disant : « J e voudrais que vous pus-
siez annuler ce que j'ai dit a l'égard de Gérard, de Bourmont
et d'autres généraux. Je ne veux dénoncer pcrsonne. Je ne dé-
sire que prouver au Roi que je n'ai pas eu l'intention de le
trahir. Lorsque je suis partí, je I'ai quittó avec la résolution
de sacrifier ma vic pour luí. Ce que j'ai fait est un grand mal-
heur. J'ai perdu la tete, mais je n'ai jarnais formé de complots.
J'ourais ]Ju ¡msscr aux États-Unis ; je ne suis resté que pour
sauver I'honneur de mes enfants. J'avais annoncé en partant de
Paris que j'étais pret a me mcttre a la disposiíion du Roi. Je ne
tiens pas a la vil', je nc tiens qu'a l'honneur de mes enfants. »


Ces interrogatoircs étaicnt fort remarquables, Ils indiquaient
la noble situation d'esprit du maréchal , les causes réelles qui
l'avaient entrainé ~\ passcr sous les aigles, Les ministres délibé-
rerent plusieurs jours pour savoir si le maréchal serait traduit
devant un conseil de guerre, ou devant la Chamhrc des Pairs,


L 41




482 mSTOlRE DE LA HESTACHATlO.:\.
On se décida pour le conseil de guerre, attendu que, depuis
l'ordonnance du 2h juillet, le maréchal avait été rayé de la
Chambre des Pairs. Un conseil de guerre pour juger un maré-
chal de France était une chose nouvelle et difficile a former.
ñlais Ney devait y trouver des garanties d'amitié et de fraternité
d' armes. La présidence apparteuait de droit au maréchal Moncey,
doyen des maréchaux pour l'üge : ce maréchal refusa de siéger,
et exposa ses motifs de refus dans une lettre fort remarquable,
« Sire, Votre ñlajesté daigncra-t-elle me permettre d' élever
ma faible voix jusqu'a elle? Sera-t-il permis ace1ui qui ne dévia
jamais du sentier de l'honneur, d'appeler l'attention de son sou-
verain sur les dangers qui menacent sa pcrsonne et le repos de
l' .État 1 ? Je n'entre pas dans la question de savoirsí le maréchalNey
est innocent ou eoupable : votre justice et l'équité de ses juges en
rcpondroni ú la postérité , qui pese dans la méme balance les rois
et les sujets... Sont-ce les alliés qui exigent que la Franee immole
ses citoyens lesplus illustrés? l\1ais, Sirc , n'y a-t-il aucun danger
pour votre personne et votre dynastie a leur accorder ce sacri-
fiee? l\1a vie, ma fortune, tout ce que j'ai de plus chcr est amon
pays et a mon roi ; mais mon honneur est a moi : aueune puis-
sanee humaine ne peut me le ravir. Qui , moi! j'irais prononcer
sur le sort du maréchal Ney! )Iais, Sire, perrneuez-moi de
demander a Votre l\~ajesté oú étaient les accusateurs , tandis
que Ney parcourait tant de champs de batailIe? Ah! si la Russie
et les alliés ne peuvent pardonner au vainqueur de la )loskowa,
la Franee peut-elle oublier le héros de la Bérésina ? Et i'en-
verrais a la mort celui a qui tant de Francais doivent la vie ,
tant de familles leurs fils , leurs époux , leurs parents! Iléflé-
chissez-y , Sire; c'est peut-étre la dcrnierc fois que la vérité
parvient jusqu'a votre trüne : il est bien dangereux, surtout
bien impolitique, de pousser des hraves au désespoir. Ah! pcut-
erre, si le malheureux Ney avait fait a 'Yaterloo ce qu'il fit tant


1 Je dois di re que eelte Icllre fort bello n'avait pas été avouée par
maréchal Moncey sous la Bcstaurntion , elle ne l'empécha pas d'ailJeurs
d'avoir toutc la conñance de ~I. le duc d'Angoulémc,




CHAPITRE IX. 483
de fois ailleurs, peut-ñtre ne serait-il point trainé devant une
commission militaire ! Peut-étre ceux qui demandent aujour-
d'hui sa mort imploreraient sa protection. " . . . . . . . . •


1..a cour fut profondément hlessée du noble refus du maré-
chal ~Ioncey. C'était au reste un manquement a la discipline,
et le maréchal Gouvion-Saint-Cyr fut chargé de la rédaction
d'une ordonnance extraordinaire, qui destituait le maréchal et
ordonnait qu'il serait détenu pendant trois mois au cháteau de
Ham. « Considérant que le refus de M. le maréchal Moncey ne
peut étre attribué qu'a un esprit de résistance et d'indiscipline,
d'autant plus coupable qu'on devait attendre un exemple tont
a fait contraire du rang éminent qu'il occupe dans l'armée, et
des príncipes de subordination que dans sa longue carriere il a
da apprcndre arespecter, nous avons résolu de lui appliquer
la peine portée par l'art. Gde la loi du 13 brumaire an V, contre
tout officier qui, sans excuse valable , refuse de siéger dans le
conseil de guerre oü il est appelé, A ces causes, nous avons 01'-
donné ce qui suit: .« l\I. le maréchal lUoncey est destitué; iI
suhira une peine de trois mois d'emprisonnement. » Quelle 01'-
donnance arbitraire ! Un maréchal de Francedestitué! destitué
par un ministre comme un simple sous-lieutenant! Condamné
par ordonnance a trois mois d'emprisonnement! Et tout cela
sans l'interventíon de ses pairs , sans méme le jugement d'un
conseil de guerre, garantie accordée au dernier officier !


l\lasséna ent les mémes répugnances que Moncey; mais, plus
fin que lui , il fit valoir comme moyen de récusation d'anciennes
inimitiés qui avaient existé, en Espagne, entre lui et le maréchal
Ney. 'Ces excuses ne furent point admises. Et le conseil de
guerre se composa de M. le maréchal comte Jourdan, prési-
dent, des maréchaux l\Iassena, Augereau, Mortier, comte Gasan,
Claparede, Villate; le rapporteur était le maréchal-de-camp
comte Grundler, et le procureur du roi, l'ordonnateur en chef
Joinville. Si les avocats du maréchal Ney n'avaiont pas vu les
questions sous le rapport étroit des procédures, des exceptions,
des questions préjudicielles , ils auraient fait juger le fond de




mSTOIRE DE J.A REST.i\tiRATIO:\'.


l'affaire par le conseil de guerre; et jamais de vieux généraux
n'eussent frappó de mort leur glorieux camaradc : ~ey cut été
condamné ala déportation. Le conseil de guerre voulait l'exiler
aux États-Unis comme Moreau ; mais les avocats demanderent
l'incompétence, et invoquerent le privilége de la pairie, En
général , MM. Berryer ct Dupin suhordonnereut les intéréts de
l'accusé aux chicanes de formes et d'incidents; ils multiplierent
les moyens préjudiciels : qucl pouvait étre leur motif? Sans
doute de trainer l'affairc en longucur; mais il y avait peu d'es-
poir de gráce , et ne valait-il pas mieux subir le jugement d'un
conseil de guerre composé de Jourdan, de l\Iasséna, d'Auge-
reau et de -'lortier! On ne raisonna point ainsi : on fit du droit
puhlic ; on montra sa scicnce de pairic: OH fitdu bruit d'avocat,
de la réputation de harreau. Le conseil de guerrc, qui était
bien aise ason tour de se débarrasser de la responsahilité , admit
l'exception et rendit un arret d'incompétcnce motivé sur ce
que M. le maréchal Ney était pair de Franco al'époque OU il
avait commis le délit ; qu'un prévcnu devait tonjours erre jugé
dans le grade ou suivant la qualité qu'il avait au moment OU il a
commis le délit ; que les maréchaux de Franco n'avaient jamais
reconnu , sous nos rois, d'autre juridiction que celle du Parle-
ment de Paris ; cnfin que l\I. le maréchal N"cy était accusé d'un
crime de han te trahison et d'UH attentat contre la súreté de
l'État , et qu'aux termes de l'art. 33 de la Charte constitution-
nellc , la connaissance de ces crimes était attribuéc ala Cham-
bre des Pairs.


Cette déclaration d'incompétence excita de grandes fureurs
au chñtcau. Le partí royalistc s'imagina qu'on voulait sauver le
maréchal Xey. Et le sauvcr, c'était un crime! Toutc la journée
du 10 novembre fut passée en délibératiou chez l\1. le duc de
Ilichelieu. Des notes arrivaicnt de toutcs parts, C'cst une tra-
hison, une conspiration organiséc pour donner l'impunité au
plus traltre des généraux! Enfiu , on arréta un projet d'or-
donnance et d'acte d'accusation destiné a la Chamhre des Pairs.
te 11 , le dnc de Richclicu y porta cetro ordonnancc. 1.(' noble




CHAPITRE IX. 485
caractere du duc de Richelieu s'était bien altéré par l'influence
des coteries politiques et le contaet de la Chambre des Députés.
Comme s'il avait faít sa cause personnelle de la condamnation
du maréclwl Ney, il le poursuivait avee acharnement, car cette
poursuite, dans son opinion, faeiliterait les négoeiations diplo-
matiques. Son discours a la Chambre des Pairs se ressentait de
cette préoecupation fatale. Jamais doeument ministériel ne fut
rédigé avec moins de calme et de réflexion. Le ministre y faisait
intervenir non-seulement le Roi, mais la Franee, et, ce qui
est plus encore, l'Europe! Le rédacteur de cette piece mal-
heureusement inspirée fut, dit-on , lU. Lainé, caractere si
noble et si impressinnnahle , alors intimement lié avee le duc
de Hichclieu. « Aux termes de la Charte, disait-il ala Chamhre
des Pairs , c'est a vous qu'il appartient de juger ces sortes de
crimes. Il n'est pas nécessaire, pour exercer cette haute juri-
diction , que la Chambre soit organisée comme un tribunal 01'-
dinaire. Les formes que vous suivez dans les propositions de
lois, et pour juger en quelque sorte ceIles qui ont été présen-
tées, sont sans doute assez solcnnelles et assez rassurantes pour
juger un homme , quclle qu'ait étó sa dignité , quel que soit
son grade. Personne ne peut vouloir que le jugement soit re-
tardé par le motif qu'il n'existe pas aupres de la Chambre des
Pairs un magistrat qui exerce l'office de proeureur-général. Les
ministres sont lesorganesnaturels del'aeeusation, et nouscroyons
bien plutót rernplir un dcvoir qu'exercer un droit en nous ae-
quittant devant vous du ministere publie. Ce n'est pas scule-
mcnt, ñlcssieurs, au nom du Roi que nous remplisons eet officc,
e'est au 710m de la Franco -' dcpuis longtcmps indignée et maiu-
tcnant stupéfaite ; e'cst nuinu: au noni de L'Europa -' que 1l001S
venons vousconjurer ct vousrequerir ala fois de juger le ruaré-
chal Ney! Nons osons dire que la Chambrc des Pairs doit au
monde une éclatantc réparatiou ; elle doit étro prornpte , cal' il
importe de retcuir l'indignation qui de toutes parís se soulevc,
l.e8 ministres du Roi sont obligés de vous dire que la déeis'




4-86 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
du conseilde guerre devient un triomphe pour les factieux! Vos
fonctions judiciaires commencent des cet instant. »


Ce document était signé par le Conseil des ministres, 1\11\1. de
Bíchelieu , Vaublanc, Decazes, Clarke , Marbois , Dubouchage
et Corvetto. 11 fit une impression profonde sur la Chambre
des Pairs, alors en tres-grande majorité prononeée contre le
maréchal. Le renvoi devant la Cour fut suivi d'une autre 01'-
donnance qui réglait la procédure. Les fonctions du ministére
puhlic furent déférées ~l 1\1. Bellart , esprit roide, cassant; long-
temps avocat aParis , il avait contracté le défaut inhérent acctte
profession , cette inflexibilité officielle pour le sort de la partie
adverse , ce besoin de rhétorique , ce langage d'irritation et d'in-
jures. Expression du ministérc publíc , il ouhlia le caractére im-
partial de ses hautes fonctions , pour se jeter dans les déclama-
tions d'accusateur passionné; il se fit l'organe des sanglants pré-
jugés de son époque, L'instruction du proces fut confiéea M. le
président Séguier, homme d'esprit sous des formes de rudesse
et d'originalité, ct alors ardent Iloyaliste, Il apporta , d'ailleurs,
de l'impartialité dans les actes de la poursuite. I ..a pensée d'un
pardon utile pour la race royale entrait dans quclques ames;
d'autres voulaient couvrir tontes les fautes d'un ouhli politique;
mais la majorité était dans le sens d'une condamnation capitalc,
commeun exemple nécessaire ou commc une vengeance royaliste.
1\1. de Ilichclieu , tres-porté pour la condnmnation , agissait dans
ce sens , faisant espérer qu'aprcs une condamnation obtenue , le
maréchal aurait sa peine commuée en une dóportatiou en Amé-
rique : la pcnsée de moralité revcnait sans ccsse a l'esprit de tous,


La Cour des Pairs cut d'abord ~I s'occuper de sa constitution ;
on proposade former la Chambre en haute-cour de justice , avcc
la publicité des délnts, l'assistance d'un consoil pour l'accusé ;
on adjoindrait a la Conr des Pairs , avec voix consultative , cinq
mcmbres de la cour de cassation , cinq mcmbrcs de la cour
royale et dix du tribunal de prenucro instance; les ministres r(~­
pondircnt que quclqucs-unes de ces dispositions rentraient dans




CHAPITRE IX. 487
l'ordonnance royale , dont ils requirent l'insertion pure et sim-
pIe; ce qui fut admis. On ne s'explíque pas parfaitcment dans
quel objet les ministres s'étaient portés accusateursdirects, L'idéc
n'en était pas seulement venue au duc de Richelieu, mais lU. de
Talleyrand avait ainsiconcu la procédure, Devantune cour régu-
liere le ministere public poursuit au nom de la socíété : id le
Gouvernement lui-rnéme poursuivait par les ministres: était-ce
pour donner une plus grande importance a l'accusation, et pour
indiquer son caractére tout politique ? De quelque maniere qu'on
I'envisage, c'était une faute; qu'en est-il arrivé? C'est que la
postérité melera les noms des ministres signataires a la respon-
sabilité de la coudamnation du maréchal! M. Bellart lut son réqui-
sitoire ou plutótI'histoirc passionnée des événcments qui avaient
amené la trahíson du maréchal Ney; le procureur-général re-
quit l'audition des témoins, et l' ouverture la plus prochaine des
débats. Un arrét de prise de corps fut décerné contre le maré-
chal. Ensuite on dut procéder aux exclusions et aux récusations.
Si 1'0n excepte quelques unités ardcntes , les pairs répu-
gnaient ace jugernent. On fut obligé de rappeler l'ordounance
de 1667 , qui imposait cornrne un devoir aux pairs de Franco
d'assister aux proces crirninels du Parlement lorsqu'il s'agissait
d'un pairo Des récusations furent admises. MM. de Talleyrand ,
de Jaucourt et Gouvion-Saint-Cyr, qui avaient porté le prernier
aete d'accusation comme ministres du Roi, s'abstinrent comme
juges. Le maréchal Augereau fut également excusé; il Iaisait
partie du conseil de guerreo Quclques autres pairs , térnoins
dans le procés, ne purent également siégcr, Tels étaient les
ducs de Duras el le prince de Poix. Je ne parlerai pas de l'excuse
légale des pairs occlósiastiqucs , toujours admise dans les preces
crimiuels. On doit également citer un noble exemple : le duc de
Broglie fit coustater l'áge qu'il venait d'atteindre pour prendre
part au vote, et douner sa voix au maréchaJ. En matierc cri-
minelle, les votes des parents, acertains dcgrés , ne comptent
que pour une méme voix. En conséquencc on dressa une l~te
des pairs qni se tronvaicnt dans le cas de la réduction arrétée :




h88 llISTOIRE DE LA RESTAURATlO]\'.
c'étaíent M. le marquis de Rougé, gendre de ;U. Ie duc d'Uzes ;
1\1. le eomte de Nicolaí , gendre de 1\1. le duc de Lévis ; 1\1. le
vicomte de Montmorency, beau-Irére de M. le duc de Che-
vreuse; M. le comte Molé, beau-frere de M. Christian de La-
moígnon , et neven de 1\1. le cornte d' Aguesscau; M. le eomte
d'Haussonville, beau-Irere de ¡u. le eomte de Guiche; M. le
comte Étienne de Damas, gendre de M. le duc de Sérent;
M. Emmanuel Dambray, fils de 1\1. le chaucclíer-président ;
1\1. le marquis de Chabannes , beau-frere de M. le marquis de
Boisgelin; 1\1. le eomte de Castellane , hcau-frere de 1\1. le due
de Rohan; 1\1. le prinee de Beauffremont , gendre de 1\1. le due
de la Vauguyon; M. Boissy-Ducoudray, beau-Irere de 1\1. le
marqnis d'Aligre ; M. le marquis d'Ilarcourt , beau-frere de
1\1. ]e duc d'Harcourt ; M. le due de Beaumont, oucle de M. le
duc de l\Iontmorency; ]-'1. le duc de J\Iontmorency, heau-Irere de
M. le duc de Roban; 1\1. le duc de Laval , oncle de 1\1. le vi-
comte de l\Iontmorency et de I\1. le duc de Cbevreuse; 1\1. le
vicomte de Vérac, neveu de 1\1. le duc d'Havré. Dans le cas
d'opinions conformes, celles des deux Pairs désignés daus cha-
cun de ces articles ne devaient étrc comptécs que pour une
voix. Les trois opinions de I\HI. le comte Molé, Christian de
Lamoignon et le comte d' Aguesseau , ne compteraient que pour
deux voix ; celles de 1\D1. les ducs de Rohan, de l\Iontlllorency
et le comte de Castellano pour dcnx voix; et I\nI. les marquis
de Boisgelin, de Chabannes et d'Harcourt aussi pour deux voix.
An moyen de ces décisions, les 159 voix de la Chambre haute,
diminuées de 14, se réduisaient ~l 1h5.


I ..a procédure ainsi instruite , et la cour constituée , les débats
publics s'ouvrirent le mardi 21 novemhrc HH5. La Chambre
des Pairs était complete. Seulcmcnt on.rcmarquait l'ahsence de
1\n1. de Vaubojs, Julcs de Polignac, de Brancas , de Broglie ,
Kcllermann ct Destutt de Tracy, Ils ne vinrcnt qu'a la séance du
lcndemain. Jamais une aussi brillante et une aussi triste réuniou.
Le prince Paul de Wnrtcmhcrg ct plusieurs ambassadeurs as-
sistaicnt aces premiéres séances , tout cntieres consacrées ades




CHAPITRE IX. l¡R9
qucstions pr{;jndicicJlcs sur le défaut de consumtion Jégale de la
Chambre des Pairs, l\I. Bellart répondit aux Iongues plaidoiries
de Mi\!. Bcrryer et Dupin, avec cet acccnt d'aigreur, qui distin-
guait ses réquisitoires, On entendit les témoins. IJ y cut dans
cene affaire de malheureux témoignages. ~BI. de Bourmont et
Clouet vinrent déposer centre le maréchal, sous les ordres du-
quel ils avaient serví. J\1. de Bourmont mit dans son récit une
eertaine animosité, Le voici : « Les dispositions des troupes étaient
bonnes lorsque le maréchal me fit appeler: Eh bien, mon cher gé.:
néral , me dit-il, vous avez Iu ces ploclamations de Bonaparte
que l'on répand partout : elles sont bien Iaites. - Oui , lui ré-
pondis-je , il Y a plusienrs phrascs qui peuvent prorluire un
grand efIet sur la troupe. Cellc-ci , par excmple : la »ictoire
marche au JJ([S de cliarqc ; il Iaut bien prendre garde qn'elle ne
circule dans l'armée. - Eh ! mon ami, l'eITet est produit, dans
toute la Franco c'est de méme : tout est fini. En ce momcut le
général Lccourhe entra, et le maréehal continua : Jc suis bien
aise de vous voir, mon chcr général ; je disais ~\ Bourmont que
tout cst fini : il y a trois mois que nous sonuues tous d'accord.
Si vous avicz été 1\ Paris , vous l'auricz su comme moi. Le Roi
doit avoir quitté París ; s'il ne l'a pas quitté , iI sera cnlcvé, ñlais
malheur 11 qui Ierait du mal au Roi, c'est un bon prince qui
n'a fait de mal 11 personne. Il sera conduit 11 un vaisseau, et em-
barqué pour l'Angletcrre, - C'est-á-dire qu'il sera seulement
détrñné , lui dis-je. - Il le fant, et nous n'avons ríen de mieux
1. faire que d'aller 1. Bonapartc, » Le maréchal , indigné de cette
déposition , répondit : « Il parait que J\1. le général de Bour-
mont a fait son themo 1\ loisir. 11 ne croyait pas que nous dus-
sions jamáis nous rcvoir. Il espérait que je serais traité comme
Lahédoyere, Moi qui n'ai pas le talent oratoírc , je vais au fait,
Je fis prier les généraux Bourrnont et Lccourbe de venir chez
moi. Je regrette vivcment que Lccourbe soit mort; mais je
I'interpcllerai dans un autre licu qu'ici , plus haut , et la vous
répondrez , '1\1. de Bourmont. J'étais dans ma chambre , la tete
haissée sur cettc fatale proclamation , je la lcur montrai ; Bour-




490 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
mont ne me dit que ces mots : « Je suis parfaitement de votre
avis. Il n'y a pas d'autrc parti ~l suivre. JI Lecourbe reprit : (,11 ya
longtempsqu'une rumeur circule; mais eette proclamation, par
qui vous a-t-elle été cnvoyée ? JI-« Il ne s'agit pasde cela, lui dis-
je, je vousdemandevotre avis? JI Aueun d'eux ne me dit: « Qu'al-
lez-vousfaire ? vous allez sacrifiervotre gloire. JI Ils se retirerent ,
et Bourmont fit lui-méme rassembler les troupes sur la place. S'il
croyait ma démarche criminelle, il pouvait mettre une garde a
ma porte, m'arréter, disposer de moi, je n'avais pas un cheval
de selle. Lecourbe et Bourmont, je le répete sont venus me
prendre chez moi. Ils m'ont conduit au milieu du carré, formé
par la troupe, La, j'ai lu cette alTreuse proclamation. Ensuite
ils sont venus diner chez moi, Que lU. de Bourrnont le dise, le
diner fut sombre, pas un toast ne fut porté, et je m'empressai
de congédier les convives. JI Un vifdébat s'engagea entre le ma-
réchal et ]U. de Bourmont, qui fut terminé par eette apostrophe
de 1\1. Berryer : « Quand toute la troupe a crié ms:« l' Empe-
reur, vous, 1\1. de Bourmont, avez vouscrié vive le Roi? JI L'in-
terrogation allait droit au hut. 1\1. Bellart intcrrompit l'avocat, et
prit la défense du témoin, 1I y cut dans la déposition de lU. Clouet
plus de convenanceet de modératiou, Il avait été I'aide-de-camp
du maréchal, Il n'oublia pas sa reconnaissance. Les témoins qui
se fircnt remarqucr en chargcant Ney le plus vivement , furent
M1\1. Vaulchier, alors préfet du Jura; Capelle , préfet de l'Ain ,
et le major de la Gcnnetierc. 1I résultait des débats ce sentí-
ment que le maréchal avait été fidelement attaché ases devoírs
envers le Roi jusqu'au 14, jour OU la proclamation avaít été
lue aux troupes , et que ce n'était qu'alors qu'il était passé sous
les aigles.


Au milieu du procés , les avocats conscillerent au maréchal
Ney d'invoquer la capitulation de París, et l'intervention des
signataires de cet acte. L'idée en fut donnée par un tiers ; elle
n'était venue a personne des intéressés, ñladame la maréchale
Ney demanda un rendez-vous au duc de 'Vellington. Des notes
furent égalemcntadressées aux ambassadeurs aParís. JI cüt été




CHAPITllE IX. 491
si noble pour le duc de Wellington d'intervenir! Il pouvait sau-
ver unennemi désarmé, d'autant plus saeré qu'il avait naguere
croisé l'épée avee lui. Il répondit, ce qui était eomplétement
faux, « qu'il n'avait aueune action dans le gouvernement du
roi de France , et qu'il n'était pas en son pouvoir d'arréter sa
justiee. )) Les journaux anglais parlerent beaueoup de eette dé-
marche; lord Hollancl et presque tous les membres de 1'opposi-
tion s'y intéressérent. lUais ils ne purent ríen obtenir de l'in-
flexibilité dudue de 'Vellington. La maréchalefitvaloir1'article12
du traité, Le duc répondit d'une maniere tres-froide , que cet
article ne regardait pas le roi France , et ne pouvait s'appliquer
qu'au seul but de protéger les habitants de Paris contre toute
vengeance de I'armée victorieuse, (( IUadame, continua le duc
de 'Yellington, cette capitulation n'est d'ailleurs obligatoire que
pour les Puissances qui 1'ont ratifiée; Louis XVIII n'a point
donné cette ratification. - Milord, répliqua la maréchale , la
prise de possession de Louis XVIII, n'équivaut-elle pas a une
ratification ! - Ceci regarde le roi de France, répondit le duc,
adressez-vous alui ! » La maréchale cut recours aussivainemcnt
au baron de Vincellt, ambassadcur d'Autriche. Lorsque toutes
les démarches diplomatiqucs furent reeonnues inutiles, les dé-
fenseurs résolurent d'invoquer ce motif devant la Cour des Pairs,
A cet effet , et par le pouvoir discrétionnaire du président , le
maréchal Davoust, le général Guilleminot, l\HI. Bignon et de
Bondy, signataires de la capitulation de Paris, furent assignés.
La déposition du maréchal Davoust était imposante; il s'exprima
ainsi : « Dans la nuit du 2 au 3 juillet tout était préparé pour
une bataillc générale , quand la commission du Gouvernement
m'adressa 1\D1. Bignonet Bondy, qu'elle avaitchargés d'instrue-
tions pour traiter avec les géuéraux enncmis. J'y insérai un ar-
ticle qui stipulait pour les militaires, et j 'adjoignis a ces mes-
sieurs le général GuilIeminot. Les premiers coups de fusil
étaicnt déja tirés. Pour empécher I'eífusíou du sang, j'envoyai
aux avant-postes un officier pour dcmander une suspension
d'armes, Onparvint arégler lcs articles. J'avais chargé le géné-




hY2 mSTüIRE DE LA RESTAUHATlOi\.
ral Guilleminot de rompre les négociations , si les militaires
n'étaient pas compris dans les articles stipulés en faveur des ha-
bitants de Paris et des autres individus. On m'apporta la con-
vention , je la signai, et donnai des ordres pour son exécution.
« Qu'auriez-vous fait si la convention proposée n'eüt pas été
acceptée, dit 1\1. Berryer, en interrompant le maréchal? -- J'au-
rais livré bataílle. J'avais une helle arrnée , bien disposée. J'avais
25 mille hommes de cavalerie, 4 ou 500 pieces de canon, et
toutes les clumces que peut prévoir un général en chef m'étaient
[arorabies. » Il faut rendre cette justice a 1\1. de Fitz-James
qu'il se montra favorable a la déposition des plénipotentiaires.
lU1\I. Bignon et de Bondy affirmaient que les stipulations de la
convention de Paris avaient protégé les personnes et les proprié-
tés. 1\1. de Fitz-James dit : « Je demande amessieurs les pléni-
potentiaires , si, sur leur honneur, ils peusent que ce soit en
vertu de cette convention que les portes de París se soient ou-
vertes pour le Iloi , qui n'y -est entré que cinq jours apreso Il
serait difficile d'admettre une convention qui obligeátune partie
sans obliger l'autre. )) Le général Guilleminot vint confirmer le
témoignage de JU. le maréchal Davoust, « Comme chef .d'état-
major de I'armée, dit-il , je fus chargé de stipuler pour la partie
militaire de la convention du 3 juillct, Je dcmandai une garan-
tie pour toutes les personncs quelles qu'eusseut été leurs opi-
nions , lcurs fonctions et leur conduite. J'avais l' ordre de rompre
immédiatemcnt la négociation si cet article était refusé , et I'ar-
mée était préte a attaquer. ]U. de Bondy ajouta : « Les pre-
mieres bases du traite consentí avec les étrangers furent : le
maintien de la tranquillité publique, la conservation de la capi-
tale, les garanties des personues. Plusieurs articles furent I'ob-
jet de débats et de modifications; mais I'article 12 , relatif ala
sürcté des personnes qui auraient pu étre poursuivies pour leurs
fonctions et leurs opinions, fut accepté de la maniere la plus
rassurante pour tous les individus qui pouvaient se croire com-
promis.


1\1. Dupin , s'adressant au maréchal Davoust , fit ectte ques-




CllAJllTRE n. 1J93
tion peu adroitc , qui jetait du doute sur la netteté de sa dépo-
sition: « Je désire que M. le maréchal Davoust dise quel était
dans sa pensée le sens de l'article 12 de la eonvention. Si son
objet était seulement qu'on ne poursuivit pas les fonctionnaires
publics seuls, M. le général en chef et les commissaires du
Gouvernement entendaient-ils qu'il düt mettre a l'abri tous les
individus, quels qu'ils fussent? » 1\1. Bellart s'écria : « Les com-
missaires du Roi s'opposent ~\ ce que eette question soit faite au
témoin; elle est au moins inutile et peut-étre indiscrete. »
M. Dambray ajouta : « La pensée de 1\1. le maréchal Davoust
est indifférente au fond du proceso » Ici, plusieurs paírs s'écrié-
rent: « Non! non! » 1\1. Bellart: « L'acte existe; on ne peut rien
y changer : il deviendra le sujet de la discussion, Si la pensée
est dans l'acte, si elle s'y trouvait exprimée , si elle est hors de
l'acte, il faut la repousser. » Le maréchal: « Je regardais cette
eonvention eomme tellement protectrice , j'y comptaistelIement ,
que j'aurais mieux aimé perdre la viele sabre ala main, que de
me voir vingt jours aprés sur le banc du eriminel; c'est par la
confiancc que cctte convention m'a inspirée que jc suis resté en
France , et l'on m'(mis sur une liste de proseription. Depuis ,
le Roi a chassé ses ministres; par la, il a réprouvé son ordon-
nance; jc réclamo la bienveillante protection du Roi; j 'y ai
droit commo'tous les Francais, » 1\1. Dupin , voulant prendre la
parole, fut interrompu par 1\1. Dambray : « S'il existe, dit le
chancelier, quelqucs moyens en favcur de l'aceusé, vous vous
en prévaudrez ; mais la pensée d'un témoin ne peut pas étre in-
terprétée , et encoró moins présentée comme une autorité. »


Dans les graves affaires , lorsque la tete d'un homme est
menacée , jo n'aime pas ces magistrats, ces hommes du par-
quet qui parlent avec emphase; e'est triste hahitudc , un
jeu d'éloqucnce sanglaute, et M. Bellart ne s'en défendit paso
« lUessieurs les Pairs, dit-il , lorsqu'au fonddes déserts , autrefois
couvertsde cités populcuses, le voyageur philosophe , qu'y con-
duit eette infatigable curiosité earaetéristique de notre espece ,
apercoit les tristes restes de ces monuments célebres, construits


L 42




494 IUSTOlHE DE LA HESTAl:HATlO:\.
a des ágesreculés , dans le fol espoirde braver la faux du temps ,
et qui ne sont plus que des débris informes, et pour ainsi dire
une fugitive poussiére , il ne peut s'empécher d'éprouver une
mélancolie profonde en songeant a ce que deviennent l'orgueil
humain et ses ouvrages. Combien est plus cruel encore pour ce-
lui qui aime les hommes, le spectacle de la ruine d'une grande
gloire, tombée dans l'opprobre par sa faute, et qui prit soin de
flétrir elle-méme par des crimes les honneurs dont elle fut
d'abord environnée.» Quel cxorde bizarre , lorsqu'il s'agissait de
la vie humaine ! Quelle amplification de collége! C'était du Petit-
J ean, mais du Petit-Jean couvert d'une robe sanglante! 1\1. Ber-
ryer répondit; son plaidoyer fut long, et reposa d'abord sur de
petits moyens , et des arguties sans portée. IJa seule discussion
élcvée fut celle de la capitulation de Paris. Voulant couvrir la
culpabilité par cette capitulation, l'avocat remonta a1'origine
des traités , montra le roi de France membre de la coalition, cal'
il avait adhéré au traité du 25 marso n avait fourni son contin-
gent de Vendéens. M. Berryer répétait id la doctrine diploma-
tique que ]U. de Talleyrand et les plénipotcntiaires francais
avaient fait valoir dans les négociations avec les alliés pour le
traité de Paris. Il fut intcrrompu par M. Bellart, « Je crois de-
voir, dit-il , éparguer aux défenseurs du maréchal Ney l'occasion
d'ajouter un nouveau scandale dans cette affaire qui n'eu recele
déjá que trop ; nous S0ll1111eS Francais , nons avons des lois fran-
caises , cesont les seules qui doivent étre invoquées. Il ne
s'agit plus a présent que de la justification du maréchal Ncy.
Il n'cst plus permis de traiter les questious de droit. Le devoir
de ses avocats est de discuter le fait dont iI est accusé , et de
táchcr de prouver son innocence. Les conunissaires du Roi s'op-
posent done ace qu'il soit ríen dit de plus sur la convention.»


Dans la matinée du 6 déccrnbre, une séance secrete et préli-
minaire avait eu lieu. Le président avait mis sous les veux de la
Chamhre une note de 1\1. de Tascher, dans laquellc il invitait le
président a s'opposer, au IlOl1l de la Charubre , a toute discussion
du moycn que le maréchal Ney prétendait tirer de la convcntion




CHAPITRE IX. [~95
conclue, sous les murs de Paris, le 3 juillet 1815. Plusieurs
membres ayant appuyé l'invitation faite ~l JU. le président par
la note de M. de Tascher, l'un d'eux ajouta que le moyen que
ron prétendait tirer de la convention militaire du 3 juillet der-
nier, était un moyen essentiellement préjudiciable , une véri-
table fin de non-recevoir. 1\1. Lanjuinais avaitsoutenu, au con-
traire, que l'argument tiré de la convention du 3 juillet devait
étre regardé commeune exception péremptoire, et qu'a ce titre
elle était admissible a toutes les époqucs de la proeédure. La
Chambre consultée décida que l\I. le présidcnt devait s'opposer
a la lecture de la convention du 3 juillet , et a la discussion des
moyens que prétendaient en tirer les défcnseurs de l'accusé, ;\
l'issue de cette séancc secrete, JU. le chancelicr clit aux défen-
scurs : ( J'aurais pu prcndre sur moi de m'opposer, des le
premier instant OU il en a été question , au développement des
moyensqu'on propose en ce moment.. mais j'ai dü consultor la
Chambredes Pairs. Elle a pensécommemoi, a une tres-grande
majorité, qu'il était de la plus grande inconvenance qu'on se
prévalüt, surtout dans cette enceinte, d'unc convcntion toute
militaire, et tellcment étrangére au Roi , que, vingt-deux jours
apres , il a rendu une ordonnance pour tradnire devant les tri-
bunaux un certain nombre de personnes, ordonnance qui a été
signée par un ministre qui avait été président de ce qu'on
nommait le Gouverncnumt prooisoire. »


1\1. Dupin avait fait valoir l'exception étrange que le maré-
chal n'était plus Francais depuis le traité de Paris, qu'il était né
aSarrelouis, cédé a la Prusse ; le maréchal indigné s' écria , en
se levant avcc précipitation : ( Oui, lUonsieur, je suis Francais,
et je mourrai comme tel. Jusqu'icí ma défense a paru libre, on
veut l' entraver, J e remercic mes généreux défenseurs, mais
j'aime mieux n'étre pas eléfcndn, que ele n'avoír qu'un simula-
ere de défense, Je suis accusé contrc la foieles traites, et ron nc
veut pas queje les invoque. Je fais comme Moreau, j'en appelle
~l l'Europe et ala postérité! » Ainsi le souvenirde Moreau, per-
sécuté par Bonaparte, venait ala penséc d'un vieux camarade ~l




496 mSrOIRE DE tA nESTAenATJO~.
la face de la mort, Puis Ney continua, en s'adressant au chan-
colier : « lUonseigneur, je défends h mes avocats de parler do-
rénavant. Votre Excellence donnera 11 la Chambre tous les 01'-
dres qu'elle voudra, Si mes avocats sont libres, ils peuvent
continuer la défense; dans le cas contraire , je leur défends de
parlero » Alors M. Bellart s'écria : « Nous aurions un devoir 11
remplir, apres avoir écarté d'indiscretes et dangereuses théories,
Ce scrait de repousser des inculpations injurieuses qu'on s'est
permis d'adresser a plusieurs témoins ; mais au moment oú la
défense est close, l'accusation doit étre close aussi, » m lU. Bel-
lart lut son réquisitoire de mort. JI y était dit : « Attendu que
de l'instruction et du déhat il résultc la preuve que ñlichel Ney,
maréchal de France , duc d'Elchingrn , prince de la )Ioskowa,
ex-pair de France , s'cst rendu coupable d'avoir entretenu avec
Bonaparte des intelligences, al'eITet de faciliter, 11 lui et 11 ses
bandes, l'entrée sur le territoire francais, et de seconder sespro-
gres sur les possessions franraises , notamment en éhranlant la
fidélité des officiers et soldats; - de s'étre mis a la tete deshan-
des et troupes armées, d'y avoir exercé un commandement pour
cnvahir les villes , dans l'intérét de Bonaparte, et pour faire ré-
sistance 11 la force publique agissant contre lui; - d'avoir passé
a l'ennemi avec une partie des troupes sous ses ordres; ~
d'avoir, par discours, placards et écrits imprimés, excité direc-
terncnt les citoycnsas'armer les uns contre les autres; - d'avoir
excité ses camarades a passer 11 l'cnnemi ; - enfin, d'avoir
commis une trahison envers le Roi et l'Úat, et d'avoir pris part
a un complot dont le hut était de changer le Couvernernent et
l'ordre de successibilité au tróne , - tous crimes prérus par le
Codepénalet par la loi du 2'1 hrumairc anV..... iJ plaise ala Cour
de le déclarer attcint et de prononcer sur les crimes ci-dessus
spécifiés. » Ce réquisitoire était toujours signé par les sept mi-
nistres.


Le 6 décemhre a cinq heures , la Cour 'des Pairs entra en
délibération secrete; :\1. Dambray lut le réquisitoire, et posa
les questions cumulativcmcnt; il fit ohservcr que ces questions




CJlAPlTRE IX. 497
décidées, une déllbération ultérieurc devait déterminer la peine
applicable. Un mcmbre pensa qu'a l'excmp!e de l' Angleterre, la
Charnbre , considérée comme grand jury, devait se borner ala
déclaration du fait; que lU. le président ouvrirait ensuite le
Code pénal , et prononcerait l'application de la peine. « Obser-
vez, lUessieurs, reprit un autre membre, qu'en acceptant 1'01'-
donnance du Roi du 12 novembre dernier, la Chambre a con-
tracté l'obligation générale de suivre , dans le jugement dont elle
s'occupe , les formes prescrites aux cours spéciales par le Code
d'instruction criminelle. ) lU. le chancelier répondit : « L'usage
des cours spéciales est de voter d'abord sur les faits , ensuite sur
l'application de la peine. ) Plusieurs membres s'écriérent alors vi-
vement : « Cette marche est la conséquencc nécessairedes dispo-
sitionsdu Code, qui dit que le presiden! poscm Les questions el
rccucillcra les »oix , et que si l'accusé est declaré coupable,
fal'l'Ct ]Jl'ononcera La peine etahlie }J(O' La Loi. » - « J'invoque,
dit un pair, les dispositions de l' ordonnance du Roi du 11 no-
vembro dernier qui porte que les opinions seront prises suivant
la forme usitée dans les trihunaux. Cette forme est l'appel no-
minal.. ... » Divers membres ayant pensé qu'on ne pouvait re-
garder comme ohligatoires, pour la Charnbre, les dispositions du
Codepénal , el qn'ellepouvait, en statuant sur l'application de la
peine, avoir égard aux circonstances atténuantes, un pair, élevant
la voix, dit : « Aucune loi, aucun réglcmcnt ne peut m'empécher
d'exposcr, des la prcmierc question, mon opinion tout entiere : et
mon opinion cst cclle-ci : d'aprés l'art. 12 de la convention du 3
juillet, l'accusé ne peut étrc mis enjugemcnt !.... »


Apres I'émotion d'étonnemcut causéepar cette généreuse pro-
fession de Ioi , un mcmhre rompit le sileuce : « Je crois dcvoir
vous signaler, Messiellrs, la séparation trop exacto du fait et du
droit , des questions relativos au délit, et de cellesqui regardent
la peine. Il y a la le grave inconvénient d'alarmer les conscien-
ces, qui seront plus tranquilles si, en pronoucant sur le crime,
chacun s'explique en méme tcmps sur la peine qu'il y croit ap-
plicnble. -.Te demande, ajouta un pair, qu'on ne regarde




!198 IlTSTOmE DE LA RESTAURATlON.
comme déíinitif le vote de chaque pair sur J'application de la
peine qu'aprés un second appel nominal, lors duquel ceux qui
nuraicnt voté dans le premier pour une peine plus sévere, pour-
ront passeral'avis le plus doux. -TeIle est , dit M. le président,
la marche que je me propose de suivre. » En conséquence , la
premiére question fut mise aux voix dans les termes suivants:
« L'accusé est-il convaincu d'avoir, dans la nuit du 13 au 14 mars
1. 815 , accueilli des émissaires de l'usurpateur? ) Cent treize votes
furent pour l'affirmative, réduits, par la conformité d'opinions
entre parents et alliés, a107; 47 membres avaient répoudu né-
gativement, se fondant partículiercrnent sur ce que l'aveu seul
de l'accusé ne fournissait pas contre lui une preuve suffisantc.
La seconde question était ainsi concue : « L'accusé est-il eonvaineu
d'avoir ledit jour, 14 mars 1815, lu sur la place publique de
Lons-le-Saulnier, département du Jura, ala tete de son armée ,
une proclamation tendante a exciter ala rébellion et ala déser-
tion a l'ennemi; d'avoir immédiatement donné l'ordre a ses
troupes de se réunir al'usurpateur, et d'avoir lui-rnéme, aleur
tete, eífectuécette réunion? » L'affirmative fut prononcée al'una-
nimité. Un Pair s'était abstenu. La question relative ~\ la quali-
fication du crime fut ensuite mise aux voix en ces termes:
(( L'accusé est-il convaincu d'avoir ainsi commis un crime de
haute trahison et d'attentat ala süreté de l'l~tat, dont le hut était
de détruire ou de changer le Couvcrnemcnt et l'ordre de suc-
cessibilité au tróne ? » Ccnt ciuquanto-sept voix se prononccrent
pour l'affirmativc ; une pour la négatiH'. Un Pair s'était abstenu
de valer comme sur les dcuxprcmieres questions. D'apres ce
résultat , le maréchal se trouvait convaincu du crime de haute
trahison ct d'attcnta¡ a la sürcté de J'lhat; le président prit la
parole : « J'ai I'honneur de prevenir la Chambre qu'clle a adé-
libércr sur I'application de la peine. » Un sileuce morne suivit
ces parolcs, On proceda ~\ un double appcl nominal sur l'appli-
cation de la peine; il donna le résultat suivaut I :


• J'ai vériflé ces votes par tous les témolgnages , ['épronve un trap
grand besoin de vérité pour ne pas admcttre toutes les réclamations
justiílécs. 11 y a un vote que jc n'ai pu retrouvcr.




CHAPITRE IX. 499
Le duc d'Uzes, lc duc de Chevreuse, le duc de Brissac, le


due de Rohan, lc due de Luxembourg, lc duc de Saint-Aiguan,
le due d'Harcourt , lc duc de Fitz-James , le duc de Valentinois,
le due de la Vauguyon, le due de La Roehefoueauld, le duc de
Clermont-Tonnerre , le due de Coigny, le due de Laval-ñlonrmo-
reney, le duc de Beaumont, le duc de Lorges, le duc de Cr01-
d'Havré, le duc de Lévis, le duc de la Foree, le duc de Castries,
le duc de Doudeauville, le prinee de Chalais, le duc de Sérent,
le maréchal lUarmont, le eomte Abrial, le eomte Barthélemy,
le eomte Beauharnais, le eomte de Beaumont, le eomte de
Beurnonville, le eomte de Canclaux, le comte Cornet, le eomte
d'Aguesseall, le comte Davoust, le eomte Demont, le comte
Depere , le comte d'Hauhersart , le comte d'Hédouville , le comte
Dupont ,le comte Dupuy, le comte Emmery, le eomte Garniel',
le comte de Lamartilliere , le comte Laplace, le eomte Leeou-


. teulx-Canteleu , le eomte Lebrun de Rochemont, le eomte de
Lespinasse, le eomte de l\lonbadon, le eomte de Pastoret, le
eomte Péré , le maréchal eomte Pérignon, le eomte de Saint-
Vallier, le comte de Sémonville, le maréehal eomte Serrurier, le
eomteSoules, le comteShée, lecomtede Tascher, le maréchalKel-
lermann, le comte de Vaubois, le comte de Villemanzi, le eomte
Vimar, le comte lUaison, le comte Dcssolle , le eomte Victor de
la 'I'our-ñlaubourg , le eomte de Yandrenil , le bailli de Crussol,
le marquis d'Harcourt, le marquis de Clcrmont-Calleraude, le
comte Charles de Damas, le marquis d'Alhertas, le duc d'Au-
mont, le marquis d'Avaray, le marquis de Boisgelin, de Boissy
Ducoudrav, le baron Boisscl de l\Ionville, le marquis de Bonnay,
le marquis de Bréz«, le prince de Beauílremout, le maréchal Vic-
tor, le comte de Clcrmont-Tonnerre , le duc de Caylus , le comte
du Cayla , le comte de Castellane , le vicomte <le Cháteaulninnd,
le comte de Choisrul-GoufTier, le comte de Contades , lo corntc
de Crillon, le comteViclor de Cararnan , le marquis de Chahan-
nes, le général Compans, le comte Durfort, Emmanuel Dambray,
le eomte de Damas-Crux , le clievalier d'Andigné , le eomtc
d'Ecquevilly, le comte Franrois d'Escars , le comte Ferrand , le




500 I1ISTOIRE DE LA RESTAURATION.
marquis de Frondeville , le eomte de la Fcrronnays , le eomtede
Gand, le marquis de Gontaut-Biron, le comte de La Guiche,
l'amiral Gantheaume, le comte d'Haussonville , le marquis de
Juigné , le marquis d'Herbouville, le eomte Lauriston , le mar-
quis de Louvois, Christian de Lamoignon, le eomte de La Tour-
du-Pin-Gouvernet, le comte de Machault d' Arnouville, le mar-
quis de l\Iortemart, le eomte lUolé, le marquis de l\Iathan, le
vieomte Mathieu de lUontmoreney, le comte de Mun, le eomte
Du lUuy, le général ñlonnier, le eomte de Noe, le marquis d'Or-
villiers , le marquis d'Osmond , le marquis :de Haigecourt , le
haron de La Iíochefoucauld , le comte de Ilougé , De Saint-Ilo-
mau , le eomte de Rully, I..epelletier de Rosanbo, Deséze , le
barón Séguier, le eomte de Suflrcn-Saint-Tropoz , le marquis de
la Suze , le eomte de Saint-Priest , le marquis de Talaru , le eomte
Augusto de Talleyrand , le marquis de Vence, De Vibraye, le
vieomte Vérae, Morel de Vindé, Lynch , la mort, Le duc de
Broglie, le duc de lUontmoreney, le comte Berthollet, le eomte
Chasseloup-Laubat, le comte Chollet, le comte Colaud, le eomte
de Fontanes , le comte de Gouvion, le eomte Herwyn, le comte
Klein, le eomte Lanjuinais , le comte Lcmercicr, le comte Le-
noir-I..aroche , le comte de l\IaIleville, le eomte Porcher de Ili-
ehebourg, le eomte Curial, le comte de Lally-Tolendal , la dd-
portation: te duc de Choiseul, le comte de Sainte-Suzanne, le
marquis d'Aligre , le couite de Brigode , le comtc Nicolaí (Théo-
dore) , abstenus de »otcr,


A onze heures et dcmie l'arrét fut prononeé; le maréchaI
n'était pas préscnt, ~cy, ce type de la bravoure , fut calme en
attendant son arret ; il soupa avcc appétit , filma un cigare et
dormi t quclques heures : il Iut évcilló par :\1. Cauchy, qui viut
lui signifier la décision des Pairs. « -'Ionsienr le maréchal , lui
dit l'archiviste , j'ai une doulourcusc mission ü rcmplir. -Vous
Iaites votrc dcvoir, -'1. Cauchy, lui répoudit tranquillement le
maréchal Xey; chacun a le sien cn ce monde. » Puis , cntcndant
le préambule , il I'iuterrompit : « Au Iait , au Iait ! » 1\1. Cauchy
continua la lecturc , et lorsqu'il vint aux uombrcux titres du




CH¡1PfTRE IX. 501
maréchal, il fut de nouveau intcrrompu par lui : « A quoi bon
tout cela? Dites, tout simplement, Michel ~ey; puis un peu de
poussiere, VOWl tout. » En donnant ces votes, plusieurs mem-
bres avaient esperé La qráce ; ils avaient recommandé le maré-
chal a la clémence du BoL Quoique 1\1. de Richelieu se füt tres-
prononcé contre Ney, et qu'il eüt osé dire ces malheureuses
paroles: « Qui de vous oseraít s'intéresser au maréchal Ney? »
quelques-uns de ses amis politiques, et 1\1. Molé particuliere-
ment , le pressaient d'implorer la clémence du Iloi. Il y cut con-
seil des ministres a minuit; on n'osa point prendre un partí sans
avoir une demi-parole de Louis XVIII. On cut quelque peine a
persuadcr aM. de Ilichclieu que la Maison de Bourbon gagne-
rait une grande popularité si 1'on commuait la peine de mort en
une déporiation en Amérique, La demande en fut faite au Roí
aminuit et demi; Louis XVIII ne voulut rien entendre. Je dois
ajouter qu'en l'état des opiuions et des partís en feu , en pré-
scuce d'une majorité de députés exaltée , il cut été tres-dífficile
de commuer la peine du maréchal sans soulever bien des orages,
Ce que la postérité aurait considéré comme le plus bel acte de la
vie des Bourbons, la Chambre des Députés ne 1'aurait pas par-
donné au ministére , et le lendemain le Cabinet Richelieu aurait
été mis en accusation.


Jamáis cxécution d'arrét ne fut plus prompte. La cour, le
partí royaliste craignaient un mouvement, cal' on annoncait alors
des mouvements achaque quart d'heure, Des trois heures du
matin, l\l. de Bochechouart , chargé par le général Despinois
de l' exécution, prit possession du Luxembourg. Enviren
200 hommes, gendarmes ou vétérans, environnerent le palaís,
Il est cruel de le raconter; il Ycut, dit-on , des royalistes, des
officiers qui se couvrirent de cet uniforme de vétérans pour
garder le maréchal et méme pour exécuter le jugement. A
neuf heures du matin, revétu d'un frac bleu , d'un chapeau
rond, Ney monta dans une voiture de place. Il avait fait de-
mander ~l l\I. de Sémonville une bouteille de vin de Bordeaux et
l'avaít hue; le grand-référendaire accompagna le maréchal jus-




502 HISTOTRE DE LA RESTAURATION.
qu'au fiacre. Le curé de Saint-Sulpice était ases cñtés; deux
officiers de gendarmerie sur le devant de la voiture. Le lugubre
cortége traversa le jardin du Luxembourg du coté de I'Observa-
toire. En sortant de la grille, il prit agauche, et fit halte cin-
quantc pas plus loin, sous les murs de l'avenue. La voiture
s'étant arrétée, le maréchal en descendit lestement , et , se te-
nant ahuit pas du mur, il dit a l'officier : « Est-ce id, Mon-
sieur? »-« Oui, lU. le maréchal. » Alors Ney óta son chapeau
de la main gauche , placa la droite sur son cceur, et s'adressaut
aux soldats , il s'écria : ce Mes camarades , tirez sur moi.» L'offi-
cicr donna le signal du feu , et Ney tomba sans faire aucun 1110U-
vement, Quclle fin apres une si illustre vie ! Ce glorieux cadavre
fut exposé aux rcgards du puhlic pendant un quart d'heure, La
tete était percée de trois halles; la poitrine avait aussi recu plu-
sieurs coups. Cette exécution se fit comme en cachette, La
foule s'était portée a la plaine de Grenelle. On craignait une
manifestation armée , et l'on semblait vouloir frapper ala déro-
hée cette vie que vingt ans de batailles avaient épargnée! J'ai
vu depuis le lieu de l'exécution; j'ai contemplé avec une émo-
tion douloureusc cette muraille rccrépie ; la main de I'homme a
cffacé ces traces de sang, mais l'histoirc les y recueille encoré :
cHes sont indélébiles.


Deux faits inuncnses s'étaient révélés dans la marche des
négociatious a Paris : la haine des alliés contre l'esprit militaire
et la protection qu'ils accordaient au systeme constitntionuel,
Lorsque, pour la seconde fois, ~\ l'occasion du débarquement
de Napoléon , les Cabinets eurent besoin du loyal appui des
peuples , de ces vigoureux eíforts qui seuls pouvaient triompher
de l'ennemi commun, ils avaient parlé d'institutions lihérales.
I ..a Prusse, les t~tats allcmands , la Ilussie al'égard de la Polo-
gne, toutes s'étaient également engagécs. Napoléon avait laissé
de profonds souvenirs de sa tyrannie en Prusse. Jamais la vic-
toire no s'était montrée si impérieuse , si exigeante, Des batail-
lons de volontaires s'étaieut partout orgauisés ; la jeunesse des
universités avait endossé I'uniforme de chasseurs ou de tirail-




CHAPlTRE IX. 503
leurs; les fortes études d'Iéna , de Krenisberg et de Breslaw
étaient abandonnées pour les armes; les associations pour la li-
berté de J'Allemagne ne s'étaient point dissoutes. C'est a
leurs elforts inouls qu'on avait dü la délivrance de la patrie.


L'armée prussienne, si implacable aParis, était dominée par
les ídées de patrie allemande et de liberté. Le vieux Blücher ne
s'était déclaré avec tant de violence l'ennemi de Napoléon que
paree qu'il le considérait comme le tyran de la Prusse.
Jamáis ame n'avait été plus fortement trempée de patrio-
tisme que cellc de Blücher; il exercait un ascendant magique
et mystérieux sur toute eette jeunesse des universités , qui avait
abandonné les hancs pour marcher au combat , eonduite par ses
professeurs. C'est égalcment avec ces idées de liberté, de natio-
nalité , que le czar Alexaudre avait ébranlé la Pologne et appeló
le dévouement généreux de son armée, Daus cctte situatiou et
apres la guerre terminée, il était impossible d'oublier les idées
qui avaient remué le monde. Les armées rentraient apeine dans
leur patrie. L'exemple de la Charte de Louis XVIII et l'action
des opinions francaises avaient produit d'incroyablcs résultats,
Il était aisé de s'assurer, par une simple causerie avee des offi-
ciers prussiens , russes et anglais, combien les idées libéralcs
étaieut fortemcnt empreiutes dans leurs cceurs, Ils favorisaicut
méme les proscrits , témoin l' évasion méme de 1\1. de Lavalette.


L'Europe avait organisé son territoire d'apres le congres de
Vienne; l'acte final en avait été arrété le 9 j uin '1815, huit jours
avaut Waterloo. Les deux grandes questions de la Pologne et de
la Saxe étaient enfin résolues. Le traité secret du mois de février
entre la Frauce , l'Angleterre et l'Autriche , avait été dissous par
l'alliance du 25 marso Le partage de la Pologne avait été con-
senti; une Corte addition ala Gallicie était concédée a l' Autriche ;
la Prusse avait le graud-duché de Posen et plus d'un tiers de la
Saxe, qu'elle réunissait a sa monarchie. Tout le graud-dnché de
Varsovie revenait a la Russie. Le Hanovre devait s'étendre de-
puis Grettingue au sud, jusqu'a l'Elbc au nord , et comprendre
al'ouest Osnahruck et Embdcn, La populatiou de ce royaume




504 HISTüIRE DE LA RESTAURATlüN.
était fixée a 1 300 000 ames. tes ducs d'Oldenbourg , de
Saxe - Wcimar et de lUecklembourg obtcnaient le litre dc
grand-ducs, et le grand-duc de Saxe-Weimar , en parti-
culier , recevait une augmentation de 77 000 ames. On don-
nait au roi de Baviere les pays de \Yurtzbourg et d'Aschaffon-
bourg. Le prince primat, trop dévoué a Napoléon, était
dépouillé pour une pension de 100 000 llorins. La ville de
Francfort, avec son territoire, tel qu'il était en 1803, était
déclarée libre, et devait faire partie de la ligue germanique;
ses institut.ons prenaient pour base une parfaite égalité de
droits entre les diílérents cultes de la religion chrétienne, Le
but de la Confédération germanique était le maintien de la su-
reté extérieure et intérieure de l'AlIemagne, I'indépcndance et
l'inviolabilité des États confédérés, Les membres de la Confédé-
ration étaient tous égaux en droits ct s'obligeaient a maintenir
l'acte qui constituait leur union. Une Dicte Iédérative devait ré-
gler les affaires de la Confédération , et sans préjudice de leur
rang les membres devaient voter collectivement ou iudividuel-
lement; ils étaicnt au nombre de 17, ainsi répartis : l' Autrlche
avait 1 voix ; la Prusse 1; la Baviére 1; Saxe 1; Hanovrc 1;
'Yurtemberg 1; Bade 1; Hesse élcctoralc 1; grand-duché de
Hesse 1; Danemark pom Holstein 1; Pays-Bas pour Luxein-
bourg 1; maisons grandes-ducales et ducales de Saxc 1; Brun-
swick et Nassau 1; Mecklcrnbourg-Schwcrin-Strelitz 1; Holstcin-
Oldenbourg, Anhalt et Schwartzbourg 1; HohenzoIlern,
Lichteinstein, Ileuss , Schaumbourg-Lippe, Lippe et 'Val-
deck 1; les villes libres de Luheck , Francfort , Bréme et Ham-
bourg 1. - 1/Autriche, se réservant toujours la haute maín ,
présidaít la Diete fédérative. Lorsqu'il s'agissait de loís fonda-
mentales ou de grands changements a faire dans les lois de la
Confédération , la Dicte devait se former en assemblée générale;
alors le nombre des voix s'élevait a69, et ces voix éta.ent cal-
eulées sur l'étendue respective de États índividuels : l'Autriche
avait 4- voix; la Prusse 4-; la Saxe li ; la Baviere 4- ; le Hanovre 4-;
le \Vurtemberg 4-; Bade 3; Hessc électoralc 3; grand-duché de




ClIAPlTRE .L.\.. 505
lIesse 3; Holstein ;); Luxcmbourg 3; Brunswick :2; ¡Ueeklem-
bourg-Schwerin :2; Nassau :2; Saxe-'Veimar 1; Gotha 1; Co-
bourg 1; l\leinungen 1.; Hildburghausen 1.; l\Ieeklembourg-
Strelitz 1; Holstein-Oldenbourg 1. ; Anhalt-Dessau 1; Bernbourg 1;
Kothcn 1; Schwartzbourg-Sondershausen 1.; Rudolstadt 1;
Hohenzollern-Heehingen 1.; Lichteinstein 1.; Hohenzollern-Sigma-
ringen 1.; Waldeck 1.; Reuss, branche ainée, 1; cadette, 1.;
Schaumbourg-Lippe 1.; Lippe 1.; la ville libre de Lubeek 1.;
Francfort 1 ; Bréme 1 ; Hambourg 1. Le siége de la Diete était
fixé a Francfort-sur-Heín, sa premiere séance au 1er septem-
bre 1815. Si la guerre était déclarée par la Confédération, aucun
memhre ne pouvait entamer des négociations particuliéres et
d'aucun genre avec l'ennemi sans le consentement de la Confé-
dération.


La ligue de círconscríptlon du royaume des Pays-Bas partait
de la mer, 5' étendant le long des frontiéres nord de la France ,
telles qu'elles avaient été dressées par l'article 3 du traité de
París du 20 novembre 1815. Les limites de la Sardaigne étaient
fixées par le meme traité. L' Autriche recevait un accroissement
territorial d'une grande étendue : on lui garantissait la possession
des États extra-vénitiens de terre ferme, de I'Istrie, de la Dal-
matie , de Raguse , des bouches du Cattaro, des duchés de 1\1i-
lan et de ñlantoue , ainsi que les vallées de la Valentine, ele
Bormio et ele Chiavenna. D'aprés une stipulation particuliére ,
l'archiduc Francois d'Este et ses successeurs étaient déclarés
possesseurs en toute souveraineté des duchés de Modéne , de Reg-
gio et de Mirandole , tels qu'ils étaient a l'époque du traité de
Campo-Formio , et l'archiduchesse Marie-Béatrix d'Este obte-
nait possession et souveraineté du duché ele l\Iassa, de la prin-
cipauté de Carrara , ainsi que des fiefs impériaux de la Luni-
giana. Enfin on accordait a l'impératrice l\larie-Louise la sou-
veraineté des duches ele Parme , de Plaisance et de Guastalla.
La réversibilité serait déterminée d'un couunun accord entre
les cours d' Autriche , de Russie, de Frunce , d'Espagne , d' An-
gleterrc el de Prusse , toutcíois , ayaut égard ~\UX droits de ré-


1. 43




506 lIISTOlHE DE LA HE5TALHATIO.\.
versión de la iUaison d'Autriche et de S. lU. le roí de Sardaigne
sur ces pays. - L'archiduc Ferdinand d'Autriche , en rentraut
daus ses droits de souveraineté sur le granel-duché ele Toscane,
recevaít en outre l'État des Présídes , la partie de l'ile d'Elbe qui
était sous la suzeraineté du roi des Deux-Siciles avant 1801, et
la suzeraineté de la principauté de Piomhino et ses dépendances,
-La principauté de Lucques, érigée en duché, était ajoutée
aux cessionsfaltes al'archiduchesse Marie-Louise, aqui l'empe-
reur d'Autriche et le graud-duc de Toscane garantissaient , en
outre, un revenu de 500 mille francs, jusqu'a nouveaux arran-
gements. te duché de Lucques était reversible au grand-duc
de Toscane.


On rendait au Saint-Siége les Marches, avec Lamérino et
leurs dépendances , le duché de Bénévent et la principauté de
Ponte-Corvo, les légations de Ravenue, Bologue et Ferrare , ¿¡
l'exception de la partie du Ferrarais située sur la rive gauche
du Po. L'empereur d'Autriche se réscrvait le droit de garnison
a Fcrrare ct a Conmñchio. La population des États Romains était
fixée a2400000 habitants. Le roi Ferdinand IV remontait sur
le tróne des Dcux-Siciles , dont il était rcconnu le souverain,
lui et ses héritiers et successeurs , par les grandes Puissances,
« Le Prince régent du Portugal et du Brésil , s'engageaít ares-
tituer la Guiane ala France jusqu'a la riviere d'Yapock. » Enfin,
une dcrnicre clause contenait le protocole des Puissances sur
l'abolition de la traite des Noirs.


Si l'acte du congres de vicnue s'exprimait d'une maniere
vague sur la nécessité de concéder des instiLutions eonstitution-
nelles ala Pologne et aux lhats de second ordre de I'Allcmagne,
la situation des esprits ne pcnnettait pas de priver ces popula-
tions, ardentes pour la liberté, et cctte arméc intelligenteet li-
bérale de quelques-uns des résultats de la Constitution francaise.
Alexandre n'avait pas attcndu corte eireonstance solennellc pour
commencer rl'acquittcr ses promesscs a l'égard des Polonais :
« Polonais, disait-il , de nouvcaux licns vont vous unir a un
peuple généreux , qui , par d'aucicuncs relatious , par une valeur




CHAPITRE IX. 507
digne de la vótre et par le nom commun de nations slaves -' est
disposé avous admettre a une confraternité qui sera chere et
utile aux deuxpeuples. Une constitution appropriée aux besoins
des localités et ~l votre caractere , l'usage de votre langue con-
servé dans les actes publics, les fonetions et les emplois accor-
dés aux seuls Polonais, la liberté du eommerce et de la navi-
gation, votre armée nationale, tous les moyens garantis pour
perfectionner vos lois, la libre eireulation des lumieres dans
votre pays : tels sont les avantages dont vous jouirez sous notre
domination.. Ce nouvel État devient l'oyaumc de Polognc : nom
si vivement désiré , depuís si longtemps róclamé par la nation,
et acquis au prix de tant de sang et de sacriflces !... ))


Cracovie en mémc temps étair déclarée ville libre. « Ce pays,
continuait le Czar, placé sous la proteetion de trois Puissances
libératrices et unies, jouira du bonheur et de la tranquillité
en se eonsacrant uniqucment aux arts, aux scicnces , au eom-
merce et al'industrie, Il sera comme un monument d'une po-
litique magnanime , qui aplacé eette liberté dans l'endroit méme
(a Cracovíe) oú reposent les cendres des meilleurs de vosrois. })
Dans une assemblée solennelle ~\ Varsovie, au bruit des salves
d'artillcrie rctentissantes , le rétablissement du royaume de Po-
logne fut próclarné ! Un héraut d'armes , au blason polonais, lut
l'actcde renonciation du roi de Saxe, laproclamatíon d'Alexandre,
et déclara les bases de la eonstitution polonaise les mémes que
celles de 1791. Alors les hahitants prétercnt par acclamations le
serment inaugural au roi de Pologne et ala constitution. L'aigle
et les drapeaux de Sobieski furent arborés sur tous les édifiees.
Sur la place publique OÚ un autel avaít été érigé, les troupes
polonaises préterent scrment , par bataillon , al'Empereur, roi
de Pologne, et a la nation polonaise reconstituée. L'empereur
de Ilussie ne horna pas la ses générosités, Un régiment d'infan-
terie , un régiment de cavalericet un pare d'artillerie furent dé-
clarés garde royale polonaise. Un Gouveruement apart fut 01'-
ganisé : le comte Matuscwich fut désigné pour le ministérc des
finan ces; le couite Motowski pour celui de l'intérieur et de la




508 HISTüIRE DE LA RESTAURATION.
police. C'est sous l'influence d'hommes d'État , de patriotes dis-
tingués que s'élaborait la constitution dont les bases avaient été
jusque-la seulementposées. L'empereur Alexandre, toujours oc-
cupé de son idée de réunir tous lesfragmentsde l'ancienne Po-
logne en un grand et unique royaume, permettait aux évéques
de la Volhynie, de la Lithuanie et de l'Ukraine, de se rassem-
bler en synode avec les évéques du grand-duché, LesPuissances
voisines voyaient avec ombrage les députés de Cracovie assister
au couronnement de l'Empereur, oú chaque palatinat parut avee
sa hanniern et ses couleurs. Les vieux Russes murmuraient de
cetto protection pour un peuple vaincu. L'Empereur persista
dans sa volonté de constituer la Pologne, JI écrivit aux patriotes
Kosciusko, Dambrowskí et Niemccwítz , pour qu 'ils vínssent
fixer leur résideneeaVarsovie. Répondant au sénateur président
de la Diete, Alexandre dit : « Je sais tout ce qu'a souffert le
royaume , mais des institutions libérales pourront le sauver l. ))


En Prusse , des idées non moins généreuses dirigeaient le
gouvernement du Roi sous la direction de M. de Hardenberg.
La Prusse devait avoir dix provinces et vingt-cinq arrondisse-
ments ou cercles; un général en chef devait commanderehaque
division ; il Y avait a la tete de chaqué provinee un grand pré-
sident avec la surveillance des aífaires générales de la province,
de la poliee civile et médicale , de l'éducation et du culte, Dans
les provinces oú il y avait des corps de représentants ou états
provinciaux, ces corps devaient étre maintenus, mais organisés
de maniere que toutes les classes de citoycns y fussent représen-
tées, Il était créé par approximation une universitépar province.
Celles de Krcnisberg , Dantzick, Breslaw, Berlin, Grisswalde,
pour la Poméranie, et Halle, pour la Saxe , étaient organisées
ou décrétées. Il devait en étre établi aCoblentz, a Dusseldorf
et a Munsrer : celle-ei était particulieremcnt destinée aux eatho-
liques. On devait établir aPosen une université polonaise. Les


I Une médallle fut frappée pour le rétablíssement du royaume de
Polognc , elle disait : WHlS nobi» restituit rcm.




CHAPITRE IX. 509
provinces du Rhin, cédées par le traité de Paris, recevaient
une organisation apart. 11 était dit dans I'acte de leur constitu-
tion: « qu'une des premieres nécessités, pour atteindre I'ordre
et la paix, était une constitution solide, mürement discutée, et
tellement parfaite dans son ensemble, que toutes les branchesde
la justice et de I'administration fussent en harmonie. La Gazette
de Berlin ajoutait: « On croit que I'époque n'est pas éloignée OU
s'assembleront les États composés des députés de toutes les pro-
vinces de la monarchie, pour délibérer sur le bien-étre futur d'un
peuple qui, dans ces derniers temps, a tant contribué, par une
énergie morale sans exemple, ala paix dont I'Europe espere jouir
sous peu, Le peuple prussien se promet de la nouvelle constitution
et del'assemblée générale de ses représentants infiniment de bien
et de bonheur. » Un rescrit du roi Frédéric-Gui11aume réalisait
une partie de ces promesses. « Afin qu'il soit donné ala nation
prussienne un gage de notre confiance, nous avons statué qu'il
serait établiune représenuuion du peuple , que les États provin-
ciaux, en tant qu'il en existe encore , seront réhahilités et orga-
nisés suivant l' exigence du caso C'est parmi ces États provin-
ciaux que sera choisie l'assemhlée des représentants du pays
dont le siége sera étahliaBerlin. Les fonctions des représentants
du pays consistent dans la consultation sur tous les objets de la
législation qui concernent les droits individuels et de propriété
des citoyens du royaume, y compris l'imposition des charges.
Il sera formé sans délai, aBerlin, une commission choisie dans
les fonctionnaires publícs et les habitants des provinces dont le
mérito et la prudence ne laissent aucun doute. Cette commis-
sion s'occupera de I'organisation des États provinciaux, de la
représentation du pays, de la rédaction de I'acte constitutionnel
d'apres les principes établis. Le jour de l'assemblée est fixé
au i er septembre de cette année. »


Dans les divers États de l'Allemagne 011 suivait la meme
tendance. Des constitutions plus ou moins libérales avaient été
données au 'Vurtemberg, a la Saxe, au Hanovre, au grand-
duché de Bade , et atontes les principautés nouvellement insti-




510 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
tuées, Dans le Hanovre, la vieille liberté des États avait été
rétabJie et reconnue par l'Angleterre. Dans le 'Vurtemberg, le
jeu nouveau des institutions avait amené un conflit entre le Roi
et les États, si bien que, le Iloi persistant dans ses refus, les
États s'adressérent aux Puissances signataires du traité de Vienne
pour faire reconnaitre leurs droits, La forme générale de ces
institutions était deux Chambres convoquées: l'une héréditaire ,
l'autre élue par les corporations; vote triennal ou quinquennal
des irnpüts: liberté de la presse , suspendue par rapport aux
journaux: États provinciaux; municipalités locales; liberté des
personnes et des propriétés, ñlais tous ces petits royaumes OH
grands-duchés , compris eux-mémes dans la Diete germanique,
ne pouvaient proteger leur indépendance intérieure. Une me-
nace des deux grandes Puissances, l'Autriche ou la Prusse,
suffisait pour leur faire modifier les concessious libérales qu'ils
pouvaient faire a leurs sujets.


L'Autriche n'avait pas fait de concessions politiques ; elle
avait étahli pour ses États héréditaires une administration régu-
Iiere et paternclle. La Hongrie jouissait de quelques débris
de sa vieiile indépendance. Ses comitats se réunissaient pour
voter des subsides de guerre, des lcvées d'hommes; mais la
composition de ces conseils était toute dans les mains du Gou-
vernement, Les nouvelles possessions de I'Autriche en Italie
avaient été le sujet de sérieuses réílexions, La cour de Vicnne
avait eu un moment I'idée de faire couronner l'Empereur roi
d'Italie; mais les mémes raisons qui s'étaient opposées a ce que
Francois 11 prlt le titre d'empereur d' Allemagne, Iurent in-
voquées contre le titre de roi d'Italie. On parlait déja pourtant
du pacte fédéral qui devait unir toutes les souvcrainetés indé-
pendantes de l'Italie, Le but du pacte était d'empécher tout
changement dans les rapports intérieurs et extérieurs des États
souverains d'Iralie. En cas d'attaque , les Puissances fédérées
devaient chacune fournir un eontingent, déterminé aune armée
de 100 000 hommes. On devait égalcment organiser une marine
snffisante pour repousser les États barbaresques. Le priuc« de




CHAPITllE IX. :11 1
Metternich était l'autcur de ce plan, qui dcvait mcttre ala dis-
posítíon de l'Autriche toutes les forces de la Pénínsule. Les sou-
vcrains qui devaient entrer dans cette fédération étaient d'abord
les États Ilomains ; le cardinal Gonzalvi venait de donner aux
provinces de la légation une sage administration. Elles allaient
ctre gouvernées par une congrégation sous un préfet. Les chefs-
lieux de chaque légation étaient fixés aBologne , Fcrrare, Forli,
Ancóne et Bénévent, Le llape avait maintenu les acquisitions de
hiens nationaux et de l'Église. Une amnistie générale avait été
accordée. Dans le royaume de Naples , la famille des Bourbons
avait été rétablie, gráce aux efforts de lU. de Talleyrand et de
la légation francaisc, Une tentative de Murat avait éehoué, et ce
général chevaleresquo avait trouvé la mort , eomme un lazzarone,
non loin du rivage. En remontant sur son trüne , le Iloi avait
promis une constitution et un parlcmcnt semblable a celni de
Sicile. Les Napolitains s'cn souciaíentpeu. En Espagne Ferdinand
avait saisi le pouvoir absolu el ouhlié toutes ses promesses, En
mérne tcmps qu'une révolution ministériellc reléguait , en oc-
tobre 1815, le conseiller d' Úat Escoiquiz en Andalousie , le
parti des cortes ou des libéraux qui faisait une tentativa en Ga-
lice était dispersé. Le pays OÚ le systeme eonstitutionnel s'éta-
hlissait dans sa plus large hase, était le royaume des Pays-Bas,
C'était pour déjouer le partí francais que Guillamne s'efforcait
de créer un gouvernement libéral , et qui püt faire disparate
avcc le régime despotique de Napoléon. Il fut décidé que le
royaurne serait divisé en provinces, que le Roi ne pourrait porter
une eonronne étrangere , ni transfércr le siége du Gouverne-
ment hors du royanmc ; que le Iloi reccvrait de la caisse de
l'État un rcvcnu annuel de 2 hOO 000 florins. Le donaire de la
Reine était de 150000 ílorins. Le princo hérédítaire obtenait ,
II sa majorité , un rcvenu annucl de 100 000 tIorins; somme
qui était douhléc par le mariage de Son Altessc Iloyale. Le Rol
était declaré majeur 11 dix-huit ans. La rcprésentation nationale
dcvait Nr(' diviséo en d-ux Chamhrcs : ('('I1e des représentants , ._"j; ..


¡ ,"\{rtlt~\\.




512 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
élus par les États provinciaux , était de 110 membres. te Roi
devait nommer les membres de la Chambre haute. Par opposi-
tion a la Charte francaise émanée de la volonté personnelle de
Louis XVIII, Guillaume d'ürange consentit d'abord ace qu'elle
füt soumise a un vote populaire. Des notables furent désignés
pour l'examiner et la discuter; les votes négatifs dépasserent les
votes affirmatifs. Déja se montrait la rivalité entre les provinces
septentrionales et méridionales du royaume des Pays-Bas, la
différenee de religion et d'intéréts en était la cause. Le Iloi des-
pote par la tete ne s'arréta pas a cette expressiondes notables.
Les États-généraux furent convoques pour concourir avecleRoi
aux actes de législation. C'est de cette époque que datent les
embarras du royaume des Pays-Bas, et ces éléments de discorde
qui , plus tard , ont amené la séparation complete de la Belgique
avec la Hollande.


En Angleterre, la chute de Napoléon, le rétablissement de la
royale Iamille des Bourbons avaient affaibli pour un moment
l'opposition des 'Vhigs. 1\1. Whitbread ne put supporter la gloire
de '" aterloo; il se coupa la gorge. La nation anglaise, si vani-
tense, voyait avec orgueil la vietoire remportée sur Bonaparte.
La réputation du duc de "Tellington était immense. Le noble
lord était alors la plus grande popularité de l'Angleterre. Lord
Castlereagh pouvait disposer d'une large majorité, préte avoter
des subsides ; elle lui échappa en 1816. L'ángleterre, parvenue
au plus haut point de gloire , désarmait ses vaisseaux, licenciait


. ses armées; elle venait de conclure la paix avec les États-Unis,
Des traités de commerce et de navigation unissaient les deux
peuples, Les vieilles rivalités étaient apaisées, Les ]~tats del'Amé-
rique septentrionale acquéraient aussi de la grandcur. Ils avaient
tenu tete al'Angletcrrc , ct leur marine, dans cette lutte si iné-
gale et si glorieuse, s'était encoré accrue. Quelques frégates au
pavillon étoilé avaicnt suffi pour dispersor la flotte algérienne
et lui imposer des conditions, La liberté jetait de l'éclat dans le
Nouveau-ñlonde. Fcrdiuand envoyait en vain des flottes espa-




CHAPITRE IX. 513
gnoles dans l'Amérique du Sud. Une population soulevée s'y
défendait contre la métropole, La tendance de cette époque de
1815, en Europe , fut sans contredit l'esprit de liberté et de con-
stitution. Partout les Gouvernements cherchaient a satisfaire les
vreux des peuples, leurs besoins impérieux. On lisait dans un
journal allemand de ce temps-la , ces réflexions remarquables :
« Les rapports de l'Europe ont subi des changements essentiels
depuis un certain nombre d'années, C'est de la guerre d'Amé-
rique , c'est surtout des guerres auxquelles la révolution fran-
caise a donné naissance, qu'est sorti ce nouvel esprit européen.
L'Europe est constitutionnelle, Presque tous les souverains pré-
parent , de concert avec Ieurs peuples, des constitutions repré-
sentarives , analogues a leurs besoins et a leurs mreurs. ANaples
on parle d'un parlement a l'instar de celui de Sicile, el d'une
constitution conforme aux lumieres du siecle, En Prusse il est
également question d'une constitution, et l'époque n'est pas éloi-
gnée oú s'assembleront les États pour délihérer sur le bien-étre
d'un peuple qui a tant contribué par son énergie ala paix de
l'Europe, La Baviére , le Hanovre, presque tous les petits États
de l'AlIemagne tendent au mérne but. Dans le 'Vurtemberg,
ces hienfaits retardes par quelques difficultés entre les États et
le prince, vont recevoir une entiere exécution.»


Le droit des gens tendait a se moraliser par la proclamation
de principes chrétieus, On a vu les efforts de lord Castlereagh
pour demanderl'abolition de la traite des Noirs, l'une des idées
les plus populaires en Angleterre, et la plus utile a sa politiqueo
L'amiral Sydney Smith présenta au congres de Vienne un Mé-
moire trés-remarquable sur le moyen de faire cesser la piraterie
des États barbaresques, JU. de Cháteaubriand y mela sa noble
voix. Le congrés préta quelque attention a ce ñlémoire, mais
absorbé par des divisions de territoire, par des idées de circon-
scription européenne, il renvoya la question des États barbares-
ques ades temps plus tranquilJes. C'était pourtant un moyen de
donner une grande popularité au congreso Cette situation de




514 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
l'Europe , cet esprit universel des peuples, contribua puissam-
ment a arréter la réaction royaliste en France. Les nations dont
les armées étaient alors sur notre territoire se trouvaient préoc-
cupées d'assurer leur constitution, Ainsi, la marche libérale du
ministere, secouant la majorité de 1815 pour arriver au [) scp-
tembre , fut protégée par cettc action des étrangers !


FIN DU TOME PREMIER.




,


T ABLE DES MATIERES.


CUAPITRE PREMlEIL


Teutulivcs des Hoyalisles ponr préparcr la Reslalll'atioll.
1780-1812.• . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . P. 1


CUAPITRE 11.


l\fouvement politique vcrs la Iicstuurntion. 1812-1814. 81


CIIAPITRE IlI.


Accomplissement de la Rcstauration. Avril1814.....• 113


GUAPITRE IV.


Le gouvcrnemcnlue la Heslauration en 1814. l\faiúOc-
robre 1814 .•..........•...........•.••.....• 164


CUAPITRE V.


Congl'¿'s de Vienue , JéLanlllement de Bonaparle. Sep-
tembre 1814. Mar::; 1815.................•...• 244


CUAPITRE VI.


l\1ouvement vcrs une sccoude Ilcstuuration pendan! les
Ccnt-Jours. Arril;, JuilIet 1815 207


CHAPITRE VII.


Prcmier ministcre de la secondc Hestauration . JuilIet a
Septcmbrc 1815 .•.•.•..•.......•••........•. 332




516 'JABLE DES JIATIEIlES.


CHAPITRE VIII.


Premier ministérc du duc de Riche1ieu. Réactlons ro)'a-
listes. Septcmbre el Octobre 1815.. • • • . . . . . . . . . .. 380


CHAPITRE IX.


La Frunce el l'Enrope á la fin de 1815. Septcmhre II
Décembrc 1815... . . . . . . . . . . . • . . . . . . • . . . . . . .. 443




JlISTOIRE




DE L'DIPnIMERIE IlE CIIAPELEI'




I-IISTOIRE
010 LA


RESTAURATION
t;T DES (:"'USES QUl ONT .UIENÉ


LA CHUTE DE LA BRANCHE AINÉE DES BOURBONS


PAR H. CAPEFIGUE


nEUX1f;ME SÉ Hni
. ;


0_.:
:~--' ). ..


PARIS
CHARPENTlEH, LlBRAJRE-I~DJTEVn


j 7, RVE DE LILLE


1845






1-1 1S'1'()1II E
DE


.'


"'.


CIIAPITRE X.


nrvrsioxs lJV ~II~ISTLHE HE ~f. liE HIClIELIEC ArEe L\ CII.DJUHL
DES lJÉPLTI:S.


MoJéralioll de )\J. <le ll ichclicu, - Ilcsoin (le l'epos el dordre , - Hainc
de la Charubrc conlrc 1\1. de 1\brhois. - 1\1. Dccazcs . - ]\1, de Vuuhlauc.
La Io i d'amnistíe. - Ce cIue veulent les Royalistes. - Ce (Iue concede le
mi'Jisti·rc. -- J)(:hats dcva nt la Challlhre des Dl~pU~~S. - Devaut la Ch a m-
¡¡re des Pairo,. -Sitnalion des partís eu Frailee. - Les Pa uiotcs , - Les
Ilouapart iste». - Les Coustirllriound". --:.. Les Il ovali strs . - OJ'banisatjoll
sous M, le corntc cI'Artoi." - Systi'1l1Cdcctoral. - l'rojet de :\1. Lain(:.--
Idt;e r oya li ste. - Auministratioll pnlJliclllc. - Les Cours jJrévúlales. -
.Iustice. - Iutcricut. - Gncrrc.-- Marine, - Polic«. - Affaircs Úran-
gércs. - Le lmdgct de 18 I (J. - La COUl'. - La Famillc I'oyale. - Dcr-
niers actcs de la Cha n.hre.


LES mouvcmcnts populairos ne vieuucnt pas toujours des
masses ; il se fait quclquefois plus de démocratic dans les classcs
(·jpYécs que dans les multitudes. Lorsque les hounnes sont réunis
('11 assemhléc , ils ne s'appartieunent plus, ils s'alicncnt corps el
ümc it un parti ; ct e'est ce qui explique la tumultucuso Chamhre
de '1815; les llovalistcs étaicnt vainqueurs ; ils arrivaicnt avec
le plus éucrgique esprit de róaction : la Ioi juréc avait été iué-


1I. '1




2 11 rSTOIHE Di. L\ HEST\ t IUTIOS.
COIlIllH' par l'armóc elles parlisans de Bouapart«: Il'S Hoyalis!("
voulaicnt s'cn Y('llgpl'. 'Iais dans l'histoiro , Il's l'("acl ious d(' p:\rl¡~
sont des époqucs ('\cepliolll1cl1cs; les gOll\('l'Il('ll]('llls S('II[('II!
plus vit« el plus Iortcmont (lllí' ]('S assclllh]('('s polili(pws 1(' lxsoir
de mcttrc un tenue ;\ ces criscs, La raison ('11 ('sI simplc ; C'(':,I
<fup, sans cesse aux priscs ;n ('C )l'S Iaits , ils SOIl! ronnu« p('II('-
Ir('s de l'impossibilité d!' marrhcr 10llgklllps ;1\('( la \ iolclle!'.
Les assemblccs Be sout CII coniact qu'a\('(' c('llp SUIH'!'licí(' d(
la socióté toujours agiu;p par I<'s partis ('l I('s passious, Los gOIl-
vernemenrs voient avcc plus d(' cahue , parc(' qu'ils sa\ ('lIl P
jllgellt par UlJ(~ adnunisuation [I'oide ('[ n"gl JI il\[,l'. 11 ('sI 1I(o('('S-
saire maintcnaut d(' dh{.j0PI)('j' ]('s C(\lIS('S qni Jjl'{'lll passPl' lJ
majorité du cOllspiJ dans les voit-s d(' la modóration , ('1 cutral-
ncrcnt ]p diss('lllillli'1l1 COlllp!d du millisl(\l'(' ('[ <1(' la Chainhr«.


'L de Jticln-licu , d(\:; le COIlIllH'!J('('lll('¡lI dí' la ~;p:;sioll ([l' I K 1:),
s'('lail 'u entouré p;u' la majorit« monarrhiquo. L('s H02alisl('~
seutaicnt toute l'unportanre d'acqn('l'!l' l'apPlli du PI'('SillCIlI de
Conscil , appui qni leur ('lail si llt'Ct'ssaire pOI1!' accomplir k-ur:
dcsseins. lls 11<' pouvaicut ~;ollg(\r 1ll(~1lJ(' ;1 un n'Jllallif'JII('1l1 c!nn-
plct du lllillist('!'e xans COJlsen PI' /;1 pl't'sidrll('l' :1'1. l« tille d(
ll irhclicu : les cheb de la lllajíll'i¡t, ,l\(tieJll [rop l'instinrt Ik
aflaires ponr se sóparer de lui ; OH savait <fll(' la questiou ótrau-
gi'l'e se Iiait ('sSI'lltil'lleIlH'nl Ü SOl! intlucuce pcrsouncllc. "'1. (1,
Ilirhclir-u ;1 son tour u'ótait pas t'!Oigií(" d(' SI' rapprochor di'
Ilovalistcs. L'origino <11' son pomo;]', pl'o<!lli(' dabord par un
dilliculté diplomatiquc , S(' I'allachai¡ ('ll~;lIi((':1 unr: j'{'ac!iO!l ti
majorité : ses aílcrtions ('i;til'lll d'ailk-ru-s pOll1' la mouarrhi«; i
counaissait FH la Hho!u(ioll, l'Fmpirc , la socj(',tt~ w¡<i\('lll'
Ses salous ('lai('llll'i'mplis dI' Iout ce que la COllJ' avai: de plu
ardont ; tourcíois , '\1. de Hic]¡c!¡et! avait Il'o[l dI; loyali[l', pOli
SP jetcr daus ellos intrigues o('('I¡JI('~;; s'i] avait d('s liaisons ;1\('
~nL ele I'olignac , de Hrug"s ('1 d(,\¡ti'oll,'s, ji nr: parlap;í'ait p;,
leurs antipathics pOlll' Ions k:; fai(:; acco1lijllis d<'pllis l,ingt-cin
ans. JI. de Itichclicu s'{'lailli(' d'une vive amitié a. ('("1111. taill
el }lul(' ; il était tillas les rapports d'uue cunfiance ¡¡tu:; séü're (




CTIAPITnE X.


moins abandonnéc avoc ~I. Pasquicr ; et ces trois hommes poli-
tiqHes, dévoués aux idées d'ordre ct de gouverucmcnt régulier,
;¡gissaicnt sur I'esprit si droit du présidcnt du Consei], Au com-
mcnccmcnt de '1 H1 ti, M. de Jlichclieu délaissait déj¿l quelques-
UIlS de ses préj IIg('>," royalistrs ; OIl pouvait compter sur son
iníluence dans I'intérét d'un systóme de modération. Dans le
Conseil , JI. de :\I<1rbois s'était Iortcmcnt pronoucé contre la
Chamhredes Députés. 11 avait pour cela eles raisons invincibles ;
JI. de :Uarbois avait d'ahord chcrché ¿l se concilicr la majorité
royaliste , en procédaut avcc beaucoup de complaisance au re-
maniement des corps judiciaircs. Cela ne sufIisait point eneore.
TA'S députés ardents ne pardonnnicut pas , ainsi qu'ou l'a vu,
Ü )1. de Marhois les propos spiritucls el imprudents de J1me Le-
brun , sa íille , faisant du bonapartismo en plcin salon, Ce qne la
majoril(~ pardonuai t moins encere il -'1. de Marbois, e'était d' avoir
conservé la présidcnce (le la cour des comptes , et de priver
ainsi d'un beau traitcmcnt un Iidele servitcur de la monarchie.
Et puis , 1\1. de Marhois n'avait-il pas a la chancellerie la place
de ,,1. le président de Grosbois! Xc tcnait-il pas les sceaux au
d\~!rimeJlt du garde des sccaux du pavillou "larsan! Cette haine
allait si loin contre JI. de ."\Iar/)ois, que voici ce que Iui fit la
majorit.é royalistc. Dans la position délicate OÚ se trouvait ce
miuistre , il sougca , avec cettc héatitudc iutéressée qui est le
cachet d'unc cortaiue écolc , ü Iaire coufirmer par une 10i I'insti-
tutiou de la cour des comptes , el d'assurer ainsi sa premiérc
présidenc« Le terupsélait mal choisi. Garde des sceaux , prési-
dcnt de la cour, el detesté en cctt« double quali é par la majorité ,
venir présenter UIl projct coufinnatif de la eour des comptes !
c'éiait He pas counaitrc sa positiou. A la Chambre des Pairs, OU
toutcs lesdiscussions se placaient dans un eercIe de convenances ,
le projet soullrit pcu de difficultés; mais ü la Chambrc des
I)t'JHllés, il fut attaqué ayer Iurcur. en projel d'un Iroid intérét ,
el qui scmhlait ¿l l'ahri des objcctions passionnées , devint une
véritahle arene de vive opposi tion, M. Jossc-Beauvoir attaqua
l'iustitution de la cour des compres. Eufin la Chambre vota par




h HISTüIRE DE LA RESTAURATION.
assis et len:', articlc par article , tout le projet de 1\1. de L\lal'-
bois ; mais , pour se moquer en quclque sorte de tous les efforts
ministériels , elle le rejera au scrutin sccrct, Qu' on se represente
l'étonncment de JI. de ñlarbois ; jamáis ministre ne quitta une
Chamhre avec plus de dépit dans le cceur ; il dcvint un objet des
plaisantcries royalistes; on le chansonna sur ces hancs de la
droite oú l'on chansonuait tour aveccet esprit fin et moqueur de
la vieillc monarchie. Ensuite , quels que pusseut étre les cutral-
nements du ministre dans les destitutions de la magistrature ,
elles ne pouvaient complétcmeut satisfaire, Aprt'~s les grandes
révolutions , le partí triomphaut exige qu' ou frappe fort sur les
honnnes , sur les places surtout. Le pouvoir qui ne peut agir de
cette maniere, paree qu'il cst en préseuce d'une désorganisatiou
qu'il veut éviter , devient hientót un ohjet de haine pour la
faction victorieus«. Le'S dcputés étaicnt artives chargés de dé-
nonciations el de notes secretes. Chaquc plaidcur dénoncait son
juge, comme un bonapartiste déhonté. Avocats , procureurs ,
petíts nobles de provincc, vieillcs duegues en proces , tout cela
écrivait , signalait les ennemis des Bourbous dans les trihunaux !
Et comme le ministre ne pouvait adopter de niaises ou de rué-
chantes calomnies , cela suscitait les haiucs et accumulait les
ressentiments parlementaircs, Ajoutez les manieres séches de
lU. de ñlarbcis , cettc austérité de visage qui cachait le plus
faible des caracteres. Enfin, pour étre juste, les projets de l\!. de
l\Iarhois, présentés ü la Chambrc des Députés , étaient mal ré-
digés , peu clairs , et oífraicnt des ohscuritós , lesquellesprétaient
11 l'opposition. Au milieu de la session , l'administration de ,,1. de
ñlarhois était tellcment attaquéo , si violcnnuent pcrcée ü jour
par cctte majorité royaliste , qu'il était impossihlc de ne pas lui
sacrifier le ministre.


IU. de Corvetto soulevait les mémes préventions , surtout au
commencement de la session. La majorité ne pouvait voir sans
une extreme méfiance au ministero un conseiller d'Úat de I'Em-
pire, un administrateur longterups dévouó a~apoJ('on! ,,1. de
Corvetto , commo ,1. de ~Jarhois, tonait une place promise par




CIJAPITRE X.


Jr pavillon Marsan; il n'était pas le ministre de prédilcction.
3D!. de Vitrolles et de Bourricnne convoitaicnt son portcfcuille.
Cependant il était une raisou qui cmpéchait les prévcntíons d'é-
rlater : :\1. de Corvetto , chargé du départcmcnt des finances ,
{·tait sans cesse en rapport avcc les alliés ; 01', les étrangcrs se
réscrvant une ccrtainc influencc dans les affaires finaucieres , qui
tcnaient si intimcmcnt au paiemcnt des subsides de gucrre , u'au-
raient pas souífert un ministre qni n' eüt inspiré ancune confiance
anx capitalistcs, ct qui pouvait ainsi comprometrrc la régularité
des paiements. Le ministre des finauccs jouait alors aupres des
alliés un róle aussi artif et presque aussi important que 1\1. de
Hichclieu; dans une tentativo du pouvoir royal contre la Chambre
(les Députés , lU. de Corvctto devait porter appui ¿l la modera-
iiou. lUais pour arréter la réaction royaliste , il s'agissait d'acqué-
rir un memhre du Cabinet des lors devcnu puissant , et qui no
s'était pas jusqu'alors entierement séparé des ultras. 1U. De-
cazes , accueilli avec bicnveillaucc par la majorité , avait conservé
ala trihune une expression jeune et chaleurcuse pour les Bour-
bons; comme il avaitdonné des gagesdans les Cent-Jours ala 16-
gitirnité , le partí royaliste manifcstait pour lui de I'aflcction. On
I'écoutait ¿I la trihune , ct quoiquc son projl't sur l'arrcstation
prévcntiveeút été rédigé avec précipitation , la Chamhrc se borna
ü le refaire , sans en vouloir au ministre volontaire royal. La
premiere rupture entre la majorité et )1. Dccazes éclata a1'oc-
casion de la circulaire qne le ministre de la poliee adrcssa aux
préfets pour l'exécution de cetro loi. Cctte circulaire , écrite aH'C
ccttc religieuse attcntion du magistrat qui ne vcut pas abandonner
la liberté des citnyeus a la discrétion des Ioncrionnaires publics ,
suscitait les l1INiaIH'('s ct les coloresde la majorité royalistc. « La loi
du 29 octobrc , y disait le ministre, confi-rc dcgrands pouvoirs
ou Gomernemcnt du Iloi. Celtc mesure cxtraordinaire assurera
la tranquillité de n::tat, s'il en cst fait une sage application ; elle
y apporterait le trnnhlc , si les magistrats suhstituaicnt I'arhitraire
aune juste sévéritó , s'ils se rendaient les iustruments involon-
taires des passions particulicres ou des prévcntions aveuglcs.




6 HISTüIRE DE L\ REST,\rnATlüN.
L'unique objet de la loi est de donner 11 une administration vi-
gilante la force d'action nécessaire ponr prevenir des crimes que
la justiee est souvent hors d'état d'attcindrc et de punir. Ce n'cst
pas sans dessein que la loi désiguc ceux qu' elle doil aucindrc
par la dénomination des prévenus ; elle a voulu aussi Iaire con-
naitrc que ce n'est pas sur de simples souprons, sur des déuon-
ciations vagues qu'on doit priver un citoyen de sa liberté. Le pré-
venu devra étre dans tous les cas interrogó dans les vingt-quatro
heures , sur les divers chefs de prévention qui auront motivé son
arrcstation. Il ne sera privé de communiqucr avcc sa Iamille ou
ses conscils , que pour des causes graves , que vous dcvrcz me
Iaire connaltre. Dans toutes les hypotheses , le prévenu pourra
communiqucr avcc le procureur du Iloi ct le procurcur-géné-
ral , et aura les Iacilités nécessaircs pour Iaire parveuir ses rf~­
clamations aux autorités 11 qui la loi coufic le droit et impose le
dcvoir de prononccr sur son sort. En góuérnl el hors les cas d'ur-
gence , vous devrcz vous horncr 11 me dénoncer les prévenus , et
vous attcndrez mes ordres. Mais lorsquc le mandat aura élé dé-
cerné et exécuté , si le résultat du premier intcrrogatoire que le
prévenu aura suhi ct les informations (IlIC vous aurez priscs vous
déuiontraicnt l'injusticc ou méme l'inutilité de la mesure dont
il aurait été l'objet, vous ne devrcz pas hésiter ~l le faire mcttre
sur-le-champ en liberté, lorsque son arrostation n'aura pas été
ordonnée par moi. te respect (iUC commande en g('néral la li-
herté individuellc vous fait un devoir rl'apporter dans cett« partie
de 'os Ionctions l'attcntion la plus scrupulr-nsc : Ir' GOIIY('rJ]e-
mcnt , qui nc veut cxerccr que rlans I'iutérút <1(' l' ÚaLle pouvoir
exu-aordinairc dont il cst momontnnémcnt revétu , el {fui n"Jll'i-
merai l avcc sévérité les ahus ou 1lJ(~IIIC les Jl(~gl ig('nces 'Iu' oílri-
rait la condnite des fonctionnairos chal'g('s d(' rnucourir it l'cxé-
cntion de la loi, doit trouver , dans I'impartialité des préfets <'l
dans la célérité de Iours rapports , la garanti« de sa responsahi-
lité , commc tous les snjets fidcles <1e Sa :\lajest('; ('( les honunes
paisihles doivcnt y trouver cellc de lour rcpos ot de la protcction
qui lcur est duc, » Ce Iut cene piece rcmarquablemeut éqlli-




CHAPITRE x, 7
table qui excita dans la Chambre des Députés , jc no saurais dire
quel sentiment d' indignation contre :\[. Dccazes, Elle la consi-
dérait di's lors conunc un outrage ü la majorité ; elle voyait dans
les formes protectrices de la liberté des citoycns une grande con-
cessiou aux Ilévolutionnaires.


Ensuite se préscnta la question cnflammée de l' évasionde M. de
Lavalette. JI. Dccazcs fut accusé ~l la trihune d'avoir Iavorisé
l'évasion d'UIl1JÚsdmlJle rcrolntianuairc l événcmeut qui , selou
cux, devait houlcvcrscr tout l'I~tat, ct la majorité adopta la pro-
POSitiOIl de )1. de Scsmaisons , pour que les ministres eussent a
rcudre compte de km conduite : prcmicr échcc du Cahinet.
'1. Dccazes ne puuvait rl'aillcurs plaire longtcmps au pavillon
i\]arsall, qui Iaisait el défaisait , ~l son gré , la majoriró dans la
Chamhre. ,,1. Decazes était royaliste , mais iI n'avait pas tclle-
1lI('uL abdiqué sa raison , (IU'iJ pul suivre toutes les dénoncia-
tionsde chñteaux , C('S indications niaiscs de complots qui , tOUL('8
les vingt-quatrc hcurcs , ~I point nonuné, devaicnt mcnaccr la mo-
narchic ; et les Itoyálistes en conclurent hicntót qu'il s'cntendait
avcc les Ilévolutionnnircs. Ces imprcssions passércut du pavillon
~JarsaJl dans la C/¡¿u!lhre, cL\1. Dccazes, d'adoré qu'il était,
deYÍIlL ~l son tour un objcr de méíiaucc pOU!' la majorité. C'était
une Iautc pour le parti royalislc, cal' le jeuue ministre conuucu-
cait ~I prcndrc un puissant ascendant sur l'esprit du Iloi ; ct des
Ion; le hlesscr, c'etait creer centro soi un onncmi dangercux.
)1. Dccazes , par la douceur de S('S mauicrcs , par les qualités
inoffcnsivcs d(' son earactl'l'(', par ses formes respcctucusos el
son esprit anccdotiquc el de police , avait plu au Hui , qui d(>j~l
avait avec lui une corrcspoudance cl'alluircs el damitié. M. De-
cazes avai t ill\ en t(~ tous les moyells de scdue!ion; no décidant
ricn sans l'avis d(~ Louis X. VU 1, il lui soumeuait L0l11es ses idécs,
anal ysai t tomes les aílairvs , toute sa correspondaucc avec les
prólcts. Le Iloi aimait :1 causcr :1\ ce UB esprit qui le comprit et
ne chcrrhñt jamais ~l lt' dOJl1 iucr ; 11 rcnait ~l l'cxcrcice du pon-
voir, el \ oulait qu'on s'ap(T<:t11 qu'il 1'11 a\ (lit, JI. Decazes avait
parlaitemeut compris ccue ¡;elite \ anité , el iI la scrvait avcc




H mSrOIRE OE tA RESrAUlL\TI01\'.
adrcssc. Quand done le ministre de la pollee fut separé d'avec
la majorité royalisrc, il commencn , avec beaucoup d'hahileté ,
une petite guclTe contre elle. Louis XVIII n'aimait pas les
agents ct les fideles de son Irere : cette petite haine partait de
Cohlentz, en '1791, oú il avait ét(· mal recu par les gentilshom-
mes. II était profondément hlessé de tout empietcmcnt sur son
autorité ; ce n' est pas en invoquant les idées lihérales cIue 31. De-
cazes parvint a irriter le Hoi contre les Ilovalistcs , mais en
montraut les ultras avides de saisir le pouvoir et de le dominer.
Cette prétention était insupportable ~I Louis XVIII. Pcu a peu ,
et par l'habilcté de cette conduite , lU. Dccazes devint maitre
du Iloi , et put ainsi le préparer plus tard a l'ordounance du
5 septembre.


Trois ministres restaient formes encore dans les opinions de
la majorité : )DI. de Vaublanc, le gén(-ral Clarke et lH. Dubou-
chage, M. de Yaublanc , si malheureux dans ses improvisations
de Chamhre , n'avait mérne pas montré en administration le ta-
lent que les Ilovalistcs attendaicnt de lui; mais il s'était fait si
complaisant! il avait rendu tant de senices monarchiqucs !
JI. de Vauhlane avait une chaleur de dévoucmcnt qui plaisait a
M01\'STECn ; jamáis il nc sortait de travailler avcc le Iloi sans en-
trer un moment chez S. A. R. ; illui commuuiquait le résultat
de ses couversations avec Louis XVIII. Une órdonnance n'était
jamais rédigée sans, au préalable, prendre l'avis de S. A. n.;
pas une scule promotion qui ne lui eút M(' soumise. Le comte
d'Artois n'ouhliait pas non plus que c'était a M. de Yaublan«
qu'il devait le commandemcnt générnl des gardes nationales du
royaumc , moycn si puissant sur l'administration. Le ministre
de l'intéricur ne nommait ancun iuspccteur, auruu of1icier su-
péricur sans s'en étre entcndu avec "lo'.\sl EUl. Ceite faveur
fortifiait la situation de 1lf. de VaubJanc anpres de la majorité de
la Chambre (les Dépntés. On Y savait quellc élait l'nmitiú de
S. A. n. pour le ministre, ct cctte tendrcsse couvrait tourcs I(\s
gaucheries qu'il pouvait connncttrc a la tribuno. Souvent le
ministre réunissait chez lui les membres influents de la majo-




f.TIAPITRE X. 9
ril(~, et, leur connuunlquant ses plus intimes pensées, ses pro-
jcts royalistes , il épanchait ses doulcurs de la résistancc que
trouvaient dans le Conscil ses e.rcellcntcs dispositions. Il leur
dcmandait avis pour réprimcr l'esprit révolutionuairc , pour
rcmettre l'administration des provinces dans des mains fideles.
Tout ce que la Chamhre des Députés vorait trouvait de l'écho
dans le ministere de l'intéricur. en Mpüté recommandait-il un
Itoyalistc , un honnne ü bon principe , JI. de Vaublanc s'em-
prcssait de le nounuer ¿t un cmploi vacant. tes rccommauda-
tions de ~DI. de Bruges , de Polignac, comme leurs dénoucia-
t ions, étaicnt des ordrcs. Cezeleallaitsi loin, que JI. de Yaublanc
le tournait méiue contre ses collcguos du Conscil. Il était daus
les habitudes du ministre de l'intérieur de réunir une ou plu-
sieurs fois par scmaiuo les dóputés iuflucntsde la majorité, pour
délihérer dans ces réunions préparatoircs sur ce qu'on anrait ¿t
Iaire ü la Chamhre. Un jour (Iue cette asscmblée était fort nom-
hreuse , M. de Yaublauc, avec un mystere de mélodrame , ferme
toutes les portes, écoute s'il ne pcut étre entendu de l' extérieur,
puis , s'adrcssant aux députés avec un certain ton de solennité
comíquc : « .1'a1 quelquc chose de bien pénihlo ü vous dire ;
mais le service du Iloi m'cn impose l'obligation douloureuse. Sa
Majcstó est trahic par M. Decazes ; j'en ai la preuve, Soyons pru-
dents , et nous aurons j ustice de cct abus de confiance. » J ugez
s'il y cut des applaudisscments dans l'asscmblée. On nc révait
alors que conspirations ; car e'est le caractere des partís de se
croire toujours trahis lorsqu'on ne les sert pas comme ils le dé-
sirent, J1I. Dccazes fut informé de ces démarches déloyalcs , cal'
il avait des amis parmi la majorité rovaliste ; il fit un rapport
circonstancié et spirituel ü Louis XVIII, qui rit heaucoup de
toutes ces scenes , et pnis qui s'en Iácha comme roí.


l\!. le général Clarke allait plus loin et plus fort que son col-
legue, te ministre de la gucrre u' avaí t pas , comme M. de Vau-
hlanc , une espece de sentimcntalité royaliste inuoccnte , paree
qu'elle était inspirée par le cciur. M. le g{~néral Clarke marchait
froidemont a11\ épurationsdc l'arméc. Lui rt ,1. Taharié n'étaicnt




10 mSTOIRE DE LA RESTAURATION.
pas saus hahileté politique ; ils avaient du désintéresscmont, de
la probité ; ils savaient admirablemcnt le personnel des corps, N
les catégorics étaient appliquécs avec rigucur, 1..~ ministre com-
muniquait tont a i\!ONSlEUR et a ses aidcs-dc-camp. Le plus
grand nombre des colonels Iut pris d'apres les indicatious de ce
comité. le grand dcssein de 1loNSIEUH était d'avoir ~l sa dispo-
sition l'armée et la garde nationale. Que! était son projet en réu-
nissant ces deux éléments de force publique? te ministre servait
avec dévoucmeut les iutcntions de la Chambrc. Tous les jcuncs
gentilshonunes de province trouvaient place dans l'armée. tes
grands seigneurs qui l' cntouraient rcccvaicnt des gouverncmcnts
militaircs ou des divisions 11 conunander. La garde royale et la
cavalerie surtout réunissaicnt tous les fils de nobles maisons.
Beaucoup avaient serví sous l'Empirc , mais par l'asccndant des
aieux ils s'étaient attachés fortcment aux id('('s de cour. Le g(~­
uéral Clarke les favorisait daus leurs cspéranccs ; il Iormait ,
commc on disait alors dans le faubourg Saint-Germain, une
aruiée royalev Daus cene situation de reconnaissancc et de d(í-
vourment , on u'a pas bcsoin de dire que 1'1. 1(' g('n('ral Clarkc
était parfaitcment bien avcc la Chamhre del R1;"l. :\1. Taharié
était mcmbre de cctte Chamhrc, On avait voulu rérorupenser
son zele en le nommant sccrétaire ; il s'en était excusé : il rap-
pela les nombreuscs occupations ({ue lui donnait le servicc du
Bol. la majorité le comprit. i\1. le général Clarke avait cnticrc-
ment satisfait l'esprit réactionnaire de la Chambre par la pré-
scntation du projet de loi sur les cours prévótalcs. Hestait :U. Du-
houchage, égalcment agréahle au pavillon "larsan et aux Hoya-
listes: il ne se sóparait pas de ses plus ardcnts collégues.


Ainsi le Conseil , prósidé par ;U. le duc de Hichclieu , se
divisait en deux opinions, chacune de trois mcmhres, marchant
dans une dircction opposóe, Depuis l'origine, lU. de lUarbois,
odieux a la majorité , devait se prononcer contre elle el votcr
dans un sens modéré ; ~I. de Corvctto , maintenu Iorrément ü
cause de sa capacité financier« el de sa situation avcc les alliós ,
connaissait trop hieu les élémcnts du crédit pour se s('parer ja-




1'1
mais , dans le Conseil, du parti anti-réactionnaire ; 1\1. Deeazcs
cníin , alors objet de móíiancc de la majorité , et s'éloignant
chaque jour davantage sans espoir de rapprochcment sincere.


De l'autre coté, ~I. de Vaublanc, le complaisant de ",IOl\"SLElJH
ct de la Chambre ; le g('néralClarke, qui avait acquis rl de si justes
Litres une mémc confiance; cnfin 31. Dubouchage, tout dévoué
Ü ses amis politiques, le Conseil ne pouvait rester longtemps
ainsi <1i,isé. Trois ministres s'appuyaicnt sur une minorité de
cent dix ü cent vingt mcmbres , sur l'esprit de modératiou du
Iloi , sur le profond besoiu d'ordre el de repos qu'avait la France.
Trois autres avaicnt pour eux la majorité de la Chauihre , le
pavillon 3larsan avcc son organisation admirable, ses provinccs
ardentes , sa garde nationale. Ala fin de HU5, l\1. de Ilichclieu
n'avait pris aucun parti , ne s'était décidé pour aucune fraction.
Encoré préoccupé de l'cxécution du traité de París ct de la
question étrangerc, il vcnait peu aux Chambres, Il n'y avait
méme paru qu'une Iois ü l'occasion des counnunications finan-
cieres ala suite du traite du 20 uovcmhre, Mais , apres le proces
du maréchal ~('y , le duc de Itichclieu s'occupa de la directiou
parlcmeutairc <111 Couverncment , el pres(Iue aussitót il comprit
dans quclle voie hasardéc la Chambrc des Députés pouvait
l'cntraincr. la prcmiere cause ostensible de rupturc éclata rl
l'occasion de la loi d'amnistíe.


Le gouvcrueiucut représcntatif cst un systcme de majorité ;
e'cst incontestable: mais il peut arriver des circonstauces tellcs ,
que l'intérét du pa)s exige (lile le pouvoir ne cede pas rl cetto
majorité, el cepcndant (IU' il ne puisse pas la dissoudre. Formé
sous l'cmpire des passions réactionnaires , la majorité est exi-
W'anle, capricieuse ; el pourtaut si ces passions existcnt eucorc ,
C0l11111ent s'exposcr ¡l comoquer une Chamhre nouvellc? com-
mcut no pas aucndrc des circonstanccs mcillcures et plus cal-
mes? Le Gouvernemcnt ('sl place plus haut , a une raíson plus
éclairée que les assemblécs politiques. Par sa position, il sait
micux; peut-étre satisfait-il moins hicn les passions , mais il sert
plus complétemcnt les iutéréts , el c'cst préíérablc, Telle était


./




l:! HlSTOIHE DE LA HESTAl HATlO~.
la position en 11:0\1 5. Le ministerc cherchait a faire quclquc
hien , ou , si l'on veut , le moins de mal possible , et la Chamhrc
s'emparant de ses projets les dénaturait. Il y avait toujours une
majorité préte avaler des précautions plus sévercs , des mesures
plus rigoureuses, Apres les grands troubles puhlics , une aIU-
nistic est le premicr, le plus impérieux des hesoins. Il est im-
possihle ~l une société de marcher, si chaque citoyen peut
craiudre pour sa vic et sa propriété. La déclaration de Cambrai
était conuue un glaive menarant suspendu sur ceux qui avaicut
pris part aux Ccnt-Jours. L'ordonnance du 2h juillet avait cher-
ché alimiter ce nombre, a l'indiquer d'une maniere fixe et dé-
terminée , mais cette ordonnance clle-uiémc était irréguliere ,
cal' pouvait-on bannir des honnnes , ou les traduire devant des
commissions militaires par une simple ordonnanee! La déclara-
tion de Camhrai avait dit d'aillcurs que les coupablcs seraicnt
désigués par les Chainbrcs , el le ministerc aimait mieux par-
tager avcc elle sa responsabilité , que de la subir exclusívcmcnt.
Des qu'ou s'occupa d'uue loi d'amnistie , arrivercnt toutcs les
cxagérations, Le pays était si souffraut ! Que de maux avaicnt
été la suite des Ccnt-Jours ! Les contributions de guerre , les
impóts pesaicnt sur le peuplc d'uue cílraynutc maniere! Une
pcnséc simple portait les Itoyalistes ~l demauder si daus une scm-
hlahle crise , lorsque les autcnrs en étaient connus , il n'était
pas naturel de s'en prendre ~l leurs pcrsonnes ou a leurs biens !
Cette opinión trouvait une expression forte el impóricuse dans
la Chambre des Députés, On y croyait a la conspiratiou qui avait
amcné les Cent-Jours. On aurait juré ('galement que cctte eon-
spiratiou durait encore; et laisser les hiens aux Bouapartistes ,
u'était-ce pas leur donner les moyens d'amencr lcurs complots
a fin?


Les ministres nc pouvaicut adopter de tellcs doctrines politi-
ques , qui n'étaient qu'une proscripuou en massc et la confisca-
tion déguísée. Ils préparerent un projet qui confirmait purc-
ment l'ordonnanee du 24 juillet, et donnerent aiusi pour cette
ordouuance un bill d'iudcmuité aux ministres signataircs, La




CJJAPLTUL x. 13
majorité de la Chamhre cut vcnt de ecuo résolution incompletc,
et pour en empechcr l'indulgence , elle arréta et convint que
M. de Lahourdonnaye lui-méme prcudrait l'iuitiativc , el pro-
poserait un proj«t de loi d'amnistic. Les députés étaient dans
leur droit , cal' la proclamation de Cambrai Icur donuait une
sorte d'initiative. Dans la séauce du J7 novernbre , l\!. de La
bonrdonnaye développa sa proposition d'anmistie convenue
d'avance avec les députés inílucnts. « Dcux causes, disait-il ,
ahsolument opposées entreticnnent l'audace el la fureur des
conspirateurs, auxquels nous devons tous nos maux : l'impu-
nité des grands coupables , et l'inquiétude de leurs agents se-
condaires. Pour faire cesser les craintes de la multitudc , une
amnistie est nécessaire , mais ellene peut conserver le caractere
de grandeur qui doit la distinguer de la faiblesse , qu'en excep-
tant les conspiratcurs déhontés qui , h toutes les époques de la
révolution, ont élevé leur fortune sur les malheurs puhlics ; ces
généraux , ces eommandants de corps qui , traítres á leur pa-
trie, ont donné le signal de la défection et renversé le tróne
qu'ils étaient appelés 11. défcndrc. « On apercoit clairement dans
la conspirntíon du 20 mars tous les partisnns de la tyraunic et
les ambiticux <IJIÍ révent encere la républiquc , réunis sous le
drapeau de l'illégitimité. Jc vicns d'indiquer OÚ vous trouvcrcz
les chefs de la conspiration ; je dois ~l présent vous signaler leurs
principaux agents : ce sont les gÓlüaux, les commandants des
villes, descorps; lespréfcts, qui , les prcmiers , donnant le si-
gnal de ladéfcction , ont passé dans le camp de l'usurparcur, ar-
horé son drapeau , expcuté ses ordres avant le 2:~ mars : ceux
enfiu qui , plus coupahles encore, out osé poursuivre les troupcs
fidéles el tourncr leurs armes contrc leur souverain sur son
propre territoire , OH coutre les pcrsonncs de son augusto fa-
millo, »


1\1. de Labourdouuayc proposait done un projet d'amnístic
accordé 11. ceux qui l dirertonicnt OH indirectcmcnt , avaicnt pris
partala conspiration du 20 marso Étaient exccptés de cctte am-
nistie: '1". Les titulaircs des grandes charges administrativcs et


11. 2




1h IlISTüIRE DE LA nESTALlUTlü~.
militaires, qui avaient constitué le gouverncmcnt de l'usurpa-
teur; 2°. les généraux , commandants de corps ou de placcs,
et préfcts qui avaient passé a l' usurpatcur, ou commis des acres
de violencc centre les autorités légitimes ; 3". Les régicides qui
avaient renoncé ~, leur amnistie, en acceptant des places de
l'usurpateur , OH en siégeant dans les deux Chambres , ou en
signant l'Acte additionnel. tes individus désignés par les para-
graphes 1 et 2 devaicnt étre arre tés et traduits , savoir : les
militaires devant les conseils de guerre; les magistrats ct
citoyens devant les tribunaux compétents , et condamnés, si les
faits étaient constants, aux peines prescritos par l'articlc 87 du
Code pénal , contre ceux qui renversent le Gouverncment éta-
bli (la mort). Les individus désignés dans le troisiéme para-
graphe devaient étre égalemcut arrétés , traduits devant les tri-
bunaux compétents , el condaiunés , si les faits énoncés étaicnt
constants, a la déportation , par adoucisscmcnt des peines en-
courues par lesdits aetes de rébeIlion. Les reveuus des biens
appartenants aux contumaces étaient séqucstrés , déposés a la
Caisse d'ainortísscmcnt , et no pouvaicnt étre rcmis a leurs
familIe qu 'aprcs les délais íixés pour la inort présuiuéo des
ahscnts , et sous la déductiou des frais de gestion et de répara-
tion dúment constates. Ce projet de vcngcance politique cut
toute la faveur de la Chambrc. Trois autres propositions sur
I'amuistie furent égalcmeut lues par ;\Hl. de Genuinv, de Bou-
villo el Duplessis de Grcnédan. Toutcs , sauf la proposition de
M. de Gcnniny, respiraicnt le plus ardent esprit de rénction.
Cclle de "'1. Duplcssis de Grenédan voulait qu' il Iút Iait une
lnunhlc adresse a Sa ",lajesté pour la supplier « d'cnjoiudre á
tous ses procurcurs-géuóranx pres les cours , ¿, ses procurcurs
pres les tribunaux de premierc instaucc , de j uger selon les lois
les instigateurs , autcurs , Iautcurs , cómplices el adhércnts de la
rébelliou qui avait livré la Fraucc ¿, 1'usurpatenr ; d'ordonner ;,
ses préfcts , sous-préfets, maires , ct ¿, tous ofliciers exen;ant la
pollee judiciaire , de recherchcr les coupablcs, de les faire arre-
ter el traduire dcvant Ieursjuges saus prójudice des lois eL regle-




CHAPITRE X. 15
meuts militaires, lesquels scront exécutés ;1 l'égard des individus
qui appartcnaient 11. l'arméc, La commission qui fut nommée sur
les quatre propositions d'ainnistie indiquait les idées de la
Chambre des Députés : elle se composait de 1\I~1. Berthier de
Sauvigny, de ViIlNe, Chifllet, de Corhierc , le comte 1-1 umhert
de Sesmaisons , Feuillant, Aldcgoude , Pardessus , Jollivet, La
proposition de ,,1. de Labonrdonnayc fut prise en considération
;\ I'nnanimité.


Le Conseil des ministres délibéra pcndant tout le 1110is de no-
vembrc. Alors se poursuivaient les preces du maréchal Nev et
de M. de Lavalettc ; le Cabinet cspérait qu'une fois les prcmiers
proscrits jugés, la Chamhre se montrcrait plus calme et moins
implacable. 1\1. de Ilichclieu croyait toujours que la liste du
:UI juillet suffirait. Les plénipotentiaircs étrangers avaient exigé,
par le traité de Paris , qu'il füt inséré dans le projet de loi
quelques dispositions contre la íamille de ~ apoléon; ilsvoulaicnt
ainsi confinner la partie défcnsive du traité de Chaumont , et
sanctionucr les précautions diplomatíques qui excluaicnt la dy-
nasrie impériale. L'Icurope en armes ayaut rcnversé Napoléon
pouvait exiger, dísaicnt-ils, ccrtaines précautions , un svstcme
de pcnalité , au cas oú cette famille viendrait encore troubler
l'ordrc établi en Frunce. Dans les débats, sur la proposition de
M. de Lahourdonnavc , la Chambra avait également proscrit les
régicides relapso Il en Iut délihéré par le Conseil des ministres
en préscnce du Iloi : Louis XVIII rcíusa avcc fcrmeté de íaire
ccttc concession. :U. de Itichelieu , quoique tres-animé contre
le's régicides , partagea l'opinion du Roi, c'est-a-dire , qu'il ne
Iallait pas oublier l'admirahle testamcnt de Louis XVI et son
rcligicux pardon ! En conséquencc , le projct primitií a pré-
senter aux Chamhrcs fut concu dans l'uniquc pensée de léga-
liser l'ordonnancc du 2h juillet , et d'appliquer , conformémeut
aux vrrux des plénipotentiaires, une peine 11. la famille de Napo-
léon, si elle rompait son bannissement.


Ce Iut le lcndcmain du jour fúnebre ou Nev était tomhé sous




16 mSTOIRE DE LA RESTAURATION.
des bailes francaiscs , au milieu de la douloureusc ímprcssion
qu'avait produite ce déplorable évéucment , (Iue iU. de ltichelieu
vint porter le projet d'amnistio a la Chambre des Députés, JI
espérait profiter de cette émotion pour ohtcnir des conditions
plus douces d'amnistic. J'ai connu le duc de Bichelieu , SPS
mceurs élevées , la noblesse de ses sentiménts. -'lais il faut se
reporter au tcmps , a la fureur des salons, aI1X passions arueu-
tées au milieu de cette cour ardentc , n'imposant que des réac-
tions, et alors peut-étre s'expliquera - t - on les tristes sccnos
que je vais rapporter , et les dures paroles du ministre. « Un
grand exemple d'une juste sévérité vient d'etre donné , s'écria
le duc de Richelicu; les trihunaux sont chargés de suivrc le
cours de la justice, Le j ugcment par coutumacc (lui sera pro-
noncé servirá d'excmple en aucndant le chátimcnr, Mais:, la
suite de la plus violente connnotion qui ait éhranlé un État , 1(>
Gouveruement a dú prendrc d'autrcs mesures. 11 est , aprcs les
révolutions , eles hommes dangcreux qui uc peuvcnt rester au
sein el'une patrie qu'ils ont déchirée ct qu'ils mcnacent, L'his-
toire des uations montre assez que dans les gouvcrucntents les
plus libres, il Y a eu des périodes OÚ la súreté publique, le
prcmier bcsoin des peuples , a exigé de grands exils. Les mcmhres
d'une Iaruille qui a causé tant ele maux :1 la Franco ont quittó
son territoire ; ils ne s'attendent pas qu'il leur soit pennis jamáis
d'y rentrer , ct la loi doit établir eles peines pour le cas oú quel-
qu'un d'eux oserait y reparaitrc. Si la rcligieuse fidélité du Roi
pour la loi solennelle par laquclle il a abolí les confiscations ne
lui permet pas ele les dépouiller des hicns qu'ils ont acquis a
titre onéreux, tous les sentiments s'unissent pour leur óter les
droits , les biens et les titres qu'ils ont obtenus ü titre gratuit.
Apres ces exemples, toutes les autres classes de citoyens doivcnt
étre rassurées ; Sa lHajesté, par la proclamation de Cambrai, a
déja puhlié une amnistíe qu'cllc veut étendrc aujourd'hui: le
droit d'amnistie , et surtout aprcs les révoltes , les séditions ct
les grandes commotionspolitiques , est inhércnt :1 la souvcraiueté.




1:11 '\l'ITHE x. ti
Sa IUajest(·, daus une occasion aussi solcnnclle , se plalt a y
Iairc coucourir les grauds corps de l' l~tat qui participcnt avec
elle a l'cxercicc de la puissance législative. II est temps que
les Francais se rallient de toutcs parts et He Ionucut , eomme
le Uoi le disait naguere a"l. le président de la Chambre , qu'uu
seul faisceau pour réparcr nos malheurs. C'est assez du poids
qlli pt'se sur la France , He eherehons pas a l'aggraver cncore.
Le Boí s'est fait rendre compre de vos propositions diversos et
de lOS utilcs délibératíons, Le tesrament de Louis .xVI est tou-
jours préscnt a sa pensée , et sa parolc sacrée, en maintenant une
des plus importantes dispositions de la Charte, rassurera la na-
riou sur toutes les nutres. »)


D'apres 1<' projet dn duc de Itichelicu , amnistíe pleine el en-
t¡("re (·tail accordée ~I tous ceux qui directcment ou indirecto-
!!Wlll avaicnt pl'is part a ia rébcllion et a l'usurpation de Napoléon
Bonaparte. L'ordonnaucc de proscription du 211 juillet continuait
d'i~lre exécuté«. 'I'ous les mernhrcs ou allíés de la famille de
Bouaparte et leurs desccndants , jusqu'au degré d'oncle ou de
ncv ('U, inclusiv cment , éraient cxclus 11. pcrpétuitó du royaume.
lIs nr- pouvaicnt y jouir cl'aucun droit civil , y posséder aucun
hieu , titrcs , reutcs , pcnsious , ü cux coucédés , ~I litre gratuit,
<'1 iis ('laiPllt tcnus de vcndre , dans le délai de six mois, les
liicns de toute nature qu'ils possédaieut ~I titre onéreux. M. le
duc de Jlichclicu ajouta : ce L'amnistic qui YOHS cst proposée ,
u'oxt pas nonvclle dans nos annalcs : Ilenri IV, dont j'aime
;1 j'{'¡ raccr les exemples , en donna une pareillc en '1394, et la
Frailee Iut sauvéc, » La Chambre écouta avec le plus profond
silcncc cene rommunication : mais elle n'cn fut pas contente.
Constitutionncllcinent parlaut , elle avait raison , la Chambre
n'ótait pas jugo el ne pouvait Irapper des individus et prononcer
ncrsonncllcmcn t des peines. 01', ({U' était la confirmation de la
liste uomiuative du 211 jnillct , si ce n'érait un vérítable juge-
ment! Toutefois la Chamhrc ótait bien moins dirigée par cette
cousidóration <{ue par le scntiment que cette liste était impar ...
bite, qu'elle nc contcnair pas tous 1('8 noms qu'on pouvait faire.




1~ mSTOIIlE ))E LA nESTAUHATIO:\.
rcntrcr dans des catégorics, tcllcs que ~J. de Lahourdonnavc les
avait concues par sa propositiou. Et puis, le projet ne disait pas
un mot des 1'('gicides relaps , de ceux que la Chamhre voulait
spécialement proscrire. La discussion du projet se prolougea
longtemps dans les bureaux. La méme comruission qui avait été
désignéc pour l'examen de la proposition Lahourdounave fut
nommée pour le projet du duc de Ilichclicu, Il était done maní-
feste que la Chambrc n'cn était pas satisíuitc, cr qu'cll« préférait
le sysreme des catégorics, La commission s'assembla pendant dix
jours, Le ministerc disputa une ¡¡ une les dispositions de la com-
mission ; il ne connut son travail définitif que par le rapport de
ñl. de Corhiere, excellcnt document parlcrnentairc , oú les prin-
cipes les plus odicux se cachaicnt sous les argumcnts d'uue logi-
que rigide et puissantc. «La prcmiere pensécdu Iloi, disait M. de
Corbiere , au moment oú il a éró rcndu aux vceux de ses peu-
plcs , a été de rassnrer les uns contrc les terreurs trop justifiécs
par leur conduitc réccntc , sans décourager le zele des auu-es par
le danger d'uue effrayante impunité. Une amnistic ost néccssairc,
el tout le monde, je pcnse , le rcconnait. La prcmiere qnestion
qui semhlc se préseutcr scrait de savoir qucl est le pouvoir an-
qucl apparticut de prononccr l'amnistie, Le Iloi vous appclle ~l
prendrc part ¡¡ la mesure de l'amnistic ; votre intention n'cst )las
de vous y rcfuser ; toute discussion scrait done inuli'c..\SSf'Z
d'autres difficultés vous attendent ; s'il faut une amuistic , elle
doit contcnir des exccptions. Personne encere ne le conteste. On
vous propose de prononccr le bannisscmcnt , l'cxil ou la sorti(' do
Franco, si I'OH veut , de tous les hommcs dont les noms s(~ trou-
vent inscrits sur la sccoudc Iiste de I'ordouuance du 2f¡ juillct.
:EtCS-VOllS juges? et<'s-yOUS 1(\:-; jugos de ces hommcs '? non , sans
doutc, 01', de quel nom Iaut-il done apIH'ler une peine pro-
noncée coutre des hommos individucllcmcnt aueints, el ;1 raison
de la couduitc répréhonsiblc qu'ils OHt dú tr-uir antéricurcmcut á
l'application de reuc peinc ? Le dcuxiem« dHalll d('s lisies dans
lesquellcs OH vous demande de vous renfermcr, 1l0US a ¡¡al'tI d'étrc
íncomplctcs , elle voulait comprcndro dans les «xcoptious dI'




enAPlTRE x. 19
I'amnistie, la véritahlo pcnséed(l la Chamhrc ; 1". les individus
placés sur la seronde liste de l'ordonnaucc d11 2(, j nilid qui n' a-
vaient pas été traduits dcvant les trihunaux ; 2°. tous ceux qui
avaicnt (,té cómplices du rctour de Bonaparte , qui, pour lui en
faciliter les moyens, avaient corrcspondu avec lui ou ses agcnts;
3°. tous lespréfets, lesmaréchaux, génl'raux, qui avaient reconnu
Bonapartc arant le 2,3 niars , ou qui avaient di1'igé Ieurs forces
centre lesarmécs royales. te Trésor public dcvait se porter par-
ticcivile pour des indcmnités centre les proscrits ; le produit de-
vait étre appliqué au paiement des contributions extrnordiuaircs
de guerreo Ceux des régicides qui avaient voté l' Acte additionncl,
accepté des fouctíons de l'usurpateur, étaicnt (lgalenwllt cxclus ~l
perpétuité du royaume, ct tcnus d'en sortir dans le délai d'un
mois, sous les peines portées par l'articlo 33 du Codcpénal, IIs
ne pouvaient aussi y jouir d'aucuu droit civil , posséder aucuns
biens, titres ni pensions aeux concédés 11 titre gratuit,


Le Roi fut Irappé de cettc persistance de la couunission a étre
plus sévere que la Couronnc. En droit , le projet que la commis-
síonproposa était plus régulier ; il ne proscrivait pas des indivi-
dualités, excoption mousrrucnsc, mais des classcs définics el dé-
terminées. Ces classes comprenaicnt une massc telicmcnt consi-
dérahle u(' pcrsonnes, qu'il yaurait Plll)('ll d'individus marquants
daos les Cent-Joursqui u'y fusscnt compris. Par la prcmier« ca-
tégorie vague, indétcrminéc , la loi pouvait Irappcr tous les cou-
seillers et servitcursde Napoléon, La scconde embrassait tous les
hauts fouotionnaircs de l'Empirc , cal' tous avaient pris du sor-
"ice avant le 23 mars, Les deux dcrniercs eatégori(ls attoiguaient
la plupart (/(IS officiors-supéricurs 0\1 géll(~ranX qui pn'S(lllL' tous
en effet, dans l'iliJl('lraire mcrvcillcnx de Cannes ¿l París, s'étaient
prononcés pour l'Empcreur. l'n rP!eY(1 pn'lpar(~ par I(~ ministre de
la polícc, et placé sous Iesyen\: (/11 Iloi , portait ~l H.>O le nombre
dos prosrrits ü la suitc des ca(~gories. La commissiou nc s'arróta
pas Jir, Malgl'{l la volont« prononcéc du ltoi , qui, le tostamont de
Louis XVI a la main, voulait pardouncr aux r{~gicidCS, malgré la
monstruosité de punir un crime amuistié par la Charte, la COIll-




20 . IlISTOrnE DE L\ RESTArTlATlO J\ .
mission persista dans ses conclusions de bannisscmcnt, La ródac-
tion bizarro de cct article sortait du caractere habitud ct de l'es-
prit des lois ; clle se rcssentait du hcsoin qu'avait la couunission
de justifier son ouvragc. Et quaut á la propositiou relativo á la
famil1e Bonaparte , il Y avait une terrible péualitó : la peine de
mort au cas oú l'un des meiubres de cette Iamille vicndrait repo-
ser sa tete sur les terrcs de France ! Et puis la coníiscatiou ,
tout afait rétablic sous le nom d'iudcmnitó du préjudice causé ~I
l'l~tat! La discussion S'OlHTit le '2 janvier par un discours de
M. de Botdcru, orateur passiouné, mais pesant. « Nos maux sont
grands, dit-il ; vous n'y remédicrcz pas par les arguments de la
philanthropie. Depuis vingt-cinq ans, ou cite a tort el atraversla
république romaine , comme si uous avions quelque chose de
corumun avec les Romains. Écoutons la voix de la raison, 1I1C't-
tons la main sur le coiur , et nous verrons qu'il Iaut punir )JOII!'
empécher le reto ur de nouveaux crimes. La Iaihlcsse prO\oque
avccplus d'éclat la chute des empircs que le dcspotisrue. Ne point
poursuivre les auteurs de la conspiratiou du 20 mars, c'est taci-
tement leur dirc qu'ils peuvcnt ou cetro annéc on une nutro
rcnouer le fil de leurs coinplots. ~ÜUS SOIlIll]('S responsabk's
vis-a-vis de Dieu , du salnt de la monarchie el de la sun't{' du
Iloi. »


lU. Siméon répondit : « Que l' on se rappelle l'histoire des s{~­
ditions et des révoltes; elle a toujours ét{~ terminée par une am-
nistie; c'cst un Ileuve qu'on se háte de rúpandrc sur un vasto
incendie. On accorde au président d'une cour criminclle le POI1-
voir discrétionnaire , et 1'0n pourrait le contestcr ~I un monarque
qui ne veut s'en senil' que pour attircr sur son trñne el sur luí
les bénódictions du peuple ! » Alors ou cntendit la YOix de ~I. de
Labourdonnaye : « J e ne répondrai point ~I ce qui vicnt de vous
etre dit sur le droit d'amnistie : cette question dcvient oiscusc,
puisque le Roi nous appelle ~I y concourir. De ccue participation
méme nait le droit de la discuter et de la modificr. la diviuc
Providcnce , toujours augusto dans ses décrcts , profoude daus
ses dcsseins , ti/Te enfin dans YOS maius les artisaus de nos prr-




CHAPITRE x. 21
micrs crimes et de nos dcrniors malheurs. Ces hommes invoquent
I'amnistie de la Chart«, commc si des premiers forfaits étaient
le gage d'une constante impunitó : ('OmITIe si l'anguste pardon
dont ils sont couverts , scmhlable au secan de réprnhation placé
par l' Éternel sur le front du prcmier Iratricide , suspendait la
justice des hommes pour les réscrvor aux vengcances éternellcs,
l\Iais non, les remords de Caln u'assiégent pas ces cmurs endur-
cis, C'est en tiran! une ligne de démarcation entre le crime et
la faiblessc, e'est en expulsant du territoire des homrnes deve-
)}US l'opprobrn de la nation, qne vous la replacercz au rang d'oú
elle cst desccndue. Ce sont les conspirateurs du 20 mars , ce
sont des hommes dangerenx que l'on H'U! aneinore : sont-ils
dangereux? sont-ils conspirateurs? Yoila la question , elle est fa-
cile 11 résoudre. Aussi , je l'avouerai, touché de ces grandes con-
sidérntions , jc n'hésite pas ~I me prononcer contrc la k.i préscn-
tée par les ministres. )) m ici , JU. de la Bourdounaye drveloppa
une espece d'acte d'accusation sur la faiblesse et sur la pusilla-
nimité du Cahinet. te mínistere , se voyant vivemcntatraqué par
la rnajorité , Ianca pour la combattre JU. de Vaublanc, qui avait
la confiance des Royalistcs. (( en fameux Ilomain disait : Si les
Grecs l'emportent sur nous par les lettres, et les Ganlois par la
valeur, nous I'cmportous par la constance; eh bicn , ce que di-
sait ce Ilomaiu , vos ministres le répetent, Je vais plus loin , jc
dis 11 l'accusateur : Ce qui s'cst passé depuis trois mois est un
phénomene inexplicable. Cette armée entiere licenciée avec
une tranquillité inoulc , croit-on qu'clle n'ait coüté aucune pré-
eaution, aueun soin, aucun movcn de prudence ? Et ces impñts
répartis au milieu mérne des charges imposées par la pnissance
des alliés! Toute amnistie suppose des exceptious ; quellcs se-
ront ces cxeeptions? VoiI1I sur quoi délibórer. Si dans une ques-
tion pareille votre opinion différe de la nótre , la raison en est
simple. te ministere ne voit qne les conséquences des lois; le
législateur n'eu voit que la partie noble, que la partie idéale. Le
Juste a péri , <'t en mourant il a pardonné ~I ses bourreaux. Il
est pormis dr resprclrr Ir pardon , sans ponr rPln s'attcnrlre ;1




22 mSrüIRE DE LA RESrAURAnÜK.
étre accusé.: (e Plusicurs fauteurs de la conspirationdu 20 mars
ont déja payé de Ieur tete leur criminelle entreprise , ajouta
M. Iloyer-Collard ; d'autres occupent dans diíférentes partics du
monde les asiles qui leur ont été accordés par des convcntions
diplomatiques, Aujourd'hui YOlIS avcz a délibérer sur la propo-
sitien du RoL Je ne sais point aller plus loin que le RoL Je ne
me mettrai pas entre les coupables et lui,. .J e u' intercepterai pas
le pardon qu'il vcut leur accordcr. Je ne lui ferai pas rebrousser
chomin. Votre commission a proposé de faire payer aux cou-
palilcs des indcmuités proportionnécs aux dommagcs qu'ils au-
raicnt causés, tes confiscations sont siodicnses,qnc la Ilévolntion
en a rougi elle-memo ; elle qui nc rougit de ricn. » « Je voisavec
peine, dit -'1. de Castclbajac, qu'on nousparle toujours dcla ll(~ccs­
sit(o ele trauquilliser les méchants, et jamais d(' rassurer les hons.
Ccpcndant on pourraít rroire qu'ils méritcnt quclque garantie ,
ces hommes qui ont été depuis vingt-cinq ans victimcs de tant de
malheurs. Une noire trahison a enfanté le pouvoir des Cont-
.J 0111'S, et nous dcvons en atteindrc les fauteurs ct instigateurs,
Quant ~I l'amcndcmcnt qui regarde Cf'S monstres , qui par de
nnuvcaux crimes out soulcvé le voile dont la honré royalc les avait
couverts , je le trouve d'accord avcc la plus stricte óquité, puis-
que ces vétérans du crime ont rcnoncé ~l ce qu'on les ouhliát ;
leur présenco sur le sol Irancais serait un danger de tous les in-
stants ; il est des hommes qui n'cntcndcnt pas la clémcnce. Un
(le leurs corvphécs disait en 1793 : « L'iudulgence est une Iai-
blessc coupahle. » Ils nous out mis dans la position d'invoquer
ccttc máxime centro eux-mémcs. ') « On vous a parlé , répon-
dit lU. de la 11aisonfort, de la clémcnce de Ilenri IV, sansdonte
ponr nc pas vous rappeler la sévérité de Louis Xl TI. Eh hien !
cette clémcnce , 10tH admirable qu'ellc cst, appartient autant
aux événemcnts qu'au caractcro personncl de ce hon Itoi. :'le
comparons ricn , cal' le présent nc rcsscmble point au passé ,
n'imitons rien , cal' l'avenir lui rcssemblcra bien moins encore !
Obéissons aujourd'hui , comme alors , aux circonstanrcs , et ra-
massons les déhris que le tomps laisso dcrrierc lui, Les gucrrcs




CHAPITRE x, 23
de la ligue, les querelles des Valois et des Guises, les diífé-
rcnces de religion avaient-ellcs le plus léger rapport avec la Ilé-
volution? lIenri IV, en rentrant dans Paris, retrouva-t-il Jacques
Clément et Bussy Leclerc? Les Seize lui deurandérent-ils des
places d'honneur? Sans doute quelques rebellcs , pareuts de
toute la cour , luí vcudirent lcur sennent de fidélité; mais ils
tenaienl des places Iortes , il eüt Iallu les combattrc, Hcnri IV
fut généreux, mais il Ie fut pour des hommes qui , s'ils avaicut
méconnu le successcur du dcrnier des Valois , avaient toujours
respecté, on pourrait dire honoré, en lui le roi de Xavarre. »
« Si je ne connaissais pas la courageusc persévérance avcc laquelle
la couunission a poursuivi ses travaux , s'ccria JI. de Bouvillc ,
je croirais qu' elle s'est laissé gagner par ccttc contagion de
ruollessc qui semble etre l'apauage de l'époque OÚ nous sommes.
Oucilc excuse pour les administrateurs qui out porté en trihut ~l
l'usurpatcur la province dont ils dcvaient compte au Roi; quclle
excuse pour ces chefs militaircs , qui tenant leurs armes du Roi
les out tournées eontre lui ! Que les ministres ue s'étonnent plus
de l' oppositiou qu' ils rcucoutren t , e'est ce scntiment dl'j~l plus
fort (lU'OIlIlC croit qui se manifestc : on nous préseuto de froides
théories , el uous vous parlons au nom de l'honncur ! » «( Et les
ministres aussi out le droit de vous dire qu'ils parlent au nom
de l'honncur , répoudit ~I. Decazcs , puisqu'ils parlcnt au nom
du ltoi ; ct les ministres aussi out le droit de vous dirc qu'ils
vous parlcut au nom de la sag('sse, puisqu'ils vous parlcut au
110111 <tu Iloi. La conuuission a voulu punir les coupables , ct nous
aussi, La connuission a voulu établir (les catégorics , el n01JS
avons pensé diffórcmuient. Plusicurs coupables que la Franco
enticrc désigne ne sont point compris daus les cxceptions. On
\OUS a dit que la liste était incomplete , cela est possihlc; mais
'OIIS vous rappcllcrcz qu'ellc u'a poiut été faite par le miuistere
actuel. :\lais, a-t-on dit , il peut se trouver parmi les treute-huit
quelques individus non coupables ?Son coupables l. .. Le pensez-
\OUS, Mcssicurs !


( Memure d'uu collégc électoral , ajouta l\l. Bcnoist , qui a




2'l msrouu: DE L\. HESL\.LILUIO:\.
dit au Iloi : « Sin', s()~ ('Z Iort pour (~lre clómout , soycz PlIiSS;:1l1
pour érrcjusro », jr' 1J(' craindrai jamais (k laisser au Iloi un glilnd
pouvoir, ct jc suis súr qu'il en uscra ponr le salut de la Frauce.
On a dit hiel' qll(' la mollcsse était le caractcrc de notre époque ;
on a dit trop peu ; il existe une sortc d'indiflcrcnce pour le bien
comme pour le mal. Xous avons 'u des hommes , couiplices de
l'usurpation du 20 mars , non-sculemcnt dirc , mais croire (IU'iIs
étaient innoccnts, VoiHI le syst(~IllC que votrc counnission a voulu
détruire. Elle a voulu que l'amphithéatrc curopécn quí IlOIlS
rcgarde fút convaincu que la France artuellc , comme cclle {[('S
Bossuet, des )Iassilloll, des D'Agucsseau , trouvait que c'était un
crime de trahir son roi! .... » « Prcnez-v garde , )Iessieurs, ajoutu
M. Salaberry, la cnnspiration du 20 mars n'a pas pris naissancc
dans les caserncs. JA'S lcrons d(' l'éducation révolutionnairc pour
les uns , les lerons de l'éducation impérialc out entrainé la plus
grande partie des oflicicrs el des soldats ; la véritahle conspiration
a éré tramée par les officiers civils. La conspiratiou civilc cxiste ,
mais elle attend ; en voulez-vous une prcuve bien affligeantc :
le chef militaire a péri ; le chef civil a ét{· sauvé par les soins et
les cfforts de son parti. (Il parlait de ,1. de Lavak-ue. ) Ouvrons
les H'U\ ct sauvons la Frauce , ('U mcttant les coupables hors
d'état de nuire ; proscrivons les houuncs qui out ramcné ('('
tvran a idées lihérales , (IU i prétcndai t qlH' ]('S hounucs ('í ajent
faits pour rlre tués pour lui.)) « "Ion avis, dit _,1. Pasquier,
cst que, dans les cirroustanccs , il faut mcurc la gén('rosité du
pardou ¡l la place de la vigilancc de la justirr. Je sais qu'on a
repoussó avcc quclque sévéritó les excmples de clémcncc lin~s
de l'histoire de nos rois. ,'(' ne puis pourtant m'erupécher d'in-
sistcr sur l'amnistie d'Henri H. Ce princc entre dans la capitale
le 22 mars , et c'cst le h avril qu'il puhli« SOIl aninistie ; et ~I
qui l'accordc-t-il '! ~I des guerriers anuós , ¿l des villes qui soute-
naicnt un siége centre ses troupes ; il leur dit : « J e VOllS donne
un mois pom vous rcndre , el cnsuirc jc pardonne Ü tous les
reholles, )) On nous a dit qu'il était juste de prcndre le bien
des coupables ; cxigcr des iudcmnités scrait le plus sur lllOY('Jl




ClIAPITHE x.


d'cxciter la gllel're civil«, Le voisiu dirail ;1 son votsin , la ville
dirait ;\ la ville : « C'est vous qui devcz payer, et non moi. ) -
re Toujours j'ai préscnts ;\ I'esprit , ajouta lH. de Scrrc , les iuanx
qui afiligent mon pays el les périls qui le menacent, et toujours
jc penso que les uns W' [)('UH'nt (~Irc réparés dles autres é\ités
que par le rallicmcnt el l'union des Franrais. Pon!' point de
rallicmcnt, je ne vois que le Iloi ; <'l pour gage de l'union , 1'ae-
cord le plus absolu des Chamhrcs avcc Sa "Iajesté, Aussi , c'est
avec une profondo douleur que j'ai \U votre conuuission se sé-
parer du Roi quand il vous propose de frappcr, et s'en séparcr
cncore quaud il vous propose d'épargnor, Votre connnission
procede par catégories ; je ne conuais pas , je 1'a\OI1(', de plus
mauvaisc maniere pour apprécier le mérito ou le dóinéritc des
honnncs, Votre conunission u'a point ouhlié les auteurs el fau-
teurs de la conspiration du '20 mars , et elle les a spéciliés en
exccptant de l'amnistie ceux qui avaient correspondu avec l' 11e
d'Elbe, Combicn ce grief, l'un des plus importants , Iaisso de
vague aux suppositions. Je passe a l'amendement relatif aux
géuéraux de Bonaparte. Tout leur crime est de l'avoir reconnu ;
une fois rcconnu , ils OHt dü iuarchcr oú les appelaient les ordres
qu'ils out recus, » On nc peut s'imaginer quelle cxprossion de
murmure accueillit cene j ustificarion des généraux de]'Empiro ;
el l\I. de Serre contiuua : « VOYOllS maintcuant si l'amendcment
relatlf aux indemnités est plus juste ; j'avoue que j'y rctrouvo le
systeme des confiscations qui ont causé, il Ya cent trente aus ,
en Irlande , des trouhles qui no sont pas encere apaisés , des
confiscations qui ont étó une tache de plus, il Ya vingt-cinq
~IlS, daus les fustes revolutionnaircs , el l'uno des plaies pro-
rondes de l' J~lat. »


Le ministere avait engagé successivcment tous ses orateurs,
Le vieux :n. Dubouchage, si agréahlc ala inajorité , avait lui-
mcme échoué ; il paraissait certain que le projet du Gouvernn.,
ment serait rejeté, et q\le la Chamhre adoptcrait celui de la
commission. lU. de Ilichelicu cut plusieurs conférencos avec les
membres iuñuents ; 11 leur porta la volonté exprcsse du ROÍ, de ..


11. 3




26 JlLSTUlHE DE L\ HESTALH:\TJO\.
limiter touLes ses sévérités ~l la liste des trente-huir. « Jamais ,
dit le ministre, le Itoi ne voudra admettre vos cat{'gorics de cou-
pables , et cette vcngcauce indélinio qui compromcttrait le pays. ))
Alors des orateurs plus accommodants proposéreut ~l JI. de Ili-
chclieu un tormo moyen : le bannissemcut des r{'gicides relaps:
au moycn de eette conccssion 1 ils croyaient possihle de [aire
suhstituer le projct du Gouvcrncmcnt ~l cclui de la conunission.
Cette mesure du Iiannisscment avait presque trouvé I'unanimité
dans les burcaux. te ministere en parla au Hoi , qui s'y refusa.
Cependant, comment en finir? Il Ycut plusieurs conscils suc-
cessifs t et les ministres furen t a leur tour partagés sur la néces-
sité du hanuissemeut des régicidcs. Le Iloi ne ílcchit poiut, Le
testamont de Louis XVI était próscnt ~l sa pensóe , et il ne pouvait
concevoir que le crime qu'il avait une fois pardonné pút étre
aggravé par un acre postérieur ct indépendant. Et pourtant il
était impossible de négocier avcc la majorité. 1\1. de Iíichclicu
vint diro que les scules concessions que le Roi avait voulu faire
étaient celles-ci : adhésíon ~l un amcndcnrent de ~l. de Itonchc-
rolles! qui déclarait que le Uoi, dans 1(' d('lai de dcux mois ,
éloigncrait ccux des trente-huir individus portés sur la liste qui
no seraicnt pas traduits devant les tribunaux : adoption d'un
nutre amendement qui étcndait ~I une plus louguo suite de gé-
nérations le haunissorucut de la Iamillc de Bonaparte. « Dcpuis
Tiherc jusqu'a Bonapartc , ajoute -'1. de ltichcliou , les coníisca-
tions out été préscntées sous le litre d'indemnitós, Laissous, ~les­
sieurs , ¿l l'augustc Iauiille des Bourbous , la gloire de les avuir
abolles et d'ui oir auéanti cet héritage de peines, et commcnt vous
parle!' du dernier amcndetucnt relatif aux régicidcs , amcndement
auqucl Sa :\I'\ieslé s'oppose. Ce u'est pas sur la tcrrc , ce u'est
pas panni les hommcs qu'il faut cherchcr la cause de ccuc ré-
solution d'un souverain qui HC veut se rap pelc: que le 7)/,CJJÚC¡'
pnrdou. Est-plle inspirée par le Hoi-Ual'lyr? Est-clle dicrée par
cetic magnanimité , noble apanage du Hoi ? Ouoi qu'il ('U soit,
nous savons que tclle cst la volonté du monnrquc : (tui pourrait
s'y opposer ? Qu'il me soit pcnnis , en Iinissaut , de vous C011-




CHAPITRE X. 27
jnrer de ne pas faire d'une loi de grñcc un sujct de discorde; que
votre accord soit plutót une grande et touchante image de l'ac-
cord et de la réconciliation de tous les Francais, » En lisant cette
nobleprofcssinnde foi du duc de Ilichclieu , on se sent tout ému
de voir rcparaltrc , apres les crises ct les fautes des gucrres
civiles, ce loya] ct g{~n{'reux caracterc !


La Chambrc des Députés tint peu de compte de la déclara-
tion des ministres; il n'ost rien de plus implacable qu'une ma-
jorité rl'nsscmblée , et les scrutins démontrerent une majorité
incertaiue; les catégories ne furent rejctées qu'a huit voix, et
apri-s deux éprcuvcs douteuscs. Le ministere en détachant plu-
sicurs membrcs , avait éhranlé la majorité qui d'ailleurs n'était
pas tres-unic sur la question de prérogative royale, Il y cut doute
t-gaIClll('1I1 sur le principe de la coníiscation. ;\DI. Clausel de
COllssl'rgucs ot IJyde dr Nemille enrcnt le triste couragc de dé-
fpndre l'article de la counuission. i\i. de S('ITC les comhattit avcc
Hile constanco honorable. « La Charte proscrit les confisea-
tious, vous ne les rétablirez pas sous un nutre nom; vous n'irez
poiut prcndrc la propriéu; d'autrui par un artifice plus digne du
th(';1lre que de vous..... Que le rrésor soit pauvre , mais pur ;
méprisez de misérahlcs dépouilles, laissez..... )) Alors une voix
dI' la majorité rovalistc se 11t cntcndre : « Oui, laissez I'argent
auxvoleurs, ) la Chamhro se moutrait si violente, si déterminée
~l voter la conflscarion , que lU. de Vaublane se vit encoré con-
traint de s'engager. « Il serait possihle d'arriver plus tard h ce
qlle vous désirez, Je vous conjure de ne point prendre de déli-
hération en ce moment; jc vous en conjure au nom du respect
sacre qlle vous devcz ~l la Chane. 1) Et sur ectte promcsse
l'ameudemout Iut rejeté h une tres-íaihle majorité, Itestait le
bannisscmcnt des régici<lcs. Ici il était irnpossiblc d'éviter ce
vote , scntimcnt uuanirne de I'assembléc, Des engagements
sccrets avaicnt méme été pris pour que, moyennant eette
conccssion , la majorité preUIt son lote pour le rejet des catégo-
ries et des confiscations. Lorsque l'amendcmcnt sur les régi-
cides fut proposé , lU. de Béthisy, avec une chaleur de royalisme
qni plaisait tant a11 pavillon 'Iarsan, s'écria : « Je nc répon-




2~, TllST()THL ])F L.\ nEST,,\I·ni\TTO~.
drai qu'ü une scule eles pensécs cxprimées ici : peut-on etre plus


.sóverc quc le Iloi ? Oui , Messieurs, ct il est des circonstanccs
oú on le doit : Iaissons au Iloi le hcsoin de pardonuer, qu'on ne
pcut comparcr qu'au hesoin qu'out les Iactieux d'en abuser,
Mais nous , Mcssicurs, nous dcvons ~l la Frailee, comme ses re-
préscntants , de rcjcter sur les vrais , sur les seuls coupahles
l'horreur d'un grand crime ; chargcons-nous du poids de la sé-
'(Tité ct de la justicc. Je YOlIS demande, si un scélérat levait la
main sur le mcillcur des Hois ; si, Ü l'cxcmple de son aieul , de
ce Viable ü quatro , le Iloi s'écriait : Gráce ~I cclui que le gibet
épargnc , craindricz-rous d'(~lre plus sévercs que le Iloi ? Il nous
vn coütcra , sans doute , d'(~tre un moment en opposition aH~C
les désirs de Sa :UajestL', nous qui , firlclcs ü nos serments , avons
dcpuis vingt-r inq ans , pour cri de rallicment : Y/¡TC ct 1JI01l1'il'
7J0I1/' leñoi ! 3Iais n'ouhlions jamáis la devise de nos pen's : ¡hclI ~
(f/oII1WlIl' ct le BOl! ot si l'inflexiblc honneur nous force un in-
stant ~\ dépassor sesvolontés , HOUS dirons comme les habitants de
I'Ouc-t , comme les soklats du trñne et de l'autol : Vire le ROl!
quaiu! m¿;¡I¡e I ! » Ce discours L'[ait I'cxprcssion du parti royaliste
tl de la cOUJ' de "o:\sIErH, tant loué pour sa chcvaleri« et sa
sincérit«. la qucstion des 1'('gicides fut cnlcvéc sans discussion.
V' ministvre vit des lors qn'il avait la main forcée. la majorité
du Conscil no se scntit pas le courage de rósister. 11 Iallut rap-
por ter au Boi la dúcision de la Chamhre,


Louis XYJII connaissait trop hicn les principcs un gouvernc-
11H'nt ropréscntatif ponr s'opposcr plus longtcmps ~I un Hl'U
unauime ; mais il vonlut qu'il íút bien constaté que ce n'était
pas 111 i qlli avait provoqué le hanuisscment. 3l. de Itichclicu le
dóclara tout hant :1 la Chamhrc des Pairs. « L'inépuisable honlé
<In Itoi , inspirée par le vrcn al' Louis XVI, répuguait a sL'parer
la canse des r('gicid('s de celle des nutres Francais égarés dans
ces dcrnicrs tcmps ; mais le rccu (:Jl('J'qi(j/(c, ct , on peut le dirc ,
unanuue qui a éclaté dans une assciuhlée composée des dépntL·s


1 Le lcndcmain , au chütcau , l\IO"'SIECR ne manqua pas de dire au
marquis de lklltisy : « Bl'thisy, vous aHZ un íils qui parle anssi ilicll
qu'il ~" kit "




(;TlAPTTRE x. 29
du royaume , ne permct pas de dunter que te! est le vceu de la
Franco enticrc. Il ne Iaut rien moins que le concours d'une na-
tion et de ses délégués pour vaincre le co-ur du plus générouxdes
monarques. Sa -'lajest(~ rctirera la main qu'elle avait étcndue sur
des sujets aussi coupablcs, et ils seront abandonnés ~I leur des-
tinéc. » Ce projet n'éprouva pas d'opposition ü la Chambre des
Pairs. Ainsi devenuc loi politique et exécutoire , l'amnistie fut
appliquée. Une ordonnanee enjoignit aux bannis de quitter la
Frunce avant le 1·'r mars; le ministre de la poliee notifia ü
chacun d'eux cettc ordonnanee et manda aux préfcts qu'ils eus-
scnt II délivrer des passc-ports. Les régicides se hñterent d' exé-
cuter la loi. Quelqucs-uns avaicnt conservé des amis. :\1. Cam-
bacéres , avec sa fortune inuncnse , s'cmpressa d'obéir ; il Ymit
de la résignation et de la noblessc. en royaliste qui paya sa
dctte de reeonnaissanee en allant voir l' archichaucelier de l'Em-
pire, si puissant aurrcfois , le trouva calme et sans aigreur
eontre la loi qui l'cxilait : « Oui, je n'ai que ce que j'ai mérité :
pourquoi ai-je donné ce vote fatal? ) Des convcutions diploma-
tiques avaicnt été arrétées sur le domieile des trente-huir
proserits. Chacuu rlur hahitcr une ville désignéc , ou un pays ~I
l'érrangcr. La Prussc indiqua la Silésie; ]'Autriche , la i.\]oravie;
la nussie , la Crimée et la Pologne. Quelques pcrsonnages , eom-
pris sur la liste de Fouché, curcnt l'autorisation de rcster secre-
tomcnt II Paris ou dans les provinces ; d'autrcs qui n'étaient pas
sur la liste rccurent l'invitation de quittcr la France. La loi fut,
('JI grn('ral, ex(~cnt(~e sans rigueur. On respecta la fortunc des
bannis. les régicides errercnt en Suisse , en Italie , en Allc-
magnc , en Prusse ; on les poursuivait de ville en ville , jusqu'a
ce qu'ils trouvasscnt un princc humain ou une l('gislation pro-
tectriee; quelques-uns , te! <plC Carnot, rccurent des proposi-
1iuns hieuvcillantcs de l' empcreur Alcxandre. te plus granel
nombre habita la Belgiquc , 011 hicntót les réfugiés orgauiscrent,
ronuue on 1(' Yerra, une opposition violente contre le gomer-
nemcnt de Louis XVII T. Ce fut dans ces eirconstances que les
dcux Chamhres votircnt la loi «ni consacrait un deuil puhlic




30 HISTOIRE DE LA RESTAUHATlON.
le 21 janvier, anniversaire de la mort de Louis XVI. Les Députés
oITraient pour expiation d'un granel crime un monument funé-
raire et l' exil de quelqnes proscrits.


Une dénonciation réactionnairc vint montrer la nécessité de
la loi d'amnistie et du voile dont elle couvrait les fautes et les
errcurs des Cent-Jours. Quelques hahitants des Bouchcs-du-
Ilhónc , loin d'étre apaisés par le sang de Ney , déposercnt une
pétition centre le maréchal l\1asséna; l'histoire impartiale doit
dire que le maréchal n'avait pas agi avee dévouement et sin-
cérité lors du débarquement de Bonaparte ; il Yavait eu un grand
élan 11. Marseille , et ;Uassé.na , loin de le seconder, l'avait en quel-
que sorte comprime par sa Ienteur et son mauvais vouloir ; on
pouvait croire qu'il s'était reservé la douhle chanee. Le maré-
chal n'avait pas été porté sur la liste des proscriptions ; avcc sa
flnesse ordinaire , il s'était fait nommer conuuandant en chef de
la garde nationale de Paris et s'était arrangé avcc Fouché et
l\l. de Tallcvrand. Les royalistes du iHidi déposerent une péti-
tion contre le vieux soldar, Ils dénourcrcnt « 11. la luunc de la
Franco , au uuipris de l'Europe et 11. la réprohation de la posté-
rilé le gouvcrneur de la se divisiun mílitairc : ce guerrier Mait
;Uassélla, dont les rapiues si [anicuscs avaient Ilétri tous les ex-
ploits l. » 1\1. de Salute-Aldegonde fut chargé de rapporter
la pétition ; M. Colomb demanda qu'olle IW Iüt pas lile, paree
que le maréehal ~Iasséna était compris dans la loi d'amnis-
tic. ]U. Ilaynaud de Trctz , député des Bouches-du-Ithúnc ,
s'opposa 11. ccttc fin de non-rccevoir : « La pétition , dit - il , ('sI
antéricure 11. la loi d'amnistie , el YOUS y H'!TI'Z que l'astucicuv
mystcrc dontle maróchalüasséna a couvcrt saconduitr- lors du d(·-
harquerucnt de Bonaparte est canse de tous nos malhcurs. » Alors
;\1. de Serre s'écria avec force: « A I'ordre ! c'cst contrairc 11. la
loi d'amnistic. Jc vous supplie de vouloir hien oublior toute per-
sonne dans cettc question. La p{·tiliol1 dont on vous parle ne sera
qu'une accusation centre un gl'n('l'al qui est rompris dans la loi
d'amnistie. - C'est ce que nous 11(' savonspas , répliqua-t-on dp


1 Termes de la pétition.




CTTAPTTfiE \. 31
mutes parts , et ce quP le Couvernemcnt jngera. - La question
dans sa généralité , continua :\1. de S('ITe, se réduit ~l savoir si
1l0l1S pouvons écouter une pétition centre un hommc pour des
Iaits al1lnisti{·s.-L'instruction est cornmencée, répondit :\{. Ilay-
naud de Tretz. - Si I'instruction est commcncée , roprit lU. de
SCl'1'e, c'est une raisou de plus pour que la Chambre respecte
une qucstion qui est du domaiue des jugos. _. Un article de la
loi , répliqua :\l. Forhin des Issarts , cxempte de I'amnistie ceux
centre lcsquels il y a des instructions connuencées, La chambre
u'a pas plus le droit de justificr un homme que de l'amnistier.
11 a (>té presentó ü la Chambre une pétition contre un individu
quclconquc ; elle a done le droit d'cn prendre connaissancc ; ce
u'cst pas ü elle ü appliquer les lois pour ou centre , e'est au Gou-
verncmcnt. Jc demande que la pétition soit Iue. ») Et la Chambre
([¡"cida que la pétition serait lue ; il s'agissait de savoir qncl partí
OH allait prendrc ; rccevrait-on la pétition, ou passerait-on a1'01'-
dre du jour ? Tou t le parti modéré de la Chambre, l\D1. de Serre t
Pasquier , Voisiu de Gartempe demandérent l'ordre du jour en
invoquaut I'amnistie ; alors ou entcndit 1\1. Hydc de Neuvillo :
« II liJe seIJIhle (111(' le préopinaut n'cst pas dans la qucstion; iI
Ya deux houunes dans le maréchal "'ass{'na, le coupahle qui
peut , en dTl't, se trouver dans I'amuistie , el le chef de rorps ,
souuiis counnc tous les autrcs ¡, la discipline militaire. Il est done
csseuticl , si le ministre voulait I'cmplovcr , qu'il connaisse les
Iaits qui lui sont imJHIIl-S, el c'cst pour éclaircr sa religinn que
¡l' demande le rcm oi , non pas an ministre de la justice , mais au
ministre de la guerrc. ») Le renvoi au ministre de la guerre fut
pronoucé ;, une immeuse majorité. La Chambre voulait surtout
ladrstitutinn du maréchal. Dcstituer 'lassélla de Sil vieille gloire!
El pourquoi pas ? L'on avait bien Irappé ~Iollcey! Qnant au rnaré-
dial :\Jasséna , cctte agitatioll de sa vieillcssc I'entraina au tom-
lu-au ; i11H' survécut pas longrcmps Ü ces pcrsécutions. Sans doute
il u'avait p.1S N(' Irauchcmcnt dévoué aux Bourbons : mais qui
l'avait ét{, sincercmcnt enUH h ? qud était le pa1'ti qtú ll'avait
pas commis des [autes OH des trahisons?


Lorsqu'lll1 parti politiqnc a (>t{, yaincu , il s'efTace d'ahord. Que




'H)
.)- IIISTO([:I: IH: 1.:\ IlESnn:,\TfO\ .
chcrchcr.iit-il daus une agitarion stérile ! Les factions de la n,',-
volution ('( <le l'Empirt- étaient hattues , dispcrsées dans les del'-
11Í('rs mois de 11"13; les honnncs hardis , les capacites n'ótaient
plus en Fraucc, ou vivaicut retires en province. En vertu de la
loi des prévenus , les préfets a\ aient Iait emprisonner un grand
nombre de patriotcs ou de partisans de Napoléon, Il semblait au
Couvernement royal (PH' ces mesures éraient sullisantcspour con-
solider l'ordre et garantir le svsteme étahli. 11 v cut alors deux


, " .


nuances csscntiellcmcnt distinctes dans le parti liberal : l'une
qui se serait tót OH tard rattachée aux Bourhous , marchaut dans
les voics de la Charte ; I'autrc , alors tres-uomhreusc , avait de
tellcs répuguanccs pour la Famille royale , que ses expressions
de respcct pour la constiturion ct la dynastie n'étaient que des
hypocrisics. La grande Iaute (1(' la llcstauration fut de confondre
saus cessc ces deux nuanccs l'unc avec I'autre , de ne pas cher-
cher ~l attirrr vers son Gouvcrncmcn t lesconstitutionncls de houno
foi, ct de laisscr ~l son isolcmcnt le partí conspirateur sans ave-
nir politiqueo Qu'arriva-t-il ? e' cst que les constitutionnels re-
poussés dcviurcnt une force pour les conspirateurs; el, au jour
OlL les folies royalistes (oclat(~I'('llt, j) nc ~'agit plus rl'un change-
g('lllent (k ministcrc ou de sysll~me, mais d'un rcuversemcnt de
d~ nastie !


Apri"s la loi d'amnistie , tous les pcrsonnages qui n'étaient pas
compris dans la liste fatale se rassurercnt. On se crut ~I I'ahri df'
el'! arhitrnirc <le police qui , d'apres le projct de la Chambrc dps
]){>lltlt{'s, aurait appliqué des cat{'gories indófinics. Et des lors l('s
partis plus confiants s'agitcront davantago. La nuance Iihéralr,
qui s'l'loigllait le moins des prillcipes du GOUWrIH'IllCn!, Iut
d'ahord la hanque. les grandes Iortunes conuucrr-ialcs , si j'en
('\"(eplC' ,1. Sanlot-Baguenault ot uois on quatr« autres hanquicrs
moins importants , n'appartcnaicut pas aux opinions royalistcs.
Celle cspcce de nohlcssc d'argelll , ('n hainc d'uu autre gellre
d'aristocratie, s'était jetéc daus les opinions de l'Empire ; ('l
commc ces opinions en 1KJ (j s'étaient trausformécs ('U lib('l'a-
lislllC, ks hanquiers cntouraicnt l('s principes de la ¡ibert{' COII-
s'itutiolllH'lk. A la I(·te dI' e('(l(' hanque politiquc ('1 h' plus avanr




CHAPTTTIE x, 33
dans ces idées, se trouvait i\l. Laflittc, qui depuis a joué un rñle
si important dans les affaires. 1\1. Laffiue devait sa fortune alui-
IH(;nH' , ~I une heureuse activité , ases associés , JDI. Pcrrégaux ,
ct ~I la eonfiance de Napoléon qui , ~I son départ de Paris, mit
entre ses mains, a titre de dépót , une somme de plusieurs mil-
lions. Apres les Ccnt-Jours, 1\1. Laffi tte avait ét(~ en proces avcc
la Caisse d'amortisscmcnt pour un prét sur dépüt de rente. Au
momcnt de l'évacuatiou de Paris par l'armée qui se retirait sur
Ja Loirc , 1\1. Lafíiue avait honorablemcnt fait des manees a la
rommission du Couveruerncnt , pour éviter que l'armée ne se
róvoltát par défaur de solde. L'explication qu'amena cene affaire
justifia M. Laífittc. Caractere vaniteux , mais obligeant , il avait
rondu des sen ices lt ses amis el méme ¿I ses ennemis. Il avait
hcsoin d'unc ccrtaine rcprésentation , d'un apparat polirique.
.xvcc des counaissances el des lumiercs incontestables sur la han-
que et sur les fínanrcs , 1\1. Laffitre n'avait ríen de cetre applica-
tion administrative qui appelle l'ordre ct inspire la sécurité. Dans
ses théories développ(~es avcc esprit et une abondance mcrveil-
leuscele mots, 1\1. Laffit te, 1oujonrs trop plein de lui-mémc, laissait
pell d(' placeaux objectiuns; il (-!ail anssi facile dans ses promesscs
politiques que prompt ¿I les ouhlier. Persoune n'aimait moins ¿I
('('oul el', ct n'aimait plus ~l se Iairo écouter. Profondérncnt péné-
tré , plutñt par instinct que par l'étude , des príncipes du crédit ,
il contribua ~I les inculquer rlans I'adininistration financierc. tui
r-t M. Gaudin rcndirent d'iuappréciablcs scrvices pour la confec-
1ion du budgct de 1&16; mais les théories de M. Laffitte ont moins
d'npplication que celles de ~1. Gaudin ; elles partcnt d'idécs trop
absolues , ('( dcmandcnt , ayer des moycns trop puissants , des
chanccs loujours hcnreuscs, Comme homme politiquc , l\I. Laf-
fitte n'a que pcu de capacitó, JI parle, il s'engage , sans connaltre
la porteo de la parole humaine. Chef de parti , c'est une tete a
sacrifices , une ámede couragc. Il lui fallait un róle , role souvent
périllcux, cal' (chose qu'il ignore peut-ótrc), pris en complicitéfla-
grante de complots en 1H20, il dut de n'étre pas traduit devaut la
Chambrc de Pairs, ~l l'amitié de deux ministres, ot h la considé-




3f, IlIsrOIRE DE LA RESTAURA'fIO-\.
ration qu'il inspirait ü tous. L'opinion de 1\1. Laffltte, en 1816,
était moins lihérale que honapartiste. Dépositairc de la fortune
de Xapoléon , il l'omployait dans les intérets de sa cause, el faisair
dos avances ases serviteurs les plus zélés, C'était dans ses salons
hrillauts , dans ses retes éclatantcs , que se réunissaicnt les der-
niers déhris de la socióté bonapartistc, 31. Laffitte aimait cet hom-
mago ~\ sa fortune , cette espt'ce de domination et de patronago.
Vivante imagc de ce qu'on appello Yaristocratic de {a {mI/1/11',
il avait les manieres d'ostcntation si diífércntcs de la vicille al'is-
tocratie , qui se montrc sans désir de paraltrc. )1. Lalfittc avait
une cour de jeuncs écrivains qui vautaicnt son mérite , ct ses
admiratcurs en toute chosc. JI n'uimait pas la Ilcstauration , mais
la Ilcstauration , plus hahile , anrait pn le conquúrir , cal' il y a
dans la vanité millo c(¡tés saisissahles. Sans avoir l'importanr« po-
litiquc de 'I. Laff fte, des maisons d(. hanquo , anssi puissan te's
d'argcut , jouaieut un rólc d;H\S couc ('P()(JlH~ (1P11'11 G, oú Io
Gouvcrnomcnt avait si grand hcsoin de rcssources el de touslos
expédients du crédit : c'étaicnt ~nI. JIrntsch, Ilottingucr , Ila-
gcrman , Ilougornont de Lowcmhcrg , Orlicr, i\ rdouin , 0p])(,I'-
mann , Mallet [r('res. Ces maisons de hanque n'avaienr pas des
opinions tres-pronoucécs , mais elles scntaient le hesoin d'un
systirue raisonnahlc , de l' exécution franche des garautics CO])-
stitutionnelles pour inspirer confiance a l'Europe. Ce n'était POillt
avec des réactions (IU' elles imaginaient jamais pouvoir rétahlir
l'ordre et la sécuritó publique. Toute cctto société de hanquc
étnit done Iibérale , mais elle diíférait de lU. Laffitte, en ce c[n'elle
s'était franchement réunie au Couvcrnement des Bonrhons,
comme ü un fait accompli , er qu'il Iallait déícndre , cetro in-
fluence se faisait sentir h tout ce qui dépcndait d'elle ; le petit
commerce si royaliste , la rue Saint-Denis si pavoiséo de hlanc ,
devcnaient progressivement de zélés partísans de la Charto , (IIJ('
les bons marchands no comprcuaicnt pas , et que 'la pressc Ieur
expliquait. JIn'y avait parmi la hourgcoisic ct les classes 11l0H'll-


- .


nes aucune hostilité contrc la Maison de Bourbon : au contrain.,
OIl aimait Louis XVIII, que 1'on regardaít comme une garallti('




CllAl'lTUE x.


vivantc centre les ultras. Sauf quclques cxceptions , au COlU-
mcuccmcnt de '181 G, le haut el le petit commercc étaient dé-
\01l0s ¡\ la Ilcstauratiun : c'étaicnt ces deux classes qui compo-
saicnt la garde uatioualc. 11 fallait voir ~vec quel zcle , avec quelle
ardeur royaliste , officiers et soldats portaient la décoratiuu du
Lys, comme on étair joyeux de montcr la garde au Cháteau !
La Charte , répétons-le , était encere mal comprise par cette frac-
tion de la société ; ccpcndant elle n'avait pas ouhlié les conquetes
que la révolution de 1789 avait laissées dans tous les souvenirs :
la liberté des personnes , l'égalit« surtout , qui n'cst que la pe-
tite vauité de la classe bourgeoisc contre l'aristocratie.


La classc ouvrierc était moins dévouée aux Bourhons. Napo-
léon et ses aigles étaieut si populaires! Les Cent-Jours avaicnt
d'aillcurs profondément remué ces bras uervcux. Les fédéra-
tions des Iaubourgs , ce vieux levain de révolution ct de jacobi-
nisme avait été trnvailló par Carnot et Fouché, Les faubourgs
Saint-Antoine et Saint-Xlarceau , quoique inccssamment caté-
chisés par la police active de la Itestauration , u'abandonnaieut
pas lcurs anciens scntimcnts. La haute industrie profcssait les
opinions honapartistes ou libérales de la Banque ; depuis la chute
du grand Empire , elle avait bcaucoup pcrdu de cette vasto con-
sonunation qui s'ótendaitde IIambourg jusqu'a Yenise; M. Ca-
simir Péricr pouvait etrc consideré ¡\ Paris , et plus tard , dans la
Chauihrc , COllllllC la vivante cxprcssion de ces intérets et de ces
opinions; caracterc spiritucl , mais de cet esprit aigre, bilieux ,
qlli óclateplutót par boutadcs que par traits élevés ct par saillies,
;¡~ ant pnr-dessus tout une volouté Icrme, une brusque puissance
de résolutiou , capable de proteger une situation difficile dans
certaincs circonstauccs , el susceptible de tout compromcurc en
d'antrcs. )1. Périer ('Lil ¡¡ la tete d'une fortunc considérablc ,
acquise par les laboricux ct honorables efforts de son pere , et
accrue par l'csprit d'ordrc el de parcimonie ; une haute intclli-
gence el une activité prodigicuse Iacilitaient toutcs les transactions
counucrcialcs de :U. Casimir Périer. Il n'hésitait jamáis devant
uneaflaire lucrativo sauss'iuquiétcr du caracterc iutéressé qu'elle




36 JIlSTülHE DE LA HESTALHATWX.
pouvait avoir ; et ccci étouITait en lui les pensóes grandes el g(;Jl(\-
reuses et soment de nobles résolutions! Daus toutes les situations,
1\1. Casimir Périer conservait son esprit industriel ; ce fut tou-
jours le propriétaire de forgcs , l'exploiteur de mines; c'était un
de ces hommes qui, ayaut fatigué sa jcunessc dans une vie d'ac-
tion et de caleul, n'avait acquis que peu d'instruction ; il n'avait
jamais ouvert un livre de scieucc , d'histoire ou de littérature ; el
pourtant ~l. Périer était un honune d'esprit, et sa conversation
avait quelque chose d'élégant et de Iacilc. Dans sa position encorc
obscure en 1816, M. Péricr avait un peu déja de cctte bonne
opinión de lui-mémc , de ces manieres absoluesque la comedie a
spirituellement personniíiécs : l' ohscur commercant qni récla-
mait un senice u'abordait son cahiuet qu'cn tremblant; jamáis
un mouvemeut de hieuveillauce ; jamáis méiuc cctte ghlérosit("
sincere ou d'ostentation qu'on retrouvait dans JI. Lafliue; de la
colere , et puis une sortc d'insensibilité pour des besoins qu'il
n'avait jamáis sentís, qu'il ne counaissait pas , et qu'il savait ell-
corc moins pardonner, tel était son défaut saillant. Il y avait dans
cctte tete une perito irritation centre les supériorités de naissauce
et d'csprit , un hcsoin d'aristocrntie pom Iui-mémc , tout en d(:-
cuunaut coutre l'arislocralie! Caracl(~l'e irrilable, maladif, jJ
Iallait beaucoup pardonner ü son tcmpéraureut. M. Périer n'était
poiut membrc eneore de la Chamhre ; mais la Hcstauratiou a\ ait
pour lui de l' estime et une considération particulierc ; il Iallait
lui rcndre cctte justicc qu'i! ue conspirait pas; il avait plutót des
susccptibilités que des haiucs contre les Bourbons; d'aillcurs
conspircr compromettait la vic , la fortune; et JI. Périer avait des
habitudes trop régulieres au sein de sa famille, un trop grand
amour de son honneur et de son industrie, pour se jeter dans les
hasards el les périls des complots!


Le ministre de la police , ~1. Decazes, avait cherché ü éteindre
les opinions dangereuses dans la classe ouvriére ; des sacrificcs
d'argent avaícnt été [aits; OIl avaít réuní les maitres , les centre-
maitres , les chefs d'ateliers iulluents , mais ces mesures n'avaient
pas un grand rósultat ; les opinious elles cceurs n'étaient pas pour




CIIAPlTHE x. 3i
1l'~ Bourhons. Les fauhourgs étaiont pourtant une grande affaire
pour la Ilcstauration , el les factions agitatriccs dcvaicut naturelle-
mcnt s'adresser ~\ cm. contre le trónc des Bourbons. Quatre-
,ingt mille ouvricrs éraient une masse trop importante pour
qu'ellc n'imposát pas la néccssité d'une survcillance active..J'ai
parlé des Iactions. JI Iaut dire qu'il en existait de grandes, d'irn-
placables contre la '\laison de Bourbon. Les opinions constitu-
tiounelles se seraicnt ralliées ~l la Famille royale , mais il en était
qu'une haine trop vive , trop profoude en séparait ajamáis. Le
partí bonapartiste , alors le plus puissant , ne cachait pas ses me-
nées ; soutcnu par une arméc liccnciéc , par qunraute mille offi-
cicrs adcmi-solrle , par tous ces vieux soldats ~\ 'peine arrivés
dans lcurs foyers , il pouvait rcmuer les iuasses et proclamer ce
noin <le Xapoléun JI qui retcntissait dans les cccurs ct les imagi-
nat ions. Ce u' était pas la premien' fois <ille ce partí s'était mis en
sceue : vaincu , il ne perdait pas l' esperance. Il se passait des
actos de désespoir, Souvcnt , dans les groupes qui allaieut agiter
leur mouchoir blanc au pied du balcon des Tuilóics , se glissait
un honune du pcnple , un vicil oílicier qui tout ~l coup Iaisait
rotcntir I'air des cris de rlrc Xupolcou ! Quel cllroi alors dans ces
groupes, quel anathcm« coutrc ce dévoucmcnt stérilc ct impru-
dcut ! La police était en émoi ; mais ces cris trouvaicnt de I'éclio
chcz le peuplc , tant la grande image dc Yapoléon avait laissé des
traces profo!\ues! Le partí jacohiu uni aHC les llonapartistcs
dans les Ccnt-Jours , Irappé avcc lui par la proscription des régi-
('ides, se déguisait sous le nom de patriote. JI trouvait des
s~ mpathies populuires , des souvcnirs d'égalité a peine cflacés :
plus hardi dans ses moyons, plus salan t en conspiration que les
Bonapartistes, il s'organisait Iortcmeut parmi la classe ouvriere ;
une cspece de franc-inaconncrie cachait des projets plus sinistrcs,
Gdte faction, jamais arrt'tée par les moycus , concertait les
projets les plus atroces avec un sang-froid effrayant : faire sau-
ter les Tuileries , cxtcrmincr la Famille rovale par une de ces
machines infernales, terrible jeu des factious ! Ces desseins
étaient d'autant plus dangcreux , qu'ils étaicnt concus par des


11. 4




38 lIlSTOJHE DE L\ HES'LH HATW.\.
hornmes ~l peine connus, par des prolétaires que la policc ne
pouvait toujours deviuer. A la téte de ces partís divers et Iavori-
sant leurs desscins , se trouvaient les écrivains politiques, Qucl-
ques-uns désiraient le simple développcmcnt du régim« constim-
tionnel : leur pensée était en harmouic avec lcurs paroles ; ils
nc vonlaient ricn de plus, rien au dela : ils étaicnt {len nombreux.
Les autres , dévoués au par ti de Napoléon ou de la Ilévolution ,
déguisaient leurs pcnsécs , et conuuencaient ecuo coinériic de
quinze ans , quc depuis ils ont avouéc. Des protestations de d('-
vouemcnt envers la nronarchie , les exprcssions de respect envers
la Charte , cachaicnt des idées de boulevcrsement , une antipa-
thie profonde contre la dyuastie , et les deux éléments qui , selon
eux , lui servaient de base: les prétres et les nobles. Les mémcs
hommes qui professaieut dans des écrits publics des doctrines
g{'néreuses ot constitutionncllcs , répandaicnt dans des écrits
clandcstins des príncipes de séditiou et de révoltc. e'érait par
les écrits publiés al'étrangcr qu'il fallait jugcr du véritahlc es-
prit de la faction des écrivains politiques : j'ai sous les ycux quel-
qucs numéros du Naiu Jaune de Bruxcllcs , rédigó par les réfu-
giés; e'est un tissu d'iujures ct d'aflreuses caioiunics : en voici
quelques fragments. ()1. de Béthisy sortant de la Chambre des
Députés oú il venait de faire passer aux cris de 1'l1'e le ROL l'ar-
riele 7 de l'amnistie , courut en porter la uouvcllc ~l une prin-
ccsse aussi bonnc que charitable ; l'ange de douceur lui répondit
en sanglotant : « Ce sont les prcuiieres larmes de joie qu'on m'a
fait répandre, » Le Journal général des Théátrcs annonce que les
Francais vicnncut de recevoir une comedie en cinq acres et en
vers ayant pour titre : Le Tartuje de Clemence. Dimanche dcr-
nier on arréta une mercierc qui , n'ayant pas Icrmé sa boutique,
selon l'ordonnancc de police , avait dit : « lls rculcnt nous {aire
dctaler, Ifu'ils y prenncnt lj{/)'{le ~ 1'/S pourraicnt bien dct«lcr
acant nous. » On assure que des négociatious sont ouvertes entro
la Franco et l'Angleterre pour la reddition de Cavenne. C'est ,
dit-011, de toutes nos colonies cellc dont la perle a le plus affectó
le cceur du roi de Frunce. Dimanche : Entrée du breuf gras




ClTAPITRE x. 39
dans les Tui\rrirs.·- Sa ;\Ii.ljesté sortait de la messc; on s'est
cmprossó d'cxécuter l'air : o/{ pClll-on étrc micux qu'ou sein de
Sil ji 1111illc? Mardi : Dcstirution de deux ccnt ciuquante employés
au ministere de la gucrre ; le soir, spcctacle a la cour. Le Roi
s'cst hcaucoup amusé :\ .1(' [ais /!I('S Farces, et l\L\ILUIE a pris
granel plaisir ü Tour 7JOlfl' L'Enseupic. en hommc , qui dcpuis
vingt-rinq ans observe attcntivcmcnt la marche ct les progres de
l' esprit révolu I iounairc , \ ion t de dresscr un tablean comparatif
des prinripaux traits d'analogie qn'il a rcmarqués entre le bon
tomps de 93 elle rrgillle pateruel (Ine la Franco posséde au-
jourd'hui, Ce rapprorhcmcnt cst curieux! On lit dans les jour-
naux de Paris du 2.>, l'éloge de la clémence du Roi, par maitre
Bollart ; la coudaumatiouá mort du gónéral Debelle , celle du
g('IlI''I'al Travot ; l'annoncc des noccs et Iestins du duc de Bcrri.
()ue (/(> sujcts de fC'le ponr la cour! On parle toujours d'un
fhangcnH'llt dans le ministi-rc ; c'est , dit-on , '\lonsienr ou plutó:
madnme <1' Angoulémc , (In i doit rcmplaccrñl. le duc de Hichc-
lieu : ce qni anéantit cntieremcnt la rcsponsabilité ministérielle ;
cal' l'un ct I'autre , conune on le sait , sont nu-ioiables. Chaque
nation a ses IlS;qf·S. On nssure que le graud-inquisitcur a offert
an roi Fcrdinand de Iaire un auro-da-Ié de six liérétiques le jour
de son mariagc ; et qnC' Clarkc a proposé de Iétcr cclui du duc
de Bcrri , en Iaisant Iusillcr dcux maréchaux , quatre généraux
el six colonels!oo. Paris voit arriver aH'C joie le jour des noces
de M. le duc de Berri , dans l'espérancc de voir sauter la cour!. .. »


Ces pamphlets , ~ déplurablcmcnt spirituels , trouvaicnt de
l' ('Cho ü Paris , oú ils étaicnt répandus en grand nombre : ils
circulaient dans les proviuccs. te Gouverncment était eflrayé
des inuucnses progrcs que Iaisaient les opinions bouapartistes et
liberales. Ce n'était pas sculcmeut dans Paris que l'opposition
;lllti-hourbonnieJ1ne avait des Iorces et des prosélytes ardents ;
dans les départcments était orgauiséo contre la dynastio une
sccréte ct puissaute hiérarchic. En 1816, il Yavait des conspi...
rations partout préparéos ; le Tégimc coustitutionnel n'avait pas
Iaitdes progrcs assez profonds pour qu'une opposition réguliere


/;
/".




liO mSTOInE DE lA BESTAURATJOl\'.
et légale prit place daus les rombinaisons politiqucs. 11 ne s'agis-
sait pas du rcuvcrscmcnt de tel ou tel miuistere : les coups pOJ"-
taient plus haut; il Yallait de la dynastic ; et c'cst re qni pour
rait expliquer les mesures séveres du Couvcmcmcnt ~l ccUe
époque,


tes Royalistes, par la formation du ministere de '\1. de Richc-
licu , étaient dcvenus le Gouverncment lIH~nH', ils n'avaicnt
pas hesoin précisément de s'agiter dans des voios jll('gal('s.
La préoccupation du parti était de pOllsser le Cahinet dans J(,S
intóréts aristocratiqnes N religicnx, de maniere ~\ ce qlle dans IIn
ternps donné il püt arriver ~\ ses Iins : la doruiuation ahsoluc de
l'ordre social. te partí liberal Iormait une opposition en dehors
des voics constitutionncllcs ; les Itovalistcs malrres de la Chamhr«
restaient alors dans les conditions park-mcn laircs ; ils n' ava ion t
hesoin que de c<'lles-ei pour ('lIlralll('r 1(' Gouverneuu-nt ~l knr
suite. Mais lorsque la force des choscs , le dósir d(' ructrre un
tenue aux horribles réactions eurent s(~paré le Cahinet dr la ma-
jorité, Iorsque ]U. de Itichclicn sentir qu'il ótait iiupossihled'aller
plus loin et de s'appnver sur ces folies , la majorit« royalistc ,
n'étant plus alors aussi súre de la virtoirc , s'organisa al! rlchors
de la Chamhre ct dans les provinces , pour ainsi dire , coutr« le
gouvorucment de Louis XVIII. te lH'('lllit're organisalion du parti
se rattachait aux congn'\ga1ions religieuses. A Paris , el SOllS la
présidcncc du vicomte :Uathicll d(' :\IollllllOrtllcy , du duc d(' La
Hochrfnucanld-Dourlnanvilio , se forma un contrc (l'assoriation
dont les statuts, simples d'ahord, avaient pour ohjet la propagatioll
des opinions religicusos el mouarchiqnes. La congr('p;alion rece-
vait 1011t catlrolique qui se faisaitpróscntor par deux d(~ ses mrm-
bres : elle devait s'érendre aux ócoles , aux instirutions , s'em-
parer de la jcnncss«, surtout. Lorsqu'nn jr-unc homm« voulait
entrer dans cene association, on dcmandait ¡¡ sos cautions l'in-
fluencc qu'il pouvait exercer : s'il dait profcsseur , membre d'un
collége , on lui imposait les conditions de propagcr ]('S bons prin-
cipes parmi ses éleves ; s'il avait d<' la Iortuuc , 1111(' position ('Ie-
v('e, il s'ongageait ('galemrllt ~\ les omplovcr ¡¡ la d(of('lls(' d(' la re-




CllAPfTRE x.


ligion ot de la monarchio. On se réunissait deux fois par semaine
pour la prier«, d'honnetos distractions, ct pour rcndre compte des
progri's de l'association catholique, Tous les dimanches , l'ahbé
l-rayssinous prechait dcvant un nomhrcux auditoirc, er dans des
ronfércuces compos('ps ;)\('C (o¡(lg;lllc('. il comhattait la philosophic
d le siecle : c'était contrc Gihbon et Voltaircque s'élcvait M. Frays-
sinous , ct il ne manquait jamais une occasion de rapprocher
le temps 011 l'on vivait, d(1 fa ire sentir I'influcnce hicnfaisautc du
dergé ct de la rcligion , le hcsoin do Iortifior l'autcl et le treme.
S('s eoníércnccs (olai(lnt suivios ; les honuuos politiquos du partí
royaliste y assistaient assidúmcnt. C'était une honne note. On y
vovait l\DI. de Villelc , Corbier« , de Bonakl, Salahcrrv, Par-


.... r ,,'


dessus, de Bouvillc , Clauscl d(' Coussergues. On aurait dit une
('spiOce de succursale de la Chamhrc des Députés, Cettc congré-
gation avait des rnmifications en province. Dans chaqnc chef-líen
il y avait une on dcux réunions , SOllS un prétre , correspondant
avcc la société mere ~l Paris. On y rassemblait les vicux rova-. ,
listes, les jcnnes hommcs chez qui on devait fairegenner les hons
prinripcs, C'(·tait alors une esp;oce de Inreur pon1' se fairc ad-
mcrtr« rlans la cOllgd'gal ion. La raison en était simple; on y
avait des recOllllnandalions puissantrs , un patronago d'hommcs
hion nés et influcnts. La garde narionalo était (Igalement un
movcn d'artion rovaliste sur la proviucc. ~I. le comtc d'Artois,


, '


f'l son comitó spécial, composó de -'DI. de Bruges el de Polignac,
avaient en soin <1(1 composer tous les états-majors 11 leur dl'Yo-
tion. Sons le litre d'inspecteurs-généraux des gardcs nationalcs ,
s. A. H. avait placó ~l la tete de chaquc dópartcmcnt des roya-
listes (oprom (IS, ct presque toujonrs un momhrc de la majorité de
!a Challlbr(l, par excmple )1. d(~ Coupignv avait rccu le comman-
dcment dI' la gard(~ natioualc du Pas-dc-Calais. C'était un jm-
mcnse movcn de pollee sur toute l'étendue du rovaume. Chaque
insnccrcur avait ~l sa nomination les oflicicrs des JégiollS, de ma-


• L


nii''l'C' qlle les chcfs de COl'pS appartcnaicnt t011S 11 la nomination
de)1. le couue d'Artois, Cougrégarion pour grouper les esprits
et les Iorces , gardc nationalo pour la polic« active ct surveil-




h2 HISTüIRE DE tA RESTALRATION.
lantr; qnels immenscs moyens n'avait pas le pavillon lUars:m !
Cette orgauisation était hahilc. Si ]U. le comte d'Artois et ses amis
avaient apporté, pou1' appuyer l'udministration , la sommed'ac-
tivité et d'intelligcnco qn'ils mirent dans ce gouvernement 0('-
culte, combien la Franco eút été forte ('1 bien adrninistrée! Cette
opinión monarchique et rcligiensc trouvait une cxprcssion im-
mcnsc dans la Chamhre des Députés. Jamáis majorité n'avait élé
plus compacte ct plns unic, Elle avait des réunions particnliéres
et préparatoires, OÚ lont se discutait d'avance, oú 1'0n prcnait les
résolutions qui plus tard dcvcnaient propositions législativcs a la
Chambre des Députés, On y faisait de l'opposition centro le mi-
nisterc , qui ne marchait pasdans un sens assezprouoncé d'opi-
nion monarchique. En 1816, ccttc opposition prcnait une per-
sonniñcation parlcmentaire. lUM. de Vim'le ct de Corhicre avaicnt
heauconp granrli; lamajorité provincialc ronunonrait ales aplwlel'
nos niinistrcs , le cahinet Ilichelieu était d{'j;l usé aux yeux de la
majorité. Il fallait nne administration royalistc , el Iormée en
quelque sorte en famille. Il n'ótait pas un rapport décisif qui nc
füt destiné ;1 "DI. de Yillele et Corhicre. Les réunions parle-
mcntaires de·;\1. Piet ohtcnaicnt de l'impnrtance. C'(~tail dans ses
salonssi connus, dans ces dincrs, OÚ dcnx servantes, vicilles inri-
mes de la maisou , frappaicnt sans plus de Iacnn en signed'amit ié
sur l'épaule des députés , de cct aimahlc ,,1. de Castelhajac, (h~ ce
boa M. de Botderu, que l'on commencait h discnter les (1\1('SI ions
politiqnes el roligieuscs. Quand un projct du Gouvernemcnt (l{'-
plaisait h cene majorité , il était certain d'étrc ardemment COI11-
bauu par la Charnbro. S'agissait -il dI' nommcr une commissiou,
de Msigll('1' UIl rapportcur , c'ótait chcz :\1. Piel qu'avait licu le
scrntin préparatoire. Ensuite il y avait des écrivains rl'un taknt
supéricur on spirituel qui rcnrlaicnt la pCI1Sl'e de ce!le majorité.
l\I. <le Cháteaubriand , avec son hean g{'nie, défcndait l' '::glisl',


.attaqnait la Révolution, pleurait sur sos tristes résultats , ,1. Fi{'-
vée , dans sa Correspondance administrativc , prorégcait de son
esprit les doctrines de la majorité royaliste ; M. Castelhajar,
écrivain de verve ; l\J. de Bonald, plus profond ot d'uu stylc si




r.UAPITRE X. 43
(~!llillrmmrnt romarquable , se joignaient a leurs amis politiques
pour le triomphe de leur commuue doctrine. II faut bien le dire,
1(' parti royalistc était ¿\ cette époquc la plus grande puissance de
talent et de force organiséc, C'était un dévouement bien grand de
la minorité parlcmcntaire ct du Gouveruement que de lui résis-
ter. Aveo cela, do nomhreux journaux étaient ü la disposition du
partí; il les maniait ¿\ son gré el dnns un commun dessein.
:\Ul. Berlín de Vanx et ñlichaud étaient mernbrcs de la Cham-
bre des Déput('S, propriétaircs ct principaux rédacteurs des jour-
naux : les Debuts ct la Ouotuiiennc. Il fallait voir ~Dl. de Vil-
lelc, Corhiere, chefs ostensibles de la majorité, faire la cour a
ces dcux journaux. te soir , l\{. Corhiere , avcc sa rcdingote
marron, ses allurcs tant soit peú néglig('es, vcnait lui-mémc cor-
riger ses éprcuvcs , cal' il no pardounait pas plus une fnute d'im-
prossion dans ses disconrs que dans un Elzévir. ]'l. de Villele ne
parlai; que de ses amis Bertin et Michaud. Il leur écrivait tous
les jours afin de soigucr l'impression de ses discours de tribuno.
Quand 1\1. Fiévée puhlia son Histoirc de la Session de 1815,
lU. de YijJ(,](' 1(' sollicila pour qu'il nc manquñt pas de rapporter
k le'"te cutier <11' ses OJlilliolls. '\{. FÍl~' (~c ne I'onhlia paso Ainsi
gran<1issaiellt les <1('11\ rhcfs de l'opiniou royaliste par 1('S(I\]('ls
les idees <k }10i\SlEUIl dcvaient se transformer en gouvcrne-
J1JCIlt.


Sous tout sysLhne monarchique , la cour est une puissance , el
quelle puissauce n'cxerraicnt pas alors les priuces de la Famille
royalc! Ce n'étaicnt dans les salons royalistcs , aux róccptions du
ChaL<'al\, quc caresses el Iélicitations pour 1\DI. de ViIli'le ct
COl'hi¿'rc. S'il y avait un mot aimable , un acre de conflancc ,
c'était ü eux qu'on le réservait. Tous les deux jours , il yavait
au pa, illon )larsall l1IIe espccc de confércuce sous le titre de ré-
ccptiou. Ce (IU'OU avait décidé chez M. Piet , on vcnait le sou-
lHet! re ü l\IO~SI EUIl ('t ü ses amis. Dans ces réunions assistaient
MM. de Vitrollcs , de Bruges , de Polignac ct Capclle. L¿I, ]U. le
comtc d'Artois donnait lui-mémc l'impulsion au mouvement,
dirigeaitles mesures ü prendre , les résolutions a concerter. Ces




4ú mSTOTnE DE LA UESTA rRATlO:".
résolutions étaicnt alors défcndues h la Chamhre des Pairs par
les íidelcs servitcurs de JUo:\smun. : ~Dl. de Cháteaubrianrl, ""a--
thieu de Jlontmorency, de Polignac; ct ~1 la Chamhre des J){~­
putés elle devcnait majorité par la société Piel. Hans cette admi-
rable organisation, toutes les Iorccs de la SOCil·t(~ royaliste comer-
geaicnt vers un centre; elles avaient soutcnu les ministres jus-
qu'a la loi d'amnistie; elles s'cn séparerent des lors, La lutte
commenca entre le Gouverncmcnt et la majorité ; on allait s'cs-
sayer sur une puissante question : le mode electoral. Le partí
royaliste y mettait la plus haute importance , cal' il s'agissait de
s'assurer ~1 toujours la majorité dans la Chamhrc des Députés.
En effet, tous les partís politiques cousidércrcnt une loi d'élcction
conune une question vitale. Les Itoyalistcs savaicnt bien qu'ils
ne pouvaient se perpétucr comme majoritó dans la Charnhrc des
Députés , qu'en adoptant un system« d'élcction appropri(~;l leurs
forces dans les dópartemcnts. Le Couverneurcnt ~1 son tour,
fatigué de la majorité royalistc et de ses exigences , cherchait
les meillcures combinaisons pour faire pénétrcr dans la Chaiuhre
des opinions moins passionnécs , au cas d'une dissolution. Il
avait ('té dit, dans l'ordonnance du '1;~ juillct J 81,), qui {·tablis-
sait un systi-mo provisoire d'élccrion , que la Chambre convo-
quéc reviscrait plusieurs artirlcs de la Charte. Ce pouvoir n1ai-
sait fort ;1 la majorité , cal' il lui permcttait de remanier ;1 son
gré le systeme electoral et de l'adaptcr parfaitcmcnt ~l ses opi-
nions , ;1 ses besoins et h ses desseins. te ministrrc , de son cüté,
cherchait ;1 rcstreindrc cctte faculté de modilicatiop. ]] voulait ,
tout en adoptant I'ordonnance du 1:~ juillet, la limiter le plus
possihle , de maniere ü ce que les moycns d'artion administra-
tive , (Iue ceuc ordounance avait laissés au Cnnvernemcnt sur
les élections , restasscnt iutacts.


Le ministere et la majoriió partaicnt de dounéos tout a fait dif-
fércntes. Les Iloyalistcs , connaissant les populations <In ~Jidi
surtout , la balanco des cnntrihutions, !'illt1I1('J1Ce d('s gl'allds pro-
priótaircs sur les classes infcricurcs , vonlaicnt appclcr des
especcs d'usscmblécs primaircs , et , au movcn de dcux ou plu-




CTTAPTTRE v. l,5
sicurs dcgrés d' éloction , rcstrciudre en déflnitive toute l'action
politique dans les mains de la propriété fortemcnt imposée. Le
Couvernemeut se proposait , au contraire , de conservcr ¿\ l'ad-
ministration la dírcction morale ct matériellc des élections. Les
projets des Itoyalistesétaicut plus populaires ; ceux du ministere
plus administratifs; les bases du Couvernement étaient au reste
insoutcnables devant une asscmbléc indépcndaute. :U. de Yau-
blanc s'Nait vivcmcnt préoccup« de la rédaction du projet des-
t¡I](~ ¿I la Chamhrc des D(~lmtés. JI le porta au Conseil des mi-
nistres, oú s'eugagea une discussion sur le mode prNérahlr.


TOllS les sysL<'mes trouvaient égalemcnt une expression dans le
Consoil. le premie!' créait des asscmhlécs primaires , des col-
l(~gcs d'arrondissr/llcn( et de d(~par(rment. Le généraI Clarkc et
M. Duhollchagr' 1(' défcndaient d'accord avec la majorité de la
Chambrc des D(opulés; le second no donnait le droit élcctoral
qu'aux citoyens pavant 300 fr. d'impót , et instituait un collége
unique ; c'était l'opinion de M. Lainé ct de la partie libérale de
la Chambre. le troisieme étahlissait une comhinaison de no-
rahk-s , dI' caJla('jl\~s ('1 d'adjonrtions , favorables ;\ l'nction minis-
ll:l'ielle. 11 Iut, en dl/" , prN(~ré ('L arl'(~I(~ dans le conscil des mi-
nistres. Il devait y avoir un c()Il(~ge élcctoral dans rhaque cantono
Les élcctcurs de droit ('Iaient les soixantc plus imposés du can-
ton; les memhres du conseil d'arrondisscmcnt ; les présidents
des tribunaux d(' prcmierc instaure et les procureurs du Iloi ;
les présidents des trihunaux , des chamhrcs de commerce , des
couunissious ~onsulrlltires, des couscils de prud'hommes ; les
jllgf'S de paix , maires , vicaires-généraux , curés et dcsscrvants,
les ministres des antros cultos chrétious , les recteurs ct inspec-
teurs d'académio , les dovcns des Iacultés , proviseurs de col-
léges , les mcmhrcs des conseils el les admiuistratcurs des hos-
pires. ,"nI ne pouvait etre élcctcur de canton , s'il n'était flgé de
vingt-ciuq ans. te tahleau (~CS élcctcurs, dressé par le sous-pré-
f<;t el six mcmhrcs du conscil d'arrondissemcnt , dcvait etre
afHché au chef-líen de cantono Les présidcnts de ces colléges
(·taient nrnnmés par le Boi , ot los colléges de canton nommaienr




46 HISTOIRE DE LA RESTAURATlON.
les élcctcurs de département.Les membres des colléges élccto-
raux de département étaicnt, de droit, les archevéques el (~n~­
ques ; les soixautc plus imposés dans les contributious directos
du département , et les dix plus iruposés parmi les négociauts.


.On y comprenait aussi les membrcs du conscil-général du dépar-
tement, les présidents de consistoircs généraux , prósidcnts de
cours royales, procnreurs-généraux , el le prcmier avocat-gé-
néral ; enfin les électcurs nonunés par les colléges de canton. 1~1
on devait compléter le collége de déparrcmcut par les plus im-
posés au-dessous de :HIO Ir., s'il ue s'cn trouvait pas un nombre
suffisant ayaut trente ans el payaut 300 fr. de contrihutions.
tes employés supéricnrs d'un département ne pouvaieut (·tre
élus députés par les collégcs élcctoraux de ce départemcnt,


Ce projct mettait les élcctions dans les mains du miuistcrc ,
et en faisait un rossort administratií ; c'était la pcnsée de ,1. (1('
Vauhlanc, pcnséc qu'il laissa méme plusicurs fois échapp-r
avec maladressc daus le cours de la discussion. te ministre, en
eITet, n'avait point écrit l'exposé des motifs de ce projet. Sa
manie d'improviser l'avait cntralné ;t rene incouvcnauce parle-
mentairc. JI fut malhcurcux rl'exprcssi011s ('1 de pcns('cs : « L'rx-
périence vous a appris, s' écria-t-il , qHe le pouvoir élcctoral était
snjct á de grol'es inconrcnicuts ~ quand on n'cn r('glait pas tous
les exorcices. Il y avait autrefois trois degrós : les assemblócs
primaires , les collóges d'arroudissemcnt et les colléges élccto-
raux de départcment, Xous avons cru devoir mettre de ctlt(· 1PS
assemblées primaircs , sujettes ü étre trouhlces pa"le tumulto et
la discorde. On a présenté un systcme qui n'a qu'un dcgré , ({ni
se réduit a ceci : les colléges d'arrondissemcnt cnmposés de
citoyens qui paient :~OO francs , nommeront les députés, Ce sys-
teme est séduisant , mais , en l' examinant , nous avons pensé que
dans quelques arrondisscments , le nombre de ceux qui paicnt
300 fr. d'impót , ne sont qu'au nombre de vingt ou trente. Le
département des Bouches-du-Ithónc , dont )Iarscille est le chef-
lieu , n'aurait fIue trois députés ; celui du Ilhóne , dout Lyon ost
Ir chef-liou , n'en aurait que deux ; tandis que ceux des Balites




CHAPlTHE\.. 47
d Basses-Alpes en auraicnt six. Quand YOUS examinerez eette
!ni , pennettez-moi de vous eonjurer , en la discutant , de consi-
dérer ce que demande I'intérét de la monarchie francaise. Ja-
mais peut-étre aucune assembléc n'a eu 11 décider d'aussi grandes
questions, Vous étcs placés entre cette autique monarchie qui a
hrillé d'un si long et si vif éclat , et cette monarchie nouvelle qui
commence avcc tant d'oragcs , sous les auspices de la vertu
assise sur le tróne. Unissez aussi les ages passés et les áges
futurs. C'est surtout 11 vous (Ilw je m'adresse , vous qui n'avez
, 11 que dansvotre enfance les maux causes par le bouleversement
social; préparez-vous le bonheur, préparez-vous l'honneur de
pouvoir dire 11 vos dcscendants : « ~ous avons arrété dans sa
marche le chal' terrible de la Ilévolution. ) C'était un langage
propre 11 toucher la majorité de la Chambre que cettc eífusion
royaliste : arréter le chal' de la Ilévolution ! quelle métaphore
magnifique! quclle plus bolle mission pour les Chamhres ! mais
malheurcuscment 110ur l\I. de Vaublanc et pour le ministere , il
s'agissaitdes intéréts du partí royaliste , et les partis , lorsqu'il y
va de lcur cxistencc, nc se contentent pas de phrases,


te projet de JI. de Vaublane fut trouvé imparfait par la ma-
jorité , ct comme alors cctte majorité nc se Iaisait fautc d'aucune
innovation , d'aucun amendemcnt , elle s'occupa d'en changer
absoluuicnt les bases. 1\1. de Villele avcc sa logique pressantc ,
son talent si distingue de discussion , u'cut pas de peine 11 dé-
moutrer dans les hureaux (Iue le projet tcndait ~l couceutrer dans
les mains du rtinistel:e toute l'action électorale , et e'était un mal
inunense pour les Iloyalistcs. Toutes ces adjonctions de fonction-
naires, tous ces électeurs de préfcctures ne donuaieut pas des
garanties suíiisantcs. « Iln'y a de possibilité , dit-il , d'arrivcr ~l
un résultat de liberté ct de liberté royaliste , qu' en desceudant
an dernier degró de la hiérarchie sociale, et en réveillant ses
intimités ayer l'aristocratic, 1) Ce fut un travail de conscience ,
un travail tres-rcmarquahle que ce rapport, Tous les docu-
ments avaient été recueillis ; tout était calculé, le nombre des
élccteurs , la capacité et l'influeucc de chacun. .M. de Villele


,:#.. ~.,;
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¡




48 IllSTOlHE DE LA HESTALHATlO'\.
passa plus d'un mois :. s'entcudrc avcc la majoritó de ses collc-
gues. 11 u'était pas parfaitement d'accord avec íU. Corhit"re
dnnt les opinions étaieut plus dúmocratiques en matirrc d'élcc-
tion. Ce disscntiment se reproduisit toutes les fois qu'on .discu-
tait une question électoralc : cela venait des souvenirs de pro-
lince el de vicilles traditions; JI. de villele appartcuait au Jlidi,
pays d' États , oú la nohlcssc a toutc inllucnce ; ~I. Corhiere
appartcnait a la Brctagnc oú les J~tats avaient une tcndauce plus
démocrntique : et puis , JI. Corhiere avait des répuguanrcs
contrc les nobles, et quoique Iaisant des phrascs sur le clergé ,
il avait conservé quelques-uus des sarcasmes de la philosophio
voltairicnne centre les pretres. Eníin , apres de nombreuscs con-
férenccs , on s'entem-m sur les bases d'unc loi élcctornle qui Iut
préscntéc ü la Chambre par }l. de 'il1('le. Il étahlissait une as-
scmhlée élcctoralc daus chaque cantono Cetlc~ assemblée érait
composée de tous les citovens doniiciliés dans le canton , agés de
vingt-cinq aus accomplis el payaut 50 Irancs de contributions
directos. La liste, dresséc par une conunission ü la tete de laquelle
était le sous-préfct , devait étre alliché« dix jours avant la réu-
nion des asscmblécs conununalcs, tes presiden ís de coIl('ge de
cauton étaicnt nonunés par 1(' Iloi. Les quatrc citoycns les plus
imposés remplissaieut les Iouctions de scrutateurs, et, réuuis au
président, ils nonuuaieut le sccrctairc. Les asscmhlées de cautou
dósignaicnt les électeurs du département ; le nomhre de candi-
dats :\ présenter par les assemblócs de canten était r('glé d'apr¿'s
sa populatiou ella sonunc de ses conuilmtious directes. Dans les
collégcs élcctoraux des dópartcmeuts , le noiulne des clcrtcurs
nc pum ait <,tre au-dessous de ccnt ciuquante , ni au-dcssus de
trois ccnts. les listes des co1l('ges élcctoraux de départemcnt
étaient Iormées de tous les citovcns domicilies daus le departe-
mcnt , agés de trente ans accomplis el payaut 300 Iraucs d'im-
position, Ces listes étaicut , eu cas de défaut , complctécs d'abord
par les citovens payant 300 frailes de contrihutious directcs ,
au-dcssous de trente ans mais ao'és au moins de viBOI-e iuq ans


, t'"l ... b'


el subsidiaircmcnt encere par les citoycns ñgés de trente ans ,




CIIAl'lTHE x. {¡9


uiais ne payant pas :WO Irancs, Quant ü la uomiuntiou des dé-
putés , nul nc pouvait etre ólu , s'il n'avait quarante aus accom-
plis el s'il ue payait 1 000 Irancs de contrihutions. Les préfcts
el couunamlants de départcments u'étaicnt point éligihlcs daus
leurs départements : les députés n'étaieut élus que pour cinq
ans ; Ü l'expiration de ce tenue, la Chambre était rcnouvcléo
en totaliré , ou si avant el' tcmps le Iloi usait de son droit de
la dissoudrc.


tes bases des deux projets étaicut , comme on le voit , esscn-
tiellcmcnt différeutes. Le Couvcruemcnt admettait la prédomi-
nance du systéme des adjonctions de fonctionnaires; ]U. de
Villele prcnait ponr hase la conuihution directc , et en Iaisait
dcsccndre le taux jusqu'a 50 francs. le Couverncmcnt maiutc-
Hall le rcnouvcllcmcnt par cinquicmc : la cornmission doman-
dait qu'il Iút integral. Le Gouvcrucmcnt préférait le systém«
des plus imposés , la conunission établissait une sommc déter-
minée de contributions, laquellc donnait droit ~l l'électorat. ~\
vrai dire , le systemc de 1\1. de Yillclc était próférablo ~l eclui
du ministérc ; il était plus constitutionnel ; l'iutcntion du parti
royallstc était de s'cuiparer des élcctions par la sujétiuu des
petits électeurs au patronagc des grands propriéraires ; pcut-étr«
se scrait-il trompé sur les résultats et le projct aurait-il tourné
centre le partí qui en sollicitait l'adoptiou ! les bases étant aiusi
distinctes , on ouvrit la discussion sur une question prélimi-
naire et toute coustitutiouncllc. Le projet de la commission se-
rait-il discute " OU bien cclui du Gouverncmcnt obticndrait-il la
préíércnco '? pour une majorité qui se disait amie de la préro-
gati,e rovale, la question était au moins Iort grave, Le projet de
la commission ótait un véritable projct de loi tout nouveau ; on
blessait l' initiative de Ja Couronne. C'cst daus ce sens que parla
}L de Serre : « Donucr des lois , e'cst régner. la proposition de
la conuuission tend ~l modificr les articles de la Chane. - Yotre
commission est préte , répondit M, de Yillele , pour le rapport
sur la loi memc : mais pcrmcüez-moi de YOUS cxpliqucr que
loin d'oublier le rcspect (IUC IlOUS dCYOllS ~l la Charle, elle lui a


H. 5




;')0 HlSTOlHE DE L\. REST:\.LlUTHJ~.
rendu hommage, puisqu'elle n'a pas voulu prendrc sur el/e de
trancher la question , et qu'elle en a appclé 11 \OS lumieros. )) La
Chambrc ayant décidé que la discussion sur le projct de la
conunission s'ouvrirait de préférence , ~I. Clausel de Cousser-
gucs dit : « Le renouvellcmcnt partiel n'est hon que pour les
tyrans ; aussi, a-t-il été introduit par la Convention et conservé
par Bonaparte. Les tyrans redoutent l'opinion publique, et tout
leur art est d'en éviter l'expression simultanóc. lUais j'ose dire
que toute la sagesse d'un Roi légitime consiste 11 laisser maní-
fester l'opinion de ses peuples. « Une loi n'cst nécessaire, ré-
pondit M. Hoyer-Collard , qu'autant qu'il n'en existe pas, ou
que l'expérience a démontré les vices de celle qui existe. 01',
nous avons sur le sujet dont il s'agit la plus solcnncllc de toutcs
les lois, la Charte , qui prescrit le rcnouvcllcment de la Chambro
par cinquicme ; l'expérience n'a pas démontré le vice de cette
disposition , le Roi en reclame le maintien. On ne pourrait done
y porter atteinte sans blesser les príncipes et les prérogativos
du Rol. Cette discussion préliminaíre se prolongea pcndant
plusieurs jours. On entendit :\!. de Saint-Aulaire, qui vota pour
le renouvellcmcnt intégral; :\!. ñlichaud , qui resta sans voix ~l
la trihune et qui fut obligé de faire Jire son discours par :\!. de
Castelbajac ; M. Hoy, rappclé ~l l'ordre pour avoir dit qlH' le
patriotismo était aífaibli en Franee; 1'1. Ilyde de Ncuville, si
plein de feu, et qui s'écria : « Notre devoir cst de rccherchcr
avec dévoucment ce qUÍ convient au Roi ct 11 la Franee, et
peut-étre pouvons-nous dire a ces orateurs de cotcric , qui
veulent censurer nos opérations : Silence, Ilomains ; nous sa-
vons mieux que vous ce qui convient a la patrie. Souvcncz-
vous que vous étes ces députés dont le Roi a daigné dirc : Dans
les circonstances OU nous nous trouvons , une pareille Chambra
semhlait introuvable. )


La discussion était ainsi fort animée entre la majorité el la mi-
norité de la Chambre. :'1. de Yiilelc flt ohservcr fluC tous les
hureaux avaient rejeté le projet de JI. de Vaublanc , et donné
la préíéreuce acelui de la commission ; (Inedes lors il était plus




CIJAPTTRE X. 51.
l'¡"gldj(ll' d'm continucr la discussion. Ce projct de la commis-
sion íut des lors attaqué de uouvcau par [es orateurs ministé-
ricls, -'J. Becquey défendit les idées de 31. de Vaublauc , « seules,
disait-il , mouarchiques , seulcs capahlcs de fortiíler le trüne. ))
\1. de Serre se placa entre le projct ministéricl et le projet de la
commission ; il soutint le system« des colléges uniques et des élcc-
rcurs ~t 300 francs, ainsi que la Charte l'avait étahli, }1. deVauhlanc
::f' montra d'unc maladrcsse extreme; avcc sa Iácheusc prétcn-
tion d'improviser, il laissa échapper une multitude d'cxprcssions
hlcssautcs pour la Chambrc. Ainsi, par cxemple , il avait <lit,
d'apr('s MonteS({llieu: (( Que, dans le systcme monarchique ,
tous les pouroirs ctaicn: dcpciuliuu» ~ et que la Chambrc des
lJ\"put(IS devait errc organisée d'aprés cctte pensée. » Hans la
sóauce du 23 Iévricr, J\1. de Vauhlanc fut obligó d'expliquer sa
pluasc : « Quand j'ai dit (IUC les pouvoirs étaicnt dépendants ,
j'ai parlé de cene dópcndance mutucllc , nécessairc , sans la-
qnclle ricn n'cxiste , rien ne pcut cxister. On a posé en príncipe
(I11e la Chambre cst l'organe de l'opinion publique; oui, l'opinion
I'.,t la reine du monde, c'cst un príncipe philosophiquc ; mais le
(;Ol!yel'llemellt doit chcrcher it la couuaitrc , la prévoir, la mal-
tri-cr. » 31algré les cxplicatious uunistérielles , la connnission
persista dans son travail ; la discussiou devint si vire, si impor-
tanle, que 3I. Lainéquitta le Iauteuil de présidcnt pour y preu-
(11'(' parto 11 dévcloppa ü la tribuno la théoric des électeurs ¿l
;j()() francs , qui dcpuis devint la hase du projet de 1817. « C'est
un amour de liherté , dit-il , qu'ou aime ¿l retrouver dans la
Charte méme , qui a guidé la conuuission dans son projet. J e
romhats ü regret ces éléments de démocratie qui me paraissent
dangcrcux. La connuission a ouvcrt, une vasto carriere ü une
umltitude d'opinious , de svstémes : cette división vient de ce
qu'on s'cst ecarté de la ligue tracée par la Charte, Elle a statué
¡mariablcment, par l'article úO, que, pour étre élccteur, il fal-
lait paycr :H)() francs d'impositions. « La Charte n'entend pas
parler de la coutrihution fonciere seule ; en admettant aussi les
.mtres sortcs de contribntions directos el mohiliaires , elle fait




52 HISTOInE DE LA RESTAliRATW\.
concourir Ü l'élcction avec la propriété foncicre , le commercc et
l'industrie. On voudrait fairc participer un grand nombre de
Francais ¿¡ un droit auquel ils attacheutaujourd'hui tant de prix.
Ceux qui ne paient que 50 francs ne s'occupcnt guere de si
hauts intéréts. »


Dans ccttc discussion , le partí royalistc , dominé par le prin-
cipo du renouvellement intégral el des électeurs ~\ 50 franes, ne
s'entendait pas sur les détails, La n~inorité elle-memo n'était pas
bien fixée , ccpendant on pouvait classer les orateurs dans les
catégories suivantes : ~1. Hoycr-Collard , champion absolu dn
pouvoir royal, faisant des théories centre la démocratie, ne YOU-
lant laisscr que peu d'indépendance aux élections et a la Cham-
bre; 1\DI. Pasquier el de Serre , défendant égalcment le pou-
voir royal, mais avecdes principes moins absolnsel se rapprochant
de ccrtaines doctrines Iibéralcs de' la majorité; .'\l. Bccqucy, son-
tcnant le projet de 1\1. de Vaublanc , les adjonctions et tout ce
que le ministére avait préscnté : ces trois nuauces combattaieut
le projet de la eommission; l'opinion de 1\1. Lainé , mixte ,
entre le projct du Couveruement et celui de la commission, el
se rattachanr oxrlusivcment á la Charte , au syslellle des élec-
tions ~\ 30() francs : enfin la fraetion rovaliste se nuanrant sur les


. '


détails ; les UlIS comhattaient l'abaissemcnt de I'áge, les autres ,
pnrmi lcsqnols se trouvait l\l. l\}jehal1(l, soutcnaient qu'une loi
dr-s ólections était impossible , paree qn'il n'y avait pas de cor-
porarions el de distinctions ; d'autres encore , comme 1\1. de La-
bonrdonnave , poussaicnt aux eonséquences les plus lihérales, par
haino du ministere. ~lais lorsqu'il s'agit du vote définitif, ces
nuances se rapprochcrcnt , r1 il n'y cut plus qu'une majorité el
une minorité. La Chamhre s'arréta sur les points suivants : Ile-
nouvcllcment intégral ; ahaissemcnt de I';igc des députés h trente
ans pour les vcnfs , ct trcntc-cinq ans ponr los éligihles mariés:
le nombre des d('putés fixé a f¡()2; deux degrés d'élcctíon : as-
semhlée d'arrondissemcnt, composée de 10US les citoyens
pavaut 50 franes d'impóts directa (}l. Corbiere avait demandé
l'ahaisscmcnt ;\ 2,) Irancs. ~: asscmblée dp rlépartemont . rom-




CIJAPITHE \.


pos{'(~ de ciroyens payant :WO frailes de contrihut ions directos,
Le projet de la eommission a, ait ainsi obtcnu la préférence.


La majorité royaliste manifesta des doctrines libérales dans
cctte discussion. Tous les róles étaient intervcrtis : jamáis les
prérogatives parlementaircs de la Chambre n'avaient été plus
largement exprimées ct défendues que par cette majorité, Tandls
que M. Ilover-Collard et ses amis souteuaient la priori té du
pouvoir royal, 1\11\1. de villele , Corbiere , Lahourdounayc éta-
hlissaient l'omnipotcnce parlementaire , le vote indépendant ot
souverain de la Chambre des Députés. Chose reiuarquahle !
lU. de Bonald, lui-mémc , cet apótre de la royauté absolue ,
expliquait par les majorités la théorie du gouvernement ropré-
sentatif; e'étaient aussi les principes de la Ouo:idicnnc et du
Journal des Debats. Je trouve une opinión du vicomte Mathieu
de :\Iontmorency, a la Chambre des Pairs , oú il est dit : que
déícndre aux députés le droit d'amendemcnts et le droit d'ini-
tiative, c'est réduire le role de la Chamhre a celui des muets de
l'Empire, « Vous nons refusez les qualités de rcprescntants ,
disait 1\1. de Trinquelague , mais le député n'est-il pas, dans l'objet
de sa députation , le représentant ct le maudatairc de cclui qui
l'a députó , non pas rcpréscntant d'une maniere universcllc ,
mais nécessairement pour l'objct de sa mission méme ? Quand
nous votons l'impót au norn du pcuple , nous le rcprésentous. »
(( La Charte nous permct bien, ajouta iU. de Bonald, de Iairc des
propositions; mais si nous faisons des propositions , nous somrues
des imprudents , et peut-étre des amhiticux ; nous sommes en-
yoyés pour voter l'impót , et si nous voulons délibérer sur l'im-
IHlt, nous voulons entrever la marche du Couvernemcnt. Ainsi,
représentants qu i no représentent rien, mandataircs sans maudat,
plus que conscillers du Iloi , moins qne législateurs , nous sommes
des étres politiques assez équivoques , ct nos fonctions se borne-
raient a faire des discours qu'on n'écoutc pas et a signer des
apostilles qu'on ne lit paso » i'1. l\lichanu défendait une espéce
d' universalitéde suffrages: « Une fraction du peuple peut s'égarer,
mais la nation tour entiéro no se trompe point; les bourroanv




:)!I I1ISTolnE DE LA TIESTAU:r\T!(r\.
de Louis XV] le sav aient, puisqu'ilsrejeterentl'appelaupeuph';
les Ilévolutiouuaircs le savaient, puisqu' ilsne s'adressaient jamais
ü tout le peuple ü la fois. Bonaparte le savait, puisquc toute sa
politique consistait ~l se servir d'une partie du peuplo pour sub-
juguer et faire trcmbler tout le reste. Mais ceux qui cherchent
la vérité et la justice s'adressent ü tous les hommes réunis , paree
que tous les hommes réunis désirent la justice et la vérité,
Nons avons tous le plus grand intérét a mettre un tenue aux
troubles qui ont desolé la Frunce. D('j~l nos lois ont Iait trcmbler
les Iactions , intimidé les ennemis de la monarchie... )l


II est certain que jamais majorité de Chambre ne poussaaussi
loinles maximes d'indépendance et de souverainetéparlementaire.
J'aime a rendre cet hommage a la Chambre de 1815, qu'elle
comprit d'uno maniere plus large qllP 1\1. Hoyrr-Collard {'l
que ccrtains mcmhres de la minorité JIIillisl(~ri('lI(' /(IS v('ritahks
príncipes du gouverncmcnt rcprésentatif Comme tout partí qui
vcut arriver aux affaires , il se Iaisait large et liberal pour obte-
nir victoire. Le ministcre , voyant son systemc d'élcction com-
plétemeut anéanti et le projet de la commissionpréféré , voulut
faire repousser par les pairs l'ccuvre de la Chamhre des Députés.
la Chambre des Pairs avait ét(~ trnvaillée dans le sens du rojet
ahsolu , tant ~l I'égard du projet du Couverncment , que pour
le projet de la couimission. Elle considérait le svsteme el u mi-
nisterc comme un mensongc électoral , ne laissant Ü l'opiuion
publique aucune issue ; elle cnvisageait le projet de la commis-
sion comme un cnvahissement démocrauquo de la prérogative
royalc, te hut caché de la pairic était de retardcr la solution de
ceue difficulté cousünuionnellc : aussi le ministerc , en présen-
tant sa Joi a la Chambre des Pairs, lisa pour laprcmicre fois de la
faculté parlcmcntaire de mettrc le proj«t du GOllH'rnement en
rcgard des amcndcmcnts de la Chamhre des Députés , aíin de
rcndre la Chamhrc des Pairs juge définitíf Elle désigna sa COIl\-
mission dont M. de Pastoret Iut le rapportcur ; caract(·l'(' morlér«
jusqn'a l'indiílérence , l\l. de Pastoret se rangea dans l'opinion
mixte , dont 1\1. Lainé s'était fait l'expression h la Chamhre des




CHAPlTRE x, 55
Députés, JI votait le rejet des dcux projcts par des considéra-
tious d'ordre et de liberté publique. « La Charte est la terre hos-
pitaliere oú nous avons abordé apres tant de naufrages; naufrage
des institutions, naufragedesmreurs, naufrage de lareligion, nau-
frage de toutesleslibertes publiques. Voulez-vous que la confiance
s'accroisse, que lecrédit s'affermisse, que la Charte soitrespectée?
Voulez-vous que nos maux se guérissent, que les Francais se ré-
unissent tous dans les mémes opinions, comme ils se réunissent
tousdansleur amour pour leur Roi?Quela Chane soitrespectée. »


Peu de pairs défendirent la Chambre des Députés. l\1. de
Talaru cependant, sans s'opposer aux concIusions de 1.\1. de
Pastoret , dit : « La commission n'a pas rempli ses devoirs. Le
mandat qu'elle avait reru ne se bornait pas al'examen du projet
de loi; elle devait examiner aussi les umcndements faits a ce
projet par la Chambre des Députés, et qui ont été soumis con-
currenuncnt avec lui ala délihération de la Chambre des Pairs,
Ce serait manqucr a sa confiance, acelle de la nation qui attend
avec impatience une loi sur les élections, que de refuser de
s'expliquer. ) - (1 J'appuie au contraire, dit -'1. de Larochefou-
cauld, l'avis de la commission. L'un et l'autre projet sont éga-


.lement contraircs a I'esprit de la Chartc, mais la forme dans
laquelle ces projets sont préscntés ne pennet pas méme de se
livrer al'examen de ces questions, L'initiative royale, néces-
saire pour mettre la Chambre en état de délihérer, ne se trouve
que dans l'un des dcux projets. » - « I...a Chambre est saisie,
répondit M. de Nicolai', de l'examen des deux projets de loi;
elle doit choisir et adopter, aprés un mur examen, ce qui lui
scmhlera le plus utile. » - ce Un gouvernement, sans cesserd'étre
représcntatií, répliqua M. de la Vauguyon , peut tendre plus
OH moins ala rlémocratic ou ¿l l'aristocratie, La prcmiere ten-
dance se fait remarquer dans la constitution anglaise. La nótre
tcnd heureusement a fortifier le pouvoir royal si nécessaire apres
vingt-cinq ans d'anarchie. Pour conserver au pouvoir du Itoi
la force dont il a hesoin , la Chambre doit écarter tout ce qui
tendrait ala démocratie. » - « L'initiative de la Chambre des




56 mSTOTRE DE LA RESTAURATlüN.
Députés , ajouta ;\1. de Levis , existe pour la Chambre des Pairs ,
danS l'ordonnanco du Iloi qui lui transmet le projet en question.
Elle existait pour la Chambra des Députés dans le projet de loi
que Sa :\Iajrsté lui avait soumis par ses ministres. On s'alarme ¿l
tort de tout changement proposé a la Constitution. Elle est sans
doute la loi fondamentale de nhat; mais c'est dans la distinction
et la nature des pouvoirs qu' elle iustitue que réside son essence. ))
-« Quoi ! dit le maréchal lUarmont, c'est apres deux ans d'exis-
tenee de la Charle, c'est avant de I'avoir éprouvéc, qu'on pro-
pose de réformer! Nos longs malheurs auraient dü nons dé-
goüter de cette mohilité qui en a été si souvent le principe. Et
que propose-t-on de suhstituer ¿l la Charte? des propositions
plus défeetueuses que celles dont on demande la reforme. »
M. de Montmorency prit vivcment la parole : « On ne pcut ,
dit-il , s'cn tenir purement et simplement ¿l la Charte. Son ar-
ticJe 35 exige une loi uouvellc pour détenuiuer l'organisation
des colléges électoraux. Le Iloi veut cettc loi puisqu'il en a
sonmis le projet aux Chambres par ses ministres. Pourquoi
donc , au lieu de s'en occuper , adopterait-on le rejet proposé
par la commission? Quelle sera la conséquence de ce rejet , si ce
n'cst de priver la Franco d'une loi dont la nécessité est incon-
testable? )) JI. de Chátcaubriand ajouta : « Pourquoi refuse-
rait-on ala Charnbrc des Députés le droit d'initiative ? Cettc
Chambre a pu, dans une matiere qui la touche de si pres,
exercer une sorte d'initiativc , et proposer l'amendement qu'on
lui reproche. Que serait une Charnbre qui n'aurait pas la faculté
d'amender? )) 31. le duc de Ilichelicu crut devoir acette occasion
exprimer la pcnsée du Couveruemeut : « Il n'y a point d'ini-
tiative qui permette a la Chamhre de s'occuper du rcnouvelle-
ment integral. On cite vainement l'Angleterre ; elle a chercment
acheté I'avantage qu'on lui envie , et dont la possession tient
chez elle a d'autres conditions que nous ne pouvons remplir,
Imitons-la plutót dans son attachcmcnt ala Constitution dont elle
jouit, et qu'elle a constammcnt refusé de modifier, méme dans
ses parties défectueuses , de peur d'ouvrir un acd's anx innova-




CTJAPITRE x. 57
tions. Attendons au moins sur la nutre les conseils de l'expé-
rience. Qui nous presse de la changer? le Iloi ne le propase pas.
la Franco ne peut en former le HCU; aprcs tant de bouleverse-
ments elle a surtout besoin de stahilité. ))


lei se termina cette importante discussion apres Iaquelle la
Chambre des Pairs rcpoussa tout a la fois le projet du Gouver-
nement et eelui de la Chambre des Députés, De cctte discussion
résulterent plusieurs fait essentiels : 1°. la séparation de lU. de
Vaublanc d'avec la majorité de la Chambre des Députés , la
preuvc de l'incapacité du ministre et le besoin de le rcmplacor
dans le conseil; 2°. la division d'opinion entre les deux Chamhrcs
sur un point teIlement grave, teIlement fondamental qu'il fallait ,
de toute nécessité , ou la dissolution de la Chamhre des Députés ,
ou une promotion nouvelle dans la pairic ! Et cependant on était
sans Ioi d'élection , et a moins de dissoudrc la Chambre sous
l'cmpire des ordonnances du 13 juiIlet 18'1;"), il faIlait obtcnír
une législation transitoire pour régler ces élections. Les Ro-ya-
listes avaient exigé, eomme condition essentieIle, que la loi
transitoire contint apeu pres les dispositions du projet de lU. de
Yilléle ; ;UO~SJEGB l'avait demandé au Boi , et le Iloi avait promis
a son frere que le projet ministéricl aurait surtout une disposi-
tion pour le rcnouvellement integral de la Chambre , sans le-
{{Uel la majorité royaliste ne voulait fairc aucnne concession. le
ministere scntit le besoin de s'cntcndre sur ce point, d'ahord
avec les ehefs de majorité; le projct fut signé en hlanc par le
Roí, et 1\11\1. de Vauhlanc et Decazes se rendirent dans les bu-
reaux de la Chambrc , oú les attendaícnt 1\1:\1, de Villelc et
Corbiere ; 1\1. de Vaublanc leur dit : « Voyez qucllc peut etre la
rédaction la plus convenahle; Monsieur de villelc , voulcz-vous
dicter la disposition? » et 1\1. de Villelc dicta l'articIe du projet
ainsi qu'il l'avait COlH;U. On rédigea l' exposé eles motifs sur place;
et immédiatement le projet fut porté ~I la Chambre, M. de Vil-
lele avait trop d'avcnir pour n'étre pas ~I cetro époque hornmc
d'accommodement; Mjh le ministerc avait chorché h se rappro-
cher de lui , ot 1(' Roi dovait nOn1111('r ,1. Doshassvs , parent d('




;")8 mSTOTnE I)E LA I1ESTArnATION.
~J. de Villi"le, au gouvcrncment des établisscmcnts Iranrais dans
]'Jnde.


La Cbl1lbre seutit la portée de la proposition ministérielle ;
elle s'apcrrut que ce projet non complot nc contcnait que le rc-
nouvellemcnt intégral ; la Chambrc voulait surtout que la loi
transitoirc conünt une disposition qui ne permit pas de dissoudrq
la Chambre de '1815; elle presscntait qu'il y avait dans lcministére
inteution de la rcnvover, et des Ion; elle manifcsta sa mauvaise
humeur ; elle voulut prcndre ses précautions. On discutait Ie
hudget ; le ministcre se proposait de ne faire C0I111UeI1Cer l'exa-
mcn de la loi nouvcllc qu'apres la loi des flnanccs. Il craignait
(Ille, s'il Y avait encorc dissidence entre le Cahinet et la majo-
rilé, ccei IW jetat des difficultés nouvclles dans la discussion
du hudgct , si vive , si animéc. La mauvaise récr-ption qui
avait accucilli le projct surprit ](' ministrrc ; on se crut trahi
par les chcfs de la niajorité : mais , en sortant de la séance,
lU. de Villól« s'approchant de )1. Dccazes lui dit : « Ne craigncz
rien , l'orage s'apaisera. )) Nommé rapportcnr de la commission ,
qui le croirait ! ;-'1. de Vim'le proposa le rcjvt du projet dont il
ótait lui-mómc l'autcur ; le rapport Iut r(·(jigé aH'C une grande
C(.¡{'l'itl'; el le surk-udruiain cd{(~ précipitation donna licu il une
scine aílligcaut«. :\1. Lainé présidait la séancc, et le rapporteur
demanda il lire WH Ira' aiJ. te présideut déclara que, n'ayaut
pas été prévcnu , le rapport n'était pas ü l'ordre du jour, et
qu'cn tous cas la discussiou ne s'ouvrirait qu'apres le budget,
« te rcglement exige, dit lU. Lainé , que les rapportcurs des
commissions prévicnnent d'avance le présidcnt du jour OÚ ils
entendent fairc lcur rapport, afinque le président puisse le faire
mcttre 11 l'ordrc du jour, Je dois maintenir le reglcment, et je
m'oppose formcllcrncnt a ce que ce rapport soit fait aujour-
d'hui, » .1\1. Forhin des Issarts, interrompant le présidcnt, s'écria :
«]\l. Lainé a été prévenu. - Je n'ai pas été prévenu, répliqua
vivcmeut M. Lainé, et lorsque je le declare aussi positivcmcnt ,
c'est manquer au présidcut , c'cst manquer a la Chamhrc que
d(' soutenir Ir contrairo. »\H milicu de l'agitation que cause-




<: ll:\. PJTHE\.. j 9
n'lI! res déhats, M. Forbiu des Issarts dC'1l1<IIHla la paroll', elle
lui fut refuséc. Ccpcndant ~l. de Yillcle ótait monté ~l la tri-
hune : « :Uessieurs, avait-il dit , la commissiou (PH' vous aH'Z
nouunéc s'est asscmbléc ; samedi j'ai préveuu ~r. le pré-
sident. - Vous m'avcz dit , s'écria M. Lainé indigné, que
vous 11(' fericz pas votre rapport aujourd'hui , Monsicur..... )J
~I. de Yilléle continua: « ñlon intention n'cst pasde dire que
les faits ne sont pas comme M. Lainó les a rapportés , mais de
les dire tels qu'ils se sont passés, Je n'ai pas prévcnu ~I. Lainé
officicllement , puisque je n'étais pas encore nomné rapportcur ;
mais, lorsque je lui ai donué cet avis, il m'a répondu qu'il
s'opposerait de tout son pouvoir ace que le rapport fút fait avant
que la discussion sur le hudgct Iüt terruinéc..... (Ici de vio-
lcnts murmures scmhlercnt accuser le présidcut, ) sn fant
prevenir lU. le président oflicicllernent vingt - quatro hcures
d'avance , iI est certain que je ne l'ai pas fait, cal' la cornmission
n'a cessé ses opérations qu'au moment OU la séance commen-
rait, )) M. Lainé répondit : « ~l. de Yillcle se méprend , ou ma
mérnoiro est bien iníidele , si la conversation qu'il vient de rap-
porter est cxactc. » - « te r('gIemcnt veut qne le présidcnt soit
prévenu , s'écria JI. Forbin des Issarts , mais il u'cxigc pas le
délai. D'ailleurs le présidcnt déclare lui-ruémc qu'il a été pré-
venu. Je n'ai done manqué ni ala dignité du présidont , ni ~l
celle de la Chambre ; quoique M. Lainé ait bien voulu le dire ,
il le savait fort bien..... » Quelque partiale que füt la Charnbre
dans le sens royalistc, cette indecente apostrophe excita sa dés-
approbation. A ['ordre l Ú l' ortlre ~ crin-t-on de toutes parts, -
J.\l. Lainé se leva et prouonca séveremeut le rappel ü l'ordrc de
M. Forbin des Issarts. I( La Chauibre n'a pas prononcé, répliqua
ce député. - Ce n'cst pas la Chambre , c'cst moi qui vous rap-
prlle a l'ordre.c-iLc président n'cn a pas le droit. .... )) Au milieu
du tumulto ct des cris á l' orilre, ~l. de Bouville prit la parole et
dit : « La seule question cst de savoir si la Chambre juge le rap-
port assez urgent pour qu'il soit fait dans cettc séancc. Quant ~l
moi , je le crois et je demande la parole ponr iU. le rapporteur. ))




60 IIISlU1HE DE LA HESTALHATlOl\.
« Je vais mcurc la qucstion aux voix, répliqua lU. Lainé , mais
auparavant jc dois dire que le rcglcmeut autorise le président ü
rappelcr ¿I l'ordrc l'orateur qui s'en écarte. » Une prcmiére
éprcu, e Iut douteusc, Les secrétaires étaient montés ¿I la tri-
huue , el la dcuxicme épreuvc avait eu lieu quand ñí. Lainé,
devancaut le vote par scrutin , ajoura : « Je crois qu'il n'y a pas
de doute. Le rapport sera Iait h cctte séance. L'état de ma santé
m'cmpeche de la présidcr. Jc prie lU. de Bouville d'occuper le
fauteuil. » M. Laiué se retira sur-le-champ , et envoya au Iloi sa
dóiuissiou de la présideuce de la chamhre. Le Roi fut proíondé-
ment hlcssc par cet acte de la majorité. Le miuistere ne voulait
pas se priver d'un secours aussi puissant que celui de l\I. Lainé.
Louis X VIII d' ailleurs avait une grande eslime pour son carac-
tcrc. Le duo de Itichclicu lui écrivit : « ~I. le Président , j'ai
rcndu compte au Iloi de votre intention de quitter les fonctions
de président de la Chamhrc des Députés. Sa lUajesté m'a chargé
de vous prier, et , s'il le fallait, de vous ordonner positivement
de sa part de continuer h présider la Chambre au moins jusqu'a
la fin de la discussiou du budget. .J'espere done que vous ne vous
rcíuscrcz pas aux désirs du Iloi. » Tout cela n'empécha pas la
Chamhrc de passer cutre aux débats sur le projet de la commis-
siou; le iuinisterc se lit abaudonné de tous ses amis, et 1\1. De-
cazes fut obligé de souteuir la discussion , marquée surtout par
un incidcnt incroyable : .\1. de Vaublane montaut a la tribuno
pom déclarcr « qu'il veuait soutenir le projet comme ministre,
iuais qu'il le désapprouvait couune député, » La Chamhrc ap-
plaudit ¿I ce ridicule désaveu. Elle vota les conclusions de la
conunission. Quclques jours aprés , JI. de Villele vint voir les
ministres et lcur aílirma qu'il ne s'était fait nouuner rapporteur
que pom évitcr au Cabinct l'opposition trop vive de la commis-
sion; en clfet , le rapport était rédigé en termes modérés. Pour
la Chambre des Députés , c'était une faute de pousser ainsi le
miuistere sans prcndre un partí déíinitif et vigoureux contr« lui
par le refus du budgct, En politique , la plus grande maladresse
c'est de taquiner le pouvoir sans le rcnverser. Qu'urrive-t-il




ClJAPITHE S. 61
avec cene conduite ? Le pouvoir s'aigrit ; il a de justes griefs
contre vous; et, lorsqu'il se ravise , il vous renverse d'un coup
de main. C'est ce que mérita la Chamhre de 1815. IWe avait de
l'esprit comme en ont toujours le parti royalisto et la vieille
aristocratie. Elle myst ifia le ministerc , se moqua de ses mem-
hres , blessa le Hoi, les honnnes les plus honorables, ct puis
elle n'osa pas frapper le grand coup, le refus du budget. Aussi
la dissolution vint l'atteindre ; son role fut fini ; elle aurait da
le prévoir, Quand on a la force, il nc faut jamáis se jouer arce
une force opposée : il faut hardiment la rcnvcrser.


L'opinion royalistc voulait s'emparcr des dépnrtcments , soit
dans l'ohjet de domiuer les élections , soit pour pcrpétuer son'
intluence. L'organisation des provinccs une foisdans ses mains ,
il était difficile que l'action élcctorale ne s'y montrát pas égale-
mcnt. Les six dernicrs mois de I'annéc '1815 avaieut été exclu-
sivemcnt eonsacrés ~I peupler les administrations de royalistes
dévoués , a exiger des ministres, chaeun dans I'étendue de son
personnel , la destitution de tout ce qui tenait aux opiuions bo-
napartistcs ou patriotes. 011 ne comptaít plus en Franco un seul
aduiinisuatcur supérieur qui ne fút , plus ou mnins dircctcment ,
¡'agmt rlu pavillon ñlarsan, Le dernicr des préfets , cxprcssion
des souvcnirs de l'Empire , M. Iloguat , venait d'étre dcstitué.
Le ministerc de l'intérieur avait moins d'action sur la hiérarchie
admiuistrativc qm' les comités rovalistcs , cal' il y a daos les
Ionctionnaires un instinrt qui les fait toujours saluor ce qu'ils
croient la pnissauce. -Ils savaieut qne JI. de Yanblanc n'était
que le dévoué de MO.i\SLEUB, ct lorsqu'il prenait ~I ce ministre
qnelqnc vclléité de s'cn affrauchir , les préfcts u'cn tcnaieut
rumptc , sachant bien que tUt ou tard 3~. de Vauhlanc rcvien-
drait Ü la condition invariable de son cxistencc politiqueo Le
ministére de la justice était alors ahsorbé par de grandes opéra-
tions; la constitutiou des cours prévóialcs , l'épuration des cours
royales et des trihunaux de premierc instance. Yotées dans la
session , les cours prévótales s'étaient constituécs avec beaueoup
de zele, Elles dépendaicnt de deux départcments ministéricls =.


1I. 6 , .ij,.....




62 IIIST01HE IJI: U IUSL\LH\IIU\.
la guerre et la justicc, Les prévóts avaient {·té choisis par ll. le
général Clarke panni d'ancicus oflieiers émigrés , pres(111e tous
maréchaux-de-camp ou colonels de l'ancien régime, Ces places
lucratives étaient alors fort courues. Les prévóts avaient toute
puissance pour saisir et arrétcr les prévenus : ils en usaient ayer.
cet arhitraire des jours de peur. Quand un événemcnt éclatait
quelque part, lorsqu'on entendait un eri séditieux, le prévót
s'imaginait que la royauté était menaeée. Il saisissait sans préam-
hule et traduisait devant la mur prévótale. Ces cours étaient
des especes de commissious judiciaires désignécs par le garde
des sceaux avec un président , des juges divisés par scction ,
un ministére publie, 11 peu pres commc dans les cours d'as-
sises, si ce n'est qu'il n'y avait pas de jury. Pour donner
une idée de l' esprit de ces cours prévótales , je prcndrai ccllc
de Paris, la plus importante. Le grnnd-prévót était l\l. le marquis
de l\Iessey, ancien maréchal-de-camp , le plus singulier esprit
politiqueo Chaque jour il y avait une eonspiration préte 11 éclater,
des barils de poudre sous le chatean des Tuileries, et des ras-
semblements de trente mille hommes, ]U. Chrestien de PoIY
présidait la cour prévñtalc : e'était un de ces magistrats ¿l tÍléorie
politique , une édition froide et sans esprit de ~I. de Bouald.
Le grand-prévót , en costume militaire , ouvrit la séauce par un
serment concu en termes au moins singuliers : « Dans cerro
circonstance solennclle , et voulant mériter l'estime publique
ainsi que celle d'une cour aussi bien composée, je me hornerai
adire que, revétu de la confiancc du Hoi, en vertu de l'ordon-
nance par Iaquelle Sa Majesté. ui'a nouuné prévüt du départemcnt
de la Seine , je jure sur mon épée de me confonucr ¿l sa volonté ,
de rcchcrcher et de poursuivre sans reláchc tOIlS les séditicux et
tous les traitres qui se rcndront indignes de sa clémcnce , et de
mourir ~\ mon poste plutót que de violer mon scrment. » le
prévót tint parole en eflet , et tira son épéc, mais il n'cut pas
hesoin de mourir ason poste; jamais les poursuitcs ne Iurcnt
plus séveres , jamais les exécutions plus promptes ni plus impi-
toyables. Pour le moindre cri séditieux , pour la plus perite




CIJAPITHE x. 63
dérnarche en opposition avcc le systeme un Couvernement , ar-
rivaient les condamnations 11 la déportation , aux travaux forcés ,
ala 1110rt mérnc ! En province, cettc cruauté des cours prévó-
tales se manifesta peut-étrc plus encere qu'a Paris , oú l'opinion
publique , toujours puissante , arrétait un peu les folies de parti,


A cóté de cette institution des cours prévótales se placaient
les conseils de guerre, autre juridictiou fatale aux accusés, Les
couscils désignés par le ministre de la guerre et toujours choisis
parnii les plus zélés servir eurs , remplirent leur triste mission
avec une ardeur déplorahlc..\ u milieu de ces deux juridictions
I'XCf'ptiOIlIlCllcs, les cours royales conservaicnt peu d'impor-
lance politique. Elles étaient réduites 11 lcurs simples pouvoirs
ci, ils, ,\1. de lHarhois procédait leutemcnt ~I leur institution ,
ot, rcmaniant le pcrsonncl , le mcttait en hannonic avec les
majorités rovalistes. Les dcrniers mois de 1815 et les premiers
jours de HH 6 furcnt rcmarquablcs par le grand nombre d'in-
stitutions judiciaires. Presqne tous les premicrs présidents et les
présidents de chambre furent changés. La mutilation dans chaque
cour fut d'un tiers enviren des conseillers. Quelques-uns furent
destitués sans compcnsarion , d'autres rccurcnt le titre d'hono-
raircs. Ensuite la persécuriou s'atracha aux rninistcrcs publics ,
aux officiers de police j udiciairc, On Jorca un grand nombre de
ceux qui avaient mal pensé dans les Cents-Jours ~I donner leur
démission. Des avocats Iurcnt aussi rayés du tablean , des avoués
contraints de vendré Icurs offices. Le ministerc de la guerre se
liait alors csscnticllcmcnt au ministcre de la justice. C'est la con-
dition des époques.agirócs , oú il faut plutót Irapper que juger,
Le général Clarke donna dans chaque département aux prévóts
une force spéciale par la création des compagnics sédcntaircs et
départcmcntales , dont le projet présenté par lU. de Vauhlanc
Iut adopté par la Cliambre des Dóputés ; de plus, on organisa
la gcndarmcrie , on augmenta le nombre des brigadcs, Cela de-
vait ntrc. fu Gouvcrncmcnt qui vcut Irappcrsas enncmis doit
fa,oriser le dévcloppcmcnt de la force surveillante et répressive.
Commcnt cxistcrait-il sans ces prócautions?




1: Iu·l JII~..,Tmr.J: m: L\ m:snrnHTO\.
La force de I'armée franraiso était Iixée par une convention


ayer les alliés ct hornee par les moyens flnanciers, Le Iloi avait
consentí par mesure d'économie a supprimer, du 1cr janvierí Stü,
une grande partie du luxe de sa 111ais011 militaire. Cela déchar-
gcait d'autant le ministére de la guerreo On n'avait conservé que
quatre compagnies des gardes du corps, présentant une force
de 1 000 cavaliers et spécialement chargés du servíce aupres de
la personne du Roí. La compaguie de lUoxSIEun, suppriméc
d'ahord par l'ordonnancc du l t r septcmbrc 1815, fut réorga-
niséc plus tard el attachéc en servicc aupres des Princes de la
maison royalc, La compagnic des Ccnt-Suisscs fut rétablie par
une ordonnance du 111 déccmbre 1815. L'objct des soins par-
ticuliers de M. le général Clarke avait été I'organisation de la
gardc royale , composée do quatre divisions : deux d'infantcric,
deux de cavalerie et de deux régiments d'artillcric , un il picd et
I'autre a chcval , le génic ne devait étrc attaché h la garde royale
qu'cn cas de guerreo lIuit régiments , dont dcux régiments
suisses, formaicnt les deux divisions d'infanteric. La 1re división,
composée des numéros l"r, he, 2", 5e, était sous les ordrcs de
]U. le lieutcnant-général comre de Lauriston, La 2" dirision étai:
conunandée par lU. le comtc de Bourmont , Iicutcnant-géuéral ,
el comprcnait les 3"et 6e régiments francais et les 1er ct 2e suisscs,
Les divísions étaicnt partagécs en quatre hrigades qui avaícut
pour chefs lUl\I. le comte d' Ambrugeac , le comtc d'Orsay, le
comte de Béthisy, maréchaux-dc-camp. la quatricmc brigade
composée des deux régimcnts suisscs fut confiéc plus tard a
lU. Salís Zitzler. la cavalcric comptait quatrc régiments de
grossc cavslerie tonnaut la 1re divisiou , et auetre entres de ca-
valerie légere formant la 2" división. l'l. le licutcnant-général
comte de Bordesoulle avait recu le commandement de la 1re di-
vision , composée de dcux régimcnts de grenadicrs a cheval et
deux de cuirassiers. la 2" división, qui comprcnait un l'(~ginwnt
de dragons, 1er de chasscurs, 1cr de lancíers , 1f'r de hussards ,
ohéissait a lU. le vicomte Foissac Latour, Iieutenant-général. Los
maréchaux-de-camp commandaut lesbrigades de cavaleri« {>taient




CllA PlTIU: \..


31'1. le comte de Clcnnont-TonnelTc, le comte Edmond de
Périgord , le vicornte de JUonl(>1('gicr, le duc de Cuiche.


La hrigadc d'artillerie ótait sous le commandemcnt de 1\1. le
maréchal-de-camp Digeon. La garde royale ainsi organisée pré-
sentait, au picd de paix, une force totale de 26 000 dont 6 mille
chevaux cnviron. Quatre majors-généraux , des aides-majors-
généraux avaicnt été créés égalemcnt , et se relcvaient par
quartier , pourle servicc, Les majors - généraux étaicnt les
maréehaux Victor, Oudinot, :\larmont el )Iaedonald. Leurs
aurihutions et pouvoirs étaientfort étendus, et assimilés, seIon le
textc de l'ordonnancc du 2;) septembrc , ~l ceux des généraux en
chef. Le noyan de la garde avait ét(· pris , quant aux soldats ,
dans les débris de la vieille et jeune garde impériale. Dans le 1er
r('giment d'iufanterie surtout , étaient entrées des compagnies
cntiércs du 1Oc d'infanterie de ligne, qui s'était si noblement com-
porté au pont de la Drómc. On activait le rccrutemeut. Chaqne
jour arrivaient pour l'infanterie des détachements du Midi , OU
1\1. de Forhin enrólait a tort et a travcrs. Il était tout ala fois ca-
pitainerccruteur , conseil de révision. Sa méthodc était des plus
bizarros. lU. de Forhin était de pctite taiilc, et, se plarant gravc-
mcnt Ü cCM de I'homme de rccrue , iI I'admcttait sans hésitcr ,
ponnu que les épaules du jcune soldat dépassassent les sicnnes.
Les départemeuts du Nord fournissaient ~\ la cavalcric. La C0111-
pagnic de grcnadiers a cheval , suppriméc par l'ordonnance du
1('1' scptembre , ct une foulc de Yendécns entrcrcnt aussi dans la
gardc royale. On abandonna l'antique uniforme de la vicillc gar-
de, cct habit long el pcndant , ces guétrcs noires ct hautes, ces
rcvcrs érroits et échancrés , ce tricolore si brillant dont les son-
venirs rcmontaient aux prcmiercs campagncsd'Í<:gypte ct d'Italic,
ct depuis pres(!lIe cffacés sons l'aigle aprcs Austerlitz ct Iéna. On
snpprima égalcmcnt la qucuc el la poudre. Un frac hlcu, ü bran-
dobourgs blancs sur la poitrino , fui substitué. 1.011is XVHI des-
sina lui-meme , arce de minuticux détails, I(IS formes de cct ha-
hit, qui se rapprochait un peu du gl'acjcl1\ uniforme des gurdos
Iraucaises,




fió mSTOTnE DE LA HEST\r-JUTfO\.
L'arméc de ligue fut composée de l')G légions d'iufantcrio , de


quatrc régiments suisses, et d'une légion {~t'rang(~rc ; de lt7 r{'gi-
mcnts de cavalcrie , et de 12 régiments d' artilleric, dont 4 <1' a1'-
tillerie ü eheval; enfin de trois régimcnts de génie r. te novan
des légions se forma de quelques déhris des régiments licencies ,
de volontaires royalistcs , el de ces bataillons de roual-Louis ,
roual-Anqouléme, clutsseurs á c/WIY¡{ l!' AllgOllldlllc, qui avaient
pris naissauce dans le Midi, L'hahit hlanc ;\ revers jonquille,
vert ou amarautc , remplaca l'ancicn uniforme hlcu, On voulait
ainsi séparer la nouvclle arméc, el répudier toutes les traditions.
L'nniforme de la cavaleric fut plus élégant ; mais les régiments
réduits a2 ou 300 chevaux n'offrirent plus une force récllc. On
multiplia les armes de chasseurs et de dragons : mais iI est faux
qu'on interdit ala Restauration d'avoir plus d'un régimcnt. de
lanciers. L'urtillerie, cctte arme spéciale, si distinguéc en Frailee.
fut moins maluaitée dans son orgauisation. Tellc cst cepcndant
chez nous la force de l'csprit militaire, que dcux ans s'étaieut ¡l
peine écoulés , que déj;l le pays préscntait le cadre d'une bonne
armée. lH. le généraI Clarkc appliquait avcc une impitoyablc sév{'-
rité le systemc des catégorics et des épm-ations, qu'il {'tendil
mémc aux burcaux de la guerrc oú plus de tI00 cmploy{'s Iureut
ronvoyés.


Le ministre de l' intérieur ne s'éloignait pas, en adminisu-ation,
des idées el des instructions de la conr. Un petit nombre d'ad-
ministratcurs, gens habilcsct.souplcs, chcrchaient égalemcnt, par
un exces ocdévoucmcnt et un enthousiasmc uouveau, aconquérir
la conñancc exigeantc <les Iloyalistcs. Les rapports de :'1. de Yau-
hlanc et <les préfets étaient toujours singuliers. tes circulaircs
dn ministre n'avnicnt pas cessé d'avoir ce ton Iastucusemcnt che-
valeresque : c'était un de ces dévoucuicnts ;\ pcrtlre luilcmc ,
commc le disait spirituellerncnt Louis X\'TII, une perpétuelle
frayeur oc conspirations destiuécs a tnunueutcr les préfets, « An


1 L'organisation de l'arrnée , comrnc je l'a i dit torne Icr, se reporto
au ministérc Gouvion Saint Cyr , I'hahit hlanc fut dl's 101'5 anclé;
l\I. le général Clarke ne ti! que contlnuor ces dispositions.




CIHrnHE X. 67
milíeu des circonstanccs les plus péuibles , Ieur disait le mi-
nistre, vous aH'Z luttó avec courage contre des obstacles nOI1l-
brcux , vous aHZ soutenu et Iortifié toutcs les parties de l'ordre
puhlic , et partout vous avez opposó une résistance énergique
aux factieux. Vous avcz mérité d'étrc remarques par le Iloi.
Cependant, plus vous avez fait pour la cause sacrée que
J}()US servons, plus vous devcz entreprendrc pour achevcr ce
noble ouvrage si heurcuscment commcncé. les faetieux n'ont
eucorc perdu ni lcurs esperances ni leur audace. Ils oscnt as-
siguer des mouvcments ~l de certaines époques fatales, et le
moment oú je vous parle est marqué de nouvellcs tcntatives pour
égarer le peuple par les hruits les plus absurdos. Vous repous-
sercz , vous combaurez sans ccsse ces irnpostures eriminelles
amant que ridiculcs, J'ai souvcnt appclé votre attcntion sur le
rhoix des hounucs destines ~l Ionuer la garde royale. Dans une
npération si importante, il n'v a point de milieu , il faut réussir
OH etre hlñmable ; le nou-succcs n' a point d'excuse. e'cst avous de
trouvcr en vous-mémcs , daus les plus hautes considérations, dans
les inspirations de votre zele, des moycns de repousser l' crreur,
et de n'cnvoycr aupres de votrc Iloi que des Fraucais dignes de
former sa gardc. Par/out la ganle natioualo s'organise , et les.
rapports que le prince colonel-gónéral Iait au Iloi , ct au.cquels
Foi 1'/IOWlClf)' d'ussist cr, prouvcnt a Sa )lajesté tout ce qu'elle
peut attendre de ccttc force publique. Coruhinez, de concert
avcc l'autorité militaire , l'emploi simulrané de cene force, de
la eompagnie départcmcutale , de la gcndarmcrie , afin de pré-
s-n rer parrout aux conspiratcurs des obstaclcs insurmoutablcs ,
d(' leur prouver l'inutilité de lcurs efforts , et d'étouffer enfin de
ronpahles cspérances!!! » C'était de ces Irayeurs dont le minis-
tre s'occupait spécialcmeut, Vous auricz vainemeut cherché
quclques-uncs de ces HH'S largos d'admiuistration et d'organisa-
tion poliüques , cctte action vivifiantc d'un pouvoir central et
protecteur. )), de Yauhlanc s'cn occupait moins que de veiller
ace qnc les hons principcs ct les Iloyalistcs triomphasseut dans
les départe.uenrs, (;'('sl en g{'n('ral 1<' caracterc des systémes




msrouu: m: f.'I HFSTHIUTTO".


réactionnaircs : les jlll<~n1Is n'y sont qu'cn seconrlo ligne : JI
Iaut , avant tout , senil' les idécs de parti. C'était bien .autrc
chose pom la prctection des sciences et des arts, II y a quelque
chose de pis que d'ignorer : c'est la prétentiou de savoir.
lU. de VauhJane, parmi toutes ses vanités , avait celle de litté-
rateur et d'artiste. Il avait fait un poéme : Le dcrnicr des Césars,
Il avait imposé au comité du Théátre-Francais une de ses tra-
gédies: Soliman-le-Idaqniíique. Avcc cela, comment ne ·se
serait-on pas melé de littératurc? Son premier acto fut la réor-
ganisation et l'épuration de l'Institut. On n'avait touché aucun
nom en 1814. Napoléon , Carnot, IUonge, y figuraient encoré.
Mais pouvait-on souffrir de telles célóhritós? Cornment, sous un
svsteme monarchique et avec une littérature et une science mo-
narchique , aurait-on suhi des talcnts bonapartistes et répuhli-
cains? Par un premier acte , on exclut dc I'Institut plusieurs de
ses membres les plus distingués , tous les régicides , les hannis ,
les honapartistes ou les patriotes qui déplaisaient; et tout cela
ministériellement. Ensuitc une ordonnancc royale , rédigée avcc
emphase , annonca la rcconstitution de l'Institut. (( Aussitót que
la divino Providcnce nous a rappdé sur le tróne de nos peres ,


-notre intention a été de maintcnir ct de proteger ecuo savante
Compagnie. Mais nous avons jugó convcuablc de rcndre ü cha-
cune de ses classes son nom primitif , afin de ruttachcr lcur
gIoire passée a celle ~l vcnir , el pom lcur rappelcr a la Iois ce
qu'elles ont pu Iairc dans des tcmps plus difficiles , et ce que nons
dcvons en attcndre dans des jours plus hcureux. D'aprcs cctte
ordonnancc , l'Institut était composé de quatrc Académics ct
suivant l'ordre de leur Iondation , savoir : l'Académie franraise ,
l'Académie royale des Inscriptions ct Bclles-Lcttrcs: l'Académic
rovale des Scienccs, l' Académio royale des Beaux-Arts, Puis Iurent
académiciens par ordonnancc , l\BJ. le comtc Fcrrand , le comto
tally-Tolrndal, le duc d(' Lévis , le duc de Ilichelicu , l'¡¡bb(~ dp
Moutcsquiou , Lainé , 1(' prince de Tallcyrand, 1\1. de Vauhlanc
s'était inscrit dans le projct primitif, mais il n'osa pas s'y main-
tcnir ; el d'aillours il ('sp{'rail se fairc (·lire.1I y cut des promo-




CIL\PITln: \. 69
tions passahlcment ridicules. M. de 'I'alleyrand , par cxcmple,
membre de l' Académie des Inscriptions! e'était aussi singulier
que de voir, sous l'Empirc , 1\1. de Cessac, l'un des quarante de
I'Académie Irancaisc ! Cctte réorganisation de l'Institut fut l'ohjet
de tous les quolihets. On avait touché la littérature , et la littéra-
ture est si spirituelle , si moqucusc l Ce fut bien autre ehose
quand 1\1. de Vauhlane, cspéraut se Iaire recevoir de l' Acadéruio
francaisc , ne put pas y réunir un scrutin ! Cependant I'Institut
u'en resta pas moins la société la plus forte , la plus savaute de
l'Europe. L'Acadélllie des Scienccs présenta la réunion des plus
puissantes tetes de géométrie , de mathématiqucs , de chimic ,
de physique et d'astronomic , des sciences cxactcs , en un mol.
VAcadémie des Beaux-Arts oílrit aussi de grands talents : pour
la peinturc , les Gérard, les Guérin, les Gros, les Cirodet , les
Carle Yeruet ; pour la musique , les Méhul, les Chéruhini , les
Gossec, les Lcsucur, les Monsignv. L' Institut perdit quelques-
uns ele ses memhres : MM. Étienne , Arnaud , Garat, Merlin ,
Cambacéres , Sieyes, Itoxlerer, Itegnaud , JUaury, Lucien , a
I'Académi« franraise ; lUonge et Carnot , a l'Académic des
Scienccs; Gf{~goire, Lakanal , Ü I'Acadérnie des Inscriptious ;
cnfin le peiutre David fut rayé aux Beaux-Arts.


L'AcaMmie des Inscriptions ct Bolles-Lcttres présenta toujours
les noms illustres de MM. de Sarv et Visconti , les noms remar-
quables de D. Brial, Daunou , Quatrcmerc de Quincy ; elle ac-
quit quelques jeunes adoptesalors , tcls que )1. Raoul-Hochette ,
dont la science et la spécialité étaieut au moins un probleme , et
qui rlcpuis , par besoin de mouvement , sont devcnus les me-
ncurs de cette Académie. Dansles arts , M. de Vaublanc nous a
laissé un monument de son cxcellcntgoílt; ce sont ces colossales
statues qui absorbaient le pont Louis XV; }l. de Vauhlane vou-
lait réunir, comme il le disait, les législateurs , les guerriers , les
cxccllents ministres, réservant peut-étre pour la postérité sa pro-
pre statuc colossale , et drapée l On ne se fit point faute alors de
monumcnts d'église , de cénotaphes. Les époques réactionnaircs
sont Iaciles en monumcnts, La Chamhrc avait voté , et le mi-




70 HISTüIRE DE L\ HESTAUHATIO\.
nisterc avait preserit je nc sais que! nombre de souvenirs Iuné-
bres , triomphaux ou religieux : un autcl d'expiation pour le
meurtre de Louis XVI; dans les Champs-Élysécs , la statue de
Louis XV; sur la place des Vietoires, la statue équestrc de
I ..ouis XIV; a la place Royale, eelle de Louis XIII. On voulut
rcfaire le vieux París avee son enthousiasme pour la royauté , et
il n'y avait plus ni multitude , ni peuplc , qui einbrassaient les
statues royales comme des asiles!


Le ministcre de la police, sous la dircction de lU. Decazcs,
absorhait la partie la plus vive, la plus puissante du miuistére
dI' l'intérieur. M. de Vauhlanc était en rapport avce les préfets,
mais son aetion devait s'arrétcr ~I ('I'Ue corrcspondancc d'admi-
nistration qui laissait la surveillancc de süret(., grnérale et poli-
tique au ministre de la policc. c(~ ministre était armé de dcux
lois d'cxccption : l'une luí d{of{>rait la facultó de détenir iout
individu sans le traduire en justice ; l'autre luí attrihuait la ré-
pression des cris séditieux, La presse était égalemcut l'objct de
sa surveillance. La direetion en avait été conflée ~I M. Villemain ,
jeune hommc célebre déja par ses succes d' Académic. Ce pou-
voir cxtraordinaire donuait ainsi a :\1. Decazcs une actiou sur
les pensécs et sur les personnes. I ..e ministre en usa avec modé-
ration. 11 y eut des départemcnts oú aucun citoyenne fut arreté ;
et eombien ne fallait-il pas lutter centre le zele mal éclairé des
autorités locales! Cependant , par la force des choses, par l'ell-
tralnement de l'esprit de faetion, il Ycut encere bien des actos
arhitraires ! On faisait arréter, sur un simple ordre de hurcau,
des généraux , des écrivains , des journalistcs : on se Iivrait
~I des perquisitions de domicílc , a des poursuites vcxatoircs.
Le ministre faisait appeler des personuages signalés , et les
invitait ~I quitter Paris ou la Francc , s'ils ne voulaient Nre
poursuivis. C'était plus déplorable encorc dans les départe-
ments , oú les préfets n'étaicnt pas placés si haut pour jugcr les
dénonciateurs ; on se saisissait des susjects sans préamhulc ni
précautious : on leur assignait arhitrairemcnt des licux de rési-
rlenre ; on frappait, JI faut voir, il faut jugcr sans passion la




ClL\l'Jna: x. 71
posiuon róelle des choscs , la situation d'un miuistere en pré-
scncc d'unc majorité violente, d'une eour domiuatrice. Chaqué
jour pleuvaient des rapports de police , pour signaler telle con-
spiration, en indiquer les autcurs. te grand prévñt avait sa po-
liee; 1\1. le comte d'Artois , la duchessc d'Angouléme avaient
aussi la leur. tes nmhassadcurs cux-mémes dénoncaient , fai-
saicnt des rapports sur les étraugers de distinetion qui visitaient
la Franco, « J'ai été prévcnu , écrivait de Rome ~1. de Blaeas ,
qu'un nommé llousseau , neven du sieur Arelier , de Macon,
était en correspondance suivic avec Lucien Bonaparte, il qui
il fai~it eonstamment des oílrcs de service, en lui témoignant
le plus grand désir de lui étre utile. Je pense que vous jugerez
~\ propos de faire surveiller le sieur Ilousseau , qui parait
tres-lió avcc 1\D1. }lissier el Charlet, employés dans le departe-
ment de Saóne-et-Loire. Si vous pouviez saisir leurs lettres ,
il serait possihle qu'elles me fournissent le moycn d'engager
le gouvernement romain a sévir contrc Lucien Bonaparte , dont
le séjour a llame pourrait devenir dangereux, » « Puisque lord
Cochranc est aParís, écrivait :\1. D'Osmond de Londres, on
y suivra ses paso On ne négligera pas non plus ceux de sir Ri-
chard Philipps , anclen imprimcur, Celle-ci visitera particu-
Iiercmcnt madamc Lcbrnn , Lethicrs , peiutrc , Lafaycttc ,
Étienne, Charles de l' Institut, et la société de l' Athénée. Son
ami Capel Lost écrivait ces jours dernicrs : « Vous avez trop de
bonté de vous souvenir de mes Iaiblcs efforts pour imprimer
dans Lime du public combicn il doit s'indigner du traite-
mcut (Iue souffrc a Saint-Hélénc le plus grand des hommcs
vivauts. Rien ne peut chauger ces gens-la , cal' leur intéréts
e'cst le désordre. ñlaubrcuil de son coté menace toujours; Cha-
hanucs le pousse; mais ils ne sanraicnt OÚ frapper l. » Comment
toujours lutter coutrc ele parcilles insistanccs et des dénonciations


J Ces lcttrcs et bcaucoup d'autrcs scmblables daient adressées a
M. le duc de Itichclicu , qui n'y donnait aucunc suitc; mais M. le
corntc d'Artois sigualait SOUVCllt de plus graves complots.




72 ¡IISTUIHE ¡,E L\ RESIAlJILHlO.\.
incessautes ? Il Iallait souvent suivre les opinions et les caprices ,
faire des concessionspourcmpéchcr l'autorité de tomber dans des
mains implacables. Nous demanderous ce qui seraitarrivé dausla
réaction fatale de 1813 , si le pouvoir, au lieu d' étre dirige par des
houunes de résistance, avait été confié aux ultras? Nous demande-
rons ce que serait devenu le pays si des ministres inflexibles sur
les príncipes s'étaicnt fait cmporter par la majorité, et si cette ma-
jorité transformée en pouvoir avait pu réaliser ses dcsseins? 11 est
des temps OÚ il faut savoir Iaire des concessions pour tout sauver;
les partis élevent des autcls aux caracteres inflexibles; je veux
nn jour écrire l'histoirc de toutes les causes qu'ils ont pe}ll{lues.


An ministere des affaires étrangercs , bien que les traites
principaux eussent été défiuitivement conclus avcc les alliés , on
s'occupait activcment de leur exécution , qui soulevait des ques-
tions de tous les jours; l' évacuation du territoire avait licu , mais
il fallait abandonncr également les places cédées par le traité ,
Marienbourg, Philippeville , Landaw , etc. Le roi Louis XVIII
dicta lui-mémc les lettres que le ministre de l'intérieur adressa
aux magistrats de ces cités ; elles exprimaicnt la touchantc dou-
leur du monarque: « Le Iloi m'ordonnc de vous dire , disait le
ministre, quclle a l'lé sa profonde allliction quand il a vu qu'une
impéricuse uéccssité le contraignait avous séparer de la grande
Iamille, De lous les maux qui accablcnt Sa ~Iajesté, il n'cn cst
pas de plus dur pour elle que I'ordre qu'clle donnc aujourd'hui ;
le lien qui vous unissait ~l la France est rompu ; mais l'aílcctiou
de Sa :Uajesté pour vous subsistera toujours. Ses dcsccndants vous
conservcront toujours le méme intérét , et les pages de I'histoire
de ces temps malhcureux retrouverout le souvenir de la pro-
fonde douleur dont votre sóparatiou l'a pénéiróc , Sa Majeslé vous
offre, au nom de la patrie et en son nom, les tristes assurances de
son regrct et de son amour. » Ces paroles si touchantes ct si no-
bles avaicnt été provoquécs par des adresses patriotiques et dou-
loureuscs, Celle des hahitants de Landaw avait fait tressaillir l'ámc
de Louis XVIII. Il voulut lui-mémc répondre , el dans une let-
tre qu' il adressa aux Somcrains alliés, il leur rccommanda les




ClL\ l' JTHE x, 73
sujcts fidclcs qui passaicnt sous une nouvellc souveraincté J. En
'18th, M. de Tallcyrand avait composé le personncl des ambassa-
(les avcc un pcu de légercté: il avait surtout apporté une grande
complaisance pour les rcconnnandations des princes ; iI savait
fort hien que tout le posilif des aflaires se traiterait au congres
de Viennc, et iI s'ahandonnait pour les ambassades il ses pen-
rhants de famille, de patronage et d'alliance ; lors de son avénc-
mcnt au minislere , IU. de Ilichclieu modiüa un peu ce personncl,
JI. le marquis d'Osmond avait remplacé ¿l l'ambassade d' Angle-
terrc le duc de La Chátre , ce vicil ami que Louis XVIII rappe-
bit auprcs dc lui. M. le comtc Blacas d'Aulps avait été envové ¿l
Ilomc en remplacement de l'(~Ye(llle de Saint- -'lalo, JI. Courtois
de Pressigny. te conue dcXoaillcs rcpréscntait la France C0111111e
ambassadeur il Saint - Pétersbourg ; M. de Caraman ü Vicnne ;
c'éraicnt des ambassadcs d'apparat , mais alors pen importan les ,
cal' tout se traitait dircctemcnt a Paris, lU. de I..aval-ñlontmo-
rency représentait le roí II Madrid , 1\1. de Narhonnc-Pellet a Na-
ples ; ils tenaicnt le prcmier rang comme ambassadeurs de fa-
millo. \UX ]~Iats-LnisM. Serrurier cédait son poste ü ]U. Hydc
de Xcnvill«. JJ. de Xcuvillcquirtait ainsi la Chambrc ardentc pour
représcnter la Franco aupres d'une répnhliquc. :\1. de Bourriennc,
chargé d'affaircs ¿l IIamhourg, avait (~té rappelé. ]H. le duc de
Luxcmbourg Nail eIlYoy(' au Brésil connuc ambassadcur cxtraor-
dinaire. On a\ ait creé ccuc mission pour secourir sa noble mi-
sere. 1\1. le comte de Latour-du-Pin-Couvcrnct était ministre


l .I'ai Lcsoin de dire , Ú l'occasiun de toutes les ccssions de tcrrltolre
de la vicillc monarchic , que Louis XVIlI ne voulut douner sa ratifica-
tion au tr,¡jli'~ du:20 novcmbre , en ce qui couccrua it l'lntégrltó do la
monarrhic , qu'aprcs un grand eousell privé oú fureut nppclés tous les
princcs de la Famílle royalc , le chancclicr, le princc de Talleyrand ,
l'nbb« de Montesqulou , la plupart des anr iens minisücs el des rninls-
tres d'État, Louis ~VIII demanda l'avis de chacun , cal' il s'agissait
d'un grand sacriflcc. On lut égalerncnt la note des ministres des hautes
Puissances que llOUS avons rapportéc lome re r , el qui ongagcaitIo Gou-
vcrncmcnt du Itol a marchcr dans les voies constltutionncllcs. On
voulait ainsi produire un certaln ('lTet sur M. le comto <1' Artois,


lJ. 7




7[¡ HISTülnE DE L\ HES'L\L IL\TJU\.
plénipotcntiaire dans les Pays-Bas , positiou a101's trcs-difficilc ct
de confiance , h canse des réfugiés qu'il fallait survciller, M. le
marquis de Bonnay était cnvoyé extraordinairc en Prusse. 1\1. le
duc de Dalberg, sorti du miuistere aH'C 1'1. de Talleyrand , avait
remplacé M. le marquis d'Osmond h l'ambassade de Sardaigne.
Il s'agissait, a Turin, de lutter contre l'influencc autrichienne ,
ct de préserver une de nos Irontiéres par une importante neutra-
lité. L'ambassadc de Suede et de Norwege se trouvait vacante par
le rappel de 1\1. de Chñteauhriand. 1'1. le chevalier de Verlll'gues
était nonnné ministre résidcnt en Toscano. Enfin 1'1. le comte
Reinhard avait recu le titre et les pouvoirs de ministre plénipo-
tentiaire aFrancfort-sur-Ic-Mein au lieu de 1'1. le comtc Solignac
de Fénélon. M. Reinhnrd avait une certainc hahitude d'aflai-
res, une routinc allcmande ct quclque hahileté : il en íallait au-
pres de la Confódération gcrmanique pour cmpéchcr qu'ou n'ou-
hliát qu'il était une Frauce. On préparait quelques mutations dans
les consulats : A Elsencur , ]U. Mure Pellane rcmplacait 1\1. 1'1'0-
mont-Chauip-Lagarde. ALondres, 1\1. Séguier succédait ~llU. Hay-
neval ; ~I Malte , 1\1. Butet ~l 1'1. Augrand. A Amsterdam , 1U. Des-
jobert ~l 1\1. l\laupertuis. A Dantzick , 1U. Julcs Desaugiers a
JU. le marquis de Vins de Pcysac, A Madrid, M. Durand Saint-
Andréh1\1. Desjobert. M. lemarquis de Vins de Pcysac étaitnonuné
au lieu de 1\1. Dayot, M. Maupcrtuis, aVenisc. A Smyrne, h Cadix
M. Félix Bcaujour. ABoston, M. de Valnais. A Ncw-York, lU. le
comte d'Espinville. Quelques-uus de ces changcmcnts d'agents
consulaircs nc furent que des permutations pour Iavoriser quel-
qnes hommes en faveur : un grand nombre de nouvcaux consulars
furent créés, AinsiCivira-Vccchia, -'lilan, Tricstc eu Italie ; Na-
poli-de-Ilomanie en Grec<' , Lattaquic , sur la cote d'Asie ; Da-
mictte en "Égypte; la Nouvelle-Orlóans : Ilio-Jauciro en Amé-
riquc , rccurcnt des consuls francais.


M. de Ilichelieu n'était pas lié persécuteur. tes opinious ne
furent jamais pour lui une cause de préfércnce 011 d'cxclusion ;
mais , avec son extreme faiblcssc de caracterc , il ne savait pas


I


résister a une sollicitation de cour , aun billct de princes, Les




UHPITIH: x. 7;)
nmbassadcs devinrent le lot des noms proprcs , des origines no-
biliaircs; e'est un avantagequ'une grande naissance dans la situa-
tion des cours de l'Europe : un amhassadeur ele haute maison
est partout accueilli, peut écoutcr dans ces salons impénétrables
pour qui ne porte pas un vieux hlason. Il y a méme dans la haute
aristocratie une élévation d'ñme , une grandeur ele sentimcnts ,
une Ileur d'éducatiou el de manieres qu'on ne reneontre pas tou-
jours dans la classe moycnue. Le personnel en sous-ordre de la
diplomatic fut bien composé. Les premiers sccrétaires d'ambas-
sadequi , en général, font les aílaircs , furent choisisavec soin.
D'ailleurs, apreslc traite du 20 novcmbre18'1.,), touteslcsgrandes
diíficultés de l' Europe se traitaient ü París. Les ambassadeurs des
Puissances avaicnt formé une conférenee diplomatique , el 1U. de
Itichelir-u avait des rapports dirccts avec ce comité d'ambassade,
centralisant ainsi toute l'action des Cabinets. Cette conférence
résolut toutes lesquestions politiques lorsque les congrés ncfurent
pus réunis ; les quatre grandes Puissanccs ne se séparaient pas et
prenaient des résolutions communcs sur toutes les diflicultés re-
latives ala Franco. Je dirai peu de chose de lU. Dubouchage. Ce
ministre avait marqué son administration par plusieurs ordon-
nances sur la marine, toutes cmprcintes de I'csprit ele réaction
que nous avons signalé; une de ces ordonnauccs , la plus dé-
veloppée , portait une organisation généralc et un remaniement
absolu du persounel des équipagcs , du ,classelllent eles grades
dans l'armée uavale. C'est avec ces mesures que M. Dubouchage
remplit les cadrcs ele la marine de vieux ofliciers incapables :
hientót arriva , comme lecon , le naufrage de la Mcduse !


Les questions de finanees préoccupaient singuliercment le
Couvcrucuicnt , et nous pourrions dire la France entierro Le
traite avec les alliés stipulait des charges exorbitantes. Les COI1-
tributions de gucrrc , les subsistances pour l'armée d'occupa-
tion, tout imposait des ressourccs extraordiuaires, JU. de Riche-
lieu, en communiquant les conditions du traité du 20 noy. ':_) . "'~'~'>'_'
a la Chambre des Députés, avait exposé les énormes ..:~ .·~~i~es.: . -:.'.>-
qu'on allait demander au pays. Il avait lu les larn .s~~~X/·y.eii~-·,:.:.:.' \




7G H1STOmE DE LA nESTn-p,\TIO\.
les conventions pour les suhsidcs, Un emprunt forcé de 100 mil-
lions avait été levé par simple ordonnance, il fallait le regula-
riser Icgislativernent ; ensuite il cxistait un immense arriéré de
l' Empire : enfin il était csscntiel d'établir une caisse d'amor-
tissement largement organisée, eL condition vitale du crédit
publico


lU. Corvetto et le Conseil des ministres s'étaient spécialement
occupés de qnestious financieres pendant le mois d'octobre et
de uovembre 1815. Le Trésor avaitdes ressources, mais JI fallait
les employer toutes , acquitter avec loyauté les engagements du
passé , afin de garantir la confiance dans le présent. Il Iallait
surtout user sans scrupule des moyens que l'.État avait dans ses
mains : la vente des hois , l'accroisscment d'impót sur la pro-
priété íonciere , mettre en <X:IHre le crédit public ct les em-
prunts en assignant des rcvenus fixes , invariables , a la caisse
d'amortissement. Telles étaient les idées du ministere , mais
tellcs n' étaient pas les intentions de la Chambre des Députés,
Les meneurs de cette Chambre avaient une telle répugnance pour
l'Empire , qu'ils ne voulaicnt pas rcconnaitrc l'arriéré , luí ga-
rantir surtout le gage que la 101 <Iu 27 scptcmhrc HHh Iui avait
assigné , les foréts de I'Úat; i1s se Iivraient ~l des déclamations
centre les fournisscurs , courre les agents de Yusnrporcur cou-
ronné; et en cffct ils avaient bien raison , cal' la cause des maux
était en eux. De plus, beaucoup de hois avaicnt appartenu au
clergé, et conuncnt une Chambre catholiquc lesaurait-elle donnés
a la Caisse d'amortisemcnt ? Commcnt en autoriser la vente?
Imposer la propriété fonciere , e'était frapper les grandes fortunes
territoriales. La Chambre les représcntait. "\e valait-il pasmieux
grevcr l'industrie et la consommation? Enfin les idées de crédit
ct d'cmprunt étaient des expéricnccs toutes modernes; elles rui-
naient les .États. Happrochements curicux ! 31. de Vi!1ele,. si
hardi , si habile depuis dans les opératious fínancieres , était alors
le plus opposé au SYSU1HW des emprunts et du crédit public !


Le miuistere connaissait cette dissidcnce d'opinion entre la
majorité royaliste et son proprc systeme, Pour assurer l'exécu-




CHAPITTIE x. 77
tiou du traité de Paris, M. de Riehelieu demanda la création
d'une quotité de rentes rcprésentant le capital de 1úO millions,
rentes qui devaient étre remisos comme garantie aux alliés. En
méme temps des crédits provisoires furent autorisés sur les exer-
cices de 1816, en attcndant la eonfeetion du budget. MM. de
Barante et de Saint-Cricq demanderent également la perception
des impóts indirects pendant le premier trimestre de 1816. Dans
cet intervalle le budget se préparait lentement. JI parut de nOI1l-
hrcux 3Iémoires sur les finances. Si j'eutre dans beaucoup de
détails sur cette matiére , c'est qu'il faut reporter 11. eette époqne
l'origine du erédit publie; le diffieile en íinances n'est pas de
continuer une prospérité faite, mais de créer une prospérité et
une eonfiancequi n'cxistent pas : c'est a la Ilestauration que nous
devons le crédit puhlic ; toutes les théories Iinanciéres , la pcr-
Iection de notre systerne de comptabilité , viennent des deux
époques de 1816 et de 182l~, de I'administration de lUl\!. Cor-
vetto et de Villele. Ce fut le 23 déeembre 1815, le jour OÚ se
Iaisait entcndre l'aeeusation eontre le ministere , pour la fuite de
l\I. de Lavalette, que le budget fut presentó ~l la Chambre des
Députés, JI. Corvetto développa son projet avcc une grande clarté
d'expression et de pensé». C'était un systcme de crédit et de
fiuances largement concu : « Le Iloi de France , disait le mi-
nistre , ne désespérait jamáis du salut de la patrie. Nous ne
déshonorcrons pas notre malheur en le faisant servir de pré-
texte a un manque de Ioi. Si la situation des finanees est
ehargée, la prohité de la nation , soutcnue par cclle du Roi ,
est invariable. n Iallait ~l tout prix se ressaisir des renes de
l'administrntion , et se hñtcr de faire sentir au peuple , dans
s.s soullranccs , l'aetion d'un pouvoir occupé a les adoucir.
La levée extraordinairc de 100 millions, prescrite par l'or-
donnanee du '16 aoút, nc pouvait étre , en l'abscnce des Cham-
hres , qu'une disposition provisoire. Il n' cst pas diffieile de pré-
scnter l'apercu de nos besoins, dont l'évidcuce n'est que trop
sensible; mais la tache de trouver des ressources suffisantes,
sans trop léser un peuple déja froissé par tant de pertes , est




78 mSTOIRE DE T.A HESTAl'R\TIOX.
d'une tout autre nature. Cclles qui ont dü , avant tout , fixor
notre attention, sont: d'abord la suppression des traitements
inutiles , ensuite une modération dans la fixation des traitements
nécessaíres , enfin une retenue proportionnelle sur ces mémes
traitemeuts. Le Roi avait déja pris acet égard la plus touchante
iuitiative. Sa Majesté a daigné se rendre le premier trihutaire
des besoins de son royaume, en consacrant une portion consi-
dérable de la dotation du Trüne au soulagement des pays les
plus malheurcux. La Famille royale a ea la méme générosité.
L'expériencc nous a révélé les prodigesopérés par l'amortis-
sement, quand une vigoureuse et imperturbable fidélité le dé-
fend contre toute cntrcprise arhitraire. » Les bases du budget
de JU. de Corvetto portaient sur les comhinaisons suivantes. Le
hudget des ncuf derniers mois de l'année 181/¡ était définitive-
mcnt r('gl(' en recettcs , ¿l la sommc de 5:33 7159/10 fr. 1, e. ;
en dépeuses , a la somme de 637 h32 662 fr. 65 c. JI devait
étre pourvu a l'excédant de dépenses par des moyens extraordi-
naires. te hudget des recettes de l'année 1815 était fixé
a 81l~ 567 000 fr. , le budget des dépenses a 9h5 000 000 fr.
On régularisait cnsuite la lcvéc extraonlinaire des 100 millions,
JI devait étre percu pendant l'année 1816, en centimes addi-
tionnels , et par forme de suhvcntiou extraordinaire , la moitié
du montant total des róles des contributions Ionciere , person-
nelle , mobiliaire , des portes et Icnétrcs et des patentes de 181;'5.
La perecption de cet impót était faite sur les roles 4(}e 1815.
Les quittances de paicments sur la lcvée des 100 millions de-
vaient étre prises en paiement de la nouvclle contrihution. L'alié-
nation des hois de l'État , pouvait étre portee aquatre eent millo
hcctares. te produit de cette vcute, celui des hiens des com-
munes et des domaincs cédés a la caisse d'amortissement de-
meuraient spécialcment aílcctés au paiemcnt de l'arriéré, La
recette de l'année 1816 était fixéeala sommede 800 000 000 fr.,
ct la dépense réglée 11 la méme somrnc. Les coutrihutions fon-
ciere , pcrsounelle , mohiliairc , ct celle des portes ct fenérres ,
devaicnt étre pcrcues , en 1816, sur le meme pied qu'en 181:,.




ClL\ rITI1E x. 79
r-t les patentes coutinuer d'étre étahlies et pcrcues sur le taux de
ccttc aunée. Ensuite venaient des augmentations réglées sur les
droits de timbre, d'curegistremcnt , de suecession, sur les
cautionnements , et lU. de Saint-Cricq développa un nouveau
systeme de douanes.


La Chambre ne fut point satisfaite du budget. Il assurait ee-
pendant toutes les sources principales de service , fixait les bases
du crédit , avec des garautics telles que tous les services se-
raieut réalisés, Ce budget ainsi législativement presenté donna
lieu 11 une vive polémique de brochures. 1\1. Bricogne atta-
quait les bases sur lesquelles reposait le budget : il trouvait
que la recette préseutait le chiífre de 9;')0 millions, et
la dépense 1 250 millions, et qu'il en résultait un déficit
de 300 millions, impossible 11 combler par les contributions ,
mais sculemcnt par le crédit publico lU. Bricogne proposait de
détacher des recettes 100 millions, qui seraient affectés 11 une
caissed'amortisscment établie libre et indcpendante , et de régler
qu'elle recevrait et cmploierait fidelcment cette somme, 11 raison
de 320 000 francs par jour de bourse, au rachat des effets pu-
blics, Cctte distraction portant le déficit a t,Oo miIlions, on
mcttrait , pour le combler, ~l la disposition du ministre des
finanees, 2:> millions de rentes, :> pour 100 consolidés , au ca-
pital de ;')00 millions. Des que les rentes se seraient élevées au-
dessus du cours de 7;,) pour 100, elles ne pourraicnt ótre don-
nées en paiemcnt qu'au cours. !\l. Bricogne attaquait ensuite
vivcmcnt le projet d'une caisse d'umortisseruent lente et pro-
gressive, tcl qu'il était présenté avec une dotation de 1ft mil-
Iions, « Qu'importe, disait-il , que la caissc puisse avoir ra-
cheté lJ[¡ rnillions en 1835 ; ce qu' il importe de savoir, c'est qu'elle
en rachetcra en 1816, 875 000 francs; en 1817, 929687 fr. ;
en 1818, 987 79ft franes. - La Franco n'a besoin que d'io:
crctli: pnblic [ondé. )) Et appliquant son systeme d'amortisse-
mcnt par annéc , 1\1. Bricogne en Iaisait ressortir ee tableau
eomparatif, que si !t3500000 fr. de rentes étaieut émis de 1816
a 1.820, 3ft628 155 franes de rentes seraient achetés par




80 lI1STOIr.E DE LA lU:STAt:IUTIO\.
l' eífct des opérations de la caissed' amortissemcnt , el qu'en 182'1,
le déficit étant comblé, on se trouverait avec la seulc dcttc ill-
salte actucllemcnt, Enfin l'auteur du systeme n'hésitait pas a
aífirmcr qu'un emprunt combiné et garantí de cette maniere
attirerait d'Amsterdam et de Londres ces riches et puissantes
compagnies, qui achetent ades conditions bien moins avanta-
geuses les emprunts anglais,


1\1. Hennet défendant le projet du ministere développait avec
bonheur les grandes idées de crédit, Le point de départ de
son systeme était que la France ayant un revenu ordinaire de
600 millions pouvaít y ajouter 300 millions de revenu extraor-
dinaire, 1\1. Hennet partageait ~l certains égards l'opinion de ces
publicistes anglais qui établisscut que les emprunts ont sauvé
l' Angleterre. Ln emprunt dans les formes ordinaires lui parais-
sant difficile aouvrir , une éuiission de rentes pouvaít scule sub-
venir aux besoins. l\Iais commeut émettre des rentes et les donner
~l des créanciers au pair et pour leur valeur nomiualc? Ce serait
injuste et dangereux! Pour y remédier 1'1. Hennet proposait,
1°. de prélever sur les soumissions des rcccvcurs-généraux le
montant des rentes ancieunes et nouvcllcs , en ohligntions , a
échéances de mois en mois, de les [aire vcrser chez le paycur
des rentes en présence des députés des deux Chamhres; 2°. d'at-
tribuer une prime d'un pour cent aux rentes, tant anciennes que
nouvelles pendant cinq ans; 3°. de prélever sur les obligations des
rcceveurs-géuéruux une somme pour former avec les extinetions
des rentes un Ionds d'amortisscmcnt ; tandis qu'en créant de nou-
vellcs impositions , tout serait dévoré en un an , ct les embarras se
trouveraicnt les mémes en 1817. 1'1. Gaudiu dévcloppa d'autres
idées sur les emprunts et la caisse d'umortlsscmenr, dans un écrit
intitulé : Exanun: critique du bndqc). Il érablissait que dans la
propositiou de payer I'arriéré par des rentes au eours de 75 pour
cent, la faculté donnée au ministre était ahsoluc , et que le créan-
cicr n'avait pas le droit de s'y soustrairc : c'était injustc ct violent.
En Angleterre , on ne force point les créanciers ü rccevoir leurs
paicments en rentes ~I un cours quelcouque : on ouvre un Clll-




CIL\PITIlE X. 81
prunt. Ce son! les capitaux fournis par les actionnaires de l'em-
prunt qui sont appliqués au paiement des créanciers. I'Angleterre
n'n que des elll¡Jl'llJllS rolouuurcs dont l'abondance du papier
favorise toujours le succes, lU. Caudiu admcttait qu'on vendit
une certaine quantité de bois de l'Í<:tat; mais iI voulait que le
clergé ohtint , par une loi formelIe, une dotation sur cetro vente,


'f
sans nuire aux créanciers de l'arriéré.


La Chamhre des Dépntés , en préseuco de ces débats préli-
minaires, discuta plus d'un mois dans ses hureaux le projet de
íinances des ministres. Il y éprouva de vives contradictions. Les
objections principales rcposerent sur les points qne HOUS avons
Mj~l signalés , c'cst-a-dirc l'aliénatiou des foréts , la caissc d'amor-
tisscmcnt , le paicment de l'arriéré, Le choix des commissaires
indiqua l'esprit de la discussion qui se préparnit. Ils étaient au
nomhre de vingt-sept , divises en plusieurs scctions ; dans la pre-
miere c'étaicnt ;\DI. d'Ilélyot ainó , Feuillant , Couin-aloisant ,
de Bourrieune , de Villele, Richard, Corbiere , Pardessus , le
comte Planelli de la Valette : elle était chargée des hudgets de
la justice , de l'intérieur et de la pollee générale. ;\1:\1. Brenet ,
le marquis de Saint-Céry, Potrean d'Ilancardric , Fornier de
Saint-Lary, Pontet, le comte de Scey, Josse-Bcauvoir, de Las-
tours , le baron :\Iorgande Belloy , formant la dcuxieme scction,
discutaient le ministerc de la guerre; enfiu la troisieme section
qui devait examincr les budgets des finauccs , de la marine et des
affaires étrangeres , se composait de l\l:\I. Cornet d'Iucourt ,
Bonne, le marquis 'd'Archambaud , le prince de Broglie, le
marquis de Blosseville , le comte de Bruyercs-Chalahrc, Garnier-
Dufougerav , (le lUarandet, Tixier de Lachapcllc. La commis-
sion , ainsi divisée par scctions, travailla , je dois le dirc , avee
une haute conscience.ElIe aurait pll, d'accord avcc le minis-
ti-rc, arriver aun grand résultat , cal' jamáis commissioun'étudia
avcc plus de probité , jamais on n'apporta plus de sollicitude
dans chaque branche de scrvice ; il Yavait des capacités de
toute espere : ~nI. de Yillele , Corbierc , Pardessus , Bour-
rienne ; ct nous le répétons , si dos príncipes appliqués fausse-




82 mSTOInE DE LA nESTACR.\TfO:\.
ment n'avaicnt alteró la pcnsée de ses consciencieux travaux, la
cornmission de la Chambrc des Députés aurait bien mérité du
pays, On désigna pour rapportcurs MM. Corbiere et Feuil-
lant : :U. Fcuillant , esprit fin, mais d'une application peu súre.
JI. Corhicre , systématique , mais travailleur. Dans la séance
du 8 mars , 1\1. Corhiere exposa le résultat de son travail:
« Vous étcs préparés dcpuis longtcmps, ainsi que toute la France,
aux sacrifices qu'imposent les circonstances ; nous n'avons plus
qu'a délibérer sur les moyens de les rendre moiuspéuibles. Quels
sont les moycnsd': parvcnir ? La vente des hois ne servirait qu'a
cnrichir quelques spéculateurs, Nous vous proposons un emploi
plus juste de ces bois. 11 Iaut les rendre alcur ancicnne destination.
Le projet de loi des ministres élevait de moitié, pour 1.tH6, les
contrihutions directos, ct proposait d'affccter les produits al'ac-
quiucmeut de J'arriéré. Ce plan, en surcliargeant les contri-
huablcs , n'olfrc pasasscz de süreté. le ltoi a voulu payer l'cxer-
cice des Cent-jours d'interregue ; mais doit-il acquitter les dettes
évidemment contractécs pour íavoriser l'usurpation ? la com-
mission propose d'autoriscr le ministre des finan ces a créer des
rentes consolidéesl'0ur lesscules créauces légitimemcntépurées. ))
Passant cnsuite ~I des ohjets de détail , le rapporteur présentait
des réílexions sur les honoraires des ministres d' Í~tat, dont les
serviccs pouvaient étre gratuits, sur le conseil d'État, trop chére-
ment payé, sur les traitemcnts des preruiers présidents et pro-
cureurs-gónóraux , qui pouvaieut égalemeut étre réduits sans
compromettre la dignité de la magistraturo , enfin sur les secré-
taires-gónérnux de préfecturc , regardés comme inutilcs, I ..e
rapportcnr disait qu'aux 1.2 millions demaudés par le ministre,
pour l'amélioration du sort des desservants et des vicaires , 011
ajouterait :> millions, les 1. SO millions aílcctés au ministre de la
guerre devaicnt éprouvcr de nombrcuses économies. Le scrvice
du ministere de la police ne lui paraissaít pas susceptible de ré-
duction , tandis que le ministére des finances et particuliércmcnt
la cour des comptes oITraient des économies notables ~l faire ,
soit dans la dépenso des bureaux , soit dans Ir personnel des




ClLU'JTIU: x.


cmployés. Au total le budget de }1. Corvetto était détruit.
M. Pasquier défendit le plan financicr du ministre. « Les


lois , dit-il , se font sur la présentatiou du Iloi par l'acceptation
des deux Chambres et la sanction royalc. La cornmission fait une
cxception h cette regle pour la loi du budget. Quel scrait le sort
de l'.État el de la Iégislation, si les rcccttcs et les dépenscs étaicnt
en question jusqu'a cctte 10i? Tout existe avant elle, sans doutc ,
mais tout en dépcnd , puisqu'elle scule fournit les moyens
d'exécution. On dit que votre premier devoir étant de ménagcr
les Intérets des peuplcs , vous devez arreter les dépenses exagé-
rées et réfonucr les dépenses antérieurcs , qui vous paraissent
cxagérées; mais , avant tout, vous dcvez cmployer les formes
constitutionnellcs. ) 1\1. de Bourriennc répondit : « La contri-
hution íonciere est si cxcessivc qu' elle compromet la richesso
nationalc : elle est si mal assise qu' elle varíe depuis la moitié
jusqu'au vingt-unieme du reveuu. tille nouvelle création de
rentes serait plus utile. En 1788, le revenu de l'État était moins
fort qu'a présent , la dette plus considérable , et les cflets 13u-
blics étaient au pairo En I'an V, la dette publique fut réduitc
¡I ti Omillions , et le tiers consolidé tomba a 7 fr. En 1Sll , le
Gouvcrncment devait 88 ruillions de rente, el l'on vit le cinq
pour cent ¿l 82 fr. la dcttc anglaise s'est toujours accrue , et
son crédit s'cst augmentc ; la dette fraucaise a toujours diminué,
et son crédit s'cst épuisé. )) M. de llougé ne vovait d'autre res-
source dans les malheurs de la patrie que le rétablissemcnt des
corporations: il s'eleva partículierement contre la vente des
hois ; ils seraicnt vendus ~I vil prix : ils dcvicmlraicnt la proie
de quclque compagníc noire ; leur produit serait insuffisant; les
créanciers ne rccevraient qu'unc valcur dópréciéc. L'orateur
proposait le rétablisscmcnt des maitriscs el des jurandes comme
un moyen <le Iaciliter la perceptiou des patentes. « Xous sommcs
tous d'accord , dit-il , d'attaquer ces capitaux dont les proprié-
taires restent tranquillcs spcciatcurs <les désastres de rÚat, dout
ils profitent quelquefois ; je propose en conséqucnce d' étahlir
un droit de un pour cent sur toutes les créauces hypothécaires




8l~ lIlSTU1HE DE L\ HEST\L1L\Tlo.\.
productibles d' iutéréts. Cet impñt douncrait au inoins ceut mil-
lions. J e vote pour que l'Église et les communes soieut renvoyécs
en possession des hois non vendus ; pour le rétablisscmcnt des
corporations; pour que le Roi soit supplié de proposer une 10i
qui proscrive le partage des hieus entre les enfants, et une
secoudc qui permette les suhstitutions, » Cette opinión était le
résumé sincere des sentiments de la majorité ! Dans toutes les
assemblées ardentes , réformatrices , provinciales, l'opinion d'un
impót sur les rentes se reproduit : il y a dans ces assemblées
haine des capitalistes et des prétcurs d'argent, Qu'est-ce qu'uu
impót sur la rente? si ce n' est un manque de foi pour le pré-
scnt et une impossihilité d'emprunter pour l'avenir. Qu'est-cc
qu'un impót sur les hypothcques ? si ce n'est une auguientation
dans le taux des iutéréts , cal' le prótcur, toujours maitrc des
conditions , proportionnera son pret ~l ses chargcs. « .J e crois par
scntimeut , répondit 1\1. Itoyer-Collard , que la doctrine de la
commission cst subversivo des príncipes. Consentir l'impót pro-
posé par le Itoi , tel est le droit des députés, Suivaut la doc-
trine de la commissiou ríen n' cst consacré que ce qui est irré-
parablc, Cette doctrine anarchiquc se trouve tout cntierc dans
ceue proposition étahlie par la connnission , (IU 'une 10i peut étrc
abrogéc par une autre loi. « Quel sera le résultat de cette dis-
cussion ? De paycr 100 fr. avcc 60 OH 61 fr. La Franco re-
lllarquera que ce n'cst pas son ltoi qui a fait une proposition de
cene nature; elle connait sa justicc el sa loyauté. »


L'intention de la Chainbre était de fuire perdrc le plus pos-
sible aux créauciers de l'arriéré ; de leur délivrer , el non pas
oucore ~l tous généralelllent, des rentes ~l un taux élevó, et qui
perdraient sur la place 30 ou hO pour 100; elle voulait surrout
révoquer la 10i de 1El 1h, qui aílcctait les Ioróts aux créauciers
de l' .Í<:tat. Son intcution était de les rendrc au clcrgé. La cour
était un peu dans ces opiuions , ct quoique Louis XVIII u'cút
pas de croyance religieusc tres-arden te , il peusair , counue la
majorité royaliste , que les hicns du clergó u'appartenaient
pa~ a l'État , el qu'il faudrait tUL OU tard les restituer, En




CIUPIlHE X.


présence de eette double difficulté , que devait faire le minis-
tere? 11 eonnaissait l'impossibilité d'obtenir un hudget , s'il ne
faisait les concessions demandées par la Chambre. Il avait jus-
qn'au dernier moment soutenu la Iégitimité de l'arriéré , ct
rirrévocabilité de la loi de septembre 181h, qui affcctait les bois
181 créancíers, C'est une justice ~\ rcndre au Gouvernement et
¡ti minorité de laChambre t qu'ils défendirent ensemble et avcc
aR'C{)llccrt honorable les principes de la foi publique. Mais la
.jorité s'était prononcée avec une telle violence , les passions
éIIdent si vives t la résistance si unanime, qu'il falIut renoneer
litmlVainere cette majorité. On en était déjü venu aux exprés-
"8 dures t injurieuses: M. Brenet s'écria : « On cherche ~\ cm-
pot8Onner les intentions de la Chambre des Députés par des
impUtations qu'il serait au-dessous desa dignité de repousser. Et
que veulent ceux qui ne marchent pas avec elle? Ils veulent,
~ l'expérience de l'année derniere t des amalgames perni-
~t lls veulent mettre en communauté la fidélité et la trahi-
son, le vice et la vertu, Voila la fusion qu'ils veulent opérert
rakhimie morale qu'íls poursuivent. »


Je ne sais pourquoi je suis toujours , en écrivant l'his-
toiré, entraíné aux comparaisons et a mettre les temps en
fa(e; les partis ont-ils jamáis changé de physionomíc! A toutes
l8J époques, les factions victorieuses n'ont-cllcs pas dénoncé ,
fráppé le Pouvoir sans rclüche , paree que ce Pouvoir tcndait ~\
l'ftl8ion! comme si les sociétés pouvaient subsister dans un état
pennanent d'hostilité t comme si la victoire , pour se pcrpétucr,
De devait passe faire sociale , et si les nations, comme au tcmps
de Iaconquéte harbare, devaicnt pcrpétucllcment se divisor en
ftibqueurs et el! vaincus, M~l. de Bonald , de Villele , Cor-
brere avaient faít entendre des paroles ardentes a la tribunc.
M. Laborie avait larrnoyé sur les foréts et les biens du c1ergélf
Les ministres en délibérercnt au Conseil plusieurs jours. te Roi,
''lUi avait été 'prévcnu et travaillé par la cour , declara ~\ ses mi-
nitres qu'il eutcndait qu'on en passñt par les opinions de la
Ghálnbl'e en ce qui touchait les lois et l'arriéré t et qu'il fallait


11. 8




86 IlISTUIHE 1>1'. L\ HES'L\LlUTIO\.
céder. Il le dit avec un acceut de douleur , cal' jusquc-la le
Roi s'était pleinement associé a la peusée de loyauté ct dl
fidélité de ses ministres. On lui fit valoir la prérogative royalc
offenséc , les dangers qui pouvaieut résulter de ces concessions ;
le Roi répondit : (( Je sais tout cela comme vous; mais il nous
faut un budget , et il y a impossibilitó de l'ohtcnir si vous IH~
Iaites ces concessions. )) Le Conseil des ministres délibéra des 101'8
sur un tenue moyen entre le projet de la conunission , véritablc
banqueroute partielle , et le systeme du Gouverncmcnt qui ne
pouvait obtenir majorité ; la cousolidation de I'arriéré en rente,
quel qu'en füt le taux, était odieuse; le Gouvernement se borua
a la rcndre facultative. I.e 23 mars, apres le résumó de la dis-
cussion générale, iU. Corvetto lut a la Chamhrc le projet arretó
clans le Conseil. (( On réunira les deux arriérés. L'attcrmuicmeut,
fixó par la Ioi du 23 scptcmhrc a trois ans , pourra en raisou
des circonstances étre prolongó ~\ ;) ans, Un intérét sera pa} {~
aux créanciers , la faculté d'inscription leur sera accordée. La
Chambrc statuera , en 1820, sur le mode de l'acquittcmeut
définitif de la dettc, te prix des hiens des conununes ct des
hicns domaniaux ccssc d' hrc applicahlc acet acquittcmcnt. La
vente des hois ccssera ('ga!emenl; et les bicns non vendus , an
lieu de revenir a la caisse d'amortisscmcnt , qui va reccvoir
une tout autre existencc , seront remis a la disposition des coru-
munes. )


La Chamhre accucillit ce projct avec des trépignemeuts de
joie; il n'était pas aussi parfait qu'clle aurait pu le désirer : mai:
les hois n'étaicnt plus affectés aun senice! On pouvait deman-
del' l'année suivante uu'ils Iusseut donnés au clcrué el les resti-


L L'


tuer aux communes ; on vcuait de Iairc ü la Chamhre UI)(
inuncnse concession. :\ ussi la discussion n' olfrit-elle plus de~
lors qu' un tres-Iaible intérét. Le ministerc s' entendait prcsqu:
su!' tous les points. Le hudgct fut 'oté aune assez Iorte majori [¡\
te hudget de '1 ~1 (j, le] qu'il so;,tit des mains de la Chambrc rito:
Députés , ne fut porrant pas un travail sans pensé es et sans ré-
sultats; d'abord iI détcnniua l'orgauisatiou d'unc caisse d'amor-




<:JJ\P/THI': X. 87
IjsS('Ill('JltiIld{~lwndante aH'C des revcnus fixes, et cene sur-
vcillance d'une commission de pairs et de députés qui a rendu
tant de services ; le hudgct des reccttcs, les accroissements
divers des contributions indircctes furent égalcment réglés avec
savoir et intelligence. T011t en agrandissant les droits des hypo-
thcques , de I'cnrcgistrcmcnt , la Chambre cut toujours en vue
l'amélioratinn du systerne de préts , d'inscriprion ct el'expropria-
tion; elle généralisa les trauscriptions apres vente, soumit il
I'enrcgistremeut des conventions qui échappaicnt acette publi-
cité; elle fixa l'augmentation de cautionnemcnts , les elroits gra-
duels du timbre, des contributious indirectos et eles douancs;
toutes ses idées ont été conservées et forment encore , sauf
quelques modifications , la hase de nos impóts. Quant au budget
des dépcnscs , la Chambro de 1815 se montra tres-économe.
Conune toutes les Chambrcs élues le lendemain d'un grand
mouvcment politique , elle vota des crédits de circonstance en
favcur des ídées qui avaient triomphé , mais elle amoindrit tous
les services ; elle résolut de largos retenues , supprima un granel
nombre de traitements inútiles. En somme , on ohtint beaucoup
de résultats : uous 11e scrurcrons pas les arrierc-pensées ; on ue
peut pas demande¡ autre chose que des résultats aux pouvoirs
politiques.


A la Chambre des Pairs , les cmpiétements faits par la Cliambre
des Députés furcnt sévercment dénoncés ; el un rapport de M. le
comte Garniel' íaisait la critique la plus amere des votes de
l'autre Chamhre. Ce-travail , fort remarquahle d'ailleurs , était
écrit un peu trop dans l'intérét de la prérogative royale. Le
rapportcur cxaminait d'abord si la Chambre eles Députés avait
eu le droit de prcndre une initiative aussi large , aussi com-
plete que celle qu'elle avait usurpée, Il répondait négativement :
« L'ordre constitutionnel cst intcrverti ; la marche des Pouvoirs
a élé dans un sens complétcment inverso. » C'était principale-
mcnt contre les dispositions sur l'arriéré et la révocation ele la
loi du mois de septemhre 181ú que le rapporteur s'élevait avec
force. « On a dit que toute loi était révocable ! l\1ais ce príncipe




88 HISTúIRE DE LA RESTAVRATTON.
peut-il s'appliquer aune loi de la nature dont il s'agit ; ü une
10i qui erée un droit en faveur de tiers intéressés, et qui étahlit
pour cux une sorte de propriété? Cal' l'hypotheque cst une vé-
ritable propriété. te Roi, par un des articles de la Chartc , avait
promis d'acquitter la dette publique, et de tcnir toute espece
d'engagement pris par I'Jhat avcc ses créanciers. Puisqu'il y
avait irnpossibilité de payer les créanciers en cspcces, il fallait
bien régler avec eux, et prendre des engagements ~l termes
fixes. te Gouverncment est le premier instituteur des peuplcs:
e' est par son exemple surtout qu'il doit étendrc et fortifier la
morale publique. Étre fidéle ~l ses cngagemcnrs est son premier
devoir. » La Chambrc des Pairs adopta les conclusions de son
rapportcur. Ainsi les dissidences entre les Pouvoirs politiques se
ruanifestaient de plus en plus. te ñlínístére , les Cliamhres
n'éraienr plus en harmonie.


Il résulta de ces discussions et des amendements de la
Chambre des Députés la presque impossibilité d'exécuter toutes
les dispositions du budger. Cependant M. Corvetto s'occupa ac-
tivemcnt de la constitution de la caisse d'amortissemcnt, du re-
couvrcment des impóts, de la régnlarisation des cmprunts. Des
ordounanccs royales réglcrent chaeun des services avec une im-
partialité fort rernarquable ; le ministre cherchait ainsi amodi-
fiel' les votes de laChambre des Députés, ü eITaeer peu ~\ peu ce
qu'ils avaientd'hostile au crédito Cecrédit s'établissait avec peine.
te Trésor faisait face a tous les services, Les bons royaux se né-
goeiaient a9 et 10 pour 1OO.L'immense émission de ces obli-
gations du Trésor , amenée par la liquidation forcéc de l'arriéré,
avait tout aIait déprécié leur valeur. Cependant, par des eITorts
inouís , aucun paiemcnt ne fut suspendu, les contributions de
guerre , les intéréts de la dette, les obligations du Trésor furent
également couverts. Je le dis avec consciencc, c'est h la loyauté
du Roi, ala Hestauration, aux hommespolitiques qui dirigercnt
alors les affaires , que l'on doit I'immense résultat de cette con-
fiance établie dont on jouit , et dont il ne faut jamáis abuser. La
R('vollltion et l'Empire avaicnt méconnu lcs doctrines, foulé aux




90 msrorm: DE I.A RESTACRATTON.
rangs , de dignités, C'útait comme une de ces tapisseries de
haute licc si mélées d'ornemcnts el de hlasons. te lloi , les
Prinecs avaient ehaeun sa eour ct son service. Ce luxe formait
la grande dépense de la maison du Iloi, cal' les Bourbons avaicnt
quelque ehose de la vieille prodigalité des gentilshommes. La
cour se divisait en plusieurs services réduits ü quatre divisions :
la grande aumónerie , la grande maitrise , la chambre , l'écurie,
toutes placées sous un haut dignitaire en fonction, Le vicil ar-
chevéque de Ileims, le cardinal de Talleyrand-Périgord, avait la
grande aumñnerie ; e'était un compagnon d'émigration et de
confiance pour Louis XVIII; il se mélait peu d'aífaires , tout
occupé qu'il était de son intendance des Quinze-Vingts; ilne
voyait que rarement son neven, le prince de 'I'alleyrand, que la
dispense du llape n'avait pas lavé ü ses ycux du caracrerc clóri-
cal, et qu'il était tenté encoró de traitcr comme son snílraganr,
lU. le cardinal de Talleyrand commencait déja ~I étre dominé
par M. de Quélen, vicaire-général de la grande aumónerie, pré-
lat élégant de l'école impériale ; il le créa depuis son coadjuteur,
Louis XVIII, pieux par étíquctte plutót que par conviction,
avait donné toute sa eonfiance ~I UIl modesto ccclésiast ique ,
1\1. l'abbé Ilochcr, son couíesseur : mais, sous son regue, jamais
les aumóniers, les confesseurs, les chapelains n'excrcerent d'in-
fluence active et puissante. 1'1. de 'I'alleyrand-Périgord allait pcu
ü la Chamhre des Pairs ; il n'y donnait méme pas l'impulsion,
dans eette Chambre, aux votes ccclésiastiques groupés autour de
de M. le cardinal de Bcausset.


La grande maitriso de I'hótel était coufiée a JU. le princ« de
Condó , et , en survivauce , au duc de Bourhon : il He s'en IW~­
lait pas ; tout reposait sur le duc d'Escars , premier maitrc-d'hó-
tel, que le Iloi appelait son grand maitrc de la cuisiue , et avec
lequel iI aimait a plaisantcr sur les mcts el les assaisonncmeuts.
1\1. d'Escars avait fait de l'art culiuaire une étude, II se piquait
d'invention , réfléchissait sur un dincr conune sur un plan de
carnpagnc. M. de Cossé-Brissac avait la dircction de la panctc-
rie; il remplaca depuis ~J. d'Fscars. Le comto dc Itothc {'rail




CJlAPTTRE x. 89
picds le crédit : l'honncur ele la Couronnc pnt tout réparer , et
ron vit plus rard toutcs les mcrveilles de la confiance publique,
et les fonds au-dessus du pair.


La hranche aiuée des Bourhons avait cela de noble et de ma-
gniñque qu'elle ne thésaurisait jamais.Elle avait une Liste civile
généreusement dépcnsée. Toutes lesinfortunes étaient secou-
rues, tous les pauvres tromaient des aumóues, Non-seulemcut
la maison du Iloi , mais celles de Mm\'sJEun, de la duchesse
d'Angouléme , des ducs d'Angoulémo et de Berri étaient char-
gécs de pensions envcrs d'ancicus scrviteurs. Tout en respectant
la plupart des secours de la Liste civile de l'Empire , on Iaisait
tont ce que ron pouvait ponr les fidelcs de l'émigration, 11 y
avait en quelque sortc tahle ouverte aux Tu ilcries pour les vieux
gentilshommes ruinés. Les Princcs donnaicnt tout ce qu'ils
avaient, s'endettaient mérne pour soujenir le vieux renom de
qrand aunumcur, que portait un de leurs illustres aieux. Ce
n'étaitpas seulementaParis, mais encore dans les provinces que
s'étendaient les hienfaits de la Maison de Bourhon..I'ai déja dit
que le Roi et sa famille avaient ahandonné, pour 18t6, dix mil-
jions sur la liste civilc r. Jls Iurent répartis entre les déparre-
ments qui avaient le plus souffcrt des íléaux de la guerre er de
l'invasion; les préfets recurent ordre de les distribuer sans dis-
tinction d'opinion. Y avait-il un incendie, une inondation ,
00 s'adressait 11 la maison du Hoi , et il úlait rare qu'un sccours
ne Iüt pas accordé, Louis XVIU s'en faisait présenter la liste,
et aimait aécrire de sa main la quotité de ces secours. J'ajou-
terai, pour étre vrai , que quclques fonds secrets des sceaux et
du minístérc de l'intérieur étaicnt mis ;\ la disposition du Iloi
pour ces dons de la Couronne. OH voulait populariser la royauté
enlafaisant intervenir cllc-méme dans la distrihution des hicnfaits.


la maison royale aimait aussi l'étiquette et les pompos de
Louis XIV. te chatean -des Tui lerics oífrait une hiérarchíe de


J La révelution a fait connaltrc l'cmplol de la liste chile de Char-
les X j le tablean des peusions au-dcssus de 2. 000 fr. a été publié. Que
seralt-ce si nous rlonnions 1(' tableau des pcti!s pcnsionnaircs :' ¡ 1._'


, ...




CHAPITRE X. 91
premicr échanson , mais l'homme tout-puissant dans la cuisine,
e'était -'1. le marquis de Montdragou qui prenait les' ordres du
Iloi pour son diner ; lorsque Louis X.'In désirait un plat par-
ticulier, il le discutait avec ~I. d'Escars. -'l. le prince de Talleyrand
s'était fait donner l'oflice de grand chambellan , c'était la pre-
miere dignité de la cour, 011 demandait un jour a 1\1. de Talley-
rand en quoi consistaient ses fonetions; il répondit en souriant :
« D'abord j'ai sur mes armes deux clefs d'or couronnécs , tout
justcment comme le Pape; je donne la chcmise au Roi, el je nc
cede cet honneur qu'aux princes du saug et aux princes légili-
més. 1\11 sacre, je chausse les bottincs aSa )Iajesté , et lui mets
sa tunique ; ainsi YOUS voyez que je ne sors pas de sa toilette;
mais e'est an sacre, et nous n'en aurons pas sous ce regne , pas
plus que de princes légitimés, » l\I. de Talleyrand , tout en se
moquant de ses Ionctions, n'cn tenait pas moius ~I tontos les pré-
rogativos de la grande chamhellanie. Il était rare qu'on no le vit
assis sur son pliant d'honneur , derrierc le fauteuil du Roí. Il
supportait avee son imperturbable résignation les disgrñces de
la physionomie royale , les pctites tracasseries que Louis X.VIII
faisait essuyor ~l ccux de ses ollicicrs qui ne pouvaient lui plaire,
Le grand rhambcllau gardait sa place et sa dignité; il aimait ~I
se montrer dans cct appareil conuue pour faire oublier qu'il
n'était pas hicn en cour. Hans les attributious de grand cham-
hellan etaient placés les quatre prcmiers gentilshonunes de la
Chamhrc, ~DI. de Itichelieu , de Duras" d'Aumont el de la
Chátre. I1 était agr~'ahle pour le grand chamhellan d'avoir sous
ses ordres le duc de Itichclicu , qui l'avait remplacé an minis-
ti\rf"n'. Le duc d' Aumont était alors en cour; le Iloi avait pour
lui de l'ainitié , mais moins encoré que pour l\I. le duc de la
Chátre. Tous ces prcmiers gentilshomllles profossaient des opi-
nions rovalistes ; tous auraient voté plutót avcc la majorité de la
Chamhre de '181;) qu' avcc les ministres el'opinion modérée. Ce
Iut lorsque le minister« se sépara de la majorité , que cette
sourdc opposition des gcntilshommcs se fit sentir. Louis X.VIn
ne trouvait pas de graIHh's ressources d' esprit dans ses geutils-




92 mSTüIRE DE LA RESTAURATIüN.
hommes , qui pourtant ne le quittaient paso JU. le duc d'Aumont
avait des formes élégantes et polios. l\DI. les ducs de Duras el de
la Chátre ne se distinguaient pas autrement. te Iloi les conser-
vait ~l cette place par succession ou par étiquette ; c'étaicnt des
héritiers de grandes maisons , des amis et des compagnons d'iu-
fortune ; et , bien que Louis X VIII ent reconnu par la Charte
l'égalité des droits, il n'aurait jamáis souffcrt , dans les dignités
de la cour , des gens qui ne fussent pas de bounes races et de
nobles blasons. Aupres de sa personne vivaient encoré les prin-
cipes et les nobles préjugés de Louis XIV et de Louis XV. V·
comte de Blacas, si aimé du Iloi., et dont la disgráce coüta tant
~\ son CCEnr, avait recu la grande maitrise de la garde-robe.
1\1. de Blacas n'était point en cour; on l'avait envoy« a Naples
pour négoeier le mariage du duc de Hf'ITi, ct plus tard il fut
ambassadeur aItome. te Iloi conservait avcc lui une correspon-
dance intime, mais il étuit dans son caractere d'oublier presquc
toujours ses favoris lorsqu'ils s'éloignaient de sa personne. Au-
tant il les déíendait et les protégeait aupres de lui, autant il les
abandonnait avcc promptitude une Iois dans l'éloignement. tes
deux maitrcs de la gardc-robc étaient aussi gcntilshonuncs de
noms et d'armes : le marquis d'Avaray ct le marquis de Bois-
gelin ; ce dernier , dans les honnes gráces de JIONSLEUR, se con-
servait parfaitement en cour , quoique l'ami particulier de )1. le
prince de Talleyrand,


L'office degrand écuyer n'était pas rcmpli , et Louis XVIII,
aux motifsd' économie ajontait d'autres raisons : « Le prcmier et
le plus beau dcvoir du grand écuver, disait-il, est de me suivre
lorsque je ferai mon entrée ~l cheval dans les villes conquises ; ct
je ne pense pas qu'avcc mon age et mes soullranccs je conquiero
heaucoup de villes. On rirait de moi si toutes les aunées , sui-
vant l'usage, je disais au grand écuyer : « lUün cousiu , Iaitcs
confectionner mon heaume ~l la royale, ma cotte d'armes , mon
écu, mes gantelets et mes épcrons, )) L'office de la grande véneric
était également en vacance. Le comtcde Girardiu , le plus habile
tireur de France , pronait sculcmont le titro de capitaine com-




93
mandaut les chasses , qu'il partageait avec le haron d' Ilanne-
court , capitaine de la chasse ~l courre. Le grand maitrc des
cérémonies , le marquis de Drcux-Brézé , tcnait son office par
hérédité dans sa Iamille depuis Louis XIV. te Iloi respcctait les
usages , les traditions , el quoiqu'il n'eút aucunc prédilectíon
pour M. de Drcux-Brúzé , illui avait conservé cependant avec
soin sesprérogativcs, qni consistaientdans l'ordonnance de toutcs
les cérémonics , mariages, baptémcs de la Famille royale , ré-
ceptions et audicnces solennelles des ambassadenrs. J'ajouterai
les quatre capitaines des gardcs : le duc de Croí d'Havré ,
hommc de modération ct d'accommodcmcnt , le due de Gra..
mont et le prinee de Poix ;: également dans des opinions sages ,
enfm M. le duc de Luxembourg, d'une pauvreté noble qui avait
passé en prover~, et vivant du traitement de ses serviccs au-
pn\s du H.o1. Tous quatrc licutcnants-généraux , leur capacité
militaire était on ne peut plus bornée; c'était au point qu'on
avait entendu dirc ~l 1\1. le due de Berri : « Prenez les noms
des quatre capitaines des gardes, mettez-les dans un chapean,
tirez-en un au hasard , se sera une » Nous sommes trop
polis pour achevcr la phrase, Ensuite venaient les gouverneurs
des cháteaux royaux. Ces gouverncmeuts étaient la récompense
de vieux services et de dévouemcnts éprouvés ; le prinee de Poix
avait celui de Vcrsaillcs et de Trianon ; les Tuileries , qui n'é-
taient plaeées qu' en seconde ligne , dans le cérémonial de la
cour, avaient pour gouverncur 1'1. le marquis de Champeenets;
Saint-Germain, le comtc Rozan de Périgord ; Compiegne, le vi-
comte de 1\Iontmorency ; Fontaineblcau, le duc de Coigny; Ram-
houillet, le due de Sérent ; le Louvrc, le eomte de Vaudreuil.


'fOtIS ces personnages formaient ce qu'ou appelle la cour,
Louis XVIII avait sur tous , comme on l'a dit , de l'iufluence ,
mais, 11 leur tour, ils exercaicnt une inévitahle aetion sur le Roí.
JI fallait avoir une tete bien organisée , une volonté bien ferme
pour résister a l'influcnce continuelle de ces gentilshommes de
cour qui , par droit , se trouvaicnt placés aupri-s de Sa JUajesté,
et qui , chaqno jour , lui faisaicnt entcndre ot les mémes plain-




9f, mSTOJRE DE LA RESTAliHATIO'\'.
tes et les memos priores. les rois ne sont pas des elres privi-
légiés , el les couscicnces les plus décidées et les plus forres out
des moments oú elles cédent tonto Chaque prince avait égale-
ment sa cour particuliere , exercant plus ou moins d'action sur
son esprit. MO~SIEUB. avait comme le Jloi des gentilshommesde
la chambre : MM. de Maillé et Fitz-James , ses amis plutót
encore que ses serviteurs. S. A. R. avait cela de plus cntrai-
nant que Louis XVIII, qu' elle aimait par son CU'Ul' et non par
la tete. Sa cour était comme une réunion d'amis dévoués a la
personne du princc, On comptait parmi ses gcntilshommcs
d'honneur, Ml\!. le viconue de Latour-du-Pin , de Larochc-
Ayrnon , de Sesmaisons, de Chabrillant , de Bourbon-Husset.
le comte Armand de Poliguac était son premier écuyer. Ses
souvenirs de reconnaissauce s'étendaient jusqu'aux plus petits
services de conspiration ou d'exil , el M. Charles d'Hozier, l'un
des graciés par Napoléou dans la conspiratiou de Georges Ca-
doudal , était écuyer cavalcadour de MONS1EUH.. Les capitaines
de ses gardes , étaient égaIcmentdeux compagnons de ses avcn-
tureuses infortunes : le comte Francois d'Escars ct le comte de
Puységur, Parmi ses aides-dc-camp on distinguait son ami ele
CU'LU' le marquis de Rivicrc , dont le dévoucment chcvalcresque
égalait la vieille fidélité du xrv- sieclc , les comtes Jules de Po-
lignac , de Brugcs , de Bouillé , Alcxis de Noailles , le marquis
de Vibraye. Les généraux Bordesoullc ct Digeon, soldats de
l'Empire , qui s'étaient dévoués au pavillon l\larsan, comptaicnt
également dans l'état-major de MONSIEUB.. la petito cour du
duc d'Angouléme n'était en quelque sorte que le dédoublemcnt
de celle de son pere, ]U. le duc de Damas, était son premier
gentilhomme de la chamhre ; le duc de Guiche, son premier
écuyer : il avait des formes distinguées , ct faisait de sa toilette,
de la coupe de son hahit , des liaras et de ses chcvaux son
unique étude, Les premiers gentilshornmes ct aidcs-de-camp
de S. A. R. avaient tous appartcnu ü l'émigration : tels étaicnt
l\HI. le vieomte d'Escars , le haron de Damas, le eomte l\leJ-
chior de Polignac et Louis de Saiut-Priest. Le comte de Cham-




pagllY, de la nouvelle anuéc , couuueurait Ü preudre quelque
ascendant sur le princc , ascendant qui s'accrut ¡t mesure que
S. A. H. se pénétrait de l' idée 'Iu'elle était appelée a recon-
stituer l'état militaire en France. La maison de l\1ADA1IE, du-
chesse d' Angouléme , se trouvait complétement séparée de celle
de son mari, C'élait une cour froide et pieuse. lU. de la Fare ,
premier atuuónier, avait moins d'ascendant sur l\1ADAME que
l'abbé de Vichy. '[out le pcrsounel des dames d'honneur et
d'atours était composé sur ces idécs de dévotion. ñlcsdamcs de
Séreut el de Damas paraissaient avoir la plus grande confiance
(le S. A. H., qui aimait égalcment de prédilectiou mesdames
de Béarn , de Gontaud-Biron, la vicomtesse de Yaudreuil , la
marquise de Itougé. Au milieu de ces honnes (Cunes de charité
et de prieres , quelques Iaiblcsscs d'amour devaicnt étre soigueu-
scmeut cachées a S. A. IL te chevalier d'honncur de -"IADA:\IE
était le pieux vicomte de Jlontlllorency, et son prernier écuyer,
le vicomte el'Agoult. ene cour plus gaie entourait JI. le duc de
Berri. Le comte de la Ferronnays avait toute l'amitié de S. A. R.
jusqn'a ce qu'une dispute de genulhonune l'en sépara, Cheva-
Iicrs d'Ironucur, aidcs-dc-camp , tous se ressentaient du carne-
tero de S. A. H. JD!. de Mesnanl, de Clcnnont-Lodóve , de
Chabot-ltohan , de Brissac , d'Astorg , de Choiseul, de Beauffre-
mont el de Coigny. 11 y avait tout a la foisbrusqucrie , galanterie
el bonté de cc.ur daus cette cour de jeuues honuncs, JI. le duc
d'Orléans n'avait pas encore nommó aux places d'honneur de sa
maison. Il n'en était pas (le móme du priuce de Candé et de JI. le
duc de Bourhon. Tous les anciens ollicicrs furent rétablis dans
leur palais, 11 y cut méme dans ccttc hiérarchie un vidamc ,
dignité diflicilo ü expliquer sous l' empire de la Charte pour
d'autres que pour -'1. le prince de Condé.


Toutc cettc cour {'í;li¡ occupóe du prochaín rnariage de J1. le
duc de Berri. On a dit que ,"H. de Blncas avait été cnvoyé a Na
ples pour négocier' CC' mariagc. JI He put y avoir de difliculté.
Laroyauté des Dcux-Siciles a\ ait été rétahlíe par I'influcnce des
Bourbons de la brauchc aiuéc; uiais quelle pouvait étre la portee




96 lUSTülHE DE LA RESTALHATlO;\.
politique de ce mariage? Quelle alliance pouvait-il apporter ?
On conccvait l'union d'un fils de Frauce avec une princcsso
russe , autrichicnue ou anglaise; mais Naples n'ajoutait pas la
moindre force dans la balance. Ce fut peut-étre pour n'avoir
pas ase prononcer, et ensuite par príncipe catholique , que l' on
rhoisit cette alliance iusigniñantc, La jeune princesse de Naples
n'était pas jolie; sa physionomie était irréguliere , mais pleine
d'expression. Le sangde l'Italie respirait dans ses traits , comme
dans celui des filles de la Sicile dout parle Virgile.Lcl5 avril
les conventionsdu mariage furent arrétées a Naples entre le mar-
quis de Circello et le comte de Blacas, Elles stipulaient une dot
en argento Le 23 on céléhra le contrat religieux , et la princesse ,
confiée au comte de Blacns , s'embarqua pour )Iarseille. te
duc de Richelieu lit la communicatiou ofJiciel1e du mariage ~\ la
Chambre des Députés en méme temps qu'il demanda une dota-
tion pour M. le duc de Berri. Cctte dotation était fixée auu
million, mais , vu les eireonstanees difficiles , le Roi la réduisait
a 500000 franes pendant cinq ans. On affectait un million au
ministére des aífaires étraugeres pour les retes ct les dépenscs
occasiouuécs par le mariage. En llH~IIlC tcnips une ordonuauce
du Roi déterminait les fonnalités nécessaires pour constater
J'état civil des membres de la Famillc royale , et ces artes de-
vaient étre déposés aux archives de la Chamhrc des Pairs,


Cette conununication excita l' cnthousiasmc parmi la majorité :
« Eufin, dit }I, le marquis de Puyvcrt , nos vceux sont accom-
plis ; une jeune princesse va s'unir au frere du hóros du :\lidi.
Joignons nos HI'tlX ardents pour obtenir de cette union un digne
rejeton de saint Louis, Je demande- que des souscriptions \'0-
lontaires , pour ctre employées ~\ des acres de hicuíaisanco pu-
blique, soicnt ouvertes dans les villcs au-dessus de six milloames
et dans les grandes arlministrations. ) La Chambre augmcnta la
dotation du prince ; mais 'L 1(' rluc de Bcrri lit écrire par JI-. de
Itichelicu qu'il appliquait les JOO 000 fr. en j.lus (¡ue Iui votait
la Chambre au soulagement des provinces (lui avaicnt soufI'ert de
l'ínvasion. Les réponses du Roi et de ~lü;\slEun aux Chambres




.cIIAPllHE x. 07
furent tres-gracicuscs. « J'espere, ñlessieurs , dit le emule d'.11'-
tois , que l'événement quc la Providence a auiené et préparé
assurera la félicité de la Frunce. Notro race a l'honneur et le
bonheur d'étre purement francaise ; eeux qui naitront d'clle lié-
riteront de tous ses sentiments. » La réponse du duc de Berri
fut plus grave et plus politiquc: « Je remercie le Roi d'avoir
permis a la Chambre des Pairs de venir m'exprimer ses sentí-
ments, j'y suis tres-sensible. L'événemcnt qui nous rasscmble ,
contribuera aassurer le bonhcur de notre patrie. Si j'ai des en-
fants ,lUessie.urs, ils naitront avec des sentiments d'amour pour
les Francais , qui sont innés dans notre famille. Je les éléverai
dans le respect dü au Roi el á la Chane constinuionncllc -' ou-
vrage immortel de sa sagesse, acettc Charte qui assure ajamáis
la liberté du peuple et la puissance du monarque. » Dans sa ré-
ponse ala Chambrc des Députés , l\lONSlEUR ne put s'empéchcr
de _faire eonnaitrc ses sentiments pour la majorité si royaliste et
qui 8enait si bien ses projets. «Je ne saurais vous exprimer
combien je suistouchédes sentimentsde la Chambre des Dépu-
tés; ma famiJIe, éprouvée par les pluseruels revers, les oublie
toas en pensant qu'elle peut encore eontribuer au honheur des
Fran~is. Et devant qui, lUessieurs, pouvons-nous mieux ex-
primercessentiments que devantune Assemblée qui les partage
éminemment, et qui est si digne de représenter la nation fran-
~seT » La jeune princesse des Deux-Siciles arriva en France
dansle courant de mai; un grand cérémonial l'attendait a l\lar-
seille ; ~l. le due d'Havré, la maréchale Oudinot , et plusieurs
autres dames d'honneur et d'atour devaient l'y recevoir. Un
bataillon de la garde avait également fait la route de Paris ~l
Marseille pour lui servir d'escorte royale. Un plus hrillant appa-
reil militaire lui était réservé dans son aecueil ü Lyon. .Tcune et
Iégere , e'est a peine si elle sentait le prix de ces hommages
d'apparat. Dansant, folátrant dans sa ehambre, a hord de la
frépte qui J'avait amenée, on fut obligé de l'avertir que les
auttrités et le peuple la demandaient agrands cris, Elle se ren-.
dit Blee qaelque bouderie asesvceux , aceuc curiosité publiqu~~


XL 9'"




9R IIlSTOIHE DE tA HESTALH\TlU.\.
non sans proíércr un petit juron de sa Iauguc matcrnrllc , que
plus tard , daus ses momeuts d'cnnui , nous lui aHHlS ('iJtl'lldu
si souvent prononccr, che scccatura ' S. ,\. H. acquit de la po-
pularité par ces dissipations de la vie qui Iaisaient contraste arce
les mceurs d'une cour devoto. Il est si facile aux princes d'étre
populaires en France , il ne faut quelquefois qu'un peu d'aban-
don dans les fétes , dans les plaisirs de théátrc et de cour! te
Roi et le duc de Berri formerent la maison de la jeune du-
ehesse avee convenance. Ils placcrent aupres d'elle , conune
nous l'avons dit , la fcmme d'uu soldat de la vicille année , la
maréchale Oudinot. C'était une innovation. Le duc de BClTl,
si léger en amour, aima sa femmc et lui inspira de la confiance.
L'un et I'autre sans faste, amis des arts, parviureut a se Iairc
adorer de cettc capricicuse population de París. 011 les voyait
seuls a pied , se promenant sur les boulcvards ou aux Chaiups-
Élysées, Combien cette simplicité faisait contraste avec cene
pompe ahuit chevaux des priuces de la maison de Bourbon !


Ce qu'on appelait la Famille royale, et parriculiercmcnt le comt«
d' Artois et .MADA~lE, duchcsse d'Angoulémc, excrraient uuc im-
mense influcncc sur l'esprit du Hoi , el cela se cOIl\·oil. OH se
réunissait tous les soirs: Louis XVlIl aimait a causcr ; lorsqu'il
y avait un acto qui déplaisait ;1 la famille, iU. le comte d'Artois
gardait le silence , Iaisait le boudeur : sa physionomie annoncai:
de la mauvaise humeur , et le diuer était Iort triste; quclqueíois
l\lOl\"SIEUR éclatait contre le systcmc, préscntait des ohservations
sur la Chamhre , sur les ministres. Lorsqu'il y avait quclqu«
conspiration patriote , une ólcctiou trop pronoucée , ;\Io:\sIElH
ne mauquait pas rl'en parler ~1 son Ircrc , tl'exugércr la tendauce
des opinions libérales ct Icurs mauvais desscius. S. ¡\. Il. était
parfai tement inlormée , elle cherchait toujours ;1 prevenir eL Ü
domincr par la vitcssc de ses infonuutious tontos les imprcssiou-
du Roi. }lAf)A~IE c.\er\'aü rgalclll(,lllllll grand empirc sur le C(l'111'
de Louis XVIII. Elle avait la puissance du uulheur , et inoutrait
sans cesse al'imagination du Hoi la chute de ces deux tetes roya-
les, de son pere et de sa mere, couune uiouument eílroyablc des




CHAPITRE x, 99
doctrines résolutionnaires l C'était pOtIr Louis XVIII commeune


/t'mme vétue de denil ('1 f/1Ú luí dcnuuulsit d 'épargncr sa race
perdue par la faiblesse et les conccssions; cela jetait du trouble,
deI'hésitation dans l' esprit du ltoi, II y avait dans son iutérieur
une petite aetion de chaqnc jour , insensible, mais qui , par sa
continuité, devcnait toutc-puissante et dominait ¡\ la fin ses plus
fortes résolutions, te mariage de la duchcsse de Berri fit cesser
ces habitudes de deuil, ces pleurs officic!s dont on ahrcuvait alors
les Tuilerics. Depnis la solcnniró du 21 janvier , votéc avec un
enthousiasme douloureux par la Chamhre des Députés, la Cour
n'avait ccssé d'étrc occupéede couuuémorations lúgubres sur les
royales victimes de la Ilévolution. Lors de l' exil des régicidcs, on
avait fait, parl'ordre du ministre de la police, une visite domici-
liaire chez le représcntant du peuple Courtois, et on avait trouvé,
parmi les papicrs du comité de sürcté générale, le testamcnt de
lUarie-Antoinette. Cette piece, écrite avoc ce religienx sentiment
et ces émotions d'une reine prete II monter sur l'échafaud , excita
dans l'áme de LouisXVIII la plus vive douleur. A cette époque,
lU. Decazes, dont le crédit s'affaihlissait parmi les Iloyalistes, per-
suada au Roi qu'il pourrait érre convcuabl« de connnuniquer
cettepiéce aux Chtunbres j{·gislaliyes. le Iloi y consentir ct ajouta:
« Comme vous u'étes pas tres-bien avcc ma niece , allez YOUS-
« méme lui anuonccr cctte triste découvcrte ; elle vous en saura
« -gré. Je me charge de Iui rcmcttre la houcle de cheveux de ma
« sceur madame Élisabeth el du roi Louis XVII. » 1\1. Decazes
s'acquitta de la commission dont il était chargé, La duchesse
dJAngouJemc préta peu d'attcntion ü cettc conununication et re-
{:-ut trés-brusquement le ministre du Iloi. Quels motifs peut-on
préter il ecuo indifléreuce ? Était-ce pour rémoiguer qu'elle n'en
savait aucun ~r{~ au ministre ? Érait-cc , comme l'histoire doit le
recueillir, que madame d'Angou!(\nle, qui adorait son perc, ai-
mait moins sa 1ll('I'(~ '? Ce' resramcnt fut done commuuiqué a la
Chamhrc des D('I)llt{·s, et acrucilli par des cris luguhrcs el des
pleurs. « te lloi, dit ;\1. Dccazes, en me confiaut cctte mission, a
"OU~l1 Iairo poner cet honneur bien moins sur un de ses ministres




1()() nrSTüTRE DE LA RESTAURATTüN.
que sur un d(~ ros collégucs. Sa majosté a voulu vous donner une
nouvellc preuvc qu'elle partagera en tout temps et avecvous les
sentimeuts qu'clle éprouve, )) Alors, au milieu de I'émotiongéné-
rale,}l. de :\larcellus psalmodia cettc invocation : « L'attendrisse-
ment religieux dont nos ames sont pénétrées me laisse apeine la
force d' exprimer un vceu qui, je n' en puis douter, est déj~\ le vu-
treo Nous n'avons pas assez de larrues pour déplorer tous les
exces, tous les malhcurs auxquels a livré uotre patrie la plusdé-
sastreuse des révolutions qui ait jamáis ravagé le monde. Ah!
désabusons-nous enfín de cet esprit révolutionnaire dont nous
voyons de si funestes résultats, O France ! u ma patrie! vois com-
bien il est muer et douloureux pour tes enfants d'avoir ahandonné
leur Dieu ct leur Roi ! »


En résultat , la discussion sur le burlgetavait constaté la pres-
que impossibilité pour le miuistere de se maintenir en présenr«
de la Chambre, L'esprit de la majorité s'était montré en constante
oppositionavec les idées du Gouvernement; elle mettait des em-
péchcments a tous ses actos, elle l'cntrainait violemment en de-
hors des seules voies d'ordre ct de modération ponr constitner un
état social en dchors des íairs fatalcmcnt accomplis depuis
1789. Ce u'était pas sculcment en modifiant les projets du minis-
tere par des ameudemcnts que la majorité manifestait sa tendance
et qu'elle cherchait ~\ l'empreindrc dans tous les actes du Gou-
vernement , mais encere des propositions soudaines venaient ,
comme des actes d'accusation , dénoncer la négligence des mi-
nistres; la prérogative royale était envahie par le droit ]e plus
largo d'amendemcnt ; elle était forcéc par ces propositions qui,
adoptées dans la Chambrc , éraient cnsuite reprochécs au minis-
terc, lorsqu'il ne se hátait pas de les convertir en projets de loi.
J..es propositions les plus hardies furcnt faites durant la session
de 1815. Cela doit étre dans toutc asscmhlée qui a la prétention
de refaire la société. JI faut bien qn'ellc mette la main ¿\ l'ceuvre
et qu'elle démolisse ce qui est, afin de poser chaqué picrre d'un
ordre social qu'olle réve. Il y avait alors heau jeu pour les ima-
ginations de MM. de Bonald, Salaberry ct Castelbajac. Les )))'0-




CHAPITRE X. 101
, ilIIitioos de la Chambra de 1815 portaient sur dcux idées princi-


IPA', lesquelles devaient former les bases de la société qu'elle
·¡..jt instituer : 10 agrandir l'influence du clergé; 2° concen-
" i/lll forees du Gouvernement dans les mains des aristocratics


i1.¡ Sil'on étaitparvenu ¿l atteindre ce douhle but, on aurait
~Pim:é, du moins pour quelque temps, la puissance des
'!Inés de la Révolution. lUais ce résultat était-il possihle ?


"t-on créer ce qui n'existait pas? donner de la force ace
fl aurait vaíuement cherché au milieu de la société? Le


_·é avait une influence pieuse et morale, mais que pouvait-il
"Olnme eorps politique? L'aristocratie et la noblesse dloj¿l


..iesavant la Révolution se seraient-elles retrouvées apres une
'
Illuuon de vingt ans, OU tout avait disparu : grandespropriétés,


. prestige de noms! L'aristocratie n'avait plus pour elle que
goüt , ces manieres distinguées, ces formes qui la font
'u~r partout. Elle devait s'en tenir a eet empire , le seul
R!l~uel vainement on déclame et qu'on adore toujours. La


ledes Députés fut done préoccupée d'une chimere; il est
mi. avee quelle persévérance elle la poursuivit, A peine


,ion était-elle ouverteque 1\1. de Castelbajac appela l'atten-
1.~eJa Chambre sur l'état de la religión en Franco. te but de


pnf était d'autoriserle clergé arecevoirles donations testa-
'res, et de créer une église indépendante, « On peut guérir


UJ:lmeurs de la guerre , disait le pieux orateur , mais on ne
_ !l. !las aussi facilement le mal qu'a produit en elle une lon-
_~ , . sence de religión et de morale. C'est avous, qui étes ap-
peJú. la faire oublier ~ la Franco lescruellcs iufortunes, aprcndre
les moyens nécessaires pour reudre a la religion, non son an-
cienne splendeur, hélas! elle ne peut plus y prétendre aujour-
d'hui, mais du moins une existencc qui garantisse ¿l la généra-
tionfuture les avantages dont nousfümes privés, Qu'on parcoure
JaFrance" et l'on frémira de l'état d'humiliation oú se trouve la
religion, Dans plusieurs de noscontrées, cestemples, témoius ,i-
vaatsde la Ioi de nos aleux, sont abandounés ; l'oiseau de proie a
établisa demeure oü était autrefois le tahernacle, et laoú sechan-




102 HISTOIRE DE LA RESTAURATlON.
taient de saints cantiqucs , 1'on n'entend plus que le cri de dou-
Ieur du pieuxhabitant des campagues, qui interrogo ces ruines, el
leur demande OU done est maintcnant la dcmeure du Dieu de ses
percs? » En conséquence , M. de Castelhajac formulait une pro-
position. «( Les évéques et curés sont autorisés arecevoir toutes les
donations de meuhles , immeubles ct rentes, qui pourraient leur
étre faites par des particuliers, pour l' entreticn du culte , de ses
ministres, des séminaires , ou tout autre établisscruent ecclé-
siastique pour les posséder cux et leurs successeurs ü perpétnité ,
en les appliquant ala destination voulue par le donatcur. ))


La Chambre écouta si favorablciuent cene proposition qu'ello
choisit pour rapporteur M. Chifllct, député du département
du Doubs , dont le nom se rattachait aune c(-I(;hrité historique,
¿l ce Dom Chifllet l'historieu de saint Ilernard. Son travail Iut
pieux comme l'objet de la proposition. « Il y a inconvcnancc ,
dit-il , d'abaisser au rang de salaries les ministres de la religion
et de la' morale , lorsque vous désirez tous rétablir et la morale
et la religión, Le clergé ne prendra done l'iufluence qui lui est
nécessaire pour le honheur commun, qu'cn dcvenant proprié-
taire, En principe , dans une nation csscnticllcment proprie-
taire, le clergé doit 0tre propriérairo, » ~L de Saint-Cerv
déplora la spoliatiou dont le clergé avait été victimc. « En
quoi cette spoliation a-t-olle contrihué an bien du pcuple ?
La sage admiuistration du clergé répaudait l'aisance et le
houheur dans les terres qui lui appartcnaient ; jamáis il n'a
manqué ü 1'~~tat dans ses nécessités, M. Cardonncl , vieillard
presque aveugle, ardent défenscur des projets de la majoritó ,
alors s' écria : « Des bicns , des rentes, des capitaux , ont élé
soustraits ala cupidité des révolutionnain-s , ct rcmis en d('PIlt
dans les mains ticrces, Jo proposo de s'adrcsscr ü la couscicnco
des détenteurs de ces d(opots et d'cncourager les rcstitutions , en
les assimilant aux donations , saus cxiger aucun compr« <In
passé. » Et l'on applaudit de toute part, (( Si le clergé d(' Frauc«,
répondit :\1. Ilovcr-Collard , s'est montré cito~ en dans ¡('S diflé-
rends qni se sonr élevés entre les chefs spirituels el nos rois , s'il




CIIAPlTHE x. 1.03
a SOiltCIlU ceux-ci dans leur résistance a des prétcntions con-
rraircs il l'intérét de leur eouronnc, c'est qu'il a toujours été
dans lcur dépendance. Cet état de choses est nécessaire pour le
maintien des mceurs et pour la considération du clergé, » La
nécessité de l'autorisation royale fut déíendue par MM. Pasquier
ct Bccquey, lis sentirent égalemcut que le dergé n'étaut pas
corps , il était diflicile de Iui rcconñaitre le droit de posséder.
Connne tcrrne moyen la Chambrc adopta le príncipe que le
cll'rwí pourrait recevoir des donations sans autorisation jus-
(fu '~l concurrcnce de 1000 fr. Elle ajouta une disposition har-
die qui ohtint pourtanL le vote de la Chumbre. Toutes les lois
ont déclaré nulles les donations faites par un mourant ~l l' ec-
clésiastique qui l'a assisté dans S('S derniers moments. L'in-
ílueuce ost alors si facile! La majoritó fit passer le príncipe
lJue le confesscur pourrait recevoir un legs, ~\ charge , par
lui , de l'appliquer dans l'année aux besoins du diocese!


Le dergé était déclaré propriétaire , apte ~l posséder , et par
conséquent corps politique et constitué l Mais cette faculté
de recevoir par donation n'aurait d'cffet qu'apres un certain
laps de remps: elle no sccourait pas immédiatcment l'J~glise.
}J. ele 1llaJlgi déposn une proposition pour que la Chambra
rcconnút en prinripe « que le sort des ccclésiastiques devait
Nrc amélioré , ([U' une humble adrcsse Iút soumise ü Sa Jfa-
jesté pour lui exprime!' il cet égard le voiu solenncl de l'As-
scmblée. M. Iloux-Laherio lit le rapport : il rappela l'édifice
magnifique de l'aucieunc Église , de maniere a émouvoir la
uiajnrité : cal' la raisou de droit et d'équité sur laquelle OH se
fondait, digne de fixer I'ancntíon , ótait que l'Assemblée
Constituaute clle-méme , dépnuillant le clergé , lui avait pro-
mis un revenu de ~2 millions. Ce reveuu, OH le devait conuue
liI;(' promesse sacróo. « Ah! saus doute , disait JI. Laborie, il
fallí Inut Iaire marcher eusnuble , saus doute il faut soutenir le
crédit puhlir , il faut paycr l'arriéré : mais il Iaut aussi que de
pareils maux ccsseut , pour récoucilier Dieu avec la tcrre, le
cid avec la terr« , 11' ciel avcc la Franco. )) Au nom de la com-




10h HISTOIRE DE lA llESTAUllATION.
111]SS1011, ~I. Laborie proposait deux rectiflcations au budgct.
« Immédiatement apres l'artic1c d.. la dctte publique, on placerá
l'articJc supplémentaire pour les dépenses du clergé en '1816.
Puis , pour mémoirc, un second articlc, qui sera répété chaqué
année , comme le memorial des cngagemcnts que vous aurez
contractés au nom de la Frauce avec son Dieu ct son Roi, por-
tant la somme a laquelle les' dépenses du cuIte seront irrévo-
cablemcnt fixées pour l'avcnir. Pour inspirer confiance aux
créanciers qui réclament , ajoutait 1\1. Lahorie , la Chambre ira
chereher des créanciers qui ne réclament pas, de vieux prétrrs
qui se taisent et qui meurent! Pour garantir le déficit elle l'aug-
mente, paree que, pour payer, il faut exister, et qu'un granel
peuple, plein d'avcnir, de eourage et de ressources , ne périt
jamáis sous le poids d'une dette quelconquc , mais succombe
sous l'impiété et l'irréligion. J) Puis, vinrent les propositions
pour restituer les hois ct les biens invendus au c1ergé. On porta
au budget une allocation plus forte pour les ecclésiastiques. Il
fut proposé de leur confier l'éducation publique. L'Université
fut violcmmcnt attaquée. On signala la néccssíté de rcmettre les
registres de l'état civil dans les mains des curés , atin de rendre
¿l Dieu les grandes époques de la vio des hommes,


C'est en partant de ces idées de morale relígieuse que l\I. de
Bonald développa sa proposition sur l'abolition du divorce, l\I. de
Bonald fut d'une éloquence admirable: défendre le saint carac-
tero du mariage, c'était pour lui une idée ancienne , cal' des le
eonsulat 1\1. de Bonald avait lutté contre le divorce. A la trihune
l'orateur se résuma dans une grande et forte péroraison : « Vous
regrettez, sans doute , que la sévérité de nos reglements ne vous
permette pas de rendre aux mceurs un hommage éclatant , en
votant par acclamation l'abrogation de la faculté du divorce , et
qu'il vous soit interdit de traiter cette loi désastreuse , connne
les coupables de notoriété publique que la justice met liors la loi
et qu'elle condamne au dernier supplice sur la seule identité.
Hátons-nous de faire disparaitre ccttc loi de notrc législation
faihle et fausse qui la déshonore , cene loi tille ainée de la ph i-




CHAPITRE x. 105
losophi() qui a boulovcrsé le monde el perdu la France , et que
sa mere , hontcuse de ses emportements, n'essaie plus méme
de défendre, Les anciens, dans un état imparfait de société ,
plus avances dans la culture des arts que dans la science des
lois, ont pu dire : que peuvcnt les lois sans les mreurs? mais
lorsque l'État parvenu aux derniers confins de la' civilisation a
pris un si grand empire sur la famille , il faut renverser la
maxime et dire : que peuvent les mceurs saus les lois qui les
maintiennent ou memo centre les lois qui les déreglent ? Légis-
lateurs , vous avez vu le divorce amener ü sa suite la démago-
gie , et la déconstitution de la Iamillc précéder celle de l'.lhat.
Que cette expéricnce ne soit perdue ni pour votre instruction
ni pour votre bonheur. Les familles demandent des meeurs , et
rÚat demande des lois. Renforcer le pouvoir domestique, élé-
ment naturel du pouvoir puhlic , et consacrer l'entiere dépen-
dance des femmes et des enfants, gage de la constante obéis-
sanee des peuples. » La proposition Iut admise a l'unanimité.


Ainsi la partie religieuse de la eonstitution et de la société était
fortement rétablie, La Chambre voulait reconstituer la famille et
l'I::gIise. C'est un pcu la tendance de toute assemblée qui vicnt
aux affaires apres un grand mouvement politiquc : elle veut in-
cessamment changer, refaire ,établir, constituer d'apres son
propre esprit et sa nature particuliere. La Chambre en fit moins
pour l'aristocratie. C'était une cause trop personnelle, et on se
la réservait pour la session suivante. Cependant, sur la demande
de lU. Piet, il fut proposé d'accorder un sursis aux émigrés
contre leurs créanciers, proposition adoptée ~l une grande ma-
jorité, JU. JUichaud, qui avait échoué comme orateur politique,
retrouva son élégance et son esprit dans une longue apologie
des services rendus, dans les Cent-Jours, a la cause royale.
M. le général Canuel demanda des réeompenses pour les glo-
rieuses armées de l'Ouest , de la Vendée et du l\Iidi qui avaient
serví la bonne cause. Cette proposition émanée d'un vieux géné-
ral républicain excita des trépignements de joie et les applaudis-
sements de l' Assemblée. Ce fut 1\1. Sosthenes de La Rochefou-




106 HISTüIRE DE LA RESTAURATIüN.
cauld qui proposa le deuil puhlic et national pour la mort de
Louis XVI, noble pcnsée de réparation; la France se séparait
hautement des régicides. Mais on poussa trop loin les oraisons
funebres: ce fut une discussion luguhre. Chaque membrc vou-
lut ajouter un anuiversaire de douleur; on parla d'une Iétc
fúnebre pour la lleine, pour le Dauphin , pour madame :Élisa-
heth, pour le duc d'Enghien. 011 avait des larmes dans la voix
pour toutes les royales infortunes. Ilélas! la Franco n'était pas
responsable de ces crimes politiques ! 1\1. de Marcellns l)J'ollon~a
une espece de psaume ala trilmne. Je ne sais quel autre dépn I{'
declara que nous étions tous des moustrcs d'avoir snrvécu l\ ces
grands attentats. Il n'y cut d'élevé que le discours que ]U. d('
Cháteaubrinnd prononca a la Chamhre des Pairs sur le deuil du
21 janvier; c'était encore une helle et triste page !


A travers ces lugubres distractions , la Chambre n'cn ])()Ul'-
suivait pas moins son dessein de s'emparcr des grands ressorts
de l'administration , la magistraturc et les fonctions publiques.
]U. de Salaherrv proposait qu'il « [lit fait une humble adrcsse 11
Sa Majesté pour qu'cllc cüt a écarter des administrations tous
les fonctionnaires qui n'avaient: pas su résister a l'éprcuve (}('S
Cent-Jours.» En méme temps la Chambrc adoptait une antro
proposition de M. Ilydo de Neuvillc, pour suspcndre l'institution
des magistrats; réduire les trilnmaux et la privcr pendaut un au
de l'inamovíbilité. La postérité rcgrcttcra qu'auxPairs 1\1. de
Cháteaubriaud se soit élevé contre cene haute garantie d'indé-
pendance de la magistrature, « On peut se relever de tous les
crimes, s'écria le noble écrivain , quand les bases de la sociót«
ne sont pas détruites ; on peut revenir ¡. toutes les vertus quaurl
l'esprit de famille n'est pas changé , quand les mo-urs domesti-
ques sont restées les mémcs, malgré les altérations du Couver-
nemcnt. Si, au contrairc , la révolution cst faite dans la Iamille
comme dans l'État , dans le cceur conuue rlans l'csprit , dans les
príncipes commc dans les nsagcs, un nutre ordrr de choses
peut s'établir. Quels avaient été les príncipes el l'érlucation des
magistrats sous les r(\gnes de Charles VI, IIenri IV et Louis XIV';




CHAPUllE x, 107
Quelles étaicnt les uucurs , la religión qu'ils conservaient dans
lcur famille? A l'époquc des calamites du xtv- siecle, ils ne
rcccvaient ni présents, ni visites, ni lettres. On ne pouvait leur
parler qu'a l'audience. tes juges ne pouvaient étre sénéchal ,
prévót , ni bailli dans le lieu de leur naissancc. Les conscillers
au Parlement reccvaicnt ;) sols parisis par jour de service , le
premier présidcnt avaient 1 000 livres. Joignez a cela deux
manteaux qu'on donnait chaqué année ~l ces magistrats , voila
quello était lcur fortune. Il fallait trente ans de servicc pour
obtcnir, il titre de pension , la continuation d'untraitement si
medique. Les íactious de l'í~tat pouvaient quelquefois égarer de
pareils hommcs , mais l'expiation suivait de pres la faute. L'am-
hiticux Brisson mourut pour son roi, Ah! qucl plaisir nous trou-
verions 1\ comparcr, s'il était possihle , la magistrature que la
Itévolution a Iait naitrc it ccttc magistrature qui rendit le dernicr
soupir avec Malcsherbes! Mais, Messieurs, les tribunaux ne se
sont point rouvcrts apres la mort de Louis XVI, on n'a poiut
cutendu autour de son cercucil le cri de vive le Roi! Comme
autrefois , les magistrats ont suivi le monarque jusqu'a la sépul-
ture , mais on ne les a point vus revenir : ils se sont cnsevelis
dans la tomhc de Icur maitrc ; el, pcudant quclques années , la
jnsticc est rcmoutée au ciel avcc le fils de saint Louis.» :n. -'lolé
rópondit i\ ~I. de Chftteauhriand , el l'un des grands noms de la
vieillc magistraturc défcndit les droits et les scrvices de la ma-
gistrature nuuvcllc.


te nombre des propositions iudividuellcs pendaut cette session
Iut de vingt-quatre. Elles viurcnt arréter l'action régulierc de
l'administration el du pouvoir, Pour quclqucs-unes, le ministere
dut cédcr. ct les arloptcr sous peine d'étre brisé par la Chambre :
d'autres Iurent discutécs el rcjctécs par la Chamhrc des Pairs ,
alors plus hautcmcnt placée , plus calme, plus gouvernemeutale.
La Chambrc de 1HLi , are/ente, passionnéc , se plaiguait de cct
obstacle ;\ ses projcts! C'est la coudition des corps et des institu-
tious politiqucs , dont la missiou cst d'opposer une barriere a
I'esprit de partí, d'ctre violcnuueut attaqués par les asscmblées




'101'1 JJlSTUIHE DE LA HESTALHATlUS.
ardentes. Apres le vote du budgct , il Y avait défaut absolu
d'harmonie entre les pouvoirs. Le ministere se háta dc dore la
session, session sans résultat pour les intéréts et les aílaires, ainsi
qu'il arriveconstammcutala suite des grandes crises, On fit des
dissertations a perte de vue; on voulut refaire la société , 011
parla une langue de haine et de passion , on fit des harangucs
de parti , des représentations théátrales d'opinions , mais on n'a-
vaneapasd'un pas dans la voie des intéréts du pays. A la fin de
ses travaux, la Chamhre de 1815 avait pourtant acquis une plus
grande connaissance d'affaires et de la langue politique. JI y
avait beaueoup de gens d'esprit dans eette Assemblée; une im-
mense aptitude de tribune ct un génie d'organisation; laissée
libre a elle-méme, la Chambre de 1815 eüt jeté la société
dans les conditions d'une société religieuse et provinciale , et
c'était une épreuve qui peut-étrc aurait produit des résultats fa-
vorables pour la Maison de Bourbon. Les hommesde modératiou
eurent peur de cette Assemblée, et l'ordonnance qui déclarait
la clóture de la session, datée du 4 mai, fut contre-siguée par
lU. de Vaublanc.




CHAPITRE XI.


MOTJFS DE L'OHDO:SNA~CE DU t) SEPTE~lBHE.


Modificatiou du miuistcrc, --. M. La iné daus le Conseil. - Ascendaut de
M. Dccazes. - .\louvemellt r évolutiouna ire ú GrcllolJle. --. Cousp irat.iou
des Patrio tes. - Mesures severes de la Restaururion, - Iuquicturles. --.
Mobilcs qui eutralnent vers un svsteme de modera tion. - Happrochc-
ment avec la minoritc de la Chambrc. - 1\1. Decazes, -M. Molé , --.
M. Pasquier. - Aetion de I't~tralJger.-:\1. Pozzo di Horgo.-l\Iémoires
sur la dissolution de la Chambre. - Ordolluance du 5 septemhre.-
Mesures de riglJellr coutrc les Royalistes. - Mémoue de Louis XVIII. -
Situat iou de l'f:trallger. - Le p arl ement de I' A nbleterre. - Explicatious
sur le dernier t ra it é de pu ix , - Orgallisalioll de la Pologllc. - Esprit
uouvcau CIl Prusse, - Tendanee des Cahincts.


Juill R Septelnbre 1818.


LA Chambra de 1815 avait cherché a réaliser pendaut toute
la session son systéme d'organisation religicuse et provineiale;
elle cspérait refaire les habitudes de la société , donner ~l la
rnonarehie les appuis de l'aristocratie locale el de la masse du
peuple dans les eommunes. la minorité de la Chambre et le
ministere voulaient conserver la forte administration de l'Em-
pire, la centralisation de Paris , el, avant tout, les moyens
de gouvcrnement qui pouvaicnt assurer l'ordre el le repos en
France, Apres la clóture de la session de 18L'5, l'idée fixe du
ministere dut étre de rameneralui la majorité de la Chambre des
Députés , avec laquellc il ne se trouvait plus en harmonie, ou
bien de briser cetro Chambre. Le Gouvernement et la majorité
avaient été en opposition sur presque tous les points , el particu-
Iierement sur des questions constitutiounelles, JI y avait preven-
tions , jalousies amhitieuses entre les ehefs royalistes et le Cabi-
net. Il fallait se résigncr asubir leur ínfluence , ü les admettre
I~ 10




11O lIlSTülHE DE LA HESTALltATJ(J~.
dans les couseils , ct avcc eux tontos lcurs idées , ou bien i, dis-
soudrc ce grand pouvoir politique qui arrétait tous les rcssorts
du Gouverncmcnt. La dissolution de la Chambre u'érait pas un
résnltat facile aobtenir. I.Ja Chamhro était protégée par la cour,
le Iloi l'avait qualifiée d'inlJ'o1l1'aúlc,. et, quoique hlcssé person-
nellement de quelques-uns des votes de la majorité, il lui tcnait
compte de ses élans de zele royaliste. Ensuite , tous ceux qui CJI-
touraient Louis XVIII exallaient la Chambre dC' HH;), el il était
impossible que le Roí se débarrassüt tout a Iait de leur in-
íluence.


Cependant les memhrcs du Cabiuet eux-mérnes uc s'cntcn-
daient plus parfaitement sur les príncipes de sa dircction politi-
que. La question sur laquclle les opinions ministéricllcs dcvaicut
s'essayer et s'accorder, c'était une loi d'élccrion ; il fallait, de
toute nécessité , en arrétcr les bases. Le projct de 31. de Vaublanr
avait éprouvé un échcc trop complet pour qu'ou pút songcr ¡\ 1!~
reproduire , et, le ministre persistaut dans son systemc , OH de-
vait pourvoir a son remplaccmcnt. 31. de Vaublauc avait d'ail-
leurs montré une si grande hardicssc de tribune , une si liante
insuffisance d'nrlruiuistrarion , que l'on él(lil hicn aisc de 11'011\ ('1'
un pretexte politiquc pour Iui <1Ol11J('r un sucrcsscur. S'ima-
gine-t-ou un ministre qni , dans une discussion parlcmcntairc ,
vient déclarcr qu'il a, comrnc individu , des opinious difl{'l'(']][í'S
de celles qu'il exprime comme mcmbrc du Cabinet! Il s' ét<lit
formé dans le scin de la Chamhre , a l'occasion de la loi electo-
rale , un tiers-parti qui, n'adoptaut ni les príncipes électorar.x
tels que le Gouvernemcnt les avait posés , ni les amcndcmen:«
de la commissíon , ni les bases de :\}. de Yillde, avait im ()(I1il-
les dispositions de la Chartc pour appelcr un syslelllc uniquo
d'électeurs a 300 Irancs. Ce ticrs-parti trouvait son expressiou
dans lU. Lainé ; il avait éLé approuvé par la majorité de la Cham-
bre des Pairs. Autant on avait cm néccssaire , dans l'origiuc , <!í.
modifier quelqucs-unes des dispositious du pacte fondarncutal ,
autant il paraissait esscnticl d'cn respecter aujourd'hui tous les
articles. Afin de personuificr ecuo penséc , on résolut de Iaire




f.HAPITRE XI. '111
entrcr dans le Cahinet M. Lainé, en rcmplacemcnt de M. de
Yaublanc , premier acte d'hostilité officielle centre la Chambre,
jI. Lainé venaitde subir la complete disgráce de la majorité , et
l'on doit se souvenir de sesdcrniers différends avec lHl\I. de Vil-
Iele et Forbin des Issarts: débats Iñchcux qui l'avaient obligé de
quitter la présirlence, Adopter :U. Lainé, c'était done annoncer
fIue la prérogative royal« ne voulait plus s'user dans ces attaques
de Chambrc. Pour arriver ace résultat , il fallait d'abord obtenir
du Iloi le rcnvoi de 11. de Yaublanc; ce n'était pas chose aisée,
car Louis XVI II avait engagé sa parole ~l M. le comte d' Artois
que le ministre de l'intérieur ne scrait pas remplacé. Les dépu-
t (s iníluents , ~nI. de villele el Corhierc , étaient partis avec
cette assuraucc : ccpcndant on nc perdit point courage , et ce fut
M. Decazrs qui se chargca de demander le rcnvoi de M. de Vau-
hlauc. JI lui fut Iacile de démontrcr au lloi (( qu'il y avait im-
possihilité pour le Cabinet de marcher avcc un ministre qui avait
désavoué en plciue tribuno la pensée commune du Conseil; que
e(' qu'on vonlait n'était pas un changcment de systemc , mais
hien au contraire la confirmation de ce qui était : c'est pourquoi
le ministre proposait 11. Lain{', rovaliste si pUl', honune de con-
sricnce et d'houucur. JI. Laiué ne pouvait etre repoussé par le
Chatpau; il avait rcnrlu trop de senices , montré un trop bcau
rourage royalistc pour qu'on pút élevcr la moindre objcctíon
centre lui. Afin de halancer l' cílct du renvoi de I\I. de Vanblanc,
on parla de celui de M. de Marbois, qui déplaisait si profondé-
mcut a la majorité. :\1. Lainé lit quelques difficultés pour entrer
dans le ministcrc ; il n'aimait pas les affaires; cependant , solli-
cité par le duc de Itichelieu , il posa comme condition expresse
l'adoption du sysU\mc electoral unique qu'il avait proposé dans la
Chambrc , c'cst-a-dire les élccteurs ~l 300 francs. l'I. Lainé n'était
pas désagréablc au parti royalisto ; il inspirait une haute consi-
dération. Sa conduite dans les Cent-Jours avait été d'une si
éclatantc fidélité ! Il était aimé de lHADA;\IE et du Cháteau ; tou-
tcfois , ce Iut 1lIH' grande difficulté vaincue , nous le répétons ,
que le renvoi de 1\1. de Vaublanc; il avait de si puissantes pro-




112 HISTOIRE DE LA. RESTA.URA.TIOi\'.
tections ! M. Lainé était un homme acaractere fortcmcnt trom-
pé : une fois qu'il avait adopté une idée , concu un dévouement,
il s'y attachait avec éncrgie sans prévoir les conséquences de sa
résolution ou de ses acres, Une constitution nervcuse , puissam-
ment impressionnahlc , le rendait peu proprr a la conduite ré-
guliero et calme des affaires. Il marchait par des convictions suc-
cessives , quelquefois opposées , mais toujours conscicncieuses.
Jarnais , dans les grandes crises publiques , on n'avait entendu
une plus noble voixa la trihunc. Il avait ces imagesde l'orateur
qui remuent les entrailles; sa figure, fortement nuancée , s'en-
nohlissait , ses gestes, sa parole, tout en lui prenait quelque
chose de grand, tout respirait la conscience. Commeadminis-
trateur, l\l. Lainé avaít peu de capacité; il répugnait aux petits
détails de hureaux, Dans le Conseil, ses avis étaient toujours
dictés par une conviction profonde , quoiqu'ils fussent sans hau-
teur politiqueo Ce n'était ni un homme d'État, ni un ministre
remarquable, mais ala tribune il prétait un appui et une grande
puissance de talent et de caractere. 1\1. Lainé avait toute la con-
fiance de :\!. de Richelieu.


Cette premiere modification dans le Cahinet était grave, mais
elle ne futpas la seule. 1\1. de}Iarbois était malade. Rarementheu-
reux dans son administration ministérielle, il n'avait ni un talent
transcendant , ni de l'habileté pour le maniement des hommes.
Il était impossible, quel que füt l'esprit de la Chambre convo-
quée, soit qu'on gardát la derniére majorité , soit qu'on en cher-
chát une nouvelle, que l\I. de l\Iarhois restát au ministere. Il était
vieux, usé, un peu tombé dans le ridicule. On prit done le pré-
texte d'un état de maladicqui se prolongeait pour pourvoir ason
remplacement. On le fit méme sans beaucoup de convenance et
de politesse, si bien que l\I. de l\Iarbois, lisant l'ordounance de
son remplacement, s'écria avec mauvaise humcur : « L'o1'don-
nance demon médecin dit que je vais tout a fait bien, et 1'01'-
donnance du Roi m'assure que je me porte plus mal. » J\I. de
l\Iarbois ne fut pas remplacé; on mit les sceaux dans les mains
du chancelier ; on laissait ainsi un portefeuille vacant , pour le




f.HAPITRE XII. 113
réserveraun memhre influcnt de lamajoriré de la nouvelle Cham-
hre , si tant il y avait que la dernicre füt dissoute, On voulait tá-
ter les opinions et ne compléter définitivement le Cabinet qu'a-
prl's avoir consulté l'esprit de la majorité. On organisaautour de
chacun de ces ministéres des places de sous-secrétaires d'État ,
attachés aux départcments ministéricls. Le Cabinet sentait le be-
soin de senil' les intéréts du pays , et, au milieu des agitations
politiques et de tribune, il erut essentiel de eonfier les détails
administratiís ades spécialités vicillies dans les bureaux ou dans
les affaires.


A l'intérieur, 1'1. Becquey fut nommé sous-secrétaire d'État.
Ce n'était pas un talent de tribune, un homme 11. grande pen-
sée , mais il était administratcur integre et d'un caractere d'or-
dre, On recompensa en lui les efforts qu'il avait prétés durant la
scssion aux idées modérées ct 11. la direction ministérielle. A la
gnerre , 1\1. Tabarié , qui n'était que secrétaire-général, prit le
titre de sous-secrétaire d'État. Caractere passionné de royalisme,
on no pouvait lui disputer une connaissance parfaite de l'admi-
nistration de la guerre , et une cxpérience incontestable du per-
sonnel et des bureaux. }1. de La Bouillerie , nornmé sous-secré-
taire d'État aux financcs , avait une grande habitude d'affaires,
C'était un homme d'ordre et de prévoyance , qui avait laissé
d'excellents souvenirsdans son administration du trésor privé de
Napoléon. l\l. de I...a Bouillcrie devait s'occuper des détails 111u1-
tipliés de finauces. ;\1. Corvetto ne se réservait plus que les gran-
des opérations du Trésor, M. de Trinquelague n'était passansha-
hileté ; hon magistrat , il était trcs-dévoué aux idées de la majo-
rité de 1815. ñíicux placó dans l'opinion royaliste que M. de
l\larhois, il fut moíns pcrsécuteur. En génóral tout homme qui
par position de parti n'a pas hesoin de donner des gages , marche
plus facilemcnt el frappc moins. On demandcra maintenant com-
mcnt le général Clarke et 1\1. Duhouehage, si ardemmcnt dévoués
aux opinious de la majorité de 181.-), resterent daus le nouveau
Cahinct qui scmblait se constitucr en opposition aveccette Cham-
breo Je répoudrai que dans les changements ministériels, on ne




114 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
passe pas d'une maniere aussi tranchée d'un systeme aun autrc,
Il ne faut pas eroire qu'il appartint alors a 1\1. de Richelieu de se
jeter dans une lutte directe ct avouée centre le pavillon Marsan.
.Jamáis les ministres ne furent cntiercmcnt libres. ]1 y cut tou-
jours une opinionde eour, centre laquellcil Iallut combattrc. 'II~
général Clarkc avait organisél'armée royalc ; il était puissammcut
protégé , il s'cífacait d'ailleurs lui-méme dans le Conscil , ne se
réservant que sa spécialité. Le vieux ,,1. Dubouehage n'était pas
un obstacle , el c'était un drapean. On l'avait amcné afaire ct á
signer ce qu'on voulait. La modilication du ministere , produite
par l'entrée de lU. Lainé au Conseil, n'était pas un changement
completde systéme; ce n'était pas le triomphe des ideesliberales
sur les opinions de 1815.Eu politique les transitions ne sont pas
aussi brusques; c'était purcment el simplcmcnt un point d'arrét
contre les exigences de la majorité , sur Iaquelle pourtant on se
réservait quelque action , et la prcuve en était qu'on couservait
MM. Tabarié et de Trinquclague, L'hahilcté dans un ministere
consiste 11. y admettrc toutes les nuanccs qui peuvcnt y appuyer
un systellle , mais en placant dans une couditiou subordonnéc
crlle de ces nuanccs qu'on veut consultor sans s'astreindre ¿\ la
voir dominer.


te Couseil , tel qu'il était alors composé , se classait de la ma-
niere suivante : :\1. le duc de Ilichelieu marchait directemcut
vers les idécs modérées, el, a mesure que sesrapports aveel'étran-
gel' dcvenaicnt plus Iaciles, il se montrait plus disposó 11. se débar-
rasser de l' esprit réactionnaire. Cepcndant il n'était pas entiere-
ment revenu de ses prévcntions contre les Lihéraux. JI en existe
mille prcuves dans sa correspondauce que j'ai sous les ycux. 11
témoigne de ses scrupules , de ses craintes centre les progres des
partís révolutionnaire ou bonapartistc : Oll scnt l'honune pou ha-
bitué au jeu des opiuions , amo murmures d'uue oppositícn régu-
liere. Et , avait-il tont ¿\ fait tort de se défier des Iactions conspi-
rant alors contre la dyuastie ? ;\1. Lainé íortifiait les dispositions
incertaines du duc de Itichclicu dans JI' Conseil , en cxerrant sur
lui une immensc influcncc. M. I.aiué pcnsait qu'il était \('lllpS




CHAPITRE :U. 115
de s'arrétcr , si ron voulait avoir un gouverncment stable et sans
réaction. 1\1. Decazcs prenait de plus en plus ascendant sur I'es-
prit du Roi; en butte aux traits du partí royaliste , il commen-
pit alui rendre guerre pour guerreo On pouvait considérer ces
trois ministres conunc dévoués ;1 une conunune opinion ; ils ne
fe séparaient jamais dans le vote. M. Corvettos'était un peu plus
uuancé dans le sens d(' la constitutionnalité , par ses relations avec
la hauque , avcc les sonunités des finances et du commerce. Des
lors les deux voixde ",1~1. le général Clarke et Dubouchage, unies
a cclle de 1\1. Dambrav , n'curent plus qu'une tres-faihle in-
lluence. Ce ministere n'avait d'autre engagcmcut que l'adoption
d'uue loi électorale , oú le mode des électeurs ;\ 300 fr. serait
préféré. JI avait ses appuis daus l'esprit du Iloi , dans la Cham-
hrc des Pairs , dans la puissance bien autrement énergique de 1'0-
pinion publique, On n'cn pouvait déj~l plus de toutes ces mesures
, iolcntcs , de toutes ces lois exagérées , de tous ces príncipes de
mort. La société entrainait le Pouvoir ; mais la transition ne pou-
vait se faire brusquement ; i1 Iallait surtout tronver un appui franc
('t loyal dans une opinion constitutionnelle, qui ne fút pas une
conspirtuion, el cet appui manqua trop souvcnt.


AprL's lesgrandes sccoussespuhliques, les opinions se changent
en partis , Ieurs desseins en conspirations. L'opposition calme
ct régnliere n'apparticnt pas aux époqucs d'oragcs; cal' on agít
alors pour renverser. Telle élait la situation rl'une grande frac-
tion des opinions honapartistcs ct liberales en 1816; s'il y avait
cu force et dévouement dans un parti loyalemcnt constitutionnel,
le miuistcre aurait pu y chcrcher Ull ahri contro la puissance de
la COIII'; mais comment s'appuyer sur des houuncs ennemis de
la dynastie , el qui procódaient par des révoltcs et des complots?
Lcs opiuions hostiles ;1 la Ilcstauration de 1815 avajentbeaucoup
~i'alldi; elles s'étaicnt rl'abord montrécs paisihles , se confiant a
l'avcnir du trimnphe de k-urs Iorces; mais dans les prcmiers
mois de 1K1G, elles chcrchcrcnt une organisation plus compacte,
mieux en hannonie avec leur situation el leurs espérances, Le
plan des Bonapartistes et des Patriotes était d'envelopper Paris et




116 IUSTOIRE DE LA RESTAURATION.
la France dans un commun mouvement contre la Restauration.
La capitale n'était plus occupée que par quelques troupes un-
glaises; le traité de novembre 1815 rejetait les 150000 hommes
d'occupation vers les Irontieres du nord et de l'est, Toutes les
provinces du centre, le Lyonnais, le Dauphiné, si exaltes, étaient
sans troupes étrangeres ; les légions ~\ peine organisées n'oflraieut
qu'un trés-faible efTectif; la gendarmerie était d'opinion incer-
taine, les compagnies départementales se formaient Ientemcnt ;
il u'y avait que la garde royale difficile acorrompre. Dans cettc
situation des esprits, la conspiration devait marcher facilement ;
elle organisait toutes ses forces. MM. de l ..a Fayette , d' Argen-
son, sans prendre une part directe ~\ ces complots, favorisaient ,
par leurs opinions politiques, les cspérances de tous. Il y avait
aParis de grands éléments de révolution daus les faubourgs qu'on
n'avait pas osé désarmer , dans cette lie du partí patriote, parmi
ces officiers en demi-solde, qui, ayant leur domicile dans la capi-
tale, n'avaient pu étre refoulés sur les départements. En pro-
vince existaient aussi des ferments d'agitations publiques. Si dans
le midi de la France la réaction royalistc continuait, si les freres
Faucher, touchant et triste jeu du sort, rccevaient la mort en
commun, comme ils avaient recu la vie, si dans le Haut-Languc-
doc les haines religieuses ensanglantaient les cités, dans les dé-
partements du centre et de l'est d'autres opinions prédomiuaient.
Beaucoup d'officiers en demi-solde, de militaires retirés, se trou-
vaient alors melé s a ces populations belliqueuses, et les soldats
licenciés de l'armée de la Loire , pour qui l'aigle et les trois con-
leurs étaient une glorieuse mémoire, pouvaient se lever au pre-
miel' signal et briser les faihlcs instruments du gourernement
des Bourbons. On répandit parmi le peuple des chansons sédi-
tieuses; on donnait des souvenirs ou des regrets au temps et au
gourernement qui n'était plus. Ici c'était le soldat laboureur,
l'image de l'ingratitude des Bourhons et de I'asservissement de la
patrie; la, c'étaient les mervcilles de I'Empire ct de la Ilévolution ;
plus loin on chantait les ridicules de I'émigration, critique amere
du Iloi qui était sur le trüne , et de sa race. Tout cela favorisait




CHAPITRE XI. 117
nn plus hant degré l'esprit de révolte.I){·ja dansle mois de jan-
riel' il y avait eu ~\ Lyon un mouvemcnt réprimé avee vigueur ,
et l'on craiguait qu'il ue s'étcndit plus loin.


Ce fut dans cettc situation des opinions, qu'unc dépéche télé-
graphique panint au Couvcrnerucnt; elle était datée de Lyon ,
et ainsi concue : « Hans la nuit du h au ;), un rassemblement
<1'environ hOO hommes a atraqué Grenohle de tous cótés ; les in-
surgés ont été hattus sur tous les points ; on a Iait un grand
nombre de prisonniers ; on cst ú la poursuite des (IlVllTlls dans
les niontaqncs. )) Jugez de l'effroi que eette dépeche jeta dans le
ministere a peine complété , jugez des peurs de la cour! On
attendait avec impatienee les détails sur cet événeruent , lorsque
le 8 au soir, une estafette apporta un premier rapport du générnl
Donnadieu. te voici textuellement, cal' j'ai besoin de rapporter
toutes les pieces de ce triste épisode de la Hestauration. « Vive
le Roi! l\Ionseignenr, les cadanrcs de ses ennemis coucrcnt tous
les chcmins á l'entour de Grenoblc ; je n'ai que le temps de dire
aVotre Exeellence que les troupcs de Sa l\lajesté se sont cou-
vertes de gloires; Ü minuit les montagnes étaient éclairées par
les feux, signal de' réhcllion dans toute la province. Ils me
croyaient part i pour allcr orenper la ligne que doit parcourir
S. A. R. la duchcsse de Ilerri , mais ils ont bientót appris que
les fideles troupes du Hoiétaient la. Je ne saurais trop faire l'éloge
de la bravolégion de l'Isere et de son digne colonel , le chevalier
de Vautré. Déjü plus de soixante scélérats se tronvent en notro
pouvoir ; la eour prévótal« va en faire une' prompte et sévere jus-
tiee. J'aurai l'honneur de rendre compte i\ Votre Excellcnce
aussitót que tout sera terminé. Je remonte i\ cheval a l'instant.
Toutes les autorités civiles et militaires ont fait leur devoir ; on
évalue le nombre des hrigands, qui ont atraqué la ville, il quatre
mille.... ! »Deux nouveaux rapports donnaient des détails encoré
plus effrayants; ils étaient datés des ;) et 6 mal. « A la háte ,
hiel' matin , j 'ai eul'honneur de rcndre compreaVotreExcellenee
de l'événement qui était arrivé pendant la nuit , par l'officier
que je lui ai dépéché. Depuislors , des renseignements nombreux


/:j'




HR HISTOIRE DE lA RESTAURATION.
sont venus éclairer cette audacieuse entreprise. Des Jnrelligences
préparécs devaicnt mettre quiuze mille hommes sous les armes
dans cette ville , ct marcher immédiatcmcnt sur Lyon. en per-
sonnagc secret dont nous ne pouvons encore connaitre le nom ,
ct ;\ qui la baude réunie rendait un grand rcspect , paraissait elre
l'áme du mouvement. Le nommé Didier, qui a figuré dans l'affaire
au mois de janvier , dirigeait, sous ce pcrsonnagc , la popnla-
tion qui était en mouvemcnt, Chaqué heurc nous apporte de nou-
vclles découvertes ; nous connaissons déjü plusieurs chefs qu i
devaient s'cmparer des principaux postes de la ville ; ces chefs
sont des officicrs supérieurs en rctraite ou adcmi-soldc. Bientót,
j'espere, ils scront en notre pouvoir , une prompte justice en
sera faite. A l'instant , on me donne avis fIn 'il se forme des projets
dans la campagne, de venir eulcver les prisouniers et de mettre
le Ieu ala ville ; je prends toutes mes mesures pour que ces com-
plots soient déjoués, )) On joignait aces rapports une proclama-
tion de 1\1. de l\lontlivault, préfet de l'Isere; elle disait : « Les
amis de l'ordrc, les vrais Francais , doivent se félicitcr d'un évéuc-
mcut qui prouvcra aux sóditicux leur impuissance , et l'iuutilité
de lcurs crimincls cflorts. la h'gio/l de l'Iser« poursuit le I'csU~
des insurgés , el la cour prévótalc appellcra sur cux la peine ca-
pitale que la loi applique Ü Ieur crimc, )) On annonrait égalcmcnt
de hautes mesures de police, en désanncurcnt était ordouné par
le préfet, Le général Donnadicu déployait une énergique fermeté
coutre le chef ostensible du complot; c'était un renouvellemcnt
des mesures révolutionnaires, « arto 1'", Leshabitants de la uuusou
dans laqueUe sera trouvé le sieur Didier seront livrés h une COl1l-
mission militaire ponr étre passés par les armes; arto 2. il cst ac-
cordé h celui qui livrera mort ou vif le sieur Didier une sommc
de 3000 fr. pour gratification; art. 3. les conunandants mili-
taires et tous les chcfs de la force armée sont chargés de l'exécu-
tion du présent ordrc, Signalcmcnt du sieur Didier : f1gé de
soixante-quatre ans , taille de cinq pieds cinq pouces , chcveux
presquc blancs , sourcils noirs , harbe noire et grise, fort graud ,
nez aquilin , houche movenne , teint pále , marche négligéc N




CllAPlTHE xr. 1.'19
un peu courbée.')) En memc temps les auroupemeuts étaient dé-
Icndus ; la cour prévótale procódait ~l des exécutíons terribles;
I'échafaud était en permaucnce.


Le ministére eífrayé par les rapports qui lui parvcnaient , et
qui lui dépeignaient sous de si effroyablcs couleurs la situation
du département de l'Iserc , expédia la dépéchc télégraphiquc
dont voici le texte : « Le département de l' Isere doit étre
regardé commc étant en état de siége, Les autorités civiles et
miUtaires... (Le reste ne put etre dóchilfré. ) le Iloi est content
des magistrats et des militaires. Des troupes sont en mouvement
sur différcnts points pour occuper le département de l'Isere et
assurer la punition des rehcllcs. » Des ordonnances portaient de
grandes recompenses, Le général Donnadieu , élevé au titre de
\ icomtc, recevait le graud cordon de la Légion-d' Ilonneur ; plu-
sicurs ofliciers obtenaient des décorations et de l'avaucemcnt. te
ministre de la guerre annoncait que plusieurs des chcís du com-
plot , une partie des conjures qui devaient se rcudre maitres de
la ville seraient livrésala justice; la cour prévütale et le premier
conseil de gúerrc permanent de la septiemo división militaire
avaieut d{jü prononcé sur plusiours coupahlcs, Et en cífct , le
conseil de guerrc , présidé par le colonel de la légion de I'Isere,
le chevalicrde Yautré , avait condamné vingt ct un individus a la
peine de mort. Cinq avaicut été reconnnandés h la clémcnco du
Roi. Le conseil des ministres se réunit ; on n'avait sous les yeux
que les rapports du général Donnadicu et du prófct : on par-
lait de nouvellcs tentativcs sur Crcnoblc , d'incendic , de
réhellion , de drapcau tricolorc , du renverscment politique
du Gouvcrncmcnt , de changemcnt de d) nastie ; la peur est
cruellc : 9H craiguait h tout moment de voir s'étendre la ré-
volte : les rapports secrcts coufinnaíent les craiutes des auto-
rités locales. Le Conseil des ministres délibóra longtemps. Il est
complétcmcnt faux qu'on ait voulu frapper vito aíin d'évitcr les
révélatious, il cst stupidc de supposer qu'uu ministre ait trahi la
monarchie au profit d'une autre cause que celle de Louis XVIII;
tous cesgrauds révélatcurs apres coup arrangcnt des romaus dé-




'120 uisrouu: DE LA HESTALHAI10l\.
plorables, Je connais les voix qui furent pour la gráce ; mais on
m'accuserait peut-étre de troubler la cendre des morts pour dé-
fendrc les vivants ; d'aiIJeurs, quand un Conseil prononce et que
la minorité ne se retire pas, tous les ministres sont responsables
aux yeux de l'histoire comme aux yeux des pouvoirs politiques.
I.ne dépéchetélégraphique fut expédiée sur Grenoble immédia-
tement apres la sortie du Conseil. Cette dépéche se composaitde
deux parties : l'une émanait du ministre de la justiee, chance-
lier , qui refusait la grüce , I'autre du ministre de la pollee pour
expliquer l'arrété pris contre les recéleurs de Didier, et en méme
temps donner une plus forte récompense 11 ceux qui le livre-
raient. Ces deux dépéches furent confondues ; les voici : « Au-
« cune gráce ne peut étre accordée qu'a ceux qui auraient fait
« des révélations importantes, les vingt el un condamnés doivent
« étre exécutés ainsi que David. )) tDcpéche du chancclicr.]
« L'arrété du 9, relatif aux recéleurs, ne peut étre exécuté a la
( lcttre. 20 000 fr. sont promis acelui ou a ceux qui livreront
( Didier, » (Dcpeelte du ministre de la poLiee.) Loinde craindre
les révélations, le Conseil les appelait en promettant des ré-
compenses; la sévérité des ministres avait surtout pour ohjet
de les provoquer , cal' ils étaient fortcmcut préoccupés des
dangers de Grenoble; tcl était I'esprit du temps , que tout
cela fut approuvé , applaudi, Voici ce qu'écrivait le duc de
Hichelieu : « Je vous remercie pour la communication de Gre-
noble et les autres papiers ; je vous les renvoie ; il serait bien
heureux d'attraper Didier et d'cn faire prompte justice,
J'approuve tres-Iort l'article a insérer dans le .Monttcur. JI me
semhle qu'il faut faire observcr que Didier a été arrété sur le
territoire piémontais, et par des Piémontais. )) le ministre de la
police éerivit de nouvelles dépéches au préfet de l'Isere : ( Si
des Francais , indignes de ce nom , ont révélé toute l'audaee et
toute la perversité de leurs criminelles machinations, e'est arce
une satisfaction bien douce que le Iloi a vu ce qu'on pouvait
attendre, dans toutes les classes, de la part des Francais dévoués
ala plus salute des causes, el disposés, pour en assurcr le triom-




CIJAPlTRE .\1. 121
phc, á faire le sacrifico de leur vie. » te 9 mai 1'1. Decazes écri-
vait encore : « Le Hoi m'a chargé, l\I. le préfet, de vous témoi-
gner toute sa satisfaction,et de vousdire qu'il compre cutieremeut
sur votre activitó et votre zele. iU. le général Donnadieu a bien
mérité de son Roi et de sa patrie; sa noble conduitc et la vótre
vous recommandent tous deux ala reconnaissance de vos conci-
toyens et á la bicnveillance de Sa Majesté. l) Le ministre avait
promis 20 000 francs a qui livrerait Didier ; en conséquence
le général Donnadieu et le comte de Mondivault puhlierent
l'avis suivant : « D'apres les ordres de Son Excellence le ministre
de la police, du 12 de ce mois , une somme de 20 000 fr. sera
comptée ~l celui ou ceux qui livreront, mort ou vif~ le nommé
Paul Didier, auteur de la sédition du li, et une somme de
3 000 fr. acelui ou eeux qui livreraient , morts ou viís , les nom-
més André Brun , dit le Dromadaire ;:ancien colonel, ct Biollet ,
chef de bataiUon en retraite , ses cómplices l. Le malheureux Di-
dier fut arrété en Savoie, par les carabiniers de la brigadede Saint-
.Jean de l\1aurienne. Il fut trahi; deux de ses cómplices et une
fcuune le livrerent , et Iircnt ce marché de la vie humaine. ce Cette
importante capturc (tt le plus qranii lionncur a 1\1. Prosso,
maréchal-des-Iogis des carabinicrs ) ; tels furent les termes d'un
ordre du jour du gouvcrncur de la Savoie.


Didier apporta devantIa cour prévótale une imperturbable
fenneté. Son sort ne pouvait étre doutcux. Dans sa défense
il se horna a soutenir qu'il n'était pas chef de brigands, mais
chef de rebellcs, Counne on restait quelquc ternps pour la ré-
daction de son arrét , il s'imagina qu'on voulait le reconnuan-
del' á la cléinence du Roi , et écrivit au président un hillet
pour le prevenir que le sacrifico de sa vie était fait. On a dit
que, dans un entrcticn secret, Didier dénonca d'autres cou-
pables , lit d'importautcs révélations : je me méfic de ces
pieces qu'on ne publie jamais , de ces paroles qu'on murmure
au tuyau de l'oreille , de ces impntatious qui arrivent pour ser-


1 On rcmarquera que la dépcche lélégraphiq!lc ne disalt pas uiorts
OH »i]«.


u. 11




122 lllSTOIHE DE L\ HESTALlLUW-\.
vil' des passious publiques. Didier mourut avec couragc, 1)a11s
le rapport (lue le géuéral Dounadieu adrcssa au ministre de la
guerre , il dit « que cette exécutiou avait produit le meilleur
effet , et que le peuple était coutent qu'on punissait un gros. ))
On avait , en effet , tant Irappé de petits 1. ... .Te ne cherchcrai
point aexcuser de telles mesures; que la responsabilité historique
en pese sur qui les conuuanda. 11 faut cepcndant cxpliquer
les faits, 11 y avait plusieurs caracteres dans les événcrnents de
Grenoble. On ne peut contester que, pour Didier et ses coui-
plices , il Yavait rébellion ~l main arméc ; on voulait renvcrscr
le gouvcmemcnt établi, substituer les trois couleurs au drapean
blanc, changcr évidemment de dynastie , suivre les idees et le
projet de l\I. de La Fayette, Les lois du pays punissaient ce
crime. J'ajouterai que ces tentativos se Iiaient a (Les intrigues
avcc I'étranger, et que les généraux autrichieus , alors sur les
frontiéres , voyaieut avec plaisir ou au moins sans répugnance
ces mouvements qui pouvaicut amener l'occupatiou nouvelle des
départcmcnts de l'Isere et de l'Ain, Proclamer Napoléon JIdans
ces départemcnts n' était pas une révolution qui pút déplaire ;l
l'Autriche. ñlais il y avait en bien des gens égarés , panui les
paysans crédulos. Didier était un chef hahile , entreprcnaut, JI
avait persuade aux hahirants des campagues qu'ou célébrait une
fétc ~l Grcnohlc , qu'on y allait voir un feu d'artífice pour le
passage de la duchesse de Bcrri , et tout cela avait fait Ioule. Les
montagnes étaient couronuécs de paysans sans desseins , et lors-
que les régiments chargcrcnt , un grand nombre de ceux qu' ()11
appelait les rcbellcs 11e savaieut pas ce dout il s'agissait, In
toute hypothese , un mouvement militaire sur Grenob!e était
mcnacant pour la dynastie. Qu'on s'imagiue il préscnt la situatiou
du Couvcrucment a Paris , au milieu des difficuItés de tonto
cspece et des frayeurs de la cour, apprenant par le télégraphe
l'insurrcction de tout un départcmcnt , une tcutatíve formidable
sur Grenoble, dans ces mémcs contrécs qui avaient salué J¡,
retour de Napoléon et de ses aigles, Qu'on s'imagiue un miuis-
tero rcccvant un rapport du général Douuadicu , couuue s'il y




CHAPITRE XI. 123
avait eu une hataille livréc , quatre ou cinq cents morts sur la
place, des positions enlevécs, des menaces d'incendie , et qu'on
demande maintcnant ce qu'il dcvait faire ! Le Gouvernement ne
pouvait ajouter foi qu'aux autorités : le général et le préfet. 01',
tous deux s'accordaicnt ü pcinrlre le danger de la situation , le
dl'~Yeloppel11ent formidable de la réhcllion ~l Grenoble. La pre-
miere mesure du ministere fut de conficr des pouvoirs extraer-
dinaires aux dcux grandes autorités du département. Elles
agirent ensuite sous lcur responsahilité. te refus des demandes
en grüce sur la recommandatiou des cours prévótalcs fut déter-
miné par un hesoin d'exemplcs sévercs. 011 pcignait le departe-
ment comme en insurrection permanente, on parlait sans cesse
des chefs de révoltés , de tentativos nouvelles : est-il étonnant
que le Gouvernement hésitñt ~l accorder des gráces? D'ailleurs
cette sévérité entrait dans le caracterc du ministre de la guerre ,
avec lequel corrcspondalt directement le général Donnadieu,
tes demandes en grace dépcndaicnt de JU. le Chancelier, trop
exalté alors pour consentir ~l quelqucs mesures de clémcnce, Je
IW justifie rien ; ct commont pourrait-ou justifier le supplice de
dix-sept malheurcux dont les tetes roulaicnt sur l'échafaud ! J'ex-
plique sculcment les Iaits rjc cherchc h montrer comment des
mesures sicruellcs furcnt priscs. Au reste, lorsque les tCl11pS s'éloi-
gnent, onjugc malles coups de néccssité portés par les Couverne-
ments. Maintenant on peut élcver dcsautcls auxconspiratcurs sous
la Restauration, cela s'expliquc , ils ont triomphé ; mais ils ne
pcuvent condamner le Gouverncmcnt alors établide s'étredéfendu
contre la révolte année et mcnacaute , c'était son droit. tes évé-
nements de Grenohle étaient une véritahle guerre civile , une
lutte arméc ! Il yavait eu des vainqueurs et des vaincus , et les
vainqueurs furent impiroyables, Un Couvernemcnt est par lui-
méme un fait inuucnso ct protccteur; je n'aime pas ~l l'iusulter
mernc quand il cst par terre.


Il est rare que, lorsqu'un mouvement éclate dans les dépar-
tements , il n'ait des ramifications avecParís. Je concois le suecos
d'un mouvement populaire , mais jc croís Ü peine aces conspi-




12!J mSTOmF DE 1..\ nESTArn\ rrov.
rations oú la pollee cst toujours pour moitié. Je comprouds
qu'on espose sa vie, la tete haute en face de l'cnuemi , ruais jl'
n'cxpliquo pas qu'on la mette en dépót dans des mainspoltronnes
ou niaises qui se retirent ~l temps, J'ai toujours devant les yeux
ces malheurcux sergents de La Hochelle montant a l'échafaud ,
tandis que la qraiule vente s'effacait , el que lU. Manuel disait ce
mol célebre: Ils 111Oll1Tont bien. Oui, ils son! bien morts; comme
le gladiateur du cirque , ils sont tombés avec gráce ! ji Ya dans
cettc espcce d'inviolahilité des chefs de conspiration quclqne chos«
qui répugneala dignité humaino..J'ai exposé quellc était la situa-
tion de l'opinion révolutionnaire ~l Paris et dans lesdépartements.
le premier hesoin d'un partí, lorsqu'il devient fort , est de s'or-
ganíser. les vieux patriotes surtont avaient l'intelligcnce parfaite
de ces conspirations souterraines , anriennc hahitudc de la Iac-
tion. Ils avaient depuis quelque temps un journal clandestin , le
Nain tricolorc -' qne la polieevoyait partout, et dont on ne pou-
vait déeouvrir le lieu d'impression. On finit cependant par le
trouver, et voici comment. le ministre fit nommer une com-
mission d'imprimeurs qui , ~t l'aspect des caractercs , parvint ~l
découvrir le fondeur : celui-ci désigna un imprimeur ~l Troyes
auquel il les avait vendus. Il y eut un preces Iait dcvant la COl1\'
d'assises. le libraire Baho-uf et quatro on cinq rédacteurs ou
imprimeurs furent condamnés h la déportation , ce qui était le
maxunum de la peine sur les écrits séditieux. Cette preruiere
découverte mil la police sur les traces d'un autre complot. JI fut
connu sous le nom d'Association des Pturiotcs de 1816. Jamáis
partí ne conspira plus ouvertemeut et plus imprudemmcnt ({ue
les Patriotes en 1816; ils s'expliquaient publiquement dans les
salons de MM. de la Fayette et d'Argenson; M. Manuel en était
l'agent le plus actif; on n'allait pas jusqu'a I'exécution des pro-
jets , mais on parlait, on délibérait , on arrétait les moyens de
se déharrasser du gouverncmcnt établi, La police était parfaitc-
ment instruite de ces réunions , cal' ¡\l. de La Fayette avair tou-
jours cette imprudence de paroles, cette }{'gereté de propos ,
cctte honhomiede conspiration qui corupromit tant et un si grand




CJIAPITRE \1. 125
nombre de ses amis. Bien n'eüt été plus facile ¿I la Maison de
Bourbon que de comprcndre M. de La Faycttc dans une pour-
suite ; les preuves étaient publiques, et la Maison de Bourbon
l'épargna , cal' en ne s'imagine pas sans doute qu'on le craignit
beaucoup commeune force. la conspiration des Patriotes de 1816
fut dénoncée au ministre de la police par un cx-eonventionnel
¿I qui 1'0n avait proposé de faire partie de l'association, La Iettre
désignait les priucipaux chefs , les moyens d'action et le but
qu'on se proposait. te ministre chargea un des employés supé-
rieurs de la police , M. Foudras , de suivre cette affaire, et les
premiers rapports annoncercnt que Pleignier se rendait tous les
soirs chez M. Manuel, ex-député des Cent-Jours. L'avis de la
pollee fut d'arréter sur-lc-champ Manuel; le ministre réfléchit,
et , avant de prendre une détermination aussi grave, il lui parut
esscnticl de savoir si Pleignier était allé réellement chez 1\1. Ma-
nuel. Tous les rapports disaient qu'on avait vu entrer Pleignier
dans la maison, et y rester plusieurs heures; on donna l' ordre
;, un agent de le suivre, non-seulement jusqu'a la porte, mais de
pénétrer dans l'appartcmcnt, et il apprit que Pleignier n'allait pas
voír :Uanuel, mais une fcmme qui dcmeurait sur le müme palier.


Lorsqu'on fut sur les traces du complot, on gagna un (les
memhres de I'associatiou , depuis adruis dans la poIÍC('; on put des
l rrs on suivre tous les fils. La question était de savoir s'il y
avait complot ou simple assoriation patriote , sí les conjurés
n'avaicnt qu'une intention de s'organiser comme fit plus tard
le Carhonarisme, ou bien s'ils voulaicnt agir activement centre
la Famille royale et le rhátcau des Tuilerics ; le complot contre
le chñteau des 'I'nilerics Iut un de ces propos exaltes sans C0111-
menccment rl'r-xécution ; c'était pcut-étro un projet d'avenir,
un de ces résultats que toute association pour renvcrser se
propose; mais iL y ti qnclque diffórcncc entre un projet de coin
de fcu , CI'S paroles pcrdues qu'ou jeuc au hasard, et une ten-
tative réclle ct anuée. Quant ¿l l'association patriote , elle fut
constante et avonée; les desscins de rcnversemcnt furent égale-
ment prouvés. Pleignicr cxerrait la profession de corroyeur ;


.r




126 mSTOTnE DE LA RESTACRATTOX.
son atelicr était situé rue Saint-Sauveur ; iI se donnait pour le
chef de l'association des Patriotes de 1816; le chef n'était pas
trop hant placé! Il n'avait point agi, disait-il , par des inspira-
tions étrangeres ; il n'avait pris conseil que de son désespoir,
Son conuuerce consistait principalcment dans la fabrique des
tiges de bottes 11 plis pour l'usage de la cavalcrie légere, mais
une ordonnance du Roi étant venue changer I'unifonnc , son
commerce n'allait plus. « Alors , dit-il , j'ai voulu mcttre fin il
cet état de choses , et pour l'intérét de mon pays et la réfonue
des nombreux abus que j'entrevoyais dans la conduite du GOll-
vernement, je concus le projet de le renverser. » C'était placer
l'idée d'un renversement dans une immense région, Un maitre
d' écriture, nommé Carbonneau, en proie 11 la plus affrcuse
misere , fut son premier complico. Pleignier le logra et lui
fournit plusieurs fois des secours. Bientót ils sentircnt la né-
cessité de donner un signe de rallicment aux patriotes qu'ils
initieraient 11 leur projet. Ce fut un ciseleur nommé Tolleron,
homme de cceur et de courage, qui grava un timbre avcc ces
mots : union, 1101I7lCllJ'" patrie. ñluni de cct instrument ,
Pleignier timbra enviran cinq millo cartes dont les hurcaux de
distrihution étaient établis au Palais-Iloyal , dans les cafés. I'uur
encourager les Patriotes , la premiére série fut ouvcrtc par
le n° 2 00'1. Cependant 011 avait promis une proclamation , elle
était attendue avec impatieuce. Pleiguicr ct Carbonneau la ré-
digerent. Elle fut imprirnéc par un nommé Charles qui fit quel-
ques corrections au manuscrit, On craignait d'ütrc décoH\el't ;
la planche fut portée chez Pleiguier qui parvint , par les plus
ingénieux moyens, il supplécr aux moycns d' imprcssion qll i 111 i
manquaient , et a tirer ainsi millo cxemplaires de la proclama-
tion. Il yen cut il peu pres cinq cents de distrihués, Dans cene
proclamation qui avait pour titrc, ()¡gwúsa/úm secrete des Pi/-
triotcs de 181{), on disait : « Nous souuues arrivés au termo du
malheur; amis du peuple dont HOUS faisons partie , nons JVOBS
lu dans l'üme de nos freres.Xous nous sonunes cmprcxsés de
prendro les mesures les plus sagos et les plus certaines pour la




CHAPITRE XI. 127
chute entiero des Bourbons... Que les patriotcs de l'intérieur
se rassurent , nous veillons au salut de tous, Notro succes est
certain, nous sommes impénétrahlcs; on ne nous trouvera nulle
part , et nous sommes partont; nous pourrions méme défler les
sarcllites de la plus odieuse tvrannie ; nous ne supposerons ja~
mais de traitres parmi les compagnons de nos glorieux travaux.
S'il s'en trouvait un , malheur alui l son jugement cst prononcé;
l'cxécutiou serait aussi prompte que la foudre; il serait atteint
et puni en quelquelicu que ce Iüt, r){Üa la majcurc partie des
hraves est munie de tout ce qui est nécessairc. Quant al'artil-
lerie, nous saurons nous-mémcs nous en procurer. Lesproviuces
nous attendent; notre conduite doit régler la leur. Iledoublez
tous de zele et d'uctivité , tant pour grossir le nombre de vos
freres , que pour Iacili ter les moyens de pourvoir d'armes ccux
qui n'ont pas la faculté de s'cn procurer, et qui désircnt se
signaler comme nous. ) e'était , avrai dire , le commencemcnt
de la Charhonnerie, le príncipe des sociétés secretes qui devait
s'étendre de l'Italie en Allemagne et en Frunce.


Cependant les Patriotes travaillaicnt ü se recruter avec ardeur.
Chacun des nouvcaux adoptes était chargó de distrihuer des
cartes et des proclamations. Ils venaicnt s'en pourvoir chC'z une
fcmmo Picardo Plus tard une espece de succursale Iut étahlic
dans le hurcau du nonuué Oseré , écrivain public, Le nombre
des initiés s'était considérablcmcut accru ; on rcmarquait parmi
eux Descubcs de Lascaux , chef de hataillon, récennucnt em-
ploy« il l'état-major de la place de Paris; Benolt Gonncau, an-
cien magistrat .dcstitué en '1t)1ú, mcmbre de la Chainbrc des
Députés pcnrlant les Cent-Jours ; Dcshaunes , oflicicr il demi-
solde; Dervin , auhergiste ; un cx-Iicutcnaut de douancs , des
commis , des (oLu<!ianls CJl médccinc : on devait attaquer le chá-
tcau des Tuileries pcudaut la nuit. Les Iorccs des conjures de-
vaicnt consister daus les Iédérés dont la majeure partie avait
conservé ses armes , dans les uulitaircs qu'on pourrnit sóduirc,
dans les secours qui vieudraieut de certaius poiuts de la capi-
tale. Alors les chefs se montrcraicnt , ct l' OIl citait étcrnellcment




128 IIJ5TOIRE DE J.A BESTAURATIO;\.
le nom de )IM. La Fayette , Yoyer-d' Argenson. On convint f'll-
suite de la nécessité de bloquer le chñteau pour s'opposer ü la
sortic de la Famillc royale , et de l'isoler en placant du canon
sur les ponts : on devait faire précéder l'attaque par l'cxplosion
d'une mine pratiquée sous le chátcau des Tuileries , ~t I'aide de
dix-huit ou vingt harils de poudre que 1'on iutroduirait dans
l'aqueduc ahoutissant au has du Pont-Iloval, Des le méme soir
I'aqueduc fut observé, on en constata la direction, on examina
la grille et les cadenas. C'était la le conunencement d'cxécution.
Quant a la partie politique , il fut unanimement convenu par
les associés que le hut immuable de l'association était de ren-
verser le Gouvernement, de Iairc périr la Famille royale , d'éta-
hlir un gouvernement provisoire , de convoquer un nouveau
cluunp demai. Les déhats puhlics offrirent dans Plcignier, chef
de la conspiration , un caractere de nullité , quí prouvait qu'il
n'en était que l'éditeur responsable. 11 avoua la proclamation,
Tolleron, le ciseleur, montra de l' esprit et une fierté de carne-
tero peu commune : « On me disait toujours que Pleignier était
en relation avec des personnagcs de la plus grande importance ;
que d{'j~t plusieurs proscrits rcutraicnt en Frailee sous la pro-
tection des Puissauccs ; qu'une révolution se préparait, et que
plusieurs hommos qui , COIllIllC Caruot , conservaient l'estime
publique, se mettraient a la tete des affaires, J'ai présumé
d'abord que l'association des Patriotes de 181() était une réunion
de maconnerie patriotique , scmblahle a plusieurs sociétes qui
existent sans dépendrc du Grand-Orient, Quand jr vis la pro-
clamation , je crus ~I l'appui que prctaient les Puissanccs pour
renverser le Gouvernement; mais lorsque ensuit« Carbonncau
me dit que Pleignier était le seul chef, je le regardai comme
un fou, commc un imhécilc. ) te président lui demanda alors ,
si, daus le cas oú Plcignier aurait el! quelques soldats ü sa dis-
position, lui, Tollcron, aurait pris couliance et une part dans
le p1'ojet? Tollcron répondit : :\0n , quelqucs soldats nc m'au-
ra'ent pas dótenuiné. -}lais s'il avait eu une arm('C'?-_'lon-
sienr , j'ai trente ans. Jc S111S presque JI(' dans la révolution , ('t




CHAPrTHE x r. 129
des mon has age, dans ma Iamill« el dans les écoles, on Jl'J
cessé de m'inspirer de la haine pour le Gourernemeut actue1.
J'aurais été bien aise de voir humiliés a leur tour ceux qui
m'avaient humilié. J'oi cm qu'¡'!lIe s'aqissait quede renrerser
le Gouoernenicnt. J'ai cru que cela se passerait comme au
20 mars : un gouvorncmeut s'en Ya, un autre le remplace. De-
puis vingt-cinq ans nous en avons en vingt. » Tolleron était un
homme de résolution et d'esprit, Ses avcux faisaient connaitre
mieux que l'acte d'accusation de quoi il s'agissait , c'était une
sorte de [ranc-maconncrie patriotioucs un complot centre le
Gouvernement étahli. Singuliere époque que 18J6! Comme il
arrive toujours aprl~s les grands changemcnts , on conspirait
tont haut; on se compromettait plus qu'ou ne l'était , par
forfanterie , on faisait vanité de ses dcsseius centre la dvnastie !


.'


JI se passa une scenc dans ces débats , sur laquelle depuis on
a fait un grand nombre de conjectures. Pleignier ne cessa de
demander aparler au Roi. navait, dit-il , d'importantes révéla-
tions 11 faire. On lui proposa de les confier aux ministres. n s'y
refusa constamment. J'ai lu quelque part que ces révélations
concernaient les trames de la poIice et les desseins des chefs de
complots, et que le ministre ne voulut pas que le Iloi en füt
informé. Lonis XVHI fut parfaitement au courant de toute cetro
affaire; il ne consentir pas ¡l entendrc Pleignier, paree que, dans
les formes rnonarchiqucs , tout condnmné ¡l mort qui voit le Iloi
ohtient sa gráce. Qu'aurait-il dit an Prince de plus qu'il n'avait
lafaculté de proclamer dans les débats , en face de la liberté et
de la puhlicité la plus entiere? Je puis affirmer que Pleignier ne
fit aucune révélation qui méritát quelquc attention, lorsqu'il
fut amené devant M. le Chancelicr ! Il sernble d'abord qu'uue
association entre quelques misérables ouvriers, quelques étu-
diants, n'avait et ne pouvait avoir aucune portée, A cette
époque de 1816 ,ces associations d'ouvriers, de militaircs en
retraite, d'étudiants ;' pouvaícnt , au contraire , avoir les plus
graves conséquences, Les classes inférieures avaient été pro-
fondément remuées par les Ccnt-Jours, La population des Ié-




130 mSTOIRE DE LA RESTAURATION.
dérés des faubourgs était armée; une association secrete qui ,
les réunissant tous dans un eomrnun dessein de haine contre la
famille des Bourhons , aurait fait de ces forces isolées un corps
se mouvant et agissant, menacait la dynastic et le pouvoir Na-
hli : les chefs se seraicnt íacilcment trouvés ; ils n'arrivent jamais
qu'au second période des révolutíous. I1 y avait dans les esprits
jc ne sais quelle indiffércnce pour les gouvcrnemonts , et un mé-
pris pour les forces qui les défendaient. On avait vu tant de
ehangements en France! Et Tolleron avait dit sans s'émouvoir
qu'il croyait qu'il nc s'aqissait que de 1'CnVCJ'ser le qtnmcrncmrnt
établi. Toutes ces considérations expliqucnt pcut-étre la rigueur
solennellc dont on usa en cctte circonsrance. Le Pouvoir avait
hesoin de montrer sa foree, de Irappcr avcc vigueur pour arre-
ter le progres des opinions désorgauisatriccs, ct surtou t pour
montrer qu'il existait. Le partí révolntionnairc , apres ces h('-
nements et ces condamnations , devint plus circonspcct ; il atten-
dit des temps meilleurs l. Il est difficile que, dans les premiers
jours qu'une cause triomphc , le parti vaincu puissc songcr ü luí
arrachcr la victoire de vive force: il doit auendre , agir avoc
prudence ; qu'j] laisse venir ~I lui la force de I'opinion , (JII'i¡
Iaisse les gricfs s'arr.umulcr. C'est la meillcnr« conspiration. Les
gouveruements pérísscnt par eux-mémcs, rarcment ilstomhcnt par
les complots: e' est en poliriqueque le suicide est le plus Iréquent.


1 Jc n'ai pu découvrlr si l'associatlou des Patriotes de 181G se mélait
Ú un complot plus vastc el mieux combiné qui se llait a des intrigues
étrangeres en faveur du prlncc d'Orange. Les choses en étaieut arrí-
vées á ce point avant l'ordonnance du !í scptembre. Quatre Puíssanccs,
el partlculiérernent la Bussle , songcaicnt Mjá ú la possibillté d'un
changemenl de dynastie. Dans le mois de juin tRIO, les réfugiés
de Bruxelles adresserent un mémoire ú I'ernpcreur Alexandre sur la
sltuatlon de la Frailee j le rédactcur de ce Mémoirc fut , m'a-t-on
dil, 1\1. Teste j l'agent qui parvlnt jusqu'á varsovle , 1\1. de Vicil-
Castel , y fut tres-hien accucilli par le grand due Constantin. Ce
~lémoire fit une tres-grande imprcssion sur I'csprit d' Alcxandre ; il
aurait eu un résultat fücheux POUl' Louis XVIII si l'ordonnance du
:, septcmbre n'était arrivée á temps.




CIIAPlTllE\!. 1;)1
Ces auaqucs violentes coutro le gouverucmcnt ótahli avaient


provoqué les plus sérieuses réflcxions des honuucs politiques.
A la fin de la session de 1HI.. , le partí modéré de la Chamhrc ,
representé par 1\DI. de Serré, Pasquier, Iloyer-Collard . s'était
presque entiercment séparó du duc de Richelicu eL de JI. De-
cazes; il avait vu arce peine les conccssions faitcs ü la majoritó
royalistc , particulierement sur la question du budget , el, l)l'r-
suadés que le ministere no voulait pas serouer ccttc majorité
ardente , les ehcfs de la minorité se teuaient en froidcur el se
proposaicut de rompre avcc le Cabinel. Cepeudant l' entrée de
M. Lainé aux aflaires avait un peu réconcilió le miuistcrc arce le
parti modéré, On se voyait peu cependant encore; mais le be-
soin de prendre un partí décida ~1. Dccazes ~l une entrcvuc arce
deux des rcprésentants de la minorité. 1\1. de Serre était rc'-


o tourné asapremiére présidcncc, Cene entrcvuc cut liou ~l dincr
chezle duc de D*** : )1. Decazes et :\1. Pasquier se trouvaicnt ü
coté 1'un de I'autre , el naturcllcmcut la convcrsation s'engagca
sur la situation. ]U. Decazes s'ouvrit sans rien dissimuler ~l
1\1. Pasquier : illui peignit ses embarras, la néccssité pour tous
les honunes de considératiou el de bien puhlic de se reunir ~I ses
eílorts pour cngager le Iloi ¿¡ dissoudre la Chaiuhrc. la chose
étais difficilc si la Cour venait ü savoir les iutcnrions du minis-
tere avant que I'ordonnance Iút rcndue ! Il engagea ('galelllellt
1\1. Pasquier et ses amis ü agir par rous les movens auprcs de
Louis XVIII , ~\ le scconder dans la teutativc , disait-il , la plus
difficile et la plus téméraire. Ces couuuunications durcnt étre
faltes sous le plus inviolable secret. Une convocation de députés
inf1uents du partí modéré , et dont on était súr, cut licu sous un
prétexteau miuisterc de la policcr sl. Decazes lcur lut un projet
de l\'lémoire qu'il se proposait de présenter au Iloi ; il était clai-
rement rédigé,et d{'duisait avecune grande force les motifs qui
nécessitaicnt la dissolution de la Chambre. On arréta de préparcr
tousles éléments de succés , on so donna réciproqucment parolo
de ne ríen faire soupconucr des iutcntions ministériclles. )1. De-
cazes demanda aux hOIlllUCS d'cxpéricncc el d'affaircs qui com-




132 IllSTülHE DE LA HESIALHATIO~\.
posaient cetro réunion de lui Iaire savoir quel scrait , dans km
opiuion , le résnltat présumé du mouvement élertoral ; cal' il luí
paraissait impossible , avec le personncl des employés du miuis-
tere , de Iaire un travaíl sur les électious, sans tout de suite don-
ner l'éveil au Chüteau, en tiers des employés avait mission de
surveillcr les deux autres. JI. Pasquier, qui eonnaissait parfaitc-
ment l'administration , se ehargea de procurer les renseigne-
ments nécessaires : il íit venir aupres de lui un des cmployés
supérieurs du ministere de l'intérieur, el, comme s'il avait eu
besoin de quelques notes pour un travail particulier, pour une
simple statistique , il demanda et put se procurer secretement des
éléments sürs , afin de conuaitre le résultat futur des élections.
Il s'agissait maintenant de mettre :\1. de Riehelieu dans les voies
d'une dissolution : ce fut le hut des eílorts de ~Dl. Decazes el
Molé. 1.'opinión de ~l. de ltichclieu était royaliste , el e'étuit une
résolution diíficile a lui faire preudrc qu'une dissolution de la
Chamhre de 1815. )1 avait a se plaindre dc eettc Olambre,
mais son penchant pour les Royalistes était si puissant ! En
parcourant la correspondan ce de ~1. de ltichelieu ; on peut s'y
faire une idée de tous ses entralnemcnts pour les hommes mo-
narchiques. JI se méíiait sans cessc des Lihéraux : il n'avait ni
abandon ni coufianec; mais en 1815, a l'époque OU le partí con-
stitutiounel se confondait si souvent avec le partí conspirateur,
M. le due de Riehelieu avait-il tout afait tort '?.. MM. Decazes
el Molé eurent done quelque peine 11 convaincre l\I. de ltiche-
lieu de la nécessité d'une dissolution. Cependant une fois l'idée
fortcmcut concue , le président du Conseil préta aide et applli ,
non-sculcmcnt aupres du Hoi , mais encoré aupres de la diplo-
matie , qui alors exercait une grande influence. IJ íallait {'gale-
mcnt convaincre :\1. Laiué : la tache ('Iait moinsdiHieile ; le mi-
nistre de l'intérieur conservait des grids routre la Chambrc, S('S
couvictious n' {'Iaicnt pas tn\s-alr(~l'Ini('s, il ehaugeait el se modi-
fiait a'. ec fncilité , il rraiguait le résultat des élections , ('l son
ardent roynlisme avait quclque peine il se dóiacher de ecuo
majori t{. si puissaunncnt monarchi 'l He.




ellA PJTHE x I. 133
De graves diflicultés constitutiouucllcs se préscntnieut. Sous


I'empire dc quelle législation se Ieraicnt les électious nouvcllcs ,
aprés ladissolution de la Chambre? te projet de loi presenté par
M. deVaublanc avait été repoussé ; il ne pouvait senil' de point
de départ. Le projetde M. de Yillele , adopté par la Chamhrc des
Députés, avait été rejeré par la Chamhrc des Pairs , et le minis-
tére l'avait combattu de toutes ses forces. 1..'ordonnance du
13 juilJet, qui réglait les élections et la disposition transitoire
communiquée aux Chambres , était également sans force sur
l'opinion, sans destinée politique; il n'y avait done pas de loi:
on pouvait trouver des précédents , mais il n'y avait aucune lé-
gislation impérative et obligatoire. Plus on se pénétrait des faits
el de l'état réelde la société, plus tous les espritsdroits, en Franco
el al'étranger, sentaient le besoin d'arriver a l' empire absolu de
la Charte , et de développer succcssivement toutes ses consé-
quences. lls trouvaient dans l' exécution franche et loyale du
pacte íondamental , un nioyen tout 11 la fois d'arrétcr les regrets
indiscrets desRoyalistes, sur un passé féodal et religieux dont le
retour était impossible, et les trames criminelles des enncmis de
la dynastie. Ce parti sage s'était fortifié dans le Conseil, par l'en-
trée de 1\'1. Lainé, et se trouvait des lors en majorité, Lesrepré-
sentants des grands Cabinets, et particulierement l\l. Pozzo di
Borgo, voyaient sous cet aspect les questions de paix iutérieure
el d'avenir de la monarchie eonstitutionnelle. L'influence de
M. POllO était grande alors , cal' n'avait-il dépendu que de lui
d'accepter la Pairie et un portefeuille? Tout le corps diplomati-
que, sauf l'ambassadeur de Prusse, avait suivi avec déplaisir la
résistanee que la Chambre des Députés avait apportéo aux me-
sures du Gouvernerncnt. tes h0l111neS influents du partí de la
modération avaient égaiement exercé une certaine autorité sur
le eorps diplomatiquc, dans cettc sphere de salons toujours si
iluissante en Franco. On avait ainsi sur l'esprit de Louis XVIII
:1M1s les éléments d'action ; il ne s'agissait plus que de déterminer


. Jlfttdemment le temps et les moyens qu'on emploierait pour ar-
river aune dissolutiou de la Chambre des Députés, el pour 01>-
U.12




1 :)/1 Ill~TOIHE DE LA HESTAldL\TltJ:\.
tcnir surtout une majorité en opposition de pcnséc d dI' scnti-
ment avcc l'autrc majorité dout on tcntait de se dóbarrasscr. JI
fut arrété , dans la pensée du Cahinct , de préparcr pour un
tenue prochain la dissolution de la Chambre, Lorsquc je parle
du Cahinet, j'entends id les honunes influcnts : )L\l. de Richc-
lieu, Lainé, Decazes; quant ~\ l\DI. le chancelicr Dambray, Du-
houchagé et Clarke , ils n'en étaient point cncorc infonnés :
d'ailleurs , dans une position embarrassée , ils cxprimaieut des
opinions qui n'étaient plus en force.


Les Royalistessentaient par instinct la nécessité de défendre les
sentiments de la majorité exprimes souvent avec tant d'aígreur ~\ la
tribune; ils voulaient empéchcrdeux choses :d'ahord une rupture
trop éclatante entre eux et le ministere, et un rapprochement de
ce ministére avec la minorité modérée. C'est dans ce but (1UC
1\1. Fiévée écrivit l'histoire de la session de 1815, spirituel so-
phisrne, oú l'auteur cherche aprouver que le miuistere a Iait
une faute imrnense en ne suivant pas I'bpinion de la majorité; il
ne peut lui pardonner de ne pas s'étre entendu avec elle, cal'
elle ne demandait pas rnicux que de marcher avec le mínistére du
Roi. l\J. Fié, él' défcndait une ¿I une les opinious de la Chambre
et révélait le talent parlcmcntaire des mcmhrcs'dc la nrajorité , et
il avait raisou. I ..a QuolidicllllC publiait un plaidoyer en Iavcur
de la majoríté de 1815, majorité introuvable, ainsi proclamée par
le monarquc lui-méme : « Que l'on se reporte, disait-elle, aux
premicrs jours de la session : l'orage grondait cncore, toutes les
passionsétaicnt en fermentation. Au milieu des plus vastesdóhris,
iI fallait marcher sñrement et promptemcnt au but de la restaura-
tion générale; il fallaitsurtout offrirau rnonarque et ¿\ l'opinionpu-
blique des auxiliaires assezpuissants pour déjoucr les rnanceuvres
des factions, les calculs de l'intérét et de I'égoisme. On lui a fait le
reproche d'ultra. 1'oyalislIlc el de dC11lagogie. L'asscmblage de
ces mots est trop ridicule pour le concevoir. Si 1'on appelle ultra
l'oyalisme le désir de fonder la France sur des bases désormais
impossibles adéplacer, de reudre au pouvoir royal toute sa force,
d'allier les dispositions de la Charte avec la sécurité qui doit eJI




r.nAPlTUE xr, 135
résulter pour le Princeet pour ses sujets , la Chambre a été cou-
pable d'ultm royalisme. Elle a pris Yinituuiue qui lui est com-
mune avec les trois branches de la législatiou , pour entourer le
monarque de grandcur et de puissance. Ce sont des torts que
la génération présente, que la génération future lui pardonne-
ront , q~e lui pardonneront méme ses ennemis, lorsqu'ils joui-
ront par ses soins et par ses actos de toutc la liberté politique
dont un état tel que la France peut étre susceptible. ) Ainsi
disaíent les Royalistes ; en meme temps , des ovations populaires
étaient préparées dans les provinces aux membres int1uents de la
majorité de la Chamhre ; le motavait été donné, et de tontes parts
des couronnes civiques étaientjetéesparlesvilles aux députés qui
avaient bien mérité de la religion et de la monarchie, MM. de
Yillele , Corbiere , de Puymaurin , de Castelbajac et leurs
collégues , avaient été merveillcusement accneillis par les popn-
lations ; on lenr avait fait des harangues , des fétes hruyantes ,
auxquelles ils ne s'étaient point dérobés,


Tous ces préliminaires annoncaient une rupture complete
entre le Gouvernement et la majorité, et préparaient la dissolu-
tion inévírable de la Chamhre, L'opinion publique appuyait le
ministérerians ce desscin. Elle avait fait d'iuunenses progres
pool' arréter cette réaction judiciaire qui frappait successive-
ment toutes les gloires militaires échappóes aux coups des ba-
tailles. JUouton-Duvel'llct tombait encoré a Lyon , condamné
par un conscil de guerreo lUais ce fut la la deruiére victime de
la réaction! Il Yavait encore des condamuations par contumacc,
des jugemcnts amort: les génóraux Drouet d'Erlon , Lefebvre-
Desnouettes, Bertrand, les Ireres Lallemand; mais quclques-
uns des condamnés, par exemple le général Debelle, avaicnt vu
leurs peines commuécs. Telle était déja la force de l'opinion pu-
blique 1 que Cambronne fut acquitté. Ces progres de l' esprit
publíc se moutrerent dans le proces célebre des trois Anglais


'qui avaient sauvé lU. de Laralctte. C'est la qu'on vit quelles
racines profondes avaicnt déja jetées les idécs de liberté. Il faut
sesouvenir dequelsapplaudissemcnts furent couvertes les libres




136 IJJSTüIRE DE LA RESTAURATION.
et hardies professíous de foi de sir RobertWilson, de Hutchin-
son et de Bruce , noble appel aux lois du pays, Cette publícité
des débats produisit une indicible impression, La marche des
opinions permit aussi au ministere de tenter la mesure qu'il
essayait depuis la clóture de la session. Le Cahinet commencait
a se populariser par divers actes d'une administration générale.
Il venait de reconstituer l'ordre de la Légion-d'Honneur , de
mettre un termo a cette prodigalité de croix accordées aprés les
Cent-Jours, L'École polytechuique était rétablie; l'instruction
primaire encouragée; l'agriculture, les arts reccvaicnt des
primes. Les opérations de finances, redevenues régulieres , cor-
rigeaient le scandale de la banqueroute demandée par la Chambre
sur l'arriéré, L'administration des départements s'organisait pa-
ternellement. Des oirculaircs adrcssées aux grands prévóts leur
recommandaient la plus haute modération dans les poursuites,
Tout se ressentait d'un gouvernernent qui cesse les réactions ,
et qui veut enfin marcher jlans une voie de vérité et d'ordre
politiqueo La correspondance des préíets, dont il fallait un peu se
méfier , annoncait qu'un changcment tres-puissant s'était opéré
dans les opinions, ct que le Gouvernement pourrait plus facile-
ment agir dans un sens moderé, Le ministere crut le moment
opportun de frapper fort aupres du Roi, et, a coté de l'analys e
consciencicusement faite de la correspondance des préfets et de
l'esprit des départements , on mit sous les yeux de Louis XVIII
plusieurs Mémoires sur la nécessité de dissoudre la Chambre des
Députés. Je donne par extrait les parties les plus substantielles
de ces l\lémoires que je réunis en un seul corps , afin de bien
faire connaitre ce qui précéda l'ordonnance du 5 septernbre.
Ces Mémoires reposent moins encere sur un príncipe lihéral
que sur l'intérét de la puissance royale et de la prérogative mé-
connue. C'est ce langage qu'il Iallait parler a Louis XVIII. On
saisissait son esprit par les menaccs de voir sa couronne humi-
liée sous les coups de ses propres scrvitcurs , plus dévoués aux
idées du comte d'Arois qu'aux sicnncspropres.


( J] est néccssairc de dissotuh:c la C!t(/1/1Ul'C -' disait-on dans un




CITAPITRE xr. 1. 37
de ceslUémoires; cal' elle entrave le gouvernement du Roi , elle
aflaihlit son autorité, elle usurpe son pouvoir , elle tend al'avi-
lír , al'annihiler en s'élevant au-dessus du tróne , en placant
une volonté au-dessus de la volonté royale , en accoutumant le
peuple acroire qu'il est une puissance plus forte que ¿elle qu'il
a été elevé jusqu'ici a regarder plus forte que toutes les autres,
el que le véritable gouvernement, la souveraineté réelle , est en
effet dans I'assembléc des Députés qu'il nomme. JI est nécessaire
de ladissoudre, cal' il est de la nature des pouvoirs de ne jamáis
recnler, de tendre toujours a s'accroitre, jamais ~l s'affaiblir vo-
lontairement. Avec cette Chambre il n'y a pas de hudget Iaisable,
pas d'cspoir de stabilité, pasde possibilité de ramener la confiance
au dedans et au dehors , d'établir le crédit, de faire reprendre a
la France un rang parrni les nations, de l'aífranchir du joug de
l'étranger et de la honte des tributs. Rien de tout cela ne peut
exister avec une Chambre durant laquelle le Roi ne saurait ré-
tablir ni ses finances, ni ses armées, qui a mis la banqueroute
en honneur, qui veut baser le crédit sur la mauvaise foi, qui
déclare la guerre a quiconque , capitalise, fabricant, ou pro-
priétaire , confie au Gouvernement son argent, ses marchan-
dises ou ses denrées , qui pose en príncipe que nul contrat , que
dis-je, nulle loi ne He le Trésor, lorsqu'il plait aux Députés de
le délier, qui insulte et humilie tout ce que la Franco a de soldats,
tout ce que la gloire nationale a de vétérans , qui , en inquiétant
toutes les existences, en attaquant tous les íntérüts , en exaspé-
rant tous les esprits, 'rend nécessaire une compression sans
termo. Lorsque le mal est imminent, lorsque le remede est si
facilc et si assuré, Votre l\1ajesté pourrait-elle hésiter arecourir
¡\ ce facile moyen de salut ! Les députés , qui s'intitulent majo-
rile de la Chambrc , ont embrassó un systémc politique et
financiero Sous l'un et l'autre rapport, ce systeme est également
Iuncste a l'État; une courte application l'a trop démontré. Il
doit etre remplacé par d'autres príncipes de gouvernement, par
des plans de finances cntieremcnt opposés. Pcut-ou cspércr ,
peut-on exigerd'eux qu'ils détruiscnt de leurs propres mains leur




138 HISrOIRE DE LA RESTAUnATIO~.
ouvrage? Peut-on se flatter que du moins ils ue s'opposeront
pas de toutes leurs forces 11 ce qu'on le détruise ? Votre J1Iajeslé;


. dis-je , ne croit pas qu'il soit possible d'obteuir d'eux que, lais-
sant au Roi le soin de son gouvernement, ils respectent les choix
de sa sagesse, qu'ils n'iuquietent pas toutes les existences , qu'ils
ne détruisent pas le fruit de six mois de leur absence, qu'ils
consentent ala vente des bois, unique et indispensable ressource
des,finances, qu'ils réparent le tort porté au crédit , qu'ils re-
connaissent l'erreur des principes destructeurs de toute con-
fiance et de toute stabilité sur lesquels ils ont fondé leur sys-
teme, qu'ils consentent a se lier pour l'avenir, qu'enfin ils
changent non -de sentiment, mais d'opinions et de langage. Il se-
rait insensé de l'espérer. La masse du peuple et malheureuse-
ment aussi trop de gens sages, comme presque toute l'Europc ,
voicnt en eux des nobles qui veulent recouvrer leurs privilég('s,
des émigrés qui veulent rentrer dans lcurs biens , qui croient
leurs droits Iéodaux aussi légitirnes que vos droits au trünc , el
leurs propriétés aussi inviolables que votre couronne. On ne
peut douter que les débats de la Chambre ne produisent des son
ouverture , si elle est rappclée , une grande agitation , plus
grande encere que celle qui a été le résultat de la dernicre scs-
sion; la dissolution prononcéc apres la convocation , en faisant
cesser cette agitation, en fera naitre une d'un autre genre, que
le Gouvernement sera forcé de modércr et de maitriser. La
dissolution actuelle u'oflre aucun de ces inconvénients, elle
n'aura rien de personuel pour les députés; faite avec calme et
réflexion , elle ne pourra faire naitre aucun orage , elle sera un
honnnage h la Charte , et, h ce titre seul, elle aura l'asscntiment
général; elle sera de la part du Couvemement une preuve de
résolution et de force, et par cela meme réunira autour de lui
tout ce qui est encoré chancclant ou doutcux , inspircra de la
confiance aux érrangers, et Iacilitera toutcs les négociations, Si
elle n'offrc aucun inconvónient , elle presente tous lesavantages,
Le premier, sans contrcdit , est celui de consacrcr l' iunnuabilité
de la Charte , de no plus laisser en qucstion taut de points si im-




CHAPITRE X~. 139
prudemment livrés 11 la discussion par les ordonnanccs des 13
et 1ú juillet , et de commcncer l'édifice de la staliilitó, de cette
stahilité qui est le vreu de tous, paree qu'elle est le premier de
tous les intéréts , et que, sans elle, il n'y a de possible ni crédít
puhlic , ni confiance. La nouvelle Chambre sera bonnc .. d'abord
paree qu'elle sera autre .. paree qu'elle ne sera plus liée , qu'elle
n'aura pas d'cngagements pris , qu'clle n'apparticndra ni ~l des
coteries ni ;\ des salons, qu'elle n'aura pas de systeme arróté ,
qu'elle n'aura pas de meneurs et de chefs , et qu'avant qu'il ait
pu s'en présenter, le ministere instruit par l'expérieuce de ses
propres fautes aura pu et aura su s'assurer une majorité d'autant
plus facile 11 conquérir que l'assemhlée sera moins nombreuse,
et que des lors il y aura beaueoup plus d'influence ; elle sera
lionnc parco qu'elle ne sera que de 260 mcmbres , parmi
lcsquels le Couvernement pent compter d'ahord SO voix qui Iui
sont assurées , s'il choisit les H5 présidents des colléges élccto-
raux , de maniere h ce qu'ils puisscnt étro élus, ce qui ne sera
pas difficile; ensuite 30 députés au moins parmi les fonction-
naires, ministres, conseillers et autres qui voteront toujours
avec Iui , s'il le reut et tant qu'il le ooiulra. A toutes ces pro-
habilit(·s favorables vient se joindrc celle qui résulte de ce qu'un
cinquiéme de ecuo asscmblée devra étre renouvelé en 1817, et
pourrait l' étre des le 1,'r janvier, si cela était nécessaire , de sorte
que les membrcs sortants, dans le désir d'étre réélus et de n'y
pas trouver d'opposition de la part du Gouvernement, se garde-
raient bien de se montrer hostiles. Mais tout tend 11 prouver que
1'011 n'aura pasbesoin de recourir ace moyen, et que l'immense
rnajorité des nouveaux députés sera constitutiounclle. Tous les
documenrs qui nous sont parvenustendent ¿l le démontrer, Il ne
saurait d'abord y avoir de doutes sur les élections d'une foule
de départements , Paris , Lyon, Lille , Strashourg , Rouen, Ar-
ras, Bordcaux, on ne cite que les plus importants, La correspon-
dance de la plupart des préfets sur lesquels le ministere peut
compter donne it cet égard les assurnnccs les plus positivas au
ministre de l'intérieur ct a celui de la pollee.




nrsrornr DE tA RESTAURATlON.


« Ainsi, Sire , ajoutait .M. Decazes, si je me rends hieneompte
de toutes les difficultés , je vois qu'il n'y en a aucune de sérieuse
dans le partí de la dissolution actuelle , qu'il y en a d'inuuenses
dans tous les autres; qu'il n'y a aucun avantage pour la chose
publique 11 différer, etdesavantages sans nombre pour les finances,
pour la tranquillité intérieure , pour nos rapports et nos négo-
ciations extérieures , desquelles dépend presque notre salut , 11
faire 11 présent saos trouble et sans secousse , ce qu'il n'est que
trop démontré qu'il faudrait faire dans deux mois et demi au
milieu de luttes orageuses et d'agitations dont on ne peut calculer
les conséquences, 11 une époque OU il n'y aurait plus de possihi-
lité d'avoir un budget avant les premiers mois de 1817 , de sorte
que le service du Trésor se trouvant entravé , les contributions
arriérées , les étrangcrs non payés.... l' État se trouverait de nou-
vcau menacé de tous les fléaux auxquels la sagesse de Votre l\Ia-
jesté l'a comme miraculeusement arraché. Ces dangers si ímmi-
nents , Votre Majesté peut d'un mot les écarter; et ce mot , en
donnant la mesure de tout ce que son peuple doit attendre d' elle
de sacrifices personnels et doulourcux , donnera aussi cclle de la
force de sa volonté; et, en offrant une garantie acellcs des Puis-
sanees qui vculent de bonne foi notre indépcndance , préparcra
et "hatera les arrangements qui doivent replaccr la France au
premier rang des nations el aífranchir votre couronne d'un joug
qui, pour avoir été un instant tutélaíre , n'en est pas moins
odieux. ))


Ces divers rapports furent remis au Roi qui , selon son usagc ,
les renferma tres-secretement , se réservant de revenir plus tard
sur cet objet. Ils furent rédigés par les ministres et par plusieurs
de leurs amis politiques dans le dessein d'cntrainer Louis XVIII
11 la dissolution de la Chambre. te Conseil passa tout le mois
d'aoüt 11 discuter le personnel des présidences , et les résultats
probables des élections, D'aprés les relevés et les notes fournies
par les ministres de I'iutérieur ct de la poiice , d'apres la sta-
tistique de l\I. Pasquier , on était ü pcu pres ccrtain d'obtenir
une majorité de cinquantc voix, Il Iaut rcudre ecuo justice ~\ la




CHAPITRE XI. 141.
minorité du Conseil, a lUl\1. le géuéral Clarke , Dubouchage et
Dambray, qu'apres s'étre opposésa la dissolution de la Chambra,
ilsgarderent loyalemeut tous les secrets de ces délihérations , de
maniere que rien ne transpira au dehors , et les Iloyalistes ne
furent point prévenus. Peudant ee temps, on avait agi si puis-
samment aupres du duc de Ilichelieu que le président du Conseil
avait écrit , mais sans l'autorisation de Louis XVIII, al'cm-
pereur Alexandre , pour connaitrc son opinion sur la dissolution
possible de la Chambre des Députés, Le eomte Pozzo di Borgo
avait également insinué a l'Empereur qu'au cas oú il croirait une
dissolution de la Chambre des Députés utilc aux intéréts de la
paix générale, une lettre de S. 1\1. I. au roi Louis XVIII avance-
rait beaueoup la question. Sur cctte double insinuation, Alexandre
écrivit une lettre autographe qui fut remise au Roi; il Yétait dit :
« que dans I'intérét du Gouvernement du roi de France , il lui
paraissait qu'une dissolutiou de la Chambre des Députés pour-
rait avoir d'utiles résultats, La nécessité d'obtenir un budget et
de stabiliser les institutions du pays garanties par les traités lui en
faisait une loi nécessairc. » Et il faut bien expliquer cette in-
tervcntion coutinuc des Cabincts dans la politique de la France :
les traités avaient non-sculcment garantí la JUaison de Bourbon
mais encore la Charle constitutionneJle; les alliés avaient pensé
qu'il ne suffisait pas pour la tranquillité du pays de rétablir I'an-
cienne dynastie, mais de lui donner les moyens de gouverne-
ment en l'appuyant sur une constitutión ; de la résultait que
toutes les Iois que la Charte était méconnue et menacée, I'Europe
pouvait intervenir paree qu'elle l'avait solennellement garantie.


Cette démarche aupres d'Alexandre fut faite ~l l'insu de
I ..ouis XVIII, qui avait un scntiment trop élevé de sa dignité
pour chercher jamáis, a moins que la nécessité ne l'y contraignit ,
des inspirations a l'étrangcr sur les aetes de son Gouvernement.
Cepcndant la lettre d' Alcxandre, fortemcnt éerite, le lUéllloire du
comtc Pozzo di Borgo , détcrminerent tout ü fait le Roi; il falIait
de l'argent et on était mcnacé d'un refus de budget. La rédac-
tion de l'ordonnance du 5 scptcmbre fut tenue secrete jusqu'au




142 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
dernicr moment; la cour n'en eut pas la moiudre idée ; il Y
aurait eu une viveopposition de famille , un cmpéchemeut moral;
on aurait fait agir MONSIEUR, la duchesse d'Angouléme , tous
les petits et grands ressorts. I..e 4 au soir , on se réunit en con-
seil privé pour la lecture déflnitive de l'ordonnance et pour la
signature du Roi; elle fut apposée ahuit heures du soir, et en-
voyée au Moniteur aonze heures. te préamhule fut l'ouvrago
de 1'1. Pasquier , ainsi que le travail des présidences; l'ordon-
nance était rédigée par M. Lainé , de concert avec M. Dccazes,
« Depuis notre retour dans nos États , disait le Iloi , chaqué
jour nous a demontré cctte vérité proclaméepar nous, dansune
occasion solennelle, qu'a coté de l'avantage d'améliorer est le
danger d'innover, Nous nous sommes eonvaincu que les besoins
et les vreux de nos sujets se réunissaient pour conserver intacto
la Charte constitutionncllc , base du droit puhlic en Francc , el
garantie du repos général : en conséquence aucun des articles
de la Charte constitutionnelle ne sera revisé. La Chamhre des
Députés est dissoute, Le nombre des députés des départements
cst fixé, conformément a l'art, 36 de la Charte. Les colléges
électoraux d'arroudissemcnt et <le département restent COIll-
posés tels qu'ils ont été rcconnus ct coruplétés par notro orden-
nance du 21 juillet 1815. tes colléges électoraux d'arrondis-
sement se réuniront le 25 scptembro de cette année. Chacun
d'eux élira un nombre de candidats égal au nombre de députés du
département, Les collégcs électoraux de département se réuni-
ront le 4 octobre. Chacun d'eux choisira au moins la moitié des
députés parmiles candidats présentés par les eolléges d'arroudis-
sement. Les députés élus seront tenus de produire ala Chambre
leur acte de naissance constatantqu'ils sont agésde quarante ans ,
et un extrait des roles düment légalisés par les préfets , constatant
qu'ils paient au moins 1000 fr. de coutributions directes. La
session de 1816 s'ouvrira le ú novcmhro de la presente année,
Les dispositions de l'ordonnance du 13 juillet 1815 , contraires
~l la présente, sont révoquées, » La nomination des présidents
indiquait le sens moderé dans lequel on voulait marcher ; on porta




CllAPITBE XL 143
sur la liste ¡'lill. Camillc Jordan, Gravier, Bergon , ñlaine-Biran,
Catelan, Mcyronct de Saint-ñlarc, Ternaux, Lacroix-Frainville ,
Bessierc , André de la Lozere , Royer Collard, Pasquier, Gaétan
de La Rochefoucauld, de Serres, Bedoch, Gallois. lÚ. de Riche-
lieu , quoique partisan alors de la dissolution, était néanmoins
cffrayé déja de ses couséquences pour les élections : « Faites tous
YOS efIorts, écrivait-il a1\1. Decazes, pour qu'il n'y ait pas parmi
les députés de véritables jacobins , cela nous déjouerait tout a
fait, Point d'hommes de parti , cela doit étre notre but: mieux
vaudrait encore avoir des royalistes outrés que des révolution-
naires. » L'ordonuance du 5 septemhre créait aussi un systeme
électoral établi sur le texte de la Charte. On a dit depuis que cet
acte était un coup d'État. J'ai déja répondu acette objection : un
coup d'État enfreint l'ordre des lois, et l'ordonnance du 5 sep-
temhre ne touchait point a un acte législatif. Il y avait eu des
projets d'électíon, mais aucune loi adoptée. On ne sortait pas de
la Charte, tout au contraire, on rentrait sous son empire. La
prérogative .royale ne brisait pas l'ordre légal en vertu de l'ar-
tiele H. de la Charte, mais elle y ramenait les pouvoirs qui s'eu
étaient écartés, Loin d'étre un COU}) d' .État, elle était un acte
contre les coupsd'État. Que si l' on disait que les électíons étaient
régléespar ordonnance, nous dem~ndons s'il était possihle d'agir
autrement? Il n'y avait pas de loi antérieure, et d'ailleurs cette
ordonnance n'était que l'application de la loi fondamentale de
l'État.


La cour ne fut instruite de la dissolution de la Chambre que
par Le Moniteur du 6 au matin ; les ministres s'étaient hátés de
se rendrc chez les Princes pour leur annoncer la détermination
prise par le Hoi; l\l. de Richelieu se chargea d' en prevenir
i\lON"5IEUR, qui entra dans une fureur épouvantable et prophé-
tisa la perte de la monarchic : il en revint ason théme favori :
que ,,1. Decazes trahissait le RoL JUADAME ne voulut pas voir les
ministres. 1\1. le duc d'Angoulémc accueillit cette communica-
tion avec convenancc. l\l. le duc de Berri manifcsta presque de
la joie : « Ah! tant micux, dit-il , le Roi a bien fait ; je l'avais




14h IlISTOIHE DE LA UESTAUUATIO;\,
dit aces mcssieurs de la Chambre : ils ont trop abusé! » Quant
11 la cour, elle fut morne comme si la monarchie avait disparu,
cal' l'ordonnauce du 5 septembre fut vivement sentie par le
parti royaliste. Les opinions ont l'iustinct des mesures qui les
touchent personnellement ; elles en connaissent la portee. Aussi
fut-elle violemment attaquée par les écrivains du parti; 1\1. de
Cháteaubriand publiait sa Monarchic sclon la Chane -' forte et
éloquente expression des opinions alors si passionnées du noble
pairo Dans un post-scriptum, 1'1. de Cháteaubriand mit en doute
la volonté personnelle du Roi pour l'ordonnance du 5 septcmbre,
Il n'y avait rien que de simple et de tres-constitutíonnel dans
cette. opinion. Sous le régime représentatif les ministres sont
toujours censés agir, et le roi n'a jamais, en affaire politique, de
volontó pcrsonneIle. ñlaisonn'était pas alors aussi avancé dansles
doctrines de liberté el d'indépcndance, D'ailleurs .M. de Cháteau-
briand avait signé du titrc de Ministre d'État : s'il était dans son
droit en doutant de la volontédu monarque dans l'ordonnancedu
5 septembre, le ministere était également dans le sien en le pri-
vant du titre qui le faisait membre du Gouvernement. En outre
il s'était passé une scenc assez hruyante 11 l'occasion de la saisie
de la brochurc de JU. de Chátcauhriaud. On s'y était opposé
paree que la saisic avait eu lieu avant la mise en vente; il Y
avait eu preces-verbal de rébellion , et poursuite connnencée,


Une correspondance fort vive s'était cngagée entre le noble
écrivain et 1'1. Decazes. Il en fut parlé au Conseil; l ..ouis XVIII,
qui n'avait aucune prédilection pour i\l. de Cháteaubriand., no
s'opposa pas 11 ce qu'une mesure füt prise ; le Conseil se trouva
d'avis unanime de le priver du titre de ministre d'État; une cir-
constance curieuse, c'est que le considérant motivé de l'ordon-
nance de destitution fut écrit de la main de 1\1. Dubouchage,
membre de la minorité royaliste du Cabinet; on y disait : « Le
vicomte de Cháteaubriand ayant dans un écrit imprimé élevé
des doutes sur notre volonté personnelle , manifestée par notre
ordonnance du 5 du présent mois, le vicomte de Chüteau-
briand cessera des ce jour d'étre compris au nombre de nos




CIlAPITRE xr. 145
ministres d' État. » Une autre ordonnance , rédigée avec em-
phase , priva également 1\1. Michaud du titre d'imprimeur du
Iloi : c'étaient la les premiers actos de rigueur de Louis XVIII
contre la majorité royaliste. 1\1. de Richelieu en fut eílrayé,
« Je suis de l'avis de Goltz, écrivait-il ; c'est peut-étre une faute
d'avoir fait saisir la hrochure de 1\1. de Chñteaubriand , si sur-
tout on ne peut pas la faire condamner. Prenons garde de nous
jeter tout d'un coté et de trop alarmer les amis du RoL » Illui
fut répondu que l'objet important était moins la condamnation
définitive que la suppression momentanée d'un ouvrage qui
pourrait jeter une grande pcrturbation dans les esprits. Au
reste, le Gouvernement s'arrcta la dans ses mesures contre
l\I. de Chñteaubriand; tout le Conseil des ministres fut d'avis de
conserver la pcnsion du noble écrivainsur la Chambre des
Pairs; elle lui fut maintenue. Et a quoi aboutirent ces actes du
Gouvcrnement contre la publicité d'une brochure? Cette bro-
churc , tout éclatante du grand talcnt de 1\1. de Cháteaubriand,
se tira a des milliers d'exemplaires. La Monarchie seLon La
Citarte fut un beau travail de politique constitutionnelle.


L'ordonnauce du 5 septcmbrc signala la rupture complete de
1\1. Decazcs et du partí royaliste qui des ]01'5 lui voua le ressen-
timent le plus profond. Cette rupture entre le partí triomphant
et le pouvoir arrive toujours apres les grandes révolutions,
D'abord les factions poussent le Gouverncment, jusqu'a ce que
celui-ci, éperdu, voyant l'abime , s'arréte pour n'y pas plonger
la société. Alors conunencent les grandes haines entre I'autorité
el la faction victorieuse. Alors le combat devient plus acharné
entre le pouvoir el les vainqueurs , qu'entre les vainqueurs et
les vaincus, paree qu'on se pardonne entre combattants aprés la
victoire, et que I'on ne pardonne rien a ceux que I'on a mis aux
afTaires et que ron croit vous trahir. Cette ordonnance du 5. sep-
tembre fut l'origine du gouvernemcnt constitutionnel, et si le
partí libéral avait été de honne foi, s'il avait prété un loyal appui
aqui le lui demandait, s'il n'avait pas mis des conspirations a la
place dela constltutionualité, le miuisterc, trouvant, une opinión


Il. 13




146 mSTüIRE DE LA nESTAUHATIO~.
franche pour le soutenir, et avec plus de force dans le Conseil,
aurait engagé ouvertement la lutte contre la fraction de cette COU1'
qui conspirait de son coté. Mais, chose fatale! Apres cette ordon-
nance le pouvoir se trouva placó entre deux conspirations, l'une
d'intrigue et de cháteau, l'autre tramée par une faction hypocrite
ou séditieuse. Le pouvoir ne tint plus du coté de la cour qu'a la
faveur personnelle de 1\1. Decazes , et du coté de I'opinion qu'a
l'appui de ces gens calmes et modérés qui Iorment la masse de la
société, et qui prétent moinsde force paree qu'ils sont moins tur-
bulents et moins actifs. Une telle position pouvait-elle dure!'? ..


Les Royalistes ont dit que cette ordonnance et le systeme dont
elle posa le principe furent imposés a Louis XVIII par ses
ministres; a cet égard , j'ai une preuve concIuante : une lettre
de la main du Roi, écrite a l'époquc OU ce systeme avait porté
tous ses fruits, aprés le cougres d'Aix-la-Chapellc ; et voici
comment il s'y exprime: « Un des moments les plus heureux de
ma vie a été celui qui a suivi la visite de l'empereur de Itussie.
Sans parler de la gráce extreme qu'il a eue ~l ne venir unique-
ment que pour me voir et a rctraccr aussi , mais bien noble-
ment, ce que la plus basse flatterie Iit Iaire au duc de La Fcuil-
lade ~l l'éganl de Louis XIV, il. était diflicilc de ne pas étrc
satisfaitde son cutreticn. Non-sculcment il était entré dans toutcs
mes pensécs , mais il me les avait dites avant que j'eusse eu le
temps de les émettrc. Il arait luuüenumt appTollvé le systcmc
de qouoernenumt et la ligne de cotuluitc que je suis , dcpuis que
je me suis determiné á rendre l' ortlonnance du 5 septembrc,
(Je ne puis m'empecher de remarquer ici que c'était le mo-
ment des élcctions de Paris, et que l'Empereur partit, persuade
que M. Bcnjamin-Coustant serait élu.) Eníin ce prince m'avait
fait l'éloge de mes ministres, et notamment du comte Decazes
pour lequel je ne crains point d'avouer une amitié fondée sur les
qualités ala fois les plus solides et les plus aimables , et sur un
attaehement dont il faut étre l'objet pour en sentir tout le prix,
Je voyais done l'évacuation de la Frauce certaine ades condi-
tions modérées , la tranquillité extérieure assurée pour long-




CHAPITRE xr. 1lJ7
tomps, et rien ne me semblait menacer la paix intérieure, Depuis
longtemps tout le monde était bien persuade que si les ultra roya-
listes étaient convaincus de l'impossibilité de faire réussir leur
svsteme d' exagération , les ultra libéraux n'oseraient lever la
tete. Les ministres avaicnt', tout le monde le sait, travaillé ace
rapprochement , mais on eonnut aussi le peu de succés de la
négooiation : on sait que les ultra royalistes avaient demandé des
coucessions de principes, des garanties personnellcsqu'il étaiL im-
possible d'accordcr. Appelé au ministere dans la plus terrible
conjoneture oú jamais on se soit trouvé , 1\1. de Riehelieu n'a pas
hésité as'en charger. Il a fait hien plus; il a eu le eourage de
siguer la convention du 20 novcmbre 1815. Oui, je le dis hardi-
mcnt, c'est l'acte dont la postérité lui sama le plus de gré. Que
l'on considere la positíon OÚ était alors la Frunce ; 1100000 étran-
¡!;('J's venus, j'aimo a lecroirc, avechonne intention, maisenflés par
lavictoire, en qui l'amour du pillagcallait croissant tous les jours,
convraient la moitié de notre sol. Les Souverains réunis il París
me traitaient, il est vrai, avcc de grands égards, mais la género-
sité en montre toujours aux chevcux blanes, et la verge du pou-
voir ne s'cn faisait pas moins sentir. Deux préfets (eeux de la
Sarthe et du Loiret ) avaient été arrachés a lcurs fonetions ct
trainés en captivité. 1\1. Dceazes, alors préfet de police , avait
íailli subir le meme sort; les chefs-d'<pune des arts, dont le
traité du 30 mai 181ú garantissait la possession, avaient été, sous
mes yeux , enlevés de ma demeure. Da~1s le ñlidi de la Frunce,
sans le eourage hérolque du duc d'Angouleme, qui, sans armes,
sans moycns, avait su en imposcr au général Castanos , les Es-
pagnols scraient venus, sans avoir eu part a la victoire, prendre
la leur au butin. l\Jais le danger n'était que suspendu, Quelles
étaient nos ressourees? Aueune, i1 Iaut le dire, L'armée de la
Loire, qui, je erois, en eüt été une bien faible, était licenciée ,
ot s'il restait de l' énergie en Frauce , elle ne se faisait remar-
quer que par des Ierments de guerrc civile, Nous ne pouvions
done espérer méme la triste gloire qui honora les derniers mo-
mentsde Carthage. tes étrangers exigeaicnt, il est vrai, des con..




1l,8 I1ISTOIRE DE LA RESTAURATION.
ditions bien dures, mais on vient de voir si nous étions en état
de résister, et indépcndamment des dégñts causés par lcurs
troupes, leur présence seule coütait par jour a la Franee un
million au moins, en pure perte. Dans de pareilles circon-
stances, l'homme vertueux,· l'ami de son pays dédaigne de
vaines c1ameurs et va droit ason but. Ce fut ce que fit le duc
de Richelieu, et c'est ce que sentira la postérité dont les suffra-
ges le vengeront de la fausse honte qu'on a voulu répandre sur
sa conduite en eette oeeasion. Depuis ce moment, son extreme
loyauté lui avait non-seulement aequis chezI'étrangerune consi-
dération teIle que bien peu de ministres en ont eu, maisa l'inté-
rieur méme elle avait réduit les adversaires les plus prononeés de
notre systeme amédire de ses talents sans attaquer sa personne. )


Tout ee lUémoire écrit de la main du Roi, qui prendra place
plus tard dans eette histoire , eonstate cette vérité : que le
systéme qui se développa sueeessivement apres l'ordonnanee
du 5 septembre fut la libre expression de la volonté du Roi;
Louis XVIII n'aimait pas les ultra royalistes; il n'avait hesoin
pour cela de l'inspiration de personne, Plus tard, la maladic et la
faihlesse le mirent dans les mains des amis de son frere, des chcfs
de l'opinion royaliste, c'est ee qu'il appelait son abdication.
Ainsi, l'action de I'empereur Alexandrc préparait en Franco
l'ordonnance du 5 septembre , dans l'intérét surtout du crédit ;
et pourtant l'Europe, en 1816, vil s'arréter les intentions libé-
rales des Cabinets. La coalitionavaitété préoeeupée depuis 1813 a
comprimer le grand mouvement militaire de la France , qui avait
débordé par la conquéte ; elle s'était servie acette fin de la li-
berté. Une fois déharrassée de eette peur de Napoléon , elle dl-
rigea toute son attention eontre l'autre danger qui la menacait.
Par rapport ala France, et j'oserai dire al'Europe , deux grandes
influenees se montraient pour dominer la diplomatic : l' Anglo-
terre et la Ilussie. Quoique fortement accrues , la Prusse et l'An-
triche s'effacaicnt devant eette douhle puissancc. On voyait d{'ja
le protectorat de la Russic s'étendre sur le midi de l'Europe : le
Czar cherchait par les alliances as'agrandir, aproteger les États




CHAPITRE XI. 1h9
intermédiaires. Le prince d'Orange épousait une sceur d' Alexan-
dre , ce qui blessa profondément l' Angleterre; elle lui destinait
la princesse Charlotte, Une autre seeur d'Alexandre , la grande
duchesse d'Oldenbourg , s'uuissait au roi de 'Vurtemberg.


Cette attitude nouvelle de la eour de Saint-Pétcrsbourg, ce
hesoin de multiplicr ses alliances au midi n'échappait pas au
Cabinet anglais; ceci donnait des forces al'opposition et affai-
blissait I'influcncc de lord Castlereagh, que l'on regardait comme
le principal auteur de cet accroissement démesuré de la puissance
russe. Dans ces circonstances s'ouvrit le Parlement , « I...es succes
hrillants et décisifs , obtenus par les armées de Sa ñlajesté et
celles de ses alliés, disait le lord chancelier, ont amené, aune
époque peu avancée de la campagne , le rétablissement du Gou-
vernement de Sa l\lajesté Tres-Chrétieune dans la capitale de ses
]~tats. Depuis cettc époque , le Gouvernement fait tous leseITorts
en son pouvoir pour accélérer les arrangements qui lui paraissent
les plus propres a assurer la paix de l'Europe, Il était naturel
que dans la conclusion de ces arrangements on düt rencontrer
beaueoup de difficultés. C'est al'union intime qui a subsisté en-
tre les Puissances alliées que les nations du continent ont deux
fois dü leur délivrance. Il est important dc maintenir dans toute
sa force cette aIliance qui a été la source de tant d'avantages, et
qui offre la meilleure garantie pour la durée de la paix. A la fin
d'une lutte aussi étendue et aussi périlleuse que celle que nous
avons soutenue en Europe , a la fin d'une lutte qui a porté plus
loin que jamais la gloire militaire de la nation britannique , le
Prince régent ne pcut s'empécher de sentir, qu'apres la Provi-
dence divine , il doit le suecos de ses cfforts a la sagesse et ala
Icrmeté du Parlement , ala pcrsévérance et al'esprit public de
la nation. » Ce discours de la Couronne ouvrait une largo voie a
la discussion, cal' c'était toute la politique de l'Anglctcrre depuis
vingt ans qui allait étre cxamínéc et devenir 1'ohjetd'une polé-
miquc auimée de la part de l'opposition. Dans la Chambre des
lords , l'adresse proposéepar lord Granville souffrit peu de dis-
cussion , et fut votée al'unanimité, La discussion produisit apeu




150 HISTüIRE DE LA RESTAURATION.
pres le méme résultat dans la Chambre des Communes; cal' lIU
Parlement l'adresse n'est jamais un vote décisif. Mais dans la
séance du 9 février, lord Lausdown fit la motion pour que le mi-
nistere eút a expliquer l'état des aífaires extérieures. Il demanda
si depuis le traité du 25 mars les Puissances avaient pris quel-
que engagement relatif au gouvernement futur de la France ,
en casde succés de leurs armes, et s'il y avait eu des négocia-
tions avec le Gouvernement provisoire. Le comte de Liverpool
déelara que les Puissances étaient convenues que le rétablisse-
ment de Sa MajestéTres-Chrétíenne sur sou tróue serait la chose
la plus désirable; maisqu'elles n'avaient ríen conelu relativement
ala forme du gouvernement. Sur la seeonde question iI avait
d'abord gardé le silence; il fut intcrpellé de nouveau par le mar-
quis de Lansdown, « de dire s'il n'y avait pas eu de négociations,
quoíque , tres-certainement , le Gouvernement provisoireeút [al!
des ouvertures. Est-ce que les généraux anglais ont rejeté ces
ouvertures? » te eomte de Liverpool répondit par un signede tele
affirmatif. Le duc de Sussex demanda si le traite conelu entre les
trois souverains de Russie, d'Autriche et de Prusse (la Sainte-
Alliance) , le 26 septembre , était authentique. Le comte de Li-
verpool répondit qu'il savait qu'un traité autoqraplie avait {'Ié
signé entre les troís monarqucs, sans le concours de leurs minis-
tres, mais qu'il n'en avait pas vu de copie authentique. Il s'agis-
sait ici du traite de la Sainte-Alliance , qui n'avait point encere
été puhlió , et dont le sens mystique donnait lieu aune Ioule de
commentaires en Angleterre. La méme interpellation se repro-
duisii aux Communes. « Je désirerais, dit M. Rrongham, savoir
si le traité publié dans les journaux, comme ayant (~l(~ sigilé ¿l Pa-
ris le 26 septembrc 1815, entre les trois souverains de Ilussie ,
de Prusse et d'Autriche , est authcntique. Ce document , singu-
lier dans sa forme, est tres-vague par son contenu , el on pour-
rait en tirer des conséquences de plus d'un genre. » Lord Castle-
reagh répondit : « Quoique extraordiuaire dans sa forme, ce traitú
doit étre authentique ; il a étó conunuuiquó al'aiubassadcur an-
glais, aParis. Je n'y vois que la tendance la plus conforme aux




CHAPITRE XI. 151
principes de l'humanité et de la religión chrétienne. Cette décla-
ration fut la premiere preuve de 1'authenticité du traité de la
Sainte-Alliance , qui .jusque-lá , n'avait été iuséré dans aucune
colJection diplomatique. Ce traite avoué fut des lors 1'objet de
díscussions dans le Parlcment. c( Je demande, continua lU. Brou-
gham, qu'on donne communication du traité conclu le 26 sep-
tembre dernier entre les souverains de Russie, d' Autriche et de
Prusse. Le seul fait d'un traité signé par les alliés de l'Angleterre
sans le concours de cette Puissance doit exciter 1'attention du
Parlement, Tout le monde doit sans doute applaudir aux senti-
ments et aux principes religieux ,professésdans ce traité ; mais on
ne voit pas que la religion ni la piété chrétienne soient menacées
d'aucun danger , et cependant on se rappelle certaines procla-
mations de Catherine contre les Polonais , et souvent les princi-
pes g(~n(~reux les plus élevés couvrent des projets politiques. Sans
rlonte , ce u'est plus la Pologne qui court aucun dangel' , mais il
existe une autre nation qui n'est pas rangée sous la banniere de
la croix. » Lord Castlereagh répliqua : « L'opposition ayant tou-
jours douté de la possibilité de faire régner un accord sincere en-
tre les souverains du continent, n'est pasdans une bonne situation
pour j uger de la noble concorde qn i anime ces princes; sans l'en-
trevue pcrsonncllo de ces trois souverains, la délivrance de 1'Eu-
ropo n'aurait pas été effcctuéc d'une maniere aussi prompte et
aussi complete. Les trois souveraius , d'ailleurs , ont écrit une
leure en leur nom collectifau Prince régent, pour exprimer leurs
regrets de ce que son abscncc ne leur a pas permis de l'inviter a
~igilcl' le traité , mais qu'ils désiraicnt vivement de 1'yvoir accé-
der. S. A. n. le Priuce régent a répondu : Que la constitution de
I'Angletcrro opposait un obstacle a ce qu'il dcvint partie con-
tractante dans ce traité , mais que Leurs i\lajestéspouvaient étre
assnrées que le Gouvcrncment anglais ne scrait pas le dcrnier a
agir conformément aux príncipes qu'elles venaient de déclarer.
Nócessaire ou non, ce traite ne contient rienqui ue tende aga-
rantir la durée de la paix; mais , l'Angleterre u'étant pas partie
contractante , on ne veut pas cornmuniqucr le traité. :J




152 mSrOIRE DE LA RESrAURATION.
L'oppositíon n'obtiut que 30 voix dans ce débat , mais elle


allaít grandir dans les questions financieres , dans I'examcn du
hudget et des taxes. Le chancelier de l' échiquicr exposa la situa-
tion de la Grande-Brelagne; le tahleauen était brillant ; la to-
talité des revenus s'était élevée ¿\ 60 lIlI3 000 livres sterling
(1 5911 632000 fr... ). Il continuait la taxe sur les revenus , mais
en la réduisant de 10 h 5 p. 100. Elle dcvait alors produire 7
millions; mais le chancelier la fixait a 6 millions, en accordanl
aux fermiers une diminution , dont le modo n'était pas encere
précisément déterrniné , mais qui s'éleverait ~l un million ster-
ling. La banque fournissait au Gouvernement 6 millions sterling.
La totalité des revenus , cxigés pour couvrir les dépenses, mon-
tait h 26700 Iivres sterling (641000000 de fr.). Dans cette
somme il y avait 12 millions pour l'armée et 7 millions pour la
marine. L'étahlissement de l'armée devait étre ainsi réparti :
25000 hommes dans la Grande-Bretagne; 25000 en Irlandc;
3 000 pour fournir des renforts aux garnisons, 11 000 a Gibral-
tal', añlalte et dans les Hes Ioniennes, dans le Canada , la ~ou-
vellc-Écosse ; dans les hules occidentales, 13000; aSainte-Hé-
lene, 1 200; au cap de Bonne-Espérance , 3 000; dans 1'ile de
Ceylau, 3 000; dans les Indes Orientales, 20 000; dans la Nou-
vclle-Gallc méridionale, 800; dans la Franee, 30 000. Total, y
compris quelques petits postes, 149 000 homrnes , dont 20000
aux frais de la Compagnie des Indes, et 30 000 entretenus par la
France; rcstent 99 000 hommes portés au budget. On devait
conserver 33000 marins en activité de service, mais on en di-
minuerait le nombre de 10 000 dans le courant de l'année ; on
espérait aussi eífectuer une diminutiou pour I'armée de terreo


te ministere de lord Castlereagh avait promis de présenter au
Parlement les traités conclus avec la Frauce , al'occasion el ala
suite des événements de 1815. Le comte de Liverpool tint eN
cngagemcnt : « Si la nation francais«, dit-il, avait pu parvenir a
renverser ellc-méme l'usurpateur el arétahlir le roi de Francc,
elle se serait trouvée daus le cas de pouvoir réclamcr l'exécutinn
du traite de Paris, du 30 maí 181l~ ; mais le Roi ayant été rétabli




CHAPITRE XI. 153
principalcmentpar les efforts des alliés, les Puissanccs avaient le
droit, dans l'intérét de leurs propres sujets, de demander une in-
dcmuité pécuniaire pour les dépenses dan s lcsquelles la gucrre
les avait entralnécs, et une garantie pour la sécurité de l'avenir,
garantie qn'on avait jugé convcnablc de horner principalcment a
l'occupation militaire d'une partie des frontieres de la Franco,
On aurait été en droit de dcmauder des cessions territoriales
plus étendues, mais, d'aprés l'opiuion du duc de 'Vellington , il
avait pam suffisant de fortifier de nouveau les places de la Belgi-
que. Cependant jc puis déclarer que I'iunuense majorité des
Francais est sinccrement et profondément attachée a son Iloi
légitime, Louis XVIII. Deux Asscmblécs législatives ont été
íormées en France , pendant le cours de la dcrniere année; la
premiere , quoique élue sous l'inlluence de l'usurpateur , s'cst
montrée tres-peu attachée a sa pcrsonne et asa Iortune, preuve
manifestó que ce chef ne jouissait pas en Franco de la popularité
qu'on a prétendu lui attribuer. 1,' Assemblée élue sous les aus-
picos du Boí légitime montre les sentiments les plus énergiques
pour les Bourhons ; avec l'usurpateur, cependant , on ne saurait
nier qu'il existe des éléments de discorde et de rebclliou , une
mnsse de 30 000 officiers licencies en renferme nécessairement;
ce serait une absurdité que de se cachcr l'existence d'un partí
qui n'aime pas le gouverncment legitime, paree que ce partí vou-
drait entretenir l'esprit de conquete et de pillago , dans lequel il
a été élevé , et faire de l' épéc la scule loi de l'univers, Est-ce la
faute des alliés s'il existe un scmblable esprit? Les alliés, l'année
passée, ont fait tout ce qu'il était possihle pour réconcilier le
partí militaire avec leur souvcrain légitime ; cette tentativo n'a
pas eu tout le succés qu'on en avait espéré. VOiHl pourquoi il a
fallu cette année liccncier I'annéc, Il n'y a point de contradiction
entre ces deux assertions ; l'inunense majorité des Francais est
dévouée aux Bourbons; mais une minorité , formée d'hommes
dangercnx et poussés au désespoir, désire toujours le renversc-
ment du Gouvernement; la force étrangere intervient pour con-
tenir ceneminorité dangcreuse, par la nature des élémeutsdont




15h HIsrOIRE DE LA RESTAURATION.
elle se compose , c'est le droit qu'ont les voisins d'óteindre un
incendie qui menace lcurs dcmeurcs, Lors de l'avéucment de la
ñlaisonde Hanovre au tróne d'Angletcrrc, la reine Anne conclur,
et le Parlement approuva un traité avcc les Úats-Généraux, par
lcquel ccux-ci s'engagereut ~l défcndre la succession, dans la ligue
de Hanovre, centre tous ses enncmis au dedans et au dehors. La
ñlaisonde Hanovre alors , conune la .lUaison de Bourhon aujour-
d'hui, avait pour elle la majorité de la nation, ce qui ne l'cmpé-
cha pas d'avoir centre elle un partí turbulcut ct désespéré. .J e
suis également loin de l'avis de ceux qui auraicnt voulu chcrcher
toute la garantie de l'Europe dans u~ démembrement de la
Franco. JI ne suffit pas d'enlcvcr ü une grande nation ses pro-
viuccs , il faut encere savoir 11 qui les donner. Le royaume des
Pays-Bas ne scrait pas assez Iort pour conserver tille el Valen-
cicnnes; i1 faut de grandes armécs pour conserver tan! d(' plaC('s.
Nous avons d'ailleurs voulu éviter de donncr ~l la nation Iran-
c:aise aueun sujet de juste mécontcutcmcut ; nous avons voulu
éviter tout ce qui, aux yeux du pcuple, aurait pu [aire naitre des
préjugés contre le roi de Franco. L'occupation des fortcrcsses
était done le scul partí qu' on püt prcndrc ; ces places scront Iidc-
lcment renducs au Couvcrncment legitime, mais ellesnc seront
jamáis restituécs ~l aucun antro gouverncmcnt existant enFrunce.
Ainsi leur occupation sert ü assurer cinq annécs au Iloi légitime
pour consolider son tróuc. »


Jamáis une révélation plus haute et plus Iranche n'avait (,té
faite sur les iutentions de l'Europe et sur les traités de 1815 par
rapport ala Franco. Lord Castlercagh les dóveloppa en préscnc«
des Communcs : « L'Europe cntiere a été d'accord pour se reunir
contre Bonaparte. Lessuhsidcs votéspar le Parlement ont facilité
la miseen campagne des arméesalliées, et cependaut on a épargné
une grande partie de ces subsides, qui nc se sont élevés en tout
qu'a 6 millions de livres stcrling. L'union était si complete,
qu'un désastre ne pouvait en rendre Ie succes douteux; si la
hataille de Waterloo cut été aussi maihcureuse qu'elle a été gIo-
rieuse, eñe n'eút point fait reculcr les alJié8. La Russie ,7 fc1Íl




CHAPITRE XI. 155
preuve de beaucoup de zele en mettant en mouvement un plus
grand nombre de soldats qu'elle n'était obligée de fournir. Je
proteste contre les diversos calomnies, tendantes a HOUS inspirer
de la déíiance contre cettc Pnissance. Tout a été fait pour don-
ncr aux forces militaires de la Confédération un développement
plus gigantesque, afin d'ahréger la Iutte autant que possible.
D'aprcs des notes signécs par le duc de "ellington, les forces
qui sont entrées en France s'élevent 11 1140000 hommes , sans
eompter les reserves russes et autrichiennes et l'armée espa-
gnole qui étaient en mouvemcnt, C'était une tache bien difficile
(Iue de maintenir la discipline au milieu de cette masseimmense;
pourtant on y est parvenu, et la eonduite des troupes a été gé-
néralement tres-bonne, En 18t4, la nation francaiseavaít paru,
par un heau mouvement , se jeter dans les bras des alliés, On
agit envers elle arce la eonfianee la plus généreuse ; je suis loin
de regretter eette eonduite magnanirue , mais enfin elle n'a pas
eu les suites qu'on en espérait. Il est évident qu'il y aurait en
de la folie a se conduire de méme en 1815. Les alliésdistingue-
rent entre le roi Louis XVIII, qui méritait tant de respeet, la
masse de la nation qu'ils chcrchaient ¿l ménager, et la faction
militaire, dont l'existence Ieur paraissait incompatible avec la
súrcté et la tranquillité de l'Europe, Le roi de France s'est tou-
jours eonduit avcc un esprit de eonciliation propre agarantir
les vceux de l'Europe. La masse de la nation, nonobstant la
mauvaise conduite de quclques individus , a maintenu sa loyauté.
ñlais la faetion mílitairc est cssentiellementennemie de l'Europe;
elle en aurait menacé la sureté , sous quelque gouvernement
que ce Iút , méme sous celui de Louis XVIII. Les alliés eonsi-
dércnt comme Ieur devoir de conserver une attitude vigilante,
et de défendre le roi de France eontre toute conspiration ourdie
par cettc faction..... QueIs que soient le talent et l'influenee de
Bonaparte, ce n'était rien en eomparaison de eet esprit de des-
potisme militairc qu'il était parvenu 11 eréel'. La simple question
est de savoir si un príncipe civil et moral doit gouverner le
monde, ou s'il doit étre régi par le dcspotisme militaire. VoiJa




156 mSTOInE DE LA RESTAVRATION.
les funestes effets des exagérations de la démocratie et de la
philosophie moderne ! le.systeme militaire a été le triste refuge
oú l'on a été obligé de se sauver des furcurs de l'anarchie.....
Les alliés, dans le choix des garanties qu'ils ont demandées , ont
en soin de faire voir qu'ils ne eombattaient pas la Frunce royale,
mais la France révolutionnaire. On a évité de blesser l'orgueil
national par la demande de cessions de l'ancien territoire fran-
cais, Pour rendre utiles ces eessions, il aurait fallu les obtenir
tres-étendues ; cal' enlever a la Franco deux ou trois millions
d'habitants , c'eüt été eréer un esprit de vengeanee et laisser Ü
eette Puissanee tous les moyens d'attaque a peu pres intacts,
La nation jusqu'au dernier paysan se serait erue outragée par
une semblable demande. Les alliés n'auraient jamáis pu engager
le roi de France á siqnc» une semblablc ccssion. En denian-
une indemnité péeuniaire, nous n'avons pas eu l'intention de
ruiner la Franee. Il est vrai que les sommes payées ou apayer
par elle sont eonsidérables. ñlais la partie de ces sommes Mj¿l
éehue a été aequittée tres-exacternent , quoiquc dans un mo-
ment difficile. La Franee a de grandes ressources de finanee; la
vente de domaines nationaux , ou la créatíon de rentes nouvcllcs,
peut couvrir la dépense, La France est bien plus riehe que la
Prusse qui , dans les deux derniéres carnpagnes , a subí une
dépcusc de 1 200 000 000 fr. » Ainsi parla lord Castlereagh.


Lord lUilton, dans sa haine contre la Franee, proposa
un amendement qui exprimait les regrets que les alliés n'cussent
pas démembré l'Alsace , la Lorraine et la Flaudre. lU. Littleton
répoudit en démontrant combien il cut été imprudent de dé-
ranger l'équilibre de l'Europe, dont la grandeur de la Frailee
était un des éléments. lU. Douglas développa la mérne idée, en
ajoutant que ces trois provinces avaient identifié leurs intéréts et
leurs moeurs avec le reste de la Franco. Sir Sam. Romilly de-
manda pourquoi les aIliés avaicnt désavoué d'abord l'íntenríon
de faire de la restauration des Bourbons le but exc1usif de la
guerre, et pourquoi , dans la suite , ils avaient agi exclusivement
dans ce but, M. 'Vard répondit : « L'honorable préopinant




CHAPlTRE XI. 157
me semble déuaturer les déclarations des Souverains alliés; ils
exprimaient leur HEU pour la restauration des Bourbons, mais
ils n'en faisaient pas une condition absolue pour la paix, dans
le cas OU les intéréts et les vceux de la France y eussent été con-
traires. Ils voulaient laisser ala nation francaíse son libre choix;
et lorsqu'ils ont recounu que la Franco entiere voulait son Roi,
ils l'ont appuyé contre une faction armée , qui seule eontrariait la
volonté de ccttc nation. » M. Grant voulut démontrer la véri-
tahle situation morale de la France, ({ La destruction du pouvoir
de Bonaparte , dans une seulc journée , prouve complétement
que cet usurpateur n'avait plus de partí national. ñlais il survit
toujours ala Ilévolution un esprit antisocial qui est incompatible
avec la tranquillité de I'Europe, Cct esprit s'allie avec l'orgueil
militaire. Nous avouons que la llévolution a produit indirecte-
ment quelques bienfaits, nous ne voulons pas les anéantir ; mais
c'cst précisément pour les préserver, qu'il faut étouíler l'esprit
<le jacobinisme, Sans doute la nation írancaise a éprouvé quel-
ques malheurs inseparables de l' état de guerre : la crainte de ce
mal n'a pas dü nous empechcr de préter main forte ala majorité
de la nation qui se ralliait autour du tróne de son Roí. En
nous bornant agarantir la sécurité de la Franco et de l'Europe,
nous sommes sürs d'ohtenir a la longue les suffrages de tous les
hounétes gens, méme en France , lorsque l'impression des souf-
francos actuellcs sera passée.... Peut-étre le retour de Bona-
parte a-t-il contribué arectifier l'opinion dans ce pays , cal' les
Francais ne peuvent méconnaitrc que la magnanime bien-
veillance que les alliés leur térnoignereut en 1814 était due
aLouis XVIII; qu'au contraire les disgráces qu'ils ont éprou-
vées en Hl13 sont dues aBonaparte. C'est lui seul qui a amené
les armécs éuangercs sur le sol francais. Supposons qu'il n'y ait
pas un Bourhon au monde, les alliés n'en auraient pas moins
livré la bataille de \Yaterloo, ils n'en auraient pas moins marché
sur París. C'cst done Bonaparte seul que la Franco doit accuser
de ses maux. 1)


A ces explications si remarquables lord Castlereagh ajouta r
n, 14




158 HISTOlRE DE LA RESTAURATlON.
{( Les alliés sentaienttrop bien ce qu'ils devaient ala nation Iran-
caise ct aux Bourbons, pour faire aucune démarche tendant« á
exiger leur rétablissement. Il cut été contraire aux intéréts des
Bourbons de provoquer ainsi un sentiment qui, ~6ur se mOI1-
trer librement, n'avait besoin que d'étre débarrassé des entraves
que la force militaire lui opposait. Des fIne les alliés eurent dis-
persé la faction rebelle, les Francais firent éclater leur attaehc-
ment pour leur souverain légitirne, J'en ai été témoin oculaire ;
j'ai assisté a la rentrée de Louis XVIII dans sa capitale ; jamais
un peuple ne manifcsta autant de joie. L'eathousiasme me parut
méme supérieur a celui qui éclata en 1814. II


Je rapporte ces opinions afin de consta ter que la guerre íut
faite en 1815 non pour rétablir les Bourbons , mais pour détruirc
le pouvoir de Bonaparte. Les Bourbons ne furent les auteurs ni
de l'invasion, ni des maux qu'elle causa a la France. Conunc le
disait 1\1. Grant, il n'eüt pas existé un Bourhon au monde, que
la guerre n'en eüt pas moins eu lieu. Qu'on cesse done de nous
parler des contrihutions de guerre que nous avons payées pour
les Bourbons , et de leur anribuer les cessíons de territoire par
suite du traité de 1815! Ces résultats déplorahles furent pro-
duits par l'invasion qu'amena le retour de Bonaparte , ct par
l'iucapacité profonde et les fatales antipathies de la Charnbrc
des Itcpréscntants, Loin de la les Bourbons se mirent entre
l'Europe et la Franco vaincue. Sans la garantie que le caractérc
de Louis X VIII offrit a la coalition , la France aurait été dou-
blement punie par le démemhrement et l'occupation 'indéñnic ;
ce que Napoléon avait fait a la Prusse vaincue, la coalition
aurait pu l'imposer a la France : ce n'était qu'une réciprocité.
Il y a done inj nstice et puérilité adéclamer contre Louis XVIII, il
nous épargna le sort de la Pologne! C'est au gouverncment jaeobin
et impérialiste des Cent-Jours que la France doit les maux de
l'invasion. Le traité du 20 novembre fut dur, implacable; mais
ill'aurait été bien davantage encore si les Bourbons n 'avaient
pr éscnté leurs vieux droits al'Europe armée et victorieuse!


L'opposition était loín cncore d'obtenir un triomphe au Parle-




CHAPITRE XI. 159
ment. Dans les questions de politique extérieure le ministre avait
une immense majorité. Il en fut de méme sur le bill pour la
captivité de Napoléon. Lorsque le Cabinet présenta ce bill, lord
Castlereagh déclara qu'il ne croyait pas qu'on püt nier a l'Angle-
terre le droit de détenir le général Bonaparte : « cal' s'il faut voir
en lui le souverain de rile d'Elbe , il est clair qu'il ne nous offre
aucune garantie d'un traité quelconque et qu'il nous a attaqués
d'une maniere pcrfíde. Si, conformément au droit publie, on le
regarde comme sujet de la couronne de France , c'est encore
un prisonnier de guerre que son souverain naturel ne réclame
paso 1\lais sans mérne insistcr sur ces points , je pense qu'on est
suffisamment autorisé par le motif impérieux qu'il a troublé la
paix de l'Enrope , et que sa liberté est incompatible avee la
tranquillité du monde.» 1\1. Brougham déclara qu'il partagcait
les príncipes du ministre a l' égard elu point ele droit, « Il me
scmhle parfaitement Iégal , dit-il , de détenir un prisonnier de
guerre qui n'est pas reclamó par son gouvernement. Je partage
encore plus fortement l'opinión sur la nécessité politique ele la
détention de cet individu : peut-étre n'approuverais-je pas tous
les détailsdu projet de loi, maisje ne vois pas de motifspour ne
pas le laisser présenter.» L'opposition réservait ses forces pour
le rejet de la taxe sur les revenus qui suscitait les vives plaintes
de tous les franes tenanciers de la Grande-Bretagne. Cette taxe
fut en eífet rejetée dans le Parlement a la majoríté de 238 voix
centre 201. Ce fut un granel échee pour le ministere de lord
Castlereagh. L'opposition criait victoire et demandait un changc-
mcnt de Cabinet. Elle devint violente, et lU. Brougham allajus-
(IU'Ü dire , en parlant du Prince régeut : « Un systeme de dila-
pidation régne dans tout le hudget. Les dépenses de la cour,
entre autres , ne peuvent plus étre passées sous silence, Ccrtaine
7}(')'sonne ferait mieux de préter une oreille attentive aux gémis-
sementa du peuple et de se soumettre 11 une honorable écono-
mie, que d'élever des monuments au cardinal d'York. L'exemple
des Stuarts prouve ce que l' on risque en foulant aux pieds les
sentiments de la nation. » Ce fut une faute pour l'opposition




160 HISTüIRE DE LA RESTAURATION.
d'attaquer ainsi le Prince régent; et Mj~l elle distribuait les
portefeuilles entre lord Granville, lord Grey, le marquis de
"rellcsley, On n'oubliait pas M;\I. Tierney, Brougham , sir Sam.


, Romilly; on pensait meme charitablement au « tres-honorable
lord Cochrane » , dit le Courricr. l\1ais les ministres paraissaient
peu disposés a céder leur place, et on 8e croyait pas méme
que M. Vansittart, chancelier de l'Échiquier, füt prét adonner
sa démission comme on l'avait annoncé. Les ministres sem-
blaicnt attribuer le rejet de la taxe aune coalitiondu partí Wel-
lesley avec le partí des hanquiers et des capitalistes, partí ordi-
nairement fidéle aux ministres. Les deux anciennes fractions
d'opposition, les Foxistes et les Burdettistes , s'étaient jointes 11
eette coalition avec laquelle d'aillcurs elles n'avaient rien de
eommun; dans tout cela on ne pouvait encore apcrccvoir les
syrnptómes certains d'une chute de ministére.


L'opposition anglaise se divisait alors en plusieurs nuances.
11 y avait un ancien partí Fox que présidaient lord Ponsonby,
MM. Tierney et Brougham. Il y avait le partí radical représenté par


, sir 1". Burdett et lord Cochrane; enfinle partí Granville , moderé et
serapprochant du ministérc. Lord Castlereagh ressaisit sa majorité
par l'impossibilité OÚ étaient toutes ces fractions de s'cnrendrc
et de se coaliscr Iongtemps, On vit cette majorité le seconder ~l
l'occasiondu bill sur les étrangers, principalement dirige centre
les Francais exilés par les ordonuances et les loisde proscription.
« Peut-on , disait lord Castlereagh, admettre indistinctement
tous les Francais ? Personue n'oserait répondre l'affirrnativc.
11 y a des tetes exaltées, des esprits Iuribonds , ceux snrtout qui
joignirent Bonaparte, lors de sa dcrniere tentativo pour rétahlir
son pouvoir. Faut-il permettre a ces hommcs, hannis de leur
patrie, de rester dans les contrées limitrophes d'oú ils pourront
íacilcmcnt souffler le feu de la discorde parrni leurs compa-
triotes? Les cantons suisses , amis de la liherté , n'ont pas hésité
adéfendre aux Francais proscrits le séjour sur leur territoire.
Les souverains leur ont accordé Ia faculté de résidcr en Ilussie ,
en Autriche, en Prusse , paree qne ces pays sont assez éloignés




CIIAPITHE \1. 161
de la Franco pour rcndre le danger HUI.» « C'est Oler ~t I'An-
glcterre le noble privilége d'étrc le rcíuge des hommcs opprimés
el pcrsécutés , répondit ;\}. Brougham. » Sir Saurucl Romilly
hlárna la loi paree qu'ellc supposait a tout individu le caractere
d'étranger jusqu'a ce qu'il eüt prouvé le coutraire , prcuve
impossible aproduire , commc, par cxemple , pour les gens nés
dans les colonics, Un aete du temps de la reine Aune naturalisait
méme tous les protestants réfugiés,


Cependant, quels que pusscnt etre les chances diverses de
l'opposition et les résultats des discussionsanimées , il se formait
en Angleterre une opinion puissante coutre le systeme de lord
Castlereagh. Les hommes a prévoyance s'apercevaientque l'An-
gleterre avait fait trop d'efforts pour le continent, qu'elle s'était
épuisée pour agrandir des influeuccs qui bientót devaíent tourner
eontre elle. La puissauce de la Ilussie surtout effrayait la politique
de l' Angleterre, C'était la Grande-Bretagne en quelque sorte qui
l'avait sauvée en 1812. Ses nombreux subsides avaient réveillé
sans cesse la coalition expirante. Ces subsides pesaient d'un poids
immense et accablant sur le peuple anglais. IIs eommandaient de
nouveaux sacrificcs. Lord Castlereagh conservait bien eneore la
majorité parlemcntaire , mais son systeme exeitait les murmures
de la natíon. Le pcupleaimait la gloire acquisedans la eampagne
de 1815 ; il mélait les palmes de 'Vaterloo acelles de Trafalgar,
le nom de WelliIlgton a celui de Nelson, mais les charges exor-
bitantes irritaient la multitude. Il avait pris aux Anglais eomme
une fureur de vivre en Frunce, Le Cahinct en adressait des
reproches ala nation: « L'ardeur avcc laquelle nos compatriotes
passeut en Franco et sur le eontinent en général , disait le Times ~
devicnt vraimeut alarmante. Le nombre des consommateurs di-
minue chcz nous en proportion , et conséqucmmeut le produit
des taxes sur la consommation, Dans ce cas , HOUS paierions ~t la
France , gráce ~l l'ógoísmc et a l' oisiveté de ces émigrants , un
impót aunucl de JO niillions de livrcs sterliug , ou 250 millions
de francs! » Un autre journal ceusurait amerement les jeunes
ladies qui vcnaiont sur le contincnt altérer les mceurs domesti-


.. ~.,.:
I ~ift




162 mSTOlRE DE LA HESTAUnATTO~.
({nes et cet amour des cott.aqcs de la vieille Angleterre. Mais
tout cela n'arrétait pas cet cntralnement de voyages et de grandes
routes qui cst le type de la bonne compagnie ü Londres.


L'iníluence russc , si considérahlement agrandie , se manifes-
tait alors par des príncipes Iibéraux, Le Czar avait revu ses deux
capitales, Saint-Pétersbourg el 1\Iosrou. ñloscou la sainte se rele-
vait avec toutes les pompes orientales et les commodités de la
nouvelle civilisation : le Kremlin , le bazar avec leurs minarets
asiatiques, leurs fleches, et leurs domes dorés, La Ilussie ne
recevait pas d'administration nouvelle. Alexandre y réprimait
méme le vieíl esprit russe; tandis que le royaume de Pologno ,
objet de la sollicitude patcruelle du Czar, voyait s'achever sa
constitution. L'Empereur la rat ifia; elle se composait de 165 ar-
tieles. L'indépcndauce du royaume , quoique sous le mémo 80n-
vcrain que la nussi(~, le vote de l'impüt et de toutes les lois par
la rcprésentation nationale , la rédaction de ces lois et de tous
les actes en langue polonaise , le mainticn de la religion catho-
lique el sa dotation en hiens-fonds , la tolérance confirmée aux
Juifs , le traitement du clcrgé luthérien assuré par l' État ,
l'émanripation successive des paysans, l'inamovihilité des juges,
l'établiss('IlJ('nt d'uno eommission de l'instruction puhlique ,
chargéo de protl'ger la liberté de la prcssc et d'cn survoiller les
ahus , le mainticn de l'armée polonaise comme un corps distinct ,
uniqucmcnt destiné au servicc du roi de Pologne et ne pouvant
Nrc cmployó hors d'Europe : telles étaieut les principales bases
de cctte loi foudamcutale, Le choix des nouveaux ministres artes-
tait encere la magnanimitó du Czar et cet ouhli d'un passé qu'il
couvrait d'un voile patriotique. Le lieutcnaut du Iloi , le g('néral
Jajonczck , s'était dístingu« couune compagnon d'armcs de Kos-
ciusko, dans l'insurrection centre la Ilussic en 17911. Le comte
JUotowski, ministre de l'iutéricur, avait de grandes connaissances
en llttératurc ot en diplomatir , parlait fort hicn plusieurs lan-
gucs de l'Europc , écrivait et parlait en francais avcc une purot«
romnrquablc. On I'avaitvu aParís aux époquesles plus oragcnses
de la Révolution , suivre quclques relations avec les Girondins:




CITAPLTRE XI. 1.63
mais hirn!Üt, poursuivi par le terrorisme, arrété ~l Troyes et
condamné amort, il n'échappa que par I'intercession de Hé-
rault de Séchclles, Le général'Yielohorski, ministre de la guerre,
avaitserví dans les campagnesde 1. 792 et 179h , contrc les Russes
el les Prussiens, En France , il avait été nommé major des lé-
gions polonaiscs: cnsuite , employé cn Italie, il avait contrihué
i\ la défensc de lUantoue. Depuis lors, il s'était marié et avait
vécu .retiré dans ses torres, Lc comte Potoski, ministre des
cultes, s'était distingué par son talent et son éloquence a diffé-
rentes dietes, et surtout a cclles de 1778 et de 1792. Il était
général d'artilleric , victime des orages qui avaient si longtemps
désolé sa patrie, on l'avait détcnu dans une forteresse autri-
chicnno apres la eonfédération dc Targowitz. Profondément
instruit , lc comtc Potoski consacrait aux sciences el aux arts
1011S les loisirs que lui Iaissaíent les affaires publiques. Le comtc
Wawrzcski, nommé ministre dc la justice, avait rédigé la
constitution de 1791 , a la suite de l'insurrection polonaise. En
1792, il pénétra en Courlande a la téte d'une division, revint
défendre Varsovie attaquée , s'enferma dans ses murs, se cou-
"HÍt de gloire et nc put la sauver. Retiré dans le palatinat de San-
domir, il la téte de quelques troupes Iideles,hientót il fut forcé de se
rendre aux Ilusses , et transféré dans les prisons de Saint-Péters-
hourg,l'empereur Paul lui cn ouvrit les portes. Depuis ce temps,
le comtcde"rawrzcski s'était retiré dans ses torres de Lithuanie.


La constitution polonaise allait étre mise aexécution , ct un
ukase du 22 avril 1816 convoquait , dans les wayvodies du
rovaume , les diétiues pour l'élection des nonces , des députés ,
el les candidats pour les places de judicature et d' admiuistration.
Alcxandre vcnait d'expnlser les Jésuites de ses États. La prc-


.miere cause de lcur disgráce était venue de l'irritation du prince
Gallitzin, ministre des cuItes ; il avait appris que son neveu, le
jeune prince Gallitzin , élevé par les Jésuites , s'était fait catho-
lique, Le général de ces religieux avait été mandé chez le mi-
nistre qui lui fit de vifs reproches. Les excuses et les explications
n'apaíserent pas le prince Gallitzin qui présenta un rapport a




16lt HISTOIRE DE LA RESTAURATIOl.\.
l'Empcreur. Les Jésuites avaient agi avec la plus cxtretuc pru-
dence , et, pour ne donncr aucun sujet d'ombrage au GO\Hcr-
nement , ils ne recurent plus que des catholiques dans leur insti-
tul. Toutefois, le prince Gallitzin, une Iois préveuu, ne pUL
revenir sur leur compte. A ces raisons , on pouvait ajouter la
conversión de quelques damcs russes , ce qui avait achevé d'ir-
riter les esprits , de sorte que l'Empereur , arrivant apres une
longue absence, fut assailli des plaintes qu' on Iui adrcssa centre
I'institut. En conséquence , un ukase du 11:r janvier 1816 ordon-
na aux jésuites , couvaincus d'avoir chcrché ~l faire des prosély-
tes, de quitter sur-le-champ Saint-Pétersbourg; l' entrée des
deux .capitalesleur fut intcrdite. L'empereur Alexandre était en-
core tout préoccupé de ses idées lihérales; son active corres-
pondance avcc 1\1",1: Krüdner , qui préchaít alors en Suisse la
Sainte-Alliance , et une espece de mysticisme chrétien , I'encou-
rageaient dans cette voie. Le Czar était alors l' espérance des li-
béraux de Franco, et méme des exilés. Onlui adressait des 1\1(-
moires sur la 1\1aison de Bourhon; les réfugiés francais ~l
Bruxelles étaicnt en rapport avec quelques-uns des agents du
cabinet russe.


En Prusse , le Roi cherchait a mettre un point d'arrét aux
sociétés secretes, a ce puissant amour de liberté qui avait excité
tant d'cnthousiasme parmi la population allemande. Une vive
polémique s'était engagée. I...es partisans des sociétés secretes ac-
cablaient l\I. Schmalt de hrochures , OÚ cet antagoniste de la li-
berté était attaqué , provoqué. Le véritable nceud de la question
constitutionneJIe en Prusse , et le motif de tant d'agitations,
étaient l'extrémc difficulté de canciller les prérogatives de la no-
blesse avec les príncipes d'un systemo rcpréseutatif foudé sur
l'égalité des ·citoyens. Le Iloi avait formellement annoncé une
constitution établie sur cette hase; ccpendant l'aristocratie alle-
mande dcmaudait une Chamhre haute composéc de la noblessc.
Les écrivains populaires liés avec les sociétés secretes cherchaicnt
asoulever l'opinion contre ecuo institution. Ils disaient que la
Chambre haute devícndrait le foyer d'une puissance aristocra-




CIIAPlTRE XI. 165
tique redoutahle pour la Couronne. Ils invoquaient la nécessité
de laisser le pouvoir royal indépendant et entier, Ainsiles dérno-
crates donnaient la main aux partisans du pouvoir absolu, On
attendait avec impatience le projet de constitution, Ceci alla si
loin qu'on proposait des duels mystiques et chevaleresques,
C'était principalernent dans I'armée prussienne que cette force
d'association se faisait sentir. Blücher et son vieil ami le général
Gueneseau éraient les chcfs visibles de ces sociétés , et le mi-
nistere n'osait point afTronter des guerricrs qui avaient rendu de
si grands serviccs ü la patrie. J'ai conservé une lettre que le
prince Blücher écrivit ü la bourgeoisie du l\Iecklembourg; elle
peint le patriote , le vieux soldar , l'homme enthousiaste : « Je
me leve en votre nom pour remercicr notre souverain commun,
Je lui appartiens , et je me fais un honncur d'étre votre com-
patriote. Dieu a voulu accorder ü un Mccklembourgeois la gráce
d'aider adélivrer le monde de la tyrannie. L'entreprise est ter-
minée , et je jouis maintenant du bonheur tant désiré de me trou-
ver gai et libre, dans le pays OU j'ai joué dans mon enfance et
oú reposent les cendres de mes parcnts, Tu le sais , omon Dieu ,
combicn j'aí souhaité de prior aupres de leur tombe , avant de
remplir la mienne. Jc te rcmercie de m'avoir accordé cctte
grftce! Que je voudrais bien reposer aupres d'eux! ñlais je
n'ose plus Iormcr de HEUX. Je n'ai obtenu que trop , j'ai
obtenu plus que je nc méritais, lUon cceur vous appartient.
Aimez- moi; restez , commc je vous trouve , fideles a votre
Dieu et a la vérité, fidolcs ;\ votre priuce et a la liberté. Je
nc crois pas me tromper, si, ;l la fin de mes jours , je prédis
les jours les plus heurcux et les plus indépendants ¿l ma patrie,
sous le priuce que j'ose appeler mon ami. ) Cependant les dií-
ficultés devcnant tous les jours plus sérieuses, le cabinet prus-
sien s'cn occupa exclusivement , et , apres avoir profondément
étudié l'esprit public , iJ osa une premiere mesure contre les 80-
ciétés secretes. Elle fut contenue dans un édit royal du 6 jan-
vier '18J6. « Le Iloi avait remarqué avec un juste mécontente-
ment l'esprit de parti f(1li s<' montrait et la diífércnce des opinions




166 mSTOIRE DE LA RESTAURATION.
sur l'existenco des sociétés secretes. Lorsque la patrie, en proic
aI'adversité , était cxposée ade grands dangers , le Roi avait ap-
prouvé la société ditc rcunion de la ccrtu ~ paree que e'était un
moycn d'accroitre le patriotismo. Maintenant que la paix géné-
rale était rétablie , tous les habitants devaicnt etre animés d' un
méme esprit, celui de la conservero tes membrcs de toutes socié-
tés daus I'Úat étaicnt désormais tenus de déclarcr aux autorités
l'objct ct le but de lcur réuniou, tes discussions dans des écrits
publics sur l'cxistcncc ct le hut des sociétés secretes dcvenaicut
inútiles, propres ü jcter de I'inquiótude parmi les Ildclcs sujets et
a nourrir un esprit de partí dangcreux: pcrsonne dans les í~tats
prussiens ne pourrait , S011S peine d'une forte amende ou d'une
punition corporelle, rien imprimcr ou puhlier ace sujet. » Cet état
des esprits , préoccupait le Cahinet de n(~rJill; et alors il sentir la
nécossitó d'une prochaiuc réunion diplomatique tout allcmandc,
pom' prendre en consldératiou les rapports des Souverains el
des sujets. I ..a position des perites souverainctés germaniques
n' était pas rassurantc. La Bavierc avait eu plusieurs points en
dissidcuce avcc l' Autriche, Des traites secrcts unissaient le Wur-
tcmbcrg , le grand-durhé de nade et la Bavicre. la diete de
Francfort nc pouvait encoré se réuuir ; on parlait d'un protec-
torat commun aurihné ¿l la Prusse et ¿l l' Autrichc , sur toutes
les principautés gcnnaniqucs du sccond ordre. Quant h l' Au-
tri che , elle organisait ses nouvcaux États ; le Tyrol recevait une
administration ¿l part. L'Empercur voyageait en Italie pour y
rcccvoir les honunagcs de ses sujets, Les archiducs et archidu-
chesscs prcuaient , égalomcnten Italie , possession de leurs apa-
nages,


A Naples , le Iloi n' était pas éloigné de donner une constitu-
tion. On puhliait , en attendaut , celle de la Sicile , ouvrage de
lord Bentinck , ct qui avait soulevé de si puissantes difflcultés h
cause des grands harons sicilicns, Ces barons , possesscurs de
presque tout le territoire, avaieut formé une ligue aristocratique
qui s'était méme rcndue maitresse ahsolue du pouvoir judiciaírc
llar l'cspece de clicutele dans laquclle se trouvaient les juzes,




CHAPlTRE XI. 167
tes juges , pour la plupart, étaient ehoisis parmí les hommes
d'affaires des seigneurs. C'est ainsi que le Gouvernement s'était
\U refuser pendant sept mois les fonds nécessaires pour les dé-
penses les plus urgentes. La représentation nationalc du royaumc
de Sicile était diviséc en deux Chamhres, une Chambre de Pairs et
une Chambre de Communcs. La religion de l' État était la religión
catholique, apostoliquc ct romaine; le Roi était obligé de la proles-
ser. te pouvoirlégislatif était exercé en eommun par le Roi et par
les deux Chambres, mais les lois étaient proposées par Sa Jlajcsté.
Les Chambres avaicnt le droit de prier le Roi de proposer une loi
sur un objet quelconque. te Roi pouvait uommer autaut de
pairs séculiers qu'il lui plairait , mais ils dcvaient jouir d'un re-
venu d'au moins 2 000 onccs. Ils no pouvaicnt siéger qu'a vingt-
cinq ans, et n'avaient voix délibérative qu'a trente ans. La per-
sonnedu Roi était sacrée, inviolable. Les ministres et les conseil-
lers d'État étaient responsables. La jouissanee la plus étendue de
la liberté civile , de la süreté individuelle et du droit des séeu-
liers était pleinement garantie. Un nouveau eode de lois civiles
et criminelles , de procédures judiciaires , de commercc , et une
uouvcllc et convcnable institution de juges, devaient assurer ,
faciliter , maintenír d'une main fennc , inviolable et impartialc
l'exercicede Iajustice. Les juges inamovibles et lesjugcs appelés
biennaux ne pouvaient étrc dcstitués, saufles exceptions prévucs
par les lois. La liberté des opinions et de la pressc était maintc-
nue avec les mesures de précaution prises en France , par
Louis XVIII, pour assurcr la tranquillité publique. Cette eonsti-
tution était un granel exemple pour l'Italie; mais les diplomates
autrichiens s' cmpresserent de déclarer que les Í~tats de Jlilan
n'ayaut manifesté aucune intention de voir modifier le régimo
paternel de Sa JUajesté Impériale , on n'avait pas CTU devoir lcur
inspirer des idées dont ils ne s'étaient pas montrés animes. Des
101'5 l'Autriche prit dnns son alliaucc Naples et le Piémont. en
général autrichien commanda les troupes napolitaines , et 1\1. le
duc de Dalberg , ambassadeur de Franco , lutta vainement aTu-
rin contre l'iuñuence de M. de l\lctternich.




16R IlISTOlHE DE LA HESTAUHATLON.
L'Espague proscrivait les opinious liberales qui avaieut , it une


époquc récentc , sauvé le tróne de Fcrdinand. Des changcments
de ministere se succédaient rapidement ; ils n'avaient pas de mo-
tifs bien détermiués. I..e principal ministre et l'homme de con-
fiance était toujours l\l. de Cevallos. En tout cela, aucune idée de
constitution et de formes rcpréscntatives ne se présentait a la pen-
sée de Ferdinand. Dans les Pays-Bas, on discutait le pacte con-
stitutionnel , le droit de pétition , les garanties de liberté. tes
réfugiés francais y conservaient toute leur indépendancc. Il y
avait jalousie acette époque entre la ñlaison de Bourbon el la
lUaison d'Orange, et ce sentimcnt favorisait les expressions de
hainc , les sarcasmes violents que les réfugiés lancaient dans
leurs journaux. En rain I'ambassadeur de Francc dans les Pays-
Has, JI. de Latour-du-Pin , faisait-il de vives el contiuuclles re-
préscntations , vaincmcnt la police des ministres francais essayait-
elle d'apaiser ce feu roulant d'ópigrannncs centre la Maison de
Bourhon , il n'en continuait qu'avcc plus d'impunité et d'achar-
nement. Ces réfugiés étaient répandus sur toute l'Europe ;
quclques-uns avaient cherché un asile dans le Nouvcau-vlonde,
el plusieurs illustrcs généraux s'étaicut Iixésaux l~lals-I~lIis. Ilé-
gicides , proscrits de la liste des trcntc-huit , tous erraient loin
de la patrie.


Apres l'ordonnance du 5 septombrc,et par I'inílncnce favorable
du duc de Itichelicu et de M. Decazes, peu a pcu ces réíugiés
rcntrerent, e'est une j ustice it rcudre , un éloge adonner au
miuisterc d'alors! ee fut a ses vives ínstances , a son action
persévérante que les proscrits durent la finde leur exiI! L'époque
que j'ai parcourue est la plus triste dans les anuales de la Ilestau-
ration ; je l'ai dite sans ríen déguiser. te Gouvcruement fut moins
Iort que l'opinion qui triomphait. Cctte opinion dcmandait impé-
ricuscmcut des réactious et des vengeances; elle les obtint. Hans
la période qui va s'ouvrir, le Gouvcrucmeut devicnt assez puis-
sant pour maitriscr la réaction , eL alors couunence un systém«
de modératiou et de liberté.




¡
CHAPITHE XII.


,:


(;OLVEl\NE~IE~T DE LA IIESTACnATIO:-l APIÜ:S L'OIlIJONi';.\:.\CE
IJU fi SEPTElIllRE.


Les élcctions de 18Hi. - Le Conseil des ministres. - Administration inté-
rieure . - Fiuances. - Guerre. - La Charnbre de 181G. - Les Députés,
- Les Pairs. - Manceuvre du royalisme contre le miuistere, - La loi
d'élection du 5 Iévrier , - La Cour , les opiuions , les salous. - Les lois
d'exception, -- Manque de subsistauccs, - Les trouhles dans les departe-
meuts par la disette. - Progres de I'admiuistrat iou , - Concordato -
Opérations Iinauciercs , - Budget. - Fin de la SCSSiOll.


SepteJnbre 1816. - Juil1 181'.


L'ORDONNANCE du 5 septembre 1.81.6 était plus qu'un acte;
c'était la proclarnation d'un systeme; le Gouvernement en appe-
lait au pays: il lui soumettait les actes parlementaires, l'esprit
de la Chambra de 1. 815. Il ne suffisait done pas d'avoir lancé
cette ordonnance, il fallait encore préparer les élections et assu-
rer ainsi le succes a la pensée qui avait dicté la mesure du Ca-
hinet. On voulait avoir une Chambre ministérielle, Lorsqu'on se
reporte acette époquc de 1. 81. 6, on ne peut oublier que le partí
royaliste était alors une grande force organisée; il se trouvait
partout : ala cour, dans la pairie, dans l'administration , dans une
fraction tres-puissante de la société ; il dorninait dans la Vendée
ct le ~lidi, en Brctagne , dans la Normandic et aux départements
du nord, la majoritó des préfcts lui était dévouée. L'opinion
qui avait triomphé avcc la Charnbre ardente avait largement pro-
cédé aux épurations, Il u'était pas une perite administration oú
l'on ne trouvát des partisans ct des admirateurs de cette Cham-
breo Quanrl un partí triomphe , il marche <1r01t anx places ,
d'ahord par un príncipe politique , eusuitc par un autre mobilc


11. 15




170 JIlSTüf HE DE tA HE5'L\UL\TIOi\.
que tout le monde sait bien. Le ministerc Be pouvait tiran:..';!'!'
que dillicilcmcnt ce pcrsonnel , cal' la cour suhissait un priurip«
avcc moins de clameurs <fu 'une des!titu iion. Cela se concoi( :
une dcstitution personniíie un sysleme politique ; elle le fa ¡i
toucher 11 celui qui en est l'ohjct , il ses amis , il ses protcctcurs.
De la ces répugnances du roí Louis XVJlI lui-ruémc pOLIr les
destitutions royalistes. Supposez la ñlaison de Bourhon plus fa-
cile pour les hounnes , combien de príncipes se fui-elle dispcnséo
dcconcéder l MiU. Decazes et Laiué , u'ayant pas d'abord dans
leurs mains cette haute faculté de destitution, se contenterr-n t
des lors d'impriruer une marche forte et unie il l'Administratinn
publique. Ils écrivirent coufidenticllcrnent aux préfets pour lcur
désigncr les caudidats qu'ils devaient particulieremcnt éloigncr
des élections et ceux sur Icsqucls ils devaient appeler les SU!-
fragcs. La majorité de 1815 devait étre surtout excluc. le minis-
tere recommanclait aux préfets d'appeler le eoneours de tous les
fouctionnaires pour seconder l'action du Gouverneuient, « Hap-
pelez sans eesse que le B.oi attend de ses íidelos sujets qu'ils 111'
députeront que des hommes recommandahlcs par lcurs principes
en favcur de la légitimité , par lcnr modération , par lcur amonr
pour le B.01 et pour la France , dont Sa lUajcsté vcut assurer l«
reposo » Comme la plupart des acres ministériels de cette épo-
que, cctte circulaire Iaisait trop pcrsonuellement intervenir le
Roí; il Y avait dans cette maniere d'agir UIl dessein de plaire a
Louis XVIII. On espérait égalcmcnt agir sur les Iloyalistes dans
les colléges, et les séparer des opiuions ardentes qui tendaient il
les rlominer. L'esprit puhlic n'était point alors arrivé il ccito rigi-
(lité du principe constitutíounel qui place le Hoi dans une spherc
élevée au-dessus des oragcs de la politique. Jc dois cctte justice
~l l'opposition ro: aliste dans la scssion qui allait s'ouvrir : ce Iut
elle qni rappda les véritahles príncipes du systemc rcprésentarif;
elle scule les défcndit ~l la tribuno et dans ses écrits, Non-
senlemcnt le miuistere Iaisait intervenir le Itoi dans ses actes,
mais Louis XVHI lui-rucmc , qui considérait l'ordounancc dn
5 septembre coinme son propre ouvrage , parlait , agissaitaupres




CHAPlTRE XII. 171
de tous, et particuliércmcnt aupres des présidents de eollégcs,
pour qu 'ils cussent a transmcttre aux électeurs la volonté royale.
11 dit a 11. Ilavez, lors de son audience de congé : « l\lonsicur
Ilavcz, trap d'agitations ont malhcureuscment troublé la France ;
die a hesoin de repos; il lui Iaut , pou!' en jouir , des députés
aitachés a ma personnc , ala légitimite et a la Charte , mais sur-
tout modérés el prudcuts; le départemcnt de la Gironde m'a
douné déja de grandes preuvcs d'amour el de fidélité. J'en at-
tcnds un nouvcau témoiguago daus le choix que vos électeurs
vont faire. Dites-lcur que e' est un hon vieillard qui Ieur de-
mande de rendrc ses dcruiers jours hcurenx pour le bonheur de
ses enfants. » Le ltoi dit ~l M. de Saiut-Cricq : (( ñlonsieur de
Saint-Cricq , répótez en mou nom il votre collége que mon dé-
sir cst que de tornes les partics de ce Ilovaumc , si longtemps
;¡~¡ [(~ par les orages politiques , sortent des députés dont le seul
\ U'U soit d'y ruettrc un tenue, de sages amis de la légitimité et
de la Charle qui vcuillent a, ce moi et comme moi le honheur
de la Francc , qui soient convaincus que ce bonheur est dans le
n'pos, et (Jite le 1'('pOS no pcut naitrc que de la modération. »
\ H. Basrard de l'ÚaJlg : ( JI scrait heurcux que je pusse ,
.\lolltijeur de Bastard , elre elllol1r(; de royalistes dont la fidélité
de Iút poiut équivoquc , el ne séparaut point l'amour de ma
personnc du rcspccr ponr la Charle que les Francais tiennent
de moi; qu'ils ouhliasscnt lcur intérét particulier , et surtout
qu'ils s'unisseut Iranchcment ~l moi dans ces principes de modé-
rarion que m'a dictés ma raison , tout autant que mon propre
CO"llr. )) Ces paroles devaient etre transmises aux colléges, et
i)J'O(/lI ire sur ('UX l' impression Cfue faisaicut alors les hautes pen-
.écs de la Hoyalltl·..


C'est un curieux ensciguemcnt que la méditation des discours
[ui íurcnt alors prononrés par les présidents des colléges, Tous
-xpriment ~l pcu pl'{IS k IlH"'llW systemc de légitimité ; "DI. Beu-
!,llot, Royer-Collard , Ilavez parleut le 1110mc langage; tous font
rounaitre la VOJOllt{~ du ]~i; tous s'élevent contre les empiete-
.ucnts et les usurpations de la Chnmbro des Députés ot la doc-




172 mSTOIRE DE LA flESTAUnATlO;\.
trine de la souveraineté parlcmentaire. Le plus rcmarquahle de
ces discours fut celui de M. Iloyer-Collard , président du eollége
de la Jlarne : « Le Iloi , dit-il , e'est la légitimité ; la ]('gitimité
e' est l'ordre; l'ordre c'est le repos , le repos s'obtient et se con-
sene par la modération : vcrtu éminente que la politique em-
prunte ü la morale ; la modération , attrihut naturel de la légiti-
mité , forme done le caractcre distinctif des véritahles amis du
Iloi et de la Franee. » 1\1. Gaétan de La Hochefoucanld ajou-
tait : « 11 faut, pour etrc ami du Iloi , pour étre digne de vos
suflrages , étre attaché ¿l celte ü;gitimité qui est un des droits df'
la natíon , et le premier de ceux qui protégent la patrie. » Les
préfets ¿l leur tour recurent l'ordre de commentcr les circulaires
ministériellcs, d'inviter les Ionctionnaires d'un rang inférieur ¿l
seconder l'aetion du Gouvernement du Roi; I'Adminisn-auon usa
de tous les moyens d'influence; elle était dans son droit.


A cóté de l'action du Gouvernement s'organisait sur une large
éehelle toutes les forccs du pnrti royaliste. Lors des premieres
élections de 1815 , les Hoyalistes dominaient le Pouvoir ; ilsn' eu-
rent pas bcsoin de régler leur gouvernement occultc : les élec-
tions furent le résultat d'un mouvcmcnt de partí troj) fort pour
rccourir ¿l ectte intclligcuco active des faet ions en minorité; mais
lorsque l'ordonnance du [) scptcmbre cut opéré une séparation
complete, les Iloyalistes sentirent le hcsoin d'étahlir leur hiérar-
chie secrete, Tous les éléments de lcur grande orr;anisation par
comités existaient encore , ils les fírent servir ~\ leurs intéréts
électoraux, Il se forma des sociétés, des comités correspondants
avee une direetion puissante aParis, ct qui se rattachait toujours
au pavillon Marsan. La société des [rancs-rcqcnércs , ct plusieurs
autrcs réunions (fans le méme esprit, agissaicnt sur les massos
dn parti royaliste avec ensemble et une admirable hahileté. tes
journaux n'étaicnt pas libres, mais des brochures allaient n;-
veillcr le zele royaliste et réchauffer les haines contre le minis-
terco Vainement l'Administration prenait-ello qnelques mesures
contre ces sociétés: vainernent puhliait-elle des circulaires et des
articles oú l'on signalait l'illégalité de ces réunions , qui entra-




CHAPITRE xrr. 173
vaient par leur action occulte la marche du Gouvernement légi-
time; vainernent enfin un préfet , et le maréchal de camp Clouet
étaient destitués pour avoir pris part a ces menees contre l' Ad-
ministration : les Iloyalistcs n'cn pcrsévóraient pJS moins dans
leur opposition systématique. tes élcctcurs obéissaient a une
impulsion unique et régularisée, et balancaient dans la grande
majorité des collégcs les votesministériels. Le parti lihéral, trop
faible alors pour marcher tout seul , s'était complétement rangé
sous le drapean ministériel : c'est la condition de tous les partís
qui n'ont pas encere en eux-mémes une force; ils la cherchent
a l'abrí du Pouvoir, sauf a le renverser lorsqu'ils l'ont trouvée.
Tous les journaux lihéraux , toutes les hrochures publiées par les
écrivains les plus exaltes des opinions memo révolutionnaires ,
avaient applaudi a l'ordonnance du 5 septemhre , et aux consé-
quences successives qui en découlaient. Ils sentaient que le
Cahinet , se séparant des Royalistes, serait tót ou tard entrainé
a s'appuyer sur l'opinion lihérule, Ne pouvant encore faire passer
leurs amis , ils se rattachaicnt aux candidats ministériels , se ré-
servant plus tard de forcer le Couvernement ades concessions;
c'est ce que lU. Decazesn'avaít pas assez apcrcu , en provoquant
I'ordonnancc du 5 septembre, JI s'imaginait toujours dominer
le parti qui lui prétait force et appui, résultat véritahlement
impossihle dans la marche des opinions,


D'apres l'ordonnance du 5 scptembrc , les colléges électoraux
se divisaient en deux fractions : collége d'arrondissement et col-
lége de département. Cette organisation était infiniment favo-
rable ¿l 1'action ministérielle. JI était difficile de croire en cffct
qlle le ministere n'obtiendrait pas un ou deux noms sur chaque
liste de candidats , et qu'il n'aurait pas assez d'inlluence pour
faire passer ces candidats dans les colléges de département. Ce-
pcndant telle était la merveillcuse disposition des Iloyalistes et
leur force réelle , (PIe, malgré toutes les manceuvres ministé-
rielles ct l'action puissante de l'Admiuistration , il fut impos-
sihle d'écarter la plupart des notahilités monarchiqucs ; elles
passerent dans tons les colléges, te résulrat des élections trompa




17l~ HISTOInE DE LA RESTAURATION.
un peu les espérances du ministere ; c'est une illusion que su-
hissent presque toutes les administrations. Cependant la majorité
appartint al'ordonnance du 5 septembro. A Paris , dans les dé-
parternents de l'Est , du Centre, dans unefraction des departe-
mcnts du Nord, les présidents des colléges passerent ade fortes
majorités; mais dans les provinces de l'Oucst , du ~lidi , les can-
didats royalistes l'cmporterent, Le ministerc s'était ílatté méme
auprés du Roi d' écartcr MM. de Villele , Corbicre , Castelhajac,
les chefs ostensibles de la majorité royaliste de la Chamhre de
1815. Il se trompa. En général, les homrnes les plus difIiciles
arepousser dans les élections , ce sont les chefs de file d'opinion,
cal' tous les efforts des partís se concentrent sur eux ; tous les
autres seraient écartés, qu'ils seraicnt cncnre élus. L'opinion
qui tríompha dans les éleetions de 1Rl (j ne fnt point le Iibéra-
lisme , mais le ministérialisme dans le scns de l'ordonnaucc du
5 septembre , c'est-a-dire , de la modération et de la prudcnce.
A Paris meme , ville d'agitations el de passions politiques , les
Iíoyalistes obtinrent de nombrcux suffrages. Le par ti de la Ilévo-
lution n'y fut pas en force. M. Laffitte , alors gouverneur de la
Banque , ct lié aux opérations du Trésor, y fut scul éln.


J'ai souvent entendu répéter quc la légilimitr el les Bonr-
hons n'étaicnt pas une force en 1R15, et qu'ils étaient antipa-
thiques ala nation; pourtant ces opiuions étaient partout, dans
la garde nationale, dans les coIlégcs électoraux , dans tontes les
formes diversos et plus ou moins parfaites d'exprcssion des SCI1-
timents politiques, En gónéral , les partís vivont trop dans la
croyance qu'il n'y a rien en dchors de leurs propn's opinions; el,
paree qu'il y a certaines sommités du partí liberal qui out ac-
cueilli les Bourhons aocc répugnrlltce .. ils ont {'galemcnt jugó et
dit que la Franco les avait aussi accueillis avec répugnance, On
trouvait comme nouveaux députés élus a la Chambre MM. Ca-
mille-Jordan , AngIL~s pere , Seyras , Dupaty, le comtc d'Amhru-
geac , 'I'rihord-Duchalard , Dupavillon , Courvoisier, ~laccarti,
le comte de Courtarvel, Iloussin , d' Augier, Cassaguole , Maine
de Biran , Bavez , Morcau , de Bondy, Perceval , de Bolle-Ciso ,




CIlAPITIlE xn. 1.....;)
Clericc , Chevalier , Lczav-Maruésia , Barrairon, l\IoiSCIl, Huy-
nard de Brimont , La Frogne, Bourcicr, Ponsard , Emour, le
duc d'Kstissac , Drucl des Yeaux , Fraucoville , d'Arliucourt ,
1Io11taignac, d' Angosse , Dnraud , Ilcihell , de Gray, Paccard ,
I.~ comtc de Boisclercvaux ,LaHiüc, Chabrol , Breton , Begouen ,
Uesnager, Dcspatys, l\lorjsSeL, Mortariell, Soulier , Brjarry ,
'Yelch, Douhlct , Jacquinot de Pampclunc , le marquis de Vil-
Iefrauche. Tous ou prcsquc tous les nouveaux députés apparte-
naient aux opinions modérées ; ils avaient été élus al'encontre
des députés de la Chambrc de 1H13. Quelques-uns méme
des Iloyalistos les plus ardents n'avaicnt pas été renvoyés a la
Chamhrc, Tels étaient MM. de virrollcs , le comte de Vogué,
llevnaud de Trest, le marquis de Beausset , le prince de la
'I'rrmouille , Iloger de Damas, de Groshois, Chiffiet, le comtc
de Hlallgy, Blosscville , de la Pasture , Couan de Saint-Luc , le
romle de Bernis , Lahoric , Duplessis de Grenedan , le comte de
Monthel, Dubouchage, Pardessns , le comte de Polignac , Pala-
ruede de Macheco, le comte de Sesmaisons, de l'laquillé, Feuil-
Jant, de Lorgeril , le comte de Juigué , le vicomte de La Boche-
foucauld , de BNhisy, Pottcau d' Hancarderie , le marquis de
Frurté , Puysayc , Coupigny, Honthnm, le comte de Boisgclin ,
Berthicr de Sauvigny, le comtc de Ilougé , le marquis de For-
bin-des-Issards , Cauuel , de la -'Iaisonfort. Les Iloyalistes avaient
protesté contrc les mnnn-uvres ministérielles ; ils avaient en rai-
son dans quelques colléges ; mais ils employerent cette arme habi-
ludie des partis vaincus : quand on n'a pas la victoire on cric a
la trnhisou. Il y avait deux élections doubles : soixante députés
IWll\('aUX, panni lesqucls quarante-six présidents de collége. 011
romptait cnfin ccnt soixante-quatorze députés de la dcrniére
Chamhre : cent quinze II 'avaicnt pas été réélus. En résultat ,
l'esprit de la Chambrc était complétcment renouvelé. M. De-
cazcs , n'ayant point attciut sa quaranticmc année , ne fut point
réélu , el di's f(' momont le Hoi sougr-a ü l'élever ala pairie.


Le Conscil des ministres paraissait parfaitement uni a cette
{'roque. Jamais l'intimité de MM. de Itichelien , Lainé , de




176 mSTOTRE DE lA RESTAURATION.
l\DI. Decazes et Corvetto n'avait été plus complete et plus
franche. Ils formaient la tete du Cabinet. Les autres membrcs
n'étaient que des accessoires qu'on pouvait changer, modifier
selon le besoin. le chancelier, garde des sceaux, ne tenait qu' un
poste provisoire qu'on réservait aune sommité de la Chambre.
}\l. le général Clarke s'était effacé comme opinion politique , il
en était ainsi de ]U. Dubouchage, 1\1. Lainé PUt des lors prépa-
rer lihrement , et d'apres les idées doctrinaires , un projet de
loi d'élection. Discute au Conseil et arrété , ce projct fut soumis
a un Conseil privé, et renvoyé enfin pour la rédaction et les d(~­
tails au Conseil d'I~tat. Le Cabinet cut acxaminer une question
plus générale , celle de savoir si l'on maintiendrait les lois d'ex-
ception obtenues de la Chamhre de 1815. tes circonstances
étaient-elles les mémes? Ces lois étaient-elles imperieusement
nécessaires? l\1. Decazesen exposal'indispensahle besoin pour 1('
ministére de la police, qu'il fallait armer, sous peine d'exposer
le tróne et la société, des deux lois qui suspendaieut la liberté
individuelle et la liberté des journaux. Il pensait que les ci1'-
constances n'étaient pas tellement changées, les temps si
exernpts d'orages, qu'on püt rentrer tout afait dans le plcin
excrcice des garanties constitutionucllcs. Le conseil fut unánime
~ur la nécessité de conserver les lois exccptionnelles, Les horn-
mes modérés admettaient le besoin des lois d'exception, et les
Royalistes qui les avaient provoquées en 1815 semblaient natu-
rellement engagés ales soutenir dans la session suivante.


Chaque miuistere avait porté sur les actes de son département
une active sollicitude. ]U. Corvetto alors le plus puissarnmcnt
occupé donnait ason ministere une direction f(l(OIHIe en résul-
tats. Quels efforts ne fallait-il pas multiplicr a cette époque ponr
crécr les ressources du Trésor et répondre ;l tous les services':
Les fonds publics se tralnaicnt pénihlemcnt dans les cotes de ;") 7
;1 58 francs. Les bons royaux étair-nt négociés avec coufiancc ,
mais a des taux élcvés. 011 s'était acquitté avcc les alliós de
tons les termes óchus , mais qne de sacriíiccs ot d'dláls! .le ne
puis dire ~l combien de chanccs avait été soumis le crédit pu-




CITAPJTRE XII. 177
hlic. Le semestre des rentes, échu le 22 septembre 1815, n'avait
été payé qu'au 2 janvier 1816. 1\1. Corvetto s'était adressé aux
banquiers de la capitale, et tous avaient déclaré l'impossibilité
de venir au secours du 'I'résor ; on songca des lors Ü un emprunt
al'étranger, et l'on jeta les yeux sur ~1.iU. Hoppe et Baring. Ce
fut par l'intermédiaire de M. Baguenaut que les négociatious
s'ouvrirent : un premier traité d'emprunt avait été conclu ,
mais sous la condition expresse qu'il ne serait créé aucuno nou-
vellc rente que celles qui étaicnt aetuellement inscrites, La
Chambre de 1815 ayant voté la consolidation de l'arriéré , ce
traité se trouva résilió ; une commission de finances fut Iorrnée
aupres du ministre, el lU. Laffitte ayant alors positivement dé-
claré que les maisons francaiscs ne pouvaient se chargcr de la
totalité de l'emprunt , de nouvcllcs négociations furent ouvertes
aupres de MM. Iloppe el: Baring. 1\1. Corvetto , pour activer les
mouvements du Trúsor, créa aupres de lui un comité de rece-
veurs généraux chargés de subvenir aux besoins impérieux de
la caisse de senice. Il leur Iit des avantages d'intérét pour ou-
vrir aupres de chacun d'eux des compres courants sur une plus
vasto échelle. Hans la situation de la caissede service, e'était un
secours que d'associer le crédit de quatre-vingt-six riches capi-
talistcs aux hesoins du Gomernement, el de grouper autant de
íortunes privécs autour de la fortune publique. tes rcceveurs
généraux prétercnt ~l cette époque un Ioyal appui au Trésor, La
banque se rnontra confiante et deviut plus íacile a répondre aux
appels du ministre des finanees.


Au ministere de la guerre , le général Clarke se rendit égale-
ment plus accessihlo et plus liberal dans les choix d'ofliciers. Les
légions, quelle que fút leur infériorité numérique , comptaient
des militaircsdistingués , et un personnel parfaitemcnt composé.
L'arrnéo fut encouragée : on cessa de regarder les officiers en
demi-solde comme des parias politiqucs; beaucoup furent rap-
pelés daus les régiments; quelqucs-uns , il faut le reconnaitre ,
conscrvercnt leurs opinions ardentes de Bonapartismo qui ne
permettaient pas au Gouvernement de la Itestauration de leur




178 mSTüIRE DE LA RESTAURATION.
confiero son drapean. C'est de cette époque surtout que date la
sollicitude des princes de la Famille royale pour l'arméc ; les
ducs d'Angouléme et de Berri s'en occuperent activement. Des
rentes fréquentes , des visites aux cascrnes constataicnt leur
bienveillance pour les officiers ct les soldats, M. le duc d' An-
gouIeme se fit une habitude et un houneur de connaitrc le per-
sonnel de l'armée ; il entrait dans ecuo étude plus de honne
volontó que d'intelligence , mais ceHe activiré plut aux régi-
ments et popularisa parmi eux le nom des Priuccs. l nc mesure
du ministre de la guerre appela chaque légion h son tour pon!'
la garnison de Paris. On voulait aussi mcttre en préscnce, par
des rapports militaires , les Bourbons et les soldats, Ces intelli-
gences entre les régiments et les Princes dcvcnaieut d'autant
plus nécessaires que par l'effct de I'évacuariou du territoire .suc-
ccssívemeut promisc, le Roi allait se jeter dans les liras dI'
l'armée. Cette confiance fut poussée un peu loin, ainsi que le
constata la couspiration de 1820. Le soin avec lcquel avait ét(~
formée la gardc preserva la Famille royale. Telle était alors la
triste position de Louis XVIII que, s'il s'abandonnait avec con--
fiance, les partís fortifiés conspiraient coutre lui , el s'il se mon-
trait méfiant , on l'accusait de nc pas S(~ livrcr ~l son peuplc,


l\I. Lainé au miuistere de l'intéricur éiait preS(fllC cnticre-
ment absorbé par la loi électorale, objet principal de la session;
mais une grave dilliculté allait cmbarrasscr son départemcnt.
La Frunce avait été universcllcmcnt désoléc du nord au midi
par des pluies continucllcs. I ..es récoltes étaient dévoróes , ccllo
du blé particuliercmcnt ; les céréalcs nc manquaient point eu-
core; la prévoyance administrativc avait pourvu les grcuiers <In
superflu des récoltes précédentcs ; le haut prix des grains se
faisait pourtant sentir, et il ne fallait pas de grandes connais-
sanees en statistique et en administration pour prévoir que
l'hiver, et surtout le commencemcnt du printemps qui pl'échle
la récolte seraient dífficiles ~l passer. En maticrc de suhsistauccs ,
ce n'est point autant le manque réel de dcnrées qu'il Iaut re-
douter que la crainte de manqucr. D<"s l'instanr que la terreur




CIIAPITRE \.11. 179
d« la Iaminc se répaud , la famine cllc-mémc commcncc ; chaque
culiivateur rcsserre ses grenicrs , chaque cousounuatcur a ses
pr(~'oyanccs; la spéculatioll accapare; la crédulité populaire ac-
cucillc les hruits los plus absurdes , ct toutes ces causes réunies
faciliten! le désordre. Le ministere de l'intérieur préparait des
ressourccs , mais avec ceuc lcuteur des hureaux qui u' cst rien
moins que próventivc contre le mal , ct qui peut apeine le ré-
parer. On ne croyait pas a l'irruption si subite , et le mal trouva
le pays au dópourvn el l'administration sans rcssourccs, Le dé-
faut saillant de :U. Lainé était de négliger un peu l'administra-
tion particuliere qu'il abandonnait a ses bureaux , et de s'oc-
cuper trop cxclusivcmcnt des questions politiques et de Chambre.
Que résulta-t-il de cct abaudou? e'est que les bureaux suivirent
la routine , el JI. Lainé, qui était destiné ~l marquer son admi-
nistration par des actos d'un caracterc élevé , et par conséquent
~l donner aux communes une organisation indépeudante , adé-
centraliser un peu ces licns trop pesants qui attachcnt la pro-
vince a Paris , resta dans les anciens erremeuts des hurcaux ;
ou nc peut ouhlier que l'cutréc des conscils généraux ouvcrte
aux préfcts Iut un des acles de l'administration de ñl. Lainé.


Le ministre de la couíiancc royalc était toujours :U. Decazcs.
Dans toutcs les combiuaisons politiques de la Chambre on fai-
sait entrer le jcune ministre, paree que seul il possédait l'iuti-
mité du Itoi. J'ai dit les causes réellcs de cctte eonfiance. L'his-
toirc u'adoptera pas les ignohlcs calorunies des partís. Les
Jlovalistcs ne s'en (~pargllei'eIlI aucune; des pamphlcts out été
j"Cl'jts contrc Madamc Princcteau. On a attribué la faveur de
H. Dccazesa la vive aiuitié du Itoi pour la sceur de son ministre;
d de la ces plaisantcries spirituelles , ces mots de femmes et de
~.;J'alld seigncur, ce [auüc Princctcau , ces chansons dont j 'ai
sous les ycux un peljl recuc ii imprimé sans doute dans l'intérét
de la mouarchic. Je ne me Iais le clievalicr de personne ; je n'ai
pas la prétention de romprc une lance pour soutenir la vertu
des damcs, mais jc me mélie en géuéral de ces récits de sean-
dale. La corrcspondancc privée de Madamc Princeteau et du




1su 1I1STÜJHE DE LA HESTALlL\TIO:\.
Iloi est toutc pateruellc ct d'uue hicnvcillaucc douce. On 11\
découvrc aucune expression d'intimité. Le roi Louis \ HU
aiuiait ~I causer, il aimait surtout cene attention de Icmmc, ceUe
douccur de formes et de manieres que Madame Princetcau
possédait si bien. Sans étre parfaitement jolie , JUadame Prince-
teau avait eles traits régulicrs , une cxprcssion timidc, une
crainte indicihle en présencc du Iloi, Louis XVIII voulait qu'elle
le mit dans la confidence de ses affaircs ; elle l'initiait dans les
moindres détails de son intérieur. PaUHe qu'elle était lorsqu'elle
connut le Roi , pauvre elle se retira lorsque la faveur de son
frere s'évanonit. 1\1. Dccazes, apres l'ordonnance du 5 septem-
bre , donna au ministére de la police des formes moins acerbos
et plus conciliautes, La police toujours active et vigilante avait
hesoin dans ces temps d'orage de réprimer les par tis , d'arréter
les complots, et pcut-on nier qu'ils ne fussent alors nombrcux
et meuacants? Le ministere de la police, méme avee ses ména-
gements, commencait a étre odieux. On sentait qu'il faudrait tot
ou tard le supprimer. 1\1. Decazes avait une autre amhition, cell«
du ministerc de l'intérieur ; une fois les lois d'cxception révo-
quées , que' restait-il au ministerc de la police ? l/uelles attribu-
tions pouvait-il revendiquer ? La presse dépcndait des bureaux
de la policc. L'excrcice du pouvoir sous l'cmpire des lois d'ex-
coption touchc toujours a I'arhitraire. Les meilleurs esprits ,
quands ils peuvent , osout bcaucoup , el JI existe des lettres de
1\1. Decazes ~l quelques journaux , écrites arce ce laconisme que
le Pouvoir appelle de la force. 11 suspeudait un journal arce un
hillct de quatre ligues.


A la chancellerie, 1\1. Dambray ~ qui seutait hien sa position
toute de passage et de trausition , hornait I'cxercicc de son mi-
nistere ~I des nominations d'avocats au conscil , de commissairrs-
priseurs , h quelques raros promotions de magistrats , remplis-
sant les vides que laissaicnt les déiuissions ou la mort, ~L Dam-
bray, qui ~I ses opinious ardcntes unissait un cceur excellent ,
suivait la nouvelle impulsion donuée a l'administration et 11 la
politiqueo Il voyait ccpendant avec peine le ministere se séparcr




CIIAPlTHE XLI. ] 81
des opinions royalistes de 1815, qui , selon lui , pouvaient seulcs
aífcnnir la monarchie. 1\1. Dubouchage continuait ses ordon-
nances sur la marine, ct mieux inspiré alors , il faut le recon-
naitre , il rcndait des scrvices en donnant á ce départemcnt
quelque activité. e'cst encorc un incontestable mérite de la Res-
tauration d'avoir fondé une puissante marine. Le génie de Na-
poléon , absorbe par ses vastcs plans de conquétes sur le conti-
nent , avait négligé l'cmpire de la mero Il n'avait su conccvoir
que de gigantcsques constructions navales délaissées dam les
ports, La Itestauration , par d'heureux et persévérants eíforts,
sut fonder un grand établisscment maritime. Elle fit de la ma-
rine ce qu'elle est aujounl'hui, une force capahle de rivaliser
avcc la puissance navale de l' Anglctcrre , ct le ministérc de
M. 3101é surtout multiplia les progrés dans ce départcment. Pour
résumer la position ministérielle il faut dire que le ministere
s'était complétement séparé de la majorité de 1815, mais
non desopinions monarchiques, C'est une erreur de croire
que le systeme de l\l. Decazes ne fit rien pour la religion et la
monarchie. C'est inéme une remarque a constater qu'aucun
ministre ne se montra plus disposé aux conccssions bicnveil-
lautcs pour le cIergé el les Iioyalistes. C'cst la condition natu-
relle de tout pouvoir qui , s'écartant d'une majorité ardente ,
cherche a conquérir des uuités dans un parti. C'est a M. Laiué
que les missions de Frauce doivcnt leur rétablissement , et que
le clergé diocésain doit également la faculté de recevoir des
legs par testament ou donation. Qu'importe aux partis! Ce
qu'ils veulent ce sont leurs propres hommes aux affaires el
~lUX places ; ce qu'ils demandcnt, ce sont moins des concessions
que des positions!


Parles élections de 1816, la Chambre n'était pas entiercment
renouvelée ; il Yavait plus de la moitié des députés de la der-
nierc Chamhre, et pourtant jamais assembléc ne différn plus
el'esprit et d'opinion, La majorité de 1815 était d'un royalisme
hrülant ; qu' était-elle devenue dans cette nouvelle session? Elle
comptait encoré soixante-dix aquntrc-vingts membres parfaite-


n. 16




182 HISTOlRE DE LA HESTAUHATlOl\.
ment organisés. Il est rare qu'un parti , lorsqu'il a une majorité
puissante , soit bien discipliné. On se laisse aller au SUCc(~s. Tels
avaient été les Iloyalistes dans la scssion précédcntc; mais dans
cette assembléc nouvelle, devcnus minorité, ils se placerent su!'
un excellcnt terrain; ils se groupercnt autour de leurs dcux
chefs , 1\L\I. de Yillelc et Corbiere , et rarcment des unités s'en
séparerent dans le vote. Ensuite, sous la double inspiration
des écrits de MM. de Cháteaubriand et Fiévéc , les Iloyalistcs se
firent a la langue politique el parlcmeutaire. Ils renonccrcnt aux
déclamations de la session précédente ; ils invoquérent les liher-
tés publiques et s'eu créeront une arme puissante de popularité.
Les gcntilshommcs , s'hahituerent aparler de liherté, d'indé-
pendancc communale, de décentralisation. Si quelqucs enfants
perdus du parti u'adopterent pas cctte conduite hahiie , ils Iurcnt
désavoués, Ilien ne fut plus puissauunent et plus habilcuicnt
conduit que la minorité monarchique de la Chambre de t816.


A coté de cette minorité royalistc et ayant plus d'un rappro-
chement avec elle, se groupait le centre droit. On pcut reportcr
a cette époque l'origine de cette fraction de la Chamhr«, dout
l'appui lit toujours la force ministérielk-, Daus les tcmps
d'émotions et de passions politiques , il n'y a pas de centro.
Deux opinions sont en présence ct luncnt entre elles; mais
lorsque le Couvernement marche dans des voics réguliercs ,
alors il se forme une opinion modérée qui le soutient et attir«
a elle la majorité, Aujourd'hui que les idécs sont ruieux as-
sises sur la Ilestauration , on peut juger avec plus d'impania-
lité le centre droit de la Chamhre des Dóputés; c'est dans
cette fraction éc1airée que se trouvaicnt particulicrcmont la
facilité politique , et la science administrative, Composée de
magistrats , de propriétaires , d'hommcs de talent et de Iortune ,
on pouvait lui reprocher une trop grande propension ~l seconder
l'action ministérielle et le Gouvernement; mais cette adhésion
fut bien souvent un acte de conviction et de conscience. L'ex-
pression la plus complete ct la plus sincere des opinions du
centre droit se trouvait dans 1\Dl. Jacquinot Pampelunc, Ilavcz ,




CHAPITRE XII. 183
d'Amhrugcac , de Labriffe : i\I. Jacquinot Pampelune, ma-
gistrat éclairé ; i\I. llavez , ami, collegue et admirateur de
JI. Lainó , possédaut llll talcnt rcmarquahle de résumé et de
discussion; le conne d'Amhrugeac , oflicier instrui t dont 1'hon-
neur et la Iidélitó a, aient hrilló d'un vif éclat au pont de la
Dróme , tandis que I'anuée donnait un si malhcureux exemple
de trahison; le couu« d« Lahriffc , qui par sa fortune ct son nom
pOIHaiL espércr la pairie , el lié d'une amitié sincere avec l\I. De-
cazes. La grande aucntion du Gouvernement devait étre de
maintcnir le centre droit dans une paríaite adhésion ala marche
llOUH'JIe du ministerc ; alce lui le Cahinct était sur de la majo-
rité, A cfJt(~ du centre droit, votunt de concert et le plus sou-
vent le dirigeaut , se trouvait la Iraction des hommes politiques ,
composóo de JDJ. I'asquier, Bcngnot , Hoy el Siméon, etc.
C'('lait dans son seiu que l'on choisissait les ministres', les sous-
sccrétaircs d' j'~tat et les hants dignitaires de l'arlministration. J 'ai
dit ce qu'étaicnt lU~I. Pasquier, Beugnot et Lainé. lH. Roy,
lougtcmps avocat a Paris , possesseur d'une fortune immcuso ,
était rcmarquahle par son talent net et freid de discussion en
lllalih'c de Jinanrcs. JI portai t l'ordre , la clartó dans les matieres
Jl'S plus arducs l't les plus jngrntcs. les défauts de son carne-
tl''\'(\ ('líljPIlt U1H' roidcur de Iormos , un esprit cassant , qui souf-
írait pou la contradiction. Enfin iU. Siméon, vicillard déja , esprit
positií el froid, qu'on aura plus tard ~I juger dans son ministere.


Ensuitc vcnait le centre gauchc, Les scntiments ont beau-
(OHP diff(~l'é sur les senices rcudus par cette fraction de la
(.hambro pendant la Itcstauration ; je dois m'en expliquer. Le
e('alre gaucho possédait plus proíondément que le centre droit
l'ótudc el le parlag« des libertes publiques: il était cornposé
d'honnues plus éclairés , plus instruits dans les théorics consti-
tuticnuellcs et politiques.~lais il Iaisait moins hien que lui la
part aux néccssités d'nflaires el d'aduiinistration. le centre
gaucho voulut toujours attirer le pouvoir a lui, tandis que le
centre droit se contentait de le scconder. Dans la marche géné-
rale des aífaires il était bien plus facile d'aller avec le centre




184 mSrOInE DE lA RESTAURATIO]\".
droit qu'avec le centre gaucho '. impérieux , exigeant et absolu.
Sa tendance surtout était de se laisser dominer et eonduirc par
les doetrinaires fortifiés pendant cette session de talents tres-
remarquables , et particulierement de M. Camille-Jordan ,
esprit élevé , de eette éeole philosophique qui vit dan s une
sphere d'idées et de perfectioúnemcnte absolus. M. Camille-
Jordán possédait un noble caractere, Toujours dévoué a la
cause royale , il lui fit cutendre des paroles de véritó et les
acceuts d'une douleur profondément seutie. ñlnlhcureusement
M. Camille-Jordan n'avait point un esprit applicable aux aflaircs,
ct un faux désir de popularité l'cntralnait souvent en dehors du
vrai ct du possible. M. de Courvoisier arrivait également dans la
nouvellc Chamhre ; sa facilité d'élocution était prodigieuse, son
talent de discussion parfait ; il rédigeait hicn un rapport; .il
avait de la seienee parlementaire , mais une grande mobilité
d'esprit. Le par ti des doctrinaires soutint le ministerc avec
lovauté durant cette session. Il ne devínt une dominatiou et un
embarras quc plus tard lorsque le ministere , abandonnant le
centre droit , se jeta dans les liras du centre gauchc , faute capi-
tale qui mettait a la disposition de l' extreme droite les forccs du
centre droit, el livrait ainsi le ministere á l'opiniou ahsolue ,
impérieuse des doctrinaircs. Dans cettc Chamhre (le 1816 l'ex-
tréme gnuche ne paraissait méme pas comme nuanee. Exccptez-
en les deux unités : l\HI. Laffitte et voyer-d' Argenson, elle nc
trouvait pas d'expression parlcmcntaire, C'est que cette opinion
de rcpuqnance contre l'ordre de choses fondé par la Restaura-
tíon était bien faible alors dans la société , el dans les rolléges
électoraux surtout.


Ce fut au milicu de ces nuances diverses d'opinions et de
forces qui laissaient au ministere l'espérance d'une grande ma-
jorité , que le Cahinct ouvrit la session. te discours de la COIl-
ronne fut discuté en conscil. 11 n'était pas difficile ~l concevoir et
~l rédiger, cal' on pouvait faire espérer au pays la diminution du
contingent de l'occupation étrangere. 1..es bases en furent arre-
tées , et le Iloi se reserva encere cette fois la rédaction, Cf·




CHAPITRE XII. 18:>
discours fut deux fois retouché; cela tenait au paragraphe rela-
tif aux négociations avec le Saint-Siége, On u'était pas precisé-
ment fixé sur les bases du nouveau concordar, cal' on savait déjá
que lU. de Blacas s'était engagé dans une fausse et malheureuse
route. Tout le paragraphe sur la Charte fut de Louis XVIII lui-
méme. Personne micux que le Roi ne savait tout le partí qu'on
pouvait tircr des expressions claires et sinceres en politiqueo On
se rappellc également que ~DI. le comte de Labourdonnaye 1 et
de Polignac avaient reíusé leur serment de pair de Frauce a la
derniere session. IJe principal motif de ce refus avait été I'article
de la Charte sur la liberté des cultes , dans lequel ils prétendaient
voir une espéce d'indifférence en matiere de religion. Comme
on ne voulait pas que de semblablesdifficultés se reproduisissent
encere dans la session présente, on négocia avec lUONSIEUR une
phrase du discours de la Couronne. Il fut également assuré a
.:\HI. de Labourdonnaye et de Polignac que I'article de la
Charte ne proclamait pas I'égalité des cultes, mais la liberté, et
qu'il étaitincontestahle que la religion catholique conservait une
ahsolueprééminence. Apres tous ces pourparlers le discours de
la Couronne fut arre té. Le Roi disait : « que douloureusement
affecté des privations que souffrait son peuple a la suite de l'in-
temperie des saisons, il éprouvait le malheur plus grand encere
de ne pouvoir diminuer-les charges publiques. Le Roi sentait
cependant que le premier besoin du peuple était I'économic.
S. 1\1. en avait déja fait opérer dans toutes les parties de l' admi-
nistration. l\la famille et moi nous ferons les mémes sacrifices
que l'année derniére , et pour le reste je me repose sur votre
attachemcnt el sur votre zele pour le bien de I'.État et I'honneur
du nom francais. )) Le Itoi annoncait que les négociations avec
le Saint-Siége se continuaient d'une maniere active, et que
hientót la paix avec l'Église scrait assurée ; S. l\l. comptait sur
le concours de la Charnbre pour rendre au culto divin non pas
cette splendeur que la piété de ses ancétres 1ui avait donnée ,
cela devenait malheureusement impossihle , mais pour assurer


1 II ne fuut pas le confondrc avcc le député du méme nomo




186 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
aux ministres de cette sainte religion une aisance indópendante.
Le Roi annoncait qu'attacué de creur a cette religion , il ne
l'était pas moins aceite Charte qui , S({7lS toucher au tloqmc
( ceci était pour MM. de Polignac et Labourdonuaye ) , assura¡1
a la foi de nos peres la prééminence ql1 i luí est due , et qui, daus
l'ordre civil garantissait a tous une sage liberté et les paisihles
jouissances de ses droits, de son état et de ses hiens ; S. 1'1. au-
noncait la ferme intention de ne jamáis souffrir qu'il fút porté la
moindre atteinte a la loi fondamentale. « ñlon ordonnance du


•5 septembre , ajoutait-il, le dit assez. »
Ce discours se tenait dans les géuéralités et ne s'expliquait que


sur la prééminence de la religión et le ferme maínticn de la Chartc,
dcux dioses qui parlaient aux opinions, La Chambre des Dépu-
tés se réunit le Ieudernaiu , et sa premiare opération porla sur la
formation de ses bureaux. On pouvait calculer par les scrut ;IIS
quelles seraient les forces des majorités et des minorités dans [es
diverses nuances. te centre droit ohtint le premier hureau sous
la présideuce de }l. Angles ; la seconcle Iraction ministóriellc du
centre cut le second sous la présidencc du conjtc Siméon ; les
doctrinaires, le troisieme avec iU. Camille-Jordan et l\l. Voisin
de Gartempe ; le quatriemc hureau appartint aux llovalistcs ,
BOUS la présidence de lU. de Bonald ; le cinquieiue , aux doctri-
naires politiqucs sous la présidence de JI. Bcugnot: le sixicru« :1
la ruéme couleur; il en fnt de mémc des huitieme ct neuvicmc:
1\1. de Yillele fut secrétaire du septieme burcau sous la prósi-
dcnce de ~1. Heuri de Longueve. Comme la Chambra avait N{
rcnouveléc en masse , on dut proceder ~l la vóriflcatiou des PO!!-
voirs. Cette opération est une arene ouvcrte aux déclamations
des partís vaincus qui vicnnent la exhaler leurs plaintes. La sin-
cérité des élections est une condition du gouvernement repré-
sentatif; mais en général Ies reproches des opinions battucs ova-
gercnt un peu les fraudes et I'action des préfets. Il est rare que
les mauozuvres administrarivcs puisseut vainero l'exprrssío;]
d'une opiuion forte et réclle. Quand la victoirc ost disputée ,
l'action des préícts peut la décider ; mais quand l'opinion existe ,




CHAPITRE XlI. 187
ils no peuveut Iutter avec elle. Toutes les plaintes sur les fraudes
élcctoralcs vinrent alors du partí royaliste. :\1. de Yillelc surtout
se fit remarquer par ses doctrines, proclamant I'iudépendance
ahsolue des élections, déuoncaut l'influence des préfets. Il y cut
du scandale a l'occasion des élcctions du 1..0t et de JU. Lezay de
l\larnésia , préíet, Cet administratcur avait montré un zele mi-
nistériel tres-exalté. JI fut dénoncé dans un Mémoire presenté a
la Chambre , er signé par 'DI. Syrics de Marynhac et Lachaize-
Murel. Ce l\1(~moire, quoiqne rédigé en termes tres-vifs , n' ex-
cita CIU'Ull Iaible intérét. On passaal'ordre du jour. L'histoire
doit consigner comme monumcnt d'instabilité politique la théorie
de M. de Vim~le, a l'occasion d'unc circnlaire de M. JUalouet,
préíet du Pas-de-Calais , laquclle recommandait aux électeurs
Innctionnaircs de votcr coníonuément aux instructions du Gon-
vcrncmcnt. JI. de Villele disait : « Des preuves incontestables,
constatcnt qu' il a ét(· cxercó une influence inconstitutionnellc
sur les élcctcurs du Pas-dc-Calais, Si une émeute populaire ou
tout antro motif avait influencé une élcction, la valideriez-vous?
C\'lIe du Pas-dc-Calais a N(' influcncée pllr une puissance bien
jilll;; irrésistihlc pour des Francais : elle I'a (·té en ahusant du
110m rlu Iloi , en intimant sa volonré , en mcnacant de son !11(~­
contcntcmcnt tour élcrtcnr qni ne souscrirait pas a I'ólcction
qu'ou e0!11I1111IHlait en son nom.» JI. de VilINe proposait d'an-
nulcr les élections du Pas-de-Calais.


VOiUl des doctrines bien susceptibles! Cornment reconuaitrc
El c('lte snpériorité de }J. de "im'Je en affaires politiqucs ! Com-
11H'1l1 jusrificr le ministre de 182!.t ! .Te rapporte avec plaisir les
scntimcnts des chcís divers de l'opposition parlementairc, moins
pum les mcn re en contradiction avec eux-mémes quand ils
arrivent aux alfaircs , e' est Hl une de ces perites malices usées ,
mais je le fais pour prevenir les bons esprits contrc ces décla-
mations qui se coutinuont dcpuis qu'il y a des asscmblées poli-
tiques. le choix de la présidcuce constata égalcment l'infériorité
du partí royaliste cxtrém«. J\DI. de Serrcs ct Pasquier , portés
par la majorité composée , ohtinrent l'un cent douze voix, et




188 HISTüIRE DE LA RESTAURATJüN.
l'autre eent deux. lU. Bellart , plus rapproehé de la droitc, quatrc-
vingt-onze ; M. de Trinquelague, soixante-dix-sept.La plus
forte expression du partí royaliste se porta sur 1'1. Corhiere ;
il ohtint soixantc-seizc voix. Au dernier tour de serutin, les
cinq candidats furent l'DI. de Serres , Pasquier, Bellart, Ilavez
et Beugnot. Les Boyalistes n'avaient pas obtenu un seul de leurs
chefs de file. Le ministere avait ase décider entre MM. de Serres
~t Pasquier. La présideuce fut donnée a lU. Pasquier. qui plai-
sait mieux au centre droit; 1'1. de Serrcs se trouvait d'aillcurs
en dissidence avec le Gouvernement sur plusieurs articles fonda-
mcntaux de la loi électoralc. L'adresse ofTrit peu de'discussion.
Le ministere avait soigneusement écarté du discours de la Cou-
ronne toutes les phrases qui auraient pu soulever de trop vifs
éclats. Cependant , un paragraphe ayant parlé de libertes de
I'Église gallieane, MM. de lUarcellus et Clausel de Coussergues
déclarérent qu'ils votaient contre l'adresse , paree qu'on y in-
voquait les libertes de I'Église gallieane , au moment oú il Iallait
surtout rétablir la bonne harrnonie avec le Saint-Siége et res-
taurer la religion. Au reste cette adresse paraphrasait ce dis-
cours de la Couronne: « Le retour de la paix publique était dú
~l la sagesse du Roi qui avait prouvé que son autorité , pour
s'étrc irnposé des limites constitutionnelles, n'avait rien perdu
de sa force; la Chambre recommandait au gouvernemement du
Hoi l'éeonomie, trésor des peuples ; elle se fiait au petít-fils de
saint Louis pour veiller sur l'Église et pour faire respectcr les
lois fondamentales de I'J~tat, et conserver intact le dépót de nos
ancirnnes libertes. La Chambre seconderait la bienroillancc
royale. Elle Iélicitait la Franee des nobles intentions du Roi en
faveur de la Charte , et avait recu avec une profonde reconnais-
sanee l'ordonnanee du :> scptemhre , et l'assurance , plus noble
cncore , qu'il ne serair jamáis porté atteintc ala loi fondameutale
de rÚat. »


A la Chamhre des Pairs , les forees opposécs au system« mi-
nistériel étaicnt plus compactes. Comme l'annéc précédente , le
Roi avait permis anx princes de la Famille royale et aux princes




CHAPITRE XII. 1. 89
.


du sang d'assister aux délibératious de la Chamhre, MONSIEUR,
les ducs d'Angoulémc ct de Berri se proposaicnt d'y Huir régu-
Iiérement : ~IONSlEUR comme homme politique opposé au sys-
teme ministériel , les deux nutres princes sans aucune couleur
precise d'opinion , et suivant l'mpulsiou royaliste. La composi-
tion des bureaux fut encoré une fois une affaire de convenance
sans aucune penséeparlemcntairc. Mo'\"smuR presida le premier
bureau , arce la vice-présidcnce donnée a 1\1. Barbé-Marbois ;
lH. lUolé en était secrétaire. 1\1. le due de Berri presida le sccond
avec le maréchal 31acdouald et M. de Noé; le troisiemc était
présidé par M. de Croí-d' Havré ; le quatrieme par le duc d' An-
gouléme ; le cinquiemc par le vieux maréchal de Yioménil; le
sixieme enfin par :\1. de Barthélemy. La commission de I'adresse
n'indiquait pas également qu'ou cut fait de ce scrutin une affaire
politiqueo La couleur un peu vive de i\J. de Fontanes était com-
peusée par le libéralisme de lU. de Lally. l\HI. de Pressigny et
de Talaru n'avaient pas alors des opinions tellement prononcées,
qu'on püt présumer des hostilités ouvertes, L'adresse fut apeine
discutée. Comme celle de la Chambre des Députés, elle n'olfrait
que la parnphrase du discours de la Couronne. Ainsi le SYSt{'llW
tninistériel , proclamé par l'ordonnancc du [) septembre trouvait
l'adhésion des deux Chambrcs,


'l'elle est la condition d'un ministerc qui se sépare d'une opi-
nion , c'est qu'a mesure qu'il s'avance dans cette nouvelle direc-
tion politique, la séparation arce l'opinion qu'il abandonne de-
vient toujours plus profondc et plus vire. On s'aigrit de part et
d'autre. L'hostilité de la veille amene l'hostilité plus implacable
du lendcmain. En 1. 816, les Royalistes u' avaient pas cesséd' étre
puissants a la cour. Exceptez-en Louis XVIII, tete positivo et
réfléchie, princes et grands officiers de la Couronne, tous avaient
une égale tendancc vers les opinions royalistes , desquelles pour-
tant le ministerc était complétemcnt séparé, Ceci créait des diffi-
cultés réeIles. Il y a des esprits austeros qui ont dit : ñlais pour-
quoi le ministere Be rompait-il pas avec la cour? Qu'avait-il
besoiu de lui sacrificr les principes? - Il ne faut pas connaitre




190 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
la situation de I'autorité royale acctte époque pour adrrsser de
tels reproches. Louis X VIII était roi , il avait donné la Charto ;
mais il croyait fermement avoir rctenu tout ce qu'il n'avait pas
donné : il aimait qu'on rappelát son pouvoir et qu'ou pla~~1
l'origine de toute autorité dans la siennc, On ne pouvait -sc
séparer de lui, ni de la cour qui excrcait sur son esprit une
influence fort grande. Dans tout gouvcrncmcnt monarchique
cette action se fera inévitahlcment sentir. Le partí royalistc
s' efforcait de perdre le ministere dansl'esprit de Louis X YIn. JI
cherchait par toutes les démarches possiblcs ~t altércr la couliauoo
du Iloi envers l\l. Decazes. Je n'ai jamáis cm qu'un ministre
placé au faite du pouvoir pút trahir le souverain ; lord Sunder-
Iand , sous Jacques JI, est une exception unique et doutcuse
en ce gcnre. Si I'on n'a pas conüanc« dans le caractere d'un
íavori, au moins doit-on se íier ~l ses intércts. 01', quclle 1'0/,--
tune plus éclatantc , plus inespéréc pouvait ambitionncr ~I. De-
cazes? L'accuser de trahison , supposer qu'il s'entcudait avec
les Jacobins pour renvcrscr le Gouvernement du Jloi , c'est El
une de ces absurdités qne j'ai quelque hontc ~l rappelcr , et l'opi-
nion royaliste ne l'épargna pas ! l'aflaire de \Vol[ el du coloml
Bcrnard le constate. Le colonel Bcrnard avait serví dans la Yen-
déc, Trés-attaché ~l JIOi\S]ECíl, il avair recu lamission d'ontamcr
une correspoudanco secrete avee l' étrangcr , al' cllct de dénoucer
et de pcrdre les trois ministres, l'UI. Corvetto , Decazes el
Lainé , principaux instigateurs du systeme libéral. A cet effct ,
Bernard s'adressa a 'Yolf, anclen agent de Fouché , et alors
auaché ü la pollee prussienne, Il fut arrété que Bernard eil-
verrait a 'Vol[ des lettres toutcs faites que celui-ci copierait de
sa main , el qu'clles arriveraient ~l Paris tímbrécs d'Aix-ln-Cha-
pelle, cornmo si elles émanaient du gouvcrncmeut prussien el
d'un de ses agents les plus initiés Cette convention fut faite moycn-
nant un traitomcnt de [lOO fr. par mois. En conséqucuce , Ber-
nard envoya 11 "'oH les deux lettres suivautes, avec priores de les
transcrire: « La Iactíondu prince de Talleyrand, Fouché, l'ahbé
Louis , s'est accrue des ministres Decazes et Barbé-Marbois,




CHAPITHL XIl. 191
Angll's, Foudras et Rayneval. Ils vculcnt tout , hors la légiti-
míté , et aimeraient micux voir la Frauce morcelée entre les
Puissanccsque d'acceptcr les Bourbons. Tous les ministres tra-
hisscnt , favoriscnt les Iacticux , et attcndcut l'issue des événe-
mcnts. » La secundelcttre de "oU<1isait : «Dans un granclnombre
de départcments ele l' Est ct dans plusieurs parties de la Fraucc,
il y a d(j11 des handcs armécs de Iódórés , de jacobins et de régi-
cidcs , qui parcourcnt ce pays armés et habillés. Des émissaires
unt visité les departcmcnts et porté le plan ele l'organisation ; il
~ a eu trois assemblées de ces philadclphes dans· lesquelles ont
assisté M. Decazes, Barbé-álarbois , Siméon. On y él lu un plan
deFouché ; on y a arret(~ la grande culbute du 10 au 20 avril ;
elle se Iera d'autant plus facilemcnt que tout sera préparé ü
Paris et dans les départcmcnts. te signal doit se donner aParís
par des cors de chasse établis dans tous les quartiers; le Gou-
vernemcnt provisoire est nonuné ; chaque légiou aura son point
d'attaque ; on s'cmparera eles ministres et du chatean; 200 mil-
lions sont promis aux sociétés secretes. ) Quancl ces lettrcs arri-
vórcnt Ü Paris , le pavillon Marsan les Iit copicr avcc mystcrc ;
elles furcnt mises sous les veux du Iloi. « Yoycz , disait-on de


. .


toutc part , ce n'est pas seulcmcnt en Franco que I'alanuc est
rópaudue ; c'est a l'étranger qu'ou s'inquicte du sort du Gou-
vcrncmcnt légitime. Conuncnt peut-on couscrver et déícndre
de tels ministres! il faut éclairer Louis XV1I1; il faut empecher
cctte épouvantable trahison. » :U. Decazes cut counaissauce des
intrigues qui se tramaient centre lui, JI parvint ü avoir des copies
d« ces lettres. Un ele ses agents :1 Aix-Ia-Chapelle cut la mission
de s'enquérir aupres de Wolf des motifs qui l'avaicnt cngagé ¡l
ócrire de parcilles absurdités ; celui-ci , houune de police , se
laissa facllcmcnt gagncr , el livra al' agcnt de )1. Dccazes les
originaux écrits de París par le coloncl Bernard. )laltre de ces
docmncnts, le ministren'cut pas graurl'peine ase justifier aupres
de Louis XVIII du grand crime de trahisou.


Un des actos d'hostilité les plus rcinarquablcs du partí roya-
liste contre lU. Decazes , Iut encere la pétition de mademoiselle
Itobcrt, accusant le ministre d'arrestation arbitrairc. La con-




I115TomE DE LA RESTA(;RATIO~.


duite de 1\1. Decazes avait été dure ct persécutrice, .:uJle Ilobert
dénoncait le ministre: « 1°. pour avoir fait arréter son )Jere
qui , pendant tout le cours de la révolution , avait exercé les
fonctions d'agent du Iloi , de concert avec le marquis de Blos-
seville , et avait été frappé de cent vingt-trois mandats d'arrét
par les gouvernements révolutionnaires; son pere , qui avait
eu le bonheur, pendant l'iuterregnc , de se procurer le plan
de campagne de Bonaparte, dont les faihles talcnts avaient été
dcpuis consacrés a la rédaction d'un journal le Fidélc Ami du
Roí. » 1\1. Ilobert et son fils avaient été arrétés , mis au sc-
cret le plus rigoureux daus les prisons de la préfccture de po-
lice , pendaut onzc jours. 2°. ñladcruoiscllc Ilobert dénonrait
également le comte Dccazes pour avoir supprimé , six jours
aprcs I'arrestation du prévenu , el sans jugcmcut , le journal le
Fidálc Amí du Boí ~ quoique tous les articles de cejournal eus-
sent été régulierement soumis ~l la censure. « Un journal, con-
tinuait la pétitionnaire , est une propriété tout aussi sacréc que
les autres , et celui ~l qui elle appartient ue peut étre dépouillé
par la volonté d'un ministre. Tout a été tenté en scélératesse ,
en tnachiavélismc , en tcrreur; il n'y a plus aujourd'hui d'au-
tres moycns pour sauver la Franco que la morale et la justice. »


On dcmandait contre JI. Decazes l'application de l'article l1h
du Code pénal, e'était , connne on le voit , une accusation ré-
guliere , une Icvée de boucliers complete eontre 1\1. Decazes,
Le partí royaliste s'était placósur un cxcellcnt terrain , celui des
libertes du pa1's, iI accusait le ministre au nom du Roi et de la
Charle. M. de Labourdonnave disait : (( La loi du 25 octo-


- .


hre lH15 u'autorise pas le ministre adétenir un prisonnier au
secreto Eusuite elle a été spécialcment appliquéc a des crimcs
précis, Peut-on l'étendre aux délits de la presse? Est-ce la une
eonjuration centre le Gouveruerueut du Boi? De plus, le mi-
nistre a-t-il pu suspendre un journaI et le supprimer a l'occa-
sion d'un délit étranger ~l ce journaI? » Ce qui pouvait justíficr
les rigueurs de 1\1. Decazes, c'est qu'avec une hrochure de dis-
eussion violente, dlrigée contre le míuisterc , iI Yavait un pam-




CHAPITRE XII. 1. 93
phlet furieux contre Louis XVIII, et l' on en accusait les presses
dc ül. Robert. Mais un pamphlet, quel qu'il fút , pouvait-iI au-
toriser une détention si longtemps prolongéc , et une arrestation
au secret? Pouvait-il surtout faire supprimer un journal ? n
s'était elevé une discussion eonstitutionneIle a l'occasionde cette
pétition. La conunission de la Chambre avait demandé des ren-
scignements; le ministre lesavait fournis imparfaits. M. de La-
bourdonnaye soutint que les ministres ne pouvaient pas se
refuser a donner les communications qui pouvaient paraitre
utilcs aux Chambres. Le centre gauche soutint le contraire,
malgré ses professions publiques d'amour pour les libertés : il
prétendit qu'il fallait distinguer dans les renseignements de-
mandés par les Chambres, ce Il y en a, dit M. Courvoisier,
qui sont indispeusablcs , d'autres qui ne le sont pas; ainsi, dans
la discussion du budget, vous avez le droit de dcmander égale-
ment tous les renseignements qui peuvent servir avous éclairer,
Mais le ministere de la police est essentiellement secret de sa
nature; et comment pourriez-vous , sur la plainte plus ou moins
fondée d'un individu , lui demander des renseignements cssen-
tiellement secrcts de Ieur nature ? » lH. Corbiére répondit :
(( Oui, il no faudrait pas demander de renseignements aun mi-
nistre, si leur résultat dcvait étrc infructueux; mais quand il
peut en résulter un acte de la Chambre , ces renscigncmcuts
peuvent et doivent étre demandés,


I...es príncipesétaient en faveur de la droite. Elle seule comprit
et défendit en cette occasion les maximes constitutionneIles.
lU. Decazes plein de la faveur royale , était enelin de sa naturc
~l l'arhitraire et au dédain des formes. La majorité ministérieIle
n'cut pasune'parolo de liberté et de pitiépour de malheureux écri-
vains enfermésau secret, pour des presses supprimées, pour un
journal confisqué. n en est toujours ainsi dans les temps oú I'on
veut faire du pouvoir : il n'y a rien d'injuste et de sourd alors
comme une majorité. l\l. Decazes se montra peu habiIe avec la
Chambre , dont la majorité fut un instant sur le point de lui
échapper dans cette discussíon : iI crut dans la dignité du Gou-


H. 17




'1 Yli. HlSTUlHE DE LA HESTAuHATlO.\.
vernement de ne pas répondre a l'opposition. Jc n'aime pas les
ministres qui bravent gratuitement les assemblées politiqucs ,
dont ils solliciteut plus tard l'appui, Les Iloyalistes s'étaient si
bien placés que toute la popularité fut pour eux; et pcrsonne
ne fut plus spirituel que ]U. de Salaberry , rappelant les phrascs
d'enthousiasme royaliste de M. Decazcs, dans son exposé des
motifs , pour la loi du '19 octobre 1R15 et dans sa circulaire de
Iégalité, JI fallut tout le dévoucment de la majorité , pour que
des honnnes de raison et de liberté pussent défcndre les minis-
tres placésdans une si fausse position, On iuvoqua les lois d'oc-
tobre 1815, suda suspensión de la liberté individuelle et de la
liberté des journaux. Elles donnaient sans doutc une grande la-
latitude aux ministres; mais ce n'était pas de ces 'ois , mais de
leur exécution dont les ministres devaient compte aux Cham-
hres; et c'est ce que démontrcrent tres-bien Mi\I. de Villele et
de Labourdonnaye.


Quoi qu'il en soit, la rupture était toujours plus flagrante
entre le ministcrc et les Iloyalistes : c'cst alors que commen-
ccrcnt les destitutions sysrcmatiques, lU. d'Herhouville avait
}'(1l,'U la dircction des postes, position toute de confiance. le
dírcctcur-géuéral avait son travail avcc le Hoi; mais lU. d'Iler-
houville était trop rapproché des Hoyalistes pour que, dans
la situation actuelle , il pút couscrver ce travail, lU. De-
cazes le lit remplaccr, et donna cette direction générale ¿l
1\1. de l\lezy, préfet du Nord , homme d'opinion modérée , el
tcnant tout a la fois au centre droit et au centre gauche. Le Ca-
bínet sentait la nécessité d'avoir aux postes un directeur de son
intimité : 1'1. d'Herbouville no pouvait l'étre, On craiguait que
les rapports qu'il adressait au Roi ne le fusscnt également ~I
l\IOXSIEUR. Quelques préfets royalistes recurent également
l'ordre de changcment, M. de Berthier, par exemple , passa de
l'lmportante préfecture du Calvados il cclle bien moins Iucrative
de l'Isére. Au contraire , :"\1. tezay de IUarnésia, préfet du Lot ,
vivcment attaqué par les Ilovalistes pour l'influencc qu'il avait
exercée sur les élections , obtint celle de la Somme, 1\1. Ca-




CHAPITRE XIf. 195
mille-Jordan , l'un des chefs du partí doctrinairc , était appelé
al! Conseil d' I~tat , et cctte nominalion cimentait l' alliance d'une
maniere plus intime eucorc. n était évidcnt que le pouvoir mar-
chait vers les doctrinaires , en mémc temps qu'il préparait une
modification plus grande dans le sein du Cabinct.vl . le chanco-
lier ue conservait que l'z'Jtlerún du portcfeuille de la justíce : j'ai
dit qu'on réservait ce portcfcuille pour une capacité 'de la Cham-
hre des Députés, Depuis l'ordonnance du 5 septcmbrc, )1. Dam-
hray, quclles que íusscnt ses coucessions ~l la uéccssité , n' était
plus en harmonic avec les opinions du Cabinct ; il le sentait lui-
Illl~lllC, et parlait de l'urgence de son changement, 11. Pasquier,
nommé présideut de la Chamhre des Députés , dircctcment lié
avec tous les mcmhrcs du ministerc , en approuvait la mar-
che, et n'était point érranger ~l sa direction. On savait sa haute
facilité de tribuno. I1 était dans les habitudes de :U. Pasquicr,
qu' en toutes les circonstances importantes il préscntát au Iloí
(les Méll10ires sur la situation , et ces )Iémoires, rédigés avec
talent, frappaient vivcmcnt Louis XVIII. M. Decazes pressait
,1. Pasquier de rcprcndre les sccaux , cal' le ministerc sentait
(j1l'iIIW pouvait appelcr , dans la situatiou parlementaire OÚ il
S(~ trouvait , trop de lumicres dans le Conscil , trop de talcnt de
trihunc, La nomination de 1\1. Pasquier n'eut licu qu'apres la
loides élections , mais elle fut arrétéc d'avance ; on devait porter
en memo tomps 1'1. de Serres a la présidcnce de la Chambre ,
alors qu'il se serait rapproché des ministres et de leur projet
élcctoral : la présidence ele 1\1. de Serres devaitjeter la directíon
de I'asscmblée dans les mains des doctrinaires. l\I. Pasquier ap-
partenait a la fractíon des hommesd'affaires , qu'on eonfond trop
souvcnt avcc les doctrinaircs , nuanccs tout a fait distiuctes, cal'
l'une est csscnticllcment gouvernemcntale , tandis que l'autre
vi! souvent d'abstrnctions et de principes en dehors des faits,
\1. Pasquier accepta. L'ordonnancc dut paraitre lorsqu'on aurait
décidé JU. de Serrcs a prcndre la présidcncc de la Chambra des
Députés aprcs la loi des élections. _


te Cabinet, moycnnnnt ces modifications , dut présenter une




196 HISTOIRE DE LA RESTAURATI01\'.
réunion de capacités remarquables : 1\1. Lainé il l'intérieur ,
1\1. Pasquier aux sceaux, 1\1. Decazcs a la pollee, 1'1. Corvetto
aux finances. Les deux ministéres du général Clarkeet de M. Du-
bouchage étaient tellement cffacés , qu'ils ne pouvaient plus
compter; c'étaient des administrateurs, des unités sans consis-
tance, qu'il serait toujours facile de remplacer,


J'ai fait l'histoire de la loi des élections dans la Chambre
de 1815. Les idées dé l\I. Lainé , repoussées par cette Chambre ,
avaient été reprises avec quelques modifications doctrinaires
dans le Conseil. Deux systémes avaient été examinés et discutés :
le double degré défendu par les Royalistes, et l' élection égale et
directe , opinión du centre gauche. .On était revenu ala combi-
naison d'un eens unique et a l'élection directo, Il ne s'agissait
plus que de les faire sanctionner par la nouvelle majorité, Ce
projet érnanait des doetrinaircs; et les doctriuaires étaient en
force! La loi devait done trouver appui , malgré l'opposition
puissante des Royalistes. La droite extreme avait conquis des
sympathies dans le centre droit; elle avait attiré aelle des votes
isolés, Ensuitc la presse monarehique avait travaillé alce une
ardeur et un talent remarquables, ü susciter la plus vive rl'-
sistance dans la Chambre des Pairs contre la loi d'élcction. Des
broehures puissamment raisonnécs , écrites avec esprit, avaient
attaqué cette combinaison unique d'électeurs ü 300 fr. , qui , au
milieu de tant d'intéréts variés qui se pressaient et se heurtaient
dans la société , ne créait qu'une seule base électorale , qu'une
unique représentation. On la dénoncait surtout eomme révolu-
tionnaire , comme jetant dans les mains d'un partí la fortune
politique de la monarchie. Cependant le ministere et ses amis
ne doutaient pas de la victoire. Cette loi avaitété travaillée dans
plusieurs conseils de cabinet et au Conseil d'État, oü l'on avait
adopté les bases suivantes, Tout Francais agé de trente ans ('Í
payant 300 fr. de contribution directc était appelé ü l'élection :
le préfet dressait la liste élcctorale et décidait en conseil de pré-
fecture sur les réclamations ; quant acelles des réclamations qu i
tenaient aux droits civils , elles étaient de la compétencedes tri-




(:JIAPJTRE XII. 197
hunanx. Chaqué département avait un seul collége électoral dans
le chef-lieu; il était divisé en sections partout OÚ il Yavait plus
de six cents électeurs; tout collége avait un président nommé
par le Roi : la durée du collége était de dix jours; les électeurs
votaient par hulletins de liste. Nul n'était élu s'il ne réunissait le
quart , plus une des voix de la totalité des électeurs qui compo-
saient le collége. le préfet et le commandant militaire ne pou-
vaient pas étre élus dans le département qu'ils administraient :
toutes les autres formalités relatives a la forrnation des colléges
élcctoraux devaient étre réglées par ordonnance du Roi '. le


.ministere fit dresser une statistique électorale constatant le
nombre d'élccteurs qui , d'apres la nouvelle loi, seraient appelés
avoter. Cette statistique a été conservée au ministere de l'inté-
rieur. Elle indique l'état OU la loi prit les intéréts et les sufTrages.
J] existait, a l'époque oú le projet fut discuté, 90878 élec-
teurs payant 300 fr. d'impóts , compris la patente, savoir :
7h 900 payant 300 fr. , avee ou sans la patente; 3836 électeurs
par la patente seule; enfin , 16052 Francais payant 1 000 fr.
d'impóts et aptes par conséquent al'éligibilité.


la Chambre des Députés désigna sa commission favorable au
projct du Gouvernement , et en majorité composée du centre
gauche , des doctrinaires et du centre droit. lU. Bourdeau fut
chargé du rapport. Hans ce travail un peu pcsant , mais remar-
quable d'ailleurs , le rapporteur examina une série de questions,
Yaura-t-il élection adeux dcgrés? Y aura-t-il élection directe
a un seul degré? Elles furent résolues conformément au projet
de loi : sclon le rapporteur, la Charte ne laissait ancune latitude
aI'inrerprétation ; elle avait invariablcmcnt fixé le cens électoral
il 300 fr. ; elle appelait a concourir a l'élection tous ceux qui le
payaient ; le choix par arrondissement préscnterait des irrégu-


1 C'étalt apeu pres les mémes termes du projet rédigé par la com-
rnission désignée sous le ministerc Tal\eyrllnd en 18U), ct qui se como
posait de 1\11\1. de Broglie , Molé , Boycr-Collard , Barante , Beugnot
el Guizot.




'19H IllSTOfHE DE LA HESTAliPtATlO\.
larités saus nombre; il scrait plus accessible a l'intriguc; l' (~Icc­
tion directo dérivait de la Charle; une loi qui sur 30 millions
d'habitants ne confiait l'élection qu'a 100 mille propriétaires
n'était pas trop démocratique ; les asscrnblées de départements
seraient assez nombreuses pour que l'intrigue ne püt s'y agiter;
le rapporteur concluait ainsi aI'adoption du projet.


La discussion s'ouvrit le 26 décemhre, Les conchisions du rap-
porteur furent attaquées par 1\1. de Caumont, mcmhre de la
commission, et qui soutint la nécessité d'étahlir deux degrés ct
de varier les intéréts représentés; l'article 40 de la Charte , selon
lU. de Caumont, ne s'opposait point a deux degrés d'élcction ;
les contrihuables a 300 fr. n'étaient pas de plein droit appelés a
faire partie des colléges élcctoraux ; ils devaient seulement con-
courir, cal' ils ne présentaient pas une garantie suffisante; les
élcctions seraient faites sous l'influence exclusive des contri-
huables de 300 a 700 fr. ; « la grande propriété n'y cxercera
aucun ascendant , et pourtant la Franco est un pays agricole et
commercial, )) - « Si la Charte, répondit M. Iloyer-Collard,
n'avait fait rien de plus que de poser un principe vague sur les
ólcctions , l' esprit s'arrétcrait sur les difficultés de rédaction
d'uno telle loi; mais la Charte a prononcé sur toutes ces qucstions
et dans tonte Ieur étendue; la Charte a dit qu'il y aurait des
députés par départemcnt ni plus ni moins: elle dit encere q11('
ceux-la qui paient 300 fr. de contrihutions directes sont élcc-
tcurs ; quiconque remplit cctte condition est done reconnu apt«
par la loi; on a parlé d'assemhlécs primaires , elles ne sont pnint
dans la Chartc ; elle en a Iermé la lice, qu'elles ont ensauglanté«
pcndant tant d'annóes » - « Je pensc , répliqua JI. de' V¡IU'k,
que ce projet de loi, au licu de nous étre imposé par la Charte ,
n'est propre qu'a détruire les instituunns ct les garantios qu'ell.:
nous a données. JI faut arriver a un systcme electoral plus
étendu que celui qu'on YOUS propose : le Iloi peut sans (lal1gel'
et le doit par politique , pcrmcttre aux citoyens de se grouper
autour de leurs intéréts communs pour combiuer les moyens les
plus propres aobtenir qu'ils soient protégés ; ainsi doivcnt s'(~ta-




CHAPITRE XII. 199
hlir sous la monarehic les eonscils des ndministratlons seeon-
daires , les corps de ville, les chamhrcs dc commcrcc , d'hommcs
de loi, de gens dc lettres ct corporations de toute especc. » -
« Vous vous trompez, s'écria 1\1. Camille-Jordan , ce projet est
destiné a former le complément de la Charte ; il en cst le prin-
cipc , la vie et le mouvement : il doit influer sur toutes nos
destinées, J'aurais trouvé de l'avantagc afaire concourir al'élee-
tion quclques-uncs des classes inférieurcs. Je crains que le pro-
jet, bon et constitutionnel , nc manque eepcndant par sa base;
jc erains l'indifférence des masses et la funeste influenee du
petit nombre. » - « Vingt-einq ans de révolution , répliqua
M. de Castelbajac , ont influé sur nos destinées d'une maniere
trop doulourcuse pour que les innovations , lorsqu' elles ne sont
pas nécessaires , ne nous répugncnt pas sensiblement; nous nous
étions bien trouvés jusqu'ici de deux degrés d'éleetions; nous
lui devions la Chambre de 1814 qui, au retour du monarque
légitime, se montra si favorable aux sentiments de la Fraucc ;
c'est ace mode que nous devons encore la Chamhre de 1815,
tant ealomniée. » - « Oui, tant calomniéc , ajouta lU. Jossc
Jkauvoir. Dans une monarchie tout partí est contre le Iloi ; s'il
ya quelque chose d'absurde c'est I'association de ces mots : le
parti nnjalistc. Quoi! sous le Couvcrncmcnt du Iloi il y a UIl
parti royalistc! c'cst par ces dénominations de partí qu'ou pr(~­
lude aux révolutions, Ces idées de monarchie , de propriété de
famille sont indivisibles, et toute loi d'élection qui ne rcposera
pas sur ces idóes dcviendra une arme entre les mains des fac-
I ieux contre la monarchie elle-memo. )


Ce qui était inquiétant pour le projet de loi du ministere ,
e'est (IlIe les meillcurs esprits méme daus le partí miuistéricl
n'étaient pas positivement d'accord sur les bases de la loi. lU. de
Serres ne partagcant pas l'avis de la majorité, se sépara du pro-
j(~t et proposa un amendemcnt par lequel tous les iudividus
pavant 300 fr. de contributiou étaicnt appclés ü remplir les fonc-
tious d'électeurs dans leur domicilc politiqueo Dans les dépar-
l('IllCn\s qui nc nommaient qu'un député , el dans celui de la




200 IJISTOIRE DE LA RESTAURATTOl\'.
Seine, il devait n'y avoirqu'un scul collége ; mais dans les nutres
départements il y aurait un collége de ville et un collége de
campagne; le collége de ville réunirait les habitants au-dessus
de 1 500 ames. Cet amendement tendait a corriger l'un des
grands vices du projet, l'influence des villes sur les campagnes,
influence malheureuse , parce que les cités étaient plus soumises
a l'action des passions politiques. Pendant que ce vif débat se
continuait dans la Chambre des Députés , le ministere publiait
une série de réflexions de MM. Gnizot et Barante sur la néces-
sité de l'unité dans les élections. Le Cabinet semblait apercevoir
que sa loi était compromise; il cherchait aattirer vers sonsysteme
des suffrages parlementaires, Un artiele fut tout entier dirige
contre 1\1. de Serres et son amendement sur le partage des élec-
teurs en deux colléges de villes et de campagnes. Cet amende-
ment était en effet le point capital de la qucstion, Les articles de
1\1. Guizotdémontraient que ce n'était pas la variété des intéréts
qu'il faUait représenter, puisque ces intéréts n'existaient pas
groupés comme des corporations; que si 1'on voulait avoir des
corporations il fallait , au préalable , qu'elles existassent, ce qui
était bien difficile. Quant al'amendement de ~1. de Serres, il
brisait toute l'économie de la loi en frappant l'uníté , véritable
caractere du projet , en fractionnant les colléges , en créant sur-
tout des intéréts en opposition et des agrégations de ville et de
campagne. Par l'importance de ces articles , on voyait que le
ministere craignait le résultat définitif de la discussion.


L'opposition royaliste surtout cherchait a profiter de cette
situation pour faire triompher ses idées. Elle essaya d'ahord
des amendements qui changeaient les basesde la loi. lU. Lebre-
ton proposa que les 300 fr. d'impóts ne fussent qu'une apti-
tude. Cet amendement , qui détruisait lesbases de la loi, vivement
soutenu par MM. de la Boulaye , Cornet d'Incourt, fut combattu
par le ministre de I'intérieur. « L'amendement de 1\1. Lebreton ,
ajouta l\l. Iloycr-Collard , change le projet de loi dans son es-
sence ; 01', je nie que la Chambre ait autre chose a faire que
d'admettre ou de rejeter une proposition royale ; elle no peut




CHAPITRE xn, 201
en changer l'essence ni substituer une nouvelle proposition. ))
M. Royer-Collard, I'homme des théories ahsolues, était le par-
tisan le plus exalté de la prérogative royale. M. de Villele exposa
ayer. habileté toute la pensée du parti royaliste : « Que deman-
dons-nous 1 Quel est notre but? C'est pour éviter de livrer la
Chambre des Députés de toute la France aune classe de Fran-
\,3i5 que nous dcmandons que les électeurs soient élus ! L'élec-
tion directe détruit toute idée d'égalité entre ceux pourtant qui
paient des contributions d'une égale nature; vous Iivrez la vic-
toirc a ceux qui offrent moins de garantie.» L'article 1er du
projet , le plus important, fut adopté, maisaune tres-Iaible ma-
jorité, La discussion s'engagea ensuite sur les articles de détail
et d'exécution. L'article 7 , qui constituait un collége unique par
département, excita une vive et grande controverse. lU. Clausel
de Coussergues réclamales deux degrés: il fit I'histoire des élec-
tions politiques et trouva que toutes les assemblées d'ordre et
d'idées monarchiques avaient été produites par deux degrés
d'élection, JI fut combattu par 1\1. Siméon, qui défendit l'unité
départementale de chaqué collége. La question devenait difficile,
cal' iJ s'agissait non-seulemcnt de faire repousser les eíforts du
parti royaliste , mais encore l' opinion d'un homme du centre
gaucho modéré , lU. de Serre;. Celui-ci, voyant l' embarras mi-
nistériel, abandonna sa proposition. Un amcndement avait été
également proposé par ;\1. Barthe-Labastide , expression du cen-
tre droit; il portait : « qu'il y aurait dans chaque arrondissement
un collége composé d'électeurs payant 300 fr. de contributions,
el que ces colléges choisiraient des candidats définitivementélus
par des assemblées électorales de départements composées des
plus imposés, Cet amendement fut rejeté apres deux épreuves
douteuses, ala majorité de 118 voix contre 106. La Chambre
n'était rien moins que dessinée. Un autre amendement proposé
par 31. de Yillele fut méme adopté a la majorité de 115 boules
centre 111. Tout cela faisait présumer que le scrutin définitif
serait tres-disputé; en eílet , il donna le résultat suivant , 132 voix
pour , ('t 100 voix contre. Ainsi , ;l la minorité do l'extréme




202 nrSTOInE DE tA HESTAURATIO;\.
droite s'était jointe une partie du centre droit : c'était une Iaute
grave pour le ministere de laisser ainsi le centre droit s'hahituer
ü méler ses rotes aceux de l'extréme droite. Plus tard cettc com-
hinaison favorisa la majorité ministérielle de 1\1. de Villele.


I..a longue discussion qui s'était poursuivie dans la Chambre
des Députés avait suscité une plus vive et plus forte opposition


t


dans la Chambre des Pairs. l\lONSIEUR ct tous les Pairs de
l'opinion royaliste , 1\11\1. de Cháteaubriand , Labourdounaye ,
Polignac , de Fontanes , de Fitz-James , des membres méuie
d'opinion tres-modérée étaient opposés aa príncipe de la loi
d'élection, te system« électoral des Iloyalístes et de 1\1. de Vil-
lele paraissait mieux en harrnonie avec les intéréts nouveaux et
si variés de la société , avec le pouvoir monarchique surtout,
L'influence si puissante de MO;\,SIEU H , siégeant alors a la
Chambrc , devait détennincr beaucoup de memhres asccouder
une minorité assez forte dans la Chambre des Députéspour offrir
au scrutin une réunion compacte de cent voix. Contre ces causes
réunics le ministére n'avait Üopposcr que l'influence pcrsonuelle
<tu lloi. M. Decazes , chaqué jour plus avant dans l'csprit de
I..ouis X VJII, profitait de cctte extreme confiauco pour pl'(~pa­
rer sa majorité dans la Charnhre des Pairs, Le Iloi , séduit par
la simplicité d'un systime unique d'élertion ü 300 fr., en parlait
chaqué jour aux grauds officiers de sa Couronne , tous mcmbres
de la Chambre des Pairs , et lorsqu'il ne pouvait parvenir á
les attirer au systcme miuistériel , il cherchait par tous les
moycns possibles ü les retenir aupres de sa personne , lorsqu'il y
avait quelque vote important; ainsi , sous prétexte de ses pro-
menades , de son étiquette de rnaison , il appelait aupres de lui
son premier gentllhomme , son capitainodes gardes , son maltrc
des cérémonies; iI leur donnait des missions de cháteau , et en-
levait par ce moyen cinc¡ ou six votes hostiles au ministere. Sou-
vent le soir a l'ordre ou dans les iutimités du cabinct , il
s'efforcait de convertir chaque Pair individuellement. Quclquc-
fois enfin il commandait les votes en roi, boudait les ofliciers
de sa maison assez hardis ponr contrarier ses volontés. Quoique




CHAPUllE xu. 203
la matiere parüt étre épuisée par les longues el vives discussions
de la Chamhre des Députés , elle prit un aspect supérieur et
tout nouveau dans la Chambre des Pairs. La commission favo-
rable au projet se composait de l\DI. Ahrial , de Clermont-Ton-
nene, du maréchal ~lacdonald, de MM. de Lally-Tolendal et
Latour-~laubourg. 1\1. de Lally fut chargé du rapport, Son
travail verbcux , conunc tout ce qui sortait de sa plumc , con-
cluait ¿l l'adoption pure et simple du projet ministériel tel qu'il
avait été adopté par la Chambra des Députés. Elle fut forte et
brillante cctte discussion, et se prolongea hui! jours; la loi fut
arloptée a une tres-faihle majorité. Le lendemain le ministere la
soumit a la sanction royale. Le parti royaliste la considera
conune une cause premiere de ruine pour les doctrines monar-
chiques. Ce serait une triste maniere de juger l'influence des
opinions royalistes que de les croire si faibles, si peu nationales ,
qu'on püt dire qu'une loi qui confiait les élections a cent millc
propriétaires írancais frapp'flt de mort la monarchie. J'ai de
cette opinión une plus haute idée! Si la loi de 1817 n'avait pas
{·té faussée par les partís, si les Royalistes n'avaient pas conunis
des Iautes eL les ministres .manifesté des répugnances, cette
loi n'aurait pas produit tous les résultats dont on l'accuse encorc.
A11 reste , la loi mauvaise , mal concue, ne faisait la part qU'¿1
une idée absolue; elle répondait a des opinons et non ades
intóréts ; elle créait de grandes assemblées départementales ,
t'sp(~ce de colme électorale , sans liberté et sans réflexion : VOiHl
ce qui la livra aux Iactions des son origine. Le partí des hommes
d'aílaircs s'cn apercut hientót , mais les doctrinaires resterent
invariables d'apres la haute idée qu'ils avaient d'eux-mémes et
de leurs conceptions; ils ne voulurent point comprendre qu'ils
avaient Iausserucnt engagé le Pouvoir, Il faUut des lors modifier
la loi électorale prcsque avec violence. C'est ce qui arriva plus
tard , en 1820.


La Cour avait été naguere dans son moment de triomphe ,
alors qu'appuyée sur une majorité de Chambre elle ponvait
législativcmcut imposcr ses idees a la Franco. L'ordonnance




20h IlISTüIRE DE LA RESTAURATlO.\.
du 5 septembre avait changé la situation de cette cour. D'opi-
Ilion dominante elle était devenue parti; ainsi, et par la Iorce
des ehoses, elle avait modifié ses moyens d'attaque. Toute
opinion puissante est ennemie de l'intrigue; elle va droit el
fort a son but; mais lorsque sa position change, lorsqu'ellc
s'aífaiblit comme pouvoir, il lui faut regagner par la ruse et
la tactique ce qu'elle perd en énergie, C'est la période de
l'intrigue. Telle fut la cour en 1816 et 1817. Louis XVIlI
s'attachait chaque jour davantage a l'ordonnance du 5 sep-
tembre et au systeme qu'elle avait fait triompher. La favenr
de M. de Decazes grandissait , et cette faveur, le ministre la
tournait au profit du nouveau systeme politique , quelquefois
de ses répuguances , et toujours de sa position. C'est un tres-
granel malheur Iorsqu'il y a antipathic trop prononcée entre
le ministre dirigeant et la cour. Cette situation est insoutc-
nable pour le prince et le favori. Louis XVIII et avec lui
l\I. Decazes étaient l'objet des haines et des sarcasmes du parti
royaliste, si spirituel , si railleur, c'était une vieille répugnance,
et je pourrais citer des vers d'un des gentilshommes, memhrc
ardent de la majorité de 1815, oú la libertó d'esprit le dispute
au mépris profond de I'autorité royale, La cour était inondée de
pamphlets centre le roi Louis XVIII; le ministre, qui avait in-
téret anourrir les répugnances rovales les mettait sous lesveuxo ooJ' oJ
du Roí. Louis XVIII n'en était pas étonné : « Je suis habitué a
l'esprit de ces Mcssieurs , disait-il ; cela date de loin. Je ne suis
allé qu'en troisieme ligne a Coblentz. » Le Roi avait été rnalade
pendant la premiere moitié de l'année 1816; sa goutte était
augmentée; et la cour laissait éclater sa joie sans précaution ,
prévoyant le terme prochain et possiblc d' un regne qu' elle détes-
tait. Le crayon rovaliste s'excrcait en caricatures sur les hahi-
tudes de la vieillesse du Hot; les femmcs les plus élégantesel les
plus dévouées se pcrmettaient de ces railleries supérieures dont
le faubourg Saint-Germain seul a l'inimitable secret. Le Roi en
était cxactemcnt informé, et tout cela ne faisait qu'accroitre son
attachement pour M. Decazes, Louis XVIII avaít une pctite




CnAPJTRE xu. 203
nulice de 1'01 qui se plaisait ~I taquiner l'esprit d'opposition de sa
cour, C'est chose 11 remarquer que le double róle que ne cessa
de jouer le. faubourg Saint-Germain envers Xl. Decazes. Les
nobles dames aimaientarecommander leurs protégés, asolliciter
des emplois, des positions pour leurs parents et leurs amis, et il
n' était pas de gracieusetés qu' elles ne fissent au ministre. Elles
l'entrainaient avec ce charme que cette société élevée possede
seule; puis, sous main , comme ce ministre n'était pas de leur
parti, elles le déchiraient impitoyablement, l\I. Decazes appar-
tenait a une fortune trop nouvelle pour n'étre pas ébloui par cette
séduction de canapé. Jeune et tout-puissant, il ne luttait peut-
étre pas assez contre ces regards de haute maison qui cntrai-
nent les esprits les plus austeres. JI y a dans ces sociétés de
noms illustres un je ne sais quoí qui éleve et grandit l'amour-
propre. Demandez 11 tous les jeunes hommes ce qui les a le plus
entrainés vers les idées de l'ancien ordre de choses : demandez-
leur s'ils se sentent bien stoíques , alors qu'un sourire dans un
boudoir tapissé d'ancétres leur a laissé entrevoir une espérance;
M. Decazes ne fut point exempt de cet entrainement, et ceci
paralysa ses moyens d'action. Louis XVIII n'avait rien ehangé
~I ses habitudes de la premiare et seeonde restauration, a ses
heures de travail, ases audienees, a ses promenades : e'est a
cette époque que commence surtout sa plus intime correspon-
dance avee M. Decazes. 11 lui éerivait régulierement deux fois
par jour sur les affaires générales, sans parler des recomman-
dations particulieres, des billets secrets que le Roi aimait a re-
nouveler , de son coté 1\1. Decazes multipliait les preuves de son
attachement , et cet attachement était sincere. Supposez que le
hesoin de mériter la faveur du souverain s'y mélát pour quelque
chose , n'était-il pas naturel qu'un jeune homme sorti d'une
position modeste se sentit pénétré de reconnaissance pour un
prince a cheveux blancs qui l'avait ólevó si haut !
~I. le comte d'Artois fut pcut-etre le persounage politique qni


se modifia le moins dans sa vie. Louis XVIII disait avec malice
qu'il 11e couuaissait qne dcux esprits inuuuahlcs : celui de son


11. 18




206 IllS'fOlRE DE LA HESTAliRATlO;\.
frere et cclui de !\l. de La Fayeuc. 1\1ot plein de sens et de
vérité , cal' iI y a plus d'un rapprochcment ~l faire entre ces deux
caracteres; tons deux dévoués a des idées de nature différent«,
mais également iuvariables , tous deux marchant aleur LUI,
malgré les obstacles, avec une constance remarquable : He
manquant d'esprit ni l'un ni l'autre , mais avecdesvues courtes;
tous les deux ~l formes polieset de gentilshonuues , dévorésd'un
besoin de hruit et de popularité , compromettaut leurs amis par
une commnne manie de couspiration. ]\J. le eomte d'Artois, daos
SI\. loyauté de gentilhomme , se croyait une uécessité, Joigucz ~l
cela un sentiment profond de sa capacité, ses habitudes ac-
tives, un entourage d'hommes d'esprit ct de mouveruent , et
vous vous. expliquerez tres-bien le róle que s'était reservé 31oN-
SIEUR apres la Hestauration, Depuis I'ordonnance du 5 septcm-
hre , le comte d'Artois était tres-freid avec son frere. 118 se
voyaient tous les jours atable, daus les réuníons du soir ~ mais
l'on n'y parlait que de choscsindiíférentes, de chasse, de plaisirs,
quelqueíois d'intéréts de Iamille, jamáis de politiqueo te Iloi ,
sans l'avoir défendu ason Irere , brisait la conversatiou chaque
fois que MONSIEUR parlait des Chambres, de Ieur majorité, (les
révolutionuaires OH des ministres. Aussi jl. le comte d'Artois
s'en :dédolUmagcait-il avec ses fideles du pavillon Marsan ; les
réunions s'y multipliaient , et les causeries portaient toujours
sur la politique, contre l'ordonuance du 5 septemhre et les mi-
nistres qui l'avaieut inspirée, l\lO:NSIEUn était alors une grande
pnissauce de cour ct d'opiniou, Le ministere avait cherché ase
rattacher les principaux agents de S. A. n. Un projet de loi Iut
présenté pour restituer a la famille Polignac la baronuie de Fe-
nestrange ; on avait promis une positiou administrative au baron
t:apel1e, une ou deux ambassadcs aux fideles da comte el' Artois;
mais ces perites coucessions ne pouvaieut calmer les ardentes
préteutions du partí. l\lO~SIEUR agissait dans la Chambro des
Pairs et dirigeait les chefs de la minoriré ala Chambre des Dé-
putés, Le ministere n'osait l'attaquer de front; il n'avait pas assez
d'appui dans l'opiuion coustltutiouncllc,




CHAPITRE XIr. 207
Ccpcndant il faut s'cmpresser de dire , al'éloge de la Famille


royalc , et particulierement de la duchesse el'Angoulóme, que,
dans cctte aunée 1817, elle avait beaneoup pcrdu de ce carac-
tere inílcxible que de faux et ardcnts amis lui avaient inspiré
en 1815. J'en appelle au témoignage des proscrits eux-mémes ,
des généraux Clausel , Lamarque , Gillv, de tous ceux cnfin que
le temps des saturnales de partí avaient forcés a l'exil : qu'ils
disent comhien JUA])A~lE , et le due d' Angouléme surtout, eu-
rcnt alors pour eux de témoignages non équivoques d'intérét
el d'ouhli. Qu'exigeait-on pour les rappelcr de l'exil? un acte
de soumission , une lettre adrcssée au Iloi , ¿l lUA])AJIE, au
princo que leur conduite avait blcssé ? La ficrté militaire put se
rofuseraecuo démarche , el je suis loin de les en blñmcr. mais
.i' ti i toujours l~Lé touché du témoiguago (IW' rendait aS('S vcrtus
1'( al! caracll'1't' de MADA'IE un vieux soldat , le maréchal Clausol.
1\ redisait avcc quelle houté la duchessc d' Angouléme cherchait
¿l réparer les inflexibles rigueurs que sa dynastie avait enes en-
vcrs les proscrits, Toutefois les doctrines n'avaient pas changé
dans le cceur de JUADAME; elle était royaliste comme la Chambre
dI' J1'115, opposée ¿l la marche du ministere depuis I'ordonnanco
<In J sept('mhre. Il y avait deux personncs dans JIADA:\IE, le
((PUl' de Iemme , fiel' mais hon , irritable quclquefois mais com-
patissaut , puis la letc politique , si ardcntc pour la religión et la
monarchie! M. le duc d' Angoulémc commoncait asentir le be-
soinde se ratracher tout il Iait al'armée; il avait déja cette géné-
rosité militaire qui luí Iaisait apprécicr sans souvcnirs et sans
rt"pngnancc les senices de l'Empirc et de tous les régimes, La
pcnsée de i\DI. de Ilichelicu et Decazes avait été de Iaire de
M. le dile d'Angonlémc un iutermérliaire pour la réeonciliation
de la vicillc armée de I'Euipirc avcc la Itestaurntion. Je dois en-
rore invoquer ici le témoiguago des généraux proscrita; quels
ordres donnait M. de Ilichclicu aux aruhassadcurs et aux consuls
;, lcnr ('gard? Se souvient-on de la hc]]e conduite de 1\1. Hyde
de Ncuvil'c aux Útats-Unis! Certcs , j'ai rcgrctté les mesures qui
les avaient r<·j('gués loin de la patrie dans une époque de réac-




208 mSrüIRE DE LA RESrAURATIüN.
tion et aprés le parjure des Cent-Jours , et M. de Ilichelieu ne
faisait que réparer les maux causés par la tempéte politique ;
mais en toute ehose il est bon de reudre justiee. La difléreuce
de pensée entre le miuistere et le partí patriotc était celle-ci :
Les Patriotes voulaient qu'on rappelát légalement et sans distinc-
tion tous les proscrits , tandis que 1\1. de Richelieu exigeait un
acte de soumission individnel , une sorte de reconnaissance,
d'adhésion aux faits aeeomplis. Était-ce trop imposer ? de
quelque maniere qu'on juge les événements des Ccnt-Jours , il
est impossible qu'on u'admette pas la culpabilité évidente , aux
yeux de la Ilestauration , des généraux qui avaient trahi au
20 marso Des lors, n'était-il pas dans les droits de cette Restan-
ratíon , gouvernement rétahli , de demander des adhésious
écrites, des aetes qui constatassent au moins qne l'on saluait
l'avénement des Bourhons? On peut trouver admirable aujour-
d'hui d'avoir bravé la famille exilée, ou de ne s'étre jamais ap-
proehé d'elle que pour la trahir ; libre a chaeun de proíesser de
tels sentiments.


lU. et lUm e la duchesse de Berri vivaient heureux dans cettc
intimité toute bourgcoíse qu'ils s'étaicnt imposée aux terups
dífficiles ; ils avaient eu quelques doulenrs domestiques, et la
jeune princesse était accouchée d'une fílle mort-néc, ( Hélas !
s'écriait le une de Berri , notro famille n'cst pas heurcuse ! » Le
partí patriote, exploitant les malhcurs de la dynastíe royale , fit
des lors eourir le bruit que la duehesse de Berri était incapable
d'enfantement et que les Bourbons de la branche ainé ne pour-
raient jamais avoir d'héritier de la couronne. Des pamphlets
clandestins étaient dirigés eontre l\I. le du e de Berri : on sentait
que de lui seul pourrait sortir un rejeton de la branehe ainée ,
et l'on s'efforcait d'éteindre d'avance toute espérance de la dy-
nastie. C'est la une des haincs les plus odieuses des partis ; ils
s'en prennent meme a la souree de la vie. Autour des Princes
ou des opinions se groupaient certains salons avec des couleurs
divcrses , et donnant l'impulsion aux partís ou a la direction du
Gouvernement. Depuis l'ordonnancc du [) septembrc, les salons




r.HAPITRE XIf. 209
qu'on appelait doctrinaires dominaient la politique du Cabinet:
romposé de gens d'esprit, de savants distingués , il Y régnait
cettecouversation aidées absolues et métaphysiques, cet orgueil
de la philosophie qui ne souffre pas la contradiction. La, se
montraient l\l. Royer-Collard avec sa parole élevée , spirituelle,
ces définitions de personues et de choses, qui iudiqueut si net-
tement et si doctoralemcnt les fautes, les périls du Couverne-
ment et des partis; lU. Guizot, si remarquable par sa maniere
neuve el profonde d'envisager les questions; mais ces qualités
éminentes étaient dominées par quelque chose de supcrbe et
d'égotste; l\l. Guizot enseignait toujours, et il enseignait froi-
dement et inflexiblement , comme en général toute l'école géne-
voise et protestante; l\l. de Barante , plus modeste , conservait
une douceur de forme et un esprit tout afait inoffensifs; ses
manieres avaient quelque chose de simple, et sa conversation
ne se ressentait pas du cercle altier auquel il appartenait; ]U. le
duc de Broglie, d'une science profonde et variée , d'une parole
fuelle qui semblait signaler une haute aptitude , bénédictin poli-
tique plutót qu'homme d'affaires et d'action ; 1\1. de Mirbel ,
savant gracieux , dans I'intimité de ]U. Deeazes, placé dans l'ad-
ministration comme un accident de sa vie scientifique; lU. Ville-
main , jeune encore , possédant déja cette facilité d'élocution
brillante et quelquefois railleuse. Tels étaient les salons doetri-
naires, OU venaient se grouper les uuiversitaircs de second ordre ,
tetes d'études et de pensée, On s'y occupait de gouvernemcnt ,
de brochures , de conduite parlementaire dans la Chambre. La
plupart des hahitués des salons doetrinaires appartenaient au
ministerc, Tous étaient liés avec l\l. Dccazes. 1\1. Iloyer-Collard
dirigeait l'instruction publique; ~1. de Barante était directeur-
g('néral des eontributions indirectes; l\l. Yillemain a la tete de
la presse et des journaux , au ministere de la poliee. lU. Guizot,
longtemps secrétaire général du ministcre de la j ustice , avait
':~Ié nonuué conseiller d' I~tat en scrvice ordinaire , J11. de lUirbel,
maitre des requétes. Les écrits des doctrinaires avaient peu de
popularitó ; la maniere élevéc, ahstraitc dont ils traitaient les




210 m5TüIRE DE I~A RE5TAURATION.
questions, bornait extrémement le cercle de leurs lcctcurs, La
société francaise n'était pas aussi avaucée dans son éducation
politique : il lui fallait des Iivres élémentaires , des écrits quí
parlassent vivement et sirnplemcnt 11. l'imagination. Le par: i
libéral eomprenait mieux cette situation du pcuple : il sut mieux
s'en emparer.


Les salons du lihéralisme étaient divises en deux classes,
1\Il\l. Laffitte et Gévaudan réunissaient plus particulierement les
Bonapartistes; 1\1. de La Fayette accueillait les vieux patriotes ;
et l\I~I. Delessert et Ternaux, la fraction modérée de ce parti ,
qui se rapprochait du centre gauche. l\l. Laffitte était le véhicule
le plus puissant , pour attirer autour de lui cette société de gens
de lettres qui se groupe toujours autour de qnelque sommité ,
et s'abaisse devant une aristocratie tout en niant sa puissance. Il
Iaut le dire 11. l'éloge de l\l. Laflitte , c'était alors le hanquier
d'une multitude de jeunes talents qu'il poussait dans le monde
littéraire et politiqueo Voulait-on élevcr un homme remarquable,
mais pauvre , 11. la tribune, l'L Laffitte s'empressait de faire les
fonds; aucun sacrifico ne lui coútait. S'agissait-il d'établir un
journal dans l'intérét de la cause qu'il défendait , M. J~a1Iiltc
Iouruissait le cautiounement et les frais d'établissemcnt de la
feuille libérale. Plusieurs journaux devaicn t leur existcnce il
1\1. Laflitte ; plusieurs gens de Iettrcs Jeur position; ce proteo-
torat n'était pas d'ailleurs tout ¿l fait désintéressé. 1\1. Laflille
était , avant tout , homme de parti : détcnteur de la fortune de
Napoléon , il en faisait un nsage favorable 11. sa canse. Dans ses
salons se réunissait tout ce que le parti libéral avait de plus spi-
rituel el de plus élevé : ,,1. Manuel, dont la parole Iacilcel décla-
iuatoirc, dont l'úmc éncrgiqne étaicnt si propres an rñlc de trihun,
el que ,,1. Fouché avait pourtant rauaché ~I son départcmeut ; le
général Foy, talent admirable, si pleiu d'élévatiou , de généro-
sité , de convcnancc : c'cst une de ces réputations {fui COlHTC' de
son honneur les trames souvcnt peu loyalcs du partí libéral ;'1. de
Béranger , chansonnier hahituellcmcnt si freid el si mclaucnliqnc.
dont les pindariqucs coupleis allaicnt r~V('iJl('r tomes les svmpa-




CIIAPITRE XII. 211
thics populaires ; je considere ,1. de llérangcr COl1lll1C l'instru-
ineut qui a íait le plus de mal a la -"lIaison de Bourbon. II attaqua
[out de sa lene moqucuse ; il releva le vieux drapean révolutiou-
naire; Ses chansons d' Octucic el du ..Sacre Irappercnt au cceur
la hrauchc ainéc ; on opposa des peines el la prison ü une arme
si puissante, C'cst toujours ainsi (jue les dyuasties proccdcnt : la
prison contrc le talcnt ! comme si le talcut ne se réveillait pas
plus énergiquc par la persérution! Paul-Louis Courier , pamphlé-
taire, autcur soldatcsquc, érudit , pédaut, qui parlait au peuple
counuc les orateurs sur les hustings de Londres; 1\1. Étienne ,
jnurnaliste Iécond el mordant , ayant surtout cette parolc vive,
cette phrase qui va aux masses : M. Jay, taleut Iroid , mais pur,
aj ant d'ancicnnes habitudes ct de vieilles affiliations avcc le pou-
voir: :\]. de Jouy, alors al'apogée de sa réputation par les récen-
tes publicatious des Hcruutes ; sa petitc vanité d'auteur aurait été
si Iacilcmeut satisfaitc par des ministres qui l'auraient comprise.


Les salons de ;\1, de La Faycttc attiraient apeu pres les mémes
pcrsonnages ; mais e' était moins des littérateurs que des hommes
d'actiou qui se réunissaient chez le vicux général de la garde
nationalc. ,,1. de La Fayeltc était csscntiellcmcnt Iaiseur de
projets , les id(~es d'insurrectiou , de la priso de la Bastille rcvc-
naicnt ason esprit avec le cortége des trois coulcurs , du mou-
vemcnt des halles et des rues. 11 conseillait les conspirations
avcc bonhomie , comme si c'était la chosc du monde la plus na-
turelle ; la se reudaient les vieux patriotcs : JI. Tissot , causenr
spirituel el ahondaut, plus encoré que savant profcsscur, aunale
vivantc de la Ilévolution qu'il avait u-avcrséo conuue actcur, et
tlp I'Empire qu'il avait serví avec dévoucmcnt ; JI. Bcnjamin-
Constanl, dont j'ai dépeint le caractcre : M. Daunou, talen t
distingué el jaloux , trop euclin h l'esprit rl'académic et de per-
S(:C11 tion de la vieille littérnture contre les jeuncs réputations ;
,1. Couue , jurisconsulto d' une certaine théorie , mais a la parole
posante de l'écolo g(~ne'oise. Il rédigcait le Ccnscur Europécn~
qu'uue mesure ministóriclio avait pcrsécuté , ct qui était hien le
jourual de l'oppositiou le moins propre il rcmuer les masscs;




212 ITJSTOInE DE tA RESTAURATIO~.
autour de ces tetes de colonnes se groupaient des écrivains plus
obscurs. Le systcmo représentatif , OH, pour parler plus exar-
tement , la vivacité des partis avait élevé ~l toute la hauteur
des écrivains , de jeunes hommes qui sortaient de l'adruiuistra-
tion ou des armées de l'Empire ; ils ahandonuaient l'épée des
grandes batailles, ct se jetaient avec un talent moins parfait,
mais plus original, dans la polémique des brochures et des
journaux; les opinions de ces écrivains se ressentaient de cette
activité , de ce courage du champ d'honneur : ils écrivaient avec
de la poudre, comme on le disait alors, De la ces querelles mal-
heureuses, ces rcncontres multipliées qui causerent, plus tard ,
dans les deux eamps la mort de plusieurs officiers distingués ,
et particuliérement de 1\DI. Saint-Aulaire et Saint-Marcellin.


Le due de Choiseul , écarté par quelques préventions ,
d'une famille a laquelle il s'était si eomplétement dévoué aux
temps d'orage , s'était jeté, comme son aíeul , dans l'opposition.
Le duc de Choiseul possédait d'cxccllcutes manieres, un esprit
élevé , un caractere actif , un besoin d'affaires et de mouvement.
Il avait eette générosité de la haute aristocratie , l'apparat d'une
table ouverte , d'un salon toujours au serviee des gens de lettres
qui ne conservent pas toujours leur dignité. Ce n'était poínt une
opposition de renversement qu'il faisait, mais une oppositiou de
popularité. C'était une espéce d'exil ü Chanteloup qu'il voulait
imiter. Ses réunions , comme cclles de l\I. de Ternaux, n'étaient
point hostiles a la l\Iaison de Bourbon; elles se rapproehaient du
ministere toutes les fois que celui-ci s'éloignait de l'opinion roya-
liste ardente. Cette opinion royaliste avait aussi ses salons el ses
écrivains , moins usés, avec des saillies plus mordantes, plus
élevées que celles du parti libéral , quoique moins populaires.
l\I. le eomte d' Artois lui-méme , dont la causerie était char-
mante , pleine de gráce et d'a-propos ; 1\1. de Vitrolles, si ai-
mable, de si bonne compagnie; ]\J. de Cháteaubriand , si au-
dessus de tout ce que l'opposition Jibérale pouvait oílrir counne
écrivain de grand style; ",nI. de Castclbajac, Cornot d'1ucourt ,
satiriqucs , spirituels , maniant le pamphlet , les journaux <'t la




CHAPITRE XII. 213
parole de tribune ; :.\1. de Bonald, réputation philosophique trans-
cendante; M. d'Herbouville, dissertateur habile , lU. de Fontanes,
si admirable causeur; l\I. Bertin de Vaux, que je considere
comme l'écrivain qui savait le mieux préciser un de ces articles
d'apparat , programme du Pouvoir ou d'un parti ; lU. lUichaud,
dont la conversation fine, mordante, était le type de bon goüt
et d'esprit, Je me souviens d'avoir entendu, dans les derniers
tomps de la Ilestauration , quelques-uues de ces causeries dans
lesquelles on préparait un pamphlet, un discours 'de Chambre ,
une propositíon royaliste, et j'avoue hautement que rien dans
la vie n'a plus vivement frappé mon esprit; jamais tant de supé-
riorité et d'élévation. Si dans ma carrierc politique j'ai pu voir
et entendre toutes les nuances d'opinion , des esprits de toutes
les portées , je dois déclarer ici que rien ne m'a laissé d'impres-
sion plus profonde que ces grandes discussions royalistes, que
ces débats politiques , si éloignés en tout point de la société de
M. Piet, étroite et mesquine expressiondes hommesavue courte
du partí.


Ces sociétés d'opinions si diverses agissaient néanmoins sur la
marche du Gouvernement. Les lois d'octobre 1815, qui sus-
pendaient la liberté de la presse et la liberté individuelle, ces-
saient (le plciu droit h la fin de la session, Ces lois avaieut été
ohtenucs par M. Decazes , de la majorité royaliste de 1815,
alors intimement unie 11 lui. Mais aujourd'hui les Iloyalistes,
devenus minorité, ne voulaient plus accorder aucun acte de
confiance au ministere promoteur de l'ordonnance du 5 sep-
temhrc. Les Royalistes, cessant d'étre pouvoir, voulurent ob-
tenir toute la popularité que donne l'opposition , cela se voit
pour tous les hommes et pour tous les partis; et quelle meilleure
occasion pouvaient-ils choisir que celle qui leur permettait de
flétrir les lois d'exception , de réclamer la liberté de la presse
et des journaux, d'invoquer les principes de la liberté iudivi-
duellc! Des le commencement de la session , 1\1. de Castelbajac
avait Iait , 11 la Chambre des Députés, une proposition contre
la censure des journaux. Selon 1\1. de Castelbajac, le Gouverne-




21.4 HISTOIRE DE LA RESTAURATI01\'.
ment représentatif ne pouvait exister sans donner naissance au
concours des opinions; « qu'on precise les conditions de cette
liberté, mais qu'on la donne; une ere nouvelle s'annonce; la
légitimité s'est assise sur le trñne ; il faut qu'a de miserables
pamphlétaires qui inondent la campagne de leur perversité les
Royalistes puissent opposer l'énergie de leurs opinionset de leurs
principes. » Le ministre, avantde sejeter dans cctte discussion ,
avait consulté les doctrinaires pour savoir s'il aurait appui , et
MM. Iloyer-Collard , Courvoisier, Camille-Jordan lui-mcme ,
promirent de le scconder pour l'adoption des deux lois qu'ils
considéraient comme impérieuses dans les circonstances ac-
tuelles, Ces circonstances étaicnt encore , en eílet , tres-graves.
Je ne parle pas sculernent de l'occupation du territoire par les
alliés, situation qui demandait tant de méuagcmcnts : je IW
parle pas seulcmcut des partís agit(·s; jc rappello le rrlH'¡
aeeident de l'intcmpéric ct des malheurs de la saison, La
famine se montrait déja hideuse , et avcccllc la révolte des po-
pulations. Derriere cettc cause prcmicre d' érnotion se cachaient
les partis agitateurs. On profitait des craintes, on exploitait la
rarcté des grains , les tumultcs des marches. te Gomerncmcllt ,
dans cette position difficile , avait besoin de pouvoirs extraordi-
naires, Qu'une épídémie éclate , qu'uu grand desastre se montrc ,
que de frayeurs ne jette pas dans les esprits cctte presse tou-
jours exagérée dans ses récits! Supposons les journaux libres
lors de la famine de 1817, les imaginationsse seraient alarmécs;
la peur du danger aurait accru le danger méme, Sous ce rap-
port peut-étre les lois d'exceptiou furent nécessaircs. Je préfere
toujours un pouvoir qui avoue le danger, pour réclamer un loyal
appui, il un pouvoir qui, mort de peur, grimacant la légali té ,
se défcnd par des vexations mesquiucs,


1\1. Decazes, qui avait montré tant de dédain ü l'occasion de
l'aITaire Robert, mit cepcndaut beauconp de soin ajustifier sos
deux projets sur la suspensión de la liberté des journaux ct de
la liberté individuellc. Ces deux lois n'étaicnt plus aussi arbi-
traires que le régime des lois d'exccption demandées par les




CHAPlTRE 1.11. 215
Ilovalistes en 1815. On ne pouvait plus obtenir de la Chambre
de scmblables conccssions. Les idées avaieut fait trop de progreso
Sclon le projet de M. Decazes, tout individu prévenu de com-
plot ou de machination contre la personne du Roi ou la süreté
de l'État pouvait étre arrété sans qu'il füt nécessaire de le tra-
duirc immédiatement en justice; le geñlier devait remettre la
note des arrestations des prévcnus au procureur du roi, lequel
procédait a l'interrogatoire transmis ensuite au ministre de la
justice : toutes les nutres dispositions des lois de 1815 étaient
abrogécs ; et la nouvel1e devait cesser de plein droit au 1er jan-
vier 1818. Le projet sur les journaux contenait un article unique.
Les journaux ne pouvaient paraitre qu'avec l'autorisation du Roi
jusqu'au 1er janvier 1818 : par la, la censure était implicitement
maintenue ; les deux cxposés des motifsde M. Deeazes reposaient
sur l'éteruclle doctrine de nécessité ; tous les pouvoirs en sont
réduits , sur les lois d' exception , ~l peu pres aux méme phrases;
et , a vrai dire, l'on pourrait se dispenser d'ergoter. Quand on
vcut de l'arbitraire, il faudrait le dire franchement.


Le projet de loi suspensif de la liberté individuelle fut vive-
ment discute dan s les bureaux. L'opposition de droite ne voulait
pas couíicr un pouvoir aussi exorbitant au ministre {fui en avait
usé el abusé coutre les Iloyalistes mémes , témoin l'affaire Ro-
bert. Les doctrinaircs , rapprochés du ministere , se soutinrent ,
et .M. de Senes fut designé conune rapporteur de ee projet , et
en justifia les dispositious, A la trihune , rien ne fut plus violent
que les attaques du partí royaliste coutre le ministere. lU. de
Yillele s'éleva fortement centre le systeme de lU. Decazes, et le
placa en contradiction avec lui-méme. Le ministre avait dit ,
dans son cxposé des motifs , «que la salutaire in11uence du Gou-
vcruemcnt avait ramcné la tranquillité publique» ; alors, eolll-
ment recourait-on ades 101s d' cxceptiou ? « En t 815, continuait
11. de Yillele , l'armée francaise était licenciée , les cours de
[usticc étaient désorganisées ; la plupart des chefs des administra-
tions départemeutales venaient d'etre ehangés; la France sortait
péuihlemeut de la plus violente crise politique et la plus terrible




216 HISTOIRE DE LA BES'fAURATlO.\.
a laquelle ce malheureux pays ait été jamáis en prole, Aujour-
d'hui ce ministre vient déclarer que l'heureuse influencc du
Gouvernement du Roi a fortifié toutes les parties de l'ordre so-
cial. Je n'ai ríen a ajouter au tableau tracé par le ministerc ,
poursuivait .1\1. de VillCle; dans une tclle situation heureusc ,
l'empire des lois d'exception doit cesser. )) « Avant le 20 mars,
répondait .1\1. Duvergier de Hauranne , le respect pour la liberté
individueIle aIla jusqu'a l'imprudence. Une loi semblable acelle
du 29 octobre 1815 anrait pu déconcerter les conspirateurs: ce
jour fatal arriva sans que l'on eüt rien fait de réel pour empé-
eher eette eatastrophe. Cette seule raison suffit pour adopter la
loi présentée par le ministre. JI y a dans l'intérieur des révolu-
tionnaires endurcis , des partisans de l'usurpation : il est utile
de leur inspirar une crainte salutaire. » « Quelle est done notre
position? s'écria 1\1. Castelbajae. la Charle consacre la liberté
de la presse et la liberté individuelle, et nous n'avons ni l'une ni
l'autre de ces libertés ! la France a-t-elle a redouter une révo-
lution nouvelle? la royauté est-elle de nouveau en péril? Ah ! s'tl
en est ainsi , que le Roi soit investí d'un pouvoir sans limites!
l\Iais si , gráce ala Providence , la France est paisible, suspen-
dons des lois extraordinaires qui ne font que compliquer notrc
situation. lU. de Salaberry plaisantafinement le ministere sur ses
protestations de prospérité publique: ( Tout est bien, tout est
prospere; les électious vont étre libres; les eris plus de nobles!
plus de prétres l ne se feront plus cntcndre par ordre sous la
monarchie des Bourbons; les députés des départements seront
choisis parmi les hommes les plus estimableset les plus estimes ,
les plus indépendants ; les bases de l'instruction seront l'amour
de Dieuet l'amour du Roí. Vous ne pouvez vous refuser de eroire
qu'iln'existe plusqu'une douzaine de jacobins dont on se moque,
et cinq asix misérablesvisionnaires. )l Aj.nsi, la droite se séparait
des lois d'exception. lU. Camille-Jordan se félícita de rencontrer
danslesnoblesvoies constitutionnclles lesplus ardents défenscurs
du pouvoirroyalmystérieux, absolu. l\I. Camille-Jordanconsidé-
rait le projct de loi conune une trausition hcurcuse et nécessairc




CHAPITRE xu. 217
pour arrivcr ~l la liberté avec toutes ses garanties, lU. Ravez,
oxpression du centre droit , parla également en faveur du projet ,
de sorte que le systeme ministériel fut soutenu par lesdeux cen-
tres et par tout le parti doctriuaire, L'opposition royaliste se
trouvait en communautéde doctrine libérale avec quelques voix
de l' extreme gauche , et particulierement avec lU. Voyer-d'Ar-
genson. Cette alliance signalait un danger possible dans l'avenir ,
et menacant pour un ministere s'appuyant exclusivement sur les
deux centres. Par I'instinet naturel des partis, les deux extré-
mités devaient un jour se réunir, et I'extréme gauche grossis-
sant aehaque session , préter ses forces aux petites combinaisons
de la droite : MM. de Serres et de Courvoisier se dévouerent
tout a faitala défense du projet du Gouvernement. 1\1. de Cour-
voisier attaqua méme avec violence le partí royaliste : « Le Roi
.1 vu l'état vrai de la France lorsqu'il a rendu l'ordonnance du 5
septemhre ; ses paro1es a la Franco ont oífert une garantie nou-
"elle ala liberté, ala süreté, ala propriété. » Dans eette agita-
tion des opinions et des partís ala tribune, lU. Decazes prit la
paroleavec solennité, Il défendit son ministere de la police, vio-
lemrncnt attaqué par I'opposition. Le ministre fit de la déclama-
tion usée, parla de la dictature , de la robe consulaire , de la
roche tarpéienne qu'il cuvisageait sans eílroi : « Le Roi compre
sur l'amour de son peuple , le peuple sur l'amour de son Roi. »
011 voulait en venir le ministre avcc toutes ses phrases d'amour
et de dévoucment envers le Roi et sa famille? Cela s'expliquepar
sa position. Tout ministre favori d'un roi, accusé par un parti
de trahir son maitre , doit redouhler d'expressions chaleureuscs
et fortes. JI. Decazes ne parlait pas seulement a la Chambre, iI
parlait encoré pour le Roi, pour le Cháteau , afiu que le soir, a
l'ordre , I ..ouis XVIII le remerciat de son zele : jamais ministre,
tout en faisant des coneessions aux idécs Iibérales, n' eut un
langage plus essentiellernent royalisto , et son discours entraina
le vote de la 10i.


On passa des lors 11 la discussion du projet sur les journaux ,
nouvelle loi d'exception dont la minorité royaliste voulait en-


It 19




218 IJISTOIRE DE LA HESTAUlATlOl\.
core moins que du projet sur la libertó individucllc, II est dans
la nature de l'opposition, dans quelque main qu'clle soit placee,
de réclamer la liberté de la pressc , arme immense pour prépa-
rer le triomphe : et quel est le partí qui dédaiguc une arme
puissantc? l\I. de Castclbajac, défcndant loujours la liberté de la
presse, attaqua le rapport de .'1. Itavez. « Le rapporteur nous a
promis que la censure serait modérée , et pourtant j 'ai vu , et
chacun a vu comme moi des députés , des pairs de Franco in-
j uriés, calomniés dans les journaux censurés et payés par le
Gouvernement. On nous accuse de réclamér les priviléges dé-
chus; ah! qu'on me permcttc de leur dire : n exista autrefois
une classe appelée noblesse; cclle-la s' cnsevelit SOUg les débris
du trñne. Restes malheureux de la famille des rnartyrs , le sang
de nos peros coule cncore , il est vrai dans nos vcines ; mais, au
110m de notre patrie, que le souvenir de l'honorablc infortuuc
des générations passées ne soit pas un titre de méfiance pour les
uoms qui peuvent s'v lier encere. Amour du Iloi , amour de la
France , abnégation de nous-mémes , cntier oubli du passó , tcl
fut le testament ensanglanté de nos péres ; nous lui serons
fideles, )) Ces nobles parolcs furcnt applaudiespar les rribuncs, ct
le président fut obligé d'imposcr silcncc. Les doctrines de liberté
furent hautement défenducs par 1\1. de Labourdonnaye , el le
projet de censure encore soutenu par 1\1. Duvergier de Hau-
ranne et par les doctrinaires. L'opinion la plus imposante centro
la liberté des journaux fut celle de M. Iíover-Collard : ( Les
journaux, disait l'orateur , sont des écrits particuliers qui , al-
lant trouver le public et se reuouvelaut sans ccsse conune la
parole, participent de la nature des allocutions publiques. On no
doit pas méconnaltre que la oú il Ya des partis, les journaux
cessent d'étre les organcs des opinions individuelles , mais que,
voués aux intéréts qui s'cu emparent, vouésaleurs intéréts, in-
struments de leur politique , théátre de leurs combats , leur
liberté u'est en v('rité que la liberté des partís déchainés. -
C'est pour cela, répoudit M. de Yillelc , que vous allez mett re
dans les mains du ministre la direction de tous les journaux ;




CHAPITnE XIf. 219
YOUS l'établisscz ainsi seul dirccteur de l'opiuion publique en
France, vous le faites seul juge du compre que vos journaux
donneront de vos séances rvous lui donnez les moyeus de faire
auaquer vos opinions ; vous placez les députés de la France ala
discrétion du ministere. J' ai dans les mains l' épreuve d'un jour-
nal oú l'opiuion de )1. Corhierc , conunc rapporteur de la
connnissiou , était rayée par la maiu des censeurs. - J e propo-
serai , ajoutc spiritucllcmcnt JI. Cornet d'Iucourt , un pctit
rhangcmcnt de rédaction : ne cherchons pas a déguiser l'arbi-
traire sous une forme de légalité ; je propose de dire : La liberté
de la presse est suspcndue en ce qui eoncerne les journaux; le
Couverncment en dispcscra conuno il jugera convcnable. »
Corte saillie excita le plus vive hilariré dans l'assemblée. Le scru-
tin donna J21') voix pour, et contre H9. C'étaicnt dcux houlcs de
iuoius pour le ministerc que sur le proj«t de la liberté indivi-
duclle, Dcux voix du centre droit s'étaient done détachécs. La
Chambrc des Pairs adopta égalcment les lois d'exceptíon ; mais
il dut résulter pour le miuisterc cette conviction qu'il lui serait
désormais impossiblo d'ohtenir la contiuuation des pouvoirs ex-
traordinaircs. Quaud OIl examine la situation du Couvcrnemeut
el des par!IS, tou tes les Iois (IU' il s'cst agi de loiscxceptionnelles,
on doit se couvaincreque les hommes politiqucs cliangcnt d'idées
el d'opiuions sur ces mesurcs , II raison qu'ils appartieunent II
l'opposition ou au gouvcrncmcnt. Je n'ai pas HI un personnnge
important qui, arrivé au pouvoir, n'ait sentí d'une autre maniere
qu'alors qu'il était chef de parti , et n'ait soupiré apres ces lois
d'cxccption qu'il avait flótries, comme mcmbre de l'opposition ,
ü la tribnne ct dans tous les journaux.


La Chambre s'ahsorbait dans des discussions politiques et
toute la Franco étaít préoccupée de la question des subsistauces,
On était ü peine 1l la fin d'un híver freid ct désastreux. Le man-
que de graius et de fariuc se faisait vivcmcntsentir, et la fraycur
accroissait encere Ie mal. J'ai dit que les agitateurs avaient pro-
flté des terrcurs populaircs ; sur plusieurs points du territoire
des révoltes avaicnt éclaté. Dans presque tous les marchés , on




220 mSTOInE DE I.A RESTAURATlON.
avait arrété la libre circulation des grains; des paysans avaient
pillé les charrettes chargées de subsistances: la force armée était
demeurée impuissante. Il y avaiteu une véritahle révolte 11 Chá-
teau-Thierry; des communes s'étaient insurgées; a l\1ontargis
éclataient des démonstrations menacantes ; les hussards de la
garnison avaient été assaillis 11 coups de pierre et de fourche; ce
n'était qu'aprés de grands efforts que l'on était parvenu a arréter
le mouvement, A Gien, le peuple avait voulu lui-rnéme taxer les
grains. A Pithiviers et ~\ Thierry (Puy-dc-Dóme ) , on devait a
l'intervention des officiers en demi-solde le rétahlissement de
l'ordre; aChátillon-sur-Seine, le peuple s'était porté ades exces
iuouís. Le sonlevement des campagnes des environs de Lyon
offrait tous les caracteres d'un mouvement pnlitique ; aSens, la
garde nationale avait passé dans les rangs des mutins , ou avait
refusé de Irire son service : elle fut dissoute. te Gouvcmement
dut déployer de la vigueur; il le fit avec une énergie utile sans
doute , puisqu'elle tendait a conserver l'ordre et ~\ ramener aux
marchés les fermiers qui s'en écartaicnt par la crainte : mais il
y cut du sang versé, et le sangrépugue toujours, lorsque surtout
ce n'est pas le crime qu'on punit , mais le désespoir el la dé-
tresse. On a beaucoup parlé, acettc époque , des mesures rigou-
reuses qui furent prises par le Gouvernemcnt contre les auteurs
du mouvemeut de Lyon. De nombreux :\lémoires ont été pu-
bliéssoit par le général Canuel, soit par ]U. "de Sainneville , soít
cnfinpar le colonclFavier ; certes, jamais mouvemcnt populaire
n'a été mieux éclairé et livré plus ouvertement a la discussion.
Le premier besoiu de l'autorité est de se conserver : jc ne com-
prendrais pas un pouvoir qui s'abandonnerait et ahandonnerait
la société; qu'on n'accuse done plus la Ilcstauration d'une ré-
pression vive et nécessaire.


Le défaut de subsistances ne fut qu'un pretexte au souléve-
ment que prépara le partí patriote et bonapartiste dans les coin-
munes qui environneut Lyon: il serait difficile de croire , comme
l'a publié l\l. de Saíuneville , que le mouvement fut complétc-
ment l'eeuvre de la police ; les partís ont un intérét aprouver




CHAPITHE XII. 221
cette exclusive intervention de la police : c'est leur rñle. Dans
un mouvement , quel qu'il soit, il Y a toujours de la police;
mais quand il y a attaque a main armée, lorsque des communes
soulevées marchent de concert dans un but commun et avoué
de renverser le Gouvernement, il est impossible de ne pas voir
et saisir une révolte flagrante. Maintenant qu'on dise que,
comme dans J'affaire de Grenoble, le général augmenta le dan-
gel' pour agrandir les services ; que le préfet du Bhüne , l\l. de
Chabrol, imita l' exemple du général, et fit de pompeux récits
de ce qui s'était passé , tout cela est possible , il est dans la na-
ture des autorités d'ainsi procéder ; elles aiment a faire des
bulletins de grande année pour la moindre échauffourée. La
cour prévótale se montra impitoyable , et je ne saurais assez
flétrir ces tribunaux d'exception qui, passagers dans le sane-
tuaire de la justice , l'ensanglantent comme pour y laisser la
trace de leur nature exceptionnelle. Cours prévótales , commis-
sions militaires, toutes ces juridictions instituées pour donner
a la justice un cours inaccoutumé, font peser sur les gouverne-
ments d'épouvantables souvenirs, et n'ont jamais servi a leur
donner quatre jours de plus d'existence.


A coté des mesures séveres et souvent cruelles , le Gouverne-
ment prit égalcment quelques résolutions de prévoyance sur les
subsistances. Des articles de journaux, des instructions popu-
laires furent rédigés pour ramener la confiance et éclairer les
cultivateurs. 1..e pain s'était élevéaParís avingt-quatre sous les
quatre livres ; on le vit descendre a vingt et ~l dix-huit par la
seule action administrativo. Les transports furent multipliés,
des secours accordés aux départements le plus en souffrance.
tes Chambres avaicnt accordé un crédit; il fut employé el dis-
tribué avec intelligence. La mesure qui donna une prime de
5 francs par eharge de blé importé en Franco fit plus que les
précautions du Gouvcruemeut, L'activité du eommerce suppléa
~l toutes les insuffisances, iU. de Ilichelieu , ancien gouverneur de
la Crimée, savait toutes les ressources en grains que pouvait
fournir la me!' Noire , et le Gouvernement dirigea sur ce point




222 mSTüIRE DE lA RESTAURATION.
les spéculations. Des hénéfices íurent faits par les négociants
d'Odessa , quoiqu'ils fussent tardivement arrivés. Bientót les
blés devinrent ahondants sur les marchés ; ils tomberent mérnc
avil prix. Il faIlut, quelquesannéesapres , prcndre des mesures
dans l'intérét de la propriété productivc. La combinaison des
marches régulateurs fut modifiée.


Toutcs les autres affaires administrativcs étaicnt peu de chosea
coté de cette grande question des grains et d'approvisionnement,
M. Lainé s'occupa , apres la session , de résumer les votes des
conseils généraux , el de recueillir l'expression de leurs vccux.
C'est depuis son ministere surtout que ces votes furent publiés el
soumis aux Chambres. Les conseils généraux désignés par le mi-
nisterc de l' intérieur, parmi les grands propriétaircs et les indus-
tricls du prcmicr ordre , n' étaicut pas sans doute l'expression
sincere et complete de l'opinion publique: rnais il était impos-
sihle de nier pourtant qu'ils ne rcpréseutassent les sentiments au
moins des classes élcvées , qui seules doivent prendre une part
large et active ~l la politique et a la haute administration des
i~tllts. Ces vrnux étaient dans la plupart des départements ern-
prcints d'un caracterc royaliste dans le sens de la Chambra de
1815, par conséqucnt dans l'esprit de l' oppositiou monarchiqno
de la Chambre de 1816. Il Iallait en tenir compte. Le ministerc
avait écrit aux préfets d'user de toute leur influence pour miti-
gel' l'expression de ces HCUX. Néauuroins , plusieurs conscils
générallx dcmandcrcnt le rétablissernent des corporations in-
dustrielles et des agrógations religieuses , et que l'onseígncmcnt
lcur Iút confié ; d'autrcs encere que les registres de l'état civil
íussent rcndus lIU clergé, que le droit d'ainesse Iüt rétabli , les
majorats constitués , les forüts conservécs , et plusieurs vceux
de cctte naturc , lcsquels semblaicnt émanés des opinions de la
majorité de la Chamhre de 181:l. Ce fut alors que M. I,lIiné,
pour accroltrc l'iuflucnce des préfcts , leur ouvrit le conseil gé-
uéral ; ils purent assistcr ü lcurs séanccs, et comhattrc les sen-
timcnts opposés an Pouvoir. En ce qui iouchait la politiquc,
M. Lainé prépara la série des départcments dans l'ordre qu'on




CHAPITRE XII. 223
devait suivre ponr la réélection de la Chamhre par clnquieme ,
complément de la loi des élections. tes séries furent ensuite
tirées au sort par la Chamhrc. M. Lainé favorisa I'établissement
des écoles a la Lancastrc, Depuis les Cent-Jours , ces écoles
étaient presque ahandonnées ; la derniere Chambre les avait
proscrites , elle avait raison : qu'est-ce qu'un enseignement tout
matériel qui fait de l'intelligcnce un mécanisme sans Dieu? Le
ministre rencontra dans quelques départements l'opposition
vive et constante du partí royaliste , qui couvrait d'une protec-
tion spéciale les fréres des écoles chrétiennes. En mérne temps
l'ordre de Saiut-ñlichel était reconstitué pour récompenscr les
services reudus dan s les arts et les sciences. Les savants les plus
distingués , les artistes recurent eet insigne; le Gouvernement
relevait égalcment le vieux chapitre de Saint-Denis dans toutes
ses prérngativcs ; il Y avait dan s eette mesure tout a la fois
une pcnsée pieuse ct poli tique. On voulait faire du chapitre
de Saint-Denis un moyen de réeompenser, par une honorable
rctraite , quelques-uns des vieux évéques récalcitrants au con-
rordat de l'an X, et favoriser les négnciations de )1. Blacas a
Ilome pour le concordar, I: l~cole Polytechnique reconstituée
fut placée sous la protcction du duc d'Angouléme. Le ministre
appelait un prince si rapproché du treme a étre le protccteur
d'un étahlisscmcut qui Iournissait a l'armée de si précieux
officiers,


L'administration de M. Lainé fut en général travaillcusc ,
quoiqne le ministre fút plutot pcrsonncllement hommc politique
qu'administratcur ; il rétahlit l' École des Arts ct Métiers a ch<i-
lons el l'administration des travaux puhlics de París. Aucun mi-
nistre n'('1I1 de nH,j]I('Ul'('S intcntions et un plus vif désir de se-
rondcr l'action hicufaisautc du Couvcrnemcnt du Bol. SOllS son
ministerc s'accomplirent pcut-étre les plus grands changcments
de préíets. L'administration avait été romanice de telle maniere
en J8'1;), ([U' il était impossihle , avcc ]'esprit nouveau de la
Charnbre de 1816, de laisscr un pcrsouncl ainsi organisé. Des
Iaiblesscs ct des incapacités administrntives avaient été consta-




22h HISTOIRE DE LA RESTAURATlON.
tées dans la crise des subsistances qui avaient affiigé les dépar-
tements cette année, Enfin le motif réel déterminant était que
dans la position OÚ se trouvait le ministere , il fallait de toute
nécessité qu'il se placát quelques amis politiquea qui secondas-
sent l'action ministérielle dans la Chambre des Députés, Ce fut
en conséquence de ces motifs, que des changements furent ar-
rétés dans les préfectures. Il yeut des mutations de résidence.
Le barón de Talleyrand fut préfet du département de Vauduse;
M. de Germiny , de l'Oise; le comte de Choiseul , du Loiret ;
M. de Rémusat, du Nord; ~I. Poiferré de Cere recnt la pn~­
Iecture des Deux-Sevres , M. Bastard de l'Étang celle de l'Isere ,
l'un en remplacement de M. de Curzay , l'autre de l\'I. de Sartige ;
M. Coste fut préfet de la Mayenne; le vicomte niccé, de la
Meuse ; l\I. de Lamorelierc , de l'Orne; ~BI. Creuzé de Lessert,
de l'Hérault; Allan de Yilleneuve , de la Charente ; de Balzac ,
de Tarn-et-Garonne; Moreau , de la Lozere, On remarqua que
les préfets de couleur modérée et presque libérale recurent de
l'avancement. M. de Germiny était intimement lié ~l !\l. De-
cazes. C'était un homme de modération , qui fut plus tard ap-
pelé a la pairie. M. Lezay de ñlarnésia était l'ancien préfet du
Lot dénoncé par 1\1. Syries de ñlarvnbac , et qu'on avait déja
avancé dans la hiérarchie, lH. de Rémusat s'était toujours dis-
tingué par un caractére honorable et une certaine considera-
tion politiqueo M.M. de Villeneuve étaient également les hommes
les plus recommandables parmi les administrateurs de l'Empire
et de la Restauration. Sous ce rapport , M. Lainé n'avait aucun
préjugé, et des qu'il trouvait un caractere digne et capable , 11
le poussait aux aífaires, Quelques destitutions porterent sur les
RoyaJistes; il Ycut, comme on doit le sentir, une vive et puis-
sante opposition dans ce partí. Les opinions exagérées qui font
un changement ne peuvcnt pas se persuader qu'on n'a bcsoin
d'cllcs qu'au jour du combat , ct qu'ensuite , lorsqu'une admí-
nistration réguliere se forme, elles sont le plus grand obstacle
asa marche et ~l son aífcrmisscment.


Au miuistere de la justice , l\J. Pasquier avait remplacé




CHAPITRE XII. 225
lU. Damhray, On a dit ce qui avait motivé ce changement , et
un trait qui caractérise parfaitement l'esprit candide et naif de
JU. le Chancelier, c'est qu'avant son départ il centre-signa la
lameuse ordonnance qui amnistiait les officiers et les soldatsfran-
cais qui avaient suivi le Roi a Gand. L'ordonnance portait « que
toutes les poursuites judiciaires faites pendant les trois mois de
I'usurpation , pour fait de désertion contre des militaires qui
avaient quitté Ieurs corps pour embrasser la cause royale et se
réunir asondrapean, ainsi que les condanmations qui en avaient
pu étre la suite , étaient réputées nulles et non avenues, » De
quelque maniere qu'ou envisage la situation du ministere , cet
acto était une faute. A quoi bon provoquer les justes ressenti-
ments d'un partí puissant? A quoi bon soulcver contre soi une
opposition gratuite ? En politique , les acres inútiles qui font
naltre les obstacles , sont ceux que le Gouvernement doit éviter
avant tout. On puhlia dans le parti royaliste mílle hrochures
contre l'ordonnance qui amnistiait la fidélité et la Restauration
elle-méme. Cal' enfin , le roi de France n'était-il pas alléaGand?
On pouvait dirc que l'ordonnance était destinée aempécher les
poursuites des trihunaux ; mais n'était-il pas plus convenable de
déclarer que l'exil aGand n'était pas une désertion , mais un
acte de fidélité ? Cette ordounance fut sans doute l'ceuvre des
bureaux. Le ministre apposa sa signature avee cette Iégereté qui
souvent caractérisait 1\1. Dambray. Aussi la retraite du ministre
n'excita-t-elle qu'une bien faible sensation daus le partí roya-
liste qu'il avait hlessé.


lU. Pasquier, en prenant les sceaux , organisa d'abord son
administration centrale. 1\1. de Trinquelague quitta le secréta-
riat-général du ministére de la justice , qui fut confié a lU. Ra-
vez: 1\1. de Trinquelague était l' expression de la majoritéde1815.
]\J. Ravez , l'ami de lU. Lainé , avait prété appui au ministére
dans la Chamhre des Députés ; .c'était un homme capable , ex-
pression du centre droit. Une ordonnance constitua le Conseil
privé et le Conseil d' État ; la pensée de 1\1. Pasquier était d'en-
vironner les projets de loi de grandes discussions préparatoires




226 IJISTOIRE DE LA RE5TAURATION.
oú ~outes les Iumicres seraient appelées; les conseils de cabiner ,
composés des )linislres ü portefeuille, de deux ou quatre 3Iinis-
tres d'État et de conseillcrs d'État choisis, avaient cet Olbjet; on
les convoqua néanmoins tres-rarcment ; les sections du Couseil
el'État furent purgées de presque toutes les incapacités, Le co-
mité de législation compra ;\01. Siméon , Portalis , Royer- Col-
lard , .:uounier, Faure ; le comité contentieux : ;\DI. Dclamalle,
Allent , de Blaire , Durand de ;\Iareuil, Favard de Langlade ,
Boulainvillier et Guizot; au comité de l'iutéricur : JIJL Cuvier,
Delaporte - J..alanne, de Gérando , d' Hauterive , Capclle , MaJe-
ville ; au comité des finances: MM. de Colonia, Bérenger, Ca-
mille-Jordan; au comité de la gucrre : le prince de Broglie, les
généraux Bicard , Pernetti et de Caux; il la marine: 1\1;\1. Fo-
rcsticr, Portal, Jurien , Fsmangard. On avait adjoint il cha-
cune de ces scctions , Ü raison de lcur position administrativr: ,
MM. Itavez , Becquey, Moló, la Bouillcrie, Bcrgon, Saint-Cricq,
de Barante , Barairon , de Mezy, Tubarié. Il était difficile de
trouver une composition plus forte et plus spéciale du Conseil
el'État. Les doctrinaircs y domiuercnt comme ils domiuaicnt
dans le Cabinct ct Ü la Chambre des Députés, C'était aussi une
fautc que ccrte cxclusion absolue des Iloyalistcs ; elle décclait
trop la dircction , l'esprit du Gomernement, ct de ses mcsqui-
nes vcngeanccs centre un partí qui , en définitivc , se liait ü la
couronne. Aucune grande mesure ne fut prise a l'égard des
tribunaux et des cours royales. Leur organisation et lcur ina-
movibilitéétaient assurées par les ordonnances de 1815. lH. Pas-
quier cut l'honneur et le bonhcur de signer les premieres lettrcs
de grñce en faveur des proscrits, Ces lettres furent accordées au
lieutcnant-général de Caen. Le cabinet voulait populariser les
princes de la Famille royale, Le génóral avait eu des torts graves
envers Madame la duchesse d'AngouIeme; le ministére fit de-
mander sa grüco par lHADA:\IE clle-memc, C'était un noble rüle
qu'on Iaisait jouer aux Bourbons.


l\I. Corvetto , toujours absorbe par la confection de son hudget,
par les mouvements de la Bourse et les négociations pour l'ern-




CHAPlTllE XlI. 227
prunt , se multipliait avec une activité et un 'bonheur remar-
quahles. M. Baring était arrivé de Londres, el 1'on essayait de
négocier, avec lui et d'autres grauds capitalistes de l'Europe , un
emprunt général qui perrnit a la Franco de se libérer en une
seule fois envers les étrangcrs. En attendant , M. Corvctto diri-
geait son comité de reccvcurs généraux , qui donnait des res-
sources au Trésor ; iI suivait avcc une grande attention les opé-
rations de la Caisse d'amortissemeut , dont )1. Beugnot venait
d'étre nommé directcur, Le ministre accomplissaitaussi la vente
des bois de l'État , régularisait successivement le systéme des
contributions indirectes, Des économies étaieut faites au minis-
tero des finances et dans les administratious dépeudantes : la
direction des domaines était réunie ~t celle des Ioréts , el l'un
des administrateurs chargé de cette direction.


Le général Clarke déployait aussi heaucoup de zele au dépar-
tcment de la guerreo Son hudget avait été considérablemcnt
réduit par la Chambre des Députés ; et néanmoins il avait aug-
menté le cadre de l'armée. Un cinquiéme eseaelron était mis a
la suite ele chaqué régimcnt de cavalerie. L'effeetif des légions
devait devenir plus considerable ~l mesure que celui de l'arrnéc
d'oecupation dimiuuerait. Il avait eníin adopté que tous les
ofliciers en demi-solde qui n'avaient ras été replacés rentre-
raient successivement dans le cadre du dernier bataillon ou du
dernier escadron formé, et on évitait par la de payer la solde d'ae-
tirité el la demi-solde. Pour couuuencer ce systéme d'oubli ,
,1. le général Clarke avait saisi l'oeeasion des trouhles qui avaient
~"'cJaté dans les provinces , et au milieu desquels le zele de heau-
nmp d'oílicicrs en demi-solde s'était montré ; l'on avait récom-
pcasé ces services en appelant un granel nombre d'entre eux
dans les légions, L'administration de la guerre avait fait égale-
ment (les économies, Du régime des entreprises on était passé a
celui des régies. ~l. le général Clarke avait une haute probité;
ct s'il n'eüt pas été entrainé par ses eugagements de parti, il eüt
laissé des souvenirs rcmarquahles de zele , de capacité el de
désíntéressement. lU. Dubouchage n'était plus utile ni commc




228 HISTOIRE DE LA RE5TAURATION.
administrateur, ni comme homme politiqueo On songeait a son
remplacement.


Aux .affaires étrangéres lU. de Richelieu ne s'occupait qu'á
consolider les rapports de bonne harmonie entre la France et les
Puissances aIliées. On pouvait espérer, si la négociation de l'em-
prunt arrivait a honne fin, la diminution successive de l'armée
d'occupation. Aussi 1\1. de Richelieu ne négligcait-il aucun
moyen pour faire réussir cet emprunt auprés de ~IM. Hoppe et
Baring, et l'ohtenir dans une seule transaction. M. de Richelieu
savaitque la Prusse et l'Autriche étaient tres-obérées , et qu 'avec
I'offre d'un acquittement immédiat , elles ne seraient pas éloi-
gnées de consentir r. I'affranchissement de la France. Il yavait
de continuelles réunions des trois ministres MM. de Richelieu,
Decazes et Corvetto, au chñteau de Madrid, résidencc d'été de
1\1. Decazes, lequel s'occupait aussi tres-activcmcnt de ceue
négociatíon. Quant aux bureaux des allaires étrangeres , 1\I. de
Ilichelieu en laissait la direction a 1\1. de Rayneval, chef de la
Chancellerie, intelligent en aífaires ,. et possédant toutes les
attributions d'un ministre d'État. Cependant l'étiquette voulait
que 1\I. de Richelicu traitát directement avec le corps diploma-
tique, aParis , et qui se composait toujours , pour la Ilussie , de
1\I. Pozzo di Borgo, dont j'ai dit le caractérc et la capacité; pour
l'Angleterre, de sir CharlesStewart, talent médiocre, maisen tout
subordonné au duc de 'Yellington , véritable ministre dirigeant;
du comte de Goltz, représentant la Prusse , esprit inquiet, avue
courte, ne révant que révolution ; enfinde 1\1. le baron de Vincent,
plénipoteutiaire d'Autriche, caractere inoífensif , mais travaillé
par les rnémes terreurs que 1\1. de GoItz. Je ne parle ici que des
quatre grandes Puissances dont les représentants formaient un
comité européen aParis. Quant aux autres ambassades , décorées
du titre pompeux d'mnbassades de [amille ~ elles ne jouaient
qu'un role d'étiquette et de vanité. 1\1. Ruffo, prince de Castel-
cicala, représentait le roi de Naples et de Sieile. Les liens de
famiJIe que le mariage de l\Iadame la duchesse de Berri avait
encore fortifiés lui donnaient du crédito L'Espagnc avait pour




CHAPITRE XII. 229
représentant le comte Fernand de Nunez, vaniteux, maisexcellent
diplomate. lU. de Lovenheim , observateur spirituel , instruit et
capahle , qui avait représenté la Suede au congres de Vienne,
résidait également aParís. En résumé , les affaircs un peu sé-
rieuses se traitaient plus haut qu'avec le corps diplomatique ;
elles se faisaient directcment par lU. de. Richelieu, l'empereur
Alexandre , 1\1. de lUetternich, lU. de Hardenberg et le duc de
'Vellington, généralissime des armées aIliées; seulement les
ambassadeurs, appelés a rendre témoignagesur la situation de la
France, pouvaient servir le systeme politiqne ou lui nuire par
leurs rapports.


Une des négociations la plus active était celle du concordar ~\
Ilome. 1\1. de Blacas, ainsi qu'on I'a dit, avait été envoyé comme
ambassadcur extraordinaire , apres avoir négocié, aNaples , le
mariage de l\ladame la duchcsse de Berri. Il y avait remplacé
~l. Courtois de Pressigny, évéque de Saint-Malo , appelé ~\ la
pairic. Des difficultés s'étaient élevées entre la cour de Rome ct
le Gouvernement francais sur l'exécution des concordats. Depuis
la réintégration dans son patrimoine, le souverain Pontife,
Pie VII, avait refusé la plupart des bulles d'institution cano-
niquc pour les évéques ; il prétendait que le concordat de 1801
nc pouvait plus avoir son cflet, qu'il avait été annulé de la part
du Gouvernement francais , par l'acte organique de l'an XI,
lequel n'avait jamais été reconnu par le Saint-Siége; qu'cnfiu
le prétendu concordar de 1813 avait été imposé par la force et
la contrainte. Les prétentions du Pape étaient celles-ci : '1°. la
restitution du Comtat d'Avignon, ou une indemnité telle que le
patrimoine deSaint-Pierre n'en füt pas amoindri; 2°. l'institution
canonique nhsolument rec.onnuc au Saint-Siége; 3°. une non-
vello circonscription des métropoles , des cathédrales , ct par
suite l'augmentation des siéges; 4°. les annates et certaines autres
redevances que l'Église de France était accoutumée de payer,
au temps de sa gloire et de sa puissancc. Le pape Pie VII avait
mis toute sa confiance pour cette négociation dans le cardinal
sccrétaire d'État JUonsigllol' Gonzalvi, homme souple, habilc,


H. 20




230 msronu, DE LA RE8TAUHATlOX.
accoutumé surtout aces fins de non-recevoir. a ces perites diííi-
cultés qui soutiennent la marche de tout pouvoir faible. Les iJ1-
structions de )1. Blacas laissaient une grande latitude aux négo-
ciations. Elles avaient été rédigées sous l'cmpire des idées qui
dominaient la Chamhre de 1815; le Gouvernement et le négo-
ciateur étaient encore tout remplis des élégies touchantes de


.


l\DI. Piet , Marccllus et Iloux-Laborie , sur la nécessité de ré-
tablir le magnifique édifice de l'Église de Franco. 1\1. de Blacas
n'était pas lui-méme éloigné de ces pieuxsentiments. Il se trou-
vait en présence d'un souverainPontife vénérable, et d'un habite
négociateur. Les conférences qui s'ouvrirent des les premien;
jours de 1817 porterent sur les divers points que j'ai énumérés ,
il fut admis par le négociateur, que le concordat de l'an X serait
révoqué, et surtout les actes organiques qui avaientsuscité tant
de réclamations de la part du Saint-Siége. Le cardinal Gonzah i
tenta d'autres succes aupres de M. de Blacas. On avait, cuiS15,
un besoin de faire revivre les institutions religieuses et monar-
chiques. Tous les partís sont ainsi préoccupés apres leur triom-
phe; ils fouillent le passé pour y rechercher leurs vieilles diguités
renversées , leurs vieux souvenirs emportés : pour l'un, c'cst
un chant patriotique, un trophée de révolution : pour l'autre,
une processiou ou un concordato Le concordat de Léon X et de
Francois It'r formait une partie dudroit ecclésiastique antérieur
a la révolution : quelle belle et grande idée monarchique que
de faire revivre cette convention et de ramener la société au
xn e siecle! Dans le fait, le concordat de Léon X constituait en
faveur de la royauté le droit de nomination directe des évéques
suhstitué aux élections ecclésiastiques ; il avait fait passer lepou-
voir ecclésiastique , de ses formes constitutionnelles ala monar-
chie absolue; c'était un partage d'autorité qui convenait par-
faitement aux idées du parti royaliste. La Chamhre de 1815
avait demandé le rétablissement d'un grand nombre de siége~
épiscopaux , plusieurs villes du Midi, anciennes métropoles HU
cathédrales, sollicitaient, par l'organe des conseils généraux , le
rétablissement des sous-siéges. Le cardinal Gonzalvi entrait




CHAPlTRE XII. 231
dans cette id{'C' , non-seulement paree qne le souverain Pontifc
voyait avec satisíaction l'agraudissemcnt de l':Églisc de France,
mais encoré paree que la division des métropoles convenait au
pouvoir de Rome , qui dans sapensée d'univcrsnlité n'aime pas
la concentration trop ahsolue du pouvoir épiscopal, Restait une
clause sur laquelle -'J. de Blacas ne pouvait prcndre des cngagc-
ments sans exposer la responsabilité miuistérielle : il était d'an-
cicnne regle ecclésiastique qu'une cathédrale ou une métropole
ne pouvait étrc constituée qu'au préalahle il n'eüt été pourvu
par le Pape ases revenus ; le Pape demandait done qu'on dotát
les églises en bicns-Ionds ou en rentes sur l' État d'une maniere
invariable. Admettre une tellc clause dans un traite était s'en-
gager hien loin; elle fut conscntie néanmoins par M. de Blacas,
cal' elle était une pcnsée de la Chambre de 1S15, aux opinions
de laquclle le négociatcur appartenait. Il était encere une de
ces questions qui suscitait de grandes préoccupatíons dans le
conclave, e'était la ccssion du Comtat d'Avignonet son incorpo-
ration a la Franco. Le cardinal Gonzalvi , avec une grande
habileté , avait amené M. de Blacas a renoneer au concordat
de l~Ol; le concordar de Francois ler revivant ainsi de plein
droit , tous les actos de rcnonciation consentís par le Pape de-
puis 1789 étaieut annulés ; il Iallait done résoudre cctte question
du Comtat, soitpar une rétroccssion récllc , soit par une iudem-
nité. l\I. Blacas n'avait pas de pouvoirs suffisants pour iusérer
une clause sur ce point dans la convention diplomatique; mais,
dans la bulle de circcnscription qui lui fut soumise avant d'étre
arrétée, le Pape fit des protestations pour la restitution du Comtat
d'Avignon ou pour une indemnité,


Ainsi on rétablissait les antiques métropoles que le tcmps
avait anéantics , cal' les cités brillantes, autrefois , avaient
perdu leur ancien éclat l Et OU trouver de l'argent pour doter
tous ces établissemcnts nouveaux? Comment reconstruiré ce que
le tempsavait réduit en poussiérc! C'était un peu la folie de 18'15,
on voulait faire revine les tombeaux l Qu'était done ce eon-
cordat de Léon X qU'OIl rétahlissait dans sa force? Toutes les




232 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
électionsétaient abolies dans les cathédrales. En cas de vacance,
le Roi devait nommer un théologien , docteur ou licencié, lequel
recevait l'institution du Pape pour le siége épiscopal ou pour le
mouastere; plusieurs articles étaient relatifs aux prébendes, aux
universités , aux grades; lajuridiction du Saint-Siége étaitrégléo
selon le droit ancien, ainsi que les appels , les annates étaient
rétabliesau profit de la cour de Ilome ; enfin le titre XVmontrait
aquel siecle en arriére nous reportait le concordat de Léon X.
Il y était dit : « Pour remédier au scandale que causent les in-
terdits, ou autre censure ecclésiastique, aucun interdi t ne pourra
étre fulminé contre une ville, bourg ou village, ci ce n'est pour
une [aute notable de ces Iieux , et non pas pour la faute d'une
personne particuliere , ~t moins que cette personne n'ait été au-
paravant excommuniée et dénoncée publiquement dans l'église,
et que les gouverneurs de ces lieux, requis par le juge de chasser
cet excommunié , ue l'aient pas fait dans deux jours. » Commcnt
expliquer une telle clause au XIXe siecle ! Comment supposer
encore des exconununiés chassés d'une ville , des interdits lancés
sur des populations! lU. de Blaeas avait mis une grande légereté,
et peut-étre égalcment trop de conseience eatholique dans cene
négociation du concordat. Il avait été l'homme du XVIP siécle:
la faute u'en n'en fut pas tout entierc a lui; elle fut surtout a
la Chambre de 181. 5 , sous les auspices de laquelle la négociation
avait commencé, M. de Blacas n'avait pas compris que la marche
du Gouvernement avait changé depuis l'ordonnance du 5 sep-
tembre , et que l'esprit de ses instructions devait en conséquence
se modifier de Iui-méme.


leí le XVI C siecle avec ses idées religieuses ; la le crédit pu-
blic, création si moderne, les opérations flnaucieres des années
1.816 et 1817 se liaient au plus important des intéréts , ala dé-
livrance du territoire. C'était , en eITet, par l'exact acquitte-
ment des suhsides de guerre , par un scrupuleux respeet de
toutes ses obligations , que le Couvernement francais pouvait
atteindre cet immense résultat anquel se rattachaíent tous les
vrrux. Quels que pussent étre cependant Ir-s offorts de l'admi-




* ~'.fI.\f .
,


t


CHAPITRE XII. 2:13
uistration publique, il était impossible que les recettes couvris-
sent les services ordinaires et extraordinaires , et qu'on arrivát
sans cmprunt au paiemcnt de toutes les charges de la France,
et pourtant il fallait délivrer le territoire !


Les chargcs permanentes de l'occupation étaient déterminées
par le traité du 20 novembre 1815 ; mais ce traité laissait irré-
solueune questiou importante, c'était celle de la liquidation des
dettcs étrangeres restées dans un vague déplorable. Chaqué na-
tionréc1amait dessommes indéfinies, dont la totalitéaurait absorbé
les ressources de la France pendant plusieurs années. Une com-
mission mixte, nommée par le président du Conseil , fut chargée
de préciser la quotité des réclamations individuelles. Dans cette
position critique, tandis que chaqué Gouvernement étranger
profitait de ces embarras, lU. de Richelieu eut la pensée de
s'adresscr ~I la loyauté de l'empereur Alexandre. Il lui transmit
un long Mémoire , dans lequel il dénoncait eette rapaeité des
pctits princes d'Allemagne, dont tous les habitants formulaient
d'exorbitantes prétentions. Tout concouraita rendre les transac-
tions épineuses ; il ne s'agissait pas d'intérét de gouvernement,
mais de réclamations individuelles fort délicates. Un artic1e du
Yloniceu: parut le 27 janvier 1817, ainsi COlH:U : « C'est mainte-
uant rl. le harem 'lounier qui preside la commission mixte de
liquidation des 'créances des étrangers établie aParis prés du
ministere des finances , a la place de :\1. le haron Dudon '. ))
1\1. Mounier, tres-jeune alors, orateur d'esprit, et d' une haute
probité , était conseiller d'.État en senice ordinaire. Ce fut la
l' origine de l'intimité de M. le duc de Richelieu et de M. lUounier.
,\ partir de cette époque deux hommes absorberent la confiance
du président du Conseil, MM. de Rayneval et Mounier, qui pré-
parerent toutes les grandes transactions et sortirent sans fortune
d'une opératíon dans laquelle il était si facile de s'enrichir,


La confection du budget de 1817 offrait alors des diflicultés.
1 I.e 18 avril 18Ji, lors du rcmanicment du conseil d'Élal., M. Du-


don fut mis du senice ordinairc en service cxtraordinalre , ce qui
dait laconséqucnce de l'nrticle du MonilellT.


I I. *




234 HISTOIRE DE LA RESTAURATlON.
La Chambre de 1813 n'avait eu recours qu'avec répugnancc au
crédit publie : par eontraire, elle avait cxccssivemcnt augmenté
l'impót , de teIle sorte qu'il était impossible de l'agrandir encoré
sans réduire le eontribuable ¿l l'impuissauce de l'aequittcr. A
cette origine du crédit puhlic , un 'emprunt n'était pas chose
aussi faeile qu'au temps présent 01'1 les théories du crédit sont
mieux comprises et plus populaires. Les maisons de hanque les
plus puissantes en France furent consultées et réunics; elles ne
purent présenter des ressources suffisantes pour l'exaet acquitte-
ment des dépenses extraordinaires qui s'élevaient a300 millions.
Il fallut renouer les négoeiations avec les maisons étrangéres ;
1\1. Baring était arrivé a Paris, et la maison Hoppe y avait en-
voyé un représentant de confiance ; des négoeiations furent en-
tamées, et, apres de nomhreuses discussions, un traité fut con-
clu, Ce traité d'emprunt ne pouvait étre qu'éventuel et pour le
eas oú la Chambre voterait la eréation d'une certaine quotité de
rentes et ne proposerait pas un autre mode de lihération : deux
traités furent arrétés avec M. Baring et la maison Hoppe. Le pre-
miel' en date du 18 février reposait sur les bases suivantes : Jr
ministre vendait 9 090 909 fr. de rentes, 5 p. 100, jouissancc
de mars 1817, araison de 55 fr. de capital de rente, moyennant
100 millions payables par douziemes, dont le premier tcrme de-
vait échoir au 31 mars 1817; il était alloué aux porteurs, atitre
de commission, 2 172 p. 100 sur le capital nominal des rentes;
pendant quatre mois ils devaient avoir la faculté de déclarer
qu'ils achetaient pour une nouvelle somme de 10 millions de
semblables rentes, jouissance du 22 mars 1817 , sur 11' pied de
58 fr. de capital pour 5 fr. de rente, pourvu qu'an moment de
l'option la rente ne füt pas au-dessus de 60 fr. Par un traité suh-
séquent cette derniero restriction avait été révoquée ; la faculté
laissée aMM. Baring pouvait étre exercée par eux en ton! état de
cause. Les portcurs obtcnaicnt ainsi, comme hénéfic«, la commis-
sion de 2172 p. 1no, le semestre d'intérét qn'on leur allouait d'a-
vanee, indépendamment des termes de paiemcnt qu'on lcnr far ili-
tait. Cesavantagcs étaient grands. N'ouhlions ras, toutefois, quelles




CHAPITRE XII. 235
avaient été les difficultés rencontrées par l'emprunt. Avant la con-
clusion de ce traité, le ministre s'était vainement adresséaplu-
sieurs maisons de banque francaises ; elles avaient toutes avoué
qu'il était impossible d'effectuer avec leurs seules ressources la
masse de paiements que demandait la négociation de rentes.


Il parut a cette époque une excellente brochure de 1\1. Casi-
mir Périer, qui exposait comhien il eút été plus francaís , plus
économe d'effectuer l'emprunt a Paris au lieu de le livrer exclu-
sivement ades maisons de hanque d'Amsterdam ou de Londres:
(( La dépense sur le hudgct pouvait étre réduite de 100 millions
sansatteindre aucun service; on pouvait écouler successivement
et dans l'année pour 10 millions de rente au capitalde 140 mil-
lions sans recourir aun emprunt général et onéreux ; que quant
aux 60 millions qui resraient pour couvrir complétement le dé-
ficit on y pourvoirait par un autre emprunt. » On s'étonne qu'un
esprit aussi positif que M. Périer, que nous avons vu plus tard
anx affaires, ait révé une économie de 100 millions sur le hud-
get, qu'il a contrihué depuis a augmenter si considérahlement.
Je dis ceci moinspour faire un reproche ou une épigramme que
ponr justifier un peu la conduite de ces ministres de la Restau-
ration, tant accusés par l'opposition dont 1\1. Périer était un des
chefs les plus distingués. La brochure de l\l. Périer eut au moins
ce résultat de montrer au ministére qu'il s'était trop largement
engagé avecMM. Iloppe et Baring, et que le Trésor n'avait pas
besoin de toutes les rentes négociées ; 01', ces rentes étant livrées
¡¡ un tanx tres-has, ilen résultait une perte réelle pour le Trésor.
L'argument était vrai; il avait profondément frappé les esprits;
lU. de Hichelieu en était fort inquiet. Avec sa probité scrupu-
lense il avait hautement déclaré a MM. Corvetto et Decazes que
les ministresdevaient se réunir poul'payer la différence sur leurs
hicnspersonnels ; ce fut dans cette circonstanceque l\l. Decazes
prit le partí d'écrire a l\I. Baring pour lui exposer la situation
embarrassante du ministére vis-ü-vis des Chambres, 1I1uidéclara
avec franchise que I'État n'avait pas besoin de négocier toutes
los rentes comprises dans les traités; que l'opération pour toute




236 HTSTOIRE DE LA RESTAURATION.
la partie excédaute , étant fort onéreuse a I'J~tat , le miuistére se
trouvait exposé aune dangereuse responsabilité. IU. Baring, au-
prés duquel M, Decazes avait envoyé son neveu , répondit qu'il
allait en écrire ases associés , el quelques j ours apres, avec un
désintéressement bien rare, 1\1. Baring consentit aannuler l'opé-
ration pour la partie de rente cxcédante. Il faut faire observer
que la rente était en bénéfice de 8 fr. sur le taux priruitif, Plus
tard, lors de la grande panique de 1818, IU. Baring se trouva dé-
dommagé de cet acte d'une véritable loyauté.


Comme complément de l'emprunt et pour en assurer tout le
service, le budget de recettes de 1817 dut comprendre un ac-
croissementpour la dotation de la Caisse d'amortissement, et cet
accroissement fut lui-mémc assuré par la vente successive des
foréts de l'~:tat. Heposant sur ces hases, le hudget devait tron-
ver de grandes difficultés , soit de la part des Royalistes dont les
sympathíes étaient vivement hlessées par la vente des forets de
l'État destinées au clergé; soit de la part des banquiers libéraux
qui se trouvaient lésés, u'ayant pas encore contribué a l'emprunt
et réalisé ses bénéfices. La commission du budget qui fut dési-
gnée , montra l'impartialité de la Chamhre et son désir de discn-
ter profondément toutes les questions de crédit et d'économie
sociale qui se rattachaicut au budget. Chaqué bureau avait
nommé trois commissaires. C'était la méthode snivie par la
Chambre de 1815, et depuis admise comme une regle du sys-
teme financier; je ne dois point omettre que, des l' ouverture
de la session, le comte Corvetto presenta un projet de 10i sur
la perception des quatre douziemes provisoires et le vote d'un
crédit correspondant aux services, La discussion de ce projet fu!
un supplément aux discussions sur l'adresse. Tout le systeme
ministériel fut examiné et combattu par l'opposition royaliste.
C'est de la session de 1815 que date cette hahitude d'examen
du systeme politique ~I l'occasion d'un vote de crédit. 1\131. di'
Yillele et Corbiere y montrerent un beau talcnt de discussion,


Apres un débat de plus d'un moisdans les burcaux , les COI1l-
missions nommerent lcurs rapportcurs : ce furent :\1. Bcugnot




CHAPITRE XII. 237
pour les dépenses et 1\1. Roy pour les recettcs. Les deux rappor-
teurs ne firent pas de ces vagues théories de crédit et d'écouo-
míe sociale , avec lesquelles on saisit quelques esprits superfi-
ciels ; ils allérent droit aux améliorations. lU. Roy , avec sa
lucidité habituelle , exposa que les recettes ordinaires et extraer-
dinaires pour l'année 1817 ne s'élevaient qu'a la somme de
839052520 fr., tandis que les dépenses allaient au delá de
1088294957 fr. , d'oú il résultait un déficit de 249802437 fr.
Sans arriver a équilihrer ces deux chiffres , lU. Roy proposait
une limitation dans le taux des pensions et dans la somme qui
leur serait allouée ; il demandait une réduction de 120 mille fr.
sur le budget de la Chambre des Députés , 400 mille fr. sur la
chancellerie, 800 millefr. sur l'instruction publique, 16 millions
sur le miuistere de la guerre , 6 millions sur le ministere de la
marine: tous les ministeres offraient aux yeux de M. Roy des
abus qu'il fallait hátivement corriger. lU. Beugnot, chargé du
budget des recettes , et par conséquent de la partie la plus dé-
licate , exposa les bases diverses sur lesqueUes reposait son tra-
vail : il s'agissait de statuer sur l'arriéré, lU. Beugnot proposait
de déclarer les créances de cette origine négociables et payables
au porteur ; elles seraient entierement acquittées dans les cinq
aunées qui suivraient la liquidation avec les étrangers. Cette
proposition de la commission étaít un retour vers la justice : le
respect pour l'arriéré paraissait une des hases les plus fermes ,
les plus solides du crédit puhJic; il Iaut tout acquitter scrupu-
leusement pour emprunter sans efforts, La commission appli-
quait spéciaJement au crédit et 11 l'entier acquittement des inté-
réts de la dette les produits de l' euregistrement et du timbre,
comme les plus sürs el les plus positifs; on préférait lesproduits
de l'enregistrement al'impñt foncier , paree qu'il n'était passou-
mis au vote annueJ de la Chambre, et que le crédit devait étre
méme en dehors des chances d'une majorité parlementaire ; on
donnait a la Caisse d'amortissement non-seulement une dotatíon
nouvclle de 40 millions, rnais encore le produit des bois, sur ]es-
qnels pourtant on réservait jusqu'a concurrcnce de h millions




238 mSTOTr.E DE LA fiEST;\U:ATrON.
de rento prmr en doterle clergé. Le travail de l\cL Bengnot était
Iort rcrnarqnabl- , et je considere les deux budgets de 18Hi el
de HH 7 counne une haute application des grandesidées du eré-
dit publico Maintenant faltes la part aux difficultés enfantées par
l'esprit de parti , les préjugés de cour, et l'on se demandera s'il
n'y a pas quelque mérite aux ministres de la Ilestaurationd'avoir
établi sur des bases invariables la loi de finance , souree de eré-
dit pour l'État. Je ne saissije me fais illusion, mais quand j'exa-
mine les discussions qui furent soulevées sur les budgets de ces
premicrs temps de la Restauration , et que je les compare, op-
posantset ministere m'apparaissentavecunccertaineforce. Quelle
puissance dans les arguments de lUl\!. de villele et Corbiere ,
chefsde l'opposition ! quelle connaissanee des afIaires et de l'ad-
ministration ! Trouve-t-on beaucoup d'orateurs miuistérielsaussi
instruits , aussi spéciaux dans les sujets qu'ils défendaícnt qlw
nUI. Roy , Beugnot, Louis et Gaudin?


La discussion du hudget s'onvrit par un violent discours de
lU. de I..abourdonnaye. « Des hommes courageux, s'écria-t-il ,
oseront attaqucr les deux hydres qui nous dévorent : la hureau-
cratie et la prodigalité des traitements; l'cmprunt proposé est
désastreux : si vous empruntez ¿I de telles conditions en '18'1 7 ,
qu'eu sera-t-il en 18'18, 1819 et en '1820 ! La France emprunte
a 10 ponr cent d'iutérét ! En 18'18 12 pour cent , en 1819 15
pour cent , et en 1820 aun taux encore plus élevé. Quant a l'ar-
riéré, vous prenez des engagemcutsque vous ne pourrez rcmplir;
mieux valait le vague conscíencieux de la loi du 28 avri\ 1816.
- Ce n'est que par le respect constant a toutes les natures de
propriété que le crédit pcut s'établir , répondit lU. Gaudin; le
premier point de sécurité est le plus profond dévouement pour
la Charte. Il faut tranquilliser les préteurs sur l'exact acquittc-
ment des intéréts et l'amortissement du capital. Pour cela que
Iaut-il l Qu'il soit bien certain que les revenus soient en har-
monie avec les dépenses , et que l'amort.isscment arrive al'cx-
tinction de la dette dans un délai determiné. -11 n'entre pas
dans mon plan, dit 1\1. de Castelhajac , de faire un hudget anx




CHAPJTRE xu. 239
ministres, mais HOUS sonuues spécialeuient chargés de défendre
les intérets du peupleet son argento N'eüt-il pas été possible , en
peiguant avec írauchise notre situation aux Puissances alliées ,
d'ohteuirdu temps pour remplir nosobligations ?Économia avant
tout; réduisez les conseillers d'État dont le nombre s' accrolt
chaque jour au gré des ministres; rétablissez les anciennesfonc-
tions des conseillers-généraux de provinces, et vous éviterez des
frais d'admiuistratiou. Frappcz enfin cette centralisation qui ah..
sorbe la liberté locale ; quelles ressourccsavez-vous ? Les foréts ;
mais YOUS détruirez le hien-étre des pauvres conununes ; vous
épuisez un trésor pour notre marine! et puis vous dépouillez les
ministres des autels , cal' ces bois leur appartiennent, Ministres
du Iioi , demandez, si vous voulez, des sacrifices ades Francais,
mais accordez quelque chose al'honnéte homme. - On solli-
cite de la Chambre, ajouta 1\1. de VillCle, une autorisatíon
pour un emprunt, et l'on ne presente pas acctte Chambre le
traité de cct emprunt, Je m'étonne que, SOUg un gouvernement
représentatií, il puisse se trouver des préteurs qui s'engagent a
remplir au comptant pour dessommes si considérables , sans, au
préalable, avoir l'autorisation des Chambres. Dans la situation
malheureuse oú se trouve le pays , il n'y a qu'un partí aprendre ,
c'est I'écouomie, JIenri IV et Sully, d'adorable mémoire, trou-
verent la France aux prises avec I'adversité ; par la sagesse et
l' économie , ils parvinrent afermer les plaies de l' État ; e'est a
la Chambre qu'il appartient de jouer le role de Sully, Comme
premiere suppression , je eomprends les ministresd'État ; aquoi
bon un traitement ades fonctions inutiles , puis les sous-secré-
taires d' .État ! puis le Conseil d'État ! aquoi bon de si nombreuses
cours royales, des tribunaux de premiere instanee aussi multi-
pliés ; plus de sinécures dans un pays écrasé, plus de fonds se-
crets de police non soumis au controle constitutionnel des
Chambres ; je vote contre les taxes universitaires , tant qu'il n'y
aura pas de projets sur l'Université ; je crois votre mesure sur
l'arriéré impossible , évidenunent contraire au principe méme
que vous posez sur i'inviolabilité des eugagements, » J'ai ana-




240 HISrOIRE DE LA RESrAliRATIO.\.
lysé cette opinion avec quelque soin, paree qu'elle constated'une
maniere assez piquante combien la position change les honunes,
Ce n'est pas que j'en fasse un reproche ala conscience de ~I. de
Yilléle ; je veuxconstater qu'on est toujours, quoi qu'on en dise,
I'hon1111e de sa position, et qu'aux affaires on voit autrement
qu'au dehors; n'est-il pas curieux d'entcndre, comme déja je
1'ai remarqué, le ministre le plus hahile, le plus aventureux en
matiere de crédit désespérer de la Franee pour un emprunt li-
mité? Tout cela s'explique par un fait bien simple. En 1817,
1\1. de Yillele était I'homme de l'opposition et un peu declama-
teur; en 1824 il était ministre, homme politique et d'affaires.


La discussion prenait une tournure vive et menacante pour
le ministere, Ce fut dans ces circonstances qu'on háta les né-
gociations avec les alliés en ce qui touchait l'évacuatiou du ter-
ritoire, afin d'avoir des résultats ¿l offrir a la Chamhre conune
mobile du vote de coníiance qu'on sollicitait d'ellc. L'ordon-
nance du 5 septembre avait répondu aux sympathies du corps
diplomatique, et particulierement aux idées du duc de Wel-
lington et du comte Pozzo di Borgo. tes représentants desdeux
grands Cabinets avaient parfaitement expliqué ~ leurs cours res-
pectives la penséede modération qui avait détermíné la dissolu-
tiou d'une Chambre impatiente de royalisme et qui cmpéchait ,
par son opposition la confection du budget , l'accomplissemcut
d'un emprunt, lesquels étaient indispensables pour satisfaire les
cngagements pris envers les alliés. L'empereur Alexandre écrivit
a Louis XVIII une nouvel1e lettre pour le féliciter sur la marche
de,son Gouvernement et le fortifier dans le systeme qu'il avait
adopté. JI considéraitce systéme COl1ll11e le seul moyen d'arréter
tout a la fois l'esprit de jacobinismo si dangereux en Europe el
les folies du parti de la contre-révolution , capable de compro-
mettre a tout jamais la marche natureJIe et réguliere des gou-
vernements. Quand la nouvelle Chambre fut élue et qu'on
eonnut I'csprit qui la dominait, le Cabinet francais s'adressa an
corps diplomatique afin d'ohtenir des Souverains un acte qui
témolgnñt leur adhésion aleur systeme politiquee Le vreu depuis




CIJAPITRE XlI. 241
longtemps manifesté par le due de Richclicu, la pensée quí ab-
sorhait sa vie , était la délivrance du territoire. D'aprés le traité
annexé a la grande eonvention du 20 novembre, l'évaeuation
devait avoir lieu par cinquíéme, ou cn totalité au bout de trois,
cinq ou sept ans, au choix des alliés. Le président du Conseil
fit sentir queIle puissanee d'opinionil exercerait sur la Chambra
nouvelle s'il pouvait arriver devant elle avec une adhésion des
Cabinets, témoignée par un commencement d'exécution du
traité , c'est-á-dire par l'évacuatíon d'un cinquieme des troupes
alliées. Il faut dire al'honneur de la Franee qu'elle avait rempli
ses engagements avee une rigide et douloureuse exactitude. Les
paiements promis étaient entiérement effectués, les eontribu-
tions de guerre acqulttées, Le due de Riehelieu put des lors in-
voquer eette haute fidélité , 'et rappeler la parole des étrangers,
La eonfianee de l' empereur Alexandre pour le chef du Cabinet
Irancais ne se démentit pas; il écrivit ason ministre aParis, de
consentir, de provoquer méme l'évacuatíon d'un cinquiéme de
l'arméed'oeeupation. te due de Wellington, consulté, répondit
quc la mesure lui paraissait utile, et dans les intéréts communs.
Dcux eonférences eurent lieu entre les ambassadeurs des gran-
des Puissances, On examina si la situation de la nation francaise
était teIle qu'il füt possible dc consentir al'évacuation d'un cin-
quieme sans danger pour la tranquillité intérieure, et pour la
paix de l'Europe. 1\1. de Richelieufournit sur ce point une série
de notes tout afait remarquables sur l' état du pays et les élé-
ments de sécuritéqu'il présentait aux Cabinets. En conséquence
dc ces communications , les plénipotentiaires des quatre cours
arrétercnt une note communc : (( I..es cours d'Autriche, d'An-
gleterre , de Prusse et de Ilussie ayant pris en considération le
désir manifesté par Sa Majesté Tres-Chrótienne de voir dimi-
nuer lc nombre de l'armée d'occupation et proportionnellemcnt
celui des chargesque sa préseuce sur le territoire francais exige,
ont autorisé les soussignés a faire a Son Excellence M. le duc
de Richelieu les communications suivantcs; (( Au moment OU
le Iloi, rétabli sur son trónc, el mis eu possession de son auto...
l~ 21




2h2 mSTOIRE DE LA HESTAURATION.
rilé légitime el coustitutionncllo, chercha de concort avec les
autres Puissanccs , les moyens les plus efficaces de consolidcr
l'ordre iutéricur en France , il fut reconnu que la présencc
tcmporaire d'une armée alliée était absolument nécessaire, soit
pour rassurer l'Europe contre les suites des agitatíons qui mena-
caient de se renouveler, soit pour offrir a l'autorité royale 1'0c-
casion d'opérer dans le calme son infiuence bicnfaisante , et de
se fortifier par la soumission et l'attachement de tous les Fran-
cais, Ces conditions, les alliés aiment a !lIS rappelor avec une
vraie satisfaction; elles consistalent dans l'affermissement de la
dynastie légitime, et dans le succes des efforts et des soins de
Sa Majesté Trés-Chrétienne pour comprimer les Iactions , dissi-
per les erreurs, calmer les passions et réunír tous les Francais
autour du tróne par les mémes nEUX et les inémes intéréts, te
grand résultat désiré et réclamé par I'Europe ne pouvait (olre
ni l'ouvrage d'un moment, ni l'effet d'une seule tentativo. Les
Puissances alliées ont vu avecune attention suivie, mais non pas
avec étonnement, les divergences d'opinions qui ont existé sur
Le motlc d' électiou , daus cctte attitude , elles ont attcndu de la
haute sagessc du Iloi les mesures propres a Iixer ces inccrtí-
tudes et ¿l imprimer ¿l son administratiun une marche fermc ct
régulierc , ne doutant pas qu'il ne süt allier avec la dignité du
tróne el les droits de sa couronne cettc maguanimité qui, apres
les discordes civiles. rassure el eucourage les faihles, et par une
confiancc éclairée, excite le zele de tous les nutres. ene heurcuse
expérience ayaut déja rempli , autant que la nature des choses
pouvait le pcnnettre, l'cspoir de l'Europe ~l ce sujet , les souve-
rains alliés, jaloux de coutribuer ~l ce grand ouvrage, et de fairc
jouir les natious de tous ces hicns que les eflorts el lasagesse du
Iloi Ieur proposcnt, n'hésitent nullemcnt ¿l regardcr l'état actuel
des aílaires connne suffisant pour fixer la qucstion qu'ils 011t été
appelés ¿l discuter. La bounc foi avcc laquclle le gouvcrncmcnt
du Iloi a rempli jusqu'a préscnt les cngagemcntspris envers ses
alliés et les soins qu'il vicnt d'cmploycr afin d'assurcr les diílé-
rents services de l'anuée courante , en ajoutaut aux rcssources




CHAPITnE XII. 243
des revcnus de 1'ttat cclles d'un crédit garantí par les malsons
de banquc étrangéres et nationales les plus considérées en Eu-
rope, ont également fait disparaitre les justes difficultés qui au-
raient pu s'élevcr sur ce point de la question proposée. Ces con-
sidérations ont été fortiflées en mému temps par l'opinion que
Son Excellence ]U. le maréchal duc de "rellington a été invité
aémettre sur un ohjet d'uno aussi haute importance; les sous-
signés se trouvent en conséquence autorisés par leurs cours
rospectives it notifier aSon Excellence M. le duc de Richelieu :
1°. que la réduction de l'armée d'occupation sera efTectuée;
2". qu'elle sera de 30 000 hommes; 3°, qu'elle sera proportion-
néeala forcede chaquc contingent, c'est-a-dire d'un cinquierne
sur chaque eorps d'armée; 4°. qu'elle aura lieu apartir du 1cr avril
prochain. En eommuniquantun témoignage aussiéclatant envers
Sa l\lajcsté Tres-Chrétienne de la part de leurs augustesmaltres,
les soussignés ont a déclarer en méme temps aS. Exc. 1\I. le
duo de Richelieu combien les principes du ministere qu'il pré-
side et ceux qui lui sont personnels ont contribué arétablir cette
franchise mutuelJe, qui, dirigée par la justice et la lettre des
traités existants, a su jusqu'a présent réglcr tant d'affaires déli-
cates, et donner pour l'avenir les gagcs les plus rassurants d'une
conclusión définitive el satisfaisantc, ))


La note, signée par le baron de Vincent, sir Charles Stewart,
le eomte Goltz et le comte Pozzo di Borgo, allait a plusieurs
fins : d'abord elle donnait une espérance de la délivrance
absolue du territoire, et c'était beaucoup aux yeux de la
Chambre; elle approuvait les opérations ñnancieres, et partí-
culieremcut I'emprunt contracté avec lUl\l. Baring et Hoppe;
elle fondait sur la confiance qu'inspiraient ces maisons mémes
la promesse d'évacuation du territoire; des lors la Chambre
pouvait - elle discuter encore la nécessité de l'emprunt a
J'étranger? Enfiu cette note, quoique rédigée avec toutes les
couvenances et les précautions diplomatiquos , témoignait assez
hql1tcmcllt l'approhatiou des grandes cours ponr la marche
nouvcllo du Cahiuot, la loi dos {·jecl ious , el fo1'l ifiait ainsi le




244 HlSTOlRE DE LA RESTAURATION.
systéme posé par l'ordonnauce du 5 septembrc. Je ne saura'
trop rendre témoignage ala magnanime iníluencc de l'empereur
Alexandre dans toute cettenégociation. te Czar se montragéné-
reux envers la France , comme il 1'avait été lors du traité du
mois de novemhre 1815. Je dirai également que l'action du comtc
Pozzo di Borgo, ses notes adressées a lU. de Nesselrode, ses
rapports personnelIement soumis a l'empereur de Russie sur la
sítuation des esprits et des opinions en France , enfin le senti-
ment personnel du duc de Wellington contribuérent au grand
résultat obtenu. Une fois secondé par lesCabinets, le ministére
devint plus puissant et plus fortdevant la Chambre , et J\1. de
Richelieuput lui communiquer le résultat favorable de ses négo-
ciations; le ministre annonca , indépendamment de l'évacuation
du territoire par une partie de l'armée d'occupation , qu'apres
l'adoptíond'une bonne loide finances, les 25 milJions d'augmen-
tation de soldes portés au hudget pour les alliés n'y figureraient
point cette année ; enfin, que le paiement de la contribution de
guerre éprouverait quelques modifications favorables ala France;
le ministre termina ses communications par ces mots remar-
quahles: « L'amélioration actuelle, l\lcssieurs, cst duc ala sagesse
et ala prévoyancc du Roi; nous la devons ala persévérante fer-
meté du Monarque a[aire réqner les lois sur toutes les classes
de ses sujcts, »


Cette communication si importante appelait des adresses qui
furent votées sans discussion. CelIe des Pairs disait: (( que l'ha-
bileté des ministres et la bienveillance des cours alliées avaient
facilité la négociation qui délivrait le territoire. )) La Chamhre
des Députés , conservant t:tn langage plus discret et plus conve-
nable, ne parlait que du Rol. La conduite des alliés et le traité
d'évacuation furent décisifs dans la discussion du budget; aussi
ne s'appliqua-t-on plus qu'a des discussions de détail. La dota-
tion de la Caisse d'amortissement et la vente des foréts furent
vivement attaquées par le parti royaliste. 11 y eut la un discours
passablement curieux de 1\1. Piet; l'orateur parla de L'amour ct
de ses inquietudes ~ des nymplws des [oréis s qui pleuraient la




CHAPlTnE XII. 245
pcrte des grands bois. « Arbres majestueux, cria 1'1. Piet tout
rouge d'enthousiasme, ce n'est pas moi qui vous abats!... » Le
coté droit se placa sur le terrain 'si populaire des économies :
M. de Cháteaudouble demanda la réduction de tous les traite-
ments; il parla avec vivacité contre les cumuls; il fut soutenu
par M1\1. de Marcellus et de Villele. Le parti voulait surtout la
réduetion des préfectures et des tribunaux. Ce désir extreme
d'économie se rattachait a l'idée de revenir aux administrations
provinciales, aux anciennes démarcations, et de proserire la li-
mitation toute moderne des départements, M. Corhiére exprima
avec beaucoup d'esprit ses idées d'économie royaliste ; l'Univer-
sité , ses monopoles furent également attaqués avee une grande
supériorité par l'opposition de droite , et doetoralement défen-
dus par lU. Hoyer-Collard , qui définit l'Université : « le Gouver-
nement appliqué ala direction généralede l'éducationpublique »
1\1. de VilleIe répondit que l'opinion repoussait le systeme uni-
versitaire , et que la preuve en était que les eoIléges royaux
n'avaient que des boursiers,


lU. Corvetto ne laissa point clore la discussion de la loi des
finances sans réfuter dans un examen général toutes les objec-
tions qui avaient óté présentécs contre les budgets; il le fit avee
clarté, Sur l'emprunt le ministre répondit qu'on demandait des
capitaux ala confiance, pour ne pas en charger l'impót, « On
se recrie sur le taux de I'intérét ; il est en effet exorbitant. Le
ministére en a gémi comme l'oposition. ñlais est-ce la premiere
fois que les États ont emprunté aun taux exeessif? L'Angleterrc
n'avait-elle pas fait des empruntsa12, a 18 pour 100? En aug-
mentant nos emprunts, n'était-il pas nécessaire d'agrandir en
mémo temps le jeu de l'amortissement? Le porter a 40 millions
n'était qne le mettre en rapport avec la situation de la nouvelle
dette ! » M.· Laffitte défendit les opérations du miuistere sur
l'cmprunt; J.\l. Lainé se chargea de répoudre aux orateurs roya-
listes qui s'étaient spécialement attachés a l'administration. Le
ministre justifia la centralisation comme une nécessité de l'ordre
actuel , le seul moyen d'action qui , sous un régime libre, restñt




2llfi HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
au gonvernement royal. Chaque année ninsi les mmnrs parle-
mentaires se perfectionnaient; la discussion du hudget devenait
une vaste arene OU non-seulemcnt les partís, mais les supério-
rités spéciales apparalssaient dans tout leur éclat; les plus hautes
questions d'économie sociale et d'applications administratives
furent agitées, Le budget fut voté a une grande majorité; les
houles noires prouvérent seulement les forces de l'opposition
royaliste; cette opposition portait alors sur l'ensemble du sys-
teme minlstériel fondé par l'ordonnance du 5 septembre; et
c'est a cause de ce systeme qu'elle refusait le budget, J'ai be-
soin de constater encore ce fait 1 paree que plus tard cette oppo-
sition royaliste , devenue pouvoir, contesta a l'opposition d'une
nutre couleur la prérogative d'un refus de hudget, et la consi-
déra comme une atteinte auxdroits de la Couronne , comme un
refus de concourir,


IJa Chambre des Pairs discutait alors le projet de loi qui au-
torisalt les établissements ccclésiastíques aaccepter des legs par
donation et testament, La pensée de créer un clergé propriétairc
était ancienne et populaire dans le parti royaliste; exprlmée
dans la discussion du budget de 1816, le ministere avait cru
cette concession nécessaire; elle plaisait au roi Louis XVIn ,
qui voyait avec peine le clergé dépouillé de ses biens , et cher-
chait, moins par conviction que par une vieille étiquette de
cour, a rétablir le brillant édifice de I'Église de France. Chaque
fois que le ministere voulait obtenir du trñne une concession
libérale, il devait établir une sorte de compensation dans l'es-
prit de Louis XVIII par quelque concession religieuse. Aiosi le
consentement le plus difficile a obtenir du Iloi fut peut-étrc
l'autorisation de vendré une certaine portien. des foréts du
clergé, et il fallut le convaincre qu'il en restait encore une
étendue suffisante qu'on appliquerait aux rcvenus de l'Églis«
1\1. Lainé fut le rédacteur du projet de loi sur les conditions au
moyen desquelles les églises pourraient recevoir par douation I't
testament. « Tout établissement ecclésiastique légalement auto-
risé pourrait accepter, mais m'ee l' outorisction du Iloi , t01l8 les




CITAPITRE XH. 247
hicns immenbles , hiens mcublcs qui Ini seraicnt donnés par
artes cntre-viís ou par acres de derniere volonié. » II s'agissait de
constituer d'une maniere légale et définitíve le clcrgé proprié-
taire. J'ai dit que le Roi avcc sa profonde conviction de la
dignité de la Couronne, voulait Iaire heaucoup pour la splen-
deur de l'Église , pour rclcver cet antiquc édifice écroulé , mais
entendait qne l'Église ellc-mémc eút toute défércnce Jlour le
trüne , et qu'elle no íüt pas absolument indépcndantc, C'était
aussi la pensée dominante de 1\1. Lainé, avocat instruit auquel
les idées des anciens parlcments étaient familieres. Des ce mo-
ment commcncait ase manifcster la lutte entre lesparlementaires
et les ultramontains, lutte vive ct profonde qui fut plus tard une
des difficultés , j'ai pJ'('sque di! une des causes de ruine de la
Hestauration , cal' elle opérn une nouvclle scissiou dans le part i
rovaliste,


1\1. Lainé fonda les motifsde son projet sur la nécessitéd'insti-
tuer un grand établisscment ecclésiastique , mals en légiste
instruit, il rappela que dans l'ancien droit publie de la Frunce
le clergé ne pouvait ríen recevoir sans le préalable d'une auto-
risation royale. Les príncipes exposés par le miuistére étaient
partagés par la majorité de la Chamhre; l'autorisation du Iloi
paraissait ala minorité religieuse de la Chambre des Pairs une
condition malheureuse , cal' l'autorisation de Sa JUajesté n'était
que cellc'des ministres ou de leurs hureaux , et des lors n'était-
ce pas comprimer la liberté religieuse? n'était-ce pas la mettre
¿l la discrétíon des commis? L'ahhé de l\lontesquiou fit le rap-
porto Le seul amendement proposé fut la substitution des 1110ts
ctnhlissctncní.s auumsés 7J(U- {a loi aceux-ci légalemcnt auto-
riscs ~ afin de donner plus de précision acetrodisposition impé-
rative. A la Chambre des Députés quelques élégies se firent
entendre sur les malheurs de la religión ct la uécessité de re-
construire l'J~gljse de France ; elles soulevcrcnt les inquiétudes
exagérécs de M. d'Argensou. En résultat , la loi de 1817 sur les
étahlisscmentsecclésiastiques est dcvcnue une des bases du droit
puhlic, Un projct de loi sur Il'S moycns de constater l'absencc




248 mSTOIRE DE LA RESTAURATION.
des militaires fut égalcment présenté par le ministere. C'était
un de ces projets d'utilité générale qui , détachés de toute peu-
sée politique, n'excitent qu'un faible iutérét dans lesassemhlées
délibérantes,


Les Chambres furent plus sobres de propositions légíslatives
qu'elles ne l'avaientété dans les sessions précédentes. Lamajorité
avaitchangé, Les partis ne font des propositions dans les assem-
blées parlementaires que pour deux objets : 1°. faire triompher
leurs idées et forcer ainsi le Gouvernement aentrer dans leurs
intéréts , et pour cela ils ont besoin de la majorité; 2°. agrandir
leur popularité quand ils ne sont que minorité. C'était a cette
derniére phase qu'était arrivé le parti royaliste. Tant qu'il avait
été majorité, il avait imposé ses propositions au Gouvernement;
réduit au rñle de minorité, il chercha a se rendre populaire. De
la sans doute la proposition de lU. de Castelbajac sur la liberté
de la presse, proposition qui n'était d'ailleurs qu'un acte d'hos-
tilité contre l'administration Decazes. Dans la Chambre des
Pairs, lU. de LaIly demanda un projet de loi réglementaire de
la responsabilité ministérielle, complément nécessairc de la
Charte. lU. de Lally, d'un esprit facile dans ses rapports avec
les ministres, avait conservé les príncipes anglais et constitu-
tionnels qu'il défendait commeune opinión et une croyance. Le
souvenir de la condamnation de son pére le soulevait centre
l'arbitraire, et 1\1. de LaIly fit plus d'une fois entendre sa voix
contre les lois exceptionneIles; mais son esprit accommodant,
ses formes douces, ses amitiés de salons, l'entralnaient souvent
a sacrifierses principesaux agrémentsde l'intimité ministérielle,
n n'eüt jamais commis une mauvaise action politique, mais il
eüt voté une mauvaise loi par entrainement ou par confiance.
Sa proposition sur la responsabilité ministérieIle était remplie
d'excellents principcs. 1\1. de LalIy exposait les vieilles lois de la
monarchie sur le systeme représentatif , les assemblées natio-
nales et la responsabilité de fait qui existait aux fourches de
1\1ontfaucon, et plus tard ala Bastille contre les ministres pré-
varicateurs; il comparait ces faits avec la législation anglaise,




CHAPITRE XTI. 249
d'oú il tirait une série de propositions qu'il voulait convertir en
loi sur la responsabilité. C'est une particularité aremarquer que
jamais Chambre n'a pu arréter les principes d'une responsabi-
lité ministérielle. Voici peut-étre le motif : Qu'un ministre soit
responsable, rien de plus simple; mais de quels actes? Quelle
sera la forme de la responsabilité? A quoi s'étendra-t-elle ? Qui
réglera ces eonditions? C'est que des lois éerites en matiere de
responsahilité ministérielle embarrassent un jury plutót qu'elles
ne l'aident a discerner les caso La responsabilité doit étre
vague dans les questions administratives ; il faut laisser une
grande latitude aux jurys , et ne pas trop préciser des délits qu'il
est impossible de définir.


Pour nous résumer sur la Chambra de 1816, elle n'eut point
un caractere de parti fortement dessiné ; la majorité fut une
coalition d'une fraction du centre droit et du centre gauche; ma-
jorité ministérielle plutót que politique, elle fut dominéo par les
doctrinaires , qui imposerent et soutinrent les lois d'exception
el les pouvoirs extraordinaires. Il y avait chez eux répugnance,
haine pour le parti royaliste , qui d'ailleurs le leur a bien rendu.
te ministére avait fait une grande faute de se rapprocher trop
des doctrinaires en ahandonnant le centre droit , et les unités
de droite extreme qu'il aurait pu attirer ason systeme, Unefois
trop rapproché des doctrinnires, il fut obligé de s'appuyer sur
eux, et ceux-ci le dominerent, En général, c'est une maladresse
pour un eabinet de se jeter dans les bras d'un parti exclusifou
d'une coterie, auxiliaires dangereux apres avoir été utiles. JI
est vrai que 1\1. Decazes avait besoin des doctrinaires pour les
lois d'exccption. J'ajouterai , pour étre juste, qu'on avait de
puissantes raisons pour donner au ministére la force nécessaire
dans des circonstances impérieuses. JI fallait arriver a la lihéra-
tion du territoire ; et supposez un régime absolument libre,
l'indépendance des journaux, la plus large circulation de la
pensée , il n'eüt jamais été possíble de persuader aux alliés que
la France était paisible, et que le Gouvernement pouvait se pas-
ser de l'appui de I'armée d'occupation, La Chambre de 1816




mSTOIRE DE LA RESTAURATION.
rendit egalement un servícc , ce fut la confection d'un budgot
aussi hahilement coneu que largement discuté, Si on se reporte
aux eírconstances , aux pénibles nécessités de la Franee a cene
époque , il sera permis de rendre quelque justice aux honuues
qui joterent une si grande clarté sur les chiflres jusqu'alors
si mal concus et si imparfaitement appliqués, Le Gouvernemcnt
représentatif n'avait que deux ans d'cxistcnce, et ces discussions
de tribune révélerent une grande masse de lumiérc.




CHAPITRE XIII.


llÉVELOPPEMENT DU srsrkus LIllÉRAL. DE. LA RESTAL'nATlON.


Modiíicatinn du rninisterc. - M. Molé a la marine.~ Le maréchal Gouviou-
Saillt-Cyr a la guerreo - Négociation llOUr les créauces des al1iés.-
La Sessiou de 1 S 1 i. ~ État des opinious ........ Esprit public. ~ Prepara-
tifs de la session. - Déhats, ~ Vote de crédit pOllr la délivrauce du
tcrritoire, - Administration publique ....... Congl'es d'Aix-Ia-Chapelle.


Juillet 181'. - Oetobl'e 1818.


ALAfin de la scssion de 1817, le ministere sentit l'ímportance
de mettre son personnel en rapport avec les combinaisons nou...
velles que la loi des élections allait Iaire naitre. La premiere
condition d'un Cabinet est d'étre en harmonie parfaite d'opinion
politiqueo D'apres les données probables, le cinquiéme qui al...
lait cntrer dans la Chamhrc devait imprimer une teiute plus Ii-
béralc et plus constitutionnclle ala majorité. 11 fallait des 101'8
organiscr le Conscil dans le sens des aetes et de l'esprit de eette
majorité. J'ai dit que M. Dubouehage, quelle que füt son ad-
hésion an systeme posé par l'ordonnanee du 5 septembre , était
demcuré dans les idées de la majorité de 1815. Il avait fait ,.
certcs , de bien grandes concessions , jusqu'au point d'écrire de
sa main l'ordonuance qui destituait M. de Chateaubriand; mais
ces conccssions , M. Dubouchage les avait eonsenties acontre-
cccur, Cornme homme de cabinet, il était en complete déea-
dence; la force ct les moyens lui manquaient pour diriger l'ad-
ministration de la marine: on songea a le remplacer, C'était
avec rcgret que M. de Ilichelicu avait vu le maréchal Gouvion-
Saint-Cyr se retirer du Cabinet avec 1\1. de Talleyrand : le ma-
réchal avait de la Icrmeté joiluc ades principcs Hb~J;\!\\~. ~ tI l'é."




2 ~ 'J.oJ_ lIISTOmE, DE LA RESTAUHATION.
pondait, par ses opinions, au centre gauche , opimons ({m
devaient entrer en force dans la nouvclle majorité : cnsuitc
c'était un administrateur habile dont on avait besoin dans le
Conseil. Une ordonnance royale promut , en conséquence,
M. Dubouchage ala pairie, et nomma lU. Gouvion-Saint-Cyr
au ministere de la marine.


Le département de la marine ne pouvait étre pour le maré-
chal qu'un provisoire; sa spécialité l'appelait au ministérc de la
guerreo On prépara ce changement par la retraite du général
Clarke. Les opinions du général Clarke avaient également suhi
des modifications depuis l'ordonnance du 5 septembre; cepen-
dant il était incontestable que l'auteur des catégories ne pouvait,
pas plus que 1\1. Dubouchage, se maintcnir en présence d'une
Chambre dont la majorité avait complétement changé d'esprit,
Le général Clarke avait marché avec loyauté dans le sens du
ministére de 1\1. Decazes , mais il allait se présenter des qucs-
tions dans lesquelles l'opinion du ministre différait essentiellc-
ment de celle de la majorité, par exemple le projct du recrute-
mcnt qu'on aIlait présenter dans la session. Sans cette eoneession,
il était impossible au Cabinet d'avoir son budget de la guerreo
Dans cette situation , on négocia avcc1\1. le général Clarke pour
obtenir sa démission, et la chose étant difficilc, J\I. Decazes Iit
ratifier par le Iloi le remplaccment du ministre si protégé par la
Chambre de 1815 : M. Gouvion-Saiut-Cyr allaprendre sa place
de droit au ministere de la guerreo Ilestait done un porteíeuillc
vacant, celui de la marine; il fut donné a l\I. Molé. J'ai déj~l
parlé de 1.\1. ñlolé. Depuis I'Empire, c'était le premier ministere
qu'il acceptait , quoique déja quelques ouvertures lui eusscnt
été faites. 1\1. Molé était fort avant dans la confiance de M. de
Hichelieu; sansétre mcmhro du Cabinet , comme directeur-gé-
néral des ponts et chaussées , il avait souvent été consulté sur
certains actes du Gouvernement, 1\1. Molé avait une haute ha-
hitude d'affaires et de ce qu'elles ont de positif. Jeté d'une vio
solitaire dans la maiu de cet homme immense qui hroyait tous
les caracteres a sa trempe , M. Molé avait conservé de ceue




f.HAPITRE XIII. 253
grande écolo une sorte d'individualité indéléhile qui le rendait
moins propre a recevoir l'impulsion qu'a la donncr. Pcrsonne ,
si 1'0n en excepte l'archichancelier, n'avait possédé a un plus
haut degré la confiance de Napoléon. JU. Molé avait ce charme
de eonversation remarqué méme dans ces causerics OU hril-
laient 1\1. de Fontanes , l\longe, Portalis , Caruhacéres , et, au-
dessus d'eux tous , la puissante parole de l'Empereur. Le défaut
saillant de lU. Molé était surtout de se dégoüter facilement des
afTaires, de trop voir les charges et les difficultés d'une position,
de n'avoir pas cette force qui sait persévérer. dans une ligne et
braver les obstacles. Alors il fuyait le pouvoir comme un ennui,
il ne pouvait plus vivre dans une atmosphere qui n'était plus la
sienne , et il retrouvait un repos brillant au sein d'une grande
existence. llar le remplacement du général Clarke et de M. Du-
bouchage, le ministere de M. de Richelieu avait entieremcnt
changé d'esprit et de direction. De tout le personnel primitif,
il ne rcstait que MM. de Richelieu, Deeazes et Corvetto : JU. de
Richelieu, absorbé dans les négociations avec les étrangers,
l'homme indispensable et spécial dans cette portion des affaires ;
le second, favori du Iloi , et que les partís extremes ména-
geaient eomme le pivot néccssaire de toute cornhinaison nou-
vello dans quelquc couleur qu'eJle füt concertée; le troisiéme ,
tellement engagé daus les opérations fluancieres , qu'il était éga-
lcment une spécialité agréable d'ailleurs a tous les partís. Le
ministere , tel qu'il était composé , répondait au centre droit et
au centre gauche. L'exprcssion de la droite extreme et de la
Chamhre de 1815 avait entierement disparu dans le Cabinet.
Déja lU. Pasquier avait remplacé 1\1. de Trinquelague par lU. Ra-
vez; lU. Gouvion-Saint-Cyr changea également le secrétaire-
·général de la guerre: lU. Taharié céda ce poste ¿l 1\1. Allent ,
appartcnant aux opinions du centre gauche. ]\l. oc Mirhel fut
désigné pour secrétaire-général du ministere de la police, 1\1. de
Chabrol, préfet du Ilhóne , et qui siégeait au centre droit, fut
nommé pour remplir, aupres de lU. Lainé, les fonctíons de sous-
secrétaíre d'État ; cnfin M. Bccquey, également du centre droit,


22




254 I1ISrOIRE DE LA RESTAURATlOi\.
prit la dircction générale des ponts et chaussóes, Ai-je bcsoin
d'ajoutcr que tous ces changements dans le personnel excité-
rent de vives et pressantes oppositions dans la Cour et daus
l'extrémité de droite de la Chambre des Députés. l\l. le comte
d'Artois déclara que puisque le Iloi voulait se perdre, il en était
le maitre, et qu'il allait prendre ses précautions,


En résumé , pourtant ainsi compasé, le ministere était fort et
completo Aupres des étrangcrs, et pour les négociations auxqnellcs
l'occupation pouvait donner lieu, personne n'était , certcs , dans
une meilleure position que M. de Iüchclicu ; aupres du Iloi on
avait 1\1. Decazes, dont le crédit augmentait chaqué [our, Le
Roi ne pouvait s'en passer : il prenait cette habitude toute páter-
nelle de ne l'appelcr que mon enfant, et de le considércr comme
son éleve, En ce qui dépendait de la Chambre des Pairs , l\l. de
Richelieu y conservait une grande iufluence, Devant la Chambrc
des Députés , l\l' Couvion- Saint - Cyr rcprésentait la gauche ,
M. lUolé les doctrinaires , M, Lainé et 1'1. Pasquier le centre
droit , a11ant un peu au centre gauche l lU. Corvetto toutes les
nuances , paree qu'il plaisait également atoutes, Comme capa-
cité, il était difficile de trouver une réunion plus distinguée ct
plus émincnte. Que comparer a I'éloqucnce parlcmcntairc de
l\l. Lainé? rl la scicnce d'affaires de 1\1. Pasquier ? aux talcnts
administratiís du maréchal de Saint-Cyr? a l'expérience et a la
fermeté éclairée de M. )Jolé? a l'habilet.é pour le manicmcnt
des hommes , que possédait au plus haut degré M. Decazes , a
sa connaissance spéciale des mohiles intimes qui font agir les
majorités dans les assemblées?


La concession faite par les alliés pour la diminution du con-
tingcnt de l' armée d'occupation constatait que les meilleurs
rapports existaicnt entre la Francc et les Puissances étrangercs :
ces bons rapports étaient entrctenus par des relations fréquentcs,
par des exposés parfaitemcnt faits et qui prouvaícnt aux yeux
des Cabinets les progres que l'csprit de modération Iaisait en
Francc. J'ai eu sous les ycux la correspondance du duc de Biche-
Iieu arce les ambassadcurs (rall~~~ ¡~ Londres , aYienne ~ ~ Berlia "




tHANTRE XIII. 255
tI Saint-Pétersbourg surtout; leurs instructions portaíent qu'ils
eussent bien ~l convaincreles Cabinets alliésque l'ótat de la Franco
s'améliorait chaque jour, de maniere que l'évacuation du terri-
toirc pourrait avoir lieu sans compromettre l'ordre intérieur et
la paix de l'Europc, Je dois dire , ¿l l'éloge des ambassadeurs ,
et particulieremcnt de 1\11\1. d'Osmond, de Cararnan , de Bonay,
de Noaílles , qu'ils secondérent parfaitement les nobles vues du
duc de Richclieu; il Yavait des questions d'intérét national sur
lesquellcs les opinions pcrsonncllcs n'étaient [amáis divisées. Tel
étaitcet cntruluementvers l'honneur du paysqu'il saisissait méme
les esprits les plus imbus des opiuions de la Chambre de 1815•
Jamáis amhassade ne fut plus Iihérale que celle de 1\1. Ilyde de
Nenville aux "États-Unis; sa correspondance existe encore aux
allaires étrangercs comme un monument de noblesse et d'hahi-
leté; lU. de Neuville a laissé de hcaux souvenirs, soit parmi les
Américains, soit méme parmi les exilés francais que la Chambre
de 1815 avait proscrits, La mission de M. d'Osmond aLondres
était fort délicate : l' Angleterre, profondément remuée par les
Iactions , suspendait les garanties publiques, accusait les libé-
raux Irancai» de préter les mains aux radicaux; un attentat réccnt
avait été commis sur la personnc du Prince régent ; la popula-
tion de Londres était violemment agitée ; lord Castlereagh luttait
péniblement contre une puissante minorité dans le Parlement;
le role de 1\1. d'Osmond était de secouder lord Castlereagh , de
plairo au Prince régent , et de défendre surtout la France d'une
accusation de complicité dans les troublcs qui agitaient l'Angle-
torre. A Saínt-Pétersbourg , 1\1. de Noailles avait une posítion
plus facile; il n'était pour ainsi dire que le porteur de parole
entre 1\1. de Ilichelicu et l'Empereur, et dans un role tout passif;
seulement l\l. de Noaillcs avait ordre d'imprimcr :. la haute
société russe cette conviction que jamais l'état de la France
n'était plus tranquille et le gouvernement de Louis XVIII
plus Iort ; un role semblable avait été destiné auxdeux am..
bassadeurs aupres des cours de Vienne et de Berlín, mais il
était U\ plus diíllcilc I cal' la situation de l'Allemague et la craintc




256 JIlSTOIRE DE J.A RESTAURATION.
des révolutions préoccnpaient déja l\Il\1. de Metternich et de
Hardenberg.


La question la plus délicate et la plus difficile, celle qui tou-
chait a l'existence indépendante de la Franco et a la fortune
publique, était la liquidation des créances pour les sujets des
Puissances alliées; la commission mixte recevait des réclama-
tions indéflnies; M. de Richelieu et 1\1. Mounier en furent telle-
ment effrayés qu'ils exposerent aux légations l'impossihilité pour
la France de satisfaire a cette masse de réclamations toujours
agrandie ; je rappelleque M. de Richelieu avaiteu encore rccours
¿t l'empereur Alexandre: avec sa générosité habituelle, le Czar
prit en main d'en flnir avee cette négociation , et voici la lcure
qu'il éerivit dans cet objet au duc de 'Vcllington : « Placécomme
vous l'étes , ]U. le l\Iaréehal, a la tete des forccs militaires (le
I'alliauce européenne , vous avez coutribuó plus d'une fois , par
la sagesse et la modération qui vous distínguent, aconcilier les
plus graves intéréts ; je me suis constamment adressé avousdans
toutes les circonstanccs qui pouvaient particulierement influcrsur
l'alfermissement de l'état de choses rétahli en France par vos glo-
rieux exploits ; maintenant que la question de créance partícu-
liere a la charge de la Franco prend un caractcrc critique et
décisíf, a raison des diflicultés que présente l'exécution littérale
du traité du 8-20 novembre 1815, jc n'ai pas cm devoir laisser
ignorer mon opinionaux Monarques mesalliés sur lemode d'envi-
sager cet engagement onéreux, de maniere aen prevenir l'infrac-
tion et ale rendre exécutable. Les assertions du Gouvernement
francais vous sont connues, lU. le ñlaréchal, mon ministre ¿l
París recoit l'ordre de vous communiquer le Mémoire qui a été
tracé sous mes yeux , relativement acette qucstion importante.
Je vous invite aporter toute votre attention sur I'enchainement
des motifs de droit et de convenance politíques qui se trouvcnt
consignés dans ce travail , a l'appui du príncipe d'accommode-
ment présent , pour résoudre les complications inhérentes ¿l
l'aequittement des créances particulieres qui furent imposées ¿t
la France , alors qu'il n'était pas facile de prévoir leur énormc




CHAPITRE XIII. 257
dévcloppement. Vous apprécierez , ]U. le Maréchal, l'ensemble
des considérations majeures qui plaident a l'appui d'un systéme
de conciliation équitable, Vous répandrez toute la lumiere d'un
esprit juste, toute la chaleur d'une ame élevée a la hauteur des
círconstances, sur une question de laquelle dépendent peut-étre


. le repos de la France et I'inviolabilité des engagements les plus
sacres. Ilecevez , ]U. le lUaréchal, les témoignages réitérés de
toute mon estime. ALEXANDRE. »


A la suite de cette lettre, tout entiére écrite de la main de
l'Empereur, et qui investissait le duc de 'Vellingtond'une sorte
de dictature financiere , la chancellerie russe avait rédigé un
mémoire fort détaillé sur toutes les questions que soulevait la
liquidation. JI était dit : (1 Une difficulté majeure se présente;
elle consiste en ce que le crédit dont la France doit se pour-
voir pour faire droit a toutes les prétentions autoriséespar l'acte
du 8-20 novembre, dépasse outre mesure tous les moyens dont
Sa l\lajesté Tres-Chrétienne peut disposer pour remplir loyale-
ment cette partie des engagements envers les Puissances étran-
geres. » Danscet objet le duc de Richelieu a adressé une note,
le 30 septcmbre 1817, a l'elTet de modifier lesclauses dn traité;
de maniere a ce que le résuItat des négociations entrát dans la
sphere des obligations que la Frunce puisse acquitter. Toutes
les Puissances sentent le besoin d'arriver a un résultat sans dé-
truire le texte des conventions arrétées; le Gouvernement fran-
<:ais ne conteste pas la dette qu'il a contractée en signant le traité
du 20 uovembrc, Il. en a déja acquitté jusqu'a concurrence de
200 millions ; le total des réclamations qui subsistent encore
s'éleve ¿l plus d'un milliard; quelqne diminution que cette
somme püt éprouver, il est impossihle au Gouvernement francais
de l'acquitter ; d'oú résultent ces trois qucstions : les príncipes
du droit public autorisent-ils le Couvcrncment de Sa Majestó
Trós-Chrétienne aproposer aux Puissances signataires du traité
du 8-20 novcmbre 1815 de morlifier une clause de l' acte qui y
est annexée? Les Puissances, en y consentant, ne dérogent-elles
pasala maxime conservatrice de mainteuir inviolable la foi des




258 HISTüIRE DE LA RESTAURA.TIO:\.
traités ? ne portent-elles pas un préjndice réel anxavantages qui
furent assurés a leurs sujets respectifs par les transactions sus-
mentionuées! » Le Cabinet russc décídant ces troisquestions fa-
vorablcment aux intéréts de la France , déclarait surtout que
les garanties qu'offrait le Gouvernernent frnncaís étaient suffi-
santes pour autoriser une nouvelle négociation; « en eITet, con-o
tinuait la note du Cabinet, le fonds de garantie stipulé par le



traité du 20 novemhre , est representé par une rente de 3 mil-
lions 500 000 fr.; aujourd'hui le Gouvernement francais offre
une rente de 10 millions , représentant unfonds de liquidation
de 290 millions, L'opinion personnelle de I'Empereur n'est pas
douteuse. Si la négociation n'eüt regardé que des sujeta polo-
nais , Sa ñlajesté Impériale n'aurait point hésité a adhérer aux
propositions faites par le Gouvernement francals : mais commc
plusieurs nationssont intéresséesdans la négociation, I'Empereur
ne peut donner qu'un avis. L'avis de Sa JUajesté Impériale est
done que les ministres des Puissances He réunissent en confé-
renco sous la dircction d'un président , pour arréter , ainsi que
l'avait écrit le duc de 'Vellington, la décision de ces questions
majeures sous des formes analogues a sa gravité et a son irnpor-
tance européenne. On sent de quel poids pouvait étre dans une
telle affaire l'opinion personnelle de l'empcreur Alexalldre; elle
cntrainu toutes les autres opinions, Le duc de ",ellington Iut
nommé a la présidence de la corumission diplomatique etIinan-
ciere ; des conférences fréquentcs s'engagereut entre le lord
maréchal, le duc de Ilichelicu et 1\1. Mounier.


En méme temps le ministerc recut le texte du uouveau concor-
dar el les dépéches de :\1. deBlacas. Ce concordat avait été signé ü
Ilome le 2'1 juin 1817, par le cardinal Gonzalvi et i'ambassadeur
de Franco, 1\1. de Itichelieu était trop pen Iamilier avec les aflaircs
du culto et les questions ccclésiastiques ponrcomprendre touteslcs
conséquenccs de la convention arrétéc ü Rome; il n'y vil qu'un
moyen de rcconstituer l' .Église de Frunce et de satisíaire le cüt(~
droit et il lit échangerles ratiflcations parI'ambassadeur, le 1Q. juil-
let. Une fois maitre de la ratiücation , le cardinal Gonzalvi 'en-




CHANTRE XITT. 259
tendit aveé M. (le Blarns pour lapublication ele la bullede circon-
scription, qni fut arrétée le lendemain 16 juiJIet. Quand le Conseil
des ministrescut recu cettebulle, il en fut elfrayé ; et commcnt se
présentcr devant la nouvelle majorité , avec des actes qui ren-
vcrsaient de fond en comble le concordat de I'an X, et foulaient
aux pieds les libertés de l'Églisegallicane? 1\1. Lainé connaissait
trop bien les droits de la Couronne et les anciennes franchises
du pays pour subir en son entier le concordat et la bulle. Il les
soumít aune commission du Conseil-d'État, et, d'un avis una-
nime1 cette commission declara aux ministres qu'il fallait pré-
senter ces deux actes a la Chambre; c'est ce qui fut arreté au
Conseil des ministres alors préoccupé des épuratíons adminis-
tratives dans le sens de la majorité nouvoíle, Une fois les sous-
secrétaircs d']~tat changés , il était naturel que le personnel sous
leur dépendance s'en rcssentit égalementr il Y eut encore des
mutations dans les préfectures ; 1\1. Lainé ne cessait de recom-
mander aux préfets une extreme modération; mais, plus ils de-
vaient montrer d'impartialité , plus aussi ils durent témoígner
de la chaleur et du dévouement dans leur langage, ala personne
du Boí, et particuliércment au dogme de la légitimité, Ce serait
un curieux recueil afaire que de réunir , pour l'enseignement du
présent, ce que les hommcs politiques ont écrit sur le dogme
tombé ; je n'accuse personne; le creur humain est u II si granel
mystere, et le torrent des événemcnts politiquea a bien cmporté
d'autres serrnents !


Tout ceci s'écrivait dans la vue des élections. Ces élections
ele 1H'17 avaient une haute importance, C'était la premiare fois
qu'nn allait mettre en action la nouvclle loi, Le ministére avait
hesoin de constater aux yeux du Roi, de la cour, du partí roya-
liste et de l' Europe que eette loi , loin d'étre mauvaise , devait
produire des résultats avantageux ala rnonarchie et a la légiti-
mité. Le rcnouvellcment par série était favorable au Pouvoir;
il n'imprimait pasune action trop remuante , trop forte au pays
monarchlquemcnt gouverné. Il permettait d'essayer les résultats
d'une nouvelle comhinaison électorale , pardes épreuves suecos-




260 HISTOIRE DE tA RESTAURATlON.
sives; il mettait améme de la juger; il modifiait lentement les
majorités, et ne les faisait pas passer d'un esprit aun autre par
une transition trop brusque. Les départements qui , par le tirage
au sort des séries , avaient leur députation a renouveler, étaient
les Hautes-Alpes, la Cóte-d'Or, la Creuse , la Dordogne , le Gers ,
l'Hérault, Ille-et-Vilaine , Indre et Loire, Loiret , Lozerc ,
ñleuse, Oise, Orne , Haut-Rhin, Hhóne , Seine , Deux-Sevres.
Les séries avaient été divisées de maniere a ce que les opinions
se halancassent , et qu'une irruption de tel ou tel partí ne vint
pas tout d'un coup envahir la Chamhre. Dans quelques dépar-
tements, tels que ceux des Hautes-Alpes, de la Dordogne , le
ministere était sur de triompher, ce qui compensait les choix
du libéralisme menacants dansles départements de la Cóte-d'Or,
de la Seine. D'autres départements avaicnt a compléter leur dé-
putation; e'étaient l'Ain , les Basses-Alpes, la Manche, le Nord ,
la Mayenne, I'Eure et le 1.01. Trois opinions allaient étre en pré-
sence dans les colléges électoraux : les Royalistes opposés an
ministére et au systeme de l'ordonnance du 5 septembre; les
doctrinaires , les centres droit et gauche, tous présentés et ap-
puyés par le ministére ; enfin les indépendants ou Lihéraux ah-
solns dont les opinions pouvaient se personnifier dans les can-
didatures de MM. Benjamin-Constant et Manuel. Dans un
grand nombre de colléges les Iloyalistes n'avaient ni voix ni
chances, cal' l'opinion libérale avait grandi, Qnoique la liberté
de la presse n'existát pas tout entiere , des brochures avaient été
puhliées, et 1\1. Benjamin-Constant écrivait un pamphlet remar-
quable, précisement sur cette liberté de:la presse.


L'approche de cette grande lutte électorale avait jeté dans
les esprits une vive agitation. Les Iloyalistcs accusaient déja le
ministere d'avoir produit ce trouble, ce désordre intérieur. La
loi de février 1817 était a leurs yeux une loi sans prévoyance,
qui exposait la monarchie et le tróne legitime a tous les cxces
révolutionnaires, A cette occasíon le rñinistere fit publier plu-
sieurs hrochures pour justífier son ouvrage. 11 s'agita beaucoup
également pour repousser les indépendants, Un article fort re-




ClIAPITRE XIII.. 26i
marquableécrit par 1\1. Beugnot fut puhlié dans le Moniteur;
la marche du Gouvernement y fut justífiée contre les pamphlets
dont le parti libéral assourdissait le public; les électeurs, selon
ces pamphlets, ne pouvaient et ne devaient choisir que les in-
dépeudants: lesindépendants étaient des h0ll1111eS incorruptibles,
inrariablcs , ceux qui devaient proteger le peuple, sauver le
pays; en vérité l'éloge était trop hardi : comment ceux qui
avaient changé sous les milles formes .de gouvernements de la
Ilépuhlíque et de I'Empire, étaient-ils invariables? et, quant a
leur incorruptihilité , l'histoire sait aquoi s'en tenir. Parmi les
séries a renouveler se trouvait celle de la Seine. C'était la natu-
rellcmcnt que la lutte devait étre plus vive et plus soutenue ,
cal' la masse des électeurs était plus grande et plus confuse. Il
n'y avait que des chanees Iaihles pour les Ilovalistcs exclusifs
dans le eollége départemcutal de Paris. Ce eollége avait huit dé-
putés aélire, Les députés élus furent MM. Laffitte , Benjamin
Delessert , Roy, Goupy, Bellart, -Breton , Pasquier et Casimir
Périer. Le Gouvernement n'avait pas précisément a se plaindre
d'un tel résultat a Paris , ville essentiellement exposée al'action
puissante des partis ; il avait obtenu plus de la moitié de ses can-
didats; cnsuite LU. Laffittc no lui était pas précisément hostile;
1(' Gouvernement avait su complétement se l'attirer en associant
sa maison de hanque a la compagnie étrangére des emprunts,
MM. Delessert et CasimirPérier appartenaient plutót a la frac-
tion du centre gauche qu'a la gauche. On pouvait les rattacher
par quelques concessions dans le personnel administratif Le
partí royaliste , abandonné a ses propres forces , n'avait eu
qu'une minoríté, La lutte véritable était entre les ministériels
et les indépendants, Cette situation se produisit dans des pro-
portions égales pour les départements, Dans les Hautes-Alpes les
élections furent toutes ministérielles; lU. Angles pere fut réélu;
dans la Cóte-d'Or le parti libéral eut triomphe complet par
l'élection de l\ll\I. Caumartin, Hernoux et Chauvelin; la Creuse
donna des choix ministériels , la Dordogne élut également des
ministériels, MM. Maine de Biran et Leval; il en fut de méme




262 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
du Gers par le choix du général Lagrange , de 1\1. Cassaignolcs
et de 1\'1. Delong. L'Héra ult donna un mélange de Royalistes et
de ministériels; le marqnfs de Montcalm, Durand-Fajon et le
comte de Floirac; on ncput éviter l'élection de 1\1. Corhier«
dans l'Ille-ct-Vilaine; l'Indre-et-Loire élut des ministériels ,
MM. Perceval et Gouin-lUoisant. Pouvait-on dire , jusqne-la ,
que les résultats de la loi électorale fussent menacants pour la
monarchie? Ils iaissaient la Chambre apeu pres dans les mémes
combinaisons, Seulement l'extrémc droite s'cffacait succcssive-
ment , et les indépendants conquéraient un certain nombre de
suffrages. Ceux-ciprésentaient une opposition au ministerc , non
point assez forte nurnériquement pour embarrasser sa marche,
mais assez puissante sur les masses pour dépopulariser l'admi-
nistration. Ensuite il était acramdre que cette opposition , s'ac-
croissant, devint plus exigeantc, et a la fin qu'elle s'unit dans
un vote décisifavec les Royalistes pour enlever la majorité au mi-
nistere, En sommc le ministere avaít réussi a écarter desélections
générales les trois chefs de l'opposítion indépcndante : 1\HI. Ma-
nuel, Benjamin-Constant et La Fayette. C'était une victoire ; les
opinions modérées avaient triomphé encore , mais la lutte avait
été longue et la victoire disputée. Était-il a croire que ce qui
s'était produit une fois se reproduirait longtemps? Les Roya-
listes écartés des colléges en prenaient texte pour déclamer vio-
lemment contre le principe d'une loi d'élection qui éloignait a
jamais des affaires les serviteurs fideles de la monarchie. Les
doctrinaires ne prévoyaient pas le danger qui les menacait eux-
mérnes. Pouvaient-ils se flatter de l'emporter toujours en popu-
larité dans les colléges sur l'extrémité gaucho do la Chambrc?
Le pouvaient-ils , hommes de fonctions publiques et de gouver-
nement? 11 entrait dans la Chamhre trois députés fortement
nuancés dans les opinions de gauche, MM. Dupont de l'Eure,
de Chauvelin et Bignon. lU. Dupont de l'Eure était un de
ces hommes qui, couverts d'une austérité officielle , sont des
empéchements aux affaires d'intérieur comme du dehors, et
jcttent leur tenacité comme tUl obstacle 11 tonto Que sígníflc




CHAPITHE XI1I~ 263
cette rudesse qui repousse tout accommodcmcnt et qui se drape
pou!' se faire admirer? Est-ce de la vertu publique que cette
misanthropie contre un Gouvernement oú tout estconcession? Les
partís ont hesoin d'élever des autels et de classer leurs grands
honnnes comme les dieux dans I'ancienne mythologie avcc leurs
attrihuts différents, Le libéralismo a eu ses dieux de l' éloquence,
ses héros de talents, de capacité; nous Ies avons vus aux affaires,
Il leur fallait enfin le dieu de la probitéet de l'austérité, débris
des siécles de Saturne el de l'áge d'or; on en a fait un. Je ne
juge ici que l'homme politiqueo lU. Dupont de l'Eure possédait
un talent limité et peu de capacité d'affaires, Un homme d'esprit
disait que 1\1. Dupont de l'Eure s'enveloppaít dans sa vertu po·
litiquc, comme lU. Sieyes daus son silen ce. 1\1. de Chauvelin,
spirituel, caustique , possédait éminemment ces honncs ma-
nieres de grandes maisons que ses antécédents libéraux et sa
position nouvelle ne lui avaient point fait perdre. Possesseur de
grandes propriétés, entre autres de la víeille abbaye de Citeaux ,
i1 avait une fortune indépendante , sans avoír une véritahle in-
dépendauce dans le caractere, Le marquís de Chauvelin pouvait
Nre classé plutót au nombre des gens de cour, mécontents de .
leur disgrñce , que parmi ces hommcs sortis du peuple , visant
;1 la fortune et ala popularité des tribunes, Dans la composition
primitivo de la maison du Roi, on avait oublié lU. de Chauveliu
pour la surveillance de la grande maitrise de la garde-robc ,' et
cet oubli l'avait aigri peut-étre autant que l'infraction aux droits
consacrés par la Charte. La Ilestauration fi t beaucoup de mécon-
tents parmi les gentilshommes, et les gent ilshommes ne lui par-
donnereut paso Les vieilles querelles de cour , les passe-droits
de talons rouges devinrcnt autant de motifs d'opposition cousti-
iutionnellc, Au reste, le marquis de Chauvelin, député de 1817,
avait du trait , de l'a-propos , du mordant dans la parolc, C'était
l'honnne de cour a la tribune. J'ai déja parlé de ~1. Bignon a
l'occasion des évéuements de 1815. Sonélection était une cs-
pece de protcstatiou centre la Ilestauration , que le ministre des
CCllt-JQUfS avait écartée de toutes ses Iorces 101'8 des négocia..




264 mSTOIRE DE LA RESTAURATION.
tions de 1815 avec les alliés. Cependant l\I. Bignon n'était pas
tellement hostile qu'on ne püt se rapprocher de lui en servant
ses inclinations d'ambassade et de diplomatie; il avait ce qu'ou
appelle en affaires le parlage diplomatique , une espéce de be-
soin de classer les peuples et de prédire les destinées des Em-
pires, travail facile , paree qu'il ne demande que des phrases
vagues, que quelque habitude de géographie et de statistique, et
ce caquetage spirituel de l'abbé de Pradt, qui a le mérite , au
moins, de se traduire en brochure. Sa manie de tribune était
de savoir l'Europe et ses Cabinets, et illa savait par ces notions
extérieures et superficielles qui se recueillent dans les acres
patents et dans des secrets qu'on ne sait paso Orateur disert ,
écrivain froid, il voulait atoute force qu'on se souvint de l'an-
cien ambassadeur , et ne prononcait pas un discours sans rap-
peler ses précédents :avec les Cabinets. Il n'y avait d'ailleurs
rien que de tres-naturel ; comment exiger qu'on se sépare tout
afait de ses antécédents et de sa vie politique? Ces trois nou-
veaux députés , joint~ a lU1\l. d'Argenson, Laffitte et Caumar-
tin, 'allaient íormer la tete de l'opposition lihérale d'cxtréme
gauche.


Le résultat des élcctions avait révélé l'cxisteuce d'un partí
d'agitateurs et de couspiration qui ne voulait ni des Bourbons,
ni de la Charte , qu'il invoquait néanmoins dans son hypocrite
langage; mais la maSSIJ était calme, dévouée, ou, si l'on aime
mieux, résignéeau gouvernement de la Hestauration; et d'ailleurs
qucllcs merveilles ce gouvernement n'avait - il pas produites ?
L'ordre , la paix, la prospérité, Paris , lui-mémc , Paris, ingrat,
ouhlicur, se souvient-il de l'immcnse dévcloppement qu'avaient
pris son industrie, les arts et sa richesse? ses boulevards , ses
jardins publics, ses cafés, tout respirait un air de joie et de
Iéte , jamais les fortunes bourgeoises et industriellcs n'avaicnt
pris un tcl accroisscment, Des quartiers nouveaux s'élevaient ;
la population s'augmcntait dans des proportions merveilleuses ,
les étrangers venaient visiter ses monuments , dépcnser leur for-
tune dans ses plaisirs, En préscnce de ces miraculcux chango-




CHAPITRE XIII. 265
mcnts , la prossc libérale n'osait point auaqucr de front la res-
tauration des Bourbons; elle cüt trouvé centre elle tous les in-
téréts si amplcment satisfaits; des lors elle tourna la question.
JI cst de tactique pour les partís de ne jamais combattre en face
un Iait trop solidemcnt établi; le parti libéral agit avec une tres-
grande habileté; il ne lit point immédiatement une .guerrc ou-
verte; il ne protesta pas contre la Restauration; iI l'adopta
d'abord , sauf ¿l la rcnvcrser ensuitc, C'est une grande faute en
politíque de se mettre trop en dehors d'un Gouvernement pour
le rcnverscr ; iI faut, pour arriver ace résultat , étre dans le
Gouvcrnement ou acoté de ses ressorts pour en embarrasser la
marche; un parti qui proteste, qui ne va pas aux électious, ou
reíuse son scrment et s'ahandonnc a je nc sais quclle niaiseric
scntimcntale , est un partí compromis qui ne veut pas de la
victoire , ct pourtant la victoire doit étre le dernier termo des
partis ; s'il déclare une guerre ouverte au Gouvernement, c'cst
une bataille régulierc qu'illivre. Mais la force publique étant
dans les mains de ce Couvernement, la victoirc est impossihlc
ou difficile au moins. Le partí libéral agit avec circonspection ;
jo ne parle pas de quclqucs enfants pcrdus qui s'amusercnt a
des conspirations; mais la téte du partí fut admirable; elle se
placa sur le terrain de la Charte , n'cut que des parolcs de res-
pect pour le Iloi ; elle ne s'épura point , cal' lorsqu'il s'agit
d'une lutte, il est mal hahile d'amoiudrir ses rangs; le partí
libéral accueillít tous ccux qui vinrent alui; il appuya le minis-
tero lorsque le ministere lui fit des concessions; il n'attaqua
cnfin le príncipe du gouvcrncmcnt que lorsqu'il eut une force,
une grande puissance parlcmcntaire , et , pour arriver ace ré-
sultat, iI ne porta pas ímmédiatemcnt des candidats hostiles. I1
ne marcha que progressivement; d'abord ce furent MM. Ca-
rnillc-Jordan et Hoy, puis M1\I. Périer et Ternaux , puis enfin
M~I. Manuel et Grégoire; il ne déclara ostcnsiblemcnt la guerre
que lorsqu'il cut de grandes chances de victoire : haute Iecon
pour un partí qui, plus franc et plus mal hahilc , se jettc avec
esprit, mais al'étourdie , combat commc les preux chevalicrs


n. 23




266 HIST0IRE DE LA RESTAURATIO;\.
sans calculer les périls et sans préparer le succés , ct croirait
manquer a l'honneur s'il n'affrontait pas ses advcrsaires avisagc
découvert, Par eette tactique habite, l'opinion libérale attirait
successivement aelle la classebourgeoise el marchande; en par-
lant contre I'orgueil de la noblesse, centre les prétentious des
prétres et des missionnaires, en réveillant les craintcs des acqué-
reurs des hiens nationaux, il excitait pour lui les sympathies
electorales, vieux souvcnirs de gloire, noble désintércsscment ,
patriotism? élevé , haine de l'arbitraire, voila les idées que les
journaux jetaient en avant , et plus d'un honorable industriel
aurait juré que MM. Étienne et Jay, enfoncés sous le glorieux
bonnet a poil, avaient servi sous le drapean a Austerlitz ou a
'Yatcrloo, que ]U,,!. Dupin et Bcnjamin-Constant étaicnt aussi
désintéressésque Catoud'Utique , enfinque l\DI. Barthe et Persil
étaicnt les plus implacables enncmis de l'arbitraire et les défen-
seurs de tous les opprimés,


A eette époque le parti libéral n'avait pasprécisémcnt de des-
sein arrété ; il s'organisait seulement , et dans cette ceuvre difli-
cile il se gardait bien de faire connaitre ses projots, A prendre
les unités libérales individuellement , il Yavait trois fractions
bien distinctes dans le partí qui s'intitulait alors inilcpetulant,
Les impérialistcs, e'était le partí aetif, militaire; le plus dango-
reux pour la Restauration, paree qu'il comprenait tous ces
grands débris de gloire, tous ces esprits entreprenants , ces
vieux soldatsqui avaient rempli l'Europe de leur renomméc, Ce
partí avait les yeux fixés sur Sainte-Ilélene ou sur Napoléon Ir,
que l' Autriche , disait-on , n'aurait pas repoussé. Il faisait cir-
culer les plus incroyables nouvelles ; tantót l' évasion de Bona-
parte arrivant en Europe a la tete de je ne sais quelles nations
barbares el inconnucs; tantót I'Europe , Iatiguéc du gouvcrne-
mcnt de Louis XVIII, s'était réunie autour de Napoléon Il;
ces idées de l'Empire plaisaient au pcuple; l'image de Napoléon
grandissait a mesure que le temps de son rcgue , s'éloignant ,
paraissait en présence de la postérité.


La seconde fraction, le parti de 1688, mauquait d'organisatlon




CHAPlTRE XlII. 267
précise par celaseul que le prince autour duquel elle se groupait,
rcpoussait tonte idée de conspiration si ce n'est celle du temps,
les fautes du Pouvoir, et le mouvement naturel des partis. Un
mot de S. A. S. aM. le marquis de Vérac révélait tout entier
ses embarras: ( Je suis trop Bourhon pour les uns et pas assez
pour les autres.» Ce mot indiquait toutes les difficultés. Au
reste, les projets de ceux qui songeaient au prince s'attachaient
plntót au hesoin d'un nom , a une similitude historique avec la
révolution de 16HH qu'a un dévouement personnel. On aperce-
vait dans cette combinaison une éventualité de changement poli-
tique sans grande sccousse , sans commotion , et cela plaisait
aux esprits timides, La dernierc des fractions, plus forme et plus
énergique que les deux autres , se serait réunie au besoin au-
tour de M. le duc d'Orléans , qu' elle considérait comme uue
transitiou et un passage al'ordro de choses qu'elle désirait ; le
partí répuhlicain s'était fait orléaniste aplusieurs périodes de
la révolution; c'était une forme qu'il cherchait a subir pour
prendre bourgeoisie dans un pays oú les idées monarchiqucs
ont tant de partisans zélés, Les répuhlicains conservaicut cette
énergie de moyens, cctre force de résolution qui compose le
grandioso de Ieur caructere : moi qni , par position politique et
par tous les événemcnts de ma vie, ai été lié aux gouvcrnemcnts
d'ordre , de modération et de ménagements, j'admire néan-
moins an Iond de l'áme ces jeunes imaginations et ces nobles
creursqui saveut si hien mourir pour une cause; et qu'on m'en-
lende bien, je ne fais pas l'injure aux républicains de mettre a
lcur tete ces vieillcs réputations , ces drapeaux usés , l\I. de La
Fayctto , réveur d'une utopie américaine. Ce n'est point une
république paisible et monotone de planteurs que ces jeuncs
hommes révaicnt ; la gloire , la conquéte , tous ces prestiges
gigantesques de la Ilépublique sanglante, maissublime. En ré-
sumé, les trois Iractions des indépendants se réunissaient dans
un but cornmun d'opposition : ils faisaient une guerre vive,
puissante , attaquaient sans plus ou moins de tactique les actes
de la Bestauratíou ;ils trainaient aleur suitc et progressivcment




268 IIlSTOIRE DE LA RESTAURATIÜN.
l'opinion eonstitutionnelle, que je n'appelle point parti , paree
qu'elle n'avait encoreaucune idée , aucun but de renversement.
L'idée de constiiutum n'était pas, en1817, parfaitement définie
et comprise par les masses; cependant toute la classe moyenne
voulait les Bourbons et la Charte , et la classe moyenne votait
dans les élections; 01', la grande habileté, soit pour le Gouver-
nement, soit pour les partís, était d'attirer a soi eette classe
moyenne. Le parti de la révolution y travaillait avec une persé-
vérance et un bonheur remarquahles ; la presse avait éveillé dans
eette classe naturellement craintive et bornée, des terrcurs
mensongeres sur ses droits menacés; des lors elle passa clans
les rangs des indépendants pour y chercher appui , et ]a Res-
tauration pcrdit ainsi un de sesplus fermes soutiens. La faute en
fllt moius au Gouvernemellt qu'au partí royaliste , qui poursuivit
l'opinion constitutionnelle de sessarcasmes, de ses mépris el de
seshaines. LesRoyalistes firentbiendesfautes acetteépoque, et la
plusgrande de toutes fut d'associer trop eomplétement laquestion
religieuse a la question politique , et, dans ces questions reli-
gieuses, de s'arréter acertains points impopulaires en Franco;
par exemple , les missionnaires et les jésuites. L'influence du
clergé est naturelle; d'ailleurs, n'est-clle pas un fait , et dans
tout systeme , un Gouvernement qui ne tíent pas compte d'un
fait souleve contre lui des résistances menacantes. Les mission-
naires et les jésuítes furent un texte continuel de déclamations
dans les feuilles lihérales, et pourtant lesmissionnaires n'étaient-
ils pas un moyen de moraliser la classe inférieure! La caricature
se saisit de tous les ridicules; l' esprit de la presse fit le reste.
Cette attention presque exclusive pour les idées religieuses ,
éloigna de l' opinion royaliste , mérñe des hommes trés-dévoués
a lamonarchie; la philosophie du xvrn- siecle avaitfait assez de
ravagc parmi les gentilshommes, pour Iaisser des traces decette
impiété élégante et spirituelle que l'infortune aventureuse de
l'émigration n'avait pas effacée; tel aurait donné sa vie pour
son roi et pour le trüne légitime, qui ne se serait pas sacrifié
pour 1\1. de Bauzan OH pour les freres des écoles chrétiennes ;




CHAPITRE XIII. 269
en 1817, le parti royaliste se divisait également en plusieurs
Iractions tout comme le partí libéral. D'abord une fraction , et
elle était assez considérable, s'était réunie au systeme de 1\1. de
Richelieu et de 1\1. Decazes; quelques-uns par simple dévoue-
ment, et par la conviction qu'une marche libérale et constitu-
tionnelle était le seul moyen de sauver la dynastie; quelques
nutres par des motifs moinsdésintéresséset par suite de positions
politiquea et administratives. Une secondofraction réunie autour
des partisans de l'ancienne forme de gouvernement voulait sub-
stituer a la Charte , dont elle invoquait cependant le nom, le
systéme des Etats de la vieille monarchie. La troisieme , et qui
était le parti religieux, dont 1\1. de Marcellus était la plus simple
et noble expression, pensait que la monarchie , pour étre forte,
avait hesoin de l'appui de la religion, et liait indestructiblement
l'existencede l'une al'autre. En somme, le parti royalisteen 1817
était cncore une grande force d'opinion, et cela est si vrai que
le parti libéral, uni a l'influence ministérielle, ne put pas tou-
jours éloignerses candidats électoranx. Les indépendantsont dit
longtemps: Nous sommes la France; c'est la prétention de tous
les partis: on veut étre le pays, on le cric a tue-téte ; les Libé-
rauxl'ont soutenu , et on l'a cru; la faute des Royalistes a été
de ne pas l'avoir répété aussi souvent et aussi énergiquement.
Ensuite ils prenaient les faitsaune trop vieille date; ils voulaient
des institutions aun autre milIésime que celui de l'époque dans
laqueUe ils vivaient. Cefut leur erreur. Les forcessociales s'étaient
balancées dans d'autres combinaisons; la grande propriété était
encorc dans les mains de l'aristocratie : maisla petite leur échap-
pait; des masses d'argent circulaient par la hanque; les manu-
factures avaientpris une haute impulsion; le peuple s'étaít éclairó
bien ou mal, n'importc, les lumiéres s'étaient manifestées; elles
n'étaient plus un privilégc, Comment supposer alors que ce qui
était une puissance el un prestige , avant une aussigrande révo-
lution dans l'esprit humain , pouvait l'étre encore? Ce fut ainsi ,
pour s'étre égarée , que l'opinion royaliste perdít son influence
d sa popularité !




:no HlSTOTTIE DE LA RESTACRATlOl\.
m's qne la couleur des élcctions fut connue , le miuistére s'em-


pressa de rédigcr une masse de projets ministéricls susceptibles
d'ohtenir I'assentiment de la Chambre ; cal' cettc majorité, tonto
ministéricllo qu'elle était , devait aussi avoir ses exigences ; il n'y
a jarnais dans un systeme repróscntatif une majorité complete-
ment ministérielle , de teIle sorte que le ministere pourrait lui
présenter telle loi qui conviendrait au caprice du Pouvoir. 1)11
ministére n'est que ce que la rnajorité veut qu'il soit; elle l'em-
preiut de son esprit; si elle est royaliste, il ne serait pas long-
temps perrnis a une administration d'agir dans le sens opposó ;1
son opinión et de se faire lihérale. On a dit : « les trois cents de
1\1. de VilleIe »; il aurait faUu dire : ( 1\1. de VilleIe, ministre des
trois cents.» C'est la condition naturelle de l'alliance entre lePou-
voir et les majorités, 11 y avait deux intéréts aservir dans la ses-
sion qui allait commencer : les aífaires et les opínions ; j'aí dit
oú en étaient arrivées les opérations financieres ala fin de 1817 ;
loin d'accabler le crédit public , l'émission de nouvelles rentes
avait produit un mouvernent de hausse tres-prononcé ; le 5 poui
ccnt avait atteint 65 et 66 fr. I..es hailleurs de fonds pour I'em-
prunt avaient ohtcnu plus de 8 a9 pour cent de béuéficcs : on
pouvait des lors songer aopérer plus en grand, et aobtenir, par
un acquittement complet des obligations contractées envcrs l'é-
tranger , l'cntiere libératiun du territoire ; ce vceu patriotique ,
le ministere songeait a le satisfaire plus qu'a toute autre chosc ,
cal', bien qu'on ait reproché ala Bestauration , dans des dócla-
mations irréíléchies, de ne vivre que par l'étranger , de IW re-
courir qu'a l'étranger, cependant le plus puissant de ses vrrux,
sa pcnsée dominante ~ fut de délivrer le territoire des grandes
armées alliées que le triste épisode des Cent-Jours avait appe-
lées, La liquidatiou des créanccs étrangercs arrivait égalcruen:
~\ sa fin; 1\1. lUounieravait de Iréqucntcs conférences avec ](' dur
de "dlingtoll , arbitre supréme , ct l'on arrúta cníin un 1I1T1I1I-
gcmcut d'apres les bases proposócs par la cour de Jlussie : UII('
Iois toute la sounnc duc enticrtmcut liquidéc, 011 pouvait con-
mitr« la quotité d(':; sacrifi( ('s qui soraicut iuiposés :. la France ,




CHAPITRE XIU. 271.
ot , par un grand cñort , arriver i\ une lihération complete, Mais ,
pour ohtenir ce résultat , il Iallait demander aux Chamhres un
acte de confiance , des crédits nombreux , et ceci entiérement a
la dispositíon du ministre des aífaires étrangéres, lU. de Iliche-
lieu pouvait et allait invoquer le grand intérét de la patrie; on
avait dans sa probité un abandon ahsolu ; toutefois il hésitait , il
était inquiet; il voulait d'abord avoir une parole des alliés pour
faire ensnite une promesse positive aux Chambres. Le Conseil
des ministres ne partagca point cette hésitation , et il fut résolu
que les crédits seraient demandés aux députés amesure que les
négociations toucheraient a leur fin. Pour compenser le sacri-
Iice d'argent que la majorité allait consentir, il fallait lui accor-
del' quelques concessions de liberté, et c'est ce que j'appelle
satisfaire les exigences d'opinion. Le Cahinet y était depuis long-
temps résolu. L'entrée du maréchal Gouvion-Saint-Cyr au mi-
nistere de la guerre signalait une transition inévitable et une
marche plus franche dans le sens de l'ordonnance du 5 septem-
breo La délivrance du territoire par les alliés allait appeler une
organisation plus forte, plus nationalede l'armée. Une fois le sol
affranchi , il fallait naturellement augmenter les cadres, agrandir
les services, donner enfin a la patrie une organisation militaire
compatible avec sa dignité. L'opinion personnelle du ruaré-
chal était qu'on devait revenir forcément a la conscription.
Les engagements volontaires étaicnt insuffisants, et attiraient
daus les corps une foule de mauvais sujcts, La conscrip-
tion , au contraire, faisait de l'armée l'exprcssion du pays,
C'étaicnt le laboureur , le flls du propriétaire qui entraient dans
les rangs. Une telle armée était une garantie de plus; mais il était
impossible de l'obtenir si 1'0n n'étahlíssait pas un modo régulier
d'avancement , si I'on ne donnait pas au Iils de l'artisan la faculté
de devenir oílicier , si sa couduite el son temps de service ne I'y
portaient de droit. Enfin , pour avoir tour a la fois une armée
nombrcuse et abon marché, il fallait établir un systeme de ré-
servedans les Ioycrs qui mcttaicnt en cas de guerre , a la dispo-
sitien du ministre et sans frais , un développement d'immenses




272 HISTOIRE DE J...A RESTAURATION.
ressources. Toute la cour et le Roi lui-méme étaient opposés Ü
ce systeme de recrutement, Les Bourbons étaient arrivés en
France en disant : PLus de conscription .. et le projet de 1\1. de
Saint-Cyr la rétablissait, sousun autre nom, il estvrai; mais dans
le fait, le recrutement n'était-íl pas une conscription? te mode
régulier d'avancement ne blessait-il pas la prérogative royale?
Et l'article de la Charte qui constituait le roi chef des troupes de
terre et de mer? Enfin, l'armée de réserve n'était-elle pas une
garde nationale mobile, un moyen de mettre cncorcIes armes
dans lesmains des vieux soldats de la République et de I'Empire ?
Quelle que püt étre cette opposition, elle fut vaincue en ce qui
touchait le Roi dans une succession de conseils des ministres.
Une commission fut chargée de discuter et de rédiger le projet
dans ses détails. te maréehal s'en occupa aussi exclusivement ;
il fut porté au Conseil-d'État; les deux conseillers qui eurent le
plus de part asa rédaction si claire, si précise , furent lUlU. Al-
lent et Mounier.


L'intention du ministere était également d'arriver a la liberté
de la presse, mais sous la responsahilité légale; on la réclamait
comme une garantie indispensable. N'était-il pas ü craindre, si
on laissait anx journaux leur indépendance absolue, qu'une
grande explosion se manifestát, qu'elle empéchñt de s'accomplir
le voeu général , la délivrance du territoire, 1\1. de Ilichelieuétait
tremblant devant des calomnies qui pouvaient troubler l'Europe
et altérer pour la Franco la bienveillance d'Alexandre. 11 cut été
triste de laisser ala licence de la presse, a ses inveetives, ases
imprudences, la faculté d'insulter les souverains , de dénonccr
les intentions des Cabinets , de tellc sorte que les alliés s'alar-
mant sur l'état des esprits en France, se refusasscnt ü l'évacuer.
Pourtant il fallait accorder quelque ehose ; l'opinion du dehors
était trop puissante. te garde des sceaux , M. Pasquier, rédigca
un projet de responsabilité des auteurs et éditeurs, théorie COIll-
plete et réfléchie sur les divers degrés de responsahilité, Par une
disposition transitoire , les journaux étaient provisoirement sou-
misala censure; mais lesécrits non périodiques , les livrespou-




CllAPlTRE XUI. 273
vaient paraitrc sans autorisation, et sous la responsabilité des
auteurs et éditeurs, Une commission , composée de 1\DI. Cour-
voisier, Call1ille-Jordan, Portalis, Jacquinot-Pampelune, fut
chargée de l'examen de ce projet, qui fut également discuté en
séance générale du Conseil-d'État. Ces discussions profitaient
alors a la législation. te Conseil-d'État se composait de grandes
lumieres et de capacités spéciales, te Gouvernernent s'occupa
également avec activíté de la constitution plus forte et plus puis-
santo de la Chamhre des Pairs, M. de Richelieu avaitune pensée
(fui le dominait ; c'était de donner a la pairie une grande exis-
tenee pour faire un contre-poids ala puissance démocratique de
la Chambre des Députés, La Chambre des Pairs, telle qu'elle
avait été composée en 1814, et méme remaniée en 1815, offraít
la réunion de grandes existences et de noms illustres. Quelques
esprits jaloux font vainement la guerre aces beaux noms de
race , aces nobles héritages transmis par les ancétres ; je ne
sais pourtant quels prestiges s'y attachent, mais si j'en excepte
les Gouvernements révolutionnaires, qui les tuaient, cette
influence de race historique s'est toujours fait sentir; on la
recherche, on la salueencore. Dansla composition de la Cham-
bre des Pairs de la Rcstauration, il Y eut sans doute quelques
malheureuses exceptions; mais oü trouver une réunion plus
complete d'illustrations de tous les ages? Il Ya des mots que
l'on répete et qui deviennent vérité de convention, précisément
paree qu'on les répete , on a dit, sous la Restauration, qu'iln'y
avait pasde pairie influente : erreur grave, cal' d'oü sont venues
presque toutes les résistanees? de la Pairie. Elle a résisté en
1816, en 1818; elle a joué un grand role, particuliérernsnt
sous le ministére de l\I. de VilleIe; il a fallu la briser apres la
Révolution de Juillet : avrai dire, la Pairie a porté des coups
plus décisifs que la Chambre des Députés depnis la fondation du
gouvernernent représentatif en France, Déja la Chambre des
Pairs avaít eherehéarégler sa procédure cornrne Courjudiciaire;
un excellent rapport de l\I. le eornte Molé avait fixé tous les
points douteux de jurisprudence, dont le déplorable preces du




27h I I1ISTOIRE DE LA RESTAURATION.
maréchal Ney avait montré les vices; le due de Richclicn V01l-
lait régulariser la híérarchíe des titres et des dignités dans la
clwrnfJre, et une ordonnance du Roí cIassa les Paírs par les
majorats et titres de duc, marquis, comtc, barón ; l'ordonnance
portait qu'il ne serait dorénavant érigé un titre de pairie , qu'nu
préalable il n'eüt été constitué un majorat, savoir : pour le titre
de duc, d'au moins 30 000 franes de revenu net ; pour celui de
eomte et de ruarquis, de 20 000 francs, et pour cclui de vicomte
ou de haron , de 10 000 franes. te majorat devait etre trans-
missible au fils ainé , aperpétuité, de telle sorte que les majo-
rats et la pairio seraient toujours réunis sur nne memo ti~lc.
Une autre ordonnance fixait la forme des lettres de pairie qni
devaient porter le titre affecté a la pairic , lit eoneession des
armoíries , et le droit exc1usif de les placer sur un mantean
d'azur doublé d'hcrminc , et surmonté d'unc honppe d'or. J~II
móme temps l'ordonnanee cIassait l'ordre des banes dans la
séanee royale , en commcncant par le titre de prince dn sang ,
les pairs ccclésiastiques , les ducs , rnarquis , comtes , vicomtcs
et barons. M. de Riehelieu cherchait a élever la pairie jusqu'a
I'aristocratíe angJaise.


A mesure quc la session approchaít, le ministi"re suivait aussi
une marche plus modéréc. Il avait él{~ résoln qu'on renoncerait
aux cours pré\'f}tales : l'rspril de la majorité ue l'aurait plus
permis ! J...a plupart des preces politiquea étaient abandnnnés.
On poursuivait cncorc , a Paris , la conspiration de l' d¡Jl'llg{e
noirc -' mais avee tant de rnollesse et d'iudiffércnce, que les
jurys acquittaient a l'unanimité, C'était daus CPS IH'OC(\s puliti-
ques que commcncaicnt alors a se Iaire les popularités du
barreau , et que parurent .Ml\L Barthe , M(~rilhou, lUauguin,
dignes érnules de M. Dupin 1. Ils montrerent cette élocu-
tion abondante, ces paroles ct ces idées d'avocats, souvent si
incompletes en politique. Il y avait dans M. Dupin de l'es-
prit, une prodigieusc instruction de parlement et d'arréts ,


J M. Odillon-Barrot ne parut que plus tard sur la scéne.




ClIAPITRE XIII. 275
tacilc aujourd'hui avcc les Itépcrtoircs de J urisprudcuce et les
tahles de matieres ; mais vous auriez vaincment cherché quel-
:pws idées élevécs , quelque grandcur de vues : c'était de la
politiquo , de I'histoire et de l'administration saus magnifi-
ccuce et avec la haine des supériori és, une cxprcssion ardente,
une vivacité de rcpartics prise dans un ordre d'idécs couununcs,
Les improvisations de )1. Barthe étaicut láches, phrasécs avcc
de grands mots d'iudépendancc , de patriotisme, M. ñlérilhou
avait , sous des formes lourdes , une extreme pétulance d' esprit,
de cet esprit méridionalqui éclate atravers l'accent de Ilodez ou
de Toulouse. Les plaidoyers de M. ñlérilhou étaient clairs , un
peu verbeux , mais toujours avcc l'emploi d'un vocahulairc de
liberté et de patrie qui parlait aux enthousiastes du partí.
1\1. :\Iérilhou s'était plus spécialcuicnt fait l'avocat de la presse
accusée : il défendit la Bibliothéquc lustorique ~ le Censeur
curopéen ~ et les feuilles qui attaquaient avec plus ou moins de
violence les Bourhons; et alors il ne croyait pas que ce füt un
crime de frapper le gouvernement établi. Depuis , leurs
opinions se sont hcureusement modiflées. lU. lUauguin étaít
dOlI('; de moyenspuíssants, d'un organc prodigieux , d'une grande
facilité de parolcs , mais d'une légercté d'instruction plus mal-
hcureuse que l'ignorance mérne , cal' elle vous entralne a une
especc de parlagc politique qui tue les affaires. En résumé , ces
avocats durent particulierement leur réputation aux journaux.
11 y avait un échange naturel de services entre les feuilles accu-
sl'es et l'avocat qui les avait sauvées d'une amende ou d'un cm-
Irrisonucment, Cctte publicité des noms propres grandit leur
érlat ; ct quel était l'homme du pcuple qui ne croyait que de
Icls caracteres, appelós aux aífaires publiques, ne sauveraient
pas le pays, ne rendraicut ala justice tout son lustre, au trésor
toutc son écououiic , l't 11e prépareraient l'ñge d'or des contri-
buables! Commcnt ne point croire flue )DI. Mérilhon , Barthe
OH Dupin , rcvétus de la simarre , n'allaient pas faire renaitre
les grands jours de l'Ilospital et du clnncclier Bacon!


Ce fut le [) novcmbre 1817 que s'ouvrit la session, On I'avait




276 1Il5'fOlHE DE LA HE5TAUHATIO:.\' •
..


rctardée jusqu'a cette époquc pour préparcr ayce solennité les
travaux qu'on devait présenter aux Chamhres. C'est une excel-
lente méthode administrative et parlemcntairc de méditcr
d'avance, et avant les discussions de tribune , les détails et la
rédaction d'un projet. Les assemblées , honnes pour arréter les
príncipes et les hases d'une loi, nc savent pas les rédiger, Sou-
vent un amendement improvisé chango toute l'économíe d'un
projet, La tribune est faite pour les vastes discussions , pcu pour
le détail. Le Roi n'avait point, cette fois, rédigé son discours.
Il avait reconnu cette maxime parlementaire, que les promesscs
du Tróne étant , constitutionnellement parlant , l'ceuvre des mi-
nistres, devaient étre arrétées par eux en consei1. Le ministérc
annoncait aux Chambres : «que le traité avec le Saint-Siége avait
été définitivement conclu, mais que les dispositious qui ton-
ehaient aux lois du royaume seraicnt soumises ala sanetion des
Chamhres pour qu'elles fusscnt mises en harmonie avec les li-
hertés de l'Église galJicane. Le Roi prévoyait la fin des calami-
tés amenées par la pénurie des grains; le tablean des sacriliccs
du Trésor serait mis sous les yeux des Chambres. Le chiflre n'eu
devait pas étre augmenté, Sa lUajesté annoncait des modiíications
aux clauses Iinanciercs du traité de novcmbrc 1815, les dé-
penses de I'armée d'occupation allaient étre diminuées d'un cin-
quieme ; le Iloi faisait espérer que ces charges entieres pour-
raient bientót cesser. Il ajoutait : « La maniere dont les déposi-
taires de mon pouvoir ont usé de celui dont la loi les a investís,
a justifié ma eonfiance. » Les eours prévñtalcs n'étaicnt plus ju-
gées néeessaires, Sa I\lajestéavait fait rédigcr une loi de rccrute-
ment, eouformément a la Charte , ct au moyen de Iaquclle au-
eun privilége ne serait plus invoqué. Si l'cxécution de eette loi
demandait une augmentation au hudget du miuistercde la gUClTC,
le Roi avait 1'assuranee qu'aucun sacrifico ne coütcrait a uue
Chambre francaisc pour conserve}' I'iudépendance du pays. ))


Le discours de la Couronne , consideré comme l'oxpression
de la pensée des ministres, contenait une inconvcnance. JI
faisait dire au Roi Iui-rnémc qu'il approuvait la couduite de son




CHAPITRE XIII. 277
uinistere , et la maniere dont il avait excrcé les pouvoirs ex-
raordinaires que les Chambrcs lui avaient confiés. D'oú résultait
ctte double conséquence que le ministere faisait son propre


'loge , et s'exposait, dans la discussion sur l'adrcsse , aune vive
t mordante opposition. Tout élogc appelle la faculté de hlámer ;
t il faut, avant tout, éviter ces discussions de trihune , vive et
missante expressíon des partis. Dansles opérations pour la prési-
dcnce , lesforces diverses des partis se dessiuerent mieux encore.
1'1. de Serres, porté par tous les votes ministériels de la Chambre,
obtint 123 suffrages; 1\1. Royer-Collard, par le centre gauche et
es doctrinaires, seulement 89; M. Roy, 88, aun premier tour
de scrutin : au second tour, le centre droit et la gauche s'étant


.


'éunis aux doctrinaires et au centre gauche, 1\1. Royer-Collard
obtiut 162 voix; 1\1. Camille-Jordan, 115; 1\1. Beugnot, 114;
t l\!. Hoy, 113. Quant al'opposition, voici dans quelle propor-
ion elle divisa ses boules : 1\1. de Yillele , porté par l'opposition


royaliste , réunie aune fraction du centre droit , 74 voix; M. de
Bonald, 64; M. de Trinquelague, 62; 1\1. Corbiere, 56. L'oppo-
sition de gauche donna ses suffrages a 1\1. Laffitte , et presenta
17 voix; elle avait done augmenté sa force de 12 votes. Mainte-
iant comment l'extréme droite, affaiblie par ce dernier renou-
"ellement partiel , put-eIle encore réunir sur 1\1. de VilleIe 74
nffrages? Je répéterai qu'a mesure que le ministere se rappro-


chait des opinions du centre gauche et des doctrinaires, une
íraction du centre droit l 'abandonnait pour se joindre al'extréme
droite. Le danger de la situation ministérielleétait celui-ci : d'une
iart, l'opposition royaliste grandissaitdans la Chambre par toutcs
es défcctionsdu centre droit qui allaitaelle; de l'autre , l'oppo-
ition de l'extreme gauche, en s'accroissant, devenait exigeante ,


et le jour OU ces dcux oppositions voudraient s'entendre, c'en
était fait du ministere des centres et de son pouvoir ! L'adresse
liscutée au comité secret fut une complete adhésion au systéme
suivi depuis l'ordonnance du 5 septcmhre ; elle fit l' élogedes ré-
sultats de la loi électorale, L'opposition royaliste attaqua vive-
ment cette phrasc, l\l. Barthc-Lahastide fit justemcnt observer


11. 2ll«,.
/.#'




278 HISTüIRE DE LA RESTAUHA'rlO~.
qu'il était inconvenant de faire l'éloge d'une loi qu'on n'avait
pas encere véritablement essayéc , et sur laqueIle peut-ütrc le
Gouvernement serait obligé de revenir. La rédaction de M. Iloycr-
Collard; disait « que des élections libres ct nationales avaicnt
prouvé l'union dn peuple et do son Hoi; la Chamhre acceptait
avec gratitude l'espérance que les traités de 1815 seraicnt mo-
difiés dans ce qu'ils avaient de plus aceablant; le territoire allait
étre enfin affranehi, la loi du recrutemcnt que le discours de
la Couronne annoncait serait accueillie , puisqu'elle reposait sur
l'égalité et la Charte , et le pays supporterait avec transpon le
surcroit de dépcnses qu'elle allait exiger. )) Ainsi le miuistere était
assuré de la majoríté et d'une adhésion absolue a son systcmc !


Dans la Chambre des Pairs les opérations préliminaircs of-
fraient a peu pres les memos résultats, quoique cependant la
fraction de droite y Iüt en plus grande force. Bien des pairs
s'effrayaient de la tendanee de la loi électorale , de l'aflaiblissc-
ment des opinions monarchiques, La majorité était déja de cceur
en opposition avec le systeme ministériel; mais iI existait daus
la Chambre haute tant de positions dépendantes du Roi, de sa
maison et du ministere , que les opinions, quoique existan tes ,
nc se manifestaient paso La nuance de la droite extreme ct du
centre droit comptait pres de 150 pairs, et I'opinion libéralc
toute réunie n'allait pas au dela de 60. L'aetion ministériellc
neutralisait la puissancc de /la majorité, et attirait une grande
partie des membres du centre droit. On pouvait alors classer
les fractions d'opinions dans la Chamhre des Pairs en plusieurs
catégories. Les Royalistes extremes, sous la hannicre de JDI. de
Fitz-James, Mathieu de Montmorency, Chátcaubriand , d'Ilcr-
bouville; les monarchistes par principe , dirigés par '\1. de
Fontanes ; les monarchistes modérés , groupés autour du vieux
marquis de Barthélemy , et qui fonnerent plus tard la réunion
cardinaliste , la nuance purement ministérielle et constitution-
nelle , ala maniere de M. Lally ; les lihéraux modérés , sous la
conduite de 1\1. le duc de Choiseul; cufin , les indépcudauts , tels
que Ml\I. Lanjuinais , Boissy-d'Anglas. Dans cene session , le




f:IIAPITRE XIII. 279
Iloi défendit aux princes de sa famille et de son sang de
sil'ger dans la Chamhre des Pairs. On en avait plusieurs motifs :
d'ahord OIl craignait l'influence ruyaliste de I\IO;\,SIEUR, en l'état
rl'hostilité 011 se trouvait le miuistére, I\I. le comte d'Artois
pouvait user dans la Chainbre d'un dangereux ascendant pour
le ministerc , en réunissant contre luí toutes les nuanees roya-
listes. Ensuite on redoutaít dans un sens opposé l'influenee de
,,1. le due d'Orléans, Aussi lesprcmiércs opérations de la Chambre
des Pairs furcnt fort insignifiantes et marquées de cet esprit de
couvcuance et de modération qui n'a jamáis pcrmis aune opi-
nion ardente d'y tríompher complétement, L'adressc, ceuvre
di! ;\l. de Fontanes, paraphrasa le discours de la Couronne, mais
daus le scns monarchique et rcligieux. « La Chambrc des Pairs
aplH'lail I'atrcution , non-seulcmcnt du roi de Frauce , mais cn-
rore des souvcrains de l'Europe sur ces doctrines pcrnicieuscs
qui , d'un hout de l'Europe a l'autre menacent la société tout
cutiere et les anciennes dynasties; il faut que l'autorité royale
soit Iorte pour étre tutélaire ; les vérités relígieuses, en s'affer-
missant, épurcront les mrcurs , adouciront les habitudes sociales
el protégerout les nations. »


La constitu tion des Charnbres étant accomplie, l\I. Pasquier,
dans la séance du 17 novcmhrc, exposa devant les députés les
motifs du projet de loi sur la liberté de la prcsse, «( L'auteur d'un
écrit, domicilié en France , en était le prcmier responsable; s'il
n'v avait pas d'auteur connu, l'éditeur, et apres lui l'impri-
mcur ; ccpendaut, tons étant nommés et connus pouvaient étre
('galcment poursuivis : il n'y avait poursuite avant publication
que pour tout écrit livré al'impression qui provoqucrait direc-
temcut ala révolte ; la publicatíon résnltait du dépót ou de la
distribution de fait; la saisic devait étre dénoncée dans les vingt-
quatre hcurcs; le juge d'instruction Icrait son rapport dans les
huit jours a la chambrc du conseil, qui prononcait le maintien
de la saisie OH la main-levée ; s'il s'agissait d'un délit , iI ressor-
tissait de la pollee correctionnclle; d'un crimc , de la cour d'as-




280 ITISTOIrrE DE I.A RESTAUnATIO~.
sises; toutc pcrsonne lésée par la presse pouvait rendre plainte
eontre les auteurs ou éditeurs responsables. Enfin, jusqu'au
1er janvier "1821, les journaux et autres ouvragcs périodiques nc
pourraient paraitre qu'avec l'autorisation du Roi. » Ce projet ,
dont l'esposé des motifs était écrit avec modération et conve-
nance, recut un accueil bruyant sur les bancs des oppositions
extremes, et déja commencait le rapprochement de ces deux
oppositions qui, partant de príncipes diflércnts , se réunis-
saieut néanmoins dans un dessein commun d'opposition contre
le ministere, Ce projct de ]U. Pasquier pouvait étre atraqué sur
deux points , l'un de principes , l'autre accidentel et transitoire :
dcvait-on attribucr les délits de la presse plus spécialement au
jury qu'aux tribunaux ? devait-on dispenser les journaux de
l'autorisation préalahle? lU. ñlartin de Gray se prononca contre
la théorie de la loi. « La liberté de la pressc était un droit el non
une concession : tous les pouvoirs qui l'avaient comprimée
avaient péri, Les dispositions du nouveau projet n'étaient que la
rcproduction des décrcts oppressiís de Napoléon et de la loi de
181h. - Il n'est vonual'esprit de personne, répondit .M. Jollivet,
qu'ou accordñt la liberté indéfinie de puhlier sa pensée ; Oll dit
que cette liberté cst iuhércnte au gouvernement représcntatif';
je rroirais , au contraire , qu'clle y est la la moins cssentielle ,
et le pouvoír contrólé par les Chamhrcs est le moins soumis it
l'erreur ct ¡. se laisser allcr ¡. l'arbitraire. -I)lus de lois d'ex-
ception , ajouta 1\1. Ganilh; vous n'en pouvez plus faire sans
mertre aux prises la loi avcc la pensée publique, la Chambre
avcc les départements, le Gouvernement avcc la nation..
]U. Pasquícr se félieitait, eomme eitoyen, eommc député ct
eomme ministre, d'avoir a défcndre une loi qui apportaít de
si notables améliorations ¡. la législation existante. « Quelle ('st
cette excellente Ioi dont nous parle lU. le garde des sceaux ?
s'écria M. de Chauvelin; lesjournaux et les feuilles périodiques
sont soumisa la plus sévcredépcndance, I'imprimeur exposé aux
obligations les plus assujettissantes , réduit au simple role d'em-




CHAPITRE XIII. 281.
ployé 11. la police, et les auteurs eux-mémes exposés ~l la double
épreuve du rejet et de la publication ! »


Alors lU. de villéle prit texte du projet proposé , pour atta-
quer la marche générale du ministére et sa tendanee; c'était
une hostilité vive et directo de la part d'un député , assez ha-
hile pour ne point se compromettre dans ces grandes colares de
tribune qui perdent les hommes politiqucs, 1\1. de Yillele ne
voyait d'autre ressource contre un mauvais systeme ministériel
que la liberté de la presse , paree que les Boyalistes pourraient
alors éclairer les opinions et défcndre leurs doctrines; lU. de
Yillcle s'élevait fortement contre la juridiction des trihunaux
ordinaires en matiere de presse: les tribunaux correctionnels
n'avaient pas assez d'indépendancc; le jury seul offrait des ga-
ranties. Le projet de lU. de Villele voulait que, lorsqu'un ou-
vrage imprimé serait attaqué par le ministere public, I'auteur
Iüt traduit en cour d'assises , composée de douze jurés, Le
ministére crut essentiel d'opposer 1\1. Ravez a 1\1. de vílléle, et
de constater ainsi en quelque sorte la séparation du centre droit
et de I'extrémité de la méme couleur. « D'imprudentes atraques,
dit M. Ilavcz , ont été dirigées contre le projet; pourtant ce
projet était favorable aux écrivains , favorable a la liberté de la
presse; il réglait une responsabilité jUSqU'~1 présent incertaine,
un mode de poursuite et d'instruction plus conforme au droit
commun; il donnait enfin tout ce qui se pouvait donner, sans
compromettre la monarchie et les institutions.» Dans cette dis-
cnssion une fraction des doctrinaires passa a l'opinion de gauche.
Cela devait étre ainsi , paree que, du coté gauche étaient les
éloges de la presse et cette popularité devant laqucllc on s'age-
nouille. On vit 1\1. Camille-Jordan parler contre le projet du
Gouvernement. Il le fit avec une extreme moclération; 1\1. Ca-
mille-Jordan était consciller d' État , lié par príncipes aux doc-
trines ct ala marche du ministcre ; aussi se háta-t-il de déclarer
que son opposition , en cette circonstance , était un hommage
ala loyauté du pouvoir; selon l'oratcur, le jury était une insti-
tution iuhércnte ala pressc , dont les délitsno pouvaient ressor-




282 HISTOIRE DE LA nESTAURATIO~.
tir des trihunaux ordinaires; les craintes exprimées sur les abus
possibles étaient de vaines alarmes, et la liberté, dans le
Y<~U général , était consacrée par la Charte; comme la lance
d'Achille , elle guérissait les blessures qu'elle avait faites.
Cette séparation de M. Camille-Jordan , expression d'une frac-
tion des doctrinaires, signalait un danger pour l'avcnir, Dans
une circonstance grave oú le Gouvernement aurait hesoin d'une
majorité puissante, n'était-il pas a craindre qu'une partie de
ses agents ne l'abandonnñt , et qu'elle ne passát agauche?
C'est ce qui lui arriva plus tard; cal' les doctrinaires formaicnt
une opinion impérieuse, difficile aconduire dans cette Chamhre,
Le ministere avait sans doute une majorité , mais elle était loin
d'étre compacte. Fonnée de nuances diverses, qui devaient 10t
ou tard étre attirées vers leurs extrémités , elle devait échapper
lorsqu'on aurait besoin d'elle ; le centre droit devait s'unir ~l
l'extréme droite et voter de concert; les doctrinaires et une
fraction du centre gaucho devaient allcr grossir l'opinion de
gauche. C'était dans la nature des choses et dans les comhinai-
sons néccssaires des assemhlécs politiques.


Le second projet , sur lcquel les votes de la Chamhre allaiout
Nre appclés , était l'exécution du concordar, el le pl'ojet que I(~
ministere avait fait rédiger en conséqucncc. Ici se présentaient
des questions d'une nature fort délicate. M. Lainé, toujours em-
harrassé du concordat signé par lU. de macas, aurait vu sans
déplaisir un moycu quelconque de s'aílranchir des clauscs arre-
tres a Ilome , et teIle était égalemcnt l' opinión de M. de lliche-
lieu, Cependant les usages diplomatiques donnaicut trop de
force ~l un traite ratilié , pour que le Cahinct pul ainsi consentir
a le voir hriser sans un obstaclc législatifct constiturionncl. Mais
([ue pouvait dcmander le Gouverneruent aux Chambres? Était-ce
une vérification de bulles comme au tcmps des anciens parle-
ments? La Chambre des Députés n'était pas un pouvoir scule-
ment vérificateur , son autoriré était constituée et législative.
Était-ce une approbation des traités conclus arce le Saint-Siógc?
Mais alors on faisait cntrer la Chambrc des Députés dans la pré-




r.HAPITRE XIII. 283
rogativ« royale de faire des traites el conventions diplomatiqnes ;
el (Iue dcvenaient les droits de la Couronne? M. Lainé nc savait
C0Il1111ent douner une tournure raisonnahle ü ces conununications
ruinistériclles. D'ailleurs, des que Ir concordar avait été connu,
une controverse d'órudition ccclésiastique s'était élevéc, Singulier
pays que le nutre! on s'était passionné pour OH centre les hullea;
il y eut des brochurcs de tout le monde, de l'abbé Frayssinous
comme de ['abbé Grégoire , de 1\1. Lanjuinais et de 1\1. Fiévée ;
(In ne parlait que de concordat ; c'était l'objet de la conversation
des salons , de ces peurs aífectées que les partis cxploitent aleur
profit. Dans ces circonstances fort difficiles , 1\1. Lainé prépara
un court projet 11 présenter 11 la Chambre des Députés ; il por-
tait que couformémcnt au concordat passé entre Froncois Ier et
Lúon X , le Iloi seul nonunait aux archevéchés et aux évéchés;
:1ue le concordat de 1801 cessait d'avoir son effet : il était érigé
sept nouvoaux archevéchés et trente-cinq nouveaux siégesépisco-
paux, dont la dotation serait prise sur les fonds votés par le bud-
c;ct de 1817; les bulles et brefs du pape ne pouvaient étre pu-
hliés qu'aprcs avoir rccu la sanetion du Roi; quant a ceux de
'('S acres coneernant l'Église universelle, l'intérét de 1'}~tat, ou
¡lli modifiaient (~uel(111eS dispositions de la législation existante ,
Is seraicnt soumis-aux Chambres ; les appels comme d'ahus de-
I aient ressortir désormais des cours royales. Ce projet , muvre
le 1'1. Portalis , comprcuait l'ensemble de tout un codo sur
!('S rapports de l'Église et de l' Í<:tat, rapports si difficiles arégler
.lans la douhle hiérarchi« du catholicismc et de la monarchie. Le
¡lI'ojl'tcontenait desconccssions fort larges; celle, par exemple, qui
J(of(~rait aux cours royales la connaissance des appelscommc d'a-
!)\IS, la distincticn entre les simplesbrefs du pape sur des objets
:larliculiers, ct alors sournis aune autorisation royale, et des bulles
l'orgauisation générale déíérécs au controle desChambrcs: c'était
parfairement juste. Toutcs les pieces de la négociation furent tra-
duites el communiquécsala Chambre. La commission était for...
Ill('e dans le sens ministériel ; mais la Chambre ne voulait pas des
príncipes établis dans le concordato 1\D1. de Richelieu , Lainé et




HIsrOTRE DE LA nESTAURATlO~.


Portalis curcnt, simultanémcnt ou séparémont, des conférences
mee la conunission , sans pouvnir arriver ü aucun résultat : le
ministere se scrait micux entcndu sur le concordat avcc l\DI. de
'I'riuquelaguc et iUareellus, cxpression de la droire , qu'avcc sa
propre majorité ; et encoré C('S dcux députés trouvaient-ils dans
le projet ministériel , une part trop largo faite au pouvoir civil ,
a l'cncontre du pouvoir religieux. Les serupules de )1. de Mar-
cellus furent méme poussés si loin, qu'il s'adressa au pape pour
le consulter sur le vote qu'il était appelé adonner, et le souvc-
rain Pontife s'cmpressa de lui adresscr un brcf, pour lui faire
connaitrc sa douleur sur la difficulté que rencontraicnt ses hul-
les. Le ministere , ason tour, ne déíendit pas tres-chaleureu-
scment I'reuvre de ~u. de Blacas, et l'abandonna sansdiscussion.
JI fut arrété entre le ministere et la commission que des modi-
fieations scraient demandécs a la cour de Ilome sur différenrs
points des bulles et du concordat; ;\1. de Ilichelieu promit a la
majorité d'envoyer lU. Portalis, afin de s'entendre avec M. de
Blacas et le Saint-Siége , sur les changements nécessaires ; on
avait devant les yeux la convention ecclésiastique que vcnait de
conclure le roi de Bavierc , ct l'on voulait obtenir pour la Frailee
des conditions aussi Iarges et aussi légalcs, Cette affaire fut des
lors ahandonnée au département de 1\I. de Richelieu; lU. Porta-
lis partir quelques mois apres pour Ilomc , avec le titre de mi-
nistre plénipotentiaire, J'aurai araconter les détails de cette nou-
velle négociation,


La seule question grave, le seul projet fondamcntal sur lequr-l
la Chambre allait avoir ü discuter , et qui devait rcsrer COIllI1l('
charte de l'armée , c'était la loi du rccrutcrncnt , conccption de
JU. de Saint-Cyr et point capital de séparation entre le miuistcrr
et les Iloyalistes , paree qu'il touchait snrtout aux priviléges des
classcs élcvócs, Tout systernc d'égalité et d'avancerncnt par I'an-
cienneté devait trouver une puissante opposition dans le cúté
droit de la Chamhre et dans une fraction du centre droit; }¡.
maréchal Couvion-Saint-Cvr ct le ministcre tout cntier en avaicnt


.'


pris Icur parti ; la répugnanco s'était chaque jour accruc depuis




CHAPITllE XIII. 285
l'ordonnance du 5 septembre. On ne pouvaitplus se rapprocher,
M. de Couvion-Saint-Cyr, dévcloppant le motif du projet de loi
cxposa « que tous les modes de recrutement se réduisaient a
dcux, le service volontaire et le service forcé; qu'on ne renon-
cait au premier qu'au cas OU le second serait insuffisant; le
complct des légions était Iixé a 150 mille hommes, et les appcls
annucls a40 millc, )) Le projet contenait trois titres principaux,
les appels, les légionnaires vétérans et l'avancement; le premicr
de ces títres rappelait les ancicunes loissur la conscription, mais
adoucies dans tout ce qu'elles pouvaient avoir de trop séverc et
d'odieux; le ministre justifiait également la création des légion-
naries vétérans , par ce priucipe admis dans un État libre, que
tous les citoyens devaicnt leur service pour défendre l'indépen-
dance de la patrie; comme compensation a ce sacrifice imposé ,
iI fallait donner a I'armée un modo d'avanccment régulier, inva-
riable; le Iloi voulait que ces regles eussent la fixité des lois,
que les récompcnses fussent réparties eommeles chargcs, et que
le soldat püt arriver a tous les grades, atous les emplois, sans
autres limites que son talent et ses scrvices, »


I.JU grande majorité des esprits reconnut qne dans l'état de la
civilisation ce point répondait aux besoins d'un établisscment
militaire tel qno la Franco pouvait I'espérer ; le eomte d'Am-
brugeac, officier instruit , d'une opiniou modérée , fit le rapport;
quelquesamendements , mais qui ne dérangeaient en ríen l'éco-
nomie de la pensée ministérielle , furent proposés par la COIll-
mission. La discussion se montra ardente et remarquahle. On
distingua, daus les opinions qu'exprimerent alors les partis dans
la Chambre, trois nuanees bien saillantes : les Libéraux , qui
n'étaient jarnais contents des concessions qu'on leur faisait,
poussant le ministere a l'extréme ; les Royalistes , exagérant les
craintcs , prophétisant achaque pas la ruine de la monarchie ;
enfin les lUinistériels, dans Ieur béatitude administrative, adop-
tant en aveugles tont ce qui vcnait du pouvoir. Si l'onétudiait
profondément l'histoire parlemcntaire dans les seize années de
restauration , on verrait que cette triple aetion a été ce qui a




286' HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
nui le plus ~l la marche réguliere des affaires, les ultra-libé-
raux n'ont jamais été satisfaits des lois mémc les plus largcs, les
plus completes qu'on ait pll leur donner ; los Itoyalistes se son!
toujours déchainés contre ces conccssions; enfin les ministéricls
ont approuvé sans trop d'examcn les projets concus par les mi-
nistres. Il n'est point dans la nature de mes opinions d'étre
hostile au Pouvoir ; je sais tous les sen ices qn'on peut rcndre
au pays en appuyant une administration; ce n' ('s~ pas en Iaisant
le Gouvernement impossible qu'on peut étre utile aux intéréts.
Je n'ai aucune prédilection pour les déclamations de tribunc ;
mais le ministérialisme machinal est un vice malheureux
dans notre systemo de gouvcrnemcnt, lU. Jossc de Beauvoir Iut
le premicr oratcur qui fit cntcndrc sa vcrve d'opposition contrc
l(' projct de J\I. de Saiut-Cyr ; jJ l'atta(J!la, parc« qu'il présen-
iait deux modos de rccrntcmcnt, dont I'un était illusoire t'l
l'autrc reproduisait la forme et les ahus de la couscription abolir
par la Charte. .M. de Bondy défendit la pensée ministériclle dans
un discours vague ct sans coulcur , le général Dupont porta
plus de lumiere , une plus haute spécialité dans la justiíication
des príncipes qui avaient présidé au systeme. « Ce n' cst poinl
la loi , commc institution militairc , qu'il Iaut examiuer, (lit
M. de Salabcrry, c'est son esprit, c'est le hut vcrs lcquel elle
tend ; la loi proposéc est antimonarchique ; tous ses articles
sont concus de maniere ü ce que l'impulsiou et le mouvcmcnt
ne partiront plus du tróne. - Les forccs de terre et de mer sont
commandées par le Roi, dit J\I. Itoyer-Collard , mais elles sont
l'ouvrage de la loi , et par lui elles se rattachent aux pouvoirs
nationaux qui concourcnt a la Iormer. )) J\I. Itoyer-Collard de-o
mandait le vote annuel de l'annéc commo le seul moyen de
donner a la Chambre la faculté de librcment examiuer Iebudget
de la guerreo En cela, J\1. Iloyer-Collard se mcttait en dissidence
avec le Gouvernemcnt. Ainsi se continuait la scission des doc-
trinaires et de l'administration. J\l. Camille-Jordan s'étaít déj~l
séparé du ministere sur la loi de la pressc en dcmaudant le jury,
1\1. Itoyer-Collard s'en séparait également en appelant le vote




CHAPlTRE XH1- 287
auuuel de I'armée. La fractiou de gauche de la Chamhre soutint
I'enscrublc du projet du Gouvernement. M. Bignon développa
la théoric de l'aunualité. Il ne pouvait y avoir, selon lui, de
honne armée qu'une armée nationale; la nationalité résultait
de trois conditions, l'exc1usion de tous les étrangers , le con-
cours de tous les citoycns ~l la défense de la patrie, 1'admission
libre a tous lesgrades. L'impót levé en hommes u'était pas moins
scnsihlc au pcuplc que l'impót levé en argent; il devait erre
vote annucllcmcnt : M. Bignou se réunissait aun amcndemcnt
dc M. de Chauvelin sur le vote annuel. Cettc théorie fut égale-
ment soutenue par l\l. Camillo-Jordan.


Si le projet était faihlement atraqué par la gauche, il l'était
avec une extreme violencc par la droite ; tous sesmcmbres, jus-
qu'a M.Cardonnel, vieillard presque aveuglc, parlerent de l'ablme
que le Couverueiuent ouvrait sous ses paso M. de Yillcle rameua
les opiuions royalistes a une expression plus modérée ; JU. de
Yillcle résumait ainsi son vote sur le projet de loi : il demandait
J'aholition du rccrutemcnt forcé, l'augmentation des primes
pour les engagemcnts volontaires, la suppression du titre de l'a-
vaucemcnt , lcqucl devait étre régló par une ordonnance royale.
Ainsi la droite , avcc plus ou moins de modération, nc vou-
lait pas du projet de 101. La gauche, unie aune fraction de doc-
trinaires, se bornait a y introduirc l'annualité du vote; le ruaré-
chal Gouvion-Saint-Cyr répondit aux deux oPPOSitiOIlS. « L'au-
cicnnc armée , dit-il aux Iloyalistes , ne pouvait se recruter que
par la milice ; 01', qu'était-cc que la milice si ce n'est la con-
scription, moinsl'égalité? A ccux qui demandaient l'annualité du
\ ore, le maréchal répondait que dans un granel état continental
rommc la Francc, les événements politiques étaicnt tels qu'il ne
fallait pas soumettre l'année aux chances diverses d'un déhat
annuel ; le ministre insistait particulierement sur ce point, et la
raison secrete en était surtout que le roi Louis XVIII eroyait
avoir Iait assez de sacrilice de sa prérogativc royale, et qu'il avait
imposé ~ son ministre la condition impérative de défendre cette
partie du projet sous peine de retire!' la Ioi, l\!. le maréchal




.288 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
Saínt-Cyr fut admirable de convenance, en soutenant le systemc
des réserves; on avait manifesté quelque méfiance sur les ,été-
rans, le ministre y répondit par un chalcureux éloge de l'armóc,
« Il s'agit de savoir, dit le ministre, s'il existe, parmi nos deux
armé es , deux nations, dont l'une sera frappée d'anatheme I't
incapable de servir le roi et la France ; il s'agit de savoir si nous
appellerons encore ala défense de la patrie les soldats qui ont fait
sa gloire, ou si nous les déclarerons a jamáis dangereux pour son
repos; ce dernier arrét serait rigoureux et injuste , cal' ces sol-
dats étaient admirables aux jours du combat ; une ardeur infa-
tigable les animait, une patience héroíque les soutenait; jamáis
ils n'ont cessé de croire qu'ils sacrifiaient leur vie al'honneur de
la France! » Ces paroles exciterent de vifs applaudissements;
elles parlaient aux opinions et aux préjugés d'alors : les gravures,
les théátres reproduisaient les souvenirs et les images des sol-
dats malheureux dont le bras ne demandait qu'a resservir la
France. De telles paroles dans la bouche d'un ministre du Roi
étaient bien' capabies de rendre le gouvernement populaire;
elles révélaient une noble indépendauce, si 1'0n examine sur-
tout la position de la France encore occupée par l'étrangcr.
Toutes les négociations de 1815 avaient porté sur ce point : « qu'il
fallait mettre un frein a l'ambition désordonnée de l'armée fran-
caise, dont la révolte pendant les Cent-Jours avait encore une fois
troublé la paix du monde»; de la les licenciements de l'armée de
la Loire. Qu'était-ce que la loi du recrutement si ce n'était un
moyen de rcconstituer cette arméc? Qu'était-cc que la reserve si
ce n'était encore un moyen de réunir ces mémes soldats que
I'Europe avait dispersés? toute la gauche, méme la plus extreme,
celle qui s'exprimait par l\I. d' Argenson , adhéra en définitiv«
aux principes du ministere. Alors se termina ccttc discussion so-
lennclle qui seule produisit un grand résultat pour la session de
1.817. La loi de recrutement sert encore de base a la constitu-
tion de l'armée. Avec la loi des élections elle devint l'ohjet de la
haine et des invectives du partí royaliste , qui les regarda l'une el
l'autre comme destructivos des formes monarchíques, commc un




CHAPITRE XIII. 289
príncipe de mort pour la légitimité; tel fut en eITet l'usage qu'en
lit un parti ; ce ne fut point l'imperfection de la loi de recrute-
mcnt, mais la deplorable industrie de l'esprit révolutionnaire
qui produisit une agitation sourde dans l'armée. La Restauration
se montra généreuse; on ne fut pas mémejuste envers elle.


Les concessions Iibérales du ministere étaient indispensables
pour attirer les capitaux et faire supporter le change. En 1818
les opérations du Trésor étaient plus étendues, la rente mieux
tenue et plus recherchée; mais le budget n'en était pas moins
lourd; les charges memess'étaient agrandies. Lepassif du budget
se composait : 1°. de l'arriéré que le gouvernement du Roi avait
trouvé au 1er avril í Sf.á et de l'arriéré des Cent-Jours; 2°. des en-
gagements financiers résultant des traités avec les alliés, soit a
l'égard des gouvernements, soita l'égard des particuliers: 3°. la
dette constituée et I'amortissement agrandi; ho. les dépenses
imprévues occasionnées par la famine de 1817; 5°. les dépenses
réguliéres ; 6°. enfin, le passif des caisses. C'était dansla néces-
sité de pourvoir a tous ces services que le budget de 1818 avait
été dressé. Le ministre pcnsait que la création de 2 millions
:)00 mille fr. de rente était uécessaire pour pourvoir a l'arriéré
antérieur a1809; 350 millions suffisaient pour la liquidation de
I'autre partie de l'arriéré jusqu'au 1er janvier 1816. Le budget
de 1817 s'était élevé en recette , y compris le recouvrement des
cmprunts.ü í tüz 676902fr., et en dépcnse, a1 098494 258fr.,
d'oú résultait un excédant de 4182644 fr. ñlaisles 30 millions
de rente accordés au ministre avaient été employés ; c'était avec
l'cmprunt que le déficit avaitété couvert, Pour le budget de 1818
il était évalué en recette ordinairea767 778 600 fr. Les dépenses,
charges extraordinaircs , devaientl'élever a 993244022 fr., ce
qui laissait un déficit de 225465422 fr. qu'il fallait encore de-
mander au crédit; le ministre appelait la création de 16 millions
de rente, desquelles il ne se réservait d'aliéner qu'une quotité
de 12 millions qui seule paraissait nécessaire pour pourvoir
aux services extraordinaires. Ce fut d'apres ces eombinaisons
que le hudget fut présenté ala Chambre desDéputés, Le Gou..


lL 25




290 HISTOlRE DE LA RESTAUHATlO~.
vernement demanda, quelques jours apres , la perceptiou de
quatre douziemes provisoires : ils furent accordés sans discus-
sion; ear si le budget laissaitpcser lesmémescharges que peudaut
l'année 1817, les voies du crédit étaient pluslarges, plusfáciles.
Le travail de M. Iloy , rapporteur , fut un largo plan d'écononiie.
Quoique l'opposition de droite eüt ohtenu dans la cormuission
la présence de ses deux chefs, MM. de villele et Corhiere ,
le rapporteur ne traita aucune de ces questions politiquee el de
parti que la droite soulevait annuellemcnt dans les discussions
sur le hudget . ñlcmbres de commission, MM. de Yillclc et
Corhiere étaient d'ailleurs d'une admirable netteté d'esprit et
d'un secours remarquable. Ils se détachaient de leurs opinions
politiques, traitaient avec une haute sagacité les questions partí-
cnlieres du budget. La tache de M. Bcugnot était plus difficilc ;
il avaitaj ustifier les voies et moyens , et par conséquentá traiter
les emprunts. Dans les moments de nécessité on ne regarde pas
aux saerifices; mais lorsquc la crise est passée , lorsque le crédit
s'affermit , alors on fait un retour sur le passé , on recherchc par
quels expédients on s'est procuré les ressources. M. Beugnot
démontra que tout avantage déduit , le premier cmpruut s'érait
fait a 50 fr., c'est-a-dire á dix pour cent; il n'en accusa point
le ministre, mais de tristes nécessités, el il avait raison, De plus,
.M. Beugnot s'éleva avec justice centre ceue malheureuse habi-
tude de ne jamais cIore déíínitivcment les hudgets antérieurs ,
de sorte que les budgets arrétés par la Chambre devenaient illu-
soires. La discussiougénérale n'offrit rien de remarquahlc ; 1'1. de
Labourdonnaye déclama contrele Conseil d'État: « institution
contraire ala Charte , et contre les prodigalités administratives. ))
L'orateur défendit lescours prévótales qui avaieut frappé les fac-
tieux: « En vain ceux-ci avaient-ils voulu ébrauler la fidclité
des peuples, si quelques mouvementsavaient trahi leurs projets,
leur souclaine répression avait mieux prouvé le zele des magis-
trats, » M. Laffitte prit la question de plus haut. « Sans l'évacua-
tiondc son territoirepar les étrangers, la Franceluttcravainement
contre I'ímpérieuse néccssíté qui la domine; avee l'évacuation




CHAPITRE XIII. 291
tont est possihlc. )) l\I. Laffitte défendit le Gouverncment et le
ministre desfinances; le systerne ótahli par l' ordonnauce du 5 sep-
tembre lui paraissait répondre a tous les hesoins; et comment
les ótrangers pouvaíent-ils se refuser ~t faire quelque chose pour
la France lorsqne cette Franco avait tant fait pour eux? Les in-
dcmnités qu'on Ieur avait payées s'élevaient aplus de 1 200 mil-
lions, Tous cessacrifices avaieut étó accomplis avecune admirable
résignation. IJll rliscours de 1\1. Lainé de Yillevéque dénonca les
fournissours , les possesseurs de créances pour l'arriéré, comme
des véritahles spoliateurs de la fortune publique. La discnssion
sur le budgetjeta peu de lumieres ; onparaissait préoccupéd'une
seule pensée , cellede l' évacuation du territoire, et, pour atteindre
ce résultat , on se serait resignó atous les saerifiees. Jene parlerai
pas rl'uue déclamation dc ¡u. Biguon eontre la marche dn gon-
\ ernemcnt du Hoi ; on voulait ohtenir le départ des troupes
étraugeres, et 1\1. Bignon dénnncait sans ménagements les me-
sures et les actosque l'étrangcr considérait comme des garanties;
il pouvait ainsi retarder la libération da territoire. ñlaisqu'im-
portait alors ~l ccrtaines antipathies? Elles avaient provoqué les
anuées étrangeres par leur folle entrcprise des Cent-Jours ;
1'1 i\I. Bignon et La Fayette , sans prévoyance\ s'étaient laissés
tromper , 1'un ~l Haguenan, l' autrc sous les murs de Paris, et
avaicnt renversé le seul bras qui pouvait sauver la patrie, Na-
poléon ; maintenaut 1\1. Bignon parlait sans ménagements , au
risque de compromettre une uégociation qni allait délivrer la
Franco. Apres l\I. Bignon , l\I. de Bonald défendit particuliere-
ment les Suisses; et dans son diseours, fort spirituel d'ailleurs,
l'oratcur laissa échapper eette étrange pensée : (( plüt a Dieu
que nous , tous tant que nous sommes en Franee, nous fus-
sions aussi bons Franrais que ces bons et fidéles étrangers ! »
TeI était le genre de 1\1. de Bonald: il allait toujours a l'exa-
gératiou a force d'csprit ; un hesoin d'antithéses , de cli-
quetis de mots et de phrascs entrainait sa pensée ; il disait
toujours plus qu'il ne voulait dire , ou bien ille disait d'une
maniere si saillante, si détachée , qu'une pensée paraissait trop




292 HISTOIRE DE LA RESTAURATI01\'.
en relief, et , lorsqu'elle était fausse, elle le paraissait dix fois
davantage.


J'arrive aux affaires, l\I. de Richelieu avait la presquc certi-
tude d'obtenir la lihération du territoire : 1'empereur Alexandre
paraissait surtout tres-disposé acette concession. Les represen-
tants des quatre grands Cabinets aParís avaient recu la mission
spéciale de pressentir l'esprit public en Francc , la situation in-
térieure des affaires , des partis et des opinions, la possibilité de
l'exact acquittement des indemnités pécuniaires. Dans le mois
d'avril lU. de Richelieu pouvait affirmer qu'au prochain congres
la question de l' oecupation étrangere serait débattue; il devait
des lors se mettre en mesure d'obtenir le crédit législatif indis-
pensable pour suivre avec efficacité eette négociation et la eon-
duire afin. Dans une conférence diplomatique du 6 avril , entre
le duc de Richelieu, lord 'Vellington, le comte Pozzo di Rorgo,
lord Stewart, le comte de Goltzet le baron Mouuier, les dernieres
bases de la liquidation pour les eréanees étrangeres furent posees,
Il ne s'agissait plus que d'obtenir 1'assentiment des Chambres,
Pour soutenir et justiíier eette démarche , les journaux officiels
de 1'Europe recurent l'ordre d'annoncer la possihilité d'une pro-
ehaine évacuation. Des notes précises, remisos aux rcprésentants
des grandes Cours, disaient: « D'apres l'articIe 5 du traite de
París du 20 novembre, la question de savoir si l'occupation mi-
litaire des frontiercs de Franee doit cesser ala fin de 1818, ou
se prolonger encore deux ans , doit étre décidée l'automne pro-
chain. Cette question, d'une si grande importance pour la sü-
reté et le bien-étre de l'Europe, demande un examen appro-
Iondi, et par conséquent une réunion diplomatique eles Cabiuets,
auxquels il appartient, d'apres le texte des traités, de décider
eette question. L'objet de eette réunion n'est pas un secret, bien
que ce fút une témérité de vouloir d'avance eo assigoer le n~­
sultat : il est impossible pourtant que les Cabinets considercnt
la question comme résolue avant qu'elle ait été discutée, On a
répandu le bruit de congres particuliers entre les Souverains, ~l
Vienne, Praguc ou Cracovie, rien n'est plus faux; les plans con-




CHAPITRE XIII. 293
nus des Souverains, pour l'été prochain, suffisent pour le réfuter
complétement. L' empereur d'Autriche part le 10 avril pour la
Dalrnatie; 11 la fin du méme mois l'empereur de Russie visitera
ses provinces méridionales; ala fin de juinle roi de Prusse fera
une visitea l'empereur de Russie et au grand-duc, son gendre.
Ce n'est que vers le moisde septembre que les trois monarques
se réuniront sur le Rhin dans l'endroit qui sera fixé aladite épo-
que. » C'est en se faisant précéder par de telles espérances que
l\l. de Richelieu vint réclarner le crédit législatif. Le ministre
communiqua aux Chambres le résultat des négociations déja ter-
minées, et demanda le moyen de conclure celles qui devaient
l'étre avant la nouvelle convocation des Chambres. Apres les der-
niers traités avec les alliés , la France avait été soumise adeux
especes de charges : les unes résultant du traité du 20 mai 181lJ,
les autres créées par le traité du 20 novembre 1815. Le premier
traité ouvrait atous les créanciers légitimes du Gouvernement
francais , demeurant en pays étranger, un recours contre le Gou-
vernement; le second créait des obligations pour les indemnités
de guerre stipulées. De grandes difficultés avaient environné
cette liquidation ; les réclamations s'élevaient a1600 millions :
tout avait été arrangé moyennant une rente de 12 millions
400 000 francs qui serait remise aux alliés. Un traité particu-
lier avait été conclu avec I'Espagne; un million de rente avait
été stipulé en sa faveur, sauf compensation, Les créances des
sujets anglais avaient été égalementl'objet d'une conventionspé-
ciale qui fixait a 3 millions de rente l'indemnité stipulée, -et le
total général des rentes acréer était 12 millions 400000 fr.,
lesquelles, cependant, ne devaicntétre délivrées que par douziémc
et de mois en mois, afin de ne pas trop afTecter la place. « La
France , disait l\l. de Ilíchelieu , doit retrouver le prix de sa
courageuse résignation; tenant ala main ces mémes traités dont
elle a rempli les conditions les plus rigoureuses, elle ne deman-
dera pasen vainal'Europe d'exécuter ason tour celles qui lui sont
favorables. Letraité du 20 novemhreporte: L'occupation militaire
de la France peut fluir au bont de trois ans; ce terme approche, et




...


294 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
"


tous les cceurs francais tressaillent de joie de l'espérance de ne
plus voir flotter sur le sol de la patrie que la banniere francaise.
La plus parfaite tranquillité regne en France ; nos institutions se
développent et s'affermissent ; la Charte, ouverte atous les par-
tis, les recoit , non pour en étre cnvahie, mais pour qu'ils s'unis-
sent et viennent se perdre dans son sein. S'ils avaient paru un
moment se ranimer, la sage fermeté du Roi les a aussitót désar-
més, et cette expérience a été pour HOUS, conune pour toute
l'Europe , une évidente démonstration de leur impuissance :
l'année derniére, de toutes les calamités, la plus propre aagiter
un peuple s'est fait cruellement sentir. Si, au milieu de ces cir-
constances, la monarchie légitime a déployé tant de force, que
pourrait-elle redouter dans l'aveuir, et quelle alarme pourrait
inspirar a l'Europe la France libre sous le sceptre hienfaisant de
ses Rois? » En conséquence, le ministre proposait l'inscription
sur le grand-livre d'une rente de 12 millions 400000 francs pour
la liquidation des créances étrangercs ; il dcmandait égalemcnt
l'ouverture d'un crédit éventuel de 24. millions de rentes pour
étre employéacomplétcr le paiement des sommes dues aux Puis-
sanees étrangeres. La Chambre des Députés accueillit ces dcux
propositions de crédit avec un haut sentimeut d'unanimité ;
toutes les opinious s'associerent ace grand reune de I'évacua-
tion du tcrritoirc. Quelques Iloyalistesardeuts purcnt bien sous-
crire des notes secretes, mais tous, ~l la tribune, maniícstercut
des opinions nationalcs, et votcrcnt avec un nohle orgueil, el
peut-étre avec moins d'arriere-pcnséo que les Ilévolutionnaircs,
l'aITranchissement de la patrie!


Ce fut de la Chambre que partit le prcmier mouvement de
résistance contre la tendancc trop démocratiquc des lois et du
pouvoir ; et dans son sein se forma cettc majorité qu'il Iallut bri-
ser l'année suivante par une grande promotiou de pairie. L'op-
positioncommenca des cette session de 1817; elle devint majorité
dans la session suivante , amesure qu'un essai plus long el plus
rétléchi avait été fait de la loi des élections. Toute mesure C011-
scrvatrice du pouvoir trouvait appui dans la Chambrc haute.




CHAPITRE XIII. 295
L'opposition royaliste professait sur certains points de gouverne-
ment des príncipes et des théories trop libérales pour que les
pairs monarchistes qui les soutenaient habituellement pussent
s'associer a eux, Par cxemple, s'agissait-il de la liberté des jour-
naux , de l'indépendance de la presse , lU. de Fontanes et le
marquis de Barthéiemy , le cardinal de Beaussct, chefs des
monarchistcs , ne partageaient en aucune maniere les généreuses
théories de lU. de Chátcaubriand. Ainsi fractionnée, l'opposi-
tion royaliste était réduite dans tous les votes de lois gouverne-
mentales au simple role de minorité; cela se vit pour les me-
sures d'exception qui furent accordées au ministére , et parti-
culicrement pour le projet relatif a la pressc, et al'occasion du-
qucll'opposition royaliste avait demandé l'indépendance absolue
des journaux l. Au contraire , sur le projet de loi de recrute-
mcnt , les monarchistes et l'opposition ultra se réunirent; cal'
i1 s'agissait d'une question de prérogative royale. C'était le mi-
nistere qui venait lui-méme faire abandon du droit ahsolu de la
royauté de choisir les officiers de l'armée. Il y avait cependant
une cause particuliere qui devait assurer la majorité au minis-
ll'l'(~ daus cette gran' question, Tout le parti militaire, sauf quel-
ques exceptions, était pour le systemo de recrutement : tom
onfants de fortune, prolllus par Ieur méritc ou par Icur ancien-
ncté , ils désiraicnt voir consacrcr 130ur l'arrnée une charte qu,
assurát a tous les soldats une gloirc et un avenir semblablcs,
te maréchal l\lacdonald fut désigné pour rapporteur ; un tcl
travail nc pouvait étrc confié en de mcilleurcs mains. Aucun
militaire ne connaissait mieux le pcrsonnel de l'année; il avai:
présidé ¿l la dissolntion de l'armée de la Loire; il Y avait ap-
porté un haut disccrnement, une modération dont tous les offi-
ciers se souvenaient avcc reconnaissance ; la Chamhre des Pairs
témoigna de son estime 130ur le maréchal : son travail bien
simple justifia toutes les dispositions du projet, sauf deux ex-


r Le projet de 1\1. Pasquicr fut encoré modifié par la Chambre des
Palrs , le Gouvernemcnt se décida ane pas le sancuonncr.,




296 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
ceptions : l'une, relativea la vétérance; l'autre, al'avancement
par ancienneté. Le maréchal rappela les engagements qu'il avait
pris lors de la dissolution de l'armée de la Loire : « Chargé ,
dit-il, dans des ternps que j'ose apeine rappeler, d'une opéra-
tion sans exemple peut-étre dans l'histoire militaire de nations ,
d'une opération qui , pour étre nécessaire , n'en était pas moins
douloureuse pour moi , j'ai donné a mes anciens compagnons
d'armes l'assurance solennelle que les dispositions des .actes de
leur dissolution seraient fidelement remplies. Pourrais-je les
abandonner apres avoir été témoin de leur héroíque resigna-
tion? » Les deux amendements proposés par la commission étaient
ceux-ci : pour la vétérance, elle voulait exempter du service
les militaires qui seraient mariés ou qui auraient été libérés par
congés absolus; le second réduisait la dispositiondu projet pour
l'avancement aces termes: les deux tiers des grades et emplois
de lieutenants et sous-lieutenants seront donnés a l'ancienneté ;
ces deux amendements formaient le point d'une division dans le
partí militaire. La Chambre des Pairs avait déja adopté la mé-
thode d'une inscription pour parler pOll1'-, contre ou sur. Ce
mode d'inscription déterminait les nuances politiques : les gé-
néraux Dessolle, la Iloche-Aymond, Iticard, Gouvion, Curial,
Maison, Villemanzy, se firent inscrire pour le projet du Gou-
vernement; la Iraction royaliste opposa au projet tout ce qu'elle
avait de plus pur et de plus élevé : MM. de Fitz-James, de Saint-
Roman, Cháteauhriand , Sabran, d'Herhouville. Le parti mo-
déré et d'accommodement se fit inscrire avec la désignation in-
certaine de sur la loi; il comptait le maréchal Victor, le général
comte Lauriston, Clermont-Tonnerre, Mortemart : on pouvait
prévoir qu'ils voteraient les amendements de la commission sans
repousser l'ensemble du projet de loi, Le général Dessolle fit
l'éloge du projet de loi , qui , selon lui cependant, ne fondaitpas
des institutions assez larges, assez completes. 1< Pas assez COIll-
plétes ! dit lU. de Saiut-lloman : je les trouve au contraire en
opposition évidente avec l'article 12 de la Charte; en fixant des
regles invariables d'avancement , elle jette l'armée daos le prin-




CHAPITRE XIII. 297
cipe populaire. » « Vous craignez pour la prérogative royale!
répondit 1\1. de la Vauguyon ; mais le Roi n'a-t-il pas exprimé
lui-méme eette belle maxime : Que le partage des mémes périis
donnait droit aU,I; mémes honneurs? » Le eomte Lauriston adop-
tait les bases du projet de loi, sauf la disposition sur la garde
royale, qu'il voulait modifier dans l'intérét de ce eorps d'élite ,
destiné al'éclat du tróne et ala süreté du monarque. D'apres
l\l. le duc de Fitz-James, le ministére se laissait entrainer ala
remorque, soit porté tantót en deca , tantót au dela de la Charte.
te noble pair démontrait qu'on rétablissait la conscription en
vertn du titre qui l'abolissait. « En imposant l'ancienneté, on ne
faisait plus du Roi qu'une machineasignature de brevets, l) 1\1. de
Lally développa les grandes théories de la prérogative royale,
qui ne s'enchainait pas pour cette raison que la loi imposait a
ses choix des conditions et des limites. La discussion était si vi-
vement engagée, et ses résultats si incertains , que 1\1. le duc de
Richelieu, qui possédait une grande influence sur la Chambre,
exposa que de quelque maniere qu'on appelát la loi proposée,
eonscription ou recrutement, un appel forcé d'hommes était in-
dispensable a l'indépcndance nationale. Dans la situation poli-
tique oú I'évacuationdu tcrritoire , qu'on avait l'espérance d'ob-
tenir, allait placer la France , il lui fallait une année; et com-
ment l'ohtenir, si ce n'était par un recrutement forcé? Dans les
guerres de Louis XIV et de Louis XV, dans le court espace de
la guerre d'Amérique , n'avait-on pas eu recours a la milice for-
cée ? « L'institution des vétérans excite aussi des objections ; on
manque, dit-on , ala foi promise; mais est-ce manquer ala foi
promise, que de leur dire : B.estez en paix au milieu de vos
familles; eontinuez vos travaux utiles, aprés vos travaux glo-
rieux; le Roi no vous rappellera que lorsque l'État sera assez
menacé pour voler ~l la défense de votre champ, de votre fa-
mille? » te duc de Bichelíeu défendit avecchaleur l'avancement
par ancienneté : « La prérogative royale ne s'impose-t-elle pas
toujours, et en toute circonstance, des regles positives? dit le
ministre; nous touchons au terme de eette discussion , qui peut




298 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
replacer la France au rang qui lui apparticnt. Tout pcrmet d'es-
pérer que les furcurs de la guerre feront place aun esprit uni-
versel de paix. Jusqu'a ce que les H~UX ou les conseils des ámcs
pacifiques soient écoutés , tant que les autres États auront de
grandes forces sur pied , la France aura hcsoin aussi d'une ar-
mée permanente. » M. de Ilichelieu était l'expressiou en quel-
que sorte des négociations avec l'étranger : de plus, on savait la
modération de son caractere , et son respect profond pour la
prérogative royale, Tout fut discuté; mais il n'y cut de doutc
qu'entre les amendernents de la commissionet le projet du Gou-
vernement. Le premier de ces amendements fut repoussé par la
question préalahle , mais a la faible majorité de 88 voix centre
85, et le second de ces amcndemcnts , a la majorité de 87
contre 83. Au scrutin secret sur l'cnscmhle de la loi, la majo-
rilé s'agrandit un peu : 96 voix votérent pour, et 74 centre. He
ces épreuvcs successives résultait, pour les esprits un peu habi-
tués an jeu des majorités, que l'opinion de la Chambre des Pairs
échappait au systéme ministériel , et que la loi du recrutemeut
serait le dernier terme des concessious que le Gonvernement
pourrait obtenir de cette Chambre. Il Iallait des lors songcr a la
briser par la création d'une majorité nuniériquc. I.a session de
1817 fut particulierement remarquable par cette discussion ;
toutes les pensées , comme tous les intéréts , s'étaient confondus
dans la grande question de la Iihération du tcrritoire. La session
toute financiere investit les ministres d'un grand pouvoird'ar-
gent; ils en userent dans les intéréts du pays, Le parti libé-
ral , et particulierement la fraction conduite par la banque,
1\131. Laffitte et Périer , se montra sage et patriote en aban-
donnant les déclamations a l'DI. Dupont de l'Eure , Bignon et
Chauvelin. Le partí royaliste témoigna moins de coníiauce ; il
avait plus ase plaindrc , mais il s'unit aux votes nationaux pour
l'évacuation du territoire : iI oublia ses perites passions, pour un
graud intérét,


On ne doit pas s'étouner que le résultat de ces vastes discus-
sions de tribuno ait été d'imprimcr une action puissante a l'rs-




CHAPlTRE XIl1. 299
prit puhlic ; un grand nombre d'écrits cherchaíent a échapper a
la surveillance de la censure, et ces écrits cntretenaient la puis-
sanee et l'agitation de la liberté; la suppression du privilége du
Mercurc~ ordonnée par le directeur de la librairie, donna nais-
sanee a un recueil qui exerca une certaine influence sur
l'opinion. La J1I1"neTce parut le 1er avril 1818, rédigée par
une société de gens de lettrcs les plus remarquables dans
l'opinion lihérale, J'ai relu depuis la JJlinel've, et j'ai été étonné
du peu d'impression qu'elle a produit sur mon esprit. Je no sais
si les traits plus incisifs de la presse actuelle ont émoussé le
goüt , si la polémique des journaux est devcnue plus instruite
en affaires; mais ce qui , a cette époque , excitait les plus vives
sympathies, les Lettres sur Paris , l' Ernute de lU. de Jouy, les
disscrtations froirlement spirituelles de 1\1. de Constant, les ta-
bleaux historiques de 1\1. Aignan, les analyses de M. Pages ,
tout cela m'a lassé calme et sans mouvement. Quelle faible con-
naissance des aífaires t un cliquetis de principes absolus, un
parlage libéral qui pouvait avoir son mérite et toucher ason but,
mais qui n'offre ríen a l'homme qui pense et qui raisonne. La
Jhnel've u'avait pas méme toujours -la passion qui échauífe et
qui vivifie les productions de l'esprit. Faut-il le dire ? ce qui a
surtout fixé mon attention et réveillé mes souvenirs , ce sont les
chansons de l.\I. de Bérenger, dont la Minerve révéla les strophes.
J'ai couru sur toutes ces descriptions d'EnnÍle de la quiane ~ qui
se drape au milieu des antiquités , des manufactures et des no-
tabilités provinciales, sur cessouscriptionsdu Champd'asile , sur
ces soldats laboureurs, sur la chaumiere de Clichy , pour arriver
aux poétiques chants de la vigne de Brennus, ou de la vieille
gloire révolutionnaire. Les écrivains de la Jl1inerve.. hom-
mes d'esprit d'ailleurs , avaicnt compris la destinée de leur re-
cueil; ils s'adressaient aux classes moyennes ; sachant bien la
langue qu'elles comprennent, ils la parlerent, La Mineroe fit
en partie l'éducation bourgeoise du pays , éducation souvent
fausse, mais quelquefois utile au développernent de l'intelli-
gence, La classe moyenne apprit de La ¡l'Huerve ce qu'étaient la




300 mSTOIRE DE LA RESTAURATlON.
Charte , les droits qu'elle donnait , et les príncipes qui cn dé-
e.oulaient, et c'était quelque ehose en 1818. Le Conscrcatcur
avait plus de talcnt que la Minen:c. Que pouvait-on comparer
aux articles sipuissants de pensée et de style de M. de Chñteau-
hriand ? M1\1. l'abbé de Lamennais, de Bonald, y publierent des
moreeaux remarquables; l\t. Fiévéey apportait eette disserta-
tion spirituelle et pleine de faits, atravers eet égoisme d'un style
trop plein de lui-méme. MM. de Castelbajac , de Frenilly , Sa-
laberry, éerivains a la suite des grands talcnts, fournissaient
également au Conseroateur des articles d'uu esprit original et
piquant. Partout respirait cette haine de la révolution; partout
cette violence de polémique qui semble étre le type de la hro-
chure royaliste. Je ne sais s'il y avait eonvietion plus puissante ,
ou si l'aristoeratie porte avce elle ce ton hautain et impérieux ,
mais jamais diseussion no fut plus animée et parfois plus inso-
lente que celle du Conseroateur. Rarement la modération el
les eonvenanees de l'expression s'y trouvaient-elles ; e'était une
guerre a outrance aux hommes et aux choses, Quand 1\1. de
Cháteauhriand s'emparait d'un nOlll propre, il le frappait, le
foudroyait des traits puissants de son grand style; le Conser-
»ateur fit bien plus de mal au systeme de 1\1. Dccazes , que La
Mincrce. L'opinion royaliste était alors au moins aussi populaire
que le libéralisme , et, de plus, elleavait la Cour, la majorité de
la Chambre des Pairs , et une minorité forte et pleine de talents
de la Chambre des Députés. La Mincrve et le Consercoieur
étaient les deux organes influents de la presse. Le Gouverne-
ment était également l'objet de lcurs atraques. J\lais il était fa-
cile au ministere de se rapproeher des écrivains de la Jfinerve.
Pour obtenir le Conseroateur, il fallait un ehangemcnt complet
dans la marche du Gouvernement; c'était une révolution minis-
térielle, telle qu'elle s'opéra en 1821, que le Conseruateur
demandait. Le parti libéral savait bien qu'il n'avait pas assez de
crédit ala Cour pour obtenir imrnédiatement une victoire ah-
solue. Ce qu'il voulait pour le inoment , c'était quelque position,
quelques préíectures t des places de conseillers d'État , des re-




CHAPITRE XIII. 301
cenes géuérales. La Bibliotlieuuc historiquc fut destinée , dans
son orieine arecueillir tous les faits tous les acres arhitrairesb , ,
des fonctionnaires publics dans les départements ; c'est un role
qne les partís se donnent : cortes il se cornmitquelque arbitraire
dans les départements , et surtout de ce petit arbitraire de bu-
reaux; mais, j'ose le dire ici , jamais aucun systeme d'admi-
nistration et de gouvernement (je parle de 1818) n'offrit , dans
sa durée , un moindre nombre d'actes répréhensibles aux yeux
des lois; et encere ilne faut jamais oublier que le Gouverne-
ment était armé de lois d'exception qu'il avait réguliérement
demandées aux Chambres, Le Censeur européen ~ toujours di-
rigé par 1\11\1. Comte et Dunoyer, continuait ce róle d'opposition
pesante et rationnelle, qui n'avait pas une grande portée politi-
que, pareequ'elle ne s'adressait point aux masses ; on y traitait
des questionsabstraites de souveraineté , de lois électorales, des
príncipes constitutifs de la société dans un sens opposé, mais a
la maniere de M. de Saint-Roman. Je ne concois pas, en vé-
rité , la persécution qui s'attacha a l\li\l. Comte et Dunoyer; en
matiere de gouverncmcnt, j'explique tout ce qui a un résultat,
méme I'arhitraire ct l'injuste, rnais ce qui n'a rien d'utile , et
ce qui est odieux, ¿l quoi hon le tenter? C'est ce qu'on Iit a
l'égard de MM. Comte et Dunoyer : on grandit des réputations;
on fit des géants d'opinion , d'hommes honorables sans doute,
mais au total fort ordinaires. Toutes ces feuilles , et plus tard
l'Hoinmc qris ~ les Lettrcs norinandes ~ échappaient a la cen-
sure par la forme et lesépoques de leur pubIicité. Les journaux
proprcment dits, le Journal tlu Conunerce (depuis Constitu-
eionncL) -' le Journal des Débats ~ la Quotidienne ~ l' Indcpen»
dunt ~ qui auraient pu exprimer les opinions des partis ardents,
implacables, étaient soumis a la censure qui les faisait passer
sous son niveau inflexible; leur couleur paraissait saus doute ,
mais terne et sans relief


Indépendamment de ces feuilles périodiques, iI paraissait
encore des brochures, expression individuelle des opinions de
partí; les écrits royalistes avaient une incontestable supériorité;


H. 26




302 lllSTOlHE DE LA nESTAUl~ATIüX.
la Correspondance politique et administrtuice de l\I .. Fiévée
contenait , certes , des idées paradoxales, des systemes hasardés ;
mais.est-il possible dc réunir plus d'esprit, un style plus élégant,
et un plus hrillant cliquctis d'expression ? Les d6veloppemcnts
que doune l\l. Fiévéc aune idée sont des plus remarquables,
quoiqu'on puisse lui reprochcr des longueurs et cette préoccu-
pation de lni-méme , qui fait arriver sans ecsse l'homme commc
uu principe et un argument. lU. de Cháteauhriand n'apportait
pas seulement la puissance de son beau talent ala tribuue , il
était, avant tout, homme de parti, el les partis ne se contentent
pas de quclques rares discours de tribune. l\l. de Cháteauhriaud
faisait admirablement la brochure; elles venaient de temps cn
temps tomber de tout le poids de sa haute parole sur le minis-
tere de l\I. Decazcs, Quelque dures et fortes que fussent ces
publications, le ministre n'osait point faire poursuivre lU. de
Cháteaubriand. Ces opinions, exprimées dans les journaux , se
reflétaient dans la société et ala Cour, Les froideurs entre le Roí
et l\l. le comtc d'Artoiss'étaicnt encore aecrues. l\!ONSIEUI{ était
trop avant dans les intrigues contre lc ministere du Iloi et son
Gouvernement, pour quc Louis XVIII ne lui en témoignát pas
son mécontentemcut; et le comte d'Artois était égalemcut trop
fiel', trop eutier dans ses desseins, pour ne pas faire sentir au Iíoi
sa désapprohation sur la marche des afTaires : en un mot , OIl en
était ace point que les deux freres se parlaicnt tres-rarement et
toujours de ehoses indifférentes, Ils conservaient en public ces
formes hiérarchiques, point d'étiquette essentielle dans la l\Iai-
son de Bourbon. 1\10NSIEUR témoignait de son respect pour
le Roi dans toutes les harangues d'apparat , et le Iloi , ason
tour, parlait sans cesse de son entiere confiance et de sa vive
tendresse pour son frere, Au fond, ils n'en restaient pas moins
avec leurs griefs. C'était un jeu que les deux princes jouaient
parfaitement,


Je ne saissi je dois attribuer 11 1\1. le eomte d' Artoislui-méme,
ou ases agents subalternes, le complot royaliste que le miuistcre
n'osa faíre poursuivre jusqu'au bout , paree que, si j'en crois




CHAPITRE XIII. 303
certains témoignages, le complot remontait en déílnitive al\ION-
SIEER. Les ministres de cctte époque , que j'ai consultés, affir-
ment que la participation plus ou moins directe de lUONSIEUR
au dessein d'obtenir I'ahdication de son frere et d'enlever le
ministre favori est douteuse. Ce complot, connu sous le nom de
Conspiration du bord de L'cau .. eut-il un corps? n'y eut-il pas,
comme dans tous les complots, la haute-main de la police? Il
cst possihle que quelques royalistes, ~l tetes ardentes, aient parlé
(t'ahdication, de la nécessité d'appeler JU. le comte d'Artois sur
le treme, pour sauver l'opinion monarchique , il est égalemcnt
tres-probable que la grande haine contre le ministre favori ait
suscité quelques-uns de ces complots de cour, qui sont loin
encere de se traduire en action , mais de la aun projet concu ,
fortement arréré ct prót ~l étre mis a cxécution , il Ya quelque
distance : (( Tous les ministres devaient étre mis aVincennes, et
JI. Dccazes avcc eux ; on devait former un ministere nouveau ,
composé de MM. le général Canuel , Donnadieu , de Vitrolles ,
de Fitz-James et Chñteauhriand, Le but du nouveau ministere
dcvait ctre d'imprimer une direction monarchique aux affaires
da pays : la Charle devait etre suspcndue ; on en reviendrait a
l'ancien ordre de ehoses , aux trois États. » (Je fais observer ,
cucore une Iois , qu'il ne s'agit pas d'hístoire , mais de simples
rapports et documcnts, ) La premicre révélation de ce complot
fut faite aM. Lainé , et particulicrement a JU. Bellart. En sup-
posant que la policc eüt une part dans cette machination, le
ministre de ce département agit avec habilcté en en renvoyant
la révélationaun de ses collegues, hommed'une extreme loyauté,
mais avant tout imprcssionnable , et qui devait profondément
sentir un si grand outrage fait ala majesté royale. Les ministres
Iirent en conséquencc un long rapport au Iloi ; Louis XVIII fut
parfaitemcnt convaincu que le complot qu'on lu! dénoncait était
dans la pcnsée des Iloyalistes , mais il ne put croire qu'il y cut
commenccmcnt d'exécution; cependant , sur la demande de
~I. Bellart, les magistrats firent arreter et mettre au secret
HM. Chappedelaino , Joannis; le général .Canucl avait disparu




304 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
de son domicileavec une précipitation remarquable. On agit elans
toute cette affaire avec un arbitraire et une cruauté extremes: je
ne dis pas que le complot fút complétement supposé, maisétait-ce
un motif pour mettre au cachot, torturer au secret des hommes
de quelque importance militaire ou politique? et en n'envisa-
geant que le coté d'habileté , n'était-cc pas une malaelresse que
d'irriter encore le parti royaliste! On a prétcndu que la conspi-
ration était une pure invention ele M. Decazes , pour entrainer
le Roi dans le sens lihéral. Il est possihle , en cílet , que lU. De-
cazes mit plus d'importance ace complot qu'il n'en méritait , el
ee fut peut-étre dans un but politique; mais c'est une erreur
de eroire qu'on puisse complétement suppose1' une conspira-
tion ; on peut en agrandir l'importance, changer en action ee
qui est en projet , transformer en fait ce qui n'est encere qu'cu
pensée; mais on n'invente pas lesfaits en pollee, pasplus qu'en po-
litique. Le Conseil eles ministres hésita devant une poursnite en
regle, ou du moins il voulut la circonscrirc dans eles limites tres-
étroites. Une circulaire aux préfcts porta : « Le sicur Chappe-
dclaine , maréchal ele camp en retraite; Songy , anclen officicr
d'état - major; RomiIly, ehefele bataillon en cxpcctative , et
Joannis, ont été arrétés , le 2 juillet , par ordrc de 1\1. le jugo
d'instruction. Cette affaire est aussi odieuse dans son but qu'in-
sensée dans le moyen d'exécution. On a lancé un mandat d'amo-
ner contre le général Canuel, il avait disparu de son domicile ;
on a mis les scellés sur ses papiers, » La poursuite tomba d'ellc-
meme aprés un arrét de renvoi : l'effct avait été produit, On
fit courir le bruit qu'il y aurait eu trop ele personnes compro-
mises, et la calomnie désígnaMoxsmrn.


Dans cette année de 1818, le Roi ct les Princes déploverent
ce caractére de largesscs généreuscs , noble apanage de la fa-
mille eles Bourhons. Un orage avait éclató sur Paris , et avait
causé quelques dégáts au faubourg Saint-Antoinc ; le Roi en-
voya 30 000 francs au maire du 8e arrondisscment pour les ré-
parer ; 1\1. le duc ele Berri , quclle que Iüt l' exiguité de son
revenu , en détacha lt 000 fr. dans le mérnc objct; MO~SIECH




CIJAPITRE xnr. 305
el S. A. R. la duchcsse d' AngoulCme firent également des dons
cunsidérahlcs. Lors de I'inccndie de I'Odóon , rieu ne fut plus
rcmarqnahle que ecuo génórositó royale , s'éteudant r\ toutes les
iníortuncs , sccourant tous les malhcurs : l'Odóon renaquit de
ses cendres, et la Liste civile dépcusa pres de hOO 000 fr. , en
dons particuliers , pour les vcuves ct les orphclins par suite de
l'incendie. te roi Louis XVIII était pcrsonnellemcnt populaire ;
les cris d'une faction n'étouffaient pas l'expression de la rocen-
naissancc publique. Des pamphlcts clandcstius pouvaicnt saisir
quelque ridicule de la vicillcsse du Roi; mais , honune d'esprit ,
avant tout, Louis XVIII n'cn Iaisait que rirc ; il possédait sur-
tout cet art qui ne s'appliquc jamáis ;\ lui-méme les lazzi ct les
dictons populaires. Un jour, ;\Saiut-Denis , au milieu des accla-
mations publiques de VÚ'C le ROl'! un homme du pcuple avait
crié rii:« le coclion l le procureur du Roi le fit poursuivrc pour
cri séditieux. Lorsque le ministre de la justiee rendit couipto ;\
Louis XVIII de cetro anccdote , le Iloi répondit : « Et vous
n'avez pas destitué un magistrat qui a pu croirc que le cri vive
le coclion l s'appliquát au roi de Frauce l » La Famillc royale ,
ccpcndant , avait des douleurs. l\ladame la duchcsse de Bcrri
étuit accouchée d'un enfant mort. Les révolutionnaircs impla-
cables se réjouissaient de eette stérilité plus malheureusc ('ll-
core , cal' elle ne Iaisait luire ]'cspóranc« que pour la rln ir plus
doulourcuscment. 1\1. le duc d'Orléans paraissait toujours , avcc
sa uombrcuse famille , commc le dcruier hcritier de la l\Iaison
de Frunce. Ses liens sornblaient se rcsscrrer chaque jour davan-
lage arce la hranchc ainée. ñladamc la duchessc d'Orléans , si
bonue, si pieusc , était continuellcmcnt chez la duchcsse de
Berri sa niece. ]U. le duc de Berri donnait des hals d' enfants :
il aimait a y voir les jeuncs princcs , et surtout M. le duc de
Chartres , que la duchcssc de Bcrri avait pris en tcndrc amitié.
Ln deuil de gcntilhommc vint afIliger la Fnmille royale. Le
prince de Condé mourut dans une bello YicilJ('ssr; c'était un
noble débris de I'émigratiou année. Les Ilovalistcs cherchcrent
~\ réchauffer l'enthousiasme al' de grandes démonstrations ponl'




306 msromr DE LA RESTAl.inATrO:.\.
lcur vénérable chef, le Nestor de la gloire fraucaisc. Ce fut
moins le Prince du sang qne le chef des gentilshouunes <iu 'ils
plcurercnt, el le généra] de l'annéc royaliste sur le Ilhin.


Cepcndant , la marche du Couvcrnemcut était plus fermo "
plus populaire. A la gnerre, le marérhal Gouvion-Saint-Cyr ,
depuis la loi du recrutement, rcconstituait l'armée avec une
pcrsévérance et un suecos remarquables, La pensée du maré-
chal était généreuse. Il s'abandonnait avec confiancealaloyanté
de l'officier francais ; il jugeait qu'en rappelant snccessivemcnt
tous les militaires en disponibilité, il donnerait ala France tout
~l la fois une arrnée nationale, habituée au métier de la guerre,
el moins coúteuse, cal' ce systeme devait faire cesser la doublc
dépense de la solde d'activité ct de la dcmi-solde. lHais il y avait
imprudence dans I'applicarion ahsoluc (le ces idées : (jn! POll-
ni! nier qu'il y cut alors conspiration ardcnte , continue? Sup-
posons I'armée a la disposition d'un parti , recrutée d'officiers
en demi-solde , zéléspartisans de Napoléon et du grand Empire,
et je demande maintenant si la ñlaison de Bourhon cut pu long-
tcmps résistcr ? Je suis loin d'accuser la mémoire du maréchal
Gouvion-Saint-Cyr; son hut était noble et grand; mais ce qni
n'était ni grand ni généreux, c'était le partí qui abnsait indi-
gnement de ces concessions! Le ministre de la guerre organi-
sait tout avec une activité sans égale. J'ai rclu les insíructions
qu'il adressait aux préfets sur l'exécution de la loi de recrutc-
ment; ríen de plus complet, de plus légal et de mieux com-
biné. Le ministre créa l'J~cole royale d'état-majnr, inspiration
ingéniense et grande, mais établie pcut-ütre sur une trop vasto
échelle en temps de paix. L'J~cole polytechnique obtint un plus
largo développement ; le maréchal régla également l'avancemcnt
de la ligue dans la garde royale , et réciproquemout des oíliciers
de la garde dans les corps de ligue ; ce qui établissait en méme
temps un point d'émulation pour l'armée francaise , ct lui don-
nait, par cctte fusion, plus d'homogéuóité. En un mot , le
maréchal Gouvion-Saiut-Cyr fonda la véritahle armóe, si tou-
tefois l'on pcnt appcler ainsi une arrnéo iucertaine dans son




f.HAPITRE XIII. 307
dévonement ala Itcstauration, résultat alors difficile , maís dont
un ministre du roi de Franee devait avant tout se préoccuper,
Quant au personnel des généraux et des offieiers supérieurs, le
ministre ne fit plus la part qu'a la capacité; il mit un terme a
la prodigalité des grades supérieurs ; il placa dans la retraite
tous les vieuxoffieiers de I'érnigratiou, purgea l'armée de scsinca-
pacités. Enfin, ce qui prouvait jusqu'a quel point la Restaura-
iion poussait l'ouhli du passé , le ministre de la guerre confia
la direction d'une de ses grandes divisions miuistériclles au comte
Dejean pére , dont le fils, zélé serviteur de Napoléon , avait été
porté sur la liste du 24 juiJIet.


1\1. Corvetto demeurait accablé sous ses opérations d'emprunt,
M. Baring, et toutes les grandes maisons de hanque d'Enrope ,
avaient envoyé un de leurs chefs aParís, ct Hl se traitaient toutes
lesquestionsde ílnances, La Caisse d'amortissement opérait avec
régularité et économie; les préts de la hanque, les comptes ou-
verts avec les receveurs généraux, la vente des bois de I'État,
donnaient des ressources au Trésor, de maniere qu'aucun ser-
vice n'avait été laissé en souífrancc. Pourtant la question des
r-mprunts cntrainait de notables embarras; les journaux et les
hrochures soulevaicnt sans ccssc la difficulté de savoir s'il fallait
préfércr une négociation avec les hanquiers étrangers, a une
négociation avec un ccrtain nombre de maisons francaisos , qui
s'offraicnt pour accomplir l'cmprunt. Cette question , examinéc
d'une maniere ahstraite , devait , sans doutc , étre résolue favo-
rablcmcnt pour la hanque nationale. Elle avait fait tous ses ef-
forts pour réunir une masse de signatures et de capitaux qui
pusscnt répoudre a la quotité de l'emprunt. l\Iais offrait-ellc
rócllement cctte garantie? JI Y avait eu une souscription ou-
verte; le patriotismo avait répondu. Mais ron sait en finance ce
que prodnisent toutcs ces souscriptions! Une convention régu-
lierc , fondée sur des intéréts positifs ct sur des ressources
d'avauce assnrées , voila cornrnent l'I~tat doit procéder, Il avait
trouvé ces garamies dans la maison Baring , et il avait arrété son
opération avec elle. D'ailleurs , dans la question de l'évacuation




308 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
du territoire qui faisait le sujet de l'emprunt , la Franca n'ótait
point seule; elle n'avait pas sculcmcnt ~l stipuler pour elle-
méme , mais encore pour l'Europe , partie intéressée dans la
eonvention; 01', l'Europe qui voulait étrcpayée dans les termes
stipulés , ne se fiait pas aux banquiers francais : 1\1. Baring seul
lui présentait des garanties suffisantcs, Quand on ne connait pas
les affaires, et les difficultés qu' elles présentent , on s'étonue
que le Gouvernement n'ait pas tenu telle marche plutót que
telle autre, et il paraissait plus rationnel, plus national de s'ahan-
donner ades maisons Irancaiscs pour accomplir l'emprunt, afiu
de faire refluer en France les bénéfices obtenus; mais, dans le
fait, un emprunt de 16 millions de rentes n'était pas réalisable
dans le pays. En supposant la réunion compacte de toutes les
maisons de banque , les ressourccs de toutes ces maisons n'au-
raient pu atteil1lw:e la moitié de cette quotité ; et une chose re-
marquahle , c'est que, lorsque 1\1. Baring consentit adétacher
une grande partie de ses rentes au profit de 1'1. Laffitte et des
eompagnies francaises , elles réaliserent avec quelque peine
cette portion des emprunts. Les dcux maisons Baring ct Hoppe
tenaient alors en Europe le rñle que, depuis , a jouó la maisou
Rothschild; leur signaturo , apposéc aun traite fiuancier, pré-
parait un traité politique , et c'est ce que 1\1. de Ilichelicu avait
en sa pensée lors des négociatious d'Aix-Ia-Chapclle, Au reste,
les fonds publics avaient pris, par ce vasto mouvement de capi-
taux , une ascension remarquable ; les 5 pour 100 s'étaient élevés
de 55 fr. a 78 fr. Le traité conclu avec 1\1. Bariug s'était fait h
66 fr. ou a62 fr. , toute déduction faite: e'était un progres; sans
doute les bénéfices étaient encore considérables: mais n'était-ce
pas aux opérations financie res clles-mémes qn'était due ccttc
haute prospérité du crédit?


La chancellerie, sous la direction de lU. Pasquier , n'avait plus
que des occupations réguliéres ; 1'abolition des cours prévótales
avait rendu ala justice ordinaire sa marche légale et son cours
habituel. Les trihunaux n'étaient plus si vivement préoccupés de
conspiratíons et de répressions de crimes politiques ; mais un




CHAPITRE XTTT. 309
autre genre de délit était l'objet fréquent de la sollicitude du par-
quet : je veux parler des délits en matiere de pressc. Avaut 1818,
les poursuites ne se préseutaieut que dans des cas trcs-rares et
dans des circonstanccs extraordiuaircs. Les ministres, armés des
loisd' exception, pouraient supendrc un journal, arréter un écrit,
qu'avaient - ils besoin de poursuites régulieres devaut les tribu-
naux ? Quand la presse se manifesta par une multitude d' écrits,
tels que La Minercc ~ Le Conseruueur ~ L'Honuue gris ~ etc.,
alors le parquet recut la mission de déuoncer les pamphlcrs qui
s'écartaient des lois de la morale , de la religion et du respcct dü
au Iloi et a la Famillc royale. En matierc de presse , le jury n'était
point encere admis et les trihunaux composés de maniere a ce
que les poursuites ministérielles trouvassent sympathie ; ces tri-
bunaux étaient alors animésdu príncipe ahsolu de la prérogativo
royale. De la ces poursuites , ces condamnations fréquentes, qui
ne íaisaicnt qu'irriter les opinions au lieu de les réprimer. Le
ministere , pour étre impartial, írappait tout le monde; il pour-
suivait la Bibliothéoue historiquc et la Correspondance adminis-
tratioc de 1\1. Fiévée. Que résultait-il de ces rigueurs ?la presse
en Nait-cllemoins hostile, moins hruvaute ? Je répete cet axiome :
le pouvoir ne doit jamais considérer que le hut qu'il attcint par
un acte de rigueur : il faut qu'il rcnonce a des vengcances étroi-
tes ,et toujours qu'il se demande: ccci est-il utile ? Certes , je
concevrais un systeme de poursuite si le résultat était I'aífaiblis-
sement de la prcssc , la cessation des hostilités; mais si vous la
Iaissez forte et vivace , a quoi bon l'cnvenimcr ? Dans cette suite
de preces centre la presse , cotumencerent ~t hriller les talents re-
marquables de l\HI. de Marchangy , Vatimesuil , de Broé. Le
parquet de París possédait alors une puissantc réuniou de sujets
distingues et capahles de lutter avcc le barrean. Le garde des
sccaux s'en préoccupa particulieremcnt ; il n'v jeta aucune mé-
diocrité; il sentait I'importance d'opposer le talent aux talents,


J'ai déj~1 plnsieurs Iois parl« du ministere de l'inrérieur sous
M. Lainé ; les difficultés administrativos dont il avait été accahlé
peudant l'année 1817 ~t l'occasion des céréalcs se dissipaient peu




310 mSTOIRE DE LA RESTAURATION.
¡\ pcn ; les récoltcs de 1818 avaient produit une diminution con-
sidérablc sur le prix des blés; JU. Lainé avait rendu compre au
Iloi et aux Chambres des résultats fiuancicrs de ces opérations ,
lesqucllcs avaient coüté des sommes cousidérables au Trésor , et
n'avaicnt pas produit tout le bien désiré : les correspondances
avec les préíets s'étaient des lors bornees aux améliorations ad-
ministrativcs , a l'action générale ct protcctrice du pouvoir cen
tral. Il existait un ministere de la police , et par conséqncnt le
ministerc de l'intérieur était dépouillé de cettc survcillance qui
lui donne une irnportance politiqueo Le ministre favorisa l'ell-
seigncmeut mutuel par ses circulaires et ses actes ; il ai-
mait ale comparer a la vaccine , qui avait rcncontré a son ori-
gine tant d'esprits incrédules , tant de préjugés a vainero.
lU. Laiuó s'était lié avcc le duc de Liancourt ct :U. de Lasteyrie ,
qui s'occupaícnt de toutcs les innovations élémcntaircs : la PCll-
sée de lU. Lainé était de placer la religión ~\ la této de l'ensei-
gnement mutuel , penséc d'un haut avenir. C'est a ~I. Lainé que
l'on doit la plupart des créations utilcs , non pas qu'il en Iút
toujours le prcmicr autcur , mais iI ne rofusa jamais l'autorisa-
tion néccssairc , et s'associa ~\ lcur penséc. Ainsi il institua la
Caisse d'épargncs , la Cornpaguie d'assurancc inutucllc. Il suffi-
sait qu'on lui présentüt un projct utile , pour que son esprit si
impressionnable en saisit promptcmcnt les avantages , et le mit
inunédiatcmcnt ~\ exécution. Les lettrcs et les arts furent égale-
ment protégés. JU. Lainé , membro de l'Acadérnie fraucaise , avait
recueilli dans cette fréqucntation des gens de lettres un noble
goüt pour tout ce qui éleve et agrandit le géuie. Ce n'était pas
cene protection grotesque de lU. de Yaublanc , quijetait sur nos
placcs des monuments monarchiques de toute espere. lU. Lainé
mcttait plus de dólicatcsse ct de disccrncmcnt dans les arts ; l'es-
prit sert atout; il sert surtout dans cettc distribution impartialc
des faveurs , le premicr devoir commc la plus grande difliculté
des Couverncments : :\!. Laiué sut attirer a lui les artistes et les
gens de lettres. Il se consacra ('galclll('llt al'iudustrie el au com-
merce. Né ¡\ Bordcaux , dans une villc si brillante, entouré d'a-




CIlAPITItE XIII. 311.
mis politiqucs qui tous avaicnt conquis leur importauce par le
conuucrco , il lui eüt été diííicile d'oublicr le souvcnir de sa
rité ; plusicurs ordounanccs sur les manufactures émanercnt de
lU. Lainé ; il fit un usage tres-utile au pouvoir de l'institution de
la tégion-d'lIomH"ul'; les commcrrants qui avaicnt rcndu le
plus de serviccs ;\ I'IÚat, tous ccux qui s'étaicnt distingues par
de grandes entrcpriscs furont décorés : aiusi le Gouvcrncmcnt
royal apparaissait au pa)'s commc le protecteur éclairé de tout ce
qni fcrait sa richcsse ct sa gloire, Dans ses rapports avec les
{/(;partel1lmts, lU. Lainé était trop préoccupé peut-étrc des idées
de ccntralisation qu'il avait déícnducs ;\ la trihune ; le ministre
pcnsait que sous un régime libre, lorsque la liberté est a tous
les degrés de l'échclle sociale, le pouvoir doit retenir pour lui-
méme l'action administrativc ; et, il faut bien le dire , au milicu
de tous nos boulevcrsemenís politiques, n'est-ce pas la centrali-
sation qui a sauvé l'ordre et la marche réguliere du pouvoir ?
Supposez les idees extremes de déccntralisation accomplies;
quelle auarclue n'en serait pas résultée ? Le personnel des préfec-
tures fut encere rnodifié ; 1\1. Lainé continua le systemc qui
appclait des hommes rnodérés dans I'administration départe-
mcntale ; il coutribua avec fermeté a mettre en. harmonie le
personnel admiuistratif et la majorité de la Chamhre des Députés,


1\1. Decazes, ministre de la police , avait soutenu une vive et
pressante discussion a l'occasion de son budget ; il sentait bien
que c'en était fait de son ministere , et qu'il serait obligé d'en
consentir le sacrifico lorsque les mesures d'exception n' existe-
raient plus. Ce ministere était une véritable superfétation, el
puis ce titre de ministre de la police ne plaisait pas a1'1. Dccazes;
sa posítion ministérielle était trop au-dessous de sa Iaveur et de
la confiance dont il jouissait aupres du Roi. 1\1. Decazes soupi-
rait apres le ministerc de l'intérieur; cal' un róle important
lui était confié aupres du Iloi; c'était par lui que le Cabinet
se niettait en communication a\ ce Louis XVIII, .el qu'il obte-
nait des actes néccssaircs , mais difliciles a arracher des ré-
pugnances royalcs , cal' il nc íaut point croire que tout fut




IIIS']OIHE DE LA HESTAUL\TlO:\.
simple el nc uoui a pas d'obstaclcs. 1\1. Dccazes avai t Ü{, cree
pair de France , el le Hui voulut ajouter I'aueutiou délicat« de
préparcr Iui-méute le mariage de son ministre favori . .1\1. De-
cazcs , uni ¡l la tille de 1\1. ñlurairc , était veuf depuis plusieurs
annécs : il avait plcuré sa .femmo avee toute l'exaltatiou de
I'aniour. Louis XVIII voulut le consolcr d'un long veuvagc.
lU. de Saint-Aulaire s'était intimcment lié au systeme de lU. De-
cazes. C'était un homme poli, de modération et d'infiniment
d'esprit, Le Roi sougea a l'union de 1\1. Decazes avcc made-
moiselle de Saint-Aulaire , alors ágée de dix-huit ans , ct qui
joignait a de la fortune l'honneur d'étre d'une grande mai-
son; elle était petite-niece et petite-Iille de la duchesse de Nas-
sau et de madame de Soyecourt , hériticre du prince de Nassau-
Saarbruck , mort en 177:5, et nicce de la duchcssede Brunswick,
ene telle alliance élevait 1\1. Decazes , sorti de la classe moyeuue,
Le Roi prit plaisir a faeiliter cette union; il écrivit lui-méme a
la duchesse de Brunswick , a lU. de Saint-Aulaire et amademoi-
selle de Saint-Aulaire , une de ces lettres spirituelles 'et bien-
vcillautes auxquelles il était si difficile de résister 1; il faisait de
ce mariagc une affaire pcrsonnellc , et il était difficilc de repousscr
les sollicitations da roi de France , demandant quclque chose
pour cclui qu'il appelait son enfani , son élcvc. StH' la demande
de Louis XVIII et de la duchessc de Brunswick, le roi de
Danemarck permit la transmission du duché de Gluckshourg a
mademoiselle de Saint-Aulaire et a 1\1. le comte Decazes, qui
fut créé duc de Glucksbourg; le mariage fut céléhré avec une
.grande solennité dans la chapelle de la pairie , au Luxembourg ,
et la duchesse de Brunswick vint clle-méme aParís pour assister
aux nOCCD de sa niece ; Louis XVIII la vit plusicurs fois , et daus
chacune de ses audiences particulicres , il lui parla de 1\1. De-
cazes conune de son ami, du plus zélé ct du plus aimable de ses
serviteurs, Quelques diílicultés d'étiqueue éloignerent la du-


1 La demande en mariage fut faite it 1\1. de Salnt-Aulaire , au 110m
du Itoi, par 1\1. le duc de Grarnont et le maréchal Oudinot,




C:IIAPITRE xnr. 313
chcsse de Brunswick de la cour. ]U. de Ilichclicu et le comte
l'.uubrugeac furent les témoins du mariagc: lU. de Itichclieu
.ivait alors dans la plus grande intimité avcc le ministro de la
iolice ; M. Decazes se retira quelques jours a Étioles avec sa
cune épouse , et rcparut plus puissant et plus brillant aupres


[le Louis XVIII. Ce prinee aimait avoir la jeune comtesse De-
cazes ; il avait conservé ces mots, ces plaisanteries de vieilIard,
cette galanterie d'ancien régime aupres des fcmmes , et la com-
csse Dceazes, bien qu'elle ne füt pas parfaitement jolie , lui plai-
ait beaucoup par son esprit orné et la timidité de ses manieres.


L'administration de l\I. Molé au ministere de la marine avait été
narquée par des actes nomhrcux et des amélíorations sensibles.
Ce que M. Gouvion-Saint-Cyr avait fait a la guerre , 1U. lUolé
'avait exécuté ala marine en reeonstituant d'une maniere com-
plete le corps des ofIieiers. La marine en éprouvait un besoin
plus urgent peut-étre encere que l'armée de terre, parce que
es ineapaeités y sont plus en relief, plus fatales, comme le
montra le trop célebre naufrago de la Méduse. Le ministre de
la marine admit done ~l la retraite toutes les vieilles incapacités
'appelées sous l\I. Dubouehage. Des ordonnances sur le modo
le reerutement, sur le nombre des équipages, signalérent le
iassage de l\I. lUolé ~l ce départemcnt , et commanderent la
confianee de 1\1. le due d'Angouléme , grand-amiraI.


Le ministere des afTaires étrangéres était tout entier aux
préoccupations du congrés d'Aix-la-Chapclle que l'Europe alors
annoncait, l\I. de Riehelieu, suffisamment autorisé apoursuivre
ses négociations avee l'étranger, avait a sa disposition tous les
noyens néccssaíres par le crédit , et il faut dire al'honneur du
pays , qu'il y cut une génércusc émulation pour couvrir les em-
irunts autorisés par les Chambres, Des souseriptions particu-
icres donncrent une impulsion aux fonds publics. Des lors l\I. de


Ilichelieu put engager d'une maniere sérieuse la question de la
délivrance du territoire , question tont a la fois politique et
financiere. La Franco était -elle dans une position paisible ,
tellement tranquillisante pour l'Europe , que celle ~ ci püt


n, 27 ,'."~
. 'Uf
s:




HlSTOlHE ])E LA BESTAUHATlO:\.
faire cesser 1'oeeupation année , et modifier les garamies Iixécs
-par le traite de Paris? Était-il bien aisé de convaincre l'Europe
de la situation pacifique des opinions en France , en présence de
eette agitation de partis que d('jü révélaicnt les discussions de
Charnbres et les éleetions? Heureusement pour cette grande
question de la délivrance que les journaux n'étaient pas abso-
lument libres, cal', -avee les faux bruits qu 'ils auraient mis en
circulation, avee les exigences qu'ils auraient imposées , avcc
les insultes qu'ils auraient prodiguées peut-étre aux étrangers,
l'Europe continentale peu hahituéc rl cette forme de polémiquc,
a ces mouvements naturels du gouvernement représentatif, au-
rait craint de voir se révciller en France l' esprit révolutionnaire
que les traités de 1815 avaient eu pour objet de réprimcr. C'était
déja bien assez des atraques de La Mincrcc et des alarmes du
Couseroateur. L'Europe n'était pas d'ailleurs fort uuuquillc
elle-méme ; l' Allemagne conservait l'esprit de liberté; en Au-
gleterre, le ministere avait été obligé d'invoquer contre les
rnouvernents révolutionnaires l'alien bill~ et de suspendrc l' /ta-
bcas corpus. Lord Castlercagh persistait dans son systcmo de
répression et de force. 1\1. de Metternich avait les ycux fixés sur
la situation de l'Allemague, La Prusse partagcait les craintes de
l'Autriche. Les ministres des Cabinets s'étaicnt réunis ; ils avaient
conféré préparatoirement sur toutes les questions politiques que
Iaisait naitre la situation de l'Europe , et le résultat de leur M-
libération , par rapport a l' Allemagne, Iaisait craindre qu'ils IW
résolussent pas la question de l'évacuation d'une maniere libé-
rale en faveur de la Frunce. Ce fut dans ces circonstaucesqu'au


, Purlement le jeune 10n1 Stanhope pronon<;a une opinion \Í\C el
véritablement outrageante pour les Francais ; il proclama haute-
rnent que les étrangers Ieraicnt un acte de folie en abandonnant
a lui-mémc un peuplc tout chaud de révolution , el qui pouvait
entrainer encoré une Iois l'Europe dans cettc carriere de périls,
Le discours de lord Stauhope rctcntit , les Iloyalistes en tircrent
partí pour accuser le systcmc du gouverncmeut du Roi ainsi
violemment atraqué, On rcmarqua que lord Castlercagh , en r(;-




CIlAPITfiE XlII. 3t~
pondant alord Stanhope, l'avait traité d'honorable ami, ce qui
dérnoutrait que le Cahinet de Londres n'était que trop bien dis-
posé ¿l soutcnir toutes ces idées antilibérales, En cette position
des cours , quelques chefs du partí royaliste tcnterent une dé-
marche que l'histoire doit juger. Je veux parler de la correspon-
dance d(~signéc sons le titre de note $CC1Úe,. on y examinait la
situation des esprits en Frauce et les chances d'une évacuation
immédiato du territoire. Tclle cst la malheureuse condition des
part is, (In 'ils oublient la patrie pour des intéréts passagers ct
d'amhition. Les notes secretes adressées aux Cabinets étrangers
n'étaient pas une invention des Royalistes ; les Libéraux réfugiós
en Bclgique, ou ceux mémes qui résidaient aParis , avaicnt sou-
\ out cmployó ct't indigne moyen contre le gouvernemcnt du Iloi.
.J' (l i sous les ycux plusieurs notes ou correspondnnccs secretes
des Libéraux , dont copie cnvoyée par les amhassades est dé-
))oséc aux aflaires étrangéres, tes plénipotentíaires des Cent-
Jours Il Haguenau avaient demandé un prince étranger, les
Iíovalistcs désirerent la présence des étrangers pour soutenir le
t róne l{ogitime. Ainsi les partis , dans deux extremes opposés ,
procédaicnt par les memos m01'(']1s pour arrivcr ¿l un résultat
malhcurcux pour le pays. J(. u'accuse pcrsonne; jo gémis seule-
ment sur cctte tendanc« des factions. De qui émanait la note
secrete? que dénoncait-clle aI'Europe ? dans que! hut lui était-
elle adresséc? On avait clans le príncipe melé le beau nom de
M. de Cháteauhriand acette intrigue; le noble paír s'indigna de
('l' qu' OH eüt osé lni attribuer un acte aussi antifrancais , et
protesta arce fcrmeté ; il attaqua méme en calomnie les rédac-
tcurs du Tnncs ~ qui les prcmiers avaient révélé l'cxistcnce de
('cltl' note, ct l'avaicnt attribuéc a 1\1. de Cháteaubriand, J'ai
besoin de rctraccr l'historique de la note secrete; iI en existe
deux textcs : I'un fut publié par le ministere, communiqué au
jugo d'instruction , pour autoriser des poursuites; I'autre est le
seul avoué par ses auteurs; j'ai comparé lesdeux textes, ils sont
presque idcntiqucs dans la pensée et l'intention ; ils ne different
que par l'cxprcssion plus ou moins dírecte, Son rédacteur Iut,




316 IJISTOIRE DE LA RESTAURATION.
dit-on , un des fideles de l\lONSIEUR; le Gouvernement en cut au
moins la preuve moralc, cal' une ordonnance royale le priva
de son titre de ministre d'État , et de membre du conseil privé.
Au reste, la note secrete ne fut point l'exprcssion d'une pensée
isolée et solitaíre ; elle fut cellc d'un parti ; elle disait : « La U(~­
volution occupe tout, jusqu'aux derniercs classes de la natiou,
qu'clle agite partout avec violcncc , les princípcs dcstructcurs de
notre mouarchie sont professés a la tribuno par des ministresdu
Iloi , et 1'on n'cn veut pour exemplo que le discours du ministre
de la guerre sur la loi du recrutement, ct-cclui du ministre de
la police sur la liberté de la presse ; des écrits audacieux sapcnt
tous les fondemcnts de l'ordre social, et les loisrépressives ne íont
obstacle qu'aux écrivainsqui soutiennent la monarchie et la légiti-
mité. Par quels moyens peut-on empéchcr que la France, et
par elle l'Europe entiére ne devicnueutencere la proie des révolu-
tionnaires? Faut-il continuer l'occupation ou former un cordon
de troupes i\l' extérieur et a la proximité de nosfroutiercs?Quand
la ligne de ces troupes étrangercs sera prolongéesur une étendue
trois fois plus grande, leur action sera-t-elle plus rapide sur le
centre de la France qu'elle ne pourrait l'étrc ? Dirá-t-on que
eette occupation, changée en blocus, serait moins irritante pour
I'esprit de la nation ! Non, la crainte salutairequ'ellcs imposaient
sera moindre ~\ proportion qu'cllcs seront plus éloignées , plus
étendues, plus divisées, ct l'irritation qu' elles pourraient inspirer
aceux qu'elles comprimaient sera plus forte encere. Si on cm-
hrasse par l'imagination toutes les combinaisons possibles sur ce
sujet, on en trouvera cínq qui pourront se présenter adifférents
esprits : 1. 0. le partage delaFrance; 2°. le changementdedynastic;
3°. quelques-uns croiront que le gouvernemcnt représcntatifa été
le grand obstaclca l'étahlissement du Iloi, et qu'il faut le détruire :
4°. éclairer le Iloi et les ministres sur les principcs qui peuvent
consolider la monarchie ; 5°. enfin, changer le systeme du gou-
verncmcnt par le changement des ministres qui le dirigent, Par-
tager la France ou l'occuper militairement! j'avoue que mon
sang, tout francais , se révolte aeette pensée, et que je ne pou-




CHAPITRE XIII. Si 7
vais la discuter publiquement; d'ailleurs , les résultats de si exé-
crables détcrrninations sont démontrés dans la note du 15 aoüt
18J7, alaquelle je me réfere, Placer une nouvel1e dynastie sur le
tróne ! Que deviendraient les principes de la légitimité procJamés
si solennellement? Que dis-je? les principes éterncls de la con-
servation des peuples et des trónes? Que pourrait-on espérer de
cette nouvelle subversion ?La révolution, (lira-t-on, s'accommo-
dcrait mieux d'un roi révolutionnaire. D'ahord la révolution ne
s'accommode d'aucun roi; ensuite, la révolutiou peut renverser,
mais elle ne peut rien construire , rien étahlir, rien conserver;
et si elle le pouvait, ne nous montrerait-elle pas ses ceuvres ? ..
C'est bien alors qu'il faudrait qarnisonner la France de quelque
cent mille étrangers. Quellcs violences ne faudrait-il pas pour
arracher aujourd'hui ala Franco les concessions qu' elle a recues
du Iloi? Elles ont été eonsaerées par les Puissanees qui le repla-
~aient sur le tróne , par l'usage qu'on en a fait, par les garanties
qu'on y a trouvées , cnfin par l'adoption franche et entiere de la
part de ceux mémesqui y étaient le moins préparés, Cette ques-
tion ne parut pas douteuse en 1814; elle serait encore adiscuter
en 1818 ?... 11 rcstera done démontré ~t tout esprit judicieux
que toutes les tentativos que l'on ferait pour détruire en Franco le
gouvernement qu'on y a établi , scraient dangereuses. Amener
le Iloi et les ministres actuels aux príncipes qui peuvent établir
la lUonarehie. Le Roi ne peut etre éclairé sur la véritahle
situation de la France que par ses ministres, et ceux-ci , ayant
la vue tres-courte, sont dépourvus de ce eourage d'esprit néces-
sairc pour réparer les premiares fautes commises, Un changement
complot du ministere est le seul moyen salutaire , le seul vérita-
olcment effieaee , en.méme temps qu'il est le seul loyal et admis-
.ihle pour cmpécher qne la Franco ne rodeviennc encoré un
'oyer de révolutions quí nc tardcrait pas ü cmhraser l'Europe
-ntiórc. » Tellc était ~l pcu pres I'analyse de cctte note remar-
juable d'ailleurs , dont la conclusion plus ou moins indiquée
'~tait la nécessité de conserver le corps d'oecupation pendant
juclque temps encore, pour éviter un rnouvernent intérieur.




318 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
Le texto de cette note fut révélé ü 1'1. de Ilichelicu par les léga-
tions étrangeres; le ministre fit rrchcrcher quelle pouvait en
étre l'origine , et ce ne fut pas une des moindres douleurs de sa
vie que d'en découvrir la sourcc dans des intrigues royalistes, Il
fit insinuer sur-Ic-champ aux Cahinets que cette note ótait le
résultat de coupables mantcuvres , lcsquellcs dénaturaicnt l'état
des esprits et la véritable situation de la Franco. Un l\lémoire
fort détaillé fut adressé ü cet cífct a lU. de Ncssclrode pour étre
mis sous les yeux de l'Empereur. Le ministre exposait quellc
était la situation des partis et du Gouvernement: « Tout était
calme; l'administration avait traversé la plus grande crise saus
commotion; la famine avait désolé les provincos , et jamáis
l'obéissance aux lois n'avait été plus prompte et plus ahsoluc. »
Alexandren'avait point encere ouvcrtemcnt renoneé ü sesinten-
tions constitutionncllcs ; mais un esprit attcntif pouvait apercc-
voir chez le Czar une tendance vers un systemc d'ordre et de
conservation des couronnes. Le parti royaliste avait saisi le
moment favorable. Alexandrc n'était pas complétement satisfait
des résultats de I'édifice lihéral qu'il avait elevé en Pologne.
Une de ses lettres au présidcnt du sénat rcnfcrrne ses crainn-s
sur les progrcs du jacohinismc en Europc, On touchait la corde
sensible en menacant la Saintc-Alliance d'un boulercrscmcnt,
eette alliance, idée Iixc de I'Emperour. L'cmbarras était graud
pour :\1. de Ilichclicn , cal' il fallait faire tomhcr ces prévcntions;
il engagea une corrcspondaucc personnclle avcc l'Empcreur.
1'1. Pozzodi Borgo y próta la main avec loyauté. Le roiLouisXVIII
dont les sentimonts étaient tout Irancais , ct qui éprouvait tant
de peine ü l'aspcct des troupcs étrangercs , écrivit aussi au Czar;
cnfin le duc de "rcllington, chef de l'annéc d'occupation, exposa
dans un Mémoil'e l'inutilité d'une plus longue occnpation mili-
taire. On n'a point, en génl~ral, rendu assez de justice au dile
de 'Vellington pour la maniere large ct loyalc dont il protégea les
intéréts de la Franco dans tontos les uégociations avecl'étrauger.
Je ne parle pas d'ahord de l'immcnse scrvice rcudu par S. S.
dans la fixation des créanccs étrangeres. Le duc de Wellinglon




f.HAPITRE XIII. 319
sr, montra arbitre désintórcssé , et la postérité doit reconnaitre
;1 l'honnrur de l\DI. de Ilichclicu , l\lonnier qu'ils sortircnt
pauvrcs d'une opération oú l'oubli de quelqucs dcvoirs austcres
de la ronscience aurait pu crécr pOlll' chacun la plus colossale
des fortunes. V' duc de Welliugton fut tres-favorable a Ia Franco
dans tout ce qui touchait l'évacuation de son tcrritoirc. Sa posi-
tion de généralissime de I'arrnée d'occupation donnait un grand
poids a son avis sur cette qucstion; il fut chaqué fois consulté,
et chaqne fois égalcment il répondit par des paroles élevécs qui
faisaicut honneur ü son caracterc, Louis XVIII, qui avait tant
de charmes dans les manieres, était d'ailleurs parvenu ü prendre
un grand asccndant sur le duc de 'Velliugton ; il l'invitait souvent
;1 sa tahlc , et H. il cherchait dans cettc intimité aflatter son
amour-proprc , ;. I'cntrainer dans son royal desscin de délivrer
la patrie: le duc de 'Yellington, par la cessation de l'oeeupation
armóe, avait ü pcrdre une grande position en France , celle de
gl-Iléralissirnc des alliés , ce qui le faisait, en quelque sorte,
mcmbre du Gouverncment; il avait ;. sacrifier un traitement
iJl1111enSe; de plus, le noble lord connaissait l'opinionpcrsonnelle
(k lord Castlereagh et d'une grande partie des mcrnbres de I'aris-
iocratic anglaise sur la nécessité de I'oecupation arméc, Tous
rr-s intércts IW l'arréterent point; il fut d'avis que cetro mesure
de précaution dcvait cesser, cal' la Franco avait non-seulcmcnt
accompli les paicmcnts stipulés , mais son gouverucment semblait
oílrir le caractere d'ordre et de durée , et cette opinión fut tres-
pnissante dans le congres d'Aix-la-Chapelle, Au mois de mai
1~18, il avait été arÍ'cté dans la pensée des Souverains qu'ils se
réuniraicnt avant la fin de I'année. L'Europe avait été instruite
de cctte résolution , et des lors les journaux emhrassercnt le
vaste champ des conjcctures. Si l'on avait cru lesfeuilles anglaises
I'l les recueils périodiques en France , tout ce qui avait été arrété
au rongres de Yicnne allait étro de nouveau mis en question.
La plus vive jalousie cxistait entre les Souvcrains ; la Ilussie
était hostile ü l'Autriche : la Prusse et l'Autriche se disputaient
le protcctorat de l'Allemagne : les petites querelles entre la




320
.


mSTOInE DE LA nESTAUnATlON.


Bavierc et le granel-duché de Bade touchaicnt ade plus hautes
souvcrainetés ; cnfin U11e conílagration univorscllc allait suivre la
nouvcllc réunion des Souvcrains , réunion qu'on rcgardait des
lors comme impossiblc. C'cst en général le défaut des feuilles
politiques que ces alarmes, ces exagérations qu' elles jettent ;1
travers I'Europe, Que de troupcs en armes n'out-elles pas fait
mouvoir depuis les quinze ans de la Ilestauration! Et l'Europe
cst pourtant restée paisible l 1\1. de Talleyrand n'était pas lui-
méme étranger a ces bruits ; cornme le congres se tenait en-
dehors de son influence, comme il n'avait été nullcment question
de lui , 1\1. de Talleyrand laissait croire que ríen ne pourrait s'y
finir, et ces bruits tombaient de son salon dans les journaux
avec tous ses dépits.


Dans cette situation des esprits , et pour mettre un terme ~I
des conjeetures qui influaient d'unc maniere Iáchcusc sur les
fonds puhlics , les Cabinets crurcnt dcvoir adresser une circulaire
~\ leurs ministres respcctifs aupres des cours de l'Europe :
« 1\1onsieur, y disaient-ils , les Souverains alliés qui ont signé
avec la Frauce le traité du 20 novcrnhre 1815, étant convenus
de se réunir dans l'automnc prochain , pour , conformément ;1
l' article 5 dudit traité , prendre en considération , de concert
avec Sa Majesté Tres-Chretienne , l'état intérieur de la France ,
et, d'apres cet antécédent , décider si l'occupation des provinces
de ce royaume peut cesscr, ou bien si elle doit étre continuéc ,
mes collégues et moi avons recu les ordres de nos cahincts res-
pectifs de vous faire connaitrc les motifs de eette réuniou. En
usant d'un droit qui leur est exclusivemcnt reservé par le traité
de 1815, les Souverains alliés ne veulent nullemcnt attirer ~l
eux les négociations cntamées ;1 Paris , ;1 Londres et Francfort,
lcsquelles doivent étre terminées dans les Iieux oú les confé-
rences sont établies , et avec l'intervcntion de tontes les parties
qui , vu la nature des aífaires , sont appclées ~\ ~T prendre part.
En rrmséqucnce , j'ai I'honncur, lUonsieur, de YOUS informrr de
cette déterruination unauime des Souvcrainsalliés, afín que YOUS
voulicz bien vous exprimer dans le memo sens toutes les fois




CHAPITRE XIII. 321
que le Gouvernement auprés duquel vous etes accrédité , vous
exprimerait le désir ou l'iutention d'envoyer quelque personne,
ou de prendre part directcment ou indireetement aux délihéra-
tions exclusivement réscrvées a la décision des cours alliées, ))


Cette circulairc était dcstinée non-seulcrncnt a prévenir les
alarmes de l'opinion, mais encoré aarréter les demandes intem-
pcstívcs que pouvaicnt adresser les divers Gouvernements ala
réunion des Souvcrains alliés; elle tendait, en outre, a écarter
de la conférence trois des parties signataires du traité de París
du mois de mai 18th : I'Espagne, le Portugal et la Suede.
L'Espagne avait déja fait parvenir ason ministre en Prusse des
Mémoircs sur les moyens de réprimer le mouvement révolu-
tionnaire de ses eolonics; le Portugal avait égalcment adressé
de nombreuses réclamations; de tous cótés arrivaicnt des péti-
tions sur des intéréts divcrsque le congrés de Vienne avaitlaissés
irrésolus, Le véritable objet de la réunion souveraine se ratta-
chait done a l'unique difficulté de l'évacuation du territoire de
la Franee, but important qu'on allait chereher a atteindre,
Bien des craintes existaient encoré. Les partis en France
commettaient tant de fautes! Et par exemple le coup de
pistolet tiré sur lavoiture du duc de 'Vellington au moment oü
S. S. devait rendre témoignage de l'état de paix et d'ordre gé-
néral de la Franco l N'était-ce pas plus qu'un crime , cettedé-
plorable imprudence? Ensuite lesécrits périodiques, la JJlinerve,
laBibliothéoue historique, se livraient ades déclamations eontre
les Puissances étrangeres ; elles appelaient a la liberté les popu-
Iations allemandes, et favorisaient les sociétés secretes. Ces ex-
pressions si vives de doctrines politiques n'étaient pas tres-
proprcs afavoriser le grand objet des négoeiations du duc de
Ilichelieu, Cependant un fait avait été aceompli; la Franco avait
acquitté avec une scrupuleuse exactitude tous ses cngagements
pécuniaires : elle avait payé non-seulement les contributions de
guerre exorbitantes, mais elle avait de plus satisfait a toutes les
cxigences particulieres des sujets des Puissances alliées, Pouvait-
on ne pas tenir compte de tant de sacriñces, et ne devait-on pas




322 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
reconnaitre une si rigoureusc fidélité? n paraissait arrété que
l'évacuation du territoire francais aurait lieu, pourvu que les
conditions de stabilité de son gouvcrucment fussent reconnucs;
point diflicile que le duc de Ilichelieu devait justifier aux yeux
de l'empereur Alexandre et de ses alliés.


Aix-Ia-Chapelle , ville autique , filie de Charlemagne, fut
choisie pour le congreso Ce n'était point un9 grande cité commc
Vienne ou Berlin. Cette réunion d'une courte durée ne devait
point etre une seconde édition du congres de Viennc, vive et
brillante image de plaisirs et de retes. Les Souverains avaient
annoncé qu'ils ne resteraient que quelques jours ainsi que leurs
ministres pour régler le protocole et les conditions principales.
IJe congrés avait d'abord été désigné pour le mois de septemhre;
jI fut déflnitivement fixé au mois d'octobre. Quoique son hut
exclusif füt la question d'évacuation dn territoirc francais, parmi
les objets secondaires dont les Souverains devaient s'occnper, on
citait la création d'un protectorat pour le nord de l'Allemagne
en faveur du roi de Prusse , la répression des puissanccs barba-
resquC's et l'examen d'une discussion assez grave élevée entre
les cours de Bade et de Baviere. 011 ajoutait que l'empercur
Alexandrc devait demander a ses allíés la translatiou de j\apo-:
léon a Casan. C'était de ces bruits que l'on faisait circuler pour
réveillcr les sympathies populaires. Une demande avait été for-
mée en effet par la famille ele Napoléon pour faire cesser la cap-
tivité de Sainte-Hélene , mortelle pour le prisonnier; mais en
l'état de l'Europe, il était impossible de faire apparaitro encere
la grande image de Napoléon sans préparer des révolutions nou-
velles. Les étrangers abondaient aAix-Ia-Chapelle. Des le 20 sep-
tcmhre , le prince de Metternich était arrivé , et peu de temps
apres la princesse de Latour-Taxis, née grande-duchesse de lUec-;-
klenbourg ; le prince dc Hesse-Hombourg, feld-maréchal; le
prince Frédéric de 'Vurtemberg, le cornte de 'Vubna; lU. de
Gentz suivait lU. de ñletternich pour la rédaction des protocoles
de la chanccllcric , et le baron de Vincent l'avait rejoint de son
ambassade a París, 1\131. Capc -d'Istría et Nesselrode étaient




CHAPlTRE XHI. 323
arrivés le 22 septembrc. Le princc de Liéven , ambassadcur de
Ilussic aLondres; lU. d'Alopeus, ministre a Berlin; :tU. Pozzo
di Borgo, avaicnt également rejoint, par ordre de I'Empcreur ,
le corps diplomatique a Aix-Ia-Chapelle. On y comptait égale-
ment le général Czernicheff, le comte Voronsow, qui comman-
dait l'arméc russe d'occupation , et l'adjudant-général Jomini,
célebre par ses travaux stratégiques, Le comte de Nesselrode
u'avait précédé de quelques jours l'Empereur que pour préparer
les délihérations du congres. Le duc de 'Vellington, lord Castle-
rcagh el .l\I. Canning représentaient la chancellerie anglaise,
1.\1. Plauter , sous-sccrétaire d'État aux affaires étrangeres, et
lord Stewart, y avaient étó adjoints. Comme tout se dit et se fait
par la prcsse en Anglctorre , i\!. Perry, propriétaire du 11/01'-
ninq-Chroniclc , avait suivi la légation aAix-la-Chapelle , dans
l' iutérét de la plus grande publicité. Un peuple d' Anglais voya-
geurs s'était naturcllement abattu sur la vieille cité; les lords
Seymour et Francis Cuningham, et 1\1. de Brown, attaché a
l'ambassade de Copenhaguc. La légation prussienne n'était pas
moins forte. Le princc de Hardenberg s'était adjoint le comte
de Bernstorff, le liaron Alexandre de Humboldt. I..es deux grands
banquiers Baring ct Iloppe suivaicnt le congres , afin de ré-
pondre aux stipulations Iinanciercs qui y seraient arrétécs.


Ensuite , connne Aix-la-Chapellc devait recevoir les Souve-
rains , des artistes , des poétes étaieut accourus des grandes ca-
pitales; Mcsdames Gaíl , Cay, Catalani , et quelques premiers
sujets de l'Opéra. Des Iennnes visaient a produire sur l'esprit
supcrstitioux d'Alcxandrc les mémes prestiges que madamc
Krüduer en lH14 et lH15, el mademoiselle Lenormand , la si-
h~ lle , hizarrement aífublóe de sa toque a ílots d'or , y parut
avec ses solcnnelles niaiserics et ses graves prédictions, Les
Souvernins arrivercnt quelques jours apres lcurs ministres.
Le roi de Prussc , seigncur d'Aix-la-Chapclle , les avait précédés
pour y recevoir ses nobles alliós ; Alexandre et l' elllpereur d'Au-
triche firent lcur entrée solcnuclle le 28 septembre. Le Czaravait
Iai t loucr l'anclen hütel de lapréfccturcdu départcmentde laRoer.




324 HI5roIRE DE LA RE5rAURATION.
Pendant ce temps, 1\'1. do Ilichelieu prenait congé de


Louis XVIII. Lc Roi, dans la derniere eonférence avcc son
ministre, lui dit : ( lU. de Riehelieu, faites toute espece de
saerifiee pour obtenir l'évaeuation du territoires; e'est la la pre-
miére eondition de notre indépendanee; il ne doit y avoir que
des drapeaux francais en Franee. Exprimez a mes aiIiés eom-
bien mon Gouvernement sera difJieile tant qu'on pourra lui
reproeher les ealamités de la patrie et l'occupation du territoire;
et pourtant vous savez, lU. de Riehelieu, que ce n'est pas moi,
mais Bonaparte qui a appelé les alliés eontre nous. Voila toutes
mes instruetions. Répétez a l'empereur Alexandre qu'il peut
rendre a ma Maison un dernier et plus éclatant serviceque celui
qu'il lui a rendu en 1814 et 1815; aprés avoir restauré la légi-
timité , il lui reste la gloire de restaurer l'indépendance natío-
nale, Obtenez les meilIeures conditious possibles; mais, a tout
prix , point d'étrangers, » 1\1. de Riehelieu partit le méme soir,
accompagné de 1\1. de Rayneval et de 1\1. Mouaier, qui tous deux
avaient suivi les négociations de Paris. 1\1. Bourgeot, d'unc lon-
gue expérience d'affaires , chef de la premiere divisiou du
ministere , était ehargé de la rédaction des protocoles. En arri-
vant aAix-la-Chapelle, 1\1. de Ilichclieu, dans des conférenccs
préparatoires avec MM. de ñletternich , Nesselrodc ct Harden-
berg, développa la situation politique de la France , et tous les
motifs de sécurité que présentait son état actuel pour I'Europe;
les .ministres demandercnt a 1\1. de Itichelieu si le systeme élcc-
toral tel qu'il était alors combiné en Franco éloignerait de la
Chambre eertains hommes dont les noms cífrayaient encore les
Cabinets. l\I. de Richelieu répoudit par le résultat des derniercs
élections, qui n'avaient donné a la Chambre (lue des hommes
modérés , sauf quelques exeeptions. L'état de la presse fut égale-
ment l'objet de ces conférences partículiéres , et ron demanda
s'il était impossible d'empécher que les feuilIes francaises s'occu-
passent d'une maniere si étrange et si hostile des nouvelIes qui
touchaient l'Allemagne. Il fut répondu «qu'il n'était aucun moycn
dans la législation d'arréter cette liberté de la presse , qu' elle




CHAPITRE XIII. 325
était complete en Angleterre, et qu'on ne s'en plaignait paso »
On s'engagea ccpendant asurveiller et apoursuivre d'une ma-
niere plus spéciale les articles qui traiteraient des affaires exté-
ricures , et particulierement de l'Allemagne. L'empcreur
Alexandre accorda plusieurs audiences a JU. de Riehelieu; il
s'entretint avcc lui, surtout des aífaires de la Franee. « Votre
nation, lui dit-il , est brave et loyale; elle a supporté ses infor-
tunes avee une résignation héroíque. Croyez-vous, lU. de Itiche-
lieu, qu'elle soit müre pour l'évaeuation? pensez-vous le gou-
vernement suffisamment aITermi? Dites-moi toute la vérité ,
cal', vous le savez, je suis l'ami et l'admirateur de votre nation,
je ne veux que votre parole.» lU. de Riehelieu répondit qu'il
affirmait aS. JU. l. que jamais nation n'avait été plus digne et
mieux préparée au grand acte qu'elle allait devoirala magnani-
mité de l'Empereur. Que S. JU. l. avait pu voir avec quelle
fidélité elle avait aequitté tous sesengagements, et qu'il répondait
des résultats du systeme politique. « Mon eher Riehelieu, ré-
pliqua Alexandre, vous étes la loyauté méme. Je ne erains pas
en Franee le développement des príncipes libéraux, je suis libé-
ral , moi, tres-Iibéral , jo voudrais méme que votre roi fit un
acto quelconqne qui rattachñt davantage , s'il était possible , les
acquéreurs de biens nationaux; mais je erains les .J acobins, je
les hais; prenez garde de vous jeter dans leurs bras, L'Europe
ne veut plus de jacobinisme. 11 u'y a qu'une sainte allianee de
mis fondée sur la morale et le ehristianisme qui puisse sauver
I'ordre social. Nous devons donner l'exemple. » 1\1. de Riehelieu
assura qu'on pouvait s'en reposer sur le roi de Franco pour la
réprcssion de l'esprit de jacobinisme , que jusque-la la loi des
éleetions avait donné de bons et notables résultats. « Je le sais,
répliqua Alexandre, mais attendons la session suivante, Au nom
du ciel, 1\1. de Bichelieu , sauvons l'ordre social » ; et l'Empe-
reur passa immédiatement au reglement des intéréts, « La
Prusse est trés-presséo d'argcnt , dit le Czar, elle veut une
prompte liquidation; l'Autriche aussi est besoigneuse; quant a
moi , je serais aise égalemcnt que la Iiquídation polonaise füt


11. 28




326 HISTOIRE DE LA llESTAUHATIüN.
promptement faite. Entendez-vous avec Baring. Ccsont lit routes
les eonditions de l'arrangement définitif que je désire. » Apres
cette eonférenee avee l'empereur de Ilussie , l\I. de Hichelieu
eut une audieneede l'empereur d'Autriche et du roi de Prusse.
n leur exposa apeu prés dans les mémes termes la situation de
la France, Les deux souverains l'écouterent avee attention,
mais ils entrerent dans bien moins de détails; ils ne faisaient pas
personnellementleurs affaires eommele Czar, et s'abandonnaicnt
plus spéeialement aux lumieres de leurs ministres -'DI. de
Hardenberg et de l\Ietternieh. Les choses ainsi préparécs , les
conférenees véritablement diplomatiques s'ouvrirent le 29 sep-
tembre ehez le prinee de Hardenberg. Apres une longue expli-
cation, car, avrai dire , iln'y eut pas de discussion , le principc
de l'évacuationdu territoire de la France fut admis dans la soi-
rée du 1cr oetobre; un courrier de cahinet fut inunédiatcmeut
expédié au lloi pour lui annoncer I'heureux résultat. Le premier
protocole signé le 1cr au soir ne eontenait qu'un article: « Les
troupes composant l'armée d'occupation seront retirées du ter-
ritoire de la France le 31 novembre prochaiu , ou plus tót si
Iaire se peut. Les places et forts que les susdites troupes occu-
pcnt seront remis aux commissaires nommés acet eflet par Sa
ñlajesté Tres - Chrétienne dans l'état oú ils se trouvaient au
moment de l'oeeupation, en coníonuité de l'article 50 de la
convention concIue en exécution de l'article 15 du traité du
20 novembre 1815.» C'était la le point essentielarégler ; il était
admis que le territoire francais ne serait plus occupé par les
troupes étrangeres ; les Souverains reconnaissaient enfin que la
Franco était appelée ajouer le role d'indépcudance el de grande
na tion qui lui appartenait, Le roi Louis XVIII aunouca officiel-
lcment eette bonne et grande uouvellc ;l l'ordre du Chatean; sa
physionomle était resplcndissante de joie et de fierté, JI écriv ir
sur-le-champ a ;U. de ltichelicu , pour le remercíer des soins
donnés aune affaire qu'il cousidéraitcomme la plus noble tache
de son regne, JI finissait sa lettre par cctte phrase touchante :
« J'ai assez vécu , M. de Ilichclieu , puisque j'ai vu la Franco




CHAPITRE XIII. 327
libre, ct le drapean Irancaisflottersur toutes lesvilles Irancaises, II
Les conférences s'engagerent ensuite sur les époques de paie-
ment et sur les termes fixés pour l'entiére Iibération de la dette
Irancaise. C'était encere un point fort important, a l'occasion
duquel il Iallait rnodifier quclques conditions arrétées a Paris.
Sans cette concession , les maisons de banque se scraient trou-
vées accablécs, La Prusse exigcait une prompte libération; elle
parlait d'cscompte, d'une acceptation de bons de Trésor, si l'on
pouvait fixer le paiement ades termes tres-rapprochés. lU. de
Itirhelieu et le commissaire francais invoquaieut égalemcnt l'irn-
possibilité pour le Trésor d'opérer sur une trop vaste échellc , ct
de Iaire facc ~l des engagements immodérés. Il était important de
ne s'engager que pour le possihle , afin que la foi promise Iút
tenue. On s'arréta done dans un nouveau protocole sur les con-
ditions suivantes : (( Tous les compres entre la Franco el les
Puissances alliées ayant été réglésctarrétés , la somme apayer
par la France pour compléter l'exécution de l' articlc 14 du
traité du 20 novembre 1815 est définitivcmeut fixée a265 mil-
lions. Sur cctte somme , cellc de 100 millions, valeur effective ,
sera acquittéc en inscriptions de rente sur le grand-livre de la
dctte publique de Francc , portaut jouissance du 22 septembre
'1818 ; lcsdites inscriptions seront rccues au cours du lundi 5 oc-
tobre 1818. Les 165 millions restants scront acquittés par neu-
vieme de moisen mois apartir du 6 janvier prochaiu , au moyen
de traites sur les maisons Hoppe et compagnie , et Baring íreres
et compaguie , lesqaelles traites, ainsi que les inscriptions de
rentes, scront délivrées aux commissaires des cours d'Autriche,
dc la Crandc-Brctagne, de Prusse et de Russie par le Trésor
royal de France ~\ l'époque de l'évacuation complete et défini-
tivcdu territoirc Irancais,


Les deux points principaux étaicnt ainsi réglés : la Franco de-
vait étrc évacuée par les alliés , ct les termes du paiementétaicnt
fixés pour sa libération. Mais , la Franco ainsi rendue a son in-
dependancc , quclle POSitiOIl lui était réservée en Europe? Pou-
vait-on encere la séparer du systeme de la Sainte-álliance , et




328 HlSTOIRE DE LA RESTAURATION.
devait-elle prendre un rang apart dans le mouvement européent
Apres le traité de novembre 1815, la France avait été placée
dans un systéme de suspicion et de méfiance; toute la grande
diplomatie européenne s'était faite sans elle et malgré elle; ja-
mais les plénipotentiairesfrancais n'avaient été admis aprendrc
part aux délibérationsdes quatre Cours alliées, Lorsque la ques-
tion d'évacuation territoriale eut été résolue affirmativement ,
lU. de Richelieu entama des négociations pour obtenir l'admis-
sion de la France aux conférences politiques des Cours euro-
péennes : c'était le seul moyen de prendreune part active aux
afTaires. La demande de 1\1. de Ilichelieu fut discutée et favora-
blement résolue : en conséquence , la note suivante fut adressée
au ministre de France par les plénipotentiaires des grandes Cours,
« L'état intérieur de la France ayant été depuis longtemps le sujet
des méditationssuiviesdes Cabinets , et lesplénipotentiaires réu-
Bis aAix-la-Chapelle s'étant mutuellement communiqué les opi-
nions qu'ils s'étaient formées 11 cet égard, les augustes Souve-
rains, aprés les avoir pesées dans leur sagesse , ont reconnu avec
satisfaction que l'ordre de choses heureusement établi en France
par la restauratíon de la monarchie légitime et constitutionnellc,
et le succes qui a couronné jusqu'ici les soins paternels de Sa
lUajesté Tres-Chrétienne , justifiaient pleinement l'espoir d'un
afTermissement successifde cet ordre de choses si essentiel pour le
repos et la prospérité de la France , et si étroitement lié 11 tous
les intéréts de l'Europe. Leurs lUajestés Impériales et Royales
se sont félicitées de n'avoir plusaécouter que ces sentiments et
ces vceux personnels qui les portaient a mettre un terme a une
mesure que des circonstances funestes et la nécessité de pour-
voir a leur propre süreté et ¿y cellede l'Europe avaient seules pu
dicter. Des lors les augustes Souverains se scraientdécidésaIaire
cesser l'occupation militaire du territoire francais, et la conven-
tion du 5 octobre a sanctionné cette résolution. En regardant
cet acte solennel comme le complément de la paix gónérale , con-
sidérant maintenant comme le premier de leur devoir celui de
conserver aleurs peuples les bienfaíts que cette paíx leur assurc,




CHAPITRE XIII. 329
et de maintenir dans Ieur intégrité les transactions qui I'ont fon-
dée et consolidée , Leurs lUajestés Imperiales et Royales se flat-
tent que Sa JUajesté Tres-Chrétienne, animée des mémes senti-
ments , aeeueillera avee tout l'intérét qu'elle attaehe 11 tout ee qui
tient au bien de I'humanité, 11 la gloire et a la prospérité de son
pays, la proposition que lui adressent Leurs lUajestés Impériales
et Royales d'unir désormais ses conseils et ses efforts aeeux
qu'elles ne eesseront de vouer aI'aeeomplissement d'une ceuvre
aussi salutaire. Les soussignés, ehargés de prier lU. le duc de
Riehelieu de porter ee vceu de leurs augustes Souverains ala
eonnaissanee du Roi son maitre , invitent en méme temps Son
Exeellenee 11 prendre part aleurs délibératíons présentes et fu-
tures, consacrées au maintien de la paix, des traités sur lesquels
elle repose, des droits et des rapports mutuels établis et confir-
més par ees traités, et rcconnus par toutes les Puissanees euro-
péennes, » Cette note diplomatique , signée par le prinee de
l\letternieh, le eomte Castlereagh, le duc de Wellington, le prinee
de Hardcnberg, les eomtes de Bernstorff, Nesselrode et Capo
d'Istria , ehangeait entierement la nature des rapports que la
France allait avoir désormaisavec les grandes Puissances de l'Eu-
rope. Tout, jusque-la , avait été fait sans elle et eontre elle;
maintenant, admise dans les conférences comme État libre et
puissant , elle faisait partie de la Sainte-Alliance, M. de Riehe-
lieu s'empressa done de répondre a cette premiere coneession :
\1 S. l\l. le roi de France a recu avec une véritable satisfaetion
cettc preuve nouvelle de la eonfianee et de l'amitié des Souve-
rains qui ont pris part aux délibérations d'Aix-la-Chapelle. La
justice qu'ils rendent 11 ses soins eonstants pour le bonheur de
la Franee, et surtout ala loyauté de son peuple, a vivement tou-
ché son cmur. En portant ses regards sur le passé , et en re-
eonnaissant qu'a aucunc autre époque aueune autre nation
n'aurait pu exéeuter avee une plus serupulcuse fídélité des en-
gagements teIs que ceux que la Franco avait eontractés, le Roi
a sentí qu'elle était redevable de ce nouveau genre de gloire el la
(orce eles instinuions qui la réqisscnt , et il voit avec joie que




330 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
I'affermísscment de ces institutions est regardé comme aussl
avantageux au repos de l'Europe qu'essentiel a la prospérité de
la Franco. Sa lUajesté Tres-Chrétienne accueille avec empresse-
ment la proposition qui lui est faite d'unir ses conseils et ses
cíforts aceux de Leurs lUajestés pour accomplirl'ceuvre salutaire
qu'ils se proposent, En conséquence, elle a autorisé le soussignó
aprendre part a toutes les délihérations des ministres et pléni-
potentiaires , dans le but de consolider la paix et d'assurer le
maintien des traités sur lesquels elle repose, et de garantir les
droits et les rapports mutuels étahlis par ces memes traités , et
reconnus par tous les États de I'Europe.


Cette note était l'expression des sentiments personnels de
Louis XVIII et du duc de Richelieu : chaquo parole y respire
l'amour des institutions: le Roi se félicitait de l'opiníon des Sou-
verains de I'Europe sur la néccssité de maintcnir la Charle; ct
puis on a accusé la Restauration de n'avoir donné ce grand pacte
constitutionnel que comme un leurre pour les peuples! Les prin-
cipes poséspar ces notes échangées furent convertís en un traité
positif, lequel faisait entrer la France dans la participation la plus
complete aux affaires de l'Europe, JH. de Richelieu , concurrem-
ment avec les grandes Puissances, signa un protocole secret dont
les dispositíons sont esscntielles aI'intclligcncc des rapports diplo-
matiques de l'Europe , dont ce traite constituait le droit publico
« Les ministres (L\ utriche, de France, de la Craude-Brctagnc ,
de Prusse et de Bussic , a la suite de l'échangc des ratifications
de la convention siguée le 9 octobre, se sont réunis en confé-
renco pour prendre en considération les rapports qui, dans l'état
actucl des choses, doivent s'étahlir entre la Franco ét les Puissances
co-signataires du traité du 20 novcmhrc 1815. En conséquencc,
les signataircs du présent actc out unanimement reconnu :
10. Ou'cllcs sont fermement décidées ¿l nc s'écarter ni dans


..


lcurs relations mutuclles , ni dans cclles qui les licnt aux autres
États , du principe qui jusqu'iri a présidé a Ieurs rapports N


intéréts communs, union dcvcnue plus forte et indissolublr par
les liens de fraternité chréticnuc que les Souverains ont Iormés




CHAPITRE XIII. 331
entre cnx; 2". que corto union, d'autant plus réclle et durable
CJu'elle ne trouvera aucnn intérút isolé ;1 aucune combinaison
momcntanée , ne peut avoir pour objet que le maintien de la
paix générale íondé sur le rcspect rcligieux pour les cngagements
consignes dans les traites et pour la totalité des droits qui en
dérivent; 3°. que la Francc, assocíée aux autrcs Puissances par
le rcstaurarion du pouvoir monarchique légitimc ct constitution-


1 , ' '"'1.." "" " '0\ ~ "He , e cngagc a caucoartr acsattnats au maraaca el a L aacrmrs-
sement d'un systemc qui a donne la paix 1\ l'Europe, et peut
scul en assurer la durée ; !.¡.o. que si, pour atteindre le but ci-
dessus énoncé , les Puissanccs qui ont concouru au présent acte
jugeaient nécessairc d'établir des réunions particulieres , soit
entre les augustos Souvcrainseux-memes, soit entre leurs minís-
tres et plénipotentiaires rcspcctifs, pour y traiter en commun
de leur propre intérét , en tant qu'il se rapportcrait al'objct de
Icurs délibérations actuclles , l'endroit et l'époque de ces réu-
nions seront chaque fois préalablemcnt arrétés au moyen de
communications diplomatiques, et que, dans le cas OU ces réu-.
nions auraient pour objet des aífaires spécialementliées aux inté-
rets des autres États de l'Europe , elles u'auraient lieu qu'a la
suitc d'une invitation formclle de la part de ceux desdits États
que lcsdites aflaircs conccrncraicnt. » Ce protocole secret n'était
qu'uneconfirmalion du principc arrelé dansladéclaration du traite
de la Saintc-Alliancc. Il fut suivi d'une nouvclle déclaration ainsi
concue : « La convention du 9 octohre , qui a dóflnitivcmcnt
réglé l'oxócution des cngagcments consignes dans le traité de
paix du 20 novemhrc 1815, cst cousidérée par les Souvcrains
qui y ont concouru comme l'accomplisscment de I'ceuvrc de la
paix el COllllllC le complémcnt du systéme politiquc destiné aen
assurcr la solidité, L'union intime établie entre les monarqucs
associés ace systí-mo par Ieurs príncipes non moins que par l'inté-
rót de lcurs pcupks , oílrc al'Europe le gage le plus sacre de sa
tranquillitó futuro. L'objet de cette union est aussi simple qne
grand ct salutaire ; elle ne tcnd aaucune nouvellc combinaison
politique , a aucun changcmeut aans les rapports sanctionnés




332 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
par les traités existants. Calme et constante dans ses actions 1
elle n'a pour but que le maintien de la paix et la garantic Hes
transaetions qui l'ont fondée et consolidée. l)


Toutcs ces déclarations un peu mystiques 1 étaient rédigées
dans les ídées de l' empereur Alcxandre; la déclaration est de sa
main 1 les autrcs pieces sont l'ouvrage de lU. de Gentz. Cen'était
pas tout. Cette admission de la France dans les combinaisons et
les príncipes de la Sainte-Allianee ne rassurait pas l'Europe ; elle
s'était arrnée contre la Franee; elle avait occupé ses frontiéres ;
maintenant elle allait les évacuer. Quelle garantíe lui restait-il ?
Fallait-il se jeter de eonfianee dans les bras de Louis XVIII?
S'il ne s'était agi que du roi de Franee, l'Europeavait pour lui
le plus grand respeet. lUais ce qui s'était produit dans les Cent-
Jours pouvait arriver une seeonde fois ; ne fallait-il pas renou-
veler ces traités défensifs et suppléer par des précautions mili-
taires ala garantie de l'occupation alors abandonnée? les petits
États d'Allemagne firent a ce sujct les plus fortes remontrances
pour qu'on rcnouvelát les conditions du traité de Chaumont. Les
ministres des quatre grandes Puissances se réunirent: 1\1. de
Ilichelieu ne fut point admis dans eette confércnce particuliére,
et I'on arréta des précautions néccssitées par la nouvelle sítua-
tion de la France, Je prie qu'on apporte la plus grande atten-
tion a ces protocoles sccrcts 1 cal' ils révelent plus qu'on ne pense
la situation actuelle de I'Europe : le premier cst le protocole
diplomatique; le sccond, le protocole militaire. « Conformé-
ment 1. la réserve insérée dans le protocoledu 1. cr octobre, les mi-
nistres et plénipotentiaires des eours d'Autriche , de la Grande-
Bretagne, de la Prusse ct de la Russie se sont réunis pour déli-
bérer sur les moyens d'appliquer les príncipes et les dispositions
dudit traité 1. la situation dans laquelle 1 apres l'évacuation du
territoire de France , le Gouvernemcnt francais se trouvera placé
avec les quatre Puissances et les autres États , et ayant examiné
cette question par un échange de communications eonfidentielles,
les ministres des cours d'Autriche , de la Grande-Bretagne , de
Prusse et de Russie déclarcnt : 1°. que tous les cngagemcnts sti-




CHAPITRE XIII. 333
pulés par le traité de la quadrupleAllianee du 20 novembre 1815
sont conservés dans leur pleine force et valeur pour le casus
[adcris el belli~ tel qu'il est prévu et défini par ledit traité;
2°. que pour le casus [aideris ~ tel qu'il est ordonné dans le se-
cond paragraphe de l'article 3 du traité du 20 novembre 1815,
les hautes parties signataires du présent protocole, en suite de
leurs engagements actuels, se concerteront, le eas échéant,
dans des réunions particulieres , soit entre les Monarques alliés
en personne, soit entre les quatre Cabinets, sur les moyens les
plus propres a prevenir les funestes efIets d'un noureau boule-
rerscment réoolutionnaire dont la France serait menaeée, se
rappelant toujours que le progres des maux qui ont si longtemps
désolé l'Europe n'a été arrété que par l'intimité des rapports
et lapureté dessentimcnts qui unissent lesquatre Souverains pour
le bonheur du monde. »


Cette convention díplomatiqne renouvelait la quadruple
allianee; seulement on restreignit le casus [ccderis a un
mouoement réeolutionnaire pour lequel des conditions mili-
taires furent arrétées : « Vu les articles 1 et 2 du traité de la
quadruple Allianee, et les artic1es 7, 8 et 12 du traité de Chau-
mont , il est eonvenu que les eorps d'armées stipulés par ledit
traité, entreraient en eampagne lejour OU leshautes parties con-
traetantes auront décidé que le casus [ccdcris existe. Apres eette
décision , le corps britannique se réunira II Bruxelles, le eorps
prussien a Cologne , le eorps autrichien a Stuttgard, et le
eorps russe a ~Iaycnee, dans trois mois , vu sa longue distance,
M. le maréehal duc de 'VeIlington, ayant été ehargé de la part
du Gouvernement britannique, ainsi que de celui des Pays-Bas,
de surveiller l'exéeution du systeme de fortification des Pays-
Bas , a déclaré pouvoir eertifier ala eonférenee que la quantité
de travail exécuté était immense, et qu'un résultat pris pour la
défense du pays pouvait en étre attendu pour l'année proehaine,
si le cas l'exigeait, 1\11\1. les plénipotentiaires d'Autriche et de
Prusse ont annoneé également leur intention de communiquer
aux ministres des autres Puissances alliées les informations qu'ils




334 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
pourront posséder sur les nouveaux ouvrages défensifs en état
de construction dans les autres pays lirnitrophes de la Frauce ;
MM. les plénipotentiaires ont drscuté ensemble les moyens de
Iournir aux forteresses les garnisons nécessaires , le cas de guerrc
échéaut et la guerre se portant sur les Pays-Bas. Ces forteresses
n'ont pas été seulernent construitcs pour la défense d'un seul
pays; il s'en trouve plusieurs ~t occuper en seconde ligne sur
I'anciennc frontiere de la Ilollande ; il a done été convenu de
recommander aS. M. le roi des Pays-Bas de Iaire occnper, le
casus [cederis ayant été déclaré , les fortcresses d'Ostende ,
Nieuport, Ypres, et celles situées dans l'Escaut , avec exceptiou
de la citadelle de Tournay et de la place d'Anvers par les troupes
de Sa l\Iajesté Britannique , et les citadelles de Huy, Namur el
Dinant, ainsi q~lC les places de Charleroy, l\Iarienbourg et Phi-
lippevillc par les troupes de Sa l\Iajesté Prussicnne. »


En consentant la délivrance du territoire, toutes les Puissances
prenaient des précautions militaires et des garanties contre la
situation libre et nouvelle dans laquelle la France allait se trouver
par suite de l'évacuation de ses provinces. Depuis la Ilévoluüou
francaise , les grandes conquetes de Napoléon et le débordcmont
des armées francaises , l'Europe n'avait qu'une pensée, la crainte
de voir se renouveler le danger qu'elle avaitvaincu par lesdouhles
coalitions de 1813 et de 1815, et tel était I'objet des stipulations
des quatrc grandes cours alliées , pour chaqué éventualité de
changernent. Toutes ces transactions étaient ainsi réglées, a Aix-
la-Chapelle , au rnilieu des dissipations dont on cherchait a dis-
traire les Souverains. Il yavait cependant moins de galté, moins
d'ahandon qu'au congres de Vienne, sorte de fécric brillante
au rnilieu de laquclle les tetes courounées décidaíent des desti-
nées du monde dans les retes et les redoutes. JI y cut quelques
réunions de plaisir aAix-la-Chapelle chez la princesse de Latour-
Taxis. Lady Castlercagh recut 'égalcmcnt une compaqnic choisic.
On se pressait dans ces salons resplendíssants , et , comme le dit
un diplomate spirituel, aI'ombre de la haute coifIure de MilacIy.
L'cmpereur d'Autriche, toujours simple dan s ses manieres, visi-




CHAPITRE XIII. 335
tait les manufactures et contemplait avec le plus grand intérét
les produits du commerce et des arts, Alcxandrc se faisait aimer
par cette délicatesse, cette familiarité entrainante qui lui gagnait
tous les co-urs. On ne parlait ü Aix-la-ChapeIle que des traits
de générosité et de grandeur d'árne du Czar. Tantót c'était un
militaire Irancais secouru de sa main et pris ason service, tantót
un infortuné dont il avait protégé la vie agitée, On l'avait HI
prcnant familicrcment le bras de 1\1. de Richelieu, discourant
avec lui sur cette noble nation francaise , comme il aimait al'ap-
peler, Le roi de Prusse se montrait également simple et familier;
il passait ses soirées chez la princesse de Latour-Taxis. Le grand-
duc Constantin, avec sa hrusquerie militaire , ce caractere oú le
vieux Russe se montrait tout entier, était l'objet des conversa-
tions. On citait de lui des anecdotes singulieres : Le jour ele son
arrivée a Aix-la-Chapelle, le grand-duc mit pied aterre dans un
hotel qui lui était préparé, et se jeta, sans se déshabiller, sur le
premier lit qu'il rencontra. On vint le prevenir que ce lit était
destiné ason valet de chambre, celui du grand-duc étant dans un
appartement plus convenable. « Eh bien, dit-il, qu'on le donne
a mon valer de chambre. » Le lendemain le grand-duc Ilt de-
mander un barhíer pour le ras«r. Quand on lui en cut amené
un : « As-tu servi ? lui demanda Constantino » - « Non, l\1on-
seigneur. » - « Eh bien, je veux un harbier qui ait serví. » On
chercha dans toute la ville d'Aix-Ia-Chapelle , enfin on découvrit
un barbier ex-militaire. Quand Constantin le vit entrer, « OU
as-tu servi? lui demauda-t-il. » - « Dans la vieille garde, »-
« Diable ! tu étais la en fameuse compagnie. » Le barhier tendait
son rasoir : « Il ne s'agit pas de cela, reprend le duc; portez vos
armes; présentez vos "armes; charge a volonté. » Et voila le
grand-duc qui commande tout le maniemcnt d'armes. Quaud
cct exercicc fut achevé, Constantiu lui dit : « A présent , rase-
moi, ) Le harbier l'avait 11. peine rasé amoitié, quand le grand-
duc se Ievant de nouveau : « .\h ! nous avons oublió la marche
et les mauceuvres. » .Et le barbier d' exécuter encere tous ses
commandemcuts, Ce manégc dura plus d'uue heure: enfin le




336 mSTOIRE DE LA RESTAURATION.
prince satisfait congédia son soldat en le gratifiant de vingt du-
cats. Le prinee Charles de Prusse avait des occupations plus
douces; iI faisait de la poésie ,. et la charmante romance d'Egi-
nard fut produite par l'reuvre communc de mesdames Gay ct
Gai'l , souvent associées dans le congres d'Aix-la-Chapellc pour
charmer l'ennui des soirées aprotocoles. C'était dans ces bril-
lants concerts oú madame Catalani paraíssait revétue de la su-
pcrbe ceinture en diarnant , présent de l'empereur de Russic,
qu'allaient surtout se délasser les ministres des Puissances. lU. de
Richelieu menait a Aix-la-Chapclle une vie simple et retirée. J]
était avec 1\11\1. Mounier et Rayneval dans un échange de pensée
et d'amitié, lU. de Richelieu se levait de bonne heure, montaita
cheval pour visiter les environs de la ville , déjeunait avec les
chefs de sa légation. Comme il avait contraeré dans la Ilussie
aslatíque l'habitude de fumer , il était rare que chaque repas ne
füt pas suivi d'une ou deux pipes lentement dégustécs, C'était
1'heure de ses conversations intimes, de ses épanchements de
confianee. M. de Richelieu écrivait beaucoup et avec une ex-
treme facilité: ríen n'est plus curieux que sa correspondance.
Il raisonnait sur tout avee eet instinct du bon sens qui le trorn-
pait rarement dans les affaires. A midi les conféreuces diploma-
tiques commencaient, se terminaient a trois ou quatre heures ,
et quelquefois étaient reprises dans la soirée, M. de Riehelieu
voyait beaucoup aAix-la-Chapelle le général Maison, alorsdans
l'intimité d' Alexandrc, qu'il avait rejoint au congres. Ce n'était
pas sans motif que le général Maison était venu a Aix-la-Cha-
pelle; i1 avait une mission intime de 1\1. Decazes, afin d'éclaircr
le Czar sur les menées de 1\1. le eomte d'Artois et des Royalistes :
ses conversations intimes avec Alexandre servircnt les intéréts de
la légationfrancaise. 1\1. de Ilichelieu visitait aussi quelquefois les
Souverains; mais ce qu'il préférait atout , e' était la société de sa
propre légation; le monde était pour lui une charge. 1\1. de Ri-
chelieu n'avait point combattu dans les rangs de l'armée fran-
caise durant le grand Empire; il n'en conservait pas moins cette
haute susceptihilité , ce sentimcnt de délicatesse profondément




CIIAPITRE XIII. 337
national qui lui faisait adopter eomme siennes toutes les gloires
du pays et gémir sur tous ses rcvers, La:bataille de Leipsiek si
désastrcuse pour l'armée Irancaise était considéréc par la nation
allemande comme l'époque de sadélivrance ; il était naturel que
l'anniversaire en füt célébré avec pompe, et qu'il dcvint l' objet
d'une cérémonie religieuse et militaire; noussommes trop fran-
«:ais et patriotes lorsque , justement orgueilleux d'Austerlitz et
d'Iéna, nous trouvons extraordinairc que les nations étrangeres
célebrent également leurs succes ; on prépara done aAix-Ia-Cha-
pelle une féte pour l'anniversaire de Leipsiek; ]U. de Riehelieu et
la légation francaise sortirent de la ville aux premiers coups de
canon tirés pour eélébrer cctte solennité : c'était un haut senti-
ment de convenanees; ~nI. de Riehelieu, Mounier , Rayneval
proflterent de cette circonstance pour aller visiter l'abbaye prin-
ciere de Combels-Munster , adeux petites Iieues d'Aix-la-Cha-


•pelle, situation romantique au milieu de carrieres de marbre et
de bois pittoresques; la légation francaise ne rentra que le soir,
apres que le dernier coup de canon eut annoncé la finde la féte
nationale.


I\I. de lUetternich conservait ses habitudes de plaisir qu'il
unissait ason habileté d'affaires ; les intrigues amourcuses étaicnt
dans son goüt tout aussi bien que les négoeiations politiques,
Ses manieres de si bonne compagnie, le charrne indicíblc de sa
conversation; cette physionomie qui, malgré ces cinquante ans,
avait conservé sa vivacité , un je ne sais quoi qui plait aux
Iemmes quelquefois mieux que la jeunesse ; tout celaopérait des
conquétcs mcrveillcuscs , qu'il faisait servir ensuite ases desseins
d'infonnation. Lord Castlereagh, aux formes si roídes, laissait a
safemme le soinde rcprésentation que ladyCastlereagh entendait
parfaitcmcnt, Dans ces soirées somptucuses , oú se rendaít tout
ce que Aix-la-Chapellc avait de plus distingué , l\Iilady raisonnait
affaircs , ct quclquefois avec asscz de bonheur. Lord Castlereagh
ne joua pas au congres d'Aix-Ia-Chapclle un role aussi décisif
qu'au congrésde Yienne. La positionde l'Angleterre avaitchangé.
Le due de 'Vellington voyait beaucouplesSouvcraíns , qui n'ou-


lL 29




HISTOIRE DE LA BESTAUHATlOl\.


hliaient pas qu'il avait vaincu a Waterloo; il ne régnait ras une
parfaite intelligence entre S. S. et lord Castlcreagh; c'était na-
turel ; chaeun d'eux tendait ajouer le premier role, et tous dcux
y avaient également droit. Le due de 'Vellington était hommo
de plaisir et abonnes fortunes. :tU. de Hardenberg , le plushahilc
des hommes de cabinet , se renfermait cxclusivement dans les
aífaires ; sa pensée était l'organisation militairc de la Confédéra-
tion germauique , dont le projet avait été arrété par la Diete, el
qui, au milieu des déhats sur les grandes qucstions de la France,
était discuté dans un comité particulicr, composé des ministres
d'Autriche, de Prusse et des États allcmauds, La solutiou déli-
nitive de cette question fut renvoyée aCarIsbad. Cepeudant des
bases furent proposécs : I'arméc de la Confédération dut étrc de
1 pour 100 de la population de tous les États qui en Iaisaicnt
partie , et la reserve d'un demi pour 100 de cctte population.
Les contíngents devaient toujours étre 'mis au complet; un
sixiémc de cavalcric et 2 piéces d'artillcrie pour 1 000. L'arméc
de la Confédération dcvait se diviser en sept corps composés
chacun de deux divisions au moins de 10 000 hommes, Le gé-
néralissime était choisi par les dix-scpt membrcs de la Diete;
une cormnission était toujours en perruancnce. Un pamphlct re-
marquablc de )1. de Gagern, occupa les honunes politíques de
l'Allemagne : ce diplomate exposait les trois points suivants :
1°. que l'ancicnnc constitution de I'Allcmagne préscntait un tres-
haut degré de perfectíon, et qu'on pouvait revenir sansdanger ace
systéme Iédératif qui avait atoutes les époques fait sa force el
sa gloire; 2°. que le rétablissement de toutes les prérogativcs
de l'ancienne noblesse était une nécessité de I'ordre actue1, une
des conventions de force de la constitution gcrmanique; 3°. qu'il
était indispensable que le Gouvernement prit des mesures pOUJ
arréter le uiouvcment révolutionuaire en Allemagne. M. de Ga-
gern appartenait a l'école qui triompha , au moins en partie ,
daus la confércuce de Carlshad , et e'était la OU tendait :\1. d.
lUetternich. Il était urgent pour la Prusse ct l'Autriche , alor.
plus intimcmcnt líées, d'orgauiscr l' Allemaguc de maniere ael




CHAPITRE XIII. 339
diriger tous les mouvements militaires , la Prusse pour le nord ,
l'Autriche pour le midi, L'intérét des dcux Cours était d'atté-
nuer, autant que possible, la force des États secondaires ; elles
avaient morcelé la Saxe en 1815; elles voulaient réduire la Ba-
viere et le Wurtemberg : c'cst l'esprit qui presida ala solution
du diíférendsoulevé aAix-la-Chapelle entre le grand-duc de Bade
et le roi de Bavierc; gain ~le cause -fut donné au Grand-Duc ;
vainement Ie roi de Baviere s'adressa-t-il aAlexandrc ; l'Empc-
rcur répondit : ce ñlonsieur mon frere, les détermínations arre-
tées en commuu par les Souverains amis et alliés de Votre l\1a-
jesté aAix-Ia-Chapelle vont étro portées asa connaissanco. Ces
arrangements hautement réclamés par la stricte équité , I'intérét
de l' Allomagne et rintérét de ses rapports intérieurs , ces résul-
tats, et l'afIermissement de ses rapports extérieurs , sont dignes
d'obtcuir le snffrage éclairéd'un prince tel que vous, Sire , au-
quel l'accomplissement de ses devoirs, par rapport au maintien
de la trauquillité générale, n'cst pas moins cher que la conci-
liation de ses propres intéréts, Dépositaire des sentiments qui
HOUS animent, mon secrétairo d'.État , le comte Capo d'Istria ,
auquel je commets le soinde déposcr cctte lettre daus les mains
de Votre Majcsté , a été unanimement désigné pom étre aupres
d'('11e I'iutcrprete de nos espéranccs : ce ministre s'estimerait
heureux de m'annoucer cet accomplisscment désíré amon arrí-
vée aVienne. En écartaut de cctte démarche collectivo tout
l'appareil d'une intervcntion solcnnelle d'État ~l État, en lui
donnant le caractere d'uue sollicitation personnelle inspirée par
I'amitié la plus eonfiante ct la plus entiéro cordialité , je crois ,
aussi bien que mes alliés , remplir un devoir d'attachcment en-
r01S Votre ñlajcsté. Le roi de Baviere , fort mécontent de cette
lcttre de l'empercur Alexandre , s'cmpressa de lui répondre :
« }Ionsieur mon Irere et hcau-írére , le eomte Capo d'Istria m'a
rcmis la lettrc que Votre l\lajesté Impériale m'a fait l'honneur
ele m'écrirc en date du 9-21 du mois dernier; le témoignagc
ele confiancc que Yotre Majcsté Impériale a bien voulu m'y ex-
nrimer , touchant mon cmpresscmcnt d'adhérer aux bases arre-




340 HISTOIRE DE LA RESTAURATIO~.
tées aAix-la-Chapelle , Votrel\lajesté Impériale rend justice aux
sentiments que je professe pour sa personnc, lorsqu'elle veut
bien se persuader qu'il n'est de sacrifice que je ne sois disposé a
porter au maintiende la tranquillité générale et a la conciliatlon
de tous les intéréts ; si les miens sont froissés et abandonnés par
les mesures prises aAix-la-Chapclle , j'en souffre moins encore
que de l'idée de me voir -privé personnellcment , aux yeux de
l'Europe, de la considération attachée a la protection impartiale
des eours alliées, particulierementde Votre Majesté Impériale ct
Iloyale. Je erois, en eonséquence ~ Monsieur mon frere et hcau-
frere, devoir, au prix mémeque j'attacheal'estime particuliére de
Votre l\1aj esté Impériale , en appeler d'elle aelle-méme, pour
m'empécher de transiger avec mon honneur.· II La difficulté
entre la Baviere et Bade n'alla point encoreafin, mais la supré-
matie des grandes cours sur les royaumes intermédiaires d'AI-
lemagne fut eonstatée; ces cours prenaient le rñle d'arbitrage,
qui se ehange si facilement en protectorat, et plus tard en do-
mination ahsoluo, J'ai peu parlé de 1\1. de Nesselrode, que la
présence de l'empereur de Ilussie réduisait aune position tout a
fait passive. l\l. de Nesselrode avait le talent particulier, conune
je l'ai dit , de s'effacer et de se réduire a la simple influence de
secrétaire de son empereur; il était son garde d'archives et de
traditions. Alexandre voyait et décidait tout par lui-méme. De
ses ambassadeurs , qu'il avait presquc tous appelés a Aix-Ia-
Chapelle, celui qui rendit les plus grands services a la Franee,
fut M. Pozzo di Borgo, et apres lui 1\1. Capo d'Istria. lU. Pozzo
porta témoignage al'empereur Alexandre des progresnaturelsdes
idées libérales, et vengea la France des accusations portees contre
elle. La fut l'origine de la grandefaveur de l'ambassadeur de llu,t\;-
sie aupres de LouisXVIII, noble origine, paree qu'elle se fondait
sur le souvenir de l'ancienne patrie de 1\1>, POZZO, et des services
qu'il avait rendus a I'indépendancc du pays,


Apres les grandes conférences d'Aix-la-Chapelle , l'empercur
Alexandre résolut de faire un voyage a Paris. Ce voyage n'avait
d'autre but que de voír Louis XVIII et le complímenter sur le




CHAPITRE XIII. 3111
résultat des négociations d' Aix-Ia-Chapelle, sur la marche de
son Gouvernement, et la maniere sacrée avec laquelle il avait
tenu les engagements envers ses alliés. L'empereur Alexandre
avait cette 'politesse affcctucuse , ces formes de grandeur et de
générosité qui allaient si bien au goüt de Louis XVIII. Rien ne
fit éprouver une plus vive scnsation au roi de Franco que cette
démarche du Czar quittant Aix-la-Chapelle, dans le simple objct
de visiter un souveraín vicux et malade. J'ai rapporté dans un
l\ll~moire écrit de la main de Louis XVIII, avec quelle exquise
élégance le Roi raconte cet événement, Quoique Alexandrc
voyageát sans aucune pompe, il fut pourtant accueilli avec en-
thousiasme; on voyait en lui le libérateur de la patrie; je n'exa-
mine pas les faiblesses humaines, la vio privée d'un souverain ;
sous ce rapport, Alexandre put avoir de grands reproches a se
[aire et des remords inexorables; mais je m'étonne que la Francc
d'aujourd'hui n'ait pas conservé une plus vive reconnaissance
pour le Czar. En 1814 et 1815, qui sauva la France des exi-
gences, des représailles ardentes de l'étranger? et en 1818,
quel prince fut plus puissant d'opinion et de libéralité pour em-
porter la question de la délivrauce du territoire? Dans quel
temps de parti vivons-nous encore! quoi, pas un peu de jus-
tice aqui rendit a la Franco de si éclatants scrvices ! Le Czar
arriva a Paris, oú iI ne resta qu'une journée. Il passa plus de
deux heures avec Louis XVIII, et les deux princes s'entretin-
rent de la marche générale des aílaircs, Alexandre développa sa
pensée ou plutñt sa'préoccupation de réunir les couronnes et les
pcuples autour des principes du chrístianisme , espece de frater-
nité curopéenne , sorte de réve de l'abbé de Saint-Pierre. Il dé-
montra les dangers du jacobinisme, et la nécessité de le 1'6-
primer par des concessions généreuses et liberales faites aux
nations, Alexandre parla avec beaucoup de scns et tout a fait
dans les idées de Louis XVIII, qui se félicita d'avoir réalisé en


•partie , par la marche de son Gouvernement, les généreuses
conceptions du Czar. « Votre l\lajesté a conduit ses aífaires avcc
une haute sagcssc , lui dit Alexandrc; j'ai approuvé votre 01'-




342 mSTOIllE DE LA RESTAURATION.
dounance du ;") septcmhre : il y a eu uéccssité de hriser une
Chambre qui entrainait votre Couvcrncmcnt en arriére. Voyez
ce que j'ai fait pour la Pologne. Serais-je trompé dans mes in-
tentions et dans mes désirs de concilierIes denx grandes idées
de paix el de liberté? » L'Empereur s'entretint ensuite longue-
mcnt de la fcrmentation de l'Allcmagne , et répéta plusieurs fois
(!lle le roí de Prusse et l'empereur d'Autriche n'avaient point
assez fait pour leurs peuples , et que ceci tournerait a mal.
« Point de révolutionnaires et de jacobinisme, répéta-t-il a plu-
sieurs reprises, mais de la liberté chrétieune. » Le Czar tint le
meme langage aux ministres quand ils lui présentérent leurs
horumages. JI s'entretint particulierement avec l\l. Decazes,
dont les manieres lui plurent infiniment. JI en dit quelque chose
au Roi, et ceci ne fit que fortiflcr la faveur toujours croissaute
du ministre de prédilection.


Apres le départ d' Alexandre , qui aIla passeren revue lesdiffé-
rents corps de l'armée d'occupation, le roi de Prusse et le prince
Charles son fils arriverent ~\ Paris , ainsi que le grand-duc Con-
stantin, Le roí de Prusse parla peu politique a Louis XVIII. 11
n'avait pas , cornme Alexandre, la haute main dans les affaircs ;
il s'abandonnait eutiercment a son chancelier JI. de Harden-
berg et au comte de Bernstorlf. la Cour fit beaucoup de poli-
tesse au roi de Prusse. Frédéric avait laissé une passion de
théátre a Paris , laquellc ne fut pas étrangere, dit-on, a SOl:
voyage. Quant au grand-úuc Constantin, il se montra joucur ,
généreux et brutal comme il l'était toujours. Il pareourut le:
casernes , et assista ade grandes manreuvres. Cefut dans une d:
ces occasions qu'il reeonnut dans le 1er régimcnt de grcnadicr:
a cheval de la garde royale , un soldat qui I'avait hlessó dan:
une des grandes batailles de l'Empire. Il Iui rappcla les circon-
stances de cet événement, et apres l'avoir comblé d' éloges , i
lui ofTrit de le prendre a son service; le g,'cnadier refusa ~r.('l
simplicité et modestie. Le Roi avait recounnandé ~\ lU. Docazc
de distraire le grand-duc auiant qu'il serait en lui , ct les ha]
nc manquérent pas au frerc d'Alcxaudre , <tui JogC(l ~I l'hót«




CHAPITRE XIII. 343
mémc du ministre. « Je paierai toutes les dépenses , disait
Louis XVHl a l\l. Decazes, amusez mon eosaque. » Dans le
petit nombre de jours que Constantin resta aParis, il s'établit
une grande intimité entre lui et le ministre. C'est de la bouche
de Constantin que l\l. Decazes apprit en détail les démarches
que divers partís avaient faites aupres de l'empereur Alexandre.
Ce n'étaient pas seulement les Royalistes qui avaient présenté
leurs notes secretes et demandé l' appui de l' étranger, comme
je l'ai dit déjá ; mais aussi lesLibéraux, les réfugiés de Bruxelles
surtout, avaient aplusieurs reprises presenté leurs plaintes aux
Souverainssur le Gouvernement de Louis XVIII, et avaien t de-
mandé 1'intervention de l'Empereur dans les affaires de France ;
triste épeque OU les passions politiques voyaient des sauveurs
dans les étrangers! S'il fallait expliquer, j'ai presque dit justifier
cctte conduite identique dans deux faetions opposées , je répon-
drai qu'elle était malheureusement peut-étre dans la position.
Apres la grande invasion d'un pays par l'étranger, et l'occupa-
tion de ses provinces , était-il bien étonnant qu'on s'adressát a
l' étranger pour la solution des questions politiques ? Une fois
I'évacuation arrétée , les Souverains donnérent ordre aux com-
mandants respcctiís des forees alliées , de préparcr les contin-
gents de leurs troupes , afin de quitter la Franco au terme fixé
dans la eomention; I'empercur Alexandre mettait un prix infini
aexécuter ponctucllcmcnt les conditions arrétées a Aix-la-Cha-
pelle. n disait arce raison que Louis XVIIIet la Franco avaient
rcmpli lours engagements avec une exactitude si remarquable ,
qu'il était du dcvoir ct de la loyauté des autres Cahinets d'imiter
ce respcct pour la foi des traites. Il se háta done de quittcr Paris
pour passer' en rcvue les différents corps russes qui étaient des-
tinés ~\ retourncr dans Icur patrie; la joie des départemcnts oc-
cupés fut grande di's qu'ils apprircnt la conveution d'Aix-la-
Chapelle. Les armécs d'ocrupatirm s'étaient conduites arce une
discipline remarquable , les habitants n'avaient en général qu'a
s'cn louer; mais un sentimcnt d'humiliation se mélait ala pré-
SCllCC de l'étrangcr sur le territoirc de France , et les Franeais




344 mSTOIRE DE LA RESTAURATlON.
saluerent avec acclamation le jour qui vit flotter le drapean du
pays sur toutes les villes Irontieres, Avec nn esprit dc convc-
nance parfait, le Roi envoya JU. le duc d'Angouléme assister ¿.
la remise des places fortes par les troupes étrangeres ; elle se Iit
a quelques bataillons de la garde royalc, aux légions des dépar-
tements et a la garde nationale. Il fallait voir quels transports
tout francaís animaient ces jeunes et vieux soldats; c'était l'in-
dépendance de la patrie! Jamais joie plus vive que celle de
Louis XVIII; ce prince avait subi avec douleur les conditions
du traité de Paris du 20 novembre; l'occupation des étrangers
était un fait indépendant de la Restauration; le Gouvernement
des Cent-Jonrs l'avait amené, et c'était méme a la seule consi-
dération du Roi que les alliés ne s'étaient pas montrés plus im-
placables encore. Supposez le Gouvernement que lesplénipoten-
tiaires avaient demandé a Haguenau, la Franco aurait perdu le
tiers de ses provinces, et aurait été soumise a une occupation
indéfinie! Louis XVIII subissait avecimpaticnce lc soupcon que
sa seconde restauration avait été préparée par l'étranger; main-
tenant il accomplissait son eeuvre , lc vceu de son cccur était at-
teint; il avait donné la liberté ala France , il lui rendait son in-
dépendance et sa dignité extérieure. Voila ce que le Roi avait
fait ponr la patrie; nous allons voir maintenant ce que firent les
partis : Louis XVIII avait rempli sa tache, tache noble, élevéc,
difficile, les factions en conscrvérent-elles au moins un peu de
reconnaissance? ouhlierent-elles lcurs vicilles haiues el leurs
répugnances malheurcuses?




CHAPITRE XIV.


CHUTE DU CAllINET nIClIELIEU. - LE l\II~ISTimE DESSOLLE.


Les dcctions q,a 1818. - Tendance révolutionnnire. - Opérations finan-
cieros. - Retraite de 1\1. Corvetto. - M. Roy ministre. - Ouverture <le
la sessiou, - Démission de M, de Hichclieu. - Influence de 1\1. Decazes .
-Acceptatioll de M. Dessolle.-Cahinet de la gauche.-Scssioll de 1818.
Couclusiou, - Proposition de ]\1. Barthélcmy contre la loi des électious ,
Promotion de Pairs, - Admiuistratiou puhlique. - Fin de la réactiou, _
tes jouruaux, - L'opinion puhli({ue. - Le parti royaliste. - Iuquiétude
de I'Europe, - La sessiou de 181 n. - Situation du pouvoir - N'~ccssitú
de modifier la tendance des affairos ,


ltlai 1818. - Oetobre 1819.


M. LE duc de Ilichclicu , sans prendre d'cngagcmcnts positifs
sur la marche politique de son Cahinct, avait répondu morale-
mcnt des élections au congres d';\ix-la-Chapclle; iI avait dé-
Iendu le systeme ministéricl et I'impulsion donnée il l'opiuion
publique en Franco. Un nouveau cinquiemc de la Chamhre allait
étre renouvelé ; il devcnait urgent pour le ministero de se pr(~­
parcr a cene grande épreuv« qui dcvait justifier de la loi d'éh~c­
tion a la Iace de la Franco ct de l'Europe. Depuis la loi des
élcctions on avait marché pour la candidature dans une progrcs-
sion rcmarquahle , et ron pouvait juger l'avcnir par cene pro-
gression mémc. La Iuttc s'était d'ahord ouvertc entre les ultra
royalistes et les modérés , puis entre les modérés ministériels et
les doctrinaircs; enfin elle avait atteint son dernier tenne; elle
était ongagée entre les doctrinaircs et I'cxtréme gauche, c'est-a-
dire entre les constitutionnels ¡l doctrines el eeux que les Roya-




I1ISTüIRE DE LA RES'tAURATION.


listes et l'Europc, atort ou a raison , appclaient Jacohins, Cette
lutte était done décisive ; le ministere devait faire tous ses efforts
pour empéchcr les indépendants de triompher, cal' eñt-il út'~
possihle de conscrver le systemc électoral si la loi des élections
produisait une majoritó de gauche? C'était le dcrnier comhat
que pouvait livrer la royauté, Il fallait cnsuite aviserasonsalut.
Les départements qui avaient aélire ótaicnt ceux de l' Ain, des
llasses-Alpes, de la Correze , du Finistórc , du Gard, de l'Indre ,
des Landes , de la Loire , de la Manche, de la 1UQselle, de la
Nicvre , du Nord , de la Haute-Saóne , de la' Sarthe , de Seine-ct-
Marne, de Tarn-et-Garonne, de la Vcndéc , des Basses-Pyrénécs.
Quelqucs députations restaicnt ~l compléter par la démission ou
la mort; ainsi , les Basscs-Pyrénées , le Bhóue et la Seine avaient
chacun un député Ü n0l11111er. L'approche des élections jetait
dans les esprits une grande cífervesccnce. Les journaux n'étaicnt
pas libres, mais les puhlicatious póriodiquos , les brochurcs sur-
tout, Iaisaient retentir dans le public les noms et les titrcs de
chacun de lcurs candidats. La liste des présidcnccs iudiquait la
marche ct l'esprit du Gonvernement; elle formait comme une
róunion de noms honorables et constitutionncls parmi lesquels
étaieut 1\DI. Camille-Jordan , Saint-Aulaire , Bourdeau , Portal,
Rambaud (maire de Lvou}, de Cassagnole , Chabaud-Latour ,
Ternaux, Brigodc, Dumarallach , d'Amhrugeac, candidats des
centres droit et gauche. Cette liste fut presque en totalité rejetée
par la gauche extreme et par la droite; la gauche poussad'autres
candidats; ce fut alors que la ~lincrvc rétablit sa théorie des
uulcpcndants .. les seuls dignes, les seuls capablcs , selon elle,
de représentcr les électeurs dans la Chambrc des Députés ; 11n
indépendant avait toutes les vcrtns publiques; seul il devait faire
le bien du pays , seul il pouvait réclamcr toutes ses garanties;
]H. Bcnjamin-Constant grandit sa popularité par de nombrcux
articles insérés dans la l11incl'vc; il se lit légiste pour défendrc
'ViIfrid Regnault; on lit de la pilié d'ostentation, on presenta
M. Constant conune l'apótrc du malheur , et lui , homme d('
taut d'esprit , se laissa placer sur ce piédestal paree qu'il savait




CIlAPITUE xrv,


(¡II'm matiére élcctoralc , eL lorsqu'il faut parler aux masses , il
cst indispensable de les saisir par tous les cütés et par tous les
scntimcnts: ~1. Étieune , dans une de ses Lettres sur Paris , dé-
moutra qu'il ne Iallait choisir ponr députés qne des honnnos de
la trompe de 1\D1. Dupont de l'Eure et Voyer-d' Argcnson; je
demande sincerciucnt s'il eút été possihlc de marcher en pré-
sence d'une Cluuubro composé« de tels éléments! Les ultra-
royalistcs repoussaicnt {>galelllcnt les caudidats ministéricls: ils
les considóraicnt connue bien plus dangereux méme que les in-
dépondants , paree que, disaient-ils , « que devous-nous consta-
te!"! q\lc la loi des élcctions cst mauvaise, qu'elle curralnc la
monarchic ~l sa perle : or, nous obtiendrons ce résultat , soit C11
nous ahstcnant complétcurcnt des élcctious , soit méme pour
ccrtuineslocalités , en poussant le candidat jacobino Cette tactique
était justiíiée par la haine profonde qu'inspirait M. Deeazes.


En présence de ces deux oppositions rivales, mais unies dans
le commun dessein de repousser les candidats ministériels , que
devait faire le Gouvcrnemeut? La presse l'avait d'ahord attaqué,
il se défendit par la presse ; de nomhreux articles furent publiés
dans le Publicistc et le Moniuna, le Journal des ¡Vaires el le
Jourual de Paris -' organes plus ou moins imrnédiats de la pen-
sée du ministere, On reprochait a l'administration d'influencer
les élections , et l'administration répondait : « Les auteurs de ce
reproche emploient eux-mémes tous les moyens d'influencer les
osprits ; ils multiplient les pamphlets et les calomnies; ils inven-
tent les contes les plus ridicules sur les hommes les plus hono-
rables. » Ceei faisait allusion a la illineJ'ue, qui avait fait un ap-
pel aux agents de change , aux boulangers , et aje ne sais quellcs
autres agrégations d'hommes pour favoriser l'élection de JI. de
Constant! Le miuistere iuvoquait le grand service que le Gou-
vcrnement venait de rendre , et c'était quelque chose en effct
(lue de se présenter devant la Franco apres l'avoir délivrée d'une
lnnniliantc occupation militaire. Tous les ministres donnaient
ordre de vciller aux élcctions , la grande affaire sur laquelle la
Franco el l'Europe avaient les yeux ouv erts ; les instructions aux




3h8 m5TOInE DE LA nESTAURATIO~.
préfcts portaient l'ordre essentiel d'écartcr de la candidature les
royalistes d'opposition et les libéraux implacables, et de favori-
ser tout candidat constitutionnel; des mesures efficaces furent
prises en conséquence , et la plus importante de toutes fut cclle
sans doute qui priva lU. le comte d'Artois du commandement
général des gardes nationales du royaume. J'ai dit l'espece d'in-


.fluence dont s'était emparé lU. le comte d'Artois par l'organisa-
tion de la garde nationale; les comités d'inspection généralc
étaient employés adiriger lesélectionspolitiques, et aembarras-
ser l'administration réguliere, Par le moyen des inspecteurs de
la garde nationale, les choix du comité de Paris et de 1\1. le
comte d'Artois étaient ratifiés; e'était une action parfaitement
bien cntendue, ~l coté de l'action du ministére , et contrariant
tous ses ressorts; les préfets dénoncérent alU. Lainéet aIn. De-
cazes la puissance mystérieusc et si hostile des inspecteurs de la
garde nationale ; d'ailleurs , comme toute mesure de sureté re-
lative a la garde nationale devait recevoir la sanction de 1\101\-
SlEUR, le Gouvernement n'était plus maitre de sa volonté; on
l'avait vu lors de la dissolution de la garde nationale de Nimes , 11
laquelle S. A. n. s'était opposée. On résolut done en conscil de
ministres et sur la proposition de 1\1. Lainé , d'organiscr la gardo
uationale sur d'autres éléments, afin de hriser l'intrigue si bien
liéc , et dont l'état-major de eette garde n'avait cesséd'étre 1'in-
strument, C'était un coup profond porté a la puissance secrete
du comte d'Artois, et qui devait étre vivement senti par lui; il
fallait d'ailleurs en prouver l'urgenee au Iloi , et le minist-re se
chargca de démontrer aLouis XVIII que I'iusontenable conduitc
de son frcre compromettait la marche modéréc du Gouverne..
ment de Sa lUajesté. Le Roi répondit : « Mais je nc puis consen-
tir ~l une destitution de mOI1 Irere , quelque tort qu'il ait envers
moi el mon Gouvernement. » Les ministres répliquerent qu'il nc
pouvait étre non plus dans Ieur intcntion de prononeer la desti-
tution publique et officiclle de Son Altesse Iloyale , mais seule-
ment qu'il fallait lui óter les moyens d'embarrasser lesprocbaines
élections; on proposait done au Itoi de rendre ala garde natío-




CIIAPITRE XIV. 349
nale son institutiou toute municipalc , ot par conséquent de la
placer sous l'inílucnc« immórliate du ministre de l'interieur ; OH
conserverait au prince le titre et la prúrogative de coloncl géné-
ral ; mais tout cela n'était qu'honorifiquc , par le fait, lU. le
comtc d'Artois n'avait plus d'action sur la garde nationale , et
c'est la qu'on voulait arriver, te rapport secret au Roi, ouvrage
de M. Lainé , exposait différcnts faits justement reproches aux
agents de ~1. le comto d'Artois ; un second rapport envisagea la
question sous le simplepoint de vue de la légalité : il fallait faire
rentrer la garde nationale sous l'empire des lois existantes , e'est-
a-dire des lois de 1790, de 1791, et de I'acte légíslatif du 25
scptemhre 1805 »; le prince conservaít son titre honorifique
et lesprérogatives r attachées, mais sans fonetions positivos, sans
avoir désormais aucun rapport ..rvcc la sarüe nutlunulc, Le Hui
11e parla de ríen ason frere ; il signa, paree qu'il sentit la né-
cessité pour son ministerc de dissoudre le réseau royaliste qui
menacait d'entourer les élections, On s'imagine assez quel fut le
proíond dépit éprouvé par S. A. R. On la privait de la seule in-
íluence qui lui restait encore. Le caractere du prince était sur-
tout une grande activité, un besoin de faire et d'exercer le pou-
voir ; on le mettait nou-sculement en dehors du Gouvernement,
mais encere en dehors de toute action militaire et administrativo.
On réduisait ses amis de I'état-major de la garde nationale ala
pluscomplete nullité. JUONSIEUR cut aeette occasionune longue
ct vive cxplication avec le lloi , qui montra une extreme fer-
melé.


De toute part on accourait aux élections : les indépendants en
appelaient au patriotisme des électcurs; les préfcts exposaicnt
les dangcrs <le trop s'avancer dans un system« de révolution ;
quant aux Ilovalistes , ils se contenterent de déuonccr la loi des
(>!('cliollS, se réscrvant la plus prochaine occasion d'cn constater
les déplorahles résultats. En Somme , les élections íurcnt parta-
gées : l'Ain députa ,1. Camillc-Jorrlan, tour ü la fois porté par le
ministere et par le partí des indépcndants ; le Couverncment
l'avait nonuné présidcnt de collége, el iJ était encoré revétu du


11. 30




350 llISTUlHE HE LA HESTAljHATlO~.
titre de conscillcr d'État. A vrai dire, l\I. Camille-Jordan n'('laÍ!
pas un choix cmharrassant pour le ministere , restant daus la
ligne qu'il s'était tracée ; mais le moindrc retour vcrs la droitc
devait l'aliéncr. Le méme départcmeut lui avait donné pour col-
legue de députation 1\1. Girod de l'Ain , bon magistrat , rnai-
honnne politique secondairc , qu'une dcstitution avait jeté dans
le parti des indépendants; au reste, caractere inoITensif el qu' on
pouvait facilemcnt rattacher au ministcre , en faisant cesscr la
cause qui 1'en avait séparé, Je ne parle pas de JI. Ilodet, simple
boule d'opposition. tes Basses-Alpcs , qul ne nommaicnt qu'un
député, avaient choisi l\1. Arnaud de Puymoisson , procurcur
générnl de la cour royale d'Aix , homme de peu de talcnt ,
mais dóvouó au ministere autant par position que par COIl--
viction ; la Correze , le Iieutcnant-génóral d'Arnbrugcac , ap-
partenant au centre droit par ses opinions , militaire tres-d is-
tingué et intimement lié au systéme et ala personne de l\I. De-
cazes. 1\1. Bedoch était d'unc couleur libérale plus tranchéc ,
mais il séparait raremcnt ses votes de C('UX du Couvcrncment.
La députation du Finistere était plus Iortcmcnt nuancée ; en lel(
était l\1. de Kératry, gcntilhommc breton , écrivain facile, a1 am
conservé quclqucs-uncs des maximes d'indépcndance de la llO-
blessc de Bretagne; il n'était pas csscutiellcmcut hostile au
systeme du Gouvernement, auquel ñl. Decazesavaiteu l'art de 11'
rattacher. J\I. de Kóratry n'avait pas une grande étendue d'idées;
il avait emprunté ~l la philosophie transcendante, dont il était
un des plus fcrvents zólateurs , cette crédulité d'opíuion , cct«
ignorance d'affaíres positives , surtout , qui était le cachet dé'
l'école ; il avait pour collegue ]u. Guilhern, boule d'oppnsi-
tion, et M. Manuel, dont la douhle élection fut un triomplic
pour les indépendants, l\1. Manuel avait une parole íacilc, iiu-
pétueuse , une Jaconde d'avocat , et quclquefois une éloquencc
véritable: c'était une ame de résolution el de dévoucment; tribun
utile ason parti dans les qucstions passionuécs, mais le compro-
mettant toutes les fois qu'il s'agissait d'uue affaire de tactiquc ('i
d'habilcté; au surplus , pauvrc tete politique jouéc par Fouché ,




CIlAPITRE XI v. :~5i
dont il s'était Iait l'instrument passif durant les Cent-Jours. On
pouvait dire de lui que c'était un cceur ulcéré contre les Bour-
bons , maisqui n'était pasdangereux, paree que la colére est tou-
jours gauche , naíve et maladroite, Le Gard avait renvoyé M. le
comtede Saint-Aulaire , tout 11 fait dans les opinions de son gen-
dre, M. Deeazes; le comte de Saint-Aulaire, esprit distingué, et
portant 11 la tribuno cctte facilitó, eette élégance de parolc de la
vieille aristoeratie; lU. Chabaud-Latour, vétéran de la questure ,
cxpression du partí protestant , ct 1'1. Raynaud-Lascours , inof-
Icnsif pour le systemo miuistériel. Dans l'Indre , le partí Iihéral
crut remporter une éclatantc vietoire en députant lU. le eomtc
d(' Bondy. Je n'ai jamais eu i je l'avoue , moi , homme de gouvcr-
ucmeut , une grande frayeur de l'iudépendauco de cctte frac-
1ion de députés fIlie j'appelle les préfcts de I'Empire , et dout
1" U. de Bondy et JJ{'Chin étaient la véritable expressiou ; JI. de
Bondy, surtout, pouvait étrc si facilement rattaché 11 cette admi-
nistration qu'il n'avait quittéo qu'a rcgret : son talent limité avait
pour sphere naturelle le ministérialisme, Ses souvenirs , ses ha-
hitudcs , ses amitiés, tout le rattachait au partí administratif ; il
n'ai ait pas une tete d'oppositlou. Son collegue , JI. Charlema-
glH', passait sur le hanc de I'extréme gauche. Les départements
des Laudes et de la Manche avaient élu , sauf quelqucs excep-
tious , Ieurs présidcnts et vice-présidcnts, Dans la ñloselle , les
choix. avaieut été partagés : si ce collége avait élu lU. de Wendel
président , il avait égalemcut député le lieutenant-général Gre-
nier, porté par les iudépendants. C'est de cette époque que date
l'habitude du partí libéral de porter des géuéraux de l'Empire ~l
la députatiou : que se proposait-il par cette taetique? On ne peut
se I'expliquer que par une pensée de conspiration militaire; cal'
c'était par trop abuscr le pays (IlIe de présenter commc défen-
seurs de la liberté, des généraux, bravos militaircs sans doute ,
mais d'une obéissauce passive et ne connaissant que le régime
ahsolu de Napoléon. Les élections de la Nievre donucrent un
choix ministéricl ; l\I. Chabrol de Chaméane , de eette famille
desChabrol , honorableexemplede la Iidélité au pouvoir, et M. de




352 BISTOTnE DE lA RESTAtrRATION.
Bogue, de l'école diplomatique de 1\1. Bignon. Dans le Nord, 1('
ministere ne fut pas en opposition avec le partí de I'extrémc
gauehe; ce partí n'y était pas en force, mais avec la droite ex-
treme, qui trouvait dans ce département une large expression.
Tons les présidents et vice-présidents furent élus. tes departo-
mcnts de la Haute-Saóne el de la Sarthe appartinrcnt al'cx-
treme gauche ; 1\11\1. de Gramont et ñlartin de Gray furent ron-
voyós a la Chambre; le choix le plus significatif dans la Sarthe
fut celui de :'1. de La Fayeue, te vétéran des idées de 1789 avait
vainement cherché a se Iaire élire dans Seine-et-J\Iarne, son
propre départemcnt ; les électcurs lui avaientpréféré 1\1. de Saint-
Cricq : on le designa done ¿l un de ces départements oú)es élcr-
tcurs ohéissaicnt aux injonctions d'un comité dirigeant. 1\1. de
La Fayette , inconnu dans la Sarthe , pays de chouanerie et de
souvenirs royalistcs , fut élu aune ccrtainc iuajoritó de Su(rl'(lhe~;
par les possesseurs de hicns nationaux. La Cour regarda ce choix
comme tres-significatif, ct rien 11(' fit une plus profonde imprcs-
sion au Cháteau : on avait tort; sous quel rapport 1\1. de La
Fayottc pouvait-il étrc acraiudre ? La tribuno était pour le Con-
vcrnemeut un moyen de survcillancc ; il valait mieux a, OÍi
M. de La Fayctte en face aH'C sa uaívotó de complots, révélan:
dans une Chamhre ses plus intimes pensé-es, (Iue de le rel(-guCl
en dohors du mouvemcnt politiquc , el alors Iivré aux sourdc:
machíuations, V'S élcctions de la Sarthe ct ccllcs de la Vent1(>C'
oú M. Manuel trouva une double élcction , constaterent copen-
dant les vices du systeme électoral : ce system« ne donnait pa~
la véritable expression des opinions du pays, Dans la VC'lHlé(' ('
dans la Sarthe , la majorite n'était-clle pas royalistc? D'oú ve-
naicnt done ces élcctions si éclatantcs, si libéralcs? J.Ja raison cr
était que la loi de 1817 jetait dans ces deux départemcnts 1<
majorité au profit des acquéreurs de hiens nationaux et des ha-
hitants des villes ; la balance n'était pas également ótablie.
M. Benjamiu-Constant , quels qu'eussentété ses eílorts ¿l Paris
n'avait pu obtenir son élection : dans cctte grande capitale , 1;
lutte avait été vive, et c'ótait la que s'étaicnt véritablement pro




CHAPITRE xrv, 353
duits les hustings de Londres, la hataille électorale s'était pro-
longée pendant plusieurs jours ; elle avait ('U Iieu en quelque
sorte sous les ycux de I'empereur Alexandre. les indépcn-
dants portaient leurs suffrages sur lU. Benjamin-Constant, les
ministériels et les modérés sur lU. Ternaux ainé ; enfin les Roya-
listes sur JUM. Bonnet, avocar, et Olivier , régent de la Banque
de France. Au prcmier tour de scrutin les voix s'étaícnt ainsi
partagécs : Voixdes iudépendants sur Benjamin-Coustant 2920,
ct 'Ianuel 2:~3. Voix ministéricllcs sur JU. Ternaux 195[1. Voix
royalistes sur 1\1. Bonnet 952, et sur 1\1. Olivier 458. 1\1. Cons-
tant n'ayant pas la majorité ahsolue , on arriva au hallottage en-
tre lui et 1\1. Ternaux; le ministere avait agi auprés des Roya-
listes: il mettait un grand prix aéloigner "1. Constant; 1\1. Ter-
naux, dans une profession de foi honorablcmcnt écrite et ferme-
rnent exprimée, avaitdit tout son tlévol1ement ala tlynastie \égi-
lime des Bourbons; les Royalistes n'hésitereut plus, et les voix de
1\1. Bonnet se portercut sur l\I. Ternaux; cependant ce ballot-
tage ne fut point encere décisií, el M. Constant obtint l'avantage
du nomhre : 3 431 suffrages se porterent sur lui; 1\1. Ternaux
u'en cut que 3253; on renvoya le scrutin au lendemain ; dans
la nuit I'administration agit encore aupresdes Royalistrs; le nom-
hre des votants, qui n'était la veille que de 6981 , fut le lende-
main de 7630; 1\1. Tcrnaux ohtint :) 827 voix , et )1. Constant
3740. Le long doute élcctoral avait tenu tous les csprits en sus-
peus. Il y avait eu une grande agitation aParís.


On pouvait constater quelquc ehose de remarquahle dans les
¡'iections, c'est que les Iloyalistcs de l'extrérne droite avaient ét{~
complótcment cxclus : il ne s'agissait plus d'eux dans la lurte, el
ceci était de nature ¡¡ produire une certaine sensationsur les cs-
prits , a la con!' particulierement. Quelle était done cetro 10i
rl'élccriou dont les dcux seuls résultats , sous la monarchie des
Bourhons, avaient él¡~ de produire :\J. Manuel et)1 de La Fayctte,
el d'éloigner les Hoyalistos des aflaires ? Toutefois, en l'état du
rcnouvcllcment du ciuquiernc, il n'y avait pas de danger actuel et
immincnt, les journaux uiiuistéricls s'cfforcaient de le démon-




354 HISTOIRE DE J.A RESTAURATION.
trer. Ils attribuaient l'effervescence électorale au principe , au
jeu naturel du gouvernement représentatif. Ils le comparaicnt ~l
ce qui sepassaiten Angleterre dans les mémescirconstances, rap-
pelant cette lutte de couleurs et de partís qui s'agitent sur Il'S
hustings. Ils cherchaient ainsi a rafferrnir la eour el ase ras-
surer eux-mémes; mais n'était-il pas évident qu'unc fois la li-
berté de la prcsse complétemcnt accordée , toute la forced'opi-
nion allait passer dans le camp libéral , et alors le danger , tant
rcdouté par les Royalistes, ne devcnait-il pas réel , menacant
des que la majorité aurait été obtenue par I'cxtréme ganche?
1\1. de Richelieu , eneore au congres d'Aix-la-Chapelle , s'était
déjá profondément alarmé du résult~t des ólections et de l'écueil
que la loi de 1817 réservait a la monarehie ; j'ai lu sa corrcspon-
dance. Tout y décele l'inquiétude qu'il éprouve de l'éloigne-
ment des candidats de la droitc, .l\I. de Hichelicu, Iui-méme
royaliste dévoué, n'était pas al'aise devaut l'idée d'uno majoritó
d'extréme gauchc, « Je vois avec peine, écrivait-il, que la loi<1('
1817 éloigne successivcment tous les Royalistes de la Chambrc.
Vous avcz heau me raílcrmir et me promeure que la Chambre
sera honne ; je tremhlc que nous n'allions trop d'un cfJ1{~; ;1
tout prendre , j'aime mieux l'exaltation royalisLe que le jacohi-
nisme; au nom dn riel, examinoz cetro situation. Chcrchez-v
nn remede... Je vois arrivcr avcc tcrreur, écrivait-il encorc, les
hommes des Ccnt-Jours ; ils ont tant gftté notro position en El1-'
r()pc.l~vitons les révolutions, )) Faut-il s'étonuer si:\1. de Iii-
chclieu, noble ct loyal gentilhornmc , hon Francais surtout, S'({-
Irayait de voir entrer dans la Chamhre des honunes qui rlans J(IS
Ccut-Jours avaient vouln éloigner les Bourhons a tout prix , et
armé l'Europe eontre la France !


On s'agitait a Paris dans les élections , et les spéculateurs
attendaient avee une grande impatience le résultat du cougri»
d' Aix-la-ChapeIlc pour opérer ala Bourse. Comme il arrive tou-
jours , ils avaient exploité la nouvelle tant de. fois, ils avaicnt si
souvent joué en hausse au hruit de l'óvar.uatinn du tcrritoirc,
que, lorsque cette nouvelle arriva oflectivement, elle ne produi-




CHAPITTIE xtv. 355
sil d'ahord qu'un Iaihle mouvcmcnt, suivi hicntót aprñs de cata-
strophcs. Une des conséqueuces du traite dp subsides qui avaicnt
accompagné la délivrauc« du tcrritoire avait (~t{~ de jeter sur la
place une énorme quantité de rentes et de valeurs excédaut la
masse des capitaux disponibles. Le jcu s'était cngag« avec Iré-
nésie, et la rente, mémc aprñs l' échéance du semestre de sep-
tcmbrc, s'était encere élevée a 7:5 francs. Pour soutenir ce mou-
vcmcnt ascendant, le Trésor, la Banque, habitucllerneut si sages,
s'étaicnt livrés ades opératious sur report; 1\1. de Corvetto, afin
d'utiliser t¡ 1 millions stagnants dans les eaisses, les avait jetés
sur la Bourse a un intérét de 7 a 8 pour 100. Un Hollaudais ,
nommé Borinbrock , avait étahli avec des maisons de banque
des effcts de cireulation sur dépót de rente, qui avaient été
cscomptés par la Banque jusqu'a coucurrcnce de '27 millions.
\ la fin , la Banque rcsserra ses escomptes ; elle craignait de
voir entamcr sa réserve ; el une catastrophc se prépara. V~
résultat de cette situation de la Bourse fut un encouibrement.
«t , pour me servir du tenne tcchnique , un cugorgemcnt tcl
qlle la rente ne put se soutenir malgré tous les cflorts du Gou-
vernemont. A la Iiquidation ele la fin d'octohre , elle éprouva
une baisse qui se prolongca tout le mois de novcmhre. Les
alliés , press(;s par le hcsoin d'argcut , avaicnt accepté en paic-
ment , uon-sculcmr-nt les Iettres de change tirécs par le Trésor ele
Frunce sur les maisons Hoppc el Baring, mais encere ils cher-
chaieut aréaliscr, par l'entremiso de ces maisons, les 100 millions
de valcureílcctivc payahlcs en inscriptions de rente. Des les der-
niers jours du mois d'octohre, plusieurs symptómes dont iI était
impossihle de se dissimulcr l'importanco avcrtirent le Gouvcr-
lH'IllPllt francais (lue, malgré l'étcnduc des ressources que les
banquiers chargés de lrur paiemcnt avaient aleur disposition, il
srrait difficile de réaliscr ces paiemcnts dans les délais stipulés
-ans exposel' dircctcmcut la circulation de Paris ct de la Franco,
el indircctcmcnt cclle de toute l'Europe cotnmcrcante ; les char-
~('s pócuuiaires imposécs par le traité du '20 uovemlire avaicnt
(.L(~ acquittées en grande partie par des reviremcnts de eOI11-




msronu: DE LA TIEST¡\CnATfO.\.


merco qui, dans ¡'('Ial pcrfcctionué des conununications récipro-
fines, rcmplaceut le numéraire cífcctif ; cepcndant, une qnalllih"
cflcctivc de ce numéraire avait ü{~ employéc ü solder la balance
de la Franco. En outre, plusieurs Étatsdc l'Europc travaillaieut
<1101'S ü suhstituer les valeurs métalliques au papier, qui , jns-
qu'alors , en avait rempli les Ionctions ; les mesures adoptécs
dans ce but avaient exigé une forte importation de numéraire ,
au dérriment de celui de la France; la Banque de France en
avait éprouvé les premiers cffets. La masse de ses capitaux, na-
guere trop forte , méme pour ses besoins, avait été successiv e-
ment entamée, au point que la prudence lui commandait de
restreindre l'émission de ses hillcts. Cctte gene fut si grande qne
le prix des seulcs rentes, depuis longtemps émises , ne put pas
méme se soutenir ;Ia haisse fut dr prcs de 10 francs ; puis, un
concours de circonstances sccondaircs , el I'cmprcsscmcntirré-
Iléchí des porteurs d'inscriptions ü se dófaire de celles qu'ils
possédaient , nífaiblircnt l'cflicacité de toutcs les mesures prises
par le Gouvernement. l..e contrc-coup de la gene de Paris s'était
fait sentir sur toutes les places de l'Europe : cal' e'cut (·t(· une
illusion de croire qu'a proportion que le numéraire en circula-
tion diminuait en France , il allait ahonder dans les aurrcs pays;
la totalitó des opérations du monde civilisé 'sefait avec une sonnn«
comparativemcnt trcs-pctite d'argent mnnnayé : ce qui détr-r-
mine la rareté on l'abondanco du nnmérairc est hcaucoup moin-
sa quantité absolue que le degr(~ de facilité et de rapidité <111
mouvcment qui le fait circulcr. Dans cctte situation diffiril«,
1\1. de Itichclicu , d'apres l'avis de :\JJI. Bnring et llopp«, tí:
une ouverture aux ministres des nutres COl1rS réunis ;1 ;\ ix-la-
CIl:l;)f'1le, et leur proposa de prolonger ;1 dix-huit mois les ter-
lIH'S d{' paiement Iixés h ncuf 1II0is par la couvcntion du 9 ocro-
hrc. Plusionrs conférenccs cnront licu á Aix-Ia-Chapello les R {'l
9 uovcmhre , {'J)()(]Il(' oú la dépréciatiou des fonds puhlics SI' lit
plus profondémcnt sentir. ". (!e"ellc'rJIieh proposa 1111(' n~.~()­
lution parfaircment n\ligéc ct qni atleignait le bnt qn'on s'{'tait
proposé. Il y était dit « quc les inodiíications proposécs n'alté-




CHAPITRE XI'\". 357
raient en rien ni la nature , ni la solidité des engagements
primitifs , ni celles des garanücs sur lesquelles reposaient en
derniere analyse toutes les stipulations pécuniaircs de'la con-
vention du 9 octobre ; que ces modifications ne pouvaient aífec-
ter en aucune maniere la confiancc que les Puissances avaícnt
accordéc aux parties contractantes , attendu que ces maisons
étaicnt déclarées prétcs ;1 remplir lcurs engagcments primitifs,
si les Puissances le j ugeaient convenable. tes propositions de
I\l. de JIetternich furent discutées et admises séance tenante
le' '11 novernbrc par lord Castlercagh, le prince de Hardenherg,
1('S comtes de Bernstorff, Nessrlrode ct Capo d'Istria ; la résolu-
tion fut dépéchéo ;1 París par un courrier cxtraordiuairc. Elle
n'arréta pas la baisse immédiatemcnt. L'Europc n'en pouvait
plus, surchargéc de sa dettc , et la Prusse surtout , qui, pressée
d'argent , avaitnégocié toutcs ses valeurs et les avait jetóes sur
la place de Paris, Cette eatastrophe atteignit nou-seulement la
Bourse , mais elle toucha fortement la Banque de Paris , OÚ
éclatcrcnt plusieurs faillites de maisons puissantes, Le Gouverne-
meut cherchait ;\ rassurer les esprits en publiant : «Que la erise
actuelle ne pouvait s'cxpliquer par aucun événemcnt intérieur et
cxtérieur; que la paix et l'orrlrc éraicnt partout rétahlis ; le Gou-
verncmcnt marchait dans les voies Iarges ct véritablement con-
stitutiounclles ; le tcrritoire allait etre délivré. Qui pouvait done
cxciter tant de craintes? » A C('S parolcs , le Gouvernement joi-
gnait les actes ; jamáis le Trésor ne suspendit ses paiements; la
caisse de servicc pay.a avec une cntierc régularité tous ses enga-
gements. Une convention avcc la Banque lui délégua le paie-
mcnt du semestre de la dctte publique; le Trésor lui céda des
traites sur les recevcurs-géuéraux; tous les fonds furent em-
ployés: la Caisse d'amortissernent agitdans toute sa Iatitude ; elle
porta tous ses revenus , tous ses 'moyens en fonds de dépóts et
consignations. Qu'on se rcpréscnte en cífet la sonune de rentes
émises dans l'espace de deux années , les obligations du Trésor,
et l'on se dira si la Ilcstauration ne fit pas alors des miracles de
confiance! Tant d'eííorts, tant de travaux multipliés trahircnt '




358 HISTOIRE DE LA. RESTAURATION.
enfin le zele de 1\1. de Corvctto; les embarras fiuancicrs avaicnt
aussi contribué aaltérer sa santé, Il était dcpuis longtemps souf-
frant. r1 parla a l\I. de Ilichelieu de donner sa démission : le
poids des affaires devenant trop difficile, trop péniblc pour ses
forces ! L'approche des Chamhres faisait une grande affaire de
cette démission. Qui al1ait-on choisir pour le ministere si diffi-
cile des finanees, au momeut oú ce systcmo était si dangereu-
sement a1téré? Le duc de Lévi fit quclques démarches pour rem-
placer l\I. de Corvetto. Homme d'esprit, sans doutc, lU. de Lévi
pouvait-il répondre aux besoins de la place et rétahlir la COII-
íiance éhranléc ? La Chamhre des Députés l'aurait vu avcc d(>-
plaisir. Le noble duc n'était parfaitemcnt sympathiquc a aUCUlH'
des opinions de la majorité. On avait SOllg(~ ;\ ¡'lo l\Jollien, puis
on parla a~I. de ltichelien de ~I. Hoy. e(" choix convcnait sons
plusieurs rapports. D'abord , i\1. Hoy était une des grandes for-
tunes et un des plus forts capitalistcs. En le placant ;\ la tete des
aífaircs de finances, il commandait la eonfiance et appelait le
crédit publico Ensuite, connne homme parlementaire , 1'1. Hoy
avait été deux fois rapporteur du hudget , et la Chambro avai t
remarqué dans ses rapports une clarté un ordre, ct surtout un
hesoin d'économie , qu'on devait aimer dans un ministre des
flnances, On pouvait rcprocher ;\ I\I. Hoy, el j'entends ;\ la cour
et aupres de Louis XVIII, d'avoir fait partir de la Chamhrc des
Ileprésentants pendant les Cent-Jours. C'était un pas immense
vcrs l'oubli des opinions, ce que le partí royaliste n'admcttait
pas facilement, I\1. de Ilichelien fit tairc ses préjugés person-
nels , et une ordonnance appela M. Roy au départemcnt des
finances en remplacement de i\1. de Corvetto qui voyagea dans le
ñlidi. La retraitc de M. de Corvetto excita les regrcrs de tous ICf;
partis. C'était un homme de prohité , d'honncur et de ménage-
ments. JUinistre, il avait rendu de granas serviros. Toutes les
théories du crédit puhlic avaient été défendues par lui et déve-
loppées avec une grande autorité d'exemple et de príncipes.
JU. Roy qui le remplacait possédaitun talent distingue d'exposition
et d'analyse , peut-étre n'avait-il pas assez de eonfiance dans le




CHAPITRE XI\'. 359
crédit et dans ses chances un peu hasardeuses; les finances d'un
grand État différent des revenus d'un particulier; tous les défi-
cits ne sont pas des catastrophes; ils ne sonnent point l'alarme
comme une menace de hanqueroute; cela tenait dans M. Roy
aux habitudes de sa vie, a sa fortune si hien réglée, et acquise
par une haute persévérance et une régularité remarquable. Sa
parole n'était pas élevée, mais ferme et précise; dans les rela-
tions administratives , sec et tranchant, il n'avait rien de cet
ahandon qui saisit les hommes, Par ses opinions, 1\1. Roy
appartenait au centre gauche avec une couleur positive et d'af-
faircs ; plus tard , il passa au centre droit par conviction; il
conquit l'estime et I'amitié de 1\1. de Richelieu, hien que son
premier ministere n'eüt duré que quelqucs jours.


Ce ministere tout entier n'allait-il pas Iui-méme subir une
grande crise? En présence des élections de 1818 et des opi-
nions qui avaient triomphé dans cette épreuve, il était impor-
tant que le ministere présentát une unité parfaite, une puissance
compacte de sentiment, une mérne pensée poliLique; malheu-
reusement iIn'en fut rien, et des l'arrivée de lU. de Richelieu
aParis , des dissensions sérieuses naquirent au sein du Conseil
des ministres et amenerent sa dissolution, L'opinion personnelle
de 1\1. de Richelieu, des ce moment entouré par les Royalistes ,
était que le Gouvernement devait se rapprocher un peu de la
droite pour empécher la 1\Ionarchie d'aller dans l'abime. Les
étrangers de distinction qui entouraient le Roi, le comte de
Goltz , le baron de Vincent, pensaient que ce rapprochement
était le seul moyen d'éviter une crise politiqueo Le duc de
Wellington en avait parlé au roi Louis XVIII ason retour d'Aix-
la-Chapelle, Illui di! : « Votre l\lajesté doit se rapprocher des
Iloyalistes , mais que ce soit purement et simplement , sans con-
dition de leur part. )) Le duc de Richelieu, arrivé a Paris le
25 novemhre, s'était déja exprime sur la nécessité d'une mo-
dification dans le systeme miuistériel , et j'ai parlé de sa COI'-
respondance au congres d' Aix-la-Chapelle. Une autre difficulté
surgissait égalemcnt de I'iudispeusablesuppression du ministere




360 I1ISTOIRE DE LA RESTAURATIüN.
de la police; ce ministere avait été vivement atraqué par tous
les cótés de la Chambre; la droite par hainc de 1\'1. Decazes , la
gauche pour s'éviter la surveillance d'une haute police, el tous
les partis également pour cmbarrasscr la marche de l'adminis-.
tration. Dans cette situation, M. Decazes proposa lui-méme la
suppression de son ministere , et par conséquent sa retraite du
Couseil. Cette démarche était-elle bien désintéressée ? l\I. De-
cazes avait-il réellement intention de se retirer des affaires , on
n'avait-illa pensée que d'essayer son crédit '? Tous ses collegues
se souleverent centre sa résolution; tous penserent qu'on ne
pouvait se passer de 1\1. Decazes, et que possédant d'une ma-
niere absolue la confiance du Roi, il était et devait étre l'inter-
médiaire indispensable entre la Couronne et son Conseil. Un
premier arrangement fut essayé; 1\1. l\Iolé se chargea de propo-
ser a 1\1. Lainé de céder le portefeuille de l'intérieur a M. De-
cazes; 1\1. Lainé devait prendre les sceaux; Louis XVIII accep-
tait la démission de 1\1. Pasquier que 1\1. Decazes voulait créer
ministre de la maison du Roi; l\I. Pasquier consentit a tout,
mais J\I. Lainé se refusa obstiuément a prendre les sceaux ; il
oífrit sa démission d'une maniere absolue : je ne pensepasqu'il
y eüt dans cette résolution la plus petíte arriere-pensée. lU. Lainé
n'était point homme aacconnuodeurent comme l\l. Pasquier ; il
crut voir une disgráce daus la proposition qui lui était faite. La
démission de 1\1. Lainé ne fut point acceptée ; le duc de Biche-
lieu déclara formellement que si ce collegue se retirait du Con-
seil , il donnerait également sa démission; la partie paraissait
parfaitement Iiée entre trois ministres, MM. de Ilichelicu, Lainé
et Molé. En cette position des aílaires , il fut résolu que le Con-
seil resterait composé comme il I'était , sans aucun changement.
Pendant ce temps 1\1. de Richelieu, al'insu du Iloi et de 1\1. De-
cazes, essayait d'autres combinaisons de majorité; il tentait le
rapprochement du centre droit ministéricl et de la droitc, rap-
prochement qui devait et pouvait donner une majorité compacte.
Le Roi ignorait absolument ces démarches , et il écrivait quel-
ques mois plus tard : « Je me Ilattais que de retour ici le duc




CHAPITRE XIV. 361
/}f} }}j¡;}}[~jell ~ en se serrsm de plu5 el} plus' ¿) ses co}}egues,
chercherait un remede au mal produit par la Jl1incrve.. et, soit
dit en passant, par le Conseruueur ; je me trompáis '. » Ces
mouvements ministéricls avaient retardé la session; l'ouverture
en fut remiso du 30 novernbre au 10 déeembre. L'afTaire se
suivait aux Pairs par lé marquis de Vérae et par la réunion car-
dinaliste du marquis de Beausset; aux Députés, oú la fusion
était plus difficile, elle se teutait par 1\1. Lainé et 1\1. Ravez; le
hut proposé était toujours le changement de la loi des élections,
Plusieurs eonférences s'engagerent soit avec 1\1. de Riehelieu,
soit avcc 1\1. 1\101é, soit avec 1\1. de Villele ; les Royalistes pro-
mirent appui loyal et désintéressé, pourvu que le ministere mo-
diliát la loi éleetorale. Il fut arrété qu'on constaterait dans des
scrutins préparatoires si la majorité appartenait aux centres et a
l' extreme droite réunis, 1\1. de villelc répondit de son parti, et
déclara que s'il y avait quelques Ious d'extréme droite , ils n'au-
raient aueune iníluence sur les votesde la majorité, Jusqu'alors,
je le répete , le Iloi n'avait été informé d'aucun de ces mouve-
ments parlementaires qui se préparaient dans les deux Cham-
hres; la premierc indication lui en fut donnée par lU. le Chan-
eclier; la scssion devait étre si importante et si décisive, qu'un
peu avant qu'ellc füt ouvertc , on s'était occupé dans la Cham-
bre des Pairs d'arrétcr la nomination des secrétaires , exprés-
sion des opinions de la majorité. JI était dans les habitudes du
Cháteau~que le Chancelier vint portcr au Iloi la liste des candi-
dats que les diverses'réunions de la Chambre appelaient au se-
crétariat. ]U. Dambray dit a Sa Majcsté les noms de ceux de
ces candidats portés par la fraction ministérielle ; mais il ajouta
qu'il n'était pas sür que ceux-la passassent, attendu qu'il s'était
formé une .contrc - réunion , laquelle en porterait d'autres,
Louis XVIII crut qu'il s'agissait de la réunion des Lltra-Hoya-
listes; il ne demanda pas de nouvellcs explicatious : cal' le Roi
n'ignorait pas que les pairs ultra contrarient la marche de son


f l\Iémoire écrit de la maln de Louís XVIII.
n. 31




362 HISTOIRE DE LA RESTAURATI01\'.
ministére ; il fut tiré de cette erreur par le marquis de Dreux-
Brézé. Le grand-maitre des cérémonies lui annonca qu'il s'était
en effet formé, d'aprés une idée de lU. le duc de Doudeauvillc ,
une autre fusion de membres ministériels pour opérer une réu-
nion avec le coté droit. lU. de Brézé montra au Iloi les listes
qui avaient été arrétées ; elles portaient, pour le secrétariat, le
duc de Doudeauville , le marquis de Vérac, le maréchal Victor
et 1\1. Dubouchage. En tete de la commission qu'on désignait
pour l'adresse, se trouvaient le marquis de Talaru et le vicomtc
de Montmorency. Louis XVIII ne put .plus douter qu'il ne
s'agit d'une fusion entre le coté droit et le centre droit. ({ En
lisant ces noms , le Iloi reprocha vivement a1\1. de Brézé d'étre
d'une associatíon qui ferait de pareils choix, et lui cita ce vers
d'Athalie:


Bcmpez, rornpez tout pacte avcc l'lmplété.


Le Roi était fort animé l. 1\1. de Brézé se défendít en nom-
mant des gens fort honnétcs, quoique un peu faibles , qui fai-
saient partie de l'association ; enfin il avoua qu'elle se tenait
chez le cardinal de Beausset. Cette circonstance lui révéla par
quelles mains cette affaire était conduite; l'amitié qui Iiait 1\1. de
Richelieu a M. de Beausset ne pcnnettait pas de croire que
celui-ci eüt agi seul, Le cardinal avait trop d'esprit , et il était
trop lié avecle duc de Hichelieupour avoir pris une aussi grande
mesure sansson aveu. Le Roi ne dit rien ason Conseil des rcn-
seignements qu'il avait recueillis; les ministres se réunireut
pour discuter le discours de la Couronne, et la meillcure har-
monie paraissait réguer. Ce discours était rédigé de maniere a
laisser possibles toutes les nouvelles combinaisous rninistérielles,
Il fut discuté plusieurs jours en couseil. La premiere partie qui
parlait de la délivrance du territoire n'offrait a la discussion
aucun sujet possible. C'étaient des phrases d'enthousiasrne pa-
triotique pour la fin de l'occupation. S'cxpliquerait-on sur la


1 Mémoire écrit de la main de Louis XVIlI.




CHAPITRE XIV. 363
loi des élections ? indiquerait-on par une phrase un change-
ment dans cette loi fondamentale? resterait-on dans le vague
de maniere a pouvoir passer d'un systeme a un autre? Dans la
situation d'incertitude du Cabinet on préféra ce dernier partí,
En résultat , apeine quelques changements furent-ils proposés;
M. de Richelieu se préta avec la meilleure gráce du monde aux
modifications que lui proposait M. Decazes. « Le cceur du Roi
avait tressailli en siguant le traité de délivrance , disait le (lis-
cours de la Couronne ; la déclaration des cinq Puissances faisait
asscz connaitre l'amitié qui régnait entre les souverains et per-
mcttait de fixer les regards sur de longs jours de paix qu'une
tellc alliance promettait ala Franco. Le Roi aunoncait son sacre :
eu recevant l'onction royale , il prendrait a témoiu le Dieu de
Clovis , de Charlemagnc et de Saint-Louis ; il rcnouvellcrait sur
les autels le serment d'affermir les institutions fondées par la
Charte ». Le Roi ajoutait : « En secondant mes HI'UX et mes
eílorts , vous n'oublierez pas que cette Charte , en délivrant la
France du despotisme, a mis un terme aux révolutions, Je
compre sur votre concours pour repousser ces príncipes perni-
cieux qui , sous le masque de la liberté, attaqueut l'ordre social,
conduisent par I'anarchie au pouvoir absolu , et dont le funeste
succes a coüté au monde tant de sang el tant de larmes. L'in-
dustrie ct les arts érendant aussi leur empirc , ajouteront aux
douceurs de la paix générale. A l'indépcndance de la patrie, a
la liberté publique se joiut la liberté privée que la France n'a
jamáis goütée si entiere, Unissons done nos sentiments et nos
accents de reconnaissance envers I'auteur de tant de hiens , et
sachons les rendre durables. » Ce discours promettait done tout
a la fois un systemo Iibéral et un systeme de répression. Les
phrases un peu obscures oú la royauté se présentait comme la
conservatrice de l'ordrc , comme la protectrice de l' organisation
sociale , cet appel au concours des Chambres dans l'intérét de
I'État, tout cela annoncait pour la session une marche au moins
nouvelle ; on ne s'éloignait plus aussi complétement des pensées
de la droite. Les ministres se réunirent en conseil le samedi




36h HISTüIRE DE LA RESTAURATlON.
12 décembre pour délibérer sur la conduite du Cabinet pen-
dant la session ; lU. Pasquier prit le premier la parole; il pei-
gnit avec clarté la gravité de la situatiou et la nécessité d'y
porter remede; rnais il n'indiqua aueun moyen et se tint dans le
vague. lU. Roy parla dans le méme sens que lU. Pasquier, mais
sans se prononeer davantagc, le maréchal Gouvion et le comte
Decazes ne partagerent pas toutes les eraintes de leurs collegues ;
ils chercherent a les eonvaincre de la possibilité de marcher
dans la méme ligne politiqueo 1\1 de Ilichelieu n'exprima que


. le vague désir de chercher une majorité dans le centre droit et
la droite , 'ce qui était l'opinion de 1\1. Lainé. l\I. lUolé ne parut
occnpé que de l~ nécessité de conserver 1\1. de Richelieu aux
aífaires. JI n 'y cut done aucune majorité prononcée dans le
Conseil ; on crut cependant la matierc assez bien éclaircie pour
la soumettre au Roi dans le conseil du mercrcdi,


Dans cet intervalle, les Chambres avaient formé leurs bu-
reaux; celui de la Chambre haute avait été composé d'avance
des pairs dont lU. de Brézé avait parlé au Roi; on substitua
1\1.. de Pastoret a lU. Dubouchage, par égard pour la Couronne,
attendu que 1\1. Duhouchage avait été ministre, et qu'il pouvait
n'étrc pas agréable au Roi de le voir souvcnt aux Tuilcries, tes
mencurs de la Chamhre des Pairs demanderent a,lU. de Hiche-
lieu de quels noms il voulait composer la commission de l'adresse.
n répondit avec vivacité : « Eh bien! d'hommes raisonnables »;
et la majorité porta des cardinalistes : le marquis de Talaru, le
vicomte de lUontlllorency, de Fontanes, Pastoret et de Ilosambo;
le Roi fut blessé de ces choix; les ministériels euX-mt1111CS se
rcfuserent a porter 1\1. de Fontancs; le .Roi dit a l'ordre : « En
rigueur de príncipes , les ministériels ont raison, paree que
lU. de Fontanes s'est éloigné d'eux ; mais je crois que, dans la
circonstance, ils ont eu tort, 1°. paree que l\l. de Fontanes a
pour la rédaction d'une adresse un talcnt dont personne n'ap-
proche; 2°. paree qu'il aurait été sensible a cette tolérance ;
\)arc,e qu' enfm. le\:'> \\\llllstérleh "'Utalen\. "\?u se. vantcr d.' avoir con-
trihué au choix d'un des memhres de la commission, » Ces




CHAPITRE XIV. 365
mouvements parlementaires signalaient dans la Chambre des
Pairs une tendance contre le systeme libéral ; lU. de Richelieu,
cntouré par les Royalistes, ne voyait plus que rarement lU. De-
cazes; Louis XVIII craignait la séparation des deux ministres;
preparé ala retraite de ]\1. Decazes, dont il sentait tres-bien
que le ministere de la police ne pouvait subsister, sa royale ami-
tié lui faisait au moins souhaiter qu'il quittát la place avec les
honneurs de la guerreo Le Hoi, malade, écrivait aune dame de
son intimité : « M'est-il permis de parler de l'état de ma santé ,
non pour étre plaint, mais pour servir d'excuse aux fautes que
jc puis avoir commises dans des conjonctures aussi difficiles.
Le '12 je sentis une atteinte de goutte; elle fut légére pendant
trois jours ; je crus que ce ne serait rien, mais le '15 au soir les
douleurs devinrent tres-vives, et ici cornmenca l'invasion que
jc vais décrire en peu de mots. Grande souffrance, pas de som-
meil, point d'appétit , de la fievre , et prostration des forces
morales et physiques; telle a été ma position pendant plus de
huit jours. »


La formation des bureaux a la Chambre des Députés donna
un résultat inccrtain ; partout les centres triomphérent , j'en ex-
repte le ucuviemc bureau dont J\I. de Yillele obtint la présidence:
jusqu'ici aucun engagement n'était done pris ; on attendait. Les
opérations pour la présidence prouverent l'alliance du centre ct
de la droite. Le premier tour de scrutin donna 97 voix a]\1. Ila-
vez et 93 a 1\1. de Serres, qui furcnt seuls proclaméscandidats.
:\Ul. Planelli de Lavalette , le contre-amiral Dumanoir, tous
deux du centre droit, obtinrent chacun 80 voix; JU. Camille-
J ordan, exprcssíon des doctrinaires, 64 voix; le prince de Bro-
glie, 47 voix : Dupont-de-l'Eure , 40 voix. Au second tour de
scrutin , le comte d'Augier cut 90 voix; le comte Dupont,
101 voix : Planelli de Lavalcttc, 91 voix. Toutes les forces fu-
rcut id bien constatées. JI était rcconnu que le centre droit et
la droite unis ensemble formaient la majorité, Les doctrinaires
n'avaient eu que 6ft voix et l'extreme gauche 40. Il Yavait done




366 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
deux lignes tracées pour le ministére : ou se jeter dans les bras
de la droite , unie au centre droit; ou bien se lier aux doctri-
naires, votant avec les centres, de maniere an'avoir plus centre
soi que la double extrémité de droite et de gauche, Apres ce
premier résultat obtenu, lU. de Ilichelíeu crut qu'il pouvaitse
rapprocher de lU. Decazes; iI parut tout acoup ala soirée du
mercredi au ministére de la police ; cette réconciliation subite
surprit tous ceux qui avaient maneeuvré dans le sens d'une sépa-
ratíon. l\lais elle ne fut pas d'une longue durée; la division se
manifesta d'une maniere plus impérieuse encoré, Le Roi avaít
renvoyé le conseil du mercredi au jeudi, paree que plusieurs
des ministres, membres de la Chamhre des Députés, étaient
obligés d'assister a la nomination des candidats ala présidence.
Dans ce conseil, 1\1. Pasquier parla le prernier, comme il avaitfait
chez M. de Ilichelieu, fort disertement et sansrien conclure; le
maréchal Gouvion fut d'avis de ne ricn changer, de ne pas méme
essayer de modifier la loi des élections; l\I. Molé déclara qu'il ne
croyait pas possihle de rester dans la situation présente ; il n'es-
pérait pas le suecos d'un systéme dans lequel tous les ministres
n'auraient pas une conviction commune. La pensée intime de
1\1. ñlolé était que la difficulté reposait purement dans les hom-
mes. Le combat lui paraissait engagé entre l\J. Decazes el


.IH. Lainé cntralnant le duc de Ilichelieu. :\1. Lainé pensa qu'il
fallait plantel' le drapean ministériel et tendré la main adroite et ¡.
gauche. l\I. Hoy parla apcu pres dans le méme sens; l\I. Decazes
développa le dangel' qu'il y avait a essayer de changer la loi
d'élections , et conclut a rester fermes dans la ligne. te duc de
Hiehelieu parla le dernier ; il fut Iacilc de voir qu'il incliuait vers
l'avis de M. Molé, mais il ne conclut pas davantage que le gardc
des sceaux et 1\1. Roy; enfin Louis XVIII prit la parole , ct
se saisissant de l'idée de M. Lainé, il dit : ( Plantons notre dra-
peau sur l'ordonnance du 5 septembre; continuons ¡¡ suivre la
ligne qui nous a réussi jnsqu'a présent; tendons toujours la
main a droite comme agaucho, et disons comme César: Celui




t:HAPITRE XIY. 367
qui n'est pas contre moi est avec moi. » Ainsi se termina ce
conseil , et le Roi crut que toute dissension dans le ministere
alIait cesser; la suite fera voir combien il se, faisait illusion.


te 16, une ordonnance du Roi nomma'M. Ravez a la prési-
dence ; les Royalistes crurent tenir la victoire; cal' c'était l'ex-
pression de l'arrangement conclu; mais les amis de M. Decazes
manmuvrerent le lendemain de maniere ace que le choix des
hureaux constatát que la majorité n'avait pas clrangé d'esprit,
tes Iloyalistes n'obtinrent, parmi les vice-présidents, qUB M-.Blan-
quart de Bailleul; l\l. de Saint-Aulaire fut désigné comme un
des secrétaires de la Chambre; les amisdu duc de Richelieu s'en
plaignirent amérement ; ils accuserent lU. Decazes d'avoir été
l'ñme de cette combinaison, qui détruisait leplan ministériel pour
la session suivante. Le Roi vit bien que la séparation était irré-
vocable, Le Iundi au matin , M. Mojé vint chez lU: Lainé lui
annoncer que la chose ne pouvaitainsi aller avec 1\1. Decazes, et
qu'il était dans l'intention irrévocahle de donner sa démission;
,,1. Laiué dit que c'était également son sentiment. Tous deux
porterent leur démission chez le duc de Richelieu qui partagea
lcur avis et écrivit la sienne; un billet et une visite de 1\1. ñlolé
¿l 31. Pasquíer lui apprirent la résolution de ses trois collegucs,
tes démissions Iurent remisos au Cháteau par lU. lUoJé; elles
étaient ainsi concues : « Sire , e'est avee un extreme regret, mais
avcc une détermination irrévocable , que je prie Votre Majesté
d'agréer la démission du posteque j 'oceupe et que je viensmettro
~l vos pieds, La eonvietion intime OÚ je suis de ne pouvoir plus
t~lJ'C d'aucune utilitó 11 votre service, Sire , ni au bien du pays,
me determine 11 cette démarche, J'espcre que Votre lUajesLé
voudra bien me dire 11 qui je dois rernettre le portefeuille des
aflaires étrangi1res.Les cireonstanees dans lesquellcs je l'ai
accepté, et tout ce qui s'est passédepuisplusde trois ans, doivent
promer 11. Votre 1\Iajesté que si je la suppliede me permcttre de
me rctirer aujourd'hui , ee n'est Iaute ni de dévouement ni de
courage. RICHELlEU. » « Sire , la situation de ministére ne me
laissant aucun espoir d'étre utile II Votre Majesté, et de justifier




368 HISTüIRE DE LA llESTAURATION.
sa confiance en continant a la servir, je víens la prier de re ....
cevoir 111a démission et la supplie de me fáire connaltre aqui il
lui plait que le portefeuille de la marine soit remiso l\lOLt. ))
« Sire , je supplie Votre ñlajesté d'agréer ma démission , et de
me faire indiquer a qui je dois remettrc le portefeuille de l'inté-
rieur. Permettez-moi, Sire , de vous demander la gráce de me
laisser rentrer tout a fait dans la vie privée ; comme député,
j'essaierai de servir mon Itoi et mon pays de tout mon dévoue-
ment, LAINÉ. )) « Sire , j'apprends que JU. le due de Richelieu
a eru devoir offrir sadémissionau Roi; si Votre Majesté se déter-
minait al'aeeepter, je la supplie de permettre que je mette aussi
la mienne a ses pieds; je sens trop que dans de telles cireon-
stanees ma présenee dans les affaires serait plus nuisihle qu'utile
au service du Iloi, Sa LUajesté connait mon dévouemcnt sans
hornes; si je perds le bonheur de la servir comme ministre, il
me restera au moins la eonsolation de manifester en toute occa-
sion, eomme dépuié , les sentiments et les principes qui ne eesse-
ront d'étro au fond de mon cceur. PASQUTEH. » « Sire , une lettre
de M. le comte LUolé a .iU. le haron Pasquier m'apprend que
LU. le duc de Bichelieu a prié Votre Majestó d'agréer sa démis-
sion. Cette détermination , si ellepouvait étre irrévocable et avoir
l'assentiment du Roi, me forcerait amettre ases pieds le porte-
feuille qu'il a bien voulu me confler depuis trois ans. Rien au
monde ne pourrait m'engager a rester un instant au ministere
aprés .iU. le duc de Richelieu. Votre lUajesté, qui connalt ma
résolution acet égard , a bien voulu souvent l'approuver; je le
dois d'autant plus, que la divergence d'opinion sur quclqucs
points , ou plutót sur un seul point, entre les ministres, et partí-
culieremcnt entre 1\1. de Richelieu et moi, a seule pu causer
cette détermiuation. Des I'instant que ccttc divergence acom-
meneéaparaitre , j'ai manifesté au Iloi et a 3f. le duc de Riche-
lieu l'intention de me retircr , je dois l'cxécuter aujonrd'hui ct
ne pas priver le Iloi du service de LU. le duc de Richclieu. Bien
sur que Votre ñlajestó est certaine, et aussi 1\1. le duc de Ri-
chelieu lui-méme , que tous les deux me trouveront toujours




CHAPITRE XIV. 369
prét , hors du ministere comme au dedans, a faire tout ce qui
sera utile au service de Votre lHajesté et au succes de son Gou-
vernement , auquel j'appartiendrai toujours de vceux et d'inten-
tion , comme j'appartiendrai de cceur et d'áme ~l Votre lHajesté,
tant que j'aurai une goutte de sang dans les veincs. DECAZES. »
1..e Roi fut péniblement étonné en recevant ces démissions, Il
n'avait plus de ministére ; quoiqu'il s'attendlt bien üune rupture
prochaine , il ne la croyait ni aussi complete, ni aussi décisíve;
il écrivit sur-Ie-charnp un billet ~l lH. de Richelieu : illui mandait
que dans le trouble OÚ le jetait la démarche inopinée du prési-
dent du Conseil, il était impossihle de lui Iaire une réponse pré-
cise ; le Roi désirait le revoir avant qu'il prit un parti définitif.
M. de Richelieu vint au Cháteau dans I'apres-rnidi du mardi.
Louis XVIII no lui dissimula rien de la peine qu'il ressentait, et
ille pria de considérer, qu'outre son chagrin de se séparer de
lui , il se voyait réduit a la triste nécessité d'avoir recours au
prince de Talloyrand, Le duc de Richelieu écouta le Roi avec
l'air aussi affiigé que lui; on se separa sans rien conclure. Le
lcndemain , le duc de Itichelieu , qui s'était concerté avcc
J)UI. Molé, de Vérac et Yillelc , écrivit ü LouisXVIII qu'il ne
pouvait imaginer dans quellc pénihle situation l'avait laissé l'en-
trctien d'hier , et tout ce qu'il avait soufferten voyant le chagrin
qu'il causait au Iloi ; il connaissait trop bien son insuffisance
dans des circonstancesaussi difficiles , et pour un genre d'affaircs
auxquelles il est impossible d'étre moins propre qu'il était, pour
qu'il ne répétát pas ce qu'il avaiteu l'honneur de dire. Sa mission
était finie, du moment OU les grandes aífairesavec les étrangers
avaient été terminées ; celles de l'intérieur, et la conduite des
Chambres, lui étaíent tout afait inconnues, et il n'y avaitaucune
aptitude ni capacité. Le duc de Richelieu suppliait le Boi de
réfléchir bien sérieusement; s'il persistait avouloir le retenir ,
malgré les pressantes raisons qu'il lui donnait, il ne pouvait ni
ne devait s'y refuser; mais pour que ses services ne fussent pas
entierement inutiles, il fallait rétahlir dans le ministere une unité
d'opinion qui n'existe plus. Le Iloi savait si lui 1\1. de Itichc-




370 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
lieu aimait et estimait l\I. Decazes; mais d'un coté, outragé sans
raison par un parti dont les imprudences ont causé tant de
maux; de l'autre , poussé vers un coté dont les doctrines nons
menacent encoré davantage , tant que 1\1. Decazes ne sera pas
fixé hors de France par des fonctions éminentes , tous les
hommes de l'opposition le considéreront comme le but de leurs
espérances , et il deviendra, bien certainement malgré lui, un
obstac1e ala marche du Gouverneruent. 1\1. de Richelieu sentait
combien le sacrifice dont i1 parlait était pénible pour le Iloi, pour
l\1. Decazes et pour lui-méme , mais il le croyait nécessairc.
1\1. Decazes pouvait rendre de grands services dans une ambas-
sade soit aNaples, soit a Pétersbourg , et son départ empéchc-
rait ainsi que les enncmis du ministére pussent fonder sur lui
l'espoir d'un triomphe. Dans le cas oú Sa Majesté exigerait im-
périeusement que le duc de Ilichelieu restát aux affaires , il sup-
pliait le Roi d'employer tous les moyens qui sont en son pouvoir
pour retenir M. Lainé , sans lequel il ne pouvait ahsolument
rester, et 1\1. Hov. Si le Uoi voulait y mettre cette séduction II


. .


laquelle rien ne résistait , il croyait qu'il ne serait pas difficile
de vaincre leur opposition.


Tandis que ces mouvementss'opéraient au Cháteau, l'opinion
était vivement agitée ; on savait , mais vaguement, les díssenti-
ments qui divisaient les ministres; on en connaissait les motifs,
et les divers partís exprimaient tour a tour leurs craintes et
leurs espérances ; la Bourse se ressentait elle-méme de ces agi-
tations. Dans la Chambre , les opérations préliminaires se trai-
naient en longueur; chaque parti essayait sa majorité et cher-
chait ala constater; les ministres eux-mérnes agissaient dans
un sens différent, afin de préparer le triomphe du systemo
qu'ils professaient de prédilection. L'adresse faisait pressentir
cette situation complexe et douteuse ; elle paraphrasait le dis-
cours du Roi en tout ce qui touchait la délivrance du territoire;
puis elle ajoutait : « Loin de nous la pensée de souffrir aucune
atteinteala Charte : HOUS repousserons tout principe pernicieux
qui attaquerait l'ordre social que nous devons a votre sagessc :




CHAPITRE XIV. 371
e'est 11. la Charle, e'est aux institutions dérivées de son esprit
que la France veut se fixer. La France , Sire , est lasse de révo-
lutions; elle sait ce qu'ellcs lui ont coüté de sang et de larmes.
La réparation des maux que la France endure encore, l'accrois-
sement du bien qu'elle possede déjá , sont également attachés
au maintien d'une liberté bien ordonnée, . n y eut quelque
chose de plus monarchiquement nuancé dans la Chambre des
Pairs, J'ai dit de quels noms se composait la commission de
l'adresse. Un ministere, expression modérée , sortant de l'union
de la droite avecsonextrémité, trouvait l'appui d'une forte ma-
jorité; el l'adresse se ressentit vivement de ces opinions. « C'est
avec une profonde émotion que les Pairs de France, disait-elle ,
ont entendu Votre ñlajesté réclamer leur concours et leur zele
l)ourrepousser les doctrines pernicieuses qui , de révolution en
révolution , rarnéneraient promptement le pouvoir absolu par
les désordres de l'anarchie; ils aiment a croire que ces doctrines
coupables se tairont devant les principes d'ordre public énoncés
du haut du trüne. Si cette attente était trompée, Votre lUajesté
n'aurait pas vainement appelé le concours des pairs de France,
Une grande nation, éclairée par l'expérience , ne voudra pas
sacrifier le bien réel ades systemes trompeurs ; elle a trop appris
que l'affaíblissement de l'autorité royale n'est pas moinsfuneste
que ses abus; que tout périt saus retour si son Prince flé-
chit devant l'orgueil des factions; il ne peut bien remplir
tous ses devoirs qu'en ne laissant perdre aucun de ses droits, »
L'ensemble de cette adresse respirait une haine profonde de la
Ilévolutíon , un sentiment de répression et de méfiance contre
les doctrines de liberté. Un tellangage devait naturellement fa-
voriser la comhinaison d'un ministere royaliste.


La lettre de M. de Ilichelieu avait produit une impression pé-
nible sur l'esprit du Iloi ; il voyait avec une vive douleur la sé-
paration de dcux hommes qu'il croyait également utiles, ades
litres diflérents , a son Gouvernement. M. le duc de Richelieu
lui était indispc nsable pour les aífaires étrangéres , et 1\1. Decazes
avait acquis une grande ínñuence dans la Chambre par l'ordon..


.




372 HISTüIRE DE LA RESTAURATIüN.
nance du 5 septembre; le Iloi lui portait une vive affection.
Louis XVIII n'hésita pas cependant 11 lui en parlero ]U. De-
cazes , soit fatigue des aííaires, soit par calcnl , insista lui-méme
pour sa retraite , et offrit de partir immédiatement pour sa terre
de Libourne. Le Iloi transmit cette offre 11 l\I. le duc de Ri-
chclieu , qui persista 11 faire du départ de :\1. Decazes pour la
llussie la condition de son ministere , cal' tant que le ministre
favori serait 11. Paris son influencc serait trop grande; lU. De-
cazes accepta l'ambassade. Cette résignation était-elle complé-
tement sincere? Voulait-il réellement se retirer des aílaires ':
Savait-il l'impossibilité pour :\1. de Itichelicu de le remplaccr
aupres de Louis XVIII? Ce fut apres cette lutte pénible pour
le cceur du Roi , qu'il recut les adresses des deux Chamhres ,
en réponsc á son discours d'ouverture , et Icur montra un
visage calme, serein. te soir mérne , á l'ordre, aprés cette ré-
céptíon , le Itoi , que l'on félicitait sur sa réponse á l'adresse,
s'écria : Et l' on nous porte cnvie! Lorsque 1\1. de Itichelieu
connut la résolution de l\I. Decazes , il accepta la présidence ;
1\1. Lainé lui fit observer combien il serait dur, inflexible ~
d'exiger l'éloignement a l'étranger de lU. Decazcs , et m
n'imposa plus que le voyage á Libourne. l\I. de Ilichelieu , ap-
pelé a composer un ruinisterc , cssaya de deux combinaisons :
1. 0. Ilester avec le Cabinet tcl qu'il était composé , á I'exceptiou
du comte Decazes et du maréchal Gouviou-Saint-Cyr , dont le:
opinions étaient trop inílexiblcmcnt arrétées sur la marche dt
Gomernement, dans le sens de la loi des élections ; 2°. forme1
un ministere royaliste qui pút reunir les deux centres 11 I'cxtrénn
droite. Laprerniére combinaisonéchoua complétement. -'1. Lainé.
quoique tout a fait dévouéa:\1. de Hichelieu , déclara que sa 1)0-
sition scrait trop fausse , trop malheureuse , si , auteur de la Jo
d'élection , il Iaisait immédiatemcnt partie d'un ministere don
la premiere conditiou serait un changement absolu acette loi,
1\1. Hoy déclara également qu'il ne restcrait ras sans l\I. Decazes
Le 25 décembre, -'DI. de Hichelicu et Lainé vinrent prier 1(
Roi de retenir le comte Decazes , et d'obtenir sa rcntrée au mi




CHAPITRE X1\. 373
nistcrc , sans le maréchal Gouvion-Saint-Cyr, avec la eondition
d'un léger changemcnt dans la loi électorale. Sur le refus de
M. Decazes , ]\1. de ltichclicu résolut de composer un ministcre
tout nouvcau; les ltoyalistes s'étaient beaucoup agités et avaient
vouluentralner ;\1. iUolé aseconder.ál. de Ilichelieu ; iIs Iui pro-
mettaient la place influentc dans le Conseil et la direction de leur
majorité; 1\1. MoIé répondir: « que sesantécédentsne lui permet-
taient pas de visor aune influence dans le parti royaliste ; qu'il
avaít vu la possihilité de former un ministére sans M. Decazcs,
mais qu'unc adrninistration toute royaliste lui paraissait impos-
sihle. » .:\1. de Itichelieu essaya la combinaison suivante : l\I. Si-
méon, ala justice ; 1\1. Lauriston, ala guerre; L\J. de Villele a
la marine; l\I. Cuvier , al'intérieur ; 1\1. )lollien, aux Iinanccs,
Le 26 au soir , tous ces hommes politiques , réunis chez l\I. de
Hichelieu , ne purent s'enteudre ; et, en eífet , ils étaient d'o-
pinions trop divergentes. l\I. Mollien, engagédans une autre com-
binaison, refusa absolument; M. Cuvier déclara qu'il avait trop
ouvertement défendu la loi des électionspour entrer dans un mi-
nistere dont la premiere base serait sa modification. l\HI. de Vil-
Icle et Lauriston avaient seuls accepté ; il devenait donc impos-
sible au due de Richelicu de former mi ministere ; il adressa en
conséquencc sa derniérc démission au Roi, en exposant qu'il
avaitencore fait d'iuutilcs efforts pour essaycr de composer une
administration qui püt présenter aSa )lajesté et ala Franca une
garantie dans la crise OU l'on se trouvait, Il se voyait dans la né-
cessité de supplierSa ñlajesté de vouloir le décharger d'une táche
qu'il lui était impossible de remplir avec fruit. Le Roi devait
reconnaitre ce qu'il avait eu l'honneur de lui dire avant son dé-
part pour Aix-Ia-Chapelle , et ce qu'il a pris la liberté de lui ré-
péter de bouche et par écrit depuis son retour, qu'iln'était point
propre a la conduite des affaires intérieures , ot que sa missiou
était finie au moment de la conclusión des négociations avec les
étrangers. Mais pourquoi le Iloi regarderait-il eomme indispen-
sable d'appcler .:\1. de Talleyrand ~l son départ ? N'y avait-il done
que lui et le duc de Ilichelicu dans son royaume qui pussent étre


1I. . 32




374 HlSTOlRE DE LA RESTAURATION.
a la tete du Conseil, et s'ils manquaient tous les deux, Iaudrait-il
que I'État périt? Il ne pouvait le croire. Il existait des maré-
chaux, des pairs de France , disait-il, qui certainement pour-
raient les remplacer. Sans en nommer d'autres, 1\1. de Iliche-
lieu désignait au Roi les maréchaux lUacdonald et lUarmont, el
ajoutait : « Ne pourraient-ils pas étre choisis? » Ils connaissent
le payset I'armée , et ilsn'inspireraient aucune défiance aux Puis-
sanees étrangeres,


Les résolutions du duc de Richelieu étaient trop fermemenl
arrétées et trop commandées par les circonstances , pour qu'iJ
füt possible au Roi de le retenir plus longtemps dans sesconseils.
Louis XVIII ne fit plus de nouvelles tentatives, et pria, selon
I'usage, .1\1. de Ilichelieu de se concerter avec .l\I. Decazes pour
le choix d'un nouveau président du Conseil : « Ce fut avec le
plus sincere regret, écrivait encore le Iloi , que j'acceptai la dé-
mission du duc de Itichelieu. Sa lettre fut pour moiun trait de lu-
miere, en ce qu'elle m'avait fait voir la possibilité de me passer
du prince de Talleyrand; mais mon embarras n'était pas moin-
dre : ni I'un ni 1'autre des maréchaux dont me parlait le duc de
Richelieu n'était , a mon avis, dans le cas de le remplacer.
.l\I. Pasquier vint chez moi comme je venais d'expédier ma r(~­
ponse au duc de Richelieu; je m'ouvris a lui et le priai d'aller
conférer chez le comte Decazes sur la position critique du Ca-
binet. » Dans ce peu de lignes se révele encore l'antipathie de
LouisXVIII pour 1\1. de Talleyrand. 1\1. de Talleyranddisait trop
haut ses services lors de la premiére Restauration J. lIs étaient
immenses en effet, et Louis XVIII ne voulait devoir sa couronne
a personne. .l\I. de Talleyrand eut alors une audience du Roi ,
mais il n'y fut pas question d'affaires, Le grand chambellan af-
fectait de faire croire a sa prochaine rentrée aux affaires politi-
qlles; il avait été hlessé de ce qu'il n'avait pas été question le
moins du monde de lui au congres d'Aix-la-Chapelle ; il profi-
tait de l'arrivée du duc de Dalberg de son amhassade aTurin ,


1 1\1. de Talleyrand avait l'habitudc de montrcr son salón en disaut .
( Volel oú s'est faite lu.Restauration. )J




CIJAPITRE XIV. 375
pour Iaisser supposer la possihilité d'une rentrée en faveur; cal'
unemaniede .M. de Talleyrandétait de soutenir que LouisXVIII
l'aimait beaucoup, avait confiance en Iui; et chacun sait ce qu'il
en était,


Lorsque le corpsdiplomatique connut la résolution déflnitive
de M. de Richelieu, il s'émut, Quelle allait étre la conduite de
la France ? Dans quello ligne allait-elle se jeter? Recourrait-on
encoré a ))J. de 'I'alleyrand et au systeme anglais? M. Pozzo di
Borgo cut une audicnce du Roi , qui , enlui montrant la démis-
sion de 31. :de Richelieu, l'assura que son intention était de per-
sister dans la méme ligne politique a l'égard de ses alliés, La
méme protestation fut faite au comte de Nesselrode , alors aPa-
riso M. de Richelieu , déterminé asortir des affaires , fut chargé
par le Roi de désigner le personnage politique le plus propre a
lui succéder; c'était l'usage en France. Louis XVIII savait bien
que M. de Richelieu choisirait tout le monde, excepté LU. de
Talleyrand, l\l. de Richelieu parcourut la liste de la pairie dans .
I'Almanacl: Royal. lU. Laiué arréta son attention sur le général
Dessolle , que le noble duc connaissait peu, mais qui avait
joué un role tres-important ala premiare Restauration. lU. Des-
solle , fort lié avcc l'empereur de Ilussie , l'avait recu et accom-
pagué dans son dernier voyage en France, Ce choix ne pouvait
déplaire au Czar, ni mcnacer le systeme de son Cabinet, On en
parla al\l. de Nesselrode , qui approuvala nominationde l\l. Des-
salle. L'ambassadeur de Prusse , qui d'ahord avaitmontré quel-
que hésitation , manifesta plus tard moins de répugnance. Les
arrangcments ministériels eurent lieu dans la soirée du 28 dé-
ccmbre , mais on n'était pas encore fixé sur quelques points de
détail , lorsque dans la séance du 29 s'ouvrit la discussion sur
les six douziémes provisoires, Cette discussion fut trés-habile-
ruent souteuue par M. Hoy, qui avait donné sadémission dcpuis
truis jours. M. de Vj]Jele 'demanda l'ajournemeut ; mais la nou-
velle s'étant répandue de la formation d'un ministére nou-
vean , les six douziemcs furent votés. Le soir du 29 on arréta
définitivement tous les détails, Le nouveau Cabinet fut composé




376 HIsrüIRE DE LA RE~AURArION.
de MM. Dessolle, président du Conseil; de Serres, garde des
sceaux; du comte Decazes, a I'intérieur ; du barón Portal, a la
marine; et du haron Louis , aux financcs, La partie libérale dn
ministére avait complétcment triomphé, L'ordonnance qui rem-
placait M. de Hichelíeu ne disait pas la vérité = « L'état de la
santé de notre cousin le duc de Ilichelieu nous ayant obligó
d'accepter la démission qu'il nous a offcrtc, nous avons voulu ,
en consignant ici l'expression de nos regrets , lui donner une
nouvelle marque de notre estime toute particuliere et de notre
satisfaction pour les hons et loyaux services qu'il n'a cessé de
rendre al'État et a notre personne , et que nous nous réservons
de reconnaltre d'une maniere plus éclatante '. Aces causes nous
avons ordonné ce qui suit = le duc de Ilichelicu est nommé mi-
nistre d'État et membre de notre Conseil privé. )) I ..es bulletinsde
la Cour annoncérent que le H.oi avait envoyé savoirdes nouvclles


. de la santé de M. de Itichelíeu. Par d'aurres ordonnanccs ,
l\BI. Lainé, Roy, Molé, étaient nommésministres d'Úat et mem-
bres du Conseil privé. M. Pasquier était déja revétu de cette di-
gnité. Cet événement frappa vivement Louis XVHl , et le Iloi
de France aimait a se justifier d'avoir consentí a la retraite du
négociateur d'Aix-la-Chapelle. Louis XVl1I , rcconnaissant les
grands services de M. de Ilichclieu , ne voulait pas qu'on püt
l'accuser d'ingratitude. « Si je u'avais consulté que mon propre
sentiment, disait souvcnt le Roi dans ses intimités , j'aurais dé-
siré que le comte Decazes , unissant comme il l'avait toujours
fait son sort a celui du duc de Richelieu, sortlt du ministerc
comme lui; mais si le duc de Richelieu en sortait , ce n'était
point paree qu'il préférait le repos , c'est paree que la vie mi-
nistérielle était éteinte en lui. )) Ainsi tomha le ministcredu duc de
Richelieu ; il était resté trois annécs au milieudes oragesde toute
espece , et en subissant des fortunes diversos. La cause premiere
de sa chute fut qu'il se composait d'hommes trop importants ,
chacun dans son individualité , pour toujours s'effacer et se fon-


r Par une des grandes dignités de la malson du RoL




CtlAPITRE xrv. 377
dre dans une pensée communc, l\I. Dccazes et lU. de Richelieu


éáriefl( d[{[f~ (me [J(J~iti(Jll (m(J élcvée pour subir la dOlllination
de l'un sur l'autre. l\I. de Ilichclieu voyait avee une secrete ja-
lousie la faveur de M. Decazes ; ,1. Decazes , ü son tour, am-
hitionnait l'influencc européeune du duc de Richelieu : de la cette
lutte dans laquelle le ministre favori l' cmporta, En ce qui tou-
chait les Chambres et l'opinion , le ministere ne s'était pas placé
dans une situation assez dcssinée ; il n'avait pour lui aucune frac-
tion prononcée de la Chambre; il louvoyait sans systeme bien
arrété : d'oú resulta qu'une fois le territoire délivré des étran-
gers , les opinions, prenant une couleur et une liberté plus gran-
des, secouerent une administration qui n'était plus en harmo-
nie avec le mouvement des esprits '.


Le nouveau ministere que présidait le général Dessolle était
centre gaucho doctrinaire , et , tendant vers l'extrémité de
gauche , ce miuistere perdait l'appui du centre droit , et
s'aliénait enfin complétement la Chambre des Pairs. Cette
position était malheureuse, cal' il était impossible aun ministere
monarehique de conquérir l'appui de la gauche extreme. Dl~S
lors , de quellc force parlcmeutaire luí restait-il a disposer?
sans dourc le centre gaucho et les doctriuaires ; mais ces forces
n'étaient pas assez disciplinécs , assez puissantes surtout , ni par
leur masse ni dans l'opinion publique , pour soutcnir un minis-
tcre, quel qu'il füt; et si l'on 11e voulait pas rcmettrc le pou-
voir ¿\ l'cxtréme gauche, ilne fal1ait pas aller jusqu'a elle : c'est
rc que ne comprit pas M. Decazes. Le personncl du nouveau
nriuistcre se cornposait d'hommes de talent et de prohité, Le
marquis Dessolle , compagnon d'armes de Morcan et de ceue
école qui ne fléchit jamáis le genou devant la puissance de ~apo-
léon , avait jouó un role actif lors de la premiere Hestauration.
JI' rappelle l'influcnce qu'il avait exercée dans la confércncc qui


1 ene fois sorli du miulstére , hI. l\ío1é désirn l'amhassade d'Angle-
tcrrc , 1\1. de üichelicu la demanda pour lu] Ú LOll;S XVIII; mais ce
priucc nr pouvait pardonner á j\I. Mojé la dissolution du mlnistérc dont
il le rcgardalt comme le principal auteur, ct lui refusa cette ambassadc.




:ns mSTOTRE DE lA RESTAURATTON.
chez i\I. de Talleyraudprépara le retour des Bourhons. te général
Dessollen'était pasun homme ~l conception forte , aidéesétendues,
mais il avait le sentiment proíond de la liberté et de l'honneur,
caractere autique, tel qu'on en rencontre rarement, 1\1. Dessolle
avait accepté le ministéro avec répugnance, paree qu'il se sen-
tait antipathique a cette activité d' esprit, a cette néeessité de
décision, qualités si essentielles dans un ministre dirigeant. Il
n'était pas plus orateur que M. de Riehelieu, et pourtant sa
parole exercait une grande influenee sur une assomhlée, paree
que si l'on pouvait reprocher au général dese tromper quelque-
fois, le soup<;on de tromper les autres sciemment ne pouvait
l'atteindre, et c'est une grande qualité dans un chef de Cahinet.
Aux affaires étrangeres, le général Dessolle avait spécialement la
confiance de l'ernpereur de Russie. JI était également connu du
roi de Prusse et de l'empereur d'Autriche , dont il avait conquis
la hicnvcillance, M. Dcssolle avait eu quelques rapports avec le
duc de "Tellington, dans le poste de chef d'état-major de la garde
nationale de Paris. A la cour, le nouveau président du Conseil
avait peu d'appui : ce n'était pas son role. Il abandonnait cette
influence sur l'esprit du Roi au comte Dccazes , auquel iIl'aurait
vainement disputée,


JlI. de Serres cornmmencait sa bello carriére parlcmeutairc,
grand taleut qui dominait si puissannuent une délibération d'as-
sembléc, Conune homme politique, JU. de Serres n'avait )las une
invariable fixitéd'idées , une persévérancede plan et de conduite,
Il éprouvait proíondément , et e'est le propre des ames qui scn-
tcnt ainsi, de se laisser aller a toutes les impressions si diversos ,
si mobiles dans un pays agité par l'esprit des révolunous. 011 a
reproché aM. de Serres des contradictions dans sa vic poliiiquc ;
il en cut heaucoup , et e' est un reproche que l'histoire doit lui
adresscr. ]\)ais en présence d'une faction qui ne déguisa plus, ¡\
partir de 1819, son antipathie , ses répugnances pour la lUaison
de Bourhon, :\1. de Sorres ne dut-il pas souvent réfléchir et
s'éclairer enfin sur des desscins coupahles que son ame g('né-
reuse avait [usqu'alors confondus avoc l'amour d!' la liberté?




CHAPURE XIY. 879
Oui, ji y cut sous la Restauration des hommcs qui aimerent
profondément la liberté, et ces hommes lutterent avec persévé-
ranee et courage eontre l' esprit révolutionnaire qui corrompit les
plus saintes idées! 1\1. de Serres entra dans un ministére dont la
pensée était le maintien de la loi des élections , paree qu'il en
croyait la combinaison sage et constitutionnelle. Il s'éclairalors-
que l'esprit implacable des factions éclata par l' élection de
M. Grégoire. JU. de Serres , comme tous les esprits a impres-
sions vives, n' cut pas de ces convictions arrétées , de ces idées
qui ne ehangent pas quand tout change dans la société, esprits
stationnaires que j'ai souvent comparés aces émigrés rentrant
en 1814, et s'étonnant de ne plus voir leurs vieilles tourelles, et
leurs droits seigneuriaux éteints! 1\1. de Serres était alors l'ex-
pression éloquente du parti doctrinaire ; on le destinait asoute-
nir le rninistere ala tribune, noble théñtre de son talent. On a
déja vu 1\1. Louis au ministerc sous l'administration de l\l. de
TaIleyrand. Il arrivait dans le nouveau Cabinet comme esprit
d' application, et seul capable de remplacer 1\1. Roy, qui s'était
lié a une autre combinaison ministérielle, 1\1. le baron Louis
n'avait pas un talent de tribune; il ne portait pas dans ses tra-
vaux sur les financcs l'esprit et l'élévation de M. de Corvetto , la
rcctitude , la darte de l\I. Roy; en résumé , tete de hureau et
d'aduiinistration. M. Portal, négociant de Bordeaux , oú sa
maison faisait de nombrcux armements , n'était connu que par
sa spécialité commerciale et mari time ; il était depuis quelque
temps dans les burcaux de la marine, quand il fut appelé a la
tete de ce départcment. 1\1. Portal était d'un caractere froid,
avec des formes douces et modestes, s'exprimant bien, quoi-
que avcc timidité. Tres-lié avec Mi\!. Lainé, Ravez, ses opi-
nions penehaient plus vers le centre droit que vers tout autre
coté de la Chambra Il n'était pas d'un grand secours a la tri-
hune, qu'il abordait difficilement; au Conseil, c'était une opi-
nion de tempérament et de modération. II n'aimait point l'es-
prit de parti , les scntiments ardents ou les opinions passionnées;
doué d'un jugcment droit, il appréciait a merveille une situa-




380 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
tion. 1\1. Portal était protcstant , ct offrait comme un démonti a
la faction qui criait ala persécution des opinions anticatholi-
queso 1\1. Decazes était enfin .a1'rivé au hut de sesdésirs , le mi-
nistere de l'intérieur, cette ame de l'administration générale,
1\1. Decazes avait des formes polies ct gracieuses, l'amour des
arts et des artistes ; il représentait parfaitcmcnt , et s'occupait par
goüt de commerce, d'agriculture , de routes , de canaux, d'en-
treprises et d'associations, et toujours avcc une égale activité.
1\1. Decazes savait a souhait prendre les opinions par ces char-
mes extérieurs qui coütent si peu a un ministre, et qui lui atta-
chent les esprits, 11 partagea son ministere en plusieurs grandes
directions : celle des cornmunes et de l'administration intérieure
fut confiée a 1\1. Guizot, cornme un gage donné aux doctri-
naires; celle des heaux-arts et des lettrcs , et par conséqucnt de
la presse , a1\1. Villemain, d'un esprit si distingué et si facile.
lH. de ñlirhel fut secrétaire général du ministere. Je n'ajouterai
rien a ce que j'ai dit du ministre de la guerre, 1\1. Gouvion-
Saint-Cyr; ses opinions étaient complétemcnt représentées dans
le nouveau Cahinet. On sait que le maréchal était un des plus
chauds partisans de la loi d' élection.


Les ministres, réunis pour la premiere fois le lendemain de
leur nomination, il ne leur fut pas difficile de s'entendre sur la
ligne de conduite a suivre. Le príncipe de leur politique était le
maintien de la loi électorale, conséquence du systeme du 5 sep-
tembre; on convint que rien ne serait chungé , et qu'on accor-
derait successivement au pays les institutions dont i1 manqunit
cncore. On posa en principe que, pourobtenir l'appui de toutc
la portion de gauche raisonnable et qui voudrait se rallier
ala dynastie, on proposerait deux loisfondamcntales dans la ses-
sion. La premiere sur la responsabilité ministérielle; la seconde
sur la liberté de la presse, ]U. Guizot fut chargé de rédiger un
projet sur l'administration communale ct départementale. 011
convint aussi de Iaire quelqucs couccssions aux partís en modi-
fiant le personnel admiuistratif', encore en opposition avec la
pensée et la position politiqne du ministerc, Les passions de




CJIAPITRE xrv. 381
circonstance étaicnt un pcu calmécs ; quelques jours avant le
changement ministériel du 24 déccmbre', 1\1. Decazes avait ob-
tenu du Roi une modiflcation importante ala loi qui baunissait
les régicides, Le rapport aLoujs XVIII, tout confidenticl, de-
mandait que, « conformémcnt aux décisions partíelles émanées
du Conseil, les dispositions pénales de 1'article 7 de la loi
du 12 février 1816 ne fussen t point applicahlcs a ceux des ex-
conventíonncls déj;t frappés par des mesures iudividuelles et qni
n'avaient pas souscrit de leur main l'Actc additionncl ; aceux
qui n'avaicnt rempli de fonctions que dans un intérét de salu-
hritó publique, d'cuseignement ou de charité, ou qui n'auraient
que siégé au champ de Mai ou au collégc de leur départemcnt. ))
Au has de ce rapport, le Iloi mit selon l'usagc : Approuvd; en-
suite lU. Dccazes soumit ;. Sa JUajesté la liste des noms auxquels
la mesure générale allait s'appliqucr , cctte liste était divisée en
deux classes ; la premiere était ainsi intituléc : « Tableau col-
lectif des noms des ex-convcntionncls auxquels Sa ñlajestó a
daigné , par des décisious partielles , accordcr la remise pleine
et entiere des peines prononcécs par l'article 7 de la loi du 12
janvier 1816, ou a l'égard desquels elle a bien voulu déclarer
dans son conscil que les dispositions dudit article n'étaicnt pas
applicables, » Cctte liste comprcnait : 1'1'1. Alguier , Bcrnard ,
Bouchercau , Bonne, Selles, Bertrand , Camhacércs , Chide-
neau , Corbel, Cauipmas , Delbret , Duhois , EscudiervFerry,
Gamon, Gludal, Garri, Isoré , Johannet , Laurcnt de Villedieu,
i\lichaud, Mouliu, Plet-Beaupré , Ilahaud , 'I'ichard , Saint-Pry,
Savcau, Taveau, Thomas, Poullaiu Graudpré, Vennon. Le sccond
rableau comprenait les noms des cx-couvcutionucls auxqucls Sa
Majesté accordait un sursis indéfini aux dispositions penales de
l'article 7 de la loi du 12 février 1816; elle contenait les noms
de "DI. Bonnet, Chassot, Chaudron-Rousscau, Chazani, Chedel,
Finot d'Avrolles , Granet, Cuillcvant , Iludin , Jaurand, talo)',
Lamarque , lUartineau, JlonIlot, No¿;J, Pointe, Panis, Pellctier,
Perrin, Pons, Pray, Plogran, Héal, Sallcupras , Tal1ien, Vinot.
II cst ~. rcmarqucr que le Iloi nc fit pas la moiudrcobjcction sur.


"




382 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
le rapport de son ministre. JI signa, et rappelant eeux des régi-
cides qui avaient plus ou moins droit a la justice , il distingua
M. Cambacéres et le malheureux Tallien, aveclequelLouis XVIII
avait eu quelque rapport apres le 9 thermidor. Il aurait volon-
tiers cffacé des actes de sa clémence le régicide Panis; mais il
s'agissait d'une mesure générale. JI croyait se rappeler que ce
nom se mélait aux tristes souvenirs de la Cornmune de Paris et
aux horribles jouruées de septembre l.


JI Y cut également un rernaniement de préfectures et de
sous-préfectures. D'un coté, il falIait óter l'administration eles
mains hostiles au systeme pour la placer dans eeIles d'adminis-
trateurs plus liés de pensée et de conviction politique avec le
nouveau ministere, De l'autre , iI était nécessaire de conceder
quelque ehose au parti lihéral, et ce fut dan~ cet esprit que les
mutations administrativos furent faites. Depuis l'ordonnaucc du
5 septembre , 2ú préfets avaient été dcstitués , mis ala retraite
ou forcés de donner leur démission : les principaux étaient
M?lI, de Kersaint, de la Vieuville, Trouvé , d'Arhaud-Jouques ,
de Talleyrand, de lHontureux, Bacot, de Carrere , de Curzay,
d'Arbclles , de Sartiges , de l\1aulestrier , de Floirac, de Fressac ,
de Berthier, d'Allonville, de la Salle, de Villeneuve, de Cleres-
per, de Saint-Luc, Duhamel, de Iloussi, Durnesnil, de Breteuil,
d'Indy et de Barriere. Les destitutions qui eurent lieu sous le
ministere de M. Decazes étaient accompagnées de toutes les
formes polies que ce ministre conservait avec tout le monde, et
particuliérement avec les Iloyalistes , que sa conscience et ses
souvenirs lui reprochaient de frapper. JI écrivait aux préfcts
remplacés en ces termes: « Le Roi, en rendant justice a la
pureté de vos intentions et de vos scntiments, a cru utile au bien
de son senice de pourvoir avotre remplaccment, Toutefois , Sa
JUajesté n'a pas renoncé aemployer votre zele , et m'a chargé
de vous le faire savoir. » Les nouveaux préfets étaient presquc
tous choisis dans les opinions du centre gauche et memo de la


1 Cctte mesure fui tenue secrete par la craintc qu'elle n'cxcitñt de
trop vives clameurs it la cour ct dans le partl royalistc.




CIIAPITRE Xl v, 383
gauche de la Chambre; l\I. Morcan de la Rochettc fut nouuné
préfct de la Vienne; )1. Ilognat , de la Vendée; Saiut-Agnau ,
des Cótes-du-Nord ; Paulze d'Ivoir, de l'Ardcche : Sers , du
llaut-Ilhin ; de la Chadcnedc , de la Charcntc-Iuférieure ; Sta-
nislas Girardin, de la Cóte-d'Or : Pelet de la Lozére, de Loir-ct-
Cher; Didelot, de l'Aude; Finot, de la Correze ; Camille Pé-
riel', de la JUcuse; Barros, du Finistere ; Angelicr, des Laudes,
Ces nominations, qu'on pouvait appeler hardies, sous le systemc
de la Ilestauration, se ressentaient du besoin qu'avait M. De-
cazes de rcchercher une majorité de gauche, abandonné comme
il l'était par la droite de la Chambre. Tous les premiers actes de
son ministere s'emprcignirent de ce besoin de majorité qu'il
cherchait en dehors de la droite inflexible. Les proscrits ren-
traient successivement. Le ministre en parlait au Hoi, et il était
rare que le monarque se refusát aun acte de clémence. C'est
ainsi que les généraux Allix , Lamarque et Excelmans Iui-méme
furent rappelés. Les gráces accordées étaient absolues : elles
donnaient méme lieu a tout l'arriéré de la solde pour les mili-
taircs, I..e Roi était sur ce point fort généreux. II disait sans
ccsse ¿l ::\1. Dccazes : « lIs ont bien assez souffert , mais qu'ils
s'cn prennent b'en moins ¿l moi qu'aux circonstances; puisqu'on
lcur fait gráce , qu'elle soit complete! » Au ministere de la
guerre, l\I. le maréchal Saint-Cyr persévérait dans son systeme
de Iusion et d'oubli. Le personuel de l'armée fut aussi acette
époque l'objet d'un remaniemeut politiqueo 1\1. de Saint-Cyr
avait commencé sous l\I. de Richelieu a jeter dans les corps les
of1iciers de l'Empire longtemps tenus a l'écart sous la Bcstaura-
tion. Dans son second ministere , le systeme fut suivi sur une
plus vaste échelle : non-seulcment les simples officiers , mais
encere des oIficiers supérieurs, des généraux de l'Empire et des
Cent-Jours , le général Foy, entre autres , recurent eles com-
mandemeuts, Qu'on se represente quelles clameursdevaient ex-
citcr dans le partí royaliste de scmhlables concessions , et cette
gónérosité , peut-étre imprudente, au milieu de l'agitation des
partis ! L'ordounaucc qui soulcva le plus de clameur royalistc




1IISTOIHE DE LA UESTAUlATlO:\.


fu1 ccllc qu i appclaccrtaius colonclsde lagardoroyale, '" L d'\ ¡'-
cine et de Berthicr, a preudrc lcur rang dans l'arméc COIlIIllC
maréchaux de camp.Les Hoyalistcs dénoncercnt cette mesure
conune un moyen détourné el'cnlcvcr ala garde royale ses co-
loucls fídelcs , et de les rcmplacer par des officiers de la ligue
dout le dévouemcnt pouvait étre plus que suspect : la mutation
de la ligue dans la garde et de la garde -dans la lignc , noble
moycn d'émulatiou , fut encoré dénoncéc par le partí royaliste
comme exposant la personne du RoL 1Jm: disposition d'ordon-
nance royale envoya en retraite les vieux généraux émigrés , el
en disponibilité les jeunes officiers supéricurs dm}t la Ilestaura-
tion avait poussé la fortune. La liste des généraux mis alors en
activité constate encore avcc quel abandon la lUaison des Bour-
bons se confiait ~l la loyautó de la nation et de l'armée.


lU. de Senes agissait daus ce méme esprit au ministcre de la
justice ; le Conseil d' í~lat était remauié , el le garde des sceaux
en exoluait quclques lioyalistcs, 1\DI. de Blaire, Maleor, ct de la
Portc-Lalannc ; des honnucs d'une scicnce spécialc furcnt éga-
lcmcnt ruyós de la liste pour le scul fait de leur opiuion et de
km position politiquc ; tcls furent 1\D1. Taharié , de la Bouil-
loric, et méme I'inoílensif 1\1. de Chabrol , anclen préfct de Lyon.
Les comités se trouvercnt ainsi composés : pour la Jégislalioll,
de 1\111. Siinéon, Iloycr-Collard , Portalis , lUounier, Camille-
Jordan ; le contcnticux, section csscuticlle dans le Conscil d'État,
comptait Ml\l. Allcnt, Delamalle, Balainvillicrs, Faure , Durand
de )lareuil, Favard de l'Anglade, ti'Argout; le comité de l'illt('-
rieur, l\ll\1. Cuvier , de e érando , d'Ilauterive , Capelle , Jlailll'
de Biran , Bély d'Oissel; les íinanccs , l\DI. Colonia, B('rcllgei',
Hamond; la gllcrre, le priuce de Bruglie, le comte Ilicard , k
vicomte de Caux ct le comte nuty ; le générnl comte Mathicn
Dumas y fut adjoint ensuitc ; la-mariuc, le comte Bcgoucn, 1"0-
resticr , Juricn ct Esmangart, le Conscil d'í~tat, ainsi parfaile-
mcnt composé, corrcspondai t par ses opinions au centre gauch:
el aux doctrinaircs de la Chauihre ; tons les dircctcurs gén('ram
conscrvaicnt leur voix délihórativcs, el par conséqueut le Couscil




CHAPITRE XI\. 3~5
s'y Iortiíiait de 1\11\1. Becqucy, Guizot, Saint-Cricq , Barrairon,
de 'lézv et Barante; 1\1. de Serres fit abstrnction de la conduite


. .


politique ; il mit du prix a exécutcr cene bello parole de
Louis XVIII·: « Tout ce qui m'est fidele aujourd'hui l'a toujours
été. » Les Boyalistes remarquerent que, dans la composition
d'une cour royale du midi, celle de Nimcs , tous les magistrats
des Cent-Jours avaient été préférés par 1\1. de Serres , et les
conseillers royalistes complétcment éloignés. Ce systeme de to-
lérance replaca lU. Girod de l' Ain, et avanca méme un autre
magistrat, 1\1. de S , qui, au mépris de ses serments sur
les f1eurs de lys, conspira plus tard avec la Charbonnerie.


La position de 1\1. Dessolle envers le corps diplomatiqueétait
moins facile qu'elle ne l'avait été sous lU. le due de RicheJieu;
le ministre se trouvait embarrassé d'abord al'égard des ambas-
sadeurs de Franco a l'étranger, et ensuite envers le corps di-
plomatique résidant aParis, paree qu'il avait peu l'habitudo des
affaires, une ignorance complete des formes et des protocoles, et
surtout peu de connaissance des hommes; d'ailleurs, produit
d'une combinaison libérale, pouvait-il inspirer a l'Europe la
méme confianee que 1\1. de Richelieu ? Les négociations d'Aix-
la-Chapelle avaient laissé quelques questious indécises; un pre-
miel' acte signé a París avait réglé la réversibilité des duches de
Parme et de Plaisance; il s'agissait égalemeut de modifier cer-
taines conventions sur les stipulations pécuniaires de l'évacua-
tion; toutescesquestions furent discutées aParis entre MM. Des-
solle, le baron de víncent, sir CharlesStewart, le haron de Go1tz,
et lecorntePozzo di Borgo. Lesbasesen avaient été, sinonarrétées,
au moins indiquées et prévues par les protocoles d'Aix-la-Cha-
pelle. On dut aussi prendre un moyen d'arréter la haisse des
fonds publics en amoindrissant la masse des rentes en circula-
tion, et d'obtenir un nouvcau délai pour la libération de la
France : il fut dit dans un traité secret : « Les circonstances
ayant rendu nécessaire de diminuer autant que possihle la masse
desinscriptions de rentes sur le Grand-Livrc de la dette publique
de Frunce qui pcuvcut étre émiscs sur la place de Paris , l'in-


lL 33




386 IUSTOlRE DE LA RESTA.URATION.
scriptiou de 6 millions 615944 fr. derente au capitalde '100 mil-
lions, livrée par la France aux grandes cours, et confiée par elle
a la maison Hoppe, sera déposée dans les mains des commissaires
des alliés jusqu'au 5 juin 1820. Le 1cr juin 1820 la France re-
mettra en échange de ladite inscription pour 100 millions debons
du Trésor, portant intérét de 5 pour cent payablesen neufmois,
et en portions égales, acornmencer du 1cr juin 1820 et finissant
le '1 cr mars 1821. Cette convention était une conccssion nou-
velle faite a la France, mais elle ne tournait pasnon plus au pré-
judice des alliés; cal' ils obtenaient un capital fixe et invariable.


Cette conventionfut tout entiere l'ceuvrede 1\1. Dessolle et du
eorps diplomatique aParis. 1\1. de Richelieu se proposait un long
voyage dans le Midi, non pour se condarnner aun exil, mais pour
s'éloigner un peu du tourbillon d'affaires qui le fatiguaient. Se~
longues négociationspour la formation d'un ministereavaienttr011
fait de bruit, et il le fuyait alors; sa retraite amena quclques
modifications dans le corps diplomatique; 1\1. d'Osmond fui
remplacé a Londres par 1\1. de Latour-Maubourg, d'un espri:
élevé, noble débris de nos grandes hatailles, On voulaitalorss'ap-
puyer sur une alliance avec l'Angleterre , et balancer l'effet qUE
la retraite du duc de Richelieu pouvait produire en Enrnpe.
M. Dessolle insinua aupres du corps diplomatique s'il serait
agréable que le comte Maison et le général Andréossy rempla-
~assent 1\1. de Noailles et 1\1. de Ilivierc , l'un a Saint-Péters-
bourg, l'autre a Conslantinople. 1\1. Hul1ot, beau-frére du g(~né­
ral Moreau, dut faire quelque insinuation aAlexandre, dans m
voyage qu'il fita Saint-Pétersbourg. Cesnominations trouvereru
trop d'obstacle; le général l\laison avait été lié avcc le Czar. 011
aurait pu obtenir, a tout prendre, son agrément; maisce n' étai
pas une capacité telle qu'on püt s'occuper de sa nominatior
comme d'une affaire essentiel1e; il n'était pas d'esprit plus limin
que celui du général l\laison. On renonca ace projet. Plus tard
M. de la Ferronnays fut indiqué; les indépendants s'étonnéren
que 1\1. Dessol1e nc désignilt pas librement l'ambassadeur d(
France aupres du Czar: ceux-la connaissaicnt bien malles Icr-




CHAPITRE XTL 387
mes de la diplomatie ; il ne suffit pas de choisir un ambassadeur,
il faut encore qu'il soit agréé par la Puissance aupres de laquelle
on l'accrédite,


tes révolutions ministériclles qne nous venons de retracer
avaient un moment suspendu la session des Chambres. Les af-
Iaires ne furent reprises que lorsque le résultat des arrangements
fnt connu, Le ministere ayant complétement abandonné les doc-
trines el les honnnes de la droite , eette fraetion de la Chambre
comptait encore quarante-cinq acinquante membres , qui , tou-
jours disciplines autour de lUl\!. de Villele et Corbiére , de-
vaient faire la plus franehe et la plus vive opposition, A cette
nuance se joignait encore une fraetion du centre droit , qui
s'était éloignée du ministérc a mesure que celui-ci se rapprochait
de la gaucho. Le centre gaucho et les doctrinaircs formaient,
avec quelqucs unités détachées de la droite et de la gauche , la
majorité miuistérielle. La gauehe se partageait également en
deux nuances : la réunion Ternaux , qui votait le plus souvent
avec le ministere , et avait adhéré au systéme de l'administration
Dcssolle ; ensuite I'extrémité de gauche, groupée autour de
)1)1. de La Fayette , Dupont de l'Eure , Bignon, Manuel, pour
Icsquels toutc transaction avcc la Maison des Bourhons était im-
possihle. Il y avait la trop de répugnance et de vieilles haines,
C'est en présencede ces nuances diverses que le ministere Des-
8011e devait manreuvrer. La nomination des nouveaux mem-
bres du Cabinet avait dü nécessaircment changer les projets
préparés pour la session. Il se passa un assez long intervalle
entre l'ouverture de la scssion et la présentation du premier
projet de loi. Tout ce qui avait pu étrc résolu par le Cabinet
llichelieu devait étre modifié dans l'esprit de la nouvelle admi-
nistration. Un incidcnt vint fixer I'attention de la Chamhre, Aux
Pairs , 1\1. Lallv-Tolendal , et aux députés 1\1. Benjamín Deles-
sert , proposerent de voter une récompense publique et natio-
nale a1\1. de Richelieu pour le service qu'il avait rendu a la
Franco en délivrant le territoire de l'occupation étrangére, Il
n'y avait dans cette démarche ni pensée d' opposition, ni hosti-




388 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
lité contre le CabinetDessolle. La proposition avait été concertéc
avec l'administration nouvellc et les députés qui lui étaient en-
tierement dévoués. Elle trouvait l'adhésion la plus complete
dans les deux centres ministériels ct dans la réunion Ternaux;
mais les deux extrémités de droite et de gauche lui furent oppo-
sées, L'áme loyale de JU. de Ilichclieu fut bien flattée de l'hom-
mage que rendaient ases services les majorités des deux Cham-
bres. Cependant les sacrifices que faisait le pays étaient déj~\ si
pesants que lU. de Richelieu repoussa avec un noble désintéres-
sement toute proposition d'une somme d'argent attachée au vote
des Chambrcs. Il écrivait alU. Ravez , président de la Chambre:
t( Instruit de la proposition qui a été faite amon sujet dans la
Chambre des Députés , je prends la liberté de vous adresser
quclques observations; je serais trop fiel' d'un témoignage de
bienveillance donné par le Roi avec le concours des deux Cham-
bres pour avoir la pcnséo de le déc1iner; mais lesjournaux m'ont
appris qu'il s'agissait de me décerner, aux frais de l'État , une
récompense nationale; je ne puis me résoudre avoir ajouter, ~l
cause de moi , quelque chose aux charges qui pésent sur la na-
tion. Si dans le cours de mon ministerc j'ai eu le bonheur de
rendre desservices ala France , et danscesderniers temps decon-
courir ~\ l'aífranchisscment du territoire , mon ame n'en cst pas
moinsattristée de savoir ma patrie accabléc de dettes énormes.
Trop de calamités l'ont frappée , trop de citoyens sont tomhés
dans le malheur, il y a trop de pertes a réparer pour que je
puisse voir s'élever ma fortune ende telles conjonctures, l'es-
time de mon pays, la bonté du Roi, et le témoignage de ma
conscienceme suffisent. ) Cette lettre OU se reflete sibien le heau
caractere de lU. de Ilichelieu jeta le. ministere dans un graud
embarras. JU. de Richelieu ne voulait point recevoir une dota-
tion sur les fonds de l'État, a la charge des contribuables, Sur
quels biens des lors prendre cette dotation? Pour allier le refus
désintéressé de lU. de Richclieu avec le besoinqu'avaient le Uoí
et les Chambres de récompenser un grand service, le ministere
prit un moyen termo. Le Roi oífrit luí-memo un majorat de 50




CIIAPITRE XIV. 389
mille livres de rente, pris sur biens attribués a la Liste civile.
Ce majorat était transmissible ~l la postéritéde M. de Richelieu,
méme a ses héritiers .coIlatéraux, e'est-a-diré au marquis de
Jumilhac, fils de sa sceur, et l'héritier de sa pairie. Un projet
de loi rédigédans ce sens fut présentéala Chambre des Députés
par le président du Conseil, 1\1. DessoIle.Ce projet disait :
« Voulant manifester d'une maniere éclatante la satisfaction que
nous avons ressentie des éminents services que nous a rendus
notre cousin le duc de Richelieu dans les négociations qui ont
amené la cessation de l'occupation étrangere, il sera érigé en
faveur du duc de Richelieu, a titre de récompense nationale
pour étre attaché asa pairie et transmissible au méme titre, un
majorat de 50 mille francs de revenu. Cemajorat sera composé
de biens immeubles choisis par le Roi, parmi les domaines as-
signés ala Liste civile par la loi du 8 novembre 1814. » En in-
stituant le majorat sur les biens de la Liste civile , le Roi avait
fait un de ces actes de munificence que la Maison de Bourbon
aimait a multiplier; mais aliéner méme pour un majorat les
bíens de la Couronne était contraire aux doctrines domaniales.
On pouvait citer néanmoins des exemples en Angleterre. La
reine Anne avait détaché des tennements de 'Vostook en faveur
du duc de lUarlborough; mais en France les principes de I'in-
aliénabilité du domaine s'opposaient a ce que des portions pus-
sent en étre aliénées au dela de la vie du Roi existant; e'est ce
que pensa la commission désignée par la Chambre des Députés;
1\1. Delessert, qui avait fait la proposition prirnitive, fut chargé
du rapport. Un amendernent proposé par la commission éludait
la diíficulté de I'inaliénabilité de la Liste civile; on devait consti-
tuer le majorat sur les biens disponibles de la Couronne. Les
orateurs de droite attaquérent vivement le projet de loi; rien,
selon eux, n'était plus révolutionnaire et antimonarchiquo que
de faire décerner par la Chamhre une récompense nationale
a un ministre; c'était irniter la conduite des Asscmblées consti-
tuantes ou législatives votant des récompenses nationales a
M. Necker, 1\1. de Kergorlay publia méme un article dans le




390 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
Consenxueur, oú la conduite politique de 1\1. de Richelieu était
attaquée.


lVI. de Salis déclara que, représentant le départenient des
Ardennes, plus qu'aucun autre il avait a se féliciter de l'aflran-
chissement du territoire; il se serait joint avec enthousiasme a
la proposition de 1\1. Delessert : mais entrait-il dans les attrihu-
tions des Chambres de décerner des récompenses? ]U. de Ké·
ratry, de la fraction doctrinaire de gauche, attaqua le projet.
( 1\1. de Richelieu, disait-il , a rendu des services a I'État, jc
ne le contesterai point; mais le Gouvernement, qui en sollicite
la récompense, nous a présenté un projet de loi dont le motif
blesse la dignité de la nation, tandis que le second article atta-
que l'inaliénabilité du domaine. Qu'est-ce que les nations ont a
donner aleur hienfaiteur dans le systéme actuel de l'économie
de I'Europe? De la gloire et de 1'01'; mais la gloire ne se donnc
vraiment pas, et quand un grand homme se présente, I'opinion
de ses concitoyens, en I'escortant devantvous, en I'y devancant
méme , doit réduire votre róle acelui de simples hérauts char-
gés de proclamer ses services a la reconnaissance publique.
L'état présent de la civilisation veut qu'on nous invite ay join-
dre de 1'01' ou des terres; ce n'est plus quand d'élégants hótels
s'élevent de toute part , lorsque le ciscan fait palpiterle bronzc,
ou que la toile s'anime sous le pinceau , qu'il faut désirer dans
ces emplois des Fabricius et des Cincinnatus! )) 1\1. de Kératry
proposa un nouveau projet de loi, et ce qui excita I'hilaríté de
l'assemblée, c'est qu'en donnant lecture de son propre projet,
JU. de Kératry, reproduisant le préamhule royal, donna le titre
de son cousin a 1\1. le duc de Hichelicu. 1\1. Cornet d'Incourt
presenta le noble duc comme une victime de lU. Decazes , qui,
apres l'avoir sacrifiée, venait ensuite la couronner de fleurs.
« N'allez pas attacher par une chalne d'or lU. de Richelieu lui-
mémeau chal' du vainqueur, et s'il emporte quelque regretdans
sa retraite, sur l' état oú il laisse sa patrie, souffrez aussi qu'il y
porte le mérite du désintéressement. » - « Voyons la question
legale , répliqua 1\1. Siméon, J..oin d'apercevoir, dans l'ahandou




CHAPITRE XIY. 391
par Iequel le Roi demande le consentement des Chambres, rien
(fui blesse ni la Charte , ni les intéréts de l' État , je vois au
contraire un grand avantage, celui d'ajouter a la récompense ,
de la rendre tout a la fois royale et nationale : nationale par
la loi qui la déferc , royale paree que le Roi oífre d'en faire
les fonds. » - « S'il ne s'agit que d'ajouter un ou deux mil-
lions aux charges de I'État, (lit LU. d'Argenson , a quoi hon
s'arréter a si peu de chose? Ce serait une faible dépeuse en
comparaison de tant d'autres si préjudiciables a la nation;
tous nos revenus ne sont-ils pas consacrés a fonder l'oppres-
sion? C'est par eux que se maintient agrands frais un systeme
adrninistratif , concu dans un esprit d'asservissement! Nos
finances s'épuisent a solder une multitude d'officiers sans
Iroupe , des troupes étrangcres , une nomhreuse gendarmerie;
il faut au Gouvernement des directeurs salariés, des régisseurs,
des inspecteurs. » LU. de Senes, qui défendit le projet du Gou-
vernement, a peine toucha les points divers qu'avait soulevés
M. d'Argenson; il s'arréta toujours ¡\ la question légale et con-
stitutionnclle des majorats. 1\1. de Courvoisier vint également
au seconrs du ministére par un amendement qui conciliait les
opiníons raisonnahles ; il proposa qu'a l'extinction de la ligne
directo la dotation rentrát dans les domaines de l'l~tat; c'était
constituer purement et simplemeut une dotation viagere , cal' le
duc de Ilichelieu n'avait pas de postérité légitime, et chacun
savait qu'il ne pouvait en avoir, C'est dans cetre discussion que
fut cntendu pour la premiére fois LU. Manuel; son discours ,
trcs-Iaible , ne produisit aucune impression sur l'assemblée :
c'était une dissertatíon d'avocat pále et décolorée; rien de
l'honune politique ne s'y faisait remarquer. Enfin on arriva aux
résultats; l'arneudement de 1\1. de Courvoisier, que la commission
avait fait sien, fut mis aux voix; lU. LUestadier, qui voulait
sauver un grand déplaisir a lU. de B.ichelieu , sous- amenda la
proposition de lU. de Courvoisieren demandant que l'article ex-
primát que l\l. de Itichelieu pourrait substituer l'absence de la
ligne directe par l'adoption ; on ne discuta pas méme ce sous-




392 mSTüIRE DE LA RESTAURATlÜN.
ameudemcnt , le projet réduit h une simple dotation pcrsonnclle
fut adopté, et encore il se trouva 95 boules noires contrc '126
blanches, A la Chambre des Pairs les choses se passerent avec
plus de convenancc, Toutes ces circonstances avaient profon-
dément aigri 1\1. le duc de Richelieu; il n'avait pas demandé
de dotation, et cette dotation était devenue le sujet de discus-
sions et de pamphlets; on avait dit dans ces pamphlets que l\1. le
duc de Richelieu touchait le traitement de ministre d'État, et
il en avait fait l'abandon au Trésor! on disait encere qu'il jouis-
sait d'une pension comme général au servlce de Russie, et .la-
mais depuis sa rentrée en France il n'avait voulu toucher un
rouble du Czar! on disait qu'il avait recu sous l'Empire d'im-
menses foréts de sa famille, et lU. de Richelieu les avait aban-
données a ses créanciers! 1U. de Riehelieu avait refusé toute
dotation pécuniairc , et si a la fin il consentait a recevoir quel-
que chose sur les domaines de l'Etat, c'était dans l'intention de
le transmettre a son neveu avec la pairie. 1\1. de Richelieu était
trop avancé dans la vie , il l'avait trop usée pour espérer une
postérité. C'était un majorat viager, sorte d'institution bátarde
qu'on lui conférait. 1\1. de Richelieu ne voulut ríen accepter
pour lui-mémc, Quoique sans fortune, il conféra les 50000 fr.
de rente qu' on lui accordait aux hospices de Bordeaux. Il y
avait dans cette générosité de lU. de Richelieu tout ala fois de
ce désintéressement qu'il portait h un si haut degré, et de cette
fierté de caractere qui s'offensait de toutes les petites difficultés
qu'avait soulevées la Chambre des Députés, 1\1. de Richelieu ne
voulait de cette faveur que pour la transmcttre : en lui ótant
cette faculté du majorat elle n'avait plus de prix pour lui. JI se
fit le bienfaiteur des hospices de Bordeaux. « Je ne comprends
ras la Chambre des Députés , écrivait-il; elle veut faire quelque
chose pour moi, et précisément elle me frappe en ce que j'ai
de plus cher; les pamphlétaires aceusent mon honneur, et l'on
me donne un majorat dont je ne puis user, cal' personnellerncut
jc n'ai besoin de rien , et si j'ai quelque ambition, c'est pour
ma Iamille. JI




CHAPITRE XIV. 393
Le ministére s'était formé le 28 décembre 1818, et au 30


janvieraucun projet de loi politique n'avait encore été présenté,
L'opinion fort impatiente murmurait déja contre le nouveau
Cabinet. Le premier devoir d'une administration, lorsqu'elle
entre aux afIaires, estd'indiquer et dedévelopper immédiatement
ses principes politiques, Les arrangements ministériels doivent
reposer sur des príncipes arrétés , et ces principes se révéler en
face de l'opinion, afin qu'elle puisse eomprendre, suivre et
juger la direction du nouveau pouvoir, La grande faute de l'ad-
ministration de 1\1. Dessolle fut précisément cette incertitude.
On vit d'ahord un changement dans la ligne politique par le
choix des hornrnes, et puis ces hornmes resterent pendant un
rnois lesbras croisés. On s'était jusque-la horné ala discussion
sur la récompeuse nationale décernée alU. de Richelieu. Ensuite
un projet de loi presenté par JU. Louis, constitua une année
financiere de dix-huit mois afin de régulariser ce service. Enfin,
le 27 janvier, 1U. de Serres développa les motifs d'un projet de
loi sur la responsabilité ministérielle. Ce projet, discuté plu-
sieurs jours dans un conseil de Cabinet, composé de l\l~1. Pas-
quier, Garniel', Siméon, Cuvier et des ministres secrétaires
d'État , ceuvre des doctrinaires, reposait sur des combinaisons
vagues encere : « La Chambre ne pouvait accuser les ministres
que sur la dénonciatíon de cinq de ses membres , Iaquelle con-
tiendrait les faits de concussion et de trahison araison desquels
les ministres étaient accusés. Cettedénonciation devaitétre faite
en séance publique; la Chambre passait a l'ordre du jour ou
ordonnait la communication des faits au ministre inculpé. Huit
jours aprés cette dénonciation. la Chambre devait entendre les
renscignements que le ministre présentait, et statuait, apres dis-
cussion, s'il y avait lieu de poursuivre; en ce dernier cas, une
commission était désignée; cette commission vérifiait tous les
gricfs et les justifications; les députés signataires de la dénon-
ciation dcvaient également étre entendus. Dans la quinzaine ou
un mois au plus, la commission faisait sonrapport; la Chambre
délibérait ensuitc si l'accusation avait liéu ; alors elle nommait




394 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
cinq commissaires, qui devaient porter la parole devantla Cham-
bre des Pairs , immédiatement convoquée, Un mandat de prise
de corps ou d'amener était lancé contro le ministre; les com-
missaires poursuivaient l'accusation; les débats devaient étre
publics, et les cinq huitiemes des voix nécessaires pour pro-


,


nancer une' condamnation ; les peines étaient la mort, la dépor-
tation, la détention a perpétuité, la dégradation civique, l'em-
prisonnement a temps. C'était ainsi une loi de procédure et
d'instruction; les erimes et les délits n'étaient pas définis, ou
vaguement c1assés: qu'était-ce que la trahison et la concussion ?
n'y avait-il pas des cas de responsabilité sans trahison ou con-
cussion positive? Rien n'était plus difficile , je le répete, qu'unc
loi sur la responsabilité ministérielle. Il est évident que, sans
s'exposer a tomber dans l'ahsurdité des lois révolutionnaires, on
ne. peut placer un ministreadépartement sous l'action despour-
suites journalieres de tous ceux qui croient avoir aseplaindre
d'une injustice, L'administration, pour marcher dans une voie
forte et rationnelle, a besoin d'une certaine liberté d'action et de
volonté, Au reste ce projet occupait les loisirs des commissions
dans la Chambre des Députés,


Une opposition fortement dessinée se formait dansla Chambrc
des Pairs. C'est de la que devaient partir les premiers coups
contre le cabinet Dessolle. Sousle ministerede LU. de Iliclielieu,
l'influencedu caracterc, des sentiments et des éminents services
du président du Conseil s'exercait sur la majorité, de sorte que
malgré les répugnancesde cette majorité pour la marche souvent
trop libérale du Cabinet, la Chambre des Pairs s'était associée a
la pensée de l'ordonnance du 5 septembre, tout en désirant
néanmoins un point d'arrét apres tant de concessions, Qu'on juge
de sa vive opposition, lorsqu'apres le changement ministériel ,
elle vit l\I. Dessolle a la tete des affaires! Lesamis personnels du
duc de Richelieu, nombreux dans cette Chambre, en furent
blessés, et surtout la fraction cardinaliste, qui, par ses votes, di-
rigeait la majorité, J'ai appelé cardinaliste eette portion de la
Chambre qui se groupait autour du cardinal de Beausset,




CHAPlTRE xrv. 395
]\l. Dcssolle n'avait que peu d'influence personnelle dans la
Chambre des Pairs, et M. Decazes, lui-méme , plus puissant
par son intimité avec le Roi, n'exercait pas non plus cet aseen-
dant qui commande les majorités. Ensuite les Royalistes étaient
poussés about. Les destitutions, les rigueurs ministérielles pleu-
vaient sur eux, et ils étaient en grande force dans la Chambra
des Pairs. Ponr devenir majorité , tout dépendait de leur union
avec les cardinalistes, parti modéré et modérateur. 01', ce parti
vint complétement aeux des l'ouverture de la session de 1818.


Le champ de bataille que l'on choisit fut la loi des élections.
Elle était attaquée au Cháteau; on la considérait comme une
arme puissante dans les mains des révolutionnaires. Dans ces
conjonctures, ]UONSJEUR et la cour agirent dans le sens d'une
démarche politique et décisive de la part de la majorité de la
Chambre des Pairs , afin de pouvoir frapper d'un coup plus effi-
cace l'esprit du Roi et amener une modification a la loi électo-
raleo Les Royalistes sentaient que e'était par la Chambre des
Pairs que le ministere Decazes pouvait et devait étre renversé,
l'essentiel était d'ohtenir l'appui de la fraction cardinaliste. On
négocia des 101's aupres d'elle avec une grande activité. Parmi
les mcmbrcs influents de cette réunion se trouvaient le marquis
de Pastoret, 1\1. Olivier de Vérac et M. de Fontanes, Ce fut par
l'intermédiaire de lU. Olivier de Vérac, caractere de modération
et d'activité, que les Royalistes tirent les premiercs ouvertures
aux cardinalistes. On convint que le parti modéréde la Chambre
des Pairs tenterait une démarche décisive , et prendrait l'initia-
tire contre eette loi fondamentale. M. de Talleyrand, qui alors,
pour ressaisir un peu d'ascendant , s'était tourné vers les Roya-
listes, ne fut pas étranger al'alliance. On jeta lesyeux pour cette
mission sur le marquis Barthélemy, sénateur de l'Empire, et
qu'on ne pouvait pas soupconner d'appartenir exclusivement aux
opinions royalistes. lU. Barthélemy, honnéte homme, d'un esprit
sur et droit , s'engagea a porter le premier coup a la loi d'élec-
tion. C'était parfaitement combiné dans les intéréts royalistes;
on eonflait l'attaque ala fraction la plus modérée de la Chambre,




396 HISTOIRE DE LA RESTAURATlON.
a un fils de la Révolution et de l'Empire, On préparait aiusi k
succes dans la Chambre haute, en meme temps qu'on y ratta-
chait toute la fraction du centre droit de la Chambra des Dépu-
tés. Les choses étant ainsi arrangées, M. Barthélemy développa
sa proposition: (1 Il Ya deux ans qu'un changement important
fut introduit dans nos institutions naissantes par l'établissement
d'un nouveau systeme électoral; les avantages annoncés furent
soutenus avec tant de chaleur, les inconvénients prévus furent
appuyés par des raisonnements si plausibles, qu'il fut permis
d'étre incertain dans une matiére aussi grave; la marche de eette
diseussion rendit méme eette incertitude si naturelle, qu'elle
fut apeu prés partagée par les orateurs du Gouvernement: deux
ans se sont éeoulés, deux épreuves ont été faites, deux fois le
Gouvernement a témoigné des alarmes : c'est par conséquent
pour moi un devoir de conscience que de solliciter aujourd'hui
l'effet d'une promesse qui a déterminé mon vote. Le sentiment
de ce devoir sera partagé sansdoute par eeux qui ont votépar le
mérne motif que moi la loi des éleetions; il sera partagé par
ceux qui ont voté eontre la loi et qui doivent désirer de la voir
modifier de maniere a remédier aux inconvénients qu'ils avaient
prévus ; enfin, il doit étre approuvé par le Gouvernement méme,
qui sera jaloux, sans doute, de justifier aujourd'hui la confianee
qu'il nous inspira a une antro époque. » Cette proposition, ar-
rétée par la société du cardinal de Beausset, avait été rédigée
en comité; elle était vague, mais habilement combinée pour ré-
pondre a toutes les opinions modérées; elle n'engageait ni le
Gouvcrnement , ni la Chambre. « N'y aurait-il pas danger, ré-
pondit 1'1. de Lally, a livrer aux discussions de la Chambre une
proposition sans objet et d'une latitude vraimcnt elfrayante? Si
le marquis de Barthélemy avait demandé au Roide changer telle
ou telIe disposition spéciale de la loi d'élection , l'opinant serait
le premier lui-méme a le soutenir; si, par exemple, il était
vrai que de prétendus patentés eussentexercé le droit d'élection,
non pas en payant 3OOfr. , comme la loi l' exige, mais 75 fr. ,
alors iI serait le premier ~t demander sur ce poínt une dispositiou




CHAPITRE XIV. 397
réparatrice, non pour changerla loi, l'altérer, maisau contraire
pour la faire exécuter rigoureusement. Mais proposer en masse
sur cette loi des changements vagues, indéfinis , demander au
Roi des modifications dont l'objet n'est point indiqué, c'est ce
qui est vraiment inconcevable.


1\1. de Lally devinait l'intention secrete des Boyalistes, ñlais
qu'aUait faire le ministere? prendrait-il parti pour ou contre la
proposition? Les memhres influents de la Chambre des Députés
avaient été consnltés sur ce point. Le coté gauche, oubliant ses
ressentiments et sesoutrages, promettait une majorité compacte,
en harmonie parfaite avec le ministere , s'íl se prononcait. Le
Cabinet d'ailleurs n'avait-il pas été formé dans la pensée du
maintien absolu de la loid'élection? La presseencourageait tous
ses efforts. l\I. Decazes se chargea done de faire connaitre l'opi-
nion du Gouvernement sur la proposition du marquis de Barthé-
lemy. Il répondit « que rien n'était plus important que la réso-
lution qu'aUait prendre la Chambre , quoiqu'il ne s'agit encore
que de savoir si on s'occuperait de l'examende la proposition. »
On avait parlé de promesses faites par les ministres lorsqu'ils
présenterent la loi des élections; « un ministre, lorsqu'il pré-
sente une loi, ne peut rien promettre que de la faire littérale-
ment exécuter, et sans doute rien autre ne fut promis acette
époqne. On a invité les ministres ajustifier la confiance qu'ils
avaicut alors inspirée. Le ministre est persuadé qu'il ne peut
micux justifier cette confiance qu'en repoussant de toutes les
Iorces de sa convictioil, et comme pair et comme ministre, une
proposition qu'il regarde comme la plus [uneste qui puisse 801'-
tir de cette enceinte, » 1\1. Decazes s'était trop engagé; un
homme politique appelé a juger la loi des élections d'aprés les
faits et l'expérience ne devait pas ainsi se prononcer par une
opinion ahsolue ; cal' dans quelle situation fansse ne fut pasplacé
M. Decazes , lorsqu'il demanda Iui-méme la modification de
cette loi? Un des organes le plus influent de la réunion cardi-
naliste, 1\1. de Pastoret, déclara qu'il ne pouvait étre mis en
doute qu'on düt examiner la proposition soumise ala Chambre;


n. 34




398 HISrOIRE DE LA RESrAURATION.
la loi des élections, lorsqu'elle fut discutée aux Pairs , avait él!'
présentée comme un essai dont on pouvait juger les inconvé-
nients et les avantages. Quelques voix qui demanderent l'ordn
du jour furent étouffées par une majorité puissante. Le scrutin
donna les résultats suivants. La totalité des votants étaitde 140;
il Y eut deux bulletins blancs; 89 voix voterent pour qu'on s'oc-
cupát de la proposition; 49 pour l'ordre du jour.


Une levée de boucliers était done faite contre la loi des élec-
tions et par une majorité composée de tout ce que 1'0n avait d:
plus fort et de plus influent dans la pairie'l Quoique le Roi cúl
autorisé M. Decazes 11 faire la déclarationqu'il avait préscntér
lors de la discussion, le vote définitif de la Chambre des Pairs
ébranla sa résolution. Louis XVIII, en voyant les hommes le~
plus modérés, les plus sages, s'élever contre ceHe loi, compri:
que ce n'était point une affaire de parti, mais une question de
conscience et de monarchie. M. Deeazes eut de la peine acon-
vaincre le Roi qu'il fallait persister dans la méme voie, pom
arriver au résultat tant désiré par le l\lonarquc, résultat dr
coneiliation et de paix publique. Le Conseil des ministres se ras
sembla, et il fut arrété que l'on défendrait le systeme électoral
tel qu'il était organisé par la loi du 5 Iévrier, comme une peno
sée du Cabinet et la 'coudition de son existence. 11 y eut cepcn-
dant dans le Conseil des ministres une voix douteuse, celle (11
M. Portal. On lui opposa qu'il fallait attendre au moins l' cxpé-
rience du renouvellernent d'un autre cinquiéme pour jugcr dé-
finitivement l'esprit et la tendance de la loi éleetorale. M. De
cazes s'était d'ailleurs trop fortcment prononeé ala Chambra de
Pairs pour qu'il Iüt possible au ministre de revenir sur une scrn
blable résolution, Dans la vue de soutenir cette tendance di
Gouvernement, pour s'en donner surtout le mérite, le cót
gauehe de la Chambre éleetive résolut de prendre I'initiative
Une proposition fut faite par 1\1. Laffitte, tendant 11 supplier 1
Roi de ne rien changer ala loi des éleetions. Le ministere n'éta
point Iáché de cette démarche, cal' elle pouvait paralyser lr
efforts tentés dans la Chambrc des Pairs, Touteícís , il éprouv




CHAPITRE XIV. 399
quelque peine ~t se voir devaneé par le parti libéral, et la dis-
cussion s'en ressentit a la Chambre des Députés. L'ordre du
jour fut proposé et adopté par la Chambre , fondé sur ee que
la constitution avait fixé des formes régulieres pour le rejet des
propositíons émanées de la pairic; qu'il fallait par conséquent
attendre, pour s'en occuper parlementairement, que la propo-
sitien arrivát dans les formes eonstitutionnelles Pendant ee
temps, le miuistcre avait manreuvró dans la Chambre des
Pairs pour cherchcr a détacher de la proposition la fraction
plus modérée de l'opiniou cardinaliste, II ne put y parvenir ;
le parti royaliste s'en était eomplétement emparé, et il fut
íacile a M. Decazes de s'en convaincre des l'origine de la
discussion, Tous les pairs de eette couleur défendirent la pro-
position Barthélemy; 1\1. de Fontanes en fut l'organe le plus
disert : « JI avait roté la loi des élections; il l'avouait sans dé-
guiscmeut. JI croyait que la démocratie de quatre-v ingt mille
élcctcurs propriótaires sur vingt-sept millions de population
n'était pas redoutable; l'expérience l'avait dé trompé ; M. de
Fontanes déclarait avec franchise que les adversaires de la Ioi
en avaient mieux compris la portée a son origine. L'histoire at-
teste, et trop d'excmples ont prouvé que les ministres en général
soutieunent mieux les droits du Prince que ceirx des peuples,
Les ministres actuels étaient a l'abri de ce reproche. Avee un
ministere despote, la loi devicndrait un instrument, Était-il plus
difficile de multiplier les fraudes des patentes? Il faut done
recourir ala grande propriété territoriale. » 1\1. de Fontanes finit
par un exemple : « Un homme, dit-il, a longtemps effrayé l'Eu-
rope de son ambition ; de quelque maniere qu'on juge les qua-
lités de cet homme extraordinaire , on ne peut lui refuser au
nioins la science du pouvoir, Eh bien! un jour, il préparait
l' organisation de ses collégcs électoraux; j'étais présent. Quelques-
uns de ses conseillers intimes lui disaient que son plan n'était
pas sans danger, que les propriétés importantes restaient en-
core dans les mains des premiers possesseurs, qu'enfin, le choix
des six eents plus imposés dans chaque département raménerait




400 HISTüIRE DE LA RESTAURATION.
lOt ou tard les partisans de l'ancienne monarchie ; il ne fut poim
ébranlé par ces arguments. Voici sa réponse ; d'autres l'ont en-
tendu; je n'y change pas un mot : (1 Ces hommes-la , dites-
vous, sont grands propriétaires; ils neveulent done pas que le
sol tremble? C'est leur intérét et le mien.)) « Le but prochain
de la ligue, répondit lU. Lanjuinais , est de renverser le minis-
tere actuel qui a le choix du Roi'et l'opinion publique. On veut
le remplacer par les hommes les plus exaltés de la faction; en
un mot , c'est le premier acte de la contrc-révolution contre la
Charte, On veut la réduire aun vainsimulacro, ou la remplacer
par des parlements, s'il est possible. Ne vient-on pas de réim-
primer depuis trois jours la protestation du Parlement de París
en 1790! Tout est en guerre dans l'Ouest de la part des enne-
mis déclarés ou secrets de la Charte. lIs ont dans les departe-
ments des assemblées secretes, arrnée secrete, cocarde partí-
culiere ; cette armée est inspectée, soldée ; son matériel est plus
de dix mille fusils anglais. Maintenant , on prophétise par écrit
imprimé, de nouveaux ministres et une grande éclipse au mi-
nistere actueI. )) Tout cela était un peu rldicule; 1\1. Lanjuinais
vota pour M. Decazes.


Le ministere, en menacant les Royallstes d'une promotion de
pairs, espéraitque la proposition serait rcjetée; c'était une illu-
sion; la partie était trop fortement Iiée. 1\1. Decazes declara
que rien au monde ne pourrait déterminer le Cabinet amodi-
fiel' une loi dont les résultats avaient été jusqu'ici rassurants i
le président du Conseil, le marquis Dessolle vint faire a la tri-
bune la méme déclaration : (1 Ce que le ministre de l'intérieur
a déclaré, je le confirme pleinement aujourd'hui; il n'est pas
un de vous qui ne soit informé que le premier effet de cetro
proposition a été de soulever les partis, d'ébranler la confiance,
et de répandre une agitation violente dans la capitale. Déja la
nouvelle arrive que ceue agitation marche et se propage dans
les départements, Si des abus a la loi d'élection existent réel-
lement, ils peuvent et doivent étre constitutionnellement répa-
rés par une loi; je déclare aujourd'hui avec une conviction sin-




CHAPITRE xrv, 401.
cére que j'ai été rassuré par l'cxpéricnec du double essai qui
en a été fait, et les ehoix que son action a produits ne paraissent
pas justifier les alarmes de quclques personnes. » Cette décla-
ration précise du ministére ne changea rien aux eombinaisons
de majorité et de minorité; 9l~ voix voterent l'adoption de la
proposition Barthélemy.


Dans la situation du ministére , eette résolution de la Charn-
hre des Pairs était un acte profondément hostile. Oú cette opinion
s'arréterait-elle ? C'était un manifeste de guerre laneé par la
eour eontre M. Deeazes et le systeme de M. Dessolle. Le mi-
nistére n'avait done qu'a se retirer ou aprendre le parti de briser
une majorité d'opposition par une promotion de pairs, Ceeiétait
fort difficile : d'abord paree que Louis XVIII ne revenait pres-
que jamais de ses préventions eontre certains noms propres ,
ensuíte paree que le Roi répugnait personneIlementabriser dans
un sens tout ~l fait libéral la majorité de la Chambre des Pairs,
I..ouis XVIII avait un sentiment intime de ce qui eonstituait la
force de la royauté, et il n'était pas raché d'avoir eontre la Cham-
bre des Députés , élément de démocratie, un obstacle, une
barriere insurmontable dans le eorps aristocratique. Pour vainero
la résistance royale , 1\1. Dccazes présenta un premier rapport
au Roi, rapport dont le but était de déclarer non avenue l'ordon-
nance du mois d'aoüt 1815, qui avait éliminé de la Chambre
un eertain nombre de ses membres; il prouva au Roi que rien
ne serait mieuxen harmonie avec le principe adopté par la Cou-
ronne , union et oubli-' que de faire rentrer dans le sein de la
Chambre haute tous les pairs qui avaient été privés de ce droit
par !\l. de Talleyrand au second retour de S. l\l. Le Roi fit une
foule d'objections ~l son conseil sur une telle mesure générale et
absolue. C'était avouer qu'on avait illégalement agi en les élimí-
nant. «Je veux, dit le Hoi , qu'ils tiemient leur nomination de
ma seule volonté, ct qu'ils me gardent reconnaissance. » Il
fallut des lors complétement y renoncer. Un JUémoire du mar-
quis DessoIle posa nettemcnt la situation.


« Les deux Chambres, disait-il, vont étre en complete dissi-




lt02 HlSTüIRE DE LA RESTAURATION.
dence sur une question fondamentale, celle qui constitue le
eorps éleetoral, principe démocratique de la eonstitution. I ..es
députés veulcnt maintenir le systeme électoral; les pairs veulent
le modifier. Dans eette position, le ministere de Votre lUajesté
partageant l'opinion de la Chambre élective , il ne reste au Roi
qu'un parti aprendre , c'est ou de dissoudre la Chamhre élec-
tive et de composer un ministerc dans le sens de la majorité de
la Pairie, ou bien de soutenir le ministere et la Chamhre des
Députés , et de briser l'opposition qui s'estformée dans la Cham-
bre des Pairs. «( Ce Mémoire avait ébranlé Louis XVIII, mais ne
l'avait pas entierement déterminé, lorsqu'une circonstance vint
fixer ses irrésolutions. La majorité de la Chambre des Pairs fit la
faute de rejeter systématiquement le projetde loi sur la nou-
vello année fínanciere. C'est en général lc "ice des assemblées
politiques, lorsquelles ohtiennent une victoire , de la pousser
jusqu'a ses dernieres conséquences sans examiner les résultats
imprudente de ce SUCc(~s. Les assemblées se perdent plutót par
des taquineries eontre le Pouvoir que par des coups de force.
Louis XVIII fut profondémcnt hlessé de ce nouveau vote de la
Chambre des Pairs, On put des lors lui faire envisager la possi-
hilité du refus du hudget, et une promotion de pairs fut résolue;
j'ajouterai que le Roi avait été personnellemcnt irrité d'une pro-
position faite par le comte de Castellano, et tendant arévoquer la
loi du 19 oetobre 1815 sur les cris sérlitieux ; non pas qu'il crüt
la loi bonne, mais paree qu'il u'aimait pas que les intentions ]ihé-
rales de son Gouvernemcnt fussent prévcnues par des proposi-
tions individuelles, Le hut du cornte de Castellane , inspiré par
M. de Talleyrand , avait été de donncr quelque popularité nu
partí 'royaliste, alors si violemment attaqué , a cause de la pro-
position Barthélemy. On arréta en conseil de ministres que la
promotion des pairs serait toute politiquc et dans l'intérét du
systeme ministériel. Ces deux points une fois fixés, le travailsur
la pairic ne fut plus qu'uno díscussion sur les personnes. On
pouvait faire rentrer dans la Chambre des Pairs tous les individus
cxclus par l'ordonnancc du mois d'aoüt 1815; j'ai dit comhien




CHAPITRE XIV. 403
Louis XVIII répugnait a cette mesure générale, il fallut done
recourir aun travail nominatif. Il y eut des promotions de con-
venances et de hiérarchie, toutes néanmoins dans l'intérét du
svsteme ministériel. La liste présentée le 5 mars dans le Conseil
contenait soixante-dix pairs; il en fut retranché dix par le Roi,
et trois y furent ajoutés. Louis XVIII ne fit aucune difficulté
pour tout ce qui était militaire, Sous ce rapport il se montra
fort large et fort Iíbéral. Aussi les six maréehaux de Franee qui
n'étaient pas revétus de la pairie la recurent par cette ordon-
nance, C'étaient les maréehaux Suchet, l\Ioncey, Lefévre ,
Davoust, Jourdan, Mortier ; plusieurs lieutenants-généraux de
l'ancienne armée étaient également appelés; c'étaient les comtes
Becker, BeIliard, Claparéde , Dubreton , Dejean, Latour-Mau-
hourg, lUauricc lUathieu, Marescot , Heille, Ruty, Rapp, Ilam-
pon; deux amiraux, Truguet et 'Verhüel; la vieille nohlesse
de robe ou d'épée y comptait le marquis d'Angosse, d'Aragon,
d'Aramon , Raymond de Bérenger, Gramont d'Aster , Félix
d'Hunolstein , le marquis de Pange. Puis MM. Chaptal et
Mollien , Daru, Laforét , Lacépede et de Sussy, y représen-
taicnt l'administration de I'Empire; la magistrature y comptait
1\1. Bastard de l' Étang , et le Conseil d'État le haron Mounier,
qu'on récompensait de ses scrvices dans les négociations d'Aix-
la-Chapclle. 1\1. de Barantc , directeur général, expression des
doctrinaires modérés; Pelct de la Lozere , de la méme couleur;
]U. Portalis , alors en mission aIlome ; M. d'Argout, qui avait
quitté sa préfccture-de Nimes. Deux préfets , 1\11\1. Germiny et
Germain , également promusala pairie, étaient de la plus grande
intimité de 1\1. Decazes. Le Roi ne placa que quelques noms sur
la liste ministériellc, JI considérait cette promotion comme un
acto politique du Cahinet , et iI se serait gardé d'imposer trop de
ses amitiés aux ministres dans la erainte de contrarier leur sys-
teme. JI se contenta de dire en riant a1\1. Decazes: « Laissez-moi
placer sur cette liste au moins mon cousind'Esclignae, afinqu'il
y ait quelqu'un des miens dans les vótres, »1\1. le eomted'Artois
cut également une personnede son intimité, l\l. lecomte Digeon.




404 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
Cette liste de pairs, arrétée le 5 mars, connue a l'ordre dans
la soirée , fut puhliée le lendemain, Des pairs exclus par l'ordon-
nance du 24 juillet, il demeura encore en dehors de la Chambre
MM. Clément de Ris, Dedelay-d'Agier, Fabre de l'Aude, Gas-
sendi, le duc de Praslin, le comte Casa-Bianca, de Ségur el
de Valence : pour s'expliquer comment le Roi avaitfait exception
pour le comte de Ségur et le duc de Praslin, iI faut savoir que
si LouisXVIII pardonnait facilement aux miIitaires, aux hommes
de la République ou de I'Empire de n'avoir pas suivi sa fortune,
il n'oubliait jamais l'abandon de gentilshommes titrés , lorsque
surtout ils appartenaient al'ancienne cour et aux dignités de sa
maison : « Les premiers , aimait-il adire , ne me doivent rien ;
ils sont les enfants du peuple ; ils se sont élevés indépendamment
de ma maison; mais des gentilshommes , lU. de Ségur, qui a
occupé un poste élevé sous le regne de mon frere , s'oublier a
ce point! Ainsi MM. de Pontécoulant et de Grouchy ne purent
jamais rentrer dans les bonnes gráces de Louis XVIII. Deux
ordonnances additionnelles d'une date déja ancienne, l'une du
1e ,' mai, l'autredu 15 septembre 1818, contre-signées par M. de
RicheIieu, permettaient la transmission de la pairie du duc de
Choiseul ason gendre le marquis Mannler. lU. de Greffulhe était
également appelé ala pairie. 1\1. le duc de Choiseul servait alors
parfaitement le systemeministériel ala Chambredes Pairs. 1\1. de
Greffulhe, naturalisé Francais , possédait une fortune immense;
c'était un legs que M. de Itichelien avait laissé a 1\1. Decazes.


La liste des pairs puhliée excita la plus vive indignation dans
le partí royaliste. On parla de mettrc en accusation 1\1. Dccazes.
n y cut des pamphlets et des caricatures spirituellessur lesnou-
veaux pairs. Les indépendants appuyerent la promotion de 1\1. De-
cazes; seulement ils reprochercnt aux ministres de n'avoir pas
admis en principe que les pairs exilés par l'ordonnance du mois
d'aoüt 1815 étaient rappelés de plein droit dansla Chambresans
promotionpersonnelle et individuelle, puisqu'ils n'avaient jamai-
dü en erre exilés, Afin dcfacilitcret de háter le vote desnouveaux
élus, ils furent dispenses de la conditiondu majorat , imposée au




CHAPITllE XIV. 40
cas sculcment OU ils voudraient rendre leur pairio héréditaire.
Cette grande promotion, en manifestant la dircction du Gouver-
nemcnt, facilita la discussion de la proposition Barthélemy, alors
qu'elle arriva dans la Chambre des Députés, Le ministere s'était
prononcé; c'est beaucoup en politique ; le centre gauche, les
doctrinaires , la gauche, une fraction du centre droit, I'entou-
raient encoré. La majorité ne pouvait étre incertaine pour le
rejet de la proposition, La discussion révéla un danger nouveau
pour le miuistere, Ce fut le samcdi 20 mars, anniversaire queles
Iioyalistes ne manquerent pas de faire remarquer , que s'ouvri-
rent les déhats sur la proposition Barthélemy dans le comité se-
cret de la Chambre des Députés, Par qui furent défendues la loi
des élections ct la marche du rninistére ? Par le coté gauche
tout entier; 1\1. Martin de Gray appela le Cahinet une création
constitutionnelle : « la nation respirait ; elle mettait sa confiance
dans la fermeté ministérielle. » lU. de La Fayette défendit égale-
ment ce ministérc, le vétéran patriote félicita le Cahinet sur sa
marche, sur les améliorations qu'il apportait a la constitution.
« C'était ainsi, disait M. de La Fayette , que répondant a l'au-
guste invitation du Roi, la Chambre entrerait dans les améliora-
tions nécessaires encore ala garde nationale, au régime muni-
cipal et au jury. » Par qui, au contraire, furent attaqués le mi-
nistére et la loi d'électíon ? Non plus seulement par 31M. de la
Bourdonnaye, Corbiere et Yillele, mais par les organes du cen-
tre droit; 1\1. Lainé lui-méme défendit la résolution de la Cham-
bre des Pairs. Par la, le Gouvernement dut s'apercevoir quel pas
Il avait fait. Tout le centre droit ne l'avait point encore aban-
donné, mais une grande fraction, au moins, S'appuyer sur la
gauche, était-ce chose possible et chose durable surtout ! L'ex-
périence devait prouver le contraire ; l'opposition de ce cóté, qui
domina des lors la vio du Pouvoir, devint criarde , impérieuse.
Elle exigea des positions aprés les doctrines, et aprés les posi-
tions, elle aurait imposé la cocarde tricolore, la souveraineté du
peuple, la Constitution de 1791 ! Au reste, le danger se révéla
par le scrutin. L'alliance de toute la gauche avec les centres mi-




406 mSTOIRE DE LA RESTAURATION.
nistériels ne donna que les résultats suivants : 150 membres
centre la Tésolution, 9ú pour. Une grande fraction du centre
droit s'était rapprochée de la. droite,


Quand un ministereu'estpasassuré d'une majoritécompaete et
dévouée,oud'une opiniónpuissante, illarechcrche parunesollici-
tude admiuistrative, par uncprotcction des intéréts; le ministere
sentait bien le vice de sa position en préscnce des partis vivants,
actífs,passionnés. Toutes Iesbrauchesdiverscs desserviccspuhlics
furent protégées; on doit a ce ministere de grandes fondations
d'iutéréts généraux , des institutions utiles qui firent I'éclat de la
Ilestauration. S'il.n'y avait pas dans 1\1. Decazes les eonditions ct
les prévoyances élevées de l'homme politique, on ne pouvait lui
refuser les qualiiés d'un hon ministre de I'intéricur ; e'est sous
son ministere que fut reuouveléel'cxposition royale des produits
de l'industrie , cette magnifique solcnnité OÚ tant de merveilles
étaient offertcs a l'orgueil national et aux récompenses royales.
Louis XVIII, qui aimait les grandes choses, approuva cette belle
pensée : il devait y avoir des expositions au moins toutes les
quatre années. Un conseil général d'agriculture fut également
fondé par le soin du ministre de I'intérieur. M. Dccazes exposa
encere au Roi que pour donner une haute impulsion atoutes les
graneles méthodcs d'agriculturc , pour secouder la réunion par-
ticuliero d'hommcs laboricux qui s'occupaient a féconder les
champs, il sarait utile de eréel' un conseil général de dix mem-
hres auprés duministre de l'intérieur , lequel, sous sa prési-
dence, donnerait son avis sur les questions de législation et d'ad-
ministration, et sur les projets et ñlémoircs relatifsa l'agricul-
turc. Le choix des membrcs de ce conseil montra avec quello
impartialité procédait le ministre; aucune opinion n'en fut ex-
clue : ]U. le duc de La Ilochefoucauld-Liancourt, qui était alors
comme le symhole nobiliaire du partí de l'opposition , fut porté
en tete de la liste; le ministre designa lUl\I. Morel de Vindé, le
comte Chaptal , le baron Ramond , Texicr, le comte de Lastey-
rie , Huzard , Bosc , Ilachette et Thouin; tous ces membres
avaient une spécialité , de la popularité surtout , et le ministre




CHAPITRE XIY. 407
cherchait a les attacher a la Maison de Bourbon. Ainsi,
lU. Decazes avait eu l'art d'attirer ~l son systeme deux hommes
qui, appartenant ala haute noblcssc mécontente, exercerent une
certaine influence sur le partí de l'opposition, le duc de Choi-
seul et le duc de Liancourt; il fallait si peu de chose en effet ,
quelque vanité de cour et de gouvernement peut-étro, pour at-
tacher au chal' de la Itcstauration ces ainés de deux familles
illustres et dévouées J. Des commissions particulieres d'adrni-
nistratíon et d'utilité publique furent fondees au ministere de
l'intérieur ; la garde nationale elle-méme , rendue a sadestina-
tion toute municipale, fut placée sous la surveillance d'un co-
mité composé du duc de Choiseul, de 1'1;\1. Allent, Ternaux, de
l\l. le duc de Castries , et de lU. de 'Ven~cl; une commission,
chargée de médíter el préparer une loi municipale , s'organisa
sous la présidcnce de 1\1. Guizot; I'École de droit recut un 1l0U-
vel éclat par la fondation de chaires OU le droit puhlic , le droit
administratif, I'histoire philosophiquo du droit romain, dureut
étre professés. La plus importante, la plus philanthropique de
toutes ces institutions, fut la création du conseil général des pri-
sonso C'est a la Ilestauration qu'on doit surtout cette sollicirudc
de l'autorité pour le sort des prisonniers; la Ilévolution et l'Em-
pire n'y avaient jamáis songé; les gourernements violeuts ou tra-
cassiers n'ont qu'une penséc, se déharrasscr de leurs cnuemis, el
qu'importent les souífrances ,les ennuis des cachots ! Il appar-
tenait a un trüne Iégitime et réparateur d'associer toutes les
hautes classcs au sort des prisonniers, et de placer un priuce de
la Familleroyale, l'héritier de la couronne, a la tete de cettc Ion-
dation piense qui remontait a St.-Louis. Le rapport qui fut pré-
senté au Iloi exposait les améliorationsdéja faites depuis i 81h ;
de nouvelles prisons-rnodéles avaient été aehevées; la nourri-
ture , le couchcr , le vétement des prisonniers, avaient été plus
soignés, On s'étaít occupé de Ieur instruction morale. Le but


I 1\1. de Choiscul étalt d'aillcurs un pcu froid avec l'opinion libérale,
al'occasion d'un preces qu'i1 avait intenté il un de ses aequéreurs de
bíens natíonaux.




408 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
qu'on devait se proposer dans un bon systeme de prison était de
n'infliger aux détenus aucune peine qui dépassát ceBe que la loi
avait voulu leur faire subir en les privant de la liberté. 11 était
du devoir, comme de l'intérét de la société , d'exiger qu'aucun
soin ne füt négligé pour opérer la réforme morale de celui qui
devait rentrer un jour dans son scin. Le ministre, pour attein-
dre ce résultat , proposait la formation d'une société qui pren-
drait le titre de Société rouale des prisons. Le duc de La Ilo-
chefoucauld et le vicomte Mathieu de ñlontmorency, d'opinions
si diverses, mais tous deux d'une vertu si pure , furent appelés
également dans ce conseil, et avec eux le maréchal Suchet, le
duc de Broglie, MM. Delessert, de Marbois, d'Aligre, de Cate-
lan, Chaptal , Pasquier, Daru, Mollien, Saint-Aulaire , Bigot de
Préameneu, Lévi, Delaitre , l'abhé Desjardins, Guizot, Alexan-
dre Delaborde, Cottu, Parizet. te ministre n'avait point exa-
miné la couleur des opinions et les bancs sur lesquels chacun de
ces membrcs siégeait, Il révait une grande fusion de souvenirset
de sentiments politiques : était-ce une illusion ? EBe était celle
du Roi; elle plaisait ~l son esprit et rentrait dans le rñle qu'il
s'était proposé, celui de Henri IV aprés la Ligue, Ce conseil gé-
néral des prisons prit plus tard un asccndant tont politique sous
la dircctiou de JU. le duc d' Angoulcme, M. Dccazes voulait en-
vironner le duc d'Angouléme d'une grande popularité. S. A. H.
avait pareouru toutes les provinces que venait d'évacuer l'arrnéc
d'oecupation, et partout elle exprima des sentiments francais,
La tournée de 1\1. le duc d' Angoulémefut tres-favorable ala Mai-
son de Bourbon. Elle rnélait le drapean blanc aune idée de dé-
livrancc de la patrie. Je ne sache pas qu'a aucuncépoque, méme
les plus brillantes de l'Empire, on ait plus fait pour l'avancement
de la nation; la faute capitale de l\I. Decazcs fut alors de se
montrer trop hostile aux Iloyalistes. e'était sans doute dans sa
situation, cal' il devait ehereher une majorité dans la gauche, el
eette majorité ne pouvait arrivcr que par les places et les posi-
tions politiques; la 111inerve l'imposait ; c'était une guerre aux
fonctionnaires publics , et 1\1. Decazcs comprenait bien le der-




CHAPITRE XIL 409
nier mol de ces grandes hostilités contre les fonctionnaires roya-
listes. Le choix des préfcts s'était rcsseuti de cette néeessité; ce
fut bien autre chose pour les sous-préfets , fonctions plus obs-
cures et dans lesquellcs il était facile de faire entrer les libéraux
de second rango Il y en cut beaucoup de rappelés ; deux listes
tres-nombreuses de sous-préfets furent arrétées a travers les
\ ivcs oppositíons du chateau ; des pensions de retraites furent
accordées a plusieurs des préfets de l'Empire, a des fonction-
naires des Ccnt-Jours, Tout fut ordonnancé , mérne les tentures
ct les musiciens qui avaient servi au Champ-de-ñlai.


Dans l'administration de la justice, 1\1. de Serres montrait
également une vive sollieitude pour les intéréts de la liberté in-
dividuelle. J'ai sous les yeux une cireulaire particuliére du
ministre aux proeureurs géuéraux sur les arrestations méme
judiciaires , admirable témoignage de ce respeet que la Restau-
ration portait ~l la liberté des personnes; je ne puis résister
au désir de la faire connaitre. « Des réclamationsnombreuses ont
signaló dans ces derniers temps divers abus dans l'instruetion
des procédures criminelles ; ces plaintes peuvent n'étre pas
cxemptes d'exagération. Il parait cependant que plusieurs ne
sont que trop fondees. Jc crois done utile de retraeer, sur chacun
de ces points , les príncipes ala stricte applicatíon desquels vous
dcvez sans cesse rappeler les procureurs du roi, les juges d'in-
struction , et chacun des agents judiciaires qui vous sont suhor-
donnés. )) Le ministre voulaitque lorsqu'il ne s'agissaitque d'un
simple délit , le juge 'se bomñt a décerner un mandat de com-
parution , et ne jamáis le convertir en mandat ele dépót , amoins
qu'il n'cxistát de motifs graveset que l'individu ne présentát au-
cune garantie; lorsqu'il s'agissait d'un crime , cas OU le mandat
de dépót était immédiatcment autorisé, la dénonciation ou la
plainte n'étaient pas des índices snffisants, il fallait des probabi-
lites capables de convaincre la conscience du magistrat; et, en
tous les cas, le mandat de dépót ne pouvait étre décerné qu'aprés
l'interrogatoire de l'inculpé. « En pareille circonstanee, disait le
ministre, la circonspcction des magistrats doit étre aussi pour


u, 35




410 HISTOInE DE LA RESTAURATIO~.
tous les citoyens une sauvcgarde. En matiére de simple délit, le
magistrat devait toujours accorder la liberté sous caution. L'in-
terdiction de communiqucr imposée a un prisonnicr ne devait
l'étre que dans des cas rarcs. L'cmploi indiflérent de cette me-
sure contre tous les prisonniers était trop évidemment contraire
a la bonne administration de la justice et aux droits de l'huma-
nité, pour en user en d'autres circonstances que lorsqu'il serait
impérieusement commandé par la néccssité de l'instructiou,
Cette instruction devait étre prompte. Le ministre avait été aussi
profondément étonné qu'affectéde ce que des procédures avaient
duré plusieurs mois; les motifs, de quelque nature qu'ils fusscnt,
ne pouvaient autoriser le juge d'instruction a suspendre les in-
formations, lorsque le proces présentait d'ailleurs des índices
sufIisants. « Attachez-vous , continuait le ministre, a imprimcr
fortenient cette vérité aux magistrats instructcurs, que la célé-
rité dans les informations cst pour eux un devoir impérieux , el
qu'ils se chargcnt d'une grande responsabilité lorsque sans une
nécessité évideute illes prolongent au dela du temps suffisant. )


Quand JU. de Serres s'evprimair ainsi au 110m de la justiee,
les bannis continuaicnt a rccevoir la pcnnission de rentrcr dans
la patrie; le principal acteur des évéuements des Ceut-Jours ,
lU. Marer , obtint cette autorisation. Je nc me suis jamáis bien
expliqué cette importance attachée aJ1. lllaret, esprit exact, mais
sans grande portée politiqueo JU. lUaret n'avait rien de tres-
mcnacant pour la dynastie; il avait meme contracté sous l'Empire
cette obséquiosité politique pour le pouvoir qui provoque el
justifie tous les actes de force et de conservation. Le GOHrPl'-
nement ne demandait qu'une chose aux bannis , c'était un
acte de soumission. Louis XVIII refusait rarcment alors la
grücc d'un proscrit, Il n'y eut d'cxception que pour quelques
hounncs dangereux, OH qui , par la témérité de certaiues
protestations, insultaient encore la royauté légitime. La couduite
dans les Cent-Jours fut eutierement ouhliée, et id, de quels
regrets l'áme n'est-elle pas saisie au souvenir des illustrcs
victimes des víolences de 18í G! Quelques années plus tard , ils




CHAPITRE XIV. 4H
Iussent rentrés dans leurs foyers , et la patrie en deuil n'aurait
pas eu avoilerd'un crépe fúnebre des cendres glorieuses! Tous
les cfforts du ministre furent employés a réparer les infortunes
des hannis; jamais écrivain u'implora vainement I'appui de
lU. Decazes. Il accordadesfaveurs aun grand nombré. Quelque-
Iois l' écrivain , en sortant de rccevoir une gráce du ministre, al-
lait sousmain travaillerdans les Ieuillcs ardentes , oú le ministre
ct sonsysteme u'étaicnt pas ménagés. Une justice a rcndre alors
au cabiuet Dcssolle , c'est qu'il no considera jamáis l'opinion
quand il s'agit d'unc place scientiíique, 1\1. Daunou , anden con-
vcntionncl , presenté pour une chaire au collége de France , fut
nommé , et le ~Monitcllr parla de l'homme éclairé , du savant pro-
Icsscur dont le collégo de Franco vcuait de s'enrichir. Mainte-
nant , que l'onjugc atravcrs qucllesdillicultés toutes ces conccs-
sionsétaicut faites! de quels obstaclcs le ministére était environné!
~I. le maréchal Gouvion-Saint-Cyr uommait-il un vieil officier,
Iaisait-il la moiudre ordouuance sur l' arméc , l\l. Decazes rappe-
lait-il un proscrit, aussitót les ministres étaient dénoncéset ohli-
g(~s de se défendrc d'une résolution généreuse cornme d'uuo mau-
valse action. D'aillcurs les Iloyalistcs avaient-ils tout aIait tort de
s'alarmer de la tcndance des esprits ct du Gouvernement? Les
indépcndauts , Iiers de lcurs succes , ne gnrdaicnt plus de me-
sure. Ils se refuserent dans les élcctions ~l tonte espece de trans-
action; ils voulaicnt lcurs caudidats et aucun autre. Trois élec-
t ions restaient afaire pour complércrla derniere série. Les noms
qui sortirent de l'urne électorale étaicnt tous choisis dans l'ex-
trémc gauche, ce furent ceux de 1\11\1. Daunou, Saint-Aignan et
Jk-njamiu-Constant, N'était-ce pas le cas de reconnaitrc qu'une
loi d'élccrion qui donnait de tels résultats, était évidemmentdan-
gereuse pour la lUaison de Bourbon ? Le ministre trouvait-il au
moins appui dans la Chamhre aupres de cette opinión lihéralc
qu'il soutcnait si chaudcment ? Au contraire , cette opinión le
harcelait a outrance, sans lui faire la moindre coucession. Le
ministre des finances avait presentó une loi sur le monopole du
tahac. Ce projct devint l'arene d'une espéce de pugilat d'économie




412 HISTüIRE DE LA RESTAURATION.
domestique. L'opposition libérale lit ici de grandes professions de
principcs , ce furent des paroles ardentes et presque Iactieuses au
profit des consommateurs : on déclama contre le monopole. Ce
fut bien autre chose al'occasion des pétítions ; tousles désordrcs
trouvaient de I'écho dans la gauche , jamais elle ne se montrait
satisfaite des concessions du Gouvernement ; elle se manifestait
impatiente , irritable! Lesjournaux surtout ne ménagcaient ríen.


Il est plus facile aujourd'hui de parler séricusemcnt et rai-
sonnablement sur la presse. Ceuxqui en furent les plus absolus
partisans sous la Restauration commencent a s'effrayer de ses
licences et 11 comprendre la possihilité des loisd'exception, J'ai
entendu méme des journalistes devcnus administrateurs dé-
clamer avec beaucoup de violence centre les journaux et cette
liberté absolue dont ils ont usé si largcment sous la Restaura-
tion. Il me sera done permis au moins , pour constater un Iait,
de dirc que la loi sur la presse de 1819 fut une concession ini-
rnense que le miuistere fit au partí des indépendants. D'oú vient
done qu'elle fut si vivemcnt attaquée? Dans les journaux, a la
tribune , on la présenta comme attentatoire aux droits de lapro-
priété , cornme un eoup mortel porté 11 la liberté de la presse,
Il y cut meme des écrivains qui dirent : Bendez-nous la censure !
Cette loi renfermait pourtant les deux grands príncipes sur les-
quels cst fondée toute eette liberté : la puhlication des écrits
sans la censure préalable, et le j ury pour juger les délits et les
apprécier. "C'est une ehose 11 rcmarquer que les partis triom-
phants se soient toujours éeriés : « Supprimez , arrétez le~
journaux, e'est de la licenee! e'est du désordre! » et puis , qm
les journaux aient toujours paru plus puissants , plus actif
sur l'opinion! En l'état de la civilisation , avec ses hesoius
c'est une illusion pour le Pouvoir , de croire possible rk
détruire la presse; la presse est une autorité d'intelligencr
qu'on ne peut arrétcr qu'instautanémcnt et d'une maniere ex-
eeptionnelle; les feuilles publiques sont devenues un besoin dl
l' état social. Il u'existe aucunc force humaine qui puisse el
frapper la circulation. J'ajoutc que je ne comprendrais pas 11l




CJIAPITRE xiv. h13
GOIlVCl'l1ement qui nc se préoccuperait pas de la pressc , et de la
diriger surtout; la prcssc pourrait étrc neutraliséc par le talent ,
par toutes les puissances dout un Couvemcment dispose. te
projet de loi presentó par M. de Serres avait été longtemps
elaboré au Conseil d'ttat et discute au Conseil des ministres. Ce
fut un Code eomplet sur la liberté de la presse et les délits
auxquels elle peut donner lieu. 11 fut l' ceuvre commune de
~Bl. de Serres , Iloyer-Collard , Guizot, et de eette fraction
de doctrinaires qu'on pouvait accuser de se perdre dans des
príncipes trop absolus, mais auxqnels on ne peut refuser les lu-
mieres et la science, JU. de Serres exposa avec une grande
clarté la théorie du projet de loi qu'il soumettait aux Chambres.
Telle était la situation des esprits que de tous les cótés on de-
mandait une loi sur la liberté des journaux, Libéraux et Hoya-
listes en sentaieut égalcmcnt le hesoin, Le travail de JU. de
Serres' ne pouvait done trouver des difJicultés que pour les dé-
tails. Il emhrassait toute la législation en trois parties distiuctes :
t". la classification des délits; 2°. la procédure au moyen de la-
qnelle ces délits étaient poursuivis : 3°. enfin, les reglesparticu-
lieres et les garanties qui dcvaient proteger et réprimer tout a
la [oís la pressc périodique. te prcmier projet ne pouvait prétcr
qu'a des amendemcnrs de détails ; 1\1. de Scrrcs était parti d'une
idée large et simple. « La presse , avait-il dit , n'cst ras et ne
peut pas étre considéréc comme un délit on l'occasiou d'un délit
particulier ; elle n' est qu'un instrument par lequel 011 commet
les dólits ordinaires , tels qu'ils sont róglés par le Codepénal. La
commission 1l0111111ée pour l'examen de ce premiar projet de loi
se cornposait de MM. Uelong, Carré , Courvoisier, Bccqucy ,
Paccard , Manuel, le comte de Bondy , Camille-Jordan el Pas-
quier, La majorité était done centre gauche; personne n'avait
Né exclu. l\I. Manuel se trouvait lui-méme mcmbre de la corn-
mission. Qucllc ohjecLion pouvait-ou faire contrc un projct de
loi , immense concession de la Couronno?Cepcndant , MM. Ben-
jamin-Constant ct Manuel chcrcherent a démolir quclques-uns
des articles , ct par une porsévérance que je ne sauraís qualificr




msrornr OE LA RE5TAURATION.


quc comme une taquinerie ou une maladresse , iIs s'attachereut
ü démontrer que l'article qui protégeait d'une manierespéciale
la royauté et punissait particuliercment les crimes contre l'auto-
rité royale , était une supcrfétation, Le second projet de loi sur
la procédure accordait le jury en matiere de presse; cette dis-
position généreuse ne sauva pas le ministere des vives atteintes
des indépendants; tout le systeme de procédure établi par le
projet de loi fut attaqué; 1\1. de Serres montra dans toute cette
discussion un talent éminent : quoique son déhit eüt quelque
chose de difficile , de maladif, il fut hrillant , supérieur a la tri-
bune, et ily parut jusqu'a dix fois dans une seule séance; la
Chambre était étonnée de cette facilité puissante qui ramassait
et discutait toutes les objections avec une supériorité remar-
quahle, 1\1. de Serres dit tout haut sa pensée , pcut-étre avec une
sincérité et un entrainement qui ne fut pas toujours habilc ; il
se laissa aller jusqu'a proclamer que la majorité de la Convention
était honne. C'était une vérité , peut-étre , mais une de ces vé-
rités qu'il fallait laisser al'histoire sans la jeter dans une Chamhre
en présence d'une royauté restaúrée et d'une opinion ardente
qui tirait parti des moindres circonstances pour calomnier le
ministere DessolIe. Ce fut sur le troisiéme projet qui rcndait la
liberté aux journaux que les objcctions du partí des indépeudanrs
se montrerent plus ardentes , plus implacables; JUl\I. Bcnjamin-
Constant, Manuel, La Fayette et Corcellcs attaquercnt tont ¿\ la
fois le systeme des cautionnements, indispensable garanrie pom
une industrie qui pouvait etre la cause de tant de délits , et le
systeme particulier de pénalité , et les éditeurs responsables ('1
le dépót ; le projet considérait les journaux commc HIl morlr
spérial de publication , et par conséqucnt il voulait aussi le SOl1-
mcttre ¿\ des garanties spéciales; les indépcndants n'y vovaien
qu'unc forme ordinaire de puhlicité , laquelle devait rentrei
dan s le droit commun. Cependant le projet fnt adoptó ayce dt
légeres modifications; toute la gaucho raisonnahle , le ceu [l'(
gauche , les doctrinaircs , se réunirent pour en votcr I'adoptiou
Hans toute cettc discnssion le cM(; droit s'erraea; j] voulait 1;




CHAPITRE XIV. 415
liberté de la presse, comme tout parti qui n'est pas au pouvoír;
en se dispensant de prendre la responsabiJité du projet; il ne vou-
lait pas subir l'impopularité attachéeaune oppositiou svstérnatique
eontre des dispositions libérales. Il s'appliqua done aune petite
opposition centre la disposition qui touchait ala religion. Ainsí ,
il aurait voulu que le mot reliqion de l'J!.'tat füt prononeé dans
la loi, et qu'on ne pút pas dirc plus tard que la loi était athée;
M. de Marccllus fit profession de foi de catholicisme a la tri-
hune , ou, comme il le dit lui-méme , il confessa sa foi, al'imi-
tation des martyrs, ce qui n' était alors ni dangereux ni utile. .


La vivacité qui avait présidé a eette discussion ne per-
mcttait pas au ministere de s'ahandonner tout afait aux doc-
trines de la gauehe. Le Gouvernement tout entier aurait péri,
confié en de telles mains, La loi sur la responsabilité ministé-
riellc, aprés un rapport rcmarquable de .M. de Courvoisier, n'avait
pas méme été discutée. Il y avait commencement de guerre,
hostilité menacante entre l'extrómc gaucho et le Cabinet; il
existait bien une partie de cette gauche plus modérée, se réu-
nissant chez lU. Ternaux, qui votait avec le Pouvoir; mais par
la force des choses, par l' action des journaux libres, ne devait-
elle pas etre cntrainée tót ou tard avoter avec l'extrémité de son
opinion? Assurément dans l'intimité lU. Benjamin-Constant
avouait que le ministere marchait bien, qu'il faisait les conces-
sions nécessaires; mais lU. Constant l'aurait-il proclamé a la
tribune, ou éerit dans les fcuilles pu bliques ? TeIle est la eondi-
tion des hommes éclairés, placésdans les partis extremes. Ils ne
sont jamáis eux-mémcs , votcnt souvent contre leur conviction ,
e! voila ce qui use si vite ces bolles vies de tribune et de parle-
mcnt! M. de Serres avait acquis une grande popularité libérale
par sa brillante discussion de la presse; il rccevait partout des
éloges , et on chcrchait a l'cntourer pour le pousser a des con-
ccssions nouvelles; il prenait le premier rang dans le ministere
,-is-a-vis l'opinion , ce qui devait hlesser M. Decazes; a la cour,
au contrairc , 1\1. de Serrcs érait attaqué ; on ne lui pardonnait
pas ce qu'on appelait l'éloge de la Convention, ct ce qui avait




416 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
plus vivement Irappé encore, sa dissertation indiíférente sur la
morale religieuse. Tout acoup la réputation lihérale de 1\1. de
Senes s'eflaca al'occasíon des pétitions sur les bannis, te Iloi
avait beaucoup fait pour le rappel des bannis; la gauche solli-
cita des pétitions pour une rentréc en masse; ce n'était plus
une soumission individuelle qu'on offrait au nom des coupables,
mais un pardon légal, une amnistie indépeudante de la clémence
royale , sollicitée et obtenue par l'intervention de la Charnbre.
1\1. Dessolle pensait que l'initiative de la Chambre pouvait servir
l'intention du Cabinet pour le rappel des 'haunis; 1\1. Decazes
croyait au contraire que si l'on íorcait la maiu au Roi, il serait
plus difficile d'obtenir les actes de sa clémence; 1\1. de Caumartin
avait été designé comme rapporteur pour conclure au renvoi de
la pétition au Conseil des ministres. Au moment de la séance
méme , sur les observationsde J\I. Decazes, la majorité se décida
pour l'ordre du jour, et désigna .1\1. de Cotton pour rapporteur.
Celui-ci disait : « La bonté inaltérable du Roi a Iait fléchir pour
heaucoup d'entre les bannis la rigueur de la loi, terminé l'exil
de ceux qu'un regret sincere et le poidsde l'infortune out portés
a l'irnplorer ; ils peuvent toujours y faire entendre les expressions
de leur douleur et de leur repentir ; mais nous aqui ríen ne
peut faire apprécier ni l'étendue ni la gravité des torts qui pi'~­
sent sur chaque individu, ni leur sentiment, ni leur eonduite
présente , ni l'effet de leur conduite future et générale, nous ap-
partient-il de déclarer que le 'I'róne peut eesser de veiller a sa
propre conservation? » Alors J\I. de Senes fit entendre d'élo-
quentes paroles. « Dans les pétitions qui sont présentées , on rc-
marquera, dit le ministre, qu'il n'cst pas sculement question
des individus temporairement exilés en vertu de I'articlc JI de
la.Ioi du 12 janvier 1816, mais de tous les iudividus indistinc-
tement qui ont été bannis par cette loi, de tclle sorte que les
pétitions s'appliquent non-seulemcnt aux régicides , mais a la
famille de Eonaparte elle-méme. Lorsque la déplorable journée
du 20 mars cut apparu au milieu de la eonsternation pro-
fonde de tous les hons citoyens et de la joic d'un petit nombre




CIIAPITRE xrv. 417
de perturhateurs , lorsque des confius de 1'1\sic aux ríves de
I'Océan l'Europe se fut ébranlóc , que la Fraucc se vit envahie
par des millions de soldats étrangcrs , lorsqu'elle cut été dé-
pouillée de sa Iortune , de ses monumcnts et que son territoire
cut été démernhró , chacun sentit que le prcmier besoin de
l'Úat était de détendre la royauté par des mesures séveres
el préservatrices de calamites nouvelles ; alors s'éleva la ques-
tion de savoir si les individus qui avaient concouru par leur
vote a la mort de Louis XVI dcvaient étro éloignés du terri-
toire francais ; chacun connait avec quelle persistancc génércusc
la clémence royale lutta contre la proposition de leur bannisse-
ment. Des hommes connus par leur dévoucmcnt sans bornes
a la cause royale et aux priucipes constitutionnels soutinrent
la proposition d'amnistie entiere faite par le Roi. lUais quand il
en fut autrernent décidé , quaud l'arrét cut été prononcé , l'arrét
fut irrévocable. Il faut done établir une distinction entre les in-
dividus Irappés par la loi de 1816. Dans une catégorie irrévo-
cable doivent étre placés la Iamille de Bonaparte et les votants;
quant aceux frappés par l'article II, ils ne sont et ne peuvent
Hre frappés que temporaircment. 1) Le garde-des-sceaux ainsi se
résumait: « A I'égard des régicides , jmnais; a l'égard des in-
dividus temporairemcnt exilés, confiance entiere dans la bonté
du Roi. » leí l'cxtréme gaucho se sépara complétement du
ministere ; 1\1. de Serres avait prononcé cette exprcssion ahsolue
de jomais , elle fut commentée dans les journaux et incriminée
arce fureur, 1\1. de.Serres et le Conseil des ministres furent
cffrayés de l'effet produit ; on ajouta dans le texte du Moniteur
la phrasc suivantc : A l' éqard des rcqicides , [amais , sau] la
tolcrance accordce par la clémence du Roi a l' áge et aux in-
{irmites ° C'était un correctif qui ne pouvait calmer les indépen-
dants, Les hommcs parlementaires ne doivent jamáis s'exprimer
ainsi ~l la tribune par des expressions solennelles qui restent
COllU11e des professions de priucipes , et qu'on peut rappcler sans
cesse comme Ull reproche. Et d'ailleurs , qui peut prononcer le
mot [amais en politiqne !




418 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
Le résultat de cette discussion fut de prouver surtout l'im-


possibilité mieux constatée encore de marcher avec la gauche.
Il fallait chercher appui autre part, un appui royaliste et natio-
nal sans révolution! lU. de Serres, commencant des 101's a se
séparer du parti de la gauche, comprit les maux qu'on préparait
a la Monarchie ; il s'arréta, lui, homme de conscience et de
loyauté, et forma avec le timide 1\1. Portal un commcncement
d'opposition dans le Conseil. Cette opposition ala loi d'élection
devait plus tard se grossir et triompher enfin par l'adhésion de
1\1. Decazes. On ne doit point omettre, a l'occasion de cette
discussion sur les bannis , une circonstance qui fit alors assez
d'éclat , je veux parler du fameux secret de 1\1. Bignon. L'ora-
teur fit imprimer une opinion qu'il n'avait pu prononcer a la
tribune, et dans cette opinion iI menaca le Gouverncment de
la révélation d'un secret terrible a l'occasion des bannis; les
ministres provoquerent 1\1. Bignon aplusieurs reprises de s'ex-
pliquer , sous peine de le flétrir du titre de calomniateur. Il se
tint dans une inexplicable réserve , en prétextant l'intérét des
hannis eux-mérnes, excuse puérile , cal' la publicité d'un fait
ou d'une transaction favorable aux proscrits ne pouvait en aucun
cas leur nuire! Poussé a hout , 1\1. Bignon fit insinuer qu'il
s'agissait de la ratification par le Roi de la convention de I)aris
en 1815, et de laqueIle résultait un oubli absolu des opinions.
Si c'était la le secret de 1\1. Bignon, il était livré depuis long-
temps a la discussion; 1\1. Dupin avait commeneé a le plaider
comme un moyen de déíense lors du preces du maréchal Ney.
Aurai - je hesoin de rappeler qu'il n'existait aueune ratification
écrite par le Roi, et que Louis XVIII n'avait jamais pris d'cn-
gagement positif et explicite a ce sujet? La prétention de 1\1. Bi-
gnon était de savoir heaueoup les aflaires , et en 1815, ainsi que
dans toutes les transactions qui avaient suivi eette époque ,
M. Bignon n'avait été que faiblement initié. 1\1. Bignon, comme
1\1. de La Fayette , comme tous les plénipotentiaircs des Ceut-
Jours, avaient été joués par Fouché, qui ne leur avait dit que
ce qu'il voulait leur laisser croirc ; Fouché, ¿l qui la parole hu-




CHAPITRE XIV. 419
maine ne coütait rien , avait promis une ratification solennclle
pour rassurer les timides , raffermir les incertains, et en finir
avec cctte opposition de la Chamhre des Ileprésentauts , assez
niaise pour s'étre mise a la suite du ministre de la police et le
servir daus ses perites vengeances contre Napoléon, et dans ses
calculs d'avenir et de restauration bourbonnienne !


La presse prenait déja une attitude menacante , tous les jour-
naux dcvaicnt périr par la loi politiquc. On l'avait dit et écrit,
et pourtant jamais il n'y cut plus de journaux qu'apres cette loi.
Chaqué parti, chaque nuance eut ses organes. Le Gouverne-
ment n'avouait que le Monitcur, mais il avait pour interpretes
el pour défenseurs officieux le Journal de Paris et le Journal.
des llfaÍ1'cs, écrits sous une commune direction. Le rninistere
avait confié la dircction du Journal de París a des gens d'es-
prit, a des écrivains d'habileté , MiU. Villemain, Linguay,
Ourry; la paraissaient ces déclarations de príncipe reproduites
ensuite par le Monitcur, les articles destinés arassurer l'opinion,
~l exprimer la pensée du Gouvcrncment. On y Iaisait souvcnt
une guerre vive , spirituelle 11. l'opposition, Le Journal de:
l/aires étuit sous la protcctlon spéciale de M. Decazes. 11 le
destiuait Ü éclairer les campagnes et a porter aux connuuues
les intcntions ministériellcs. Le Iloi Iui-mémene dédaignait pas
de rédiger quelqucfois les articles de ce journal , el , cornme on
le pensé bien, le ministre ne manquait pas de lui dire que ces
articIes avaient produit le plus graud clfet, Plus tard le Aloni-
tcur s'associa des écrivains également de mérite , et chargés de
répondre 11. la polémiquc journaliere des Ieuilles périodiqucs,
Sans avoir tout afait la couleur ministérielle, le Courrier j dé-
Iendait les acres du ministére Dessolle , expression de la partie
doctrinaire du Cabinet; il offrait , commc toutc cette école , de
la philcsophic , un style souvent élevé , mais lourd et préten-
tieux ; le Courrier u'était pas populaire. Quand il voulait faire


1 11 n'avait aucun rapport 'üH'C le Courrier {rancais qui a succédé
á. la Renomméc.




420 IHSTülHE DE LA HESTAURATlON.
de la grñco, de la plaisanteric , un homme d'esprit disait qu'il
rcssemblait aun ours qui danse. JI avait tout le talent néces-
saire pour composer un livre , et ríen de ce qui fait in [ournal,
e' est-á-diré cet esprit vif , pressant , cette polémique qui atta-
que et dévore un principe ou une réputation politiqueo Les
principaux rédacteurs du Courrier étaicnt l\D1. de Kératry ,
Hoyer-Collard. Il répondait a cctte nuance de la Chambre qui
se réunissait chez 1'1. Ternaux, Le Constitutionnel avait adoptó
une couleur d'opposition moins fortement prononcée que la
Bcnonunéc et l' lndépcndant. La mission qu'il s'était donnée
était de relever les griefs , d'admettrc les plaintes plus ou moius
fondées de toutes les localités. Y avait-il un déni de justice , un
petit despotismo des maires et des préícts , tout aussitót le
COJlStitlllionncL s'élcvait centre l'cnvahissement du pouvoir par
l'esprit prétre ou administratif Il le faisait avec tout cet exté-
rieur d'impartialité et de sincérité qui Irappe les esprits, Aussi
sa popularité s'accroissait-ellc d'une maniere immeuse. Il n'était
)las de petit commercant qui n'cút son Constitutionnel. Ce titre
plaisait d'ailleurs, Il n'anuoncait pas uue polémique implacable
contra le Pouvoir ; il offrait l'idée d'une défense calme, impar-
tialc , qui conviait les esprits aux douceurs d'un régime légal el
paternel; et puis il rappelait la gloire des vieux soldats; les ba-
tailles de la Ilépuhliquc el de I'Empire , les victoires et con-
quétes, Ce journal était l'édigé par les mémes écrivains que la
Minerva. C'était apeu pres le méme ton, les memes habitudes
de style , le méme talent calme, froid , et n'ayant de la verve
que lorsque 1\1. Étienne lui prétait sa plumo mordante. L-'Ind(;-
pcndant et la Bcnonunce, plus vifs ct plus violents (Ine le COII-
stitutionncl et les autres organesdc l'opposition , harcelaient le
Pouvoir avec vigueur. Ils étaicnt rédigés par de jeunes tetes
profondément aigries contre la Itcstauration. Les uns , dévoués
a l'Empirc qu'ils avaicut servi avec honncur, rcgrettaicnt Napo-
léon et ses aloircs. Ces écrivains avaicnt les vcnx fixés sur


L' •


Snintc-Ilélene et sur le grand capitaine , (IUC leurs vreux rap-
pclaicnt au trñne. tes autrcs , uourris rl'idécs de liberté ct d'in-




CHAPlTRE XI\. ~21
dépcndance de la Patrie, voulaicut établir en France un sys-
teme incompatible avec l'existence de la Jlaison de Bourbon. Ils
déguisaient ~I peine leurs vceux , et depuis l'iustitutiou du jury
ils comptaient sur l'impunité. Ces dcux journaux , qui avaient
une grande popularité aParis , étaient a peine connus en pro-
vince , cal' c'est le propre des opinions ardentes d'avoir un
cercIe bruyant, mais peu nombreux. Apres ces journaux, et
placé dans une catégorie a part, se trouvait le Censeur curo-
pcen, espéce de magister a férule , passant en revue l'Europe
et les Cahinets , la France et ses institutions, Les articles du
Censeur étaient ordinairement froids et lourds. Les formes
d'un style pesant ne réussissent pas, ce style serait-il tres-
constitutionnel; aussi MM. Comte et Dunoyer parIaient a un
petit nombre d'abonnés. Le Gouvernement fit peut-étre, acette
époque , un peu trop d'attention aux pamphlets tres-peu dan-
gereux de M. Comte, cal' ils n'allaient ni loin ni foil. La
Bibtiotheque historique ~ le Nouvel Honune gris ~ frappaient ;:;:
avec une grande violence et souvent avec un talent tres-distin- i ~,~
gué contre la Restauration; ces recueils avaient une portée! ~
bien plus populaire et plus redoutable que le Censeur. \ 'ft>


Lesjournauxroyalistes, je le disencore avecconviction, avaient ". /.
une supériorité marquée sur les feuilles libérales. Lorsque la
censure fut abolie et la liberté rendue aux opinions , chacun des
journaux se rangea sous une hauniere spéciale, Le Journal des
Debats~ aqui, sous l'empire de la censure, le ministére impo-
sait ses articles , passa aux opiuious royalistes ; il Yavait toujours
la un grand talent de style , une maniere hautaine, aristocra-
tique dans ses querelles avec le Pouvoir ; il traitait en quelquc
sorte dc puissance a puissance. Rien dans le parti lihéral ne
pouvait se comparer a l'eífet produit par lesarticles du Jouruai
des Débats. C'était une terreur dans le campministériel quand
on savait que l'HI. de Cháteauhriand ou Bertin de Vaux aigui-
saient leurs armes. Le Journal des Dcbats avait surtont cette
énergie d'expression que posséde éminemment l'aristocratie at-
taquant une autorité qu'elle regarde en facc , paree qu'elle est


IL 36




422 IlISTOIRE DE LA RESTAURATlON.
accoutumée ala dominer. A cñté du Journol des Débats ~ e
dans un ordre d'idées plus religieusement et plusmonarchique-
ment ahsolnes , était placée la Quotidienne ~ avec ses articles
spirituels , mordants, quelquefois mystiques ou coleres, EJ1(
était essentiellementla feuille de la cour et du clergé. Le Lournat
des Débats avait souvent une trop grande supériorité, d'idées
pour plaire a la petite aristocratie; il n'était pas assez religieux
et trop mondain. La Quotidienne répondait mieux aux besoins,
aux impressions du parti d'église et de cháteau dont elle était
le journal de prédilection. Les rédacteurs avaieut beaucoup d'es-
prit, mais la premiere condition de l'esprit d'uu journaliste est
de savoir se plier aux sentiments etjusqu'aux préjugésde l'opi-
nion alaquelle on s'adresse. Ensuite, connne dans tous lespar-
tis , il Yavait un journal de violences et de personnalités; triste
condition des opinions exagérées , elles marchent l'injure a
la bouche, s'abandonnant pour cela aux esprits ardents, a ces
troupes Iégeres, aux cosaques du parti. Telle était la mission du
Drapeau blanc ~ dont la direction était confiée a l\I. Martain-
ville. Je n'ai pas besoin de dire que cejournal, souvent désavoué
par son parti, se permettait tout, oífenses contre le Pouvoir,
contre le Roi lui-méme. On ne pouvait refuser a lU. lUartaiu-
villedu mordant , de la verve contre la Révolution et ses parti-
sans , mais tout cela accompagné de je ne saisquelle expression
injurieuse , menacante ; c'était une plume trempée dans la lic
des partís,


Dans cette grande lutte des opinions il restait peu de place a
la popularité des ministres; tout était soumis aux coups de la
liberté de la presse, liberté alors sans frein , véritablc saturnale
de révolution, Le miuistere , pour lutter aux yeux de I'Europe
contre l'influence de la presse ou des rapports secrets et des in-
sinuations qui pouvaient étre faits sur la situation de la France ,
donna alors une grande extensión a la correspondance privée a
l'extérieur. Je crois savoir que ces lettres ne s'écrivaient pas
tout a fait en dehors du Cabinct; elles étaient l'ceuvre d'uu
honune d'esprit que j'ai déja désigué. Souvent injurieuses, elles




CHAPURE XIY. 423
sont toujours instructives pour l'histoire du temps, Tous les faits
Il'Y sont pas; on ne peut y trouver tous les secrets du Cabinet;
mais il y a toujours une révélation de la pensée ministérielle, et
c'est beaucoup quand on écrit. Cette correspondance privée
attaquait les ultra-royalistes. C'étaient eux en effet qui bles-
saient le plus proíondément le ministre. I1 n'y avait aucune
impartialité; M. Decazes ménageait alors les indépendants
pour s'en faire un appui , mais cet appui manquait par sa base,
cal' la rnajorité des indépendants ne voulaient pas de monarchie,
el surtout pas de Maison de Bourbon. Le ministére était sur la
breche, non pas seulement pour défendre sa propre existence ,
mais pour lutter contre les enncmis de la monarchie légitime.
JI oublia souvent ce dernier devoir. Devant cette lutte áchamée,
journalíere des feuilles quotidiennes, les recueils mensuels ou
hebdomadaires pálissaient. Que pouvaient dire de neuf en effet
et le Conservateur et la l11iner've, méme dans Ieurs Lettres sur
París, qui n'eüt été déja répété plusieurs fois par les journaux?
Le brouhaha de la presse, ce tapage de tant de journaux dont
le feu se croisait, jetaient dans les esprits une prodigieuse
agitation. Les partisans, comme les ennemis de la presse pério-
dique, conviennent de l'eITervescence des esprits produite par
les jonrnaux. Le Pouvoír , qui nie l'influence de la presse , et
qui s'en moque, se fait illusion alui-méme. J'ai YU, j'ai entendu
hien des ministres me dire avec gravité: « La presse n'est rien,
la France n'y fait plus attention » ; et tous ces ministres ont été
successivement dévorés par la presse. Oui, les journaux sont
d'une inf1uence grande, magique, et a cette époque de 1819
surtou~, oú les esprits n'étaient pas faitsencore a ce systeme de
liberté. En sortant de la censure et de ses articles monotones ,
on passait ala liberté excessive. Comment la transition n'eüt-elle
pas été violente! Et pour s'en convaincre, il ne fallait que voir
et juger l'état des opinions et des partís, Les Bonapartístes n'a-
vaient rien perdu de Ieurs espérances. Des tentatives avaient été
faites pour enlever Napoléon del'ile Sainte-Hélene, et la possi-
hilité d'un tel événement réveillait les sympathíes pour une cause




ia« mSrOIRE DE LA RESTAURATION.
qui avait encere dans l'armée et dans la population de si puis-
santes racines. Des gravures séditieuses rappelaient les gloires
francaises , et, au milieu de ces vieux bataillons plantant leur
aigle sur Vienne ou sur Berlin, on jetait ce chapeau , cette rc-
dingote grise, que le peuple saluait de ses souvenirs et de son
enthousiasme; la Restauration, sous leministere Gouvion-Saint-
Cyr, fit tout ce qu'elle put pour attirer ~t elle la vieille armée;
les officiers en demi-solde furent accueillis, traités paternelle-
ment par le ministre, ils remplirent la plupart des cadres des
nouveIles légions et des hataíllons qu'on ajoutait a chacune
d'elles ; mais la Restauration ne pouvait lutter contre un seuti-
ment qui cst dans le cceur de l'homme; lorsqu'un officier est
hahitué a un drapean, lorsqu'il est né sous son ombre, lorsqu'il
s'est élevé a la vil' des conquétes et des batailles , il se détachc
difficilement de ces'souvenirs, et il serait impossihle de répondrc
de lui lorsque ces images reparaissent et lui rappellent ses cou-
leurs, ses tentes, ses aigles et son empereur! Tous les sujets de
l'histoire contemporaine étaient remplisde la puissante image de
Napoléon; elle était gravée dans l'histoire , comme elle était
coulée en bronze; le soldat, dans ses moments de rcpos , répé-
tait les refraíns de la gloire; dans les Ioisirs de la vie militaire ,
dans les réunions d'intimité, les anciens du régiment racontaicnt
les prouesses des bataílles , et toujours le tui glorieux se mélait
aux merveilleuses mémoires. Le parti patriote s'était plus fran-
chement réuni au systeme Dessolle; il Yavait moins de gran-
diose dans ce parti, un plus grand besoin de reposo Ses haines
contre Napoléon suhsistaient encoré, et tout systémequi se rap-
prochait de 1. 789, trouvait son sufTrage; seulement la Restaura-
tion ne pouvait aIler jusqu'au point OU le partí patriote voulait
l'entrainer ; le Gouvernementpartait de la Charte de LouisXVIn,
les Patriotes de la Constitution de 1791. De Ht par conséquent
une impossibilité de se rapprocher : d'une part la légitimité avec
la transmíssion du pouvoir invariable, la souveraineté royale
concédant le pacte constitutionnel : de l'autre la souveraineté du
peuple avee ses conséquences , la déchéance possihle, la consti-




CHAPITRE XIV. 425
tution votée par le peuple, et toutes les utopies absolues, dis-
cussions oiseuses, ces hochets qu'on donne aux masses pour les
séduire et les trompero te parti patriote n'était ni aussi bruyant
ni aussi actif que les Bonapartistes avec lesquels pourtant il était
passagerement uni, cal' lorsqu'il s'agit pour les partis de ren-
verser un principe qui lesoffusque ou les blesse, les antipathies
cessent; ils serrent et confondent leurs rangs pour étre plus
nombreux et plus forts. Maintcnant qu'on a une idée de cet état
des esprits, qu'on se représente un ministere attaqué dans les
deux Chambres par une forte minorité, en présence d'une cour
hostile, exagérant a dessein les dangers de la situation, criant
chaque jour qu'on perdait la monarchie; qu'on se peigne sur-
tout ce ministére , cherchant par tous les moyens et toutes les
concessions possibles a conquérir une majorité de gauche, et
n'y trouvant que vide et exigence impérieuse, nous demandons
si une telle position était longtemps tenable! La discussion du
budget montra tout le vice d'une majorité fondée sur de tels
éléments. Comment espérer que le coté gauche voudrait com-
promettre sa popularité en votant sans observations vives et
foudroyantes les impóts, le budget, les taxes exorbitantes que la
situation commandait? D'ailleurs , n'y avait-il pas un obstacle
qui s'opposait a une alliance solide, sincere, durable du minis-
tere avec le coté gauche? Le Couvernement est obligó de faire
de l'ordre, du pouvoir a tout moment, pour tous les besoins des
services; le coté gauche , au contraire, n'avait en vue qu'une
seule pensée, la popularité.' 01', gouvernement et popularité
sont deux choses fort difíiciles a concilier; voila pourquoi
l'alliance avec le cóté droit et le centre droit a toujours été plus
facile et préférée par tous les ministéres.


Le budget présenté par M. Louisreposaitsur des combinaisons
fort simples: la Chambra avait exigé, dans la demiere session ,
que les comptes des précédcntes années lui fussent produits;
afin de juger si les fonds votésavaient été justement appliqués.
te ministre exécutait ce que la Chambre avait désiré; les comp-
tes des quatre années 1.81.5, 1816, 1.817 et 1818 étaient fournis




lJ26 HISTOInE DE LA RESTAURATIO:.\.
aux Chambres dans un premier projet : c'était ainsi une haute
et nouvelle régularité apportéc dans la loi de flnances, Puis ve-
nait le hudget de l'année 1819, présentant une forte diminu-
tion par suite de l'évacuation du territoire. Le hudgct de 1818
s'était élevé a115lJ649360 fr., non eompris les sacrifices Iaits
pour amener la retraite des étrangers; celui de 1819 n'offrait
plus en dépense que 889210 000 fr. Le ministre demandait ce-
pendant unléger accroissement sur les fonds de plusieurs ser-
vices; par exemple, aux affaires étrangeres , pour les frais de
négociations qui allaient s'agr~ndir et que commandait la nou-
velle attitude de la France al'égard des Puissances de l'Europe ;
le ministere de l'intérieur réclamait une addition a son hudget
pour la protection de l'enseignement mutuel et pour quelques
entreprises scientifiqnes. te département de la guerre, surtout,
sollicitait un large accroissemcnt, l\I. Hoy fut chargé encore
cette année de faire le rapport sur la loi des comptes et le hud-
get; il yapporta un esprit de sévérité et d'analyse enproposant
de retrancher plus de 14 millions sur la masse générale des d{~­
penses. A l'occasion de la loi des comptes, l'extrérne gaucho
s'attacha surtout ala question des emprunts et a la maniere dont
ils avaient été accomplis, l\I. Casimir Périer attaqua l'ensemble
des opérations du comte Corvetto, et souleva encore cetre fJucs-
tion tant de fois renouvelée de savoir s'il n'eüt pas été préférahle
de donner ces emprunts II des maisons francaises, Personne ,
cortes, ne contestait que ce mode de procéder cut été plus na-
tionaI; mais il fallait savoir s'il avait été possible d'agir autre-
ment que ne l'avait fait le ministre, si les étrangers auraicnt
également accepté des maisons francaises , et si le crédit réuni
des maisons Hoppe et Baring ne Ieur oífrait pas plusde garantie
et d'indépendance , enfin s'ils n'en avaient pas fait une condition
du traité, 1\1. Casimir Périer avait trop la science des allaires
pour ignorer que dans les traités il y a deux parties contrae-
tantes, et que les alliés, en consentant al'évacuation du terri-
toire, avaient pu imposer les conditions de cette évacuation, el
désigner les maisons qui lcur offraient le plus de süretés, ñlais




CHAPITRE xtv. h27
iU. Périer était un des hanquiers le plus en avant daus la com-
pagnie francaise , et au juste orgueil d'un empruut uational se
mélait l' espérance d'un bénéíice légitime , mais considérable.
L'administration du comte Corvetto fut déíenduc avec discerne-
ment par MM. Duvergier de IIauranne et Pasquier; M. Laflitte
justifia les opérations de la banque que M. Royavait censurées:
M. Laffitte jouait alors un role politique , la Restanration l'avait
élevé, elle faisait cas de ses lurniéres , elle avait grandi sa for-
tune. L'opposition de la droite et de la gauche extremes se réu-
nirent pour attaquer vivement le budget des recettes et des dé-
penses; l'opposition de gauche parla son langage habituel; elle
accusa le Gouvernement de prodiguer, de dévorer 1'01' des con-
tribuables ; al'entendre , il fallait diminuer les ressources, sup-
primer la plupart des impóts, et avec cela agrandir les services ,
cal' la Légion-d'Ilonneur, les donataires , réclamaieut leur ar-
riéré ; c'était le theme de la gaucho: quant ~l la droite, elle ré-
clamait des secours pour les prétres , pour le clergé , en méme
tcmps qu'elle appelait, comme la gauche, une diminutiou dans
chaqué servicc. Cette discussion du budget montra toute l'ex-
treme gauche opposée au ministérc , et donnant ses boules con-
jointement avec I'extróme droitc, particuliérement pour le rejet
d« plusieurs services du ministere de la guerree Quelle devait
erre la conséqucnce de cettc position? C'est que, dans une
épreuvo prochaine, le cóté gauchc , s'accroissant de quelques
voix , et la droite s'augmentant a son tour de quelques défec-
tions nouvelles du centre droit, le ministere n'aurait plus la ma-
jorité.


Dans la Chambre de Pairs, la promotion des nouveauxmem-
brcs avait violemmcnt brisé la majorité royaliste, mais I'opposi-
tiou au ministérc s'était accrue par l'effetde cette mesure méme.
La premiere conséquence d'une promotion nombreuse de pairie
estde hlesser laChambre de tellesorte que cette méme majorité ,
un instant détruite , se reforme apres plus matérielle et plus


_compacte. Les corps privilégíés n'aiment pas qu'on multiplie les
dignités; c'est ce qu'ils appellent les avilir, et puis ces amours-
~ .




h28 mSTOIRE DE LA RESTAURATI01\'.
proprcs froissés forment autant de mécontentements partiels qui
vonts'unir a l'opposition déjh existante. Lorsque les 60pairs furent
recus dans la Chambre, la fraction cardinaliste se réunit entie-
rement a l'opposition. Quelques pairs promus par la derniére
ordonnanee se joignirent également a eette opposition, de sorte
que le résultat désiré par lU. Deeazes ne se réalisa pas compléte-
ment. La majorité de la pairie ne resta ministérielle qu'un mo-
ment; elle revint asa nature d'opposition aristoeratique. Au sein
de la majorité si violemment brisée par la nomination des 60 pairs,
les haines eontre lU. Deeazes étaient d'une violence extreme. On
parlait toujours de mettre le ministere en accusation, et pour
cela on devait s' entendre avec la minorité de la Chambre des
Députés , et faire une tentative. Les Royalistes en délihérerent
dans quelques réunions , mais ils ne se scntirent pas assez forts.
En politique , un essai malheureux retarde la vietoire; et les
hommes habiles firent justement remarquer que le temps n'était
pas cncore venu. JIfallait d'abord que l'influence des salons et
des événements politiques arrivñtjusqu'au Roi.


Aueune opinión ne posséda mieux que le partí rovaliste
cette habileté qui consiste as'emparer d'une situation et a l'ex-
ploiter. Son idée fixe était que la loi d'élection, eoneeption n~­
volutionnaire, était la cause de' tous les accidents qui se mani-
festaient, non-seulement en France, mais encore en Europe.
Il fallait s'en défaire a tout prix, On "doit reconnaitre qu'il se
révélait depuis six mois une grande agitation dans les esprits,
En France, la liberté de la presse, toute vivante , toute jeunc ,
eommentait le moindre événement. Il y avait eu des désordrcs
dans quelques colléges royaux; des enfants avaient méconnu
l'autorité de leur professeur ; tout aussitót les journaux royalistes
en accusaient le ministere , les lois révolutionnaircs qu'il avait
sollicitées : vinrent ensuite les désordres de l'}~cole de droit ,
désordres mille fois reproduits au ternps de I'Université de París,
espéce de fougue d'étudiants qui n'avait rien de grave. 11 a fallu
une époque comme celle-la pour faire une répntation 11 M. Ba-
voux , esprit fort ordinaire , professcur mediocre. Les mOUF'-




CHAPITRE XIV. 429
ments que ses lecons produisirent, l'acquittement de l\1. Bavoux
par le jury, devinrent encore le sujet des déclamations royalistes
centre le systeme ministériel. Plusieurs autres acquittements eu-
rent lieu en matiere de presse; le j ury renvoyait presque systé-
matiquement les écrivains ; ensuite les élections récentes avaient
produit et M. Benjamin-Constant, et 1\1. Daunou, et M. de
Saint-Aignan. Comment, apres de tels symptómes , disaient les
Royalistes , la monarchie ne se croirair-elle pas menacée? Leurs
journaux réunissaient tous ces faits, qu'ils aggravaient encore
aux yeux de la Couronne. A l'extérieur, les troubles de l'Angle-
ter re , les émeutes de Manchester, les violences des reforma-
teurs agitaient Londres, En Allemagne, les sociétés secretes,
l'assassinat du professeur Kotzebüe, ce sombre fanatismo de
liberté qui procédait par le sang: tout cela était signalé par les
Hoyalistes commc d'inévitahles conséquences du systéme de
MM. Dessolleet Decazes, et de la loi des élections. C'était sou-
vent rapprocher des événements sans aucun rapport les uns
avec les autres, mais le talent de style suppléait a tout dans les
feuilles royalistes. D'un autre coté, les Libéraux, dans l'impa-
tience de la victoire, commettaient mille imprudences. Applau-
dissant a tous ces tumultes extérieurs, ils s'associaient acette
désorganisation sociale , et semblaient appelcr de semblables
catastrophes dans la patrie. Puis, que d'exigences! Tantót ils
déclamaient contre les Suisses, comme si l'Empire n'avait pas
vu les légions portugaises, les ñlamelucks , les Polonaís ! tantót
contre les priviléges d'une garde royale , puis ils demandaient
l'organisation de la garde nationale comme en 1791, espece de
démocratie armée.


Ce fut sur ces entrefaites que lord Witworth arriva a Paris.
Ami du vicomte Castlereagh, le noble lord, sans avoir une mis-
sion officielle, était chargé d'examiner l'état des esprits et la
situation politique de la France , pour juger ensuite des mesures
nécessaires que l' Angleterre pourrait suggérer al'Europe dans
l'intérét de la paix générale et de l'ordre publico Lord 'Vit-




430 HISTOIRE DE LA RESTAURATlON.
worth, a son arrivée , fut entouré par le faubourg Saínt-Cer-
main et la cour, On présumait le but de sa mission, on l'exa-
gérait méme ; an total, on était bien aise de lui donner des
idées fort alarmantes de la situation morale du pays. On ne
tarissait pas contre 1\1. Decazes et la loi d'élections. Lord Wit-
worth n'était pas un homme a idées fort étendues. tes grñces
inimitables du faubourg Saint-Germain devaient hientñt le sé-
duire; il vit peu les ministres, et dans une conférence avec
l\I. Dessolle il lui exprima quelques craintcs sur la situation
générale. Le ministre le rassura en lui dénrontrant que le meil-
leur moyen de repousser la crise menacante pour l'Europc,
c'était de faire aux peuples les concessions justes, nécessaires a
leur prospérité et aleur liberté. Lord Witworth partit sans que
sa mission eüt un résultat bien notable. Cependant ce fut une
démonstration qui enfla les espérances du parti royaliste. Une
visite plus importante fut celle du comte Capo d'Istria qui ,
sans tenir alors auprés d'Alexandre le portefeuille des affaires
étrangéres, avait la plus haute influence dans ce département.
1\1. Capo d'Istria professait de communes opinions avec 1\1. Pozzo
di Borgo, c'est-a-dire , ces idées éclairées , libérales, qui
avaient présidé a l'ordonnance du 5 septemhre. JUais, avec
beaucoup de hons esprits, il était effrayé de la tendance géné-
rale des opinions en Europe; I'empereur Alcxandre s'alarmait
déja; I'assassinat de Kotzcbüe, avec lequell'Empereur était en
correspondance suivie, avait fait une profonde impression sur
son esprit; cependant le ministre vit deux fois Louis XVIII, et
dans ces conférences de plus d'une heure, il entretint le Iloi
de la situation des Cabinets, et l'encourageaapersister dansson
systeme de modération, sans se jeter ni d'un coté ni de l'autre,
« Je crois que ce que Votre l\Iajesté doit éviter avant tout , lui
dit l\I. Capo d'Istria, ce sont les Jacobins, non pas qu'ils puis-
sent étre aujourd'hui positivement a craindre, mais paree que
leur présence dans une Chambre exciterait une terrible crainte
et une vive susceptibilité en Europe, Que Votrc l\lajcsté veuillc




CHAPITRE XIV. 431.
examiner l'état de la presse et de la loi des élections; qu'elle la
compare avee la situation de I'Allemagne; il est a redouter
qu'une juste erainte n'entralne les Cabinets ades mesures d'ex-
eeption et de rigueur, qui pourront plus tard amener une crise, )
I ..e Roi approuva les idées du comte d'Istria, tout en díssipant
ses soupcons sur l'étatmoral de la Franee. Louis XVIII lui fit
comprendre que l'agitation était moins en réalité que dans la
superficie, et qu'elle provenait seulement de cette liberté de la
presse qui exagérait les événements et faisait toujours supposer
l'Europe en feu. Le eomte Capo d'Istria vit les ministres, et par-
ticulierement MM. Dessolle et Decazes, alors asa maison de
eampagne de Madrid. Dans un déjeuner oú MM. Pozzo et Capo
d'Istria assistaient, on résolut de persister dans le systeme éta-
hli par I'ordonnance du 5 septembre , d'éprouver suceessive-
ment la loi des élections, sauf arevenir sur eette loi, si ces es-
sais en eonstataient les vices, et s'il y avait impossibilité d'éta-
blir un systéme raisonnable de liberté et d'ordre publie, avee la
majorité qu'elle donnerait au pays.


L'Europe n'était pas dans des idées aussi libérales. L'agitation
qui tourmentait l' Allemagne la préoccupait vivement. Lord Cast-
lereagh n'était pas éloigné d'entrer dans un grand systéme de ré-
pression de cette excessive liberté qui se manifestait par des assas-
sinats. On devait d'abord s'occuper de l'Allemagnc. M. de ñlet-
ternich avait songé aun congres ; l'empereur de Russie repoussa
cette idée. On se réduisit a une réunion de ministres. 11 fallait
savoir si toutes les Puissances voudraient envoyer également des
plénipotentiaires. La Franee s'y refusait si la réunion avait un ea-
raciere officiel, et M. de lUetternieh se háta d'écrire qu'il ne
s'agissait que de simples eonférenees d'intimité, qui avaient I'Al-
lemagne pour objet exclusif. Chaeune des Puissances envoya a
Carlshad des agents secrets qui , sous divers prétextes , et avee des
caracteres diíférents , devaient suivre les résultats de la confé-
rcnce, Les eours de l' AIlemagne seule s'y firent offieiellement re-
présenter. Le roi de Prusse y vint en personne et eut plusieurs




l!32 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
conférencesavec le prince de lUetternich. 1\1. Dessolle avait eu un
moment la pensée d'y envoyer M. de Jaucourt avec un caracterc
reconnu; il Yrcnonca, et se borna al'envoi d'agcnts secrets. te
roi de Prusse s'était entieremcnt ouvert a.\1. de lUetternich, et le
ministre habile, quí savaitque toute résolution commune agrandi-
rait I'influence de l'Autriche, avait tout afait abondédansle sens
du roi de Prusse; la présidcnce de la Diete étant dévolue al' Au-
triche, on délibéra dans la conférence de Carlsbad une série de
propositions qui seraient soumises au corps représentatif de la
Confédération germanique. Ces propositions portaient sur les
points suivants : « s. JU. I. était persuadée que lesmembresde la
Confédération partageaient avecelle le vceu que la Diete, avantde
s'ajourner, dirigeát son attention particuliére sur l'esprit d'in-
quiétude et de fermentation, dont les symptómes s'étaient depuis
quelque temps plus distinctivement manifestés en Allemagne, ct
qui enfin avait éclaté par des écrits ouvertement séditieux, par
des trames coupahles , embrassant plus d'une partie de l'Alle-
magne , par des faits iudividuels et des attentats atroces. Parmi
les objets qui devaient appeler la sérieuse attention de la Diete se
trouvaient, 10. les vices de l'éducation publique dans les écolcs
et les universités; 2°. I'abus de la presse, et notanunent des
exces auxquels se sont portés les journaux , les feuilles pério-
diques et les écrits éphémeres, )) ]\J. de Mcuernich invitait la
Diete ase prononcer sur le sens authentique de l'acte íédéral,
en ne consultant que le droit puhlic et I'histoire de l'AlIemagne ;
il invitait encore pour qu'on donnát une direction rneilleure aux
universités , car elles étaient un point central d'oú partaieut le
bien et le mal en politique ; quant a la prcsse , il n'était pas
nécessaire de dénoncer ses abus si menacants pour la paix de la
Germanie, oú eette presse n'avait rien respecté. Les désordres
que l'abus de la liberté avait fait naltre s'étaient accrus depui:
que plusieurs assemhlées délihérantes avaient établi la publiciu
des débats et l'avaient étendue a des transaetions qui ne pon
vaient ct ne devaient jamais sortir du sanctuaire du Sénat : un:




CHAPITRE xrv. h33
commission de cinq membres devait entrer en permanence pen-
dant lesvacances de la Diete; tous professeurs ou étudiants qui
enfreíndraicnt les reglements ou qui feraicnt partie des associa-
tions secretes, devaientétre exclus, non-seulementdes universités,
mais a tout jamais privésde la faculté d'arriver a un emploi pu-
blic. Aucun écrit paraíssant en forme de feuilles journalieres ou
de cahiers périodiques, ou ne dépassant pas vingt feuilles d'im-
pression, ne pourrait étre livré ~\ la presse sans le consentement
de l'autorité publique; enfin M. de Metternich proposait une
commission composée de sept membres qui devaient se réunir a
l\layence, dans le hut de faire des recherches scrupuleuses et dé-
taillées sur les menées démagogiques qui avaient agité la Confé-
dération, Espéce de tribunal secret , elle admettait les dénoncia-
tions, pouvait traduire devant elle les personnes compromiscs, les
faire arréter et punir. TeIles étaient les basesde mesures d'ordre
que J\I. de Metternich soumcttait a la Diete. On se serait
étrangement trompé en imaginant que tout systeme répressif
n'avait pas la France en pensée, cal' 1\1. de Mctternich la consi-
dérait comme le foyerde cette grande agitation. M. Bcnjamin-
Constant avait puhlié dans la Minercc une série de lcttres sur
l'état de ]'AIlcmagne qui obtinrent une grande popularité. Les
ministres des différcntes Puissances crurent que le plan d'une
coalition populairc contrc les souverainetés légitimes était con-
certé, el que le coup partait de París. Sans prendre 11. cet égard
une délibération positivc, ils résolurcnt pourtant d'arréter des
mesures , de maniere que, s'il surgissait un événementimprévu
en Francc , ils fussent 11. méme d'en repousser les effets funestos
pour la paix de l'Allemagne. Ce fut toujours la une des pensécs
de lU. de lUctternich ; il examinaitl'état de la France par rapport
a l'autorité de rAutriche sur l'Allemagne et sur I'Italie. En
méme temps des instrucjions secretes furent envoyées au baron
de Vinccnt et a1\1. de Gollz, pour agir dans le sens d'un chan-
gement de systeme. Les deux cours disaient a leurs ministres a
Paris : « qu' elles verraient avec satisfaction une modification ~\
eette ligue politiquc qui donnait une trop grande extension a la


IL 37




434 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
liberté de la presse et des élections. De communes et nouvelles
instructions furent encore formulées. Apres avoir ~xposé et dé-
veloppé les transactions de Carlsbad , et le hut qu'on s'y était
proposé , les ministres d' Autriche et de Prusse ajoutaient : « Les
considérations ci-dessus développées suffiront pour vous mettre
en état de sentir que ces mesures tiennent les unes aux autres,
qu'elles sont la conséquence des mémes principes, qu'elles ten-
dent au mérne but, et qu'elles forment un ensemble qui doit in-
spirer la plus grande confiance dans les résultats et les effets
qu'elles ne manqueront pas de produire. Ilest important surtout
que vous rendiez le ministére aupres duquel vous étes accrédi-
tés, attentif adeux résultats de ce nouveau systeme : les Puis-
sanees de I'Europe, qui ont réuni leurs efforts contre les prin-
cipes de la Révolution francaise , qui ont assis sur leurs antiques
bases la propriété et la légitimité, sont plus que jamais solidaires
pour tout ce qui tient aleur tranquillité intérieure. Un pays ne
peut étre aujourd'hui révolutionné , ou menacé de révolution,
sans que les autres soient ébranlés ou craignent de l'étre, Les
ennemis de I'ordre social, dans les différentes contrées de I'Eu-
rope, sont les mémes , non-seulement par I'identité de prin-
cipes, mais encore par des communications intimes. Les pre-
miers amis et protecteurs de I'ordre social, les Souverains, ne
peuvent se flatter de combattre leurs ennemis avec succes , s'ils
ne sont unis dans ce méme:respect pour les principes, dans les
vigoureuses mesures pour les défendre : ce n'est pas pour eux ,
mais pour les peuples, ce n'est pas par amour du pouvoir, mais
par attachement pour la liberté ,qu'ils doivent tout employer
pour maintenir leur autorité tutélaire. lIs doivent done applau-
dir a ce que l'Allemagne vient de faire, et marcher dans le
méme sens. » Cette circulaire donna lieu adeux notes, adres-
sées a1\1. Dessolle : I'une, fort modérée, du baron de Vincent,
exposait la situation de l'Allemagne , et la nécessité de s'entendre
pour réprimer d'un COl11l11un accord la révolution menacante ;
l'autre, du comte de Goltz, plus décisive et plus forte. La Prussc
avaít des motifs directs de demander des mesures énergiquemeut




CHAPITRE XIY. 435
réprcssives, 1\1. Dessolle ne fit aucune réponse precise , el se
borna aaccuser réception des deux notes eommuniquées.


La France n'avait pris aucun engagement aCarlsbad ; elle n'y
fut point représentée, 1\1. de Caraman ~l Vienne, l'ambassadeur
francais aBerlin , et 1\1. Reinhard, ministre pres de la Confédé-
ration germanique, n'assistérent point aux eonférenees. On sut
seulement ce qui s'y était passé, par les correspondances des agents
sccrets, Il est faux, comme l'a prétendu M. de Pradt, qu'a
Carslhad il ait été pris par la Franee des engagements pour ehan-
gel' la loi électorale et enchainer la presse. Ce ne pouvait étre
alors dans la pensée des ministres francais , qui venaient de créer
des pairs pour le maintien du nouveau systéme. La présence de
1\1. Dessolle et du comte Gouvion-Saint-Cyr dans le Conseil était
une suffisante garantie. Toutefois, a partir de cette époque,
le corps diplomatique , et particuliérement les ministres d' Au-
triche et de Prusse, attaquérent vivement, dans les salons et a
la cour, la loi d'élection, et ils exercérent autour d'eux eette in-
fluence attachée a leur position. Avec une faible idée de la haute
société de Paris, on peut savoir que les ambassadeurs y posse-
dent un pouvoir de paroles , d'insinuation , et il est possible que
des démarches aient été faites aCarlsbad, par des Francais, con-
tre le ministere et le systeme qu'il avait adopté. Des notes secre-
tes furent renouvelées ; elles peignaient sous de tristes eouleurs
l'état de la France et l'agitation des partis. Les journaux roya-
listes invoquerent l'intervention de la Diete, présentérent ses ré-
solutions eomme des modeles; mais ces dénonciations antifran-
caises ne vinrent pas, ne pouvaient venir du minístére, L'em-
percur Alexandre n'était pas meme encore complétement décidé
a réprimer l'esprit des révolutions; la majorité du Parlement an-
glais ne le permettait pas alord Castlereagh.


A cette époque, dans le Cabinet francais , il n'y avait que deux
ministres douteux sur la loi des éleetions, MM. de Serres et Por-
tal. L'arrivée de 1\1. de Richelieu avait fait quelque impression
sur l'esprit de 1\1. Decazes. JI avait vu deux fois le ministre,
qui venait de parcourir une partie de l'Europe , et qui ne rap-




436 HISTOlRE DE LA RESTAURATION.
portait pas des impressions favorables au systéme électoral. Une
porte de salut restait encore a1'administration, c'était le renou-
veñement du dernier cinquieme a la Chambre (\es Députés. 1\
était essentiel de prouver ala France comme au dehors que cette
loi des élections , tant attaquée , ne produisait pas les résultats
révolutionnaires qu'on dénoncait sanS cesse. Il fallait obtenir des
amis de la légitimité et de la constitution. Si le parti des indé-
pendants avait youlu réellement la liberté du pays et la dynastie,
n'aurait-il pas tenu compte de cette position difficile du minis-
tere , qui avait tant fait pour lui !


1\1. Decazes était pénétré de cette idée que, pour dominer les
élections et l' esprit factieux , il fallait rendre 1'administration toute
bienfaisante, et entourer le Roi d'une éclatante popularité. Ce
fut dans l'intervalle de la session de 1818 a1819 que le Roi vi-
sita l'Exposition des produits de l'industrie , ces galeries brillan-
tes, distrihuant ces éloges , ces mots charmants dont il pos-
sédait le secret, et qui laissaient de longs souvenirs. Il n'était pas
un manufacturier qui ne se retirát enchanté de ces visites que le
Roi savait multiplier et rendre si gracieuses pour tous. Des
croix de la Légion-d'I1onneur furent données avec discernement,
et sans distinction d'opinion et de votes; toutes les ordonnan-
ces étaient motivées; les nominations aux conseils généraux
des départements se ressentirent de cette inf1uence impartiale.
M. Decazes protégea par ses circulaires l'enseignement mutuel;
de nombreuses écoles furent fondées sur tous les points du
royaume , et les préfets recurent des instructions pour faire tom-
her les obstacles qui s'opposaient encore a cette méthode d'en-
seignement. Le ministre se montra trop enclin aux perites per-
sécutions libérales contre les freres des écoles chrétiennes , dont
la liberté était aussi sacrée que celle des écoles ala Lancastre.
M. Decazes faisait toute espece de concessions, méme ala réac-
tion révolutionnaire. l\1adame la maréchale Brune avait présenté
au Roi une requéte , pour étre autorisée apoursuivre les assas-
sins de son mari : c'était justice , justice nécessaire contre des
miserables ; mais les partís chcrchaient surtout une occasion de




CHAPITRE XIY. 437
scandale, Toutes les piéces de cet atroce événement furent pu-
hliécs , et le Moniteur annonca que le Roi avait recu la requéte
de la maréchale, Justice était également rendue aux derniers pro-
scrits, a tous ceux qui firent alors la moindre démarche pour
rentrer en France. Les écrivains qui avaient fui en Belgique
revinrent dans leur patrie, et ceux-la meme qui avaient écrit
avec le plus de violence contre la Maison de Bourbon , dans le
Nain Jaune de Bruxelles, trouvérent un accueil bienveillant du
ministre de l'intérieur. Ce systeme d'abandon et de confiance
avait pour hut de rattacher les esprits a la Maison régnante.
Était-ce une erreur généreuse? Le ministére s'était efforcé en-
vain de conquérir le parti royaliste; le concordat avait été mo-
difié a Bome : le Saint-Pére avait consenti a donner les bulles


. aux nouveaux évéques francais : partout les saintes cérémonies
annoncaient la nomination d'un métropolitain ou d'un suffra-
gant. Le ministere de l'intérieur consacra un million a l'étahlis-
sement de nouvelles cures et succursales; l' esprit de parti ne
comprenait pas ce systeme de concessions, et il appela bascule
cette impartialité qui, chez une nation d'opinions et de religions
diverses , instituait trois nouveaux pasteurs protestants , en méme
temps que de nombreux siéges épiscopaux.


Les choix des présidents de colléges révélérent la ligne du
ministere : ils furent choisis dans le centre gauche et dans le
centre droit. L'Aisne cut pour vice-président le général Caífa-
relli; dans l' Allier, la présidence était conférée au baron Dal-
phonse , préfet des Cent-Jours ; dans l'Ariége, a 1\1. Calvet de
Madaillan; dans le Cantal, a1\1. Ganilh; dans la Charente-Infé-
rieure , au comte Lemercier, et les vice-présidences au baron
Chassiron, Admyrauld et Batier ; dans le Doubs, a 1\'1. Cour-
voisier; dans l'Eure-et-Loir, a1\1. Lacroix-Frainville; dans l'Isere,
a :\1. Savoye-Rollin; dans la Haute-álarne , a1\1. Becquey; dans
la l\Iayenne, a M. Prosper-Delaunay ; dans le lUorbihan, au
contre-amiral Halgan; dans les Basses-Pyrénées, a 1\1. d' An-
gosse; dans le Bas-Ilhin , a lU. Turckheim ; dans la Seinc-Infé-
rieure , a.tU. Beugnot, avcc les vice-présidences de l\llVl. Duver-




438 HISTüIRE DE LA RESTAURATION.
gier de Hauranne, Ilibard , eomte Begouen et le vicomte de
Morternart ; dans le Tarn, on donnait la présidenee au vieomtc
de Solage; dans Vaucluse, au comte d'Augier; dans la Vienne,
au comte ñlathicu Dumas. Certes, les constitutionnels de bonne
foi n'avaient rien a opposer a de tels choix! Pouvait-on eroire
que de pareils eandidats trahiraient les institutions du pays! Et
pourtant les indépendants les repousserent presque tous avec
violenee, et damanderent qu'on les rejetát , par cela seul qu'ils
étaient ministériellement désignés. La IIlUc allait done s'engager
entre les présidents de colléges et les candidats des extrémités ,
que les partis poussaient a la députation. C'est une observation
afaire, et tout a la fois un reproche aadresser au parti libéral
que sa eonduite inconsidérée dans eette cireonstanee; abandon-
nant les voies sages et rationnelles qui pouvaient assurer son
triomphe , il se jette je ne sais oú, et ajourne indéfinimcnt sa
victoire. Je ne reproche ce manque de tactique qu'aux fous et
aux exagérés, Je sais que lU. Benjamin-Constant, en homme
d'esprit et d'avenir, blámait ces emportcments , et n'était méme
pas éloigné de se rapproeher du ministere. Le Roi répugnait
moins que personne a appeler lU. de Constant dans le Conseil
d'lhat. Si le partí libéral tramait une conspiration eontre la
ñluison de Bourbon, alors je concois une politique qui poussait
le miuistere jusqu'a l'abime pour y cntraincr la dynastie; mais
s'il s'agissait seulement et réellement des intéréts de la liberté et
de l'iudépendance des peuples , eette eonduite n'était-elle pas
imprudente? Gil tendait-elle ? Le parti libéral ignorait-il la po-
sition embarrasséc du ministcre Dessolle, menacé par l'extérienr
el par la cour? En lui refusant appui , en le tracassant ainsi, 11e
le poussait-il pas, en désespoir de cause, a se rapprocher de la
droite? La droite fut habilc en eette circonstance. lH. Decazcs
suivait une ligne en dehors des idécs et des intéréts de ce parti;
les Royalistess'en vengerent, Dans quelques colléges, ils se réu-
nirent aux électcurs indépendants contre les eandidats ministé-
r iels, et contrihuerent ainsi au triomphe de l'extrémité de gau-
che. Ils ne se déguiserent pas: le Consensueur et le Drapean




CHAPITRE XIV.


blanc dirent : {( Plutñt les jacobins que les ministériels, paree
que les jaeobins ameneront une erise. » La candidature lihérale
portait des noms évidemment hostiles ala ñlaison de Bourbon; il
n'y avait d'amis du tróne eonstitutionnel que les hommes de
I'Empire ou de la Ilépublique , que les auteurs du 20 mars et
les partisans de la Constitution de 1793? Aussi les éloges des
Cent-Jours et de la Charnbre des Représentants se multipliaient-
ils; on aurait volontiers élevé des monuments votifs a l'époque
la plus triste, la plus désordonnée, al'assembléela plus insigni-
ílante, la plus incapable d'affaires de notre histoire parlemen-
taire, En tete de cette liste étaient MM. Grégoire et Lambretehs.
Si ces eandidats triomphaient, e'était un eoup fatal que les ré-
volutionnaires portaient aux eonstitutionnels, et de plus un aver-
tissement! Le ministere se háta d'écrire aux préfets pour appeler
toutes les opinions raisonnables au seeours de ses candidata La
cireulaire de 1\1. Deeazes était emprcinte des protestations les plus
vraies pour la liberté publique et le triomphe de toutes les ga-
ranties reconnues par la Charte. Les partis n'en tinrent compte,
Les candidats ministériels furent violemment et presque univer-
sellement attaqués, Les éleetions ne furent pas décisives , et les
résultats suivants qu'apporterent les dépéches télégraphiques
éhranlaicnt la majorité ministérielle. l\I. Becquey Iut réélu dans
la Hautc-Jlarue ; lU. Étienne , candidat Jibéral , n'avait obtenu
que 126 voix; le Douhs réélit ~1. de Courvoisier. Trois candidats
ministériels furent choisis dans la lUayenne. Ledépartement du
Bas-Rhin vit sa députation partagéo ; le choix le plus remar-
quahlc fut eelui (le 1\1. Lamhretchs, Dans l'Isere ]U. Grégoire
l'omporta, dans le l\Iorbihan M. Halgan fut réélu; dans l' Aisnc
les quatrc candidata indépendants passercnt, }DI. Leearlier,
I\léchin, Foy, et Labhey de Pompieres ; les élections de la
Seine-Inférieure appartinrcnt également aux indépendants ;
1\1. Lambretchs cut une double élection ; l\HI. Cabanon et Le-
seigneur furent choisis, Le ministere ohtint avecpeine 1\1. Beu-
gnot, MM. de Girardin , préfet de la Cóte-d'Or, et Delaroche,




IlISTOIRE DE LA RESTAUHATION.


un de ses vice-présidents; les départements de Vaucluse, de la
Vienne, d'Eure-et-Loir, et de l'AlIier, désignerent des députa-
tions ministérielles , mais dans un sens libéral ; la Corse envoya
le général Sébastiani et M. Ramolino.


Il y avait, parmi ces députés élus , des noms propres capables
d'exciter la juste indignation des Royalistes, et, par exemple,
le nom de M. Grégoire. L'ancien évéque de Blois, le régicide ,
avait été envoyé dans une Chambre élue sous la Rcstauration ! on
le jeta la comme on aurait jeté la tete de I ..ouis XVI, pour rap-
peler qu'il y avait eu une révolution sanglante l Quand je vois
par quelIesmédiocrités la monarchie a été menacéependantquinze
ans, je me demande souvent si les hommes d'État qui condui-
saient les affaires , et si le peuple, qui avait placéson salut et sa
liberté dans les mains de ces médiocrités, avaient abdiqué cet
instinct , eette supériorité d'intelligence qui caractérisent la na-
tion francaise. Je le dis ici , qu'avait de si redoutable le philan-
thrope M. Grégoire, érudit dans l'enfance, jouant comme avec
un hochet de quclques vieilles autipathies pour les royautés, et
de ses larmoiements pour les juifs et les negres? Quel drapeau
pour un parti! Voyez a quel point de dégénératíon la société
était tombée! MM. Grégoire, Bavoux et Lamhrechts, occupant
tous les journaux , etprésentés comme les sauveurs de la patrie!
J'aime acroire que l'aífaire de M. Grégoire fut un de ces va-
tout que les partis se permettent souvent , au risque de se
perdre, JU. Grégoire était régicide , évéque constitutionnel;
quel coup heureux si on pouvait l'envoyer ala Chambre, en
face du frere de Louis XVI!. .... Qu'importait aux factionsd'ar-
réter la marche progressive d'un ministere constitutionnel; il
fallait outrager la Rcstauration. On ne peut s'imaginer I'cITet
produit sur la cour et sur l'opinion en général par l'élection de
M. Grégoire. La révolution se montrait entiérc avec ses sinistres
projets. En résultat , les élections offrirent quelques noms nou-
veaux, qui depuis ont joué un role dans les affaires; et d'ahord
le général Foy, réputation d'autant plus noble, d'autant plus




CHAPITRE XIY. 4l~1
.néritée, qu'elle fut pure de toute conspiration. Si l'on en ex-
cepte 1\1]\'1. de Serres et Lainé , le général Foy fut le plus beau
talent de tribune de notre époque, Il n'avait point cette inspira-
tion soudaine de M. Lainé , ni ces mouvements maladifs et si
puissants de M. de Scrres; son éloquence était plus étudiée , il
travaillait ses phrases, apprenait par cceur ses diseours, ce que
lui permettait son immense mémoire; mais certes , aucun autre
ne possédait ¿I la trihune cette puissance de paroles qui se faisait
écouter par les opinions méme les plus opposées, les plus enne-
mies. Legénéral Foy n'était point hostileala JUaison de Bourbon;
jI la voulait avec la liberté, son but unique et son idole: On ne
le vit point descendre ¿I des conspirations sourdes qui ont élevé
tant de médiocrités; il défendit avec loyauté, el sans arriere-
pensée , les grands príncipes de liberté et l'indépendance des
peuples, au grand jour de la tribune. La Chambre acquérait
plusieurs autrcs céléhrités libérales : I\l. ñléchin , préfet sous
l'Empire , administrateur sévere du Calvados 1; M. Labbey de
Pompiéres , vieux soldat du génie , aigri de son ohscurité , oppo-
sant dans chaque parole une petite économie au budget; le
général Sébastiani, esprit superbe avec l'ambition du pouvoir,
caractere aristocratique et le moins propre ajouer le tribuniciat
politique : tant a cette époque les roles étaient déplacés! l\l. Ca-
hanon, réputation politique austere , cal' cette inquiétude de
l'áme , cette espéce de harcellernent et de méfiance contre le
Pouvoir, passe dans certaines tetes pour de l'austérité; enfin,
MM. Lecarlier et Lambretchs , .deux noms qui se rapprochaient
de M. Grégoire et de la Convention, l'un par des souvenirs de
famille, l'autre par son administration sous le Directoire. Le
coté gauche s'était ainsi grossi, et le coté droit presque entiere-
ment dépeuplé. JI n'avait obtenu que trois réélcctions; et encore
dans le lUidi, pays qui Iui était depuis si Iongtemps inféodé.
Pouvait-on , avec de tels résuItats, ne point songer aun chan-


J C'est par erreur qu'on a prétendu que 1\1. l\Iéchin ne payait pas le
cens electoral. Il en a légalement [ustiflé,




lt.~2 mSTOIRE DE LA RESTAURATlON.
gement dans la loi électorale ? I...a monarchie ne devait-elle pas
se défendre, et pouvait-elle laisser se recruter insensiblement
une majorité contre les Bourbons? Quelqu'un pouvait-il se trom-
per sur l' élection de M. Grégoire? On disait bien dans les jour-
naux indépendants que c'était pour avoir un ecclésiastique dans
la discussion du concordat; mais en vérité pouvait-on croire a
de telles niaiseries! Le but du parti, je le répetc , était de placer
en face de Louis XVIII et d'une cour pieuse' un régicide
mitré !...




CHAPITRE XV.


PHÉSIDENCE DU CONSEIL DE M. DECAZES.


Situatiou du pouvoir, - Aspect de I'Europe. - Démission de M. Dessolle.
- Chaugemeut proposé par M. Decazes a la loi des élections, - Appui
des doctriuaires. - Happrochemcnt avec M. Pasquier, - Dissolutiou du
miuistere Dessolle , - Présidence de M. Decazes, - Expulsión de I'abbc
Grégoire, - Pétítions sur la Ioi électorale , - Projet doctrinaire.-
Assassiuat de M. le duc de Berri. - Nouvelle crise miuistériclle.-
Chute de M. Decazes.


Septenlbre 1819. - Févrielo 18~O.


ter se présente une question historique d'un grand iutérét ,
le gouvernement des Bourbons pouvait- il persévérer dans les
voies libérales qu'il s'était imposées depuis l'ordonnance du
5 septembre? la situation des partis et des esprits en France et
en Europe mémc n'appelait-elle pas un changcment de systemc?
Les indépendants avaient tcllemeut abusé des concessions faites
par la royauté , que je n'hésite pas adire que le Gouveruement
devait au repos des. peuples, et a sa propre conservation, les
mesures législatives qui furent des lors arrétées dans la pensée
des honnnes d'État, En Europc, et particulierement dans les
deux pays limitrophes de la France , les projets les plus sinistres
avaient été essayés contre les Gouvernements ; l'existcnce des
sociétés secretes avaít pour objet l'exécution d'un plan vaste et
désorganisateur, Quatorze associations se partageaient l'Alle-
magne, chacune avec sa hiérarchie propre et sa caisse, corres-
pondant entre elles sous la direction de quatre sociétés meres;
la base de leurs statuts était la liberté et l'égalité ; seulement
divísées sur l'exécutíon, les unes voulaient une monarchie élec..




444 HISTOIRE DE LA RESTAURATlON.
tive, les autres une république démocratique; leurs pamphlets
respiraient l'esprit révolutionnaire, « Les révolutions, disaient-
elles, sont aussi nécessaires aux peuples que la respiration l' est
aux hommes. Au moment de l'exécution , quelqu'un d'entre
nous se mettra anotre tete, et comme un autre Zisca, il por-
tera la Bible d'une main et le glaive de l'autre. Ce n'est qu'un
bouleversementtotal qui peut nous sauver : rcnversons les trónes
d' Alexandre , de Frédéric-Guillaume et de Francois n. Il faudra
qu'a chaque arbre , le long de la route de Berlín aCharlottcn-
bourg, on pende un serviteur du tróne , et cela ne sera pas
suffisant. )) Cesassociations ne s'étendaient pas seulement atous
les points de l'Allemagne; elles avaient des imitations en Italie,
qui s'étaient également organisées en sociétés secretes. En An-
gleterre, les esprits tendaient a une révolutinn absolue; les
doctrines les plus infernales étaient mises en action. Carlisle
défendait I'athéisme et le proclamait ~, la face du jury. Centmille
hommes armés se réunissaient a lUanchester; le Gouvernement
était menacé d'une subversion totale ; les Souverains de rAlle-
magne s'étaient effrayés ; le Prince régent, en ouvrant le Parle-
ment, avait demandé des mesures qui missent un frein a la
licence des opinions et a I'esprit révolutionnaire. Telle était
l'Europe. En France les associations secretes commencaient ~l se
former sur ces modeles; sans qu 'il y cút encore une hiérarchie
réguliére , une organisation complete sous des chefs reconnus "
H existait cependant une conspiration réelle, qui correspoudait
de sympathie , et souvent d'action et de projct, avecles sociétés
secretes d'Allemagne et 'd'Angleterre. te Carhouarisme, tout-
puissant en 1820 et1821, comrnencait aparaitre en Francc , a:
y recruter ses forces et ses moyens. En présence d'une telle si-
tuation , lorsque le partí des indépendants se déguisait si pcu
qu'il envoyait a la Chambre M. Grégoire, était-il possible que
le Gouvernement restát désarmé? L'imprcssion que fit sur le
parti royaliste cette élection de ]U. Grégoire s'éleva plus haut ;
Louis XVIII en Iutprofondément aífecté , et j'en dois rappeler
les causes. Le RoÍ s'était franchement associé au systeme de




CHAPITRE xv. 445
}IM. Decazes el Dessolle; ce systéme se rapprochait de sesidées.
Louis XVIII aimait la popularité comme tous les rois de sa
race; il voulait ces acclamations méme de la multitude qui
accompagnait ses promenades royales. Mais sa position au mi-
lieu de sa famille était fort difficile. La dissidence d'opinion po-
litique avait occasionné une grande froideur entre LouisXVIII,
le comte d'Artois et JUADA.ME, duchesse d'Angouléme ; on ne
se parlait presque plus dans les diners OU le Boi aimait a re-
trouver quelques distractionsdomestiques. Depuis la destitution
qui avait frappé le comte d' Artois , colonel général des gardes
nationales du royaume, il n'y avait pas eu le moindre échange ,
non-seulement de rapports bienveillants, mais méme de paroles
entre le Roi ct son frére, Le premier rapprochement, les pre-
miers mots que se dirent Louis XVIII et MONSIEUR furent
ceux-ci , le soir meme du jour OÚ I'on avait recu la nouveIle de
I'élection de M. Grégoire : « Eh bien! Sire , s'écria le comte
d'Artois , vous voyez OU l'on vous mene! - Je· le sais, mon
Irere , répondit le Roi, et j'y pourvoirai. » Le ton qui accom-
pagna ces mots respirait une bienveillance qui encouragea le
comte d'Attoís a développer quelques idées sur la cause du
malaise actueI. MONSIEUR ne parla pas encore contre M. De-
cazes; il sentait que le moment n'était pas venu; mais .il dé-
clama fortement contre la loi des élections , cause premiére et
flagrante de l'agitation qu'éprouvait le pays. Le Roi reconnut
que cette loi n'avait pas produit tous les résultats espérés ;
qu'elle était trop simple, et que les partis s'en étaient emparés.
Le soir, a l'ordre, ]U. Decazes apprit de la bouche du Roi lui-
méme qu'il était essentiel d'obtenir, par un meilleur systéme ,
des choix plus conformes aI'esprit de IaMonarchie. Le ministre,
qui souvent avait lutté contre les insinuations de Louis XVIII,
vit bien que teIle était aujourd'hui la volonté immuable du Iloi,
et des lors il résolut d'en parler au Conseil.


Dans ce Conseil, deux ministres étaient ébranlés sur la loi
d'élections : MM. Portal et de Serres. lU. Decazes leur fit con-
naltre les intentions du Roi; amsi trois ministres Iurent pour
I~ 38




ltlt-6 HISrüIRE DE LA RESrAURATIüN.
un changement dans la loi, MM. Decazes, Portal et de Senes.
Trois .autres , MM. Dessolle, Louis :et Gouvion - Saint - Cyr,
d'abord incertains, mirent plus de fermeté a maintenir le sys-
teme électoral tel que l'avait fondé la loi de février 1.817. La
división ne fut pas complete et définitive, Tout espoir de rap-
prochement n'était pas abandonné, Le seul changement que
proposait alors 1\1. Decazes était de transporter dans chaqué ar-
rondissement l'élection qui se faisait au chef-lieu; ensuite d'exi-
gel' le paiement de la patente pendant une année, Ces modifica-
tions pouvaient se justifier par les abus que la loi du 5 Iévrier
avait fait naitre, L'élection au chef-lieu rendait la réunion des
électeurs difficile; elle la placait sous l'iníluence des passions;
elle n'en faisait plus qu'une sorte de colme électorale : les pa-
tentes avaient suscité mille fraudes; on en avait supposé; 1\1. De-
cazes ne demandait d'abord que ces deux changements. Une
nouvelle difficulté surgit pour le ministere ; M. Royer-Collanl
donna sa démission; le motif de cette démission n'a pas été
bien éclairci; les amis du président de l'instruction publique,
pour agrandir sa popularité , fircut alors courir le bruit qu'elle
était motivée sur les arrétés el l' esprit de la comrnission qui
avait interdít a M. Bavoux l'exercicc de ses Iouctions universi-
taires, Ce n'était la qu'un pretexte.. ]U. Iloyer-Collard s'était
montró en cette circonstance d'une extreme rigidité , el il avait
raison. Aucun fouctionnaire , quelles que fussent ses opinions,
ne pouvait tolérer un désordre public ; mais la cause des mé-
coutentements de M. Boyer-Collard venait de plus haut el de
plus loin. Depuis 1. 81. 7 les doctrinaires, mécontents de n'étrc
qu'en seconde ligne dans le ministere , se croyaient assez capa-
bles et assez forts pour conduire les alfaires du pays; ils s'im-
posérent au ministere comme un moyen de se rapprocher d(
la gauche en se passant d'elle ; ou ne put créer un ministere ~
lU. Iloyer - Collard , et il donna sa démission sous leprétexte
qu'il n'était pas maitre a l'Université.


Des que l'opinion fut informée des dissidences du Conseil ,
les Lihéraux commencerent il flatter el a soutenir les trois mi-




CHAPITRE XY. l~47
nistrcs qui persistaient dans l'inébranlable volonté de maintenir
la loi électorale, arme puissante pour les indépendants, lU. De-
cazes , dont on savait l'influencc, fut également flatté, entouré
par la gauche. On lui promit appui , adhésion absolue, et une
majorité compacte et dévouée s'il maintenait la loi électorale,
Les chefs avaient été frappés de crainte et de surprise a la vue
du mouvement réactionnaire qui s'opérait en Europe. La déli-
bération de Carlsbad était menacante. lis apercevaient déja le
grand systéme de répression s'étendre sur la France , et ils
n'avaient d'espoir qu'en la faveur de l\!. Decazes. 11 y eut a cette
époque des conférences bien curieuses, et des offres tres-pres-
santes de l'opinion libérale au ministre tout-puissant, lU. Ben-
jamin-Constant, qui voyait mieux et de plus loin que ses amis
politiques, s'était opposé aI'élection de 1\1. Grégoire; il offrait
d'obtenir sa démission; il avait méme résolu de se déclarer le
défenseur officieux du ministere , si le Cabinetfaisait la conces-
sion demandée, La presse libérale perdit de son caractére d'hos-
tilité et d'exigence; elle caressait le ministre et lui faisait des
oflres et d'éclatantes promesses de service; elle menacait égale-
ment de terribles révolutions si on touchait a la loi électorale;
le Censcur alla méme jusqu'a dire qu'il y aurait un mouvement
militaire, pressentiment qui se liait sans doute a des combinai-
sons de parti, l\!. Decazes pouvait-il faire les concessions deman-
dées? Je ne le pense paso Le résultat nécessaire de cette loi était
d'envoyer ala Chambre une majorité dans le sens des indépen-
rlants, et je répete qu'une telle majorité était incompatible avec
la légitime royauté des Bourbons. Qu'était-ee en efIet qu'un sys-
teme qui présentait comme ses coryphées lUl\!. Grégoire, Lam-
hretchs et de J...a Fayette? qui n'allait et ne voulait marcher que
par les hommesdes Cent-Jours? Sans doute le.parti des indépen-
dants , minorité cette année, n'aurait pas tenté de grands eíforts ;
mais supposons le renouvellement d'un autre cinquiéme , et le
partí dcvenant majorité , croit-on que eette majorité se füt eon-
tentéc de M. Decazes et des lois qu'il aurait eoncédées au pays?
C'était la un fol espoir; on ne pouvaít le réaliser. Aprés une loi




lt48 HISTOIRE DE LA RESTAURATIüN.
municipale démocratique il aurait demandé une loi constitutiva
de la garde nationale également démocratique, le renvoi des
Suisses, qui sait? le drapeau tricolore, l'adoption de la Charle
par le peuple, la substitution de la Constitution de 1791 et tant
d'autres utopies révolutionnaires. lUaintenir le systeme électoral
était chose impossible en présencedesdangersqu'il faisait naitre;
partout existaient des fermentsde discordes; on chassait les mis-
sionnaires , et la liberté du cuIte dans les temples était mé-
connue, l'autorité publique méprisée! Les écoles de droit, les
colléges, suivaient la tendancedes universités d'Allemagne. Aux
clameurs que poussait le parti libéral, n'aurait-on pas dit qu'il
avait toujours trouvé la loi de 1817 la plus parfaite deslois? Loin
de la, le systéme électoral avait été hautement blámé par ses 01'-
ganes. La l11ine1't'e avait presenté le renouvellement intégral de
la Chambre comme un mode plus large et plus constitutionneI.
Le Censeur européen avait trouvé la Chambre trop peu nom-
breuse ; il voulait l'augmentation de ses membres et la diminu-
tion du cens d'élection et d'éligibilité. Le Constiuaionncl avait
dit qu'il était ridicule de voir une nation de trente millions
d'hornrnes représentée par un peu plus de deux cents députés,
Le vceu d'un changement dans la loi électorale n'émanait done
pas seulement des RoyaJistes.


Les hommes politiques et prévoyants avaient aussi demandé
une modification au systeme électoral. M. Pasquier, a sonretour
deseauxde Dieppe, fit parvenir au Roi un l.\lémoire sur les élec-
tions. Il signalait la nécessité de se rapprocher du centre droit
en y entrainant le centre gauche; la situation lui paraissait déli-
cate, le maintien absolu de la loi des élections impossible; les
factions avaient introduit mille fraudes dans la loi; on abusait
des patentes. La réunion des électeurs au chef-lieu du départe-
ment, la nomination par scrutin de listes, tout cela facilitait
les abus; l'augmentation des députés, l'abaissement de l'áge,
mesuresessentiellement populaires , devaient accompagner quel-
ques autres modifications a la Charte, obtenues des pouvoirs
parlementaires et ¿t l'aide d'une majorité des centres. M. Ilas-




CHAPITRE XV. 449
quier déclarait le mal pressant, impérieux , et le remede devait
étre cherché dans la présente session. Il fallait changer d'hom-
mes et de systéme. Ce 1\Iérnoire frappa vivement Louis XVIII,
et ils'exprima de maniereane plus laisser en doute la résolution
définitive de soumettre aun examen attentif la loi des élections.
Serait-on obligé de recourir a l'appui des Royalistes? c'était ,
certes, subir encore une expérience nouvelle. Comment 1\1. De-
cazes pouvait-il croire que ce parti lui pardonnerait jamais? Des
lors i1 n'était plus qu'un embarras dans la combinaison d'un
minisrere. Les Lihéraux, favorisant la dissidence qui existait
dans le Conseil, porterent toutes leurs forces et leur popularité
du coté de 1\11.\'1. Dessolle, Gouvion-Saint-Cyr et Louis. Ces trois
ministres furent proclamés les seuls ministres nationaux, et
1\1. Decazes, un moment l'objet des flatteries et des espérances
du partí indépendant, devint le but de ses plus vives attaques;
on ne garda plusde mesure. Le général Dessolle avaitdécJaré ne
pouvoir se séparer du maréchal Gouvion-Saint-Cyr. Le maré-
chal, qui d'abord n'avait pas tout afait repoussé quelque chan-
gementala loi électorale, avait annoncé nettement qu'il ne con-
sentirait jamais aune modification essentielle qui toucherait aux
hases de la loi du 5 février, 1\1. Decazes , de soncoté, visait a la
présidence du Conseil, Il révait un ministere dont il serait non-
seulernent l'expression auprés du Roi, mais eneore la représen-
tation officielle a I'extérieur. Il ne repoussait pas la démission
du général Dessolle; M. Louis n'étaít point un aide de tribune
oü il n'apportait qu'une parole cornmune et difficile. Cependant
la nécessité d'une majorité parlementaire arrétait encore 1\1. De-
cazes cal' il fallait attirer alui une grande fraction du centre
droit, Les concessions nécessaires pour gagner au ministére
cette couleur n'allaient-elles pas aliéner la portion de la gauche
modérée qui secondait le ministere dans la réunion de 1\1. Ter-
naux ? Enfin le Conseil se réunit pour décider cette haute ques-
tion qui tenait les esprits en suspens; MM. Dessolle, Saint-Cyr
et Louis voterent dans la commune opinion de maintenir la loi
électorale. « Il leur paraíssaít impossible de faire aueune modi-




lI50 HISTOIRE DE LA RESTAUnATION.
Iication a la loi du [) Iévrier en présence de la majorité de la
Chambre des Députés, J'ajouterai que le maréchal Gouvion-
Saint-Cyr avait des motifs particu1iers de mécontentement. Ses
derniéres mesures sur l'armée, et spécialement sur la garderoyale,
avaient excité la plus ardente opposition aux Tuileries, et le Roi
n'avait pas voulu signer quelques-unes des propositions de son
ministre. Louis XVIII n'aimait pas a se confier entiérement a
ses secrétaires d'État pour ce qui touchait asa garde, et la ca-
tastrophe du 20 m,ars revenait sans cesse dans son esprit. Enfin
trois ministres se prononcerent au Conseil du Roi dans le sens
d'une modification a la loi électorale, mais sans rien préciser :
ce furent lUl\!. Decazes, Portal et de Serres. Les ministres étant
divisés, le Roi prit la parole, et se rangea dans l'opinion d'un
changement a la loi du 5 février; c'était suffisamment indiquer
aux trois ministres dissidents ce qu'ils avaientafaire; leur démis-
sion fut acceptée dans le méme conseil,


lU. Decazes fut chargé de la formation d'un Cabinet nouveau
comme président du Conseil et ministre de l'intérieur. Les prin-
cipes autour desquels la nouvelle administration devait se réunir,
étaient ceux-ci : ehangement inévitable a la loi d'élcctions , mo-
dification aquelques-uus des articles de la Charte , en ce qui
eoncerne le mode électoral et la constitution de la Chambrc des
Députés, C'était , a peu de chose prés , ce que la Chambre de
1815 avait demandé, et précisément ce que le ministre de 1'i11-
térieur avait repoussé par I'ordonnance du 5 septembre : c'est
sous ce rapport que la position de l\!. Decazes n'était pas tenahle.
Il fit quelques ouvertures a M. Pasquier, dont le Mérnoire avait
si puissamment agi sur l'esprit du RoL La difliculté était de luí
donner un portefeuille. Celui de la justice était trop bien rempli
pour songer a ce changement, Le talent de lU. de Serres était
trop nécessaire a I'administration nouvelle pour qu'on püt s'cn
passer. 1\1. Pasquier aurait pris le ministere de l' intéricur, OÚ
déja il s'était montré dans l'intcrnn de 1815; mais lU. Dccazes
se le réservait avec la présidence du Conseil, cal' au momeut oú
il s'agissait de diriger les élections, le département de l'iutérieur




CHAPITRE XV. 451.
était de la plus haute lmportance politique, 1\1. Pasquier se char-
gea du ministere des affaires étrangeres. Avec eette capacitéqui le
distingue, l\'l; Pasquier cut bientót saisi toutes les questions qui
se rattachaient ala situation politique OÚ se trouvait I'Europe. Le
nouveau ministre avait une longue habitude d'aífaires, une im-
mense ressource d'esprit qui lui permettait de se plier a toutes
les nécessités de la position délicate dans laquelle on se trouvait;
lU. Pasquier avait peu d'attrait pour s'attirer les h0111111es; les
formes de son esprit avaient quelque chose d'une supériorité qui
hlesse; ce n'était pas un choix complet dans des circonstances
oú il faIlait agir particulierement sur les majorités, et détacher
des unités de chacune des fraetions extremes de la Chambre;
avec une heureuse facilité de trihune , M. Pasquier se laissait
alIer quclquefois ades mots qui heurtaient les opinions, quoique
sa volonté fút de les ménager toutes; il n'avait ni eette atten-
tion qui sait écouter, ni ces eharmes qui savent séduire, ni cette
puissance de caractere et d'opinion qui groupe autour de cer-
tains hommes des voix austeres et désintéressées, 1\1. Pasquier
s'était rapproché des Royalistes; des souvenirs de familIe I'avaient
lié avec cette sociétédu faubourg Saint-Germain , toujours si in-
fluente. On a dit de 1\1. Pasquier que c'était le ministre inévita-
hle : je ne sais s'il serait possible de faire un plus bel éloge d'un
homme poli tique. Qu'est-ce qu'un homme politique inévitable,
si ce n'est une capacité constatée qu'on consulte toujours, et
dont on reconnait le zele et les Iumieres supérieures? 1\1. Pas-
quier devenait dans le nouveau Cabinet l'expression du 'centre
droit se rapprochant de la droite. Des propositions avaient été
Iaitcs a lU. Roy; il avait occupé pendant quelques jours le mi-
nistere des íinanccs avant la formation du ministere Dessolle, Ses
priucipes politiquea se rapprochaient de la combinaison nouvcllc
formée par lU. Decazcs contre la loi d'élection. 1\1. Hoy, commc
ses collegues , était persuade qu'il faIlait modifier cette loi si I'on
ne voulait pas s'exposer a de nouvclles révolutions : on devait
éviter que le sol ne trernblát. Il me reste aparler de .M. de J...a-
tour-álaubourg, aqui le miuistere de la guerre fut confié. C'était




h52 HISTüIRE DE LA RESTAURATION.
un de ces glorieux capitaines qui avait passé sa vie dans les ha-
tailles; Napoléon lui avaitconfié, dans ses dernieres campagnes,
le commandement de toute la grosse cavalerie, et le général avait
laissé unejambe au champ d'honneur. On se rappelle que 1\1. de
Latour-Maubourg avait été nommé a l'ambassade d'Angleterre ,
et ce choix avait eu l'unanime approbation. Il fut désigné pour
le ministére de la guerre par l\I. Dessolle lui-méme, dont il était
l'ami, Sans étre un ministre 11 vaste capacité, il connaissait pro-
fondément 1'armée et ses besoins. C'était un de ces caracteres
élevés , de ces loyautés 11 .1'épreuve devant lesquels toutes les
opinions s'inclinaient. Le Roi lui écrivit de sa propre main pour
le prier d'accepter un portefeuille dans les circonstances difficiles
oú l'on se trouvait. Ainsi les ministres qui entraient dans le
Cabinet, sans étre tout afait populaires, suscitaient personnelle-
ment peu d'opposition. Si j'en excepte l\I. Pasquier, expression
du centre droit, MM. de Latour-Maubourg et Boy n'avaienteujus-
qu'ici que les éloges du parti indépendant. Pendant trois ses-
sions, les journaux n'avaient cessé d'exalter l\I. Roy, rapporteur
du budget, Quand l\I. de Latour-ñlaubourg fut nommé ~\ l'am-
hassade de Londres, il Yavaiteu également un grand concertde
louanges pour le nouvel ambassadeur. Les journaux libéraux se
trouverent done un peu embarrassés lorsqu'il s'agit de parler du
nouveau Cabinet; ils ne se rattachérent des lors qu'au principe
de sa combinaison.


Les indépendants espéraient entrainer encore les nouveaux
ministres aux opinions de lUl\!. Dessolle et Gouvion-Saint-Cyr.
Les Boyalistes , au contraire, avaienttout afait prise sur 1\1. De-
cazes. N'avaient-ilspas prévu ce qui arrivait? Et eomment pou-
vait-on se fiel' aun ministre qui, apres avoír jeté soixante pairs
dans la Chamhre haute pour faire rejeter la propositiou Barthé-
lémy, venait lui-méme demander la modification d'une loi
qu'il avait d'abord soutenue avec une ténacité sans exemple? La
réponse du ministre étaít diffieile; aussí la manifestation de ses
principes fut-elle timide et un peu obscuro. Le nouveau minis-
tere disait : « que, pour tous les esprits impartiaux qui avaient




CHAPlTRE XY. 453
suivi les monvementsdivers des esprits , l'essor donné aux espé-
rances les plus opposées, et la marche du Gouvernement au mi-
lieu de tous ces écueils, il devait étre constaté que, si dans au-
cun temps la France n'a possédé·une liberté plus étendue sous
une autorité plus douce , jamais, depuis les premiers jours de la
monarchie, la royauté ne s'était dévouée avec plus d'abandon.
La nouvelle composition du ministere n'avait fait que manifester
sa volonté toujours invariable de maintenir l'allianee nécessaire
du tróne et de la liberté. A des hommes honorables et dévoués,
qui, avec l'unité d'intentions, n'apportaient peut-étre pas dans
le Conseil l'unité dans quelques vues politiques, succedent des
hommes qui, eomme eux, y porteront le méme dévouement,
feront toujours entendre la voix de la conviction , soit pour les
droits du trñne , soit pour les intéréts de la liberté. Puissent done
toutes les pensées nobles et généreuses se réunir ala pensée du
Gouvernement! 11 les appelle sans aceeption de personnes; que
tous les citoyens abjurent aussi ces vaines dénominations qui
scmblent les séparer en partis ennemis, lorsque tous proclament
les mémes vceux , les mémes besoins, les mémes espérances;
l'affermissement indispensable de tous les droits du trñne et de
toutes les franchises nationales. » Cette déclaration ne signifiait
ríen; elle n'annoncaít ancune pensée précise, et cependant le
Cabinet était formé d'aprés une idée unique , décisive, le ehan-
gement de la loi des éleetions, et il n'osait pas le dire.


I..es retards produits par la combinaison ministérielle
avaient ajourné la session au 29 novembre : on voulait se don-
ner le temps et se fixer parfaitement sur.les bases des projets de
loi qui devaient étre présentés aux Chambres. Durant eet inter-
valle, le ministére cherchait arassurer les esprits sur la marche
et la tendance du nouveau Cabinet. Tous les bannis, al'exeep-
tion des régicides, furent autorisés a rentrer en France, Les der-
niers pairs exclus par l'ordonnance du mois d'aoüt 1815 furent
rappelés asiéger dans la Chambre. On vanta beaucoup l'austérité
de 1\1. Gassendi discutant ses nouvelles lettres de pairie , paree
qu'ilprétendait n'avoir jamáis été exclu légalernent de la Chamhre




45ú. HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
des Pairs; ses collegues montrérent moins de roideur et plus
de politique. Des puhlications eontinuelles eherchaient acon-
vainero l'opinion des intentions libérales et eonstitutionnelles du
nouveau Cabinet. Une des plusremarquables, ouvrage de M. de
Staél , mettait en opposition les prineipes des journaux indé-
pendants , ades époques trés-rapprochées , sur le mérite de la loi
des élections; ensuite l'auteur exposait les faits : quatre périodes
divisaient l'histoire eonstitutionnelle de la France ; en 1814, la
Charte , mal comprise, avait été maladroitement exécutée.
Dans les Cent-Jours , e'était pourtant avec eette Charte qu'on
avait lutté eontre le despotismo de Bonaparte; la Chambre des
Représentants avait amélioré quelques-unes des dispositions
adoptées par l'ordonnance du 25 juillet 1815. Malheureusement
l'ordonnanee du 5 septembre n'avait pas adopté ces améliorations
fondées sur la nature des choses. lU. de Staél proposait l'élection
par la classe propriétaire; le vote public; le doublement de la
Chambre des Députés , des élections d'arrondissement , et des
électionsde chefs-lieux; les électeurs de départements devraient
rayer une cote plus élevée de contributions. Plus de scrutin de
liste; nomination ala majorité simple; plus de renouvellement
annuel; renouvellement quinquennal. Il faut expliquer ce se-
eours prété par la coterie doctrinaire au nouveau ministérc de
l\I. Decazes; lU. de Serres était resté dans le nouveau Cabinet;
les doctrinaires parvinrent hientót al'entourer, et oITrirent leur
appui a 1\1. Decazes; ils ne demandaient que quelques positions
ministériellcs , deux portefeuilles, l'un pour l\1. Iloyer-Collard ,
l'autre pour l\l. de Barante ou lU. de Broglie; ils imposaient
une suite de projets de lois qu'ils avaient réunis dans une es-
pece d'acte additionnel qui embrassait tout a la fois le jury, le
systeme municipal et quelques articles électoraux , le projet était
l'ceuvrc commune de i\llU. de Broglie , de Scrres , de Stae! el
Guizot; il comprenait une longue série d'articlcs , quelques-uns
parfaitement rédigés , les nutres obscurs , imparfaits; en tous
les cas , projet tellement long qu'il aurait Iallu plusieurs scssio.is
pour 1(1 discuter. l\I. de Senes paraissait tenir csscntiellement ;1




CHAPITRE xv. [¡55
cene conception : c'est alors que commence la haute influence
doctrinaire dans les afíaires , et que brille en tout son éclat cc
canapé dont on fit quclque bruit; 1'1. de Broglie joua un rüle
actif, influent, et ilne fit que mal cngager le Pouvoir et se com-
promettre avec son parti; JU. de Broglie était moins un esprit
juste qu'un érudit en politique ; 01', l'érudition est un défaut
lorsqu'elle absorbe les faculté s actives et l'intelligence pratique;
ii possédait de vastcs connaissances , une science profonde des
législations de l'Europe , mais avec cela un esprit qui ne pou-
vait ríen produire que comme un livre ou une théorie; quand
on appliquait la science de M. de Broglie aune loi, a un acte
d'administration, on était certain qu'elle ne créait qu'une utopie
parfaitement déduite ; personne n'avait plus la faculté de démo-
lir un mauvais projet, et l'impuissance d'en créer un bon : ce
que M. Iloyer-Collard était pour la haute parole humaine , JU. de
Broglie l'était pour l'action; l'un immense lorsqu'il faisait de
l' opposition , décoloré et sans talent en défendant ses propres
conceptions; l'autre signalant avec une sagacíté remarquable les
íautes du Gouvernement, et le plus faiblc , le plus incertain des
homrnes d'État et d'affaires, 1\1. Decazes se laissa luí-méme
séduire un moment par les doctrinaires et leurs projets; il ne
savait ¿¡ qui s'adresser, et sa position lui faisait jouer plus d'un
jeu ; il eut une audicnce de JUONSIEUH pour savoir a quelle con-
dition il pourrait obtenir les Hoyalistes et leur appui ..JUONSIEUR
se tint dans le vague) d ne parla que de la nécessité de changer
la loi d' élection ; et pendant cet intervalle la Jl1inerve~ le Con-
scrcateur, les journaux quotidiens du parti, attaquaient la nou-
vello administration avec une violence inouíe, Déja commen-
caient a se colporter, de signatures en signatures , les pétitions
populaires pour le maintien de la loi d'élection, pétitions qui de-
vaieut retentir plus bruyantes encere a la Chambre des Députés.
Le par ti libéral avancait les doctrines les plus outrageantes ,
cellcs que repoussaient la conscience royale comme la conscience
publique; et M. Odilon-Barrot avait proclamé, durant le cours
de la sessiou t que la loi était athéc t aífreusc parole qui reten..




456 HISTOIRE DE LA RESTAURATIO~.
tira connne le dernier cri de la pensée matérialistc, de la société
perdue du xvnr siéclc,


Le discoursde la Couronne n'était pas d'une rédaction facile.
La Couronne voulait mettre un frein aux passions agitées. On
voulait toucher ala loi d'élection et aux articles réglementaires
de la Charte. La circonstance était d'autant plus difficile, qu'il
semblait que la mesure proposéc était le résultat d'un concert
politique en Europe enharmonie avec les résolutions de Carls-
bad. Le régent d'Angleterre venait d'ouvrir son parlement, et
dans sondiscours il parlait de réprimer lesfactions par l'appui et
le concours de ses communes. Si le discours de la Couronne,
en France , allait exprimer les mémes idées, nul doute que les
partis ne dussent les proclamercomme la suite d'une résolution
concertée entre les Souverains, et dirigée contre la liberté euro-
péenne. ;u. Pasquicr se chargea de la prcmiére rédaction. Sa
plume facile et exercée trouva de cesexpressions générales, les-
quelles , sans heurter les partis, annoncaieut l'intention cepen-
dant de changerde systeme , et d'arréter les progrés de la révo-
lution. Cediscoursfut retouchédans deux réunionspréparatoires,
soumis au Roi et approuvé par lui. A cette époquc, je le répete ,
Louis XVIII ne prenait plus aucune part a la rédaction de ces
discours; il en laissait la responsabilité ases ministres. te Roi
énumérant ce que la royauté avait fait pour la France ajoutait:
« Au milieu de ces éléments de prospérité publique, je
n'ai point dü me dissimuler que de justes motifs de crainte se
mélent anosesperances et réclament des aujourd'hui notre plus
sérieuse attention. Une inquiétude vague, mais réelle, préoc-
cupe tous les esprits ; chacun demande au présent des gages de
sa durée; la nation ne goüte qu'imparfaitement les fruits du
régimelégalet de la paix ; elle craint de se les voir arracher par
la violence des factions; elle s'eífraie dc l'expression trop claire
de leurs desseins. Toutes les craintcs , tous les vceux indiquent
les assurances d'une garantie nouvelle de repos et de stabilité,
Dans cette conviction, je me suis reporté vers la pensée que
j'aurais déja voulu réaliser, mais qui devaitétre mürie par l'ex-




CHAPJTllE X\.


pencncc et commaudéo par la nécessité. Foudatcur de ceue
Charte , a laquelle sont liées les dcstinécs de mon pcuple et de
ma Iamille , j'ai senti que s'il est une aruélioration qu'exigent
ces grands intéréts , aussi bien que le maintien de nos libertés ,
et qui ne modifierait quelques formes réglementaires de la
Charte que pour mieux assurer sa puissance et son action, il
m'appartenait de la proposer. Le moment est venu de fortifier
la Chambre des Députés et de la soustraire a l'action annucJIe
des partis, en lui assurant une durée plus conforme aux intéréts
de l'ordre public et ala considération extérieure de l'État. C'est
au dévouement, e'est al'énergie des deux Chambres, c'est a
leur union intime avec mon gouvernement que je veux deman-
del' le moyen de sauver de la licence les libertés publiques,
d'aflermir la monarchie, et de donner atous les intéréts garan-
tis par la Charte la profonde sécurité que nOl1S lui devons, »


Jamáis discours de la Couronne n'avait été plus explicite: 011
annoncait positivement les ehangements préparés a la loi des
élections ; OIl se séparait ainsi de la gauche extreme qui pous-
sait le pouvoir au maintien de la loi des élections ; et cependant
les ménagements que le ministere avait gardés dans I'expression
de la pensée du Gouvernement, le besoin surtout qu'il avait de
contenter le centre gauche, les doctrinaires et la fraction de
gauche qui votait avec M. Ternaux; tout cela avait hlessé le
partí royaliste, et le discours de la Couronne Iut également atta-
qué par la droite : OIl en trouva l'expressiou amhigué quand on
le comparait au discours du prince régcnl d' Anglcterre et a la
déclaration de Carlsbad, Ces gouvcrnements avaicnt hautcuient
dénoncé les H.évolutionnaires; et 1\1. Decazes employait l'cx-
pression générale de factions , ce qui s'appliquait égalcmeut a la
gauche et a la droite. La premiare opération de la Chambre
était grave. La vérification des pouvoirs soulevait la qucstion de
la dignité ou de l'indignité de M. Grégoire. Les amis de l'ex-
évéque avaient fait quelques démarches aupres de lui pour
l'amener a donner sa démission dans l'intérét de la patrie.
l\I. Grégoirc, avcc son petit esprit, refusa d'une maniere abso-


11. 39




h58 IllSTOIHE DE LA RESTAURATlON.
lue , et voulut subir l'épreuve du vote. La difficnlté avait ('Ii)
tranchée par le Iloi. Aucune Iettre de convocation n'avait été
adressée aM. Crégoirc, et il n'avait pas été appelé apréter se1'-
ment dans la séauce royale : admcttrait-ou le député de l'Isére r
Les bureaux furent unanimcs dans la pensée du rejet. M..Bec-
quey, chargé du rapport , éluda avec habileté la dífliculté priu-
cipale : il chcrcha dans une irrégularité d'élcction un motif el
un moyen de repousser l\l. Grégoire. C'était une chose enten-
duc entre le ministere et le centre gauehe pour s'éparguer une
question délicate. Le .rapporteur, s'appuyant sur le texte de la
Charle, demanda la nullité de l'élection de 1.\1. Crégoire, Iondéo
sur ce que plus de la moitié de la députation n'avait pas de
domicile politique dans le département de l'Isere : a peine
lU. Becquey osa-t-il faire enteudre quelques phrases sur la
question principaIe, qu'hcureuscmcnt iI n'était pas néccssairc
de soulever. Ces ménagements avaient été cntendus entre le
ministere et ses amis, afin d'éviter une diseussion trop bruyante
et difficile ; mais quelques ames ardentes voulurent proclamar
l'iudiguité du régicide. Déja M. de ñlarccllus s'était écrié :
« Point de régicide dans cctte Chambre!» el la parole puis-
sante de iU. Lainé viut protester contre le crime du 2'1 jan-
vier : « Par une c1émence toute divine, dit M. Lainé , ou , si
vous voulez, pour le besoiu dc la société , il fut promis que
personne ne scrait rechcrché pour ses votes, et l'oubli fut re-
commandé ~\ tous les citoycns : qui done se souvenait du qua-
trieme député de l'1;0re? qui done le recherchait pour ses
opinions et pour ses votes? L'oubli n'a-t-il done été imposé
qu'aux victimcs '? et ccux-la qui avaient hcsoin d'cn étre cou-
verts ont-ils conservé le triste droit de s'en souvcnir i » Toutc
la droite s'unit ~l l'opinion de )1. Lainé; mais ~I. Ilavez Iit ob-
servcr qu'il fallait allcr au vote sur la qucstion simple, celle de
s avoir si l'on devait admcrtrc ou rejetcr :\1. Grégoire. Pcrsonnc
n'avait osé soutenir Iranchcmcnt et hautemcnt le régicidc. 1'1. de
Constant avait tourné la difliculté avec un grand bonhcur d'cx-
prcssion et de pcnsée, Il aV¡IÍl rappelé qu'un régicidc (Fouché)




f.TTAPITRE XY.


avaít siégé dans le Conseil du Roi : « Et cela n'était pas un
hasard, disait-il, mais une haute prévoyance royale. » Néan-
moins, h la contre-épreuve , un seul député se . leva ; ce fut
1\1. Lambrechts! te parti libéral put juger des lors de la faute
qn'il avait commise : pour se donner la satisfaction d'un outragc
iI la lUaison de Bourhon, il s'était fait battre compíétemcnt des
la premiere séance. Combien de fois les partis ne se sont-ils pas
perdus par ces coups de t(~te! On vit dans le scrutin pour la
présidencc la faiblesse numérique de l'extréme gauche réduite
h cllc-méme, 1\1. J...affitte, l' expression la plus modérée de la
gauche , n'avait pas réuni plus de 65 voix, tandis que l\I. Itavez
en avait obtenu 105, et M. de villéle lui-mémc 75. L'extreme
gaucho ne pouvait done rien aelle seule; elle ne pouvait mar-
cher vers un résultat que par une double combinaison, c'est-
a-diré, par une communauté de votes avec l'extrérne droite ,
opposée a1\1. Decazes; ou par sa fusion avec le centre gauche,
tcndant a se réunir, dans des questions de principes, aux opi-
nions extremes de sa couleur. La premiere combinaison n'était
pas impossible : le Drapean blanc el la Ouotidienne y con-
viaient les Libéraux ; ils disaient avec le Couscrcateur : « Pas
de pacte possible avcc JU. Dccazer, ) tes indépeudants y répu-
guaicnt encoré, et ils n'y furent amenés que sous M. de' Riche-
licuo C'est ce que les partis appellent les coups du désespoir ; ils
rcnssissent souvcnt ; quelquefois ils reculent indéfinimcnt la vic-
toire ; mais ils la rcndent en tous le cas indigne et déloyale.


La commission de l'adressc ne faisait pas augurer un vote
Iacile, Elle se composait de MM. de Chauvelin , Cassaignoles ,
Benjamin-Constant , Bourdeau , Lainé , Ganilh, Kératry, 1101-
land ,de la l\loselle et Cardonnel, La gauche y comptait ainsi
plusieurs candidals; le centre gaucho s'était réuni a elle, ot lui
avait donné la majorité, En comité secret , il fut déclaré con-
joiutement par MM. de Chauvelin et Ganilh , que deux projets
d'adrcssc avaicnt été arrétés par les deux fractions qui compo-
saieut la commission. Ces deux projets, dont l'un se prononcait
tout ;\ raíl rontre le moindre changcment dans la loi des élcc-




lt60
.


mSTOIRE DE tA RESTAURATION•


tiOBS et l'autre paraphrasait le discours de la Couronnc, furen t
également lus en comité secrct; et , sur la proposilion de
J\'. de Courvoisier , il fut décidé , mais par une simple majorité
d'une voix (1 OS contre 107), qu'une nouvelle commission
d'adresse serait désignée; elle le fut en effet sur-Ie-champ. Le
ministere avait négocié avec les doctrinaires; et ceux-ci sen-
tirent la nécessité de ne point pousser le ministere a bout.
Anssi, le troisieme bureau, qui avait designó l\l. Benjamín-Con-
stant , nomma un commissaire moins hostile, lU. Maine de
Biran, M. Siméon fut substitué ti M. de Kératry. Des lors, la
commission parvint a s'entendre, et un projet d'adresse insigni-
fiant fut proposé par M. Siméon, et adopté par 156 voix contre
ll5. La Chambre ne s'engageait pas, elledisait : « Pourquoi faut-
il que des craintes affaiblissent nos espérances de calme et de
félicité? Nos lois ont trouvé partout une exécution facile , et
nulle part la tranquillité publique n'a été essentiellement tron-
blée : cependant, une inquiétude vague, mais réelle, agite les
esprits ; des factions , qui ne dissimulent ni leurs projets ni leurs
espérances , essaient de corrompre l'opinion : ennemies de
l'autorité légitime , ellesvoudraient .H0us entrainer dans la licence
pour nous faire perdre la liberté. »


A la Chambre des Pairs, l'adhésíon fut plus complete et
l'expression royaliste plus chaleureuse : c'était du sein de cene
Chambre qu'était partie la premiere tentative contre la loi des
élections; la majorité avait été hriséc , il est vrai, mais la frac-
tion ministérielle qui avait voté contre la propositionBarthélemy
s'unissant cette fois avec les ennemis de la loi d'élection , il se
forma une majorité tres-forte dans le but d'une adresse monar-
chiqueo D'ailleurs , les pairs qu'on aurait crus les plus opposés
au royalisme d'élaneement et de creur , le maréchalDavoust par
exernple , avaient alors adopté les príncipes monarchiques; et
lU. le comte el'Artois avait eu ~l donner des éloges a la noble in-
dignation du maréchal sur une pétition en termes ínconvenants,
qui demandait le rappel des régicides, « Des opinions qui out
boulevcrsé des empires , disaient 1('8 pairs , se réveillent (·t me-




CHAPITRE xv. 461.
nacent les institutions qui servent de rempart a11 trñne et a la
liberté. Les objets les plussacrés, lespersonnes les plusaugustes,
ne sont point a l'abri de ces attaques téméraires, Il est temps de
réprimer les exces de quelques factieux! » Le ministére n'était
pas tres-rassuré sur l'appui d'une majorité forte et constante;
le parti des indépendants se donnait une agitation extraordi-
naire. Toute la presse était Iiguée contre un ·changement, quel
qu'il füt , de la loi d'élection ; les pétitions circulaient. Cette
meme loi, si imparfaite aux yeux des Libéraux il y avaitquelques
mois , était alorspréscntée commel'unique sauvegarde de toutes
les libertés constitutionnelles. Des conseils on passait aux me-
naces: le Censeur se livrait a tous les excés oú la passion peut
entrainer , avee ce caractere de roideur qui était le propre de
sa rédaction, Il y avait plus de modération dans la Bcnomméc.
Le Constiuuionnel continuait a provoquer des pétitions collec-
tives aux Chambres; il demandait que de toutes les parties de la
France s'élevassent des réclamations pour la défense exclusive
d'une loiqu'il avait autrefoislui-méme tant combattue. Il parJait,
selon son usage, du rétablissement des droits féodaux et des
dlmcs, de la restitution des biens nationaux. On préparait un
éclat dans la Chambre , une révolution au dehors.


L'époque oú les subsidesallaient expirer approchait : on était
déja a la moitié de déccmbre , et le ministére, bien que tout
préoccupé des grandes questions politiques , devait pourtant
songel' au vote des impóts, JI fut arrété dans le Cabinet qu'on
demanderait six douziemes provisoires : cal' on ne pouvait croire
qu'une majorité püt rcfuser au H.oi l'indispensable secours des
suhsides. Ce vote n'était pas une qnestion seulement firrancii"re;
elle devait s'élever atoute la hauteur d'une discnssion de con-
llanee politique ; vainement M. Ternaux, rapporteur de la com-'
mission, avait-il cherché a réduire le projet ades proportions
finauciéres , les orateurs de la double opposition devaient l'en
faire sortír. Heurcusement pour le projet ministéricl, la droite,
dans une réunion chez M. Piet , s'était divisée. Une dizaine de
memhres , sousla direction de lU. de Labourdonnave , ne vou-




462 HISTOIRE DE I.A RESTAURATION.
lurent, en aueune maniere, se rapprocher du Cabinet. J..es nutres
memhres , sous la conduite de MM. de Víllele et Corhiere ,


pensérent qu'il ne fallait pas décourager le ministere dans ses
pensées d'ordre et de monarchie. S'élevant méme dans la région
des sentiments, ils demandérent si des royalistes pouvaient re~
fuser au Roi les sommes nécessaires pour les besoins du service
e,t de l'administration. M. de Labourdonnaye ouvrit les débaus
par une violente sortie contre 1\1. Decazes; pouvait-on accorder
six mois de la fortune de la France a un ministre sans consis...
tance politique, et qui avait si étrangement abusé de la con-
fiance royale? te partí libéral fut plus modéré dans'ses attaques
contre M. Decazes; les habiles des indépendants sentaient bien
qu'il falJait encore éviter de rompre complétemcnt , cal'la partie
saine des Royalistes faisait des avances aux ministres, et leur
réunion pouvait donner une puissante majorité contre lagaucho.
Cette possihilité d 'une union avec les Royalistes se maniíesta
par le discours plein de convenance et d'esprit de l\I. Cornet
d'Incourt qui vota sans amendemcnt les six douziemes, ~1. de
Villele s'était également fait inscrire pour le projet ministériel;
mais cela pouvait-il sauver la fortune ministérielle de 1\1. De...
cazes?


te Cabinet avait pourtant un grand avantage sur le ministére
de 1\1. DessolJe, c'est qu'il était parfaitement uni, et que tous
les ministres étaient décidés a sacrifier le pcu qu'ils avaient de
popularité au changement qu'ils croyaient indispensable dans la
loi des élections; cela explique la persévérance des ministres,
en présence d'une opinion violemment agitée. A. peinele premier
conseil fut-il réuni, qu'on s'occupa activement de la loi des
élections. 1\1. de Latour-Maubourg , réccmment arrivé de son
ambassade de I ..ondres , fortifia la résolution de ses collegues,
l\I. de Richelieu, dans deux conférences qu'il cut soit avec le
Roi, soit avec le ministre, déclara que telle était l'opinion una-
nime des Cabinets, et qu'un rapprochcment avec le centredroit
paraissait inévitahle. Les príncipes de la uouvelle loi électorale
furent discutés par le Conseil des ministres. I..es doctrinaires ne




eHAPITnE xv. "463
s'étaient pas encero complétement séparés du Cabinet; on pro-
posa pour bases: 1°. le renouvelIement intégral, a une époque
quinquennale ou septennale; 2°. l'augmentation de la Chambro,
:~". le fractionnement des colléges par arrondissement. Quelques
points restaient indécis ; le vote serait-il public? y aurait-il dou-
bles collégcs d'arrondisscments el de départemcnts ? Puis, on
agita des questions de détail, ce qui occasionna des retardsinfinis,
M~J. Cuizot, ViIlemain el de l\Iirbcl durent égalemcnt s'occuper
de la justificalion de la loi et de l'exposé des motifs. En atten-
dant , il fallait répondre ace mouvement de la presse si actif, si
implacable contre la dynastie et les ministres. Tandis que le
camp libéral retentissait de bruyantes récriminations contre les
Bourbons, on ameutait le pays par des pétitions mendiées sous
I(IS menaees de conps d']~tat. Un ministere qui n'a aprésenter
lflH' des lois d'intérét général peut 1\ ton te rigueur se maintenir
en se placant entre deux partis, tendant les mains tantót ¿l l'un,
tautót al'autre; mais lorsqu'on a besoin de demander de grandes
mesures de süreté , lorsqu'on veut changer les lois fondamen-
tales du pays, il faut étre appuyé sur une opinion puissante et
dévouéc. M. Deeazes avait soulevé contre lui toutes les haínes
des opinions; il ne pouvait attendre l'appui ni des Royalistes ni
des indépendants. La cour s'était prononcée; l'amitié seule du
ltoi le soutenait. JI ne retrouvait plus le mémo dévouement dan s
1\DI. Royer-Collard, Beugnot et Courvoisier. M. de Senes hou-
dait la nouvelIe fortune du président du Conseil, et une cruelle
maladie lui servit de' prétcxtc pour faire un voyage dans le l\1idi.
Tout le monde sentait qu'il était difficile de demeurer dans cette
fansse position; il s'agissait d'une loi fondamentale, et l'oujouaít
au hasard surchaque question. M. Decazes cherchait aconservar
la popularité par des actos de clémence royale. Les dernicrs pro-
scrits rentraicnt en Franee. On ne touehait aaueun administra-
teur lihéral ; les préfcts et sous-préfets nommés sous M. Des-
sollo étaient maintcnus, et ceci redoublait la polémique ardente
el les cris des Iloyalistes , qui demandaient eonunent 1\1. De-
I"azes prérondait se rapprochcr des principes monarchiqnes en




l¡64 mSTOIRE DE LA RESTAURATION.
laissant en place tous les révolutionnaires. Le Gouvcrnement
tendait ainsi a une espéce de dissolution. La presse n'était point
réprimée. Je ne sais comment était composé le jury, mais les
plus odieux outrages aIa royauté, a la morale, restaient im-
punis. Napoléon vivoit encore, et son éloge était publiquement
distribué, M. de Caulaincourt célébrait l'administration du grand
capitaine et le saluait du glorieux titre d'Empereur. Imaginez ce
nom colossal de l'Empereur mis en face des Bourbons et colporté
par la popularité des chansons de 1\1. de Béranger ! Le Gouverne-
ment avait besoin de se défendre. Il ne vonlait point sortír de
l'ordre légal, il voulait obtenir toute mesure de répression par
les Chambres,· et il n'avait pas de majorité ! Les provinces, d'un
autre coté, n'étaient pas tranquilIes; la Vendée fermentait; de
vieux chouans cherchaicnt a se réunir, tandis que la jeunesse
de Brest se soulevait contre les missiounaires, La presse, selon
son hahitude , racontait ces désordres avee cette exagération de
récits qui agrandit et remne encore les agitations d'un pays en
guerre civile, On apprenait la révolte militaire qui menacait
l'Espague ; cette armée rebelle , ces régirnents insurrectíonnés
~l Cadix étaient présentés comme des exemples bons asuivre,
l ..es noms de constitutionncls , de nationaux , étaient prodigués
avec éloges a ces corps d'armée soulevés contre Ferdinand. JI
fallait fermer les yeux ~l la lumiere pour ne pas voir quelle crise
affreuse s'apprétait pour la France , si l'on ne se hátait de suivre
une voie décidée , et d'arracher ainsi asa perte le trñne légi-
time.


n était convenu clans le Conseil de concerter une mesure sur
la presse qui , sans reconstituer la censure, püt préserver la 80-
ciété des exces des journaux ; le départ de M. de Serres avaít
suspendu qnelques-unes des délibérations ; M. Siméon était ap-
pelé comme sous-secrétaire d' Úat au départemcnt de la justice.
1\1. Perceval cherchait a rcmédier dans le personnel aquelques-
uns desmauvais choix militairesque le systéme confiant de M. Gou-·
vion-Saint-Cyr avait multipliés, La révolution qui semhlait me-
nacer l'Europe nécessitait des mesures de sürcté générale, JI




CIIAPITRE xv. [165
faJlait voir avec quelle ardeur on multipliait ou colportait les pé-
titions. Tout le parti lihéral était en émoi. Des gens qui ne com-
prcnaient pas le premier mot de la loi d'élections , qui n'avaient
aucun droit par elle, qui lui étaient tout afait étrangers, de-
mandaientd'un ton impératif a la Charnbredes Députés le main-
tien complet de cette Ioi, D'autres invoquaient le rappel des ré-
gicides, Il y eut méme une pétition qui provoqua la déchéance
de Louis XVIII. Ces pétitions arrivaient par milliers; on les si-
gnait sansles comprendre. C'est a l'occasionde ces pétitions que
se forma le comité véritablement dirigeant dans le parti libéral.
Jusqu'alors on avait agi sur les esprits par tous les moyens, et
particulierement par la presse : mais on ne s'était pas organisé
d'une manierepubliqueet constitutionnelle. Il n'yavaitpasde club,
~I proprement parlero La maison de M. de Gévaudan fut desti-
née aservir de point de réunion centrale. M. de Gévaudan, a
la tete d'une grande fortune , était un homme essentiellement de
parti. Cette société recevaitdes députés : IUM. de Gramont , Mar-
tín de Gray, La Fayette, Labbey de Pompieres , Benjamín-Con-
stant, Manuel, Demarcay, Bedoch, Girod de l'Ain , Bignon ;
des gensd'esprit, deshommesde lettres, et'I'almalui-méme. Dans
eette société , qui prenait le titre d'Amis de La Liberte de La
presse, on délihérait sur les affaires du pays; afin d'aviser aux
moyens d'obtenir des ministres l'exécution des lois fondamen-
tales, J'organisation du jury, des autorités départementales et
de la garde nationale. On y faisait des rapports, on désignait
des candidats pour les élections et pour la Chambre , maisau fond
on y conspirait. Le Conseil des ministres résolut de poursuivre
cette société : 01', quel résultat pouvait obtenir la poursuite con-
tre la réunion chez M. de Gévaudan ? Dissoudre cette société
était impossible ; elle se rétablirait secrétement ou dans un autre
salón. Le mal produit par la publicité de la poursuite n'était-il
pas plus grand que celui que faisait craindre cette société elle-
méme ? Si la société de M. de Gévaudan conspirait, il fallait avoir
la force et le couragede le dire , et alorsla poursuivre erimincl-
lemcnt. Quand un pouvoirsedécide aux coupsd'État, il nefaut pas




ll66 HISTOInE DE LA RESTAURATTON:'
qu'il s'arréte auxtermes moyens ; il Ya de la forcedanslasincérité.
Que résulta-t-il de la poursuite contre les Amis de la liberté de
la presse? Beaucoup de bruit , du scandale, une condamnation
a 200 fr. d'amende , quant a la dissolution deIa société poli-
tique, elle était illusoire; il valait mieux une société publique
avouée , que le Gouvernement pouvait surveiller, que des réu-
nions secretes, plus faciles aentrainer ades conspirations. Le mi-
nistere voulait montrer sans doute qu'il rompait avec le coté
gauche; mais il n'avait pas besoin pour cela de s'attacher aune
poursuite implacable, impopulaire ; la question des pétitions pour
le maintien de la loi électorale allait suffisamment signaler cette
irrévocable séparation,


C'était une question grave que celle de ces pétitions; elles ar-
rivaient collectives, couvertes de sígnatures inconnues; on fai-
sait signer femmes , enfants, militaires, collégiens, étudiants en
droit ; le comité libéral avait établi une especedecorrespondance
par des commis..voyageurs. Ces pétitions arrivant ala Chambre,
on pouvait les repousser par l'ordre du jour, mais elles appe-
laíent dans tous les cas une discussion publique solennelle; e'est
ce que le parti des indépendants demandait, Il était parvenu a
la commission cent trente-neuf pétitions: quelques-unes collec-
tives , d'autres individuelles ; un grand nombre étaient calquées
sur un méme modele; plusieurs rédigées en termes convena-
bles , d'autres impératives : l'une d'elles disait: ( Ileprésentants,
une main puissante veut porter atteinte a l'une de nos libertés
les plus chéres, ala loi nationale des élections! Quel scandale !
jusques aquand souffrirez-vous cet abus outrageant d'un pou-
voir coupable? l) - (1 Représentants, disait une autre de cespé-
titions, vous allez décider par votre conduite si le peuple a pu
se confier avous comme a des rnandataires fldéles , ou si, élus
parricides, trahissant vos serments et la loi qui vous a créés,
vous ne serez ases yeux que de vils agents du Pouvoir. l) Heu-
reusement pour le Cabinet, la forme de ces pétitions, ses ma-
nieres impératives , avaient jeté sur elles de la déíaveur, et lors-
que lU. 1\Iestadier fut appelé ;\ faire le rapport , il put, sans ex-




CHAPUllE xv. ú67
citer de murmures, exprimer l'opiniou d'un ordre du jour,
Toutes les sommités dans l'opinion libérale se firent entendre;
l\I. Dupont de l'Eure attaqua M. Decazes et cette mobilité poli-
tique qui lui Iaisait détruire cette année ce qu'il avait si haute-
ment et si vivement défendu l'année précédente. M. Pasquier
répondit ace discours et ramena la question des personnes aux
choses; il distingua dans la Charte les articles fondamentaux d'a-
He les articles réglementaires , ceux auxquels la main humaine
ne pouvait jarnais portcr atteiute et ceux qui étaient soumis a
la souveraiueté parlementaire; le général Foy défendit le droit de
pétitions, « Il y en a quelques-unes <fui sont vives, impératives,
dites vous; rnais la liberté cst la jeunesse des nations, Il y a dans
la liberté trop de vio et des puissances trop actives pour qu'on
s'y passe d'uu certain degré de mouvemenr, » Tout le coté droit
soutint le ministere et appuya par conséquent l'ordre du jour ,
cal' I'idée fixe du coté droit était le changement de la loi d'élec-
tion; la réunion Ternaux et une fraction du centre gauche, méme
1'1. de Courvoisier , se réunirent autour d'uue opinion rnixte, le
renvoi aux hureau des renseignements. Le coté gauche vota le
renvoi au ministre de l'intérieur. La rnajorité ne fut que de trois
voix pour l'ordre du jour ; la Chambre s'était en quelque sorte
divisée en deux grandes Iractions. Quoi! trois boules seulement
de rnajorité , et il y avait trois ministres préscnts au vote! QuelIe
incertitude pour la loi électorale , puisque , sur de simples péti-
tions , le ministére n'était pas sur d'obtenir un appui íort et
loyal ! .


La session n'avancait paso Le discours de la Couronne avait
proniis une série de lois constitutionnelIes, 'et aucune d' elles
n'était encore présentéc a la délihération des Chambres, On pas-
sait le temps a discuter sur des pétitions, La grande chartc de
lU. de Serrcs el des doctrinaires , connnuniquée a lU. Dcca-
zcs el approuvéc par lui , avait été définitivcmcnt rejetée par le
Conscil.ou au moins ajournéc, tant on était inccrtain sur la ma-
jorité, taut iJ était important de ne pas multiplier les discussions
fundamentales! Les partís étaicnt en préscuce sur des questions




ú68 HISTOlHE DE LA RES'tAURATION.
accidcntelles en dehors des principes vitaux du Gouverncmcut.
Il y avait une grande irritation dans les esprits. Tandis que
lU. Hoy présentait la loi financiére, l\1. de Saint-Cricq un projet
de loi sur les douanes, le Conseil des ministres continuait adéli-
bérer sur les bases du projet électoral, ¿t l'égard duquelle mi-
nistére n'était pas complétement d'accord , il Yavait un premier
projet de lU. de Serres , tout doctrinaire , et qui consistait aun
grand fractionnement de collége de ville et de coIlége de campa-
gne; un autre projet soutenu par les Hoyalistes, et qui émanait
indirectement de l\l. de Yillele ~ substituait al'élection dírecte le
double degré et l'intervention de la grande propriété; un autre
projet divisait les colléges en deux catégories d'arrondissemenl
et de département , chacun d'une nature différente, La difficulté
pour le Conseil des ministres, était que, n'ayant positivement au-
cun parti, il ne pouvait assurer la victoire électoraleni aux Libé-
raux ni aux Hoyalistes, et se jeter d'un coté plutót que de l'au-
treo Le projet définitivement arrété fut une comhinaison du partí
doctrinaire avec les idées royalistes. La Chambre des Députés
devait étre composée de 432 membres; 258 députés étaient
nommés par les colIéges d'arrondissement ; 172 par les colléges
de département , les colléges d'arrondissement désignaient les
électeurs du collégc de département parmi les imposés 11 1 000 fr. ;
la moitié des contributions pour former le cens devait se com-
poser de contributions foncieres ; chaque électcur devait signcr
son bulletin sur le bureau, ou le faire écrire par un membre du
bureau sur le bulletin qui lui était fourni; les 172 membres des
colléges de département devaient étre élus immédiatement ; la
Chambre actuelle était septennalc. lU. Decazes n'aperccvait pas
que le résultat de sa combinaison électorale était de jeter le pou-
voir dans les mains des Itoyalistes. Tous ces élus de la grande
propriété devaient par la naturc des choses siéger a droite , et
cettc masse de votes de droite cntrainer le pouvoir de ce coté. L~
projet une fois admis par le Conseil des ministres, on s'occupa de
sa rédaction définitive. Il s'agissait ensuite d'en préparer l'exposé
des motifs, Il formait un lineo On s'en partagea la rédactlon.




CHAPITRE Xv, h69
)1. Villemaiu en écrivit une partie ; MM. Dccazes, ~lounier,
Guizot ct de Barante firent le reste. Une partie difficile du projct
était la fixation des arrondissements électoraux; cal' il était im-
possible de suivre exactementlesarrondissements.administratifs.
Il en serait résulté que tel département riche, populeux, aurait
été représenté par un petit nombre de députés, Ainsi, par exem-
ple, le Basses-Alpes, divisées en cinq arrondissements, auraicnt
eu cinq députés, tandis que les Bouches-du-Ilhüne n'en auraient
en que trois, ce département ne comprenant que trois arrondis-
sements, Dans cette fixation électorale, le ministere n'oublia
point sa propre influence. Les localités étaient agglomérées de
maniere a laisser plus de force et de pouvoir aux préfets sur la
masse des électeurs. Le hut de la loi était de reconstituer I'ac-
tion ministériclle dans les élections , alors échappée a 1\1. De-
cazes; il voulait absolument la ressaisir et illa donna au partí
royaliste.


Tout le mois de jauvier s'était ainsi passé. Les journaux les
plus prononcés en couleur faisaient une guerre de tous les in-
stants au ministere, le harcelaient sans reláche, l'accusaient; et
souvent ce n'était pas sans raison. Quelle contenance pouvait
avoir un ministere nouvellement formé, promettant des loiscon-
stitutionnelles, de larges améliorations, et puis se trainaut apeine
dans des discussions de détail ! La presse, placée sur le terrain
des justes reproches, se livrait a la plus incroyable licence. Des
principes subversifs de la lógitimité étaicnt jetés sans cesse au
milieu de la sociétéagitée, La souveraineté du peuple était publi-
quement soutenue dans ['Indépendant -' la Benomméc -' et le
Constinuionnel. Les mouvements qui avaient éclaté en Espagne
ajoutaient une force, une confiance nouvelles au partí des Libé-
raux. lis révaient une de ces révolutions militaires entreprises
par Riégo. Dans cette fermentation des esprits, les ministres
crurent nécessaire d'appeler a leur aide différentes capacités de
Cabinet, pour examiner la situation, 1\1. Decazes s'était rappro-
ché de ~1. de Ilichelieu ; il fit réunir un conseil d'hommes spé-
ciauxet forts, afin de juger d'abord le projet de loi électorale, et


n, 40




li.70 HISTÜIRE DE LA RESTAUHATIÜN.
ensuite pour apprécier , concurremment avec les membres du
mínistére, les dangers de la position. L'état de la presse était in-
soutenable. Les jurys prononcaient de continuels acquittements.
Le ministere, ayant alors des velléités dese rapprocher du parti
religieux et monarchique , devai t modifíer , sous plusieurs rap-
ports , cette législation que lU. Odilon-Barrot avait appelée
athéc. Les Iloyalistes avaient quelque raison de s'effrayer de la
licence des opinions, L'anarchie s'infiltrait dans la société panni
les pouvoirs constitutionnels; la diplomatie elle-méme prenait
parti , et les arnbassadenrs poussaient ades mesures séveres:
partout l'exaltation était a son comble, On attribuait cette fer-
mentation des idées acette anarchie de doctrines qui jetait dans
toutes les tetes les éléments révolutionnaires, Le Gouvernemcnt
présentait-il un projet de loi sur le décompte des domaines na-
tionaux, les journaux des indépendants criaient aussuót par-
dessusles toitsqu'on cherchait arevenir sur les ventes natíonales,
et que tous les acquéreurs étaient menacés, Faisait-on le dé-
nombrement des habitants, les journaux disaient encorc que
c'était pour commencer un grand systéme de persécution centre
les divers cultes dissidents, que l'on dressait des listes. On par-
lait aux bons citoyens de se débarrasser de la tyramlie) on exal-
tait les Brutus , les Cassius, les Sand, les Carlisle, les Riégo !
Plus de príncipes religieux et d'ordre politique ! Passerai-je sous
silence la broehure de lU. de Saint-Simon, dans laquelle le fon-
dateur de la secte célebre exposait que la mort du Irere du Roi,
des dues d' Angouléme et de Berri, serait moins deplorable que
celle du dernier des industriels, puisqu'il serait plus facile de
trouver des individus qui feraient le méticr du frére du Iloi que
cclui ele manufaeturier! Tel était l'état des esprits et du pou-
voir. Le Gouvernement n'en pouvait plus; il était menacé dans
sa base, dans son príncipe cssenticl , par cctte anarchie des opi-
nions, lorsqu'un événement épouvantable vint révéler le mal el
précipiter la crise.


I...e 13 février 1820, 1\1. le duc de Berri tomba sous le cou-
teau de Louvel. Un heau génie a Iait rcvivre dans son grand style




f.HAPITRE XY. [,71
la mémoíre d'un prinee bon , loyal , généreux, frappé du poi-
gnard comme son aleul Henri IV. Je ne retraeerai point id les
cireonstanees trap connues de eette mort; il suffit de l'envisager
sous le point de vue politique , c'est-a-dire par rapport au systéme
ministériel dont cette catastrophe consornma la ruine. L'histoire
peut aujourd'hui prononcer sur le crime de Louvel, Ce fut la
frénésio d'un homme , nourri dans la solitude par les doctrines
régicldes; on ne sauraít trop se garder de la crédulité passionnée.
L'attentat de Louvel ne fut pas l'ccuvre directe et concertée
d'un parti, 11 moins qu'on ne veuille entendre l'influenee que
purent avoir quelques violents articles de journaux sur une ame
déja aigrie, cxaltée. Ceeoup de canon que Louvel aurait entendu,
cette conjuration aIaquellc le partí royalistea cru, tout cela ne m'a
pointparu appuyó sur des prcuvcs suffisantes; iJ y eut des apparen-
cesmalheureuses, mais est-cesur desindices aussiincertains qu'on
peut hasarder de dangcreux jugements? Il faut done le répéter ,
cctte grande liberté do la presse; cesprofessions de príncipes dout
on entourait le régicido , la révolte , l'assassinat, voila ce qui était
propre tl agir sur une imagination hrute et solitaire, Louvel aspira
peut-étre a la gloire d'un Brutus, et put croirc qu'il sortait de la
foule des ames vulgaires pour s'élancer vers la postérité, 11 est une
dcrniére absurdité des partis qui consiste ti aecuser M. Deeazes
de complicité avec Louvel ; pour répondre aceci , je n'ai qu'un
mot ~l dire : le jour OU M. le duc de Berri succqmba sous les
coups de Louvel, M.. Decazes vit que c'en était fait de son pou-
roí!'. Quelle habileté pour un homme politique de suivre une
tactique de sang pour arriver au résultat de déehirer son auto-
rité de ses propres mains! L'efIet produit sur l'esprit de
Louis XVIII par la mort du duc de Berri fut immense. Le
désespoir de toute une famille, les pleurs d'un frero agirent
puissamment ; la haute raison du Roi prévit que la foudre allait
romber sur son ministre. Sa premiare conversation avee lU. De-
cazes Iut tres-remarquable ; le Roi lui dit : « lUon enfant, les
nliras nous préparent une guerre terrible; ils vont exploiter
ma douleur : cc n'est pns votre systl'mc, c'est le mien qu'jls




472 HISTOIllE DE I.A RESTAURATION.
attaqueront; ce n'est pas a vous qu'ils en veulent seulement,
mais a moi. » lU. Decazes déclara que, si Sa Majesté croyait
que le bien de son serviee exigeüt sa retraite , il était prét a
donner sa démission, quoiqu'illui füt bien douloureux de pen-
ser que sa retraite se lierait a un événement aussi funeste. Le
Roi répliqua : « J'exige que YOUS restiez au ministere ; ils ne
me sépareront pas d'avec vous. » Il fut arrété que la Chambre
des Pairs serait eonvoquée eomme Cour judiciaire pour pren-
dre eonnaissance de l'attentat eommis sur la personne du duc
de Berri. Des loisde süreté généraledurent etre portéesauxdeux
Chambres : on ne savait pas encore quelle était la cause du
crime, aquelle machination il se liait, s'il n'était pas le résul-
tatd'une conspiration. On renvoya au Conseil du soir la rédac-
tion définitive de ces. projets de lois. Le Roi tint aquatre heures
un Conseil de Cabinet, composé de ministressecrétaires d'État,
de Ml\!. de Fontanes, de Lally-Tollendal , de Lévi, de Gar-
nier , Portalis et ñlounicr ; on y arréta la censure et une 10i sus-
pensive de la liberté individuelle.


Le Roi avait bien prévu le mouvement d'opinions qui s'opé-
rerait parmi les Itoyalistes et la tactique que suivrait le partí
contre le systeme et les ministres qu'on voulait renverser. Apres
les premiéres larmes données ala mémoire du due de Berri, la
droite éclata en sanglants reproches. Il y eut défaut de conve-
nance dans ce passage rapide de la douleur occasionnée par un si
triste événement a la fureur politique contre le ministre favori.
Qui n~ se souvient de cet éloquent article OU un grand écrivain
disait « que le pied de lU. Decazes avaitglissé dans le sang? » Le
Drapeau blane s'expliqua aveeencore plus de fureur, et M. De-
cazes se crut obligé de le dénoncer au procureur-général : ( Jus-
qu'ici , disait-il il avait méprisé les outrages dont quelques li-
belles l'avaient rendu l'ohjet ; l'intéret (le la soeiété lui comman-
dait aujourd'hui de ne pas laisser impunie I'infáme calomnie
dont le sieur Martainville s'était rendu coupable dans le jour-
nal qui veut s'intituler Le Drapcau blanc. Cette accusation in-
sultait bien plus ~I la doulcur publique qu'elle u'insultait le mi-




CHAPITRE XV. 473
nistre lui-méme , ct c'était plutót au nom de la société qu'au
sien propre qu'il en demandait ~l la justiee l'éclatante répara-
tion. 1) Le Consenxucur attaquait M. Deeazes avee véhémencc ,
et , dans sa douleur plus ou moins aífectée , il trouvait l'occasion
de plaisanter sur le ministre indigné qui portait sa plainte contre
1\1. Martainvillc. « Quant a M. l\IartainviHe, disait-il, pour-
quoi l\I. le présidcnt du Conseil va-t-il chercher querelle ace
diable d'homme , qui láche aussibien un coup de pistolet qu'un
hon mot? L'hetmann des avant-postes royalistes n'entend pas
railJerie; avec le drapean hlanc au bout de sa lance, il empéche
toute l'armée ministérielle de dormir; il met l'alerte au camp ,
enleve les convois, eoupe les vivres aux soldats du ventre : cette
fois-ci il a failli enlever le général cnnemi. » Que dire de ce lan-
gago dans la bouche des Iloyalistcs le lendemain du grand atten-
tat ? était-ce la l'expression d'une grande peine réellement et


. profondément sentie? Dans les premiers moments, la douleur
de l\IONSIEUR avait été muette; livrée a son propre cceur,
S. A. R. n'eut que des larmes pour une catastrophe qui le tou-
chait si puissamment; il accueillit méme l\1. Decazes avec une
douloureusebienveillhnce ; 1\1. de Latour-Maubourg , qui accom-
pagnait le ministre, le remarqua et en félicita son collegue ; mais
le Iendemain le parti royaliste s'empara des larmes de S. A. R. ,
et des ce moment la porte de ál. Decazes fut jurée.


Les feuilles libérales connurent l'assassinat de 1\1. le duc dc
Berri le 13 Iévrier a minuit; elles sentirent toute la portée de
cet événement, et , presque dans tous les bureaux de rédacteurs,
il fut convenuqu'on changerait les articles déja composés qui at-
taquaient plus ou moins violemmcnt le Couvernement et le Ca-
hinet qui en était la pensée; les journaux furent le lendemain
pleins d'expressíons d'une douleur plus ou moins sentie; tous
prévirent également la triste possibilité d'un systeme de réaction
dont l'assassinat du duc de Berri serait la canse ou le prétexte.
C'est qu'il s'était fait un mouvemcnt général dans l'opinion, et
l'attentat avait produit une indignation universclle : j'en excepto




h7ll mSTOIRE DE LA RESTAURATION.
quelques joies isolées, et avee raison honteuses de se montrer;
le deuil fut général; il était dans toutes les classes.Les uns ai-
maient le prinee et sa famille; les autres cralguaient les boule-
versements; et puis il y a dans l'assassinat 'quelque ehosed'anti-
francais , quelque chose de si profondément opposé anotre ca...
ractere , qu'il s'était attaché a la mort du prince un douloureux
intérét. Chacun tremblait pour sa fortune , pour son avenir;
quclques...uns pour les libertés publiques. Tout dans les Cham-
hres annoncait une profonde affliction. Aux Pairs, sur la propo-
sition dé 1\1. de Lally-Tollendal, une adresse- expressive avait été
d'abord votée a l'unanimité ; elle disait « que les pairs détes-
taient , dans le crime qui eondamnait la France ade si longues
douleurs, le fruit des doctrines perverses dont on veut empoison-
ner l'Europe, et qui , arrivant de l'égarement des esprits ala dé-
pravation des ames, en sont venues ~l ce point de eonsacrer l'im-
piété , la trahison , l'assassinat et le parricide. » La Chambre of-
frait de s'associer a toutes les mesures Iégislatíves pour arréter
ce Iléau universel , qui menacait d'une subversión entiere la re-
ligion, la morale, la monarchie et la liberté. A la Chambre des
Députés, une adresse fut également proposée, On avait annoncé
depuis plusieurs jours la présentation du projet éleetoral; mais
la catastrophe de la nuit faisait présumer qu)l n'y aurait pas
d' autre conununication offieielle. Trois ministres étaient seuls
présents ala séance, c'étaient MM. Pasquier, Hoyet Portal. Une
morne eonsternation régnait dans I'assemhlée, Apeine la lccturc
du proces-verhal était-elle achevée , que M. Clausel, d'une voix
qu'altérait l'émotion , s'écria : « Il n'y a poiut de lois qui fixcnt
le mode d'accusation des ministres; mais il cst de la nature d'nne
tellc délihération qu'elle ait lieu en séance publique et ¿l la face
de la Francc í Je propose a la Chamhre de porter un acte d'ac-
eusation coutreñl. Decazes, ministre de l'iutérieur, comme com-
plice de l'assassinat de ~I. le duc de Berri , el je demande adé-
velopper ma proposition. »


Cene proposition fut mal accueillie : elle n'eüt pas trouvé




CHAPITRE X". h75
vingt-cínq voix , méme dans la droite '. Personne ne pouvait
contester la prohitéde M. Clausel de Coussergues; son caractére
étnit d'une douceur extreme; mais iJ se fanatisaít pour des idées,
Le parti royaliste savait bien que l'aceusation n'auraít pas de
suite affiictive; cependant c'était un coup de plus porté aM. De-
cazes , et tel était le résultat qu'ou voulait obtenir. M. Clausel
de Coussergues fut próné dans les journaux royalistes ; on le dé-
signa a la rcconnaissauce comme ayant fait un acte de courage ,
et on l'exhorta, dans des comités particuliers, adonner suite ason
accusation. M. Clausella formula dans des termes moins vagues.
La Chambre des Députés pensa unanimement qu'elle devait une
adrcsseau Tróne dans cettc triste cireonstanee ; mais eette adresse
serait-elle politique , ou hien parlerait-clle seulement le langage
de la douleur puhlique? Sur ce point plusieurs opinions divi-
saient la Chambrc : les Royalistes extremes voulaient faire do
l'adrcsse un corollaire de l'acte d'accusation porté par 1\1. Clan-
sel de Coussergues; les ministériels voulaient y faire insérer une
phrase d'adhésion a toutes les mesures que les circonstanees
pourraient commander; les indépendants , enfin , en se mélant
aux larmes de la patrie, voulaient conserver les garanties de li~
berté, et repousser toute espece de lois d'exception. IV!. de La-
bourdonnaye s'écria ce qu'il fallait détruire dans son germe un
fanatisme qui , sccondé par un aveuglement ineoneevable, con-
duisait a un résultat si funeste , paree que ce n'était qu'en en-
chainant de nouvean l'esprit révolutionnaire , qu'un bras de fer
avait longtemps comprimé ; paree que ce n'est qu'en sévissant
contre les écrivaius téméraires '. enhardis par l'impunité , que
vous arrétcrcz les productions scandaleuses et coupables qui ex-
citent aux crimes les plus odieux ! l}. ce Je demande, ajouta le
général Foy, qu'une grande députation se rcnde auprés de S. M.,
pour présenter anotre auguste monarque , de la part d'un peuplc


J 1\1. de Villele prit it part M. Clausel , et luí dit avcc su raison si
droite . Votre proposilion csl mal rédigéc; accuscr 1\1. Decazes de com-
plicité avec Louvel est absurdc , il faul l'accuser vaguernent d'attcntat
rle haute trahlson !




476 . HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
fldele , ce qu'il peut offrir de consolations a son ame paternelle
aprés la catastrophe qu'un sort affreux vient de faire peser sur
sa famille; mais je demande que l'adresse soit tout entiére con-
saerée a l' expression de notre doulcur et des larmes publiques
que nous versons tous sur un prince regretté de tous les Fran-
cais, regretté surtout par tous les amis de la liberté, paree que
les amis de la liberté savent qu'on se prévaudra de cet affreux
attcntat pour détruire les libertés du pays! » Cette proposition ,
cxprimée en termes si élevés , si convenables, par le général
Foy, fut soutenue par ]U. Corhiére et adoptée par une forte
majorité. Ainsi furent évités les premiers froissements des opi-
nions dans la Chambre dcs Députés,


L'acte d'aceusation contre lU. Decazes avait fait un grand
seandale dans les salons : les hommes qui n'aimaicnt pas le mi-
nistre ne pouvaient descendre jusqu'a ce point d'absurdité de le
supposer complice de Louvel ! Entendez-vous! complico~ dans
le sens judiciaire , de I'assassinat du duc de Berri; complice
tellement constaté, qu'on pouvait ainsi le désigner dans un acte
d'accusation ! Les amis du ministere voulurent , le lendemain,
tenter un effort pour obtenir satisfaction de l'outrage porté au
président du Conseil, Le preces-verbal portait que la Chambre
avait éeouté la proposition de l\J. Clausel de Coussergues avec
un sentiment unanime d' improbation. lU. de Saint- Cricq ne
trouva pas eette expression assez forte,. assez puissante ; il qua-
lifia la proposition de ]U. Clausel de Coussergues de térnérairc ,
de ealomniatrice, telle enfin qu'il considérait que l'orateur avait
manqué a lui-méme et a la Chambre. 1\1. Cornet-d'Incourt
soutint, au eontraire, qu'on ne pouvait qualifier de calomnia-
trice une proposition dont on n'avait pas encore entcndu tous
les développcments. « Ce n'est pas assez, s'écria lU. de Cour-
voisier, que l' on dise : La Chambre a manifesté son ímproba-
tion; il faut y substituer le mot indiqnation l - J'éprouve une
grande surprise , répliqua M. Clausel de Coussergues, qu'on
refuse aun député une des prérogatives les plus essentielles , le
droit de mettre un ministre en accusation. L'accusation que j'ai




CHAPITRE XY. 477
portée centre M. Decazes est le résultat de ma conviction. Je
vais déposer l'acte d'accusation sur le bureau , et je demande
que l'on m'entende dans le plus bref délaí, - Je me suis abs-
tenu de parler hiel', répondit ~I. de Saint-Aulaire , paree que
j'attrihuais la démarche de M. Clausel de Coussergues a l'em-
portement d'une juste douleur; mais puisqu'il s'obstine a faire
de sa proposition l'objet des délibérations de la Chambre , puis-
qu'il persiste dans une accusation qui n'est qu'un monument
de sa démence, je me bornerai ademander que la réponse que
j'y fais soit consignée dans le preces-verbal. Cette réponse ne
sera pas longue; je lui dirai seulement : Vous étes un calom-
niateur! » Cette brusque sortie, le ton de fierté avee lequel la
phrase fut prononeée , eoupa court ala discussion. La Chambra
passa al'ordre du jour,


Jusqu'ici le ministerc et les Chambres ne s'étaient point en-
gagés dans un systeme. Les opinions ardentes demandaient des
garanties. Des adresses parvenaient de tous les points de la
France, Danstoutes ces adresses on réclamait des süretés contre
l'esprit révolutionnaire, des précautions pour l'avenir de la 1\10-
narchie. « Oui , Sire, disait 1\1. le président Séguier, il existe
une conspiration permanente contre les Bourbons, et dans la
consternation générale on a vu des joies féroces, Le sang, si
pur , qui a déja tant coulé , n'aurait-il qu'irrité la soif? Oh !
Sire , veillez avec nous! nous vous en conjurons au 110m de la
société effrayée du présent , épouvantée de l'avenír. » Cette ex-
pression si vive de' dévouement, cet appel aux lois extraordi-
naires, aux moyens temporaires, mais décisifs, arrivaient de
tous les cótés de la France ; on sentait partout unbesoin de
réprimer les doctrines révolutionuaires : tribunaux, armée ,
gardes nationales , conseils municipaux , tous demandaient -ala
royauté qu'elle veillát sur elle-méme et sur le pays, Dans cette
position, le Gouvernement nc pouvait rester stationnaire. Le
1h, au soir , le Conseil des ministres se réunit aprés le Conseil
privé. La proposition de ]U. Clausel de Coussergues pour ac-
cuser 1\1. Decazes avait retcntí au chatean. Le Roi en parla II




HISTOIRE DE LA RESTAURATION.


ses ministres, et leur dit : « Les Royalistes me portent le der-
niel' coup , iIs savent que le systéme de 1\1. Deeazes était le míen,
et ils l'aeeusent d'avoir assassiné mon neveu! Ce n'est pas la
premiére ealomnie de cette espece qu'ils laneent contre moi. Je
veux, Messleurs , sauver notre pays sans la droite , s'il est pos-
sible. Cherchons une majorité en dehors des amis de 1\1. Clausel
et de ]U. de Labourdonnaye. » On arréta déflnitivement le projet
de loi qui contenait des mesures préverñives contre les jour-
naux. On avait cherché a établir la nouvelJe censure sur quel-
ques garauties : le projet constituait une oemmission composée
de pairs et de députés , chargée de veiller II l'impartial exercico
du pouvoir discrétionnaire que le Gouvernement sollicitait des
Chambres ; c'était une idée de 1\1. de Fontanes. Le principe fut
accepté par le Conseil, avec quelques modifications. Le second
projet était de 1\1. Pasquier; il avait pour objet la suspension
de la liberté individuelle ; il portait que tout individu prévenu
de machinations contre la personne du Itoi , la süreté de l'État
et les personnes de la Famille royale , pourrait étre arrété et
détenu sans qu'il füt nécessaire de le traduire devant les tribu-
naux, pourvu que l'arrestation eút lleu sur un ordre délibéré
dans le Conseil des ministres, et signé de trois ministres au
moins, Cette loi d'exception ne pouvait avoir plus d'un an de
durée , si elle n'était renouvelée. Il fut arrété que, pour com-
pléter l'ensemble de ces mesures, le projet de loi électorale
serait le méme jour présenté aux Chambres. Il y avait défaut
de tactique de confondre ainsi une 10i permanente, fondamen-
tale, avec des mesures d'exception , et de faire un ensemble
législatií de projets qui devaient étre essentiellement séparés, et
dont l'esprit était si différent,


Du sort de ces divers projets de lois dépendait la vie minis-
térielle, Le Roi ne comprenait point que la Couronne düt céder
devant l'expression bruyante d'un parti; il eüt défendu son
ministre contre un mouvement de l' opinion royaliste , véritahle
intrigue de coterie; mais Louis XVIII connaissait trop bien les
exigences et les bases du gouvernement représentatif, pour ne




CHAPITRE X\. 479
pas sacriíier son ministre et ses amitiés lt une majorité parlemeu-
taire. ]'1. Decazes le sentait aussi : ses eíforts durent tendre des
lors a assurer cette majorité, dévouée ason nouveau systeme, Il
cut été facile a 1\1. Decazes de retrouver sa force en renoncant
aux lois d'exception, en maintenant le systeme électoral, Les
attaques des journaux avaient diminué de leur apreté. Les indé-
pendants s'étaient réunis aux ministériels pour repousser l'accu-
sation de 1\1. Clausel de Coussergues; ils avaient fait des offres
de service a lU. Decazes; mais le ministére pouvait-illes accep-
ter, avec les eonditions qu'y mettaient les indépendants? Était-il
possible de ne pas modifier le systéme électoral sansse jeter dans
les mains des hommes dont un grand nombre ne voulaient ni
Bourbons ni légitimité! Dans eette situation difficile, 1\1. Decazes
sentait que le seul appui qui lui restait pour soutenir son nou-
vean systéme, c'étaient les centres et les doctrinaires. l\Iais ces
doctrinaires, qui avaient défendu avec force les lois d' exception
en 1816 et 1817, refusérent nettement al\I. Decazes de le sou-
tenir dans la direction nouvelle des affaires, Quel partí prendre
des lors? Il n'y avait plus de ressource que dans la droite, et la
droite ne voulait plus, a quelque prix que ce füt , de lU. De-
cazes; elle lui portait une haine implacable; elle ne voulait lui
accorder ni paix ni tréve 1 a plus forte raison une rnajorité. Le
président du Conseil appréciait sa position, plus que jamais en
butte aux coups du parti royaliste, Le Journal des Débats sur-
tout redoublait se~ violentes atraques contre le ministre. De
foudroyants articles étaient publiés également dans le Conser-
»ateur contre l'homme qu'on désignait comme le seul obstacle
al'action du Pouvoir , a l'harmonie des Chambres, enfin a la
formation d'une majorité dans le sens monarchique. Vainement
a position de )1. Decazes inspirait-elle de l'intérét dans les deux
Chambres , vainement repoussait-il avec indignation les calom-
nies 1\'1. Martainvme, le président du Conseil prévoyait que
ses trois projets de lois seraient rejetés par la majorité, Dans ces
conjonctures difficiles , l\IONSIEUR, qui n'avait témoigné aucun
ressentíment a 1\'1. uecazes les deux premiers jours du cruel




4S0 HlSTOIRE DE LA RESTAURATlON.
événement qui déchirait son cceur, fut poussé par ses amis po-
Jitiques aune démarche décisive. La mort du duc de Berri avait
rapproché les deux freres , et quand on a pleuré ensemble il se
forme je ne sais quel lien sympathíque qui fait oublier les vieux
dissentiments; MONSIEUR profita de cette situation du cceur du
Roi pour tenter, conjointement avec S. A. TI. MADAME, une
victoire de parti; tous deux vinrent dans le cabinet du Roi, et
le eomte d'Artois' demanda a son frére un ehangement de sys-
teme et le renvoi de M. Deeazes comme un sacrifice aux manes
de son fils; MADA11E ajouta tout ce qu'ellé avait de douleur ct
de puissance pour appuyer l'opinion du comte d'Artois : « Nous
marchons vers la révolution, Sire, dit-elle; eonjurez l'orage, il
en est temps encore, M. Decazes a trop blessé les Royalistes
pour se rapprocher d'eux; qu'il cesse de faire partie de votre Con-
seil, et tous viendront se réunir pour préter force avotre Gou-
vernement. » Le Boí aecueillit son frere et sa niece avee humeur
et presque avec vivacité ; illeur dit « qu'il ne pensait pas qu'on
voulüt forcer sa volonté , et qu'il appartenait a lui seul de juger
la marche de son Gouvernement. » 1\lONSIEUR répJiqua : « Il
m'est impossible de rester aux Tuileries si 1\1. Decazes, accusé
par 1\1. Clausel de Coussergues , y reste encore conune ministre.
Que Votre l\lajesté me permette de me retirer aOompiégne, »
1\IADAME ajouta quelques mots si forts, si persuasifs, que le Roi
répliqua fort ému : « Vous le voulez, eh bien, nous verrons! »
Quand 1\1. Decazes apprit cette derniere démarche , il dut songel'
a la retraite. Il parla lui-méme au Roi de la nécessité de sa dé-
mission , de l'impossibilité, quant a présent, de conduirc le
Gouvernement dans les voies que Sa l\lajesté lui avait inspirécs
depuis l'ordonnance du 5 septembrc, Le Roi lui répondit , tout
ému , que ce serait la plus grande douleur de sa vie que le jour
00 il se séparerait du ministre de ses afIections; puis il il ajouta ,
avec un accent profondérnent senti : « lUon enfant, ce n'est pas
avous, mais amoi qu'on en veut. » Le Roi paraissait pénétré de
cette idée qne le pavillon Marsan tenterait peu a peu de lui en-
lever tout son pouvoir, Le Roi continua: « Jc nc veux point de




CHAPlTRE Xv. ú81
lU. de 'falleyrand; il n'y a done que M. de Richelieu qui puisse
vous remplacer. Allez le voir, et cherchez a le convaincre de la
nécessité du nouveau sacrifice que je luí demande; quant a vous,
je me réserve de montrer a ces gens-la que vous n'avez pas
perdu ma confiance. » Le Roi manda sur-Ie-champ M. de Riche-
lieu aux Tuileries; Sa Majesté avait eu précédemment une con-
Iérence a vec son frére le eomte d'Artois, et lui avait annoncé
toute la douleur qu'elle avait éprouvée en acceptant la démission
de son ministre et de son ami. « Le sacrifice est fait, dit-il,
maintenant il ne s'agit plus que de décider M. de Richelieu. ))
On avait bien raison de craindre des dífficultés de la part du
noble duc: Ceux qui ont vu M. de Richelieu aprés que les pre-
mieres propositions lui eurent été faites, peuvent dire qu'il
n'exista jamais de douleur politique plus vive, plus sincere.
« Quel sacrifice le Roi me demande encore! s'écria-t-il , n'ai-jc
pas assez fait? Qu'on me laisse done mon repos, ma tranquil-
lité: plus d'affaires publiques, je n'en veux plus.... )) Cependant
on avait dépéché aupres de M. de Riehelieu ses plus intimes
confidents, et particulieremeut 1\1. Lainé, Lui-mémc avait ap-
pelé auprés de lui MM. Mounier et Ilayneval, lesquels, depuis
le congrés d'Aix-la-Chapelle, jouissaient de toute sa eonfianee.
« Voyez, leur dit-il , la tuile qui tombe sur ma tete. Le Iloi veut
que je forme un ministere. )) M. ñlounicr répondit que plus les
circonstances étaient graves, plus le due de Richelieu devait
cette marque de dévouement au RoL « Eh bien! j'aceepterai,
continua le duc, mais je compte sur vous pour le ministere de
l'intérieur. » 1\1. Mounier, fort jeune eneore, peu habitué aux
débats de tribune, répondit que eette place était au-dessus de
ses forces , qu'il pourrait bien prendrc toute la partie adminis-
trative et de eonfianee du département de l'íntérieur, maisqu'il
lui fallait pour ministre une tete plus parlementaire , el l'on
désigna 1\1. Siméon. M. Portalis, qui s'était mis en évidcncc
depuis l'aflaire du concordat, fut également désigné pour le
matériel des affaires a la chancellerie. Tous ces arrangements
n'étaient que des modiíications provisoíres du Couseil , et dans


1I. ls1




482 HISTOIRE DE LA RESTAURATlON.
la supposition que lU. de Richelieu en accepterait la présidence.
Cette acceptation était soumise a diverses conditions. lU. de
Richelieu exigeait d'abord l'appui frane et loyal des Royalistes.
Dans une conférence qu'il eut avec l\'10NSIEUR en présenee du
Roi, il demanda a Son Al.esse Royale sa parole de gentilhomme
qu'il ne contrarierait en aueune maniere la marche du nouveau
ministére, l.\'10NSIEUR donna eette parole. A son tour, et pour
donner une garantie au comte d' Artois , 1\1. de Richelieu admit
au ministére de l'intérieur, eomme secrétaire-général, lU. Ca-
pelle, l'homme d'affaires de l\lONSIEUR, ei le favori du pavillon
Marsan. Les changements ministériels furent faits sur les bases
suivantes: lU. de Richelieu prenait la présidence du Conseil
sans portefeuille; lU. Pasquier conservait les affaires étrangeres,
On avait écrit al\l. de Serres, alors dans le midi de la Franee,
et bien qu'il fit quelque difficulté pour rester dans le nouveau
Cabinet, son ame dévouée et toute francaise l'y eut hientñt dé-
terminé : frappé du résultat des derniéres élections et du crime
du 13 février, il sentit la nécessité de mettre un frein au déhor-
dement de l' anarehie et a l' esprit démocratique, l\l. Portal res-
tait a la marine, l\l. Roy aux finances , l\l. de Latour-l\laubourg
a la guerreo Il n'y avait, a proprement parler, de nouveau mi-
nistre a portefeuille que l\l. Siméon. Il n'avait pas des opinions
ardentes ; froid de pensée, froid de causerie et de paroles, il pos-
sédait un esprit d'ordre et une spécialité de bureau. 11 avait
acquis dans une longue habítude de travail une facilité remar-
quable de rédaction, rédaction claire , mais sans couleur, l\l. Si-
méon, sans appartenir précisément a aucune opinion, se pliait
a toutes avec docilité. Homme essentiellement du pouvoir, il
était peu susceptible d'amitiés vives comme d'antipathies impla-
cables. L'opposition ardente,. parlcmentaire, il ne la eoneevait
pas , et, quoique dans un áge tres-avancé, il conservait une ad-
mirable vigueur d'esprit et de corps. ]\l. Sirnéon n'était pas un
homme politique, mais il était excellent aconsulter comme con-
seil pour un projet de loi, pour la direction administrativo du
Cabinet. J'ai dit la haute probité de M. lUounier; su capacité,




CHAPITRE XY. 483
sonactivité étaient également incontestables: il avait prodigieu-
sement d'esprit, mais de cet esprit a cliquetis qui se montre
hruyant, continu, et qui accable aforce de saillies. Jamais formes
moinspédantes, et cependant tete sérieuse et réfléchie, Tres-jeune
encore, sa modestie lui avait fait refuser le ministére de l'inté-
rieur; il craignait la tribune, que depuis il a abordée avec une
facilité trop heureuse peut-étre, Tres-instruit , possédant pres-
que toutes les langues de I'Europe, il était encore tres-versé dans
la sciencedes familles et du blason ; mais, par une condition né-
cessairementattachée a une érudition vaste, ]U. lUounier aimaitala
montrer. Dans ses discours et dans sa causerie, ce n'étaient que
digressions qui témoignaient plus du savoir de I'homme que de
l'utilité de la digression elle-mérne, Au reste, esprit juste, dé-
ciclé, sachant envisager prompternent et hautement une situa-
tion, lU. Mounier rendit d'éminents services dans sa direction de
la police. 1\1. Portalis , jurisconsulte profondément instruit, s'était
f'ait distinguer dans la négociation du concordat : c'était un ca-
ractere de conscienco et de religion , gouverné par ses mceurs
domestiques. Leshabitudes trop retirées, lavie de famille, nuisent
souvent aux tetes politiques; elles limitent leurs idées,et leur en-
leventquelquc chosede l'intelligencedu monde, de la sociétéavec
ses passions et ses intéréts, Au reste, 1\1. Portalis était la véri-
table expression de la magistraturc, C'était un sanctuaire que sa
Iamille, qui rappelait ce noble tablean de la vio de parlement dont
D'Aguesseau nous a Iaissé un sibrillant éloge. Cefut a la faiblesse
de son caractére que'Sl, Portalis dut toutes ses fautes politíques,
cal'c'est le propre des esprits sans fermeté de s'envelopperd'une
certaine hésitation qui ne leur permet jamáis de marcher fran-
chcment et au grand jour. 1\1. Capelle avait traversé toute l'ad-
ministration de I'Empire sous le plus doux des patronages en
Italie, En 1813, il fut frappé par un décret de I'Empereur pour
avoir abandonné la préfecture du Léman au moment de l'entrée
des alliés sur le territoire, De la sa fortune aupres de la nouvelle
cour. C'était un homme facile, un administrateur de quelque
habileté , tout ¡\ fait dévoué ;\ lUONSTEUR. Il était placé auprés




48l~ mSTOIRE DE LA RESTAURATION.
de M. Siméon pour rendre compte aS. A. R. des modifications
du personnel au ministére de l'intérieur. 1\1. Decazes avait été
le principalmobile de l'administration nouvelle. On lui suppo-
sait l'intention de revenir prendre place au Conseil une fois que
les lois d'exception auraient été votées par les Chambres. Son
éloígnement ne paraissait que momentané , et 1\1. Siméon gardait
une place. C'est une illusion de presque tous les hommes poli-
tiques, de croire qu'une situation est circonscrite dans le cercle
qu'ils lui ont tracé, et de s'imagiuer que le jour OU ils quitteut
les affaires , tout est perdu, et qu'on aura. besoin d'eux le len-
demain. Le ministére de 1\1. de Richelieu ne répugnait pas aux
opinions de 1\1. Decazes. Il était formé dans son esprit; il sup-
posait la possibilité de son retour. Mais les combinaisons sur
lesqueUes reposait ce ministére l'entralnaient forcément vers la
droite, et la droite ne voulait a aucun prix de 1\1. Decazes; elle
devait dévorer M. de Richelieu lui-méme. Au reste, le ministre
démissionnaire était comblé des faveurs de son souverain; le
Roi lui remit de sa main et écrit également de sa main le brevet
de duc , preuve d'amitié , faveur d'autant plus éclatante que
Louis XVIII prodiguait peu ces titres, et encore ne les accor-
dait-il qu'a de grands noms. Il le nomma de plus son ambassa-
deur aLondres, poste au traitement de 300 000 francs, sans
parler des gratifications secretes. Sa .l\Iajesté remit ason ministre
de prédilection deux billets touchants, dans lesquels illui témoi-
gnait toute l'indignation que lui inspiraient les calomnies dont
il était l'objet dans les journaux royalistes al'occasion du meur-
tre de son neveu. Ainsi finit la vie ministéríelle de 1\1. De-
cazes, vie d'hésitation, de tñtonnement et de contradiction. Il
y eut des fautes commises par le ministre, il Yen cut davantage
peut-étre a reprocher aux partis; déplorabJe nécessité d'une
société vieillie, de se Jaisser ainsientrainer en dehors de ses in-
téréts et des conditions de son repos; et par qui souvent? par
des minorités actives, menacantes , et qui, faibles et petites
qu' elles sont, se proclament le pays! Partout les majorités na-
tionalcs ont entouré un systeme de modération; par quelle Iata-




CHANTRE XY. hR5
lité faut-il qu'H ait été attaqué , ridiculisé sans cesse par cette
méme liberté dont la modération est le plus ferme appui?
Inexplicable mystére qui signale l'esprit remuant et le besoin
des révolutions! La retraite de M. Deeazes entraina celle de
tous les doetrinaires du ministére de l'intérieur. On demanda
la démission de 1\1. Guizot eomme direeteur des eommunes: il
reprit son aneienneposition au Conseil d'État. Ml\1. de Mirbel et
YiIlcmain refuserent honorablement de rester aprés la retraite
du ministre ala fortune duquel ils s'étaient attachés, D'autres
démissions allaient suivre, cal' la droite vers laquelle se trouvait
entrainé 1\1. de Riehclieu exigeait, pour se donner a un mi-
nistere, qu'on lui abandonnñt tout : pouvoir, honneurs, admi-
nistration. Un mois n'était point écoulé que M. de Riehelieu
était débordé, emporté violemment par les Royalistes, et e'est
ce qui fit sa mort. Cette administration , qui devait servir de
digue, devintun instrumento Peut-étre faut-il moins en aeeuser
les hommes que la force des ehoses. Les indépendants refuse-
rent tout seeours, paree qu'ils ne eomprirent pas la erise; les
doctrinaires, gens absolus, esprits superhes, firent les hautains,
et se tinrent dansleurs tentes en 1820; tous ensemble forcérent
ainsi le ministére Riehelieu achercher appui dans la droíte , et
la droite le dévora !


FIN DU TOME SECOND.




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,


'fAllLE DES lVIA1"IERES.


CUAPITltE X.


Divisious du ministúre de M. de Richelicu uvec la
Chaiuhrc des Députés. Janvier tl Mai 1816......... 1


CHAl'lTRE, XI.


l\lotifs de l'ordouuaucc du 5 septemhrc, Juiu Ú Scp-
tembre 1816.......•....................... ,. 109


CHAPITRE XII.


t;OUVCl'IlCllH':lll de la Rc..,tauralÍoll apres I'ordonnauce du
5 septemhrc. Scpternbrc 1816. Juin 1817 169


CHAPITRE XIII.


Dévcloppernent du systeme liLéral de la Reslauration.
Juillct 1817: Octohrc 1818 , 251


CIlAPITRE XIV.


Cbute du cabillcl. RichdicLI. Le miuistcr« Dessolle,
Mai 1818. OclolJl'c 1819•........• "" ..•••.••• 345




488 TAl3LE DES ~lATlimm;.


CHAPITRE XV.


Présidcnce du Couseildc M. Dccazcs. Scptembre 1819.
t évricr 1820 } . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 443





HISTüIRE
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Moi'lIOwt' d' tllJier;, Ir. An,1. J, L"ltlur. 1.. 3 SO
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"" H"ail"l dc ~"ahji..lol, Ir. Mme u-Loe , t .... 3 5e
M"rA:e .1, Ji ot,.C.•• /·/ el tie,• .4,6Ir"" t .01. J SO
Hi'I""t q:"bA e ,I~j ""y"g"s, 3 "'rin il.. J 50
Tu", .'0 e .• 1r.l'1. Ltl'n de W.illy. 2"01. II 1 so
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L,'. Ltl~i ..dej d. (:"m,,~n', trad, no"..... I "01•• 3 SO
Le' ,¡""re••de lM.nloDi" Ir. R. l.Iu.,.u~il J ',,01. 1 50
T ,'4lo'e el I'GiL de M~tlJ~",i, t. dI! Lalo r, t.. 3 ~o
T,i,I"41'1 SI" .. "I). deSI"'nf, tr.W'll1y,1 vol. 3 50
S"n,¡f. lIi.,to"e, Ir. par L. de W.iU,.. t "01. 3 SO


CLA5SIQlII!:S Gltf.:(~ HUDU¡U EN F• .t.l'(pU.
C"mi,lie,' d'.4TH,'P"""" Ir.d. Arl.;"III. 1 "'01. 3 SO
T1,itiLr.. de So"lIo"le, I"d. Arlaud, 1 ,,01. • • 3 SO
T¡.~4,re d'Ejc/'y'f'. Ir. JlH AI'·I. Pirrroll, l.. 1 ~o
¡Up"l>ti'lote de PIA/O"', had. notl"elle, t '1'01. 3 ~o
Ilm"4'" gr''''. tra,T. no" •• , t "01. • • • • :5 50.
"idu;r, ¡f'Ri"","./e, 2 1'0\. i .••.•.. , 50
Mural;.l •.• ,,,,,.¡,IlJ(IorLIl"', ipicl¡'~, ete.),' 'J. 3 50
Hi.l"ire rk TI"'TY"ille. 1 1'01. • • • • • • 3 50
lJi,'gi"e.Lal..t'f'. Vi", ,l., Pllilo,orbes. 1 .01. 3 ~O
l.I.,.i..... , P.1\"I"e•• lal;r. l'1>iloIOp., '·IC., 1 ,,,1. 3 ~o
"..tit. "nt'me. <né.,ill<l ... el .... etr.), t '01. • 3 SO
L'/li..d.e ,1'Jf""'~re, t .uucliu. T>Ou..",\I" 1 ...01. 3 50
L'()ly'..ie d'lIuoutó,e, luJ. UOll...,·\Ir. 1'01. 3 ~O
Ly,il"e., 1 v"l. •• . ••...•.• 3 50


OtrVPo\(,ES sous I'Rt:SSl':.
1l rtlr!t .•• 1 .,,,1... . .
B."OIl, 2 I ..r;'·, ¡,.••••••
Spi""JII. 2 .tól'iei ll.•••••••••••
R"",,,u,·t..,, """"9""l, Ir. p~r F. V..nh, 2 lérie' il.
No"vellcl 1"" iJle,,"t'I. p. Mm," tle G.rllnlin. 1 ....


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C'om~·,U. 1 1'01••••••••.••••
l.ittirahu". ~ rhi:o",p.;e ",/U". 1 ".1. .


Di': IU Ll. "'C.
PIo)'Jiolugít dl4 M""illgt I 1 ,.01. • • ••
Sr;".s d. l4 Pi. p"¡vü I 2 ,¡ri., ¡¡ •••


Ser/Ul! de 14 Fie de provínce , 2 ,¿rieJ ••
,f,.l!...J de la PÚ pllrili,,,,,,,, 2 tiriu 11 ••
Le Mr"df!{·i .. <U Campag"., 1 1'01•••••
14 PtI,. (;,'r;ot, I .01. ••.••••••
lA 1"111,1 -le CI.agri... I "01•••••••
C.i'llr BiYoU."". I vol. •••••.••
k Lyf d""1 L.. Ya'/.ie, 1 1'01. •••••
La Re,-he"'ht di' '·Abwlu. 1 '1'01.••.••
nj.l"ir~ d" T"l'iz.e, 1 '1'01..••••••
&W9b,ie Gnl/del, 1 '1'01•••••.••j.


ALtfl.l!:ll lIE VlG:'lT.
Ci"f-MAr', 1 "'01.•••.
St<!Uo. 1 '1'01. ••.••••••..
.fe l/itud, e( GM ..de .. r milita ir~t, 1 .01.
nedlt, complet, 1 "01. ••••••••
P",.i,. eomp't!~I. I '1'''1.••••••


AU'RJ,;n UF. MU3$!:7.
Pol';e. l'''ml'[~I~'. 1 ""l. . • ....•
Ca·n/di· .• rl !'r.n,.,·le,. I "01. ••.•.
N"ltveU..... I 1'(}1. ••••••••••••
C"..j~"io'" d'" ... Io;.,r"'t ,e" Sir"k, 1 "01. •


cu \IILU NOL>I!R.
R,,,ltnnl (J~D SI,,,c:.,r, n.;r"~, ~tc.), t '1'01.
Cu"t" (Trill,y. L;, Ftó.. , rte., el',), I "01.
:o{ "&l·~."I,·, (SOlnvrniu .l~ jellnr ••e. etc.), I "'01.
"",,,'~.,i,, de /... Ri".I"li.,n, 1 "'01. ••••


N,U.IINt: DI' 5T.4.EL.
C,,,i,,"". 1 'Jo) •••••••••••••
llr'l¡,hj.,t • . ...ec prr(1Ct" de $"i"'e-II~" ...t, 1 .nl,
Pe L'AU.",agn" a ...ec pe.:'. <le t. M~rrnier. l' 'l.
O.. l. LitUrdlllI e. _~ '''Jl...,...u ,le, r'''HiOlIl, 1 ".


PROM·t,a. Nt:"I'.JEE.
/'r,,,nt. (Clan Guol, L1 JI. qlll'fle, ere.] 1 ...
ROl"a". (CbroDiqueder."arl~'ll,elc.) t·'J.
N"uvel~. (Colom-b.._wl .4.m" dll Pllrr.), t ....


GOt:TIIE.
te Falnl e"""Plet. tr. p. Hend Blul!. 1 '1'01••
'''-erther • •lIi,,¡, de Btnnti""t Ira.l. L...·(I.I. 1 ".
TI.itltIY, l,..r.it ~r S. Mllr/l1i~rJ 1 '01••• ,


CASI!W'TR. DEL4.V¡Gl'E.
M"..,!",ü-",,,e, et "vi,i..s "iw;'seJ, 11'01.
T/,t4J.re ('Q11lI'Ul. J aérieJ .


Pv·.s.ie! eo.nJUI ••• I "'ul•••••••••
Y"l'~. 1 ,,"'), •••••••••••••


AIME NAI!ITln.
V"l·/tI",.,lj"... ti" Mere.' ,h f"",iU•• 11'0'.
L I/,.el il ~'P''¡'' '.... l" 1'1o.,· .•i1"" .te .• , 1'(~1.


•• OllV.II'U DE cnolx.
M"c/,j"1'.I. lIiJt"ir' d,' nore"Ct", 1 '101.•
('lE",,,., d. Lr;I."Í1t, :.! tiri .., •.•.
OE.tv' e$ .1.. M.. ~:,. a",.h.-. 2 w'ritl a.
P,,¿,i"j tI Ch""t.'¡ .. ,"i"rd. r."(. Mumin.l •.
" •.i.i•• ,l. "'mI' rle Gi, .."I¡ .. , 1 "'01••••
".;',,!. de lItllri BI,,~. 1 vol .•••
T ••I,/e ... ' ,/'" >1 f.ill<,>,,t ..,,.e, l'~r R,r~n(e. '1'01.
t,f'<.'.l. ,¡'" r..."",..,. p N ,u, ,le Remusal. 1 v.
Hi,t. de 1'/,; .¡'I' ..· ..''':I'' 1... r. Cllp"6g"... 2 .,,1.
P"'¡ñe, ,l~ 1"",.. lIej! '"dll.•_ P4,'m"r" , I "'01.
Hi·¡"irt ,¡'o In; R... I'''lIati"". p. C~peñg"e. 4 'l.
t1t.·.. V. tU .W....c.A"nHt, tr. p,.11. PierroD, t 'J.




~~l.\
~.\o- H18TOIRE


DE LA.


+-
-,


RESTAURATION
ET DES CAUSES QUI ONT AMENÉ


LA CHl1TE DE LA URANCHE AJN~:E DEo"; BOITlmO~S,


PAR 11. CAPEFIGUE.


~rOitilfmr Qtbitioll I
revue , corrigée ct tres- augmentée.


TRUISIEME SÉRIE


--@o~--


"


PARIS,
CHARPENTIER, LIBRAIRE-ÉDITEUR,
~.W I BUE DE SEINE.


1841.




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111Srl'()J11 E
DE


SHO:'\1.l )ll:'\ll:ilimE 111; !leC m: IlICIIELIEU Jl:SQl;'.\ LA LO!
lJES Ú,ECTW;\"S.


Laractere <le la sccoude administratiou du duc de Richelleu , - Lois d'cxccp-
tion, _ Liberté iudividuclle. - Jouruaux, - Esprit de révolution en
Enropo , - Mouvemeut en Espague, - Hi'action des Cahincts. - Ef{cr-
vcsccnce des }·:('0Ic5. - Dénouciatiou dn gOEvcrncmcnt oceulte par
.'Ir. Ma.licr de !\Iolltjau. - J),.'·lJats de la loi J'élection. - La tribuue ,
- Trouhles du mois de juin. - RépressioJl. - Ameudemeut Camille-
Jortlan. - Ilouiu, - Vote. - Couspiratiou militaire.


Fév,,·ie..·• - Aout :I.8~O•


.J E ne considere le second ministere de l\I. le duc de Riche-
licu que conuuc une trausition pour arriver au systemc roya-
liste complot el absolu, En formant un nouveau cahinet , OH
avait CfU seulcment meurc un point d'arré; aux malheureux
résultats de la loi d' élcct¡OH el aux progres de l'esprit
révolutiounaite : le hUI fut d('pass(', el cela devait étre ; ¡¡
qLid cút(- de la Chamhr« le minisierp dciuandait-il sa majorité '?
au centre droit ct ¡l l'{\\Jr{~me droitc ; 01', SDW; le sY~itemc repré-
scntatif l'opiniou qui dOlllw la l!ll1jm':l0 güuYernc. Le premicr
soin de ,1. le duc de Itichelicu , apres .ivuir acccptó la prési-


11 l. 1




:2 mSTOlHE D\: LA BES'L\LHATlO:\..
dence du Conscil , fut de reunir ses collcgues , alin de dl'lihórcr
sur la marche ü suivre pOUl' la dircction <tu nouvcau Cahinet.
Le chaugcmcnt ministéricl avait lieu en pleinc scssiou , CI\ Iacc
d'une Chambre dont les opinions el pres<Juc la majorité s'étaicn!
dcssinées par la formatiou des hurcaux. Fallait-il adopter eOlll-
plétement les projets de :\1. Dccazes 7 ne s'était-il agi dans la modi-
fication ministérielle que d'un changruicnt de persouues -: Ccux
{fui peusaient ainsi n'avaicnt pas suflisammcnt apprécié la position
du ministcrc ; ..\1. de Itichclicu ne pouvait trouver de majorit«
que dans la droite ; il faUait done adapter les propositions minis-
tériellcs aux sentiments et aux iutéréts du partí royalisto. Les
mesures législatives proposées par ]U. Decazcs étaient au nombre
de trois ; d'abord , deux lois d' cxceptiou : l'une qui suspcndait
la liberté des jouruaux , l'autre qui Irappait Ia liberté iudivi-
duelle ; enfin un systcmo élcctoral trcs-compliqué , exprcssion
tout ~l la fois des idees doctrinaircs el royalistes , ('lP<lI'-<.!('SStlS
tout des hesoins ministériels ; il ne íut pas diílicilc de convaincrc
les membres influents du Conseil que la loi élcctoralc surtou; IW
pouvait plus étre comhinée sur les IIll~I\lCS élémcnts , ct qn'il
fallait arriver aux opinions du parti royalist<, C\I)l'illlt'cS d:w:-. b
discussion de la loi de HH 7. Sur ceu« hase les doctriuaircs ,
qui tcnaient par-dessus tout a. l'électiou dircctc , s'étaicut rcfu-
sés a. préter appui au ministere Iliclulieu. Des ce uiomcn: c('l!li-
ci se lit obligó cl'cutamer eles négocialiolls avcc le cf¡\(' droi: , el
diflércntcs confúrcuces S'l'ngagerent aH'C JD!. dI' ViHt"!e el
Corhierc. 1.('8 Iluyalistcs promirent leur 'ole aux projets de lois
exccptiounels , pourvu qu'ils Iusseut d'une courtc durée l'l lirui-
tés dans des bornes tres-étroites couuue k-ur adhésiou : pour
cela, ils avaieut un motif secreto lis n',l'o;¡iCi¡¡ P;b con[j;¡¡!Ci'
absoluc daus le ministere ; ils "\ oulaicnt l'obl¡~;('r;¡ avoir j'{'('(;U;
souvent ~l la majoritó POUl' étrc maitrcs de la douncr m: á la
refuser Sc101l I'occurrence ('l les concessions qui lcur :w[';:;vl;L
Iaites : ason tour le Cahinct s\'llgag('ait ;1 rcuoncer ;1 i\"'h-,':iuH
directe maintenuc par lU. Decazcs el ;¡ revenir aux deux dq;l'C'c;
d'élcctions , projct favori des ltoyalistes el soutcnu en 1t>17 par




CTlAPITHE xvr. 3
M. de ViW'k. Ces conrlitions ainsi arrérécs , la Chamhrc des
Députés ne préscnta plus la Iusion de ces deux centres avcc les-
quels avnient ma¡¡O'II\T(~ ;\1. Dccazrs et le ministérc Dcssolle ;
maís elle ~e divisa ('11 dcnx partis bien distincts de droite et de
ganche: i'un composé du centre droit, de quelques unités du
centre gancho el d(' l'cxtréme droitc , sauf quelques cxceptions
haineuscs et indisr.ipliuablcs : l'autre , formó du centre gauche ,
de la rénniou Tcruanx ot de l'cxtréme ganchc : ces deux grandes
divisions de la Chamhrc se halancaicnt, ¡\ quclquos voix pres ;
jamáis majoriró lH' se trouva plus doutcnse , plus inccrtaine. A
la Chamhre des Pairs , le s~ st('nw Ilichclieu trouvait un plus
forme appui ; I'opiniou qui corrcspoudait ala modératiou du
('('llln' droit danSla (.hambr« des D('pUl(~s y était plus en force;
l'C\!i'(~I\1C droitc y trouvait hion qnclquos hardis champions ,
quelques athletcs vigoureux ; mais la masse des votes était mo-
d(~r('l': en y craignait les cxtrémités de toutos les couleurs , les
('\Ce:.; <1(' la droite commo ccux de la gauche. M. de Ilicheliou
II 'avait pas ¡\ craindre une résistance décisiY('; les lois d' cxcep-
I ion deraien 1. ¡rouver CfIH'/lflles discollrH d'opposition , ruais la
l1la.ii!"i!(~ scrait Iarik- : l'adrcss« en réponse au discours de la
Couronne l' indiqua it suílisammcnt.


En dehors des Chambres, l'opiuion publique était sccouée : la
presst', monacéedans sa libcrté , multipliait ses cris d'oppositiou
jusqu'au Iond des cntraillcs du pays, JI semblait que tout était
pordu , paree qu'on allait toucher au systemo électoral , arche
saintc, 7wlllldiuJl/, sar.ré , depuis que ce systeme avait produit
;\1. G!'(~goil'c : on revenait encore á ces puériles accnsatíons du
rétablisscment des dimes ct des droits féodaux ; les biens des
('liJign~s allaicnt t'tl'(~ restitués ; on voulait dépouiller les acqué-
reurs d(' propriétés nar ionales, rclcver les courtisans et les pre-
tres, ronlicr la dircrtion <In pays aux missionnaires..I'ai relu un
arl iclo , dans les journaux du temps , d'une niaiserie atroce : le
(;OUH'l'llelllrnl royal voulait Iaire égorger quelques milliers de
IH'rS()il!H'S, fcrmcr les barriércs , condamncr je ne sais quelles
mYl'ia<!es d'('c!'ivains h la rlóportatinn \ pou!' prorlamcr onsuite :\




mSTOfIlE DE LA llESTAl'nATiON.


l'aise la monarchie ahsoluc. Ton! cela était platcmcnt menson-
gel'; mais une portien du peupl« le croyait , ct ces nouvclles
suscitaicut des pétitions par milliers , en íavorisant ainsi le sys-
teme de calomuie contre le gouverncmcnt du lloi. Ilélas ! le
peuple n'était que trop violcmmcnt agit{~, je ne dis passeulcmcnt
en Franco, mais dans l'Europe : alors quclle était la situation de
l'Allemagne , les doctrines de sang et de t('ITNIl' propagéesdans
les ardentes Univcrsités ? le congres de Carlsbad , les décrets de
la diete de Francfort n'avaicnt qne trrs-imparfaitcment arn'l('
res cflrayantrs tliéories d'assassinat. L'Anglctcrre s'óbranlait sous
la puissance des conspirations ; la marche du minist-re de lord
Castlcreagh dcvenait chaquc jour plus impopulaire ; l'attentat (le
Thwiswold avait montró quC', daus ce pays , on voulait aussi ar-
river ;1 la liberté et ;1 l'égalité Ü travcrs le sango George Hl avait
c('ss(~ de vivre ; la constitution anglaise appelait un nouveau par-
lcment : qucl ministere produirait-t-il '? Le sysU~llle de lord
Cestlercagh triomphcrait-il aux élcctious? L'Espagne suhissait
une révolution militaire ; des soldats armés proclamaieut la CO]}-
stitution des Cortrs , ct la correspondance secrete. des ambassa-
deurs annoncait qu'en Portugal, ü ;\aple8 í't rlans le Piémout, d(~
scmhlahlcs mouvcments militaires se préparaicn t. Que rl'c~em­
plcsasuivre et ¡¡ citer pou!' les révolntionnaircs Iraucais! Quelle
imprcssion de tels é\ énements He devaicnt-ils pas produire , au
milicn des populations el de l'année continucllerucnt travaillécs
par des écrits et des manmuvres plus cflicaccs ! Yoilü daus quelle
situation des esprits )1. de Ilichelicu prit les aílaircs ; la position
était tres-difficilc; il y allait de la mouarchie, Le Conseil des mi-
nistres délibéra de hñter I'adoption des lois d' exceptiou aíiu
d'étre armé d'unc réprcssion prompte el cllicace , et d'arréter
surtout cetro liccnce de la pl'esse, iustrumcnt de mort dans les
mains des partis. Le projet de loi snspensif de la liberté <les
journaux avait été préscuté ü la Chambrc des Pairs , oú il trou-
vait une forte opposition, soit dans quclqucs unités du parti roya-
liste, soit dans la Iraction patrioto de cctto Chamhrc ; un certain
nomhr« de pairs d(' la droitc ropoussait la consuro h eans(' <In




C1JI\PlTi\L xv r.


miuistcre fluí serait ~PI)('l(' :1 l'excrrr-r ; d'antrrs par théorics ,
paree qu'iIs pcnsaicnt <[U'UIl hou S)'stCl1lC répressif, une défini-
tion plus cxacte , el i111e gradualioll plus complete des peines
étaíent préférablcs :1 un arbitrairc couíié :1 des ministres. Les
pairs patriotcs repoussaieut le projet par la ruison gélllTale qu'il
était inconstitutionucl: ious a\ ouaicut que la licencc de la pressc
était a son comble , ct qu'il Iallait appcler un remede. Ces opi-
nions rojctaicnt particulicrcmcut du projet iuinistériel Ia dispo-
sitien qui créait une conuuission quasi-pcnuauento <le censure,
(lt faisair de ccue censure une institu tion légale ('11 la confiant ü
(/('s pairs et iI des magistrats inamovibles. C'est dans k-sens d'un
rejet absolu que Iut rédigé lc rapport de JI. le duc de La Iloche-
Ioucauir-Liancourt : « tes lois sur la réprcssiou de la liccnce des
journaux , disait-il, sont incompletcs ; les lois n'ont fait aurune
classc de ces doctrines pernicicuscs que toute société doit écarter
de son sein : mais ce ne sont point Jil des causes snliisanrcs, et
surtout des canses qu'on ne peut Iaire C<'SSCl' qu'avcc la censan';
autant vaudrait dire que le gouverncmcnt représentatif cst in,-
possible , cal' la liberté de la pn'ss(! cst inhércntc ;1 ce systcm«, »
JI. de Iljcl)('licll 11'avait poilit pn',\ ti l'('chef qui se ¡id'parait, ré-
sultat d'une comhinaison royalist(1 el libéralc autórieurc au chan-
gel!lcnl du miuisterc : le nouveau pr.sidcu; dn COl:."('iJ cut plli-
sieurs coníéreuccs avcc les pairs inllueuts , particu.icrcmcnt de
la s()ci(-t(, cardinalistc ; il exposa la n('cessit(- immé,lialc de Iaire
cesscr par la censure la liccure de la prcssc ¡)Our r{'digcr ayer
réílexion un Pl'Ojf't <Ir loi plus forl el plus r(11)1'('ssi1' d('s d{olits ;
1<)11:- les pairs d'opinious mudérécs S(~ rallgl'rrllt :1 el' teml(1
1lI0YCll; OH eOI\\ int des deux POi1lh s;li\ ants : k ¡ClllpS dr Ia
censure ¡w d(-pass<'l'ail ]las la sessinn ; OH iaisscrait ce(le CCllSUJ'('
SOIlS ia sculc I'cspollslllJilit<', Illinisléri(·ll('. Daus ¡J discussion, iH. le
dur de Doudcauvillc soutint el grandit la censure jUS(fU'Ü el'
pnint d'y COll1JlJ'('nrln ' I(-s cariCilll:iTS et les pall1phlcls lIu-{/es-
sous de ciuq f('u;¡lí'S d·ill1l)l'('~,~i{l¡¡. C'{>:ail J'l\(\,!ir ;\ la loi d('
'i. l'abIlé de Montl'sqniml ou ¡ t) 1(l. Lt' couue Cermain p0Hsail
qu'i! fallail illm¡('dialeI\H'lll S'O('('ll!H'1' d'lIill' loi plus forl('\ll(llll, •...,~:


f .. :)




m5TOIRE DE u~ HESTAUIL\TION.


r('prQssiH'. Les cirronstanccs ('laií'nl (']]('IIH'nl impériruso«, se-
Ion le marquis de la Tour du Pin, qu'cllos dcvair-nt rounnandcr
aux príncipes ; tcllo était égalomcnt l'opiuion du duc de 16\i : il
lui paraissait impossihle de rcíuscr au Gouvcrncnu-nt la loi de
süreté qu'il réclamait avec loyauté des Chamhrrs : 1(' comte de
Saint-Iloman et le marquis d(~ Clcrmonr-Tonncrre attaqnéront
la liberté de la presse en priucipe : le prcuiier avoc ceuc philo-
sophie trausccndante qui rxagere el dórnlore l'école de ,,1. de
Bonald ; le sccond en retrarunt les ('\c(\s auxquels depuis trente
ans la presse s'était abandonnéc ; un seul ministrc prit la parole,
M. Pasquier, 11 exposa avec vivacité les violcnrcs des jonrnanx
et les tristes conséqueuces de ce qu'il appelait Ir gouverncment
par la presse. M. Pasquicr était profoudénu-nt p(~¡¡(~lr(~ de la né-
cessité de mettre un tenue au dóhorderncnt d(':'; journaux. Lne
majorité de 136 voix ('onlre ()tI fnt d'nutant plus salisfaisant«
pour le nouveau Cahiuot, que, depn is la promo: ion d('s pairs de
M. Decazcs , la fraction libéralc s\'lail ronsidérablemout acran-


v.,


die'. Prcsquc tGUS avaicnt votó COH11'(' k pro.J('t du G011\('1'11('-
mcnr, en motivant Iour opposiiion ; "\1. Darn s'('la;¡ fail lr-nr 01'-
gane, dans une opinión Iort rcnwrq¡¡ahlellH'lll ('(Tite, <juoiW:(' UH
peu déclamaroirc ponr 1111 honuue d'alra¡l'(~s; en ostmoins étouné
de trouver de la vulgarité chez \1. Lanjuinais ; pourtant le
Couvernemcnt avait essayésa m::.ioriL\" dans la Chambrc des l'airs,
ct I'avait ohtcnue.


Anx Députés , le résultat des votes (-[ait plus inrcrtain ; il
s'agissait d'un projct d(~ loi tout de conliance , el centre lcquel
il était si facile rl'amcutcr les opiuions. tes corps politiquos
répuguent ¡¡ conceder au pom oir la suspcnsion (le l'Íuilu-u»
corpus; il cst si aisé il un oral enr tan t soil ))('11 el isort , de d'\ cillor
la pitié al! récit des pcrsécutions , des l<'t! res de cachet, des souf-
francos des prisonnicrs rctenus au sccrct ; mais 011devait avoucr
au moins qu'aprcs l'assassinat de ,1. le dile (k lkrri, 1(' (;on-
vornement püt se croire mcnacé, el domandcr aiusi aux Cham-
bres une autorité momentnuóment discrútionnaire. La commis-
sion qu'avait désignée la Chambre des I)(opnlés avait (·t(· n0l1l111('e




CTL\PTTnE \\ I. 7
sous la doulourcnse impression produite par la morí dr 1'1. le
duc d(' Hcrri ; elle ne fut point en majorité précisément hostile
au projet , cal' elle se composait de MM. Devaux , le marquis
Doria, Lcgravcrend , Banqunrt-de-Baillcul , Poyferré-de-Cere,
lmpont de l'Eurc , Hivicre , Bcdoch et Cardonnel; cette com-
mission proposa l'adoption du projet par l'organe de 1'1. de Ri-
,ii'r('; qnelqncs amenrlcmcnts modifiaicnt la rigueur du projet
(te loi. Bien nc Iut romparahle á la furour avec Iaquelle ce projet
Iut auaqué ; on remal'qlla dans ces débats plusieurs nnances
d'opinions qu'il faut signalcr , aíin de bien constater la position
du ministere ViS-;I-vis de la Chambrc ; il Y avait impossibilité
de détacher une seule voix de la gauche : elle saisit le projct de
loi conune un vasto rhamp de déclamatious tribuuitiennes : le
g('n('ral Foy N M. Bcujamin-Constaut se distinguerent par une
discnssion M(~r(·p. Le hean talcnt rln général Foy se sépara de
toute phrasr oisous« cu rlémoutrant , ce qui était vrai, qu'avec
le ende pénal tel <jU'U71 nutitrc abselu , ombraqcux , l'avait
n"dig(' , touto loi d'cxrcption ótait inutile pour allcr a I'arhitraire
coutr« la lilwrl(' dos personncs. (( JI apparticnt ü la sagesse des
Chamhrcs , disair 1(' ~(Il('ral Foy, de défendrc centre la rage des
par:is un tróno que /t' III aIlWl1 l' a rrndu plus augusto et plus
chor a la fi(~(·lil(' ! Craignons , en faisant une 101 odieuse sans etre
utilc , de rcmplacer la douleur IH1hli(IUC par d'autrcs douleurs ,
qui Icraicnt ouhlier la pn'mi(\re. Le princo que nous pleurons
pardounait en mouraut ;\ son infame assassin : faisons que ce
profit d'uue morr sublime IH' soit pas pcrdn pour la l\laisonroyale
el pour la moral« puhlique. )) Le centre gancho nc refusait pas
ahsoh¡¡\wnl la loi ; mais il voulait entourer les arrcstations pl'(~­
ventivos d'une ~/'ri!' de formes et de moyens qni ('lllpec1teraieBt
l'arhitrair« iuinistóri«]; Idie (~!ait l'opininn <Ir ,,1. de Courvoisicr :
la partir' ailSt<'·l'(' du c('Hln' gauche rejetait mérnc la loi d'une
maniere ulisolnc.T,« ccntr« droit la défcndait hautement et fran-
chemeut, COIlll\H' 1Il1e mesure de nécessité dans les circonstances
graves oú l'on St' trouvait. La droitc, tout en soutenant le projet
de loi , visait 11 conserver toute la popularité de l'opposition; elle




mSTOiHE DE LA HESTAUl,nIO:\.


attaqnait le Systt'llH' ministéricl. C(' fut dans re! t(' position qur
le uouveau ministre de l'intérieur , M. Siméon , s'cugagea pour
la premiére fois ü la tribune : son discours était pálc , Clll-
harrassé ; il devait citer des Iaits pour j ustifier lanécessité d' une
mesure préventive ; iI devait prouvcr l' cxistcnce 011 la possihilité
d'une conspiration : les Iaits Iurcnt saus consistance. JI nonnna
des individus qui avaieut tenu des propos atroces sur l'assassinat
de .iU. le duc de Berri. Tour cela (tait bien vague : JI valait
mieux dire et agir plus íranchemcnt , demandcr des loisd' cxccp-
tion paree que, dans la triste agitation produit« par la mort <111
duc de Bcrri , on pouvait craindrc un plus vasto complot. 1\1. Pas-
qnier alla droit au hut: il avoua I'arbitrairc de la mesure solli-
citéc de la Chamhrc. OIl l' en a hlámé : je crois , en cffet, (IU 'un
talent aussi Iacile que celni de 1\1. Pasquier aurait pu trouver
des expressions moins impopulaircs el moins dircctcs : il est tou-
jours malhabil« de dire il une asselllblée charg(le de déf('JI(lre
leslihertés publiques, que le pouvoir sollicite l'arhitraire , mais
la franchise souvcnt constate un gouvcrnemcnt fort. L'opposi-
tion , apri-s avoir pcrdu la question de principes , se rcjeta sur
les arnrndcmonts : elle avait d('lIlaIHI{' </11(' 1(1 prh cnn alT(~[(' pÚl
eire assistó d'uu conscil , el communiquer aH'C Iui. Les ministres
s'y opposeront el. la majorité se prononca pour le Cahinet il
quelques voix seulernent. La mesure suspensivo de la liberté des
journaux souflrit une plus vivr discussion encorc. II ('sl (le prin-
cipe en Angletcrre que ton te liberté, memc Yhabc«: corpus,
pcut (~!re suspcndue , mais la liberté de la press(1 reste activ«,
surveillantc , el plus j(. ]HlUHÚr s'armc de lois exCep¡iollJld!es,
plus l'action dcs journanx para.t essr-ntiell« couune garallli(1 con- .
stitutionnclle. Dans ('pi te circonstaure , al! conuaire , le minis-
tero Itirhclicu considérait les de!l\: 1H<'st:n's PI'OPOS("(IS conuu«
corrélatives et intimcmcnt 1I1l¡ps I'unc a l'autre ; la ('t'!lsure 11ll'IlH'
paraissait plus uti le auv Jl1inistrcs quele el mi[ d'arj'('sl at iOH arhi-
traire. La presse , impiroyahle pour Ip CabiH<'l, jp poursuivait llYl'C
acharncmcnt comme une gUC'IT(; ~l mor! entre elle el !e pom uir ;
colui-ci ue pouvait mnrchcr plus \ongtl'lllpS en J';H'e (!t' s-s ;!CC!i--




CIJAf>ITHE x\ l. 9
sations el de ses calomnics, le projct ministériel résulrat de la
néccssité Iut souiuis ~I une discussiou fort vive dans 1<-\,; hurcaux ,
et ;'1. de la Boulay« , rapportcur , couclut ~I son adoption. JjC
cotégauchcrejctala censure d'unc maniereabsoluo. « La censure,
disait M. Daunou , cst cssenticllemcut partiale ; elle l'a toujours
ét(,; il cst impossihlc qu'ellc ne le soit pas ; c'cst l'arbitrairc
absolu.-Vous demandcz des ex('mp1cs des ahus de la censure, dit
~1. l\lanllel; il en est mill« que je pourrais citcr : on a refusé
d' insérer des discours <le "os coH(\gw's, des réc lamations aprcs
des aüaqucs..\ quoi nndcz-vous a\ ce lOS répressions iutcmpos-
tives? ~I {'lcindre le \ olean '! Mais vous IH' S,l\I'Z pas q tiC la ílauuue
honillnnnc ~l vos picds: el que , si \ ous W' lui donncz pas une
;SSllC vaste, suflisante , il éclau-ra en vous cmportant, -Tandis
que la liberté curopécnnc marche ~l pas de g(>alll, ajunta ,1. de
La Fayetw, t'l qUf' la Franc« \ cut el doit rostcr ~l la tOle dI' n'
graud dúveloppcmcu! (le la digllil(' ('t des Iacultós humaines, un
GoUYerllcl1lenL, (1lHlI1C! cuíin on ne pcut plus rcprochor l'hypo-
crisie , prétcnd vous cntraiucr dans son IllOl1\Cll1<'l1L rl'lrogral1e
et (lp'(lIHlir de plus en plus i'inlen alk- qui le s('p(lrc de la n.uion.
-.'\·()I'S sonuuc. ("¡"'·"Il' {Ij"!' ';" 1'1 ('¡""'l"";'''J!·I cnrore "·.1 1...'!'1-


" L......-1 d,-.J t~,"t., • i\h ! ~.jld.\, (l.l\'\.l(~ \...1.&.". \ \.,., .vs, l1i. ..


nislas Girardin , nous nc SOlllllH'S ¡'('(mis qllt' pour ](1 défcndr«,
nous nc pouyons done ronrourir ~l la reuverscr : le pnuvoir qui
s'('leve1'ait contrc elle se mcura ¡1par cela scul en eílct d'usurpa-
tion. ))


Le centre ga~lcll(' ct les doctriuaircs s'ótaient placés sur un
terrain moins violent , mais d'une opposition non moins forte,
non moins décisive. Ccrtcs, l'cxpression de JnI. Camillc-Jordan
el Ilnver-Collard n'avait aucuue svmpathio avcc líos pcusées el
les paroles de l'cxtrémc gaucho : un long dcvouement ~l
Louis XVIII el ü la cause royal« donnait ~I ces dcux oraicurs
une grande autoritó de príncipes el d'exrmples ; tous deux par-
lerent dans la discussioll.'1. Itoycr-Coilard atraqua en théorie
les lois d'cxccption , qu'il definir avcc honheur en cmprunt usu-
rairc que le pouvoir Iaisait el qui le ruinait ~I la fin. M. Ilover-
Collard avait peI1H~II'(' raisou , mais S(' souvcnait-il qm' llli-




10 msrorm: DE L¡\ HFST\I'lnTTO'\.
müme , aux affaircs puhliques , avait di-mandó el défeudu les
lois d'exceptioll! en g{'n{'ral , les dortriuairt-s {'{ajcJl! mal ¿l l'aisc
en attaquant le pouvoir an nom de la Ii!)('r!(; ; ils ay;¡i('/i[ SCCOlJ(l(>
ce pouvoir dans ses momcnts de crisc , el, les premicrs ,ils
avaicnt demandó la censure rl {'S [onrnaux ; ('! ;¡. vona¡('nI -:Is el onc


• .- 1-


reprocher au ministerc de M. le dnc de nic!:eh'u '? J'ou ("\(('!)(('
pourtant l\I. Camille-Jordan , IOl1.!O!l!'s OppDS(> aux lnis d'cxccp-
tion, et n'cn faisant qu'un accidcnt 11'("s-ral'(' dans la marche
g{'n(~rale des affaires. « Inquirt pOllr les dI";: ¡:~{'I'S de la patrie
el du trñnc , disait-il ¿1 la irihune ,iI lIl'<'~;! ponnis pellt-Nn' de
m'afliger anssi de la siiuatiou 01" l(' de, oir 11H' placc , lorsque ,
fonctionnaire du Couvcrnemcnt , je me vois ohli~(; d(' ropnusser
les mesures qu'il propuse. J) Cl'ei posait hien nct: ('11]('11 1 la sima-
tion des doctrinaircs ViS-:1-\ is 1(' Cahinot. Tous , OH pn'sql1l' tons ,
étaient restés dans les fonctions puhliqucs , plnsicnrs encere
faisaient partie <In Conscil d'I::l:!t, ot pourtantils se s('par('!'l'Ht
du Couverncmcnt dans une qucsrion (file cclui-ci considórait
comme vitale. te Cahiuot devait ;\ son tour rompre violcnuncnt
les liens c1'](' les dortrinaircs avaicnr ('omlll('l~c(' ;1 (](.!l()íi('r :
c'est ce qu'on fit aprcs la :.;{'s~i()ll. L(~ ('(';111'(' droi: pf'(~la un
confíant appui au ministerc. l\l. Lainé s'en fi t l' éloqnont e expres-
sion; quant a l'cxtréme droite, elle agit avcc hahiloté ; elle ne
mit en avant que ses oratours de scronde ligne , non p:lS ponr
défeudre le ministcre , mais pOlll' démoutrcr la uécessitó d«
préter force ct appui au Cnnvernemcnt. J\DI. de Yillt!le N
Corbi('re ne s'engagerent pas.Lors(llH' )\J. Manuel dénonrn 1('
ministere se jetant dans la contre-révolution , paree qn'il rhcr-
chait l'appui des Itoyalistes , M. (h, Vim,]c nc prit la parolo que
pour défendrc l'extréme droite el annonccr ses intentions lih('-
rales, Le ministere n« fut défendu qlle par ses proprrs oratrnrs.
M. Portalis, sous-secrétaire d'I::lat ;1 la justice , échoua coiuplc-
tcmcnt ;\ la trihune. Son discnurs , qni snpposait ¡WII d'hahitude
de tribuno et des asscmhlées , touiba gral('lIH'llt al! milieu dos
spirituelles diatribes de:\1. Stanislasde Giranlin ot de 'l. Bcnja-
min-Constant. )J. Pasquier fllt le \igolll'('l1X a11l1(o(C' dl1 minisl(T(,:




CTL\PHHE xvr. 1'1
il mo.nra un talcut trcs-haut de discussion, et répondit Ü tous les
amendcmouts avcc tille prccision el un bonheur d'improvisation
rciuarquables. JI. SiBIl'OH ne prit pas la parole une seule Iois ,
et pourtaut le projct rcssortissait de son dópartement ! en voici
la raisou : le ministre de l'intéricur, qui écrivait avec clarté ,
parlait dilficilcmcut ~l la triblllw,· et arce une opposition éc1a-
uuuc , une rénniin: de :a{cllls 'aussi (;jey(os que eelle que pré-
scntait dans ceuc scssion parlcmcntair« la Iusion des doctrinaires
el de l'extreme gancho ,il Iallait un ministre prct ~l répondro
sur chaquc objcction , possédaut cette grande faculté de la pa-
role, preiuicrc conditiou des talcnts ministériels. La Ioi fut
votée ~l Hile majorité de 136 centre 110 boules noircs, Ainsi ,
jamais Chambrc n'avait été plus complétcment divisée.


Ces discussious de Cluuubrc occupaicnt vivement l'Europc.
Le chaugemcnt ministéricl qui avait devoró :\1. Dccazes avait
apportó des modilicalious cssenticlles dans les relations exté-
rieurcs. ;\1. Pasquicr conservait I(~ départcment des allaircs
('trallgl'res; mais la dircction supéricur« des grandes négocia-
rions diplmuatiqucs allait ahotuir ¿l }l. de Ilichclicu. }l. Pas-
quicr sui¡ ait ('[ dc', ail sui. re la han le impulsiou donnée par le
présidt'llt du Conscil. .l'ajontc qU(~ la naturc de ces relatious
s'était de llIt'UW lHodilil'e. Sous Jc ministerc de JI. Dessollc,
toutes les iustrurtions dipiomatiquos , adrcssécs aux agents de la
Franco h I'etrnngor, ¿\ Saiut-Pótcrsbuurg, ¿, vicnne , a Berlin ,
étaicut donnécs dans l'ohjl't d~' rassurer les Cabinets sur la mar-
che libérale <In Couverncmcnt en Franco. A l'avéuemcnt de
:\1. de' Ilichclicu , le iuiuister« se vouant au systcme de répres-
:';10)1 centre l'csprit révolut iounaire , sYS[(>¡lle alors adopté par
l'F¡"WI'n les ;ll'~""¡/'';()IIC' (1'1""111 C1,,,,,¡r,,.. (1'(ISI)\'1'[· • les '111,1)'1"-~ i I ../ \, .... i. ., l i. .... l 1 " l \ • 1 \. I ~ .., .>. 1 L"I\ i: ... _ .. 1 ' '-. ( 1 J ( ,)
S'I(l(I'l""~ II{JI"",:";,,,";¡'('!I (1" "¡,n"["',"I' (1'1(' 1(, {"J'I"'('I'11"'llnl1t l"['l'11
.l "l"-¡, \... \....•• L tl.z.,', vrc t t( "-_,,~L' U1.'_ ltl J J u' 1 j \.......1 '-' _ II L


·-~ ... I.;~\·F rr\ ~i "~'V -,- .'-~ ;...:~,.,¡'¡~ l\( ·~l· '~l ).,'l~'}' ')(' r, .r : 'e ~ " itait
",," ,. ",,1 t, '¡",J( /, 1"I' u '. " ,, ' 1 l''''" l( 1" 1... ('1 res iacuons. eci e au
dan. un iutl"i\\l tour n:¡¡j(¡¡;d; 11 L::JaiL l~i i.er des yclIéités d'in-
tl'l'lel1¡¡o:l (rlé' L' SOll\C'ji:r ([l' !'cccupa!ioll militaire de '1815


'" ..• ~1") 1" 1 1'" , 1l'l'\('l1hul (¡a;;:·; ¡ (IS]ll'lt s!I:-to¡¡1 W!~) C\mrs u Autncnl' et (e Prusse.
Dl'UX grallds é\énclllenls frappel'ent \Í\Clllcnt alors la diploma-


(.b
_L




12
tic curopécnne ; l'assassinat de M. le duc de Berri el la 1'('\0-
lution d'Espagnc. La catastrophe , qui attcignit l'héritier de la
couronne de France, servir de texto aux Cabinets pour les for-
tiíier dans un SYStl'111C répressif, Les lcttrcs de condoléance des
empcrcurs de Ilussie el dA utrirhe , cclle du roi de Prusse ,
tout en exprimant une proíonde doulcur, téiuoignnicut des in-
quietudes sur la situation des esprits et la marche des opinions.
Combien l' attentat commis sur un prince aussi rapproché du
tróne ne devait-il pas etrc invoqué pour appeler la vigilance du
Gouvcrucmcnt sur la Francc ? L'cmpcreur de Ilussie fut parti-
culicremeut frappé de cettc catastrophc ; il counaissait le duc
de Bcrri ot l'estimait particulierciuenr. Le comtc de la Ferrón-
nays , qui représcutait la Franco ~l Saiut-Pétcrsbourg , était l'ami
de crnur de -Son Altesso Iloyalc , et Alexandr(', tout préoccupé
lui-méme de ces idées d'assassiuat , poursuivi par de crucllcs
imagcs , éprouva une violente répulsion contre ce libérnlismo
qui s'cnveloppait d'unc robe sanglante. Les instructions données
aux ambassadcurs , ~t l'occnsion de la catastrophe , lcur signalaient
la uéccssité de rassurer les grands Cahiucts. J'ai eu sous les
yeux ces instruetions écritcs par M. Pasquier ; elles sont toutes
dirigées (bus le hut (fue j'ai indiqué , c'est-a-dire , de prou\er
aux Cours alliéesque le Gouvcrnement de France était assezforl
pom réprimer les Iactious , au cas oú elles meuaccraicnt le treme
el la paix de l'Europe. 11 cst Iaux , COllllllC I'a préteudu )1. de
Pradt , que les mesures réprcssives arrétécs en France , en
'1 H:Hl, l'aient été ala suitc des iujonctions de Carlsbad : c'est
El une de ces niaiserics havardcs qui rcmplisscnt les noiubrcu-
ses hrochurcs de -'1. de Pradt. I.{' sccond óvónerucnt politiquc
~t I'cxtérieur, la révoluriou d'Espagne, ét!it de naturc it appe1ct·
la sóricnse attont ion des Ca~)¡ncts.\ flClIIW des grandes COl! I'S
n'avait approuvó la condui:c du roi F('rdinalld en HH!¡; toun-s
auraicnt vouiu que k rni d'I':~;p(!g¡!(' ('(tL agi a\ ce Hile plus grande
modération : mais , en hlámaut ]('s imprudcnccs du Cabinet es-
paguol les Cour: d' \ utrichc l'i ('/l Prussc nnrticuliercuicntUb , u" j'... l.o: J ~1. ~ t .. ' .. v. \i. t, i. 1 ,Ud,_, J ¡{ .1. ,'--. \_, - ... ,
11(' pouvaicnt ,0i1' sans une extreme inquiótude le mouvcmcnt




UI.\PllHE x\ l.
iuiliíaire qni avait ob!ig(~ le roi Fordinand it adoptcr la Cousti-
tutinn des Cort{'s. Fatal cxcmplc j)DlH' les chefs des grandes a1'-
mées allcmandcs. M. de 'lellcrnicil Iut Irappé des consóqucnccs
que pouvait avoir cetro révolntion , ~l Xaplcs, dans le Piémont
el daus les ]::Ials auuichicns de l'Italie. Son intelligcnte capa-
cité n'cu Iut pourtant pas découragéo. IJ est dans les habitudes
de )1. de )Icttcrnieh d(' ne s'ótonner d'aucunc crise , par la
couviction oú il est qu'avec da tcurpórament el de la pru-
dcncc , tout événemcut , que! qu'il soit, peut Iacilcment se tour-
ner. Cette taciique cst surtout habile quand il s'agit d'uuc 1'6'
volution , d'ahord cH'C'l'\CSCCllLe ('t tcrrihle , puis se divisan! ,
s'épurant au milicu de millc ohstaclc.: ct d'immcnscs opposi-
tious ! C'est en s'appuvaut sur tous les Iaits rccents que :n. de
)Jellernich ouvrit des lll'gociatiolls avcc les Cahiucts sur la né-
ccssilé de la réuniou prochainc d'un congres, La France , qui
jusqu'a la iuort de'L le dile de Bcrri s'était assez dircctcrncnt
opposé« ~l ces gran<1('s réunions de souverains prévues par le
traite d'Aix-la-Chapelle , lesquclles ne laissaicnt pas tOl1jOUi'S
toute libertó aux Gouvcrucmcurs , paraissait un pen revenir de
ecuo oppositiou ; il n« s'agissait plus que d'cntrainer l'empercur
Alcxandre. ;'tI. d(' )klterniclt Iu: écr.vit directcmcn: ; il exposa
la situation de l'Europe alce cetro clarté d'exprcssions el cette
hauieur de vues qui caractériscnt 1(' chancclior (L\ uuichc.


Quant ~l la qucstion espagllo¡(~, il Iut spC'CiaJelllcnt décidé
qu'en attcndant une résolllt:~;;l d('f¡lliliH~, les ambassadeurs ou
ministres pléuipotcntiaircs dí's Puissances ;l :Uadi'id ne quittc-
rairut pnint la r{'si<!ellce ro:. ale, étudiant la marche el les pro-
:-:;l'l'S (k l'r-sprit róvolutiounairc , les o;)inions des COnlS, pour
prcndre ('i¡S¡¡j ti' tOii ¡es résol¡¡ [¡OBS ultéricurcs. Les ins¡ructiolls
Iurent JllTS(t'IH' COJlll:m¡¡¡'s. ~';L Pa::,(!1!i¡ r cnvova le maruuis de la


, - I '- .a


Tour du Pin , pot'1' qu'i! Cllt ;\ pn's~;ell¡jj' ¡ lt~ roi Fcrdinand , pour
éturlicr les forres de..; dillércnrs ¡:;:r¡is, la j)ojl;il:1rill' de la consti-
tution , l'état de l'arméc el de se:, rh('fs, les liaisons intimes que


, Le duc de Laval était ú I'aris.
Uf. :2




IJISTOIHE DE LA HESTALnATlO~.


ce mouvcment militaire pouvait avoir avee les révolutionnaires
de Fraucc ct des autres parties du contiucnt, LIle dépéche de
l'mnbassade indiqua que la violeuce seule avait obligó le roi Fer-
diuand a jurel' l'aete coustitutionnel , el que ce prince n'était
ríen moins que dévoué aux nouvclles institutions. La dépéche
précisait aussi la situation des partis ; toute la basse classc , 'les
paysans , le clergé monacal, la masse de la nation agissante,
n' étaient pas pour la constitut ion, malgré les coucessions que
cettc constitutiou Iaisait au catholicisme , la c1asse hourgcoise et
les deux tiers de l'année étaient constiurtionnels, L'ambassade
répondait , sur la derniérc qucstiou , qu'ellc n'avait pu se pro-
curer aucun renscignement précis , mais qu'il existait une cor-
respondance active entre les chefs constitutionncls de Jlad1'id el
les partisaus de la révolution , ~l Lishonne , ~l Naples , en Piémont
el en France. la note ne désignait pcrsonne nominativemcnt ;
mais elle signaIait l'cxistcncc d'uu comité dirigeaut , avec lequel
les chcís constitutionnels étaicnt en correspondauce. Quant a
l'Auglctcrre , elle voyait avec iudillércnce le mouvcmeut operé
en Espagnc : son Cahinct , bien qu' encere dirigé par lord Cast-
lereagh , ue pouvait pas , en Iacc du Parlemcnt , se jete!' daus la
croisade politique , dirigée centre les Libéruux cspagnols,
Georgc IU vcnait de mourir, et l'avéucmcut de George IV avait
néccssité la convocation d'un parlcmcut. M. Dccazrs , qui élait
dans ses tcrres , recut l'invitation d'allcr remplir son poste ~l LOIl-
drcs , afiu d'ótudier la marche, et de douuer au Gouverucmcnt
franruis tous les rcuscigncmcuts néccssaircs sur la situation IlOU-
"elle UL! ministere Castlcreagh.


Il s'agissait de savoir si les grauds Cabiucts répondraicnt ~I la
lcttrc aulographe par laquellc Ferdiuand auuourait les chaugc-
mcnts arrivés dans sa monarchio. L'¡\ngletplTc uvait dOIlIlC~
l' cxemplc , mais saus s'('ngagcr : « }lonsicur iuon Irere , écri. ait
Gcorgc IV, j'ai lula ¡eUI'(' ([ue Yotrc _'Iajesté m'a tcXLUCllCIlH'Ut
adresséc pour m'anuouccr quP, tl'aprcs les HPIIX manifestés par
son peuple , elle a jugé convcnable de recounaitrc ct de jurel'
la constitution politique proclamécÜ Cadix en l'an HH2. Jc re-




r:TTAPITRE XU. 15
fois cetro communkntiou de Votrr Majcst(· ronun« nn témoi-
gnage de son amitíé , el jr la prio d'érre pcrsuadée du sincere
intrl'(~t que je prcuds , daus toutes los occasions , au hien-étre et
ala prospérité de la natiou cspagnole , ainsi qu '~l la stahilité el a
l'honneur de votre Courounc, » tes rois des Pays-Bas , de Ba-
viere et de Saxe, écrivirent 11 pen 1)1'(\s dans les mémcs termes;
mais les quatre grandes Cours de Vrancc ,<1' Autriche, (le Prnsso
~t de Russi(~, se, hnrnh'rnt l\ de simples notes (\jplomatiqucs.
Celle de la Francc étail ainsi ronrue : « .I'ai inuuédiatcmenr mis
sous les yeux du Iloi , rnon augusto maitre , la note par laquelle
Votre Exccllcnce me communique la résolution qu'a priso Sa
LUajesté Catholiquc de jnror la constitution promulguée aCadix,
en H112, par les Cm'1("s générales, te Iloi , qui avait vu arce le
plus grand chagrin les événements qui avaicnt précédé cette me-
sure, et la sitnation pénihle dans laqucllo ils avaient placé le
Gourernement, désirc que les mesures jngécs propres par Sa
ñlajcstó Catholique pom garantir la tranquillité el la prospérité
de sa mouarchie , produisent les résnltats les plus complots.
D'apres les ordrcs du Iloi , je vous prie de commnniquer a votre
Cour ces sentiments de Sa _"aj(lst{·, etc. )) Dans l'audieuce que
le duc de Fernand ~IIIH'Z, ambassadeur d'Espagne , obtint du
roi de Franco pour lui notifler le sermeut prétó par Ferdinand
ala constitution , Louis XVIII répondi: : « Je suis persuadé ,
M. l'ambassadcur, (fue le Roi lI10n cousin a fait ce qu'il a jugó
le plus convenahlc ;1 la félirité de ses pcuples , et je désire ar-
demmentqu'il atteignel'ohjet de ses vc-ux. )) I ..a note du minis-
tero impérial de Ilussie signalaít la méllauce avec laquelle I'Em-
pereur avaitaccncilli les événcmcnts de la révolution d'Espagne :
C( Sa ~Iajest{· impérialc , constammont anirnée du désir de voir
en J~spagnc la prospérité d(' l":;tat s'unir a la gloíre du Souve-
rain el s'accroitro avec elle, n'a pu apprendre sans une pro-
\\)\\(\~ "ffiic,úOll \~\S é,hwm('llt~ (l'ú out <1onn(' lien l\ la com-
municatiou de \\l. \{' chcvalier de Zea. L'avenir (le l'Espagne se
présente de nouvcan sous un aspect ténébreux et alarmant : de
trop justes inquietudes doiveut sr révoiller dans toute l'Europe;




16 1l1S'fOlHE DE LA HESTA[lHATIO:\".
mais , plus ces circonstanccs graves peuvcnt ('lre funcstes ¡l la
tranquillité généra1c don! 1(' mond« goü[(' Ü peine les premicrs
Iruits , moins il appartiout aux I'uissanccs garantes de ce bien-
Iait universcl de proncnccr isolénu-ut. Persuade que le Cahinet
de ñladrid aura adrcssé d(~ scmhlalilcs C0I1UlIIlJlÍC'al iOHS ¡l toutcs
les Cours alliées , l'Empcreur se plait ¡I croire que l' Europe ('Jl-
tierc se réuniru pour parle;' ~I Sa'laj('st¡'~ Catholiquo le Jangage
de la vérité , et pour Iui adrcsscr, d'une \01X unanime , les con-
seils d'une amirié aussí íranchc qlH' IÚ('1\yeillan!e. Apr<:'s la paíx
génl'l'a1e, la Jlussic a dunuó , dl' conct-rt avcc ses alliés , plus
d'un« jH'CUH' d'illt('rt~[ 11 l'Espagn«, La correspoudance qui a cu
lieu entre les principales Cours de l'Europc all('stc le vrou que
l'Empereur a tonjours Iormé pour que l'antorité du Iloi PÚ! se
conjoiudro , daus h's dcux h{JIIispll(\I'{,::;, avec dcs mstitutious
íortes par lours prillcipc's el leur origine. 1::l\Ian('('s un trñne ,
ces institntious dl~\jí'¡¡n('llt conscrvatriccs ; sorties du ('('lllre des
troublcs populaircs , ilHpos0('s par la révoltc , elles uc produiscut
<fIle de l1'i:-;[(>:..; subvcrsions el ([l' HOIi\Cau\. dés()l'(ln's. Telle a élé
toujours la l:la,,¡,\l'í' e[í' i nir dl' ¡'!':ull)(,l'el1l'. » .1(' donuc retle
notciutimc cl¡¡ Cahiil('¡ rus ..;!' aí¡n di' pn'·ri:..;('l', ¡¡'¡¡!le m¿¡nj¡"n'
exacte , qlldi<~ ¡"¡¿¡it l'opinion 1)('rsOIlIl('I/(' d'\!e\aIHln', opiuion
qui prévalnt plus tard aux cOllgn\s de 'I'roppau , (le Lavbaclr el
de Vérone.


A l'iutérieur , le miuistere Hichelicu , armó de ses lois d'cx-
ceprion , commenrait ¡I les exécutrr , mais avcc une circouspcc-
tiou extreme, j'oserai prcsque dire aH~C mollcsse. Je me suis
souvent demandé ~l (1l1Oi avait sen j la 10i suspensivo de la lil)('rtl'
individuelle , ontcuuo apr('s Hile Iuue si violente dovant les Cham-
hrcs : cal' j'ai CGllIpuls(' les registres de la police , el j'ai la cer-
titude <fu'elle' ne fut appliqu¡"c qu ';1 hui t OH dix pcrsonncs , pom
lesquclles des maudats cl'atucncr furcnt plus tard régulicremcnt
déccruós. Le minister« ne meu ai1 \ ¡''['il ahkment d' importaucc
qU'~1 la censure; elle Iaisait CeSS(T cene gucrrc ~I outraucc que
les journaux avaiont déclaréc au Pouvoir. Lne ordonnance royale
dl'wloppa la dispositiou (1(' la loi el r('~la 1(' mod« (Ir la C('IlSllI'C,




el L\I )I T nE \ \ 1. 17
en mrmc tcmps qu'clle uomma les CellSCl1\'S. Ils étaicnt pr:s
panni des 11011111JeS d(' qnt'Jq[J(' val-ur : je citcrai les noins de
~nl..\lIgcr, }Iazurc, Haoul-Uochcl[(' ct Parisct. 1-1;(' couuuis-
sion supériour« do C('IlSIlr(' fut ('gall'll1eut instituéo : elle se COI11-
posa des magistrals de la Cour de rassation el de la Cour royalo,
de -'1M. Boycr , Vergl's, Ollivicr , Voysin de Gartempc , Bricre
de Surgy , 'I'arrihlc de la Cour des comptos , Lepoitcvin de la
Cour royalc. Tous ces noms étaicnt honorables, sans doute ; mais
la protection qu'ils offraicut ;\ Ia Iihcrté des écrivains érait illu-
soire: par la forre d('s rhoscs , la censure tomhe toujours dans
la main des ronuuix T,« Couvcrucment qui est arrué d'un pon-
voir cxtraordiuaire , el <tui, par C0I1S{'qUCllt, en cst responsable,
veut qu'i] s'cxerce dans ses in[('r0ts, el il a raison; et puis il ne
faut pas conuaitrc la rapidc publication des journaux pour s'ima-
giner qu'ils pcuvent aucndre les rares rénnions d'un conseilsu-
périeur de ccnsurc , el solliciter un jugement: un article deux
jours rcrcnu par le Conscil de censuro cst un article perdu ; el ;1
quoi bon cette justice tardive , {fui rcssemblc ü la rcstitution d'un
jourual deux mois apres sa saisic ? Ccpendant la graudcirnprcs-
sion (jn'avait produ iIe Sil!' I(':~ í'Sjll'i Is la ti iscussion '" iolentc des
lois d'cxcepiion frappa ,¡\ e¡¡ \(' 11 1 ~1. <1(' Ilichclicu : il Iut arretó,
dans le Conscil des ministres du :~ avril , qu'uno circulairo sc-
rait adrosséc par Ií· prósidcnt du Conseil aux Iouctionnairos su-
périeurs de chaqué départcmcnt , pour sigualer l'esprit dans
leqnel les lois avaicnt N{' rcndnos el le morlc ;1 suivre dans
lour cxécuticn. J1L l\Iol111i('r-, chargó de sa rédaction , disnit :
« Les (/<"c1aratioJls précises des ministres du Iloi unt d" éclairer
les esprils sur les ('xag(oratiolls el les calomnies rópanduos a
l' orrasion (les dcnx lois d' exccption ob:en!l('S des Chambrcs ;
J(~ caractt'l'e de C('S Jois ost (['{'lre r~s(':)1jc']]('m.('nt tcrnporaires ;
elles OHI He, n;"cessil{>('s par 1('8 r irrcnstancc-. JI Tous les droirs
('¡ai(,ll! garantís; la liberté et ! ,(":.;:: jt(· ('('\ant la loi , étnicnt as-
surécs ;1 tous. L<~ prí'si<1elll du Consoil dc.uandait 2UX fonction-
naires de dissipor les alarmes , d: rcpo¡¡ss -r , par la sculc exprcs-
sion dr la '('ri((', lou[('s ces d(~e1alllali()ns <11 1'on 11r préselltait




18 HlSTOIRE DE LA RE8TAURATION.
au peuple que l'image des cachots et de la tyrannie. (1 L'horreur
publique, continuait M. de Bichelieu , ne s'est pas arrétée seu-
lement au crime du 13 février : une voix universelle s'est élevée
jusqu'au Tróne , pour lui demander de préserver la patrie des
dangers qui pouvaient encore la menacer. S. lU. n'est pas moins
pénétrée du sentiment profond que la Provideuce impose atous
les rois ; elle sama le remplir ; elle a voulu gouverner un peu-
ple libre, elle le veut, elle le voudra toujours. » Cette circulairo
se ressentait de I'impressionprofonde produite par la catastrophe
de l\I. le duc de Berri ; il était passé alors en habitude de décla-
mero contre le partí des indépendants; il eút été plus habile de
savoir le comprimer, sans porter une parole aussi haute, cal' ce
partí marchait II ses desseins; les expressions entlammées de la
trihune s'étaient changées en acte; une association s'était formée
110ur protéger les prisonnicrs d'l~wr, quela loi snspensive (le la
liberté individuelle allait plonqcr daus {es cachots , on avait pu-
blié un prospectus OÚ les maximes les plus cxtraordinairessous le
régime représentatif étaient proclamécs; on y disait que (1 l'ar-
hitraire revétu des formes de la loi ne prescrivait point contre
les lois éternclles que Dieu avait gravé(ls dans tOIlS les cceurs ;
que l'humanité et la justicc étaient évidenuuent méconnues dans
une mesure qui Iivrait la liberté, l'honneur des citoyens a la
merci de la politique , de la haine, de la corruption , de la has-
sesse , et de toutes les passions de quelques individus, )) En COI1-
séquence , un comité était formé pour déícndre les prisonniers
d'État contre l' exécution de la loi et I'arbitraire ministériels. Il
se composait de MM. Laflitte, Casimir Péricr, La Fayctte, d'Ar-
gcnson, Kératry, Joly de Saint-Qucntin, G{'vaudan, Oclilon-Bar-
rot, Étienne , Pajol, l\l{'rilhou, etc., cte. ; ce comité n'oflrait pas
seulcment de l'importance ~l canse de I'objet spécial pour lequcl
il était offíciellcmcut constitué ; mais il devenait en quelque sorte
un espece de gouvcrnement provisoirc publiquement avoué , un
comité directeur dans le sens que depuis on lui attacha. Je place
le príncipe de la conspiration flagrante, incontestable, centre la
!\Iaison de Bourhon , al'organísatíon <le ce comité ; alors 011 ne




CHAPITRE XH. 19
prit plus la peine de se déguiseI'·: la conspirarion Iut tout ~\ la
fois civil« et militaire ; OH groupa les écoles par association et
dans une longue hiérarchie ; heauroup d'ofllciers en demi-solde
entrérent plus ou moins directement dans la conjuration; on
pratiqua des manomvrcs parrni les lógions : des tentativos furent
faltes mérne pouI' la garde. Maintcnant , il me sera permis de
dire que le Gouycrncnwnt connaissait les chcfs de cette conspi-
ration , et qu'il Ies épargna. IIs doivent ainsi ~\ la modération de
)1. de Hichclieu, peut-étre aux répngnanccs de Louis XVIII
pour toute mesure violente, et aux précautions de 31. lUounier,
alors directeur de la police , de n'avoir pas été traduits devant
la Cour d'assises , en préscnce de prcuves telles , qu'unc con-
danmation eút été iuévitahlc. Ce fut une faute et une faihlesse;
je ne comprends pas un Pouvoir qui saisit une conspiration , et
JI 'a pas la force d(- punir les conspirateurs: un tcl Gouverne-
mcnt méritc sa chute!


les lois d'exception ne prétcnt qu'une force momentanée aux
Couvcruerneuts faibles; cene vie de violence , de rcsponsahilité
les use, les POllSS(' 11 la morí. TA' cahinet du rlnc de Ilichclicn
s'apcrrut bien d(' ces dilJi('llllí's. A peine armé dos deux lois sur
les arrcstations cxtra-judir iaircs el sur la ccnsuro , il seutit tOUR
les embarras de sa situation. L'état du pays était alarmant ; les
Lihéraux dominaicnt l'opinion populaire ; la prcsse éteinte dans
les journaux s'était réfugiép danslcs brochurcs: sous le prétcxte
que le Gouveruement était sorti des voies constitutionucllcs , les
écrivains se jetaicnt en dehors memo de cctte convrnaure de
Iaugage , qui jusqu'alors avait masqué leurs atraques contre la
Couronne; {lIllin(,l're ct qnclqucs nutres fouilles périodiqucs
avair-ut ccss{- c1(' paraitre ; mais la lihrairie ronstitutiounclle de
,1. de Lacrctclle al!Hí alimcntait la ruriosité puhlique , et cctte
polémi: tUC de violencc ('1 d' ('xag{-ral ion qui cntonrai I les institn-
tions naissantes, Et puis , n'y avait-il pas une trihnne libre? Ce
que les journanx nc pouvaient dire , les d('IH1tés de l'oppositinn
u'avaient-ils pas le droit de le proclamcr tont haut et sans aucune
rcsponsahilité que collo d'un rappel al'ordre ! Le comité d'ac-




:20 IIISTOIBE DI:: LA BEST,\LBI\TIO\.
tion s'ótait plus que jamais resscrré : <¡lIe n'osc-t-nn pas contrc
un Couvcrncment Iaible '? Sous le prl'I(~xl(O de pr0ler appui aux
opprimés , aux victimcs de l'arhit raire , une grande associatiou
s'était Iormée ; elle régularisait , par une impulsiou unique , le
mouvcment disparate er désordonnó des opiuions lihéralcs ; on
cut hientót de l'argent, Ces ressourccs durent 01re curployécs ü
l'eeuvrc communc , le triuniphe dr-s idees de la révolntion , sur
ce qu'on nppclait la cour, J'nristocratie , cxpressiou allégorique
ct transparente des vieux droits de la "'laisoll de Bourbon ; 1'a('-
tion du comité se íit particuliercmcnt sentir sur dcux classcs, les
étudiants ct l'anuéc. La jcuncsse des écok-s , toujours tapageusc
el bruyante , s'impréguair Iacilcmcnt de ces doctrines de liberté
<fui frappent vivement l'imagination el le cu-ur : jell~ du coll('ge
sur les hancs d'un enseigncmcnt plus éh~, é el dans une haute
indépendance de vie et d'action , l'étudiaut , Iamiliarisó avec los
idees de répuhliquc , <tu Iorum ('! de l'autiquité gn'c(lue et 1'0-
maine, devait saisir avcc avidité ces opinious agitées qui se
transformaicnt en désordr« sur la place puhliquc ; supposez
maintcnant quclqucs profcsseurs patriotcs, (\es divisions (le prín-
cipes, ct vo~ cz s'il n'était ]las faei!c il HU parí i de s'clIlpanor de
cctre jeunesse pour la tOUl'IH'r ;1 ses id(,t's el la ÜH:ollllCr;1 ses
dcsseins.


L'arméc était ccrtaincmcnt dévouée ; toutefois les remanic-
mcnts opérés dcpuis J KJ H avaieut sellll~ dans ses rangs des oíli-
eiers aigris contrc la "laisoll de Bourbon , cuthousiastes de la
Hépublique et do ]' lunpirc , OH amauts d'une libertó puissant«.
lis se trouvaicnt en rapport , ;1 Paris surtout , aH'C ('('{le uurlti-
tudc d'oflicicrs en derui-soklc cnncuiis de la Itestauration. (;('S
officiers , par suite de corte activitú , de cett(' hardiesse ruilitaire
qui les poussaicnt dans les grandes hataillrs , s'étaicn¡ l)l'('sqllC
tous livrés ;1 des sp{'cu]a¡¡olls chanrcuscs ; ils avaient ouvcrt des
hazars , crl'(o des cOlJlpagnj(,s COlllilHTc:;¡]es; LI forlunc n'avait
pas toujours SCCOlHll' (l'¡:liles e-sais , ('[ il: attrihuaicut enror. ;1
la Ilcstauration [cut' bh1C, leurs ('IIII:,UT,¡S dindusrric. Partnut
011 SI' réunissaieut ks ollicivrs d('s \ "giolls ;1 Paris , daus les caf(os,




CUAPITRE X\ 1. :2'1
1(-8 restaurants ,dans tous les licux oú ils cherchaicn t quolques
distructious , ils He reucoutraicnt que chansons sur les vieilles
couleurs , qlle souvcnirs el esp('rances ; on les entourait de tous
les presliges; aux uns OH promcuait un avancemcnt rapide ct
illespén;; aux aurres de la fortnnc. Qu'iJ r <lit eu il cctto {'¡Joque
de l'argcnt distrihné dans des dcsseins hostiles ;, la ;\laisoll de
Bourhon , c'cst ce dont IWrSOlllH' ne pcut douter aujourd'hui ;
que le Couvcrncmcnt <lit su rl'oú proveuait ce! argent et qui en
était dépositaire , c'cst enrorc un Iait invinciblement constaté.
le Iloi dNendit;¡ ses ministres de poursuivrc ; eux-mémes crai-
gnaient d' aH ('indJ'(' si hant el (1'augmcntel' par une répression
trop implacable les embarras du GOI1YCrnrnH'nt. Ton1 cela
('lail trnp g(l!1{>rcux pour He pas l'":tre un peu niais en Iait dI'
pouvoir.


En ¡¡r{'sellce ll(~ ces agilaliolls, le ministóre résolut pourtant
une marche (el'll1(' d aITi~ll~e. ~l. Bellal'! rCf,'ut I'ordr« de pour-
suivre avcc vigucur tOIlS les pamphlcts qui attentaient ¡l la reli-
gion et h la dynastie ; OH saisit <¡lIdqu!'fojs sans discerncment
une multitudc d'¡';cri!s sorl is de ];1 J¡i)l'airie de ,1. Larrctcllc.
1' ( II ' s on ¡'J'(l'~("Jr !()lIS fll"OI']! "')P(hll"l(~;: 1)'11' '¡"~C' "''''J'SI'S 111 la.. "í. ." !" • , ~ ~ , 'i. ~ "". l ( ~ • f \ , l f (. 1.. \.) c-(. '.' '. '.' , '-.-. t. (
Cour rovak- ;milliolla el('S !)I'ilH'S ro;,[ 0.T;1\e<; aux écrivains. On


. j,' < 1
poursnivait anssi J'ossoriaiio« ronst iuu .onncllc qni s'était for-
111('1'. Ponr évitcr la qw'slion difficile el hruvante qu'aurait sou-
levéc la mise en prévontion de plnsiours membrcs de la Chamhre,
le procureur g('n('r;¡l rhoisit parmi les chefs de l'association ccux
(fui n'étaicnt pas MpI11('s. En rnnsóqucnce , ]\01. M(:rilhou,
Úienne, Odilon Barrer, I'ajol , (;(~\al1(bn, Jolv de Saint-Quen-
tin, fnrr-nr poursnivis concurrrnuucnt avor les g('ranls de jour-
naux qni avair-nt inséré l'art« d'association, ('1 un articlc prépara-
toirc surtoutlc plus particuliórcment incriminé. A ce snjet les
d(-plltés non mis ('ll canse ér.rivirent une leure plus 011 moins
couvcnahlo ;1 !\l. Bcllart pour dcmandor ;\ (~lre poursuivis , et le
procnreur p;{>n(~ral répnndit aH'C son Ion ferme et tranchant qu'il
n'avait a rcndre compt« d(' ros poursuites qu'a la COUl'. Devant
k-s assises lfls signalain's aCCllS(~S prirelll 1111 svsl('-mr (le (1(>/('11s0




22 TUSTüIRE DE lA RESTAURATIÜN.
peu généreux ; il Yavait deux artes incriminés : l'association en
elle-meme et l'article préparatoire; et s'il était incontestableque
cet article serait condamné, l'associationau contraire devait étre
acquittée , cal' elle n'était qu'un acto d'humanité. Que firent les
signataires? ils nierent la rédaction du préambule et n'avouérent
que l'association; de sorte que les éditeurs responsables snhi-
rent seuls la peine. La vérité était pourtant que l'article con-
damné avait été rédigé par 1\1. Odilon Barrot , et puis envoyé du
comité aux éditeurs responsables, qui ne l'avaient inséré que
par la garantie de tant de signatures: ce fut pour la premiere
fois qu'on vit al'<EU\Te politique 1\11\1. 1\I{-rilhou et Odilon Barrot;
on dut juger qu'il y avait chez eux absence ahsoluc de caractére,
et je dirais meme aucune force de talento Sous le Gouvernement
faiblc , les plus insignifiants pcrsonuages , les plus vulgaires
esprits, peuvent grandir, paree qu'ils font du bruit. Un mot
de matérialisme législatíf avait fait la fortune de 1\1. Barrot;
quelques phrases du Constiuuionnel ~ préparaient la destinée
de lH. l\Iérilhou. Les coups de la presse s'étaient a peu pres
amortis par la sévérité des poursuites ; les écoleset les cours pu-
hlics furent également l'objet d'une surveillance sévere de la
part du ministere , cal' on craignait l'exemple des Uníversités
allemandes; la commission de l'instruction publique suspendit
les cours de MM. Guizot et Cousin. 1\1. Guizot professait l'his-
toire avecune indépendance de príncipes et de vues qui contra-
riait la marche de l'Université. 1\1. Guizot avait quelque chosede
puissant et d'élevé dans ses lecons sur le gouvernement repré-
sentatif, qu'il suivait pas apas depuis l'origine de la monarchie
atravers les textes et l'esprit de systeme; 1\1. Guizot jetait des
idées aprofusion; il exercait sur la jeuncsse l'aseendant d'une
seienee incontestahle, ramenant les faits avec une égale persé-
véranceases idées anglaises et ala Hévolution de 16H8. l\I. Cou-
sin enseignait la philosophie en remplacemeut de 1\1. Iloyer-
Collard; tout ce qui est obscur exerce néccssaircmcnt une in-
íluence sur les imaginations enthousiastes; admirateur des sys-
temes de Kant, il cherchait ü les propager en France. Sa phy-




CHAPITRE XYI. 23
sionoiuie , le jcu de ses yeux , ses gestes, ses regards lui don-
naient une irumensc inílucnce sur l'imagination de ses eleves ! il
était diílicile de comprendre ct d'analyser une Iecon de lU. Cou-
sin; il se' brouillait quelquefois , et sa pensée se préscntait obs-
curément a travcrs une phrase brillante; son spiritualisme , son
moiluunain millo fois répété , lui donnait l'aspect d'un inspiré;
il semblait vivre dans une sphere ¿l l'abri des vanités , des plai-
sirs et de l'amhitiou de ce monde qu'il laissait au vulgaire; la
pensée, l'ámc , le cceur, tels étaieut son domaine que plus tard
il chercha dans une position moins idéale. M. 'I'issot fut desti-
tué de son professorat au collége de Francc ; on l'accusait de
chercher de la popularité par .des allusions inconvenantes : je
erois 1\1. Tissot homme de trop d'esprit et de goüt pour que
j'ajoute Ioiaux rapports qui furent faits alors sur ses cours, Était-
il possible de supposcr qu'il cut cherché a tourner en dérision
la vieillesse et le malheur? A ces rigueurs , l'Uuiversité ajouta
des mesures de précaution dans les facultés : chaqué étudiant
dut avoir une carte spéciale; aucun étranger ne put. étre admis
aux cours sans une autorisation cxprcsse ; ces mesures se liaient
aux idéesrépressivesqu'avait adoptécsI'AlJemagne pour ses Uni-
vcrsités, On craignait l'iníluencc des écoles qui avaicnt produit
les doctrines et le poignard de Sand, On imitait les résolutions
de la Dicte gcnnanique arrétées aCarlsbad.


1\1. de Latour-Maubourg prenait dans son département des
précautions non moins soupcouneuses; il savaitque l'armée était
travaillée, en préseuce de la révolutíon d'Espagne, exemple si dan-
gercux pour la monarchie légitirne; son premier soin fut d'im-
médiatcmcnt rapprocher la garde des euvirons de la capitale; il
assígna des gal'llisons tellcs que daus six hcures Hpouvait réunir
les deux tiers de la maison militairc du Boí. Ensuite la police de
surveillance íut agraudie et partagéc entre le ministere de l'inté-
rieur el le bureau spécial du niinistcre de la guerre On sut l'opi-
Ilion de chacun dans les légions el daus les régiments de la garue, .
de maniere aprével1ir un mourClJlcnt si OH le tentait. Le per-
sonuel des couuuandements militaires fut remanié , la plupart des




IIISTÜlHE DE LA HESTALlUTlOj\.
g('néram: conunandant les divisious 011 snbrlivisious Iurcut chan-
g(·s. On 11e voulait pas livrr-r la dYJlJSlie~' des ollicicrssupéricurs
qui , imitant les g('néraux ('~T;)glloJs, fcraient triompher le parti
révolutionuairc. Au ministere de l'intéricur OJl n'osait point aller
si lite; quelques fonctionnaircs d'admiuisn-arion sirgeai('llt au
centre gaucho ; OH avait bcsoin delcurs voix pOllr la lni d'élcc-
tions; on espérait que, restés en place, ils 1](' so séparcraicut pas
du Gouveruemcut dans une questiou decisivo. Une ou deux dé-
missions avaicnt ét{· donnécs dans k-s prNe('tnres; par exemplc
ccllc de M. de Cirardin : mais IoIlS les doctriuaires , l\Dl. Iloyer-
Collard , Cuizot , Carnille-Jordau , siégeai('JJt encoré au Conscil
<1' I~tat en senice ordiuairc: OH les Illéllag('ail )1our une alliance pos-
siblc, au cas oú la (1r01 te dcvicndrait trop vivo, t rop insnbordonnée.
Dans cene position diliicilc ct cotnplcxe , J(' parti libéral tenta dcux
démarchcs parlcmentaircs , dostinécs , sans doutc , ~l maiutcnir
dans les ames ecuo agitation brúlaut« qui servait k·; dcsseins de la
Hé\ olutiou , jc vcux parlcr de la pétition de M. iUadie!' de
'l,!ontjau el de l'adresse au Ilui (1(' ~1. "lanne!. M. l\ladiel', lIU
ú(~ ces hounucs qu'un cntour« Iacilcmcnt , qu'on préoccupe
d'une idóc , qu'on Iait aller ~¡ volont« ;1'. (le la ]H'IlJ' des révolu-
¡iOBS ct des contrc-ré, olutinns , s'imagiua n-ndrc un sen ice en
déuoucant 1111 íait que COlliíJ:e 1i1;:gis¡l'at i! (;e\ ait ü ses chcís el
non a la puhlicité de la ¡rihuuc. L'1'\ istence de ce q11'on appe-
lait gOlner!lc'mcnt occult« {·tait J1(/~:i¡iH', si l'on cntendait par ];1
une action royabi[(' inc1rj1I'IHlalll(' rlu miuistere ; iI útait évidcnt
q:H' les a~~('j]ls de :\iO~,SIEUl inaiel:l UII(' corrcspondauce , une
;\:Iil¡,li iOH dans ks pro¡ inrcs ; il Y avait (k·; comités rovalistes
.l) · l d (~ ' l ~ ('1' '-"'I'''''I1)('!l(l'' 1"";" 1'11I'¡''''I'SII'''t (1,,\ 'IJ"-I'1 '11"°'1,(1(\1111 1.'1'( } ... ,l ~ J. l' t , j ¡ 1( ~ ~ ~ ~ ~" ~ i. u .., , 1 I (1 t', ,t l, "- (, ,( J l .t l.' "
aux Ol':lW'S p;il¡liq:Je~; U1H~ t('l!f' dónonciation ? Couseillrr rl'unc
cour rovale , il <ly;:i¡ un ~:!ln{'I'¡cn[', 1(' ~);,ml(' d('s sccaux. On s'em-


. .


para de sa d{'íl()Jl('illt¡OI~ COl¡¡;lW d'¡¡~l .llln;, en (le scandaI!'; Iilsde
rovalistc , Ji. jladiel' de J:o:l!j;m fu! J'('.¡mlllOiw: l'ntmm~, fctt',;
on le PTa:ld¡t, cununc 0:1 ~.~I';::l(!:s:;)¡l alors ~l. Grc'!!oirc et
v.' C)


M. Bayon\; OH eH t occ;¡"ioll dI' ra¡Tel;'\' ~, b l rihnnc les lllas-
sacn's dn Jlidi, les hürrcUl's d,~ I\ÜllcS; 011 lit <ln bruit, el c'est




(.iUPITliL _\\ L
ce quon \ ourau. La p{'li¡ioll de l\L )[;ldie( {'\Jlosait : <lile le
18 Iévricr , ([lI('Jqllcs jours alm"s la mOl'l du duc de Ilerri , ('lait
arrivée ;\ ;\iIiHS une circulairc du comité' rovaliste sous le uO :V¡ ;
elle disait : « ~(' soyez ni surpris ni dYra~'é; quoiquc l'attcntat
du 1:) n'ait pas i.!\llené sur-lc-champ la chute da Iavori , agisscz
couunc s'il était déj;\ rcnversé. Nous l'arrachcrons de ce poste si
Oll ne couscnt pas a l'cn bannir : en attcndant , organisez-vous :
les avis, les ordrcs ct l'argcnt nc vous mauquerout paso )) Alors
avaient paru ;1 ~IIllCS des signos de rallicment , de sauglautcs pro-
vocations s'étaient fait entcndrc , des mcnaces atroces avaicnt été
lancees. Une autrc circulaire était parvcnuc du comité de París :
« Nous vous reconnuandons aujourd'hui le calme et la réservc ;
nous venonsde rcmporter un avautagcdécisií en Iaisant chasscr
Decazes: de grands scrvices peuveut non» erre rcndus par le
nouveau ministérc : il Iaut done hieu se g,lI'<!cr de lui moutrer
des seutimeuts hostiles. )) C'étaicnt ces circulaircs que -'L l'Iladicr
de :.\lontjau dénoucai t, en sigualan t utt ¡;u: icu.r pel'soll1U1gc que
tout le monde devinait h colé du treme. :H. }ladier dcvlcntjau
révclait aux Chnmhrcs un Iait pcrmancu; qu'aucnn ministere
n'avait pu aucindre ; H!!i' administrariou á cCM; de l'Adminisu-a-
tiou, 31. Sauluicr , rapporteur , conclut le ronvoi de la pétition
au présidcm du Conscil des ministres. « La paix , répondit
JI. Siméou , n'a pas élé UH scul uunucnt tronblée ;\ ~ imes ; V~
désanucmcut ordonnc par le Jloi a (,té opér{~ sans résistauce ;
vous craignez l'ancicnnc (J;arde ua.ionalc , il n'en existe plus; (PW
siguiíic la circulairc ? qu'i! y a des asscciatious S(,{T('. [('s;) c'esr
I' ( )<'; SJ' ¡J) ¡J(, 111"'1" ('1'(1'" "(,,. ussociation: tI' 1'" uouvcrncmeut "'''''',,'J ..,J ,lt ,j t .. \..) \. " U.',h) _Il~ - .,,1i_' \ L iIt h J; s r _i.u _ t. 1.:\\.',.1 \.. L
il Ya Iuin encore ; il 1I'y a qu'nne íorcc , <jll'U!1¡' ,n'j;¡('l~, (;U'¡¡n
gOLr\Cl'HeillClll, e'c:';t ('(']ui <tu lloi, - S'j1 eH Ha; qu'j! y "it une
scciété secretc , r{'pOl1di:. iH. (:c Sai¡¡[-.\lI!;¡in', qui dirl¡;e l'opi-


o . " • '. \ f' • ." " • ...


uiou extreme {[e·; ! toya:i:i[C:;; ~j cctte secrete s ()i):;lmc a recen-
naitrc une autrc loi <iU(~ la el:;:ri\', un autre gom CrHcmcnt que
le (;oU\eriH'l\h'HI, i(~ di:-::! loul eL' (¡i!(~ .J:" 'lWllse; un anlre roi


" 1..'-


que le Hoi, c'cst tU d{'¡)j(lCl'llWllt de Untes les id{,cs. » C'était
done une allaque direc te cOlltre jlü:.\SI Een que la sor/je de


111.




26 JIlSTOIR.E DE LA nESTAUnATlO~.
M. de de Saint-Aulaire. « Le pétitionnaire , s'écria 1\1. Cor-
hiere, vous parle d'ull [acticuc qu'il met ~I la tete du complot:
c'est a l'indignation qu'on éprouve que le respcct Iait deviuer
le rang du personnage si basscment calomnié : le pétitionnairc
connait ce personnage, il doit le nonuner. - Ilcmoutons a des
temps plus éloignés de nous , répondit le général Sébastiani , n'y
trouverons-nous pas des notes secretes adressécs aux Puissauces
étrangeres? M. ñladier 1l0US dénonce une faction qui ne veut
que le rétablissement des priviléges et de la monarchie absolue ,
qui agit par un pouvoir invisible. C'est sous l'influence de ce
pouvoir qu'une loi conspiratrice vous a été présentée. » - ( Est-il
permis d'appeler une loi conspiratrice, dit M. Lainé en s'élan-
cant ala tribune; nous sonunes done les.agcnts d'uue facrion qui
conspire! » - « Si l'on conspire, c'est contre la royauté , répli-
qua M. de lUarcellus avec des gestes trés-animés.» - «Expliquez-
vous, reprit lU. Constant ; s'il n'y a pas de gouvernement oc-
eulte, pourquoi Trestaillon a-t-il été traduit devant la cour de
Iliom ? Sit cette puissauce n'a pas fait de progres , pourquoi les
journaux censurés préchcnt-ils ouvertemcnt la contrc-révolu-
tion? » lU. Pasquier, qui s'était alors plus spécialement lié aux
Royalistes, crut devoir preudre la défeusede lUOl\SIEUR: « On vous
a parlé, dit-il, de l'existcnce d'un gouverncmcnt secret : il u'cxiste
en Franco qu'un gouverneuient , un gouvernement dont aucune
des actions ne sont secretes. Quelles que soicnt les attaques qu'il
puisse reeevoir, il n'en sera pas moius consolidé par l'amour des
Francais , qui n'ont de garant a cspérer que dans la dynastie
des Bourbons , dans celui qui veut assurer lcur repos , dans ce
prince qui, en se voyaut entouré de Franrais lcur dit ces bolles
parolcs: « qu'il n'était qu'uu Francais de plus el le premicr
« sujct du roi de Franco. J) Ai-jc besoiu de rappeler que lU. 1'1a-
dier ne voulut faire aucuue révélation précise , et qu'il fut cell-
suré par la Cour de cassation? La pétition de ;\1. ñladier fut la
cause ou l'occasiou d'une proposition d'adresse faite par ;\1. í'Ila-
nucl dans l'objet de rcnvuycr le ministere , ou de commauder
une meillcure route aux conseillcrs de la CourOllUC; cene




CHAPITRE XYI. 27
adresse était uno longuc déclamation de dix pages. 1\1. Manuel
prollva J'existcnce d'uno action occulte par un exemple : le gé-
néralBecker avait été exilé du département du Puy-de-Dóme ; il
monrrait au prófet une lettre miuistérielle contre cet ordre
d'exil , le préfct répondit : (( Que ru'importe ! j'aí des ordres
supérieurs des Princes '); ccci se rapportait a une époque OÚ
l'influcncc de 1\I0NSIELR avait été tres-puissanto encore , a 1815
et 18Hi. 1\1. Mauucl cita le rapport de Fouché au Iloi , et il at-
trihua cette piéce a tout le ministérc , tandis que 1\1. ñlannel sa-
vait bien (il l'avait rédigée en partie) qu'elle n'était qu'une
puhlication du ministre de la pollee. 1\1. Pasquier fit tomher
toutes ces assertions en aflirmant qu'aucun ministre n'avait signé
la picce dont M. Manuel voulait se servir. L'adresse fut rejetée ,
mais I'objet proposó avait {otl~ atLcint : on avait agité les esprits!


Les diílicultés ministériclles s'accroissaient encore par l'atti-
tude de méfiance qu'avait prise ~l l'égard du Cabinet l'opinion
royaliste, {in miuistere né d'un partí, ou, pour parler plus par-
lementaircmcnt, d'une majorité acouleur tranchée , trouve plus
de facilité parce qu'il inspire confiance aux votes qui le soutien-
nent; mais le miuistere Ilichclieu était ainsi composé qu'il ne
pouvait plaire a la majorité : ce n'était done qu'a force de con-
cessions qu'il devait acquérir un peu de consistance; 01', comme
ces concessions étaient impossihles pour quelques-unes et déran-
geaient pour quelqucs autres l'économiedu systéme ministériel ,
il devait se propager une opinión soupconncuse dans le camp
royaliste, et ceci aflaihlissait encore la position déja si faible du ~
ministére. Les Iloyalistes étaient d'ailleurs épouvantés de la ('.:~
rentrée possible de 1\1. Decazes aux affaires. On savait que l'an- .~
cien président du Cousei] continuait sa corrcspondance intime : ~.
avee le Roi, dont ii avait encore la confiance ; Louis XVIII '.. Q-'-


",-


épanchant toute sa peine, témoignait tout le regret de son éloi-
pement. 1\1. Siméon , ministre de l' intérieur, était si au-dessous
desa position, qu'il n'était pas extraordinaire de croire a un
retour de fortune pour 1\1. Decazes; celui-ci était done un nou-
veau sujet de méíiance qu'exploitaient les Royalistes; ils savaíent




28 HISTOínE DE LA HESTAURATIO~,
la Iaihlesse du Iloi pour celui qu'il appelait son ami; jamais
tcudresse n'avait étó pousséc il ce point. Louis X VUI avait Ir'
portrait de M. Dccazes dans son cahiuet ;i1 dit un jour ~l )1. Por-
talis , en lui montrant ee portrait : « Xous avons tI un bon ami, ))
tes ardents du partí royaliste , dans la possihiliíó d'un retour
de fortune de 1lI. Decazcs, invitvrcnt :U. Clausel d(' Cousscrguos
adonncr suite il son accusation , ou au moins ~l publier ses g1'iefs
en brochure s'il ne recourait pas ~l une procédure solennclle et
parlementairc. Le gé:lérd Donuadicu dr-mnudait des juges el
aeeusait hautemeut 1\1. Decazcs pour Ia triste affaire de Gn'-
noble; la hrochure de 11. de Cousscrgucs (~{ait moins une ac-
cusation personnello contre lH. Dccazcs qu'une critique shú'('
de tous les ministres dcpnis l'urdonuance <tu :; sPj)lelllhre; el
la majorité du nouveau (:ahillC't ('Iait précisémont colllpos('e de
ces ministres mis en Iace d'unc acrnsation grave el prcsqur-
capitalc ! te rninistere , dans ces circonstances dilliciles , crut
de S()H dcvoir de proteger i\L Decazcs coutrc l'ócrit de M. de
Coussergues ; le lloi l'cxig¡';¡il cl'aillcurs. H ré¡¡(>tait : « Le sys-
thue ele Ji. D'{orCil¡':CS ú;¡i¡ le mion : il Jaut done me dNl)Jl(ln'. )¡
Plnsieurs "I·tj'(·~'{"· íurcn: 1'~'11,li{'" ('¡l(", f'(H"/;sl('" i' \ ;I"I't 11"e


_u. ,,\....., 0..,1 '-l _...L.J ( • I t. J ¡ d J' _" 1, ,>l , ."l ..1 t !.: il ", ,"'i 0.-' .1 \. J u
apologie qui préparait le' retomo d(' 1';wC¡('ll ministre. L'allairc
du général Donnadicu révcillait dí' d(pJorablcs souvcnirs el une
triste rcsponsahilité pour le minisu-rc , cal' JI. de Ilichclicu
n'était-il pas alors présidcnt <In Conscil ct ministre dirigeant '?


Ccpendant la partie calme et hahilc des Iloyalistes vovait bien
([U'elle ue pouvait se SaUH)r que par le ministere , réduitc ü
elle - mémc el minorité dans la Chamhrc , elle n'avait d'avcnir
que par l'appui <111 Pouvoir el des votes dont il disposait. 1\1 ,,1. de
Villele ct Corhiere , qni comprcnaient micux cctto sitnation ,
s'étaicnt complótcmcnt rapprochés du ministere dans le dcssein
conunun de Iaire triomphcr un nouvcau syslhnc rl'élertion ,
leqnel dcvait fairc passer le pouvoir aux Iloyalistes. J'ai parl«
~\('~ l'<:'d\~c, (\W(\\l'\~. \\\\'\.' 1(' \W(\\l..'\" d(\\\\'~~\\ü\(' (k ),\. lk«tu:s. Sur
une commíssion de ueuí mcmbrcs , sq)t s'étnicnt prononr(~s
('ontrr 'p rpnnuw\\pnwnt f\llil1fl'wnn;)\ pI \';"\!.~nwnta\i()n <\(' la




(.: !\ 1 IT ¡¡ i: \ \ L
Ch;lIll!ln', parc(' qlli' ('('S dru x di';PDsjlions h!(':~;:ai(\11l Je, a:'¡iclts
fOlldailJI'Jl!all\ d(' h (:l!(lrll'.; !,I CI;¡:,lllj~>i(jn proposait SCUkllH'llt
de Irartionncr ¡('S Cli1l<"g('S d« dr"par!el1H'Et par arroudisscrucnt ,
el c'ótait la soulo conrcssion qu'on avait pn arrachcr ala majo-
rit{.. Comme C(~ projct nc p!aisaj[ pas aux ltovalistes , OH Iut
oh¡¡g(~ d'y I'PBOllC<'!' absolumcut , d le ministerc reviut ü l'idée
d'un double dcgr{' d'élertion ; ir S(' roncorta avcc les chcís de la
majoriró monarrhiquc , qui 1mb adlJl~~Uallt le double de;.!;ré
d'('I<'ctioll, n'óraient pas prl'cis¡"¡jwnt l!'acconl sur I(~ melle d'cxó-
rution. Les nns nmlail'lll {jn(' la pn"selllatiüll SI' fil par les grtlmls
fo\l{'ges aux ('oJh''gt's d'arrondissenu-nts , e(' qui l'lait plus aris-
tocratique ; /('S autrcs , des co\l("ges d'arromlisscmeuts ;1 ceux de
de'part('mmls; OJl s'arr(~la ;1 C(· dornior mode , paree qu'il était
moius en OPIHlsitioll avor la Chart«. M. Siméon rédigca CO\1-
rurrcunucnt avcc M?íI. Pa-qnier el :\!mlj¡jei' un projet nouveau
en qnelquos ariiclcs. O' pro.i~'1. cml::¡lLua¡¡ don ordres de col-
]('ge, l'un <le d{TarlcllH'iH, l'autrr: d'arroudisscment ; le col!ége
{'Iectoral de rhaque départcmout f(' composai; des (')cc!eurs les
plus imposés d (~,gaJ au Cill(!uii'"j(' d(' j;¡ (o/;;;¡t( des {']eclpurs,
d /{,S (o/l(\,':('s (~J('('Ioi';rIl\ d';:iTCW!/S:-('IW¡;; (líúm! fOi'!\H'S de
tous les {'len('!!rs a~, ílnl in:r (:Olllicil(~ po¡i¡iq¡¡c da.ns l'arrcndis-
seuieut ('[ qui 11(' íaisaicnt point partí(' du collége de d(~pJrt{'­
mcut. 1,('S coJ!(oges ékctoraux d'arroudisscmcnt nonuuaient ;1 la
majcritó ahsolue autant de caudidats que J(. départcrncut avait
1 1 ' ¡. ' ",. • J '1 ' 1 ' 'l 1 "(¡. (¡('pu('~; a cure , ('1 e ('Oj,q:c ce ucpar crncnt rll();::~ssait
p.irmi ('I'S candidats l('~; d:'PUI{'S ü ('mo~ el' ;\ L ChamhrC'. Ce
P'ojí'l, un p.-u Iait ;\ la !LHc, n(' CO::ll)!'('u:¡it que qIH'¡que:~
I~ '11' ,~1;("11' ( ...·',"]r'I,,,,l"L' (,,' LI:~~L"':' :"("l""'{ {"I .~. : \ 1 '1'"''''' !(,JS ,,)S.lj id.' ;-} •• 1,.. \., 1," i.:·","t.; ,;, ,)d) "d Ü(II L,i"HC (,(,S 01'-


d() ¡uian ('(·s.
l' ~, ' • . '" , •
,,(' cok !~;;;U('I'(' ~()I; (",:; ¡¡¡J(' 111\';":< '01] JilCOllC('r:¡nlc pour des


1¡1)"1I"('" l)'l\'!l"')'~lr"l:'·/~\'· :, ""1 '~"~ t i i i,» 1'1 {' )~1'" ',1 ·')'1 , ... ) t " .; .• ,. l." (l'. "', l< J".I, JI ,·",lIol:. -:'i\ ,1 'U(l< \tL.i.li.cn n JYJlt
1) '\ ,1 \ (:1'(\]'\ ('11 '-""'JI (!" /'-") ·1";··I"I¡·' r, : ~ l,,,··l ,,1"'.... ,..,~,.l . I ,. c.l -, ¡I .'".> :J,l.",. '- , e'. .,u:htlLl.C'I un llOU-
"


(':' ll l)l'();el :. 1',,1,.; ,.I"ill 1(" ('~';"lli1"¡""" l'oI,,;,,!,t ""¡:"'I'"S' 1 '1 COnl~.t .J (.1, .\.•.,l~.~ ,l\f .• .1 .' A .... ~ •. / '-.1 L(liC 4\; ~'u,' \_1. • ... ll -'-_
m¡SS¡Oll spéci;ú, ;;pn's de hngs d6;);d~;, se (livisa ainsi ; ci:1({
rOllll'(' qnaln', <'1 '1. Lain¡" flll ckll'f~¡~ dn rarpor!. C'(itait mIl'




30 IlfSTOigE DE 1..\ HESTAFHATIO!\".
posilio» dimeil,' P!lI1l' ¡p 11011\'('au rapporteur , :\1. Lain{', un d¡.s
principaux autcurs de la loi du ;) Iévricr : conuncut soutieu-
drait-il Ie douhlc d('gr(~ apl'l\s avoir d(>fl'lldll el proclanu' la seule
Iégitimité de l'élection directe ? Daus une situation aussi mal-
heurcuse , ~I. Lainé s'el} lira avcc esprit et dévouemcnt : son
rapport fut un travail de haute éloquencc parlcmcntaire , mais
il cüt mieux fait de ne pas s'en charger. La thi'sc politiquc qu'il
soutint était dilficilc ct vicicuse ; selon lui , Ir nouvcau projet
IlW modiíiait pas esscntiollemcnt la loi du ;) Ióvricr. Cctto loi ,
rlisait-il , avait ótabli un modo d'apri-s lcquel les élcctenrs con-
courent a la nomination. Le nouveau projet propose un autro
movcn : ce mode laisse a tous les Franrais agés de trente aus


. .


el qui paient 300 francs la faculté de concourir a la nomination
des députés. Des lors , les deux articles de la Charle no sont
pas violés. J...es ólecteurs , ~l la ,('ril{', au licu de coucourir ('11-
scmhle dans un senl c()II{'g(~ (ll' départcment , cnncourcnt dans
des colléges séparés et divcrs ; mais COHlJllP la Charle, ('Il con-
fiaut aux Iois l'organisatiou c1('s coll{-ges, n'a pas prcscrit qn'il
n'y anrait qu'un scul coll('ge ou qu'nnc scul« esp(\ce (i(' colJrw'
par département , en varier la combinaison e'est ('X('lT('l' le droi t
qu'ellc a d('lé.gué.


Deux nuanccs distinguaiont I'opposirion qu'allait rencoutrcr la
loi d'élcction dans la Chamhre : la prcmierc, COl1lpO~;{'(, du ctM'
gaucho extreme, ne voulait ('11 anruuc maniere Iaire de conccs-
sion sur les príncipes el les combinaisons de la loi du [) fhrier;
la gaucho avait pour cela des motifs puissauts : ecuo loi devait
lui assurcr la majorité, La secunde se composait des dortrinaires
el da ccntrcgauche, cxprimée par M\L dI' Cnurvoisir-r, Hoyel'-
Collard, Camille-Jordan, 'I'ernanx , de Sliiu-.\ nlairc: ('l'llx-ci, tout
en défcudant la 101 du [) fl" riel', u'cntouraicnt (1I1l' Jt> Jlí-¡nci]1e
de l'élcction directe : ils cusseut ~l j¡¡ íin consentí ~l qu('I<ji1e:.; mo-
diíications sur ce qu'ils appt-laicnt les articlcs réglcmcntaircs <In
projet : par exemplc , le Iractionnciucnt des collégcs par arron-
disscment, En votant de ccue maniere, ils rappelaien; le pouvoir
dans leurs mnins ; et, si le ministcrc vonait Ü cnx , ils aurairnt




C,HAPTTRE XYI. 31
cousenti ¡¡ 1(1 soutcnir, Ce fut dans ces comhínaisons que la dis-
cussion s'cngagea , hrillante , forte , élevée ; elle cut surtout un
caractáe de hardiesse, d'aveu, de passions politiqnes, qui n'avaít
pas encore éclaté ala trihuue. Ce qu'on appelait la révolution et
la contre-révolution se trouverent en présence; le général Foy
dénonca le nouveau projet : « Et ce serait ce moment que 1'on
choisirait pour ressusciter le privilége ! Et 1'on attribuerait le
monopole du principal des pouvoirs institués par la Charte, a
ceux qui se sont eonstamment signalés par leur haine pour la
Charte et les institntions nouvelles ! Et on les rendrait plus ab-
solus, plus despotesqu'ils ne l'étaient au temps oú la considera-
tion du clergé , les prétentious des parlements et les franchises
des villes halancaicnt leur puissance! - e'est paree que les fae-
tinns, répondit lU. de la Bourdonnayc , s'agitent pour défendre
une Ioi d'élection qui peut amenel' un régicide aux portes de
cctte Chamhre ; c'cst snrtout paree que les factions s'agitent
pour déíendrc uneloi qui donne la plus grande influcnce aux
derniers degrés de l'échclle élcctoralc , a la portion des colléges
la moins intéressée ~I l'ordre el á la stabilité du Gouvernement,
paree qu'ellc est la moins attachée au sol, qu'il cst nécessaire de
la modiíier. )) - "Nons avons ~I craindre, dit M. Siméon, tandis
que l'aristocratic est si Iaihle chez nous , que la démocratie ne
prrnne un ascendant que rien cnsuite ne peut arréter ; ce ne
son! pas les intentions de nos rollegues de la gaucho que nous
redontons , mais ce sont lcurs prédécesseurs qui nous cífraicnt.
C¡' ne son! pas les anciens aristocrates qui sont les plus nom-
hrenx, ce ne sont pas ceux-la qui sont ~I craindre ; pourquoi dé-
clame-t-on rontre «ux . pourquoi rcdoute-t-on leur inlluence?
Est-cc paree qu« la nohlessc n'cst pas persécutée comme aux
icmps des révolutions ? Est-r« paree qu' elle peut participer aux
emplois civils ct militaires , qu'on prétend que nous voulons la
Iavoriscr ! )


« La Chartc , s'écria lU.. Hoycr-Collard , a consacré la révolu-
t ion, en lui imposant des rransactious; e'est elle qui nous a donné
IOll(es sortes de liherté ; la liberté de conscience , elle-mémc ,




!10US la dcvons il la C!lal'!(', ainsi que l'(;galil{~, qui nous esi ga-
rantic par le gOll\Ci'!leUH'n t l'('pr{'sl'Hta1i r. La ChaIIIhrc des Dé-
putós est la sanction de la Charle: reno y{'!'i¡{· u'a pas hcsoin ele
preuves. Otez la Chamhrc élcctivc , la souvcraiucté ('st daus le
pouvoir et dans la Chamhrc des Pairs : 1l011S rétrogradons : la
nation es! possédée comme un domainc , d¡(~ n'n plus de part ü
ses aííaires, elle n'a plus d'aílaircs. » C'était aller bienloin; mais
tcl était le caracrercduhaut talout de M. ltovcr-Collard, qu'avcc
des idées absolues il arrivait ü dos couclnsions exagérócs. M. dí'
Villeln répondait que, « loin d'étrc el! oppositinn avcc l'esprit dn
gouvernement reprósontatií, la faculté laiss{'(' ü la Joi de rema-
nier l'organisation des coll{~ges {'¡('ctoran\:, selon le hesoin des
temps el la force des ohstaclcs qu'on rcncoutrerait pour l'óta-
blisscmcnt du systemo rcpréscntatif, (~lait indispensable pour sa
consolidation. L'(~galit(> dcvant la loi, continuait l'oratcnr. ínter-
dit-elle au législateur tout étahlisscmcut hiérarchique el ordouu«
suivant les hesoins de la société, daus les lois qu'il fera! Dans k
systcmc de la loi tiu ;") févricr, OH a livré la majorité, dans les (01-
lég('s électornu», auv citovcns qui ollrent le moins les garantirs
voulucs par la loi ; aux habi:¿uls dt's villrs, a l'cxclusion d('s ha-
hitants des ('aillpa~n('s ; aux f ortunes mobiiii'l'('s ctindusrriellos,
au préjudice des fortunas im mohiliercs el territoriales: Iaut-il
s'étonncr si 110US apercevons tous les présagcs, si nous entcndons
toutcs les menares qui préd'dcllt les révolutions !-Si le Gomer-
ncment, répoudait JI. de Ll Fay('ttl', avait persiste dans l'idée de
revisor la Charle, il cút (Tom (~ Hoins d' ehstacles de la Inri (j(,:.;
amis de la liberte, cal' je ¡:(~ pens(~ lES que la n.tion n'ait ]1;:s 1('
droit de retoucher :1 sen pal'! (. social, d(' e ll!('e!'1 a\ ce son gnll-
\ 'CI'11('111C" l t Ce n'cst n(II'llln'·"C"(\I,(·I'li'j"'I>t{' '''·S''I'(' :¡ ('(,j:':_('; 'In1 '. A .l..... l-. 1.J ... !' o.,:t -\/ - _ t 1(" ~ • {\ l U. ."•• t l·.,...._ t (1 k.
brcvct de comte ou de : a¡'on,:\ (\'}¡¡i-J:I un dipl:'llll' d'('¡lis;'\l[);lt,
c'est paree qu'elle pruclam:~ l't~~;a!¡l{', 1, !ih:':'[,' d(' C'll:S'j('!1c:', la
1'1 "1" 1 l' , " 1 1" 1 I ¡ "Ji icrte lIH .vmuci.e , (:ll ,';;{' ('';: e:'" (',1'" i(.; (' (.11 palnotlSnl('
1" " 111". ;>¡'S el (ltI" "()'I'" '~Y()·H' ')i"~:(" ""'";'1('''' :l l·¡ ("l·}"·[;'l}:['("l ~. ('l'i e ", ~ "-- , \,.1 Ji t . ., ~~" . l >., i"'" .";' .. i ,~.., , \,,) II , '.\ ~
'l"lj"tt'l'an: Cl' "('11' ("1 ·(l"!:'· ¡, '¡')))"I::'Z-"¡ 1l" I(·s Jlll"ír;" ('l 1'1j .( ,i: . II l.o ) 1 ~J J ,) ~ \t _~.'.. .! -'(-1 l' , . t' .. ,,~, ... ' ~l
1 ' . 1"., • l' . \ ¡. '1 1\:In!\' qn on SI' Pltw;;ul ,\ n'¡)i\íHírl' "!Ir I ('\('IH al', lIallona. :J1l'1llt'




eJl\ f' IT nE\:\ r.


se rattachcnt les plus gloricux souvcnirs; S\1r ce! éicndard qui
fut, jc no rrains pas d(~ 1c r(T(>Ler, le drapean de la liberté ! - Jc
ne prétcnds poiut me prOIl011(Cr, s'écria aH'C véhémcnce M. de
Serres (en entcndant cct appcl an drapean .tricolore), sur les évé-
ncmcnts raplwl('s par ~1. 1(~ ruarquis de La Favcrtc , c'est l'his-
toire qui jugr-ra ('('[le prcmier« ('¡)()(l1H', el le préopinant lui-
rnémc. Ton tefoisje ne pllis dissimuler ce quP la \ érité et l' étran-
ge discours de lU. de La~;ay('tl('m'obli¡:;Cllt :\ 111i dirc : c'est qu'il
a en le malhcur de Sp I rom el' a la ttle d'houuucs qui attaquaient
une mouarcl: ie, ct qll i HC 1al'{1(';'('11 t pas ü la rcnverser. L'hono-
rable momhre a dú sentir plus d'une fois, la mor! dans l'ñme et
la rougeur sur h' Irout , que lorsqu'une [Gis on a sonlevó les
masscs populaires, OJl n't-st plus mallrp de les arr0!cr, quand on
le vnudrait ! J'¡(lis laissons I:IIlOS premicrs <I{'bals et les desastres
qui en Iurent i;¡ sllilí'. Orcupous-nous des int{T0ts du présent,
qui sont ccux de l'avcnir, tí' prl'opinant vous déclar« qu'il est
vonu pretcr , duus edU' «uceinto , svnucnt ¡l la constitution : iI
aurai: dú dire : au Boi el Ü lu Chlri(~; il vous (l('clare que 'os
artes ,ioicnt ('('ll(~ c\i\ls~i!!!!¡on, ('\ (;1W par 1:1 il pout t'.;' regardcl'
comme d(,ji¡~ d(' :":Il St"'l)lí'!¡[. \+il ~)¡('ll pes(' les conséqucnces
1 ,) 1" i" 1 r' l' 1 1( r eN avou : ',! SI q¡h'I((iH'S mlprUn('.]!:~" sur la ,01 u un tel an-
gage, allaicnt cncore se livrer ¿l ('el í'SPl'it de révoltc dont vous


l' 1 l' ]' ¡ . ,. l' 1WIWZ (¡ cntenctre apo OP)(' , dont vous l('¡¡CZ tW '011' un ( ('p 0-
rahle exciuplc , sur qucllo !l~le dcvrait rctomber le sang que la
réhcllion Icrait répandr« '? )) ePllp ólcqncntc sortie causa 111le
vive émotio» rlans la Chamlnv.


1LJi:-, ¡oule celte rliscussion n'arrivai: ¡\ anrune fin. C'(tait une
grand¡' lir« n[[ J'OH rnmhattait par dos principes g(.néranx, oú
l' on ('san!i¡la¡I les q¡¡('~; tions abstrai lps d'arisioc ra t ic et de démo-
rratie , (11 snrtout par qul'\ !l10Y('1l on {('r¿¡il Ics révolutions. 1,('s
(lorlrillain"s "o\daielll f;ú:' :',cri~r d(' ('pit(~ sifualion (In pOl1\'oir,
plar(~ ('111)'(' ('11\ pI !('S Hoya¡¡s~(\~;, un Il';mnph(' eompirt pOl1l' leur
syslhnr. lA'm plan ('lait d(~ S'í'lllp<ti'Cl' alorsdu prjncipc dcctoral,
de fairc de 1l0IlH,!j('S olH('rlun's :1 M. Dc'caz('s qn'on aurait rap-:
,wlt\ ('1 (1(' rOlHpos('l' Ull minisli'rp (k 1I'l1rs !Iomnws ronl['{~ /'ad-


> .~
-"l·'




34 mSTOTR.E DE LA RESTAURATTON.
miuistration Ilirholieu. Ce fut dans cetie pensée CIl1r Int n;digl~
l'amcndcmcnt de JI. Camillc-Jordan. L'extréme gauche , qui ne
connaissait pas tonte la porl('p <1(' cette démarche , s'ongagea ¿l
soutcnir I'arnendcmcnt. leí 10011le monde se trompait OH voulait
trompero Aurait-il úé pnssihle aux doctrinnires eux-rnémes de
vivre avcc le systl'~mr électoral tr-l CJll 'ils le modiliaicnt , ¡'a COJl-
servant l'ólection dircctc ? TI)I ou tard la majorité ne scrait-ellc
pas alléo a gauchc , et une arlministration centre gaucho aurait-
dl<~ pu maltriscr la puissance d'opinion <11' son extrémité ~ El la
ganche avait-ellc heaucoup ¿l gagner avec une administratinn
doctrinaire plus ahsoluc dans ses théories qn(' le minist-re si
modéré de '\1. <Ir, Hichelieu ? Quoi qu'il en soit, I'ameudement,
arn":ll; dans une conférence préparatoire , dut (~II'{' soutenn par
les doctrinnires ct la gaurhe r(·unjs.JI était ainsi rédigé: (( Cha-
<111(' départcmcnt sera divisé en antant d'arrondissemcnts élec-
toraux qne le départemcnt a de députés ü la Chamhre ; chacun
de ces arrnndisscmcnts aura un coll{>ge électoral qui sera COl11-
POs(~ de contribuablcs avant IC:Il' domicile politique dans l'arron-
disscment , agés de trente ans el: payant :WO fr. <le contrihu-
tious directos. Choque collége (,11'(, toral nomtnera dircctcmcnt
son député. » l\I. Camille-Jordan d('yploppa cet amcnrlcment
comme un principc de conciliation, <'1 disait : « Le désir de rap-
prochcr les esprits , de concilior autant q\le possihle les intérets
du treme et CI'UX de la nation, tels sont les principaux motifs qui
m'animent. » En oppositiou Ü ce systt'me, M. Dclaunav demanda
que le corps élcctoral Iút divisé en deux colléges <11' ville et de
campagne; e'ótait ~\ peu pres l'ancicnuc pensée de ~J. de Serres
¿l la Chambre de 1817. TI s'agissaitde sayoir laqnellc de CI'S pro-
positions aurait la primitó ; la question {·tait décisive , cal' elle
devait signaler la majorité. La priorité Iut dounéc Ü I'amende-
ment de M. Camille-Jordan par 12K boules contre 127. Le mi-
nistere se trouvait ainsi vaincu. Si le ministóre n'cntrainait ü luí
aucun nouveau sulfragc, e'en Naif Iait de son pouvoir,


La Chambre était au complet. En convoquant toutes ses forres,
le Cahinet avait néanmoins succombé , ct pourtant cinq minis-




CIIAPITRE X\J. 35
tres, mcmbrcs de la Chambrc , avaient voté conune députés ;
supposcz I'amcndemcnt admis , nuu-seulcment le projct ininis-
tériel , mais le Cabiuct lui-méuie , étaieut culbutés ; la cornbi-
naisou doctriuaire vcnait , victorieuse , s'imposer aux aílaires,
Le Couseil des ministres se réunit Iort inquieto On <{neta de
fairc de I'amcndcmcnt une question fondamcntale , et d'ouvrir
eusui te des uégociations individuclles aH~C plusieurs membrcs
de la Chambre , aíin rl'ohtcnir d'cux le rejet de cet arnendc-
meut. On chcrcha a COll\ aincre quclques députés que le Tróne
était en péril , qu'il s'agissait de la Iégitiuiité et de la révolutiou .
en présence ; d'ailleurs voulaient-ils rcnverser le ministre? jeter
le pouvoir aux Iloyalistes ou dans une espece de confusion? La
corruption fut a toutes les époques une déplorahlc plaie du ré-
gime rcprésentatif'; elle deshonore ce mode de gum erucmcnt
emprunté ~l l'Anglcterrc. Je n'ai aucunc preuve qu'on l'em-
playa pour acquérir des suílragcs..lai entendu dire : Le rejet
de l'amcndcment de l\l. Camillc-J ordan [tu une al/lárc d'aJ'-
gcnt. Il Iaut se mélicr, de ccttc tendancc des esprits asupposcr
partout la corruption ; OH He vcut voir aucunc conversion
sincere, désintórcsséo ; on ne vcut pas admettrc un systcm«
d'aliiance par les positions pulitiques. Pouvait-on soupconucr
lU. Beugnot, par cxeruplc, avec sa fortune ct sa grande existence,
de s'étre ~éparé des doctrinaires pour de l'argeut '?


-Ln incident grave vint compliquer cette situation , et pour-
tant auicna les esprits a un rapprochemcut toujours plus aisé
en présencc des daugers puhlics, J' ai maintcnant ~l dirc les
troublcs du mois de juin 1820 , troublcs qui , dans l'intcntiou
de Icur iustigatcur , auraicnt devaneé de quelqucs années cene
guerrc des barricadcs de Paris , <1'011 est sortic une révolution.
Avec l'hahitudc des mouvcments poliiiqucs , il était Iacile de
voir , par le caracterc qu'avait pris la discussion , que le coté
gaucho de la Chambre visait ~I un autre appui qu'a celui de la
trihune et <tu scrutin ; le discours de JI. La Fayettc était une
sorte d'appel aux masscs qu'il voulait róveiller al'aspcct du dra-
pean tricolorc el des souveuirs de la Ilévolutiou ; l\lL\I. Manuel




1¡!~)iUll:¡, !!l, L\ 1l,':Si\ll; ,': !t.\.


el BeI1J',Ullill-( :oilslant avaicn: a:¡¡'(",~;(', un ajliw! ('lli1:!l\I!l\(" ;¡ la
• • i.


jeuncssc des ¡;:Cnll'S. (j¡) aii;)(';,¡: 1';] r;1~clq¡¡{' ~:01'[(1 1(' peuple ::
1" ' 1(1(, (1[{. 1'1 1,(,,)),("'-'l'I,1 'l'll'n'l J"ll :":l"!n .'\"IIS ('''S l';¡'l")'l"" ')'1('('"ü .. l _ -' L -1- ...J. jlt \JJ .i~ .. ~._" ~t~\ •. }.I' "',. .,1 __ t ... "l( t /< ,') ,
:\1. de Chauvelin , maladc , se L¡ pOl'ler dans une sorte de Jili('.j'(·
triomphale :1 la CÍlalllbre des P,'!Hlt(·S pOli!' votcr sur l'amcndc-
ment de ~I. Camillc-Jorrian , soru: d'ovation parfaitcment rir.i-
culeo La foule cntourait le I'alais-Bourbon ; il la sortie de ~L de
Chauvelin , elle lit cntcndre les cris de »irc la Churtc : cu:c le
Dcpnté ) rice Chuurclin ! La prcmiere journóe se passa sans
désordres : mais lc Icudomain des Hoyalistes ardcnts , des gardes
du corps surtout , viurent sur la place Bourbon , el meuacerent
res dóiuonsn-atious bruyautcs. Auxcris de "/1'(' la Chartc ! ils
oppost>reut ceux de rioc le lioi ! n y cut vóritabl« confli: ,
conílit tout al'uvantagc de ces jcunes honunes de la garete, plcins
de valeur et de force. La polir« iutervint mollcment , plusieurs
députés Iurcnt iusultés , mcnacés : ce Iut l'reuvrc tout cnticre
de l'opinion royaliste a laquellc le miuistere opposa une tri's-
faiblc barriere. I'cut-étrc était-il bien aise de laisser dépl()~ el' les
forces c1u parii de la dynastic , el d(' mnutror la possihilit« d'une
résistauce centre ces cris p}¡¡s Olí rnoins séditieux flue poussait
une Iactiou. On se horna :1 consigner les gardes du C01'ps. te
lcndemain l'opposition ele gauc!,c íit de cet incideut une p'alH!c
affaire; les doctrinaires prircnt l'iuitiativc, el :11. Camillc-Jordau
demando que toutc dólibération fúL suspondue jusqu'a n~ (lile
les ministres cusscnt dOBlll' des (",pliraliolls trauqnillisantcs sur
la lihertó des délibérat ¡OBS el l'aS:-:UI'aI\ce de la puuit ion des
coupablcs. ce (¿uelles mesurcs , dit l'houorablc dC'putl', l'auto-
torité a-t-olle emplovée pum clllpt'cher que l'opiuinn ¡mbIif[!le
nc fút (\gart'e sur le véritable hui (1(' ce ra~:;ell~bl('ljH'nt? »
Il a été utile , pum l'imp<irtialit{~ de lhistoirc , que dejmis
il soit arrivó une grande l'h olution {)!'! ch.ícun <lit pE appr(~cil'r
les droits el les devoirs du Gm:u';'n(%(';i! dans !(IS émoutcs, Il
s'auissait (le nlusieurs ¡n¡:jl' ;'ll!j' 'lln' "<''''1';:; ""[11' ([(.,. )'1';'1('" (1 1:-~ lIt; l."'ll . "- J'" ... 1 ~ l. .,., I~.,_. , •..., j¡ lJ !~. ,1 d t"}~!-'-' _
vcrs , parcourant les rues al (le d¡'~; (,.:,.; l'l de:,) Si~,J1CS el\> rallic-
mcnl, mella~ant la surcl(' du 'l'¡Ú/l\' el h p:li\ publi<lll\.'; le Gou-




CIIAPITHE X \1. 37


.' .


verncmcnt aurait manqué ~l ses devoirs en négligcant les mesures
cíficaces centre (le tels désordres. Je rcgrettc surtout de trouver
parmi les députés qui alors s'élcvcrcnt le plus vivement contre
un pouvoir protcctcur de la süreté publique des hommes les
plus tenaces aujourd'hui daus les mesures de répression. Les
désordres avaicnt ét{~ grands, et, dans une premiare journée, un
malheurcux étudiant qui se portait avec la foule aux Tuileries ,
fut attcint d'un COU)) de Icu et snccomba, te sang fait toujours
horreur , et je déplore ces épouvantablcs nccessités. Le convoi
de Lallemand , les plaiutcs de son pere , tout cela jeta dans la
populatiou (1(' Paris j C ne sais quel seutimcnt de doulcur et qucl
cn~pe de deuil. Pour la promier« fois la répressiou de I'émcute
avait ('~té sanglautc. "\ la trihunc , la fureur éclata : lU. Manuel,
malade, .souffrant , dénonra le ministcre comme l'auteur de tous
ces tumultes ; M. Bcnjamin-Constant prodigua l'encens a cette
belle jcunesse qui troublait si étrangcmcnt la paix du pays et
venait ajouter aux votes et a l'inílucncc régulierc du scrutin la
puissance de l'insurrection; il lui donna le titrc ridicule de l'e-
ucrablc ; tous les Députés déposcrent ct leurs insultes et leurs
griefs, Personuc ne se montra plus susceptible que lU. Kératry ;
il défendit les étudiants , les mouvcmcnts populaircs ; il se mon-
ira lH'esclue tribuno Que les temps changent les hommes!


1'1. de Scrres répondit ~l tous : (( 11 cut convenu ~l la dignité de
la Chambre que la chaleur des discussions se rcnfermñt dans son
sein; et au contraire , des avant la session , on a tout fait POUl'
animer les passions. Jc n'hésite pas ü trouver l'origine des trou-
hles daus la conduite mému qu'ont tenue certains oratcurs de la
Chambre ; les mesures sont priscs , continuait le ministre, tOU8
les factieux, quels fin' ils soient , scront vaincus ; nous preuons
la tranquillité publique sous notre responsabilité, JJ Cependant
I'émeutc grandissait ; les parnlcs de la trihune retentissaient , et
l'on cút dit que ces parolcs n'étaicut si Iréquentcs et si passion-
nées que pour trouver un ('('ho ; je ne crois pas ({ue (li'~s le prin-
cipe de l'émoutc le par[j lihóral sO:lgell ~l une révolution, ou qu'il
vonlut ornauiser I(~ !1rt'mi('r iour un muuvcmcnt décisif contrc


L ~ - ,;


1: '"
.elO",




38 HISTülRE DE LA HESTA UlATIOl\.
la royauté et ajouter cet argumcnt a tous ceux qu'il avait fait
valoir a la tribuue ; mais lorsque l'agitation fut arrivée ason in-
tensité, lorsquc les masses se Iurent émues , ríen n'est plus ce1'-
tain qu'elles recurent une impulsion commune; il y eut de l'ar-
gent distrihué , des chefs connus; le Gonvernement en fut
instruit; 11 obtint méme de ses agents la liste des personnes qui
avaient agi en sous-main : quelques-unes furent arrétées ; l'exis-
tence d'un comité général fut également révélée a la police de
1\1. 1\lounier, et ce qui causa le plus d'étonnement aun homme
de haute conscience politique commc lU. de Richelieu, ce fut
d'apprendre qu'un conseiller a la Cour royale , qu'un magistrat
siégeant sur les fleurs de Iys, et lié par un serment spécial a la
Couronne, travaillát sourdement ala renverser; tant l'esprit de
faction entraine a l'oubli des devoirs !


En présence de cesdifficultés, le ministere organisa les moyens
de défense : toutes les forces de la garnison de Paris furent mises
sous les ordres du maréchal )lacdonald; I..ouis XVIII lui dit :
« 1\1. le maréchal , je compte sur vous pour arnener la répres-
sion des troubles avec le rnoins de mal possihle ; épargnez les
exceso » Les régimcnts de la garde s'approcherent de Paris ; ils
durent y maintenir la paix du Iloi ; des ordonnances de police
défendirent tout attroupement; les Écoles furcnt momentanément
fermées; la cavalerie de la garde , les cuirassiers et les dragons
ne durent charger qu'apres les sommations et a la deruiere ex-
trémité. Les groupes s'étaient de nouveau formés le soir , et ils
arrivaient comme a point nonunó et conduits par une main i11-
visible et une impulsion commune. Aux cris de vive la Citarte!
s'unissaient d'autres clamcurs moius légales et moins rassurantes
pour le Gouvornement des Bourbons; dans la journée du 21
juin , le comité insurrcctionucl crut un moment a la victoirc ' ;
les troupes chargerent , elles le fircut avec une modération et
une sagesse reconnues depuis méme par les honuues de l'extré-
mité de gaucho, Jc crois que le Gouverucmcut doit le moius


I Cecomité devínt plus tard la haute vente du Carbonarlsme,




CHAPITRE \Y{. 39
possihle recourir ¡, ces grands coups de force, a ce déploiement
de troupes; mais il ne pcut plus appartenir apersonne de dé-
clamercontre ces mesures que prit alors la Restauration aun de-
gré si raisonnable , si restreint , et cette répression pourtant fut
dénoncée ala tribune : la garde fut traitée de troupes d'assasins,
cequi excita un beau mouvement d'indignation du général d'Am-
hrugeac , qui commandait une de ses brigades; M. Manuel s'ex-
cusa; il était en face d'officiers distingues et pleins d'honneur
qui l'enssent fait repentir de ses apostrophes, Il yeut également
des dédamations de MM. Laffitte et Périer sur les horreurs dont
la capitalo était témoin; pas un mot de désapprobation sur les
faiseurs d'émeute , pas une plainte contre ces groupes d'agita-
reurs. On eút dit que la trihune , éclatante, publique, était un
moveu d'excitation plutót qu'un appui de modération et de gou-
verncmcnt, Une chose remarquable et que la poliee siguala a
l'autorité , c'est que l'argent circulait en abondance; on cher-
chait a enrégimenter les ouvriers; les auteurs des troubles se di-
rigeaient sur les faubourgs Saint-Antoine et Saint-ñlarceau ; ils
n'y trouverent que du silence et une résignation al'ordre établi.
On sut de quelles mains sortait l'argcnt, par qui des sommes
considérables étaíent distrihuées ; mais il fallait arrivcr aun pro-
ces criminel , ¿, une poursuite solcnnelle : on ne l'osa paso Le
partí cherchait a corrompre des régiments. Il songeait a une ré-
volution ; mais tont alors lui manqua , le peuple et I'armée. La
faute de l.\l. le duc de Richelieu alors, ce fut de ne pas pour-
suivre ; et qu'importe qu'il fallüt frapper quelque aristocratie de
Banque, M. de La Fayette ou Manuel! la loi est égale pour tous : les
gouvernements ne sont jamais menacés par les petits. Le der-
nier jour des troubles de juin, Louvel monta sur Péchafaud. Son
preces avait montré un sectaire isolé , nourri de ces doctrines
anarchiquesqu'on cherchait partout apropager. S'il fallait définir
ce caractere de Louvel , je le considérerais comme l'expression
(les haines du partí jacohin et des impérialistes de has étage de
1814 et 1815 contre la race des Bourhons ; ce sentiment impla-
cable fermenta dans cette tete fanatisée; il se produisit :i\ la fin




l~O msrotnn DE LA RESTAU!1.ATlON. '
par un assassinat. Son preces l\ la Cour des Pairs fut brcf et sans
incídent. te crirne était avoué connne une glo11'e. te supplice
de Louvel excita peu d'éuiotions.


Au milieu de ces graves circonstauces , la loi d'élection n'avan-
cait pas; les séances étaient troublées , coupées par une multi-
tude d'incidents, de motions, réclamations sur les preces-ver-
baux ; on faisait des phrases retentissautes , et voila tout. On eút
dit qu'un coté de la Chambre attendait le dénouemcnt de la ques-
tion politique plutót de la place publique que de la tribuno: le
ministére , tout préoccupé lni-méme des troubles de la cité,
abandonnait comme question de secondc ligne ce qu'il considé-
rait quelques jours avant COl11me une loi vilale. Tel est en gé-
néralle caractére des assernblées , qu' elles devicnncnt plus don-
ces, plus malléables amesure qu'un danger puhlic s'accroít. TeI
hornme vote avec I'opposition dans les temps paisibles , qui se
rapproche et s'unit au pouvoir dans les crises de la patrie. Il se
forma done dans la Chambre un partí de conciliation et de fu-
sion : :UlU. de Courvoisier, Roin,Beugnotvinrent proposer ~\:\1. de
Serres un amendement qui , en conservant l' élection directe ,
Iortifiait le Pouvoir ct donnait une plus largopart al'aristocrntic.
Cet amendement constituait deux esperes de colléges , de dépar-
tement et d'arrondissement ; les colléges de départemeut , com-
posés des plus imposés, nommaient un certain nombre de dé-
putés; les coIléges d'arroudisscmcut conservaient l' élection di-
recte et le nombre actuel des membres ele la Chambre. A vrai
dire , ce projet, bien autrement en opposition avec la Charte ,
donnait une puissance bien plus influente a l'aristocratie , mais
l'idée doctrinaire de l'élcction directo était sauvée. Les opinions
se préoccupeat souvent ainside telle maniere qu'ellcs se compro-
mettent par une persévérance superhc et fiere dans leurs propres
conceptions, On avait attaqué le doubl« degré, On persista,
quoique le projet nouveau HIt aristocrate. L'amendemcnt de
l\l. de Courvoisier, reproduit par :\!. Boin, donnait gain de cause
aux doctriuaires, et c'est ce qu'ils voulaicnr. Aprc's avoir urgocir
avcc le ministere , ils entaurcrcnt des pourparlers avcc la gauche




CIIAPJTRE X\ l. Id
modéréc ; ilsen détachi'I'ent un bon nombre de voix; restait done
lt ramener la dl'Oiu' aI'aincndcmcnr de concilistion. Des conté-
renccs ministéricllcs s'engagerent avec ~nI. de Yillelc , Corhierc
et quelques nutres chcfs de majorité ; -elles se prolongérentlong-
temps; M. de VillNe n'cut pas de peine a saisir toute la portée
favorable de l'amcudcment Boiu ; mais il Iallut plusieurs heures
11 }I. Pasquier pour y convertir M. Corhiere , tres-engoué du
systeme de double degré. La droite eníin consentit a appuyer
l'amendement ; il ne resta plus en dehors que quelques unités
d'extréme droite el la gauche : I'amcndemcnt passa done a une
inuucnsc majoriLé; il Nait toute la 101 , el les ciscussione de dé-
tail íurent sans intérút, Ainsi était encoré une fois modiflé le S)'S-
tI'me élcctoral! I'amcndemcnt de lU. Boin corrigeait ímparfaite-
mcnt les vires de la loi du :) Iévrier ; le changcment qu'il opérait
donuait par le fait la ruajoritó aux Iloyalistes , et c'cst ce que les
doctrinaires n'avaicnt pas compris ; le double <legré leur laissait
plus de chances. Tout le monde perdait dans cette mesure, ex-
ceptó la droitc, et]U. de Villi'le en vit la portee !


La discussion électoralc avait tcllement absorbe l'attention de
la Chamhre, les orages qu' elle avait soulevés au dehors étaient si
hruyants , que la Iin de la session n'oJTrit plus aucun de ces dé-
bats animés qui s'étaienr prolongés en d'autres circonstancesjus-
qu'au budget. Les asscmblécs politiques tienncnt de la nature
lnuuaine, elles s'épuisent par <le grands cfforts pour tomber
dans l'atouie. Quaud une Chambra s'est vivement préoccupéc
d'une idée , elle n'a plus ni éncrgie , ni puissance d'action et de
volouté pour tout ee qui est en dchors. Apr(~s le vote de la loi
électoralc , un graud nombre de députés , mérne du cóté gauche,
dcmandércnt <les congés, et la Chambre fut apeine en nombre
pour voter le hudger, Une Ioisla Chamhre séparée , le miuistére
dut songer plus sp('cialelllcnt ~l l'adminisrration du pays confié a
sa rcsponsabilité. Conuue si une main commune avait présidé aux
mouvements populaires , il s'en manifcsta de sérieux dans plu-
sieurs grandes villcs, ~l Nantes, ~l Brcst, a Ilcuues ; il Ycut par-
tout des SYIllPlullWS cflravauts coutre l'ordre public et la dynas-




nrSTOIRE DE J.A RESTMJRATTON.


tie; partout la méme cause produisit le mémo résultat : les
paroles enflammées de la tribune porterent leur fruit. JI est <"i-
dent que ces flatteries adressées aux Écoles , qne ces mots d'es-
pérance de la patrie, jetés ala tete de la jeunesse francaise, durent
exciter son ardeur irréfléchie. Quant au comité purement insur-
rectionnel, il se cachait dans l'ombre; on donnait de l'argent, on
mettait les sous-ordres en avant, mais on était trop prudent pour
s'avouer hautement; on n'avait pas le courage de la sédition. D'un
autre coté, la conduite des doctrinaires durant la session avait
été si équivoque, si embarrassée, qu'il était impossible al'admi-
nistration de les conservar aux aífaires, Presque tons tenaient
cncore des places au Conseil-d'État : pouvait-on les conserver
dans ces positions politiques ? D'aillcurs le ministere était obligó
de s'appuyer sur le parti royaliste pour ohtenir sa majorité , ct
rien n'était plus antípathique que les deux opinions monarchique
et doctrinaire. 1\1. de Richelieu, sur les insinuations de 1\1. Lainé [,
porta done au Conseil la question générale de savoirsi ron rom-
prait absolument avec les doctrinaires par une destitution publi-
quement appliquée. te Conseil fut unánime : ]U. de Serrcs, qui
d'ahord s'était opposé a la rupture , démontra qu'íl y avait im-
possíbilité et inconvenance pour les ministres ctles doctrinaires
de rcster dans une position aussi équivoquc: quc Mja, dans la
session derniére , on avait vu des mcmbres du Gouvcrnement
combattre ouvertement les projets du Couvernement, et que cet
exemple pouvait étre dangercux, cal' il mettait de l'incertitude
dan s la foi politiqueo Le nouvcau tablean du Conseil-d'État , en
scrvice ordinaire , ne dut plus coruprcndre les noms de
.l\D1. Iloyer-Collard , Guizot, Barantc , Camille-Jordan ; certe
destitution embrassa méme M. de .l\Iirbcl, simple maitrc des re-
quétes, Quatre préfets , dans les opinions de gaucho et de centre
gauche , furent également rcmplacés ; d'autres rccurent l'ordre
de changements. Un partí vise, avant tout , aux positions politi-


I 1\1. Lainé avait élé Ilaflicu\i~\'cmcnl b\cssé ü'un d\scours de
711. ItoycrCollard sur le budget,




ClIAPITBE xvt.


qucs, et la part quc faisaient les changeiucuts nouveaux aux ltoya-
listes, n'était pas assez grande. La scssion Iinie , il-fallnit exami-
ner, avant de s'engager complétcmcnt avec un partí, quel serait
le résultat de la nouvelle comhinaison électorale : Oll dut essayer
la loi des élections, i\l. de Richelieu cut plusieurs conférenees
avee 1\1:\1. de Yillelc et Corbiere : les avantages d'une alliance
entiercruent royaliste furent discutés ; on arréta seulement les
points suivants : d'abord, que les présidents de collége seraient
pris en majorité parmi les Hoyalistes, el que le mlnistere pousse-
rait la douhle candidature du centre droit et de la droite, Les chefs
du parti se monrrérent alors tres-raisonnables ; ils avaient leur
nrotif ; avant de devenir impérieux et exigeants, ilsdevaíent oh-
tenir et constater leur majorité,


tes périls devenaient plus imminents : le parti qui avait
compré ses forces sur la place publique et dans les émeutes de
juin, n'avait pas perdu toute esperance. Je prie d'abord qu'on
ne croie pas que je confonde tout le partí libéral dans une com-
mune aeeusation; la grande massevoulait.sincerement la liberté.
Quand je parle done d'une faction conspiratrice .j'entends id la
partie agissante , souvent hypocrite dans sa parole , mais pleine
de conrage et d'éncrgie. Cellc-Ia n'était pas aussi nombreuse
qu'on la compte aujourd'hui : quand une cause a triomphé, cha-
cun veut avoir contrihné a la victoire ; on se grandit, on se bar-
houille de noir pour faire pcur ; il Ycut moins de conspirateurs
sous la Restauration qu'on le proclame, cal' les ames n'étaient
pas acette forte trempe des complots. Le parti bonapartiste, se
fardant de liberté, futle plus actif; il organisa tout, dans la
pensée d'un re tour possihle ou d'un événement imprévu qui
pourrait favoriser ses desseins, Dans les troubles de juin , on
avait essayé la séduction de quelques troupes; elles avaient ré-
sisté : le Roi reconnut ce dévouement par des paroles fiatteuses
et des récompenses. Officiers et soldats étaient fétés au Cháteau ;
Louis XVIII avait dit au comte Defrance: « Je suis tres-con-
tent , général, dn zele et du dévouement que vous avezmontrés,
ainsi que les troupes de la división et de la garnison, dans les




'1'1 IlISTOlRL I)E LA HLSTA\,'H¡\T\O\.
dernicrs troubles , je YOUS charge de lcur en rémolgncr toute ma
satisfaction, )) Il avait ajouté aux génl~raU\ el chcfs de corps :
« J'ai grand plaisir avous voir el a vous réunir autour de moi
pour vous témoigner ma vive satisfaetion sur la conduite qu'ont
tenue mes troupes. Témoignez l110n contentcmcnt a ma garde ,
a mes légions, a ma gendarmcrie. )) Louis XVIII la scntait bien



eette position diíficile dans lallueHe on se tromait! Que d'cxcm-
ples n'avait-on pas devant les yeux ! l'Espagne! Naples l La con-
spiration , en Francc, avait pour point de mire les troupes; elle
avait vaincment agi sur la paisihle populatiou des f~llbourgs; le
soldar devait moins résister que les citoycns , cal' il s'agissait de
relever ses vieilles couleurs et l'aiglc de I'Empirc,


La police civile de ]U. Foudras suivait dcpuis Iongtemps une
surveillancede cafés el d'cstamincts qui I'avait mise sur la trace,
mais tres-vaguemcnt cncore , d'un complot contrc la súreté de
l'État , lorsque quelques dópositions faltes ~l la pollee militaire
l'éclairerent complétement sur la nature el le hut de ce COIll-
plot. Aquel dessein voulait-on arriver ? Je erais qu'on n'était
pas d'accord , iI Yavait un partí pour Napoléon Il , un autre pour
le prince d'Oraugc , un autrc POtlr la Itépubliquc ; on voulait
renverser, sauf a se décidcr ensulle.En auendant OIl se Iüt
horné , a tout prendrc , ~l une constitutiou impnsée par l'arméc
comme elle l'avait été a .Madrid, ~\ Naplcs, Ccci cntrait dans la
pensée de M. de La Faycttc , 0]\ se serait provisoirement orga-
nisé , puis maitrcs du tcrrain , on oü1 agi selon l'oeeurrence; il
fallait pour cela s'emparcr de la Famillc royale , se rcndre mai-
tres du Couvernement ct du Chatean. L'argcnt ne nianquait
point pour seconder ce desscin, C'est un Iait ;\ signalcr dans
tous ces mouvemeuts concertós centre la dynastic, que ces dis-
tributions patentes d'argont entre les conjurés. Le prcmior
moyen fut d'abord de pratiqucr les ](lgiolls el les régimeuts de la
garde royale ; deux otr trois agenls priucipaux , mis en rapport
avcc les oííicicrs ct sous-officicrs de ces r('gimellts, parvinrcnt ;1
en corromprc un granel nombre. Ues promcsscs de grades fu-
rent Iaitcs atous ; aux sous-oílicicrs un iuontrait les l'pauleltcs




CHAPITRE xvr. l~5
de capitaines ; aux officícrs , des grades supérieurs ; les progres
furent immenscsdans les légions de la 'Ieurthe et du Nord ; ils
ne s'étcndirent pas aussi puissamment dans les deuxierne ct
cinquiémerégiments de la garde ; les officiers Nantil et Lavocat ,
fort actifs et fort distiugués d'ailleurs, étaient les agents princi-
paux du .complot, les organes immédiats du comité directeur,
La révélation de ce projet fut faite d'une maniere positive au
colonel Drouault, puis au général Coetlosquet par les sous-
officiers de la garde , Petit ct Vidal, que les conjurés avaient
voulu attirer a eux. Des lors la police , mise sur des traces cer-
taines , sut a ne plus en douter que le 19 aoüt au soir était le
moment choisi pour opérer un mouvement militaire. Un offi-
cicr supérieur devait prendre le commandement de chacune
des Iégions , dont les colonels devaient étre arretés ; Vincennes
arborerait le drapeau tricolore , tirernit trois coups de canon;
les deuxiémo et ciuquieme régiments de la garde seconderaient
le mouvement. Un gouvernement provisoire était établi sur-le-
champ et prendrait le pouvoir en main. On devait respecter la
Famille royale et n'user de violences avec elle qu'au cas OU elle
résisterait. Tel était le plan des conj urés , difficile dans son
exécution, surtout pour la garde, oú peu d'officiers étaient sé-
duits et gagnés aucornplot. l\lais les partis ne se font-ils pas
toujours illusion? Dans la soirée du 16 aoüt , le Conseil des mi-
nistres se réunit extraordinairement. lU. de Hichelieu parut fort
ému au récit que fit lU. ñlounicr des projets des conspirateurs
et du plan qu'ils devaient suivre et aeeomplir: « Il faut s'em-
parer immédiatement des officiers , dit-il, éviter un éclat. » Le
directeur-général de la poliee remarqua qu'il fallait Iaisser se
développer le complot afin d'obtenir les moyens de le déjouer
complérement et a toujours. Au Conseil du '17, lU. de Villars,
coloncl de la Iégion de la ;Ueurthe , fut appclé , et on l'interrogea
sur l'esprit de sa légion, sur la conduite de ses officiers. « Plu-
sieurs , dit i\I. ñlounier, et particulierement le capitaine Nantil,
sont dans un complot contre la personne du Roi et son Gouver-
nemeut »; l\I. de villars mauifesta son indignation et You]ait/...-~,


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46 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
sur-le-champ arréter les officiers coupables. Le ministre de la
guerre, lH. Latour lUaubourg, lui demanda au contraire sa pa-
role de n'en rien faire, de ne rien dire surtout, paree qu'on
voulait arriver ala connaissance absoluede la vérité, LouisXVIII
fut instrult par ses ministres de l'attentat qne médítaient quel-
ques-uns des officiers de l'armée; 1\1. l\Iounierinsistapour qu' on
agit avec une extreme circonspection, et l'on discuta, dans le
Conseil du 18, la question de savoir si on laisserait le complot
éclater afin de saisir les coupables en flagrant délit , et par con-
séquent avec tous les rnoyens d'amener une conviction absolue,
évidente , et de distinguer les hons et les mauvais, Lesmemhres
du ministere , sur les cxp"'~ioüs de 1\1. Mounier, ne voulureut
point recourir a ce moyen extreme OÚ tant de sang eüt rt(~ ré-
pandu; on préféra subir un doute puhlic sur la réalité du com-
plot et prévenir les malheurs d'une lutte sanglante. En consé-
quence de cette résolution , 1\1. le maréchal Marmont fut mandé
le 19 aoüt au matin, chez 1\1. de Iíichclieu OU les ministres
étaient rassemblés. 1\1. de Latour-Maubourg lui communiqua
des instructions et la liste des officiers compromiso Ces arresta-
tions furent faites ¿l domicile ou dans les casernes a Paris ; on
n'opposa aucune résistance. 1\1. de Latour-hlaubourg se rendit
dans ces casernes et dans les quartiers pour voir les troupes,
étonnées de tout ce qui se passait autour d'elles ; les barrieres
furent fermées. Quelques officiers, et entre autres le capitaine
Nantil, ne purent étre arrétés, De grandes précautions mili-
taires avaient été prises durant la nuit autour du Chñteau: plu-
sieurs régiments de la garde stationnaient dans le Carrousel et
aux Tuileries. La légion de la l\Ieurthe, la plus compromise,
recut l'ordre de quitter sur-le-champ Paris pour se rendre a
I.andrecies; vous eussiez vu tous ces soldats démoralisés , ces
officiers accusés ou craignant de l'étre : quelques-uns furent
méme arrétés durant la route; plus d'csprit militaire; il ré-
gnait un je ne saisquoi d'indiscipliné et de morue qui rappelait
les vieilles légions romaines apres l'insurrection réprimée par
Germanicus. En meme tcmps le ministcr« apprit que ce COI11-




· CHAPITRE XH. 47
plot s'était étcndu ü la légion de la Seine a Cambrai et aux
LI'OUpeS de la garnisou 11 Colmar; partout une prompte répres-
sion fut courounée d'un plein succes, A Cambrai le complot
s'alliait surtout 11 une conspiratiou orangiste; les régiments de-
vaient se porter sur la frontíere , y trouver un corps de Belges
réunis et se porter sur Paris. Le prince d'Orange était-il com-
plice de ce dcssein? quelques documents permettent de le croire.


Le ministére , maitre de l'insurrection, avait de hauts devoirs
~l remplir : il devait couvrir sa responsahilité aux yeux du Tróne
et du pays, en appclaut une punition excmplaire qui püt arréter
dans l'avenir la pensé« de tentatives semblables. Deux listes
étaient arrivées au Conseil des ministres : la premiére compre-
nait des noms cxtrétucmcnt connus , et qui par leur cornplicité
constatée pouvaient étrc impliques dans l'acte d'accusation; je
n'ai pas hesoin de citer ces noms. On les trouve toujours 11 coté
de M. de La Fayette dans les complots contre la dynastie des
Bourbons. Le Conseil posa done comme premíére difIiculté la
question de savoir si la procédure comprendrait ces noms.
Louis XVIII et ses ministres parcourureut la liste; ils jugerent
d'une part qu'une tellc poursuite comprcndrait des hommes
honorables, chcrs a km famille, estimes de la cité, quoique
opposés au Gouverucuient légitimc , 011 ne vivait plus ~l une
époque de réaction; aux tcmps ordinaires on prend difficilemcnt
sur sa tete la responsabilité des condamnatious politiques; en-
suite la poursuitc franche et décídéc centre un complot si haut
placé demandait un pouvoir robusto et puissarnmcut constitué;
était-on ~l ce point en préscnce d'unc majorité flottante , la vcille
de nouvcllcs élections. Et c'cst ce <{ue je n'ai jamáis pu com-
preudre : I'histoire ne cite pas un seul pouvoir qui se soit
perdu par la force; tous sont tombés par les méuagcments et les
Iaihlcsses. Une seconde question fut posée : ~l quolle juridiction
attribucrait-un ce complot? J~Il n\gle militairc , la couspiration
ne compreuant que des ofliciers pris en quclque sorte les armes
a la main, ressortissait des conseils de guerre; mais ces conseils
avec leur expéditivc justicc, couvcnaient-ils dans une affaire OÚ




48 IllSTOlHE DE L\ HESTAUUATJO.:\.'
le Iloi demandait qu'on éparguüt le sang? Ce n'cst qu'en temps
de révolution ou de contrc-róvolution qu'on fait de ces appels
aux juridictions militaires ; le pouvoir inquict ct fiévreux a be-
soin alors d'agír avec violence paree que tclle cst sa nature ;
1\1. lUounier proposa de renvoyer l'aífaire ala Chambrc des Pairs ,
juridictionlégale et ordinaire pour les complots coutre la súrcté
de I'État. On saisissait ainsi une haute-cour politiquequi agirait
avec prévoyance et modératiou: l'instruction allait étre coníiéc ~l
deshommes qui compreudraicnt toute la part qu'il Iallaitfaire aux
nécessités, aux positions, ~\ la situation du Gomernement et des
partís. La découvertc de ce complot souleva l'indiguation des
Royalistes ; on demanda des loisvigoureuses, des mesuresIortes
el promptes. Le miuistcre resista ¡¡ ce mouvcment désordonné
des opinions. Quand un complot éclate , jJ y a toujours apres le
danger passé une opinion de peur qui pousse le Gouvcrncmeut
a des exces ; il faut une haute raison dans le Pouvoir pour ré-
sister aces cxigences, ~l ces supplications des trcmbleurs , les
premiers qui l'abandonuent cnsuite quand la victoire passe a
d'autres drapeaux.




CIIAPI THE X V11.


IlETOl;1l AUX IlH::ES ET Alj GOUVEIC\E)IE~T ROYALlSTES.


Naissauce de :\1. le duc de Bordcaux. - Impulsion el {orce llue doune cet
évéucmeut allxHoynli,les.-lt(·'adiou de l'ElIrope.- Cougri's.de Troppau.
- Mcsur('s centre :'i'aplcs..- Les Aulriehiells en Ita lic , - Iutcrveut iou ,
- Les csprit s en Frunce. - Épllratiuu de l'nrmec. - Al'ptl aux IÜec-
teurs. - DI:Plltés (les pe:its el granJs eo\légcs. - Ambassade de M. de
CIJ<iteallbrialll1. - 1\1 ,1. de Vdli'le et Corhiere daus le Consej\' -
Sessiou de 182 L - Premiere diss ideucc avcc les Hoyalistcs, - Luí muni-
cipale. - Fausse attitude des Lihr-rnux. - Fiu de la session.


Sel)t;ellllnoe :t~~"o - Juill 18~lo


LES hommes qui ont étudié la situation des affaircs recon-
naisscnt aujourd'hui que jamais la ñlaison de Bourbon ne fut
placéedans une positiou si délicate qu' en1820 ; et comme si cette
cause se mélait toujours ü la súreté et aux intéréts européens, les
Gouvernements se trouverent éhranlés sur tous les points, Et ce
fut dans ces circonstances difliciles que naquit 1\1. le duc de
Bordeaux , conune une Ilcur sur une tombe : il y aurait tout un
livre ~\ faire de ces phrascs d' enthousiasme jetées ü la tete d'un
enfant, et par des hommes que jc trouve , depuis qu'un exil a
sanctitié le malheur, ageuouillés devaut un autre príncipe. Qu'on
me laissc done, moi , historien des tcmps passés , parlcr de ce
granel événemcnt pour une dynastíc , avec ce caractcre impartial
qur je ne veux jamáis oublier dans ce livre. Une question
rléplorahlo s'est élevée aux tcmps des passions , cal' elle touche
au príncipe rnéme du Gouvcrucment en Frunce. OIl a écrit que
la naissancc de ~l. le duc de Bordeaux avait été supposée, Cette
accusation n'cst pas nouvcllc on l'avait portée contre leprincc


ur, 5




50 mSTOlHE DE LA HESTAUllATIúN'.
de Galles, fils de Jacques II; Napoléon fut aussi poursuivi dans
sa postérité , et il a faUu que les traits du grand capitainc et ses
mélancoliques pensées de Saint-Hélcne vinsscnt se réíléchir sur
la physionomie éteinte de son, íils , pour convaincrc les incré-
dules qui s'attachent a tous les faits historiques pour les démolir
un ¡t un. Je sais tout ce qu'on pourra dire des faihlesses d'une
femme; je les explique par ccttc imaginatiou aventureuse qui
s'exalta dans une vie errante de hruycre et de guerre civilc,
Alors tous les sentiments devicnucut du délire , et la re-
connaissance malheureuse une de ces passions hrúlantcs qui
confondent et rapprochent les rangs, Cette incrédulitó des partís
pour les grands faits historiques qui contrarient leurs esperances
avait été presseutic par la Famille royale : on avait pris toutcs les
précautions pour donner une grande authenticité ala uaissance
de 1\1. le duc de Bordeaux. Quand la duchesse de Bcrri éprouva
les premieres douleurs , elle appela ses Icnuues pour qu'clles
eussent a prévenir le maréchal Suchet; elle ne voulut point que
l'enfant füt détaché d'ellc-méme avant que le maréchal eút vu
de ses propres yeux son sexe et la réalité de sa naissance. La
garde nationale presente aux postes des Tuilerics fut rgalelllent
témoin de l'accouchement, ainsi que plusicurs soldats de la ganle
royale, Le Roi fut prévenu , et vint sur-le-champ chez sa niecc :
« Voila un bien gentil duc de Bordeaux ! s'écria-t-il en montrant
l'enfant aux assistants; iI nous est né ¡, tous. » Puis iI prit la
gousse d'ail que la ville de Pau avait envoyée a l\lO~SlEUB, et ,
a I'imitation da roi de Navarro , il en frotta les Il'\TC's du non-
veau-né et lui íit avaler du vin de Jurancon. te lloi hut ;\ la
santé de l'accouchéc , qui s'écria avec heaucoup de gracc : (( Sire ,
je voudrais bien savoir la chanson de Jcanne <L\Ibrct, pour quc
tout se passát ici rouunc a la naissancc d{~ II«nri 1V! » .J e ne croiS
pas qu'il soit matéricllcmcut possihle dI' reunir une plus grande
masse de témoignages sur un Iait , a moius qu'on Be tombc dam
les immorales rccherchcs de la patcrnit{" d qu'on nc viole c('[le
sainteté du foyer domestique prol(lgée par les lois. Quand les
jurisconsultes auglais disserterent sur la naissance du priuce de




CHAPITRE XHI. 51
GaIles, ilsne parlérent que de la suppositíon 1, et jamáis de l'illé-
gitimité. Ce que le Code a proscrit pour les familles privées
serait-il appliqué commo un odieux privilége aux tetes couron-
nées? )Iadame de Berri avait vingt-trois ans. Je ne me fais le
chcvalier de persoune : e'est une si grande faute pour les partis
de s'attacher ainsi ~l un nom, duquel ils font dépendre leur ave-
nir et leur fortune! je dirai que la jeune princesse se montra
Iemme forte ; il Yavait daus cette tete l{'g('re et dissipée comme
une grande préoccupation d'aveuir. Ilien n'éléve la pensée
conune la conscicnce d'uno mission, mission de mere et de posté-
rité. Singulier mysti'rr que ce crrur de fernme oú l'héroísme se
méle ala faihlcsse , la saintetó d'un haut devoir aux plus frágiles
ontrninements !


Quoiquc les dcrniercs secousses publiques, l'action de la
prcsse , les discussions de tribuno cusseut affaihli la popularité
rovaliste, la naissance du duc de Bordeauxfut saluéepar d'écla-
tantes acclamations : une question finie a toujours de la faveur
en France , et la naissance d'un héritier de la Couronne fermait
la lice des prétentions , el semblait affermir le sceptre dans la
ligne dirccte : puis , on vovait un peu de bonheur luire aux
Bourhons , et le pouple est tonjours du partí des succes ; enfin
aH'C cette Iihéralitéqui caractérisait la hranche ainée, de grandes
auruónes furent distribuées aux dépens de la Liste civile; on se-
courut beanconp d'infortunes ; les journaux royalistes firent des
mots, exploiterent l'cnthousiasmc publico Paris se souvient en-
core de ces pompos et de ces Iétes du baptéme l Des adresses
d'adulation arrivercnt de tous les corps , de toutes les villes de
France ; 110115 avons assez de mauvaises passions dans la société
sans encorc remuer des bassesses ; le corps diplomatique seul
exprima UlH' grande penséo d'ordre et d'avenir : cal' il dit au
Roi en montrant le <lile de Bordeaux : « Voici le grand bienfait
que la Providence la plus favorable a daigné accorder a la ten-


I II Ycut des dlssertatlons pour prouver que le prlnce de Gallcs, mis
dans une basslnoire , avalt été iutroduit dans le lit de la Reine.




52 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
dresse paternelle de Votre lUajesté. Cet enfant de douleurs , de
souvenirs et de regrets, est aussi L'CU(llUt de L'Elfl'Ope ~ il est le
présage et le garant de la paix et du repos qui doivent suivre
tant d'agitation. )) Ce haut haptéme d'eu(an( de L'Europe di-
sait qu'au fond du berccau de JU. le duc de Bordeaux était un
principe. L'Europe voyait dans 1\1. le duc de Bordeaux l'expres-
sion du principe garanti par les traités de 1814 et 1815, et c'est
cornrne gage de paix et de réconciliation qu'elle le saIuait.
Toutes les lettres de félicitations des Souverains exprimaient
cette méme pensée; l'empereur Alexandre écrivait au roi de
France : « La naissanee du duo de Bordeaux est un événement
que je regarde comme tres-heureux pour la paix de l'Europe , et
qui porte de justes consolations au seinde votre familIe. » Le Roi
marqua cet événement par de grandes récompenses; celle qui
produisit le plus d'effet fut la promotiondes cordons hleus, grave
innovation dans les fastes de la monarchie. Jusqu'en 1789 , le
titre de checalier des ordres n'avait étédonné qu'avec la preuve
de certains degrés de noblesse, et le cordon bleu était une des
hautes distinctionsde gentilshommes. Le Roi voulait en faire une
promotion nomhreuse. lUais sur quels noms allaient porter les
gráces ? Les anciennes coutumes l' emporteraient-elles sur les
illustrations nouvelles et ferait-on descendre le cordon bleu
a la roture? Cette promotion discutée en conseil fut considérée
comme une garantie donnée al'égalité , cornme un moyen
de se rattacher les hommes de la Hévolution et de l'Empire
surtout, époque vaniteuse; Louis XVIII, qui prévoyait les ru-
meurs qu'elle allait soulever, n'appelait cette ordonnance que le
COU}) d'État, ou le 5 septembre au petit pied eontre ses gens.
La liste fut dressée par le duc de Richelieu en conseil des mi-
nistres; il Y mit en 'tete, et comme rang de préséance , quatre
pairs ecclésiastiques, le cardinal de la Luzerne, vieilIe réputa-
tion d'étiquette et de cour ; le cardinal de Beausset , dont le Roi
aimait le talent et le caractere ; l'archevéque de Bordeaux, prélat
vénérable, et l'abbé de lUontcsquiou,pour le récompenserde ses
services al'Assemblée nationale et a son ministére de 1814:




CHAPITHE \, JI. 53
Louis XVIII ne pouvait éviter le prince de Talleyrand, qui te-
nait le premier rang panni les gontilshonnucs , conune grand-
chambcllan , il Y ajouta le due de Luxembourg, le due de Gl'a-
mont, le duc d'Aumont, le duc de Laval-ñlontmorency, le duc
de Duras, le duc de Mouchy, le duc de Lévis , le duc de Sérent ,
le maréchal de Yioménil , le maréchal marquis de Beurnonville,
le marquis de Vaubecourt; le duc Dalberg fut récompensé de
son zele dans le gouvernement provisoire de 1814., et le comte
de Caraman de ses services aVienne; le vieux maréehal Mon-
cey, mis a Ham en 1815 pour sa ferme résistance au Roi, put
se parer du cordon hleu avec les quatre majors généraux de la
garde : les maréchaux Victor, Macdonald , Oudinot, ;\Iarmont,
ainsi que le maréchal Suehet, qui s'était attaehé avec dévoue-
meut a la dynastie; les deux amis du Roi, les ducs de la
Chátre et d'Avaray, furent égalcment promus aux ordres avec
le eomte d'Escars ; Louis XVIII n'oublia pas son ami et son mi-
nistre de prédilection , M, Decazes , auquel il annonca sa pro-
motion par une lettre de sa main. MM. de Blacas, Dessolle, de
Iliviere , et les ministres de Latour - Maubourg, Pasquier,
de Serres et lU. Lainé recureut l'insigne de la grande noblesse;
Louis XYIII entourait aiusí le berceau du duc de Bordeaux
d'un éc1atant hommage a l'égalité. En faee de ce peuple re-
trempé dans ses jeunes habitudes et ses jeunes idées, il placait
sur la tete de l'héritier de la Couronne, comrne pensée d'avenir,
eette puissante vérité qu'une nation qui a fait d'aussi grandes
choses était tout entiere anoblic!


La duchesse de Berri fut admirable de délicatesse , de pré-
sencc d'esprit , lorsque la premiere semaine de ses couches un
peu laborieuses fut passée; la princesse voulut voir et accueillir
tout le monde. Je sais qu'on a fait beaucoup de mots aux grands
et que les gens d'esprits pourvoient aux a-propos de cour. lei
tout fut naturel, et le langage de S. A. R. n'eut rien que de
tres-simple. Ce fut l'expressioud'un orgueil maternel fortement
éprouvé; elle dit a1\1. de Chabrol , qui la eomplimentait au nom
du conseilmunicipal: « Je suis bien touchée des sentiments que




51¡ IIISTOlnE ))E LA HESTACHATIO\.·
"OH\'> m' (,'í..\WimC"L an nom (\('S mag,istrat'6 <\e \a ,i\\e <\l- 1lar\s; Cl't
enfant est né panni vous; qu'il vous soit cher. » Sa réponse au
corps diplomatique fut non moins digne: « Je rcmercie les Sou-
verains des sentiments que vous venez de m'exprimer ; je suis
fíere du titre que vous avez donné rl mon fils de l' enian: de
rEurope. Reeevez aussi mes rcmcrciments de la part que vous
avez prise a mes malheurs. )) Quand elle recut le Conseil des
ministres, elle s'approcha avcc vivacité de l\I. de Richelieu, et
lui dit , en lui scrrant la main : « Je suis bien aise de vous voir,
Messieurs , pour vous dire que je suis sensible a la part que vous
avez prise ames chagrins; ils ne peuvont jamáis s'effacer, ce-
pendant le cicl a eu pilié de moi. Voila mon fils; je le recom-
mande a la Franco et ~l vous, Messieurs. Ce sera pour moi une
tache bien douce que cclle de le rcndre digne de la Franco el
des sentirnents flui ont été exprimes génóralcment ~l sa nais-
sanee. ) Ce costume de vcuve , cet enfant qui naissait pour la
monarchie des Bourbons , tout cela jctait les cceurs dans une
grande émotion. l\I. de Itichelieu baisa la main de MAJHl\IE avoc
un transport de tristessc et de dh oucrncnt , COllll1lC un loyal
gentilhollllllC au tomps de che, aleric. Le Iloi Iut trrs-gracieux
])our sa niécc , el manifesta sa joie : « Yoil~1 un hicn granel (~,é­
ucment, dit-il a11. de Ilichclieu ; j<' vr-ux qu'il soit céléhré avec
toute solennité » ; et une lettre close convoque tous les corps con-
stitués pour assister aux Ictcs du baptéme ; S. ]\l. y appelalespairs
el lesdéputés, les ministres, le eorps municipal de Paris et les dé-
putations des villcs du royaumc. On voulait, autant que pnssihle,
naíionaliscr l'héritier de la Couronnc , faire de sa uaissance une
des grandes pompos de la monarrhic. la duchessc de Berri
marqua sa d(tliHanc~ par des actos de parrlon el d'onbli ; un al-
tcntat avait étó commis sur sa personnc : doux hommes, Gra-
vier et Boutou , plus ou moins entraiués par leurs passions mau-
vaises , avaient Iait éclater un pétard sous les fenütrcs de ma-
dame la duchcsse de Berri, pour amruer son avortement. Ils
fnrent condamnés ~I mort par les assiscs ; lUATH~IE demanda leur
grñcc , par une lcttre touchantc adresséc ü son oncle : « Sire ,




CIJAPrrI1E xvu, 55
disait-elle , comme jr ne puis voir le Jloi aujourd'hui , je lui
écris pour lui demander la grace de deux malheureux qui ont
été condamnés it mort, hier , ponr tentativa contre ma personne,
Je serais au désespoir qu'il pút y avoir des Francais qui mou-
russent pour moi : l'ange que je pleure demandait, en mourant,
la gráce de son meurtrier; il sera I'arhitre de ma vie : me per-
mcrtcz-vous , mon oncle , de l'imiter, et de supplier V. lU. d'ac-
cordel' la gráce de la vie ~\ ces deux infortunés? L'auguste exem-
ple du Roi nons a habitués a la clémence; daignera-t-il per-
mettre que les prcmicrs instants de l' cxistence de mon Henri ,
de mon cher fils , du vótre , du fils de la Francc , soient mar-
qués par un pardon? » La conduite de S. A. R. fut , ~\ toute cette
('poque, si Icrme , si convcnahle , qne l' cmpereur Alexandre lui
écrivit , de sa main , un de ces hillcts touchants et nobles dans
lesquels le Czar aimait a exprimer les sentimcnts élevés de son
ame un peu mys: ique , pour tout ce qui se distinguait des esprits
vulgaires l


Tandis que la naissance de J\I. le duc de Bordeaux inquiétait
('ti Frunce les pnrtisaus <les idécs do I'Empire et de la liberté de
1791, s'eflorrnut de prépar('!', mais sans succés , une révolution
militaire , ils Nai('Jl( plus heureux ~\ Naples et a Lishonnc. De
graves circonstances , capables <le trouhler la paix de l'Europe
el I'ordre {'tabli, y éclataient violcmment. La révolution espa-
gllole, désordounéc' l\ son principc , avait pris a Madrid un ca-
racterc remarquable <le modération, la noblcsse de la nation
cspaguole , ses mmurs sévércs , son esprit religicux , l'affcction
anriqn« que le pcuple portait au Roi, tontes ces causes avaieut
co;ltrilHH~ ;1 circonscrirc les tumultcs militaircs dans de justes
limites. A travcrs qnolqucs trouhles passagers, la régularité
s'était étahlic dans les ressorts du Couvernement ; le parti mo-
déré l'avait cmport« dans l'élection des Cortes; la plupart des
députés appartenaient 1\ ce parti mitoyen ami de l'ordre ; les
Cortesavaicnt nommél'archevúque de Sévilleponr leur président;
le discours qui avait précédó le sermcnt royal, la réponse des
Cortes, Iaisaicntprésumer la meillcure harmonie entre le Gou-




56 HISTOIRE DE t¡\ RESTAURATWN.
vernement et l'Asscmhlée nouvellement convoquée; il Yavait
encore un parti d'agitateurs , de révolutionnaires qui , aux
chants de la Traga la, voulait entraincr le Couverncment espa-
gnol dans des désordres ; mais la majorité était bonne 11 l'origine,
01', ce Gouvernement préseutant un caractere de stabilité , les
Puissances n'avaient pas de prétexte pour préparer une guerre
contre des soldats et une nation 11 laquelle des faits d'armes im-
mortels avaient mérité le nom d'hérolques. Les Cabinets , sans
approuver le nouvel ordre de choses établi en Espaguc , le suhi-
rent done : M. de Laval fut de nouveau accrédité auprés du roi
Ferdinand ; les ministres des autres Puissances resterent égale-
ment 11 leur poste; ils étudiaient et attendaicnt, En diplomatie ,
il Y a un milieu entre la désapprobatíon et la guerre; un Cabi-
net peut ne point approuver un événement accouipli , mais pour
cela il ne recourt point aux armes, demíere extrémité. Pour
l'Espagne , tout s'était horné 11 l'échange de quelques notes
séveres, ~l quelques répugnances exprimées par l' empereur
Alexandre : l'état de la Péuinsule , par la situation exception-
nelle de son territoire, jeté en quelque sorte 11 l'extrémité de
l'Europe , n'était d'aillcurs ni menacant , ni contagicux.


Dans ces circonstances éclata la révolution militaire de Xa-
ples, Ici les caracteres de I'événemcut n'étaient pas les mémcs ,
ses résultats n'avaient rien de semblable, La révolution de Na-
pIes avait également son origine parmi les soldats, ñlais ces sol-
dats n'étaient point ces patients et glorieux Espagnols qui
avaient sauvé I'indépendance de l'Europe ; troupes, en général ,
laches et mutines, elles obóissaient 11 des chefs liés 11 cette rnys-
térieuse société des Carbouari qui cnlacait toute l'Italie : il Y
avait cu violence dans toute la force du mot contre la royauté;
rien ne peignait mieux le caractére de cette révolution que l'as-
pect des troupes insurgées a Naplcs, tel que le retrace une
dépeche de lU. de Narbonne : « On voyait melé aux soldats un
amas de paysans avec ou sans armes, ainsi qu'une tourbe de
milices nationales; aux corps de soldats réguliers succédaient
une foule de lazzaronís et d'cnfants; l'escadron qui avait C0111-




r.HAPITRE XHI. 57
meneé la révolution entourait le général Pépé ; officiers et sol-
dats portaient, outre la eoearde trieolore, un large ruban des
mémes eouleurs en guise de eeinture; parmi les miliees natio-
nales, on en voyait avee des bonnets pointus comrne les campa-
gnards et des ceintures garnies de pistolets et de cartouches. Le
coup d'oeil le plus pittoresque était offert par des soldats montés
sur des ánes ; au milieu d'eux était acheval, en costume ecclé-
siastique , le chanoine Minichini , un des principaux auteurs de
la révolution; il avait des besicles et un grand chapeau rond
avec lequel il ne cessait de saluer a droite et agauche; les eris
les plus singuliers se faisaient entendre. Ces troupes portaient
en cérémonie de grands boucliers ronds en papier, ornés de
lauriers. » La position topograpbique de Naples n'était point cet
isolement qui placaít l'Espagne dans une situation exception-
nelle ; le royaume des Deux-Siciles touehait a Bome , aux États
autriehiens de l'Italie, a ces souverainetés établies dans la Pé-
ninsule par le congrés de Vienne. Dans cette position , les inté-
réts n'étaient plus les mémes , et l'Europe se trouvait bien plus
positivement menaeée.


La premiere nouveJIe de la révolution de Naples fut apportée
a Paris par un courrier du due de Narbonne : il avait des
lettres du roi , du prince .oyal, vicaire général du royaume,
pour le roi de France, pour la duehesse de Berri, la duchesse
d'Orléans et le prinee Castelcicala; M. Pasquier se rendit chez
1\1. de Richelieu et de la chez l'ambassadeur napolitain; il lui
déclara que, [usqu'a nouvel ordre , il serait considéré comme
le seul représentant accrédité de S. 1\1. le roi des Deux-Siciles,
Les événements de Naples porterent , comme on le sent bien,
une vive inquiétude au Cháteau ; les liens d'une intime parenté
unissaient la FamilIe royale au roi de Naples. Le ministere ne
prit aucun parti immédiat; seulement, comme il prévoyait que
de graves questionsallaient s'agiter aVienne, M. de Richelieu
prévint 1\1. de Caraman pour qu'il eüt ase rendre irnmédiate-
ment a son poste, afin de se concerter avec M. de Metternich.
Leministére Bichelieu avait, en eflet, bien prévu; ~r. de Met-




58 mSTülHE DE LA RESTAUHA"flOl\.
ternich apprit , 11 son retour d'un voyage en Hongrie, la révo-
lution de Xaples : sa résolution fut 11 l'insrant prise : le conseil
aulique se réunit en présence de I'Empercur, et il fut décidé
que l'armée autrichienne de Lornhardie et du Tyrol serait mise
sur le pied de guerre : « JI faut éviter que cela s'étende , dit
I\I. de l\Ietternich; c'est une affaire de carbonarisme : il Y a
longtemps que j'aurais dü la prévenir.)) J\I. de Gentz recut
l'ordre de rédiger plusieurs notes: l'une, adressée a la Confé-
dération germanique , disait : « S. ]U. impérialc et apostoliqne ,
prenant en considératiou les mouvcmcnts séditieux survenus
dans les Dcux-Siciles par suite des intrigues des Carbonar¡ el
autres associations secretes, a l'intentinn d'cmployer tous ses
efTorts pour empecher qu'il soit portó la moindre atteinte aux
droits légitimes des princes italiens. Si, malgré sa répuguance,
la cour d'Autriche Nait obligée d'avoir rerours a la force centre
la rébellion armée , S. ]H. impériale cst trop persuadée que les
dispositions des priuccs de la Confédératinn germaniquc sont en
h armonio avec les sienucs , pour nc pas f~tre assurée que la plus
parfaite tranquilli té régucra dans l' iiltéricur de l' Allcmague. ))
La note se terminait ainsi : « Une grande gloir« est réservéc ~l
l'Allemague , si dans la prudcnce ct le caracterc Iermc de ses
princes , dans le maintien inébranlable de ses ronstitutions
existantes , dans la lovauté de ses peuplcs ct dans la puissantn
garantie de sa coufódératiou , elle trouve les moycns ct les forces
dont elle a hesoin pour conservcr, parmi les orages de ce siecle
agité , sa paix intérieure, ses institutions légales, son índépen-
dance, sa dignité et son antiquc caracterc. )) Ce n'était pas encoré
un appcl aux armes, mais l' Autriche exprimait suffisamment son
opinion sur l'esprit des événements qui éclataícnt dans les
Dcux-Siciles en préparant la doctrine dí' l'inrcrvention. La se-
conde note fut adresséc aux princos des petites souverainetés
en Italie; lU. de Gentz l'avait rédigée dans le meme esprit et ;\
peu prés dans les mémes termes; la cour d' Autriche assurait a
chacune de ces souverainetés leur situation, leur gouverne-
ment et Ieur territoire ; et tout en faisant entrevoir la possibilité




CHAPLTRE X, 11. 59
d'une intervcntion armée dans le royaume dc "\aples , la note
promettait que la liberté de ces .Htats iutcnnéáuurc» sereit e11-
tiercment conservéc. i\!. de Meucmich se proposait ici plusieurs
résultats ; par cetro interveutiou protectrice et d'amitié , il for-
tifiait le pouvoir et l'inílucnce de l'Autriche surl'ltalie et l' Alle-
magne, dernicr tenue des vuiux du cahinct de Vienne. Quant a
Naples , le ministre autrichien iuvoquait , pour autoriser son
intervcntion, un article secrct des conventious de 1815; par
cet article l' Autriche assurait ü Naples sa royauté et sa eonstitu-
tion telles qu'elles étaicnt alors établies ; M. de Jletternich con-
cIuait de cet article un droit d'intervention pour rcnverser les
événements accomplis a la suite d'uue révolte violento et sans
justice.


Le gouvernement de Naplcs , apeine sa révolution accom-
plic, sentit sa uialhcureusc position ü I'cxtérieur, s'il n'était pas
soutenu par une reconnaissaucc des grandes souvcrainetés euro-
péennes. Les gouvernements révolutiounaires n'ont pas toujours
la conscience de leur Iaiblessc ; il Ya d'abord un enthousiasme
populairc, puis il se refroidit successivement et s'éteint ü la fin
pour jeter le pouvoir nouveau qui veut revenir ü l'ordre dans
l'impuissauco d'agir fortcmcut et puissanuneut ; leur conditiou
est de trouhler l'Europe en la douiinant , ou d' étre a genoux
devaut elle! A.\aples, le général I'épó avait (Mja besoin d'user
de violcncc pour ramcner la discipline parmi ses soldats muti-
nés. La Sicile était soulevéc. Cettc He, toujours en hostilité arce
les intéréts de ,\aples, composée de grands propriétaires pres-
que fcudataires de la Couronne , u' cntcndait point subir la con-
stitution cspagnole , forme gélléralc (IU'on voulait en quclquc
sorte partout imposcr. 1l y avait eu des Ilots de sang répandus
a Palcnue ; _'\aples u'était pas paisiblc , el pourtaut JI fallait
montrer a l'Europo l'aspcrt d' un gouvcrucuicut régulier. Il
fallait lui prouver (IUt' la révolution ótait uationale. Le preruier
soiu du nom eau Gouverucmcut Iut de choisir les ambassadcurs
qui allaient le rcpréscnu-r i\ l'cxtéricur. On chercha surtout des
hounnes modérés <tui pusseut se iucttrc en rapport d'idées el




60 HISTOlllE DE LA HESTAUllATlOJ\.
de position avec les chefs des divers Cabinets. C'était chose im-
portante pour justifier la Révolution napolitaine. La mission la
plus décisive fut celle du prince Cimitille II Vienne; il avait
quelque habileté; il étaít surtout lié avecl'archiduchesse épouse
du prince de Salerne, second fils du roi de Naples; le prince
Cimitille partit pour Vienne. On ne lui refusa pas ses passe-
ports, mais il ne put faire reconnaitre sa qualité ni se faire ad-
mettre a l'audience de l'Empereur ; 1'1. de l\Ietternich consen-
tit a une eonfércnee avec 1\I. de Cimitille; elle fut curieuse 1 :
« Prince , dit l'envoyé napolitain, la Ilévolution de Naples, quoi-
que provoquée par les Carbonari, ne doit pas moins étre con-
sidérée eomme l'ceuvre de toute la nation. Serait-il permis de
blámer la forme sous Iaquelle eette révolution s'est opérée ? il
est devenu impossible de l'annuler et de la faire rétrogradcr. -
La Révolution existante a Naples, répondit l\I. de lUetternich,
est l'reuvre d'une secte réprouvée et l'ouvrage de la surprise et
de la violence. La sanction que les Cours aecorderaient a cette
révolution , contribuerait a en déposer les germes dans des soIs
oú ils n'existent paso - Ce que mon Gouvernement désire
avant tout, continua le prince Cimitille , c'est de vivre en paix
et en honne amitié avec tout le monde : il se garde done bien
d'interveuir dans les aífaires d'autrui,


- Nous ne savons nullement gré au nouveau Couverne-
ment de Naples , répliqua avcc vivacité 1\1. de 1\Iettemich, de
son refus a faire des conquétes , rien de plus naturel dans sa
position : en vous donnant notre sanction, ce serait ébraulor les
fondements de notre existence et en meme temps vous priver
des seuls moyens de salut que vous pouvez espérer centre l'anar-
chic. - Mais , quels sont ces moyens de salut? que Votrc
Altesse les indique. - L'ordre et le maintien des principes
sur lesquels se fonde le repos des États ; ces príncipes triom-
pheront par la déterminationdcs Gouverncmcnts a maintenir


1 Cctte conversntiou est rapportéc dans une dépéchc de l'arnbassadc
fraucalse a Vicnnc. Les légatious se prccureut ces rcnscignements ct
les transruettcn t á lcur cour ,




clIAPITnE "\, u, 61
invariahlement les institutions anciennes contrc les attaques des
novateurs et des sectaires. .- La stabilité est certainement
d'un grand poids dans les moycns qui doivent guider les Gou-
vernements, répliqua le prince Cimitille, mais ce n'est pas le
seul príncipe qui doit entrer dans leurs calculs; la civilisation
fait des progrés partout.


- Il n'y a qu'un seul moyen , répondit l\l. de l\Ietternich;
ce n'est pas une conciliation, mais un remede. Que tous les
honunes voulant le bien de votre pays aillent trouver le Roi et
le supplient de reprendre les renes du Gouvernement en annu-
lant tous les actes qui ont eu lieu depuis le 5 juillet.


- ñlais oú voulez-vous , s'écria le prince Cimitille, que
HOUS trouvions des hommes capables de parler ainsi? - Si
vous n'en trouvez pas, I'Empereur mon maltre regne sur des
hommes qui professent ces príncipes et capables de faire tout
le bien que· je viens de vous indiquer; disposez de tous leurs
moyens ; quatre-vingt et méme cent mille hommes marcheront
a votre premiere demande, et vous rentrerez a Naples aprés
avoir vaincu la révolte. - Nous ne pouvons done nous enten-
drc ; jJ y aura du sang répandu ; et vous, qui pouvez l' empécher,
vous ne le voulez pas !


- Je ne puis me dissimuler , mon cher prince , que le sang
coulera a Naples ; mais iJ retomhera sur tous ceux qui ont avili
leur patrie pour la sacrifter a leur amhition persounelle ; je nc
snis responsable que de ce que m'a dicté l'intérét de mon pays. »
M. de Ciuatillc se retira fort iuquiet de sa mission. Il recut
l'ordrc de quitter l' Autriche ; et le tcrritoire de Naples Iut des
lors mis en dehors du droit autrichien ; aucun Napolitain ne put
pénétrcr dans les États de l'Empcreur: détcrminations qui jetercut
l'abattcment eL la doulcur daus le Gouvernemcnt uapolitaiu. Le
prince Cimitille voulut tcnter une démarche pres la cour de
Saint-Pétcrshourg ; mais il ne put avoi.r ses passe-ports , et le
comtc Golowkin, ministre russe ~l Yicnne , lui écrivit au nom
d'Alcxandrc : « L'Empcreur, mon souvcrain, est uni asesaugustos
alliés par la foi des truités et par une conüaucc d'autant plus


111. 6




62 nrsroi BE DE LA BESTAr) lL\.TlO:.\.
étroite, que le rétablissement de l'ordre social, qui était le
premier motif de cette union , en est maintenant le hut essentiel,
L'état actuel des choses dans le royaume des Deux-Siciles
reclamo a trop de titres une délibératiou unanime et un accord
parfait entre les Puissances , garantes de l'ordre européen, pour
que S. lU. 1. prenue I'initiativc par une décision partiellc, »


En Franco et en Anglctcrrc , on ne reconnut encore aucun
caractere officiel aux envoyés napolitains ; les ministres les virent
maís on se liorna la. Cependant les choses n' en étaient point
encoré arrivées a une rupture ct ~\ l'adruission absoluc du droit
d'intervcntion de l' Autriche dans les aflaircs de Naples; lord
Stewart rerut l'ordre de son gouvcrnement de s'opposer , au
moins officiel1ement, a la consécratiou du principe que récla-
mait le cabinet de Vienne; ~I. de Caraman partir avec mission
de s' entendre avec lord Stewart ct de le soutenir daus une ligue
modérée , s'il était possible surtout d'y cntrainer l'empereur
Alexandre. La Franco sentait hien que le résultat de l'interven-
tion armée de l'Autriche a Naples était d'y renverser l'inílucncc
de la brauchc alnéc des Bourhons et de houleverscr le pacte de
famille. C'était surtout aupres du Czar (jlle se dirigeaieut les
deinarches du princc de Melternich; ce ministre savait bien que
d'Alexandre allait dépeudre une résolution déíinitive , el que s'il
parvenait a s'emparcr de I'esprit dc.1'EllIpen'IlJ', il pourrait
cntraíner la Prusse et la Ilussic daus un systemc général de
répressiou qui convenait a sa politique. M. de Lebzelteru , mi-
nistre d'.urtriche ~l Saint-Pétersbnurg, rerut la mission de démon-
trcr a l'Empcrour la uécessité d'un congres , dans l'intérét de
l'ordre social ébranló par les événemcu ts des d('I1X I'én insules.
M. de JIctternich invoqnait les clauses finales c/u traitó d'Aix-
la-Chapelle , oú la possihilitó d'un congri's {'(ait prévue ; M. de
Lebzeltern agit arce ln-aucoup d'hahiJ('(é. Ak.\aIHIre, qui dcvait
visiter la Polognc , conscutit ~l l' mlrer ue ; ~J. de la Fcrrouays


) Le duc de Sena Capriola put parvenir jusqu'á Salnt-Pétcrsbuurg ,
mais ou ue luí rcconnut que la qualité de chambcllau.




CIlAPITRE .\' IL. 63
dut y SUiHC l'Ernpercur. Le lieu de la réunion dlplomatlquc fut
fixé a Troppau. 1\1. Capo d'Istria , déja tout préoccupé de la
Créce, accompagna 1'Empereur; mieux alors que le comte de
Nesselrode dans les idées mystiques d'Alexandre , il était devenu
le secret dépositaire de ses desseins d'avenir, MM. de la Ferro-
nays et de Caraman y représentaicnt le roi de Franee; M. de
Caraman , seul avec un caractero prédominant ; MM. de Har-
denherg et de Bernstorff, la Prusse; l\I. de Mctternich , l' Au-
triehe; sir Charles Stewart , l'Angleterre, 1...es trois souverains
devaient s'v entreten irpersonnellcment de lasituation de l'Europe,
L'empercur All'xandre partit de Pércrshourg triste ct préoccupé;
son exaltation rcligiense augmentair avee les années; elle était
entretcnue par des événemonts que sa snperstition accueillait;
la foudre tombée aS('S pieds ; un de sos palais consumé par un
incendie! el le Czar avait vu disparaitre sous les flanunes la cha-
pelle oú jadis priait son pore, Cependant 80U8 l'influencc du comte
Capo d'Istria , il arriva aTroppau avec des idees modérées, A
Yarsovie il avait éprnuvé une résistance dn sénat qui lui eüt
d(~pln et il s'était cxprimé trés-vivcmcnt avec le présidcnt dn
sénat do Polognc. ]U. de JUdtl'rnich s'aperrut (u~s la prcmióre
confércnco d(' la dirert ion d' esprit de l' Empercur qu' il cherchait
¿l entra lner dans un grand systeme de répression ; Alexandre se
lenait dans le vague, ne répondait qne tres-faihlement ; M. de
la Ferronays, influent sur l'esprit d'Alcxandre , contrariait les
vues de 1\1. de JUetternieh. Malhcurcusement lord Stewart , tout
amoureux de sa jcunc femmc, s'occupait peu d'affaires , et lais-
sait ;1 elle-méme l'influence de la légation franraise ; ct l\I. de
Caraman s'était trop avancé dans les idécs et l'amitié de l\I. de
l\Ietternich. I ..e ministre autriehien exploitait tous les événe-
ments, la révelution du Portugal qui avait renversé une nou-
vello dynastie , la résistance du sénat de Varsovie ; de son coté,
la légation franraise exposait tout le bien que pouvait faire un
systeme de modératicn et de ternpérament. N'était-il pas possi-
ble , sans recourir a une iutervcntion armée, d'interposer les
hons oflices desPuissances médiatrices?Nepouvait-on pas amener




64 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
les Napolitains amodifier la constitution daus ce qu'elle avait de
menacant pour 1'ordre, aen faire une ccuvre et une concession
de la royauté? Les choses tralnaient en longueur, lorsque 1'1. de
Metternich recut un courrier de lU. de Lebzeltern, ambassa-
deur á Pétershourg"; il sut qu'aucune dépéche n'avaitétéenvoyée
al'empereur de Russie, auquel il tit immédiatement demander
une audience. 1\1. de lUetternich cornmenca encore une fois a
développer ses peurs sur les révolutions, et sur cet esprit de
révolte militaire qui s'étendait atout : 11 L'Empereur ne redoute-
t-il pas, s'écria-t-il , que cet esprit gagne les troupes de son
empire? )) Le Czar 1'interrompit : « M. de lUetternich, que vous
craigniez pour vos propres troupes, a la bonne heure, mais
quant ames soldats, j'en réponds, et cela me regarde. -.Mais,
Sire , si j'annoncais aVotre l\Iajesté une triste nouvclle, si je
disais a l'Empereur que la révolte a gagné j usqu 'a sa garde.-
Comment! M. de lUetternich. -Lisez, Sire , voici la dépéche
de lU. de Lehzeltern. ~-Le régiment des gardes de Semenowski. ..
c'est affreux! un vieux régiment comblé de mes bienfaits!-
Sire, 1'esprit d'insurrection gagne l'Europe, il faut le réprimer.
- Comment le sénat ne me fait-il rien dire ?pas un mot de mes
ministres! - C'est que, Sire, la révolte n'est pas encore répri-
mée. - Eh hien, lU. de lUetternich, je vois que vous avez raison;
c'est une maladie de 1'esprit humain. -Il vous appartient, Sire,
d'y apporter remede. -Que faut-il faire? - Que la Ilussie , la
Prusse et l'Autriche se lient entre elles par un renouvellement
de la Saint-Alliance et pour l'application de ses principes, et je
réponds de I'avenir. )) En finissant ces mots , l\l. de lUetternich
prit la plume et rédigea sur place la minute d'un protocole entre
les trois Puissances , et par lequel elles adoptaient dans ce qu'il
avait de plus large et de plus complet le príncipe d'intervention


I Ce que je rapporle ícl est tiré de la dépéche d'un des envoyés au
congres , je dois dire qu'ellc n'est pas de 1\1. de la Ecrronays ni de
1\1. de Caraman; [e crois diffieilement que 1\1. de Metternich ait été
plus immédiatement informé que l'Empereur de ce qui se passait á
Salnt-Pétersbourg. Le cabinet russe est tres-dlligent el trés-exact.




CIIAPITHE \\ 11. 65
pour conservcr en 1('111' plcine int('i!;ralil<'· les I;:tats, soit pour la
forme de Ieur gouvcrncmcut , soit pourk-ur tcrriroirc , tcls qu'ils
étaient constitués lors dos traiiés de 1H13; elles invitaicnt la
Frailee ct Llngleterre aadhérer ¿I ce príncipe. ",L de :Uetterniclt
fit suivre cettc niinut« de protocole d'lIIH' déclaratíou quí devait
expliquer le hut definir ifde l'alliance el ses moyens el'cxécution :
« te bouleversciucnt de l' ordro de choscs en Espagne, en Portugal
el ~I Naples , y disait-il , a dü uécessaircmcnt exciter les soins
et l'inquiétude des Puissauces qui OHt combattu la révolution ,
et a dü les convaincro de la nécessité de mettre un frein ::lUX
nouvclles calamirés dont l'Europc cst mcnacéc, Les mémcs prin-
cipes qui ont réuni les graudes Puissanccs du contiuent pour
délivrcr le monde du despotismo militaire ti' un indicu!u sorti de
la Ilévolution , doivent agir centre la force révolutionnairc qui
vient de se développer. En ronséquence , les monarques assem-
hlés aTroppau se sont conccrtés sur les mesures exigées par les
circonstances , et ont communiqué aux cours de Londres et de
París leur intention d'aneiudre le hut désiré , soit par media-
tion , soit par la force. Dans cette vuc , ils out invité le roi des
Deux-Siciles ¿I s(' rcndre a Layhach pour y parairre comme con-
ciliateur entre son peup!c mal dirig(' et les États dont la tran-
quillité cst compromiso par C('Í état de choses , et attendu qu'ils
sont résolus ane rcconuaitre aucune autorité établie par les sédi-
tieux , ce n'est qu'avec le Hoi seul qu'ils pcuvcnt coníérer. Ce


, systl'me n'a pour hut que de consolidor l'alliance des Souverains :
il ne tend ni ades couquétcs , ni ne porte atteinte a l'indépcn-
dance d'autres Puissance-. Des améliorations administratives el
volontaires Be seront ras eutravées, Ils ne veulent que maintc-
nir la tranquillité el proteger l'Europe contre le fléau de révo-
lutions nouvelles , ('Í les prevenir autant que possible. )) Vem-
pereur Alexandro appronva cctte rédact ion et se chargca d'v
faire adhérer la Prusse tonto dans son intérét ; la déclaration et
le protocole furent signéscomme l'omvre commune des trois cours
qui entraient dans une connuuunuté plus étroite d'intentions
('1 de príncipes alaquellc la Franco ct l' Angletcrre étaicnt seulc,




( ' f 'h) IIISIO!!;;: DE U liES'/\l'IL\T10;';.


nuntiuvitées ~l preudre part. Iunnódiatcuicnt des dt'p0dwsfllH'nt
adressées ~l Saint-Pétershourg. L'Empercur manifrstait une vio-
lente colere eontre ses ministres, et donnait les ordres les plus
sévéres ~l l'égard du régiment révolté , qu'on disséminait dans
des eorps de la ligne; en méme temps il mandait a plusieurs
divisions de son armée de se rapprocher des Irontieres de la
Prusse et de l'Autriche, pour prétcr main forte au systemo de
répression adopté par les grands Cabínets , au cas OlL l'interven-
tion militaire serait nécessaire. lU. de Caraman et lord Stewart
n'eurent connaissance du protocole et de la déclaration qu'aprés
qu'ils eurent été arrétés , en quelque sorte sur sa communi-
cation. L'empereur Alexandre était entré complétement dans un
cercIe d' ídées politiques en opposition avec la Franco et l' Anglo-
terre surtout. Dansla conférencedu soir, lord Stewart s'ernporta :
il déclara a 1\1. de Metternich qu'on avait trompé l'Angleterre ,
et lni dit en face qu'il avait agi avcc mauvaise foi : la chose aIJa
si loin qu'il dut y avoir une explication , un défi; lord Stewart
protesta dans une note violente; mais la négociation était allée
mieux que ne l'avait désiré 1\1. de lUettcrniGh : l' empereur
Alexandre s'était prononcé pour le principe de I'intervcution.
On arréta d'écrire au roi Ferrlinand pour qu'il el11 aS(' trouver
aune nouveIle réuuion des Souverains; on voulait le rcudre ~l
toute sa liberté, pour prononcer ensuite sur l'existencc du gou-
vernement de Naples : cela se fit aLayhach.


Lespremieres transactions de Troppau se liaient en Franee ~l la
marche plus uette , plus royaliste du miuistere Itichelieu. La
naissance de M. le due de Bordeaux avait donné UlH' impulsión
trop monarchique aux hommes et aux événemcnts pour qu'on
pút opposcr une digue forre et suffisante ;l cct cntraluement des
opinions vers le «ltó droit. Commcnt aurait-il éré possihle , d'ail-
leurs, de pactiser désormais ayer, un partí qui avait {~c1all' par les
trouhles du mois de jnin , par la conspiration du 19 aoút , ot par
tant d'émotions récentcs ? la guerre était déclaréc. JI arrivc d(18
époques oú toute transactiou est impossihle cutre les pa1'1 is ; i Ine
peut plus y avoir que des vainqneurs et des vaincus, :\ 1\1'('81,




CflAPJTflE \\ 11. 67
~1. Bellart Iut grayemel11 insnlté ; 011 avait {~I{l oblig{~ de dissoudre
la garde nationalc , qui n'avait pas obéi aux injonrtions rlu maire ;
M. de Lauriston était accouru pour réprimer cette sédition mena-
cante. A Saumur, ,1. Benjamin-Constant était ~l son tour menacé
par les élevesde l'école de cavaleric ; triste situation des csprits
oú tout se faisait comme aux temps des guerres civiles. C'est
dans une voic toute monarchique que fut aussi réorganisée
l'Univcrsité ; la commission prit le nom de Conseil royal, et la
présidence en fut conféréc iI M. Lainé , avec un pouvoir plus
étendu que n'avait possédé ]\l. Jloycr-Collard , démissionnaire en
1.819 ; on donnait ainsi une position politique ~I )1. Lainé , exprés-
sion du centre droit, J'ai dit la penséo d'égalité qni avait présidé ~l
la promotion des cordons hlcus. La pensée intime de }I. de Ri-
chclieuétait de confondre tous les rangs autour de la Couronnc,
de multiplier les dignités de chñteau , ct d'y appeler les vieilles
illustrationsde race , comme les noms glorieux de nos hatailles et
lesadministrateurs dévoués: par ce moycn le Tróne devait trouvcr
éclat et force; on organisadone la maisondu Iloi sur une plus vaste
échelle et d'apres des príncipes mieux en rapport avec le systeme
du Gouvcrnemcnt. Jusqu'ici on s'était contenté d'un simple
directcur géuéral , Louis \.VIl I ne voulait point avoir un ministre
de sa maison; lU. de l'rarlcl avait dirigé cette haute partir du
service avec discerucmcnt et capacité; e'était un gentilhomme
d'excellentes mauicres , Iort instruir des élémcnts de la constitu-
tion et du gouvcrnement anglais, d'nnc extreme modération de
caracterc , dominé par la pensée de paraitre homme politique ,
el surtout par un hesoin d'écrire et de faire des articles de jour-
naux: aH'C de l'esprit d'ailleurs , mais n'ayaut pas comme t(~te
d'État une grande portéo ; au reste, ]\J. de Pradel n'était pas
placó assez haut dans une opinion pour servir de pivot ~l une
combinaison parlcmcntairc ; on Ini préféra le général Lauriston ,
qui venait de rendre un service dans la rópression des troubles
de Brost. M. de Lanriston avait {olé déj11 cornpris dans plusieurs
comhiuaisons de ministerc royaliste; agréable ~l ce parti ,
on le lni donnait comme gago, Le nouveau ministre n'était pas




68 HISTOTRE OE LA RESTAURATfON.
un choix de capacité; il avait une raíson droite, un instinet de
bon sens, un dévouemeut ahsoluala Famille royale : jI visaít au
háton de maréchal de France , conune ;. la juste recompense de
ses anciens services. M. de Lauriston avait d'ailleurs un departe-
ment faeile ; il devenait le distributeur des gráccs et des bienfaits
de la Couronne, l'homme des théátres et desplaisirs royaux. On
voulait surtout créer en lui un centre de surveillance et d'action
pour la maison militaire, légalement réservée au ministre de la
guerre, mais sur laquelle l\I. de Lauriston devait avoir une cer-
taine autorité. Dans la nouvelle orgauisation , la maison du Boi
se composa de six serviees : de la grande aumónerie , du grand
maitre , du grand ehambelIan, du grand écuyer, du grand ve-
neur, du grand maitre des cérémonies. Le Roi voulut régler lui-
méme tous ces services ; c'était un point sur lequel il aimait a
conserver la plénitude de son autorité; toutes les fois qu'il s'agit
de créer un ministre ace département , memhre du conseil, et
par conséquent de le faire rentrer dans les formes générales dn
systeme représentatif, le Roi s'y était opposé. « Je veux avoir,
dit-il , au moins la liberté dans le gouvernement de ma maison. »
Avec quel soin, avee quelle délicatesse , avec que} scntiment
d'égalíté ces divers servíces furcnt rcmplis! on n'oubliera pas
sans doute que le général Itapp , l'ami de Napoléon , vieille el
brusque expression de la roture glorieuse , fut nominé grand
maitre de la garde-robe.


Le mouvement militaire et la conspiration du 19 aoüt avaient
Iait dans l'armée une impression trop forte , avaient exercé une
trop grande inf1uenee morale pour que l\l. de Latour-Maubourg
ne songeát pas sérieusement ;. une réorganisation qui , en chan-
geant les éléments des eorps, en modifierait l'csprit : les légions
reprirent leur vieux nom de régiments : ceci avait deux eífcts ;
d'abord de fondre les corps les uns avec les autres , ensuite de
diminuer le nombre des officiers , d'oú la possibilité par consé-
quent d'éloigner ceux d'cntre eux sur lesquels existaient de
mauvaises notes. Le Couveruenieut voulait rendrc impossibles
les complots dans les régiments ; il fut facile au ministre de co-




CHAPlTRE XV] r. 69
lorer ces motifs secrets , par des príncipes d'économie, (( L'appel
sous les drapeaux des jeunes soldats, disair-il , dOllllait lieu,
dans lesysterne des légions, ¿l des dépenses considérables, par la
nécessité de les diriger sur la légion de leur département , qui en
était souvent placée ü une grande distanee; dans certaines lé-
gions, le nombre des sujets capahlescst si grand , que l'avauce-
ment qui leur estdévolu n' offrepas assez de chances pour les rete-
nir. Ala guerre, ou dansle cas d'une expédition lointaine, un évé-
nementmalheureux peseraittout enticr sur la populationmilitaire
dequelques départemcnts , et rendrait impossihle pour longtemps
la réorganisation de plusicurs corps, )) Le ministre proposait de
revenir Ü l'organisation qui avait régi l'armée jusqu'en 1815. Il
créa quatrc-vingts régiments d'infanterie , dont soixante d'infan-
terie de ligueet vingt d'infanterie légere ; chaque régiment devait
se composer de trois batailIons, ayant chacun huit compagnies,
de trois officiers et de quatre-vingts sous-ofliciers et soldats , sur
le pied de paix. Les inspecteurs généraux d'infanterie , chargés
de réorganiser les corps , durent se pénétrer des motifs secrets
de la mesure. Tous éloígncrcnt , avec un granel zele , lesofficiers
sur lesquclson ne pouvaitpas compter. 011 peut regarder l'ordon-
nance de vl, de Latour-)laubourg comme une nouvelle organi-
sation de l'armée, 011 avait , en JR15, formé les légions pour
effacer les souvenirs ct les attachementsglorieux de l'Empire et
de la Hépublique ; en 1820 ,on organisa les régiments ponr tuel'
l'esprit politique ct de révolution qui s'était emparé d'un grand
nombre d'oíficiers. te ministre de l'intórieur, apres avoir opéré
quclques changemeuts dans les préfectures , rétahlit les secré-
taires généraux , supprimés en 1íH6, et chargés d'exercer une
especc de surveillancc el de police sur les actos d(IS préfets en
s'occupant du matéric] de/a préfccturc. lU. ñlounier suivit dans
tous seschoix l'impulsion dn parti royalistc ; ce fut une satisfaction
qu'il lui donna. On avait ¿l s'occupcr des élcctions ; le secrétaire
général devait seconderI'action du préfct dans le grand mouve-
ment qui se préparait , et la préoccupation intime de ~I. i\lou-
nier ; ce fut lui qui s'en chargea spécialement, La luttc était sans




70 JlI5'fOIHE /lE L\ HESTALHATION.
doute décisivc , il s'agissait de la royauté : mais 11. Jlounirr,
tete capahle , ne devait-il pas voir que mottre trop complérement
la victoire dans les mains royalistes , c'était suicider l« ministére
dont il faisait partie ! 1}1. Capelle connaissait parfaitement le per-
sonnel des colléges électoraux ; il agit dans le móm« sens que
l\I. Mounier, avee un zéle plus outré peut-étre ; la lutte était
diffieile; on n'avait pas encore essayé de laloi électorale , de cette
combinaison des grands colléges opposés aux petits, lU. Mounirr
écrivit aux préfets que partout 011 un candidat royaliste serait
opposé aun libéral , on sacrifiát le candidat ministériel , si 1'0n
exposait l' élection aux chances d'un triomphe du cfl!{., gaucho,
C'était la contre-partie du systemc de 1\1. Dccazes , qui avait fait
pousser les libéraux plutót que de laisser passer un ultra.


Le Conseil des ministres se réunit pour délihérer sur la grave
question des colléges électoraux. :tU. Pasquier cxposa que les
circonstances étaient tellement décisives , qu'uno proclamation
du Roi lui paraissait un moyen de raison et d'iníluencc sur I'cs-
prit de la masse élcctorale. Louis XVIII, qui aimait 11 paraltre
dan s son Gouvernement, se saisit de cctte idée, el lU. Pasquier
fnt chargé d'une prcmiere rédaction; elle fut apporté« au Con-
seil , modiíiée, puis corrigée par le Iloi , écrite de sa main ; cent
mille [ac similc furent lithographiés et adressés pcrsonncllement
a tous les électeurs du royaume. « Écartez des fonctions de d{.,-
puté, disait le Roi, les fauteurs de trouhles, les artisans de
discordes, les propagateurs d' injustes défiances contre mon Gou-
vernement; il dépend de vous d'assurer le repos, la gloire ct le
bonheur de notre eommune patrie; vous en avez la volonté ,
manifcstez-Ia par vos choíx. la Franee touche au moment de
recevoir le prix de tous ses sacrifices, de voir ses impñts dimi-
nués, ses charges publiques allégées; et ce n'est pas quand tout
ñeurit et tout prospere, qu'il faut mettre dans les mains des fac-
tieux, et livrer a leurs desseius pervers , les arts , l'industrie ,
la l'a\"X. de':) lam\\k'2> , et une f{'\kit(~ quetonsles peup'es de\a tene
envient, » Ces lettres , directcment adressées , eurent une grande
iníluencc. tes élections dépasserent les cspérances rovalistcs!




ClIAPLTRE XHI. 71
Elles se firent en deux périodes : les arrondissemcnts et les dé-
partements. Les élections méme d'arrondissement donnérent une
majorité de centre et de droite, et voici dans queIles propor-
tions : sur quarante-six nomina tions pour le cinquieme arenou-
veler , vingt- neuf furent choisis parmi les candidats de droite ,
et dix-sept parmi les candidats libéraux, Les élections de dépar-
temcnt furent en masses royalistes ; il n'y cut que les départe-
ments de l'Aubc, de l'Iudre , de la lUeuse , du Haut-Rhin, des
Deux-Sevres , de la Vendée, des Vosges, oú les patriotes l'em-
porterent ; ils eurent une nomination dans le départernent de
l'Aisne et une dans le département du Bas-Bhin, En résumant
les élections accomplies , la droite avait eu une victoire complete,
la balance n'était point égalc, Le Roi prévit bien le résultat qu'un
te! suecos royaliste devait avoir : « Nous serons débordés, 1\1. de
llichelieu , dit-il ; vous sera-t-il possihle de coutenir une telle
majorité? » lU. de Ilichelicu répondit : « Nous avons la parole de
MONSIEUH, et puis , il fallait avaut tout sauver la monarchie ! »


Les éléments de la nouvelle Chambrc étaicnt done tout a fait
en opposition avec la majorité si partagée de la derniere assem-
hléc qui <n ait volé la loi d'élection : une Iorte eouleur royaliste
dominait; la Chambre était aux Bourhons , il n'y avait plus de
danger pour la elynastic ; mais elle n' érait pas au ministere. Plu-
sieursdéputés d'une certaine importance entraient dans la Cham-
hre ; le cóté gauche s'y Iortifiait peu ; mais ses diverses nuanccs
acquéraieut quelques noms uouveaux qui , depuis , ont joué un
role. Nul ne pouvait uicr l' esprit et la verve de l\l. Étienue,
counuc écrivain ; le départemeut de la lUeuse l'envoyait mainte-
nant counuc dépnté. 1\1. Étiennc n'était point né pour les grandes
positions d'admiuisu-ation et de tribune; sa parole était décla-
matoire; son esprit ne voyait rien de bien haut, Aiséiuent Í1n-
pressionnable , d'une crédulité facile , ilne pouvait apporter dans
les aflaircs cene raison calme, instru ile ct éclairéc qui coustitue
la tete des honnues poli!iques, 11 uvait surtout cette instruction
supcrliciellc pour écrire une page spirituclle de journal, iuais
<tui exclut tout examen sérieux el réíléchi d'une position. Si




72 lllSTOlHE DE LA. HESTACHATlOl.\..
quelquefois les hommes de cabinet ne vivent pas assez dans ce
monde extéricur OU l'on voit toutes les opinions et les passions
du pays, les journalistes y vivent un peu trop ; ils s'instruiscnt
par la rue, par des demi-coníídenccs ; de la ces jugemcnts prl'-
cipités , cettc habitude de se préoccuper et d'agir par des cote-
ries ct des intéréts isolés : lU. Éticnne était lié avec la gauche,
mais il eüt été facile de l'attirer au Couverncmcnt des Bourbons;
quelques distinctions bien distribuées , el si bien méritées par un
talent si spirituel , la réparation d'une injustice académique ,
pouvaient donner le député de la ;Ueuse Ü la dyuastie legitimo ,
et c'était une conquéte. On fut malhahilc avee lui. te marquis
de Thiars venait égalcmcnt s'asseoir au cóté de M. Étienue ; re-
préscntant d'une antique maison, 1\1. de Thiars avait été cham-
bellan de l'Empereur, et lorsque la Hcstauration s'accomplit, le
général qui se crut engagé se' jeta dans le Iibéralismc , avec
cette ferveur qui cherchait 11 Iaire excuser sa vicille origine;
lU. de Thiars avait conservé ses manieres aristocrauques, un
mélange de cette forme hautaine des généraux de Bouaparte
et de ces habitudes de supériorité des ancicns gcntilshonnues :
il av ait cctte parolc Iacilc , ce Iaisser-allcr d'esprit et de mots ,
typenohiliairequ'on n'cífacc pas COlllIlH


'
son hlason. 1,ouisXVIII


ne lui pardonnait pas l'ouhli des procédés d'une Iamille de cour
envers sa royale dyuastie, et ~I. de Thiars ne pardonnait pas ¿I la
Ilcstauration de I'avoir omis dans ses grandes diguités de chátcau
el de pairie. Je ne sache ríen de plus implacable ~\ une cause
qu'un homme compromiso Joigncza cela s'il a sccoué le poids
des souvenirs , el s'il doit boaucou p ~I cettc cause qu'il rombal.
Alors tout retour cst impossihlc, On lit une réputatiun politiquc
11 iU. Krcchlin , mauuíacturicr de Mulhouse . je ne m'expli-
qU(~ point próciséuicut cene popularité d'un député, au reste
fort ordinaire. ?ll. Dcvaux , du CIH'r, J{-giste en grande consi-
dération aBourges , Nait HIle dl\ ces tetes qui ue vivcnt que par
des méíianccs et des hostilités centre le Pouvoir ; ccci devient
dans leur esprit une espere de monomauie ; si l'on part de I'idéc
que le Pouvoir est euncmi , il n'y a plus rieu de possible en iua-




CIlAPlTRE X, 1I. 73
tiere d'adiuinistration '? Illui faut une ccrtaine latitude d'action
et de liberté; ces petits esprits , qui viennent l' cnlacer sous mille
chaiucs , ne savent pas qu'ils empéchent la vie de la société, et
qu'ils créent au milieu d'eIle des élémcnts de troubles. Dans une
nuance plus modérée deux députés allaient grossir le coté gau-
che : le premier, lU. Humann, jeune encore et que de vastos
opérations índustrielles avaient recommandé aux électeurs de
Strasbourg; 1\1. Humann apportaít dans la Chambre une réputa-
tion méritée de capacité spéciale. Il ne fallait pas s'attendre dans
l\I. Humann a des vues élevées , a une parole facile ; tete tout
d'une piéce , saus liant, sans étendue , arriéré dans ses princi-
pes d'économie politique , il était la véritable expression de ces
manufacturiersqui, sous le régime prohibitif de l'Empire, avaient
conquís une haute importance et. une colossale fortune, mais
qu'un régime plus large de liberté désolait dans leurs propres
spéculations, Le second de ces députés était lU. Humblot Conté:
il siégeait au centre gauche , et par la modération de ses doc-
trines politiques méritait l'estime de tous les partís, Tels
étaient les députés importants qui allaient grossir I'opinion li-
héralc; les autres n'avaient que des boules adonner. C'est chose
triste adire; mais, sauf quelques exceptions, les partís s'adres-
sent ades médiocrités, les élevent, les exaltent ! Ils font des noms
célebres aje ne sais quels hommes ohscurs qu'on est tout hon-
teux pour le pays de trouver si haut placés!


Presque tous les Députésde la Chambre de 1815 étaient ren-
voyés dans la nouveIle Chambre avee leurs griefs contre le
5 septembre, leurs opinions exaltées par six années de lutte
contre le mouvement libéral de la Restauration. Quelques nou-
veaux noms se joignaient a la vieille phaJange; en premiere
ligue, 1\1. de Peyronnet, procureur général a Bourges, qui
n'avait point cette grande importance que son ministére luí fit
plus tard acquérir. Député siégeant au centre ministériel vers
la droite , il comrncncait sa carriére parlemcntaire silencieuse-
ment , el on ne lui connaissait point encere cette faculté de
parole ct ceue force de caractere qu'il déploya plus tard daus


111. 7




mSTOlBE DE LA HESTACHATlON•.


de graves circunstantes. Puis venait lU. Dudou ; 011 ue pou-
vait lui refuser heaucoup d'esprit et de capacité, uue facilité de
tribune pcu conunune : chose rcmarquablc ! ". Duden ne
s'attachait qu'aux idees exagérées , qu'aux démarches Iausses ,
qu'aux sophismes de discussion. Y avait-il une cause dillicile a
déíendre et que tout le monde repoussait, aussitót M. Duden
s'en emparait; il arrivait a la Chambre tout colere contre 11. de
Ilichelieu qui l'avait Irappé d'une dcstitutionü la suite des li-
quidations étrangeres, Il avait été élu dans l' Ain a l'cncontre
du candidat ministériel et par le patrouage de M. l\lichaud. ~\
ses cótés , s'asseyait 1\1. de Puymaurin , député de Toulouse;
je ne sache persouue d'une érudition plus gaie , d'uu laisser-
aller plus spirituel; sa longue chevelure ala Boissy d'"\llglas, sa
large tete ala l\lirabeau, une cspéce de daudiueruont de corps
le faisaient remarquer a la tribune , et l'acccnt langucdocicn
dunnait ases pointes, a ses sarcasmes je ne sais quolle teintc
d'originalité gasconne. Le général Dounadieu avait égalemcnt
ohtenu sa nomiuatiou dans un des arrondisscments des Bou-
ches - du - Ilhónc ; rude adversaire du cabinet Ilichelieu qu'il
coníondait dans sa haiue centre M. Decazes , sa parolc é!ai!
vive , irnpétueuse , sans rnónageuicuts ; il s'attachait a \lll nom
propre , le poursuivait d'une maniere implacable: c'(·tai! le
Drapean blanc a la tribuno. Il y avait quelque chose d(' SUlIl-
hre dans les inquietes déclamations du général , son geste, son
regard , tout aunoncait un des plus fougueux orateurs de l'op-
position anglaise, Quand il montait a la tribune , tour 1(' iuinis-
tere étaiteu émoi; ilne procédait que par des accusations : les
Royalistes de l'extrémité aimaient a l'écouter. Ileun-usetuent
pour le ministere que la fraction modérée du COU', droit dés-
avouait les atraques ardentes du géuéral Donuadiou. M. de
Chabrol de Crouzol entrait aussi dans la Chamhre; d(I.j:1 aplwlé
au Conseil d'État lorsque le uiinistere s'érait tourné vers la
droite, il apportait un lote dévoué au ministcre Iliclulieu ; c'était
un homme de mceurs douces el polies, un excellcnt admiuisrra-
tcur , mais avcc peu d'élévatiou daus les idées pclitiqucs, 1Ik ('1'4'.




CHAPTTRE XY¡T. 75
d'ailleurs par la conduite du ministerc Decazcs dans l'aílaire de
Lyon. Le Jura cnvoyait :U. do vaulchicr, notabilité localc, avec
d'excellentes habitudes domestiques et d'unc grande prohité ;
il n'avait pas de grandes lumicrcs , ct ses scrnpules religieux le
domiuaicnt ; il ótait l'expression de son partí asee tout le zele et
les élancemcms d'un ame piense. La députation de Paris offrait
quatrc noms nouveaux : l\l. Quatremere de Quincy, d'une vieille
íamille de bourgeoisie, savant de premier ordrc , un peu systé-
matiquo , naturellcment porté vers les idées d'un pouvoir fort
et absolu ; l\I. Bonnet, avocar célebre, inoffcnsive exprcssion
du harrean de Paris ; lU. Lebrun , l'homme de la bienfaisance
el des hureaux de charité ; cnfin, M. Olivier , l'un des régcnts
de la Bawl'H' de France , uégociant estimé, et qu'une ambition
d'honncur el de pairiescmblait plus spécialement attacher rl la
cause rovalc. J'ai pris ces députés uouveaux , paree que plu-
sieurs furent appelés plus tard a jouer un role élevé , et que
nous les trouverons dans des positions administratives sous le
minisrere de M. de VilleIe.


EII préseuco d'une t('lle majorité de droitc , le cabinet de
M. de HidH'li('1l dut s'organiser de telle sorte qu'il püt répondre
aux scutimcnts el. aux opinious de la nouvelle Chamhre ; sans
doute tous les dóputés u'arboreraicnt pas les couleurs ardentes
et décidées des Ilovalistes de la droitc , mais la grande majorité
allait se grouper autour des chefs de la Chambre de 1815; des
lors il était urgent de se rapprocher de plus-en plus des Hoya-
listes, et d'entrer en négociatiou avcc les chefs de cette majo-
rité, Sur les instances de 1\1. de ltichclieu , M. de Cháteaubriand
accepta l'amhassade de Berlin ; premier tenne de l'alliance,
premie!' pas dn noble pair dans les aífaires. On avait coníéré a
M. Bcnoist la direction des contributions indirectcs apres la dé-
mission de 1\1. de Barante ; il Iut cntendu qu'on offrirait aMM. de
Yillele el Corbierc une posirion dans le Cabinet, L'augmen-
tation du nombre des députés offrait naturellemeut l'occasiou
d'agrandir le Conseil. 1\1. de Itichelieu proposait d'abord de
créer un grand minister« de l'iustruction publique et des cultes,




7G nrSTOTnE DE LA nESTAUnATrON.
puis un ministere des contributions directes , et de les' ofTrir 11
lUM. Corbiere et de Villcle. Des négociations s'cngagereut sur
ce point : l\I. de Yillelc refusa pour le moment miministére : il
dit meme 11 1\1. de Richelieu : « Faltes quelquc chose pour Cor-
hiere; quant amoi, il me suffit d'étre dans le conseil du RoL »
1\1. Lainé, pour ne point déranger les combinaisons ministé-
rielles , consentit a céder l'instruction publique ~\ l\I. Corbiere.
Tous ces arrangements furent anrétés : mais les ordonnances ne
durent paraitre qu'apres le discours de la Couronne. l\l. de
Yilléle ne demanda en échange de son coneours qu'une loi mu-
nicipale pour satisfaire la majorité, et puis un certain nombre
de positions inférieures pour contenter les exigences. de qucl-
ques-uns des chefs de file de la droite. On convint également
que, pour le choix administratif des localités, on eonsulterait
les opinions et les intéréts royalistes. Le discours de la Couronne
fut arrété dans la pensée de eette eombinaison prochaine, et
rédigé en Conseil entre les ministres et les chefs de la majorité.
la rédaction générale Iut faite par 1\1. de Serres , soumise a
1\1. de VilIe]e. Le Roi y disait : ( que l'amélioration des revenus
de l'État, les éeoriomies qu'il avait prescrites et la solidité
éprouvée du crédit , permettaient une nouvelle diminution d'im-
pol. Perfectionner le mouvement des grands corps politiques
créés par la Charte , mettre les difTérentes parties de l'adminis-
tration en harmonic avec cette loi Iondamentale , inspirer une
confiance générale dans la stabilité du trñne et dans l'inflexibi-
lité des lois , tel est le but de ses royaux efTorts. » (( Tout annonce
que les modifications apportées anotre systeme électoral , ajou-
tait Sa lUajesté, produiront les avantages que jr m'en étais pro-
mis. Ce qui accroit la force et l'indépendance des Chambres
ajoute al'autorité et a la dignité de ma couronnc, En afíermis-
sant les rapports nécessaires entre le l\lonarqne et lesChamhrcs,
nous parviendrons afondor le systeme de gouvernement qu'exi-
gerait dans tous les temps UlW aussi vaste mouarchie <[ue la
Franco. e'est pour accomplir ces desseius qne jp désir« voir se
prolonger }('8 jours qui peuvent m'étre encero réservés ; c'est




CHAPITRE XHr. 77
aussi pour les accomplir que vous devez comptor sur ma
ferme et invariable volonté , et que je compte sur votre loyal
et constant appui. » Cette derniero phrase , expressive el
touchante, était du Roi Iui - méme ; elle envisageait I'avenir,
Louis XVIII prévoyait que les ultra allaient l'emporter et que
le pouvoir échappait de ses mains modérées pour tomber dans
celles de son frere. IJ parlait de sa mort comme d'un événe-
ment prochain, cherchant a attendrir cette implacable majo-
rité qui allait se venger des injures faites ala Chambre de 1815;
il semblait pressentir une especo d'abdication morale. Quand
les arrangements furent définitifs entre les ministres et la majo-
rité , on les soumit au Roi , qui ne connaissait que tres-impar-
faitement 1\IlU. de VilJeIe et Corbiere, Ces deux députés furent
présentés par M. de Richelieu, Le Roi les étudia, et ne se
livra point aeux. LouisXVIII n'avait d'abandon qu'avec quel-
ques personnes de son intimité ;il était aimable , mais froid
pour tout le reste. Il dit a 1\1. de Richelieu : « Ces deux Mes-
sieurs me paraissent íort bien pour nous; Dieu fasse que cela
dure et qu'ils nous sccondent l » Une ordonnance appela le
lendemain 1\1. Corbiére a la présidence du Conseil royal de
l'instruction publique; MM. Lainé et de Villele furent nommés
ministres secrétaires d'État sans portefeuille et appelés au Con-
seil du Iloi. De la part du ministere Richelieu c'était une faute
grave que d'appeler lU1\1. de villele el Corhiére au Conseil,
sanssatisfaire leur juste amhition de chefs de majorité; les Roya-
listes ne pouvaient étre contents qu'cn voyant leurs conducteurs
parlementaires dans des positions actives et élevées. MM. de
Villelc el Corbiere désiraient plus qu'ils n'avaient obtenu,
ct , mécontents qu'ils étaicnt , on les introduisait dans le sein
du Conseil pour leur douner un goüt plus vif du pouvoir, une
plus puissante action sur le Gouvernement; n'était-il pas natu-
rel que, dans ecuo position équivoque , les deux nouveaux
ministres, sachautbien qu'ils ne vivaientque par leur majorité,
cherchassent ü la contenter, a se maintenir en bonne harmonie
arce leurs amis politiques 1 l\J. de Villc!e surtout avait l'instinct




H15TOlRE DE I.A RESTAUHATlON.


de cette sitnation ; il érait plus occup« Ü conserver son iuñucnce
dans la Chambre qu'a sccondcr le ruiuistürc: '-OiUl ce qui expli-
quait son refus de toute admiuistration rcspousahle ; u'étaut pas
en premiere ligue dans lo Gouvcrucmcnt , il préférait rester sans
"portefeuiUe, et "par con'5~quent sans n\.~\)()n~,\bi\\.té e\\ecü\'c.


En politique , les chefs de file d'opinions parlcmcntaires
s'imaginent souvent qu'ils sont a eux seuls l'expression tout eu-
tiere du partí qu'ils représentcnt ; ils croicnt l' cntrainor partout
oú ils se posent. Il faut se pénétrcr de cctte idéc pour expliquer
la situation ditIicile el compliquée de l\l~I. de Yilh\le et Cor-
hiere dans la Chambre de 18:20. Le parti royalistc avait en be-
soin du ministere Bichclieu pendunt la scssionprécédeute ; il
l'avait par conséquent sccondé avcc lovauté el dévouemcnt :
mais dans la nouvclle lice qui allait s'ouvrir, les Iloyalistes, mai-
tres du terrain , se montrercnt exigeants, impérienx , inrraita-
hles ; cela devait étre , ils étaieut les plus forts; et les partis ne
sont pas tenus a la reconuaissance. Des nuances s'étaicnt par-
tout dessinécs , et ~nI. de Villele el Corbier« ne les ropré-
sentaicnt pas tout cntieres an pouvoir ; Ü l'extrémité des doc-
trines de droitc se placait le général Donnadicu , adversairc
toujours armé, poursuivant les ministres de sa parole implaca-
ble. Était-il possihlo que le gl'néral pút s'cntcndre a\ (le JI. de
Itichclicn et une majorité de cabinet qui était anx aílaireslors
des troubles de Greuoblc '? Ensnite , vcnaient i\IJ1. de La BoU!'-
donnayc, Duplessis de Créuédan , adversaires pleins d'aigreur ;
]U. de Vaublanc, qui rentrait dans la Chauibrc encoré tout mcur-
tri et colere de sa démission de 1Ri G, ¡\ laquelle M. de lliche-
licu avait contrihué ; lU. Delalot , talcnt pur el académiqu«, (fui
visait aux effcts de tribuno et it uuc influeuce de iuajorité. Sa
parole était arden te , impótucuse ; il aimait la (/('clalllalioll , la
harangue cicéroniennc ct d'apparat ; il possédai: cettc faculté
que les anciens dófinissaicnt SO\lS le I itre d' inrcciiccs : au reste ,
esprit superlicicl, ayer pcu d'apl itude aux allaircs ; ~1. de Cas-
telbajac , chef des troupcslógórcs , infatigables, qui harassaicnt
le pouvoir: ct lU. Cornet-d'Incourt , si spirituclleuicnt uioqucur ,




r.nAPlTfiE \, 11. 79
n'épargnant ni les hounucs du miuistere , ni ses actcs , ni ses
inteutions. Chacun de ces députés cntrainait avec lui-méme un
certain nombre de houlcs qui , par leur masse , agrandissaicnt
l'opposition de gauche , laquelle n'était plus iufluentc dans son
peti( nombre el dans son isolemcnt. Tontcfois, la plus grande
fraction de la droite était arrivée au ministerc par l'adjonction
de Jli\l. de Yillele ct de Corbiere ; on y comptait MM. Courtar-
vel , Bouoist, Bonnet, Pardcssus, Jljet, el méme ]U. de Bonald ;
mais ses sympathies devaicnt la détachcr tót on tard du minis-
trre, pour la porter vers son cxtrémité , oú étaieut ses sen ti-
meuts , ses souvenirs , ses priucipcs , cal' elle n'aimait ni les
honunes , ni [I'S choses de l'administration Ilichelicu. OIl se Iai-
sait des conressions , c'était un mariage de raison : sans atta-
qller la Ioyauté de JUJ\1. de yj))('le et Corhiérc , je dis que
lcur situation était tellement cornplexe et en dchors de leur
condition poli tique , qu'ils ne purent pas toujours agir avec
Iranchise. Chefs de parti, avant tout, ils savaient que tót ou
tard le pouvoir devait tomber dans lenrs mains , et ils n'étaient
pas f¡\cIJés an fond , de ces ronps de folie et d'exagération de
l'cxtrémité de droite , qui avanraient l'henre de leur triomphe
ministéricl. lis en hlámaicnt puhliquemcnt Ieurs amis; mais en
secrct que de conccssions et pcut-érre d' éloges ! Des l'ouverturo
de la session, il s' était formé des réunions séparées des memhrcs
de la majoritó ; l'une , chez i\I. Usquin , rrpréscntaít le centre
droit; une autre , chez M. Piet, réunissait les Boyalistes de la
droite, soit qu'ils fusscnt en hanuonie ayer, le ministere, soit qu'ils
pnssent se rapprocher de l'opposition de ]U~I. de Castelbajac
('1 de La Bourdonnayc ; la réunion Piet s'était continuée dans
l' iutention de hien séparcr les Ilovalistes de la droite, du centre
pUl'. ~JM. de Vill<\le <'t Corbiere , toujours tres-assidus , y
apportnicnt les projets du Conseil , pour consulter lcurs arnis ,
pour savoir s'ils auraient la majorité, Au milicn de 'ces réunions,
011 lour adrcssait souvent des reproches pour leur complaisance
envcrs le ministér«, on les invitait amultiplier les gages dans les
hornmes comme dan s les choses , et puis, ils revenaient au Con-




80 HISTOTRE DE LA RESTAUHATlON.
seil porteurs de paroles de la majorité et imposant ses condi-
tions. 01', il était ímpossihle que le cahinet Richelieu subit toutes
les idées de la majorité de droite. Conune i1 n'avait pas assez
fait pour les hommes, comme il n'avait que faiblement placé le
pouvoir dans les mainsde la majorité , celle-cise montra d'autant
plus impérieuse pour les choses ; e'est la loi des partis.


Reparlerai-je de la Iraction libérale de la Chambre cessant
d'étrc une inílucnce parlementaire , pour se faireinflniment petite
minorité? On eüt dit que, dans eette session , les plus heaux
talents s'oubliaient , et parlaient devant un autre public que la
Chambre. Le général Foy et M. de Constanteux-mémes n'étaient
plus ces hommes de convenances parlementaires : ils devinrent
tribuns de rue et de caserne, L'adresse souffrit peu de débats;
la majorité la vota dans un sens religieux et monarchique. ( Quel
bien la France ne devait-elle pas attendre de la volonté ferme et
invariable de son roí et de l'appui loyal et constantdes Chambres!
elle rccueillait déja le fruit de la sagesse royale et de sa persé-
vérance. Fortifier l'autorité de la religion, épurer les mceurs
par un ~ysteme d'éducation chrétienne et monarchique, donner
¿I la force publique eette organisation qui assure la tranquillité
au dcdans et la paix au dehors , pcrfeetionner toutes lesinstitu-
tions qui dérivent de la Charte et qui doivcnt protéger nos
libertés , teIles sont les intentions bien couuues de V. l\J. Tels
sont aussi nos devoirs. Ces améliorations importantes, nous les
poursuivrons avec la modératiou eompagne de la force; nous
les ohticudrons par la paticnce , qui est l'art d'attendre le pro-
grl's naturel du bien qu'on a déjá Iait. )) Cette dernierc phrase
était tout a la fois une menace et un gage de modération ; on
parlait de force; la Chambre déclarait qu'elle attendrait, Elle
voulait engager le miuistcre. Le Roi répondit avec attendrissc-
mcnt ; il seuibla rappeler qu'il n'avait plus que quelques jours
avivre , et qu'on le laissát en paix sur le tróne de ses ancétres.
« l'lessieurs, dit-il , je suis vivement sensible auxsentiments de
la Challibre des Dúputés, Vous venez en les exprimant déve-
loppel" mes intentious ; c'est meré\)ondre que vous mescconde-




CHANTRE XVII. 81
rez; e'est me donner le gage de l'union quí doit exister entre
moi et les Chambres, et qui assurera le bonhcur de mon peuple,
le seul bien que je désirc , le seul qui puisse vraiment toucher
mon cceur. Je l'ai dit et je le répéte , Messieurs, si je désire
voír prolonger mes jours, c'est pour aííermir les institutions
quej'ai données amon peuple. Maís, quels que soient lesdéerets
de la Providence , n'oublions pas cette maxime de notre droit
public : le Roi nc meurt pas en Franco. )) Ainsi I...ouis XVIII
semblait toujours annoncer et prévoir le regne de son frére.


•La premie re discussion qui alIait s'ouvrir était le vote de six
douziemes provisoires: on en fit un ehamp de grandes discus-
sions politiques comme pour l'adresse. « Jusqu'a ce jour , disait
le général Donnadieu , il n'y a eu que risque et dommage aétre
royaliste; il en sera de méme pour l'avenir, si les hommes créa-
teurs de cet ordre de choses restent aux affaires; le propre de la
nature des ministres est de ne réparer aueune injustiee, de gou-
verner avee ce systeme bátard qui énerve la nation !a plus forte
et qui tend adissoudre , a anéantir tous les caracteres. Les mi-
nistres sont amémed'offrir au premier mot 100000 fr. au pre-
miel' de vous quí sera disposé a trafiquer de son honneur et de
son indépendance. JI est un fait eertain : un de nos collegues a
été insulté par les ministres, qui lui ont offert 100 000 fr. d'in-
demnité, J'en ai la preuve , et, s'ille faut, je nommerai le dé-
puté, » Certes, l'aeeusation était grave; e'était de la plus indigne
corruption qu'on accusait le ministérc, 1\1. de Serres répondit,
mais d'une maniere embarrassée , timide; le fait est que l'ar-
rangement dont 1\1. Donnadieu parlait avait été essayé al'égard
d'un député, auquel n'ayant pu assurer une position administra-
tive , on offrait une indenmité sur une reeette générale. Ce
député fut tellement désigné , qu'il erut néeessaire de se
défendre publiquement de I'aecusation. Le second projet qui
fut présenté dans la session était un complément a la loi élec-
rorale dont il s'agissait de détermincr la circonscription, loi fort
importante, paree que de la compositíou des arroudissements
élcctornux dépendait souvent le succes du candidat; l'opinion




82 HISTomE DE LA llESTAliHATlüN.
royalistc arrangca parfaitcmcnt ses aflaires , elle arréta los arron-
dissemcnts tout ¿l fait ü sa ronveuaucc ; la conunissiou s'entcndit
avcc le ministere pour jcter dans les maius de la majorité les
chances favorables de sa réélection. Vint ensuite le projet de loi
sur le domaine extraordiuaire , espece de munificcucc du Gou-
vernement , cal' enfin ce que la conquéte avait donné , la con-
quétc pouvait le faire perdre ; mais tant de malheurs avaicnt N('
réparés par ces donations , tant de serviccs récompcnsés, qu'il
était dans les devoirs d'un gouvorncment loyal d'eflaccr les traces
de ces longucs misercs! Et pourtant daus la situation parlcmen-
taire oú se trouvait le ministere , la préscntntion de ce projet
était une faute ; d'ahord dans la pCllsée primiriv« dn maréchal
Macdouald , qui l'avait concu en 1H1h, il se liait ;1 une id(o<,
royaliste , l'iudemnité des émigrés, Ici le minisrér« l'cn dótarhait ,
et , en faee d'une majorité de 1815, il vcnait secourir les honuuos
de la Ilévolution et de l'Empire , sans mémo parlcr des émígrés,
J'ajoute qu~ parmi des militaircs couverts de glorieuses hles-
sures et de noms honorables, on comptait dans cene liste de
donataires , de tristes céléhrités aux yenx de la Ilcstanrarion.
Jugez de I'impression produi le par 1\1. Duplcssis de Grénédan ,
lorsqn'il lut en pleinc séanco les noms qni se trouvaient en t<~t(,
de la liste des donataircs : c'ótaicnt ~nI. Jcan-Ilon Saint-André ,
Jeau de Bry, Quinette, le ghl('ral IInllin, Lahédoycre, le
maréchal Ney , Drouet , Lefévrc - Desnoucttes , le général
Gilly, lUouton-Durernet, le général Clauzel, ¡lIaret, Excel-
mans, le général Lamarque, Méchin. Un mínisterc qui rendait
un si éclatant hommage h l'ouhli du passé no ponvait longtcmps
méritl'l' 1a coniumcc de Ja droire ! lU. Du]>Jcssisdi' CTPl1Mall ap-
pela l'indemnité des douataires un salaire pour les conspirateurs.


On avait promis une loi municipale'; elle était ardemment d{'-
sirée par les Rovalistcs qui voulaient s'attribucr une influence
aristocratique ct localc, Un projct, rédig(~ par l\l. l\lounier, fut
proposé au Conseil ; MM. de villele et Corhiere ne purent
jamáis s'entendre ; tous deux partaient d'idées diamétralcment
opposées, 1.1' premier voulait des libertes locales, modifiécs par




CIIAPlTRE XVIL 83
l'action de l'aristocrntie ct du pouvoir, cornme les vieilles cou-
nunes du midi; le second appelai t les Iibcrtés bretouues , une
plus largo et plus Iorte participatiou du pcuple dans les élections
municipales. Enfiu , le projct longtcmps discuté sortit presque
informe du Conseil des ministres ; íl reposait sur les bases sui-
vantcs : Le sol administratif érait divisé en communes urhaines
et en communcs rurales; dans les communes urbaines , le rnaire
ct les adjoiuts étaient nommés par le Roi , et dans les commnnes
rurales par le prélct au nom du Iloi ; les conseillcrs rnunicipaux
étaicut élus par les eitoyens les plus imposés,en nombre égal
aux membres du conscil ; dans les communes urbaines , on y
admettait un nombre de notables, qui ne pouvait pas excéder le
double des mcinbres du conseil. Les incmbres des conseils d'ar-
rondisscmcnt et des conscils géuéraux étaient nonnnés par le
Roi , pour dix ans , sur une liste de candidats élus par les assem-
blécs d'arrondissemeut et de départomcut ; les conseils étaient
renouvelés par moitié tous les cinq ans. Ce projet était de na-
ture 11. nc conteuter personne ; d'ahord , s'il faisait une large part


11. i'arisrocrati« rurale , en u'appelant qu'uu petit nombre d'élcc-
teurs ct les plus imposés pour Ie choix des conscillers munici-
paux, il nc décr-ntralisait pas asscz le pouvoir admiuistratif au
gré de ceHe aristocratie : ensuite , la simple présentation des
candidats , poul' les conscilsd'arrondisscmcnt et de départemcnt ,
11e constituait pas ce systt'nw des grands gouverucmcnts de pro-
vince que la droite dcmandait, Le parti libéral pouvait-il ad-
mettrc également un systeme electoral partant toujours de la
hase des plus imposés et des adjonctious? Une commissiou fut
d('signl~(~; JI. Pardessus , nounué rapporteur, conc1ut a l' adop-
tiou du projet ; mais "f. de" ¡UNe declara au Conseil des ministres
que la réunioú Piel se pronunrait centre le projet de loi et qu'on
ne répondait pas de la majorité. 11 fut retiré par le ministere.
Le lloi dit : « J'ahandonnais encore les droits de rua couronne ;
on n'en vcut pas ; rest une lcrou. » Cepcndant il fallait faire
quelques conccssions au parti roligieux de la Chamhre : les deux
ministres , chefs <1(' la majorité , déclarercnt encere qu'il était




Sú IllSTülHE DE LA HESTÁUHATlüN•.
impossihle de s'en dispeuser, si I'on voulait avoir le budget; un
projet de loi fut arrété pour la dotation de plusieurs nouveaux
évéchés. Un crédit devait étre employé a l'établissemeut et
~l la dotation de douze siéges épiscopaux , a I'augmentation
des traitements des vicaires et a celuí des cnrés et vicaíres a
établir, C'était beaucoup sans doute , mais était-ce assez pour
contenter 1\I~I. de l\Iarcellus, Duplessís de Grénédan, exprés-
sions du partí religieux,. et j'oserai dire pontifical¡ Le projet
largement adopté donna lieu a de si grands reproches, qu'il tit
plus de mal que de bien a la popularité religieuse et monar-
chique du ministere. Le Cabillet était alors vis-a-vis le partí
royaliste, comme 1\1. Decazes était, en 1819, devant l'opinion
libérale; il n'en pouvaít plus, et de concessions en concessions
on l'eutrainait a tout céder. C'est ce qui arrive toujonrs quand
un ministére ne sort pas de la majorité : cette majorité se
tnoutre d'autant plus exigeante que le Pouvoir n'a pas sa con-
Iiance , et qu'elle le croit toujours préts a trahir,


Le partí libéral assistait , désintéressé et impassible ,en pré-
sence de ces querelles de ménage qui grandissaient sa force; il
attisait le feu de ces discordes; ríen ne lni plaisait plus que lors-
qu'il voyait monter a la tribuno quelques-uns de ces orateurs
impétueux qui craehaient au visage des ministres. Que voulait-
il? L'afíaiblissement du respect populaire pour I'autorité, el
l'agrandissement de l'esprit d'opposition en Franco, Tout fut
préché , économie , liberté, prestige d'honneur et de gloire;
dans les diseussions de fiuances , l'opposition libérale saisit toutes
les circonstanees pour se placer sur le terrain politique; elle dit
des naívetés incroyables; et, par exemple, que devinrent les
prédictions du général :Foy sur la belle défcnse des Abruzzes et
des Apellnills? sur l'immortalité des révolutions de Naples et du
Piémont? L'opposition se perd par des prédictions d'avenir; elle
desespere toujours des causes qui ne sont pas les sicnnes; elle
atténue aiusi, par ses désappoiutements , sa puissance sur les es-
prits. Il y eut de vériLables discussions d'aflaires sur les canaux ,
sur les cmprunts des villes ; tout cela He souleva que quelques




CIIAPlTHE X\"11. 85
intéréts privés, Quant au budget , il assnrait un dégrévement :
c'était le prcmier excmplc depuis 1815. Dans ce travail remar-
quable , M. Roy exposait qu'uuc diminution de 34363000 fr.
était accordée aux contribuables , ~! partir du 1er juillet, et pour
l'exercicc 1821; les roccttes présumées étaient évaluées a
888021 7ú;) fr. : les délH'nSeS, a 882327374 fr.; il Y avait
done un cxcédant de ;)6~)h 371 fr. , qui, ajouté aux 24400000 fr.
demeurés disponibles sur 1820, créait un fonds de réserve de
30000000 fr., qui devait assurer , pour l'avenir, les diminu-
tions promises sur les contributious foncieres, On arrivait au
dégrevement, résulrat remarquahle d'ordre et de bonne gestion
de la fortunc publique. Ce hudget poqrtant fut vivement atta-
(Iué : rapporterai-je ces discussions toujours les mérncs , ces
griefs se reproduisaut avec une sorte de périodicité ? 011 s'éleva
contre le dégrévemcnt de la proprióté fouciere , qui diminuait
le nombre d'électeurs ; on lit de l'opposition meme sur les éco-
nomies. Itestait une question de feu, la censure serait-elle pro-
rog(~e '? te Conseil des ministres avait déclaré en majorité que
ccue censure était une néccssité dans la positiou ; cependant les
Ilovalistesen éraient 'cnusü ce point d'aigreur contre le ministere
que la conunission , par l' organe de l\I. de Yaublanc , proposa


. le rejct du projet de loi; son rapport était une critique amere
de l'administration écrite en termes vifs et décidés ; M. de Vau-
blanc déclarait que la liberté de la presse avec des lois répres-
sives était la seule chose légale dans le gomernement representa-
tifo Les ministres se rcsignérent ~\ subir une discussion publique;
{'lIr ne fut cnrieuse cette discussion que par les injures inconve-
nantes que les Iloyalistes et les membres du Cabinet se jeterent
par la tete. l\l. de Castelhajac attaqua personnellement les mi-
nistres ct principalcrueut M. Pasquier. ( La censure n'est point
dans la Charte , s'écria-t-il , elle a favorisé les príncipes de la
révolte, elle a arret{~ l'expressinn de la fidéIité et de l'honneur,
l't voulussiez-vous íairc autrornent pour l'avenir, vous ne le


, pourriez pas ; vous haísscz les ltoyalistes comme individus, con-
tinua vivcmeut l\I. de Castelbajac; oui, 1\1. Pasquier, vous les


11. 8




80 IIlSTOIRE DE LA RESTAUHATION.
haíssez , vous les repoussez couuue priucipe ; placó vous-meme
par vos autécédcuts daus une situation Iausse , vous ue pouvez
pas avoir une doctrine, vous He poU\"ez pas proíesscr une opi-
nion sans craindre un Moni: cut, ou des souvcnirs. ) Le soir
au Conseil JU. Pasquier se plaignit vivemcnt de cctte sortic á
1\1. de Villéle , qui lui dit : « Laissez passer cela, e' cst un de
ces coups de boutoir auqucl il faut s'aucndre. - Je He le puis ,
répliqua JU. Pasquier. - Counuc il VOllS plaira , mais vous fercz
une faule; vous pouvez corupruuu-ttre la majorité. )) Le len-
demain, l\I. Pasquier lit une sok-nuclle déclaratiou de ses
amitiés et de ses répugnanccs politillues. ce 011 1101/5 a aCCl/Sé5
de hall' les Itoyalistcs ; dans un gOll\eruenwnt de la nature du
nutre, il est des amitiés politiqucs connue il est des éloigncments :
quant ~l moi , dit ~I. Pasquier avec quelquu vivacité , j'ai de
1'éloignement pour ces honuncs qui par rl'injustcs récrimiuatinns
fournissent des armes aux révolutionnaircs ; j 'ai de )'éloigncmcut
pour un petit nombre d'hommes qui veulcut usurper ~l eux seuls
le titre de royaliste ct accaparer les sentiuicnts de la massc de la
nation ; j'ai de l'éloigneuicut pour ces houunes qui voudraient
faire de la royauté l'instrumeut de leur amhition ; j'ai cncorc de
l'éloigucmcnt pour cux , parec que s'ils al'ri, aienl au pouvoir,
ils ne s'en serviraicnt que dans quelqucs intéréts partirulicrs ,
el y portcraicnt ces pctites aiubitions qui out d('jil Iait taut de
mal a la royauté. Maintenant , continuo le ministre, je dois pro-
clamer mes affcctions pour cette Ioule de citoyvns qui siégcnt
dans cette eilceinte et qui sont d'autaut plus royalistcs qu'ils
sont constitutionuels ; j'houore ces honuues qui travaillent saus
cesse a déíendre le pouvoir royal dans quelque tcrups<[1lI' ('(' soit
et avec Iesquels je me suis uni pour combaure , 10rs(IIIt· j'ai (TU
la royauté ct pcut-étre la légitimité inenacé«. » ,,1. de Yillcle
I'avait bien prévu ; la déclaration de ,,1. Pasquier Iut une rup-
ture véritable avec le parti royaliste ; c'était saus doute un S<'I1-
timent d'honneur et de positiou qu'ellc exprimait. ~lais ¡l quni
bon , quand on reste miuistre , offcnsor une majorité de Iaquelle
on dépend '? 1\1. Pasquier desccudait de la tribunc , lorsque




ClTAPITRE XVII. 87
]\1. Corbit"rr lui dit en sonriant : « Puisque mus avez voulu
parlcr, vous avcz di; ('.p qu'il Iallait dire ; ~l votre place, je u'au-
rais pas pris la parole. » 'i. Corhióro avait raison, un hommo
politique ne doit avoir ni colore ni répuguauces ; il est au pon-
voir pour subir les auaqucs ; c'est du stoícismc , si 1'0n veut ,
mais du stoicismc indispensable. La Chambre accorda la cen-
sure, mais pnur un termc si restreint qu'r-lle appelait une solu-
tion immiucnto de la qucstion ministóriolle dans la session pro-
chaiuc : la censure ne dut pas S(" proloJlgcr au dp1ü de deux mois
apr(~s l'ouverturc t1P cellp srssion. La majorité se réservait la
haute main. A/ors tOllt iourna ('ontre une paciíication, 1\101\-
SIECfi, fort l1lt"COJ1ICJ1t de ce (111'011 n'avait ríen fait pour '-'D1. de
I'olignac ('f d<' Yitrollcs , de C(~ qu'on n'accordait que peu aux
opinions dont il était 1{" royal rcpréscntant en France , s'aigrit
profondémcnt ; ensuitc on fui obligé ~l des mesures de rigueur
contrc le góuéral Donnadicu qni , dans une conversation intime
arce le duc de Itichclieu , s'etait laissé aller a une indignation
insultante pour le président dn Conseil. Si l'on avait couquis
quclqnes unités tcllcs que ~nL Pardcssus , Bcnoist ct Cardón-
ncl par des positions po1iliqll('s O!1 judiriaires , la masse s'était
~épa/'(~e du iuinisu-r« sans /'('SSOIlr('(". On /(1 scntit Ü mesure f[U'OIl
avanrait dans la session. Le C(llltn" restait ñdele , uiais la droitc
échappait ü chaque question décisive.




CHAPITRE XVIII.


NOeYiLLE RePTlJRE. AYEC LES ROYALISTES••- CAUSE nr MJ:\ISTJ.;RE
DE }I. .DE YILLtU:.


Le cabiuet TIicJlclieu apres la session de 18.20.-COIlSpil'uti¡1Il. - Jl1gl'IlJellt
de la (,cJUspil'atioll militaire. -l::tat ,lf~ ¡'opillioll. - Le ('()llgl'~S de
Layhach , - Naples. - Le l'j(:1Il01lt. - 'I'rio m p h« de eaIJinet. - ]\lc]'t


.de N apoléon. - I\apteme <lu duc ,le I\'OI'deall'c - Foree de I'opiuion
royaliste. - Ouverture de la sessiou.t-c-- DisClIssioll ele l'n drcsse. - Tole


. .
centre ce ministerc. - Retr-aite dn cabinot l\.ichclicu,


SepteJllbre 18~O. - Déeelllbl"e 18~t.


LES partis portent avec eux-memcs quelque chose d'impla-
cable, et triste gouverncmcnt que eelui qui se fait par ti ! c'est
surtout apres les grandes luttes d'opinion que cette haine reste
vivaee; le Pouvoir pardonne, paree qu'il voit de haut ; les Iac-
tions jamais, paree qu'elles coutractent toutes les passions, toutes
les faiblesses de l'individu. Je ne erois pas qu'il se soit montré
une époque historique plus haiueuse que cette année 1820 :
iI y avait véritablement guerre civile ; Iloyalistes , Libéraux
se jetaient les plus affrcuses injurcs ; point de justice , mais des
réaetions et des vengeances. Il était survenu des événcments
d'une nature grave: qui peut se comparcr ;1 eette activité de
complots, acctte naiveté de bouleversemcnts politiques? Sédi-
tions de place publique, comité dirccteur, ragc des pamphlets,
conspirations militaires , aucuuc tentativo ne fut épargué«, IA's


. Itoyalistes , de Ieur cñté , chcrchaicnt ;1 agrandir les dangcrs, ~l
multiplier les terreurs : on lanrait des pétards ¡¡ cette époqu«
avcc une cspece d'impuuité ; une de ces perites machines infer-
nales éclata dans le palais méme des .Tuileries, non loin des ap-




CHAPITRE xvru. 89
partements dn Iloi, Personnc, si c(' n'étaicnt les gens de la mai-
son, ne pónétrait dans le Iiou oú le pétard avait été dépos«, el
Louis XVUI, qui commcnrait ¿, comprendre d'oú provenait le
complot, Iit HIle réponsc pleine d'a-propos a l\IAnA:m~ qui ac-
courait tout effrayéc : « 'I'ranquillisez-vons , ma niece , ce n'est
rien; sachcz sculcment que ce n'est pas moi qui ai mis le feu au
pétard. » e'était indiqucr fincment ¿, quclle espece d' ennemi le
Roi attrihuait ce dcmier attentat; il ne donna Iieu aaucune pour-
suite; mais les Itoyalistes ne pardonnercnt pas au ministere le
hruit qui se répandit alors ((1:(' c'était ¿, eux qu'il fallait attribuer
l'événcmcnt des Tuilcrics ; ils se crurcnt trahis. D'un autre cóté,
comment un partí triomphaut aurait-il excusé cette impartialité,
j'oserai presque dire cette mollcsse de poursuites qui laissait en
quelquo sortc les complots révolutionnaircs dans l'impunité ? La
conspirntion militaire du 19 aoút était déférée a la Cour des
Pairs; la des formes solennellcs , des garanties publiques étaient
accordées aux accusés. l\l. Daruhray , qui présidait la Cour des
Pairs , montra une impartialité si haute , une justice si indul-
gente, qn'on aurait dit qn'il préparait l'acquittement, Des pairs
de Frailee protégeaicn l les accusós, Iournissaient des notes, des
moycns d(' défcnsc. te Couvcrncmeut applaudissait avcc l'opi-
nion ¿, corte indulgcnrr d'un graud corps judiciaire, appeléaap-
pliquer des peines terribles ¿, des jeunes ofliciers égarés; la pour-
suite avait été confiéc ¿, des h0Il1111eS sages et impartiaux , qui
sentaicnt égalerneut, le hesoin de ne pas dórnesnrément agrandir
le cercle des accusations. La coulcur des débats, les condamna-
tions douccs et paterncllos qui s'ensuivirent , tout cela aigrit vio-
lemmcut les hommcs monarchiques, On voulait done, disaient-
ils , livrer la royantó ;¡ ses cnncmis ? Quoi! une conspiration ¿,
main arrnée u'étnit pas puui« '? Hans le proces des troubles du
mois de juin, dans les pnursuitr-s dirigées centre )1. Gohier de la
Sarthe, le pouvoir ministéricl avait reculé dcvant un systemc de
p0nalilé trop fortc , rrop aíílictiv«. De tous ces débats était ré-
snltée la certitudc qu'il existait un comitéactif, dirigeant, dont
les chefset les projcts étaient connus : comment des lors les




90 HISTOIRE DE LA llESTAURATlüN. '
Royalistes pouvaient-ils 5' expliquer cette insouciance et eette Iai-
hlesse qui s'arrétaient devant certains noms propres ? n'étaient-
ils pas majorité dans la Chamhre des Députés , et les ministres
ne pouvaient-ils pas demander hautement el franehement l'auto-
risation de poursuivre .1\1. de La Fayette et les autres cómplices
signalés dans tous les acres d'accusation? A quoi bon se laisser
insulter, braver par quelques ehefs hardis , et n'avoir de forces
que contre quelques agents secondaircs sans consistance? Telle
était la. pensée de l'opinion royalistc et elle avait raison; on savait
qu'il existait dans les mains de lU. Jlounier, dirccteur-général de
la poliee, des pieces de convictiou centre le eomité-direeteur;
pourquoi ne pas les produire ? La eorrespondanee de M. de La
Fayette avec 1\1. Gohier de la Sarthe révélait les desseins el les
plans révolutionnaires: pourquoi ne pas la déposer commcdOfu-
meut d'un aete do poursuite ? On aeeusait done les ministres
d'UIlC quasi-trahison. 1'1. de Bichclieu , disait-ou , était un hon-
uNe homme, mais faible; :\1. de Serrcs , un caractere incertain ;
l\I:' Pasquier, un bonapartiste déguisé, un ministre sans convic-
tion; :\1. Portal, un protestant : un protestant! l' entendcz-vous '?
~1. Roy, un rcpréscntant des Ccnt-Jours ; ~l. Siméon, le ministre
du roi Jéróme ; et puis ,:\1. :\lounier, sccréraire de Yusurpaicur,
si indulgent pour les couspirations bonapartisrcs ! l ne brochurc
doctrinaire de )1. Guizot avait paru sous ce litre: de la Bcstau-
ratiou ct du J[¡"llúlr:'l'e actucl. e'était une théorie élevéc, abso-
lue, telle que sait les faire M. Guizot; des Francs et des Gau-
lois se partageaient le territoire; les Francs étaient les centre-
révolutionnaires , les Gaulois les révolutionnaires ; la luue avait
('ló vive jusqu'cn 1789, époque OÚ les intóréts nouvcauxavaieut
triomphé : depuis le 5 septcmbre, jusqu'en 1R~(), OH avait mar-
ché dans ces intéréts ; depuis on les avait quitlés pour préparcr
le succes de la contrc-révolntion en posscssion du ministére qui
n'était que son agcnt, :\1. Gnizot attaquait tout le pcrsonnel du
Cahinet ct du parti royalistc. JI les présentait comme maladroi-
tnneut unis , Iormant uue alliauce hétérogoue , el que la droiie
plus forte s'cmpresserait de rompre quand l'administratiou Ili-




CHAPITRE XHIT• 91
.chelicu scrait uséo. le ministerc ne poursuivit pas cette publi-
cation; il agit raisonnablcment, cal' l'ouvrage de M. Guizot était
écrit arce modératiou et convcuancc. C'érait une hrochure d'op-
position contre le minister«, rnais non point un parnphlet contre
la monarchio. En méme temps parut un Essai SU1' la Proprieté,
de M. Bcrgasse: il Y touchait la question des domaines natío-
naux ct de l'indemnité des émigrés. le Cahinct crut une pour-
suite nécessairc contre ce livrc. Une des craiutes les plus vive-
ment exploitées par les journaux iibéraux n'était-elle pas precisé-
ment la peur des acquéreurs des hicns nationaux ? On poursuivit
1\1. Bergasse. l\Iais (1'1(' de criaillcrics ne dut pas soulevcr ce que
les Hoyalistes appclair-nt une partialitó révoltante, On laissait un
doctrinaire tranquillc , mais un royaliste e'était diííérent , on le
poursuivait , on le pcrsécutait, Puis, les griefs eontre la censure.
Nc devait-ollo pas laisscr tout imprimer dans la Quotulienno el le
Drapeau Bianc , cal' les doctrines royalistes étant une bonne se-
menee, ne pouvaicnt produire qlle des Iruits utiles et bienfai-
sauts ! Aucontraire, si la censure laissaitéchapper quelques frag-
mcnts favorables aux nouvellcs idúes, il n'y avait pas assoz de
voix pour dénonccr la Iaihlessc et I'incurie du Couvcrncmcnt ;
iI fallait assister ;1 quclqucs-unos d('s réuuions de ~l. Piel pour
comprcndro la rualhcureusc pnsition dn miuistere vis-a-vis les
Iloyalistcs. « Que Iait-Il pour I(~ clergó, pour la monarchie ? di-
sait-on ; il laissc la révolutiou IlOUS envahir , 110US déborder ; il
est temps d'cn íinir ct de sauvcr le trüne. » Quelqucs voix s'é-
levaient i\ peine pour 1(' dólcndre ; liD!. de ViJlele et Cor-
hiere répondaient : « QIlt~ \OU!C'Z-YOllS'? IlOUS ne pouvons rain-
ere la YO/OHt(' (In lloi ; tñchons de gagner du terrain , el YOiHl
tour, Pouvous-nous 1l011S imposer a Louis XVIU! un ministcre
de nutre cOll1('1I1' n'aurait pas la confiance royale : paticnce, at-
tendons ! »


Hans 1(' Conscil des ministrcs , il Iant rcndrc cette justice a
M. dI' Vijj¿'lc surtout, qu'i! l](i s'ócarta jamais des opinions mo-


. <101'('('S, He séparant I)}'('S([lw jnmnis son YOte de cclui de ]U. Pas-
quier , qui alors etait devcnu le point de mire de l'opposition




92 mSTOTRE DE lA UESTAURATfON•.
royaliste la plus violente; 1\1. Corbiere s'y monrrait homme
d'esprit; il se.moquait des prétcntions exag('récs de ses amis; la
les deux ministres n'étaient plus les hommes de la société Piet ;
mais ils retombaicnt dans toutes les folies de leur parti des qu'ils
touehaient leur réunion de majorité, C'était dans la force des
ehoses; le jour OU ils auraient cessé d'en etre l'expression , ils
étaient perdus.


De tous les nouveaux ministres, sccrétaircs d'État , lU. Cor-
hiere seul avait un département ; il alla hahiter l'hótel de l'Uni-
versité , s'y montra sans faste avec ses goúts de simplicité ; les
Hoyalistes faisaient contraster cette vie modesto avec le luxe
ministéricl des autres membres du Cahinet; voyez les excellcnts
ministres de la droite ,e0111111e ils sont économcs des dcniers
de 1'État! 1\1. Corbiere visitait le moindre de ses collegues: i1
avait une mauvaise voiture de louage pour aller au Chatean, a
coté des équipages pompeux , des suisses, et des chasseurs
richement décorés, A.peine en possession du Pouvoir universi-
taire, M. Corbiére donna aux évéques une grande iníluence
sur les colléges royaux ; il leur en eonfia la survcillance ct l'in-
speetion spéeiale; les invitant 11. visiter les collégcs ponr diriger
les mreurs , la religíon et les étudcs, C'était UIl pnmicr pas fait
vers le gouvernement religieux, la pensée de la droite était de
faire de l'éducation une pensée moralc et catholíque. lH. Cor-
hiere donna une organisation plus monarchique a ITniversité ;
mais il se trouva bientót en dissidence avcc le Conseil royal,
et il se laissa emporter par sa mauvaise humcur habituellc et
son entétement ; de la eette petite hainc contre l'Tniversité qui
ne cessa d'animer lU. Corbicre. (;'est un fait assez curieux ¡¡
relever que de voir i¡ la tcte du corps cnseignanr I'h0ll1111e qui
portait le plus 'de jalousie ¡¡ l'lniversité.'l. Corhil'rc aimait
les vieilles congrégntions onscignuntcs. S'jl avait JIu réveillcr de
leurs tombeaux les hónórlictins ;' les oratoricns , il l'aurait fait
avec autant de plaisir qu'il aurait cxpuls« de Ieur chair«
l\DI. Guizot el Cousin. Cepcndant , je le r{~JlNc, ]('8 dcux mi-
nistres de la majorité royalistc n'avaicnt en présencc du l\oi




ClJAPITnE XVIII. 93
aucunc ele ces cxagérations qu'ils professnient avcc lcurs amis.
lU. de Yillele , avcc ia sagaeité hahituelle , avait saisi toutes
les tcndances de l' esprit du Iloi , el il avait bien compris qu'il
ne pourrait acquérir sa confiance ([U'en eífacaut peua peu
les préventions que Louis XVIll avait centro lui et ~1. Cor-
hiere; ils se moutraient toujonrs sages , toujours modérés. Y
avait-il quelques-unes de ces snrties riolcntes a la Chambre des
Députés contre le gouv('rtlelllent de J\I. de Richelieu , M. de
Yillel« se hñtait de protester et rl'appclcr ses amis des fous,
des intraitahles ; 1\1. Corbiore s'en tirait par une plaisanterie
mordante; tous dcux protcsraicnt de leur attachement aux idées
et aux hommes du Caliinet. Louis XVIII cherchait ~, eonquérir
leur afIcction; JI Ymettait de la coquctteric. On se jouait de,
part et d'autre C0I1U11C malgré soiet par la seule influence de la
position. Des uouveaux ministres, il n'Yo avait de complétement
dévoué aux idées du.Cabinet que M. Lainé ; royaliste de convic-
tion , il aimait ~l, voir l'autorité se raffermir dans les mains de
l\I. de Ilichelieu ; toute intrigue l'offusquait , et il considérait le
triomphe complet des plans de la majorité comme le premier
pas H'l'S des révolutious nouvellcs et des malheurs infinis, En
résultat , le ministerc ne pouvait marcher en la situation et en-
treprendre de grandes rhoscs. Il n'y avait pas d'homogénéité.
lU. de Richelicu aimait les opinions royalistes et il en voyait avec
quelques répnguanccs les représcntants. « C'cst moi qui les ai
relevés , disait-il, el voila commcnt ils me traitent.}) Les
Iloyalistes pouvaient répondre ~l cela: « Nous somrnes majo-
rité , il nous faut au pouvoir nos hornmes et nos idées. })
Dans une conférencc que JU. de Itichelicu cut avec JU. Decazes
a son retour d'Auglcterrc , le présidcut du Conscil exposa a
l'amhassadcnr quellcs étaicnt ses dífficnltés et les menées sourdes
des ultras; 11. Dccazes lui répondit : « J<:Il quoi! vous vous
étonncz : vous ne les connaissez done' pas? Ils m'ont trahi , ils
vous trahiront ; e'ost leur róle ; il est impossihle de marcher
avec eux. }) M. de Ilichelieu adressa ses plaintes a ]UONSIEUR,
qui , tout en témoianant de l'attachement personnel au ministre,




94 mSTOTRE DE tA RESTAURATION. '
lui dit : « ñlais que voulez-vous? VOUS n'allcz pas assez dans le
sens mouarchique ; vous ne Iaitos ríen' pour les Itovalistcs. ))
M. de Itichelieu répliqua : « Et que Iaire de plus pour eux ? je
les ai mis en position de me renverscr du jour au lendomain. -
Ils ne le feront pas, répliqua l\lON5JEUR en lid serrant la main,
mais il faut YOUS niouarcliiscr, »)


En Francc on marchait au triomphe des idécs royalistcs , et
l'Europe arrétait des idées de réprcssion. Les transactions du
congres de Laybach tienuent une place trop importante dans
l'histoire pour que je ne ru'arréte pas spécialement sur chacun
des points qui furcnt rrglrs ~l ce congreso On a Iait beaucoup de
conjccturcs irréfléchies sur les résolutions alors prises par les
Puissances , sur le role que chacune d' elles joua dans lamarche
générale des négociations; j 'ai bcsoin de reelifier l('s idécs et de
ramener les cllOSCS ~l la vérité. Je n'aime pas ces livres , fi'II\TCS
malheureuses d'hommes qui , ne sachant ,pas les affaires , se
jcttent dans de continuelles hypotheses: j'ai rclu tout ce qn'nnt
écrit ~nJ. Biguon ct de Pradt. Le dirai-je? je n'ai pas trouvé
un sr-ul fait; et qu'cst-ce qu'un livre sans Iails'? MM. Bignon ('1.
de Pradt n'ont pas voulu assez se pcrsuader qu'ils ont (~I(~ tout ~l
fait étrangers aux iransacrinus diplolllati<[lJl's dl'la Ilestanration ,
et qu'ils n'ont méme connu qu'cn sous-orrlr« cclles de l'empiu-,
Ils ont écrit sur ce qu' ils ne savaicnt pas, M. de Pradt ayer son
esprit sautillant et]U. Bignon avec sa Iourdcur philosophiquc. te
congres de Layhach a plusieurs partics et embrasse un grane!
nombre d'événemcnts , on pcut ]('S résumer dans les cinq points
suivants : 1°. I'examcn de la question générale du droit d'iutr-r-
vention , de ses limites et de ses bases; 2". I'application de ce
droit ~l la révolution de Naples: 3°. la tentativo d'un« confódórn-
1ion italique ; [¡o. la révolution du Piémont ; 5°. enfin I'insurroc-
tion grecque qui éclata pcndant le séjour des monarqucs ~~
Laybach, On ne traita pas d'autres aflaires, Je dois déclarer ici
qu'il n'y fut pas qucstion du gouvcrnement intérieur de la
Vyan.C\', \',\ ü\', <¡;~\,I, in.stitutinl\s po\itique\,l,; (\epuis hix.-h-Cn(\pd¡(~
on ne s'en occupa que par des conversations générales; Oll put




C.HAPITllE XnII. 95
discuterlessystemcs de gouvcruement comme une these ; maisja-
mais une note n'exprima la pcnsée d'uue intcrvention ~l ce sujet,
J'ai trouvé un seul document de M. de ~Ietternich qui exprime
la satisfaction de voir le Couvernement francais eutrcr dans des
voies forres ct conscrvatriccs, L'importauce de toutes les ques-
tiousqui allaicnt s'agiter dans le congres avait appelé a Laybach
les ministres non-seulement des grauds Pouvoirs, mais encore
des perites souverainetés italiennes iutéressécs dans les résolu-
tions des Cabinets ; les cmpercurs d' Autriche el de Itussic y
étaient en personne; le roi de Prusse n'avait lH~ s'r remire et s'y
était fait représcntcr ; indépcndamment de l'cmpereur i\ lexandre
qui Iaisait beaucoup par lui-méme , la Itussie compiait }I. Capo
d '1 stria , alors en premierc ligne dans la confiance d'Alexandre
dont il partageait presqne toutes les idées mystiques , et de plus
M. Pozzo di Borgo, qui vcuait ~, tous les congrespour remire
compre al'Empcreur de la véritable situation de la France ; enfin
~L de Ncsselrode, lU. de ñletternichy représentait l'Autriche ,
1'; avec lui lU. le liaron Vincent, accréditépres la cour de Frunce;
L! l'russe , qui n'avait pas un grand intérót dans la solution im-
médiate des qucsrions actuellcmcnt soulcvées y avait envové


, oJ oJ


ncaumoins lU. de Ilardcnberg , ainsi que lU. de Bernstorff',
ministre des rclauons extéricures , el 2\1. de Krusemark , mi-
nistre p/'(~s la cour de Vielllle. T1'Ois ambassadeurs y représen-
taicnt la Franco : M. de Caramau, porteur de pouvoirs, pre-
miel' pléuipotcutiaire ü Troppau ; lU. de Blacas, amhassadeur ü
no me; il était accouru pour rcmplir une cspece de iuission de
f.unillc aupres du roi de Naples pcudant son séjour a Laybach ;
ll]lp('l{~ ~l un róle plus actif au congres , il y déploya une capa-
cité rcmarquablc. JU. de la Ferronays suivait encore l'empe-
rcur Alexaudrc , dout il avait couquis l'amitié el la confiance.
L'Auglererre, qui gardait rancune du protocole de Troppau , n'y
ava it accrédité qu'un simple envové , ~l. Gonlon, ministre pres
la cour de Vienne , puis , par des motifs d'étiquctte , lord Clan-
wil1ial11. Lotsqne l'alJaire dcviut plus sérieuse et qu'i) s'agi[ de
\'-"ccupatioll annee l\cNaples, le vicomte Casüereagu manda a




96 mSTOlHE DE LA HESTAUHATWN.
lord Síewart l'ordre exprés de se remire aLaybach. Puis, chaqué
IWLít prince de l' Italie avait accrédité un dl'puté aupres du con-
gres: le Piémont , 1\1. de Saint-l\larsan, ministre des aífaircs
étrangeres , homme el'esprit et de "lumit'res. Les autres cours
avaient comme représentants , savoir : Romc , le cardinal Spina ,
légat a Bologne ;.Florence, le princc Neri-Corsiui; 1\lodblC, le
marquis de Molza , commc dans tous les congres , 1\1. de Gcnlz
était chargé de la rédaction des proces-verbaux et des" autres
pieces díplomatiques.


Les conférences s'ouvrircnt d'ahord entre MM. de Metternich,
Capo d'Istria , Hardenberg; le príncipe de l'intcrvention ~l Naples
fut admis entre eux sans difficulté. Lord Stcwart s'était fait l)ré-
céder d'une circulairc de lord Castlereagh , espl'ce de protesta-


.


tion centre le principe d'intcrvcntion qu'aucun Cabinct , en Iace
du Parlement, ne pouvait roconnaitrc J. Le ministre disait aux
ambassadeurs et aux envoyés ele la Grande-Bretagne : « Il est de-
venu nécessaire de vous informer que le Iloi s'est cru ohligé de
refuser de prcndre part aux mesures des Cabinets. Ces mesures
euibrassent deux objets distincts : J n. l' étahlisscmcnt de certains
principes géuéraux pour senil' ~I I'avcnir de regle ala eonduite
politique des alliés dansles ras y mentiouués ; 2". la marche qu' OH
se propose de suivre d'apres ces principcs, rclativement aux af-
faires de Naples. Le systómede mesures proposé sous le premier
chef: s'il était suivi réciproqucmeut, serait en opposition directo
avec les lois fondamentales de notre pays, Mais, quand mémc cet
ohstacle décisif n'existerait pas , le Gouvernement britanniqne
n'en regarderait pas moins les principes sur lesqucls ces mesures
sont basées, comme ne pouvant étre saus dangcrs reconnus pro-
pres afonner un svstéme de lois inicrnationaics. Le Gomer-
nement britannique ne se considere pas , par 1(' fait de son al-
liance, et d'apres les traites existants, commc autorisé 11 s'arroger


1 Lord Castlereagh cntrait personucllcnicnt dans les vues du protocole
de Troppnu , ses négociatlous secretes le constutcnt , mais il nc pouvait
l'avoucr vis-u-vis du parlcmcnt. 11 lIC prCla pus tout l'uppui qu'uurait
úésíré la Frauec.




CllAPlTHE X\ ur, 97
des pouvoirs si extraordinaires, el il ne pense pas qu'on puisse
se les arroger en vertu d'une nouvelle transaction diplomatique
entre les Cours alliées , sans s'attribucr une suprématie incom-
patible avecles droits des autres États ; ou, si 1'on obtenait l'ac-
cession de ces États, sans introduire en Europe un systémefédé-
ratif, qui non-seuJement n'atteindrait pas son objet, mais aurait
quantité d'inconvénients de la nature la plus grave. Quant au
cas particulier de Naples, des le premiar moment le Gouverne-
ment britannique n'a pas hésité aexprimer une forte désappro-
bationde la maniere dont on disait que cette révolution avait été
opérée; mais en méme temps il déclare formellemcnt aux di-
verses Cours alliées qu'il ne se cousidérait ni comme obligó ni
méme comme autorisé de conseiller une intervention de la part
de l'Angleterre, JI reconnait pleinement néanmoins que d'autres
États européens, et spécialement l' Autriche et les Puissances
italiennes, pourraient se croire placés dans une position diífé-
rente, et il déclare qu'il n'a pas l'intention de préjuger la ques-
tion en ce qui peut les toucher. » Cette círculaire de lord Cast-
lereagh avait été commandéepar le soulevement unanime d'opi-
nion politique qu'avait amené le manifeste de Troppau : le chef
du Cabinet était déja si impopulaire! te proces de la Ileine , les
mesures répressives qu'il avaitjugé nécessaire de prendre envcrs
l'Irlande, les poursuitcs multipliées contre les noms chéris de la
populace de Londres, tout ceJa imposait au Gouvernement le
besoin de reconquérir quelque iníluence dans ses transactions
extérieures. Lord Stewart remit au congres une note dans le
mérne sens que la circulaire de lord Castlereagh. l\I. de Caraman
aurait da s'associer a cette résistance; mais la position n'était
pas aussi nette en France qu'en Angleterre : d'abord, les prin-
cipes de la Saintc-Alliance trouvaient majorité dans la Charnbre
des Députés; la révolution de Naples se liait aux projets du
libéralisme en France : le Cabinet de Paris n'était pas dans
cette haute indépendance de souvenirs et de force OU se
tronvait celui de Londres. Les instructious de M. de Caraman
consisterent aprendre un tenue moyen, asoutenir lord Stewart


111. 9




98 IIlSTOIRE DE LA RESTAuRATION.
dans le principe de nou-iuterveution , sans l'adopter cependant
d'une maniere aussi absolue, ct sans heurter surtout les idéesde
I'empereur Alexaudre, Ce tenue moyeu ue réussit pas complete-
meut : lU. de Caratnau avait cherché a s'appuycr sur les petits
Princes de l'Italie ; lU. de 3letternich s'en était emparé, ct .M. de
Saint-ñlarsan lui-méme , qui ne próvoyait en aucune maniere la
révolution du Piémont , se montra le plus chaud partisan du
príncipe de I'intervention , abandonuant tout a fait le systt~Ule
francais pour se jeter dans les idees et les iutéréts de .1\1. de
ñletternich. Des ce momeut la Cour de Vienne domina le con-
gres pour la question italielllle.Lne circulaire des trois Puis-
sanees, la Russie, l'Autriche el la Prusse , se .hñta d'aunonccr
que I'année destiuée aagir coutre la révolntiou avait rcru orc1I'P
d¿ se porter sur les froutieres napoli raines, II La grande masse de
la nation étant dévouée a son monarque, y disait-on , et dégoútée
d'une liberté imaginairc qui lni a valu la tyranuie , dcvait ac-
cueillir avec confiancc ccux qui , au nom de S. lU. l' empereu r
d'Autriche et au nom de ses augustes alliés , viendraicut Ini oí-
frir paix , amitié el protcction, Si une aussi juste attcnte ne se.
réalisait pas, l'arméc saurait surmonter les difllcultés qui I'arré-
teraient; el si, centre tous les caleuls el centre Ics Vil)UX des
i\lonarques alliés, une ontreprise fonnéo dans les intcntions les
plus pures et qu'aucuu esprit hostile He dirige dég{'nél'ait en
guel~l'e fonnelle par la résistance d'une Iaction implacable, l'em-
pereur de Ilussie , pénétré de la nécessité de lutter centre un
mal aussi grave, ne tarderait pas a joindrc ses force s militaircs a
celles de l'Autriche. » Les lllonarques alliés assuraient qu'ils
u'avaicut en vue que le salut de Ieurs l~tats, I'indépeudance des
Couvernemeuts legitimes ct l'intégrité de leurs possessious, l)l, de
lUctternich était parvcnu ases íius, L'empereur Alexalldre avait
promis de coutinuer a Laybach les coufércnces souveraincs <fui
déja portaient leur fruit, L'anuéc uutrichienne conceutrée
s'avaucait vers le royaume de Naples ; les souverains de l'Italie
avaient tous adhéré aux actos de Troppau , le Pape ouvrait ses
États au passage del) troupes impériales SOUl) les ordres du géné-




CHAPITRE XHIJ. 99
ral Frimont, II no restait plus qu'a r('gulariser ce qni s'ctait Iaít.
Une idé/' de l'emperenr Alr-xandre , et qne M. de Metternich
avait adopté« il Troppau pour cntrer plus parfaitement dans les
opinions du Czar était collc-ci : les deux empcreurs d'Autriche
et de llussic et le roi de Prusse devaient écrire de concert au
roi de Naples pour l'iuvitcr aassister aux conférences de Lay-
bach. « Monsicur mon Irere , disait l'cmpereur d' Autriche , les
événcments qui se sont passés dans 'os États n'ont ccssé de faire
le sujet de mes plus séricuscs méditatious , et les Puissances al-
liées se sont réunies ¿lo Troppau ponr considérer les suites dont
ces événemcnts mcnaceut la póuinsule italicnuc et mérnc I'Europe
entiere, En nousdécidant ~I e-uC délibération commune, unique-
mcnt destinéc ~l garantir l'iudépeudance politique et l'iutégrité
territorialc de tous lesÉtats , Votre ~laj('sté ne dentera pas que
l'íntcutiou desCabiuets assemblés ici ne soit de concilier les in-
téréts et le bien-erre dont votre sollicitude paternelle désire faire
jouir ses peuples avec les dcvoirs (Iue les monarques alliés ont a
remplir envers lcurs J~:tals et cnvers le monde. Nous nous félici-
tons d'cxécutor ces engagements avcc la coopération de Votr«
lUaj('stl', ct , fidele aHX prinr.ipcs quP nous avons proclamés, nous
proposous Ü Votrc lUaj('st(' de s(' reunir anous dans la ville de
Laybach, Yotre préscncc hátera une eonciJiation aussi indispen-
sable , ct c'cst au nom des intéréts les plus chers de votre
royaume, ct avec cett« bienveillautc amitié dont nous croyons
avoir donné plus d'un témoignage ~l Votrc i\lajesté, que nous
l'invitons avenir rccevoir de nouvelles preuves de la sollicitude
que nous Iui portons , et de la Iranchise qui fait la base de notre
poJit ique. FUA,,"(:OlS. » tes lettres de l'empereur de Hussie ct
du roí de Prusse étaicnt rédigées dans des termes absolument
scmblables,


iU. de Blacas avait étó invité ü faire la méme proposition au
roi de Franco ; c'était une iutcrvention pacifique qui convenait
au rñle un pr\l cífacé qu'on avait fait au Gouvernement francais.
Louis XVIII n'avait pu s'opposer aux príncipes de Troppau;
son Cabinet voulait au moins conserver une participation quel-




100 IllSTOIRE DE lA RESTAURATION.
conque ace qui se passait. Lord Stewart n'envoya méme pas la
proposition ason Gouvernement; il savait trop que les princípes:
de la constitution anglaise s'opposaient acette intervention per-
sonnel1e des Souverains dans 1es affaircs du Gouvernement. Il
y cut done trois systemes bien distincts : les Puissances étroite-
ment liées et qui iutervenaicnt nettement, l'Angleterre repous-
sant l'intervention, et la France eníinjouantun róle interrnédiaire.
1..'étiquette voulait que la lettre de Louis XVIII füt écrite de sa
main ; le Iíoi avait de violentsacces de goutte ; il ne put le faire:
1\1. Pasquier la copia lui-méme , ct le Iloi ne fit qu'apposer sa
signature.« ñlonsicur mon frere , pendant les circonstancesdans
lesquelles les événements qui se sont passés depuis cínq mois
ont mis les États confiés aux soins de Votre lUajesté, elle n'a pu
douter un seul instant de mon intérét constant a son égard et
de mes vceux pour sa felicité personriello et pour celle de ses
peuples. Votre lUajesté n'ignore pas les motifs puissants qui
m'ont empéché de pouvoir lui exprimer plus tót les sentiments
dont je suis animé, et de lui faire parvenir, dans l'effusion de
la plus sincere amitié, les conseils que je suis pcut-étre , ~l plus
d'un titre , autorisé a lui offrir; maisaujourd'hui il ne m'est plus
permis d'hésiter. Informé par mes alliés , réunis ~l Troppau , de
l'invitation qu'ils ont fait parvenir aVotre Majesté , je doism'unir
a eux comme membre d'une ligue dont le seul hut cst d'assurer
la tranquillité et l'indépendance de tous les États , et, comme
Souverain d'un peuple ami de celui que Votre l\Iajesté gouverne,
j'ajouterai aussi, comme un parent sincerement alfectionné , je
ne saurais trop insister aupres de Votre l\lajesté, puisqu'elle va
prendre une part personnelle au nouveau congres qui vase tenir
avec mes alliés, Sire , je vous dirai que mes intentions , dans
cette réunion , sont de concilier l'intérét et la prospérité dont
la sollicitude paternelle de Votre I\lajesté doit désirer de faire
[ouir ses peuples, avec les devoirs qu'eux-mémes doivent 1'('111-
piir envers l'État et cnvcrs le monde. Une gloire la plus pure
attend Votre Majesté ; elle concourra ~l raífermir en Europe les
bases de I'ordre social; préservera ses peuplos des malheurs qui




crrAPITHE X\T/I. 10i
les menacent ; assurcra , arcr /'u('(ord st' urccssairc du JW7(1'oir
ct de la libcrté , lcur felicitó ct leur prosprrit(· pcndant une
lougue serie de grnérations. ) Cettc lcttrc se distinguait de la
circulaire émanéc des trois Cours, et laFrauce avait son s~'stemc !


Le roi de Xaples lit part de ces ouvertures au parlement , et
l'autorisation nécessaire pour le voyage du Souverain fut accor-
Me avec loyauté , presque sans discussion, Dans tous ses actcs ,
dans toutes sesdémarches, jusqu'ici la révolution de Naples s'était
montrée calme, modérée en facede l'Eurnpe ; elle voulait sejusti-
fiel' ases yeux. Le vieux Iloi s'cmbarqna sur un vaisseau anglais
et déharqua au port de Livourne. Ferdinand , simple, populaire ,
avait la faiblesse des Bourbons , el ji ne put s'empéchcr de t(,-
moigner sa joie d'étre sorti des mains de Pépé et des constitu-
tionnels de Naples, Les Souverains lui rendircnt toute cspeco
d'honneur ; l'empereur d'Autriche , son gendre, vint au-dcvaut
de lui et lui fit la plus cordiale réception. On ne parla que de
famille et de ehoses tout afait indiffércntes ~l la politique ; mais
le soir de l'arrivée du roi deXaples aLaybarh , M. de 'Ietternieh
lui lit demandar une audicuce , et , dans une longue conversa-
tion, lui déinontra I'iiuportancc d'une protestation contre tout
ce qui s'était fait dans sa capitale. « JI. de Jlelternich , répondit
le vieux Iloi ,je veux tout ce que vous voulez ; jcvous prie d'agir
avee précaution afin de ne pas compromettre mes chers enfants
qui sont aNaples '. )) Le lendernain , il fut arróté entre les mi-
nistres, y compris ceux de Franco ( a l'arrivée du roi de Naplcs ,
M. de Blacas avait pris la haute main) , que des propositions se-
raicnt adressées au parlemcnt napolitain , mais pour la forme
sans doute , cal' ellesétaieut de naturc ane pouvoir étre accucil-
líes. tes ;Uonarqncs déclaraicnt « qu'ils étaicnt fcrmement ré-
solusa n« pas laisser subsister le régimc imposé an royaume par
desmoyens criminels , el ils en deumndaieut un désaveu spontané,
« Quand le roi de ~\aples, disait ccue Bote en terminant , sera


, Le Roi étatt pourtant hrouillé arce son f1h; ce tut 1\1. de Blacas qni
les réconcilia,




102 mSTOTRE DE J,A HESTA13I1ATION.
rcntré dans la plónitude de ses droits , ce sera ¿l lui seul , ayer, les
conseils des hommes les plus integres et les plus instruits du pays,
ü Iouder, pour l'avcnir, la force et la stabilité de son gouverne-
ment sur un régime juste et sage , conforme aux intéréts per-
manents des dcux peuples réunis sous son sceptre. )) Ces condi-
tions avaient été suggérées par ]\[. de Blacas aM. Capo d'Istria ,
et adoptées par l'empereur Alexandre , cornrnc un terrne moycn
capable d' éviter l'occupation. Pendant ce temps le duc de Gallo,
ministre des affaires étrangeres depuis le parlement , arrivait a
Laybach , mandé par son souverain; le duc de Gallo eut une
conférence préliminaire avec M. de Melternich, qui lui fit con-
naitre en termes impératifs les résolutions du congres : (IOn
vous a fait venir, dit lU. de ñletternioh au ministre napoJitain,
pour entendre les résolutions du congres ; tout ce que je vais
vous dire est au nom des Puissanccs et d'accord avec le roi U('
Naples '. - Mais, répondit M. de Gallo, je demande a voir le


..


roi mon maitre. - Vous le verrez , et il vous confirmera tout
ce que j'ai ¿l vous communiquer. - J'aurai ccpcndant quolques
ohservarions afairc. - On ne vous a pas appclé pour cnrcndre
vos observations ; d'ailleurs vous n'en avez point ¿¡ faire , conti-
nua le ministre autrichien avec vivacité; vous ptes ici pour ap-
prendre que les Puissances ne reconnaissent aucun (](os changc-
ments qui ont eu lieu a Naples, et que le Iloi y doit reutrcr
avec les rnémes pouvoirs qu'il avait par le traité de UH:l. Une
armée autrichienne de cinquante aquatre-vingt mille hommcs
occupera Naples pendant trois années , jUSqU'¿1 ce que la tran-
quillité S01t rétablie; elle y sera entreteuue aux frais rlu pays,
Ilentré dans ses droits , le Hoi donnera les stauus qu'il .¡llgera
convenables pour le bonheur (Ir ses penplcs : mais si ¡'OH avait
la folie de se défendrc , ccnt millc hommes dc plus outrcraicnt
dans votre patric , et 1('8 cnntrihurions de gucrre fIlI(' nous mct-


1 TOlltCS les couvcrsations sont textucllomout copiécs des dlP!~('\H'S:
jc le répete , il est dans les habitudes des amhassadeurs de' !'a::;)()l'!l'l'
dans les conüdcnccs ú leur gouvcrnemcnt les convcrsatlons importantes.




CHAPITRE XnIT. 1.03
trions seraicnt uniqnemcni payécs par ceux qui oseraient com-
hattrc, Au reste, voyez le Hoi , répéta lU. de ñletternich ; il
vous conflrmcra tout ce (Iue jr puis vous dire, » En effet le duc
de Gallo cut une cntrevue avec son souverain. Des que celui-ci
l'eut aper<:u: ce Eh bien, cher Gallo, s'écria-t-il , tu as entendu
tout ce que Metternlch t'a dit ; je suis d'accord avec lui et je te
confirme tout; tu peux partir quand tu voudras , JI' n'ai plus
besoin de toi. - ¡Uais, répondit 1\1. de Gallo, tout étonné,
j'oserais demander aV. lU..... - Toutes les observations sont
inutiles, répliqua le Iloi cu I'interrompant ; je concois que cela
te déplaise , mais JI' suis d'accord avec mes alliés : d'ailleurs , j'ai
envoyé un courrier pour informer mon fils de notre décision, ))
JI. de JUetternich avait bien prévu ce qui arriverait ; le parle-
ment napolitain refusa d'adhérer aux propositions des Puissances;
l'armée autrichienne traversa le Pñ, Une proclamation du llape
ouvrit le passage des l~tats romains, Ainsi , non-seulement 1\1. de
Metternich ohtenait l'iutervcntiou , mais encore le droit pou1' les
troupes imperiales de fouler un ]~tat intermédiaire ; l'Autriche
prcnait une han te police sur tonte l' Italie ; e' est Ht qu' elle voulait
aboutir, te mouvcnn-nt des uoupos autrichicnnes sur Naples fut
plutót une marche militaíre qu'unc véritahlc campagne ; les Xa-
politains ne démcntircnt pas leur vieillc réputation de mollesse
et de peur ; l'ancicnne monarchie se trouva rétablie presque
sans coup férir, Les prédictions de la tribune francaise sur les
Abruzzes , nouvcllcs 'I'henuopyles , et sur la puissante résistanco
des troupes napolitaines tornbercnt dans le ridicule , et le roi de
:\ aples rentra dans la plénitudc de S('S droits.


1.1' principe de l'inrervcution admis , JU. de Mctternich vou-
In! rcaliscr son projet d'une coníédération italique dans lequel
l' c\ utrichc pershú'ait. Il étahlit dans cet objct des conférences
part iculicres ayer les représcntants des divcrs États, chcrchant
á lcur démoutrcr comhicn il était nrgent de contractcr une as-
surance mutuelle coutrc la révolution qui se manifestait partout.
"'d. de 'letternich íit valoir le mauvais esprit des troupes, l'exis-
tcnce des sociéiés secretes ; il trouva cn eette circonstance un




10/¡ BTSTOIHE DE LA HESTAURATlON.
peu d'opposltion dans M. de Saint-ñlarsan , a qui la Franco
inspirait sous main la nécessité de s'opposer a un état de ehoses
qui ne ferait plus du roi de Sardaigne et de Piémont qu'un vassal
de l'Autriehe.. Ce fut au milieu de ces déhats qu'un courrier de
l'ambassade autrichienne apporta la nouvelle de la révolution de
Turin. M. de Melternieh se rendit immédiatemcnt ehez Alexan-
dre, - « Eh bien, Sire, dit-il en entrant, voila une autre révo-
lution. - Et oú done? dit le Czar avec une inquiétude visible.
- Dans le Viémont.Eneore du carhonarisme, - 1\1. de Saint-
Marsan en est-il instruit ? - Je viens de lui enyoyer les lcttres
de son Gouvernement. - il faut réprimer, il Iaut réprimer, -
D'autant plus, répliqua lU. de ñlettcrnich , qu'il sufflt de souf-
fiel' sur ces révolutions pour qu'elles disparaissenr. - Jc vais
donner des ordres pour hñter la marehe de mon armée SOl' la
Galicie, reprit Alexandretout agité.-L'erupereur mon maitre, ré-
pliqua 1'1. de Metternich, a compté sur l'assentiment de Votre l\Ia-
jesté et un ordre a été donné au corps autrichien de laI..ombardi«
POUl' occuper le Piémont. -Bien ne peut s'v opposer, dit Alexan-
dre en secouant la tete; il faut étoufler partout la révolution, j'y
suis Ienucment décidé. Je vais cxpédicr un courrier pour que
mes troupes avancent IImarches forcées, )) Cette résolntion, con-
nue par.la légation francaise, fit sur elle une íücheuse impression;
tant qu'il ne s'était agi que de l'oeeupation napolitaine, la France
n'avait qu'un intérét éloigné et secondaire dans cette qnestion;
mais ici il s'agissait d'un royaume frontiere en quelque sorte :
l' Autriche toute-puissante en ltalie allait paraitre sur les Alpes.
M. de Caraman cut a ee sujet plusieurs conférences avee le mi-
nistre de Russie, auquel il démontra l'intérét de la Frailee ~l
éviter a tout prix l'occupation du Piémont par les Autrichicns,
Le roi de Frauce verrait avec plus de plaisir un eorps russe dans
ee royaume , dit le plénipotcntiaire Irancais. (( Je le concois ,
c'est une idée ; j'cn parlcrni ~l l'Empereur. Et pourquoi pas un
eorps írancais ? » répondit ]\1. Capo d' Istria. ,1. de Caraman ex-
posa les difficultés que rcncontrerait une telle expédition lors-
'JU'OIl sollicitcrait les snbsides devant la Chambrc des Députés ~




f.IJAPITRE Xvnr. 105
et d'ailleurs était-on assez súr de I'armée ? Pendan! ce temps les
troupes autrichiennes s'avancaient daus le Piémont en toute
háte ; aucune résistance no Iut opposée , et la contre-révolutiou
s'opéra avec plus de facilité encere qu'a Naples..M. de ~Iett('r­
nich profita de cette circoustanco pour empécher la marche du
eorps russe qui ]'cut géné dans ses projets sur l' Italie, Dans une
nourelle coniérencc avee ]'J~m})erCllr, lU. de J1cttcrnich luí dit
en souriant : « Eh bien! Sire, VOiHl un succes bien facile contre
les révolutions , et je crois que les troupes auxiliaires de Votre
Ma'jcsté n'auront pas besoin de desccndro en Italie; l'ordre est
partout rétahli; ce seront des fatigues ct des dépenses ('\itées.
Vovez ce que c'est qu'une révolution prise atemps ' )) L'Empe-
reur, qui venait de recevoir la premiere nouvelle de l'insurrec-
tion grccque et de la lcvée de boucliers d'Ypsilanti, accueillit la
proposition de 1\1. de .l\lcttcrnich, et donna centre ordre a ses
troupes, Des lors la Franco ne put obtenir que l'assurance d'une
occupation autrichienne tres-limitée et d'unc tres-prochaine éva-
cuation. 1'1. (le l\letternich en donna sa parole. Lord Stewart se
tint tout a fait en dehors de ces négociations diplomatiques; l'An-
glererre , n'admeuant pas le prillripe de I'intcrsention, ne pon-
rait approuver ce qni se faisait en vertu de ce principe. M. de Ca-
raman se laissa trop facilemcnt prevenir par les évéucments dans
le double congresde Troppau et de Laybach: il fut mal informé.Ict
en position trop inférieure de talent et d'activité en préscnce de
l'homme le plus habile de l'Europc, 'H. de 'Ietternich. i\I. deta
Ferronays, excellcnt interprete de loyauté aupres de l'empereur
Alexandre, se trouvait tres-déplacé aupres de ~I. de :Uetternieh ,
qu'il connaissait mal, et qui échappait 11 toutes les investigations
d'un crnur si droit, Quant 11 i\l. de Blacas, iIjoua le principal róle
au congres ; j] s'y monrra habile. Lorsque JU. de Blacas ne se
laissait pas domincr par son caractere hautain, iI menait bien une
affaire: il avait une certaine hahitude des h~tes couronnées et des
rransactions politiques..J'ajouterai que la position était complexe;
il n'y avait pas pour les ministres francais un point cxclusif ~l at-
teindrc, un intérét puremcnt diplornatiqne comme dans les r ir-




106 mSTOIRE DE tA RESTAURATTON. .
constanccs ordinaires ; ils11e pouvaient ncttement s'opposeraune
intcrvention qui allait frapper au cceur un des appuis moraux et
puissants des révolutionnaires francais !


Cette préoccupation de l'esprit róvolutionnaire influaméiue sur
la question grecque qui fut soulevée pour la prenriere fois ~l Lay-
hacho Certes, on nepeut contestcr que lU. Capo d'Istria el l'em-
pereur Alexandre ne portassent un vif et touchant intérét a la
Grece ; une conformité d'opinions religicuses et de patrie exaltait
au plus haut degré leurs sentiments ; il Yavait méme intérét po-
litique, et pourtant, ala premiere nouvellc de I'insurrcctiou d' Yp-
silanti, l'Empereur entra daos une violente colore. « Quoi ! dit-
il, les Grecs aussi tendent la main aux révolutionnaircs d'Eu-
rope ! je voulais leur affranchissement, Capo d' Istria el moi nous
l'aurions obtenu, et voila qu'ils préteur leur iusurrection auxNa-
politains el aux Piémontais, )) 1..e Czar dicta des dépóches pour
le comte d e Strogonoff; il devait désavouer auprcs de la Porte
toutes les tentativos d'Ypsilanti ; ce prince était privé de son
grade ct de son traiteiucnt. L'armée russe dut se concentrer sur
la frontierc ; une armée autrichienne s'y réunit égalcmcnt ; on
ne prit aucun parti. Dans !lIle conversation fort animée avec Ic
comtc Capo d'Istria , le Czar lui dit : « Conuuent cxpliquez-vous
cette levée dc houcliers d'Ypsilanti ? -Qlle voulcz-vous , Sire ?
le vase était plein d'amertunc , il a dóhordé. - Je le sais, mais
pourquoi ne pas atteudre ? - Sirc, quand on souífre, choisit-ou
l'instant de la délivraucc ? et puis ils sont chrétiens , ils tomhent
comme des martyrs. )) A ces mots Alexandrc s'émut : « Oui 1 ils
sont chrétiens; malheureuses circonstances qui ne permettcnt
pas de suivre mon cceur et ma foi ! ~ te temps vicndra , Siro,
reprit 1'1. Capo d'Istria. - Oui , il vicndra , s'écria Alcxaudre ,
mon devoir est de secourir 1(18 chrétiens qui souflrcnt » ; et il
Lomba dans une profonde méditation. Plus tard le comte Capo
d'Istria fut oblig{~ de prcndre sa rctrait« pour avoir trop OUWl'-
tcmcnt soutenn l'insurrcction grecquc *; el pourtant M. Capo


I Dans ccue espere de disgrñcc oíllciello, 1\1. Capo d'Istrla conserva




CHAPITRE XVIII. 107
d'Istria est tombé sous le poignard des Hellenes ! triste et singu-
liére destinée des honunes qui se dé, ouent aux causespopulaires,
cal' les multitudes out leurs caprices, leur disgráce , Ieurs favorís
et leurs victiiues! Le congres de Layhach fut triste et sombre;
il Y cut peu de ces divcrtissements qui aceompagnaient les
grandes retes diplouiatiques. Point d'abandon; de la méfiance,
de l'irritation et des craintes; aucune distraction, Dans plu-
sieurs rénnions secretes i1 fut questíon de I'Espague : la maniere
prompte et cfíicace dont on s'était débarrassé des révolutious de
Naples et du Piérnont donnait c/u cuiur aux Souverains; les docu-
ments qui arrivaient de la Pcninsulc constataient le peu de po-
pularité de la constitntion : 1\1. de l\letternich en parla a lU. de
Cal'aman, mais saus douncr asa conférence un caractere officiel :
([ 11 faudrair bien secoucr ce dauger a YOS portes; e' est une me-
nace ponr votre Gouvernement ; avez-vous bcsoin de quelques
mille auxiliaircs ? 110US voici tout préts ; ce que l'ernpereur de
Russie a Iait pour nous dans la qucstiou d'Italic, nous le ferons
pour vous.» 1\1. de Caraman éluda tonte réponse précise : (, 1'Es-
pague n'était pas mcuacante ; la constitution s'aflaiblissait d'elle-
méme , ct l'on serait obligó de la modifier. » Il Iut plus nene-
ment question de cettc intervention en Espague dans la confé-
renco entre MM. de iUetternich , Capo d'Istria et de Harden-
berg. On proruit de la toueher séricuscment a la premierc réu-
Ilion. Cette réun ion Iut fixée au tenue d'une année dans une
ville d' ltalie, a Ylorence (on ne parlait pas encere de Vérone ),
afín de décider l(~s questions laissées en suspenso


Pendaut que l'Europc délibérait ¡. Laybach , Napoléon , qui
naguere l'avait remplie , mourait ~. Sainte-Héléne , et le duc de
Bordeaux recevait l'onction sainte ¡. Notre-Dame: tristes tempétes
du monde! Les pouipes de la vie sous les vieux parvis de la mé-
tropole, un cercueil sur l'Océan ; ici le Iréle rejeton de tant de
Ilois , l'exprcssion d'un priucipe d'ordre el de paix apparaissant


l'intime conliance d'Alcxandrc; ",1. Capo d'Istria continua sa corres-
pondance avec I'Empereur , c'était un beau discur , un homme Icltré ,
el airuant beU~i1.:0UP amaniíester des sentimeuts géuéreux,




¡(ji" lILSTüIHE DE LA HES'l'AUHATJON.
¿¡ la Frailee el salué par elle; lü , sur un rocher , le grand capi-
taine , le géuie de la gloire et de la conquétc tombant sous la
Iaux de la mort , et Iaisant encore un épouvantahlc Iracas de sa
chute! Les fétes publiques pour la naissance de l\l. le duc de
Bordeaux avaicnt été rcnvoyées au mois de mai , heurcux anni-
versaire de la premiere entréc du Roí ü Paris : Louis XVIII
aimait ces rapprochcmcuts, Cctte époque de 181h se montrait
toujours ason imagination comme parée de ces ares de triomphe
et de íleur , qui avaient salué son passage a travers les villes du
Pas-de-Calais jusqu'a sa capitule. Le Hoi, un peu moins souf-
frant , voulnt présider Iui-mérne ¿l toutes les pompes qui enví-
ronnerent le berceau royal. 11 écrivit de sa main ¿l 1\1. de Blacas
et ¿l l'abbé de lUontesqniou, qu'il les élevait au titre de duc, di-
gnité alors vivemcut souhaitéc; des promotions de maréchaux-
de-camp et de lieutenants-généraux récompenserent l'armée de
sa íidélité , et permirent un monvement de grades et d'avance-
ment. les retes du haptéme furent brillantes; on y avait appelé
l'élite du pays; on aurait dit le programme qne le vainqueur
d'Austerlitz et de Wagram dessina lui-méme autour de cet en-
faut dont il placa la couronne dans la vicille capitule du monde.
La nouvclle de la mort de Napoléon arriva au Conseil des minis-
tres par le télégraphc de Caláis le 5 juillet, a six heures du soir.
Ils se rendirent immédiatement chez le Hoi , qui parut moins
satisfait qu'on ne l'aurait cru. La mort de Bonaparte était pour
tant un événement immense pour sa dynastie, Cette image, si
populaire , si menacante , était le mobile de toutes ces agitations
qui avaient troublé la Franco : le partí honapartiste était le seul
actif, le scul puissant. On se barbouillait d'un rouge constitu-
tionuel , mais le fond de la pensée était Napoleon, La grande
fortune qu'il avait Iaissée ¿l Paris servir souvent asolder et aorga-
niser les uiécontcntcurcnts : son nom seul jetait de la fermenta-
tion dans les esprits, J..e lendemaiu arriverent les journaux anglais,
el particulieremeut le Courrier, qui dounait tous les détails de
ce couvoi jeté au bout du monde , el auquel pourtant le monde
tout euticr assistait dehout et découvcrt , connne pour rcndre




CllAPITUE X\IlI. 109


10 {¡.....
/s


hommage ü celui qui l'avait traversé en le conquérant, Je me
place plus haut que les enthousiasmes de commande : plus que
personne j'admire la grande taille de Napoléon ; mais tous ces
bruits d'empoisonnemcnt , de mort lente qu'on a fait circuler ,
doívent étre rejetés parmi ces fables que la crédulité populairc
accueille; le commissaire fraucais a Sainte-Hélene , le marquis
de Montchenu, était un homme d'honneur ; les Bourbons inca-
pables d'un crime. Accuscra-t-on égalcment la Sainte-Alliance
d'avoir relegué Napoléon a Sainte-Hélene , et l'Angleterre (le
l'avoir assassiné par ses persécutions? tout cela n'a pas le moin-
drc coté vrai, Je I'abandonue au vulgaire. Les Puissances dürent
arréter un systeme de surveillance ~\ l'égard du prisonnier , cal'
elles craignaieutpar-dessus tout le retour de Xapoléon , et l' Angle-
terre pourvut largement a ses besoins 1. 11 Ya quelque chose
qui dépasse mes idées quand j'examine le grandiosodu caractére
de Napoléon et sa vie inunense d'administration et de hatailles ;
c'cst cet esprit qui s'arréte tant a Sainte-Hélcne aux petites dif-
ficultés d'ótiquctto. Napoléon boude si 1'0n s'assied en sa pré-
sencc , si l'on nc lc traite pas de Majesté et d'Empereur ; il se
drapc perpétuellcmcnt : il nc voit pas que la grandeur est en lui
et non dans la pourpre et de vaius titres. A Austerlitz , au con-
scil d'Í~tat, Napoléon est un monument de granit et de bronze :
11 Saiutc-Héleuc , c'est encere un colosse , mais paré d'un cos-
tumede cour. La mort de Napoléon fit une profonde irnprcssion
sur l'opinion publique; millo brochurcs furent publiées ~\ sa
gloire; ses bustos reparurent : la gravurc reproduisit son apo-
théosc d sa grande mémoirc. 11 y cut de la tristesso dans ses
vieux compagnons. Le général Rapp, élevó aune dignité de chá-
teau ? mauifesta la plus violente douleur. Le Iloi conta al'ordrc
que le géné.i."tii avait été vivemeutaffecté de la mort de Bonapartc ,
qu'on avait aperen des Iarmcs s'échappcr de ses yeux. « Je l'ai
vu aujourd'hui, dit le Roi, el jc lui ai dit que sa sensihilité


r La table seule de Napoléon coútait á la trésorerle 1.2 000 liv,
sterliug .


ur,




110 llISTOIHE DE LA HESTAUHATlON.
m'était une nonvcllo garantie de ses sentimcuts, « n est vrai , m'a
« répondu Rapp, que j'ai ressenti une viveémotion en appreuant
« la mort d'un homme auquel je dois tout. .. , jusqu'au bonheur
« de servir Votre l\lajesté. » Cettc maniere de récompenser le
dévouement donnait une grande popularité aLouis XVIII; per-
sonne ne possédait a un plus haut degré cct art de dire des mots
flatteurs a tous.


La session était close ; j'ai raconté les grieís réciproques du
ministere et des Iloyalistes ; lorsqnc la Chambre fut préte ase
séparer . quelques amis de l'D1. de villelo et Corbiere vinrent
lcur décíarcr frauchcmcnt qu'ils ne pouvaient plus les soutcnir
dans la position OÚ les ministres s'étaieut placós vis - a - lis des
Boyalistcs, « Il faut, dircut-ils, que le miuistere soit anous pour
que nous marchions avcc lui. )) ~1. de villéle comprit parfaitc-
ment eette situation ct vint déclarcr a l\l. de Itichelieu la volontó
de ses amis; il s'expliqua surtout sur la mauvaise humcur de
son collegue l\I. Corbiorc : « Il est impossible d'allcr avec
lui, ajouta-t-il aplusicurs repriscs ; si nous voulons conserver
un peu d'asccndant sur nutre partí, iI faut que nous dounions
notre démission , OH qu'on prépare des arraugemcnts ministé-
riels tels , que l'opiuion royalistc trouve dans le Conseil une
expression véritahle et forte, « ~I. de Itichclicu , qui prévoyait
ce résultat , répondit : )1 qu'il le priait de réíléchir si un arran-
geinent n'étaít pas encore possihle et désirable surtout, » Des
négociations s'ouvrirent par :\L\I. de Vitrolles et de Vérac, et
surtout par la voie de lUOl\SIEÜH; les Royalistcs demaudorent le
ministerc de l'intérieur pour 1\1. de VillCle, la création d'un mi-
nistere des cultes et de l'instrucriou publique pour 1\1. de Co1'-
hiere, l'ambassade de Ilomo OH de Londres 130m lU. de Chateau-
briand : une autre ambassadc pour ]U. de Vitrolles; puis une
liste de prcfets el de dircctcurs-géuéraux ; cníin , quelqucs projets
de loi rcligicux e[ mouarchiqucs, parrui lesqnels une forme d'in-
demnité ponr les éniigrés. l.e Cahinct olfrait le ministere de la
marine a]U. de Yillelc , ct le ministcre de l'instructiou publique
h l\l. Corbierc ; M. Portal se retirait, el nu hesoin M. Pasquier,




CHAPJTRE xvur. 111
qui abandonnait les affairos {\ll'aJlg(~rrs a ~L de Ilirh..lien. Ou
ne put s'entendre ~ le présidcnt da Conseil ne voulait pas aban-
douner ¿I M. de Vil/(~le le iuinistere de I'íntérieur , sur iequcl i1
avaít toute espece d'action par lU. lUounier. Une fois lU. de Víl-
INc ministre de I'intérieur , l'administration du rovaume passait
aux Iloyalistes; ensuite, en comptaut dans lcurs rangs M. de Lau-
riston, la majorité du Conseil leur appartenait et M. de Iliche-
líeu ne le voulait ('11 aucnne maniere. tes négociations furent
done rompues et les ministres de la majorité oífrircnt leurs dé-
missions : elles furent acceptées, On avait espéré retcnir M. de
Cháteaubriand, mais la partic était trop fortement liée entre les
Rovalistes; la démission de l'amhassade de Berlin fut onvovée :


. .


le ministerc se trouva privé de tout appui de la droite en pré-
scuce d'unc majoriíé de eette coulcur. Je ne comprends pas
connncnt le Conseil pnt alors se Iaire illusion , a ce point de
croirc possible une majoriré sans s'adresscr a la droite, Ce qu'on
avait fait en 1816 et en 1817 on ue le pouvait plus: les passions
étaient trop vives l les haines trop animécs pour manrcuvrcr
arce deux centres séparés, ]H. Pasquier , par excmple , de-
meurerait-il dans le Conscil , en facc des Bnyalistcs qu'il avait
attaqués par la dóclaration de ses aífcctlons ct de ses répnguances?
Je dois ajouter que, dans une confércnce intime avec M. de Ili-
chelicu, ~1. de Villélc , ason départ pour Toulouse, avaít dé-
claré que, se séparant de 1\1. Corhiérc , il accéderait a un
arrangement ministériel pour la prochaine session. JU. de Iliche-
lieu menacait de la dissolution de la Chambre : iU. de Villele le
supplia de n'en rien faire; il promit appui de toutes ses forces
politiques ¿I son rctour du collége de Toulouse, qu'il devait pré-
sider. On vou'ait satisíairc la majorité, et l'on décentralisa l'ad-
ministration des connnuucs. Sans détcrminer un modo électoral,
une ordonnancc du Jloi délégua aux préfets le droit jusqne la
réservé au ministre de l'intérieur d'approuver les hudgets muni-
cipaux ct les dépcnscs ; tontefois , pour les budgets des villes
ayant plus de 100000 francs de revcnus , el les dépenses aentre-
prendro dépassant 20 000 francs , l'approhation dn Roi était




112 IIISTOIRE DE LA UESTAURATION.
nécessaire. Quelques choix royalistes furent faíts aussi dans la
magistrature par M. Portalis, remplissant par interim les fonc-
tions de gardc des sceaux. M. de Serres , malade et fatigué par
une longue session, était allé prendre les eaux; sa santé était
fortement altérée par ces discussions hrülantes et les soucis du
pouvoir, Hélas! que d'hommes remarquables la tribuno n'a-t-elle
pas dévorés !


L'organisation royalíste prenait une attitudc compacte et
imposante; elle fondait ses éléments de succes. Il y avaitd'ahord
l'organisation religieuse connue sous le nom de congrégation :
son but n'était pas politique a son origine; un ahbé vertuenx
du nom de Legris-Duval l'avait fondée; on s'y oeeupait de
prieres , et eomme cette aggrégation réuníssait des hommes
éminents , comme des pairs, des dépurés vcnaient y assister , il
était bien difficile qu'il ne se formát des conversations politiques
et qu'on n'y discutñt pas sur les aífaircs du temps. Pour etrc
admis a ce petit club religieux, il fallait des répondants : on
examinait la position sociale du néophyte , l'influencc qu'il pou-
vait exercer par lui ou ses amis, ct lorsqu'on était bien sur de
ses principes , on l'accucillait, C'était un ehemin d'avance-
ment et de fortune, cal' laeongrégation constituée en patronage
permanent , poussait tout ce qui lui appartenait. On l'a dit :
« Trois hommes qui se tiennent bien pcuvcnt remuer le monde; »
et cette corporation toujours occupée de ses adeptes , de leur
position et de leur avenir, avaít devant elle une haute destinée.
Comme succursale ala congrégation était la société des bonnes
études, moyen de réunir les jeunes gens des écoles dans l'ohjet
de s'opposer au torrent des mauvais livres et des mauvaises
doctrines; la se faisait écouter le talent déja si remarquable de
lUl\!. Berryer fils ct Henncquin ; on y discutait des questions du
droit public; puis ces jeunes gens étaient présentésau garde des
sceaux qui en remplissait les parquets et la magistruture , bientót
brillante des noms de l\HI. de Broé , de Ilavignan , de Vatis-
mesnil. Dans un ordre d'idées un pcu plus largo s'était orgauisée
la soci{t(~ drs honnes leures..1fl1llD l11Nle toujours de('('s so('Í{·t(·s




(;1TAPTTnE XYTTT. 113
littéraires oú l'on professe le he! esprit; qu'on les appelle athé-
nées, bonneslettres, lycées, cela rcvient au méme ; qu'un conrs se
fasse par M. de Jouy ou par M. de Laeretelle jeune, qu'ímporte !
La société des bonnes lettres offrait de heaux noms, et en tete
d'eux tous 1\1. de Cháteaubriand , et des auteurs de si grande
espéranee, lUM. Lamartinc , Victor Hugo, Soumet , Aneelot.
On s'était jeté la, et pourquoi ? c'est qu'on sentait la victoire
prochaine et qu'on va toujours a la victoire. C'était un curieux
spcctacle qne ces Iarmoicments aux improvisations subites de
1\1. de Lacretelle, qne cet effroi nerveux aux horribles tableaux de
1\1. dll Cancel; on pleurait sur la Révolution, sur tous les anni-
versaires de mort; on s'agenouillait devant Quiberon , la Ven-
dée , et I'émigration. On riait de quelques traits bien grossiére-
ment acérés contrc les libéraux, 11 y avaitdes succésde femmes,
de tendrcs élégies , des complaintes, des odes, 11Uis de la chimie,
des expérienees! que sais-je encere? mérne de l'histoire ! a tout
prendre cela valait bien le cours tant soit peu ennuyeux de poli-
tique constitutionnelle de 1\1. Constant a l'Athénée. Tous ces
élémcnts , au reste, étaient en opposition avec le ministere et
attendaient un avénement nouveau, celui des bons amis. Il n'y
avait de popularité royaliste que pour .l\HI. de villele et Cor-
hiere; ce sont nos uiinistres , répondaient tous les échos de la
société Piet , et nos seuls ministres. En cette situation le Gou-
vcrnemeut avait pourtant ase dessiner : il s'agissaít de choisir
les présidents des eolléges électoraux pour Ir cinquieme aréélire :
le ministere avait declaré qu'il marcherait avee la droite , mais
arce une majorité sincere, placée dans une position nette et ne
faisant pas la double main. Le choix des présidents de collége se
ressentit de cctte déclaration. Les Iloyalistos furent portés ,
méme lU. de Vil](~le, mais eeux qui avaient trop eomplétement
atraqué le ministcro , tels que lUl\!. de Castelbajac , de Salaberry,
n'obtinrent pas la présidence : le Cabinet poussa d'autres
candidats, qui échouerenr prcsque partout , et le résultat des
élections fut plus royalistcencoré que les précédentes ; les noms
qu'on avait roulu exclure passércnt tous ~l des inunenses majo-




11l. mSTOIRE DE LA RESTAURATION.
rités. Cela arrive toujours quand l'opposition est prés d'un
triomphe : les préíets furent mous paree qu'ils étaient en íace
de l'avenir; ils eraignaient moins le ministéro actnel que le
ministére qui altait leur arriver. Le Cabinet seul se Iaisait illu-
sion, J'ai remarqué qu'en politique, Jorsqu'un ministére est
menaeé, tout tourne contre lui : ceux qui l'ont soutenu l'aban-
donnent, l'administration , qui doit le seconder, le délaisse, Son
heure a sonné ,e'est tout dire !


Les prétentions s'étaient agrandies avec l'espérance du succes:
on ne vouJait plus d'autres conditions que le triomphe complet
des doctrines royaJistes et des hommes politiques qui en étaient
I'expression. lU. le comte d'Artois s'était prononcé décidément
contre le mínistére ; le crédit de S. A. H. augmcntait aupres de
son royal frére , alors si abattu par la maladie que son médecin ,
lU. Portal, ne répondait pas de lui. Tout l'intervalle dcla session
avait été rempli par ce besoin de rattacher l\IoNsmuR au systeme
ministériel et de l'enlever a ce cercle d'activité qui entourait
S. A. R. Une idée hizarre avait passé par la tete de lU. de Itiche-
lieu; on voulait marier le comte d' Artois; on pensait qn'une
influence de femmes détournerait le prince de ses amis; on avait
fait mérne des démarches pour ohtenir une princesse saxonue;
tout ceja ne réussit paso lUO:\SIEUR répondit qu'il (>lait trop figt;
pour songel' au mariage, et qu'il avait d'ailleurs une.postérité,
lU. Sosthénes de la Ilochefoucanld senil alors d'intcnnédiniro
pour le rapprochcr d'une personncappeléc aune douce iufluence
sur l'esprit du vieux roi; ensuite M. Mathieu de l\lontmorcncy,
ambitieux d'aflaires et de pouvoir tI travers sa vie de bicnfaisance,
l\I. de Iliviere dans l'intimité de S. A. R. voulaient en fin ir. Cne
troisierne intrigue vint de l'étranger. lU. de ~lettcrnich s'ét~it
abouché avec lord Castlercagh dans le voyage accompli par le
roi d' Angleterre pour se Iaire conronner roi de Ilauovrc , et
la il avait été décidé ql1'OU agirait par tous les moyeus afin de
démolir une adminisuation c¡u 'on croyait d(~ron(;r aux intél'vls
de la Russic au momcnt oú la question grecque agitail l'Europc.
M. de Metternich fit vivement presser l\lONSlEUH pour obtcnir




CJlAPlTflE \\IIr. '115
un changemcntde rniuisterc, el S. A. H. s'y élait cngagéc. Peu-
dant ce tcmps , .IU~I. de Villele , Corbiere, de La Bourdonnayc,
de Casteibajac arriverent hátivement a Paris pour agir sur le
théñtre méme des événements. La grande affiuenee des députés
royalistes aunoncait l'approche d'une lutte décisive, Il vient des
époques oú les partís sont fatigués d'une inccrtitude qui ne va
plus 11 lcur tempéramcnt ; eomme ils ont la force, iIs sont ím-
patients de la montrer. Le Cahinet prévoyait la crise , mais avec
ce fatal aveuglcment qui saisit tous les pouvoirs , il ue la croyait
ni si imminente , ni si décisive; il se bercait encore de l' espé-
ranee qu'il pourrait marchcr en face d'une majoritó royaliste ,
et sans les hommes qui la dirigeaient. La pcnsée de 1'1. de Ilichc-
lieu était qu'on pourrait détacher par de honncs Iois une grande
masse d'unités dans la Chambre , de tollo sorte qne les extré-
mités passionnées resteraient daus l'isolement, Les ehoses ne se
passent point ainsidans les corps politiques ; tout s'y personnifie;
les doctrines se font hommes! Cepcndant , dans la prévoyance
d'un changement possible, tu. Pasquier avait été élevé par le
Iloi a la pairie ; on savait que sur lui reposait la plus grande masso
(]<'8 répuguanccs royalis\(ls; il s'y sacriíiait. 1'1. Pasquier, comme
plnsicurs personnagcs poliriques , avait des )(IIII'<'S de pairio (le
lougu« date; il ne s'agissait <JIH' de le~" reudre publiqucs ; la
chose fut Iaite parcc qu'eu l'état des esprits, M. I'asquicr, appar-
tenant au cinquiemo qni sortait de la Chambre , n'était pas sür
d'étrc réélu. lU. de Ilichclicu comptait pnrticnliércmeut sur la
répulsion personnclle du roi pour les ultra. J...ouis XVIn s' en
était plusieurs fois exprimé d'une maniere décidée ; mais tant
d'éléments existaicnt au chateau POUl' atténucr cette répugnauce:
l\Io;\slEtn, la duchcsse d' Angoulémc , la plupart des ofliciers
<111 palais , les gcntilshommcs qui vivaicnt dans l'intimitó du roi,
pnrtageaicnt toutcs les sympathies de la droite. Les ministres
s'imaginaient étre dans la confiancc dn Iloi ; aucun d'eux n'était
arrivé ü ce point de Iavcur oú érait parvcnu :\1. Dccazes ; el
('111'01'(' que de luucs , que d'assauts , le ministre tombé n'avaít-il
pas dú soutcnir pour dóícudrc son pouvoir el son systeme ! JI




116 mSTOInE DE LA. RESTAUnATTON.
était si facile d'cntourer Louis XVIII par son intérieur , par ce
caquetage de femme et de conversation; et puis la sagacité et la
modération de l\l. de VilleIe au Conseil nc lui avaicnt pas échappé ;
on lui en parlait tons les jonrs; il s'en était souvent cntretenu
avcc son ministere. Des que 1\1. de VilINe fut arrivé ü Paris ,
1\1. de Richelieu lni fit demander un rendez-vous; il fut sur-
le-champ accordé. 1\1. de Villéle ne croyait pas alors possible une
administration royaliste sans le duc de Itichelieu : c'est le seul
grand seigneur qu'il voulait y admcttrc. On lui parlait un jour
de lU. de Blacas , il répondit : « Dans mon ministere je ne vcux
ni maitressc , ni favori. » A la suite d'une longue conférence ,
les ancicnnes propositions furent de part et d'autres renouvelées ;
le ministere de la marine fut oflert et refusé ; les royalistes VOI1-
laient obtenir la majorité du conseil el d'autres concessions de
personnes; l'administration Ilichelieu ne le voulait ¿l aucun prix,
« Que fcrez-vous , 1\1. de Villele ? dit avecquelque vivacité 1\1. de
Bichelícu. Vous voulez done forcer la main au Roi et renverser
son ministere ? - Oh, mon Dieu, non! répliqua lU. de VilleIe ;
nous resterons neutres et nous vous scconderons si vous allez
dans le sens monarchiquc ; nous vous combattrons si vous en
sortez ; nous n'avons a~lcune ambition personnelle ; le scrvice de
la monarchie avant tout; mais je dois vous prevenir que je ne
serai pas maitre de mes amis politiques. Que voulez-vous ? je
ne puis empécher l'exagération , les folies; vous serez poursuivi
par Castelhajac, Salaberry et Delalot; soyez sür que [e ne me
joindrai a ('UX qu'au cas OU vous chercheriez appui dans la
gauche. » lU. de Itiehelieu communiqua au Conseil les prnposí-
tions de 1\1. de Villele; on agita la question devant le Roi luí-
méme. Il fut déclaré qu'on tenterait la session : on ponvait se
préscnter devant la Chambrc avccde notables résultats : un allége-
ment du hudget , une diminution dans les contriburious directes;
le Roi declara qu'il faisait sicnne la cause de son ministerc , et
qu'au besoin , si les Iloyalistes s'unissaicnt au coté gauchc , 011
aviserait sur les moyens d'avoír une autrc majorité. Comme con-
rr-ssiou au ro\(> droit , le minist-re dcvait accorder une modifi-




CHANTRE XVIlI. ~ \1
catióna la 10i de la presse dans les idées et les opinions royalistcs,
c'est-a-dire une forte répression et une définítion plus nette des
délits centro la religion et la royauté. Dans ce moment décisif,
on s'agitait beaucoup pour renouer des alliances : il fut question
meme du coté gauche. Je puis affirmcr que le général Foy , talent
trop supérieur pour ne pas apercevoir le danger pour son parti
de mettre le pouvoír dans la main royalíste , n'était pas éloigné
d'un rapprochement avec le ministére ; mais ses amis n'eurent
pas ce haut instinct de la situation. La pensée du Roi était de
porter le général a l'ambassade de Constantinople. Tout cela
manqna non-seulcmeut par les Iautes de la gauche, mais encore
par la répugnance de M. de Richelieu pour les hommes de cette
eouleur. « Que celase fasse , disait-il , mais sans moi, »


Les ministres s'cíforcerent de rendre insignifiant le discours
de la Couronne, afín de ne pas donner prise a la discussion.
Toutefois il u'était pas possible de passersons silence la situation
diplomatique de l'Europe. « Mes relations avec les puissanees
étrangeres, disait le Roi, n'ont pas cessé d'étrc amícales , et j'aí
la confianee qu'elles continueront de l'étre, De grandes calami-
tés aflligent I'Orient , mais j'espere que la prudence et le bon
accord des Puissances trouveront le moyen de satisfaire ce que
la religion , la politique et J'humanité peuvent justement deman-
der. » Cctte phrase était bien peu signiflcativc aprés les grandes
transaetions qui avaient marqué les dernieres années. A cela on
répondait que le Roi faisait les traités de paix et de guerre, et
qu'il ne devait compto qu'a lui-méme de ses motifs. Mais dans
le systéme représentatif, en déíinitive , tout n'aboutit-il pasades
résolutions de majorité? Nesa,'ait-on pas que -' dans les assem-
blées politiqnes , on se saisit de tous les prétextes , et que, quand
le feu de l'opposition couve dans un corps , il éclate par tous les
pores, Les premieres opératíons de la Chambre en constaterent
l'esprit. l\I. de Villl'le Iut porté par une immense majerité ala
présidence; !\l. Ilavez ne passa sur la liste que comme-second
candidat 1 et arce lui l\DJ. Corbiere 1 de Bonald et de Vau.,.
blanr : les vlce-présidcnces furent également royalistes ultra.




1.18 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
Le mínístére crut faire un coup de force en repoussant M. de
ViIleJe de la présidence et en luí préférant ;\1. Itavez : il eüt été
plus habile peut-étre d'anuuler J\l. de Villclc par le fauteuil;
mais on s'était brouillé , il fallait rendre hostiJités pour hostilités,


La Chambre répondit par une commissíon d'adresse com-
posée de la créte de droite , 1\IM. Delalot, de Casrclbajac ,
de Cardonnel, de La Bourdonnaye , de Vaublanc, l\Ieynard,
Bonnet, Chiffiet et Hocquart, D'ahord il était impossible
de ne pas répondre a la phrase du discours qui touchait a la
politique étrangere ; le partí royaliste savait que cetro phrase
était de 1\1. Pasquier 1, l'objet de sa plus vive répugnance ;
on n'avait méme plus a ménagcr 1\1. de Itíchclieu , qui s'était
refusé aux combinaisons de la droíte. J~t combien ele motifs
n'avait-on pas pour attaqucr! l\l. Delalot, l'adversairc le plus
implacable de 1\1. Pasquier , fut chargé de la ródaction de
l'adresse. Cette rédaction avait été arrétée sous l'iuflueuco de
1\1. Itoyer-Collard , vívement ulcéréavec les doctrinaires ses amis
contre l\l. de Serres qui les avait expulsés du Conseil d'i~lat.
lU. Bertin de Veaux n'y fut pas étraugcr, et M. de TaIleyrand y
poussait sous main, cmpéchant tout rapprochcment pour perdre
lU. de Richelieu ; aussí la phrase qu'ou va Iire , phrase si dure,
si insultante, fut adoptée par la grande majorité de la commis-
sion : « Nous nous félicitons , Sire, de vos relations constam-
ment amicaies avec les puissances étrnngcros ; dans la juste con-
fiance qu'une paix si précíeuse n'est point achetée par des
sacrifices incompatibles avec l'honneur de la nation et la dignité
de la Couronne, » Il n'y avait pas méme dans les mots de la con-
venance parlementaire ; le partí voulait vite arriver ~t son résul-
tat , exprimer ses antipathies; il ouhlia tout pour en yenir ases
fins; n'avait-il pas acraindre de hlesscr Louis XVIII? J'ai qucl-
que ehose de triste ~t ajouter, c'est que lUONSIEUn ne fut pas
étrangeraeette résolution des Iloyalistcs ; il s'était cru débarrassé


I Je dois noter qu'á son arrivéc , 1\1. de Villcle était alié aux añuircs
étrnngércs , 1\1. Pasquier lui avalt montré toutcs les plcccs des négocia-
tlons , i1 avait tout approuvé , el applaudi il tout.




CHAPlTRE XHU. 11~
de sa parole, des Cfue le utiuistere svsit rompu svee les ul~m ;
comme ses amis , ilvoulait arriver 1\ uu svstéme complot et net ;
il était fatigué de ces combinaisons sans cesse incertaines. Le,
26 novemhre le projet d'adrcsse fut lu en comité secret; la voix
un pen déclamatoire de J\l. Delalot s'arrcta spécialement sur la
grande phrase qui excita un murmure d'approbatioa dans la
droíte extreme et dans la gauche ; alors 1\1. Pasquier prit la pa-.,
role: « l\lon devoir, conune ministre, est de demander la sup,...
pression du paragraphe rclatif aux relations de la France avee
les Puissances étrangeres ; je crois qu'il doit appeler l'attention
de l'assemblée : il ne répond pas saus doute aux intentions des
rédactcurs. Dans ce paragraphe , il n'y a pas un seulmot des pa-
roles du Roi, et il donne ace qu'a dit S. lU. une extensión qui
manque tout a fait de convenanco et qui peut avoír des consé-
quenccs graves. - « Toutes les iuterprétations qu'il a plu a
M. le ministre des alfaires étraugéres de douner a cette phrase ,
répondit 1'1. Delalot , me prouvent qu'il est tout ~\ fait étranger
aux vceux et aux pensées de la Chambre. La Franceveut trouver
dans l'adresse l'expression vraie de ses sentirnents ; et certes ce
u'est pas á I'école des ministres que nousserions allés la chercher.
Le Roi vous demande la vérité , et la France ne vous envoíe que
pour la dire ; il faut accomplir par la parole eette mission que
l'habitudede nos mreurs ministérielles a rendue jusqu'a ce jour
si diflicile. Tout ce qui n'est pas dans cette mesure, est de la
Iaiblesse, - « C'est au Iloi , répondit 1\1. de Serres, qu'appar-
tient le droit de paix ou de guerre , et celui de régler les rela-
tieneavec les puissances étrangéres ; je ne crois pas que la com-
mission l'ait voulu, mais je soutiens que le paragraphe est inju-
rieux. Eh quoí ! votre président irait dire au Roi, faee aface ,
que la Chambre a la juste confiance qu'il n'a pas fait de láche-
tés! C'est , je le répete , un outrage cruel, '- « Je ne répondrai
qu'un seul mot , s'écria d'une voix forre ¡u. de La Bourdon-
naye ; 1\1. le garde des sccaux parle d'une phrase injurieuse
pour le Roi : faut-il lui rappelcr que, dans les gouveruements
rcpréseatatiís, ríen n'es!auribué aux roís; mais aux dépositaises





120 HISTOIHE DE I.A HESTAUIlATION.
de leur autorité. » Vainement lUlU. de Courvoisierel Lainévou-
lurent-ils prendre la défense des ministres, leurs voix furent
eouvertes par eelles du général }'oy et de lU. Delalot, surtout,
qui s'écria , en résumant cette discussion : « Qu'a voulu votre
commission ? exprimer une pensée juste et nationale. Et quel
est le Francais dont le cceur peut se soulever quand on parle de
la dignité de son pays, quand on demande que la paix ne soit
pas achetée par des sacrifices qui ne s'accordent pas avec la
dignité du tróne ! » Le moment du scrutin s'approchait; tous
les yeux étaient fixés sur i\l. de Yillele : allait-il hlesser le Roi en
votant l'adresse , et perdre ~l tout jamáis l'espoir de gagner sa
eonfiance? Allait-il s'aliéner ses arnis en prenant partí contre
une adresse arrétée et délibérée ? 1\1. de Yillele avait indirecte-
ment connu toutes les résolutionsde la commissiou ; il n'ignorait
pas que la majorité était acquise au projct de lU. Delalot , et que
sa voix ne ferait rien , ni pour ni contre. Il adopta done un de
ees partís mitoyens qui étaient dans son caractere ; il ne vota
point et resta ostensihlement neutre. Il savait d'avance que la
victoire lui resterait; qu'avait-il besoin de prendre couleur et de
se dessincr ? JI expliqua a ses amis qu'ayant siégé dans le con-
seil du Iloi , et acoté de ses ministres, il ne lui appartenait pas
de voter une adresse contre eux, quoiqu'il l'approuvát intérieu-
rement, On s'cu contenta , paree que la victoire fait passer sur
beaucoup de choses. Le Roi n'oublia pas cette marque de déíé-
rence de l\I. de Yillel«, Le vote de l'adresse fut le résultat de la
fusión des deux opinions extremes et opposées en majorité dans
la Chamhre. Il arrive des temps oú les partís fatigués s'unissent
ainsi pour en finir avec le pouvoir , le partí Iibéral fit une faute
alors de s'unir avec la droite , ct le général Foy l'avait prévu ,
paree qu'il savait bien qu'unc fois lU. de Itichelieu renversé , le
pouvoir devait passer dans l'opinion opposée , el que cela jetait
les affaíres dans la contre-révolution.


Le Conseil des ministres se rL unit le soir chez 1i3 Roi; blessé
de la conduite des Royalistea, son premier mot fut celui-ci :
« Je neveut pas recevoir l'adresse ; il Iaut dissoudre laChambrc, »)




CIlAPlTHE X\ Uf. 1.21
lU. de Richelieu lit observcrque c'était un partí extreme: « Com-
mcnt vouiez-vons qucj'écoute en lace une adresse oú ron m'ac-
euse d'avoir veudu la France ? cela ne sera pas, LU. de Iliche-
lieu; 1'honneur de la couronne me le défend. Je ne puis me
dispenser de recevoir le président et deux secrétaires, mais je
n'entendrai pas leur adresse.» LU. de Serres et lU. Pasquier
avaient l'un et l'autre rédigé des projets de réponse; celui de
lU. Pasquier était d'une expression plus modérée ; le Roi préféra
le projet de lU. de Scrrcs , el il annonrn ason grand-maltre qu'il
rccevrait le présidcnt de la Chambre le soir méme, Quand il vit
s'approcher lU. ltavez, le Iloi prit cette voix et ce geste solenncl
qu'il savait si bien jouer, ct lui dit : « Je connais l'adresse que
YOUS me préscntez, Les améliorations , dont la Chambre retrace
le tableau , déposent en Iaveur des acres de mon Couvernemcnt ;
elles ne peuvent se conserver et s'accroitre que par le loyal con-
cours et la sagesse des Chambres. Dans l'exil et la persécution,
j'ai soutenu mes droits , 1'honneur de ma race et celui du nom
francais ; sur le trüne , entouré de mon peuple , je m'indigne a
la seule pensée que je puisse jamáis sacrifier l'honneur de la na-
tion et la dignité de ma couronne..I'aime acroire que la plupart
de ceux qui ont voté cetro adresse, n'en ont pas pesé toutes lcs
expressions. S'ils avaient eu le temps de les apprécier , ils n'eus-
sent pas souffert une supposition que, comme Roi, je ne dois
pas caractériser : que, comme pere , je voudrais oublier. )
Louis XVIII cougédia les députés avcc un ton tres-brusque : il
voulait que 1.\1: Itavez rapportñt ¡l la Chambre les impressions de
sa rovale colere. Tout cc1a était bien, mais il fallait arriver ,
comme complémcnt, aune dissolution de la Chambre : les Roya-
listessavaient qu'ils avaicnt la Cour pour eux, el que le mouvc-
ment légilime et parlementaire de la majorité viendrait réchauf-
fer les intrigues d'intérieur el de chñteau. Le ministére aurait-il
la force suffisante pour amener la dissolution de la Chambre roya-
liste? il Yavait eu un 5 septembre sans doute , mais alors existait
un favori , grande puissance auprés du Roi; alors le partí libé-
ral , calme, résigné , ne s'était pas montré violent a la tribune.


111. 1-1




122 lIlSTOIRE DE LA RESTAURATION.
Louis XVIII était profondément blessé; on était bien par-
venu a lui persuader que la cause de son ministere était la
sienne propre; mais la résolution de dissoudrc serait-elle per-
sévérante ? Résisterait-elle atoutes les insinuations? On n'eut pas
le courage de pousser les chosesjusque-la , et, par le plus bizarre
aveuglement, lU. de Senes vint présenter a la Chambre deux
projets de loi de confiance = le premier , modifiant la législation
sur la presse , augmentait la pénalité , punissait snrtout l'outrage
a la religion, et supprimait le mot consiiuuionnel dans l'article
qui punissait l'attaque contre les droits de la Couronne. Cette
suppression avait été motivée par les nombreux acquittcments ,
qui tous reposaient sur ce qu'on pouvait librcment discuter les
droits que le Roí avait eus de douner la Charle; le second pro-
jet, qui se liait au premicr , dcmandait la censure quinqucnnale.
L'exposé des motifs en était remarquahlcment écrit ; 1\1. de Ser-
res défendait le jury pour les délits de la pressc , et justifiait la
nécessité de la censure: « Il faut reconna1tre, disait 1\1. de Scrres,
que la presse périodique est éminemment démocratique ; chaqué
journal rallie ce qu'il y a de révolutionnaires incurables, de jcunes
gens séduits; chaque journal fonde un club, qui tous afliliés
couvrcnt le royaume d'une organisation parcille h l'administra-
tion publique el toute préte a la renverscr. Les mesures néccs-
sitées par un tel élat de choses , doivent cmbrasser un certaiu
période de temps; d'ailleurs , la durée d'une mesure nécessairc
ajoute a la sécurité qu'elle doit inspirer.» llar ces motifs, on
proposait la continuation de la censure jusqu'en 1.826. On ne
s'explique pas cet aveuglement ministériel qui, s'aliéuant la majo-
rité, venait lui dernander l'acte de la plus haute confiancc , une
espece de censure perpétuelle, Ou s'imagiuait pcut-ütre avoir
frappé un grand coup par la réponse du Iloi, el proíiter de cctte
terreur pour dcrnauder des pouvoirs extraordinaires: cette tac-
tique minístérielle pcut réussir , lorsqu'une assemblée reste dans
les combinaisons ordinaires de majorité , mais quand elle arrive
a un haut point de colére , elle u'écoute plus ríen. Aussi , 1\I. de
Serres avait-il apeine fini sonesposé des motiís, que M. Delalot




CHAPITllE XYIu. 123
lit encoróentcndre des peroles ardentes : ( Songoz , dit l'orateur
avcc véhémencc, que la censure donne avos ennemis déclarés
le pouvoir d'étouílcr I'opiuion publique; ils ne veulcnt de la li-
berté de la presse que pour eux , el pour s'en servir avous ea-
lomnier. El qui done, sur la foi des ministres, cnuemis déclarés
de la Iégitimité el de la Charte , partisans dcI'arbitraire , qui ont
professé ouvertement, dans cettc Chambre , leur haine pour les
Iloyalistes ; qui done, dis-jc, vondrait accorder un aete de con-
fiance et lcur Iivrer la dominatiou sur nos pensées? Ils veulent
briser une majorité qu'ils n'ont pu rendre servile ; ils veulent at-
tcnter a la loides élcctions ; suhstitucr le régime des ordonnan-
ces a l'ordrc Iégal et constitutionnel; par ces ciuq nonvellcs an-
nées de censure, étouífcr Loute opiniou , toute vérité dans la na-
tion; iIs vculcnt les ténchres pour accomplir lcurs noirs desseius.
lis u'échappcrout pourtaut pas ~l la justice, ct ils répondront sur
lcurs tetes ele tout ce qu'ils cntrepreudront, )) Pourtant, on re-
marqua que l\I. de Yillclc , sur une proposition de i\I. Forbin dos
Issarts , avait voté avcc les centres. 1\1. de VilleIe hommc d'hahi-
leté ct de modération , no pouvait onvertcmcnt s'associer aux fu-
rcurs de ses amis d'cxtrémc droite ; il n'était pas Iáchó de ces eo-
leres ; cal', en déflnitivc , cela tournait au profit de son avenir.
lUais il u'était ni dans sa position , ni dans soncaractere de pren-
drc partí p~l1r l'opinion de MM. Donnadieu et Delalot; cette cir-
conspcction tcnait d'ailleurs ~l des mouvements ministériels, I...es
Iloyalistes sentaicnt bien qu'ils ne pouvaient forrner aeux seuls
un ministere; ils voulaient y maintenir, pour l'Europe et le Roí,
1\1:\1. de Richelieu et de Serres; ceux-ci n'étaient pas tout afait
éloignés de cet arrangcrncnt , maisquand les choses en furent ve-
nues ü ce point de haines el de dissideuces , les collegues de
lUi\l. de Ilichelicu ct de Serrcs leur démontrercut qu'il était im-
possihlc ü l'honncur du président du Conscil et .du garde des
sccaux de rcster dans le Cabinet aprñs ce qui s'était passé; ne les
accuserait-on pas d'avoir trahi les collegues qui se retiraient?
M. de Itichelieu , si susceptible sur la question d'honneur ,
assura que tout le Conscil dcvait sortir en massc, et qu'íl sui-




12h HISTOIRE DE LA RESTAURATION•.
vrait la destinée de son ministere, si tclle était la résolution com-
mune,


On resta quelques jours eneore daus eette situation étrange.
Le ministere voulait essayer de ce systeme un peu diffieile en
politique, qui s'imagine qu'on peut marchcr avee une majorité
hostile, par cela seul qu'on lui présente des lois qu'elle ne peut
repousser; le feu prit sur ehaque question. A l'oeeasion d'une
pétition sur les journaux , de vives atraques dénoncerent le 8)'8-
teme ministériel ; MM. de Castelbajac et de Salaberry ílétrirent
eneore le Cabinet : « Il u'y a plus ríen de commun entre le mi-
nistére et nous , s'écria l\l. de Castelbajac; des lors il n'ya plus
que deux moyens : qu'il se juge, fIU 'il dissolve la Charnbre ,
qu'il en appelle al'opinion de la France , ou qu'il se retire, non
pas pour nous donner son pouvoir, mais pour nous rendre la
confianee du monarque que nous n'avons pas eessé de mériter,
- Les moyens des ministres sont de mettre en avant , au mépris
de la Charte, le nom saeré du Roi, dit aveenon moins de viva-
cité l\l. de Salaberry, de se couvrir du manteau royal et d'em-
pécher la vérité d'arriver jusqu'au tróne : neutraliser le Con-
vernement constitutionnel, substituer aux lois le régime des 01'-
donnauces , régner au nom du Iloi par l'arbitraire, voila le hut
du ministre des affaires étrangeres; ceux qui nous ont cnvoyés
id s'honorent comme nous de ses éloignements, et abandonnent
ases amitiés les hommes qui lui ressemblent. 1) Les choses ne
pouvaient ainsi aller, et les ministres sentirent qu'il faHait ar-
river a la démission. Un motif dominait tous les antres : la
santé du Roi s'affaiblíssait ¿l un tel degré qu'on s'attcndait a
chaque moment ¿l sa mort. Était-il possible de lutter centre
l'héritier de la couronue? Fallait-il embarrasscr par une diffi-
culté de chambre et de miuistére la transition toujours si diffi-
cile d'un régne a un autre? lU. de Richelieu était lui-mérne
malade, dégoüté surtout des affaires; iI avait en une longue
eonférenee avcc le comte d' Artois; S. A. n. l'avait instamment
conjuré de rester au ministere et de malntcnir avcc lui ~I. de
Serres. (( Vous nous etc:'! nécessnirc , ,1, (le nidwlicll; allons,




f.nAPITRE XVIIf. 125
quelque concession aux Iloyalistes. » Dans le plan de S. A. R.,
l\I. de Vj]Jéle preuait les financcs , 1\1. Corbiere I'intérieur ,
l\I. de Senes gardait la j ustice , ~I. de Richelieu la présidcuce
avec les affaires étraugéres, M. de Itichelieu répondit au cornte
d'Artois qu'il avait des engagements, et qu'il ne pouvaít con-
server une position dans un ministere composé en majorité d'unc
opíníon qui n'était pas la sícnne. « Jlais, die S. A. R., f"OUS
étes royaliste , l\I. de Hichclicu? - .MO~SIEUR sait trop bien,
répliqua le ministre, que les hommcs sur lesqnels sera forcé de
s'appuyer l\I. de villelc ont trop gravemcnt offcnsé mon carac-
tére et flétri mon administration , pour qu'il me soit jamais
possible de marcher avec eux. - )Iais ce sont quelques roya-
listes profondément ulcérés , des fous dont Villele fait son affaire.
- Je répete a MONSIEUR que je crois la ehose impossihle ; je
me retirerai avec mes collégues. - ñíais vous compromettez le
systeme monarehique dont je prepare le triomphe, - V. A. Il.
sait que je ne eombattrai jamáis la pensée royaliste du nouveau
Cabiuet. » Le eomte d'Artois qui agissait dans toute eette affaire
avec un grand zéle pour le triomphe de ses opinions et de ses
amis, eontinuait d'entourer le Roi; toutes les influenees étaient
invoquées; les perites causes agissent sur les grands résultats , el
le parti royaliste n'avouerait pas dans cette circonstauce tous
les agents qu'on fit jouer aupres de Louis XVIII. Je Iaissc a
l'histoire scandaleuse le soin .de les recueillir. Personne ne peut
nier que dans l'origine le Roi n'avait aucune eonfianee pour les
hommes qui entraicnt aux affaires , il les considérait plutót
comme les ministres de son frere que comme les siens propres ;
il vit dans la Iormation du ministcre de l\l. de villele une espece
d'abdieation; il renonra presque au Gouvernerucnt. Le Roi en
écrivit en ce sens ¿I un de ses ancíens ministres : « Enfin, LU. de
ViJICle triomphe; jo connais peu les 11011unes qui entrent dans
monConseil aveclui ; je leur erois assez de raison , un sens assez
droit pour ne pas suivre aveuglément toutes les folies de la
droite, Au reste, je m'aunulc des ce moment; je subís la con-
séquencc d'un gouverncment constitutionnel, jusqu'a ce point




126 HJSTOTRE DE I.A RESTAURATION.
ccpendant que je défendrais ma couronne si mon frere la jctait
aux hasards, » Les arrangements ministériels se firent le 13 dé-
cembre dans l'apres-midi ; selon l'habitude , M. de Hichclieu
fut chargé de former le Cahinet qui devait le remplacer; il était
tres-souífrant , et lorsque M. Pasquier vint le voir dans cet objet,
il lui dit de le composer lui-rnéuic, On y mit en tete, et cela
devait étre , MM. de Yillclc el Corhiere ; ]\1. de Pastoret aux
sceaux, 1\1. de Blacas aux affaires étrangercs , 1\1. de .Clermont-
Tonnerre a la marine et le maréchal Victorala guerre; lU. Pas-
quier porta cetro liste au Iloi, qui la lut et lui dit : « Elle est par-
faite, mais il faut que je la montre amon frere ; » círconstance qui
indiquait jusqu'a quel point l'iuflucnce de JUONSJEUR avait
grandi, S. A. R. avait depnis longtemps son ministére : il im-
posa a1\1. de Villele le vicomte Mathicu de l\Iontmorency, chef
du partí religicux qui s'était beaucoup agit{~ dans eette affaire;
lU. de Villelc n'avait aucun goüt pour lui; il le suhit plutót qu'il
JW le demanda; JU. de Peyronner fut porté par une antro in-
fluenee; il était .alors consideró eomme l'exprcssion du centre
droit ; il s'était levé contre l'adresse , el u'avait ccssé de soutenir
1(' ministcre Itíchclicu : le roi Louis XVIII lui en tint compto ,
cal' il aimait pardessus tout los défércnccs II sa volonté; lU. de
Clermont-Tonncrre fut acccpté eomme une exprcssion modérée
du partí monarclrique : le maréchal Victor, comme homme
de dévoucment. I...es ministres démissionnaires rccevaicnt de
hautes récompcnses : le urarquis de Latour-vlaubourg était
uommé ministre d'État et gouverneur de l'hótel des Invali-
des; le comte de Senes était également créé ministre d'État,
ainsi qne le comte Siméon et le barón Portal; C('S dcux derniers
étaicnt de plus élevés II la dignité de I'airs de France , titre qui
fut coufóré aussí h}I. Hoy, et qne ~I. Pasquier s'était assuré dans
l'intcrvalle des dcux scssions, te Iloi écrivit ü "L de Ilirhelieu
pour le rcmcrrior des services qn'il Iui avait rcndus dans son
ministóre. Sa lcttrc téruoignait de ses viís rcgrets. )1. de Lau-
riston , le scul ministre qui restait dans le nouveau Cahinct ,
contresigna toutes ces ordonnances. Il n'avnit pas (>té étranger




CHAPITRE XYTJI. 127
¿l la Iormation du ministere royaliste avec lequel il s'était lié
d'avance ; ses collegues se plaignaient de ce qu'il n'avait pas été
franc dans cette affaire, quoiqu'il se füt engagé dans leur sys-
teme de modération,


Alnsi finit le second ministere Richelieu; sa combinaison
était difficile ; il était certes composé 'de capacités incontesta-
bles , mais i1 fit des fautes, {antes qui tcnaient 11 sa position
malheureuse , a lapensée qui avaitprésidé asa formation. Apres
avoir assuré le triomphc ahsolu des Itoyalistes , il s'imagina pou-
voir gouverner une majorité qui n'était pas sienne; il comp-
tait sur la rcconnaissance. Les partis , jc le répete , n'y sont pas
tenus; ils font Ieur affaire el voila tout; les Iloyalistes virent le
pouvoir devant eux et en dehors d'eux, et ils le saisirent, Ils
étaient aterre avant le miuistére Riehelieu; ee miuistere les prit
par la main pour les conduirc aux affaires. Les deux hommes
qui dominercnt absolument "L de Richelieu dans ce second Ca-
hiuct Iurent ~DI. Pasquier el Mounier. Dansle ministere de 1817,
~I. de Riehelieu u'avait aucun goüt pour M. Pasquicr ; ~l. Lainé
avait toute sa confiance. Les ehoses changerent en 1820. ~I. Pas-
quicr, nommé ministre des affaircs étrangeres sous un président
du Conscil égalcmcnt habitué ¡¡les diriger, pan int cepcndant
¿l s'cntendrc avec ~L de Ilichclicn de telle maniere que tout se
Iit de concert, sans qu'il s'élcvñt jamais la moindrc dissidcnce
d'opinions, II y cut pourtan L dans ce ministere les questions les
plus difiiciles ~I résoudre pour l'extérieur. Les deux congres de
Troppau et de Laybach avaicnt soulcvé d'immenses difficultés;
el les depechcs soumises par :'11. Pasquier au présidcnt du Con-
scil furenl presque tonjours cnvoyécs aux pléuipotcntiaires sans
qu'il y cüt un seul mol de changé. :'11. lUounicr faisaít pour le
départemcut de I'intéricur ce qne 1\1. Pasquier cxécutait aux
aílaircs l'trangh('s : iI sonmeua i t tontos les qucstions impor-
tantes ~I 'l. de Hichdi('lI, dout il possédait l'absolue confíance,
~1. de Sorrcs s'était , surlout dans les dernicrs temps , réservé
la trilmue. M. de Hicltdieu n'avait pas un goiH pour lui aussi
prononcé que pour j\J. ;\Iounier; les maladives habitudes de




128 mSTOlRE DE ¡,A. RE~TAURAT10N.
iU. de Scrres , qui le jetaicnt tout d'un coup d'une opinion aune
autre, ne permcttaient pas au garde des sceaux d'inspirer des
affections durables et puissantes. En résumé , le second minis-
tere Hichelieu reposa sur ces trois tetes, ~Dl. Pasquier, ~lou­
nier et de Serres : le premier poussé et soutenu par les Roya-
listes, puis l'objet de leurs plus vives anripathies: le second fa-
vorisant la droite par sa capacité active, et ne pouvant se faire
pardonner; le troisiéme , puissance de talent et de tribune ,
s'éteignant dans le tombeau sous I'injusticc d'un partí !




CHAPITHE XIX.


FORMATION ET I'IIEMIERS ACTES DU m~ISTEl\E DE 1\1. DE YILÜLE.


p"rsoilllcl du cal.inct Villele.-:\l M. de l\Ioutmoreul'Y .-Peyronllel.-Coutl'e-
oppositiou. -- Bureaux , - Sessiou de 1822. - Projots du nouvcau mi-
uistere. - Cornmenccment de J\I. de '\1¡¡rtigllac. - Sociétés secretes.-
Couspirntion , - CarhonarisllIe. - 1\'Ie>Ul'es de rignellr. - Les sergellts
de la Hochelle. -Situaliou des part is. - Nouvellcs úlections - Relatious
it I'cxtéricur , - Histoirc UU cOlIgn\s de Vérouc. - Résolution de I'En·
rope.


J.A eomposition du nouveau Cabinet répondait a ce que les
Iloyalistes pouvaiont espérer de plus prononcé dans la coulcur
de leurs opinions, Le vicomtc l\lathieu de Montmorency, nou-.
vean ministre des affaires étrangéres , était l'expression du partí
religieux dans tout ce qu'il a de pur et d'élevé. Jamáis certes
une vertu plus noble, un caractere plus irréprochable ; mais avec
ces qualités, l' esprit le moins propre aux aífaires, la capacité la
plus étroite et la moins en rapport avec les conditions nouvelles
de la société, 1\1. de JUontmorency s'était precipité, jeune encorc,
dans les nouveautés de la Révolution que l'abbé Sieyes, son pré-
ccpteur, luí avait iuculquées. Avec le nom du premier harón
chrétien, il était venu déposer sur le bureau de l'assemblée na-
tionale ses vieux titres et ses droits. Il s'en était depuis repenti.
Jenesacheriendeplusmalhcureux pourun paysqu'un pénitent po-
litique, qu'un hommcquia bcsoindesefairepardonner par lespou-
voírsouparlesparíis. Onest súr qu' il sejette dans les exces, et que
les coups dediscipline qu'íl sedonnc, touchcntla socíété. Tel était
malheureusement M. de Montm01'ency; jJ pleurait sa eonduite ra~.,




130 HISTOIRE DE LA RESTAURATION. .
sée , j) gémissait sur ses égaremcnts, il avait ü en demandcr pardon
ü la royauté ; dr la, ccttc tcndancc ('xagér{'e pour lcsidées reli-
gieuscs ct monarchiqucs , au reste esprit fort médiocre et ne eon-
naissant ni l'Europe ni ses transactions, ni ses hommes politiques,
lU. de Peyronnct , nouveau gardc des sceaux, avait pcu marqué
jusqu'alors, Daus le preces de la conspiration du 19 aoút , il
s'était distingué h la Chambrc des Pairs par une grande solen-
nité de paroles et de phrascs retcntissantcs. Les Pairs avaient
plus d'une fois souri ~l cctte voix haute ct grave, qui demandait
qu'on fermát une croisée ou qU'OIl OL rcspccter le ministere
publico Dans la Chambre de 1821, 1\1. de Pcyronnct avait siégé
sur les bailes du centre droit , soutcnant avcc honncur et loyauté
le ministerc Ilichelieu. 1\1. de Pcyronnct apportait au ministere
toute une vie de dévoucmcnt royaliste ; son caractcre était forme,
sa volonté décidéc ; Ull sentimcnt proíond de la diguité des Ionc-
t ions publiques donnait ;. sa démarcho , h sa parole , quelque
chosc de théñtrnl et de compassé ; il se drapait toujours ;1 la tri-
hune commc dans ses salons. Orateur facile, il possédait une
faculté remarquable d'cxprimer ses idees d'unc maniere saillante
et forte; comme écrivain , M. de Pcyronnet était spirituel, día-
lccticíen , visant un peu ü ecuo phrase courte et pedante, h tra-
vers Iaquelle se déguisc quclquefois le vide de la pensée ; cxcel-
lcnt admiuisu-ateur, son ministérc oílrit une snite d'aniéliorations
rcmarquables , quoique une trop grande prétention ~. la fcrmeté
politiquc , Iui fit commcttre bien des fautes et des actes cruels
et vigoureux , en présence des factions implacables. M. Cor-
hiere, ministre de l'intéricur , avait un esprit mordant ct tétu ;
né daos la Bretagne , sous I'influcnce des vieilles idées d'État et
de liberté, .iH. Corhiére semblait étrc l'homme le moins pro-
pre ~l servir le partí aristocratique, C'était un ministre esscn-
tiellcmcnt hourgeois , enncmi des gelltilshommcs et de toute
supérioritó nohiliaire , aimant méme ü les rabaisser. Daus le
Conseil , :M. Corhiéro avait une raison droite , mais une ex-
pression origiuale ct hrusque ; ala trihune , il soutenait une dis-
cussion avcc logique mais sans éclat ; jurisconsulte instruir,




CIIAPITRE \.1.\. 131
érudit , s'attachant aux pelites choses, aux éditions, aux reliures
d'antiquaires , il avait contraeré une sorte de nonchalance et de
paresse pour tout ce qui n'était pas sa scicnce spéciale, C'était
un fort mauvais choix pour le ministere de I'iutérieur oú tout
se resume en des actos et une action administrativo de chaqué
jour; l'austérité de ses mceurs était grande, mais sa parole ,
souvent railleusc et légerc , il n'aimait pas le c1ergé, ct, par sa
positíon, pourtanr, il était appe1é b reconsrirucr l'Église, a s'ap-
pnyer sur les idées religieuses; singulicre destinée des hommes
politiques , d'étre ainsi placés en opposítion avcc leurs habitudes
et leurs sentiments. An reste, ~1. Corbiére cxcrcait une grande
iníluence parlementaire sur la Chambre des Députés ; on savait sa
probité rieoureuse son zelc pourlcs doctrines rovalistes la simpli-b , • ,
cité de ses habitudes, et cela plaisait i\ la majorité proviuciale, <tui
le considérait counuc son homme d'affaires. lH. le maréchal Vic-
tor était dcpuis long..tcmps désigué comme ministre de la
guerre par le partí royaliste. e'était un bravo et vieil oflicicr de
fortune qui avait parcouru toute l'échelle des grades. Un fait i\
remarquer, c'est que ce ministére royaliste, destiné a faire
triompher I'aristocratie , fut de rous ceux de la Ilcstauration
celui qui comprit un plus grand nombre de Iils de la roture élcvés
par la Ilévolution. te maréchal Víctor n'avait pas toute la capacité
administrative de 1\1. Latour-vlaubourg, mais il possédait un
grand désir d'agir el de Iaire dans le seus monarchique, ct
c'était un gage pour les Itoyalistes; son administratiou fut
travailleuse , active, mais il était place la par un parti , ct
avec tous les sentimeuts de justice éclairée qu'on peut lui sup-
poscr, il devait subir les conditions qu'ou lui avait Iaites. 1\1. de
Ckrlllont-'follnerre n'avait joué qu'un role politiquc inapercu ;
membre de la pairie , il avait voté dans le sens royaliste du duc
de Lévis et de M. de Doudcauville : ses autécódents militaircs
se liaient au régimc impérial , et, counne -'1. de Montmorency,
il cherchait il les faire ouhlier. Son oncle, depuis cardinal de
Clcnuout-Tunnerre, avait une grande inílucnce sur son esprit;
011 l'avait placé lit comme une expression modérée du partí aris-




IIISTülHE DE LA HESTAUUATlüN.


tocratiquc el religieux; le miuistére de la marine était d'ailleurs
une posiriontout-a-fait secondaírc.


11 me reste a parler de l'homme le plus hautement plaeé,
le plus parlementaire de toute cette administration ; je veux
dire de lU. de Villele. Homme de trihune , 1\1. de Vil/ele avait
une YOix disgracieuse, mais une puissance de raisonnement,
un ton de modération et de simplicité qui parlait a tous, el
particulierement a une majorité provinciale. Aucun orateur
n'éludait unc difliculté avec plus d'adressc, un argument avecplus
de dextérité ; ministre chef de majorité , 1\1. de Villele avait des
qualités puissantes, celle d'écoutcr , résignation si diílicile ,
une intelligcnce rapide pour comprendrc les questious , un
art mervcillcux pour les résumer. Il scmblait qu'j) Iaisait ses
propres affaires de toutes cclles qu'on lui soumettait et les micux
comprendre que ceux qui en faisaient le soucide leur vic. Admi-
nistrateur habile il eonduisit avec sagacité toutes les diverses
parties de son département , eontinuant I'rcuvre de son prédéces-
scur au ministerc des finances, ccuvre moins laborieuse , cal' iI
prenait le crédit tout fait et n'avait hesoin que de féconder ses
prodiges. Counne tete politique , l\1. de Yillele ne voyait ni
hautemcnt, ni loin, L'horizon de l'homme d'état était borné ;
mais celui de l'hounnc de gouvernemcnt et de majorité était
immense. Il j ugcait toujours avec perspicacité, mais sansaucunc
de ces grandes pensécs qui éleveut un pays, Son tcmpérament
politique avait quelque choscdes conditions du ménage, une vie
au jour le jour qui se soldait chaquc soir, Son ministere était
formé, je le répéte , dans le sensdes opinions monarchiques , et
pourtant il n'était pas complet ; il fallait de tonto nécessité faire
entrer dans l'admiuistration deux hommcs , qui, ayant joué le
principal role dans le mouvemcnt de Chambre, avaient renversé
1\1. de Richelieu : l\DI. Delalot el de La Bourdonnaye; en les
laissant en dehors, n'était-il pas aredouter, que, chefs d'un parti
de méeontents, ils nc créassent une opposition eontre le mi-
nistere royaliste , qui n'allait ni aussi loin ni aussi fort? On fit
insinuer, pour calmer des exigences impatientcs , que le Roi




CIJAPITnE XL\. 133
n'avait pas voulu cntendrc parler des députés qui avait trop vio-
Ieunnent auaqué le ministere Richelieu. Cecí avait son coté vrai,
Le miuistére voulut atténuer ce vice de situation en détachant
les sous-ordres de la vive opinion royaliste. 11 promit que plus
tard, lorsque Louis XVIII serait un peu revenu de ses préven-
tions contre les Royalistes, on tenterait de faire des positions a
l\HI. Delalot el de La Bourdonnaye.


Des que M." de l\lontmorency prit possession des affaircs
étraugéres , 1\1. de Ilayneval annonca l'intention de donner sa
démission du poste de sous-secrétaire d'État qu'il tenait sous
M. de Richelieu. La conduite du Cabinet a l'extérieur n'allait
pas étre la mémc, ct il était impossible que l\l. de 1\10ntmo-
rency conservát le représentant des traditions de son prédéces-
seur. .tU. de RaynevaI fut nommé ministre aBerlín. lU. de lUont-
morency choisit pour la dircction des aífaires étraugercs M. lIer-
mann, ancien cousul général, homme d'esprit, fort instruit sur
l'état de l'Europc, mais la voyant a travers tous les préjugés des
vieilles opinions. Ensuite il était impossible alU. Decazes de res-
ter ambassadeur a Londres, dans la nouvelle ligne politique
qU'OIl allait suivre, On devait naturellcmcnt lui demander sa dé-
mission s'il ne l'avait donnéc , cal' ccux qui arrivaient aux af-
Iaires étaicnt ses plus implacables ennemis , ceux mémes qui
l'avaient accusé de l'assassinat de ~I. le duc de Berri. M. De-
cazes fut remplacé par lU. de Chátcaubriand ; le noble pair, avec
sa vie poétique, entrait pour la premiere fois dans les affaircs
actives, dans ce mouvement ¿l notes , a protocoles antipathiqucs
¿l ses méditations littéraires ; l'ambassade d' Angleterre était en
effet une position des plus importantes; la diplomatie preuait
une route nouvelle ; elle s'empreignait d'un esprit diflérent ; la
Frauce était appeléc ajouer un róle dans les congrés ; allait-ellc
se rapprocher de l'Anglcterre OH se jeter tout ü fait dans les
voics de la Sainte-Alliance? Telle était la question qu'avait ¿l
discuter et h résoudre lU. de Cháteaubriand. Était-il en rapport
avec cette situation ? Cettc grande et haute imagination deseen-
drait-elle au role d'hommo d'aífaires '? En méme temps l\l. de


IlI. 12




134 H1STOlRE DE LA llESTAUUATlON. .
Serres recevait I'ambassade de Naples , séjour de retraite et de
repos pour un esprit fatigué, pour une vie usée de soucis et
d'agitations, Naples , occupée par l'Autriche , ne pouvait étre
l'objet d'aucune négociation sérieuse, Les termes de l'occupa-
tion devaient étre soumis au proehain congres. .tU. de Serres
n'avait plus qu'a en préparer la solution. Au ministere de l'in-
térieur des changemcnts non moins importauts avaient lieu. Dans
la situation nouvellc OU sc trouvait le ministere, l\l. Mounier nc
pouvait demeurer 11 la direction géuéralc de la police , pas plus
que 1\1. de Rayneval aux aífaires étrangcres ; il était plaeé dans
une position trop élevée, plus ministre quc lU. Siméon, et d'ail-
leurs la direction de la pollee est un poste tellement dc con-
flanco qu'un Cahinet ne peut le donner qu'a ses propres agents,
1\1. l\1ounier envoya sa démissiou. Les attributions deson dépar-
tement furent partagécs , savoir : l'administration départemeu-
tale et les élections fureut coníiées 11 l\l. Capellc, que la protec-
tion de MONSIEUR maintcnait a son poste. La pollee cut pour
directcur 1\1. Franehet-Dcspcrcys , créature de l\1. de Monfmo-
rency, conscience probé, d'une piété extreme, mais que ses an-
técédcnts jetaient dans les cxagérations de parti et dans ces me-
sures irréíléchies qui dépopularisérent la Ilcstauration. .tU, Angles
donna sa démissiou dc la préfecture de police cn rnéme temps
que M. Mounier. L'adruinistration de París est également trop
politique pour que le ministre de l'intérieur u'ait pas un honnnc
de sa confíance. l\1. Angles avait été attaqué aussi vivement quc
1\1. Decazes; c'était le mémc systeme dans une moindre propor-
tion de capacité; il fut remplacé par l\1. Delavau, jeunc ct inte-
gre magistrat, mais avue limitée , qui avait rempli avec sagacité
et honneur les fonctions de conseiller 11 la cour royale, M. Dela-
van était sous la méme influence des idees religieuses et de cet
esprit qui s'emparait du nouveau ministere avec .l\l. de ñlont-
morency ; la police entrait ainsisous l'autorité de ce qu'on appe-
lait la congrégation; elle allait se livrer 11 toutes les petites eho-
ses qui fatiguent les peuples , sans elfrayer les factious, 1\1. de
Corbiere remit les artsel les sciences du ministere de l'intérieur




CHAPITRE XI\.. 1.35
¿\ i\I. de Lourdoucix, homme d'esprit, qui voulait se Iaire par-
douncr la caricature de ~I. de Lajohardierc. ~1. .Jourdan se re-
tira des cultos, et vl. Allent d'une autre divisióndu ministere de
l'intórieur. Quelquc tcmps apres , ~1. de Corhiere créa une
grande dírecuon des liaras qui fut confiée a l\I. de Castclbajac.
Plusieurs anciens préfets royalistes obtinrcnt des préíectures éle-
vées. Tels étaicnt l\DI. de Curzay, de Florac et de Saint-Luc;
d'autrcs, l'DI. Ilermann et de Sulcau rccurcnt de I'avancement,
A la justice, 1\1. de Pcyronnet organisait avec non moinsde zele
ses bureaux. Il choisit pour son secrétaire général ál, de Vatis-
menil, jeune magistrat d'une grande facilité oratoire , par ticu-
lierement rcmarquée dans les proces politiqucs, ~1. de Vatismé-
nil , avcc un zelc royaliste plus prononcó que ~1. de Peyronnet,
s'était montré dans toutes les sociétés royalistcs, méme aux bon-
nes études ; le ehoix des magistrnts lui était plus spécialement
attribué; il s'y livra avcc une vive el jeune chaleur. 1\1. Ilivcs
cut la división du pcrsonnel. Lo conscil d'État fut remanié, mais
011 u'osa pas inunódiaternent sortir des comhinaisons modérécs,
Tous les administrateurs qui abandonnaient les affaires tels que
)111. i\Iounier, Porlalis, cntraient en scrvicc ordinaire ; c'était
dans les convcnanccs ministéricllcs. J11. de Pcyronnct n'avait
ajouté ü la liste que l\L\I. Fcrdiuand de Bcrthier, Capelle et de
Kergariou, :'11. de Berthier visait dils lors aune direction géné-
rale ; c'était un esprit doux, inofTensif, mais trés-dévoué aux
idées religieuscs et s'impressionnant avec vivacité contre les
mauvaises opinions.


Le maréchal Victor montra des son arrivée au ministére de la
guerre la forme intention de lui donner une impulsion monar-
chique; ses bureaux furent divises en deux grandes directious ,
l'une du personucl , l'autro du matériel; la premiere confiée au
lieutenant-général comte de Coclosquet, la scconde a ~1. de Per-
ccval. Une circulaire émana de ses bureaux : « Le Roi n'ignore
pas, disait le ministre, que l'instruction et I'administration ont
('prouYé une amélioration sensible, que ses troupes, uniqucment
ocrupéos de leur devoir, n'en scrontjamais distraites par ce qui


»: 1)
..;' c.f. --r~"




136 HISrOIRE DE LA nESTAUnATIOK
est étranger a leur noble destinatiou. Je me felicite d'avoir h
continuer ce que mon prédécesseur a si bien commencé. La
stricte exécution des lois et ordonnances , une religieuse impar-
tialité dans l'applícation des gráces et des peines, le dévouement
le plus absolu au Roi, tellessont nos obligations , telles sont nos
sentiments. En conservant I'antique et glorieuse renommée des
soldatsfrancais , fondée sur l' Iionneur et la {uiélit«, nous garan-
tissons au Roi la- dignité de sa couronne, le maintien des institu-
tions que Sa Majesté a daigné nous donner, et la tranquillité pu-
blique. » M. le maréchal Victor s'empressa de donner un com-
mandement militaire au général Donnadieu , ainsi qu'une grande
inspection au général Canuel. Les Royalistes applaudirent aune
conduite aussi franche, aussi directe dans le sens monarchique,
C'était un devoir pour l'administratíon qui arrivait aux affaires.
N'était-ce pas pour ses doctrines que s'étaient exposés les deux
officiers généraux rappelés en activité? Bestait le ministere des
finances. 1\1. de Villele n'était pashomme a destitutions. 1\1. Be-
noist était déja aux contributions indirectes ; on ne pouvaitIaisser
l\J. de l'Iézy ala poste; cette direction de conflance fut déposée
dans les mains de 1'1. le duc de Doudeauville, caractere honora-
ble, également lié au parti religieux et de cour , de sorte que la
congrégation avait a elle tous les rnoyens de police , méme la
poste. M. de Doudeauvillc fut créé ministre d'État en méme
temps que M. de Bonald. 1\1. de VillCle laissa la caisse du trésor
a M. Kessner, et la direction du mouvement général des fonds a
1\1. Riele. 11 n'y eut dans le renvoi de ~1. Bricogne rien de poli-
tique; ;U. de Villele était trop complétement homme d'affaires
pour se laisser dominer par les idées de partí. 11 prit auprés de
lui, comme chef de cabinet , M. de RenneviJIc, jcune homme
dont la capacité d'applícation se déploya d'une maniere supé-
rieure dans la direction du ministere. ;U. de Renneville était en-
core une expression du partí rcligieux : on l'avait mis la comme
une cspece de controle du personnel , il avait vingt-cinq ans ti
peine.


En résultar 1 [amals changement de svsteme et dr persounel




CHAPITRE XIX. 137
politiques n'avait éré plus complet ; c'était tout un partí qui ar-
rivait aux affaires. On demaudera si ce ministére avait des con-
ditions de vie et de durée ; un membre du cabinet Richelieu, le
jour de la démission générale de ce ministere , s'écria : « Eh
hien! nous sortons des aífaircs: )1. de Villele forme un Cabinet;
il en aura pour huit jours; je suis aise qu'il en essaie! » C'est Hl
une commune illusion chez les hommes politiques ; ils s'imagí-
nent qu'apri-s eux il n'est rien de possible, Le ministere roya-
liste avait des conditions de durée ; le Roi ne I'aimait pas, ou,
pour parler plus exactement , ne le connaissait pas ; il le consi-
dérait comme l'ceuvre de son frére, comme le conseilde son suc-
cesseur, mais le parti religicux avait eu la précaution de placer
auprcs du Roi une douce et grande iníluence. I..e nom d'une fa-
vorite ne tombera jamais sous ma plume ; je sais combien iI faut
éviter ces révélations de scaudale, ces faihlesses d'intérieur, Une
Iemme joua des lors un grand role aupres d'un Roi qui cher-
chait dans les caquetagcs aoublier les affaircs. C'est chose cu-
rieuse adire , que sous ce Roi, vieillard spirituel, les femmes
jouercnt un grand role; ce scrait une histoire a recueilIir que
ceUe de ces maitrcsses d'un jour qui hriguercnt I'honneur d'ap-
partenir au Roi, j usqu'¿¡ cctte uouvelle Esther, qui vint ..auvcr
le peuple de Dieu. Ici, c'était une artiste , jcune fille auxfraiches
couleurs, qui dessinait le portrait de Louis XVIII avee moins de
talcnt que de grñcc: la, des femmes hclles el intrigantes qui s'of-
fraient pour distraire le vieux Roi, et Louis XVIII, inconstant
comme un jeunc honune, ne les gardait qu'un jonr, et se préri-
pitait dans des passions toujours nonvelles, jnsqu'a ce que parut
la Iavorite qui absorba les dcrnicrs jours du Roi. Aupres des Ca-
binets étrangers, le ministerc trouva d'abord de l'hésitation, en-
suite un appui. La plupart des ministres étaient inconnus , tous
étaient nouvcaux daus les grandes transactions diplomatiques de
l'Európe; quelle importancc pouvait avoir le vicomte Mathieu de
}lontmorcncy, dont le nom n'avait jamáis paru dans les actes di-
plomatiqucs? On counaissait le duc Laval , mais le vicomte
'Iathiell était novice. 11 s'cn aperrut lui-méme au congres do




138 IIISTOTr.E DE T.r\ HESTAenATrOX.
Véronr.Enfln, en ce qui Iourho l'opinion , le ministere fut ac-
cueilli sans causer une grande surprise , on y •était préparé ; la
crisc, depuis le 13 Iévrier, devait se résoudre en une administra-
tion rovaliste.


"Aussi depuis la session de 1815, jamais situation parJemen-
taire ne s'était présentée plus ncttemcnt et plus franchement.
La Chambre des Pairs , sous le dernier ministere du duc de
Richelieu, n'avait joué qu'un role fort sccondaire; absorbée
comme cour de justice par la conspiration du 19 aoüt , elle avait
adhéré aux mesures du Cabinet , qui rcntraient d'ailleurs dans
l'esprit de sa majorité, La fraction cardinaliste s'était prononcée
pour une modiñcation a la loi élcctorale, et cette idée , pouvaít-
on dire , avait présidé a la composition du dcuxicme ministerc
Ilichelieu : maiutcnant les choses allaient changer de face; ce
ministere se retirait devant une opinion extreme; la plupart des
membres de ce cabinet allaient prendre place dans la pairie.
1\1. de Richclicn , l'expression de la haute Chambre , avait élé
rcnversé par une coaIition; iI en résultait un grand mécontou-
tcmcnt parmi les Pairs, Plusieurs nuances s'étaicnt réunies dans
une cornmunc opposition. D'ahord la vieillc opiuion patriota, OÚ
se comptaient encore les voix rudos et implacables de ~DI. lan-
j uinais el Boissy-d'Anglas; puis l'opinión de gauche mod{oréc de
]uM. Daru , Ségur, Pontécoulaut : ensuite le parti de lU. de
'I'alleyrand , qui s'était franchcmcnt dcssiné contre le nouveau
ministerc ; a une distancc trcs-rapprochéc , lU. Molé , et avec
lui lU. de Barante ; a la suite cncore , lU. Dccazes et les Pairs de
sa promotion , tels qne :\D1. de Bastard , de Ccrminy ; cnfiu le
ministcrc Itichclieu , jI}I. Pasquicr, Roy; el, dans uno IlUJIlCC
plus [jede ct plus molle, ~tDl. Simcon et )Immier: le miuisterc
avait dans chacunc de ces coulcurs de rudcs adversaires. Ce
n'étaicut pas des dérlmuations , des hors-d'omvrc de trihnne
qu'il allait ontcndrc commc ;1 la Chamhru des Dépntés , mais
des obicctions Iondócs sur les affaires , sur les antécédcnts , sur


,j


les traditions , sur une ill[clJigC'llce profondc des qucstions poli-
iiques ; c'óiait la réunion de tous les ministres dhor{'s par Ir




CHAPITRE XIX. 139
mouvemcnt parlerucntairc de la Itcstauration ; réunion puis-
~ante , aIaquelle le mínisterc avait a opposer des forces moins
nombreuses et moins élevées. En premiere ligne , les ultra roya-
listes, qui comptaient un assez grand nombre de boules a la
Chambre des Pairs , en y comprenant surtout le partí religicux;
a cettc fraction vcnaient se réunir quclques voix cardinalistes,
sous le marquis de Vérac et lU. de Pastoret , lesquelles tenaient
le milieu, et suivaientune espece de systemeintermédiaire entre
l'opposition et le ministérialismc ; leur tendance habítuelle toute-
fois était pour le ponvoir. Ainsi se divisait la Chambre des Pairs :
au total, inquiete, ulcérée par le dernier changement ministé-
riel, qui n'allait pas 11 son tempérament de modératíon.


La Chambre des Députés avait Iait ~l elle seule la révolution
ministériclle ; mais cette révolution avait été produite par la fu-
sion momentanée des opinions hostiles de droite et de gauche ;
une fois les Royalistcs maitrcs du pouvoir, il était impossible
qu'Ils s'appuyassent sur la majorité qui les avait élevés ; la gau-
che les avait servis , mais ne pouvait les scconder. Il fallait done
recourir au centre droit , qui avait voté centre l'adresse. J'ai
rappclé qu'il y avait heaucoup de sympathies entre la droite et
son centre; le ministere Richelicu avait pensé atort que l'opinion
modérée lui serait Iidclc ; il s'était trompé, le centre passa 11
droite , et soutint le ministcre de l\I. de Yillel«. La majorité fut
done tres-compacte; elle cut en oppositiou les doctriuaires , le
centre gauche en entier et la gauche extreme ; les couleurs fu-
rcnt des lors bien tranchées. Ce fut dans cette situation que le
ministere dut se préseutcr devant les Chambres et préparcr les
acres de la sessiou. Le miuistere de lU. de Richelieu avait légué
11 la nouvclle adminisuatiou un projet de loi sur la pressc el un
projet de censure quinqucnnale. On délihéra dans le Conscil, et
le nouvcau ministerc adopta le prcmier de ces projcts sauf ~l in-
siuucr, soit 11 la counuission , soit aux aniisde la droite , quelques
amcndcmcnts Iavorables ;1 1lIH' répression plus complete. Quant
au sccond projct sur la censure, iI Iut résolu que le ministerc y
rcuonrerait. Des Iloyalistcs timidcs et qui scutaicnt la force (fl1<'




1l,0 mSTOIRE DE tA RESTAURATION.
la presse allait donner au partí Iibéral auraicnt désiré que le mi-
nistcre Yíllclc profitát des avantages d'une censure quinquen-
nale; le centre droit l'aurait accordée ; on promettait la majorité;
mais les antécédents des Iloyalistes no permettaient pas le main-
tien de la censure. Depuis 1815 tous les chefs de parti avaient
vivement demandé la liberté de la presse; 1\1. de Cháteaubriand
était son partisan le plus zélé, On fit done ce que la Monarchie
selon la Charte avait demandé, ce que le Conscrcateur avait
proclamé, une loi de liberté, sous le coup d'une immense ré-
pression; voici quelles en étaicnt les dispositíons principales :
Aucun journal ou écrit périodique ne pouvait paraitre sans l'an-
torisation du Roi; cette disposition n'était pas applicable aux
journaux existants le l"r janvicr 1822; les délits de la presse de-
vaient désormais ressortir de la juridiction des cours royales,
qui pouvaient suspendre le jonrnal ou écrit périodiquc , et
méme le supprimer tout i, fait en cas de tendance contraire ~l la
religión et a la monarchie. En cas d'événcments graves pendant
l'intervalle des sessions, la censure pouvait étre rétablie par une
ordonnance du Roi contresignée par trois ministres; cette der-
niére disposition n'était que transitoirc ct devait eesser, si un
mois aprés I'ouvcrture des Chambres elle n'avait Né converticen
loi. Il Yavait dans cettc conception une ídée de force et de tac-
tique; 'on ohtenait d'abord la supprcss'ou possible des journaux
par les cours de justice , en faisant constater leur mauvaise ten-
dance; puis l'aholitíon du jury; ensuite la possihilité d'éteindre
successivcmcnt les titres de priviléges; enfin la censure pendant
I'intervalle des sess'ons était légalisóe ct menarautc ; elle nc dé-
pendait plus que du contre-seing de trois ministres. Toutcfois le
ministere n' avait pas apercu qu' en institnant les proces de ten-
dance, il faisait des cours de justice de véritahles pouvoirs poli-
tiques , et que la était un dangcr pour lui des que celles-ci se
mcttraicnt en opposition avcc son syslemr. te projet de loi sur
la poiice de la prcssc , cal' c'est ainsi qu'il était intitulé, Iut
présenté par lU. de Peyronnct : « Les garanties doivent varier
selon les besoins, disait le ministre; les circonstanccs n'étant pas




CHAPITRE XIX. 141
toujours favorables II la paíx puhlicluc, ct la llaturc de 1105 ínstí-
tutíons llC nous dOIlnant pas dans tous les temps les mémes se-
cours, on devait se conformer a ces différences ; de la les deux
dispositions qui servaient de hase a la loi nouvelle; d'abord , palo
un droit nouveau mais nécessaire , elle permet de juger le hut
réel et la tendance habituclle des feuilles périodiques; une ap-
préciation morale est indispensable pour des écrits dont la culpa-
hílité évidente se déguise néanmoins sous des formes qui échap-
pent aux dispositions précises des lois, Les cours royales présen-
tent une réunion d'hommes dont l'esprit est en général plus
exercé aux opérations que le jugement de ces écrits rend néces-
saires. Il n'y a pasde sécurité si profonde qui puisseautoriser les
législateurs aIaisser les lois imparfaites , c'est pourquoi la pru-
dence veut qu'on tienne en réserve un pouvoir plus étendu ,
mais momentané; la censure alors serait accidentellement né-
cessaire. »


Ainsí la Chambre était saisie de deux projets de loi impor...
tants; l'un sur la presse en général, de lU. de Serres; l'autre
sur la pollee des journaux , ouvrage de lU. de Peyronner,
lU. Chifllet fut chargé du premier de ces rapports: il en fit une
ceuvre pieuse, une profession de foi religieuse et monarchiquc.
« La religión de Clovis, de saint Louis, s'écria le rapporteur, est
la religion de nos rois ct celle de la presque généralité des Fran-
cais ; l'insulter serait insulter la nation presque entiére , insulter
son Roi! A ce titre l'outrage ne doit-il pas étre plus sévérement
réprimé? Les signes de la religion sont sur nos édifices , dans nos
places; son culto n'est point resserré dans l'enceinte de ses tem-
pies: ainsi , par motíf de süreté publique, n'a-t-elle pas besoin
d'un appui spécial? - le masque est levé, s'écria lU. de Cor-
cenes, on ne craint plus de nous présenter toutes les lois des-
tructives de la presse.: nous l'avions prévu , noas avons tout fait
pour sauver le reste de nos institutions; nos efforts n'ont pas été
couronnés dn succes. Tel cst le malheur de la France , que
la cause du pouvoír est devenue hostile a la causo publique.
- "OllR vonlons la Charte , dit d'une voix éclatante Mt de Cas..




142 mSTüIRE DE I.A nESTAURATION.·
telbajac , mais nous voulons le Roi avant tont; nons voulons la
liberté, mais sans la licence et l'anarchic, Ilespccter la religión,
les lois , le monarque , tellcs sont les lois (IlIe l'ordre réclame.-
Le but de la loi qu'on vous préscnte , répoudit ñl. Iloyer-Collard,
est de' comprimcr autant que possible la liberté dout la presse
jouit en ce momcnt , et il n'est pas difllcile de se convaincre que
cette répression porte aucinte a l'esscnce du gouvornemcnt re-
présentatif Quel est I'état de votre société? la dcmocraue y
coulc á plein bort!~ et il uc lui reste, pour se maintenir, que la
contrndiction et l'opposition. La monarchio légitime n'a ríen a
rcdoutcr de cette puissanco dont elle cst la garantie; ce sont nos
advcrsaircs qui l'ont exposéc a un grand péril en la Iaisant re-
gardcr connne incompatible avcc les libertés promises, - C'est
en rain, reprit JI. Bignon, qu'on espere renvcrser les libcrtés
publiques, elles résistcront aux auaques de nos adversaircs, elles
survivront aux coups (PW 10m porte un parti , le miuistere qui
nous gouverne no craiut pas d'annoncer qu'il est hors d'état
de gouvcrnor avcc la Charte , el, comme son prédécessenr, il
veut user de I'arhitraire. - Et llOUS aussi , nous voulons la
Charle, rópliqua le gén('ral Donnadicu en s'élanrnnt ¡\ la tri-
bune, maispour aflermir, pour consolidar, el non ponr détruirc;
nous voulons la liberté ct non la Iiccncc , les lois el non I'anar-
chic. Le pouvoir, dit-on , cst tombé entre les mains d'un parti ?
Oui , sans doutc , mais ce parti es! cclui des Francais , des amis
de la royauté. - Eh quoi l on dit que HOUS voulons altérer la
Charte! ajouta M. de Peyronnet ; je crois que nousla rcspcctons
pcut-étr« plus, sans en parler tant. Oui, la liberté de la prcsse
cst une néccssité respcctablc, puisqu'elle est prévue par la Charle,
mais la Iicencc , est-ce une nécessité ? De quoí est-il qucstion
dans le projct ? de punir les outragcs faits aux rcligions recon-
nucs , les outrages fails au Roi el aux iudividus ; ces dispositious
sont-elles plus favorables ü un parti qu'a un autre? » Au milien
de cette discussion si vive, un amendemeut fut proposé; il sup-
primau lc jury pom tonte la prcssc : c'était détruire les garan-
ties de la loi, c'('tait le dernier mol de l'opinion royalistc. L{'




ClIAPITHE XIX. 143
ministrc de l'iutéviciu: prit Iei! et cause POUl' cet etuetulcment ,
et défendit les tribuuaux vivcmcnt attaqués dans le déhat.
« Quoi! dit lU. Corbierc, il cst des orateurs qui ne trouvcnt
pas toutes les garanties possihlcs pour la réprcssion des délits de
la presse dans l'iudépcndancc des trihunaux ? il faut les plaindre.
Le jury est , sclon vous, une véritable commissiou, et les tribu-
naux inamovibles, des Chamhres faciles a subj uguer et adomi-
ne!'. Quant a la supprcssion du mot constiuuionnellc, dit en ter-
minant M. Corbiere , il est prouvó que l'autorité du Iloi ne
dérive pas de la Chartc , mais que c'cst un droit antéricur, » On
supprima done le jury par simple amcndcment, Le partí roya-
listel'avait emporté ; il fut inexorable, ct Iit passel' toutes les dis-
posítíons monarchiques el religieuscs. Quant au coté gauchc , il
fut décJamateur; iJ protesta, Iit enfin mille et un de ces cnfan-
tillages des partís au déscspoir, cal' je n'aime pas les partís qui
protestent, j'ai toujours trouvé cela un peu niais, ]U. de La
Fayette en appela au peuple : ecuo voix avait de l'écho dans les
factions ; il fallait les entretenir vivantes au momcnt oú ]U. Ma-
nuel parlait des répuqnanccs avec Iesquelles on avait accueilli
les Bourbons, Un discours puissant , rcmarquahlo ; fut celui de
M. Iloyer-Collard ; il Yavait des images , un je ne sais quoi de
pittorcsque et de grandiose , cettc dcmocratie qui coulait ú pleiii
bortl ; ce tróne menacé , cettc aristocratie sans force ct pourtant
hautaine , tout cela prétait a la grande parole de lU. ltoyer-
Collard : elle marcha haut et prévit loin! JU. de ñlartígnac
chargé du rapport de la loi sur la police des journaux , venait
d'cntrer ala Chambre ala suite d'une élection isolée de l\lar-
mande. Ami ct admirateur de JU. de Martignac , lié ~l son sys-
teme politiquc , me sera-t-i] permis de devanccr pon!' luí la
postérité impartiale ? La vic miuistériclle de lU. de jIartigllac ne
commence point encore, j'aurai plus tard ala décrire ; et cepen-
dant un granel éclat euvironna ses premiers travaux politiques,
Homme d'esprit , de hon goút , d'cxccllcutes manieres, LU. de
ilIartignacpossédait un de ces talonts de tribuno moins éclatants
et forts que purs et Iacíles ; pcrsonnc uc répondait plus aproposet




144 BlSTOIHE DE tA llESTAUHATlON.
avecmeilleur-ton ases advcrsaires , ne résumait mieuxleurs ob-
jections. Dévouéa la dynastie, son royalisme était éclairé , mais
profondément ennemi des révolutions : e'était encere l'homme
de Bordeaux au mois de mars 1814, de l\IAI>A:\lE et de la ville
fidéle, el cela laissait dans cette ame les préjugés , les amitiés et
les répugnances de eette époque. l\I. de l\Iartignac était naturel-
lement centre droit; il n'avait aucune inc1ination pour le centre
gauche, il ne le comprenait paso Son esprit facile et élégant
n'avait aucune des grandeurs nuageuses des doctrinaires ; cou-
rageux sans fenneté, il cut exposé sa vie pour une cause, mais'
iln'aurait jamais su prendre une résolution forte pour la sauver.
Je n'ai jamais trouvé dans le monde politique un homme d'une
conversation plus agréahle et qui cut moins d'aspérité , maisses
amitiés étaient oublieuses et un peu sans chaleur : tout ce qui
était grand , poétique, il le saisissait avec enthousiasme; il ai-
mait les succesde salon, ces petites vanités de l'homme aimable.
Que de charmes et d'entraiuement dans sa causerie! Peu iustruit
et doué d'une si prodigieuse facilité qu'il se saisissait d'une ma-
tiére en un moment, et devenait spécial sur tout ce qu'il voulait
apprendre, il avait le défaut des talcnts faciles, la légereté ; les
vices des esprits impressionnables, les illusions et le décourage-
mento Au reste, probe , désintéressé , passant a travcrs les
grandes situations de la vie politique , saus leur empruutcr un
élément de fortune privée. Le rapport de l\I. de lUartignac sur
la police des journaux fut, je le répete , un travail tres-distin-
gué, « Dans un gouvernement comme le nñtre , disait-il, les
journaux ne peuvent étre consídérés comme des organes néccs-
saires, mais comme des auxiliaires utiles , et ils sont deveuus,
par l'empire de l'habitude , une espece de besoin qni doit étre
satisfait. » Selon :'1. de Martignac , les entreprises de journaux
étaient des spéculations d'industrie ayant pour hut le bénéfice, et
sous ce point de vue il les trouvait en oppositiou avec l'intérét
général , cal' le hieu-étre pulilic se rattache au calme des
passions, et l'intérét des journaux,· au contraire, est dans
l'agitationt daus un état penuanent d'iuquiétude, « Le jour OÚ




CHAPlTRE XL\. 1ft;'}
le régne des passions finira, ajoutait lU. de ~lartigJl[¡e, les entre-
prises de journaux u'auront plus ni aliment ni vie. Je crois que
l'usage que le Gouvernemcnt a fait de la censure n'a pas tou-
jours été exempt d'abus ; mais pourtant reconnaissons que, de-
puis le jour OU elle fut adoptée, la Franee a fait un pas immense
vers le premier de ses besoins, le calme intérieur et la fin des
dissensions civiles. Votre cornrnission, dit 1\1. de l\Iartignac en
terminant, prévoit toutes les diffieultés que doit reneontrer un
projet qui blesse beaueoup d'intéréts et contrarie des espérances;
mais elle n'a consulté d'autres intéréts que ceux de la religion,
de la monarchie et de la vraie liberté, et elle n'a formé qu'un
vceu, c'ost celui de leur conservation. -Nos adversaires ne res-
pectentplus ricn , s'écria le général Donnadieu ; vous no pouvez
plus iguorcr qnel danger menace le tróne , e'est avous de le dé-
fendre. Ils nous disent que le tróne est la propriété du dernier
occupant? Il n'y a de patrie pour nous que la OU il y a des lois,
et quand elles sont renversées , la loi vivante, c'est le Roí. -
QueIle est done eette loi, répliqua 1\1. Bignon, qui donne aux
tribunaux le pouvoir de suspendre ou de supprimer les jour-
naux? C'est punir l'instrumcnt au lieu de punir l'homme. -
La nation , dit 1\1. Benjamin Constant, est restéc légataire des
nobles príncipes de 17R9, et ccnt fois elle est sortie victorieuse
de ses luttes avec l'aristocratie : la guerre n'est pas venue de
notro coté, elle a été déclarée par ceux qui veulent la dicta-
ture. »


A la Chambre des Pairs , la discussion générale se placa sur
un terrain digne des hommes politiqucs. Il était urgcnt que
toutes lesnuances hostiles pussent se réunir pour témoigner d'une
forre opposition contre le ministérc royaliste. Pour le premier pro-
jetde loi, il fut convonu qu'cn en votant les dispositions monarchi-
ques on s'arrétcrait spécialemcnt a l'cxprcssion constitutionnclle
supprimée par le projet de loi, et qu'on en domandcrait le réta-
blissement, M. de Bastard proposa ct dévcloppaun amendemcnt
dans cct objet , comme une protestation directe contre le nouveau
Cabinet. Toutcs les nuanccs plus ou moins tranchées d'opposition


111. 13




146 I1ISTOIRE DE LA RESTAUHATlüN. '
de la Chambre prircnt partí pour l'amcndcmcut de l\l. de Bastard
et se dessínércnt. l\1. de Talleyraud , qui n'avait pas porté la pa...
role depuis plusieurs années , se fit cutcudrc ; jI invoqua le 110m
de Maleshcrbes, et apres avoir rappclé quelques-uucs de ses
pcnsées sur la grande question des délits de la prcsse , il dit en
terminant : Je vote aoec llIaLes!wrúes contrc le projet de loi.
« La pressc , s'écria JU. de Liancourt , organe d'une des plus
hellesfaeultés humaincs, est, couune les autres facultes de l'hom-
me, sujette amal fairc; mais la Charte n'a-t-clle pas stipulé la
répression des abus, et puis la liccnce a-t-olle été jusqu'a man-
qucr a la dignité royale?- Plusicurs modifícations, ajouta alors
lU. 1\Iolé, sont néccssaircs aux lois qu'on nous presente : d'abord
sur lo retranchement du mot COUSl itutiounclle ~ puis sur la sup-
pression du jury. Il est étonnant que les ministres nous forcent
atraiter la question de l'autorité antérieure ala Charte ; nc crai-
gnent-ils pas qu'on n'en tire toutes les conséqucnces? Quclle est
done la qualification réservée 11 ccux qui ont obéi longtemps 11
une autre autorité 1 et la Frunce qui se croyait réeoneiliée u'est
done qu'amnistiée! JI faudrait n'avoir aucunc expéricnce des
tribunaux, il faudrait étre étranger al'udministration de la jus-
tice, pour ne pas recounaltre , avcc le dcrn icr chefde la magis-
trature, que les juges perrnancnts qu'on veut substiuter aux
jurés seront toujours placésentre l'impuissanee et la tyrannie. )
Le noble pair cita une pensée de Napoléon daus ces momcnts de
vérité intime oú l'aveuir de la Franco se révélait ¿\ son génie.
« Cet homme , dont les moiudrcs paroles retentiront encore
longtemps dans cet univers tout sillonné de gloire , me disait un
jour : aprés moi, la révolution, OH plutót les idees qui l'ont faite,
roprendront leur cours ; et si des mains hahilcs el hardies ne
crcusent alors un lit profoud au torrcnt , il se le creusera lui-
méme en se couvrant des plus déplorahlcs déhris, - Ilátons-
nous, s'écria iH. 1\1olé, de donner un débouché snílisaut ¿\ ce
torrent; rappelons-nous surtout que les institutions qui auraicnt
prévenu la révolution en 1789 sont encere , commc elles le se-
ront a toutes les époques, le seul moyeu de la tcrminer. -




CHAPlTllE XIX. 147
Quoique ron ait cru devoir injurier la magistratnre , répliqua
M. deFitz-Jarncs , je ne manquerai pas de respect h une institu-
Don que le Roi nous a donnéc; mais peut-on se díssimuler que le
jury, importation anglaisc , u'est point encore acclimaté en
Franee? OÚ en sommes-nous , grand Dieu! s'il faut nous méfier
de la magistraturc, si des jugos, auxquelssont confiés d'habitude
les íntéréts les plus sacrés de I'h0I1U11e, n'ont pas assez de capa-
cité et d'indépcudance pour juger un Iaiseur de journal ! » M. de
Peyronnet vint réfutcr !\l. de Bastan], Iequel avait affirmé que le
nombre des condamnations prononcées par le jury en matiere
des délits de la prcsse était égal au nombre des condamnations
prononcées contre d'autres crimes, Par conséquent lejury n'avait
pas lesdispositions indulgeutcs qu'on lui supposait. « Admettons
eependant, centre l'évideuce , ajouta l\I. de Pcyronnet, que les
calculs qu'on a Iaits Iussentcxacts:pour que la parité numérique
prouvát quelque chosc, il Iaudrait qu'il n'y cut point de diñé-
rence entre les deux genrcs d'accusation : c'est ce qui n'est pas;
le nombre des condamnations pour délits de la presse devrait
étreproportionncllemcnt plus grand, » l\I. Pasquier répondit par
des docurucnrs ¿l JI. de Peyronnct , ces documents étaient telle-
ment précis (IUC le garde des sceau~ en prit prétexte pour frap-
per M. Gcrmeaux , chef de división a la chancellerie, et qu'on
supposait avoir fourni tous les renseígnements a la Chambre des
Pairs.


Cctte discussion , prise de si haut , ohtint un plein résultat :
l'amendement de JU. do Bastard cut la majorité ; le ministere
resseutit profondément cet échec ; il s'en exprima avcc aígreur,
et, des ce moment, une promotion de pairs royalistes fut résolue,
Elle devcnait une mesure indispensable, dans la situation oú se
trouvait le pouvoir nouveau, 11 était évident que, par l'effet de la
coalition des membres du ministere Jtichelieu avecla couleur de
MM. Molé, Decazes, de Talleyrand, de Choiseul, el le coté ultra-
liberal de la Chambre des Pairs, la majorité n'appartenaít pas a
M. de VillNe. M. de -'Iollllllorency n'avait d'intimitó politique
quedans k parti religionx;Ies autres memhres du Cabinerétaient




148 HlSTomE DE f,A llESTAURATTON.
sans crédit ü la Clrambre. Hans la discussion du projet de loi Slll'
les journaux , la Chambre des Pairs laissa les dóclamations aux
Députés et a quelques eníants perdus de la pairic, qui suivaient
eette voie usée; l'opposition se placa sur un tcrrain sérieux et
j'oserai dire de gouvernement, 1\1. Siméon demanda si le pou-
voir politique, qu'on jetait par les preces de tendance dans les
mains des Cours royales, n'allait pas hientñt creer une autorité
formidable qui tournerait centre le Couvememeut meme. l\l. Si-
méon avait prévu juste, car l'une des causes qui coutribuérent le
plus puíssamment ala chute du ministere de lU. de Villele fut su-
rement l'opposition des Cours royales. Il était dans leshabitudes
de la Chambra des Pairs de 11e jamáis pousser l'opposition jusqu'a
l'extrémc , composée d'anciens ministres ct de tetes d'aífaircs,
elle ne perdait point son temps en de vaiues déclamations , elle
avait un but , elle y arrivait avee convenance. J'ai toujours rc-
grctté qu'a cctte époque les discussiousde la Chambre des Pairs
ne fussent point publiques; le pays se Iüt éclairé par des capa-
cités lumineuses; il aurait appris ses aífaircset non pas sespas-
sions, Tous les orateurs , l~leme les ministres, y prenaient un
langage plus digne el plus élevé,


Au reste, la Ilestauration était trop profondément menacée ,
pour qu'elle ne prit pas de grandes, de sérieuses précautions.
L'existence des sociétés secretes est un fait aujourd'hui trop
bien constaté pour qu'il soit possihle aux csprits meme les plus
prévenusde le nier. Le Carbonarisme avait fait irruption en
Franee ala fin de 1820 ; il Yavait eu jusque-la quelques tentativos
de sociétés secretes, mais ce n'était pas le Carbonarisme avec
son organisation, ses reglements , ses statuts, ses projets de
houleversement; l'organisation de cette société était admirable
de préeautions ct de mystere. Il y avait d'abord une haute rente
inconnue , cachée , qui seule nonunait ses propres mernbres ,
constituait les ventes centrales, et IH'OIlOlH;ait l'indignité ; réunie
en assemblée régulierc , elle correspondait avec les Yentes cen-
trales par des députés el des ccusenrs : elle disposait des fonds,
et prenait ü la .majoritó des trois quarts de voix les d{'lih(>-




CHAPITRE XIX. 1.49
rstions. En prononauit des peines, des amendes, et méme des
sentences de mort centre tout individu qui compromcttaít
la sureté et le secret du Carbonarisme. Les ventes centrales
constituaient les ventes particulieres ; nul ne pouvait étre car-
bonaro s'il n'appartenait ~\ une vente autorisec. La haute vente
avait le droit de s'opposer al'initiation de tout paien jugé indigne
ou incapable de faire partie de la Charbonnerie. Pour étre préts a
tout moment arésister al'oppression et a secourir son bon cou-
sin ~ tout carhonaro devait étre pourvu ases frais d'un fusil de
muuition avec baíouneuc et de vingt cartouches chargées de
halles de calibre. Toute convocation se faisait verbalement ; le
parjure , toutes les fois qu'il avait pour hut de révéler l'existcnce
ou le secret de la Charbonnerie , était puni de mort, La haute
vente seule appliquait cctte sanglante peine : un comité de sur-
veillance était établi; il avait pour but de maintenir l'association
dans la directiou commune. Les moyens de correspondance entre
la haute vente et les ventes particulieres étaient coníiés aux dé-
putés : tout se faisait vcrbalemcnt afin de ne laisscr ni preuves ,
ni traces. '1'011 tes les précautions étaient prises pour que les cercles
s'iguorassent les uns les autrcs ; ce qu'on voulait surtout , c'est
que la vente supréme pút érhapper a toutes les investigarions.
On obéissait a une main invisible, {fui trouvait partout obéis-
sanee aveugle ; ce qu'elle statuait était sur-le - champ cxécuté ;
on ne s'informait pas du juste, de l'injustc , de l'utilité ou de
l'inutilité , on se soumettait ; especc de tribunal secrct , la vento
supremo commandait au han et a l'arriere-ban du libéralisrne ,
comme les hauts-barons ~l la hiérarchie féodale; cal' les bons
cousins avaient iuféodé leurs hras et leurs consciences. C'était
principalement parmi les sous-officiers de I'armée, les étudiants,
toute la jeunesse des Écoles el les ouvriers , que les yentes
avaient cherché a se propager ; on devait trouver la toutc l' exal-
tation de jeunes ames, cctte ardeur po1.1r les choses mystiques
et généreuscs, Le Carbonarisme cmpruntait quelque chose aux
illusions du mélodrame : il y avait des poignards , des fusils, des
sonrencos prononcées , oxécutéos ; cola plaisait aux imaginations




1.50 HISTOIRE DE LA RESTAURATlON.
arden tes des Écoles, C'étaient l' Allcmagne , avec ses habitudes
de socíétés mystíques , l'Italic , avec son étalago de poignards ,
transportées dans nos mceurs ct au milieu de nos amphithéñtros.
A la fin de 1. 821, le Carhonarisme était dans toute sa force; les
meneurs reconnaissant l'impuissance de la conspiration mili-
taire du mois d'aoüt , avaient mnureuvré avee plus d'habiloté ;
dans l'armée , ils s'adrcsserent moins aux officiors : iI y avait
trop de dévouement, un hicn-étre trop général, uue Iidélité trop
constatée. Ils agirent surtout parmi les sous-officicrs , paree que
la il y avait plus de peuple, une ambition plus générale et moins
satisfaite; il se forma des ventes militaircs. Toute cettc conspi-
ration marchait; les[cunes carhonari s'excrraicnt au maniement
des armes, ohéissaicnt en aveugles 11 la moindre instruction ;
il Y cut mérnc une rente mystérieuse an Palais - Jloyal , oú
]'011 se reconnut a des signes au chapean, ¿. la maniere dont
la boucle était placée. On fit courir le hruit dans les ventes se-
condaires qu'il s'était presenté plus de quarantc mille carbonad
dans ces revues successives. te hut de l'association ct les tnoyens
d'agir étaient encore ignorés : on attendait les ordres de la haute
vente. l ..es conspirateurs peuvr-nt bien se persuader d'une chose,
c'est qu'il n'y a pas une réuniou de dix d'cntrc cm: sans qu'il
s'y glisse un agcnt de police ; le miuistere était done informé
de l'existence de ces sociétés qui mcnacaient l'ordrc puhlic el
le Couvcruemcnt étahli ; il attcudnit la premiere démonstration
hruyante et effective pour sévir éncrgiquement centre des sociétés
qui lui étaient dénoncées non-sculcmcnt par sa police , mais
encoré par I'Europe , non moins cffrayée que la Franco de cetro
mystériense organisation. Un ukase de l'cmpercur Alexaudrc
venait de supprimcr toute cspecc rl'assor.larions secretes en 1'0-
logue el en Ilussic. Les forces du Carhonarismc étaicnt grandes,
mais iI les cxagérait ¿. desscin. Ce (luí le perdit , ce fut l'impa-
tience de quelqucs hommes hardis , ontrcprcnants , et qui com-
promireut les plaus de tactique de la faction. Il y avait des séidcs ,
heaucoup de jeuncs tetes qui conspiraieut pa; cnfantillagc poli-
1ique , ot tenaicnt ahormour (1(' {aire de gros ~'f'11'{ , dI' croisor




CHANTRE XIX. f51
leshras , et de s'affilicr lt quelque chose quiavait l'air de les élever
jusqu'a la conspiration ; mais la masse de la nation était con-
tcnte , ou au moins inerte: elle nc prit aucune part acette agi-
tatiou sourdc, el c'est ce qui trompa le Carhonarisme. Tous les
ordres i je le répéte , émanaient de la haute vente, a laquelle
présidaicnt altcrnativcment MM. de Laf.. .. , de Sch.... , d'A ...• et
Ba.... On y discutait tous les moyens insurrectionnels contre le
gouvernement des Bourhons. I..orsqu'un soulevernent était arrété
sur un poiut de la Francc , la haute vente donnait des ordres
pour que des afflliés aux ventes sccondaires se portassent sur les
Iieux désignés. De jcuncs hommes obéissaient en aveugles : des
fonds lcur étaient fournis pour propager et seconder l'insurrec-
tion. Tous les moyeus étaient discutes et arrétés par la haute
vente. en écrivain inlluent du parti , député d'une vente ceu-
trale aupres de la haute vente, ru'a raconté quclques-unes de ces
séauces auxquellcs il assista, Un soir on discuta longtemps pour
savoir si l'on Ierait déguiser en garde nationale un pareil nombre
de carhouari le jour du 3 mai , anniversaire OU le Roi confiait
sa personuc et son palais a la garde nationale. On devait s'em-
parcr rlc la Fnmillc royalc; la dilficulté était de savoir si l'on
s'en dóbarrasscrait : un njombre depuis appelé aune grande po-
sition, qui faisait partió de la haute vente, soutint cette néces-
sité. Je n'achéve pas ! j'aimc ¿l croire que ces souvenirs sont
exagérés.


Vers la fm l\C '18'2'\., la haute vente crut le moment favorable
pour agir, les ventes secondaires recurent des ordres de se tenir
prl'tes; le mouvemeut devait éclatcr dans plusieurs départements
h la fois, de maniere ¿l seconder une révolution a París, On
s'adressa plus spécialcment aux populations qui avaient donné
des gagcs électol'aux ; on voulait faire une tentative de la circón-
férencc au centre; c'était dans la Sarthe, le Haut-Ilhin que tout
était preparé. M;\l. de La Fayette et d'Argenson avaient de nom-
breuscs rclations avec ces départemcnts , quelques régiments et
un drapean tricolore paraissaicnt suffire ponr soulever la Franee
rontrc la dyuastie des Bourhons, Les ordres partirent done de




152 HISTOlRE DE LA RESTAURATION.
la haute vente; mais ils furent exécutés avec impatience , sans
uniré ; le Gouvernement, éclairé ü son tour par tant de sym-
ptómes , vit bien que le moment de répressiou était arrivé, Le
premier mouvement éclata dans une vente militaire ~l Saumur; .
les coupables dénoncés Iurent livrés11 une commission militaire,
plusieurs sous-officiers s'avouerent carbonari: c'était Hl plutót
une indication qu'une révélation complete ; la haute vente n'en
fit que presser l'cxécution de ses plauso A Béfort , les mesures
étaient mieux prises. La haute vente comptait tout 11 fait sur le
succes; plus de ccnt carbonad avaient été députés sur les lieux,
1\1. de la Fayette partit memo pour se reudre ~l Béfort ; alors
une eslafette du comité annonca que tout avait échoué :Ie víeux
général retourna sur ses paso JI y eut des scencs d'héroisme ¡l
Béfort. Quelle présence d'esprit , quelle exaltation de courage
animaient ce jeune capitaine, échappaut ¿l son proprc régiment,
a la gendarmerie , traversaut une riviere 11 la nage , et puis ca-
chant sa tete pendant plus de trois mois dans les granges , dans
les montagnes! Triste condition des proscrits l A peine ccue
tentativo avait-elle échoué, qu'on apprit que le général Berton
avait arboré le drapean tricolore ~l Thouars ct qu'il marchait
sur Saumur. Berton avait également. reru ses instructions de
la haute vente; son mouvement dcvait se lier ü celni de Béfort :
au lieu de le retarder lorsque l'autre était découvcrt , il le
précipita, Cette tentative , plus grave, cut un moment de suc-
ces : Berton annoncait partout dans les campagnes remplies
de propriétaires de biens nationaux qu'un gouvernement provi-
soire était formé 11 Paris , et qu'il se composait de i\I. de la
Fayette , d' Argenson, Benjamin-Constant et Laffitte, A Nan-
tes, ~l La Itochclle et 11 Toulon, fut aussi découverte et dénoncéc
l'existence des ventes militaires et des couspirations. Enfin l'af-
faire du colonel Caron fut le dernier trait de ce drame de mou-
vements et de complots dont la lUaison de Bourbon fut menacée.
Le lieutenant-colonel Caron était un officier instruit, mais dé-
voué par principes aux idées de la Ilépuhlique el de l'Empire.
Déja une fois compromis dans la conspiration militaire dl119 aoüt.




CHAPITRE XIX. 153
il avait été placó en surveillancc, et c'est de HI qu'il se jeta daus
les complots anués,


L'existence simultanee de tant de mouvements appelait une
répression vive etpromptc; le Conseildes ministres se réunit, et
il fut arrété aI'uuanimité de poursuivre sans relñche, non-sen-
lcment les complots réels , saisissables , matériels, maisencoré les
sociétés secretes que l'Europe tout cntiérc venait de proscrire.
Uue premiere question se préseuta : les rapports de lU. lUangin,
procureur-général ala Cour royale de Poiticrs, devaut laquelle se
poursuivait l'instruction contrc le général Berton, et plusieurs
autres documenrs saisis sur les conspirateurs , signalaient l'exis-
tence de la haute rente, el les aveux de quelqucs-uns des accu-
sés constataient la participation directo de plusieurs députés , el
particuliercmeut de lU. de La Fayette aux complots qui vcnaient
d'éclater alors, et principalcment dans la Sarthe. Que devait faire
le Conseil des ministres? Son devoir était d' aller hautement et
íranchcment 11 la vérité. Il y a quelque chose d'immoral dans
eette juridiction criminelle qui frappe les petits et épargne les
grands, Il me semble voir 1\1. de La Fayette eonseillant avec
honhomie I'insurrcction eomme le plus saint des devoirs , écri-
vant a lH. Cohier de la Sarthe je ne sais quelles parolesde résis-
lance et de rébclliou , et tandis que lU. de La Fayette vivait paí-
sible ¿l Lagrange, des malheurcux peuplaíent les prisons et
couronnaient l'échafaud l 011 avait reproché 11 1\1. de Richelieu
sa mansuétudc Iors de la conspiration du 19 aoüt ; on suivit la
méme route , mais avee du sang; les petits seuls furent accusés.
Que résulta-t-il de cela? que le coté gauche devint factieux de
la peur du Gouverncmenr. 1\1. de Villcle dit bien a la trihune
que, s'il y avait des preuves , on poursuivrait; mais les ehosesen
resterent HI. La gaucho s'indigna centre 1\1. l\langin, et, en ce
qni touchait pourtant plusieurs de ces députés, le procureur-
général n'avait dit qu'uno vérité, ]\f. :\Iangin remplit son de-
voir : c'était au Converncment ensuite qu'il appartenait de pour-
suivre hautement et fcrmement. La prcmiere victimo de cette
réprossion partielle fut le capitaine Yalléc : trnduit devant la Conr




154 HISTüInE DE I,A RESTAURATTON.
d'assises du Val', il fut condarnné ü la peine mort. Vinrent en-
suite les débats solennels sur ces malheureux jcunes sous-offi-
ciers de La Rochellc; en eux on attaquait les sociétés secretes
tout entiéres, on frappait au cceur le Carhouarismc. Le réquisi-
toire de M. de l\Iarchangy fut un travail remarquahlo et un peu
trop spirituellement poétique : il s'agissaitde la peine de mort!
M. de Marchangy visait 11 l'eflet, a la phrase; il oubliait ce qu'avait
de grave, de solennel la cause qui allait se plaider et la Iatale
peine qui pouvait étre appliquóe, Au reste, le réquisitoire de :\1. de
Marchaugy rcstera comme un monmnent de vérité historique et
de courage: son tableau du Carbonarismo n'était point un roman,
comme on le disait alors , mais de l'histoire , comme on l'avoue
aujourd'hui, Il avait parfaitement pénétré dans le mysLt're des
sociétés secretes; il en avait compris la portée el les dcsseins.
Dans les déhats , les jeunes sous-ofllciers accusésmontrerent du
courage, une grande présence d'csprit, Bories particulieremcnt.
On s'agitait heaucoup extéricuremcnt pour les sauver ; mais tout
cela dans l'ombre et en trcmblanr. tes jurés rcccvaieut eles lct-
tres anonyrnes mcnacantes ; on leur préscntait la mort en cxpec-
tative s'ils conclamnaicnt les jeuncs sergonts de La RochclIc. Le
jugement 11 mort fut prononcé centre quntre d'entrc eux; il ne
restait plus que l' exécution de la sentcnce , le Conscil (les minis-
tres s'y décida par la nécessité d'un exeuiplo. On voulait auiener
la dissolution des sociétés secretes, et puis , d'ailleurs , le partí
libéral se montrait si imprudcrnmcnt implacable ~ Je ne sais s'il
se croyait sur d'UD coup de main, ou s'il voulut par des victimes
exciter l'indignation contre les Bourbons; mais il agit de ma-
niere a rendre les gráces impossibles. Il parla de l'hérolque ten-
tative des quatre sergents ; de la, impossihilitéd'une gráce qu'on
semblait repousser, Certes , ministre du Iloi , je n'aurais pas hé-
sité : la gráce l la grñce pour les petits surtout. JI y a dans la clé-
menee tant de force; on n'cn fit ríen. Il cst des époques oú tout
est sourd 11 la pitié, a la politique et Ü l'avcuir l Tout ce que fit
la haute vente fut de tentcr une évasion, Un jour pourtant
les forces du Carbonarisme devaienr SI' montror , c'('lail l'in-




CIIAPITHE 1.L\. 155
stant solcnnel oú ces jeuncs ames allaient sacriíier d'une ma-
nicre sill1g1anle ¿I la libert(~. Les ventes étaient préveuues , mais
le cceur mauqua encere une íois aux chefs , ils se cacherent, et
ces tetes roulerent dans la POUSSilTC sans qu'uue tentativo Iüt
faite pour les sauver, L'indiguation fut au comble dans la jeu-
nesse: ils maudircnt ces hommes qui se mettaient a l'abri tandis
que le saug rougissait le sol de la place de Greve. 1\1. Bellart
profitade ce mouvcment généreux des jeunes carhonari; il en fit
appelcr un grand nombre, cal' il en avait la liste. Le magistrat
CJui se montra ¿I cette époCJuc si sage, si modéré , Ieur adressa
de paterneís conscils; il leur moutra auucl danger ils s'étsient ex-
posós, et pour qui ? Plusicurs renoncerent siuceremeut a cette
périlleuse carriere.


Alors se poursuivait le preces du général Berton. Ici la eon-
danmation était inévitable ; c'était un mouvement insurrection-
nel dans toute sa force; Thouars avait été au pouvoir des rebelles.
Des bandes anuées avaieut parcouru le pays sous le drapean tri-
colore; le général avait signé des proclamatious et fait des actes;
s'il avait réussi , un gouveruemcnt provisoire s'organisait, et
peut-étre ccux qui se cachcrcnt si bien seraient arrivés pour la
victoirc. CC'oS acles éraient précis, publics , constatés. Le général
disait ü la face de ses j ugcs : <lEn clioisissanr un j ury tel que ce-
lui qui doit nous juger , en le composant d'anciens nobles ou
d'émigrós , l'autorité locale a Iait prcuve d'une grande méchan-
ceté et a montré bien pcu de patriotismc, Elle le sent tres-bien ;
aussi~0ll11UCS-nOtls envelnppés d'une force cxtraordinaire, conune
pour encouragcr les jurés ~\ exécutcr les projcts homicides du mi-
uistcrc public ! Attaqucr le ministere , nous dit-on , c'est atta-
quer le Gouvcrnctucut du Roi : uous ne I'entendons pas ainsi ;
et n'avous-nous pas l'cxcmplc du Iloi , qui , pour rétablir I'har-
monie daus los branchcs du gouverncmcnt rcpréscntatif , fut
obligó dcrniercmcnt de sacrilicr un ministerc de son choix, pour
en preudre un autrc ? Ce qu'il ya de ccrtain , contiuuait le gé-
néral , c'est que les mouvemcnts de Thouars n'avaient pas pour
objet de détruire le Gouverncuient du Roi; cette affaire avait été




156 lllSTOLHE DE LA RESTAUllATlO1\.
concertéc d'apres les statuts des cheoalicrs de la Libcne ; el le
but de cette institution est la défeuse du Iloi et le maintien de la
Charte. » Les preuves étaient tellement évidentes , qu'il n'était
pas nécessaire de composer un jury tout hostile al'opinion libé-
rale, ni de former une espece de commission tul hoc de gentils-
hommes et de chevaliers de Saint-Louis, devant lesquels le gé-
néral se défendit avec esprit; mais son systeme n'était pas admis-
sible: établir qu'il ne s'était révolté amain armée que contre le
ministére , c'était chose difficile a prouver; le malheurcux gé-
néral et cinq de ses complices furent condamnés amort; c'étaient
Fradin, CaITé, Sénéchault, Jaglin et Saugé. Fradin et Sénéchault
se pourvurent en gráce : le Iloi était alors rrcs-cnclin II la sévé-
rité, son Conseil également; il falIut les plus vives soIlicitations
de la duchesse de Berri et de madame d' Angouléme pour obte-
nir la vie de ces deux condanmés, Louis XVIII, eITrayé de la ten-
dance des opinions et de cette Iureur de conjurations sourdes et
menacantes , voulait y mettre un tenne; et le partí patriote
s'était montré si ímprudent l S'imagincrait - on, par exemple,
que les journaux , au moment méme oú madame Fradin sollici-
tait la gráce , annoncaient que son époux chantait en prison des
hymnes de liberté! Madame Fradin fut obligée de désavouer ces
hruits ; elle obtint une commutation de peine. Ai-je besoin de
dire que Berton mourut avcc courage? Son dcrnier cri fut pour
la liberté! CaITé quitta le monde a la maniere antique , il s'ou-
vrit les veines; un autre des conjurés monta sur l'échaíaud au
cri de vive la République ' 11 avait stoíquement disserté quelques
instants avant le sacrifice. Caron, coudamné l\ Strasbourg, n'eut
pas l'échafaud; les grcnadiers ne le manquereut pas : il l'avait
demandé a ses derniers moments de tristesse et de gloire. Caron
était un officier distingué; il avait étonné le conseil de gucrre par
ses réponses , sa scieuce et I'adresse de ses moycns, IIélas! les
gráces n'étaient peut-étre pas possihlcs ; la branche des Bourbons
avait tant pardonné , 011 l'avait tant de fois trahie ! elle crut la
sévérité néccssaire ; mais, jc le répéte , quand on vcut cmpécher
les révolutions, il Iaut allcr aux grands et pardouuer aux petits.




CIIAPlTHE \L\. 157
Au milieu de cesgrandes secousses d'opiuions, quel était le pro-


gres de l' esprit public en France ? Oú en était cette société
si violemment agitéc par les partís et la tendance du Gouverne-
ment? Je réponds que la désaílection pour les Bourbons se ma-
nifestaitamesure que leur systéme se jetait en dehors des voies
naturclles , calmes et légitimes ; alors les factions prenaieut une
tendance moins pacifique el la bourgeoisie passait al'opposition,
Ce n'était plus cetro rue Saint-Dcnis si pavoisée, si royaliste, des
premiers jours de la Ilestauration. tes paisihlcs habitants de Pa-
ris croyaient leurs droits mcnacés , et les exécutions sanglantes
jetaient sur ce faible Gouverucment des Bourbons une teinte de
tyranníe molle et incompletc. J ene sais de quellc eouleur ardente
s'empreignait le Cabinet; des missions sillounaicnt la France ;
c'était des momentsde désordres que cette apparition de missíon-
naires, portant une parolc hautainc , ardentc dans les paisibles
cités, Si les missions s'étaient cnfermées dans la sainte parole ;
si elles avaient agi dans l'eneeinte de ces temples OU la loi de
Dieu doit étre librement annoncée , 'ces prédications n'auraieut
produit qu'une grande moralisation; mais l'arrivée des mis-
sions était un trouble pour les cités; les autorités étaient invi-
tées a pretor main forte; des populations excitées , pareourant
les mes dans des processions hruyantes , allaient plantel' des
croix comme un signe de triomphe et de salut. Tous les saints
mysteres de l'Églisc étaient imposés eomme une condition de
zeleroyaliste, On comptait les communions comme les votes élee-
toraux ; il valaitautant pour un soldat approcher des sacrements
fIu 'oflrir sesvieux services a la patrie ; des lors la religion devint
un moycn d'ambition politiqueo Tout prit un vernis de congré-
gation; le Gouveruemcut s'occupa de prétres , d'évéques , de
jésuites, mieux encere que de l'administratiou publique; on s'ap-
plaudit de quelques convcrsions bruyautes ; OIl lia trop la religión
ala politique. lU. de Haller quittait le protestantismc ; mademoi-
selle de Loveday se séparait de sa Iamille pour entrer dans un
monastere, et le Gouvcrnement semblait proteger cette espéce de
violeuce, L'Uníversitéfut confiée aun évéque. lU. l'abbé Frays-


lII. 14




'158 HISTüIHE DE LA HE8TAUllATI01.\•.
sinous était , certes, un esprit distingue ; mais cette conscíence
religieuse qui fait de la tolérance une simple concession, était-
elle compatible avec la large et impartiale surveillance qu'appe-
lait un bon systeme d'instruction lmhlillue également applicable
aux catholiques et aux protestants 7 1\1. Frayssinous avait le goüt
de.s bonne.s et íortes étUlle.s; \\\\\.l\> ses \.d.~e<¡:, e.t ses \,\:é'iCllt\.()\\S \:~­
trécissaient le cercle de ses investigations scientifiques; iI ne
pouvait tolérer la liberté philosophique dans l'enseigncment, rien
d'indépendant et d'élevé dans les études universitaires; de la
cette persécution qui s'attacha au corps enseignant, ces petites
guerres non-seulemcnt contre les mauvais lívres , mais encore
contre les mauvais colléges et les mauvais professeurs dans le
sens religieux. l\laintenant jugez de l'ellet que devait produire
en France , 11 Paris surtout, parmi cette nationspirituelle et mou-
daine , un te! systéme administratif et politique ! jugez de tout le
parti que pouvait en tirer une presse active, s'emparant de tout
et flétrissant tout. Religieux par nature , je le dis avec douleur ,
ce qui fit le plus de mal 11 la Ilestauration , ce fut précisémenj,
cette idée qu'on parvint 11 inculquer au pcuple , que les Bour-
bons s'identifiaient avec le clergé, et ce qui fit le plus de mal au
clergé ce fut de le méler aux instabilités de la poli tique. Cela
perdit la popularité royale. La Restauration ne se presenta plus
comme ce grand événemcnt qui avait réconcilié la France avcc
l'Europe et reparé les malheurs de la guerre et du despotismo ,
rnais comme une espece de réapparition de l'ancien régime , des
couvents et des moincs. Il y avait, cortes, du mensonge dans ces
idées; toutcfois elles étaicnt devenues populaires et s'étaient ré-
pandues eomme la vérité cllc-méme. Le peuple s'habituait a con-
fondre les émotions de la conscience rcligieuse arce l'ambition
et l'hypocrisie, La presse était parvenue a lui faire peur d'une
ombre , mais d'une ombre importune, d'une espéce de fantóme
apparaissant partout et toujours, De pauvrcs prétres , quelques
religieux, étaicnt ccrtaincment au fond peu redoutables : ce-
pendant ils fatiguaíent les YCl1X, Icurs pienses robes reprodui-
saient d'autrcs temps , et la Ilcstauration prenait comme aplai-




CHANTRE XIX. 159
sir de s'en revétír, La presse rcndue II sa liberté favorisait ces
idées; les journaux royalistcs ne cessaient de parler de la néces-
sité de rendrc au clergé son influence , ct les feuilles liberales
montraient cctte influcnce s'accroissant et menacantala fin d'cn-
gloutir les garanties politiquea C'était une liee ouverte OU per-
soune ne disait avee sincérité ce qu'était la Restauration; les uns
cherchaicnt des appuis au tróno dans les vieux souvcnirs de la
dynastie de saint Louis ; les nutres voulaicnt la rcnverser avecIes
idécs de révolution. On parlait du trónc , de la légitimité et de
la Charte, comme passc-ports Ü quclquos arriere-pensées, Dé-
plorahle combat OU ancun des advcrsaires n'était daus le vrai!
Toutefois l'csprít de liberté marchait hautcment; les discussions
de la tribuno et de la pressc donnaient ü chaque citoycn le sen-
timent exagéré de ses droits ct de sa valeur pcrsonnclle ; chacun
savait ce qu'il pouvait craindre et ce qu'il pouvait espérer, Au
milieude tout cela, une prospérité inouíe , les Ionds publics pre-
nant un essor jusqu'alors inconnu , la richcsse bourgeoise s'ac-
croissant, un dégrevement d'impóts , des allégements au budget.
Telle était la situation du pays agité ü sa surface, Je pose en Iait
que la Restauration trouvait appui et sympathie : s'il en cut été
autrement , croit-on qu'un si grand nombre d'cntreprises agis-
sant avec tant et de si puissants moyens, que de si nombreuscs
coujurations ne se fussent pas changées en révolution? Quand
les opinions sont mures dans un pays , il suffitd'un premier mou-
vement pour donner l'impulsion générale, Un souffie, et la ré-
volution se fait.


Apres les grandes discussions sur la presse, la Chambre des
Députés ne s'occupa plus que d'une chose : le budget. La pen-
sée de JU. de Yillele, pcnsée de régularité et d'ordre , était de
sortir du provisoire pour rentrcr dans le vote ordinaire de l'im-
poto Desengagements Iormels avaient été pris ace sujet; le Con-
seil résolut done de háter la clóturc de la session actuelle; le
budget défendu par 1\1. de Villele était l'ceuvre de 1\1. Roy; les
seulesmodifications qui y avaient été apportées étaient celles-ci :
par un article additionnel , il était ouvert an ministre des




160 HISTomE DE LA RESTAURATION.
Iinances un crédit en rentes de 3 lr18 958 írancs destinés al'ac-
quittement des reconnaissances de liquidation. Ce fut encoré
une grande lice ouverte que cette discussion. « Le systerne d'ad-
ministration , disait M. Labbey de Pompieres , doit étre com-
plétement changé; je soutiens que tous les ministeres peuvent
supporter un vingtierue de diminution; je vous en fournirai les
pl'euves.- C'est dans les ahus de uotre régime financier, répli-
qua M. Teruaux , que nous devons principalement chercher la
source de nos dissensions politiques ; c'est surtout dans le mau-
vais emploi des denicrs publics; SOllS l'appareuce de l'ordre ,
I'admínistration des fiuances est tres- vicieuse, et je dois m'élever
centre des abus aussi nomhreux qu'intolérahlcs.- Que de pé-
uibles et tristes réflexions, dit le général Donnadieu , ne ferait
pas naitre la situatíon de nos finan ces , si l'avenir n'oflrait en-
core quelques motifs de consolation ! Ceqne la nation demande,
ce n'est pas teIle ou telle législation; elle appelle de ses vreux
celle qui lui offre le plus de garauties, » lU. Cornet d'Incourt ,
rapporteur de la commissiou , se résuma ainsi : « Nous nous
félieitons que tous les oratcurs , de quelque coté qu'ils siégeas-
sent dans la Chamhre , se soient réunis avee la couunission pour
demander la réforme des .abus. Cet accord nouveau , qui mérite
bien d'étre signalé , 110US permet d'espérer que les propositions
de la commission étant accueillies, donueront au ministere et
les moyens d'entreprendre d'utiles réformes , et l'appui néces-
saire pour les opérer, » Le ministere avait pris l'engagement, dans
ceHe discussion , de ne plus recourir ades crédits provisoires,
et le Conseil décida que les Chambres seraient immédiatemeut
convoquées. A peine done la sessiou était-elle closc , qu'il fallut
proceder ~l l'élection du cinquiéme sortant de la Chamhre des
Députés ; c'était la premiere élection qui allait s'accomplir sous
l'influence d'une admiuistration royaliste : il était urgent de
prouver que la confiance publique arrivait au nouveau Cabinet ;
M. Capelle se chargea , au ministere de I'intérieur, de la direc-
tion supréme des élections, «Tous les actes du Gouvcrnement,
écrivait ~I. de Villolo , prouvcnt une volonté lovale de mainte-




CHAPITRE XIX. 161.
nir des droits que la Charte a consacrés , d'alléger le fardcau
des ímpñts , et de fondcr la prospérité générale sur l'alliance du
tróne légitimc ct des libcrtés publiques. Le Couverncmcnt ne
pourrait accomplírcctte tache s'illl'dtait secotulc par les agents
dont les emplois attestent sa confiancc; ceux qui dépendent de
mon ministére doivent , pour la conserver, contrihuer , dans les
limites de leurs droits , aux choix des députés sincérement atta-
chés ala monarchie légitime et aux institutions.»


La lutte la plus importante, celle qui devait produire le
plus d'impression sur l'esprit de Lonis XVIII, c'était l'é-
lection de Paris ; le ministere attachait heaucoup de prix ¿l
montrer qu'il conservait la majorité parmi les électeurs de
la capitale , dans la honne ville du Roi; d'un autre coté, l'op-
positíon (et ici il ne fallait plus comprcndre seulcnient les
lihéraux , mais cctte portien d'opinion modérée qui ne voulait
pas des ultras) mettait un granel zele ¿l constatcr le changement
qui s'était opéré sur les esprits depuis l'avénement de M. de
VillCle. Lescandidats ministériels pour París étaient 1\DI. Labbé ,
Eug. Debray, Outrequin , Bertin de Vaux, Yalckenaür, de
Lapanouzc , Ponton d' Amecourt et Leroy pour les co!léges
d'arrondissement : et 1'131. Ollivier, Lebrun , Bonnet et Breton ,
tous quatre députós sortants , étaient portés pour le collége de
département. C'étaient des Royalistcs rnodérés , hornmes in-
fluents et d'importance ; les candidats libéraux étaient MM. le
général Gérard, Laflitte , Casimir Périer , Gévaudan, Benjamín
Delessert, Ternaux , Salleron ct Gaspard Got pour les colléges
d'arrondisscmeut. Pour le collége de départemcnt , l\HI. Tcrnaux
et Gaspard Got furent eneore portés avec lUM. de Laborde et
Trippier, tous égalcment honorables et populaires, La lurte
s'engagea vire et tenace; mais des les premiares séanccs, -le
ministere s'aperrut qu'il n'avait pas seulement centre lui les
patriotes proprcmcnt dits , mais les ólccteurs modérés ; lU. Louis
ct 1\1. Hoy lui-méuie jouoreut un role d'opposition, Celni de
1\1. Louis fut assez bruyant pour que :U. de Pcyronnct.sollicitñt
du Roi une ordonnancc qui privait l'ancien membre du cahinet




162 HISTüIRE DE LA RESTAURATION.
Dessolle du titre de ministre d'Ihat. En résultat , les Royalistes
n'eurent que deux candidats , MM. de Lapanouze et Leroy;
non-seulement les petits colléges , mais le grand collége donné-
rent des députés de l'opposition, Cette tendance de la capitale,
que les ministres rejetaient sur les intrigues de l'ancien ministere,
produisit un grand eITet sur l' esprit du Hoi; il faUut le balancer
par les élections de provinces, qui amenerent les résultats sui-
vants: dans les coIléges d'arroudissement , les Royalistes eurent
28 norninations; les Libéraux n'en obtinrent que 17; et dans les
eolléges de département , les Royalistes en obtinrent 24 , tandis
que l'opposition n'eut que 5 nominations. Parrni les députés
royalistes de cette série , arrivaicnt deux noms nouveaux. Le
premier, 1\1. de Lapanouze, d'une vieille souche de gentils-
hommes, s'était jeté dans la banque; il avait acquis une fortune
considérable et une honorable réputation ; ce n'était point un
esprit élevé , un orateur facile, mais il savait le matéricl des
aífaircs , et un goüt d'associations , d'cntreprises cornmerciales en
faisait un utile secours pour le ministére Villéle , auquel il s'était
allié. M. de Charencey était d'une forte nuance royaliste et
d'une prohité pieuse , un des plus honorables caracteres de la
Chambre; il poussait le désíntéressemcnt jusqu'a sa plus noble
expression : mais avee cela, de petites idées , d'étroites concep-
tions; il n'avait ni la parole facile , ni la pensée haute et süre ;
il votait dans la coulcur de 1\1. de La Bourdonnaye. Le coté
gauehe acquéraít , clans des nuanees plus ou moins prononcécs ,
plusíeurs nouveaux auxiliaires : d'abord 1\1. Gévaudan. Quand
on se reporte aux circonstanees, quand on voit les titres de
l\l. Gévaudan, on se demande commcnt le pays put prendre feu
pour son élection ! M. Gévaudan , élu aParis , présenté comme
une capacité, comme une sommité! vieillard d'une grande
Iortune , mais qui n'avait pas d'autrcs droits au suITrage des
électeurs que ceux qne présentait ]U. Piet , c'cst-a-dire le souve-
nir d'un salen et d'une table ouvcrte aux délibérations politi-
qnes; M. de Lahordc , homme d'esprit , mais d'un esprit sans
suite , d'une éruditíon légere et sautillante , orateur disert ü la




CHAPITRE XI.\. 163


trlbune, sans apl)\ication aux affaircs; M. Gilhert des Voi-
sins, élégantc cxpression de la "iei11e magistraturc, u1céré par
des disgráces pen méritées , et homme du pouvoír par souvenírs
et par caractere ; lU. Trippíer, jurisconsulte savant, d'une oppo-
sition tempérée ; 1\1. Salleron, industriel influent sur les fau-
bourgs , et que le Gouvernement des Bourbons avait cherché a
s'attirer par un des hauts grades dans la garde nationale. L'opi-
nion qui fut vaincue dans cette Iutte électorale , fut spécialement
le centre droit, qui avait soutenu le ministere Richelieu; on en
vint aux couleurs bien tranchées de droite et de gauche ex-
tremes. te Cabinet nouvcau était mécontent des anciens mi-
nistres : ils avaient organisé l'opposition de la Chambre des
Pairs , ils cherchaient i\ résister au mouvement des. ultras; les
ultras, i\ leur tour, repousserent de la Chambre les amis des
anciens ministres. En sortant des affaires, les membres du cahi-
net Richelieu avaient presque tous pris position dans la pairie ;
J\I. de Serres était resté comme leur représcntant dans la
Chamhre des Députés; il avait tenté de réunir autour de lui un
certain nombre de Députés du centre pour se créer une force.
Ceuc tactíque avait été apercue par l' cxtrémité de droite ; lU. de
Serres ne fut point porté ¿I la présidence du collégo du Haut-
Ilhín , et il ne fut pas réélu; il en éprouva ce profond chagrín
qui flétrit son cmur et prepara sa mort. A cette époque , la
combinaison du centre droit suhit une perte plus dure encoré :
1\1. de Richelieu avait usé sa vie physiquo avec son existence
politiqueo Rien n'avance la mort de l'homme comme les granels
désappointements qui trompent un noble caractere : lH. de Ili-
chclieu avait Iutté centre des injustices si implacables, centre des
jugements si passionnés ! IJ avait tout fait pour les Iloyalistes , et
les Iloyalistes l'avaicnt abaudonné ! Eusuite il ya, dans ee pas-
sage suhit d'une grande activité de la vie politiquo ü la mono-
tonie de l'existcnce privée , un granel vide fluí serre le cceur ;
c'est presque toujours le lcndcmain de la disgrác« qu'on ressent
ectte absenee d'aflaircs ct de courtisans , desquels on s'cst fait
habltude ; on n'a plus ce bourdonncment de tete dans le cahi-




164 mSTüIRE DE J,A RESTAURATION.
net ; mais il y reste la une espéce de pesanteur; on a besoin de
tenir son front des deux mains , pour savoir si on existe encoré.
J 'ai vu beaucoup de ces disgráces subites dans les hautes for-
tunes parlementaires ; j'ai lu ces affectatious de joie sur des
joues creuses de dépit et dans des yeux fatigués ct tristes. M. de
Itichelieu était au-dessus d'une position ministérielle , toutefois
il sentait profondément une injustice , et cela abrégea ses jours;
ajoutez une imagination ardente dans un corps éteint, une
volonté de plaisir et une impuissance de le savourer! ñlalade
depuis quelques jours , M. de Ilichelieu Iut tout a coup atteint
des frissons de la Iióvrc qui l'enleva. Jamais homme politique
ne fut plus regrcué et plus digne de l'étrc : toutes les opinions
se réunirent pour son éloge. Aiusi la mort commenca l'époque
d'une grande j ustice.


Les ministres, d'abord saus attraits pour le Hoi, prenaient
de l'ascendant sur son esprit. Louis XVIII n'aimait pas le vi-
comte ñlathieu de Montmorency; mais il respcctait son carac-
tere pieux ; il rendait toute justice a M. de Yilléle ; sa maniere
d'administrer lui plaisait : le ministre des finances avait une
raison si droite , si puissante , que le Hoi lui pardonnait ses ma-
nieres un peu gontillátrcs et cctte absence de toute instruction
qui ne pouvait s' élever j usqu'a comprendrc un prince si clas-
sique et si coqueucmcut éclairé, Louis XVIl [ , roi d'étíquctte ,
s' était d'abord un peu raché des manieres toutcs bourgeoises de
1\1. Corhiere placant cavaliercmeut sa tabatiere sur la tahle
du travail royal, et fouillant ses pochos comme un avocar de
province ; puis i] pardonna beaucoup a cet esprit mordant ct
facile qui distinguait le ministre de l'intérieur; il l'appolait son
oW'S mal iéclu'. te Iloi avait pris quelque goút pour lU. de
Peyronnct; il avait applaudi au talcnt que ce ministre avait
montré dans la discussion de la prcsse, Louis XVIII plaisantait
des manieres théátrales du ganle des sccaux, mais il uppréciait
son dévouement et son éloquenco de tribuue. Au reste, ce mi-
nistere était tant appuyé en cour ! J'ai déja parlé d'une secrete
influencc de cette Iemme helle ct si active qui domina les affec-




CJlAPlTRE XIX. 165
tions du Roi; j'ajouterai la tendancc générale de la Cour, qui
considérait le ministére de ñl. de Yillelc commc sa propre ad-
ministration. lU. le comte d'Artois , madamc la duchesse d'An-
goulémc le protégcaicnt de lcur toute-puissance. Le Iloi , comme
ille dit aun de ses anciens ministres, avait la paix du ménage ,
et c'étaít qucIque chose pour lui. La Saint-I..ouis approchait ,
et il était d'usage que, dans ces circoustauccs , le Roi coucédát
un témoignage d'affection ¿l son ConseiJ. Une parole tendre el
puissante avait insinué a Louis X VIll que l'abseuce de tout
titre pour MM. de Yillel«, Corhierc et de Peyronnet , rendait
fort difficiles les rapports des grands scigueurs el des ambassa-
deurs avec les ministres; quelle qualificatiun leur donner? I ..e
numseiqucur ue pouvait étre que pour les subalternes; un duc
et pair dcvait-il trai ter de monseigneur un simple bourgeois
éle, é au ministére ? devait-on le saluer du titre tout simple et
tout roturier de tnonsicur? Ensuite il était également urgent, pour
fortífier ce ministére , que le Itoi lui témoignát sa satisfaction.
Ces raisons détcrmiuercnt Louis XVIII a créer comtes MM. de
Yilléle , de Corbiere et de Peyronnet. Il leur écrivit un bilIet


. .


plein de gráce pour lcur annoncer cctte faveur royalc. Le mi-
nistere , consolidé aux yeux de la Cour, l'était égnlcment dans
les Chambres. Lne véritable fautc pour ~I. de Villele, avait été de
laisser un germe d'opposition royaliste en dehors du ministere.
1\DI. de Labourdounayc et Delalot étaient mécontents.


Dans l'administration intéricure tout aIlait selon l'esprit du
nouveau Cabinet. Persoune ne pout contester les améliora-
tions que M. de villéle apporta dans les finances; il continua
l'O"U\Te si laborieusement commencée par ses prédéccsseurs, Je
demande a ,1. Laffluc lui-móme , aux hanquiers de l'opposi-
tion, si quelquc chose fut comparable a l'économic , a l'ordre
progressif de cettc gestión du Trésor ? ~I. de Corhiere n'imitait
pas cene activité ; il avait prodigicusemeut d'csprit , mais avec
cctte nonchalauce d'érudit qui consacrc une dcmi-jouruée ¿l
I'examen d'un Elzevir, et .laisse toutes les autres affaircs en sus-
prns; tandis qu'il vovait ses signatnres s'amoncelcr, il discutait ,




166 HISTOIRE DE LA REST AURATIüN. .
le portefeuillesur la table , avec quelques hommes qui lui plai-
saient , sur le droit civil et le droit canon, sur Henneccius, les
Pandectes ct les éditions ad usuni Dciphini; ou bien eneore sa
verve piquante poursuivait les hommes politiques et les gens de
lettres, pauvre caste qui lui paraissait dégénérée et trop riche
alors pour étre laborieuse. Qui ne se souvient de ces petites
causeries de son lever, de ces calembourgs, de ces feux de
file d'épigrarnmes contre les conseillers d'État et particuliere-


,


ment contre M. de Gérando, qui, disait-il, s'accordait en
genre et en cas avec tous les ministéres , paree que son nom
finissait en un gérondif en O? M. de Corbiere , par ses habi-
tudes et surtout par cette réputation de paresse qui allait au dela
de la réalité, fit heaucoup de mal a l'adminístration royaliste;
on fut obligé plus tarel ele diviser et de subdiviser les grandes
branches de son ministere. Quant a 1\1. de Peyronnet , son
aelministration, modele d'activité et de zele, fut marquée de
cet esprit arelent qui alors auimait le nouveau Cabinet, cal'
il venait comme une réaction. Ce fut M. de Peyronnet qui,
ministre de l'intérieur par iutcrim , frappa maires et sous-


•préfets a l'occasion eles élections. L'ordre des avocats lui dut de
nouveaux statuts plus sévéres et plus restrictifs; la mapistrature ,
des choix prononcés , maís excellents; les greffes , d'utiles précau-
tions. Il est malheureux que l'esprit de partí le dominát trop
souvent. H.oyaliste dévoué, il était en présence d'une majorité
plus royaliste encore : chose qui étonnera peut-étre 1 mais que
l'histoire ne doit point omettre, au temps présent oü les fortunes
et les opinions sont si mobiles! 1\1. de Vatimesnil fut plus im-
pitoyable dans ses destitutions, dans ses exclusions et ses pré-
férences , que M. de Peyronnet lui-méme. Quant au ministere
de la guerre, la position dans laqueUe on se trouvait lui impri-
mait une activité nouvelle ; une campagneétaít possihle et prévue ;
le cordon sanitaire était déja changé en armée d'observation en
face des Espagnes; on préparait dans les burcaux le matériel et
les remontes; des commanelements étaient désignés; les der-
nieres conspirations militaires avaient multiplié les précautions




CHAPITUE xrx. 167
de police et de rigueur ; le choix d' officiers que le ministre s' était
réservé, constatait le triomphe des doctrines monarchiques,


Dans ces circoustances la double session s'ouvrit pour
n'oífrir que peu d'intérét ; d'un coté le Gouvernement était
résolu a ne discuter que le budget; de l'autre, indépen-
damment de la fatigue d'une session partagée en deux grands
actes, l'oppositiou libérale étaít comme frappée de stupeur,
par ces procédures sanglantes OÚ des tetes avaient roulé sur
l' échafaud , et par l' espece de solidarité qu'elles faisaient pe-
ser sur elle; on examina le budget a la course; peu d'amé-
liorations íurcnt faites; il en est toujours ainsi quand une
Chambre est fatiguée et qu'on l'attire sur l'ingrat terrain des
chiffres et des crédits, On souleva une question incidente: le
coté gaucho avait demandé que M. l\langin fút mandé a la barre
pour rendre compte a la Chambre du réquisitoirc dans lequel
il dénoncait certains membres de la minorité comme complices
de la conspiration de Berton. Plusieurs des députés qui fircnt
cette réclamation n'avaicnt , je le crois , aucune eomplicité avcc
le général; mais en était-il de méme de tous les autres? et des
lors comment qualifier cette sor tic hrnyante ? 1\1. de lUartigllac
put se montrcr fort spirituel. « Que ceux qui se plaignent d'avoir
été désignés par les accusés de la conspiration , moutent a cette
tribune; qu'ils y viennent protestcr de leur amour pour le Iloi
et la légitimité, de leur horreur pour la trahison et la révolte !
Voila ce que je ferais si j'étais dans une position semblahlc a
celle oü se trouvent quelques membres de eette Chambre; puis ,
confiant dans mon innocence, j'attcndrais avec respcct la déci-
sion des trihunaux. )) C'était une provocatiou qui placait les dé-
putés du cóté gauche dans une position difficile: venir a la tri-
bune désavouer des conspirateurs avec Iesquels pourtant ils
avaient au moius quelques sympathics; prendrc la parole pour
professer l'amour da Roi et de la légitimité, tout cela compre-
nait de trop graves engagements ; le cüté gaucho garda le si-
lcnce; personne n'osa protester de sa fidélité ; on passa a 1'01'-
dre du jour, En résumé , la session fut toute finauciere ; le




168 lIISTOlHE DE U. nEsTAl;nATLO~.
budget ne presenta mémc aucun incident; il Iut calqué prcsque
entierement sur les senices de 18:22; au eas oú I'on décide-
rait de faire la guerre a l'Espagne , on devait pourvoir a de
nouvcaux services par des crédits cxtruordinaircs , et cela se dé-
cidait a Yérone, .


Je reviens aux afIaires étrangercs qui tiennent une. si vaste
place dans le drame de ces deux années. Le congrés de Véronc
qui vaprononeer sur lesdcstiuées de l'Europe sediviseenplusieurs
époques : '1°. 1\1. de Moutmorency part sans autre instruetion
precise « que de presscntir les Souverains sur la situationde la
Franco par rapport ~l l'Espague , sur les éventualités d'une guerre
amcnée par l'état révolutiounairo de ce pays, en un mot sur
toutcs les chanccs de l'avcnir ; 2°. ~l Vienne, JI. de ':Uctternieh
s'empare de lU. de I\lontmorencyet l'engage dans une voie plus
déterminée. Le plénipotentiairc íraucais demande une sorte
d'autorisation de faire la guerre; 3°. aVérone, il prcnd des
engagemcnts positifs : il sollicite des promcsses d'appui; il con-
court ala rédaction des notes des Puissances alliées; !t0 • de retour
aParís, lU. de Montmorency trouve quclque hésitation dans le
Conseil; le duc de '" cllington arrive ; il a des conférences , soit
avcc le lloi, soit avcc M. de Villel('. Il cst décidé qu'on agira
avcc prudeuce , qu 'on évitcra les hostilités , s'il cst possible; les
bons offices de l'Angleterrc sont acceptés: 5°. lU. de Montmo-
rcncy se retire; et ;U. de Cháteaubriand , expressiou de cette
cornbiuaison de tcmpérament , arrive aux aITaircs; 6°. enfin la
majorité de la Chambre , l'csprit royalistc et quelques notes de
l'cxtéricur pousseut ~\ la guerrc, et la guerre s'accomplit. Tclle
cst l'histoire du congres de Vérone et de sesdiffércntesépoques,
C'cst en les confondant qU'OIl a écrit jusqu'ici tant d'erreurs
el d'exagórutíons r. Le congres de Laybach avaitlaissé de grandes
questions irrésolues ; les révolutions de Naples el de Piémont
étaient éteintes; sur ce point d'abord , il était besoin de savoir


1 AHe t-ute l'admiration que je profcssc pour ]\[. de Chátcaubriand,
jc crois qu'il u YU le congres de Véronc sous un polnt dc vue trop
pcrsonncl.




CIIAPlTBE \. Ix. 169
quel serait le tenue des orcuparions militnircs. Dcpuis , la révo-
lution grccque a, ait éclaté , et elle avait trouvé des sympa-
thies secretes dans le crcur d' Alexandre , sympathies ~l peine
étouífécs par l~ peur des révolutions; il ne s'était agi qu e tres-
accidcntcllcmont de l' Espagne dans les conférences officiellcs de
Troppau ct de Laybach ; tout s'était passé en conversationet les
hautes Puissances étaient couvcuucs de se réunir prochainement
pour aviser aux moyens de porter remede aux maux qui acca-
hlaicnt la Péninsulc. Depuis cene epoque la position del'l~urope
s'étaít compliquée ; C'Il rctournant ;1 Saint-Pétershuurg , J'Em-
pereur avait trouvé l'esprit national monté au dernier point en
Iaveur de l'indépendancc grecqne; il Yavait du Ianatisme reli-
gicux chez les vicux Moscovites; les épouvantablcsmassacres
qu'avait commandés la Porte, ce patriarche de Coustantinoplc
égorgé , ces égliscs en cendres, ces basiliqucs Iivrées aux Bar-
bares, tout cela avait fait fcrmcnter dans l'armée russc un puis-
sant désir de vengcance ct de guerre; Constantinople ! Constan-
tinople! tel était le cri moscovitc l Alexandrc vit bien qu'il serait
poussé malgré lui ~\ des dómonstrations guerricrcs , il ócrivait :
« Toute ma famille, saus en exccptcr ma mere, toute mon
armóc, tous mes sujets cnfin vculent la guerreo Moi seul je veux
la paix , et je prouvcrai que je suis cmpercur ! » C'était la la
véritablc situation d'csprit du Czar; cepcndaut il réunissait de
grands corps de troupes , de nouvellcs levécs s'orgauisaient, la
garde elle-me me se dirigeait vers les cantonnements de Witcpsk.
On pouvait prévoir une intcrvcntiou prochaine. Et pcndant ce
icmps I'insurrection grccque grandissait; les principautés de
lii Jlo1daric et de la Valac1Jie éteicn! onvohies par des troupcs
ottomaucs qui détruisaient tout dans lcur férocité; des popula-
tions enticres de erccs s' étaiont reíugiées sur le territoire russe;
les Francs étaicnt partout insulrés , mcnacés; I'ambassadeur da
Czar, M. de Strogonoff lui-méme , honnue fcnnc , mais hautain
et sans ménagcments , recevait un traitement indigne de la posi-
tion élevée dans laquellc il se trouvait placé : en cet état (le
choses , I'empereur Alexandre declara qu'il allait prendre fait


I1T. 15




170 lllSTOlHE DE LA HESTALiHATlO~.·
et cause , sinon pour l'insurreetion grccque , au moins pour
l'humanité et l'exécution des traités anciens, qui assuraient les
relations de la Ilussie et de la Porte. Une note fut en conséqueuce
adressée au Diván par 1\1. de Strogonoif; elle dcmaudait, « '1°. le
rétablissement des églises grecques; 2". l'évaeuation de la l\Iol-
davie et de la Valaehie, pour étre remises dans Ieur anden état
sous le Gouvernement des hospodars ; 3". la libre navigation des
Dardanelles; 4°. une indemnité pour les sujets gracs lésés dans
leurs biens ; 5°. la méme administration des provinces de 1\101-
davie et de Valachie pour la ;\Iorée; aueun Turc ne devait plus
l'habiter, seulement la Porte y enverrait dcux fois par an ses
comniissaires pour pereevoir les tribuís aeeoutumés; enfm la
Russie réclamait protection pour les Grees qui avaient survécu
a la persécution , sans touteíois intervenir dans l'exécution des
mesures nécessaircs pour réduire les rebcllcs. J) les formules
impératives de la note faisaient présager qu'au cas de refus ,
l'Empereur n'hésiterait pas dans son desscin d'intervenir a main
année. A cette note le Divan répo ndit que les punitions qu'il
avait iníligées a des Grees n'étaicut pas ¡l cause de leur religión,
mais bien pour leurs trahisons. « La Sublime- Porte , ajoutait la
note du reiss-effeudi, n'a nulleiucut l'intentiou de ehanger l'ordre
une fois établi , ni de poner aucun préjudico aux priviléges dont
jouissent les provinces. Aussitót <IlIe la tranquillité sera rétablie
dans les principautés , e'est-a-diré lorsque les hrigands qui y ont
paru en auront été cntiercmcnt expulsés , lorsqu'enfm le ci-
devant prince ele Moldavie ñlichel , et ses adhérents , qui se
sont enfuis sur le territoire russe ou autrichien, auront tous été
livres , la Sublime-Porte procédera imruédiatcment a l'installa-
tion des wavodcs , el mettra le plus granel soin a faire observer
les aneiennes convcntions et a maiutenir le privilégc des deux
provinces conune par le passé. » tes négociations étaient a ce
point. La Porte se trouvait menacéc par l'insurrection greeque
et par la Persc; et, qucllc que fút l'énergie des populations
musulmanes, il était pcu présuuiable que l'islamisme püt long-
temps résister a l'année russe <fui se forruait en toute 11<1le sur





CHAPITRE XIX. 171.
le Pruth, L'Autriche eflrayée de cette attitudc bclliqucuse de la
Bussic', avait a son tour porté une armée de ccnt mille hommes
sur son extreme Irontíere. lU. de Mettcrnich avait offert sa mé-
diation au Czar pour éviter un conflit deplorable ; jusqu'alors il
l'avait refusée; sculement , lors du départ de M. de Strogonoff,
le Couvernement russe consentir ace que ses sujets dans l'Empire
Ottoman Iussent mis sous la protcction de M. de Lutzow, inter-
nonce d' Autriche. 1\1. de ~letternich voulait, a tout prix, em-
péchcr des hostilités qui pouvaicnt appcler la Ilussie a Constan-
tinople; de vicilles rivalités se réveillaient ; l'équilibre de l'Europe
en était compromis ; cnsuite lord Strangford, amhassadeur de la
Grancle-Bretagne, s'~tait \lwment ct fortement \lrononcé; une
médiation de l'Angleterre et de l' Autriche dcvait tenír la Russic
en respecto 1\I. de Mctteruich proíita d'un voyage du roi d' An-
gletcrre dans le Hanovre, pour s'ahoucher avec lord Castlercagh,
qui accompagnait son souverain. Dansplusicursconférences qui
s'établircnt entre les deux ministres, on s'entendit parfaitement:
1\1. de Mcttcmich s'cxpliqua avec chaleur sur les desseins
d'Alexandrc , et sur la nécessité d'cn empéchcr l'accomplisse-
mento II fut convenu que des notes communcs seraient adressées
a )1. de Lutzow ct a lord Strangford, pour amcner une ínter-
vention de concert dans le grave différent élevé entre la Porte
et la Russic. Quand ies parties furcnt ainsi bien liées, l' Autrichc
et l'Angleterre ofTrirent leur médiation commune, avec un ton
de modération ferme ct convcnable qui appelait une réponse,
Une note de 1\1. de Nessclrode declara : « que la médiation était
acceptée, pourvu qu' elle obtint un résultat prompt et satis-
íaisant. »


On me demandcra ce que, dans toute cctte négociation, était
devenuc la Francc? Lors du passage du due de ,yellington a
París, Sa Gráce avait remis au roi Louis XVIII un mémoire sur
la question des diílércnts de la Russie et de la Porte. 11 existe
une copie de ce mémoire aux affaires étrangeres, Le duc de
Wellington exposait nettemcnt l'intérét de dignité et de force
qu'aurait la Franco a prendrc un parti , et la nécessité pour elle




172 IlISTOmE DE I.A RESTAUnATION.
de se rapprochcr de l'Autriche et de l'Angleterre dans une dé-
marche commune. Sa Grñce démontrait I'utilité d'cmpécher les
dcsseins ambiticux de la Bussic contre l'Empirc Ottoman. La
question était fort délicate, et la position de la France complexe:
d'abord pleine de reconnaissance pour Alexandre , elle ne pou-
vait se séparer absolument des iutéréts de sa politique ; ensuite
la cause des Grees, populaire ~l la tribune , trouvait sympathie
dans la population. te Cabinet Irancais, dans cette situation dif-
ficile , se borna done ¿l envoyer une cscadre dans le Levant ,
et ¿l presser le départ de :\1. de Latour-:Uaubourg pour Con-
stantinople. Les instructions de l'ambassadcnr portaient : « que
sans preudre une attitude aussi prononcée que lord Strangford
et l'internonee }l. de Lutzow, il était urgent de [aire sentir ala
Porte la nécessité de s'cntcndre avcc la Ilussie. C'était une posi-
tion toute de eonseil et d'amitié qui ne devait point se re, Nir du
ceractere d'une médiation officielle. Lorsque )1. de Latour-
l'Iaubourg arriva a Constantinoplc , la Porte venait de rejetcr
Yulumatum russe el de déclarer « que les temples chréticns ne
pourraieut étre recoustruits qu'apres le rétablissement de la
tranquillité ct lorsque tous les Grecs auraieut posé les armes;
que i'Autriche , l'Angleterrc et la France devaient garantir
qu'aprés I'évacuation de la }lolda,ie ct de la Valachie ces deux
principautés He seraient occupées ni par les HIISS('S, ni par les
Hétairistes ; qu'enfin les Crees qui s'étaient enfuis en Ilussic de-
vaient étre punís en présence de commissaires turcs , amoius
que la Russie ne préférát les livrer. ,) M. de Latour-ñlanbourg
s'unit avec les deux ambassadeurs d' Autriche et d'Angleterre
pour dérnontrer au Divan les conséqucnccs de son obstination.
Voulait-on la guerre? était-on dans la position de la soutenir ?
le rciss-eílendi répondait vaguement. On dut aux soins de l\l. de
Latour-álaubourg la note confidcuticlle par laquclIc la Porte
protestait de son amour pour la paix , « mais , disaít-elle , la
situation des esprits dans I'EmpireOttoman, l'animadversion que
tous les Croyantsportent aux Grccs ne pcrmettent pas aSa Hau-
tesse de suivre la libre impulsión de 8('8 idées, e'cst cct état des




CIIAPITRE XIX. i 73
esprits qui empéche la Sublime-Porte d'accéder aux proposi-
tions de la Ilussie et qui force le Cabinet Ottoman ademander
des garanties et a imposer des conditions, » Cette note, commu-
niquée a M. de Tatischeff , adoucit un peu les résolntions de
guerre arrétées dans la pensée d' Alexandre, aprés le rejet de
l'ultimatll1ll. Au reste, l'Empereur avait fait parvenir par .1\1. de
Nessclrodo une déclaration dans laquelle il désavouait hautement
tout projet de conque te au cas oú une malheureuse persévé-
rance de la Porte nécessiterait la guerreo Cest une curieuse ob-
scrvation ~\ faire : ni Alexandre , ni le Grand-Seigneur ne vou-
laient des hostili tés. Le Divan et le Czar étaient poussés a la guerre
par le cri de lcurs populations ; on allait voir se renouveler le
ternps des croisades; c'était le christianisme et la religion mu-
sulmane en présence , et tout cela avec le fanatisme de la patrie
et de la foi religieuse ! Les succes des Crees agrandissaient les
chances de lcnr affranchissemcnt. Alexandre ne s'était pourtant
pas prononcé ; il ne demandait pour eux jusque-lá que des ga-
ranties et des libertés poli tiques et religieuses, mais de patrie
point! r psilanti et le prince de Suzzo, réfugiés sur les terri-
toires russe ct autrichicu , y trouvaient ¿\ peine l'hospitaJité!


Sur ces cntrefaites, le Czar adressa aux cours de Londres et de
Vienne une nouvclle note tres-détaillée , exprimant toute la pen-
séc de l'Empereur ; elle disait : « que jamais la Ilussie n'avait
été plus éloignée de guerrcs et de conquétes étrangeres qu'a
l'époque oú Ypsilautí commenca son entreprise , cal' les plaies
de l'empire, suite de l'irruption des Francaís n'étaient pas en-
corc cicatrisécs. C'est en vcnant de prononcer a Troppau et a
Layhach la grande résolution de maiutenir la paix en Europe et
de ne plus souffrir d'íusurrection , que l'Empercur avait été in-
formé de celle de la ;Uoldavie et de la Valachie. Élaít-il possible
que, quelque disposé qu'il fút a prendre intérét au sort de ses
Ireres en religión, il püt approuver une rébellion dans une partie
de l'Europe , pendant qu'il l'étoufTait dans une autre? l'insur-
rection surtout, Iomentée, et ayant ü sa tete un des générauxde
la Ilussie, S. l\I. devait tnanifester encore plus ouvertement son




174 IlISTOIHE DE J,A nESTAUI1ATf01\.
improhation. la révolntion éclata, peu de temps apres, dans la
Turquie méridionale avec plus de violcnce. S. lH. 1. devait éga-
lement condamner ces troubles ; si elle ne l' cut pas fait, tous les
Cabinets ne l'auraient-ils pas accusée d'inconséquence , ou, qui
pis est, de desseins ambitieux? La Bussíe n'a manifesté par au-
cune circonstance une tendance ~ la guerre offensive , mais elle
repoussera toute attaque. L'Empereur a fait connaitre par la mé-
diation de l' Autriche et de l' Angleterre au Gouvernement turc,
de quelle maniere les anciennes relations peuvent étre rétablies.
Lorsqu'enfin la Porte aura consenti aux demandes modérées
de la Russie, la paix sera maintenue conformément aux désirs et
a la politique de I'Etnpereur , et on ne pourra rien trouver qui
compromette I'honneur de la Russie. ) Cette note, toujours
écrite en termes d'une haute modération , n'étaít pas toute la
pensée d' Alexandre; mais l'Empereur avait une tendance a tou-
jours paraitre grand, généreux, alors méme qu'íls servait ases
desseins d' avenir. Des conférences, engagées entre le prince de
l\letternich et lU. de Tatischeff, envoyé extraordinaire aVienne,
avaient pour but de bien préciser le résultat possible de la lutte
engagée. l\l. de Metternich , qui ne voulait de la guerre aaucun
prix , s' engageait aobtenir de la Porte l' évacuation de la Molda·
vie et de la Valachie, si l'Empereur bornait la ses prétentions;
que, quant aux libertés religieuses et politiques qu'on demandait
pour les Grecs, il fallait attendre la tournure que prendraient les
affaires des Hellenes , et qu'on arréterait une résolution en consé-
quence; que c'était id une qucstion en dehors des traités, ct que
cette intervention dans les aífaires de la Porte et de ses sujets ne
pouvait se justifier. lU. de Tatischeff manda les intcntions de
l' Autrichc directement lll'Empereur. En memo ternps de nou-
velles instructions étaient adressées a IH. de Lutzow par M. de
lUetternich; elles insistaient pour obtenir de la Porte l'évacua-
tion de la Moldavie et de la Valachie. L'Autriche meuacait le
Divan de l'abandonner, au cas oú , par une obstination folle, il
compromettrait la paix de I'Europe. La Porte comprit ecuo si-
t uation, et le 18 avril elle remit aux négociateurs une note paci-




CJIAPITRE XI\.. 175
fique, N, tant pour le contenn que pour le ton, bien diílérente
de ccllcs qui l'avaicnt précédéc. Le Sultan déclarait qu'il con-
sentait a l'évacuation des dcux priucipautés, et, le 25 du méme
mois, iI fut notifié ofliciellerucnt que cene évacuation conunen-
cerait le 5 mai. Un courrier , que le corps diplomatique avait
expédié de Constantínoplc, étant de retour de Bucharest, trouva
sur sa route les ordres de la Porte pour évacuer la Valachie; il
était déja partí de trois aquatre mille hommes , et tous lesjours
ils étaient suivis de détachements de trois eents hommes. La
méme chose devait avoir licu pour la Moldavie. C'était un ré-
sultat obtenu , ou pour mieux dire un résultat apparent, cal'
l'évacuation se faisait avec lentcur et sans bonne foi ; je erois
que, sous main, lU. de Metternich n'était pas étranger ace re-
tard; ilne voulait pas que eette négociation se finit absolument
et complétement,


Tel était l'état des affaires, M. de lUetternieh, dans ses eon-
férences avec M. de Tatischeíf , insista particuliérement pour la
réunion d'un congres a Vienne. L'Autriche avaitjoué un si grand
role dans toute cette négociation, la position qu'avait su prendre
]U. de lUetternich était si élevéc , el I'idée d'un congres était
alors si caressée par Alexaudrc , qu'il y avait mille prohabilités
qu'elle aurait adhésion a Saint-Pétcrshourg. L'cmpcrcur de
Russie fit counaitrc ~l son ambassadcur qu'il était d'avis d'une
cntrevue de Souverains, dans 'les circonstances graves oú l'on se
trouvait. M. de Caraman prcssait également cette entrevue. La
position de l'ambassadcur fraucais était complexc, un échange
de notes avec le prince de Mettcruich s'était engagéal'occasion de
I'occupation autrichicunc dans le Piémont ; la Frunce demandait
qu'elle füt réduite quant au temps et au nombre des troupes;
elle appelait memo la plus prompte évacuation. lU. de ñlcttcr-
nich voulait ~\ son tour cntraincr tout ü fait le Cahinet de Paris
dans la triple alliancc d'obscrvatiou centre les projcts de la Rus-
sic. )1. de Caraman, trcs-rapprochó de 1\1. de l\lctternieh, ap-
pelait enflnun congres oú toutcs ces questions seraient examinées
et résolues. De ces négociations sortit un résultat : il fut arrété




176 m5TOInE DE lA IlESTAUllATIüN.
qu'il y aurait une réuuion diplomatiquc , ainsi qu'il avait été
convenu a Laybach daus les derniercs conférenccs , et que
la situation de l'Europe y serait examinée. .\ lexandre, avant
cette grande réunion , viendrait visiter I'empcrcur d'Autri-
che a Yienne. M. de ~lettemich ne put obtenir que eeLte ea-
pitale fút le lieu désigné pour le congres : la chancellerie russe
s'y refusa. Alexandre préféra Vérone a Florence, pour etre plus
a portée des mouvements de son armée sur le Pruth , ct mieux
en rapport avec toutes les Puissanccs intércssécs aux questions
politiquea L'évacuation de la Moldavie ct de la Valaehie s'effcc-
tuait Ientement, Lord Strangford profita de la terreur qu'inspi-
rait au Diván et aux Turcs de Constautinople la catastrophe du
capitau-pacha ct de la flotte ottomanc pour obtenir cette con-
cession ahsolue; les waywodcs furent reconnus et proclamés a
Constantinople. Alexandre consentit ason tour arenouer les re-
latious diplomatiqucs avec le Divan, et promit de renvoyer sa
légation. Lord Strangford avait joué un role actií, puissant , dis-
tingué; il fut appelé au congrés , ainsi que lU. de Lutzow, pour
donner aux Puissances les renseignements nécessaircs sur les
hautes mesures qu'on próparait. Quant aM. de Latour-ñlau-
bourg, son role mixte avait été rcmpli avcc assez d'habileté :
toutefois la Franco fut privée de toute inllucncc décisivc dans
cette négociation; l'Augleterre s'en empara en premiere ligue et
l'Autriche en scconde ; lord Strangfonl déploya une capacité peu
commune : il se placa au premier rango


Une seule pensée semblait préoccuper le Cabinet de Paris ,
e' était l' Espagne. te ministerc ayant tont rl fait pris la bannierc
royaliste , il était impossible de laisser la Péuinsulc dans l'élat de
róvolution oú elle se trouvait ; les dépéchcs de :\1. de Lagarde
avaient signalé la marche suivie par la révolutíon. Désordonnée
d'abord , elle avait vonlu ensuite se faire inodéréc sous l'in-
fluence des Cortes; le partí du mouvcuient l'avait emporté ; des
désordres , des violcnces , l'esprit de révolution partout. A la fin,
cettc situation avait produit un ministerc daus le sens des desca-
misados ~ sous l'influeuce du colonel San Miguel. rédartcur de




CTL\rrTRE XI\". 177
1'E./'pcclador, jourual d'une exaltation Iorccnée. Le Roi était
sans cesse menacé ; les hesoinsdu Trésor avaient amené la mesure
impopulaire de la vente des bicns ecclésiastiques ; des bandos
royalistes s'étaicnt formées, le désordro et la eonfusion étaient
dans les villcs, L'Espagne servait de refuge atous les révolution-
naires de France et d' Italie ; la prcsse y insultait les Bourhons;
des tentativos avaient été faites sur la frontiere , et puis, par-
dessus tout, le ministere royaliste 11e pouvait pas souffrir une
révolution aux frontiéres. L'idée d'un congres , oü eette questíon
serait traitée , fut done adoptée avec enthousiasme. D'aprés
toutes les notes confldcntiellcs , le congres devait d'abord s'oc-
cuper de quelques questions morales et spéeulatives; puis d'af-
Iaircs plus positives : celles de la Turquie et de l'Espagne. Le
Conseil des ministres se réunit pour désigner les personnages
politiques qui rcprésenteraient la France au congres. 1\1. de
Montmoreucy dut se rendre ~\ Vérone; M. de Cháteaubriand en
avait aussi manifesté le désir, et M. de Yillele était bien aise de
l'opposer ¿\ 1\1. de Montmorcney, paree qu'illui savait un esprit
plus étcndu , une inteIligence plus haute. M. de Cháteaubriand ,
durant son séjour en Anglcterre, s'était épris des idées ct des
príncipe» de la coustitution anglaise. Il souhaitait de voir une
grande réunion de rois el de diplomates , et de s'y montrer.
lU. de la Ferrouuays , qui par la Ioyauté de son caractére avait
la confianee d'Alexandre , recut également l'ordre de se rendre a
Vérone avec le Czar. Le duc de Hozan qui avait accompagné
M. de Chñteaubriand al'ambassadc de Berlin et M. de Gabriac
furent désignés pour SUiHC 1\1M. de 1\1ontmorency et de Chá-
teaubriand. Toute eette légation était bien faible, bien peu
instruite en alfaires. lU. de l\Iontmorency était un homme d'hon-
neur, mais sans capacité, sans antécédents , sans aucune de ces
eonditions d'hahileté nécessaires dans des négoeiations aussi hu-
portantes, en face surtout d'hommes aussi forts, aussi rompus
en affaires que lU. de ñlctternich , lord Strangford et h:; duc de
"'ellington lui-méme. l\I. de Cháteaubriand, si grand de style
('1 ele pensées , avait-il la sciencc des Iaits, I'habitude et l'apti-




178 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
tude des négociations? 1\1. de la Ferronays n'avait pas une
suffisante connaissance des hommes. Et puis le duc de Rozan,
protégé de cour, ineonnu aI'Europe et arrivant la avee des pré-
jugés, avee des préoeeupations fixes! lU. de Gabriae avait plus
de portée, mais il n'était qu'en sous-ordre , sans influence
directe. Telle était la légation Irancaise : 1\1. de Rayneval,
ministre aBerlin, 1\1. de Caraman et JU. de Serres devaient se
rendre au congres , mais les seerets ne leur seraient pas confiés.
Le role de lU. de Caraman se bornerait aux afTaires du Piémont ,
a l'évacuation de son territoire déja arrétée ¡. Vienne. Lord
Castlereagh devait représenter l'Angleterre; on annoncait son
départ, lorsque I'Europe apprit son suicide : e'était la un im-
mense événement. Le vicomte Castlereagh, tete persévérante ,
obstinée, était l'expression du systéme qui avait présidé aux
rapports de l'Europe depuis 1813; sa politique était impopulaire,
Les fatigues et les derniers votes du Parlement avaient forte-
ment préoccupé son imagination; il ne révait qu'assassins, que
complots! n succomha sous un systéme qui échappait de ses
mains, cal' en Angleterre la chute d'un systéme tue l'homme
qui s'en fait l'expression. Par qui l'Angleterre se ferait-elle done
représenter dans des circonstances si graves? Le duc de 'Vel-
lington fut désigné. Sa Cráce , qui devait accompagnerle vicomte
Castlereagh, allait se trouver en opposiiion avcc la politique
d'Alexandre, dont il aimait le caracterc, On s'est toujours
trompé lorsqu'on a consideré le due de 'Vellington comme ex-
clusivement l'homme de la Sainte-Alliance ; le noble duc avait le
patriotisme, les sentiments, les préjugés et jusqu'a I'égoisme
anglais. Il allait étre au congres l' expression des idéesdéfendues
avec tant de zele et de force par lord Strangford qui recut
I'ordre, ainsi que je I'ai dit, de se rendre aVienne pour eon-
férer avee le duc de 'VeIlington. En méme temps le roi d'An-
gleterre eonfiait a lU. Canning la direction des afTaires étran-
geres, C'était un pas immense. Quoíque 1\1. Canning appartint
aux torys modérés , son avénement au ministére changeait abso-
lument la situation de son cabinet, Lord Castlereagh ne s'était




ClIAPlTR.E XH. 179
jamáis tout 11 fait separé de la Saintc-Alliance, Dessouvenirs, des
préjugés, le respect pour la [oí des traítés le retenaíent dans la
ligue qu'il avait jusque-la suivie. 1\1. Canning était appelé 11
ouvrir une ere nouvelle ; il avait ectte haute parole, cette élo-
qucnce classique d'Oxford ct de Cambridge; ses principes
étaientceux d'un libéralismc éclairé; il avait cette fierté anglaise,
cette Iorfantcrie de phrases qui parle aux masses, Homme d'État
avues hardies , 1\1. Canniug jetait l' Angleterre dans une route
d'iudépendance ; il la faconnait a une existence diplomatique
toute nouvelle; il brisait le líen mystique de la Sainte-Alliance;
il appelait chaquc Gouvernement 11 sa propre nationalité , iI était
impossible qu'un tel événcment n'eüt pas une grande influence
sur la sítuauou générale de l'E urope , et partículiérement sur
les relations diplomatiques de l'Angleterre, Des l'arrivée de
1\1. Canning au rninistere une note écrite 11 lord Stewart posait les
qucstious suivantes 1 : « A la réquisition de quelle puissance le
cougres va-t-il s'assemhlcr 1 On demande si 1'Europe consent a
donner a la Ilussie une sorte de surintendance sur ses intéréts1 »
I ...ord Stewart dcvait agir en conséquencc , pousser le Cabinet
Iraucais 11 s'allranchir des Iicusde la Sainte-Alliance. Lorsque le
duc de ',"ellington quitta I'Angletcrre , l\l. Canning lui remit
de longues instructions. « S'i1 y a un projet arrété d'intervenir
par force ou mcnace dans la lutte avec l'Espagne , les ministres
de Sa Majesíé sont si convaincus de l'inutilité et du danger d'une
tclle iutervention , les principes sur lesquels on se fonde parais-
sent si erronés , l'exécution en parait si impraticable que,
quand la néccssité le réclamcra , ou plutót quand l'occasion s'en
présentera , S. S. le duc de 'YeIlington doit déclarer franche-
meut que Sa l\1ajesté est bien décidée , quelles que soient les
circonstances qui se préscntent , 11 ue jamais prendre part 11 une
telle intervention, )) Ces iustructions étaient précises , quoiqu'il
Iüt encore possible que le cougrcs ne s'occupát pas sérieusement


1 Beuucoup de ces détails dlñercnt du livre de M. de Cháteaubriand,
ruais l'illustrc écrivain ne vlt pas tout ct Be sut pas tout ó. Vérone.




180 IIISTOIRE DE LA RESTA1JHATION..
des affaíres d'Espagne. Je rappello que le duc de Wellingtoll
en passant a Paris vit .M. de Yillelc. 11 fut sccondairement
question de la possibilité d'une intervcntion francaise dans la
Péninsule; c'était pourtant a l'époque OU venait de se forrner la
régenee de la Seu d'Urgel , OU le géuéral espagnol Quesada ct les
officiers de la Foi recevaient un accucil cnthousíasrc dans les
salons du faubourg Saint-Gennain, alors si belliqueux.


L'empereur Alexandre vcnait en pcrsonne au congres ; il
quittaít a regret la Russie, vivement agitéc ; mais Alexandre se
croyait une mission , mission de paix et de sainte-alliancc,
(l L'Empereur, disait encore une note de M. de Nesselrode, sera
absent pendaut plusieurs mois; e'cst un sacrifico que Sa JUa-
jesté fait au bien public , cal' la Ilussic a sans ccsse hesoin de sa
présence ; mais nous avons le droit d'attendrc de I'Europe qu'elle
reconnaisse franehement la loyauté des ellorts de notre Souverain
pour maintenir la tranquillité de eette partie du monde. L'Eu-
rope a vu combien le fondatcur de ccttc Sainte- Alliance a eu Ü
cceur de mettre ~l cxécution les principcs qui y sont établis ;
il en donne une nomelle preuvc par son voyagc actucl. )) Alexan-
dre n' était point accompagnó ccttc Ioisde 1\1. Capo d' Istria; une
dissidence d'opíniou s'était manifestéc entre ce ministre etson Son-
vcrain al'oceasion de la Crece. 1\1. Capo d'Isrria avait voulu avec
la population grecque qu' Alcxandrc interviut actucllcment par
les armes au proíit des Grecs. Au reste c'était moins une disgrücc
intime qu'un éloignemcnt officiel. tes temps n'étaient ras venus
encorc pour réaliser les idées ct les plaus trop poétiques , el tou-
jours un peu faux, du comte Capo d'Istria. L'Empercur était
suivi au congrés du comte de Nessclrode , de M. de Tatischcff,
ambassadeur ¿l Vienne, et de 1\1. de Strngonoff qui avaít quitté
Constantinoplc pour rendre compre au congres , comme je l'ai
dit, de ses négoeiations prñs la Porte Ottomane. 1\1. Pozzo di
Borgo, qui ne manquait aucune occasion de sc rapprochcr
d'Alexandre , s'était égaIcment rendu au congres, M. de l\letter-
nich , l'ñme de ces nonvelles négociations , avait joué un róle si
actif , si puissant dans les affaircs d'Oricnt el en géuéral dans




ClIApl'fHE XL\. ls1
dans toutes les LI ansactious de I'Europe en ces dcrniéres années,
querien ne pouvait se Iaire et se résoudre sans son asscntimenr.
ilI. de Lutzow luí étaÍt adjoÍllt pour remplir le tnéme role que
1\1. de Strogonoff dans la question de la Turquie, Des entrevues
préparatoires eurent Iieu séparémellt sur ce poiut , entre MM. de


.Nesselrode , de Metternich et le duc de Wellington ; on jeta les
bases d'une transaction ; quant a la Prusse, qui n'avait qu'un
intérét secoudaire et de balance politique , elle était toujours re-
présentée par MM. de Hardenberg et de Bernstorff, habitués aux
grandes négociations diplomatiques depuis 1815. Les conférences
officiclles pour le congrés fixé ¿l Vérone ne dürent s'ouvrir que
dans le mois d'octobre. Le vicomtede lUontmorency partit pour
Vienne; son intention était de voir les Souverains et leurs minis-
tres avant les conférenccs définitives , afin d'étre préparé aux di-
verses affaires qui seraient traitées ¿l Véronc. A son départ plu-
sieurs conseils des ministres se réunirent pour délibérer les
instructionsde M. de Montmorency ; aucun partí tranehé ne fut
pris; on arréta que le plénipotentiaire francais pressentirait les
Cabinets sur I'état actuel de l'Espagne , sur les diffieultés qui
pouvaient naltrc de cette situation, et en déíinitive sur l'éventua-
lité d'une intervcntíon armée dans la I'éninsulc. ñlais lU. de
Montmorency était plus avant daus la question; expression d'un
partí qui voulait la guerrc , a ses instructions de Cahinet il en
joiguait d'autres plus impéricuses ; iI allait loyalement el fran-
chemeut ¿l I'interventiou , tandis que lU. de VilleIe, ministre
alors influeut auprés du Roi , voyait les dangers des hostilités ,
les embarras de finanee et de commercc qu'elle allait entraiuer.
1\1. de Chüteaubriand devait etrc au congrés l'organe de ceue
partie mixto du Cabinet; on l'avait opposé en quelquc sorte aux
fougues monarchiques de M. de Montmorcncy. M. de Cháteau-
briand arrivait done Hl eomme le représentant des idées de mo-
dération au milieu de ee congres de Sainte-Alliance, A peine a
Vienne, 1\1. de l\1ontmoreney s'ouvrit avec une extreme fran-
chise a l\l. de l\letternich sur le désir d'une intervention frau-
caise , dans le but de cbmbaltrc la révolution d'Espagne; le mi-


llL 16




182 nrsrorne DE I.A llESTAUllATIüN•.
nistre autrichieu , counne OH pcut le prévoir, ahonda tour ~I fai.
dans le sens du pléuipoteutiairc de Francc , ct l'engagca aen
Iaire une propositiou formelle au congreso lU. de l\lontmorcncy
vit également l'cmpereur Alexandre, alors tout préoccupé des
sociétés secretes, et qui lui demanda de nombreux rcnseigue-
ments sur les carbonari de Franco , lui parlant mémc de 1\1. de
l\larchangy, pour lequel il lui confia une lettre de Iélicitation ;
le Czar complimentait le magistrat sur son réquisitoire dans la
triste affaire des sergents de La Rochelle. Il ajouta: « Quant a
la question d'Espagne , je crois une intervention utile .au but
que nous nous proposons ; je vous invite ~\ rédiger vos idécs et
a 1l0US les communiquer ¿\ Véroue. » Il fut principalement
question a vienne des arrangements relatifs a la Turquie ; la
Porte ayant évacué la Mo1davie et la Yalachio , les hospodars
ayant été désigués et agréés , tout fut fixé confidenticllcmcnt ; il
ne dut plus étre question que d'examiner le caractere de la ré-
volution grccque , et le degré d'appui qu'on pouvait lui pretor
actucllemen t.


Les Souveraius et leurs ministres se rcndaient en cffet aVé-
rone , bicntót brillante de la présencc de tant d'hommcs politi-
ques; on comptait les dcnx cmpcrcurs d'Autriche et de Ilussie,
les r01S de Prusse , de Naples el de Sardaignc, l'impératrice
d' Autrichc , l'archiduchcsse l\larie-Louisc , avec tontos les pom-
pes de cour qui accompagnaicnt la réunion des tetes couronnées.
Immédiatement apres l'arrivée des plénipoteutiaires , on s'oc-
cupa d'affaircs , ct les confércnces s'ouvrirent. Les premiers
objcts en discussion fureut l'occupation du Piérnont et de \a-
plcs, D'apres la conventiuu signée ~\ ~ovarre , le 2h j uillct í ~21,
l'occupation d'une ligne militaire dans le Piémont , par un corps
de troupes auxiliaires , avait été évcntuellcmcnt íixée ~\ une an-
née de duréc , saufacxamiucr, lors de la réunion de 1822, si
la situation du pays pcrmcnrait de la Iaire cesser, ou rendrait
néccssaire de la prolonger. I...es plénipotentiaires des Cours si-
gnataires de la convention de Novarre se livrerent a cet examen
conjointement avec les plóuipotentiaircs du roi de Sanlaignc, el




f:HAPTTnE XT\. 183
iI fut reconnu que l'assistance d'une force alliée n'était plus né-
cessaire pour le maintien de la tranquillité du Piémont , et iI
fut arrété , par une nouvelle convention, que la sortie de ces
troupes du Piémont commencerait des le 31 décembre 1822, et
serait déflnitívcment terminée , par la remise de la forteressc
d'Alcxandrie , au 30 septembre 1823. La seconde question,
l'occupation de Naples , fut également discutée : le ministre de
Naples ayant fait déclarer aux trois Cours qui avaient eu part a
la convention signée a Naples le 18 octobre , que l'état actuel de
son propre pays lui permcttait de proposer une diminution dans
le nombre des troupes auxiliaires stationnées dans différcntes
partics du royaumc, les Souverains alliés n'hésitéreut pas ~l se
préter a cettc proposition , et I'armée d'occupatiou du royaumc
des Deux-Siciles dut elre, dans le plus court délai , diminuée
de dix-sept millo hommcs. A son arrivéc avérone, 1\1. de
Montmorency se mil immédiatcment en commuuication avec
quelques-uns des agents les plus actifs ele la régence d'Urgel, Un
de ces agents alors a Viennc déposait dans son sein ces cu-
rieuses pensées : « Le systcmo qui unit les cours de Ilussie ,
d' Autriche, de Prusse , et les Puissanccs secondaires qui en dé..
pcndent , n'a faít que se Iortifier depuis le dernier congres ; ce
systcme cst une détermiuation invariable de s'opposer non-sen-
lement ala propagation des principes révolutionnaires , mais en-
core acelle des príncipes qui seraient favorahles , directement
ou indirectemcnt , a la cause des révolutionnaires. Je ne parle
pas des aífaires d'Orient , qui sont décidées par le fait. Les Ca-
hinets , et principalemcnt le Cahinet autrichien , auquel on doit
la justice de dire qu'il est micux informé-de ce qui se passe en
Europe, n'ignorent point les tentativos infructueuses que la
Franco a faites dcpuis la révolution espagnole pour intervenir
dans cette révolution, POUI' la diriqcr, la modifier, ou transiger
avcc elle. La situation de V.Exc. au congres est done assez déli-
cate; on croit que le Gouvernemeut francais , par suite de sa
propre situation inquiete et incertaine , a une tendancc natureUc
au prosélvtismc constitntionncl , ala propagation des Chartes , el




1R4 HISTOIRE DE I,A RESTAURATION.
¿l s'isoler par la des monarchies fondees sur un principe diffé-
rento Hormis l'arrivée de V. Exc. au congres , rien done n'a ras-
suré jusqu'ici les craintes de l'Europe ; au contraire, certains
discours ministériels, certaine réticence sans sujet, des articles
ministériels insérés au Journal des Débtus , qui ont consterné
les hommes monarchiques de tous les pays, et dont V. Exc. sait
que les Cabinets se sont plaints officiel1ement, et surtout la con-
servation et le choix de certains agents diplomatiques dont les
opinions sont trop connues , semblent indiquer que la politique
de :\1. Pasquier et consorts l'emporte encoré dans le Conseil du
Iloi. .J 'ai déja connuuniqué ~l V. Exc. les renseignements quí me
sont parvenus sur la position équivoque oú JI. de Cháteauhriand
s'était placé aLondres, ot sur l'impression défavorahle que son
nom seul produisait sur les Cours alliées. L'arrivée de :'1. de
Cháteaubriand avérone est done peu opportune. e'est , il faut le
dire , un contre-sens diplomatique , amoins que le ministere de
Louis XVIII ne veuille Ionder des rapports avec ses alliéssur une
défiance réciproque. Avouer que M. de Chñteaubriand sera ad-
mis a connaitre la résolution intime des Cabinets, c'est se Iaire
une illusion plus grande que toutes cellcs que cet écrivain a
eonsignées dans sa prose poétique. Il faut dire a V. Exc. que
cette légion de diplomates que la France a envoyés au congrés
ressemble plus, aux yeux des Puissances, aune armée d'observa-
tion, qu'a une légation d'amitié et de confiance. ))


Cette note était l'expression sincere des opinions et des semi-
ments du parti qu'allait représenter 1\1. de l\lontmorency aVé-
rone, Aussi, le 12 octobre, M. de l\lontmorency remit une note
tres-explicite: « 10. Au cas oú la Franco se trouveraiL dans la
nécessité de rappeler son ministre de Madrid ct d'ínterrompre
toutes ses relations diplomatiques avec l'Espagne, les hautes
Puissances sont-elles disposécs aadopter des mesuressemblables
e t arappeler leurs ambassadeurs? 2°. Si la guerre éclatait entre
la France et l'Espagne, sous quelles formes et par quels acres
les hautes Puissances offriraient a la France cet appui moral qui
rlonnerait a SeS mesures tout le poids cr toute l'activité de J'al..,




C1UPlTllE xtx, 1R5
llanee et inspircrait une tcrrcur salutaire aux róvolutionnaires
detous les pays ? 3", Quelle est enfin l'intention des hautes Puis-
sanees sur I'étcndue ct la forme du secours matériel qu'elles se-
raient disposées adonner ala France , si une intervention active
devenait nécessaire asa demande? » Une pareille note était une
imprudenee diplornatique en opposition arce les idées de tem-
pérament écrites par 1\1. de Villele, 1\1. de l\1ontmorency provo-
quait lui-méme la guerre avec l'Espagne; il posait la possibilité
d'un seeours étranger fourni a la France par les alliés ; mais en
quoi consistait ce secours? allait-on ouvrir la frontiere de la pa-
trie aune nouvelIc armée d'oeeupation? L'entendcz-vous! non-
seulement un appui moral, mais eneore des secours matériels?
1\1. de LUontmoreney s'était avancé avec trop d'ardeur , avee une
naíveté de zele royaliste qu'exploitait 1\1. de l\Ietternich. Il vou-
lait la guerrc d'Espagne, et, pour ne pas s'y engager irnprudem-
ment, il prenait ses préeautions. 1\1. de Chñtcaubriand u'avait en
qu'une faible part a ces premieres conférenees; il était arrivé a
Yérune , 011 il n'avait pas trouvé l'accueil que méritait sa bril-
lante et noble réputation, Pendan! son séjour en Angleterre ,
1\1. de Chñteaubriand , je l'ai dit, s'était tres - rapproché de
M. Canning; les pensées de liberté frappaient son ame enthou-
siaste , et il n'avait pas tout l'entrainement de 1\1. de l\lont-
morency ponr cetro police de saintc-alliaucc qui tendait arépri-
mer tout symptóme de constitution en Enrope: d'ailleurs :\1. de
Cháteaubriand, illustre éerivain, aimait la publicité , et la di-
plomatie fuyait les indiscrétions qui retentissaient a la tribnne et
dans les journaux, Toutefois en arrivant a Vérone , 1\1. de Chá-
teaubriand fut présenté a l'empereur Alexnndre , qui le rerut
aH'C distinetion, mais qui lui parla avee la pensée que ses pa-
roles seraient bruyanres sous la plume du noble écrivain. Dans
eette conversation , le Czar lui <lit avcc l'expression d'un senti-
mentprofondémcnt éprouvé : «(.Te suis bien aise que vous soyez
venu avérone , afin de rcndre témoignage ala vérité ; auriez-
vous cru , eomme le diseut nos cnnemis , que l'allianee est un
mot qui ne sert qu'a couvrir des ambitions? Cela peut - étre cut




1R6 mSTOIRE DE LA nESTAURATION~
él(~ vrai dans l'ancien état des choses, mais il s'agit 'hien aujour-
d'hui de quelques intéréts particuliers , quand le monde civilisé
est en péril: il ne peut plus y avoir de politique anglaisc, fran-
caise , russe, prussienne , autrichienne ; il n'y a plus qu'une po-
litique générale qui doit , pour le salut detous, erre admise en
commun par les peuples et par les rois. C'est amoi ame montrer
le premier convaíncu des príncipes sur lesqueIs j'ai fondé l'al-
liance : une occasion s'est présentee , le soulevement de la Gréce ;
rien, sans doute, ne paraissait étre plus dans mes intéréts, dans
ceux de mes peuples, dans l'opinion de mon pays , qu'uue guerre
religieuse contre la Turquie, mais j'ai cru remarquer dans les
troubles du Péloponese le signe révolutionnairc. Des lors je
me suis ahstenu. Que n'a-t-on pasfait pOllr rompre l'alliance ! on
a cherché tour atour ame donncr des prévcntions ou il hlesser
mon amour-propre ; on m'a outragé ouvertement : 011 me con-
naissait bien mal, si on a cm que mes principes no tenaieut qll'il
des vanités ou pouvaicnt céder il des resscntiments. Non, je nc
me sépareraí jamáis des monarques auxquels jo suis uni ; il doit
erre permis aux rois d'avoir des alliances publiques pour se dé-
fendre contre les sociétés secretes: qu'est-ce qui pourrait me ten-
ter? qu'aí-je besoin d'accroltre mon empirc? la Providence n'a
pas mis sous mes ordres 800000 soldats pour satisfaire mon am-
bition , mais pour protéger la religion, la morale et la justice , ct
pour fairc régner ces príncipes d'ordre sur lesqucls repose la so-
ciété humaine. » Ces paroles excitercnt une vive émotion dans
l'árne poétique de lU. de Cháteaubriand. Il aimait ales répéter
comme un gage de paix et d'avcnir pour l'Europc ; elles pei-
gnaient surtout l'état d'esprit de I'cmpercur Alcxandre tol que
l'avait tourné 1\1. de l\Ietternich. Le Czar ne révait alors que so-
cíétés secretes, que répression du príncipe révolutionnairc ; cette
haute pollee morale et politiquc allait il son caractcre mystiquo el
predestiné. Les diílicultésse compliquercnt ; le vicomte de Mont-
morency , dans quelqucs nouvellcsnotes aussi énergiques , insista
sur l'intervention en couformité avec les vues de sa Cour ; mais
l'Angleterre parvint aarréter OH il suspendre l'asscutiment géné-




CTTAPfTllE .\1\. 1R7
ral , el le prcmicr projet fut mis de cotr. JI consistaita embar-
quer une anné« austro-russc , qui aurait cífcctué une dcsccnto
sur la cñtc orientalc d'Espagne ; tandis que l'armée francaise mar-
chcrait droit sur lUadrid. L'Angleterre voyait avec crainte co
grand développemcnt des forcos maritimes de la Ilussie ; et d'ail-
leurs qui en paierait les frais? une escadrc pourrait-clle transpor-
ter plus de 30 ou [10000 Russes?


Une longue conférence eut Iíeu entre le duc de _'VeIlington,
le prince de lUetternich et le vicomte de Montmorcncy. A. ce su-
jet il fut arrété qu'avant toutc détermination ultérieure on atten-
drait les dépéches dn Gouvcmemcnt espagnol , en réponse aux
ouverturcs qui Iui avaicntété faltesdes les conférenccsde Viennc.
te coutricr ayant apporté un refus formel, une réponse m're et
forte des Cortes de Madrid, il fut résolu ¿\ l'unanimité, dans une
ronférencc rninistériellc , el sur la proposition du princc d(' Met-
Irrnich , que, puisque les paroles bienveillantes n'avaicnt pro-
dnit aucun eflct , une rcmontrance olflciclle serait adressée au
Gouverncment espagnol au nom de toutes les Puissnnces com-o-
quées au congres, J..e protocole de ccttc résoluüon catégoriquc
fut aussítót rédígé et signé par les ministres des quatre Cours
d'Autriche , <le Frauce , de Prussc ot de Ilussie , snivant l'ordre
alphabétique; c'cst ainsi que le congres commenca réellement
ses opérations, Le duc de ".ellington seul ne prit ancune part
officielle au protocole , il ne le signa point, réservant par la toutc
liberté d'action ¿l son Couvcrneurcnt. Au reste, la plus grande
partie des ministres, et en particulicr la ltussie , insista fortemcn:
au congrcs sur la dcstruction des Cortes. JI fut résolu , dans 11
eas oú I'ultimatum serait rejeté, de rappeler les arnbassadeurs qn-
résidaicnt auprés du Gouvcrncmcnt espagnol, dont l'cxistcnce n,
serait plus reconnuc, atrcndu la situation de Ferdinand VII ct (k
la FamiJIe royalc. Le soinfut laissé a la France , pourvue de force
el de ressourccs suffisantcs , de soutenir le partí royaliste qui avai:
pris losarmes contre les Cortes. La conduite généralc de la guerr
lui Cut égalcmcnt abandonnéc , avcc l'assnrance d'étre cfficacc
mcnt uppnvée , si , centre toutc attente , des secours devcnnien:




1118 1llSTOlnE DE L\ I1ESTAUH{\TIO:\.
nécessairrs, Dans cctte ll)j)()I1H\SC , l'.\n,gIr'tl'rre ",ruJe ¡JÍ'c1t'Jl't'J SO]}
iutcntion de rcstcr neutro ; ce fut le :> déccmbrc 1822 que' ecuo
nouvelle parvint ~l Paris,


M. de Yilléle , au départ du ministre des affaircs étrangeres ,
avait bien prévu la route dans laquelle les opinions de 1\1. de
Montmorency allaient l'entrainer sur la question espagnole;
Louis XVIII, et avec lui lU. de Yillele , étaient loin d'étrc aussi
fortement dessinés pour la guerre , et ils sentaient que tel serait
en définitive le résultat des arden tes et belliqueusés opinions de
lU. de Montmorency. Fallait-iJ lui ahandonner la direction ab-
solue du congres ct des affaires a l'extérieur ? N'engagerait-il pas
la Franco au dela des volontés royales? Comme ministre des
flnances , l\I. de Villele n'avait aucune supériorité politique sur
1\1. de Montrnorency, et ne pouvait contróler les actes du dépar-
tement des aífaires étrangeres, J'ai lieu de croire que, lors du
passage de M. de Chñteaubriand aParis , 1\1. de Yillele s'était
ouvert ~l lui sur la possihilité d'un remaniement miuistériel qni
porterait lui lU. de Chátcauhriand aHX aífaircs étrangcres , el
1\1. de ViUe"le a la présidence du Couseil. Une dépéche de ;\1. de
Caraman avait indiqué quelle avait été aVienne la conduite de
J\[. de Montmorency, et les imprudences qui allaient amenel' la
guerre. Fort de ces documents , lU. de ViJIi'le n'eut pas de peine
Ü persuader le Roi de la nécessité d'une présídcncc <In Conseil ;
et Louis XVIII ne s'y opposa point. Son estime pour 1\1. de
VilleIe grandissait; puis , dans cette position élevée , ]U. de ViUele
allait avoir la facilité de s'opposer aux engagements imprévus qni
pourraieut étre pris au congres par le prcmier plénipotentiaire
francais , cal' on marchait de plus en plus a Vérone dans les
voies de la guerreo Un second protocole des trois Cours d'Autri-
che, de Prusse et de Russie , sollicité par 1\1. ,de ]Uontmorency,
portait en résumé que les trois Puissances suívraient l'exemple
de la France a l'égard de lcurs relations diplomatiqucs , ensuito
([U'elles prendraient l'attitudc que prendrait la France ; cnfin
qu'elles lui donneraient tous les secours dont elle aurait besoin.
t n t raité devait établir les motifs et fixer le modo et l' époque dI'




CHAPITRE XIX. 189
cette coopérauon. Le duc de Wellíl1glo11, provoqué pour une
explication, répondit que, n'ayant pas connaissance des causes
de la méslntelligcnce avec les Cortes, et n'étant pas en état de
porter un jugemcnt quelconque sur un cas hypothétique, il lui
était impossible de répondro aaucune de ces questions, Le mode
de communiquer avec l'Espague fut arrété le 31 novembre dans
des vues pacifiques et afin de prévenir une rupture pourtant
inévitahle ; c'était la le langageofficiel et une précaution oratoire ;
il fut convenu que le ministre de chacune des quatre Puissances
contincutales a Madrid préscuterait une note séparée, mais de
la méme teneur, ct on arréta de connuuniquer res quatre notes
au ministre hrirauniqne , qui , apres en avoir pris connaissancc,
ferait savoír quelle ligne sa Cour se proposerait de suivre. Le
plan de couduite proposé et agréé suhit quelques altérations,
Au lieu de notes officiellcs destinécs aétre préscntées par chacun
des quatre ministres a Madrid, il fut entendu que ces dépéches
seraient adressées a chacun de ces ministres spécialement; ce
modo de procéder Iut adopté comme donnant pour la discussion
et pour les explications une plus grande latitude que n'en au-
raient donné des notes officielles. Confonnémcnt a ceHe déci-
sion , M. de lUontmorency prépara la minute de sa dépéche , el
il fut convenu que les ministres des Puissances continentales ré-
digeraient les leurs. Ces dépéches furent respectivemcnt lues et
agréées ; différentes dans l'expression , elles étaient le résultat
d'une commune pensée.


La note de la Russic au Cahinet espagnol s'exprimait a peu
pres en ces termes: « Depuis prés de trois ans, les Puissances
alliées s'étaient toujours flattées que le caractere si constant et
d généreux de I'Espagne se révcillerait méme dans les hommes
qui avaient eu le malheur d'étre lnfidéles aux nobles souvcnirs
que la Péninsule peut citer avec orgueil , et que le Gouvernemcnt
prendrait eles mesures pour assurer graduellement au tróne ses
droits légitimes et ses prérogatives, aux sujets une juste pro-
tection; aux propriétés d'indispensables garanties, ñlais cet
espoir a (>té complétement d(í(U. Letemps n'a falt qu'amener de




190 HISTOTRE DE LA RESTAURATION.
nouvelles ínjustices et multiplier les violcnces, Une telle con-
duitc a forcé la France de conficr aune arméo la garde de ses
frontiéres , et peut-étre faudra-t-il qu'elle lui confie également
le soin de faire cesser les provocations dont elle est l'objet. En
vous chargeant , l\l. le eomte Bulgari, de faire part aux minis-
tres de S. l\l. C. de ces considérations , disait la Russie a son
ministre, l'Empereur se plait a croire que ses intentions ne
seront pas méconnues : exprimer le désir de soustraire au méme
joug un monarque malheureux et un des premiers peuples de
l'Europe, d'arréter l'effusion du sang, de favoriser le rétablis-
sement d'une administration sage et nationale , certes , ce n'est
point attenter a l'indépendauce d'un pays , ni étahlir un droit
d'intervention, Une partie de la nation s'est déja prononcée ;
jamais le patriotismc des Espagnols n'eut de plus hallles d('sti~
nées a remplir, cal' la révolution nc saurait exerccr d'empire
durable sur cette terre , oú d'ancicnnes vertus , un fonds indé-
lébile d'attaehcment aux principes qui garantissent la durée des
sociétés et le respeet d'une sainte religion, finiront toujours par
triompher des doctrines subversivos et des séductions mises en
ceuvre pour étendreleur Iatale iníluencc. » C'était la l'intime
pensée d'Alexandre , et je dirai presque le manifesté de ses
príncipes politiques. La Prusse n'étaít que tres-indircctemcnt
intéressée a la question espagnole, ct pourtant sa note, non
moins énergique , disait : « Jusqu'icí on s'était flatté de voir
I'Espagne ramenéc a un ordre de choses compatible avec son
propre bonheur et avee ses rapports d'amitíé et de confiancc
avec les autres États de l'Europe ; mais cet espoir était entiere-
ment perdu. Les institutions étahlies sous le prétexte d 'offrir
des garauties contre l'autorité ne sont plus que des instruments
d'ínjusuce el de víolence , et un moyen de couvrir ce systeme
tyrannique d'une apparcnce Iégale. L'état moral de I'Espagne
t~\ \\\\~\\\\\\\\\\\\ \~\, \\\\~ ~~~ l~\'a\\\)))~ ~WN', \es \'uissanees etran-
géres doivent nécessairemcnt se trouver trouhlées, Le Gouver-
nement espagnoI veut-il et peut-il apporter des remedes ades
maux aussi palpables et aussi notoires? Veut-il ct peut-il pré-




CHAPlTRE XL\. '191
venir OU réprimer les eíletshostileset les provocations insultantes
qui résultcnt pour les Couvernements étrangers de J'attitude que
la révolutíon luí a donnée et du systéme qu'elle a établi? Le
Roi vous ordonne, lUonsieur, d'inviter le ministére espagnol a
s'expliquer franchcmcnt et clairement sur ce qui fait l'objet de
cettc dépéche. )) Eníin , la note tres-expressive de l'Autriche
démontrait a l'Espagne la nécessité d'une eontre-révolution.
« Les embarras qui aceablent la Péninsule se sont acerus de-
puis peu dans une progression effrayante. Les mesures les
plus rigoureuses, les expédients les plus hasardés ne peuvent
plus faire marcher son administration. La guerre civile est al-
lumée dans ses proviuces ; ses rapports avec la plus grande
partie de l'Europe sont dérangés ou suspendus ; ses relations
méme avec la Franco ont pris un caractere si problématique
qu'il est permis de se livrer a des inquiétudes sérieuses sur les
complications qui peuvent en résulter. Il faut done que l' Espagne
mette un ter me a cet état de séparation du reste de l'Europe ,
dans lequelles dernicrs événements l'ont jetée. Il faut avant tout
que le Roi soit libre, ct il sera libre du moment OU il pourra
substituer ¿l un régime rcconnu impraticable un ordre de choses
dans lequcl les droits du monarque seront heureusement C0111-
binés avec les vrais intéréts et les HCUX Iégitimes de toutes les
classes de la nation. » C'était id l'expression développée de l'opi-
nion de M. de ñlettcrnich sur l' esprit des révolutions, On la
voit , eette opinion , partout se montrer dans ses conversations
intimes comme dans ses actcs officiels sur Naples el le Piémont.
Quant ~l la note primitivo de l'I. de Montrnorency, ancien mi-
nistre ¿l Yéroue, elle ne dillérait pas dans la pensée et était plus
belliqueuse encore. Le ministre francais , d'accord avec les
hautes Puissances , s'était háté de quitter Vérone afín de sou-
mettre au consci! du Iloi , ¿¡ Paris , ces documents diplomatiques,
M. de Cháteaubriand ne joua qu'un hien faible role politique a
Véronc : 011 le savait en dissidencc d'opíuion avec M. de 1\10I1t-
morency , et de plus tres-engoué de M. Canning et de la pensée
auglaise , el partisan enfin de la politique mixte de l\I. de VillCle.




H.l2 I1ISTOIRE 1lE LA llESTAURATlO.'.
Toutes les séances suhséquentes du congres en dehors de


I'Espagne se passerent en conversationsplutót qu'en conférences
officiellcs sur l'insurrection grecque, sur la situation morale
des populations travaillées par des idées de liberté, sur les so-
ciétés secretes, qui préoccupaient alors spécialement l'empereur
Alexandre. On ne décida rien déflnitivemcnt a vérone, si ce
n'est l'intervention de la France en Espagneet les termes d'éva-
cuation du Piémont et de Naples. Pour la question greeque, les
Souverains déclarerent aux envoyésdes Hellenes que les rapports
des grandes Puissances avec le Divan ne permettaient pas de sou-
tenir Ieur révolte, et qu'ils se borneraient a rappeler les vieilles
libertes religieuses mentionnécs dans les capitulations avec la
Turquie. JI fut donné de plus grandes esperances aux députés
de la régence d'Urgel : ~I. de Metternich s'entretint longtemps
avec eux sur les moyens de renverser la révolution espagnole.
Quant aux questions de gouvernement, telles que la licence de
la presse , l'agitation des esprits , elles furent plutót le sujet de
conversations que des délibérations précises du congreso Jeme
suis déja expliqué sur la nature de ces rumeurs populaires qui
attribuaient aux congrcs des résolutions influentes sur la marche
iutérieure de I'administrutíon publique en Franee; jamáis il n'eu
fut question autrcment que dans des entretiens confidenticls,
comme cela s'est toujours fait en diplomatie. Le cougrés de Vé-
rone n'oífrit pas , sous ce point , plus de curiosité que les prccé-
dentes réunions diplomatiques ; il fut la derniere et la plus
solennelle expression de la Sainte -Alliance. Des ce moment, ce
lien intime se relácha ; M. Canning y porta la hache, et la mort
d'Alexandrc n'en laissa plus suhsister que le souvenir, ;\101's la
triple alliance moralc de l'Autrichc , de la Prusse et de la Rnssie
devint plus profonde ; mais elle éprouva ellc-méme des acci-
dents, des vicissitudes dans la question de la Grece et de la Tur-
quie : le réve d'Alexandredisparaissaítdevant les intéréts séparés
de chaque nationalité.




CHAPITHE xx.


DIYlSIO:'iS DA~S LE MI~ISTi':lm "ILLELE. - AFfAIIl.ES D'ESPAGNE.


Rctour de M, de Moutmurency du congres de Vérouc. - Sa ,lémissioll.
~Elltrée de 1\1. (le Cháreuubr-iaud au COIl;;eil. ......... :.uouvemeilt royaliste POUI'
la guerre d'Espaguc. - N(:gociations ¡¡ Madrid et ú Paris. - Préparatifs
mi litaircs , - Admillistrat;oll miuistcricl le. - Les suhsides. - AttiruJe
de la Challlbrc. - Ex pulsion de M. Manuel. ......... La Cour , - L'adminis-
trarion.-Les parlis.-La campagne d'Espaguc.-Le Pmlerueut anglais
et la C":uuhre des Pairs. - Divisiolls pro[oudcs entre le miuistcre et la
coutre-oPllllsit:oll royalis tc. - Succcs de la cause roya liste, --. Délivrauce
de Ferdinan d VII.


LE systeme de la Franco avait a vérone deux représeutauts ;
le premicr, 1'1. de lUonLmorener, cxprimait la pensée royaliste
complete, absoluc ; il tenait ponr ainsi dirc ses pouvoirs d'une
antro main que cellc de Louis :xVIII; les Itoyalistes l'entou-
raient; le partí religieux était maitro de sa pcnsée, Le second
représentant était lU. de Cháteaubrianrl , lc eonfident alors dc
la pensée de 1\1. de Yillelc , trcs-rapproché de l\I. Canning; l'un
de ces dcux systemcs devait triompher par le saerifice de l'autre.
Le premier soin de 1'1. de Montll1orency, en arrivant du COI1-
gres de Vérouc , fut de communiqucr ¡l ses collegues le résultat
des conférences ct les notes qui avaient été de concert arrétócs,
Le pieux viconitc était plcin d'un indicible enthousiasme pour
le noble caractere el les opinions des Souverains et de leurs mi-
nistres : au lieu de joucr un róle de modération et de ménage-
ment, il avait peut-étre cxagérú la tcndance des Cours aIliées en
favorisant , pour ainsi dire , l'intcrvention arméo en Espagne.


111. 1. 7




1gl¡. mSTOIHE DE LA HESTAtiHATlON.
1\1. de J!ontmorency expliqua au Conscil, et partículierement a
1\1. de Viilcle , la nature des cugagcments d'honueur qu'il avait
contractés avéronc ; le soir meme de son arrivéc le vicomte vit
le Roi ; et quand il entra dans le cabinet desTuileries , LouisXVIII
lui annonca avec une gráce étudiéc qu'il l'avait créé duc : « Je
suis content de vous, mon cousin, lui dit le Iloi , et je vousfais
duc Mathieu. » Le ministre des aífaires étrangércs étaít alors
tres-protégé par la favorite; et pcut-étre aussi cette élévation au
titre de duc tenait-elle a la penséc de le dédommager, en lui
ñtant son portefeuilIe. L'audience fut tres-longuo et tres-dévc-
loppée : le Roi aimait ~l connahre toutes les intrigues des con-
gres, les petits sccrets des tetes couronnées ; et malheureusc-
ment 1\1. de ñlontmorency n'avait pas cet esprit auccdotique de
1\1. de Talleyrand, qui avait tant amusé Louis X VIII al'occasion
du congres de Vicnne. te duc Mathicu ne manquait pas d'une
certaine facilité d'exprcssions ; mais pUl' de [out scandale, il ne
savait rien que l'extérieur des hommcs ct des afíaircs ; poiut de
mots de Iemmcs , aucune révélation de boudoirs. Le Iloi ne
manifesta pas du mécontentemcnt sur la conduite de son pléui-
potentiaire. 1\1. de l\1ontmorency lui rappela alors l'cngagcmeut
pris de concert avcc les Souverains pour l' envoi au Cabinet de
Madrid d'une note concertéc entre les quatre Cours, Iaquclle
pourrait étre suivie du rappel de l'ambassadcur, au cas OIl 1'1~s­
pague ne ferait pas une réponsc favorable. Louis XVIII He ré-
pondit rien ele bien précisa ce sujet ; Oll rruvoya le tout au COH-
seil. « Nous ne pouvons, dit-il , décider sur ce point qu'aprés
une délibération sérieuse , la chose cst assez importante pour y
réfléchir. » 1\1. de :\!ontmorcncy sortit un peu étouné de ecuo
audieuce ; il ne s'était pas imaginé qu'on püt mottrc en qucstíon
une note arrétée au congrés entre les CüUl'S. JI. de 'iUde était
eífrayé des conséqucnccs d'unc guerre.Expressjoll de l'opinion
royaliste , il savait bien <1ue ecuo opinion lui imposait , ainsi
qu'a 1\1. de Montmorcncy, la ruine de la révolutiou d'Espagne ;
mais ne pouvait-on pas tourncr la questiou et éviter les hosti-
lités? Chef du Cahinet t ministre des finances surtout, lU. de




CHAPITRE xx. 195
VillClc avait ajuger el ~l défendre des Intéréts plus sérieux que
des fougues d'opinions ; quelles seraient les conséquences d'une
intervention? quelle impulsion de baisse n'allaient pas subir les
fonds publica? comment ces hostilités seraient-elles prises en
Angleterre? Ensuitc la guerre imposait des dépenses extraordí-
naires, un accroissement de budget; et comment y pourvoir1
C'était le prcmier et le plus grand essai qu'on allait faire de la
nouvello armée ; on savait que le drapean trícolore , avec tous
ses souvenirs, était au dclá des Pyrénées ; de vieux officiers
allaient l'offrir aleurs camarades comme une glorieuse mémoire l
~'y avait-il pas les chances non-sculement d'une défaite possi-
hle , rnais encere d'une défcction pour le drapean hlanc? Les
événemcnts de 1815 étaient encere Ia, présents atous : était-on
SUI' de l'arméc ? Ensuite , quelle nation n'allait-on pas attaquer?
quel territoire n'avait-on pas afranchir? En cas de malheurs ,
on avait la parolc d'un appui de la Sainte-Alliance; mais cet
appui , n'était-ce pas encoré une espece d'occupation de notre
tcrritoire ? La circonspcction de 1\1. de villele et du Roí par-
dessus tout tcnaient compre de ces difficultés que l'opinion roya-
liste ne voyait pas , paree qu'elle était énivrée de ses idées de
victoire.


Ce fut alors que le duc de Wellington revint a París, a son re-
tour de Vérone; lU. de Villele savait quelle était la nature de
ses instructions au congres. Un lIlC71W1'CtndU1Il de lU. Canning
ajoutait : « Le duc de Wellington pourra hautement déclarer
aS. 1\1. le roi de France que le Gouvcrnement de S. lU. B. a
toujours été opposé a toute intervention étrangere dans les af-
faires intéricurcs de I'Jcspagne. Le Gouvernement espagnol n'a
donné aucun sujet de plainte aaucune Puissance , et les défauts
de la eonstitution sont un objet de politique intérieure dans la-
<[uelle aucune Puissance ne peut s'inuniscer. » I...e duc de Wel-
lington, fort de son influence sur l'esprit de Louis XVIII, le vil
dans une audicnce qui se prolongea plus d'une heure; S. G. se
résuma en offrant la médiatíon officielle de ]'Angleterre pour
Iaire ccsser les malhcureux diñérends survenus entre la Franco




196 HISTÜIRE DE LA RESTAURATIüN.
et l'Espagne, Les grands scrvices reudus par le duc de 'Vel-
lington dans la négociation de 1818 donnaicnt de l'ascendant a
ses conseils; il représenta au Roi: « que, dans une guerre avcc
l'Espagne , on jouerait au hasard sa dynastie, et qu'en se pro-
noucant contre l'intervention , illui garantissaítl'appui de l'An-
gleterre. Le Roi fut tres-frappé de ces paroles; il scntait aussi
bien que le duc de 'Yellington tous les hasards d'uue campagne.
l ..ouis XVIII était timide et u'aimait pas les partís tranchés,
( Voyez M. de Yillele , lui dit-il ; il VOI1S comprendra mieux que
M. de Montmorcncy, )) Le duc de '" ellington cut done une
conférence avcc le présidcnt du Conseil, qui ahonda tout afait
daus ses idées ; mais il fallait ahoutir a JU. de Montl1lorency; le
duc remit au ministre des affaircs étrangeres une note oflicielle
dans le sens d'une médiation oíferte par l'Angleterrc, il deman-
dait l'explication precise des griefs dont la Franco avait l. se
plaindre contre l'Espague , afin qu'on püt savoir sur quellehase
la négociation pouvait s'ouvrir, ]H. de l\lontmorency répondit :
( Que les causes des différeuds entre la Franco et l'Espagne
n'étaieut pas des causes de ce caractere distinct et précis qui ad-
mcttent une définition exacto et spéciale ; que les opinions Iavo-
risées en Espagne étaicnt dangcreuses aux l~tats de S. M. T. C. ;
et que, dans le fait , telle était l'exaspération mutuelle , que la
France aimernit mieux s'exposer a tous les inconvénients de la
guerre que de risquer l'autre alternative. )) C'était bien vague-
ment répondre a une ouverture engagée dans des termes posi-
tifs ; qu'était done ce príncipe d'un droit d' intervention fondé
sur ce qne les opinions d'un Gouvernement étaient dangereuses
a un État voisin?


Les dissídences entre M. de villele et le duc l\Iathieu se l1la-
nifestaient déja non-seulcment dans le Cabinet , mais en dehors.
Le Journal des Dcbats avait commcncé une violente polémiqnc
avec la Quotidiennc .. orgauc des Hoyalistcs , sur la question de
la guerre; le Journal des Dcluus , soutenant la nécessité de la
paix , déroulait avec une haute supériorité les dangers d'une ten.,
tative armée ,les íntéréts qu'elle pouvait comprometrrc N los




CHAPITnf: x x. 197
hasards périllcux qu'elle pouvait cntraincr, Ces articlos étaicnt
écrits par lU. Bertiu de Vaux, lU. de VilIele en surveillait la
rédaction et en corrigeait méme les épreuves avec beaucoup de
soin; la Quolúlienne, sous l'influcncc des amis de 1\1. de I\lont-
morency, devenait chaqué jour au contraire plus helliqueuse.
lU. de Villele apercevait la question dans une sphére positive ;
et s'il était gourmandé par I'opinion royaliste , il était soutenu
par I'opinion publique, par la banque , l'iudustrie et le corn-
merce , avec lesquels il s'était mis en rapportintime. Les fonds
publics étaient dans une situation précaire ; la hourse croulait
sous les faiJIites; les Iloyalistes marchaient néanmoins ü Ieur hut
avec une ténacité rcmarquablc ; ils agissaient par la Cour, par
l'Église , par leurs journaux; ils eherehaient a imprimer autour
du Roi une espece de mouvement beIliqueux dans la gárde et les
offieiers du palais. Ce fut dans ces circonstances que M. de
VilleIe donna ü sa correspondance particuliere avec le cornte de
Lagarde , amhassadeur ü Madrid, un caractere mystérieux et
en dehors des délibérations du Conseil. te Roi seul était dans la
confidence; lU. de Villele invitait l\I. de Lagarde a faire tous
ses efforts pour que le Gouvcrnement espagnol modifiát lui-
méme la constitution. L'idée de Louis XVIII (:'1. de VilleIe
s'en était emparé) était de changer la constitution espagnole de
teIle maniere qu'elle rentrát dans les proportions de la Charte
francaise avee la poudération des dcux Chambres , la prérogative
royale étendue et Iorte , la nomination libre des conscillers
d'État. Si ces concessions étaient faites par les Cortes, le Gou-
vernement Irancais s'engageait ~\ renoneer a toute intervention.
l\I. de Lagarde était invité ~\ s'entcndre avec sir ,Yilliams
A'Court pour obtenir un plus heureux résultat a ses démarches.
C'était la une intervcntion bien significative; mais elle ne s'ap-
puyait que sur des conseils , et non point sur un mouvement
armé. Cette correspondanel' no put étre longtemps ignorée de
l\I. de l\lontmorency. Les choses étaient arrivées a une solution
inévitable; lU. de JUontmorcncy avait engagé sa parole au con-
gres de Yérone sur deux points : d'abord il avait arrété une




198 IIlSTomE DE J.A RESTAURATWJ\.
note conforme, quant al' esprit impératif, a celles des Cahinets
de Berlin, de Vienne et de Saint-Pétersbourg: ensuite , et au cas
oú cette note ne produirait aucun effct , la Franco devait retirer
son ambassadeur de Madrid. Le moment était arrivé d'exécuter
cette promesse , les notes des trois Puissances étaient parties; et
la France, encore en retard , devait exposer les motifs qui l'em-
péchaient de tenir les engagements pris par son plénipotentiaire,
1\1. de Yillele prévit le coup , ct se hñta de rédiger en opposition
une note calme et peu significative qu'il soumit au Roi dans un
travail a part; elle fut approuvée avec les modifications que
Louis XVIII proposa lui-méme , et devint en quelque sorte
l' ceuvre du Iloi, Ainsi en garde contre l\I. de 1\~ontmorency,
1\1. de Villelc provoqua une discussion solenneIle en présence
de S. 1\1. Dans ce conseil 1\1. de ñloutmorency se háta de présen-
ter le modele de sa note adrcsséc a 1\1. de Lagarde, Cette note
était rédigée d'une maniere encoré plus belliqucuse peut-étro
flue celle des trois Puissances, La rnajorité des ministres l'ap-
puya; le maréchal Victor, MM. de Peyronnet et de Clermont-
Tounerre se prouoncerent pour son envoi immédiat a la Cour
de Madrid. Le maréchal invoquait la situation morale de l'armée ;
l'cxemplc de la révolution d'Espagne était tres-dangereux pour
la sürcté du trñuc en France; l'imprcssion qu'elle avaitproduite
sur l'esprit du soldar pourrait étre nuisible a la trauquillité du
pays; l'armée francaise était dóvouée : il en répondait, Une
campagne la douncrait tout cnticre aux Bonrbons. La tenir en
observation était une chose non-seulement coüteuse , mais
daugcreuse ; rien n' était plus disposé ~l se laisser aller a la
corruption qu'une arruée en reposo ~I. de Clermout - Ton-
llCITC appuya cet avis; il répondit de tout ce qui touchait
les armcmcnrs maritirucs. On était égalemcnt prét pour une
démonstration navalc et pour la protcction des intéréts du COIll-
merce ; a C('S raisons généralcs auxquelles il adhéra , 1\1. de
Peyronnet ajouta des cousidérations parlcmentaires en faee des
Chamhres. « I1 est impossible , dit le garde des sceaux , de no
pas prendre un parti Iort ct vigoureux ; l'opinion publique HOUS




CllAPITRE XX. 199
y forcera, ct c'cst une concession Indispensable ¿I notro majorité.»
lU. de Peyronnet avait raison; il voyait de haut et de loin l' es-
prit de la majorité. M. de Villele avait laissé parler ses collegues ;
il lut pour toute repense la note arretée dans le eabinet du Roi ;
íl l'appuya commc moins défavorable au parti de la paix. Selon
lui , il ne fallait pas hrusquer une question qui touehait ade si
hauts intéréts ; la note, laissant tout en suspens, n'appelait la
guerre que comme une derniere extrémité. l\l. de Villele fut
soutenu par l\I. de Lauriston, et avec moinsde fermeté par son
ami l\I. Corbiere ; enfin Louis XVIII trancha toute la diffi-
eulté en disant que la note de l\I. de Villele exprimait avec plus
de prudence les intcntions de son Cabinet, A cette manifesta-
tion de la volonté royale, 1\1. de 1\Iontmoreney exposa au Roi :
( qu'avant engagé sa parole au congres sur la rédaction des
notes díplomatiques al\l. de Lagarde , il ne pouvait sans parjn-
rer son honneur rester plus Iongtemps dans un Conseil qui
s'écartait de la ligne tracéc. Je supplie le Roi d'agréer ma dé-
mission , et de eroire a la peine que j'éprouve de ne pouvoir le
senil' plus longteuips.» La ehose était bien prévue ; il ne fallait
pas une grande portée rl'csprit pour coneevoir que lU. de Mont-
morency, exprcssion vivante des idées du congres de Vérone ,
s'éloígnerait des affaires du momeut que la politique de la
Franee se séparcrait plus ou moins ouvertcment des résolutions
des Souverains. La démission Iut acceptée , et ~L de Yillele
chargé par interiui du portcfeuille des affaircs étrangeres ; les
nutres ministres, qui avaient voté avcc :U. de :Uontrnoreney, ne
donnaient pas leur démission. ~l. de Yillele les retiut , et il prit
d'autant plus d'asccudant sur eux , qu'il avait fait un essai
puhlic et patcnt de ses Iorccs sur l'esprit du Roi. On vit bien
des lors que, présidcnt du Conseil par le nom , il l'était égale-
ment par le fait , el qu'il fallait désormais ployer sous la volonté
de M. de Vill('le.


La démission de lU. le duc de J\lontmoreney était une grande
aífaire , en face surtout de l'opinion royaliste ; elle annoncait des
intcntions de paix , une sorte de rupturc avec le partí religieux




200 IlISTOlnE DE LI\ RESTAUHATTO~.
qui avait porté le ministre des affaires étrangeres au Cabinet ;
ct ce partí était puissant. La Iavorite protégait également le duc
ñlathicu : M. Sosthenes de La Ilochefoucauld était son gendre.
JI fallut se rattacher acette opinion par la promessc d'un mi-
nistere au due de Doudeauville; on songeait déjá a la retraite
de 1\1. de Lauriston. En attcndant , qu'allait Iaire 1\1. de Yillele ?
se rapprocherait-il de la couleur de l\l. le due de Itichelieu ?
tenterait-il des ouvertures au~res de lU~I. Pasquicr , Lainé , et
de tous les hommes anuanccs modérécs qui penchaient pour la
paix? La chose était impossiblc : si cette opiniou était en majorité
a la Chambre des Pairs , les Itoyalistos u'étaient-ils pas maitres
de la Charnbrc des Députés? D'ailleurs ,,1. de Yillcle sentait bien
qu'il n'avait de force et de consistance que par le cóté droit; iI
chercha done ¿l se donner définitiverncnt pour collegue M. de
Chñteaubriand , qui , depuis l'originc de cette négociatíon, avait
suivi les instructions modérées. Au reste, la note de lU. de
Yillele a :\1. de Lagardc était rédigée dans l'intention de se con-
cilier le partí modéré et d'entrer daus les voics de médiation
offcrte par l' Angleterre. « Partie intégrante du congres réuni ¿l
V{'rone, disait )1. de "j}U'le, la Fraucc a dü s'cxpliquer sur
les armcments auxquels elle avait été Iorcée d'avoir recours , et
sur l'usage éventuel qu'elle en pourrait {aire. Les précautions
de la Franco out paru justes ases alliés , ct les Puissauccs con-
tinentales ont pris la résolution de s'unir ¿l elle pour l'aider (s'il
en était jamais hesoin) a maintcnir sa dignité et son reposo La
Franco se serait contcntée d'une résolution a la fois si bien-
veillante et si honorable pour elle; mais l' Autrirhe , la Prusse
et la Ilussie ont jl/Ul} néccssaire d'ajontcr a I'acte particulier de
l'alliance une maniícstation de leurs scntiments ; des notes diplo-
matiques son! a cet eífct adressécs par ces trois Puissances ¿I
leurs ministres respcctifs a Madrid; ccux-ci les conununique-
ront au Gouvernemcnt espagnol , el suivront dans leur conduite
ultérieure les ordres qu'ils auront rccus de leurs Cours. Quant
a vous, l\I. le comtc , en donnant ces explications au Cabinet de
l\J arlrid , vous lui direz que le Gouverncmcnt du Roi cst intime-




CHAPITRE xx, 201
ment uni arce ses alliés daus la ferme volonté de l'CPOUSSeI' par
tous les moyens les príncipes et les mouvements révolution-
naires; qu'ilse joint également¿l sesalliés dansles vceux que ceux-
ei forment pour que la noble nation espagnole trouve etle-méme
un remede ¿l ses maux. Vous donnerez au Cabinet de Madrid
l'assnranee que les seeours de tous genres dont la Franco peut
disposer en faveur de l'Espagne luí scront toujours offerts pour
assurer son honheur et accroltre sa prospérité ; mais vous lui
déclarercz en méme tcmps que la Franco ne se reláchera en
den des mesures préserrturiccs qu'elle a prises , tant que l'Es-
pagne contínnera d'étre déchiréc par les factions. Le Gouverue-
ment de S. lU. ne balancera pas méme a vous rappeler de ~la­
drid et ¿1 chercher sesgaranties dans des dispositions plus efficaees,
si ses inlérCts essentiels continuent ¿1 étre compromis , et s'il
perd l'espoir d'uno amélioration qu'il se plait a attendre des
sentiments qui ont si longtcmps uni les Espagnols et les Fraucais
dans l'amour de leurs rois et d'une sage liberté. )


Cette note semblait n'étre l'expressiou que d'un systéme pré-
servatif et de défeuse contre la révolution espagnole, M. de
Villele se réservait toutes les chauces et ménageait tous les partís.
Des dépéchcs plus positivos et secretes disaieut ¿1l\!. de Lagarde
de tout tenter pour éviter une rupturc , et de joindre ses efforts
a ceux de sir WilIiam A'Court pour obtonir une transaction
honorable, l'acceptation d'uue Charte modifiée émanant de la
puissance royale, Les ouverturcs faites a )1. de Cháteaubriand
furent agréées sans grandes diffieultés; c'était une alliance pré-
vue et commandée. M. de Chñteaubriand devait étro le lien
naturel entre la fraetion monarchique de l'opposition el le mi-
nisterc ; c'était le seul nom qu'on püt opposer parmi les Roya-
listes acclui de ':\1. de ~Iontm()rency. La société et le salon de
1\11110 de Duras, auxquels appartenait le noble pair , étaicnt une
des intluenecs puissantes. Je crois méme que le chaugemcnt de
ministre qui éclata ¿1 l'occasion de la note au comte de Lagarde
remontait plus loin..J'ai quelque certitudo qu'au départ de l\I. de
f;hdteaubriand POlH' le fonp;rrs de Yérnno , ji avait été nrreffi




202 mSTüIRE DE tA RESTAURATIüN.
dans la pensée de l\I. de Villclo de renvoyer l\I. de .L\Iontmorency ,
qui le géuait , pour con fiel' le porteíeuillc des alfaires étrangéres
~l une notahilité royaliste plus en harmonie avcc la situation poli-
tique. Ilapprochement curieux ~l faire! ~l. de Richelieu revenant
du congres d' Aix-la-Chapelle , avait été obligé de se retirer des
affaires ; maintenant c'était le tour de M. de ~lontmorency, ¡l son
retour de Véroue, L'un recevait le cordon bleu et l'autre le titre
de duc comme récompense de Ieurs services , et tous les deux
sortaient du ministcre. La cause était qu'en généralles ministres
s' engageaient trop dan s les congres , et qu'en rentrant en France
ils trouvaient , soit dans l'esprit du Iloi, soit parmi leurs col-
legues, une résistance aux résolutions prises a l'extérieur. Il y
avait dans ces réunions de haute diplomatic un je ne sais quoi
d'auractif , ct iI était bien rare que l'esprit général du congrés
ne dominát pas les opiuions , memo les plus prévenues, l\l. de
lUontmorency n'avait fait que passer anx aílaires étrangercs; il
ue laissa pas de traces. Ce ministre n'avait aucune des condi-
tions qui constituent l'honunc d'aífaircs et la tete politiqueo Il
rirait dans un monde de pié té , de méditations ct de petites
coteries en dehors de cettc existence positive et matériellc avec
laquclle scule on marche en adiuinistration. Sa re traite fut suivie
de celle de ..\1. Ilermaun , chef de la división politique, et qu'on
pouvait considércr comme le Iaiseur dc vl. de :\Iolltmorency.
Il s'était done trop engagé dans le systerno de guerre pour res ter
au pouvoir sous l' cmpire de nouvelles idées; sa división fut con-
fiée au duc de Rozan, d'une capacité fort ordinaire , peu habitué
au mouvcment des aITaires; la vieille amitié de ;ume de Duras
ponr JI. de Chñteauhriand protégeait son gendre, qui n'avait
joué jusquc-la aucun rule actif dans les transactions diploma-
tiques. Au milieu de ces révolutions de bureau , IU. Bourjeot
et }l. d'Hauterivc restercnt seuls debout avcc les traditions de
;\1. de 'I'allcyrand. }J. de Chñtcauhriandproposa la división com-
merciale Ü ~J. Delalot , {fui refusa par des motifs de santé; pré-
texto qui cachait dans l'honorable député le dcssein de conservcr
sa liberté de parler ü la tribuno en opposition avec ~I. de Villele.




GILH'1TKE .H. 203
M. de Cú..\(cau{}riand était arrivé au termo de sa puissante am-
hition; il touchait ~l un ministerc , et peut-ctre cctte position
élevée et soumise a toutes les investigations allait-elle révéler les
parties incomplétcs de ce caracterc poétique! Sa brillante imagi-
nation se ploierait-elle aux exigences nouvelles de cette situation
si compliquée? n'était-il pas a coté d'un homme fin, habile ,
qui le sacrifierait au besoin lorsquc sa popularité royaliste serait
usée r ñl. de Chñtenubriand se résigucrait-il agarder la secondc
place dans un niinistere, sansappui aupres du Roi, trop supérieur
aux intelligences hourgeoises de la Chambra des Députés pour
y conserver un cmpire d'autorité et d'influcncc? Le noble pair
sans Iaire toutes ces réflcxions , acccpta le portefcuille : il le prit
pour essayer le pouvoir, cal', méme pour l'hornrne le plus désin-
téressé , il Y a jo ne sais quoi d'entrainant dans le maniemcnt
des affaircs, Ces rclations avcc le pays qni s'occupe de vous, cct
inappréciable bonheur de savoir le fond de la poli tique et de
sortir du dornaine des conjectures et des déclamatious , tout cela
est magique et séduit les esprits méme haut placés.


la nouvelle position prise par iH. de víüele lui donuait-ello
une plus grande puissance pour résister au mouvcmcnt royalistc
qui poussait ala guerre el'Espague ? Le président du Conseil était
avant tout l'expression de la majorité parlemcutaire , il Iallait en
subir les exigenees impérativcs; 01', cene majoritó était devc-
nue tout acoup helliqneusc; tout royaliste sentait bouillonner
son sang de chcvalier et de paladin ; on imposait la guerre commc
eondition de subsicles; dans toutes les sociétés politiques de cette
opinion , au Iaubourg Saint-Ccrrnain , a la Cour, tout retcntis-
sait du hruit des armes; des souscriptious étaient ouvertcs pour
les réfugiés espagnols; le g('n('raI Quesada était accueilli par
ce que ceüe sociéré avait dc plus pur et de plus exalté ; on sa-
Iuait son dévouement, l'élégie plcurait pour le trappiste, el l'ode
retentissante cóléhrait le couragc un pcu vagabond de l'armée
de la Foi, Ce.'; idées de religion, de croisadcs plaisaient au noble
sentiment chevalercsquc des Iíoyalistes ; il y a des tcmps oü les
partís veulent jouer leur va-tola .. et le partí monarchique se




20[\ msronu, DE LA HESTAUHATlON.
trouva cettefois bien inspiré. Il fallait pourtant arriver aux re-
sultats positifs et connaitre les scntiments de la Chambre. Jamais
la société Piet n'avait été plus brillante et plus nombreuse.
M. de Cháteaubriand avait fait sonder la eontre-opposition de
M. de La Bourdonnaye; les deux réunions déclarerent que
la guerre d'Espagne était inévitable , el qu'on ne l'avait que
trop retardée. Ces opinions étaicnt impérieuscs, et pourtant
1\1. de Villele ne pouvait se résigner a toutes les chances aux-
quelles on allait s'exposer dans une cxpéditíon difficile. Afin
de corriger un peu les vices de eette position, le ministere
s'empressa de faire de hautes concessions aux personnes: un
rcmauiemcnt de préfectures fut encore arrété , et l'on fit
rcntrcr un certain nombre de préfcts rcnvoyés de l'admíuis-
tration publique apres l'ordonnauce du 5 septembre : c'é-
taient l\li\1. d' Arbaud-Jouques , le marquis de Villeneuve, de
l\Iontureux , Andró d'Arbellcs , J ules de Calviere , le marquis de
Marniere de Gucr, de Puységur el de Floirac, Le Conseil d'.Élat
subit des modifications, toujours dans le méme esprit ; le garde
des sceaux eomprit parmi les nouvcaux conscillers 1\nl. Forbin
des Issarts, Bertin de Vaux; le prcmier , un des députés les
plus ardeuts et les plus royalistes de la majorité; le second, ami
de lU. de Chátcauhriand , et qui avait sccondé puissannncut dans
le Journal des Dcbats les intcntions de paix de 31. de Yillcle.
M. de Peyronnet cxclut du scrvice ordinaire non-seulement les
deux ou trois noms doctrinaircs conserves, mais encoré les hommes
da ministere de 1'1. de Richelieu , dont on s' était séparé complete-
ment i M. Mounier ne Iut pas meme épargné ; le Conseil d'.Élat
présenta des lors une grande majorité royaliste, Tout s'emprciguait
de cct esprit, et particuliercmentl'instructionpublique sonsñl. de
Fravssinous : raudis que le savant l\I. de Sacv se vovait oblizé de


ci ,) ,) t..J


donuer sa démission du Conscil royal de l'instruction publique,
1\1. l'abbé Clausel de Cousscrgues, avcc son esprit tout ardent
de catholicismc , le remplacait dans ses Ionctions d'U niversité,
En temps de partí , les places sont encere un manifestc d'opinion.


Ccpendaut ces concessious aux personnes n'apaisaient pas les




ClJAPITHE .\\. 205
Huyalistcs ; quand un partí cst préoccupé d'une idéc , c'est ni-
nement qu'on cherchcrait a l' en détouruer ; il veut aller ~l ses
Iins , coüto que coüte. Le cri de gucrre était alors poussé par la
droite, et c'est sans succés que lU. de Yillelc Iui exposa les crises
qui pourraieut surgir, la baissedes fonds publics , les perles du
commerce; toutes ces considérations paraissaient secondaires;
on voulait franchir les Pyrénées, Les négociatíons diplomatiques
avaient alors plusieurs cótés : d'abord on négociait a 1\Iadrid;
1\1. de Lagarde avait recu l'ordre de communiquer a lU. de San
Miguel la note modérée el un peu obscure de IU. de Villele.
Cette communieation fut faite eonjointement avec les notes des
ministres d'Autriche , de Prusse et de Ilussie, IJ fallait ne pas
connaitre le caractere espagnol , et je dirai presque le cceur hu-
main, pour s'imagincr que de teIles menaccs faites publique-
ment a un Gouverncment , quel qu'il Iüt , produiraient les ré-
sultats de conciliation. Une grande fermentation se répandit
dans les esprits : M. de Lagarde recut encoró des instructions
secretes pour chercher a amcner les Cortés a des modifieations
daus I'acte constitutionnel , ce qui aurait pour le moment con-
tenté 1\1. de VilleIe. Ces conccssions étaicnt impossibles ; ct loin
de la, 1.\1. de San Miguel parla dans sa note en réponse a ~I. de
Lagarde un langagehautaiu : « Ce u'était poiut une insurreotion,
disait-il, mais bien le vceu géuéral de I'opiuion , qui avait éta-
hli le nouvcl ordre de choses en Espagne ; il n'était pas étonuant
qu'il y eút des mécontcnts , conséqucnce de toute reforme qui
corrige des abus; l'annéc d'obscrvation que le Gouvernement
francais maintient sur les Pyrénées , loin de calmcr les désordres
d'Espagne , ne servait qu'a alimenter les espérances des faua-
tiques qui ont poussé le cri de réhelliou , en les flattant de l'es-
poir d'uue prochaine invasion de la Péninsule.Les seeours que
dans le moment présent le Gouverncmcnt Irancais devrait don-
ner au Gouvernemcnt cspagnol scraicut la dissolution de son ar-
mée des Pyrénécs ; la répression des factieux ennemis de I'Es-
pagne réfugiés en Franco, Dire que la France veut le bien-étre
el le n-pos de l' Espague , el tcnir toujours allumés les hrandons


1lI. 18




206 IlISTüIHE DE LA HESTAliHATlüN•.
de discorde qui alimcntent les maux dont elle est aílligéc , c'est
tomber dans un abime de contradictious, 1\u reste, disait la
note en terminant , quelles que soient les déterminations que le
Gouvernement de. S. lU. T. C. jugera a propos de prendre dans
ces circonstances, celui de S. M. • . continuera de marcher tran-
quillcment dans la route que lui tracent le devoir et la justice de
sa cause. » Il y avait du sang castillan daos cette réponse; elle
déjouait tous les petits moyens, tous les petits détours de M. de
Yillelc : comment opposer des cousidérations méticuleuses , des
termes moyens et salutaircs méme, al'amcrtumc de ce langage?
La seconde négociation se faisait a París. Le ministere francais
nvait refusé l'offre d'une médiation officielle de l' Angleterre ,
mais il n'avait point décliné la proposítion d'une médiation ami-
cale que l\l. Canning avait accueillie avcc empressement ; sur
la désignation du duc de Wcllington , lord Fitz Sommcrset rccut
l'ordre de se rendre a )ladrid, et de s'entcndre avec sir Willialll
A'Court pour prcsser l'adoption d'un arraugement qui pul évi-
ter les hostilités entre la Frauce el la Péninsulc. Lord Fitz Som-
merset avait laissé de longs souveuirs dans la guerro de deli-
vraucc sous le due de 'Yellillgton; lU. Cauning cspérait que ses
rcmontrances seraicnt écoutées dans les Cortes. UnlllClllOJ'wulmlt
fut également rcmis par le duc de 'YcllingLon au uouvcan plé-
nipotentiaire ; le noble duc disait « que les Iiens de Iamille qui
cxistent entre le roi de Franco et le roi d'Espagne , el l'intérét
qu'ils se portent uaturellemcnt , seront le sujet d'une irritation
perpétuelle entre les deux pays aussi longtemps que la situatiou
du roi d'Espagne ne sera pas ce qu'ellc doit étre , el tul ou tard
il en résultera la guerrc ou l'invasion du pays le plus Iaible. AillSi
les Espagnols qui dósireut la paix el le honheur de leur pays
doivcnt considércr les modificatíons ü Iaire ~I Icur Constitution
comme ayaut pour hut d'invcstir le Iloi de la puissance exécu-
tive ; ces modificatious dcvraient sc faire do concert avec le Iloi,
ce qui He laisserait plus aucun motif de désirer la chute du sys-
teme établi. Le duc pensait qu'il n'y avait aucunc raison de dií-
Iérer ces modifications; cal' uon-sculcmeut la Franco ne halan-




r.I1APlTRE xx. 207
cerait pas 11 retire}' son arméo d'obscrvation , qui des lors serait
inutile; mais encore vraiscmblablement le Convernement fran-
cais preudrait des mesures pour prevenir tout rassemblcmcnt
de troupes auticonstitutionnclles sur ses froutieres ; par ce
moyen , I'harmonie et les relations amicalcs entre les deux pays
ne seraicnt point troublées. tes Espagnols doivent s'apercevoir
que, des 11 présent , ils n'ont plus ni commerce , ni revcnus ,
que ni l'armée , ni les employés de l'administration publique no
peuvent étre payés, ct qu'ils ne peuvent négocier aucun em-
prunt , cal' aucun capitaliste no veut faire passel' de fonds en Es-
pague jusqu'a ce qu'il y voie prévaloir un systernc qui fasse es-
pérer le rétablisscmcut de la paix el du bon ordre, » Je crois que
le ministre anglais se faisait illusion sur la possibilité d'amcncr
un arrangement; les ehoses étaieut trop avancées de part et d'au-
tre .dnns le sens de la guerreo


A mesure que le langage des Cortes devcnait plus fiel' et plus
mcnacaut, les trois grandes Cours de Russie, de Prusse et d'Au-
triche s'unissaient pour faire 11 la France les plus vives et les
plus pressantcs remoutranccs sur la nécessité de pousser vite et
Iort une solution des aílaircs d'Fspague ; ellesavaient appris avcc
déplaisir la retraitc de l\1. de Monlmorency, el Alexandre s'était
positivement offcnsé de ce que la Franco avait envoyé une noto
séparée el rédigée tout 11 fait ¡ans un autre esprit que le docu-
mcnt de la Saiute-Alliance : iI lui paraissait cxtraordiuaire que
la France ayant demandé la faculté de l' intervention armée, s'ar-
reUlt en quelque sorte, une fois cene autorisatiou obtcnue; les
notes des trois Cours ne menacaient pas d'une guerre au nord si
on He la Iaisait au midi , comrne M. de Yillelc le laissa échappcr
dans son inconcevahle distractiou de tribune , mais elles pres-
saient la Franco de meltre un tenue au houleversement dont
I'Espagne était le théátrc ; elles renouvclaicnt les offres d'appul
et de secours, en cas surtout 011 ce grand eITort amenerait en
Franee des commotions nouveIles. M. Pozzo di Borgo lit a ce
sujet des démarches puissautes; il n'avait pas besoind'agir arce
ténacité , alors le vcnt de la guerre soufllait; iI étaít partout; il




208 HISTOIRE nE lA RESTAURATTON.
dominait dans les élémcnts qui cornposaient la majori~)inis­
térielle, La remiso des notes des Cours alliées n'ayant'i>roduit
aucun effet a Madrid , les ministres des trois Cours se háterent
de demander leurs passe-ports, Les expressions de Ieurs lettres
étaient fieres , particulierernent cclles du ministre de Ilussie.
1\1. de Bulgari annoncait que « la note remise au Gouvernement
espagnol allait étre puhliéeen Europe, afin que celle-ci pronon-
«;at entre les intentions des Puissances qu'anime le noble désir
du bien et un Couverneruent qui parait résolu aépuiser le ea-
lice des malheurs de I'Espagne. Quant aux détcrminations qu'an-
noucait M. de San-Miguel, toute la responsahilité péserait sur la
tete des personnes qui devaient en étre considérées comme les
seuls auteurs; et tant que ces personnes priveraient leur souve-
rain légitime de sa liberté, tant qt'elles abandonneraient I'Espa-
gne ~l tous les maux d'une sanglante anarehie , tant que par le
moyen de leurs eoupables intelligcuces elles pourraient étendre
sur d'autres États les maux qu'elles ont accumulés sur leur pa-
trie, la Russie ne pourrait conscrver aucune relation avec des
autorités qui tolerent et méme excitent de tels désordres, » Les
réponses de;\1. de San-Miguel furent plus hautaines que réñé-
chies, Au ministre de Prusse, 1\1. de San-Miguel répoudait:
({ J 'ai rccu la note que Votre Excellence m'a cnvoyée : je me
contente de lui assurer quc lcs vceux du Couverneruent de Sa l\Ia-
jesté Catholique pour la félicíté des í~tats prussiens ne sont pas
moins ardents que ceux qu'a manifestés Sa lUajesté le roi de
Prusse pour l'Espagne. D'aprés l'ordre de Sa lUajesté, j'envoic a
Yotrc Excellcnce les passe-ports qu'elle demande. » Au ministre
d'Autriche , il disait encoré : « J'ai recu la note que Votre Ex-
cellence a bien voulu m'adrcsser ; je me borne pour le moment
a lui répondre qu'il est fort indifférent au GOllnrncment de Sa
ñlajesté Catholique d'avoir ou de n'avoir pas de rapports avec la
cour de Viennc. D'apres l'ordre du Iloi , je vous expédie vos
passe-ports. ) Enfin il s'exprimait sans ménagements et avec in-
solence 11 l'égard du ministre de Itussíe , cal' il luí dísait : « J'ai
J'rrtl la note trés-inconvenante qne Yotre ]':xcel1rl1rc m'a .('n.,.




CHAPITRE xx, 209
rovéo. Je me horne, pour tonto réponse, ¿¡ luí déclarer qu'elle a
ah¡lsé scandalcusement, peut-étre par ígnorance , du droit des
gens, toujours respectable aux yeux du Gouvernement espagnoI.
D'apres l'ordre de Sa lUajesté, je vous envoie vos passe-ports,
espérant que Yotre Exccllcnce sortira de cett~ capítale dans le
plus court délai possible. » C'était amenel' une rupture. Avait-
on des armées et des ressources pour résister? Les trois minis-
tres quitterent immédiatement lUaddd; ils avaient voulu cutral-
ner I\I. de I...agarde , mais les instructions de celui-ci portaient :
qu'il eüt a s'cntendre avcc sir 'Yilliam A'Court et lord Sommer-
set, pour amener, s'il était possible ,un arrangement , et de ne
quitter Madrid que lorsque toute voie aux accommodements se-
rait fennée. Cepcndant le corps diplomatique pressait une solu-
tion aParis, et ee fut sur une note de 1\1. Pozzo di Borgo que
M. de ViIlNe se détermina définitivement et a contre-cceur au
rappel de l'ambassadeur. Dans une dépéche a l\I. de Lagarde,
~I. de Chñteaubriand annoncait que le Gouvernement espagnol
rejctait toute mesure de eoneiliation; que non-seu!ement il ne
montrait aucun espoir de l'amélloration que l'on pourrait atten-
dre des sentimcnts qui avaient pcndant si longtemps uni les Es-
pagnols et les Francaís, mais il allait méme jusqu'a exigor que la
Franco rctirát son armée d'observation et expulsát les étrangers
qui lui avaient demandé asile. I ..a France n'était pas accoutumée
aeutendre un pareil laugage, et elle ne le pardonnait ason au-
teur qu'en considération de l'exaspération qui régnait alors en
Espagne. Quiconque mettait le pied sur le territoire francais était
libre et jouissait des droits d'une hospitalité inviolable. « L'Es-
pagnc , continuait l\I. de Cháteaubriand , s'est-ellc conduite de
la méme maniere cnvers la Frauce ? Non-sculement elle a donné
asile ades hOI1l111eS coupables, condamnés par les tribunaux, mais
eucore elle leur a promis des emplois dans ses armées. La COIl-
fusion qui régne en Espagne actuellement est préjudiciable a
qnelques-uns de nos plus grands intéréts, Sa Majesté Trés-Chré-
tienne avait désiré que son ministre püt rester a Madrid aprés le
départ des arnhassadenrs d'Autrichc , de Prusse et de Hussie,




210 1I1STOll1E DE LA lIESTAUl1ATlO~.
mais ses dcrnicrs vmux n'ont pas í'ló écoutés ; sa <temiere espí'-
rauce a élí~ dí'CHe; le mauvais géni«des révolutious preside main-
tcnaut aux conseils de l'Espague. » Une secoude dépéchc précisait
mieux encore la nécessitó de demandcr les passc-ports ; et ce-
pcndant le ministre tournait un dernicr regard vcrs la possihílitó
d'une négociation, objet des vcoux de M. de Villele ! « Afin que
les eunemis de la France , ajoutait le ministre des aífaires étran-
geres, ne puisscnt pas dire que vous avez quitté Madrid sans que
votre Gouverucment conuút ce qui se passait, je dois vous díre
que, pour rétablir l'ordre en Espagne et rendre la sécurité ü la
Franco et aux nutres Úlats du coutincnt , il existe un moyen bien
simple: tout sera íini le jour oú Fcrdinand VII pourra, de lui-
méme el de sa propre autoritó, Iaire les modifications nécessaires
dans les institutions. Cet hcureux changcmcnt conscrvcrait la
paix entre la Franco et l'Espaguc , votre présencc, conune moycn
de conciliation , est done. tout aIait iuutile ; au contraire, votrc
éloignement est uéccssaire au maintien de la paix, puisqu'il peut
seul autoriser le rasscmblcmcnt d'une armée de cent mille hom-
mes sur nos Iroutiercs ; quand S. A. H.. le duc d'Angouléme, qui
doit les commaudcr , se sera avancé ü lcur téte sur les hords de
la Bidassoa , le roi Fcrdinaud ponrrn se préscnter sur la rive op-
posée, Les deux princes auront une entrcvuc qui sera peru-érrc
suivie d'un traité de paix, de modifications constitutionucllcs ct
de l'amnistio que désire Sa JLajesté Tres-Chrétienue. Alors non
seulcment notre annéc sera retiréc, mais nos soldats, nos trésors,
nos vaisscaux seront ~l la disposition de I'Espague. Le Gouverne-
ment Irancais ne préteud imposer aucunc forme de gouvcrue-
mcnt ~l un pcuplc quclconquc , mais il ne peut rcgardcr connne
lr'gitime:; el stablcs des institutions qui ómanent d'un pouvoir
illégitimc. Le Iloi \(lBS ordonne , jI. le comte, de demalHi('l: \ os
passc-ports et de quittcr l'Espagne avcc tonto votrc 10galion. »
e'élait encere une grande illusion qne de croire ~\ ces négocia-
tions théátralcs mi' les hords de la Bidassoa ; ce qu'ou n'avait pn
Iaire ;l\ladrid, OH ne pOIl\ <lit le l(~lll('r al! momcnt de l'cntrée en
C;¡m¡nglw, lorsqne le; lroupes serail'llt C'jJ préscuce el les d(~P('IlSCS




CHAPITRE X\. 211
Quand on apprit , Ü Paris , le rappcl de I'ambassadeur fran-


cais aMadrid, el par conséquent que la guerre était iuévitable ,
un immcnsc mouvement de haisse se fit sentir ala Bourse : c'est
ce que l\I. de ViHele avait eraint; le commercc exagéra ses ter-
reurs; les journaux de l'opposition libéralc , peignant les maux
de la guerre , se complaisaient dans les descriptíons de pillage
par les corsaires , de la destruction de notre marine; ce u'était
plus ces grandes peintures de nos gloires militaires de l'Empire,
ces descriptions de hatailles, les gravures niaisement larmoyantes
du Soldat labourcur J' la paix était le premier des biens; la
guerre était désenchautée de ses plus brillants prestiges : il
y cut méme des spéculations basées sur ces terreurs, Un ban-
quier célebre, a la tete d'une compagnic , profita de ce pre-
miel' mouvement de peur pour accaparer les sucres et les autres
denrées coloniales, qu'il poussa ~l des prix exorbitants; on tit des
hénéíices immenses sur la crédulité publique, et tout cela par
patriotisme, Des députations arriverent de plusieurs villes in-
dustriellcs : Bordeaux cut ses doléances. On íit des promesscs
de convoiset de protection. Quant ala guerre, on no s'expliqua
paso ]U. de ViJlCle ne pouvait ricn écouter , ríen entendre; de-
vait-il promettrc la paix ~I la vcillc d'une rupture prochaine , et
qui paraissait inévitahle? Tout se faisait aParis pour la guerre :
les bataillons de campagne étaieut désignés , les ordres de départ
accueillis avee le plus granel enthousiasmo ; il Ya quelque chose
dans les hatailles qui plait aux soldats ; ils partaicnt en chantant
pour les Pvrénées , oú les troupes devaicnt se concentrer. Peu
habitué aux gloires du drapean blanc , le pcuple voyait ecuo
guerre avcc inquiétudc. On avait besoin dn succes pour juger la
victoire possihlc !


Cepcndant la session approchaít : le discours de la Couronne
ne pouvait pas se taire sur la qucstion de paix OH de gllerre ; il
Iallait que le Conseil se prononcñt; ](IS dcrnieros dépéches de
,,1. de Lagarde ne Iaissaient plus d'('spoír, quoique ce ministre
v()~ (¡gea! lcuicmcnt vcrs les l'yréuécs , dans la volonté toujours
d('<:lH' d'unc conciliation, 1\1. <1P Villl'le m' pouvait se décider aux




212 JTlSTOIRE DE LA RESTAURATIüN.
hostilités ; mais la société Piet s'expliqua d'unc maniere si forte ,
si décisive , qne le président du Conseil vit l'impossihílité de ré-
sister au torrent: le discours de la Couronne dut parler de la
guerreo Toute la préoccupation de lU. de Vill(>Je fut des lors de
se servir d'expressions telIement mesurées qu'elles ne fcrmasscnt
pas tout espoir aux conseils de rnodération; il faIlait ménager la
bourse , les intéréts du commerce, n'alarmer personne et con-
tenter pourtant la majorité royalistc, Ce discours fut discuté plu-
sieurs jours, retouché , remanié; on ne s'y occupa que de la
question d'Espagne qui absorbait tout. « La situation intérieure
du royaume s'était améliorée ; I'action de la justice , sagement
el loyalcment exercée , avait mis fin aux complots et aux tonta-
tives de révolte ; le clergé allait étre complétcmcnt organisé ,
un traité avec le Saint-Siége perrnettrait de restaurer l'Église de
Franee; des économies dans les dépenses se feraient bientüt sen-


...


tir ; on avait déja un excédant de l~O rnillions. ) Enfin le Roi
ajoutait eette phrase solenneIle : « J 'ai tout tenté pour garantir
la séeurité de mes peuples et préserver I'Espagne elle-méme des
derniers rnalheurs; l'aveuglement avcc lequel ont été repoussées
les représentations faltes a Madrid laisse pcu d'cspoir de conser-
ver la paix . J 'ai ordonné le rappel de rnon ministre; cent mille
Francais , eommandés par un prince de ma famille, sont préts a
marchcr , en invoquant le Dieu de saint Louis , pour conservcr
le tróne d'Espagne a un petit-fils de Henri IV , préserver ce
beau royaume de sa ruine et le réeoncilier avcc l'Europe. Nos
stations vont étre rcnforcées dans les lieux OU notre commerce
maritime a besoin de eette proteetion; dos croisiercs vont vIre
établies partout OÚ nos arrivages pourraicnt etre iuquiétés, Si la
guerre est inévitable , je mettrai tous mes soins ~, en resserrer le
cercle , ~, en borne!' la durée. Elle 11e sera entrcprise que pour
conquérir la paix , que l'état de I'Espagne rcndrait impossible;
que Ferdinand VII soit libre' de donncr a ses peuples les institu-
tions qu'ils ne peuvent tenir que de lui, et qui, en assurant leur
repos , dissiperaient les justes inquiétudes de la France , des ce
moment les hostilités cesseront ; j'en prends dcvant vous, M('s-




r.nAPrrnE xx. 213
sicurs , le solennel cngagemcnt. J 'ai consulté la dignité de ma
couronne, l'liouneur et la süreté de la France ; nous sommes
Francais , et nous serous toujours d'accord pour déíendre de tels
intéréts. )) Ce paragraphe sur la guerre était sagement rédigé;
on y reconnalssait l'éloquente précision de 1\1. de Cháteauhriand
tempórée par la modération de 1\1. de Yillele. Des lors tout fut a
la guerre : théátrcs , feuilletons royalistes , armée , église , nobles
salons; on ne parla que de campagne, de Madrid, de Cortes et
du rappel de 1\1. de Lagarde : les fonds publics se raffermirent,
tant une question résolue porte avec elle-memo sécurité !


Le discours de la Couronne soulevait la flagrante question de
la paix ou de la guerre dcvant les Chambres; les larges discus-
sions qu'avaient provoquées les Itoyalistes eux-mémes lors de
l'adresse de 1821, apres Iaquclle le miuistere Ilichclieu avait
été renversé , ne permcttaicnt pas de restreindre le cercIe des
débats; il fallait les subir avec toutes leurs récriminationset leur
vivacité. l\l~1. de Yillele et de Chñteaubriand s'y préparerent ;
ils étaient alors les chefs ostensibles du ministére et vivaient en
assez bonne hannonio quoiqueavcc de grands contrastes de carac-
tere : l'un sage, prudent , terre il terre et sans faste; l'autre
d'une imaginationbrillante, mcsurant poétíquement les questions
politiques, aimant la rcprésentation et l'apparat sous les mille
lustres; tousdeux alors dans les mémes idées de modération a
l'égard de l'Espagne et de son Gouvcrncmcnt ; 1\1. de Chñteau-
briand pourtant avee une couleur plus prononcée pour la guerre
et se rapprochant ainsi de la contre-opposition. Les deux Cham-
hres , devant lesquellesla discussionallait étre portée, ne s'étaient
pointmodifiécs, et l'on pouvaits'attendre aune discussion sérieuse
el profonde. ~\ ux Pairs, les nuances de :\IM. de Talleyrand, lUolé,
de Broglic, s'étaient cntendues pour une tentativo d'amendement
sur l'adresse; on devait s'emparer des esperances de paix don-
nées par le Iloi pour démontrcr tous les inconvénients de la
guerre et rembrunir le tableau de ses désastres, On se réunít
dans une assemblée préparatoire ; rnais, des cette premíére com...
1111ink lit ion, les Pairs de eette triple banníere durent s'apercevol¡




2111 lllSTüIRE DE tA RESTAURATIüN.


qu'ils scraient en minorité dans la Chambre , cal' ni leurs colle-
gues du systemc Itichclieu , ni les cardinalistes , n'avaient voulu
coopérer a I'opposition plus tranchóe des autcurs de l'amende-
ment. Il y avait pour cela plusieurs raisons : d'abord 1 iIs savaient
que eet amendement déplaisait au Iloi , contrariait son systeme,
ct ils ne voulaient pas ahsolument rompre avcc la Couronue ;
ensuite, la position de ñl. de Villele était tclle , qu'il n'était pas
impossihle qu'il songcát a un rapprochement avee la fraetion
Ilichclieu ; il ne Iallait pas des lors s'cnlever toutes les chanees
d'une amanee raisonnablc 1 dans le vain espoir de s'auirer la gau-
che 1 alors en miuorité. La réunion du duc de Choiseul arréta
une rédaction d'amcndcment qui scrait préscnté par .IU. ~le Ba-
rante dans la discussion de l'adrcssc , si l'on parvenait agrouper
autour de cet amendemcnt une mnjoritó compacte, c'étaít un
nouveau eoup de taetique contre les Ilovalistcs. La corumission
désignée par les hureaux était tout cntiere dans le sens de la plus
absolue prérogativc royalc. M. de Lévis fut chargé de la rédac-
tion primitive : il av ait été couvcuu entre les pairs de l'opposition
que l'on ne discutcrait pas l'ensemble de l' adresse 1 et qu' on
attendrait l'auicudcmcnt de M. de Barante 1 sur lcquel le prince
de 'I'allcyrand , les ducs de Dalberg et de Broglie, les eomtes
Molé et Daru de, aicnt prcndre la parolo. La rédaction du duc de
Lévis était tout cntierc la paraplrras« du discours de la Couronne.
« Il appartcnait au Iloi de délibércr scul sur la grande questiOl~
de guerre ou de paix ; il avait exercé cettc haute fonetion avcc
toute la maturité que demaudaient des circonstances si graves,
Pour HOUS, Sire , ajoutait M. de Lévis , certains de votre amour
pour YOS pcuples , qui 1 si la guerre est inévitahle 1 YOUS la fera
rcsserrer dans le ccrcle le plus étroit ; eonfiants dans votre pru-
dcnce , quí ne Iaissera échapper aucune occasíon de conclure
une paix honorable, nous reccvons avccrespcct eette importante
communicatiou. »


Lorsqu'il Iut donné lecture du paragraphe sur l'Espagne;
l\I. de Barante dut Iormuler son amcndemcnt : 11 Nous sommes
assnrés que le plus vifdésir de votre cccur patcmcl scrait d'ópar-




ClIAPlTRE AA. 215
guer avotre peuple les calamites d'une gucrrc qui pourraít met-
tre en danger les plus chcrs iurérérs de la patrie et eompromettre
le príncipe sacré de l'indépcndancc nationale, sur lcqnel repo-
sent l'honneur et la sécurité du tróne, » « N'était-il pas permis,
disait M. de Baraute , de compter sur le maintien de la paix ? cal'
l'urgence de la guerre ne remonte qu'a une date récente , et par
conséquent qu'il est facile d'écartcr. Si nous no pouvons éviter
la guerre , au moins qu'elle nc soit pas fondée sur cette préten-
tion coutraire atoute justice , d'intcrvcnir dans les affaircs inté-
rieures d'une nation , et de régler son gouvcrucmcut , prétexte
impie, principe monstrucux qui troublerait sans ccsse la paix du
monde! » Taudis que 1\D1. de Tallcyrand et 3101é se disposaient
aprendre la parole , lU. de Ségur , par une Iaute de tactique qui
détruisit toute I'économie des mesures de l'opposition , proposa
un sous-amendemcnt plus concis et d'unc rédactiou moins par-
leiueutaire : « Nous sommes assurés que le plus, if désir de votrc
cceur paternel serait d'épargncr avotrc peuplc les calamités de la
guerre.» Cet incident boulevcrsa toutes les combinaisous jusque-
lil arrétécs, ¡\l. Daru prit la parole , et dans un long et verbeux
discours exposa tous les inconvénicnts el les daugcrs de la guerreo
Cette dóclanration , trop dóvcloppéc pour Iaire impression, appcla
une réponse de M. de Yillclc : le présidcnt du Couscil s'étonnait
qu'au moment oú le ñlouarque vcnait s'a/!li'!Jc)' d'avoir perdu
tout espoir pacifique, on proposát d'iuvoquer la paix de nou-
veau , lorsque les dernicrs événcmcnts d'Espagno étaicntveuus
révéler al'Enrope toutc la gravité de la situation dans laquello se
placait ce pays, non-seulemcnt par rapport aux aurres ]~lats en
gl'nél'al, ruais spécialement par rapport ü la Franco. » 1101'S,
par un de ces mouvcments de Chamhrcs inattcndus , la discus-
sion sur l'amcnderucnt Iut Ierméc sans que ;\DL de 'I'allcyraud
el ~lolé pussent se Iairc cntendre ; l'opposition se trouva ainsi
domiuée par le nriuistcrc. 1l en resulta cll1e méme le sous-
amendcment de JI. de Segur fut rejcté. L'adressc tclle qu'ellc
avait été rédigéc par 711. leduc ele Lévis fut votée ü une immenso
iuajorité Ionnée des pairs Ilichclieu eL de Bausset joints aux




:216 ntsrome 1)1:; LA llEStAUHATlON.
royalistes, l\Dl. de Talleyrand el ñlolé crurent nécessaire d'en
appeler de cette majorité a l'opinion; ils publierent leurs dis-
cours : tous deux reposaicnt sur les mémcs idées, ou , pour
parler plus exactement , sur les souvenirs de l'Empire et de eette
guerre d'Espagne , téméraire entrcprise qui préeipita la ruine de
Napoléon, Les nobles pairs se trompaient de dates; ils eonfon-
daient les situations, et eeei arrive souvcnt aux meillcurs esprits:
nous avons tous un peu la mémoire des vieillards ; nous vivons
sous l'impression d'une idée vraie dans le temps, fausse aujour-
d'hui, La guerre d'Espagne SOllS l'Empire avait été entreprise
contre l'opinion populaire dans la Péninsule; il s'agissait au con-
traire aujourd'hui de senil' les idées religieuses des masses, Au
reste, les honuncs politiques doivent étre sobres de ees paroles
de prophete qui les compromcttcnt ; l'art de deviner les événe-
ments est périlleux; on avait prédit des désastres , et la gucrre
répondit par des succes, M. de Talleyrand avait pourtant pesé
toutes les expressions de son discours , paree qu'il savait que
dans sa position , parler c'était agir : « Il y a aujourd'hui seize
ans , disait-il , qu'appelé par eelui qui gouvernait alors le monde
¿l lui dire mon avis sur une lutte ¿l engageravee le peuple espa-
gnol, j'eus le malheur de lui déplairc , en lui dévoilant l'avenir,
en lui révélant tous les dangers qui allaient naitrc en foule d'une
agression non moins injuste que téméraire; la disgrácc fut le
prix de ma sincérité. .Étrange destine-e que ccllcqui me raméne ,
apres ee long espace de temps , a renouveler aupres du son-
verain légitime les mémes eíforts , les mémes conscils! II m'ap-
partient amoi, qui ai pris une si grande part aux événements
de la double restauration, qui par mes eílorts , et j'ose le dire
par mes succes, ai mis JIta qloirc et ma responsabilité tout
entieres dans ce renouvellemeut d'nlliance entre la Frailee et la
JUaison de Bourbon , d'cmpécher autant qu'il est en iuoi quc
I'ouvrage de la sagesse et de la justíce ne soit eompromis par
des passions folles et téméraires! « Quelle peut etre pour la
n'anee, ajoutait J\l. lllol(', l'issuc d'une pareillc luttc ? On ira,
dit-ou , ¿l )latlrid; hélas! uous y Si..W.lIlH.'S d(-j~l allés ! l'ne révo-




CIIr\l'lTHI. xx. 2i7
lution s'arréte-t-clle , lorsque l'iudépendancc du peuple qui la
suhit cst meuacéc l et n'avons-nous pas l'cxcmple de la révolu-
Irancaise , qui est dcvcnue invincible quand sa cause est devenue
ccHe de norrc jncl('penclance? J)'ailleurs les partís font souxent
les choscssans le vouloir , el chez eux les crimes sont quelquc-
fois des néccssités ! »)


Ces deux inauiíestations d'opiuion cxcitercnt un vif mouve-
meut daus le public , le Iloi en fut méme trcs-scnsiblement
frappé : il n'aimait pas lH. de Tallcyraud ; les services rendus a
la Restauration, et que celui-ci lui rappclait sans cesse comme
Ull reproche, le hlessaicnt. Ccpendan 1 il dit ¿l quelques-uns de
ses intimes: « Le discours du prince de Talleyrand me Iortific
daus le systemc de JI. de "iIlele, qui est de tcmporiser ct d'éví-
ter la guerre si cela cst possible. )) Les Ilovalistcs attaqucrcnt
JI Ji. i\Iolé et de 'I'allcvrand , présentés comme des cxprcssions
ruinécs du systcme impérial, Au milieu de tout cela, quelquc
chose devait Irapper les esprits : c'était de voir dans l'oppositiou
tous les houuucs qui avaicut coucouru ¿t la restaurntion de la
dynastic , ccux inétne qui I'avaient sen ie avec le plus de dé-
vouemeut. Jc crois (lIJe dL'S ce momcnr des ouvcrturcs Juren:
Iaitcs a d'autres évcntualités ; ou prévit d'autrcs chances : la
branrhc ainéc nc Iut plus le dcrnier mor de la situation, tes
ltoyalisles jctaicn: 1'opininn active de }1. de Tallcyrand el (le ses
amis en dchors de la lu-tauration : Ul était un dílllgCr.\ la
Chambrc des Députés , la discussiun devait s'asscoir sur un (('1'-
rain tout nouvcau. Aux Pairs , en eílct , le discours de la COll-
ronnc nc s'était trouvé en opposition qu'avec la portion Iihéra!c
de I'asseruhlóe; c'était une opinion Iixe , dont le nombre ('! la
force étaicnt constatés , qu'on avait ¡¡ combaure el ¡¡ refutcr ;
mais aux Députés , il Yavait ti non-sculcmcntl'opposirion r<"gll-
licrc , mais déjil se Iormait , ;1\ ce une arden!' puissant« el une
haine infatigable, la conu-c-oppositiou de }nr. de La Bonrdon-
nayc el Delalot. Ccux-ci voulaicnt la gllcrrc immédiat« el [orle;
on aurait désir« que, toute affaire ccssante , M. de Vi1l01c cút
porté une annéc sur ;\ladrid, conune si ccnt millo honuncs se


ru, 119




:218 UISTOI BE DE LA IUSrAL!lATlO~. '
mouvaicnt avec la lll(~llle facj¡j¡é qu'un scruriu el des boules d'as-
S(~lUblécs ! Que de g¡'jefs (,OH ¡re le inin istre, chef de majorité !
Comhieu ces voix dcvaieut (\ll'(' puissantcs sur les Iloyalistcs l Ils
savaicut les perites alfaircs d'intérieur ; ils connaissaient profon-
démcnt le caractcrc de lU. de 'illt~le, ses délauts , les aílcctions
intimes des Iloyalistcs. lU. de Chátcaubriaud avait Iait {out son
possiblc pon!' arneucr une réconciliation , en démontrant la né-
cessité pour le cüt(~ droit de se rapprochcr contre l'euncmi COJl1-
mun , la révolution : les choses étaicnt allécs trop loin pour
qu'elle Iút réalisablc oucorc. L'opposition Iihórale , ~l son tour,
devait déclamcr ccnrre la g¡¡crrc, soit dans son hUI, soit dans ses
résultats, La commissio.t de l'adrcsse , composóo de }IJI. Lainé,
de Cardonncl , Josse B('z:mojr, Pardcssus , Dudon , de Salabcny,
Ilyde de Xeuville , d'Ilarconrt el de I'uyvalée , écouta plusicurs
projcts ; cclui de JI. Ilydc (k ;\emille, ardcntc cxprcssion des
royalistes bclliqucux , obtint la préfércucc : « Sous un gouver-
nomcnt Icnne ct paternel , disait-il , la situation intéricure du
rovauuie nc pout que s'amóliorcr ; la sagesse el le courage des
inagistrats , la {OY({IíU; des jurés , dont ricn u'a intimidé la con-
science , out d['jou(o tnus les complots, el les Iacticux out pcrdu
tout espnir d'impuniró ; c'cst par le rcrour lt la roligion , lt la
1tgilimité, ~l 1'01'<1['(.', qw' la Francc , jouissant cníin de la vraie
liberté, montrc ü 1'EUi'opC connncut les malhcurs publics se
réparent, Sirc , tHIC¡mS ~;acrílic{'s nc coútcrout ~l lOS peuplcs
pom défl'lH1rc la d¡[~¡¡Ílé de votrc COIll'OI1BC, l'houneur ct la
~)Úl'elC' dí.' ]<1 I'rancc ; c'cst Ü nous de ccnconrir de tous nos efforts
~l la p;~ll('lcm,e cntrcprise d'éroulfer I'anarchio , pour ne COll-
qn,'rir qne la paix ; de rcndre la tih('rt{~ ;1 un roi de votr« iiilllg,
d'atSii'c' L: re de 1'1:s]);\,.','uc nour 11ITl'l'llIir cdui di' la Francc ,
~ (' ! ,


el de dólivrcr du jou~~ ík ¡'d:!prl';';:~¡{)¡l uu p(,;¡p!l' qui nous aida
:\ 1" ise: ]'1)'.' fT(' ('l ('-'l' Pi' "("i 1""'("'(';" ,1"'¡l'c[¡""II'OJ'S confor-(. ~), ,)_1 t, .• J .... t,I..)., .tI, .. 1."J l' 1 \\ _, ,.1 ti .... '. t.t t .i. 'J
mes :\ e"" -,"')!!'- (" :, <';[0'" 'P(",,;;,,- 1"," .t. "'JI-} l.'" .. ituue souverain »


.... ,--u ~ '::h" '-"- ...~ l (. ,,~.) (.1 A..~ ..... ) ':t..... ltl....h. .. t'). _ t:; /.. 'LIl.
Sur ce projct ardenl, ¡U,piL()y;¡¡'¡(', la <:j;-:cussion s'ouvrit.


MM. de La Bourdonnayc el Dclalot attaquerout vivomcnt , non
pas le ministere en massc, mais la pm'lÍc illflw':lllC J ainsi ql1'ils




CJlAP1TRE xx. 219
l'appclerent tous dcux ; 31. de La Bourdounaye surtout signala
la marche du iuiuistérc counue cmprcin[c d 'IH~sitill ion N de
faiblesse , et accusa le Cabinct Iraucais de ses ménagemcnts pour
la rérolutiou d'Espaguc. « Eh quoi ! ajouta Xí, Delalot, au-
jourd'hui nous avous été accusés de vouloir une gucrre de Iaua-
tisme ,IlOUS avons été accusés puhliqucment ; el pourquoi ?
Paree qu'n convcnait ¡\ )1. de Vill(\le (k n{'gocier ¡\ )Iadrid, de
négocicr avec ceux qu'il aplH'lk aujourrl'hui les chcfs de la r{'-
voltc , il lui convcnait alors d(' laisscr sans protection dcux choscs
sacrées , la foi elle malhcur ; il Iallait que dans le 1110rnc temps
oú l'Espagne voyai; les d{of('lls('lIrs de son roi opprimés el livrés
an fcr de lcurs oppresseurs, iJ fallait qu'en Franco tous ceux
qui pnrtageaicnt les scntimcnts de ces gén{'rclIses vicrimes Iusscut
iuunolés ¡\ la dcrisiou publique. - On nie le droit d'intervcn-
tiou , dit )1. de kcrgorlay, jo le déícnds au contraire dans toute
son etenduc ; ce n'est pas seulcmcnt pour l' Espagne et son repos
que nous ferous la guerrc , mais pour nous-mérncs , pour notro
propre súrcté, -1':aYeu cst précieux , dit le général Séhastiani ;
qu'allcz-vous Iaire en Espaglw'? Yous alloz y ronquérir le pon-
voir ahsolu pOIll' IIOUS le rapportor en Frailee; et qui vous ohlige
ü cene gucrrc ? la conrrc-róvolution. » _\101':-;, au milieu d'une
impróvisatiou mal réíléchic , 1'1. de li!l(\!c', pour se justificr,
laissa échappcr cctte phrns« imprudentc : « SOllS sommcs dans
l'altcruative d'attaqner la rcvolutiou espagnole aux Pyróuóes , OH
d'aller la déícndrc sur le Ilhin. » Assortion Iausse, cal' les choses
n'étaicnt pas arrivécs ¡\ ce poiut : les trois Puissanccs avaieut fait
des rcmontrances , presenté quelques notes ponr presser la
Franco rl'cxécntor ses engagcments ; mais il n'y avait rien au
dela ; on n' ,1\ ait point menacé de la gucrre , OH W' l'aurai l point
faite. « Je demande, s'écria Ie g("Il{~ral Foy, quc la Chambre prio
le Iloi d'aviser ¡\ ce qlle jamais , par les chanrcs de la guerrc ou
sous prércxt« d'alliance el de SCCOIII'S, les troupes étrangcrcs
n'entrcnt sur 110tn' l('rriloil'(~; ce q:¡'O:l nous a dit pourrait le
Iairc craindre ; la Franco respire :1 iwinl' dcpuis la d('l'nitTC in-
vasion : n'allons )las gat('r Cl' qn(' uous ,1\ ons si difficilem('!1!




220 nrSTOTRE DE LA UESTAUUATlO:\'.
obtenu, Enfin tout se dévoile ; le miuistere Iaisait une gucrre
occulte, souterraiuc , depuis un an , it la nation espaguole; et tout
¿I coup cene guerre s'est manifestéo en éclats ct en mcnaccs. Il
y a done quelque cause secrete qu'il est diíficilc de bien saisir,
et que le président du Conseil nous a révélée. » 11 était facilede
prévoir qu'une opinión de répuguance contre la guer1'e sorait
exprimée par la gauche ; les sympathies qu'elle avait laissé éclatcr
pour la révolutiou espagnolc indiquaicnt naturellemeut sa ligne
de conduitc ; on n'cn fut poiut étonné. :\lais qu'nllaient Iaire les
deux centres? D'abord le renrrc gauche devait snivre I'opinion
de gauche un peu modiíiéc : :\L Duvcrgier de Hauranne proposa
un amcndemcnt an projet d'adrcsso , ponr dire que la Chamhrc
ne reuoucait pas encoré it tont espoir du mainticn de la paix. 11
fut rcpoussé par une puissante majorité. llestait i'opiuiou plus
timide du centro droit ; ce centre savait la répuguancc de 1'1. de
Yillele pour la gucr1'c, il l'ssaya d(1 la sccondcr ; M. Lainé se lit
le faible d0f<'nscur du partí de la paix. Son amcndement répon-
dait ~I la pensée de la couleur ltichclicu a la Chambre des Pairs ,
avcc laqucllc il s'ótait intimcment lió. l\l. Lainé n'avait pas re-
marqué quc, danslcs grands Iroissemcnts de partis , los centres
dispnraissent , les nnances s'eu vont , ct que la prcs(l'l(' iotalué
du centre droit s'était fOIH]\I(\ dans la droite ("1\ crUf' cirronstanrc.
OIl avait une adresse , une adrcsso brúlautc el hclliqncuse , et
qui , par conséquent , devait plus cmharrasscr la politique pró-
caurionncuse de JI. de villelc que la servir : commcnt négocier
cncore , lorsque la Chamhre demandait ~I grands cris que ron
marchát ct que l'on rétahlit le roi ahsolu SUl' son trñne ? Toute
la circouspection du président du Conscil était déjouée par ceno
majorité de guerre ; son auitudc timide , cmbarrassée ~I la tri-
hune , avait révéló ses vcritahles opiuions ; c('(le inconccvnble
phrasc qu'il avait lnissé érhapper , les menares de la Sainte-
Alliaur.c qu'il avait anuoucécs CH pr('s('l\ce de la Chamhrc, tout
cela avait un pcu minó son cródit ; il (,tH (,,(. a l'aisc si, en pr('-
sencc d'une aulrt: ll1a,!Oritl', il a\ ait IHl remanier son minisl('I'C'
l't 1'\'s\<'r <!ilHS des onilli()l)s mirux ('11 harmoni« ílY("(' son carar-


I




CHAPTTRE xx. 221
tére , et je diraí presqne avec la position des aflaírcs. Des pro-


po¿,j¡jom, lu) Iurcnt ¡;ü/(',~' pL7F le PL7)'¡j Ilichelieu et le centre
gauche , mais la chose était impossiblc : il Iallait dissoudre la
Chamhre ; <'t qui pouvait prouicure une majorité dans ce granel
mouvemcnt électoral? leí ~I. de Villcle se montra dans l'attitudc
d'un honnne politique qui n'était pas son maitre : personnelle-
ment opposé ~l UlH' rucsuro , il s'v laissait pousser comme malgré
lui. Un autre ministre aurait donné sa démissiou; ~I. de Yilléle
n'était pas pour ces partís tranchés : íl S(' réscrvait de conjurer
les évéucmcnts,


Cependant lU. de Lagardo quittait Madrid, aprés avoir renou-
velé d'inutiles eflorts aupres des Cortes pour arriver á un chan-
gcmcut dans la constitution ct la ramencr aux proportions de la
charte Iranraise ; il existe ~l ce sujct une correspondan ce infini-
ment curieuse aux aílaircs étrangcres. Pour bien comprcndre la
position de M. de Villele, on doit surtout pénétrcr dans ces mys-
térieuses ct intimes coníidcnccs ; il est constant que si les moin-
dres concessions avaicnt ('l(~ Iaitcs par les Cortes, d'apres les
instances communcs de sil' William A'Court el de lord Fitz-
Sommcrser , i\l. de Lagarrle ne devait pas quitter I'Espagne ;
M. de Vim-le anrait saisi le prcmier prétexte, Les Cortes domen-
rércnt inflexibles; on les avait placees dans une Iaussc position ;
commcnt une assembléc politiquc , un gouverucmcnt (fui se res-
pccte auraieut-ils pu céder 1\ des mcnaces publiques el rctcntis-
santos (,H Europc? M. de San-'1 igncl alla trop loin , il cut de
l'impcrtincuce ; tel cst le caracterc des esprits de révolution ;
touro concession lcur parait impossible , el puis ils perdcnt lenr
cause par ces ent('\lcments. Aprt"s avoir épuisó toutes les voiesde
conciliarion , JI. de Lagarde traversa lcutcmcnt l'Espagnc dans
l'ospérance d'un dornicr retour YeI'S des idees ele modération ;
il u'arriva 1l París quc dans la soirée du 27 Jévrier. 11 avait ficll'-
lemcnt suivi les instructions d(' ". de Vim'¡e; iI était déposi-
tair« de ses sccrots : OH avait hosoiudc son silcnce. Dans cene
position , le présidrnt du Couseil dut sollicitor de Louis XVlfI un
hall! ll~ml)jgnage de rovalo g"'atilllde: :.\1. de Lagarde Iut é!evl' a




222 HISTOInE DE LA RESTACRATIO:\'•.
la dignité de pair de France; on voulaitpar la témoigner surtout
qu'on était satisfait de sa conduite modérée a -'ladrido M. de
Villele, dans plusieurs coníérenccs arce l'aurbassadeur francais,
prit une connaissance approfoudie de la situation de l'Espagne ,
situatiou qu'il ne connaissait qu'imparfaitcmcnt d'apres les rap-
ports exagérés des memhres de la régence d'Urgel. 11 sut aussi
la force réelle que les Espagnols pourraient opposcr, au cas
d'une invasion armée; M. de villele térnoigna égalementa 1\1. de
Lagarde toutes les diílicultés de sa position en présence d'une
ClJambre qui rou1ait atoute [orce la guerreo Les négociations
coutinuaient 11 París; OH arait recu a Londres le discours de la
Couronne de France. Il avait produit une fáchcuse impression;
lord Stewart recut ordre de déclarer au Cnbinet francaisquc « si,
d'apres le sens naturel de ce discours, la nation espagllOle devait
consentir a une modification de sa constinuiou, non ~\ cause des
défauts qu'elle peut offrir, mais paree qu'elle u'est pas éruanée
originairement de la Couronne , j] était évideut qu'aucun Espa-
gnol ne pouvait consentir ;\ entcndrc parler sculcmcnt d'uue
modification ;\ eette constitution , el qu'aucuu honune <1' État
anglais ne pouvait également soutcnir el Iavoriscr une scmblable
proposition; alors l'Allgletcrrc 11e pouvait plus Iaire un scul pas
communément arce le Cabinct Iranruis pour arriver ;\ un hut de
pacíñcation ; que le príncipe par Icqueiagissait lt' Gouverucmcnt
írancais ue pouvait étre ni recounuandé ni suivi par 1\1. Canning
ni par aucun autre ministre quel qu'il Iút , cal' il blessait les
Ioudcments mémes de la constitntion de la Grandc-Bretagne :
que di's lors ce pays ne pouvant l'accepter ponr Iui-mémc , ji
était dans l'impossihilitó de le proposer aux antros. » Sir Charles
Stewart vit plusieurs fois 1'1. de Chátcaulniand ; il lui demanda
une explication positivo sur l'objct de sa notc : JI. de CJ¡úteau-
hriand lui répondit (C (IHe le caractcrc <'l l'esprit qui dominaicnt
dans le discours du roí de Frailee étuicnt ln~s-propres a[aire céder
les Espagnols sur les poiuts désirés par les dcux Puissanccs ; quclle
que püt etrc I'inteution auachée anx oxprcssions de S. }l. par
ceux qui étaient Mterminl's ;\ considórrr tomes les lIWsuJ'('S pro-




CHAPJTI1E xx. 22:3
posées par la Cour de Franco connne les moyens de rétahlir le
gouvcruemcut ahsolu en Espagnc , il ne pourrait jamáis croire
que les conununications qui avaicnt ea lieu avcc le Cahinct an-
glais eusscnt été mal comprises au point d'autoriser de tcllcs
suppositions ; le Couvernemeut Irancais serait non-sculcmcnt
satisfait de voir le gonveruement eonsLitutionnel établi en Es-
pague; mais encore , sans aucudre d'autrcs prcuves (L la sin-
cérité du Gouveruement espagnol, i1 considórait ces actes commc
donnant des raisons suflisautcs de suspeudrc ses annerncnts , et
de renouer les relatious avec les deux pays sur le pied OÚ elles
étaicnt. » l\l. de Chátcauhriand n'cntrait (bus aucun détail sur
la uaturc des actcs auxquels il Iaisait allusion ; mais il lit com-
prcndrc qu'il s'agissait du projct d'accordcr au Iloi la nomina-
tion du Conseil d'Úal, el de Iui douner le pouvoir de délihérer
d'apres le príncipe qui consume le sénat américain. » Ainsi
1\1. de Yillele ne voulait pas plus la guorrc avaut qu'apres le
départ de 1\1. de Lagardc : sa prótention , un pen puérile , était
de donncr Ü Madrid la charte írauraisc ou quelque chose de
sí'lllhlahh'; iI intcrvcnait ponr fixer les formes iutéricures du
gouvcrncmcnt espagnoJ, prótcntiou inoule dans les anuales diplo-
matiques. Qu'était-cc , en d'l'd, nutre chose que cl'imposer un
gouvcrucmcnt Ü l'Espagne ? 31. Cailning, qui cherchait ¡l ra-
iuener la qucstion ¡l des inl{'r0[s positifs , el qui voulait surtout
rcpousser l'idéc d'un droit Ioudé sur 'la pareHl(' trop étroitc des
Bourbons, communiqua ¡l '\1. de CÍl;lle(lubriand un article rl'un
traité secret conclu cutre la Franco el l'Auglcterrc en '1HI!¡, ct
par lcquel l'Espaguo el la Frailee rcnonraicnt aux anciens 1ieH3
du pacle de Iaiuillc. Ce! anide était ainsi COBt;H : « S. JI. C.
s'eugage ¡l Jl(l participcr ¡1 aucun li'ail{~ ni e¡¡gap;e!l1('lll <I.\C(' la
Frailee, de l'esp~'C(' el de la uaturc de cclui C01l1m sous la d(~­
nomiuatiou de pactc de [aniille , ni d'ell!¡'Cr dans aucun ar-


o. •l' ~ , .. [' . "1' ,rangcmont q¡¡¡ aurait pour IlHitl el alll'ntel' a . rnucpcuuance
de l'Espague, » De Hl 31. Call1lillg concluait avec justcssc que la
Franre ne pouvait invoquer aucun droit partirulicr d'intcrvcn-
I ion Iondé S11I' les intéréts de famillc. Uno dilliculté plus imj.or-




224 mSTüIRE DE f,A RESTAURATIüN.
tanto portait principalement sur le Portugal, Ici l'Anglctcrre
était spécialemcnt engagée par des traités ; le casus [auieris
pouvait étrc invoqué : quelle allait ('tre la eonduite de la Frunce
¡l cet égard? l\I. de Chñteaubriaud chargea ~l. de l\Iarcellns,
secrétaire d'ambassadc ¡. Londres, d'assurer positivement a
1\1. Canning « que, si le Gouvcrucment Irancais était forcé de
déclarer la guerrc au Couverucmcnt cspagnol, ce n'était point
pour établir et défendre des théorics politiques , mais seulement
paree que la súretó immédiatc de la Frauce ct ses intéréts essen-
tiels étaicnt compromis par la siluation intéricure des affaires
d'Espague ; que la Francc n' étant, sous aucnn rapport , dans la
mémc position yis-ü-YislePortugal, iI n'yavait aurun motif plan- .
sihlc d'cngager le GOUH'rJlCIllCnl portugais ¡¡ rcnoncer ¿I ses re-
lations de paix ct d'amitié. Les mémes instructions furcnt <1on-
nécs au chargé d'aflaircs de Franco h Lishonne. Au reste, toures
les parolcs de lU. Canning, daus cettc diflicile uégociation ,
n'avaíent qu'un but , qu'elles ne dépassercnt pas ; il ne voulait
prendrc aucunc part ~l I'intcrvcntion , mais il se hornait ~I dos
plaintes ; point de menares positivcs, L'Angletcrrc devait se
tenir mécontentc ot ncutre , el \oiHl tour. Sir WiIliam A'Conrt
coutinuait ses hons offices pon!' amener, s'i! était possible , une
conciliatiou ; il ne quitta point -'Iadrid.Les Corles ne cédercut
on ricn. J'ajoutorai qlle, dans loute cdle n('gocialion, ji Yout
de la par! de'L Canning plus de forfautoric que de YOIOlll('
d'ompécher les hostilités par une démonstration arméc , sa
pells('c était de maintcnir sa majorité au Pnrlcmcnt et sa popn-
brillo en Ang1delTe.


Tout était ~l la gllCITC Ü Paris ; l'arméc filait HI'S les Pyr('l1('f'S,
<'t le duc <l'_\llgoull~nw, ¡lPiw1(' ~I 1111 posl<, d'honneur , s'orcupait
dela romposition de son pcrsonncl militairc. Or, ;1 quols houuncs
J .],. '] f' -, ? 'j' l' . l'a Ilcstauration ¡LI~lIt-('Jll~ con u-r son ( raJwau. _e <'t,llt aseen-
rlant <le la civilisation ('\ dcs nouvellcs id('cs, (IlW le succes de la
l¡¡!tc qui allait s'cng;¡grr contrc elles nc pouvait folre conli«
qu'aux cnfants d(' la Ilóvolution ('\ <1<' l' Empir<'. Je dois dirc ;1
l'{»flgP dr l'arnll',(' ([1](', sanf (l'w1qlll's malllel1l'('IN'S (" rarrs ('\-




CTIAPITTIE xx. 225
ceptions, elle se maintiut lldNe ~l la uouvellc dynastie , depuis la
mort de Napoléon surtout. Et d'ailleurs il y a daus le princlpe
de l'obéissancc militaire un líen puissant qu'on nc brise que de-
vant quelques noins prodigieux. te gónéral appelé ~l un poste de
hravourc ne l'abandonne poiut , et c'est en se pénétrant de cene
Hohle idée que le duc d'AngouWme choisit son état-major et ses
chefs de corps sans distinction rl'antécédcnts. Un premier tra-
vail ful soumis au généralissime par le maréchal Victor, ministre
de la guerre; il coniprcuait de vicux gónéraux unis a quelques
fortunes d' emigrarionel de malhcur ; e'était la grande fnsion (IU'on
voulait opércr sous la lente, el dont parla plus pard JI. de Chatean-
hriand. Le duc rl'Angouléme n'v fit ancunc objection ; il choisit
d'ahord le comtc Guilleminot pour son chef d'état-major ; c'était
un officier g{'nrral de l'écolc de Moreau , fort instruit, tres-
capahle de dirigcr un ensemble d'arméc et de donuer ces ordres
précis et complets qu'cnteudait si bien le maréchal Berthier sur
un champ de hataille, te gl~néral Guilleminot devait acquérir
plus iard la haute eonfiance de ,,1. le duc d'Angouléme: tous les
choix el'oflicicrs g('nrraux étaient parfaitcmcnt faits; on y comp-
tait les maréchaux Mon('('y, vicux déhris de nos hataillcs en
Catalogue: Ourliuot , le hravo d'avant-gardc ; les Iieutenants-
généraux Molilor, Canucl , Tirlet , Curial, Jlousscl d' Hurhal ,
Bourck , Conchv, Pamphile-Larroix , Dode de la Bruncrie ,
Castex, Domen el 01)('1'1. En entourant le duc d'Angouléuio des
noms militaires de l'Empire, le partí royaliste no voyait pas que,
par l'influencc qu'ils allaicnt excrcer sur l'esprit du généralis-
sime , le pnrti prépatait un ordrc de choses peu favorable aux
vieux intéréts qu'il voulait réveillcr par la campague d'Espagne;
N qu'ainsi , en Iurtant centre la Hévolutiou , il allait mettrc le
pouvoir daus les mains de ses plus glorieux cnfants. J1I. le duc
d'Augouléme avait de I'honneur, de la frnnchise el cet engouo-
ment de la gloire militairc que son cnrouragc pouvait si Iacile-
mcnt cxploitcr. En Ilattant l'amour-prnprn du ghléral:ssünc, en
rnmparant sa perito taill« ;1 cclle du géant dont ils avaicnt suivi
l'aigl (',ils pouvaiont absorher sa confiaurc et Ie diriger dans leurs




226 mSTOIRE DE LA RESTAUHATION.
desseins. Le général Guillcminot cut hientñt conquis un tel
ascendant qu'il alarma le maréchal Víctor. Celui-ci put pré-
voir que dans un tenue tres-prochain le dépnrtcmcnt de la
guerre tomberait dans les mains du major-général tout-puissant
sur l'esprit du chef de l'armée franraisc, Le parti royalisro voyait
aussi avec peine ce haut asccndant du gl'n{oral Gnil1clllinot, d'un
homme dont les opinious avaicnt toujours Né modérécs ot 1II(~IlW
libérales; il dut des lors inventor tous les moycns de le perdre
pour lui substituer un chef de sa confiance. Le général Guille-
minot, instruit de toutes ces meuées , savait contre qui il avait
a lutter, et de la cette rivalité mcnnruntc entre lni et le ministre
de la guerreo Le général était dans un poste trop important pour
que le pouvoir ne lui restát pas en détinitive. Que fit des 101's le
partí royaliste? il résolut de le compromcurc par un de cos
coupsqui lui étaient familiers ; et, sur un ordre concerté entre
la pollee de lUI\!. Franchet ct Dclaveau , 1\1. de Lostende , aide
de eamp du général Guillcminot , fut a1'ret(~ comme prévcnu de
conspiration : il s'agissait , je crois , d'un paquet de cocardes
tricolores qui lui était adressé. Les rapports soumis au Conseil
étaieut tels , qu'ou n'hésita point a nommcr un nouveau major-
général, M. de Villele , pour se débarrasscr du maréchal victor
et tout a la fois pour exposcr sa rcsponsabilité, luí ronfia ce
titre de major-général , mee ordre du Iloi de se porter aux
Pyrénées, Les Iloyalistes triompherent un momcut, Le maré-
chal ne quittait le ministere de la guerre que par interim -' il en
gardait le titre et réunissait eelui de major-général. I ..e porte-
feuille fut instantanément confié au vicomte Digeon , le plus
dévoué des serviteurs de lUOl\SIElR. Le vicomtc Digeon ne
pouvait étre UlI obstacle a ~1. de Yillele ; dans le Conseil, c'était
une voix obéissante , liée avec la majorité de la Chamhrc : on se
proposait, si le maréchal Victor gardait le tiírr: de major-général ,
de donner défiuitivcmcut le miuistcre de la guerre au vicomtc
Digeon. Toutes les dispositions étaicnt faltes pour arriver 1\
ce résultat; M. de Villele craignait le maréchal, plus puissant
sur l'opinion rovaliste qu<' lui - méme ; son dévouement pOI1l'




CIIAPlTHE X.\. 227
la guerrc d' Espague avait agraudi son crédit sur la majorité;
M. de Vil\l~lc cherchait des lors a le cornproiuettre ; iI Y réus-
sil et s'en débarrassn. On s'imagine bien que le général Guil-
leminot fut profondémcnt hlcssé de la conduite du ministre
de la gucrre , il lit partager ses resscutimcnts au duc d' Angou-
lérne; et Iorsqu'il fut constaté que la conspiratíou dénoncée était
sans ímportance ct Be touchait en aucune maniere au major-
général , M. le duc d'Angoulémo exigca qu'il reprit le poste de
couflauce qu'il lui avait donné. Des ce moment le général
Guillcminot et le maréchal Victor dcvinrent irréconciliables ; la
pertc politique du maréchal fut j nrée ; le général Guilleminot
en avait tous les moycus ; il dominait l' esprit du Prinec; et
d'aillours tout avait étó organisé si confusémcnt sur les Pyrénées
pour les vivres ct les transports , qu'on put faire croire que rien
n'avait été prépar« ; on avait millo ressources pour accuser le mi-
nistre de la gucrre ; le maréchal avait inspecté tous les corps ,
rempli tous les scrviccs ; mais ces services étaicnt-ils suffisants
pour mettre une armée de ccnt millc hommes en campagne? Ceci
donna Iieu aux marches Ouvrard , affaire d'état-major que j'aurai
plus tard a révélcr.


Au milieu de ces hcurtcmeuts d'opinion et des hésitations que
faisait naitrc la guerrc d'Espagne , il Iaut se garder de croire que
le Conscil des ministres fút parfaitement d'accord sur toutes les
questions poliriques, te présidcnt du Conseil prcnait un aseen-
dant trop puissant sur le Iloi ponr que ses col/egues n' en fussent
pas blessés ; l'ancicnuc obéissancc et la camaraderie hourgeoisc
de JI. Corhierc avait ses cmportcmcnts , sa mauvaise humen!',
ses porircs inquiétudcs , ses entétcmcnts surtout ; M. Corhiere
nc ccssait pas cl'étrc l'ami de JI. de villelc , mais un ami bou-
deur , diííicile Ü coudnirc et ¿I ca1111\'1'. M. de Peyronnet avait
rcndu (les serviccs 1('gisJalifs aux Iloyalistcs, el, pour cherchcr un
appui contre la puissance minisróricllc de )1. de Villelc , il s'était
plus particuliercmcut jeté dans ce que j'appellerai la fraction
rciigieuse , qui trouvait son oxprcssion aSaint-Oucn et al\lont-
rouge. ~l, de Lauriston , toujours uni a M. de Villelc , restait




228 m5'fOLnE DE LA HES'ULHATlOi\. '
;n ec son S) stcuic de modération el de tcmpéramcut ; OH Iui ré-
servait un counuandemcut daus l'arrnée el' Espagnc. 31. de Cler-
mont-Tonnerre avait du crédit sur le parti roligicux , mais il
n'existait que par 1\1. de Yillcle. JI n'y avait done de véritables
ministres importants , paree qu'ils étaicnt I'exprcssion de partís
politiques , que 1\1. de Cháteaubriand et le maróchal Vietor ; ceux-
ci vivaient en méfiaucc de lcurs collegucs; on uc leur disait pas
tout et ils Be disaient pas tout eux -mémes. l\l. de Chñteaubriand
surtout se plaiguait déj;l des a-norte que ]\1. de Vi\lcle avait
avec ses nmis politiques du Couscil, de ces chuchoternents d'em-
brasurcs de croisées , de ces causeries intimes, qui indiquaient
qu'ou n'avait pas une absoluc conliancc dans le ministre des aflai-
res étraugercs , M. de Cháteaubriaud s'cn alannair. Louis XYIII
ne l'aimait pas ; il ne lui avait jamáis pardonné ses vives attaques
contre M. Dccazes, ct ces mots le picd lui a glissd dans le sanq~
Besortaicn t pas de sa méinoirc ; el puis , e'étai1 une petite haine
Iiuéraire de l'auteur du YV!Jagc ú Coblentz eontre l'auteur de
L'Itincrairc de París ú Jcrnsalcni ; le noble caracterc de M. de
Chátcaubriand n'avait jamais pu se ployer aux pctites intrigues
d'anrichnmbrc el de favoritc , qui auraicnt racheté aupres du Iloi
la puissance el l'éclat tl'unc uop grande réputation. D'ailleurs
ce n'était que Instes , que pompos au niiuistcrc des alfaircs éuau-
gercs ; les Iétcs somptueuscs <le ,,1. de ChaL eati briaud acca hlaicnt
les petites réunions hourgcoiscs du présideut du Couseil. )!t'll' de
Villclc ne pardounait poiut les Iéerics de I'hótel de la rue des Ca-
pucines ; tout l~ monde s'occupait ;1 París de ~1. de ChaLeau-
hrinud : el l'on nc parlait du président du Couscil qu'ü la Chambre
ct ü la Bourse. J'ajoutcrai que la g('nérositó du caracterc de
1\1. Cháteaubriand lui conservait méme de la popularit« aux af-
Iaires, Par suite d'unc condamnatiou de pressc , JI. :Uagalon,
qui avait ílétri les Bourbous , avait él(' couduit comme un mal ~
Iaiteur ~l Poissy ; le ministre s'iutéressa pour lui Iaire obtenir sa
liberté; il tcnait ~\ honncur de protégcr les gens de lettres; il
multipliait les pensions , les récompcnscs ; il craignait l'('pi-
grauuue ; et par le ton de politcsse el de courtoisie qu'il appor-




ClJAPl'l'HE xx.


tait dans ses discussious , méiue aHC ses euncmis , il chcrrhait ~l
ramcner une disscrtation poliosans injurcs : arel' cela Iastueux ,
conservant tonto la supériorité du talent , ócrivant arel' ce hon-
hcur de mots et de pensées une dt'peehc ct un articlo du Journal.
des Dcbats ; correspondant avcc M. Canning , dont personue
n'enviait plus vivement la popularité; dédaignaut un peu trop le
matériel des burcaux , le personnel d'administration , chose
cssenticllc asavoir pour un ministre; pkin de faiblesse et de
Iaisser-allcr pour tout ce qui tonchait aux hommcs , aux opinions
et aux antécédents : ministre le moins pro}lrc par conséqucnt ~l
devenir la main dirigcantc rl'un parti , d'un partí implacable <fui
demandait des dcstitutions , des placcs, ct ce systemc de pcrsécu-
tion ct d'cxclusiun auqucl le haut esprit du ministre des aílaircs
étrangeres ne pouvait s'associer. A cúLé de ceHe poétique figure
dc ~I. de Cháteaubriaud , placcrais-jc l'admíuistrntion de ;\1. Cor-
hiere, caractcre tout ~l fait en opposition avec les mreurs glo-
rieuses et les habitudes brillantes de son noble collcgue ? Le mi-
nistere dcl'iutéricur était divisé eh trois départcmcnts principaux,
coníiés , ainsi (lile je l'ai rapporté , ~l J1Dl. Frnnchet , Capellc ct
Lourdoueix. Je dNendrai la probit« de iU. Frauchct ; etje n'adop-
terai pas ri'iguoblcs calomnies contrc un pieux ruracterc ; mais ,
honunc ~l vue courte et un pcu tracassier , il imprima ~l la pollee
de ~l. Corbicrc un jo ne sais quoi d'inquisitorial. OIl ne se St~­
pare pas de ses opinions ; la pnlice pénótra dans la vil' privée el
tounncnta l'indiflércuce ; lout fut soumis en Franco h une cspcce
de surveillancc sacerdotale. Dans la sccoudo division , l\I. Ca-
pelle servir l'impulsion g('uéralc; il avait l'instinct de ce qui
pouvait convenir au partí royalistc ; toutc dcstitution sollicitéc
vivcmcnt par les honuucs inflncnts de cetrc opiniou fut accor-
Me; préícts , sous-préfets , sccrétaires généraux , tout Iut donné
aux sollicitations rcligicuses ct monarchiqucs . Aussi , peu de
plaintes de partí s't·lc\ ('.rcnt conlrc lui : u'était-il pas d'aillcurs
le secrétaire de lUOl\:SIECH? JI. de Lourdoucix fut égalcmcnt
cutrainé par ce torrcnt; les lcttrcs , toujours libres et un peu
tépublioaiues , durcut se Iaire pudibondcs ct sujcucs , l'ode , le


IU. 20




230 llISTOlHE DE LA HESTAUHATlON.
poérne ('pJ(Iue et l'histoirc , tout dut moduler les hienfaits de
la vieille mouarchie , et les jeunes poiiles n'y manquaient paso
Pour se montrer fort , le pouvoir devint taquiu ct tracassier ; on
óta des brevets d'imprimeur avec fracas; on arracha les profes-
seurs de leur ehaire; l'École de médecine fut brisée paree
qu'elle n'était pas assez idéaliste; ceci conveuait au caractere de
M. Corbiere ; hon homme au Iond , mais esprit rancunier , il
contribua adépopnlariser tout afait le ministere de l'intérieur.
L'administration devint aHX yeux du peuple comme un instru-
ment hostilc qui allait centre sa haute dcstination , celle de pro-
téger tous les droits el la prospórité publique. On no sait pas
assez le mal qu'a fait aux principes <In Gonvernement et d'ordre
cette opínion populaire que l'adminÍslration est l'ennrmie des
intéréts ; de quelle difficulté cetro opinión enracinéo Il 'entoure-
t-elle pas le Gouverncmcnt ? La prcssc injuste y contribua sans
doute , mais le Pouvoir y mit lui-méme la main hautement.
Ilestait le ministere de la justicc : et ici égalcmcnt le caractere
superbe , indomptahle de lU. de Peyronnet s'opposait ~I ce que
le Gouvcrnement obtlnt ceuc popularité , puissance iuuncnse
dans le systeme représcntatif , parce qu'ellc est une force mo-
ralo. lU. de Pcyronnct, cxccllent administrateur , avait la main
rude et dure pour tout ce qui touchait aux actos cxtérieurs de
la puissance royale ; un avoca! demandait-il ;1 plaider en dehors
de son ressort, lU. le gardo des sreanx le rcfusait ; ct cela quel
objet pouvait-il avoir? quels résultats monarchiqucs se pro)1o-
sait-on ? le scandale était-il évité ? aquoi hon toutes ces petites
riguenrs? J'ai tonjours eompris les coups dp force qui peuvcnt
avoir uu résultat , un succés : mais les tracasscrics centro un
pays, contro une opinion , pourrait-on dirc ~l quoi cela sert , si
ce n'cst pas ü aigrir les esprits et ~I préparor de plus grandes el
de plus fortcs résistances ? TeJ fut 1111 pen le caracterc des der-
nicres années de la Hestauration ; on n'osa quclquc chose de
violent , un coup d'Élat cníin , qne lorsqu'on eut préparé le
pays a la résistance, et alors la Rcstauration tomba, faible
qu'elle s'était faite, devant l'opinion géant, N1.11 ne pouvait con-




CHAPITRE XX. 231
tester a ru. Frayssinous les lumieres ct l'indulgence , et tous ses
bureaux , sous prétexte de religion , établissaient une espece
d'enquéte dans chaquc coIlégc; 1'intcrvention épiscopale ame-
tui: des luucs dan.') des localil.és ; tuicnu cllCf d 'iustitntion u'éteit
sür de son établisscnient. Les inspccteurs généraux de l'Uni-
versiré ne se horuaicnt plus ~l ccttc largo el sérieuse surveillance
des études; ils faísaient des rapports , espéces de billets de con-
fcssíon , a la suite desqucls on pronoucait la destitution d'un
professeur ou la fcrmcturc d'un collége : qui ne se souvient de
Sorrezc l .i\'e pouvait-on pas donuer une impulsión religíeuse
sans [aire tant de bruit! Ces moíndrcs círconstauces , naturelle-
ment exagérécs, étaicnt cxploitées par les journaux, La Iles-
tauratiou , ce grand fait social, s'avancait dans le discrédit et
l'impopularité,


Toute entrcprisc militaire appelle un vote de subsides , et ra-
mene sur ce terrain la grande questiou de la paix ou de la guerre :
cela se pratiquo ainsi en Auglcterre. Les ressources de l'année ,
I'excédant méme du budget, ne pouvaient répondre aux besoins
du senice extraordinaire, La guerre est si coüteuse dans les
temps modcrues! C'était surtout une des causes qui éloignaient
1\1. de Villelc d'une invasion en Espagne ; il sentait que cette
charge nouvelle ímposéc au Trésor dcvait déplorablement influer
sur le crédit puhlic ; il s'y résigua, mais a contre-conn-, et il dut
examiner dans quelles combiuaisons allait étre réglé le nouveau
budget, Ilecourrait-on a un cmprunt? s'abandonnerait-on aux
ressources présumables de l' exorcice? Le premier parti était plus
simple; mais au milicu de la crise aquel taux se négocierait cet
emprunt ? « Il est impossible de prévoir avec exaetitude, dit 1\1. de
Yillele , les hesoins extraordinaires , puisqu'ils dépendent des
évéuements, el il serait contraire a l'intérét du pays de publier a
l'avance le détail des anucuicuts auxquels le Gouvernement de-
Ha se livrer. Nous demaudous seulcment un crédit supplémen-
taire de 100 millions, dont le ministre des fiuances ne fera usage
que 130m satisíaire aux besoins extraordinaires ; une création de
II millionsdr rentes ajontés aux hO millions d'excédant qne vous




232 msrotns DE LA RESTAURATION.
avcz sur les hudgcts précédcnts, complétcra pom 1R23les moyens
de satisíaire aux hesoins cxtraordinaircs de cet exorcice. »Ainsi ,
en résumant la position financierc, on trouvait d(>jü l¡3 millionsa
imputcr sur les 100 millions dcmandés en crédits supplémeu-
taires. )¡ Elle n'était pas mauvaise , cette situation du Trésor ; on
pouvait entreprendre une grande expédition militaire sans nutre
ressource que ses revenus ordinaires , ct sans grever sa dette de
plus de 4 millions de rentes! « Apres avoir fait tous nos cfTorts
pour éviter la guerre , continuait ~J. de Yilli-le , u' en exagérons
pas les fñcheuses couséqucnces ; si (,He a lieu, la prospérité de la
Francc doit sans doute éprouver quelque ralcntissement dans sa
marche par suite des circonstances actuelles ; mais elle ne recu-
lera pas, et ses députés peuvcnt , je crois , partagor arce nous
cette confianee. » M. de ViJIelc ue se départit jamais un seul
momcnt de ses opinions opposéesal'intervcntion armée. Le pré-
sident du Conseil voyait alors beaucoup la haute hanque; il était
en rapport intime arce 1\1. Laffittc. Personnc , plus que lU. de
Villcle , n'appréciait sa sagaeité et son cxpérieuce dans les grandes
opérations financieres ; il le consultait également sur la posítion
politique , et 1'1. Laffitte partageait l'opinion des malheurs et
des catastrophes <tui devaient, disait-on , accompagner la guerre
d'Espague. A cettc loi de íinancc lU. de VillNe avait joint une
secoudc mesure tout a la Iois de hudget et de politiquc sur la do-
tation de la Chamhre des Pairs. Que se proposait done l\l. de
Yillele par ce projet? Était-ce une menacc a la Chamhre des
Pairs, hostile au system« ministériel ? En tenant le glaive sus-
pendu sur chaqué existenee de pairie, en remaniant l'éeonomie
des dotations , appelait-il h son secours toute la partió tremblante
et iutéressée de la Chamhre haute? Par ce projet, M. de Vil-
lele rcmuait tonto la pairie , c'était son hut : mais u'était-il pas ¡l
craindrc qu'uue fois ce prcmier moment de tcrrcnr passé, el les
dotations afformies par UIlC loi , la pairie ne devint plus indé-
pcndante, et que l'arme ne tournñt pr('cisémcnt centro le mi-
nistóre qui l' ayait Iournic? Pour le momeut , e'était une menace,
el c'ótait tout ce qu'un voulait ; il Iallait appelor des votes au




C.HAPTTRE xx, 233
ministére. Par le nouvcau projet , on créait une rente perpétuelle
de 3 millions 600 000 fr. pour etrc toujours afIeetée ü la dota-
tion de la Chambre des Pairs ; une sommo de 800000 fr. était
applicable aux dépcnses anuuellcs de la Chambrc: le surplus
était divisé en pensions de 12 a2h 000 fr. que le Iloi aecorde-
rait ason gré par ordonnaucc royalc. Ces dotations étaient irré-
vocablos et transmissiblcs avec la pairie , mais sculemcnt jusqu'a
concurrence de 12 000 fr. Par le projet de JU. de Villelc, la
Chambre des Pairs allait étro ahandounéc en quelque sorte au
libre vote de la Chambre des Dépurés, acette majorité haincuse
qui ne pardonnait ríen h la pairie, ni son écIat, ni son talcnt;
l'élite de París et les sommités politiques et administratives
étaient aux prises avec le peüt esprit de proviuce, les étroites
capacités de clochcrs. C'était une cxpiation de ses doctrines mo-
dérées qu'on voulait lui faire subir! Alors commencerent ~l se
discuter des projcts de partís sur la Chamhre haute; les uns
voulaient des pairs viagers , d'autres en multiplaient le nombre
ü l'iuíiui , et chaquo annéc le Iloi appellerait par lcttrcs closes
un ticrs 011 un quart de ses mcmbres, Il cst curieux de remar-
quer que tous les partís triomphants ont cherché ¿l démolir la
pairie et aI'avilir surtout, paree que l'éclat des talcnts , la force
de la fortune , de la torre ou des scrvices donnent de l'indépcn-
dance, ct que l'indépcndance cst importune aux partis ; ils se-
couent les résistances comme une gene.


A la Chambre des Députés, M. de Martiguac, désigné dans la
pensée de M. de Villele pour aceompagner le prinee généralis-
sime comme commissaire civil, fut chargé du rapport sur les
crédits cxrraordinuircs : il cxercait déja un grand ascendant sur
la Chambrc. Je ne sache rien de plus spiritucl et en méme tcmps
de plus léger que son rapport ; on n'cút jamais pensé qu'il se fút
agi de financc et de demande de suhsides au pays. « Tous les
rapports diplomatiqucs , rlisait-il , ont eessé entre la France et
l'Espagne; cent iuille Francais sont pn~ts ~l marcher, des prépa-
ratifs militaires se font avee activité des deux cótés des Pyré-
Ill'CS, et la guerre se montre immincnte ü tous les veux ; c'cst




23lJ ntsronn: DE LA RESTAURATION•.
dans cene siluation que le Gouvcrnement du Roi vous demande
des sccours suppléuientaires , et votre commission m'a chargé
de vous le déclarer : aucun de ses membres n'a pensé qu'il füt
possib!e de repousser une scmblable demande. P~rsonne ne con-
teste qu'une gucrre , memo juste, soit un malheur, et que le
sccours qu'on vous demande nc puisse nuire ü notre prospérité
flnancicre ; nous ne cherchons point ale dissimuler aux yeux de
la Francc, nous lui dirons seulemcnt que le sacrifico qu'on at-
tend d'clle est néccssairo comme la -seule garautie qui reste ala
légitimitó coutre la révoltc, ü I'ordre coutre l'auarchie , ü la li-
bcrté centre la liccnce. » - « Ne nous étonnons pas , s'écria
M. Iloycr-Collartl , de ce que la guerre d'Espagne soit si pro-
Iondémcnt impopulairc en France ; ce ne sont pas seulcmcnt les
sacrificcs qu'elle cxigeraiI qui auristeu I notre généreuse nation,
elle sama bien les supporter ces sacriflccs , elle irait méme au-
dcvant dans une cause qui scrait la sicnue ; mais elle seut que
cettc guorrc se Iait contrc elle el sur son tcrritoirc , et qu'á cha-
que victoire elle rcperdra les batailles qu'clle avait déjü gagnées;
non, elle n'a point été concue dans la pensée royalc, une gucrre
qui blcsse la diguité hérérlitaire de la nation, et qui scmble ré-
tractor les príucipcs de la Charle; elle apparticnt tout entiere ~\
un partí. » - ( C'est une calomnic , répoudit ~I. de La Bourdon-
naye ; mais rcfuscrai-jc au Gouvcrncincnt du Boi les subsides
qu'il demande pou!' counucnccr la guerrc? ou accordcrai-jo aux
ministres qui ne la veulent pas de nouveaux moyeus de pour-
Ruine lcur svstemc Iunestc, de modificr la constitution desCortes,
de [aire triompher une Iaction, en imposaut ~l un roi captif et ~\
une nariou asscrvie une Charle qu'ils rcpousscnt égalemcnt r »
- « ,\h ! si c'était coutrc une ini asiou du Xord que vous portas-
sicz vos armes, s'écria :\1. Delcssert , Iaisant allusion aux paroles
de ~l. de villdc , la gucrre serait nationale eL légitime , et nos
cflorts s'uniraicnt aux vótrcs pour rcpousser l'cuuemi conunun;
mais la guerre que vous voulcz (aire ül'Espagne menace et notre
commcrcc iutérieur el nos posscssions ~l l'étrangcr. Bravos Es-
pagnols. continua M. Delcssert, vous S(,l'('Z appnvés des HI'UX




CHAPURE XX. 235
de tous les Francais amis de la liberté! ce ne sont pas eux qui
veulent porter chcz vousle pouvoir absolu.»-« Non, le ministere
n'a pas voulu la gucrre, ajouta le gónéral Foy ; non, le président
du Conseil n'est pas un partisan de la guerre ; il partage sur ce
point l'opinion de mes amis, Jlais nous sommes dans des posi-
tions différcntcs ; et moi , assisdans les Conseils de la Couronne,
je ne me résignerais jamáis aune guerre injuste, eussé-je l'ar-
riére-pcnsée de la pousser avec mollesse et de saisir les occasions
de la terminer ; et quelle guerre surtout ! Toutes les chances sont
centre la France , sa prospérité et sa liberté; et puis, que de
daugers dans ce pays oú une génération armée alla s'engloutir
sousle grand Empirc! )) - « Oui, répondit M. de Yillele, le Gou-
verncment francaisne fait la guerre que paree qu'il ne pouvait
plus rester en paix avec l'Espagne avcc honneur et avec sécu-
rité; oui, le président du Conseil u'a rien négligé pour assurer
la durée de la paix ; il a tout tenté pour éviter la rupture des
relations politiqucs : ce n' cst qu'a rcgret que nous voulons la
guerrc , mais elle est indispensable. L'état de guerre est préfé-
rable a une paix qui n'est pas une paix; l'état de guerre est le
seul partí qni nous reste, c'ost la position 011 nous a placés la ré-
volution cspagnolc. »-» ]~h bien! moi, rópliqua )1. Bignon, je
vote contre une gucrrc (fui n'cst pas plus politique qu'clle n'est
juste, qui est un opprohrc pour la Frauce , par cela seul qu' elle
lni est commandée par une inílucnce étraugere. »


Les déhats étaient vivcmeut engagés ; les aceusations acca-
blaient le Cabinet , et le ministre des affaires étrangeres ne s'était
pas fait entendre encore; ,1. de Chñteaubriand préparait de lon-
gue main son discours. C'étnit presque un début oratoire ; il de-
vait retentir en Frunce ct en Europe. « J'ai ~l examiuer plusieurs
questious , dit le ministre : 1°. le droit d'iutervcntion , comme
étant la base de tous les raisonncmcnts ; 2". le droit de parler
des institutions qui peuvcnt étre utiles ;\ l' Espagne : 3". le droit
des alliances et les rrausactious de Véronc ; h". quelques objec-
tions diverses. On nic le droit d'iuterventiou , continua M. de
Chatcaubriand. L' Anglel('IT~l, dit-on , nous donne un grand




236 nrsroms DE LA nESTAUnATrON.
exemplc en protégcam l'indépendance <les nations; eh ! mon
Dieu , lisoz la Iamcuse déclaration de novcmbrc '1793, et vous
verrez si la Grande-Bretaguc , lorsque ses intérúts cssentiels ont
été compromís , n'a pas dérogé au principe que ron invoque en
son nom aujourd'hui. Il faut étre juste: quand I'Angletcrre pn-
hlia sa déclaration , :Uarie-Antoinette et Louis X VI n'étaient
plus; il est vrai que Fcrdinand n'est encoré que prisonnier dans
son palais , comme I ..ouis XVI l'était dans le sien, avant d'aller
au Temple et de H. ü l'échafaud. Je ne veux point calorunicr les
Espagncls, mais je ne veux point les estimcr plus que mes com-
patriotes. Diroz-vous qu'cn avancant le mornent de l'intervcn-
tion , on rcnd la position de ce monarqne plus périlleuse ; mais
l'Angletcrre sauva-t-clle Louis XVI en dillérant de se déclarer ?
L'intervention qui prévieut le mal n'cst-clle pas plus utilc que
ccllc qui le vengo ? C'est Mja troj) dans le monde que le proces
de Charles 11' " et celui de Louis XVI. Qui ignore que les révolu-
tionnaires d'Espagnc sont en corrcspondaucc avec les nñtres ? ~e
1l01lS mcnacc-t-on pas de [aire dcscondre le drapean tricolore du
haut des Pyréuées ! ne connaissons-nous pas les desscins , les
complots et I('s noms des coupahles {'chapp{'s a la jnstice qui pré-
tcndent venir ;. nous sous cct uniforme des hraves qui doit mal
convenir ades traitrcs ! Jc suis trauquille aujourrl'hui sur le sort
de ma patrie; ce n'est pas au momcnt oú la Franco a retrouvé
les années qui ont si gloricnsement défendu son indépendance ,
que je tremhlo pour sa libertó ! La Frunce u'ahandonne point un
sy~;t('mc pacifique par choix , mais par néccssité. Si elle est Iorcée
de recourir aux armes, c'cst pour sa propre súreté , et non, quoi
qu'nn en dise , pour rórahlir l'inquisition et le despotis.ne ; elle
ne déclare point la gucrre ;. des institutions ; ce sont ces institu-
tions qui lui font la [~l](IITe, cost sn vicillo cnncmic sous le man-
tean cspagnol qni la provoqnc. i\'oublions pas q\le si la guerre
avcc l'Espagno a, commc tonto guerre , ses iuconvénients ct ses
périls , elle aura pnur nous nn immcnse avantage : elle nous aura
crN~ une arméc , rile nous ama Iait rcmontcr h notro rang mili-
taire parmi les nations ; il manquait peut-ütrc quelque chose h la




r.JIAPITRE xx. 237
réconciliation complete des Francais , elle s'achevera sous la
tente : les eompagnons d'armcs sont bicntót amis , et tous les
souveuirs se perdent dans la pensée d'uue comrnunc gloire. ))
« Croyez-vous , s'écria 1'1. Manuel, en réponse ü ce poétique
discours , que ce soit en portant la guerre dans la Péninsule que
vous calmcrez les troubles qui ravagcnt el' beau pays? Si l'esprit
révolutionuaire est dangcreux , l'esprit de coutre-révolution
l'cst-il moins? Les révolutions qui iuarchcnt en avant pcuvent
commettre des exces , maisau moins en allant en avant on arrive.
Vous voulez rétablir le pouvoir absolu, vous voulez que les amis
de la liberté soient proscrits , pcrsécutés , livrés aux tortures, cal'
vous ne l'ignorez pas, c'est sur de simples notes ndministratives
qu'cn ces temps de desastres les vlctimes sont vouées au sup-
plice! Si vous voulez sauver les jours de Ferdinand , ne renou-
velez pas les circonstances qui ont trainé ~l l'échafaud ceu.c fluí
»ous inspiren; un si 'l'ifintcl'ét ! C'est paree que l'étranger est
intervenu dans la révolution francaise que Louis XVI a été pré--
cipité, Ce qui a fait le malheur des Stuarts, e'est la protection
de la Franco qui les a mis en opposition avec l'opinion publique,
qui les a emp(~chés de cherchcr un appui dans la nation. C'est
quaud les malhcurs de la Famille royale en Frunce attirereut
I'attention de l'étranger, que la France révolutionnaire , scntant
qu'elle devait se défcudr« par des forces nouvelles ct une énergie
nouvellc..... n Apeine ecuo pluasc était-clie terminéc , qu'une
violente explosiou de cris á l'ordre ! partit du coté et du centre
droits ; tous les membrcs de cette partic de la Chambrese levérent
spontanément , et déclarerent ne vouloir plus siéger avec un
hommc qui faisait I'apologiedu régicide ; vainement le président
tenta d'ohtcnir le silencc ; on se parlait , on se pressait ; les ínter-
pellationsles plus vives étaient adressécs ~l 11. 11anuel ; et des cris
indéceuts de chasscz-lc ! ú la ¡JO/'le ! se íirent méme entendrc.


Il n'est pas de souvcraincté plus implacable que. celle de la
majorité d'une asscmblée ; supposcz-Ia dominée par une opinión
ardente eomme une croyance , profontlément péuétrée d'une
néccssité , die frappo d'une main stupidc sans calculcr la portée




238 mSTOIRE DE tA nESTAunATION.
de ses coups; elle se vcngc , et VOiHl tonto Je ne prendrai pas la
défcnse de }I. Manuel; la tribuno fut trop souvcnt pour l'ora-
tcur une espece de pugilar corps ü corps centre la ltestauration.
J' aime par-dessus tout les convenances; la France n'était pas
habituée , comme en Angleterre, ü ces paroles enflammées qui
frappcnt uon-sculcmcnt les ministres, mais cncore plus haut.
M. Manuel était souvcnt sorti de toute mesure; la Chambre
s'était contcutée de le rappeler il l'ordrc : on ne s'explique done
que par le capriee d'une majorité violente cette exclusión de
M. JIanucJ, coup d'¡::tat centre la minorité vaincue. En prin-
cipe , une assemblée a la poliee sur ses mcmbres ; elle peut les
rappelcr ü l'ordre ou les punir: eette jurisprudence existait dans
le Parlemcnt anglais; le cas s'était plusieurs Iois produit au
XYIUC siecle ; elle avait été invoquée dans toutes les assemblées
politiques : ü la Constiruautc , par la voix puissante de Mira-
heau; h la Législative, h la Convention , d'une maniere sanglante:
ce n' était pas une question légale h résoudre; mais une affaire
d'utilité et de convenances ü décider. A quoi aboutissait une
poursuite contre lU. }Ianuel? que! intéret en retirait la majorité
et le tróne qu'elle prétcndait proteger cxclusivcment? L'opposi-
tion était-cllc tout entiere conccntréc daus ~I. JIanuel? éteignait-
on cene expression puissante d'upinion publique? La majorité
fit une fautc , une faute d'autant plus malheureuse , que la
Chamhre se douna gratuitement un vcrnis d'oppressiou et de
despotismo : quaud on est les plus Iorts , il n'est pas néccssaire
de le montrer par des caprices , mais par de grands actos qui
ahoutissent aquelque ehose.


{( Cette phrase est d'une horrible clarté! » s'écria M. Hyde
de Ncuville.» -« C'est un HCU de mort pour Ferdinaud ! 1) ajouta,
avcc un haut dcgré d'exaltation , i\I. Forhin des lssarts. Ici ,
iU. Hyde ele Xeuvillc s'écria encere : « Il Iaut venger la France ! »
- « te reglcment s'oppose ü ce que vous ayez la parole, dit avee
quelque calme }J. Ilavcz. J) - « Il n'y a pas de réglementpossible
dans un cas qui n'a pas étó prévu , répondit le marquis de la
Caze; la Chambre , dans une circonstance aussi gran', doit imiter




CHAPlTHE XX. 239
la conduite des iribuuaux el jugcr sans déscmparcr, » - « Oui ,
oui, ¡volita M. DlIlJOl1, JI Jau! jllge}' J'jmjignil{'. » Bt j)L'wJant
ce temps, i'lI. ~lanl1cl lorgnait, ayer assez de dédain , une llllt-
jorité Iutieuse. ( L 'iudéccuce de SOl1 uuiiuticu ¡¡joule ii I'horrcut:
de ses paroles» , dit ,,1. de Croi-Solre. - « Nous protestons centre
le député de la Vcndée », répliqua ~1. Dussunúcr-Fonbruuc, Le
désordre allait toujours en s'accroissant , et .M. Itavez se cou-
vrit. « Retirons-nons dans nos hureaux ; norumons une com-
mission sur-le-champ pour punir le factieux ); et le cóté droit
s'éeoule en massc dans ses hurcaux. Une commission est ü
l'instant nommée , rant la Chambre est dans I'impaticncc de
montrer son omnipotencc el sa force de majorité l M. Forhin
des Issarts ne pnt attcndrc ce résultat , et, daus son impaticncc ,
ilformula une proposition : «Il vicnt de se présenter, s'ócria-t-
il, un eas au-dessus de tous les reglcments , paree qu'aucun re-
gIement n'a pu prévoir qne la Chambr« serait jamais exposéc ~l
ce qu'un orateur viut la eondamncr asubir, que dis-jc ! voulüt
la lier au point d' cntcndre préchcr ~l une tribunc Iraucaise des
maximes ct des doctrines qui tcndent ~\ justifier le régicidc; la
Chambre des Députés a la conflauce <le la nation ; elle doit y ré-
pondre , elle doit manifestcr son ve-n daus une circonstancc aussi
grave, elle doit so háter d' expulsor de son sein :\1. "lanue!!»-
« Oui , il Iaut l' expulsor des el' moment , ü tout jamais! » répéta
le coté droit. La gaucho avait aperen tonto la portéc d'une tellc
démarehe, qui ne tendait ~\ ríen moins (IU'Ü priver la discussion
de cette liberté de fcu , de cene iudépcnrlance séditieuse de tout
dire ; elle n'avait plus que sa parole rctcntissante pour émouvuir
les masscs , (ple l' inviolabilité du député pour proteger ses des-
seins; les abandonucrait-cllc ? Cene prcmiere tcntati: e de la
majorité ne supposait-ellc pas un systcmc centre la minorité ?
Dans cette positiou couiplcxc, les amis de 1'1. ?llauue], hlámant
un euiportement intcmpestif , l'cngagercnt il écrire une lettrc ü
M. Ravez pour expliquer la pensée d'une phraso qu'on n'avait
pas laissé achever : e'était un moyon d' écarter la question d' in-
dígnité , un motíf d'cxcuse qu'une majorité raisounable cut ac-




2ltO I1iSTüIHE hE LA HES'f AUL\TlUl\.
ccpíé ; ruáis le cllté droit , implacable , s'écria tout cntier, lorsquu
le président maniícsta I'intention de lire le papier que lui avait
reiuis 1'1. Manuel : « Point de lellres! point de lettrcs ! » Quel-
ques voix méme firent cntcudre ce cri : tI bas le rérolution-
uaire l On aurait pu croire que la réíloxion cahncrait ce mou-
vement désordonné d'unc majorité irritée ; il n'en fut ríen :
quand les partís sont profoudémcnt aigris , Iorsqu'ils croicnt
leurs affections et Icur honucur hlcssés , ils devienncnt intrai-
tables , toute raisou est hanuie; ils vont ¿¡ Ieurs fins sansprendre
garde ¿¡ la justice , ¿¡ la haute raison , ala politique. Les Iloyalistcs
Iurcnt sourds ~l tout accounnudcmcnt , ot le lcndcmain 1\1. de
La Bonrdonnayc demanda lui-mérue l'exclusión de l\l. Manuel.
l\I. de La Bourdonnavc était bien aise de domincr la rnajorité sur
une de ses propositions , et de l'habitucr ainsi ~l se grouper au-
tour de lui. « Jamais , je n'ai senti davautage comhieu peut étre
quelquefois péuible l'accomplisscmcnt d'un rigoureux devoir.
Conduit a cettc tri buue par la nécessité d'opposer a un granel
scandale une réparation éclatante , ce n'est que malgré 1110i que
jc vous rappcllcrai des expressions d'autant plus aflligcantcs
qu'clles ne nous ramcncnt ~l l'époque la plus douleureuse de
uotre histoire que pour nous en préseutcr l'apologie la plus cri-
minelle. Jc crois de mon devoir de tradnire dcvant vous lU. Ma-
nuel, député du départcmcnt de la VeIHIt,c, ¿¡ raison du discours
qu'il a prononcé dans votre derniórc séancc, Convaincus des
Iuncstes effcts d'une trop longuc iudulgcnce , vous éloignerez de
la tribune celui qui n'a pas craint de faire dcvaut YOUS l'apo-
logie du régicidc. » - « Je m'opposc h la mesure violente qui vous
cst proposéc , dit l\l. Éticnnc avcc un acccnt (le haute modéra-
tion , paree que je suis convaincu qu'une prévention fatalc a pu
scule excitcr la scéne qui a afl1igé hiel' 1011S les vrais amis du
gonvorncmcnt rcpréscntat if El conuucut n'avcz-vous pas voulu
pcrmettre a ~I. Manuel de Iinir sa phrase ! comment lui avez-
YOUS rcfusé , apl'es le rappd h l'ordrc , le droit d'étre cntendu ,
que lui accord« votre proprc ri"fj'lcment! En frappant un de lOS
membrcs, vous vousírappcz vous-memcs ; vouseles accnsatcurs




241
ti jll:2;('S; vous umuolcz tout a la Iois lc droit dc dl'feus(', les lois ,
lajllslice ella lihcrtc ! » - « Oú la chambre a-t-olle puisé le droit,
s'ócria ~l. de Girardiu , de proudro en considération une propo-
sitien qu'on u'avait pas le droit de luí Iaire , une propositiou qui
est l'ouvragc d'une Iaction? Avez-vous oublié que la Charte YOUS
mct au-dcssus des passions, et irez-vous suivre la route tracée par
une counnission insnrrcctiouncllc ? » - « Et pourquoi la Cham-
hrc , répoudit l\l. Delalot, n'aurait-cllc pas le droit de prendrc
la proposition cu considération '? Aucunc asscmbléc publique 11e
pcut vivre saus honueur ; el si quelquc circonstancc extraordi-
naire vient compromcure son existence par un cndroit si sen-
siblc , JI.' soutions qu'cll« tire de la néccssité méme le droit d'écar-
ter le péril qui la mcnacc. ))


La question ainsi pleincmeut engagée cntcndrait-on ál. Ma-
uucl ? Quclqucs mciuhrcs s'étaicnt prouoncós contre , mais la
majorité lit trop d'incouvcuancc dans une tclle résolution : on
Meda que le député accnsé pourrait se défcndre. D0s lors , le
C¡'lit:' gaucho voulut Iaire de ecuo défensc une dernierc maniícs-
tation de príncipes. Le discours de )1. ;\lanuc! fut concerté et lu
en comité. On savait qu'il n'avait pas la parole toujours mcsurée
el qu'il compromcuait souvcut ses amis. « Je nc monte il cctte
tribune , disait.vl. Manuel, ni avec l'espoir ni avec le désir de
conjurer J'orage qui SI' forme conrrc moi ; je ne prends la parole
(lile pour constator notrc judépcndancc , car c'cst un acle de
tyrannic (lilC je n'ai lll('rit{, en aucunc maniere. On a trouvé
I'cspcce de erime qui m'cst imputé dans une phrase qui est
sortic de ma bouche : ccttc phrasc préparait le dévcloppcment
d'UBC ic1é(' que j'ómottais ; vous n'avcz pas voulu m'cutendrc ;
mais avicz-vous k droi; de m'cmpórhcr d'cxpliqucr ma pouséc?
JI' dósavoue d'nvauc« toutc cxpressiou qui scrait inconvcnautc
OH qui tendrait ¿t wul('lIir (les doctrines qui nc sont ni dans ma
pcnséo ni danS mon ro-ur : mais tout ce (lile j'ai dit jusqu'a ce
jour je suis loin de l(~ r('cm:('r, IllPS intentions sout purcs ; YOUS
voulez J]1(' rep(;llS~;('r de ('dl(' Iribunc , qne justice soit faite! Je
-ais que les passious son! partout les 1110111es; el si j'étais capa-


ru, 21




242 J1ISTOLHL DL L\ HEST,\LllATIO\. '
hlc de me Iaisser dominer par UIl (ISpril (i<' H'llg<'aJlce, jc m'écrie-
rais : Victime de '\ os furcurs , je laissc il lOS Iurcurs le soin de
me vcnger. » Le Gouvcrncnunt étuir Iort emharrassé : s'asso-
cierait-il aux coups de la droiic ? Certos , il sr-ntaittuutc la portéc
du précédent qu'ou allait po::er ; mais pom ait-il S(' séparer de
la majorité, qui Iaisait sa \ ¡t' el sa force? Laisscraii-il ;1'1. de
La Bourdonunye la gloire el le profit d'un Ll'iomp!:c? ccci n'cút
pas été hahile. )1. de villele vint dOI\G déclarer i\ la tribuno
que le Conseil des ministres partagcait l'iudiguatiou de la Cham-
hre sur les paroles de Al. :'l!<¡¡i\wl el s'assnciait ;1 sa pt'llSl'('. Ih's
lors il ll'y cut plus qu'un ni : ( "'1. d(1 La Ilourdonuayr-, dit-on
de tontes parts , Iormulez votrc proposition ! » - « La voir i , ré-
pondit le dóputé de' ñlainc-ct-Luire : je propose (l'C\C!lll't'
lU. Jlanucl du scin de la Cl.amlir«, ;1 raison du disrours qu'i! a
prononcé dans la dcrnicre séanco, » - « :\0:1, dit liJ. de Saint-
Aulaire , ~1. Manuel u'a pas ml'rilé ('11 Iait ce qu'cn droit la
Chambre n'a pas le pomo: r di' prononcor coutrc lui ; vous allcz
fairc votre COU]) d'Útat. » - « :\lajoril(~ Ü1S('JlS("(~! s'écria Ji. Iloycr-
Collard , vous allcz rcudre les d('PUlés d('~ii¡luahk:; couunc les
agcnts du Gom crncmcut , in ('C la diflércnrc que les uus sout
dcstitués par le Pouvoir qui k-s nonnue , taudis qll(~ les (ll'plll(ls
seront dcstituahlcs par la n.ajorit« C()Jl[1'(1 'aquel/e ils Oid (¡(~
nonnnés.» --(e Ce u'cst pas sculcmont ,'I.',Ll!Jul'I (jW' \O!iS frajl]wz
de cctte mesure, rcpi-it le gl-lll'¡al Fo~, (''<'SI aussi le (üll(>gc
électoral qui l'a nonuué , e'cst aussi la (.harubrc en masse ; j'es-
pere, pour l'honncur de la Francc , (p1('. I'horrihle scaudalc de
ecuo discussiou ccsscra oníin. » A ces, ivcs aposirophcs le CÜll~
1 . . . '1 '¡ I - 1 l'( rou OPPOSiut sa massc mcnr.uuan e. « ,',()!¡S '.(;¡¡JO!1~; user u un
droit qw' persounc nc ]WI1L nous cuniestcr , rl'p('ul¡(!ll les ora-
teurs rovalistes ; il iumorte a :':lOnilCUi' de !:l cl:a;;,,¡¡'(' (/'(\(';[;!('.. .
les inembrcs :1)(;;"''1'''' » \ k'··) 'i,J V'i"iI'¡"":í ['i'" (!"r:l;'.¡·" 1"':"• \.l.. ,1J~ t.~:.), , .•.,. _ :'.11, _1 •. j',di \. j'¡ i 1 ... \ .\ ..... ', \...' \)1..-
la parolc : « Jl' décl:m' (lU(' j\.' íii' ¡mm (' pp¡¡¡¡ de jligrs (l;ms eNte
( 'J 1 .,.. .,.~ Jamure, JC n y \(lIS que (¡('ti (¡c('u:;;¡[(¡¡rs; aU:-Si c ('st lllül!l:i
un acle de juslicc quc j'('prutn(' ({u'un acle de \ rngeill1cc ; ;¡Pl)('j(~
dans eelle enccinll' par la \ OlOlllé ([u jlC'Up!c, jC' 11(.' puiseH t;urlil'




CITAPrTnE \X. 2l¡3
par la volonté de renx qui n'out pas 1(' droit de m'en exclurc.»
e'{'lall un plagiat df' '.:il'alH'<lll, un rhahilluuent de la phrase
insolente du gelllil1iOPJlll(' provcur rl mócontcnt h JI. de Drcux-
llr('zp. TOlIl cda !le fi'appa pOiill la Chambre ; elle était décidée
il son coup el' j~:lal; elle le fi!.\!. Jituuel Iut exclu pendant la
dUi'l'e (le la sessiou.


La coudatnnation de ,1. }1;-;:HH'I, ]('p;ale quaut au fond, n'était
qn'une fantc , je le l'(p('le ; elle fut l'occasion d'un grand sean-
dale, el d(j:l l' opinion n' (01 aii-cl le- pas assez i rritéc ? Le lende-
main , d'aprl\s k cOils('il <1(~ :';l:~; amis , },l. ::Uanud se reudit il la
séauce de la c!l;¡ n¡J;1'(', couune si son expulsion n' avait pas été
pronnncé«. C'('la;l une ccrtaine maniere de bravcr la majorité .
Jc crois qu'on voulait fr;¡pper un U;¡'(lnd coup el parlcr aux niasses.
Jc demando qur-ll« dut ('tr{' l'irtitatiou du cóté droit lorsqu'il
aperrut :'1. ?llalllld au milieu el(' 5CS séaucos, le loudcmain de
son expulsión. « Le y()¡l~l cncoro ! le voml encere !» s'écria-t-on de
1011tCS parts, - «.1 'invite ,1. :\Ia:ll1el;1 se rctircr », dit }l. Ilavcz.
-- « "',\¡ promis dI' He ('(',1('}' <tU';1 la ., iolcncc, répliqua 11. :Uanue! :
aujo!l;'d'/¡¡¡i jI' tir;;,; prol('. » -- ( Le présidcnt nc le souílrira pas ;
je suspcnds la s0a!l!'(' pcndant une heurc , el j'invitc les députés
il se retire!' dans Íf'nrs L::n'au:\. Jc vais donner les ordrcs uéces-
sairr-s ¡)O;'" [air,' :,o;'[¡r ~\L \ial;!!('!. llui-sicrs, invitez }l. )lallUel
¡l surtir de la Ch.unhr«. » Les im itations Iurcnt iuutiles ; lU. :.\la-
nucl, onvironné du cúlé gauc!H', resta dans son hauc. lU. Ilavez
connucnraít il etre Iort cmhnrrassé de son role; allait-il recourir
¡l la force artuee ~ ~lais ccttc force armée , entrant au sein de la
ClJalllhre, scrait-ellc passivemeut obéissante ! Lescris de la droitc
<.'nl¡-aifl(\¡'l'llt JI. HaH'z;1 une secunde snmmation : « Vous m'obli-
gel'<'Z ;¡ Iair« í¡¡[cn r-nir la force publique! dit-il de savoix reten-
tissanto. »- (•• h' Ji(' sortirni pas que vous nc m'arrachicz (}'iC1! »
Et alors conuncura une SC(\lH' (k" plus, iolcntcs, lU. Ilavcz avait
<1011né des ordres au chef du pO:ilc ele la garde llationale et des
\ ¡"¡('l'ans; ils p('!l(otl't'I'CIlI dans l'cl1ccínlc. Tout le coté gauehe
{-[¡¡il d('\)oul ; et all milicH de {'('s d{'plII{'s se lllolllrait tout gesti-
('IIJanl M. de La Fayelte qui se h('alífiait dans ces grandes 8ft'nes




nrsromr DE LA nESrAy;n:\TIO~.


de résistance : tons poussaicnt des cris de provocation. « Est-ce
la garde nationale qui doit s'emparor des d{'plllés? S,,déshono-
rerait-elle ace point ! ñlettra-t-on la main sur un député, sur nn
représeutant du pcuple !» s'écria tout de fcu ~l. de La Fayctte. II
y avait la parmi la gardc uationale un inrlustricl honorable, sans
doutc , mais timidc , mais cllrayó de ce tumulte , étouué de cctte
attitude du coté gauche : il hésita un momcnt ~\ cxécutor les
ordres ; une salve d'applaudisscments se fit entcudrc, et M. Mor-
cier fut un grand honune! II n'y a rien de plus facile que les
partís pour fairc des héros ; il lcnr en Iaut pour toutcs les cir-
eonstances. C'était une prcmierc désohéissance de la force armée
et de la garde nationale qu'on saluait. Fallait-il en restcr H\!
apres avoir résisté aux ordros du président , on désobéirai: pcut-
étre aux ordonnanccs du Iloi , el qui sait ? it la loi cllc-mémo.
l\I. Ravez fut ferme , et la gcndanuerie dut Iaire cxécuter les
volontés de la majorité a laquellc avait désohéi lU. Mercier. te
colonel Foucauld était un honunc sur ct de courage. Il entra
dans la salle avec trente gendarmes: alors les mcmbrcs de la
gauche répéterent lcur dramatiquc protcstation. « Quoi ! des
gendarmes jusquc dans la Chamhrc ! )) - « La gendanucrie n'est
venuc que pour sccondcr la gardc natioualc , répondit M. de
Foucauld : je fais une dcruiere sonunation ~l 31. Mauuel ; jc se-
rais désolé d'cmploycr la force rontrc un déput«, mais cníin je le
Ierai, cal'c'est mon devoir. » - « L'scz done de la force», répliqua
M. Manuel. - « Eh bien! dit M. de Foucauld en colcre , gen-
darmes, cmpoignez-moi cet hommc-Ia ! )) Un brigadier el quatre
gendarmes montereut au banc de l\l. Manuel, le saisirent ct
l'enunenérent au milieu du détachcment. Ici le cotó gauche se
leva en massc : « Nous le suivrons tous ! IlOUS nc le quiuerons
pas ! » s'écriercut les dépurés ; el ils sortirent en cflct de la salle
dans une sortc d'ordr« el de processioll.Espérait'llt-ils trouver
un peuple aprcs eux ? Toutc cette pompo drtunatique , tout ce
tracas de protestatious, cene maniere romaine avaicnt lcur c<1té
ridículo : il u'cntrc pas dans nos IlHI'nrS d'admirer le couragc
sans danger ; ot puis ceuc rciraitc d{' Mput{'s de la miuoritó S('-




UI\l'ITIlE xx.


rait-clle durable '? O¡'¡ votdai¡-OH arriver en <I('serlan t la rhmnbre ?
On avait tour «'Il((~ au d(,lton;, les émcutos , les couspirations ;
/tI Si~1I1 moycn parlelll('llla/l'{1 {-l:lit la parolc , le rctcntisscmcnt
d<' la trihuuc : on l'abandonnait ; qu'arriva-t-il ? C'cst que la
lllilJoril(' tlu c<llé gauclw se mit en dchors (les aífaires pcndant
f,'; h' :;cssion; r-Ile s'en I'C!Wll i it; (lile en appeln aux orages de
I'avc.iir ! Je conrois ce rólc d(' séditiou pour ioutes ces tetcs de
t¡ji)';:l';; mais jc rcgreue d(' trouvcr daus ces douloureux oufan-
tini1[.):('S le nom de JI. Casimir P{'ri{T! "'l. Péricr soutcnant la
révolrc 'In sergcnt J\lcJ'cj('r; ~1. Pórir-r , l'hO!1l111C de l'obéissance
passivc p1 du graud d{~jllnjcIllC¡¡! d(' forces militaircs , s'indiguaut
que d-s grndal'llles íisscnt ('Xc"elltel' un ordro du président de Ia
Ck:mÍlre! ,1 'e\pli(l¡(' JJ. de La FayeUe; promoteur ele toutes les
(]{'SOI)('¡SSilllCCS; mais JI. Pl"rl¡'r! On Iit une grande réputatiou
;1 ~L :Ucrciel', !lIS d{-putés aU¡\;'C'1l1 s'inscrire cbez Iui ; on le visita
ronuuc un príncipe el. une \ ictim« , ot lui , homme simple, se
crut un persunuago historiquc quand il se vit lithographió ¿. cCl[('
d(~ JI. dc La Fayellc', Jor:qu'il re(:nl. un fusil rl'houncur. róconi-
¡"'nSI' ¡¡'lIne artion hll1111abl(' <!:m:; tout ¡::¡aL constitu«. Pauvre
pay:-; oú 1'(\:1 {·¡('\ail. au raw';des grande:, illustrations des capacites
¿lla hau.eur d(~'I'lL (; I'tgoil'(l, BiH 0[1'\ ('i""1icrc¡er!


To"1 ('''ci C('P"ll("},¡l '';'''I'''l''il' "'1 {;"'j"'('I' • 1" """,,1{' nationalel., \.. . J'''-' i ....... t. ,.j~ i.t~~ H - i~.1 ::.-U~ () • U. t)td ~~" {, ltj
échannai: :.' 1'1 P"S"I'('"ll1''''' . un "(1 ')"11', ,¡:. 1)11'" 'H·"j .. conf .... nceh 1 JJ( l. (. l ,,¡ lLI. II , 1. ( '1/t ... , ni Ll: i ,1 "- :\.1 ..' . L, H' ,,.1 o ({.L \J
en {'.!l,,; l'opinion Jjbt''l'''!;' :)\'1] l'llljnraif. :lL Corbiore dcstitua
l" "')'·'0'('111 '~I('I·"I·"I'· )11";" ('l" '\"('11'¡''';'''' :. son t('11}' cettc s(""·(".-\,j ~"J,,--It..,~ ..lA;, \ l. , U(lI.) J... ti}i" "H., ti., .. } c ..L.- ~ ,t
ri!{1 ') 1'1 0"' 1',1\111"11")1""" (',:";:-(,11(, moius :,(),'!;!n 1') bonrzcoisie


• .J{ t'<){, \., U \ sc..d· . ,U:l. .' J." ~~:l ji. ."1<-j¡L" <.... t.i b"-- '.A


!l(' s'ulliait-ellc pas p:iiS C()lJ!p!{'(e¡J1Cílt encere ¿1 la lléro]ut¡on'?
1 t"" 1 ¡¡~"¡"III'· '''''j:':<;'\:I('''' '¡'I'lS ",' ¡'II:' ;'1'" S'I]I¡i,i"11 1 dau: ".',1 (1,"-~~, ~,., a( 'o.,," {'(:) •. _ l 11t .. t t t x, \..\j J \,1,' >--t. .... ",'L ... l .,-(.1 ,) ~. _
C;" ,> 1'" 1;'';'1\'':'''' (1. 1 l,¡ (~/,,,,,I):,;,;,,,;,,,,(, 11':::::1;""· ils en "\ aicnt~\...., ,. d A~ '1''- n l, ., , .. ,1 '1.>..J .... l~l· lt.tlt.d \..... 9 l •. \. te. «1.'._
1,.,"'p in l)OUr ¡¡'iO'llP¡'l"" ;1'1 ("l\ ;"'i"'l"il';"l (l'1111(' ;1'1"/'01(' 111.1
" '.", .. '¡Jo (, ~. l.' \ 1,1.U.~ ,.,0_., {L.I\ ... ' •


crl"'!l'l "X('llll,I'1 ")'/" ')I'""j"l' (1(1" ¡'",::"""",., 1 f'.<' ,1:';)'1((''-' ('111't:' (.. ~. \.... - fl1'--, ¡.\ l. ('t.'J'.. ..J .11~Jl~·,t.~:I"•..!.J 0•.• ) l¡.tL t. 'L:,--' 1 ~
s'était'!l! exrJus ¡:\('C ~d. '\Ll!uc! \ Ol¡!¡¡rt'l1: l)l'(}tes!el' el) fare ele
la France : c'¡"Uil U,} CO¡:¡~)!t":ní'nt ¿l L"i' COllduitf', lme fut
cnllC¡H~ l'n termes [('IJl'IJH;]t fo¡:¡~;, (IU'lil,CUJl ¡omnal francais


"" L v -'>


/l'osa la puhli('r; m;¡is {llail-il p()~~;jhl(1 d'¡'Jl rmpecher la eircll-




II/.';TO In 1: /lI, 1..\ n FSTA t:11\T I0\. "


lation ? Les MpUI('S SP dl'r!¡m"reill opprillll's. Qnau: au rill{~
royaliste , sa couduite Iut capricieuse couuue la puissauce elle-
méme ; avait-il Ie désir de se dóbarrasser de la parole hautainc
de lU. Manuel? c'était bien petit , bien <'lroil! :U. de Constant
n'était plus député; on excluait une aurre voix puissante <111
libéralisme; on le privait de deux de ses plus vives el plus hautes
expressions; mais l'opiuion patrio le ccssait-elle d'ctrc un fait
dans la société? Paree qu'on I'avait cxcluc de la Chamhro ,
l'avait-on éteinte dans le pays ? el alors ji était utile qu'elle Iút
représentée! L'cxclusion de "'1. ñlannel calma la majorité ; elle
continna presquc sans opposition le vote des crédits r-xtraordi-
naires pour l'expédition d'Espaguc , el on ('11t di's 101's les movens
d'entrer en campagnc. On s'y préparait,


Des esprits prévoyants se seraicnt hi('J}tilt aperrus de l'inévi-
table abime que creusaicnt sous les pas des Bourbons ces jeux
d'impopularité, Triste Iatalité auachéc aHS gouvcruomcnts lils
ne peuvent se persuader que l'abus capricienx de la force use
lcur vie politique ! Les Iloynlistcs se Iélicitaient de n'avoir plus
ü cntcndre cettc voix séditicusc qni ébrunlait la convictiou des
peuples. Tout se Iaisait aux Tuilcrics pn'síllJe en dchors de
Louis XVnL Les Conscils se l('lliliellt toujours en pr('S('llCC ([¡¡
Iloi , qui n'avait jamais permis qw' son Irére y assisU(; mais 1(':;
ministres avaicnt le soin de no ricn propnser qui Il'('¡'¡! l't<" d',,-
vanee concerté LlY{'C 3IcL\SIE['H. JI. de ;'ilU'l(' avait de f¡Ú¡I!C'll[('S
entrevucs avec S. A. n.; ct d'aillcnrs :('S amis du princc avaicnt
leurs pleincs ontrécs dans tous les cahiuets , et veuaicnt , P0l'-
teurs de paroles , diriger la marche du Gmn('rne¡)!l'Jit. On
1 hait . 1 Il '\' '1" l'e ierc l a scmer (e ¡('Ul'S ceuc c:ipcce ( ¡¡¡)( ic;;l:u;~ ¡,~U,',\!(' li('


L t"1°, '~'lTJT I' Jl . l' "r>~. 'ait 1,...... , ...t.: ¡··II·'~·:)·I;'·. f"";"O"IS _"" ~~. .c uoi L l.'~ 11\ .u PI",) que III ,'-"d' ,,,\ ul, ,::",,~,
]) '11' 1111 larcin rrui ílattait <'("1 11 1) " 1' ( ' ;" 1111 ',¡'¡("l"';'" ("1 1\"";;·' '.'1'.<. tl "':'i.i ll. lJü ...Ul I)~" j \ ...J ~H l JI ~ (tI! \., 1: -,j,'f<t( .. \.


. 17 ' (" I ' .'1)C11t 0yl'({(fC II .otücnt :, iuonunu-ut (1(' í"('('Ol1;¡¡¡¡S;;:UH'(' (:!~ ,'1':->,J .
un ami, el de cct ('sprit de' COl![' qui /J(' s'alxlique jauiais.
Louis XVIII fit le mécontcut d(' ('c!tt' publication ; mais d:I:lS
l'ñme il en était ,,¡se, el s'inquiaait 1ll\~Ult' du snccl's (:{¡\'!ie
pOllYl1il ayoir. llH' dps d('rni("J'('~; I('llf'('s d" Boi (':;\ pl'{'l'i~hn('nl




Cl1APlTllE xv.


rdaliH~ an peljl ilill{'l'nil'c: « Vous aH'Z In, sans dOUIC, mon
ami, la versio» ilIlPl'illll'<' de mon voyagc. Jc nc l'avais point
cerito pour ljlH' cela fút jamais puhlié autrcmcnt que pour quel-
ques personncs ; Oll a ft:it violcnre ¿l ma résolution : j'Y suis
étrangcr. (}ue1 ei1'ct k porit ouvrage \OUS a-t-il produit ? J'avais
élcvé un monumcnt ;\ l'amitié , el jc n'avais pas tenté un travail
Iittéraire. y aH'Z-\OI1S trouvé le scntimcnt (flH~ \OUS me connais-
set. pour le pauvre ami ?\dicn : e'est d{jl\ beaucoup , dans mes
soullrauccs , que j(~ 'OIlS écriv« C('S qnelques ligues! » Le Roi ne
pouvait plus marchcr depllis lo11g1('l!1PS; OH se servait de son
Iauteuil , ingl'lliellse machino , pOli!' le transponer dans sa voi-
ture ; la promcuarlc se!:!(' le secan:' it un jH'U; iI ainiait ces courscs
!'apides, ag¡!l"('S, qlli 1(' poussaicn: a'TC la force du vent ;\ qur-l-
lill('s li('lI('~; dl' la e;,pil:!!('. A la moiudrc doulcur, et elles étaieut
tres-vivcs , il s'cn.portait : le malhcurcux valet de chanibro qlli
};oignaiL ses plaics éprouvait surtuuí res violents arces de sa
colcre criardo. Louis X\ Il l conservait encorc toute sa force
d'imagination ponr la ('j¡¡\telain(' qu'il aimair, Daus une de ses
pr()i!l('¡¡;:dc's, iI ... isita Saint-Ourn , el iI y accepta une [etc pré-
1\'\"("" '1'·"(' '.>'()!'¡ l'[ ·::'II'(·"l'I""S(' 1'"" "l"~'"('ll'\llr('" In Iloi les tll)-){ t . ,_. (( \ .~) 'o. \.. '- I ..l ~. l. • '\., .-' ~ t " \ ~ { '-" ,1, L i \.. >- (
próciait ; il en [{'ll:¡il ('omp!t', La CO!ll' s'aperrut en corte cir-
consrancc du hall! cd'di¡ don! !olli><:a¡¡ la [avcrite ; mais on nc


"


s'cn irritait plus, (';11' la favorite ;l;:,i:;sait prl'cishnent dans les
intéréts ('t les ():;¡¡:i;\!l~; dí' celk COl1l',I,;O.\SIElT,l'tait au comble


. '! . -., .


(lt" S"S vnmx : ,'1 (.,,,,(1 1, .1v: iit 1('(' aífair '<'. 1'1 ])'''1\ ait les (11'I'j'O'C'l' )¡\...' ~\...:" A.-- lo\.., ! .,jll t I,'ljl ¡.) (l. (tlJ .....), I ,\'/\ UJ \....k b \.
sen gd~, C'ótait un des traits sailiants du careciere de S, A. H"
( ' ; 1" (." 1'("'1):" (1" ["it·" "l\,i,,,,,,'11" '1, .. ~,)·,il'I·'>'1 mcmc (II'C "IOYS1l'[-¡'j.~l ' .. ' ,h t.¿ *-, 1,'., • \.Iv l. ('~j ". u.J1.. 'd•. \ (t ll~.1 ..l\..J ~.1 i.l ... , A .... l
I"('.i:·;' ""., ,1:")('1'1" p (:'¡,"h;¡,,((, (': ("1'¡1 (1"(I'}'(h;¡ narfaitcmcnt


.:. .,,'lj";"'\{'i ,.'_:l.'~ ~.·;I.\.., L 1.1. .. i. J.1. .... J ... I. j (. "-~ .ll,


l;;u:, Itl~; I~ct ;1:, ~:'{':~::'J;¡'L; (::i: r{.,nt (ii')jir n:~ r·'/Hilcrne111cnt, el S. ~\. Jl.
')r~'l't "11 ('~\'q"nn I ¡' i! ~: "F(l "'!H)::'l' l"'~'! ;~';l"' J¡,,~_, ~¡{'I\'!~'J)(t '1 1(' (lIJe(t ~ II ti ~ j '... l. i.. ... ', l." ¡ j l. , . I ! ., .! I '( j l " i" • 1 l \ .., " J t t ~ ,. 1 • \..J. ~ t • .•
(t' \1"1'{~'11,~"',. ",;!" '"'('''')''' (1" 1,\ ""i"'" \ lí'!<";l1'\nn(. ('t (1(, 1)1'("1)a-~ 't:;'. ".' ,,_,1. , l\ •• · L i."" • 1 ¡ '-o ., ;( ;'.',' • l. \ t .... ,,'!'(.CI.... .. - _ .. {
lH~ 'l i f'" :',I¡:('I'l"'IIY ':';'\(";::"'1:' n"" :;., "'!'I'\ "l"l':"""ll·t 1)()i 1' j l' ( l l l C"h. J i)\ ... t .. ~ -.... , " ... }t.l,-l{.l 1'\ \.., n" 1 ~ ...1, ~1J." t L 1- .•
(1' 1 1' " l"\'''''I·· .1)"1"1' "1""·"" ("'!()"l", ,,, 'jI' ~l'l' ("'1''''1' lll'" j'111I)()1't"llce, i. l \ {~u L \; 1 ... 1. \. {,-- \ J , 11. 1. I ~ t.. ¡,. ,; l • .;. ,1 .. \_ J'- ll·_ •
La dnclH'SSt' sa [('Il1Ill(' Si' prop(l:~;¡iL <1í' \ isjt('r 1(' )lidi. OIl ne
11;¡¡[ S'illla!.>;i)H'l' <1(' ([\l('ls a('\<';.; (1(' l'i¡"\l' osl('nsihl¡'s ('1 pnhlics




mSTOTnE DE LA HESTAlTBATlON. .


avaient été accourpagnés les próparatifs du yoyag-() : ccrtcs , lwr-
sonne ne pouvait rondamncr ces téruoiguages de la Ioi N soup-
councr Icur sincérité ; mais était-ce iudiffércur« de la géuératiou
qui s'élcvait , on suivait avcc moqueric l'l quolqucfois avcc in-
quiétudc ces manifcstations publiques l'l trop Iréqucntvs, 11 y
avait plus de légereté , ct j'oserai dire plus d(' populnriu: dans
la conduite de madamc la duchcssc de Berri, llieu n'cst si Iar ilc
ü conquérir pour les princes <¡ue C('S sympathios de la population
de París: un peu de dissipation , des hals , des Ictcs , des spoc-
taclcs , visitcr familiercmcnt les houtiqucs , se moutrer UIl IH'U
)('gen', pour faire contraste surtout aux habitudes séricuscs de
la famille des Bourbons , voilá les chancos d(' popularité qu'avait
madame la duchessc de Bcrri dans cl'!t(~ graud« capitalc ; ('lle
s'en empara avcc ce laissor-allcr d« plaisir d'uue joun« f('IlHlH'.
I..a duchesse était aimée paree qu'ellc dansait , ct qu'clle avait
pris un théñtre sous sa protcctiou. Ce n'était pas caprico de la
foule; il Yavait instinct daus le pay», Ce qu'on craignait aH'C los
Bourbons surtout , c'était un gouvcmcnuut troj) profoudémcnt
religieux , el l'on voyait dans eelle lég-('Tel(' de la <1 uchcsse une
especc de séparaticn ct de protcstatiou ; on s'en saisissait conune
pour échapper ü J'j~glise, ~I ses sh0rit(,s ct ü son influcncc. .1('
crois indigne de la haute mission de l'histoirc de pén('tl'er dans
l'existence privée ; je rougis pOllr ccux qui en S¡;('ClIIClll : quclle
cst la vie qu'on peut 011'1'11' pure de faihlesses ! On a henucoup
parlé des voyagcs ~\ Ilosnv, des p{'ll'rillages Iréqneuts en 1'\01'-
mandil'; j'ai assez 'u le monde de cour el ses spirituellcs médi-
sanees pour savoir cette chrouiquc de boudoirs i jc dirai scule-
ment que madame de Bcrri óv ita tout scandale ; elle conserva
le voilc que d'autrcs lui ont arruche. Que P!'¡¡¡ cxigcr de plus
le monde, <1'llJ1C Icnuue jcuuo eneore , dan:; lI11(' rour brii1::n[e,
au milicu de ces Iécrics de palais el d(' JIL\e militairo ?


Au chátcau des Tuilcrics tout poussait ~I la gucrre et ~\ la
violence , et l'on voulait en Iinir mee I'osprit des révolutions.
On caressait alors le partí militaire el d(~ l'Empirc ; on chcrcliait
;1 le séparor de ses souvenirs pour s'cmparer dI' son rpr(l, (·t S'('11




CIUI'fTnE \X.
. 1 1"'" J '\-] , •• 1servir (:ms //l/(,/,{'! (1/1 U'Sjw/JSI!!C'. , ¡¡PO ('(:/i 1lC' l/EII! P us; son


fils {bit au ponvnir de' ]'('lr;1Jl¡.;<'l' : il n'v avait done (\. ce colé
ni chance ni avcnir ; (le' pourrait-on pas appcler au serours ele
la Ilcstnuration Cl'S dévnuemonts militaires , si absolus ct si fa-
ciles , don! Xapoléou avait cmplové la main posante? te partí
d(ls g0néral1\: s(~ divisait en doux Iractions : l'une s'était rangéc
aux idees libéralcs , se rapprorhant de lH. de La Favette ; on nc
pouvait pas compter sur cdl<' Iraction qui appartenait désorrnais
aux idees róvolutionnaires ; l'autrc , tout entiC'l'(' an systemc im-
périal , parlait du gOll\('I'!l('1l\('1l1 ahsolu conuno de la seule idée
possihlc (l'a<1llliníslralioll; el P,lI' instinrt de dcspotism«, le partí
rovalist« s'(·tail rappl'ocj¡(, d'<'lIe. Jusqu'a la mort (le Nnpoléon ,
les Jloyalistcs 1',1\ aiont violcnuncnt auaqué , non-sculcmeut dans
sa vi(' souvcraine, mais dans son svstcme d'administration. De-
puis OH changea dctheme : on n'cut pas assez d'ólogos pour la
forme du gouwrnellwnt de l'lI .... urpaicur, pour l'admirable pré-
vovancc de son pouvoir, pour ces Irrs qu'il avait rivés des mains
de la gloir«, On vanta sa police , ses préfets , son régime de
prcsse : Oll n'ouhliait <[1I'IIlW chose en tout ccci , c'est que le bras
(luí dirigeait ll'{'lail plus! I)(>s ¡d(,cs de l'Empiro ü ses agents , il
n'v avait qu'un 11:l~;. On 1(' Iranrhit plus dillicilemcnt. On trouva
des gtnh'<lu\ pal'fili((':lií'ill d¡~I)()S\"s ~l serondcr le ponvoir de la
Ilosranratiou , pOlln 11 qu'on 1(' leur confiar. Le partí rovaliste
on adopta quelques-uus. Ce fui alors qu'arriva la tcntativc du
g(ln{'ral Sayary pour Sí' mcur« en gl'llce avcc les Bourbons. Au
temps 011 le g{'n{'ral diri~eait la pnlice , il avait été en rappor
av«. IlIl granel nombre dl' rovalistcs , el particuliercruent avcc la
Iavoritc ; l'amour n'a pas d'opinion , el l'intimité , disait-on ,
('tail ('Ilsuiu' arrivée. D'llll autro cf¡l{', le gén{lral Savarv mena-
pi! <1(' p¡¡blier (/<os 3J(IJl1oin's (" de compromeure plusicurs des
grallds p('i'sonnag('s de' COII!' (¡lli n'avaient pas (~t(, étrangers ~l la
pollee de l'Empiro; pourquoi 1)(' s'arrangcrait-on pas avcc luí?
Le p;{'n('l'al Sa\ary étair un hommc de dévoucmeut , un gouvcr-
ncnr :1 g(lndannes, conuue il ('11 fallait pour le systeme qu'on
\'1~\a¡l; pouvait-on \(' l'<'!'m:l'J' s'il s'oífrait ;, résipisccnro ? 011




250 IJISTOIfiE DE LA RESTAURATION.
avait besoin d'aillcurs d'un coup de main, el le général Savary
en avait préparé le plan, et se déclarait tour prót 11 l' cxécutcr :
il s'agissait d'cnlever Ferdinand VII de Madrid, au moycn
d'une pointe rapidc. le g{'néral demandait 1111 ccriaiu nombre
d'hommes et de l'argent , el répoudait du StH'C('.S. Ll' partí ro~ a-
liste applaudissait il ce plan; la íavoritc l'appuyait ; uiais !('
général Savary avait une tache indélébilc h lavcr : il a, ait l'¡{~
chargé de l'exécution du jugemcnr il mort contrc le duc d'Eu-
ghicn; on I'accusait d'avoir connuaudé le fcu aux gcndanues , er
d'avoir placó la lauternc sourdc sur le cn-nr gloricux du jcune
emulé. La Iavoritc lui insinua dl' publicr un )11"lIloire justilicatif
sur cette triste affaire. ~l. de Sin ary in ait ('H ¿l CP([l' l'poqne
une ou dcux cntrcvucs avec Louis XvI iI; le Iloi airuait les
anecdotes de police , ct l'ancicn miuistrc de I'Empirc en savait
beaucoup, quoiqu'il les contát mal; Louis XVIII aimait ¿l ré-
péter : ce Si je suivais les conseils <1(' lU. de Savarv, e'en scrait
hientüt Iait des Libéraux ; cal' il m'a dit : DOHlH'Z-11l0i UI1 osea-
dron de gcndarmcrie , el je répcuds de celle cauailk-. » De l'a-
reils propos , vrais on supposés , de, ajen1 donner une grande
popularitó au g(ln{'ral dans ll' par! i rovalistc ; c'érait un houuue
Iort , une cspecc de'lachah{'c don! i! falbl se servir, On avait
conseillé le ñlémoiro. 01', e(' JI{'ll\oil'(, ,n,lil lill autr« hu: :
écraser surtout ]U. de Tallcvrand ct son pal'ti dans la Chamhrc
des Pairs ; faire croire que 1(' gl'aIld-ch<lIl1hdlan avait non-
seulement participé a l'cxécution , mais qu'il l'avait commaudéc.
C'était un coup parfaitcment concerté. L'accusation était si
grave, que l\l. de Talleyrand pensa qu'une juslillcation ('¡ait
nécessaire. Ou vit paraitre aussi un )J{llIlOire touchant dn général
lIullin, qui avait présidé le conscil de gll('IT('. C(' )'(~moil'(' ('Iait
si éloquent , il exprimait d'une maniere si llohll' le /'('pelllil' ella
vérité , qu'il détruisit la justification du r~{Il\('ral Savary. Tont
cet échafaudagc de pollee tomha , ('[ le Boi, malgr« toute la
sollicitude de la favorite , fui ohligr dt' elNelHlrc ¿l :\1. de SaY()l'~
l'entrée des Tuilcries. Hans ecuo vclléit« de forre , on acrucillit
t011S les généraux de l'Empire qui vcnaicnt a 1<1 B"slal1l'atioll:




UUPITHE XX. 25'1
on vit , á ccue {~poqlle óüauge , de vieux olliciers abaisser Ieur
Iront superhcdevant I'autcl. Le partí religieux s'applaudissait de
ces triomphes conuuo d'autant cl'épécs qu'il tenait enmain pour
le momcnt dl~ la hataillc. Les honunes de l'Empire ne Iurent
puiut les ¡{('miers á Iortilicr la Ilcstauratíon dans ses volontés de
coups d'j::lal.


L'autrc portien de la vicille armée s'était jetéc dans des so-
ciétés secrctcs , daus des conspirations libérales: c'était le véri-
tabk- parli hnuapartistc , actil, móroutcnt, Depuis les conspira-
tions du carbouarismc el les poursuitcs acrivcs , un grand nombre
de ces houuues romprumis étaicnt pass{'s ~I l'étraugcr ; ils mena-
caicut sur tou«: la Jrontierc : ils fonuaicut une légion en Espa-
gil!', oú ils {'lail'ill réuuis de rous les points ; on en trouvait en
.\Ilg!elcrre, l'a lklgiqlll' suscitan] la haiuc centre la Maison de
Bunrhou ('[ Icur paui«. En Francc , la plupart des sociétés se-
crctcs s'ótaicut dispprs{'es; les élérucnts cxistaient cncorc , mais
ópars , couíus , ct surtout sans organisation réguliere. Les der-
Hit'!'s cxcmples avaiout drra~(~ les imagiuarions ; on attcndait une
</!"ci,iuJI <!'E,;pagne, cal' ron comptait alors sur l'extéricur, La
!lOl'i;Oll l'Í'. ¡le du parli impéria! s'était scindóe conunc le partí
nulitaire. L'une avait Iai: ({('S o¡i'I'l'S de sen ice ü la Ilcstauration ;
elle arrivait avcc S('S docuiucs d'ohéissauce ahsoluc ct de dé-
voue.ucut ndmiuistrarif, liicn n'était plus docile a la Chambre
des Pairs <¡ll{' les ancicns séuatcurs. Sauf deux ou trois excep-
tious répuhlicaincs ou til)("l'a!l's, tous votaicut constamrnent avec
L~ miuisicrc , qucl qu'il Iút, Je pourrais citcr de leurs conseils
el dé.' lcurs :U('llloi!'cs inliniment curieux sur la nécessité que le
(;0;; .rrnemcnt des Bourhons se montrát fort contrc le lihéra-
lis.u«, Plus iar.l 11' parti impérial se lit courtisau ; qui ne se
sou. icut d';:yoir rell"Oilll'é aux 'I'uilrrics JI. Jlarct, rcvétu de
son ]¡"h¡t <l,,~ \ l'JOlll':; hlou d(' rk-l , appclaut , luí vétóran des sa-
lons de I'En1IÚ{', un :;:lll¡'il'(~ de:; hcuroux de la Ilcstauration ?
L'autrc fraction du narti iil1n(rial él(lit rcsiée SOllS sa tente , bou-


1 1


(k¡¡se ct ll1t'Conlelllc; nuis elle '1, ¡('ílii:;sait; sa Inrtuue était en-
l;U¡¡,\' par de Iortcs d(.pL'.a~;L'~;; cJIC' u'a. ait d'appui el d'cspérancc




¡¡¡STUIHE Di, L.\ ¡;í,SI\ll;\ ¡lO'"


que d<lw; j¡, na! ¡i ¡lb/Tal, J'('lItll' d ["o!'i d(' rout Lt\ ('n¡r. La Fr¡Uill'
< 1


{'¡ait alors avidc <le lihertós ; los nations se prl'OCCllpell¡ ai¡''''¡ {['UB
hcsoin ; elles out toujours dcvant elles des idees pu . ':llles
qu'elles poursuiveut : 01' ceHe gl'lll'ration de force el {l'eS¡,'r,lll('e
mcnacait la ltcstauration. ~\ u iuilicu de ces agilaliolls de .iarris ,
l'opinion publique óchappait ele plus en plus aux Iluurhc>s. e('
(lUC les Iloyalistcs appclaicnt ele l'éncrgie el de la Iorc " 'lail
qu'un vain el hrl1~ ant 1'¡a1ar~c (tui n'cflrayait plus pcr.onu«.
Les idees avaieut marché ; ct ce sont elles qui Iont les r. volu-
tions, Taut (Ille la Ilcstauration l'laii rcstóc dans ses ¡';.ll(li-
tious originaires , dIe avait l~ll' lTSrecll'e, soutcnue con::::e un
noble fait social , connnc une tlJi]¡';¡nratio]) poliliql!(' : il '. ;,yail
eu quelques hroniilons , des conspil'<l[('p;'S s',lgiU\llí it la ,'·::u'[acl';
mais le pays aimait I'ordrc , la paix , Ia Iiberté (11](' la d~üa¿,i¡e
llOUS avait reudns. ~IailllcHall!, OH d¡"pouillail la Ilcstaurtuicu
de sa 1>c11e paruro , on la jotait ;\ un partí qui en Iit une réac-
tion , ct \OiUI commcn: on l'a JKi'due!


LIle fraction dn p:l!'li mijit;¡j;'P <1:' J'El1lpin' cuiourait
l\l. le duc d'~\1l30ult~m(' qni partait pOllr le.-; p~ r('lll'l'S. On ue
s'aucnd pas ;¡ des h\!lklins dI' gr¿'.lldl·-anlll'(·; j'ai ;\ üire la
guerre d'Fspagnc. Je n\'llJ),ollc1H'i'ai point 1'0pop0e : notre
sicclc a vu trop (Ir mirarles, J'aigll' a volé trop haut , ¡illll'
qu'ou s'étounc j.uuais du ~'.uc('(\s des armes Irauraises. J'osvrai
rappelcr rouria'll ;¡ CL'!l\ qui (\a!~(';ll il!:.iounl'Llli le IlWJ¡¡Ji'C'
petit Iait d'annes , el qui [()l!!'nai:nl (':1 ridicul« la campaguc de
la Péninsulc , qne ('('[[l' camp,!gii(' Iut quclquc chose. OH I;C
marcho pas de na~ onne Ü t :adi::, un nc prcnd pa:-; Pampcluue ,
Saint-Séhasticn el Barc\'1mme, sans (qlrl(iil(' ~:)¡()¡n'. Onl'C\(l,,:('ía


1 J. c.. "


saus ('[(\1';'" on cnvironna I{, dur el' \ 1''''i\(I!l~''ll' (""')','1', ('(:)'))"
... \1..--. J _ J ~,,'. , ~.l " ~ • " ( • _ ... _ '../ l ~ Ti. _~ ~) 1" ,1 ~ ~ -, ,1 J _L II J. i. ,
Iacilc ), '/"'['11"'" (\'11";0' 1"1'1'.;·"\ 'l'!''''''''!>' ()'] ('h':'ll"l ,'/'{") de '1'(.'e _.1, lo. d\. ..... l'-.-, L , .. \~ j,,~l.;"'\· h,>1 \ .,h. ') ,. ..~.I ( "J ~--.L
Dcuin '''i ('n""~ln ""'1";""''''''''': ), 1(>"·1'"" l'j',II'("::'" 1" (fiO"]lC({/,C,) \ ..j~ ,·'.ilil~~l\_j Cl,~,¡ \,:l~li.·, ~.l, '" l. ,Ji.,! \ ,) '-'"- t.~, ,..." \ b1t,,::H -


1 • t _ ". 1 ¡, ~ " • ..tcsqnc are (!e' trlOT;':ll', (in(' ¡,' ~,(';l¡:' U,' 1 l'.¡;;p1re C()!JS(1cr,ut a
1" O'¡'"ll(i/'-''''¡'l/''' r ,! dnc;(;,,:', "'1 \ ";""""1'" (h 'l']'() " (l(11''''!' ,~:';",l t.., tI LI.... tt:.lJJ ,,\j, l~.\.- < •. ' ", •• ~~ lo: 1,.¡tJ~¡'.,-_ Il ... 1 Ll .1". "-'I&."-t,,,'1
'1" ¡{j"'] 1" C'lI1)'):1·;·;'(' (['¡,o,:,,'I"'I''' (11l ¡'I'("1 "',"(ll'il'(' l)'¡rl"";''''·'''']t(t ~ l.t" II l !' ,";' ..·~j'~'l :l ,\ I ., f '\ \ t .. . , ., f l. t,,;~I, .Id._l
1""',""":""", ()!,' s' '1,;1:1;'[ ('q'lIPli' '," l:,'tlll' )I]! 1 1\li')'l'i'S Il'S l"¡','ll""¡"
.. ~. ~ '-- . '- J _ .. _ -'- _ ~ .. ' ,_ \ , '- \ lo. .., 1 _ '.. >. • l t, !:., •




(.\\\\'\'1'\\\. \.\ .
J'ajouterai que ('l' quí cnivra 1111 [len u'or¡!;ueille Une U' Augou-
lcmc , ce Iureut 1('S g(~II(~r¡¡lIX lJuj l'cnrotu-aienr. La courtisaucric
militairo n'ost [las la moius active et la moins ü craiudre ; elle
s'cmpara du duc d'Angouléme..\u restc , jc n'oppose qu'un
simple raisouncmcnt l\ coux qui s'cflorcent de duuinucr l'impor-
tauce de la glH'ITC rl'Espagn« : on vous trompiez 11' peuplo lorsquc
vous proclamiez quc la révolution des Cortes était nationalc en
Espagne , OH l'armév Irancaisc a Iait de grandes choses , puis-
qu'elk- a renversé en trois mois tille révolution socialo que vous
disicz si profonde ! Les préparatifs militaires se continuaicnt pour
la campagne ; d(' forres divisions se portaicut aux Irontiercs ; des
conscrits rcmplacaient aux d(lpüts les jeunrs soldats qui mar-
rhaient auv Pvréuóes : toutc la ligue prenait un aspcrt guerricr.
te duc d'Jng()lIl(~llle se disposait ~, se remire au quarticr-général,
J l'ordr« , ji parla aux ollicicrs gL'II{'rallx qui devaicnt l'accom-
paguer : « J 'ai désiré \OUS rasscmbler avant votre départ pnur
vous téruoigucr la satisíactiou (lUC lile Iait éproux ('1' la coníiauc-
du Iloi , en me placant ü votrc tete; je compre que YOUS ni'ai-
dercz a la justiíicr. te Iloi \ ('111 que son anuóc , sous mes ordres ,
uhserv« la plus (Ixact(~ discipliu« : j" ticndrai la main : j'cn rcu-
drai les clters respousahles, 11 n'v aura (III'Uil Cl'illn' <I'au[orit("
celui du g('Il(~ral ('U chef. ~Ies ordrcs H}lIS scront Irausinis par
mou major-géuórnl , le coiuu- (; !IiB('miIW!..\ ¡¡OUS rcvoir bil'utüt ,
JlcssiclIrs; jc serai toujours heureux de me rctrouvcr avcc vous.
.le ne doute pas (ll!C vous '¡lC rivalisicz de ú'](' (I\{'(' moi pour
bien senil' notrc Hoi el nutre patrie. » C'était une réparation
CIl\ crs le g(~llóral Cuilleuunnt , que des intrigues de Cour a\ aicnt
voulu ('loiguer: .". k dnr d'Augonléme le proclaiuait iuajor-
géné1'al ü la Iarc d(' tous ; il se lit (In méme tcmps investir <111
droit absolu (/1' disuihucr 1('s récompcnscs el les grades militaires
peudant la campagul'.\illsi, le maróchal Yictor , n'étant plus
revétn du titre de lllajor-g('n(-ral, voyait tont son pouvoir
s'anuuler. Qu'était-ce , en Pll'l'l, qu'un ministre de la guorrc
moius le personncl ? 11 iuiposa (Igalcmcnt an maréchal 31. de
(;11/\, militairc iustruit , cxccllcut aduiiuistratcur, ct qni ('l¿¡it


111. :2 2




2;')ú IJISTOIHE DE LA HESTALBATIO\.
entré au ministere avec le g{'néral Digeon : il· dnt étre spécialc-
ment chargé de ce qui restait du pcrsonnel au rninistere de la
guerreo M. de Caux appartenait aux opinions modérées, it cetro
nuance du centre droit se rapprochant du centre gauche,


La guerre d'Espagne n'était passaus danger : índépendamrueui
de la situation d'un tcrritoirc OÚ la défense est si facile il v, .
avait des périls autremcnt formidables que ceux d'une iuvasiou,
Tous les débris des révolutious s'étaient réunis au dela des Py-
rénées ; des Francais expatries avaient arboré le drapeau tri-
colore, ct une légion patriota s' était Iormée en Espagne pros-
'Iue sous I'aile des Cortes; ses dcsseins n'étaient pas doutcux ;
ils se mauifestaient dans le journal qu'ils avaient rondé a:Uadrid,
daus les proclamations qu'ils chcrchaicnt ¡l répandrc }lOE/' cbranlcr
la Iidclité de I'arrnée. J'ai sous les yeux un de ces documcnts :
« Francais , disaient-ils , les Puissanccs étrangeres proclamercnt
cn1815, a la face de I'Europe , qu'elles nc s'étaieut arméesque
contre I\apoléon; qu'ellcs voulaient respectcr notre indépen-
dance et le droit qu'a toute nation de se choisir un gouvcrueurent
conforme ¡l ses mceurs et ~t ses intóréts. Cepcudaut, au mépris
d'une délibóration si Iormcllc, la force arméc cnvahit notre ter-
ritoirc , occnpa nutre capitale , el HOUS imposa la loi d'adopter
sans choix le gotncl'llcmcnl de Louis-Stauislas-Xavier de FI'Jncc.
Par suite d'un tel attcuiat ~l la souvcraineté de la narion , un
simulacro de constitution BOllS fut illógalcmcut donué sous le
nom ele cluirtc coustiunionucllc ; el la méine puissance qui nous
contraignit de l'acceptcr en a, par la suite , neutralisé tous les
elfets. Yainqueurs de Flcurus , d'Austcrlitz ct d'Iéna , vous lais-
sercz-vous aller aux insinuations pcríidcs des Puissances étran-
g('rcs; Venez daus nos raugs : vous y trouvercz tout ce qui con-


, l'anucs r des comnatristituc la force, el (les compaguous (, rme , ( p totcs ,
qui jurent de défcndrc jusqu'a la dcrnicre gouue de lcur sang
lcurs droits , la liberté el I'indcpendaucc uarionale ! » CeHe pro-
clamation était accompagn{'c d'unc protestation ainsi CO:lrue:
« N"ous soussignés, Francais el hommes libres composant le
Couseil de régence de Napoléon 11, protcstons contrc la légiti-




CHAPTTRE X\. 2:');'')
mité de Louis XVIII; nous déclarons cornme antiuational tout
acte érnané de lui ou de son Gouvcrnement contre I'indépen-
dance de la natiou espaguole. Francais , 1l0US vous rapportons
l'étendard tricolore , signal de votrc réveil ! » Était-il un dessein
plus formel, mieux constaté? On voulait renverser le Gouverue-
mcnt des Bourbous , revenir aux idées de I'époque désordonnée
des Cent-Jours. Des officiers compromis dans les conspirations
militaires , ou dans les associations de carbonari , se trouvaient
a la tete de ces rassemhlements de réfugiés. On y trouvait méme
:\1. Carrel , qu 'un partí a grandi , paree qu'il faut ~l chaqué idée
une personnification; d'oú il snit qu'on fait des héros , des
grands hommcs, des grands écrivains , qui passent, tombent
sans laisscr trace. Quand j'étudie les crises sociales, je de-
mande comment les partís pcuvent défígurer les causes et
les événements de tellc 501'te que les mémes actions ne soient
ras également élcvées et également flétries ! On a soulevé les
idées contre l'émigration armée de '1789; on l'a hautement ac-
cusée , aux yeux de l'histoire , d'avoir combattu avec l'étrauger
centre le sol, qui est tont: jc demande, la main sur la con-
science, si les réfugiés fraurais en Espagne flrent autre chose ?
De prenx chevaliers , des gcntilshonuncs de bonne race , de vieux
déhris de l'honneur , allerent défendre leurs idées , Ieurs opi-
nions, outre Ilhin ; de braves militaires , d'honorahles officiers ,
allaient au deja des Pyrénécs défendre également leur conviction
politique : je n'accuse pas ; les llIIS et les autres erurent qu'il y
avait autre ehose que le sol dans la patrie: déplorons ces temps
de crise qui ne laissent personne a Ieur place er défígurent tons
les scutimcnrs. A11 reste, ces officiers réfugiés n' étaient pas sans
intelligences alee l'armée rl'invasion : ils cherchaient par tous
lesmoyensasoulcv el' le soldat ; revétus du vieil uniforme fran-
caís, enveloppés du drapean tricolore , i1s parcouraient la ligue
eles frontieres et Iaisaient retentir l'air de ce chant de gIoire et
dI' mcurtre qui tant de fois avait conrluit l'arruée francaise a la
virtoire. Les dangers étaicnt pressants. La pollee militaire exer-
cait une surveillance artive , puissauto : ;, tnnt moment officiers




2:'";() TlISTOIHi: DE L\ HESTiIH\Tf()"\.
el sous-oñicior» ttai('J}t ),('Il\O~ (,S. DanslcI K' de ligne , dix-hnit
officiers Iurcnt mis a la rcnaitc. L'ortlrc dujour disait: « Lcdcvoir
d'un hon oílicier ne consiste pas seulcmcnt 11 bien rcmplir lesIonr-
tionsde songrade; il doitcncorc, dans routes!pscirconstances qni se
présentent, verhalemeut ct par ses actinns, manifcster son amour
et son dévouemeut pour Sa ~laj('st{~. Le juste chátimeut qui vient
d'érr« donné servirá de lcrou ~\ tous ceux qui seraicnt tentés di'
transiger avec leurs devoirs , ('\ qu i, u'étant pas pénétrés vivc-
mont de leur importance , scraicni [roids dans leur maniere do
voir ot de prllser. )) C'était Jci une réponse ~\ la minorité de
gauc!Je qni ava.t provoqué la désohéissanre el favorisé la révolt«
dll soldat; on opposait la théoric d(~ l'ohóissauco passive 11 ces
doctrines rl'oxamen rl de libre arbitro dn soldar proclamé('s ¡¡ la
tribuno.


Le Couverncmcnt s'occupa avec une grande sollicitude dr
tous 1('8 movens néccssairos au suecos des armées; )\. ele ViHele
résolut d'adjoindre au génémlissiuic un commissaire civil , ex-
pression du Gouvcrncment Iranrais , auprcs des autorités qui
seraicnt coustituécs par suiLe de l' orcu pation; 1(' président du
Conseil avecsesrépugnanccs pour la gllC'ITC, voulait qu'un homme
~l 1ni pút saisir LOH(es 1os circonstaures , LOIlS les accidents SlIS-
ceptibles de préparer une pacifirution inuuédiate ; au partí mili-
tantil voulait opposer UIl conuuissaire pacificatcur , pounll <1e
ses instructions spécialcs el portcur dI' paroles de paix. M. de
J\lartignac fut définitlvement désignó el agrN' par le Dauphiu.
Happorteur des crédits supplémentaires , M. de J\lartignac avait
montré du dévouement ; on l'en récompcnsait. Le Iloi le recut
en audience intime et lui dounn ses ordres ; il lui dit : « -'1. dI'
ñlartignac , je sais la sagcsse de votre esprit; ne précipitez
rieu. » Le Roi lit allusion ~\ une des plus spiritnellcs saillies
de ,1. de lUartignac, et ajouta en riant : « :\lénagez tout, comme
M. de Laborde , méme l'inquisition. )) Voici pourquoi : dans les
débats sur les crérlits snpplémentaires , le rapporteur avait Iait
Hile douce pcinture <11' l'iuquisitiou : et commo Ji> c{Hé gauchc
avai: rril' I( I'h(l)'¡'('II!'.' '.1. di' \Iari i:!;II:lr avnit r{'!10ndll ;m'r




UL\PITnE x x.


malice : ( Ce n'est pas votrc rapporteur qui parlc , mais un de
vos honorables collcgues , )1. de Lahorde dans son irinéraire
rl'Espagne. ;.¡ '\1. de Martignac accepta les fonctions qu'on lui
confiait et qui préparaient pour lui un ministere ; il dut tenir
ses instructions particuliercs de l'\I. de Yillele ; ai-je besoin de
dire qu'clles furcnt toutes dans un sysreme de modération el
d'accommodement '? Le ministre des Iiuances multiplia les res-
sourccs du Trésor. l\I. le duc d'Augonléme, partí de Paris le
'1;) mars , arriva sur la ligue des Pyrénées dans les premiers
jours d'avril, Ce Iut quclques jours avant l'entrée en campagne
qu'on vint lui annoncer que les ressources manquaient, et qu'il
n'y avait aucun moycn de transport , aucune prévoyance mili-
taire. Ici se préscnte la grande question des uiarchés Ouvrard.
Est-il vrai , est-il présumahlc que le général Andréossy ait laissé
l'armée au dépourvu '? doit-on croire anx miracles de M. Ou-
vrard , ~\ ces grandes manreuvres du munitionnaire général? .J e
réponds qu'il parait démontré que le général Audréossy avait
preparé des ressources , mais qu'elles n'étaieut pas suffisantes;
les moyens de transport snrtout manquaient. On parvint ~l per-
suader ~l '\1. le dnc d'Angoulemo que rien n'était prét , et ({Uf'
la campagnc était compromise, ct l'on craignait rant dI) la com-
promcttre I 11 Ycut hcaucoup d'argenl rlonné. Dans ces affairos
de Iourniturcs il y a tonjours des pots-rle-vin , iguohle plaiode
l'administration publique. ;\1. 011\'l'aI'<11](' les épargna pas , et 1('
duc d'Angouléme signa les famenx marrhés. II se passa des
choses extraordinaircs ; ainsi , des YiHeS qui Iaisaient partie des
lllagasins de la guerrc et qui avaicnt disparu un moment , repa-
rurr-nt eusuite dans les mains du munitiounaire général. Ce fut
U1H' pspl'ce de tantaslllagoril' (I\('C SPS cnchantcmcnts, tant l'argent
Iait des miracles ! L'anué« qui manquait de tout Iut abonrlam-
11H'1ll pourvue , l'l c'était tout, Le premier COl1p de canon dr la
campagne de, ait (~IJ'(~ tiró SI1I' 1<' drapean tricolorc , sur les uni-
formes fraurais de la vieill« anuéc : la Hcstauratiou pouvait ici
s'exposer h uu moux emcnt militaire ; qu'allait-il arriver si les
solrlats rcfusaient </<' faire f('11 sur lcnrs camarades? On ,;tait




258 HISTOIRE DE LA RESTAURATlO:\.
inquiet; le bruit courait que les régiments allaient fraterniser
avec leurs freres d'Espagne , il fut arrété au quartier-général ,
qu'une batterie d'artillerie serait envoyée en avant pour balayer
la rive espagnole de la Bidassoa. Le 6 avril , les troupes se mirent
en marche et s'avancerent ; dans l'apres-midi de cetre journée ,
une hande de réfugiés francais et italiens, de trois aquatre
cents hommes, ayant a leur tete le drapeau aux trois couleurs ,
se présenta de l'autre coté de la riviere , en faisant retentir les
cris de vive t'Empereur l rirc la France l L'avant-garde , com-
mandée par le général Valin , qui était arrivée depuis le matin,
fut appelée a repousser cette agression. le gónéral fit faire des
représentations a ces troupes séditieuses ; yoyant,que lcurs me-
naces ne cessaient pas, il ordonna de faire feu; trois coups de
canon, tirés par l'armée francaisc , les mircnt en déroute , el
des lors la campagne fut sauvée, Le lendemain , le premier
corps , sous les ordres du maréchal Oudinot, passa la Bidassoa ,
et les autres corps d'armée le suivirent h vingt-quatre heures
de distance; l'arrnée fut en pleine marche sur Madrid. 01' la
campagne, considérée cornme mouvcment stratégique , u'était
pas sans difficulté ; cal', en supposant que les troupes francaises
occupassent depuis Irun jusqu'a Madrid, n' était-il pas acraindre
qu'une armée peu considerable ct disséminée sur une si vasre
étendue de pays, cut tontes ses couununicarions coupées? Et
Pampelune et Saint-Séhastien no scuihlaicut-ils pas meuacer
toute retraite ? Neuerait-on pas reduurer les guérillas , troupes
hardies dont le triste souvcnir sc liait a la derniere invasion?
L'armée francaise n'allait-cllc pas étre en butte 1\ tout« l'impo-
pularité d'une guerre contre la liberté d'un peuplc g{'IH~reux Ü
qui l'Europe devait sa délivrance '? El puis , dans ce payt; stéri'e
et pauvre , les vivres ne pouvaient-ils pas manqucr ? I ..es forres
chaleurs u'ameneraicnt-ellcs pas des maladies , et la mémoirc
des hópitaux militaires en Espague peudant la premiére guerre
ne faisait-elle pas trembler ? Ouaud un succrs est acrompli , on
se rit souvcnt des dangers qu' on a COl1l'IlS, OH se moque (les
prévisions timides , on ouhlio tont dans Ir!' joies (h~ la virroire:




CHAPTTRE XX. 2;")9
et pourtant les prévisions u' en out pas été moins vraies , les
dangers pas moins certains! Ici, dans la guerre d'Espague ,
les advcrsaires des hostil.tés se laissaient tromper par les souve-
nirs de la premiere guerre de la Péninsule; ils examinaient en
quelque sorte la questiou d'un autre temps ; ils ne voyaieut pas
que tont était changé. Aussi leur étonncment fut grand al'aspect
des merveilleux succes de I'armée accouraut sur Madrid sans
aucune résistance!


Laissons l'armée s'avancer dans ses marches gloricuses , pour
moij'aime ¡¡ rapprocher les hautes discussions d'aííaires. Arriere
toutes ces déclamations d« trihuns qui agitent le pays sans
l'éclairer ! ,"OI1S sormnes une nation ainsi faitc: la popularité en-
tOllrc l'(~c1;¡t et le hruit ; llOUS avons une faible éducation politi-
que; et voilü pourquoi la phrasc nous séduit et nous cntraine.
Les négociations de .M. Cauning n'étaieut point allées a fin; la
guerre était commencée, I'armée francaise pénétrait dans la
Péuinsule , et l' Angleterre vovaitavec méfiance l'occupation pos-
sihlc de l'Espagne ; quel serait le résultat d'une telle croisade ?
Aprés avoir dompré la révolution en Espagne , ne se porterait-on
pas sur le Portugal ? Oú s'arréterait cet abus du príncipe de
l'interveution ? Ce fut dans ces circonstances difficiles que s'ou-
vrit le p~rlcmellt anglais; le discours de' la Conronne ne préci-
sait rieu , et M. Canuing S(' résorvait les explications : « tes
offorts de Sa ~lajesté avaient tcndu sans reláche ~l conserver la
paix de l'Europe ; Iidcle aux príncipes qu'ellc a annoncés au
monde commc devant Ionuer la r('gle de sa conduite , elle avait
('vir{' de preudre part ~l aucuu des actes de Yérone , qui pouvaicnt
i~[re ('misag('s comme une intcrvcntion dans lcsaffaires intérieures
de l'Espagnc ; le Iloi avait employé ct continnait d'cmployer ses
plus grands eílorrs el ses hons olliccs pour adoucir Yirriuuioii
qui existait entre les cours de P;;l'is et de lUadrid, et pour dé-
toumer , s'il était possihle, le fléau de la guerre entre la France
et l'Espague. » 011 devait l'elllarcp.J('r cette expression d'ú'l'ita-
tion , )1. Cauuiug n'admeuaut pas qu'il y eüt motif légitime de
gucrr«. r:ildrrssr·solllfrit pen d(' difficultés ; on souleva de faihles




2()O JlfSTOIIII: DE 1.\ IlEST\rn\TlO\.
objcctions, te ministre avait demandé il l'opposition UIl pcu de
répit pour que, les affaircs étant plus avancécs , il püt étre fait
sur les griefs une réponse plus nette et plus satisfaisantc. res
explicatíons furent done retardé es , ct la motion du comte Grey
dans la Chambre des lords, et dc ál. "arre dans les commuues ,
devinrent l'occasion d'un déhat important. Lord Livcrpool s'étair
chargé des explications aux lords ; l\l. Cauniug se reserva les
commuues, Ce fut un grand spectacle donné ~1 la Franee, OÚ
tout se faisait sileucieuscmcnt , oú 1'0n refusait tour , document,
transaction , oú le secret tcnait lien d'habileté , que ces paroles
rctentissantes. JU. Canning exposa la suite des négociations. «\
l'époque oú le ministre ungíais ;1 v érono fut nommé , nous nc
savions pas , ct HOUS ne pouvions pas méme prévoir qllC, dans
cetre assemblée , on agitcrait seuleruent la qucstion qui depuis
est devenue la plus importante ct la plus diílicilc de toutes ; les
affaircs d'Espagne n' étaient ras du tout l' ohjet ponr lcquel 1<'
congres était réuni. La France était, de toutes les Puissances ,
cclle dont nous attcndions le moins une propositiou relative ü la
Péninsule ; cal' le Iloi de Frunce avait déclaré , dans son disconrs
de clóturc , que la saisou sculc le fOl'{:ait;l continucr les précau-
Iions sanitaires priscs sur les Irontieres d'Espagnc , el peurtant,
ji Iaut rendre justice au COIH('rIH'IllCllt Irnnrais ; ses pr('mit"n's
proposí tions Ü vérone n' étaicnt point gllerrii'res, mais sculcmen1
conditionnellcs, Comme jc considérais la gU<'ITC dangercusc ,
nnn-seulcmcnt pour ]'Espagne mais encere pour la France ('t
pour l' Europc , jP fis une tcntativc en envoyant lord Fitz Som-
IlH'l'SC'l, portcnr cl'un ~l{'moil'e confidcnticl , ~1 'Iadrid. V' lan-
gage de jU. de Marccllus I me faisait croire ;\1111(' issne plus faro-
rahle ; mais ios paroles du Iloi de Frailee produisircnr I'cllet 1t'
plus falal ;1 :\ladrid. II ne 110llS restai: p]IIS C/u';' prr-ndre les 1llC'-
sures convcnahles pour assurer nos illl{'J'(~is ('11 conservant la
neutralité , el nous a\OIlS cOll\pl{'«'ment )lOllrYlI ;\ e(' qui pour-
rair nous mett re en danger. <)lIanl;1 la qucstion de l'invasión en




CIL\PlTHE xx.


Espagnr, pour ma 1)(11'1 jf' J)(' romprends point les raisonncments
par Irsqucls le GOll\(II'JH'JlH'llt Irancais jnstifie ceue gucrre : la
France accuse l'Espaguc , mais jamais l'Espagne s'est-clle 1)('1'-
mise des attcntats comparables ü ceux de la France ? » ,1. Can-
ning cxmuinait si l'houneur ctles intéréts de la Graude-Bre-
lilgnc exigeaient la guerreo « .le ne le prnse pas ! s'écria-t-il ; la
ncutralité nous est cornmandéc par une politique bien curen-
du(' : nos hons oílices n'ont pu conserver la paix , notro media-
tion a {>t{. une tñche lngraro ; nous devons done prendre le partí
de la neutralité , d'uue neutralité franche et réellc. J'assure ;, la
Chambre que HOUS SOnHl1eS loin de voir avec indillérence un
tr-l état de' choses , e'l j'espere que l'Espagne sortira triomphante
dl' ecuo 11I11 l'. » 1,(' comre de Liverpool , en faee des lords ,
snivit I'excmple d(' 'l. Canuing avcc une sincérité non moins
grande. (( A son rctour de \ {TOIH', dit-il , le duc de " ellington
a trouvé le ministcrc de Franco daus des dispositions pacifiques;
l'Angleterrc n'avait fait aucunc diíliculté d'oflrir sa médiation,
.I'avoue qtle la France avait eu quelques motifs pour maintenir
sur les Pyrénécs son armée d'ohservation , el qu'on n'a pas pu
en demander le rappel , l' Espa¡¡;nc n'uvant point fait de declara-
tion tranqnillisante , el la Franco pouvaut se garder contr« les
tentatives du Gouvcrncmcnt espagnol ; 1l0US couservámcs ce-
peudanr qnelqnc íaiblc cspoir de prévenir la guerre. La politi-
(IW' <111 Couvorncuient hritauuiquo doit Nre la ncutralité ; nous
l'avons declaré h l' Espagncencore plus positivemeut qu'aux au-
tres Puissances ; nous avons les moycns snffisauts de Iaire toute
gucrre cxigée par l'honneur et l'iutérét national ; mais apres les
grands ellorts que nous avons Iaits peudant la derniere guerre ,
avant <1(~ nous lancer dans une nouvellc , nous devons mürement
réíléchir sur sa néccssité et sur ses chanecs. Il cst un point sur
lequel nous sommcs tous d'accord : les Francais ont formé une
entreprise incxórutahlc s'ils no trouveut pas un appui dans la
majorité de la nation ; done, si la majorité est coutre eux , nos
serours sont inut iles ; si elle est pour (,UX, devons-nous soutenir
la llIillOril{' '? }l 1.(' comll' Liverpool vovait juste d loin : il pré-




262 HISTOIRE DE LA RESTAt"RATIüN.
cisait avec plus de justesse que M. Canning la véritahle difficulté
de la question, II ajoutait : « Si uous entrious conjointement
avec I'Espagne dans une guerre centre la France , nous serions
la principale partie beUigérante. A présent la gnerre contre les
Espagnols n'est pas populairc, elle n'est pas méme , ~l ce que je
crois, du goíit de l'armée ; mais si des troupes anglaises paráis-
saient, les Francais oublieraient la guerre contre I'Espagne pour
n'y voir qu'une guerrc contre la Graude-Bretagne. D'ailleurs le
Gouvernement et le Parlemcnt auraient toujours la faculté de
prendre les mesures que les occurrences de la guerre pourraient
exiger. » A la suite de ces déhats les deux ministres déposérent
sur le hureau toutes les pieccs de la négociation. Cette méthode
franche el libre, cette haute sincérité avaicnt recu d'unanimes
applaudissements en Angleterre ; lU. Rrougham lui-méme I'avait
louée dans un discours plein de violences et d'invectivcs contro
1\1. de Cháteaubriand. Je ne sache rien qui Iüt plus sensible au
noble pairque cette sortie injuste, inconvenante (le)1. Brongham,
1\I. de Cháteaubriaud , ministre, voulait conserver sa popularité
politique et littéraire, chose difficile a concilier avec une posi-
tion active dans l'État ; il se défendit done eontre M. Rrougham;
il chercha tous les moyens de le rappeler sur le terrain d'une
discussíon parlementaire et polio. Il n 'y réussitpas: lU. Rrougham
était un homme mal élevé,


Quoi qu'il en soit , cette grande lice ouverte au Parlement
avait eu des échos en Franco. On comparait eette méthode
large, confiante du ministere anglais, avec cette peur de puhli-
cité, qui empéchait les ministres francais de communiquer
les actes, les moindres transactions diplomatiques. Le ministere
demandait des hommes, de l'argent, et on ne faisait connaitrc
aucun des aetes qui amenaient la paix OH la guerre ; ríen ne
blessait plusle sentiment national des Chambres, C'est dans cene
préoccupation que s'ouvrírent les débats aux Pairs ; les ministres
avaient saisila haute Chambre de deux projets de loi : l'un était
relatif al'organisation des vétérans dans la pensée de la loi dn
recrutement de 1R'18; lp secoud dcvancait la lnpr dr-s jeunr-s




CHAPJTRE XX. 263
couscrits de '1823. Ces mesures militaires devaient nécessaire-
ment appeler une discussiou sérieuse et forte; toute la guerre
d'Espague el ses motiís durent etre examines et vus de baut.
D'ahord , al'exemp1e du Parlement anglais , lU. Mojé demanda
la couunnnication des pieces relatives a la guerre d'Espagne; il
s'auacha a démoutrcr que, dans les acres diplomatiquesqui
avaicut été déposés daus les Chambrcs auglaíses, on remarquait
des arl'iel'e-pe11Sées (lui pouvaic11l alarmer : (( Eh ! qu 'a11011s-
nous íaire en Espagne '? quel fruit retirerons-nous de eette
guerre , qui est contraire anos intéréts nationaux ? Xous allons
dans la Péuiusule rétablir une iuquisition odieuse; et qui sait
si, ~l l'ombre de nos drapcaux triomphants , le despotisme ne
piauera pas sur la Franco ! Toutes les révolutions se ressemblent,
elles s'eutrcpreunent pour des existences nouvclles qui se sont
forrnées dans le sein de la société , et que la société tarde trop ~l
reconnaitre; elles s'entreprennent pour remettre chaeun et
cbaque chose a sa place; elles s'entreprenuent pour substituer
partout le réel au fictif. C'est ainsi que les révolutions pro-
cedent toutes du meme principe , qu'elles teudent toutes vers
le rnémebut , depuis cclles d'Athénes et de Ilome , j usqu'a celles
d' Angleterrc, de Frunce et d'Espagne. »-( On veut, s'écria lU. de
Cháteaubriand , qu '~t .I'exemple de l'Angleterre , nous déposions
les pieces relatives aux allaires d'Espagne : OIl n'avait pas besoin
d'en appeler il cct cxcmple ; la puhlicité est de la nature du
gouvcrncmcnt constitutionucl , mais on doit garder une juste
mesure, el surtout on ne doit pas confondre les temps , les lieux
ct les nations. Si le Gouvernemeut britannique n'est pas , sous
quelque rapport , aussi circonspect que le nutre doit I'étre , il est
évidcnt qne cela tiout ala différcnce des positions politiques ; en
Augleterre, c'est I'aristocratic qui sert de rempart alaCouronne ;
en Francc , c'est la Couronne qui met aI'ahri I'arisrocratie. Ce
seul Iait interdit toute couiparaison entre les dcux pays. Nous ne
prétendous rétablir avcc I'Fspagnc aucun des traités détruits par
le temps; nous comhauons seulement pour HOUS soustraire au
retour des maux dont llOUS avons été trente ans les victímes ;




26l¡ !lISTO/ HE DE L:\ HESTM H\T1U.\.
c'était la ré\ olution qui , chassée de la Franco par la 1{lgilinlit{1 ,
voulait y reutrer de force; il Yallait de notrc cxisteuce. »


1\1. de 3Iontmorency, persouncllcmcnt ;:lla([u{~ par JI. Can-
ning sur sa conduite ;. Yéronc , crut devoir s'expliquer : « (lui
a pu concevoir , dit le due :\lathien , l'ignorancc du Gouveruc-
ment anglais sur la place que devaicut prcndre au congr¿ls les
affairesd'Espagne? Xe seuiblerait-il pas qu'h peine il a pu prévoir
qu'ou en parlerait ? Comment espérer persuade!' qu'un Cabinet
aussi vigilant que celui de Londres ait pu meure en doutc ce qui
était conuu de tous les Cahinets europócns ? Jc nc songe pas ;,
justifier , ni la Franco , qui n'cn a pas hesoin , ni moi-mémc, qui
regarderai toujours conune UIl litre d'honncur d'avoir coucouru
;, ces grandes transactions de Vérone : mais je dois proclauicr
ce qui est vrai : la Franco n'a cu ni a dósirer , ni ;, demander ,
ni h provoquer la discussion des affaires d'Espague au cougrés ;
ce qui l'a amcnéc, c'est la force méme des choses, c'est ce sentí-
mcnt univcrsel d'intérét et d'iaquiétude qui domiuait alors les
Cahincts des souverains ; la France n'a fait ;, Vérone que des pro-
positions défensivcs , conditionnclles ct hvpothétiques : les mi-
nistres anglais l'ont solennellcmcnt declaré. Xous pouvons done
dire ;, tous les désapprohateurs de la guerrc , le proclamcr h la
Iace de l'Europc : oui , c'cst l'atu-iutc portéo ;, nos intérr'ts, c'est
notre súreté dircctemeut menacéc , ce sonl des acles contraires
;\ notre salut ct méme h celni de l'Europe , qni nous out obligés
de faire le sacrifico momentauú de toutcs les sources de prospé-
rité que chaque jour la paix nous ouvrait ponr dófcudrc la cause
la plus juste et la plus désiutéressée : Tous les !lOlll111CS éclairés
par l'cxpérieucc de nos trente deruiorcs anuécs , tous les awis du
bien de leur pays , qucls qu'ils soient , tOl1S les partisaus d'unc
sag(1 liberté, dcvraient forrucr <les \ uiux couuuuns ct UUI' uuiou
indissoluble centre les doctriucs snln ('/'si\ es, contre les l'é\ Olll-
tions et les insurroctious militaires. ») iU. <le ;Uontmorency Be di-
sait pas toutc la véritó : il nc s'était pas tcnu sculemcnt sur la
défcnsive ; il avait provoqué l'intcrvcntiou , 011, pour parlcr d'une
maniere plus cxactc, il avait accepié avcc cmprcsscmcnt les ou-




<:IIAPITI\E x\. :W.)
vcrturcs qui lui avaicut élé faites par ;\l. de Jldlemich : au rest«,
le pieux oratcur vcuait ici oxprimcr les vóritables théories du
parti royalistc : il fallait bien l'avoucr ; il u'y avait pas de griefs
positifs , matériels , pour amcner la guerre d'Espagne ; le motif
véritablc , c'était la peur des révolutious ; c'était surtout la hainc
coutre les institutions constitutionnellcs, qui en ce momcnt préoc-
rupait l'Europc. Le discours de l\I. de ;\Jontmorency. se ressen-
tait un peu de sos aigreurs contrc )1. de Yillele ; il avait hesoiu
d'oxpliquer sa eonduite qu'on cherchait ¿I dénaturcr et ~t COI11-
promettre ; et íl l'expliquait aH'C simplicité cal' }I. de )lontl11o-
rcncy était un homme de conscicnce , tonjours pret ü rcndre
tt'Illoignage de sa foi politique.


D(' edl(' disrussion a la Chambre des Pairs résulta la convic-
tion pour ~1. de Chátcaubriand qu'il fallait usor d'habiles méua-
gements daus les négociations cngngécs. Dans l' in térét de sa po-
pularité en Anglcterre , el par un scntiment plus noble, le mi:
uistre suivit avcc une ardeur infatigable les mesures rcgulatrices
pour l'abolition de la traite des ~oirs , sollicitéc par l'Angleterre,
et qui avait dans ce pays de si robustos défenseurs, Une corres-
poudancc aclh e s'engagca entre le noble pair el JI. Cauniug ,
dans laquelle ces deux honuucs d' Úat épanrhércnt Ieurs idécs
pour l'avanccmcnt des deux nations : dans une note sur l'aboli-
tion de la traite des Xoirs , ~l. de Cháteaubriand disait « que si
la traite était pratiquée le plus souvcnt SOtlS le pavillon francais ,
c'était bien SOUYCllt ü l'insu de la Franco el surtout coutrc son
gré; qu'il Iallait l'attribuer principalcmcut it l'iusouciancc du
puhlic conuuercant, » te due de Wellington proposait de déclarcr
la traite piratcrie. {( Cene dócisiou , répoudit 31. de Chátcau-
briand , u'esr pas de la compútence d'uue réuniou politique :
vous 1l0US conscilk-z de dérréier I'alfranchisscmcnt des esrlaves ;
mais par ccrte iurorvcntiou l'aurorité porterait une cspccc d'at-
tcinte au droit de propriété : 1(' Couveruemcnt hritanuiquc pro-
pose encere de coníérer U11 droit limité de visite et de confisca-
tion sur les vaisseaux ('ngagés dans la traite des ~egres, ~t
certains bátiments de chacunc des parties conrractantes..Te ré-


111. :23




266 IllSTOlRE DE LA HESTAUHATlON..
ponds , ajoutait M. de Chñtcaubriaud, que d'aprés la Charte frau-
c;,aise la confiscation est abolie , el que quant au droit de visite,
on ne saurait décider Iégerement une question de si haute im-
portance et a laquelle il faut apporter de grands ménagements,
Ai-je besoin de le dire ? l'accroissement de la souffrance des vic-
times d'une infame cupidité m'inspire une profoude horreur. Les
nations chrétiennes He feront jamais trop d'efforts pour eífacer la
tache que la traite des ~oirs a imprimée aleur caractere, ) ;)1. de
Cháteauhriand avait habilement posé la questiou sur la traite;
question qui se méle atant d'intéréts. aussi bien a tous lespoiuts
du droit maritime qu'aux grands príncipes du christianisme et
de l'humanité, cal' le droit de visite ne pouvait étre aussi légere-
meut concédé.


Dans le hut d'arriver a un prompt résultat , méme avec la
guerre flagrante, lU. de Cháteaubriand concerta longtemps avec
1\1. de Villele le choix de trois ambassadeurs qui devaient pren-
dre une part active il la négociation d'Espagne, dans ses rap-
ports avec la Grande-Bretagne; je veux parler des ambassades
de Londres, de Madrid et de Lisbonne, Ces trois postes, qui se
Iiaient si intimement entre eux , furent donnés a MM. de Poli...
gnac, de Talaru , Hyde de Neuville, Le prcmier avait été iudi...
qué, sous I'iníluence de MO~SU:[jH, par ce comité politiquedont
j'aurai plus tard a parler : le sccond appartenait ¿l ces sociétés
de haute aristocratie qni cxercaient une puissance sur le Cha-
tean. Quant a i\I. Hyde de Neuvillc, le souvenir de son ambas-
sade aux Úats-Unis, et l'amitié intime qui l'unissait depuis tant
d'années ai.\l. de Cháteaubriaud, déterminerent son choix: l\l. de
Polignac paraissait pour La premiere fois sur une grande sceue
politique; jusque-la son influence n'avait pas été au dcla de la
Cour : c'était comme I'cxprcssion du partí religieux , un gagc
donné ala contrc-oppositiou , <tui prenait une ccrtaine impor-
tance dans la Chambre, lU. de Polignac était, cenes, l'esprit le
moins propre a saisir les mille ressorts plus OH moins droits ,
plus ou moins sinceres, qui dirigent souvent les négociationsdi-
plomatíques. Sa probité était haute et pieuse; il y avait dans




CHAPITRE xx. 267
cettetéte je ne sais quoi de candide et de sévere , et avec cela
une opinion exagérée de sa valeur politique et de sa capacité.
l\I. de Polignac vénérait la royauté comme un culte; de la toutes
ses fautes. Son éducation avait été négligée : jeté tout jeune
encare dans les oragcs du dévouement et des conspirations, le
malheur méme ne l'avait point éclairé, Avec l'amour du bien,
son esprit était le moins propre a l'opérer. lU. de Polignac se
préoccupait de certaines idécs , et les suivait avec la crovance et
la ferveur d'uoe vocation religieuse : e'est un grand fléau que
les hommes a mission, que ceux qui se disent appelés a épurer
la socíété, a exercer une espéoede prosélytisme, a réformer en-
fin la politique et la morale de ce monde, plein de passions et de
miséres ! le Gouvernemcnt marche par une multitude de con-
cessions; il prend la société telle qu'elle est , avec ses vices, ses
hesoins, et cherche a la diriger en louvoyant : les idées absolues
le perdent; et malheur au pays dont l'administration tombe a de
telles mains; il est lancé dans d'inévitables crises! 1\1. de Talaru,
ancien ami de l\J. de Chñteaubriand et de la société de l\lme de
Duras, n'avait pas une grande capacité. Sa fortune était con-
sidérahle 1; il possédait un certain caractére de modération, et
voila pourquoi on l'avait désigné, 1\1. de Yillele n'avait pu son-
ger a renvoyer 11. Madrid 1\I. de Lagarde ; il s'était trop avancé
avcc les Cortes: j'aimc les esprits 11. tempérament; les affaires ne
se hrusquent pas, on n'enleve pas une question comme une
ville al'assaut ; la díplomatie est l'art des ménagements. 1\I. de
Talaru convenait assezala mission que lui confiait 1\1. de Chá-
teaubriand; il était royaliste a forte nuance, mais avec assez de
modération dans le caractere pour ne rien heurter, il était homme
assez comrne il faut pour ne mépriser personne. De cornmunes
instructions lui imposaient l'obligation de ménager une transac-
tion avec les Cortes alors 11. Cadix, si elles adhéraíent aux condi-
tions proposées par le ministre francais , et ala premiére de


I Une des troisgrandes vanltés de la maison de 'I'alaru était de possé-
del' trois archevéques de Lyon dans su race, et vingt et un chanoines de
sa in l-.Tea 11.




:W8 mSTOTRE nE LA fiESTA {;nATIO~.
toutcs, ü la délivrauce un roí Ferdinaud. )1. de Talaru {'tait ac-
crédité aupres du roi d'Espague , et , en attcndant sa liberté, il
dcvait suivre la régence de Madrid, et, par-dessus tout, s'en-
tendre avec le prince généralissime. 1\J. JIyde de S cuville rap-
portait , je le répete , une certaine réputation d'hahileté de sa
mission des États-Unis ; il I'avait remplie avec honneur et hon-
heur , comme airnait ü le dire Louis XVIII. 1\1. I1yde de ,,"eu-
ville, caractere vif, ouvert , sincere, unissait aune fermeté d'os-
tentation une bonhomie d'honuéte homme ; mais prócisément
cette chevalcrie de sentiment et d'opinion le jetait dans une po-
Iitique d'enthonsiasmc pour certaincs idées : alors il ne voyait
plus qu'un cóté des questious ; tout le reste lui échappait ; iI hou-
dait , se Iachait sans ménagements, lU. lIyde de l'cuyille pouvait
s'entendre avec lU. de Cháteaubriand qui avait quelque analogie
avec ce caractere ; il ne pouvait longtcmps s'accorder avec 1'1. de
Yilli-le et avec sa politique méticuleuse, surtout dans cette posi-
tion si compliquée du Portugal oú il s'agissait tout a la fois de
ménager les intéréts de la Frunce sans hlesser ceux de l'Anglc-
t('JTC, el de dominer les dillércuds éle, ('S du sr-in de cette famille
royale de Braganee, espece de race de modernos Atrides, Ces
choix d'ambassadeurs Iurent délihérés en conseil , et le Iloi ne
fit aucune objection , quoique la nomination du prince de Poli-
gnae a une ambassade aussi importante que celle de l'Angle-
torre lui parüt hasardóe. Louis XVIII érait a cette époque sous
un charme indéfinissahle : nne main puissante était toujours
maitresse de sa lete el de ses sens ; elle préparait les rhoix , pro-
tégeait les iníluences. Ce qu' elle avait décidé dcvenait pour 10
vioux roi la loi méme : on le tenait dans une espeer de tntelle ;
tous les prestiges étaient employés, vanités Iittéraires , corres-
pondances, et puis d'autres choses enrore que l'honncur m'em-
peche de diro. On usait de tout pour rendre cncore aux plaisirs
et aux sensations de la vie ce corps malade el perclus, sans songcr
que la mort s'avancait irnpitovablc.


Ainsi étaicnt les allaires ! Les promiers SIlCc(IS de l'armée
d'FspaglH', ]'PIlII'{I(1 r!ps Fl'ancais;1 vlarlrid ;n ai(\111 pwre{' un»




CHANTRE xx. 269


grande lnfluence sur les masses. 11 y a toujours de la force pt
de la popnlarilé daus la victoire , el quels que fusscnt les ('fforls
des jOUI'llJlI\ patriotes pOli!' aU{'llller I'ellet proc1l1it P:lI' la cam-
pague, la marche rapide ch' l'armée popularisa le drapean hlanc
et avec lui le tróue des Bourhons. C'est une remarque ~l Iaire ;l
cette époque , triste remarque qui indique les mauvaisespassions
de l'esprit de parti : les feuilícs de l'oJ>J>osition scmhlaicnr (~I"c
deveuues les jouruaux des Corti-s el les organes de la révolution
espagnole ; on y mettait méme de la naíveté. En parlant des
troupes de -'Iina, OH laissait échapper cette expression de nos
soldats ~ qui signalait lrop ouvertement l'ouhli de la patrie el
lessympathiessecretes. (:q)endanl les désappointements arrivaicnt
¿l tout« heme el montraieut que la guerre avait pu se passer de
la censure. .le dois rendrc ceue )w]]c justice a -'1. de Chatean-
hriand ; il avait demandé que l'on maintiut dans toute sa puis-
sanee la liberté de la presse ; el pourtaut en Iace d'une campague
chanceuse , cette presse était séditieuse , hrülante. En Angle-
terre , lorsqu'une gUC'ITC' éclate , l'esprit public est tellement
énergique qu'aucnn jonrnal n'oserait exaltel' les virtoires des
ennemis de la Grande-Bretague au détriment de l'honneur na-
tional. ~OlIS ne sonuues point ainsi faits en France : nos pas-
sions , nos iutéréis d'ahord , puis la patrie, fiJle sublime qu'on
exalte dans la parole , mais qu'on oublie et qu'on trahit! Si le
partí lihéral recevair des óchecs i\ chaqué hullel in, les Hoyalistcs,
Iiers de leur victoire , n'avaient plus de frein et commencaicnt
ccttc série de fantes qui les cutrainerent a leur perle. La peute
naturelle d'uu parti est d'aller tonjours ¡\ I'cxtréme ; nn pouvoir,
quel qu'il soit , rnémc ué au milieu d'une opiuiou , lrOUH' néan-
moins des passions plus Iortes I[IH' Iui-méruc qui le POUSSI'IlI el
le tucnt a la Iin. ,1. de 'iHell' avair laissé en dehors quelques
extréuiités de son part i , el-ces ('\ trémirés persécutaicnt la mar-
che de son gouverucmeut. St' seruit-on , par exemple , jamáis
imaginé que ,1. Frayssiuous eút él{' Iraité rl'athce , d'hétérodoxe ,
el qn'on l'accusüt surtout dI'. tiódr-ur pour les hOIllWS doctrines,
luí '[ni luttait partout f01l1 n' h' uiauvais esprit <In siecle! et ponr-




270 mSTüIRE DE LA RESTAURATION.
tant cela se reneontra. ,1. l'abbé de Lamennais commencait une
polémique dardeur el d'éloquenco centre le graud-maltre de
I'instruction publique , qui Iut dénnncó comme un gallican, un
hérétique ; et jugez des chagrins de l'évéque d'Ilermopolis , dé-
noneé comme anticatholique ; jugcz de tOU1C8 les émotions que
lui donnaient les attaques sans ménagements du fougueux direc-
teur du Drapean blanco Les hautes discussionspolitiques allaient
se résumer en des theses de facultés théologiques. Ensuite , tont
foulé par ces exigences des partis , le Gonvernement multiplia
ses fautes, Toutes les hautes mesures d'administration furent
rlélaissées ; on s'ahandonna ;1 je JI(' sais qucl petit esprit d'agitation
et de' malaise. i\J. de Vill<")(' résistait d'ahord ¡¡ son partí, puis
il cédait peu h peu ; en définitivc , il n'était pas de force as'op-
poser a ses mauvais dcsscins : il traduisait en mesure de gou-
vernement ct en dispositions 1{'gislatiH's tout re que ses plus
exigeants amis lui imposaient : et dans quels acres le Gouverne-
ment cherchait-il ;l montror qu'il avait de la forre et de la puis-
sance? dans des mesures SOI1\('])t sans objct ct sans utilité, te
dirais-je ? on faisait (les charges de' cavalerie h l'occasion des
missionnaircs ; on dissolvait l'Écolc de "éd<'rine que lU. de
Corbiere réorganisait dans des irlées pienses et spirituelles, Le
duc de Liancourt Iui avait cnvoyé sa démissicn de la commission
de surveillance des prisons réorganisées ; ,1. de' Corhiere le des-
titua de six places gratuites ; ce n'était UI que de la taquineric
sans force; )l. :\lagaloll avait suhi une longue condamnation
en police correctionuclle ; ,1. de Pevronnct le fit conduire a
Poissy avec les malfaiteurs. A quoi tont cela servait-il ? ~l faire
crier it la tyraunie , a soulcver les esprits centre une dynastie si
génércuse pour les grandes choses. EL puis les dcstitutions s'ac-
cumulaient ; les moindros Iautes , les plus ]('gerrs infractions, et
surtout la plus petite manifostation d'opinion Iibéralc , étaient
sur-le-champ punies par la per!(' de son état OH de sa position,
L'instructinn publique se resscntait particuliercment de cetre
influence , et 1\1. Frayssinous Irappa méme I'iustitution de l'É-
role Normale , destiné» a peupler )es ('oIJégps ele professeurs




CHAPITRE\X. 271
d'une science spécialc , mais alors sous les influences matéria-
listes. En préseucc de telles maladresses s'étounera-t-on en-
core que le partí lihéral criát qu'on en voulait aux lumieres
pour éIever plus a l'aise la puissance sacerdotale? On laissait la
presse libre, et c'est en face de cette haute puissance de liberté
qu'on essayait un systeme de petitesse ct de ruse. Cette contra-
diction était inconcevable : vainement le beau nom de l\I. de
Cháteaubriand intervcnait-il commo une garantie et une justifl-
cation; vainement la générosité de son caraetc re cherchait-elle
a réparer ces injustices et a délivrer ]U. JUagalon; le peuple,
sous la double action des fautes du Pouvoir et de la polémique
de lapresse, restait convaincu qu'on lui préparait une espece de
despotismo faible , étroít, qu'il pourrait plus tard secouer de ses
larges épaules, En vain les hommes prévoyants déplorerent cotte
tendance qui rapetissait si étrangement le grand fait de la Res-
tauration!


Malgré toutes ces conccssions , la contre-opposition n'était
point satisfaite; on jugerait mal 1'1. de La Bourdonnaye si on
en faisait l'expression d'un partí sans portée. JI aurait voulu in-
troduire une espece de constitutionnalité royaliste , une aristo-
cratie provinciale , au moyen de laquellc la contre-opposition
aurait eu le pouvoir en mains; iI voulait des institutions libé-
ralcs , mais I'admiuistratiou aux mains royalistes , eomme si eette
alliance n'était pas un pcn hétérogene ; il avait des antipathies
pour tout ce qui avait pris part a la révolution , tout en se pla-
cant sur le tcrrain de la Charte interprétée dans le sens d'une
concession royale. La hainc de l\I ~l. Delalot et de La Bourdon-
nayc contre 1'1. de VillNe s'accroissait : ]U. de Chñteaubriand
n'avait pu amencr une conciliation. L'antipathie éclata plus vive
que jamáis ~l I'occasion du hudget. 1\1. de La Bourdonnaye atta-
qua Iace a face M. de Villi-Ie par ses antécédents ; il l'accusait
d'avoir manqué il ses promesscs et ¿l sa destinée royaliste.
Quelles institutions ont été donnécs ? quelles garanties avons-
nous obtenues? quel systeme a-t-on suivi ? Qui sait mieux ce-
pendant que \\1. le président <In Conseil comhien i1 est nécessaire




2i2 mSTOIRE DE LA RESTAURATION.
de préserver la France de nouvelles convulsiona '? qui sait mieux
que Iui qu'il u'y a que de Iortos institutions qui puissent conso-
líder le trñnc légitime '? Ce que ,1. de Yillélc , simple député ,
demnndait avec tant d'instauces , apres trois années seulement de
Ilestauratiou , uous venons le demander a ~I. de ViW'le, prési-
dent du Conscil! Occupé de renvoycr les Chambrcs, qu'il craint
paree qu'il n'cspere pas les diriger longtemps, il étouííerait , s'il
J'osait, jusqu'aux discussions de la tribuno. Si je jctte les veux
sur l'admiuistration , la plupart des places sont livrées ades in-
capacités , ades hommes hostiles aux Bourbons ; et ¡. qui doit-on
s'en prendre de ce désastre ? ;\ celui qui imprimo la direction
des aífaircs , comme le seul qui ait la conílance du monarque
et le seul aussi qui s'opposait aux épnrations. On ])OUS reproche
d'avoir quitté le drapean rovaliste. Il m'cst pénible de révéler
quelques détails , mais il faut que la Chambre et la Frauce con-
naissent la vérité. Un momcnt est venu 0\1 des hommes de cette
majorité ont traité en secrct avec les ministres d'alors ; ces
hommes, placés le jour avec nous sur les haucs de l'opposition ,
Naient la nuit dans le salon des ministres. l\l. de villele se sou-
vient que, dans une reunión dans Iaquclle se trouvaient MM. de
Bonald, Bcnoist el le ministre des affaires étrangeres , je lui
ai prouvé qu'il avait passé la nuit avcc ,1. de Corbicre rhez
1\1. de Hichelieu ; une discussion s'éleva , el e'est a la suite de
cette discussion que les honunes qui étaieut ¿l la tete de l'oppo-
sition ont cru devoir marrher avccle ministre qu'ils avaient l'air
de combattre; je certifie ces faits et j<' les atteste sur l'hon-
neur. Eh bien ! jusqu'a quand 11011S laisserons-uous arréter par
d« vaines promesses '? Il ne ticnt qU'¿1 nous de Iorcer le miuistere
¿, plus rl'énergic ; quellc occasion plus favorahlc attendrons-nous
pour I'exiger ? » C'était au refus du hudget <JIU' ". de La Bour-
donnaye marchait hantement ; il avait cil(' le témoignagc de
~1. de Bonald sur la vieillc histoire du partí rovaliste avec i\I. de
Hichelieu : JI. de Bonald répondit en hésitant : « II ne pouvait
nier ni aflirmer le Iait allegué par ,1. de La Bourdonnaye; il as-
surait snr l'honnour qn'il nt' St' rappelait rirn <le semhlable ,




ellA PITI1E \ x. 273
mais ce don: il se sonrcnait cest que la premier« fois qu'il
aperrut des gcrmes de division entre '1'1. de La Bourdonnaye
et de víllole , ce fuI lorsque ,,\1. de Corhicre et de Yim'le en-
rent, asa conuaissanre des confércnccs, avec,1. dellichelieu ; et
je crois iuémc , ajoutait ,1. de Bouald , que ,1. de La Bourdon-
nave équivoquc, (In ce qu'il prit alors lui-méme des conversations
avec Ir duc de Itichelieu pou\, des couférences avec un autre
ministre. » \l. Delalot vint acruser aussi 1(' ministcre. « Oú est la
loiqui regle l'organisation municipalc '? OÚ est la loi sur la respon-
sahilité ministériclle ? que résulte-t-il du svstémo adopté par Ir
ministre? Par sa fuiblesse , par ses tñtonncrucnts , il a porté daus
les esprits l'inrertitud« 011 il était lui-mcme : l'opinion publique
s'est cllrayée de voir re ministre iucertain entre deux partís. Et
que vient nous dire l(' président du Conseil pour justifier ces ta-
touncmcnts '? Il répond ;, tout : - .1 'ai la majorité , et tant que je
l'auraí , j'aurai toujours raison. -Croit-il ainsi absoudre h la fois
ses intcntions ct sa conduitc ? ))- « JI me sera facile , répoudit
,1. de YillMe, de prouvcr que mes príncipes sont toujours les
mémes. Oui, nous avons Iait de l' opposition , mais elle étai t ap-
pnyéc sur la vérité ; elle était dans notro conscieuce, elle était
dans la senil' penséc de sauver la monarchic qui marchait ;\ sa
perte ; mais quand j'ai 'u le Gouvcrnement revenir ades prin-
ripes rnnservateurs , .i 'ai CCSS{I mon opposition; je n'ai jamais
passé la nuit avccu. de Itichclieu ; je u'ai jamáis en de relation
avec lui que commc ministre du Iloi. D'ailleurs ñl. de La Bour-
donnayc peut se rappeler qne nous avons été appelés par lU. de
Hichelieu al'époque de la loi d'élection ; que nous nous som-
mes rendus ¿I son invitation , mais que c'était en plein midi; ce
fut ;1 la suite de corte cntrevue que nous cümes I'amendemenr
de M. Boin. Enfin, commc ministre et commc mcmbre de la
Chambre , j'ai toujours suivi la direction de ma conscience, »
C'était une querelle de famille , une expression de perites hai-
nes, de reprochesmutucllcment adressés ; et combieu cesquerelles
d'intimidité , ces révélations implacables ne durent-elles pas étre
agn"ahl,'s anx Libéranv ! c'{·tait <In scanrlale ; qnoi dfl plus favo-




274 mSTOIRE DE LA RESTAURATlON.
rable et de mieux exploité ? On disait ses désappointements, ses
amitiés , ses répugnances , ses ambitions : on se détestait pro-
fondément et on l'avouait tout haut.\insi marehait asa déca-
dence le partí royaliste ; la guerre d' Espagne le reudait puissant,
et il suhíssait les couditions de la puissance , la división profonde
et les ahus d'autorité qui la perdent!


Alors l'arrnée francaise cntrait a:\ladrid, et la question d'Es-
pagne était loin pourtant d'étre résolue. 'l. de Yillelc craignait
plus que jamáis les résultats politiques de la eampagne ; les Cortes
avaient quitté :\Iadrid, el Ferdinand les avait suivies rl Séville.
les suecos de l'armée franraise pouvaient sans doute se continuer
avec autant de gloire (Iue de bonheur, et n'était-il pas acraindre
que les Cortes, se renfcrmant dans Cadix, no prolongcassent in-
définiment la guerre ? les instructions de ;\J. de VilI¿"]e a lU. de
"lartignac, les pouvoirs que ,1. de Chñtcaubriand donnait rl
1\1. de Talaru , portaient sur la néccssité de négociatious d'apres
les bases suivantes : 1°. liberté du roi Ferdinand ; 2°. constitu-
tion modifiée d'apres les anciennes lois monarchiques : 3°. le
Conseil d'l~tat au choix du Roi ; 4". dcux Chambres , dont l'une
aristocratique , égalcmcnt il la nomination du Roi. L'occupation
devait cesser a ces conditions amicales. Le premier soin de
1\1. le duc d'Augoulérne , en arrivant rllUadrid, avait été de
constituer UIl conseil de régence , rspt"ce de gouverncment pro-
visoire qui püt senil' de centre aux soumissions politiques et
militaires. On craignait les folies de la régence d'Urgel , tout a
fait sous la direction et l'influencc du partí royaliste en France.
II yavait peu de grandesse ¿l ~Iadrid. S. A. U. réunit les débris
de cette haute noblesse ; et d'aprés ses conseils, elle désigna une
régcnce cornposée du duc de l'Infantado, du duc de Jlontemar,
du baron d'Éroles , de l'évéque d'Osma et de -'1. Calderon. Le
due de I'Infantado, qui fut ehoisi pour la présidence, était un
caractere de quelque modération au milieu de l'effervescence
générale; les autres étaicnt passionnés ; mais en somme la ré-
gence de )ladrid était plus calme, plus décidée ades concessions
que la primitivo régence d'CrgeJ; les membres dI' cette régence




CIIAPtTRE X\. 275
fureut uiémc trcs-tuécontouts de l' ouhli daus icq ucl iIs Juren t
laissés , et ces mécoutentemcnts trouverent de I'ócho daus la
créte du partí royaliste en Frailee. tes dcsseius de Jl. le duc
d'Angoulémc étaient d'amcner succcssivcment ]('S soumissions
des généraux modérés tcls quevlorillo et Ballesteros, en offraut
~l leur patriotismc , ct , si l'on veut , 11 leurs intéréts , l'espérauce
d'un gouvcruemeut consiiuuionncl et d'une pusition militairc
honorable et lucrativo. Des négociations actives avaient étó
méme heureuserucut tcntées avec '1orillo ct le courte L'Abisbal :
dans la situation des Espagncs , c'ótait le meilleur partí ~l pren-
dre. Si Riégo el 'lina étnient trop fortement engagés dans la
cause des descamisados pour arrivcr ü une transaction possihle ,
les antros g{'n('ram: n'avaicnt aucun motif pour rcfuser les pro-
positions de )1. le duc d'Augoulümc des qu'ils auraieut un centre
connuun et espagnol pour Iaire leur soumission : ceei explique
le hut de la régence de 'ladrido e'est dans ce sens que chcrchait
également a agir sir William A'Court ~l Séville. Les Cortes te-
naieut le Iloi dans une cspecc de captivité ; le ministre anglais
poussait ü une transaction qui aurait maintenu les formes con-
stitutionncllcs, _'Iais tclle est la nature des révolutions qu'ellcs
nc savent pas s'arrctcr : les honnncs qui lcur apparticnncnt sont
sans méuagcments ; ils vout roide el droit dcvant eux , sans s'in-
quiéter s'ils no creuscut pas un tomhcau aux idees liberales par
leur iucoucevable obstin-tion. tes Corl("s uc tinrcut aucun
compre desjustcs rcmontranccs de sir William A'Court ; el c'cst
quelques jours apres que se passa la scelle inconvcnantc et fa-
tale dans laquelle le roi Fcrdinaud Iut déclaré déchu par les
Cortes, couuuc frappé d'iucapacité mcntalc. :.u. Galiano était
l'auteur de la proposhion : « J'invite les Cortes, Vil le refus de
Sa ;\1ajesté de mcure a l'abri de l'invasion cnnemie sa pcrsoune
rovale et sa Iamillc , ~l déclarcr fIlie le cas de considérer Sa 31a-
jesté comme étant dans un cmpéchement moral de remplir ses
fonctions, cas prévu par l'article 187 de la constitutiou , est a1'-
rivé , el a nommer une régcncc provisoire qui , pour le seul
objct de la trauslation , réunira les auributious du pouvoir exé-




276 IIlSTOlHE I)E L\ HESTArILHIO.\.
cutif. )1 Tous les esprits ardents applaudircnt , el ccue pro
position fut adoptée par les députés prósents ~I Séville. Apre:
une déclaration aussi folle, les Cortes cntrainérent violenunen
Ferdinand aCadix. Le duc el'Angouléme nc rcnonra point tou-
tefois aux moyens modérés; il continua de négocier avcc le:
chefs militaires. Ballesteros recut des propositions comme )10-
rillo et 1': ~\ bishal : ces eonditions étaicnt avantagcuscs et déci-
sives. JUais précisément ceue conduite de sagesse et d'espéraucc .
qui devait rallier les esprits ~I la cause franraise r-t au généralis-
sime , leur aliénait les Iloyalistes espagnols, et méme la régencr
de J1ladrid, quoique plus calme et plus modérée que les exalté:
de son partí. Daus ccttc Espagne enthousiaste et fanatique, le!
opinions étuient ardentcs COJIlJlle UlH' croyance ; elles ne s'ex-
pliquaieut pas les méuagcments , les termes inoyens par lesqueh
un gouvernemeut cherche i\ se Ionder et ~\ se maintenir long-
temps. Partout se uianiíestaient des réactions ; les Francais
étaient considérés corume des sauveurs el des protecteurs pour
les liúh'((h~s. Suuvent l'autorité des chefs militaires de I'arrnéc
d'occupation était mócounue : les municipalités ru~ alistes arre-
taient ceux dont les génóraux Irancnis avaieut protég{' la liberté.
Les choses en vinrent ~\ ce point , qu'a .vndujar le duc d'Angou-
Jeme, ü la suggestion dn comtc Gil illeminot , se vit obligó de
prendre des mesures généra!es pour comprimer I'esprit de
réaction et assurer lemaillliendel.oecllpationfralH:aise.Il 01'-
donna (( que les autorités espaguoles nc pourraicnt fairc arrétcr
personne sans I'autorisatiou des officiers francais ; les comman-
dants en chef des corps sous les ordres de S..\. n. devaicnt
cxiger la mise en liberté de tout individu qui aurait été arhi-
traircmcnt emprisouné par des motifs politiques , ct spécialc-
ment des miliciens qui pourraicnt rctourner daus Ieur foyer, 11
l'exceprion de ceux qui , aprl's leur {oJargisselllellt, auraient
donné de justes motifs de plaiutcs. Les ronnuandants en che!
des corps étaient autorisés ü Iairc arrétcr toute personne qui
coutrcvicndrait ~I ce décret: les éditcurs d'érrits périodiques
étaicut placés sous la dircction des counuaudauts des troupcs, »




')-7CIIAPlTHE x\. - ,
Sous le point de vue du droit public, e'était I'acte le plus hardi


d'intervention étrangerc que ccttc ordonuancc d'Andujar, si
louée par le partí lihéral , mais elle préparait l'exécution des ca-
pitulations avcc les chefs militaires; elle assurait proteetion ~,
tous , et ménageait la possihilité d'un accord définitif avec les
Cortes espagnolcs, Cet acle blessa profondément la régence de
31adrid; elle Iaisait passer l'autorité des mains cspagnoles ¿l la
dominatiou Irancaise, C'était une maniere de s'emparer du Gou-
vernement , et par conséquent un acto en opposition complete
a, ce les paroles désintéressées et toutes de eonfiance du duc
d' Angouléme iI son entrée en eampagne. Le corps diplomatiquc
en fut un peu effrayé : n'allait-on pas substituer l'administration
franrnis«au Couverncment espagnol? La régence de Madrid en
fut teIJement irritée , qu'ellc olfrit sa démission , démarche qui
pouvaitamener un conflit entre les Iloyalistes et les troupes fran-
raises , et par conséquent priver l'armée d'uno utile coopération.
te général Guilleminot fut done chargé d'expliquer h la régcnce
les dispositionsde I'ordounance d' Andujar. te major-général an-
noncait au duc de l'Infantado « qu'en méme temps que S. A. R.
tómoignait le désir de [aire cesser toutes mesures arbitraires ,
elle reconnaissait aussi l'ntilité d'assurer le pouvoir des autorités
espagnolcs , et que l'objet du décret rendu était de contenir les
délits qui , par Ienr impunité , auraient compromis la tranquil-
lité publique; que jamáis l'intcntion de M. le duc d'Augouléme
n'avait été d'arrétcr le cours de la justice pour les délits ordi-
naires, sur lesquels les magistrats devaicnt conserver leur e11-
tiere autorité ; que quant ~\ la disposition qui mettait les journaux
sous la survcillaucc des cornmaudants francais , on ne devait pas
supposer qu'clle eüt 1111 nutre objct que d'empéchcr l'insertiou ,
commc cela arrivait Iréqnemment, d'articlcs qui aigrissaient les
partis ; que les comnmndants devaicnt s'entcndre avec les auto-
rités espagnoles aíin quo ces sortcs d'articlos ne fusscnt pas in-
sérés ; mais que si, rontrc toute apparcucc , les autorités ne
fuisaiont pas cas <le leur ohservatiou , il était naturel que les
r-unmuudauts , travaillaut dans l'intérét des operations de l'ur-


ut. 2[1




27R TllST(JlHE m: LA HESTA L H\TlO:\,
iuée , s'oppusasscnt Ü de scmhlablc- iuscrtions. » Daus ce couílit
entre I'état-major et la r('gl'lll:l', j(' dois dirc ql1(' le duc d'An-
gouléme prit une Iácheuse idée des opiuious (~I du caracterc des
Royalistes , soit en Espague , soit en Frauce ; j'ajou terai que e'cst
de cctte époque que datent cene modóratiou , ccue tempérauce
d'opinions et de principcs qui distinguerent plus tard ~l. le duc
d' Angouleme ; ct puis , la société immédiate de ces íils de la r(.-
volution , dont il avait entouré sa teute , contrihuait a le rendrc
favorable aux uouvellcs idécs. Cliose cxtraordinaire ! ce fut d'une
guerre toute rovaliste el daus l'intéret des opiuious de rancien
régiuie , que S. A. H. rapportu des sentimcnts el des priucipes
favorables au systellle constitutionncl !


Les Cortes s'étaient réfugi('l's ¡¡ Cadix.; sil' "iIJiam A'Court ne
les avait pas suivies , et par conséqucn t avait sullisauuucnt declaré
par 11:1 que son Gouvcrnemcut Be voulait plus conservcr aucuuc
relation avec la cause révolutionnairc. Tout appui était aiusi
retiré aux Cortes! Il Y avait alors , plus on iuoins rcconnucs ,
trois régenccs en dchors du Gouvcrncmcn t royal de Ferdinand :
la régcnce rl'Urgcl était bien dissouic , mais ses mcmbres con-
servaient cncorc une influeucc dt' fait sur tout le parti des exaltes ;
elle conunaudait aux volontaircs foplistes el aux opinions des
ulrrascn Frunce: elle composait couuu« UB GOll\ crnemcnt orcultc
qui voyait avcc doulcur la marrh« raliollJw!le rt 1l1()(/r''I'{'c que
prenait I'ocoupation Iranrais«. La secunde n"¡./'llce {'lait cclle de
}ladrid, dont j'ai dit le caractcre ; eulin , le conseil des Corti-s
~\ Cadix , compromis , intraitablc. C'cst en présencc de ces trois
Cuuvcrncmcnts que devait agir :\1. de Villde. :'\1. de Talaru
était arrivé aMadrid, accrédite alljWl'S de la r('g(~ncc formcc
par le duc d'Angoulcme ; rounnc se) inslrurtions étuicut de
traitcr , s'il ótait encere possiblc , :\1. de Talan! favorisa ¡¡·s
uégociations mémcs qui s'ou. rircnt ;\ Cadix ; 011 He se decida
au siége ljll'allJ'l's quc toutcs les ,oics d'accounnodcmeut
eurent (,té ('jlUiSl·i'S. OH tit ;n(~JlH' ('¡¡core une Iois propos:'I' aux
Cortes de remire la liberté ;\ Fcr.linaud. .'\1. le duc d'.\llgoulellle
s'cngagcait i\ obtcnir amnistic plciue el cutiere pour tous ccux




r.nAPTTRE \X. 279
qui avaicnt pris pan h la révolut ion; elle consacrait la süreté
des personncs el le rrspect d('~, propri0t(·s. On promettait égalc-
mcnt de Iair« adoptcr par le roi rl'Espagne des iustitutions en
harmonie avec les mrcurs des peuplcs , ct de [aire entrer son
gouYernelllelll daus les voies d'une liberté sage el modérée. Ces
propositions Iurent rcponssécs , jo 1le' sais par quel esprit de
vcrtige..\lors comrucncercut de hcaux faits d'armes. 00 cxagéra
sans doute dans le t emps la prise du Trocndéro ct du fort Santi-
Petri ; elles eurcnt leur gloire. Partout le soldat francais se
montra digne de lui. On a pu rir« des hulletins racontant les
hons mots militaires d(' c\1. le <4](' d',\ngouWmc. La vérité est
pourtant <Iu,e S. A. H. montra du couragc, du sang-íroid , de la
gait{· dans 10llíes les actions. Je n'aime ras qu'on soit injuste ponr
le malhcnr ! Carlix fit sa soumissiou et Ferdinand fut délivré !


La qucstion des opérations militaircs était finie ; celle des
négociations allait commencer. Deux grandes Puissanees avaient
pris une part plus OH moins dircctcment active ~l la guerre
rl'Espagnc : la Jlussie ('1. l'Augleterre. te Czar, des I'ouverturc
<1(' la campagnc ,1\ ait olfel'! de couvrir les fronticres de
Franco de grandes masses arméos : il proposait de faire avan-
ccr un corps de 11'01l1H'S russo-havaroiscs , qui aurait agi selon
les ('n';nellwuls ct d'aprcs les ordres de la France ; ceci était
pour rópoudre <111\ óvcntualités posées par JI. de Montmo-
reucy. L'Anglctcrr« s'opposa fonucllemcut ü cctte nouvelle
interveution annéc , ('1 '1. Canning cxpédia une note énergi-
fIlIe, dans laqucllo il disait : « La Frunce crovant sa sñreté
m.-nacée el ses intérets compromis par l' état de choses existant
dans la Péninsulc , on lui a reconnu le droit d'intervenir; mais
elle scule doit agir , et la plus strictc noutralité doit étre gardée
par toutes I('s nutres Puissances. Si, contre toute attente , les
Cahincts curopéens (1('l'og('ai<'llt :\ (('S convcntions, l'Angleterrc
se vcrrait Iorcéc de Iairc rcspcrter les ('l}gagements pris , et elle


,considérerait la cause cspagnolo comme la sienne propre. » Le
ministre francais scconda , en cctte circonstance décisive , les
offorts de :\1. Canning; il refusa Iormcllement les offres de l'em-




280 mSTOTRE nE J.A RESTAunATTON.
pereur Alexaurlre , IH' voulant pas invoquer un auxiliairc anssi
daugorcux. :\ussi 1'"\ ngleterre , pIus imruédiatcment intércsséc
daus la question ospagnolc , snrtout depuis la contrc-révolution
de Portugal, s'agitait hcaucoup pour obtcnir UJl prompt résultat.
1I avait sufIi de l'apparition de l'infant don 1\ligllel et du comte
d' Amarauthe pour renverser le systéme coustitutionnel ¿l Lis-
bonne. Cette nouvelle situation allait-ellc ehanger les rapports
de l'Angleterre et du Portugal? Sur ce point, les plus íranches
explicatíons furent données ~,)1. Canning par le prince de Poli-
gnac; on laissa l'Angleterre maltrcsse de la question portugaise
pour la résoudre a sa convenance. ]U. Canning eút également
désiré que Ferdiuand pacifiát la Péninsule par l'adoption d'un
systéme constitutionnel, lequel aurait penuis un scmhlablc sys-
teme en Portugal. C'était aussi le vo-u de M. de villele, Les
premiers actes de Ferdinand témoignereut de la tendance con-
traire; son ministére fut composé dans un sens tout exalté, et


·Ie supplice de Hiégo annonca la réaction. tes Cahinets s'eí-
frayerent de cette tcndance. La Hussie voulait un pouvoir fort,
absolu peut-étre , mais humain. Dans la situation OÚ se trouvait
le miuistérc ~l Paris , en faee d'une opinion elle-ruémc precisé-
ment réactionnaire , il était impossihle que 1\1. de Villele osñt une
démarche ostensible ofliciellc pour cntraincr Fcrdiuand dans les
voies du systeme reprósentatif Toute la droite disait : « Il faut
laisser Ferdinand a sa liberté; qu'il fasse ce qu'il voudra ; qu'ou
le proclame roi absolu; la Frunce u'a ríen a voir , rien a eom-
mander. » Cette opiuion était trop puissante , trop impérative
dans la Chambre , h la Cour méme , pour que 1\1. de Yillelc ne
la subit point. n s'en ouvrit done h l\l. Pozzo di Borgo pour
qu'une démarche fút faite dans le sens d'un systemc modéré ,
au nom de l'empereur Alexandre , dont l'influence était si
grande. l\1. Pozzo, homme d'intelligcnce, avait lui-meme ahondé
dans le sens de 31. de \iIlele. Lne rorrespondance active s'en-
gagea avec l'empereur Alexandrc, qui approuva complétement
la pensée d'une démarche pour amener le pouvoir absolu de
Fr-rdinand rlaus des voies df' c1('nwllf(\ el dI' modération, CC' fut




cturrnu: n. 28J
avcc cene nussion qUl' M. POllO di Borgo partit pour Madrid.
TI romit au roi d'Espague une lettre particuliére du Czar dans
laquelle il exprimait le désir que le nouveau ministere Iút modiíié
pour donnerdc plus grandes garanries al'Espagne, Cettedemande
eut un plein succés : M. POllO ohtint le renvoi du ministre don
lictor Sai:z; et Ferdinand composa un cabinet dans un sens
plus modéré : il Ylit entrer 1\1. Casa-Jrujo ; anejen ambassadeur
;1 París sous les Cortes; c'était un homme ;1 mesures pacifiques;
,1. Eguia eut également un portefeuille. Ainsi , chose assez
curieuse , nous avions vaincu en Espagne, nos armées l'occu-
paienl, et c'était I'empereur de Ilussie qui faisait la IO¡¿1 ~Iadric1.
Cela venait surtout de I'attitude du ministere devant l'opinion
royaliste; iI n'était point libre; il laissait le soin de pacifier ;1
un souverain puissant sur la cour et sur la droite. Quel était le
député royaliste qui cut osé s'opposeraux volontés d'Alexandre
el aux idees politiques de la Russie!




CHAPI rm: XXI.


l\IINISTI~RE DE ~[. DE YItI.ELE JUSQI;'A LA »onr DE J,OL'JS XVIII.


Administrntion lildJli(ple. - Uisso lutiou de la Cluuuluc. - J.:J('C!;OIlS gelJr-
rules ........ Calldidals ct DI·PUII',;. - Esprit (le la Ch.unh rc de lR2'f.--
])iscllS'ions (le politi,l'w -- La SCl'lcllllaLI(". -- L:l (,()I>Y('rsioJ] ,les rr-utes,
- S("paralioll de ;\1. de Chtdrallbriall,l.-Soll l'l'mpla('('IllHlt a ux affaires
(:!rallgiTes. - La Sessioll. - DisselJsiolls ,LlllS le mil.i.,ti-;·C' ......... \T. de
Damas el M de Chabrol. - '''CSIlI'''' POIlI' COl'lOIl1[ll'(' ct úl'iodre la
llles'e. -- La CPIlSIJl'l'. - OrgallisaliolJ (In CU/lsC'il ,1' ¡::tal -D':¡\(''j'j'''''/IIl'nt,
ngollie el mort de Louis X VII l,


TorTES les Iois ([11'1111 parti se posant en prophete , a mr-
nao', de ccrtains dangpn; qui n(' S(' róaliscut pas, il perd de
sa considóraüon : ("psI 1(' chátimcnt qll(, la Iorr« des rhoscs
lui inflige. C'est un IH'ui:1 ('(' qui (;tail ¡l/Ti, (; ;1 la suir« de la
guerre de JR2;~, POUl' le parli lihéral : -'1. de Talicvrand ,
JI. ",loli~ avaicnt annoncé dps ([({aites en Espagnc, el OH olncnait
des victoircs ; los trihuns de la Cluuubre des D{~pUI{'s, 1<' g('nl'l'a!
foy surtout , avaient rcnouvelé \eI1l'S dóclarations , PI ils s'étaient
trompes comme pour la rósistaur« desXapolitains 11ll\\b:'mzc's.
Ainsi les patriotcs s'(>talenl rOH rvovés dans \e\:rs 110m{'1k,·; , {\,\i\S
leurs bnllerins , dans lcurs (,sp(·rall('('s. Des '.+'('1 ions pal'l idhls
avaicnt (OH licu : k-s HoyaJ¡sll's en sorí ircn! '1 iclorict:\; ¡¡~; ('j(-


"


0 " (\ 1' (" 1" dans 1'1 ('!"l",¡l'l'" 1'11 ¡',]')('" (1:. ("("1)111/"" lik'i,'lll\
0.-. 1 1. ccr r , j {~ \ ~! ,~.~ 1 t í ¡ t .... " ! t." ~, \"'-' •• 11 - "' •• ,


)DI. d(' I'racoutal , di' \ as':(' ('1 di' E()m ouloir <111 ('(,¡:r, d:ci; :
ces succes donnaicnt dI' la Iorrc , de l'illHl,lCl' it l'admini,u :.dinil
publique, Le ministcr« Irappait dc' 110m l'all\ ad!llill¡~:!r;\l('¡;I'S




CHAPITRE \\1. 283
pOl1l' rnntcnter la majorité : J,nI. Chevalier, préíct du Val'; Du-
peloux , d(IS 13ass('-.;--\ II)('s; Li(W'anl, des nantes-Alpes; de
Lamorólio, de L \ 1I icr ; Boula d(' Colomhiers , des Vosgcs , ct
Pclet de la 10Zl'l'(' , de Loir-ct-Chcr , íurcnt révoqués, Les 1l0U-
veaux préfcts étaient ~nl. Hlin de Bourdon , membre de la
Chamhre des Députés , de Saint-Félix , Giresse de la Beyrie ,
Asselin , Ferraud el Martiu. Tons appartenaient a l'opinion de
cour, ou étaicut rccoinmandés par elle. ~I. de Corbiere plaisait
ainsi ~l la majorité. Ces grands succes de l'opiniou royaliste con-
tinuaicnt ~\ jeter des gcnues de divisions et multipliaicnt les dis-
sidcnces : quand un parti cst victoricnx , 11 se partage en millo
nuances. En préseuc« d'un cnncmi conunun , on serre les rangs:
mais quand cct cnnemi est aterre, on se Iaisse aller au suecos:
on s'endort , ou bien, ce qu i est plus déplorahle , la guerre
chile éclate; cal' il ya guerre civilc dans les partís comme parmi
les nations, i\1. de Yillele avait cherché ~\ attirer asa majorité le
plus d'unités possihlc dans la contre-opposition ardente, i\I. de
Castclbajac ohtint une direction généralc ; 1\1. Cornet-d'Incourt
acceptait la dircction des contributions au ministere des finan-
ces; 1'1. Ferdinand de Bcrthicr cut une place au Conseil d']~tat,
avec la promessc d'unc grande préfecture. )Iais le président du
Conseil avait laissé en dehors los deux puissances de l'opposition
royalistc , "nI. de La Bourdonnave et Delalot ; autour d'eux se
réunissaient le parti ultra-rcligicux , qui ne trouvait pas qu'on
marchát asscz Iortemcnt et dans les voics pieuses ; ensuite , ce
qu'on appelait les royalistcs impatients , que ,,1. de Villele dési-
guait dt'ji\ sous le nom de la Pointe. Il y avait deux hommes en
:'11. de yj]He, l'administrateur et le chef de majorité royaliste ;
quand ji se r ircouscrivait dans l'admiuistration , le pays u'avait
que des éloges ~\ don¡¡(lr , ji (·tait en premicrc ligue. tes dépenses
occasionnécs par la gucrn' d' Espagnc ('1 le paicment des recon-
naissauces de liquidation avai-nt nócessité la création d'une
grande massc de rentos qui pouvair accahlcr la place. Une ordon-
nance du lloi autorisa le ministre des íinanccs aproceder h la
vente de 23tH :íH> frailes de rentes 5 pour 100 ronsolidós :




IlTSTOlRE DE LA nESTA(;r.ATI()~.


M. de Yillele choisit le momcnt favorable, ct l'adjudication avcc
concurrence et publicité fut annoncéo un peu apres l'entrée des
Franrais ~l Madrid. On faisait courir lr-s plus sinistrcs prévisions
sur cet ernprunt; on disait tout haut qu'il no ponrrait pas se
réaliser , ou qu'il serait adjugé il tres-has prix. C('pelHlant I'adju-
dication s'ouvrit, en présence de tous les ministres ct d'une
foule de capitalistes ; quatre compagnies de soumissionuaires se
présenterent : c'étaient , 1n. MM. Laffitte, l\ la tete d'une de ces
compagnies ; 2n• Sartoris ; 3n• Itotschild Ireres ; fin. de tapa-
nouze. ehacune de ces maisons remit au ministre des finances
sa soumission cachetée, et ,1. de Yillele , apres avoir déposé sur
le hureau son mininumi ~ procéda a11 hris des cachets. La pre-
miére soumission était celle de la compagnic Laflitte ; elle s'en-
gageait ü prendre les 2311[,516 francs de rentes au cours de
87 franes 75 centimes , et apayer au Trésor, pour le prix de
cette vente, la somme de h05 659 755 francs 80 centimes, Par
une conformité assez rcmarquable , les soumissions de ~Bl. Sar-
toris et Lapanouze oífraicnt les mémes conditions. Le paquet de
MM. Rotschild fut eufin ouvert; leur soumission était il un prix
hcaucoup plus élevé que celui des trois autres compagnies : ils
s'engageaient apreudre l'cmprunt il 1-\9 francs 55 centimes , el
II payer au Trésor, pour cct achat , un capital de /11 3 980981 fr.
56 cent, La soumission de 'DI. Ilotschikl surpassant le nuninunn
fixé par le ministre des íiuanccs , I'cmprunt leur fut adjugé,
C'est de eette époque que la maison Ilotschild prit en quelque
sorte le monopole des emprunts en Frunce : cette grande maison,
habilement dirigée , se rendir maitresse de la Bourse , ct fit
d' immenses bénéfices. Itien ne put se comparer h la capacité
active et iurelligcntc de '1. James llotschild , son représentaut
l\ Paris ; jamais du décquragcmcnt dans les criscs ; de la COIl-
fiance dans l'avenir du pays , un haut instinct de tous les mou-
vements des Ionds publics el des résultats de tous les événcments
politiques en Europe. La soumission Ilotschild portait le plus
haut prix qu'eüt encoré auciut la rente; cene hausse si forte ,
si continuo, amena des desastres immenses ;1 la Bourse. L(> parti




Clfr\PITHE xxr, 285
libéra] avait joué ;\ la haissc , paree qu'il esr daus la naturc des
partís de suhordonncr méme lcurs iutéréts ;\ leurs passions;
plusieurs agents de chango suspendirent lcurs paiemcnts. Le
ministre des Iiuances aida la fortuue de tous ses amis el des
Iloyalistcs qu'i! voulait gagner h son systeme politique.


1 He fois la guerre Iinie , l' inquiétude du président du Conseil
fut surtout de procurer des ressources pécuniaires au gouverne-
ment de la Péuinsule. Yoila pourquoi il y cut désiré l'établisse-
ment d'un systeme représentatif comme un moyen d'avoir des
emprunts, te partí royaliste , qui voulait laisser Ferdinand dans
ses droits absolus, éluda ccttc difficulté par l'emprunt Chuebart.
C'était le triomphe des idées de l'absolutisme qu'un emprunt
contraeré en dehors du systerue représentarif et du GouvernCllleut
Irancais, ~I. de Villele s'opposa autant qu'il le put 11 cette opé-
ration : mais elle s'effectua counne malgré lui sous la haute pro-
tcction du partí royaliste. Dans le Conseil des ministres, les
divisions s'étaient révoillécs. On avait la victoire , mais on allait
rompter aver le pays et la majorité ; sousce rapport, le maréchal
Yictor devcnait un iémoiu importuno L'affaire des marchés
Ouvrard appclait sur tous les points le plus sévére examen. Si la
nécessité des marchés d'urgenee éiait ronstatée , le maréchal
s'était done montré tout 11 fait incapablc , le ministre de la
guerre n'avait done pas fait tout ce qu 'il devait faire; au con-
traire , si le ministre de la gU('ITe avait bien pris ses mesures,
comment expliqucr les marchés Ouvrard ? M. le duc d' An-
gouléme, fortement prévenu contre le ministre par le parti
du général Guilleminot , declara qu'il ne s'occuperaít jamais
d'affaires si J\J. le maréchal Victor restait ministre de la guerreo
)1. de Yillélc carcssait hien l'idée de se débarrasscr du ruaré-
chal, dont la préseuce au Conseil l'embarrassait : mais subí-
rait-il le g(~néral Guilleminot em ironné de toute la confiance de
~1. le duc d' Augouléme? C'était la un embarras que M. de
ViIICle voulait éviter avant tout; il désirait un collegue Iacile ¿l
conduire , par conséquent sansgrande influencc ; et !\l. le générnl
(;lIiJ1rlllinot était trop important apr<"s la campagnc d'Fspagne.




286 JITSTOTnE DE lA RESTAURATION.·
JI insinua done: « Qu'en préseuco de la Chambre , rt pour jusIi-
fier les marchés , il serait imprudent d'appeler tout ;\ coup le
général Cuillcminot au ministere de la guern'; qu'on n'avait
qu'a désigner tout autre nom , et qu'il s'cmpresserait de le pla-
cer dans un ministerc qui ne devait étreen déíinitivc qn'une
dépendanee des attributious de Son Altessc Itoyalc. » ,1. de Vilh\]p
portait le général Digeon; mais il trouva quelques obstacles , <'1
on lui désigna le baron de Damas. ~J. de Damascommandaít une
division de I'armée de Catalogue; grutilhomme plcin d'un picux
honneur, i1 n'avaít aucune espúcc de capacité; an reste, l'homme
le plus malléahle , pour nn esprit ü rcssources comme -'1. de
Yillele, -'1. de Damas ne devait (~IJ'(', ;1 vrai dirc , que le serré-
taire de :\J. le duc d'Augoulémc, qui avait alors J'arnhition de
prendro la direction absolne de la gucrre par le poste de COl1l-
mandant supérieur , comme la chose existe en Angleterre. Le
maréchal Vietor fut done CXc111 du Conseil par une véritable in-
trigue. On lui donna l'ambassade de Vienne pour le dédomma-
gel'. C'était un poste bien en dehors de ses habitudes ct de sa
spécialité ; il le rcfusa d'ahord, Plus tard on lui lit écrire par lo
Roi lui-mémc pour qu'il cüt ;1 se rcndrc 11 son poste. La retraite
du maréchal Victor fit une grande sensation dans le partí roya-
liste; l'opposition de cette coulcur deviut Inricuse , compacte:
(( Comment, disait-elle , a-t-on pu reuvoycr le ministre (!ui a
formé l'armée victorieusc en Espagne? C'est unc insulte qu'on a
faite a eette arrnée Iibératrice ; le maréchal Victor était une ex-
pression royaliste dans le Conseil ; on l'en expulsait pour hlesser
eette opposition , pour allaiblir ses croyances! » la Ouotidieune ~
modérée jusque-la eontre le ministerc , se dessina complétement:
elle passa a l'opposition; elle deviut violente centre }1. de Villele.
Le maréchal semblait emporter le drapeau hlanc dans sa dis-
gráce, 1'1. de Yillele , toujours plus maitrc du Conscil , avait
d'abord eu l'intention de remplacer M. de Lauriston, qu'il avait
élevé a la diguité de maréchal dans cette pcusée. Son but était
déja de céder la maison du Roi au partí religieux el de cour, en
y appelant le due de Doudeauville , protégé par la douco cOlrrir




CllAl'lTHE '\XL 287
de Sailll-Oul'll. :'il11is ~i son retour du sicgc de Pampcluue , le
marccl.al de Lauristou ne songea point ademander sa retraite ;
el d'ailleurs il était inutile ~l 11. de víllcle de reuvoyer du Conseil
un membrc qui votait constanuncnt a, ec lui. Il ne restait done
plus qucvl, de Chátcuubriand corume sommité de parti; ,,1. de
Yillele le ménagcai t eneore; il avait hesoin de son talcnt et de
sa populariLé, alors surtout , cal' le président du Conseil s'était
arrété ~l une grande innovation politique , ~l l'idée de la septen-
nalité parlcmeutairc . que M. de Chñteaubriand adoptait avec
ardcur connnc une forme anglaise. QU'OIl no croie pas qu'il y
eút pour ~I. de Villelc une couccption politiquc ou constitution-
nellc dans la sq)ll'llnalit(í; voici tout son calcul : « Nous avons
eu de honucs éJec!ions depuis notro avóucment. Dans les cir-
coustances actucllcs , 1l01lS en aurons de mcilleurcs encore; nous
ne pouvous plus vivrc avcc une minoritó double qui fait feu sur
HOUS des deux cótés ; ayons une Chambrc homogene , qui HOUS
appartienue et avec laquellc 110US passerons hail de sept ans, ))
}l. de Chilteal1hrialld subit la convictiou de M. de rillele a ce
point qu'i] publia I1IW broclmrc pour préparcr le reuouvcllcment
integral el la scptennalité. La mesure de la scptcunaliró en cn-
trainait une autre , la dissolution de la Chambre actucllc ; cette
(.hambro avait une forre majorité royaliste. N'ótait-cc pas s'cx-
poser ~l iuillc hasards , aux chanccs rl'unc tout autre majorité '?
}lais ~I. de y¡m'¡e avait un motif puissaut pour provoqucr la dis-
solution: il nvait ~l rcndre comptc de l'cxpédition d'Espague , ~l
épurer des comptcs Iinanciers ; or , ('11 préscnce d'unc minorité
de gauchc el de la contre-oppositiou de droite , pouvait-il
mann-uvrcr ~l l'aisc? La question porteo au Conscil '.~n présenco
du ltoi soutlrit ¡H'U de dillicultés , cal' le Cahinet fut unánime au
voto. On se decida il Hile rN~kc¡j()!l g:íI10['ale par l'cxcinple des
derniercs ólcctions particllcs dans lcsquclles presquc tous les
Libéraux avaieut {'[l' exclus : «nsuitc la corrcspoudaucc des pré-
f¡'t'; prnmeuai; parrout le Illl~i\L' /'(',,;¡¡j¡aL On fit {'[.plemcllt en-
tcndrc au roi Louis X \ Il i que I'imprcssion produito par la
gucrre d'Espague douneruit une grande ct vive illlpubion Ü




IILSTÜJHE DE LA HESTALJl\\TlO:.\.
l'esprit public el sccouderait l'adiuiuisu'ation royalisu: dans ses
choix. D'ailleurs la septennalité étant une mesure fondamentale ,
devait étre votée par une Chambre nouvelle avec un mandat eu
quelque sorte conuu et spécial. Dans la vérité , ou n'était pas
méme bien sur que la majorité de la Charubre actuelle votát la
septennalité ; el c'est pourquoi la dissolution Iut arrétée dans le
Conseil du 20 décemhrc. JI était d'habitude parlementaire qu'á
chaqué dissolution des Chambres , on créát un certain nombre
dl' pairs pour récornpenser les services parlementaires: Oll se
déharrassait aiusi de quelques importances personnelles qui
géuaient dans les élections el dans la Chamhrc. Une premiere
promotion de pairie avait el! Iieu Ü la suite de la carnpaguc
d' Espague. On avait appelé ¿l la pairie le maréchal )lolitor, les
Iieutenants-géuéraux Bordesoulle , comte Guilleminot , connc
Bourck , cornte Bourmont et baron de Damas; cette promotiou
toute militaire n'était point une force pour le ministere. La se-
conde promotion cut un caracterc plus politique : d'abord on
jeta :\1. Lainé dans la Chambre des Pairs pour que son nom nc
Iút plus un obstacle ct une sonunité dans la Chambre des Dé-
putés. A la derniere session on n'oubliait pas que ;\1. Lainé avait
chcrché ¿l rallier le centre droit , el l'on craignait cctte comhi-
uaison pour la session prochaine avec un résultat plus hcureux.
Il y avait ensnite dcux promotions ccclésiastíqucs : ccllcde ,1. lo
comte de Villefrancon, archevéque de Bcsancon , el de l\I. de
Yichv, évéque d'Autun , dans la pensée de douner une impor-
tance réelle ct politique au clergé. La duchesse d' Angouléme
protógeait spécialcmcnt ~I. de virhy. On avait ajouté quclques
nominations de eour : le baron de Glandi" es, une des plus ra-
pides fortunes de chñteau , honnne honorable d'nillcurs et mo-
déré, )IO:.\SJELfi avait demandé le comte d(' Puységur : la du-
chesse d'Angouléme , le vicomte d'.\goult; la duchesse de Berri ,
le comie de Mesllard. On donnait it l'opininn ardcnte du partí
royalistc le vicomtc Cahriel Dubouchagc el le souvenir de Cha-
rctte. 11. de Tournou {'tail rérotupcnsc (h~ ses longs serviccs de
préíccturo. On ajoutait il ccttc liste M. de Brcteuil , préfct de




U I \ l' rr ni': -' \ l.
la t;iI'Ollde, le plus picux des congn''g<lIlis!I'S, aiusi qlle le Iicu-
tcuant-géuéral Do<le <1(' la Bruncrie, le coiutc de Bourbon-Bussct ,
marquis de Juigué , el le marquis de Coislin. La prourotiou se
completa par bon nombre de députés , en gén('l'al hormnes con-
sidérablcs et inílucnts dans la majorité royalistc de la Chambrc ,
tcls étaicnt le comte de Béthisy, le comtc Chabrol de Crouzol , le
romte d'Orglaudes , le comte de Chastellux , le marquis de ViIIe-
franche , le vicomte de Bonald , le comte de Vogué , le comto
de i\larcellus, le comte Floriau do Kcrgorlay , le marquis de
Hastignac, le comtc de Courtarvcl el le conue Louis d' Am-
hrugeac, En admcttant alors le partí royalistc counuc force
triomphante , ce qui élait un Iait, OH ne pouvait critiquer de
pareils choix ; tous rcprésentaient des opinions influcntcs el de
grandes existences de proprióté. C'étaicnt des hommes parle-
mentaires que l'on appclait ü la pairie , conune cela se pratique
en Angletcrre. Quelqucs-uus cmhnrrassaient comme drputcs ; ils
étaient trop importauts dans les combiuaisons d'une majorité
soumise et suhonlounéo. A la Chambrc haute, ils étaicnt un
secours miuistéricl courrc cctte Iusion d'opinion libéralc qui
s'opposait ;, la march« rln Cahinet. l'If. (le ViJj¡"!e C{H ét!" plus
habile de comprcndre dans ('e!te promotion deU\: ou trois adver-
saires puissants qu'il laissa en dchors , el qui devaicnt ;1 la fin
l'abattre ; j'Cll(CI!(!S parlor (IL~ '1 ~1. de La Jlourdonuavc , de
vitrolles et Dclalot. Qu'avait-i! ¡¡ rraindrc d'cux , en les con-
fondant au milicu des pairs aH'C des opinions qui ue sympathi-
saient en aucunc manier« aH;C la leur ? )1. de' itrolles sollicitait
d'aillcurs cette dignité connnc un gl1¡.!;c d'alliance. Pourquoi JI'
refuser ? c'était un noble moycu tl'ótcindrc les rcsseutimcnts
d'un chef de parri. 011 se contenta de rcudrc ;, JI. de Vitrolles le
titre de ministre d'I::lal, positiou revocable et en quelqnc sorle
administratirc. JI. de V¡¡¡;'¡c savait l'activité de son esprit, cetro
prodigieuse Iacilité d'all'aires qui le dislillguail; el J'CC cela il
possedait tonto la confiance de'lO\SII':¡ H. En résultat , si )1. de
villelccouuaissait lapuissanrc el'al'tionde jI. de Vitrolles, n'était-c«
pas une raison de plus pour l'étcindrc daus li Clnmbrc des


111. :2 ,-)




290 mSTülHE DE LA HESTAUHATlON.
Pairs? Quant a M. de La Bourdonuayo , :U. de Villl·le se laissa
trop allel' a ses resseutimeuts ; ;\1. de La Bourdonnayc l'avait
heaucoup atraqué en effct ; mais l'hounne poli! iquc ne doit pas
avoir de ces vengeances, ces haines , de ces souvenirs du pas-
sé, au détriment de ses intérets.N 'était-il pas dann la politique
de M. de Yillelc d'aunuler le chef le plus puissant de la centre-
opposition ?


La Charnbre des Députés une fois dissoutc , toute la préoccu-
pation du ministére dut se porter sur les élcctions. C'útait de ce
grand conf1it que devait résulter une victoire louguc el certaine
pour le parti royaliste, considéré corume puissancc parlcmentaire:
arres s'étre absorhé dans la guerre cl'Espagnc , M. de ViUNe se
donnait la fievre des élections. Le momcut étail parfaitcrurnt
choisi : ríen ne reud fort counue un trioniphc , el les Iloyalistes
avaient toute l'ardeur, toutc la puissauce du partí vaiuquour.
L'éclatant démenti dounó aux prédictions des fcuilles liberales
avait jeté du décourageuieut daus les rangs patrio tes. Il y a (i2S
moments oú les opinions vaiucues se dégOú[Clll tout i\ fait; frap-
pées au cceur, elles ne se moutrcut ardcutes que pour douuer
leur démission : il Y a ousuitc daus le suecos une force d'at-
traction qui entraine vcrs elle hcaucou p de convictions inccr-
raines, .I'explique par toutes ces causes le sueces si con.plct <les
Itoyalistcs en 182[1; j'ajouterai que le jlulI\oir donua elld{'
blauche aux prófets, Ceux-ci , sachan! bien qu'¡ls scraient cl'au-
tant plus récompensés qu'ils auraieut ohtcnu de meillcurs résul-
tats, corumircnt une multitudc de hartliesses élcctoralcs dans les
colléges, -'1. Capelle fut charg(~ de la dircrtiou slllm~llle de... {'lec-
tious départementalcs : bien avant la dissolutiou, toutcs les lIte-
sures avaient été priscs pour ohtcnir une honnc Olambre d,u;s
le seus 1'0'1 aliste. Circulaires, iustructious , lllélilt!l'HlCnl; l')ISCO-


. .


paux, lcurcs pastorales, dcstinuious el pr()ll1(";~;('s de phces, [OUt
fut employé : il s'agissait d'un coup dl'Cjsif. La Jll('SU'l' la plus
importante et la plLIS difrie ilc , Sil rtoi i l conuue mauiresta! iun de
principes , était la liste des présidellces; prcsquc tous les Hoya-
listes de la Chambrc dissoute Iurcut portes, }lais iei les haines




r.nAPTTRE XXI. 291
de :\1. dr y¡Jl(')r I'omportorcnt encoró sur la prudence el. la tac-
tique; il voulait marcher aH'C les Hoyalistes, ct il excluait ~DI. de
la Bourdonnavc , Clausel de Cousscrgues , Delalot , etc. , etc.
Sans doute ces d(~lmtés avaient plus ou moins atraqué le minis-
/(\re; mais leur cxclnsiou n'allait-elle pas soulcver de nouveaux
rcsscntimcnts, Iavoriser les divisions , ct fortifier les répugnances
de la coutre-opposition dans la Chambrc rééluc ? Pouvait-il d'ail-
lcnrs éviror l'élcction de ;\1. de La Bourdonnayc? Des lors , élu
malgré le ministcre , n'allait-il pas étre une voix d'accnsation
daus la Chambre ? Ulcóré qu'il était, u'allait-il pas frapper im-
placablemcnt ~I. de YiJll·le? Toutefois le ministere eut le hon
esprit de ramcuer ;\ lui , dans cetro circonstauce , l'organe puis-
sant de l'opinion royalistc ; sauf quelques légeres nuances , la
()lioridiCJIIIC (loussa tous les candidats ministériels. Des notes
Iort utiles pour Cf'S candidats furent puhliées dans ce journal.
Ces rcnseigncmcnts étaient Iournis par le ministere de l'inté-
ricur : M. de Corhiere mettait un grand prix h avoir l'assenti-
mm! de la Ieuille royalistc , paree qu'il savait son influence sur
le partí rcligieux et nohiliaire qui composait les colléges des dé-
partements.


Les Lihéraux, étourdis par lcsderniers événerncnts, cherchaient
pourtant ;1 se rallier pour le triomphe des élections ; il Y avait
véritable d('goúl parmi les patriotcs , ce qui était facile avoir par
l'aspect terne de Icurs journaux , par la mollesse et la timidité
de lcurs opinions. Il s'agissait d'nrrétcr le choix de leurs candi-
dats , ct dé.F\ se manifcstaicut des divisions. Un bon nombre de
g('llS honorables ct réíléchis ne voulaient pas de ces champions
dI' révolntions ct de trouhles qui avaient compromis , par leurs
passions actives, la cause des progres et de la monarchie consti-
nuionnclle, )DI. Tcrnaux el Delcssert ccssaient de marcher
avec :\DI. Manuel et Grégoirc; ils savaient tout le mal que ces
derniers choix avaient fait ;\ la liberté Iégale ; il Yeut mémo des
assemblécs préparatoircs dans lesqnellcs ces nuances d'opinions
se manifcsterent hautement. Deux comités s'étaient formes, l'nn
clH'z ,1. de Lnhorde , réunion d'hommos modérés et tr{'s-




292 mSTOlnE DE LA nESTAUnATTON.·
nombrcnso : I'autro comité S(" grollpail chez M. Laffitte : res
deux assemblécs 11e marchaicnt nullement d'accord. Le co-
mité Lahorde , usant de la préctuinenrn que lui donnait le
110111hre, irnposa l\l. Benjamin-Constant pour remplacer M. :\la-
nucl , et le Courrier Franrais , organe intluent du partí lihé-
Tal, n'osant pas tout it fait se prononcer contre cene dl!cisioll,
annonrait pourtant que heaucoup d'électeurs n'approuvaiem
pas ce changcment et qu'il ne l'approuvait pas plus qu'eux,
Ainsi , tandis que les Iloynlistcs s'avaucaient conuue un seul
homme , les Libéraux , morcclés , luuaicnt les UllS avcc les au-
tres, et ne s'entcndaient mémc pas sur le choix de leur can-
didat. Il arrive des moments oú e' (In es! Iait d'un parti; tout ce'
qu'il prépare tournc contre lui-méme ; jj ne peut plus marrhor
jusqu'a ce que les Iautcs des vainqueurs le rappellcnt ü la vie f't ;\
la puissance. Ces fautes se multipliaient en effct. Le partí ardem-
mcnt rovalist« gagnait toujours du terrain, 011 ne cachait plus les
projets d'avenir : on voulait rcudre les registres des actes civils
au clcrgé; O]) proclamait ton! haut le desscin de rétablir les cor-
porations rcligieuscs , et d'inlliger une péualité sacrilégc aux
vols couunis dans les ('glises; on continuait ;\ Iaire du gouveme-
mcnt une affaire de conscicnce catholique. Qui nc se souvient
des taquineries de l'I niversité , de ecuo inquisition de la vie
privée qui poursuivit ,,1. Fcrlus ? L'évéquo d'Ilcrmopolis ordon-
na une réorganisatiou gélJl~l'ale de I'érole de Soreze , en ce qui
touchait l'euseigueiucnt et le pcrsonnel des fonctionnaires et des
élhes. On cxaminait si les proíesseurs remplissaient les devoirs
religicux , on arrivait aux billcts de confcssion. m le grand-
maitre satisfaisait-il au inoins par ees couccssions les exigenccs
de partis? Il n'en était ricn. Ce pauvrc lU. Fravssinous était
tourmenié de tontos les manicres , atraqué vivemcnt dans ses
croyances , dans ses alfcctions par l'ahhé de Lamennais , par
1\1. O'Mahonv , par ces dissortatcurs séculicrs qui fatiguaient
la politiquo de l'évéquc demi-gallican, <)ue pouvaieut etre les
joies de l'épiscopat ;\ cütl' <1(' ces auaques vivos et passionnées
rlans lcsquelles on arrusait '1. Frtlyssinolls (l'illlpi{·t{·, 011




<:Tlt\ Prrn E \ \ 1.


pour le moins dr srhism«?\ussi l' événcmont 1(' plus grave
de cette époquc fui le mandcmcnt de 1\1. le cardinal-ar-
chevéque de 'I'oulouse. lU. de Clermont - Tonnerre était
l'expression la plus ardente de cettc l~glise militante, un
pcu avidc de hruit ; il avait lancé une lettre pastorale a 1'0c-
casion des élections : cal' il faut dire que le gouvernement
s'étant placé dans l'Église , les mandemcnts devaient par la
force des choses , joucr un grand róle politiqueo 1\1. de Cler-
mont-Tounerrc dénoncant cene impiétó du siécle qui faisait
tourner en dérision tontes les questions religieuses , réclamait
les anciennes lihertés de l'l::glise de Frauce , la rcconstitution
drs synodes diocésains ot des conscils provinciaux , I'indépen-
dance entit'-!,p des ministres de la religion, la réhabilitation d('
tnnu-s les fétes solcunclles ; il appelait aussi la discipline ecclé-
siasriqne et le droit commuu du cJergé tel qu'ils existaient au-
t reíois , le rétablissement de plusieurs ordres religieux en
Franco. M. le cardinal demandait une modiñcation dans le Code ;
il formait le vceu de voir les registres de l'état civil dans les
mains du clergé; il sollicitait une loi sévere pour la répressiou
des volsconnuis dans les églises,


Ce mandement était si manifcslemcnt hostile aux intéréts nou-
VC,HIX, que le ministere crut dcvoir le dénoucer au Conseild' Jha\,
comme un cas d'abus. Dans le ConseiI, JI. Portalis , chargé du
rapport , démontra ({\le la lcttre pastorale renfermait des princi-
pes contraircs au droit public el aux lihertés de l'I~glise ; iI COI1-
cluait h sa suppression absolnc. i\!. Duden s'éleva avcc force
conrrc la juridiction du Conseil d' "'~tat en matiere d'ahus ; il ne
lui reconnaissait pas le droit de juger cette circulaire ecclésiastí-
que; il la défcndit sur Ions les points , cal' elle n'était autre chose
({U'UU HCU de piéré, }1. Allcnt émit l'opinion que ;\1. le cardinal
Iút mandé el cntendu ; cal' HIle voyait ríen qui püt justifier une
pareille puhlication religicuse, Le garde des sceaux s'opposa ~l
cctte proposition , par le motif qu'aucune loi He penuettait d'ap-
peler un prélat devant le Conseil d'État, 1\111. de Balainvilliers et
Delavean soutinront que les ('ve(fllCS avaient 1(' droit de demander




29ú HJSTOIRE DE lA nESTAUL\TfO~.


les amélioratious et les changcmenrs qu'ils rroyaicut ntilcs ü la
religion, et que le mandemcnt de JI. l'arcltc (~qlle n'avait pas
d'autre hut. Enfiu lU. Portalis soutint vivemcnt sa proposition
d'abus, « Les lettres pastorales, disait-il , ne doiveut avoir ]10m
objet que d'instruire les fidclcs de leurs devoirs rcligicux ; cclle
de 1\1. le cardinal de Toulouse renferme des passages contraircs
aux lois du royaume, aux prérogati ves et ;t l' iudépendanco de la
Couronne : je demande done la suppressiou de ce mandement, »
Cette propositíon fut mise aux voix et adoptée ü la presql1e una-
nimité. Jugez de l'irnprcssion produiic par llll paroil arr0t sur le
partí religieux qui soutcnait le minister« ; attaquer un cardinal!
lui arracher son inviolabilitó romaine ! 'le vourlrais qu'on relút
les fulminations du Jl(:iJIo}'/II{ ml//(/{¡"i/¡'f('. ~L de Lamcnnais
avait dit qu'on verrait ce qu'était un pretre : ;'1:. de Clel'lllOf\(-
Tonncrre annoncait qu'on verrait ce qu'était un 'cardinal. CeUe
affaire ne put pas méme etre assoupie par l'iutcrvention béné-
vole du marquis de Clermont-Tonncrre , ministre do la marine.
C'est de cettc époque que couuncnre la réxistancc des corps ci-
vils al'envahisscnicnt du clorgó el par consóqucnt au Cahill<'t,
qui se faisait en quclque sortc episcopal. Jusqu'iri le ministero
n'avait trouvé aucunc opposition systématiquc dans les cours
royales; iI s'agissait du tróue el d(' ses rlroits : les cours l'ap-
puyaicnt ; mais lorsque le ministere SI' laissa 1m/> ('1I1raillCr SOllS
la force cléricale , les cours royales pas:('r('J}t ü l'opposition. On
réveilla les vieilles querelles du jansénismc , des parlcmcnts <'l
des é,(lqucs ; on dénatura la Hcstaurat ion, el la H('slamatioll fut
mcnacée. La religiou rctira-t-elle qu-Ique érlat el quolque ron'('
de cette situation politiquc ? Loin d(' 1:\ : 011 COIllprollli¡ k (';:1110-
licisme lui-méme en lt: mela: t aux jassions humaiues , en J'("~­
posant aux coups de la ]H'('SSC ('1 aux ¡m,'c! i\ ('S de ¡'esprit de
parti. On confoudit des lors la l'c]igicn 1'1 !('S:'sI ('l!H' ministóriol ;
ce qui írappait l'un auaquait l'autrc {'ga!e)llt'llt, ot , au milieu de
tout cela, la monarrhiv p{'rissai¡ ~OllS les divisinns.


('ependant, !\l. de 'im'l(' (I"i' plllHlt enlraln(' par ce !110l1\('-
111<'lIt qu'il ne l'approuvait lui-mémc ; son t'spril ('l"i¡ troj) {'r1air{'




CHAPITI1E XXi. 295
]JDllr réduire la sociélé;1 des proportions si resscrrées, Parmi les
projets dout i! était alors préoccupé , se trouvait surtout la con-
) crsion des reures fJIJ'il voulait Iier, dans sa pensée , a l'indem-
nitro des émigrés, impérieusement exígée par les chefs des Hoya-
listes conune gage d'alliance avec le Cabinet. Cette nécessité de
\ronver tle~ rcssourccs \' avait mis en ra\)p()rt a'V(\,c, lahaute han..
que, et ;n. de ViUNe avait sentí la nécessité d'un systeme un
peu libéral pour proteger le crédit public et faire arriver les res-
sources au Trésor. C'est dans une pensée plus large que cenes
de son par\i qu'il iustitua le Conseil supérieur du commerce ,
dout l'objet était d'aviser ;1 l'amélioration successive des lois et
larif.s qn¡ l'(~gÍssajeJll les rap]Jorts du commcrce Irencei« avcc


Ull'dllgel' el les coloJlies Ji'anpÍses. Un íiurcau de commercc ce
des colonics était {'galement formé; on le chargeait de recueil-
lir les Iaits el documenta propres a éclairer les délibérations du
Conseil supéricur. 1'1. de villóle devait prendre les mesures pour
qne les ministeres fisscnt porvenir ace hureau tout ce qui était
de nature a le mcttre en étatd'apprécicr la marche et les besoins
du commercc el de la navigation. 1\1. le comte de Saint-Cricq
fl1! nommé président du burcau <In commcrce et des colonics; 011
lui faisait uue place pour douner la dircction des douanes aM. de
(;¡¡st¡·Jhajac. Le S('cn"lariat-g(~lléral du Conseil supérieur et du
hurcau fut confié iI ~J. le haron de Fróvillc : tous les membres ap-
partenuioutaux diversos nuances des Charubres ; on ne pouvait
nivr qu'ils nc fusscnt fort éclairés el tres-instruits , surtout des
¡!l!('n~ls dont l'ordonnancc les Iaisait l'cxpression.


L'("prellY(' desélections approchait; les partisétaieut en présence.
.lamais ardour scmblahlc ~\ cellc des Itovalistcs ; on se concertait
d'avanc« sur les clioix ; i'impulsion était donnée iI Paris comme
daus les <!{·parlemcills. Chaque électcur faisait la police de son
hurcau : on critiquait lcs droits; 011 excluait ~I tort et a travers ;
dp:; circulaircs émanórs dI' tOIlS les ministres imposaient partout
¡I'S \ole:.; aux Ionrrionnaircs public», Al1ssi ¡\ Paris , comme en
rrm inr«, la victoiro d('lIJ('lll'a compli-te aux HoyalistpSo Le résultat
<!(,~; ("/('cliOl1S km donuait Id () nominations , el 19 sculemcnt a la




IIISTnrJ:E DE L\ ¡:¡.sr,\mUT[o:\".
gaucho on ;1 son {'cntre; victoire la plus imposnn!c r-t la plus
cornplére qu'opiuion eüt jamais relllpmtée dans l'hisroire de la
lutte électorale. Il y avait de quoi eflraycr par le sncces móme :
cal' je crois que pour marqucr la Iaihlcsse de notre nature , la
Iatalité a place la ruine pres de la puissance , et que dans la vie
hnmaino rien n' cst plus prochc du triomphe que la chute. QlI;md
llll parti est en pleine pnssession d(~ l'autorité , il se détruit de SI'S
mains commc Ü plaisir, Ce ne sont ras les obstacles du dehors
qui tuent un pouvoir, mais sos folies surtout; c'est en politique
que le suicide est le plus fréqueut ! Connne quesrion ministé-
riclle , 1\1. de Yillele avait fait une faute de trop éliminer le ('Clf{·
gancho, La scission n'oxistant plus largo et forre entre denx
couleurs rranchóes di' droit« N d(~ ganrh«, il se forma 1lIH' auirp
opposition dans la Chamhre , qui prit un drapcau menacan]. Lr-
ministere u'eut plus de contre-poids ; il Be put résistrr. /);'S
lors , cxpressiou d'un parti , il lui Iut Iivré corps ('t üme ; il 11('
fut plus que ce que la majorité le lit étre , ct cette majorité ayaut
la consciencc de sa force, dcvint inscnsée , exigcantc ; elle dépo-
pularisa le poitvoir au dchors ; elle le priva de l'appui de l'opinion
publique; d'oú la grande dislocation clnparti royalistc.


La Chamhre rcnouveléc n'appartenait pas au ministerc, comme
la Ioule a pu le croire ; elle avait son opinion , sa conscieuce ,
opinión ardentc, consciencc mal érlairé«, mais libre, insnbor-
donnée méme. Le partí rcligieux avait pleinc et elllit're victoire;
il dominait la majorité , el par la le ministere , qui n'eut plus
des lors ni liberté ni puissauce d'agir, ~usque-]¡I ;\1. de villcle
avait chcrché a se placer entre le centre droit et la droite ,
attirant vers lui l'extrémité. Avecla Chambre nouvellc , le centre
droit ne fut plus qu'uu auxiliairc ; le ministere dut se placer
~l l'extrómité , et l'entrainer ü des folies jnsqu'a ('(' (lUP h's
hommes ü mónagemcnts se ravisi-rcnt. Le centre droit , alors
couleur modóréc et de tcmpóramcnt , uní ~l 1\1. de YiW'l(',
s'était bien amoindri dans la dr-rnicre élection, ponrtant il
comptait encere soixaute 11 soixantc-cinq mcmbres 8011S la direr-
tion de :"\DJ. Ganthir-r , dr Martignac, JkrqtH'Y, Chabrol <1('




CHAPITRE :XXI. 297
Yoh ir, .Jacquinot-Pampelune et Bois-Bertrand. M. Gauthier ,
qui était appclé ajouer un role dans cette fraction de la Cham-
hre , négociant fort éclairé de Bordeaux , appartenait essentielle-
ment aux opinions modérées du centre; il était protestant , et
opposé par couviction aux empiétements du clergé. Ceci explique
commcnt il passa a l'opposition amesure que le ministére subit
plus complétement ladomination épiscopale, M. de Bois-Bertrand,
écrivainphilosophique , obscur et transccndant, avec une science
réelle de chillres et de mathématiques , doctrinaire dans l'opinion
royaliste, venait d' excrcer une fonetion de confianee et de police
~\ Bordeaux; il s'était montrémembre fort ardent de toutes les
sociétés liuéraires qui avaient préludé au triomphc des opinions
royalistes: enrré depuis dans l'administration , il avait pris des
scntimcnts plus sages, plus applicables; on lui destinait une des
grandes divisions du ministere de l'intérieur. M. de Bois-Bertrand
écrivait lourdement avcc la prétention d'un style grave et de
penseur : il était plus malheureux encore a la tribune; sous ce
rapport , ce n'était pas un auxiliaire bien précieux pour le mi-
nistere. lU. de Chabrol-Yolvic , préíct de la Seine , avait une
coulcur politique tiede ; adtninistrateur éclairé , il n'avait ni une
indépcndauce de position , ni une force de caractere suffisante
pour s'opposcr a la marche du ministere , mais ill'aurait volon-
tiers doucemcnt entrainóc vers des vues de ternpérament et de
popularité. J'ai toujours pris comme type du centre droit ces
trois noms: i\l~I. de lUartigllae, de Chabrol et Gauthier; M. Ravez
penchait un peu plus vers la droite. A coté de ce centre siégeait
la droite pure , dont la masse adhérait complétement ala marche
de :\1. de VillNe; elle comptait plus de cent membres , et se
fortifiait d'une foule de noms provinciaux qui allaient augmcnter
les votes de la majorité ; comme téte de ce partí dans la Cham-
hre , étaíent alors l\I. de Frenilly , esprit systématique, s'amusant
de quclques sophismes, dévoré de la manie d'écrire et de réformer
la société , qui ne demande qu'a so délivrer de ces réformateurs
hénévoles. Je ne sache rien qui ait fait plus de mal h la Restan-
ratiou ({Iw fPS hror lmros rovalistes paraissant commo los révélu-




298 mSTOIRE DE tA RESTACRATIO\.
tions et les espérauces d'un parti, attaqnant les droits , les lihortés,
et se faisant un jeu de preudrc h rehours toutes les questious
politiques; 1\HI. Fadatc de Saint-Ccorgcs , de Korgariou, Couon
de Saint-Luc , de Curzay , vives cxprcssionsde la droite, ct qu'on
rattachait par des positions administrativos au sysl('mr minis-
tériel ; 1\1. de Saínt-Chamaus , écrivain de brorhnres , animé ,
comme l\I. de Frenilly , du désir de réformes , poursuivaut par
la presse, la pressc, ct voulant étouffer cctte arme, qu'il emplovait
avec une ardeur spirituelle..le mcts ~DI. de Frcnilly et de Saint-
Chamans a la tete de ces réveurs de mesures forres et de coups
d'État qui perdirent la Ilcstam-ation en la couvraut d'impopula-
rité; ils pénétrcrcnt la Couronnc d(' cerle penspe qu' elle avait
une espece de mission dn cicl pour rendre ;1 la France sa re/i-
gion, ses vieillcs mreurs ct sa íoi monarrhique ; la Couronne
essaya un jour de leurs conseils; dcpuis, qu'est-clle dcvenue ?


Ycnait ensuite le parti de Congrégatiou , moitié dans le mi-
nistere ct moitié en dchors. J 'ai hcsoin de le dcssiner avcc pré-
cision , paree que cctte force religieuse domina la Chamhre ot
corrompít son esprit. LaCongrégation mnitresse de grandes
iufluences électorales , avait pret(' son appui au Couverncmcnt,
et le résultat des électious Iui avait donné plus de ccnt vingt
mcmbres dans la Chambre qui s'étaient plae('s sous la direction
de 1\1. Icmarquis de Itougé, hommo émincnt de cour el d'czlis«:
1\1. de Rougé répondait au pavillon "larsan, ~I ces opinions de
piété de la duchcsse d' Angouleme. JI était raro que ce que
ces opinions demaudaient avec instance elles ne l' ohtinssont
comme loi, C'est de leur sein que partirent ces premieres impul-
sions pour les 101s du sacrilége , les communautés , le droit
d'aincsse. L'impatience de ses mcmhres était trile, que quciques-
uns passaient meme ü l'opposition paree que le (;ouvcrncmcnt
n'allait pas assez lite; tels étaient ál. Clausel de Coussergues,
poursuivant l'impiété aH'C la candcur d'un pi-re de l' Églisc ,
mélange incompréhensihlc de douceur ot de colerc , de piél('
érlairéc el de haine rcligieusc. ~1. Clausel de Coussergncs ótait
un homme d'érudition ('( dI' rcclrorchcs , mais avcc dI' 11'IIes




C/L1P1TH1~ ~\Xl. 299
préocc11 patious, qu' il était arrivé aIairc une brochure pour prouver
que le régime anglaisótait trcs-restrictif de luliberté de la presse ;
JU. de Lapasture , cxpressio.i hornee des idées catholiques.
-'1. Lcclcrc de Beaulicu , vivant dans une foi nalve et bre-
tonue : "\1. Loisson de Guinanmout , protecteur de toutes
les pienses eludes et de toutes les congrégations sasciguantes.
La Iractiou dl~sjgnCc sous le nom de contrc-opposition perdait
JI. Delalot , qui n'avait pas été róélu , mais elle acquérait
}L Bacot de Itoman s , anclen 'prcfct , de quelque habileté
administrative , eS1E'it Ioquacc , ardent et sans graneles idées
politiques ~'L de Bollisscu , aux mcnieres polies et agréables ;
;'11. de Xoailles ¡ d'uue piél\'l cxccssive mais doucc , avec
d'e'\c{'J1e~l!t's intcntiuns , sans une volcnté Ierme et décidée
d'oPPOSÜjOll, lié (Lmcicllll(, dale ü la cotcrie de ~1. Talleyraud ~
,1. de Yallou , dans les mémes opiuions qne l\l. de ~oailles et
son collégue de départcmcnt ;~L Iticard , avocat général , avec
quelquc taleut de tribuno ~ ~L Bourdeau , esprit auti-jésui-
tique et se séparant d'un svstcme qui mettait le pouvoir dans
les mains da cicl'gC'. Tous ceux-ci votaicnt souvent avec la
contre-opposition ~ mais on se scrait fait une fausse idée de
s'imagincr qu'ils se placaicnt tous SOtlS l'influcnce de lU. de
La Dourdollllaye. Si j'cn excepto LH. Bacot de Romaus , les
autres dC'put{::; L!is,,>lll de l'oppositiou ~l JI. de Yillele , mais ils
étaicnt domines par une des pCl1sées divcrses ; lcurs sympathies
éiaicnt plus fllPlH'ochl'es du centre droít que de l'cxtréme droite.
J;ojs-je indiqucr com.nc pcrdu au milieu de la Charnbrc le cúlé
gauche, avcc Sl'S dix-sept membrcs , el JI. ltoycr-Collard , plus
j,,'}j(' ('¡¡cor'~ el gl';Hl<iissant en quclquc sorte dans cct isolemcnt ?
n"",,",;¡;(' ["tll.,c, 1".., ""'I"'l':l";S avaicnt disnaru : il ne restait plusI"'Lu'l.s ••. \J l':' lL,,1,)l Ji.J.il\~. Hl .. t l ,-¡,JjU l., \.,U... ,
", J'" "' ~).. (" t \l (' • •UCDOUL (fue e gi'i:e:'ili ¡ (\~-, LC'lJ}Lllln- .onstant CH. .asmnr
1)('1':('''· ton: le c"! l' O'H' j' be "Y" j: cchonó (l,1'1S ]os colléacs: le


• .l. J., \ Ll l- ,,-./ '.. ~-, { l,-.. '-. lt. i, i l .L( J., -'- \..- .. ~.... t') , -'
centre ~;;:Hl'!le g'e"isi¿lit n]I1::. La drni[¡' {-Lit si uombreuse, si


t· J


('¡rra~l\nle 1l,0)\,c pum 1(' l~:¡n¡:;U':'e, que liar une ingéniense
manc-uvrc dirigée tiar les mcncurs ministériels , les hancs íurcnt
iudistinctemcnt cmahis ; on chercha ~l melcr toutes les nuances,




;)()O II(STUIltE DE U. HESTAlH\Tl<L\.
pour év iter une coalition de haucs rapprochés. Tclle dail la
Chambre devant laquelle le ministere allait se préscnter ; quel
allait étre le discours de la Couronne ? quels projets allait-ou
oífrir al'esprit de cetre majorité ?


J'ai annoneé dans quel but avait été arrétée la dissolution de
la Chambre, Le Couvernement avait dit sa pensée : iI voulait
une Charnhre nouvelle pour voter la septennalité ; cene mesure'
devait done etre la base fondamentale de la sessiou. On avait
consulté les élccteurs ; la Chambrc devait prononcer. Mais ccue
espece de mariage entre le ministére et la majorité ne pouvait
étre que le préliminaire d'unc allianee. Qu'allait-on faire pour
la Chambre? Dcpuis I'avénemcnt du ministere royaliste, le parti
qui le soutenait se plaignait de ce qu'OH n'avait ríen preparé pour
assurer une indemnité aux émigrés : il fonnait aetueJlement la
grande majorité de la Chambre; pourrait-on eneore retardcr un
désir déja si impatient et si prononeé? M. de Villele avait de-
puis longtemps réfléchi aune loi sur l'indemuité ; illa eoneédait,
je dirai presque avec la méme répugnance qu' il avait fait la guerre
d'Espagnc, mais il sentait qu'elle était iuévitahlc. Ministre des
Iinances , il s'était fait donner le chiflrc approximatif de l'indem-
Hité, el il avait vu avec eflroi qu'il s'élevait a un milliard. Oú
done trouver eette masse énorme de capitaux '? Ilecourir ~l l'im-
pol pour indemniscr les émigrés cút élé impopulairc ; c'était
lier une grande réparation a la sueur et aux cris du peuple. Dis-
trairo de l'amortissement une certainc quantité de rentes, n'était-
ce pas eompromettre le crédit puhlic , au moment méme oú il
ótait le plus nécessaire et le plus actií? dcmander purement el
simplemeut un milliard aux emprunts , no craignait-on pas
d'agrandir démesurément la dette , el de payer ü un taux tres-
élevé les intéréts des capitaux ? Au milieu de ces diflieuItés, I'idéc
lui fut suggérée d'un rcmboursement de la dette publique el
d'une diminution des intéréts, C'était une cxccllcnte mesure
d'économie sociale; mais jctée tour d'un COU]) sans préparation
dans le public ; melée surtout ~l une idée impopulaire , elle de-
vait rcncontrcr de la résistancc, non point ü la Chambre des Dé-




Cll:\PlTHE \\1. 301
putés, qui counaissait le buL définitif dc ceue peusée d'iudem-
nité des émigrés , mais dans la Capitale , violemment agitée par
une supprcssion si considérahle dans ses revenus annuels. l\I. de
Villcle croyait par ces deux grandes mesures satisfaire en tout
point les HCUX de la majorité; c'est dans cette pensée que fut
rédigé le discours de la Couronne , cherchant d'abord atout cou-
vrir de la gloire d'Espagne. Le roi annoncait « que la Franco
n'avait plus rien a redouter de l'état de la Péuinsule, Ce triom-
phe de la plus juste entreprise était dü ala discipline et ala hra-
voure de l'armée Irancaise. Un projet de loi serait présenté pour
substituer le renouvellcment septcunal au mude actuel de renou-
vellement de la Chambre; des mesures seraient prises également
pour assurer le rembourscment du capital des rentes créées par
l'.État dans des tcmps peu favorables, ou pour obtenir Ieur con-
versiou en des titres dont I'intérét fút plus d'accord avec celui
des autres transactions: cette opération terminée penuettrait de
réduire les impóts et de Iermer les dernieres plaies de la Révolu-
tion. ; Ce discours, quoique brülant de royalisme , n'avait pas
I'empreinte religieuse que la majorité voulait partout imprimer :
on annoncait bien une grande réparation politique : mais la reli-
gion, que faisait-on pour elle? La Ilévolution avait renversé lesau-
tels : n'était-il pas temps de lesrclcvcr iIl y avaitdes églisesveuves
de leurs pasteurs, des villes sans évéques; on profanait les hosties;
on violait le sanctuaire , et la loi était muette! Pourquoi ne pas
pennettrc ces salutes communautés religieuses qui peuplaient
autreíois le tcrritoire ? Telles étaient les pienses opinions de la
Chambrc , et le discours de la Couronne ne la satisfaisait pas
complétcment. Jl fut des lors résolu d'en faire la demande for-
melle dans l'adrcssc , cal' la société de 1\1. de Ilougé u'aurait pas
voulu s'associer ~l un systéme qui n'eüt pas uni l'autcl.et le tronco
Le malheur des assemblécs politiques , une fois convaincues de
leur force, c'est de preudrc connuc ~l plaisir de la déploycr dans
des actes inutiles. Certes , le colé gaucho était assez dépeuplé
pour fin'on ne le chicanát pas sur les titres et l'origine de ses
candidats ; el pourtaut, ~l peine la vérification des pouvoirs avait


111. 26




302 IlISTOIRE DE LA RESTAURATIO:\'.
ótó conunencée, que deux électious du cóté gauche furent eon-
testees, cellesdu général Foy et de 1\1. Iíenjarnin-Constant, c'est-a-
dire les plus hábiles et les plus éloquentes voix. On aurait dit une
haine, un ressentimcnt personncl , centre les opinions vaincues.
Voici sur quel point les difficultés furent soulevécs par la majo-
rilé: on objectait que les pieces produites par le gl'llóral Foy ne
prouvaient pas suffisamment qu'il payait dcpuis un an le C('lIS
exigé pour I'éligihilité, '1,e général ayant fourni tous les docu-
ments nécessaires, sa nomiuation Iut conflrmée. Quant ~\ :\1. Ben-
jamin-Constant , une vive discussiou s'cngagca au sujet de son
élcction : JI. Dudon vint a la trihune soutenir que -'1. de Cons-
tant ne réunissait pas les qualités exigécs pour etre admis dans la
Chamhre. « Il n'est ni Francais , ni mcuic d'origine franraise ,
s'écriait M. Dudon; et certes, pour étre membrc de cene Cham-
bre , il faut au moins étre Francais .... » ! 1\1. Dudon passant en
revue toute la géuéalogie de ;\1. Constant , trouvait que tous ses
parents , depuis 1605, avaicnt toujours été étahlis a Genere; il
rappelait l'ordonnauce du Roí, du /¡ juiuí Hlú , qui anéantissait
toutes les natnralisations accordées par les Convernements de
l'interregnc. 1\1. Bcnjamin-Constant vint sourcnir ses droits ;
il s'appuyait sur la loi de 1790, qui rcconnaissait la qualité d(~
Fraucais a toutos pcrsonnes doscr-ndant, il quelquo degré que ce
Iút , d'un Francais on d'une Franraisi: ('xpatri('s pour cause de
la rcligion réfonnée. «( 'Ioll j)(>rC', disait en tcrmiuant :H. de Cons-
rant , a justifié de son origine; il en a justifié .dcvant l'autoritó
compétentc ; il Y a trcntc-trnis ans que l'arrét cst porté; il a ac-
(Luis forcc de chosc jugée : la chose jugée pcut-ollo étre par vous
remiso en quesrion? J'cn appclle ü 'os lumicrcs e( ¿l votre équíté.
- Dans une parcille discnssion ,disait '1. de 'Iarlignac , on ne
saurait appof'ter troj) de manniré : jc décJarc qrw je lJ'ili ras
assez de rensoigncments ponr la d(~rider. I1n)(' scmhle qu'il est
néccssairc df'IlOllHIH'J' une conunission sp(cia]e, (lid sera chargóc
de [aire conuaiuc son opíniou, )) JL de 'liartignac avait surtout
cct art des convcnanccs fIU!, tout en s'attachunt Iortemcnt ü une
cause el ¿, des principcs , n'allait pas blcsser brutalcment les




C.HAPITRE XXI. 303
ennemis. Ilomme d'esprit avant tout, il se demandait ¿I quoi
pouvait servir I'exclusion de :\1. Benjamin-Constant, homme
d'esprit eomme lui. Jamáis on Be mit des formes plus délicates,
des procédésplus élégants dans ses rapports avec un adversaire,
~I. de lUartignae défcndit avec chaleur, dans la commission , les
droits de lU. Benjamin-Constant; il eut quelque peine ~\ prouver
qu'il ne serait ni utile ni honorable pour la majorité de se mon-
trer injuste , rigoureuse , envers un orateur surtout qui n'avait
ríen de fortement hostile. Ce fut apres plusieurs séanees qu'il
parvint a persuader ses collcgues, trcs-prévcnus , eomme tout
parti victorieux, lU. Bcnjamiu-Constant fournit ;\ la commissiou
les docuruents qui pouvaicnt justiíicr sa qualité de Francais et les
ricux tirres de sa famille. Le rapport de :\1. de l\lartignae fut une
piece eucore trcs-rcmarquable ; il était long et développé : on y
cxaminait l'autiquc origine de la familledes Itebccque ; et, eomme
si le rapporteur y avait mis de la malice, il énuméra avcc com-
plaisance les aíeux et les blasons de lU. de Constant, le tribuu du
peuple. Cedébat se prolongea loin daus la session. On ne s'ex-
plique pas l'acharnemcnt que mit M. Dudon ;\ poursuivre lU. de
Constant: cela lui valut des mots tres-durs ct tres-spirituels de
son adversaire, qui rappela les souvenirs amcrs du Conseil d'Úat,
ce qui amena des explications ct des justifícations de la part de
.l\1. Dudou ;\ la Tribune.


La Chambre étant toute renouvclée, il était de la plus urgente
néccssité que les partís cssayasscnt leurs íorces dans les premiers
scrutins. Le centre droit et la droite ministérielle se réunirent sur
l\I. Ilavcz ; il obtint 248 voix ; ~l. de La Bourdonnaye, porté par la
contre-oppositiou , 68. C'était le balauccmcnt des forees respec-
ti ves. La gauche ne prit point part au vote pour ne pas montrer son
infinie minorité. L'orgauisatlon de la Chambre se fit ;1 peu pres
dans les mémes cornbinaisons de boules. Quant a l'adresse , la
majorité s'empressa de lapénétrer de son esprit; ct, quoique mini-
stérielle au fond, elle tint;1 constatcr ses sympathies pour ce qu'on
appelait les bonues doctrines. Ccue adrcsse pcudiscutée, para-
phrasait le discours du Trfme; mais , arrivée ;\ la partie significa-




3MI HISrÜfRE DE LA RESrAURATlüN.
fin' et d'opinion , la Chambre voulut en rcudre témoignage : « La
religión réclame pour le culte des lois protectrices, pour ses mi-
nistres une existence plus digne d'eux.: La Chambre de 1824 était
surtout empreinte de eet esprit de religicuscté extérieure qui
voulait appliquer le eulte a toute ehose, et rappeler le clergé a
son antique splendeur: e'était la méme tendanee que la Chamhre
de 18J 5, avec cette difTérence pourtant qu'a eette premiére épo-
qne, il y avait un ministere de résistance ct d'opposition auxidées
de la majorité , tandis que l'admiuistration de ~1. de VillCle, sor-
tant des éléments de cette majorité, devait lui céder en définitive,


Le ministére , maitre d'une majorité, songeait surtout ace hail
de sept ans qu'il pouvait ainsi conclure avcc elle. Les Iloyalistes
n'apercevaient pas les résultats défmitiís de ce renouvellement
intégral, expression bruyante de la souveraincté populaire : 011
ne voyait que les sept ans de repos ; c'était un heau tenue qu'on
avait devant soi : sept ans 1. •. c'est presque une éternité en po-
litique; on la cornparait aux sept aunées grasses de l'Égypte.
Le projet arrété en Conseil, court et simple, n'apportait aucune
modifieation au systeme électoral : « La Chambre aetuelle des
Députés et tontes celles qui la suivront seront renouvelées inté-
gralement. Elles auront une durée de sept années, acompter du
jour 011 aura été rendue l'ordonnance de leur premiere como-
cation, a moins qu'clles ne soient dissoutes par le Roi. 1) Cet
article était tout entier emprunté au dernier projet électoral de
]\1. Decazes, qu'avaient repoussé les Itoyalistes. Le ministere se
décida a le présenter d'abord ~l la Chambre des Pairs, JI avait
pour cela plusieurs motifs : il voulait, par conveuance, saisir de
la question septennale une Chambre désintéressée dans sa solu-
tion; c'était un précédent favorable qn'un premier vote de la
Chambre des Pairs arrivant a la Chamhre des Députés, Dans
quelle situation allait-on se trouver vis-a-vis de la majorité de la
Pairie ? Deux récentes promotions avaient eu lieu : la pre-
miére , toute militaire , devait avoir peu d'iufluence dans une
question ministérielle. Sans doutc, d'aprés la nature des opinions
<In plus grand nombro des omfi{'rs~!;{'n('rallx qui nrrivaient dans




CHAPITRE xxr. 305
la Chamhre, leur vote devait fortifier la portien modérée de la
pairie, et venir se joindre a la conleur Pasquier et Decazes, qui
avaient quelque répugnauce pour les exagératious religieuscs et
monarchiqucs de la droite. Mais l'obéissance passive des habi-
tudes militaires et la position hiérarchique des officiers géné-
raux ne permettaient pas une opposition constante et soutenue.
La seconde promotion avait apporté au parti royaliste des forces
plus compactes et des votes plus décidés, Presque tous les nou-
veauxpairs avaient grossiles opinions de MM. de Fitz-James et de
Doudeauville, qui soutenaíent alors le ministere. Le projet de loi
sur la septennalité dcvait , des lors, trouver résistance dans deux
Iractions de la pairie : d'ahord dans l'oppositiou systématique
qui frappait toute espéce de mesure par cela seul qu'elle était
présentée par le ministere ; ce parti s'était agraudi , quoiqu'il
n'eüt pas la majorité. On pouvait ajouter l'opposition rationnelle,
qui repoussait la septenualité paree qu' elle la croyait funeste au
systeme monarchique. Le renouvellement partiel lui semblait
mieux en harmonie avec les formes lentes, régulieres, des insti-
tutions de la monarchie; tels étaient, en général, les membres
timides de la réunion de Beausset : on les rattacha alaseptenna-
lité par cette perspectivo d'une durée scptennale, qui permettait
de fonder de grandes et robustes institutions. Le rapport Iut
méme confiéa M. de Pastorer, ramené par lUONSIEUR au syste-
me ministériel, centre lequel il avait des griefs récents, cal'l\l. de
Yillele l'avait repoussé d'un ministere. Il défendit avec chalcur le
renouvellement integral, paree que seul , disait-il , il pouvait
faire connaitre le désir et le vceu de la nation cntiére : ce qu'on
demandait n'était pas le vceu de quelques Francais, maisde tous.
11 démontrait qu'un des "ices du renouvollemeut partiel était
cette ugitniiou {fui trouhle le corps social. Passant ¿l la qurstion
de la scptennalité , le rapporteur la trouvait plus favorable ¿l la
confection des lois : le Gouvcrncment serait plus libre dans ses
moyens ; il serait plus fort, ayant autour de lui pour plusieurs an-
néeseeux avec qui il devait discuter les grands intéréts de l'Ét]t;
Ir soin des élertious occupait trop l'intervalle d'une session ¿l




:106 mSTOIRE DE tA RESTAURATION.
l'autre. Quant au droit de dissoudre, c'était le premier parmiles
droits conservateurs du trüne ; la Charte le proclamait ; un dé-
puté u'était élu que sous cettecondition. lU. de Pastoretproposait
~l I'unanimité l'adopiion du projet de loi. « ~TC voyez-vous pas,
s'écria lU. de Saint-Romans , que, par l'abolition du renouvelle-
ment partiel , vous privez le Couvernement et la Chamhre d'une
garantie certaine , la trauquillitó du public l Faut-il le dire ? de
tous les projets de loi sur lesquels j'ai été appclé I\ donner mon
vote, il n'en est pas un seul contre lcquel je me sois prononcé
alce une conviction plus forte et des motifs plus graves ames
yeux !)-«ta Charte peut-ellc Gtre altéréc? ajoutait ñl. de La Ro-
chcfoucauld. D'apres la Charle, les élcctions sont Iréquentes ,
puisqu'elles sont annuellcs : tandis que par le projet, iI n'y au-
rait plus qu'nne seule élection , qu'un scul appel ü l'opinion pu-
hlique, de sept ans en sept ans, »-«Nous voulonsavant tout de la
stabilité , répliqua M. de Montalembert; c'est le cri général :
eonunen<,:ons done par en donner a nos institutions politiques,
Il est évideut qu'un changement annuel de la Chamhre des Dé-
putés, cette mobilité continuelle d'une des branches de la puis-
sauce Iégislative, détruiscnt tout cspoir de fixité et paralysent les
mesures (fui out pour hut le bien de l'État.» -«Je compare la
s('ptennalit6, disait le duc de Doudeauville , a une sorte de hail
de sept ans cnt re le ministere ct les Chamhres , hai1 utíle aux
dereloppements de toutcs les institutions el du gouvernement
roprósentatif »- « El moije le repoussc, répoudit le duc de Choi-
seul, comme contraire a la ligue constitutionnellc que le Gou-
vcrnemeut doit suivrc : rejctons au loin le crime de porter une
main téméraire sur le pacte social! »-«Oui, ajoutait lU. de Sé-
gur, je coinbats le nouveau projct paree qu'il frappc ce pacte
social, aln'i súr aprt's la tcuipótc ! » :\1. Curbii-re soutenait « que
le Iloi el les doux Chambrcs avaicnt le pouvoir nécessaire pour
íntroduire dans la législalionla modiíicntiou proposée ; que, loin
d'l'branlcr les institutions , elle les consolidcrait ; el que la plus
súrc garantie était dnns la durée , qu'unc marche réguliero et
uniforme favorise. ) Presquo tous les mcmhres du ministcre lli-




CfJAPlTRE X\J. 307
chelieu se prononcercnt eontre le rcnouvellement intégral, qu'ils
considéraient conunc un ébraulcmcnt périodiqne trop puissant ,
et qui ne permettait pas des mesures de sagessc et de prudence
contre une souvcraineté d'opiuions trop hostiles. Ainsi la septen-
nalité avait deux sortes d'adversaires; elle était repoussée par la
gaucho comme contraire a la Charte; et par les opinions de 1110-
dération et de prévoyance , commc menacant l'avenir de la 1110-
narchie d'une grande crisc, Une opposition de 67 voix protesta
contre l'adoption du nouveau príncipe.


Dans la Chambre des Députés, la question devait trouver éga-
lement deux espcccs d'oppositiou : l'une de gauchc , systémati-
quement opposée¿I l'idóe d'un rcnouvellcment intégral, pourtant
favorable au príncipe de la souveraiucté populaire et aux projets
ultéricurs des patriotes; cnsuite la ccntrc-opposition, haineuse
contre l\l. de villele : a elle, se joiguait un bon nombre de
Royalistes qui cnvisageaient aussi avec eílroile mouvementqu'im-
primerait ala monarchie , dans un temps de crise, le reuouvcl-
lement intégral, ñlais cesdeux fractions, en minorité, pouvaient-
elles Iutter contre les intéréts d'unc majorité qui visait ase per-
pétuer au pouvoir? On était élu, on voulait se maintenir. «Votrc
commission, disait ,,1. de Jlartignac , pourtant n'a ríen négligé
pour s'éclairer : elle s'est pénétrée de HOS ínstitutions et de Ieurs
besoius: ellea interrogó l'expéricnce étrangerc et notro propre ex-
péricnce ; elle a consulté cnsuitc sa conscieuccct sa raison, et c'est
leur langage qui l'a convaiucue de lanécessitéd'adoptor le projet.»
« Il yaagitationconstante, njoutait :.\!. de Castelhajac, dans des (-lec-
tions contiuuclles : il y aura rcpos el avenir dans une Chamhrc scp-
tennale ; le Pouvoir se trouvcra fort centre les partís; les liberl('s
publiques se tronvrront garantics par la stahilité des houuues intú-
ressés a les défcndrc. » - ce y a-t-il, dcpuis un demi-siecl«, répli-
quait lU. Bovcr-Coliard, un systcm« qui aít été suivi, un ministere
qui ait suhsisté , une vérité OH une réputatiou politique qui ait
durésept ans? Que fcra-t-on dans scp: ans ?Qni peut répondre en
Franco aune pareillc qucsrion? Ou fera conune aujourd'hui; on
prendra conseil des conjecturcs , des ennuis , des terreurs 011 des




SOl') JlTSTOrnE OE LA RESTAURATlON.
cspérances dont on sera obsédé : l'iuconstancc aura une autorité
de plus. Il y aura une loi, nous dit-on, qui sonnera l'heure de la
nouvelle Chamhre. Oui, il y aura une loi, plusieurs si vous vou-
lez; mais comment ces lois obtiendront- elles le respect qu'on
n'a pas eu pour la Charte? On ne tue plus les hommes, grñce a
Dieu , mais on tue les lois quand elles génent : cetro discnssion
en est un exemple. »1\1. de Vaublanc répondait aces paroles d' ave-
nir : « J e vote la loi, paree qne je la trouve conforme atous les
grands principes politiquea, et qu'ellc donne aux t1'01s pouvoirs
une puissance bien autrement Corte dans l'opinion publique. »)-
« Que veulcnt les ministres, s'écriait le général Foy , quand ils
vous oflrent le renouvellement intégral et septennal? Ce qu'ils
veulent, c'est le moyen d'échappcr a la 10i de mortalité qui, de-
puis la Restauration jusqu'a ce jour , réduit a dcux ou trois ans
au plus la moycnne d'une vie ministériellc. Je ne considére le
renouvellement partiel ou total de la Chambre des Députés que
comme des modes particuliers de l'existence du gouvcrnement
représentatif ; ce qui lui donne la vie ou la mort, ce sont les
élections; si vous voulez servil' votre pays, commencez par rendre
la liberté aux élections, faites que les acheteurs de suíírages soient
mis au pilori de la justicc, comme ils le son! déja 11 celui de l'opi-
nion. » M. de villele répondait-que partout oú il Yavait desréu-
nions populaires pour arriver a un résultat qui intéressait tout le
monde, chacun faisait ses efforts ponr ohtenir ce qu'il désirait;
l'administration comme le candidat nsaient daus des sens oppo-
sés de leur iúfluencc, ce qui, selon lui, était légitime. Il déruon-
trait I'injustice de l'accusation portée contrc le ministere, d'avoir
abusé de son influence dans son intérét , cal', disait-il, qu'avons-
nous fait ? nOU8 avons seulement imité les électeurs ¿¡ renvoyer ,
ponr siégcr dans la Chambre, les députés d{'j¿¡ honorés <In choix
de lcurs concitoycns. »-«Eh quoi! répliquait M. de La Bourdon-
naye , on nous demande le rcnverscrnent des scules garanties
qne HOUS ayons encere de lastabilité du treme et de la tranquillité
publique! on veut que 1l00lS lioulevcrsions les institutions de la
Chart(\! C'est paree que la Chamhre élective est royaliste all-




CHAPITRE XXI. 309
[ourd'hui, el qu'clle pout ne l'étre pasdemain , qu'il ne fant pas
compromettre les droits de la légitimité. »


La discussion s'était engagée; mais le ministere connaissait
d'avance quel en scrait le résultat : la majorité était acquise ,
quoique la Chambre se nuancát en plusicurs opinions. JI y avait
une fraction qui hésitait a se perpétuer au pouvoir au dela des
termes établis par la Charte , cinq ans; une autre fraction, qui
repoussait entierement la mesure et formait l'opposition, Au-
dessus de toutes, dominait un intérét puissant, celui de la ma-
jorité. 1\1. de ViJIele lit insinuer mérne a quelques membres
que la durée de la Chambrc ne serait pas prolongée au dela de
la cinquieme année. Cela lit taire des scrupules , et le projet
Iut adopté par 29:2 suflrages contre 87. ltapprochement curieux
¡l faire : ce fut une majorité royaliste qui vota la loi la plus fatale
ala monarchie légitime ! Avec la septennalité on eut le renouveI-
lement intégraI, avec le renouvellement les majorités coalisées,
les 221. et la souveraineté parlementaire! )1. de villele recevait
de la Chamhre un bail de sept ans avec elle; il aurait le temps de
la connaitre , de la satisfaire;imaginez un lit de repos pour sept
ans; plusd'ennuis d'élections! Tout ceJa était bien, sans doute;
mais il aurait falIu, avec cette prerniere mesure, la marche
ferme d'un ministére habile, il aurait fallu surtout s'entendre
avec la contre-opposition, ct ne pas laisser en dehors du minis-
tere un centre d'action autour duquel devaient venir successi-
vement se grouper les unités mécontentes. Le ministere ViJIeIe
était trop faible et trop fort tout ¿l la fois: il était ala tete d'une
majorité imposante qui le poussait malgré lui, et iI n'avait d'au-
tres moyens de se rapprocher d'elle et de la diriger que de lui
faire des concessions, et ces concessions étaient impopulaires :
elles perdaient le ministére et la royauté aux yeux de la France !
l\l. de Cháteauhriand préta toutes les forces de son talent, toutes
les influences de son crédit ace projet de septennalité, Le noble
pair avait admiré en Angleterre les longs parlements; il n'avait
pas vu que, la, des élections réglées et aristocratiquesassuraient
prrsqnf' toujonrs une majorité : il n'avait pas aperen non plus




310 mSTOIRE DE LA RESTAURATION.
que les graneles querelles d'opinions , qui ébranlent la société
j tlsque dans ses fondemcnts , y étaient íinies, et que wighs et
torys admettaient également la royauté de la maison régnante.
:Uais en France , le príncipe étant contesté, n'était-il pas a
craindre qu'une Chambre intégralement renouvelée n'amenát
une majorité contre le principe ; et des lors quel remede? quelle
arme placerait-on dans les mains de la royauté?


Au moment oú , par le triomphe de la septennalité , le minis-
tere scmblait s'assurer une longue vie et la paisible jouissancc
du pouvoir , il suhissait un de ces grands échecs qui aurait
éhranlé le Cahinct le plus fort el le mieux constitué : je vais
aborder l'histoire de la haute question financicre qui se résumait
dans la diminution de l'intérét de la deue publique. Des la
fin de 1823, le :5 pour cent avait touché son pairo Le Gom-er-
nement dut songer a réduire I'intérét de la dette : c'était son
droit et son devoir : l'État avait deux bénéfices a cctte mesure:
1". la dimiuution de la somme chaqué année portée au budget
des consolidés : 2". la ccssation d'un état de ehoses dans lequel
l'amortissement était obligó de rachetcr au-dessus du pair des
rentes vcndues par l'État dans des prix bien inféricurs a100 fr.
La haute hanque poussait il la conversiou et la secondait par
une grande irnpulsion de liausse. Le partí royaliste la liait aune
indemnité promise pour l' émigratiou , sans charger les contri-
buahles. l\I. de Yillele s'était mis en rapport avec toutes les lu-
mieres ; plusieurs modes de conversion étaicnt proposés : la
substitution pure et simple du l¡. pour cent au 5 pour cent. Elle
était la plus naturelle et la plus loyale ; on pouvait adopter des
séries , et au moyen des tirages rendre l'opération trés-facile ,
procurer les hénéfices al' État sans éhranler le crédit et la con-
fiancc. Le second moyen prétait plus au mouvement des fonds,
et par conséqueut aux hénéfices du jeu : il fut proposé al\I. de
Villt-le par une eompagnie composéc de :\1 M. Baring, Laffitte
et Rostchild; il consistait dans la création d'un 3 pour cent au
taux de 75 fr. et au capital de 100 Ir., ce qui donnait la possi-
bilité d'un mouvement tres-étendu et d'un bénéflce plus consi-




CIIAPlTRE\Xl. 311
dérable. On devait opposer ~l cette opératiou un seul dilcnuuc :
il était impossible , en cílet , qu'il y cut béuéfice tout ;\ la Iois
pour l'ttal el pour le rcntier. L'1::tat ne pouvait gagner que par
la diminution de l'intórét ; le rcntier ne pouvait gagner ~I son
tour que par I'augmentation de son capital, et le capital aug-
mentant , I'amortissement le rachetait d'autant plus cher : le
Trésor perdait done en capital ce qu'il acquérait en intéréts,
31. de lillele mélait cette pensée de conversion , je le répete , a
la nécessité , pour lui impérieuse en présence de la Chambre tclle
qu'clle était composée , de l'indemnité des émigrés. I..a diminu-
tion sur le chillre du budget devait donucr la possihilité « de
fermer la dernierc plaie de la révolution » , ainsi que l'avait an-
noncé le discours de la Courouuc. El puis , il était évident qu«,
sous le rapport de I'économie politique , la diminution de l'ill-
térót payé par l' .í~tal sur les fonds empruntés devait iufluer sur
le prix général des capitaux , ce qui est toujours un bienfait daus
le mouvement commcrcial. .En conséquence de la résolution du
Cabinet, 1\1. de Villele passa un traite avcc les trois compaguics
~l la tete desquelles se trouvaicnt l'DI. Baring , Ilostchild et I..af-
íittc. Le ministre des Iinances s'cngageait a présentcr un projet
de loi ayant pour hut d'autoriser la couversiou de 1ÚO millious
«le rentes, ;) pour cent ronsolidés , en 3 pour ccnt , au taux
«le 75 fr. D'un autre coté, les bauquiers s'engagcaient aIournir
au Trésor les Iouds néccssaircs pour rcmhourser ceux des por-
Q~eu1's de rentes ó pour ccnt qui ne conscutiraient pas ~\ la comer-
sion, et ~I preudre eux-mémes , par contre , au taux de í j fr.
les :~ pour ccnt qui étaient destines aux portcurs non conscutants.
Pour prix du servicc rendu au Gouverncment par ces compa-
gnics , on les Iaisait jouir du béuéficc qui résultcrait pour le
Trésor de la couvcrsion , depuis le jour oú ene aurait conuuencé
jusqu'au :a déccuihrc '1823. Ccue mesure de la conversión en
dehors de toutcs passious pnlit iqnos , n'appartenait a aucunc
opiniou , cal ~l.Lamtle y était i¡¡t(~r('ssé aussi bien que :\1. ltots-
child; et pourtant les choses étaient arrivées ace point que les
chiflrcs prirent Icu. llieu ne fut plus violent que l'oppositiou




311 nrsrouu; DE LA HESTA{jHATloN.
soulevée coutre le projet de l\l. de Yillcle , qui u'était que la
traduction de son traité avec les hanquiers, Ce projet touchait
intimement aux plus chers intéréts de Paris; tous les petits ren-
tiers , tous les capitalistes étaient en opposition a sa pensée et
surtout a ses résultats. On enlevait ~\ París le cinquieme de ses
revenus, A cela on opposait les intéréts des provinces oú les
capitaux allaient reíluer, et une multitude d'autres raisons d'éco-
nomie politiqueo La prcsse s'était aussi hautement prononcée;
les journaux ministériels seuls défendaient Iranchement la me-
sure; ils la présentaient comme une penséc d'ordre et de régu-
larité, I..e Journal des Débats hésitait; et l'on pouvait ainsi
apercevoir que ]U. de Cháteaubriand n'approuvait pas la coucep-
tion de JU. de Yillele. Toutes les couleurs de la presse s'oppo-
saient ala conversion ; les unes attaquaient la mesure en généraJ ;
les nutres s'attachaient aux détails de l'exécution , aux bénéfices
qu'elle aIlait procurer aux hanquiers el ~\ l'indcmnitó des émigrés ,
~\ laquelle on la liait. C'est déj~l sous le feu de tant d'opposition
que le projet fut porté devant la Chambra des Députés; l\I. Mas-
son, rapporteur, exposait: « que le projet de loi, hardiment
conru dans l'intérét général de l' État , froissait une multitude
d'intéréts particuliers , surtout dans la 'capitale; que I'essor du
crédit public était suspendu , dans le doute OU 1'0n étaít sur le'
sort de la proposition ; mais la couunission était convaincue que'
cette anxiété générale des esprits , cette compression du crédit
public , devaient cesser du momcnt que la législature aurait
statué sur la grandemesure de la conversión des rentes. }) Le rap-
porteur proposait l'adoption de la loi sans amendement, « Ce'
n'est qu'cn surprcnant la religion du monarque , s'écriait 1\1. de'
La Bourdonnaye, qu'on peut préscnter en son nom un projet
aussí désastreux ; c'cst un aliment jeté a I'agiotage , iI com-
promet le crédit , il est ruineux pour le renticr auquel on ar-
rache le Iruit de ses économics ; on vous dit : les rentiers out
le droit d'exiger leur rcmboursement, ct de l'exiger intégral;
eh mon Dieu! non, ils ne le pcuvent pas, ils sont h votre
merci, paree qu'ils sont isolés et qu'ils craignent de perdre




cu.urnu; .\\ 1. 31~
peudaut quelqucs mois l' intéret de leur capital. Quoi ! s' écriait-
il, en parlant de l'indemuité des émigrés , nous aurions ac-
quitté dans des tomps difficiles les créances de tant de Iournis-
seurs éhontés , nous aurions soldé les dettes de la révolution,
et nous ne paierions pas intégralement les dettes de la légitimité !
La fídélité malheurcuse supportera longtemps encoré avec rési-
gnation sa noble infortunc plutót que d'avoir a rougir d'une
indemnité obtenue aux dépens d'une classede la nation. ) - « Le
projet de loi qu'ou nous présente , répondait l\l. Humann (tres-
prononcé pour l'opération), est une preuve incontestable de la
haute prospérité de nos finances, S'il obtient votre sanctíon , ce
sera un des plus grauds événements de la Ilestauration ; il
prendra mémo sa place parnu les [aits illustres de la monar-
chic. » lU. Humann, tout en approuvant le principe et le fond
de l'opération , demandait qu'elle subit quelques modifications ;
il proposait un uuienderuent qui avait pour hut de désígner les
inscriptions par tirage au sort, jusqu'a concurrcnce de 28 mil-
lions de rentes 5 pour 100 convertics en 3 pour 100. « J'appuie
le projet du Gouvcrnement , s'écria ;\1. de Bouville ; je le crois
utile anos iutéréts ; cependaut , il aurait mieux valu se borner ¿l
une conversion des 5 pour 100 en [¡ et dcmí , et suceessivement
des h el demi pour eent en 4 et en 3. Cettc maniere de pro-
céder donuera un hénéíice ~l l' Úat de 56 millions , qui s'ac-
croitra progressivemcnt au fur ct ¿l mesure que l'opération sera
conduite ason but. » - « Quoi! répliquait ~l. Casimir Périer, les
créauciers de I'État n'auraient pas droit de se plaindre quand
un ministre, qui avait dans ses mains une opération qui pouvait
faire monter la rente a115 Iraucs , ne leur laisse entrevoir ses
dcsseins que tardivemcnt et par la voie inofficiel1e des journaux,
Quoi! depuis quatre mois ce ministre médite cette opératiou
avec des étrangers, signe avcc eux des trairés sccrets, quand
toute la Franco ignorait encore ses projets; vous avez manqué
¿l la France et a vous-mémc, D'ailleurs , pour préparer une
si vasto opération, il Iaut un appui , et oú est l'appui du Gouver-
nemcnt? cst-il dans l'opinion? elle repousse le projet : dans les


111. '27




3il¡ IIISTOJHE DE L\ HESTAlRATlOJ\. '
capitaux Iranrais ? le ministre les [1'011\ C iusullisants , el nc lcur
a poiut fait d'appel, il se met dans les inaius d(:s compaguies, »


« On veut , dit-on , .dépouiller les reuticrs , s'écria ,u. de Vil-
lele , pour donncr des iudemnités ~1 une nutre classe de la société ,
les émigrés, Certes , il Y a des scrviteurs íidck-squi ont quelques
droits arecevoir un dédonuuagemcnt de ce qu'ils out sacrifié ~l
la légitimité; mais le ,-'lonarque a dit lui-mciue que les lil'('lllicr:-;
fonds qui se trouveraicut disponibles, saus charger ses pouplcs ,
seraicnt consacrés ~1 ce Iógitirnc usage el destines h récoiupeusc»
la fidélité malheurcuse. Eh quoi l on traite ce projct d'injuste !
méritc-t-il une pareille qualiíication '? Quaud il sera soumis ~\ la
Chambro , on vcrra qu'il u'a (¡'l' dicté que par un haut respcct
de la propriété tcrritoriale. Dan:; rout le courant de ccue d1s-
CUSSiOll, ,-'1. de Villelc s'Nail a.xrru (lu·;\!.:cnn <k, d,'nll¡¡"~; dé-


..... .J .1-


voués ~l ;.;¡, de Chátcaulniand n'avait pris la p:li'oJe pOl1r d6fl'ndn'
le projet ele convcrsiou. ton; du scrutiu , 11 majorité ministó-
rielle était scusihlcmeut óm:nu0e; 2;)~l contre 11,.} , {lO voix de
plus; elle lui échappait , (llWl<F;'Ü cúl lié re projct de conver-
sion a l'indcmnité des éH~j'lTl'.";. "\1. de\¡¡¡¿'L~ C(1 fui inquict ; ¡!
~,


soupconna qu'il v avait trahison " CííW JL~:c cL,:~l'J.ub~iand Iavo-
:..... J.


risait un mouvcmcnt de 1l1aj\H'ité centre lui ; (U,S lors k r~'ll',(ji
d'un collczuc iuinortuu !'l'·l ,;:,,,;.", .r. '11...,""} l"'''';' ¡ (,,' déba:s :1
_. u .... 'J LO 11 1-"U':'llli.i 1..., \u.C:l,.l..'v t .....t ;) .)\}l ,:,1)........ -. -"~ .•:J '- L"../"u.1 l
la Chambre des l)('pUlt"s avaie.n titó ",ir:; ~ :es houlcs noires
avaient C'OllS;'(':' l''''':''1{'J1,,,,l'',,,,, (""'tI' llli""ll["/' (1" (,,'''[','('-')1' .• ,,-l l .1 ' u. L\._ v."l~i"" \....'../ \i t1th. id! ' • d,¡1 _, l'-l\...- ,Uh - . '-l/l'V
S;11' 0 11 ", "['''1'" euíin t., l";,,¡;,:,'q',, :".,,;! la "¡"'l,i1" " ('1'1 dcvait ncuscrII ::,.1 J.u .:J l.LI.}t .l,lI. .. j ",.'''' .... v. ..~. (l~ .. U , '- ... \ ~ ...... J v'U. L''---' oJ'--_


, , " " 1 ('\ ' ] !\' ,que, uans une quesuon ;m:l:lClel'C, él .namorc (lCS ueputes
"',',;';,c,j- n"~''f'0''I''~I' 11'~ 1)1"':'" "'., ''''''1\ crait I/T) oue (le> hibL'-',' oh-(1 'v.,.C,lLt ... 1..-, -'''".~\.J).L._\.. ~1 e ....Jl....ll._'---' .... 1 UL Ll'-.1 l .. ~-~ 1-\' ' ... - ,_.... ,.:J J
stcclcs :\ 1 Chambrc (lo.' n ..:"" '1 11"':1 íut 1'1''''1' 1"1 n>;, ;'";",,,:-
.' 1._,,---1'---0 l u .ALJ< '.\,i ; ~j v.. 1..\...,•..1;;' (l.~j ". 1... '\..-_"l.\.. \.. J<, 1. 1' .......... J.,--,~ .1...1.1


I " " "'¡""] , 1 1 '(LaD!C re~~lst¿uICe 6 "~: prcp~~r:~~L _,,:.. 1~(.:l f(:'S::..L :.l:j~ (i,(; L)¡~,~:;·,¡~~~,~·r;; r:~~asc~.
Il1l1{~~)(~1,(lL"')~'1~;'I~L"¡1!-(lt" 11" .... :)Y\n ..:; l· ;'-"'! .::.:,',".'~;'é'.',iT"""'U(.l!L::' (tan;; tOl~~C:~ ~~CS
...... 1. j .,~.1't q~~ ... .:.._ ~,'" '-- \Jj, j "'J,'. ~<\j"II, _


111,~~nCes, il (Tcy~~~t :/:1' r:~:~n~l' r!u>;i~ .. ur;~ düii<';'; Cl~i')n;'1f~c.': P:ll' opi-
"10'1 n:-\,' ;j;l;~:"·i 01: ;\'1'- , ,n", :";,, :¡ ¡" e )'" en ;1\:1 d"" "C"l'"1" ... , 1)'" 'l. .1t~ ....... \< _' 1·t~l l",.¡,~\\-'~í (1(, ~'.'J:."" ~"d,".l. \_,' 1 .i.i ,---:J.
\¡' ll Si 1)~1' "\C"ll;·L, "'(',(',>-,1 ",'l,' :' "<r,, ''''':';J'')~l'''l'' 1"\,,1'("'" ("'n"c·~. ...., 1 ..... t.::. ..o. .1 ..... ¡ JI\..:. , 1.t. _lU'!.. J .... ¡J,-,.l .L .. ~',-11,----, \1. \ ... .l ... (\1.;.... (..I.\..1Jl.1..1 ·"1'-·
1 1> " , , 1 ' i"'" .'{tI' a:"13' 'll)l'Cll(I¡'" pa"ll ''')'-1'' 'C,' ¡'('" , ,(,¡", "('" ('()C\""'(l")''': ( ,l( 'i:"Z


...... l ... (. 1 \...- ¡" j" '--! .J. ,1 _JI. .. :,;J ,,7 "d ~ _.1" J ..". ~~J,j\,l-~t-- ,¡


de puissanLcs existanccs liées aux rcnles sur l' Elat par leur fui''''




CHArrTRE \.XI. 315
tune et lcurs rcvcnus. Des noiabilitós financiercs siégeant dans
ecuo Chambrc {>[;,ieJlt en compli-te onnosition avec la mcsure :, .
par cxcmple , JU1. Hoy en prcm icre ligue et :Uollien daus une
coulcur l)loim traucl.ce. :,1. de y¡m·le allait trouver eles
honunes plus hahilcs et plus instruits , Ü qUÍ le projet ne
paraissnit pas scuk-mcnt une dilíicultó Ilnanciere , mais une
question ele politique soumisc ;\ lcurs débats. Rien ne pré-
sageait pourtant dans le, prcmicrs scrutins le rejet du projet de
loi. La commission y fut presqne favorable : M. de I .. évis , tou-
jours chargé (1Ps qnostions dc' Iiuances , fut le rapportcur : il ne
vovait rien d'dI'r;nanl ou de véritablcment onéreux dans l'ac-


< ,


rroisscmcnt elH c;¡pita!, qui ([(Iyait (~lrc la conséqucnce nécessaire
de la ('o;ner~:¡oJ! d(~ la .kuc on un nouvcau Ionds de 3 pour '100 ;
il rrouvait au contra'rc dans la diminution des 28 millions sur
les intórets une économie trop importante pour n'étre pas rc-
cherrhén avcc empresscmcnt ; quant au\ pctits rentiers , ils
avaient des moycns de dédommagcnrcnts : ceux qui voulaient
jouir da n'\CI1U ar tuel , ('[ nu'mc l'augincutcr , pouvaicnt sortir
de la rente, ql1¡ {,!;,i¡ UJl (-lal d'oisivcté , pon!' entrer dans la
(+ ' S" C' 1'1 1) (\1' ;" 11"' (" I(I~ hnS"I'"" do l'auriculmrc et le" I)I'()O'I'(\s (le


. -U.• ,1 _ .... r. , l\...- ,1 -!l .1. ,} .¡t, \p _~.i,l \",- 1 (':_')1 _'- Lt _ l ' ~L~, o .-~


l';",.I'I"'¡·:(' 'l"J)"r,,¡(.p! (1(. loutr: n'II'"S' (1(>"1 capitaux '\ (1"8 entre-1 ~ 1l ~. l l.' L i, l !. \_ t le ~ __ 1 '-' _!.' t._,.) L d.. L Le, ,'C _ .4 U ~ ( 1-'-., -' --'
prisi';; n!ib: el ]!lCr;lI in':·:. (( Cr~ n'cst pi1S sans rcgret , répondait
31. Hoy, <¡ti:' .le \ !l'ns Jll'OP)lOS('l' au projct de loi ; mais ma eon-
viction cst si profond- , qlle j'aurais cru manquer au Roí et au
pays si je He la Iaisais connaitrc : il Iaut rl'abord reconnaitre un
vice principal dans le systcmc pro posé ; c'est que le Gouvernc-
mcnt n'ayant ct ne pouvant avoir les íonds nécessaircs ponr
rcmhourscr. I'ollre qu'il Iait n'cst clone récllement fondée que
sur l'impossi/¡iJi¡{' oú le créancicr se trouverait de placer ses
Ionds aillcurs <'t d'acccpter le rcmhourseurcnt. » Sous le rapport
pécuniaire , le projd ótait loin cl'rtrc avantageux Ü l'État ; un
des graves inconvénicnts de ce projet était de désaffcctionncr
sans n{'cessilé une c!asse nO;llh1'cllse et intéressante de familIes,
('¡(lhlil's ponr la plupart dans la capitale. 31. noy pensait done
qlle 11' projct c1cvait 0tre abanclonné, on du moins qu'il clpvait




316 HISTOIRE DE LA RESTAURATlON,
suhir d'importautes et nécessaires amélioratious, « Sans doure,
répondait 1\1. de Doudeauville , plaignons les rcntiers qui ,
étrangers aux chances de la bourse , n'ont cherché dans leur
placement sur l'État que la puissance d'un intéret qu'ils ver-
ront réduire; mais enfin ce placement était libre; c'est par
leur volonté qu'i1s se trouvent dans cette situation , et l'.Étal
ne peut abandonner, pour des convenances individuelles, les
avantages incontestables que lui oífre la mesure proposée. » -
« Faites attention, répliquait M. Mollien, que c'est sur une
seule ville que peseront les deux tiers de la réduction proposée.
.1-t-on prévu I'effct d'une diminution suhite de 20 millions ,
peut-étre , dans ses ressources annueIJes? '"e craint-on pas en-'
suite , lorsqu'on voit de quels éléments sa popnlarion est compo-
Sl'C, d'arréter, au détriment de la paix publique, cette tendance
vers le sentiment de la propriété qu'avaient acquise les familles •
par le placement sur l'l~tat de leurs économies ? » - « Ce
projet est d'une injustice criante, ajoutait lU. Pasquier : l'offre
de remboursement que l'on proposo aux créanciers est une vr-
ritable déception; oú sont les dcniers qui serviront au rembour-
sement ? le vrai príncipe est que l'on ne peut rembourser que
jusqu'a concurrenee des fonds disponibles: l'on ne peut pas
offrir un remboursement sur les chauccs d'un emprunt; il r a
3 milliards a rembourser, somme que tous les capitalistes de
l'Europe ne parviendraient jamais a rassembler sur un seul
point; on n'avait que 370 millions en numéraire, Oui, cette
mesure désaffectionnera une classe de sujets ; on aura beau
parler aux rentiers des droits de rcmhoursement ; ils ne verront
que la réduction; et d'ailleurs , pourquoi faire perdre a la Res-
tauration eette loyauté et cette bonne foi qu' elle a jusqu'a pré-
sent conservées? » 1\1. Pasquier rejetait la loi, COllllllC vicieuse
dans son essenee, quoique présentéc dans des vues honorables.
« Que demandons-nous? répliquait 1\1. de Yillele , une autorisa-
tion semblable a eelleque vousavez accordéeatous les ministres
des finances qui ont fait des emprunts, Vousautorisez le ministre
;\ créer nu nonvel rITet ])0111' le suhstituer auv rentes anjOlml'!llli




CHAPITRE xxr. :H 7
en circnlation ; cortes , la Iortune publique ou particuliére n'est
pas mise en péril dans cetro opération; car, 10Ül de Iaisser au
Gonvernement une Iatitude dangereuse , la Ioi fixe de la maniere
la plus précise et le mode qu'il devra suivre et les conditions
auxquelles il sera assujetti. Proposer de réduire l'amortissement ,
e'est vouloir cnlevcr au pays les moyens d'arriver ala réduction
de l'intérét de notre dette; ne comprimons pas l'élan de la. pro-
spérité publique. » La discussion étant ainsi engagée, les Pairs
de l'opposition, el particulieremen; une fraction des cardina-
listes, persuaderent a lU. de Quélen qu'il s'agissait de I'intérét
de sesdiocésains. La voix d'un prélat retentissant dans la Cham-
hre des Pairs devait appelcr un bon nombre de voix a l'appui
de l'opposition : on ne pouvait supposer a l'archevéque de Paris
les YlH'S ambiticuses d'une opposition systématique , quoiqu'on
I'eüt flatté d'un ministere dans une combinaison modérée , a
Iaquelle 1\1. de Chñteaubriand n'était pas étranger. « La loi est-
elle juste? s'écriait-íl : peut-on appliquer al'État débiteur et il
ses créanciers les mémes regles qui gouvernent les particuliers ?
Quand la loi serait juste dans son principe, l'est-elle dans le
mode qu'clle emploie? Une justice si rigoureuse n'est-elle pas
appelée une injustiee? Le rentier qui ne conuait ni la spéculation
du conuuerce , ni les calculs de la hanque on du trésor, qui ne
lit que de son revenu , sans s'occuper d'autrc chose, ne verra-t-il
pas dans cctte rédurtiou un bouleverscment , une révolution
dans son existeuce , dans celle de ses enfants et de sa famille?
Avocar et tuteur des pauvrcs , poursuivait ~1. de Quélen , je
réclam« ~l ceue fm toutcs les modiíications possihles ; j'invoque
If· bicnfait de cette loi impérieuse du malheur , qui réclamo
toutcs les cxceptions. )) Ce discours lit une grande popularité ~l
M. l'archevéque d(' Paris ; mais il le mil tres-mal avec lo minis-
terco Je pose en fair qn'il détermina le refus de la loi; la Cham-
hr« nc voulut aucun des ameudcmcnts qui íurcnt proposés par
_,1:\1. Ro)', Mollicn, le duc de Choiseul, par Xl, dp La Ilochc-
Ioucauld et par I'archevéque de París lui-ruéme ; 011 rejeta la loi
ahsolument. La majorité fut puissanro : 120 houlos centre 105.




318 mSTOInE DE IA RESTAVRATION.
II Y avait eu , ~I l'occasion de ccuc loi sur la convcrsion des ren-
tes, un grand mouvement d'opinion : jamais la prosse n'avait
été si unanime , et je dirai méinc si spécialo sur une question
grave d'économie politique. La pcnsée de la convcrsion r-tail
incontestablement boune , mais plusieurs motifs s'opposaicnt :1
ce qu'elle füt adoptée; d'abord le miuisterc n'y avait ras ~:l!n¡­
samment préparé les esprits, Les hOl1l111CS politiques doivcn L
savoir que toute nouveauté a bcsoin d'étre longtemps discutéc
avant d'étro comprise et sanctionnée par l'opinion. Ensuite 1('
modo adopté était mal combiné; l' emprunt avait été fait saus
puhlicité et sans concurrnnce ; los commissions d(' la compagnie
absorbaicnt une grande par! i(' des h{'lldices d(' l'opérnt ion. Enfin.
au Iieu d'opérer une convcrsion simple ct progrcssivt: par strip.
]U. de Villcle était entró dans la colossale opéraiiou jlroposC'l'
par la hanque d'embrasser toutc la dctte. ln dornicr motif <1e-
vait arrétcr la Ilcstauratiou : diminuer l'intérót <Ir la dctte brus-
quement , n'était-cc pas mcttro centre elle une classo puissantc
et nombreuse , ~I París snrtout ? JI. <1(' vill-le avait parlé :\ la
majorité provinciale : il avait carcssó ses pr<>jl1g(;S, sa haine
contre la capitale , son luxe' et ses iouissanccs. Paris rcssentait


"profondémeut ce coup; la sl'curil(; ~l('s capiraux en {'!ait l'b¡·,m](p.
e 1 ] 1" ! ". . J' , ,epencant a ( ISCUSSJon cut un ¡)('PJ't'II\ ew'¡ : (' j(' pr('p¿~i',! ¡":;
r sprits amicux cnvisager la qnr-stinn pon!' l'avcuir. !':¡l ¡'{'íal d('s
transactions connncrcialcs , l' 1::Lat dei ait dimi¡¡lH'l' l'ill!('n\¡ de sa
dette " c'était une nócessité <l'('conmlli(' n:)litiune. Le n';¡d l'¡;ll. ,
un événemcnt ; il l'I('\(1 fort haut la pOiwlaril(' (k 1:1 C:',"ni;i'~'
des Pairs, L'opposition de l'anri('l) lllinis!('l'(' H¡dl('l¡·,!'<'!~;;¡:!
nani'cstée zrandc dctalcnts n! (1'1·1'~;"'· ("11 ')l()'¡!¡"l'd " 'l" ':'L.',_


• ,k t)'('1 1'--, \_~ ll.\iC I. l ' \..' 1 O.il..I\i.,-" _ 1~ •• l (l.~ t.J./


r.ialité rcmarrruahlo ("(.! ait nn ('''~H'{' ;':'!lll'¡:"" n'd';' ',1 .... ::-1 t. l- . <t '\1'- l _.. J ~ ( \. ;, ti. i., ., .,' 1. ~,. ., .. • e, ,_
;'\le (1111' "'.');' "'11)I' .. t(', I()BS S"C' ';(';1'" ''1''1'' '''! ·'I'l'r;,.;,;.,:" ,<:" ~I.'
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pro¡d~ de loi : ;1 devait l'r.' '''l' ir ('1' 1";':)"(''' ,,' "') F:q"\",,· jI "- :;¡:
..., J e L _ _, j 1 .. ' {i" ,1 '-_ J t t .1", • •• " \ l, , J, •• ,. ; • • '- "" .,' ••


trahi le sccret {le (a f{~ibl(·,\~·;() n~¡qi~~::~~'j{'~;('. ,'"":1. d-~~ .~~ intl~~ (~:Lt¡~-~!
~e retirpr dll c;dJiIlf't? Ol! Ji' ('1'0\2:1 (!;););, !t' nlC'l'~(': !' ,:~' (r\,
Se '1")1)11)";' '1 (lo \ :11,'1<, /.! "" ! :'(}!) ¡I'(\"i "~""l'f 1",,,,': h.l , _'i u. ¡¡ e • ~. • " ',.. ¡,' l" \, l. '", • ~ t ,1 ,\ . I 1, ... t. ; I ~'" .
('!)a"¡!)1'(l (111" 1)""111/'" !1'l'n ·'l)l)']'\t'· :,¡" ('0111' n! ,'JI! 1,'J. ".. ,¡', l". ~ \ i ¡ .• ,., .' i (( ! \. {.¡ .. \, • . 1 \ (




en ti P rTRE \\1.
prmr qne les choses se passasscnt ainsi. Une autre mesure fUI
prise ; elle érait plus hardie , P:lIS s¡~;nif¡cat¡ye.


On pouvait nperccvoir la haute mésintelligcncc qui s'était
depuis longl(ljllPS {'Jr, óe entre :'lL de VillCle ct JI. de Chatean-
hriand. Quand dcux perscnnagcs politiqu es sont trop puissants
dans un méme Conscil , il est raro qu'il nc se manifesté ras entre
eux une rivalité jalouse. ~,L de Villl,je avait dévorú ,1. de :\lontmo-
rcncy ct le maréchal Vicior. ,1. de ChiHeauhriand l'importunait
par I'éclat de son talcnt , p;Jr le bruit de son nom , ct par ses
liaisons surtont avcc celle Iraction de 1J Chamhre qui formait la
contrc-opposition. M. d(' CJ¡,lt('au/)riilljd sernhlait en dehors du
minislh'('; Ja Ill:l.iori:(' J1(' Iui pardonnait pas ses nui'urs moudai-
J:('.';, ses lí;l!lilni/es ('!fg;mtes. }L de Chátcauhriand n'étai: point
;¡ir!1(" an C!:;1!<'an; le Bo¡ He pouvait revenir de ses préventions
rontro Iui , cal' il avait outragé le Iavori de son co-ur et le systeme
c1f' '''1. Dccazcs. De son cúté, le ministre des affaires étrangcres
f'r trouvait mal ¡\ l'aiso <lH'C son coJk;~ne; il s'cn plaignait : on
u'avait pon!' luí ni ,,;¡;l1ldol1 ni cOll;:aJlct'. D'aillcnrs une ambition
<:()("'(.¡n 1'11' [·,¡'S'\:' (L"l';!,"" 1') ')"("";,]{'''C" du ('OI1SI';1' 1'l11 P S'tl})l)Ol'-1". i. \ 1\_ •. Ü ,{_l ".11 \_~ l 11'~"-. d1C {t .• ,-,1, ,,,. ¡ Il
[;Jil pas qne la ({~¡e' d(' "H. del'. ¡ll('.!" ~;'(,l;,,;1¡ au-dcssus de la sicnne.
!l ""J";;""":' t\')I'S 11>< , :J('I,;,I"I')!'" ')'""(\¡·lll"'~~;"()(" nour "}'1'1"-('I')\ ce>~ .,ti ,,},',I\!,. _ L l. ,.., L,-l'i.I\ •. ~ 1 ~ljh__.,-u..(t.!.1'C.' í 1 u _ (.
I'!"<'';':>' • ;1 '111,,¡·,,;,ll":'<'·':1 :\ ('ne' (,11, \ ! " , '1"scrurin nui affaiblissaicnt.",J."",-d<;; JI Cl;'H;"~">l('¡'(' \d 1\'-')\..L .r : jI 1 _l-Ju .... J,~\)(j\...-
J., 1)11is':'¡P('i' c" h "{\,',,d .. ,,;('. (le' "f"l ri: .•] 1·)'111S' h (1;"C1l"S·,'("1 (1.C8(t : "., '(" ... ' i.. ~, .. ¡' 'l.'l~'~'! 1 t.v ,).,{ .. r v ci r , '. L .... J.{l ld' u.,_}l t
rentes '.1 (1(' ('¡I·~I('·l·)h,.';:","1 "\ '\;' O'''',,(1:''lc silcnce "01'1 'a 1'1e, - \ " , ~\ •• l._, L {l"t_l)'f ."il'" ({ L., t,{(. '-'- __' u¡, '--- - /, k'. ,l l
Chumbrc ('¡I"" 1'(''''1'!/'''' sou :'/" d ·1,·",,1...,,·, (1 1" , Pairs : il s'étaitL _... ....," _ J ~ _ • ~ , ~ .J, ,1' (l _" '- -. { .. "- ~ 1 s.' L v• L,~ J." U. _ , ... _ ,3 L {
(>',:',]i('IUl' sur ce nroict d'uu« l1111])i:\'(' hante et íranclic avcc ses


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f'¡~ )':" 'J', '\ ¡¡ ",,,Ln:':,, :\ L¡ l':"'J:"'~"('(' ("1':1 ""11(,(\"1¡,,,:t J e JO'II'-l.',. '-l'(' \ ., 1; E-'),,,,,Il (,,, \,) ""Il(L~ .. tI.. ->"- J\_ ./d .... t.h.l. ~f' 1
nu/ (/C.!.; {},,·'lr':!s ;;'{\:;:~1 ~'ern~-;(' ¡~ n;.'ccdrc D(H'ti nour le 3 l)OUr 100.


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320 mSTOIRE DE lA RESTAURATfON.
était de renverscr 1'1. de villelo et de Iormcr un ministere non-
vean de la contre-oppositiou et de la majorité de la Charuhre des
Pairs, en y rattachant le centre droit, un peu fatigué de la Con-
grégation. l.\'l. de Villele n'avait rien ignoré de tout cela. Quand
le rejet de la loi par la pairie fut constaté, le président du Conseil
se rendit au Cháteau ; il posa netternent la question 11. Louis XVIII,
préparé depuis longternps: il falIait, selon lui , faire ccsser un
pareil état de choses; il était évident que 1\1. de Cháteaubriand
avait contribué au rejet d'une loi, qui pourtant était une ques-
tion de cabinet; oú veut-on ainsi aIler? ne falIait-il pas surtout
rnanifester par un coup de force et une déclaration nette et pré-
cise l'intention du Itoi de maintenir son ministere ? Qu'allait
devenir un conseil divisé, sans unité, sans pensée commune ,
tiraillé par deux ministres ennemis? Louis XVIII avait surtout le
profond sentiment des devoirs imposés par le systémerepresen-
tatif ; il avait pris grand goüt pour l\I. de Villele, puissamment
protégé par la douce influence dont j'ai parlé; ensuite cette douce
influence était indirectement intéressée 11. la conversíon , et ~l
l'indemnité qui devait en étre la suite : chacun sait qu'on ne lui
avait jamais épargné les petits iutéréts d'argent. 1\1. de Yillele lni
persuada qu'il ne pouvait aIler que par un coup de force; la ehose
fut tres-facile aobtenir de Louis X VIII, fort mal disposé pour
1\1. de Cháteaubriaud , et une ordonuance royale porta r « le
cornte de Yilléle , président de notre Conseil des ministres, el
ministre secrétaire d' État au département des finances, est chargé,
par intcrim , du portefeuille des affaires étrangercs , en rempla-
cement du sieur vieornte de Cháteaubriand. » Maitrc de cette
ordonnance , 1\1. de Yilléle écrivit ~l 1\1. de Chátcaubriand une
lettreen deux Iignes : « 1\1.1evicomte, j'ohéis aux ordresdu lloi,
et je vous transmcts l'ordonuancc ci-joiutr. » Je ne sais si l'eui-
vrement d'une victoire de palais avait complétemeut aveuglé
M. de Yillele , el s'il était impatient de montrcr sa puissance ;
mais on ne s'explique pas cet esprit de mauvaise compagnie qui
le poussa 11. renvoyer d'une maniere inconvenante et inouie un de
ses plus puissants collegnes : iJ y avair , je crois , dans cettr hru-




CHAPITHE X\1. 321
tale destitution dc 1\1. de Cháteauhriand une vieille amertume
contre ce caracterc hrillant , qui l'olfusquait; il Yavait une petite
haíne de bourgeoisie centre un nom éclatant; Joseph de Villele
était bien aise d'abaisser une réputation qui absorbait la sienne.
lU. de Chateaubriand n'était point prévenu, et se disposait ¡t se
rendre au chatean 1 , lorsque le suisse des affaires étrangeres lui
remit la dépéche pressée de M. (le ViUcle; il quina sa voiture
pour écrire la réponse suivante : « 1\1. le comte , j'ai quitté l'hótel
des aífaires étrangeres : le département est avosordres, » 1\1. de
Villele crut faire n. un coup d'autorité ; il constata un seul fait ;
c'est qu'il avait nn grand ascendant sur l'esprit d'un roi malade
el prN il s'éteindrc, Au dehors, les derniers débris de son cl'pdit
tomherent. L'opinlon se prononca contre 1\1. de vülele avec une
unanimité rcmarquable. Tous les hommes dévoués 1\ M. de Cha··
teauhriand , qui se groupaient dans la Chambre autour de
~lM. Bertin de Vaux et Agier, passerent ¿. l'opposition. Le Jour-
nai des Débats commenca son ardente polémique contre le sys-
ti-me de )1. de Yillele : la révolution fut complete, Toute la presse
royaliste devint hostile; elle eut un prétexte pour attaquer avec
violence ; elle ne se l'épargna paso Quant a la majorité provinciale
de la Chambre des Députés , elle ne vit point avec déplaisir la
retraite de lH. de Cháteaubriand : le noble écrivain avait trop de
supériorité pour elle; les majorités n'aiment pas ce qui dépasso
leur taille. ]\1. de Villél« était tout ce qui convenait ala Chamhre
de 182li.; ses pensécs , sa maniere de travailler , sa parole, sa
logique , et jusqu'a ses gesteset sa voix, étaient en harmonie avec
la capacité et l'esprit de cette majorité. Ensuite , 1\1. de Chatean-
briand n'était pas assez religieux en pratique ; il avait trop poétisé
le catholicisme; il ne 1'avait pas assez placé dans la sphére toute
matérielle des honneurs et de lapuissance terrestre. Enfin, M. de
VilleJe était si complaisant , si empressé pour sa majorilé ! places
de toute espéce , promesses de pairies , mouvement des rentes,
spéculations d'iudustrie , tout leur était ouvert et jeté en échange
de boules.


, l 'ne nutre versión aSSIlI't' qu'il y t'lail d{''¡:L




322 mSTOIRE DE LA RESTAURATION•
.L'imcrim des affaircs étrangéres fu t confió an marquis d«


Moustier, gendre du comte de Laforest, esprit dcssiné en politi-
que et protégé par la Congrégation ; et il fant supposer , 011
que l\I. de Yillele ne le connaissait pas , on que les protcctions
qui le poussaient fussent bien puissantos pour (f1H' le présidcnt
du Conseil subit un caractóre aussi peu malléahlc, "\ussí JI. de
Yillele se garda-t-íl bien de lui conflor définitivcmcnt le por[('-
feuille. JH. de Cháteaubriand laissait au ministere des aífairos
étrnngeres plusieurs hautes qncstions irrésolncs. Les Crees lut-
taient avec persévérance el avcc plus ou moins de honhcur pour
leur cause. L'empcreur Alexandrc, rl'ahord si fortcmcnt prévenu
centre les principos primitifs de ce!te r(~\ olut ion chd'lip!JJlC', reve-
nait pen rl peu rl des intcutions plus g(>¡J(~rrus('s ('1 Illi¡'¡:x ou 1'<'11)-
port arce la vioille politique russe. M. Capo d'Isuia ccssait d'ttn'
en disgráce officielle , et sa correspondauce a, ce le Czar, ;111'<:1' ('!'s
les phrases pompeuses et dóclamatoircs , curactcre de son esprit,
appclait un plus vif inl('n~1 sur ses glorien\: compatriotes.
:\1. Canning el JI. de Chñtcauhriand avaicnt om crt une corres-
pondance intime sur la malhcurcusc e rócc : tnus deux , pkins
des souvcnirs de I'antiqnité et des illustrations hcllóniques, échan-
geaient Ieurs secretes et poétiques esp(r;mces sur la rCgh¡¡"ral¡on
possible d'une grande nation. tes aff;li¡'(,s ¡J'G,¡eI11 éla :cni 1i¡¡;-
jours compliquées de corte molle-se ('{ de ces !cnlp(l1',) ap!)(,l't(es
par la Porte-Ottomane dans I'évucuatiou des principautés de la
Moldavie et de la Yalachie. L'Anglctcrre continuait avec une
perséyérance infatigable cctte uégociation difficile; lord Str;mg-
ford avait été chargé de rcmettrc , pour la dcrnier« Iois, UI1 mé-
moirc ou ultinuuum au Divan , sur les étcrnels dilfércnds de la
Porte-Ottomane et du cahinct de Saint-Pétcrsbonrg, Lord
Strangford insistait spécialcmcnt sur I'adoption d'une seul« mesu-
re, qui devait assurer le triomphc de la paix : c'était toujours
l'évacuation de la Molcla\ie.ctde la valachie , promise sans cessc,
commencée , puis ralcntic , en/in contrcmandóe. te ministre
anglais invitait la Sublime-Porte, au nom dos Cours de Londres,
de Ilussie , et de toutcs les I'uissanccs intércssóes au maintic» de'




CUAl'LTHE\X1. 323
la paix , ü remeurc , sans aucun délai , les principautés dan S la
nicmc conditiun politique d nationalo oú 'eHes étaient antérieu-
]'('IlWUt aux troulilcs ele 1821. Cettc demande était fondée diplo-
matiqucmeut : 1". sur les droits qu'avait la Cour de Russie a
exiger I'cxécutiou des traités ; 2". sur le droit de médiation du
Gom cruemcnt Britannique et des Cours alliées pour amener ce
résLiJia¡; ;$". sur la considératiou des avantages que la Sublime-
I'ortc rctirerait d'une adhésiou franche et loyale aune condition
quí éloignait une guerrc inévitablc ; lord Strangford se résumait
ca déclaraut qu'il était autorisé par l'cmpercur de Ilussie ~t faire
conuaitre au Divan : « que!'évacuation totale etimmédiate desprin-
cipautós était la seule d uniquc conditíon pour le rétablisscment
el,,;., rappurts diplomatiqucs de S. JI. 1. avec la Cour Ottomane ) ;
la [lote de lord Strangfortl était le résultat des conventions de
,


r 1 ' \' 1 " lé r derune. ~ cmpcrcur . .cxanc re etait comp etcment entre ans
les idécs de JI. de Jlellernich et de l'Angleterre ; il avait séparé
la questiou greeque de la qucstion des principautés ; ni l'Autri-
c!H' , ni le cabinet de Londres ne niaient ~l la Ilussie le droit de
Ú¡ÜC cxécuter les trai'é~. ñlais la cause des Crees était une ques-
tion toutc iuoralc : elle pouvait etrc l'objet d'une délibération
spóc iaic entre les Cabillels, saus Ionder un juste état de guerre
en.re 1J. Hussie el la Porte. Alcxandre a\ 'lit fait eCitegrande con-
c~'JSi()¡l ~l \ ('1'():,e ; elle Iaisai; cuucr la question greeque dans un
JlOU \ el ordrc el' idL'''~ ¡ die devcuait I'objet de uégociations spécia-
les; un ne pOU\ ait (¡{:~~)l'Jn~'¡:.¡ b coufondre avec la question des
principautés , la sculc qui devait étre agitée actuellcmeut entre
le Divan el le Czar.


I.n second poiu i soulcvait de grandes diílicultés, L'Espague
L'ta:t üCCi¡;íl'l' par l'annéc Iraucaise, Sir \Villiam A'Court et le


Jo. .;,


~011í~{étl Dj~"u;¡, Gw¡;o¡nldllult arce M. de Talaru , avaient
'--, CJ •


chcrché ~l IlwtUiei' les cousciis inmlacahlcs de Fcrdinand. L'ar-1
". • " l , 1,', I • 1'" 1 l'1)" '" 1'1"'11'''' ,,,{I ava.t ['í''''('''';;O)'' ,,! l "J'l re 1")1 ( ';":í~O'lle' oun iaut.J.~V l. .. \Uiu'-.- (.. cc , .L·_J.5'''t'~.i'l..-', "-- t te l ..l.. '- J¡ ....-'i~ub , :. ct 1


ce service , se jda:L rn~db;C' la Frailee dans un systemc d'ar-
denLes mesures. On III 'lit demandé une amnistíe pour les délits
j:oLtitlues, aliuu'évitcr les réactious ; ceue amuistie fut prouiise ;




IllSTOIHE HE LA HESTALILHWN.


mais qU' on s'imagine quclles exceptions on voulait ~. mettre !
d'abord les auteurs principaux des révoltes militaires de l'ilc
de Léon, de la Corogne, de Saragosse, de Barcelonnc , etc. , etc. ;
les principaux de la conspiration de Madrid en 1820 ; tous les
chefs miJitaires qui avaient pris part a la révolte d'Ocagna , et
notanunent le lieutenant-général O'Donnel et le comte de
1':Abisbal; ensuitc tous les individus qui avaient composé la
junte provisoire de 1820, et surtout les principaux auteurs qui
avaient forcé S. JU. C. a preudre cettc mesure; ceux qui
avaient signé ou autorisé des adresses destinées a demander la
déchéance du Roi et la suspension de son autorité, ainsi que les
juges qui avaient dicté des arréts pour le méme objet; les écri-
vains qui avaient attaqué la religion catholique; les assassins du
chanoine Venuesela, de I'évéque de Vich, des détenus de Gre-
nade et de la Corogne; les chefs de guérillas qui avaient pris
les armes depuis l'entrée des Francais ; les juges qui avaient
condamné le général Élio et le lieutenant Goiflieu; enfin les
députés des Cortes qui avaient voté la déchéance du Iloi et
l'établissernent de la régence , les régents nommés et le général
conunandant les troupes qui conduisirent S. JU. a Cadix. De
cet acte (et il n'était encoré que promis) , résultait qu'aucun des
principaux acteurs de la révolution n'était excepté: était-ce Ht
ce que les Cabinets pouvaient exiger pour ramener la paix pu-
blique dans la Péninsule? De nouveaux troubles éclaterent , et le
Gouvernement espagnol se vil hientót réduit ademandcr une
prolongatíon d'occupation militaire. La ....'rance devait y consen-
tir; elle espérait que l'occupation se prolongeant , l'iuílueucc
des couseils modérés pourrait prévaloir ~\ Madrid; les troupes
francaises , qui devaient quitter la Péninsulc au 1"1' juillet 182h,
Y rcsteraient jusqu'au mois de janvicr 1825, prolongation de
séjourqui excita des alarmes en Angleterre. Leprince de Polignac
fut autorisé aaffirmer, auprés de lU. Canning : (( que la France
u'avait pas l'intention de prolonger au dcla du tenue fixé l'occu-
pation militaire de l'Espaguc , el que la pcusée du Cahinct de
Paris n'était que de préter maiu-Iortcaux couscilsde modóratiou.




CllAPnHE .\.XI. 325
OH avau aussi ü traiter la difilculté bien plus sérieusc encore


des colouies espagnoles, Cette questiou, ü deux faces, devait
s'agiter d'ahord avcc l'Espagne , puis avec I'Augleterre. M. de
VilleIl~ était trop Iinancier pour ne pas désirer qu'un arrange-
ment volontaire des eolonies alce la métropole püt s'opérer ¿l
des conditions favorables. Le premier effet de cet arraugement
devait étre de donner a l'Espagne des rcssources telles , qu'elles
pourraient désormais dispenser la Franco de faire des avances
h son Gouvernement; et peut-étre méme obtiendrait-on un
remboursement des frais occasionnés par la guerreo L'Espagne
était sans doute tres-obérée ; mais elle ne voulait en aucune
maniere subir la reconnaissance de ses États émancipés de
I' .uuériquc du Sud. Loin de la, elle préparait dans ses ports des
forces militaireset une petite escadrc dont la destination était de
tenter un mouvement pour rauachcr les colonies a la métropole.
Ces projets étaient Iavorisés par l'opinion royaliste en Franco.
Les journaux de cctte couleur jctaicnt anathéme contrc tout
nrrangemeut ; on dovait proteger la Péniusule dans ses prejcts
de conquétc. La Cour n'était pas éloignée de cctte tcudanco.
l\lais pouvait-elle heurtcr de front les opinions et les interéts
de l' Augleterre , complétcment engagés dans 1'iudépendance
des nouvcauxÉtats ? ,1. de Polignac rcrut des instructions
pour traiter sous tous les points de vue la question des Amé-
riqucs , et plusieurs confércnccs curent líen au Foreign-Oflicn :
,1. Canning donna des explicatious sur les HI'UX du Gouverue-
ment britanuique relativcmcnt aux possessions ospaguolos et sur
leur émancipatiou absoluc. Le Cabinet anglais pensait « que
toute tentativo pour ramcner l'Amériqu« espagnole ~\ son aucien
état de soumissiou Ü la métropole serait sans ancune chance de
succes; toute négociatiun ¿I ce sujet échouerait , el le renou-
vellement d'une guerre dans ce hut ne servirait qu'a infliger de
grandes calamites entre les deux parties sans aucun résultar,
Cependant le Gouvernelllent anglais, loin de incttrc obstacIe ¿\
une tentativo de négociation que pourrait f'aire l'Espagne, la
souticndrait au contrairc , POUl'lU qu'cllc Iút cllgagée sur des


ru, 2H




326 HI5TüIRE DE LA RE5TAURATIüN. '
bases praticablcs, En tout cas, l'Angleterrc resterait rigourcuse-
ment ucutre dans la guerre entre l' Espagnc et les colonies; si
cette guerre malheurcuscmeut venait ü se prolongcr, la métro-
poie en suhirait toutes les chances , mais J'intcrvcntion d'uue
Puissance étrangerc quclconque serait considérée par l' Angle-
terre COllll11C constituant une questiou nouvelle , qucstion sur
laquelle le Gouverncment anglais prendrait teIle résolutiou que
les intéréts de la Grande-Brctagne exigcraient. L' iutervcntion
d'une Puissauce étrangerc , soit par force, soit par mcnace ,
serait un motif pour l' Anglcterre de reconnaitre les colonies
sans aucun délai. 1.'cnvoi des consuls dans les diverses pro-
linces de I'Amérique cspagnolc n'était pas une mesure nouvelle
de la part de L\ngletelTc: c'érait absolumcnt pour la protectinn
de son commcrcc avec les colonies , counuercc qui était ouvcrt
aux sujets britanniques d'apres les convcntions de 1810. )) En
l'état de ces opinious génóralcs el de ces réclamations particu-
lieros , M. Cauuing déclarait « que l' Angletcrrc ne pouvait en-
trcr dans une délihération eommune avcc d'autres Puissances
dont les opinions étaiont moins íixécs sur cctte question , el les
intéréts moins impliques dans la décision déliuitivc. » M. le
prince de Poliguac répondit ~¡ ccue conuuunication : « que le
Couvcmcmcnt francais ne voyait aussi aucun cspnir de réduirc
l' Amérique cspaguole ~l son ancien état de soumission vis-a-vis
l'Espagnc. La Frunce désavouait , de son cóté , toute iutcution
de se pré, aloir rk- l'état actucl (I(,S colonies , et de sa positiou
liS-~l-yis de la Péninsule , pour s'appropricr aucunc portien des
possessions cspagnolos , ni méme puur obtcnir aucun a'anlage
cxclusif, Le Cabinct Iraucais ahiurait surtout rout projet d'a~;ir~ .J J "-
centre les colonics par 1" force des anucs : j] JI 'y avait j.unai,
StHlgt" el He pnuvait y préundrc. ¡) ~I. de l'oliguac ajoutait :
« Je He vois pas quclle dillicult« 1)('111 elllp(~cJ¡er I'Augleterrc de
prcndrc part ~l UIlC' ronférencc POli/' n"gl('r rvs difficultés cutre
l'Espague el ses colonics, Dans l'iutérét de l'humauité , l'L spé-
cialcmeut daus cclui des colonics <lp l'Amóriquc du Sud, il strait
digne des GoU\ crucmeuts curopécus de couccrtcr les mo~ cus de




r.nAPITRE XXI. 327
calmcr les passions , aveuglécs par l' esprit de parti , et d'essaycr
dp ramcuer aun principe rl'union dans le gouH'rnelllOlt, soit
mouarrhiquc , soit nrisrocratiquc , des peuplcs parmi lcsquels
des théories ahsnrdcs (01 dangcreuscs entrcticnnent l'agitation et
la désuuiou. » M. Canning, sans cntrer dans la discussion des
príncipes, se contenta de répondre : ({ Quelque désirable que
puisse {·tre, d'un c[¡té, I'étahlisscmcnt d'un gouvemcment mo-
narrhique daus ces proviuces , et quelles que soient , de l'autre
col{-, les difficultés qui s'y OPPOSCIl!, mcu Gouvernemeut ne
saurait prcndre sur luí de meure en avant ce point commc une
roudition d(~ la rr'collllais~·;ance.» Par la tournurc f[1H' prenait
cpt!f' Ilrgn l'ialion, OH pnuvait voir qne dcux tcndances y domi-
naicnt : ~1. d(' Polignac voulait ramcner la qucstion des colonies
(Ospagnoles dans les conditions des affaircs g{'néra les, ct par con-
sl'f[w·nt la soumcure a une espece de confércnce entre les
Puissauces alliées, ;\ un congr(\s, en un mot ; M. Canning récu-
sait tonto intorvention commune : il réservait a l'Auglctcrre un
libre arbitre sur cene question ; il HH11ait prcndrc toute résolu-
(ion ultéricnre sans s'cngagcr d'avancc pour un systerno.


Si .\1. Canning refusait tont arrangemcnt couununémont <11'-
I'("'tl' sur ¡(OS colonics espagnolcs , il 11(' se trouvait pas dans une
po~~itiO:J aussi nrltr, anssi iudépr-ndautc en ce qui touchait la r(>-
volution (~Cla!alll dans le Portugal ~\ la suit« d(\ la lcvée de bou-
cliers ele don )ligur\. L'Infant avait pris le cummandcmcnt des
tronpes, ct avait adrcssé uno prorlnmat ion aux I'ortugais, « Je me
mets , disait-il , ;\ la tC~1P di.' l'arméc , non ponr m'opposcr aux
droits rovaux (111 roi mon pCon', milis ponr donncr h la monarchic
la haute destin(l(' qni lni apparticnt. )) Le Iíoi ne jouissait pas de
son Iihro arbitro : il était ronstnuuucnt opprimé par ccux qui ,
u'écoutant que 1('\II's intéréts , oubliaicnt ceux de la nation.
« Voyrz la liberté dont jouissent les clubs maconniques : l'on y
discute la destruction dn Roi, de la Farnille royalo ct c111 Portu-
gal; les lois ne sont pas ce qu'cllcs doivcnt erre; l'administration
de la justlce , dout dépend le salut public , est au dcrnier elegréele
r('/;khf'nl('Ilt; la commission qui <1011 juger les cnnemis du Roi




32R msromr nE LA nESTAliP.ATTO:\.
pt dr la Nation laisso ces onuemis irupunis ; dans rrllr terrible
position , il faut agir, Portugais ! 1) Don ;\jiguel annoncait qu'il
ne déposerait les armes que lorsque tous les fideles sujets seraient
en sureté. A la suite de cctte proclamation , I'armée portugaise
s'était mise en mouvement ; le roi Jean VI était , pour ainsi dire ,
prisonnier dans son palais de Bemposta; personne n'était admis
aupres de lui sans un ordre expres de l'Iníaut, Des mesures
furent prises pour qu'aucun vaisseau ne sortit du port; et don
Miguel, entouré de quelques grands personnages , et soutenu
par la Reine sa mere, fit Iermer tous les tribunaux et convoqua
les juges aupres de lui ; il écrivit une lettre au Iloi , en lui en-
voyant copie de sa proclamatíon í « J'ai résolu , disait-il , apri-s
avoir entendu les vceux sinceres de tous les hons Portugais ,
d'appeler aux armes la brave année portugaise , afin d'assurcr,
avec son aide , le triomphe de vos droits ; V. 1\1. ne pourra
qu'approuver ma résolution : mon but est de préserver votre
royale personnc des tentatives de ceux qui l'eutourent , et qui
l'ont conduite au hord du précipice : vous jugerez mes nobles
efforts, et si vous les approuvez, il faut que la nation en soit
instruite , et que V. ;\!. m'accordc l'autorisationd'agir. » S. A. R.
annoncaít qu'elle attendait, ala tete de l'armée, les résolutions
de son pere ; qu'il n'y avait pas un instant ;\ perdre ; une déter-
mination prompte était néccssairn el utile. La question était
grave; quelle résolution prendre ? Don Miguel, l'idole du parti
royaliste et son espéranee , était le prince national, l'ennemi de
l'Angleterre; le hcurtcrait-on de faee? n'était-ce pas une simple
révolution de palais , eomme on en avait tenté en Frunce centre
Louis XVIII? Cependant 1\1. Hyde de Neuville , apres s'étre en-
tendu avec l'ambassadeur d' Angletcrro , cntralna le Roi ;\ se ré-
fugier a hord du WindsoJ'-Castle. vaisscau anglais qui se trou-
vait dans le Tage. Jcan VI, prince sans caractere , accepta cette
offre, et, acrompagué de ses deux filles , du corps diplomatique
et du marquis de Pahuella , il se mit sous la protection du pa-
villon hritannique. U\ fut établi le siége du Gouverncment;
)\). Ilvde de "\('uYillp r\prdiail pendanr cr {('IllPS (l('S ordres :1




CHAPrrnF. xxr. :~29
(;adiv {Jmll' ((lU


'
les torces nara les qui stationiuiicn t dcvant cotte


villc vinssent sur-lc-champ dans le Tage preter maiu-Iorte aux
résolurions ([u'allait prendrc le Gomernement. Des que Jean VI
fut ahord , i1 écrivit une lettre a son cher fils l'infant don Mi-
guel, et lui intima l'ordre de se rendre immédiatement aupres de
lui pour rccevoir ses volontés. Cet ordre fut exéeuté aussitót par
1'Infant, qui avoua a son pere que des moyens de séduction
avaient pu seulsle faire agir. Le Roi lui pardonna sa faute , mais
des mesures furent aussitót priscs ponr le rétahlissemcnt des
choses telles qu'elles étaient avant cctte insurrection. En consé-
quence , toutes les pcrsonnes arrétées fureut mises en liberté;
les miliraires qui avaieut été séparés des corps auxquels ils ap-
partenaient reprirenr de suite lcurs places , et le roi J can adressa
une proclamation ~l la nation portugaise , aunoucant qu'il avait
résolu de reprcndre l'autorité de généralissime de ses armécs ;
l'infant don Miguel était destitué de la place de commandant en
chef, et défense était faite a tous les sujets du royaume d'ohéir
aux ordres de l'Infant. Des circulaircs Iurent adressées aux au-
torités portugaises par le marquis de Palmella, afín que les 01'-
dres de S. lU. rccussent lcur cxécution. Tonte eette affaire avait
été conduite avec chalenr par lU. Ilydc de Xenville ; l'arubassa-
deur de Frailee, si loyalemcnt impressionnable , s'était jeté tete
perdue dans le mouverncnt anti-miguélistc et anglais, JI n'y avait
aucun navire de guerre Irancais dans la rade de Lisbonne, et
c'était pourquoi il avait couseillé au Roí de se réfugier abord dn
Windsor-Castle. M. Hyde de Ncuvillc avait HI l'infant don l\li-
gnel , et, dans une conversation vive et prcssante , il lui avait
pcint l'affrcuse solidarité qui pesait sur lui, Don )lignel fut doux
el unude : iI écouta lU. fIyue de SeuvilIc, ct se rendir ~l bor« du
\Vindsol'-Cnstte. 11 fut l\(\('il\(~ qnd' 1n\(\\)\ (luiuerai\ k"l' or\nga\
vou1' vovager, II ne faut \)ilS neuser que le \)arti rovalist« en Es-
pagne et en Franco Iüt etrnngcr ~l ce qui se passait dans le Por-
tugal, J'ai qndque Iieu de penser qne le ministere íraucais était
informé l\U mouvemcnt ; don Mlgue\ \'a\a\t meme écrit a Paris.




330 mSrOIRE DE LA llESrAUTIATION.
Quand done les Iloyalistes apprireut que l'cntrepriso avait
échoué , ils s'en prireut a;\1. IJyde d(' Xcuville , qui avait cntourú
le roi Jean VI de toute la puissaucc du corps diplomatique ; ce
parti ne lui pardonna pas , el ~L de Yilld(~ piu le rappcler sans
exciter ses plaintes. Le roi Jean VI l'avait comhlé d'honueurs : il
lui conféra le titre de comte de Bemposta, palais d'oú JI. Ilydc
de Neuville l'avait tiré de la captivité ; il ajouta ces parolcs :
« Yoila , l\I. l'ambassadeur, le lieu OÚ vous m'avez sauvé :je n'cn
perdrai jamáis le souveuir ; tous les bons l'ortugais le saventou le
sauront comme moi : les méchants sculs pourraient méconnaitrc
legrand service que vous m'avez rendu. » Le princc don Miguel
quitra le Portugal el viut voyager en Francc , OÚ il fut partout
accucilli ct Iété par la socióté royalistc, )1. Hydc dc Xeuville avait
agi avec plus de loyauté que d'habilcté ; il rcnouait la chainc
qui liait le Portugal a l'Anglcterre, Don Miguel avait essavé de
la briser. L'événement de Lisbonne Iaisait naitre une grave com-
plication ; l' état du Portugal était alarmant ; le partí de don ~li­
guel n'avait été vaincu qu'un jour : il était partout , dans le cler-
gé, dans le peuple , dans ccue société ardcnte ; l'Espagnc méruc
ne ccssait de meuacer la froutierc. Pouvait-on laisscr Jcan VI sur
ce tróne mal assuré sans lui preter appui? L'ambassadeur anglais
insinúa au roi ele Portugal d'invoqucr les aucicns traités <fui ('Jl-
gagcaieut l' Angletcrrc aIouruir des troupes auxiliaircs si le ('({SIl"
[ouleris se produisait : 01', le ('IlS!IS [adcris u'étnit-il pas arrivé
par l'agression de don "ligue! '? 'lo Canning saisit cet accident
conunc un pretexte pour occuper le Portugal en Iacc de l'anuée
franraise , dont lc séjour CH Espagne l'inquiótait ; sixmillo Ilano-
vricns Iurcnt destinés pour la garnisou de Lisbounc..


Te! était l'~tat des négociations lorsque :'11. de chúl<';Jllhrian<l
quilla les affuircs étrangercs. 1I y avait quarro <jll('slions princi-
palos non résolucs encere : J". l('s djlrtrclld~i survrnus cutre la
Ilussie el la Pode, soit ponr 1('s priuripautés , soit pOlll' la Gn\c(';
2". l'orr.upation el' Espa~~ll('; ;;". S('S colonics ; tv: 1(' Portllp;al. l\
quollcs maius allait-on coulicr 1(' !;]ani('Il1I'1l1 d'illt{~dts si {.¡(.,{.;,




r.TlAPITnE XXI. 331
ot si importnuts ? ~L d(' rilJi'l(' voulut s'en réscrvcr la dircctiou,
au ruoins pcndant quolques mois. C'ext daus ce drsscin ([[l'i! avait
pris le marquis de MOIISti('I', sur la docilite' duque] JI s'était
étrangement trOlq>é. -'1. de \' im'h' ne voulait rirn prcsser, rica
précipiter, cal' il songeait a un remauicmcnt plus complot de son
administration , aprós la session accomplic.


les travaux de ecuo SCSSiOll étaicnt considérables, On aurait
<lit quc le ministerc voulait prouvcr ~. la nonvellc Chambre sa
vive sollicitude pour les opiuions el les intéréts que la majorité
protégeait spécialement. Les d('pnt(·s avaicnt accordé deux grands
aCi{·c.; de confianee a ;\1. de Yillclc : la scptcnnalité el le vote
pour la réductinn des rentes, A son tour, cette majorité exigeait
qm' Ir' minisU'l'e satisf'it aux engagements qu'avaít signalés
l' adrcsse. la religion, dans ses formes matérielles, était toujours
I'ohjet principal des plaintes de la Chambrc, On ne faisait pas
assez pour le clergé on ne protégcait pas Dicu el ses temples!
Taní,,¡ , sur une p{,tit ion, la Chambre dcmandait qu'on rendir
les registres de l'élat civil au clcrg(', tautót que l'on punit d'une
peine terrible lesacrilégosans '01; tantúl qu'on augmcntát le tcmpo-
rel des {'y(~ehés; puis , que les communautés religicuscs fussent
Iavoriséos , agraudies ; qu'elles pussent acquérir des propriété»,
l'l qll{' pom cela il ne Iüt pas meme hcsoin d'autorisation. te
ministcre lui-uu'tue , quoiquc dévoué aux opinions de la majo-
rit(·, était cflrayé de ceuc tcndance absolue vers le parti reli-
gi<'ux. Je He sache ríen de plus étroit , lle plus passionné qu'un«
majorit« próoccupéc d'une mission : elle veut tont pousser ases
i(!t",'s, tout r-mpreindre de son pctit esprit el de ses passions,
La Chan:hr« ello-memo cnt raina it le ponvoir ¿. ton t 111 i céder.
M. {1<' Peyrollll<'l avait r{'dig(~ un projet qui aggrayait la peine
pnur I:'s \ o/s conuuis daus It·s ('glis<'s; ces YO]s avaiont quelque
chose de plus coupahlc en ce qu'ils étaicnt plus Iaciles el qu'ils
insnltairnt ¿. tuule une crovance. La majorité nc voulut pas
adopt{'l' ce projet , parr« qu'il 11(' punissait pas Ir sacri]('gc et
l'i'llpi('/{' ¡l1(1{'p('ndal\l1lH'HI du YO], ('{ qu'il no rappolait pas cette
:lll!iq(:(' jnrisprudr-uc« <11' mor! eontr<' ](' t{'Ill{'rain' qui tourhait




nrsronu: DE LA REST,\ I;nAnO~.


le tabcrnarl« '. Ouant ~l la lilwrt(' des communautós , COI11I1)('
elle ne s'appliquait qu'aux femmes, et que I'intime pensée de la
majorité était d'autoriser les cougrógations d'hommcs , la Cham-
hre se montra mécoutcnte des résolutions précautionneuses de
la pairie. Elle manifesta son désappointcment. La contre-9Ppo-
sition s'emparait de toutes ces hésitations du rninistére ; elle
exploitait ason profit tous ces tñtonnements ; elle s'était liée avcr
le parti religieux , et quoique au fond M. de La Bourdonnavo
n'aimát pas le clergé , elle multipliait ses accusations sur l'in-
différence dn ministerr pour l' ';:glis(' el la religión catholique.
eear contre-opposition s'cmpara de deux questions qui , par
1('111' natnre , dcvaient singuliérr-ment emharrasser 1(' ministere,
La réductiou des rentes ayant (~té rejctée aux Pairs , M. <Ir Vil-
1<\1<, avait renoucé pour le moment a tout projet sur l'indemnité
<les émigrés; 1'1. de La Bourdonuayc, sachant bien cette position,
lit en romité la proposition de supplier le Roí de présenter dans
la session un projet de loi, d'apres lequel ( uneindemnité in-
t(~grale serait accordée aux Franrais dont les propriérés immo-
hiliercs avaient été confisquées ct venducs par suite des dócrets
ct actos des gouvcrnemenrs révolurionnairos. )) C'était se placer
sur un admirable terrain ; les deux tiers de la Chambre vou-
laieut cctte indemnité. En méme temps , _'l. Jankowitz pro])o-
sait ~l la Chambre de déclarer « que les députés qui seraient pl'O-
mus par le Gouverncment ü une fonction ou ~l un emploi
amovibles cesseraicnt , par le seul Iait de leur acceptation , de
faire partie de la Chamhrc , mais ils pourraient etre réélus, )
L' (~xtrellW droite manreuvrait pour ces propositions avcchahilcté,
C'était preudre les lloyalistcs par leurs vieillos promesses, parees
théorics ch('ries, el toujours rcnouvclées dn COJlSCI'I'({(ClfI', Évan-
gilr politiquc du royalisme. On voulait ('ga!cJn('llt mcure 11n termo
~l cct immcusc traíic de places par lequel 1<. ministvrc s'assurait
la majorilé. La discussion Iut viv« el longuc , ct , en déflnitivc ,


J Je erais me rappelcr qu'il cxlstc ú la chanccllcrie une lcttrc de
1\1. le romtc de :\Iontlosicr, da ns laquclle il reproche ú íU. d<' Pcyronnct
.l'nvoir omis L1 punition du sacrilége simple el sans yo],




(;JlAPJTRE \XI. 333
Irs roles furenr prrsfll1r inccrtains. ",1. </(' ralory, Alrx. de
Xoailles, Fouquier-Lnng soutinreut la proposition, 'fans trois
appartenaient ~l la droite dósiutércssée ; le centre Iit valoir des con-
sidératious de prérogativc rovale. La propositiou fut repoussée ,
mais il y cut une minoritó puissante : de cctte maniere on habi-
tuait une grande partie des memhrcs de la Chamhre h votcr en
hostilité avcc le miuisterc ; on organisait une minorité forte et
haiueuse eontre ~l. de Villelc.


Enfin , ~l travers une sessiou longue , orageuse, on arriva aux
discussions financiercs , les crédits supplémeutaircs surtout pour
la guerre d'Espagne , questiou fort délicate , qui se rattachait ~l
des opérations equivoques et aux marches avec le munitionnaire
générai. ". de ,'Iartignae avait suivi le prince en Espagne , el
mieux que persoune il connaissait tous les faits de cette mal-
hcureusc transaction. Son rapport était un hymne de victoirc
plutót qu'une disscrtation sur des comptes, Lié arce ce qu'on
appelait l'état-major de l'armée, bien aise aussi de ne point dé-
plaire h -'1. le Dauphiu , -'1. de Alartignac exposait que l'armée
étant sur le point d' cutrer en Espagn«, les approvisiouucments
avaient été loin d'étrc suflisants ; les moycns de transports SUl'-
tout avaient complétcmcnt manqué, C'ólait dans cctte position
difllcilo que l'cntreprisc des transports , des vivres et des Iour-
rages fut donuée a ~1. Ouvrard : le temps pressait , on n'avait
pas le choix des 1ll0~ ens ; il s'agissait pour la Franco de l'expé-
dition la plus importante, de vainero une révolution , de con-
Iondre sous les mémes couleurs toutes les gloires francaiscs ; il
fa1Jait réussir : le repos et l'avcnir de la Franco étaient 1l1('Iés
dansle suecos. Le rapporteur terminait ainsi : « Votre commis-
sion s'est défcndue coutre toutes les préventíons ; elle a résisté
~l l'empire d'un souvenir qui semhlait recouvrir du mantean de
la gIoire tous les détails d'unc expédition dont la Frunce s'enor-
gueiUit. » Je ue crois pas ccpcndant que vl, de 3lartignae se Iút
assez separé de ces souvcuirs el de cettc influcnce. la discussion
prit une tonrnure si délicatc , les orateurs firent entendro des
plaintes si YiH'S rl si Iortrmcnt ap¡H1~ (;('S , ((111' 'J. de VilU·lf' rrut




334 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
devoir apaiser les soupcons en désignant une commission spé-
ciale pour l'examen et l'apuration de ces rrédits, 1<:Uc se
composait de ~nl. le maréchal Macdonaid , président , des
comtes de Villemanzy, Daru , de Vauhlanc, du haron de la
Bouillcrie et de l'amiral Halgan. Impartialement Iormée , on He
pouvait l'accuser d'avoir un intérét ü taire la vérit«, Plus tarrl ,
cette question devint trés-sérieusc el fut dúíéréc a la Cour des
Pairs, Toute l'opposition s'uttacha spécialcment au hudgct ; jl'
parle surtout de l'opposition d'cxtróme droite. Quelles que Ius-
sent les nuauces royalistes plus OÚ moins dessiuócs contre les
nouveautés constitutionnellcs , toures accordaieut que le vote
des subsides appartenaut <1l' vieillc dale aux J::lals-G{'Il{'rall,\,
les üépurés pouvaient , d'apre» J('S lois Iondaurcntalcs , aCf()'l'd('r
ou refuser le hudget; de Ht ecuo violente opposition courre 1('
ministere des flnauces. « Que de néccssités a satisfaire ! disait
M. de Berthicr : décerner des peines centre le sacrilége ; rcndre
aux liens du mariage toute leur sainteté en Iaisaut précéder
l'acte civil de I'acte rcligicux ; donner au clergé une cxistcnrc
indépendante ; fcnner surtout cene grande plaie de la réyolll-
t ion en donnaut aux victimos de la Iidélité uneiudcmnitó {'gale
ü I'étcnduc de lcurs perles; revoir nos codos, et Ir-s mettre plus
en rapport avcc nos seutiments rcligicnx ct nos institntions mon-
archiques, » Ensuite , 31. Bcrthicr demaurlait la rénnion des
directeurs des coutrihntious aux Iouctions des préfots , el la ré-
duction des quatrc-vingt-six préfets en trente-trois intendants...
« Et pourquoi, continuait ;.\1. de Berthier, ne revicndrions-nous
pas a ce qui cxistait autrefois , i\ ce qu'une IOllgUC expéricnce a
fait rcconnaitrc suflisaut? Xos temples tomhent en ruines: les
viciimcs des proscriptions n'out pas encere été inrlemnisées de
1('HrS portes: hcnucoup sont dans la misero... » :\1. de Bcrthier
donuait le véritable programme de la contrc-opposition royalistc ;
impaticntc, elle ne trouvait pas qur le rninistere allüt assezvito ct
assez droit, « 11 serait tcmps , ajontait 1\1. de Berbis , de 1l0US
ramener it des institutions qui seraicut si utiles h la Franco, sans
0tre en oppositiou avec la Charte; ~t un ordre de choscs enfin




CHAPITRE XXI. 335
qui pcrmettrait aux proviuces de gérer ellcs-mémcs leurs intéréts
locaux. l'larchons aux écouomics par une meilleure distribution


de nos proviuccs. » M. Chifllet faisait des vceux pour le triom-
phe des droits rcligieux, « Les tribunaux de premierc instance
{-\'<\lent t1'op uomoreux , \\-\.11's rcssorts t1'op restreints: en <.limi-
uuant ces tribunaux , on pourrait plus largement rétribuer les
magisuuts. »-« II est de notro devoir, s'écriait :\1. de Foueault,
de rappcler le Gouverneuicnt aux priucipes monarchiques con-
sacrés par la Charte. 'Pourquoi le Hoi n'est-il plus le chef de
l'armée? Pourquoi u'a-t-il plus dans ses mains cctte prérogative
inhércntc ~l sa couronue ? EL puis , ;! quoi soné utiles ces entra-
ves de l'adruinistration de la guerre , qui empóchent une foule
de jeuncs gens de Iamille de se ranger sous le drapea u des lis '?
J'indique tous ces discours puree qu'ils donnent , dans leur en-
semble, toutes les cxigenccs de l'opposition royaliste , et les véri-
tables opiuions de ce partí sur tous les points d'administration
et de pólitiquc ; elles se résumaieut ainsi : 'l°. domiuation dll
clergé, mCIW~ d:U!s la y> civile : 2°. répartition de la Frauce en
provinccs ; 3°. nouvcllc circouscription des tribnnaux ; 4°. pré-
dominancc des gentilshommcs dans I'aruié«, saus égard pour
l'égaliLé civilc el politiqueo Quaut au coté gauchc, presque saus
inílueuce par son lHit nombre dans I'asscmhléc , il avait un
hant rctcntisscmcut au dehors, Que d' cxagération sans doute
dans C'1llc ]~~lll! :<"'--' d-: )1, Pórier : ((;\' ous souuues OIlZC id
qui rcpréscutons la Franco ! 1) mais ji est vrai quc les autipathies
politiques COULl'C ce mauvais ~'iy~)~etllf.' grossissaio» t la popularitó
du cót{· gauche.


.\;Ilsi, des ~a prcmierc sessicn di' ccue Cbmbrr sepu-nnalc qni
de\ ait luí él"SII),!.'/' une \ ic paisihle ct trauquillc , }1. de ViW'le
voyait une minorir' iuquiétantc Sí' íuru.cr contrc lui , et il
n'avait pour appui qu'lI11C majorité impéricusc , cxigeaute , qui
nicuar..iit de passer ~l la coutre-oppositiou au ras oú ses vceux ne
seraient pas satisfuits. 31. de Yillelc , moutra dans cetro circón-
stancc unc dextérité pCH conunune, en profitaut de la répugnance
du centre droit pum la coutrc-ojipositiou ; il attíra vers ce centre




336 1I1STOlHE DE LA HESTALHATlU:\.
tout ce qu'il put de la droite : il sciuda ce partí religieux , el,
par-dessns tout, il serna dans la Chambre des Députés unc haiue
puissante et profonde centre la Pairic, qui en voulait plus partí-
culieremcnt ason pouvoir. Afin de mieux constatcr son crédit
sur la majorite , l\I. de villele prepara un arrangemcut miuisté-
riel tout a sa convenancc , et pourtant en harmonie avec les be-
soins de sa position. On a vu qu'en renvoyant M. de Cháteau-
briand , le président du Conseil n'avait point désigné encoré son
succcsseur aux affairesétrangercs : i\I. de villcle s'en était reservé
le portefcuillc, non-sculcmcut paree qu'il cxistait quelques ques-
tions politiqucs qu'il voulait mcner lui-méme ¿l fin , mais paree
qu'il croyait nécessaire d'attendrc que la session fút clase pour
mettrc son personncl ministériel en harmonic alce l'esprit de la
majorité. M. de Viliele s'était succcssivement débarrassé de ce
qu'on pouvait appeler les tetes d'opinions , MM. de l\lontmo-
rency , Victor et de Chñteauhriand : il les craignait; mais,
comme il ne pouvait pas secouer tout afait le parti religieux et
de cour , il prit les sous-reuvrcs dans cette couleur, J'ai parlé de
M. le duc de Doudeauville , placó a la direction générale des
postes a l'avéncmcnt du ministerc de :\1. de Villele : Mjá une
prciuiere tcntativc avait étó faite pour lui assurer la maison du
Iloi lors du départ dp lH. de Lauriston , ¿I qui la dignité de ma-
réchal avait mérne été assurée dans cct objet : quelques obsta-
eles s'opposercnt encere ¿l cene combinaison. I ne des charges
de la Couronne étant alors vacantc , cclle de grand-veneur , on
la fit donner ¿l :\1. de Lauriston , et , par le crédit du partí re-
ligieux ct de la douce iufluenco dont j'ai dl"j¿l parlé plusieurs
fois, iH. le dnc de Doudcauville cut le ministerc de la maison
du lloi. Son (ils, JU. Sosthéncs de ta Ilochcfoucanld , prenait la
dircction des bcaux-arts ¿l ce iuinisterc. "~illsi donc, les arts ,
les théátres , les musées , les dons de la muniíiccncc royale pas-
saicnt a une autorité picuse , ;1 I'élcgant« cxpressiou d'une
Égliscmondaine. 31. de Vaulchier fut appelé ¿l rcmplacer ]\l. de
Doudeauville aux postes: il ne ~allait pas que cctte direction in-
time ct secrete sortit de la suprématie du partí religieux. .Eu




CHAl'lTRE _\.\1. ;)07
(fuelles maius M. de Yillelc déposerait-il les allaires étrangeres '?
Appellcrait-il une sommilé de cour et de diplomatie ? N'était-il
pas a craindre alors qu'il trouvát dans ce nouveau collcgue des
obstacles qu'il avait voulu secouer en se délivrant de MM. de
Montmorency ct de Chátcaubriand ? 11 s'était tout afait dégoúté
de lU. de Jloustier. Un moment il avait songé h )1. de Tularu ;
eníin son choix se porta sur M. de Damas: certes , jamáis un
nom plus insiguifiant ! on aurait dit que l\l. de VilleIe Iaisait un
essai de sa force, et qu'il voulait constater aux yeux de tous qu'il
était le maitre,


J'ai jugé ]H. de Damas connue ministre de la guerre : jusqu'a
un certain point cene dircction militaire pouvait lui convenir;
lU. de Damas était oflicicr général ; mais ministre des affaircs
étrangeres ! sans antécédents , sans hahitude , avcc la plus mé-
diocre des capacites politiques , ne sachant pas seulemeut ce
qu'était une dépéche. Qu'importait ~11\J. de Yillele ! illui fallait
un commis docile , un homme tout ~l la fois religieux pour ré-
pondré ~l l'esprit de la congrégation, et soumis ~l la direction
supréme de la présidencc du Conscil, te choix était ainsi parfait.
1\1. de Clermont-Tonnerre passait ~l la guerre, connuo minist re
fort dévoué h ~l. de Villclc. M. de Chabrol était porté au minis-
{('l'e de la marine. M. de Chabrol avait jusquc-la occupé la
directiou générale de l'curcgistrcment pt des domaincs : il érai t
assez curieux de l'improviser ministre de la marine '! Bon ad-
ministratcur, h formes douces , inoílensives , 1\1. de Chabrol
avait un grand besoin d'affaircs et de mouvcmeuts politiqucs.
La direction de l'eurcgistrement était donuée ~l )1. de Jlarti-
gnac. J'ai quelque lieu de croire qu'il avait été qucstion pour
lui du ministére de l'int érieur et de la retraite de )1. de Cor-
hiere: les choscs n'étaicut pas pour cela assez múrcs. En pré-
scnce de sa majorité provincialc et de '1815, ,1. de 'im-Ie
n'osait point se séparcr du collegue ~l coté duque! on l'avait


J 1\1. dc Chabrol avait pourtant été intcndunt dans les provinccs
illyricnucs,


ur, :29




338 mSTOIRE DE LA RESTAURATION.
toujours \U comhaure depuis l'origine de sa fortune. D'ailleurs ,
la dircction de l'enrcgistrcmcnt allait étrc clmrgéc d'un travail
immcuse par suite de l'indcmnité des émigrés : on croyait utilc
de mettre ~l la tete de ce travail un esprit facile ot applicable,
qui püt Iournir tous les renscignemcnts inrlispensables..M. de
Castelbajac , de la majorité bien dévouée, remplace M. <1" Yaul-
chier aux douaucs, On no sortait pas de la memo coulcur : cettc
modificatiou dans les houunes ne fut eu aucune maniere un
changement de systcmc.. lU. de YiI](~l(' avait lui-mémc remanié
son conscil pour le rcndre plus docilc ; c'était en quelque sortc
un changcmcnt de couuuis. Un houune d'esprit appela ces
mutatious les quatrc coins niiuistcricls, La peusée religieuse fut
plus tard complétée.


1..a Chambre était au ministere , il falJait avoir maintenau t
l'opiniou publique; la loi du mois de mars 1822 sur la presse
avait été rédigéo dans une pcnsée de réprcssion combinée : ou
avait les proces de tcndauce pour la suppressiondes journaux;
ensuite , les Litres étant limites el l'autorisation exclusivemcnt
réservéc au Couverncmcut , n'était-il pas possible d'arriver ~l
l'extiuction de la presse indépcudantc '? Cctte pressc avait pris
une haute attitude sous la Hcstauration. te Courricr Francais
auaquait arce une force de rédacrion peu communc le ministcre
el la Chambrc. Le Const.iuuianucl ymcuair plus dc' modératiou,
avcc ce stylc d'un libérnlisme imperial qui parlait aux masses :
grande puissance populaire , il dévcrsait la bine el le mépris sur
I'autorité. !\l. Thicrs , lié avcc ,1. Lafliuc , avait voulut entrainer
sa rédaction ~l déícndrc le :J pour 100; on s'y était 0PPOSl', el
l'enscmblo eles acres ministéricls était auaqué avec persévéraure.
Le Journal du COIIllllCl'CC SOl! S ,1. Larcguy protógeait les opéra
tions fiuanciercs de )1. de Yillele , ¡out en poursuivant ccu«
influenco de congrégation qui partout S(~ maniícstait. Il voulait
la convcrsiou des rentes sans l'indcmnité des éuiigrés. Le Pilote
s'occupait le soir de la bourse , de nouvelles étraugercs, el
tourmentait le sommeil de ;.\1. de ViW'!e par ces articles de
coulisse qui iuíluaicut sur le cours des cflets puhlics, La prcsse




CHAPITRE XXI. 339
royaliste u' était pas moins puissante. La contre-opposition de
M;\I. Lemoinc-Dcsmare , Sanlot-Baguenault et de La Bour-
naye avait Ionrlé un jourual spécial , l' Aristarque ; elle y soute-
nait ses doctrines, son constitutionalismc royaliste , la théorie
d' une espere de réformation sociale dans les intéréts de la grande
propriéré ct du clergé ; et par-dessus tout, elle exhalait sa haine
centre M. de Vi1l01e. Il y avait également l' Oriflammc et le
Drapean Blanc ~ journaux dans la méme opinion guerroyante.
Le parti rcligieux de l'oppositiou suivait la bannierc de la Quo-
tulicnne. Cette Ieuillc avait contribué de tous ses efforts au rejet
de la loi sur les rentes; dIe' pcrsécutait M. de Vil!¡\le avec une
supérioritó el une persévórance remarquahles. Le Jonrnal des
D(:!w{s exprimait la grande el brillante opposition de ~I. de Cha-
tcauhriand aH'C cettc hauteur de paroles , eette aristocratie de
mépris capahlcs d'ébranlcr la majorité et de faire impressiou sur
la partie éclairée de la COU!'. Toutes ces nuauces se rapprochaient
pour combattrc 1\1. de villele; et comment se défendre ? Pon-
vait-on compter sur la prcsso ministérielle , alors faible, presque
sans popularité ? et le ministére devait-il longtcmps résistcr ace
débordcmeut ? On songca done ¡l tcrnir I'iustrument de démoli-
tion; la presse fut truitec en cnncmic , c'cst le droit du Pouvoir,
La.Ioi de la prcssc , ('Il instituant le privilóge des litres pour les
journaux , avait donné la possibilité d'éteindre succcssivemeut
les Ieuilles politiqucs. Pour cela dcux voies étaicnt ouvertes :
l' aehat de ces litres aux propriétaircs ; les proccs de tendance ,
dont les résultats plus ou moius immédiats devaient étre de
suspendre d'abord et de supprimer ensuite totalemeut les jour-
naux politiques. L'on essa~ a les trauquilles extincrious , plus
dans les habitudes ct dans les formes el u partí qui gouvernait,
Aux Tuilerics , il existait un pctit comité cntiercment lié ¡t la
Congrégation dout la représeutation était personnifiée en M. de
l\lontmorency. Ce comité , venu au miuistere par la nomination
de M. de Doudeam ille a la maison du Iloi , promise bien avant
<[11'elle ne íüt ellectuéc , mit dans la tete de JUONSJEUR la pensée
dacquérir succcssivcment la majorité des journaux , soit pour




3ú(1 IIISTüIHE DE LA RESTAURATIüN.
les (~1<'iIldre ahsolumcnt , soit pour les diriger, Moxsmru parla
de cette idée ü )1. de Villcle qui laissa dirc el laissa Iaire ; cal' la
presse avait ét{· si hustile ¡t ses projcts ! 11 nc s'agissait plus que
de trouver des fonds. Les ressources Iurent priscs sur doux ser-
vices : 1°. sur les Ionds secrets du ministere de l'intérieur el
méme des affaires étrangeres ; 2°. sur la maison du Iloi. C'était
ici un de ces petits moycns empruntés aux dépcnses secretes du
roi Louis XVI en 1792. lU. Sostheues de La Bochefoucauld fut
chargé de mencr ü fin ces achats. L'aflairc fut d'abord heureu-
sement conduite. On acheta la 1"07[(l1'e ct I'OJ'iflamme,. elles
tomberent 11 petit hruit. L'achat des Tablcttcs Uniuerselles eut
plus d'éclar. Les Tabieucs Tuircrscllcs, sous un direclc11l' ha-
hile et actif , avaient acquis une grande importancc, Quoiqu '(-11es
ne Iussent pas quotidiennes , elles étaicnt aussi rccherchées el
lues que ces feuillos politiques. Il y avait de I'esprit, de la
verve , des faits surtout el des révélations curienses. 110ur arriver
a ce résultat , il avait fallu Iaire de grands sacrifices. On n'arríve
aun bon jourual qu'avec de largos moycns. Les Tablcttes étaient
endcttées , leur dirccteur ponrsuivi , méme par des hommcs in-
fluents du partí liberal dont il ue caressait pas toutes les perites
passions, Dans ces circonstances , des propositions furent faites
au dirccteur ; on lui oífrit des conditions avantageuses d'achat ;
plusieurs pairs et d(-pul{is marquants , entre antros l\DI. les ducs
de la Hochefoucauld-Liaucourt et de Dalberg, l\l~1. Ternaux et
Benjamin-Constant , ami particulier du directeur , furent con-
sultés , et n'y virent aucun iuconvénient ; des tiers seuls parnrent
dans l'actc, Le marché fut done couclu ; les Tablcttes appar-
tinrent au comité occulte, qui lui imprima une de ces couleurs
ternes qui sentent la mort; et les Tablettes disparurent. Cette
affaire, dont on ne sentir la portée que lrop tard , avait ét{·
longuc , éclatante ; elle évcilla la presse , qui déja était sur ses
gardes lorsque éclata le proces des deux Pilotes. La main du
Pouvoir se montra lit tellement ü découv crt , que tout le monde
fut dans la confidcnre des mauc-uvres emploIées centre les
journaux. .Ie consid.\rr pourtant le proc('s df' la Q1f()( idienne




C0l11111e la solcnnité jndiciaire qui révéla les desscins coutre la
presse. Le ministere avait le plus'grand inlér0t ~l obteuir la
()uolidiell71e. Les journaux libéraux avaicnt un parti fait , une
opinion hostílc au Pouvoir qui u'était pasaeraindre daus les deux
horizons oú se Iormait tout un ministere : la Cour et la majorité
royaliste ; mais la Quolidicnnc! elle était chez le Roi; tous ses
gens la rccevaicut : elle parlait aux cháteaux , au clergé, acette
portien de propriétaires et de gentilshommes qui composaicnt
les eoHéges de départemcnt. Dans la Chamhre elle rctentissait
haut el loin. Elle servait d'organe el de point d'appui ala centre-
opposition; ",)1. de Viiiele et de Corhicre avaicnt done mis un
grand inrérét ala rattacher au Couvernement. Cctte opposition
de tous les jours emharrassait le miuistere , ébranlait ~10:\SIEl'B,
la duehesse d'Angoulémc el leurs intimes conscillers, Elle servait
de themc.a toutes les objeetions du soir et des petits comités.
Déj~\ la Congrégation avait pénétré dans la Quotidienne par
l'achat de plusieurs actions accompli par un 1U. Bonneau , eOI11-
mensal de la maison Doudenuville. Des propositions avaient él{'
faites aussi a ,1. Laurentie , qui rcmplissant des fonctions daus
l'Ilniversité , se trouvait dans une triste alternativc l. Il rr-
solut done de céder ses actions ; on les proposa ~l -'1. Sanlot-
Baguenault. Cette vente avait le couscntemeut de ;\l. l\Iichaud,
lorsque -'1. Bonncau , qni n'était propriétairc que depuis six
mois, s'y opposa; la claus« du contrat lui en donnait la Iaculté ;
on sut alors qu'il ne s'appartcnait pas et qu'il n'était qu'un
préte-nom. ~L "1ichaud , apres ce refus d'un des actionuaires ,
proposa diversos personnes. ~1. Laurcntie choisit dans cette listr-
l\I. valdoné , secrótaire des commandrments de ~IO:\SnTH ('1
prNc-nolll de Son Altesse Iloyale. Quelqnes jours aprl's cpHI'
vente, ,1. Snsthcnes de la Ilochcfournuld lit aplH:'ler -'l. Berrvor
fils , et le pria de prendrc la gestion des trois actions de' ;\J. Lau-
rentie. Dos explications furent dcmandées ; il y cut une cntrcvuo


1 C'est dans une conf'éreucc avcc J\J. Laurentie que :\1. rle Corbiérc
dit ces rnots rcmarquablcs : ¡'rnc1f':-1I0ItS un preces,




3lJ2 JITSTOIRE DE LA RESTAURATTON.
avcc M. )Jichaud et 1\1. Bel:ryer : « Nous n0118 querellons inuti-
lemcnt , s'écria M. de La Rochefoucauld ; écoutcz ce que je vous
propose : que )1. Berrver conscnte 11 étre propriétaire de l'un
des douziemes achetés par 'l. Valdené, el il aura la gestion des
deux autrcs. Ainsi , :\1. -'Iirhaud, vous serez 11 I'ahri de tonto
iuflucnce étrangere. )) Et voici maintenant comment on tint
cette promcssc, Lorsque la Quotidicunc s'éleva contre le renvoi
de M. de Chátcaubriand du Conseil , le bureau de ce journal
Iut envahi par la force armée et par un porteur des pouvoirs de
]\1. Yaldené , qni en expulsa )1. '1 ichaud , vénérable déhris des
ternps d'oragc et <1l' Iirléliré monarchique, Cette scéne cut un
granel retcntissement. La canse, suhissant toute la publicité des
débats , révóla les ténéhrcuses négociations. On sur rl'oú prove-
nait l'argcut , et en quelles mains il avait été déposé pour arri-
ver 11 la COITUptiOIl. Des démarchcs furent faites également
aupres des propriétaires du Constiuttionncl et du COll1Tie1'
Franrais ; elles u'aboutircnt a aucune fin. Les négociations
étaient coufiées en des maius maladroites ; et puis, elles doman-
daicnt le plus profond sccrct, el connnent espérer le secrct? 011
s'auaquait aux organes rnémes de la parole humaine ; la presse
déjoua les intrigues dirigées centre la prcsse ! Au profit de qui
toutes ces honteuscs spéculations avaient-elles lieu '? Ellesétaient
bien daus l'iutérct du ministerc ; mais elles pnssaicnt spéciale-
meut par les intrigues de ce parti n-ligicux el de cour , qui ser-
vait le ministere en le dominant; il voulait s'emparer de cette
force nouvellc, se saisir des journaux , en disposer ;\ son prolit ,
el pcut-étrc cnsuite s'cn senil' contre iH. de VillNe Iui-méme.


Les proces de tendance furent 11' sccond moycn employé par
le tuiuistere. Pour cela il fallait avoir la magistrature , ct la ma-
gistrature óchnppai: au syst('mc du Caliinet. Tant qu'il s'était agi
des droi: s de la Conronne et des pl'él'ogatiH's royales, les tribu-
nanx s'étaicnt montrés SéYl'l'eS, impitoyablcs: des condamnations
considerables accal.lercnt la 1)1'('8S(' el les délits politiques avant
ct apri's l' instiIution <tu j ury; mais lorsque la question gonver .
1H'IW'1l1ale IH' Iut plus placé« si hant , lorsqu'il IH' s'agit plus </('




r.TIAPITRE XXI. 343
la CourOl1l1e, mais de questions religieuses et d'église , alors la
magistrature n'eut plus aucune sympathie pour ce gouverne-
111('nt; les vicillcs querelles des parlemcnts el des jésuites se
montrercnt encere, Les cours royales, imprudemmeut saisies
d'un pouvoir politique , l'excrcercnt avec leur esprit, leurs ré-
pugnances et leur vivacité ; elles rcpousserent la fraude, don-
nerent gain de cause a 1\1. l\lichaud. Il n'y cut qu'une premiérc
suspensión appliquée au Courrier. Vint ensuite le proces de
l'Arisuirque ; le Couveruement succomba ; et le Courrier, de
nouveau traduit devant la rour , fut acquitté, Les cours royales
furent environuées d'une grande popularité; on les considéra
comme un des pouvoirs de l' État, Le miuistére les avait ainsi
constituées ; jI subit les conscqucnces d'une position qu'il avair
créée. Des lors les moyens qu'il employait coutre les journaux
pour les éteindrc et les anéantir lui échapperent. La prcsse
triomphante , süre en quelque sorte de l'impunité, deviut plus
vive, acariátre ; elle ne pardonna ras au Pouvoir les tcnta-
tires qu'il avait Iaitcs pour I'asservir , et le ministere fut obligé
de se réíugicr dans la censure.


La session était termiuée. L'esprit de la Charubre avait suffi-
sauunent indiqué dans quelles combinaisons le systeme miuis-
t éricl devait se développer. Le caractere dominant de la majorité
était un sentiment plus profondémcn t religieux ct aristocratique
que royaliste encere. C'était une véritable réaction contre les
tendanccs du dix-huiticmc sicclc. Pour toute répression de cctte
douhlc tcndance , le ministere dcvait trouver adhésion franche
el appui dans cctte majorité, ñlais il ne lui était pas perruis de
S'CJl écarter, SOllS peine de la voir se prononcer contre lui. A la
fin de la scssion , la réuniou PiN et celle du marqnis de Hongé
spócialcmcnt, s'étaieut plaintes de la grande liccuc« de la presse,
de ecuo liberté des journaux qui trouvaicnt impuuité devant
les cours du rovaurue. Proteger la religión, tels ótaieut les vceux
fortemcnt cxprimós par la majorir« qui avait voté le budget, ct
la prcsse ne rcspcctait ríen de ce que cette majorité adorait. Le
ministere s'était nnanimcmcnt soulcx é contre les dernieres déri-




mSTOTnE DE lA I1ESTAUTIATrON.


sions des cours de justice. L'arrét qui Iaisait rrvivre le titre d('
J'Aristarquc détruisait toute la pensée secrete des auteurs de la
loi de tendance. Une telle intorprération ne rendait plus possible
de supprimer les journaux, de les suspcndre méme , cal' il y
aurait toujours faculté de retrouver un vieux titre éteint, Par le
Iait , les preces de tendance, base fondamentale de .a loi, u'exis-
taicnt plus: quels résultats pouvaient avoir désormais ces pro-
ces, puisque la sanction disparaissait sous les arréts des cours
royales? On avait voulu tuer la presse par la douhle inf1uencc
de la corruption et des arrüts de justice; l'uue ct l'autre échap-
paient. En cette situation , il fut posé en conseil la question de
savoir si la censure sera it rétahlie en vcrtu de Ja disposition fa-
cultative de la loi de 1822. JI Y avait un antre motif connu du
Conseil seulement; la santé de Louis XVIII était complétement
menacée : on ne répondait plus de rien. Et ne fallait-il pas se
rendre maitre des alarmes par la censure! Le conseil des mi-
nistres, au reste, se prononca de colere ~i l'unanimité , et M. de
Pcyroñnet fit la fante grave de laisser percer sa mauvaise hu-
meur dans les motifs de l'ordonnance ; elle disait : « Considé-
rant que la jurisprudencc de nos cours a récemment admis pour
les journaux une existence de droit indópendante d'une existence
de fait; que cene interprétation fournit un moyen sur et faciJe
d'éluder la suspensión et la suppression des journaux : qu'il suit
de Hi que les moyens de répression étahlis par la loi de 1822
sont devcnus insuflisauts , etc., etc.» La loi avait parlé de cir-
constanccs graves , et un arrét de justicepouvait-il créer de telles
circonstanccs , ces cas suhits qui , surgissant ton! acoup , en
I'absence des Chambres , ne pcrmettaicnt pas d'attcndrc 11'111'
réunion pour conccrter des mesures cxtraordinnires ? Ce! étrangc
ahus des exprcssions d'un« loi dit assez qu'il ne faut jamais
laissor dans les mains d'un Gonvcrnement (I('S pouvoirs extra-
ordinaircs , cal' il s'hahit uc 11 les cmploycr dans les circonstauces
les plus usuelles de la vie sociale ; iI en fait une cspcce de moyen
d'administration : 01', qu'est-ce qu'une administration qui a
besoin pour vine de movens cxtraordinaires ? Je crois que si




CHAPlTRE Xxr.


l'arrñt des cours do justice Iut un prétcxte , la maladie du Iloi
fut une excuse; il fallait sc justilicr, et ce motif vint tardivement
dans la pcnséc du Conseil. On avait hcsoiu de la censure par plu-
sieurs raisons : la priucipale surtout était de préparer en silencc,
et sans excitcr une trop vive ct trop forte opposition, une série
de mesures qui entraicut dans le systeme politique du Cabinet.
Durant la session de 1823 , le ministerc ct la nouvelle Chambre
s'étaient tátés pour se pénétrer de lcur esprit: le ministere avait
distingué ses amis et ses cnncmis. la Chamhre devait rester cinq
ou sept ans aux aífaires : il fallait done cimenter une espece de
mariage politique pour préparer une vil' conuuunc ; il fallait
surtout montrcr aux députés que Ir uiinistérc savait rcconnaltre
les dévouements de scrutin, í't qu'il songeait ü ses amis. Lo re-
maniemcnt miuistéricl dn mois d'aoüt n'avait répondu qu'a un
seul hesoiu, la politiquc de M. de Villcle , qui consistait aS'Pll1-
parer des seconds dans les partís dont il avait secoué les chefs.
Il fallait maintcnant satisfaire la pcnsée rcligieuse de la Charubrc,
préparer les acres sollicirés par le clergé , le rétablisscmcnt des
communautés religieuses , la célóbration ecclésiastique des ma-
riages, la remiso des registres de l'état civil aux curés. la majo-
rité avait manifesté Ir vreu d'un miuistére spécialemcnt consarré
aux affaires ecclésiast iques : « Quoi! disait-clle , les affaires de
religión sont couflées aux mains profanes des laiques ! la rrli-
gi.m est une asscz grande choso pour qn'on crée pour elle un
ministére spécial , et qne ce ministcre soit déposé dans les rnains
d'un évéque.!» Et , en réuuissant l'éducation publique h ce mi-
nistére , on préparait le rétablisscment des congrégations ensei-
guantes, Placer un évéque ¿l la tete <le la hiérarchie des évéques,
c'était une grande faute. Commcnt , avcc les rl'gles hahituelles
de la hiérarchie , lU. Frayssinous, simple suffragant in partibus,
oserait-il résister ¿t un archcvéque, ü un cardinal, son supérieur
dans l'ordre des églises, et au Pape lui-meme ? El cette peur des
censures ecclésiastiques dcvait jeter l\l. Frayssinous dans de
grands embarras. 011 n'y prit garde. Un ministére des affaires
rfcl(~siasl iqnos Int iustitué ; on ln i donna en ll1('nlf' temps I' ill-




HISTÜIRE DE LA RESTAUHATIO:'Il.
struction publique: ses aurihutious comprcnaicnt la préseutation
des sujets les plus dignes d'erre proinus aux archevechés , éve-
chés , el autres titrcs ccclésiastiqucs , les affaires conccrnant la
religión catholique ct l'instruction publique, les dépcnses du
c!Prgé, les édiflces dlocósains , des colléges royaux et des bourses
royales; il exerrait aussi les fonetions de graud-maitrc de reni-
vcrsité de Franco. Commc complémeut h eette mesure, lU. de
Pevronnct admit an Couseil d'État deux archcvéques et un évé-
que: ce furcnt ~Dl. le comte Fere de Yillcfrancon, archevéque
de Bcsanron ; comte de Latil , archcvequc de Ileims : eomte de
Vichy, évcque d'Autun. le hut de cetro mesure était de poser
partou t uue exprcssiou el u clergé, ct particul it'-rement au Conseil
el' Úat, OlL des qucstions rl'égliso étaicnt discutécs. OH avaitpeur
que des magistrats laíques Iisscnt trop de résistanre ; on mettait
les intéréts du cler¿;é dans les mains du clergé. Cette tendance
alla si loin , qu'on rcvctit du titrc de ministre d'État le cardinal
de la Farc , archevéqnc de Sens ('1 d'Auxcrrc. Le ministere for-
mait un gouvcrncment ecclésiastiquc ;\ c(¡t(- du gouvemcment
civil , le pénétrant par tous les porcs , le dominant sur tour.
Le sccond ohjet qnc s'était prop()st~ 1(' ministere avait été de ré-
compcnscr les amis parlcmcutaires qui avaicut secondé son sys-
¡¿'lIle pcndaut la SPSSiOll qui vcnait de s'écouler. On s'était plaint
))('(lUcOUP des lrntcurs de :'1. de COl'hit'.r(', de" e<'tte négligeuce
qui lui Iaisait ouhlier une grande partie de ses devoirs dans les
affaircs. :\1. de villelo en prit pretexte pour augmenter les direc-
tions généralcs autour du ministerc de l'intóricur ; ccci lui donua
II-s moyeus de multiplicr les récompcnses : non sculement on
nnnuua 'l. Sirieys de )layrinhac directeur généml de l'agricul-
ture , du e0111I11(,1'ce et des haras , mais encere on créa une dircc-
t ion spécialc des établisscmcnts d 'utilité pllhli(1' l(' et de secours
généraux, (fui fut coufiéc ¿¡ M. de Boisberrrand. Dans l'admi-
nistration des Iinancos, une place de dircctcur-général reconnut
los senices ministériels ct un dévouemcnt au systeme de M. de
Villel(' : ,1. le marquis de Bouthilier fut designé pour l'admi-
nistratiou ghl('rale des Iorets. Puis vinrent les positions de se-




CHAPlTBE xxt, 3ú7
conde Iiguc : M. Barthc-Lahastide , admiuistrateur des postes;
.MM. de Saint-Gcrv el de Frúnilly uonuués couscillcrs el' j~lat en
service ordiuairc, Tous ces choix étaicnt pris dans la droite ct le
centre droit. AI)l'(\S les récompcnses vinrcnt les exemplcs de st',-
vérité ; tout cela pour disciplincr la ruajorité de la nouvellc Cham-
bre , et Iui apprendre la somme de dévoucnicnt qu'cllc devait
au ministerc. On ne comprit plus au scrvicc ordinaire :'\DJ. 1"('1'-
dinand de Bcrthier , Bertin de Yaux ct de l\lézy; cela s'oxpli-
quait : l\l. de Berthicr faisait partic de ccttc contre-oppositiou
qui avait pcrsécuté le systeme de JI. de Yillclc : on le puuissait ;
l\I. Bertin de Veaux pouvait-il rcster au Conscil d' l~{at apres la
sortie de JI. de Cháteaubriand des allaires el les vives attaqucs
du Jourual des Debuts" ct ~l. de 'lézy, direcrcur-géuéral des
postes sous M. Dcrazcs, n'cncourait-il pas une uiéme disgráce 1 ?
Hu Conscil d'l~tat, les destitutious s'étcndircnt üla magistraturc :
l\l. Bourdeau avait joint ses votes ~l ceux de la couirc-opposi-
tion; il fut frappé dans une place d(' procureur-gónéral prcs la
Cour royalc de Ilcnncs : M. Frétcau de Pénv, qui avait portó la
parolc lHCC iudépcndance ü la Cour de cassatiou , dans I'allairc
de l' Arisuuquc , fut (~galell1('nt revoqué. JI. de Pcvronnct vou-
lait ramener la force ct l' uni t(~ dans toutes les partics el u pom oir.


Ainsi le ministerc plantait nettcmcnt son drapeau , sigualaut
ses amis ct ses cnneruis: il faisait l'usage le plus habitud de la
force, en décernaut des recompenses et des peines. Indépen-
dammcut des mesures sur les pcrsonucs , le Couvcrncmcut
arréta ccrtuiues pcnsér-s dutilité généralc : la premiere Iut la
création d'un conscil d'amirauté , ~l l'imitation de ce qui se pra-
tique en ,\ng!cterrc : il avait été arrété lors de l'cutréc de
i\J. de Chabrol au miuisterc, Ces idécs d'un conseil aupi ('S de
chaque dóputcmcnt plaisaient alors Ü la Cour, el particulicrc-


1 Le Iíoi é¡.it si accablé lorsqu'll sigila ccttc ordonn.mce , qu'il nc
put la tire; ccpcndaut il lnissa lambel' ces parolcs : « :.IJinlencZ-\OllS
1\1. de l\1l'zy? )~ ct commc on lui flt cnt cndrc que non, Louis XVI II
reprit: « Ah: tant pis! » .M. tic 31ézy était une créaturc de 1\1. De-
cazos.




J.'it'i IllSTülHE DE LA HESTALHATlUN.
meut a M. le duc d'Augouléme , paree qu'elles penueuaient la
création de certaines places , en méme temps qu'une délibéra-
tion réfléchic sans géuer le Cabinet dans ses résolutions défini-
tives, Le Conseil d'amirauté était formé pour donner son avis
sur toutes les mesures qui auraient rapport ~t la Iégislation ma-
ritime et coloniale et a l'admmistrntion des colonies, a l'organi-
sation des armées navales, au mode d'approvisíonuemcnt, aux
travaux ct constructious maritimcs , ~t la dircction et al' emploi
des forces navales en temps de paix et de guerreo Les membres
de ce conseil furent choisis , ·les uns avec discerncment , les
nutres aH~C faveur. On désigua lU~I. de ñlissiessy, vice-amiral ;
barou Iloussiu et de Yiella , contrc-amiraux ; JU~I. Jurrieu, in-
tendant des armées navales, ct Dcshassyns de Ilichcmont , com-
missaire-général de marine. La Chambre s'était plainte souvent
de cet immeusité de lois révolutionnaires qui surchargeait le
Bulletin des lois. Il y avait des principes d'anarchie et de despo-
tisme au choix; on pouvait ébranler la Couronne ou les libertés
a son gré par le simple secours de la législation. Une comuiis-
sion fut chargéc de vérificr les arrétés , décrets et autres déci-
sions reudues antérieurement au rétablisscruent des Bourbons.
Le garde des sccaux désigua avec beaucoup d'impartialité des
hommcs capables ct spéciaux : 1\D1. de Pastoret , Portalis , d'Hcr-
houvillc , de JIartignac, Dudoú , Pardessus , Bonnct, Cuvier,
Allent , AlllY, de Cassini , de Yatimcsuil, J'ajouterai un deruicr
acto qui fait honneur aI'udministration de l\l. de Peyronnct :
j'entends parler de la constitution uouvelle du Conseil d'État.
Si on la sépare de son personnel de passions politiques , elle
reposa sur d' excellentes bases. Le Conscil d' État se composa,
C0ll1111e par le passó , des princcs de la Famille royale, des mi-
nistres secrétaircs d' J~tat, des ministres d'État lorsqu'ils y étaicnt
appclés , des conscillers d' lhat et des maltres des requétes, JU. de
Peyronnct y ajouta les auditeurs. te service du Conseil se divi-
sait en service ordinaire et senice extraordiuuire. Il y avait , en
outre, des conscillers d' Étal el des maitrcs des requétcs houo-
raircs, Les conscillers d'.État, maitrcs des requétcs ct audíteurs,




C1L\P1TlIE xx1. 3!1 ~)
He pouvaient étre révoqués qu'en vcrtu d'une ordonnanco
uulividucl!a et spccialc. Les conseillers d'État en service ordi-
naire devaient étre au nombre de trente, et avoir chacun trente
ans accomplis ; les maitres des roquetes en service ordinaire
devaient étre quarante , et avoir vingt-scpt ans accomplis. Nul
ne pouvait entrer au Conseil d'État s'il n'avait rempli au moins
pendant cinq ans quelques fonctions publiques. tes auditeurs
au Conseil d'État étaient au nombre de trente; ils étaient divi-
sés en deux classcs spéciales : douzc de prerniere classe, et dix-
huit de seconde classe, Pour étre auditeur, il faIlait étre licencié
en droit et justifier d'un revenu net de 6000 francs, Un audi-
teur de secondeclasse devait avoir vingt ct un ans accomplis; un
auditeur de premiére classc , vingt-quatre ans , ct avoir été ,
pendant deux ans au moins , auditeur de scconde classe. Les
auditeurs de premiere classe seuls pouvaient étrc admis aux dé-
lihérations du Conseil d' État , lorsqu'il s'agissait des aífaires du
petit ordre. Nul auditeur no rccevait de traitement : le temps
pendant Iequcl ils étaicnt attachés au Conseil d'État était un
tcmps d'éprcuve el de stage qui ne devait pas se prolonger au
dela de six annécs. Le Conseil d' l~tat était réparti , comme par
le passé ,-en cinq comités : le contcnticux, la !JlteJTC, la uta-
riue , l' intcricur ct les [uiances. On voulait faire de ce Conscil
UIlC sorte d'institution. 011 exigeait un stagc , pour les fonctions
publiques; on accordait, sinon l'inamovibilité, au moius une ga-
rantie aux conseillcrs d'ÉLal centre ces destitutions en masse
par rcmaniemcnts de tableaux : ils n' étaient soumis qu'a une
desritution spéciale. L'on voyait reparaitrc la création d'audi-
tcurs , souvcnir de l'Empire au temps de ses aristocratics. Le
garde des sccanx voulait avoir dans les maius un moyen d'ac-
cordel' des Iavcurs all\: Iils de pairs el de députés qui se distiu-
guaient par leur dévouement ; la position d'auditeur au Conseil
d'ttat était fort rcchcrchée : c'était une corriere tout cntiere
ouverte ala jeune Franco du royalisme ct de l'aristocratie. :\1. de
Peyronnet jetait la de l'avcnir.


Tous ces acres s'accomplissaicnt dans UlI moment solcnncl ,
111. ;)0




350 lllSTOIHE DE l.A HESTAUHATIOi\".
aux approches de la mort de Louis XV111. Ceux qui voyaient le
Iloi s'apercevaient de ccue décadence de toutes ses Iacultés phy-
siques, La maladic remontait ~I plusieurs aunécs , mais elle avait
ses intermittences ; dans les dernicrs temps elle avait fait de tels
progres que tout usage des jamhes était interdit; elles n'étaient
plus qu'une plaie. Ensuite , chose aílrcuse h dire , pour gouvcr-
ner l'imagination de Louis XVIII on avait multiplié des cxccs ,
d'autant plus mortels qu'ils étaient impuissauts ; l'alfaiblissemcnt
de ses organes était sensible. Louis .XVIlI rcccvait encore le di-
manche, donnait quelques audicnccs particuliercs , maissa figure
était souffrante ; sa tete pcnchéc sur la poitrino ne se relevait plus
qu'avec peine; il s'amaigrissuit par ses doulcurs. ;\1. Portal don-
nait hM. le comte d'Artois ct aux minisucs des hullctius secrets
de la sauté du Hoi; il disait quclqueíois daus des 1Il0111ents
d'humeur: « Quand je vais chez le Iloi le mercrcdi (c'était le
soir d'une séance de Iavorite ) ,je lui trouve le pouls pctit , petit ,
si pctit! » et le vieux médccin haussait les ('paules. Enfin la
décadcncc était si profonde , si rapide , qlH' :'1. Portal declara
que la vie du Iloi était mcuucéc et IH' pouvait se prolongcr au
dela de quclques jours l. On avait voulu cachcr au public ce
triste hulletin , autaut que cela (,tait possible ; mais le Iloi exigl'a
qu'apres avoir pris toutcs les précautions uéccssaircs , on fit COI1-
naitrc au pcuplc son érat , alin de préparcr preS(lUC sans transi-
tiou le regnc de son Irere. IA~ dimanchc , t () scpumbre , le lloi
He recut pas , et la uouvclle de son agoaie se répandit dans Pa-
rís'. Le Conscil des ministres se rasscmhla , el M. de Yillele se
conccrta avcc ]UU\SIEUn pou!' 1l'S mesures ~l prcndre dans tille
crise tellc que le passage d'l111 r(lgne 11 un autrc : des ordrcs
Iurcnt cxpédiós ¿l la gardl' royale pour se rapprochrr de Paris ;


.


J Louis XVIII u'avait pas IOU!U qulítcr son íuutcuil , el c'est alors
qu'il dit ce mut hisluriquc : {( UII ru¡ <le Franco doit mourir dans
son fnulcuil , >J


2 Depuis quclquc tcrnus le Hu; nc cuuuaissalt plus ccux qu'on lui
préscntuit le diurauchc : ii eu appcluit quclqucs-uus par lcurs uorus , el
il n'oubliait [amuis JI. Dccuzcs,




CTL\PTTnE XXI. 351
on craignait qllc les partís IIr' s'appuyassent de la mort du Iloi
pour tcnter quelques coups de séditiou. Il était sur son lit de
doulcur, Louis -'\. \ H I , aH.~C un calmo , une résignation admira-
bles : toutcs les pOlllpes dout 1'1~slise catholique enlome les
agonisants luí annoucaicnt sa fin prochaine , il s'cntrctenait d'une
voix étcinte sur l'avcnir du rovaurne de Franco : il y a quclque
chose qu' on 11e pcut pas roIuscr aux Bonrbons , c'est la scieuce
el le couragc de la mort. Louis XIV, avant de quitter le monde,
avait vuulu qu'ou ne le considérát plus comme roi , et que son
pctit-Iils ceignit d{'j;\ la couronnc ; Louis XYlH ordonna ases
ministres de travaillcr (I{'sorlllais avcc son f¡,¡'-¡'l'. « .I'ai des devoirs
¿\ rcuiplir, dit-il Ü _llo\s!El I~; vous , moa Ircrc , vous avez des
afTair('s. » Ew:uj¡(, ji s'cntretint qu-lqu« romps en particulicr
;l\CC S. _L H., lui peiguit par des mots entreroupés et Iaihlcs les
dinicul!{·s de son r¡\gnc, le movcu d'é viter les écueils qu'une
trop grande exaltation des opinious royalistcs pouvait produire.
« .I'ai louvoyé entre les partis commo Ilenri IV, et j'ai par-
d(,s~f1s lui ({lII' .ir l\H'!II'S dans iuon Iit , aux Tuilcries ; agisscz
rounne je I'ai raíl, ct \OUS arrivcrcz ¿t cctte fin de paix et de
trauquillité. Je vous pardonne les cliagrins que vous m'avcz
causés , par l'cspérancc qlH' Iait naitre dans mon esprit vorrc
couduitc <1(' Itoi.» Ea achevant ces parolcs , LouIS XVlIl de-
manda tout« ~;a f;!llli::(· pour la hónir. Alors le vieillard cou-
rouné , la main le, ée , appela les béuédictions un cicl sur sa
racc. La duchesse (L\ngouIemc surtout était profondémeut
émue, Elle n'avait pas quiué le Iloi son oucle depuis son en-
Iaure ; elle avait guidó ses pas dans l'infortune et soutenu sa
vicillcssc : maintcnant elle vovait encero disparaitre un des
siens : les 1oIiJ!)('S de Saint-Denis nc déscmplissaient pas pour
elle , la mort y pressait les rangs ! Ouand on lui presenta le duc
<le Bordeaux , LouisX VIII dit en levan! la maiu vers son frere :
( Que Charles X ménagc la couronue de cct enfant ! » Dans le
puhlic la fin iuévitable de Louis XVUI avait fait une vive im-
pression , el réveillé des sympathies ponr la Couronne royale. 11




352 fllSTOIRE DE tA RESTAUHATlON.
y avait une véritable douleur daus la capitalc ; ccue Bourse , rrs
théátres ícrmés, ces prieres des agouisants dans toutes les
églises , jetaient une teinte sombre sur la populatiou qui se pres-
sait autour des Tuileries et ü l'Ilótel-dc-Yillo pour recneillir les
hulletins, L'agonie fut longue; la vie tenait par des racines pro-
fondes, et la tete, au milieu de ces doulcurs, restait puissante
d'intelligence. Louis X VIII s'informa de tout, régla tout aH'C
une précision prodigieuse , remit un ordre infmi dans tous ses
papiers , en fit brúler quclques-uns , iudiqua ~l son Irere quelques
intcntions qu'il avait écritcs ; eníin arrivereut les longs assoupis-
semeuts , le rále de l'agouie , puis la mort. Le rcgne de Char-
les X couunenca !


II me reste ~I juger ccttc vic de roí si rrmplie. A mesure qm'
les événements s'éloignent , la postériié place haut le nom d('
Louis XVIIL Quand on compare la Franco lclle que la prit la
Restauration, envahic, désolée, saus crédit, sans prospérité, avcc
une dctte immense , des charges accablautes , et la Frunce telle
que Louis XXIII la laissa, brillante de prospérirés , on se demande
si le prince qui fit tant pour le pays ne mérito pas une de ces
nobles place» que réserve la recounaissance des peuples, Le ternps
marche, les idécs se rertifleut ; une nation séricuse ne s'attarlu-
plus aux poétiques désolations de la conquétc ; Napoléon fit di'
grandes choscs ; qu'en reste- [-il '? Louis X"" rcmplit son rcgue
d'institutions utiles , fonda la liherté! la liberté que la Itestaura-
tion a faite; car , je le demande, oú étaicut les idéeslibérales sous
l'Empirc , méme 11 sa décadcncc? La Charte , reune plus ou
moins parfaitc , jeta le pays dans des conditions nouvelles: la tri-
hunc , la presse libres, avec cela l'opprcssion est ~I tout jamais
impossihle : et 11 qui devons-nous ces garanties , si ce n'est a
l ..ouis XVIII, a l'esprit qu'il imprima ü la Ilcstanrntion. Cet esprit
était sa conviction propre : tous ceux qui out connu le Roi savent
s'il aimait la Charte , s'il la cousidérait cormne son plus beau titre
aux yeux de la postérité. Louis XVIU était modéré par caractere
et par réflexion; 1(' sysU'llle de :\1. Decazos fut la plus intime




CfTt\PTTTlE xvr.


cxpressionde sa prlls{'(' 1; jI lOlllail rcrenir les inl{'n~ls de la r{'lO-
lution daus de j ustes bornes, et comprimer les impaticnces des
vieillcs idées ; la raison de Louis XYIlI était assez droite ; au
Couseil raremcnt il inclinait pour les partís violents ; il savait que
dans un pays agité par les révolutions, les termes moyens sont
eneore ce qui YÍt le plus longtemps. Il aimait ~l dire , dans l'inti-
míté , « que ce qu'il y avait de micnx a imiter , c'étaient les gas-
connades de Henri 1Y», e' est-á-diré ce systcmc de balaneement
qui pcrmet atous d'espérer et apersonne de se plaindre. Comme
homme privé, Louis X YIIl n'avaitqu'un trcs-pctit nombre d'ami-
tiés ; mais elles étaicnt vives ct je dirai presque sentimentales; il
aimait ~l afficher la seusihilité : sensihilité un pcu ingrate , faussc
quelquefois , ouhlieuse des que l'objet aimé s'éloignait de la Conr
el de la société du Roi. :\1. de Blacassuccomha sous lU. Decazes,
el )1. Decazes fut saerifié a une favorite. La convcrsation de
Louis XYIn était pleiue de faits; il contait l'anecdote avec esprit,
et l' anecdote seandaleuse surtout ; quaud on l' écoutait hien , el
c'est chose difficile de bien écoutcr , il était satisfait de lui , el de
son auditeur encere plus que de lui-méme : son esprit étaít
éminemment classique , et avcc celad'une petite littératurc'. Lne
mémoiro heureuse le mettait ~l méme de récitcr des strophes
tont cntiércs des Odes divinos d'Horace ou des poétiques chants
de Virgile. Ileureux ]{' rourtisan qui pouvait répondre par 11)]('
autre strophe ! On Iaisair pour cela des travaux prodigieux , N le
spirituel )1. Beugnot suait en scandant quelques millo vers ,
ponr complaire ~l son souvcrain, Louis XVJ JI avait ln prétention
d'{'crirr; il possédait en e!Tet Cl" que I'aristocratie a par-dessus
10111, l'al'l infini de composer un petit hillet , de dire heaucoup


j L'tllllili¡" qu'Il avait pour ~J. Dcrazes snrvécut Ú la disgrñr-c. JI
avait son portr.ilt a ux Tu ilcrirs el daus le cahluct de Snint-Clourl,
{in JOU1' qu'on avait teut.' de l'cnlcvcr d.ms ecuo n-sidcnco royale , le
J\d se mil dans uue de ces colcrcs criardcs qui eutraicut si hien dans
son caractérc.


Ains! l.ouis XVIII était enthouslnsle des Éprcures du Sentiment ,
par\ rnaud Baculard : iI cn parlait COIl1I1)(\ d'un rhcf'-d'reuvr«.




35á 'IJISTüIRE DE LA llESTAlmATTON.
de periteschoses el des riens avccbonheur. SonVoyagc 1/ Coblcnt :
est l'expression tout a la fois de ccttc scnsihleric royalo el de cct
esprit qui s'appesantit sur un mauvais repas d'aubcrge et sur une
perruque mal soignée.


Louis XVIII aimait le pouvoir. Pénétré des grandes destinóes
de sa l\laison, il en avait la dignité et la fierté glorieuscs ;il'était
généreux pour le pauvre et pour ses courtisans, égoiste pour sos
plaisirs, Les souífranccs avaient un peu giHé son caracterc; il était
devenu inquiet, grondeur. Le Iloi savait apprécicr les grandes
choses ; il voulait étrc ohéi, paree qu'il portait couronne; en résn-
mé , homme de son sieclc, comprenant la France nouvelle et ses
hcsoins, Ses défauts vcnaicnt de ses habitudes d'enfance et de son
éducation. Pouvait-il se séparcr tout il fait de cctte idéc qu'i] y
avait eu autrefois une monarchie Iranraisc! On Iut injustc cnvcrs
lui : il avait tout fait pour la vicille arrnéc , il avait aecueilli ses
déhris , encouragé toutes les gloires par des mots heurcux , par
des saillies bienveillantes ; la vieille arrnée tourna en ridicule la
Iaiblesse de ses vieux jours et les infirmités de sa vio. Eh bien!
avcc un tact parfait il ne s'eu apcrcut pas , ct continua son sys-
teme de balaucement et de fusion : rien ne lui avait plu davan-
lago que le personncl de I'arméc d'Espaguc , que ceue alliance
de tous les serviccs el de tous les souvenirs ! Aujourd'hui nons
commcnrons a comprendre la pcnsé« de son sysr(~llle; k r¡"gnc
de son successeur a relevé J'éclat rlu sien, el la folie des ordon-
nances de juillet l'hahilcté de ses tcmpérameuts el de sa IHn(\('-
ration politique !




CHAPITRE XX11.


Popul aritú des prcmicrs actcs de Charles X. - La F.1mille royalc _ Ahoj¡o
tion de la ceusure , - La l'iú/, rovale , - Organis:ltion des jl:sllites.-
Actos de l'udruinist r.n io». - J'J'I:l'arar:r, dI, la :il'SsiolJ. - Inde/lluitr', l]rs
,',mign<s. -- I.ois xur JI; sacrill:ge, - Sn r les communautés de femmcs.--
';\I\'SuJ'es fill:¡lIcii'rcs de la sessiou , - Le Sacre. - B.l:actiolls coutre les
j,",mill;s. - ;,T. <le i\Iolltlosicr. - Higlleur coutre la p!'esse. -l::I1l:lnc':-
patjoll <le Saint-Domiuguc. - Col(JIlif's cspaguolc's. -l\;ort de ]'empe-
rrur AlrYxanore. - Essn is <le lois a ristocratiques. - Le droit d'aillCSSf'.-
La pétition de M. de Moutlosir-r contre les jesuites,


L0l1SQU'C:\" pouvoir est tombé par une ruine éclatante et Iatalc,
les partis indiqucut toujours une canse exclusive de rcnvcrsc-
mcnt ; ils 1)(' voulcnt pas attribucr ~\ cux-mémes , ~\ leurs propres
Iautes, la chute qu'ils d/'pIorl'lll; ils n« s'amcndent pas ; et pour-
tant, dans les catastrophes publiques, il cst rare que ce soit un
sr-ul mobile qui ait amcné la dócadcnrc d'une autorité. Tous
rontribucrcnt ~\ la pcrte de la Ilcsraurat ion, les pouvoirs , les
partis ; les Iloyalistcs comme les Ilévolutionuaires, JI y cut des
Iautcs d'¡I\CUg!I'IllCIÜ pOU\' tous ; OH dirait que la société cnticrc
l~tailliH{'1' ;, l'cxploitation des partis , el qU'IlIlC sorte de delire
s'étai1 emparé«(les llOlllllH'S ]Jo] i I¡f/nes COJll1lJC desmasses, Le pas-
sage d'un )'(\gl}(' ;\ un aulrc e~,l toujours un grave évéucmcnt ,
IlH~mC daus les monarr hi('s r('{.';l1I1iTI's; e' ('st l' instant favorable
pmw \1)"\1'';', \1.'';', \\'\\\'''-\\W'2> Ül.'~> (,\\.'ÜI.)\',\O\. Da.\\s \'\'\', ll('s\Jnl\'(~v, lk la.
dOIlI¡'nr ('[ di' l'administration puhlique , au milieu dr Cf'S in-




356 mSTOIRE DE LA HESTAUIL\TIOi\.
quiétudes el des prcruiers tñtonncmonts </11 pouvoir, il rsl farilc
ü la conspiratiou el ~\ la révolte d'éclater. C'ótait avec la scule
nouvelle de la mort de Napoléou que :\Iallel avait essayé son im-
mense dessein centre l'empire et ses fortunes; plusicurs Iois on
avait fait courir le bruit de la mor! de Louis XVIIf pour seconder
les complots contre la Itcstauration. Ensuite, il faut hien lc dire,
le nom de 'lO:\SIEUIl n'était pas populaire ; pendant dix ans /C'
pays s'était habitué a l'idée que S. A. Il. était l'expression des
opinions les plus hautaines du partí royaliste. On opposait la sa-
gesse, la tempérance politiquc de Louis XVIII a l'ardeur roya-
liste de son Irere. Avec Charles X devaient reparairre les vieux
droits éteiuts , cet aucicn régimc coutre lequel les sentimcnts ct
les intéréts étaient si vivemcnt soulcvés! Cette opinión était r\a-
gérée peut-étrc, mais elle était communc el généralc. Toutcfois
l' état des esprits, sans s'étrc précisément arnélioré, n'offrait pas
tous les dangers des précédentes époqucs, Supposez qu'au lieu
rl'attristcr l'aunéc ,1 R2h, apres la guerre d'Espagne et les renta-
tives impuissantes des factions, la mort de Louis XVIII fút ar-
rivée au milieu des conspirations de 1H2ü a 1822, tandis que
les sociétés secretes couvraient la France , quclles terribles con-
séquonccs un incident anssi sinistrc n'aurait-il pas produites '?
)Iaintenallt tour était paisible : la gucrre d'Espagnr- accomplie
avait donné U\1e grande force au parti royaliste , el s'il n'Nail
pas plus popnlairc, 11 était au moins plus puissaut, plus rcdouté.
JI n'vxistait plus de conspirations permanentes; les partís s'assou-
plissaient sons la fortune de la Ilcstauration. Quand LouisXVlIl
connncncait Ü s'éteindre , le Conscil des ministres alla prendrc
los ordrcs de J)O:\SIEcn , hahitué dcpuis longtcmps 11 i.mpriIlH·1'
SO/1 esprit Ü tout le syS!l\IlJ(' <111 Gomel'lH'I1l(·nl. ~I. d(' Villt'./t' ,
dans la prévovanr« de ('elle transition ini" ilahll' ('¡ prorhainc ,
s'(~lail auaché ¿I COlHlllt'rir tout« la cOllfiallcc <111 prinre. Il l'avait
ploine ct cntiere ; il voulait ('!re le ministre du nouvcau ri"gll<'.
Depuis les prcmiers jours de srplelllhl'(' tont sr lit donc sous les
rommaudemcnts de i\IOl\SJElB. La volonté de Louis XV]]l;, C(·
snjot était d'ailleurs Iormclle ; il avait di'siri' <[ur son fJ'(\rr pl'(,-




r.u APITBE \\ I r.


si<lill Ir Conseil ('L qu'il pr('parat son gouverncmonr, On s'in-
quiéta moins de I'admiuistrntiou en clle-mémc (lIJe d'assurer lWC
transition sans secousscs ; en conséqucucc , les majors de la gard«
íurent prévenus pour qu'ils eussent l\ reunir les troupes par
grandes masses dans les environs de Paris, l\IO::\"SIEUR assura les
mcmbres du Conscil qu'aucuu changement ne serait fait , el que
les ministres de Louis XVIII devicndraicnt les siens. Toutefois
-'l. de Villele , quelles qne fussent ses précautions , n'était pas
ahsolument rassuré; il savait les amitiés de l\IOJ\SIEUR pour le
prince Jules de Polignac, et j usqu'ü un certain point pour M. de
Vitrolles; cette société intime n'allait-ellc pas dominer le nou-
Han Iloi , et' coruposer le ministerc ? :\1. de villele n'ignorail
pas I'cxistcnce el la force du triumvirat monarchique et reli-
gil'ux de ",1. de Polignac , de ){ontmorcncy et de Hiviér« ;
absorberait-il la pensée du uouveau rcgue ? C'est le 6 septembre
1R24, moment supréme de Louis XVIII, que ~I. le eomte
d' Artois monta sur le tróne sous le nom de Charles X; on suivit
dans ces pompos de la royauté nouvelle les vicilles et solennelles
formules du palais. Des que Louis XVIII cut rendu le dernier
soupir, toutes les personlles qui se trouvaient dans l'appartement
de' mort passercnt dans une piéce voisine ; Charles X seul , fort
ému , resta quelques instauts aupris du lit de son frere , el 101's-
qu'il en sortit , le comte de Damas, le précédant de quelques
pas , ouvrit les deux hauants de la porte, et d'une voix solen-
nene s'écria : « Le Iloi , 'lessieurs ! » Tous les princes el grauds
offlciers se prosternerent subitement, et le cortége accompagna
le nonveau monarque jusque dans son cahinet. Une henre apres
Charles X partir ponr Saint-Cloud , entouré de toute sa Iamille.
A l'avénemcnt , il Y avait deux especes d'actcs : les uns que
j'appellerai de Iamill« el en quclque sorte de hante domesticité ;
les autres de gouvernement et d'action administrativc. On 8'oe-
cupa d'ahord des premiers. Louis XVIII avait beaucoup écrit
dans sa vie; ou craignait des révélatious malheureuses ; des in-
disrrétions défavorablcs ü la vic de son successeur. On savait
aussi qn'il avait fait un tostnmcnt ; le rontrnu en érait ignor(' .




3;")8 mSTOIRE DE LA RESTAUnATTO~.
et 1'0n ne voulait point subir les legs de ses amitiés et de' ses
antipathies ; par ces motifs, les scellés furent appos('s sur Ir
cabinet du Iloi défunt , par l\l. le chaucelicr. On fut maitre de
toutes les pensées royales. On n'eutendit plus reparlcr des papiers
soumis aux scellés.


Les antiques coutumes donnaient le nom de' dauphin an Iils
ainé du roi réguant ; tous ces sonvcnirs de la vieillc monarchic ,
on les fit revine, et le héros d'armcs annonca le Dauphin et la
Dauphine de Franee. La sollicitnde de Charles X ne s'arróta
point la; depuis longues annécs , 1\1. le duc d'Orléans désirait Ir
titre d'Altesse Iloyale. Fille de Iloi , la princcsse AI1l(~liC' jouis-
sait de ce titre, mais le princo son ópoux n'était appclé qu'Al-
tesse Sérénissime, Louis XVUl u'avnit jamáis nmII1 acceder aux
sollicitations pressantes de son cousin , qn' iI considérni t romme
de son sang, et non de sa famillo. Louis XVIII avait trop <1'rs-
prit, trop de pénétration , pour ne pas cnvisager avee crainte IC's
chanees d'avenir de M. le duc d'Orléaus. Charles X avait pIm;
d'abandon et de laisscr-aller. II avait aussi quclque motif (1(' re-
connaissanee pour le princc (l',i l'avait , dit-on , aidé el secouru
dans quelque moment de génc en AngletC'ITC'. la duchesse de
Berri surtout aimait son oncle; le duc de Chartres était si gentil,
si caressant : il faisait les déliccs des hals de cour el drs soirécs
de S. A. R. JI Yavait un dernicr morif : la mort de louisXVIH
rapprochait d'un dcgré la branche d'Orléans , Pl Ir nouveau Iloi
pouvait le nommer d'un titre plus intime, plus de famille; ce
qu'on désirait fut Iait ; un acto de la volonté de Charles X donna
J'Altessc Iloyale non-seulement a 1\1. le duc d'Orléans , mais lt
sa sceur, a ses enfants et ~l JU. le duc de Bourhnn. On voulait
égalcment favoriser les arrangements qui pcrpétuaicnt dans la
branche d'Orléans le nom et I'irnmensc Iornlne des Condé, On
ajoutait que la duchesse de Berri avait un projct d'avenir ponr
le duc de Chartres; elle cnvisagcait la possibilité d'une union
avec MUe d'Artois , dans le dcsscin de confondre les deux hran-
ches ele la famille. ~I. le duc de Chartres ful uommé COIOlW[
du 1er régiment des hussards , dont son pere était coloncl-général,




CIIAPITHE XXII. 359
LlJarll's ~\ llC renv0)<1 uucun oñicier des grandes charges qu 'il«
avaicnt remplics SOllS le regue de son Irere. Sa parole était qu'il
voulait continuer ce regue , et le prince ne gouvernait-il pas
d(~Jú dcpllÍs dCllx Jl1I1écs? Son lIvéncmcnt tie cllallgeait pas la
marche géuérale des allaires, ~Dl. les ducs de Duras, de Blacas,
d' lumont couservaient leur charzc de premiers gentilshommes,
--, - b ,


rous les oílicicrs de l'ancienue maisou du eomte d'Artois eonti-
nuaicnt aussi leur service aupres du nouveau Iloi ; le duc de
Ilivierc, capitaiue des gardes de JI0:\SIEUR, devenait capitaine
des gardes du Iloi ; on maintint tout , méuic la vicille exprcssiun
de uicnius pour les gentilshounnes de M. le Dauphin , duc
d' Angoulcm«,


Ces arrallgelllcllls tenaient tout cntiers a la maison du Iloi el
n'cntraicut point dans le Gouvernement. Sur ce dernier poiut ,
des mesures devaicut étrc prises ; ;\1. le Dauphin était arrivé de
son cxpéditiou d'Espaguc comme une puis.ance ; l\l. de Yillelc
savait les relations de S. A. IL avec le parti militaire el les hom-
mes politiqucs de la couleur du ministerc Ilichclicu ; en le Iais-
saut tout ~l Iait en dehors du Gouvcrnement , n'allait-on pas le
poser conune le chef d'uue oppositiou qui le prendrait pour
t:\uicle? 'lieux valait done l'ahsorber dans le Conseil en flattant
son amour-propre , cn le Iaisaut dircctemcnt participer aux
actcs du Couverncmcnt , el par conséquent en l'intéressant a
lcur exécutiou. ,1. (le 'illi'le :::nail le Dauphin ti op habitué ~l
une sonmissiou rcspcctueusc envcrs son pere , pour qu'il fút
jamais un contradictcur bien dangcreux au Conseil du Iloi ; le
priucc était troj) probo ponr qu'ayant une fois participé aux
acles <111 lIIillislt're, il Iit de l'opposition ~l ces actos en dehors
des délibér.uicus ¡UTN{I(IS. Charles X nimait son Iils, el l'on
pouvait citcr plusicurs {':\(lillpleS dans la monarchie et méuie
dans le graud souvcnir de Louis Xl r ; quaut aLouis XVIII, il
avait en des raisons puissautcs pour en éloigner son successeur.
'1. de Yillclc , maitre sur ce point , dut également prémunír son
pouvoir ministériclcentre un antrc danger, l' invasion aux affaires
des auiis persounels du uouveau lloi, Le présideut du Conseil




1I\:-;IU11\.E. DE L\ HESTAlIL\\lUJ\.


n'ignorait pas la toute-puissance de )1. de Poliguac sur le CO.'Ul'
de Charles X. Le prince Jules , alors en Angleterre , visait au
miuistere des aílaires étraugeres ; il avaít rempli , sinon avec une
capacité éminente, du moins avcc loyauté et intelligence son
ambassade de Londres ; le Cabinet anglais ne l' aurait pas vu avec
déplaisir aux affaires étrangeres a l'eneontre de )1. de Damas,
qu'il considérait un peu comme l'homme de la Russie , au moins
par ses souvenirs, Le prince .Jules avait tant de titres ~\ la con-
íiance de ce Roi qu'il aimait si chevaleresquement! il avaitdans
sa pensée et dans son cceur le culte de l'autorité royale , une foi
aveugle dans lapuissance de Charles X; il était si lié avec~DI. de
~lontlllorency et de Ilivierc ! ),,1. de Vitrolles, de Fitz-James ,
n'allaient-ils pas demander des positions politiques ?Et pouvait-
ou les refuser ? 11. de villéle prévit le danger et s'efforca de le
conjurer ; il fit toute espece de protcstations de ses amitiés et de
son désir d'associer le prince de Polignac ; mais était-il capable
de conduire les affaires ? ,1. de Yillele exagéra l'incapacité de
"!\1. de Polignae: « e' était , certes, répétait- il, un homme de
conscicucc et de dévouement : mais aux affaires étrangéres il ne
íerait que des sottises : voulait-on d'aillcurs se compromettre
aH'C la nussie '? Cette opinion d' incapacité resta gravée dans
l'esprit de Charles X, el il Iallut bien des années pour I'cílacer.
QuanU\)1. de Vitrolles, ,1. de ViIJi'le continua son méme thémc
d'insinuations et souvent nuuue de calomuies ; il persuada ~I
Charles X qu'il était impossihle par ses untécédcuts de lui donuer
une situation patente et avouée dans le Cabinet ; et quant ~I 'l. de
Fitz-James , il se montra satisfait de sa haute position de con-
Iiauce el de cháteau. Ilcstait ,1. de Cháteanhriand. Le grand
('crivain avait soutenu de sa puissante parole l'avénemcnt de
Charles X; iI avait publié des brochures brulantesdc royalismc,
qui étaient aux mains de tous et lues avidement : le Roi lui en
tint compte , et I'accueillit au Cháteau avcc une hienveillance
marquée. Le partí ministéricl s'cn était ellrayé ; mais JI. de
VillNe n'avait pas manqué de travailler encore le Hoi ; iI avait
dénoncé l'alliance de }l. de Chüteaubriaud avcc la partie libéralc




CIlAPlTRE sxu. 361
de la Chamhre des Pairs et avecla fraction Ilichelieu : d'oú I'im-
possihilité de le ramener aux aífaires. En résultat , lU. de Yilléle
dcmeurait maitre du terrain et en pleine possession du ministere.
Toutes ces impressions, que le Roi avait recues de son premier
ministre, resterent gravées dans son esprit; elles ne s'effacerent
que difficílement,


Jamais popularité pareille n'avait salué l'avénement d'un Roi!
Charles X, je l'ai déja dit plusieurs fois, avait cet esprit
d'a-propos et de reparties qui entrait particuliérement dans
l'éducation royale des Bourbons: il répondait avec une gráce
parfaite qui aIlait atous ; on lui fit quelques mots dans sa vie ,
mais il en dit beaucoup de spirituels ct de gracieux surtout, Je
n'ai connu personne qui ne sortit frappé de ses conversations
royales; il exercait un eharme indicible , méme sur les ames les
plus graves et les plus prévenues. Il avaitarecevoir les hommages
de tous les pouvoirs de l' État, et il répondait atous des paroles
dignes et aimables: « J'ai promis comme sujet, disait-il aux
Pairs et aux Députés , de maintenir la Charte et les institutions
que nous devons au monarqne que nous pleurons; aujourd'hui
que le pouvoir est entre mes mains, je I'emploierai tout cnticr
~I consolider pour le bonheur de mon peuple le grand acre que
j'ai juré de maintenir..I'ai la plus grande contiance dans mes
sujets, et je suis persuadé que je trouverai en eux les mérnes
sentiments; j'étais frerc , maintcnant je suis roi, et ce titre
indique assez la conduite que je dois tenir. » Le nonce du pape
porta la parole au nom du corps diplomatique: « Fideles inter-
pretes de leur maitre , les représentants des Puissancesétrangeres
partageaient la douleur générale ; Louis XVIII avait fait le hon-
heur de son peuple et avait mérité par sa sagesse I'admiration de
l'Europe; mais la religión retrouvait en Charles X son ferme
appui et la France un pere hien-aimé , les souverainsde l'Europe
l'ami et le garant de la paix et de cette union qui affermit les
monarchies et assnrc la prospérité des pcuplcs, » Le Roi répon-
dait : « Mon cccur est trop déchiré pour que je puisse vous
exprimcr mes sentiments; je n'ai qu'une ambition , et j'espere


lIJ. 31




362 mSTüIRE DE LA RESTAUHATWi.\.
que Dieu me I'accordera : c'est de continucr arce zele ce que
mon vertueux frere a si bien fait; rnon ri'gne ne sera que la
continuation du sien, tant pour le bonhcur de la France que
pour la paix et l'union de l'Europe, » ~I. de Seze , premier
président de la cour de cassatiou , déposa aux picds du nouvcau
monarque les hommages de la premierc cour du royaume. « Nous
venons jurel' aCharles X la mémc Iidélité que nous avionsj urée
a Louis XVIII; nous lui offronsle méme dévouemcnt , le memo
zéle et le méme respect dont nous étions d('j~l si pénétrés. » -
« J'espere , répondit le nouveau roi , que la cour supremo con-
courra de tous ses eflorts ~I sccondcr les soins que je dounerai
ponr l'affermisscment de mon Gouveruemcnt ct pour le bonheur
de notrc patrie .. Je compre sur sa fermeté , sur son impartialité
dans I'excrcice de la justice; ce n'est qu'ainsi qu'on peut faire
respecter les lois et maintenir leur exécution. Quant avous,
1\1. de Séze, ajouta Charles X, j'avais deux Ireres : vous avez
servi l'un au péril de votre vie , ct vous avez constamment té-
moigné a l'autrc le méme dévoucmcnt ct le memo zele ; jo
compre égalemeut sur ces memos scntimcnts pour moi. » Et a
l'Académie Iraucaise , il répondait : « tes scicnces et les lettres
ont perdu un protcctcur <fui les a cultivées dés S1 plus tcndrc
enfance; je I'imitcrai , non pas avec le méme talcut , niais avec
le mémc zele, » - « J'ai besoin de grands sccours, répondai!le Iloi
~l ;\l. Frayssinous ; que le clergó joigne ses priercs aux mienucs ;
I'instruction publique cst la chose la plus importante, non-
seulemcnt pom nous , mais pour nos successeurs ; je compte
sur vos effortspour continucr le rcgnc de mon vertucux Irere. II
Charles X disait en meme temps au présidcnt du consistoirc de
l'.Église réforrnéc : « Soyez súrs de nia protection, couuue YOUS
l'étiez de ccllc de mon frere ; tous les Franrais sout égaux ü mes
yeux ; ils out tons les inémcs droits ~l IlIOIl amour, a ma proteo-
tion et ama hieuveillancc..» Ct'S réponses, toutcs convenables ,
allaient a toutes les sympathies , paree qu'clles protégeaient tou-
tes les institutions. Le Iloi s'eugagcait envers les corps politiques
a maintenir la Charte ; il dcmandait aux tribuuaux de Iaire




CHAPITRE XXII. 363
exécuter la loi ; il prornettait aux chefs des divers cuItes une égale
protection ponr tous. :, 'était-ce pas lit le symbole et le présage de
la liberté constuntunuu-Ius t Aussi son elltréc a París fut-elle
salute par les plus vives acclamations ; les partis semblaient
s'étre ouhlíés cux-rnémes avec leurs vieilles haines , leur antique
ressentimcnt , dans un cnthousiasme commun. Charles X se
snrpassa en graces , en bonncs manieres; on cut dit une des
hellcs journées des premiers tcmps de la Restauration , ou cette
entrée de Ilcnri IV a Paris que la peinture a éternisée. Arrivé
au chatean, le Iloi se montra radicux , cal' il était avide de po-
pularité ; il aimaitces cris de la multitude , tous ces témoignages
qui rappelaieut I'antique loyauté de la nation. Le soir, il y cut
ConseiI des ministres, et Cl' fuI lit que l'on proposa comme me-
snre d'avéncmcnt raholilion de la censure. M. de VilIde affirma
depuis que ccttc mesure fut provoquée par lui-méme , ou, pour
parler plus cxactement , par le Conseil des ministres tout entier :
selon le président du Conscil , la fin prochaine ct inévitable du
roi Louis XVIII avait nécessité la censure; on avait voulu pré-
parcr en silcnce l'avéncmcnt ; la cause cessant , la censure avait
été abolic comme pour salucr le nouveau Monarque, Ces motifs
étaient plausiblcs , maís éraicnt-ils réels? La mesure répressive
lancee centre les journaux avait (·t(; un coup de colere contrc la
prcsse ; les motifs de l'ordonnanee le disaient assez ; ce qui avait
amené la révocation de cctte ordonnancc était le besoin de po...
pulnriscr Charles X; l'abolition de la censure, la veille d'une
grande revue de la garde nationale , devait préparer une de ces
joies de capitule que le Iloi aimait tant. D'ailleurs Charles X et
ses amis n'avaient jamáis été enuemis de la presse libre; c'était
pour eux une vicille préoccupatiun de parti ; chef de l'opinion
royaliste , Charles X avait , comme elle el avec elle, demandé la
liberté des journaux , moycn puissaut pour le triomphe do ses
doctrines; il ne l'avait point oublié , cal' il avait surtout cette
rnémoire des vieillards , qui garde 'es impressions du passé, Le
Conscil des ministres put bien no pas s'opposer formellcmont a
l'aholition de la consuro , mais il )10 la provoqua point : l'idre




36á I1ISTOIRE DE LA RESTAURATlON.
premiere étaít dans Charles X ; elle fut soulevée par le Dauphin
et adoptée entin par le Cabinet. Les ministres étaient trop
menaeés par la presse pour l'émanciper spontauément; c'eüt
été une faute; ils subireut la mesure, mais ils ne l'avaient
pas souhaitée. Dois-je rappeler que eette ordonnauce fut saluée
par d'unanimes aeclamations? La presse se montra emrainée ,
reeonnaissante. Les journaux les plus rudes , les plus opposés
aux droits de la Restauration fírent l'éloge des inspirations
royales; on parla des hienfaits de la légitimité, de l'amour du
pays pour les Bourbons : il n'y cut plus de répugnances. Le
Courrier [roncáis ~ l'organe le plus violcnt de l'opposition libé-
rale , a la parole haute, implacable dans ses opinions, disait :
« Un nouveau regne commence ; le Prince veut le bien, mais il
faut le lui faire connaitre ; en rendant la liberté aux journaux ,
sa sage volonté écarte ce nuage de déeeptions dont ses ministres
comptaient s'entourer ; quel gage plus rassurant la nation pou-
vait-elle désirer, quelle garantie plus effieace pouvait-elle obtenir
pour son avenir? » Ces expressions étaient toute la pensée du
parti. A cette époque on cessa méme de conspirer sourdement ;
les derniers vestiges des comités disparurent ; on se résigna aux
formes légales. Ainsi , un grand résultat de fusion et d'amour
était obtenu. Tous les partís saluaicnt la Ilcstauration ; tous
rivalisaient autour de la nouvelle eouronne écJatante de géuéro-
sité et de gráce ; on se réconciliait avec la légitimité, Ilapproche-
ment solennel! Charles X reudit la presse libre, et e'est devant
la presse que son gouvernement s'écroula ! c'est que eette
arme dans les mains des partís était fatale.


Je sais tout ce qu'on peut attribuer aux capriees populaires;
la multitude éléve et renverse ses ídoles ; elle les couronue de
fleurs , puis les foule de ses pieds robustes el sanglants; mais
dans les révolutions tout n'est point irréfléchi ; le peuple a ses
instinets. Deux causes contribuerent principalement aperdrc la
couronnc: d'abord la suprématie maladroitcmcnt organiséequ'on
voulut donner au clcrgé, les tcntativcs incompletes , bñtardes
pour rcfaire une aristocratie ; puis, la persévérancc de Charles X




CHAPITRE XXII. 365
a conserver son ministere et la Chambre septennale. La piété
royale augmentait avec les années; il arrive une époque OÚ la
terreur de la mort s'empare d'une ame faible et la domine:
supposez des hommes habiles et ambitieux exploitant cette peur
d'une autre vie de tourment et d'angoisse, la mettant en pré-
sence de quelques égarements, de quelques folies de jeunesse,
et l'on s'expliquera cet entrainement d'une imagination ardente
vers les pratiques de la religion, refuge assuré dans les orages
de la vie. Je ne répéterai point d'ignobles calomnies, ces hruits
d'initiation et d'affiliation saintes avec les jésuites, ces men-
songes que la caricature reproduisit plus tardo Charles X avait
une foi vive, une noble croyance, il s'égara , mais il ne fut
point hypocrite. J'ai dit ce qu'était la congrégation: elle pre-
nait , al'avénement de Charles X, un plus vaste développernent
en se rattachant a la cour, au ministere ; on la trouvait au
Conseil d'État , dans le Conseil privé; elle obtenait un ministre
spécial; M. l'évéque d'Hermopolis prenait les cultes et, quoi-
que des idées de gallicanisme vinssent quelquefois balancer les
convictions du prélat , sa tendance était tout entiere dans les
intéréts et les opinions du parti religieux. On n'attend pas de
moi que je ramasse les mille et une uiaiscries qu'on débita contre
les jésuites en France ; de sales pamphlets furent publiés ; tout
est hon pour les partís pourvu qu'ils arrivent aleurs fins; je laisse
dans la houe toutes ces confessions et rcoálaiions qui furent
Iaites : les factions ont besoin d' épouvantail ; on jeta les jésuites
au peuple; ce ne furent pas seulernent des intelligences actives,
ardcntes s'ernparant de la société et d'une royauté qu'ils allaient
perdre , mais pour les partis ce furent des hommes pervers , des
monstres dans l'ordre des sentiments humains, Qu'étaient done
ces jésuites , leurs statuts , leurs habitudes, leur inf1uence?
quelle puissance mystérieuse et grande exercaient-ils sur le Gou-
vernement? Quelques débris de l'ordre des jésuites s'étaient
réunis en France sous le IlOlll de Peres de la Foi. Lorsque Napo-
léon releva les autels, leurs statuts, renouvelés des anciennes
constitutions de l'ordre proscrit, furent dénoncés au ministre




366 HISTOlRE DE LA llESTAUllATION.
des cuItes; un arrété de 1\1. Portalis prononca la dissolution de
leur établissement. Cependant tout espoir ne fut point perdu :
l'esprit ingénieux des jésuites trouva mille ressources, Sous la
protection du cardinal Fesch et de plusieurs évéques , iIs péné-
trerent dans les hauts saloos de l'aristocratie et de l'empire, aussi
bien que dans les cháteaux de la vieille opposition de 1\1"1" de
Staél. A la Restauration, leur condition changea; Louis X YIII
n'avait pas une piété assez profonde pour protéger efficacement
l'ordre de Saint-Ignace ; toutefois l' ordonnance royalequi placait
les petits séminaires en dehors des lois de l'Université, Iavorisa
la domination des Peros de la Foi sur tout le svsteme d'éduca-


. .


tion publique : iIs eurent des maisons ¿l Dóle , a Bordeaux , a
Sainte-Anne-d'Auray, a lUontmorillon, a Aix , aForcalquier,
aVitry, sous la direction centrale de lUont-Houge et de Saint-
Acheul. Ce qui faisait leur force, c'était surtout cette hiérarchio
d'affilíation qui leur donnait partout des protectcurs et des appuis,
L'habile et puissant fondateur de cet institut avait appeléen quel-
que sorte le genre humain a seconder la congrégation qu'il avait
établie. Sous le nom vulgaire de jésuitcs el robe courte ~ on
pouvait admettre tout Iaíque il participer a la vic et a l'esprit de
la société. Je ne puis dire le nombre de grands seigneurs el de
noms remarquables qui furent afliliés auxjésuites ; des pamphlets
l'ont affirmé de Charles X. Je crois que celui qui fut le noble
et gracieux comte d'Artois put chevaleresquement promettre ,
au lit de mort d'une anciennc amir, de rctourner ades príncipes
religieux , a des croyances ardentes ; mais entre ce repentir des
folies du jeune homme et une afllliation aujósuitisme, un rcvérc-
ment en quelque sorte de l'habit religieux , il Yavait une diflé-
rence que les partís ne voulaient point íaire, Au rcste , tout ce
qui entourait le ROl, ses plus pieux serviteurs , le duc de Mont-
morency, le marquis de Iliviere , ceue multitude d'évéques ,
de prétres , qui appuyaient son trüne , servaient I'admimble
institut des jésuites, Tout se concertait pour en étendre les
ramifications; nou-sculcmcnt tous les cnfants de la Cour et des
illustres familles étaient envovés en pensión ehez' les jésuitos ,




CHAPITHE XXII. 367
mais encere tous les lils de fonctionnaires publics , tous ceux
égalcmcnt qui visaient ü la fortune; cal', des qu'il fut constaté
que Iesjésuitcscxerraicnt une inílucncc sur le Gouvernement, on
les adora comme des favoris. Autour de cette agrégation s'en for-
maient d'autres , véritables émanations , et qui lui servaient de
complément. Les jeunes hommes qui 1]'embrassaient pas l'habit
de profes sortaient des écoles de jésuites pour s'aflilier aux bonnes
études sous la piense direction de M. de Montmorency; plus
ag(~s, on les recommandait aux honncs lettres ; on les agrégeait
~i la laste association pon1' la propagation de la foi, espéce de
eongrégation oú le pauvre et le riche contribuaient égalernent
par la modiquo rétribution de ciuq ccntimes par semainc. S'agis-
sait-il d'un ouvrier , on lui offrait l'atíiliatiou de Saint-Joseph.
tes prisons avaient égalemcnt leur eongrégation; tout cela se
liait et se tenait admirahlement. Touteíois , je me háte de le
dire, la société des jésuites avait perdu ce haut caractere de civi-
lisation et d'intclligence qui l'avait autrefois appelée a de si
grandes destinées. Une des causes qui avait contribué surtout a
agrandir le cercle de ces conquétes , e'étaicnt les incontestables
Iumieres , la supóriorité scicntifique qu'ils avaient sur toutes
les institutions alors ótablies, et les jésuites modernes étaient loin
d'aüeindrc ecuo grande destiuóe. Au reste, Saint-Acheul , et
J\lontrouge surtout, étaient visités par tout ce que la Cour possé-
dait de plus pur daus les voies rcligieuses ; on y faisait des
retraites , on y passait des neuvaines , on y allait prendre mille
délusscmcuts; la les peres et les jennes novices , autour d'un
riche billard , Iuttaicnt souvent contre de nobles rivaux , cheva-
lier» des ordres ou pairs du royaume. Leurs protégés étaient
partont; leur afliliation s'éteudait l\ tout ce qui tenait au Gou-
verncmcnt. L'épiscopat protégeait leur ordre; le ministre des
aífaires ecclésiastiqucs , lH. Frayssinous , était en quelque sorte
leur commcnsal ; il allait fairc des rctraites a l\lont!'onge. A la
Conr , toute la grande aumónerie leur appartenait ; 1\1. de Latí!
les favorisait ouvertcment, Ami et intime confident de la royauté,
'\1. d!' Latil s'était rapidement {,Iev{' d'une fortunc obscuro au




368 HISTomE DE LA RESTAURATION.
cardinalat et ~l l'archevéché de Reims. C'était un de ces prélats
ardents appelés a jouer un role dans les grandes scenes qui a
d'autres époques avaient troublé I'État et I'l~glise. Les aumóniers
des princes, les gentilshommes tels que lU~l. de JUontmorency,
de Blacas , de Biviere, aimaient l'institut des jésuites; ils auraient
considéré comme une grande époque dans les annales de la
monarchie le jour qui aurait vu Ieur rétablissement public et
avoué; les enfants de saint Ignace s'étaient également empares
de cette femme qui gouverna Louis XVIII, pour se rendrc
maltres de l'esprit du vieux monarque. Dans chaqué departe-
ment ministériel , les jésuites avaient placé un de leurs amis :
auprés du président du Conseil , 1\1. de Renneville, jeune homme
de la plus grande spécialité , mais qui ne refusa jamáis une
recommandation des chefs de l'affiliation religieuse; a l'inté-
rieur, lU. Franchet; a la police , M. Delavau; a la maison du
Roi, 1\1. de Doudeauville ; aux aífairesétrangeres, 1\I. de Damas;
aux postes, lU. de Vaulchier : et par ce moyen tout se tenait;
les administrations se peuplaient de leurs créatures, Avec une
habileté peu commune, ils ne s'oubliaient jamáis les uns les
autres dans la vil'; les supérieurs suivaient jusqu'au dernierde
leurs éleves ; ils les réunissaient dans les grandes solennités de
l'année, ne cessant de les faconner ~l leur commune impulsión.
Des mernbres de la Chambre des Pairs étaicnt affiliés au saint
ordre ; il avait la majorité dans la Chambre des Députés, Une
main invisible conduisait tous ces Iils, commandait la pensée du
Gouvernement et sa marche politique; de la ces projets et ces
mesures touies concues sous une commune inspiration , et qui
entrainaient la France en dehors de ses mceurs et tounnentaient
son iudiflérencc. Je considere cette actiou secrete conuue une
des grandes causes de la décadencc de la dynastíe , non-seule-
ment par ce qu'elIe fit, mais encore par ce qu'elle laissa sup-
poser; elle devint un champ de bataillo pour toute espéce d'accu-
sation contre le pouvoir royal; on s'empara des jésuites comme
d'un moyen pour dépopulariser le Gouvernement, on les attaqua
pour déguiser les coups que l'on portait ala monarchie; ajoutez




CHAPlTRE XXll. 369
a cela I'inconcevahlc persévérance de Charles X a conserver son
ministere tel qu'il était composé , apres lui avoir óté un élément
de force, la censure; ce qui laissait un champ libre et brülant
aux récriminatious, Des l'instant que le Roi résolut de priver
son conseil de la censure, il devait l'organiser de maniere ane
pas exposer les actes de son Gouvernement aux coups trop vifs
des journaux. Le Cabinet de l\I. Villcle n'en pouvait plus; 1'0pi-
nion dans toutes ses fractions actives et puissantes concourait a
le poursuivre et ale démolir. En supposant que Charles X eút
cru la présence de lU. de VilleIe nécessaire a son Cabinet , il
devait l'environner de noms nouvcaux , le retremper dans des
popularités constatées. L'avénemcnt du Roi a la couronne avait
d'aílleurs facilité cesarrangements: bien des répugnances s'étaient
eflacées au pied du tróne ; des hommcs de couleurs diverses
avaient donné des gages; pourquoi ne pas profiter de ces heu-
reuses circonstances pour préparer un ministere dé coalition? Je
crois qu'un Cabinet de trois nuances; 1°. de la contre-opposi-
tion; 2°. de la défection Cháteaubriand , Agier; 3°. de la cou-
leur Richelieu, en entourant lU. de Yilléle , aurait trouvé l'as-
sentiment du pays et donné a la couronne une heureuse unani-
mité. On n'en fit ríen : le Roi crut devoir couvrir de sapuissancc
le plus impopulaire des Cabinets; il disait son honneur royal
engagé ¿1 soutenir un systéme et des hommcs qu'il avait poussés
lui-méme aux affaires, On avait persuadé aCharles X qu'il ne
devait pas céder , et que c'étaít par des concessions que son
frere Louis XVI' s'était perdu; d'oú il concluait que la fermeté
était un des devoirs de la royauté aux temps de crise. Dans les
petits esprits la fermeté est toujours confondue avec l'obstina-
tion ; il est facile d'élcver jusqu'á la vcrtu ce quí n'est qu'un
vice de notre nature, Tel était Charles X; il resista sans appré-
cier les motifs de la résistance , sans regarder a droite ou ¿l
gauche , sans voir oú cela le menait. 1\1. de Yillele avait en l'ha-
bileté d'arranger les alTaires de telle sorte qu 'il était devenu
I'homme indispensable du nouvcau reguc,


Cependant le miuistére devait agir , et son premier aete fut




370 HI5TOIRE DE I.A RE5TAURATION.
la plus maladroite mesure : une ordonnance mit a la retraite
tous les officiers généraux qui , ayant droit au uuixinium de
leur retraite , n'avaient pas été employés depuis le 1t'l' janvier
1823, et ceux qui, ayant également droit a la retraite , n'avaient
pas été empleyés depuis le 1'-" janvier 1816. Par suite de ces
dispositions, presque tous les déhris de nos vieillcs batailies fu-
rent jetés hors de service : ,:cillquante lieutenants généraux et
cent maréchaux de camp a peu pres Iureut eflacés des cadres ,
et parmi eux les Iieutcuants généraux Grouchy, Yandamme,
Gazan , Drouot , Ornano , Subervic , Perctty , Gilly , Excelmans,
Harispe, Sémélé , d' Anthouard , Jeannin et Cassagne; et cette
mesure violente était prise au momcnt oú les partís venaient de
saluer, en s'cflarant , le nouveau 1'(\gllr. Les g.~Il(·ram: dI' la
veille armée s'étaient tronvés i\ toutes les p~)mI)('s royales, i\ ses
cortéges, ases fétes ; Charles X leur avait adressé i\ tous des pa-
roles flatteuses, et c'était cet instant qu'on choisissaitprécisément
pour rappeler des rigueurs centre les sommités militaires. L'or-
donnance , disait-on, était ancicnne : on n'avait fait que l'extraire
des cartons ministériels. Qn'importait la date? ii fallait prévoir
l'eITet de la mesure , ct cornprendre qu'ellc ótait i. la royauté le
cceur et les services d'anciens officiers, On fnt obligó a des ex-
ceptions personnelles; le Iloi le fit avcc une gráce cxtrémc , et
l'ordonnance tomba en dósuétude par la mulriplicitó des cas ré-
servés. 11 fallait arriver devaut la Chambre couvoquée pour le 22
décembre , et plusieurs graneles questions devaient lui étre sou-
mises. La Charte portait que la liste civile serait réglée a l'avé-
nement de chaque regne , et il était urgent qu'on s'en occupát
pour la régularité du Trésor. On avoit parlé des dettes qu'avait
laissées Louis XVIII: il u' en était aucune , et , chose remar-
quable ! l'actif et le passif se compensaient par une sommc de
quelques cent mille francs, Jamáis gouverucment plus régulier -'
plus exact, plus parfait que celni de la maison du Roi; tout s'y
faisait avec munificence , avec charité , et pourtant Louis XVIII
ne dépassait jamais son budget , ajoutait mérne quelquefois , par
les ressourcos de la Liste civile , anx movcns d'nction et do n~-




CHAPITRE XXII. 371
compenses de chacun de ses ministeres, La question de la liste
chile n'était pas simple: s'il ne s'était agi que du vote de sub-
sides a l' égard du Iloi ot de sa famille, un tel vote dans une
Chambre composée de tant d'éléments royalistesne pouvait souf-
frir de grandes difficultés ; les suffrages devaient étre enlevés
d'enthousiasme; mais le nouveau Iloi , toujours si bienveillant
pour la maison d'Orléans , avait pris 1'engagement avec son cou-
sin de faire sanctionncr son apanage par une loi. Toute la for-
tune de S. A. R. ne reposait jusqu'alors que sur une simple 01'-
donnance; Louis XVIII avait toujours refusé cette haute indé-
pendance d'une propriété irrévornblc. te duc d'Orléans obtint
tout de Charles X; et commc s'il avait pris sous son aile ce nou-
vean bicnfait, il commanda ases ministres el'eninsérer la dispo-
sition dans la loi sur sa propre liste civile. tes opinions de lU. le
duc d'Orléans étaient trop antipathiques aux opinions de la ma-
jorité royaliste de la Chambre pour que cette majorité lui assurát
un apanage indépendant, et si 1'on avait faitde cettc dotation une
loi spéciale, il cut élé probable qu'elle aurait été rejetée. On avait
a régler également un objet d'un haut intérét , cal' il s'alliait ~t
une pieuse cérémonie que le partí religieux réclamait comme un
retour aux vieux usagcs: j'cntcnds parlcr du sacre. On arréta
dans le Conseil des ministres un projet de loi sur la tiste civile ,
simple ct clairerncnt exprime. t 0. Les biens acquis par le feu
Iloi , et dont JI n'aurait pas disposé , ainsi que les biens particu-
liers du Roi réguaut , seraicnt réunis ~l la dotation de la Cou-
ronne ; 2°. la liste civile du Roi devait étre fixée , pour toute la
durée de son regnc , a 25 millions , que le Trésor royal paierait
annucllcment , 3°. une sommc de 7 millions serait également
payée annuellcment par le Trésor , comme apauage des priuces
et priucesscs de la Famille royalc ; !lo. une somme de 6 millions
serait payéc extraordinaircmcnt par le '1'1'l'801' ponr les Irais des
obseques du Icu Iloi el le sacre de S. 1\1. CharlesX ; 5°. les hiens
restitués a la branche d'Orléans, provcnant de l'apanage consti-
tué a ;\IONSIEUR-, Irere de Louis XI V, contínueraient aétre pos-




372 IlISTOInE DE LA RESTAURATION.
sédés aux mémes titres par le chef de la branche d'Orléans, jus-
qu'a extinction de sa descendance mñle , auqnel cas ils feraient
retour au domaine de l'l~tat. C'était une loi completeet conforme
aux vrais principes de l'avénement.


Une seconde question inévitableétait l'indemnité des émigrés.
Depuisplus de six mois 1\1. de Martignac , directeur général des
domaines , avait recu mission de recueillir aupres des directeurs
des départements tous les documents nécessaires pour apprécier
la situation des indemnitaires , la nature des hiens confisqués et
la quotité des valeurs qu'ils représentaient. Ce travail fut fait
avec une grande exactitude , et l'on en présenta les sommités au
conseil du Roi, appelé a délibérer sur la nature et le mode de
l'indenmité, Le projet définitif fut I'reuvro de l\I. de lUartignac;
on pouvait le rcconuaitre ala cIarté d'expressions et de méthode,
Il fut soumis a un Conseil de cabinet, et la discussion ne porta
pas sur le príncipe de l'indemnité admis par le Gouvernement
comme une concession inévitable. On n'avait done aexaminer
que le mode d'indemnité, et les moyens qui, tout en rendant
pleine justice aux indemnisés , greveraient le moins le Trésor,
et présenteraient le plus de Iacilités dans l'exécution. Les uns
voulaient donner des rentes 5 pour 100; les autres prenaient
pour base d'autres éléments que la fortune territoriale. Enfin on
arréta que 30 millions de rentes au capital d'un milliardseraient
affectés a indemniser les Francais privés de leurs propriétés par
les lois révolutionnaires, L'indemnité pour les biens-fondsdevait
étre réglée d'apres les bases fixées par les lois qui ordonnaient
la recherche du revenu en 1790; elle consisterait en une inscrip-
tion de rentes 3 pour 100 sur le grand-livre de la dette publique,
dont le capital serait égal ~l dix-huit fois le revcnu, Lorsque le
résultat des liquidations serait connu, les sommcs restées libres
sur les 30 millions de rente devaicnt servir arétablir les inéga-
lités qui pourraient résulter des précédentes dispositions. L'in-
demnité serait délivréc ~l l'asccndant et aux dcscendants. Quant
aux ressources Iinancieres 7 1\I. de Villele se mit en mesure de




CIIAPITRE XXII. 373
répondre atons lesbesoins sanscompromeure les íutéréts du Tré-
sor. Il avait déja. arrété dans sa pensée un nouveau mode de con-
version dont les banquiers lui promettaient l'hcureux résultat.


Pouvait-on commencer la session sans satisfaire aux exigences
de l'opinion religieuse? Au momcnt oú le petit-fils de saint Louis
aIlait recevoir la couronne, ne ferait-il rien pour l'autel ? Dans
la session précédente, le projct de loi sur la punition des crimes
commis dans les églises avait été retiré par le garde des sceaux :
la Chambre des Députés n'en avait pas trouvé les dispositions as-
sez fortes ; et puis, l'on ne punissait pas le sacrilége sans vol, l'in-
sulte aux choses saintes. 1\1. de Peyronnet songea donc a satis-
faire ace vceu de majorité par un de ces projcts , qui répugnait
ala nature de notre caractere national : on aurait dit un espéce
de coroIlaire au mandement de I'archevéquc de Paris sur la pro-
fanation de l'église de Suréne , cal' il y avait eu une réeente pro-
fanatíon. Ce pieux esprit était tout entier passé dans le projet de
1\1. de Peyronnet , qui appartenait évidemment ü une autre épo-
que: « La profanation des vases sacrés et des hosties était, disait-il,
un sacrilége au prcmier chef. Le sacrilége pour les hosties était
puni de la peine du parricide ; on devait frapper de mort la sim-
ple profanation des vases sacrés. » L'cntendcz-vous ? la peine du
parricide pour un acre de folie, pour un de ces erimes qui n'é-
taient plus dans nos mceurs sérieuses ! Au temps OÚ le catholi-
cisme était partout , se mélait a tous les orages de la politique ,
une loi implacable pouvait réprimer le sacrilége ; cal' c'était un
crime politique qui attaquait en quelquc sorte la constitution
méme de l' Í~tat. l\lais apres la fatale révolution qui avait violem-
ment placé les bases de la société sur des fondements tout civils,
un sacrilége n'était plus qu'un acte infame; ensuite il avait été
un ternps OÚ I'impiété était de bon ton, oú 1'0n insultait les ta-
bernacIes comme par maniere: tout cela n'existait plus. 1\1. de
Lamennais l'avait bien défini ; ce qui menacait la religion, c'était
'inclifférenee ; 01' l'iudiffércuce ne profane paso On méeonnais-
sait done eette tcndauce du siecle ; on préparait pour la Chambra
une loi sans application possible, qui allait tourmenter les eon-


Ill. 32




374 IIlSTülHE DE LA RESTAUHATlüN.
sciencessans réprimer les délits. J'aime ¿l croire que 1\1. de Pey-
ronnet ne fit ici que céder a la majorité de la Chainbre , sous la
domination d'une idée de réformation et de croisade religieuse.
C'était déja beaucoup que ce projet exhumé de l'ancienne Tour-
nelle; et pourtant ron fit plus encore pour le partí religieux. Il
y avait plusieurs années qu'on songeait ¿\ légaliscr l'existence des
communautés en France ; la vieille máxime qu'aucune congré-
gation religieuse ne pouvait s'établir qu'en vertu d'une loi im-
portunait : leurs statuts devaicnt subir une discussion publique,
et des lors comment songer a introduire ces anciennes commu-
nautés proscritos, Le partí royaliste avait son plan merveilleuse-
rnent comhiué : il Ymarchait pas a pas , mais avec persévérance ;
iI révait une réforme sociale , un retour vcrs les vieilles institu-
tions catholiques, Le rétablissement des communautés d'hommes
entrait dans sa pensée; iln'osait le dire tout d'abord ; il voulait
faire poser le principe pour les femmcs, afin qu'étayé sur ce
précédent , il füt plus facile d'arriver ¿l d'autres concessions. Le
projet de M. l'évéque d'Hennopolis devait se résumer en un seul
article ; il voulait que tous établisscmcnts ou congrégations de
fernmcs fussent autorisés par simple ordonnance du RoL Je de'
mande si cet ensemble de projets de loi, joints a la réduction de
l'intérét de la deuc , n'étaicnt pas Iaits pour dépopulariser tout
un regne : je demande s'il (~t;).it possihle d'agir arce plus de mala-
dresse a un arénement?


Et pourtant Charles X se montrait gracieux , bon pour tous.
Il cherchait a détruire de Iácheuses divisions , ¿\ beaucoup ou-
hlier, a pardonner plus encere : on cut dit qne la royauté prenait
plaisir a donner au peuple un ministérc ¿\ dévorer , pour se
réserver ¿\ elle seulc les applaudisscmcnts, te Boj 11(' fut ótrnngcr
a aueune des pensécs rcligieuses de la scssion : iI était tout en-
tier dans ces idées : eeux qui l'cnvironnaicnt les partagcaient ; il
se croyait appelé arelever la vicille foi. La majorité de la Cham-
bre le fortifia dans eette résolution : touLefois on n'iuséra ríen
dans le discours de la Couronne qui püt blesser la popularité
royale, Ce discours, anclé dans une pensée de conciliauon ,




CHAPITRE XXII. 375
n'annoncaít pas toutes les Iácheuses intentions du Cabinet. Le
Roi commencait aparler du triste événement qui l'avait privé
de son frere bicn-aimé. Ce regne ne s'effacerait jamais: non-
seulement Louis XVIII avait relevé le tróne de ses ancétres ,
mais ill'avait consolidépar des institutious qui avaient rendu le
repos et le bonheur ala Frunce. « La confianceavcc laquelle mon
avéuement au tróne a été accueilli, continuait Sa Majesté, ne
sera pas trompée ; je counais tous les devoirs qne m'impose la
royauté, et, fort de l'amour de mon peuple, j'espere avoir le
courage et la fermeté de les bien rernplir. La situation intérieure
de la France est dans un état satisfaisaut qui Ilatte mon amour-
propre de roi. Mon frere trouvait une grande consolation a pré-
parer les moyens de fcrmer les dcrnieres plaies de la Révolu-
tion. te mouient cst venu d'cxécutcr ses sagesdcsseins ; ce grand
acte de justice va s'accomplir sans augmentcr les impñts , sans
nuire au crédito C'est au pied des autels que je renouvellerai le
serment de maintenir et de faire observer les loisde l'État et les
institutions octroyées par mon Irere, La Providcnce m'a confié
le soin de réparer les derniers malheurs de mon peuple, et je la
conjurerai de continuer sa protection sur notre bclle Franco que
je suis fiel' de gouvcrner. » Il Y avait toujours dans les paroles
de Charles X un instinct de popularité. Jamais le Roi ne dit un
mot qui pút le compromeure avec son peuple; il était avide
d'applaudissements dans ces solennités d'apparat , il les appelait
et les recueillait avec avidité. Son discours, fort convenable,
trés-parlementaire , ne parlait offlciellement que du sacre et de
l'indemnité des émigrés. Le ministere cherchait arendre la ses-
sion courte ; on voulait la terminer au mois de mai, époque fixée
pour le voyage aIleims, te projet de l'indemnité allait d'aillcurs
soulever des questions depuis si lougtemps agitées qu'il était
bien difficile d'ajouter d'autres débats qui ne fussent absorbés
par les premiers. 011 ne parlait que de I'índemnité ; un milliard
était livré a la nouvelle Chamhre : il y avait , certes , de quoi
l'occuper et l'intércsser surtout. Les autres projets préparés




316 HISTüIRE DE LA RESTAURATlüN.
n'étaient que des accessoircs qu'on dcvait obtenir sans difficulté
de la majorité royaliste.


JI s'était passé des événements assez sérieux depuís la der-
niere session pour modifier quelques-uues des nuances qui com-
posaient cette majorité. Il est tres-essentiel de les dessiner en-
core avec exactitude ; ce n'est qu'ainsi qu'on pourra cornprendre
la marche des diverses opinions et la pensée des lois quí furent
votées. En considérant la Chambre dans son personnel, il sem-
blait qu'elle n'avait dú que Iaiblement se modifier. Il n'y avait
pas eu d'élections générales ni d'éleciions fractionnées, tellesque
les combinaisons parlernentaires pusscnt en étre sensiblement
altérées. Sept élections avaient eu lieu dans l'intervalle d'une ses-
sion a un autre; deux candidats de la gaucho avaíent triomphé,
1\DI. Dupont de l'Eure et Labbcy de Pompieres ; un député du
centre gauche, l\I. Chabaud-Latour, homme d'opinions modé-
rées, expression du protestantisme , calme, sans passion, et vé-
téran des assemblées législatives. Les quatre autres électíons
avaient été acquises au centre droit ou a la droite ; toutefois, par
cette succession de coups d' État accomplis par l\I. de VilleIe
contre ses collegues du ministere, la Chambre se montrait plus
inquiete, moius disciplinable: d'abord le renvoi de 1\1. de l\IOllt·
morency avait soulevé le partí rcligieux, et 1\1. de Yillele avaít a
peine racheté cetrc perite sécurité donnée ü sa diplomatie mé-
ticuleuse, par la création du ministere des aífaircs ecclésiasti-
ques et l'appcl du duc de Doudeauville dans le Cabinet. La
démíssion du maréchal Victor, également sentie par lesItoyalistes,
avait commencé leur plus vive opposition ; puis enfin était venue
la destitution brutale de l\I: de Cháteaubriand , ct ce coup de
violence avait aliéné l'autre fractiou de la- droite votant alee
1\1. Agier. Les choses étaient a ce point que si le caractere de
1\1. de La Bourdonnayc avait été moins ápro et plus malléable ,
déja cette année les forces de la conu-e-opposition auraient ba-
lancé la majorité ministériclle. Des raisons d'intérét particulier
s'opposaicnt cependant a I'cxistence actuelle d'unc trop puis-




CHAPITRE XXII. 377
sante opposition dans le coté droit. te ministére proposait la loi
d'indemnité des émigrés, et plus d'un tiers de la Chambre était
intéressé dans cette 10L S'opposer trop ouvertemenr aM. de
VíIlele, n'était-ce pas compromettre le sort de la mesure? Ces
considérations amoindrirent les votes de l'opposition, qui porta
ala présidence lU. de La Bourdonnaye; ils n'allérent pas au dela
de 64. Quelques-uns des députés de l'extréme droite declare-
rent d'ailleurs qu'a l'avénement d'un nouveau roi il ne fallait
pas ombarrasscr la marche du Gouvernement, et que tous, sans
distinction, devaient leur eoneours a la royauté. C'est pourquoi
l'adresse souffrit a peine la discussion ; elle fut eomme votée
d'enthousiasme. C'est a cctte unanimité que lit allusion la ré-
ponse gracieuse du lloi : ce Oui , nous nous entendrons toujours
pour le bonheur et la gloire de la Franco. Union de sentiments,
union de principes , jamáis nous ne nous séparerons ; glorieux
de contribuer 11 la félicité de cette belle Franco que nous ehéris-
sons tous, je remplirai Iidelement les intentions d'un frere que
je pleure , je rechercherai tout ce qu'exigera de moi le bien de
mon peuple. Quelle satisfaction pour nous de réparer et de Iaire
oublier nos malhenrs! J'y réussirai si Dieu me préte víe ; mais
si je n'en avais pas le temps, mon fils est la, il achéverait ce
que j'anrais commencé. » Il y avait un charme iudicible dans la
parolede Charles X; et comment des Iloyalistes auraient-ils fait
une opposition vive et puissante centre le gouvernemcnt d'un
prince qui parlait si bien ~l lcurs sympathies ? On se scrait
trompé néanmoins en s'imaginant que le ministere füt complé-
tement maitre de cette majorité qui ne voulait pas de la vive
opposition de j)I. de La Bourdonnaye. Elle avait des exigences,
des caprices ; elle ne voulait pas renverscr le miuistere , mais
elle tendait ~l le maitriser, a l'entraincr ases fins, ~l le pénétrer
surtout de son esprit. Cela se vit d'abord ü l'occasion de 1'apa-
nage de j)I. le duc d'Orléans ; iI Yavait prévention et haine de la
majorité royaliste contre le prince. Quoiquc :U. le duc d'Or-
léans Iüt couvert de la protcction royalc, cctte majorité ne YOU-
lait rien Iaire pour lui, 1\1. de VillCle cut toutes les peines du




378 mSTOIRE DE LA RESTAURATION.
monde aeutrainer la majorité dans ce vote. Une violente oppo-
sition se manifesta; sans oser anaquel' de front ni le prince , ni
son apanage, elle soutint que la disposition ne devait point étre
cornprise dans le projct de loi sur la Liste cívile ; l'intention de
la droite était , si elle pouvait parvenir aséparcr I'apanage de la
Liste civile , de discuter l'un avec persévérance , de le rejeter
méme, tandis qu'ellc aurait voté d'cnthousiasmc et sansopposition
la Liste civile, Le coté gaucho avait pris des eugagcments avec le
prince, et le général Foy se montra tres-féodal en remuant tous les
vieux souvenirs de la mouarchic. Le coté droit exprima hautement
ses antipathies mérne avec peu de conveuance. ( Je n'entends,
disait }1. Bazire, ni contester ni auaquer l'apanage de l\I. le duc
d'Orléaus ; le lUonarquc, 11 la Hestauration, lui en a fait remiso,
et je m'incline devant ce grand acto de la munificence royale ;
mais je ne concois pas la néccssité ou l'opportunité de méler
cette dispositiou particuliere au granel projet de loi sur la Liste
civile. Je ne voudrais pas SOll pconner qu' OH l' cut placé la afínde
le faire passer avec plus de facilité en aussi bonnc conipaqnie. »
« Comment! répondait :\1. de ViIIele , dans la müme Ioi oú sont
fixécs les rentes qui tiennent lieu d'apanage 11 la Famille royale,
nous n' aurions pas dú préseuter la décision relativo 11 la rente
apanagere due ~l l'un des princes de cett« famil!e? Nous YOUS
dcmandons dans cette loi la solution d'une question quí n'a pas
été résolue. Nous l'avons porréc en son lieu ; cal' si YOUS n'ac-
cordez pas I'apanagc ü M. le duc d'Orléans , YOUS devcz lui ac-
cordel' une rente apauagere. » - « Non-seulement la loi qui YOUS
est soumise , ajourait le général Foy, est dcstinée a Iixer la Liste
civile , mais aussi 11 accortler les apanagcs aux Priuces ; n'est-il
pas naturcl ct juste que celui de la Iaiuille rl'Orléaus y figure
comme les autres ? .Te rrois qu'il vaut micux q\le les Princcs
aicnt des apanagcs en Immcuhles : ils sont ainsi mieux rappro-
chés des iutéréts de la cité ils peuvent vcrser des sonnncs plus
considérablcs dans des étahlisscmcnts miles, N concourir a l'il-
lustration et ~l la prospériré du pays. » - (( Oui , répondit ,,1. de
Berthier, nous nous rappelons parfaitement les divers apanages




ClIAPITRE XXII. 379
qui furcnt constitués en Iaveur des princes de la Maison ré-
gnante, et notamment des diversos Maisons d'Orléans ; mais
ce qu'il est impossible d'ouhlier , ce sont les déchirements,
les guerres civiles, les dangcrs qu'attirerent a la Franco ces
princes richerncnt apanagés. » - « Iléduisons la difficulté ases vé-
ritahles termes, répliquait l\l. de Peyronnet : la branche d'Or-
Iéans a été remiso en possessiou de ses biens par une autorité
que personne ne conteste. L'article que nous vous proposons est
a sa place; il est non-seulemcnt utilc, rnais indispensable a l'in-
térét de l'État, cal', sans cet article, cornment conserverait-il ses
droits sur l'apanage d'Orléans ? Cet article est juste, nécessaire;
notre devoir était de vous le proposer , votre prudence est de
l'admettre. » - « Dans l'exposé des motifs, répondait M. Dudon,
on nous a promis des détails sur I'apanage d'Orléans ; ces détails
manquent dans le rapport dc la commission ; done cette partie
du projet est incomplete et ne peut étre votée maintenant. » Il
était Iacile de saisir I'arrierc-pensée de la droite; elle ne voulait
pas de l'apanage d'Orléans , elle le rcpoussait , paree qu'elle te-
uait ~l protester hautement contre les opinions du prince, Évi-
dcmment l'apauagc eút été rejeté si le Iloi avait cousenti a
le séparer de sa Liste civile ; mais Charles X en fit sa propre
affaire, il préviut les députés les plus impitoyables qu'ils le
hlesscraient personnellemcut s'ils rejetaicnt l'article spécial ason
cousin; et néanmoius cncore une miuorité assez puissante se
prononca centre le projet, tant les préventions étaient grandes!
Ainsi l\l. le duc rl'Orléans se trouva maitre , par une loi, de son
iuuuense apanage. Ce (Iue la droitc avait prévu arriva : plus in-
dépendan t par sa fortune , le prince se montra un pen plus hos-
lile h l'administratiou ; il osa plus, il sccourut quclques infor-
tunes liberales par des dons, des offr.mdcs et des pensions ; il
encouragea les artistes. Dans son palais , dans sa riche galeric ,
Vcruel rctrarait nos grandes campagncs el les souvcnirs de ré-
volutiou, Des retes brillantes réunissaient au Palais-Iloyal les
hommes de toutcs les opinious el de routcs les époques. S. A. R.
était polie , affable ; sa couversation était ornée et riche de dé-




380 mSToIRE DE lA RESTAURATION.
tails; elle aimait 11 parler des vicissitudcs de sa fortune, de ses
voyages, de ses batailles et de son émigration. Autour d'elle ne
se groupait plus alors seulement le partí patriote de 1789, mais
encoré les hommes de la Restauration qui la voyaient s'éloigner
de son but et de sa grande origine, tels que l\HI. Molé et de
Talleyrand. Le duc d'Orléans était une chance ; ils devaient s'en
rapprocher 11 mesure que le Pouvoir se perdait dans les folies de
parti. On prévoyait une chute possihle, et le dépit de la disgráce
se mélait 11 cette clairvoyance de l'avenir, Alors l'histoire, la poé-
sic, tout vivait par les rapprochemcnts de la révolution de 1688;
on exploitait cette idée anglaise, les doctrinaires la caressaient
comme une pensée d'ordre apres la tempétc , connne une ques-
tion d'érudition et de philosophie résolue par un événemcnt qui
secouerait le moins d'existences, lU. le duc d'Orléans , sans
prendre d' engagement avec personne, laissait marcher tout ce
qui se rapprochait de cette idée comme l'espérance d'une cou-
ronne! Mais ses tentatives n'allaient pas au dela ; il profitait des
fautes, et l'on en faisait tant!


L'indemnité des émigrés était et devait étre la grande préoc-
cupation de la session. Le projet de lU. de lUartignac, adopté en
Conseil des ministres, contenait une multitude de dispositions
qui toutes , se liant au príncipe de l'iudemnité , devaient elrc
soumises 11 une éclatante et forte discussion. Apres I'examen
général des bases du projet , arrivaient naturcllement les articles
de détails qui devaient se prolonger toute une session. lUon opi-
Ilion est faite sur l'indemnité : je l'ai toujours envisagée comrne
une mesure de justice et de politiquc de la Restauration. La
révolution avait étrangcmcnt ébranlé le droit de propriété , on le
proclamait inviclrl le, et c'était le triomphe d'une idée morale!
La Charte avait aboli la confiscation; n' était -ce pas un éclatant
hommage rendu 11 l'inviolahilité de la propríété territoriale? La
Restauration avait payé toutes les dcttes de la République et de
l'Empire; d'autres plaies restaient afermer. On a parlé du festín
de l'indemnité , des prcdigalités du milliard qui allait enrichir
l'émigration, J'aurai hientót 11 dire que les principaux preneurs




CIIAPITRE XXII. 381
de l'indemnité furent lU. de La Fayette , le géuéral Thiars, le duc
de Choiseu1. S'ils trouvaient l'indemnité une spoliatiou ele la Ior-
tune publique, que n'en faisaient-ils le sacrifice? N'v avait-il pas
des hópitaux a doter, des miséres de révolution a guérir? Ils
avaient devant eux l'exemple du duc de Richelieu; pourquoi ne
pas le suivre? Alors ils auraient pu déclamer al'aise; ils en
auraient eu le droit. Jusque-la , ils doivent reconnaitre lajustice
d'une mesure dont ils ont si amplement profité. J'admire peu
ces désintéressements qui recoivent des millions de toute main,
de la congrégation comme des États-Uuis d' Amérique. Au reste,
la pensée de l'indernnité était ancienne; elle avait été proposée
en 1814 par le maréchalñíacdonald ; lU. Laffitte l'avait protégée
lui-méme dans ses idees sur les budgets de 1816 et 1817. Ses
larges et utiJes conceptions faisaient reposer le crédit sur l'exact
et fidele acquittement de toutes les dettes, et parmi ces dettes
l'honorable banquier comprenait les donataires de l'Empire et
les émigrés, Il y avait ensuite une haute prévoyance d' économie
politiqueo Une certaine défaveur s'attachait aux propriétés natio-
nales; en les faisant rentrer dans la circulation , on leur donnait
une valeur réelle qu'elles n'avaient pas jusqu'alors : tel devait
étre le résultat au moins immédiat de l'indcmnité, lH. de "larti-
gnac, qui avaitpreparé tout ce travail sur l'indemnité , fut chargé
d'en dévcloppcr les motiís, « Le moment est venu de dédomma-
gel' la fidélité malhcureuse et dépouillée ; e'est un acte de saine
politique qui doit étre accompli, L'heureux état de nos finances
et la puissance de notre crédit permettent enfin ala Restauration
de sondel' cette plaie saignante qui porte sur le corps entier,
quoiqu'elle paraisse n'affecter qu'une de ses parties. Les émigrés
ont tout perdu ala fois , tout lcur a été ravi , leurs créances, leurs
meubles , leurs revenus , et de plus des lois cruelles les ont dé-
pouiUés de leurs champs, de leurs maisons, de la partie du sol
natal pour laquelle le propriétaire a droit de demander a la
société protection et garantie. Il importe qu'un exemple apprenne
que les grandes injustices obtiennent arce le temps de grandes
réparations , il Ya dans la violence qui les a dépouillés de leurs




382 HI5TüIRE DE LA RESTAURATION.
biens quelque chose d'odieux qui demande et exige une éclatante
réparation.» Alors 1\1. de Girardin éleva une question préjudi-
cielle. « Le plus grand nombre des mcmhres de cette Chamhre,
s'écria-t-il , est partie iutércssée ; que MM. les Députés ayant
droit a l'indemnité se récuscnt, sans cela la Chambrc n'est pas
compétente, »- «M. de Girardin a raison», continuerent plusieurs
Députés de la gauche. M. Labbey de Pompieres se fit entcnrlre,
« Lesémigrés out tout perdu ? Fiction mcnsongere dissipée depuis
longtemps; voyez les listes d' électeurs : tous, ou presque tous
sont éligibles; tous, ou Icurs hériticrs, sont desgrands colléges.
D'ailleurs la confiscation cut pour motifs de priver de leurs res-
sources ceux qui déchiraient la patrie; et quelle est la puissance
qui se refuse acnlever a son ennemi ses moycns d'attaque? Ce
fut done un aete de eonservation , et non un acte de vcngcance. ))
-((Eh oui! répliquait ~I. Agier, appelous vertu la eonfiscation et
l'assassinat, puisque le malheur el l'émigration sont des erimes!
Je n'ai pourtant lu nulle part , je u'ai jamáis entendu dire que
des sujets fussent crimincls pour avoir défendu leur roi , pour
avoir suivi Ieurs priuces , et je. ne les croyais coupables qu'aux
yeux des révolutious ! La patrie, nous dit-on ; mais la patrie, on
prononrait son nom , on déchirait son scin! la patrie est (bus
les institutions , dans les lois , dans le roi, dans la rcligion, et
tout avait disparu dans la tcmpétc ; il ne restait plus que la pri-
son et l'échafaud ! )) - « Qu'allerent dcmauder les émigrés aux
étrangers? s'écriait le géuéral Foy : la guerre! la guerre ala
suite des envahissemeuts de la France ; la guerre sous des chefs
et avec des soldats dont , apres la victoire , ils n'eusscnt pu main-
tenir l'amhition et la colérc ! Lisous la Charte; elle déclare que
les indcmuités devront toujours étre préalables: et comment
scrait-ellc préalable et conforme a la Charte l'indemnité qu'on
accorderait aujourd'hui pour un sacrifico consommé depuis
trente ans? Les propriétés particuliércs passentde main en main,
se vendent et se morceleut pour les jouissances du plus grand
nombre, el au milieu de ce mouvement le trñne reste indivisi-
ble et immohile pour la sureté de tous. Si un jour une tourmentc




CHAPlTUE XXH. 383
extraordiuaire sépare le monarque de la monarchie, la tourmente
passée , le prince est rendu au pays, Ceux-la calomnieraient
l'autorité royale qui la feraicnt l'auxiliaire d'unc opinion ou d'un
partí, et qui placeraient le roi de Franco ailleurs qu'a la tete
des affections et des gloires de l'universalitó du peuple fraucais. »
-ccC'est en vain, répondait M. de Yillele, qu'on voudrait par des
sophismes imposer silence ~, la raison et 11 la conscience ; elles
répondent que la confiscatiou fut injuste ; que la réparation est
un aete de justice, de sagesse et de politique ~ d'ailleurs, l'indcm-
nité n'est ni une punition infligée aux uns , ni une' récompense
décernée aux autres : c'cst une mesure indispensable au complé-
ment de la Ilestauration, Les émigrés , dites-vous, ont eu 101'1
de s'éloigner du sol brúlant de la Ilóvolution ; et que sont devc-
nues les victimes qui n'ont pas émigré? Et si l'auguste fondateur
de la Charte, si le roi qui rcgne sur nous n'avaient pas émigré,
aurions-nous obtenu notre aífranchissement de l' étranger ? Cessez
done de faire un crime de leur dévoucment et de leur fidélité a
ceux qui ont tout pcrdu pour les suivre.» Ces doctrines qui par-
laient au cceur de la majorité furent bruyanuncnt applaudics.
« Quel est done un projet de loi , s'écriait 1'1. Dupont de l'Eure ,
qui rcmet en question tout le passé ? Vous voulcz done fairc le
proces 11 la Hévolutíon? vous voulez done mcttrc en jugement la
natíon qui l'a voulue , el condamner 30 millions d'hounnes a
faire amende honorable a l' émigration ?}) Le ministere n'eut pas
seulement ~\ repousser l'opposition de gauche , mais encore la
droite , qni trouvait le projet mesquin , sans pensée et sans ave-
nir. « Ce projet , disait M. de La Bourdouuaye , trompe toutes
les cspérances : il n'accorde pas assez aux émigrés pour tranquil-
liser leurs arquércurs , ct ccpendant il donne trop encoré pour ne
pas mécontenter ccux qui nc voudraient ricn accordcr. »-(c Nous
ne pouvons adopter ccue Ioi , ajoutait M. Bacotde Homaus, telle
que les ministres nous la présentent : il lui faut de grandes modi-
Iications, ))- «On veut réparer une injustice, s' écriaitál. Duplessis
de Grénédan , et OHen commet une nouvelle : il est un príncipe
du droit des gens, consacré par tous les traités , e'est <lue les




~8~ msroms tm LA. l\E5iA.Ul\A.ilON.
hiens coutisqués pendant la guerre sont rendus t\ la paix. La
propriété des émigrés n'a pas cessé d'étre inviolable; il faut tout
ramener aux regles de la justice et aux lois fondamentales de la
monarchie; il faut enfin rendre aux propriétaíres légitimes ce
qu'on leur a injustement ravi.» Vieillard aigri par le temps,
l\l. Duplessis ele Grénéelan ne savait garder aucune mesure; on
cut elit qu'il avait besoin de faire oublier de tristes souvenirs ,
cal' a aucune époque de sa vie politique , si agitée, 1.\1. de
Grénédan n'avait été calme dans ses votes et dans ses senti-
ments. Au reste, il n'y avait aucune espérance pour l'oppo-
sition et la contre-opposition de faire rejeter un projet qui allait
si bien aux idées et aux intéréts de la majorité, Comment s'ima-
giner que la Chambre des Députés repousserait une espéce de
donation elont elle profitait si largement? On ne s'explique méme
pas elans quelle vue l\l. de La Bourelonnaye parla contre le projet;
cela lui fit du tort dans son parti.


A la Chambre des Pairs , l'indemnité elevait étre votée sans
difficulté, La Iractiou Richelieu était sur ce point d'accord avee
les cardinalistes , et l'on ne laissait plus ainsi en dehors que l'op-
position patriote, peu nombreuse quand elle était réeluite a
elle-meme. JI fut seulement convcnu qu'on chcrcherait asou-
tenir un amendcmeut de )1. Roy, qui substituait les rentes 5
pour 100 au 3 pour 100 pour l'indemnité. La fraction Itichelieu
voulait par cet amendcment tout a la fois se populariser parmi
les Royalistes et embarrasser le ministere Yilléle ; elle ne put
s'entendre, et ál. Portalis fut chargé du rapport. « La mesure
est juste, disait-il ; ce n'est point un hommage rendu a la fidé-
lité et au dévouement ele quelques-uns; mais une indemnité
accordée, dans l'intérét de tous, aceux dont la propríété a été
violée : cettc loi porte le double caractere d'uu acte de conci-
liation et d'un acte de justice, et elle doit amcncr dans les esprlts
le calme et la sécurité, )"- « Les émigrés, répondait l\l. le duc ele
Broglie qui se fit I'expression de la gauche, regardent comme
insuffisante et incompleto tonto mesure qui ne conduit pas a leur
réintégration dans les propriétés qu'ils ont perdues; ils ne seront




CIIAPITHE XXIf.


pas satisfaits qu' elle ne soit opérée; et puis le contribuable qui
paiera cette indemnité n'a-t-il pas éprouvé des pertes analogues?
JI Ya une question d'honneur et de principes; ce que veut la
c1asse aqui l'indeuuiité est eccordée , c'est que l'on reconnarssc
qu'elle a soutenu les vrais droits et combattu pour la bonne
cause. Une pareille déclaration frapperait de réprobation les sept
huitiémes de la France, et, loin de calmer les esprits, ne servirá
qu'a lessoulever. » - « Jeme sensd'autant plus libre, répondait
1\1. de Cháteaubriand , que je n'ai rien a réclamer pour moi de
l'indemnité; mes scrviccs, si j'en ai rendu ala cause royale ,
ont été de ces sucurs du soldatqui ne se comptent ni ne se paient;
mais je sollicite avec ardeur un vétcment pour mes nobles com-
pagnons d'armes, une chaussure pour ces vieux Bretonsque j'ai
vus marcher picds nus autour de leur monarquc , portant leur
derniere paire de souliers au bout de leur baionnette, afinqu'elle
püt encore faire une campagne. Et qu'on ne croie pas qu'en
élevant l'émigration je cherche atroubler les acquéreurs de biens
nationaux ; ces bicns, fertilisés par les sueurs des nouvelles gé-
nérations, avaient perdu, sinon le souvenir, du moins le carac-
tere de leur origine; les possesseurs de ces domaines sont par-
tout, dans les corps politiques, judiciaires , admiuistratifs , dans
l'année , dans le palais du Iloi; la Charte a confirméla vente de
ces bieus , et les serments prétés ¿l la Charte ne peuvent pas étre
vains. Cequ'on vousdemande, e'est d' indemniser ceux qui ont été
dépouillés, c'cst de Icor rendre une justice tardive, » - « L'émi-
gration est une faute politique, répliquait ~1. Molé, ou une
grande erreur; il Ya quclque chose d'odieux , il est vrai , dans
la confiscation, mais ce fut une mesure légale; la loi qu'on nous
présente n'est qu'une eoncession du miuistere au partí qui le
domine. » - « Ilcpoussons une loi, ajoutait 1\1. de Barante, dont
les'premiéres conséqucnces seraient de rallumer les haines qui
viennent de s' éteindre , de grever l' .État d'une dette nouvelle ,
de compromettrc le crédit public, ce qui empéchera de se livrer
ad'utiles améliorations, » - «( Oui , s'écriait ~I. de Bonald, l'in-
demnité est une mesure de justice pour les propriétaires dé-


ur, 33




386 HlSTOIRE DE LA RESTAUHATlOl\.
pouillés , et une gráce pour les acquéreurs, - Qu'entend-on
par une gráce aux acquéreurs ? répoudait 3I. Coruudet, les hieus
confisqués ont été légalernent acquis ; la puissance politique ne
peut jamais étre absente dans les crises , si violentes qu'elles
soient. » Tout ce déhat dcvait aboutir aun vote d'adoption, La
Chambre des Pairs comptait dans son sein un grand nombre
d'indemnitairos. Les opposants parlaient pour la forme. De plus,
toutes les opinions raisonnablcs étaient d'accord sur le príncipe
de l'indemnité; il n'y avait de douteux que l'amendemeut sur la
quotité de la rente en 3 ou en [) pour 100 : il fut repoussé par
la gauche unie au banc ministéricl. La gaucho voulaitamoindrir
le plus possible le chiffre de I'indcmnité : sous ce rapport, le 3
pour 100 était préférable au 5 paree qu 'il grevait moins le trésor,


Maitre de l' opération , l\l. de Villéle en lit une mesure tonte
parlemeutaire, Les positions politiques eréent des auxiliaircs au
pouvoir, et l' Angleterre a cu soin de multiplier les sinécures
pour donner des appuis au Cabinet, l\l. de Villele ne les épargna
paso Dans la nóccssité d'institucr une grande commission pour
répartir l' indemnité , il en choisit les rucuibrcs parmi ses amis
politiques des deux Charnbres ; illeur lit ainsi des situations lu-
cratives et honorables. On comptait panui les pairs le marquis
de Lally-Tollendal , eomte de Laforét , duc de Brissac, vicouue
Damhrav, comte de Brcteuil , le duc dc Xarhonnc-Pclct . comtc
d'Haubersaert; panui les députés , }DI. Ollivier, comte Dupout,
Dufougeray, Fouquicr-Long, de Maquillé, Calemanl-La Fayettc
et le vicomte Harmand d'Abancourt : e'étaient autant de voix
acqnises dans les deux Chambres. Je ne sache aucune opératiou
íinauciere ct d'ordre administratif qui se soit opérée avec plus
de régularité el de justice. La plus grande exaclitudc presida á
tous les actcs de la conuuission : rien Be fut nrgligé; aucuuo
plainte ne fut j ustifiéc danS un dédalo d'allaircs pourtaut OÚ il
s'agissait d'un si grand nombre d'intéréts privés , irritables et
tracassiers. On ne lit la part d'aucuue opinion: partout oú il y
avait eu violation de la propriété , partout arrivait le príncipe
conservateur posé par la loi; il Y cut des indemuités pour les




CHAPITRE xxu. 387
momhrcs de la Convention nationalc, comme pour les plus fldeles
chevaliers de l' úmigration. J' ai sous les yeux le résultat des tra-
vaux du miuistcre des finances et de la comrnission , et peut-
étre , pour l'intelligence de notre époque , sera-t-il utile de faire
connaitre en quellcs mains principales tomba l'indemnité, Les
Itoyalístcs avaieut demandé l' indcmnité ; il n'était done aucun
reproche aleur faire quand ils en ohtenaient la liquidation et se
faisaient payer par le Trésor ; mais les Patriotcs , si exaltés contre
I'iudemnité , conunent qualificr eet empressement intéressé a se
faire liquider et a toucher le résulat d'une loi qu 'ils avaient ap-
pelée corruptrice et fatale? Jc l'ai dit , u'avaient-ils aucune in-
íortuno 11 sccourir ? La Ilévolution cr I'Empire u'avaient-ils plus
de malheurcux déhris ? On n'en flt rien ; on se háta de se faire
Iíquider ; les pieccs furent produites avec beaucoup d'exactitude.
En tete de tous les indeumitaircs , venaient les deux chefs de
l'opposition patriote dans la Chamhre des Pairs ; le duc de
Choiseul pour plus de 1100 000 írancs , lU. de Lianeourt
pour t hOO 000 Irancs, Dans la Chambre des Députés , 1\1. de
1.<1 Fayette se lit liquidcr pour h30 682 fr., .iU. Gaétan de La
llochcfoucauld pour 428 206 fr. , )1. de Tbiars pour 337 850 fr.,
M. Ch. de Lamcth pour 201 696 fr. Je n'cn fais point un repro-
che; ils cxécutaient la Ioi , el I'cxécution était justice; mais ce
que je voudrais surtout , c'est qU'OIl cessát de déclamer contre
une prodigalité dout on a proíitó si amplcmcnt , et qui n'était
qu'un acte de réparation apres la tempéte. Quaut a l'effet pro-
duit par l'indemnité , il fut immcnsc dans les diverses sources
de la fortune territoriale : le parti royaliste y trouva une force;
dt"ja sí puissant par la terre , il agrandit son ascendant. Il y cut
un grand mouvcmcnt dans les propriétés : leur valeur augmenta ;
les bieus nationaux s' équilibrcrent avec le prix des autres pro-
priétés; les conscicnces se raífenuirent ; il Yeut , dans les cinq
années de l' indcmnité , une surabourlance de transactions qui
signalait un mouvcmcnt de capitaux tres-remarquable. Le mil-
liard de l'indemnité mil le pouvoir daus la main de la propriété
fonciere, si bien que lorsqu'elle pourra agir librement et qu'elle




388 HISTüIRE DE LA RESTAURATlüN.
le voudra , les élcctionslui appartlendront en majorité ; la vieille
nohlesse paya ses dettes et se trouva plus riche proportionnellc-
ment qu'elle ne l'était en 1789.


La Chambre des Députés s'était trop complétement préoccu-
pée de la question de l'indemnité des émigrés , et en général des
diffieultés financieres , pour que le ministere püt d'abord Iasaisir
de ce que j'appelle la partie morale et rcligieuse de son pro-
gramme de session; et pourtant il ne pouvait échapper a cctte
nécessité qui lui était imposée par la majorité. On a déja indiqué
quels étaient les projcts qu'avait préparés le ministére pour
répondre aux sympathies de la majorité : le premier était relatif
ala répression du saerilége; le second autorisait les communautés
de femmes. Cesdispositions, si bien en harmonie avcc la Chambre
des Députés , trouveraient-elles la memo approbation dans la
Chambre des Pairs? Le caractere de la majorité de la Chambre
des Pairs était surtout une extreme modération ; tout projet de
réaction devait soulever des répugnances ; et tel était l'esprit de
la loi du sacrilége. Ce projet plaisait ~l la Iraction religieuse , alors
assez nombreuse pour cxercer une certainc influenee. ñlais une
qucstion grave était posée : il s'agissait pour elle de savoir si
elle voterait dans un systemc de pénalitó OU la mort était pro-
diguée 11. chaque ligne. D'apres l'antiquc máxime que l'Église a
horreur du sang, le hane des évéqnes aurait dt1 absolument
s'abstenir de eette délihération, Toutcfois , en ne participant pas
ace vote, n'était-il pas 11. craindre que la majorité ne Iüt com-
promise, et alorsque devenait la loisollicitéepar le partí religieux?
Les évéques , par l'organe de lU. de La Fare , déclarerent done
« qu'ils prendraient part 11. la discussion et au vote )); ils donnaient
pour pretexte qu'il ne s'agissait pas d'appliquer la peine de mort
dans une sentence , mais de l'insércr dans une disposition lé-
gíslative et générale, ce qui n'était pas un jugement. Comme
appui au partí épiscopal, il Y avait dans la Chambre, des pairs
plus exaltés que les évéques eux-mérncs , tels que MM. de Mar-
cellus , de Bonald et de Breteuil; ils saluaient l'idée de reconsti-
1uer la société religieusc. Vcnaient ensuite les Rovalistes ultra,




cnAPITRE XXII. 389
dont le nombre avait été agrandi par les dernieres promotions.
Ils se placaient dcrriere MM. de Fitz-James et le représentant
de la hranche ainée des La Bourdonnaye; enfin venaient les pairs
ministériels associés a la pensée du projet. On comptait dans
l'opposition non-seulement toutes les nuances habituellement en
hostilíté avcc le ministere , mais encoré le parti Richelieu, une
grande fraction de l'ancien salon du cardinal de Beausset, et
enfin tous les mcmhres de la pairie qui comprenaient la marche
des idées et du siecle , et no voulaient pas le condamner asubir
ulle législation absurde. Ainsi, depuis lU. Portalis jusqu'á
lU. l.anjuinais, dans cette longue série de nuances et de couleurs
qui séparait ces deux hommcs politiques , il Y avait une égah,
répugnance pour les dispositions du projet dont lU. de Peyronnet
développa les motifs. Le rapport en fut fait par lU. de Breteuil,
expression sainte du partí religieux, « Pour parvenir a faire
respecter nos lois, commcncons par faire respecter la religion;
accordons-lui toute la protection qu'elle réclame ; et pourquoi
ne rendrions-nous pas notre législation plus morale , plus com-
plete et plus religicusc? Pourquoi ne paierions-nous pas a la
religión de l'État le trihut d'hommages qui lui est dü? » La
commission, changeant l'écheIle de la pénalité agrandissait la
peine du sacrilége simple; elle le frappait comme le par-
ricide s'il était commis publiquement. Quelques membres de la
commissíon, plus modérés , avaient particulierement insisté,
afin que cette circonstance de la publicité füt nécessaire pour
constituer le sacrilége. La commission avait amoindri les peines
pour le vol, sacrilége plus fréquent; l\I. de Breteuil en comp-
tait 53H commis depuis quatre ans en France. . - « Ce sont
bien moins les religions qui sont intolérantes , répliquait M. Molé,
que l'homme Iui-mérne qui est passionné ; le christianisme seul
implore le ciel pour ceux que les autres religions proscrivent.
~'est-il done pas perrnis de s'étonner que ce soit en son nom
qu'on vienne invoquer et qu'on vcuille multiplier les supplices?
Ce projet de loi est une injure au ciel et ala terre , a notre re-
Iizion ct ü notro temps, « - « Oui , il faut réprimer les outrages




390 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
a nos mystéres, s'écriait l\I. le comte de J..a Bourdonnayt-: je
propose de substituer un voile rouge au voile noir que doit
porter le condamné pour marcher au supplíce. Ce changrment
est léger en apparence, mais iI frappera le peuple , et isolera un
crime qui ne doit étre confonduavec aucun autre. » - « Aujour-
d'hui , répondait le duc de Broglie , on vous demandede trancher
la main qui s'est levée contre les chosessaintes: demain on vous
demandera de percer d'un fer rouge la languequi les aurablasphé-
mées, Qu'a voulu la Charte , si ce n'est que la loi civile demeurát
non pas indiffércnte , mais neutre cnvers les diverses crovances?
Un seul acte en faveur de l'une d'elles vous conduit au dernier
terme de I'intolérance et ¿I l'invasion de l'autorité civile par l'au-
torité religieuse. » - «Oui , ajoutait lH. I..anjuinais, ce projet est
une des plus grandes violations du príncipe ronstitutionnel de la
liberté des cuItes; hientót on punirá toute infraction aux prin-
cipes religieux, » - « Réprimons , répondait l\l. de Fitz-James ,
toute tentative d'impiété; la révolution cst encore tout entiere
dans la société, non avec ses orgies, ses échafauds, mais avecses
doctrines et ses princípcs: la corruption a quitté les salons, mais
elle est desceudue dans les boutiques; elle se maintient dans les
rues et menace d'inonder les campagnes, Et a quelle autre fin
seraient dcstinécs ces éditions cornplétcs des ceuvres de Voltairc ?
Yoltaire a commandé le sacrilége pendaut quarante ans; la Ilé-
volution a parfaitcment ohéi et elle a laissé des adeptos qui
suivent son exemplc. » - « La religión chrétienne , répliquait
lU. de Cháteaubriand , aime mieux pardonner que de punir; elle
doit ses victoircs ¿l sesmiséricordcs , et elle n'a hesoiu d'échafauds
qne pour ses martyrs, » Ce Iut alors que se Iirent entendre ces
étraugcs et cruclles paroles de JU. de Bonald : « Si les hous
doivent Ieur vie ¿¡ la société C0I111ne scrvice, les méchanrs la lui
doivent comme cxcmplc. Un orateur a observé que la religiou
ordonuait ¿¡ l'homme de pardonner, iuais en prescrivant au
Pouvoir de punir; cal', dit I'apóire , ce n'cst pas sans causequ'il
porte le glaive; le Sauvcur a demandé gráce pour ses bourrr-aux ,
mais son pere ue l'a pas exaucé ; il a méme étcndn Ir rhillilll('/lt




CHAPITRE XXII. 391
sur tout un penple, Quant au sacrilége, par une seutence de
mort vous l'envoycz dcvant son juge natureI. )) - « Cruelles pa-
roles, répondit iU. Pasquier, et qui rappellent ces cris de l'in-
quisiteur contre les Albigeois : Tucz -' tuez t oujours, Dieu 1'C-
connaitra les sicus. )) - «Pourquoi ne pas soumettre le sacrilégea
l'amende honorable, nu-pieds , la corde au cou, et un cierge ala
main ? Celui qui a tant oflensé Dieu ne lui doit-il pas répara-
tion! » Telles étaient les paroles de lU. de Lally, Et pourquoi
toutes ces phrases d'un fanatisme sanglant? et pourquoi? a1'oc-
casion d'une loi inapplicahle : quel jury, dans un siécle d'indif-
férence, aurait jamáis condamné amort un sacrilége? Qui aurait
osé faire exécurer sur une place publique un homme convaincu
d'avoir profané le sigile vrnéré de notre sainte religion? Aussi
tout ce qui resta de cette discussion, ce fut une loi amendée
et sans application possible. On avait soulevé les esprits,
eífrayé la conscicnce ; et dans qucl but , je le demande? pour
armer la justice d'un glaive impuissant, pour légaliser l'impu-
nité ! Était-ce U\ grandir le carholicisme! On vit encere cette
piété affectée , cette cxagération de príncipes a 1'occasion du
projet sur les couununautés religieuscs, L'évéque d'Hermopolis
avait exposé les scrvices rcndus par ces communautés dans un
de ses pieux tahleaux. « Il nous semblc , disait-il , que l'État ne
fera ni trop ni trop peu; il favoriscra des établissements dignes
de tout son Intérét ct si précieux pour lui; il leur assurera les
moyens de s'étcndre el de se conservcr pour le bien de tous.
N'est-ce pas senil' la société que de favoriser des institutious si
utiles a la socité! » A qui fut confié le rapport sur ce projet? au
pieux organe de la congrégation, au duc Mathieu de Montlllo-
rency. La comrnission était d'un accord parfait avcc les vues du
Convcrucment sur les principes généraux de la loi; mais il pro-
posait quc1<IIlCS amcndements dans l'intérét des communautés,
( Que la loi nouvclle se montre tout ;\ la Iois juste et inspirée par
un scntiment de bicuveillance : les maisons rcligieuses redou-
hlcront de Ierveur dans les priores qu'elles font chaqué jour
pour cette patrie qui n'a jamais cessé de leur étre chcrc ; et la




392 mSTOIRE DE LA llESTAUllATION.
Chambre des Pairs secondera les intentions paternelles d'un
prince religieux. » - «Il faut , ajoutait le duc de Narbonne , que
les communautés religieuses soieut autorisécs par ordonnance
du Roi; cette faculté laissée au Gouvernement ne peut tourner
que dans l'intérét de la société. Qu'avons-nous ¿l craindre ?
Est-ce l'augmentation des communautés? cst-ce leur opulence?
L'autorisation qu'eIles seront obligées de solliciter pour obtenir
une existenee légale donnera au Gouvernement les moyens d'en
limiter le nombre; quant a Ieur opulcnce , dans le siecle oü nous
vivons, ce dangel' doit peu nous alarmer. » - «Quel est donece
projet de loi, répondait le comte de Lanjuinais , qui suhstitue a
l'action légale et réguliere des Chambres l'arbitraire du pouvoir
ministériel , exercé par des délégués révocablcs, et qui n'olTrent,
par conséquent, aucune garantie ni a la société ni aux étahlis-
sements religieux? » - «Tout, ajoutait ~l. Cornudet, est en oppo-
sition dans ce projet avec notre systeme politique; c'est une vio-
lente atteinte au droit des Chambres; il est iuutile de proposer
des amendements , le projet est inadmissihlc, » - «Oh! s'écriait
M. de Bonald, daos cet océan de douleurs qu'on appelle la so-
ciété , qu'importe a la politique les souffrauces de la vertu l
Laissons aux cornmunautés le droit de rccevoir, d'acquérir, de
posséder ; quclques richcsses qu'cllcs aicnt , jamais l'usage n'en
sera dangereux. Laissons-les croitre ct se multiplíer. Que le
siecle s'occupe de soulagcr les douleurs qu'il enfante , les dou-
leurs des passions et du vice; mais laissons au cloitre la douce
satisfaetion d'expicr par ses innocentes douleurs les Iautes qu'il
n'a pas commises! » - «Ne consentons pas , répliquait M. Lainó ,
a une scmblable violatíon de nos pouvoirs. C'est une nhdication
qu'on demande aux Chambres. » - « Quoi de plus légal, repon-
dait 1\1. de Villele , que de réserver au pouvoir législatif le droit
de fixer les princip-s généraux et d' en confier cnsuite l'appliea-
tion a une autorité qui , par cela méme qu'elle sera moins puis-
sante , sera plus disposée ¿l se conformer aux regles établies ? La
loi que nous vous proposons maintient la juste división des pou-
voirs ; e'est une loi de franchise et de levanté proposée dans




CIIAPITRE XXII. 393
l'intérét de l'éducation des pauvres et du soulagement des ma-
Jades. ) La majorité était prononcóc , elle savait le but secret du
ministere.... Une fois le principe de la simple autorisation par
ordonnance posé pour la communauté des femmes, rien n'aurait
été plus facile (fue de l'étendre aux hommes; et alors les opi-
nions éraient fort opposées a cette grande liberté qui doit per-
mettre , aux hommes comme aux fcmmes , de se grouper dans
la solitude pour pleurcr et se repentir, Aussi la majorité se
décida-t-elle centre le projet , ct un amendement qui portait
que la loi seule pouvait autoriser un nouvel institut d'ordre re-
ligieux fut adopté. Toutes les comhínaisons du parti religieux
furent déjouées; chose étrange dan s ces discussions! la Charnbrc
des Pairs était en quelque sorte transformée en concile. Voyez-
YOUSdes Chambres fraucaiscs tout occupéesde la présence réelle,
de cihoirc , d'ostensoir, une loi définissant le tabernacle et la
consécration , une autre s'occupant de pénitences , de cilices,
de vceux , et tout cela dans une époque moqueuse et d'indiffé-
rence!


A la Chambre des Députés , la discussíon fut non moins vive;
mais la majorité y était tout entiere dans les idées qui avaient
présidé ala eonfection de ces deux projets qui émanaient mérne,
en qnelque sorte, de cette majorité, L'opposition, quoique en
petit nombre, fut retentissante, paree qu'elle était populaire. Le
projet sur le sacrilége Iut surtout vivement atraqué : « Une pa-
reille loi, disait 1\1. Bourdeau, répugne a l'état de la société ac-
tuelle, comme aux príncipes de la législation. La France chré-
tienne, fidele et royaliste les récuse et les désavoue, )-«Encore
un appel brutal a la force, ajoutait 1\1. Royer-Collard; quels
sont les défenseurs d'un pareil projet ? des politiques sans pro-
hité, qui ne concoivent la religión que comme un instrument de
gouvernement : aceux-Ia point de réponses: d'autres, amis con-
vaincus de la religiou, mais dont le zele sans science se persuade
que la religion a besoin de l'appui de la force, et que si on la
désarme des peines temporelles, elle est en péril. Ils ne connais-
sent pasla religión ceux qui raisonnent ainsi : ces penséeshasses




:S9[~ HISTOmE DE. LA. RESTAlm ¡\'f\O\\.
sont indignes d'clle ; elle méprise la force; elle a surtont 1101'-
reur de la protectíon abominable des cruautés et des supplices.
Sans doute la révolution a été impie jusqu'au fanatisme, jusqu'a
la cruauté ; mais, prenez-y garde , c'est ce crime-la surtout qui
l'a perdue. 11 y a des temps OU les lois pénales , CH fait de reli-
gion, rendent les ames atroces; l\lontesquieule dit, et l'histoire
des siecles en fait foi; et nous, nous pouvons juger qu'il y a
d'autres temps oú ces mémes lois ne sont qu'une avilissante cor-
ruption. »-«Et un contre-scnsdans l'état actuel de nos mceurs ,
ajouta l\l. Bertin de Veaux, une ofTcnse a l'opinión publique :
épargnez a la patrie éplorée une mauvaise loi, el a la raison hu-
maine un scandale de plus.» - « Xous sommes entrés , s'écriait
lU. Benjamin-Constant , dans de sublimes discussions théologi-
ques ; du eourage! nous ne remplissons plus lesfonctions dedé-
putés de la France , mais bien eelles des peres du eoneile de Xi-
cée. » 1\1. Clausel de Coussergues et le marquis de Laeaze déíeu-
dirent le projet de loi avec un saint enthousiasme. lU. Duplessis
de Grénédan en approuvait le príncipe, iuais il trouvait la défi-
nition du sacrilége incomplete el Iausse. « Le seul moyen ,
s'écriait-il, d'arriver ~l une vérirablc rcstauration , c'est de íorti-
fiel' la religión et de rendre a l'Église de Franco son indépen-
dance, son autorité el sa force. )¡-«üLli, nuus lui rendrons sa
force, venaient dire ü la tribuno les ministres avcc attendrisse-
ment; vous voyez tout ce que nous faisons pour elle; el la ma-
jorité applaudissant a ce beau zclc , accordait ses suffrages en
éehange.


Le projet sur les eommunautés religieuses , amendé par la
Chambre des Pairs, fut presenté ala Chamhre élective. )1. d'Her-
mopolis en développa les motifs, et persuadé du peu d'opposition
qu'il devait trouver , iI concluait ü son adoption immédiate, cal'
c'était un besoin pour la religión. lU. lUéchin fut le seulqui parla
contre la loi; cal' le coté gauche se contentait des amendemeuts
que la Chambre des Pairs avait introduits pour empécher les
abuso « Nous avons sur le trónc , disait 1\1. Urde de Ncuville , a
coté du tróne , avec toutes les vertus , toutes les garanties; les




CllAPLTHE X.\.11. 395
congrégations que la loi autorise , cellesqui pourront s'élever par
la suite ne sauraicnt aroir d'autre hut, d'autre pcnsée que defaire
triompher la foi de saint Louis , de maintenir et de propager les
doctrines que proclama toujours l'Église gallieane et que défen-
dirent toujours nos rois. » Il y avait la toutefois une espece de
censure iudirecte des doctrines de la Congrégation. Le Pouvoir,
a travers des sneurs et des fatigues infinies, avait obtenu ce qu'il
dcmaudait , el encoré ce qu'il dcmandait morcelé, imparfait ,
sans pensée , sans unité, Quelle force y avait-il gagnée ? quelle
puissance d'opinion ct de gouvernernent avait-il conquise ? la re-
ligion en était-elle plus respectée r Cet appareil de supplice , sans
exéeution possible , ressernblait aun glaive sans bras pour l'agi-
ter el le faire mouvoir : on troublait l'opinion; on soulevait des
haines, ot, au fond de tout cela, la société sentant sa force, mépri-
sait ces tentatives insensées : on la taquinait au lieu de la gouver-
ner fortement et hautement.


1\1. de Yillele, en dehors de ces questions religieuses, homme
d'administration avant tout, n'avait point renoncé a son idée
d'une conversión de la rente. La création d'un nouveau fonds lui
paraissait indispensable. Avec une grande habileté , 1\1. de Villcle
avaitfait passer le principe du 3 pour 100 dans le projet sur l' in-
deumité des émigrés: on ne pouvait plus discuter sur ce point ;
les éuiigrés allaient rece, oir du 3 pour 100. Il ne s'agissait done
plus maintenant que de la convcrsion de l'ancienue dette , le
fonds nouveau étant admis. te plan était ingénieux et moins
vasto que le précédent : toutes les rentes acquises par la caisse
d'amorrissemcut ne pouvaient étre annulées ni distraítes de leur
aílectation au rachat de la dette publique. avant le mois de j uin
1830; les scnnncs aflcctécs h I'amortisscmcnt ne pourraient plus
etre cmployécs au rachat des Iouds puhlics dont le cours serait
supéricur au pair; les propriétaires d'inscriptions de rentes 5
pour '100 sur l' J~tat auraieut trois mois , apres la publication de
la loi, pour requerir du ministre des finan ces la conversión en
rentes 3 pour 100 an taux de 7,> fr. ct cn rente h et demi pour
100 au pair , avcc garantie centre les rcmbourscments jUSfJU'Cll




396 IlISTOIRE DE LA HESTAUIL\'T[O:\.
1835. Les sonunes provenant de la diminution des intéréts de la
dette , par suite de ces conversíons , devaicnt étre appliquées a
réduire des la prochaine année les contributions directos, qn'aug-
mentaient les centimes additionnels , multipliés outre mesure.
Pour l'exécution de ce projet, les hanquiers et les hommes de
bourse avaient promis a 1\1. de Yillele une certaine masse de
rentes converties qui donneraient de la consistance au nouveau
fonds.


Mais des préventions avaient été jetées a pleines mainspar les
journaux : quand un projet est ainsi dépopularisé, il est difficile de
le relever dans l'opinion. « Tel est, disait ,,1. Villóle, le plan finan-
cier au moyenduquel vous pouvez accomplir lagrande mesure po-
litique qui doit ajamáis honorer cette SCSSiOll ; jJ réunit ¿l tous ces
avantages celui d'offrir aux contribuables une diminution dans les
charges qu'ils supportent le plus difficilement. Le budget de 1826
présentera un excédant de 15 millions, et l'accroissementprogres-
sif de tous les produits indirects nous donne la ccrtitude que les
contribuables peuvent étre soulagés, n-(( Avez-vous calculé, ré-
pondait 1\1. de Berthier , l'cflet moral de la loi, l'agiotage effréné
qu'elle doit produire ? L'intérét ele l'argent n'étant pas générale-
ment a 4 pour 100, la réduction de la rente est prématurée;
cette liberté laissée aux rentiers n'est qu'illusoire, puisqu'elle ne
leur offre pas le remboursement ele leur capital. n-(L'jmmense
utilité de ce projet de Ioi , répondait lU. ele Rougé, est incontes-
table; il ne blesse aucun intéret, puisque le rentier conservera,
s'il le veut, le revenu sur lequel il avait compté , et meme cette
disposition en faveur des rentiers devient presque onéreuse pour
l' .État; mais elle a au moins un grand résultat , celui de Iixer
l'intérét au-dessous du 5; je crois cette mesure utile a la pro-
priété, au commerce eta l'industrie. »-(e Etmoi.répliquait lU. de
La Bourdonnaye, je crois qu'clle sera la ruine et du crédit et de
I'industrie, En effet, si votre loi réussit complétcment, vousn'oh-
tiendrez la réduction d'un cinquiémc de la dette publique qu'cn
accroissant soncapitald'un tiers. »- «Tout Étatdoit avoir sadette,
répoudait JU. de Frenilly, c'est un axiome de Iinance : mais cette




CIIAPITRE XXII. 397
deüe doit étrc proportíonnée aux revenus de l'.État, et I'intérét
doit étre le moins onéreux possible. )) - « Lorsque la rente ue
donnera que 3 pour 100, disait i\l. Bertin de Veaux, la terre n'cn
donnera pas 2; elle yerra croitre son capital et décroitre son re-
venu ; 01', voulez-vous savoir le résultat inévitable d'un parcil
état de choses? c'est la disparitíon totale de la moyenne pro-
priété ; e'est pour elle une véritable loi d'expropriation, C'était
voir de haut la question d'économie politique; lU. Bertin de
Veaux répondait id al'opinion accréditée par le ministére , que
la conversiónserait favorable ala province et a ses propriétaires,
La majorité avait son partí pris : elle écoutait tout avec plus ou
moins de patience, mais ellevotait invariahlcmcnt. On dutméine
remarqucr, en cette circonstance, que le vote définitif de la loi
présentait une plus forte majorité : 145 boules avaient protesté
centre le projet primitif; elles se réduisirent alors a119. Tou-
tefois je ferai observer qu'un amendement de lU. Pavy, qui de-
mandait que l'action de l'amortissement fút publique, passa
malgré le ministére ; c'est que la majorité religieuse et minis-
térielle avait un sentiment d'honneur et de pudeur publique qui
ne pouvait ouvertement protéger la fraude.


Les Pairs avaient rejeté le projct de conversión une premiere
fois, le repousseraicnt-ils une seconde? Cette détcrminatíon
était fort délicate. La Chamhrc des Pairs , grande dans l'opinion ,
était déja l'objct de mesquincs atraques de la part de la fraction
royaliste et religieuse : qu'était cctte asserubléc ~l ses yeux ? un
ramassis de vieux bouapartistcs déguisés, de jacobins, d'idéolo-
gues et de ministres tombés, On proposait au ministere mine
moycns de sortir d'embarras : « Faites des pairs dans les exi-
stenccs provinciales, des pairs élus , des pairs a vie , dont on
puisse disposcr. ) C'cst toujours Ut le cri des Iactionsvictoricuscs
quaud eIles trouvcnt HIle résistancc : détruiscz , frappcz , enlevez
toutes lesdigues ; I'aristocratic , I'inamovihilité , les dignités l}(~­
réditaires , tout ce qui cst Iorrc , point d'arrét , résistance. Ces
meuaces étaient meme consignécs dans les journaux ministériels ;
on voulait intimidcr la pairie ; et la pairie discuta gravcmcnt le


UL 3h




398 HISTOIRE DE LA RESTAURATIO;\.
projet de )1. de Villele. Le ministre, en lui présentant ce projet ,
disait avec sang-froid : « Aucun intérét ne pourra s'alarmer : la
réduction sera facultative; elle aura lieu sans l'intermédiaire
d'aucune compagnie financiere, et par conséquent vous n'avez
plus a redouter l' agiotage. » La commlssiou , encore par 1'01'-
gane de )1. le duc de Lévis, conclut al'adoption pure el simple
du projet: (l tes considérations qui avaient fait repousser le
projet l'année derniere ne pouvaient plus se reproduire au-
jourd'hui; le droit de remboursement appartenait aI'État: ce
principe, d'abord contesté, avait été universellement reconnu ;
il n'y avait plus ni subtcrfuge ni déception pour attirer les ren-
tiers ala conversión. » Tcls étaient les arguments du rapporteur,
( Aujourd'hui, répoudait ~l. Roy, uous pouvons encore espérer
l'amortíssemcnt de la dette; mais avec le projet on ne le pourra
plus, et l'augmentation du capital rendra le remboursemeut im-
possible, Toute réduction ultérieure deviendra impraticable; le
crédit sera dans la main des étrangers. » - « Il enchainera notre
avenir politique, ajoutait lU. de Chüteaubriand : il augmentera
notre dette d'U11 milliard; ilnous forcera aemprunter postérieu-
rement en 3 pour 100. » Ces voix graves se firent vaincment
entendre. J'ai dit les raisons qui détormiuercnt la Chambre des
Pairs a l'adoption du projet, Indépendamment des menaces qui
avaient fait quelque impression , une partie des cardiuaiistes
s'était séparée de l' opposition , paree qu'elle trouvait le projet
mieux combiné, plus favorable aux rentiers , et surtout moins
susceptible de soulever des résistances dans le publico L'oppo-
sition ne présenta pas , dan s le vote déflnitií , un chiílre plus
élevé que 92 boules. Le nouveau fonds ne fut point encore colé
a la bourse ; il fallait attcndrc l' expiration du délai pour la con-
version. Pendant ce temps on hñtait les discussions Jlnancíeres
sur le budget. La prerniere comprcuait le ft'gkllH'nt définitif des
comptes de '1823, et par conséquent la partie d'argent de la
guerre d'Espagnc: la scconde , les suppléments de crédit pour
1824; et la troisieme , le budgct de 1826. Sur le premier point,
les plus délicates questions pouvaient étre soulevées: n'allaít-on




CHAPITRE XXII. 399
pas demander l'emploi de l' excédant énorme de 107 millions de
crérlit ? Les Chambres avaicnt votó 100 millions dans le cas
d'une gucrre Ieute el progeessírc, et les dépenses se montaíent
a2o7 millions, alors que la prornptitude du succésavait dépassé
toutes lesespérances. M. de VilleIe n'était-il pas responsable du
quitns donné au munitionnaire général de I'armée? Les traités
onéreux conclus a Bayonnc et a Vittoria avaient-ils pu étre ar-
rétés sans le consentemcnt des dépositaires du Pouvoir ? Pourquoi
toutes ces Iacilités accordécs a M. Ouvrard , qui n'avait pas
méme fourni de cautiounement, tandis qu'on avait refusé I'en-
tremise d'une maison de commercc, sous pretexte que le cau-
tionnement n'était pas assez fort? lU. de La Bourdonnaye se
plaignait de ce (IlIe tout examen de la partie matérielle des
comptes de I'adminisrration étant interdit aux Chambres , la res-
ponsahilité des ministres était encere éludée. « Le Roi et la
France , s'écriait le général Foy, ne veulent pas que la vengeance
des lois s'exhale en vaines paroles. Nousdevons lajustice atous :
HOUS la devons complete et sans ménagement d'une part , afin
que les hommesde honne foi ne craignent pas dese comrnettre
dans des transactions avec l'J~tat; et, d'une antro part , afin
qu'une terreur salutaire pénetrc jusqu'au fonel de I'áme de ceux
qui scraient tentés , a l'avenir, de se faire les associés ou les
patrons de la friponnerie. » L'opiuion était si pronoucée contre
les marchés Ouvrard , qu'il était impossihle de passer outre sans
prendre une précaution de comptabilité et de finances. Les as-
semblées peuvent bien se rnontrer dociles pour des questions
politiques , mais, lorsqu'il s'agit de probité et d'honneur, il est
rare qu'une majorité s'affrauchisse de ses devoirs en face d'une
publicité éclataute ; elle adopta done un arnendement de lU. de
Beaumont , ainsi concu : « Le ministre de la guerre rnettra sous
les yeux des Chambres le compte détaillé du travail de la liqui-
dation des dépenses de I'armée d'Espagne, aussitót que cette
liquidation sera termiuéc. ) La Chambre se réservait un examen
définitií , une nouvellc surveillance sur la déplorable affaire des
compres Ouvrard : rllr rherchair a trouver la fraude. l\1. le Dan-




[100 IIISTOInE DE lA llESTAUllATION.
phin poussait égalcment a la vérité, De la eette juridietion semi-
politique de la Chambre des Pairs , qui apporta dans cette mal-
heureuse affaire beaucoup de ménagemeuts. le général Guille-
minot ne eessait de demandcr des juges. Nommé aI'ambassade
de Constantinople, il entrctenait une correspondance intime
avec M. le Dauphin, et conservant sur son esprit une grande
influence. 1\1. de Yillcle n'était pas raché au Iondde ces soupcons
publics qui s'élevaient sur le compte de MM. le général Guille-
leminot, de Saint-Priest, le duc de Guiche ct de plusieurs autres
officiers de l'état-major de S. A. n. : il les éloignait par la des
affaires, Quant au hudget, les dépenses étaient évaluéesa915 mil-
lions 504500 fr., et les reccttcs a924 millions 95 700 fr. : elles
offraient done un excédant de 8 millions 591 200 fr. L'accrois-
sement du budget de la dette consolidée était le résultat du
paiement du premier cinquieme de l'indemnité; celui des af-
faires ecclésiastiques provenait de l'établissement de quatre cents
nouvelles succursales , de l'urgence des réparations d'églises,
d'évéchés et de preshyteres. J...e budget des finances préscntait
des innovations; plusieurs des dépenses qui, en 1825, n'avaient
figuré sur le hudget que pour mémoire , et qui devaient étre
acquittées , étaient élevées a des appréciations exactos, 1\1. de
Villcle entrait chaque année dans de mcilleures voies; sur ce
point il n'était aucun reproche ü lui faire. Ainsi, la session finie ,
quel résultat d'intérét général et d'esprit public avait-on obtenu?
le ministere conservait sa puissance parlementaire: mais les
opinions s'ébranlaíent autour de lui. Aux Pairs, la majorité
avait été presque toujours incertaine; le Pouvoir n'v était maitre
de rien; il ne devait compter sur aucun vote, sur aucun de ces
assentiments qui consacrent et proclament ses forces, La popu-
larité était pour la pairie; elle résistait , et pourquoi cette résis-
tance? C'est que la pairie , pouvoir conservateur, voyait autour
d' elle un ministere , expression d'un partí qui éhraulait le pré-
scnt et compromettait l'avenir. Dans la Chambre des Députés ,
la majorité était compacte; et commcnt ne I'aurait-clle pas été,
lorsque le ministóro , ;\ la qneuc de ses élanccmonts religicux rt




CHAPITRE XXII. lt01
monarchiques, lui offrait encore un milliard! Ensuite, des po-
sitions nouvellcsétaient faites; on était indemnitaire; on voulait
étre promptement expédié et liquidé avec munificence; pour
cc1a on donnaít son vote, on se montrait d'autant plus facile.
Toutefois les oppositions avaient un peu grandi; la gauche s'était
recrutée de quelques membres ; le centre gauche de deux ou
trois unités; et puis venait l'opposition La Bourdonnaye , fondue
avec un bon nombre de boules de la droite ou du centre droit ,
qui avaient rompu avec 1\1. de Yillele. Faut-ille dire aussi? l'opi-
nion du dehors commencait a faire irruption; on a beau pro-
clamer a la tribune que l'opinion publique est une prostituée ,
une Chambre ne peut luí échapper d'une maniere absolue. La
majorité n'est pas tcllement affranchie de la société , qu'elle s'y
dérobe longtemps. Plus on avancait vers le terme de la septen-
nalité, plus on était en face des coIléges électoraux; on y pen-
sait. Ajoutez la presse , cet acte terrible qu'on renie et qu'on
subit, contrñlant les actes et l'esprit de la Chambre , et puis
vous aurez le motif de cet accroissement successif de l'opposition,


On hátait la fin de la session; le Iloi avait annoncé son sacre
pour le mois de mai; une grande députation des deux Chambrcs
devait y accompagner Charles X, et l'on voulait , avant cette
époque , terminer le budget. Cette question du sacre soulevait
une multitude de difficultés que la royauté devait résoudre. Un
hruit populairc , répandu sous le rcgne de Louis XVIII, disait
que le clergé s'était reíusé ~\ sacrer le Roí tant que Napoléon
vivait encore : vieux conté que les factionsj etaient a la foule pour
l'émouvoir de toutes les grandes mémoires de l'Empire. La
vérité est que Louis XVIII avait toujours été trop maladif pour
se préter a la cérémonie du sacre; on y avait songé plusicurs
fois; l'annonce officieUe en avait été méme faite en t 819 , mais
on avait laissé ce projet, les souffrances s'étant agrandics. Le
sacre serait-il une cérémouio purement rcligieuse , ou hien en
ferait-on un événement poliLique? Sur ce point iI fallait s'expli-
quer. Le discours de la Couronne avait declaré avec précision
que le Roi préterait aux pieds des autels le serment ~\ la Charte :




[102 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.·
je doís méme dire qu'il n'y eut jamais , quant ace serment , la
moiudre difficulté. On s'est en géuéral trompé sur le caractere
de Charles X; il adoptait la Charte comme une concession; seu-
lement illa comprenait dans le sens du partí royaliste , c'est-a-
dire qu'il placait au-dessus d'elle un pouvoir conservateur,
dominant, celui de la royauté préexistante et n'ayant aliéné que
quelques-unes de ses prérogatives, Dans les traditions reli-
gieuses et monarchiques , difIérentes formules étaient consacrées
pour le sacre; les conserverait-on? Le Roi, par exemple, « pro-
mettait sur le nom du Christ , au peuple chrétien qui lui était
soumis, protection , ainsi qu'a l'.Église de Dicu ; il jurait de les
défendre contre toute iniquité et rapacité ; de se montrer équi-
tahle el miséricordieux dans ses jugements afin que le Dieu
clément lui accordát pardon ; il jurait enfin d' ertcrmincr dans
toutes ses terres et juridictions les hérétioucs qui lui seraient dé-
signés par l'Église et par les hommes de bonne foi. » Formules
qui ne pouvaient se reproduire sous un systéme qui accordait
une égale protection a tous les cultos. Pour résoudre ces dif-
ficultés eten méme temps pour régler les cérémonies du sacre
et en fixer le programme , 1\1. de Villele avait institué une com-
mission spéciale sous sa présideuce et composée de i\IM. de
Doudeauville , de Latil , le marquis de Drcux-Brózé , les ducs
d' Aumont et de Riviere. C'était un petit comité <1<' cháteau :
-'1. de Doudeauville était ministre de la ruaison du Hoi; le mar-
quis de Brézé , grand-maitro des cérémonics; i\l. de Latil, ar-
chevéque de Rcims; le duc d'Aumout , premicr gentilhonnne
de la Chambre , et lU. de Hiviere , capitaiue des gardes, Cette
commissiou était mal choisie pour préparer des inuovations aux
vieillescoutumes religieuscs ct monarchiques ; toutefois la posi-
tion de Charles X était lene, qu'il u'y cut pas la moiudre diffi-
culté sur la formule du serment. On dut meure en harmonie
les antiques usages avec les institutions actuclles, Dans que! sens
allait-on cntcndre le sacre? Conuncncerait-il lc rcgne de Char-
les X, ~\ propremcnt parler, sclon la máxime des conciles '? Sous
l'empíre des institutious nouvelles , cela ne pouvait Nre : le




40,3
clerg(~ devait une déclarat ion solcnnelle sur ses préten tions a
l'égard du sacre? On négocia ayer, 1\1. de Latil , archevéque de
Ileims. Je dois ajoutcr que ce prélat ne fit aucune difficulté.
« ~ 'allez pas supposer , s'écriait-il dans son mandement, que
nos rois viennent recevoir I'onetion sainte pour acquérír ou as-
surer Jeurs droits ¿\ la couronne; non, leurs droits sont plus an-
cicns, ils les tiennent de l'ordre de leur naissance , el de cette
loi immuable qui a fixé la succession au tróne de France , et ~\
laquelle la religion attaehe un devoir de conscience. C'est en
vertu de cctte Ioi que les rois nous demandent obéissanee el
fidélité , et c'est afin d'obteuir les gráces nécessaires pour rem-
plir les devoirs que ces droits leur imposent , fairc régner la
justicc el défendre la vérité , qu'ils viennent rendre par leur
consócration un honuuage solennel au Roi des rois , et placer
sous sa protection toutc-puissante leur royaume ainsi que leur
couronne, Tels sont sur l'autorité et la majesté des rois les prin-
cipes de l'Église catholique ; et dans cette grande circonstance,
il nons a paru convenable , néccssaire de les puhlier, afin de
fixer sur une questiou aussi iutéressante vos idées et vos princi-
pes.» ~l. de Latil exprima les largos príncipes de son clergé ,
('1 Charles X, avec une convenance parfaite , régla le personnel
du sacre. Le Iloi se montra prince éclairé ; et conservant les
príncipes d'égalitó de la Charte , il déposa l'épée de connétable
aux mains du doyen de la vieille année , le maréchal l\loncey;
les deux premiers officiers du Hoi furent les maréchaux Soult
et ;\lortier. N'était-ce pas un éclatant hommage a l'oubli du
passé ? ne rajeunissait-on pas dans un glorieux baptéme la
vieillc institution du sacre? Dans les regles de I'étiquette, tous
les souverains devaient se íaire représenter a Ileims ; les lettres
autographes avaient aunoncé aux Cabinets l'époque de la céré-
monie. Tous les rois répondircnt par l'envoi d'amhassadeurs ex-
traordinairesaccrédités spécialemeut pour le sacre; ils ne durent
traitor d'aucune affaire politiqueo Les grandes Puíssances choisi-
reut plutñt de riches seigneurs a formes d'ostentation et de
fortune , que des diplomates habiles , influents : ce furent pour




4() 4 IlIS'IOll\E DE LA. RES'I AURA.TI0N.
l'Autriche , le prince d'Estcrhazy, de ecuo illnstre familie de
cour, la plus puissante de l'Autriche ; pour l'Espagne, le duc de
la Villa-Hermosa, l'une des grandesses les plus hrillantes ; l'An-
gletcrre envoya le magnifique duc de Northumberland , colossale
fortune des trois royaumes ; le général de Zastrow rcpréseutait
la Prusse; le prince de Volkonsky, la Russie : je le répete , il ne
devait étre question d'aucune affaire politique ; c'étaient des
ambassades de pures solennités. La cornmission spéciale pour le
sacre avait fait son rapport secret sur les formules du serment;
la premiere s'appliquait a Charles X en tant que roi; la se-
conde, en tant que grand-maitre des ordrcs du Saint-Esprit et
des autres insignes de Franco. Quelques changements furent
faits par le Roi, et l'on adopta les formules suivantes, Comme
monarque , Charles X disait : « En préscnce de Dieu , je pro-
mets a mon peuple de maintenir et d'honorer notre sainte reli-
gion, comme il appartient au Roi tres-chrétieu et au flls ainé de
l'J~glise; de rcndre bonne justice atous mes sujets; enfm, de
gouverner conformément aux lois du royaumc et a la Charte
constitutionnelle , que je jure d'ohserver fidelernent; qu'ainsi
Dieu me soit en aide, et ses saints Évangiles.» La formule,
comme chef et souverain grand-maitre de l'ordre du Saint-
Esprit, était : « Nous jurons aDieu le Créateur, de vivre et de
mourir en sa sainte foi et religión catholique , apostolique ct
romaine ; de maintenir l'ordre du Saint-Esprit , sans le laisscr
déchoir de ses glorieuses prérogatives ; d'ohserver les statuts du-
dit ordre , et de les faire ohserver par tous ceux qui en sont ou
seront; nous réservant néanmoins de régler les conditions d'ad-
mission selon le bien de notre servicc. » Enfin, comme chef
souvorain et grand-maitre de l'orrlre royal et militaire de Saínt-
Louis ct de l'ordre roya] de la Légion-d'Ilonneur, le Roi disait :
« Nous jurons soleuncllcmcnt ¿l Dieu de maintcnir a jamais ,
sans laisser déchoir leurs gloricuses prérogarives , l'ordre royal
et militairc de Saint-Louis et l'ordre royal et militaire de la
Lógion-rl'Houncnr ; de porter la croix desdits ordres , ct d'cu
faire ohserver les statuts. Ainsi le jurons el promettons sur la




CJJAPJIJJ.E _Y_YJJ. bD5
saintc Croix et sur les saints Évangiles. » I1 était impossihle de
mieux entrer dans les idées nouvelles, de se pénétrer plus pro-
fondément de l'esprit des institutions : on confondait le présent
avcc le passé , toutes les gloires et les souvenirs de la patrie !


Le sacre était toujours une époque de gráce et de magnifi-
cence royale; Charles X la saisit pour se manifester au peuple,
Une question avait été posée en Conseil : ferait-on une promo-
tion de pairs? C'était une mesure politíque essentielle pour le
Cabinet; elle trouva de la résistance de la part de CharlesX : les
ministres y voyaientd'abord des dífflcultés. En s'unissant d'esprit
avec la Chambre des Députés , lU. de Villéle avait pris des enga-
gcments de pairie envers un eertain nomhre de mcmhres de sa
majorité , et particuliercmcnt avec le hanc religieux de lU. de
Ilougé. Si I'on créait des pairs , il était impossiblc d'éviter ces
promotions, et des lors n'était-il pas a craindre de voir la ma-
jorité se dísloquer ? Ensuite, la Chambrc des Pairs s'était mon-
trée plus docile , plus malléable dans la derniere session ; en dé-
finitive , n'avait-elle pas voté presque tout ce que le ministére
avait proposé ? Si lU. de Yillele n'aimait pas la Chambre des
Pairs , s'illui était personnellement hostile, surtout a la frac-
tion Riehelicu qui la dominait, au Iond il n'était pas füché
d'opposer un contre-poids de modération et de raison ala ma-
jorité religicuse ct monarchiquo de la Chamhre des Députés, Il
pouvait dire des lors a ceux des députés qui lui demandaient
tantót les registres de l'état civil pour le clergé , tantót la célé-
hration religieuse du mariage antérieure a l'acte: « Le ferons-
nous passer a la Chambre des Pairs? » La situation de l\L de
Villele était tellement complexe, qu'il avait besoin, en certaines
circonstances , du contre-poids de la pairie, tandis que, dans
d'autres , il aurait désiré le hriser. A tout ceci je dois ajouter
que Charles X était pcrsonnellcment contraire aux grandes pro-
motions de pairs ; il avait une sorte de rctcnrissement malheu-
reux de celle de ,,1. Decazes , et sespríncipes étaient en opposi-
tion avcc ces faveurs généralcs quí cmbrassaient un trop grand
nombre de pcrsonnages. .'1. le Dauphin , plus que jamáis dans




406 HISTÜIRE DE LA RESTAURATIüN•.
les opinions modérées, s'opposait aussi ;, ce qu'on appelait une
[ournée de pairs, et le Roi se borna des lors aune promotion des
ordres royaux, Dans les regles de la monarchie, les princes du
sang recevaieut a sept ans le cordon hleu que les Iils de Franco
avaient au berceau. Sous le régne de Louis XVIII, la famille
d'Orléans n'était point en te1le Iaveur que le Roi consentir a
pourvoir ál. le duc de Chartres du cordon bleu. S. A. R. le rccut
au sacre de Charles X , qui l'en revétit lui-méme avec ecuo
grñce de formes et de mors qu'il savait mcttre en toute chose.
Comme un nouvcl hommagc ala roture et al'égalité, et surtout
comme térnoignage de satisfaction ~I la Chamhre des Députés, le
Iloi éleva ~l ses ordres :\!. Ilavcz. Une ancicnne promcssc envcrs
le prince de Mettcrnich , qui avait désiré le cordon bleu, fut
également tenue; le Roi le lui donnait en échangc de quelques
décorations que l'empereur d' Autriche avait envoyécs ~\ la suite
de la guerre d'Espagne. On comprit dans la promotion le car-
dinal de Clermont-Tonnerre, archevéque de Toulouse, tout a
la fois comme une traditiou de famille et une satisfaction an
parti religieux, qui s'était vu pcrsécuté en la personne du car-
dinal, et M. de I..atil, comme un témoignage de la royale amitié
de Charles X envers le métropolitain qui allait sanctifier son
sacre. Trois maréchaux étaient compris dans ecuo promotion
aux ordres ; tous trois avaient serví avec gloire la répuhlique,
l'empire et les Ccnt-Jours : j'entends parler des maréchaux
Soult, lUortier et Jourdan. Les partís se sont emparés de la
vie de M. le maréehal Soult: je n'adopterai pas toutes ces exa-
gérations; je dirai seulement que le maréchal se montrait alors
fort dévoué , qu'il ne manquait aucune pompe, aueune solen-
nité de cour; il ambitionnait la pairie, et quelle royauté aurait
pu la refuser a une si grande illustration militaire? J e crois
d'ailleurs que l'épée du maréchal se füt consacrée avec dévoue-
ment a la Ilestauration, Tous les autres chevaliers étaient pris
dans la haute Chambre el la Cour. le Roi en avait lui-méme
dressé la liste: le duc d'Uzes , le duc de Chevreuse , le duc de
Brissar: tous trois représentaiont d'ancicns titres de pairie ;




CHAPITRE XXl1. l~07
i\I. de :\lortemar, capitaine des gardes a pied; de Fitz-James,
de Polignac, amis personnels du nouveau Roi; de Lorges , de
MaiHé, de Castries , de Narbonne-Pelet, les marquís de la Suze ,
de Dreux-Brézé , de Pastoret , de la Ferronays; le vicomte
d'Agoult , le marquis d'Autichamp, gouverneur du Louvre, et
le comte Just de Noailles , tous appelés par des services divers
d'amhassade , de chñteaux ct de chambre. On consolait 1\1. de
Pastoret par le cordón hleu; vice-président de la Chambre des
Pairs, on ne voulait pas qu'il püt désirer encore une faveur que
le présídent de la Chambre des Députés avait obtenue. Cette
promotion fut tout a fait une affaire de cour, l\l. de Yillele
n'indiqua que M. Bavez.


Ilestait une plus haute sanction du sacre : la gráce et le
pardon des condamnés. lei la royauté se montra grande, géné-
reuse. Tous les détenus pour crimes et délits politiques furent
amnistiés: alors sortircut de la captivité ces jeunes ofliciers qui
avaient combattu le drapean blanc en Espague , el un grand
nombre de condamnés, enuemis invariables de la Maison de
Bourbon; alors furent reudus au pays ces jeunes hommes qui
garderent au cceur bien des haincs. Les Gouveruements doivent
peu proserire, mais aussi rarement amnistier. Ces gráces furen1
illimitées et précédaient le noble cortége de Charles X qui se
rendaita Ileims, Hacontcrai-je les vieilles céréuinnics du sacre,
ces anciennes coutuuies de la monarchie '? La pompe fut grande
dans l'immense cathédrale. Le Iloi arriva aIlcims aux premiers
jours du mois de mai; les esprits superstitieux ne manquérent
pas de remarqucr comme un sinistre présage le danger que
Charles X avait couru dans le voyage; les chevaux s'étaicnt elll-
portés dans une route rapide et cntourée de précipíces; des
offieiers du Iloi , ct particulieremcnt le comte Curial, furcnt
grievemcnt hlessés, la cérémonie commenca SOl1S ces malheu-
reux auspices, L'iutérieur de l'iuuucnse hasilique oITrait un spec-
tacle de toute magnificence : les princes du saug , le corps di-
plomatique , les ministres d' l~tat, les pairs et députés dans tout
I'appareil de leurs honneurs, s'y trouvaicnt réunis ; iI Ycut une




l,08 IIISTOIRE DE LA RESTAliRATIOl\.
bénédiction de l'épée; le Roi monta a l'autel , la haisa et la
remit au vieux maréchal Moncey , connétable; on lui fit les
saintes onctions d' apres le cérémonial , la prcmiere sur la tete,
la dcuxieme sur la poitrine, la troisieme entre les épaules , les
quatriéme et cinquieme sur l'épaule droite et gauche , et les
sixieme et septiéme sur le pIi du bras droit et du hras gauche :
vint la cérémonie du couronnement. l\I. de Latil prit en ses
mains la pesante couronne de Charlemagne , et la posa sur le
front débile du monarque , qui aurait dü s'ablmcr sous ce poids
glorieux. Les fanfares se firent entendre; le peuple se précipita
dans l'église aux cris de Vivat Bcx .. dont les volites retentis-
saient; et l'on vit voltiger des colombcs et autres....oiscaux qui ,
suivant un antique usage, furent láchés dans la métropole , en
signe de la vieille liberté des Francs, Tout cela était bien d'un
autre temps, parlait peu ~\ l'imagination d'un peuple grave et
rél1échi; les siecles étaient passés OU la Sainte-Ampoule impri-
mait une force nouvelle ala royauté. Une époque disputeuse ne
recueillit que le serment ala Charte prété sur l'autel et en face
de ce Dieu témoin de la parole royale.


n y cut des adulations , des poésies sacrées , des odes, des
poémes sur le sacre; on n'cntendit rouler pcndant quclques
mois que les mots de bas ilique saintc , luulc des poutifes .. cal'
les poétes adoptent pour chaqué événement une langue qu'ils
parlent asatiété. C'est alors que se révéla ecuo facilité de poésie,
qui plus tard retentit dans une corumuuauté de brillantes satires,
A coté de lU. Victor lIugo, MM. Barthélemy et Méry chantercnt les
grandcurs de la royauté. Des fétes attcndaient Charles X h Paris :
son cntrée pompeuse fut moins populaire que son avéucment ;
le désenchantcment était arrivé ; on voulait quclque chose de
national avec un regne nouveau. L'opinion publique fut triste-
mcnt désappointée ; ce vieux ministere qui se raccrochait au
tróne , tous ces projcts rcligieux venus ;, point nommé, comme
pour tourmentcr le pays , cene conduitc maladroite , avaient
dévoré l'enthousiasme populaire. On no vil plus du sacre que
son coté ridicule ; c'était une cérémonie de prétre pon!' con-




CHAPITRE XXII. 409
sacrer un roi dévot, et l'inconvenantc et railleuse chanson de
l\I. de Bérauger sur les vieux oripeaux de Charles-le-Simple
achcva de ridiculiser une auguste cérémonie OU Charles X pour-
tant avait juré sur l'.Évangile le maintien de la Charle ct des
droits politiques des Francais,


Lorsqu'un gouvernement s'écarte d'une ligne de raison , au-
tour de lui surgissent aussitót mille résistances qu'on n'avait pas
prévues et qui vicnnent cmpécher des folies. Il est impossible
qu'un pouvoir en dchors des idées d'un pays vive tranquille ; au
momeut oú il se croit fort, un souffie suffit pour le renverser.
C'érait démence a la Restauration de vouloir se réduire aux
ardentes proportions de la société religieuse ; aussi arri vérent
contre elle des oppositions qu'elle n'avait pu prévoir el qui
¿I la fin I'accablercnt. Au moment oú, par les deux lois du
sacrilégc et des communautés religieuses , le part: -lu clergé se
croyait en pleinc possession du pouvoir , lU. de ñloutlosier pu-
bija une série d'articles dans le Drapcau blanc l. Il dénourait
I'organisation de la Congrégation : « qui se composait du jésui-
tisme , de l'ultramontanismc et du systerue d'envahisscment des
prétres ; la Congrégation avait des ramifications partout , elle
comptait plus de cent membres dans la Chambrc des Députés ;
grande réunion, contiunait 1\1. de Montlosier, qui meuace la su-
reté de I'État , de Ja société et de la religion. » Les ancicnnes
lois u'étaicnt ni abrogces, ni tomhécsen désuétude ; elles étaieut
dans leur pleine ct eutiere vigueur , et (le plus confinnécs en
plusieurs cas par les lois nouvelles; 1\1. de Montlosicr dénoncait
cene organisation ü toutes les cours du royaumc, C'était un
coup qui portait haut par plusieurs motifs : d'abord )1. de l\lOllt-
losicr ne pouvait pas étro soupconné de manquer de royalisme ;


I Je erais savoir que l\J. de Villele ne Cut pas tout ú fuit étrangcr a
l'idée primiLive de ecuo publication. La Congrégation lui pcsait , il
don na le conseil d'une auaquc dirccte, Cornrne ll ne put trlompher,
1\1. de Villcle subit le joug. JI cut U11 morncnt la volonté de se débar-
rasser de .Mi\I. Franchet el Delavau , il s'en ouvrit it I'un de ses colléeucsl::l ,
mais avec timidité,


m, 35




IdO m5TülRE DE LA RESTAURATlüN.
il était la véritable expression de ces émigrés gentilshommes, de
eette noblesse provinciale qui s'était rangée autour du tróne pour
y mourir ; il avait défendu de vicilles libertes féodales ; iI sonnait
ainsi la séparation du partí de la noblesse d'avec le partí reli-
gieux. C'était une nouvelle division au milieu de toutes les au-
tres divisions parmi les hommcs mouarchiques. Ensuite lU. de
lUontlosier, en appelant le concours de la magistrature, donnait
aux cours royales une velléité de l'aucicn esprit parlementaire ,
souvenirs que les corps judiciaires saisissaicnt toujours avee avi-
di té , cal' les corporatíons tendent aagl'andir leurs priviléges, Le
parti reJigieux se sentait trop fort pour ne pas aífronter ouverte-
ment la lutte ; il agit aupres de ~1. Ir procnreur général Bellart
par le moyen du garde des sceaux , et dcux pro ces de tendance
furent intentés au Courrier [rancais ct au Consututionncl,
« C'est la religion maintenant qui est le point de mire des atta-
ques, disait 1\1. Bellart; ecrase: l' in[dmc ! est le mot de rallie-
ment secret : les enuemis de tout ordre emploient quelqueíois
l'audaee, mais plus souvent l'hypocrisie , el l'hypocrisie a ga:;né
leurs journaux: mépris déversé sur les choses et les pcrsonnes
de la religion ; provocation ~l la hainc coutre les pretres en gl'~­
néral : non-sculement ils attaqucnt les cérémonics , les réunions
du cultc , mais encoré cellc des trappistes , des freres de la doc-
trine, des frcres de la charité , etc. » ,1. Ilcllart Iaisait une di-
gression sur l'utilité des ordrcs rcligieux ; ceci avaít son but; on
voulait essayer les cours royales sur cctte question : ~l. Bellart
continuait : « Ces journaux nc voient dans la religión catholiqne
qu'une source de Ianatismc , d'orgueil el de pcrsécution ; c'est
le protcstantisme qu'ils appelleut ; lcur odicux projct de mine,:
la religiou marche, et il est ternps que la justice om re les yeui;
sur de telles fureurs. » Le procureur-général dciuandait la sus-
pensión du Constitutionnel pcndant un mois , el attcndu la ré-


. cidive du Courricr [rancais , sa suspensión pendant trois mois.
Ainsi l'attaque était portéc au UOl1l de la roligion , OU, pour
parler plus exactcment , du partí prétre ; on avait l'imprudence
de saisir les cours royales précisément de la question brülantc




CHAPITRE XXII. lt 1. i
que lU. de lUontlosier avait soulevée; on allait droit aux embar-
ras, aux querelles d'Église et de catholicisme. Ces preces oífri-
rcnt les plus piqnants détails et les questions les plus sérieuses.
lU. de Broé soutint l'accusation avec une hahileté grave et spiri-
tuelle: « Xous avons reconnu , s'écriait-il , que des diífamations
centre les ministres de la religion de l'.État, soit en masse, soit
en particulier, des attaques injurieuses fréquernment renouvelées
centre les choses et les personnes , entin un dénigrement perpé-
tuel de tout ce qui tient ü la religión catholique , portait atteiutc
au rcspect dú Üecuo religion ; nous ne reviendrons pas sur ces
vérités, Partout , dans la série des articles dénoncés , les écri-
vains , sous prétexte d'attaquer les jésuites , la congrégation, les
missions, suivaient un systéme d'accusatiou contre le clcrgé
catholique , et cherchaieut h jcter des divisions en haine de la
religión de l'État, » M. Dupiu fut chargé de défendre le Consti-
tutiounel, et la question allait ~\ ce talcnt de texte et d'érudition
ecclésiastique melé aux idées du parlemcnt ; l\I. Dupin s'élevait
diflicilement; les grandes vues n'étaicnt pas de son domaine et
la question de tendance l'appelait précisément sur le terrain que
l'avocat aimaitaparcourir : « Est-ce attaquer la religión que de
dénoncer les abus qui la déshonorent ? Ne voit-on pas la tactique
de ceux qui veulent confondre leurs intéréts avec ceux de la
religion, et cacher la férulo séculiere sous le mantean spirituel?
Ce qu'il y a de coupable et d'illégal en tout ceci, c'est l'iutro-
duction d'ordres rcligieux dans l'État , sans lois ni ordonnances
qui les autorisent. » l\l. Mérilhou , qui visait ala célébrité politi-
que par les jouruaux , chargé de la défense du Courrier [ron-
rais , faisait ohserver que de tous les articles incriminés , aucun
n'offensaít la religion , ni ses dogmes , ni ses mysteres ; il ne
s'agissait que d'abus , de fautes ou de crimes , faits dont il offrait
de prouver la vérité, « Loin d'intenter des procés , disait-il , on
doit des éloges au COUI'I'icl' pour le zelo et le courage qu'il met
~\ combattre les dangers réels et les doctrines funestes; mais
e'est un preces factice, substitué au preces véritahle ; l'intérét
des jésuites a seul dicté cette poursnite comme un supplément




412 mSTüInE DE LA RESTAURATIüN.
de la loi du sacrilége et de la diffamatiou. J) lU. de Broé , dans sa
réplique , insista fortemcnt sur la conviction intime qu'il avait
de la tendance irréligieuse des articlcs incrimiués : « Nous y
voyons la religion de l'.Éta t indignement outragée , el le clergé
en butte a tous les caracteres de la diífamation. ) ]U. Dupin re-
prochait a l'acousation d'employer tous ses cñorts pour déplncer
la question; (1 il ne s'agit pas , s'écriait-il , de procesen diílama-
tion, mais de preces de tendance. J) Enfin arriverent les arréts.
C'était d'eux que devait dépendre la solution d'une véritabledif-
fieulté de gouvernement, La cour avait salué et saisi avec em-
pressement le nouveau pouvoir dont I'investissait la loi de 1822;
on faisait encoré de la magistrature un corps politique dans
l'Úat; on réveillait sesvieilles antipathics contre les corporations
religieuses! L'arrét fut remarquable : « Considérant que si plu-
sieurs des articles incriminés eontiennent des expressious et
méme des phrases inconvenantes et répréhensibles , I'esprit ré-
sultant de l'ensemble de ces articles n'est pas de nature aponer
atteinte au respect dü ü la religión de l'État; que ce n'est ni
rnanquer ü ce respect , ni abuser de la liberté de la presse , que
de discuter l'introduction et l'établissement dans le royaume de
toute association non autorisée par la loi , que de signaler des ac-
tes notoirement constants qui oll'ensent la religion et les mceurs ;
que les articles blámables , quant aleur forme, no portaient au-
cune atteinte :t la religión. A la vérité quclques-nns présentaient
ce caractere , mais ils étaient pcu nomhreux el avaient été pro-
voqués par des circonstances que la cour cousidérait comme at-
ténuantes; ces circonstances résultaient principalement de l'in-
troduction en France de corporations religieuses déíenducs par
les lois , ainsi que des doctrines ultramontaines hautcmcnt pro-
fessées dermis quclque temps par une partie du clergé franrais ,
et dont la propagation pourrait mettre en péri! les Iihertés civiles
et religicuscs de la Franco ; par tous ces motifs , la cour décla-
rait n'y avoir licu ü prononcer la suspension requise. » e'était Ht
plus qu'un arrét ; c'était une haute mauifcstatiou de principes ,
une protcstation de la magistrature contre la marche ct la len-




CHAPlTUE X~JI. h13
dance <In Gouvernement. tes cours vcnaient ICl d'exercer un
véritable pouvoir politique ; le parti religieux dut rcconnaitre la
faute qu'il avait faite en instituant les preces de tcndancc; l'csprit
de la magistraturc échappait au Gouvernement, et l'impunité
des écrivaius devait en etre la conséquence. te ministere n'avait
plus que la censure, arme temporaire , presque usée et tomhant
sans force devant l'opinion. Tous les pouvoirs indépendants ,
inamovihles , passerent succcssivnncnt a l'opposition ; des ré-
sistances qu'on n'avait pas prévues embarrassaient déja tous les
ressorts de I'adrninistration. Et l'opinion du dehors , puissantc,
soulevée , saisissait toutes les circonstances pour se manifcster ;
chacun de ces arréts de cours royales était salué par des accla .
mations unanimes. Jlicn de comparable ¡l la popularité de M. Sé-
guier, fiel' de la réputation qu'on avait faite ¡l ses siugularités
spirituelles ; c'était une rete que ces échecs du Pouvoir, consideré
des lors comme un ennemi. te Gouvernement , insensé qu'il
était, ne voyait pas que cettc puissance de l'opinion minait tout
ce qui fait la force de l'autorité , et que toutes les consciences
raisonnahlcs lui retiraient leur appui. Ces manifcstations des
sentiments popnlaires se montrereut surtout a l'occasion des fu-
nérailles du général Foy, noble talent de tribune , vite usé ,
paree que l'existence hrülante des honunes politiques dévorc les
entrailles, 1U. de Serrcs mourait ¿l Xaples , emportant dans la
tombe la plus bello réputatiou d'oratcur. JI succombait sous
une disgrüce élcctoralc , sous le poids d'une ingratitude du
pays; MM. de Senes et le général l<'oy avaieut marqué l'un ct
l'autre une grande carriere , s'estimant haut, quoique placés
dans une positiou diíléreute ; je ne sache pcrsonne qui parlait
avee plus d'enthousiasme du talent de M. de Senes que le gé-
néral Foy, el du ralcnt du géuéral Foy que ~J. de Serres, lis
disparurcnt tous deux prcsque au méme momento Quand les
sentiments publics sont fortcment éprouvés , ils paraissent en
toute chose, ils se saisissent d'un accident pour éclater ; les fu-
nérailles surtout éveillcut ces émotious de l'áme ; elles sont
comme une grande douleur d'un pcuple qui voit tomber




lt1lt HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
l'homme public, le défenseur de sesdroits ; elles remuent l'ima-
gination. C'est la rohe sanglante qu'on montrc a la multitudc
pour lui rappeler ce qu'clle perd et ce qui la mcnace. Aux fn-
nérailles du général Foy, le partí fit en quelque sorte le dénom-
brement de ses forces ; elles étaicnt immenses en eflet : le cer-
cueil fut porté par des jeunes gens qui avaient demandé ¡l rendre
hommage a cette puissantc dépouille. Le convoi partit ü une
heure, sous les coups d'une pluie battante avecle froid brouil-
lard de décembre , et n'arriva qU'~1 six heures dans l'enceinte
fúnebre oú tout un peuple se trouvait rassemblé. Les avenues
étaient cncombrées d'équipages, Un de profuntlis fut entonné
par la Ioule , seule manifcstation bruyaute qu'on entendit , chant
de mort qui retcntissait au milieu des tombeaux, Plusieurs dis-
cours furent prononcés sur la pierre sépulcrale, « Saluons,
s'écriait ]U. Casimir Périer, saluons une deruiere fois, au nom
de la patrie, au nom de I'éloquence , au nom de la sainte ami-
tié , le guerrier, le citoyeu , l'orateur, l'homme d'État illustre
qui a bien mérité d'clles ! » ]] fut question dans ce discoursde la
famille du général. Foy ne laissait ~l ses enfants que la célébrité
de son nom; M. Périer lit entrevoir la pensóe de leur adoption
par les admirateurs du talent de lcur pere : « Oui , nous le jn-
rons » , fut la réponse spontanée et uuanime de toute cette as-
scmhlée ; une souscription s'ouvrit dans tOIlS Jes hureaux de
journaux , ponr lui érigcr un monument ('l assurcr a sesenfants
une existcuce convcnable ; toutes les notahilités du partí libéral
s'inscrivirent ; la presse fit un appcl atous les rangs; lU. Laffitte
déposa 50 000 francs, 1\1. le duc d'Orléans , 10 000 , lU. Casi-
mir Périer, 10 000 ; les plus perites sommes furent égalemcnt
rccues , et au hout de quclques mois on avait réuni un million ;
prcmicr excmple d'une rolle muuiíiccncc de partí ! I.e général
Foy n'était point un homme de révohuion ; il Iaissa une réputa-
tion sans tache ct sans reproche. te Gonn'rll(lllH'ut fut Irappé
de l'ordre , de la discipline, de la doulcur muerte de cette mul-
titude qui suivait le convoi : c'était comme une grande mcnace
eontre le Pouvoir. On Ini disait : Yovoz , comptez-nons, comp-




CIIAPITRE XXIT. b15
tez-vous, el en faco de ce pays robuste , imhu de tout le maté-
rialisme du XYlJr siécle , jOlH'Z encere a la perite chapclle ,
faites des lois de sacrilége et instituez des communautés reli-
gieuses!


11 esto dans la destinée des pouvoirs nés des partis, d'étre
souvcnt entrainés plus loin , contre leurs opinions et leurs pro-
p1'e8 principes , que ne le scrait un gouvernement calme et ré-
parateur, Qui aurait dit, par cxemple , que ce serait le parti
royaliste qui proclamerait I'indépcndance de Saint-Domingue ,
consécration la plus explicite de tous les príncipes de la révolu-
tion? Cela se fit ainsi pourtant: en voici la cause, que je ne sau-
rais trop rappcler. ]1 y avait dan s :U. de VilIcle deux hommes
el deux pcnsécs : chef de majorité , il faisait ~i cette majorité
toutc espece de conccssion : chef du Cahinet, ministre des finan-
ces, il sentait bien que les fonds puhlics et le crédit de l' État
n'arriveraieut abonnc fin qu'en secoudant le mouvement COll1-
inercial et industriel. Ses rapports avec la hanque , l'action du
comte de Saint-Cricq qui avait aupres de lui une grande iníluence,
l' cntrainaicnt dans cctte voie nouvellc ct raisonnable. L'idée de
faire reconnaltre par l'Espagne les colonies (1'Amérique luí 80U-
riait 80US plusieurs rapports; il espérait par Ui faire rentrcr au
1'1'(1801' les inuncnses avances que le Convcrnement franrais avait
faitcs it Ferdinand : jJ nc dissimnlait pas non plus que le Nouveau-
Monde, ouvert ü I'iudustrie Iranraisc , donncrait de grands dé-
bouchés aux produits des manufactures, et agrandirait en con-
séquence la fortune publique. Dans cette idée , l'émancipation
de Saiut-Domingne , colonie Irancaise révoltée , ne scrait-clle
pas d'un bon cflet? ne douncrait-on pas un cxcmple ¿l Ferdi-
nand pour l'émaucipatiou de'l' Amérique du Sud? Et puis , on
avait secouru les émigrés, u'était-il pas noble et utile de secourir
les colons? Tous res résultats se liaient surtout dans la pensée de
,1. de villele 11 la hausse des fonds publics : la conversion ne
s'était faite que partiellement ct pour une trés-pctitc quotité de
rentes; l'action de la presse en avait détourné les capitaux ; la
ronfianc« (·taít éhranlé«. I><"s la promulgation de la loi sur la




416 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
conversion des rentes, la Caisse d'arnortissomcnt avait cessé de
racheter des 5 pour 100, qui se soutenaicnt au-dessus du pair;
les spéculations s'étaient portées sur le nouvcau fonds; mais la
haisse des consolidés anglais, qui de 96 oú ils étaient au mois
de janvier étaient tomhés a 91, inílua déíavorablemeut sur les
fonds de Paris ; plusieurs hanquiers intéressés a la bourse de
Londres s'étaient retires de la uótre , et le 3 pour 100 ílotta en-
tre 75 et 74. Au tenue assigné pour la conversión des inserip-
tions, le [) aoüt , une commission nonnuée pour constater le
montant de ces conversions reconnut que la quotité des demandes
de conversion s'élevait ~l 30 millions 688 000 fr. ; les conversions
opérées étaient de 30 millions 427 000 fr. , Iesquelles produísi-
rent en 3 pour 100 une somme en rentes de 24 millions
459000 fr.; d'oü il résultait dans l'intérét général de la dette
une réduction de 6 miIlions, qui fut immédiatemcnt appliquée
au dégrevement de la contribution fonciere pour 1826. La nou-
velle de l'émancipation de Saint-Domingue, jetée ala bourse ,
ne devait-clle pas produire un mouvcment spontané et puissant
de hausse? M. de Villele persuada a Charles X que cet acte se-
rait infiniment populaire, Le Roi n'y était pas trés-opposé , et
voiciquelle était sur ce point sa secrete pensée ; il la laissa échap-
per dans une conversation d'intimité, « Dans ceite négoeiation,
je n'ai pas considéré seulement les avantages du commerce et
de la marine; mais je l'ai conclue surtout en faveur de la classe
la plus malheureuse et la plus innocente de ses malheurs. On ne
doit pas douter de la répuguance avec laquelIe j'ai terminé cette
affaire; je me trouvais vis-a-vis de Saint-Domingue dans la méme
position oú moa frere s'était trouvé vis-a-vis de la Frauce , il Y
avait trois partis ~l prcndre : celui de faire la guerre, celui d'aban-
donner Saint-Domingue et les colons, onfin le troisióme était de
transiger , c'est celui que nous avonsadopté et que mes ministres
ont dü poursuivre, » Dcpuis une annéc , quelqucs négociations
avaient été ouvertcs aH~C le président de la république d'Haüi ,
dans le hut de régler les c.mditions d'uue émancipation Jong-
tcmps sollicitée. te Conseil du Itoi , appelé ~\ régler ces condi-




CIJAPITRE XXII. l~17
tlons, délihéra sur plusienrs projets de traités ; et afin tout ala
fois d' obtenir une indcmnité considerable, des conccssions pour
le commerce, sans blesser trop ouvertcment les croyances roya-
listes, le Cabinet arréta les points suivants : 1°. que l'émauci-
pation serait faite par ordonuance , c'est-a-dire dans la méme
forme qu'avait été concédée la Charte francaise , 2°. l'indemnité
fut íixée approximativemcnt aux portes que les eolons avaient
éprouvées, déduction faite de Ieur deLte; 3". on stipulerait des
avantages commerciaux teIsque pouvait les espérer la métropolc,
émancipant ses colouies. Ces points arrétés en Conseil et ]'01'-
donnance signée, le ministre de la marine désigua lU. de l\Iackau,
esprit juste et Iermc , qui avait cu quelques relations antéricurcs
avec le présidcnt , 110m portcr le tcxrc de I'ordounanco et en
faire l'ohjet d'un traité spécial. ,1. de Mackau partit de Ilochcfort
sur la frégatc la Circe ~ porteur de l'ordounance. D'apres ses
instructions, il devait se rendre immédiatemcnt ¡\ la l\lartinique
l)our s'y coneerter avec le gouverncur de cetro colonie et avcc le
contre-amiral ,J urrieu qn i commandait la station francaise dans
les Antillcs. Il fut résolu (lile JI. de ñlackau apparcillcrait pour
le Port-au-Priuce avec une Irégate el deux bricks, et que le reste
de l'escadre , sous les ordres du coutre-amiral Jurrieu , qui se
composait de dcux vaisseaux , huit frégates et trois hricks , ne
partiraít que quclques jours aprr's la premiere división. A l'ar-
rivée de 1U. de JUaekan au I'urt-au-Priuce , des conunissaircs
désignés par le président d' Ilalti ouvrirent sur-lc-champ des
conférences avec lui , mais elles duraient depuis plusieurs jours
sans que l'on pul s'accordcr, Les choses étaient dans cct état,
et l'escadre de l'amiral Jurrieu allait hloquer le port de l'Ile ,
lorsque le président Boyer évoqna Iui-mémc la négociation et
entendit lU. de Jlackau. L'cnvoyé francais representa au prési-
dent que, s'il entrait dans lesvues de la métropole de sc dessaisir
au profit de toutes les nations du monopole du commercc de
Saint-Domiugue , la Frunce ne voulait nullement s'opposer ni
meme se mélcr des couditious, rcstrictions, de l'exclusion méme
que le gouvernement d'IIaH i voudrait prononcer contre les Puis-




ll18 IlISTüIRE DE tA RESTAURATTON.


sanees envcrs lcsquelles il aurait des motifs pour le faire. « Je
réponds de lafrauchise des cxplications qne je vous donne, con-
tinua 11. de Jlaekau ; je resterais mérne en otagc pour vous ga-
rantir qu'elles sont dans les vucs de mon gouveruement , mais
je ne puis ehanger un seulmot h I'ordonnanee que j'ai été chargé
de vous porter. ) te président Boyer répondit « que d'aprés les
explications qui lui avaicnt été données , et confiant dans la
loyauté du roi de Frauce , il acceptait au nom du peupled'Haiti
l'ordonuance de S. JI. , et qu'il allait faire les dispositíons né-
ccssaires pour qu' elle Iút entérinée au Sénat. » Cet cntérinemcnt
cut Iieu avec qnelque opposition de la part de la faetion républi-
caine, qui repoussait l'ordonnancc. IA~ président s'était trap en-
gagé : les formes du traité , quoique cxpliquécs par le Gourer-
nement Irancais , avaient hlcssé le Séuat ; les cngagements l)é-
cuniaires arrétés dépassaicnt les moycns de Saint-Domingue.
Apr<"s plusieurs jours de fétcs , ]U. de Jlackau quitta la Répu-
hliqne , ayant 11 son bord trois envoyós , qui se reudaient en
Frauce pour satisfaire aux conditions du traité. lis arrivércnt a
Brest le 10 aoüt , et une d(~p(¡che télógraphique anuonca 11 la
Bourse <Iue I'ordonnance sur Ilaiti avait été rccue avcc respcct
ct rcconnaissance. Au reste, qncllcs <Iue fussent les nuanees qui
divisaicnt les partis , ccttc mesure sur Saint-Domingue fut bien
accueillie par I'opinion : on y voyait moins encoró l'indcmnité
aux colons, que de nombreux déhouchés ouverts aux manufac-
tures et de nouvellcsvoies aux spéculations. Ln Ilestauration ré-
parait tous les malheurs , fermait toutes les plaies : les émigrés
avaient été secourus ; e'était le tour des colons. l 'n emprunt fut
résolu, ponr couvrir le preuiier paícment de l'indemnité; on ne
put le négoeier ~l des conditions anssi favorables que les commís-
saires haítiens I'cspéraient , le crédit de l'Angleterre éprouvant
une crise alarmante, par suite de ses spéculations Iaitesavec les
nouveaux États de l'Amérique méridionale ; les États populaires
obtiennent difficilement les capitaux, Rapprochement curieux a
faire! tandis que le crédit de la Itcstaurution s'aceroissait dans
1111(' progression inouie , des deux emprunts Iavorisés par Ir libé-




CIIAPlTHE .\XII. 4H.I
ralisme, le premier, celui des Cortes, croulait saus mcrne qu'on
püt obtenir les intéréts : le second , celui d' Haiti , ne pouvait
arriver a fin qu'á un taux tres-medique, et encore avee des con-
ditions et des gnrtunies. Une sésnu:« d'adjudicatioll cut lieu chcz
lU. Ternaux; denx compagnics francaises se préscntercnt et
oífrirent chacune séparément de prendre I'empruut au taux
de 76 fr.; mais les commissaircs dóclarerent qu'ils avaient fixé
le minimum a 90 fr., et qu'ils ne pouvaieut consentira l'amoin-
dril'. Le lendemain l'emprunt fut adjugé aI'amiable ¿I SO fr. ,
a une compaguie composée de í\Dl. Laffitte , Ilotschild Ireres ,
Haguenau , Blanc-Colin, Ardouin, César de Lapanouze, Paravey
et compagnie, et du syndicat des recevcurs-géuéraux.


Je répére que I'émancipatiou de Saint-Domiugue avait eu pour
premier objet de donner l'exemple a I'Espagne. :.\1. de Villclc
désirait l' émancipation de l'Amérique aux mémes conditions;
l\l. Canning la pressait vivcmcnt , cal' la crise flnanciere quc su-
bissait l'Angleterre , l'abaisscment des emprunts des uouvclles
colonies, faisaicnt désirer qu'une recouuaissancc par la ~Iélro­
pole püt restaurer le crédit ct l'cxistcnce des nouvcaux États de
I'Amérique du Sud. On a rapporté dl'ja les conférenccs qui
s'étaient sur ce point engagécs avec le prince de Polignac; I'Es-
pague paraissait inflexible. Au mois de janvier 1825, le chargó
d'aílaires d'Anglcrcrre anprcs de Fcrdinand counnuniqua au Gou-
veruemcnt espaguol une note par laquellc il lui notiíiait la recen-
naissance virtuelle des colonies cspaguoles par I'Augleterre. Cette
note suscita une violente oppositiou daus le conseil du roi Fcr-
dinand, el M. Zéa, chargé de répondre d'uno maniere fcrmc et
positivo ¡¡ ces commuuications, déclarair « que S. ;\l. C. protes-
tait de la man iiro la plus solennclle centre les mesures aunoncéos
par le Gouveruemcut britannique , couuue piJfiajJ t ancin te aux
convcntions existautes et aux droits imprescriptibles du tróne
espagnol. )) Lile nouvellc note de }1. Canniug exposait « que
l'Angleterre n'avait ni la prét ention ni le désir de contróler la
conduite de S. M. C. , rnais que la conduite du Cahinet britan-
nique se trouvait complétemcnt justiüée par la déclaratiou de




l¡20 IIISTOIRE DE LA llESTAURA'flON.
M. Zéa , puisque tous les ménagcmeuts , mémc les plus prolou-
gés , n'auraient pas satisfait l'Espagne. Quaut a la protestation ,
contrcquoi l'Espagne proteste-t-elle ? l' .uigletcrro n'avait enfreint
aucuu traité , et la recounaissance qu'ellc accordait aux nouveaux
:États ne décidait aucune question de droit, M. Canning cxpri-
mait le désir de voir terminer une discussionqui était sans aucun
objet. » A. ces explications , le gouvernement de Ferdinaud ré-
pondit par les préparatifs d'une expédition au Fcrrol , dcstinée
pour La Havaue , et de Hl ~l Vera-Cruz. La Franco s'était jointe
moins chaudemcnt que lU. Canning aux pressantes sollicitations
pour la liberté des colonics espagnoles; ses rcmontrances avaient
été recues sans attention: son influcnce se perdait en Espagne; le
Gouvernement ne voulait ni charte ni garantie; il se proclamait
absolu et établissait son existence sur ce principc, Un modele de
déclaration royale , envoyé ala légation írancaise par lU. Calo-
marde , disait: « J'ai appris avec la plus vive douleur que de-
puis quelque temps 011 fait circuler des hruits alarmants , tendant
a Iaire croire qu'on me conscillc et qu'on veut m'obliger a faire
des innovations dan s le systéute actucl de gonvernement; alté-
rant les ancicnnes lois de l'État et mcttant des limites a mon
autorité, En conséquence, je dé cIare que non-sculcment je suis
décidé acouserver intacts et dans toute leur plénitude les droits
de ma souveraincté, san s en cédcr dans aucun tcmps la mcindre
partie , ni permettre l'étahlisscmcnt de chanihres ni d'autres in-
stitutions, quelle que soit lcnr dénomiuation , contraires a nos
lois ct en opposition avec nos mrcurs : mais que müme j'ai l'as-
surancc la plus positivo que tous mes augustos alliés continue-
ront d'appuyer I'autorité de ma couronnc , sans conscillcr ni
proposcr, direetement ou indirectemcnt, aucune innovation daus
les formes de mon gouvcrncmcnt. »i\'éanmoins, l'occupation des
troupes francaiscs se coutinuait dans ceuc crise. La conspiration
armée de Bcssiereéclata, aux cris del'il'c larcliqion!vive lepoucoir
absolu l iuort au (~ FI'((JlC((is! Ce mouvcment fut réprimé; et
l\l. de Villele, d'aceord arce .\l. Canning , voulut encore profiter
des petites velléités constitutionnellcs de Ferdinaud pour obtenir la




CHAPITnE XXII. h21
rcconuaissanccdes colonics. Elforls impuissants ! La camarilla fut
plus que jaurais opposée a l'affranchisscmcnt, M. Zéa, qu'on avait
cherché aattircr a ce systemc , fut remplacé par le duc de l'Iu-
fantado, et au Iieu de la recounaissauce des colonies qu'on espé-
rait , le Cabinct de -'ladrid lit poser par ses agents les questious
suivantes : « Quels seraient les moyens de pacifier les colonies et
de les faire rcntrer dans l'obéissance de la métropole ? )) Ainsi
on espérait encore a ~Iadrid la soumission des Amériques par la
force. Restaient toujours les diflicultés de finances, cal' la vio-
lenco no crée pas de ressourccs. Commenl trouver acmprunter,
si 1'on ne dounait pas a l'Europe la garantie d'un systéme de
crédit régulier? Un décrct fut rendu le 1ú uovcmhre 182.3, dans
le dessciu de rcmplacer par I'cxactitude et la régularité matériellc
la coníiancc morale qui s'attache a un systeme liberal. Il enjoi-
gnait aux ministres de former annuellement le budget de leur
ministere par chapitre de dépenscs , ils devaient les soumettre au
Conseil qui les ferait approuver par le Rol. Le clergé porta ses
subsides a :W milJions de réaux ; on devait le faire contribuer
d'une somme plus cousidérablo pour l'amortissement de la dette
de l' .État. » ~I. de Villele se montrait fort mécontent de ces ré-
pugnances de l' Espagne pour un systcme de liberté raisonuablc,
cal' elles jetaient le pouvoir de Ferdinand dans l'impuissance ah-
soluc de tcnir ses cngageuicnts envcrs la Frunce. Les troupcs de
l'occupation étaient mcnacées par les c.raluulos -' qui compa-
raient méme Mja quelqucs rcgirucnts , qui se réunissaient sur
les Pyrénées, aux armées imperiales qui foulercnt le sol brülant
de la Péniusulc en 1808. On ne pouvait rien obtenir du Gourer-
ncmcnt de Ferdinand , (fui échappait a l'action de tonto pensée
simple et modéréc. 1\1. de ,'louslier, qui avait remplacé )l. de
Talaru , a I'encontrc de ses instructions favorísait indirecto-
ment cette tcndanee de la camarilla.


Ce qui compliquait encere la situation, c'était le Portugal
agité. La conduite étourdie de "'1. JIydc de Neuvillc avait été un
peu lrO}) dcssiuéc pour la positiou complexo et mitoycnne de
M. de Villcle ; il fut rappeléde Lishonue, Depuis , d'autres évé-


IIl. 36




422 HlSTOlHE DE L\ HESTACHATlO:\'.
ncments étaient survenus : l'instruction de la procédure sur les
deruiers mouvements séditicux se poursuivait et révélait en en-
tier le but du complot, qui était de détrüncr le Roi el de re-
mettre le gouvernement a la Reine et a l'iníant don Miguel. Le
Roi avait publié un décret d'amnistie pour les auteurs de tous
ces troubles, et ordonné que toutcs les pieces de la procédure
fussent brülées ; mais toutes ces conccssions royales ne calmaient
pas le parti amnistié, il devenait de jour cnjour plus hardi, Une
proclamation séditieuse , affichée aLisbouuc ainsi que dans les
grandes villes du royaume , Porto, Braga, Yilla-Iléal, disait que
le bannissement de l'infant don Miguel devait étre attribué aux
sourdcs intrigues de I'Angleterre el de la Franco. « La nation ne
pouvait étre heurcuse qu'avcc une régcnce présidée par la Reine,
régence que protégeraieut les Gouvcrncmcnts européens, J) Dans
cette agitation des esprits, quellc résolution allaient prendre les
Cabinets? La pensée de M. Canning était ici de conservar la
vieille suprématie de l' Auglcterre sur le Portugal, et surtout de
préparer la pleine exécution de son idéc dominante, la separa-
tion du Brésil d'avec sa métropole : c'était un nouvcl achcmine-
ment vers l'affrnnchisscm.nt des Amériquos. Les capitaux de
l' Angleterre étaient fortcment eugagésdans les nouvcaux États ,
ct)1. Cauning espérait qu'une rcconuaissancc foruicllc et géné-
rale releverait la confiance publique. 1,'Auglcterre lit des traites
de commerce avec le Brésil , stipula des avautagcs au profit de la
navigation hritauniqne, En rccounaissaut le Brésil conune :État in-
dépendant, le ministere anglais scmhlait inviter les autres Cabinets
¿l entrer dans cette voie, ct y prcnait positiou : il voulait surtout
rclever la couíiancc des capitalistcs exposós ~l une véritable iem-
pele. Quand les opératious commercialcs sout cngagées dans une
route périllcuse, il est diílicilc tl'cn arrétcr la tcndauce, L'Au-
gleterrc subir la crise financiero qu'ellc s'était faite. Depuis
quelque temps une Iurcur de spéculaticns s'était manifestée ; les
capitaux jetes dans les divcrscs associations se montaient au
chiffre effrayaut de Lruilliard 307 iuillions. Les hanqucs avaicut
vu une occasiou favorable d'accroltre Ieurs proíits en multipliant




CHANTRE X'\TT.


lcure émissíou« de lJílIC(8; elles l'evaicnt sa181C : chscuu Ieur
offrait des lcttrcs de ehange qui , dans la réalité , n'étaient que
des cmprunts [aits ¿¡ ces banqucs, },C5 sígnatures étaieut pcu
solvables , on les avait prises de toutes mains : ce systéme devait
done crouler 1t la plus simple terreur panique qui donnerait lieu
a des demandes nombreuses et simu1tanées aux banques de
province ; et c'est ee qni arriva. Ajoutcz d'autres eonsidérations:
l'exportation du numéraire sur le eontinent avait rendu le change
avec l'étranger défavorahlc 1t l'Augletcrre ; et l'énorme quantité
de produits manufacturés, cxportés dans divcrs pays, et surtout
en Amérique, u'ayant poiut trouvé de consouuuation, toutes les
cargaisons étaient rcvenucs connucellesétaicnt parties, Le bcsoin
d'argcni se faisait vivcmcut sentir; les capitaux se resserrereut,
les produits de I'industrie s'avilirent , la hanque d' Angleterre
réduisit ses escomptes , plusieurs hanques des eomtés se décla-
rerent insolvables , et les :~ pour 100 consolidés , qui au com-
mencemeut de l'année étaient au-dessus de 9ü, tomberent ~l
~() 31'1. Un grand nombre d'associations étaient dissoutes ou en
faillite, les manufactures avaient suspcndu leurs travaux, Quel
spcctacle cffrayant que ceue situation de la Grande-Bretagne!
Cctte monarchie si riche voyait son sysrémc finaneier mcnacé
cl'une chute totale; I'industrie était surchargée de ses produits, et
une détresse généralc formait I'alarmant contraste de cette pro-
spéríté dont les ministres faisaient naguer« au Parlement des
tableaux si flattenrs. Et ccpeudant ecuo erise passagere jeta
l' .vnglcterre dans une voie de progrés ; elle dut ehereher en elle-
mérnc toutes les ressources : tant il est vrai que les nations tirent
quelquefois de hauts bienfaits d'un accident fatal! Des rapports
succcssifs et continus de la Frauce et de l'Angleterre sur la dou-
ble qucstion d'Espague et de Portugal, était résulté un besoin
plus pressant de se rapprocher, de préparer entre elles des rap-
ports d'allianee politique et commereialc. JU. de Villele avait été
séduit par la largo maniere de procéder de i\I. Canning, et iI
abondait déja dans quelqucs-unes de ses idées d'économie sociale
or do liberté industriello. Les modificatious de I'acte de naviga-




424 IlISTOIRE DE LA RESTAURATION.
tion avaient été populaires en Anglotcrrc , des traités de com-
merco étaient conclus avcc la Suede , le Dancmark , les villes
anséatiques et les nouveaux l~tals américains : le commcrce des
colonies anglaises fut ouvcrt il toutes les nations amies , sauf
quelques restrictions pour ccrtains objets de fabrication d'uue
importance majeure pour la métropole. On créa des ports francs
oú les marchandiscs de toutcs les parties dn monde dcvaicnt ('lre
déposées en cxemption de droits JUS(IU';l leur réexportation; les
possessions anglaises purcnt Iaire des cargaisons d'un lieu de
l'Europe a un autre, pourvu qne ce Iút il hord d'un navire na-
tional. Cetre mesure conservait il la Crandc-Bretagne le com-
merco des colonies et le bénóficc du cahotagc. Enfin des réduc-
tions de divers droits furent Iaitcs sur J(·s objets importés de
l'étranger. lU. Huskisson était venu en Francc , chcrchant ¿¡ faci-
liter le systeme des douancs ; iI avait trouvé un habile advcrsairc
dans M. de Saint-Cricq , administrateur de l'Empire , et con-
servant quclques-uns des préjugés manufacturiers et prohibitiís,
On n'avait jusqu'alors que de tres-Iaihlcs résultats , mais de
cettc Iréqucuce de rapports , de ce Irottement , il était au moius
sorti la possibilité d'uu rapprochcmcnt plus intime avcc l'Angle-
terreo Le prince de Polignac nc cessaitd' en signaler la uécessite
dans ses dépechcs.


Un grand é, énemcnt survenu inopinémeut scmhlait favoriser
ces premiers rapprocherucnts avcc Ja Crande-Brctague , je veux
dire la mort d' Alcxaudre. Comme il arrive toujours dans ces
disparitions subites de souverains , particulierement en Russie,
on attribua la mort de l'Empereur au poison ou a la violence,
C'était I'opinion vulgaire dans la population moscovite : il faut
se défcndrc de ce besoin de canses extraordinaires , de présages
que les peuples aiment a trouver ¿l la chute de chaqué grande
tete; c'cst la cornete de Jules César. Voiei les dérails qui parvin-
rent au Cabinet francais par les dépéchcs de iU. de La Ferron-
nays : l'Empereur fut pris d'un rcíroidisscuient suivi par de
violents acces de Iievre ; dans le principe , Alexandre refusait
toutes sortes de remedes; il écrivait Ü sa merc : « 11 n'v a rien




f.JJAPITRE XXII. 425
acraindrc, ma chérc mére , il me faut seulement un peu de
calme et du reposo » Et pendant ce temps la maladie faisait des
progre:; rapidcs. L'érrsipi'le que le Czar avait alajambe rentre,
aeeident dont il fut vivement frappé: II Je mourrai cornme ma
S<I~u r », disait-il ü ceux qui l' entouraient. Il avait bien prévu ;
quelques jours apres , il étaít dans une telle faiblessc , qu'il ne
pouvait ni parlcr, ni méme avaler les remedes qu'on lui admi-
nistrait; son érat de léthargie continuelle n'était coupé que par
de courts intervalles agités par le délire. Enfin un courrier, vétu
de noir, apporta la nouve lle de la mort de l'Empereur. Au sein
de l'église de Saint-Pétersbourg , tandis que l'Impératrice mere,
agcnnuilléc, faisait des Hf'lIX pour la vie de son fils , le métropo-
litain apparut arce 1In christ couvert d'un crépc, et les chants de
mort conuncncerent, Ainsi disparaissait de la scene politique, de
ce grand monde oú les hommes et les choses avaient passé
connne des ombres, le Prince qui avait exercé la plus haute in-
tlnence sur toutcs les aífaires de l'Europe depuis douze ans. Tout
le Iivre que j'écris, tous les temps que je rappelle sont pleins de
cctte vie si puissantc sur la destinée des cmpires, Le caractere
d'Alcxaudrc Iut une réunion des plus marqués contrastes, de la
grandeur d'ümc et de la pctitcsse de vucs, de la générosité ct de
l'amhition. Il voulait le hruit, l'éclat , la postérité ; et, cornme
dominant tous les traits , cette mélancolique idée de la prédcstí-
nation et de la mort. Quelques mois avant son voyage, Alexan-
dre , par un tcmps sombre, avait demandé en plein jour des
bougies pour écrire : quand il cut fini ses lettres , son valet de
chambro chercha il plusieurs reprises a les éteindre : 11 Et pour-
quoi ? luí dit Alcxandre. - Paree qu'on croirait qu'il y a un
mort. » te Czar pülit , ct cctte circonstance resta gravée en sa
pcuséc : il la rappela au ehevet de son lit, quclques moments
avant d'expirer. J aruais prince n'avait joué un róle aussi influent
dans les événements politiques : souverain d'un imrnense cm-
pire, ses conseils régircnt non seulement ses États , mais tous les
Cabinets du Contincnt; ríen ne se fit pendant douze ans que
par savolonté , ct cene volonté était mobile , variable: il passait




[.26 HISTOIRE DE J.A RESTAUnATION.
faeilement d'une résolution aune autre, sous les mille influences
qui gouvernaient autour de lui. D'abord préoccupé des idées
lihérales, il leur donna une forte ct grande impulsion en Eu-
rope, La générosité de ses sentiments lui Iit proteger les Iibertés
du peuple, et la Pologne lui dut une ombre d' existence. Puis, 1.1
la fin de sa vie, il se donna une autre mission , cal' tout dans ce
caractére portait l'empreinte d'une mission, Il voulut réprimer
l'esprit des révolutions, et particuliérement les sociétés secretes
qui paraissaient redoutahles 1.1 son esprit profondément mystique.
Dans ses derniers jours, il ne parlait que des carbonare, que
de ces conjuratious militaires qui menacaient d'engloutir les cou-
ronnes. Il avait raison sans donte; ces sociétés s'ótaient alors
étendues de la Pologne 1.1 travers la Ilussie ; ellespénétraicnt dans
sa garde, Fondées depuis 1817 , elles cxercaient priucipalcrncnt
leur influence au sein de l' armée; plusieurs officiers, tous des
premiéres maisons de l' empire , révaicnt le gouvernement repré-
sentatif, les institutions répuhlicaincs , les libertés ; idées íort
peu aualogues a cette civilisation russe , mélange de lumiere el
de ténebres, de barbarie et de dissolution, vie de nation a, ancéc
avant d'étre accomplie. Ces plans de reforme et de constitution
étaicnt propagés parmi les officiers; on parlait méme de l'assas-
sinat de l'Empereur : ce projet , plusieurs foil' aunoncé et aban-
donné , avait été rcmis en mai 11'126. Dans les dernicrs tempsde
la vie d'Alexandre , ces sociétés avaicnt pris une nouvelle éuer-
gie : deux comités étaient établis. A leur tete étaient le prince
Serge Trubetzkoy, le prince Obolensky , ainsi que plusienrs
autres officiers de la maison MourawiC'fl', tant de la garde impé-
riale que de la garnison. Lorsque la mort d' Alexandrefut connue
aSaint-Pétersbourg, les sociétés secretes éclatercn t par la rcvoltc:
et voici á quellc occasion, On sut que le grand-duc Constantin ,
qui par ordre de uaissance devait succéder ¿l Alcxandre , avait
renoncé 1.1 la couroune dopuis plus de trois ans ; que cet acle,
déposé dan s les archives de l' cmpirc , avait N(~ ouvert apres la
mort du Czar. Le czarewitch Nicolas avait done été proclamé
cmpereur-: máis plusieurs officiors annoncórent aux soldats que




CHAPITRE XXII. 427
la renonciation du duc Constantinétait fausse, et que le serment
qu'on leur dcmandait était une infraction solennelJe aux droits
de leur légitime souverain. On comptait enviren soixante conju-
rés, la plupart olJieiers dans les régiments de ,la garde, Le
26 décembre , jour désigné pour la prestation du serment, les
régiments de Moscou, les grenadiers du corps et les marins de
la garde s'insurgerent aux cris de vive t cmpcreuT Constaniin I
« On HOUS trompe, disait le prince Stehepine a la tete de ces
régiments; le grand-duc Constantin n'a point renoneé ala cou-
ronne; il est dans les fcrs ; maiu hasse sur tous ceux qui ne lui
resteront pas fideles! ) Et il fit charger les armes; plusieurs
généraux envoyés en parlementaires Iurent blessés par ces trou-
pes révoltées qui se niircnt en marche vers la place du séuat , 0«
se rénnirent hientót quinze a dix-huit cents soldats ainsi qu'un
grand nombre d'individus en habit bourgeois, armés de poignards
et de pistolets, Ce rassemblement prenait un caractere sérieux;
d{'jh la populace s'en mélait. La présence d'une force militaire
devint indispensable; le comte lUiJoradowitch, gouverneur de
Pétershourg , s'avanca vers les mutins ; il espérait que sa voix les
ferait rentrer dans le dcvoir; mais le malheureux général fut tué
d'un coup de pistolct, Tous les moyens de persuasion furent
épuisés: on cut recours ala force; des canons furent braqués , et
apres quclques instants d'un combat meurtrier , les rcbelles se
virent réduits aprendre la Iuitc : pendant la nuit les patrouilles
qui parcouraient la ville en arrétcrent un grand nombre. Dans
ce mouvement, le nouveau Czar Nicolás montra de l'énergie et
dn couragc une capacité de preuiier ordre. Quoi qu 'il püt arriver
de ces ré, olutions de palais , il était évidcnt que la Ilussie devait
étre annulée pcndant quclque temps au moins. Le jeune empe-
reur ..\icolas cherchaut a rauachcr les liens de l'alliance avait
écrit aCharles X « qu'il marchcrait de tout son pouvoir sur les
traces de son angusre frí-rc , professaut la méme fidélité aux
engagements coutractés par la llussie , le méme respect pourtous
les droits que consacrcut les traités existants , le memo attache-
ment aux maximes conscrvatrices de la paix générale et des Ji('IlS




428 mSTOIRE DE LA nESTAUnATION.
qui subsistent entre toutes les Puissanccs.. JI. Pozzo di Borgo ,
qui avait exercé une si haute influcncc dans tous les évéuemeuts
de la Ilestauration , fut confirmé dans son poste d'ambassadcur ,
quoiqu'il n'inspirát pas la meme confiance au nouvcauCzar. On
11e se dissimulait ras ~l París et h Londres que le prcmier arte de
l'Empereur devait elre une gucrre contre la Turquie , la plus
populaire de tontes les idées en Ilussie , moycn de détourner les
hostilités contre l'avénernent. Les Ilusses, qui croyaient ala mort
violente d'Alexandre , l'attrihuaient ~l cene ohstination de main-
tenir la paix, tandis que tont l'empirc dcmaudair la guerre connno
un acto de foi religieuse. Ceux qui croyaicnt ~l la mort naturelle
disaient qu'elle érait une punition dn ciel i engcur de l'indiflércuce
du Czar pour la sainte cause des Crees. En ious les cas , n'érait-
ce pas le meillcur moycn de réprimer les séditions mílitaires ,
que de faire mouvoir de grandes masses , et d'aller al'ennemi?
lU. Canning, qui envisagcait l'étenduc de cettc questiou , s'en
était ouvert tout ala Iois aux Cahincts de Vicnne et de Paris ; la
Frunce devait profuer de cctte heurouse erise pom se replacer ¿l
son rang de médiatrice ct de grande nation.


Des récentes promotions dans le corps diplomatique írancais
révélaieut la tendance du partí religieux : le marquis de :\Iousticr
rcstait ¿l :\Iadrid, el commc si la camarilla avait eu hcsoin de
renfort, OIl donuait au Portugal le dile de Ilauzan , si prolégé
par Wl'" de Duras. en choix sculcmcnt était en dehors de
cctte influence , celui de 1\1. de Itavueval en Suisse, oú il re111-
placait :\1. Aug. de Talleyrand. La protcction de 1\1. le Dauphin
improvisait lU. de Saint-Pricst ¿l l'ambassadc de Prusse. NOl1l-
mait-on des ministres d' État , le cardinal de La Faro était placé
en tete, et par la protcction de:\1. de Moustier OIl faisait passer
au meme titre le comte de Laforest, honune de I'Empirc , de sa
diplomatie , ct qui servait le ministere YiJl¿,I(' ¿¡ la Chambre des
Ilairs, avcc un dévoucment diflieile ~l qualiíier. 11 y avait peu de
changements de préfcts , mais tous étaieut pris daus une mémc
couleur. La session législativc était fixée pour le 30 janvier ; la
position des partís n'était pas modiflée ; on devait avoir en Iace




r.nAPITRE X\IT. 429
la méme majorité ct la méme minorité, Deux élcctíons avaient
en lien; elles n'avaient signalé aucun changementdans l'opinion
des électeurs, Le général Séhastiani avait remplacé le général Foy,
el il devait ambitionuer , mais inutilement, de remplacer eette
grande paroio ¿I la trihune ! Le marquis de Neuville, si rappro-
ché de la fauiille de M. de Villélc, rcmplacait 1\1. de Vérigny ; 011
avait OpPoS(~ a ce candidat l\1. Dupin ainé, que les récents preces
du Constiuuionncl. et du Courrier [rancais avaient porté a la
célébrité. 11 échoua néanmoins dans eette premiere tentative. La
majorité n'ayant point changé, il s'agissait d'arreter quelles C011-
cessions on lui fcrait eette année. Le parti religieux était effrayé
de la liberté de la prcsse ; il ne pouvait vivre avec elle; iJ devait
done imposer une 10i plus répressive, plus puissante ; cal' l'autre
étair tombéc en quclque sorte par la justiee. Le Conseil remontra
que la Couronne ne devait pas prendre l'initiative en eette cir-
constance : e' était pcut-ctre pour se faire foreer la main. Mais
se présentcrait-ou ala majorité sans une mesure qu'ene püt faire
sienne, sans une coneession ases príncipes? 11 fallait faire sane-
tionuer l'indépondance de Saint-Domingue , émancipation si
hostile aux scrupules royalistes de la droite. 1\1. de VillNe était
inquiet; ce projet était le sien propre, sa conceptíon privilégiée,
comme l'avait été , dan S la dcrniere session , le 3 pour 100. Il
résolur de donncr satisfuction, Parmi les vceux exprimes par la
droite, il en était un renouvelé chaque année par les conseilsgé-
raux : ces conseils appelaient une mesure pour empécher le
morcellement de la propriété, ruine terrible pour l'avenir de la
monarchie el (le la société. Le Code civil, avee son égalité de par-
tagc , paraissait une puissance destructivo et démocratique. La
substítunon et le droit d'ainessc Icur semblaient un remede.
Voyez, disait-on : la grande propriété s'eííace et périt; les petits
propriétaires sont maitrcs du sol; ils envahissent les élections et
les cmpreígnent de démocratic ! Ainsi, apres avoir remué les eon-
sciencesdans la session précédente, on allait eífrayer les familles,
trouhler le toit domestique, et tout cela pour corriger un fait
indestructible! n n'est pas dans la mission d'un gouvernement




430 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
de gémir sur le passé , mais de régler et de dominer le préscnt !
l\lais ne fallait-il pas subir les idées de)1. de Bonald, constituer
la soeiété telle qu'illa eoneevait, sous peine de voir la majorité
dísparaitre et s' évanouir? M. de Peyronnet porta done au Con-
seil un projet de loi sur eette matiere, « Dans toute succession
déférée ala ligue directe dcscendante , et payant 300 fr. d'im-
pot foncier, si le défunt n'avait pas dísposé de la quotité dispo-
nible, eette quotité serait attrihuée , ~\ titre de préciput légal, au
premier-né des enfants males du propriétaire décédé; si le défunt
avait disposé d'une partie de la quotité disponible, le préciput
légal se eomposerait de la partie de cette quotité dont il n'aurait
pas disposé, Les biens dont il était permis de disposer, d'aprcs le
Code civil, pouvaient étre donués, en t01l1 011 en partie, par acre
entre-vifs ou testamentaire, avcc la charge de les rendre ¡¡ un ou
plusieurs enfants du donataire, nés ou ~\ naitrc, jusqu'au deuxiémc
dcgré inclusivement, » On retournait les dispositions du Code
civil; a l'égalité des panages , qui était le fondcment de la loi
eommune, on substituait l'alncsse, on Iaisait revine les substitu-
tions proscrites depuis l' Asseinblée constituante. Quellc agitation
profonde u'allait-on pas jcter ! .J 'aflirmc que le ministcre ne crut
pas ~\ ce grand saisisscmcnt de l'opinion ; et pourtant il était fa-
cile de voir qu'on s'auaquait aux scntiments les plus vifs, les
plus passionnés de la nature : les hoiumes ticnncnt ¡¡ la famille
avant d'appartenir a la société; el quand la 10; politique fait vio-
lence aux aífections domestiques, tout est óhranlédans I'État. Au
fond, une aristocratie qui se limitait aux électeurs de 300 f. était
puérile et ne répondait a rien. 1\1. de Peyronnet défendit son
projet avcc un talent remarquahle devant le conseil du Roi; iI de-
vint des ce moment le ministre de prédilcction de la droite et du
partí religieux surtout : on préférait son zéle haut, sa parole dé-
cidée aux incertitudes et aux timidités de M. de 'iIf{~Ie. On ne
pardonnait au président du Conseil que paree qu'il Iaisait par-
faitement les affaires d'argent du partí. tes autres ministres
étaient entierement effacés : aux affaires étrangeres , 1\1. de Da-
mas n' était que le secrétaire de la présidence du Conseil ; tontos




CIJAl'UHE XXJJ.


les grandes allaircs alxnuissaicnt au chef du ministerc ; l'Europe
u'était pas huiuiliée ~I ce poiut de passer dans la tete pclitique de
l\I. de Damas; ~Ila guerrc , M. de Clermont-Tonnerre s'occupait
d'organisation , de rcmauicment , et d'imprimer ü l'armée, par-
dessus tout , l'esprit religieux. C'est l\I. de Clermont-Tonnerre
qui porta la maiu sur l'admirahle création des vétérans, armée
toujours préte et sans solde. A l' intérieur, l\I. de Corbiere vivait
dans une espece de somnambulismo qui ne se réveillait que pour
quelques petites persécutions sans résultat; 1\1. de Chabrol, ala
marine, administrait avee quelque habileté et sans hruit un dé-
partcment presquc cndehors du mouvement politiqueo .M. de Vil-
lele avait porté au Conseil le projet de loi sur l'émancipation de
Saint-Domingue et l'indcmnité des eolons; il offrait plus d'une
difliculté séricuse , et le ministre ne se l'était pas dissimulé. Du
coté Iibéral, il y avait approbation quant au principe de l'éman-
cipation et de ses conséquences eommereiales; mais ne devait-il
pas naturellement soulcver la question des limites de la souve-
raiueté : savoir si IeIloi pouvait céder tout ou partie du territoire
sans le eoncours des Charubres; et de plus, si eette forme d'or-
donnance n'était pas un mode bizarro et sans garantie? Du coté
de l'opposition royaliste, on devait attaquer la mesure dans son
cssence memc : on avait douné la liberté ü une eolonie (1'es-
claves révoltés ! on avait consacré le príncipe de la révolution
dans ce qu'il avait de plus odicux ! Afin d'atténucr autant que
possible cctte douhle opposition , 1\1. de Yillele voulut réduire le
débat ü une simple question Iiuanciere , et en faire , en quelquc
sortc, une simple penséc d' indeinnité. Son projet, sans s'oceuper
de la légitimité de I'ordonnance d'émuucipation, portait qu'une
sonune de 1;;0 millions de Irancs serait répartie intégralemeut
entre les anciens colons de Saint-Domingue , c'cst-a-dire entre
les anciens propriétaircs de biens-fondssitués aSaint-Domingue,
soit a leurs héritiers j{'gatain's, ou ayants cause. L'indemuité ,
délivrée par ciuquiemc , el d' année en aunéc, porterait intérét ;
I'excédant ou le déficit, Iorsque b liquidation serait terminéc,
accroürait OHdimiuucrait le dcrnicr ciuquieme. Il nc serait percu




432 IUSTüLHE DE LA HESTAUHATION.
aueun droit de succcssion sur cettc indcmnité. e'était, apeu de
ehose prés , le mérne modo que pour I'indcmnité des émigrés,
lU. de Villele espérait quelqucfois les [aire pardouner arce
I'idée qu'on seeourait une double infortune.


Les deux projets, l'un sur le droit d'aincssc , l'autre sur
Saint-Domingue, devaient former les loisde la session ; on avait
jusque-la résisté au parti religieux demandant avec insistancc
des loi(répressives sur la presse; 1\I. de víllele avait répondu a
ses plus impétueux amis : « A chaqué année suffit sa tache; pro-
cédons lentement; obtenons d'abord toutes nos lois financieres ,
puis BOUS arriverons aux journaux ; e' est notro intérét comme
le vótre, » Les modérés de la réunion Piel ne pouvaient plus
conduire leurs collégues de droite : il Yavait un cri général
centre la presse, depuis surtout qu'elle s'appliquaít spéciale-
ment adénoncer le partí religieux et les jésuites. La coterie de
lU. de ROU3é, implacable advcrsairc des journaux , avait fait
des SOl ties ameres contre 1\1. de Yillclc , qu'clle accusait de trop
se préoeeuper des intéréts de révolution , sans pcnser ala pro-
teetion du tróne ct de la religion de saint Louis. On Be lui céda
point eette fois; on voulut se faire forcer la main. Le discours
de la Couronne ne fut que l' cxpression de la situation miuisté-
rielle; il annoncait « qu'une convention avait été conclue avcc
la Grandc-Bretaglle, qui de, ait rendre moins onércuses les e011-
ditions auxquelles était soumise la navigation des deux pays,
Cet arrangement dcvait donner des résultats heureux pour le
commerce maritime. Le temps était cnlin venu de fermer une
plaie douloureuse, et de fixcr définitivcmcnt le sort de Saint-
Domiugue; la séparation de cctte colonie , perduc ponr la Franco
depuis plus de trente ans, ne devait troubler en ricn Ia sécurité
de cclles qu'elle conservait encoré. Une loi étant nécessairc pour
la répartitiou de l' indeumité , elle scrait proposée. » La législa-
tion devait , par des améliorations succcssives , pourvoir aux
hesoins de la société ; le morccllcmcnt de la propriété Ionciere,
contraire au principe monarchiquc , aflniblissait les garanties
donuécs par la Charle au trüne et aux sujets. La conscrvation




CIIAPITIlE XXII. 433
des Iamilles étaut le premier besoin des États , était surtout celui
de la Franco aprcs tant de vicissitudcs. « ene heureusc harmo-
nie, ajoutait le Iloi en terrninant , s'cst étahlie entre mes alliés
et moi : j'ai la confiauce que rien ne l'altérera. J'ai adéplorer
la perte d'un magnanime souverain , mais son successeur mar-
chera sur ses traces; cette aunée nous obtiendrons encoré un
dégrevement de 19 millions sur les contrihutions foncieres ;
enfin je veillerai avec une égale sollicitude aux besoinsde notre
France; je saurai concilier les libertés légales, le maintien de
l'ordre et la répression de la licencc. » Cette derniere phrase ne
s'exprimait ni claírement ni explicitcment : maintenir les Iibertés
légales, réprimer la licence , tout cela restait dans ce vague que
la Charnbre se croyait appeléc ü préciser et adévelopper. J'ai
quelquc ccrtitudc que le ministre s'entendit avec la cornmission
pour le développement de cette pensée, 11 joua ici un double
jeu. Au dehors, il parut résister au mouvement de la majorité;
dans l'intimité , il promettait aux chcfs de la coterie Rougé
qu'on en linirait avec la presse , apres la session n'avait-on pas
la censure facultativo , et puis, pour attaquer de face les jour-
naux , il fallait les abandonncr ~l leurs fureurs , et en quelque
sorte constater leurs délits. La commission déposa néanmoius
ses impatiences dans un paragraphc de l'adresse ; elle appelait
positivemcnt des mesures réprcssives contre la liccuce des jour-
naux. Au fond, le ministerc fut bien aise de cette phrase qu'il
cut l'air néanmoins de faire comhattre dans les débats, Ces
débats avaient présenté une vivacité peu commune; l'émanci-
pation de Saint-Domingue avait prété aux déclamations de la
droite extreme; et 1\1. de La Bourdonnaye avait pu s'écrier :
Vous perdcz la monarchie! On attaqua le ministerc sur sa mal-
heureuse situation avcc l'Espague. 1'1. Bcnjamin-Constant avait
proposé un paragrapho sur la Grece ; il suppliait le Hui de sauvcr
les débris malhcurcux d'une grande nation. Enlin était arrivéc
la phrase du comité Ilougé , et, dans sa discnssiou , la droite
réduitc a ses houles , séparéo du centre droit , avait montré
qu'elle était rnaitrcsse des délibératious ; le paragrapheIut volé,


111. :3 7




434 ll/STOLHE DE L\ HESTAUHATIO:.\.·
et le ministerc put se montrer mécontcnt de cctte impnricnce.
Quand I'adresse fut présentéc , le Roi I1t allusion dans sa rcponsr
a cette persistance de la Chamhre pour la rópression des jour-
naux, ce J'apprécie vos sentiments , disait S. lU. ; je veille, ainsi
que je vous l'ai dit , a tous vos intéréts. Ayez en moi cette con-
fiance que j'ai en vous. Si je pensáis que quelquc inconvénicnt,
que quelque malheur puhlic pút nous mcnacer, soyez persuadés
que jo m'adresserais a vous avec confiancc pour ohtenir les
moyens d'arréter ce qui pourrait étre contraire au mainticn de
notre reposo Mais , en attendant , soyez sürs que j'ai l'ceil ouvert
sur tout ce qui se passc, et si je ne vous demande rien , c'est
que je sens en moi assez de forees pour pouvoir réprimer ceux
qni voudraient troubler le honhcur publico » Tout cela était-ilun
peu joué? Je erois réellement qu'a ccue époquc Charles X
n'était pas encere entré dans la pensée d'une répression violen le.
Le ministére n' était pas aussi franc de jeu , et tout en se donnant la
popularitéd'un refus, il déclaraülamajoritéqu' elleseraitcontente.


Des lors M. de Peyronnct s'occupa de préparer en silcncece fa-
meux projet de loi sur la pressc qui devait occupcr, je dirai pres-
que absorber la session suivaute. Pour secondcr ces promcsses ,
la Chambre se háta de maniíester son esprit hostilc aux journaux
des I'ouverture de la scssion, la susceptibilité des corps est
d'autant plus grande -qu'ils sont plus fautifs et plus justcmcnr
auaqués, Quand une Chambre cst profondémcn t COITOI1lIHW, ue
l'aeeusez pas de corruption , autrcmcnt elle vous étouffe , cal' ce
cri l'importune; elle suspeudra tout , sacrificra tout, illl(lrVt
public el privé, pour satisfaire sa petite vcngcaucc; ellevoudra
proclamer elle-meme qu'clle cst vertueuso , grande, fjll'cIll'
représentc l'opinion publique, qu'clle est le pays, et la prcssc
une prostituéc ; elle punirá ceux qui n'adorcron: pas sa chasteté
politique; puis arrive I'histoirc , quí BICt chaqu« chose ü sa
place et juge les jugcs. Ce sentiment explique le soulevemcut de
la Chambre coutre un anide du Jourual du Couuuercc qui fut
dénoncé ala tribuno. « On outrago nos droits , s'écriait lU. de
Salabcrrv , on insulte le caracterc des députés, Mcmhrc de la


"




CHAPITRE XXII. 435
Chamhre élective , j'appcílc toute la sévérité des lois, Unjour-
naliste a osé dire : « la Chambro n'cst plus qu'un embarras pour
le ministere et pour la nation. )) Je m'arréte , j'en aurais beau-
coup plus ü dire , mais en voila assez pour vous convaincre ,
qu'il y a nécessité ct dignité ~l punir les offenses qui vous sont
propres , ü sévir contre la liccnce de la peusée écrite , scule
licenco qui existe en Frunce , mais qui , a elle seule , engendre-
rait toutes les nutres, )-« Cémissons, ajoutait M. deBlangy, sur
ce débordcmcnt de [uincipes faux et dcstructcurs de tout ordre
social; une répression sévóre doit elre réservé« a ces feuilles
quotidienues qui nc font (IlIe por ter le désordre , en soulevant
toutes les passions et en mcuaut le mensonge ü la place de la
vérit«. )_. «Ladjgllit<~ de laChambre, répondait l\l. de Lézardiere,
cst-clle done compromiso par quclques phrases d'un journal ? "
-(e Quoi! s'écriait l\l. Méehin, la Chambre , filIe de l'opinion
dans le sens légal , pcut-ellc se soustraire asa juridiction? Et
puis , pour quelques phrascs irróíléchics , la Chambre alarrnée
doit-clle suspendre ses travaux, ranimer les passions? ))-« Quel
cst le crime du jourualiste ? ajoutait M. Hoyer-Collard : c'est
d'avoir jugé la Chambre vulgaircmcnt, comme jugo la prudence
commune , connne juge l'histoire : c'cst d'avoir cherché et trouvé
l'esprit qui l'anime dans les lois ordinaires du cceur humain ,
p/l/tút que dans les lois cxuaordinaircs de la vertu. Je vous
le demande, quel serait le degré de servitude d'un peuple pro-
voquéaparler , et qui serait condamné a trouver toujours de la
vcrtu üceuxqui le gouvernent? »-«Quel est le but secret de cette
arcusation , disait l\l. Beujamin Constant? c'est de restreindre
la liberté de la presse , de la presse périodique , ne sollicitait-on
pas, i! ya quelqucs jours, une loi nouvelle?))-« Qu'a-t-il donc
dit , cet érrivain accusé ? s'écriait M. Sébastisni : B n'a fait
qu'user d'un droit constirutiouncl , exprimer un vceu que je
parlage avcc lui, celui du rcnouvellemcnt de la Chambre,»)-(( La
Chauibrc des Députés , répoudait M. de Castelbajae, a été
caknunié« avec autant d'iudéccnce que d'iujustice. L'audace et
le H1('lIsollgr out réuni 11'IIrs «llorts pour la dénigrer el l'avilir ;




436 mSTüInE DE tA RESTAURATTüN.
tolércz cet état de choses , et voyez de quel rcspcct les loisseront
cntourécs! n-«Supportez l'outrage, ajoutait ;'1. Jossc-Beauvoir,
et bieutót les accusateurs iront et plus haut ct plus loin que nous;
quand l'opinion aura appris ~l mépriser ce qu'elle doit respecter,
rien ne sera admis, » L'éditeur du Journaldu COlIIlIIC1'rC fut tra-
duit ala barre de la Chambre des Députés; il Yvint accompagné
de 1\1. Barthe , récemment affranchi des sociétés secretes pour
se jeter dans la dissertation constitutionuelle. « Le gouverne-
ment représeutatif , disait lU. Barthe , n'est autre chose que l'in-
tervention du pays dans les affaircs publiques; il Yintervient par
les élections et par la libertó de la presse. Si le prcmier moyeu
succomhe sous une influcnce corruptricc , la liberté de la prcsse
recoit les plaintes du pays, et ríen n'est encere perrlu ; mais
enlevez cette derniere ressource, toute intervcutíon nationale
disparait , le gouvcruemeut rcprésentatif n'est plus qu'un vain
mol. » Tous ces raisonnemeuts n'ahoutircnt ~l rien , lcjournal fut
condamné ; la majorité manifestait plutüt son esprit, sa tendance
qu'elle nc flétrissait un délit par sa condamnation. Elle n'osa
pourtant frapper I'éditeur que du uiininunn de la peine. A quoi
tout cela avait-il abouti? aquclques fortes ctcommunes déclama-
tions centre la presse. La majorité avait dit ses coleres , et cela
l'avait soulagée. Les corps en dehors de l'opinion sont ainsi faits ;
quand ils ne peuveut triompher compléremcnt , ils s'en cousolcnt
par de petites violences , par des injures ct par tous les moyens
que les passions suggerent, La liberté de la presse est ce qui les
importune surtout; ilsfontprofessionpublique de lamépriser; mais
au fond ils ne cessent ras d'avoir l'milouvert sur elle: voila pour-
quoi, apres l'avoir attaquée a la tribuno, ils l'étouffcnt par deslois,


Dieu a pitié des sociétés ; il ne veut pas qu'elles périssent par
les folies humaines ..I'ai peine aconcevoir eomment le rninistere
de 1\1. de Villele s'imagina qu'avec la Chamhre des Pairs , telle
qu' elle était constitnée , sans modifier le pcrsonnel de cettc
Chambre, il lui serait possihle de marcher. Les difficultés que
rencontrait une promotion, n'étaicnt ríen ~l coté des embarras im-
mcnses que suscitait h chaquo pas la próscnce d'une majoriíé de




CHAPITRE XX rr, 437
pairie eomplétement hostilc au systéme ministériel. OIl se fit
illusion : on s'imagina que tout accord n'était pas impossible, et
qu'en tenant comme suspcndue la menace d'une promotion, on
dirigerait la majorité. Ceci donna peu de voix, la Chambre des
Pairs s'appuyait alors sur les affections du Dauphin. Avec une
grande habileté , les hommes qui dirigeaient eette majorité s'é-
taient montrés tres-dévoués au prince généralissime; ils l'en-
touraient au Chñteau ; ils servaient et réchauiTaient ses amitiés
par le général Guilleminot et le duc de Guiche. Saisie de l'af-
faire Ouvrard , la Cour des Pairs s'était mise en quelque sorte a
la dévotion de la gloire du prince, Ainsi , eette grande force de
popularité avait des appuis de cour, ct le ministére la Iaissait
devant luí ,hostile. Ceue hostilité se montra déja 11 l'oceasion de
I'adresse; cal' la majorité y Iit passer , pour le paragraphe relatif
11 la loi sur les succcssions , cette phrase : « Nos attentions, nos
scrupules méme , seront mesurés sur la gravité des intéréts pri-
vés et publics qu'embrasse une qnestion si vaste , si élevée et si
difficile. » C'était une premiere protestation : elle devint plus
explicite a l'occasion du projet sur les délits et crimes commis
par des Francais dans les Échelles du Levant et de Barbarie;
JU. de Cháteaubriand s'écriait : « Au mornent oú je vous parle,
une nouvelle moisson de victimes humaines tombe peut-étre sous
le fer musulmán : une poignée de chrétiens héroiques se défeud
encore au milieu des ruines de lUissolonghi , 11 la vue de l' Eu-
rope chrétienne , insensible 11 tant de courage et ~\ tant de mal-
hcurs. Et qui peut pénétrcr les desseins de la Providence? J'ai
lu hiel' une lettre d'un enfant de quinze ans, datée de i\lisso-
longhi: « Ibrahim , dit-il , a des officiers Irancaís avcc Iui, Qu'a-
« vons-uous Iait aux Franrais pour nous traiter ainsi " » Qni
sait ? ce jeune hommc sera pcut-étrc pris et transporté par des
chrótiens au marchó d'Alcxaudrie : s'il doit encoré nous de-
mander ce qu'il a Iait aux Franrais , que notre amenderncnt soit
ni pour satisíaire 11 I'intcrrogation de son désespoir , au cri de sa
misero, )) 1\1. de Chñtcaubriand se résumail en proposant un
amcndcmcnt qui réputerait délit OH crime, selon la gravité des




ú38 IIJSTOInE DE I,A HESTAURATlON.
cas, toute part quelconque prise par des sujets ct des navires
fraucais , et par des iudividus étraugors sonmis a la domination
francaise , au trafic des esclaves dans les Échelles du Levant et
de Barbarie. Cet amendcment obtiut une majorité de 2'1 voix
sur 1l.t.9 votants. Ce vote avait été plutót surpris que réíléchi : la
Chambra des Pairs donnait ainsi satisíaction a JI. de Cháteau-
hriand , le plus terrible advcrsaire de :\1. de Yillele , exprcssion
en quelque sorte de la liberté de la presse.· La Chambre allait
peut-étre au dela de son but,


Jamáis l'opinion ne s'était si vivemont soulevée; la loi d'ainesse
pénétrait dans les familles ; elle remuait le foyer domestique jus-
que dans ses plus intimes aílcctions. La majorité des Pairs trou-
vant un appui dans toute la popularion , pouvait done se mani-
fester haut. « Résumons, disait :\1. ~lolé, les conséqucncos ac-
tuelles , incontestables, de l'adoption ou du rejet de la loi : les
parties intéressées sont les peres , les ainés , les cadets et la
Frunce. Eh bien! les péres en rccevrout-ils plus d'autorité ? et
par la plus innnoralc des cornhinaisons ne seront-ils pas con-
damnés 11 déshériter en partie un ou plusicurs de lcurs enfants ?
Et les ainés ! ce droit qu'ils tiendront de la loi el (fui hlesse la
nature , ne les rcudra-t-il pas odieux a leurs Ireres et su-urs ,
sans profit pour ce qu'on appelle la famillc, les cadcts ct les Iillcs?
Tout le systetne du projct est dirig{' centre cux, En voulant faire
de l'aristocratie avcc des ainés , ne Icra-t-il pas d(' tous les antros
enfants une démocratic rcdoutahle '? )1 - « te motií unique de
ce projet, ajoutait :\1. Hoy, la division cxcessive des propriétés ,
n'est pas méme justifié. Si la dispositiou relativo au préciput ('sL
uécessaire , elle doit étre impérativo pour tons; si elle cst impé-
rative , elle détruit la puissance patcrucllc ot le droit de tesíer;
elle n'atteint pas le hut qu'on se propose , cal' elk augurcnte
méme la división des propriótós ; elle Ionde la stabilité des fa-
milles sur l'instahiliré de I'impüt, » - «Elle príncipe de l'úgalitó
devant la loi, s'écriait )1. Pasquier , n'cst-il pas hlessé bien inu-
tilement? N'est-co pas U1H' impuissante et malhabile atraque
diri~('(' centre ce príncipe '? Et puis C(' projct ne hlessc-t-il pas




CJIAPITBE XXII.


osscntiellcment les mceurs: non-sculeruent les mrcurs publiques,
mais les mceurs privées , les mceurs les plus intimes? Le pere
<le famille ne sera-t-il pas dans la plus fausse et la plus déplo-
rable position? ») - « tes mceurs inclinent al'égalité des partages,
répondait JI. de Peyronnet ; vous en convenez, nQUS dit-on , et
cepcndaut vous faites une loi d'inégalité, Les lois, dites-vous ,
doiveut étre l'exprcssion des mceurs : abus de mots , jeu puéril
de style et d'esprit ! Les lois , comme on l'a dit avee justesse,
sont l'expression des besoins de la société. Je dis que les lois
sont l' expression des mceurs , mais par leur opposition et non
par leur conformité avec elles... » .Était-il possible d'abuser plus
étrangement du sophismc ? Gouverucment imprudent qui vou-
lait rcfairc la société , au lieu de la prendre telle qu' elle était
pour la conduire ; conuuc si les grands faits pouvaient se
ployer sous les petites étreintes! « Les sueeessions, eontinuait
1\1. de Peyronuct , no dépendent que du droit civil. L'homme
dans l'état de la société a des affections plus étendues et plus
compliqnées : ce n' est plus l'existence physique qu'il a donnée ,
mais une cxistence morale el chile: il n'a pas seulement fait des
hommes , mais des citoyens. No dites done plus qu'on blesseles
sentiments naturels de l'honnne vivant dans l'état de société ,
puisqu'on lui fournit les moyens de conserver sa Iamille, ses
hicns (IL son nom. )) - « Mais, s'écriait JI. de Baraute, l'adrninis-
tratiou compte-t-elle se présenter chaque année a la íace de la
naLion pour lui déclarer tantót qu'elle ignore la religión, tantót
qu'elle a oublié la famille, pour lui signifler qu'il faut changer
ses mu-urs ? I ..es lois qui ne sont pas conformes aux habitudes,
aux opinions d'un peuplc, sont des paroles et rien de plus. » -
« I..e droit d'ainesse, ajontait M. Siméon , peut se comprendrc a
l'époque oú la possessiou des Iiefs ohligcait ~I un service oú les
scigneurs dcvaicnt conduire leurs vassaux. lUais tout est chan-
g(1 ; le peuple aujourd'hui paie les subsides et concourt ala for-
matiou de l'arméc ; nobles ct roturiers , tous ont le rnéme de-
voir ; ancuu n'a le droit de réclauier ou des lois OH des privi-
ll'g('s pour protéger ses propriétés et veiller ü leur conservatiou. »




[llIO HISTüIRE DE LA RESTAURATION.
-(e A quoí tend ce projet de loi, répliquaít JU. de Corbiérc t
N'est-ce pas a conservcr un nombre de fortunes moyenues ou
plus considérables , égal ~l celui qui existe actucllemcnt , et a
maintenir ces fortunes a leur nivcau actuel? Ne n"gle-t-il pas les
successions par intestat d'apres les principes d'ordre public qui
ont conduit jusqu'ici tous les législateurs, et ne mainticnt-il pas
l'autorité du pere , en la renfermant dans toutes les limites qui
ont paru généralement raisonuahles. » Les choses étaient enga-
gées a ce point que le rejet du projet paraissait inévitable ; ce-
pendant la majorité se divisa sur une question secondaire : elle
paraissait profondément arretée sur la néccssité de rejeter le
droit d'ainesse, hase fondamcntale du projet; mais que ferait-
elle sur la question des subsrituuons? Ici I'opposiuon nc fut plus
d'accord. Toute la fraction Itichclieu et les cardinalistes se sé-
parerent de l'opposition systématique ; et tandis que le droit
d'aincssc était repoussé par une majoritó de 26 voix, les suhsti-
tutions telles que les étahlissait le projet prenaicnt place dans la
lógislation du pays. A vrai dirc , la pcnséo du GOllvenWUH'nt
était détruite ; le projet n'était plus qu'nne Iaiblc parcelle de ce
qu'il avait été dans l'origine. te droit d'ainessc, qui avait soulevé
toutos les oppositions, était rejeté. Et pourquoi cela? c'est que
la révolution avait jeté les principes d'égalité dans la Iamille.
Qu'importait le dangor de la propriété, les couséqucnrcs funestes
du morcellcmcnt ! ces motifs u' (~taient pas assez forts ponr aller
contre le príncipe d'égaliLé du partage ; ct puis , que pouvait
etre une aristocratie ~l cent écus de eontrihutions? On ne peut
órablir un systeme sur des nuagcs , pas plus qu'un blasón sur
des chiITons de papior ; quand les éléments manqucnt, comment
étahlir un édilice? Cette aristocratic territoriale anrait ressem-
hlé , pour I'impnrtance , accue pamT(' ('1 vanirous« roture, qui
anoblic dans les U'IlI)'s de l'Fmpir« avec la rovaut« de Josoph ,
de Jérómc el de Mma!, SI' parr<!eslill'('sd(l vicomte et dc mar-
quis , sans prcndro gal'de que rhacun sait d'oú elle sort el d'oú
('lIe vient.


.\ la Chamhrc des Députés , l'opposition avait moins de' chan-




CHAPITRE XXII. 441


ces que dans la Pairie, et pourtant elle se montrait persévérante
et habile. La fraction libéralc no s'était point augmentée en bou-
les. Je ne parlerai pas de ñl. Séhastiani, capacité secondaire, visant
aun role par la déclamationct la phrase; et pourtant , sans elre
plus nombreuse , la gaucho avait pris une plus haute place dans
le pays, Des que le partí libéral cut abandonné le role de con-
spiration pour celui d'une opposition légale, rationnelle, elle
trouva sympathie dans l'opinion ; et plus le rñinistere marehait
dans les folies de la droite , plus cette véritable popularité de la
gauche grandissait. La dynastie étant désormais admise, les qua-
tre ou cinq membres du centre gauehe s'étaient entiéremcnt
confondus ayce son exrrémité. A ses cótés siégeait cctre fraction
désignéo sous le nom de défection , et qu'agrandissaient chaqué
jour la marche malheurcuse du ministerc , le dépit de positions
perdues , les petits ressentimcnts contre l\I. <le VillCle, et par-
dessus tout cela la conviction que le systéme ministériel entral-
nait la monarchie a sa ruine. La défcction comptait dans ses
rangs , en se rapprochant pourtant de la gauche, JU. Bertin de
Veaux, l'ami de l\I. de Chárcaubriand , puissance d'autant plus
grande qu'il avait ases ordres un journal ala parole haute et in-
fluente. 1\1. Bcrtin de Veaux parlait peu ala tribune ; il préférait
un article de journal it un discours parlementaire. 1\1. Agier,
jeune encere dans les affaires , orateur d'opposition , visant a
I'importance politique arce l'indicible eonviction d'un mérito
propre a tout, inquiet dans toutes les situations qu'on lui avait
faltes, paree qu'il se croyait an-dessus d'elles ; 1\1. de Beaumont,
fine expression de l'aristocratie. Je n'ai jamais vu d'orateur plus
délicatement spirituel, attaquant avec un sarcasme de meilIeure
compagnie; au reste, avec peu de portée dans I'esprit et corri-
geant tour par d'cxccllentes manieres. I\I. Hyde de Neuville, tout
colere de sa recente destitution, irrité surtout centre 1\1. de Vil-
lele et cette politique tortueuse qui avait trompé la franchise
souvcnt candide et maladroitc de l'ambassadeur en Portugal;
I\I. de Neuville avait la parole de tribune plus hardie que süre ,
plus haute que parlementaire , plus sentimentale que politique ;




Mt2 mSTOIRE DE LA RESTAURATION.
il était toujours acharué , la lance au poiug , centre los idées qui
n'étaient pas les síeunes. 1.\1. de Camhon, magistrat integre, vicil
et constant enuemi de M. de villcle avec toute la force des pré-
jugés de province. Puis la contrc-opposition pnrc de :\!. de l.a
Bourdonnaye , dirigeaut trente h quaranto députés , parmi les-
quels MM. Sanlot-Bagucnault, honorable el riche représcntation
de la banque , mais lt~le ~I prójugés el 11 préveutions politiqucs;
Jankowitz, hounñe de désintércsscmout el d'honneur ; Lcmoine-
Dcsmares, Bacot de Homans , plus iutimemcnt uni ~I :\1. de La
Bourdonuayc, Hans cene sessiou , eleux nuanccs s'ébranlaicnt
aussi dans la Chambre : le centro droit dans la roulcur des hom-
mes raisonnables ct qui s'()JI'rayai('il( de la rcndnncctrop calculée
du pouvoir, 11 ue voulait pas rt-nverscr le lllillisll'f('; 1111(' le/le
résolution était au-dessus ele ses Iorces , mais il était mécontcut
des foliesde la uiajorité ; il lui prétai t sesIorces avcc répugnanco;
il aurait désiré cntrainer I\1. ele Yillcle dans une voie rncilleure.
A la tete de ce centre étaicnt )IJI. de Marlignae, Chabrol de
Volvic, de Saiut-Cricq : ils avaient hcsoin d'un peu ele popula-
rité ; elle les abandounait toul 11 Iait. Ils voyaicnt dcvant eux
la monarchie s'abimer ; ils croyaient dans les dcvoirs ele la con-
scieuce de la retenir aux hords du précipire. La secondc nuancc,
au contraire , était le partí rcligieux, impatienr , qui se plaignait
de ce que le ministcrc n'allait ni assez loin, ni asscz fort : iné-
content, il votait quelqucfois centre M. de Yillele. Quand toutcs
ces nuances si diversos et sous l' inílucncc de tant de mobiles dif-
féreuts se réuníssaient, la minorité pouvait s'élever de 1'1011 '130
memhres. C'est dans cette situation , moins honne qu'elle ne
s'était offcrte dans la précédente session, (lne ]e ministere COIl1-
menea la discussion sur Saint-Domingue. 1\1. de YHU,lr dévc-
loppa les motifs de cette grande mesure. « Le Iloi a usé, dit-il ,
du droit qui lui appartient de Iairc les traités et les ordonnances
nécessaires ~I la süreté de l' j::lat ; et si l'on pouvait contestcr l'in-
violabilité de semhlahlcs cugagemcnrs coutractés par le Gouvcr-
ncment du Iloi , il u'v aurait plus de traites possihles. L'intérét
dr l'hnmanité, colni du commcrco Iranrais, colni dos ancious co-




U1J1PlIRL .\.\.11. 4lt3
lons, tont s'accordait pour [aire préfércr a la voic des armes cclle
d'une trausaciion. YOI1S rcrouuaitrez sans doute, comme l'a re-
connu la Franco cnticrc , que, dans la situation donuée, il était
impossihle de micux concilier la diguité de la Couronne aH'C les
antros intéréts du pays, ))-« Si le Iloi pouvait Iaire avec Haüi un
arrangcment quclconque , répondait iU. Agicr, il était inutile de
fairo intervenir les Chamhrcs pOllr régler la distrihution de l'in-
dcmnité. Le droit de paix el de guerrc cst incontestable; il u'ap-
partient qu'au Iloi. lUais on a eonfondu, on a aflccté de confon-
dre , et non sans dessein , ce droit de faire la paix et la guerre
avcc celuid'aliúncr; ce sont pourtant dcux pouvoirs bien distincts,
bien diflércnts. Et puis le Couverncmcnt Irancais traiter avec des
noirs révoltés ! assassins <ll~ leurs maitrcs ! usurpatcurs de lcurs
prnpriétés! Qu' ils dcmaudeut un hill d' indemnité, ces ministres,
c'est un honuuage qu'ils doivent a notro droit public et a la di-
gnité de la Couronne ; alors seulcmcut je voterai pour la loi. » -
« Supposons la conquóte possible , disait lU. Gauthier, quels sa-
crifices , quelles chanccs n'cntraiuait-clle pas? Ilcuonccr a la
paix, preniiere cause de notro prospérité ; cxposer notro marine
naissantc, prodigucr nos trésors. Il s'agissait d'arrachcr aux Haí-
ticns le plus précieux des biens, la liberté! ¡)-«Que vous appc-
liez loi ou ordonuauccl'actc qui a été Iait, répondait ~J. de Bcau-
monl, il n'cn sera pas moins vrai que cet acte, reudu en plciue
paix, et qui pm'!c cessiondu tcrritoire , était dans les attributions
du pouvoir législatiftout cntier. JIainlcllant voulez-voussavoir les
résultats de votrc rcconnaissaucc ? Demandez aux colons de la
l\lartinique et de la Cuadcloupc s'ils se croicnt plus en súreté
d<'jlUis que votrc ordonnancc a élé apportée dans leurs iles; de-
mandez-lcur si dcpuis ecuo ('PO(1I1e ils trouvcraient avendré une
scule de leurs hahitations ; demandez-leur s'ils nc se croient pas
sur la bouchc d'un volean ~ )) - « Ilcssourcc de ,1. le présidcut
du Conseil, ajoutait }J, Bacot de Iloruaus , et complétemcn. illu-
soire ; on la provoque ici , couuuc dans toutcs les occasions criti-
ques; dans l'aflaire des marches d'Espagne, comme ala suite des
manceuvrcs élcctoralcs el desopératious illicitcs de flnances, )-




444 rusrouu DE LA HESTAUHATJ()¡\'. '
«Le Iloi seul a le droit de ceder le territoire, s' éeriait M. de Fre-
nilly; j'admets el' príncipe en droít, en fait el en nécessité , et
pour le reconnaitre je n'ai besoin ni de l'article 1h, ni de I'article
73 de la Charte; a mes yeux , en France , le Roi n'est point un
homme; c'est la Franco prise abstractivement; c'cst la France
méme dans tout ee qu'il y a en elle de vie politique et d'action
souveraine.: - «Je repousse de toutes mes forces la loi qui nous
est présentée , répliquait M. de Berthier, eonséquence d'un acte
illégal et contraire a notro droit publico Je la repousse comme
violant les príncipes de la propriété , comme étant en opposition
aux intéréts de notre eommeree. n-(( Les colonies, ajoutait 1\1. de
La Bourdonnaye , sont incontcstablcmeut partíe intégrante de
l'empire et du domaine de la Couronne. Aucune portien du ter-
ritoire peut-eIle étre aliénée par la Couronne sans le consente-
ment des États? telle est la question : nous sommes tous d'ac-
eord sur la réponse. » Ce qui donnait ici une grande foree
et une popularité de cháteau a la droite , e' est que la gauche
défcndit le projet; d'oú l'on pouvait croire que 1\1. de Villele
marchait d'accord avee les révolutionnaires, En résultat, le
projet de 10i, soumis dans son ensemble ~l l'épreuve du scru-
tin, réunit 175 voix de majorité pour son adoptiou. Cette dis-
cussion fut une espéce de pélo-méle oú les majorités et les mino-
rités se scindercnt, Il y eut des députés de la droitc qui repous-
serent ce projet, quoiqu'ils votasseut hahitucllciucnt avcc M. de
VilICle.


La división du ministere et de l'opposition se montra d'une
maniere plus saillante lorsque la loi sur les substitutions fut por-
téeala Charnbre des Députés, Le rapport en fut fait par M. 3Ious-
nier-Buisson. « La commission , disait-il , a deploré les funcstes
effets du morccllement des propriétés Ionciercs : elle doit témoi-
guer hautemcnt le regret qu'elle éprouve de voir les substitutions
rcstreintes ~l la quotité disponible. » C'était nl une protestatiou
contre el' qui s' était fait ~l la Chamhre des Pairs. J' ai remarqué
qu'aux époques passionnécs , quand arrive une de ees majorités
d'impression et de parti, il s' éléve toujours des impa tiences I




CIlAPITHE XX U.


des déclamations contro le sage tempérament d'une Chambre
aristocratique et héréditairc , opposition importune que les
factions voudraicnt hriser. « Que peut i'ésoudre un Gouverne-
ment en présence des abus réitérés et impunis de la liberté de
la presse? s'écriait M. de Salaherry. Remarquons un fait. Une
nouveIle féodalité surgit et s'étcnd sur toute la France : c'est la
féodalité de la propriété mobile et de l'industrie ; elle a des vas-
saux, des serfs , des hommes liges, plus opprimés que eeux des
anciens temps, Déjrl la majorité marchande de la eapitale, la ma-
jorité des petits électeurs patentés, n'agissent que sous le bon
plaisir de leurs seigneurs suzerains; ils sont avee eux de
compte a demi. C'est cette féodalité qu'il faut arréter dans
son influencedangercuse, dans ses progres ; il faut l'arréter avant
que son alliance avec la révolution soit entícrement consommée;
sinon la monarchie est perdue l » C'était un aperen haut et spi-
rituel , une sortie contre la haute industrie; mais, était-il difficile
de voir que c'était la Restauration elle-méme qui par ses folies
rompait son alliance avec les intéréts bourgeois qui l'avaient ap-
plaudie et secondéc ! « A la bonne heure , répondait l\I Benja-
min-Constaut, au moins on nous instruit sur le but de ce projet:
ce n'est plus un vain leurre; c'est le premier coup de canon tiré
contre nos institutions , Iruit de trente ans d'orage : coup de ca-
non faiblc, sourd, maisqui sera suivi de bien d'autres. » - « En
eITet, répondait lU. Duplessis de Grénédan , qu'avons-nous be-
soin d'une pareillc loi? Nous sommes maintenant sous un gou-
verncment plus républicain que monarchique; et puis , ne sera-t-
elle pas un obstacle aux vues de réparation que pourraient avoir
les possesseurs de hiens d' émigrés, eux ou leurs enfants? » Il
avait percé dans toute cettc discussion un ton d'aigreur malhcu-
reuse centre la Chambre des Pairs; le partí religieux et aristo-
cratique était mécontcnt de voir les lois qu 'il avait concues déna-
turées par la pairie. On en vint ensuite aux comptes et au budget,
vaste champ de bataille de l'opposition, Jl. de Cambon développa
une proposition tendant a ce qu'il fút nommé une nouvelle com-
mission pour faire un rapport sur les opérations et les comptes


llL 38




IllST01HE DE LA HESTAl;HATlO~.


relatifs ~l la gucrre d'Espagne el a la liquidation des dépenses de
cette guerreo La proposition fut vivcment appuyée par M. Benja-
jamin-Constant, « 1J faut en fluir, disait M. JUéchin, avec le pré-
sideut du Conseil, ministre qui jette toujours des embarras el
des chausse-trapes sur la routc que la Chambro doit tenir, afin
de l'empécher d'ariver ~l son hut. J) - « Je demande, ajoutait
JU. Périer, que les ministres aicnt apréseutcr, dansla session pro-
chaine, le compte de leurs opérations relativos a la guerre d'Es-
pagne. En mon ame et conscience , je erois que daus l'état des
choses nous ne pouvons pas approuver ces comptes, » - « Vous
voulez les renvoycr a l'annéc proehaine, s'écriait l\I. de Yillcle ;
mais I'année prochainc, qucls éclaircisscmcuts aurcz-vous de plus
qu'aujourd'hui ? ~'est-ce pas allcr contre votre propre décision
que d'en demander l'ajournement d'année en annéc? » - ( XOlJ,
répondait vivement ]U. de La Bourdonnaye, nons connaitrons au
moins les abus , l'exagération des dépcnses , les dangers qui en
sont résultés. » - « Nous rcpoussons des mesures dilatoircs , ré-
pliquait ñl. de Villele; nous les trouvons peu dignes de la Cham-
bre : vous devez rejctcr une proposition dont cette longue dis-
cussion doit vous avoir montré tous les iuconvénicnts. » La propo-
sition Iut en effct rejetée.


Comme complémeut de la session , le ministre des finances
présenta le hudget de 1827. Il annoncait un excédant de 18 mil-
lions sur le r(~glement des compres de 1t\2ü. Les dépeuses du
budget de 1827 ne surpassaicnt que d'un million 270000 franes
les limites du.crédit fixé par le budget de 1826; l\l. de YilIele
proposait de porter ~l dix ccntimes la réduction Mj~l opérée sur
les contributions Ioncierc , persounelle , mobiliere , ainsi que sur
]'impót des portes et fcnétres. Il y avait tendance dans l' esprit
du parti royalistc pour cet allégement des contributions foncie-
res; il Y voyait d'ahord un secours cffectif el immédiat apporté
~\ la propriété qu'il représentait , cnsnite une diminution dans le
nombre des électeurs, ce <J ui centralisait le corps électoral dans
I'aristocratie. Peu apeu l'impót de cousommatíonauraít rem-
placé l'impót territorial. «La voie daus laquellc nous nous dis-




CHAPITRE XXII. M.•'
posons d'entrer , disait lU. de Villele, consiste a tcndre de tous
nos eíforts a ramener le taux des contributions directes a la taxe
principale, dégagée de tout centime additionnel pour le Trésor ;
nous ménagerons ceue ressource des centimes pour les temps de
nécessité. La paix repose sur l'expérience , les besoins , les dis-
positions des peuples et des souverains ; aussi se mainüent-elle
en dépit des prédictions sinistres de ceux qui cherchent en vain
dans leurs besoins de troubles el de malheurs des motifs d'espé-
rer le renversement d'un ordre de choses dont il ne Ieur cst pas
donné de comprendre et d'apprécier le fondement el la solidité, )
lU. de Villelc faisait ici allusiou acertaines complications diplo-
matiques dont j'aurai bicntót ü parler. La conunission chargée
d'examiner le bll(lgCl Ilt encore cutcndre les doléances religieu-
ses de la Chambre : elle désirait que le traitement des desscr-
vants Iüt porté a 1. 000 Irancs ; elle émettait le vceu que l' ensei-
gnement dans les colléges Iüt surveillé par une commission com-
posée de fonctionnaires de ]'ordre religieux el civil. « Voilit ,
disait 1\1. Agier, les vrais príncipes d'une monarchie chrétienne :
arnéliorez le sort des consolateurs du pauvre , des vrais soutiens
de la religion; sans religion il n'est point de société. Je ne puis
valer ce budget sous un ministere qui ne prcnd aucune mesure
pour conscrver nos libertés , avec des ministres qui n'usent de
la septcnnalité que pour se maintenir au pouvoir, et qui ne font
qu'aggraver les vices de la rentralisation , source d'arbitraire et
destructivo de toute propriété. ) - « Qu'ils se rappellent, ajoutait
1\1. de Beaumont, leurs príncipes et leurs promesses, ces mi-
nistres , chefs de l'opposition en 1. 81. 7 ; alors seulement nous leur
accorderons les moyensde gouverner l' État avechonneur. » - « A
quoi bon prolonger l'absolutisme ministériel? s'écriait IU. Bacotde
Romans; je voterai pour le budget alors qne les institutions si
solennellement promises el si souvent réclamées nous auront été
accordées, » - « 'I'oujours des plaintes, répondait J1I. de Yillele ;
mais que demande-t-on? J..a Charte n'cst-clle pas ohservée mieux
que jamais? toutes les lois présentées ne sont-elles pas dans l' esprit
dr cette Charte? La Franco ne jouit-elle pas de la liberté la plus




448 HISTOInE DE LA RESTAURATION•.
complete? » - « Et la censure! s'écria lU. Casimir Péricr.v-c- « Si
elle est nécessaireau repos du pays , répliquait lU. de Yillele, nous
ne halancerons pas a la proposer ; si nous la jugeons inutile , elle
n'aura pas lieu.» - « Tres-bien, répondait 1\1. Benjamin Constant,
vous voulez la censure pour vous, pour vous seuls : vous vou-
lcz , quand vos agents font un acto arbitraire, qu'ils ne soient
pas atteints par la publicité ; vous voulez que lorsque vous invi-
terez de nouveau les rentiers ~t ce qui peut les ruiner, on ne les
avertisse de rien. Eh bien! allez, nous ne pouvons pas vous en
cmpeehel' ; faites subir ala Frunce cette quatrieme ou cinquieme
expériencc. Elle a mal tourné a tous ceux qui l'ont faite; n'im-
porte, cssayez, Otoz-vous le seul mérite qui vous restait , la
seule bonne mesure dont vous puissiez vous vantcr. » Dans cetto
discussion l'extreme droite attaquait avec plus de vioieucc le
ministere que ne le faisait la gauche mérne. Elle acquérait par Ut
de la popularité ; mais quels engagements ne prenait-elle pas?
dans quelle voie jctait-clle le Pouvoir? La droite , défendant la
presse libre, attaqnant la centralisation , les abus ministériels ,
l'administration tout entiere ! 1\1. de La Bourdonnaye frappant
durement et rudement sur les ministres du Roi, refusant le bud-
get , ne s' exposait-il pas un jour, ministre du Roi lui-méme , a
subir les mémes coups, et lui appartenair-il désorrnais de dire que
I'opposition systématiquc était de la sédition? La session avait
porté peu de fruits dans le sens du partí monarchiquc et reli-
gieux; elle avait manqué son but; on avait soulevé l'opinion,
réveillé l'émeute, tourmenté le foyer domestique, dépopularisé
la royauté , et pourquoi? pour obtcnir une loi de substitution,
quelques dispositions théoriques qui avaient échoué devant la
force d'une assemblée et de l'opinion publique. Destinée com-
mune des pouvoirs qui sortent des sentiments de la société; ils
s'évertuent , s'épuisent en vaines tentativos!


Il se manifestait un redoublement de ferveur dans le parti reli-
gieux. Le Pape venait d'ouvrir les portes de la pénitence, et les
bulles arrivées en Franco avaicnt été approuvées par le Roi. le
jubilé fut ordonné, Au milieu de París léger et moqueur, on vit,




CHAPITllE XXII. lJ49
dans I'espace d'un mois et demi , quatre processions générales,
parcourant les rues en récitant le Miscrere , chant de douleur
et de repentance ; ala suite de ces longues files de prétres , de
ces eroix voilées, vousvoyiez toute une cour, les autorités civiles,
militaires, traversant Paris, et se rendant sur la place Louis XV,
la oú un échafaud royal avait élé dressé. Une espéce d'amende
honorable fut récitée; on demanda pardon aDieu, au nom de la
Franee, pour un erime ahhorré et qu'elle repoussait. Tandis
qu'un petit nombre de Royalistes gémissait de cet égarement de
la royauté se placaut dans une aussi mesquine position, la masse
du parti célébrait le retour des bonnes mreurs et de l' esprit reli-
gieux en France. Ils ne voyaient pas que ces gémisscments, que
ces pleurs ofliciels versés sur une terre ensanglantée, au pied de
l'échafaud de I..ouis XVI, que tous ees reproches jetés a la
Franee aigrissaient les souvenirs et préparaient de mauvaisjours
¿l la dynastie. On se euirassait contre les rcmontrances ; on se
eroyait trop fort pour entrcr en explication. Jeme trompe: dans
la díscussion du budget, des explieations avaient été données,
lU. l'évéque d'Hermopolis , atraqué dans son budget des affaires
ecclésiastiques , crut devoir repousser les accusations contre les
envahissements de l' esprit-prétre , de la congrégation et des Jc-
suites. Le mot était pronoucé. 1\1. Frayssinous avait dit : « Il
existe en France 100 colléges, 800 maisons d'éducation particu-
liéres, so séminaires, et 100 petits séminaires; eh bien! il n'est
pas un seul collége royal, pas une seulcpeusion, qui soit dans les
mains de ees hommes eonnus sous le nom de Jésuites. Sur 180
séminaires , ils n'en out que 7. Avee une si petite autorité peu-
vent-ils égarer la jeunesse et la faconner ¿l Ieurs doctrines? IIs
sont sous la pleine dépcndance des évéqnes qui peuvent les dis-
soudrc, les rcnvoycr , ainsi que cela est déj¿1 arrivé dans le dio-
cese de Soissons. » Comment expliquer cette incoucevable nal-
veté qui engageait la question pleinement sur les jésuites; OIl
n' avait pu lui échapper qu'en niaut l'existence des congrégations,
et OIl venait les avouer a la tribune ! Se croyait-on assez fort
pour ne plus rien déguiser? allnit-on annoncer l'admission offi-




l.SO mSrOIRE DE LA RESTAURATION•.
cielle des jésuites ? Ou avait donné un corps, un 110m ace qu'on
avait jusqu'ici poursuivi comme une ombre. Aussi M. de Mont-
losier reparut-il avec un nouveau ilIc1IlOú'c ti consulter, trans-
formé en une dénonciation devant les cours royales. L'impla-
cable adversaire des jésuites signalait Ieur existcncc clandestine
et Ieur introduction pendaut le gouvemement impérial , sous le
nom de Pcres de la Foi ~ et l'organisation d'une congrégation
religieuse, étendue par ses aíliliations dans toutes les classes , el
devenue depuis la Itcstauration une secte politique dirigée par le
partí jésuitique , et dont I'iufluence pesait partout sur la puis-
sanee civile.


De la tout se transforma en questions religieuses. L'Étoile,
journal du Oouveruement , dans UIl artirle sur l'exeellence de
l'institution des jésuites, el dans lequel elle semblait appelerIeur
rétablissement , avait insulté la mémoire du procureur généraL
La Chalotais , qui avait demandé avee tant de chaleur leur exil.
Les héritiers de La Chalotais intentercut un preces en calomnie
a t'Étoile. Dans cette cause, la question des jésuites fut encore
soulevée, et traitée avec aigrcur par les avocatsdes deux partíes,
Le tribunal, dans le prononcé de son j ugement , bláma l'éditeur
responsable du journal t'J~'toilc d'avoir fait, sans examen ni dis-
cussion des acles, une censure injusto et outrageante de la con-
duite du procureur-général La Chalota.s, ñlais attendu que les
torts du rédacteur de l' Jitoilc, quclque graves qu'ils pussent
rtre, u'avaleut éte ni prévus ni punis par le législateur, qui ne
s'était point occupé de concilier les droits sacres de la famille
avec les priviléges du publiciste et de I'historien , I'éditeur du
journal fut reuvoyé de la plaiute , et la partie civile condamuée
aux dépens, Ensuitc un conseiller de la cour royale de Nancy,
lU. Boyard , dénouca un maudement de 1\1. de Forhin-Janson,
Le prélat appelait impies les deux arréts de la Cour royale <le
Paris qui absolvaient le Courrier ct le Coustiunionnel dans
l'aífaire des jésuites. M. le couseiller Boyard développa et justi-
tia devaut la cour sa dénonciatiou ; elle fut appuyée avec forceet
ténacité , et la procédure montra jusqn'a que! point d'impru-




CIlAPlTRE XX 11. 451
dence le Gouvernement avait poussé la questíon religieuse. Plu-
sieurs membres avaient contesté la compétenco de la cour; elle
revendiqua ce droil; il fut declaré par elle que les passages dé-
noncés du mandement de l\I. l'évéque de Nancy constituaient les
crimes et délits prévus par le Code pénal; le mandement d'ail-
leurs sufJisait seul pour prouver la culpahilité du prélat; mais la
cour , prenant en considération les hautes fonctions épiscopales,
«Cousidérant qu'il n'y avaitpas urgence de poursuivre, renvoyait,
quant a présent , M. l'évéque de la plainte; néanmoins une
expédition de eette délibération dcvaít étre adressée au garde
des sceaux , afiu qu'il püt donner a cet éganl les ordres qu'il
jugerait conveuables. )) On alla plus loiu dans cette délibération.
Le président signala l'cxisteuce bien connue de la Congrégation ;
il fil ressortir les graves inconvénients que la cour aurait adé-
plorer, si quelques-uns de ses membres s'y trouvaient affiliés ,
l'indépeudanco indispensable ~l un magistrat serait nécessaire-
ment perdue ! » Tous les mcmbres déclarerent dans une pro-
fession de foi que leurs príncipes étaient conformes aceux du
président, et ils affirmercnt que jamais aucun d'eux ne perdrait
son indépendance. Je prie de voir oú 1'0n marchait. Que de ré-.
sistauce le Gouvernement avait semée a plaisir! On n'avait pas
assez de passions dans la société ; il fallait encere réveillcr les
,ieilles autipathies parlemcntaires !


Au milieu de cette opposition vive, le partí religieux allait ~l


ses fins; deux de ses prélats les plus ardents étaieut nommés
ministres d'État , MM. le cardinal de Clermont-Tonnerre et de
Latil. On fortifiait l' action des évéques daus l'éducation pu-
hlique ; les colléges de jésuites s'agrandissaient, LIle circulairc oú
l\l. Corhiere rccommandait l'cnscignemcut de la déclaration de
16S2 aux petits séminaires , avait été rcpoussée presquc unani-
memeut par 1'épiscopat, counne contraire ¿l ses prérogatives,
lU. Frayssinous iui-méme était dépassé ; il avait créé le collége
des hautes études ecclésiasriques , pour cnscigncr quclqucs-uues
des anciennos maximos de ],I~glise gallieanc; cctte impulsion fut
dénoncéc el le prélat mis en quelque sorte an han épiscopal.




452 mSTOIRE DE LA RESTAURATION.
Cependantoú voulait-on aIler? ne craignait-on pas que la royauté
ne s'eífrayát elle-méme de ces empiétements des évéques sur le
gouvernement royal? 1\1. Frayssinous avait fait , certes , bien des
concessions; dans ses discours il avait promis des tribunaux
mixtes, des réformes dans le systemcdes registres de l'état civil,
En échange , le ministre négocia une déclaration , espécede pro-
testation contre M. l'ahhé de Lamennais , oú , sans reconnaitre
précisément les principes de la déclaration de 1682, le clergé
voulaít bien se soumettre pour le tcmporel au pouvoir civil. Le
cardinal de Latil, MM. de Bcausset-Itoquefortetde Vichy furent
admis a I'audiencc du lloi , et déposérent entre ses mains une
déclaration concue ¿I peu pr('s en ces termes: ( Depuis long-
temps la religion gémissait sur les doctrines d'impiété et de
licence qui soulevaient toutes les passions contre I'autorité des
lois divinos et humaines. Les évéques de France s'étaient efforcés
de préserver leurs troupeaux de cette contagion funeste; mais



ce qui les étonnait et les aflligeait le plus, c'était la témérité
avcc laquelle on cherchait afaire revine une opinion née autre-
fois du sein de l'anarchie et de la confusion OÚ se trouvait l'Eu-
rope : cette opinion, qui tendait a rendre les souverains dépen-
dants de la puissance spirituelle , méme dans l'ordre politique,
avait été constamment repoussée par le c1ergé de France. Sans
doute, disaient les én'!ques, le Dicu juste et hon no donne pas
aux souverains le droit de pcrsécuter la religion; sans doute ils
sont , comme le reste des chréticns , soumis au pouvoir spirituel
dans les choses spirituelles ; mais prétendre que leur infidélité a
la foi divino annulerait leur titrc de souvcrain , que la suprématie
poutificale pourrait aller jusqu'a les priver de leur couronne et
ales livrer ¿l la merci de la multitude , c'est une doctrine qui n'a
aucun fondement. Mais en méme ternps ils condamnaient ceux
qui , sous pretexte de Iiberté , ne craiguent pas de poner atteinte
¿I la primauté de saint Pierre , a l'ohéissance qui lui est duo par
tous les chrétiens, et ala majcsté , si vénérable aux yeux de toutes
les nations , du siége apostolique , OÚ s'cnscigne la foi et se con-
serve l'unité de l'Église, »




r.HAPITIlE XXII. 453
Que de sueurs n'eut pas asubir lU. Frayssinous pour arriver


ace résultat! Les adhésions furent longues, difficiles, et il fallut
multiplier les promesscs , les explications , et les interprétations
surtout. A la fin, tous adhérerent , meme M. de Clermout-
Tonnerre. Bizarro société qu'on nous avait faite! C'était moins
une lutte politique qu'un débat de clercs; on ne s'occupait que
de bulles, que d'évéques , de déclarations , de mandements , et
comme derniere expression, le Jubilé. On ne doit plus s'étonner
de la réaction qui suivit cette singuliere période, et dont le clergé
subit encore les tristes conséquences, Ce mouvement religieux
entrait un peu dans les habitudes de Charles X. C'était un prince
a cas de conscience , avec I'idée de salut toujours préscnte : il
aimait done ces aflaires ccclésiastiques , ces conciles qui le ras-
suraien] sur la religieuseté et l'orthodoxie de son gouvernement.
Ensuite il fut vivement írappé des plaintes du clergé sur la
Jicence de la presse, Les évéques se plaignaient du débordement
des opinions, et ce l\lémoire influa plus qu'on ne le croit géné-


1 -alement sur la fameuse loi de répression qu'on préparait en
si. 'ence. Tout se liait alors dans la commune pensée. Il y avait
des 1 promesses faites; on les accomplissait. M. de Latil prenait
la llaute main; il rappelait les engagements de piété et eette
imt nense idée de l'éternité qu'on jetait a l'imaginatiou affaiblie
du "\ .ieillard couronué !


El qu'on ne s'éronñe plus si le Tartú[e était reproduit comme
une 1.iouveauté ; on en rechcrchait les allusions, et, ehose plus
curieu se encore, comme si l'autorité s'y était reeonnue, elle en
défend ait les représentations publiques. La Congrégation cher-
ehait a étendre ses réseaux partout, elle pénétrait jusque dans
les hals : , les concerts, sur la scene. Tout prit un aspect ecclésias-
tique, la musique , les déclamations, les arts, et les églises elles-
méme s devinrent des spectacles avee les aecords divins et les
accen ts de Rossini. La pollee se montra dans les eoulisses pour
y ma intenir la pudeur ; on imposa des robes plus longues aux
sylpl: ides de danses et d'opéras: les guimpes un peu relevées
dure nt cacher cette chair que Tartufe recherchait a travers les




454 IlTSTOIRE DE LA RESTAURATION.
points de I1011ande et les légers vétements; et tandis que ron
fondait ces écoles de morale , se poursuivait a la Cour des Pairs
le scandaleux preces Ouvrard; d'un colé une foi dévote , de
l'autre de tristes révélatious sur des courtisans et des femmes de
qualité , sur de Iácheuses intrigues dans lesquelles l'argent se
mélait aux bons príncipes. Cependant la Cour des Pairs , pour
ménager l\l. le Dauphin, avait cherché aétouITer cotte affaire:
non pas que S. A. R. cut jamais participé ~I de sales transactions;
rien de plus pur , de plus probe , de plus désintéressé que ce
caractere ; maison ne pouvait pousser ~I bout ce débat sans com-
promettre quelques personncs que le Dauphin aimait. Alors le
prince , sans étre de l'opposition, laissait croire qu'il n'approuvait
pas tout ce qui se faisait en conseil, JI servait de prédilectlon
tout l'ancien partí Richelieu dans la Chambre des Pairs , ill'ac-
cueillait avec bonté. Le Dauphin avait des prédilections lihérales;
il se vantait de ne lire que les journanx de l'opposition; qui u'a
entendu dirc a S. A. R. : « Le Courrier est mon journal? » La
Cour des Pairs avait ordonné deux instructions successives, e' (
par suite de l'examen des faits dout elle avait eu connaissanc, ,
elle déclara, sur le rapport de M. Portalis, qu'il nerésultait aucr .ne
charge contre les généraux Guilleminot et Bordesoulle ; il n'y
avait done pas lieu 11 suivre a leur égard, Les poursuites COll.l¡re
~DI. Sicard , Ouvrard freres , Tourton, Ilollac , Deshaqur us ,
Filleul-Baugé, cessereut aussi; cal' d'apres les instruction s, il
n' était pas reconnu que les traités conclus aBayonne, Vit toria
et Madrid avec Victor Ouvrard, eussent été ohtcnus al'as de. de
corruption envers des Ionctionnaircs publics ; tout fait ql .ialifié
crime ou délit était ainsi écarté, La Cour des Pairs ren voyait
devant qui de droit MM. eabriel Oux rard , Moléon , DlJ croe,
Filleul-Beaugé, Poissounier et Espariat , le délit de tentati ve de
corruption resté sans effet n'étant pas de sa compéteuce. Tous
mandats qui auraient été décernés contre eux suhsistaien t. La
Cour des Pairs voulut en cene circonstauce , je le répete , se
bien poser dans l'esprit du Dauphiu : elle y réussit , et cct a lui
donnait de la force contre 1(' ministero. C(' fatal procés avaiH éré




CJlAPLTHE _\.\11. [¡55
conune le dcrnier résultat de lacampagne d'Espague , cal' l'in-
fluence francaisc sur la Péninsule s'évanouissait chaque jour.
L'Espagne était livrée a la plus aífrcuse anarchie; les ministres
y succédaient aux ministres. La luttc engagée entre les partís
devenait de plus en plus vivace ~ les volontaires royaux portaient
partout le trouble ;' la Péninsule sans finances, sans crédit , no
s'occupait que de purification de negl'Os et de contre-révo-
lution. Vainement lU. Lamb cherchait-il afaire prévaloir un peu
de raison au scin de ce pouvoir en délire; on l' écoutait a peine.
Sur ces entrefaites, sir Charles Stewart accourut a Lisbonue
avec la Constitution de don Pedro. Sir Charles avait été trap vite
et s'était chargé d'une mission qu'on était loin de désirer. La
Constitution de don Pedro était une contrefacou de la Chartc de
Louis XVIn. L'abdication de don Pedro en faveur de dona Maria
da Gloria faisait desccndre la couronne sur un enfant; c'était
jeter apleincs mains le trouble dans la Péninsule, tes partisans
de don Migue] , cnnemis de la Constitution et de l'Angletcrre ,
prirent les armes: le Portugal íut plus violemmcnt agité que
I'Espagne. Qu'allait faire le cabinet de Madrid? Iteconnaltrait-il
l'état de choses improvisé aLishonne? te désordre était complet
sur les deux frontieres ; les troupes cspagnoles passaient en
Portugal et les Portugais en Espague. M. Canning désavoua sir
Stewart; mais au fond sa pcnsée était accomplic. JI lancait une
constitution aLisbonne conunc excmple et comme entrave : il
voulait par ce moyen se ménagcr toute action diplomatique sur
le cabinct de Madrid. 011 aurait dit que 1'1. Canning, en ccttc
circonstance , accomplissait sa mcnace et déchaiuait lesvenís des
révolutions sur la Péninsule : el ceci nous auieue a l'examen
général de la politique Européeuue.


fIN nu roas THOISlEllE.




,


TABll E n ES i'IATJ EnES.


CHAPITRE XVI.


Seeolld ministerc du duc de H.ic1Jclicu jl1s(lu'a la loi des
élccrious. Févricr-Aoüt 1820 ..........•...... ". . • 1


CHAPITRE X VII.


Belour aux idécs el au gouyernemcnt roynlistcs. Sep-
tcmlire 1820. JlIill 1821....................... 49


CHAPITRE XVIII.


Nouvclle rl1ptll1'c avcc les ROJulisles, - Cansc du miuis-
tcre de 1\I. de Yillele. Septembre 1820. Décemhrc 1821. 88


CUAPITRE XIX.


Formalion el prcmiers tnctcs du miuistórc de M. de
Villl'lc. Déccrnhrc f Sz L. Novcmhrc 1822.. . . . . . . .. 1291


CUAPITRE XX.


CHAPITRE XXII.


A,élll'Blent de Charles X. Scplembrc 1824, Juin 1826 .. 355




JI rSTOIRE


LA 'RESTAURATION




.... ,~. .o-'
," ..


off
. . .




DE


LA llESTi\URATlüN
DE LA BRANCHE AINÉE DES BOURBONS.


CHAPITRE XXIII.


DER~IERE ADm~ISTRATIO:'\ DE ~I. DE VILLELE JUSQU'A L'AV.É~E~IENl'
DE M. DE l\IARTIGNAC.


La politiquc étrangerc. - Questiou de la Grece, - Confércnces avec
M, Call1ling. - Esprit nouvcau de la diplomatie. - Mouvemcut contrc
la presse. - La loi de M. (le Peyrunnet . - Attiludc de la Chamhrc. .......
PÚilion de 1\1. de :Moutlosier. - H.ésistance. - .Académie franqaisc -
Liceuciernent de la ga"de nntionalr-. - Dcveloppement de Ia question
grccclue. - Traité du (; jui llct, - Derniere sessiou ele 1\1. de Villde. -
La ccusurc , - Dissolutiun de la Chamhrc, -l~lectiolls. - 'I'umul tcs ct
révoltcs. -'Premier essm des h.u-ricades. - Chute duministere de
1\1, de Villde.


L\ préoccupation du Gouvcrncment dans les questions d'inté-
rieur et cl'opinion, nc pcrmcttait pas tout le dévcloppcmcnt néccs-
saire ~t lapolitique cxlérieure. Les aífaircsd'Fspagnc el de Portugal
avaient mis continur-'k-nu-nt en rapport l\I. de Villel!' ct ]U. Can-
niug ; l'ambassade de l\I. de Polignac ü Londres avait em'ore
plus cimenté ce rapprochcmcnt : qucllc serait maintcuant l'attí-
tude de la Frailee, dans une grande qucstion qui allait .s'agitcr,
l'émaucipatíou de la Grece ? 1'1. de Villele avait fait de nombreuses


1\. i




2 mSTülHE DE LA HESTAUnATlÜ~.
concessions ¿l la diplomatie anglaisc, L'aruhassadeur francais ;1
Madrid avait été rappelé , et e'est sur ces entrefaites que M. Can-
ning vint ü Paris. JI cherchait une distraction aux affaires ; il
désirait surtout se conccrtcr avec 1\1. de Villeh', non-seulcmcut
sur la question du Portugal ct de ]' Espagne, mais encere sur la
situation de la Grece et de la Tnrquie, alors I'objet de vives
sollicitudes de l'Angleterre. La mort d' Alcxandre avait , je le ré-
pete, atténué pendaut quelque . temps l'influence russe ; des
tentativos de révolte , la dissolution de plusieurs sociétés secretes,
avaient occupé le Cabinet de Saint-Pétersbourg; ü coté des as-
sociations des vieux Ilusscs , il s'était formé des sociétés révolu-
tionnaires en Pologne ; elles avaient des -ratuiflcations ave~ l\lou-
ravieff et plusieurs membres des comités moscovitcs : Ieur but
était de; rétablir l'ancienne Pologne dans son indépendancc. I ne
fois ces dangers réprimés , la Russie reprit son haut rang dans les
relations diplomatiques, L'état de la Grece était digne de toute
l'attention des Cabinets. Les malheurs el l'hérolsme de ce peuple
avaient trouvé une sympathie historique dans les Chambrcs el ;l la
Cour. Une chosc que jo dois constater paree quc c'est la vérité ,
la Gréce n'avait pas d'ami plus enthousiaste que Charles S : il
se mélait a la penséc du Monarque un désir de croisado et de
liberté chrétienne , el il poussait lui-mémc ses ministres a l'éman-
cipation des Hellenes. Leur cause était populaire, Apres les dor-
niers combats et de glorieux eílorts , la Grece tcndait ¿I s'orga-
niser. La huitieme assembléc dl~ ses rcprósentants fut couvoquée
¿I Í~pidaure, comme la vieille ligue achéenne ; elle avait nommé
sept commissions : la prcmiorc pour s'occuper de la eonstitution
et de la forme du gomernement ; la seconde pour I'orgauisation
des troupes régulieres et irréguliercs , et les nutres pour l'admi-
nístratiou des fiuauccs , de la marine, pour les aflaires do la reli-
gion, l'instruction publique el l'ex<1 mcn de toutos les demandes
qui seraient faitcs h l'assembléc. Quelques districts déclarerent
qu'ils voulaient un roí. 1,<1 couuuission rhargéc ell' Iaire on de
reformer la eonstitution du t poser les bases sur Jcsqucllcs le
gouycrIlcment serait fondé el quel était celui qui convenait le




CHAPlTnE XXIII. 3
plus a la Crece. On délibérait encere lorsque l'Europe apprit le
desastre de Missolonghi ; alors les séauces furent interrompues ,
et il fut arrété qu'on les ajournerait ~\ cinq mois, On nomma une
commission dictatoriale choisie dans le sein de l'assemblée ; elle
dut diriger les alTaires civiles ct inilitaircs de la nation ; une autre
connnission fut chargée des alfaires étrangeres et législatívcs :
une especc de gouvernement provisoire était ainsi établi , et ce
gouvcrnemcnt reconnut alors la nécessité de recourir ala haute
protcction des Puissauces. La Ilussie s'était beaueoup occupée de
la Grece. M. Capo-d' Istria avait dirigé en secrct les délibérations
de l'asscmbléenatiouale. L' Angleterre le savait ; et M. Canning,
pour crnpechcr I'ahsolue inl1uence de la Ilussic , résolut de
prendre en main la canse des Crees. Une circonstance favorisa
ces rapprochcmcnrs, L'asscuihléc des Hellenes , qui jusqu'alors
avait refusé de reconnaitre les emprunts contractés aLondres a
cause de leurs conditions ouéreuscs , consentit enfin a cette re-
conuaissancc, Tandis qu'elle suspendait les ventes de biens ou
d'effers nationaux, qu'elle érigeait un tribunal mariLime ehargé
de juger les causes de piratcric et un tribunal criminel pour
punir les abus de la force '. I'asscmblóe, délihérant sur les moyens
de sauver la Grece du péril qui la menacait , implora le secours ou
la médiation des Puissauces, Une note fut envoyéeaM. Strat-
ford-Canuing , ambassadcur anglais ~\ Constantinople , pour le
prior de traiter de la paix arce la Porte Ottomane. Elle avait été
concertée avec le conunodorc Hamilton, porteur de pouvoirs ;
on oílrnit a la Porte les conditions suivantes : « qu'il ne soit
permis aaucun Turc d'hahiter le tcrritoirc grec , ni de posséder
anrunc propriété en Crece, a cause de l'impossihilité oú se
trouvaicut les dcux peuples de vine ensemble. Toutes les forre-
resses occupécs par les Tutes , dans l'étendue du territoire grec,
dcvaient étre évacuécs et rernises aux Hellenes: le Sultan n'aurait
aucune influcnce sur l' organisation intéricurc ni sur le clergé; la
nation greeque pourrait avoir des forces suflisautespour sa süreté
intérieure , et UlW marine pour proteger son commerce ; toutes
lí's prnvinrr« qui avaicnt pris les armes seraiont inrorporées an




HISTOIRE DE LA RESTAURATION.


Gouvernement grec, il qui on rcconnaltrait le droit de battrc
monnaie; la somme du tribut serait fixée , et le mode de paie-
ment annuel ou unique. La Grece demandait une tréve , et au
cas oú la Porte refuserait d'accéder ~l ces eonditions, la commis-
sion gouvernementale s'adresserait aux nations curopéennes pour
leur demander seeours et protection. » I ..e commodore IIamilton
se chargea de remettre eette note a JU. Stratíord-Canning. Une
proclamation de l'assemblée annonca aux Grees toutes ces réso-
lutions si importantes.


On ne pouvait agir dans des cireonstanees plus favorables:
Constantinoplesuhissait une réforme avcc toutes ses faiblesses et
ses embarras: le sultan Mahmoud avait résolu la destruction des
Janissaires , plan qu'il méditait depuis sa jeunessc. Ilappcllerai-je
cet acte tragique dont les conséqucnces ont si malhcurcuscment
pesé sur l'cmpire du Croissant? lUahn)Oud avait publié son firman
qui ordonnaít des réformes dans le systéme militaire. Des qu'on
essaya d'exercer les Janissaires a la marche et au manicment des
armes, ils commencerent 1l montrer leur répuguance et leur in-
subordínation ; ils parcoururent la vine agitée , el tout prit des
lors le caractére d'une révolte ouverte ct générale ; des haneles
furieuses de ces révoltés se portercnt vers les jardins du grand-
visir, de l'aga , et les pillerent, Pendant ce temps le gouverne-
ment n' était pas 'resté oisif: des masses formidables de troupes
arrivaient dans la capitale , suivies d'une nomhreuse artillerie ;
l'étendard du Prophete était arboré, et les Janissaires sommésde
revenir a l'obéissance. Ils répondaicnt : « Nous ne nous sou-
mettrons que lorsque nous aurons la tete du grand-visir , eelles
d'Hussein-Pacha , de l'aga et de l'eífcndi , et quand le nouveau
reglement sera rapporté.» C'est alors que l\lahmoud jura l'aho-
lition de ces troupes indisciplinées : les rehelles furcnt mis hors
de la 10i musulmane , ct un earnage terrible suivit cette réso-
lution. Tous ccux qui échappercnt aux décharges de mitraille
furent taillés en pícccs , plusieurs se réfugierent dans leurs
casernes et offraicnt de se rcndrc. Soumission rardive! le Sultan
nc fit aU('Ul1C grac(' ; on poursuivit l'attaque ct on mit Ir [('11 aux




CIIAPITTIE XXIII. 5
cascrnes, Nuit terrible, oú quatre mille soldats trouvérent la
mort et furent jetés dans le Bosphore ; quel eífrayant spcctacle
qu'un long massacre éclairé par un épouvantable incendie! te
lendemain parut le firman du Grand-Seigneur qui abolissait le
nom et la corporation des Janissaires , et les remplacait par un
corps de troupes régulicres. Réforme prématurément accomplie,
el une des principales causes de l'ébranlcment de la puissance
ottomauc, Ce fut dans ces graves circonstances que commen-
cereut les conférences entre M. Canning et 1\1. de villele, Le
premier ministre anglais, sans ríen conclure de précis sur tous
les points , discuta avec une' grande netteté les difficultés qui
surgissaient en Europe , et tous les incidents survenus depuis
quelque temps dans la politique extéricurc. Voici ce qu'écrivait
1'1. Canning ~\ un de ses arnis el de ses admiratcurs : « l\lon cher
Monsieur, j'ai vu ;\1. de villcle plusieurs fois , el je vous assurc
que j'ai été fort content de lui, de sa sagacité dans la maniere
de voir et d'apprécier les événemcnts, Nous avons parlé de la
Greco classique ; mais il m'a tonjours opposé son parlcment et
ses finances. Plus <!ue pcrsonn« je comprends ces motifs; mais
deux nations qui sympathisent si bien, la Franco et ]'Angletcrrc ,
peuvent beaucoup de lcur concours. Assurez ¿l votre comité
philhclleno que les choscs sont assez avancées pour qu'on puisse
aflirmer que la Crece ne périra paso » M. Canning fut partout
accucilli , fNl'. Charles X le rerut avec une grñce parfaite. Il dina
a Saint-Cloud, Le Iloi I'cntreLint en anglais sur le parlcmcnt et
la cour de Saint-James. Charles X avait hcaucoup VU, parlait
de Lout avcc facilité ct avec une mémoire tres-hcurcusc. Jc ne
sache ricn de plus jcune el de plus agróahlc que la conversa-
(ion du Iloi , le soir apr<'s son dincr. Quoique Charles X IH' Iit
aucun eXCt'S de tahle , cepondaut il lui cmpruntait une chalcur
de causeric , un charme d(' mnts rcmarquables. ~L Cauning
visita la plupart des honuncs politiques. JI ne vit point :\1. de
Chñtcauhriand , ('( celn hlcssa profondémcnt le noble pairo Il
Iaut dire (llle les dcux ministres s'étaicnt séparés de systófl}e et
d 'opiuion depuis la campagne el'J':spaglle. JI. de Chñtcaubriand .---


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() HISTOIRE DE LA TIESTAURATlON.
s'était élevé avec aigreur contre les harangues pleines de for-
fanteries de 1\1. Canning, ee qui avait jeté entre eux de la froi-
deur. Au reste, l\!. de Yillele s'enteudit 11 peu pres avee le
ministre anglais sur les aífaíres du Portugal et de l'Espagne.
Quant a la Grece et a la Turquie , il n'y cut quedes pourpar-
lers. On désirait bien une interveutiou commune de l'Angleterrc
et de la Franee, mais rien ne fut eneore arrété. La préoccupa-
tion de 1\1. Canning était surtout qu'il ne faIlait pas laisscr le
Cabinet de Saint-Pétersbourg intervenir seul , soit par les
armes, soit par un protectorat, Ensuite l'iutervention des trois
Puissances, en les placant ehaeune dans une nouvclle situation
fondée sur des iutéréts positifs, éloignait de plus en plus la
pensée et les opinions qui avaient Iondé la sainte-allianee; mais
pour arriver 11 cela il fallait de l'ordrc , dn repos en FraIH'(',
une grande sécurité d'avcnir ; et pouvait-on l'espérer ?


J' ai considéré ason origine la naissaucc de M. le duc de Bor-
deaux comme un événcment national , et surtout couune une
force, une énergie nouvclle , imprimée aux opinious royalistes.
Le partí rcligieux le rapetissa a ce poiut de n'cn plus faire qu'un
triomphe de sacristic, Avec une grande pcnséo de royautó ct
d'avcnir, la couduite et l'éducatiou du Princc allaieut droit ~l
cette grande illustration politique ct littéraire aqui le trñne de-
vait tant! Cal' sans M. de Cháteaubriand , qui de nons , gónéra-
tion nouvelle, aurait eonnu les Bourbons ? Quelle popularitó
n'aurait pas Iait rejaillir sur cctte jcune et royalc tete le hcau
nom de 1'1. de Cháteauhriand ! On associait aiusi ses destinóes
au pair de France qui avait défcndu la presse attaquée , ala plus
poétique intelligence du siccle , Üla plus nohle des popularires. EL
supposez maintenant dans l'avcnir une révolution mcnarante , ('1
cet enfant, presenté aux -~'eux du peuplc sous I'éclatant mantean
de M. de Chátcaubriaud ; la hranche ainée des Bourbons aurait-
elle adéplorer eette grande ruine qui la pousse ¡l l'exil ? Jlais,
dit-on , le Roi n'était-il pas le maitrc ct le tutcur de sa famille '?
Ne pouvait-il pas disposer méme de sonpctit-Iils? ne pouvait-il pas
rcconnaitre , par la distrihution des chargcs de sa maison , I('~; 5('1'-




CHAPURE xxnr. 7
vices et les dévouements personncls ? Les rois ne s'appartiennent
paso Dans les grandes sceues de la vil' politique , ils sont perpé-
tuellement en faee du peuple qui les applaudit ou les bláme , et
de la postérité qui les juge. Quand on est roi , on peut avoir des
amitiés privées , mais on 11 'a pas de ces affections publiques qui
sigualent des pcuchants d des icndances impopulaires, Je con-
sídere counne une des grandes fautes le ehoix de M. le duc de
lUontmoreney pour gouverueur du duc de Bordcaux. Certes ,
le prcmier, je cautiouncrai les vertus privées du duc l\Iathieu;
e'était l'homme de la hienfaisance et de la loyauté ; mais :\1. de
lUontmoreney était reeonnu et dénoncé comme le ehef osten-
sible de la Congrégation. 1\'était-cc pas une fatale imprudence
que celle qui plarait le dile de Bordeaux, l'héritíer de la maison
de France , sous une {'gide si rcligieuse ? Dcpuis longternps la
Cougrcgatiou préparait ce choix. JW<' avait ouvert I' Acadéiuic au
duc Mathieu ; cal' 1',' cadémie aussi avait subí l' influencc rcligicuse
el des honnes doctrines. Conune si ce n' était pas assez du choix
de JI. de ñlonnuorcncy, le Iloi mit l\I. le duc de Bordeaux sous
la direction de JI. Tharin , {·,toque de Strasbourg, prélat instruit
sans doute , inais signaM par ses Iougues rcligieuses , son esprit
altier el sa tcndance favorable aux jésuites. Aucnn nom célebre
et populaíre ne Iut auaché h l'éducatiou du due de Bordeaux ;
on ne vit en lui <Iue l'cnfant du sanctuaire , que le Joas de
l' I::criturc. Ai-je hcsoiu de dirc que ces choix furent violenunent
auaqués par les journaux organcs de I'opinion publique; ils pro-
íitcrcnt de ces IllUfl1HIl'('S el les touruerent centre la dynastie,
Au rcste , l'éducation de M. le duc de Bordcaux , tout empreinte
de l'esprit rcligieux, avait été mise en rapport avec le progres
des scicnces el ]{. mouvcment de la civilisation. Son AItessc
Iloyale n'avait que S{'pt ans , ct d{'ja elle tracait de petites cartes
g{'ogl'aphiques, analysait l'histoire, et parlaít un peu l'italien
(¡H'C sa mi-re, qui aimait rant la langne de la patrie. 1\1. de
lHontmorency nc jouit pas lougtcmps de l'honncur qu'on lui
couíiait; il mourut le vcudrcdi-saint aux picds des autels , mort
dig¡w de sa piété, El par «ni fút-il remplacé? Par -'1. de Iliviere ,




8 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
plus pieux que lui encore , et unissautaceue piété un caractere
d'ardeur et de courage imprudent ~ sans avoir plus de lumieres ,
il avait un esprit plus droit que 1\1. de Moutruorency. Personne
ne possédait a un plus haut point la confiance de Charles X;
c'était un vieil ami converti sous la méme influence , et qui avait
tout exposé pour les entreprises avcnturcuses du comte d' _\ rtois,
l'honneur et la vie. La position de 1\1. de Itiviere auprés du duc
de Bordeaux facilitait ses relations et son erédit; chaque matin un
bulletin était adressé aI'auguste aícul sur les progres de l'éleve ,
et il était rare qu'a cette espece de rapport de famille 1\1. de
Itiviere ne joignit quelques idées politiques. Le gouvcrncur de
1\1. le duc de Bordeaux devenait un homme ímporrant, et M. de
ViIIele devait se háter de le rattacher ases intéréts ou d'affaiblir
sa puissance aupres du Roi, en exagérant, conune il l'avait fait
pour M. de Polignac, son incapacité politiquee .


Le partí religieux avait fait une grande Iaute en supprimant la
censure. C'était une entreprise périlleuse et folle de tentcr un
Gouvernement en face d'une opinión influente s'cxprimant
chaqué jour par la prcsse el les journaux, I1 Iallait la censure a
la Congrégation par la méme raisou qu'clle est étahlie ~I Rome
et ~I Madrid. Je ne crois pas qu'en l'état de la civilisation , le
pouvoir politique du clergé puisse se fondcr avec ses dogmcs et
ses doctrines en Iace de la liberté de la presse. C'était done une
contradiction dans laquellc l'avait entratné malgré Iui le parti des
gentilshommes et de l'aristocratic , ne mettant périJ ~\ ricn , im-
prudent qu'il était , et rcmuant encoré sa vicille ct noble ép('e.
Aussi , des que le parti rcligieux fut aupouvoir , il scntit bien
par oú il était blessé ; la presse le rendait impossiblc. Ji avait
cherché d'aborcl a la séduire , ~\ la tourner ; de lil, les proces de
tendauce , les achats de journaux. 11 n'avait pu arrivcr ¿\ ses
fins; il était moulu , hors d'halcinc, tes mandcmcnts épiscopaux
signalaient la multipliciré des mauvais livrcs , l'invasion des doc-
trines perversos, ct les mandcmcnts étaicnt a101's des Ierons ter-
ribles! Il Yavait cu plusicurs <le ('('S actos qui dúnouraicnt la
licence des journaux ; la dcrnicrc déruarche du corps épiscopnl ,




CHAPITUE XXIII. 9
en rcconnaissant la suprématie de la Couronne, l'avait suppliée
de porter sa sollicitude royale sur la presse qui menacait la re-
ligion. Ces plaintes du clergé avaient une grande influence sur
l' esprit (le Charles X, et je dirai uióme de la majorité de la
Chambre. On s'en était expliqué ncttemcnt dans I'adrcssc, Les
choses en étaient ¿l ce point qu'unc nouvclle session allant s'ou-
vrir, le ministcre n'était pas libre de s'y présenter sans une
loi de la prcsse. La difficulté était grande. Si cette loi n'était
pas suffisamment réprcssive , on s'aliénait la Congrégation, qui
voulait en íinir avee les livrcs ct les journaux surtout ; si elle
l'était trop , n'allait-on pas ébranler le vote complaisant et inva-
riable du paisible centre droit? On avait fait d'immcnscs travaux
sur la pressc. Tout fut cmployé , la lógislation anglaise particu-
liercmeut. Dans cene situation , M. de Peyronnet soumit un
premier projet de loi sur la prcsso au Couseil d'État , mais a ce
Couseil te! que l'avait fait M. de Peyronnet! Il íut longtcmps
discuté , modilié. L'influcnce de congrégatiou dont j'ai parlé se
lit sentir au dehors , ct ce ne fut pas le projet primitif qui fut
préparé pour la ClJamhre, mais IIn sysremc qui paraissait tout
enücr dieté contre I'imprimcrie. j)'uprt"s ce projct, nul écrit de
víngt fcuilles el au-dcssous ne pouvait 0tre mis en venle , publié
on distribuó pendant les cinq jours qui suivraient le dépót
prescrit ; en cas de coutravention , l'imprimeur devait etre puni
d'une amende de 3000 fr.; l'édition scrait de plus supprimée
et détruitc. Cctte disposition ne s'appliquait point aux discours
des membres des deux Charubres , aux mandemcnrs et lettres
pastorales, aux journaux qui paraissaient plus de dcux fois par
mois , et qui par conséquent fournissaient un cautionnemeut.
Tout déplaccmcnt ou transport d'une partie quclconque de
l'édition hors des ateliers de l'imprimeur serait considéré COn1l11e
tentativo de puhlicatiun et puni de la méme maniere que le délit.
Tout écrit de cinq Ieuillcs et au-dessous était soumis au timbre :
1 Iranc pOllr la premiare fcuille et '10 ccntimes pour les antres;
en cas de coutravcntinn , H Yavait uno amende de 3000 francs
('1 la snpprcssiou de l'érrit ; IPs mandemonts , lettres pastorales,




10 HISTOIBE DE LA RESTAURATION.
livres de piété , les catéchismes , etc. , étaient pourtant cxceptés.
D'apres le seeond ehapitre de ce projct, aucun journal ou écrit
périodique quelconquc ne pouvait étre publié sans une declara-
tion préalable indiquant le nom des propriétaires , leur dcmeure
et l'imprimerie dans laquellc le journal devait t'ire imprimé; les
propriétaires seuls dcvaient faire cette déclaration ; si elle était
reeonnue fausse, l'écrit serait supprimé ; en cas de contestation
sur le rejet de la déclaration , il serait statué par les tribunaux
compétents; néanmoins la décision des préfcts ou du directcnr
de l'imprimerie recevrait provisoirement son exécution. tes
journaux existant avant la promulgation de la 10i devaient re-
nouveler leur déclaration daus les trente jours qui la suivraicnt.
Chaqué exemplaire de journaux ou écrits périodiqucs dcvait
aYOi1' en tete le nom du propriétaire , sous peine de 500 fraucs
d'amende contre l'imprimeur. Aucun journal ou écrit ne pou-
vait paraitre sans avoir fourni le cautiounement íixé. te droit
de timbre était fixé a l'avenir a 10 centimes par chaqué feuille ,
demi-feuille ou autres Iractions, Toute soeiété rclativc ala pro-
priété des journaux ne pouvait 0l1'e coutrnctéc qu'en nom eol-
lectif; les associés ne pourraient étre plus de cinq. Toute pour-
suite pour délits et crimes commis par la publication d'un
journal ou écrit périodique quelconque scrait dirigée contre les
propriétaires, Dans les cas de provocation , prévus par la loi
de 181s. l'amende serait a I'avcnir de :2 000 a 20 (lOO franes; la
méme amende serait appliquée dans les cas d'outrnges , prévus
par la loi de 1822. ñlérnes ameudes pour les oííenses prévues
par la loi de 1819 pour les diITamations. Toute publication sur
les actes de la lie privée de tout Francais et de tout étranger
résidant en France , serait punie d'une amende de ;")00 francs ,
excepté pourtant lorsque la personne intércsséc aura approuvé
ou autorisé la puhlicatiou. Tout délit de diílamation commis
envers les particulicrs pouvait étro poursuivi d'office, 101'8
meme que le particulier diITamé n'aurait pas porté plaiute.
Les imprimeurs d'écrits puhliés ct coudamnés étaicnt res-
ponsables civilemeut et <1(1 plein droit dos amendos , donunages




enAP!TRI:: XX 111. 11
et intéréts et des Irais portés par les jugements de condamna-
tion.


Ce systeme était une terrible réprcssion des dangers de la
pressc. te Couverncment osaít plus que la censure; 'il recon-
naissait enfin J'impossibilitó de marcher avec la Iicencc de la
pcnsée, aveu que font tous les pouvoirs , mais seulemcnt ~l la
dernierc extrérnité. Tous les petits écrits étaient frappés d'un
timbre 1 une censure indirecto établie sur tous les livres par le
long termo imposó aux dépüts préalahlcs ! On détruisait l'cxis-
tence actuelle des journaux , en leur imposant des formes de
société qui favorisaicnt la fraude. On en voulait ala presse; la
presse était l'ennernie qu'on cherchait aatteindre. Les Gouver-
ncmcntsen sont tous la lorsqu'ils voientla société leur échapper,
On considera ce projet comme I'reuvre intime de la Cougréga-
tion, que ~I. de Montlsoier dénoncait devant la cour royale de
Paris, et que M. Lainé dévoilait a la Chambre des Pairs. Tout
ce qui portait l'amour des lois, tout ce qui avait des souvenirs
historiques et une pensée d'avcnir se liguait centre cet envahis-
sementd'un partí sans forcc , qui tracassait le pays sans avoír un
génic assez haut pour I'asscrvir. La cour royale se saisit avcc
cnthousiasme de la plainte de ,,1. de Jlontlosier et du preces qui
agrandissait ses auributious politiqucs. Il est dans la nature des
corps de toujours envahir, et l'on Iournissait a la cour royale la
plus bcllc , la plus grande des occasions : elle s'cn empara. te
réquisitoirc de ,,1. Jacquinot-Pampelunc concluait ~l ce qu'il füt
dit par la cour qu'il n'y avait lieu ~l délihérer. Apl'(ls une délibé-
ration de plusde cinq heurcs , la cour, aux deux tiers des voix ,
St' declara incompétentc ; cal', d'apres la Charte constitutionnelle ,
droit public des Francais , il n'appartcnait qu'a la haute pollee
du royaume de supprimer et de déícndre les congrégations ,
associations et aun-es érablisscmcnts qui sont ou seraient formes
au mépris des lois. Mais , tout en rcndaut hommage a la división
des pouvoirs , la cour déclarait en Iait l'cxistcnce des jésuites ,
ct proscrivait leur institut , « commc fondé sur une incompati-
hilité reC0l111Ue entre les principes proícssés par cette compaguie




12 mSTüIRE DE LA HESTAURATlON.
et l'iudépendance de tout Couvernement , príncipes bien plus
incompatibles encore avec la Charte constítntionuelle des Fran-
cais. » C'était au fond donner gain de cause al\l. de l\lontlosier.
Au milieú de ce systeme si complet de répression , on ne s'expli-
que pas comment 1'1. de Pcyronnet put songer ~l un projet de loi
dont la conséquence était si grave, si en opposition avec la ten-
dance générale du systéme ministériel ; je veux parler du projct
de loi sur les listes électorales. e'est ce que 1\1. de VilleIe, avec
son esprit si juste, appelait une étourderie. l\I. de Peyronnet
n'en avaít pas compris la portée; il avait jeté une pensée de
loyauté et de franchise ministérielle dans un ensemble qui ne
pouvait la supporter. Un systeme tel qu'on voulait l'établir ne
pouvait régner que par la ruse el la force. On ne devaít dé-
sormais obtenir une majorité que par ces moyens , et 1'0n pro-
clamait la permanence des listes, c'cst-ü-dire un moyen d'em-
pécher la fraude et de compromettre tout le systéme ministériel.
Si,1'0n rapproche les deux pensées du droit d'aincsse et du jury,
on apercevra dans le pouvoir de cette époque un désir de con-
stituer unearistocratie élcetorale, dans laquelle se concentre-
raient tous les droits et toutes les Iihertés ; en complétant ceuc
penséc par le désir qu'aurait LOt ou tard accomplí le parti roya-
liste, de restreindre l'éleetion ~l la grande propriété fonciere , on
aurait eu un systcme cntier rcposant sur une unique base. et
c'était la qu'on voulait arriver. A ces lois fondamcntales , le mi-
nistre ajoutait deux antres projcts ayant pour hut , l'un de régler
le tarif des postes, se liant ~l la loi de la pressc , el l'autre de
réprimer plus efficacement la traite des Noirs, la loi de 1818
étant d'une insuílisance reconnue. Ce point avait étó admis dans
les couíérences avec 1\1. Canning , ~l Paris.


Avcc ces lois préparécs on ouvrait la Cluuuhrc. le Hoi disait :
« J'aurais désiré qu'il Iút possihle de ne pas s'occuper de la
pressc ; mais , a mesure que la faculté de puhlier les écrits s'est
développée, elle a produit de uouveaux abus qui exigent des
moyens de réprcssion plus étcndus el plus cllicaccs. Il cst tcmps
de faire cesser d'aflligcants scandales , et de préservcr la liberté




en A PITHE XXJlI.


de la prcsse cllc-méme du danger de ses propres exces.. Aussi
l'adresse prit un haut caracterc de vivacité et ele passions poli-
tiques : avant mémc que la commission füt nommée, 1\1. Casi-
mir Périer demanda au Gouvernement des documents qui lui
semblaient nécessaircs pour éclairer la discussion sur les para-
graphes les plus remarquables elu discours de la Couronne;
cette proposition , quoique appuyée par lU. Benjamin-Constant ,
n'eut pas de suite. Alors commeucerent les cxplications : lU. ele
Yillelc annoncait que pour ce qui regardait les événemcnts de
la Péninsule , toutes les Puissances étaient d'accord de laisser
agir l'Angleterre , ainsi qu'elle l'avait fait ; c'était le meilleur
moyen de maintenir la paix générale et de ramener la tranquil-
lité dans ces provinces. « Quel rule pour la France ! s'écriait
M. de Beaumont, s'associer a la politique anglaise, politique
qui nous donnerait pour alliés les alliés de Quiroga et de tous
les mécontents de l'Europe ! » - « 'I'ous ces événements étaicnt
certains , ajoutait 1\1. Agier; le ministere n'aurait-il pas dü les
prévcnir ? ñlais non, loin de la, il Ya prétó la main ; écoutez ce
qu'écrivait en 1821" au Gouvernement francais , un ambassa-
deur qui dermis lui a été ü chargc : « Si on n'aide pas le roí de
« Portugal dans son desscin de donner ü ses peuples une loi
« monarchiquc , avant dix-huit mois on yerra ¿l Lishonue une
« charte répuhlicaiue donuéc par Don Pedro, ct des hahits
« ronges pour la soutenir. »- « La cause premierc du mal, ré-
poudait M. Casimir Périer, cst toute dans l'occupation de I'Es-
pagne; les conséqucnces se font sentir ü la fin; une fois réal i-
sées , le tort du iuinisterc , tort inuueuse , est de n'avoir pas en
le talcnt ou le courage de Iaire servir cene occupation aatteindre
le but qu'il s'était proposé, »-« Notre coopérution au triomphc
de la révolution portugaise , s'écriait lU. de La Bourdounayc ,
nons rcndrait compliccs de cct attcntat. ene alliance qui doit
amir un parcil résuitat est HIIC alliallce inonstrucuse ; c'cst un
suicide poliriquc. Ouel róle le ministerc jone-t-il dans cette
circonstaucc ! Le Gouvcrnemcnt du Iloi est cntrainé dans une
fausse dircction , il est placó sous une secrete influence, »-« De


IV. 2




'tú HI8'fOIRE DE LA RESTAURATlüN.
honne foi, répondait :'1. de Yilléle , pouvons-nous encourir le
bláme de la nation pour n'avoir pas pris I'initiative dans l'atlaire
du Portugal? L'Angleterre n'a-t-elle pas plus (le droits que
nous , elle qni est unie avec ce royaurne par des traités d'une
maniere paniculiérc ? D'ailleurs les alliés de la Franco sont
toutes les Puissances du Continent, et si une d'elles voulait mal
a propos et sans sujet troubler la paix générale dont jouit 1'J~u­
rope, toutes les autres se réuniraient pour réprimer cette entre-
prise, »- « Cesontlesmenaces de l'Angletcrrc, répliquait 1\1. Clau-
sel de Coussergnes, qui ont arruché ~\ Don Pedro la Charte ap-
portée en Portugal par un ambassadeur anglais : c'est un fait
incontestable; aussi elle est repousséo par la nation portugaise,
qui veut rester fldele a son roí légitime... ))- (( Il est du devoír de
la Chambre, ajoutait ~l. Ilyde de Neuville (I'ancien ambassa-
dcur en Portugal) , de signaler dans son adresse la désapproba-
tion des causes qui ont amené les troubles du Portugal.» Toutes
les vivacités de I'opposition s'étaient done portées sur la polití-
que étrangere : on parla peu de la presse , parce que la phrase
du discours de la Couronne n'était pas tollemcnt significative
qu'elle appelát les pouvoirsase prononcer. En résultat, l'adrcssc
fut adoptée telleque la commissiou l'ava.t rédigée, « La Chambre
désirait la conservation de la paix, et elle se reposait sur le GOl1-
vernement du Iloi pour atteindrc ce hut. » Charles X répondit
gracicusement ace voeu : « Vous souhaitez la paix ; personne IW
la désire plus sincércment que moi. Les efforts que jc fais pour
la conserver sont dirigés par mon cceur. J'aime a vous annoncer
que mes cspérances a cet égard dcvicnnent chaque jour plus
fondées ; si la Providence en ordonnait jamais autrement ,
comptez sur moi comme je compre sur vous et Sil)' mes fideIr';
sujets. Soyez sürs que I'honneur de la Franco restera pur et in-
tact, comme iI l'a toujours été. )) Ainsi , la premicre discussion
de la Chambre montrait déj:\ la force de l'opposition que le
ministére allait avoir ü combattre : il conunencait a se faire un
rapprochcmeut rcdoutable qui chaqué jour deveuait plus sen-
sible ; les oppositions de droite et de gauchos'eutendaient, mar-




· CHAPITRE XXIII. 15
chaient de concert, Le méme accord qui avait renversé lU. de
Richelieu pour porter lU. de Villéle aux affaires se préparait
maintenant comme une destinée et une vengeance contre 1\1. de
Ville1e. Je mets beaucoup de soin a recueillir le moindre inci-
dent politique, C'est la chute d'uu long ministere que je vais
avoir 11 raconter, el ce ministere avait tant abusé du pouvoir
qu'il le rendir désormais impossible; voila ce qui, plus que toute
autre chose , détermina la ruine de la monarchie , ct avee elle
de tout systeme de force et d'autorité,


Les premieres opérations de la Chambre des Pairs n'avaient
aucun caractére dessiné ; Chambre essentiellement d'affaíres , elle
ne se préoccupait pas de ces petits iucidents , de ces taquineries
de rnajorité. Elle allait aux grandes questions , paree qu' elle
savait bien que les grandes questions pourraieut scules amener
une solution décisive par la re traite du ministere , et c'était son
but, Lorsqu'il s'agit de l'adresse pourtant, quelques questions
furent adressées au ministre des affaires étrangeres , et l\I. de
Damas expliqua la politique du Cabinet. « Des que la France
s'est apercue, disait le ministre, du mépris de I'Espagne pour
ses cOllseils, ou de son impuissance a les suivre , le Gouverne-
mcnt du Hoi a sur-lc-chaurp rappelé de Madrid son ambassa-
deur. la Frunce ne peut contester a I'Angleterre le droit et le
devoir méme que lui impose une longue suite de traités , de
venir- au secours du Portugal. D'ailleurs nous avons les assu-
rances les plus positivos du Cahinet britannique , de son outiere
coopération au maintien de la paix. « C'est en défendant les
príncipes d'ordre et de légitimité que I'Angleterre est sortie
victorieuso de la longue et sanglante lutte qu'elle a soutenue
contre la Révolution francaise. Les memes succes nous seraient
assurés, si nous étions appelés jamais a défendre anotre tour
les memes príncipes, ¡) Deux orateurs parlerent sur l'ensemble
du projet d'adresse; 1\l. Pasquier présenta des considérations
générales sur les añaires de la Péninsule et sur les événements
qui pourraient en résulter ; puis vint l\I. de Cháteaubriand , qui
répondit 1. divers passages do qnelques discours tcnus récernment




16 HISTOIRE DE LA RESTAURATLON.
daus le Parlement britannique : (( J'aiuic pcut-étre mieux la
Charte portugaise que les ministres anglais eux-mémcs , qui ont
cru devoir rappcler sil' Charles Stewart de sa mission pour avoir
envoyé cene charte a Lisbonne. Je pense que l'indépendauco
appuie I'índépcndancc , (IU 'UIl pcnple libre cst une garantie pour
un autre peuple libre. Je crois qu'on ne renversc pas une con-
stitution généreusc, quelquc part que ce soit sur le glohe , sans
porter un coup ~l l'espece humaine tout entiere. » Le noble pair
n'admettait poiut que l'Augleterre cut le droit de se meler dans
les allaircs intéricures du Portugal, « L'occnpation du Portugal
par les Anglais, qui peut avoir des avantagcs sous des rapports
généraux , est copeudaut en particulior tres-Iácheusc pOl1l' la
Fraucc , en ce qu'elle HOUS coudamne ~I rrster en Espagnc, »
C'était surtout centre l'appcl de l\l. Cauning an vont des ré, 0-
lntions que M. de Chñtcauln-iand s'élrvait avec force: ((.J(' ne
viens point, disait-il en finissant , vous proposer de rcndre dans
votre adre-se outragc pour outrage. Cela ne couviendrait point ~l
votre dignité , et n'cst pas d'aillenrs dans mon caracit·J'('.» J'ai dit
les motifs des perites vanirés d(- lH. d(' C1lateallbriand centre
M. Canning. Le ministre anglais n'¡nait pilS [ail asscz d'all('lllion
~l l'importance politiquc du noble pair ; ct de lil sa colere. J us-
qu'ici poiut de votes décisifs.


en prcmier incidcnt viut dcssiner les opinious de la Chambrc
des Pairs, M. de Moutlosicr, repoussé par défaut de compéu-ncc
de la cour royalc , avait porté sa plainte a la pairie, Le comtc
de Montlosicr déuoncait toujours ce vaste systéme tendant a
renverser la religion et le trñne , systeme mis en évidencc ,
1°. par une multitude de congrégations religieuses et politiques
répandues dans toute la Frunce ; 2°. par divers établisscmeuts de
la société des jésnites : 3°. par la profession patente ou plus ou
moins dissimuléc de l'ulü'amontanisme ; li", par un esprit Iüchcux
d'envahisscment d'une partie da cIergé, par ses cmpiétemcnts
continus sur l'autorité civile , ainsi (Iue par UIlC multitude d'actes
arhitralrcs excrcés sur les Ildcles. 1\1. de ñlontlosicr suppliait la
noble Chamhrc de se d{'! ermincr ~I prcnd re en considération




· CHAPITRE XXIII. 17
l'état de délit flagrant oú se trouvaicut en Frunce les divers
établisscments de congrégations ct de jésuitcs , et a aviser aux
mesures les plus promptcs pour opércr lcur dissolution. Le rap-
port de cette pétition , rédigée sous I'influencc du partí anti-
jésuitique , fut confié ¿l M. Portalis. L'importance du noble pair
grandissait dans cetro Chambrc ; son nom acquérait une popula-
rité rcmarquablc ; je dois dire en eífet que cette importance ,
iU. Portalis la méritait ; jamais travaux plus conscicncieux , ja-
mais parole plus grave. Il était rare que son vote n'cntralnñt pas
avcc lui 'la majoritó , tant la (lensée d'un homme de science ct
de bien, quoique un peu prévcnu , cst puissante sur les nutres
pcnsécs l 01', le rapport de i\I. Portalis exposait que, sur les
quatrc chefs de conclusion de :\1. de ~lontlosier, trois pouvaient
étre considórés comme se résolvaut en propositions de loi; et
attcndu que l'initiativc des lois apparticnt a la couronue , la
Chamhre l~avait point adélihérer sur de scmblablcs propositions.
Restait a examincr la partie de la pétition qui concernait diífé-
rents établisscmcnts de congrégations et d'ordres monastiques.
« La qucstion est grave, ajoutait ál. Portalis , cal' i1 s'agit a la
fois du droit pnblic du royanme C't de l'cxécutiou des Iois de
policc ct de sr/reté qui en assurcnt le mainticn. » Il faut distin-
guer les congrégations des ordrcs monastiqucs proprcment dits ;
il existe trois sortcs de congrégatious : les congrégations régu-
licrcs , les cougrégations séculieres et les congrégations laíqucs ,
les unes et les nutres soumises ¿l une législntinn spécialc. D'aprcs
les ancicns et !1011H'aUX r¿~gl('l!l('llts, nullc congrégation nc pcut
subsister l{'galclllcllt CH Franco sans une autorisation. Ouant a
~ ~


]'01'(1re des jésuites , ,1. Portalis rappelait que cet ordre avait
(V· proscrit par un édit de 17()fl , rcnouvelé en 1777; ces dis-
positions }ll'ol¡ibi¡i\cs étaicnt formcllcmcut maintcnues. « Il cst
avéré qu'il existe en France , malgré les !ois, une congrégation
religieuse d'honuncs. Si e!Je cst rcconnne utilc , elle doit étre
autoriséc. Mais ce qui nc duit pas (~II'C possihlc , c'cst qu'un éta-
hlisscment , méme utile , existe de Iait. » C'était ici une qucstion
pleinement cngagée ; l\I. de yjlU'le rcconuut alors l'imprudence




18 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
du discours de lU. Frayssinous , jJ gémissait de ceue domínatíon
des jésuites, qui se mélait a tout, Mais le clergé le poussait se-
crétement a cette manifestation de príncipes. Aussi lU. le car-
dinal de La Fare répondit an consciencieux rapport de 1\1. Por-
talis sans ménagement ct sans modératiou : il voyait l'aetion de
la Provídence dans la disparition tomporaire de cette illustre
compagnie et dans son retour miraeuleux au sein de plusieurs
États ; illui semblaít inutile d'examiuer les causes secondes qui
avaient contribué a ces grands événements, « parmi lesquelles ,
s'écriait-il , nous pourrions ranger la coalition des sectaires de
toutes les opinions, des adeptes du philosophisme et des ennemis
de la religion et du tróne contre un ordre de choses qui résistait
11 leurs desseins. » Les jésuites sont partout dans la dépendance
absolue de l'autorité temporeJIe; l'envahissement dont on s'ef-
fraie se bornait 11 sept petits séminaires que les évéquespouvaient
leur retirer. « S'ils ont acquis la eonfianee d'un grand nombre
de péres de famille , peut-on leur faire un reproche de l'estime
qu'ils ont su mériter? Dans tous les pays épargnés par les révo-
lutions, les jésuites sont redemandés avec un ernpressement qui
est le meilleur hommage reudu 11 la pnreté de leurs doetrines ;
serait-il possible que le royaume trés-chrérlen fút le seul OU
prévalüt une opinion eontraire? » - « C'est-a-dire , répliqua le
duc de Choiseul (et c'était id une haine de famille) , que cette
société eache ses desseins sous le nom sacré de religion; c'est
une puissanee oceulte dont il faut que le Gouvernement se dé-
harrasse ; elle est dangereuse pour l'Í~tat et redoutable pour les
eitoyens. Héíléchissez aux malheurs dont la responsabilité pese tout
eutiere sur eette société. »-« Quellc est la loi, disait 1\1. Frays-
sinous, qui s'oppose 11 ce que des ceclésiastiqucs francais exer-
ceut les fonetions que des évéques croient devoir leur confier?
Ne sont-ils pas placés comme tous les Francais sous la surveil-
lance de I'autorité publique? Je réclamc l'ordrc du jour, cal'
eette pétiiiou me parait une atraque injuste et violente centre
les ministres de la religion de l' j~{at. » Il ne faut pas perdre de
vne les progrés que faisait le Couvomement dans cctte question




CHAPlTRE XXIII. 19
des jésuites. D'abord on s'était caché; le nom de jésuues n'avait
pas rnéme été prononcé; on avait nié lcur influence , plus tard ,
1\1. Frayssinous avait cherché ¡l justiíier leur existence légale,
l\Iaintenant, on alIait plus ouvertement et plus fort : un ministre
d'État prononcait en pleine tribuno I'éloge des jésuites; iI plai-
gnait les peuples qui en étaicnt privés, De cette situation a leur
rétablissement absolu et public , il n'était qu'un pas, et c'était
la le dcrnier but qu'ou voulait atteindre, Une correspondance
intime, qui se trouve dans quelques cartons secrets du cabinet
des Tuileries, indique ce mouvemcnt et cette marche des opi-
nions. On pressait de Ilomc I'cxécution de pieuses promesses ;
deux lettres du U. P., général de l'ordre, disaient au Roi: « qu'il
était appelé a reconstituer I' .Église de France , a Iui rendre sa
splcndour, Il remerciait Sa Majesté de tout ce qu'elle avait fait
pour eux et de tout ce qu'clle était appelée a faire encorc. »
l\l. Franchet était I' iutennédiaire de cette corrcspondancc; de la
son haut crédit aupres de Charles X et de la Dauphine. Depuis
sa déclaration gaUicanc, l'épiscopat se croyait plus fort. Une
lettre du pcre provincial adhere pleincmeut a cette déclaration;
d'oú l'on concluait que les jésuites pouvaicnt reutrcr sans C0111-
promettrc la royauté, Ceei explique ce granel mouvcment d'avcu
et de frauchisc ele JI. Fra) ssinous et de I'épiscopat au profit des
jésuites cn 1827. 1\1. de Villele en fut tres-Iáché : il avait trop
le sentiment des affaires , pour ne pas voir que tout cela les
compromettait. en homme habile ne doit pas examiner en poli-
tique seulement ce qui est j tiste, mais encore ce qui est utile et
possiblc, Certcs, proscrire les jésuites était un acto de despotismo,
mais les jésuitcs étaicnt alors un snjct de haine publique, el il
fal1ait erre bien fort pour braver l'opiuiou.


Au dehors l'orage grondait, Le projct de loi sur la police de
la presse avait été préscnté a la Chambre des Députéspar ~I. de
Peyronnet. Jamáis systcme , 11'ay ait éLé plus complet, n'avait
embrassé l'iutelligeucc humaiue dans ;des étreintes plus ingé-
nieusemeut oppressivcs, lU. Péricr avait raison de s'écrier :
« Autaut vaudrait proposer un artirlo qui dirait : L'imprimorie




20 HISTOIRE DE LA llESTAUllATION.
est supprimée en Frunce au profit de la Iíclgiquc. » Toutes les
professions qui touchaient ala presse étaient dans une érnotion
diffieile adécrire. Les pétitious arrivaient aux deux Chamhres ;
les imprimeurs, les libraircs se réunissaicnt pour faire entendre
leurs plaintes , d'autant plus senties qu'cllcs étaicnt fondécs. Les
jouruaux soulevaient toutcs les opinions : aquí ponvait-on attri-
buer un projct aussi infernal? aux jésuites , ¿I la congrégation;
tel était le cri unauime , et cela pouvait s'cxpliquer, Au milieu
de cette émotion générale , le Moniteur publia un petit article
apologétique plein de ridiculc et de sentimentalité : ce projet,
repoussé de toutes les opinions, était qualifió loi de justice ct
d'a11louJ'! Le mot resta, et eette qualification ne fut pas la cir-
constance qui contribua le moins aflétrir le projet de loi. En
politique il faut s'abstenir de definir, de qualifier par des noms :
ils se gravent comme un stigmate, ct vous perdcnt. Au reste,
l'article n'était pas de 1\1. de Peyrounet , mais d'un jeuue pode,
maitrc des requétes ; et on avait trouvé tres-ingénieux de qua-
lifier la loi de ces expressions vaporeuses et insultantes a cctte
opinion tout cnticre soulcvée. En attcndant la grande loi sur la
pressc , OIl discutait un projet auxiliaire sur les postes, et qui
augmcntait le tarif pour les journaux. La pcnséc du ministere
était complete; il marchait au systemc fiscal de 1';\ ngleterre ;
et , en multipliant les droits , il voulait diminucr l'influence de
la prcsso par le haut prix des journaux : c'était uneidéc sug-
gérée par 1\1. Cottu et par unc longuc brochure de JU. Clausel
de Coussergues, A la Chambrc des Députós ce projct Iut C0111-
pris ct par conséqucnt vivcmcnt attaqué, (( Ce projeL de loi,
disait ]'1. de Conslant , u'est que la próface , l'avant-courcur,
l'auxiliairc d'une autre loi dont nOlIS aurons bicntót ¿I IlOIlS oc-
cuper. A-t-on jamais vu un calcul plus crroué qnc cclui qu'on
nous presente! En élcvaut le prix (les jouruaux , OH nc dimi-
nuera point leur produit annucl ! Jiais J¡. plus simple hon scns
n'iudique-t-il pí\S qu'cn doublant le port on diminnora le
nombre des ahonnós , ct par couséquont re prnduit de la taxe '? ~
- « Mais ~ ajnutait ~I. Dupont de l'Eurc , un parcil projct ne doit




f.IJAPITRE XXIlI. 21
pas nous étouner ; la loi de [usticc ct d'aniour est destiuée a
frapper tous les écrivaius dans lcur personne ct dans leur for-
tnne; iI lui faut une auxiliairc; il faut frapper les leeteurs; iI
faut leur Iaire payer plus cher le plaisir de se méler des alfaires
de leur pays : rOml rout le vcnin dn projet de loi. En repoussant
cette loi, vous Jerez justice d'uue odieusc combiuaison , el
peut-étre du miuistere qui l'a concuc, )) - « Iléformez les ahus ,
s'écriait ál. Alexis de Noailles ; mais n'allcz pas alarmer l'opinion
pour de si petits intéréts ; quel avantago retirera-t-on d'un pa-
reil projet? Hans ma convictiou , rien ne doit étre changé au
tarif actuel des transports des imprimés sous bandeo » - « Cctte
petite loí cst néccssaírc au ministerc, répondait ,1. de Thiars; elle
ticndra sa place dans le systcmc d'oppression légale vcrs lequel
on marche avcc audace ; prenons bien garde , tontefois; si nous
n'y mettons ohstacle , il n'y aura plus de bornes au despotismo
ministériol , plus de sureté pour les droits privés , plus de ga-
rantie pour les droits publics, )) L'opposition ne pouvait repous-
ser le projet qui contenait des dispositions utiles sur les postes;
elle se liorna done ¿l l'amcndcr pour ce qui touchait aux jour-
naux. La conrrc-opposition royaliste prit I'iuitiativc. lU. Ilyde
de ",'cll\ill(1 pl'Oposa un amcndcment portant qu'il ne scrait ricn
changé au prix du transport des jonrnaux , gazettcs et ourrages
périodiqncs uniqucment consacrés aux scicnccs et h l'iudustric.
le centre droit s'óbranla lui-mémc ; JI ne voulait point subir
l'odicux de ces 1018 vaudales. ~l. Iléricart de Thu1'Y demanda
une exception pour les rccueils , annales , mémoircs , bulletins
périodiqucs consacrés aux arts , 11 l'iudustrie et aux sciences :
il fin exceptait les lcures, « C'est en désespoir de cause, disait
lU. Hydo de Neuville, qne je préscnto mon arnendement; pour
avoír une honne Ioi , il faudrait supprimer ce qui concerne la
presse: je suis cnnemi de la liccncc el de la caloumie ; mais jc
ticns a la propagarion des Iumiércs, L'homme de la gloire di-
sait : « Sauvons au moins la répuhlique des lcttres. Si le mi-
nistere persiste dans son funesto systeme , que sauvera-t-il du
uauíragc? )) l\l. Ilydc (1(' ~puvillc n'était point (limé par la majo-




22 HlSTOInE DE LA RESTAURATION.
rité. Sa proposition fut repoussée; mais on adopta le sous-
amendement de l\J. Héricart de Thury , auquel la commission
fit quelques changements. te centre droit obtenait ainsi une
concession; il se fatiguait du joug que Iaisait peser sur lui la
droite et partículieremeut la Congrégation. C'était un progres
alannant pour les ministres.


Ala Chambre des Pairs la discussion n'offrit que peu d'inté-
rét, Cette Chamhre , avec une tempérance hahile, se réservait
pour le projet de loi sur la presse en général, et qui soulevait
une véritable question fondamentale; elle se gardait d'user ses
forces et de se montrer comme une majorité de systéme et d'op-
position arrétée a tout et contre tout : elle voulait ménager son
avenir. « Je ne comprends pas, disait lU. de Cháteaubriand ,
comment une disposition politique s'cst glissée dans un projet
de loi sur les postes: les ministres se sont trompés , ce paquet
était réservé pour le projet de loi sur la presse ; on aura mal mis
l'adresse. Et la presse! encoré entraver cette liberté qui n'existe
que par privilége, ajouter un anneau a une chaine déja trop
pesante , dans tout ceci n'y a-t-il pas quelque chose de puéril et
de sauvage qui fait véritahlement rougir? La Franco cst-elle
done redevenue barbare? Quoi! c'était sous la Ilestauration
qu'une pareille hainc des lettres devait éclater! » L'amendement
ne fut point admis, quoique les lettres eussent parlé un langage
aussi noble et aussi élevé, La résolution de la Chambre était ar-
rétée ; elle se réservait. Dois-je dire maintenant qucl fut le ré-
sultat de ce projct? Quand une civilisation est grandement
avancée , quand un besoin est profondément senti par la société,
tout ce qu'on fait pour arréter cette civilisatiou , pour compri-
mer ce besoin, tourne précisément contre le but qu'on s'était
proposé, On avait voulu comprimer la presse; I'augmentation
du format donna lieu a un systeme d'annonces , une des bran-
ches Iucratives des journaux. La presse acquít done une plus forte
énergie, une existence consolidée , Ull nouveau moyen de pu-
blicité, Sans s'en douter, et en voulaut la détruíre , le ministére
avait Iaitde la presse un géanr.




CHAPlTHE X.X.llJ.


Ce prcmier retentissemen; des mesures ininistérielles centre
l'imprimerie avait donné une haute impulsión a l'esprit publico
Quelques llOlllmes distingués, et particulíercment ~BI. Lacre-
telle ainé et l\liehaud, s'étaicnt concertés sur la nécessité d'une
démarche publique', oflicicllc , de la part de l'Acarlcrnie fran-
caiso aupres du lloi , son proteeteur. Ils pensaient avec 1'1. de
Chñtcaubriand que la Ilestauration , ce grand fait social, était
dégradée par cette persécution qU'OH faisaitsubir a l'intelli-
genee. L'Acadéruie Irancaise était devenue, depuis deux ou trois
ans, un théátre d'intrigues et de coteries. C'est une des plaies
de ces grandes eorporations scientífiques; elles se meuvent par
d'étranges causes. Ne demandez pas la raison de la plupart des
choix ; ótez-en quclques exceptions : dans l'échello du mérite ,
elles prennent le plus médiocre , paree que la médiocriré ne
blesse pas. Depuis 1821, l'Académie avait été plus que jamáis
livrée aces petites intrigues d'esprit de religieuseté; les bonncs
lettres l'avaient dominée sous l'inñuenrc de M. Roger et de cetro
littérature remuante qui se faisait el s'organisait dans son salon.
Le temps qne lU. Roger no donnait pas aux postes dont il était
secrétaire-général , il le consacrait anx courses, C'était par son
iníluence que l'Académie s'était peuplée d'une multitude de
nomssans titres : aprés ]U. Frayssinous, ~I. I'archevéque de Pa-
ris, et au-dessus d'eux tous le dile dl~ l\Iontmorency. On SOll-
geait méme ¿l M. de Iliviere ; lU. de Ilivierc de I'Académic
francalse! En tout temps c'est la mérne habitude. Quand il Iut
question de la supplique au noi , cette roterie s'alarrna ; ~I. Ro-
gel' la mil en mouvcment, Il inspira ¿\ l'archevéque de París une
démnrcho inexplicable. Ce prélat , d...ns une lcttrc de conseils
ct d'onction , díssuadait l'Académie de donucr suite ;l la propo-
sition qui lui élait faite? par la crainte que ecuo grande institu-
tion littéraire nc Iút menacée daus son cxistence. La vérité était
que, dans le prtit monde de congrégation el de ministere , il
avait été d'abord question de Irapper l'Académie. On ne l'avait
point osé, paree que l'Institut était organisé par une loi, et que, ._.__
de plus, un pareil coup de hrutalité aurait retenti en Euro63. - (




24. lI1STOmE DE LA BESTAUHATION.
La leurc de l\l. l'archcvéque de París produisit un résultat op-
posé it cclui qu'on s'en était promis, L'Académic , sur la pro-
position de lU. LacretelIe, défcndue et développée par MM. de
Cháteaubriand , Ségur , lUichaud, Ilaynouard , Villemain, dé-
cida qu'il serait adrcssé une supplique au Iloi dans I'iutérét des
lettres. Le Gouvcrnement avait fait de cette circoustance une
affaire administrative. Tous les mcmhres de l'Académie qui te-
naient plus ou moins directemcnt au systéme miuistériel furent
invités ~\ prendre part a la délibération, On vit MM. Auger 1
Lally-Tollendal, duc de Lévis , et méme 1\1. Cuvier , repousser
la proposition cornme insolite. Les choses étaient arrivées a ce
point, que méme l'Académie , cctte institution innoccnte , rési-
stait. Le principe de la supplique fut admis , et l'on chargea
lUl\1. de Chüteaubriand , Lacrctclle et Villemain de la rédiger.
Cette démarche une fois adoptéo , le secrétaire perpétuel écrivit
au premier gentilhomme, afin d'obtenir une audience du Roi;
mais il fut répondu que S. l\l. ne recevrait pas la députation.
C'était déja une manifestation du mécontentement royal; il
s'étendit plus loin. te soir , au Conseil des ministres, il fut en-
core question de frappcr l'Acadéuiie en corps ; le Iloi y répu-
gnait: on se contenta de punitions personnelles. l\I. Villemain,
atravers toutes les modificatious ministérielles , avait gardé une
humble position de maltre des rcquétcs au Couseild'Úat; 1\1. de
Peyronnct porta au lloi une ordonnance de dcstitution. ;'\l. La-
crctellc avait les fonctions de -censeur , 1'1. de Corbiere le rc'vo-
(Iua. ñlais l'acte le plus inouí fut cclui qui Irappait M. Michaud
dans son titre paisihle de lcctcur du Itoi. i\l. Michaud était un
vieux serviteur de la cause monarchique; dans les orages de la
Itévolution , il avait exposé sa vie pour les folles cntrepriscs
du comte d' Artois. En récompense , la Ilestauration lui avait
donné cctte place de lcctcur , a de minimes appoiutcments,
C'était une de ces places inamovibles par le fait; jamais le Iloi
ne touchait ~\ ses officiers. ~Iais Charles X était plcin de suscep-
tibilités royales; 11 s'uílcnsait ele toute résistance; il voulait étre
obéi sans conditions ; autour de lui il ne soullrait pas autre chose




CIIAPnHE XXIII. 25
qu'uue esp(u' de dOlllcsticÍl(\ JI IW prit garde ni aux senices,
ni au vicux dévoucment de M. Michaud : c'était un scrvitcur {fui
lui avait désobéi , ille Irappait, Ce fut une faute d'autant plus
grave que l\I. Michaud n'avait pas besoin de sa place. On fit dire
~\ M. Michaud que c'était avec la plus grande douleur que le Roi
avait pris cettc mesure; jc crois qu'il u'en fut rien. Yoyez ce
qu'avnit fait pour sa cause ~I. de Chñteaubriand ,etjamais ilne
pul lui pardonner cet esprit élevé , ces opinions du temps et du
siécle , cette supériorité d'inteIligence ! Ces rigueurs du pouvoir
jetércnt un graud éclat sur le nom des académiciens. Des sou-
scriptionss'ouvrircnt : ~I. Michaud róimprima le Printcnips d'un.
proscrii ~ et ce fut ptesque un ouvragc de circonstauce. l\I. ViI-
lemain fit annoncer une vil' de Grégoire VII. La popularité vint
cncore la oú le pouvoir avait frappé. Ainsi Charles X mettait
successivement contrc lui tout ce qui avait une force, un
appui dans la société ; il semblait prendre a plaisir de multi-
plier les difficultés; on s'applaudissait , en quelque sorte,
Iorsqu'on avait suscité quelqucs nouveaux ennemis.La royauté
avait d'abord mis contre die le systeme de JI. de Tallcyrand ,
puis celui de M. Dccazcs , puis les hommes modérés de
l'administration Ilichelicu ; enfin, elle arrivait aux Iloyalistes
purs qui avaicnt conservé quclque indépendance et des lumie-
res. La Congrégation ne voulait plus que les siens , cal' les
partís sont ainsi faits: ils s'épureut jusqu'a ce qu'ils restcnt
sculs, Charles X était surtout chef de partí; il en avait touics
les conditions; il mettait a honncur d'y consacrcr son pouvoir
de roí.


Tcllc était l'influence de l'opinion au dehors , que la Chambrc
des Députés se montra hésitante el craintive ; l'exposó des mo-
tifs de la loi de la presso fait par J\I. de Peyronnet avait excité
un scntiment péniblc. le ministre développait les causes qui
avaicnt amcué la nécessité de ecuo loi et le hut qu'on se pro-
posait d'atteindrc. « Les bonncs législations se font successive-
ment; le temps , qui chango les I1Hl'urS et les intéréts des socié-
tés, fait uaitrc aussi pour elles des besoins nouveaux et des


n. 3




26 IlISTOlHE DE LA HESTAt:HATlON.
inconvénients imprévus, Les lois doivent avoir leurs progreso
et leurs changements. La presse est parvcnue depuis quelque
temps au dernier terme de la licence la plus effrénée. Il n'y a
rien de si sacré, de si élevé , de si honorable qu'ellc n'ait entre-
pris de l'abaisser ou de le flétrir, l) lU. de Peyronnet justifiait les
mesures répressives qu'on proposait aux Chambres, La respon-
sabilité des imprimeurs était dans des bornes trop étroitcs et
trop peu réguliéres, La vie des citoyens avait été Iivrée ala merci
des pamphlétaires; les diffamateurs étaient presque sürs de l'im-
punité. On se plaignait surtout de ce que la publication püt
étre faite au moment méme du dépót , ce qui rendait cette for-
malité inutile. En frappant les pctits écrits d'un timbre, ils se
répandraient beaucoup plusdifficilcment dans lesatelicrs, dans les
maisons d'éducatíon et dans les caserues ; on s'en servirait moins
pour attaqucr les croyances et les mceurs, Par l'augmentation des
peines, 011 établissait une exacto proportion entre la perversité
de l'action et le chátimcnt. La presse ne devant s'occuper que
des intéréts généraux, et non des intéréts domestiques, on de-
vait prohiber toute publication de la vio privée qui n'intéresse
point le public ; on évitait par Hl les allusions, les rapproche-
ments qui cachent les injures. Enfin, par la rcsponsabilité civile
imposée aux imprimeurs, on óterait tout prétexte , toute excuse
a des hommes qui n'exercont pas leur profession avec assez de
prudence ; on offrirait a la société des garants certains el sol-
vables qui ne pourraient se dérober aux poursuitcs ni éviter de
satisfaire aux condamnctions. « Vcut-en que la liberté de la
presse He soitdésormais que la liberté des profanations, des dif-
famations et des impostures r » C'étaient des atraques Iranchcs ct
hautes centre la presse et l'intolligcnce dont elle est l'instru-
mento Elles obtinrcnt l'asscntiment du coté droit , religieux ; le
centre ne partagea pas ce grand resscntiment ; on dut s'en aper-
cevoir dans la formation de la couunission d'examen : la droite
et la congrégation obtinrent 1\1.'1. Dudon, le marquis de lUoustier
ct Sainte-ñlarie ; l'opposition M. Gauthier; le centre droit
M. Bonnet , le partí de modération el d'accommodernent




CHAPITRE XXIII. 27
MM. Miron de Lepiuay ct de Berbis. Le centre droit l'emporta
dans la commission , et 1'1. Bonnet, député de Paris, dut exa-
miner les détails d'un projet de loi qui intéressait si vivement
une des grandes industries de la capitalc, La commission approu-
vait le dépót de cinq jours pour les petits écrits , eomme capable
de prévenir le mal de ces petits volumes qui sont d'un débil
prompt et facile; mais quant aux écrits de víngt feuilles et au-
dessus , la commission n'adoptait pas le dépót de dix jours, Les
grandsouvrages u'étaicnt pas d'un danger imminent : n'avait-on
pas le temps de remédier au mal et de l'arre ter ? « A l'égard de
la peine imposéeala coutravcution de l'imprimeur, la commis-
sion n'en adoptait qu'une partic , celle qui prononcait l'amendc ;
quant a la suppression et destruction de l'ouvrage, peut-étre
innocent, par suite d'une contravention, cette violente répres-
sion ne pouvait avoirIieu qu'apres jugement; iI n'y aurait nuIle
équité a iníliger cette peine pour simple contravention a une
disposition réglcmentaire. ))


L'assujettissement au timhre était un véritable impót , et l'éta-
hlisscment d'un impüt ne pouvait trouvcr place dans une loi
destinée ala policc de la presse ; d'aillenrs , cette mesure était
prójudiciable a l'iudustric. el au conunerce; elle augmenterait
d'un frane le plus léger opuscule , et ajouterait un frane et dem
ala plus mincc brochurc. La commission remplacait la formalité
du timbre par une autorisation du Couvernement pour tous les
écrits au-dcssous de vingt fcuilles et les formats au-dessous de
l'in-18. Le nombre de cinq propriétaires responsables pour les
jouruaux paraissait trop grand ~l la eommission; plus iI y aurait
de responsables, moins iI y aurait de responsabilité. La faute
erran t sur cinq tetes, l'emharras des juges augmentait les ehances
de I'impunité. La commission avait également supprimé l'aug-
mentation du timbre sur les journaux : ce surcrolt de frais
n'aurait fait qu'un tort léger aux journaux les plus accrédités ,
et aurait ruiné ceux qui avaient le moins d'abonnés. Quant a
l'article qui accordait au ministere publie la poursuite des diffa-
mations commises envers les particulicrs , la commission pensait




28 HISTOInE DE tA RESTAURATION.
qu'on ne pouvait classer parmi les délits la publication d'actes
de la vie privée qui n'auraient rien de répréhensiblo , míe dis-
position facultativo qui laissait au ministcrc puhlic le soin d'ap-
précier les cas 011 la publication serait innocente ou nuisihle ,
était substituée a la disposition ahsolue du projet. Restait le
paragraphe relatif il la responsahilité des imprimcurs, La com-
mission proposait cet amcndement : « Suivant les circoustances,
le tribunal pourra déclarer l'imprimeur exernpt de toute respon-
sabilité. )) Par la timidité des exprcssions du rapporteur , on
sentait l'immense intluence de l'opinion du dehors sur le centre
droit, Il voulait se justifier aux yeux de la société de voter de
telles mesures. « S'il est une matierc , disait JI. Bonnet, oú la
diversité des opinions puissc aisémcnt se concevoir , c'est bien
celle qui vous est soumise ; il n'en est point , peut-étre , oü il
soit si difficile de faire une loi parfaitc. Vous le déciderez ; et
puissc ce travail , en méuageant les droits de tous , pourvoir a
la sécurité et aux besoins de la société! »-« Il faut bien, disait
M. Agier, que la Iégislatiou de la prcssc soit améliorée , mais
pour cela faut-il détruire la liherté de la prcsse cllc-mémc ? Les
lois actucllcs sont-cllcs insullisantcs pOllr ses délits ? :N'anms-
nous pas pour réponse les condamuatious des tribunaux ? La pri-
mitive inteution du cabinet u'était pas rl'attaqucr IaIilierté de la
presse : cette idée n'cst veuue qu'apres ; il a essayé la corrup-
tion , ce )oyal ministere , la corruptiou légale; cst-ce sa faute
si elle n'a pns réussi partout ? » - « En vérité , s'écriaít M. Bacot
de Romans, jamáis pareille humiliation n'avait été réservée a
la France; quel projet , grand Dieu ! Tissu informe de disposi-
tions contraires ala 10i politique ct a la 10i civile, antlpathiqnc
a nos habitudes nouvelles ct a nos goüts de tOIlS les temps ,
hostile a la civilisation , mortcl pour la littératurc et les Iíbcrtés ,
uniquement inspiré par les susceptibilités ministórielles. Ilen-
voyons un projet qui boulcvcrse les esprits, trouble les intéréts et
aliene toutes les affections. ))-« NousS0ll1111eS en grands progres,
ajoutait M. Bourdcau ; on tue pour apprcndre ¿l vino; bientñ;
il nous en coütcra 500 íraucs ponr bien 011 mal parler des




· CIlAPITRE XXIII. 29
jésuites , de la congrégaLion ct des couvents. L'impudcnce et la
lñchcté ont été poussées aee poiut de présenter eomme gage de
justice et d'amour un projet dans JequeJ l'arlJitr<1ire, Ja rétro-
activité , la mise hors la loi , la fiscalité , se disputent le piJlage
du plus précicnx de nos droits puhlics, Quel ministerc , grand
Dieu! qucllc JUSI ice el qucl tunour l Pour arriver a votre hut ,
je puis vous douner un moyen bien simple: l'imprimerie étant
l'instrument nécessairc de la liberté de la prcsse , je porterais a
votre place la cognée au picd de l'arhrc. Sachant bien que dans
l'état actuel de l'imprimerie " aucun imprimeur ne peut par-
courir les livres qu'il imprime, aucun ne peut, tout éclairé
qu'il soit, réunir les connaissances requises pour les juger , je
voudrais cIue tout imprimeur Iüt responsable de ehaque ligne
qu'il imprime; je voudrais leur faire subir autant de preces
qu'ils font de volumes, J'irais plus Ioin, Yoila la recette pour
détruire la liberté de la presse; eomparez-Ia avee le fléau que
vous apporte le ministere. »-« Il s'agit, répondait M. ele Sala-
herry , de briser le joug d'une puissance nouvelle ou de le subir.
Son nom génériquc est la liberté; mais son nom propre est la
Iiccnce de la presse ; son nom de guerre cst le journalisme.
C'est contre les écrivains ennciuis publics que la loi vous est
demandée ; c'cst eontre les cnnemis de notre Dieu et de notre
Iloi ; c'est centre la révolution et les révolutionnaircs, réveillés
par la Iiccnce de cctte prcsse el par l'impuissance de la législa-
tion. »- ( Des lois, répliquait ~l. de La Bourdonnaye, ne remédie-
ront pas au mal qn'on attribue aux journaux : ee n'cst pas dans
l'oppositionqu'il existe; c'est dans les actcs qui l'ont fait naitre.
La société s'indigne et se souleve eontre un ordre de ehoses
qui compromct tout ee qu' elle a de plus eher, l'indépendance
nationalo et la monarchie légitimc. »-« Dans la pensée intime de
la loi, disait ~I. Iloyer-Collard avcc sa solennelle parole, il Ya
eu de I'imprévoyancc , au grand jour de la Création , a laisser
l'honune s'échapper libre et intclligcnt au milieu de l'univers.
I'no plus haute sagcssc vient réparer la faute de la Providence , ..-
rcstrcindre sa libéralité imprudente, et rendre a l'humanité le .:/




M) Rll"iIOlRE. DE. LA. Rf.5TA.11R.A.TlON.
service de l'élever enfin a l'heureuse innoccnce des hrutes. l ..a
loi que je combats annonce la présence d'une Iaction dans le
Gouvernement, aussi certainement que si elle se proclamait
elle-memo et marchait devant vous enseignes déployées. Je ne
lui demanderai pas qui elle est, d'oú elle vient, oú elle va: elle
mentirait; je la juge par ses muvrcs. Voj.lil qu'cllc vous propose
la destruction de la liberté de la prcsse ; l'année demiére , elle
avait exhumé du moyen áge le droit d'ainesse , l'année précé-
dente, le sacrilége. L'entreprise est laborieuse, A l'avenir il ne
s'imprimera pas une ligne en France: je le veux, Une frontiere
d'airain nous préservera de la contagion étrangére : a la bonne
heure. Maís il y a longtemps que des bibliotheques les livres
ont passé dans les esprits , c'est de la qu'il vous faut les chasser.
Avez-vous pour cela un projet de loi? Des amendements a une
pareílle loi, il ne peut y en avoir aucun : il n'est poíut d'ac-
commodement avee le príncipe qui l'a dictée, Je la rejette
purement et simplement, par respect pour I'humanité qu'elle dé-
grade et pourla justice qu'eIle outrage. » - « Tendres ministres!
ajoutait lU. Labbey de Pompiéres ; un amour d'un genre nou-
veau s'est emparé d'eux; leur passion pour la liberté de la presse
s'est élevée au point de vouloir l' étouffer par leurs caresses. en
pareíl projet ne doit pas étre seulement rejeté, l'aecusation des
ministres doit suivre. Oui, je les aceuse d'avoir , chaqne année de
leur ministere , déchiré un feuiIlet de la Charte, »)-«( La Charte!
répondait lU. de Villele, eh! qui la viole, si ee n'cst vous, qui
venez faire un crime au Gouvernement de I'initiative des lois
que la Charte a réservée au Roi? Et l'existence des jésuitcs ,
nous dites-vous , n'est-ce pas une violation de la loi? lUais les
jésuites existent ni plus ni moins qu'ils oxistaient quand \OUS
étiez a la tete de l'instruetion publique, dirai-je aI'UIl des
adversaires de la loi, et quand vous étiez procureur-général ,
dirai-je a l'autre. Oui, en cffet , un tyran pese sur la Franrc, il
insulte et opprime chaqué jour , il mcnace de tout asservirpour
tout dissoudre ; ce tyran, c'est la ]ÍCCIlCC de la presso. C'est elle
qui mine ]('8 crovancos religlouses , qui d(~sa(rertionll<' 11's JWIl-




CHAPITRE XXIII. 31.
pies, qui déconsidére les Chambrcs; c'est aelle qu'il faut attri-
buer ces Iantómes de congrégations de jésuites , avec lesquels
on aigrit les esprits. » -- « Mais les lois oppressives, répliquait
1\1. Gauthier, ne sont-cllespas une tyrannie permanente et du-
rable ? et quand l'injustice est sccllée dans les lois, ne craignez-
vouspas que dans les effortsque le peuple fait pour l' en arracher,
l'édificc entier s'écroule? Qu'est-ce qui produit la commotion
universeIIe dont vous étcs les rémoins ?»-« Le présidentdu Con-
seil, s'écriait 1\1. de La Bourdonnaye, a avoué dans la discussion
des bureaux que le résultat de son projet de loi serait de réduire
les journaux a deux ou trois au plus; apres un tel aveu, croirez-
vous a la commotion qui nous menace? « Les débats prenaieut
ainsi un caractére de personnalité; d'une part OIl accusait la
presse , la pensée , la civilisation; de l'autre le pouvoir , le minis-
tere et les jésuitcs, Successivemcnt la Chamhre adopta lesamen-
dements de la commission, dont quclques-uns subirent de légéres
modiñcations, Enfm l'ensemblc du projet de loi fut ensuite voté
au scrutin par deux cent trente-deux boules blanches centre
cent trente-quatre boules noires.


C'est ainsi morcclée, ct n'étant plus qu'une ombre d'eIle-
méme , que la loi parvint a la Chamhre des Pairs, Aucun des
symptñmcs de la discussion des Députés n'avaít échappé a la
haute Chambre; elle avait vu qu'une grande partie du centre
droit, 1'1. de ñlartiguac lui-méme, n'avaient que faiblement sou-
tcnu le projet ministériel, et encoré sur un incident sans impor-
tance. Une minorité de 134 voix était eíírayante pour le sort du
projet, et servait d'appui al'opposition de la Pairie. Les réclama-
tions , les pétitions surgissaicnt de toutes parts; une redoutable
opposition attendait ce projet dans la noble Chamhre. J'ai dit
avec qucllc circonspcctlon la majorité avait procédé, On avait
admis la loi sur les postes dans le hut unique de se réserver une
largo et forte opposition sur la pensée principale. La com-
mission fut composée de maniere a reudre impossible l'adoption
du projet, tel mémoqu'il avait été amendé par les Députés, JU. de
Broglie , de ]'OPPOSil ion sySI ématique , passa parrni les commis-




32 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
saires. On comptait du systemc Ilichelicu l\DI. Portalis et Por-
tal, l\I. de Bastard , de la fractiou Dccazes ; les dcux sculs pairs
qui appartcnaient au systemo ministéricl étaient "nI. les ducs de
Brissac et de Lévis, et encere avec des idées modérées et des lu-
mieres. A peine forméc , la commission se constitua en comité
d'cnquéte ; c'était une idée auglaise de :\1. de Broglie ; ct , ainsi
réuníe, elle admit toutes les eorporations intércssées , les journa-
listes, les im~rimeurs, a. formuler des o\)scrva.üons sur c,ha.c,un
des intéréts qu'ils rcprésentaient, et que le projet de loi pouvait
blcsser. Des que la eommission prenait cette attitude , on de-
vait prévoir d'avance quel serait le sort réservé h la mesure pro-
posée par le Gouveruement. Le projct ministéricl ne pouvaít étre
adopté que par surprise, dans un de ces mouvcmcnts de Cham-
hre et de majorité qui eulévent une disposition législative. Dios
l'instant qu'on réíléchissait , qu'on délihérait , c'en était fait de
cette (Cune d'iniquité ténébreuse. La démolition avait coru-
meneé a la Chambre des Députés , elle s'achevaít aux Pairs. J'ai
eu sous les yeux les travaux de la commission , et je dois cette
j usticc ¡l ,,1. le d ue de Broglie , que, se séparant des opinions
exagérées dont il s'était Iait trop souvcnt I'cxprcssion ardcntc
dans la Chambre des Pairs , il avait apporté dans l'examen du
projet une profusion de lumicrcs ct de documeuts remarquables,
JU. de Broglie était une tete d'érudition ct de travail ; iI Yavait
de la eonfusion, de la théorie, du désordro dans cet esprit, mais
de la science et de la probité politiqueo Toutes les législations de
l'Europe avaicnt été aualysées el comparées , et il ne faut pas
croire qu'il en fút sorli un projet de liccnce ct d'impunité. La
commission n'avait pas admis la pensée du Couvcrucmcnt , mais
elle avait corrigé les "ices de la législation existanto; si bien
que, s'il avait été admis, je ne crois pas qu'il eút réuni les suf-
frages de la pressc. M. de Broglie avait fait un projet trés-réprcs-
sif; on uc luí en donna pas le temps, ~L Portalis préparait son
rapport , lorsque le Consril des ministres posa la questios de sa-
voir si l'on suhirait la discussion , ou si le projct scrait retiré. te
Cabinet avait été tenu au courant des séauccs de la conunission.




CIIAPITRE XXITl. 33
11 savait ¿l 'quoi elles s'étaicnt arrétócs : il n'ignorait pas que le
projet primitif n'existait plus, qu'il avait subí des modifieations
telles que la conceptíon du miuistere ne serait plus reeonnais-
sable, et ne répoudrait que faiblcment aux intentions qu'on
s'était proposécs, Que scrait d'aillcurs devenu un projet en faee
de I'opinion, apres avoir été refait deux fois? quelle influence
morale pourrait-il avoir cncore ? Le Conseil des lUinistres vit
bien que le meillcur moyen était de retirer le projet de loi pour
le reproduire l'année suivante devant une majorité de pairie
modifiée, lU. de Peyronnet exposa « qu'il était impossible au
Gouvernement de lutter devant la Chambre des Pairs avec les
ameudcments de la commission , et que ees amendements sor-
taient tout ü fait de la pensée primitivo du projet. » Charles X et
le Dauphin partagerent eette opinion; on se décida a retircr
toute la loi, e'était une question retardée, mais non point aban-
donnée. Apresla session on mettrait la censure; on n'avait qu'un
intervalle a traverser : e'était une tentative manquée contre la
presse. Tous les Gouverncmcnts en sont la; ilsattaquent l'arme
qui les hlesse, et presque tous périsscnt, Au licu de diriger l'in-
teI1igenc.c, ils la hcurtcnt; ct parce qu'ils sont incapables de
comprendrc et de domincr la penséo publique, ils l'attaquent
sans ménagemcnts : la tache est rude , et tous y sueeombent. La
presse est un si rude advcrsaire qu'il n'y a qu'un moyen contre
elle, c'est d'avoir la franchise et la force de la supprimer; Na-
poléon l'avait seul osé.


Jamais imprcssion plus grande que eeIle que produisit le re-
trait du projet de loi sur la presse. París illuminé, des feux, des
pétards dans les rues , partout d'éclatantes manifestations, des
joies populaires, avec un petit air de 1789, et tout eela eontre la
marche qu'un pouvoir insensé imprimait a eette restauration.
Quelques désordres marquerent ees témoignages de la grati-
tude publique envers la Chambre des Pairs. On aurait dit
que le pays avait besoin de s'épancher, amesure que le pouvoir
prenait aplaisir de hlcsscr les sympathies nationales. Il en est
des scntimcnts d'un peuple comrue de eorps physiques que l'on




34 HlSTOIRE DE LA RESTAURATW;\,•
. comprime: l'explosion est d'autant plus énergique que la pres-
sion est plus forte. 11 y avait eu naguére des funérailles. Le duc
de La Rochefoucauld-Liancourt, le La Fayette de la pairie,
compromis avec la Restauration, venait d'expirer. Une foule
considérable s'était rendue a ses obséques, Je veux croire qu'il
y eut de l'affectation polítíque dans ces mauifestations fúnebres.
Des jeunes gens de l'École des arts et métiers de Chálons , dont
le noble duc était le protecteur, voulurent rendre un dernier
hommage a la mémoire de l'homme de bien Ils tinrent abras le
eercueil depuis l'hótel jusqu'a l'église. Le service fúnebre ter-
miné, ils se disposaient a le reprendre pour le porter jusqu'a la
barriere, d'oü il devait étre conduit aLiancourt, lorsque arriva
un commissaire de poliee qui ordonna de replacer le cercueil
sur le chal'. Les jeunes gens persistent daus leur projet , et ré-
sistent ala force armée. Le plus scandaleux désordre résulta de
eette déplorable lutte. Au milieu de ce cortége lugubre qui ac-
eompagnait paisiblement d'honorables dépouilles, une rixe s'en-
gagea , des cris d'indignation se firent entendre, et le cercueil ,
arraché des mains des jeunes gens, tomba a demi hrisé sur le
pavé ! Les insignes de la pairie Iurent trainées dans la boue! La
Chambre des Pairs évoqua cette triste affaire, et ~I. de Sémon-
ville fut ehargé d'en recueillir les faits et d'en présenter le rap-
port. (( C'est dans la malheureuse lutte, disait le timide référen-
daire , engagée entre les soldats el les jeunes gens pour rester
ou pour se rendre maitres du cereueil, qu'un bruit affreux se
fait entendre. Mille eris s'unissent pour proclamer une profana-
tion impie; l'horreur s'empare de tous les esprits, l'indignation
et la stupeur enchalnent la violence. Les soldats eonsternés dépo-
sent sur le chal' un cercueil brisé, des insignes souillées, mais
qui, par un détestable contraste, rehaussaient encoré, s'il est
possible, les illustrations d'un grand citoyen. Une instruction est
ordonnée. Nous devons penser qu'clle a pour but unique de
découvrir si des manreuvres pedirles n'ont point melé quelque
chose de eoupable ades actes dont l'innocente origine el la sainte
manifestation commandaient le respect de tous les hommes de




ClIAPlTRE X-Xl1l. 35
bien. » 1\1. le duc de Doudeauville, ministre de la maison du
Iloi , ajouta quelques éclaircissements non moius douloureux
aux tristes détails qui avaient accompagné les funérailles du chef
de sa race, « Si j'eusse été présent a cette scéne afiligeante,
j'aurais pris sur moi de laisscr transporter le eorps par cesjeunes
gensqui y mettaient un si grand prix. Ce déplorable événement
HOUS aíllige, Le Roia pris une vive part a la douleur qu'il cause
ala noble famille du défunt. » Charles X n'aimait pas 1\1. de
Liancourt; c'était un de ces nobles relaps qui avaient profondé-
ment blessé la Maison de Bourbon. « Mais pourquoi, s'écriait
1\1. Pasquier, étre obligé journellement de blámer la conduite de
l'administration publique? Vous frémissez au récit de ces affli-
geants détails ; eh bien! demandez aI'autorité ce qu'elle faisait
aIors; a-t-ellc proLégé le respect dü a la cendre des morts? I...a
pairie n'est-elle pas outragée? Je crois que, dans cette circon-
stance, l'intervention de la Chambre est nécessaire; oú allons-
nous, si le pouvoir ne protege pas les intéréts les plus sacrés? ,)
- « Si I'on s'était borné , répondait M. de Corbiere , aexprimer
des seutimeutspénibles, j'cusse témoigné par le silence mon res-
pect pour votre doulcur; mais encore des plaintes contrc l'admi-
nistration! La conduite des agents de l'autorité, celle du préfet
de políce , a été conforme aux regles, et I'administration a fait
ce qu'il était dans son devoir de faire. » Et pourquoi cette fata-
lité qui s'attachait aux persécutious contre un nom populaire?
Pourquoi ces cruellcs paroles de 1\1. de Corhiére , approuvant de
toutes ses forces l'administration? Oú voulait-on aIler? Au mi-
lieu de ces mesures de désallcction et d'aveuglement, que deve-
nait la royauté? Oú étaient les joies de l'avénement ? Qu'avait-
on Iait de ces acclamations qui naguere saluaient le gracieux
monarque? Charles X s'apercevait que sa popularité était dispa-
rue; iI ne la dédaígnait pas, il aimait mieux peut-étrc que
LouisXVIII ces acclauiations de la multitude ; iI conservait cela
des ancicns rois de la race des Bourbons, Quand il revenait au
cháteau de ses promeuadcs publiques, il se montrait inquiet,
chagrin , malhcurcux de ce silencc qui régnait autour de lui,




36 IIISTolHE DE L\ nEST1\l1BATIO,\:.
vaiucmcut il rccherchait les applaudisserucnts dl~ scx sourircs
de Hui, vainemeut il appelait I'attcntion de la multitude , OH nc
lui répondait paso te peuple n'était plus pour lui. On lc voyait
jetant son chapean avec violence lorsqu'il rentrait dans Sl'S ap-
partcments , se plaindre , non pas des fautes de son ministerc ,
qui dévoraient les acclamations populaircs , maís de la presse ,
qu'il accusait de provoquer eette indifférence. Cepeudant , sur
les insinuations du maréchal Oudinot, Charles X voulut, comme
anniversaire du 12 avril, jour de son entrée aParís en 181l1, pas-
ser une grande revue de la garde nationale, affaire sérieuse, cal'
quelle serait l'attitude de cette population armée ? N'était-il pas
¿. craindre que des manifestations publiques d'opiuion se fissent
cntendre bruyantes et vives? C'était une véritable inquiétudc
pour la police ministérielle : on posa la qucstion de savoir si la
revue aurait lieu au Carrouscl, afin de réprimer toutes manifcs-
tations hostiles. Le Conseil décida qu'on ne pouvait ríen chauger
au programme, et que la revuc aurait lieu, selon l'usagc , au
Champ-de-álars. Tout ce qui avait un peu de portée et de mo-
dération dans l'esprit était opposé ~l une mauífcstation de senti-
ments et d'opinions sous les armes; mais conunent arréter les
émotions politiques de cette grande population ?


C'était par un brillant et nouveau soleil d'avril; la garde natio-
nale ne s'était jamais montrée si nombreuse et si bien équipée. Le
Roi, son état-major et sa famille parcouraicnt les rangs; la majorité
des légions faisait entendre les cris unanimcsde rice Le BOl.' Mais
lorsque le Prince arriva devant la 10" légion , un bataillon joignit
aces expressions d'enthousiasme ces autres cris eoupables sous
les armes: A has Les ministres l ú has les [ésuit.es I Ils Iurcnt
répétés dans plusieurs légions, Vaincment les officicrs cssayaicut
d'imposer silence aleurs camarades ; les cris réprobatcurs se re-
nouvclerent avee plus de force. En passant dans les rangs d'une
compagnie qui se faisait rcmarqucr par des cIameurs ohstinées ,
Charles X dit avec dignit« Ü un garde national qui était sorti des
rangs pour faire cntcndrc ce Y<l'U d'insuhordiuation : A has (es
ministres! « Je suis venu ici pour rcccvoir des hommagcs el non




CIlAl'I'fHE X\ 1I i.


([('S J('~OJlS. » Los cris ne se calmcrcut pnint , ils rcdoublcrcut
m0111C al! départ du Iloi, el le Champ-rlc-vlars devint une cspccc
de colme. Les légions qui défilcrcut devant l'hütcl des financcs
Iirent éclater la mémc réprohation coutre ~L de Villelc, et pour-
tant la gardo uationalc ('(lit cncore réunie militairement, Les
voiturcs des princesscs Iurcut égalcment poursuivics par des cla-
mcurs insultantes. Charles X, en rcntrant au Chatean, avaít
manifesté quelqne hnmeur : « Toujours Villelo , toujours contre
villelc ! )) s'était-il écrié. Lorsqnc le maréchal Oudinot , com-
mandant la garde natiouale , vint prcndre ses ordres , il lui dit :
« ~lon chcr maréchal , il Y a eu quelques brouillons , mais la
masse est honnc. Ditcs ~l la gardc natiunale (llIe j'ai été content
de sa tenue, et port cz-moi l' ordrc ce soir. )) i\prcs le départ du
maréchal , les priucesses arrivcrcnt tout ómues dans les apparte-
ments du Iíoi, el Iui rapporteront les cris dout km voiture avait
été assaillic. La duchessc (1' Angoulémc , surtout , déclara que
cela ne pouvait se passer ainsi, a moins qu'on ne voulüt que le
Iloi fút insulté jllsqlle dans son palais, Puis arrivércnt les rap-
ports de pollee sur les S('('I1('S <1(' la rile d(~ Hivoli.Lcs mcmhrcs
du Cahifld dillai{,lll rous ('(' .i(HII'-EI chcz l'ambassadcur d'Auui-
chc : ji Icur vcnait <le momcnt ü aurrc des rapporls contradic-
toircs plus OH moius satisfaisants. Hans la soirée , JI. de Blacas
prévint le ministerc que les SC("Il('::i avaicnt (olé plus graves qu'ou
nc l'avait cm d'abord, ,1. de Yi!ll\]e <lit ;1 ses C()l!l'gUC~;: « Ceci
mérito que uous JlOlIS róunissious en cnnscil. )) En cífct, on se
rassombla au minist('ore cIt' ]' ¡il téricur : nt ahoutiren t les rapports
de ~I. Delavcau sur les d('semln's de la rue de Ilivoli. Alors
.i\HI. de VilJ('le et de Corhierc prop():,erenL le liccncicmcnt de la
gank u;¡íiollale. ~L de Chahrol parla le prcmicr, déclnraut la me-
sure funesto. « Jccol!<,'oi:;, dit-il, qu'ou fr,1pJw Ir' barailloncoupablc;
mais la rrarde na: l'!)l}'¡'" "'] l¡l'¡'S¡" 1,'1 s; "()'1.' ''lr;'' une (""1"'11" une• 1.~) .G' (l, (1, \.,1 _.~l,) . • ,j, ... ,i. i . )(l~'--.(J t.'._ ,1l l,. l '-', i1...il
[ :111' I' I ' {' ('11('¡ <':(""¡I" ')I'j' ,,,,jo,,' (,(),,(,¡'¡ :;:1 ('1'1") ) '\1:,'J"I'''''':'11';''-' '1')""""


... tl',1- "_1(\( "'I;"'oí .í.(~~L. _r2.í (:~.'¡t"'!')(ll)UL<l


;\1. de Chahrol, ct JI. de' DOW[I'il,n ¡¡:{~ p:lrla plus ¡J('t!CUWll[ encere.
Le soir, le Conscil se l'{'llIli[ ('hez 1(' Hui pour prendre un parli ,
el ,1. de Corbiere appurla lIlle órdullllance de licenciemcllt.


IV. 4




38 HISTOIRE DE LA RESTAURATION •
.J'aí besoin de dire que depuis la campagne d'Espagne la 1)('11-


sée du parti royaliste avait été surtout de s'appuyer sur le soldar,
On croyait que la gardc nationale était passée a la révolution ;
les cítoyens armés déplaisaient. Les Royalistes s'étaient aussi ima-
giné que la dissolution de la garde nationalc carcsserait les trou-
pes. Les corps de la garde royale voyaient avec déplaisir ces
épaulettes prodiguées ade simples hourgeois , el cette multitudc
d'officiers suhitement élevés 11 leurs grades. On attaqua la questiou
au Conseil par la nécessité d'un exemplc, Je répete qu'apres son
diner Charles X, quoique sobre et régulier , avait des velléités
de force et d'énergie. 11 y cut pourtant toujours 3 voix contre 5
dans le Conseil contre la mesure : MM. de Yillelc, de Damas, de
Corbiére , de Peyronnet, de Clermout-Tonncrrc , furent pour
la dissolution; 1\1. de Doudeauville centre la dissolution d'une
maniere absolue ; lUl\!. de Chabrol et Frayssinous votércnt pour
une expression de mécontentement, sans aller a une mesure de
sévérité aussi impolitique. Le Roi cut désiré que son Conseil fút
unanime; il était meme ébranlé par les motifsde la minorité, par
ceux surtout dc ñl. de Chabrol qui avait parlé a\ ce chalcur contre
la dissolution. Mais apres le Conseil, llD1. de Vill¿,le el de Cor-
hiere revinrent ¡\ la charge , el déclarérent au Iloi que si le liceu-
ciement de la garde nationale n'avait pas lieu, ils donnaient leur
démission. Charles X fut e[rayé de cettc menare el signa l'ordou-
nance. Lorsque le Roi cut arrütó le liccncicmcnt , ,,1. le duc de
Doudeauvillc , Mj¡l hlessé par les sceues dont le ccrcuoil du (!tIC
de Liancourt avait été l'objet , oílrit sa démission , déclarant qu'il
ne pouvait plus Iairc partie du Conseil. Il rappela ses ancicns
rapports avec la gardc natiouale , el le commandement qlJ(' son
fils y avait depuis longtemps obtenu. Charles X conserva rancune
de cette détcrmiuation : on lui prela ces paroles : « Plus les cir-
constances sont graves, moins Doudeaui illc dcvait s'éloigner de
mon conseil. » le liccncicmcnt de la garde nationalc étant arra.:"
on prit des précautious pOlll' CjI1'iI s'ellcctuát sans amcner une
erise. Des ordres furent cxpédiés ;l ~1. le Iicutcnant-géuóral
Coutard ; il dUL Iairc rclevcr tous les postes, ct mettre sous les




CHANTRE XXITT. 39
armes la garnison de Paris, A l'état-major de la garde nationale,
le maréchal Oudinot avait rédigé un ordre du jour dans le sens
des premieres paroles du Roi; mais quand le maréchal le porta,
Charles X lui dit avcc vivacité : « Laisscz-moi cct ordre , je veux
le revoir ; j'ai changé d'avis, » A une heure du matin , le ma-
réchal rccut ampliatiou de l'ordonnance de dissolution , afin
qu'il cut ~l prevenir I'état-major de la garde, Jugez de son éton-
nement et de sa douleur ! Les postes furent relevés sans écIat,
mais l'impression ~l Parisfut tres-profondc. Bcaucoup de bourgeois
étaient sans doute fatigues de monter la garde et tous en sont a
peu pres la; mais des l'instant qu'ou cassait le corps dont ils
Iaisaient partie , on créait pour eux une question d'honneur de
ce qui n'était jusque-la qu'un devoir pénihle, Quaut au Cháteau,
il fut un moment cllrayé de la possibilité d'uu mouvement sédi-
tieux, Lorsqu'il vit le londemuin que tout était paisihle , il se
montra radieuxde cct heureux essai de force. Un pair de France,
intime du duc de Biviere , el qui le visita quelques jours aprés
l'événement, rccueillit ces paroles du gouverneur de M. le duc
de Bordeaux : « 1~1J hicn ! In vois que París est tranquille, Le Roi
peut beaucoup. la Franco est Iasse des brouillous ct des révo-
lutionuaircs.» Lepair de Frauce luí répoudit : « París n'a pas
hougé , paree que le Iloi était dans son droit ; il a pu dissoudre
la garde nationale; mais qu'il ait un jour bcsoínde sa bonne ville
de Paris , et puis tu vcrras le hcau coup que mus avez fait, » La
conversation ainsi se continua: « Comment expliques-tu la
retraite de Doudeauvillc ? Abandonuer le Iloi dans un moment
de crisel »-« Doudeauville a bien faiL; il ne peut pass'associer a
un syst<"me qui perd le Iloi et la France. Au reste, voila uno
bonne occasion pour appelcr Jules de Polignac a la maison du
Rol. »-« J'y ai déjü songé , répondit M. de Biviére ; j'en ai parlé
au Roi, d'autant plus qu'il ne s'agit pas d'une positiou politiqueo
J'en ai meme écrit ~l Yillele , et voici la réponse qu'il m'a faite:
« Mon cher duc , vous savez comhicu je mettrai de prix a rap-
« peler uotre ami .J ules; mais le Iloi ne vcut plus de ministre do
« sa maison ; il dit qur La Bouillerie lui snffira.)) Tu vois,




úO BISTüInE DE LA RESTAURATION.
ajouta 1\1. de Iliviere , que le fin rcnard nc vcut pas (le Julcs
aupres du Iloi.: En eITet, ]U. de La Bouillerie , uonnné en rC111-
placemcnt de 1\1. de Doudeauvillc , eut sculcmcnt le titre d'iu-
tendant-général de la maison du BoL


Je considere la dissolution de la ganlc nationalc de Paris
comme l'acte qui alla le plus dircctcmcut ;1 la déJlJOIítion de la
légitimité; cette garde avait rcndu tant de scrviccs ! (,Ile a, ait
fait l' éclat de la Itestauration. JI y cut le doigt de Dieu marqué
dans ces tcmps l N'ost-il pas vrai de dire que si, dans les jour-
néos de Juillet, la garde natiouale oüt cxisté , elle eút ét(~ un
príncipe de conciliation entre la royauté et le peuple ? Je ne vicns
point justifier la conduitc de la gardo nationak- ü cetlc revue du
Champ-dc-vlars : lesh~g¡ons qu i pdrcn I part au tnmulu· pouvaicn t
subir une punition de discipliuo; il n'y a pas de socióté quand
la force armée pcut cxprimor une opinion ; mais Iaire UIl COllp
d']~:tat, c'était trop fort. On cüt dit que l~ royauté s'essavait ¿l
d'autres desseins l Quand les pouvoirs ser~enl qu'ils sont tout ü
fait impopulaircs , ils Irappcut ¿l 101'1 el a travcrs pour montrer
qu'ils existcnt ; et comnu: ils sont ohlig(~s (le ioujours frappcr ,
hientót il ne se trouve plus ríen autour ({'('u\: IHlur l('s soutcnir ,
el ils tombent accahlés des ruines qu'ils ont Iaitrs,


Cctte situation ¿l l' intérieur , si agité , ne laissai t pas d'impri-
mer quclquc íaiblcssc aux nl'gocialiolls. Dans les aílairos oxtó-
rieures , les grandes questiuns diplomar iques lendai('nl ¿\ une fin,
1\1. Canning avait Vil 1\1. de Villcl«. el saus t'(re précis(~lllellt d'ac-
cord sur tous les points , 'ils s'étaient «ntcndus sur dcux des
questious principales, le Portugal et l'Espagne. J'ai dit que le
duc de "'ellington s'ótait reudu ~l Saint-Pétersbourg. 1l. Can-
ning, quoiqne rapproché des wighs , était avant iout Auglais el
homme cl'l::lat. Il savait bien que pour cxercor une haute in-
Ilcnce auprcs du nouvcau monarqnc russe , il n'v avait pas de
choix plus hahilc (P((~ cclui dn dile (le Wollington , exprcssiou
de l' alliancc, Il yace granel espri t 1mhlir ('11 ;\ nglctcrro, que les
hommcs politiqucs en <1 is~idnlce sur des qncstions inrórienrcs ,
ne le S:Hl! jamais lorsqu'il s'agil (k~ inll'rt'ts el des droils (111 pay:-;




CHAPITRE XXTlJ. 41
aI'('xl érieur. Le duc de"ollington, profondément Anglais, sentit
flu'iI Iallaitévi1el' I'iutervcntion exclusive de la nussiedansla qucs-
tion grecque; l' Angleterre dcvait prendre la haute main, et il s'en
saisit, On a toujours mal jugó le duc de "ellington: c'est un
esprit droit, cxact , a\ ce une habilcté instinctive , ct qui par-
tour apporte l'autorité d'immenscs services et d'un grand nom,
Apeine arrivé ¿l Saint-Pétcrsbourg , le duc de 'Yellington exposa
l'intérét d'uue intervcntion commune ; la Grcce avait invoqué la
protectíon de la Grande-Bretagne ; les choses étaient arrjvées ¿l
ce point qu'ilfallait en finir avec cettc situation provisoire. En allant
¿l son amhassadc de Constantinoplc , sir StrafTord Canning avait
visité les chcfs principaux de la Greco ü Hydra ; il avait obtenu
d'eux cet acle hahile qui placait la Crece sous un protectorat.
L'Angleterre avait done pris la dircction du mouvemeut grec, et
le duc de Wellington se trouvait dans une excellente position ¿l
Saint-Pétershourg. Toutc la nation russe appelait l'émancipa-
iion de la Creco ; l'Angleterre le savait, et son but était de ne
pas la Iaisser agir scnlc , afin de ne point rcster étrangere ü un
événemeut aussi gran'. C\'st dans cet ohjet fIue fut conclue la
convcution du h avril , qni n~glait les couditions auxquellcs
I'éiuaucipation grccquc serait 1'(:'50Iue, et ces conditions étaient
¿I peu pres les mémes que (elles qu'avait stipulécs l'assemhléc
el' llydra : la Crece devait etre une dépendance de l'Ernpire Orto-
man; elle paierait ¿l la Porte un trihut annuel dont le moutant
scrait fixé une fois pour toutt-s d'un commuu accordv Lcs Groes
seraient gouvcrnés par des autorités qu'ils nommcraicnt cnx-
mrmcs , mais sur la désignation dcsquclles la Porte aurait une
certaine inl1nence; la plcinc libertó du connucrcc leur scrait
assn/'l'C ainsi q ue la directiou cxclusive de leurs affaires iutérieu-
res. ,\ ti u d' dI't'CILJ(11' 1lI)(' séparation COIl1 pll'le , les Grccs seraien t
tcnus d'achcter les hiens appartr-nant aux Turcs , soit sur le con-
tincnt de la Crócc , soit dans les ilcs, Le roi d'Auglctcrre et l'em-
pCl'eur de Il ussie s'(1Ilgag('ai('JlI it prof 1el' de toutcs les occasions
favorables ponr cmployor leur inflncnce aupri-s des deux parties,
daus la vue d'eflcctuer lcur réconciliation. L'aflaire s'était traí- /'




42 HISTOIRE DE LA RESTAURATTON.
tée exclusivement entre le duc de '"ellington et le czar Nicolas,


Charles X pourtant était th~s-dessiné pour la cause des
Grecs : roi tres-chrétien , il mettait un grand intérét a allran-
chír une population qui adorait la Croix, Une correspondancc
personnelle se poursuivait entre lui ct lU. de Polignac; le Iíoi
engageait son amhassadeur a Londres Ü olfrir la participatiou et
l'appui de la France en toutes les aílaircs des Jlellcnes, Tout
s'était organisé en Crece en conséquence de la double protec-
tion des cahinets de Saint-Pétersbourg et de Londres; le comte
Capo-d'Istria avait été nommé président ; lord Cochrane grand-
amiral, et Church généralissime des armées de torre. I.Ja Grece
était en sorte constituée. Par suitc des résolutions prises Ü P(~­
tersbourg, les négociations s'cntamerent ü Constantinoplc;
l\l. Stralford Canning remit au Diván une note t'xplicite ¿, ce SII-
jet, qui fut appuyée avec énergie par lU. de Riheaupicrrc, nou-
vel ambassadeur de Russie. La France, accédant au protocole
du 4 avril d'une maniere absolue , se réunit aux arnbassadeurs
russe et anglais afin d'obtenir l'adhésion de, la Porte : l'inter-
nonce autrichien , baron d'Ottenfcls , Iui-méme remit au reiss-
eflendi une note daus Iaquelle il suppliait la Sublime-Porte de
préter une sérieuse attcntion aux propositions faites par les Cahi-
nets de Londres et de Saint-Pétersbourg ; il lui conseillait de les
peser mürcment dans sa sagesse, et de réfléchir aux conséqueu-
ces incalculables que pourrait amir une résolution imprudente
et contrairc ases véritablcs intéréts et aux vceux des Puissauces.
Le reiss-cffendi n'y fit que des répouscs verbales, évasives; mais
enfin , cédant aux représentations plus ou moins prononcées des
grandes légations , il remit aux drogmans des légations frnnraisc,
anglaise, russe, autrichienne et prussienne, une réponse hau-
taine aux premieres propositions, La Sublime-Porte rejctait
toute intervention ; les protocoles des Puissances violaient la doc-
trine de I'ohéissance passive des sujets cuvers leurs souvcrains
légitimes ; le droit du priuce de régler ses proprcs affaires était
inviolable. La note se terminait en annoncant la Iormelle déter-
mination du Divan de n'admettre aucune oífre de módiatiou




ClIAPITRE XXTTI. lI3
étrangóre , ('l de ne plus répoudre aux communications subsé...
queutcs qui pourraient lui étre fuites, De ce grand mouvement
d'affaires resulta le fameux traite du 6 juillet, conclu aLondres
entre la France , la Ilussie et l' Angleterre : convention unique ,
j 'ose le dire , dans les anuales diplomatiques, paree qu' ellecréait
un état de guerre en pleine paix. On la signa comme une me-
nace a la Porte, sans en considércr les résultats , et ces résultats
ont amené de grandes complications , et les eonflits les plus diffi-
ciles. Les trois Puissanccs convcnaicnt ensemble qu'au cas oú la
Porte Ottomane n'acceptcrait pas , dans le délai d'un mois, la
médiation proposée, illui serait declaré que les inconvénicnts de
l'état de choses qui suhsistait depuis six ans dans l'Orient , et
dont la cessation , entierement au pouvoir de la Sublime-Porte,
paraissait encore éloignée , imposait aux parties contractantes fa
uúcessité innuédiute de se rapprochcr des Grccs; rapproche-
ment qui s'opérerait par des relations commerciales , en leur
cnvoyant a cet cITet des agents consulaires et en en recevant
d'cux. Si, dans le meme délai , la Porte n'acceptait pas l'armi-
stice proposé , ou si les Grccs refusaicnt de l' exécuter, les hau-
tes Puissances s'eílorccraicnt, par tons les moyeus que leur sug-
gércrait la prudencc, d'uhtcnir les cllets iunnédiats de l'armistice
dont ellesdésiraient l' exécution , en cmpéchant toutefois , autaut
qu'il serait en leur pouvoir , tout Iroissement entre les parties
contcudantcs , et sans prcndre aucune part aux hostilités entre
elles. Enlin, si, contre toure aucntc, ces mesures ne suffisaient
point pour Iairc adoptcr les propositions par la Porte Ottomane,
ou si les Grecs renonruicnt aux couditions stipulées , les hautes
Puissances contractantes s'cugageaient ü travailler a l'rcuvre de
la paciticatiou d'apres les bases arrétées entre elles; elles auto-
risaient Icurs représcnrants ü Londres ü discuter el arréter les
mesures ultéricures auxqucllcsil serait néccssaired'avoir rccours,
Ce traite hrisait par le Iait tontos les vicilles relations des Puis-
sallees alce la Porte; la rccounaissance du gouvernement grec
était Ionnclle el régulariséo. On imposait un armistice forcé aux
parties bclligéranu-s, Bien des malheurs étaient sans doute can-




IlISTOlIlE DE LA RESTAURATION.


sés par les délais imposés dans eNte trausaction. Le sang ('tait
répandu ; mais dans les aílalrcs cutre nations on ne peut agir
aussi vitc , aussi brusquemcnt que dans les allaires privées, Les
retards pour les qucstions diplomatiques résultent surtout des
inévitahlcs ménagcmcnts ;1 l'{>ganl des Puissances. Toutes n'a-
vaieur-cllcs pas des traites avec la Turquic ? Pouvait-on les hri-
ser par un exclusif sentiment de pilié ct de philauthronic? Et
puis , comment s'entcndre sur les couséqucnccs de l'expédition?
Que ferait-on ele la Grcce ? un État encere jeté subitement dans
la balance eles nations dont on ébranlait I'óquilihrc ? Les opinions
vulgaires , toujours impatientcs , demandaicnt des résultats im-
médiats, Cela n'ost pas possible. L'imagination , qui n'a pas d('
írcin , ya plus vitc C[uc les transactions rat ionnclles et les Iaits. Le
traite du 6 juillct 11t la Crece; cal' que serait-cll« devenue sans
la triple intervention eles Puissances ? Ce rraité posaitune COlH1i-
tion difficile, l'arrnistice ohligé entre dcux peuples [anatiqlles et
ardents. Quant ~l l'Autrichc, elle n'adhéra poiut en nom propre
au traité ; le cabinet de Vicnnc n'avait pas dissimulé son (>loi-
glJ(lllwnt pour la cause des Grecs ; il ayait des ménagcments ~l
gardcr arce la Ilussi« : le princ« ) psilallli, qui (;(ail elli('rJllt;
depuis six aus dans une Iortercsse de llonzrio , Iut mis en lihcrté ;
mais l'Autriche Be prit aucunc part dircctc anx transactions qui
devaient aflranchir la Crece : elle se contenta d'appuyer par des
représcntatious verbales les intcntions des Puissances. 011 a vu la
note qu'avait remiso SGIl intcruoucc ; ])I'h nvant lr-s COI1S('qll('Il('('S
d'une rupture ('ni re la Porlf' uumnanc el la Ilussie , l' ;\H\rir\lI~
lit avancer des forces consiMrah1('s sur les Irontiercs (ks pro-
vincos turquos , el se tint ainsi sur la dHl'nsiw. <)nan! ;\ la
Prusse , elle se contenta d'adrcsscr des n-'pr(lscnlaliolls au l iivan
sur la néccssitódc rép')!Hll'(' aux justes el conriliantc» proposi-
tious de la Franre , de la nl1s:~!1' ('! dl' l' \1l'l;I('lcrre.


Itestait la d0Jl1arcli(-' COnlJllllI](' :1 COI1~;I.:ln!ill()p!(' ('11 n'r!!! dll
. 'j! 1 ' 1 " ,. l. ,1,,,,,, r.' 1)1", 'S'lJl('('"traite, rlu () JUl ,d. ,('s lro¡s aiu )í¡,:-:;¡( ~('I!I .... {¡,'S l,d' tl .., , ....L.'


cnntractante- Iircnt 1'(':l;([ln' p;:;' ](lllrS drog!ll;U~~i ;:11 J'('i:.;s-f'lf('l1-
di une note (',\plicati\(' dans laql\(llll' ils \'i\PrH'laiputla suhsíanr«




r.lJAPITUE XX1TT. lI5
et I'objct du trait{~ du 6 juillct. En cxécution d'une des clauscs
de ce traité , les trois ministres déclaraieut a la Sublime-Porte
que les Puissauccs europécnnes oflraient de nouvcau et d'une
maniere Iormvlle leur médiation pour mcttrc fin ~l la guerre et
pour réglcr , p(lr une 1J(~go('i(ltion amicalc , les rclations qui de-
vrair-n: exister 11 l'avcnir entroles dcux pcuplos. Afin de facilite!'
le succcs de ecuo médiatinn , les Puissances proposaient un ar-
mis!ice cntre les partics hcllig{'l'(lntcs; elles espéraicnt quc daus
quinze jours le Divan Ierai! connaltre sa détcrmination. te der-
Hiel' paragraphe de ccue note était rneuarant et cxpliquait assez
les intentions dos Cahincts : « ]1 est du devoir des sonssignés de
nc poiut dissimnler an rciss-cflcndi qu'un nouvcan refus , une
r{'pons(' évasiv« OH insuflisantc , Ill(~n}(' un silcnce absolu de la
part de son GOlH('rJH'IlU'III, plareraicnt les Cours alliócs dans la
n{'cessiló de rocourir anx llH'SIlJ'{'S qu'ellcs jngrront propres ~l
mcnrc Im a un l'lat (le choscs de, cnu incompatible a, ce les vrais
intórüts de la Sublimc-I'orto ellc-urémo , avec la sócurité du
commcrre en géllrral, l'I arce la parfaitc tranquillité de J'Eu-
rop«. » .I'ai /)('soill de 1(' <lil'(' som elll ; daus l'histoirc (les trans-
act;olls diplolllal iqlles, la FI',l!u'e JOIl(' un ról« d'indépcndanc« el
d'houncur depllis le cOllgn\s d'Aiv-la-Chnpcllc ct l'affranchissc-
111('nl <111 torritoirc, Qucl que fllt le minisrere qui gouvcruñt le
pa~ s , IIH~me dans les jours les plus manvais , il Y out un S('11ti-
mcnt prnfoudéurcnt {'prollYr dos iniéréts de la Frunce ; s'il n'y cut
pas toujours la mcme force, la mümc habilcté , il Y cut ton-
jours de l'houneur. J'ai parcouru longicmps les archives des
aflaircsétrangercs et la corrcspondanro secrete des ambassadcurs ;
je dois déclarer id que je n'ai trouvé ni lñchcté politique , ni
COIlH'Il t ion déshonoraut e. Il no révolution est arrivée depuis.
M. Ilignnn a examiné toutos les aífaircs diplomatiques de la Ilcs-
tauratiou ; il a sans doute lont vu , tout étudié : jc demande
maintcnant ;1 sa loyallt{· d'hommc politique si tout ne fui pas
conduit avec iudépcndanco cr dignit{· pour la France , el s'il ne
doit pas aujourd'hui ('ITa('('r quelqncs-unes de ces pages de pam-
nhlots qu'il luncait alors cOIII re la Ilcstanration.




46 HISTOInE DE f.A RESTAl'RATJOX.
Ainsi était l'Europe, ct alors se poursuivaicnt devant les


Chambres d'utiles díscussions qui agitaient les esprits. J'ai dit
par quelIe étourderie politiquc un projet de loi sur le jury
avait été préscnté a la Chambre des Pairs. Itenvové aune com-
mission spéciale , l' opposition s'en était cmparée pour lui Iaire
subir de nombreuses modífications et l'agrandir. Le projet de
loi n'admettait comme jurés que les memhrcs des collégcs élcc-
toraux; la commission proposait d'y ajouter les docteurs el li-
cenciés des facultés de médecine, de droit, de scicnceset helles-
lettres, les membres et correspondan ts de l'Institut et autres so-
ciétés savantes reconnues par le Gouvernemenl; les uotaires, les
banquiers, agents de change , négociants el marchauds payant
patente de l'une des deux premieres classcs, La liste devait com-
prendre six eents individus , etre aílichéc le 15 aoüt au plus
tard, et close le 30 septembre. Avec ce s~'stenw de liste publi-
que arrétée d'avance , désormais les fraudes électorales étaient
dífficiles, Ce n'était pas ce que pouvait désirer M. de Villele ;
mais c'était enfin le résultat obtenu. lU. Siméou, rapporrcur de
la commission , appuyait tous les amcudcmcnts proposés, « Le
droit de participer aux jugements criminels est un droit civil,
dísaít-il: iln'appartient pas seulemem ¿¡ ceux qui paient un cer-
tain cens, mais a ceux qui, avcc une moiudre Iortune foucierc,
jouissent d'une richesse ou d'uno aisancc mohiliere , ct Ü ceux
qui par état ont des connaissances dont il ne faut pas priver le
jury. » Toutes les modifications proposées par la commission fu-
rent admises par les Chambres; le ministere avait fourni étour-
diment une arme contre lui-méme, Il avait besoin des fraudes
électorales, et il proclamait un svsteme de frauchise et de pu-
hlicité, Quelques préfets se plaignirent, et parmi d'autres causes
ce fut la erainte de l'application de cette loi qui précipita en
JU. de víllele la penséc de dissoudrc la Chambrc. Vint ensuite un
projet plus fortcmcnt répressif de la traite des :\ojrs, arrété sur
les instances de JU. Canning Iors de son séjour ~l París, L'An-
gleterre mettait toujours un grand prix ~l l'extinction de la traite:
les principaux chefs d'une expédition avant pour objet la traite




CHAPlTRE XXIll. 47
des Xoirs, négociants, annateurs, subrécargues, assureurs, offi-
cicrs d'équipagc , étaicnt' punís de la peine du lJanuissemellt, ct
tous solidaires d'une amende égale a la valeur du navire et de la
cargaison; le navire devait etre en cutre confisqué. Les autres
individus faisant partio de l'équipagc scraicnt punis de trois mois
acinc¡ ans de prison, el le capitaine el les officiers du bord, dé-
clarés incapables, aaucun titre, de servir tant sur les vaisseaux
de 1'.État que sur ceux du commerce francais. I ..a diseussion fut
calme, modérée, On eút dit que la Chamhrc des Pairs, s'étant
réscrvéo pour une haute opposition politique, voulait la faire ou-
blier par la scicnceet la supériorité qu' elle apportait dans les pro-
jets d'intéréts généraux.


Cepcndant, a tout bien cousidérer , il était impossible que le
ministére restát tel qu' jJ était en présencc de la majorité de la
Chambre des Pairs, ou que cette majorité elle-me me ne füt pas
dénaturée, J'ai la eertitude que M. de Villele songeait amodifier
son cabinet, l\ le nuancer surtout. Il voulait saerifier sestrois col-
legues, 3Bl. de Corbiñrc, de Peyronnet et de Clermont-Tonnerre,
trop odieux al'opiniou publique , el chercher des appuis dans
une cou/eur moins fortc (}e la droite, I1 jerait déja les yeux sur
M. de 3Iartignac, cxpression douce ct modérée du centre. Il de-
vait portcr 11. de Corbiérc au titre de grand-référcndaire de la
Chambrc des Pairs, en remplacement dc ól. de Sérnonville, mo-
nument d('line~se el de d('xtérit(~, qui avait passéatravers toutcs
les fortunes royales et miuistóriclles sans en étre éhrunlé : c'était
un esprit obscrvateur , un caractérc facile, se ployant a tout,
paree qu'il était résigné il tour. Par S1 position de graud-réíé-
reudairc, il voyait les ministres, leur rcndait compre des délibé-
rntions , chcrrhait ~\ adoucir par son inílueuce les échecs trop
rudos, trop violcnts, 3f. de Yillelc ne pouvait se dissiniulcr que
\\1. (le Sémml\'i\\e ne \ui était pas ühoué; i\ n'appanenau pas l\
la coteric ministéric%'. Son rcmplaccment était tout a la fois une
exccllcutc positiOD pour iU. de Corbit''l'e et une concession a la
droite, M. de Sémonvillc cut vcnt de la résolutiou de M. de Vil-
lde; il alla dircetement a lui. «Je sais, lui dit-il, que vous voulcz




48 IllSTOlHÉ DE LA HE5TAUHATlO;\.
me rcmplacer. »-«(:Uoi! répondit M. de viJlt"le avec une cxcla-
mation ct en prcnant la main du grand-rdérendaire; vous uous
étes trop nécessaire. » - (( Je le sais, la chosc cst certaine, et qui
plus est , vous voulcz mcure ~I la Chambrc lU. de Corbicrc. Eh
bien ! je u'ai qu'un mot ~I vous dirc pour vous moutrer combieu
le choix de JU. de Corbierc serait hahile : supposez que tous les
pairs soient réunis , et que dans une grave délibératiou , un chat
miaulant tombát du plafond au milicu de nous; certes , l'éton-
nement serait grand et la scnsatíon ridieule; eh bien! la nomi-
nation de 1\1. de Corbiere ferait le méme cffet. )) lU. de Yillele
sourit , mais il comprit la portée de cette plaisantcrie. En cffet,
rien n'était plus autipathiquc a l'csprit de h Chambre des I'airs
que le caractérc de l\I. de Corhiere et ses manieres rudes ct
hourgeoises. Pour le róle de grand-réíércndaire , il fa!Iait un
homrne doux , un caractcre ployaut , d'une nuauce modóréc, nc
heurtant jamáis en face aucune opinion, lU. de Sémouvillc , en
un mol.


La Chamhre des Dépntés discutait la 101 de Iinanccs avccplus
de sévérité el d'aigrcur q~!c dans la session pl'{'cé<lente. On re-
nait de dissoudrc la g;u'dc uatioualc : la Ioi de la pressc avait {'I{'
jetéc aux passions ; on incnaruit de la censure. Des óvóncmcnts
graves étaient survcuus qui ébranlaicnt la Iortunc publique.
M. de Yillelc avait fondé les prévisions -de son hudgct sur les
évalnations du mois de janvicr , (pi avait-n: drpllss(~ la qllolil{~
des annécs précédcntes: dcpuis , une diminution efrra~ ante
s'étai t produite dans les revcnus pll hlics. « tes circonstanccs ,
disait Ji. Fouquicr-Long, rapportcur pour la partio <les MPC'llSCS,
no son! plus ce qn'cllcs étaicnt au uioineut oú le trnvail dll GOI1-
verncment se rédigeait. Vous le SllH'Z, les dcux dcrniers moisout
été inoins productiís (lU'ÜIl uc l'avait esp{·ré. Cept'lIdant le (I('li-
cit n'a ricn (llli doivc alarinor ; l'état du p:l~ s esl encere dans une
positiou ¿I inspire!' de la cO/lfiallce. J) - (( De ce que les produirs
augmcutaicut chaqne anuéc , répoudait :U. Lallitte , OH a cm
qu'ils augmeutcraicnt toujours. On a d{'pcnsé saus mesure, es-
pérant sans doute que la Frunce produirait aussi saus ml'SUH.'.




CllAPlTllE XXHI.


La cause du mal vicnt des méfianccs qu'a excitées dans tous les
esprits la marche du Couveruement ; des passions fenuentent
ici et en Espagne, el voudraicnt se déchaiucr eontre l' Angleterre.
Qu'avons-nous pour nous rassurer centro des prévoyances aussi
sombres? Scrait - ce la fermeté du minis(('rc ? Est- ce en ontra-
geant des citoyens armés dcpuis qnarantc ans pour le maiuticn
de I'ordre, ct qui inspircrcnt le rcspect aux armées ennernics
cllcs-mémcs ? Avee un tel miuistere, le seul partí a prendre est
de le mettre en accusation. ))~ «11 est vrai, répondait ¡u. de Vil-
lele, que les prcmicrs mois de l'année ont présenté des diminu-
tions qui n'avaicnt pu etre prévues : ce fait est ~l votre connais-
sanee; vous étcs les maltres el'agir en conséquence, et nous nous
associerons a toutes les mesures que vous jugcrez nécessaircs
pour éviter les craintes (IU' on a maniícstóes. tu seul mot a la
menacede notro aeeusation, ~l propos de la dcrniere ordonnancc:
j'aurais pu craindrc uue parcille accusation , si je n'avais pas
conseillé ccttemesure; maisje ne la redouterai jamáis pour avoir
conseillé un aete commandé dans l'intérét du pays, »~ « Dans
I'intérét du pays ! s'écriait JI. Bcnjamin-Coustant; pcsez ces
exprcssions, JI était done dans l'jllt{-n't dn pays que la garde na-
tionalo Iút licenciéc ? son cxistcncc était done contraire au pavs?
Précisez done vos accusations ; ditcs-nous ce qu'a fait contre
l'intérét du pays corte gardc nationale qui , dans tous les icmps,
a défcndu el sauvé les intércts du pays. Oú cst I'appui du miuis-
terc ? dans la populatiou ? il l'a oiurngóc : dans l'opinion ? il l'a
soulevéc ; dans les pairs ? iI no pcut les soumcurc qu'en déuatu-
1'a11t leur institution ; dans la magistraturc ? elle lui resiste au
llOIll de la justice. » - ( D'oú vient, dcmandait JI. Bacot de Ilo-
maus , qu'avcc tant de moycus de consolidcr le treme el la Iéli-
cité du pays, la Frunce se trouvc aujourd'hui moins calme el
moius coníiantc ? C'cst qlle le ministcre a méconnu la naturc du
gouvcrncmeut, Doinincr les élcctinus el les Chaiubres a élé établi
connnc le scul moyen de gomer/H'r la Franco. » .- ( ..\lillislres du
Roi, s'écriait 1\1. de Prcissac , il vous reste un grand service a
rendre au tróne el au pays, un senice inuuensc , le seul qui ~


IV. 5 ,/ .(.1;




50 HISTüIRE DE LA RESTAURATION.
puisse réparer le mal que vous avez fait : c'est de vous retircr.
Vous Cíes destitués de toute force morale ; toutes les supériorités
vous efIraient; le cri de vive le Roi! vous accuse. » -(e Le déficit
a commencé , ajoutait le général Sébastiani, il s'accroltra chaque
année; les ahus d'autorité du ministerc sont intolérables , aussi
I'indlgnation est-elle générale, »


La fermentation dans la Chambre était grande; la dissoJution
de la garde nationale, les menaces de censure, la gravité des
événements étaient les causes de ces violentes sorties. M. de Vil-
lele se montra plus découvert, moins habile dans cette position :
il était dépassé. Les événements se compliquaient contre lui ; il ne
pouvait plus opposer aux paroles de la tribune le spcctacle d'une
prospérité sans exemple et d'uu accroisscmcut de revenus. Le
déficit arrivait ; déficit exagéré , cxploité tout exprés pour mul-
tiplier les oppositions centre le ministere, L'habilcté de M. de
Villele avait heau se retourner, il était menacé , méme dans sa
Chambreseptennale; plus que jamáis les Royalistes étaient divi-
sés, et ce spectacle jetait del'inquiétude au Cháteau ; on se di-
sait déja : Pourquoi ne sortirons-nous pas de la crise ? l\I. de
Yillele est-il telIement nécessaire qu'on doive Iui sacrifier l'union
des houimes monarchiqucs et le salut du trüne ? et quand une
fois toutes ces questions commeneent ase poser, un miuistere est
perdu! C'est un malheur quand ou ne croit plus en un pouvoir.
La session close , M. de villele avait trop positivement annoncé
le rétablissement de la censure, pour que l'opposition doutát
encere qu'clle ne Iüt une mesure inevitable. Le Cabinet péris-
sait sous les coups de la presse ; puis 1\1. de Yillelc songeait
déja a la dissolution de la Chamhre des Députés, et il voulait
próparer en silence le renouvcllcmeut de sa majorité. Ves la dis-
cussion du budget, M. de Yilléle , mais lui scul , et sans en
ríen dire ases collcgucs , avait sondé le lloi sur la nécessité de
nouvelles élcctions. Charles X avait d'abord repoussé cette idée
comme une témérité ; mais , ayer sa pcrsévérance ordinaire , le
président du Conseil était plusieurs Iois revenu 11 la charge , et
ala fin il était couvenuqu'on souderait les préfets sur la chance




CHAPITRE XXITT. 51
d'une électiou générale. Une circulaire toute confidentielle ,
émanée de la présidence du Conseil , fut adressée aux préfets.
Elle posait la question suivante: « En cas d'une réélectiongéné-
rale , quels seraient les candidats que pourrait portcr le Gou-
vernement , el quelles chances pourraient-ils avoir ? ) Comme
il arrive toujours, sauf trois ou quatre préfets plus sinceres,
tous répondircnt que les candidats du Gouvernement obtien-
draient des majorités. l\l. de Yillelc mit toutes ces réponses sous
les yeux du Roi , et des lors la dissolution se présenta avec plus
de chauces. Ce fut dans cette pensée qu'on rétahlit la censure.
On voulait surprcndre les élccteurs , et pour cela on compri-
mait la liberté de la presse. Charles X renoncait a son dernier
titre de popularité , ~l cette liberté de la prcsse saluée a son avé-
nement. On avait demandé vainement des moyens répressifsaux
pouvoirs politiques, ils les avaient refusés: fallait-il laisser la
Religion et le Tróne désarmés ? fallait-il autoriser l'impiété a
lever sa tete haute? telles étaient les paroles de l'épiscopat , des
pieux amis du Iloi, IJ y avait nécessité de défendre le Tróne et la
Ileligion. La censure fut done imposée par ordonnancc , sans
considérant; 011 ne prit point de précautions ; on eút dit que le
pays y était íaconné. Seulcmcnt le AlonÍleur publia un article,
espece de persiflage et de con tre-vérité , dans lequel il rappelait
« les projets de loi bieuíaisants , les actes éc1airésdu ministere ,
sur lesquels la presse n'avait cessé dcpuis trois ans de jeter des
nuages. Le Tróne acceptait la clarté de la tribune , mais il re-
poussait les fausses lumiéres du journalisme: c'était pour cela
qu'il ordonnait, non pas le silence, mais l'ordre des discussions ;
on ne réduisait pas les journaux a l'impuissance de leurs opi-
nions; on leur demandait un peu de eet ordre admirable qui
regne dans les discussions parlementaires.


Le pays était préparé depuis longtemps acette mesure, cal'
des que l'ordonnance fut promulguée, il se forma une société ,
sous la présidence de l\l. de Cháteaubriaud , pour défendre el
proteger_la liberté de la presse : eIle publia des brochures , des
imprirnés qni allaieut sur tous les points de la Franco réchauffer




52 mSTOTnE DE lA RESTAURATlON.
les passions , en révcillant les antipathies centre le ministerc,
Ces imprimés circulaicnt partout , déuoncant les abus d'uue
censure sansinteIIigence. Tout cela rcmuait puissamment les
esprits. Au mois de septembre , le Iloi résolut un voyage dans
les départcments du Nord , pour visitcr les camps de Saint-
Omer et de Lunóville. le miuistero voulait un peu eulcvor
Citarles X a l'atmosphcre de París et a I'opposition de Cour.
M. de Corbiere venait de perdre son fils : une allliction profundo
avait altéré sa santé ; il ne pouvait accompagner le Roi, et un
iustant il avait étéquestion dc ñl. de Chahrol pour ce voyage.
]U. de Yillele , qui connueucait a craindrc I'influcnce du ministre
de la marine, obtint qu'il ne suivrait pas le Boí. ;\1. de Clcrmout-
Tonnerro seuIl'accompagna commc ministre de la guerrc. A son
retour le Iloi put se croire e~ se dire eucore aimé du pellple.Eh
hien ! cet enthousiasmc tout pcrsonnel il Charles X le pcrsuadait
qne le bruit de l'opposition était factice, que le journalisme
était la seule cause de l'agitntion , ct qu'en faisant un graud appel
au pays, il répondrait par une nouvelle lllajorit(~ royalisie. ;\l. de
ViW·le pn~parail pcndant ce l<'llljlS son vaste projt'l de dissolution
de la Chamhrc. On a consi(l(or{~ depuis ccue mesure conunc un
de ces actes d'cntralucmuut el de folie qui pcnlent les Pouvoirs,
comme par une sorte de fatalité ; on n'a pas tout vu : jamáis me-
sure ne Iut plus réfléchi«et plus longtemps débattuc. tes dcruicrs
votes de la Chambrc des Pairs avalent suflisaunncn t constat(o q11'il
Y avait désormais iucompatibilité d'cxistcnce entre l'esprit du
ministcre et la Chamhrc haute. On ne pouvait plus marcher
sans une promotion de pairie , et cctte promotion ne devait plus
étre de dix ou de vingt Pairs ; elle u'aurait pas suffi ; il en Iallait
soixante OH quatre-vingts , et remanier complétcmcnt la Cham-
breo I ..e partí religieux l' exigcait d'ailleurs ; j) voulait y portcr en
massc les sommités de la cotcrie Ilougé, Le ministere était sou-
teuu dans la Cliambre spécialcmeut par ce parti religieux , qui se
coinposait alors de CC]}t ciuquaute mcmhrcs , ct commencai; il
emharrasscr )1. de Villele. Ce ministre n'avait méme plus sa
confiance absolue; elle se portait plus Iavorahlemeut autour de




r.TTAPITTIE XXITT. 53
M. de Peyronnet. M. de villele avait promisla pairie ¿1 un grand
nombre; il devait s'en débarrasser en les jetaut en masse dans la
Chambre des Pairs ; mais celte mesure disloquait sa majorité et
la rendait inccrtaine ! Déja cetro majorité s'était ébranlée. I..es
dernieres discussions sur le hudget avaient rnontré une irritation
parlcmcntairc hruyantc et sévéro , ct qni devait grandir encoré
dans la prochainc session , ü mesure que le tenue de la septen-
nalité approchait, Beaucoup de députés avaient d'ailleurs declaré
que leur mandat ne pouvait s'éteudre au dela de cinq ans , et
qu'ils cnvcrraicnt leur démission si 1'on allait plus loin. En dis-
solvant la Chamhre , M. de Villele se donuait la majorité aux
Pairs par la possihilité d'une grande fournée; puis , portant tou-
tes ses Iorces électorales sur des candidats du centre droit , il
pourruit sccouer la Congrégatinn , el surtout obtenir une Cham-
hre plus modérée , plus unie , paree qu'elle aurait en faccquatre-
vingt accnt députés de la gauche que le Gouvernement ne re-
pousserait plus. U nc fois cette Chambre rassemblée , lU. de
VmNesacrifierait Cl'UX de ses colleguesles plus odieux al'opinion
publique, lHJI. de Peyronnet , de Corbiere et de Clermont-
TOJ)]]('rf'(~; iJ ponrrait romanirr son Cabinet dans le sensdu centre
droit , y llpp{'/er des hounucs tols que l'DI. Ilavcz , l\1artignac et
mémo Portalis , et recommcnccr un long hail de scptennalité. Ce
projct était laste, mais il était tont ü la foisen dehors de l'opinion
et des faits. D'abord était-il possihle qu'une Chambre nouvclle-
ment élue , el par conséqucnt sous l'empire de cette terrible
réaction qu'on u'avait pas assoz prévue et ménagée, pút s'accom-
modcr de M. Yillele présidcnt du Couseil , ¿l l'époque d'un sys-
teme tombé si has et si unauimemcnt réprouvé '? M. de Vil-
Jl,lt~ allait subir la Iaute qu'il avait faite en s'aílublant de la
présidcnc«, S'il était resté ministre des finances , on n'aurait
gardé souvcnir (JlH' rk- SI'S serviccs ct de sa capacité; mais pré-
sident dn ConS'{'il il pnrtait la responsabilité une et complete de
son syst<"l11e ! 11 Y avait longtemps <¡ue JI. de Vill0lc avait pré-
paré l'csprit du Iloi 11 une dissolution ;.son crédit s'était un peu
alTaihli; toutefois Charles X était habitué ¿\ son travail, a sa ma-




5h HISTüIRE DE LA RESTAURATION.
niere de discutcr, Presque tous les jours, il passait une ou deux
heures dans le cabinet des 'I'uileries, et cette action persévérante
du ministre inñuencait siugulieremem l'esprit du Roi. La disso-
lution était done résolue quand la question fut portée au Conseil.
Quelques-uns des ministres n'avaient memo appris la pensée de
1\1. de Villele que par les préparatifs électoraux de 1\1. Capelle;
quatre séancesdu Conseil se passercut en débats, Ml\I. de Chabrol
et Frayssinous s'opposerent tout ~\ la fois a la promotion de pairs
ot ala dissolution, Sur le premier point, le Roi, quoique peu
disposé atoute promotion nombreuse, dit : « Je erois que 1.'\1. de
Villele a raison ; la révolution est dans la Chambre des Pairs, il
faut l'en ehasser.» La discussion fut libre et tres-développée ;
on put tout exprimer. Les priucipaux motifs d'opposition repo-
sereut sur l'irritation des esprits, A cela lU. de Yilléle répondait
par la correspondance des préfets. Enfin il fut admis que la
Chambre serait dissoute et qu'il y aurait une promotion de pairs.
Le public ne fut admis dans aucune confidence. La censure ne
permettait pas le moindre mot qui püt faire soupconner les in-
tentions du Cabinet pour une mesure aussi grave que la dissolu-
tion de la Chambre.


On discuta d'abord la liste des pairs r. Elle avait été faite par
1\1. de Yilléle , et comprenait cent vingt noms , que le Roi ré-
duisit a soixante-seize. Presque tous teuaieut de vieilles pro-
messes , des engagements parlementaires , de telle sorte qu'on
aurait pu dire d'avance qucls noms scraient portés a la pairie,
l'ne seule pensée avait présidé a la formation de cette liste; on
voulait balancer par le partí religieux la majorité politique dans


r Dcpuis longtcmps i\I. de Vill(~le avait fult dcrnandor ¡¡ l\l. de
Súrnunvil le les plans de la salle des séances de la Charubre des l'airs:
il n'avuunit pus la promotion , il disait seulcurent : " Vous u'étcs pas
assez Ú I'aisc dans le local actuel : jc vous en rhcrche un alJll'e."
~l. de Villelc voulait un momcnt trausporter la Chambra des Puirs au
Louvrc. L'csprit rnalicicux de 1\1. de Sérnonvillo avait dcvlué (out ce
que ces dcmi coufídcnccs slguiñaleut , el il avait prédit iI 1lI. de Villelc
qu'unc promotion de pairs ébraulerait méme la minorlté ministérielle.




CHAPITRE XXIII. 55
la Chambre des Pairs, Presque tous les nouveaux pairs appar-
tenaient a ce qu'on désignait alors sous le titre de grande pro-
priétéde province. Ils avaient tous de notables fortunes, des
existences hautement territoriales. On voulait retremper la Cham-
bre des Pairs , trop parisienne , trop mondaine, En tete d'abord
einq archevéques, Ne falJait-il pas fortifier le banc de la pairie
ecclésiastique ? Le Clergé n'était pas assez dans I'État; on l'y
appelaít encore; c'étaicnt l\L\I. de Montblauc , archevéque de
Tours; de Brault, archevéque d' ~\ lby ; de l\1orlhou, archevé-
que d'Auch; lUord-de-Molls, ercuevéque d'j~vignon, ct de
Pins, archevéque d' Amasie, Puis venaient de bons et notables
propriétaires de province , memhres des conseils généraux. Tels
étaient le comte de Sainte-Aldegonde, le rnarquis de l\Iontey-
uard , le marquis de Lévis-ñlirepoix , le comte de Panisse , le
comte de Bonneval-Doullée , le marquis de Radepont , le mar-
quis de Lancosme, le marquis des Montiers de Mérainville , le
vícomte de Sainte-Maure , le marquis de Saint-Mauris-Chate-
nois, le comte d'Albon , le marquis de Beaurcpaire , tous avec
une grande fortune tcrritoriale. lU. de VillNeavait fait demander
aux préfets qucls étaient les gentilshommcs les plus riches dans
les divers départemenrs de la France , et il les avait fait pairs,
bien sürs qu'ils balauceraient par une force d'inertie la majorité
demi-libérale de la Chambre haute. Au reste la masse de ces
grands propriétaires était tout afait dévouée aux idées religieu-
ses ct monarchiqucs, Ensuite , comrne troisiéme catégorie , viu-
rent les députés sortants , au nombre de trente-six , parmi les-
quels MM. de Vogué, de Kcrgariou, de Chiíllet , de Calviere ,
de Castolhajac, de Courtarvel 1 , Humhert de Sesmaisons, Louis
de KergorIay, de Frénilly , de La Bouillerie , Adrien de Ilougé ,
Forhin des Issarts, de Gourgucs, de Lur-Saluces , le prince de
l\Iontmorency, le princc de Crol-Solrc. Ils étaient tous de la majo-
rité et avaient serví avec dévouemcnt le systéme ministériel ; ils se


r 00 reprochait acctte promotion de porter deux ou trois noms de
la rnérne famillc dans la Chambrc des Pairs.




5(') mSl'ü11\\!. DE. l,f\. 1\f,s'fÁtm¡\l'ION.
dlvísaíent en deux c1asses : les uns appartenaient exclusivcment a
l'opinion religieuse, ¿¡ la coteric du comte Adrien de Rougé; les au-
tres aux amitíés de lU. deVillele : telsétaient MM. de Lapanouze,
Ollivier de la Seine et de Maquillé surtout , qui avait aetivement
surveillé les votes ministériels de la Chambre des Députés. Ve-
naient quelques unités , pour services d'admiuisn-ation et d'ar-
mée ; tels étaient le duc d'Escliguac , le comte de Bouillé, gou-
verneur de la Martinique , le comte de la Vieuville , anclen préfet,
le comte ele Tocqueville , préfet de Seine-et-Oise. l~t ce qui dut
étouner , par les rapprochements , ce fut de voir , tout 11 coté de
.!\l. de Rougé, l'un des chefs :de la Congrégation, le maréchal
Soult, l'homme des hataillcs ct de l'Empirc ! Enfin pour que
rien ne manquñt a cette liste, on ajouta trois étrangcrs aux-
quels des promesses royales avaicnt étó Iongtemps faitcs : Ie
maréchal prince de Hohenloé-Bartenstein , le priuce d'Arcm-
berg , et le prinee de Bcrghes Saint-Winock. Le ministerc se
donnait une force sculernent numérique , ct encere quelques-
uns de ces pairs' dcvaient passer ~\ l' opiuion modéréc , et se
séparer des príncipes (lui les avaient ('·ltv(·s a la haute dignité
qu'ils ambitionuaicnt '.En résinué , la promotion resLaiL rlans
1'esprit de la pairie : toutos les notabilités fournies des départc-
ments étaient appelées a la haute Chambrc.


La liste des présidences Iut le sujet de la sccondc délibération
du Conseil. Par la dernierc promotion de pairs , la majorité avait
été disluquée ; la plupart des candidats habitucls dn nrinistérc
avaient passé ala pairie ; ]\1. de Villelc s'ótaitdébarrassó de la Con-
grégation ; toutofois il s'était privé daus les départcmcnts de cNte
clientele qui eutourait les ancicns députés. la nohlesse inflncnt«
des provinces , qu'on u'avait pu porter toute cnricre sur la Iiste ,
voyait avcc jalousie les noms nouvcaux de la pairic, lU. Capelle
avait réuni avcc soin tous les élémcnts d'uue nouvcllc élection de
candidats ; tous avaient été choisis de pr{>f(~rellce daus le centre


1 I'lusicurs des nouvcaux pa irs , e! partui ('U\ lo comtc d' Albon,
vinrcnt déclarer it :\1. de Sémom illc que, 1'('\(;1115 mniutcuaut de la
palrie , ils voternivnl avcc le pa t li de la modération.




CHAPITRE XXIH. 57
droit , allant vors la droite , mais dépouillé de ses exigences et
de ses exaltations. On avait un peu écarté le parti religicux , et
tout 11 fait la contre-opposition ct la défection. Les instructions
primitives de M. de Yillelc portaient qu'on eüt surtout 11 élaguer
la couleur de ]U. de Labourrlonnayc. L'ordonnancc de convoca-
tion donnait un court délai aux élccteurs ; on croyait les sur-
prcudre , mais l'opinion était depuis si longtemps éveillée ! M. de
ViJJrle s'était fait illusion sur .tous les points ; il s'imaginait , en
mettant la censure, comprimer la prcsse , et en ne donnant que
quclques jours ~l la liberté des journaux leur ravir eette puis-
sanee d'esprit public et d'opinion qu'ils exerccnt toujours. C'était
un faux calcul. La presse Iut d'autant plus vive, plus influente,
que sa parole fut rapprochée des élections; elle n'eut que quel-
qnes jours de liberté, et cela suffit pour ébranler les esprits. Hans
un plus long termc , elle se serait peut-étre usée , et chaquc
phrase n' eút pas porté son effct. L'administration avait tout pré-
paré pour la réussite (les élections; elle avait donné carte blan-
che aux préfcts ; ils la secondcrent avcc un zéle dont rien n'ap-
proche, lIs avaicnt fonrni des notes au ministere , desquelles il
résultait que les canrlidats dn Iloi , cal' c'cst ainsi qu'on les nOI1l-
mait , éraicut súrs dr' lcnr élection. La tete des préfets est ainsi
Iaite : ils répondeut moins ce qui est vrai que ce qu'un minis-
tero désire ; cela a toujours étó , cela sera toujours, et pour-
quoi? c'est qu'nn ministcre se croit mal serví lorsqu'on le con-
trarie, et quaud I'événcmcnt arrive , alors on haissc la tete. Le
ministcre ne négligea rien. Les prcsses de l'imprimerie royaJe
gémirent sous les pamphlets ; on les cnvoyait sous la bando des
journaux de l'oppnsition ; on y insultait les candidats , et on y
réveillait le zelc mouarchique et ministériel : brochures , jour-
naux plus ou moins niaisement écrits , circulaient sous le parro-
nage des feuillcs de l'opposition. C'était ce qu'on appelait le
contrc-poison oppos(' an poison. Et puis OH établissait des hurcaux
d'élection ; miJIe diflicultés étaieut faites aux élcctcurs qui pen-
saient mal; on les Iorcait arevenir, on les fatiguait de chicanes;
tandis que pour les élccteurs ministóriels , ce n'était que facili-




58 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
tés, que douceurs , que prévoyances des bureaux, Jamáis action
plus tracassiére et moins forte; ces petits rnoyens , qui réussis-
sent quand les esprits sont calmes, n'empécheut rien lorsque
l'agitation est vivace ct l' opinion réveillée. La nouvelle du com-
bat de ~avarin arriva au milieu du mouvement électoral: le mi-
nistcre en exploita la popularité daus I'intérét des élections. Ceci
n'ahoutit a autre chose qu'a une apothéose pour lU. de Rigny
et pour 1\1. Louis son oncle, Il y a des temps OU les plus grands
événements ne sont rien ; le pays se fait des idéesfixes et leur su-
hordonne tout.


En face de cctte action violente, exagérée du pouvoir, s'était
également organisée , sur une aussi vaste échelle et avec un zéle
non moins ardent , cette opinion publique, puissante , et d'au-
tant plus vive qu'elle avait été plus Iongtemps comprimée, La
Sociéiá Aidc-toi le ciel t' aidcra se montrait avec ses candidats,
ses principes; elle se composait d'anciens carbonari revenus a
des idées plus légales et moins subsersives, Quelques royalistes
s'y étaient réunis. C'était , si 1'on veut , une administration a
coté de l'administration. Cela se pratique ainsi dan s tout pays
libre; l'opposition s'organise en face du Gouveruement. La so-
ciété Aule-toi n'avait done rien d'illégal : elIe se fortifiait par
l'action trop violente de J'autorité; elle se justifiait par ses frau-
des. On se réunit, on s'cntendit sur les candidats, Les deux op-
positions royaliste et lihérale se firent de mutuelles concessions;
on porta ses candidats reciproques, Union étrange, et que la haine
contre lU. de Yillele avait pu seule opérer ! on vit le nom de lU. de
Lahourdonnaye a coté de celui de lU. de Constant , 1\'1. de La
Fayette et lU. Ferdinand de Berthier portés sur de communes
listes! La coalition fut complete. Je ne sache pas un combat plus
acharné , avec des armes plus aigués, plus mordantes; la presse,
jusque-la silencieuse , s'en vengea dans des saturnales de dix
jours : tout fut dénoncé , surveillé , flétri ; ce que les Royalistes
avaient fait en 1824 apres la guerre d'Espagne , pour se procurer
des élections généralcs, l'oppositíon le tcntait aujourd'hui; l'ar-
deur était passée dans son campo La presse agissait avec unani-




ClIAPlIHE ÁXIlJ. ;)9
mité par une parole monarchiquc et constitutiounelle. L'ne scule
publication rompit cet accord; ce fut l' écrit si rcmarquablc de
hardiesse de 1\1. Cauchois-Lemaire, sous ce titre : Lettre á jtl. le
tille d'ürléans. 1\1. Cauchois , ayer: ce stylc mordant qui le ca-
ractérise, appelait S. A. IL ü saisir la couronnc ; c'était le but
secret , apeine caché sous une phrase transparente. « Échangcz
vos armoiries ducales centre la couronne civique , disait le poi-
gnant écrivain. Allons , prince , un peu de courage; il reste
dans notre monarchie une belle place ü prendre , la place qu'oc-
cuperait La Fayette dans une répuhlique , cel'e du prcrnier ci-
toyen de France ; votre priucipauté n'est qu'un chétif canonicat
aupres de cette royauté morale. Le peuple francais est un graud
enfantqui ne demande pas mieux que d'avoir un tutcur : sovoz-lo.
pour qu'il ne tombe pas en de méchantes mains , .afín que le
chal' si mal conduit ne verse pas : nous avons fait de notre coté
tous nos etIorts; essayez du vñtrc , et saisissons ensemble la roue
sur le penchant du précipice. » TeI était alors 1'esprit du mou-
vement libéral ; ceux-la mémes qui poussaient a l'extrémc les
idées patriotes, considérérent l'écrit de IU. Cauchois-Lcmaire
comme un coup de fusil tiré trop tót, Tout le monde le traita
de folie. Il y a toujours daus les partis des imprudents qui dé-
masqucnt et dénoncent I'avcnir ; on les repudie , cal' l'hypocri-
sic est la monnaic courantc des Iartions. Au milicu de ce mou-
vement de la pressc , les élections s'accomplissaicnt du nord au
midi avec une énergie , une unanimiró remarquables. Les can-
didats du ministerc étaient pres{IlH' parrou t repoussés ; le télé-
graphc annonca succcssivemout des résulrats qui éhranlaicnt la
puissance de M. de Villelc. Itoyalistes ct Lihéraux étaient réunis
coutre le sysl0me ministéricl. Presque partout les ahonnés de la
QuolidicJlJll' avaicnt 'olé avcc ceux du Constiuuiouucl , par un
pacte bien étrange et bien Jaral, ¡\insi les élcctions d'arrondisse-
ment laissaient le ministórc daus l'isolcmcnt. En réunissant tous
les éléments de sa force, il n'avait pas mérne un tiers de voix,
Un espoir lui restait pourtant dans les colléges de départcment :
Hl était la grande propriété couservatricc, On devait lui faire UlJ"'~:';;




60 HISTOIRE DE LA RESTAUHATION.
appel, l'effrayer par la crainte des révolutions, menacor ses SYIll-
pathies et ses intéréts, La grande propriété serait-ello sourdc
a l'appel que lui ferait le ministere royaliste en péril?


Il s'était fait dans l'opinion un frémissemcnt de satisfactiou et
de joie; c'étaít moins contre la royauté , disait-on , qui semblait
1101'S de cause, que eontre la Congrégation et JI. de Villele
qu'étaient donnés les votes des élccteurs. Cctte joie hruyante
éclata en désordre , et id j'ai a raconter les tristes scenes de la
rue Saint-Denis. J'ai recherché avee soin tous les documents sur
ccsjournées oú 1'0n s'essaya aux barricades: il y cut tout a la fois
de la révolte et de la police, comrne dans prcsque toutes les
émeutes; le peuple était content, ct le pouvoir de mauvaise hu-
meur; de la mille causes de eonflits sanglants, J 'ajouterai que
le ministéré avait intérét agrossir la sédition , paree qu'il voulait
cnvoyer en province la peur d'unc révolution par le télégraphc.
Voici les faits : Quand le résultat des élections cut été connu,
quelques maisons illuminercnt spontanément; alors des groupes
nombreux parcoururcnt la ville et prirent hientót un caracterc
de violence 1; ils Ianraient des picrres aux fpuvtrcs, intimant a
tous l'ordre d'illumincr. Dans la rue Saint-Dcnis , on cassait les
vitres; de paisibles habitants étaicnt íusultés, et cepcndant au-
cune force publique ne se préscntait pour les proteger. Au bout
de quelques heures parut enfin nn détachcmcnt de gcudannoric ;
iJ fut recu acoups de picrres ; mais de [orles patrouillcs arrivnut ,
les mutins furcnt dispersés. Ils se rallicrcnt hieutót et construí-
sirent des barricades ; vaincment de nouvelles patrouilles essayc-
rent d'enlcver ces barricades ; la résistancc devint tellc qu'cllcs
furent obligées de rebrousser chemin. Ce ne fut qu'apres des


1 Quclques-uns do ces groupes dc llix ou douzc pcrsonnes étaut
passés devant Ic rninisterc de la marine sans qu'ils fusscnt arrétés ,
1\1. de Chabrol se liátn d'écrire ú M. de Yil!0Ie: « N'est-Il pus á
craindre que si lOUS nc réprlmcz pas de si légcrs désordrcs , 00 no
soupccnnc la pollee p» 1\1. de vtuete s'oñcusa de ces SOUPt.'Ol\S, ct
réponrlit : « Si I'on n'a pas réprirné ces groupcs , c'est qu'apparammc nt
ils n'ont trouvé aucune force dcvant CUlo »




CHAPITUE XXIII. ()1
charges réitérécs el un feu de pelotou que l'on pul s'eu remire
maitre. Quclques accidcuts qui marquereut cette répression si-
gnalaient un dauger pour I'avcnir du Gouvernemeut et de la
monarchie; il Ycut hésitation dans la troupe de ligue. Un com-
missaire de pollee avaít invité un chef de bataillon acommencer
le Icu. (( Jc n'ai pas d'ordre a rccevoir de vous» , lui répondit
cetofficier supérieur ; « Nous n'échangcrous pas des baIles centre
des picrres », s'écriait un capitaine de voltigeurs. On trouvait


• plus de dévouement dans le colonel Fitz-James; ala tete du 18e
deIigne, i1 connnanda le feu , maJgré la défense du général qui ,
au momcnt de la prcuiiere décharge , accourut pour faire cesser
cette Iutte sanglante. Ces scencs se reproduisirent pendant plu-
sieurs jours avcc un ordre , une précision , une régularité qui
signalaicnt une impulsion communc ; 01', le comité insurrec-
tionncl u'existait plus alors; ce pcuple , qui s'essayait ala résis-
tance, était cctte masse (fui cncombre une grande capitale : joi-
gnez a cela l'insouciancc de la police , le besoin qu'ellc avait de
supposer des dangcrs ponr Iaire croire aux périls du trñne ; on
appclaitde toutes ses forces un conflíL entre la troupe et le peu-
ple : j'ai cntcndu des mots atroces. « 11 faut que ce conflit ar-
rive, paree qu'alors se montrera cettc inimitié naturclle entre
le soldat et le citoycn ; on a tiré des coups de fusils; la monar-
chic est sauvée : l'armée cst pour nous! » Quand on réfléchit a
toutcs les circonstauccs qui marquerent ces graves évéucmcuts,
aux causes secretes <fui [es próparcrcnt , on ne peut s'cmpóchcr
de voir le prólude des journécs de Juillet; ces barricades qui
s'élevcnt avec cct instinct des multitudes: cette tentativo de ré-
pression par les armes ~l Icu ; ce relus de dcux officiers de tirer
sur le pcuplc , tout cela prósagcait un, engagement plus sérieux
et les dangers qui pourraicut surgir. S'iI cst vrai que la police
de ce tcmps , el j'ai quelqucs raisons de le croire , laissa s'ac-
croitrc le mouvomcnt , aíin d'uscr de moycns plus violcnts de
répression ; s'il cst vrai surtout que l'on employa ce mouvcmcnt
pour cffraycr les provincos ct assurer les choix des Iloyalistes ,
c'cs: un tristc jeu qu'on jouait la, On habituait le peuple ¡l résister


l\. 6




62 mSTOIRE DE LA HESTALIL\TlO.i\.
aux troupes , on s'essayait aux harricades : trisle essai pour la
monarchie!


Le télégraphe porta aux grands collégcs la nouvelle que Paris
était révolté , el que la sédition meuacait le tróne, Le président
du Conseil donnait ordre aux préfcts en IlH1111e temps de grouper
les voix sur les candídats royalistes , quclles que fussent leur
couleur, ministérielle ou de contre-oppositiou. Cccí était une
mesure prise de coneert avec le roi Charles X, qui , voyant la
tournure que prenaient les élections , voulait a tout prix éviter
une majorité libérale, cal' avec les Itoyalistes il y aurait moycn
de conciliation. Dans une convcrsatíon intime avec le Roi, il
avait été question d'une modification ministérielle , afin de ral-
lier toutes les nuanees ro~ alistes, ct de satisfairo sur quelqucs
points l'opinion. Cette conversation , tout ~\ Iait secrete, avait
été suivie de la circulaire aux préfets. 1\1. de VilleIe ne teuait
point a ses collcgues, personne ne les sacrifiait plus facilement
aux exigences de sa situation. Les élections des grands colléges
produisirent a peu pres le résultat qu'on avait prévu, Le partí
liberal n'obtint la majorité que dans un petit noiuhre ; la contre-
opposition eul ici la haut« maiu, La victoirc Iut ¿l la droite , au
centre droit et au centre gauche, La uiajorité des élcctíous était
encere royaliste, quoiqu' elle ne Iüt pas ministériellc. 1\1. de
Villde le faisait dirc el répéter al! Itoi ; il songca sérieusement
alors ¿\ un remaniemcnt du Conscil. 1\1. de Pcyronnct n'avait <"lé
élu ni aBourges ni a Bordeaux; il avait demandé la pairie; 011
1:1 luí avait reíuséc , sous prétextc qu'on nc pouvait créer pair
un ministre qui avait été rcpoussé par deux collégcs élcctoraux.
C'était un coup en dessous de M. de Villele. Le présidcnt du
Conseil méditait la complete tli';gr~ce d'J 31. de Pcyronuct,
Celui-ci s'en expliqua avce clialcur. « Vous ii:UCZ ma démission ,
s'écria JI. de Pcyronnet ; jc saurais braver la tuiscre mémc , s'il
le Iaut. » l\I. de Corbiere voulait ¿¡ tonto force se rctirer : il a\ ait
des chagrins de famille el une véritable lassitude des aílaires pu-
bliques; ;\1. de Clermout-Touuerre était depuis longtemps sacrifié
daus l'esprit du président du Couseil : le Cabinct était en que!..




CHAPlTR.E XXIlI. (j3
fIue sorte dissous. lU. de Chahrol seul se rattachait ¡, la fortune
de M. de Villele , el lui restait fidele ; il fut député aupres de
M. de Martignac pour lui proposer un ministere. Avcc beaueoup
de finessc , M. de 'Iarlignac répondit au négociateur : « J'aime
beaucoup ,,1. de ViJlNe; inais jc sens en moi trop de vie minis-
térielle , pour m'assocjor ü un syslellll' qui n'a pas quinze jours
d'existence. » On sonda égalcmcnt i\l. de Pastoret pour les sceaux
et lH. de Talaru pour les affaircs étrangcrcs; il Y cut partout
refus absolu. eette premiere négociation n'cut done aucun ré-
sultat ; elle avait lieu. dans la seconde ruoitié du ínois de no-
vcmbre,


Cependant lU. de Villelc , résigné en déflnitive a sa dérnis-
sion, éeoutait toutes les ouvcrtures , adoptait toutes les chances.
Quand un ministere est prét a tomher , il arrivc une foule de
gens qui, sans mission , viennent vous proposer ce qu'ils ne
sont pas autorisés avous oífrir. 1\1. de Yillele avait trop l'instinct
de sa positíon pour ignorer que, dan s l'état oú les choses étaient
arrivées , iI ne pouvait s'unir a un ministere de gauche, ct
eñcore moins le Iair« agréer par le BoL le président du Conscil
{o/ah (In position de lout éconter , de répondrc a toutes les pro-
positions ; mais de la ;1 une alliance arce la gaucho il y avait loin :
il ne pouvait y souger séricusement ; il aurait fallu pour cela
changer-la tete de Charles X. Sans doute ,,1. de VilleJe ne rcnon-
cait point cncore a la partic , pour me servir d'une expression
qui lui était Iaruiliere ; il pouvait se raccrocher aune combi-
naison raisonnable ; mais il perdit hicntót tout espoir lorsqu'il
vit I'impossihilité de rapprocher de lui les deux nuances d' extreme
droí le ct des royalistes constitutionnels qui se prononcaíent de
plus en plus. Dans cette situation, des intrigues de cour ,
vinrent aider le mouvcment parlementaire. Il y avait Iongtcmps
qu'au Cháteau il s'était formé un partí d'opposition eontre ~1. de
Yillele, Il rcmontait trés-haut , et déjü l'on avait pu s'en aperce-
voir lors du vote de la conversión des rentes; depuis , cette
opposition s'était agraudic, En 1827 on comptait peu de gentils-
hommes, peu d'officiers de cour qui ne fussent en hostilité avec




64 HISTüIRE DE LA RESTAURATION.
1\1. de Villele ; 1\1. de Fitz-James était son plus constan! cnncmi,
1\11\1. de Gramont, de ñlaillé se prononcaiont centre lui, et le
comte de Clandeves, gouvernenr des Tuilcries , s'exprimait avec
énergie sur la nécessité d'un changement. Un partí puissant , 'h
la tete duquel se trouvait 1\1. de Ilivierc , favorisait les dcsseins
secrets de 1\1. de Polignac qui avaít ],idé~ Iixe du ministcre des
afIaires étrangéres, Plusieurs fois 1\1. de Iliviere avait chcrché a
le rarnener dans le Cabinet, et plus il avait étó repoussé par
1\1. de Villelc , plus les petits ressentiments de ce parti de cour
avaient grandi, 1\1. de Riviere travaillait sous main le présideut
du Conseil, non pas dans le sens lihéral , mais au prolit de ses
amis, auxquels s'étaient joints , je le répéte , lU. de Fitz-Jarncs
et le duc de Maillé. Déja plusieurs fois JI. de Itiviere avait rherché
a tourner 1\1. de Villele, et ~l aífaiblir pour luí la couíiance
royale. Le président du Conseil comhattait ecuo intrigue par
l'idée de la profonde incapacité de 1\1. de Polignac, Depuis la
dissolution de la garde nationalc surtout, ceue opposition s'ótait
montrée plus vive, elle s'était méine ouvcrtciucnt cxprimée avec
le Iloi , qui l'avait rcpoussée cl'abord arce dépit et colcrc ; mais-
son action intérieuro u'eu était pas moins influentc , cal' elle
était la tous les jours , tous les instants : elle arrivait avecle bulle-
tin de 1\1. de Iliviere , qui chaque matin rendait compte au Iloi
des progre s du duc de Bordcaux. On ne pcut échappcr ü l'in-
fluence de ses proches , de ses amis , et les rois u'cn sont pas
aflranchis. te second mouvoment de cour partait d'un centre
cornmun, le Dauphin, devenu en quelque sorte l'esperance de
tous les centres d'oppositions modérées; derriere S. A. n. s'était
groupée la' Chambre des Pairs : on flattait 1\1. le Daupliiu du
cornmandement général de l'armée; tous les officicrs d'intimité
étaient félicités , caressés par les chefs de l'ancien systemc Ilichc-
lieu et Decazes. Cette opinión trouvait appui au Cháteau dans
les gcntilshommes d'une couleur modéréc , tcls qne ~DJ. de
Glandeves , de Gramont, de Lnxcmhourg , qui ne voulaient
point s'exposcr , et exposcr encare une fois la monarchie aux
tcmpétes; ils les voyaient se grossissant dans l'avenir par tons les




CIIAPITTIE XXIII. 65
accidents qni surgissaicnt comme des catastrophes jusqu'aux
harricades de la me Saint-Deuis. Auconscildu Roi, ces opinions
trouvaicnt deux échos timides, mais enfin pcrsévérants : 1.\IM. de
Chahrol et Frayssiuous : i lss'en exprimai enL Iaiblemcnt encore;
mais quanrl I'instaut serait venu , ils devaient éclater. l\I. de
Jlivierc , dans les derniers jours de déccuibrc , eut une explica-
tion avcc le Iloi : il semhlait lui dcmander , au nom de l'enfant
augusto qll 'il avait sous son gouvcrncmeut, de songer al'union des
Ilovalistes, 1\1. de villele était-il le soul homme dévoué au Iloi ?. ..
n'y avait-il dans son Conseil et en dchors aucuu serviteur qui pút
le remplacer ? falIait-il ahaudonner le tróue ~l la haine publique?
Charles X s'était encore un peu Iáché, mais I'effet était produit,
l\I. de Villele dut s'en apercevoir lorsqu'au retour de Compiegne,
oú la Cour l'avait heauconp travaillé , le Iloi lui dit : « Eh bien!
lU.. de villelc , avez-vous formé un miuisterc? )) i\I. de VilleIc
avoua qu'il n'avait pu réussir encorc ; il demanda jusqu'au 25 dé-
cembre; le Iloi ajouta : « Il est nécessaire que d'ici la tout soit
fini, car je vcux annonccr mon ruiuistere le 1e r janvier. )) De
nouvcaux el ímpuissants ('(Torls ayant Né tenLés, }I. de Yillele
d(~C!ara « qu'il .cl'Oyail les circonsrances tcllcs, qu'une fusion
entre les uuauces royalistes ne pouvait s'eflcctucr qu'apres sa
démission. )) Une prcmierc conversation cut alors licu sur ses
succcsseurs : le nom de 1.\1. J ulcs de Poliguac fut prononcé, mais
M. de Villolc l'écarta SOllS le pretexte d'incapacité, « JI ne fallait
pas , disait-il, de présideut du Conseil. ene des causes qui avaicnt
suscité le plus de haine contre lui , n'était-ce pas précísémcnt
ce pouvoir réuni en une sculc main et qui donnait un nom a un
millislt'~re ? On passa a une discussiou de personnes, Les noms
de .1D1. Portalis , Hoy, l\larLignac et Saint-Cricq furent dési-
gnés par JI. de Villi'le avant mémo qu'il cut été parlé au Conseil
de la dissolutiou du Cahinet : une circonstance accéléra la crise.
II arrivait journellement ¿l ",1. de Villi'le la menace qu'une accu-
satiou serait porté'e contre lui s'il restait au pouvoir , et que _
tontos les couleurs de l'opposition se réuniraient pour ce g~~
proct"s politiqpc. Sans doute le président du Conscilnc rcdoútait




66 HISTOIRE DE LA RESTAURATlON.
pas le jugement défmitif de la Cour des Pairs ; il avait pour cela
pris ses précautions par sa promotion récente ; mais une accusa-
tion portée par la Chamhre des Députés ne le perdait-elle pas II
tout jamáis comme homme politique ? 11 fallait l' éviter et épargner
également II la Couronne un proees crimine! eontre ses con-
seilIers. M. de VilIele se décída done II conuuuuíqucr a sescol-
legues l'intention OU était le Roi de former un nouveau Cahine/.
S. lU. manda sur-le-champ lU. de Chahrol aux Tuileries; et apres
lui avoir témoigné le désir de le conscrver aux aflaires , ilIe
chárgea de lui présenter une liste des noms qu'il pensait les plus
propres a organiser un ministcrc, lU. de Chabrol demanda
quelques instants de réílexion ; il voulait se coneerter avec :U. de
Yillele , et j'ai quelque raison de croire que ce uouveau minis-
tere fut formé sous la complete influcnce de I'ancien président
du Conseil. Dans une audicnce du soir, 1\1. de Chabrol présenra
au Roi les noms suivants comme tete du conseil : M. de Chñ-
teaubriand, de La Féronnays , de Fitz-Jamcs , de La Bour-
donnaye, Quand le Roi eut cette liste, voici comment il s'ex-
prima: « I...e nom de Cháteaubriand me blesse; il Iaut que je
sache votre dévouemcnt , 1\1. de Chabrol, pour qne je vouspar-
donne de me le présenter. La Féronnays est pour moi un triste
souvenir J ; au reste, le Dauphin ne voudrait jamáis l'admettr«,
Je ne crois pas a Fitz-James l'importance et la capacité néccs-
saires; vous savez si j'aimc Polignac , mais j'ai des raisons pour
ne point l'admettre actuellement. Quant a lH. de La Bourdon-
naye, songez, 1\1. de Chabrol , que 1l0US avons encore dans la
Chambre cent víngt-cinq députés du systeme de 1\1. de Villclc ,
et que ce serait leur faire injure que de porter au ministcre
l'homme qui les a insultes en face pendant cinq 'lJIS. » :\1. d('
Chahrol revint ala charge pour M. de la Fércnnavs; le Hoi ,
pressé vivement , répondi t : « Eh hien ! si lllOIl fils y COIlSPIl t ,
je preudrai I.Ja Féronnays » ; le Dauphín ne fit aucunc diílirulté.


J 011 sait que ,\1. le duc de Btrrl ayallt rncnacé 1\1. de La Ft"J'(lIl 11 a ~ '~,
le noble genülhomme saisit le prince par le hras, ctlui di! ClI JI' sr-rrant
fortcmcnt . « l\lonseignclll', jc suis plus for! que vous! ))




CIlAPITRE XXIII. 67
(( Puisqne mon pere l'a ehoisi, jo n'ai pas un mot ~\ dire. »
Avant tout, je dois noter que la pensée qui presida ~t la com-
position de miuistére ne fut pas de donner une plcine et enticre
satisfaetion 11 l' opinion. La conception fut moins large; on voulait
réunir le centre droit , la dNec/ion, l'cxtréme droite , avec
quelques fractions du centre gauche, et s'opposer ainsi a la
gauche en lui faisant quelqucs concessions. Ici l\l. de Villele
avait l'air de se sacrifier connue un obstacleala conciliation des
Ildyalistes. Il proposait méme de rcster dans la Chambre des
Députéspour appuyer et défendre cette combinaison.


Quand il s'agit de former le uouveau Cahinet , on posa la ques-
tion de savoir s'il y aurait un présideut du Conseil, M. de Yillclo
s'y opposa, prétextaut qu'il avait appris , par une triste expé-
rience , qu'un présidcnt du Conseil , en centralisant le ministcre
sur une seule tete, assumait sur elle toutes les haines , tous les
ressentiments. Le motif secrct de M. de Yillelo était celui-ci :
s'il y a une présidence du Conseil, peut-étre la donnera-t-on 11
)1. de Polignac ou ~l 1\1. de Fitz-James, Alors je n'aurai plus
d'actíon sur I'csprit du Iloi , ses affections seront satisfaites ; le
minístcre sera consolidé. JI. de Vill¿,le poussait 31M. de :Uarti-
gnac ct de Saint-Cricq ; iI voulait trouvcr dans lU. de Martignac
un éloquent déícnseur de son adruinistration, 11 laquelle il s'était
associé. 1\I. de Saint-Cricq était égalcment de ses amis , un des
confldcnts de ses sccrets , un caractere comme il aimait a en
trouver l. Quant 11 lU. de Canx , il dut sa nomination 11 cctte
circonstancé , qu'il y avait Mjlt cinq pairs de Frauce dans le Ca-
hinet , et deux députés seulcmcnt. On avait d'nbord indiqué
-'DI. d'Ambrugcac et Dode de la Bruncrie ; au reste, les ser-
rices ¡¡dmillistratifs de lU. de Caux l'avaicnt signalé a lU. le
Dauphin. ". de La Férounays arrivait de son ambassade en
Ilussie ; il avuit {>t{. lllí'% 1\ toutcs les dernicres transactions di-
plomatiqucs, On le connaissair ;t peine, mais de tous les grands


1 .1\1. de Saint-Crlcq ne dcvait conservcr d'uhord que le litre de lll'é-
sídcnt (In hureau du commcrce , nvcc l'cntrée au Conscil.




68 mSTüTnE DE I,A nESTAUnATlüN.
ambassarleurs seul aParís, il u'avait d'aillcurs pour concurrcnt
sur la liste que l'lM. de Saint-Priest , de Talaru el de Itayneval,
Quant ¡\ ~nl. Hoy eL Portalis , ils éLaient tellcment indiques par
l'opinion, qU'OH ne pouvait les éviter. Ils avaient été compris
dans toutes les comhinaisons qu'on avaitjusque-la cssayées, Hans
la primitivo comhinaison de lU. de Cl1ahrol, lU. Portalis n'était
porté qu'a l'instruetion publique. JU. de Villele eüt désiré éviter
1\1. Hoy, mais cela ne se pouvait paso Dans les derniers jours de
déccmhre , le Cabinet n'était ríen moins que formé. l\l. de Cha-
hrol s'était ouvert a lU. Lainé pour le poste de garde des
seeaux; il n'avait trouvé qu'un inflexible refus, On parla de
M. Casimir Périer pour la présidcncc du burcau de commcrce ;
le Roi avait des prévcntions, qui ne s'cflaccrcnt qu'apres le
voyage en Alsaee; il fallut y renoncer. M. de Chabrol se ehargea
des propositions individuelles ; on rapprocha les noms : le négo-
ciateur y mit une grande dextérité; les diffieultés étaient gran-
des, et voici le motif : e' est que M~l. Portalis, Martignac et
Roy étaient indirectcmeut. eugagés dans un autre ministcrc qui
se formait sous le patronage du duc de Hivicre el par l'entrcmisc
de ;\1. Roux-Lahorie. ~I. de Chabrol était en quclquc sorte
l'expression du systeme villcle imposant les combinaisous de
l'ancien président du Conscil; l'autre ministere était la eouleur
Polignae. 1\1. de Chabrol l'emporta , paree que l\l. de Yillele
conservait quelque influence sur le Roi. Les propositions furcut
a la fin agréées , sauf a régler les conditious dn syslhlle dans
une réunion du soir ~l neuf hcures chez }1. de Chabrol. Les nou-
veaux ministres s'étaicnt positircmcnt cntcndus sur ce point :
qu'ils ne pouvaient laisser l\l~1. de Villele , de Corhicre ('f de
Pcyrounet dans la Chamhre des Députés, Il était évidcnt qu'ils
allaient se Iaire chefs de la droi le, et qüe , par ronséquent,
maitres de la majorité , ils la dirigeraicnt dans le scns qui leur
conviendrait , ce qui ne pouvait 01re admis par les sncresseurs ; iI
faIlait done, C0ll1111e coudition e~;sf'lItidl(', les Iair« pairs. JI. de
Chahrol n'ayant pas de pouvoirs suflisants qnant ~l ce, le minis-
tero fnt nn moment dissous , 1<' soir mémt- de sa formal ion.




CJIAPITRE XXITT. 69
D'ailleurs , les hommes dcstiués ¿\ composer le Cahinct s'ótaicnt
réciproquement consultés sur lcur force, sur lcur avenir, et
tous paraissaicnt convaincus qu' ils ne pouvaicnt allcr, tels qu'ils
étaient , avec la majorité de la Chamhrc. Cctte conviction était
uée 1110jns encere dn scntimcnt de lcur propre Iaihlcsse que du
ronscil de Icurs amis. IA~ parti politique de MM. Pasquicr, De-
cazes, et mémc Chi\teauhriand, découragcait la nouvelle ad-
111 inistrntiou , et, tont en ]'en1ournnt , semhlait lui dire qu' elle
Be pouvait avoir de vio que par eux et avec eux. A son rctour
du chatean, OÚ lU. d(1 Chabrol était allé faire signer I'ordon-
nance, le ministre tronva le Conseil séparé, )l. de Saint-Crieq
courut tonte la nnit ponr cherchcr ¿\ refaire le nouveau Cabinet.
La pairie fut acceptóe par l\HI. de víllele , de Corbiere et de
Pcyronnet. Les embarras s'aplanissaut , les ministres se rappro-
cherent , et leur nomparut dans le l11oJliteur. Dans ce ministére ,
iI n'y avait d'hommcs nouveaux arrivaut dans une haute posi-
tion miuistériclle que J\l1\1. le comte de La Féronnays, de Saint-
Cricq et de Caux r • J'ai M.i¿• .iug(~ 1\nl. Portalis , Iloy , Fravssi-
nous ct de Chahrol , qui lons avaicnt Iait partie des administra-
tions antéricurcs, JI. (le la Féronnays , loyal gentilhomme, avait
passé sa vio Iiors de Frauco. JI arrivait alors en congé de son
amhassade de Ilussic ; c'était le type de ectte franchise de ca-
ractcrc dant on trouvait quelqncs débris dans la noblesse fran-
caise ; il n'avait point un esprit élerl', ¿. grandes vues , mais
juste. Il connaissait l'Europe ; mais , commc iU. de Ilichelicu ,
il savait peu la France , ses capacités , ses habitudes politiques et
de tribuno. Timide de maniéres , il n'aurait jamáis cru qu'un
hounne ou un parti voulüt nutre chose que ce qu'il annoucait ,
eüt une autrc pells(~e que son sermcnr. II allait au-devant de tout
ce qni était sincóre , saus rópugnance pour aucune opinion ;
dans sa courtc rarrierc rninistéricllc , on ne put lui reprocher ni
dissimulation ni JacI1clé. Quand jI avait une pensée, 11 la Iivrait


1 On n'avait poiut rcrnpli le ministére de l'instructlon puhliquo ,
dans l'intention de le douncr it un utíle auxiliairc du Cabinet : 00
songcait d(~ja a l\1. de Chátcauln-iaud .




70 mSTOIRE DE LA RESTAURATfON.
a la puhlicité ; il la portaít ala tribune , sans craindre de repro-
ches; il en était venu ace point qu'avec des opinions , des prin-
cipes et un dévouement tres-prononcés , il avait conquis l'estimc
de tous les partís et la considération de I'Europe, L'Angleterre
avait vu arriver M. de La Féronnays avec quelque défiance; OH
savait sa longuevieen Russie; et l'estime qu'avait pour lui l'em-
pereur Nicolas faisait craindre une politique trop favorable an
cabinet de Saint-Pétersbourg dans le moment OU la guerre se
déclarait contre la Turquie. Au reste, les opinions, les senti-
ments de M. de La Féronnays étaient tout royalistes; ses liaisons
et de farnille et de souvenirs appartenaient a la droite, avcc ses
préjugés et ses croyances, LU. de La Féronnays vivait dans la plus
haute intimité avec M. de Poliguac, Il n'accepta le ministére
qu'avec répugnance, et apres les plus persévérants eflorts de
ses collegues de Cabinet. lU. de Saint-Cricq passait du burcau
du commerce a un ministere du méme titre : c'était un esprit
exact, voyant bien une question, spécial s'il en fut sur toutes
les matieres cornmerciales , possédaut parfaiterucnt I'intclligeucc
des questions d'économie politiquc avcc les traditions prohibitivos
de l'Europe , n'arrivant que lcutcmcnt aux príncipes plus larges
de la liberté commerciale; caraca-re sans opiuious el sans prin-
cipes politiques bien certains , homme moderó el penehant par
sentiment vers les doctrines du centre gauehe; ses défauts
étaient surtout un certain caquctage politique , un hesoin de
révéler a tous les secrets du Conseil , et ce que ne pardonnait
pas la lUaison de Bourhon, un manque ahsolu de tenue; Char-
les X ne le considérait ni plus ni moins qu'un commis de doua-
nes et de finances. Venait enfin 1.\1. de Caux , appelé d'abord au
ministere de l'administration de la guerre, dont on détachait le
personnel pour le confier alU. le Dauphin. C'était ici une pensée
de lU. de Yilléle , qui croyait que le nouveau Cabinet devait se
placer sous le patrouagc de S. A. H., paree qu'ellc avai; con-
couru au renversement du précédent ministcre. JI. de Caux
n'était point connu dans la Chamhrc ; il venait a peine d'étre
élu : on ne le considérait point comme une tete poli tique , mais




CllAPlT RE xxut. 7t
conuue une capacité de bureau. Il possédait une grande clarté
d'expressious , une parole et une pensée positives et nettes; une
counaissance particuliere de l'armée , de ses hesoins et de son
personnel.Il ne voulut accepter le ministere qu'on lui confiait
qu'a la condition cxprcssed'uue modiíication dans l'ordonnance :
il demanda le ministerc de la guerre avec sa responsabilité , et
n'accepta que la préseutation par lU. le Dauphin, sous la direc-
tion de lU. de Champaguy. Tout le Cabinet était formé acertaines
conditions : la premiere imposéc par lui, e'était la séparation
complete de l'ordre religieux d'avec I'ordre politique, et c'est
ce qu'expriuia I'ordounance qui enlevait I'Université au minis-
tere des allaircs ccclésiastiqucs ; la séparation également de
l'ordre administratif de l'ordre judiciaire, ce que réalisa 1'01'-
donnance sur les couílits, De son coté, le ministére s'obligeait
aéviter de tous ses ellorts l'accusation contre l'administration
de ~l. de Villele, et d'en faire positivement une affaire de Ca-
binet, Tel était l'état des esprits , que ce minístere fut aeeueilli
aH;C méfiance par tous les partis; on le trouvait sans eouleur ;
on l'envisagcair connuc l'expression d'une derniere pensée de
31. de Villele, donnant une administration de faiblcsse , pour
arriver de nouveau couunc une nécessité.


Le temps est VCIlU de juger le ministcre tout entíer persou-
nili.é daus M. lte ViHNe. En separant les hommes du parti qu'rls
rcpréseutaicnt , plusieurs avaieut une capacité incontestable, et
nar-dessus tous JI. df~ Yillelc , homme en prcmiere ligne dans la
Chambrc el dans I'admiuistration. Je vais plus loin, prenant
chaque ministerc en son particulicr, envisagé au matériel , des
amóiiorations importautes Iurcnt faltes aux finances, a la régu-
larité du blldgeL, ~l la siucérité des comptes , ~l la justice, ü la
magistraturo, aux procédures , aux greílcs , ala marine surtout ,
oú M. de Chabrol réalisa deux grandes améliorations, les pré-
Iectures maritiiucs t't les {~(IuiJlagps de haut bordo Jlais connne
pensée générale , ce syslt'llle royaliste el dévot précipíta la ruine
de la monarchic; J.H. de villelc pcut s'accuser d'avoir porté un
coup fatal aux Bourhous de la branche aiuée. Il usa tous les res-




7'2 mSTOIHE DE LA RESTAUlL\TIOS.
sorts du Gouvernemeut en les tcudant ourre mesure; il remit il
ses successeurs toutes les armes du Pouvoir usées et Ilétrics ;
tout fut des lors concession , paree que tout avait été trop violent ,
trop en dehors des lois et de l'opinion; tout avait éLé poussé 11
hout; OH avait rcmué le pays conune Ü plaisir, En se jetaut dans
un mauvais systeme , OH avait été coudaumé ü frappcr toutes les
résistances , de sorte que ces résistauces s'accroissant Ü mesure
qU'OH sortait plus cornplétemcnt de I'ordre social ,il en résultait
qU'OH avait tout frappé , et qu'a la fin on avait tout contre soi,
L'action légitime du Gouvernement sur les élections était dé-
sormais impossible par l'abus qu'cn avait fait l'administration ; le
Pouvoir dausles provinces était déconsidéré par les fraudes qu'il
avait commises; la réprcssion centre les jouruaux était désor-
mais usée par l'étrange abus de la censure: plus de respcr! pOllr
le Pouvoir; la religión sans force, le clergó proclamé conunc
enucmi ; partout des méfiances centre la Couronue ; et le pays
avide de garauties , paree qu' il ne croyait plus aux promesses.
Ce queje reproche 11 lU. de Villelc, c'est rl'avuir, apres lui ,
rcndu tout gouvernemcnl iinpossihlc : la véritable cause de la
ruine de la hrauchc ainéc cst li!; il He Iaut pas la chcrchcr nutre
part, Elle a conuucncó le jour OÚ le nrinistere scptcuual a tout
mis contre la monarchic , el pour résistcr ~l ce graud mouvcmcut
qU'll-t-il Iégué ~l ses succcsseurs '? un pouvoir que la prohit«
íaihle el le sysleme incertaiu du iuiuistcrc ñlartiguac u'a pu re-
Ievcr ni Iortiíicr aux ycux du pays.




CHAPITRE XXIV.


LE lII1NISTEllE' DE JI(. DE lIIARTIGNAC.


Situation du miuistere de M. de Martignac vis-a-vis la Cour el la Chambre
des Députés. - Prcrniere comb inaison de majorité, - L'adresse.-.
Retraite de MM. de Chabrol et Frayssiuous, - Loi sur les listes electo-
ralos. - Sur la presse. - Esprit des jouruaux. - Affaires étraugeres. -
La Crece. - La Hussic. - La Porte. _ Expédition de Morée, - Em-
pruut, - Ordonuauce coutre les jésuitcs. - Lois de finances.-
Mérnoire du couseil a Charles X. - Changement daus le personncl
admiuistr-atif, -. M. de Poliguac a Paris. - Préparatifs de la sessiou ,
- Lois municipales et départementalcs. - Intrigue contre le ministere
l\lartiguae. - Cause de la dissolution de ce miuistere,


J'Al maintcnant a suivre lc ministere qui prit le nom de 1\1. de
lUartignac. Associé a cc systéme de probité , de modération et
de progres , jc dois, historien impartíal , me tenir en garde
contrc mes propres cntralnemcnts. Pour juger haut ce Cabinet ,
il faut se souvenir dans quel état il prit le pouvoir et en facc de
quel mouvement d'opinion il agito lU. de Villele avait tout usé:
le gouvernement et l'administration ; il léguait de plus au nou-
veau ministerc une Chambre produite par un scntiment de
méfiance el de haine centre l'autorité ; il fallait la relever dans
le respcct des peuplcs , leur montrer un pouvoír sincere, noble-
mcnt inspiré, voulant la rnyautó avcc la Charte , et la Charte
sans révolution. Le ministere Jlartignae conunit des fautes ; et
qui n'en commet pas dans des tcmps agites! Il manqua surtout
de fermeté et de caractere ; mais je puis dire qu'il fit beaucoup
pour la liberté ct le Trñne qu'il voulaít appuyersur elle, et qu'il


1\'. . 7




74 HI5TüIRE DE LA RESTAUHATlOl\'.
fit beaucoup moins encere qu'il n'aurait voulu fairc. On n'a
jamais SU toutes les intrigues qu'il cut a combattre, en Iaccd'un
Roi dont il n'avait pas la confiance, d'une presse injuste, impa-
tiente, ct d'une Chambre morcelée en coteries; ct avec cela , les
Iois de liberté ct les garanties dont nous jouissons aujourd'hui,
nous les devons ¿l ce ministerc. On l'a accusé d'avoir vécu de
concessions : je demande si la vie sociale est autrc chose qu'uu
grand systéme de concessions, que cette mutuclle alliauce des
pouvoirs qui marchent de concert vers un hut commun, en
échangeant leurs Iorces , leurs faiblcsses, leur passé et leur ave-
n\l"'1 L~ )")\)WI eí\\\ IDini¡)\~:fC f h Pel})C Smmé f se tr{)n~í) ~}} pr{>
sence de deux difficultés : la Cour et la Chamhrc, Il n'y avait
dans le Conseil d'homme véritablement intime au Chatean que
le comte de La Féronnays, Charles X le tutoyait , rnais ce
n'était point une de ses confiances politiques ; et d'ailleurs il y
avait toujours souvenir dans le coeur du pere des querelles de
gentilshommes qui avaient séparé l\l. de La Féronnays du mal-
heureux duc de Berri, Le Roi connaissait un peu JU. de )lar-
tignac ¡ qui avait été trap lié ¿1 l'admiuistration de JU. de Villele
pour ne pas avoir eu des rapports avcc Charles X. Quant aux
autres ministres I ils lui étaicnt absolumeut inconnus, Il se sou-
venait pourtant que l\I. Portalis, secrétaire d'ambassade ;1
Londres sous le Consular, lui avait rendu quelqnes serviccs ainsi
qu'aux émigrés , et ces sen ices , Charles X ne les ouhliait poiut.
Les ministres étaient mieux avec J\l. le Dauphin; mais Son
Altesse Royale n'était pas un appui : timiele a l'exccs devant son
pere , impruclent dans ses IKE'0ks ¡ sous la double inílueuce des
inspirations de ses prochcs et de ses p~'opres cntótcmenrs , il
n'osait rien, el subissait a la fin I'opinion qu'on lui avait faite:
l\ladame la Dauphine voyait tout ce ministerc avcc méfiance;
elle pouvait estimer chaque ministre iudividucllcmcnt; en masse,
ils ne lui inspiraient aucune confiance ; ce n'étaicnt pas des hom-
mes de ses opinions, de ses aflcctions intinu-s; elle les subis-
sait comme une transition ct un passage. Quant h'ladame la
duchesse de Berri 1 se mélnnt peu d'aífaires politiqucs , elle




CHAPITllE XXIV. 75
n'avait ni prédilection ni répugnance pour les ministres qui en-
traient aux affaires. Le petit comité du Iloi était en majorité
hosrile au nouveau Cabinet. 1\1. le duc de Biviere , qui avait con...
trihué ala chute de 1\1. de Yillele, ne lui était pas personnellement
opposé ; mais ce ministere u'était pas formé dans le sens qu'il
avaít espéré en rem ('rsant le' dcrnier Cabinct , cal' ses désirs se
m(~Iai('nLa]'cntrée dc "'1. de Polignac, et il avaít été profondément
aflccté de ce que tout s'était fait en dehors du candidat qu'il
portait de préférence ~\ la tete du Cabinet. Au reste, dans ses
prcmiers rapporrs avcc le ministérc Martignac , M. de Riviere
n'avait laissé éclatcr aucun mócontentement. Ses petits bulletins
de chaque matinée sur l'éducation de lU. le duc de Bordeaux en
faisaient méme quelquefois l' éloge, La eoterie évidemment en
opposition était celle de MM. de Latil et Franchet. On ne peut
assez dire 11. que! point rancien dirccteur de la police avait ac-
quis la confiance de Charles X. C'était lui qu'on consultait sur
toutes les questious , qu'on interrogeait sur toutes les diffieultés
de Iégislation et de gouvernement. Cette opposition n'éclata pas
tout d'un COHp; elle se dévcloppa successivcmcnt a mesure que
le ministcre rnarchait plus frauclremcnt dans les voies de liberté
et de loyaulé politiquc.


Cefut le 4. janvier au soir que, pour la premiére fois, Charles X
réunit ses ministres en eonseil; il leur exposa avec netteté sa
positiou , ne dissimulaut aucuu obstacle, Il leur dit 11. ehacun
quelques paroles obligeantes , puis cnfin il ajouta : « Je dois vous
déclarer, Messieurs, que je me sépare 11. regret de l\l. de VilleIe;
l'opinion a été trompée sur son eompte; son systemo était le .-
mieu, » Ces paroles étaient au moins cxtraordinaires en présence" '
du nouvcau Cahinet, Les ministres ne répondirent rien, se ré-
servant au prcmier conseil de faire expliquer le Iloi sur le S~llS,
qu'il donnait ~l ecuo profession de foi, Il était important. WU:t ,
un Cabinet, jeté au pays le lendcmain d'une élection gén~l>~le., :. ,:
de bien connaltre el préciser les forees avec lesquelles il ~e.vatt' "-
marche!' ou combaurc, Cinq nuances bien distinctes divi~iélit
la Chambre des Dép\ll(~s el hrisaiont une majoriré diffici~' a




76 HISTOlRE DE LA. RESTA.URA.TION.
conduire au vote et a grouper autour d'un systeme. L'extréme
gauche s'était considérablemeut accruc sans former pourtant
seule une force redoutable , cal' elle n'allait point au dela de
soixante-quinze membres, Tous ses vieux orateurs, ses ardents
coryphées avaient pri1i place dans cette rénovation parlemen-
taire. Je n'y reviendrais pas , si la Chambre ue s'était recrutée
de plusieurs noms nouveaux , ct d'abord en tete lU. de Pradt :
c'était le premier prétre qui entrait dans la Chambre des Dé-
putés : le coté gauche l'cnvovait. J'ai parlé de M. de Pradt
comme auteur de brochures; les électeurs en faisaient un homme
politiqueo Je ne sache personnc qui , avec de l'esprit et de l'in-
struction, eüt plus de décousu dans les idées. Je crois que cette
écrivasserie de pamphlets, que le bcsoin de faire connaitre sa
pensée au public par des improvisatíons de volumcs , avaient
gáté toute rectitude d'esprit, la premiero condition des hommes
d'État. Une mobilité d'opinion surprenante , une conversation
verbeuse et dominatrice, soutenue dans les salons par une pi-
rouette et un haussement d'épaules achaque ohjectionqu'on lui
présentait , un verbiage de politique étrangere, des prophéties a
chaque parole, et de la mauvaise humeur contrc tout ce qui
n'était pas lui-méme : voila ce qui distinguait l'abbé de Pradt,
A l'extréme gaucho s'asseyait encere M. Audry de Puyraveau,
dure expression des doctrines politiques de la classe moyeune;
il avait de la fermeté sans talent, du dévouement sans pré-
voyance; il prenait la rudesse pour du patriotisme , ce qui est la
malheureuse prétention de certains caracteres; lU. de Schonen,
magistrat avancé dans la carriere par la Restauration, revétu d'une
position inamovible par Louis XVIII, n'avait cessé pourtant de
s'agiter contre la dynastie, il avait fait partie, disait-on, de toutes
les sociétés secretes; une parole difficilc ~l la tribune, mais de
l'aigreur et de I'activité ; caractere d'ambitiou et de partí. Puis,
dans une eouleur moins tranchée , 1\1. Dupin ainé , qui com-
mencait alors sa vie parlcmentairc, J'ai suiviavecattention cette
vie , et j'avoue que c'cst un dócourngetuent pour les hommes h
grolltl('f'! ¡(1(~ef{, ;\ Yílstr~ rOnrf'pl ious , flllí' fel rsprit pleln tlt1




CIUPITnE XX1Y. 77
saillics qui rapetisse tomes les quostions ot les cmproint de jc
ne sais quellcs formes bourgcoises : comparaisons , pensées ,
expression , tout est pris dans un cercle trivial; une mesure ne
se presente a cette intelligence que de son petit coté : jamais
rien de suivi; iI éclate pour ou contre sans qu' on sache le motif;
11 est lui tout seul , hcurtsut .'1 droltc et 1I gnuclie saus qu'une


.opinion puisse marcher avec Iui ou que :\1. Dupin puisse mar-
cher avec elle. Une tete ainsi faite dans un gouvernement serait
le dissolvant le plus suhtil , le plus puissant , le plus énergique.
Il n'est pas une íntelligcnce fortement organisée qui puisse se
rapprochcr de l\I. Dupin sans se briser; ct , avcc cela, fécond ,
mordant , ~l la parole facile, ayant des suecos de plaisanteric et
d' épigrammes ; dans une assemblée politique , ce n' est pas tout :
esprit antipathique tout a la fois aux supériorités sociales et au
peuple; ace peuple des rucs , dont on supporte en trernblant la
terrible souveraineté. JU. Mauguin , avcc non moins d' esprit que
l\I. Dupin, mais avec une parole plus haute, plus suivie , une
volonté plus saisissable; sa manie était l'Europe , que son esprit
superficiel aimait ~I suivre , paree que, avcc une carte , on peut
toujours tracer des limites naturellcs , régler les destinécs des
peuples el fonder leur avenir. }DI. Cunín-C ridainc et Pataillc ,
talents si ordinaires qu'il ne faut pas en parlero Le centre
gauche, qui se réuuissait ~t la gauche , se fortifiait de plusieurs
auxiliaires. En tete, l\l. de Rambutcau , anclen préfet , plutót
aigri qu'hostile , votant avec les opinions de 1\1:\1. Iloyer-
Collard et de Salute-Aulaire , et qu'OH pouvait facilcrucnt ratta-
rher ; Lepelletíer-d'AuInay, porteur de paroles , actif et préve-
nant pour un ministere raisonnable ; le vieux comte Duchátel ,
avcc ses traditions régulicres et adminisrrativcs ; Firmin Didot,
Iroidc ct scientifique cxprcssion des doctrines liberales. La frac-
tion des Ilnyalistes constitutionnels s'accroissait peu; mais die
avait été tout entierc rN'hl<', OH Y comptait cinq ~I six noms
importants , tels que ,,,1. d(' Camhon , qu'une vicille inimitié
séparait de 1\1. de villéle ; Félix de Lrvval , honune de considé-
ration el de conscicncc; de Prcissac, qui s'était si ouvertcmcnt




78 HISrOIRE DE LA RESrAURATION.
prononcé contre le demier ministere : c'était un gentilhomme
protestaut , hostile surtout 11 ce systcmo de politíque religieuse
qui avait marqué le régue de la Congrégatiou ; au reste, avec
des souvenirs de dévouemcnt a la Ilestauration , qu'il avait
scrvie de sa fortune et de son épée. 1\1. Agier , qui donna son
nom a toute une fraction de Chambrc : 1\1. Agier avait du
talent, avec la conviction d'une capacité universelle: homme
d'honneur , et de vanité parlementaire plus encore; aucune po-
sition politique et administrative n'était au-dessus de son impor-
tance; il visait a tout, paree qu'iJ se croyait a la hauteur de
tout. Les grandes pertes avaient été supportées par la droite el le
centre droit, qui acquéraientcepondant quelques noms nou-
veaux, et parmi eux M. Sosthenes de La Itochofoucauld, nommé
sous l'influence et le patronage de 1\1. Roycr-CoUard, et qui
s'était malheureusement melé a quclques ridiculcs de la Hes-
tauration; M. de Montbel, caractere honorable avec un ho-
rizon borné, homme el'esprit, mais sans étendue, entierement
dévoué a 1\1. de VillCle; M. Arthur ele La Bourdounaye , saine
expression des opinions de la droite, soutenant tour systéme
raisonnable; 1\1. de Chantelauze , qui prit irnmédiatcmcnt posi-
tion dans le centre droit , arce de l'csprit , de I'acrivité et une
grande facilité de paroles: enflu la contrc-opposition , sous la
dircction de M. de La Bourdounayc : ene avait presquc toute
été réélue , et parrni ses plus ardents orateurs se dessinait
1\I. Félix de Conny, d'un houneur chcvaleresque , saisissant tou-
jours une cause par le coté des prcux , sans Iaire attention pour-
tant que les temps étaient un pcu clmngés; qu'il Be s'agissait
plus de dames , de castels: que le géallt populaire avait hcsoin
d'étre abattu par d'autres armes qne par des coups de lance ;1
galante devise, et par des tournois ü fer émoulu.


C'est en présence de toutes ces opinions ([lW le ministere al-'
lait manreuvrer. A peine arrivés h Paris , les députés avaicnt
formé plusieurs réunions ; les mcmhrrs <1(' la gauchc et de son
centre s'étaicnt réunis au nombro dI' cent cinquanto ü cent
soixaute memhres, JI y avait en Iusion complete de ces dcux con-




r.nAPITnE XXíY. 79
leurs , quoiqu' elles se Irnctionnassent encere dans les trois nuan-
ces suívanrcs : ertrcrne qauc/u:-' secoude scction de gauc/te..
centre qauclic. Un certain nombre de royalistes constitutionnels
s'étaient joints acelte réunion , ce qui en augmentait les Iorces,
La seconde fraction de la Chambre embrassait l'ancien centre
droit et le c<>té droit , qui s'étaient réunis chez 1\1. Piet; ene ne


. comptait plus que cent vingt acent trente membres. La contre-
opposition , ayant asa tete ,,1. de La Bourdonnnaye , formait une
troisicme réunion dont la force n'a jamais été bien fixe ni bien
connue ; elle no Iraternisait point encore avec le centre droit et
le partí Villélc ; trop d'inimitiés existaicnt : on était trop pres
d'uue lutte acharnéc. Arrivait cusuite la défection Agier, qui se
composait d'une trentaine de députés , importante paree qu'elle
devait décider la majorité et donuer la victoire , soit qu'elle se
joignit ~l la droite ou ala gauche.


En face de ces partís si divers , le ministere sentait en lui-
méme un grand vide. 11 ne répondait précisément aaucune des
opinions qui se partageeaient la majorité; cette méfiance, cette
peur de la majorité était entretenue par les causeries politiques de
1\DI. Pasquier , Molé, de Barante et de Chñteaubriand : on par-
hit surtout de la néccssité de se séparcr complétemcnt du systéme
"iIlNe par le remplaccment de "11\1. de Chabrol ct Frayssinous. On
tenta une préalablenégociationpour fortificr le Conseil;elleéchoua
devant des suscoptibilitéspersonuelles. Il ne faut pasoublier quelIe
avait été la pensée de la Iormatiou primitivo du Cabinet : réunir
toutes les fractions royalistcs en se placant dans le centre droit,
Les prcmiercs ouvcrtures s'adresserent douc a l'extrémité de
droite , c'est-a-dirc au comtc de La Bourdonnaye qui avait tant
aid(; au renvcrsemeut de JI. de YilleIe : on Iui offrit un ministére
el des directions générales pou!' ses amis politiques. Les préten-
tions de lU. de La Bourdonnaye étaient bien plus forres: il de-
mandait en quelque sortc pour son partí la haute main dans le
Cabiner. Plus tard il se rclácha ; l'opinion de gauche prévenue a
temps Iut tcllcment soulcvéc contre cette comhinaison que le
miuistére s'en cflrava. Les négociations furent rompues ou sus-




80 HISTOlRE DE LA nESTAUnATTON.
pendues. De toute cette cxtrémité de droitc, le ministerc ne pllt
cntrainer que l\I. Bacot de Ilomans , qui par I'influence de
lU. Portalis adhéra complétcmeut au Cabinet, Il fut nommé di-
recteur général des contributions indirectes, Le ministere lit
également des démarches aupres de la défection ; il pensa que le
meilleur moyen de se la rattaclier tout cntiére serait de donner
un ministere ¿1M. de Chátcauhriand. On devait former des beaux-
arts , de l'instruction publique, des académics , une administra-
tion communc , créer un grand ministére de tout cela que l'on
oflrirait a un grand génie. C'était chose difficile que d'obtenir
du Roi la nomination de M. de Cháteaubriand ; quand ses mi-
nistres le lui proposerent , le Roi s'écria avec colcre : (( Vous ne
connaissez pas lU. de Cháteauhriand ; il vous rcndra les affaires
impossibles; d'ailleurs il m'a personncllement hlessé. » Ses mi-
nistres lui démontrerent la uécessité d'une tclle alliance ponr
opérer la fusion des Boyalistes. Le Roi dit : « Vous le voulez,
eh bien! faites ce qu'il vous plaira; j'en suis a ce point que je
préférerais l\I. Casimir Périer, » Les ministres, maitres de la pa-
role royale, avaient fait sonder 1'1. de Chñteaubriand par l\l. Frays-
sinous; lU. de Chátcauhriaud avait acccpté ; il écrivit méme
« que le poste qu'on lui réservait était en rapport avcc ses goúts
et les habitudes de sa vie » ; mais le soir 1\1. de Chñteaubriand
consulta ses amis, on lui persuada qu'ayant été ministre des af-
faires étrangéres, i1 ne pouvait accepter un ministere qui serait
inférieur. Et lU. de Cháteauhriand écrivit : (( qu'apres toute ré-
flexion, il ne pouvait accepter ce qu'on lui proposait l. » Au
bout de ces obstacles, il Y avait peut-étre une pcnsée secrete;
la défection voulait entrainer les affaires dans ses mains. Ainsi
les deux premiéres négociations du ministere Martignac n'avaient
aucun résultat ; on n'avait pas de confiance en sa durée ; on le
croyait composé d'éléments disparates, u'ayant aueune majorité
dans la Chambre; on le repoussait. Hans cene situation , ¿l qui


1 1\1. de Chátcaubriund dcrnandait ('galcnH'lIt k tltrc de tille, cornme
témoignagc de la gralitud!' rnvalc.




CHAPITRE XXIY. 81
pourrait-on s'adresser pour le ministere de l'instruction publi-
que, encere vacant ? On ne pouvait avoir un homme de majo-
rité; et ce qui montra combien le ministére était au dépourvu ,
ce fut le choix de M. de VatimesniJ. On le prit dans cette idée ,
que le ministére manquait d'orateurs , et que 1'1. de Vatimesnil,
ayant passé avecéclat dans lr parquet , pourrait devenir un utile
auxiliaire de trihunc , ce qui cst souvent une illusion. I..e choix
de M. de Vatimcsnil ne pouvait déplaire au Iloi ; c'était un de
ces noms que Charles X portait en son co-ur : cal' M. de Vati-
mesnil avait été I'organe du parti de la Congrégation sous :\1. de
Peyronnet; il devait plaire également a I'cxrréme droite ; iI était
comme une exprcssion ele cettc couleur. Il changea depuis , et
c'est ce qui hlessa le plus intimcmcnt Charles X. )1. de Vati-
mesnil avait montré un grand zele sous M. de Peyronnet; iI s'en
était séparé paree que le ministerc n'allait ni assez fort ni assez
duro On avait concu de grandes esperances de 1\1. de Vatimesnil
pour entrainer l'extréme droite ; il intervertit ce role et passa a
la gauche; ce n'était pas sa mission. Qnant a son talent parle-
mentaire, on se trompa encorc ; la parole de tribunr n'a que de
faibles rapporrs avcc ecuo discussiou plus ahondantc de preu-
res, de faíts, de lois, cct te tcndancc j udiciaire des réquisitoires,
Une élocution abondante cachait souvent le vide des pensées
politiques ; et des le premicr discours , lU. de Vatimcsnil perdit
sa réputation d'orateur.


Que faire pour le centre gauche ? On avait eu toujours ce sen-
timent en France , que ce coté se rattachait spécialcmcnt ~l la
légalité; il avait été fait quelques observations justes el constitu-
tionnelles sur l'ordonnanco qui confiait la direction de l'armée
au Dauphin. Je rappelle que 1\1. de Caux s'était plaint ele ce qu'on
lui avait oté le pcrsonncl. On s'empressa de rcntrer dans les
voies strictes de la rcsponsahilité minist('ridlc : une ordonnance
donna.a M. de Caux le titre de ministre sccrétairc d'Úat au dé-
parternent de la guerreo Un rilpport de M. Portalis satisfit égalc-
ment les exigences de l'opinion coutre les jésuites. Cette mesure
ilr;¡it été une dr.~ mur/i/ion,'; dI' 1'('/1/1'I)r do M. POl'tíllis nn mi....




82 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
nístére, Ce rapport, approuvé par le Iloi , et dans Iequel on ex-
posait la situation de l'instruetion publique et la néccssité d 'un
examen approfondi de la constitution des écoles secondaires ee-
clésiastiques , désignait une commission spéciale composée de
MM. l'archevéque de París, le vicouite Lainé , le haron Séguier,
le baron Mounier, le comte Alexis de Noaillcs , I'évéque de Beau-
vais, le comte de La Bourdonnayc , Dupin ainé , et de Cour-
vilJe, membrc du conseil de l'Univcrsité '. Elle était chargée
d'assurer dans toutes les écoles ecclésiastiques du royaume l'exé-
cution des lois , et de faire coordonuer toutcs les mesures né-
cessaires a prendre avec la législation politique et le droit public
des Francais, lU. Portalis avait réuni dans ecuo cornmission les
éléments de toutes les opinions, Le rentre gauchc , la gaucho
méme y étaient représentés, On calmait ainsi le retcntisseuicnt
de la vive question des jésuites, Comme coiuplémeut aux ron-
cessions faltes au centre gauche , on donna a!\l. Bourdeau la di-
rection générale des domnines, l\l. Bourdcau cntrainait avcc Iui
un certain nombre de boules sur lesquellcs il avait une iuílucncc.
On avait chcrché ase rattacher le centro droit par M. de Mar-
tignac, qui en était la fidele et anciennc cxpression : le centre
droit était le pivot de la couihinaison ministériclle. On coníiaen-
core la direction générale des postes ~\ lU. de VilIencuve , l'un
des députés inOuentsde cette partie de l'asscmhlée. Pour le cen-
tre et la droite de l'ancien ministerc, on maintint 1'1. Sirieys de
l\layrinhac et lU. de Bois-Bertrand au miuisterc de I'iutéricur.
On se rattaeha 1\1. de Curzay qui exercait une grande inílucnce
sur le coté droit de l'ancien ministere. Au reste, les fractions
d'opiniou, loin d'étre eneorc parfaitcment dessinécs, attendaicnt
toutes une question ou un événement pour se prononccr. Al1X
irnpatiences du public on fit deux concessions importantes. On
remplaca ;\LU. Delaveau et Franchet dans la dircction et la pré-
fecture de pollee. Ce fut encore Hl une affaire séríeusc.La di-


• Ce personnel avalt été long!cmps discuté entre 1\1. Portalls el
l'évrque d'Hermopolis, Ce fut un grnud eflort que tic I ohteulr lel qu'il
était composé.




CHAPlTRE XXIV. 83
rection générale de la police fut supprimée, et ron appela l\l. de
Belleyme ala préíecture de poliee. M. de Belleyme n'avait point
eneore eette réputation de libéralisme et d'administration im-
partiale et éclairée dout il donna depuis des preuves, Ses anté-
eédents se liaient au royalisme et a ce qu'on appelait le partí rc-
ligieux, 11 faut bien le dire , il fut choisi par le Roi eomme of-
frant une garantie pieuse dans la poliee de Paris, Ce choix était
centre droit , et fut accueilli avee méfianee par 1'opinion publi-
que, que 1\1. de Belleyme eonquit depuis a un si haut degré. Le
vicomte Siméon fut appelé a la dircction des Beanx-Arts ; on l'a-
vait ofTerte a lU. Yillemaiu : illa refusa. 1\1. Yillemain , alors tout
afait centre gauche , u'avait pas confiance dans le nouveau pou-
voir quí s'établissait , il voulait entrer aux affaires avec ses amis
politiques , avec lo duc de Broglie surtout, Le choix de l\l. Si-
méon était fort incomplet pon!' un département auquel se rat-
tachaient alors la presse et les journaux , hautes puissances in-
tellectuelles. 1\1. Siméon recevait avec politesse; mais eette ex-
pression insignifiante d'un honnéto homme , eette physionomie
compassée , ce sourire Iossile , tout cela n'allait point aux gens
de Ieures , class« surtout active , république diílicile a conduire
paree (lU 'elle ('s! pleiue dn vanité , de pctit amour-propre , el
souventd'une ficrt(. noble et iudocilc, Ce fut un choix de familIe
auqucl cédercm d'autrcs considérations , une cspéce de cotices-
sion de hcnnt intdUgence entre MM. Portalis el de l\lartignaco
Pour corrigcr un peu l' iusigniflancc de ce choix , 1'1. de Marti-
gnac désigna une connnissiou composée de lU"I. Cuvier , ñli-
chaud , Abe! de Itésuuiat , Gérard, Font,.ine, Andrieux et Four-
riel'; elle était chargée de rccevoir les demandes el de faire tou-
tes les propositions relativos anx pcnsions des gens de lettres ,
ainsi que d'<n iser aux encouragements de tout genre a accordcr
aux scicnccs et aux hcaux-arts. On avait tant abusé de ces pen-
sions ct des cuconragcmcnrs (j!l(' I'opinion appelait une garantie!


C'était une grande aílairc que le discours de la Couronne. Le
Boi avait declaró a ses ministres, lorsqu'ils étaient entrés aux
aflaires , que le systeme de JI. de VillCle était de sapropre in-




t\!¡ HlSTüIRE DE LA HESTAUHATlON.


spiration, et pourtant le Cahinct était coucu dans une tout autre
pensée : il était destiné a suivre une marche opposée, Obtenir
du Iloi qu'il hlñmát le systeme tombé était chose impossible ;
mais ne íallait-il pas annoncer hautement la llensée du nouvean1
Ce ñrscours se composan <le ñeux parties : les altaíres étrangeres
et l'iutérieur, Sur le premier point , l'esprit des négoeiations ne
devait et ne pouvait changer. Les aifaircs d'Orícnt étaient enga-
gées par le traité du 6 juillet et le combat de Navarin; l'oceu-
pation allait cesser pour l'Espagne, et il ne s'agissait désormais
entre elle et la Franco que d'unc garantie de eréance. JU. de la
Féronnays fournit a 1\1. de ñlartignac, chargé de la rédaction du
discours, toutes les notes sur les relations a}'extérieur, et le Roi
adopta sans difficulté cette premiere partie, Sur la marche al'in-
térieur la chose fut plus difficile; le Roi ne voulut pas qu'on ex-
pliquát rien nettement, ct 1\1. de 1\1artignac fut obligé de se tenir
dans le vague des expressions qu' on va lire : « voulant affermir
de plus en plus dans mes États la Charte qui fut octroyée par
mon frerc et quej'aijuré dernaintenir, je veillcrai ~l ce qu'on
travaille avec sagesse et maturité ü mettre notre Iégislation en
harmonie avec elle. Quelques han les quesrions d'adrninistration
publique ont été signalées ~l ma sollicitude. Convaincu que la
véritable force des trónes est, apres la protection divine , dans
l'observation des lois, j'ai ordonné que ces questions fusscnt
approfondies ct que leur discussion fit briller la vérité, prcmier
besoin des princes et des peuples.» Daus cettc obscurité de
phrases , on ne promettait ríen , aucunc 10Í spéciale. Le minis-
tere se constituait ainsi en tátonnant , il ne pouvait prendre une
iuitiativc détcrminée que lorsque la majorité se scrait cllc-ménic
dcssinéc : elle ne se montrait nulle part complete, et les pre-
mieres discussions n' étaicnt pas de nature aIaire connaitre la
couleur de cetro majoritó et sa force. Il s'agissait de la verifica-
tion des pouvoirs. Ici tourcs les nuances d'opposiüon s'éraícnt
réunios pour se montrcr hostiles au systcmc (le M. de villcle qui
avait tourmenté les élections : c'ótait une guerre aux préfets.
M. de Martigllac se trouvait dans un grand embarras. Le centre




CIIAPlTHE XXI v. 85
droit, et particuliercment le partí VilINc, lui imposait la condi-
tion de le défcndrc ; et commcnt un ministere de prohité poli-
tique pouvait-il proteger des fonctionnaires qui avaient la plu-
part étrangement abusé de l'action administrativc ? Il fallait tout
l'esprit de convcnancc de lU. de lHartignac pour se tcnir dans
une juste mesure, el encere les pnrtisans <In systeme de }I. de
Vill¿']e ne Iuí pardonnerent pas ce qu'ils appelaient un abandon
de la prérogativc royale , comme si la prérogative royale était
en jeu lorsqu'il s'agissait de défendre les fraudes des élections !
Quclques-uncs de ces questions électorales furent suspendues.


Depuis ce 1Il0UH'ut le parti Villcle manccuvra pour s'attirer
le centre droit el la droite : les choses n'étaient pas arrivées ü
ce point. ~Iais il était une opératiou qni allait enfin constater
les Iorces des diversos unances de la Charnbre. Au fond le mi-
uistere cut désiré que le centre droit triomphár, et que l\I. Ravez
Iüt porté cornme candidat a la présidcnce : c'était la pensée du
Roi, et le Cabinet savait que le mécontentement de .M. Ila-
vez pouvait lui aliéner trente voix dans la Charnbre : les di-
verses nuanccs d'opposition comprenaient également l'irnpor-
tance de fairc ronstater leur force pour faire arriver ~l elles le
pouvoír. Dans un prcinicr scrutin aucun candidat n'avait réuni
la majorité, Sur 36ú votants , }l. de La Bourdonnaye avait eu
1iR voix , }I. Gnuthicr de la Cironde '1 i ú, ~I. Royer-Col-
lard 168, ,,1. Ilavcz 162, ~l, Casimir Périer '136. Ainsi il
était démontré qu'aucun des dcux partís dominauts He pouvait
obtenir la majorité sans un auxiliairc. La défcction pouvait scule
résoudre la diíficulté , ~l raison qu'elle portcrait ses forces ¿l
droite OH ~l gauche ; elle se rcíusa uettcment a donner ses rotes
aux caudidats du centre, el particulierement ¿l M. Ilavcz : elle
craignait de subir l'impopnlarité qui se rattachait ü la Chamhre
septennale : des lors on s'ouicudit arce la gaucho. :U. Dclalot
obtint 212 voix , M. nydc de Xcuyille 206, :U. Iioycr-Col-
lard 189, }lo Cauthicr de la Gironrlc tRi, el lU. Casimir
Périer '180. M. de ta Ilourdonuayc ne réunit que 154 voix,
Ce dernier scrutin consterna la droite ; il prom-a surtout que le


IV. 8




86 HISTOIRE DE LA HESTAUHATlON.
ministere avait marché, el qu'il s'avancait vers la défection et le
centre gauche. JI était aussi résulté la preuve que toute la force
de la majorité étaitdans la fraction qui se réunissait chez ~l. Agier,
et qu'a raison qu'elle passerait d'un coté ou de l'autre de la
Chambre , elle lui donnerait la majorité, I..a gaucho le savait ;
aussi s'était-elle montrée complaisante, facile, et avait-clleprété
ses voix aux candidats de la fraction Agier, te scrutin avait si-
gnalé une autre alliance, c'était ceIle du coté droit se rappro-
chant de son centre et votant avec M. de La Bourdonnaye. On
avait naturellement abdiqué de vicilles haines ; sans se dessiner
complétement coutre le ministere , on se placait dans une con-
tenance menacante , on paradait de ses forces. En présence de
cinq candidatsde la gaucho, du centre gaucho et de la défection,
qu'allait faire le Cabinet? Les votes une fois connus, il fallait
choisir le président de la Chambre; le ministere se serait décidé
pour lU. Delalot, nommé candidat, mais celui-ci s'était háté
d'écrire au Roi qu'il n'accepterait pas la présidence. On trouva
eette démarche peu convenable , la nomination n'étant pas déci-
dée eneore; on ne voulut pas de l\J. Ilydc de Xeuville , paree
qu'il avait fortement agí pour opérer la fusion de la défection el
de la gauche. On se décida done pour l\I. Iloyer-Collard, et je
dois dire que le Iloi ne s'y opposa pas longtcmps. D'une part il
en voulait un peu aux deux premicrs candidats , Ml\I. Hyde de
Neuville et Delalot , d'avoir préléré de marche!' avcc la gaucho
qu'avec le centre droit et M. de La Bourdonnayc, Puis, :\1. Roycr-
Collard avait été élu par sept colléges , et c'était la reconnais-
sanee d'une aussi grande popularité que proclamait la Couronne
en le nommant h la présideuce. Ce choix fut accueilli commc
un gage donné a l'opinion; la majorité de la Chambre le salua
comme une concession a ses doctrines; il rommcnca la sépara-
tion du coté droit avoc le ministere. L'élcction des vicc-prési-
dents ct des questcnrs signala de plus t-u plus l'alliancc du mi-
nistere avec la majorité formée des nuauces de la défection du
centre gauche et de la gauohe. 'l. Havez ne pardonna point au
miuistere de ne pas l'avoir porté ala présídence, C'était chose




CHAPITRE XXIV. 87
impossible; lU. Ravcz s'était trop compromis avec le systéme
de M. de VillNe. Des ce moment , M. Ravez devint l'ennemi
personnel des ministres : il se réunit a :\1. de Chantelauze , et
complota la réunion de toutes les fractions royalistes contre le
Cabinet.


La ClJambre étant ainsi constituéc forma sa commission d'a-
dresse, Une crainte paraissait alors dominer la majorité. On sa-
vait que le nouveau ministere était déja travaillé a la Cour, Le
Roi se tenait dans les convenances a l'égard de ses ministres,
maisces ministres n'étaient pas son systéme. JI ne s'abandonnait
aaucun , et reprochait douccment a tous de ne pas assez proté-
gel' la combinaison du centre droit et de la droite, : « C'est pour
cela, disait-il, qu'ils avaicnt été appelés, et non paspour marcher
dansles voies de la révolution et avec le centre gauche. )) La presse
s'était d'ailleurs laissée aller ~\ des révélations. On dénoncait les in-
trigues de M. de VillCle , qui tout en s'effacant attaquait sous
main le nouveau ministére ; tandis que la Gazette de France
dénoncait ses concessions, le parti de cour profitaitde sa faiblesse
pour le perdre dans I'esmit du Roi. Ce parti exagérait la force
royaliste dans la Chamhre des Députés: avee un ministere éner-
gique on pouvait toutes les réunir ; avec un ministerc faible, on
les laissait toutes se disséminer et se perdre. Le Roi prétait
l'oreille aces plaíntcs, JI lisaít avec une sollicitude particuliére
la Gazette de France , le cornmentaire qu'elle faisait sur les ar-
tieles menacants de la presse libérale. Ceue presse a son tour
attaquaít violemment la timidité et la faihlesse du ministére qui
semblait cacher un arriére-pensée ; le Courrier, le Constitu-
tionnel , et jusqu'au Journal des Déluus , signalaient ces táton-
nements, ces hésitations du Pouvoir ; on le harcelait pour l'en-
tralner dans les voies de la gaucho, Ce fut dans le dessein de
rendre tout afait impossihle le retour des hommes et des idees
du systeme de M. de Vilh·le que la majorité les menara d'un acte
d'accusation; elle vint déclarerau ministere que cette accusation
lui servirait de point d'appui et de force en méme temps qu'elle
mettrait un tenue aux intrigues du Chatean. 01', comme le mi-




88 HISTOIRE DE LA REST AURATlON.
nistere avait été formé pour éviter précisémcnt cette accusation,
il usa de toute son influcnce pour erupéchcr les choses d'aller
aussi loin. Il nc pnt réussir complétement ; cal' la Chambre YOU-
lut protester dans l'adrcssc par une phrase de hláme et de dés-
approbation contrcIc systiunc toinbé , afin d'cn rendre le rc-
tour impossible. Ce fut dans ceuc préoccupation qu'agit la corn-
mission de l'adresse compusóc de 1\Dl. Dupont de l'Eure ,Bi-
gnon, Alexis de Noaillcs, Ilavcz, Ilvde de Neuville, de La Bour-
donnaye , Delalot, de Chantclauze et de la Peyradc, M. Delalot,
par suite de cette destinée qui le faisait rédacteur , lui Iloyaliste,
de toutes les phrases violentes contre la Couronnc, présenta cette
adrcsse a la Chambre des Députés ; ct Iorsqu'arriva ce paragra-
phe : « Les plaintes de la Franco ont repoussé le systhnc déplo-
roble qui avait rcndu illusoires les promcsses de V. M.)), la dis-
cussion s'éleva tres-vire; l\l. de ~lontbcl, expression du systerne
Yillele , se fit remarqucr par la chaleur avcc laquelle il attaqna
l' adresse : par respect pour les prérogativcs royales, OH devait
gardcr UU religieux silence sur les acres de l'administration pré-
cédentc. « La Chamhre n'a-t-cll« pas le droit, s'écriait 1\1. Agier,
de juger un sy~tellle tomhé ? u'cst-ce pas dans ses droits con-
titutionnels? )) - « Le ministere déchu , répondait 1\1. Sirieys de
Mayrinhac, a fait de grandes choscs, ct il existerait encoré, si la
majorité précédente était eucore dans cette Chamhre. ))-(1 Il n'y
a de dcplorahlc que l'adrcssc ¡), ajoutait 1\1. de La Boéssiere. lei
on vit se rúuuir l' extreme droite el le l)arti. 'illele. I ..a contre-
opposition méme vota avcc le centre pour repousser cette ex-
pression de deplorable qu' elle considérait comme insultante pour
la majesté royale. La défection, au contraire, se réunit it lagan-
che. L'adresse ainsi rédigée obtint une maj9rité de 3h voix. Le
soir , 1\D1. de )lartignac ct Portalis Iurcnt mandés au Cháteau;
Iorsque le Roí les vit entrer dans son cabinet, il prit un air me-
nacant et s'écria : « Eh bien ! messieurs, vous voyez oú 1'0nnous
cntraine. Je ne souffrirni pas qu'on jcttc lila couronne dans la
bouc, Voici la résolution que j'ai prise : :\1. de Martignac, vous
nllfz convoqucr la Chamhre dans mon ~rílnd rahinct ; J;I, PI! ...




CIIAPITRE XXIY. 89
touré des pairs el des grands de l'Jhat, je déclarerai aux députés
qu'ils ont insulté la majesté royale, et que je les dissous. » M. de
lUartignac, avec un ton exquis de convenanccs , répondit avcc
mesure: « Votre Jlajesté a sans doute raison de s'oílenser des
cxpressions que la Chambre a cru devoir insérer daus son adresse.
Ses ministres n'approuveut pas plus qu'elle la phrasc de hlámc ;
mais la résoiuriou dout parle Votre ñlajcstó est trop grave pour
qu~ son Conseil n'ait pas ¿l cxaminer s'il pourrait servir eneore
le Iloi, et s'il ne serait pas nécessairc de le modiíier en tout ou
en partio, » C'était une démission offerte; le Iloi fut éhranlé,
1\1. de l\lartignae continua: « Si le Iloi veut bien considérer que
la phrase de l'adrcsse évitc une accusation contre le dernier mi-
nisterc , ji eroira sans doute utile d' épargner un grand malheur
par un accident réparahle. » Alors, le Iloi dit : « Eh bien! ;-'1. de
Martignac, je rccevrai l'adresse comme mon frere recut eeHe qui
fut votée centre lU. de Richclieu, e'est-a-dire par le président et
deux secrétaires; et je lui Ierai une réponse sévere. l\I. de Mar-
tignac , rédigez-moi quelques phrases qui témoignent de mon
mécontentemcnt en termes éncrgiqucs. » En effct, ;\1. de Marti-
gnac écririt une réponse en ce scns et la porta au Iloi ; mais
chose assez curicuse , Charles X effaca toutcs les phrases mena-
<jantes, et laissa la réponse en ces termes modérés : « En vous
faisant counaitrc ma volontéd'affermir nos institutions, et en vous
appelant ~l travaillcr arce moi au bonhcur de la Frauce , j'ai
compté-sur l'accord de vos scntimcnts comme sur le concours
(levos lumiercs, Mes paroles avaicnt él(~ adressécs ~l la Chambre
cntiere ; il m'aurait été doux que sa réponse cut pu étre una-
nime. Vous n'oublicrez pas, j'en suis sür , que vous étes les gar-
dicns naturels de la majcsté du tróne , la premiere et la plus no-
lile de 'os garanties. Vos travaux pronveront a la Franco votre
profond rcspect pour la múmoirc du souverain qui nous octroya
laCharte, ct votre juste coníiance dans celui que vous appclcz le
digne fils de Ilcnri IV ct de Saint Louis. » Il y avait loin de la
aux grandes menares du soir : la nuit avait porté eonseil, et,
eomme je l'ai dit, a¡m"s d¡n(~ Charles X était plus animé, plus




90 HISTOIRE DE LA lU~STAURATION.
porté aux coupsde force. Quant a la réponso , elleexprimait une
pensée toute de conciliation et de rapprochements, 1\1ais dans les
assemblées eomme parmi le peuple , les réactions ne peuvent
s'éviter ; il faut qu'elles aient leur cours, d'autant plus actií et
plus puissant que l'action a Né plus forte et plus vive. En l'état
des esprits, avcc ce bláme qui s'attachait a tous les aetes de l'ad-
ministration de ~1. de Villele, il étaít impossiblc que lUM. Frays~
sinous et de Chabrol restassent dans le Cahinet. Ils ne pouvaient
défendre 1'ancien systeme sanscompromettre le nouveau, et gar-
del' le silenee sans manquer aleurs devoirs et aleurs souvenirs.
Quelques-uns de leurs colleguess'étaient ouverts ace sujet avee
franehise, el ces deux membres du Cabinet ViIlele devaient
sentir qu'ils n'étaient plus désormais que des embarras. PIu-
sieurs fois on avait eu l'oceasion de s'expliquer sur la marche du
ministere , et sur I'impossibilité d'y conserver MM. de Chabrol
et Frayssinous, Déja leur démission avait été demandée quelques
jours apres la formation du Cabinet; puis , le portefeuille leur
avait été rendu, dans l'impossibilité de trouver des candidatsqui
répondissent ala majorité. En eette derniére circonstance , les
motifs étaient trop eoncluants pour qu'ils ne fussent pas compris
par les anciens collegues de 1\1. de vilICle.


Des que la retraite de MM. de Chabrol et Frayssinouseut été
résoluc, le Conseil s'occupa de pourvoir a leur remplacement;
le ministere avait déja marché sous le vent de l'opinion. JI n'était
plus placé dans le centre droit, mais dans la défectíon et le cen-
tre gauche; il ne pouvait désorrnais se constituer que dans cette
couleur. On fit des ouvcrturcs a.M. Hyde de Neuville pour
remplacer 1\1. de Chabrol. C'était une puissance que 1\1. Hyde :
de Ncuville dans le parti de l' extreme droitc. Ce choix était
conunandé, puisqu'on se jetait dans les liras de la défeetion;
il en appelait d'autres, et particuliercmcnt celui de M. de Chá-
teaubriand. Charles X ne s'y opposa pas, quoiqu'il eút vu avec
déplaisir la marche nouveIle dc M. Jlyde de Neuville et son
alliance avcc la gauchequ'i1 avait prise des l'origine en défiancc.
te Iloi pardonnait hicn lesopinions libérales, dans ceux qui ne le




CHAPITRE XXIV. 91
touchaient pas; mais ses amis, ses serviteurs, il les excusait
a peine, cal' pour les hommes de dévouement il était sévere,
Comme choixministériel, la nominatiou de M. Hydede Neuvillc
était une 'force et un embarras pour le Cabinet, M. Hyde de
Neuville avait de la ferveur , du zele, de l'expérience pour le
départemeut qu'on Iui confiait. 11 parlait facilement a la tribune,
mais il était snjct aux cntralncmcuts , il n'était pas maitrc de sa
parole, Cette chaleur de scntiments , l' exaltationdes idées, bonne


.dans les orateurs de l'opposition , ne vaut plus rien dans une posí-
tion ministérielle oú tant de choses sont a ménager, ;\1. Hydede
Nouville la conserva un peu trop "he dans les affaires, Ensuito
1\1. Hyde de Neuville était trop lié avee une coterie qu'il avait
toujours devant les yeux et dont il protégeait spécialement les
intéréts : une fois entré dans le Conseil , il ne songea a autre
chose qu'a y appeler l\I. de Cháteaubriand. Le choix de l\l. Feu-
trier pour ministre des aífaires ecclésiastíques fut l'ouvrage
de 1'1. Frayssinous; M. de Cháteaubriand avait indiqué lU. de
Cheveru8, archevéque de Bordeaux: l'avis vint un peu tard ;
M. Feutrier était déja designé ct avait accepté. L'évéque de
Beauvais, prélat de tolérance , de meeurs élégantes et polies,
remplacait diguemcnt lU. Frayssinous. 11 appartenait a l'école
impériale du cardinal FescIl. Ses opinions religieuses étaient
éclairées , sa piété fcrvente maisgénéreuse; il avaiteu une grande
célébrité dans sa cure de l'Assomption. M. Feutrier nc dédaignait
pas le monde, il l'avait vu et touché, et c'est quelque chosepour
un ministre. Le choix de ;\1. Hyde de Xeuville et de l'évéque
de Beauvais eurcnt les applaudissemeuts unánimes de l'opinion.
On vil un pas de fait , et le paysavait alors une grande impatieuce
d'aller en avant, En mérne temps !\l. de Chátcaubriand , qui
avait refjtsé le ministere de l'instruetion publique, accepta l'am-
bassade de Ilomc. Toute cene portion de la Chambra qui se
réunissait chez .\1. J\gicr fut des Iors satisfaitc. te Journal des
Débats adhóra complétcmcnt au nouvcau systemo. On s'occupait
des personucs; il Iallut dcscendrc aux préfccturcs. Ici de nom-
hreuses diflicultés se préscntaicnt eucore. 11 y avait eu une dis-




92 lJlSTOIRE DE LA RESTAtJnATIOS.
cussion puissante ct passionnée a la suite de la vérificntlon des
pouvoirs, La Chamhrc avait constaté une longue série de fraudes,
de telle sorte qu'il étaít absolument impossible de conserver les
préfets , ceux surtout qui avaient participé ¿. ces désordres
adrninistratifs, Il n'y avait qu'un cri dans les départerncnts ; I'au-
torité y était tombée si has qu'cllc n'avait plus aucune force. Il
fallait done un grand rcmanicmcnt de préfcctures pour satisfaire
cette exigence des esprits ; mais ici une nouvelle difficulté se
préscntait : Charles X, assez facile dans ses conccssions de prin-
cipe, ne l'était jamáis sur les hommes. 11 avait ses amitiés , ses
répugnances, 1..es préfets avaient des amis en cour; le Roi les
connaissait presque tous personnellemeut; il savait lcurs opinions,
il ne voulait point frapper des Itoyalistcs, M. d(' lHartignac mit
sous ses yeux un projet d'ordonnancc qui opérait un largo chan-
gement dans les préfectures , et répondait a ce que la Chamhre
pouvait exiger apres une discussion qui avait révélé l'aetion
malheureuse d'un grand nombre d'admiuistrateurs. te Hoi se fit
laisser ce travail. e'était daus ses habitudes. JI disait : « Quant
aux personnes , j 'ai des notes a consultcr ; HOUS serons toujours
~. temps.» Ces notes étaient tout simplcment une serie de ron-
seignements que le comitó occulte de 31. Franchet lui fournissait.
Le lcndernain le Roi rcvenait plus instruir que le ministre lui-
méme sur les services, les antécédents de chaeun des candidats
qu'ou voulait dcstituer ou qu'on portait aux allaires, Ce fut
d'aprés ces notes que Charles X discuta avee ténacité tous les
noms que lui proposait JI. de l\lartignac et les titres des préfets
qu'on voulait dcstituer ; il fullut transigcr sur tous les noms,
Quelques-uns , que le ministre voulait renvoyer d'une maniern
absolue , furent seulement changés de prefecture : d'autres
furent portés au conseil d'État en servicc ordinairo. On donnait
en quelqnc sorte des indcmnités a ccux qui étaicnt sacriíiés.
Quant aux norus proposés pon les rcmplarcr , Charles·.x en
hátonna un grand Hombre. Apres des sucurs incruvahlos , 1'01'-
donuancc Iut signée le 10 janvicr au soir, te pays, qui ne savait
pas les peines qu'avait occasionnées ccue ordounancc , recnt (IH


'C




CHAPITIlE XXIY. 93
mauvaise humeur un acte qui en déflnitive se réduisait a trois
destitutions ; on avait été si vito et si fort dans le sens royaliste ,
et on allait si doucement et arce taut de précautions dans le sens
lihéral ! On se demandait quel était le secret embarras qui em-
péchair le ministi-rc de marcher cornplétement dans le sens de
la Chambre et de I'opinion.


Lesopérations préliminaires pour la constitution de la Chambre
des Pairs avaicnt marché avcc moins de difIicultés. La haute
Chambre avait subí une largo modiíication par la grande fournée
des 76. Les opinions cxagérées dans le sens lihéral demandaient
bien qu'ou se refusát d'accueillir les Mus; mais les pairs , toujours
pleius de couvcuance, rcconnaissanr le droit absolu , la préroga-
tive incontestable de la royauté ponr les promotions de pairs ,
ne firent aucunc difficulté ; les uouveaux membres furcnt admis
dans la Chambre apres les vórifications légalcs. Quelques jours
aprés, :MM. de Yillele ct de Peyronnct vinrent y siéger, se
tenant en réserve pour se produire ensuite comme chefs de l'op-
posítion. Dans ceuc situation ministérielle , quelle était la force
de pairic qui alIait soutenir {(, nouvcan minislero , et quellc autre
force allait i« combauro ? La position avait tout ü fait changé. On
pouvait c~omparer, dans ceue Chauibrc si parlcmcutaire , le
changement ministériel qui vcnait de se passer, ¿l une modification
qui aurait mis en Augletcrro les wighs modérés aux aífaires.
Toutes les nuauces qui du hanc de ]U. Lanjuiuais aboutissaient
aux couleurs Itichclieu et Pastorct soutenaient le miuistere ,
tandis qu'il trouvait en opposition une grande fraction du banc
des évéques , la congrégation, sous les ordres de 1\1. de Bougé ,
les Iloyalistes ultra, les amis du ministere tombé et deux bons
tiers de la recente promotion. l\ll\I. Pasquier et Mounier devc-
naieut I'cxpression la plus complete du ministere dans la Cham-
hre haute; JDL Dcrazcs , MoIé ct Talleyrand y adhéraient avec
moins de chalenr. Ils trouvaient le miuistere un progres ; mais
ce progres n'était complot ni en force ni en unité; il auraient
voulu que le pouvoir se dessinñr plus Irnnehemcnt et vintaeux,
M, do Tí\l\13Yl'and surtout détestait partlculierement M, de fJí\




HlS'IOlRE. DE. LA. l\E.5TA.\Jl\A.'IlON.


Féronnays: ce n'était ni son école ni ses doctrines polltlques,
Mais par la nature des choses et la nécessité de cette situation,
les trois pairs devaíent secondel' les mesures libérales du Cabinet.
Quant a l'opposition royaliste , elle attendait pour se dessiner
sous ses divers chefs que le ministére développñt son systeme.
Ce systcme n' était pas annoncé par le discours de la Couronne.
Le parti royaliste s'agiterait-il dan s l'adresse? chercherait-il a
montrer sa force? 1\1. de Villele étuit trop habile pour prendre
ainsi couleur immédiatement: il avait formé le Cabinet, l'em-
harrasserait-il dans son début? le Roí l'aurait alors trouvé mau-
vais; 1\1. de ViIléle se réserva pour de meilleures chances.
L'adresse proposée par M. Lainé, et. paraphrase du discours de
la Couronne, ne souleva aucune discussion. M. de La Féronnays
y exposa un peu trop hátivement la situation de la politique
étraugére en donnant des cspérances de paix générale sur la
guerre d'Orient , cal' un mois s'était a peine écoulé qu'éclatait
l'invasion de la Ilussie.


J'ai dit que le Roi concédait plus facilement les questions de
príncipe que les choix ou les destitutions des personne~. Le mi-
nistere essaya son influeucc en soumetrant aux délibérations du
Conseil son grand projet sur les listes élcctorales. Plus le rema-
niement des préfectures avait été exigu, restreint dans des li-
mites étroites , plus les bases de la nouvelle loi devaient étre
larges et rassurantes pour le pays. M. de lUartignac exposa au
Roi cette nécessité de garanties administratives et constitution-
nelIes; il falIait relever I'adrninistration de l'état de déconsidé-
ration oú le dernier ministere I'avait laissée. On avait telleinent
abusé de I'iníluence électorale du Gouvernement, que le pou-
voir n'avait plus de puissance morale pour ressaisir cette arme
légitimc et brisée : il devait reconquérir son ascendant par la
loyauté de sa condnite et par la sincérité de ses príncipes. La loi
devait rectifier ces préventions, et réconcilicr en quelque sorte
le gouvernement et le pays, Il falIut plusieurs conseils pour per-
suader le Roi; enfin les bases suivantes furent arrétées : une
révision et une rectification des listes électorales aurait lieu rha-




CHAPlTRE XXl\. 95
que année, dans le but d'y ajouter ou d'en exclure les individus
qui auraient acquis ou perdu leur droit pendant l'année, et ceux
qui y auraient été indüment omis ou portés antérieurement. Le
préíet , chargé de cette rectification, serait éclairé par une révi-
sion préparatoire que fcraient les maires réuuis au chef-lieu de
chaque canton : dans les villes formant un ou plusieurs cantons,
le mairo se ferait assister par ses adjoints et par trois memhres
les plus aneicns du conseil municipal. A Paris , les douze maires
seréuniraient , présidés par leur doyen. Désormais sur les listes,
en regard du nom de l'électcur, on inscrirait l'indication des
arrondissements de perccption oú il soldait ses contributions,
ainsi que le montant de la somme qu'il payait ; la publication
tiendrait lieu de notification aux citoyens qui scraient maintenus
sur les listes, et toute décision portant radiation devrait étre
notifiée dans les dix jours, Ce projet accordait aux personnes
mscrites sur la liste le droit de provoquer pour des tiers l'in-
scription ou la radiation, príncipe vivement dénoncé par I'OPP01
sition royaliste , et concession inévitable pour relever la fran-
chise des élections. Le Conseil d'État était la seule juridiction
pour tout ce qui était admiuistratif : la régularité des roles, la
naturc et l'assiettedes contributions , toutcs les autres qucstions
étaient renvoyées aux cours royales. Pour donner aux réclama-
tions le temps de se produire et d'étrc examinées en cas d'élec-
tions, la réunion du collége devait avoir licu plus de vingt jours
apres la deruicrc publication, Une disposition spéciale enjoign::it
aux percepteurs des contrihutions directos de délivrer ~\ tout
citoyeu inscrit les extraits de róle et ccrtificats dout il requerrait
la remiso, Eufiu le projet statuait sur la question du domicile des
fonctionnaires , question si souvent soulcvée, él qui avait douné
lieu ade fréquentes discussions : il était décidé que nul Ionc-
tiounairc revocable no pourrait étre porté sur la prcmiere partie
de la liste, daus le département OÚ il exercerait ses fonctious ,
que six mois apres la double déclaration presente par la loi de
1817. C'était un beau et noble titre ala reconnaissance des amis
de la constitution, que ce projet de 101 qui appelait le Gouver-




96 HISTOIRE DE LA RESTAUUATLON.
ncment dans des voies de Irauchise. On l'a reproché ~l i\l. de :Uar·
tignac comme une funesteconcession ; aqui la faute? Qui avait fait
naitre cette méfiance partout entourant l'admiuistration ? L'excés
des fraudes electorales avait nécessité I'exces des précautions
contre l'autorité, On n'aurait jamáis songé ü une nouvellc loi, si
l'ancienne n'avait pas été si étrangemont exécutéc. C'est sous ce
rapport que je considere le ministere de JI. de Yillclo comme le
plus malheureux pour le Pouvoir ; il l'usa de tclle sorte que la
société inquiete, se précautionnant contre lui, le traita en ennemi.
1\1. Favard de Langlade, expression du centre droit, justifiait les
dispositions de la loi. « Jusqu'a présent, disait-il , la législation
n'a point opposé assez d'obstacles ~l ces fraudes funestos dont vos
récents débats ont révélé l' existence. » La connnission soumet-
tait plusieurs amendements. Les fonctionnaircs seraient soumis
pour chaque infraction a une arriende qui ne pourrait excédcr
100 francs. La commission , voulant ajouter un nouveau gage
de sécurité aux garanties que présentait le projet de loi, dési-
rait que l'électeur, au moment de voter, prétát serment comme
quoi il réunissait les qualirés qui constitucnt la capacité électo-
raleo « A l'égard des peines qne quclques personnes voudraienr
que la loi prononcát centre les préfcts , la conunission s'est vue
dans l'impossibilité de les admettre. Quel est le préfet qui , in-
struit du sermcnt imposé a l'électcur , ne rcculcrait pas dcvant
l'idée de faire une inscription illégalc? Ayon» plus de coníiancc
dans les dépositaires de l'autorité : soyons sévercs , mais sachons
étre justes. Craignons surtout de priver des fouctiounaires d'un
ordre élevé de eette considération sans laquelle ils ne peuvent
faire le bien. »-«( Vous voulez atteindrc toutes les fraudes '? iI
faut alors , s'éeriait M. ele La Boulayc, que la loi nouvellc at-
teiguc aussi la séduction par promcsses ou par menaces ; il faut
qu'elle donne les moycns d'arrétcr I'iníluence de ces comités,
de ces réunions délibérantcs qui tcndcnt il rcnvcrscr tout le sys-
teme électoral. ¡¡-(( Xous dcvons eucouragcr I'administration
naissante , répondait )1. de Beamuont: j 'approuve ce projet
comme une garantie contre le retour d'uu funeste systeme , et




ClL\PlTHE '.XI\. 97
j'applaudis ü la loyauté du nouvcau ministere d'avoir repudié
un hontcux héritagc, ))- « l\Iais ccttc proposition est incompleto,
insuffisante , répliquait lU. .Jars; elle p<'che par le point le plus
important, par l'abscnce de toutc pénalité. »-« QuelIe pénalité,
répondait lU. de Mal'ligrJac, contre les préfcts ? rnaís il pourrait
en résulter un abus cflrayant. ~\ la rcquétc d'un ólcctcur, par
suite d'un mouvemcnt de mauvaisc humeur, pour une alléga-
tion fausse pcut-étre , un préfet pourrait ctre traduit devant un
tribunal corrcctionnel, y subir vingt , trente attaques , et rnettre
ase défendrc le tcmps qui serait bien rnieux cmployé a son ad-
ministration, la meillcurc garantic u'est-elle pas dans la publi-
cation des listes révisées , dans la faculté accórdéc a tout élec-
teur d'agir contre la personne qu'il saurait no pas reunir les
conditions élcctoralcs? Ce qu'il y a le plus a redouter , e' cst
l'activité menacantc des hommcs de parti , et l'apathie, l'iudif-
férenee eles hommes paisiblcs, »--« Non, ajoutait I\l. Agier, la loi
n'a pas bcsoiu d'une sanetion pénale ; e'est l'espoir de la eonsi-
dération publique qni doit assurcr l'cxécution des lois, et non
la crainte du chátiment. » La défection se prononcaít ainsi centre
la péualiré , et sourcnait hautcmcut le ministcrc. « JI y a de la
bonne foi dans les dispositions de ce projet, disait l\I. de la
Fayette avec ses vicux souvcnirs d' Assernblée constituantc; mais
d'aprcs la hiérarchic administrativ e actuclle , elles sont incxécu-
tables. Parcourons cetro hiérarrhie : y IrOlHonS-llOUS un atomc
d'indépcndance ? préfcts , sous-prófets , conseils de préfcct ure ,
de communc, d'arrondisscmcnt , de départcmcnt, maires, jugos
de paix, tous sont les créaturcs du Pouvoir ; d'ailleurs jc reclame
la péualité commc une condition néccssaire daus toutes les lois. »
-«.le nc sais si je me trompe, s'écriuit ~l. de Conny, expressiou
de la contrc-opposition La Bourdonnave , mais I'avcnir de la
Franco me parait chal'gé (le" révolutions ct de calamites politi-
queso Quant ü la Ioi qu'on nous préscntc , elle a besoin , selon
moi, de grandes modifications : elle manque dans toutcs ses
bases. »-( l\lalgré Sil grande impcrfectiou, répondait lU. Dupont
de ]' Eme, je voterai la loi; je la votcrai par la ferme conviction


1\. 9




98 IllSTOlHE DE tA RESTAUHATlO~.
O" je suis que le moment approche OU tous les collégcs élccto-
raux de Franco auront le sentiment de leur toutc-puissauce con-
stitutionnelle. »- «Ce qui sera plus puissant encere qu'une honne
loi, ajoutait M. Étiennc, c'est la loyauté d'un ministere qui ne
placera plus le lcvier du pouvoir hors des intéréts du pays ; qui
ne demandera pas ü l'esprit de Iacrion ce quc l'in térét public,
s'il le comprend et s'il le respecte, luí accordcra toujours sí Iaci-
lement. Cette France si calme et sí dévouée est dénoncée avcc
audace comme un foyer de désordres ; on évoque des Iantómes
menacants pour faire croire a des troubles sculcment profitahlcs
a ceux qui font semblant de s'cn épouvantcr, el qui, apres avoír
adopté tous les genres d'hypocrisic, se sont réfugiés dans l'hypo-
crisie de la peur. » L'hvpocrísie de la peur était en dIct exploi-
tée a cette époque comme elle l'est toujours, Les Iloyalistes n~
procédaient que par gémissements , on perdait la monurchic par
d'épouvantables concessions ! La révolution était la menacante ;
elle devait emporter la royauté , si la royauté n'avisait, Ces peurs
ne firent pourtant que tres-peu d'impression sur la Chamhrc. La
loi sur les listes electorales 11e fut repoussce que par le partí Yil-
léle uní a un petite frac lÍ011 de la contre-opposi1ion; la minori té
He Iut que de 105 voix contre une majorite de '.2:') 7.


Ainsi une majorité de 15~ voix avait voté le projet a la Cham-
bre des Députés , et un tel résultat ótait de naturc ~l raífcnnir le
ministere ; mais q uel sort était reservé ü cet te loi dans la Cham-
bre des Pairs ! V., toutes les Iorces rnyalistes réunies dcvaieut
fairc un essaí de Ieur étenduc et de leur puissunce. l\l ,1. de Yil-
lele et de Pcyronuet les avaicnt rasscmblées plus ou moins osrcn-
siblement autour d'eux. I1s u'avaicnt point parlé sur Ir projtl
d'adresse ; ils n'attaquerent mente pas la loi en gÚléraJ, cela
eút trop ressemblé a une opposítion de sysl('me : ils se groupe-
rent autour d'un amendcmcnt iuonarchiqu«. olinsi avait procé-
dé le ministerc Richclicu cu sor!illll des alJ'aiI'L'S; c'était SIl!' un
amendement qu'il avait essay(~ ;.;es forces. El] prcsentant sa loi ,
1l1. de Martignac aveit pad{; H11 ];mf.;age d 'nounenr et de ]J1'ohité
politiquc : « Ce projet tend il assurer la régularité des Iistes , ~l




CHAPITllE XXIY. 99
prévenir les errcurs , a garantir les droits réels, a écarter les
prétcntions mal íondées ; il tcnd a dégager l'administration de
ces soupcons qui l'humilicnt , de ces attaques désordonnées qui
la fatiguent et la blessent. n-(( Votrc loi, répondait l\l. Forbin des
Issarts, va mettr« l'adm inistrat ion en état de snspicion dcvant le
pays; el/(' porlera IIl1e grave atteinte ¿l la force et a la dignité du
pouvoir royal: je souriens qu'ellc cst nuisible a la liberté des
élcctions. Avec les droits que l'on crée, une minorité ardente ne
eesscra rl'opprimcr une majoriié paisible et consciencicuse: ce
sont les propres paroles de l\l. le ministre de l'intérieur. On veut
des élections vraies ct libres, on aura la vérité et la liberté eomme
en 1793, commc dans les Cent-Jours et comme en 1828. n-( Je
proteste hautcment , s'écriait l\l. de Martignac , contre les assi-
mílations que l'orateur vicnt de se penucttre , centre l'abus
étrange qu'il a fait de mes paroles pour flétrir , par la plus inju-
rieuse des comparaisons, les colléges éleetoraux et les résultats de
Ieurs dcruieres réunions. »)-« Cette loi me parait inopportune , '
répondait M. de Castelbajac , dans un moment 011 les passions
cxcrceut une si haute influencc, l'nc opinion longtcmps comprí-
mée a reparu auv dCl'Ilii'l'es (~lecti()IlS; c'est elle qui préscnte ,
comme souticn de la monarrhie , les sommités répuhlicaines el
les souvcnirs irllpl'rial1x; e' est elle qui , dans d'autres temps ,
brisa le pacte et repoussa le monarqnc. n-·(( Ln peu de courage !
répliquait l\I. Mouuicr ; jctez un coup d'o.il sur I'état actuel de
la France, il n'est pas aussi alarmant que vous voulez bien le
dire : loin d'amcncr des dangors , je crois que cette loi rassu-
rera le pays el aflennira sa confiancc. n-(( ñlais l'influence élec-
torale du Gouvcrnement passera ~l un contrc-gouverncmcnt ,
répondait M. de Frénilly ; elle corrigera un ahus par une nsur-
pation, et un scandalc par une guerre civile, ») -(e Non, répliquait
1\1. de l\Iartignac, jc n'adopte pas ces sinistres préventions : le
Iloi ne doit point voir des enncmis dans l'élitc des citoyens, dans
ceux qn i sont le plus intércssés ¿l I'ordre et au maintien de l'au-
torité qui le protégc, n-« Jo vote cette loi, ajoutait 1\1. de Choi-
8tH1, paree qu'elle est ü mes yeux une eeuvre de réparation et de..... --


,/ o?~




100 - IIISTOIRE DE LA RESTAURATIO~.
loyalesagesse. »)-« El moi, je la considere , s'écriait M. de -'lar-
cellus , comme une conccssion faite aux exigcnces d'un partí. li


Dans le courant de cette discussiou auiuiée , dClIX nobles pairs
avaient attaqué la loi couunc fillc de cclle de 1817 , ct C0ll1111e
devaut etf(· aussi funesto qu'elle ; aussi , dans le résumé que Iit
::\1. Laiué , il s'étonnait de ecuo cmuparaisou : « La loi de 1817 ,
disait-il, se crovait amnistiéc par cellc de 1820; je nc veux point
justiíier d'anciens reproches rcnouvelés apres dix ans ; le res-
pect de votre diguité ne pcrmet qu'une courte réponse , el
rappelaut un mot de Louis XVIII : « lIs sont excusables,
« cal' ils sont encore Iáchés. » Toute la force de l'opposition
royaliste se porta sur l'article qui pcrmeuait I'iutervcntiou des
tiers. L'ancien ministerc ne garda méme pIus de mesure ; il ne
se borna pas ü des attaques secretes. ;U. d(' I'eyronnet combattit
ouvertement I'article , qui ne triompha qu 'ü la majorité de cinq
voix. Battue dans eette question de príncipe , l'opposition ne re-


o nonca point ¡l ses attaques; elle fit proposer par 1\1. de Sesmai-
sons un sous-amendcment qui exigcait que les préfets commu-
niquassent eux-mémes la róclamation des litres ¡l la partir inté-
resséc , afin d'óvitcr le conl1it dirr-ct ('/111'(' les élccteurs. 1\1. de
Yillele prit dircctcment partí. « J'applaudis , disait-il , a I'idée
dominante du projet ; l'administratiou du moins se trouvera ü
l'abri des reproches de Iraude dont la formation des listes était
trop souvent le prétexte ; mais I'amcndement qu'on nous pro-
pose est d'une grande utilité ; il cuipóchera les intrigues de partí,
en évitant le contact que la loi étahlissait entre l'électeur atta-
qué el son adversaire. Telle était aussi l'opinion de MM. de Cor-
hiere et Dubouehage; ce qui sigualait une levée en masse de
tout le banc de l'ancien ministere. « C'est tout le conrraire , ré-
pondait :\1. Cuvier , cornmissaire du Roi; le scul systéme dange-
reux scrait celui dans Iequel le préfct pourrait statuer, sans que
l'électeur intéressé eüt été averti. » L'oppositionroyaliste toucha
la victoire , I'article ne fut adopté qu'á la majorité de trois voix,
Cette oppositiou Irappa l'esprit <le Charles X; il en parla ases
ministres. quí luí démontrércnt I'inévitable nction de 50 ~, fiO




--


CHAPITRE .xXIY. 101
pairs dévoués ~l JI. de YillNc. « .fc le sais , dit le fiüi, maís íIs
Ol1t donné d'cxcellenres raisons. ))


Rt a101's s'eflcctuaíent des éleciiou« pa1'tícllcs quí devuieut Ior-
tifier le Iloi dans la crainte que le coté gaucho n'envahit la


CflamfJre. Par rcflét des dOlIÓ/C,') (/ceci(Jl/s, /cs col/c~.!)es c/ecta-
raux s'étaient rennis pour {'\in' (le nouveaux (léputés. Sur 5'\.
choix , !lO appartinrcnt au cOlé ou au centre gauche , et 11 seu-
lement au centre droit. Le ministere s' était presque abstenu de
toute actiou : les choix s' étaient faits sous la seule inf1uence des
comités électoraux. Les élections de París avaient présenté une
uouvcauté qui cllraya prodigieusemeut l'esprit de la rour. On
vit des assernblécs se former pour discuter les litres des divers
condidats, Les électeurs du premier arrondissernent de Paris se
réunirent au nombre de sept a huit cents : lit, chaqué candidat
fut interpellé sur ses opinions et sa conduite passée; ils firent
leur profession de foi politique , ct jurercnt une inviolable fidélité
aleurs príncipes. Les journaux de l'opposition royaliste signa-
lercnt ces réunions comme des clubs révolutionnaires. lU. de
Conny exhala ses plaintes: « En vertu de quelles lois ces réu-
nions se coustiuuicnt-ellcs spontanément au sein de la capitale ?
qucls droits avaicnt-cllos pour délihérer sur les questions poli-
tiques les plus graves". L'ordre , s'écriait-il , est le premier be-
soin de la société , ct c'est dans de telics associatíons qu'est le
principe de l'anarchic. C'cst sur les tombeaux de nos peros que
nous avons juré d'étre fidclcs aux Bourbons, Si de nouvclles tem-
petes vcnaient troublcr le repos de la patrie, nous serions sous
les armes pour défcndrc la légitimiré ; nous ferions alors des
hourres de fusil des pages qnc nous écrívons aujourd'bui : sans
doute la victoire serait a la royauté; mais , dussions-nous étre
vaincus , les échafauds de nos percs ne se releveraient plus pour
leurs enfants; nous mourrions les armes a la main. » - « Que1
enthousiasme! répondait lH. de Labordc : mais de quoi s'agít-il
done, granel Dien! qu'csr-ce qui pcut faire naitre de pareilles
terreurs ? que voyez-vous donc d'illégal et de contraire al'ordre?
Des assemhlécs ? l\lais c'cst une conséqucuce des libertes consti-




102 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
tutionnelles, c'est un droit que les élcctcurs cxcrcent , ils ven-
lent repousser tout candidat indigne d'étrc élu. » En résultat ,
quelques eélébrités nouvelles arrivaient ~\ la Chambre , et d'a-
bord I\I. Viennet, orateur véhément ct colere dans la défense
méme de la modération et de la sagesse , esprit politique tout
d'une picce , se tournaut adroite ct ¿\ gauche ayce une grande
énergíe de gestes, de regards, de parolcs : réputatiou littérairc
aigrie eontre les critiques de la presse ct les jugemcnts du pu-
blic, en appelant a la postérité de ses épitres, romaus ct poésies,
productions malheureuses , périssant sous cette négation de suc-
ces plus triste que les chutes, 1\1. Ensebe de Salvertc , théori-
cien de l'école de Geneve, esprit inapplicablc en udministration,
toujours opposé a un ordre social, oú tout vit pourtant de con-
cessions, se délassant de ses déclamations de tribuno dans de
pauvres travaux d'érudition sur la magie, Le gónéral lUathieu
Dumas, infirme, vieux débris de nos assemblées politiques. EL
puis ce 1\1. Bavoux, que le libéralisme élevait si haut , je ne sais
pourquoi et a quelle fin. 1\'1. de Corcclles , avcc ses petites répu-
gnanees des Cent-Jours , visant au róle de 1\1. de Chauvelin , et
n'ayant de ressemblance avec lui que ce besoin de harceler le
Pouvoir par des mots jetés a tout propos dans les discussions,
1\1. de Cormenin, impuissant a la tribuno et s'irritant de toute
facilité de paroles ; au reste, jurisconsulto savant en administra-
tion, écrivain faciJe , improvisant brochures , pamphlets , articles
de journaux avec aigreur; poursuivant tout pouvoir qui ne fai-
sait pas assez cas de lui. Sa pensée dirigeante semhlait etre la
jalousie politique, passion saisissantc et qui jaunit le style, pOllr
me servir de la belle expression de J uvénal. Tels étaient les nou-
veaux ehefs de parti arrivant dans la Chambre el Iortiíiant la
nuance libérale. Le Roi en était effrayé; il disait a)1. de Jlarti-
gnac : « Vous voyez oú nous allons avec nos lois. ») m )1. de )1ar-
tignac , avec toute la gráco de sa raison , luí Iaisait comprcudro
qu'il fallait marcher aun grand syst<'lIIc de Iusiou , d'ouhli el de
liberté, et que, sur ce terrain , tontos les opinions viendrnieut ;l
la royauté.




CIIAPITRE XXIV. 103
Si le Cabinet de 1'1. de villele avait dévoré toute la force du


gouverncmcnt dans l'action élcctoralc , il avait également réduit
a l'impuissance tous les moycus réprcssifs eontre les journaux,
Il n'avait cessé de tourmenter la presse ; et ce ministére , qui
lui avait donné la liberté ~l son avénement , avait eherehé a la
lui ravir par des moycns indignes d'uue administration de fran-
chise ct de puissancc. lJ fallait faire une sorte de réparation a la
liberté, si I'on voulait rcssaisír I'opinion des tribunaux et la
possibilité d'une réprcssion ellicace. J'ajourerai que la liberté
était arrivée h ses derniercs limites sans répression possible, Le
Conscil des ministres eonnaissait ectte situation malheureuse du
I'ouvoir ; commc pour les élections, il ne pouvait ressaisir quelque
force que par une loi de franchise et de vérité d'ailleurs impé-
rieusement demandée par I'opinion. L~ Conseil en posa done la
qnestion hautement devant le Roi: la censure Iacultative était
une arme usée; il avait été convenu , avec les chefs de majorité,
qu'on l'abandonnerait. Sur ce point Charles X ne fit que tres-
peu d'observations ; il n'aimait pas la censure; il avait hérité
de toutes les idécs (fu Conscrratcur et de la Charnbre de 1815;
le Roi, bien aise , d'aiileurs , de Iaisser toute liberté aux jour-
naux royalistes , avait foi en Icor puissance et Cilla force de leurs
doctrines. La secunde question était plus diffieiJe a enlever: il
s' agissait de l'aholilion du monopole 130ur le privilége des jour-
naux. Le Conseil fut obligé (k démontrer au Roi qu'un des
movens de diminuer l'action fuortello de la presse était d'en
multiplicr les orgaucs , et que le monopole ícrait des journaux
existants autant de puissanccs avcc lcsquellcs iJ fallait traiter
d'égal a égal. L'article du monopole ohtenu , on devait supprimer
les prnces de tcndance , cal' un poiut tcnait a1'autre. « Maisque
nous rcstera-t-il ? dit le Iloi , avcc vivacité.e-st.In bon svsterne
de réprossion , n~p()l\dit, M. Portalis , et les tribunaux!-
D'aillcnrs , continua le Iloi , je trouvc tout dans I'article lh de
la Charle, en ras de n(~('essil\'. » Les ministres ne répondirent
rien , Be voulant pas engilg('J' ('el! e grave qucstion. Au reste,
.lnrant tout ce déhat , les ministres s'apercurent que le Roi




1.04 m5TOlRE DE LA HE5TAURATlO~'.
parlait par inspiration, et en dehors de lui-nióme. JI s'était fait
laisser le projet de Ioi , et il le discutait anide par article commc
un homme tout ~\ íait préparé aux objcctions. Ce n' était pas la
premiere fois que les ministres avaient fait cette remarque.
S'agissait-il d'une question de noms proprcs , le Iloi s'en faisait
laisser la liste : il en était de méme pour tout projet de loi.
l\I. Frauchet , et la petite société du Chateau, instruisaient le
Roi : c' était un second conseil ~I cóté du Conseil des ministres.
Une fois les principales conditions arrétées , il faIlut encore s'en-
tendré avec les chefs de majorité , et une grande question fut
posée , celle des attributions du jury en matierc de la presse,
L'accorderait-on dans ce projct ? En 1820, cette qucstiou du
jury avait été défendue avec chaleur par les docrrinaircs et le
centre gauche; ils ne firent presquc aucunc ohjection en 1828.
A cette époque, les eours de justice avaicnt rcndu de grands
serviees ala liberté de la prcsse et aux journaux ; elles oílraient
en elles-mémcs des garanties. A tout l'échafaudage de la loi de
1\1. de Peyronnet on substitua le systeme tres-simple de gérants
responsables pris parmi les propriétaires ou aetionnaires du
journal. Ces agents auraient la signaturc spéciale et scraient
chargés de surveiller ct de diriger la rédaction : ils devaient Hre
propriétaires d'une part dans l'cntreprisc et du quart au moius
du cautionnement. Pour la puhlication de tout écrit périodique,
le projet de loi exigcait une déclaration préalahle , il en déter-
minait l'objet et les caracteres; dans le cas oú cctte déclaration
aurait été reconnuo faussc , le jonrual était supprimé , el l'on
devait payer une amende égale ~I la valcur du cautíonnement.
Chaqué feuille devait étre signée par le g('rant responsable, afín
qu'il püt étre traduit devant les trihunaux, sans préjudic« des
poursuites qui seraient dirigées contre l'auteur de I'articlc incri-
miné. Les propriétaires des journaux existants avaicnt trois mois
pour présentor des gérants ; ils devaicnr, dans le cas oú ils ne
posséderaient pas le quart du cautionncmcnt , justiíier qu'ils
payaient , depuis plus d'un an , 500 Irancs de contributions
directos et libres de toute hvpothéquc. En cas de récidive , le




CIIAPITnE XXI\'. 105
gérant d'un journal serait declaré incapnhlc par les trihunaux •
il nc puurrait plus s'iunniscer dans la geslion d'aucun journal ;
Oll pourrait en cutre suspendrc le journal pcndant un laps de
temps d'un ~l trois mois. ;\1. Portalis présenta ce projet a la
Chambre des Députés , daus un exposé des motifs tres-remar-
quable. C'étail la premicre [oís depuis le miuistérc de M. Des-
solle qu'on parlait ¡l la tribuno une langne aussi libérale. « La
publicité , disait 1\1. Portalis , est l'árue du gouverncmcnt que
nous devons a la sagcssc de nos rois , et les journaux sont les
instruments nécessaircs de ecuo publicité. Sans eux , elle ne
serait qu'un vain 110m ct qu'unc vaine forme. Toutefois, pour
que la pnhlicité soit effieace, il importe que ses organcs soicnt
sinceres. 1,(' privilége ou la dópcndance les vicie; ils doivent
etre préservés de l'un par la coneurrenee, et allranchís de l'autrc
par l'abolition de tout examen préalable : e'cst ledouble hut qu'on
s'cst proposé d'atteiudre dans ce projet de loi, En nous 01'-
dounant de vous proposer une telle loi , disait en terminanj
M. Portalis , le Hoi a entcndu fonder le droit eommun de la
presse périodiquc. » L'exposé des motiís plut davantage ¡l l'opi-
nion que Ir projet : OH le lona pour atraquer plus al'aise I'ccuvre
du Gouvernement; en masse, la Chambre I'nccueillit conune une
concession importante. La commission , composée des centres
droit ct gaucho cut plusieurs eonférences intimes avec l\l. Por-
talis, et s'entcndit avec lui sur presque tous les points principaux
et cependant la Charnbre cut peur des journaux. « Des objections
nombreuscs seront probablemcnt opposéesa la loi , disait timide-
ment le rapporteur ; dois-je les réfutcr d'avanee ct prévenir vos
discussions? non, je m' en abstiens; une lumierc faible , incer-
taine , peut nuire ~l de grandes clartés. La véritable perfection
dans les lois est cellc qui s'accommode a la situation des choses,
aux hesoinsde la sociélé ; leurs progres apparticnnent au temps. ))
-« Il faut croire, disait 1\1. Kératry, pour l'honneur d'hommes
auxquels il HOUS coütcrait trop de rctirer notro estime, qu'ils
n'ont pas vu tout ce que rcnfermait de déceptious , de ruses ,
,1' impo~sihililés morales 0\1 lllat{lri('lIes et de centradicticns 1:\ loi




106 mSTOlRE DE LA RESTAUHATION.
qu'ils nous proposent. Non, ce n'est pas dans le palais de nos
rois que ce projet a pu étre enfanté! tout au plus y aura-t-il
été importé par les ennemis de nos institutions et de la monar-
chie, et la pensée publique les nommerait sans peine. »-« Je
rejette ce projet de loi, ajouLait 1\1. Benjnmin-Constant , je le
rejette avec d'autant moins d'hésitation , qne jc soupconne qu'il
ne nous vient pas des ministres. Oui, la main qui J tracé l'exposé
des motifs n'est pas la méme qui a rédigé les articles de la loi.
On reeonnait dans I'un cet esprit de sagessc et cet amour des
lumieres , héritage d'un pére illustre , et qu'il serait douloureux
de voir répudié. Ce n'est point le ministére qu'on attaque en
rejetant le projet; on le défend au eontraire contre l'enncmi
qui le subjugue et le décrédite pour le mieux dominer. » La
gauehe et la gauehe modérée repoussaient ainsi la conccssion
royale qui rendait la presse a son affranchissement. Par des
motifs différents, iI fut également atraqué par la droite. « La
liberté de la presse, s'écrlait 1\1. de Conny, est une des néces-
sités de l'époque, mais elle ne peut cxistcr qu'a I'omhre du
pouvoir Iégitimc. J'cnvisage avcc effroi l'article 1er du pro-
jet qui nous est préscnté , et qui snpprime le privilégo ; He
détruisez-vous pas un droit de l'autorité royale ? ct ne pourra-t-
on pas , a la faveur de cette latitude , établir h vil prix des jour-
naux qui se répandront jusque dans les dcrniércs classcs de la
société? Je crois utile d'introduire une disposition qui punirait
de la peine du bannissemcnt tous les écrivains qui outrageraient
la dynastie légitime.» - « L'abolitiou du privilége, de la censure,
de la tendanee, disait 1\1. Méchin , n'est qu'uue restitution que
ron nous doit, etnon une concession que l'on nous fait. »-«~Ous
regrettons , répondait 1\1. Portalis , que plusieurs orateurs aient
déserté la cause qu'ils avaient d'abord embrassée. JI me semble
que nous n'avons rien changé au projct de loi. Ses vices d'au-
jourd'hui étaient les mémcs i1 y a un mois , et cependant on y
trouvait des bienfaits réels, J e le déclarc en finissant : fidele aux
traditions domestiques, je défendrai s'il le faut, comme mon
pére, dont on me rappelle la mémoire , les libertés politiqucs




CHAPITHE XXIV. 107
el Iégalcs contre les exagérations de ceux qui s'en font les défen-
scurs exclusifs , et qui , a dilléreutes époques , ont ameué le
naufrage et forcé le pays a chercher le repos et la paix al' abrí
du pouvoir arbitraire. » - « Dans ladiseussion qui nous oeeupe,
ajoutait lU. de Martignac, nous dirons qu'il ne nous est pas
possible de rcnoucer aux garanties réelles qui résultent des dis-
positions du projet ; IlOUS ne pouvons ni ne devons livrer impru-
demment le trñne , la société et les citoyens aux dangers de la
presse périodique. C'est notre devoir , nous le remplirons sans
ohstination puérile , mais avec constance et fermeté. » lU. de
lUartignac indiquait aiusi ala Chambre qu'il était des limites que
le ministére ne devait, ne pouvait franchir. Il s'adressait surtout
au Roi, au centre droit, au coté droit de la Chambre , a cette
fractiou qui deja travaillait sous main le Cahinet. Dans ce débat
fut enfin soulcvée la grande question sur laquelle le ministére
avait dü s'entendre avec les doctrinaires. M. Béranger invoqua
le jugement (les délits de la presse par le jury ; eette proposi-
tion , dévcloppée par lU. de Corcclleset fortement appuyée par
l\DI. de Conucuin , Devaux et JIéchin, n'ohtint que les votes
de l'cxtrémc gaucho. Cetro tentativo 1Ie réussit paso Le ministerc
constata, dans le rejct de cct amendement comme dans le scrutin,
une niajorité de cent cinquautc voix : ceei frappa le RoL On
couuncncnit ~l travaillcr Charles X, dans cettc idée que le minis-
tcre n'avait pí.lS une lllfi}fi'ité ccrtaiue , et qu'un Cabinet royaliste
pourrait réunir une majorité puissante et compacte. Ces forts
scrutius étaicnt done nécessaircs a la vio du Cabinet lUartignae.


A la Chamhre des Pairs , l'opposition dcvait se placer sur un
autrc terrain qu'a la Chambrc des Députés : il ne s'agissait plus
des objcctions coutre les trop faiblcs concessions du projet; il
Iallait tout au coutrairc justiílcr ces eoncessions elles-mémes ,
inontrcr surtout qu'cllcs nc compromcttaient pas la monarchie ;
cétte situaiion était une dillicultó nouvclle. Ce que le uunistera
avait trouvé rl'oppositiou el de résistnucc ponr la loi électorale ,
ille reucoutrcrait encoré pour la presse, et avec plus de violence
pcut ctre. C'est ccue positiou quí entraíua sans doute le rappor-




108 HISTOIRE DE LA RESTAURATlOl\'.
teur dans d'étranges doctrines sur l'article 1/, de la Charle.
:\1. le comte Siméon était de ces caracteres qui vont tonjours
au pouvoir pour le saluer de .quelque attribution absolue.
Homme de gouvcrnement avant tout et pour justifier une dis-
position de liberté, il argumenta de l'article 1h, c'est-á-diré
de la suprématie du pouvoír royal dans les circonstances graves.
C'était une faute, surtout pour un rappnrtour qui était si inti-
mement uni au systeme ministériel, 1\1. Siméon justifiait les
coups d'État comme moycn de gouvemement. Tout le systeme
Poliguac put désormais s'étahlir et ~e justifier par la théorie de
M. Siméon ; et pourtant le projct du Gouvernemcnt ne trouva
point gráce, « Ce projet , disait lU. le comte de Saint- Romans,
est en opposition avec l'article 8 de la Charte ; il dépouille la
royauté des moycns de résister a ses eunemis, » - « II cst inutile
a la défense du projet, répliquait 1\1. le comte Molé , de revenir
sur la législation qu'il remplace, législation destructivo de la
plus précieuse de nos libertes. » Cette nouvcllc loi a été attaquée
avcc violence; les uns l'ont représentéc comme livrant la société
saus défense aune Iicencc cffrénéc ; les autres comme trahissant
une liberté qu'clle affectait de protéger. Jo répondrai d'abord a
ccux qui s'alarment pour la liberté: craignez par-dessus tout
ses exces , cal' vous creusericz son tombeau; il en serait des
cxces de la presse comme de tous les nutres , ils amcneraicnt une
réaction inévitable. A la longue, il sortirait du seiu de la société
tourmcntéc , irritée par les scandales de la presse , un de ces cris
irrésistibles centre lesquels les libertes ne ticnnent pas plus que
les Gouvernements. » ~ « Votre loi n' est pas assez répressive ,
répondait le vicomte Dambray ; les dispositions préveurivcssont
les scules capables de réprimer efficacement la Iiccncc des
journaux. )) - « Qui ne trcmble pas , ajoutait le comtc de la
Bourdonnave , en voyant la puissance usurpée par les journaux ?
El VtlUS venez encere dépouiller la prérogativ« royalc de tout
moycn de réprcssion ! ) - « Ce projet est en dohors des pro-
messes royales, s'écriait JI. Iloissy-d'Anglas , elles 11e pcuvent
ni décevoir ni Iaillir. On a promis que notro législation serait




CIlAPITRE xxtv, 109
mise en harmonic avec la Charte , et certes on en est eneore bien
loin. » - « Une seule eondition est désormaisnéeessaire pour éta-
blir un journal , ajoutait 1\1. de Castelbajac , c'est de l'argent. 1\10-
narchique ou républicain , athée ou religieux , savant ou inepte ,
peu importe; si vous eles riche , libre avousd'élever 'ros tréteaux
sude Forum. » - « JI est troj) cxtraordinaire , répondait M. Por-
talis , d'étre accusé üla íois d'une cxcessive faiblesse et d'une ex-
cessive rigueur. Notre systéme cst un systeme de vérité et de
franehise; HOUS nevoulons pas que les choses paraissent ce qu'elles
ne sont point , que les lois demeureut inexéeutées, que 10s attri-
butions de l'administration , mal définies, compromettent jour-
nellcment le plus 1égitime usage. » -- « ñlalgré ses grandes im-
perfections, ajoutait .'\1. de C!lMeaubriand,je votece projet de loi ;
je le considerecomme une inunensc amélioration. Je suis persuade
que la presse va sortir victoricuse de nutre discussion , comme la
liberté éleetorale. » - « Toute la question , disait M. Decazes,
est de savoir s'il y a danger ~\ ahroger le monopolcdes journaux,
la C('¡~SUr2 (;( les preces de tendancc ; je ne le pense paso A une
ceft~\;;)l; l'lJOqLl(), j'ai demandé la censuro ; mais rappelez-vous
les cirn)llstaiICC';, graves ('l dillicilcs dans lesquellcs IlOUS 1l0l\S
trouvions, Eh bien! les mémes hommes qui la refusaient alors ,
la demandent aujourd'hui que la Frunce est si prospere et si
tranquillo. )) -- « Ce projct satisfait mes vceux , ajoutait 1\1. de
Lally-Tollendal ; seulcmcut je rcgrctte qu'on ait laissé le juge-
ment des délits de la presse aux trihunaux , sans I'intervention
du jury. » Conune a la Chamhrc des Députés , le projct était ainsi
atraqué de droite et de gauche ; mais la droite était aux Pairs
bien plus Iorte , bien plus rcdoutable. La majorité pour le
projct 11C fut que de soixantc-huit suflrages, Le partí Villelc
n'avait poiut agi aussi ostensiblement.L'aneÍen président du
Conseil el ~1. de Pcvronnct n'avaieut Iaissé parlcr que les sous-
ordres ; ils étaient sur leurs ganks depuis le dornicr échec ,
ct He voulaient poi4l.t s'user. L'un el l'autre avaicnt pris a la
Chambrc des Pairs une positiou séraréc : "'1. de Yillelo repré-
seutait son anclen parti modéré; M. de Peyronnct s'était spé-


iv. '10




110 nrSTOIRE DE LA nESTAUnATlOJ\'.
cialcment dévoué aux idécs el aux intéréts de la droitc extreme
el religieuse,


Les feuilles publiques n'oséreut pas demandcr trop ouverte-
ment le jury. Elles avaient une haute rcconnaissance euvers les
cours royales; le ministere renonrunt aux proel's de tcndance,
on n'avait plus acraindre égalemcut I'actiou des cours dans la
politiqueo Une fois le Pouvoir ainsi replacé dans la Iihcrré , les
magistrats commencerent a sévir d'une maniere régulicrc el
forte. J'ai parlé de la Ieure adressée a ~I. le duc d'Orléaus par
.tU. Cauchois-Lemairc , elle était sans doute un avertisscmcnt
effrayant pour la Ilcstauration , cal' elle signalait une révolutíon
possihle et préparée ; mais il n\ avait pas Hl un délit constan; :
e'était une allusion , un e idéc (}' avenir, une qucstiou d'histoire
permise dans tout pays de liberté. L'cxprcssion en était a111('1'(' ,
mais parfaitement déguisée , et lU. le duc d'Orléans s'était h[¡t(~
de la désavouer. Néanmoins l\I. Cauchois-Lcmaire fut condamné
al'efIrayante peine de quinze mois de prison ct de 2 (lOO francs
d'amende , et ce jugemcnt fut confirmé par la cour royalc. Puis,
arriva lH. Fontau , qui par une allusiou malhcureuse comparait
la douce et lovale rovauté de Charles .'\ aux 1l1OI'SlII'eS rl'un IllOU-


" .


ton enragé. L'écrit inconvcnaut de }l. Fonrau fut dénoucé aux
tribunaux, et cinq ans de prisou furent la peine appliquée. Il n'v
cut pas jusqu'a :-'1. de Bérauger qu'on poursuivit encere pour
des chansons. On avait chanté dans íous les !PHI})", ~I toutes les
époques ; on avait tout raillé , el sévir centre ces débauches
d'esprit , contrc des couplets d'ivrcssc el de folie, c'était se
montrer bien susceptible..I'ajoute pnurtant que'I. de Ilérangcr
avait ridiculisé la vieillesse, le dévoueme 111 , le malhcnr ! ct quaud
les chcvcux hlaucs vcnaicut sur son Iront de })o¡:u' il n'avair p::s
craint de blesser au C~L1l' les croyanccs qui cnusoleut , el le
pouvoir qui pl'Olége.\euf mois l1(' priwll Iurcnt lH'ononü's


1 , 'centre JI. de B¡"rJllgcr. ,)(' C();l:-:[;¡¡¡; ~('¡d('Jl,P'¡t !jiil' a ]'('j\l'CSSlOn
• l' ,. " l" '" 1 1 ] • ( 1 ,',,-VHe ct íortc ctart :aTI\ '(', ¡¡',TC ;¡( Sl!lt'('I"U' (i(' la O! e (U \.;üd-


11 , '" " 1 f l ' 1'(""" (-'vorncmcnt ; cue n ai au (¡\'Si'l'l(' q¡1(' a rauuo, .i n _.,le. ,e
Gouvoruemcnt se montrait indulgcnt , Iaci lepum le soulagcincnt




CIIAPITRE XXIV. 111
des peines; M. de l\Iartignac conuaissait plus que tout autre les
entraincmcnts des gens de Icürcs ; il Icur accordait des maisons
de santé , abrégeait le temps de la détcntion , et tout cela sans
dífficulté , ayer de la grñcc 111('1 me. C'était la digne camaraderie
de l'homme d'esprit u-nrlant la>maill pour pardonner aux fols
(;('al'ls de I'illlagillalion; el ü uavers qucls obstacles ces conces-
siousn'étaicnt-r-llcs pas ohtcnnes ! Charles X refusait les gráces ,
drux , trois fois ; M. d« '\Iarlignac revcnait a la charge , ne se
dérouragcait pas , puis ¡. la fin ohrcnait ce qu'il avait demandé;
j'invoque ici le sumenir de ~I. Canchois-Lcmaire : et ce nom
était hicn connu , bien hostile ala rovautólégitimc.


La plupart des journaux qui avaicnt si vivcment comhattn le
projel d(~ loi <tu eOll\CrJH'IlH'1l1 profit(\l'(llll de la liberté dans
toute sa latitudc, D'ahord la faculté ahsolue de créor des jour-
naux sous la seule conrlition prcscl'ile [)ílr la 101 arait farorisé
l' hnission (\'une muuuude üe Icuiúes politiques , qui toutcs lut-
taicnt contro lcur honnc O~l mauvaisc fortunc. Chaquc departe-
ment cut sa feuillc d'opposilion arce une corrcspondance dictée
aParís sous 1111(' IlI(~IlI(' dircrtion, eda se Iit conune par une
illlJllI!sioll ('011111111I)('. 1,(1 parlí líh(;ral s'organisait par la presse
dans les produces, COJllIl)(~ il s'était réuni aux élcctions par le
moycn d(' la- sociétó i!ide toi, {e Cicl t'aidcra. Ce furcnt de
vóritahlcs afIllialion8 t0l1\('8 aboutissant h Paris , et qui pouvaient
d'un jour ü l'autrc se snhstituer au Couverncmcnt mémc. Les
grandsjoul'l1aux donnaicnt toujonrs la haute impulsión. te Gon-
vcrucment avait , depuis la complete adhésion de JI. de Chá-
tcaubriand , le Jourua! des D(;{¡U1S, puissance d'opiníon ton-
jours éclntantc et forte; il appuvait le ministerc , mais en tant
qu'il marchair daus ses voies et qu'il soutenait ses amis, Puis ,
M. de Jlartignac avait f01H1(> un journal , le Messaqer, déposi-
{aire de ses doctrines, le dépassau! un peu dans les voies libé-
ralos. Ce jourual était mal YU ¿. la Cour; le Iloi s'en plaignait
SOUH'nt Ü son ministér« , paree (Iue 11' .ilfcssagel' cherchait ;1
cntralncr le sysll'Ille dans los voies du centre ganche uni au
1'(ll1lre droit , dont il aurait voulu opérer la fusion en dchors de




11 2 mSTOInE DE LA RESTAURATION.
la droite : on ne peut díre quels reproches Charles X adrcssait
a ses ministres sur la tendance de leur journal, En dehors de
ces deux organes, tout était opposition. Conune expression de
M. de Yillele , la Gazette de Frunce ~ rédigée avec une haute
\y<.\\~).\~\\:, Ü\~\'Üy<.\).\ "'..\ Q\)~H~\' \'d. h\'3.\m'- u.,--,- ~~\\.\\'~ u.\'~\.\ 1.'.\ ~~
Ycxtremc droite , des Yillelistes el du partí de lU. de La Bour-
donnaye; c'était le mot d'ordre des Hoyalistes , des hommes qui
aupres de Charles X cherchaicnt 1t perdre le ministero de JI. de
Martignae, ct ¿l prouver qu'il cxistait une majorité de droite
daus la Chambre. Ces hommes , je ne dois cesser de les nommer,
paree qu'ils ont égaré la royauté et pcrdu la monarchie : ee sont
lUJI. Ilavez , Ferdinand de Berthier ct de Chantelauze, cceurs
hOlmetes mais intelligences Iimitécs. La Gazctt c faisait une
grande impression sur l'esprit du Roi; on le savait, et I'ou mul-
tipliait les moyenspour que cette impressionIüt plus grande en-
coreo On allait jusqu'a díre au Roi qu'elle avait vingt-cinq mille
abonnés, C'était le désespoir de lU. de Martignac , quand la
Ga::-ette attaquait une mesure; le Rt» en rotwoduiszit les ergn-.
ments, et faisait lui-méme de l'opposition ason ConseiJ. On avait
pris mille moyens pour (lile le Boi 11e pl1t Jire innnódiarement Ja
Gazeue ~ et je ne sais eomment elle arrivait toujours au Chatean
avant méme que les ministres y vinssent le soir, de maniere que
le Roi prcnait ses ímpressions de la Chamhre et des questions
politiques telles que le partí royaliste voulait les lui douncr,
Charles X s'en défendait pourtant; ct quand l'un de ses minis-
tres le trouvait lisant la Gazcu.c~ il avait l'air de n'v avoír pris
garde : « C'est une vieille habitudc », disait-il. Au reste, le
partí royaliste savait toute l'importance de la Gazcttc ~ et venait
y déposer ses conceptions, 1\1. de Pevronnet luí-méme y travail-
lait d'une maniere brillante el originale. La QUOI ulienne avait
cessé d'appartcnir ~l :\l. 3Iicha11d, p011r passer ¿l la couleur de
M. Ferrlinand de Berthier, mc]ange de WJJll'C-Olij)OBjlj01J el de
congrégation , qui se tenait sur ses gurdos centre le retour de
lH. de Villl'le; elk Iavorisait de ses cfforts ~I. de Polignac el une
fusinn rnvalistc SOl1S son patronaf/ ' . E!k (tait luc au Chateau: on




CHAPITRE XXIY. 113
ajoutait une haute importaucc a ses articlcs, Le partí liberal
n'avait que ses deux grands organes , le Courrier et le Constiiu-
tionncl ; l'un toujours puritain rigide, acceptant dans sa politique
austere toutes les coucessions comme imparfaites , et ne répon-
dant en ricn aux griefs ct aux impatieuces de l'opinion , gour-
mandant les Chamhres de lcur trop faihlc entrainement. L'autre ,
plus modéré , rnais cherchaut dans le partí prétre des griefs et
des atraques centre le Pouvoir, dirigean t cette fraction de la
Chambre désignée alors sous le nom de seconde fraction de gau-
che, oú était assis lU. Étieune. ~i le National ni l' Uuicersel
n' étaient encore Iondés, voila quel était l' état de la presse, tel
que la nouvelle loi l'avait fait, puissance formidable contre
le pouvoir qui l'avait établie , la liberté est ingrate; elle se tourne
contre ses fondateurs. Chaqué jour le ministere )Iartignac était
harcelé , fatigué par cette presse active, vigilante. Apres avoir
employé tous ses efforts pour ohtenir du Roi quelques conces-
sions, la concession une fois obtenue, la presse l'attaquait en-
core avec aigreur, le poursuivait sans reláche ; elle était impi-
toyahle , commc si le pouvoir ministériel avaít été tout ~l fait
libre de ses mouvcmcnrs , commc si dan s une monarchie il n 'y
avait ríen ~l ménager, conune s'il ne fallait pas teuir quelque
eompte de ces sucurs et de cctte honnc volonté d'un ministerc.
Que résultait-il de la? Que la droite faisait croire au Roi qu'il
était impossible de contenter les Libéraux , qui appelaíent avant
tout une révolution. « Quelque chose que Iasse la dynastie ,
disaient-ils, la Itévoluticn nc pardonnera jamáis aux Bourbons. ))
Charles X alors hésitait , avait ~l chaque momeut des velléitésde
résistancc ; les ministres étaient rcpoussés , et ce u' cst qu'a force
de pcrsistancc qu' ils obtenaient ce que les Chambrcs dcman-
daient cornmc d' inévitahlos eoncessions.


J'ai indiqué le point de départ de toutcs les transactions di-
plomatiqucs a I'avéncnu-nt de :\1. de La Féronnavs ; le traite
du 6 juillet avait consacré doux príncipes : 'Í n. I'intervcntion des
trois Puissances pour consacrer l'cxistence poli tique de la Grece ;
2". les mesures de coercitiou envcrs la Porte pour la contraindre




114 HISTüIRE DE L\ RESTAURATlO~.
a respecter l'état de chosesrcconnu, Ce dernier articIc avail rt('
consacrépar le glorieux et bizarrc fait d'armcs de Xavarin. 1)('-
puis , de graves évéuemcnts étaient survcnus. ~I. Canningu'était
plus, et avec lui s'étaient évanouics les cspérauces d'émancipa-
tion. L'administration <le lord Godcrich , qui lui avait succédé ,
faible et malhcureux amalgame de wighs el (k lorys modérús ,
s'était dissoute d'elle-méme , et le duc de Wellingtoll avait repris
la direction supremo du Cahinet. Indépcudanunent de la nou-
velle allure imprimée aux allaires en Angletcrre par l'avénement
du duc de 'Vellington, il Yavait encere dans cct événcmcnt un
exemple que l'on expliquait au prolit du par: i royalistc. « Vous
voyez , disait-on, le ministcre de lord GIH!t-ric!l, imag« du mi-
nistére ~Iartignac; fusion d'opinions di, erscs , sans chefs , sans
direction: vous le voycz , il est tombé sans laisscr de traces ;
mais une admiuistration tory a surgí toute-puissante; contcui-
plez le duc de 'Yellington réunissant sous sa main les uuanccs
diverses d'opinions. l~h hien ! ce qui s'cst produit en Anglctcrre
pourra se faire sans difflculté en Franee; que le lloi le vcuillc ,
ct JU. de Polignac joucra le méme rt)](' quc rcmplit le dile de
"Tellington. » Jlévcurs politiqnes , qui s'illlilgillaienl q!li' les
hommes et les partís sont aussi calmes en Franco qu'en Angle-
terre ! que les arrangcmcnrs ministéricls se concentrcnt dans
quelques tetes, et que dans un pays plein (le passions les choses
se passent comme au sein d'une nation gran' ct d'un vivux
parlement! Je crois que le triompue du duc de WcUington
perdit l'esprit de Charles X et de ¡u. de Pnliguac ; iI les ron-
firma l'un et l'autre dans l'idée qu'ils pouvaieut composer une
administratiou torv qui rappellcrait ~l elle les wighs modérós ,
moyennaut quclques conccssions et quelque alliance de ])cr-
sonnes,


Considérée en ce qui touchc les grandes qncstions de la
Crece et de la Ilussie , l'arrivéc du dur de Wdlinglon aux
aílaires ne changcait pas la marrl.« poliiiqne de l'Anglctcrre.
Le duc de "'ellington avait signe· le protocole du {, avril Ü
Saint-Pétcrsbonrg , lequd ll' <lit pn~pllr0 k tr<lit~ lIu 6 j uiliet ;




ClIAPlTfiE X\IY. 115
el quoique dans l'opiniou de S. S. ce trail.é Iút allé trop loin, et
que l'cmploi de la force, dans le combat de Navarin surtout t
cüt été hlámé par le nouvcau ministere , le duo de "'ellington
ne paraissait préoccupé que d'lInc seulc idée : cmpécher le con-
ílit menacant entre la Porte et la Ilussie. Un arrangement était-il
encere possihlc? les choscs n'étaicnt-clles pas arrivées a ce point
qu'unc gucrrc paraissait inévitablc ? La Russie se plaignait que
depuis seizc ans qu'était conclu le traité de Bucharest , la Porte
avait toujours enfreiut tontos les stipulations, éludé sespromesses,
ou en avait suhordouné l'accomplisscmcnt ad'iutcrminables dé-
lais. Dans plus d'une occasion, et surtout en 1821 , elle avait pris
11 son rgard un caracter« de' provocation et d'inimitié ouvertcs ,
caractéro qn'elle reprenait depuis trois mois ; elle avait appelé
naguerc tous les sccratcurs de Mahomet aux armes centre la
Bussic, « La Russic, disaicnt lesnotes de lU. de Nesselrode al\I. de
La Féronnays , ne pouvait tolércr des acres d'hostilité aussi ma-
nifestes sans abandonner ses intéréts les plus chers et répu-
dier des transartions qui étaient pour elle des monuments de
gloirc el des gara/llies de prospérité, » Des notifications avaient
(~t(~ faites (1/1 ce S('IIS aux Cours de Londres, de Yienne el de Pa-
riso La Ilussic déclarnit qU(~ « pour ce qui tenait a ses différends
avcc la Porte, c'ótait Hl une question particuliere et qui ren-
trait tout cnlit'l'<' dans son droit de nation; elle pensait done
agir librcmcut en communiquant Ü l'amiahlc aux Cours alliées
les motiís de son anucrucnt. » .\ la suite de ces communications,
)1. de Itibcaupicrrc quilla Constantinople, Le Divan s'cffraya
d'uue teIle démnnsrrnrion , ct le grand-visir fit parvenir a l\I. de
."rss<'lrod(' une nouvclle note: « La Porte s'occupait de faire
murchcr les affaires conrantes relativos aux stipulations des traí-
tés , lorsquo l'amhassadcur de S. l\I. I. lui rcmit des propositions
relativos aux traités : la Porte Ottomane avait alors fait connaitre
ses réponses franchos el sinrcrcs , hasées sur la vérité et la droi-
ture ; c'est de ce moment (jlle 11. <1(~ Hibeaupierre , contre toute
attentc el saus égards aux droits des Cuuveruements, comme aux
dovoirs d'un rcpréscntant, avait reíusé de préter l'oreille aux




116 IIlSTOlRE DE lA HESTAURATlüN.
raisons de la Sublime Porte, et était partí de Constantinople. »
En eeei, le Sultan voulait surtout un délai ; les réformes avaient
affaibli l'empire , et l'on n'était pas prét. Aussi M. de Nesselrode
répondit ü cette note « que le Cahinct ottoman ne pouvait igno-
rer que M. de Itibcaupicrre avait toujours agi d'aprés les ordres
de son Souverain , puisqu'il s'était declaré ofliciellcment l'organo
des intentions et des vceux de l'Empcrcur. En quittant Constan-
tinoplc, il avait sauvé la dignité de sa Cour , et donué un aver-
tissement salutairc au Gouveruement de S. 11. en lui laissant le
loisir de réfléchir, Bientüt les troupes russes seraient en marche
pour ohtenir le redressement de ces légitimes griefs, »


Dans ces eireonstances si graves, les hostilités étant pres de
commeneer, 1\1. de La Féronnays recut des dépfoches de Saint-
Pétersbourg, qui lui annoncaient I'imminence des hostilités.
M. Pozzo di Borgo fut chargé de pressentir la France sur l'atti-
tude qu'elle prendrait en eas d'hostilité flagrante. Il fut répondu :
« que, sans adopter un parti dans une question particuliére en-
tre la Russie et la Porte, la Frauce so confiait aux magnanimcs
intentions de l'Empereur pour le mainticn des traités existants ; »
il fut également donné l'assurance an Cahillet anglais qu'on ga-
rantirait l'existcnce des traites et la circouscription actuelle de
la Turquie. Dans eette situation délicate , ct pour se prémunir
contre tout événement , 1\1. de La Féronnays crut nécessaire
une augmentation dans l'effectif de la marine ct ele l'armée. On
arréta en Conseil , el id le Roi s'associa complétcment ü son mi-
nistere , qu'il serait demandé un subside cxtraordinaire par un
emprunt de SO millions , afin de se tenir prét a toutes les chan-
ces de la situation. JU. Hoy se chargea de proposer l'emprunt ;
en méme temps le ministre de la guerre ordouna une Ievée de
soixante rniile hommes. En présentant le projr-t d<' loi sur l'cm-
prunt, 1\1. Hoy déclarair , pour rassurcr les esprits, que la me-
sure proposéc était une simple précaution : « les iutéréts privés
n'en pcuvent concevoir aucnne alarme : ils doivent y trouvcr
plutót de nouvcaux rnotifsde couliance <'1 de sécurité dans le soin
que le Couvernemeut preud de la dignité de la France , pn'-




CHAPITRE XXIY. 117
miere garantiede son repos et de sa prospérité. » La l1laj~rité était
préparée acette uécessit« de suhsides ; elle savait tout ce qu'il
y avait de prévoyance et de force dans cette attitude de guerreo
Toutefois, une partie de la Chambre voyant avcccrainte cet acte
de confiance , redoutait que ces RO millions ne fussent confiés a
un autre ministcre , cal' on ne considérait l'administration de
M. de lUartignac que comme une transition. Le général Sébas-
tiani, expression du centre gauehe et chargé du rapport, annon-
cait : « que la situation aetuelle des affaires exigeait un accroisse-
ment cxtraordinairc de ressources. Le Gouvernemcnt, pour main-
tenir la dignité de la Couronne et faire respecter les droits de la
nation , devait appuyer s~s vues pacifiques du concours des Cham-
hres; l' armée de tcrre allait erre mise sur le picd de paix; le
complet présentait un déficit considérahle en hommes et en ap-
provisionnemeuts ; enfin , on allait préparer des armements ma-
ritimes pour protéger les possessions et le commerce francais sur
toute l'étcndue du globe, La commission applaudissait done au
motif de la loi ; elle s'étonnait pourtant que les sacrificcs faits jus-
qu'ici n'eusscnt pas satisfait aux hesoins de l'état de paix. » Le
général pcnsaít qu'il COJlH'naÍt d'autoriscr l'ernprunt en ;) Oll h
pour 100 Iacultativcmcnt ; iI Iélicitait le ministre d'cntrer dans
,une meilleure voie en allectant une somme spéciale pour l'amor-
tisscment de cct emprunt. La cornrnissiou proposait un amende-
ment important, )1. Hoy s'était prononcé centre tout autre fonds
que le 5 pour 100, sorte de préoccupation qu'il avait conservée
de son opposition a l\I. de víllele, La Chambre préférait le h, et
la eondition facultative cachait cette intention. Au reste, 1\1. Sé-
bastiani disait : « Noscommunications arce le Gouveruement ont
été Iranches et loyales; il n'a mis dans les renseiguements qu'il
1l0US a fournis que les restrictions commandées par les intéréts
de la politiquc.Xous croyons pouvoír aflirmer que sa sollicitude
s'est imperturhablcmcnt dirigée vers le maiutien de la paix, be-
soin constant des pcuples et des princes. ( L'administration .qui
s'est écrouléc dcvant nous, disait ~I. Ch. Dupin en son style dé-
clamatoire, u'a jamáis compris 1{' rñle de la Franco au milieu




118 HISTOIRE DE LA RESTAUIlATlON.
de l'Europe. Elle a eompromis l'avenir du treme chez des peuplcs
amis, en l'affaiblissant par l'instabilité , par le mcnsonge du pon-
voir absolu. Le nouveau miuistere adoptc-t-il OH repoussc-t-il
un semblahlc systeme ? Est-ce un nouvcau cordon sanitaire qu'il
s'agit de former ~l l'Occidcut? SOIlS ne dovons ríen précipitor;
la Franco est tranquillo , elle cstmaitrcsse d'dle-Jll(~llle; une sage
neutralité nous garantira les bicnfaits de l'avcnir. » - « 1'Ol/S les
moyenscompatibles avec l'honncur de la Francc , répondait
M. de La Féronnays , seront employés pour ruaintenir la paix ;
mais si des modiflcations inattcnducs dans les aflairesextérieurcs
ont déja trompé les prévisions du Cabiuot , des circonstancos nou-
velles ne peuvent-elles pas déjoucr cnrore les calcnls de la pru-
dence et de la politiquc ? Les ministres du Iloi manqucraient 11
leur devoir s'ils ne prévoyaieut pas ces complications , ct s'ils se
laissaient surprendre par les évéucmcuts. la Franco ne pouvait
eontempler avee indiflércnce les malheurs prolongés des Grecs :
des mesures devaient étrc prises pour soulager tant de miseros.
L'Europe est atrentive 11 nos délihérations : c'est 1t vous de luí 01'-
frir, a travers quelqucs dissentimcnts sur des mesures d'admi-
nistration intérieure , le spectacle impusau: de 1'111Iio!1 drs Ck:m-
bres avee le Gouverncment du Iloi dans tout ce qui iutéressc la
patrie. ) - « Pourquoi done, répliquait ~I. Ilignon , la Franco
no devrait-clle pas rester étrangéro aux complicntions (IU'O])t Iait
naitrc les aflaires de Turquie ? Quellcs considerar ions si rlécisivcs
pour elle peuveut contraiudrc son Cahinet ~l se jeter au milieu
de débats embarrassés , dont il pourrait au contrnire lui étro utile
de demenrer speetateur tranquillo et indépcndant ? Le problcmc
est extrérnement sérieux , et je m'étonne que le ministére ait pu
le résoudre d'une maniere aussi absoluc. Jc demande I'ajournc-
ment de I'examen de ce projet jusqu'a Ia discnssion du hudget, »
- « Nous faisons hla Chambre une prnposiiion q1le 1l0l1S croyons
utile, indispensable, répondait :U. Ilvde dc Ncuvillc. Nous avous
l'espoir que la paix du monde rcnaitra : si elle cst trouhlée un
instant, nous la verrons bientót rétablic. Nous nvons Iait notre de-
voir : vous nous aidcrcz h le romplir, » - « Qui sait , répliquait




CHANTRE XXI\'. 119
niaiscmcnt )1. Ternaux , si cct emprunt n'est pas destiné ~l fer-
mcr les plaies saignantes du partí vaineu aux dernieres élections ,
máis qui vcille , pret ü se rclcver menacant , quaud vous aurez
voté le hudgct ? Jo declare done qu'aussi longtemps que la Charte
restcra violée conuue elle l'a été, que eeux ü qui elle est confiée
en dópót He réparcront pas les mutilations qui la défigurent , je
n'accordcrai mou vote ü aucun impot.) On ne s'explique pas
ceue sortic d'un esprit en g(>¡lllral si moderé. 1\1. Ternaux vieil-
lissaiL; il était aigri par la Ilestauration , qui ccpendant avait
grandi et consolidé sa Iortunc. « Je vote le crédit de SO millions,
disait ;\1. Laíliuc , paree que l'état de l'Enrope doit éveiller la
sollicitudc de toutes les Puissanccs ; si la Frunce n'a ríen acrain-
drc matéricllcmcnt des évéucments qui se passent ~l des centaines
de licues de ses Ironticrcs , elle nc doit pas laisser partager les
empires sans son asscntimcnt , paree que, meme en restant neu-
tre, sa neutralitó doit étre armóe, » - « Et moi aussi , ajoutait
1\1. Viennet, jo vote ce crédit , paree que l'indiíférencc serait
indigne de nous; et la France , accoutumée a faire la loi ehez
les autres , ne peut rcster éll'aug(\re ~l une lutte OU l'avcnir de
l'Enrope csr COJlJIJl'OIJ] ís, » -- « Conuuout , s'érriait ;\1. Benjamin-
Constaut , apn\s douze ans de paíx , el un mílliard d'impóts , on
a hesoin , sculement pour rétablir notrc état de paix , de sacri-
ficcs nouvcanx ? JI Y a done déficit dans les senices ? Comment
ce déllcit existe-t-i! 7 La Franco vcut connaitre ses alfaires et
savoir ü qui elle ohéit. )) - « Aueune ohscurité , disait ~I. Sé-
bastiani , ne voilera ma pcnséc : jc \01S le ministere sinccremcnt
aiui de nos institutious , mais ami timidc ct inccrtain , qui es-
pen' du icmps , ct He s'apercoit pas que le tcmps cst centre Iui.
Je sais que les obsiaclcs qu'il rcncontrc sont nombreux et puis-
sauts , qu'il a /)('SOill, ponr les surmontcr , d'une fermeté iué-
hranlahle : j:I~;(l¡;'jci jI n'cn a pas montré, Xc nous hátons pas
cepcndant de Ic cuntÍam¡j(T ;il sait il quel prix il peut ohtenir
l'appui du partí COl¡sliIUlioilllC!; il sait ü qucl prix il peut éviter
son opposition. ;\OIlS' oulons la Chartc ; nous la voulons fran-
chcmcnt exécutce , el ccttc cxécution ne saurait HOUS étre ga-




120 HISTOIRE DE LA llESTAUHATlüN.
rantie si elle reste confiée ases ennemis. )) Ai-je besoin de Iairc
remarquer le ton modéré et grave avcc lequel le général Sébas-
tiani fit son rapport ala Chambre des Députés? L'honorahle gé-
néral s'était alors fortement rapproché du Pouvoir ; il cspérait,
et peut-étre le Gouvernement songeait-il ~. lui donner une des
grandes ambassades, eelle de Constantinople, par exemple, Ce
fut une des fautes constantes de la llcstauration , je ne saurais
trop le répéter, de ne ne pas assez tendre la main aux hommes
qui venaient a elle. La majorité d'adoption fut immense , et 1'0n
put eonsidérer ce vote d'honneur national eomme unanime. A
la Chamhre des Pairs , aueun orateur n'était inscrit contra le
projet; mais il s'engagea une lutte financiero entre lU. Roy el
M. de Yilléle. I..e ministere était fatigué des trames secretes du
partí villéliste , et lU. Roy se décida a révéler la situatiou du Tré-
sor. Des documcnts soumis aux Chambres il résultait que la
dette flottante s'était démesurément accrue , le Trésor était ~l,
découvert d'une S011110e tres-considérable. A ces atraques, l\I. de
Villele se hñta de répondre : « C'était mal ~~ propos qu'on avait
qualifió la dette ílottante drfitlt _. puisque les bons royaux y
avaicnt été allectés li,;r une loí , el (Iue ces bons valaieut des
rentes. ) - « On l'appellcra comme on voudra , répoudait avce
aigreur 1\1. Roy, dCCOlI'UC¡'t., acanccs , cxcédant de dJpenses ou
1'/' . . ., , '1' r( e tcit; ce qm est certam , c cst qLl une 50nH!lC manque au re-


sor; qu'ellc a été dópcuséc au den. des produits 1 ct qu'il faut
pourvoir aux besoins auxqnols ('lIe devait subvenir. J) La lutte
s'cngageait des lors haute ct frauchc entre ces deux systemes ct
ces deux hommes.


Toute l'attention de l'Angleterro depuis l'avéncmcnt du duc
de ,yellington se portait ruoins su!' r(a¡JllC~p'¡lj¡!il de la Grecc
que sur les hostilités entre la Ilussic et la Porte. Le duc de "'el-
lington avait bien promis d'cxécutcr en toutcs ses partics le traité
du () juillet; mais S. S. était alors Iorteuu-nt préoccupée des
premicrs mouvcmcnts de l'armée rIlSS(~ dans les Balkans, Ibrahim
occupait la JHo1'ée, el tout« la quostion était de savoir quclle
troupo serait cnvoyéc pour Iaire ccsser des hostilités fatales aux




ClIAPITRE XXI\'. 121
Hellcnes, L'Angletcrre s'était offerte; mais elle avait un intérét
¿l l'occupation qu'elle.pouvait indéflniment prolonger par le voi-
sinage ele la république eles Sept-Iles, Elle Iut refusée. La Russie,
qui était reeonnaissante envers la France de son attitude bien-
veillante dans la guerre d'Orient , la soutint dans ses démarehes
diplomatiques, tes troupes francaises furent chargées ele l'exécu-
tion du traité; la France , étant la plus désintéressée , fut choisie
de préférence; mais aussitót l'Angleterre se háta ele dépécher des
ordres al'amiral Codrington , afin d'obtenir du pacha d'.Égypte
une conveution pour évacuer la :\Iorée, l'intention de la Grande-
Bretagne étant d'éviter ~l tout prix l'occupation des Francais,
On avait su cette intention; le Cahinet lUartignac se háta de pré-
parer , avec une mcrveillcuse célérité , les armements néces-
saircs, Je dois rendre cette j ustiee aMlU. Hyde de Neuville et de
Caux , qu'ils dépassercnt toute cspérance : l'arméc r t I'cscadre
furent préparées eomme par enchantemenL. On tenait a prendre
position, aíin d'assurer l'effieaeité des négoeiations diplomati-
ques engagées a l'oeeasion de la Porte Ottornane. Il s'agissait
de ehoisir le commaudant en chef de I'cxpédition , el ce choix
n'était pas sans diflicultés. On répétait toujours le nom du
maréchal 3lannont; le général Guilleminot était aConstantinople;
il fallait arriver ~I un rhoix national qui parlát a l'csprit du soldat,
lH. de Caux propo-a au Dauphiu le licntcnaut-génóral vlaison , de la
vicille année de }Iorra u. qui avai t la répntation d' une ¡J;rands solli-
citude pour le soldat el dont la Ilussic ne pouvait s'alarmer , cal'
il avait eu des rapports mee 1\1. dc Nessclrode ¿l París. JA~ parti
royaliste avait des gricfs centre lui: le ministere Bichelicu
l'avait destitué de son ge,mcrncment de París, paree qu'il réu~
nissait ehez lui les pairs de l'opposition ; on l'accusait égalemeut
de n'avoir pas aé·tout ~I fait étraugcr au mouvcmcnt militairc
du 19 aoüt 1820, et en tons les cas d'avoir uiontré une indul-
genee presquc partialc dans le jugcmcut de la Cour des Pairs,


La persévórance de :\1. de Can'>: el du Conscil tout entier
put vainero cnfin les diílicultés. « ~'y a-t-il pas d'autre gé-
néral? » disait le Iíoi. .'1. de Caux répoudait que le général


IV. 11




122 mSTOIRE DE LA llESTAUllATION.
Maison était l'honune du soldat, et (lile c'était un moyen d'avoir
l'armée. La nomination fut cnfin emportée , ct le général prit
le commandement du COl'pS expéditionuaire de la :\lorée, avec
la promesse intime de la dignité de maréchal au retour, La pro-
clamation que le général :\Iaison adressa aux troupes fut encore
l'objet de grandes remoutrances diplomatiques : elle disait :
« Vous eles appelés 11 mettre un tenue a l'oppression d'un pcu-
ple célebre. Pour la premiere fois, depuis le treiziéme siecle ,
nos drapeaux , aujourd'hui lihératcurs , vout apparaitre aux rives
de la Grece. Soldats ! la dignité -de la Couronnc, l'honneur de
la patrie, attendcnt un nouvel éclat de vos triomphcs : dans
quelque situation que les évéuoments vous placeut, vous n'ou-
blierez pas que de si chers intéréts VOIIS sont confiés. J) C'était
une guerre, une occupation que le général ñlaison annonrait ;
il allait au dela du but. Le 17 aoüt l'expédition mit ala voile;
elle arriva en vue de Navarin le 29 du méme mois. La étaient
réunies les trois escadres francaise, anglaise el russe. Le général
Maison apprit par :\1. de Iligny la couvcntiou qui avait ét(: con-
clue a Alexandric le (j aoút entre le paella <l'J~gypte et l'auiiral
Codringtou , d'apres laquclle"('h('IlH't-Ali dcvait rappcler ses
troupes de la 1Uorée, sauf douze cr-nts honuues qui scraicnt
répartis dans cinq places forres, Ceue notiílcatíon n'étant pas
faite officlcllement , le général 'Iaison n'cn tint compte , et vint
déharquer a Corono Le hut du ministerc franrais Iut rempli ;
le débarquement avait eu lieu. Apres bien des pourparlers entre
le général )laisoll, les amiraux ct Ibrahim-Pacha , qui montra
dans ces négociations une grande conuaissance des allaireseuro-
péenncs , une convention fut conclue le 7 scptcmbre , par la-
quelle Ibrahim s'engageait ~\ conuueuccr l'emharqucmcnt de
ses troupes le 9. Cet emharqucment s'opércrait ;\ SaYarill; 011
n'y pourrait comprendre aucun prisonnier grcc : il serait con-
tinué sans interruption , autant que l'(llat de la mer le pennct-
trait. Cette couv eution rcrut son exécnt ion entiére , et I'Angle-
terre y poussait virement, alin (le demandcr le rappel des
troupes franruises. La lUol'(~c, une Iois óvacuéc par les Í~gypti('ns,




CIlAPITRE XXIV. 123
devait étre aussi délivrée des Turcs. On entra en pourparlers
arce les commandants des diversos Iortercsses. « La Porte, ré-
pondirent-ils , n'est pas en guerre avcc les Francais , ni avec les
Anglais; nous ne conuncttrons aucun acte d'hostilités, mais
nous ne rcndrons pas les ~,laces. )) On cut recours ~\ la force!
JI Ycut d'héroiqucs exploits l et, quelques jours aprés , il ne
restait pas un seul Turc dans le Péloponese ; l'amiral de Iligny
les avait 'tous fait embarque!' ct conduire ~t Smyrne. Vers la
fin du mois de décembrc , une fois l'évacuation opérée , l'An-
gleterre notifia ;t la France que le hut des conventions étant ac-
cumplí, le Cahinet n'avait plus de pretexte pour tenir garnison
en lUorée; que des lors elle vcrrait arce plaisir le retour de
l'armée francaise. Il fut répondu: « que l'état de la Crece ne-per-
mettait pas ce retour ahsolu des troupes francaises ; qu'on se
boruerait a rappcler une hrigadc , ct que l'autre resterait au
service (le la Greco jusqu'Yl'organisation de l'arrnée nationale,
La hrigade du général Iligonct fut ramenée en France ; l'autre
resta en cxpectative. I...c báton de maréchal de Frunce fut donné
avec une gráce parfaite au généra! Maison par Charles X, qui
croyait l'avoir tour ;1 fait raüachó ;, sa personne. Tel était un peu
le caraotcrc du Roi; il parrlonnait beaucoup aux militaires de
l'Empirc ; il aimait a s'assurer de Ieur épéc,


Pcndant ce temps l'armée russe s'avancait : elle avait déja
franchi le Pruth SOllS les ordrcs du fcld-maréchal Wiugensteiu.
Le Czar se rendit a l'annéc : mais quel fut son étonnement
lorsqu'il vit qu'nucun des préparatifs que Iui annoncaient ses
génl'ranx n'était accompli! C'était un des cótés faibles de la
Ilussie que son administration militaire. Un rapport secret ,
adrcssé ;, ~1. de La Féronnays , aunoncait qlle l'Empereur
n'avait trouvé ni équipages de ponts ni artillerie ; les nombreux
régiments n'étaieut qlle sur le papicr ; ce rapport indiquait une
circonstance assez curieusc : les hois pOllr les ponts n'étaient
pas méme encoré conpés, que l'on disait déj~t dans les bulletins
que ces ponts étaieut jetés sur le Danube. L'Empereur entra
dans uneviolente colere , el !tt fut la premiere cause des malheurs




12LJ HISTüIRE DE LA RESTAURATION.
de eette eampagne. La diplomatie rnsse s'agitait beaucoup ponr
couvrir les mouvemcnts pénibles de ses armées. Des que la cam-
pague cut été résolue , et que les l\usscs furent entres aBu-
charest, lU. Pozzo di Borgo se háta de donner l'assnrance , au
nom de son Couverncment : « que la gucrre actucllcment entre-
prise contre la Porte n'aurait pas ponr objet la conquéte , mais
l'exéeution et l'affermisscment du traité d'Ackerman. » Son in-
fluence fut immensc pour donner de la popularité a la guerre
contre la Porte. 11 contribua, plus que personne, a faire eon-
sidérer les hostilités des Ilusses connne un mouvcment de la
civilisation, Sous ce rapport, I'ambassadcur ct le prince Paul de
Wurtemberg rendirent un granel servicc d'opinion an Cabinet
ele Saint-Pétersbourg. I..a jeunesse de l'Europc conrut prendre
part a la guerreo Le flls de M. de La Féronnavs servir dans les
rangs de l'année russe pour la campagne qui s'ouvrait. Cette
campagne , comme on le sait, ne Iut pas heureuse; les Mosco-
vires furent abimés ; ehaque bullctin jetait l' efTroi a l' amhassade.


,


J'ai V11 11 cene époque avec quelle dextérité l\1. Pozzo di Borgo
éludait les questions pressautcs dans les salons, commc il dé-
truisait les Iáchcuscs irnpressions produitcs par les Illamais('s
nouvelles, Il releva les esperances pom la Hussie. lU. de La
Férounays reccvait acoté de chaque bulletin officiel des notes
écritcs et fort dévcloppées sur I'énorrni té des portes éprouvées
par l'armée russe et sur les dópits de l'Empereur contre ses
généraux. Jamais les relations entre lui et :\1. ¡lOZlO di Borgo ne
furent plus rapprochées ; ils se conununiquaient leurs nouvelles ,
leurs dépéches, attendues avee une anxiété remarquable. :1\1. Pozzo
di Borgo tenait beaucoup a rassurer I'opinion publique sur les
forres de son gouvornemcnt. Il ne voulait pas que ce grand
colosse de la Ilussic perdit cette force inorale avec laquelle il
avait dirigé la politique européenne. « Attendez, auendcz la
fin », disait-il toujours. II fut tres-Irappó ü ectte époque de
certains articles stratégiques qni furent publiés sur la campagne
d'Orieut par le general Larnarque dans lc Courrier Franrais.


L'ambassadcur sama l'inílnenco morale de la Itussic , tout fin




CHAPITRE XXIV. 125
prétant son appui a la politique modérée de MM. de La Féron-
nays et 1.\lartignac; cal' au milieu de ces complications d'affaires ,
la position du ministerc était mauvaise a la Cour; le Cabinet
n'avait pas d'appui, l\1. de la Féronnays , qu'on avait pris
commeun moyen de parveuir jusqn'au Iloi , n'avait aucun crédit
sur son esprit; Charles X nc l'aimait pas, et l\l. le Dauphin le
détestait plus profondément encore : quclquefoís , en plein con-
seil , H~ lui dh;aient des paroles tres-dures et trcs-piquantes,
Deux ministres scmblaient plus spécialement appeler la bien-
veillancc de Charles X, quoiqu'ils ne fussent pas dans ses opí-
nions : je veux parler de l\ll\l. Iloy et Portalis , qui d'abord
avaient été recus avec méfiance. lU. Hoy, par son ton décidé et
ses manieres invariables, était parvcnu a se faire estimer du
Roi; l\1adame la Dauphino le considérait comme un homme de
fermeté. l\1. Portalis inspirait la confiance: Sa lUajesLé connaissait
ses vertus privées et de famille; elle le savait homme de haut
scrupule et de religión. On avait chcrché a le travailler comme
janséniste ; le Roi pourtant aimait a dire : « Je suis certain que
qua~}(l M. Portalis m'assure quelque chose, e' est la vérité; je
le crois un homme d'cxcellent conscil , mais faihle. » En troi-
sieme ligue vcnait l\I. de Mart iguac , croyant etre tres-haut daus
les royales affections. « Ce n' est qu 'un hel organe », disait le Roí,
Ensuite, dans une cour pieuse et morale , OIl accusait les lége-
retés de sa vie privée. L'espionnage du Cháteau allait partout
scrutant, et les dénonciations ne manquaícnt paso le Hui con-
servait rancunc contre )1. Ilyde de Neuville : il ne lui pardon-
nait pas l'opposition qu'il avait faite a ce qu'il appelait son
systéme, Charles X avait une colore véritable contre 1'1. de
Vatimcsnil qu'il ne pouvait supporter. « Il lui convient bien de
faire le Iibéi-al ! disait-il ; dcmandcz a Peyronnet ce qu'il a Iait
sous son ministrrc. » Sclon Charles X, 1.\1. de Vatimcsnil avait
trahi sa confiance. M. dI' Caux , l'homme du Dauphin, s'cnten-
dait parfaitement avec Son Altcsse Hoyalc. Il était rare qu'ellc
n'adoptát pas les propositions de son ministerc, Ilestait 1\1. de
Saint-Cricq , que le lloi avait pris égalcment en dégoüt , non-




126 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
seulement paree qu'il était trap libéral dans lc Cahinct, mais
encare paree qu'il avait des manieres sans tenue et sans gravité.
Quant a M: le Dauphin , il n'était plus un appui pour le
rninistere , mais un embarras; les opiniousde Son Altesse Royale,
travaillées des ce moment par les généraux Bourmont et Borde-
soune , tournaient contre les conccssious du ministére, lU. de
Caux sentait bien que Son Altesse Iloyalc Iui échappait, On vit
enfin le peu de crédit miuistériel dans une question de famille :
le ehoix du gouverneur du due de Bordeaux. lU. de Iliviérc était
mort : il n'avait ni servi ni atraqué le ministere , se réservant de
le royaliser en y introduisant son ami M. de Polignac. Qui allait
étre son sueeesseur? Le Cabinet se réunit , et I'on délibéra que
lU. de La Féronnays Ierait la prcmiére onverture au Roi sur ce
point, Quand 1\1. de La Féronuays en ouvrit la houche ¡\
Charles X, celui-ci l'interrompit brusquement: « Est-ce que je
ne serai pas maitre méme dans ma famille? e'est trop fort.
Je ne veux pas que mon Cahinet m'influeuce le moins du
monde sur le choix du gouverueur de mon pctit-fils. » lU. Por-
talis vint a I'appuí de lU. de La Féronnays ; le Roi lui lit ~l peu
pres la méme réponse , rnais plus doucemcnt : « Xous verrons »,
dit-il, Cependant le soir, a l'ordre , le Iloi annonca qu 'il avaít
choisi l\l. le liaron de Damas, choix malheureux pour ladynastie.
JI parait que lU. le barón de Damas avait été indiqué au lit de
mort par ~I. de Itiviere , ct le partí royaliste avait salué ce nom
COllU11e une victoirc. les ministres, instruits du choix du gou-
verneur, considéraicnt cet acte comrnc un refus de coufiance ,
un certain abandon du ministerc , et le soir méme ils offrircnt
leur démission. Le Iloi leur dit : « Je ne comprends pas , )Ie~­
sieurs , les motifsqui vous portent ¡\cette démissiou ; sansdoute ,
l'0ur les acres du Gomerucment je ne dois avoir d'aurrc volonté
que la vótrc , mais ponr les aílairesde Iamille je dois étre libre;
vous Be voudriez pas que j'ahdiquasso ma qualité de tutcur.
D'aillenrs , M. de Damas est lont ~I Iait dans lOS idées, et je
crois pouvoir eonfier 11 son ép{'p la garde de mon petit-flls. »
Malheureux prince , qui 11e voyait pas qu'il s'agissait d'un acre




en APITRE XXIY. 127
,


de royauté et non de patcrnité , et que ce n'était pas en rain
qu'on appelait les rejetons de la Couronne Iils de France! Quant
aux opinions de 1\1. de Damas, elles étaient loin d'étre favorables
a la nouvelle admiuistratiou ; son salón devint le foyer de cette
petite conspiratiou d'intéricur OÚ se trama le Cabinet du 8 aoüt.
Au reste, ü ecuo époque , cllárles X dissimulait ü peine avec ses
intimes le peu de foi qu'il avait en son ministére : « I~h bien!
s'écria-t-il un jour dans une convcrsation particuliern avee M. de
Chabrol, vous m'avcz donné 111 de bravos gens; mais quels tristes
hommes politiques , quelles tetes! Imaginez-vous qu'ils défont
aujourd'hui ce qu'ils ont Iait hier, qu'ils se Iaissent aIler au gré
de je ne sais quelle opinion qui leur impose le sacrifico une a
une de toutes les prérogativcs de la Couronne. » C'était ici la
secrete pcusée du Hoi : le minístere lHartignae n'était pour lui
qu'un essai , qu'un moycn d'user, p~r un malheureux exemple,
une idée , une combinaison qui était importune.


Le Conseil était plus hcureux pour ses choix d'ambassades,
En arrivaut aux affaircs étrangercs , M. de La Féronnays s'était
confirmé daus I'Idéc qn'il lui éiair impossihle de conserver
M. de Caraman ;1 ViclInc. tes rclations éraient alors trop com-
pliquées pour gardcr en Aurriche un amhassadeur qui n'était
que la pensée de lU. de Mcllernich et se dirigeait ahsolument
d'apres ses avis; on Ir. rappela de Vienne, et on lui donna pour
successcur le duc de Jlonlmorellcy-J.aval. Quant a l'ambassade
de Ilussie, elle était vacaute depuis l'cntréc de 1\J. de la Féron-
llays au ministerc. II était irupossihle d'en retarder la nomina-
tion au milieu d'anssi graves conflits, te duc de Mortemart, gen-
tilhonnne de grande naissancc, olficier de loyauté et de merite
dans l'ótat-major de Napoléon , était appclé a avoir une grande
influcnceaSaiut-Pétcrshourg et a conquérirI'amitié de I'empe-
reur Nicolas. JIremplit avec zele el capacité l'importante mission
qu'on lui confiait. JU. le dnc de Laval , esprit peu étcudu , avait
donné des gages d'uu lihóralismc éclairé dans ses ambassades
successíves d'Espagne el de Ilomc l. Le ministere fut trés-content


, 11 avalt été quesüon de 1\1. de Chabrol-Crousol pour l'umbassade




128 IIISTOIRE DE LA RESTAURATION.
de lui 11 Vienne; la correspondance changea immédiatcmcnt de
face et de couleur. tes deux uouveaux amhassadeurs étaient en
dehors de ce cercIe d'intimité dans lequel on choisissait jus-
qu'alors les diplomates. lU. Portalis obtint une victoire non
moins complete: ce fut le choix de M.. Ilenrion de Pansey pour
la premiere présidence de la cour de cassation. M. Siméon s'était
mis en opposition avec lui. M. I1enrion, vieillarrl vénérahle ,
monument de la jurisprudence et de la magistrature, ohtint
pour ses eheveux blanes cette belle couronne de justice. J'ai
la preuve qu'on jeta déja dan s les diseussions du Conseil les
noms de lUM. Dupont de l'Eure et Gilbert Desvoisins, Quant
au ministere de la guerre, l\l. de Caux se montra fort large pour
les souvenirs de l'Ernpire el des Cent-Jours. Voílü pour les per-
sonnes; mais il restait une question qui touchait aux entraillcs
mémes du partí dévot : celle des jésuites , dénoncés et signalés
par l'Université et par toutes les autorités locales. J'aí rappelé
que l\I. Portalis, en arrivant au miuistére , avait désigné une
haute cornmission chargée de constater l'état des écoles ecclé-
siastiques secondaires établies en France , de le comparer aux
différentes dispositions de la législation en vigueur : de rccher-
cher les moyeus d'assurer, rclativcment ü ces écoles , I'exécution
des lois du royaume ; enfiu d'indiquer pour arriver a ce dcrnier
hut des mesures completes. effieaees et qui se coordonnassent
avec notre législation politique et les maximes du droít puhlic
francais. Cette commission avait préparé son rapport , et le mi-
nisterc ne Iut pas peu étonné lorsque la majorité (5 sur 9) dé-
clara que sous le régime de la Charle qui avait proclamé la
liberté civile et religieuse, il n'était permis ~\ personne de scruter
le for intérieur de chacun ponr rcchercher les motifs de sa COJl-
duite rcligiouse , du momeut qlH' cctte conduite IH' se manifes-
tait par aucun signe extérieur el contraire ü l'ordrc ct aux lois;


dc Turin; mais rIlo de Lalour-du-Pin fuisait des ronditions 11'01' dures.
l\ dcmandait le titrc de duc , (e cordou hlcu , le Boj ne voulut pas y
acceder, el ce fut un des gricfs de 1\1. de Cliahrol coutre le mlnlstere
lUartignae.




CHAPITRE XXIY. 129
qu'agir autrement ce serait se permeure une inquisition et une
persécution réprouvées par notre pacte fondamental; elle esti-
mait done que la direction des écolessecondaires ecclésiastiques ,
donnée par les archevéques de Bordeaux et d'Aix , par les évé-
ques d' Amiens, de Vannes, de Clermont , de Saint-Claude , de
Digne et de Poitiers , ¿l des prétres revocables a leur volonté et
soumis a leur juridiction spirituello et temporelle , u'était pas
contraire aux Iois du royaume. Ce résultat juste, impartial,
éclairé , produit surtout par I'inílueucc de I'arrhevéque de Paris ,
étonna l'opinion publique. On accusait M. Portalis d'avoir dé-
signé cetto corumission pour auiener ce résultat ; il n'en était
rien , cal' le remplacement de l'évéque de Beauvaisdans la com-
mission avait été amené par son élévation au ministere des af-
[aires ecclésiastiques. te centre gauche ne voulait plus préter
son appui , tandis que le parti religieux et le Roi s'applaudissaient
(le l'avis de la commission. Pouvait-on désormais demander
l'expulsion des jésuites , lorsqu'une commission impartiale dé-
clarait qu'il n'v avait aucun moyen de les contraindre? Le
Conseil , hicn aisc qu'on lui Iorcát un peu la main aupres du
Iloi , voulait s'appuyer sur une grande résistauce pour appeler
une grande concessioll. On ne sait pas assez dans le puhlic tout
ce qu'il Iallut [aire d'efforts , de travaux inouís pour arriver aux
ordonnances de juin, la conquétc la plus difficile que fit le mi-
nistere de JI. de l\Iartignac sur les répugnances royales. QU3nd
le rapport de la conuuission fut connu du Conseildes ministres,
il eut a prendre un partí. Ce rapport contenait tout a la fois un
fait constaté et deux opinions exprimées : cellc de la majorité et
de la minorité. Le fait constant était l' existence des jésuites re-
connus en possession de plusieurs colléges; les opinions diffé-
raient sur la question de savoir si l' existence des jésuites était
légalc. Ce dcrnier point ne pouvait faire doute en présence sur-
tout d'une majorité tcllc qu'elle existait dans la Chambre. On
porta la question a une premier« réunion des ministres seuls
hors de la présence du Roi; et la iI fut décidé unanimement
qu'on adopterait l'avis de la ruinorité de la commission. M. }lor-




130 HISTOlRE DE LA ÚESTAUnATION.
talis et l'évéque de Beauvais durent attaqucr le Roi chacnn par
des arguments diílérents. Indépcndaunnent de ce que les 01'-
donnances entraient dans leurs départements ministériels , Char-
les X les connaissait religicux , et il devait avoir confianeeen leur
parole, lU. Portalis s'en ouvrit le premicr au Roi ~l la suite d'une
de ces audiences de travail dans lesquelles Charles X s'épanchaít
avec plus de confiance qn'en présence de tout le Conscil. M. Por-
talis exposa a Sa l\Iajesté la nécessité d'arrüter une résolution
qui fit rentrcr le Gouveruemcnt dans l'ordre légal, tes lois
existantes sur les corporations n'étaient point cxécutées; on ne
pouvait plus mettre en doute devant la Chambre l'cxistence des
jésuites ; l\I. Portalis , en se résumant , préscnta le modele des
ordonnanccs pour l' exécutiou des lois du royaume, Le Roi ré-
pondit que la qucstion était en cffet tres-grave, qu'il ne pouvait
prendre un partí sans consultor son Conseil. « C'est mon avis,
répliqua lU. Portalis , il faut que le Roi éclaire sa convicLion de
toutes les manieres. » Les ordonnances Iurent discutées pendant
quatre conseils consécutifs; tous les ministres se trouvérent
d'un avis unanime; on préscnta des Mémoires, des contre-
lUémoires; le Dauphin prit partí pour les ordonnauccs , ct ap-
puya les ministres. De son colé, CharlesX s'eu ouvrit üM. Frays-
sinous. L'évéque d'Hermopolis déclara :( qu'il n'aurait pas fait les
ordounauccs , mais qu 'il sentait bien que si le Roi ne les signait
pas , c'était le renvoi de son ministere qu'il prononrait , et que
ceHe résolution .aurait ainsi les conséquences les plus graves. » Le
confesseur de Sa lUajesté fut égaleruent consulté et les persouncs
pienses qui I'entouraient. Enfin, aprés cinq conseils des minis-
tres, Charles X déclara qu'il était prét asígncr. Cette résolutiou
subite surprit un peu le Cabinet, et 1\1. de l\Iartignac, avec un
sentiment d'exquise délicatesse , dit « que le Iloi dcvait retarder
cette signature vingt-quatre heures encore, qu'il ne fallait pas
ques ses ministres eussent l'aír d'avoit capté son assentiment.. »
Le Roi répondit : « Non, non, je vais signer de suite, II Le
Conseil persistant , Charles X en parut touché, Quand l'évéque
de Beauvais presenta les ordonnances ala sígnature , le Roi lui




CIIAPITRE XXI\'. 131
dit : « Mon cher évéquc, jo ne dois pas vous díssimuler que
c'est la chose qui me coüte le plus dans la vie que cette signa-
ture ; je me mets id en opposition avec mes plus fideles serví-
teurs , ceux que j'aime et que j'estime, » La premiere ordon-
nance, contre-signée par :\1. Portalis , exposait que parmi les
établissements connus sous le nom d'écoles secondaires ecclé-
síastiques , jJ en existait huit qui s'étaient écartés du but de
leur institution , en rccevantdes élcves dont le plus grand nombre
ne sedestinait pas a l'état ecclésiastique ; qu'en outre , ces huit
établissemcnts étaient dirigés par des personncs appartenant a
une congrégation rcligieusc non légaleruent étahlie en France :
en conséquence ces huit établissemcuts seraient , a partir du
1rr octobre , soumis au régime de I'Université. A dater de la
méme époque, nul ne pourrait demeurer cüargé soit de la di-
rection , soit de l'enseignement dans une des maisons d'éduca-
tion dépendantes de l'Université, ou dans une des écoles secón-
daires ecclésiastiques, s'il n'avait affinné par écrit qu'il n'appar-
tenait a aucune congrégation religicnse non légalement établio
en France. C'était la I'mnvre entiere, le travail exclusif de
lU. Portalis. Restait celui de I'évéquc de Ileauvais sur les petits
séminaires; que de luucs eu t-il encore a soutcuir , lui évéque ,
que le Hoi et son potit comité considérnicnt comme relaps l
Charles X consulta de nouveau SHl clergé et ses scrupules.
« Eh hien! 1\1. l'évéquc , dit-ii , vous croyez done que nous ne
faisons pas mal 'l - Oh! non, Sire! vous sauvez la religion
d'une grande ruine. » L'ordonnancc de l\L Teutrier limitait le
nombre (les éleves des écoles sccondaircs ecclésiasuques , con-
íormément aun tahleau qui serait presenté au Iloi dans le délai
de trois mois : dans tous les cas, les eleves He pourraient excé-
del' vingt millc, Aucun extcrnc ne pourrait étre rccu dans les-
ditcs écoles apres l'<1gc de quatorze ans : tous les éleves admis
depuis deux ans dans lcsdites écoles scraicnt tcnus de porter un
habit ecclésiastique, Les supérieurs ou directeurs de ces écoles
devaient étre nommés par les archcvéques ou évéques et agréés
par le Roi; avant le 1el' octobre , tous les norns de ces chefs de...




132 IlISTOIRE DE LA RESTAUHATION.
vaient étre envoyés au ministre des affaires ecclésiastiques pour
obtenir l'assentiment du RoL Les écoles secondaíres ecclésiasti-
ques dans lesquelles toutes ces dispositions ne seraient pas exé-
cutées rentreraient sous le régime de l'Université. Il était creé
dans ces écoles huit mille hourses de 150 fr. chacune, dont la
répartition dans les diocéses serait réglée par le Iloi , sur la pro-
position du ministre des aífaires ecclésiastiques. Hien n'était
plus complet, plus décisif,


On prenait les jésuites par tous les cñtés ; on Iaisait intervenir
l'autorité civile dans le gouvernement épiscopal qui avait dominé
te précédent ministere, te malhcureux évéque de Beauvais était-
il de force pour soutenir cette lutte ? Ces ordonnances de juin ,
coup d'État contre le parti prétre, furent accueillies avec tous les
applaudissemcnts de l'opinion ; tnais aussitót commenca une
guerre violente de la Quotidienne et du partí congréganiste con-
tre 1'1. l'évéque de Beauvais. Un pouvoir longtemps maitre des
affaíres ne tombe pas ainsi sans Irémissement. 1\1. Laurentie pu-
blia des articles d'une verve remarquable et qui durent agiter la
conscicnce timorée du prélat. Ce parti frappé au cceur , l'était
injustement par la violence , el il le sentait bien. Alors a tou-
tes les oppositionsviut se joindre la résistance épiscopalc , dont un
gouvernement fort et philosophique peut se railler, mais qui est
bien quelque chose dans un pays catholique ; cctte résístance Iut
puissantc ¿I la Cour : eJl,~~'or?,Jnisa ayer 1II11' admirahle habilelr:
plusieurs archevéques el évéqncs aunonccrcnt hautement leur
intention de s'opposer a l'exécutiou des ordonnances nouvellos.
Un Mémoire parut au nom des prélats Iraurais : il fut publié ¿I
cent mille exemplaires, vcndu S centimcs l'un : il pourait ainsi
se répandre dans toutes les classes ; les ordonnanccs de juin y
étaient représentées C0111111e le triomphe d'une conspiratíon ré-
volutionnairc et la ruine de la religion catholique; les deux mi-
nistres signataires étaicut dénoncés ü l'indignatlon du monde
chrétien : « 1\1. Fcutrier avait trahi les droits de l'{>piscopat el
préparé la ruine complete du saccrdoce : on y invoquait eette
conscience et eette majesté royale que la société de 1\1. de Da-




CIIAPITHE xxiv. 133
mas travaillait Ü l'intérieur, Cependant les ordonnances durcnt
recevoir leur cxécution. Les ministres s'y déciderent. lU. l'évé-
que de Beauvais adressa une circulaire a ses vénérables freres ;
illeur demandait en vertu des ordonnances « tous les rensei-
gnements qu'íls étaient obligés de donner. » Presque tous élu-
derent Oll diífén'relll Iongtcmps de répoudre. M. l'archevéque
de Toulouse surtout aunonca formel1ement l'intention de s'op-
poseraI'exécution des ordonnances dans son diocese, A la lettre
que lui avait adrcssée le ministre-prélat , lU. de Toulouse ré-
pondit : « La devise de ma famille, qui lui a été donnée par Ca-
lixte JI en 1120, est ceJIe-ci : Etiamsi omnes., ego non. C'est
aussi celle de ma conscience. » l\I. de Clermont-Tonnerre ne se
horna pas ¿l I'adresser au ministre, mais illa fit publier dan s le
Journal de Toulouse. Le ministre en fut profondément hlessé ,
et demanda au Roi, comme gagc d'adhésion au systéme de son
Cabinet, un témoignage de mécontentement contre I'archevéque
de Toulouse. te Conseil exigea surtout que ce füt une de ces
peines émanées du Iloi lui-méme et qu'on pút moins attribuer
aux ministres qu'á la royauté, te Iloi répondit : « Je suis extré-
mement blessé de la condnite de ]U. de Clermont-Tonnerre ; je
ne souffrirai pas qu'on manque ames ministres: je vais faire si-
gnifier aM. le cardinal qu'il n'cntre plus désormais au Cháteau, »
Ainsi l'épiscopat se soulevait contre le pouvoir civil, et c'était
une résistance rcdoutablc, pour un ministére sans appui en cour,
l\l. Clausel , évüque de Chartres , put annoncer la fin inevitable
d'une administratiou inipie, Fallait-il I'affronter la tete haute?
recourir a la violcncc , ¿l ce svsternu de pcrsócution , qui sous
I'Empire avait entraiuó Napoléon ¿I des coups d'État, ades me-
sures impopulaircs ? le Conseil se décida pour un tenue moyen
hahilc, lU. Portalis avait une trop grande habitude des negocia-
tions diplomatiques avec Home pour ne pas savoir une chose :
c'cst qu'il cst toujours possible de traiter avcc le Saint-Siége
lorsqu'on a rccours ü son autorité pour la reconnaitre en matiere
épiscopale, La politique de Ilomc est d'atténuer autant que pos-
sible le pouvoir des évéques, d'aílaiblir lcur juridiction ; et puis,


1v. 12




~3l1. mSTOIRE DE LA RESTAUnATIO~.
un Gouvernement qui recourt a elle reconuaít sa snprématic, et
e'est aquoi Borne prétend. M. Portalis designa donc ~l. Lasagny,
ancien auditeur de Rote, avec une mission confideutielle pour
aIler prendre l'avis du Saint-Pere et détruire dans son esprit les
préventions défavorables qu'il pourrait avoir au sujet des ordon-
nances. Cette mission, quoiquc contrariée par le nonce, fut cou-
ronnée du succes qu'on en attendait. Une dépéche de M. Lasagny
indiqua la résistancc qu'il avait trouvée a Ilome parmi les prélats
dévoués aux jésuites ; l'esprit de modération et de lumiére du
Saint-Pere les avait dominés; enfiu le bref poutiñcal fut obtenu
aussi large, aussi décisif qu'on pouvait I'cspérer. Sa Sainteté ré-
pondait : « qu'elle ne voyait dans les ordonnances aucune viola-
tion des droits épiscopaux, et qu'elle ne voulaít point ímposer au
Gouvernement francais les congrégations rcpoussées par sa légis-
lation. )) Il écrivit en conséquence ~l M. de Latil , dont le Saint-
Pere savait l'influence sur l'esprit du Roi , qu'il eüt II notifier sa
décision atous les prélats du clcrgé írancais. « Je connais, disait
Sa Sainteté, tout le dévouemcut des évóques de Franco envcrs
Sa J\Iajesté Trcs-Chrétienne ainsi que lcur amour P9ur la paixet
les véritables intéréts de la religion : ils dui\ eut done se confier
en la haute piétié ot sagesse du monarquc pour I'exócutiou desorss
donnances , et toujours marcher d'accord avce le tronco » Une
fois cette lettre recue , l' épiscopat rentra dans l'obéissance, Suc-
cessivement les déclarations dcmaudécs Iurent adressées au mi-
nistre des affaires ecclésiastiques, et l'opposition , sans cesser
d'uue maniere absolue, s'allaihlit.


Le résultat obtenu fut surtout l' expulsión des jésuites ; aucun
de leurs colléges ne voulut se souutcttrc au régime g('il(~rill de
l'Université ; ils protesterent centre l'injusticc et la violence; se-
couant la poussiere de lcur saudale , ils sortircnt de Franco pour
s' établir ensuite au dela des Pyréllé('s et en Suisse : ils emporté-
rent le regret des familles , cal' Ieur syst(~lllC d'éducation était
large, noble, puissant. Peut-ótre un Couveruement de liberté
eüt-il demandé protcction pour lesjésuites comme pour tout au-
tre systeme d'éducarion : le l'ouvoir n'était pas assoz robusto pour




CHAPITRE XXIV. ~35
cela, et l'opinion publique trop émue. En résultat , les ordon-
nances du mois de juin furent la rupture la plus complete entre
le parti religieux et le ministcre. Il n'y cut plus moyen de rap-
proehement; la guerre fut jnrée , et avec un Roi plein de scru-
pules, sous la dominat ion épiscopale , érait-il possihle a un mi-
nister« de Iutrer longlemps ?


IJa sarisfac{ion donnéo al'opinion publique par lesordonnancos
du 16 jnin facilita les rapports du ministero avec le centre gauche.
La Francc saluait ceue teutative du ministcre pour s'affranchir
de la coterie occnlre qui avait tourmenté la destinée du pays
peudant la longue arlmiuistration de M. de ViIlele. On ne s'ar-
rNa point dans ecuo voic : le ministerc venait de concéder le
príncipe que I'iutcrprétation des lois appartenait aux Chambres ;
innovation inamense, {fui placait le pouvoir législatif sur sa véri-
table hase: la mcillcnre harmonio régnait , lorsque l'extréme
gauche fit trois tcntatives pour inquiéter le ministere, IJa prc-
miere fut la pétition d'un ahbé Martial Marcet de la Roche-Ar-
naud , 1riste coryphée de parti , sans talent , sans dignité de
lui-méme , qui dónonrait I'cxistcnce des sociétés de jésuites ;
la scconrle, Hile proposition faite par lU. de Salverte pour le
rétahlisscment d(~ la garde nationalede Paris ; la troisieme enfin ,
l'acte d'accusation déposó sur le hureau par 1\1. Labbey de
Pompieres contre le miuistere de lU. de Villele. La pétition
coutre les jésuites était sans ohjet. Les dernieres ordonnances
répondaient sur ce point aux gricfs de l'opinion publique; mais
il ne fallait pas laisser refroidir une questíon qui remuait toutes
les Iihres populaircs : on voulait parler aux passious de la multi-
tude. D'un autrc cflté, les Ilovalistes s'eu saisirent pour récla-
mer la liberté de ]'enseigncment, et défendre la eorporation
proscrite. « Lorsque tant de cris accusateurs se font entendre ,
s'écriait 1\1. de COllUY, les droits de la défense sont sacrés, Le
Pouvoir, d'accord arce le coté gauche, vient de lui Iivrer la
victoirc, victoire déplorablc , j'en ai le cceur navré, Oui, l' ex-
clusion de vénérablcs ccclésiastiques est une mesure d'intolé-
rancc, et une des plus grandes violations de la Charte.»--« A




136 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
qui done le Pouvoir a-t-il donné la victoire? répondait lU. Hyde
de Neuville avee vivacité ; non, le Pouvoir n'a entendu la don-
ner a aucun de vous, ill'a donnée a la raison et a la justice;
malheur aceux qui ne marcheraient pas avcc elles! En frappant
les jésuites , les ministres du Iloi ont accompli leur devoir. » Le
ministére rompait ainsi en Iace avec la contre-opposition La
Bourdonnaye, ce qui facilitait Ies rapprochements que tcntaient
depuis longtemps MM. Ravez, de Chantelauze et de I..espine.
Entre toutes les fractions royalistes de l'assernhlée , le coté droit
abandonnait absolument le ministere : que l'ancien parti ville-
liste sacrifíát ses anciennes préventions , admit l\I. de La Bour-
donnaye, el l'alliance était scellée! l\I. de J..a Bourdonnaye
donna des gages, fit méme des avances au centre lors de la
discussion sur le rétablisscment de la garde nationale. La propo-
sition de l\l. Ensebe de Salverte soulevait une question de pré-
rogative royale, Appartenait-il a I'iuitiative de la Chambre
d' adresser une pareille demande? En développant sa proposi-
tion, l\I. de Salverte rappelait les scrvices rendus par la garde
nationale parisienne , el son enthousiasmc }10m le Iloi , le jour
mémc de sa suppression. « D'aiilcurs , disait l'honornblc mem-
hre , l'existence de la garde natiouale intéresse Je maintieu de la
paix publique, et lors des dernicrs trouhles, les rues de Paris
n'auraient point été arrosées du sang Irancais si la gardo natío-
nale eüt existé. »-« Ce n'est pas seulement, répondait 1\1. de La
Bourdonnaye, du licencicment de la garde natiouale , ni de son
rétablissement qu'il s'agit ici; c'est du pouvoir du chef supremo
de l'État sur la force publique, question immense qul touche 1.
l'existence du gouvernement représentatif.»- « Sans entrer
dans le fond de la discussion , répliquait 1\1. Agicr, je croisqu'il
ne convient pas de réclamer de nouveaux hienfaits du Iloi , dans
un moment OU tous les cceurs s'ouvrcnt a la reconnaissance. Il
ne convient pas non plus a la dignité de la Chambre de traiter
une question qui dcviendra ínccssaunuent un des points les plus
graves de l'accusation contre l'ancien ministerc.» Cette conclu-
sion jeta une profonde agitation au sein de la Chambre; la clo-




f.JlAPITRE XXIY. 137
ture fut róclamée ~\ grands cris , et prononcée a une immense
majorité. Alors parut M. Labbey de Pompiercs avcc ses motifs
d'accusation. « J'accuse , dlsait-il , les anciens ministres de
trahison envers le Roi qu'ils out isolé du peuple ; je les accuse
de trahison envcrs le peuple Cfu 'jls ont privé de la eonfianee du
Roi. Ils ont atteuté ¡¡ la constitution du pays et aux droits par-
ticuliers des citoyens, Je les accuse enfin de eoneussion, pour
avoir percu des taxcs non votées , et dissipé les deniers de l'lhat. »
Cette accusation était vague, sans griefs bien positifs, 11 est
difIicile et presque impossible de reehereher dans un ensemble
d'actes adruinistratífs un grief d'accusation légale. « Courbés
sous le faix de la haine publique, continuait 1\1. Labbey de
Pompieres , ils ont reporté sur des tetes augustes des mesures
qui, sans doute , furent loin de leurs cceurs : une censure éta-
blie sans motifs, et confiéc a des hommes repoussés de l'opinion
publique, destinée a préparer dans l'ombre des élections frau-
duleuses et corrompues; des listes éleetorales formées dans le
silence , et déguisées sous un nom qui, loin d'assurer un droit ,
prescrivaient un dcvoir redouté. 11 est suffisamment prouvé que
les ex-ministres ont innuolé ;\ leur désir de rester en place la
popularité du tróne , nos institutions politiqucs et nos Iibcrtés
fondamentales.» te partí villeliste , qui apercut le vide et le
vague de la proposition de 1\1. Labbey de Pompiéres , cut I'air
d'y applaudir. « J'appuie cctte proposition , s'écriait J11. de Mont-
hel ; il faut que la vérité soit cnfin connue ! Je l'appuie dans
l'intérét des ministres accusés ; c'est un aete de justice qu'on
leur doit.» La proposition était aussi un grand embarras pour
le nouvcau ministerc. Devait-il soutenir ou repousser l'aeeusa-
tion?ll n'avait point a se louer du partí de M. de Villcle , qui
embarrassait sa marche parlemcntairc autant qu'il était en lui ;
mais le Cahinet avait promis au Iloi qu'il n'y aurait pas d'accu-
sation , et , dans tous les ras, ccttc accusation hlessait le centre
droit, (pte le ministcre avait illlén~l a ménager, M. de l\larti-
gnac, avec son esprit flexible, s'auacha done a une question
préjudicielle, « Sans toncher au Iond de la difficulté , disait-il ,




138 llISTOIRE DE I,A RESTAURATION.
je dois en attaquer la forme; dirc que les aneiens ministres ont
isolé le Roi de son peuplc , el prive le peuple de la coufiancc de
son Roi, ce sont dcux asscrtions affirmatives, deux faits indiqués
comme accomplis , et centre lesquels je dois protester de toutes
mes forces. ))-« Je n'ai entcndu exprimer qu'une tentativc , r{'-
pondait l\I. Labbey de Pornpiéres , ct non un fait eonsommé; je
préscnte une nouvelle rédaction qui l'indique sufllsannnent, »)-
« La proposition doit étre retirée, répliquait lU. de lUartignae,
sauf a la reproduire plus tard dans d'autres termes. ))-«( Elle
doit étre renvoyée dans les bureaux , s'écriait 1\1. de La Bour-
dounayc. ))-« Point du tout, ajoutait 1\1. de l\Iontbel , les termes
sont trop inconvenants; je ne crois pas que nous puissions déli-
bérer sur une pareillc proposition.. -« Il était bien plus simple,
répliquait 1\1. Labbey de Pompieres , de faire ces ohservations
lorsqu'on a lu la proposition dans les bureaux ! )) Sa voix fut iei
couverte par une foule d'interpcllations partíes du coté droit de
la Chambre. Au milieu de cette confusion , la Chambre adopta
le renvoi immédiat dans les burcaux. Apres un quart d'heure
d'attente , l\I. Labbey de Pompieres reproduisii sa proposition
en ces termes: « Je demande (1m' la Chamhre are use les mcm-
bres du dernicr ministerc des crimes de coucussiou et de trahi-
son. ))-« Ainsi rédigée , reprenait encore 1\1. de l\lontbel, je
l'appuie par les mémes motifs que j'ai déja fait valoir. )) Le partí
villeliste savaít bien qu'il n'y avait pas de gricfs sufflsants et
précis POUl' une accusatiou , el que sa vicille ídolo sortirait ainsi
victorieuse et plus forte de l'épreuve. Néanmoins la Chamhre
nomma une commission spécialc chargée d'cxamiucr cette pro-
position et composée de l\l1\1. l\lauguin, Bcnjamin-Constaut ,
Girod de l' Ain, de ñlonthel , Agier, Delalot , Dutertrc , Han-
dot el de Lamezan. Elle était ainsi en majorité pOllr l'aeeusa-
tion. Le rapport fut fai! pllr M. Cirod d(' 1'.\111, qui proposait au
nom de la commission de dérlarcr ( qu'il Yavait lieu ü instruire
sur I'accusation d(~ trahison proposóo centre les mcmbrcs du
dernier ministérc.» La discussíon Iut remiso aprcs l'adoptiou du
hudgct, Comme le ministerc l'avait bien prévu , une Iois la loi




CHAPITRE XXI". 139
de finances votée, les Députés ne furent plus en nombre, et la
clóture de la session mit fin aeette résolution de la Chambre.


Tout le parti villeliste déscrta des 101's d'une maniere haute et
sans déguiscmcnt l'adrninistration l\lartignac. En déflnitive , le
ministere , resté maltre du terrain , étaít parvenu afaire repous-
ser des proposítions qui devaicnt trouver sympathie dans les
Chamhrcs; il n 'y avait plus maintenant a examiner que les
questions flnanciercs et le budget. Quatrc projcts de loi relatifs
au reglernent défíuitif des compres de 1826 et aux crédits sup-
plémcntaires de 1827, avaient été portés ala Chambre des Dé-
putés par le ministre des finances; un surplus de produit de
6 millions1()h ltl~3 francs rcstait snr 1826; l\l. Roy proposait de
le reporter au Jmdgetde 1827 pour en augmentcr les rcssourccs.
JI faisait ohservcr que ee hudget de 1827 devrait acquitter a la
décharge des budgcts autérieurs une dette de 7 millions , qui
représentait des arrérages éehus avant le 1"r janvier 1827, sur les
inscriptions de l'iudemnité des émigrés. Tels étaíent les résultats
par grande masse de ces comptes, La commission spéciale qui
avait été nomméc pour Ieur examen proposait l'adoption par
I'organe de ;n. Augustin Périer, remarquan L Iontefois l'exagera-
tion de quclques dépcnses. l no vive opposition se maniíesta au
sein de la Chambre : lUM. de í.aborde , Charles Dupin, Labbey
de Pompicres , s'élcvcrent contre les prodigalités que plusieurs
chapitrcs Ieur paraissaieut ollrir. Les comptes du ruinistere de la
guerre Iurent attaqués par le géuérnl Gérard , el les capitula-
tions suisses surtout provoquércnt les réclamations arden tes du
gén(·ral. « Un colonrl suisse , disait-il , a un traitemcnt de
t;; 000 fr., et nn eolonel Iraucais de () 000; cette disproportion
se reprodnit dans tous les grades, Chez une nation aussi guer-
riere que la nótre , l'orgueil national n'est-il pas oífensé de voir
nos trésors eruployés Ü solder des étrangers ? n-(( Ces chargcs ,
répondait avec loyau l{~ le mín istre de la guerrc , out été stipulécs ,
librement conscntics ct votécs par les Chamhres pendaut douze
sessions. En Frunce on n'exauiine pas si les cngagements eon-
ll'acl('s sont onéreux ; OH les reiuplit. La loyauté Irancaise saura




1hO HISTOIRE DE l. \ RESTAURATfON.
remplir cene dont il s'agit eomme elle a rempli toutcs les
autres, » Je dois dire que des négocíations étaieut alors engagées
avec la Suisse pour modifier ces capitulations onéreuses ; jusque-
la le Gouvernement francais croyait dans ses devoirs de tenir ~I
des stipulations librement consenties , et qui garantissaieut ses
frontieres , *>mllle le fit justement ohserver JI. de Salvandy ,
commissaire du Roi.


Venait ensuite le budget de 1829; il avait une forme nouvelle,
et lU. Roy lui avait fait subir d'utiles amélioratious. La partie des
dépenses et celle des recettes fonnaient des projets séparés :
l'évaluation des dépenses était portée distinctement par branches
spécialcs de services; chaqué branche fígurait sous le titre de
sections particulieres. Le ministre des financcs étahlissait l'aug-
mentation progressive du déficit des caisses jusqu'en 182H; il
les évaluait , apres le complet acquittement des eharges de 1828,
11 200 millions 369 h74 francs. C'était dans cet état qu'on arri-
vait au budget de 1829; les recettes pour 1829 préscntaient un
défieit de 16 millions 8h6 206 francs sur les dépenses, Ce résultat
avertissait que les revenus annuels de I'anuée .étaient devenus
inférieurs ases dépenscs ordinaires. « le déficit de 200 rnillions,
disait en terminant lU. Roy, que nous avons supposé devoir
exister apres l'aequittement des charges de 1828, pourra étre
atténué par des recettes plus élevées que celles qui ont été pré-
vues; pres de la moitié de cette somme devra d'ailleurs se com-
penser un jour avec la rcntrée des avances Iaitcs a l'Espagne ,
lesquelles s'élevent déja a 89 millions 600000 francs. Nous
n'avons pas pensé que nous dussions vous proposer de couvrir
ce déficit par une créatiou de rentes. Nous nous bornerons done
11 vous demander l'autorisation d'émettre des bons royaux appli-
cables aux besoins du Trésor pendant l'aunéc 1828, sans qu'ils
puissent existcr dans la circularion dans une proportion plus
Corte que de '1;)O millions.» Ici JI. Hoy, se laissant un IW\l
entrainer par le désir d'auaqucr son prédéccsseur daus l'admi-
nistration U(lS Iiuances , remua tous les vieux comptcs de caisse
POUl' constituer péuiblemeut un déllcit en masse; c'était ne point




CHAPITRE XXIY. 14i
se souvenir que ce vide avait toujours existé , et que 1\1. Roy luí-
méme, ministre en 1820, ne s'en était pas alarmé. La eommis-
sion des dépenses, dont 1\1. Gauthier soumit le rapport a la
Chambre, se bornait a indiquer , en entrant dans la voie des
éeonomies, celles qui paraissaient compatibles avec les exigenees
des besoins publies. « Yotre commission , ajoutait 1\1. Gauthier,
avait emhrassé avec ardeur I'espérance d'opérer des éeonomies
considérables dont le résultat püt étre au moins de rétahlir
l'équilibre entre les recettcs et les dépenses courantes.. Cepen-
dant ce sentiment n'a ras pu lui dissimuler , d'une part, que le ,
cercle dans lequel peuvent s'opérer ces économies est bien moins
étendu qu'il ne le parait au premier aspect ; et de l'autre, que
des réductions exagérées auraient pour résultat inévitable d'en-
traver la marche du service publico » - « 1\Ies calculs sont bien
diílérents de eeux de la commission , disait 1\1. Labbey de Pom-
pieres ; j'ai examiné tous les divers ministéres , et je crois que
de grandes réduetions peuvent étre opérées tres-facilement, J e
ne vote pas le budget s'il n'est diminué d'un dixieme, »-« On
peut supprímer un milJion d'employés, ajoutait 1\1. Charles
Dupin; ils rerourncront ¿¡ des travanx productifs au pays, et le
Trésor se trouvcra déchargé d'une foule de traitements et de frais
acccssoires qui l'oberent. l)-« Une économiede 55 millions peut
étre faite sur le tout, reprenait 1\1. de Laborde. JI apparticnt au
miuistere d'opérer cette réfonne , s'il concoit le véritable intérét
de la France, te Francais a aujourd'hui cette passion de bien-
etre, e' est-a-diré cette jouissance que produit l'industrie. » J'ai
besoin de dire que ces grandes atraques eontre l'administration
p01l1" ohtenir des économies , atraques si eurieuses par la position
des mémes hommes aujourd'hui , caehaient, surtout dans la
Chambre , le désir de voir réformer le personnel de l'adminís-
tration , tout entier 'composé des partisans de 1\1. de Yillele.
({ Le Conseil d'lhat, disait M. Gaí'tan de La Ilochefoucauld , n'a
point de juridietion fixe; son institution est illégale , aussi bien
que l'lrrégularité de ses procédures ; ses jugements manquent
rl'équité, Nos 1'01s qui , selon les préambules , rcndent leurs




142 . HISTüIRE DE LA RESTAUHATIO~.
ordonnances en Conseil d'État , en ont fait constammcnt si peu
de cas, que depuis quatorze ans qu'il est séant et jugeant daus
leur palais, ils n'y ont pas assisté une seule fois. » - « Les diífé-
rentes accusationsqui viennent d'étre faites, répondait 1\1. Cuvier,
sont de nature a provoquer les plus terribles chñtimeuts. Le
Conseil d'Ihat a-t-il jamáis intcrverti le cours de la justice , a-t-il
jamais prononcé sciemment contre les luis? n - « COIllnH' tous
les tribunaux, ajoutait M. de Martignac , le Conseil d'Éiat est
sujet al'erreur , maisjamais il no commet des erreurs volontaires;
s'Il se trompe, c'est une eonscienee qui s'abuso, ce n'cst jamais
une conscience qui se tait, » - « Ce ne sont point les actos du
Conseil d'État en cux-mémcs , répondait 1\1. de Cormenin , mais
ce sont les vices généraux de son institutiou , le vague indélini
de ses attributions, le défaut de puhlicité de ses audiences qui
font chercher et saisír le cüté vulnérable. » 'I'oute cette discussiou
pouvait ainsi se traduire: Si, d'ici a l'an prochain , vous ne
réformez pas ce personnel , si vous le laissez tel qu'il est, nous
refuserons d'allouer les fonds ; et cet avertisscment ne pouvait pas
étre dédaigné , puisquo c'était la majorité qui le donnait. C'est
a l'occasion du budgct' des rccettes que se declara la réroncilia-
tion officielle du partí Villele et de lU. de La Bourdonnayc, On
se rappelle que 1\1. lloy avait accusé un déficit de 200 millions.
C'était une attaque directo centre la précédente ndmiuistrntion.
JU. de La Bourdonuaye , rapportcur du hudget des recettcs ,
faisait observer que c'était a tort qu'on représentait le déficit
signalé commes'élevant a 200 millions. Ce prétendu déficit n'était
qu'une dette flottante, un découvert de caissedepuis longtemps
connu et facile a expliquer. Le déficit réel résultant du dépouil-
lement des comptes provisoires de 1827 ne s'élevait, selon lui ,
qu'a 21 millions 500 000 francs, 1\1. de J~a Bourdonnaye n'aper-
cevait en résultat aucun motif sérieux d'alarme sur I'état des
flnances, La lutte aIlaitdone désormais s'engager entre la centre-
opposition, I'extrüme droite et le partí Villde réunis centre les
difIérentes Iractions des Chamhrcs qui soutcnaicnt le systeme de
M. Roy; ce systeme triompha h une majorité de 256 voíx contre




CHAPITllE XXIV. il¡3
102. La sessiou était close ; elle avait été fécoude , cette premiere
année d'une admiuistration accueillie avec méfiance; le paysétait
en pleine possession de lois importantes et d'améliorations
remarquables : une législationde loyauté en matiére d'élections,
la permanence des listes électoralcs , I'abolition de la censure, du
monopole et de la tendance en matiére de presse périodique,
I'interprétation des loisremlue aux trois branches de la puíssance
Iégislative , la spécialité admise dans les grandes divisions du
bndget.


La fraction de l'extreme droite, le parti religieux et une nuance
du centre droit le scntaient bien. Un ministére marchant dans
ces voics lui cnlevait le pouvoir a tout jamáis : aussi les Roya-
lisles s'agitaicnt-ils violemmcnt ; tout ce qui entourait le Roí
accusait le ministere d'aunuler une aune les prérogatives royales.
Il n'y avait qu'un moyen de sauver le tróne , c'était la fusion de
tous les Royalistes sous un ministere fort et puissant, En face des
notables résultats obtenus, la Gazctte résumait ainsi les acres de
la session , et la Uazeuc était le journal de prédilection au Chá-
teau. « Les ministros du Iloi rcmplacés par les ministres de
l'opiuion , c'est-a-dirc de l'opinion flue le journalisme avait per-
vertir; le discours de la Couroune , ouvrage du ministére, pro-
voquant les loisavec lesquelles l'autorité royale devait étre anéan-
tie; l'adresse de la Chamhrc qualifiant de deplorable un systéme
que deux rois avaicnt maiutcnu pcndant six ans ; I'adininistration
du Roi accusée de fraude et d'arhitraire , et abandounée par
ceux dont le devoir éiait de la défcudre ; des abus de majorité
cxrluant des députés royalistes ; le choix du président de la
Chamhre cnlevé an Roí par la combinaisou du choix des candi-
da/s lt la présídcncc ; le ministere proposant de convertir en loi
la dotuination du comité-dirccteur de la révolution , et l'anéan-
tisscment de I'intluencc de I'adminisu-ation du Iloi sur les élec-
tions; le priucipe monarchiquc de I'autorisation royale cffacé
de laloi de la prrssc; la r()~ anté dépouillée <In scul moycn qu'elle
ait d(', '0(', \.Kk\\\.\n~ con\'n' k j()\wna\\~mc úans \es 1110111cnt8 de
\rOl.l})leS; enúu \a 'úccncc üeIa prcsseconsacrcepar la législation;




144 IllSTOIRE DE LA llESTAUUATlOl\.
I'interprétation des lois cnlcvéc ~t la royautó pour étre aürihuée
aux Chambres; la dotation royale de la pairie convertie en une
rémunération nationale soumise a la sanction législative ; des
ordonnances d'intolérance et de persécution contrc la religión de
l' État arrachéesau Iloi par l'accusatiou des ministres de son choix;
80 miUions d'extraordinaire imposés aux contrihuables pour
couunencer par une expédition militaire , dans l' intérét de la
révolution , l'ceuvre complérnentaire de la spoliation du monar-
que, en pervertissant l'esprit de l'armée. Pour peu que le minis-
tére persiste dans la meme voie, il reste peu de choseafaire dans
la prochaine session pour consommer le rétahlissement de la
république et l'érection des autels a la déessc de la Baison : si
mieux n'aime la faction substituer tout de suitc a la légitimité
l'usurpation, et la religion réfonuée a la religion de l'État.)J Cet
article parlait avec habileté aux convictions du Roi; le ministére
si violemmeut accusé fit la faute d'en demander la poursuite, et
la Gazette fut acquittée. Alors on put ainsi raisonner aupres de
Charles X, esprit apréj ugés : « Vous voyez , Sire , les trihunaux
eux-mémes se ravisent, Ils s'eílraicnt des concessions ; il est
temps de s'arréter ! »


Le miuistere de J11. de lUartignac n'ignorait pasles fréquentcs
audiences qu'avaient secretement obtenues les divers chefs de la
droite, les 1\lémoires que 1\BI. Havez, Chantelauzc avaicnt fait
parveuir, les offres de majorité que lU. Ilavcz avait répétées , les
rapproehements de l' extreme droite avcc les anciens jtllefs de file
du partí Yillele, les propositions adressées au Iloí pour lui assu-
rcr une majorité de Chambre. Le salon de 1\1. de Damas, aux
Tuileries , était devenu un foyer d'agitations royalistes con(J'(~
l'admiuistration ele 1\1. de l\lartignac: on déclarait qu'il fallait
en Huir, et qu'on nc devait pas laisser abhncr la Couronne. Dans
ces circonstauces décisives, les ministres résolurcnt de présentcr
un lUémoire au Iloi sur la situarion des aflaires. Ce l\lémoirc
avait pour hut d'cxposer tout a la [oís ce qu'on avait Iait durant
la dcrniere session, el ce qui restait ~t Iaire particuliercmeut
pour le pcrsouncl de I'admiuistration. J'ai eu sous les yeux ce




CHAPITRE XXI\'. 1!t5
J'lélllOiI'C, priuiiuvement rédigé par lU. Portalis , el revu , pour
sadcrniere rédaction, par M. de Martignac. Les ministres expo-
saient l'état du pays lorsqu'ils avaient été appelés aux affaires par
le Iloi: « une Chambre sans majorité fixe, les opinions a tort
ou a raison irritées, la question des jésuítes flagrante, l'adminis-
tration déconsidéréc, I'ordre légal partout appelé, Sans appui
précis dans la Chamhre, ils avaient demandé a tousconfiance ;
queIJe avait été la conduite de la droite? clle s'était immédiate-
ment séparée du ministére , elle nc l'avait secondé dans aucune
mesure. Trouvait-on un appui dans les amis de 1\1. de Yilléle?
aucunement; ils étaient aussi unis a l'opposition. En cette situa-
tion difficile, il avait Iallu cherchcr la majorité par les actes, et le
Roi avaitda voir que cene majorité n'était arrivée forte el com-
pactequ'apres les ordonuances de juin conuc les jésuites, ce qui
montrait la tcndance des opinions vers les deux centres droit et
gauche, C'était dans ces deux centres que la majorité s'était
montrée, et qn'il Iallait I'y chercher encore; le 'ministere était
centre droit par nature, mais il pouvait appeler a lui le centre
gauche, et cela par deux espéccs d'actes : 1°. par un change-
ment dans le pcrsonnel , 2". par le retour a un systeme franche-
ment constiunionncl. Le changcment dans le personuel était
urgent ; le ministére trouvait partout des obstacles pour son sys-
teme; il n'inspirnit aucune confiance a ses agents, on n'avait
pointfoi en sadurée ; ensuite les fonctionnaires, particuliérement
les sous-préfets , n'avaicnt aucun crédit sur les administrés,
paree qu'ils ne partageaientpas leurs sentiments politiques, d'oú
ces élections tout hostiles au Pouvoir. Enfin une concession de
pcrsonnes éviterait de plus grandes concessions ele choses. Quant
aux lois pour la session suivante, le ministere proposait deux
grandes mesures capablcs de donner une force a l'administrn-
tiou, paree qu'elles la rcuonvcllcraicnt : c'était un projet d'orga-
nisation municipale ct départcmcntalc, Le ministere les séparait
l'une de l'autre , croyant que, pour la prochaine scssion, la loi
municipale suflirait , ct que, n'offrant aucune difficulté, ellene
susciteraitaucun embarras miuistéricl. ) Ceñlémoire finissait par


IY. 13




1lJ6 IlISTOIRE DE LA RESTAURATION.
ces phrases presque prophéti<¡ues: « Siro, les Minislres de
Votre Majesté sont pénétrés de I'idée quece qu'ils vous propo-
sent est le seul moyende retrouver de la force et de la dignité pour
le Pouvoir. Que ceux-la qui conseilleraíent au Roi une dissolu-
tion de la Chambre seraient bien insensés! cal' les colléges élec-
toraux renverraient une majorité plus puissante et plus com-
pacte, dont le premier acte serait de proclamer la souveraineté
parlementaire. Alors il ne resterait plus a Votre l\Iajesté que
eette double alternative, ou de baisser son front auguste devant
la Chambre , ou de reeourir au pouvoir constituant a jamais
aliéné par la Charte, et qu'on n'invoquerait foUement une fois
que pour plonger la France dans de nouveUes révolutions au
milieu desquelles disparaitrait la couronne de saint Louis. » Ce
Mémoire avait spécialement pour objet, comme je l'ai dit, de
déterminer le Roi a un changement de personnel : l\I. de lUarti-
gnac s'en était ouvert plusieurs fois aCharles X; le Prince ré-
pondait: « Si un fonetionnaire vous manque, je le destituerai;
mais point de destitutions en masse, je n'en veux paso 1) Le mi-
nistre avait arrété un grand travail sur les préfectures et les
sous-préfectures particulíerement, Trente préfets étaient chan-
gés, et cent cinquante sous-préfets; mais iI n'osait en parler au
Roi avant d'avoir préparé son esprit'; un incident grave retarda
ce projet. Le comte de La Féronnays, épuisé de fatigues et
d'ennui, peu habitué aces grandes luttcs de passions et de par-
tis, se vit obligé, ala fin de la scssion, de demander un congé.
On ne peut s'imaginer aquel genre de persécution le noble pair
était en butte. Partout, dan s sa famille, ala Cour, on lui repro-
chait de s'allier a un systéme révolutionnaire; on le cousidérait
comme un renégat , on ne lui pardonnaiit point, ¿l lui gentil-
homme et royaliste d'émigration , des concessions Iibérales, Le
eongé n'était qu'un provisoire, sí le noble pair avait pu reprcndre
ensuite les alfaires : la session étant Iinie, le Conseil pouvait se
passer de lui pendant cet intcrvalle , mais si cct état de maladie
se prolongeait, quel serait le résultat de cet interine? Cornmc
rien n'était désespéré elleore pour 1.\1. de La Féronnays, on se




CHAPITRE XXIV. 147
contenta de confier l'interinl al\I. de Rayneval. Alors commen-
cerent quelques démarches pour ohtenir plus de force et de sta-
bilité dans le Conseil. 1\1. de La Féronnays aurait salué le jour
qui l'aurait déharrassé des affaires étrangeres, poste actif, pé-
nible, et soumís ade vastes díflicultés : on voulait lui assurer la
maison du Iloi, direction moíns politique et plus paisible. On
recommenca a parler au Roi de l\I. Pasquier; une partie du
Conseil le portait : tels étaient 1\llH., Portalis, de 1\lartignac et
La Féronnays lui-méme ; l'autre partie, sous la direction de
1\1. Ilyde de Neuville, portait 1\1. de Cháteaubriand. Le Roi dit
quelques paroles obligeantes pour lH. Pasquier, mais le refusa
par des motifs tirés des préventions qui existaient en Europe
centre son dernier ministere. Il prit encore pour prétexte qu'il
ne voulait pas de ministre de sa maison: « Je suis content de
La Bouillerie, dit-il; je sais ce qu'il m'en a coüté d'avoir Dou-
deauville, et Sosthenes surtout : il me suffit d'un intendant, »


Le Dauphin se prononca également contre un ministre de la
maíson , et particulíercment contre 1\1. de La Féronnays , qu'il
ne pouvait soufTrir. La pcnséc secrete du Roi était toujours de
conserver les aflaires étrangcres pour 1\1. dc Polignac, que les
démarches du Cháteau commencaient a porter au mínistére,
Dans ces circonstanees délicates , lp Conseil sentit la nécessíté
d'arracher un peu le Roi a ce cercIe d'intrigues et de courti-
sans qui le séparait des idées et des intéréts de son Cabinet. On
avait déja plusieurs fois remarqué le hon efTet des voyages, Dans
ces courses royales, le monarque était plus immédiatcment en
rapport avec le peuple; le ministre de l'intérieur avait une plus
grande aetion sur lui; il devait étre toujours a ses cótés , lui in-
culquer pour ainsi dire ses idées, On comptait particuliérement
sur ce charme de paroles de 1\1. de l\lartignae, sur cette puis-
sanee de conversation et d'csprit qui enlacait quiconque l'écou-
tait. On résolut done un voyagc en Alsace , dans ces provinces
libérales oú partout dcvait rcspirer l'amour de l'ordre et de la
liberté. Charles X, accompagné de 1\1. le Dauphin et du ministre
de l'intérieur, Iut recu dans ces riches départemcnts avec tous




148 HISTüIRE DE LA RESTAURATION.
les transports du plus grand cnthousiasme; partout des popula-
tions entiéres sur une route parsemée de fleurs, et ornée d'élé-
gants ares de triomphe : de jeunes filles, dans leur graeienx
costume de fétes , venaient présenter au monarque des houquets
de lis, et Charles X les aeeueillait aveceette graee et cette ama-
hilité qu'il possédait a un si haut degré. En arrivant a Stras-
bourg, il fut complimenté par le roi de Wurtcmberg , par le
grand-due régnant et les malgravesde Bade; le prince de Lowes-
teín s'y trouvait au nom du roi de Baviere. Il fallait voir cene
population , qu'on représentait hostileala monarchie , avecquels
transports elle recut son Roi! l\Iulhausen avait étalé les riches
produits de ses fabriques, et plus d'une fois le vieux monarque
s'attendrit a la vue de ce eoneours de peuple qui saluait son ar-
rivée par de si vives aeclamations. CharlesX visita les fabriques ,
les forts, les établissements militaires. La vinrent au-dcvant de
la royauté MM. Benjamin-Constant, Casimir Périer et plusieurs
chefs de l'opinion libérale ; le Roi laissa tout le monde enchanté
de lui. CharlesX aimait ~l raconter la maniere franche et enthou-
siaste aveclaquelle il avait été recu dans les usinesde M. Casimir
Périer; il voulut lui-mémc le décorer de la Légion-d'Honncur,
et, chose que je dois rappeler, .1\1. Péríer en eut une joie d'en-
fant, une reconnaissance qui ne fut jamais oubliéc, Puis, le Roi
revint a Saint-Cloud par Nancy et par Toul, rapportant de ce
voyage la plus grande satisfaction et les souvenirs les plus tou-
chants. Charles X était enchanté de eet itinéraire; ses idées
s'étaient un peu modifiées; il entrait plus particulierement dans
la combinaison d'un systémelibéral. On tenta done a son retour
la mesure qui avait été suspendue par le voyage d'Alsace : je
veux parler du remaniement administratif. .1\1. Portalis porta la
parole dans un travail particulier du soir; il exposa au Roi la
néeessité de ce ehangement du personncI: « TelIes sont les COI1-
ditions du systeme représentatif; les choses ne penvent aller
teIles qu'elles sont, »-VOUS voulez done que je renvoie tous mes
amis? » dit le Roi.- « Il ne s'agit pas de renvoyer tous vos amis,
mais ceux de vos amis qui sont en opposition h votre sysl('>me:




CIlAPITRE XXIY. 149
autrcmcnt, la Chambre nous renversera. »-« Eh bien! M. Por-
talis, ne faisons rien en masse; je veux voir chaque nom:
d'ahord vous me direz nominativement ceux que vous voulez
destituer, nous les examinerons; puis enfin quels sont ceux que
vous choisissez pour les remplacer. » La mérne réponse fut faite
a 1\1. de lUarlignae Iorsqu 'il s'ouvrít au Iloi pour le travail des
préfeetures. 11 Ne désorganisons pas le personnel, dit le Roi;
autrement , ma eouronne tombe aterre. » Alors la discussion
s'engageasur chaqué nom; le Roi dit aux deux ministres: « Ne
portez votre travail au Conseil que Iorsque nous serons d'accord
sur les choix; cal' ee que je puis avoir a vous dire , je ne suis pas
bien aise de le puhlier devant tout le monde; ceci doit rester
entre vous el moi. » te travall fut done commencé sur ces bases;
le Roi montra de la répugnance surtout pour tous les noms du
parti qu'ou appelait de la défection ; il les considérait eomme
des relapso On ne peut dire quelles peines se donna le garde-
dcs-sceaux pour faire passer MM. Agier, de Cambon , de Sal-
vandy ct Bertin de Vaux; il Iallut débattre chaque nom propre.
Par cxemple , le ministere 11C put jamáis ohtenir la destitution
de ~1. Sirjeys de lUayrinhac, qui pourtant dirígeait les votes de
lU. de Yillele , en hostilité avec le Cabinet; 011 supprima la place,
et on la rernplaca par une corumission. Que de démarches ne
fallut-il pas fairc également pour porter MM. Franchet et Dela-
veau du senice ordinaire au senice cxtraordinaire ! Ensuite ,
pour faire adopter MM. Lepelleticr d' Auluay, de Laborde , il
fallut disputer le tcrrain pas ~\ pas : tant de demandes étaient
faites! on se moutrait si exigcant ! il n'était pas de député , quel-
que petit qu'il füt , qui ne voulüt étre conseiller d'État : les foncls
étaient si exigus! de H\ cette organisation nouvelle et si compli-
quée. 1\1. I'orralis divisa le Conseil d' État en service ordinaire et
en senice cxtraordinaire ou honoraire. Il était formé quatre
comités: la j usticc et eontentieux; la guerre et marine; l'inté-
rieur et commcrce : cnfin celui des flnances. Le Conseil d'État
ne pouvaitdélibércr qu'autant que la moitié plus un de ses mem-
hres ayant voix délibérativc seraicnt préseuts a la séance. tes




1-50 Bl5TOIRE DE LA RESTAURATIüN.
noms des membres présents étaient inscrits au preces-verbal.
Tout projet de loi ou d'ordonnance portant reglement d'admi-
nistration publique devrait étre délibéré en assemblée générale ;
alors seulement les ordonnances porteraient dans leur préambule
ces mots: Notre Conseil d'État entendu. .Cette organisation
toute parlementairc était absolument appropriée au personnel
qu'on voulait satísfaire. On faisait descendre l'institution aux
besoins de la position politique. On avait peu de fonds, et beau-
coup étaient appelés a les partager, Cette pénurie ressortait de
toutes ces dispositions jetées péle-méle , de ces fonctions et de
cet argent qu'on distribuait. Est-il nécessaire de dire que cette
mesure ne contenta aucun parti ? 11 est méme a remarque!' que
le Roi n'alla si loin que par l'espéranee qu'il pourrait revenir sur
tout ce qu'il avait fait, L'opinion libérale trouvait la concession
imparfaite; les Royalistes y voyaient la révolution tout entiéro ,
et persiflaíent ' avee esprit cette petite curée deplaces qu'on
jetait a la majorité et a la défection particulierement '; et tout
cela rendait le ministére timide, hésitant, Je saísque le Cahinet
voulait créer 1\1. Périer ministre d' État , et faire entrer ]U. Dupin
alné au Conseil d' État, donner une ambassade a ]U. Sébastiani;
tout cela trouva de la résistaucc et ne put s'accomplir, Les élec-
tions successives qui arrivaient conflrmaient la Cour et les Roya-
listes dans la conviction que la révolution menacante s'avancait
a grands pas; les éleetions de décembre faisaient entrer dans la
Chambra síx noms nouveaux, dont deux fort insignifiants ap-
partenaient au centre gauehe : c'étaient MM. Bosc et de Cassai-
gnole; un troisieme était le général Lamarque, orateur a senti-
ments généraux, a déclamations de tribune, qui visait, eomme
le général Sébastiani, au role de Foy, grande image qu' on eher-
ehait arendre au pays. Le général Lamarque , exeellcn'tmilitaire,
n'avait point une tete politique; a la tribuno il arrangeait sa
phrase, copie classique des orationes de l'antiquité grecquc et


I Le Roi dit ace sujet a un anclen ministre: «( Eh bien! messleurs
de la défection doivent étre coutants , voycz-les l Cambón seulemcnt ,
une prerniére présidence el le conscll d']::tat. "




CHAPITRE XXIV. '1.51
romaine; il visait a cette érudition de collége, qui aime aciter
les grands capitaines, a comparer les époques, a étaler les sou-
venirsde ses études; son style était chátié , trop chñtiépeut-étre
pour qu'on n'apercüt pas les Iongues vei11es et le travail méme
dans sesimprovisations; au reste, moinshostile au Pouvoir qu'on
ne le croyait généralement. Quelque f1atterie 11 son juste orgueil
de capitaine et d'orateur, un peu de confiance de la Restauration
cnvers lui l'auraient peut-étre rattaché a la dynastie. Ces élec-
tions désespérantes pour le coté droit de la Chambre , entiére-
ment exc1u des colléges électoraux, excitaient les plus vives dé-
c1amations des Royalistes: « Oúvoulait al1er un ministére faible,
un pouvoir a concessions et qui ne vivait que par elles? Que
résultait-il de cette indilIérence du ministére pour la royauté?
Partout la révolution triomphait; le comité-directeur s'emparait
du mouvement électoral; le canon tirait contre les Tuileries, »
Ces plaintes retentissant au Cháteau, le Roi en paraíssaít frappé
et en prenait prétexte pour s'opposer a la marche du ministére,
Ce fut dans ces jours d'embarras que M. de La Féronnays se
trouva mal dans le Cabinet, aux Tuileries, et qu'on fut obligé
de s'occuper sérieusement de sa retraite ; il ne s'agit plus seule-
mcnt alors d'un congé, mais d'un repos absolu demandé par sa
famille et par son médecin. On renouvela aupres du Roí toutes
les instances, On lui présenta encore pour candidats au ministéra
MM. Pasquier, de Cháteaubriand ,et de Mortemart. Le Roí re-
poussa tous ces noms. (( Il faut espérer, répétait-il , que La Fé-
ronnays reprcndra le portefeui11e; il ne faut pas s'engager.
Vinterim laisse toutes les questions indécises; revenons aRay-
neval : il sait parfaitement les aífaires, Si l'interim -' avec une
rcsponsabilité effective, est nécessaire , que lH. Portalis ait la
signature, je m'abandonne alui, » En tout ceci la pensée intime
était lU. de Polignac avec une administration centre droit,


Il était d'usage aux aílaircs étrangéres , sous le regne de
Louis XVIII comme sous celui de Charles X, que le Roi écrivit
directement , sous le couvert du ministre, a ceux des ambassa-
deurs qui vivaient dans sa confiance et dans son intimité.




152 IlISTOIRE DE LA llESTAUllATlOX.
Louis XVIII n'avait cessé d'écrire a ,1. de Blacas it J\Taplrs , a
lU. Decazes a Londres; Charles X conscrvait une intime corres-
pondance avec M. de Itiviére aConstantinople, avec1\I. de 1'0-
lignac aLondres. Ces lettres étaient cnvoyées au ministere , et
puis de la passaient dans les dépéches a l'ambassadeur. C'était
une vieille intrigue et une viei1le pensée que celle de l'entrée de
l\I. de Polígnac au Conseil. J 'ai dit que le mouvement ministériel
contre 1\1. de Villcle avait d'abord été médité au profit du favori
de Charles X; depuis lors, tout s'était fait dans une certaine
coterie de cour pour amener ce résultat. 1\1. de Polignac était
resté plus de quinze jours a Paris aprés la formation du minis-
tere 1\Iartignac, et il était partí plein de dépit contre ceux des
ministres qu 'il savait lui étre opposés. Aceite époque CharlesX
n'était rien moins que décidé a prendre le prince de Poliguac ;
cal' il était encore sous les impressions qu'avait eutrctenues
1\1. de Yillele sur l'incapacité du prince. Fort innocernment 1\1. de
La Féronnays avait contribué aeffacer ces préventions : il mon-
trait au Roi les dépéches de J.\1. de Polignae son ami, dépéches
en général bien faites, et vantait la capacité qu'il déployait ü
Londres. Le Roi prétait l'oreille ~l ces discours qui lui plaisaieut,
et les voies étaient ainsi préparées, Une petite intrigue en 80US-
ordre et des pourparlers étaient également conduits par l\I. Roux-
Laborie ; M. de Laborie promettait au prince l'appui d'une
fraction du Cabinct et celui du garde des sccaux particulicre-
mento lci se présente un des plus grands doutes hístoriqucs :
M. Portalis était-il de connivence avee le prince de Polignac ?
savait-il qu'on voulait l'appeler aux aílaircs étrangeres ? était-ce
dans cet objet qu'avait été constitué l'inlerim? Jo ne dissimule
pas que les probabilités sont toutes contre M. Portalis. Cesecrct ,
que lui et lU. de Martignac firent a leurs collégues est chosc Si
étrange , que j'ai besoin de millo preuves pour croire qu'il 11e
fut pas concerté. Au reste, 1\1. de Polignac était ainsi fait qu'il
s'imagiuait que personne no devait rcfuser d'étrc ministre
avee lui; c'était un faihle, une vanité de cour et de capacité;
que voulz-vous ? c'é-ait le caracterc et l'illusion du prince. le




CIIAPITRE XXI'". 153
prínce de Polignac était au courant de tout ce qui se passaít. Ses
amis Iui écrivaicnt que le moment était proche , lorsque la re-


o traite de M. de La Féronnays amena la grande vacance. Je dois
noter id les moindres circonsrances de cet événement. 1\1. Por-
talis, mandé le soir au Chüreau , fut recu avec empressement
par le Iloi, cc Vous al1cz écrire a}I. de Polignac de venir a Paris, »
-'1. Portalis prétend que la foudre éclatant sur sa téte n'eüt pas
produit une impression plus vive. C(:\1. de Polignac , Sire? mais
j'oserai demandcr au Roi daos quel objet. » -cc J'en ai besoin,
lU. Portalis , je veux qu'il voie "'1. de jlortemart avant son dé-
part pour Saint-Pétershourg ; il faut qu'ils se concertent sur
de graves aífaires, en ma préscnce et en la vütre, »-CC lUais, Sire,
M. de Poliguac arrivaut ü París va soulever toutes les conjec-
tures, et la presse va éclater. »-C( Comment! 1\1. Portalis, je ne
pourrai pas appeler un de mes ambassadeurs a Paris sans trouver
de l'opposition! Écrivcz , 1\1. Portalis , je vous l'ordonne. » En
mémc temps :\1. de Martignac recevait l'injonction de faire venir
sur-le-champ :\1. Havez par le télégraphe, Les deux ministres
se commuuiqucrcnt les ordres qu'ils avaient recus , et, en les
oxécurant, ils se donnércnt réciproquement parole de n'en parler
que daus quelques jours au Conscil ; silence inexplicable dans
une circonstance aussi grave. Voici comment était a peu prés
concu le billct de 1\1. Portalis ~l "'1. de Polignac, » Prince , le Iloi
m'ordonne de vous inviter a venir sur-le-champ ~l París pour
vous concerter avec M. de :\Iortemart avant son départ pour
Saint-Pétersbourg. » M. de Polignae, tout préparé a recevoir ce
hillct , le communiqua aux ministres, au duc de 'Yellington spé-
cialement, et annoncaatous: « qu'il était décidément nommé mi-
nistre desaffaíres étrangeres ; qu' il partait avec cette assurance, »
Sonvoyagcfut trés-rapide , et quelques jours apres il était aParis,
oú iI écrivaitaJI. Portalis le billet suivant : « lU. le eomte, j'arrive
et me rends sur-Ie-champ aupres de vous. » Le chasseur de
l\l. de Polignac, qui ne connaissait pas Paris , au lieu de porter
la leure a la chaucellerie , la remit a JI. Pourtales a la place
y ondñme ; commc les noms se resscmhlaient beaucoup, ~1. Pour..




15t¡. HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
tales la décacheta , et I'on sut ainsi que M. de Polignac était a
Paris. Le prince de Polignac arriva chez 1\1. Portalis, l'embrassa
avec effusion, et puis lui dit : « Eh bien! tous les arrangements
sont faits, et je suis ministre des aflaires étrangéres, » 1\1. Por-
talis recula de quelques pas.. « Prince , c'est une affaire grave
dont vous me parlez, et le Roi ne m'a rien dit de scmblable.»-
« Tout est fini pourtant, le Roi me I'a annoncé, )-« Une pareille
décision, répliqua 1\1. Portalis, devait au moins étre soumise au
Conseil, » Le prince , apres plusieurs mots éehangés, se retira
fort mécontent de 1\1. Portalis. Le lendemain, la presse se dé-
chalna contre M. de Polignac; on cria a la trahison. Cette ex-
pression d'opinion publique fut si forte, si unánime , que le
Conseil des ministres s'en effraya. Ceuxqui, au fond, n'auraient
pas repoussé l'alliance avec le prince de Polignac, s'en montré-
ren alors les plus chauds adversaires : tout arrangement fut re-
poussé, On s'en expliqua formellement avec le Roi, qui dissi-
mula toute sa peine. Une fois a Paris, le prinee dc Polignac
tenta vainement d'entrer au Conseil tcl qu'il était eomposé; il
renoncait mérne, s'il le faIlait, au ministere des aífaires étran-
géres , et ne demandait quc la maisou du RoL Ses porteurs de
paroles disaient qu'il était impossible que M. dc Polignac retour-
nát aLondres, cal' il s'était trop avancé, et avait pour ainsidire
pris l'engagement d'entrer au ministere, Il fut répondu que
c'était tant pis pour .1\1. de Polignac, et que le Conseil ne devait
pas répondre de ses imprudences. La proposition ne fut jamais
faite par le Roi a ses ministres d'admettre 1\1. de Polignac; il Y
eut seulement des insinuations et puis des pourparlers entre les
ministres : il fut unanimement déclaré par le Conseil, méme
par MM. de Martignac et Portalis , que tous les ministres donne-
raient leur démission si le Roi jugeait convenable de confiel' les
affaíres de son royaume a1\1. de Polignac : cette résolution était


.définitive. M. de Polignac ne renonca point encore cependant
ases projets; il fit faire des propositions en dehorsdu ministere
et partículiérement aM1\I. Lainé et Pasquier, Les porteurs de
paroles affirmaient que l\I. de Polignac avait l'ordre et un blanc-




CIIAPlTRE XXIY. 155
scing du Roi; puis, quc MM. Pasquier et Lainé formeraient
l'administration ainsi qu'ils le voudraient, pourvu que le minis-
tere des affaires étraugeres füt laissé a M. de Polignac. « Mais
conserverez-vouS 1\1. Portalis? dit lU. Pasquier a l'intermé-
diaire. 1)-« Dieu nous en garde l » répondit-il. Ce qui prouve que
1\1. de Polignac était profondément blessé contre lui. Sur un
premier refus, les mémes portcurs de paroles revinrent chez
lU. Pasquier, 1\1. de Polignac ne demandait que la maison du
Roi. « Si vous acceptez , disait la personne chargée des offres,
les choses seront faites des demain, » Ces intrigues se conti-
nuaient pendant les premiers qninze jours de janvier; et voilá
pourtant oü était le ministére Martígnac au moment oü la ses-
sion approchait.


Se présenterait-on devant les Chambres en l'état de vacance
du ministere des affaires étrangerest Le Cabinet continuait a
oñrir ses candidats, et le Roi refusait toutes les mesures qui
auraient pu mettre un terme aux incertitudes; demandait-on
lU. de La Féronnays pour le ministére de la maison du Roi,
Charles X répondait alors « qu'il se. contenterait de 1\1. de La
Bouillerie. » Au nom de lU. Pasquier, des objections; a 1\1. de
Mortemart, des objections encore; enfin, comme il fallait
prendre un parti, l\l. Portalis conserva Yinterim du ministére
des aífaires étrangeres, Quelques jours aprés, 1\1. Bourdeau ,
directeur de l'enregistrement et des domaines, fut nommé sous-
secrétaire d' État au département de la justice, nomination qui
devait servir a faciliter 1\1. Portalis dans l'accomplissement de
ses nouveaux devoirs, et rapprocher le Cabinet du centre gauche.
Au milieu dc ces incertitudes la position était difficile, et la
Chambre devait demander d'autaut plus de garantie que le pou-
voir ministóriel était plus précaire. Le ministere avait résolu de
séparer pour la prochaine scssion la loi communale de la loi dé-
partementale. Cc plan paraíssait arreté afin d'évitcr les difficultés
que suscilait particuliercment la 10i départernentale, Dans un
conseil, le Roi dit , au grand étonnement de ses ministres :
« Puisqu'on veut donner quelque chose , il faut tout donner; je




156 HIST0IRE DE LA llESTAljllAT1U~.
erois que nous devons présenter ecttc aunéc les deux lois en-
semble; elles se lient cssenticllemcnt. l) Ces parolcs liberales
eachaient un dessein. I..e Roi concédait a regret la loi munici-
paleo En la compliquant de l'autre projct, elle allait soulever
des diffieultés inextricables, au milieu desquelles le ministere se
hrouillant avec sa majorité , la droite surgissait alors aux affaires,
Le Roi en fit une eondition a son ministére ; 1'opinion doman-
dait d'ailleurs avec instanee les deux lois intimement unies. On
s'y décida , aux grands applaudissements de la majorité, qui ne
savait ríen du hut secret que le Roi s'était proposé, I..es affaires
extérieures avaient eu un hon résultat , quoique 1\1. de Polignac
eüt mal engagé aLondres la question des limites de la Grece ;
le ministére avait ressaisi ce que l'ambassadeur avait trop faci-
lement eoneédé; on rappelait les troupes fraucaíses d'Espagne;
on n'attaehait pas encore une grande importance al'aííaire d' AI-
gel'. Je me réserve plus tard de détailler toutes ces négociations.
1Uais en somme, on pouvait se présenter hautcment devant les
Chambres. Le discours écrit par l\1. de lUartignac et délibéré
longtemps en eonseil commcncaitpar déclarer que: « malgré les
événements qui avaient ensanglanté I'Orient , la paíx ne serait
pas troublée dans le reste de l'Europe, D'accord avec 1'Anglc-
terre et la Russie ,une petite arrnée était en lUoréc pour háter
la pacíficarion de la Grece : une déclaration formclIe, notifiée ~l
la Porte, avait placé la ñlorée sous la protection de trois Puis-
sanees; cet acte suffisait pour rendre inutile une occupation
prolongée, « Je eontinue, disait le Roi, a aider les Grecs , a re-
Iever leurs ruines, et nos vaisseaux ramenent au milieu d'eux
ces esclaves ehrétiens a qui la píeusc générosité de la Franco a
rendu une patrie el la liberté. » Tout espoir n'était pas perdu
pour le rétablissemeut de la paix en Oriento I..es troupes fran-
caises en Espagne avaient été rappelées; une eonvention venait
d'étre souserite pour régler le remboursement des avances con-
sidérables qui avaieut été faites au Gouverncmeut cspagnol.
L'esperance d'obtcnir satisfaction du dey d'Alger retardait les
mesures qu'on serait pcut-étre forcé de prendre pour le punir:




(;lJAPlTUE XXI\. '157
le connncrcc francais était protégé par la vigilance des vaisscaux
de guerre et al'abri de toute insulte et de la piratcrie, L'ordre
et la paix régnaient; l'industrie s'honorait par des progrés nou-
veaux; l'agriculture et le commerce , quoique en souffrance, de-
vaient bíentñt éprouver des adoucissemeuts, « La presse aílran-
chic, ajoutait Charles X, jouit d'une liberté entiere ; si la
licence, sa funeste euncmie, se montre encore a l'abri d'une loi
généreuse et confiante , la raison publique, qui s'aflermit et
s'éclaire , fera justice de ses écarts, et la magistrature , fidele a
ses nobles traditions , connait ses devoirs, et saura toujours les
remplir. Chaque jour me révele davantage l'affection de mes
peuples et me rend plus sainte l'obligation de consacrer rna vie
aIeur bonheur. Cette noble tache, que vous m'aíderez arem-
plir , doit devenir de jour en jour plus facile. L'expérience a
dissipé le prestige des théories insensées. La France sait comme .
vous sur quelles bases son bonheur repose, et ceux qui le cher-
cheraient ailleurs que dans l'union sincere de l'autorité royale et
des libertés consacrées par la Charte , seraient honteusement
désavoués par elle. »


Ce discours , quoique un peu long, était Iihéral dans la
pensée et I'cxprcssion : aussi fut-il accueilli avec unanimité par
le centre gauche, les doctrinaircs et la gauche. Le ministére
avait marché; il était maintenant centre gauche par ses doc-
trines, et il n'avait pas fait un pas pour les hornmes; c'est ce
qui le perdit. Il s'agissait des adresses, et l\I. Pasquier ayant lu
dans la Chambre des Pairs le projet de la commission, qui était
son ouvrage , le prinee de Polignae prit la parole, au grand éton-
nement de la Chambre. « Des feuilles publiques, dit-il , ont
depuis quelques jours dírígé centre rnoi leurs plus violentes ca-
lomnies. Sans provocation de ma part , sans un seul fait qui leur
servit de motif ou mérno de prétexte , elles ont osé me montrer
ala France cntiere commc nourrissant dans mon cceurun secret
éloignement contre nos institutions rcpréseutativcs , qui sem-
blent avoir déja acquis la sanction du temps et une sorte d'au-
torité imprescriptible, depuis que la maíu royale qui nous les a


IV. 14




1.58 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
données repose glacée dans la tombe. Si les rédacteurs, quels
qu'ils soient, de ces inculpations calomnieuses pouvaient péné-
trer dans l'intérieur de mon domicile, ils y trouveraient la
meilleure de toutes les réfutations et de toutes les réponses; ils
m'y verraient entouré des fruits de mes continuelles études,
ayant toutes pour objet et pour but la défcnse, si elle devenait
nécessaire, la consolidation de nos institutions actueJJes, le désir
et le dessein d'en faire hériter nos enfants et d'imposer a leur
honheur la douce obligation de bénir la mémoire de leurs peres,
Oui, nos institutions me paraissent conciliertout ce que peuvent
récIamer, d'un cote la force et la dignité du Tróne , de l'autre
une juste indépendance nationale ; c'est done d'accord avee ma
conscience et ma conviction que j'ai pris l'engagement solennel
de concourir a leur maintien, Et de quel droit penserait-on
aujourd'hui que je reculerais devant cet engagement? de quel
droit me supposerait-on l'intention de sacrifier des libertés légi-
timement acquises? l\l'a-t-on jamais vu servile adorateur du
Pouvoir? ma foi politique s'est-elle ébranléea l'aspect du péril?
S'H était possible d'interroger la conscience et la vie de mes ac-
cusateurs, ne les trouverais-je pas íléchissant le genou devant
l'idole, quand, plus indépendant qu'eux , je bravais dans les
fers les dangers et la mort ! »


Il y avait de la dignité dans ce langage ; cette démarche avait
été conseillée au prince de Polignac par quelques amis politi-
queso C'était un moyen de préparer dans l'ornbre le ministere
que I'on concertait au Cháteau. Il était convenu d'entourer le
prince de Polignac. On lui avait dit qu'il fallait publier son pro-
gramme ministériel, afio d'annoncer le systeme auquel il serait
bientót appelé aprésider, et ce programme suffisait pour rattachcr
une fraction du centre droit a la comhinaison de droite qu'on
préparait, A la Chamhre des Députés, les premiéres opérations
signalerent surtout la fusión du parti Villele et de la contre-op-
position. 1\1. Royer-Collard obtint 17[) voix des centres droit,
gauche et de la défection ; 1\1. Casimir Périer, 155 ; 1\1. de Ber-
bis, 1.46; M. Sébastiani, 1.45; M. Delalot , 1.32 ; enfin 1\1. Ra..




CHAPITRE XXIV. 159
vez, 90, et M. de La Bourdonnaye, 90. Ainsi M. Ravez obte-
nait le méme nombre de voix que 1\1. de La Bourdonnaye;
c'étaít un accord , une intelligence; la combinaison s'annoncait
hautement. La présidence fut encore donnée a M. Royer-Col...
lardo Toutes les opérations furent libérales, et pour montrer
comhíen les idées et les hommcs avaient fait de progres ,
lU. Étienne fut désigné comme rapporteur de l'adresse, qui ne
dut étre qu'une paraphrase de ce discours. Le général Lamarque
parlait pour la premiére fois dans la Chambre; sa parole fut
écoutée. « Je rends hommage, disait-il, au discours de la Cou-
ronne, il a dissipé bien des alarmes et réalisé presque toutes nos
espérances ; j'applaudis aux projets annoncés par le ministere ,
il connait les besoins du peuple, et je le remercie de vouloir y
satisfaire. Mais c'est la marche de la diplomatie que je dois atta-
quer. La libération de la Grece a été un acte de haute justice ,
mais pourquoi l'expédítion n'a-t-elle pas été concue sur un plus
vaste plan et exécutée avec de plus puissants moyens? pourquoi
surtout a-t-on borné la Greco dans des limites qui sont insuffi...
santes ason indépendance? Est-ce la Franco qui a imposé un tel
résultat ? non, sans doute, e' est l'Angleterre qui veut que la
nation grecque ne soit qu'une peuplade faible et sans eonsistanee,
pour la protéger comme elle protége Corfou. » - « La position
de la France , ajoutait M. Laffitte, est plus belIe qu'el1e ne fut
jamais; je n'y vois que satisfaction et espérance, La France est
libre aujourd'hui de fonder ses libertés religieuses, commercia...
les, domestiques; elle est libre de fonder ses finances, de choi-
sir sa politiqueo C'est anous maintenant d'imprimer a cette ad-
ministration le caractere de vigueur que notre intérét autant que
notre gloire exigent d'elle, » - « Des inspirations de patriotisme,
répondait lU. Portalis , viennent d'étre exprimées avec chaleur et
générosité; mais je dois repousser quelques assertions sur l'ex...
pédition de l\1orée; les causes qui nous ont eonduits dans le Pé-
loponese sont toutes d'humanité, c'cst l'amour de la paix, et non
la politique d'une autre Puissance ; les limites dont on se plaint
n'ont pas été fnées défínitivement¡ le traité du 6 juillet n'est




160 BISTOIRE DE LA RESTAUHATlON.
qu 'un acte préliminaíre qui recevra ses développements 101'8 de
la paciflcation générale. » - « La révolution est a nos portes,
s'écriaít lU. de Conny, nous allons étre hieutüt en proie aux plus
redoutables calamités; on disperse au nom de l'ordre légal de
vénérables ecclésiastiques dont le crime est d'instruire dejeunes
enfants, en leur racontant les malheurs de la patrie ! » - « Nous
devons protester, ajoutait lU. de lUontbcl, contre des acres at-
tentatoires aux droits des citoyens; on a violéla loi fondamentale;
on a anéanti la liberté religieuse ; nous sommes sous un régime
exceptionnel. » - « Est-ce aujourd'hui, répondait le ministre
des affaires ccclésiastiques , lorsquc la j usticc a eu son cours,
lorsque les évéques n'élevent aucune réclamation , lorsque les
établissements prospérent par la munificence royale ; est-ce au-
jourd'hui qu'il faut réveiller des querelles assoupies , toujours
fatales a la reJigion? » - « Oui, ajoutait M. Dupín aiué ,
vous avez compris les véritables sentiments du pays; le calme
est assuré plus que jamais , en dépit de ceux qui affectent de
craindrc le désordre , comme de ceux qui voudraient lc provo-
quer. » La droitc se retira pour nc point voter l' adresse ,
conune si elle voulait demeurer étrangéro ¿I des acres qui mena-
caient la monarchie : c'était une tactique essayée pour renverser
plus tard le ministere. Elle disait : « Le ministere ne pourra pas
tellement aller agauche qu'il contente son cxtrémité ; 01', nous
lui manquerons apoint nommé , et alors il n'aura pas la majo-
rité, » Le ministére Martignac ainsi placé, se tróuvait dans une
position nouvelle, Soutenu par le centre gauche et la gauche , il
fallait arriver aux concessions d'hommes; on ne le pouvait paso
Un ministere bien appuyé a la Cour aurait fait de ces conces-
sions ; mais achaque nom propre c'était une difJiculté; et com-
ment satisfaire toutes les ambitions? On songea un moment a
rétablir la garde nationale de Paris ; le Roi sy refusa, ou, pour
parler plus exactement, renvoya la discussion aprés la loi muni-
cipale. Ces instirutíons une fois posées , et les justes exigences
de la Chamhre satisfaites , on voulait entrer dans une voie plus
large pour les porsonnos, On n'cn eut pas le temps,




CHAPlTRE XXIV. 161
On s'essayait dans la Chambre par de perites discussions de


détail sur des pétitíons ; on continuait a discuter sur les fraudes
électorales dont l'élection de lU. de Bully était un déplcrable
exemple , lorsque lU. de lUarlignac vint présenter les deux
grands ptojets de loi qui devaicnt faire les bases principales de
la session ; il s'agissait d'organiser les communes et les departe-
menls; certes les concessions étaient larges , puissantes; la Res-
tauration faisait une forte part aux libertés locales. Les communes
étaient divisées en communes rurales et commuues nrbaines;
le corps municipal de chaqué commune se composeraitdu maire,
des adjoints et du conseil municipal. Les maires et adjoints
étaient nommés, dans les communes rurales par le Roi, ou en
son nom par le fonctionnaire qu'il déleguo ; et dans les com-
munes urbaines , ils n'étaient nommés que par le Iloi ; ces
magistrats seraient en fonctions pour six ans, II y avait incom-
patibilité entre les fonctions de maire et d'adjoints et le service
de la gardc nationale. Les conseillers municipaux étaient élus
par I'assemblée des notables de la commune; ils devaient avoir
vingt-cínq ans accomplis et étaient nornmés pour six ans , tou-
jours rééligibles; tous les trois ans les Conseils seraient reuou-
velés par moitié, L'époque de la session annuelIe des conseiIs
municipaux serait détcnuinée par une ordonnance royale. Le
conseil ,municipal serait présidé par le maire et pourrait étre
dissous par ordonnancc du RoL Ce projet réglait les auributious
du maire et des adjoints ainsi que cellesdes conseils municipaux,
Les conseils d'arrondissemcnt étaient composés d'autant de
membres que l'arrondissement avait de eantons, sans que le
nombre püt étre au-dessous de nenf. Les conseillers d'arron-
dissement étaient élus par les assemblées de canton qui seraient
convoquées par le Roi et présidées par le maire du chef-lieu.
Les conseíllers d'arrondissemcut et de département étaicnt nom-
més pour six ~IlS el toujours rééligihles ; le conseil serait renou-
velé par moitié tous les tvois ans, la loi réglait les attributions
des conseils d'arrondisscment et de départcment, Il devait étre
statué al'égard du départemcnt de la Seine par une loi spéciale.




162 HISTOIRE DE LA RESTAURATlON.
En présentant ces projets de loi a la Chambre des Députés ,
1\1. de Martignac faisait sentir leurs difficultés graves et nom-
breuses; dans l' état de notre organisation municipale et dépar-
tementale il y avait quelque chose d'incomplet, d'irrégulier, qui
expliquait les inquiétudes et signalaitl'espoir d'une notable amé-
lioration. « 11 nous a paru impossible, disait 1\1. de ñíartignac , de
porter al'existence des communes une atteinte quelconque. Les
agglomérations d'individus, de familles, liés par les traditions
de plusieurs síecles , par des habitudes non interrompues, par
des propriétés communes, par des charges solidaires, par tout
ce qui forme les associations naturelles et nécessaires, ne peuvent
étre détruites ni ébranlées; il faut done respecter l'existencedis-
tincte de la commune, existence qui serait évídemment com-
promise par l'adoption du systeme cantonal. )} Le ministre
donnait I'explication des motifs qui avaient fait diviser en deux
lois distinctes les dispositions pour régir les communes et celles
pour regir les départements, La durée d'une session aurait été
insuffisante pour la discussion d'une législation tout entiere ; on
se bornait done a proposer I'organisation municipaleet departe-
mentale, en remettant a la session suivante le réglement des
attributions. Passant ensuite aux dispositíons de la loí , lU. de
lUartignac aunoncait la distinction qui existait dans le corps mu-
nicipal : d'une part, la partie qui exécute, qui administre; de
I'autre, celle qui delibero et qui vote; d'un coté, le maire et ses
adjoints; de l'autre, le conseil municipal: « Aux termes de la
Charte , ajoutait le ministre, le droit de nommer a tous les em-
plois de I'administration publique appartient au Roi seul. Aucune
limite, aucune restriction ne peuvent en géner l'exercice; le
choix doit étre libre, il doit étre fait dans toute la plénitude de
l'autorité souveraine. )) Le ministre développait les motifs qui
avaient fait classer les communes en communcs rurales et en
communes urbaines , et c~ux qui avaicntdéterminé le Gouverne-
ment arétablir le modo d'élcction pour la nomination desconseils
municipaux; motifs fondés sur ce qu'il ne s'agissait pasd'emplois
administratifs , mais de l'intervention des copropriétaires dans




CHAPITRE XXIV. 163
la gestion des intéréts eommuns: « Sans doute, eontinuait 1\I. de
lUartignac, nous sommes réservés au malheur de nous entendre
accuser d'abandonner les droits de la Couronne, de sacrifier a
des exigences ou ades craintes une partie du dépñt qui fut confié
a notre foi; il n'est pas de reproches dont I'injustice puisse étre
plus amere asupporter. Toutefois nous n'avons pas reculé devant
lui, e'est un courage que la conscience peut seule donner,
Nous avons porté un regard attentif sur notre situation intérieure,.
sur l'état des esprits, sur les dispositions de la génération qui
nous suit; c'est a I'aspect de ce qui nous accompagne, de ce qui
nous attend, que notre incertitude s'est dissipée, » Toutes ces
eonsidérations étaient destinées a parler a l'esprit du Roi, a
éclairer s'il était possible l'opinion royaliste sur l'avenir du pays ,
et sur ce qu'elle avait a faire pour éviter des bouleversements.
Je ne sache rien qui ait fait plus d'impression dans les annales
parlementaires que ces deux exposés de motifs, ouvrages de
lU. de Martignac; ils resteront comme des monuments de clarté
et de raisonnement législatif; ils sont encore présents ala mé-
moire de tous, et les opinions généreuses de la Chambre les
accueiHirent avec un enthousiasme difficile adécrire : comment
se flt-il done qu'une discussion, engagée sous des auspices si
favorables, produisit des résultats si infructueux ? J'ai parlé dela
résolution prise subitement par le Boi de présenter simultanément
les deux projets de loi ; la pensée intime du lHonarque était de
semer d'cmbarras la route de son ministere, Le coté droit d'abord
avait montré, par le vote de l'adresse, qu'il n'y avait pas a
compter sur lui: d'oú la néccssité pour le ministere de s'appuyer
spécialement sur le centre gauche; puis I'ordre formel imposé
par le Roi ~l ses ministres de ne consentir a aucun changement
essentiel dans les bases du projet de loi; et l'attitude de la droite
recevant l'ordre du Cháteau de ne point prendre part a la dis-
cusssion, de s'ahstenír absolument. Or, dans le centre gauehe
de la Chambre une autre intrigue était suivie. Des que les doc-
trinaires avaient vu le ministere tout a fait a leur discrétion , ils
avaient naturellemcnt songé al'envahir; conune le Pouvoir l~~




164 IUSTüIRE DE LA RESTAURATlON.
devait vivre que par les votes du centre gauche , celui-ci voulut
lui faire ses conditions. Le projet de ]U. Sébastíaniet de quelques-
uns de ses arnis était de former un ministere centre gauche. Les
hommes a vues un pcu éteuducs devaient savoir que le temps
n' était pas arrivé ; le résultat d' une tcllc combinaison aurait été
de placer le ministere, sans aucune majorité , cxposé ü tous les
vents de la Cour; elle aurait amené J'inévitable conséquence
d'un ministere royaliste ; cal' le centre gauchc ne pouvait pré-
tendre , sous le regne de Charles X, ¡l une administration toute
de sa couleur. Je dois dire acc ce sujet qu'un jour JU. de La
Féronnays étaut aux Tuileries , Jisait au Roi une correspon-
dance de la Gazettc ti' Augsbolll'g dans Iaquelle on parlait de la
formation d'un nouveau ministere, Le correspondant passait en
revue quelques noms , parmi lesquels l\l~J. Pasquier , }lolé,
Sébastiani. Lorsque ce dernier nom fut prononcé , le Itoi s'écria :
« Quant acelui-la , jamais ! ¡) Je ne m'explique cette répugnancc
royale pour le général Séhastiani, hornrnede cour et d'accommo-
dement , que par les souvenirs des Ccnt-Jours et les négociations
de Haguenau si hostilesala branche ainée des Bourbons, Le centre
gauche, rapproché de la défcction, voulait essayer une llla-
jorité. La discussion fut ainsi dominée par cette double intrigue:
de la droite, qui ne voulut y prendre aucune part pour laisser
le ministere dans l'isolement , et du centre gauche, qui songeait
a son ministere, Ceci se révéla dans la formation des COlll-
missions prcsque entierement centre gaucho. Pour la loi com-
munale , elle se composait de MM. lIumblot-Conté, Duvergier
de Hauranne , de Chauvelin , de Lastours , Dupiu ainé, Pelet ,
de Yillemorge , Dumarhallach et l\loyne; elle nouima l\l. Du-
pin ainé pour son rapportenr. La seconde commission , pour
la loi départementale , se composait de 1\11\1. Dupont de l'Eure ,
de Sainte-Aulaire , LUéchill, Sébastianí , Cauthicr, Dumey-
let, de Ilambutcau , Ilouilló de Fontaine et de La ViJIe-
hrune; M. Sébastiani fut nommé rapportcur. Une premíére
question se présentait , ccIle de la priorité ; le ministere attachait
le plus granel prix aohtenir que la loi muuícipale Iüt discutée la




CHAPlTRE XXIV. 165
premiére. Le méme motif, qui I'avait porté asouhaiter la sépa-
rationdesdeU" projets, l' engageait égalementadonner le premier
pas ala loi municipale, paree qu'il était plus facile de s'entendre
sur ses bases. La discussion devait se prolonger loin dans la
session, et peut-étre alors la Chambra aurait-elle senti la né-
eessité de renvoyer il l'année suivante la loi départementale,
lU. Dupin partageait cet avis: il s'était mis d'accord presque sur
tous les points avee le ministere ; et la Chambre, sur ses obser-
vations , donna la priorité a son rapport. « On ne peut nier,
disait l\l. Dupin, que le projet offre , dans sa cIassification, un
ensemble satisfaisant. La rédaction en est claire ; les matiéres y
sont distrihuées dans un ordre naturel, et, sans qu'il soit entiére-
ment complet , rien d'essentiel n'y paralt omiso La loi sera aiusi
une espece de coile -' reune la plus désirable pour sortir du
chaos des lois particulieres et pour en assurer la saine iutelli-
gence et la honne exécutiou. » Le chapitre 1cr, qui traitait des
eommunes, n'avait donné lieu qu'a de petites observations; mais
le seeond chapitre , qui attribnait au Roi la nomination des
maíres, avait été l'objet d'une grave controverse : la commission
n'admettait pas que des couditions de capacité, qui limiteraient
la liberté du choix en l'empéchant de s'égarer , on une candida-
ture qui ferait coneourir les citoyens au choix des marres et des
adjoints, Iussent incompatibles avec le principe monarehique;
elle pensait qu'il était national d'admettre la commune a con-
courir au choix du maire; la prérogative royale n'en éprouverait
aueune diminution, puisque ce serait toujours le Roi qui nomme-
rait : elle proposait done d'admettre que dans les eommunes
urbaines le maire et les adjoints seraient nécessairement ehoisis
parmi les membres du conseil municipal. La conunission re-
connaissait que le projet de loi rentrait dans les vrais principes
en remettant la nomination des conseils munieipaux a l'éleetion
libre des citoyens; elle proposait d'élargir le ccrcle éleetoral:
II On ne peut , ajoutait l\1. Dupin, laisser subsister ce cumul
de dispositions restrictivesdu nombre des électeurs , eette com-
bínaison oligarehique qui exclut de fait toute la classc moyenne




1. 66 HISTüIRE DE LA RESTAURATION.
de la société. » La question des adjonctions avait également été
modifiée ; enfin le rapporteur concluait, en émettant le vceu , au
110m de la eommission qui l'en avait spécialement chargé , que
la loi eommunale de Paris füt nécessairement présentée dans la
proehaine session.


Le Gouvernement ne s'était pas aussi facilement entendu avec
1\1. Sébastiani; dans plusieurs longues conférences, le ministre
avait déciaré qu'il ne pouvait consentir aux amendements. La
commission, qui avait en sa pensée un ministére de sa couleur,
persista égaJement. Il y avait eu des réunions préparatoires, et
1\1. de Broglie fut le principal mobile de eette intrigue. Les doc-
trinaires étaient eonvaineus que si leur systerne triomphait , on
serait obligé d'arriver a eux , de leur eonfier la direction des
aITaires; illusion sans doute , mais qui absorba toute eette dis-
eussion. « Deux idees paraissent dominer comme principes na-
turels et nécessaires du projet de loi, disait 1\1. Sébastiani;
d'abord l'organisation des conseils de département ne doit pas
étre concue dans des intéréts ni selon des combinaisons politi-
ques; puis , dans les afTaires locales, la loi ne doit jamais pro-
curer ateIle ou telle c1asse d'individus I'iníluencc d'une majorité
factice et trompeuse. »Leprojet avait paru ala commission tantót
satisfaisant, tantót incomplet , tantót conforme, tantót contraire
a ces principes; elle présentait une objection principale au pro-
jet du Gouvernement ; les électeurs qui nommaient les députés
devaient, aplus forte raison, étre aptes anommer les membres
des conseils de département.


La commission proposait done plusieurs modifications impor-
tantes qui pouvaient ainsi se résumer : 1°. étendre a un plus
grand nombre de citoyens le droit d'élire et d'étre élu, et le
donner surtout de plein droit a tous les électeurs politiques ;
2°. confier l'élection aux assemblées cantonales; 3°. 'supprimer
les conseils d'arrondissement. « La commission regrette, disait
en terminant M. Sébastiani, de n'avoir pu concilier les vues du
ministére avec les amendements qu'elle propose et dans lesquels
elle persiste. » La question était plus ici encore entre les per-




CHAPITRE XXIV. 167
sonucs que sur le projet de Ioi, Le centre gauche voulait con-
stater sa force pour saisir le pouvoir, Si la droite avait prété ap-
pui au ministére , eelui-ci aurait pu triompher; mais la droite,
la portion villeliste de l'assemblée , avait entiérement rompu en
visiere ; elle voulait renverser l'administration lUartignae : son
partí était pris. Elle savait que le pouvoir ne pouvait tomber
dans le centre gauche, et par conséquent il viendrait a elle. Peu
lui importait d'étre en eontradiction avecelle-méme, de repousser
comme révolutionnaire aujourd'hui le systeme communalqu' elle
avait appelé naguere de ses vceux, Que pouvait le ministére au
milieu de cette double intrigue? et pourtant il aborda netternent
la question de priorité pour la loi eommunale, premier essai de
majorité, « Avant d'organiser les agglomérations de eommunes,
disait 1\1. de l\1artignae, il faut régler l'état, la situation des
communcs elles-memes ,·ou, en d'autres termes, avant de con-
stituer l'ensemble on doit eréer les éléments. )) La loi commu-
nale devait done étre diseutée la prcmiere. M. Agier appuyait
vivement eette proposition; mais, je le répete, la raison de parti
n'était pas la; la gaucho considérait le triomphe du projet de la
eommission comme entrainant la nécessité d'un changement de
personnes; l'extreme droite, en opposition directe avec le projet,
recherchait tous les moyens qui pouvaicnt le compromettre;
eette alliance forma la majorité ; vainemcnt MM. de Martignac
et Hyde de Ncuville insistérent-ils pour que la discussion com-
mencát par le projet de loi communal; leurs pressantes obser-
vationséchouerent devant cctte réunion des extremes; et le mi-
nistere succomba acette premiare épreuve. 11 ressentit vivement
cet échec, prélude d'une violente opposition qui devait anéantir
ses vues conciliantes. L'organe des opinions de la droite, M. de
Formont, s'écriait : « Vous entrez dans les voies de la souvcrai-
neté populairc, et vous n'étes pascflrayés des conséqucnces d'un
tel príncipe! Quant a nous , nous rcpousserons de toutes nos
forces vos projets de loi , nous ne pouvons acceptcr ni l'un ni
l'autre; HOUS combattrons jusqu'a la fin pour entrainer le rejet
unaníme de ces funestes concessions, n 1\1. de Formont insistait




168 IllSTülRE Dl:: LA RESTAUHATlON.
avcc force sur ce qu 'il y avait d'étrange de la part des ministres
du Roi a proposer d'eux-mémes la rcstriction des prérogativcs
royales: « Ils ont déja recu le prix de lenrs complaisances ,
ajoutait-il ; lrs lois qu'ils ont apportées en holocauste ne suífi-
sent plus au sacrifico qu'on demande. Lecon sévére qui doit ap-
prendre aux eonseillers de la Couronne eombien est glissante la
pente terrible des coneessions ! Nous repoussons tous une tenta-
tive qui aurait pour effet de restreindre l'autorité tutélaire de la
royauté et bientót de convertir la monarehie représentative en
up gouvernement destructeur fondé sur la souveraineté popu-
laire, » La gauehe rnenacait également le ministére, « I..e mo-
ment est venu, s'écriait lU. Étienne , de s'exprimer franchement
avec le ministére ; cette discussion apprendra définitivement ala
France ce qu'elle doit penser des ministres et de la Chambre; si
1'0n doit craindre ou espérer, si la confíance OU l'on Se plait sera
justifiée ou trahie.. -«Vous démolissez l'autorité royale, répon-
dait lU. de Salaberry ; vous ne voyez done pas la marche rápido
de la révolution? Quoi! soulever encore le terrible lcvier de
I'élection populaire ! votre Ioi est une nouvelle .charte ; c'est l'ir-
ruption de la démocratie dans le domainc royal. » - «Nous avons
bien prévu, répondait 1'1. de l\lartignae , que nousétions réservés
anous entendre aeeuser d'abandonncr les droits de la Couronnc,
d'affaiblir l'autorité royale , de sacrifier ades exigences ou ades
craintes une partie du dépót qui fut confié anotro foi. 11 nous est
impossible de donner notre assentiment ala suppression du pre-
miel' chapitre qui entraine celle des conseils d'arrondissement ,
au mépris de la prérogativc royale ct par voie d'amcndement.
J'ígnore quel est le sort réservé au projet que ,nous débattons ;
ses dispositions principales, attaquées avec violence par les denx
extrémités de cette Chambre, n'ont jusqu'ici trouvé que moi pour
défenseur. Pour nous, ministres passagers d'une monarchie per-
manente, notre devoir est de penser il cc qui reste, et vousnous
estimez assez , je l'csperc , pOUI' croire que nOl1S saurons le rem
pHI'. » Id, comme on le voit, lU. de JUartignac dénoncait la dou-
ble intrigue qui menacant son ministere t se démasquait de




CIJAPITHE XXi\. 169
plus CH plus! « Vos lois ne conviennent apersonnc , répondait
1\1. de La Bourdonuaye , elles pourraient tour au plus satisfaire
des haines aveugles etdes ambitions secondaires ; apres quarante
ans d'expérience, les partís sont trop éclairés et les hautes posi-
tions sociales trop prudentes pour jouer sur la chance des pas-
sions populaires et de I'anarchie, » - « Comment se fait-il, disait
JU. Portalis, que ce que réclamaient avec tant d'ardeur ceux qui
se sont constitués les defenseurs des doctrines royalistes, se soit
tout acoup transformé en une atteinte a la prérogative royale ,
en une concession révolutionnaire qui remet en action la souve-
raineté populaire? Dans cette question, il s'agit d'une loi qui in-
téresse l'organisation intérieure de 'la monarchie : l'introduction
d'un fauxpríncipe pourrait compromettre peut-étre la stabilitéde
l'ordre établi, et nous serions inexcusables si nous ne demeu-
rions fideles anotre propre conviction.» - «Nous avons aussi la
nótre, répliquait M. de Montbel, expression du parti Yillele ; cer-
tes, nous avons le droit de prévoir les funestes conséquences de
vos malheureuses concessions, Rompre l'équilibre des pouvoirs
sociaux apres tant d'oscillations désastreuses , c'est remettre tout
en question, c'est rouvrir I'abime des révolutions qui doit étrc
formépour jamais, )) 1\1. Ilavez, appelant ason aide le centre droit,
s'écriait : « Le raisonnement le plus simple prouve que le prin-
cípede l'élection que vousvoulez introduirc cst repoussé par nos
iustitutions; qu'a voulu la Charte? elle a voulu appelcr la repré-
sentation au sommetde I'édifice, au cceur du Gouvernement lui-
méme. e'est tromper le vceu de la Charte que de faire desceudrc
l'élection plus bas, »-« Nous sommcs responsables cnvers le Roi
ct euversle pays, répliquait l\l. de Martignac, de l'avenir que peut
avoir , pour la monarchie , l'innovation que nous vous proposons,
Nousavons da nous assurer par nous-mémes que toutes les pré-
cautions que la prudcnce nous a Iait juger nécessaires entou-
raient le systemc proposé. lUais si 1'0n chango ce systéme, si 1'0n
dénature ces précautions , nous ne POUVOIlS plus répondre de
rien ; nous ne pouvons plus engager notro conscience et notro
rcsponsabilité ; nous ne pourrions jamáis conseiller au Iloi
l~ 15




170 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
d'adopter un projet qui serait antro que celui que nous avons
proposé. » lU. de Martignac se laissait aller adire ses engage-
ments; le Roi avait déclaré qu'il ne voulait plus rien eéder. Il
avait garrotté les mains a ses ministres; et eomme , sous jeu, il
savait bien que la droite ne voterait pas, il en eoncluait naturel-
lement qu'on retirerait les projets de loi, etque son ministere
n'aurait plus de vitalité, (( Vous cherchez done a lier la Cham-
bre ? répliquait M. Dupin ainé. Sous prétexte d'inutílité , vous
voulez done lui eontester le droit d'amendement! l) Quelle faute
d'avoir appelé la diseussion sur ce terrain; on se brouillait avec
toutes les partíes de la Chambre; on déclarait qu'on faisait de
l'amendement et de son rejet une question ministérielle; d'oü la
eonséquenee, si l'amendement était adopté, d'un retrait inévita-
ble du projet de loi. 01', le ministére ne vivait que par sa ma-
jorité; il était sansappui a la Cour, et lejour OU il l'aurait perdue
c'en était fait de son pouvoir. Ce qui perdit M. de Martignac,
e'est l'idée de son crédit sur l'esprit du Roi; il s'imaginait avoir
eonquis sa eonfiance, étrc puissamment dans sesarnitiés ; il n'en
était rien, Charles X trompait sesministres, et eherehait une oc-
casion de les compromettre avec la Chambre. 1\1. Sébastiani re-
prit la discussion : « Pourquoi ne pas préférer le systéme canto-
nal, et supprimer les conscils d'arrondissement ! Ces conseils ne
votent point d'ímpót , ne font point de dépenses, ne s'occupent
que de peu de choses et ne décident de rien. C'est surtout dans
l'intérét de l'autorité royale et dans eelui du bon ordre que la
cormnissíou persiste aproposer la suppressiondes conseils d'ar-
rondissement. »- ( La Chambre ne peut pas, répondait 1\1. deMar-
tignac, elle n'a pas le droit de supprimer des eonseils établispar
la loi ! » - « Vous portez atteinte ala prérogativede la Chambra,
répliquait vivcment 1\1. Sébastiani; son initiative en matiere
d'amendementest incontestable. »-«l\Iais, s'écriait M. de Marti-
gnac, ellen'a pas le pouvoir de rapporrer la législation existante. »
- ( Admettre que par auicndcmeutlesChamhrespcuventdétruire
une loi existante, ajoutait lU. Ilyde de Neuville, c'est violer la
Charte , c'estméconnaítre laprérogatíve royalc l amender , c'cst




CHAPITRE XXIY. 171.
améliorer , rectifier. La mort n'est pasl'amendement dela vie. »
-« ñlais oü a11ons-nous avee un pareil systéme? répondait avec
force 1\1. Sébastiani; votre théorie renverse l'ordre eonstitu-
tíonnel : toute díscussion sera désormais ínutíle, toute arnéliora-
tion impossible. »-(CPar eette suppression, répliquait ñl. de Vati-
mesnil, que le ministere engageait dans eette discussion paree
qu'il le soupconnait porté pour les opinions de la eommission,
vous annulez toutes les lois qui prévoient l'intervention des
membres des conseils d'arrondissement dans les actes de l'ad-
ministration publique, vous démolissez la législation. » - « Les
conseils généraux rempliront aisément lesmémes fonetions J), ré-
pondait M. de Ilambuteau. La discussion était vive, les attaques
violentes. Il s'agissait de l'existence ministérielle que les partís
se disputaient. 1\1. de Martignac avait contre lui la droite , une
portien du centre gauche et la gauche. Il n'avait de dévoué a
son systéme que le centre droit trés-considérable , quelques
unités de son partí extreme, la majorité de la défection et quel-
ques fractions du centre gaucho en dehors du mouvement Sé-
bastiani. Il fut arrété en présence du Roi, qui poussa le mi-
nistere a cet acto et applaudit ¿l la résolution, qu'on retirerait
déflnítivcment le projet de loí , si le vote ne sauvait pas les
conseils d'arrondisscmcnt. 1\1. de Martignac avait fait insinuer
cette funeste résolution ases amis et ases adversaires ; mais les
choses étaient trop complétement engagées; le coté gauche et
une faible partie de la droite se leverent centre. Le surplus du
coté droit s'abstint de voter, I..e président prononca solennelle-
ment que l'amendement était adopté. Le projet ministériel se
trouvait frappé de mort; la gauehe fit alors des manifestations
publiques de joie : sa combinaison allait triompher. Le banc des
ministres était entouré. 1\1. Portalis et M. de ñlartígnac se con-
sulterent pendant quelques instants. Ils résolurent d'aller au
Cháteau faire signer une ordonnance de retrait par le RoL
Charles X était déja informé du résultat par ses communica-
tions avee la droite et par un hillet de 1\1. de ñlartígnac. Quand
il vit entrer ses deux ministres, Charles X leur dit : « Eh bien,




172 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
Messieurs ,je vous le disais bien: il n'y a aucun moyen de traiter
avec ces gens-U.. II est temps de nons arréter, Je vous remercie
de votre résolntion. » 11 serra fortement la main ~\ 1\1. de lUarti-
gnac. Les ministres revinrent entoute háte a la Chambre qui
attendait avec impatience Ieur résolution. La diseussion était
reprise; on diseutait les chapitres subséquents , et M. Daunou,
a la tribune, développait un ameudemcnt , lorsque MM. de
ñlartiguac et Portalis reutrerent dansla Chambre. 1\1. de Martignac
demanda aétre entendu : « Le Roi me eharge de vous annoncer,
dit le ministre, que par une ordonnauce rendue al'instant méme,
les deux projets de loi sur l'organisation des départements et des
communes sont retirés. )1 C'était une rupture complete avec la
majorité. Le Cabinet s'imaginait avoir frappé un grand coup de
force et ramener ainsi les convictious incertaiues. C'était son
acte de déces qu'il signait. Je me souviens d'avoir vu 1\1. de Mar-
tignac le soir méme OU le projet de loi fut retiré. 11 me parlait
de la confiance qu'il inspirait au Roi, de sa force de chñtcau,
Je répondis: « Je le désire , mais vous vous étcs ames yeux
suicidé; préparez-vous a une crise immiuentc ; votre ministere
n'est plus qu'un cadavre politiqueo »


11 était en effet constaté aux yeuxde la Cour que le ministére
n'avait plus de majorité , et e'étaient la gauche et le centre gau-
che qui concouraient a cet acte de maladresse. La droite arrí-
vait a ses fins; elle donnait des éloges aux ministres, elle leur
promettait appui pour ce dernier acto de fermeté; mais, au
fond , elle savait que eette délibération avait sonné la derniere
heure de l'admininistration l\lartignac. Le coté gauchefut inquiet
de ce résultat; il pressentait que la victoire n'était pas pour Iui,
Quant au Cabinet, il ne se dissimula pas sa position : quelques-
uns d'entre les ministres purent se faire illusion encore; Char-
les X était devenu aimable, gracieux, iI témoignait plus ele con-
fianee depuis qu'il avait perdu son ministerc en lui imposant un
acte de force qui lui aliénait sa majorité, Cependant a tous ces
embarras il fallait en joindre un autre non moins malhcurcux,
M. de La Féronnavs u'allait pas mieux : sa Iamille l'avait d'ail-




CIIAPITRE XXI". 173
leurs cntouré de tellc sorte qu'il était impossible de eompter
sur lui pour les affaires étrangeres, Pouvait-on prolonger l'intc-
rim , laisser cette place vacante au moment oú la prétention du
prince de Polignac avait été mise a nu? La démission de M. de
La Féronnays étant acceptée, et le Roi ne voulant pas de mi-
nistre de sa maison, il fallut songer a un remplacant : id le Con-
seil s'était divisé. Je dois dire que depuis la conduite au moins
équivoque de 1\1. Portalis dans l'affaire du prince de Polignac,
l'union avait cessé de régner dans le Conseil. Il y avait non-seu-
lemcn des opinions, mais des partis divers : 1\1. de Martignac ,
Portalis et Roy votaient ensemble; MM. de Vatismesnil, Feu-
trier et de Saint-Cricq formaient une autre nuance; 1\1. Hyde
de Neuville , tout 'dévoué a 1\1. de Cháteaubriand , ne songeait
plus qu'a le faire entrer dans le Conseil. Quand il s'agit de ehoi-
sir un ministre des aflaires étrangéres, ces divisions se reprodui-
sirent surtout : M~I. Portalis et de l\lartignac portaient encore
i\I. Pasquier, et en seconde ligne 1\1. de Rayneval; M. Hyde de
Neuville soutenait M. de Cháteaubriand ; d'autres prononcaient
le nom du duc de 1\1ortemart. Le Roi choisit 1\1. de Laval : le
ministerc n'avait pas d'objections afaire ace choix; 1\1. de Laval
avait parfaitement serví le systéme ministériel a Vienne. On était
fort content de son opinion modérée et conciliante, Une dépéche
télégraphique luí fut adressée, mais on avait prévenu le duc de
LaYaI; ses amis lui avaient insinué que tout ce qui se faisait
n'était que provisoire , et que l'administratíon n'avait pas trois
mois avivre, Les journaux s'étaient également élevés contre ce
choix. M. de Laval, éclairé et effrayé tout a la fois, refusa;
nouvel embarras. Alors on songea de nouveau a M. de Rayne-
val: agréó par le Roi, pendant quatre jours il fut ministre des
aílaires étrangeres, ñlnis les amis de M. de Cháteaubriand , re-
venus ala charge , menacérent de se tourner centre le minis-
a're; )1. Hyde de Neuville parla méme de sa démission. On
ahaudonna 1\1. de Rayneval pour un de ces partís singuliers, un
de ces provisoires qni perdent les Cabinets. M. de I..aval
ayant (·t(, ohstinément refusé , Charles X ajouta : « Pourquoi




17h HISTOIRE DE LA llESTAURATlON.
1\'1. Portalis ne prendrait-il pas défmitivement le ministere
des affaires étrangeres? je suis content de ses services , qu'il les
continue définitivement. » Les circonstances vinrent seconder
ces projets de Charles X. M. Ilenrion de Pansey venait de mou-
rir ; il laissait vacante la premiare présidence de la Cour de cas-
sation. i\!. Portalis, et sa famille surtout, convoitaient cette di-
gnité , retráite brillante apres sa sortie du miuistere qu'il ne
voulait pourtant pas quitter. Le Roi, avec une habileté remar-
quable , cal' Charles X en avait beaucoup , la lui promit , signa
l'ordonnance, mais il la retint par devers lui, afin de conserve!'
un grand ascendant sur l\l. Portalis , et d'en faire son instru-
mento Dans eette situation, il n'eut pas de peine a engager
1\1. Portalis aprendre le ministere des affaires étrangéres, chan-
gement singulier, et qui déconsidérait encere l'administration
ministérieIle. Mais aqui confierait-on les sceaux? Une liste de
trois personnes fut encore présentée; on y portait l\lM. Molé ,
Siméon et Bourdeau. Le Roi choisit le plus insignifiant de ces
noms, M. Bourdeau. Évidemment Charles X ne voyait en tout
eeci qu'un provisoire; il n'avait jamais considéré le ministere
Martignac que comme une transition : maintenant il dissimu1ait
encore, mais iI voyait le jour de la dé1ivrance. 11 affaiblissait son
Conseil avec un indicible bonheur, il multipliait de lui-méme les
difficultés; ille déchirait de sa propre main, et cependant il vou-
lait le budget, Jamais il n'avait été mieux avec ses ministres.
JU. de lUartignac s'illusionnait de plus en plus; iI croyait avoir
conquis la confiance du Roi, et Charles X ne les caressait ainsi
que pour avoir ses lois de finances. Avec les plus simples notions
de la Cour, de l'opinion et des Chambres , on pouvait dire que
du jour de la nomination de M. Bourdeau , le miuistere lUarti-
gnac n'existait plus.


C'était alors la scule préoccupation du Roi que le budget et
les lois de Iinances. On a demandé pourquoi le Cahinet ne donna
pas alors sa démission ; en aurait-il ou la volonté, et il avait trop
dillusion pour cr la , il croyait son honneur cngagé a ne point
laisser la Couronnc snns Ioi <1(\ íinances ; c'était une allairo de




CHAPITRE XXIV. 175
convenance ministérielle. Les charmes de la parole royale se
faisaient sentir; le Iloi comblait ses ministres d'attentions, leur
parlait d'avenir, comme s'il y avait entre eux une ferme union
politiqueo Au fond, toujours le memo dessein de les renverser,
1\1. Hoy paraissait seul avoír sa confiance; Charles X semblait
compter sur lui pour une proehaine combinaison; on flattait,
on entourait 1\1. Iloy par tous les points ; il souhaitait le titre de
duc et on le lui faisait espérer; iI se formait dans le Conseil un
coté droit et un coté gauehe; MM. de Saint-Cricq , Bourdeau
et de Vatimesnil étaient antipathiques a M. Iloy; leurs collégues
s'en plaignaient, et eux se plaignaient de MM. Portalis et Mar-
tignac surtout, Ils n'étaient pas entierement opposés a la com-
hiuaison Sébastiani dans laquelle ils seraient entrés. M. de Vati-
mesnil était sous I'ahsolue domination des jeunes écrivains du
Globe qui envahissaient l'instruction publique. On reprochait a
l\l. de Saint-Cricq ses liaison s avec l\l. Laffitte, ses indiscrétions
sur les secrets du Cabinet, qui retentissaient dans les journaux.
C'est dans eette position qu'on arrivait aux lois de finanees. Trois
projets servaient de base a toutes ces discussions : d'abord la
demande en prorogation du monopole des tabacs, la fixation des
crédits supplémentaires pour 1827 et 1828, enfin le budget de
1830. La premiere de ces discussions était fort ardue : 1\1. Hoy
s'ydévoua avec un grand zele, L'impót sur les tabacs rapportait
annuellement 45 millions de produits nets au Trésor ; maintenu
pour cinq ans par la loi de 182l¡, il faIlait l'assentiment des
Chamhres pour en continuer la perception. Le projet de 1\1. Iloy
tendait a proroger l'impót j usqu'au 1cr janvier 1837. La com-
mission chargée d'examiner ce projet éleva de fortes objections;
lU. de Cambon, nommé rapportcur, les fit connaitre a la Cham-
hre ; il s'agissait rl'un privilége exclusif a conceder au Gouver-
nement ; iI interdisait l'exercice d'un droit inhércnt a la pro-
priété ; il genait la liberté de l'agriculture aussi bien que celle du
commercc. « Xous He pouvons admeure le monopole, s'écriait
lU. Charles Dupin ; c'cst une attcintc portée au droit commun ,
an conunerce el ~I l'industrie. )-« JIest nuisible au perfection-




176 HlSTÜIRE DE LA RESTAURATlüN.
nement des produits comme acelui des procédés de Iabrication,
ajoutait 1\1. Degouves de .i\uncques; il est étonnant de lui trou-
ver pour défcnseur un ministero qui vcut rentrer dans l'ordre
légaL »-« D'ailleurs , disait lU. Benjamin-Constant, le Gouver-
'nement fabrique toujours plus mal et plus cher que les particu-
liers; le monopole sur la production est une hostilité mena-
cante pour toutes les industries. » Tous ces députés demandaient
qu'une commíssion d'enquéte füt nommée , qui examincrait le
projet (r Quel est le remede proposé comme devant arnener les
plus notables' résultats? répondait 1\1. Ro)', une enquéte ! mais
apres trente années d'essais el de changemcnts successifs , ne
sommes-nous pas éclairés autant qu'on pcut l'étre sur les faits?
n'avons-nous pas entendu se débattrc devant nous tous les inté-
réts ? » - (( Cela n'empéche pas, répliquait ~I. Benjamiu-Con-
stant, que votre loi viole la Charte et ruine les citoyens,
Toute la question est de savoir si au lieu de grever la propriété
par un impót, on a le droit de la frapper de stérilité. » Dans cette
question , la Chambre préta aide et secours au ministere qui ob-
tint une immense majorité, Le coté droit se joignit al'adminis-
tration, paree qu'il était de son intérét d'aider ala confection du
budget et ala perception de l'impót dont i1 alIait proflter. Le se-
cond débat sur les crédits supplémcntaires comprenait un arti-
ele qui se rattachait a un ministére odicux a la Chambre. J' en-
tends parler de I'administration de 1\1. de Peyronnet. JI s'agissait
d'une question puérile de 179 865 fr. pour Irais de construc-
tion , réparations et prix de fournitures Iaites a l'hótel de la
chanccllerie sur l'ordrc de ;.\1. de Pcyronnet. La commission ne
pensa pas que ce füt un cas de concussion; c'était un abus de
pouvoir d'oú résultait une dépense jugée inutile ; elle ne croyait
pas devoir rcfuser un crédit pour I'acqnittemcnt de ce mémoire ;
mais afín de préserver la Iortune de l' i~tat des attcintes que pour-
rait lui porter un ordonnatcur public , elle proposnit un amen-
dement portant « que ce crédit serait accordé , sauf Iiquidation
et acharge par le ministere des Iiuanccs d'exercer telle action en
indemnité qu'il appartiendrait contre le ministre qui a ordonné




CIJAPITRE XXI"\'. 177
la dépense sans creditspréalablcs. »-« Pour que nous puissions
accorder ce crédit , disait M. Marschal , il faudrait au moins
que la dépénse püt étre justifiée, et c'est ehose impossible. ))-
« 11 est vrai, répondait lU. Sirieys de Mayrínhac , que les regles
de bonne cornptabilité n'ont pas été suivies; mais eette dépense
aurait été régularisée , si 1\1. de Peyronnet füt resté en position
de régler ses compres de 1827. » - « Tout ee qui compromet le
salut du pays, répliquaít 1\1. Benjamin-Constant , la süreté du
tróne , les garanties des libertés publiques, est une trahison j
tout ce qui dilapide les finances et détourne les deniers de I'État
de leur destination véritable est une eoncussion; sans cette doc-
trine, vous vous perdrez en subtilités vaines, ridicules.))-
(e Et puis, ajoutait l\l. Étienne , pourquoi un aussi grand luxe
dans l'hütel de la chancellerie? La simplicité est de bon goüt
dans l'habitation d'un ministre de la justiee; ce n'est pas la que
doivent entrer les frivolités changeantes et ruineuses de la mode. l)
-« Cen'est ni une concussion, ni un revirement de fonds, di-
sait M. Agier, c'est un acte de mauvaise administration ; et je
suis loin de contester a la Chambre le droit de refuser le crédit
demandé. »-« JI y a eu , 1l0US en convenons, iIlégalité, ajoutait
M. Bourdeau , et nous sommes les premiers a le déplorer. 11 se-
rait a désirer que de pareils exemples ne fussent jamais donnés
par ceux qui sont chargés de la haute administration. » 1\1. Du-
pin ainé se présenta avec un amendement ainsi concu : « A la
eharge par le ministre des finances d'exercer devant les tribu-
naux une action en indemnité eontre I'ancien ministre son pré-
décesseur, l)-« Nous devons saisir eette occasion, disait l\l. Du-
pin , pour poser un principe salutaire. La législation est insuffi-
sante, et iI est temps de mettre un terme a I'abus toujours
croissant des crédits extraordinaires. l)-« 11 ne peut convenir a
la dignité de la Chambre , répondait 1\1. Roy, de prescrire des
poursuites dcvant les tribunaux, lorsque ces tribunaux ne man-
queront pasde se déclarer incompétcntspour juger des questions
de haute administration. » - « 11 y a eu sans doute une grande
irrégularité , ajoutait Mo Ily.le de Neuville, personne ne lecon-




178 HISTOIRE DE LA RESTAURATlON.
teste; mais t la main sur la eonscienee, vousvoyez bien que l'ex-
garde-des-sceaux n'a pas fait tourner les fonds a son profit. ))
.Lorsque je me trouve en face d'un autre temps avec ses Cham-
bres prodigues, ses crédíts supplémentaires , ses bills d'in-
demnité t j'ai besoin de lire plusíeurs fois les noms des orateurs
el leurs paroles, pour croire que ces mémes hommes semontré-
rent si susceptibles pour de si petites ehoses. Il y avait eu un
peu d'irrégularité dans la conduíte de lU. de Peyronnet; mais il
n'y avait pas eu de dilapidatíon ; était-ee la peine de faire tant
d'éclat , de jeter tant de paroles? C'est qu'il y avait des haines
contre l\l. de Peyronnet , et qu'on voulait le rendre impossible
aux aífaires, Enfinvenait le budget dont le voteallait mettre dans
les dispositions du Roi le sort de son ministcre ; il fut néan-
mcins défendu avee un grand zéle et un dévouement remarqua-
ble par tout ce ministére. Et comment en fut-il récompensé?
D'aprés l'exposé que fit 1\1. Roy, le budget présentait encore un
excédant de recette de un million ú17 fr. , quoique le sort des
desservants eüt été amélioré, l'instruetion primaire encouragée ,
et la dotation de la pairie fixée par une loi. Le ministre ajoutait
qu'on s'occupait sansreláche d'obtenir une mcilleurerépartition
de I'impñt personnel et mohilier; des commissaires avaient été
envoyés dans lesdépartements pour recueillir les renseignements
nécessaires, Lesdispositions qui devaicnt régler l'application et les
conditions de l'amortissement apartir du 22juin 1830, Ieraieut
l'objet d'une loi spéeiale qui serait présentée ultérieurement',
Beaucoup de dépenses utiles a la prospérité de l'avenir auraient
lieu successivement; et pourtant le ministere ne demandait ni
l'augmentation de la dette fiottante , ni la négociatíon desquatre
millions de rente accordés par le dernier budget, On arrivait
done a de notables résultats ; on n'avait besoin d'aucun crédit
extraordinaire t quoique les divers services eussent été agrandis,


, M. Roy avait intention, dans la session suívante , de proposer
l'annulation de I'emprunt de l. millions de rente, et d'appliquer un
autre emprunt facuItatif et progresslf aux grandes améllorations des
routes el canaux.




CHAPITRE XXIro 179
« Toutefois , disait M. I1umann, rapporteur , nOU5 ne devons
pas vous dissimuler que la prospérité de la Franee éprouve de
Iácheux embarras. Sans étre moins fécondes, les ressourees de la
richesse coulent avec moins d'abondance ; l'essor de l'industrie
se ralentit, l'esprit d'association diminue, le produit des impóts
indireets décroit , signes trop eertains de la décroissance du
bien-étre général. » La eommission proposait une réduction sur
les divers ministeres de 4 millions 200 mille franes; on pouvait
espérerd'économiser 40 a 45 millions , mais seulement par suc-
cession de temps, en opérant innnédiatement toutes les réduc-
tions praticables, et en s'armant d'une rigueur inflexible eontre
l'abus des crédits supplémentaires, Il régna dans toute eette dis-
cussion un ton d'aigreur et d'irascibilité ; la gauehe se montra
inexorable; ses orateurs flrent entendre de violentes diatribes.
l\lM. Roy et de Caux défendirent leurs divers départements avee
force et talent ; mais ils prévoyaient bien que leur régne était
fini ; les hostilités étaient trop rudes, el ils se trouvaient trop
faibles. Tous les chapitres suecessifs de ehaque ministére don ..
nérent lieu ade vives attaques; le budget des affaires étrangeres
sortit entiérement mutilé de eette délibération. Puis, vint le tour
du budget de la guerre , sorte d'arénc OÚ se déchaina la fureur
des partis ; la maisou militaire du Roi, l'entretien des régiments
suisses en furent les sujets principaux: le ministere combattit
avec courago toutes les ohjections, et parvint afaire repousser
les amendements. En résumé, la manifestation de eette oppo-
sition était cífrayantc ; le miuistére le eomprit bien, quoiqu'il
sortit victorieux de la lutte, cal' l'ensemble du budget fut voté a
une majorité de 131 voix.


A l'oeeasion de cette discussion du budget , j'ai besoin de ra-
contcr deux auccdotes instruetives. L'opposition de gauehe avait
démontré la néccssité de réformer quelques-uns des aides-de-
camp du Roi ct des Priuccs, lU. de Caux exposa a Charles X
qu'il était impossible de maiutenir le cadre actucl de ses aidcs-
de-camp , la plupart étaieut vieux : il y en avait méme deux ou
trois de scptuagéuaircs, « Vous me demandez U\ une chosc diffi-




180 msroms DE LA HESTAUnATlOX.
cile . ,dit Charles X.-(( Votre Majesté doit se rappeler, continua
lU. de Caux, que sous le régnc de ses ancétres , le Roi, en tcmps
de paix, n'avait pas d'aides-de-camp. Quand il allait ala guerre ,
il désignait quelques grands seigneurs de Cour qui se ruinaient
a son service. »-« Cela est vrai, dit le Roi, mais les choses n'al-
laient pas comme aujourd'hui; d'ailleurs, voyons e ; et le Iloi
effaca de sa main plusieurs de ses aides-de-camp et quelques-
uns de son fils et de 1\1. le duc d'Orléans. La Chambre s'était
montrée vive, presque factieuse a l'occasion du budget de la
guerreo lU. de Caux en revenait tristement préoccupé : « Eh
bien! dit le Roi a 1\1. de Caux, comment avez-vous trouvé la
Chambre? » Par un mouvement d'hurneur le ministre répondit :
( Abominable! » A ces paroles, Charles X tira JI. de Caux ~l
l'écart, et lui parla en ces termes: « Eh bien! vous convenez
enfin, 1\1. de Caux, que ceci ne peut pas durer ; suis-je sur de
l'armée? » et, en disant ces mots, il lui prit les mains. 1\1. de
Caux vit qu'il avait commis une imprudence. ( Sire, répondit
leministre, il faut savoir pourquoi ?»-( Sans condition, répliqua
le Roi ! »-«( Si Votre lUajesté réclamait de l'armée quelque chose
en lui montrant la Charte et au nom de cette Charte, elle ob-
tiendrait obéissance absolue; maís en dehorsje pu is affinner que
non! en voici la preuve : j'ai fait drcsser une statistique de l'ar-
mée; je ne parle pas des sous-officicrs et soldats ; mais, sur vingt
mille officiers , il n'y en a pas cinq ccnts qui soicut gentils-
hommes , et pas mille qui aient 600 franes de rente. Avec cela,
faites de l'ancien régime. »-« La Charte ! la Charte l continua le
Iloi ; qui veut la violer? Sans doute c'est une ceuvrc imparfaite!
mais je la respecterai; quant a l'armée , elle n'a rien afaire avec
la Charte, )) Jc cite cette circonstance pom iudiqucr daus quelles
dispositions d'esprit se trouvait Charles X, déja mémc a l'épo-
que du ministere lHartignac.


Le Roi, maitre du budget pour 1830, ayant dcvant lui une
longue vio financiere , s'occupa plus activcment de son mouvc-
ment d'intérieur, Des le mois de mars 1829, 1\1. Ferdinand
de Bcrthier avait rapproché 1\1. de La Bourdonnaye du roi




CIlAPlTRE XXIY. 181
Charles X; il leconduisait le soir par les appartements du valet de
chambre et en frac. Le Roi avait pris une grande idée de la fer-
meté et du caracterc du chef de la contre-opposition; il avait
décidé le fougueux adversaire de ~I. de Villele a se rapprocher
tout a fait du centre droit. Un petit comité parlementaire, com-
posé de 1\D1. de La Bourdonnaye, de Chantelauze , de l\lontbel el
Havez, dut s'occuper de la fusion des nuances royalistes. Plu-
sieurs Mémoircs furent remis ¡¡ ce sujet au Roi; on y eonstatait
l'existence d'une majorité compacte dans le sens de la droite.
31. Ravez prit le plus de part acesstatistiques ; le Roi lui croyait
une grande expérience des majorités, qu'il avait conduites pen-
dant de si longues annécs, En méme temps le Dauphin faisait
demander une liste d'officiers-généraux pour le ministere de la
guerre; il s'engageait mérne pour M. de Bourmont. Tout cela
se passait sous l'administration de M. de l\Iartignac, et sans que
cclui-ci en Iüt le moins du monde informé. Le prince de Poli-
gnac avait quitté Paris , succombant sous ce mouvement d'opi-
nion publique qui s'était pronoucée contre lui. Ce qui aurait dú
étre un puissant avcrtisscment pour tout autre esprit, n'avait
été d'aucun poids aupres du princc ; il avait quitté la Franee plus
que jamáis pénétré de I'idée que seul il était a la hauteur des
circonstances, et appelé en quelque sorte a sauver le pouvoír
royal. J'ai In tout ce que M. de -Polignac a depuis fait écrire
pour sa justiíication ; j'ai toujours cru le prince exempt de ce
qu'ou peut appelcr l'ambition personnelle : ce n'était pas un
désir (le tribuno , une vanité d'houneurs qui le poussaient aux
aflaires. Mais ces sentiments n'agissent pas seuls sur le cceur
lnunain ; il en est un autre plus dangereux pour les hommes po-
litiques , c'est l'opinion de leur importance, surtout lorsqu'ils
sont pénétrés de l'idéc qu'ils ont a remplir une mission. Une
consciencc sincere peut étre ainsi appeléeade déplorablesexceso
~l. de Polignac , préoccup« de I'idée qu'il fallait reconstituer
l'aristocratie sur de grandes bases, ~l la maniere anglaise, et re-
Iaire le systeme élcctnral , se croyait destiné ¡¡ sauver le Tróne
par ces moyens. l\!ais ce qu'il y a de curieux it constater, c'est


Ir. 16




182 HISTOInE DE LA nESTAUnATlO~.
que le prince ne savait que trés-indirectement les mouvenients
du Cháteau, qui se faisaient sans lui et par la seule intluence du
Roi : sa pensée se rattachait a une autre combinaison ministé-
rielle, Avec quelque habi tude des affaires , les amis de l\l. de Po-
lignac s'apercurent bien que les choses étaient arrivées ace point ,
qu'un changement était imminent. On avait le budget jusqu'a la
fin de 1830, c'est-a-dire qu'on avait dcvers soi I'impót pour
plus d'un an. Le ministére était dan s l'impuissauce d'aller; il
avait perdu l'appui de la gauche par le retrait des deux lois mu-
nicipale et départementale. I1 rherchait bien I'appui de la droite;
1\11\1. Roy, Portalis et de l\lartignac avaient taché de la rallier a
Ieur majorité : la droite avait faihlcmcnt répondu ü cet appcl :
elle ne leur pardonnait point des lois qu'elle appelait drs cunees-
sions mortelles pour la monarchie. Cette vive expression de ré-
pugnance s'était fait sentir parüculieremeut dans un discours du
marquis de Villefranche a la Chambre des Pairs. Vainement
1\1. Bourdeau lui-mémemenacait-il la presse , vainement 1'eC0111-
mandait-il aux procureurs-généraux la plus grande vigilauce a
poursuivre les journaux qui provoquaient ouvertement a la dés-
obéissance aux lois, en attaquant avec une violcncc inouíe les
ímpóts qu'elles établissaient: « Des brochures impies et sédi-
tieuses, continuait l\I. le garde des sceaux , outragent ce qui doit
étre entouré de tous les respeets, et ces tentatives criminelles ,
heureusement impuissantes jusqu'ici , pourraient devenir dan-
gereuses si elles n'étaient promptement réprimées. Je vous prie,
en conséquence, de surveiIler avee la plus serupuleuse attention
les éerits périodiques et non périodiques qui sont publiés dans
votre ressort, et de déférer aux tribunaux tous ceux OU vous rc-
oonnaitrez un délit, » Tout cela n'apaisait point la Cour ; l'íntri-
gue contre le mínistere ñlartígnac continuait d'agir ; elle se
croyait süre de la victoirc, lorsque lU. de Polignac arriva aParis
subitement le 27 juillet. Le prérexte de ce second voyage (cal'
iI y eut encore des prétextes) fut la santé du prince ; ses méde-
cins lui avaient conseillé d'nllor rcspirer Cair natal, conseil
d'une naiveté étonuaute , lorsqu'ou vit quelques jours aprés l'élé-




f.HAPITnE XXIV. 183
ration du princc de Polignac aux aífaires , tache laborieuse qui
était autre chose qu'un reposo lU. Portalis apprit d'une maniere
indirecte que lU. de Polignac était arrivé aParis; le prince ne
lui fit aueune visite, quoique 1\1. Portalis tint le ministere des
allaires étrangt"res. Le ministre s'en plaignit au Roi, qui invita
lH. de Poliguac a laisser au moins une earte aux alfaires étran-
glTes : la carie fut laissée, maiseneore une faute impardonnable
([e;\1. Portalis fut de ne pas instruirc le Conseil de l'arrivée de
]\1. de Polignac, lU. de Belleymc en donna la nouvclle dans un
diner qui cut licu ü la préfccture de police , il révéla quelque
chose de l' intrigue qui se trarnait contre le Cabinet : les minis-
tres trouvercnt encore plus qu'extraordinaire que lU. Portalis
ne les eüt pasprévenus, I ..a vérité était que 1\1. de Polignacétait
arrivé aParis sur une invitation personnelledu Rol. 1\1. Portalis
n'avait plus serví d'intermédiaire, Charles X avait écrit direc-
tement : c'était tout une intrigue en dehors de son ministere•
.Je dois dire que la ferme résolution prise par le Roi d'appeler
M. de Polignac anx aflaircs n'avaitjarnais ehangé; la nécessitéde
former un nouveau Cabinet lui était plus que jamais démontrée,
Tout avait (~té fait dans ecuo pensée ; Charles X s'y était fortifié
par tont ce qu'il avait vu el écouté, ~1. Ilavez , qui avait long-
temps présidé la Chambrc des Députés , et alors plein de dépit
contre le ministerc Martignaequi nc l'avait pas élevé ala prési-
dence, avait déclaré au Iloi que la majorité appartiendrait a un
ministére de toutes les uuauces royalistes, Des statistiques
avaient été íaites pour corrohorer eette confianee; d'ailleurs
lU. Iloyer-Collard , avce ses mots senteutieux et vagues, n'avait-
il pas déclaré que, quel que fút le ministére , et de quelque
coulcur qu' OH le Iormát , il ne pouvait compter sur une majo-
rité constanre ? Je crois qu'avec ces grandes définitions, ces
mystéricuses exprcssions de uccessiui, impossibilué, M. Royer-
Collard fut tonjours HU tres-mauvais conseiller. Les souvenirs
du Conseil-d'État sont encoré tout vivants; ils témoignent que
i\l. Royer-Collard a toujours été un cmpéchement atoute déli-
bération sérieuse et positive, On s'est étrangement trompé 101'8-




1.84 HISTOIRE DE f,A RESTAURATJO~.
qu'on a dit el écrit qne Charles X avait formé le ministere de
1\1. de Polignac dans une pensée ele coup (l'État. Je puis affirmcr
et soutenir que ce malheureux Prince, esprit court et trompé,
s'était persuadé qu'un ministére dans le sens un centre droit et
de la droite, aurait la majoritó dans la Chambrc, et qu'il serait
assez fort pour arréter les conccssious, Ce fut HI sa pensée pri-
mitive , pensée mal éclairée surtout , mais en résurné constim-
tionnelle. l\I. de Polignac et ses amis en étaicnt eux-mémes con-
vaincus, et le personnel de I'administration que I'on préparait
faisait bien voir qu'on croyait a une majorité.


Pendant ce temps le ministere lUarti'gnac continuait sa fragile
existence; il était évident qu'apres la sessiou il dcvait chercher
un appui et une force dans un remaniement qui l'aurait jeté a
droite ou agauche; il devait s'adjoindre ou 11 la cotcrie dl'
lU. Sébastiani ou acelle des Royalistcs de l' cxtrémité. Eh bien!
le ministere comme tous les pouvoirs se fit illusion; il croyait,
paree qu'il avait fait un retour de príncipes el de volonté vers
la droite , que celle-ci lui rendrait sa conflance. J..e charme
était que les ministres s'imaginaicnt avoir la pensée du lloi , en
erre l'expression , lU. de )lartignac surtout se disait pnissant sur
l'esprit de Charles X; M. Hyde de Neuville se croyait plus forl
que jamais , el l'annoncait aqui voulait l'cntcudre. On dcvait
sacrifier aux répugnances du Roi 1\1. de Vatimcsnil et tu. de
Saint-Cricq sur qui se portait particulieremcut l'irritation df'
Charles X , et appcler quelques secours de la droitc. Cependant,
avec un peu de connaissance de leur position el de ce qui se
faisait autour d'eux, ils auraient dü comprendre que l'arrivée
de l\l. de Polignac était le signal de leur ruine. le prince était
bien a la campagne , mais tout se faisait au Cháteau pour lui ; 011
signait le rapprochement du partí la Bourdounaye , du centre,
des Víllelistes et de quelques unités du centre gauche; on Iaisait
un ministere, Tandis que ces négociations s'achevaient au Chá-
teau , le Cabinet Martignac ne pouvait porvenir jusqu'au Iloi ;
toutes les mesures proposées étaient suspendues: CharlesX ne
parlait plus d'affaires ~\ ses ministres, 1\1. de Caux proposait un




CHAPITRE XXIV. 1.85
travaíl pour la réforme de la gardc royale, on le mettait de coté.
Les Conseils meme étaient insignifiants. lU. de l\1artignae avait
trop d'esprit pour ne pas comprendre enfin eette position; il en
parla altI. Portslis , et voici ce qu 'ils coucertérent. Le Roi aveit
annoncé ases ministres l'intentíon OÚ il était de faire un voyage
en Normandie : le termo íixé approehait.~e pouvait-on pas
sonder Charles X sur ses intentions, et s'il refusait d'y aller,
n'était-ce pas une déclaration formelle qu'il avait quelque des-
sein secret? Ensuite on avait renvoyé apres la session le rema-
niement des sous-préfectures, Si le Roi s'y refusait encore,
u'était-ce pas un nouvel índice qu'il retirait toute eonfianceases
ministres? ]U. de !\lartignae fit ce douhle essai, et le Roi répondit
séchement qu'il avait ehangé d'intention snr son voyage en Nor-
maudie ; « quant au travail sur les sous-préfectures, le moment
paraissait mal ehoisi; on verrait plus tardo » Ces deux réponses
éclairerent 1\1. de !\lartignac sur sa position; il les communiqua ~l
1\1. Portalis.En méme temps quelques avis de la poliee du Chá-
teau annoncaient qn'un nouveau ministere se préparait, Le
fi aoút , M. Portalis était ~l sa campagne a Passy, lorsque les
ordres du Iloi l'appclerent a Saint-Cloud. Charles X lui déclara
qu'il avait formé un nouveau Cahinct ct qu'il eüt ~l prévenir le
Conseil de sa résolution, Les paroles de Charles X furent gra-
rieuses , mais fermes. JI répéta plusieurs fois a !\l. Portalis que
le ministere dont il faisait partie n'avait pu faire le bien ,- qu'on
l'avait engagédans des concessions immenses, sans satisfaire les
partís. Quand 1\1. Portalis lui réclama sa promesse de la premiere
présidence, le Roi lui dit avec assez de dureté , « que cette place
de grande magistraturc était assez importante pour qu'elle ne
rlút pas étre donnée sans l'assentiment du nouveau Conseil; que
d'aillcurs iI n'avait pas Né assez content de lui pou!' le récom-
lwnscr si hautemont. n Il faIlut négocier, supplier pour obtenir
l'exócution de la prorucsse rovalo. M. Portalis revenait de Saint-
Cloud , lorsquc ~1. Iloy s'y rcndait par ordre de Charles X.
Admis inunédiatcment dans son cabinet , le Roi lui annonca la
dissolutiou du ministere , ct l'intention oü il était de le conservar




186 HISTOIRE DE LA RESTAURATfON•
. au département des finances. « l\lais votrelUajesté ne garde aupres
d'elle ni M. Portalis, ni l\l. de ñlartignac?» - « Non, mon cher,
répondit Charles X: mon ministere est fait, La Bourdonnaye
prend l'intérieur. » .1\1. Roydémontra au Prince les tristes con-
séquences de la combinaison qu'on préparait, l'impossibilité pour
elle d'avoir une majorité dans la Chambre. Le Roi lni répondit :
« 1\1on parti est arrété , vous vous trompez, vous voyez mal la
chose. » l\I. Roy ayant persisté dans son refus , CharlesX ajouta :
« Je comprends vos raisons , vous croyez ne pouvoir rester avcc
moi; j'ai toujours été content de vosservices, el c'est avec regret
que je m'en sépare '. » Le Conseil se réunit dans la journée, et
1\1. Portalis annonca a ses collégues que le Roí avait formé un
nouveau ministere, 11 y eut bien des désappointements, et cette
nouvelle fut comme un coup de íoudrc pourúl. Hyde de Neu-
ville, qui ne voulut point y ajouter foi. Quand les ministres se
rendirent au Chátean pour remettre leurs portefeuilles, il Yeut
une scéne plus ou moins convenable : le Roi traita fort mal M. de
Vatimesnil; il jeta quelques paroles dures 11 M. Feutricr ; il
fut tres-peu bienveiJIant méme pour 1\1. de l\lartignac : on voyait
au fond un indicible plaisir de se séparer d'hommes qui n'avaient
pas sa confiance. Pendant ce temps, M. de Polignac chcrchait
a compléter le Conseil dans lequel on l'avait admis; cal' je ne
cesseraide le répéter, le ministere du 8 aoút n'était pas tout son
ouvrage. 1\1. Roy ayant refusé le portefeuille des finances , lU. de
Polignac s'adressa a1\1. de Chahrol , qui était alorsasamaison de
campagne d'Auteuil. Le 6 aoüt au soir, 1\1. de Chabrol entendit
annoncer chez lui , de la part du Roi, le prince de Polignac; il le
connaiss.ait a peine. Le prince lui declara qu'il venait lui offrir
le portefeuille des financcs dans le nouveau ministcre que le Roi
préparait, Apres un premier refus , lU. de Chabrol ayant dú s'in-
former de quels personnages se composait le ministerc, ajouta :
«Avez-vousconservé 1\1. de Martignac? »-«( te Boj ne l'a pasjugé


I Le lendernnin il fit appelcr 1\1. noy pour Jni annonccr qu'ü l'avait
créé cordon-bleu , on lui fit la promessc du litre de duc,




CHAPlTRE XX1Y. 1.87
néccssairc. ))-« Eh bien, dit M. de Chabrol , si M. de Martignac
demcurait a la Chine, il faudrait équiper une flotte tout exprés
pour aller le cherchcr. » Quand le personnel de la nouvelje ad-
ministration fut exposé ~l lU. de Chabrol , il répondit : <1 l\lais je
ne vois la aucun orateur, si ce n' est M. de Courvoisier ; je n'im-
proviso pas; vous n'avez donné aucune preuve que vous possédez
la tribune , et comment voulez-vous , sans orateur, vous pré-
senter devant une Chamhre qui en posséde tant? )1 M. de Poli-
gnac declara que le ministere n'était pas son ouvrage, et qu'il
avait été fait sans lui ; alors M. de Chabrol I'interrompit: « Mais
comment, prince , mus qui étiez appelé aformer un ministére ,
et qui pouviez justement prétendre a en composer un, avez-
vous consenti a subir des choix que vous n'aviez pas faits? »
M. de Polignac se retrancha dans la volonté du Roi; il raconta
plusieurs particularités sur la composition du ministére. Trois
candidata avaient été préscntés a M. le Danphin pour le minis-
tere de la guerre : l\'UI. d' Ambrugeac , Dode de La Brunerie el
(j(. Bourmont, On écarta M. d'Ambrugeac, paree qu'il s'était
trop compromis dans les mesures Iibérales de lU. de Caux;
)1. Dode de La Bruucrie , paree qu'il appartenait a une arme
spériale : pitoyahle motif en présence de la vive impopularité
qui accablait M. de Bourmont ! A I'oecasion de M. de Bour-
mont , dois-jc rappelcr un mot qui peint tout entier Charles X.
Qnand la presse s'attaqua si éncrgiquement a la défection de
Waterloo, le Iloi dit ~l un de ses ministres: « Il faut queje pré-
serve un peu Bourmont de cet oragc; faites rédiger un article
dans les Ieuilles du ministere pour dire que Bourmonl n'a passé
rlc l'autre cotéa'Vaterloo que sur mon ordre. » - « Gardez-vous
bien d'une telle démarche , répondit le ministre; Votre ~Iajesté
vcut-rlk- assnmer sur elle toute l'impopularité de 1\1. de Bour-
mont ? ) J(' rapporte ce fait pour indiquer la portee politique de
Charles \.! Ji. de Chabrol n'acccpta pas d'abord la proposition
di) :U. de Polignac ; il fllt maIHI{' le soir an Chatean de la part du
Iloi. Ouand Charles \. le lit cntrrr dans son cabinot , il vint a
lui avcc un accent de colore affcctueusc : « Comment! c'est




188 HISTOlRE DE LA RESTAURATION. '
VOUS, Chabrol, qui refusez un ministere , el qui ne voulez pas
me servir? Quand on m'a dit cela, je n'ai pas VQuIu le croiro ,
et je ne le crois pas encore : vous, m'abandonner ainsi l le viens
de donner congé au ministere l\lartignac, il faut que j'annonce
ce soir le nouveau Cabinet; je compre sur vous»; et l\l. de
Chabrol n'eut pas le courage de refuser. te soir, le miuistere
Polignac fut annoncé a l'ordre , et 1\1. Roy ne vit plus Charles X
que pour faire régler les pensions et les recompenses des minis-
tres remplacés,


Ainsisortait des affaires politiques le ministere de 1\1. de Marti-
gnac. La justice, la justice éclatante commence pour lui; il
était arrivé a une époque difficile; tous les ressorts du Gom-er-
nement avaient été déplorablement usés; JI cut mission de relever
la dignité du pouvoir : POUl' cela il devait d'abord constater sa
franchise et sa sincérité; la fut son travail , son ceuvre laborieuse.
11 était en présence d'un partí exigeant , impérieux paree qu'il
avait été longtemps opprimé, et en face d'une Cour méfiantc a
qui I'on faisait croire que ehaque pas en avant conduisaít ala
Révolution. Il fut entouré d'intrigues et en présenc« d'une ma-
jorité eonduite elle-méme par l'esprit de coteric : luí, au milieu
de tous ces embarras, de ces tiraillemcnrs, n'apportait quc sa
faihlesse et sa loyauté, Je ne crois pas qu'on puisse rcfuser de
rendre cette justice au ministére i\Iarlignac, qu'il fut plein
d'honneur; son tempérament n'était pas la force, el ce qui le
perdit ce fut el'en avoir quelquos velléités. Tout le 1nonde cut
des reproches a se faire ; tous les partis couunireut des injustices
ason égard; il ne répondit que par un invariable systerne de
réparation et de concorde. Tous ses choix Inrcnt convenahles ;
ses lois, nettement rédigées et libéralemcnt concues, scrvent
encere de bases anotre législation. De notables prineiprs furcnt
posés, la royauté devint populaire. te ministere avait coucu le
granel projet de renoucr ;1 toute éternité le príncipe de la légiti-
mité et de la Charte , il en avait Ioyalement cimenté la pensée :
la royauté et les partis le méconnurcnt. I ..a posiérité a pourtant
commencé pour ce svsteme ; je ne sache pas d'époques plus




CIIAPlTRE XXIV. 189
populail'es que celle du ministcre lUartignac : des améliorations
furent partout aceomplies; au ministérc des affaires étrangeres
tout fut conduit avec honneur et habilcté ; la Grece trouva une
existcnce et des Iroutieres agrandies; l'Espagnc s'engagea par
un pacte régulier a paver ses dettes , jusqu'alors vainement ré-
clamées: on se présenta comme médiatcur dans l'affairc d'Orient;
uno grande penséc or.cupait la diplomatic : on pouvait entrevoir
les Irontiercs du Rhin ; un remaniement de l'Europe eüt alors
été possihle par les nouveaux tcrrítoires que la Ilussie pouvait
acquérir aux dépens de la Porte. J..a marine avait grandi sous la
main active de lU. Ilvde de Xe,uvilIe qui avait continué les amé-
liorations de lU. de Chabrol, Le systemc réparateur de M. de
C,iUX Iaisait ccsser les gricls de l'armée : on s'occupait du sort
des oíficiers. Le conseil supéricur de la guerre était une helle
conception ; ~I. de Caux s'était tracé un plan dont ilne dévia ja-
mais: exécuter avec fidélité la loi de 1818 sur l'avancement,
diminucr les dépenses , créer un cadre de réserve , concerter un
codo pénal militaire , favoriser les officiers en demí-solde pour les
fairc rcntrcr daos les cadres , et assurer a ceux qui n'y pouvaient
rentrcr des iuoycns d'cxistcncc. Les cadrcs des officiers-généraux
Iurent considérableiucnt amoindris , ainsi que les états-majors
de place, l'intcudanco mili tairc , et les caeh-es de la maison du
Iloi ; onfiu , quelques jours avant le 8 aoút , le miuistcre Iaisait
signer cette grande ordonnance sur l'artillerie , qui , en produi-
sant une écouomie de 1 800 000 franes, faisait jouir corte arme
de tous les perfectionncments qu' elle avait éprouvés en Europe.
Les opinions u'étaient plus un motif el'exclusion militaire , et le
coloncl "Iarhot lui-meme , qui avait tant de reproches a se faire
pcndant les Ceut-Jours contre les Bourbons , fut mis a la tete
d'un régimcnt. Les choix de M. Portalis ala justice étaient dictés
par la plus haute conscience du magistrat , toutes les fois que
l'esprit de Iamille ne venait pas s'v melero L'ordre et la plus
stricte sévérité avaieut été apportés dans les finances par 1\1. Roy.
lU. de Yatimesnil avait protégé tous les cnseignements, et ses
ordonuancos avaient complétement séparé l'ordre religieux d~




190 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
l'ordre civil. 1\1. Feutrier surveillait la diffieile exécution des
ordonnanees eontre les jésuites. Enfin quelle plus habile spécia-
lité que eelle de lH. de Saint-Cricq ? l~t pourtant ce ministere
qui , pris individuellement, préseutait 1111e certaine somme de
forces politiques et de talents incontestahles , était sans cohé-
sion, sans unité : HIle rcprésentait ni la couñanr« du Iloi , ni la
confianee des Chambres ; il n'avait aucun appui ;1 la Cour, au-
cune puissanee de majorité que celle qu'il ohtcnait par des con-
cessions et de bonnes lois; 01', en politique , les affaires se fon I
plus par les hommcs que par les choscs , et c'est ce dont on ne
veut pas assez se persuader. Le ministerc ñlartignac tomba ,
paree qu'il ne comprit pas assez les intrigues de rour, et qu'il
n'adopta pas avec assez de fcrmeté le principe iuronrestablo <1('
la majorité parlementairc.




CHAPITRE xxv.


m:"HSTimE DE M. DE I'OUG:SAC.


Compositiou un Cabinet. --. M. de la Ilourdouuaye . --. De Bourmont. _
Agitatioll du pa'ys.-~)ppositioll. -I'reparatifs de la sessiou , --'Ouvertllre
<les Chamhres. - AcIrcsse. - Discussiou. - Prorogntion. _ Mémoire du
Cahiuet. - Affaire diplomatique. - Qucst iou d'AIger. - Électiolls de
1830 - La Royanté acculée, - Avis divcrs, - Préparatifs des ordou-
nances. --. Couseil des ministres. - Ordouuauces de juillet,


&out 18~9 - JuiUet 1830.


J'Ar a raconter le dernier ministere de la monarchie des
Bourbons, Plus la catastrophe a été prompte , sinistre, plus iI
faut étre grave, réfléchi , sur les causes qui I'ont produite; j'ai
adire les fautes d'hommes politiques malheureux et proscrits !
Je n'aggraverai point leur position par de douloureux reproches:
Dieu n'a pas donné a tous ces hautes vues d'avenir qui sauvent
les Empires; il nous a faits chacun avec nos défauts, nos peti-
tesses et nos imprudences, En tout ceci iI y a fatalité et Iecon !
L'antique monarchie des Bourbons a péri dans les mains de
M. de Polignac , pour démontrcr que ce n'était point une contre-
révolution qu 'on avait faite en 1814, mais une restauration;
c'est-a-dire , le triomphe complet d'un systeme d'oubli , la fu-
sion des intéréts auciens ct nouveaux clans une commune des-
tinée! Il Yavait dcux cótés dans cctte conception du 8 aoüt : la
pensée politique et le pcrsonncl du miuistere, lU. de La Bour-
donnavc avaut exposé combien la qucstion religieuse avait com-
promis I'administratiou politiquc , on supprima le ministere des




'192 IUSTOIRE DE LA nESTAUllATlO~.
aífaires ecclésiastiques; l\l. Frayssinous n'eut que la uominatiou
aux emploisvaeants, une especede feuille des bénéfices, On avait
également reconnu, dans la discussion du budget , l'inutilité
d'un miuistere spécia] pour le commerce. Un miuisterc pour
deux ou trois dlvisions sans travail ! On dut le remplacer par un
simple bureau avec un président. Quant au personncl , il susci-
tait une profonde opposition. J'ai déja plusieurs fois parlé de
lU. de Polignac ; il Y a peu a dire pour achever ce portrait,
Caractere poli, inoífensif, avec une singuliere préoccupation de
lui-mérue, et au fond de eette tete politique de M. de Polignac
il n'y avait rien; du liant dans les manieres, aucun dans les
principes ; peu de counaissancc des honnncs , et des combiuai-
sons parlementaires moins encore ; il s'était un peu frotté en
Angleterre avec quelques capacités de cabinet , sa correspon-
dance était bonne, ses dépéches parfaites ; il avait pris ~l Londres
un certain enthousiasme pour le systeme aristocraüquc qu'il
croyait étre appelé a rétablir en Franco. Mal cntouré , mal con-
seillé , il se laissait aller a la flatteric de courtisans, ade folles
idées qui arrivaient sous le prestige des titres d'altessc et de
prince ; une ahsolueconfianee en ses conceptions monarchiques,
paree qu'il avait foi en lui , et plus a la royauté qu'en Iui-mém« ~
pénétré des vues de bien public , des intérérs du commerce, de
l'industrie et de grandes entreprises , et avec ces idées de pro-
gres, mélant de mesquincs conceptions; voulant le bien el la
grandeur du pays, mais le preuant ~l rebours; se eroyant appelé
a lui donner de nouvelles destinées I pieux j usqu'a l' exaltatiou ,
et faisant de tous les événements des décrets de la Providence ,
et de sa conduite politique une mission. Triste préoccupatiou
du ceeur humain quijustífie toutes les fautes et prepare toutcs les
catastrophes! Avec 1\1. de Polignac cntrait au Conseil M. de La
Bourdonnaye; iIs n'avaicnt 1'1I11 pour l'autre aucun penchant ;
iI existait méme des j ncompatíbilités. Je ue sache rien, et je
parle en politique , d'aussi insociable que le caractere de M. de
La Bourdonnaye ; il n'cst pas d'hounue de cabinet auquel il pul
étre supportable , daus une position surtout de rivalité ; et ici,




CJlAPlTUE xx v, 19;)
011 11e jJOUlalt se le dissimuler, JI. de Poliguac et M. de La
Bourdonnaye étaient en présence dans une route communc
d'arenir et de pouvoir. Jamais amoul'-proprc plus irritable que
celui de )1. de La Bourdonnayc ; avec une grande présomptiou
de ses Iorces , aucune résolution puissante ~ de la mauvaisc
humeur, iuais poiut de voionté ; un granel talent d'attaque a la
tríbune , niais <IllLipathique a tout ce qu 'OIl appelle capacité mi-
nistérielle ; ne sachaut rien prévoir , ríen arréter ; tete politique
a grands mots, avortant la force, nuIlité de conseil et de cabi-
net. C'était un de ces caracteres sur lcsquels Charles X s'était
le plus étraugcment trompé. Il avait une haute idée des concep-
tions monarchiqucs , et de la fermeté surtout de M. de La Bour-
donnave , cette rude parole , qu'il avait fait entendre pendant
six ans du ministere Yillele , lui avait créé une immense réputa-
tion; OIl le disait un hras de fer qu'on opposait a la révolution;
puis on le vit a l'reuvrc , indécis , sans résolution, n'ayant ni
plan ni projet, laissant aller son ministere a tous les vents,
lU. de Bourmont avait ~I lui seul plus de supériorité que ses
collégues, Il avait de l'esprit el un dévoucment profond a la
dynastic : il connaissait son temps , ses idées et ses besoins; il
Ymélait le scntiment vívcment éprouvé d'cffacer dans les gloircs
et dans l'honucur de la monarchie un triste souvenir qui pesait
autant sur son cc-ur que dans l'histoire. M. de Bourmont était un
esprit a résolution forte; un appui courageux et habile pour
toutes les criscs miuistériellcs ; excellent militaire a vues élevées ,
mais n'ayant aucunc condition de trihune et de parlement, a ce
point que 1'1. de Bourmont ne pouvait pas méme parler dans le
Conseil ; la parole ne venait point a sa pensée. l\l. de Monthel ,
mairc de Toulousc , ne s'était fait jusque-la rcmarquer que par
une probité scrupuleuse , des liaisons fort agréahles et fort
douces. Il était la véritable expressiou du centre droit royaliste :
on faisait la maladrcsse de le porter a l'instruction publique.
lU. de l\Iolltbel avait défendu les jésuites et vivement attaqué les
ordonnanccs du mois de juin : c'était une doublure de 1'1. de
VilleIe; on l'avait pris connnc son unagc , paree qu'on s'était


IV. 17




1% IlISTOlRE DE LA RESTAUHATlON.
imagme que 1\1. de Yillele serait un dissolvant pour les forces
unies du parti royaliste. Au reste, lU. de lUontbel était tout neuf
dans les affaires, et ce n'est pas avec des hommes neufs qu'on
joue les grands coups de fortune des États, ~I: de. Courvoisier
était mis la comme expression du centre gaucho. Les esprits
bornés s'imaginent qu'il suffit de prendre un homme et de l'ar-
racher a son parti pour entrainer avec soi tout ce partí. Iln'en
est rien : quand un nom se sépare des opinions qui l'on fait, il
ne se donne que lui; d'ailleurs , le bruit public était que 1\1. de
Courvoisier s'était modifié au moins en ce qui touche la religion;
on disait ses affiliations avec les jésuites , ses repentirs de son
ancien libéralisme : sans doute cela était exagéré , mais cela
passait pour constant, et e' est tout comme la vérité. M. de
Courvoisier s'en apercut bien quand il voulut s'adresser a ses
anciens amis politiques pour demander appui. Au reste, c'était
un talent de tribune, non pas saillant et supérieur, mais abon-
dant; jamais facilité semblable a ceIle de 1\1. de Courvoisier.
Un homme d'esprit la comparait aun robinet d'cau tiede qui
coule moIlement et constamment : par cela méme M. de Cour-
voisier était incapable de toute résolution violente et de se Iier
~l un systeme en dchors de la constitution '. Je ne parlerai point
de 1\1. de Rigny; il n'accepta pas le portefeuille qU'OIl lui con-
Iiait ; il avait pourtant donné sa parole a lU. de Polignac, maís
alors il devait entrer avec une autre comhinaison. Cc refus fit
un tort infini dans l'esprit du Roi a M. de Rigny. Le Dauphin ,
caractére faible qui aurait dú conserver son role admirable d'op-
position, s'était alors jeté tete perdue dans le nouveau ministere ;
il adressa des mots trés-durs a M. de Rigny : « Vous pouvez,
lui dit-il, renoncer a tout avancement pour deux regnes.: On
appela, pour le remplacer au ministére de la marine, lU. d'Haus-


I Les sccaux avaient été destinés dan s l'orlginc a 1\1. Bavez.
1\1. Ravez rcfusa , l'ancien président de la Charnbre , qui avait été
l'agent principal de la comLinaison du minlstére du 8 aoút, s'abstint
d'en faire partie pour ne pns en subir la responsabillté. 11 fut créé Pair
de Franco.




CHAPITRE xxv. 195
sez , préfet de la Ciroudc , appartenant aux centres par ses
opinions; esprit de peu de valeur, sans couleur prononcée, et
visant al'activité d'aflaires. 011 placaít ~l. deChabrol aux finances.
Administrateur remarquable , on le mettair au Trésor pour
inspirer la confiance; arce le mouvement ministériel , iI pouvait
y avoir crise , et I'on était aise d'avoir la une capacité en dehors
des partís. C'était chose curicuse que ce ministére , composé
dans une vue d'unité et de force, destiné surtout a la triste pos-
sibilité des coups d'État, et qui présentait des son origine des
íerments de discordes, des caracteres de faiblesso et d'incapacité.
Je concois une pensée d'unité confiéc ~l des hommes d'unité ,
une forte résolution mise daus des tetes de fer; mais jeter une
contrc-révolution dans les mains de grands enfants, eonfier les
folies a la Iaiblesse , c'est ce que l'histoire n'avait point eneore
vu. Au reste, la pensée du 8 aoüt fut celle-ci : le Roi dit :
(( J'ai essayé des concessions , elles n'ont point satisfait , je ne
veux plus en faire. Je prends des hommes de mon choix, les
Chambres leur doivcnt confiancc s ; pensée malheureusement
exagérée sur le droit de la prérogative royalc ! comme si le gou-
vcrncment représentatif n'était pas un grand systéme de conces-
sious et de majorité !


]\J. de La Bourdonnaye ne tarda pas apublier le plus insigni-
fiant manifesté adressé a tous les préfets: « Placés entre les
libertés publiques et les écarts de la licence, le devoir des pré-
íets était de faire exécutcr les lois sans acception d'opinions et
de personnes; ils devaient réprimer en administrateurs éclairés,
juges et appréciateurs des circonstances , mais toujours dirigés
par l'intérét public et un courageux dévouement. L'intention du
Gouverncmcnt n'était point de troubler les situations étahliesni
de faire une réaction. La confiance de i'administratiou ne pou-
vait étre accordée qu 'ü ceux qui sauraient la mériter, Ce serait
done avec une véritable peine, ajoutait le ministre, que je
verrais lU~I. les préfets placer, ou offrir au choix du Roi, les
sujets qui ne réuniraient pas a l'aptitude nécessaire pour bien
remplir leurs emplois un attachement vrai a notre auguste dy-




196 HISTüIRE DE LA RESTAUHATf01\'.
nastie et aux institutions qu'elle 1l0US a données.» C'était un
Iangage bien pIat pour un ministre de force! On s'attendait a
des coups de tonnerre , et l'on avait des phrascs de bureaux.
Cornrne corollaíre a ce langage, et pou1' le pcrsonnifier en quel-
que sorte , M. de La Bourdonnave , apres avoir fait quelqucs
tentatives auprés de M. de Bclleyme , designa pour le poste im-
portant le préfet de police, M. Mangin , célNm~ par ses discours
sur les complots et les machinations de la gauchc , sorte de sur-
veillaut qu'on placait la pour surprendre les conspirations. la
direction intime des affaircs de l'intérieur fut également confiée
~l M. Trouvé , anclen préfet , ardeutc expression des passions
politiques a toutes les époqnes. Aucuue destitution significative
ne ma1'qua l'arrivée du ministere , on voyait des noms clfrayants ,
et puis ces ministres se croisaient les hras , rroyant qn 'il ne
s'agissait que d'une simple difficulté parlementaire, Bicntót
l'éloignement de tous vint signaler l'isolement dans lequel on
aIlaitabandonner le pouvoir, Plusieurs conseillers d'État donne-
rent leur démission , parrni lesquels MM. Bertin de Veaux ,
villemaín , Alex. de Laborde , Ilély-d'Oisscl , Agier, de Sal-
vandy. M. de Cháteaubriaud , qu'on avait esp('ré retcnir ;\ son
ambassade de Rome , envoya également sa dérnission , regrettant
de ne la pouvoir déposer aux pieds de S. IU. Ainsi , tous les
choix politiques qu'avait faits le ministere Martignac s'éloignaient
du mouvement des alfaires. Vainement M. de Courvoisier cher-
chait-il a renouer ses víeilles Iiaísons du centre ganehc; il avait
éprouvé partout des refus eomplets, absolus. Tout paraissait im-
possible avee un tel ministere ; on ne pouvait eonquérir une
seule unité. Pour comble de douleur, le ministerc s'était em-
paré de la rédactíon d'un journal obscur, fait S01/S le patronage
de deux membres de l'Académic des Inscriptions , MM. l\bcl de
Hérnusat et Saint-ñlartin : et ce journal counncnca une polérni-
qne sans habileté , développant les projcts 1('5 plus insensés sur
la prérogative royale , sur le ]1011voi)' eon~titllant. Ainsi le
ministcre n'agissait pas , et son mauvais vouloir semblait se
montrer ;¡ chaqué ligne. On fni croyait de snusrres d(ISSeÚls SílIlS




CHAPITRE xxv. 197
la force de les exécuter, ce qui est la plus déplorable position
dans la vie politique des l~tats.


en concert de réprobation publique accueillit le ministére La
Bourdonnaye et Polignac? La presse s'cmpara de toutes les cir-
constances de la vie et des antécédcnts des ministres; elle fit
entendre ses menaccs , sesfureurs , mélées aux accents solennels
de sa plainte; el cornme si elle s'était sentic bien forte , elle parla
cette parole de mépris qui provoque les folies, sur qu'est déja
un partí de triornpher. « Coblentz, "'aterloo, 1815, disait le
Journal des Dcliats , voila les trois príncipes, voila les trois per-
sonnages du ministerc ! prcssez-lc , tordez-lc , il ne dégoutte
qu'humiliations , malhcurs ct dangers, » Puis, dans un autre arti-
ele, iI laissait entrevoir la possibilité du refus de l'impót = « Le
peuple , disait-il , paie un milliard a la loi, il ne paierait pas
deux millions aux ordonnances d'un ministre. Ainsi les voila
encore brisés ces liens d'amour et de confiancequi unissaient le
prince a son peuple! ... Malheureuse France , malheureux roi !»
Et le Constiuaionucl ajoutait = « Puisque nous étions destinés a
subir le ministcrc de l'extreme droite , il vaut mieux que ce soit
plus tOt que plus tard. ¡)-( Pcut-etre, disait le Courricr [ranrais,
a-t-on a se félícitcr de cettc résolutíon. Il était déplorable qu'un
pays comme la France fút sans cesse hallotté par des ministres
faibles , au gré des intrigues de cour. L'opinion publique et la
Charnbre élective elle-méme s'étaient amollies par ce régime
d'espérances et de ménagements méticuleux. Maintenant il s'agit
de foudroyer un ministére qui est un sujet d'alarme pour le pays. »
Et par une moquerie spirituellc , le Fiqoro nous reporta au vieux
régime; il nous peignit le tcmps des bastilles , des marquis, ot
iI s'écríait en íinissant : « en docteur oculiste a été appelé pour
opérer de la cataracte un célebre persounagc.» Les journaux ,
qui étaient prcsque délaissés sous 1\1. de lHartignac, reprirent
toute leur voguc populairc , 011 les Iisait avidement, paree qu'ils
s'associaicut ~l la peusée publique r. En cettc vive polémique , la


1 Alors eirculcrcnt les mols 1 les [ugemcnts qu'on allribuait á des




1.98 mSTüIRE DE LA RESTAURATTüN. '
presse avait spécialement atraqué MM. de J..a Rourdonnaye et
de Bourmont. 1\1. de Polignac ne vovait pas avec déplaisir eette
guerre eontre des collegues fort genants et qui n'étaient pas son
ouvrage. Si ces deux places devenaient vacantes, on pouvait
appeler des noms de majorité , plus forts de talents et d'impor-
tance; iI se fonnait déjil dans le Conseil un cóté ruodéré et tout
parlementaire , qui secoudait le prince de Polignac et voulait
éviter la crise. La pensée dominante était de se débarrasser


. d'abord de lU. de J..a Bonrdonnaye , qui génait tout arrangement
de majorité: on ne pouvait aller si vite ; fallait-il oublier que
1\1. de La Bourdonuaye avait été un des pivots de la combinaison
ministérielle? Cette époque vit paraitrc une nouveIle feuille des-
tinée ajouer un róle d'énergic; j'cntends parler du Nationol ,
sous la direction de 1\1. Thiers. On a fait une trop large part a
cette influence d'abord iuapercue, Il y cut des articles remar-
quables , mais avec des idées qni n'étaient ni neuves ni mieux
exprimées. Cet axiome , le Roi rcqnc et nc gOllveme pas-' dont
on a fait honneur a 1\1. Thiers, était partout, depuis la lJfinerve
jusqu'au Conseroatenr , mais acene époque agitée, tout ce qui
fortifiait l'opposition ótait saisi comme une arme puissante,
comme une nouveauté. Dans une couleur plus modérée, le Temps
parut également sous le patronage du centre gaucho de la Cham-
bre; iI était parfaitement dirigé , avcc une rédaction soignée, et
peut-étre un peu trop philosophíque , sous la plume de 1\1. Gui-
zot. Le Globe -' devenu politique depuis le ministere l\lartignac,
secondaitce mouvement d'idées et de progreso On vit une guerre
amort contre l'administration de tous les ministres. Ils ne pou-
vaient faire unacte, toncher a un Ionctionnaire , sans qu'aussitót
il ne se fit un soulevement immense d'opinion ; c'était de l'injus-
tice , sans doute , mais un pouvoir hahile doit savoir qu'il est
tel nom propre condamné a l'impuissance du hicn; et voila
pourquoi , sous un systcme de majoriré , la questiou des nomsest


personnages politlqucs. On préta aM. Boyer-Collard cclui-ci: C'est
un eff('t sans cause.




CHAPITRE xxv. 199
si importante. A l'encontre, le ministere avait pour lui , avec
plus ou moins de dévouement, 10. la Ouotidienne ~ expression
mitoyenne de la contre-opposition La Bourdonnaye et du minis-
tere Polignac, soutenant le cabinet de toutes ses forces ; 2°, la
Gazette de France , saluant d'abord le ministére comme une
grande dígue a la révolution: « plus de concessions, plus de
réactions! s'écriait-elle e ; mais suivant le mouvement de l'in-
trigue villeliste , elle opposait la capacité d'affaires qu'elle avait
toujours défendue, a· la mesquinerie royaliste de la conception
Polignac. A l'appui de cette force ministérielle venaient encore
les hrochures , et méme les mandements épiscopaux. lH. l'arche-
véque de Toulouse , ardent ministériel, s'écriait : « Ils sont véri-
tablementdignesde la confiance du monarque et des espérances
des chrétiens, ces ministres si bassement outragés par des hom-
mes qui ne veulent ni monarchie ni christianisme. Nous n'en
doutons point , ces nouveaux dépositaires du pouvoir auront la
gloire de replacer la patrie sur ses véritables bases; nous en pre-
nons a témoin les sinistres présages des esclaves de l'incrédulité,
qui déja s'annoncent comme ne pouvant supporter une patrie OU
le treme et l'autel se prétent un mutuel appui.» Indépendamment
de la presse Iibérale , et d'accord avec elle, marchait l'active
organisation électoralc, Dans le style des journaux mínistériels ,
on appelait cela le comité-directeur ; mais autre chose était le
comité-directeur conspirant par lessociétés secretes, et qui avait
disparu en 1821 , et un comité légal, public, avoué; la société
Aide-toi ~ le Ciel t' aidera. QuelIe niaiserie politique n'était-ce
pas de confondre avec une eonspiration le corps électoral et le
comité qui en était l'émanation, alors méme qu'il s'organisait en
parti ou en faction eommeen Angleterre ! La presse et les comités
élcctoraux furcnt d'accord sur le but commun, qui u'était pas,
pour tous , je le répcte , le renversement des Bourbons , mais le
triomphe des príncipes du centre gauche et de la gaucho, Ils se
maniíestérent hientót par un acto dont la portée était haute:
l'association pour le rcíus de I'impüt. le Journal du Conunercc
fut le premier qui publia un de ces actes; c'était la déclaration




200 HISTüIRE DE LA RESTAURATION.
des départements de la Bretagne. On y disait : " La résistance
par la force serait une affreuse calamité ; d'ailleurs , elle devien-
drait sans motifs lorsque les lois restent ouvertes a la résistance
légale. » Les membres de l'association s'engageaient asouscrire
individuellcment pour la sornme de 10 fr., et subsidiairement
pour le dixieme du montant des contrihutions qui leur étaicnt
attribuées par les listes électorales. Cette souscription Iormcrait
un fonds cornmun qui servirait aindemniser les souscripteurs de
frais qui pourraient rester ~I leur charge par suite de leur refus
d'acquitter les contributions publiques illógalcment imposées,
Tous les journaux répétcrent cct acte de résistance , et les asso-
ciations couvrirent la Frunce. Cclle de París s'organisa rapidc-
ment, ayant a sa tete les députés de la Seine ct les grands
propriétaires. C'était HI le moycn le plus simple d'cnlacer le
Gouvernement de teIle sorte que tout acto en dehors des lois
deviendrait impossihle. Le ministere en íut frappé , quoiqu'il
manifestát extérieurernent une grande confiance en lui-meme ,
et surtout du mépris pour toutes les résistances qui s'organisaient
autour de lui. Il fit dire que l'acte d'association était une inven-
tion faite a Paris, et qu'il n'existait en aucune maniere. Que
conclure de la? que l'eífct n'était pas produit ? Erreur bien
grande; l'association pour le refus de l'impót était la résistauce
la plus simple, la plus facilc , ccllc qui allaitle mieux aux masses,
qu'elles sentaient le plus intimement , ct l'on s'cn moquait! Ainsi
le pays était en mesure contre toutes les folies: il y avait des
hommes aux affaires qu'on supposait animes de mauvais desseins,
et 1'0n se tenait prét a toute circonstancc. Et cctte opinion si
préparée , si résignée ~I toutes les chauces , ne se montrait pas
toujours silencieuse : elle éclata enthousiaste lors du passage de
M. de La Fayette a Lyon. Tandis que Charles X contrcmandait
son voyage en Normandic dans la crainte d'un mauvais accueil;
tandis qu'un silence absolu , grave cnscigncment, accompagnait
ses proccssions solenncIles et ses promcnades de palais, 1\l. de
La Fayette traversait en triomphateur les départcmcnts de l' Isóre
el du Ilhóne, premiers théátres de la révolution ; en arrivant 1\




CHAPITRE XX:\'. 201
Grenoble, une cscortc de cavaliers , tous jeunes gens de la ville,
le recut aux portes, et le maire de Vizille, berceau du mouve-
ment de 1789, lui présenta , au nom de la cité, une couronne
de chéne en argent, produit d'une sonscription. A Lyon , la
réccption fut plus brillante encare: la population était aeeourue;
la jcune géuéraríon était pleine d'ardeur ; elle avait comme un
hesoin de saluer le chef de la vicille opposition lihérale et de la
république ; une enleche presqlle royale, attelée de quatre che-
vaux blancs , avait été préparée pour celui qui s'appelait le mo-
deste citoyen. Arrivó aux portes de la ville, :\1. de La Fayette fut
harangué au norn des habitants : « Aujourd'hui , répondait-íl
avec une gráce tont aristocratique , apres une longue diversión
ele hrillant despotismo et d'cspéranccs constitutíonnelles , je me
trouve au milieu de vous daus un moment que j'appellerais cri-
tique, si je n'avais reeonnu partout sur mon passage, si je ne
voyais dans cette puissantc cité eette fermeté calme et méme
dédaigneuse d'un granel peuple qui connait ses droits, sent sa
force et sera fidélc h ses devoirs; mais c'est surtout dans la cir-
constance actuclle qtW j'aime ~I vous cxprimer un dévouement
auquel votre appd Ile sera jamais fait en vain, » M. de La Fayette
voyaít ici I'avenir. On a souvent demandé si a cette époque il y
avait une conspirarion : on l'a cru : le pouvoir tomhé l'a fait
écrire : 1'onnc sait done pas qu'il ya des tcmps oú tout conspire,
mérne les pierres , et eette conspiration parle haut, ne se déguise
pas , cal' ce n'cst qu'une lassitude du pays lJe le répete , la eon-
spiration coupable, secrete, centre la dynastie, avait eesséd'exis-
ter. On admetiait les Bourhons comme un fait aecompli. Il
n'cxistait plus ni comité insurreetionnel, ni sociétés secretes; on
voulait la liberté , les résultats de la révolution , le triomphe
ahsolu du gouvernement constítutlonuel el des majorités. La
faute de Charles X fut de rendre incompatible son gouvernement
avcc ce hcsoin du pays. Et il ne faut pas croirc que cette multi-
tude saluait seulcmcnt 1\1. de I.Ja Fayettc , personnage vieilli et
usé ~ elle voyait en lui la révolution incarnée , a laquelle 011
l'avait habituée acroire depuis trente ans.




202 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
Dans eette situation diíficile , au milieu de ces symptómes


alarmants, il Y a quelque chose de bien curieux , c'est la béati-
tude ministérielle, cet esprit de tranquillité qui s'oceupait de
petits détails et des travaux de hurcaucratic. Quand des hommes
politiques révent des orages, ils doivent y absorber leur vie,
M. de Polignac nous fait racouter les amóliorations qu'il fit su-
bir au ministcre des aífaires étrangercs : le sol monarchique
tremblait, et le ministre des aflaires étrangercs se vantait d'avoir
supprimé la división de la chancellerie et créé deux grandes
directions politiqucs qui rcnfcrmaient chacune trois sous-direc-
tions; comme le travail de ces trois sous-dircctions passait sous
les yeux du directeur. il était facile de coordonncr leurs cor-
respondances et d'échapper aux erreurs qui avaient lieu aupa-
ravant, Puis, lH. de Polignac institua une écolo de diplomatie;
les jeunes gens qui se destinaient aux ambassades ne devaieut
étre admis a ce haut enseiguement qu'apres un examen préa-
lable. Deux cours furent établis : le premicr était consacré au
droit public et au droit fraurais dans ses rapports avec les lois
des pays étrangers; l'autre , sous le titre de cours d'instruction
diplomatique , cmbrassait l'histoire des divcrs traités. Chaqué
éleve devait suivre ces cours pendant drux années consécutives,
et a certaines époques , tous , d'apres les reglements , subissaient
un examen publico Alors ceux qui avaient íixé l'attention du
ministre prenaient le rang d'éleves diplomatiques; admis a tra-
vailler dans les bureaux du miuistere , ils aequéraient les con-
naissances nécessaircs pour erre nommés secrétaires surnurné-
raires; on les euvoyait ensuite ~l l' étrangcr pour y compléter
leur éducation. Le ministre des affairesétrangéres s'occupa aussi
de I'achévement du Codo consnlaire. En vérité , il s'agissait de
la monarchie, on cntrait dan s une Iutte terrible, ct l'on jouait
aux petites affaires , aux améliorations de hurcaux. La situa-
tion devenait de plus en plus grave, Iorsque des dissidences
sérieuses se manifesterent ¿\ l' occasion de la présidence du Con-
seiL J'ai dit dans l'origine que les deux caracteres et les positions
snrtout de l\l~I. de La Bourdonnaye et de Polignac étaient in-




CHAPITHE XX\.


compatibles; l'uu et l'autre visaient a la haute influence dans le
Cabinet. l\I. de La Bourdonnaye , homme de chambre, ayant les
habitudes de la tribune, au moins des discours écrits et des
combinaisons parlcmcntaires , peu porté pour les idées reli-
gieuses; 1\1. de Polignac, esprit de cour et d'églis«, ne compre-
nant pas qu'un autre que lui- méme püt prétendre adiriger le
Conseil. Au reste, les prétentions de l\I. de Polignac a la prési-
dence dataient de l'avénement du ministere, l\liU. de Courvoisier
et de Chabrol les Iavorisaicnt. paree que, bien aises de se dé-
harrasser de lU. de Lahourdonnaye , dont l'impopularité leur
pesait, ils savaicnt que le meilleur moycn d'arriver a une dé-
mission, c'était de porter a la présidence le prince de Polignac;
une place était ainsi Iaite , et l'on pouvait appeler une capacité
de quelque importance au ministere de l'intérieur ; on devait
faire de ce poste vacant un moyen d'alliance avec la Chamhre,
Depuis longtemps le Cabinet voyait se soulever bien des orages.
Les discussions s'agitaient avec aigreur ; on ne Iaisait rien, 011
ne déterlllinait ríen. Jamais couseils plus nuls, plus insignifiants
que ceux qui se tiurent pendaut les trois premiers mois du
ministerc Poliguac, Il y avait véritablc désir du bien, mais le
parti modéré attendait pour I'opérer la démission de lU. de La
Bourdonnaye, que devait amcner la dilliculté de la présidence,
Cette question fut portee au Conseil par 1\1. de Courvoisier , et
afflrmatívement résolue , quoique .M. de La Bourdonnaye cut
tout d'abord declaré que la présideucc , alors méme qu'elle se-
rait placée sur sa tete, eutraiucrait sa retraite, On a dit et répété
que M. de La Bourdonnaye s'était retiré paree qu'il voulait im-
médiatement frapper des coups d' Í~tat; ce que le Conseil n'avait
pas admis, Ccci cst une erreur de date : jusque-la il n'avait été
aucunement question de eoups d' État; la présidence , et par-
dessus tout la possibilité d'une modiflcation parlementaire ,
avaient déterminé le mouvemcnt qui renversa ñl. de La Bour-
d.\)\\\\o.~~. c.'ho.\t l~ trimn~h~ du -parti modéré. D'ailt~Ul'C¡;, \\l. de
La Rourdonnaye, qu'on avait pris commc un hommc de force et
de résolution , 5'était moutré si HuI dans le Conseil , que le Roi




204 IllSTOIRE DE LA RESTAUHATlON.
en avait été frappé; alors étaieut revenues dans son esprit toutes
les préveutions qu'avait autrefois suggérées M. de Villele centre
le chef de l'opposition de droite ~ il avait reconnu cctte impuis-
sanee d'action si bien constatée. 1\1. de la Bourdonnaye était
aise aussi de trouver un pretexte pour sortir d'une situation en
dehors de sa capacité: il saisit done la question de la présidence ,
difficulté d'amour-proprc qui cachait le triomphc récl des idées
modérécs dans le Conseil. I ..e Roí fit 1\1. de J...a Bourdonnavo
pair ; on voulait par la éviter de voir se reformer antour de son
ancien chef cette contre-opposiríon qui avait reuversé 1\1. de
Yillele. On l'annulait par la pairie , cal' ce que l'on désirait cm-
péchcr avant tout , c'était la división du partí royaliste, Le
ministére de l'intérieur étant ainsi vacant , quelqucs-uns des
membresdu Conseil voulaienty appeler un grand appui de tribuno
et de majorité ; on ne put s'entcndre : ils furcnt d'ailleurs re-
poussés dans toutes leurs propositions, La retraite de l\1. de La
Bourdonnaye n'amena d'autre rcmaniement qne la nomination
de M. de ñlontbcl au ministere de I'intérieur, choix insignifiant
pour répondre au centre droit ct au parti de". de ViJI¿Je. Ce
triomphe n'était pas assez complot puur le satisfaire ~ c'était son
chef et son anden patron qu'il appclait de toute sa puissance.
Le parti Yillele , que je nommerai la fraction habile des opinions
royalistes , considérait ce miuistere connne I'cxpressiou des in-
capacités; il ne voyait que ,1. de Villi"lc qni pút sauver la posi-
tion; M. de Montbel n'en était qu'uue faible doublurc. 1\1. de
Polignac avait renversé )1. de La Bourdonuayc , ct M. de Yillcle
visait a renverser :.\1. de Polignac, Ainsi le partí du 8 aoüt , im-
perceptible en présence des résisrances et des oppositions de
toute espcce , se morcelait lui-méme en millo Iractions diflé-
rentes, comme si ce n'eüt pas été asscz de sa Iaiblosse naturelle ~
et l'on révait des coups d']~[at! Pour les granrlos el forres choses ,
il faut une grande ct fortc uniré.


Il s'agissait de choisir un succcsseur ~l l\I. de Montbel au
ministere de l'instructiou publique. Ce qui préoccupait alors
beaucoup le ininistcre , c'était de trouver des sccours d'orateurs




ClIAPlTHE XXv. ~05
ct de trihuuc. Ou u'iguorait pas qu'il y aurait un rudo combat ¿\
soutenir dcvant lcs Cluuubrcs , et on voulait s'y préparer, Le Hui
fit dcmander au gurdo des secanx el ;\ JI. Rocher, secrétairc-
général de la Chancellerie, de luí présenter une liste de procu-
rcurs-généraux ayant montré quelques talents oratoires, Parmi
ces noms, lU. Jlochcr pIara ¡u. de Guernon-Ballvillc, lié avcc
J\I. de Courvoisier, et procureur-général ;\ Grenoblc. Le Iloi le
choisit directcmcnt ; le prince de Polignac n'eut aucune action
sur ce choix qui fut indiqué par Charles X Iui-rnémc. De quel
secours pouvait étro l\1. de Guernon-Ranville? c'était un esprit
moderé avcc quclquc facilité de paroles , empreint d'un certain
constitutionnalisme, avec de fausses idées sur l' étendue de la
prérogativc royalc, sur les droits lirnités des majorités parle-
mcntaires , et surtout un peu ébloui de sa position nouvelle et
iuattenduc. L'opinion royalistc avait Iait quelque bruit de son
éloqucnce; mais les réputations de parti vienncnt de ce qu'un
honunc a sen i les intércts de ce parti ; voila tout : 01', en rédui-
sant M. de Gucrnon-Ranvillc ;\ sa juste valeur, il n'avait que ce
talcnt de parquet, tristcment échoué ;\ la tribune , et d'ailleurs ,
;\ quelle nécessité de chambre pouvait-il répondre? On aurait
dit qu'en prcnant encere un ministre CH dehors de la majorité
parlcmentairc , le Cabiuct voulait constatcr qn' il pouvait se pas-
ser d'cllc el gonvcrner sans son appui. A cene époque pourtant,
le ministerc nc montrait aucune iutcntion de violencc ; les actos
des divers départcments sigualaicnt méme une tendance vers les
amélioratious ; une ordounancc vcnait d'étahlir un nouveau tarif,
dcpuis longtemps I'écl,arné, pour les pensions militaires de 1'aI'-
iuée de terreo Une autrc ordounancc , réunissant en un seul
conscil les dcux conseils généraux du commerce et des manu-
factures, donnait plus d'cxtension aux attributions de ce conseil,
et réglait en mémc remps le mode d'électiou de ses memhres.
A peine entré ason ministére , ]U. de Guernon-Ramille propa-
geait l'cnscigucmeut primairc dans toutes les comrnunes du
Boyaume , et cróait des rcssourccs pour activer la propagation
des méthodes : taudis que M. de Chahrol rédigcait ce grand


1". 1.8




206 IlISTüIHE DE LA RESTAUl~ATLO~.
rapport sur la situation financiere du B.oyaume, 011 toute l'his-
toire administrative de la Ilestauratíon était présentée avec une
si grande netteté '. Il n'y avait dans chacun de ces actes aucune
manifestation de mauvais desseins; on voyait le ministere mar-
cher vers les améliorations matérielles du pays; on l'apercevait
s'eíforcant de lutter par des concessions contre la réprobatiou
morale dont son avénement avait été marqué. Tous les choix de
lU. de Polignac aux arnbassades témoignaient d'une tendance
fort lihérale, 1\1. de Laval-ñlontmorency le rernplacait ~\ Londres,
1\1. de Rayneval allait a Vienne, el l\I. de La Féronnays rece-
vait l'ambassade de Rome. Le Iloi demanda la direction des
Ioréts pour 1\1. Ferdinand de Bcrthier , qui avait été un des
principaux acteurs dans le monvement qui avaít amcné l\1. de
La Bourdonnaye aux aífaires-. Les actes du ministere n'avaient
rien d'alarmant; d'oü venait donele concert de réprobation qui
accueillait ce ministere ? C'est que le pays avait peur des noms
propres, et que d'ailleurs les amis , les organcs, les zélateurs
de ce ministere émettaient des doctrines malheureusement
hostilesaux institutions. Je no parle pas seulement des jactances
maladroites el niaisement fanfaronnes de l' UnivCJ's elJ' inais la
Quotidienne et la Gazette, qui passaientpour organesdesdiverses
nuances de l'opinion royaliste , parlaient de l'article 14, de la
nécessité d'anéantir les ennemis du Hoi, et soulevaient d'autres
arguments de feu, capables d'ébrauler la sécurité publique.
Deux hrochures furent alors publiées : l'une, de 1\1. Cottu, ren-
trait a peu prés dans les idécs électorales de 1\1. de Polignac;
c'était un remaniement par ordonnance de la société politique ,
un retour au pouvoir constituant, qu'on disait inhércnt a la
royauté. La seconde était le fameux ñlémoire a consulter de
1\1. ñladrolle, oú tout l'édifice constitutionnel était violemment
attaqué : la presse comme criminelle , les électeurs comme des
factieux, les cours royales comme en révolte ouvcrte , les ma-


I La prerniére rédaction de ce travail cst de 1\1. d'Audiñ'rct.
, Le rot écrlvít par dcux fois íi M. de Chnbrol pour lui demander


ceue direction générale.




CHAPITRE XXY. 207
gístrats comme des frondeurs; ces [actums n'étaient que faíble-
nicnt désavoués; on les applalldissait dans les intimités tninisté-
rielles; des lors, ~l tort ou a raison , on croyait que c'était au
fond la pensóe du Cabinet, et que s'il n'allait ni aussi loin ni
aussi fort, c'est que le temps n'étaít pas venu. Il y a dans la
société un hon sens instincl if : et commcnt pouvait-on expliquer
autremcnt que par la pcnsée rl'un coup d'État cette situation
cxtra-parlomcntairc d'une administration ne tenant aucun compte
de la majorité des deux Chambres? On disait a cela: « Le Roi
a le droit de choisir ses ministres; YOUS envahissez la préroga-
tive royale. » Oui , sans doute , le Roi a le droit de choisir ses
ministres; maiscomme dans ce gouvernement, bon ou mauvais ,
qu'on appelle représentatif, ces ministres ne marchent que par
la majorité , il est iuévitable que leur choix ne sorte pas du
cercle des hommes et des opinions de cette majorité. D'ailleurs
les Rovalistes n'avaient-ils pas admis et violemment appliqué ce
príncipe en 1821 contre le ministerc Richelieu, ne s'ímpose-
reut-ils pas alors ministres a une royauté qui ne voulait pas
d'cux? D'oú venait done ce hcau zele né tout a coup pour la
prérogativo royalc ? VOilil OÚ les journaux ministériels en étaient
réduits, Quand on parlait de l'adrcsse , ils répondaient : ( Eh
bien! laisscz-la venir, le Iloi la rncttra de coté et n' en tiendra
compre, » Telle était I'opinon fatale de Charles X. Il pré-
tcndait gouverncr. Un jour l'un de ses ministres vonlait le
comaincre de la néccssité d'une majorité dans la Chambre :
( Votre Majesté, dit-il , doit savoir que cela se pratique ainsi en
Angleterre. » - « Cela est vrai, répondit le Iloi avec vivacité ;
mais en Anglcterrc ce sont les Chambres qui ont fait la part du
Roi, et id e'cst le Iloi qui a Iait la part des Chambres, » Malheu-
reux prince , qui nc savait pas que par ces paroles il appelait et
justiñait une révolution de '1688 comme une néccssité l


Cepcndant on avancait vers le terme de la convocation des
Chambres que le ministerc avait reculé autant qu'il avait pu :
c'était pour le 2 mars qu'on avait appelé les députés de la
France , ct alors devait s'engager eette vaste lutte dont on eut




208 HISTOIRE DE LA RESTAURATlON.


tant adéplorer les funestes résultats, Le ministere , saus plan de
campagne bien fixe, avait porté routcs ses sollicitudes vers les
diverses nuances de la Cluunbre : ceci avait ét{~ toute sa préoc-
cupation dans l'intervalle d'uue scssion ~I une autre. JIavait tenté
des rapprochemeuts, tes manieres polics de ;,\1. de Polignac
avaient attiré aux affaires étrangercs des députés d'opinions


..


diverses. Un des projets du président du Couseil avait {·t{~ de
rentrer dans les articles de 11 Charte dont 011 s'était écarté de-
puis quelques annécs, détruire la scptennalité , les deux degrés
d' élection , et par ce moren arriver ü un rcmanicment complet
de la loi électorale, 1\1. de Polignac avait fait part de ce plan a
plusieurs membres de la Chambre des Députés , et notannnent
a M. Ternaux. Partout le ministere annoncait qu'il voulait la
légalité et derneurer cntierement dans les conditions de la Charle.
ñlais qui aurait voulu s'associer a une administration démolie
par l'opinion publique et clle-méme sans accord , avec si peu de
capacité, travaillée déja par la fraction Yillclc ? 1\1. de Courvoi-.
sier, qui s'était mis en rapport avec quclques-uus de ses anciens
collegues du centre gauche, u'avait partout trouvé que des rc-
fus; M. de Chabrol s'était égalcmcnt adrcssé ü JDI. lloy ct de
l\Iartignac pour renouer une administration plus en hannonie
avec la Chamhre ; des propositions avaient été adrcssées aussi a
1\1. Delalot, a 1\1. Pasquicr, méme ~I lU. Dccazes : tout cela
échoua , paree qu'il était trop tard, La Ilcstauration s'était telle-
ment aventurée , que personne ne voulait plus s'attacher a sa
fortune : la partie était liée a ce poínt dans l'opinion de ré-
sistance, que la victoire ne pouvait étre longtemps douteuse. La
presse était sortie triomphante de ses violentes atraques: le
Journal des Dcbats avait été acquitté : (Iue pouvaient [aire ü
son énergique activité trois ou six mois de prison Iníligés ~\
quelques gérants ? Partout le méme cri se faisait entcndrc ; c'était
pour la Chambre une questiou de corps , une diíliculté d'hou-
neur que I'oppositiou contre le ministerc. In grand príncipe
venait d'étre posé par la cour royale; l'impñt ne pouvait ('[re
per\,u qlle s'il était légalemcnt vol{' : 1<' pays prcnait ainsi ses




CllAPITBE \X'. 20D
précautions: parront 011 {·tail prépar« au cas d'une dissolution
soudaine , inattcndue ; les comités élcctoraux étaieut préts pour
répondrc aune élcction généralo. Au milieu de toutes ces ré-
sistances I'incroyablc honhomic de M. de Polignac ne tenait
aucun compte de la situation ct croyait triompher de tous les
obstacles. le discours de la Couronne Iut préparé , comme s'il n'y
avait ríen de bien séricux dans la situation. Sa derniere phrase ne
Iut pas arrétéc par les ministres: on nc prit d'autres moyens qne
la menacc pour apaiser la colore politíque de la Chamhre. Cettc
Chamhre arrivait ~I pen pres dansles mérnes proportions et dans
les mémcs idées que dans la session précédente, Ou y comptait
ccpcndant qnclques capacités nouvelles ; en tete M. Berrycr
fils , élu au Puy sous le patronagc de lU. de Polignac; talent
facile , hrillant , se dégageant ala tribuno de ces formes d'avo-
cal qui suiveut trop souvcut les réputations de barreau; an
reste, caractere politiquc sans énergic et sans conviction ah-
solue , toujours mohile , rcmuant , et tcllement amoureux de
sa renonunée , qu'il la caressait commc un artiste caresse son
taleut ; íl paraissait pour la promiere fois a la Chamhre oú il
devait jeter un granel éclat. ,,1. Dudon avait triomphé ~i Nantes,
triste candidat ministéricl (fui signalait ouvertement la tendauco
malhcurcuse du Pouvoir. :EIl mémo temps 1\1. Guizot était élu
par le collége de Lisieux ; il paraissait aussi pour la premiere
fois dans la Chamhrc des Dépntés. I1 y apportait une parole grave,
de fortes méditations , une incontestable supériorité d'apercus
et derésumés ; quelque chose de profond , de convaincu et de gou-
vcrncmcntal ; ensuitc, quand on s'est trop préoccupé d'uue étude,
il en résulte une certainc maniere de voir et de juger les événe-
mcnts qui les faconne ~I la spéculation qu'on s'est faite; cette
d('Yise dr 16RS r-st Hi inuuuable , el partout on la cherche , a
travers des événcmcnts el des Iaits qui en differcnt souvent
par la forme ct les résultats. Au reste, l'élcction de l\I. Guizot
fut considéréc comme une vicroire par le partí doctrinaire; sa
randidature Iut spécialenu-nt POllSS{o(' par le Tcmps et le Journai
ilcs J)¡:{i(I1S, .\ insi l'oppnsition s'a~~r:md!s~a¡t, se rcsscrrait , SlH'-




210 mSTOlRE DE LA RESTAURATJON.
tout par les Jiens d'un commun dessein. A prendre toutes les
nuances dont se composait la majorité , il Y avait certainement
des distinctions perceptibles: la défection n'avait pas les memos
principes que le centre gauche, et le centre gauche que son
extrémité. Ceci avait trompé le ministere : il avait ouvert des
négociations avec le centre droit, et ce centre avait presque tout
entier adhéré, sauf le petit noyau qni se groupait autour de
M. de l\1artignac. La défection s'était refusée atout arrangement,
parce que la il Yavait haine , dépit de positions perdues; quant
au centre gauche, il résistait, aussi compacte, sauf deux ou trois
unités conquises par des moyens que je n'ose dire. D'ailleurs ,
les majorités ne se dissolvent pas facilement; quand une partie
est parfaitement liée entre des hommes de capacitó el, d'avenir
politique, ce n'est pas surtout un Pouvoir Iaible qni pourrait la
déranger. Si le ministere avait eu quelquo instinct des nuanccs
qui divisaient la majorité, il aurait vu que ces nuances étaient
fondues et qu'un seul sentiment dominait : le besoin de se dé-
barrasser d'une administratinn qui pesait sur le pays,


Je reviens al'intérieur du Conseil. Tous les ministres n'avaient
pas la mérne confiance en la fortnnc do 1U. {k Polignac ; avec un
simple instinct de bon sens , ils prévoyaicn! que n'ayant pas la
majorité dans la Chambre , ils en scraient réduirs , en définitivc II
la violence et aux coups d'í~tat. ~!1. de Guernon-Ilanville s'en
était méme tres-bien rendu compre daus une note qu'il soumit
aM. de Polignac le 15 décembre 1829: (( A la veille d'une lutte
aussi inégale, disait 1\1. de Guernon-Hanville , plusieurs partis
peuvent étre pris; mais celui que l'opposition croit étrc dans les
vues du ministere , et que font pressentir les hruits répandus a
dessein d'un projet de coup d'État , celui cnfin auqncl quelques
Royalistes imprudcnts voudraicnt poussor 1<' Couvcrncmcnt ,
consisterait a dissondro la Chambro ct ;1 en ronvoqncr une nou-
velle , apres <1.\"011' morliíié , par ordonnanre , la 10; élcctorale , et
suspenclu la liberté de la prcsse ('11 rétahlissant la ('('11S\.11'e. le ne
sais si cette marche sanverait la monarchie , mais ce serait un
coupd 't:tat de la plus rxtrrJllf' violcncr , ce sorait uno violatinu




r.nAPITRE XX,. 211.
la plus manifcstr de l'artic1e 35 de la Charte, ce serait la viola-
tion de la foi jurée; un tel partí ne peut convenir ni au Roi ni a
des ministres consciencieux. D'un autre coté, une telle mesure
ne serait pas suffisamment motivée. Les journaux libéraux, il
est vraí , llOUS mcnaccnt d 'une oppositíon fort hostile; maís ces
journaux ne sont pas les organes avouésde la Chamhre, D'autres
nous cxcitent a ces moyens extremes en nous présentant la ré-
volution comme prére a tout envahir, si nous ne nous hátons de.
l'enchainer, Le danger 11e parait pas aussi imminent, et j'ai peu
de confiance dans les hommes d' .État sans mission. Un jour
peut-étre ceux qui poussent le plus vivement a ces actes d'ex-
cessive rigueur se joindraient a nos ennemis pour nous en de-
mander compte, si le succes ne répondait pas a leur attente , et
nous reprocher d'avoir cédé ade vaines terreurs , au lieu d'at-
tendré que cette Chambre, présumée si violente, se soit mani-
festée par ses actes, » Il était impossible de croire également
que MM. de Courvoisier et de Chabrol s'associassent a un sys-
a'me qui houleverscrait le pays. Cependant le discours de la
Couronne devait étro l'cxprcssion de cctte situation difficile; dans
quel sens serait-il conru ? y insérerait-ou des menaces? s'ima-
ginait-on cffrayer la Chambre ? Je dois dire que le Conseil pen-
chait vers la modération ; mais iI y avait en dehors de ce Conseil
une puissance occulto qui dirígeait le roi Charles X. Ce Prince
était poussé par ce vent de folie et d'aveuglement qui l'entrainait
a toutes les forfanteries; le pienx entourage de cour le poussant
aux grands coups de force. Le Dauphin, la Dauphine l'enga-
geaient ¿l se montrer 1'01. Il fallait en finir avec la révolution,
c'était le cri de cette petite camarilla qui entourait le vieux Roi,
et S11r laquelle commencait a prendre influence méme le uonce
du Pape. On ne voulait plus, on ne souffrait plus aucune ré-
sistance. Lorsque la cour royale presenta ses hommages au
1er janvier, n'avait-on }las cntcndu cetro réponse inconvenante
de Charles X : « .!'" OHhlicz jamáis les importants devoirs que
vous avez ¿l rcmplir et rendez-vous dignes des marques de con-
fiance que vous avez rccucs de moi? » Et Madame la Dauphine




212- mSTOIRE DE tA RESTAURATlON.
n'avait-elle pas dit a des magistrats revétus des insignes de la
justice ce passez qui retentira dans l'histoiro ? On fit des pairs ~\
cette époque , et je dois dire que ce ne fut point ici une pro-
motion politique , mais l'cxécution de vicilles promcsses. Ils
étaient au nombre de sept. JI. Bcugnot avait I1n des plus an-
ciens engagements de la Ilcstauration : 011 le récompensaít
d'avoir accepté la présidcnce du burcau de conunerce. Je ne
concois pas qu'un homme d'esprit et d'avenir comme 1\1. Beugnot
ait pl1 s'associer a un systemc ministóriel aussi Iragile. On l'avait
mis la eomme porteur de paroles , cal' personne no possédait ¡l
un plus haut degré ce talent de négocier les rapprochcments
ct de nuaneer les opinions trancliées par des concossions. ]H. de
Vitrolles, expression spirituelle du mouvcmcnt royaliste, avait
également la parole royalc pour la pairie. Il avait été jusque-Iá
rcpoussé par M. de Yillele de toute position politique et parle-
mentaire; l'ancien président du Conseil l'avait jeté en exil a
Florenee. 1\1. de Yitrollcs était égalemcnt un négociateur habile
entre les hommes et les partís. An reste, en ce qui touchaitla
majorité, cettc promotion de pairs n'était ras néccssaire : le
systeme du 8 aoüt , saus trouvcr une adhésion avcugle , avait
des partisans zélés dans la Chambre des Pairs , et il He puuvait
soulever une résistance mcnacante. le ministere cherchait a
s'attirer I'ancien parti cardinaliste , et, pour le satisfairc , il COl1-
féra la dignité de chancelicr vacante a lU. de Pastorct , qui en
avait une ancienne promcssc. l\I. de Pastoret n' était point un
renfort, mais il exercait un certain crédit sur les opinions sans
couleur de la pairie.


A mesure pourtant qu'on avancait vers la session , la force de
la majorité s'accroissait. l:a momcnt on crut qne ~1. Hoy {·taÍl
chargé de reconstituer un Conscil en présr-nce dosChambres ;
il n'eu fut rien , et le ministcre se décida ü ahordcr la session.
On dut s'occupcr d'ahord du discours de la Couronne. Sclon
l'usage , chaque ministre r('digca la phrasc qni concernait son
département, et Hile rédaction déflnitivo ('11 íut faite par JI. de
Courvoisier, qui écrivait avec quelqne ncttoté : la dcrnierc




CHAPITHE xxv. 213
plm.Jsc, .ie le r{>p(~IC, fuL imposée; elle arriva apres coup, eL du
comité d'intóricur, qui gouvcrnaít un peu plus que le ministere.
On cornptait non-sculcment sur les paroles du disconrs , mais
encere sur l'accent fcnue ot net avcc Icquel il serait prouoncé.
Le Roí se le lit dOllllel' dcux .ionl's aJ'avance pour le 1ire ahaute
voix et le reten ir en quclque sorto dans sa mémoire. Comme les
Dl"putés ahondaicnt ~l Paris , on prévoyait bien que la lutte se-
rait décisívc, et tourcs les réunions s'éraient rapprochées pour
en finir arce le ministerc , les uns avcc violence , les autres avec
mónagement el PIl conservan! surtout les convenances : quant au
choix des personncs , on s'eutcnriit parfaitemcnt. La gauche, le
centre gaucho et la défcction furent d'accord sur leurs caudidats:
ils dureut les portcr de coucert. Au reste, je considere le dis-
cours de la Couronne et l'adrcsse qui en fut la suite comrne
l'expressionnon-seulement des répugnances persouuellesde deux
opiuions hostiles, mais comme la maniíestation de grands prin-
ripes en évidcntc hostilité. D'une part , c'était la souveraineté
royalc , de l'autre la souvcraineté parlcmentaire , et e'est sous ee
point de vne qne cene discussion fut spécialement intéressante
dans I'histoirc du gouvcrucment représcntatif,


e'était le 2 mars : tomes les pompos de la royauté étaíeut dé-
ployócs ; Pairs el Députés étaieut réunis en masse au pied du
tróne , et ce fut du haut de ce trónc qne Charles X pronolH;a les
doruicres paroles royales de la Ilestanratiou. Le discours de la
Couronne annoncait d'ahord I'alliance intime qui existait entre
toutcs les Puissanccs ; la guerre en Orient était terminée, et
I'indépendance de la Crece assurée par le choix d'un prince ap-
pelé ü régncr sur elle ; des négociations étaient entamées de
concert arce les alliés de la Frauce , pour amener entre les
princes de la maison de Bragance une réconciliation nécessaire
au repos de la Péninsule. Le Roi déclarait son intention de ne pas
laisser plus longrcmps impunie l'insultc faite au pavillon francais
par le (ley el' Alge}', <'t rl'en ohtcnir une réparation éclatante,
qui , en satisíaisant ;\ l'houncnr d(' la France , tournerait a11 pro-
lit d(' la rhróticut«. Passant cnsuite an hudget de 1R~1, Charles X




214 IITSTOIRE DE LA fiESTAUnATTON.
annoncait que les produits de 1829 avaicnt surpassé les {~va­
luations : il Y avait possibilité d'allégor les charges de l'Úa!;
on présenterait dans la sessiou , entre nutres projets , une loi re-
lative a I'amortisscment , qui se lierait ;, un plan de rcmbourse-
ment ou d'échange : l'inll~rN des cOlllrilwahlcs, cdui des créan-
~,,"Q.""" <l~ '\'.\:~""'w ~~ k \)\~,,). -S\'\'..\'v.\\\ \\\.' \' \~,\'i'I\ ..,,; J \Y\)\'¡)~T{ÚP))'1
conci/iés. (( Le prcmÍrr úesoill de mOJI co-nr, dísaÍt le Monarque
en terminant , est lle voir la Frauco , hcureusc ct rcspcct{~e , <.\é-
velopper toutes les richesses (le son sol et de son industrie et
jouir en paix des institutious dont j'ai la Iermc volontó ele con-
solider le bienfait. La Charle a placó les Iihcrtés publiques sous
la sauvegarde des droits de ma Couronnc: Ces droits sont sacrés ~
mon devoir envers mon pcuple est de les transmcttrc intacts ü
mes successeurs. Pairs de Francc , DépUI{'S des dépnrtements ,
je ne doute point ;de votre concours pom opércr le bien que je
veux faire. Vous repousserez aH~C mépris les pcrfides insinuations
que la malveillance chcrche ¿I propagcr. Si de coupahles maneen-
vres suscitaicnt ;, mon Couvernemcnt des ohstaclcs , que je ne
peux pas , que je ne veux pas prévoir, jc trouverais la force de
les surmonter dans ma résolution de maiutcnir la paix-publíque ,
dans la juste eonfiance des Francais el dans l'amour qu'ils ont
toujours montré pour lcur Iloi, )) eNte dcrnierc phrase fut pro-
noncée avec un accent de digllil{~ et de force. Le Iloi accentua
et répéta surtout ces mots : ()zte je nc peu:r; pas, (jlle je ne ueua:
7Jas préooir. Il y avait dans Charles X jc nc saisquel prestige <10
grandeur royale , et le discours fit sur la masse des Députés une
indicible impression.


Le Ieudemain , la Chambre se rasscmbla sous la présidcnce de
I\I. Labbey de Pompieres , doven d'ñge. L'aigre vieillard voulait
tirer de cette position un moyen de manifestcr ses vicux senti-
ments et son patriotisme CX¿¡I1(~; OH 1'('11 empDeha. Toutes Ir8
fractions d'opposirion de la Chambrc s'cntcndirent pour portcr
leurs candidats ; la gauc!Je, le centre gaucllc, la défcction et
nne petitc fraction du centre droit se rénnircnt autour de
l\l. Rover-Collard ; il ohtint 225 voix ~ :\IM. Casimir Périer,




CILU'nH.E X.\ \. 215
Dclalot , .\gier d le géuéral Sébastiaui Iureut égaluucnt portes
sur la liste: le uiinistere He put ohtenir un seul de ses candidats;
le nombre de ses voix n'alla pas au dela de 130, et encore dut-
il les concentrer sur des houunes de modération : l\ll\I. de Ber-
bis et Ségui. Ainsi la victoire était partagée entre la gauche , le
centre gaucho et la défection réunis en une seule couleur. La
Chamhrc fit la part du dcruier ministcre dans la nomination de
ses vice-présidents: elle porta ~nl. Dupin ainé , de Martignac ,
Bourdeau et de Cambón, On a peine as'imaginer comment avec
de telles nouriuatious le ministerc put croire eucore possible une
majorité daus la Chamhre.La liste des présidcnccs fut présentée
au Iloi. Charles X repoussait persounellemcnt l\L.\I. Agier et
Dclalot , qui l'avaicnt blcssé ; ji préféra l\I. Royer-Collard :
c'était une premiere conccssion aI'opinion de la Chambre. Cette
opinion se maniíestait toujours plus forte; on put le voir par les
commissaires de l'adresse : c'étaient MM. de Preissac , Étienne ,
de Kératry, Dupont de l'Eure , Cauthier, Sébastiani, Lepelle-
ticr-d'Aulnay, Dupin ainé et de Sade. Le ministere , quin'avait
pas eu un seul caudidat , n'cut pas uiémc un commissaire. C'est
toute une histoírc a Iairc CInc celle de cette adresse , qui marqua
une si complete séparation entre le Iloi ella Chambre. Des que
la majorité se vil en possessiun de l'adresse , alors il fut posé en
question si I'on se borncrait ~l une maniíestation de sentiments ou
bien a une protestatiou haute el parleiuentaire. Cette derniére
opinión , qui apparteuait aux doctrinaircs , prévalut, I1 s'agissait
de Iaire triompher un graud principe politique , la souveraineté
dc la Chamhre. Ceci admis , le gouvcrncment représentatif fai-
sait un pas immonse. L'adresse fut l'ceuvre du centre gauche :
on demanda des projets ¡l tout le monde; on rejetait, on modi-
fiait; M. Guizot r cut une large part , quoique la rédaction füt
confiée a la plumo si souple de M. Étieune. L'adresse expri-
mait d'abord l'asscntimcnt de la Chambre aux vues de Sa l\la-
[esté relativemcnt aux négociation» cntamécs pour la reconcilia-
tion des princes de la maisou de Bragance ; la commission expri-
mait le vceu qu'il Iút mis un tenue aux maux qui aílligeaicnt le




216 mSTÜIHE DE LA HESTAUHATlON.
Portugal, « sans porter atteiute au princuic sacre de fa ldf/lti-
mué ~ inviolable pour les rois non moinsque pour les peuples l. »
Tout eeei n'était qu'un accessoirc auqucl on s'était peu arrété ;
cal' l'adresse était dans la phrasc suivantc : (( Ccpeudant , Sire ,
au milieu des sentiments unanimcs de respcct et d'affcction dont
votre peuplc vous entourc , il se manifesté dans les esprits une
vive inquiétude (fui troublc la sécurité dont la France avait coru-
meneé ajouir, altere les sourccs de sa prospérité , el pourrait ,
si elle se prolougcait , devenir Iunestc ü son reposo Notro con-
science , notre honncur, la Iidélité que nous vous avons jurée ,
et que nous vous qarderons toujours ~ nous imposent le devoir
de vous en dévoiler la cause. La Charte que nous dcvous a la sa-
gesse de votre auguste prédéccsscur, el dont Votrc JJajesté a la
ferme volonté de consolider le bieufait , consacre connne un
droit l'intervention du pays dans la délihération des intérets pn-
blics, Cette intervention dcvait étre , elle cst en effet indirectc ,
sagement mcsurée , circonscrite dans des limites exactcmeuttra-
cées, et que nous ne souffrirous jamais que 1'0n ose tcnter de
franchir; mais elle estpositivc dans son résultat , cal'elle fait du
concours pcrmanent des vues politiqucs de votrc Gouverncuient
avec les vceux de votrc peuplc , la coudition indispensable de la
marche réguliere des allaires publiques. Sirc , notro loyauté ,
notre dévouement nous condamucnt ~l vous dirc que ce concours
n'existe paso Une déíiance injusto des scntiuients et de la raison
de la .France est aujourd'hui la peusée foudaurcntale de l'admi-
nistration : votre pcuple s'en aíllige paree qu'elle est injurieusc
pour lui , il s'en inquiete paree qu' elle est mcnacante 130m sesli-
hertés. Cette défiance ne saurait approcher de votre noble coeur.
Non, Sire, la France nc veut pas plus de l'anarchie (IUC vous nc
voulez du dcspotisme ; elle est digne que vous ayez foi danS sa
loyauté connue elle a foi daus H)S prornesscs. Entre ceux qui
méconnaisseut une nation si calme, si Iirlelc , el nous qui , avec


I L3. commission avait en vue de protester de su Iidclitó au dogme
fondamental de la branche ainée des Bourbuus.




CHAPlTUE xxv. 217
une convicuon profonde , venons déposer dans votre sein les
douleurs de tout un peuple jaloux de l'estime et de la confiance
de son Roi; que la haute sagesse de Votre lUajesté prononce!
Ses royales prérogatives ont placé dans ses mains les moyens
d'assurer entre les pouvoirs de l'État eette harmonie eonstitu-
tionnelIe, premiere et nécessaire eondition de la force du Tróne
et de la grandeur de la Francc, » Certes , il était impossible de
s'exprirner en termes plus convenables et plus respectueux en-
vers la royauté. La Chambre disait ses droits , mais en indiquant
également les limites, elle ne refusait pas son concours, cornrne
on le prétendait alors ; seulement elle signalait un fait , une situa-
tion étrange; elle déclarait que I'harrnonie n'existait plus entre les
pouvoirs, J'ajouterai cependant qu'il y avait tout un grand chan-
gement politique dans cene adressé ; on entrait dans les plus larges
voics parlernentaires ; la Chamhre faisait arriver la royauté aux
véritables conditions d'un régime constitutionnel, a l'empire de
la majorité, et sous ce point de vue c'était une révolution.


A peine la lecture Iinie , M. de Lépine s'élance a la tribune :
« Les usurpations de pouvoir, s'écriait-il , sont des chátírnents
pour les peuples; ne recommencnns pas cette série de malheurs
que de semblables prétentions ont déja attirés une fois sur nous .
Je vois un germe de destruction pour les libertes publiques dans
I'adresse qui vous est soumise; elle contient une atteinte ior-
melle aux droits du Hoi de choisir ses ministres. » -« Ilne faut
]las nous dissimuler l'aífaiblissement du pouvoir , répondait
1\1. Agier; mais la cause n'cst-elle pas dans le mauvais choix de
ses agents? n'est-ellc pas dans I'élévation suhite de quelques fa-
vorís sans mérito? n' cst-elle pas dans les calomnies des journaux
ministériels <tui insultent jusqu'a la magistrature et la Chambre
des Députés? » - « O.. allons-nous, grand Dieu , s' écriait 1\1. de
Conny ; quoi ! nous trainer en esclavos au char de cette nouvelle
puissance ({U'OH appelle opinión publique? JUais si le Pouvoir
s'abaissait aramper anx picds de cette puissance, il Ile serait plus
Pouvoir , il aurait abdiqué son caractere, il aurait méconnu sa
nohle destiuation! ~ ~ ee ;\HZ-YOUS le droit d' exiger du Roi la


IY. 19




218 mSTülHE DE LA HESTAUHATlüN.
révocation de ses ministres? ajoutait l\I. de Moutbel; pouvez-
vous accuser notre pensée? Vous ne voyez done pas qu'une pa-
reille exigenee menace les institutions elles-mémes, Que devieu-
draient les articles 13 et 14 de la Charte? oú serait l'indépendance
du pouvoir exécutif? que resterait-il de l'autorité royale? Quant
a nous, nous ne nous dissimulons pas toute la difliculté de nos
devoirs; mais, convaiucus de leur importance , nous sauronsles
accomplir. Celui dont le pouvoir a créé notre cxisteucc a seul
droit de l'anéantir, » - « J~t nous aussi, répoudait l\J. Benja-
min-Constant, nos résolutions sont arrétécs ; daus le petit nom-
bre d'actes commis par ce ministere , il Y a une tendanee qui
IlOUS alarme a bon droit ( nous avons fait notre déclaration; elle
est tout aussi innocente, tout aussi motivée que les déclaratious
de ceux qui disent que, dans toutes les circonstances, ils défen-
dront la monarchie. Oui , nous et tous les citoyeus qui pren-
dront conseil de nous, nous ne paierons aucun impót , pas un
seul centime qui n'ait été voté coníonuémcnt ala Charte, et par
la nous rendrons scrvice a la liberté et ala dyuastie , a cettc dy-
nastie qui est saus cesse compromise par ses propres amis, » -
« Comment l répliquait 1\1. de Guernon-Hanville, nous accuser
d'une coupable défiance des sentiments de la France ! Ont-ils
done oublié , les rédacteurs de l'adresse, cette Iranche déclara-
tion du Roi, (t qu'au besoin il puiserait la force de protéger les
« libertés publiques dans la juste contiancedes Francais! » 'I'elle
est notre opinion sur les sentinients et la raison de la Franco,
Appelés au timon des aflaires par la volonté du Roi, nous ne
I'ahandonuerons que par les ordres du Hoi. Nous acceptoussans
réserve toute cette responsahilité. » - « Vous n'avez pas saisi
la pensée de la commission, répondait l\l. Dupiu ainé; la base
fOlldamentale de I'adresse est un profond respect pour la per-
sonne du Roi; elle exprime. au plus haut degré la vénération
pour cette race antique des Bourhons: elle préscute la legilimitd
non-seulement comme une vérité Iégalc , mais comme une lle-
cessité sociale qui est aujourd'hui, dans tous les bons esprits, le
résultat de l'expérience eL de la conviction. L'adressc ue porte




~'19CHAPITRE XXV. ¿.
point atteÍntc ala liberté du Roí; elle déc1are un fait flagrant.
dont l'irnpression frappe tous les esprits; le dissimuler ne l'em-
pécherait pas d'exister. Lorsque , dans lediscours de la Cou-
ronne, les ministres, en parlant des obstacles qu'on voudrait
leur susciter, n'ont annoncé, pour les surmonter, que l'emploi
de la force, nous avons pensé qu'il nous était permis de parler
de la loi; HOUS avons indiqué eomme seuls praticables les moyens
légaux , les moycns eonstitutionnels. »


Le ministere put voir des Iors toute la faute d'avoir inséré
dans l'adresse une phrase qui avait appelé la Chambre a se des-
sine!' si nettemr-nt. On était allé au-devant de la résistance , on
l'avait aflrontéc , ct rette résistance arrivait des lors puissante
comme un principe : d'une part on posait la prérogative absolue
de la royauté , d'autre part on établissait les droits de la Chambre,
l' empire de la majorité par le ministere, Cependant n'y avait-il
aucun tenue moyen1 ne pouvait-on pas essayer une conciliationt
la coulcnr de M. de lUartignae, en opposition avec l'adminis-
tration IHHIH:%', devait-elle subir l'alternative ou d'une adresse
violente qui n'allait ni ases opinions ni 1. son caractére, ou d'une
adhésion au sysreme miuistériel dont on ne voulait point parta-
gel' l'impopularité? Ccci donna Iieu 11. la rédaction d'un amen-
demcnt qui atténuait l'cxpression plus décidée de l'adresse ; il
fut proposé par lU. de Lorgeril. « Notre honneur, notre con-
science , la íidélité que IlOUS V011S avons jurée ~ disait-il , et qué
nous vous garderons toujours , nous imposent le devoir de fairé
connaitre aVotre l\lajesté qu'au milieu des sentiments unánimes
de respect et d'aflection dont votre peuple vous entoure, dé
vives inquiétndes se sont manifestées a la suite de changements
survcnus depuis la derniere session. C'est a la haute sagesse de
Votre l\Iajest{· qu' i1 apparticnt de les apprécier et d'y apporter
le remede qu'elle croira convcnable, Les prérogatives de la Con-
ronne placent dans ses mains augustos les rnoyens d'assurer
cette harmonie eonstitutionnelle aussi nécessaire a la force du
tróne qu'au bonheur de la Franco. » - « Je vote contre tout
amendement et pourle projet de la commisslon, disait 1\'1. Gui-




220 HISTOlRE DE LA RESTAURATlON.
zot; nos paroles, la franchise de nos paroles, voila le seul aver-
tissement que le Pouvoir ait arecevoir parmi nous, la seule voix
qui puisse s'élever jusqu'a lui pour dissiper ses illusions. Gar-
dons-nous d'en atténuer la force, gardons-nous d'énerver nos
expressions, )) - « Nous pouvons bien éclairer le Souverain
pour le bien de l' État , répondait l\I. de Berhis qui soutenait
l'amendement Lorgeril , mais il faut conscrver le respcct profond
da ala majesté du tróne ; BOUS devons le faire de telle sorte que
le Roi soit toujours libre d'exercer la plénitude de tous sesdroits
de la maniere qu'il peut le juger convenable, )) - « Le premier
besoin de la Chambre , répliquait i\I. Sébastiani, est de faire
connaitre au Roi l'état réel du pays, de lui cxprimer toutes ses
appréhensions. Si la vérité est un devoir, pourquoi l' éluder par
un amendement qui ne la présenterait que sous un demi-jour? ))
- « Quoi! s'écriait l\I. Bcrryer, vous accusez le Roi personnel-
lement d'avoir formé un nouveau ministere ! mais autant vau-
drait que votre grande députation lui dlt : « Sire , I'usage que
« vous avez fait de vosprérogatives trouble notre sécurité, altere
« notre prospérité et peut devenir funesto a notre reposo )) Il Y
a irrévérence dans la rédaction, et incoustitutionnalité dans l'al-
ternative oú l'on veut placer le Iloi. La Chambre n'a pas le droit
de demander sa propre dissolution. Il y a quelque chose d'ef-
frayant et qui contriste le cceur dans cette résolution d'une as-
semblée qui demande sa propre ruine! Ce triste contraste n'a
d'autre effetque de reporter la pensée vers des temps de funeste
mémoire; il rappelle par quel chemin un Roi malheureux fut
conduit , au milieu des serments d'obéissance et des protesta-
tions d'amour, a changer contre la palme du martyre le sceptre
qu'illaissa choir de ses mains. )) Ainsi, ni l'opposition ni le mi-
nistere n'avaient voulu l'amendement modéré de 1\1. de Lorgeril.
Quand les principes sont ainsi engagés en Iace, il faut aIler jus-
qu'au bout; les termes rnoyens sont repoussés el mérne impor-
tuns au Pouvoir et aux partís; on veut une solution : aussi, au
scrutin pour I'amendement, trente membres au plus du centre
droit se leverent en sa faveur, Vainement l\I. Sosthénes de La




CHAPITRE XXV. 221
Rochefoucauld chercha-t-il a le reproduire dans des termes peu
dilférents; il ne fut pas méme appuyé, et les derniers paragra-
phes, tels que la commission les avait rédigés, furent successi-
vement adoptés par la majorité forrnée' de la gauche, du centre
gauche et d'une trentaine de voix de la défection. On procéda
ensuite au scrutin sur l'ensemble de l'adresse; cette opération
fut longue et solennelle , elle donna les résultats suivants : sur
úü2 votants, il y eut 221 boules blanches pour l'adoption el
181 boules noires pour le rejet de l'adresse. Ainsi le gant était
jeté; la majorité déclarait que son concours n'existait pas, elle
proclarnait la souveraincté parlementaire en l'arrachant au roi
Charles X.


Ici se présentait une haute question gouvernementale. En
Angleterre, les Parlements n'avaient-ils pas dix fois déclaré que
lesministres de la Couronne n'avaient pas leur confiance? Et en
quoi cela altérait-il les prérogatives royales? En ce cas le Roi
renvoie ses ministres ou dissout son Parlement; et c'était cette
alternative constitutionneIle que posait l'adresse de la Chambre
des Députés, Ce ne fut point ainsi que le ministére envisagea
cette adresse; il Yvit un outrage a la royauté, et des le lende-
main il manifesta sa colerc en déployant une grande sévérité ~\
l'égard des députés fonctionnaires qui l'avaient votée. Les des-
titutions commencerent , et la plus remarquable fut celle de
l\I. Calmon, directeur-général de l'enregistrement et des do-
maines; il avait servi la majorité en face et hautement dans cette
question fondamentale. Le Roi écrivit au ministre des finances
qu'il était indispensable de remplacer 1'1. Calmon; le ministre
voulut remontrer que c'était un hornme spécial qui n'occupait
pas un poste poli tique , un second billet de Charles X imposa la
destitution ; elle fut signée. Des lors on proposa la direction g(~­
nérale a lU. Berrycr, qui répondit : « Je suis trop nouveau dans
la Chamhre pour que je mérite une direction générale, et l'an
prochain il y a toute appareuce que je vaudrai mieux que cela. »
Réponsc spirituelle qui dessinait parfaitement la position de
lU. Berrver. Le Iloi designa lU. de Suleau , écrivain royalistc I




222 HISTOIRE DE LA RESTAURATlO~.
puis préfet, et qui n'avait aucun titre parlementaire a une si
haute haveur. Au reste, jusqu'ici le ministere restait dans son
droit; il destituait les fonctionnaires qui n'avaient point adhéré
a son systeme : rien de plus simple; mais allait arriver en toute
sa franchise la question de l'adresse. Quelle réponse allait faire
la Couronne? L'engagerait-on de maniere ane plus reculer?


JI fallait que le ministére prit un partí ; de deux chosesJ'une :
il devait se modifier de telle sorte qu'il répoudit a la majorité
de la Chambre, ou dissoudrc cette Chambre afin qu'il püt , par
de nouvelles électíons , frapper la majorité qui lui refusait son
concours. Le Roi avaitété vivcmcnt blessé des termes de l'adresse.
Alors, plus que jamais , Charles X s'occupait des affaires du
Conseil , et gouvernait dans le seus le plus absoln dn mot ; ses
ministres avaient toute liberté de délibération , mais en définitiv«
le Roi décidait ce qu'il voulait; ceci cntrait dans le caractero de
CharlesX; il avait dit aun député: « La Chamhre joue un gros
jeu, il pourra lui en cuire de blesser ainsi ma couronne. Je veux
leur parler, a ces députés. »T,e Conseil arréta done que le Roí
recevrait l'adresse , mais qu'il lui ferait une réponse sévere.
Lorsque M. Hoyer-Collard,avec sa parole gran', mais trcmblante
et émue , cut prononcé la derniere et solennelle phrase, CharlesX
répondit: « J'ai entendu l'adresse que vous me présentez au
nom de la Chambre des Députés. J'avais droit de comptcr sur le
eoneours des deux Chambres pour accomplir tout le bien que je
méditais; mon cceur s'afflige de voir lesdéputés des départements
déclarer que, de leur part, ce concours u'existe paso Messieurs,
j'ai annoncé mes résolutions dans mon discours d'ouverture de
la session ; ces résolutions sont immuahlcs ; l'intérét de mon
peuple me déíend de m'en écarter. ñlcs ministres vous Ieront
connaltre mes intentions. » Charles X apporta dans la declama-
tion de cette réponse ce charme royal, ce!te haute majesté qni
imposait ü la foule. En sortant de l'audieuce ~I. Iloycr-Collard
s'écria : « Je ne savais pas tout ce (III'il y avait ('J1COl'e de force
et de prestige daos les paroles d'un roí. » Au reste ce qui arrivait
id a la royauté de Charles X était comme un chñtiment de la




CHAPITRE xxv. 223
conduito de l\lONSTEUR a l'égard de son frere Louis XVIII.
N'avait-il pas (>t(~ lui-méme le plus chaud partisan de l'ardente
adresse contre le ministere Ilichelieu ? il subissait alors ce qu'il
avait en d'autres temps provoqué. Changer le ministere 011 ren-
voyer la Chambre paraissaicnt des moyens trop vifs. C'était dans
la situation du Conseil amener sa dissolution , cal' en dehors
comfne au sein de ce Conseil il existait plusieurs opinions sur les
mesures 11. prendre; il Yavait toujours un partí de violence et de
coup d'État immédiat; I'autre demandait encore du temps, et
voulait qu'avant de tenter la force on eüt comblé la mesnre.


lUM. de Chahrol et de Courvoisier seuls désiraicnt un arrange-
ment avec la Clmmhre , et le croyaient possible en faisant une
plus large part aux nuances qui formaicnt la majorité. Ponr ne
point amener une crise inevitable dans la supposition de tout
partí tranché , on se réunit autour d'un terrne moyen, la proro-
gation, La prorogation ne terminait ríen ; elle laissait le ministere
]ibre d'adopter tous les partis qui dominaient le Conseil; et au
dehors on se réservait tout ponr l'avenir : la dissolution, un
rapprochcment avec la mnjorité , les coups d'ttat méme, Une
proclamatiou royalc prorogca les Chambres au l"r septembre,
Dl'S ce momcnt les négociations rccommcnccrent, Je crois
qu'alors un arrangcmcnt cut été possible. Il y avait dans la
Chambrebien des esprits qui apres une premiare démonstration
de force ne voulaient pas romprc en face avee la royanté. Si le
Pouvoir se fút montré plus conciliant et plus hahiIe, iI auraít
attiré alui, sinon une majorité constante, au moins une majo-
rité de concessicns et de circonstances. TeI était l'avis de
~: ,1. de Courvoisier et de Chabrol. C'est sons I'iufluence de ces
id¡;ps de modération que fut rédigé parle Conseil des ministres,
ou, pour tuulcr plus cssctetncnt , par les smi« de M. de Polignac
un long Mémoil'c au Iloi sur la situation du royaume , dans
lcquel des apercns de simpliciié politique se mélent aux meil....
leures vues l. L'auteur du ~({~Illoire avouait qu'une agitation


r II m'cst impossihle dE précíscr cxactcment la date de ce Mérnoírc ,
I'original n'en porto pniut : il a bcauroup de rossemblance , par le style ,




224 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
réel1e régnait dans les esprits, mais cette agitation ne se mani-
festait que chez les hommes qui s'occupaient habituellement des
afIaires publiques; quant au peuple, il n'entendait rien, ne
s'occupait de rien et demeurait dans cette impassibilité qui exclut
les applaudissements et les murmures. Partout , dans les cam-
pagnes comme dans les vilJes, les masses n'étaient occupées que
de leur hien-étre matériel; tous les intéréts trouvaient une ga-
rantie complete dans les institutions octroyées par la Couronne ;
on y rattachait les spéculations du présent et les projets pour
l'avenir; le renversement de l'ordre de choses étahli par la Res-
tauration bouleverserait toutes les exístences , et en dépit des
déclamations des journaux , personne ne regardait comme sérieu-
sement possible l'accomplissement de leurs sinistres prédictions,
« La presse quotidienne, ajoutait ce .Mémoire, entretient presque
seule l'agitation des esprits. En elfet , quels pourraient étre les
motifs de cette agitation? Serait-ce la crainte du renversemcnt
de nos institutions? rien ne saurait la faire concevoir. Nos insti-
tutions sont l' ceuvre de la royauté qui nous protege et nous régit.
Le Roi, dont la parole renferme toutes les garanties, a fait con-
naitre sa volonté de les maintenir: son gouvernement s'est appli-
qué a exécuter scrupuleusement la volonté du monarque. » A
ces faits les feuilles publiques n'opposaient (fue des suppositions
purement gratuites; pour affaiblir le gouvernemcnt elles prétaient
aux ministres des intentions coupables: ceux-ci les repoussaient
avec indignation. Cette accusation d'ailleurs était tres-fuelle a
détruire. Les principaux chefs de l'opposition s'intitulaient les
défenseurs de la monarchie constitutionnelle, et leur haine pour
la Maison de Bourbon était écritc en caracteres de sango « Ji
faudrait d'ailleurs, pour imputer raisonuahlernent aux ministres
du Roi le projet de renverser nos institutions , qu'ils eussent
quelque espoir d'y réussir. 01', pcrsonne IlC sait mieux que les
chefs de l'administration queHes profondcs racines ces institutions


avec le fameux rapport qui précede les ordonnances de juillet, ceuvre
de 1\1. de Chantelauze , peut-étre faudrait-il le reporter ú l'époque oú
celui-ri entra dans le Couseíl.




CHAPlTRE XXV. 225
ont jetées dans le cceurdes Fraucais amis de l'ordre et de la paix
publique. Aucun pouvoir n'arraeherait ce systeme du creur des
Francais, Il y est déja si puissant et si solidementétabli que si,
par le eoncours de circonstances encore imprévues et d'événe-
mentsauxquels la prudence humaine ne saurait parer , une déoia-
t ion quelconque de nos institutions devenait nécessaire, cette
dé, iation, fút-ellc légere , et ne pouvant étre que nunnentanée,
ne serait favorablement accueillie qu'autant qu'il deviendrait
évident pour la conscience publique qu'elle assurerait d'une
maniere irnmuable pour l'avenir les bases sur lesquelles repose
le systerne actuel de notre gouvernement. Les inquiétudes que
1'on témoignait seraient-ellcs motivées par la situation actuelle
du crédít public? ¿l aucune époque il n'avait été aussi florissant
qu'aujourd'hui. Serait-ce sous le rapport de 1'agriculture, du
commerce et de 1'industrie? partout s'élevaientdes construetions
nouvelles ; partout on entrait dans la carriere des améliorations,
ce qui prouvait ala fois un surplus de revenus et une disposition
¿l la sécurité dans les esprits. Quelques améliorations étaient
conseillées par l'intérét public , et les cireonstances paraissaient
favorables a leur exécution. Plusieurs projcts de loi étaient pré-
parés, )) lUais les plansconcuspar S. 1\1. pour consoliderlebonheur
de ses peuples avaient été contraries par une opposition qui ne
devall point étre prévue, puisque rien ne la justifiait: c'était a
cette opposition seulo que le pay's devait attribuer le retard
apporté a l'exéeutiondes intentions bienveillantesdu Souverain.
(( Les deux causes principales de l'agitation des esprits et des
diflieultés que le gouvernement du Itoi rencontre dans sa mar-
che, sont la licence de la presse périodique et le mauvais esprit
d'une partie du corps éleetoral. Aux approches des élections, les
rédacteurs , propriétaires et patrons des feuilles révolutionnaires
se rassemblcnt et conviennent des candidats qui seront proposés
achaqué coIlége.Les journaux publient cette liste et la recorn-
mandcnt impérieuscmeut aux électeurs : dans ce singulíer trafie
de votes, on a vu constamment les journaux révolutionnaires
faire le sacrifice de leurs intéréts. En novembre 1827 , la faetion




226 HISTOlRE DE LA RESTAURATION.
lihéraleest allée jusqu'a faire insérer danssesjournaux des lettres
par 1esquelles te1 candidat était rccommandé aux électeurs de
te1 collége par les signataires de la lettre. Ceux-ci étaient, si l'on
ne se trompe, lUl\!. Dupont de l'Eure , Voyer-d'Argenson,
La Fayette , Benjamin-Constant, ctc. Quant aux moyens que le
comité emploie pour assurer dans les départemcnts l'clfet de
ses recommandations ou plutót de ses injonctions électoralcs, ils
ne sont maintenant couverts d'aucun voile. Dans chaqué lieu
de quelque importance , il existe une association qui s'intitule
sans détour comité élcrtoral : la composition de ses clubs est
connue du ministére de l'intérieur. tes listes de plusieurs d'en-
tre eux ont été irnprimées dans lcurs proprps journaux Ü l'occa-
sion des élections partielles de 1H28 et des six prcmiers mois de
1829. Ces comités exerccnt sur les listes élcctorales une inqui-
sition permanente. Il faut remarquer d'ailleurs que l'influencc
des comités est accrue par une circonstancc particulicre ; c'est
principalement sur les électeurs parentés qu'ils agissent. 01'
ceux-ci se trouvcnt dans la dépcndance naturcllc des principaux
négociants , des riches capitalistas cIni sont souvent dans les
iutéréts des comités, qUÍ les composent mérnc qnclqucfois, Une
autre classe sur laquelle les comités ont un grand ascendant est
celle des électeurs paysans. 01', persoune n'ignore quelle auto-
rité prennent sur ces hommes ignorants, intéressés et Jitigiem: ,
les avocats et les gens pounus d'oífices jndiciaires , Iesquels
appartiennent ordinairemcnt Ü I'opposition dont ils sont Iréquem-
ment les agents les plus dangoreux. JI n'est pas au pouvoir du
gouvernement du Roi d'apporter , sans le sccours des Clunnbres;
un remede efficace a cette double cause d'agitation. II ne peut
assurer la répression de la licence de la presse , plus qu'elle ne
l'est par les tribunaux, Le gouveruemcnt du Iloi ne peut done
que s'efforcer d' éloigner toute cause légitime de mécontentcment
pour le présent et de crainte ponr l'avenir ; de Iaire , en un mot,
que l'agitation excitée et entretcuue par la presse et les comités
soit sans aucun fondement réel, 01', il croit qu'il en cst ainsi. ))
Crtte conchision }}'étc?lt pes td:s-redolltldJ}e ni ateaeceate. (]ff




CIIAPlTHE XXL 22i
Be voit pas dans que! objet ce Mémoire avait été rédigé. On
dénoncait la loi électorale, la presse libre, les comités directeurs:
uiais en merne temps on avouait qu'on ne pouvait rien contre ce
svstémc sans le secours des Charnbres; on restait dans les voies
legales et parlernentaires; et cependant tout esprit raisonnable
devait voir qu'il était impossihle au ministere d'obtenir des
Chambres un remede aux maux qu'il dénoncait comme mortels
pour la monarchie ! D'un autre coté, on disait dans le lUémoire
qu'une déciation momentancc a la Charte était une ressource
légale qu'on se réservait pour l'avenir ; et avec eette préoccupa-
tion d'esprit et les doctrines du pouvoir eonstituant, on devait
étre amené par la force des choses aux eoups d'État.


Aux prcmieres divisions qui existaient déjh dans le Conseil vint
hientót se joindre un troisiéme partí. 1\1. de villele avait atta-
qué avee violenee l'administration de ?\I. de Martignac , sur la-
quelle il n'avait cessé de manifcster son mépris ; a la tribune il
gardait encere quelque modération; mais dans ses confidenees
il n'avait mis aucune mesure. Je puis dire que lU. de Villele fa-
vorisa la séparation de la droite d'avec le ministere Martignac :
il avait pourtant été tuut a fait en dehors du mouvement qui
avait porté 1\1. de Polignac aux affaires. Ille eonsidérait eomme
un niais et un incapable ; son ambition était de lui sueeéder pour
ramener le Cahinet a des proportions d'affaires, 01' pouvait-il
arriver ~l ce résultat avcc la majorité élecrorale de 1828 ? J1l. de
villele avait de la rancune eontre la Chambre qui l'avait renversé
et qui avait traité son systeme de deplorable. Son journal de
prédilection attaquait saus cesse sa majorité , poussait avec vi-
gueur a sa dissolution , seul moyen de salut , disait-il , qui res-
tait a la monarchie ; la Gazctte déuoucait l'ineapaeité de lH. de
Polignac ct de son parti ; elle assurait que si la dissolution était
coníiée ades houunes hábiles et d'affaires, on répondait des élec-
tions ; elle poussait M. de villelc, qui tout ~l coup arriva aParís
apres la prorogation : ses amis lui avaient écrit que le moment
était venu pour ressaisir le Pouvoir. 011 fit une premiere tenta-
tive , eelle d'un rapprcchemcnt 'entre M. de Yillele et 1\1. de




228 HISTOIRE DE LA RESTAURATlüN.
Peyronnet. Un diner cut lieu dans cet objet chez M. Ollivier ,
de la Seine; les deux anciens collegues sortirent tres-mécon-
tents I'un de I'autre; l\l. de Peyronuet déelara meme qu'il avait
assez longtemps souífert un interrnédiaire entre le Iloi et lui , et
que cela ne se reproduirait plus. JU. de Yillele ason tour s'ex-
prima tres-vivement contre l\l. de Peyronnet, Tout arrange-
ment fut des lors reconnu impossible. M. de VillNe fit quelques
tentatives aupres de Charles X; elles furent plus rnalheureuses
encore. La premiere fois que JU. de Villclc vit le Roi, le
prince ne lui parla pas affaires , et aflecta mérne de lui deman-
del' a plusieurs reprises des nouvelles de sa famillc. La préoccu-
pation du Roi était que les Royalistes, bien secondés par le
Pouvoir, devaient avoir la inajorité dans les élections comme ils
l'avaient eue en 1815 et en 18'14. Charles X était naturellement
porté pour la dissolution, en la confiant cependant en des mains
habiles et décidées. Dans eette voie nouvelle de force et de vio-
Ienee, les caracteres de MM. de Chabrol et de Courvoisier ne
pouvaient plus convenir. Le Roi les traitait depuis longtemps
sans abandon et sans confiance; on voyait bien qu'il se prépa-
rait au dehors un parti de coups de folie qui ne leur permettrait
plus de rester au ConseiJ. Enfin fut poseenettement la question
de savoir si la Chambre serait dissoute. MM. de Chabrol et de
Courvoisier s'y opposerent ; l'état des esprits leur paraissait tel
qu'il y aurait impossibilité absolue d'obtenir des élections , non-
seulement royalistes , mais rnodérées; et quels reproches n'au-
rait-on pas a se faire? N'était-il pas prudent de modifier le
ministére de telle sorte qu'on püt répondre aux opinions et aux
intéréts de la Chambre des Députés? La majorité du Conseil , y
compris méme )1. Guernon de Hanville qui avait voté contre la
prorogation, se décida pour la dissolution de la Chambre , paree
qu'illui paraissait impossible de se préscntcr devant une majo-
rité qu'on avait paru craindre en la prorogeant. l\jnsi triom-
phaient les conseils du partí de la violence; et quels hommes
allait-on appeler aux affaires ? On avait tenté encore le rappro-
chcment de M. de villele, mais le Iloi n'avait plus aucun goüt




CHAPlTRE xx ro 229
pour son ancien premier ministre; il le eroyait un obstacle a la
fusion complete des Rovalistes. Sa présenee au Conseil n'allait-
elle pas réveiller la contre-opposition ? l\I. de Villele, de son
coté, ne voulait pas subir les chances d'une éleetion a faire; il
désirait les voir s'accomplir avant de prendre un parti; tout
ce qu'onlui disait pour le déterminer n'avait aueun poids. lU. de
Peyronnet n'avait ni les mémes eraintes ni les mémes serupules;
depuis longtemps on travaillait a le faire arriver aux affaires ,
d'oú il était repoussé par les répugnanees de lU. le Dauphin; on
ne le placait pas a la justice , mais a l'intérieur, cal' il répondait
des éleetions : on l'appelait comme un hornme de fermeté et de
capacité. Charles X avait cette eonfiance en sa personne.


lU. de Chantelauze avait déelaré qu'il n'aceepterait un mi-
nistére qu'avec M. de Peyronnet; et i\l. de Chantelauze, tres-
aimé du Dauphin, paraissait un homme indispensable. l\I. de
Chantelauze avait une grande facilité de paroles; au reste,
n'avait-il pas demandé dans la derniere session que la rovauté
Iit un 5 septembre monarchique t Quant a1\1. Capelle, c'était
une main tres-habile a conduire les éleetions, et dans la nou-
vcllc direetion qu'on avait imprimée aux affaires , il était devenu
en quelque sorte une nécessité. {( Lui seul connait les éleetions,
disait Charles X; je n'ai eonfiance qu'en Iui au cas d'une disso-
lution ; s'il n'y avait pas de ministere , il faudrait lui en créer
un. » Tout ce ehangement se préparait directement par le Roi,
qui écrivait au président du Conseil: « Je vous rcnvoie, mon eher
,J ules, la longue lettre de 1\1. de Chantelauze ; eelle de mon fils I
disait tout, excepté le fin mot de la chose , e'est qu 'il a peur de
perdre une place agréable et inamovible pour en prendre une
malheureusement trop amovible. Au surplus , je ne change rien
amon projet , et s'il nous convient toujours, conune je le crois ,
n011S le ferons presser par Peyronnet, }) :\1. de Chantelauze ne
mauifestait aueun désir d'arriver aux aflaires. {( Nous avons l'un


1 Ce prince arrivait de Grcnoblc , OÚ il scrnblcrnit qu'il avait été
attlré , a son rctour de Provcnce, par le dcssein d'une entrcvue avee
}1. de Chantelauzc.


IY. 20 .'I




230 HISTOIREDE LA RESTAURATION.
envers l'autre gardé un long silence, écrivait-il a son Irere , jc
viens le rompre le premier, cal' je ne veux pas que tu apprennes
par le Moniteur, et avec le publie, l' évéuemcnt le plus malheu-
reux de ma vie; e' est ma nomination comme garde des sceaux :
voila deux mois que j'oppose une résistance soutenue a mon
entrée au Consei1. On ne me laisse plus, meme aujourd 'hui,
mon libre arbitre, et les ordres qui me sont donnés ne me
permettent plus que l'obéissance..Te me résigne a ce role de
victime. Veille sur les élections , cal' y éehouer serait mainte-
nant pour moi une ehose honteuse. )) M. de Chantelauze appelait
surtout 1\1. de Peyronnet au ministere. « Sa présence au Conseil ,
disait-il, leverait quelques objections qui me sont personnelles:
cal' un engagement que je ne puis rompre me Iie en quelque
sorte a ses destinées politiqucs, Il m'en coüte d'avouer que
meme en ce cas j'aurais encore une peine tres-grande a me dé-
terminer au sacrifico qu'on me demande. »


Toutes ces modifications se fireut en dehors du Conseil , par
l'intermédiaire de son président et du Hoi lui-méme ; le prince
de Polignac recommandait le plus profond secret a l\J. de Chan-
telauze. « Je n'ai pas besoin de vous dire , lui écrivait-il , que le
plus grand secret doit étre gardé sur le contenu de cette lettre,
qui n'est connue que des deux augustes personnages qui s'y trou-
vent nommés. )) Ce qui plaisait au Iloi dans le prince de Po-
lignac, e' était précisément ce dévouement absolu qui permettait
au souverain de eonduire ses aflaires, Charles X aimait ces tri-
potages d'intérieur; il se eomplaisait a Iaire des ministres et a
les défaire. 1\1. Capelle était son agent le plus intime; je erois
qu'il eut quelque part a eette derniere corubinaison ; elle était
arrétée des la fin d'avril, mais point encere eonnue, Iorsque
parut l'ordonnance de dissolution el la couvocation des colléges
électoraux, savoir : ceux d' arrondissement et eeux des departe-
ments qui n'avaient qu'un collége, pour le 23 juin; les colléges
départementaux pour le 3 juillet , et le eollége du département
de la Corse pour le 20 juillet. La mérne ordonnance convoquait
les Chamhres pour le 3 aoüt. La dissolutiou étant ainsí arrétée




CHAPITRE XXV. 231
comme question de cabinet, les démissions de MM. de Chabrol
et de Courvoisier, depuis longtemps convenues et préparées ,
furent décídées , et 1\1. de Polignac annonca au Conseilles non-
reíles nominations..Elles avaient été jusque-Ia cachées auxautres
secrétaires el' J~tat, chose assez curieuse sous un systeme res-
ponsable. Deux ministres, parrni lesquels I\I. Guernon de Ran-
ville , s'en plaignircnt avec vívacité , et parlérent meme de leur
démission; mais le Hoi leur íit (Jire « qu'il mettait un prix ex-
treme ~l ce qu'ils restasscnt au conseil dans la erise qui menacait
la Couronne, » Charles X déclara qu'il était personnellement
satisfait de ses nouveaux couseillers. M. de Peyronnet lui paráis-
sait un hornme d'action , lU. de Chantclauze un orateur distin-
gué; quant ¿l M. Capelle, il avait eréé un ministere tout exprés
pour lui , tant, je le répete , il eroyait sa eoopération indispen-
sable pour le succes des élections. Cette révolution ministérielle
n'était point favorable 11 1\1. de Polignac , quoiqu'il en füt l'in-
strument, 1\1. de Peyronnet ne pouvait rester en seconde ligue
dans un rninistcre ; son hut était de se débarrasser de 1\1. de
Polignac. Sous main , plus d'une proposition avait été faite a
des sommités politiques , et nous ne pouvons mettre en doute
que 1\1:\1. Pasquier, Laiué ct de JUartignac n'aient été sondés sur
la question de savoir s'ils entreraient daus un ministére avec
~I. de Pevronnet. Ainsi ce ministcre qui était décidé aux coups
de force n'était pas lui-mcme en harmonie : tont se faisait par
coterie , par ces jalousies de courtisans qui diviscnt les palais.
l ..es deux ministres qui sortaicnt du Cabinet emportaient avec
eux les derniéres espérances de modération. ]U. de Courvoisier
était souílrant : cette sphere de folies, de coups d'État , d'agita-
tions ne convenait pas a son caractere. 1\1. de Chabrol eut une
derniére audicnce de Charles X. « Je suis raché que vous nous
quittiez , dit le Iloi , mais, je le concois , les choses vont trop
vite pour votre caractérc. Au reste, jc parlerai aux électeurs
dans une proclamation royale , et iJ pourra leur en cuire 1 s'ils


1 Ce fut la propre erpressíonde Charles X.




232 HISTOIRE DE I,A RESTAURATION.
m'envoient de mauvais choix. Vous avez mal "U la situation,
mon eher Chabrol; je me suis rarement trompé : si les électeurs
font de la sédition, eh bien! je ne veux pas monter comme mon
frére , la, sur cette place ) , dit-il en montrant le monument de
Louis XVI.


Le caractere de l\I. de Polignae, les idées personnelles de
CharlesX effrayaient les cabiuets, L'Europcjouissaitdepuisquinze
ans de la paix la plus profonde, a peine troublée par quelques
différends particuliers ; une conféreuce s'était établie a Lon-
dres pour résoudre les dífficultés territoriales et politiques que
pouvait soulever la eonstitution du nouvcau royaurne de la
Crece ; l\I. le duc de Laval, le prince de Liéven ct le duc de
Wellington s'étaient posés comme les eontinuateurs des pro-
tocoles de 1827. La diplomatie avait un grand désir de main-
tenir lapaix, quoique des symptómes de divisions se fussentdéja
manifestés; e'est ainsi que la campagne du Danube avait vive-
ment excité les inquietudes de l' Angleterre : le prince de ñlet-
ternich était méeontent de l'influence de la Ilussie , et avait re-
fusé de prendre part aux protocoles relatifs ~I la Creco. Toute-
fois les Cabinets avaient un besoin de paix si profondément senti,
que tous ces mécontentements devaieut se réduire ades'éven-
tualités d'un lointain avenir. La situation de la France absorbait
l'attention de l'extérieur ;on ne croyait pas aune révolutionim-
minente, mais le hruit de coups d'Úat s'était partout répandu,
Il y a une eertaine renommée retentissante qui devanee les évé-
nements. A Saint-Pétersbourg, le duc de Mortemart, en prenant
son audienee de eongé de l'Empereur, avait eu avecle Czar une
conversation intime SUl' les affaires de Franco : « Dites au Roi,
lui avait répété l'empereur Nieolas aplusieurs reprises, que je le
remercie bien du bon concours qu'il m'a prété pour les affaires
d'Orient; mais dites-Iui avec cela qu'il n'écoute pas ceux de ses
alentours qui sont assez fous pour lui consciller de sortir de la
Charte, cal' YOUS savez, mon chcr duc, qne nous ne pouvons en
ce cas le soutenir; les traités de 1814 et de 1815 nous obligent
adéfendre les Ronrhons et la Charte, et jamais l'un sans l'autre. )J




CHAPlTRE xxv, 233
1\1. le duc de Mortemart se hüta d'écrire cette conversation; a
son arrivée aParis, il crut nécessaire d'en parler aCharles X.
Le Roi haussa les épaules : ( Vous révez done aussi les coups
d'État; qui vous a dit qu'on voulait sortir de la Charte? » Quel-
ques jours apres , 1\1. de Mortemart recut une lettre de 1\1. de
Nesselrode, oú les craintes de l'Europe étaient encore exprimées.
Charles X, aqui le duc de lUortemart la eommuniqua , répon-
dit : ( Écrivez qu'il n'y a pas un mot de vrai en tout ce qu'on
raconte. »


A Vienne, lU. de Rayneval fut également pressenti par l\I. de
lUetternieh sur cette question des eoups d'État, l\I. de Rayneval,
homme trop éclairé ponr ne pas comprendre la situation réelle
des choses en France, répondit par de vaguesassuranees, et puis,
dans l'intimité, il exprima toutes ses craintes sur les coups de
folie d'un parti, 1\1. de l\letternieh, avec sa sagacité si haute, si
réfléchie, déclara : « que si le roi Charles X attendait sur la dé-
fensive l'attaque illégale des partis, l'Europe devait garantie a
la dynastie des Bourbons ; mais que si l'initiative était prise par
le roi de Frailee eontre la Charte , on ne pourrait répondre de
rien, que chaque Puissance prendrait des lors les précautions
personnelles que sa position lui suggererait, » l\l. de Rayneval
fut autorisé a écrire dans ce sens a sa Cour. I,e duc de Laval, a
Londres, n'cut pas as'expliquer avec le duc de WeIlington; il Y
eut une idée populaire alors répandue, asavoir : que le premier
ministre anglais n'avait pas été étranger aux conseilsqui avaient
determiné les ordounances. Ceci est inexacto Si le duc de 'Vel-
lingt.on vit avee satisfaetion l'arrivéc du prinee de Polignae
comme un moyeu d'aílaiblir l'intimité de la France et de la
Ilussie , trop rapprochée sous 1\I. de la Féronnays, il ne con-
seilla jamais le moindre aete contre la eonstitution; torys et
whigs , en Angletcrre , étaient également d'accord sur ce point;
l'idée d'un coup d'État ne pouvait germer dans la tete d'un pre-
miel' ministre anglais. L'cxpédition d'Alger oecupait plus sé-
rieusement l'Anglctcrrc que la situation intérieure de la Francc;
cette attitude helliqueusc des Bourbons jetait de l'inquiétude et




23ft HIsrOIRE DE LA RESrAURATION..
.de la froidenr; des explieations étaient demandées et obtenues;
mais il se mélait aux notes de la Franee une expression de fierté
et d'indépendance qui déplaisait aux ehefs du Cabinet anglais.
L'Angleterre, qui avait si fortement soutenu la dynastie des
Bourbons en 1814, avait aujourd'hui intérét 11 délaisser sesdes-
tinées.


Ces événements du Conseil étaient d'une nature trop grave
pour qu'ils n'excitassent pas un tres-vif intérét dans le eorps di-
plomatique. Nous avonslaissé l'Europe aux prises avec quelques
questions solennelles. La seeonde eampagne de la Russie avait
mis fin a la guerre eontre la Porte; les drapeaux russes s'étaíent
montrés sous Constantinople; l'intervention des trois Puissanees,
l'Angleterre, la Franee et l'Autriohc, avait rappelé a l'ernpereur
Nicolas ses engagements politiques, tes Russes s'étaient retirés ,
et les bases provisoiresd'un traité avaient été jetées et admises.
Cettediffieulté était done ajournée. La Crece indépendante voyait
également alors deux résultats s'accomplir : on finissait la ques·
tion des frontieres et de leur limitation; on lui donnait une
forme monarchique, et des négociations s'engageaient sur le
choix du souverain appelé a régir ee nouvel État. Tout en sui-
vant ces négociations avec sollicitude, l'Europc commencait a
s'inquiéter de la situation de la Franee; elle considérait la erise
eomme imminente. J'ai eu dans les mains des dépéches qui fu-
rent lues au Conseil des ministres, l'une de Pétershourg, l'autre
de 1\1. de RaynevalaVienne: toutes deux rapportent des conver-
sations d'une grande importance. D'ailleurs le eorps diplomati-
que 11 Paris pouvait 11 peine ahorder M. de Polignac; rarement il
lui aceordait ces conférences d'intimité que les ambassadeurs
recherchent pour eonnaitre la pensée d'un Cahinet ; M. POZZO
di Borgo, lord Stewart, M. d' Apony, en exprimaient dn mécon-
tentement 11 Ieur Cour. Il n'y avait de hantemcnt protégé aux
affaires étrangeres que le nonce du pape Lamhruschini, person-
nage influcnt aupres de Charles X, ct dirigeant sous main la
partie religieuse de Chátcau qui avait une si grande aetion dans
les affaircs,




CHAPITRE xxv. 335
On sortit un peu de eette ligne de petites choses et de petites


affaires al'oeeasion d'AIger. Je dois étre d'autant plus précis et
exact sur cette question qu'elle est encore un point de haute
difficulté diplomatique, La querelle de la France avec la régence
d'Alger remontait loin. Il s'agissaitde la répartition des indem-
nités fixées par un traité définitif sous le ministére du maréchal
Couvion-Saint-Cvr. Ai-je besoin de rappeler que de vives et
peut-étre imprudentes explications avec le dey arnenérent ce
coup d'éventail qui retentit dans une guerre! L'insulte avait été
soufferte sous le ministere de 1\1. de Damas. On ne songeaitpoint
alors a une expédition ; on se borna ¿l quelques notes: plus tard
la question s'agranrlit, Depuis 1814 tous les congres s'étaient
occupés de la piraterie. JI entrait dans la pensée des souverains
qui avaient abolí la traite des Noirs d'anéantir également ce
pillage de corsaires, cet esclavage de chrétiens, ce tribut hon-
teux auquella plupart des Puissances maritimes étaient soumi-
ses. L'expédition de lord Exmouth avait témoigné de ces géné-
reuses intentions; l'Europe tout entiere s'y était intéressée.
Depuis, la régcnce avait continué ce cruel commerce d'hommes:
elle piJIait les navires du Pape et du roi de Sardaigne; le pavillon
de Franco était insulté; alors des précautions maritimes furent
concertées. On tint un hlocus difficile dans des plages orageuses.
Déja sous I'administration de M. de Caux on avait dressé le plan
de campagne, tracé la stratégie d' un siége, et la marine avait
été consultée par 1\1. Hyde de Neuville. L'insulte soufferte par
le capitaine La Bretoniere avait aggravé les difficultés. On ne
pouvait subir de telles humiliations; d'un autre coté, le nonce
pressait le Roi pour qu'il eüt l'honneur d'étre en quelque sorte
1e gonfalonier du pape, et le vengeur des insultes du Saint-
Siége. La marine, plnsieurs fois consultée, avait toujours ré-
pondu que la situation d'Algcr était tclle qu'on ne pouvait ré-
pondre d'un débarquement. Il existe aux dépóts de la guerre et
de la marine de volumincux !Uémoires sur cette question d'un
débarquement; presque tous témoignaient de~ grandes diffi-
cultés qu'offraientles cótes d'Alger. Une premiere idée avait été




236 HISTOIRE DE LA RESTAURATJON.
exposée au Conseil par le prinee de Polignae : il avait engagé
une négociation avee le paeha d'Égyte; moyennant dix millions
et trois vaisseaux de haut bord que lui donnait la Franee, le
paeha s'obligeait a détruire Alger. Il y avait quelque avantage ~l
ce plan; on ne eourait aueun risque; le sang francais était
épargné; on évitait des dépenses, Plusieurs des membres du
Conseil, particuliérement MM. de Courvoisier et Guernon de
Ranville, s'opposerent a ce traité, qui ne put d'ailleurs s'eífec-
tuer, attendu que le Grand-Seigneur ne voulut pas aeeorder le
firman nécessaire au paeha pour attaquer un vassal de la Porte.
Des lors il fut résolu qu'une expédition francaise serait destinée
pour Alger. La question pouvait s'envisagcr sous deux faces:
1°. par rapport aux subsides en faee des Chambres ; 2°. en ce
qui touehait I'Europe, dont eette expédition appelait la vivesol-
licitude. Sur le premier point, 1\1. de Polignae éluda la diffi-
culté. Il avait en mainl'autorisation d'un emprunt; on l'avait fait
au plus haut prix possible, a 102 fr. en !l p. 100; 80 millions
suffisaient au dela pour ces ressources. On commeucait a
parler des trésors de la Casauba, qu'on évaluait au moins aux
frais de l'expédition. Des eomptes presque détaillés étaient en-
voyés par quelques négociants juifs qu'on avait attirés aux ínté-
réts de la Franee. Quant aux cabinets étrangcrs, il n'y avait de
préeisément inquiet sur l' expédition eontre Alger que l'An-
gleterre; aussi un échange tres-actif de notes s'engagea entre le
comte d'Aherdeen et M. de LavaI ~l Londres, sir Stewart de
Rothsay et 1\1. de Poliguae a Paris, Sir Stewart recut l'ordre de
sa Cour de poser a1\1. de Polignae cette question : « Au eas OU
l'expédition préparée par la Franee centre la régence d'Alger
irait a ses fins, quelles seraient les intentions ultérieures du
Gouvernement francais? » tu. de Laval communiqua la réponse
suivante au comte d'Ahcrdeen : « Si dans lalutte qui se prépare
il arrivait que le gouvernement aetuel <1'Alger Iút dissous , dans
ce cas le Hoi , dont les vues en cette circonstance sont tout afait
désintéressées , se concertera avec SPS alliés pour aviser au
nouvel ordre de ehosesqui devra étre établi , au plusgrand avan-




CHAPITRE xxv. 237
tagede la chrétienté , et dans le triple hut qu'on s'est proposé. ))
En réponse 11. eette note, le comte d'Aberdeen déclara qu' en
exprimant toute ]a confiance de S. M. Britannique pour les
vues désiutéressées de la France , íl paraissait cependant que le


..


hut de l'expédition n'était pas ordinaire, et qu'on ne se propo-
sait pas seulement d'obtenir une réparation, ou d'infliger un
chátirnent, Cequí étonnait surtout le eomte d'Aberdeen, c'était
qu'en toute eette négociation il ne fút pas une seule fois ques-
tion de la Porte, dont le dey d'AIgcr était le vassal; Sa Sei-
gneurie persistait 11. dcmander au eabinet francais une déclara-
tion précise qu'il renoncait ¿l toutc idéede possession ou d'agran-
dissement territorial. lH. de Polignac resta toujours dans des
termes évasifs , en déclarant que le Gouvernement francaís ferait
rédiger un lUémoire ou manifeste, dans lequel les intentions et
le but de l'entreprise seraient nettement exposés. Ceci donna
lieu 11. de nouvelles dépéches,


Le 4. mai 1830, le comte d'Aherdeen écrivait alord Stewart :
(( Jlylord, le retard mis par le Gouvernement francaisadonner
sur ses intentions ultérieures relativcmcnt a Alger des explica-
tionsplus précises ct plus ofliciclles a canse ici une grande sur-
prisco Les promesscs de JI. de Polignac a eet égard ont été si
fréquentes ct si positives , que le Gouvcrnement de Sa ~lajesté
ne peut comprendre encere les motifs d'un pareil délai. Il faut
le dire , cette affaire cornmeuceaprcndre une tournure fácheuse,
et par éveiller des soupcons qui d'abord étaient bien éloignés de
notre pensée. lU. de Polignac nous a fait dire qu'il espérait que
nos prétentions ne seraient pas assez déraisonnables pour le for-
cer 11. prendre des engagements qui pourraient avoirde Iácheuscs
conséquences pour le gouvernemcnt de Sa lUajesté Trés-Chré-
tienne. Jc n'ai pas besoin de charger Votre Excellence d'assurer
le prince que nous sommes loin de désirer une pareille chose;
mais notrc devoir nous a tracé une ligne de conduite dont il
nous est impossible de nous départir, et ce devoir nous com-
mande évidemment de deiuander une explication officielle des
projets du Gouvernemenl francais en préparant une expédition




238 HISTüIRE DE tA RESTAURATION.
militaire aussi considérable, et telle qu'elle est faite pour éveiller
les soupcons et les craintes dans tont le midi de l'Europe. Votre
Excellence n'ignore pas sans donte que le langage de certains
personnages inílucnts en France, et liés au Gouvernement, est
loin d'étre d'accord avec les assurances verbales que vous avez
revu~s ; c'est un motif de plus pour insister sur nne explication
officielle. Si les projets du Gouvernement francais sont anssipurs
que le prétend )1. de Polignac, rien ne s'oppose , ce nous sem-
hle, ~l ce qu'il nous donne sur ce point une satisfaction com-
plete. Il suffirait, pour cela, d'une déclaration courte et pré-
cise ; ce moyen me semblerait plus convenable , et surtout plus
Iranc que le long et solenncl manifeste que le prince de Polignac
vous a déclaré étre dans l'intention de publier d'apres le désír
de Sa Majesté Tres-Chrétienne. Dans le cas OU les explications
premieres n'auraient pas encore été envoyées a l'ambassadeur
francais a Londres, Votre Excellence devra tücher de voir sans
délai lU. de Polignac , pour lui repróscnter les dangers d'un si-
lence plus prolongó, Apres tout ce qui s'cst passé , le ministre
francais ne doit pas étre surpris que nons nouslaissions aller aux
SOup0ons, et il doit craindre d'assumer la rrsponsabilité de tou-
tes les conséquences désastreuses qui pourraicnt résulter de la
prolongation d'uu pareil état de clioees. JI Ceue fl(fgociatÍon con-
tinua dans des termes aussi vifs, aussi prononcés ; lord Stewart
remit a plusieurs reprises diversos notes 1. JU. de Polignac :
« Répondez, disait le prince, que dans une entreprise accom-
plie par le pays , le Cabinet des Tuileries ne prend conseil que
de l'honneur et de l'intérét du pays. )) De nouvelles explications
furent encorc demandées par le Cahinet bri tannique ; lord Stewart
recut des dépéches irnpératives OÚ on lui ordonnait de voir 1\1. de
Polignac et de le faire expliquer franchemcnt sur ses projets
contre Alger. L'ambassadeur anglais eut plusieurs conférences
avec le président du Conseil, qni lui fit part des vues de la
France, alors entiércment désintéressécs: « lUais, dit lord Stewart,
que dois-je répondre aeette derniere note, qui exige des expli-
rations formelles? )) - ( Je suis censé ne l'avoir pas lue ) , ré-




23~)


qui disaient la
ClJAPITRE XX\.


pondit le prince dc Poliguac, Nobles paroles
fierté diplomatique dll Gouvernement.


Enfin restait une dernierc difliculté : a qui eette expédition
d'Alger serait-elle conliée ? Plusieurs généraux étaient sur les
rangs, et le maréchal Marmont en sollicitait le commandement :
si le Roi ne luí en avait pas tout a fait donné la promesse, du
moins Iuiavair-íl laissé concevoir de grandes espérances, Laques-
tion fut débattue dans le Conseil ; lU. de Bourmont fut préféré
pour le commandemcnt de l'artnée d' Afrique, et Charles X
se chargea d'indemniser le maréchal L'lannont par quelque
autre poste important, M. de Bourmout , dont on ne pou-
vait nier la capacité, souhaitait ardemment de reconquérir la
gloire et l'honucur des hatailles, et M. de Polignac le poussait a
ce commandement , aíin tout a la [oís de préparer un remaníe-
ment qui le débarrassát du ministre de la guerre , et d'avoir ce
ministere asa dispositiou dans la crise presente. Cechoixétonna
et affiigea l'année , cal' 1\1. de Bourmont n'inspirait aucune con-
íiance aux soldats paruii lesquels vivaient les traditions de 'Va-
terloo, lU. de Bourmout , eút-il possédé le génie militaire de
Napoléon , avait un précédent qui le tuait moralement sous la
tente. On s'est demandé si aux iuotifs généreux d'une réparation
nationale s'était melé un sentiment égoíste; si la Restauration
avait cherché la gloirea Alger pour imposer le despotisme ala
France, Je distingue: je crois Ienneuicnt que l'expédition
d' Alger accomplie donna du cceur a la faction qui poussait la
Maison de Bourbon ades violcnces , on se dit maitre de I'armée,
et des fous purent alors se demauder si le Hoi de France , vaiu-
queur d'Alger, pouvait trouver cncore une résistance légitime
dans une majo-ité de Chamhre ; mais de la a un dessein concerté
de rcnverser la coustitu tion sous les murs d'Alger, de prendre au
pas de charge les Iibcrtés publiques, il Yavait quelque difIé-
reuce, OIl lit l'expédiriun dans un but éleré de grandeur et
d'utilité nationale ; on voulait de la gloire sous le drapean blanco
Dirai-je les eílorts ruerveillcux des deux ministeres de la guerre
et de la marine? Jamais préparatifs ne se Iireut avec plus d'ordrc




240 HISTüIRE DE LA RESTAUHATlON.
et d'ensemble ; on l'a déclaré avec jalousie dans le Parlement an-
glais. Ce fut le plus haut point de régularité militaire et admi-
nistrative que cette réunion presquc sans efTorts d'une flotte si
considérable, et d'une armée d'expédition pres(!ue d'élite. D'au-
tres ont raconté les détails des opérations militaires ; elles n'en-
trent point dans le cadre de ce Iivre. Pourquoi ~\ fe souvenir de
gloire de la Restauration se méle-t-il un sentiment pénible qui
serre le cceur ! Pourquoi la victoire nc brilla-r-elle un moment
sur ce drapeau blanc que pour Iecouvrir d'un crépe de deuil !
Quant aux intrigues de I'étranger en ce qui touche les mesures
de violence contre la constitution du pays, il n'en reste aucune
trace. On a bien raconté aune certainc époque que le duc de
Wellington avait conseillé les coups d'État alU. de Polignac, et
que, de plus, il avait promis de les appuyer. Rienn'est moins
exact, Le duc de Wellington était trop habitué aux formes et aux
accidents du gouvernement représentatif en Angleterre pour
appeler des coups d' État dans des circonstances usuelles et qui
tiennent au mouvement naturel da systéme constitutionnel,
C'est un fait avéré : les étrangers furent plutót contristés que
satisfaits des ordonnances de j uillet : ils en prévireut les consé-
qnences, et ces conséquenccs ont été terribles!


M. de Peyronnet, a peine en possessiou fin ministere de l'in-
térieur, appliqua a l'administration publique sa prodigieuse ac-
tivité , cette dramatique ostentation de force dont il aimait a
paradero Les électionsétaient son but principal, et les eireulaires
pressantes appelerent I'unanime concours des administrateurs;
M. de Peyronnet écrivait aux préfets : « Al'égard des fouction-
naires, vous me donnerez sur leur conduite des renseignements
eonfidentiels; je ne les ferai connaitre qu'a leurs ministres res-
peetifs, qui prendront a leur égard les mesures que leur dictera
la prudence. » l\l. de Montbel, dans ses circulaircs adrcssées aux
agents des finances , ajoutait: « Si, en rctour de la confiauce
que le Gouvernement du Roi lui témoigne, un fonctionnaire
publie refusait d'unir ses efforts aux siens et se mettait en oppo-
sition alee lui, il hriserait lui-meme les liens qui l'attachont Ü




CHAPlTRE XXV. 241
l'ac1minislralion. » Ensuite 1'1. de Peyronnet s'oeeupa avec 1\1. Ca-
pelle de deux objets spéciaux : le choix des présidences de col-
lége et un remaníement de préfcctures , quí pút partout imprimer
l'idée d'un pouvoir fort, uni de pensée et agissant; six préfets
furent destitués ou mis a la retraite : MM. de Iliccé , préfet du
Loiret ; de Lézardiére , de la Mayenne; de Beaumont, du Doubs ;
Feutrier, de Lot et Garonne : d' Arros, de la Haute-Loire , et
Fumeron d'Ardeuil , du Val'. On voulait partout un devouement
sans condition. Tout ce qui était incertain fut écarté, Le Gou-
vernement secouait tous ménagcments et toutes concessions;
c'était dans son droit et dans sa destinée. Les travaux de M. de
Peyronnet au ministere de l'intérieur furent alors immenses, La
correspondance avec les préfets, pour pousser les candidats mi-
nistériels et réveiller le zele des électeurs, se ressent de cette
main de fer qui imprima une haute impulsión, Presque partout
les préfets promirent le succes ; mais personne n'ignore que ces
promesses sont renouvelées a tous les systemes , et que bien peu
se réa\isent ~ "Un préfet sau que le meil\eur moyen de bien se
mettre avee un ministre, c'est de répondre selon son désir, sauf
¡¡ cxcnset les désappointements par les circonstances extraordi-
naires et au-dessus des prévisions, Aussi 1\1. de Peyronnet pro-
mettait-il la majorité au Conseil, ou du moins une force capablc
de lutter dans la Chambrc. Pour seconder ce mouvement, on
résolut de renouveler ee qui déja deux fois avait été fait, c'est-
a-dire une proclamation signée du Hoi et adressée a tous les
électeurs: e'était une imitation de la conduite de Louis XVIII
sous le ministerc du duc de Richelieu. Charles X entrait alors
tout ;1 Iait dans l'idée que la parole du roi de Franco produirait
un grand effet sur les électeurs , et qu'en prenant un langage
menacant et en se mettant lui-méme en cause, il ferait peur au
pays, « Franrais , disait le Roi, la derniere Chambra des Dé-
putés a méconnu mes intentions, j'avais droit de cornpter sur
son concours pour faire le bien <fue je méditais, Elle me l'a re-
fusé, Comme pere de mon peuple , mon cceur s'en est affiigé;
commc roi , j'eu ai été oíleusé. )) tes électeurs étaient invités ü
l~ 21




242 HISTOIRE DE LA RESTALRATlON.
repousser le langage insidieux des eunemis du repos public; les
desseins de eeux qui propageaient ces eraintes éehoueraient,
quels qu'ils fussent , devant l'immuahle résolution du monarque :
« Électeurs! hátez-vousde vousrendre dans voseolléges, qu'une
négligence répréhensible ne les prive .as de votre présenee!
qu'un méme sentiment vous anime, qu'un méme drapeau vous
rallie! C'est votre Roi qui vous le demande, c'est un pere qui
vous appelle. Remplissez vos devoirs, je saurai remplir les
miens. » lU. de Polignae avait centre-signé cette proclamation ,
eomme président du Conseil des ministres et pour manifester
eneore d'une maniere plus nette et plus direetc qu'elle contenait
la véritable expression des sentiments du Cabinet. Il y avait
quelque chose de plus triste et de plus sérieux en tont ceci :
c'était de voir la Couronne mise en jeu , de la voir se jeter tete
baissée dans une lutte qui n'allait pas eneore au dela du minis-
tére ; elle faisait de l'adresse toute parlementaire de la Chambre
un outrage au tróne , de sorte que la Hoyauté se mettait en eette
position , qu'au eas de la réélection 'des 221 elle 11e pouvait faire
autre ehose qu'un abandon de ses droits ou un appel ala force.


C'était a eette douloureuse extrémité que le Hoi voulait
se réduire. Charles X paraissait alors décidé a jouer le tout
pour le tout; il ne s'en caehait pas dans ses audiences aux
présidents des colléges; quelques-uns s'en eflrayerent. Le Roi
dit a presque tous: « ñlessieurs , répétez bien aux électeurs que
la Chamhre m'a personnellement manqué, et je ne souffriraipas
qu'on me manque; ils peuvent soulever un contlit, mais je ne
céderai paso » Quelquefois pourtant il revenait ades sentiments
de royale douleur. Quand il recut lU. de Chabrol-Yolvic , préfet
de la Seíne , qui allait présider le collége de Riom, il s'adressa
a luí avee une inquiete sollicitude: « Eh bien! comment París
est-il pour moi ?- Je ne dois pas dissimuler a Votre l\lajesté,
répondit le préfet, que tout est dans l' opposition. » Et des lar-
mes coulérent des yeux du RoL « Que leur ai-je fait? je veux
leur bien pourtant, et j'aí perdu Ieur amour! Dites-moi, M. de
Cllabrol, ne ferais-je pas bien de quiuer la capitale ? » Le préfet




CHAPITRE xxv. 243
répondit: « Que, comme administrateur du département, il ne
pouvait donner un tel conseil au Roi ; Paris avait tant agagner
de sa présence el de sa Cour ! - Vous avez raíson , je resterai,
et l'amour de mes sujets me reviendra. )) lUalheureux prinee,
dont le creur était si bon et le sentiment Irancais si vif! Au
dehors , j amáis l'opinión n' avait été mieux préparée; le vote de
l' adresse , question prineipalc, fondamentale, donnait un
litre saisissable a tous les eandidats; ici , aucune de ces nuanees
d'opinion qui suscitent des répugnances personnelles ne pouvait
mettre du désordre dans les scrutins : on récompensait un vote.
Avait-on voté pour ou contre l'adresse , on était porté OH
cxcIu. C'était une lutte sur un terrain cireonscrit. Cette mani-
festation d'opinion était soutenue par les comités électoraux
et la presse. Partout des banquets patriotiques signalaient le
retour des députés et indiquaient d'avance OU les votes iraient
ahoutir. A Paris , un grand nombre d' électeurs se réunirent et
ofTrirent un diner aux députés de la Seine qui avaient tous voté
I'adresse : dans une de ces réunions toute politique, plusieurs
toasts furent portés avec hardiessc, lU. Odilon Barrot, qui visait
au róle de Péthion aux scénes de 1791, président du banquet ,
remercia les députés de ce qu'ils avaient fait pour les libertés
publiques 'et prédit en quelque sorte I'effrayant avenir d'une ré-
volution, « Vous pouvez, s' écriait-il , compter sur nos suífrages ,
et , si l'on vient a braver lasainteté des lois, le courage des ci-
toyens ne nous manquera paso )) Les comités libéraux opposaient
a l'action puissaute et active de l'administration, des instruc-
tions, des circulaires dans lesquelles ils développaient toutes les
formalités qu'avaient a suivre les électeurs, soit pour leur in-
scription sur les listes, soit pour la libre manifestation des suf-
frages dans les colléges, Enfin , les journaux donnaient une eom-
mune et forre impulsion ~l l'opinión publique, alors violemment
agitée par de sinistres événements qui éclaterent en Normandie,
Dans les départcrnentsde la Manche et du Calvados, des incen-
dies dévastaient les campagnes; ils avaient lieu principalement
dans la nuit ~ le plus souvent de malheureux fermiers en étaient




244 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
les victimes : tout était la proie des flammes : fermes, granges ,
et I'alarme et la terreur régnaient dans ces belles provinces. Le
Gouvernement prit des mesures: des troupes furent mises en
mouvement; les paysans prirent les armes et veillerent eux-
mémes a la süreté de leurs foyers: des régiments de la garde
royale furent dirigés sur les points oú chaque jour ces desastres
efTrayants se renouvelaient. Un voile ténébreux couvre la cause
de ces afTreuses tentatives ; y eut-il la main du Gouvernement ou
des factions cachées? ou bien une atroce monomanie allumait-
elle les torehes d'un stupide désespoir ? J'ai reeherehé avee eon-
science , et je dis la main haute qu'il n'existe aueune trace de
causes politiques dans ces événements. Eh hien! les esprits
étaient ainsi prévenus , qu'on attribua ces trames coupables ¿l
l\'I. de Polignac. Le vent soufilait alors contre la Restauration:
tout la poussait asa ruine. La haine était si vive contre le minis-
tere , qu'on l'eüt aeeusé de l'im]Jossible et eondamné pour la
plus déplorable invraisemblanec. Ce fut au milieu de ces agita-
tions que les éleetions eurent lieu. Quelques localités virent
des désordres; le peuple avait insulté M. de Preissac a ñlontau-
ban , et l'on concluait de la dans la coterie de cour el d'église
que les multitudes é taient fatiguées du joug de la classe électo-
rale, qu'elies étaient dévouées aux Bourhons , et qu'on n'avait
qu'a les laisser se mouvoir pour écraser la Révolution. En ré-
sultat, on ajourna les élections dans vingt départements, On prit
pour prétexte les nombreux proces qui partout éclataient contre
les électeurs. Et malgré toutes ces précautions , malgré les man-
nceuvresministérielles, l'opposition obtint 272 députés, le mi-
nistére 145, en y comprenant encore 13 des députés qui avaient
voté pour l'amendement Lorgeril. Sur les 221 votantsde l'adresse,
202 avaient été réélus , tandis que sur les 181 opposants, le mi-
nistere n'en avait obtenu que 99. Triste résultat paree qu'il
amenait un eonflit inévitahle entre la royauté el le pays, des lors
tous deux en cause. Ainsi la Frunce répondait a la proclamation
royale par une unanime réélection de eeux qu'elle avait voulu
repousser. La partie avait été déplorablemcnt enp;ag(~e, d'abord




C,HAPlTRE XX\'.
sur le terrain de I'adresse ; [mis, ce qui était plus effrayant , sur
celui de la proclamation royale. Y avait-il encore moyen de sau-
ver la Couronne, de la dégager du péril qu'elle s'était créé a
elle-méme ? Oui ! un coup d'État était nécessaire pour sauver le
Pouvoir, mais en quelles mains fut-il confié!


La pensée des coups d']~tat et d'une violente répression en
ras oú la' volonté royale serait méconnue, était vieille dans la
tete de Charles X; toute sa vie s'était passée a méditer ces coups
de hasard qui sauvent ou perdent les couronnes. Autour de lui
s'agitait une petite coterie qui était également dans cette religion
de la force couronnée. Chaque jour arrivaient des lUémoires, des
écrits rédigés avec plus ou moins de talent, oü l'on exposait les
moyens de sauver la royauté ; cal', il faut bien le dire, cette pré-
tention de sauoeur est assez eommune ; chacun s' en donne la mis-
sion , et malheur souvent au pouvoir qui les écoute! Charles X
avait l'oreille facile pour les conseils favorables ala prérogative
absolue. Jc ne rappellerai pas les ouvrages qui furent publiés a
eette époque sur le pouvoir constituant, sur l'article 14 de la
Charte, et les articles de journauxqui poussaient a la dictature;
ces théories étaient Iues par le Roi avec une tendre sollicitude;
il YavaítIaveur dans eette tete pour tout ce qui rappelait les formes
de 1'ancien ordre monarchique. Indépendamment de ces ouvrages
publics, un grand nombre de lUémoires secrets étaient mis sous
les yeux de Charles X , et aboutissaient directement alui. J'en ai
eu plusieurs dans mes mains, et un particuliérement d'un vieil-
lard célébre al' Assemblée constituante, 1\1. Bergasse; il déve-
loppait avec esprit et ténacité les doctrines de l'art. 14; il sou-
tenait que le Roi tenait de sa naissance et de ses droits un haut
proteciorat sur toutes les institutions du pays; que le moment de
crise était arrivé pour la prérogativc royale, qu'elle devait se
montrer; que le peuple était las des brouillons et des agitateurs;
qu'on pouvait tenter tout ce que la royauté croirait utile au salut
du pays, Charles X avait preté serment a la Charte , il est vrai ,
mais l'article 14 était dans cette Charte , et , selon lui , ce n'était
point le violer que de l'invoquer pour son exécution. Tels étaient




246 HISTOIRE DE I.A RESTAURATION.
les raisonnements, corroborés d'ailleursdans laconscience royale
par les exhortationsde quelques serviteurs de l'intimitédu tróne
et les formules légales de M. Franchet. Quand M. de Polignac
prit le ministere au 8 aoüt , la pensée de Charles X n'était point
d'arriver a ces extrémités; e'était dans une inconcevable idée de
majorité que cette combinaison avait été concertée; M. de Poli-
gnac était un instrument dévoué. On pouvait compter sur lui
pour le cas OU il serait nécessaire d'invoquer le pouvoir consti-
tuant. D'ailleurs 1\1. de Polignac était dans cette convietion que
rien n'était impossible dans ses mains; seIon lui la monarehie et
la paix publique avaient deux ennemies implacables: la loiélec-
torale et la démocratie. Il se donnait mission de les réprimer.


Je croisque dans l'esprit du Roi, la possibilité et la légalité d'un
coup d'État étaient depuis longtemps justifiées; mais il n'y cut
rien d'arrété ni de proposé officiellement dans le Conseil jus-
qu'aux derniers jours de juin , époque OÚ les éleetions étant
connues ne laissaient plus de doutes sur l' esprit de la nouvelle
majorité qui arrivait a la Chambre. D'un autre cóté on venait
de recevoir la nouvelle de la prise d'Alger ; celadonnait du cceur.
I ..a Cour faisait des rapproehements ingénieux; le Roi avait
vaincu les Infideles , pourquoi ne pourfendrait-il pas les impies
et les révolutionnaires? On ne parlait jamais dans ectte atmo-
sphere royale que de la néeessité d'en finir. On aveuglait le Roi
par mille prestiges, et eette proeession des forts de la halle OÚ
l'on fit répéter ces stupides paroles de poliee : charbonnier est
maitre chez tui .. ne fut ni la moins curieuse, ni la moins dé-
plorable scene de cette fantasmagorie. 1\laintenant j'ai besoin de
révéler ces conseils de juillet, mysteres inconnus jusqu'a pré-
sent, maisqui appartiennent11 I'histoire. Cefut le 29 juin que pour
la premiere fois la pensée des ordonnanees fut réguhereruent
jetée dans le Conseil ' ; il est possible , et j'ai des raisons pour le


1 La mémoire des ministres n'a point ét(~ cxacte. dans les ínter-
rogatoires de leur procés. lIs ont reculé jusqu'au milicu de [uillet
I'époque 011 il fut question pour la prerniere fois des ordonnanccs en
conseils: la proposition fut antérleure.




f,HAPTTRE XXV. 2l¡7
croire, que quelques-uus des membres du Cabinet aient eu des
confidences antérieures; il n'en existe aucune preuve positive.
Les ministres étaient réunis a la chanccllerie , les affaires étaient
terminées, et les membres du Cabinet causaient ensemble sur
la situation, lorsque l'un d'entre eux 1 dit avec quelque chaleur:
« Au reste, je sais un moyen facile de conjurer tous ces dan-
gers; mais le temps n'en est point venu encore. » Alors ses col-
legues le priérent de s'expliquer. « Pourquoi? dit le ministre, et
a quoi hon encore t » On le pressa plus vivement, et alors il
développa un plan trop complet pour n'avoir pas été médité d'a-
vance ; le résultat était précisément le mérne que celui qu'éta-
blirent plus tard les ordonnances de juillet. Le Conseil éeoutait
ce plan en silence; lU. de Guernon-Ranville éleva le premier la
voix pour combattre ces idées qui lui paraissaient tres-dango-
reuses. Alors s'engagea une forte discussion entre l'auteur du
projet et son collégue, lU. de Peyronnet appuya M. de Guer-
non dans l'opinion de résistance; tous les autres s'ahstinrent de
s'expliquer. Cependant un premier résultat unanime sortit de
cette diseussion. On admit que les mesures de eette nature
n'auraient rien d'inconstitutionnel s'il survenait un eoneours de
circonstanccs tel que I'Úat füt mis en péril imminent et que les
moyens ordinaires fussent insuffisants. Ce point arrété, deux des
ministres en sentirent la portée et voulurent en éviter les consé-


. quences. En sortant du Conseil , lU. de Guernon-RanvilIc saisit
le hras de lU. de Peyronnet et lui dit : « On veut nous entrai-
ner dans une voie plus périlIeuse qu'on ne croit peut-étre. Vous
et moi voyons le danger; tenons-nons fermes, et nous ne pour-
rons manquer d'amener a notre opinion la majorité de nos col-
legues. )) lU. de Guernon-Ranville se trompait; on sortait de la
\oie des ménagernents; le {¡ juillet il fut constant pour le Con-
seil que les élections donneraient contre leur systéme cent voix
de majorilé; alors les ministres se réunírent pour avíser offieiel-


1 Je pourrais indiqucr le nom de ce ministre; mais il est malheureux
et proscrito




248 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
lement ala situation, et l'on reproduisit ce vasteplan proposé dans
le Conseildu 29 juin, c'est-a-dire de recourir a l'article 14 de la
Charte : 1°.en suspendant la liberté de la presse; 2°. en dissolvant
la Chambre des Députés; 3°. enfin en proclamant une nouvelle
organisation électorale. C'estdans uneréunion particuliere du Con-
seil, le 6 juillet, que s'ouvrit cette triste discussion. l!nc seule
voixs'éleva contre la mesure; il parut 11 l.\I. de Guernon-Ranville
que la nécessité, seul cas prévu par l'article 14 de la Charte ,
n' était pas suffisamment justifiée; il parla seul et longtemps.
l\I. de Peyronnet l'avait abandonné. Dans une conférence in-
time, le Roi en avait appelé a son dévouement, et le ministre
n'avait pu résister. Les ordonnances passerent au conseil prépa-
ratoire, et devenues une résolutiondu Cabinct, elles durent étre
soumises au Roí. Il y avait autour de ce prince deux opinions :
l'une, dorninatrice et violente, voulait arriver subitement a sa
mission de coups d'État ; l'autre, plus parlementaire, voulait
aborder la Chambre et ne tenir aucun compte des expressions
de l'adresse , bien sur qu'elle était que la majorité ne refuserait
pas le budget. Cette derniere opinion, soutenue par les roya-
listes qui craignaient un conflit trop violent, était plus sage,
quoiqu' elle n'eüt abouti a aucun résultat; mais elle avait contre
elle la conviction royale. Charles X paraissait alors préoccupé
d'une conversation avec ]U. Royer-Collard : « Croyez-vous ,
avait demandé le monarque, qu'au cas oú le budget serait pré-
senté a la Chambre, elle le rejctterait? »-« Il est possible qu'il
ne le soit pas, avait répondu le président; mais, dans tous les
cas, les discussions que la loi de finan~es fera naitre souléveront
a la tribune des questions qui ébranleront la monarchie jusque
dans ses fondements. ) Ces paroles avaient retenti haut dans l'es-
prit de Charles X; illes rappclait atous ceux qui l'environnaient
comme une prophétie et une justification. JI était devenu tres-
irritable. Ce prince n'écoutait plus personne : quand on lui re-
montrait les dangers d'un systémc de violencc , il avait l'air de
s'impatienter. Le Dauphin Iaisait entendre a peine quelques 01)-
servations: sa timidité naturcllc , son respcct pour le Hoi , em-




eRA PITRE XXY. 249
péchaient toute oppositionsérieuse; la Dauphine était aux Eaux,
et comme on la disait opposée au systeme périlIeux dans lequel
ons'engageait , les conseillers occuItes pressaíent le coup d'État,
afin de proflter de son absence. On n'était sur d'étre écouté du
Roí que Iorsqu'ou tlattait ses velléités de force. 1\1. de Chabrol ,
qui le vit al' époque OU les ordonnances se préparaient, fut sur-
tout frappé de ce changement. Comme I'ancíen ministre déve-
loppait les dangers des coups d'l~:tat, le Roi, dans un moment
de sincérité , lui dit : « :Eh bien! si j'ai besoin de saisir la dicta-
ture , ce ne sera que pour quinze jours ; je l'abdiquerai ensuite. »
te ministre lui répondit: « Sire , s'il est déja bien difficile de
prendre la dictature , il est plus difficile encore de l'abdiquer. »
te Roi n'eut pas l'air d'entendre ces paroles et congédiaen toute
háte 1\1. de Chabrol.


Le 7 juillet le Conseil des ministres se réunit en présence du
Roi et de 1\1. le Dauphin. 1\1. de Guernon-Ranville reproduisit
les causes de son opposition; le Roi l'écouta attentivement, Le
Dauphin ajouta méme : « Votre systéme est plus légal et peut-
étre plus súr ; je serais tres-porté ale préférer : mais la majorité
en a décidé autrement , et je me range a l'opinion commune. »
Chose curicuse , on délibérait un conp d'État par la majorité et
la minorité comme s'il s'était agi d'une mesure ordinaire, d'une
simple ordonnancc d'administration réguliere, Savait-on ce qu'é-
tait un coup (l'~~tat! Pour le tenter il fa~t etre Richelieu ou Na-
poléon. Plusieurs moyens d'application furent ensuite mis en dé-
libérationpar le Conseil; il fut question d'une assemblée com-
posée de pairs, de députés , de membres de conseils généraux
qui , sous le nom de grand Conseil de France et sous la prési-
dence de lU. le Dauphin, serait appelée a donner son avis sur
le moyen de sortir de la crise OU I'Étal se trouvait engagé; ce
qui était une assemblée de notables. On parla aussi d'annuler un
certain nombre d'élections et de procéder avec le reste de la
Chambre , pále copie du 1R fructidor. Triste aberration de l'es-
prit humain ! la rovauté se débattait au milieu de toutes les vio-
lcnrr-s pour évitor l'apnlication d'I1H príncipe simple, parlemen-




250 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
{aire, et qui pouvait tout sauvcr. OIl exposait la Courol1ne plutOt
que de rentrer dans le jeu hahituel du gouvernement represen-
tatif qui , sacrifiant quelques ministres, se met en harmonie avee
la majorité. Tout l'intervalle du 7 juillet, jour oú le principe
des ordonnances fut admis , jusqu'au 25 qu'elles furent défini-
tivement rédigées et signées, tout cet intervalle se passa en me-
sures de précautions , en rédaction , de maniere ¿l étre prét ¿I
tout événement. lHais comme dans les idées de 1\1. de Polignac
la résistance devait étre peu de chose, les précautions leur furent
proportionnées. Le silence fut admirablement gardé ; on avait le
sentiment vague qu'il se préparait des actes déplorables , mais
le publie ne sut rien de positif. Quelques ordres du jour , des
avis seerets qui n'indiquaient rien précisément, pouvaient faire
eroire a la possibilité de quelques événements extraordinaires ;
ensuite d' énormes opérations en baissefaites,disait-on, par l'ordre
de 1\1. d'Haussez; l'envoi d'un courrier aLondres, porteur des
modeles d'ordonnance, réveillérent l'attention du Corpsdiploma-
tique. Des ambassadeurs , et lord Stewarj-particuliérement , s'a-
dresserent a1\1. de Polignac pour Iui deruandcr ce qui était vrai
des bruits qui couraient sur la possibilité d'un coup d'État ; les
ordonnanees étaient arretées depuis deux conseils, et pourtant
1\1. de Polignac déclara que ce n'étaient HI que des bruits de
journaux , des absurdités auxquelles on ne dcvait ajouter aucune
foi, « Pouvons-nous en écrire en ce scns anos Cours ? replique-
rent les ambassadeurs, » - (1 Vous le pouvez , ajouta le prince
de Polignac. )) Ce qu'il ya de plus hizarre encore, quelques jours
avant les ordonnances, M. de l\lortemart , arrivé de Saint-Pé-
tersbourg , eut une audience du Roi et lui communiqua une let-
tre de madame de Nesselrode , dans laquelle le plan des ordon-
nances était entierement indiqué. )) Que veut done dirc cctte
folle? s'écria le Roi ; il n'y a rien de semblable, » - (1 Puis-je
lui répondre en ce sens, reprit 1\1. de l\lortemart. » - « Je vous
y autorise », répliqua le Roi; et 1\1. de Mortemart écrivit. la·
crise touchait ason dénouement et la monarchie asa ruine. Le 23
au soir le rapport sur les ordonnances , ouvrage si remarquable




CHAPlTRE XXv. 251
de )1. de ChauteIauze, fut soumis au Conseil et approuvé par le
Hoi , ainsi que le texte des ordonnauces, On rcnvoya la signature
définitive au lendemain. Tout ceci se passait dans des réunions
du soir, éclairées de la pále lueur de quelques bougies jetées
avec désordre sur des meubles de cabinet. Des hornmes de rai-
son et d'aflaires ne jouent pas aux coups d'État sans une grande
préoccupation d'avenir; l'inconcevable Iégéreté de lU. de Poli-
gnac pouvait bien se faire illusion ; mais le caractere de tristesse
et de solennité qui présidait a ces débats indiquait bien que plu-
sieurs d'entre les ministres avaient le sentiment de la grandeur
des périls auxquels ils exposaient le tróne, Des mots échappaient
~l tout moment; les uns contemplaient le portrait de Strafford ,
d'autres se complaisaient dans la pensée d'un grand dévouement ;
tous savaient la responsabilité qui pesait sur eux. Cette respon-
sahilité , tous voulurent la subir, cal' tous apposérentleur signa-
ture aux ordonnances , comme s'ils s'étaient fait un honneur de
partager un péril COIlUl1Un. Bien n' est plus dangereux aux affai-
res que des consciences mal éclairées , que des homrnes a dé-
vouement el a vues courtes ; ils croient servir le Pouvoir en lui
obéissant comme a une divinité infaillible.


Aureste, l'idéed'un coupd'Étatdescenditdu tróne; ellene surgit
pas au sein du Conseil ; seulement il n'y eut pas dans ce Conseil
une tete assez courageusc pour résister jusqu'au bout a un prince
qui signait I'arrét de mort de sa dynastie. Les ordonnances de
juillet sont le dernier acte de la Ilestauration , la fin de ce grand
drame. Tout ce qui les suivit appartient aune autre époque qu'on
ne peut encore juger et que je prepare silencieusement. L'histoire
dira qu'il y eut bien des fautes commises aprés les fatales 01'-
donnances : aucun moyen militaire pour les faire exécuter. l\I. de
Polignac , imprévoyant jusqu'au bout, ne prévenant méme pas
le Corps diplomatique que le Gouvernement royal était aSaint
Cloud ; les ambassadeurs sans instru ctions; la Cour passant de
l'iUusion a l'abattemcnt; la faction révolutiounaire s'emparant
d'un mouvement qui n'allait pas au renversement de la dynastie,
détruisant la Charle au cri de vice la Citarle I des uéguciations




252 mSTOIRE DE LA RESTAUHATION.
tardives et mal suivies; 1'inexplicable conduite de 1\I. de MOl'te-
mart; un gentilhomme mécontent et sans pouvoir (1\1. de La
Fayette) prononcant al'Hótel-de-Ville, au nom d'une multitude
ivre de sa victoiree , que Charles X avait cessé de régner; enfm
une faction exploitant les terreurs d'un prince qui ne sut point
monter a cheval.


J'achéve la tache de consciencc et de vérité que je m'étais
imposée. tes partis grondaient encore avec violenee autour de
moí , lorsque j'entrepris de tracer 1'histoire d'une époque mal
connue et calomniée; j'avais vu tant de láchetés et d'ingratitudes
froides , que je m'imposai comme un devoir d'honneur de ra-
conter la Restauration telle qu'elle était avec ses bienfaits et ses
fautes! Une vie de solitude qui depuis la révolutíon me met en
dehors du Pouvoir et des partis, m'a rendu ce devoir facile; je
l'ai rempli. La Restauration est tombée! et chacun a pu pré-
voir les causes qui la faisaient »icre el la cause qui la ferait
mourir. Le jour qu'elle s'est changée en contre-révolution,
elle a été perdue, cal' elle n'a plus été qu'une ridicule violenee,
qu'une tentative maladroite d'une coterie eontre le pays. Le
Gouvernement avait pris a plaisir de mettre les choses et les
hommes contre lui ; quand le moment est venu de eomhattre, il
n'a plus eu personne; et pourtant, en tombant, la Restauration
a laissé un grand vide d'ordre et de prospérité publique! Tout
ce que nous avons de liberté , de garanties , de crédit , la vie du
gouvernement représentatif , nous le devons aux quinze années
de restauration : eomment les Bourbons prirent-ils la Frauce, el
eomment l'ont-ils laissée? Qui ne se souvient de la double inva-
sion, de ce territoire désolé , de ee despotisme de soldat, de ce
gouvernement sans liberté, de cette posante organisation 80-
ciale qui ne laissait de consolations que la victoire, Eh bien! les
Bourbons nous rendirent le hien-étre , la parole écrite, cette
puissanee de l'intelligence qui s'essaie et se développe par la
presse; ils nous donnerent la trihune , la paix, le commerce ,
l'industrie et les eapitaux fécondants! Je ne saehe rien de plus
élevé que ces deux grandes branches du gouverncment de la




CIIAPITHE XX \ • 25;-;
Hestauration 1 la diplomatic et les linances. Qui peut oublier
que le gouvernement des Bourbons déchira la carte huuriliante
oú l'Alsace et la Lorraine étaient placées sous la rubrique
d' Austria ~ noble succes du négociateur du traité d' Aix-la-
ChapeJle? Dans toutes les affaires de l'étranger 1 méme aux jours
les plus mauvais, le sentiment de l'honneur le plus profond pré-
sida aux relations diplomatiques; je porte le défi qu'on trouve
une seule dépéche oú les intéréts du pays aient été abandonnés;
et puis 1 cet admirable progres de l'admiuistration des finances1
cet ordre 1 ee crédit établi! le rapport de 1\1. de Chabrol en 18:)0
reste la comme le testament politique et financier de la Restan-
ratiou. EL aquelle époque la pensée des hautes études lit-elle de
plus larges progres! Quel siecle vil de plus grands eílorts d'in-
telligence!


Plusieurs époques distinguercnt la Ilcstauration : 181l~ est un
temps d'essaiet de folie du Pouvoir et des partis; personne n'est
ü sa place; ou sort du dcspotisme; l'autorité et la liberté en face
se craignent et se liennent dans une mutuelle défiance; c'est une
périoded'abord enthousiastepour laHcstauratíon, puis moqueuse
centre l'ancien régime ; les Cent-Jours passeut cornme une espéce
de gouverncment hñtard 1 régime militaire gené en ses allures
par la liberté méfiantc el une représentation incapable. Vient
ensuite la réaction de 181;'), sanglant épisode que les Hoyalistes
imposent ala royauré ; c'est un premier essai de contre-révo-
lution qu'arrétc l'ordonnanco du 5 septembre ; iei la royauté
est en progres ; elle marche largcmcnt ; elle jette a pleines
mains les garanties ; alors les Iactions se montrent a leur tour;
elles rcviennent avec leurs petits intéréts et leurs petites haines,
eflrayant la Couronne par I'expression a peine déguisée de leurs
sinistres dcsseins. Arrivc avcc le duc de Ilichelieu un systeme
intermédiaire , un!' especc de point d'arrét au mouvement révo-
lut.onnaire ; les Itoyalístcs s'en emparent et le dépassent ; maitres
du Pouvoir, ils font un ministere habile , et le forcent néanmoins
a un systérne de réaction religicusc et gcntillátrc qui frappc la
popularité royalc, reconquisc un moment par l'avénemeut de


iv. 22




'254 BI5T0l1\E DE lA RE5TAUl'.ATIO:\.
Charles X, et perdue tout afait lorsque 1\1. de l\larligllac arrive
aux affaires. Ici se montre unc nouvelIe ere de liberté; la Hes-
tauration reparait elle-méme avee ses bienfaits et son caracterc
réparateur. Ce ministére tombe devant une double intrigue de
Cour et de Chambre, et la contre-révolution pleinc et entiére
arrive avec J\I. de Polignac; alors le sol a tremblé sous les pas
de Charles X pour IlOUS servir de la prophétiquc expression dc
Louis XVIII.




,


PR:ECIS


JiF.S


nOc,TRI'\"l~S ]l(H.ITIQlmS., m: I~I\ PUIT.OSOPllIE.,
m: )~'\ I.ITT~~nATlnE 1-:'1' nes AUTS.,


PENDANT LA RESTAURATI0N.


LES hornrnes d'État qui présídent il la marche des Gouver-
nements s'occupcnt surtout des faits un a un, des nécessités
inflexibles de la politique; ils ne remontent que rarement aux
causes générales qui préparent de loin la ruine des systemes,
Les faits sont saillants et visibles, les accidents éclatent avecim-
pétuosité ; le jeu des Chambres , les intrigues d'hommes sont
plus saisissables, e~ s'attachcnt plus directement il l'existence
personnelle des Cabinets; et voila pourquoi on s'en occupe en
laissant échapper ce grand mystére des causes, qui lentement
amenent la chute des Gouvernements et des sociétés, Il est
incontestable, néanmoins , qu'il se fait un travail sourd et pro-
fond, qui n'échappe pas a l'mil du philosophe et du véritable
homme d'État ; la' marche des idées, le mouvement des écoles,
l'esprit de la littérature , et jusqu'a un certain point, la ten-
dance méme des arts , sont souvcnt plus importants pour ex-




256 HISTOIRE DE LA RESTAURATlO~.
pliquer les événements , que les faits isolés de la politique
active.


En Francc , ainsi procede la légereté de notre esprit; mais
en Europe , les hommesde Cabinetqui ont agi sur la destinéedes
rois et des peuples, sont presque toujours des intelligences qui
suivent avec sollicitude l'aspert général d'unc époque, et toutes
les tendances qui doivent en marquer le caractere. Tandis que
quelques administrations vulgaires dédaignent la lecture" méme
des feuiJIes publiques, et se poseut en railleurs ignorantsdenotre
littérature, j'ai .vu le priuce de JIettel'nich, l'homme qui dirige
seul, depuis 32 ans, la politique d'un vasto empire, entouré de
tous les journaux de Frunce et d'Angleterre, du Nord et du l\Iidi
de l'Europe ; il les lit et les commente, non point pour suivre
les faits un ~l un, mais pour s'cmpreindre profondément de la
tendance des esprits et de la marche des opinions; et c'est ce qu'il
appelle sa police : rien de la littératurc ne lui est inconnu, il sait
les livres , il se fait analyser les plus vulgaires ; sesambassades lui
donnent la hiographie de tous les noms qui s'élevcntdanschaque
l~tat; ct eette étude fait de la diplomatic autrichienne une école
supérieure , aussi instruite que capahle, En Ilussie, il n'est pas
un livre de quelque importance qui ne soit parfaitement eonnu
du comte de Nesselrode, et la premiere eondition imposée
aux jeunes éleves des légations , c'est l'intel1igence de cinq
langucs et une juste appréciation des hommes et des choses dans
la littérature et la philosophie.


:'llalheureusement en Frailee, la lutte des esprits est teIle, le
heurtement des opinions si vií , {fu 'il est véritablement impos-
sihle ~l un ministre de s'or cupcr d'autr« chose que de la ques-
tion du qnart d'hcure ; le travail administratif des bnreaux est




rní-:CIS.
immense; la centralisation ne permet pas qu'il s'éleve jamais un
homme d'État d'une portée supérieure, Si Richelieu, Mazarín,
avaient été entourés de dossiers, si Louis XIV avaitété obligé
de décider sur la réparation d'un clocher , auraient-ils jamais
concu un systéme de grandeur pour la monarchie?


Et pourtant ce ne sont pas quelques accidents imprévus qui
ont entrainé la ruine de la Restauration; il est des causes
générales qui tiennent a la pensée philosophique et morale de
la société; la Maison de Bourbon n'est pas tombée par quelques
éclats parIcrncntaires; les ordonnances de juillet n'ont pas été
une improvisation subitement venue a l'esprit de quelques
ministres, mais le développement d'une marche longue, le ré-
sumé de quelques doctrines que le vieux parti royaliste pré-
parait depuis 1.815. La pensée d'un coup d'État profondément
arrétée venait de loin, et devait nécessairement se réaliser
comme le résultat inflexible de certains principes posés par la
cour de JUONSIEUH et les gentilshommes loyaux et fldeles qui
l'avaíent serví de leur épée. S'imaginc-t-on aussi que ces jour-
nées de violence et de guerre , que ce soulévement de peuple
furent spontanés , sans préparation , comrne un coup de haine
ou de folie? Depuis í ñans tout tendait a cela: la philosophie ,
les sciences , l'histoire , et surtout l'éducatíon des classes ínfé-
rieures ; il n'y avait meme pas jusqu'aux théátres protégés
par le Gouvernernent qui n'eussent cette tendance de révo-
lutíons , ;t ce point que les deux derniers opéras commandés
par la maison du Roi furent la Mueue de Portici, c'est-a-dire
un mouvement de place publique qui renverse un Gouverne-
ment 011 disperse une armée ; et Guillaume Tell , ce tablean
do la liberté conquiso an milicu des montagnes ! Cette littéra-




258 HI5TOIRE DE LA RE5TAURATION.
ture de révolte seule eneouragée obtenait des succes : tout
était a la révolution qui marehait puissante. Il parait done es-
sentiel, apres avoir exposé les faits intimes de la Restauration,
de suivre maintenant l'aetion des partis, et d'examiner la part
qu'il faut faire aux doetri~es politiques, a la philosophie, i.
l'histoire, aux arts, pendant la Restauration; travail d'autant
plus sérieux que cette tendanee des doctrines a été alors vive,
irrésistible; elle a jeté sa force corrosive sur la pensée des


.hommes d'État,




CHAPITRE PREMIER.


"tES DOCTRINES POLITIQUES PENDANT LA RESTAURATION.


État des Écoles rolitiques en 181!lo - Les Impérialistes , - Dictature Mili-
taire, - Puissance administrative. - Méfiancc des assemhlées.- Emprunt
aux vieux monarchistes. - Les partisans des idées de 1789 et de 1791.-
M. de Coustaut. - Mme. de Staél. - Ce qu'on appelait les idéologistes. -
MM. Maine de Birau. - Royer-Collard , - Camille Jordan, - Jacobins
disper-ses ou assouplis , - École de la Charte de 1814. - Idée anglaise.
_ Gouvernement représentatif. - Les Royalistes purs. - Lutte entre le
parti provincial et la centralisation.-Réveil des idées révolutionnaires -
Fusion des Impérialistes et des Jacohins dans les Cent-Jours. - Nou-
velle apparition des masses, - Les fédérés, - Triomphe des doctrines
rlu royalisme pur.-Commencemcllt inapercu de l'opposition constitution-
nelle.. - Les éléments doctriuaires. - Les Impérialistes libéraux.-
l'École politique et le gOllveruement. - Haine qu'elle inspire. _. Ori-
gine et principe des sociétés secretes. - Parlage de tribune sur l'écono-
mie politiqueo - Discussions des hudgets. - Les affa ires étrangeres. -
Démolitiou des doctrines gouvcrnementales. - l'École conspiratrice._
Les carhonari. - Le parti politique aux affaires de 181G a 1820. _ Les
doctrinaires unís aux libéraux. - Le gouveruement des Royalistes. -
Les poli tiques dans l'opposition - Coufusion de principes et de doctrines.-
Le ministere Martigllac. - Dérnolition de tout príncipe par la presse.
_ Derniere lutte des monarchistes purs..- Chute de la Restauration.
- Difficultés que eréent au gOllveruement nouveau les doctrines libé..
rales.


181•• -1830.


Lt gouvernemcnt de I'Empirc avait produit un assouplisse-
ment si profond, si entier de toutes les ames, qu'il était im-
possible de trouver une manifestation publique des opinions qui
avaient agité le monde pendant la Hévolutíon francaise ; l'école




260 mSTOIRE DE tA RESTAllRAnON.
dominante, si on pouvait appeler ainsi les honnnes qui servaient
l'administration de l'Empire , se rattaehait a une seulc pensée ,
la dietature militaire; Napolóon s'était posé eomme un Pouvoir
qui sueeédait tout a la fois aux formes monarchiqucs du vieux
régime et a la violente' organisation des Jacobins, A la fin de
l'Empire, les deux seules nuances que 1'0n distinguait méme
dans le Conseil d'État, au sénat comme au Corps législatif,
étaient celles-ei : les monarehistes rattachés au gouvernement
impérial et qui voulaient lui donner les formes assouplies de
politesse et d' obéissanee du vieux régime ; puis , les représen-
tants de l'opinion révolutionnaire qui tout en imprimant la force
et l'énergie des comités au Pouvoir Impérial , voulaient leur
conserver cette rudesse de démocratie qui révélait son origine
de Convention nationale, En toute hypothes« , la dictature était
proclamée avec la haine profonde pour les assemblées, le mé-
pris pour tous déhats publies : aucune presse libre, aueun livre ,
aueune opinion sans la censure, on ne respirait que pour at-
tendre quelques bullctins de victoire , ou quelque annonce de
glorieux exploits; tout se rattachait aI'Empereur comme au prin-
cipe de toute force et de toute grandeur nationale.


Toutefois au milieu de eelte'ileneieuse admiration , survi-
vaient quelques débris des écoles politiques qui s'étaient heur-
tées a l'origine de la Révolution francaisc; si I'on pareourt les
ouvrages de lUllIC de Staí'l , puhliós aux jours les plus hrillants
de Napoléon, on yerra s'y cmpreindrc el s'y révéler les idées
et les principes de la Constituante et de la Législative; quelques
fideles adeptes en dehors des affaires leur rcndaient un culte
secret; Mmc de Staél avee sa hauteur d'esprit el sa puissancede
caractere , n'avait pas tléchi , méme dcvant la proscription; elle
avait gardé son caractcre altier; quelques amis tels que ~Dl. de
Narbonne , de Sabran , ~lontlllOl'(>IH'Y, lui restaient attachés
comme a la derniéro pensée du systemo de M. Necker ; et le
plus élevé de tous , JI. Benjamín de Constant, qu'une reverie
tendré poussait aux aventures romancsqucs ; 1'11t~ l'avait peint
disait-on dans.('oT'ÍJl71e, ('1 :\1. d(' Ctmslantlll' dcvait-il pas lui-




rnj.:CJs. - CHAPlTRE 1. 261
méme se reproduire dans Adolphe~'les hommes supérieurs pla-
cent toujours leur individualisme dans leurs reuvres; eomme ils
sontpréoceupés et souvent aeeablés sous le poids de leur pensée
et de leur vie , ils aiment aen retracer les émotions et asonder
leur plaie saignante. A eette école de lUmede Staél, venaít égale-
ment se joindre le plus grand des éerivains, l\f. de Cháteau-
briand : lui aussi n'aimait pas la tyrannie, il mélait aux prin-
cipes de liberté la grandeur et la force d'une dynastie légitime.
La censure impériale dénaturait en vain leurs livres, l'indigna-
tion de leur ame éclatant dans toutes les pages, échappait méme
~l la surveillance de la police , cal' la pensée haute, puissante,
n'est pas comprise par le sens grossier de quelques commis de
hureaux..


Ce n'était pas encore ici précisément le parti qu'on appelait
idéologiste sous I'Empire; un Pouvoir fort n'aime pas les pen-
seurs; une administration qui se résume en des faits a du
dédain pour ces esprits qui se placent dans la solitude de leur
perfcctibilité pour gouverner les hommes; ce qu'il faut a ces
pouvoirs, e'cst l'action forte , constante, continue de l'autorité ;
pour eux, agir c'est penser; ils veulent marcher a un résultat
sans ces théories de bien absolu qu'il n'est pas donné aux
hommes de réaliser , les esprits qui sous I'Empire se livraient
soit al'économie politique , soit a la philosophie transcendante,
étaient flétris et dénoncés sous le nom d'idéologues; I'Empereur
ainsi les nommait, faisant tres-peu de cas de MM. Maine de
Biran, Iloyer-Collard , Camille Jordan; il se serait bien gardé
de leur confier un poste important dans I'État; si Napoléon
craignait l'esprit actií , remuant de 1\lme de Staél , il se con-
tentait de railler les idéologues, avec cedédain superbe de la
force et de la puissauce. Quant au principe de jacobinisme, a
l'énergique école de 1793, il l'avait assouplie presque entiére-
ment ~l seslois; si quelques jacohins zélésse rappelaient les actes
et lesdoctrines de la Convention nationale, la majorité était en-
trée franchement au service du Gouvernement Impérial; et en
cela. il ne fant pas croire qn'ils fissent nn ahandon ahsoln de




262 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
leurs idées, seulement illes avaient revétuesd'un autre costume ;
le Gouvernement acerbe de I'Empire ressemblait al'énergie du
Comité de salut public, la tete seule était changée. Quand
Mme de Staél avait appelé Napoléon le Bobespierre acheoal ,
elle avait jugé de haut la Révolution francaise ; le dictateur
armé avait succédé aux Comités de salut public, et par le fait,
les principes de cet énergique pouvoir vivaient encere dans l'ad-
ministration, dans l'armée ; les vieux jacobins étaient préfets,
eonseillers d'État, et sous la toque brillante des comtes et des
dues, on voyait flotter les plumes qui naguere ombrageaient les
ehapeaux des représentants du peuple en mission. Seulement
tous ees esprits étaient si assouplis, si profondément abaissés
sous la dictature, qu'il n'y avait plus ni couleurs , ni nuances ,
tous obéissaient a l'immense impulsion qui venait d'un seul
homme; s'ils restaient durs , impitoyables , e' était envers les
administrés et les conserits.


C'est en eet état que la Restauration prit les doctrines politi-
ques, et avee la Charte durent renaitre naturellement les idées
nouvelles et les écoles politiques différentes; la dictature de
l'Empereur avait été trop violente pour qu'il ne se flt pas une
réaction eontre les idées d'autorité et de centralisation qui
l'avaient soutenu au Pouvoir; la Charte sortait de toutes les
combinaisons jusqu'alors adoptées pour la représentation na-
tionale sous le gouvernement de I'Empereur. Deux écoles sem-
blaient appelées adominer la Restauration. tes idéologues, tant
abaissés par Napoléon au temps de sa force et de sa splendeur,
s'étaient relevés au jour d'agonie pour renverser le systeme im-
périal; on l'avait vu au Corps législatif oú MM. l\laine de Biran ,
Flaugergues, avaient fait entendre une opposition qui alors
trouvait de l'écho a l'extérieur. Puis , les idées de Mn'" de Staül
qui avaient fait la Charte; c'était le réveil de la Constituante, le
programme de lUM. l\1ounier, de laIly-Tollendal, de Nar-
bonne, le balancement des deux Pouvoirs et des deux Chambres
comme on l'avait entendu dans la premiare Assemblée nationale;
on vovait revivre l'école anglaise , sans aller jusqu'a la Legisla-




I'HÉCIS. - CHAPITRE 1. 263
. ure.pour reprendre les idées de lU. de La Fayette et de l'école
américaine; on s'arrétait aux États-Cénéraux. En cela les ré-
publicains trouvaient la Charte imparfaite, cal' elle n'était votée
ni par les Chambres ni par le peuple, lei commencent done deux
écoles; l'uue qui s'était rattachée a la Charte avec lU. Royer-
Collard, sans en examiner l'origine, mais qui prenant ces im-
menses concessions de la royauté, cherchait a les développer, a
les grandir pour doter la Franca du gouvernement représentatif;
l'autre qui adoptant certain príncipe de cette Charte en combat-
tait les concessions comme imparfaites , l'origine comme faussc
et I'octroi comme inconstitutionnel. Cette seconde école trouvait
pour représentants 1\1. de La Fayette et les puritains du Sénat,
les régicides tels que 1\11\1. Carnot, Lamhrechts et Grégoire.


Au milieu de cette premiere dissidence s'était élevée l'école
des monarchistes purs , qui voulaient relever le vieux régime ,
et qu'il ne fallait pas confondre avec les partisans du systéme
impérial, qui restaient révolutionnaires d'origine et de principes,
mérne dans leur obéissance a Napoléon. Ce qu'on appelait
royalistes purs étaient les partisans de la pensée de lU. de
Bonald et de lU. de 1\1aist1'e, une certaine douceur et une certaine
force dans le gouvernement paternel de la royauté; ils dédai-
gnaient toutes ces pondérations de pouvoirs, tous ces balance-
ments de Chambres qui venaient pour arréter la puissance du
Roi, le chef de la famille. Ainsi, a l'encontre du principe re..
présentatif étahli dans la Charte, il se formait une école royaliste
qui niait la légitimité et l'utilité de ce gouvernement de Cham-
hres et de tribunes; une dictature éclairée , le pouvoir absolu
ct paternel, tel était leur réve. Déja méme , a l'époque de 1814,
tout est encore chaos et imperfection; on se déméle , on se
dispute, nul n'a le sentiment bien précis de la marche et de
la tendance de ses propres idées; chaqué par ti sent qu'il est
mal al'aise , chaque doctrine ue peut recevoír son développe-
ment absolu ; on est empéché , arre té , jusqu'a .ce que arrive
l'époque des Cent-Jours , oú les opinions se dessinent et de-
viennent plus vivaces.




264 HISTOlRE DE LA nESTAURATIO~.
Cette courte période des Cent-Jours est marquée par un


caractere singuliérement coloré, e'est le réveil du parti jacobin ,
et sa fusion avec les idées impérialístes, Ces deux causes, en se
relevant, se reconnaissent et se donnent la main. J'ai dit que,
sous I'Empire, Iesjacobins , comme parti, n'existaient plus;
les plus fiers s'étaient assouplis a l'école impériale, d'autres
étaient proscrits et dispersés. lUais dans les Cent-Jours ils se
réorganisent comme opinion active et arrnée ; ces idées de
révolte, de faubourg insurgé, si énergiquemcnt proscrites el
comprimées par Napoléon, reparaissent avec un caractére
désordonné et une sombre éncrgic ; on crée les fédérés, qui ne
sont qu'un renouvellemcnt des jacobins organiséssous les comi-
tés; l'insurrection est encere procIamée comme le plus saint des
devoirs; les faubourgs reprennent les piques, la cocarde tricolore
reparait sur le bonnet rouge. Lisez les journaux, e'est le méme
langage qu'au temps de la Convention : on invoque le peuple
et sa souveraineté. Si done le premier. efTet de la Charle de
Louis XVIII a été de donner une grande force aux idéologues el
aux partisans de l'école anglaise, l'époque des Cent-Jours a
remis les armes a la main du partí impérialiste el militaire el de
l'association jacobine ; la Chambre des représentants u'hésite pas
devant les doctrines les plus avancées de la Bévolution. La cou-
stitution que décrete cette Chambre des représentants diflére peu
de la Déclaration des droits de l'homme de 1789. Les jacobins,
en s'éloignant des afTaires, veulent laisser quelque ehose qui
constate leurs intentions de parti et leur passage au pouvoir.


Les Cent-Jours tombent au bruit d'une invasion militaire;
dans ce chaos qui suit une catastrophe si profonde, au milieu
de ce c1iquetis de balonnettes et des malheurs de l'invasion ,
queUes doctrines naissent et surgissent pour le Gouvernemenl
et l'opposition? Les partis jacobin et impérialiste, récemmcnt
vaincus et proscrits, restent sans inflnence sur la société; leurs
doctrines violentes, subversives, paraissent mortes au moins
pour un temps. Alors ces partís se transf. rment; la Charle
leur a laissé encorc assez de lihorté , pour choisir une place




I'HÉCíS. - CHAPlTRE 1. 265
dans le déhat et s'y poser légalement : íls se révelent dans
la presse : mais ne croyez pas qu'ils s'y posent avec les doc-
trines qui leur sont propres. Quand un parti est vaincu, il
se transforme, cal' jI redoute qu 'une doctrine trop tranchée
n'amene la persécution. A ce moment les jaeobins unis aux
bonapartistes se font eonstitutionnels; ce terme si doux, si
légal , leur vient d'une idée fort naturelle qui leur est donnée
par un habile de leur parti; on obtient rarement des succés
lorsqu'on se place en dehors de la eonstitution d'un pays ; le
mieux pour réussir, c'est de travailler en dedans; e'est de pro-
fiterdes prineipes de démolition que laisse éehapper un gouver-
nement pour le renverser plus a 1'aise. Aussi I'organe que le
partijaeobin et impérialiste adopte, s'appellera le Constiuuionnel ;
ce tenue si bénin, eorrespond aux idées de la bourgeoisie; il
ne heurte pas les existences acquises ; le Roi est dans la consti-
tution, et la constitution se personnifie dans le Roi; avec ce
theme on peut aller loin; c'est une modération, un calme, une
timidité digne d'éloges, Comme tout parti vaineu qui a peur, le
Constitutionnel fait I'éloge des ministres; il célebre la sagessede
Louis XVIII; il veut faire sa place; il n'oublie pas qu'il doit sa
vie et son existence a LU. de Richelieu.


Tout a coté du partí libéral qui se fait alors si petit, une autre
transforrnatiou s'opere dans la politique; les idéologues du
Corps législatif , aidés de M. Iloyer-Collard et de quelques par-
tisans de l'éeole anglaise, se posent eomme une nouvelle école
avec le titre de doctrinaire. Cette éeole savante, tres-avancée, n'a
pas d'antécédent, comme lesImpérialistes et les Jaeobins; au fond,
elle les déteste et leur est antipathique, comme tous les réveurs
en faee d'hommes d'action. Si on aIlait méme fouiller au eceur
des doetrinaires, ils sont tous partisans de la légitimité, a
laquelle ils ont donné des gages en échange du pouvoir et des
positions; ils ne demandent pas mieux de seconder le Gouver-
nement, de l'appuyer dans ses actes, dans ses desseins , et leur
capacité est incontestée. A ce moment, ni assez nombreux , ni
assez forts pour gouverner eux-mémes, ils se plaeent sous la


IV. 23




266 HISTOIRE DE LA HESTAUHATlON.
puissanee de l'école politique et lui servent d'auxiliaires, L'école
politique est, en eífet , le nerf et la puissanee dans I'État; elle
pareourt une longue échelle , depuis M. de Talleyrand jusqu'a
1\1. Pasquier; ees tetes gouvernementales ne s'arrétent pas
devant la rigidité d'un principe; elles ne pensent pas qu'il vaut
mieux perdre toute une soeiété que de violer quelques articles
posés sur une feuille de papier ; elles savent que le Pouvoír ne vit
que de tempérament et de transactions. Toutes les fois que l'on
se roidit devant -les inflexibles Iois des circonstances, on perd un
pays; pour les politiques, le pouvoir est une étude ineessante; ils
ne se donnent pas corps et ame aun Gouvernement plutñt qu'a
un autre; ils le servent bien, cherchent, quand i1 s'abandonne a
eux, ale sauver; mais quand ils le voient décidé ase suicider,
ils l'abandonnent ases propres folies et s'arrangent pour l'avenir ;
ils ne comprennent pas le martyre pour ce qui n'est pas dans le
ciel; ils n'ont pas de culte pour ce qui est fort terrestre; et
eomme vis-a-vis d'eux il n'y a pas beaucoup de mystéres dans
le gouvernement humain, i1 n'y a pas de croyances bien fer-
ventes.


A la seconde restauration, l' école doctrinaire se fond dans
l'école politique; mais alors s'éleve , avec une énergie évidem-
ment due a la victoire, le parti royaliste, divisé Iui-méme, car
il est assez fort pour se nuaneer déja: les partisans des ídées de
MM. de Maistre et de Bonald se manifestent ardcmment en 1815
proclamant le pouvoir absolu et paternel, la religion de l'unité ;
ceux-la sont la partie élevée des Royalistes; on y trouve des
écrivains de premier ordre. Mais avee la Chambre de 1815, on
voit arriver des idées et des príncipes qui jusque-la ne s'étaient
pas produits; la gentilhommerie provinciale déborde avec son
organisation de communes, de provinces, comme au temps des
Frondeurs ou des l\1alcontcnts; ils n'out pas les théories de
1\1. de lUaistre sur le pouvoir absolu ; la haine des gentilshommes
de province contre la Cour fut un peu cause de la révolution
de 1789, et la Chambre de 1815 a héritó de ces antipathies
centre París et ses iníluences; elle établit des Iibertés commu..




pní~CIS. - CHAPITRE J. 267
nales fort larges; elle fait école , de maniere 11 effrayer tout a la
fois les royalistes du pouvoir paternel de )1. de Maistre, les doc-
trinaires et les politiques 11 príncipes de tempérament. Le véri-
table développement des doctrines royalistes peut se résumer dans
le remarquahle pamphlet de l\I. de Cháteauhriand, qui parut sous
le titre : De la Monarckie selon la Charte , atravers les expres-
sions de royalisme pur, l\l. de Cháteaubriand établit des doc-
trines fort libérales du systerpe représentatif ; il veut des Chambres
indépendantes, des ministres responsables, des élections com-
hinées dans un sens provincial et de localité ; plus de centralisa-
tion en province et la commune. La ñlonarchie selon la Charte ,
expression du partí royaliste provincial, devient l'évangile de la
Chambra de '1815, qui a ses écrivains et ses théoriciens émi-
ncnts. C'est toujours dans ees développements que le Conserva-
teur est publié; et il faut y reeueillir les pensées intimes de la
droite; la politique transcendante ne peut étre dans de plus ha-
hiles mains que dans celles de l\I. de Bonald; il va loin, mais il
va droit ; en matiére de gouvernement, l'autorité royale e'est la
paternité; la société est un grand tout qui doit se remuer par
une seule et unique pensée. lU. de lUaistre, avec toute la har-
diesse de ses príncipes d'unité , applique au Pape et aux monar-
ehies de l'Europe des théories ¿l peu pres semblables 11 celles de
lU. de Bonald; il considere comme des nécessités passageres
tontc cntrave mise ¿l l'action naturelJe du pouvoir royal; tont le
reste est, selon lui , un protestantisme politique qui aura son
temps et passera. lU. Fiévée , écrivain afacettes et apetits aper-
cns , n'approfondit rien; mais cornme il a passé a travers
l'adrninistration de l'Empire, eomme il a vu les abus des grands
moyens de gouvernement appliqués aux petites ehoses, 1\'1. Fié-
vée a pris en haine un pouvoir trop eentralisé; il aime la gestion
locale, il voudrait que chaqué province s'administrát elle-méme ;
il Ya trop de préfets , trop de fonctionnaires publics, trop de
gens qui mangent l'impüt; le systéme de M. Fiévée, qui de-
vient le grand theme du partí royaliste , c'est de porter le moins
d'aífaires possihle 11 París; la propriété doit se régir eUe-mel1}l~,.




268 HISTOIRE DE tA RESTAURATIOX.
les conseils-généraux de province feront mieux les aííaires que
les commis de Paris. 1\1. d'Herbouville , égaIement l'écrivain
administratif du parti royaliste, a été préfet, et il s'en souvient.
n est aussi théoricien du pouvoir ala maniere de 1\1. de Bonald :
11 il faut réveiller l'Église de France que la Bévolution a dis-
persée; a coté de la province, on veut réorganiser l'épiscopatet
les presbyteres sur les mémes bases que dans l'ancien régime » ;
théorie de gouvernement qui plus tard pourra étro mise ¿l
exécution, lU. de eastelbajac est l' écrivain de la noblesse, de
l'esprit gentilhomme; l\I. de ñlarcellns est la pensée religieuse
avec peu de portée, mais avec un élancement pur et sain vers
Dieu. En tete de cette réunion d'écrivaíns politiques, il faut
placer les deux freres MM. Bertin, qui exercercnt 'une si grande
influence sur les destinées mémes de la Restauration, cal' ils
furent les fondateurs et les créateurs du Journal. des Débais,
c'étaient deux esprits érninents, deux hornmes remarquables :
lU. Bertin l'ainé , doué d'une sagacité instinctive, comprenait
merveilleusernent la tache difficile de diriger un journal, et de
le rnainteuir invariabIernent dans une ligne arrétée ; rude tache
oú l'on s'use : il faut réveilIer la paresse des uns, réprimer la
verve des autres, et dominer l' esprit de tous, pour les faire
produire rapidement et bien; ainsi fut la spécialité de M. Bertin
l'ainé. Son frére , JU. Bertin de Vaux, joignait a cette sagacité
un talent personne1 de rédaction politiquo; précis, mordant , le
sarcasrne effieurait perpétuellernent ses levres ; comme il traitait
aégal avec tous les pouvoirs,parce qu'il était un grand organe
d'opinions, eette pensée de supériorité et une habitude d'af-
faires lui donnaient je nI' sais quoi de puissant et de fort; leur
doctrine était monarchique; mais il y a toujours un peu de dé-
mocratie dans l'indépendance de l'écrivain : iI ne peut pas avoir
un culte pour le Ponvoir qu'il défend ou qu'il combat tous les
jours d'égal a égal, Au reste, pour résumer les doctrines du
partí royaliste a cette époque , il faut dirc que ce partí admettait
bien les droits de la royauté , il la reconnaissait absolue, avec une
origine sainte ot pour ainsi dire ontouréo d'une auréole : mais ,




rn Í':ns. - enAPITRE I. 269
commc les vieux frondeurs , ils disaíent que Mazarin trompaít
le ROÍ, et ils auraíent pris la cape et l'épée pour le combattre.
A coté de la royauté , le pouvoir de l'Église; comme la nation
n'avaít pas eu le droit de prendre les biens du clergé, il fallait
qu' e1le 1ui assurát une dotation immohiliére et indépendante
commc eompensation, afin que son existenee ne füt pas mise
en question ehaque année. La paroisse était le fondement
de la religion , eomme la commune eelui de la société; le Roi
n'avait pas eu en lui-méme la prérogative de sanetionner la
vente des biens des émigrés; mais eomme e'était un fait accom-
pli, sur lequel on ne pouvait plus revenir, on devait des indem-
nités, soit en faveur des anciens propriétaires, soit en faveur
des nouveaux avec restitution; la eommune était le principe
adrninistratif , et la province, l'agglomération naturelle; laisser
beaueoup faire par la localité , effacer la démareation départe-
mentale, revenir aux intendances avee les eonseil-généraux de-
venus assemblées provinciales, et par eonséquent amoindrissc-
ment de hudget, ressort plus facile , actíon plus localisée , teIles
étaicnt ¿l peu prés les bases des doctrines royalistes, aeette pre-
miére période de la Restauration.


J'ai dit que les deux partis , Jaeobin et Impérialiste, étalent
trop complétement battus aprés les Cent-Jours , pour reparaitre
avee leur hanniére propre et leur eouleur innée ; ils s'étaient dé-
guisés sous le titre d'indépendants et de eonstitutionnels; appelés
alorsaformuler un corps de doctrine, ils employerent aceladeux
grandes voix, la tribune et la presse , qui retentirent pendant
quinze ans ; dans cette longue lutte, on peut dire que le parti
lihéral eréa des impossibilités gouvernementales, je ne dis pas
seulementpour la Restauration, mais pour tont régime politique
qui lui succéderait, En général , les opinions embrassent dare
leurs débats toutes les grandes rcssources de la société et k~
branches directes du service publie ; pendant leur lutte contre le
pouvoir les opinions trouverent des organes et des orateurs, qni
furcnt appelés ¿¡ développer leur systeme, Les affaires étrangéres,
par exempl-, ourent trois adversnircs perpétuelleruent en hreche :




270 HISTOlRE DE I.A HESTAURATIO~. .
MIU. Bignon, le général Sébastiani et le général Foy; 01', quelles
theses établirent-ils ? 1\1. Bignon, qui avait passé dans les postes
inférieurs de la diplomatie, et qui savait pcu l'Europe, conser-
vait au fond du cceur raneune aux hommes qui la dirigeaient;
de la peut-étre la vulgarité insignifiante de ses diseours de tri-
bune et de ses broehures surtout : y avait-il quelque chose de
plus destrueteur de toute diplomatie un peu haute que eette théo-
rie de la Sainte-Allianee des peuples eontre la Sainte-Alliance des
Rois? avee ces niaiseries révolutionnaires était-il possible qu'un
gouvernement régulier vous tendit la main ? lorsque vous preniez
pour base de tous rapports la dcstruetion des príncipes du gou-
vernement, de qui pouviez-vous obtenir l'alliance ? qui pouvait
vous ofTrir un traitédemutuelle garantie? Au principe d'ordre ,
vous opposiez un principe de révolte. Le général Sébastiani,
avec plus de modération et d'intelligenee, se laissait aller a ces
divagations de tribune; c'était chez lui plutñt de l'orgueil blessé
que théorie réfléehie; il avait goüt pour le principe d'ordre et
de paix; mais peu habitué aux affaires sérieuses, ulcéré de son
oisiveté , il se jetait dans les théories déclarnatoires de l'époque
impériale; sans comprendre ni admettro les alliances nouvelles
et les forces eréées par la Restauration, le général Séhastiani en
était eneore au passage des Dardanelles par les Anglais, et aux
rapports violents de l'Empereur avee les Cabinets de l'Europe,
Enfin, le général Foy fut l'orateur peut-étre qui fit le plus de
mal a nos relations avec les Cabinets, cal' il parla aux armécs
de l'Europe un langage de révolte ; il voulut les soulever, témoin
ses diseours sur les révolutions de Naples et du Piémont. ... Quoi!
vous vouliez qu~ les gouvernements établissent des rapports ayer.
vous, et vous posiez en maxime que les armées pouvaient se Iever
eontre eux ; vous désorganisiez les éléments de force dans chaqué
société? Que devait-il résulter de la? C'est que tout se ferait en
Europe en dehors de vous. En vous plarant dans une politique
de révolution, vous autorisiez les Cahinets ¿¡ vous laisser en
dehors des grands intéréts : ainsi, tout agrandissement politique
vous était interdit. Joignez a ces parleurs de tribune le pam-




PRf.:CIS. - CHAPITRE 1. 271
phlétaire raisonneur , l'abbé de Pradt , qui achaque acte de
l'Europe s'escrimait contre elle : voici un congrés, vite une
brochure ; apres les assemhlées d'Aix-la-Chapelle , de Vienne, de
Troppau, de Vérone, de Layhach , toujours des .brochures , OU
]U. de Pradt jugeait, atort et atravers , les Cabinets, remaniant
le monde ason gré; et puis, au-dessus de toute diplomatie ,
eette doctrine de l'alliance des peuplescontre l'alliancedes Rois,
qui faisait peur aux Gouvernements quand elle ne servait pas
lours intéréts, C'est en poussant vers le principe de I'abolition
de la traite des negres que l'Angleterre conquit sa 'puissance
eoloniale et son droit de visite du pavillon ; e'est en favorisant
I'émancipation de la Gréce qu'on aida la prépondérance russe
sur la rner Noire; enfin, en soulevant tumultueusement les Po-
lonais, en favorisant 'un esprit de révolte et de sédition, on ac-
complit Ja pensée russe sur la Pologne; on eñaca cette natío-
nalité du monde européen.


L'école libérale appliquée au gouvernement politique de la
société fut non moins fatale et impossible; elle créa d'abord
l'esprit inquiet d'opposition, qui ne donne de la popularité
qu'a la critique; l'administration fut toujours nécessairement
dans une position subordonnéc devant l' opinion publique, les
électeurs, et ce qu'on appela les citoyens, purent incessamment
cntraver la marche du pouvoir administratif; le préfet fut en
lutte avec l'électeur, l'administration avec les comités; l'armée
ne fut plus passivement obéissantc, soumise aux lois du pays et
au chef supréme, le Roi; elle dut examiner et débattre; les
baionnettes furent intelligentes; on voulut l'éleetion partout; il
n'yen avaitpas assez dans la Charte, le dogmede la souveraineté
populaire dut remplacer celui de la souveraineté royale. S'agis-
sait-il de finances, on dut diminuer le budget d'un bon tiers;
toutes dépenses étaient inutiles : dans ces longues discussions
de budget qui duraient dcux mois, quels singuliers principes
ne furent pas établis par ]'école libérale de MM. Benjamin-
Constant, Casimir Périer , Caumartin, Labbey de Pompieres ,
intrépides coryphées de la vieille école : il Y eut méme des




272 HISTOIRE DE J,A RESTAURATTON.
gens de bon sens depuis aux affaires , et qui soutenaient que
le budget dcvait s'amoindrir de 2 ou 300 millions;des élections
partout, un gouvernement tont peuple, et au-dessus, toute une
inquiétude de surveillance. Si pour les affaires étrangeres cette
école rendit tous rapports impossibles, il en fut également ainsi
pour les questions de gouvernement et d'administratíon inté-
rieurs. Cela fit que lorsque ce partí prit les aífaires lui-méme ,
il dut donner un grand démenti a sesdoctrines, en rnéme temps
qu'il jetait dans le peuple un principe d'opposition, une éduca-
tion si mauvaise, qu'il fut impossible désormaís de le conduire
et de le diriger.


Etvoilapourquoi l'écoledoctrinaire, qui se ligua plus tard avec
.le libéralisme, dut conserver un caractére apart et une tendanee
.sérieuse ; comme elle partait d'un príncipe plus élevé , d'une
.philosophie transcendante, elle ne pouvait pas adopter.les niai-
series et les impossibllités du vieux libéralisme; elle chercha
done une certaine formule autour de laquelleelle püt se grouper
avec une certitude de victoire; son progres fut lent, rétléchi;
l'école doctrinaire, partie de la légitimité , avait trouvé la un
point d'appui et de force. Dans les premiers ministeres de la
Restauration, elleavait soutenu le Gouvernement par des prín-
cipes eonstants et fermes, méme par les lois d'exception, les
conseils de guerre , les cours prévótales et la censure. A mesure
que l'écoledoctrinaire était rejetée loin des aífaires par les roya-
listes purs, elle dut chercher un autre moyen de lesressaisir ; la
révolution lui faisait peur comme action et comme principe;
studieuse et puissante, la doctrine fut amenée successivement
aux idées de la révolution d'Angleterre de 1688, en y mélant
certaines conditions de triomphe pour la classe bourgeoise. Ce
n'est pas que la classe bourgeoise püt avoir quelque sympathie
d'esprit et de caractere pour l'école doetrinaire; loin de la, elle
n'a rien qui puissemémel'y rattacher ; cene hauteur impérative
de formes, eette maniere flere de juger, ne peuvent plaire aux
dasses moyennes; les doctrinaircs avaient trop de supériorité
intellectuelle pr.nr [amais s'associer au petit ménage de la classe




rnLCIS. - CHAPITRE r. 273
bourgeoise; si done ils avaient choisi eette classe par préfé-
rence , c'était pour se poser quelque part afin de Iaire agir ce
principe comme un levier. Desce moment , en dehors ils furent
des obstacles , et en dedans souvent des impossibilités.


Et c'est précísément ce qui en plusieurs circonstances sépara
d'une maniere invincihle les doctrinaires de l'école politique;
la premiare maxime des hommes d'Étatv.c'est qu'il faut gou-
verner : 01', le Conrernement se compose de force et de mé-
nagement ; il ne part pas d'un axiome inflexible, il ne se com-
pose pas d'une suite de faits invariables; le Gouvernement est
une grande gestion publique qui prend les nécessités et les
subit. Ainsi il n'y a aucune formule inflexible pour I'école des
politiques: quand l'empire de Napoléon se confia en leurs mains,
ils le dirigerent avec confiance et habileté; quand il se sépara
d'eux les politiquesvirent dans la Ilestauration un fait immense
et dans la légitimité .un principe vigoureux ; ils l'entourerent de
considération et voulurent lui donner des racines profondes dans
le nouvel état social; ü la difTérence des doctrinaires, ils ne se
renfermérent pas dans certains principes qu'ils appliquerent in-
variablement ; ils firent la part des événernents , arrachant la
Restauration ~l toutes les crises, cal'il faut remarquer que l'école
politique prit le pouvoir en 1815 pour le délaisser en 1821 ; et
quel obstacle n'eut-elle pasa vaincre, que de difficultés atraver-
ser! I'iuvasion d'abord , l'occupation de l'ennemi plus pesante
encore, la dette publique démesurément accrue et la eonfiance
éteinte, et avec cela la lutte la plus vivace contre les partis, la
misere et la famine : il faut donner la paix, préparer la sécurité
publique, et avec cela assurer les services et les emprunts au
milieu des opinions agitées. Le véritable caractere de l'école po-
litique fut de s'associer ~l des hommes de couleur plus tranchéea
chaque période de la Restauration, de maniere apouvoir ré-
pondre a toutes les nécessitésd'une politique activeet militante;
ils ne se hcurtent pas la tete contre les faits, ils les acceptent ,
pour lesfaire tourner avec le moins de secousses possible versla
paix et l'ordre , qui sont les dril" hanniéresde l'école politique,




274 HISTOIRE DE J,A RESTAURATION.
Les nuances d'opinion dont je viens de parler restaient toutes


dans les conditions de la légitimité et de la Charte; leur ensei-
gnement plus ou moins sincere n'allait pas au delade eertaines
limites; mais a la seconde période de la Ilestauratiou , apparait
une éeole véritablement eonspiratriee, non-seulement eontre la
royauté établie en Franee, mais eontre tous les rois et les gou-
vernements existants, Ces théories ont quelque chose de mys-
tique et de régicide; on y jure sur des poignards; ce u'est plus la
Charte que l'on veut agrandir, mais l'on pose la souveraineté du
peuple la plus absolue avec les plus siuistres moyens d'exécution.
Cette éeole qui se manifeste par les sociétés secretes, et le car-
bonarisme en Italie , s'étend et se propago en Franee; on n'ose
point avouer haut toute la perversité des doctrines, on se cache
dans les ténéhres, On remarque, a cette époque, que le langagc
des journaux a changé , il se modiñe , il devient plus hardi; si
l'on n'ose attaquer. ouvertement la Charte , on célebre partout
la révolution írancaise , par l'éloge méme de ses plus sanglantes
journées; on les présente comme des modeles de patriotisme et
d'exaltation; le type impérial se fond et se retrernpe dans les
Jaeobins; mais ce ne sont plus les Jaeobins franes et ouverts ,
avee leur sombre énergie; les plus fiers sedéguisent , lesdesseins
se couvrent d'un voile épais , et cette écoleproduit les théories
les plus subversives de tous les principes , elles s'infiltrcnt dans
la presse; si 1'0n parconrt les journaux , depuis que la liberté
leur a été rendue , si 1'0n feuillette la J1fincrvc, la Benonunée,
011 trouvera de désolantes maximes sur les gouvernements et des
idées impossibles a réaliser. J e crois que ce sont toutes ces
théories sur l'administration et le gouvernement du pays , qui
ont rendu les affaires si diíficiles , soit vis-a-vis l'étranger, soit
vis-a-vis la Franee elle-meme.


Les journaux pouvaient erre retenus par la censure et les lois
d'exception; mais pendant cette période agitée, on n'avait pu
comprimer la trihune , le véritable enseignemcnt politique , et Hl
les principes de dósorganisatíou furent jetés a pleines mains.
Quolles idées d'économie politiquc furent M'H~I()pp{l('s par les




PHi~ClS. - ClIAPLTHE l. 275
orateurs les plus éminents de la gauche , MM. Périer , Laffitte ,
Foyet Constant ! Parcourez ce qui fut dit en metiere de douanes,
de commerce et d'industrie ; voyez les ílétrissures que I'on jeta
sur les admiuistrateurs les plus dévoués, sur les préfets, sur les
agents de pouvoir quels qu 'ils fussent : l'administration fut in-
cessanunent placée sur la sellette, accusée , poursuivie; on nia
le droit d'une légitime action sur les colléges électoraux. On ne
parla que de fraudes, que de manreuvres perverses ; le résultat
coupahle ele cette école libérale fut ele rendre elésormais la mar-
che de tout gouvernemcut impossible , de donner des méfiances
11 tons , de faire croire que le Pouvoir trahissait le pays, qu'il
avait un intéré; séparé, Cette rage de démolition contre I'au-
torité se réveilla dans le parti libéral, surtout pendant l'adminis-
tration de l'école politique ele 1816 11 1821; alors tout le cóté
ganche déclame pour obtenir une armée intelligente et presque
élue; elle veut que l'administration soit exposée 11 toutes les atta-
ques les plus injustes, les plus deplorables de chaque individu ;
elle fait peur a l'étranger, elle empéche toute eliplomatie sé-
rieuse; ellea fait pour quarante ans la mauvaise éducation de la
bourgeoisie...


A cette époque arrive une premiere défection parmi les poli-
tiques, les doctrinaires s'en séparent ; mécontente ele ne pas
trouver une assez large place, ils se posent en dehors du Gou-
vernement. MM. Hoyer-Collard, Camille Jordán, ont donné trop
de gages 11 la légitimité pour I'abandonner comme une formule
usée; leur vaste théorie se complait mérne a chercher pour point
d'appui et base invariable la théorie Iondamentale ele la légi-
timité , devenue pour eux un dogme. Mais une autre fraction des
doctrinaires que j'appellerai l'école anglaise, avec M. de Broglie
pour chef, rayonnc autour de l'idée de 1688; cette révolution
correspond aux esperances que I'école doctrinaire s'est faites;
elle satisfait plcinemcut l'aristocratic de la cIasse bourgeoise en
dérangeant peu de choses dans l'organisation sociale; ce n'est
que la substitution d'un nom aun autre; craintive devant la sou-
veraineté populairc, elle a une iutelligencc trop profonde de la




'lit) UlSJ:()llW.. Dl:. LA. l\l:.5'IA.Ul\A.T10N.
politique pour sejeter dans lesdéclamations du víeux Iihéralisme,
elle a été dans le Gouvernement, et par eonséquent elle en sait
les diflieultés. Mais eomme il lui faut un drapean populaire,
eomme elle n'a rien de sympathique avec les masses, ellese rap-
proehe momentanément de l'école du vieux lihéralisme pour
profiter de sa force brute et de son action sur la bourgeoisie,
Rien ne la distingue désormaisdu vieux libéralisme qu'une supé-
riorité d'apercus , de langage et de style qui suppose des études
plus approfondies; cette école ne s'arréte pas au constitutionna-
lisme vague et sans précision des feuilles révolutionnaires, elle
se rattache ades questions vivaces et politiques, aux élections, au
mode inflexible d'appeler dans la Chambre certaines conditions
d'éligibilité : ainsi l'élection directe a cent écus est la pensée
des doctrinaires ; et avec elle les colléges d'arrondissements, en
vertu de cette grande charte qui devait étre le eomplément de
l'ecuvre de Louis XVIII, et qu'ils essaient de donner a la Cham-
bre, sous le dernier ministere de M. Decazes. On peut dire , a
l'éloge de l'école doctrinaire , que ce fut elle qui prépara une
éducation un peu forte, un peu haute a la Franco, dans les con-
ditions et les formules de 1688 : la constitution d'une Chambre
des Pairs héréditaire , la Chambre des Députés bourgeoise , et
aveccela l'idée d'un gouvernement hautement et fortement placé,
aveccertaines liberté locales. Toutes ces idées furcnt popularisées
par les écrits éminemment remarquablcs de MM. de Barante ,
Guizot; ils firent comprendre la liberté sérieuse sous un gouver-
nement représentatif. Seulement la nécessité de devenir popu-
Jaire, de s'associer aux éloges du Iihéralisme, obligea les doctri-
naires a se vulgariser par les moyens; au Couvernement , ils
étaient fermes et tenaces; dansl'opposition ils étaient préoccupés
de grandir leur force populaire,


Une séparation plus profonde venait encoré briser le parti
de la Restauration. A ce moment l'école royaliste renverse les
politiques sous le duc de Richelieu déja éloigné desdoctrinaires,
Les purs sont maintenant aux affaires , avec leurs ministres, leurs
doctrines, el apres que le ministérc de M. de VilIeIc a dissous la




PIÜ:CLS., - CllAPlTHE 1. 2i7
Chambrc, lesIloyalistes sonten pleinepossession de lamonarchie :
alors lestrois nuances que j'ai déjá signalées se reproduisentdans
le Gouvernement comme au dehors; les monarchistes purs avec
lesthéories de ~nI. de lUaistre et de Bonald; le parti religieux, la
congrégatioll, qui se divise entre iU. de Lamennais et M. Frays-
sinous; enfin l'école provinciale, impatiente de tout remanier
dans une nouvclle organisation de la commune et des paroisses,
Et teIle est la puissance des idéesqu'au milieu de cestroisnuances,
il seformule une nouvelle école royaliste qui se lieplus profon-
dément au régime représentatif, el dont la monarchie selon la
Chane devient comme l'cxpression. A peine au pouvoir , les
Hoyalistes s'entre-choquent et se déchirent; les uns veulentdé-
barasser la royauté de tout controle et de toute entrave, ilssup·
portentavec impatience les diseussions de tribune et de la presse;
les autres ont des exigenees plus impératives; s'ils prétent a la
royauté la théorie du droit divin, ils exigent en retour des lois
quí sont moins encoré religieuses que niaiscs et sans portée,
Qu'est-ce que la Ioi de saerilégc? Que signifie la loi sur lescom-
munautés reJigieuses? On remue aplaisir les víeilles passions;
on n'osepointallerdroit ala eonstitution d'un clergépropríétaire,
tel qu'on l'a concu et proclamé dans la Chambre de 18'15;
maitre du pouvoir , on tremblc d'appliquer les théories de
I'opposition. La nuance provinciale plus habile, plus hardie,
s'empare d'abord d'une premiere et immense concession ,
l'indemnité des émigrés; elle se fait riche , et c'est une force
dans un parti. Cctte fraetion royalistc commence a manquer
d'instinct lorsqu'elle présente les lois sur le droit d'ainesse dans
des limites si étroites : cornment n'impose-t-elle pas a 1\1. de
Villele une loi provinciale et commuuale t puisqu'elle est le
prouuit de la paroisse , ponrquoi ne pas faire pénétrer dans
1\ législation quelques príncipes qui en assurent définitive-
ment la prépondérance? La nuance que représente M. de
Cháteauhriand est trop éclairée , trop largement constitution-
uelle pour rester longtemps dans les conditions mesquines
oú l'écolc rovaliste cst placée , el qu'on remarque bien que


iv. 2lt




278 HISTüIRE DE LA HESTAUHATW,,;,.
la querelle qui s'éléve entre MM. de Yillelc et de Chatean-
briand n'est pas seulement un caprice , une jalousie de pcr-
sonne, mais encore l'expression de deux nuances bien distiuctes,
aussi énergique qu'une antipathie de principc. Tandis que M. de
Villéle gouverne et s'en tire par des ménagements, M. de Chñ-
teaubriand s'en sépare en levant l'étendard de la monarchie se-
lon la Charte. Alors arrive un véritable changement de front
dans l'école royaliste; elle avait demandé la liberté de la presse,
elle ne peut plus la subir des qu'elle est aux affaires; elle avait
déclamé contre le budget, elle s'en sert et cn prolite ; que n'avait-
elle pas écrit sur l'action illégitime du ponvoir dans les élections !
elle l'emploie largement; jamáis aucune école n'a tendu plus
arbitrairement les ressorts de l'administratíon publique, que ceIle'
des Royalistes. Aussi la réaction fut-elle terrible, lorsque le mi-
nistére de JU. de Villele tomba devant les élections générales.


La conséquence la plus fatale de ce gouverncment du pays
par les Royalistes, ce fut la séparation de tout le parti politique,
qui passa dans l'opposition ; apres avoir été la force d'un Pou-
voir, jamais collection d'hommes ne fut plus admirable de tenue
et de position que le partí politique! 11 se formula spécialement
dans la Chambre des Pairs OU il devint un grand enseignement
pour toute résistancerationnelle. Lisez les discours de ~IM. Pas-
quier , Roy, Molé, ñlounier , ~l la Chambre des Pairs ; voyez
la considération qu'ils y acquiérent , la puissance qu'ils y ob-
tiennent; ils ne font pas reposer comme les doctrinaires leur prin-
cipe sur la révolution de 1688; ils ne démolissent pas comme
les vieux lihéraux , sans s'inquiéter des ruines, toute la force
gouvernementale; au contraire, c'est dans l'intérét du gou-
vernement méme qu'ils parlent et agissent. Sonleve-t-on une
question de diplomatie, ils ne font pas un appel au peuplc ,
aux sociétés secretes, a l'insurrection ; mais ils constatent
la bonté et la facilité de certaines alliauces , et la tristesse des
fautes dans les rapports d' Jhat a Úat. Et il Y eut cela de
remarquable et d' émincut dans cene opposition qui se PCl'-
sonniñe dans la Chambrc des Pairs, quclle uc compromit aUClIIl




l'RI:r.T.'i. - GHAPITRE r. 279
príncipe de force pendant les cinq ans de sa durée; elle attaqua


l'école royslist«, 11011 point pour démolir la rovauté , tneis pour
lui irnprimcr un caractére plus solennel el plus fort ; si bien
que si on avait pris subitement cette opposition pour la faire
entrer aux affaires , elle n'aurait pas eu besoin de changer une
de ses théories ou d'abdíquer un de ses principes. Ainsi par sa
position méme , elle aurait donné plus d'énergie au pouvoir :
c'était l'habitude des tories en Angleterre sous le mínistére de
la reine Anne; et e'est encoré aujourd'hui leur theme dans le
Parlement.


Le gouverncment de l'école royaliste se prolongea dan s les
phases divcrses de sa puissance depuis 1821 jusqu'a 1827 , vaste
septennalité dans laquelle il s'agite sans restriction.A la fin de
cette période, les Royalistes sont parvenus a jeter dans l'oppo-
sition , non-seulement le vieux libéralisme , mais encore les
doctrinaires et l'école politique; il se fait en ce moment une
confusión étrange, dont les listes électorales de 1827 peuvent
seules donner une idée ; tout le monde démolit , chacun y préte
la main, I'admínistration est sans force, les préfets miséra-
hlement atteints dans leur honneur, dans leur considération;
les assertions les plus extraordinaires trouvent crédit; on ca-
lomnie, on jette ¿l la face du pouvoír toutes sortes d'insultes;
la presse se permet tout, les tribunaux assurent l'impunité; la
haine est teIle centre le pouvoir que l'on conspire en l'air; onne
dit plus seulement a l'orcille l'espérance d'un changement, on
le proclame hant; la des clubs, ici la société Aide-toi le Ciel
t' aidero.; c'est en vain qu'on aurait cherché dans ce chaos une
théorie, un ensemble d'idées que l'on püt appliquer législa-
tivement dans un ~ouverne\\\eut uouveau, l'ieu de tout cela
\\ e'X\s\e })\us; on uémo\it, VOi\~l le but commun; et s'i) sort de
la une idéc, une formule, comme une espérance ou une réali-
sation de l'avenir , c'est ceIle d'une révolution de 1688; les
travaux politiques ont eette direction. Ce n'est plus seulement
I'éeole royaliste qui cst déborrléc , mais la royauté elle-méme ,
/e pouvoir est nétri, misérahlement are ulé ; les théorics de ses




2RO mSTOlRE DE [,\ RESTAllRt\TJO~•.
amís sont étranges , I'éeole absolue de M. de Bonald va meme
jusqu'a demander que I'on renvoie les sacriléges devant leurs
juges naturels. La question des jésuites, les brochures de 1'1. de
Madrolle , les révélations de la Gazette de France , les espé-
rances audacieusesdu Drapeau Blonc , tout annonce que l'école
royaliste veut arriver a son triomphe par la force, tandis que
dans l'opposition se placent des intelligences qui toutes veulent
le renversement. Ainsi a cette époque ,. nul ne veut la conserva-
tion ; on s'est donné la fievre , on en subit lesacces ; aqui appar-
tiendra l'avenir ?


C'est alorsqu'apparait I'école mixte, transitoire de lU. de 1\Iar-
tignae, qui vient se placer comme un príncipe de conciliation
entre les opinions irritées.. Ce n'est pas précisément une école
avee un principe aelle, cal' elleemprunte quelque chose tout a
la fois aux Royalistes, au vieux Libéralisme, aux Politiques,
aux Doctrinaires; e'est un véritable ministere de transition et
de transaetion comme il s'en révele toujours au temps oú les
opinions se heurtent; c'est comme le syncrétisme de l'école
d'Alexandrie, qui admettait mille dieux, les eultes et les sym-
boles les plus opposés, Et ces théories de transitions ne peuvent
durer lorsque la vivacité des partis extremes s'agite et murmure;
alors il n'y a plus que les extrémités d'opinion qui se font en-
tendre. Jamais, en effet , avee des formes plus ménagées, les
partis ne furent plus dessinés que sous le ministére de lU. de
l\lartignac. Si quelques esprits sérieux, si quelques ames hon-
nétes arrivaient a un systéme de coneiliation, les tetes ardentes
et tétues qui forment la majorité des partis demeuraient avec
leurs préjugés, leurs préventions , leurs répugnanees. Alors
on voit se formuler avec plus d'énergie, les nouvelles écoles
qui vont plus tard se manifester dans une nouvelle révolution :
de jeunes hommes se groupent autour d'une nouvelle feuille
obseure d'abord, et qui prend ensuite quelque aseendant méme
dans la politiqueo Le Globo n'a qu'une prétention littéraire et
philosophique; mais dans les temps politiques tout s'empreint
du caractere dorninant : il est impossihle de rester étranger




PRf:<:l~. - r.JIAPITRE r. 281
anx discussious de son pays el de son temps, Le Globc se
compose d'écrivains de valeur, mais tous sous l'empreinte de
préjugés et de certaines formules inflexibles, ils attaquent tout
ala fois le catholicisme et la Ilestauration avec une grande in-
dépendance d'idées et de mots. S'ils ne sont point les partisans
exclusifs du XrJIl C siecle , ils cherchent afonder quelque chose
de nouveau; a travers le vague de leurs théories, ils contri-
buent adémolir una un tous les principes qui font les rapporrs
d'Btat a Etat , de la royauté avec les sujets, En diplomatie, le
Globe est aussi vieux que le libéralisme de la gauche , il vit avee
les souvenirs du carbonarisme , avec le príncipe de l'insurrec-
tion; appelez alors ces écrivains aux aífaires , ils ne seront ni
plus ni moins que 1\1. de La Fayette : c'est encore la révolte ar-
mée de l'Espagne et du Piémont, l'émancipation d'Italie, tous
ces principes qui ne permettent ni rapports sérieux avec les Gou-
vernements, ni la puissance des faits historiques, S'agit-il de
l'adruinistration , c'est encere un systeme qui démolit tont; le
Pouvoir est placé dans un état continu de méfiancc , il ne faut
plus de fonctionnaires qui dépendent absolument de la royauté ;
partout I'indifférence religieuse et le décousu politique , les
ministres doivent étre coutinuellemeut en suspicion ; le hudgot
est une énormité. En politique , ces écrivains du globe restent
dans les vulgarités de I'opposition, et ne se distinguent pas du
vieux lihéralisme. La seconde manifcstation des jeunes hommcs
se rattache, non point a une nouvellc école , mais au príncipe
révolutionnaire pur et natif; le Nacional, véritable démem-
brement du Constuuiionnel , vient se poser avec une certaine
énergie dans des voies qu'il proclame nouvelles. En suivant
attentivement la' marche de cette feuille depuis sa Iondation
jusqu'a la Révolution de 1830, on trouvera difficilement cette
jeunesse et cette nouveauté, Toute cette politique , a travers des
expressions plus ou moins acerhcs , repose sur deux idées in-
cessamment répétées : (( le Iloi regue et ne gouverne pas;
et ce principe ne sera co.npléteurcnt acquis pour le. pays
qn'avcc une révolntiou <le 168ft » Évidcmment , rien de




282 llISTOTBE OE L\ liESTAnnATlO\'.
moins neuf que cette théorie : ( le Iloi regnc el ne gouverne
pas; » elle appartenait a ~I. de Serres : vingt fois elle fut déve-
loppée a la tribune , les tribunaux l'avaient appliquée daus
leurs arréts, M. Guizot l'avait dite dans des hrochures , el
c'est un axiome auglais que le ministére 1\1artignac lui-méme
avait reconnu; seulement 1\1. 1'hiers, avec sa plume saillantc
et facile, put le répéter a satiété et le faire entrer dans la poli-
tique usuelle. Quand a la formule de 1688, elle était partout,
dans les écrits, dans les travaux historiques du Globc , on
s'y complaisait au sein de l'école doctrinaire spécialement. Le
point sur lequel les idées furent exaetement formulées par
lU. Thiers , c'est en ce qui touche la révolution et la contre-ré-
volution ; il Yeut sur ce point beaucoup de neueté , les nuances
disparurent , et , avec elles, la possibilité de transactiou : iI
n'y eut pour 1\1. Thiers qn'une seule idée ; il se placadans laré-
volution pour combattre la contre-révolution. C'était done une
école plus Iranche , plus nette, plus décidée ; on eüt préféré la
Convention au gouvernement de la Branehc ainée.


A mesure que le centre gauche, sous le ministere de 1\1. de
l\Iartignac, se eroit prét a saisir le gouvcrncment , il a besoin


. de formuler ses principes de politique et d'administration, et
c'est acet eITet qu'il fonde le Teuips, Le Nationa! est trop hardi
pour lui, il en a pcur : le Globc reste trop dans les idées philo-
sophiques pour arriver aux applications. PrN asaisir le pouvoir,
le centre gauche eherche aformuler ses príncipes ; il a son organe
nouveau , et voici quelles sont au fond ses théories gouverne-
mentales: administration électivc, économie d'un tiers sur le
budget , vote du eontingent annuel de l'armée , réforme élrcto-
rale, suppression des sous-préfets et des arrondissemenrs, sainte-
alIiance des peuplcs, propension pour I'alliance anglaise , et, par-
dessus tout, le rninistere ct les positions politiquea dans les
mains de leurs amis, comme garantie de la liberté du pays. Toutes
ces théories sont cxposécs dans leur nouvel organe qui a l\I. Ca-
simir Périer et tout le centre gaucho pour directeurs ; on a mé-
fiance de la Cour, dn favoritismo, 011 vout 1111 ministére indépen-




PR(.:crs. - CHAPITRE T. 283
danr , une administl':ltion populaire : on se compJait dans les
théories de l'impossible , et lorsqu'on voit tout cela on s'étonne
que des hommes éminemment pratiques aient pu se laisser aller
aces théories gouvernernentales. Vienne le jour OU ils seront au
pouvoir, ces idées resteront contrc enx cornrne d'éternelles pro-
testations. An reste, les meilleurs esprits étaient en dehors de
leur sphere , et lUM. Bertin eux-mémcs , tétes si habíle de gou-
vernement , poussaient ala dérnolition.


A l'encontre, le parti royaliste se formule avec une vivacité
de príncipes rernarquable; il ne transigeplus, il veut la victoire
nette et prompte, Une sorte de fierté se manifeste dans ses doc-
trines; en opposition aveccettethéorie « le Roi regneetnegouverne
pas », iljette cettephrase incessarnment répétée, « le Roi ne cédera
pas ) ; on développe avec complaisance la théorie du droit divino
Si un journal a été fondé ponr exprimer les théories du partí
jeune et ardent de la Révolution, 1/Univers a été établi pour
développer l'omnipotence de la royauté; on ne se' déguise plus
de part et d'autre; l'école de M. de l\laistre et de M. de Bonald,
en pleine joie de sa victoire, a ses partisans, ses adeptes, pu-
blies et avoués : ce le Roí est le maitre ; il peut tout en vertu de
l'article 14» ; des hommes sérieux et résolus développent cette
théorie ; les broehures de M.Cottu ne sont pas sans valeur poli-
tique, iI Y a de la franchise dans les idées, c'est une école qui
joint une eertaine énergie de style aune puissance de volonté ,
elle va droit ason hut, en se placant en dchors de la Charte ; la
société est tellement désorganisée; l'agitation si grande et si pro-
fonde que l'on eherche avec bonne foi de chaque coté une nou-
velJe organisation qui puisse arraeher le pays a la vivacité de ses
débals; lU. Cottu et son école ne sont plus dans la Charle; 011
veut refondre le pacte social qui ne répond plus aux besoins de
la monarchíe. j\ vec moins de fairs et {le Iumiere que l\l. Cottu ,
l\l. l\ladrolle, sorte d'iIluminé en politique, est un prophéte qui
pousse vers une cité sainte, sorte d'avenir ineonnu en dehors de
toutes les idées recues, Ce chaos se produit presque toujours
la veille des révolutions, les ténéhres sont si épaisses qne les




28h HISTOIRE DE I.A RE~TAURATIO~.
changemeutsarrivent comme la lumiere. En ces temps, il n'y a
plus d'école rationnelle possible , il faut un changement complet
dans la société; la royauté n'a plus assez de force pour se pro-
.téger et se défendre, les partis sont trop vivaces pour qu'un
systeme de transition puisse se développer; et quand M. de
Polignae arrive , tout est jeté en dehors de sa sphere; chaque
homme a le sang a la tete, chaque force a l'épée au poing; il n'y
a plus de philosophie rationnelle dans la polémique; c'est une
bataille que l'on livre , les partis sontdéplacés, En face les unsdes
autres sont les hommes qui révent le pouvoir constituantet ceU!
qui appellent la souveraineté du peuple ; toutes les'nuances tiedes
ont disparu; c'est peut-étre I'époque 00. il s'est fait la plus grande
démolition du pouvoir, si bien que quand la Révolution de
Juillet arrive , les idées sont si follement tendues qu'il y a impos-
sibilité pour le Gouvernement nouveau de marcher danslesvoies
que le parti triomphant lui impose,


Voici en effet quels principes se formulent dans cette poli-
tique confuse : Les forces d'un gouvernement résnltent de ses
rapports avec I'étranger, et de I'énergie qu'il peut donner a
ses propres actes; et il se trouve qu'a l'époque de la Révolution
de Juillet, I'école de M. de La Fayette, qui domine, entraineasa
suite les esprits les plus éminents; Toute cette année est une
grande saturnale ; on établit le príncipe de l'insurrection comme
le plus saint des devoirs, tons les peuples sont appelés a l'indé-
pendance ; on veut promenel' le drapeau tricolore comme une
grande menace : plus de respect pour les traités , ils sontonérenx
sans doute, mais enfin ils existent, qu'importe! On parle des
limites du Rhin, de l'insurrection de l'Italie, de la Pologne et
de l'Espagne, c'est-a-dire qu'avec ce décousu de pensées ct de
formes on se place en hostilité contre l'Europe entiere; on
reforme contre nous la coalition aplaisir, on force lesCabinets a
renouveler les traités de Chaumont , et les.stipulatious militaires
qui garantissent les traités, Désormais toute alliauce est impos-
sible , tout rapprochement repoussé , el cela se comprcnd: YOUS
hrisez les faits existants 1 YOIlS dérhirez les plus soleunollos




rnf:c:rs. - CHAPITRE 1. 285
conventionS , et vous mel~acez tout ala fois les gouvemcmcnts
réguliers. De ectte situation rnauvaise que l'école révolutionnaire
nous avait faite, il dut résultcr une faiblesse de rapports a l'ex-
térieur ; la Franco fut placée dans un état d'isolement complet;
pour en sortir , H lui fallut donner un éclatant démenti a eette
école de fausse diplomatie , née du chaos et de l'opposition.
Autrement on eüt été dans une impossihilitéd'étre avecl'Europe ,
et encore en fümes-nous longtemps meurtris , on nous repoussa
comme de mauvais alliés et d'impuissants amis.


Maiutenant quelle situation a faite cette école politique au
pouvoir royal? Quclles étaient ses paroles apres la chute de la
Hestauration ? Non-sculemcnt elle avait hrisé un vieux tróne ,
mais encoré elle faisait des conditions impossibles a un nouvel
établissement royal qui venait comme un espérance d'ordre et un
ahri apres la tempéte : a-t-on vu quelque chose de plus folle-
ment creux que cette définition d'un systeme rnnnarchíquc, en
l'appelant « un tróne entouré d'institutions républieaines '? )) Le
plus triste étatdu Pouvoir, c'cst d'étre une anomalie ; qu'on s'ap-
pelle république , monarchie , il faut que J'on gouverne, qu'il y
ait sécurité pour tous , et que les intéréts soient protégés, A ce
non sens politiquc , I'école anglaise voulut substitner cettc autre
máxime : (1 le Iloi regne el ne gouverne pas » ; et heurensement
encoré un démenti vint hautement protestcr contre cette impuis-
sante máxime : vovez ee qui serait resulté dans la mobilité de
nos idées et de nos majorités politiques , s'il n'y avait pas eu une
sagesse intime el supérieure qui a preservé le pays? qu'aurait-il
été produit dans ce décousu de toutes les idécs? C'est bien assez
que la vieille école ait dégradé le Pouvoir : on l'a présenté
comme ennemi; les peuples se sont habitués a considérer l'au-
torité publique comme hostile a leurs intéréts. Toutes les idées
se sont confusément produites; plus de respect pour ce qui
commande; la raillerie s'est introduite dans les formules poli-
tiques de l' opposition.E t puis l'on s'étonne que le partí poli-
tique se soit eucore emparé des allaires apres la révolution;
quoi d'cxtraordinaire ! lui seul avait conservé assez de sagesse




286 JUSTOIflE DE J,A RESTAURATTON.
pour faire sortir le pavs de la crise róvolutiounaire ; i1 a
attiré vers lui tout ce qui avait de la force et de la raison ,
laissant aux opinions extremes les déclamations et les ou-
trages. Henrensement qne dans ce naufraga de toutes les idées
sérieuses , l'école poli tique s'est trouvée debout en 1830; elle
a expulsé des alTaires toutes les écoles deml-américaines, les
vieux déhris de l'Empirc et des Cent-Jours, pour s'emparer
du gouverncmcnt. Que d'cfforts il a fallu, en 1830, a lU. de
Talleyrand a Londres pour rassurer l'Europe et renouer les
liens d'une situation brisée ! Maintenant il Iaudra plus de temps
pour rétablir les príncipes de politique el d'administrntion dans
le gouvernement intéricur du pays, le conp que les écoles dn
vieux lihéralisme ont porté an Gouvernement pendant la Res-
tauration retentiront longtemps: il faudra peut-etre plus d'une
génération, cal' pendant cctte époque de désordre intellectuel,
tous les esprits furcnt encere travaillés par les fausses idées de
philosophie, de moralc. d'éconornie ct d'histoire ~ plaic profonde
qu'on ne répare pas si Iacilcment.




CHAPITRE 11.


L.\. PIlILOSOl'lllE ~ l.A MORAl.E, L'mS'fOmE, L'ÉCO~OmE l'OUTlQUE
l'f;:\VA:.\T LA UES'L\. L:II ATIO." •


1°. La Philosoplúc. - Les dcmiers lemps de l'Empire. - f~cole Écossaise ,
- ~'1. Roycr-Collard. - Philosophie corup ar ce , par M. de Gérando.-
l\Iéthode des Iycl:es. - Mépr is de N apolúou pOtlr la scicnce idéologiste.
- M. de Frayssi11011S. - Origine de la philosophic transccndallte.-
L'Allemague. - M:\L Cousin , - De Boual d , - L'abhe de Lamenuais ,
- Commcuccmeut de l'~:oolc du Clobc . - M:\1. Jouftroy , - Damirou ,
- Lhermiuier , - 1\'10:,a1c. - Puhlication de mauvais livrcs, - Henou-
velIerncnt des (:¡]iliolls du XVII[' sjccle. - Teutativc pom' séparer la
mor-ale de la religion ........ Haiue contre les prétres. - 2°. Histoire. -
Tcudancc (Iu'on vcut lui impriruer , - MM. Lacretelle , - Sismondi ,
- -'Iic!laud. -- Pamphlcts. - Esprit de parti , - Pnhlicaticus de
]\J. Gllizot. - Héslllllés historiqucs . - La Il évolutiou , par MM. Thiers
ct Miguel. - Livres de M. T!lieny, - De l\L Dulaure. - Essai
historique de M. At-maud Cn r rr-}. - Pub licatiou des DIICS de Ilour-
gognc. - Esprit plus séricux des étutles. - JO. icullolllie lJOlitiqllc.
- La délllolitioll <In spt¿'IIlC de ['f~ulJ);n·, ....... ¡tcole de M. J. B. Sayo
- Théorie de I'i ndust ri alisme. - Statist ique. - Ahus - J<:cole de
,M. Dupin . - La re!igion et I'industrie par i\1. de Saiut- Sirnon . -
Théorie de M. Fourrier,


:l81~.-1830.


L'AGITATIO.\ de la conquéte , les victoires iucessantes puis les
revers , cette Iiivrc de batailles et de grandcurs n'avaicnt pas
toujours pcrmis ü la géuération de l' Empire les études sérieuses
de la philosophie , devenue une science d'arguiuentation el de
simple cahicr sur les banes des ('oll{'ges ; une époquc si positivo
n'uvait pas \e \O\S\\' üe se livrcr i\ des Hud~~ spéculatives (luí




288 H1STOlRE DE LA HE5TAlJlL\TWN.
embrassent les facultes de l'úme par l'examcn el la réílexion.
I ..e génie de l'Empereur , avcc cet instinct merveilleux qni
savait tout deviner et définir, avait parfaiternent eompris qu'il
ne pouvait y avoir de philosophie sans religion, de morale
sans culte, Des l'instan t qu' on se livre a I'étude des facultes de
l'ñme , il faut les élever vers Dieu ; pour le peuple il est besoin
d'une religion révélée , eomme il faut pour un gouvernement
des regles d'administration; une philosophie transeendante en
dehors des príncipes du culte paraissait ~t Napoléon la dan-
gereuse utopie d'une éeole destinée a bouleverser les idées
d'obéissance. A la Faculté des Icttres , la chaire de philosophie
était alors remplie par l\I. Royer-CoIlard, qui renouvelait dans
la solitude de deux ou trois auditeurs quelques théories philoso-
phiques ; elles n'avaient au reste rien de neuf, de hardi : c'était
l' école écossaise timide et modeste , mélange de Reid et de
l'école sensualiste de Locke ; on n'osaít point établir direetement
la théorie des idées iunées de Descartes et du pére lUalebran-
che, paree qu'on aurait heurté trop ouvertcment le materia-
lisme du xvrn- siecle en possession de la suciété ; mais on es-
sayait une transaction , un systeme et une opinion mixte , et
Ileid s'était ainsi posé. M. Iloycr-Collard avait évidcmment
plus de majesté de style que -'1. tll ltomiguiérc , débris de
l'école sensualiste , une richesso plus pompeuse de couleurs, et
son cnscignement révélait une bolle iutelligence. lU. La Romi-
guiere , plus froid , plus didactique , demeurait dans le sensua-
lisme de Locke. Plus timide encorc se montrait l'historien
craintif des doctrines philosophiques , 1\1. de Gérando, qui
s'était fait connaitre par un premier travail sur les idées,
l\I. de Gérando u'avait pas précisément un systerne , mais il avait
un certain art pour en décrire les phónomenes , les progres et
les décadences: il avait analysé la sciencc telle qu'elle existait soit
en Allemagne ; soit en France , e'érait une traduction abrégée de
Brucker pour la philosophie ancienne ou du moyen ñge , et de
Bull pour la philosophie ruodernc ; mais iI y avait ceei de re-
marquable daus le travail de ~l. de Géramlu ; c'est que fonction-




I'JLÉClti. - CHAPlTRE rr, 289
naire puhlic sous I'Empire , il avait parfaitemeut saisi la peusée
de Xapoléon , en n'exposant aucun systeme particulier de philo-
sophie et en les développant tous comme simple historien. lU. de
Cérando ne heurtaít ni le sensualismedu XVIIIC siecle, ni le spiri-
tuaJisme rcligieux 11 la grande maniere de lU. de Bonald. Il n'était
pas facile avec la surveillance d'une censure inquiete de raison-
ner mémc sur le gouvernemem des ames. Au reste, dans les
Iycées , la philosophic n'était enseignée que comme superfétatiou
aprés la rhétorique : on suivait des cahiers d'argumentation,
partout les mémes et Iixés par l'Lniversité ; on faisait une annéc
de philosophie, paree que c'était un vieil usage , et comme un
complément des études : on passait en revue rapidement toutes
les facultés de l'esprit sans rien juger ; il n'y avait dans l'ensei-
gnement ríen de neuf, rien de libre, rien d'élevé , et cela tenait
toujours au mépris de Napoléon pour ce qu'il appelait l'idéolo-
gie , el pour les systemes proscrits de 1\11\1. Maine de Biran el
Camille Jordan, S'i1souffrait 1\1. Royer-Collard dans une chaire ,
c'est paree que gardien des vieilles míEU1'S, il fallait selon l'an-
cienue méthode que 1'0n cnseignát la philosophie dans les col-
léges. 1\Ia1t1'e du pouvoir, Bonaparte , consul, empereur, avait
ordonné la suppressi~n de la classe des sciences morales et poli-
tiques; il n'aimait pasles raisonneurs , les théoristes, les faiscurs
de systeme qui se placaient entre son Gouveruement et les su-
jets; iI comprenait les sciences, les arts, la littérature , mais
cctte étude intime de I'honnnc , cette réflexion sur ses facultés ,
iI ne croyait pas possible d'en expliquer le phénoméne sans la
rcligion révéléequi était la science de Dieu.


C'est dans cet état que la Restauration prit les études philoso-
phiques ; les Bourbons arrivaient avec les idées de discussion et de
liberté; un despotismo vigoureux n'existait plus sur la presse
et désorrnais elle pouvait discuter librement ; le xvrw siécle
gouvernaitalors les idécs avcc son empreinte sensualiste , el il se
flt néanmoins une protestation centre ce matérialisme dégradant,
et l'influence vint de Ilcid , de Dugald-Stewart son disciple , et
snrtout de l' AlIemagne. Ce n'cst pas dire que les études germa-


iv. 2:>




290 mSTOIRE DE LA RESTAURATlON. '
uiques fussent elles-mémes entierement nemes et primordiales,
elles n'étaient qu'un retour vers les travaux philosophiques du
xvn- siecle en France, Descartes, Malebranchc n'avaient-ils pas
serví de point de départ a plus d'un des théoristes de l'Université
de Tubinge et d'Iéna? seulement l'Allemagne avait réchauffé la
science par ses chaudes couleurs ; Kant avait soulevé par son
spiritualisme un enthousiasme universel , et MIllC de Stael la prc-
miére , en développant le systemc de Hegel, de Fichte , avait
révélé l'existeuce de cctte philosophie mystique si grande dans sa
raison pureo Des qu'elle fut connue en France , on y recourut
comme a un moyen de retourner vers le spiritualisme : on en
avait besoin pour sortir de la matiere , telle que le xvm- siécle
l'avait brutalement faite; Kant plut paree qu'il y a au fond de sa
pensée un sentiment religieux qui est un besoin impératif des
nobles ames, et lorsque l\l. Cousin en enseigna les principes
dans ses cours publics, il se groupa autour de lui des jeunes
étudiauts d'élite qui comprirent toute la portee, tout le charme
de cette vaste étude. 1\1. Cousin au reste avait la parole mystique
et inspirée , il n'avait aucune idée a lui personnelle , aucune
théorie dont il puisát les accents dans sa propre pensée : c'était
un interprete, un traducteur remarquable de l'école allemande
de ce uéo-christianismc qui prenait Iaveur dans les écoles ,
correspondant ainsi a ce sentiment impératif de la génération
nouvelle , l'espoir d'une croyance : et voila pourquoi la foule
accourait a lui; on cessait de déscnchanter les coeurs ; et si
lU. COUSill n'aIla point au catholicisme pur, ala théologie trans-
cendante, c'est qu'il y avait dans sa téte une mauvaise empreinte
des choseset des idées libéralcs; lU. Cousin, trop lié a l'école de
la révolution , aurait craint de s'en affranchir, de heurter trop
de préjugés et de se faire c1asser dans ce partí prétre que I'on
dénoncait en ce temps aux clameurs el aux vociférations des
classes populaires,


Cette faiblcsse, ce manque de rourage , OH He le retrouvait
pas dans les écrits de 1\1'1. de Bouald , de Lamennais et Frays-
siuous, Si daus les études politiques 1\1. de Bonald allait droit a




rnécts. - CHAPlTRE H, 291
l'absolu sans détourncr la tete, il apportait la méme fermeté
dans ses rétlexionsphilosophiques; il ne transigeait pas : « toutes
les sciences selon lui avaient Ieur source dans la religion révé-
lée , le príncipe de tout gouverncment comme de toute pensée;
Dieu , la théocratic et la famillc étaient les éléments sur les-
quels reposait fixemcnt la société.» Le XYInc siecle n'avait
pas d'adversairo plus tenace, plus ferme que 1U. de Bonald; il
ne ménageait rieu dans ses théories absolues, lU. de Lamennais
puhliait son ouvragc capital, YEssai su!' L'IndilréJ'cnce en ma-


.ticre reliqieusc ~ ecuo Wll\Te d'un style si éminent, cette
démoustration a la maniere du comte de Maistre, adressée aux
C(l'UfS qui doutrnt et se rcposent dans l'éuervemcnt : la philoso-
phie de 1U. de Lamenuais se concentrait tout entiere dans la reli-
gion : « l' indifférenceétait la mort; il ne faIlait pas en face de Dieu
des cceurs tiedes et des ames timides ; on devait aller jusqu'au
martyr pour soutcnir une idéc , et cette idée était l'unité catho-
lique , ses grandenrs et le pape au-dessus de toute hiérarchie, »
~I. Frayssinous traitait moins les questions de philosophie que
les díflicultés d'hisroire et les doutes de I'incrédulité ; dans cctte
église de Saint-Sulpice , OÚ se groupaicnt les hommes de toutes
couditions , il déurontrait la vérité de l' Aucien et du Nouveau
Testament , en défcndant la révélation sainte ct pure centre le
sccpticisme hisroriqu« de Cibbon , de Hume. La diction de
~I. Frayssinous n'était ni élégante ni élcvée ; s'il y avait un coté
vulgaire dans ses déinoustrations , sa logique était pressante ,
rapide; il luttait contre les tcndances de la génération de l'Empire
si profondément rongée par l'incrédulité, cal' alors la bataille
s'était formellement engagée entre le XYIlr siecle et l'école rcli-
gieuse : il Il'y avait pas de milieu. Toute la période qui s'écoule
depuis 1815 jusqu'cn 182h n'est qu'une lutte violente entre
l'école catholiquc ct le sccpticisme railleur; cornbat a mort ,
comme cclui du magniliquc arclrauge Michel contre le démou.
Il n'y a point de transaction possihle, poiut de systeme mixte;
on ne s'épargne pasti •


Daus cene lutte acharuéc surgit pourtant une école nou-




292 HISTüIRE DE LA RESTAURATION.
velle qui cherche son expression et sa formule avec une ardeur
louable; les jeunes hommes ne peuvent s'empécher de com-
prendre que le XVIIIe siecle est vieux; il faut de nouvelles idées
¿l leur génération active; ils ne peuvent vivre eomme un grand
plagiat : l'incrédulité n'est pas une sciencc, et le doute une
satisfaetion pour l'áme : ne se révelera-t-il rien de neuf pour
correspondre aux émotions rajeunies? Mais en méme temps
ces imaginations sont trop altieres pour rcconnaltre ce grand
fait : que la pensée religieuse dans l'unité est la seule force
sur Iaquclle on puisse fonder un état social; el c'est pourtant
avcc le dessein de se séparcr tou1 ~, la fois de la vieilJesse du
XYIIle siécle et de la croyance catholique que le Globe réve
une philosophie en dehors de cctte douhle eondition. Ainsi sos
disciples veulent bien admettre que le christianisme a été une
grande ehose apres l'ere romaine, un immensc gouvernementan
moyen-áge, mais ils le cousidercnt eomme fini : il a fait son temps
comme l'époque ehevaleresque; il n'y a plus de culto, pl~lsde foi;
le prestige est détruit. Le XYIUe siecle avait du bon, dans ses
ruines il a également produit son fruit ; maintcnant il faut pour
la société une ere, un culte qui ne ressemble ni au scepticisme ,
ni a l'Eglise. On doit y arriver par la raison pure , par l'exa-
men profond, étudié , de la vie intime et sociale, C'est U, ce
que veut réaliser la nouvellc école philosophiquc dans des pro:"
grammes incessamment répétés, I.e (;10/)(' se sépare de Reid t
de M. Iíoyer-Collard , et des éeossais; il n'adopte pas entiere-
ment M. Cousin, ni Kant méme ; dans un journal, une école est


<1
généralement plus hardie que dans une chaire de professeur.
On va droit a l'école de Hegel, en devancant méme l'interpréta-
110n impie que lui dnnnent plus tard les professeurs Strauss el
Schelling; mais ces théorios, venues bien vitc, sont déj~¡ vicilles
~¡ leur naissance; elles meurent sans {icho. Cette philosophie ne
parle ni a I'incródulité avouéc , au doute superhe, altier, ni ~¡ la
rhalcurcuse émotion des ñmrs : les coryphées de cctte école sont :
l\DJ. J ouílrnv, Dubois, Pierrc Lcroux , Lhcrminier el Damiron.
" . .T()l1rfro~· S(' je/1e dan" unucs ]es h.1rdiessps .1rdf'1l/(IS; 1J. DII-




rRf:CIS..- CHAPTTRE IJ. 293
hois compare les cultcs et les croyances ; il ne sait pas une langue
orientale et il s'ahsorbe dans I'Orient, cornme M. Guignault avec
la symbolir¡IlC de Kreutzer. l\I. Leroux, esprit encyclopédiste,
apparait avee la prétention d'universalité ; il n'hésite jamais
devant ses idées ; il a de la hardiessc , un style didactique , un
peu lourd, qui révele la conviction profonde de ses théories; rien
ne lui échappe, science, politique , littérature , beaux-arts; en
tout il conserve l'orgueil de sa propre supériorité. l\l. Lhermi-
nier, fortement enclin pour la philosophie du XYIUe siécle, s'y
cramponne cornrne a une école spirituelle et facile dans son
pyrrhonisme , ce qui le rend moius attachant, rnoins élevé que
:\1. Leroux: sa science est au reste bien aulrernent positive ,
il a étudié la législation; et cette étude approfondie crée ses
qualités et ses défauts : il sait les lois, les vieux codes 1'0-
mains, sans s'élever jamais aux géneralités des écoles alle-
mandes. Son style , avec la prétention du coloris, a quelque
chose de technique, comme un mémoire du Palais; on dirait
une consultation d'avocat sur des qucstions de droit; le sensua-
lisme et le spiritualisme, la politique et la rnorale comparaissent
devant lui comme des c1ients auxquels il donne une consultation.
i\I. Damiron se rattache en disciple a l\1. Cousin; sans avoir la
prétention de faire école , il explique celle du maitre; en
France il n'y a pas grande place pour les théoristes , nos esprits
ne sont pas spéculatifs comme aux universités de Tubinge ,
de Heidelberg ou d'Iéna,


Nul ne prit Ieu pour ces théories ; aussi les écrivains du
Globe , ahandonnant leur vie spéculative , prirent le meilleur
partí, ce fut celui de se faire coterie et de se pousser simulta-
nément; ils y réussirent , et cornme les encyclopédistes ils
n'admirent que les dévoués a leur hanniere ; ils eurent len!'
(lieu, leur pontife , Ieur hiérarrhie , el maíueur l\ l'intelligence
qui voulait s'en affranchir. Au total, l'école du Globe Iut
tonte de transition; ces intelligcnces prises individuellement
avaient leur valcur, et , fort írritées de voir le XYIIle siecle régner
encoré, elles appelaiont qnelquc chose qni ne füt pas la négation




294 HISTOIRE DE LA RESTAURATION. .
de toute croyance dans /a philosophie et les arts ; elle voulut
ainsi créer un principe intermédiaire entre le catholicisme et
l'école encyclopédique, et la fut son erreur et son orgueil :
que sont devenus les éléments dispersés de l'école globiste7
'Les ambitions personnelles ont été satisfaites; il Y a eu de
grandes positions acquises, mais I'école est tombée ; on a vouln
en vain la faire revivre, elle n'a plus de forces; l'ambition seulc
a tracé le sillon de cette route courte, mais évidemmeut bril-
lante; l'édifice a croulé, paree que le príncipe posé n'était ni la
croyance , ni le doute : il n'y a pas de milieu entre ce qui est
soumis et ce qui s'aflranchit du joug, entre les esprits superbes
et les cceurs croyants.


Le travail le plus fatal de toutes ces écolcs , fut surtout la
démoralisation des classes populaires dans la société ; I'Em-
pire avait eu le tort de faire de la religion une petite police et il
ne s'était pas assez occupé de la moralité des masses; la
Révolution francaise avait laissé au fond des ames une em-
preinte de matérialisme et d'incrédulité : que de peine pour
eonduire une génération qui ne croyait plus a rien! les classes
supérieures, paree qu'ellesont plus de lumiere , vienncnt plus tót
aux conditions d'ordre et de hiérarchie; mais une foisles masses
dépravées , il faut des siecles pour les reíréner ; eh bien! il se fit
un horrible travail pendant la Ilestauration ; on se prit aplaisir
a répandre parmi le peuple les livres du XVl1l C siecle; les édi-
tions de l'école matérialiste se multiplierent a l'infini; OH réim-
prima vingt fois Voltaire, Ilousseau , et encore ceux-ci n'étaient
pas les plus formidables adversaires de l'état social. Helvé-
tius, d'Holbach , furent jetés a profusion au peuple; on lui
livra des éditions compactes pour des prix trés-abaissés, de
maniere a ce que chacun put les lire et les commenter, sans
prendre garde que l'on mettait des armes terribles dans les mains
de ce peuple. Ce fut la un des grands griefs que l'histoire gar-
dera contre le vieux Iihéralisme : qu'on atraque un gouvernernent
par la politique, c'est de la guerre; qu'on cherche ale renverser,
eela s'explique par la haine des partís et la nature de l'opposition:




PRÜ:IS. - CHAPITRE n. 295
mais que 1'0n prcnno a plaisir de donner ala fonle des livres
licencieux , i\ la nourrir de matérialisme, a la désenchanter de
la croyance de ses percs , c'est la un crime abominable, c'est la
corruption semée i\ plaisir. Robcspierre n'avait-il pas lui-meme
compris qu'il était impossihle de laisser une nation sans croyance?
De la cette haine centre le clcrgé , ces dénonciations contre
les prétres dont les pamphlets de quelques vieux coryphées
du XVIII' siécle sont alorsernpreints et qu'ils jettent aux classes
populaires. Sans doute il y cut des fautes du clergé ; peut-étro
n'eut-il pas assez l'intelligence de Ja situation des esprits et de
la marche de la société ; mais ces fautes a part, jamais il n'y éut
d'cxemple , en histoirc , d'un collége de poutifes aussi pur aussi
rcligieusement attentif ~\ ses devoirs ; et pourquoi les représenter
comme les ennemis de la société qu'ils tentaient de moraliser ?
d'oú venait eette haine contre les missions et l'enseignement de la
Chaire? Les livres matérialistes corrompaient la société , c'était
un fait; rien de plus naturel que des missionnaires fussent envoyés
pour ramener les principes de la moralc et pour étahlir sur les
bases saintes l'édifice éhranlé des croyances catholiques, Peut-
Nre ces missionnaircs furcnt-ils quelquefois bruyants; mais
euseiguaieut-ils quelque chose de contraire aux mreurs ; no re-
commandaient-ils pas l'obéissance aux lois et au pouvoir établis ;
quoi de plus sublime que la moralc de l' .Églisc? l'enfant qui sait
bien le catéchisme est le plus Iidcle des citoyens, le plus sou-
mis eles hommes; cst-ce qu'on fait une société en lui jetant les
Comes libertins de Créhillon el les Soirées du liaron d' Holbach?


Cette situation de la société parut tellement fatale , si brute-
ment dépravée , que quelques hommes sérieux songerent a por-
poner un frein aux idées de désordre qui allaient naitre et se
développer parmi les classcs populaires ; comme ces hommes
avaient des méfianccs contre le catholicisrne , ils s'occuperent a
créer un svsteme dr moralité en dchors de l'l~gJisc : la premiere
tentativo fut protestante, ct il faut rendre ccue justice aux hom-
mes de ceuc croyance , qu'ils s'y adonnerent avcc ce caractere
grave et austere l \~'IW du calviuismo ; la Socilhe <le /a M01'OLe




296 HISTOIRE OE LA RESTAURATlON.
chréiienne fut iustituée pour ramener les massesaux sentiments
du devoir. l\Iais le protcstantisme , quels que puissent étre ses
éléments, ne possede pas en lui-méme une force, une action
suffisantes sur l'imagination et le cceur des peuples ; culte
froid et trop didactique, il n'a rien de ces Iégcndes colorées
qui peuvent saisir le pauvre et le consoler. Il peut bien résulter
une lecon de la lecture de la Bible ct de l'explication qu'en
donne un ministre, mais cela ne süffit pas pour parler vive-
ment au cceur des masses. J...a morale a hesoin d'une certaine
douceur dans l'enseignement; J'esprit du peuple est a l'égal de
celui des enfants, il faut lui colorcr la leron , et les exhortations
froides de la morale chrétienne n 'avaient ríen de saisissant , de
vif, de tendrement affectueux, comme le Catéchisme catholique:
la Vierge qui console, J'Ange gardien qui préserve, le príncipe
du bien et du mal, Dieu et le démon; toutes ces images répétées
avaient une índicible influence sur le creur du peuple, rcmuaient
toutes les époques de sa vie, depuis le berceau jusqu'a la tombe:
le baptéme , la premiere communion , le mariage , bolles "tradi-
tions de familIe qui se perpétuaicnt d'áge en áge, Et vous vouliez
comparer a cela les froides Icctures de la Bible , un cuIte sans
cérémonie, des hymnes sans pensées célestes , des explications
de texte sans chaleur! Les tentatives de propagande protestante
n' étaient pas un progres vers la moralisation des classes inférieu-
res; elles ne pouvaieut Iutter contre les idées de doute el de
matérialisme du xvnr siecle : les forces n'étaient pas égales.
JI fallait quelque chose de plus énergique, et c'cst ce que les
missionnaires entreprirent en opposant de chaudes convictions
aux mauvaises passions du peuple , aux livres , des livres , aux
paroles , des paroles; et si cct onseiguemcnr ne Iut pas tres-
élevé , s'il 'garda des formes bruyautos , c'est qu'il s'adressait
aux masses , et que celles-ci ne comprennenl pas d'autre
langage; 1(' p~re Bridaine s'agitait sur une borne, s'arrétait an
milicu d'un champ, pour décrire les douleurs des damnés el les
joics célestes ; N le pouplc s'ageuouiliait en pleurant.


L'autre tontat in' (1(' moralisat ion. fut ('~say{'(\ par la philo-




PRí~r.IS. - CHAPITRE u. 297
sophie : de jeunes hommes aux tétes également réfléchies,
comprirent qu'on ne pouvait pas aller longtemps avec une
société dépravée , telle que I'EncycJopédie l'avait faite; orgueil-
leux et pleins de préjugés contre le catholicisme, ils voulurent
constituer par la seule force de la philosophie une école de
morale qui ponrrait s'organiser sans croyance , comme les théo-
philanthropes de Larévcillere-Lépeaux : moraliser les classes,
organiscr le travail , telle fut leur mission annoncée, espérant
éclairer le peuple, lui faire voir les dangers d'une dépravation
socialc sans recourir ¿i la religion; ils prirent l'enfant pour le
faconuer isolémentade bonnes idées. I ..eurs publicationss'adres-
sérent surtout a l'ouvrier , ils virent dans l'association travail-
leuse un moven de détourner le peuple des principes corrup-
tcurs, L'intentiou fut bonne; mais elle ne pouvait abontir arien ;
le penple sent et ne raisonne pas, il a des instincts, une intelli-
genee puissante , une certaine force de comparaison ; mais on
ne parvient pas jusqu'á son cccur et son imagination par de
froides théorics, le catholicisme est le grand principe organi-
sateur pour la famiJIe , pour les c1asses, pour tont le corps
social; le travail était admirablement organisépar la corporation;
la morale rattaehait la famille a l'Église et la corporation a la
cité. On fit done une double tentativo également impuissante
ponr amener le peuple a des sentiments honnétes en dehors
du catholicisme; la Socict« de la Morale Clirétienne voulait
Iairc de la Franee une nation protestante, et la philosophie
jetait les premiers éléments de cette organisation industrielle
qui placait dans le travail le príncipe méme de la vertu ; hélas!
lé travail c'est la peine, c'est le devoir ; mais ne faut-il pas a
cM¡> de ce devoir quelque chose qui eonsole? ne faut-il pas une
leron vivante et continue? est-ce que quelques froides paroles
de philanthropie pcuvcnt étre sufflsantes pour grandir le cceur
el consoler la foi , pour essuyer le front qll i sue ¿I la peine? Est-ce
Hi ce qu'on pouvait OppOSCl' aux publications du XYIne síecle
«ni déréglaient si spirituellerncnt les imaginationsen propageant
la haine rontro 1(' sr-ul frr-in qni pouvait los contonir, les missions




298 HISTüIRE DE LA RESTAURATION.
catholiques? Un peuple saus croyanceest un flCUfllc sans devoir 1
sans enthousiasme; il lui faut un culte, ala république , aNapo-
léon, il salue les images, s'agenouillcdevant tout ce qui émeut;
si vous le faites matérialiste, il sera insournis 1 insubordonné 1
el comme il n'a pas la méme somme de bonheur et de jouis-
sanee que le riche , il demandera a ses bras nerveux lasolution
de ce mystére qui fait des heureux et des malheureux en face
d'un Dieu juste et sur une terre d'égalité,


En temps de partí 1 tout sert d'instrument; il n'est pas de
science, méme sérieuse, qui ne s'empreigne de la couleur de son
époque, et l'histoire, cette chaste et grave étude, servit plus d'une
fois d'arme puissante contre la Iíestauration. L'Empire avait vu
et salué une école historique qui tout entiere s'étaít préoccupée
de la gloire et de la destinée du grand Dictateur ; a sa chute 1
trois hommes représentaient l'histoire en France , lUl\!. de La-
cretelle, 1\1ichaud et de Sismondi , et on les retrouve tous trois
encore ala premiére époque des Bourbons; 1\1. de Lacretellc
avait produít des travaux historiques avec quelqués vives eou-
leurs el ce goüt de portraits qui appartenait un peu a I'école de
Saint-Réal et des écrivains du dernier siécle: son récit était
chaleureux, quelquefois essoufllé. Ce qui manquait a 1\1. de
Lacretelle, c'était I'étude réelle , approfondie des monumcnts; iI
avait dédain des sources ; plein de sa maniere élégante , iI cher-
chait plutót la forme que le fond méme de la vérité ; il ne se sou-
ciait guére de la vieille chronique 1 de la charte poudreuse 1 de
ces coutumes qu'il faut rechercher jusque dans les entraiIIes
mémes d'une sociétépour en eonnaitre l'esprit. Aussi l'historien
n'avait-il aucun apercu , aueune idée neuve ct haute; élevé avéc
la génération des encyclopédistes 1 M. de Lacrctellc conservait
quelques-unes de leurs légeretés de style et d'examen, sacrifiant
tout a quelque décIamation un peu scntimentale , el a un récit
chaud et animé. 1U. lUichaud, tout en rccherchant le méme
éclat, la méme pompe de style , avaít cu le goüt d'études plus
sérieuses; s'il gardait la forme de l'écolc impériale , cette
maniere de poéme épique , iJ ne la séparait pas d'une rertaine




PRÉCIS. - CHAPITRE u. 299
applicatiou dansla recherche des sources, Quand Napoléon me-
nait de grandes années , el qu'il faisait tant de prodiges en ma-
tiere de gouvernement, les écrivainsd'élite pouvaient emboueher
la trompctte belliqueuse ; il y a dans l'histoire des Croisades
une empreinte de la Jérusalem délicrée ; le poéme épique
domine; le Tasse entraine et perd )1. lUichaud. De la ce souci
de [aire marcher les Croisades par grandes masses ~ de les faire
cadrer dans des chapitres comme dans des cbants de poéme ,
011 de brillants épisodes. La sont les défauts de l'ceuvre : mais
M. lUichaud, hommed'esprit, avait deviné qu'une révolution se
préparait dans l'histoire , que la géuération studieuse allait vou-
loir autre chose que des phrases éclatantes ; avec l'instinct des
chroniques , il descendit des sommités superbes oü l' Empire
avait placé l'histoire, pour arriver au récit naif des. vieux
temps; désormais il vous contera comment Godcfroi de Bouil-
Ion conduisit la merveilleuse entreprise; il vous fera assister a
ces récits naífs que contiennent les Gesta Dei per Francos;
seulement 1'1. lUichaud n'eut pas assez de foi dans le seul
intéret des chrouiques , dans I'attrait des vieilles chartes; gáté
par l'esprit dc l'Empire , il ne fut pas assez vieux conteur ; il
garda des formes trop philosophiques et générales; on voyait
qu'il y avait plus de crédulité que de croyance dans ce qu' il
racontait; il aimait les chroniques , en les raillant; il se mo-
quait trop de ces pauvres pelerins marchant aux héroiques
choses par confiance dans les miracles de Dieu. 1U. Michaud
avait plutót l'instinct des choses religieuses en histoire que le
sentiment profondément religieux; il Y avait encore du dix-
huitiéme siécle. 1\1. de Sismondi avait produit dcux eeuvres
capitales : l'Histoire des républiques italiennes et eelle de
la Littérature du midi de l'Europe ; e'était l'école de lUme de
Staél , l' érudit philosophique avec ses qualités et ses. défauts;
lH. de SismOIyli, fort savant , fort avancé dans les études , a la
maniere de l'école géuevoise , dissertait avec l'esprit de doute
el d'une Iroide critique; il jugeait avec les idées de son temps :
point d'eutralueiueut chaleureux , nulle poésie , un peu




300 HIS'fÜlRE DE LA RESTAURATlO~.
d'ennui , et de la science puisée aux sources de Muratori et de
Tiraboschi. Il est curieux de voir deux savants , deux historiens
opposés a l'école impériale, Ginguené et 1\1. de Sismondi, mar-
cher de concert avec les mémes idées , les mémes impressions
philosophiques daos l'étude des vieux áges,


C'est a regret que je me vois forcé, a cóté de ces deux intel-
ligences historiques, de placer dans l'ordre des temps lU. Du-
laureo Nul n'a moins que lui le génie de l'histoire, mais en retour
il a de la haine contre la religion et la royauté; son érudirion de
seconde main sert ses répugnances. C'est un vieillard qui prend
plaisir adésenchanter les jeunes ames qui croient aux grandes
choses ; il a lu Félibien et Sainte-Foix ; illes fouille pour décou-
vrir les aventures scandaleuses, les tristes passions humaines,
L'Hístoire de París est une grande démolition , un pamphlet
contre les rois et le clergé; il n'y a pas d'élévation , aucune idée
neuve; les faits sont recueillis sans discernement, Aux époques
ardentes, il est facile de se faire une renommée de savant; comme
les opinions agitées sont généralement ignorantes, l'homme qui
sait un peu passepour unegrande lumiérc, Lepartí révolutionnaire
cut son érudit dans 1\1. Dulaure, comme il avait son chansonnier
dans Béranger, avec cette difTérence toutefois d'un talent remar-
quable de poésie, a coté d'une médiocrité d'érudition et d'his-
toire. C'est l'époque ou parait le plus de pamphlcts dirigés dans
cette pensée de démoJition; ici , c'est YUriqinc des cultes ~ de
Dupuis, explication fatale de tous les dogmes; la, les Ruines de
Volney ~ mystére profond OÚ se révele le génie du mal. Sur tou-
tes les échoppes on voit s'étaler les Crimes des rois el des pré-
tres ; sous pretexte de faire la guerre aux jésuites, on attaque
les pontiíes, le catholicisme et l'origine (le la royauté ; les impré-
cations du grand prétre Samuel aux Israélítes quí veulent faire
un roi , écrites par lU. de Volney, dcvienncnt populaires; et ces
doctrines que l'on répand partout se propagent avec un indiciblc
mouvement; une activité incessante. Lisez .les livres de I'abbé
Grégoire, quelle forme historique! quel pamphlet contre tout ce
qui compose la force sociale ! l\l. Daunou est plus prudcnt; il




PHÉClS. - CHAPITRE 11. 301
a gardé en Iui-méme une grande empreinte des Béuédictins ; le
sentiment religieux est au foud de son ame; I'Empereur lui a
commandé un livre. contre les papes, et il va I'écrire par ordre;
dans l'Académie des Iuscriptions , il a fait des travaux sérieux ,
oü se révele toujours l'empreinte du XVIUC siecle ; illit dans le
moyen-áge avec les idées modernes; il daigne j ustifier Saint-
Bernard, le grand organisateur, et expliquer la politique de Saint-
Louis ; M. Daunou vaut mieux que M. Dulaure , mais c'est la
méme école paree qu'il vient de la méme source. Ses Iivres ne
sont au reste que des pamphlets d'érudir.


C'est dans cet esprit que sont publiés ces résumés d'histoire
qui pullulent connne spéculation de partí et de librairie au milieu
de laRestauration ; on commande des livres ala douzaine, dans un
dessein de bouleversement ; celui-ci se charge de I'histoire d' Es-
pagne; l'autre, de Russie, de Suede ou d' Angleterre, et cela sans
étude , sans préparation. Improvisez, jeunes hommes, venez tous
au métier! c'est une ceuvre de partí, il fautI'accomplir ! La
haine contre la monarchie el la religion se révele partout dans
ces résumés qui arriveut avec les éditions Touquet. A ce tra-
vail pourtant se révelent deux actives intelligences : MM. Félix
Bodin et Rabbe ; l'un spirituel el doux , sans aucune empreinte
d'opinion, marchant doucement avec le vieux libéralisme paree
jIu'illui était commode; l'autre, impétueux et vif comme le del
du midi qui l'avait vu naitre , écrit avec une grande chaleur de
style : irrité centre la société , qu'il ne peut souffrir , il se jette
dans la violente opposition paree qu'il a besoin de se faire une
place; c'est un homme achaleureuse conviction; je le répete ,
lU. Rabbe n'est pas un écrivain vulgaire. C'est de cette école de
résumés que sortirent deux ouvrages, que plus que tout autre
je dois juger avec justice et modération; ce sont les Histoires
de la Rciolution [rancauc ~ par M~I. Thiers et ñlignet ; l'une si
étendue, l'autre substanticlle et résumée, A la lecture de l'ceuvre
de M. Thiers, on voit qu'il se propose un dessein : la tache qu'il
s'impose est politique; il veut réhahiliter la Ilévolution francaise.
Iln'est pas d'agitation populairo , d'événement sanglant quin'ait ..


IV. 26 <,
I ,--.




302 H15TOlRE DE LA RE5IAVRATlON.
sa fatalité l c'est la religión de son livre; vous chercheriez en vain
l'étude des documents sérieux , la connaissance des Cabinets de
l'Enrope , il n'en sait pas le premier mot; l\I. Thiers apporte une
certaiee Inteílígence des factíons (,1: des comités; iI a 10 le ~Joni­
teur, les ~lémoires; il a écouté les vieux récits de quelqnes jacobins
retirés ; il a admirablement causé avec quelques débris des ba..
tailles; il a fait de la stratégie avec Dumouriez, et analysé les
remarquables travaur du général Jorniny ; et avec cela l\'I. Thiers
a toute la chaleur du midi, un style peu correct, mais toujonrs
assez vii; et par-dessus tour c'est un Iívre écrit dans le sens d'un
parti, un ouvrage qui a son dessein el qui y réussit: reuvre d'es-
prit dans les mains d'un homme d'csprit; travail ardent comme
les passions, et qui disparaltra, sans doute, avec ces rnérnes pas-
sions. lU. lUig.net est plus froid , plus compassé; e' est l'érudit
qui se résume avec uneprécision tellement systématique, que si
un fait est dérangé il ne reste plus rien. Il a créé un échíqnier et
fait manoenvrer les pions dans de certaines données, dont il
ne s'écarte pas; il n'a pas le style coloré de' M. Thiers, mais
H a plus d'idées gouvernementales , des regles plus séríeuses
pour la conduite des partis , et puis il est plus court; s'il y a
un peu d'originalité dans son livre , c'est plus pour la forme
que pour la pensée. On ne va jusqu'au bout que difficile-
ment; il est bien long avec l'ambition d'étre court : une pensée
qui se résume sans cesse ne se supporte que sous la magnifique
forme de Tacite; et certes nul ne pent avoír la prétention de
l'égaler. Nous antres tous nous devons avoir garde de cette po-
pularité depamphlets; il Y a toujours la une cause de caprice
de peuple.


C'est au milieu de la Restauration qu'apparaissent les travaux
bien autrement éminents de M. Guizot sur l'histoire de France.
1\'1. Guizot est un esprit qui se rattache a la dynastie paree qu'il
a vu dans la légitimité un fait protecteur de la libre pensée;
jeté tout jeune dans les affaires, homme politique au moment oú
il a appris la langue littéraire , il a préludé ases travaux par <les
notes et des commentaires sur Gibbon , qu'il a tradnit : ces COIl1-




PRf:crs. - CHAPITRE n, 303
mentaires SOl1t une réfutation des démonstrationsami-religieuses
de l'historien anglais et de son deplorable chapitre sur le chris-
tianisme. lU. Guizot est proíondérnent chrétien; il croit , et la
solidité de sacroyance est partout; melé aux aífaires publiques,
il néglige un momentl'histoire; mais lorsque la fortune politique
change, poussé dans l'opposition, il se met atravailler avecl'ar-
deur d'un vieux hénédictin. On vient de publier les ñíémoires
sur l'histoirc de France : i\I. Petitot s'en est fait I'éditeur ayer
une érudition trop légere : lU. Guizot veut ouvrir devant lni une
plusgrande carriere ; leschroníques écrites en latín n'ont pasune
assez vaste popularité , iJ entreprend de les mettre a la portée de
tous, il les traduit ou en surveille la traduction, de maniere ace
que ce travail, destinéavulgariser la science, puisse servir alui-
méme d'études et de point de départ. Une fois cet ouvrage éta-
bli, 1\1. Guizotconcoit son bel Essai sur l'Histoire de France ;
il n'écrit point dans l'intérét d'un parti; le premier, a travers
toutes les doctrines anti-religieuses , il ose dire toute la puissance
des évéques au moyen age; se séparant du xvUJC siécle , il a vu
de plus haut el plus loin ; il .ahorde les sources, et il les éclaire
d'une grande impartialité ; nourri de LUontcsquieu et de LUably,
Ha profité des lumieres que les chroníques lui ont données, Jc
considere1\1. Guizotcommcun des hommes qui a fourni le plus
d'idées el de faits pour expliquer le moyen ñge , seulement sa ma-
niére devientmoins forte lorsqu'ellese méle aux deux préoccupa-
tions qui le dominent, la réforme du xvi- siecle et la révolutionde
1688; alors il devient l'homme de son école, La grande question
de la socíété , il la voit dans les deux pensées de réformation et
d'organísation : Luther réformc, Calvin organise; a ce point de
vueles travaux de lU. Guizot sont moinsvrais, moins supérieurs,
pareequ'il n'ose pas s'avoueraIui-méme qu'il n'y a d'organisation
puissante que dans le catholicisme. Et pourtant nul n'a rendu
plus de j ustice a la grandeur catholiquc, nul n'a poussé plus
íortement les études sur les services du clergé au moyen áge ;
son travail sur l'influence des évéques a l'époque de la Gaule
romaine et harbare est des plus éminents ; on regrette que




304 HISTOlRE DE LA. RESTAURA.TlON.
des préoeeupations politiques aient entrainé l'historien 11 des
théories absolues , ades classifications d'origine, de eastes et de
raees, de Franes et de Gaulois.


Cette puissante et noble impulsion de M. Guizot fonda une
éeole, et c'est a cette éeole qu'appartiennent les travaux de
1\1. Augustin Thierry ; les deux ceuvres de la COllquhe des iY01'-
nuuuls et des Lettrcs sur l'liistoirc de 1"1'011('(' parurent sous
la Ilestauration ; je les prends au point de vue oú elles furent
éerites alors , cal' depuis, l'auteur, homme d'intelligence, s'est
beaueoup et justement modifié. M. Thierry, comme 1\1. Guizot,
avait étudié le moyen áge: mais 31. Guizot reconnut l'éminente
supérioríté du clergé francais , l'aetion civilisatrice des évéques ,
ees grands magisírats sous la premiere rare ; 1\1. Thierry, au
contraire , tout rempli des préjugés du XYIU e siecle, fit de ses
travaux historiques un instrument de guerre eoutre l' Église ; on
dirait un pamphlet centre les évéques , les mreurs , les usages ,
la philosophie et la pensée du moyen ñge. 1\1. Thierry cherche
partout l'aetion et le triomphe de la hourgeoisie; il n'est préoc-
cupé que des serfs qui gémissent , de la eommune qui se sou-
leve, et de l'évéque félon et despotique; ses travaux sont une
véritable polémique ; on les dirait écrits pour un journal, dans
un temps de passions. Il y a de la science , une érudition faeile
sur l'origine des communes , cal' Bréguigny I'avait bien devaneé;
il a lu les textes, mais, tout préoccupé de la renommée que
donnent les partis , il n'a pas su se conserver dans eette grande
impartialité qui fera vivre les ouvrages de M. Guizot. Ces pré-
tentions aune orthographe nouvelle ct un peu puérile des noms
francs , cette érudition de seconde main, faeile avee un die-
tionnaire anglo-saxon , ne feraient point vivre un jour les travaux
de ;\l. Thierrv, s'il'll'y avait au reste l'érudition d'un savant el
l'intelligence d'un maltre de I'Í~ro]e normale, Autour de la
hanníere de M. Thierry vinreut se grouper de petits Iaiseurs ,
ce qui ne manque jamais aux hommes distingués ; on fit de
l'éruditiou apeu de Irais , on voulut pénétrcr' dans l'origine de
tontos chosos , on fit dr l'histoire par les ZOIH'S et par les traits




PR(\CIS. - CHAPITRE H. 305
distincts de chaque race, Ce fut une manie , il faut la pardonner
achaque temps.


Au milieude ces ceuvresqui passent médiocres, s'élevale beau
travail de 1\1. de Barante sur les Ducs de Bourqoqne ; M. Guizot
avait expliqué l'histoire dans de hautes vues politiques; une
pensée transcendante dominait en lui; comme Montesquieu et
Mably il avait rccherché la cause des événements. 1\1. de Barante
se donna une tache plus modeste, mais non moins difficile dans
son exécution; il avait lu la chronique et s'était laissé entrainer
aux charmes indicibles des vieux conteurs; il avait pensé que le
meilleur moyend'écrire I'histoire, c'étaitde s'abandonner audoux
murmure de la narration , et eomme ille dit lui-méme d'aprés
Qnintilien, il voulut érrire pour narrer et non pour prouver;
1\1. de Baraute se fit l'interprete de la ehronique de eette maison
de Bourgogne qui se liait intimement aux troubles de la France ,
brillante race qui apparait dans la lice comme les braves et dignes
chevaliers du moyen ñge. Ce travail complet embrassait les
troubles des halles sous Charles VI jusqu'au régne de Louis XI,
l'époque politique pour la monarchie, de maniere que 1\1. de
Barante pouvait tout a la fois écrire les agitations civiles et les
tinesses d'un pouvoir qui avait besoin de se centraliser. Une
grande popularité vint a ce livre, et elle était bien méritée ; on
ne sait pas toute la peine que donne un récit d'événements,
serait-il le plus simple et le plus naif; il faut le dépouiller de
toute surabondance, de toute longueur, et c'est en quoi 1\1. de
Barante se montra supérieur aM. de Saint-Aulaire qui publiait
son travail sur la Fronde ; sans doute en homme d'esprit , 1\1. de
Saint-Aulaire a su rendre son récit attachant; mais il l'a trop
surchargé de notes et de généalogies d'incidents qui suspendent
la narration; issn d'une grande race, 1\1. de Saint-Aulaire s'est
trop attaché a rechercher les origines des maisons perdues; les
préoccupations parlementaircs l'ont détourné du sens vrai de
l'Histoire de la Fronde, et si l'homme d'esprit est resté, peut-
étre la tete politique s'est-elle ressentie du moment OÚ 1\'1. de
Saint-Aulaire avait r{odi~{> son travail : c'était le temps d'éloge




306 HI8TOlRE DE J,A RESTAURATION.
pour les parlements, pour les résistances de tribune, pour l'op-
pósition; on n'était populaire qu'a la condition de faire de la
résistance au gouvernement établi.


'Et pourtant la Rcstauration avait bien hautement protégé les
études historiques : c'est de cette époque que date la liberté
d'envisager les questions d'histoire avce la plus haute indépen ...
dance politique; I'Empire n'avait jamais permis de parler méme
des vieux temps qu'a la eondition de les rattacher aNapoléon.
La Restauration donna la liberté de penser et d'éorire ; et de la
ces réflexions sérieuses qui vinrent 11 la nouvelle génération; on
pnt dire la vérité sur les choses du passé , et de grands -travaux
historiques ainsi s'éleverent al'aide de la liberté politiqueo Bientñt
les passions s'emparérent de eette magistrature de l'histoire; les
partís cherchérent dans la révolution d' Angleterre des points de
départ et de comparaison, des armes enfin, pour détruire le prin..
cipe de la légitimité, Si lU. ViIlemain, avee son esprit éminent,
avait su se préserver de cette tendance des opinions ruauvaises ,
dans son travail sérieux sur Cronucell ~ travail quí n'emprunta
rien qu'aux faits et aux idées poJitiques; si 1\1. Guizot avait
examiné froidernent la révolution d' Angleterre pour en éerire
les canses et les résultats, il yeut un jeune et fougueux écrivain
qui vint tristement óchouer dans un travail historique, qui por..
tait le titre d'H¡'stoil'e de la comre-Béoohuion lrAngleterre;
1\'1, Armand Carrel , tres...eapable d' écrire un article de journaJ t
au temps de passions éphéméres ou agitées , n'avait aucune des
conditions qui constituent l'historien; au fond ce n'était pas un
esprit supérieur, que 1\1. Armand Carrel ; il faisait de la polémique
eomme le journalisme en sait faire quand il ménagepeu; en
présence d'un pouvoir faible , il avait beau jeu de menacer qui
ne savait pas se défendre; la popularité venait alors abon marché,
et il fallut que l'eeuvre füt tristement concue pour qu'elle réussit
apeine a son apparition ; elle tomba des son début , et a travers
la renommée de parti que depuis se fit l\'1. Armand Carrel ,
l'ceuvre méme ne put jamais se relever. Il y a plus de pensées,
plus de style , plus de grandeur dans deux pages des Quatl'e




PRÉCIS. - CHAPlTRE n. 307
Stuarts de 1\1. de Cháteaubriand que dans le long volume de
l'Histoire de la conirc-Bécohuion d'Anqleterre.


Dans ce travail intellectuel et sérieux de la génération nou-
velle , dans cette lice toujours ouverte par la solennelle publica-
tion des grands travaux , il devait s'élever une école d'économie
politique comme il s'était formé une génération studieuse pour
l'histoire ; l'Empire avait des formules, des principes d'adminis-
.tration, qui gouvernaient les esprits et les intéréts; les théories
avaient peu de puissance alors quand elles ne se rattachaient pas
aux études physiques, aux sciences mathématiques; ce qu'on ap-
pelait économie politique était une étude presque inconnue sous
I'Empire et rangéeparrni les utopies; l'industrialisme était un fait I
et non pas une science. La sccte des économistes avait disparu
au moment de la Bévolution quand les événements dominaient
tout : néanmoins les principes anglais avaient fait quelques
progres dans les tetes réveuses , et 1\1. J. B. Say publiait ses
livres sur la liberté des transactions commerciales. Le systéme
de Colbert plaisait a Napoléon; al'aide du systeme prohibitif
il avaít élevé les grandes industries; la Ilestauration en ou-
vrant toutes les mers, en donnant une impulsion libre au
commerce , avait Iavorisé les principes d'économie politique ,
.et l'éeole anglaise put reparaitrc avee la liberté. Comme
toujours lorsqu'une science se développe , il Y él les véri-
tables érudits et les charlatans , les savants sérieux el ceux
qui exploitent la science; on se jeta avec frénésie sur les
suuistiques, élément primitif de toutc science économiste : la
statistique c'est le dénombrement de tous les faits qui peuvent
éclairer sur la íortune publique, c'est l'inventaire des forces
d'une nation , et sous ce point de vue elle présente un grand
intérét , une utilité évidente. Tout Gouvernement a besoin
de se rendre compte de sa fortune et des causes de sa pro-
spérité, La statistique est pour le commeree ce que le budget
est pour les tinances; 01' depuis la Restauration , le besoin
de popularité et de déploycr une science facile fit exagé-
rer ce systeme de statistique arbitraire ; on en ñt sur toutes




SOS mSTOIRE DE LA RESTAURATION•.
choses, sur les produits les plus infimes; des grandeurs du
Gouvernement on tomba aux minuties , de la science réel1e au
ridicule. Sans attaquer les travaux de 1\J. Charles Dupin, on
peut dire que ce fut l'hornrne de science qui gagna la popu-
larité la plus facile par des travaux de statistique sur des objets
insignifiants; il ne procédait que par nombre, que par calcul,
depuis les ceufs jusqu'aux grains de miJlet; el a quoi cela
pouvait-il servir? qui pouvait vérifier ces calculs? Les véri-
tables travaux statistiques , ceux que le Gouvernement pouvait
consulter furent préparés par les divers ministeres avee un soin
particulier ; les balances du commerce , les douanes , les reeettes
et les dépenses, les revenus publics , furent constamment dirigés
avec une précision admirable, et e'est ¿I la Restauration que
l'on doit la publicité des eomptes, la franchise des doeuments ;
et cela s'explique; la Restauration avait besoinde reeourir au eré-
dit public, et pour inspirer eonfianceaceux qui prétent , il faut
nécessairement donner toutes les garanties ; et la plus bellecondi-
tion de la fortune publique, c'est de la justifier aux yeux de tous.


Ce ne furent pas les travaux systématiques de M. J. B. Say,
plagiat de l'éeole anglaise, ni les statistiques de M. Dupin qui
avancerent la science administrative ; il se fitdans les bureaux un
mouvement d'ordre et de régularité remarquables ; 1\1. de Saint-
Cricq, en maintenant sous plus d'un rapport le systémo prohibí-
tif, rendit de véritables services ala science économique. Certes
l'industrie et le eornmerce sont rleux grands éléments de la for-
tune publique; chaqué nation qui en méconnait les bienfaits se
prive de force el de destinée; mais ce qu'il y eut d'étrange et
de fatal a cette époque, c'est qu'on voulut faire de l'industrie
une religion, et du commerce le seul príncipe de Gouvernernent.
Les religions sont fondées sur dcux élémonts , la morale el le
dogme : 01' s'il est un élément en opposition avec les principes
rigides de la hienfaisance , s'il est quclque chose en dehors de
tout dogme idéaliste , c'cst le commcrce el l'industrie ; la probité
du commercant cst un principe , mais il y a toujours dans les
transactions industrielles nne part de lucre et de gain qui ne




PRÜ:IS. - CIIAPITRE n. 309
permct pas la mo~ale la plus épurée , et quant au dogme, le
commerce se résume agagner le plus d'argent , et a réaliser le
plus de bénéfices possible, Et cepeudant , il passapar la tete d'un
gentilhorume , né de la .grande race des Saint-Simon , d'ériger
I'indusrrialismo en religión positive. .tU. de Saint-Sirnon avait vu
un fait malheureusernent vrai ; c'est que la société teIle que la
Ilévolution l'avait faite, manquait de liens cornmuns, et d'un
príncipe essenticl d'organisation , et c'était pour régulariser ce
désordre de formules et de regles jetées par le xvrrr siecle, que
1\1. de Saint-Simon avait posé comme une foi nouveJIe I'axiome
de la capacité et de l'reuvre. Cet ernpire de la capacité, qui pou-
vait le donner? et eette supériorité de l'ceuvre , qui pouvait la
reconnaitre et la proclamer? Il est des époques oú toutes les folies
ont leurs adeptes , oú tous les projets les plus excentriques, ont
leurs admirateurs; quand une génératiou reconnait le vide qu'a
fait une révolution et qu'elle ne veut pas revenir al'ancien ordre
de choses, alors eJJe travaille lt réaliser rniJJe utopies.


Le Saiut-Simonisme appartient essentiellement aux derniers
temps de la Ilestauration : des jeunes hommes aux fortes études
s'aperrureut que le vieux Iibéralisme ne pouvait rien pour con-
struire une société; on pouvait s'en servir pour démoJir; rnais
une fois qu'on aurait fait tablc rase, lorsqu'il n'y aurait plus
les idées de la monarchie et du catholicisme, il faJ1ait leur
substituer quelque chose, un príncipe nouveau , une organi-
sation dans : l'égalité et ce fut la le travail des Saint-Simo-
niens; iJs voulurent organiser la révolution dans des conditions
d'ordre ; le principe de l'industrie et du travail était puis-
sant, et iJs le poserent en dogme ; l'intelligence et l'oeuvre ,
tels étaient les éléments de la nouvelle croyance, et ils ne remar-
querent pas que puisqu'on avait fait une société incrédule ,
elle repousserait tout dogme; et ils ne virent pas que lorsqu'un
priucipe de démolition existe, il faut des forces d'Hercule
pour empécher la ruine! et e'est ce qui explique le peu de
force et de durée du Saint-Simonisme; trop superbes , et trop
orguoilleux ponl' sr Iairc catholiqne , rr-s jeunes hommes




3'10 mSTOIRE DE tA RESTAURATION.
cherchérent des éléments de foi et de croyance en dehors de
cette religion, toute de foi et de croyance. Faire un culte sans
cérémonie, des hymnes sans Dieu, des' pompos sans illusion ,
c'était tomber daus eette théophilanthropie si ridiculísée !iOUS le
Dlrectoire. Atoutes lesépoques, il Ya eu des tentatíves contre la
religlon révélée , et toutes sont tombécs dans le méprís, paree
qu'll n'y a dans le monde que deux klées , la croyance absolue
ou la raison pureo De toute éternlté, ces principes sonten lutte,
mais ils n'admettent pas le milieu.


Les Saints-Sirnoniens qui commeneent as'organiser, offraient
au moins la réunion de jeuncs intelligcnccs , cherehant aorga-
niser en gouveruement les forces de l'industrialisme. A cette
époque de travail et d'agitation , il parut d'autres sectateurs
d'une théorie de 1\1. Fourier ; ce n'était point le savant ad-
ministrateur , l'homme qui marque son passage a travers les
travaux d'.Égypte et l'organisation de l'Empire , mais un autre
1\1. Fourier , théoriste au reste tres-inconnu , qui réveilla dans
d'obscurs écrits la question de la communauté de force et de
travail ; c'était de l'épicurisme porté a sa deruiere expression ; la
jouissance était posée en príncipe. Conune le dogmc de la vie
future était perdu, JI fallait se donner matériellemcnt le plus de
bonheur possible , mettre ses forces en commun, afin de donner
achaque Clre la plus. grande perfection, achaque produít de
la torre son plus large développement, et achaque plaisir ce
qu'il peut produíre de plus doux , de plus suave. Ainsi était
la théorie de l\I. Fourler ; et pour réalíser ce grand égoísme
on se mcttait en commuuauté dans ce qu'on appelait un pha-
laustóre, sorte de couvent, 00 les hommcs réunís péle-méle ap-
portent leur fortuno et leur force commune , pour produire la
perfection matérielle, C'était pourtant avcc cette idée du pha-
Ianstére que les Fouriéristes prétendalent régénérer la société.
Aux époques de décadcnce.Iorsqu'on dédalgne la foi, la croyance
révélée , toutes les folies trouvcnt Ieur apologie , tous les prin-
cipes leur applicatiou. Le phalanstere n'était que l'idée monas-
tique du moycn ngc réduite a la forme et ala pensée materia-




PHÉCIS. - CIIAPITRE u. 311
liste. ;\insi, tandis que la philosophie auaquait le dogme catho-
lique , et le vieux libéralisrne le principe du gouvernement,
il se faisait dans la société de tristes enseignements pour les
meeurs: on prenait comme a plaisir de donner au peuple
d'affreuses Iecons en lui Ian~ant des Iivres tels que le Compérc
Mathicu et le Cheoalier de Foublas. Rousseau et Voltaire , le
baron d'Holbach et Diderot devinrent d'une grande popularité;
on imprimait leurs reunes par milliers d'exemplaíres ; et que
voulez-vous faire d'une géuération qui ne reconnaissait Dieu
que par une sorte de concession? Les deux sectes de Saint-
Simon et de Fourier furent une tentativo pour organiser le
désordre; elles n'aboutirent a rien, paree qu'il est donné seule-
menta la religion révélée de préserver la société contre l' esprit
de démolition! Les eíforts humains restent avec la faiblesse de
l'humanité!




CHAPI TRE 11 I.


L'AcADtmE, L'U:-<iln.:nSIT(;, t'E~SEI(;:\DIE:\T "tHLlC.


Académie franl;aise. - Sa com positioll -'on esprit. --. Tendance politique ,
- Académic des Iuscriptious , - 'I'ra vaux , - Esprit de coterie. -
l\lM. tle Hémusat , - Saiut-:\Jal'tiu • - Hao¡¡}-HoclJeltc. - Le jourual
L'Unlversel, - Univcrsité. - Cousr-il royal d'illstructioll pulJli(Iue.-
l\l.'Il. de Fontaues , - Royer-CoJl.lrd, - Laiuú , - Frayssiuous, --.
COl'hicre. - Le Collége de Frunce. - Susjcusiou de 1\1. 'I'issot. - La
Faculté des lcttrcs, - Cours de M:\1. Villemain, - Gu izot , - Cousin, -
1':colc Normale. - Son espr-it. - Sa dissoluti on , - Les Insl'e~leurs gé.
néraux de l'Uuiversitc. - Les écoles de l Iroit et de Medeciue. - J~cole
Polytechnique. - Les colh:ges I'o)'allx. - Leur esprit. - Les (:coles pri-
maires. - Enseigucrneut mutue!. - l.es friTes des ("coles chrét ieuucs . -
Les étahlissemeuts eu deliors de I' Cllil'ersitl'. --. Les lé.'>uires. - Saint-
Acheul , _ vlout rouge , - Les pct its semillaires. - Liherté d'ensrigllc-
mcut, - Répressioll. - MOllvnne;¡t d'iuto!erallce. --. 'I'ravaux d'('rudirioll
et d'études. - Fourlatiuu de I'~:cole des Chnrtcs . - Les Collcctinns hi s-
toriques. - Impulsiuu vers les clioses serieu ses, - Gotit el iustitution
Iittéraircs. - La soril,tc des !JOIIS livrcs, - Des honucs Úudl's. - I~c(Jles
pa rlemeu tnircs.


L'ÉPOQUE de l'Empire, essentiellementacadémique, se résume
en des travaux compassés; lorsque tout est réglé par l'éti-
quette et pour ainsi dire dans une forme administra tire , iI faut
nécessairement des corps qui président a la dircction de la
science. L'Académie francaísc deviut alors un mélauge des hauts
dignitaires de l' État, et des représen: ants de la tragédie ou
du poéme épique : fairc UIlC tragédic était Ull évéuemeut ; Ull




1'1l1~ClS. - C1B.lJ1JIIE 111. 313
succé« so Théiirre Freucsts était la source de toute tortune; iJ
quelle Iaveur la tragédie d' Hector n'avait-elle pasélevé l\!. Luce
de Lancival; et "Yinus JI avait valu aM. Briffault une renommée
retentissante : un role joué par Talma, en présence de Napoléon,
suffisait pour mener l'anteur a l'Académie, quand il était dans
ces conditions inoffensives que caressent les élégantes médio-
crités, Ainsi sont toujours les corps littéraires, ils ne choisissent
jamais ce qui est trop haut ni ce qui est trop bas, se réservant
ainsi un honorable miIieu. JI fal1nt alU, de Cháteaubriand beau-
coup de dégoüts avant d'obtenir un fauteuil; et le grand reune
du Génie tlu Christianisme vivra pourtant lorsque le nom des
Iaiscurs de tragédie sera irrévocablement oublié,


L'Académie francaise, réorganisée par lU. de Vaublanc a la
sccondcRcstauration, rccut l'impulsion royaliste , cal' une de ses
eonditions, e' est que l'esprit du partí l'envahisse tour a tour; tel
homme d'un talcnt incontesté qu'on aurait repoussé du censen-
tcment unánime paree qu'il hlessait les idées ou les caprices de
Napoléon , porté aux aílaires par un mouvement royaliste, était
admis en triomphe par ccttc mérne Académie. L'impression in-
stantanée des événcments et des coteries domine toute assemblée
littéraire ou politique ; la justice ne vient qu'apres, Successive-
mcnt I'Académic lit ses rangs s'agrandir par des choix politi-
ques; on JI(' s'arréta pas , jusqu'a lU. I'archevéquede Paris, et le
vicomte LUatlJieu de Montmorency, noms certaÍncment bien
étrangers aux lettres. L'esprit d'opposition qui pénétra successive-
ment dans l' Académie la porta vers des choix plus élevés; elle
aecueillit lUl\!. Iloycr-Collard et de Barante ; 1'un, grande et pitto-
resque cxpression du style de tribune, 1'autre le représentant
coloré de la nouvelle école historique, Si M. Roger, esprit actif,
remuant, dirigeait l'Académie dans le sens d'une piense coterie,
en favorisaut les candidats memo les plus médiocres; si M. Au-
gel', esprit esscntielJcment voltairien secondait par crainte
cctte nouvelle impulsion , une intelligence bien supérieure ,
lU. Villemain, conquérait sur l' Académie la domination de
I'esprit; avec cet esprit une lltlUveJIe direction fut donnée , iJ


1v, 27




31li. HISTOlIlE DE LA IlESTAURATlO~.
se forma un partí d'opposition assez considerable pour gagucr
enfin la majorité, cal' tous les mécontents vinrent se réunir
dans une commune résistance; la Restauration était si mal-
adroite qu'elle avait blessé quelques-uns des ardents royalistes , a
ce point de faire de petits tribuns de l\ll\l. Michaud, de Lacretelle,
si dévoués aux Bourbons et vénérables déhrís de leur cause. Le
parti élevé et politique de I'Académie francalse s'empara de ces
mécontentements pour servir ses desseins, et l'on vit dans le
vote les nuances les plus extremes se réunir contre le gou-
vernement du Roi. Le feu se mit aux pacifiques fauteuils
lors de la loi sur la presse; 11 ce moment )'Académie francaise
devient plus poJitique que littéraire, on y discute des Iois , on
y fait des mémoires et des adres ses aCharles X; la minorité
et la majorité s'agitent comme dans une assemblée politiqne ; on
y fait de tout , excepté de la littérature, Au reste, quels travaux
accompJissait I'Académie francaise ? quels services rendait-elle
aux lettres? oü étaient ses ceuvres? La connnission , continuant
l'éternel dictionnaire, passait des journées a des discussions
oiseuses sur un mot , sur des phrases; aucune umvrc ¡\grande
conception, aucun monument qui parlait au génie, quelqnes
esprits d'élite brillaient un peu comme les images de Brutus
par leur absence.


L'Académie des Inscriptions, tant l' époque était toujours
politique, s'était également ernpreinte des tendances de la Res-
tauration; elle avait eu sa petite réforme cornme l'Acadérnie .
francaise, et quelques-uns de ses membres furent exilés en 1815
de ces études sérieuses, pour y placer méme M. de Talleyrand.
De remarquables talents, dignes de lenr rcnommée, existaient
dans cette classe d'érudition; et comme intelligences d'élite,
M. Silvestre de Sacy, dont la place était si hautement n!.arquée
en Europe; pnis M. Quatremére de Quincy, esprit éminent dans
l'appréciation systématique de l'art, LU. Quatrernere , ami de
Canova et des grands artistes, avait passé sa vie dans l'étude des
monuments antiques de la Gréce et de Rome ; j) aimait apénétrer
dans les mysteres des <cunes, dans le sentiment intime qui les




rr.(;(;rs. - CHAPITRE rrr. :H5
ínspirait , si bien qu 'aprés avoir étahli les plus larges théories,
1\1. Quatremere consacra l'active solitude de sa vie a écríre la
biographie des peintres , des sculpteurs : son travail sur RaphaCl
est un des beaux travaux de'l'école moderne ; avec cela, 1\1. Qua-
tremeré de Quincy s'occupait adonner une lmpulsion politíque
a l' Académie; franchement dévoué aux Bourbons, comme la
vieille race de bourgeois de Paris dont il était issu, il imprima
fortement le cachet royaliste a cette compagnie, et il fut secondé
par un savant spirituel , l\I. Abel de Ilérnusat , ardent, infati-
gable. lU. Rémusat s'étaít voué al'étude du chinois avec un zéle
absolu; il semblait vivre au milieu des plus studieuses recher-
ches sur les mceurs et les coutumes de la Chíne sans jamais
franchir la grande muraille , et pourtaut sa víe était active et po-
litique, Il aimait le pouvoir, il savait le manier en homme de
capacité; iln'avait pas toujours le courage de ses opinions, mais
il avait une foule de petits instruments qu'il faisait mouvoir ason
gré et dans ses desseius : quoique bien inférieur en science ¿l
l\I. de Sacy, il exercait sur l'Académie une plus grande influence,
paree qu'uu esprit remuant reste partout le maitre. Les sciences
orientales, négligées sous l'Eutpire , avaicnt pris une haute im-
pulsion; la Itcstauration les avait largement développées , et c'est
aLouis XVIII que l'on doit la fondation d'une chaire de chinois
et de sanscrit au collége de Franco, En Europe , la réputation de
M. de Sacy était placée au-dessus de toutes les renommées orien-
tales, sans en excepter méme M. de lIamer. A coté de lU. Ré-
musat, et dans un ordre d'idées inférieures , on pouvait placer
1\1. Saint-Martin , qui se vouait a l'arménien, et un peu plus
encore ~l l'esprit de politique et de coterie; avec le hruit d'une
capacité scientifique, il n'était qu'un porte-note, qu'une de ces
tetes limitées qui se scrvent de petits faits et en font de petits
jalons pour de perites renommées. A ce dessein, MM. de Ilémusat
et Saint-Martin Ionderent le journal qu'on appelait l' Uniuersel ,
sous le patronage de 1\1. de Polignac ; sa destination fut de com-
battre les mauvaises doctrines scieutifiques et littéraires , et il fit
un mal immense h la Rcstauration, non-seulement par l'exagé-




316 mSTüIRE DE LA RESTAURATION.
ration de ses principes , mais encore en soulevant centre le gou-
vernement des Bourbons les intelligences un peu hautes que le
journal poursuivait d'une polémique tracassierc, Au total, il Y
avait de la sciencea l'Académie des Inscriptions , quelquesrestes
vénérables des Bénédictins; dom Brial demeuré dehout comme
un déhris, M. Daunou lui-méme , quand ji se séparait de ses
préventions et de ses antécédents politiques , était un érudit
fort remarquable. On travaillait, on fouillait incessamment a
coté de quelques savants superficiels qui entraient a l'Académie
par des travaux de second ordre : ainsi pouvait-on dire de
1\1. Raoul-Rochette, esprit vif', saillant pour comprendre et
traduire la science, exposer nettement ses idées avec des
formes, des expressions qui ne s'élevaient jamais a la haute
philosophie de l'art. Incapable d'écrire une large théorie,
mais trés-apte adévelopper un petit point de vue avec le taet
d'un journaliste, lU. Raoul-Rochette, homme de parti avant
tout et de coterie , voulait dominer les choix académiques , et
y introduire a petit hruit ceux dont la renommée ne pouvait
le blesser. II suppléait au peu de sérieux de ses travaux par
une activité remuante et une souvcraineté de scrutin. Tous les
corps ont ainsi un homme qui les mene: l'Académic francaise
avait l\I. Roger; les Inscriptions ~I. Hochette. Ce dominateur
n'est pas généralement le plus capahle; un homme supérieur
se renferme daus ses travaux , il Ya ses joies, son orgueil. Une
capacité de second ordre , au contraire, s'agite et se remue paree
qu'elle sait bien qu'elle ne peut conquérir que par le mouve-
ment un certain crédit ; elle réalise par la ce qu'une intelligence
haute acquiert a peine par la méditation et les ceuvres,


L'Université , création de l'Empire , était centralisée sous la
seule main du grand-maitre; Napoléon n'aimait pas les assem-
blées, les délibérations , les éparpillements de l'autorité; en
réunissant tout sous une dictature il donnait ~l l'instruetion
publique la direction qui convenait ü son Gouvernement, et
lU. de Fontanes était l'homme le plus capable de donner a
l'autorité nhsolue les formes polios 1111 n"~nc do Lonis XIV.




rnf.:ClS. - CHAPITRE rn. 317
A l'époque oú la Ilestauration s'opere , il s'était fait contre
I'université une réaction naturelle ; Napoléon en créant les
lycées avait imprimé partout une forme despotique et militaire
a la pensée; on élevait les enfants au bruit du tambour et
du mousquet; quand la Restauration arriva , le plus grand
moyen de popularité pour elle fut d'abolir cette éducation de
petits soldats , auxiliaires de la conscription; ¡\ l'unité du grand-
maltre elle substitua un conseil royal d'instruction publique,
qui fut entierement envahi par l'école de Mme de Staül et
les ídéologues, ;\lM. Iloyer-Collard , Camille-Jordan , de Sacy ,
Ilayrmuard, tout ce qui formait opposition sous l'Empire fut
admis au conseil royal; les études en prirent une plus grande
extension ; on ne pouvait refuser a cette école de l\lme de Staél
un sentiment de haute libéralité dans l'éducation publique, et
un príncipe religieux qui dominait la philosophie et les arts,
te conseil royal maintint son autorité sous la présidence de
iH. Iloyer-Collard , et lors des troubles des écoles , le président
se montra inflexible, avec cette rigucur que justifie toujours le
maintien de la loi. A l\I. Iloycr-Collard succéda lU. Lainé, esprit
élégant et facile, iutelligencc supérieure , mais véritablement
incapable de comprendre et de diriger l'éducation publique;
l\l. Lainé était plutñt une capacité politique qu'une spécíalíté
d'école; il Ya toujours un peu de Iérule dans les fonctions de
grand-maitre; cela va jusqu'a ce point qu'un universitaire se
rcconnaitrait méme dans les fonctions les plus supérieures de
l'administration. M. Corbiére, avec ses goüts éminemment cIas-
siques , ses manies d'Elzevir , sesprincipes de vieille université,
pouvait étre fort apte acomprendre une question de collégeel
d'enseignement; il se complaisait méme dans les théses de droit
et de théologie, mais il veuait la avec les haines de province
contre tous les enseigncments supérieurs ; son esprit scc , sa
méthode saccadée , devaicnt heurter les intelligences qui sen-
taient et comprenaieut km valeur. M. Corbiere était un de ces
hommes qui ne peuvcnt rcmuer sans hriser ce qui les entoure;
gens fort incommodcs ('11 tons 1(':; ras <tui 1\(' savent ras transiger;




318 mSTOIRI~ DE lA nESTAURATTON•.
il heurta tour 11 tour le conseil royal, les proviscurs de colléges ;
et u'avait-il pas d'ailleurs l\ réaliser une mission du partí royaliste
qui voulait rester maitre de l' éducation publique? e'est 11 cette
époque que le conseil royal commencc ase modifler; on change,
on destitue ; les démissions des conseillers sont imposées; les
Royalistes se plaignent {}ly voir tant de Iaíqucsl M. de Frayssinous,
quí remplace M. Corbiére, esprit essentiellemcnt modéré, comme
tousles Sulpiciens, est néamnoins profondémcnt pénétré de l'idée
.qu'il n'y a rien deparfait dans l'éducation publique sans l'esprit
religieux : partout il imprime ce sentiment profoud de l'Église ;
rempli d'une douce tolérance , 1\1. de Frayssinons ne se fit pas
persécuteur par tempérament mais par conviction ; il destitua
peu, ses efforts se tournerent vers une surveillance attentive
des colléges; il voulut faire de bons catholiques, et il avait
raison : quelle meilleure garantie pour la société t Il choisit
dans· cet esprit les inspecteurs généraux de l'Université ,
parmi les hommes de religión et de probité ; pour quelques-
uns d'entre eux il y eut trop d'ardeur de prosélytisme; on lit
du zéle bruyant et tapageur; 1\1. de Laurentie , fort éclairé
au reste, homme de partí avant tout, avait observé dans les
écoles un esprit tres-froid , tres-indifférent en mariere de reli-
gion j il croyait , el sur ce point sa conviction était profonde ,
qu'il n'y aurait de grande et íorte éducation en Franca que
íorsqu'elle serait confiée au c1ergé ou ades honunes pieux qui
tui devraient leurs inspirations: 01' le coHége de Soreze , sous
M. de Ferlus, ne lui parut pas remplir ces condítíons , et ille
développa dans un rapport 11 la suite duquel le collége de Soreze
fut suspendu; on n'osait point encore diro son dernier mot;
I'éducation oonfiée aux congrégations religieuses paraissait un
'bien, et le Pouvoir n'avait ni assez de force ni assez de franchisc
pour réaliser sa pensée. Au reste, depuis lU. de Frayssinous ,
le ministére de I'instruction publique, devenu tout politique, fut
rempli par 1\1. Vatimesnil, qui se lie aux globistes et pousse la
direetion scientifique dans un sens de philosophie rationuelle.
Apri's lui , 1\1. e nernon- Itanvillo est 1IlH' tNe d' administration




PR(.:CTS. - CHAPITRE lIT. 319
et d'ordre , et . cortes nul ne fit plus que lui pour l'avance-
ment de l'éducation- publique; c'est un fait a constatar que
l'administration de 1\1. Guernou-RanvilIe, fut une des plus
actives, des plus travaillcuses, et je dirai des plus libérales; e'est
la tache et le Iabeur de tout ce qui n'est pas populairo, et encare
n'est-on pas pardonné l


Le Collége de Franco , institution tout afait indépendante de
l'Université , avait grandi par l'influence de la Hestauratíon,
Louis XVIII était trop littéraire pour ne pas aimer ce titre de
protecteur des lettres qui remontait ¿l Francois J€r; le Collége
de Franee était pour lui au méme niveau que l'Aeadémie fran-
caise ; il veuait de plus loin et les rois en étaient les protecteurs,
Aussi ces cours, qui se bomaient aquelques lecons sous l'Empire,
devinrent plus étendus, leur publicité fut plus retentissante; on
aceourait aux lecons des professeurs et toutes les scienees s'y trou-
vaient réunies. Lorsque ces professeurs obtinrent un auditoire
considerable et choisi , leur tendance fut de ehereher la popu-
larité aux dépens méme de ee pouvoir qui les faisait vivre et les
encourageait: c'est 1'ingratitudedédaigneuse dessavants. M. Dau-
nou professa l'histoire dans un sens philosophiquc et presque
répuhlicain , de maniere a eorrespondre aux émotions de la jeu-
nesse fatalement élevée avee les idées du xvrn- siécle, M. An-
drieux fut le railIeur incrédule , voltairien par la parole , il
attaqua avee esprit I'intluence eatholique; jamais un mot de
grande morale religicuse. ñlais le cours le plus fortement dé-
noneé au gouvernement du Roi fut celui de 1\1. Tissot, qui , a
travers quelques Iones études littéraires, laissait pénétrer sa
pensée de révolution et d'examen rationnel , et semblait aI'oeca-
sion .de Virgile jeter des allusions eontre les vieilIes royautés, Le
Collége de Frailee était peu important pour la grandeur de ses
institutions ou pour la popularité de ses enseignements; mais
comme il était destiné a compléter l'éducation supérieure, le
Gouvcrnement avait le droit de lui imprimer cette direetion reli-
gieuse et mouarchique qui seule pouvait soutenir la Restaura-
tion; un Gouvernement Iait toujours une fante lorsque maitre




320 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
de I'instruction , il ne donne pas aux professeurs sa tendance et
son esprit; il n'y a pas de peuple capable de résister aun en-
seignement continn de mauvaises doctrines; tñt ou tard cela
porte ses fruits : est-ce qu'un pouvoir abusait de sa mission,
quand ilne permettait pas qu'on enseignát dans son propre
collége l'astronomie eomme Dupuis, l'histoire avec Volney
et Voltaire, les sciences cxactes avec Boulanger? Si quelqnes
spéculations honteuses corrompaient la jeunesse, n'était-il pas
dans .le devoir du Gouvernement de corriger cette triste ten-
dance? Il ne fit méme pas assez pour arriver ~l son but, il frappa
un ou deux professeurs sans changer l'esprit du eollége. Il fallait
íaconner les ames a son systéme , et pour cela il devait veillcr
¡l l'instruction publique; les changements politiqucs arrivcnt et
se préparent par l'éducation, et ceux qui m nourrissent aujour-
d'hui de l'enseignement public seront dans quinze ans au pou-
voir et le domineront par leur esprit.


La Faculté des Belles-Lettres vit son époque brillante sous la
Restauration : qui jamais pourra remplacer ces enseignements
élevés oú accouraient émus des milliers d'auditeurs ?Cen'était pas
seulement par sa belle harmonie de phrases , par ses retentis-
santes paroles que M. Villemain avait acquis sa grande renom-
mée, mais eneore par la science la plus vaste el la plus colorée;
ses lecons , toutes de littérature, cmbrasserent l'histoire du
xvur- siécle; il en suivit les progrés , les études, les tendances et
la valeur littéraire de chacun ; l'auditoire était nombreux, el le
silence constatait l'attention religieuse qu'apportaient les eleves
aux paroles du maitre ; 1\1. Villemain ne s'agenouilla pas en
Idolatre devant les productions encyclopédiqucs comme M. An-
drieux ; il apercut la plaie profonde qu'elles avaicnt faite; et s'il
n'osa pas s'élever jusqu'a la critique amere, inflexible, ilmontra
qu'il n'avait aucun cuIte pour ces esprits que l'école voltairieune
élc\í\it si haut ; il Yavait tant d'iugénieux apercus dans ses im-
provisations , tant de fini dans la pcusée , qu'on aurait dit des
pages écrites depuis longtcmps et silencicuscmcnt méditées ;
tanrñt c'était la vic d'un érrivain , d'un philosophe qne M. Yille-




rU(.:CIS. - CHAPITRE m. 321
maln suivait dans ses détails , tantót c'étañ I'apprécíationde tout
un siécle , et toujours avee cette correction de langage, belle
tradition de l'époque de Louis XIV. M. Guizot, avec des formes
plus séveres que lU. Yillernaiu , avait une grandeur de pensées
ineontestée; sa phrase pittoresque , il la jetait souvent ineulte J
mais toujours élevée : homme politique par essence et par
instinct, il ne pouvait séparer l'histoire de l'étude approfondie
des institutions; il les fouillait el les recherchait incessamment ,
et il y cut cela de rernarquable dans les lecons de lU. Guizot,
comme dans les Iivres qu 'ji publiait sur le moyen áge , qu'il
conserva une proíonde impartialité dans ses apercus sur la reli-
gion et le pouvoir; le premierpeut-étre il pénétra la force et la
grandeur de l' Église; s'il fut trop souventpréoecupé de sa pensée
fondamcntale, la réforme et la révolution de 1688, de Luther
comme esprit actif, et de Calvin eomme organisation, toutes les
fois qu'il eut aparler du catholicisme ce fut avec un respeet, une
vénération qu'on dirait presque chez le professeurune eonvietion
et une croyance. On accourait aux lecons Je !\l. Guizot comme
acelles de lU. Villemain; ellesn'avaieut pas le méme éclat d'ex-
pressions , mais on en rapportait une grande substance d'idées,
lei je rappellc mes impressions personnelles, longues eomme
celles du jeune ñge ; éleve de l'Écolcde droit al'époque brillante
de ces cours , j'accourais avec impatience pour les éeouter,
eomme suspendu aehacune de ces paroles; et pourquoi , atravers
les temps politiques , ne consenerais-je pas une profonde
reconnaissance pour ceux qui me donuerent ce goüt des études
historiques , mon seul litre peut-étre ~l quelques souvenirs de
postérité? el pourquoi ne ganlerais-je pas respect a ces maitres
qui , a travers les fausses idées du temps , me dirent , l'un :
« L'~~glise cst une grande chose, voyez et étudiez » ; et l'autre :
« Le xvur' siccle cache bien des miséres , ne vous laissez pas
aBer a ces facettcs d'esprit , pénétrez au fond, et vous y verrez
des petitcsses. »


A ecuo époque aussi d'étudc ct de jeunesse je venais au
rours ele 1\1. Cousin : il n'avait pas cetro science positivo de




3:22 msromc DE lA RESTAURATTO~.
MM.. Yillemaiu et Guizot; sa parole était vive, colorée, son-
vent entrainante; et d'ailleurs n'y a-t-il pas toujours daus le
mysticisme je ne saisquoi d'éblouissant et d'attachant qui fascine
les hommes? Ce qu'on ne comprend pas devient une parole
d'oracle; on s'imagine que les génies ne doivent pas se produire
daos des proportions de simples mortels ; la Ioudre parait atra-
vers les nuages, l'éclair brille et sillonne. te succes de M. Cou-
sin tenait a sa parole convulsive ; il Yavait un peu d'épilepsie
dans ses discours , et cela se communiquait. Au reste, ensei-
gnait-il quelque chose de neuf , de saillant? Non; mais il servait
la réaction intelJectuelJe et philosophique contre l'école maté-
rialiste du XVlIIC siecle. Le spiritualisme arrivait arce I'école
aIlemande, les écrits de Kant devenaieut l'évangile d'un reman-
tisme philosophique ; on se promenait dans l'espace , dans le
vide de la matiere , dans l'analvse de l'ñme et des facultés in-
tellectuelJes. Hegel, et Kant étaient les maitres de 1\1. Cousin ;
il annoncait, sans le comprendre encere, ce Schelling qui depuis
proclama dans ses cours cetro théoric mystique des trois
périodes chrétiennes : 1°. te catholicisme , 011 la doctrine de
Pierre ; 2°. le protestantisme , ou la doctrine de Paul ; 3°. eufin ,
la troisieme période , la doctrine mystique de Jcan. Sous le
point de vue religieux, 1\1. Cousin rendir des servicesala science;
la jeune génération lui doit méme cetro cmpreintc demi-catho-
llque dont elle ne peut se dépouiller cucore pOllr arriver a la foi
une et vive, La chaleur d'euscignement , si remarquahle dans
1\1. Cousin, se faisait également sentir dans 1\1. de Lacretelle,
IBais avec un degré bien moins élevé ; lU. de Lacretelle, vieux
professeur, enseignait commc en Sorbonne; il faisait incessam-
ment de la morale; chargé rl'enseigner l'histoire , il n'en disait
pas un mot, mais en échange il narrait des pctits contes littéraires
et historiques sur la Ilévolution , avec une rage d'in.provisatiun
chaleureuse qui n'allait pas toujours ;1 son hut. M. de Lacretelle
avait peu d'idées ncuves: mais sa période cadcncée, ses exprés-
sions classiques rappelaieut le prosateur vieilli du \.\ Ill e siecle.


Comme hase. de 1'(,llseigIH11iH' ll t univcrsitaire , on pouvait




l'uf:CIS. - CllAPlTRE In.
compter 1'J;;colc normalc ; cal' de son sein venaient tous
les professeurs des colléges, L'École normale était une bonne
peusée , un séminaire Iaíque oú se formaient les. professeurs :
pouvait-on mieux faire que d'imiter l'Église? 01', comme dans
l'École normale était la source de tout l'enseignement, l'Univer-
sité dcvait avoir quclque souci de lui imprimer sa propre direc...
tion : et il se trouvait précisément que, par la tendance des
études , par le mouvement naturel d-es idécs, cette Écolenormale
était entierement empreinte non-sculement des doctrines du
xVIne siecle , mais d'une certaine prévention contre la pensée.
catholique; les études y étaient tres-fortes , rnais essentieIlement
dirigées dans le sens dont je viens de parlero Ces jeunes hommes,
qui se destinaient au profcssorat, se vouaient ades systemes philo-
sophiques capables d'entraiuer dans les plus fausses voies toute
l'éducation en France. Voyez ces eleves de l'Éeole normale ! si
l'un se livre al' étude des religions, il en fera sortir, comme,
~l. GuignauIt, une traduetion de la Syrnbolique de Kreutzer, un;
synchrétísme indifféren! sur toutes les croyances ; si l'autre fait de
l'histoire, ce sera une guerre déclarée aux évéques : ne compre-
nant rien au moyeu áge , il Iera de cette société un club de
philosophes ; ou bien encore, comiue lU. lUichelet, il proclamera
peut-étre le catholicisme une formule vieillie, un symbole com-
promis, De I'l~cole normale doit sortir la philosophie du Globe
el la prédieation saint-simonienne. L'École normale pouvaitétre
savante, avancée ; qui le nie? mais dans l'impuissance de lui
donner une direction nouvelle, le Gouvernement eut le droit de
détruire ce qu'il ne pouvait plus diriger; il fallait la reconstituer
sur de nouvelles bases, cal' la religion de l'État devait pénétrer
dans l'éducation de l'État.


A ce moment surtout il était si important de donner un ca-
ractere grave et solennel aux écoles spéciales; partout des fer-
mentations écIataient parmi les étudiants qui avaient les yeux
tixés sur l' Allemagne ; les Écoles de droit et de médecine allaient
dans une fausse direction : si quclques professeurs, tels que
MM. Delvincourt , Pardessus , voulaient rcstrcindre la science




32lJ 1115TÜlHE DE LA HESTAUHATlüN.
du légiste dans les conditions mérncs du droit , il n'en était pus
a insi d'autres professeurs qui trouvaient ces études imparfaites:
M. Decaze venait d'augmenter le nombre des chaires ; le droit
naturel et le droit public obtenaient des professeurs spéciaux , et
ces sciences, plus vastes que le droit positif , pouvaient préter ~.
des dissertations oiseuses , ades commcutaires indélinis. C'est ce
qui arriva: les idées allemandes pénétrerent dans les écoles , on y
fít de la philosophie, on ne disserta plus seulement sur lescodes,
mais encore sur le droit public et particulicr des citoyens ; et
cette manie de politique alla si loin , qu'a l'oceasion d'une
lecon sur le Code d'instruction criminelle , 1'1. Bavoux, sup-
pléant mediocre , prépara presque une émeute , et changea une
chaire pacifique de droit en une tribune a harangues.


Cette maniere de juger tout sous un méme point de vue
favorisa les bavardages politiques ; chaque étudiant se crut
appelé a disserter sur les pouvoirs humains et a critiquer le
Gouvernement. L'J:cole de Droit prepara done cette généra-
tion d'orateurs bavards qui ne parlerent plus désorrnais que
de la Charte, des droits de la nation et de ces garanties que le
Pouvoir blesse si rarement, L'ignorance se supporte , la demi-
science est la plaie la plus profonde des générations ; quand on
né sait pas on est généralement humble , quand on sait un peu on
est insupportable. A l' École de lUédecine , les théories matéria-
listes dominérent J'enseignement; Cabanis fut le grand doeteur
de eette génération d'étudiants : 01' j'appelle Cabanis le spiritua-
liste dans la matiére , c'cst-á-dire celui qui fait sortir l'esprit,
l'áme , les facultés les plus nobles des corpsorganisés; ainsionvit
la foule des étudiants secouant les lecons positivos de 1\1. Réea-
miel', se jeter dans les théories de Cabanis; Broussais commencait
:. lui disputer la popularité , cal' le matérialisme brut succede
presque toujours au sensualisme modéré. JI ne peut pas y avoir
d'idées mixtes dans la science, il faut croire ou douter sans
milieu ; ce qui done fut tres-déplorable daus les études médi-
cales, c'est qu'au lieu de se livrer anx cxpériences , les premieres
lois de toutc théoric médícalc , OH s'abandonnait euticremcnt a




l'HÉClS. - CIlAPlTRE 111. 325
l'espritde systemo; on dísputait pour savoir la nature de l'honuue,
la source de son intelligence, et l'on ne pénétrait pas assez
profondément dans les études pratiques, Les éleves se parta-
geaient en deux camps; toute foi catholique était bannie, le
matérialisme dominait avcc Broussais, et l'on sifllait les profes-
seurs méme les plus élcvés , les plus forts , tels que l\DI. Pel1etan
et Ilécamier : fallait-il que le Gouvernement laissát toute liberté
aun enseignement qui marchait a l'athéisme? A I'École de Droit,
les discussions politiques , des débats infinis sur la constitution
des sociétés; a I'École de ñlédecine, le matérialisme de Brous-
sais un peu mitigé par le systerne de Cahanis, et par-dessus tout
la fatalité prophétiquc des cránes de Gall. Et remarquez bien
que ectte double génération d'étudiants en droit et en médecine
allait peupler les villes et les campagnes; dans chaque localité
un avocat et un notaire domineraient les élections; le médeciu
aiderait , dans un sens de médiocrité lihérale , l'influence de
l'avocat ; ct ces deux étudiants qui s'étaient trouvés jeunes
dans les turbulences des Écoles de Droit et de lUédecine , devien-
draieut a l'áge mür les éducateurs politiqucs de leur canton, et
douucraieut au peuplc le matérialisme pour religión et l'es-
prit inquiet et remuan t a la maniere du vieux Iibéralismc. IJ y
avait donc la de quoi désorganiser toute force' de gouverne-
meu1.


L'institution dout se gloriliait le plus la révolution Irancaise
e'était l'École polytechnique; il Y avait en eílet parmí ces
jeunes hommesun remarquable goút de travail et d'étudcs ; je ne
sache pas de vie plus laborieuse et plus attentive , une applica-
tiou plus forte dans les sciences cxactes i mais soit que la spécia-
lité des étudcs absorbe l'esprit et l'empéche de recevoir son plus
laste développement ; soit que la direction de leurs travaux fút
trop limitéc , s'il sortait des hommes distingués de cette École ,
jamais il n'en vint un espri t de prcmier ordre ou un homme trans-
ccndant; dans les études de l'l~culc pulyteohnique on pouvaít
créer des esprits d'application, beaucoup de vulgarités instruites ,
maisdcsiutclligenccs d'elitc, peu. En toutc hypothese, cctte insti-


rv. 2~




326 HISTOlRE DE J,A HESTAURATIÜN.
tion , comme l'École normale , péchait par sa hase; née ~l une
époque révolutionnaire, primitivement fondée par le Comité de
salut public , elle conservait un certain souvcnir de répuhlique
et d'empire qui devait pcupler I'armée d'officiers en dehors de
l'esprit de la Ilestauration. On devait done modifier les basesel le
principe de l'École polytechnique ; s'il y avait une force dans cet
enseignement , il Yavait également un dangor; dans une insur-
rection ces jeunes hommes pouvaient devenir les officiers du
peuple , et cet uniforme rappelant de généreux souvenirs ,
le príncipe du gouvcrnemcnt pouvait étre jeté ~I la merci de
quelques épées ; on avait détruit l']~colc normale paree qu'au
fond on pouvait la remplaccr par un collége supérieur, une mai-
son de hautes études; il était plus diflicilc de touchcr al'École
polytechniquc , cal' elle se rattaehait a l'armée , aux institutions
militaires ; elle donnait de bons officiers, des ingénieurs remar-
quables, La Restauration s'eflorca done, par de bons proles-
seurs , a modifier l'esprit de l'Í~cole polytcchniquc ; on voulut la
faire entrer dans le mouvement géuéral du royalisme ; tache
difficil e , cal' lorsqu'uue institution est née d'une eertaine pen-
sée, elle ne peut se modifier saus périr ; l\I. le Dauphin s'en pro-
clama le protcctcur, on voulut royaliser les études, qui rcsterent
néanmoins répuhlicaincs el impérialistes ; on y parla plus de
Carnot et de Bonaparte que de l\I. le due el'Angonléme ; on y
garda la mémoire des hautes étudcs stratégiqucs ; et un carac-
tere COllllllUll a toutes ces écoles , ce fut l'csprit politique qui
s'empara des études ; des écrits avaicnt tlatté la jeunesse,
on la nommait la fortc , la grande génération ; on lui laissa la
plus large place dans le mouverncut de la révolution : la jeu-
nesse fut désormais appeléc ~I délibórcr, ~l agir tuumltueusement
memo sur les places publiques; on Iavorisa l'esprit d'érneute
dans les écolcs , on Iui íit invoqucr la Charle, et ::\1. Benjamin-
Constant lui décerna le titre ridiculc de rcnerub!« Désormais cet
esprit des écoles inílna sur la marche du GoUYernement;
cctte génératiou d'élcctcurs aujourrl'hui aux aílaircs publiques,
si iucertaiuc dans ses doctrir.cs , révolutionnairc avcc pol-




rn(.:cls. - CIIAPITRE Ill. 327
tronneric , gouvcrnemcntalo avcc désordre , est le produit des
idées jetées aux écolcs dans les prcmiers tcmps de la Restan-
ration. Les intéréts ont pu arróter quclques passionsmauvaises ;
mais il est resté daus les esprits un mélange de bien et ele mal,
une confusion, un chaos iudicihle ; la volonté ele mal faire
n'est comprimée que par la craintedc voir s'arracher la fortune
on une positión; on a les mauvaispríncipes au cceur, avec la peur
indicible de les voir mcttre en action. .


Les colléges eux-memcs , qui-vcnaicnt de s'affranchír des ha-
bitudes militaires de I'Empire , tombcrcnt sous le coup de ecuo
perversité de doctrinca Xapoléon ne dcmandait, en géuéral, que
l'obéissance matéricllc ; tout dcspotisme , quelque violent qu'il
soit , ne peut en n:ip;erdavantagc , il ne commande pas l'amour.
)lais cetto cnfance , que l'Université faisait élever dans ses prin-
cipes el sous ses lois , restait cxposéo r\ la contagieuse action des
doctrines perverties ; l'esprit de l'l~:cole normale avait jeté de
niauvais profcsseurs dans les colléges. Le catholicisme était a
peine OS(~ dans les cnscignements ; sous prétexte des études sé-
ricuses , on passait á une critique iudiffércnte des articles de foi,
on dédaignait ces Ugendes qui séduiscnt l'cnfance , el restent
cmprcinres tonto la vic ponr la guider et la dirígcr, I..es études
ne Iurent plus qu'une hiérarchic de grades et de classes , et
quanrl on apprit le latin et le grec , on s'inquiéta peu de savoir
si l'ou croyait en Diell ct ü la róvclation. Sans doutc l\I. Frayssi-
nous avait pcuplé les collégcs d'ccclésiastiques distingués ;
la tendance n'était pas la, on los écoutait a peine; l'esprit était
mauvais , et la géuération nouvclle ne voulait pas comprendre
qlle le Catéchisme cst le guido de la vie , guide si puissant, que
Napoléon dictatcur avait Iait insérer dans les Commandements de
l'Église l'obéissaucc ü ses volontés comme un devoir de COl1-
science. Ainsi l'esprit d'insurrcction qui se montrait en grand
daus les écoles supéricurcs, dcsrondait dans les colléges ; on glis-
sait des petits Iivros , des pamplrlcts ; les colléges apprirent
l' émeute , et les hommos graves de la Ilévolution y applaudi-
rent commo r\ un pro~r(·s. Les matérialistcs voulaient méme




32R HlSTOIRE DE LA RESTAURATION.
étendre le mécanisme des idées jusqu'a l'enseignement prímaíre.
Tout Gouvernement doit les prcmiers éléments d'éducation aux
masses, comme il leur doit le travail et le pain; et il est de
son devoir de protéger la forme d'enseignement la plus capahle
de dompter les mauvais penchants et les habitudes fatales. Sous
la Ilcstauratiou , deux institutions se présentérent égalernent
avec le hut avoué d'une éducation populaire: le pretnier, qu'on
appelait la méthode de l'cnseignemeut mutuel , allait vite et met-
tait un enfant en état de savoir promptemcnt : le second sys-
teme, l'école des Fréres iguorantins , procédait avecplus de len-
teur, afin d'inculquer aux pauvres et aux pcrits les principes
de morale ct de religion , en méme temps que le calcul , la
lccture, Entre ces deux écoles , il n 'y avait pas ~I hésitcr : ce
n'était pas d'activité que manquait la géuération nouvellc ,
mais de résignation , d'ordre et d'obéissance. Un Gouvernement
doit favoriscr ce qui est plus conforme a son príncipe. Que si-
gnifiaient les écolcs a la Lancastre? qu'cnseignaient-ellcs aux
enfants? a peine une notion du bien ou du mal. Aiusi consti-
tuées, elles étaicnt pour l'éducation religieuse ce que la philan-
thropie est pour le catholicisme. N'cst-ce pas l'enseignemcnt mu-
tuel qui produisit cette classed'ouvriers incrérlulcs , propagateurs
d'émeutes, dissertateurs et séditienx ?Eh bien ! te! était l'engouc-
ment pour certaines idécs , que la Restauration cllc-mémr fa-
vorisa les écoles a la Lancastre; l' enseigncment des ignorantins
fut tourné en ridicule : ces modestos éducateurs des pauvres
Iurent poursuivis de railleries. Cette méthode si simple, si mo-
deste , tomba sous le sarcasmo ; ceux qui apprenaient aux cnfants
~I aimer Dieu, a respecter les lois, aobéir aux souverains, durent
se cacher; on les remplaca par les moniteurs el les ardoises
confiées a de petits polissons qui s'essayaient ~l la Mm'sci//(/lse
avec le mécanisme des signes matériels,


Ce Iut évidenuncnt pour échappcr ~I cct esprit qui dominait
l'enseignement, que des p':'res de famille cherchérent sérieuse-
ment d'autres garanties al'éducation, la premiere loi de la Iamille.
Quand ils cxaminéronr ]es('('olcs tellesqm' la Itestauration lesavait




"PRf.:<~lS. - CHAPITRE In. 329
maintenues, ils durent voir et examiner autour d'eux pour savoir
s'íl y avait des institutions mieux en rapport avee la religion de


Ieur foyer el les habitudes domestiques. J'ettribue plus ace be-
soin d'une éducation réglée, décentc, morale, qu'a leur supério-
rité de méthode l'influence que lesJésuites prirent sur lesécoles; il
faut avoir vu les hommesqui dirigeaient alors l'institution de Saint-
Ignace pour ne pas se faire des idées exagérées de leur science;
elle n'était pas irnmense : les Jésuites étaient dégénérés. La force
seule de leur antique institution les soutenait, et le principe éner-
gique et primitif de leur ordre était leur vitalité entiere, Il y
avait sans doute beaucoup d'esprit dans le pere Grivel , une in-
struction profonde dans M. de Macarthy, un principe de gouver-
nement tres-fort dans l'abbé Ronsin, une noble parole dans
M. de Ravignan; mais enfin ils n'avaient pas cette supériorité
incontestée que J'institut des Jésuites avait possédée jusqu'au
xvur' siecle, Cequi donnait une grande confiance aux peres de
familIe pour les Jésuites , c'est qu'ils étaient au moins sürs que
la les enfants u'étaient point pervertis ; admirablcment élevés
sous le rapport des manieres et de l'éducation , ils étaient des
chrétiens éclairés et des citoyens honnétes. Une jeune fille
confiée aux sceurs de Saint-Joseph était süre d'en garder toute la
vie le ehaste souvenir ; un fils de famille qui recevait les lecons
de Saint-Acheul en conservait l'empreinte íudélébile dans son
cceur et dans son esprit. On ne pent dire combien elles étaient
douces et gracieuses ces relations d'hommes; on s'y trouvait
avec les noms de France les plus distingués et les plus éminents :
ici , c'était un jeune Polonais, le pere de l'Aigle, grande race
de la Lithuanie; la, c'était J\I. Barthes , un des hommes les plus
aimables et du caractere le plus élevé ; le pére Becquet était la
honté mérne ; lU. de Bussyavait écrit le doux ouvrage du Mois
de JlaJ'ie, consoJation pour toutes les meres, chant de pureté
pour toutes les filJes, au mois de mai , lorsque la nature revit , et
que toutes les fleurs sont éclosessous nos pieds ; le pere de Bussy
avait voulu qu'au milieu de cette parure de la terre, on récitñt
chnque foil' dos priéros ~l Marie , <'\ des chants d'innocence. Le




330 HISTOIRE DE LA RESTAURATION•.
pére de Cháteaubriand , le neven du grand écrivain, était un
jeune militaire qui avait quitté l'armée pour le noviciat des Jé-
suites; le pére Chauchon , né d'un pauvre paysan des Cévenncs,
avait conquis une largo place dans les études philosophiques ; le
pere De Brosses avait écrit son livre sur la Décotion aU.7J saints
Anqes, si parfait de style et de pensées, I ..e pere Delrau était un
des jurisconsultes les plus savants; le pere Desrosiers, artiste
des plus habiles , reproduisait tous les sujets saiuts avec une per-
feetion admirable; le pero Dumouchel professait les mathémati-
ques , et l'Académic des Scícuces le comptaít comme le plus
grand physicien. Qui ne se rappelle la pnlitesse infinie , le ton
de honnes manieres du pere Grivel , la parole facile , éloqucnte
du pére Guyon; le pére Jennesaux était un des organisateurs les
plus Iermes , les plus sürs ; l\l. de l\lacarthy , un des caracteres les
plus élevés avec la parole la plus éloquente dans la chaire. Id,
c'était 1\1. Q'Mahony, la, 1\1. de Ilaviguan , qui avait quitté une
place élevée de la magistrature pour se consacrer ü Dieu dans le
séminaire d'Issy. Nul ne pouvait égaler la capacité gouvernemen-
tale du pere Ronsin, qui savait ployer Iacilcmcnt les ames et les
mener avec douceur, ee qui était un art irnmense.


L'éducation était parfaitement couduite sous les Jésuites, leurs
colléges avaient une supériorité incontcstéc sur tous les nutres
étahlissements: on y prcnait soin de chaque enfant cormne d'un
fils chéri , comme d'une ame qu'il fallait conservcr dans sa pn-
reté; et e'est ce quí fait que les péres de Iamille donnaient la
préférence aux Jésuites ; ils avaient une maison professea Mont-
Rouge, lieu d'études et de distractions, des colléges et des suc-
cursales dans les provinces ; cette tolérance provenait de l'appli-
cation des lois nouvelles sur les petits séminaires: ji érait impos-
sible, si l'on voulait conserver la liberté et l'autoriLé episcopales,
de placer les petits séminaires sous une antro surveillance que
celle de l'épiscopat : d'apres les Jois catholiqnes, l'évéque est
le maitre de l'enseigncmcnt , le dirccteur suprémc des idées ct
des príncipes qui formcnt l'éducation des prétres daus les
séminaires, Par une extension de ce principe , les petits sémi-




PR1~·r:IS. - CHANTRE lIJ. 331
naires s'étaieut changés en colléges; beauconp de Iamilles pienses,
ne voulant pas livrer lcurs enfants ~l l'Université , préíéraient
les placer sous la dircction des petits séminaires ; quelques
évéques avaicnt appelé les Jésuites pour occuper les chaires
de l'enseignement, et ces collégesétaicnt si bien conduits qu'on
y arcourait de tous les points de la Francc pour y recevoir les
príncipes d' éducation. Dans tous pays oú l' enseignement est libre
sous une constitution libérale , il était difficile d'empécher ce
príncipe d'éducation de se développer SOUI) la main des évéques, et
par conséquent avcc une garautie de moralité. ñlnis il dut na-
turellcmeut s'élovcr une rivalitó manifesté entre l'Université et
les petits séminaircs des hÚlucs; c'était d'ancienne dale; les Jé-
suites avaicnt en le tort de trop se mélcr de politique, de s'unir
h ce qu'on appclait la congrégation ; autrefois si hábiles a se
ployer avec une mohilité parfaite aux mreurs et aux habitudes de
la société, ils n'avaieut pas assez compris les tendances nouvelles
de leur époque; au temps de la Ligue, ils s'étaient faits ligueurs,
il cüt été pour eux ha hile , a une époque de révolution , de se
faire un IWU róvolutiounaircs ; mais ils préférerent se lier a la
partie couservatricc de la société; et eomme on était a une épo-
qne de désordre , dans une sorto d'agitation fébrile , les opiuions
passionnées s'cn prirent aux Jésuitcs, ct dcmandérent a grand
bruit leur cxpulsion. .J 'ai examiné au poiut de vue politique la me-
sure que pri t le minislt're 1\1 arl iguac, elle érait nécessaire ; il Ya
des concessions qu'il Iaut savoir Iaire aux circonstances; l'opi-
nion cst injuste , mais SOUH'llt impérative ; les gouvcrncments no
son t pas toujours maltrcs el'eux -memcs, de leurs desscins, de leur
avcuir , ils ne doivcnt pas se heurtcr contre une opinion, paree
qu'ils son! moins chargés de faire rcntrer une société dans
la jusiice , que de la maintcnir dans l'ordre et le reposo Je ne
sache pas d'inslifulÍon qui donna moins de príse ala calumnie que
les Jósuitcs : pouvait-on lcur Iairc un crime d'nvoir conquis la
confianc« de, pl'rcs i ¡\~ Iumillc par lour cnscigucmcnt moral? les
étudcs y étaicnt fortrs , les classcs tn\s-('lcvées, et les Jésuites
avaient devaneé la iuéthode aujourd'hui admise d'euseigner 1('8




332 HISTOIRE DE LA UESTAUUATION.
Iangues modernes; les jeunes hommes qui sortaient de Ieurs
colléges parlaient l'anglais , I'allcruand , l'italien avec facilité.
L'universalité de leur institution lour en Iaisait. un devoir, cal' le
monde était leur domainc ; leurs élevesmontaient acheval, CTO\-
saient l'épée comme de nobles gcntilshommes; il Y avait une
école de natation, chaqué année on faisait en troupe un ou deux
mois de voyagedans la montagne, et par-dessus tout il régnait un
admirable sentiment de paternité du maitre pour l'éleve , il sui-
vait sa fortune dans le monde, on lui évitait tout scandale. Pou-
vait-on leur reprocher d'avoir un soin particulier de la moralité
de leurs eleves? Ainsi on excluait les imagrs ohscéucs, poiut de
tableaux qui pouvaient réveiller les sens, poiut de Iivres capables
d' embraser l'imagination. Était-ce un mal de dépouiller Virgile,
Horace, Ovide de leurs peintures lascivos ?et pour apprcndre une
langue morte et les mystérieuses beautés d'une grande liuéra-
ture, ne pouvait-on pas la présenter chaste ct pure h de pauvres
enfants qui se corrompent assez tüt dans le monde? Je donne ce
dernier regret aux études des Jésuites, quoique leur expulsion
fut impérativement conuuandée par les circoustanccs: le Gou-
vernement était trop accusé pour ne pas faire quelques conces-
sions aux esprits ; un pouvoir ne peut pas toujours rester juste ;
lorsqu'il se manifeste dans la société un mouvoment méme
d'intolérancc, il doit le subir; c'est la loi d~ fataliré.


Un hommage 11 rendre 11 ce gouvernerueut de la Ilcstauration ,
ce fut sa volonté de prot{lgrr les érudcs séricuscs : tandis que
la société se livrait aux livrcs impies dn xvur- siecle , lui Iavo-
risait les grandes collcctions historiques , les travaux des ancien-
nes écoles de bénédictius. Si J)01ll Brial était chargé de la conti-
nuation des Histcriens de Francc, l\J. de Pastorct accomplissait
l'(X'UHe des Urdonnanccs tlu 1-01O'1'C, el les Iaisait précédcr de
ses discours sur la levée de I'impñ¡. un des plus conscienrieux
travaux de l'école moderue ; ct ce Iut alors que pour compléter
ce travail et pour réaliscr l'idée d'érudirion , le GOllrernerncnt
fonda l'Fcole des Chartrs, une des créations qui excita le plus, i.
son origine, lesclameurs dn par!i tih{lral : pom ('P parti , la sri"llrc




PRÉr.IS. - CHAPITRE tu. 333
du blasón était vaine, la lecturo des vieilles chartes un appát de
contre-révolution. On avait démoli les cháteaux , il fallait dé-
molir le passé de la vieille Fran~e: pour les révolutíonnaires , le
chiffre de 1789 était tout, il n'y avait d'autre histoire que celle-
111. La primitivo .Éeole des Chartes fut fondée sous la direction
d'un vieil abbé du Périgord , le plus instruit de tous les héraldi-
ques, 1<' modesto abbé de L':Épine, qui fut notre professeur a
tous; et pourquoi n'aurais-je pas reconnaissance pour cette
Écolc des Chartes et pour son savant et modesto professeur aux
magnifiques cheveux hlanes, qui finit sos jours sur les cartulaires
du Périgord ? Si j'ai quelque goüt pour les études historiques, si
je me suis l~pris du vieux tcmps, sij'ai tant aimé a vivre dans les
monasteres, en invoquant les ombrcs des générations mortes ; ¿l
qui le dois-je, si ce n'est a l'École des Chartes; la, je déchiffrai
tout jeunc hommc les vieux parchcmins; la ,j'aimais apénétrer
dans le mystere des ñges, el a étudier le temps qui n'est plus; ces
émotious-la. .ir ne les ai point oubliées. Ce Iut l'Écoledes Charles
qui inspira l'idée eles grandes collections historiques , et il faut
rendre ectte justice a lU. Guizot, qu'avec son esprit supé-
rieur il en comprit iunnédiatement la portée! La collection des
chroniques ne íut-elle pas le résultat d'un plan concu pour senil'
ce goüt nouveau qui s'était déployé pour les études historiques?
Quand il nous presenta les vieux chroniqueurs, Fredegaire et
Grégoirede Tours , souslapremiere race; Éginhard et le moinede
St. -GalJ, sous la deuxiéme ; les historiens des croisades, Guil-
laume de Tyr, et tout cela traduit et cornmenté, 1\1. Guizot ren-
dait un véritable service al'histoire , cal' le latin , langue morte,
restait le patrimoine de quelques érudits, tandis qu'en donnant les
chroníqucs en langue vulgaire, 1\1. Guizot popularisait l'histoire et
les choscs séricuses, La tendance fut désormais fort grande vers
l'érudition ; ceux qui démolissaient les vieux cháteaux , qui hri-
saient les blasons et brülaient les chartes , pouvaient encoré mur-
murcr; mais il se faisait un retour indicible vers les idées du
pays ; notre vieille Franco paraissait glorieuse , les études sor-
tant dos académios devenaient populaires , et crri avait un effet




334 HISTüIRE DE J,A RESTAURATION.
de moralité incontestable, cal' en rattachant toutes les classes
au passé, on créait entre toutes les époques une garantie, une
responsabilité morale ; on ne faisait pas d'une nation une chose
née d'híer et qui pouvait mourir le lendcmaiu ; on n'était plus
une génération ingrato qui ne rcmuait les cendres des aucétres
que pour les jeter au vent,


Comme il arrive toujours, ces idées furent méme cxagérées ;
en favorisant les études sérieuscs du passé , le Gouvernetncnt
n'avait fait que son devoir ; mais le partí royaliste voulut avoir
une littérature cxclusivcmcnt des vieux tcmps , une institution
qui en rappelle les souvenirs ; alors il cut l'idée de la Sorict«
des Bonnes Lcurcs , tout y fut ainsi allccté : bellos lcttres ,
c'était trop moderno ou se rattachait trop au XV] IL" siec1c; les
bonncs iettrcs se reportaient h Francois ¡cr, au xye siecle , aux
époques de rcnaissance ; l'orgauisation de la Sociéié des Bonncs
Lettres était plus encoró politiquc que littéralre , ou s'y affiliait
souvent pour faire son chemin. A sa tete il y cut des hommes
considérables et des illustrations émiuentes ; ;\). de Chátcau-
briand a coté de son ami le duc l\Iathieu de ñloutmorency;
l\1. Michaud y lisait les fraguients de croisades , JU. Yictor
Hugo des vers ; "1. Hio y faisait de l'histoire, M. Véron de
la physiologie , 1\1. Ancelot des tragédies: la société était chni-
sie, élégante ; on s'y pámait aux scenrs révolutiounaires de
1\1. de Lacretelle , on exagérait l'enthousiasme du temps passé
pour vouer le tcmps préscnt ü la haino, Ainsi, chaqué ac-
tion a sa réaction , chaque idée son abuso Conunc affiliócs aux
bonnes lettres on comptait égalcment les bonnes études , école
préparatoire pour ainsi dire afin d'arriver h la société supé-
rieure qui enseignait les bonnes lettres ; le plan primitif des
honnes études n'avait rien que de trcs-parfait : dans l'origine ,
c'était un préservatif que des homrnes pieux el sages voulaíeut
donner centre les passions de Paris. Cette foule de jeunes gens
qui venaient étudier dans les écoles pouvaicnt Iacilemeut étre en-
trainés dans la dissolution ; on essayait dI' leur donner un centre,
un moyen pour échapper aun triste contact ; au lieu de les laisser




PRÉClS. - CHAPlTRE m. 335
vaguer dans les émeutes OH dans les plaisirs d'une dissipation
hontcuse , on les réunissait le soir dans de vastes et riches sa-
lons; la, ils s'y Iormaicnt aux manieres d'une société d'élite ; le
duc Mathicu, M. de Iliviere , le duc de Doudeauville , y assis-
taient assidüment. Une bibliothcque nomhreuse , des cours d'élo-
quence oratoiro faits par lUl\1. Berryer et Hennequin, ou de rné-
decine sous les brillants professeurs MM. Pelletan et Récamier,
vcnaieut ajouter ala science des étudiants, Tout cela était un
bien, on y apprenait l'csprit d'ordre , et jamáis la société ne
pourrait s' en trouver mal ; des prix étaient accordés : je me rap-
pelle qu'étudiant moi-mémc , jc concourus a un de ces prix;
c'était té/oye de sauu Viuceiu de Paul , et je fus vivement
ému , meme aprés trois couronnes d'académie , de ces félicita-
tions de camarades qui venaient me presser la rnain lorsque le
noble duc Mathieu me remit la médaille qui devait couronner
ce petit triomphe. Quel mal pouvaient faire des jeunes gens qui
s'adounaient ~l faire l'éloge de saint Vincent de Paul et se glori-
fiaient qu'uu des Ieurs cut remporté la pahne? Le seul ahus de
cette institutiou Iut de la faire trop politique; le par ti roya-
liste en fit trop un instrumcnt a ses desseins; nous subissions
tous des lors ces coups de la philosophic railleuse du XYIn c sie-
ele, qui ne comprcuait pas qu'ou püt croire , étudier et obéir,


Au reste, vers la fin de la Restauration les idées étaient em-
portees impétueuscuient WI'S rl'autres études que celles de I'ordre
ct du gouverucment monarchiquc ; (in était tellement engoué du
systeme représentatif, de ces formes de tribune, des triomphes
du parlcment , qu'on fonda des écolespour ainsi dire de parlage ,
comme s'il n'y avait pas assez de succursales a la Chambre des
Pairs et des Députés ; on voulut imiter l'Angleterre dans les
exorcices d'Oxford et de Cambridge; des jeunes pairs de France,
1\1. de :\lontaliH'l, les Iils des maréchaux Lannes el Bessieres ,
unis ades jeunes pairs royalistes , fonderent une école parle-
mcutaire oú l'on apprit ü discuter les points de droit public , le
príncipe d'élection , la force el la prépondérauce des pouvoirs ,
discussious uiaiheurcusemcnr uop étcnducs el qui out porté un




336 HIS'fomE DE LA llESTAURATlON.
coup fatal aux affaires actives; n'était-ce pas assez dl~ja de nutre
entrainement aparler et aécrire ! de la peut-étre cette tendance
de faire de nous une nation d'avocats ; il Yavait des. chambres ,
des tribunaux , et on voulait encore transporter la tribune dans
l'éducation, de sorte qu'il en résulta une génération farcie de
droit eonstitutionnel, qui aurait négligé les aflaircs positivos
du pays pour le triomphc de quelqucs principes vagues et de
quelques maximes saus application daus la marche générale
des cabiuets de l'Europe,




.»:


CHAIlITHE ] V.


Caracteres geueraux de la littvrature aux deruicrs ternps dc l'Empírc.-
La g!'audc ~:eolc toute d'opposiliou ........ ~I. de Ch,\lcJubr:alld. - Mme de
Stad. - MM. Bpujamiu-CollStaul, - De Sisrnondi, - Chéllier, -
Ginguené ........ Litt érat urc impériale. - MM. dc Fnntaues , - Étieunc,-
Jouy , - Luce de Laucival , - Jay,-Alldrieux. - Origiuc dcmi-polirique
des classiques et des r omautiqucs. - Gouvernerncnt ct opposition , - fu-
fluence de l' Allemag ne et de l' Anglcterre. - 10 • POF:SIE. - Poésio
poli tique . - Odes e t vcrs pour la Hcstaurntion. - Désaugiers. - Oppo-
siti on , - 11fessl:lliellllCS de M. Casimir Delavigue. - Cl.ausous de M. de
llérallgcr. - Prcruiers essa i s de M. Vietor HlIgo. - MM. Barthélemy
ct Méry. - Odes. - P\,('mcs (:I,i(/lIC5. - 2°. TUAGÉIl lE. - Caracterc
sous l'Ernpirc. - i\Iodilieation qu'el le (:prmwc depuis les l;tats de Blois
de 1\1. Raynouard , jusqu'nux ri'jm's Siciliennes de M. Dclavigne.-
l\L\I. Aucelot , ....... .Iuuy, - Briff:lUt, - Lchruu. - ;Jo. DH.AMES. - Ca-
ractcrc de I'éco le mo derue. - Devcloppcmeut dn drarne depuis i:douan!
en i:cossc de M, lJuv al . ....... Coufusiou du d ram o el du llIélodramc.-
Heruarquable ta leut ele 1\1.\1. Ducangc et de Pi xcri cour t. - Nais-unce
du drame puro - Les trois représe:ltallts de la jeune éeolc.-MM. Alcxaudre
Dumas J - Alfred de Vigoy, - Victor Hugo. - 4°. LA COllJÉnrE.-
l\Br. Duval. - j::lil'une. - Dclav ignc, - Picardo - Les vaudevil listes.
- Origine et dén'I0l'pcnwot de ce gcnre. - J-1aLileté de la mise en sceue,
- Pieces des pet it s th~,itre,;. - Iufluenee sur la socleté , - 5". ROMA;:\S.
- Derniers ddJ!'is rlu s ysterue de M me Cottin. - M.me de Stael el M. de
Cli,~teallhl'iand.-- .,¡dolj'lie de 1\1. de Coust ant, - Cornmencemeut du
gen re de Sir 'Valler Sro tt, - Les fnnta is ies d'HoffmaIJIl. - Influeuce
sur Ia sociúi, fran(;aisc. - Juoudation des r\)IIl<lUS ;\ la fa(;on de 'Yaller-
Scott , -- Geure fr a nra i s , - -'l m e de (;enlis - "DI. de Balzuc. - Pau I
d'l Kock.. - G'. CRI l'IQliE LITTÉIIA rn r.. - Ilcvucs en Franco. - Articles
dt, jonrnuux. - La critique du temps de I'Eurpirc. -- Geoffroy, - Uri-


1V. 29




338 IIlSTOIRE DE LA RESTAURATION.
tique súus la Rcstnurntíou. - Hoffman , - Auger , ~ Tissut. .- DVlc-
loppement de l 'cspr it de critique. - Exumeu de M. de Sainlc-13eme.-
Reeherche el affectat iou de la liltér;:ture du x vr i" si,~cll'. _ Qucls out úé
les résultat s Iittcra irr-s de la Il est aurntion ?


181,.. - 1~30.


NAPOLÉO~ préoccupc la littératurc de son regne de deux
idées , la Greoe et Home; éniincmmcnt classique par le goüt ct
les habitudes de sa vie, il se complait dans les études de l'art
ancien; il aime la grandeur et la majcsté de son langage. Son
entrainement vers le Théátre Francais , son amitié pour Talma,
les faveurs dont il accablait les tragiques , tout cela signalait une
pensée antique, un pressentiment de postérité, comme si sa bello
tete de camée devait un jour se placer au milieu des sou-
venirs des Césars et des Empereurs! Aussi toute la littérature
d'innovation, tout ce qui gardait quelque hardiesse de jugement
et de pcnsée , s'était presque entieremcut placó dans l'opposition;
le chal' de l'Empire marchait dans des voies trop compassées,
trop administratives , pour que lU. de Chátcaubriand, par exem-
ple , voulüt en suivre les sillons. L'auteur du Génie du Cltris-
tianisme.. admirateur d'abord du Consul, s'était separé de I'Em-
pereur ; il vivait de sa renonunée indépcndante , et sa renonuuée
méme s'était accrue de la pcrsécution qu'il avait subie. lU. de
'Chñteaubriand faisait quelques articIes littéraircs dans le JJIe1'-
cure. A son retour de la terre d'Orient, oú pauvre péleriu iI
était venu adorer la grande tomhe , il composa son Itincrairc de
Paris á Jérusalem .. reuvre si magnifique d'cxactitude et de
simplicité; il vivait dans la demi-persécution de la police du
général Savary lorsque sonna l'heure de la liberté; la Ilestaura-
tion lui ouvrit une vaste carriere ; supposcz une poitrine quí 1'1'8-
pire apeine, et qui tout ~l coup peut s'épauouir a I'aise; un es-
clave qu'on rcnd ü la liberté; quoi tl'étonuant qu'il se precipite
dans l'arene et qu'il fasse rehondir son coursier sur la poussiere,
l\l. de Cháteaubriaud se cousacra prcsque exclusivemcnt aux




pnÍ':ClS. - CHAPITRE IV. 339
étudcs politiques et aux publications des hroehures qui pou-
vaient aider le Couverncmeut nouveau; il était aeteur du mouve-
ment , pouvait-il en ('tre le juge? Samaniere de traiter une ques-
tion de gouvcrnement était large , grandiose, élevée ; il ne voyait
jamáis le petit coté d'une cause, il la jugeait et l'appréciait en
granel. -'1. de Chñteaubriand fut done arraché ala littérature ,
pour se consacrer 11 la politiqne; ambassadcur, ministre,. don-
uerait-il encere quelques instants aux Muses, qui reviennent le
consolcr dans la disgráco ? Cepeudauton le voit encere de temps
;\ autrc apparaitrc arce quelqucs ceuvrcs de grande llttérature :
les liwdes Historiqucs, les Quan-o Stuart ; mais ses préoccu-
pations le rattachcnL inccssamment 11 la politique, cal' pour tous
e'est une chaino de fer. te génie fcrme et nerveux de l\lUlC de Staél
ne pouvait également se ployer a la domination de Bonaparte ;
persécutée , proscrite , avcc un acharnernent qui ne s'explique
que par les petitcsses de la pollee impériale , elle avait eherehé
en Allemagno et en Italie des inspirations, Coriunc avait jeté les
élémcnts de sa célébrité ; son ouvrage sur l'Allemagne avait
rcmué toutes les tetes, bien encere que la censure du général
Savary, si puérile en Iittérature , en eüt corrige les épreuves ;
l'épée du général Savary avait passé par la, de sorte que 1'0n
peut dire que le talent de MIIlC de Staél ne put se déployer avec
liberté que sous la Itestauration. Ce Iut alors que son livre sur
l' AIICI/l(I[lllC el Dclphin»parurcnt dans Ieur grandeur et leur ma-
jesté ; cherchaut ainsi une vie nouvelle 11 l'ombre de la liberté,
MIllC de Staél , comme M. de Cháteaubriand 1 se jetait alors
dans les études politiques ; chaqué époque s'empreint de. son
caractérc particulier , il n'y a ras de talent qui puisse échapper
it son intluenee; et quand la politique domine, il faut bien que
la Iittérature lui préte foi el hommage. Autour de Mme de Staül
était toute une école : M. Benjamin-Constant , avec sa nature
réveuse , cr M. de Sismondi, qui venait d'achever avecéclat son
histoire des Bé¡JIlIJliljllcS It alienucs ; ami et admirateur de
l\lme de Staél , il se dévouait it elle avec cette chaleur d'une com-
mune persécution ; on voyait 11 Copret, sous les ombrages si




3110 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.


frais qui dominent le lac , une société choisic par les noms , les
talents et les capacités; Adrien et ;'\Iathien de Montmorency, le
duc de Sabran, Benjamin-Constant, M. de Sismondi , Schlegell,
l'Allemand a l'imagination 'vive et attrayante , qui le premier jeta
en France les principes et la théorie de l'école romantique,
Benjamin-Constant revoyait son roman d'Advll)/¡(" lU. de Sis-
mondi préludait a son travail sur l'histoire de France , et tous
attendaient des temps meilJeurs pour la liberté; quand elle vint ,
sous les Bourbons , ils se précipiterent dans la politique , comme
1\1. de Cháteauhriand ; nul u'échappa a son contact : l\l~1. de
Constant et de Sismondi, rauachés a Napoléon dans les Cent-
Jonrs, firent des articles sur l' Acto additionnel , abandonnant
ainsi une fois encore les lettres pour ces nouvcllcs érnotions de
polémique et de tribune qui plaisent et qui dévorent; l\l. Au-
guste de Staél , leur ami, se lia plus intimement a l'école doc-
trinaire, et devint un des écrivains les plus remarquables de ce
qu'on appela le canapé de "'1. Decazes ; 1\1. le due de Broglie,
gendre de l\Imc de Sta",il , un des hommes les plus studieux du droit
politique européen , se I1t comme un bénédictin politique; tous
esprits révenrs , ils se jcterent dans ces théories constitutiounclles
qui absorbérent la Ilestauration en la faisant exclusivemcnt an-
glaise,


Et 1'0n remarquera que toutes les Iarges (I'UHeS, toutes les
intclligences un peu élevées se développent sous I'Empire en
dehors de l'influence de ~apoléon; les couceptions capitalesH\U-
lent une certaine indépendance , et tout ce qui est cornmande-
ment a pour eífet d'éteindre l'esprit, Chénier et Ginguené n'ap-
partenaient-ils pas également acette écolc indépendante qui
ne voulut jamáis s'abaisser.devant Xapoléon ; ils ne furent point
précisément persécutés ; leur ame mñle et républicaiue se ploya
pendant les jours d'orage , mais ils ne cl~ll'l~rerrnt point ce Bo-
naparte qui, en ceignant le bandean impérial , s'était séparé
d'eux. Chénier jusqu'au dcrnier moment chanta la liberté, et
Ginguené s'arrachait aux tristes illusions de la patrie asservie ,
par les forres études qui cnnsolent dans toutr-s les émotions de la




rn(;c/s. - CIJAPITRE n-. 3&1
vie: elles 110US arrac1Jent au présent , elles nous reporten, aux
temps meilleurs, CcUe indépendance se retrouve égaJement
dans un poéte , ~. qui ne fut point perrnis de saluer les Bour-
bons, Il les avait tant de fois cependant célébrés dans ses poé-
sies, et appclé dans ses reyes ! j'entends parler de l'abbé De-
HIle; nul ne possédait une plus grande facilité pour scander le
vers francais , pour le jeter plein et sonore ; il n'avait point de
larges couccptious ; les idées étaient rares, les émotions forcées ,
mais qnelle facture harmonieuse, quel agencement heureux!
L'époquo était a la poésie descriptive ; on s'arrétait sur une fleur,
8Ul' un jardín, sur la campagne ou sur une faculté de I'áme , et
on les décrivait jusqu'á la satiété : ces qualités et ces défauts , on
les retrouve dans toute la poésiede ce temps; elle tenait peut-étre
;. cene scrvitude imposéea la pensée par une censure implacable.


Cette école impériale avait produit quelques hommcs d'un
talent littéraire considérable ; M. de Fontanes , par exemple, un
des prosatcurs éminents qui possédait l'art de tout dire avec bon
goüt et convcnancc , la véritó sans blesser , la flatterie sans
bassesre : M. do Jony, écrivain d'esprit , seulement avec un
orgueil de soi rrop considérahlc ; ;U. Étienne, qui rernplissait le
théátre de productions si spiritue'lcs ; lU. Jay, prosatcur facile ct
élégant; M. Andrienx , agréable conteur qui avait conservé
quclquc chose de répuhlirain mérne dans ses flatteries au Pon-
voir. tes Iaiseurs de tragódics , alors si nombrenx , l\ll\I. Luce
de Lancival , Briffault, ct par-dessus tout l\l. Ilaynouard, qui
par les Tcmplicrs avait conquis une grande place dans la litté-
rature. C'était le beau tcmps alors pour les faiseurs de vers
el de tragédies ; un suecos de théátre les menait atout, au Con-
scil d'J~tat el dans l'administration supórieurc , et si l'on joignait
;. cela quelques ílattcrics acctte main puissante qui partout don-
nait l'impulsion , on érait sür d'une carricre brillante et magni-
fique. C'cst a la Ilcstauration que l'on doit la littérature libre
et indépendante de tout examen, laissant a chacun le droit de
dire sa pensée , d'exprimcr une théorie sur l'art ou méme son
rlcrnier mot sur l'oraauisation politiqne ; elle Iavorisa cene ten-




3112 IlISTOIRE DE LA RESTAUnATlo~.
dance vers la facilité d'érrir« qui est le propre de notre nation ;
chacun devint impatient de produire un roman, un poéme épi-
que, une tragédic , un travail politiquc ou d'histoire,


Dans ce chaos littérairc , dans ce heurtemeut de toutes
les pensées , de toutes les orgauisations , il cst sorti néanmoins
deux grandes branches de littératnre , dont il fant suivre la
marche et le dévcloppemcnt, On ne s'attcnd pas que je rappelle
l'éternelle et puérile dispute entre les classiques et les reman-
tiques , discussion oiscuso qu'il Iaut Iaisser aux perites cote-
ríes. Pour expliqner néanmoins quelques - uns des phéno-
menes de cene Iuuc ,jai bcsoin de rcmonrcr un peu haut et de
la prendre ¡¡ son origine mémc. La Iiuérnture du x, m- siéclc
avait été toute sensualiste ; que l'on parcoure les U'U\Tes
de cette école depuis les plus spiritucllos jnsqu'uux plus élcvées,
on ne trouve aucune part faite h l'áme , au sentiment intime;
la vie est un hanquet OÚ chacun se couronnc de f1eurs; le cri
du cceur, les souffranccs mystérieusos, paraisscnt ineonnus ¡¡ cette
génération , elle s'enivrc et s'oublie ~ la Itévolution franraise
avaít mis un tenue a cette plaic d'órudcs scnsualistes ; on avait
trop souffcrt pour ne pas sp rccucillir un momcnt dans un grand
retour sur soi ; on avait été placó dans une sphérc trop élevée de
sacrifiee et de martyre pour nc pas faire une largo part aux émo-
tions de patriotismo ct ~I la rcl igion des grandes choscs ; il naquit
done avec cctte époque un hcsoin intime de rhangcr Ialittérature
du xvnr' sieclo, trop froidc, trop strirtemcnt scnsualiste. Al'épo-
que du Consulat , lorsqu'on fut sorti des temperes publiques,
ce grand retour vers l'étudc de la philosophic intime s'opere sous
le charme irrésistible des livros de M;\l. dc Cháteaubriand et de
Bonald. Ainsi cettc querelle cntr« los romautiqnes el les classi-
qnes, dont on reporte l'origino ;1 la Ilcstaurarion , dale de bien
plus loin : ce n'était pas une discussion née dans los temps calmes
el par.iflqucs , mais un déhat qui avait pris naissance aux époques
agitées , une querello e¡lln'](o :\, 111" sil'ele qui Iinissait et une
ere nouvelle qui se montrait ;ln 1l100J(le. Tout avait été dit par la
critique dans les controvcrses sur Ato/a el Bm«, de maniére




PR(.:CIS. - CHAPITRE IY. 343
que!iOUS la Itestsnrution l'écoJe romunúeue nepsnn pes comme
un produit nouveau spontané , sculernent on lui donna une ex-
tensión démesurée , on en exagéra la couleur, Cette influenee
des idées excentriqucs est due généralement a deux sources


,différentes I l'Allemagne ct l'Angleterre, Avant la Restauration ,
on connaissait peu la Iittératurc germanique ; quelques es-
prits séríeux avaient le privilége d'étudier seuls l'AlIemagne,
ses poctes , ses prosateurs; a peine sa philosophic , sOJ} his-
toire , son théátre , étaient-ils connus de quelques adoptes,
Mais lorsqu'un concours universel de peuple , amené par l'inva-
sion et la conquétc, nous cut fait pénétrer dans les mysteres de
la littérature allcmande , dans ses poétiques réveries de l'áme ,
il Iallut bien qu'ellc se fit sentir sur nos propres reuvres de l'es-
prit; on ne ridiculisa plus lYel'lher; Goéthe, Schiller et 'Vicland,
devinrent familiers a tous ceux qui s'occupaieut de lcctures en
France ; on s'éprit de cette littérature réveuse qui prend sa
source dans l'imagination et le creur. Le sensualismc fut dé-
pouillé de sa robe grossiere , on voulut pénétrer le mystére
des douleurs de la vie ct J'on y réussit. En Angleterre, Byron
venait de jeter ses prcmiers essais poétiques, et dans ses
Ilcurcs de loisir connnc dans son prernier chant de Child-Harold
il avait montré I'existence scnsuelle aux prises avec I'épui-
scment de la vie ; entouré de tous les dons de la fortune, reté
el caressé partout, il portait néanmoins avcc lui-méme une
empreinte brúlanre , un poignard aigu et percant qui allait droit a
son ~reur flétri: iI parcourait le Portugal et l'Espagne; ni la suave
odeur des orangers , ni le frólcment des inantilles de Cadix
n'avaientpu distraire son ame épuisée. Et puis quand on remon-
tait un pcu plus haut que Bvron, on pouvan lire dans Sbakspeare
l'admirablo épisodc de Romeo et Julieue , le plus haut degré de
l'áme qui se détache du sensualisme ; quel sacrifice pour ces
deux jeunes cmurs ! combien ils sont naífs et touchants! et l'on
concoit que de cette école devait résulter un besoin immense
de changement dans les éléments primitifs de la littérature du
XVIW sl('c1e; id l'üme intime dominait ; la, le sensualisme




344. mSTüIRE DE tA RESTAURATIüN.
grossier; et il résulta de cette lutte un retour vers le spirítua-
lisme , sinon religieux encore , au moins étrangcr a toute ectte
étude de la matiére qui fait du x, IIJ" sieclc, selon l'expression
que saint Augustin appliquait a la vieillc Rome: « un pourceau,
gorgé d'épices et arrosé de vin fort et capiteux.. Ainsi le reman-
tisrne n'était point une chose neuve , et , je le répcte , l'exagéra-
tion seule naquit avec la Hestauration ; 1\1. de Cháteaubriand,
Mme de Staél , lU. de Bonald en philosophic , avaient compris
qu'ilfallait une régénératlon acette société , elle n'en pouvaitplus,
abimée qu'elle était de sensualisme; elle mourait avec son siecle.


lUais un genre qui naquit a cette époque , et qu'elle peut
revendiquer justcment, ee fut ce que j'appellerai la poésie politi-
que; a tous les tcmps , il Y a eu des Ilaucurs de pouvoír , des
poétes qui ont chanté les événements de tous les siéclcs, la
théorie du despotisme, eomme la liberté eífrénée; le lot des
poétes cst de s'inspírer pour chaqué circoustance , et ron re-
trouve pour ehaque anuiversaire de la Restauration les mémes
noms de poétes que I'on rencontre pour eéléhrer la naissanre
du Roi de Rorne: serait-il dan s la nature de la poésie de se
rattacher a ce qui donne , a ce qui protégc ? L'initiative cst
prise par les ehantenrs royalistes, MM. Désaugiers et Alizan de
Chazet attaquent avec esprit et une vorve moqueuso les Bona-
partistes; en d'autres temps ils ont chansonné les opinions
vaincues , ils ont encensó le sacre, le mariage de Xapoléon et
la naissance du Roi de Rome; I'ouhli est facile pour la verve
gaie et réjouie d'un chansonnier. En 1Ht!l on s'cn donuc done a
grand coeur eontre les Bonapartistos , on attaque les aigles;
lU. de Chazet ehante sur raíl' du premier ras les hatailles de
Landrecies , de Mons et de Fontenoy; M. Armand Gouífé entonne
des can tiques ; 1\1. Piis exalte les grandes actions de l\I. le comtc
d'Artois : 1\1. Briffaut chante les Bourhons et la victoire : et ces
mémes chansonniers attaquaient aH'C H'He l'opiníon vaincue
du Bonapartisme; ils la poursuivcut de Icur sarcasmo raillenr
et iruplacable; les vaincus ue sont ras SDI1Yellt Iétés par les poétes.


Ces atraques dnrcnt naturcllcmcnt amcnor des représailles.




pni~CTS. - CIIl\PI~rRE I'~. 345
De la naquit la poésie que j'appcllerai d'opposition en Franco :
un an avant 181 (1, qui avrait oséun couplet sur lePouvoir?La dic-
tature ne pardonne pas qu'on la raille. Avec le gouvernement si
faible des Bourbons, l'auaque était trop Iacile pour qu'on ne
l'cssayát pas; le premier couplet hostile ~l la maison des Bour-
hons fut la chanson du .:.l/an/uzs de Carabos -' par lU. de Bé-
ranger, I'attaque la plus vive, la plus personnelle contre la
maison de Bourbon, que l'on déguisait en marquis de Cara-
has; et ce peuple qui devait mettre chapcau has, c'était la Franco.
Dans son allégorie du Viclf.l' uu'nctricr -' 31. de Bérangerexpo-
sait cettc théorie une peu matérialiste , « qu'on pouvait se pas-
ser de curé el no point aller 1.1 l'église , ct n'en étre pas moins
un honnéte homme et un bon citoyen e ; et tout cela était
dirigé contrc la peusee nouvelle de la Itestauration. Je trouve
également , (H~s 1815, des vers de l\I. Vicnnct qui emhrasscnt
toutes les questions du jOIlI', pnlitiqne el miliraire , sorte
d'épitre sur ce qui s'est passé en France pendant les Cent-
Jours. Dans son ardent dévouement pour les Bourbons, lU. Vieu-
net s'éleve avcc violcnce « coutre celui qui opprimait les
peuplcs en Tihóre ; comme Sylla dans Rome, il bravait ses
victimes. » l\I. Viennet avait dignement combattu dans les
Cent-Jours ; il avait déploré la perte de tant de braves ; il avait
HIle pré Saiut-Gcrvais de houlcts tapissé; Boulogne avait pleuré
S(lS paisibles treillngos ; il avait vu ses hois tomber en palissades,
et les Prussieus étaient entrés dans París par Vaugirard. 1\1. Vien-
net n'avait plus qu'un vceu ~l fonner , c'est qu'un temps pai-
sihle vlut pour les poetes; Virgile lui paraissait plus grand que
César, et il désirait plus un fnuteuil des quarante que la gloire
d'Oudinol ou de lHacdonald. Ace moment , M. Désaugicrs écrívait
sa ronde burlesque sur M. Crédule , dirigée tout entiere contre
le partí libéral. Enfin le premier succés de l\I. Casimir Delavi-
gnc viut précisément de la poésie politique , quand on relit les
Messénicnncs avec quelque intelligence ct quelque attention ,
on se demande 1<' motif du sncrñs prodigieux qu'elles obtinrent
lors (Ir lcur pnbliration; gl~Jl('l'al('lllrnt, il ne fant jamais séparer




3h6 IlISTOIRE DE LA RESTAURATION.
un livre du temps oú il a élé publié ; il Ya toujours deux causes
dans le succes , I'unc permanente, c'csjle talcnt , le méritc , et
on ne peut en contcstcr h M. Deja, ignc ; mais la scccnde est
passagl're, c'est n\-lWOp0'S, el cenes ks Jlc$scnieHHcs ¿le M. De·
lavigno s'cmparercnt surtout de l'rsprit du tcmps el se dévelop-
perent avec une grande intelligcucc des circonstanccs. Elles fu-
rent une grancleplainte , une poiguantc doulcur pour les gloires
tombées ; un jennc poi;te rappclait les Ilétrissures de l'invasion
aH'C la chalcur ele son ñmc ardentc , un stylo pur , quelqucs
nobles- imagcs, el par-dossus tout avcc cct esprit (fui corrcspondait
alors aux publications ele la ~Jf¡?l(;r/'c. A chaquc époquc il cst
ainsi pour les écrivains des éléincnts de snc('(\s; s'imngine-t-on par
exemple la prodigicusc vogue de la compilation des I lctoircs ct
conquétcs? j] n'y a certaincmcnt ricn de plus commun que cct
éteruel récit qui cst en 11 istoire ce (Iue le Soldo: lohoureur est en
peinture ; et cepondant cela cut de la vogue, une lecture im-
mense. La pocsic ele M. Delavign« ótait done le style du vieux
libéralisme ; il Y a des ver» (fui corrcspoudent aux phrases et ~\
la polémique du Const inuionnct ; mais ~\ ce tcmps , c'était un
élémcnt de SUCCl'S, de popularité , ('l JI. Delavigne aurait eu
tort de le négliger. }l. de IH'ranger [nit une couleur plus Iran-
chcment politique daus ses chansous ph-incs de vorvo , d'amer-
tumc ou de mélancolie ; anraieut-cllcs ohrenu la méme vogue si
ces couplets n'avaicnt pas été rcmplis dallnsíons politiqucs , el
s'ils n'avaicnt pas serví les émotions el les sontimcnts de l'cpo-
que? Je suis convaincu que JI. de Bérauger , parvonu main-
tenant ~l une vie plus méditative , rcgrette quclqucs-unes des
chansons matérialistcs qu' il jeta au milicu de la société, et
par exemple sa chanson sur les Missiouuaircs : ces pauvres prc-
tres qui se vouaieut ~I instruiré le pcuple , il les comparo ades
erres immondes (fui étoiguent les lumii-res pOllr allumer le fcu ;
cctte croix qui civilisa le monde, pourqnoi M. de Bérnnger ne
vcut-il pas qu'ou en ¡'{'¡¡ande l'imar;c , qu'nn ('H dise les gloires
et les hienfaits ? Que! esl ce persiflage sur le Christ , le Dieu-
pouple , la ('011801at¡00 dn pauvrt? \011, ce n'est pas contre les




pnf:C1s. - CIlAPITRE Ir. 3h7
Iuunéres que les missiounaircs préchaient , mais centre cene
éducation triste et Iatale qnc l'on faisait au pcuple. 1\1. de Bé-
ranger était micux inspiré lorsqu'il céléhrait les gloires de la
patrie. Oui , nous ainiions tous ecuo France , reine du monde;
oui, nous ne voulions point voir son front cicatrisé ; oui, nous
disious encere : Honneur aux enfants de la France ! oui, les
beaux-arts eouronnaient nos .autels ; mais pourquoi insulter
l'Europe et appclcr les peuples ü briser leurs fers? pourquoi
railler la vieillesse d'uue race glorieuse dans la chauson du
Sacre 1 pourquoi ílétrir une dynastic <fui avait fait bien quelquc
chose pour la Franco en Iui donnaut la paix ct la liberté? Jlain-
tenant que 1L's anuécs sont vcuucs , J\l. de Bérangcr a pu voir et
comparer ; sans doute il j ugera avec moins de préveutions le
gouvernement qu'il a si profondémcnt dépopularisé avee les
vers de sa muse légere ou plaintive, Que sont devenues les
1Jlesscniennes? Que devicndront les chansous de M. de Béran-
ger? ellespasseront avec l'époque ; on ne les retro uvera plus que
conune ces couplcts de la Ligue el ~lc la Fronde, cal' il ne man-
quait chez nos aícux ni esprit, ni a-propos,


Cette Hestauration vit naitrc les dcux poétes (Iuel'on pourrait
appelcr essenticllcment politiquee , M. Barthélcmy el JI. Méry;
a coté de cette myriade d'écrivains piquauts qui rédigeaient
le illiroir ou le Fiqaro ~ ces dcux jennes }Iarseillais parurent
aree un éclat inarcoutumé ; nés sous le ciel de la Provence , en-
fants de cette belle campagne du Jlidi , hercés au murmure des
douces eaux des Aygalades ou de Fontenieu , l'Dl. lUéry el Bar-
thélemy vinrent ~l París connne tant de jcunes hommes , pour y
voír et y étudier. On dit que la Ilcstaurntion aeeueillit leurs pre-
miers essais ~ ils lui oífrirent un talent incontestable ü l'occasion
du sacre, mais alors cette Hestauration ne donnait pas la popu-
larité , ue faisait pas la Iortune des po¿;tes; au dehors , il Yavait
plus de hruit ct d'óclat , et ~lJl. Jl(ry ct Barthélemy n'hésité-
rent poiut ~I se jcter dans la satirc politiqueo Leur premier essai
fut je erois I'J~}J¡ll'e Ú ,S/l!i-Jlil/Ii/lom{ ~ l'envoyé musulman qui
vcnait négocicr dans la capiralc. On lui ollrait I'aspcct de París




lllSTOlllE DE LA HE5TAUHATlON.


dans des strophes riches et pompeuses, les miseres élégautes de
cette capitale, les infirmités du vice et de la police; on y atta-
quait les hommes et les choses , sans indiquer autrement que
par des initiales les personnages notoircment connus; on lesdé-
signait par la rime, avec une si cruclle exactitude , que chacun
pouvait les reconnaitre et les saisir, Apres I'I;;pitre áSidi-Jlfalt-
motul -' vinrent les Adieu c -' plus remarquables et plus riches de
poésie, La collaboration de ces deux jeunes hommes avait pro-
duit des vers aussi brillants que les caricatures des grands mal-
tres; la renommée vint a cux el ils suivirent le torrent ; la Vil-
léliadc , poéme sur le premier ministre, acheva leur popularité,
C'était le temps de la toute-puissance de lU. de VilIele, J'opposi-
tion entiere grondait contre lui; on n'entendait partout que des
murmures contre cette intelligence d'aílaircs pourtant si remar-
quable. MM. Barthélemy et lUéry l'attaquerent avee une vcrve
indicible , et servirent les passions du temps ;ils épuiserent leur
verve contre les prétres el les jésuites! Et comment eux, fils de
lUarseille la pieuse, eux, poétes aux vers colorés, n'avaient-ils pas
des émotions d'enfance pour les pienses cérémonies religieuses
qui avaicnt entouré leurs premiares années? comment n'avaient-
ils pas tressailli en se rappelant ces processions aux millo volées
de cIoches retentissantes , lorsque le gene! odorant, la rose du
mois de mai sont semés sur le pavé des rues : lorsquo la fuméc
de l'encens s'éléve avec le cantique des vierges?Enfants peul-
étre , nous étions les uns a cóté des autres , habillés en lévites,
une couronne de roses sur la tete el semant de fleurs les
pas de ces confréries saintes , de ces prétres vénérables, sur
le cours embelli par Puget, Conuncnt eux, poetes du Midi,
purent-ils oublier ces salutes pompes catholiques , a ce point
de les profaner dans des vers politiqucs? Au total, la Villcliadc
était une ceuvre rcmarquable, conunc tout ce que faisaient
lUl\!. Barthélcuiy et l\léry; elle déchirait en lambeaux tous
les actes et les agents de cctte administration ; cc n'était point
justice , c'était la guerre, el la guerrc commc la Iait un pamphlet
de deux hommes de talento




l'HÉ( :JS. - CHAPHIlE 1\ •
c\ coté de ces poésies actives et politiques , on remarquera


les vers de l\l~1. de Lamartine et Victor Hugo , qui déja pré-
Iudent 11 des ceuvres plus imposantes. lU. de Lamartine , d'une
famille toute dévouée a la Ilestauration, s'étaít destiné aux am-
bassades ; dans les loisirs de cene carriére brillante, il avait
jeté un volume de poésies , comme une reuvre de passc-temps
et une distraction ; il se trouva que cette oeuvre fit une im-
pression profonde , paree qu'elle était l'expression d'une pensée
que l'école nouvelle ne satisfaisait pas pleinement. A toutes
les époques , il se manifeste un re tour vers l'idée spiritua-
liste; quand on s'est bien vautré dans la matiére , quand on a
pleínement assouvi les appétits de la chair , il vous prend au
cceur un tel vide, qu'on se précipite aux pieds d'une croyance,
counne vers le sourire d'un enfant, 1\1. de Lamartine avait saisi
ce moment, el ses ltfcditations produisirent peut-étre une révo-
lution aussigrande dans la poésie que le Gentedu Christianismc
de ñl, de Cháteaubriand dans les lettres , a l'époque du Concor-
dat, C'était le coiur humain pris dans ses légendes , dans ses
sentiments de naívcté et d'érnotion. Au milieu d'une poésie qui
ne croyait plus, ]U. de Lamartine se posa comme un homme reli-
gieux, et son succes fut immense,"On voit a cette époque l'in-
fluence des écoles étrangeres , de l'Allemagne et de l'Angle-
terre , de Schiller et de lord Byron spécialement. 1\1. de Barante
s'est fait l'élégant interprete du poete allemand , lU. Gui-
zot a traduit Shakespeare ; la langue anglaise est assez familiérc
pour que Byron soit dans toutes les mains, On prend en mode
ce genre de poésies mélancoliques , cette empreinte de tristesse
ct de désabusemeut ; on se couronne de cypres, Les commence-
ments de lU. Victor Hugo datent apeu prés du méme temps
que ceux de lU. de Lamartine; ses premieres odes s'élevent
comme un encens vers la religion et la monarchie de Saint-Louis.
:.\1. Yictor Hugo, le poéte de la Restauratiou, en célebre les anni-
versaires; il a chanté le duc d' Angoulémc et la guerre d'Espagne ;
iI a fait un vohnue d'odes 011 le nom des Bourhons se trouve
partuut mélé ; on attribue ü tu. de Cháteaubriand un éloge ,


iv. 30




350 BISTüIRE DE LA nESTAURATIO~.
une prophétie , dont le poíds est difficile a poner. 1\1. 11 ugo a
chanté le sacre de Charles X et ces oiseaux qui s'envolent sur
les autels de Reims. Déja dans son volume d'odes 011 remarque
cette couleur forte et brillante, ccttn hardíesse de styíc, puis-
sante quelquefois , hcureuse souvent , el origiuale toujours,
MM. de Lnmartine et Hugo succedent a In popularlté de l'école
de l'abbé Delille, aux essais si doux de MiIlevoie el aux élégies
de 1\1. Soumet, qui finlssent l'Empire. Delille n'a plus de vogue
el sa poésie descriptivo n'offre que les íaccttes de ces dia-
mants que la poésie moderne place au front des reines el des
femmes fortement éprouvées par la Iortunc, ñlillevoie a dis-
paru dans ces agitations , en jetant ses derniers chants funebres,
précurseurs de sa mort. On est habitué aux coulcurs fortes, aux
descriptions robustes et vigoureuses ; la poésie est une femme
échevelée, et les muses pacifiquesde I'Empire disparaissent avec
la l1faison des Chanips de lU. Campenon et le Printemps el'un
Proscriuie 1\1. Michaud. Si la poésiegarde une douceempreinte,
elle se rnéle toujours aquelque chose d'étrange , de mystiquc ;
le simple, le naturel ne suffisent plus; l'amour, on ne le comprcnd
plus que conune l'ardente et mélaucoliqucélégic de Iloméo
et Juliette, ou de l' A.mélie de Schiller ; la passiou prend qucl-
que ehose de sinistre comme le Corsairc et le Lora de By-
ron. MUe Delphine Gaya pour mere une femme d'un esprit
rernarquablement orné quí l'a bercée arce la poésic pour ainsi
dire, Jeune fille préscntée a Louis XVIII, encouragée par


. quelques royales paroles , elle se jette avec ardeur vers cette
belle et noble carriére, Dans les essais poétiques qu'elle pu-
blia en 1826, L'Auge de poésie euvoie les sons de sa harpe
au loin pour saluer I'homme des batailles; Amélie, agenouillée,
rappelle un souvenir de l'épisode de Iléné ; sa muse chante
l'Hymne a sainte Genevieve, a l'aspcct des admirables pein-
tures de Gros dans la coupolo rcstaurée : ici lUadelaine verse
d'abondantes larmes aux pieds du Christ : Jcanue-d'Are releve
la hanniere de Francc , el }Il1e de La,alliere rctrnce son prc-
miel' el unique amour. On uiíue ~I voir une jcuue el Iraichc




PHÍ':CIS. - CIIAPnHE IY. 351
illtelligencc se jetcr dans les enthousiasmes de la poésie , la
muse de MIIr, Delphine Gay, chastc, rcligieuse, se complait aux
hymnes catholiques : elle a cornpris qu'il n'y a de poésie et
d'art que la. les pocmes de M, de Vigny, qui paraissent sous
le 110m de JI!Jsf/i'cs, annonccnt une nouvelle école ; íci le dé-
luge avee le sombre horizon , et I'Océan qui s'agite comme
l'immense vengeance de Diou , roulant sur les déhris des villes
étouffécs ; la, 1\1018e annonce la loi écrite, La guerre d'Espagnc
n'a point éclaté cncore , et , noblcmcnt inspiré, lH. de Vigny a
chanté le TI'({P1Jis/c. L'amour de Dolorida se ressont du soleil
d'Espague , el rappe1Jo ce vieux pnn-orbe que j'ai enteudu taut
de fois aSéville ct il Tolcde : ro amo mai a tu ainor, que a tu
vida. ({ J'aime mieux ton amour que ta vie, )) C'est toujours
I'Espagne fidele ct ardente que célebre 1\1. de Vigny; accourez
~l savoix , ballades el vieilles chroniques, cal' il est douxd'écouter
les histoires du temps passé , el conuucut un soir de neige
el de vent du 110nl au palais (1' Édelshcim , Emma emporta son
amant, le scribo el le protouotaire du grand Charles, ~l tra-
vers les campagnos , ti l'ébairissernont du vieil et grand empe-
reur. Entendoz-vous le cor de Itonccveaux ? c'est Iloland qui
exhale son üme immenscacolé d'Olivicr son cousin et de l'archc-
veqne Turpin le grand chroniqueur deSalnt-Denis; que l'astuce et
l'infamie flétrissent désonnais la tete de Gannelon de )layence!


1\1. Ancelot , plus régulicr el plus classique dans ses poí'mes ,
publie Marie de Bruhaut , aventuro des vieilles chroniques ;
ccst une longue histoire \1Il peu fado et monotone; vous n'y
trouvez ni la fiere pensée de M. Ilugo, ni l'amour du vieux temps
de iU. de Vigny, ni la gracieuse et douce voix de ~ll1c Gay;
c'est un pOi;l~lC épique dans toutes les formes; on aurait pu
l'avouer sous l'Empire comme la chanson du troubadour tant
aimée des chñrelaines de ce tomps ~ la, De quelquc maniere
que l'on jugo ces puésies, avoc plus ou moius d'éclat elles ont
tontos un caractere d'uniformité ; c'est toujours la cloche qui
soune , les vitraux qui brilleut , la neige qui blanehit , la hiche
suspendno aux pies <!<'S rorhors : pnis ces descriptions éter-




:1;')2 HISTOInE DE LA RESTAl1RATTON.
nelles, des fleches et des clochers qui s'élancent dans les airs , on
des vieilles cathédrales noircies. Sous la Restauration on a usé
et abusé de la poésie, on l'a positivement tuée ; le vers cst mort
avec le drapean blanc et la vieille dynastie ; les poémcs épiques ,
les chants, les hyrnnes , tout cela trouve apeine quelques lee-
teurs fatigués de rimes et de cadences murmurantes , tandis que
la poésie politique me me est expirée avec la forre opposition,


A ce moment de l'Empire OÚ les victoires et les conquétes
donnaient une vaste impulsión aux idées grecqlles et romaines,
la tragédie apparut avcc toutes ses pompes, Alors il y avait plaisira
obtenir un succés méme aux jours de soucis et déj¿l de reverso Vil
soir Napoléon assiste 11 l'Hcctor de M. Luce de Lancíval: c'était en
1813 apres Leipsick ; il trouve cela beau; il a joie de voír Hertor
embrasser son fils Astyanax , comme lui embrasse le roi de Ilome
quand i\ part pour le dcrnier combat peut-etre , et M. Luce (le
Lancival se réveille de I'Académic avec () 000 franes de pensiono
Que ne valut pas aussi le Ninus JI 11 M. Briffaut? C'était immense
que la popularité d'une tragédie, longue suite de déclamations en
vers alexandrins et de strophes bien cadencécs. Les Tcmpliers
sont le véritable type de la tragédie sous l'Empire, avec ces formes
déclamatoires, ces récits de confidents, ces sentences que le
génie de Talma et de MUe Duchesnois rendaient seuls avec puis-
sanee. Ce goüt de la tragédic se maintint un peu au couuneuce-
ment de la Ilestauration ; la littérature restait un moment impé-
riale; quand un Gouvernement tombe et qu'un autre arrive, on
peut dire qu'on vit un peu aux dépens du vieux systeme ; comme
on raconte les persécutions du régime qui tombe, comme
naturellement la censure a cmpéché des cheís-d'eeuvre, cha-
cun se háte de les faire jouer, et souvent l'on s'apercoit que
la censure a en raison, non pour le mal qu'aurait fait l'reuvre ,
mais pour J'ennui qu'elle aurait causé. C'est ce qui arriva pour
les l{;tats de Blois de lU. Raynouard, qui marquent la premiere
année de la Restauration ; cette tragédie avait été empéchée par
la censure irnpériale ; Napoléon n'aimait pas le souvenir des as-
semhlées , l'esprit d'émeute et de sédition. 01', re duc de Guise,




pnf:crs. - CHAPITRE Ir. 35:~
ces chefs et ces mencnrs d'I~:tats étaicnt pour lui des séditieux
dont il falIait proscrire la mémoire sans jamáis la rappeler au
peuple, Lorsque la Rcstauration apparut , M. Raynouard, tout
puissant prés l\l. de l\lontesquiou, obtint la permission de Iaire
représenter les l~'lats de Blois ; on fut surpris de voir la mé-
diocríté de cettc ceuvre sans action , avec des vers cadencés et
des lieux cornmunsde politique générale et d'administration pu-
hlique , les Jitats de Blois tomberent apres quelques représen-
tations, D'autres tragédies proscrites furent successivernent
jouées sous l'impression du mérne ennuí; on s'étonna que les
vers qui avaient en tant de retcntissement sous l'Empire ne fus-
sent plus appréciés ; c'est que les formes étaient changées , l'es-
prit avait reru une nouvellc impulsión : aux pensées de gloire
avaient succédé des idées de liberté; les Grecs et les Romains
étaieut usés, et d'ailleurs les souvenirs antiques n'avaient-ils
pas été épuisés par Corneilleet Hacine? Qu'avait-on adire apres
eux ? (IlIe pouvait-nu écrire de plus mále , de plus beau, de
plus romain, de plus Iortemcnt nourri des études de Tacite? ct
que vonaient faire aprés ces génies MM. Briffault , Baour-Lor-
mian, Delrieux et Ilaynouard méme ?


C'est en quoi 1'1. Delavigne avait montré un tact parfait en
essayant l'innovation des Vtpl'es Siciliennes. Pour réussir , je
le répete , une U'U\Te doit toujours se rattacher un peu aux
circonstances: la popnlarité des Ft:p7'es Siciliennes vint des
mérues causes qui avaient si considérablement grandi les Jl1l'S-
seniennes, I...a piece s'adressa surtout aux passions du jour,
aux idées d'oppression et de révolte : on voyait sur la scene
des conquérants humiliés , égorgés, et l'on sortait h peine de
l'invasion ! on répétait que la France était 80US un joug odieux ,
et 1'1. Delavigne montrait ce grand fait historique : comrnent,
avec un peu d'énergie, ou conquérait la liberté. Sans doute
1\1. Delavigne apporta un véritable talent dans le développement
de cette idée : mais son SllCC(IS, mérité en toute circonstance,
fut dú íncontestablement á la popularité du sujet. Marino Fa-
1;(')'0 . tradnrt ion plus onrnre qn'n-nvre originnle , offre la lutte




35l~ mSTOlRE DE LA RESTAURATTüN.
de l'aristocratic centre les clnsses du peuple. Dans le Parta 1
c'est encare un préjugé de casto qu'il dénonce dans toute une
tragédie, ce sont des vers contra les supériorités de naissance,
eontre les préjugés religieux et 1<\ théocratie, maximes qui
avaient alors une grande vogue. Et tout en innovant dans la
morale et la pensée de la tragédie , ce qui fit la force de 1\1. De-
lavigne parmi les classiques , e'est qu'il réalisa les exigences
de versification : classique par la forme, révolutionnaire par la
pensée , il répondait parfaitement aux opinions et au style
,\u Constiuuionnct ~ ce qur íaísau úlre ¿l un journaliste d'es-
prit « que c'était un premier París parfaitement rimé. ))
Et voyez avec queI soin lU. Delavigue recherche et caresse
cette popularité ; iI n'est pas un seul évéuement , un seul épí-
sode dont iI ne s'empare : l'íle de Léon , I'émancipation de
la Grece ; il ehante tout ce qu'accueille le public; il devient
le barde de la révolution sur la scene , comme il l'a été dans
l'ode et la poésie,


Araspect de cette popularité de 1\1. De1avigne, le parti roya-
liste ~'eut créer son pocte de tl}(;é1tre et de tl'agédic; 1''1. Briffaut
s' est rapproché de lui, en se placant sous le patronage du fau-
hourg Saint-Germain; mais il produit peu, et sa renommée
n'est pas assez eonsidérable. 1\1. Soumet a de beaux vers et des
scenes pathétiques ; l\I. Cuiraud a invoqué les paraphrases de
l'Écriture sainte, Ces adversaires ne suflisent pas , ils ne sont
pas assez rohustes : un poi!te aux vers faciles cst apparu au mi-
lieu des Iloyalistes , et la scene lui est ouverte ; 1\1. Ancelot,
déhute a l'Odéon par une tragédie remarquable de style ,
Louis IX; c'est une maniere de rappeler les croisades el ce roi
que la monarchie célebre comme un saint, un héros , un législa-
teur. Cette (Cune, froide, sans intérét , se traine avcc une ad-
mirable nettcté d'idées et une grande pureté d'expressions, el
on en fait un SUfCeS politiqueo Dans le M aire du P({I({ú, c'cst
encore un sujct rovaliste de l'histoire de Frauce. Si M. Dela-
vigne fait de la révolte et de l'opposition , 1\1. Ancclot fait de la
J{lgitimitr et do la monnrrhio : ils sont OPPOSl'S commo doux




l'H(.:crS. .- CHAPITRE fr. 355
gl'ands principcs, Cela arrive toujonrs ainsi dans I'histoire
des opinions; elles se pcrsonniflent dans les muvres d'art et de
Iitrérature, Fiesquc appartient a une nouvclle maniere; c'est
l' imitation d'une (CUH'e étraugére qui se revele. On vient de tra-
duire et de publier les théátres européens ; les tragiques et les
comiques se précipitent sur eette proie pour en tirer parti; on se
la partage, lH. Briffaut a essayéJcanne Gray; 1\1, Lebrun traduit
la Marie Stuart de Schiller, ~ ce point de faire le mot a mot, et
M. Ancelot met en scene le hardi, l'élégant patricien Fiesque~
la tragédie aux abois eomme la poésie se saisita toute planche
de salut. 1'1. Viennet pourra-t-il la relever avec son Slqisnunul
qui languit el meurt anx Francais ? c'est par des voies extraor-
dinaires que JI. Dclavigne a ohtenu quelques applaudissements
pour les Vépres Siciliennes -' le Paria et .Marino Faliero ; on
appelle a l'aide de la tragédie les idées populaires. Lorsque
M. de Jouy met en scéne SyUa-, savez-vous ce qui assure son
triomphe , ce qui donno quelque vogue a cette piecc? c'est un
moyenpurement matériel : Talmase costume alamaniere de Napo-
léon empereur ; iI preud sa pose el sa figure; dans son réve c'est
S. 31. I'Empereur et Boí. 1'1. Delavigneiuvoquait les idées révoln-
tionnalres , l\l. de Jouy appelle a son aide le bonapartisme. Or,
ces ressorts qui agissent tout a fait indépendamment du mérito
personncl de l'ouvrage, ces costumes, ces décors annoncent la dé-
cadence d'un genre. La tragédie a fait son temps , on le voit , et
il lui faut une transformation.


CeLte rénovation est teutée par le drame, La jeune école va
s'emparer de cette puissanee nouvelJe de la scene, Certes , le
drame Iui-méme n'est pas neuf; onl'avait tenté au XYIIIC siécle
arce un succes et des applaudissements remarquables ; et le
théñtre larmoyant de La Chaussée n'était pas autre chose qu'une
collection de scénes Iamenrahlcs. La Ilévolution avait vu se déve-
lopper d'autres formes scéniques , le mélodrame qui n'est qu'une
histoire de la vio privée , rcproduite et soutenue par toute la
puissance de la musique expressive et lugubre. Deux hommes
<!'Il11 talont véritable , l\I M. dr Pixéricourt et Victor Ducange ,




3!iG HISTOIRE DE LA RESTAURATTON.
Heverent le mélodrame 1\ sa 1)1u8 haute oxpression. Ces pil'ces,
qui se jouaient sur les théátres des boulevards , furent souvent
dédaignées par les tragiques hautains et superbes , et eependant
il y eut des traits fortement dessinés dans cette vie d'un joueur
qui dure trente ans; dans cette Thérese , orpheline de Geneve;
dans cette pauvre servante , injustement accuséc , et dans
l'épisode de Calas, traduit devant tout un parlement. Lesauteurs
intéressaient vivement ; ils menaient une intrigue avec netteté
et une grande énergie en remuant les cceurs; le peuple poussait
des gémissements, et c'est quelque chose d'émouvoir les masses,
A cette origine du eh-ame moderne , il faut ajoutcr l'imitation des
théátres étrangers, des écoles allcmande et anglais«, Le drame
prit tout ¿l la fois de la tragédie antique , du mélodrame des
houlevards , de Shakspeare , de Schiller , de Byron. Ce drame
c'est la Restauration qui le vit naltre et se développer ; il Y
avait bien qnelque tentativo d(Üh sous la Révolution et \'I~m­
pire: l'Honnéte Crimine! ~ les piecos de 1\I. Laya el l'J~'doll(lI'tl
en l~'cosse de M. Duval n'étaient, avrai dire, que des drames: la
traduction de illisantlt1'opie et Bcpeniir que Talma el :Ull " Mars
jouaient aux Francais au milien des torrents de larmes appar-
tenait au méme genre et ala méme forme..


JI se manifeste, parmi les auteurs tragiques , sans en rx-
cepter ceux qui restent dans les conditions les plus pures de
l'école classique , une évideute tcndance Ü modificr la forme,
l'esprit de la vieille tragédie. JU. Alexalldn' Guiraud, dans !('S
Afacltabi:es ~ M. Lebrun dans sa tradnctiou de Marie S/1/(f)'( ~
el lU. Ancelot lui-méme daus Fiesque n'ont plus les mémes
tendances , le méme esprit des écoles de Corncille et de
Racine; lU. Delavigne, dans Jl/arino Faliero ~ est presque 1'0-
mantique. La tragédie s'est transformée ; elle marche vers une
erc nouvelle ; toutes les (l'UUi-1S d'esprit en sont HI, cal' elles
n'avancent jamáis dans les mémes conditions; 11 chaque temps sa
1m'me. C'est jmMnwnt l\ la li.n (le1~'26 que les rcprésentants de la
jenne écolc dramatique apparnissent , et prcsque simultauémcut ;
j'ontends parlcr de '1M. :\!<'xaIHII'(, Dnmas , Alfred <1(' vignv ('í




T'nf:crs. - CHAT'TTRE IV.


Y¡eIOJ' Ilugo, c'est tonto une révolution dans l'art de la scéno :
et, avant d'en pénétrer le sccret , j'ai besoin de dire les anté-
cédents et la direetion d'esprit des trois chcfs de eette nou-
vello école. lU. Victor JIugo, athléte Mja vieilli dans la poésie,
cal' sesprcmiers cssais dataieut de 1821 , était une de ees jeunes
intelligences que les Bourbons avaient attachécs a leur sceptre;
il avait chanté la lógitiruité avcc la noble ferveur d'une ame can-
dide et pure; le reeueil de ses Odrs avait fait du bruit, et les
gráces de la royauté étaient vcnues jusqu'a lui a l'oceasion du
Sane; iI avaitpuhlíé son remarquablc roman de Bug Jargal et son
drame en vers si libres, si singuliers de Cronurell ~ lorsqu'on
apprend tout ¿I COU» que lU. I1ugo débute par des eompositions
dramatiques : iI jctte sur la scen« Hernani ~ Jlal'íon Delorme et
prépare le Boí s'tunuse, La monarehie s'en va, et le poéte se
méle a ceux qui hñtent sa ruine. Dans le Roí s'amuse , qui
parait au premier temps de la révolution , c'est Francois JeT
dépouillé de son auréolo de galanterie, et qui devient un
séducteur de has étago ; sorte d'insulte aux fleurs de Iys de
Franco que tout le monde attaque violemment. Otez le ca-
ructére un peu lJideux de Fram;ois I", la piece u'a pas d'in-
térét ; c'est la candeur, la naívcté a coté de la passion era-
puleuse , puis une ame de feu dans un pére mal fait de corps ,
de condition et d'esprit; méthode un peu vulgaire des artistes
qui font ressortir le beau par le laido Shakspeare, HoITmann ont
employé ces effets de scene , ces contrastes dans toutes leurs
oeuvres. Et c'est une observation aIaire que ~l. Hugo n'a généra-
lement rien eréé de neuf: la ES1/t('J'(/lda méme ne se trouve-t-elle
pas tout a fait calquéo sur cette jeune Espagnole des contes
d'HoITmann, qui danse , lascive hohémienne, a coté du vieux
domestique, nain accroupi , hideusernent laid , type lui méme
de Quasimodo? ll!m'ioJl DeloJ'1J1C a pour dessein de rapetisser
le grand cardinal qui prepara l'unité de la Franee et sut I'accroltre
de trois provinces , en devanrant J'immense dietature de
Louis XIV. Hernani est une constante insulte a la vieillesse;
Charles-Quint n'est ni compris ni Í'tndií', mais enfm il y a du




~58 IlTSTOTRE DE T.A RESTAVRATTON.
dramatique , une vive et profonde intclligence des moyens qn i
pcuvent faire réussir une piecc, et par-dessus tout des pompes
qui se déploient avec une ambition techuique de localités; carac-
tere essentiel du drame modcrne. Dans ses o-uvres on voit que
M. Victor Hugo a l'intention de la vérité historique; il ne veut
plus de la tragédie de couvention ; il étudie en artiste tout
]'cxtérieur de la vie des personnages mis en scene ; il accom-
plit pour la pensée la méme révolution que Talma a faite dans
le costume ; il veut que Franrois I,r et Charles-Quint parlent le
langage de I'époque , et qu'ils arrivcnt sur la scene avec la pompe
et le cérérnonial de leur temps. Ce(t(~ intention , tu. Bugo la
réalise-t-il toujours et atteint-il le hut qu'il se propose? ne prend-il
pas les draperies d'uue époque POUl' la réalité ? les princcs que
M. Hugo met en scene les a-t-il compris ? a-t-il pénétré la pensée
et le souci de leur vie? a-t-il aperen lcur grandcur, ou bien n'a-t-il
pénétré que leurs petitesses?


1\1. Alexandre Dumas avait fait des études historiques au-
trement fortes et consciencieuses , lorsqu'il mit en scene son
Hcnri lJI. Cette piece , qui marque aussi les derniers temps
de la Restauration, était bien supérieure h tout ce qne -'1. Bugo
donnait au théütre ; il Y avait tout rl la fois une étude pro-
fondo de l'histoire du tcmps de la Ligue et de la cour des Va-
lois, et h coté une intrigue forlement concue et chaleureuse-
ment conduite ; ce n' était pas une couíusiou de personnages, un
désordre d'idées , une bizarreric de sentiments; la duchesse de
Guise était un caractere admirahlcment tracé; Saint-ñlégrin
était reproduit te! que I'histoire nous en a laissé témoignage, glo-
rieux enfant que lacalomnieseule representa comme un mignonde
couchette l. Puis ce caracterc du duc de Guise avait une énergie,
une trempe des jours de la gucrre chile. lleuri JI l ouvrit une
mute nouvelle ; il fit apercevoir les voies inlinies dans lcsqnellcs
pouvait se jeter I'école moderne ; rien n'était sacrifiéa l'unité d'ac-
tion ; elle existait puissante ; la chaleur des scntimeuts était rl
sa dcrniere exaltatiou dans ceue (Pune si fortement concue;


I Dans mon travail sur la li¡¡-!lr' ¡'ni ('\p:ilJlIl··It'~n¡j~nom (Ir Jf('IHi liT.




PU[:ClS. ~ ClIAPITHE Ir. 359
elle fuisait presscutir une tete dramatiquc , rcmuaut les ressorts
de la scene avec une remarquable hahileté.
~l. Alfred de VigllY annoucait par ses antécédents la nature


et la direction de son esprit. Eloa s'élevait comme une hymne.
Ses <X'U\TCS sont toujours la psychologied'un personnagc , d'une
passion , la biographic d'une douleur ou d'une grande époque
de la vie. Il a essayé do traduire pour la scene quelques-unes
des pieces de Shakspcare , et rejetant Ioin de lui les traduc-
tions pompeases de Ducis , on bien encoré les paraphrases ridi-
cules de Voltaire sur le théátre auglais, il vcut rendre le mot a
mot du poétc ; cherchaut afaire pénétrer dans le mystere intime
de sa vil', il ne recourt pas aux pompes du langage ou de la mise
en scene comme ]U. Yictor Hugo; ilne cherche pas l'effet des
passions qui marchent vives et brülantes comme chez 1\1. Dumas.
l\l. Alfred de Vigny prend cettc teinte d'hymnes et de mystere
que 1'on retrouvc dans ses poésics, Au reste, ces trois jeunes
honnucs traccnt et ouvreut dcvant cux une large voie; ils s'an-
noncent avec éclat : lcurs U'U\TCS ont du retentissement et for-
ment époque, Un Iait incontestable, c'est que la vieilIe tragédic
est usée; le hesoin d'une rénovation se fait sentir partout , el
cette [eune éeole acompris cette nécessité impérative, Seule-
ment quelque chose d'affiigeant se rattache a ces nouveaux
essais; ilne faut pas en faire un crime aux poétes , e'était leur
temps; e'est ce mépris des choses religieuses el morales, de la
majesté des Ilois el des mreurs domestiques, de la famille. Le
xvnr siecle , opéraut la dépravatiou en grand , n'avait point
analysé et glorifié les passions mauvaises; l'éeole nouvelle faconna
le cceur aux plus fatales tcndauces. Dans quelle situation 1'1. Hugo
placait-il ses porsonnagcs historiqucs? Que fait-il des rois, des
chefs de pcuple , des prétres ct des pontifes, de eeux qui sout
appclés afaire respcctr-r les lois et I'cnseiguement? Il n'y a de
role élcvé que' pour les natures abjcctcs. Pour 1'1. Alcxandre
Dumas, c'est une autre tache; tout I'intérét se rattache aux pas-
sions, aux scandaks domestiques : Saint-Mégriu ella duchesse de
Guise sont les seuls pcrsounages iutércssauts , el ce 11'est }las un




360 HLSTOlHE DE LA HE~TALHATlOS.
amour chaste et pUl' comme Romeo el Julieuc ~ e'est UIl semi-
ment efTréné en dehors des lois divines el humaínes ; le due de
Guise, le mari trompé, reste odieux pendant tout le drame; et
lorsque, plus tard, lU. Dumas concoit son Antons¡~ tout l'intérét
de la piéce sejette sur un étre mystérieux et inconnu, un bátard ;
d'oú vient-il? quel est-il ? Nul ne le sait, C'est cet honune pour-
tant qui jette le désordre dans les familles et précipite les ca-
tastrophes, Les drames de lU. de Vigny consacrent encere une
affreuse vérité qui mene peut-étre au suicide: c'est qu'iJ n'y a de
douleur et de déchirement que pour les intelJigenees élevées el
ponr tous les cceurshauts.


On ne peut dire l'influence que ces drames exercércnt sur
la génération; chauds de couleur , puissants et entraiuants ,
ils se déroulaient comme un sanglant cauchemar; il en resta
de profondes empreintes, et , comme des matieres corrosives,
ces ceuvres, supérieures sans doute , pénétrercnt au coeur de plus
d'une chaste femme ou d'une jeune vicrge pour les entrainer
dans les passions et les orages de la vie. Et encore ces chefs
d'école corrigeaient ce mauvais dessein par un talent supérieur
et une facture de premier ordre ; mais qui pouvait garantir du
íléau des imitateurs? qui pourrait diro les essais tentés sous
l'influence des fatales doctrines, essais qui n'avaient pas l'ex-
cuse du talent pour se racheter! Ainsi marehe le drame SOl1S
la Restauration; il absorbe, il domine le genre classique qui n'a
plus qu'une vie Iacticc. la tragédie cherche meme des émotions
politiques pour se sauver; avec 1\1. Raynouard, elles'eñorce d'étre
historiquement démocratique dans les États de Blois. Avec
lU. Delavigne, elle veut se rauimer en servant des passions de
journaux, comme dans les l/épl'cs Sicilienncs ou dans le Paria.
lU. Delavígne a compris son ternps , et de la ses suecos, LU. de
Jouv el M. Baour-Lormiau sont obligés de se ployer a ceno
forme; ils I'acceptent , et '-".'lilll, je le J'épt'lc, a besoin d'imiter
N"apoléon pour se fairc pardonuer le dévcloppement un peu mo-
notonc de ses scéues. M. Alc\aIldre Soruuet est counue la transi-
tiou entre la tragédic aucicunc el le draiue moderuc. En vaiu




PHÉCJS. - CHAPlTRE H. 361
M. Aucelot veut conscrver la tragédie dans ses proportions
antíques , il no le peut pas , il est débordé , et Fiesque com-
menee asubir les formes nouvellcs. )1. Guiraud , avec la reli-
gieuse chaleur de ses vers, l'cnthousiasme lyrique ele ses pensées,
nc satisfait plus les imaginations ct les cceurs. On doit oser quelque
chose d'étrange , de Iantastique ; la génération , íatiguéc d'un
vieux gcnrc , se jettc dans le dramc , paree qu'un granel drame
politique se prepare ot s'accoinplit.


La comedie avait-elle subí la méme impulsión que la vieillc
tragédie grccquc ct romaine ? A cela il faut répondre qu'une plus
Iortc empreinte classique pcut-étrc s'y fait rcmarquer, JI se
manifeste une tenelance dans la société a laquelle ríen n'é-
chappe ; toutes les ceuvres de l'art doivent s'en ressentir.
Quand l'empire tombe , la comedio est représentée par des
hommes d'un esprit fin el éminemment remarquable ,
l'DI. Picard , Duval et Étienne. Observateur avisé M. Picard
ne rccourt point ~l la politique; il a pénétré les ridicules ele
la suciété : iei, c'est un provincial qu'il met en scene , raillé
et porsiílé , vrai type de Pourceauguac ; la , une petite ville; il
dépécc les mrcurs intimes de la famillc , les ridicules el la va-
Hité; le terrain cst large ct graud , cal' chaqué époque a ses
puérilités , il ne faut savoir que les saisir. M. Picard comé-
dien , dirccteur de spcctacle , possedc par conséquent au plus
haut POiHt, I'intelligence de la scene, ct nul Be pcut lui disputcr
la supóriorité pour l'obscrvatiou fine el raillcuse. JI. Étienne est
l'homme cssentiellcmeut d'esprit ; depuis sa grande comedie des
Dcu» Cendres, il s'est hcaucoup occupé d'opéras-comiques, el
néanmoins il douue encoré BJ'ueys el Palaprat -' petite comédic
qui rcsscmble au cancvas d'un vaudeville. ~l. Éticnne , predi-
gieux de verve , surprrud par des jeux de mots , des antitheses
incessants : il brille plus par le style que par les caracteres,
on dirait qu'il n'a pas la Icrmcté nécessairc, pour mcner un per-.
sonnage about, Conune haute intelligeuce comique , lH. Du-
val leur est supérieur ~l tous deux; il a joué la comedie
comme Picard, il voit ses caracteres plus en grand, et les dessine


1Y. ;)1




362 mSTOIRE DE LA RESTAURATION.
sur de plus vastos proportions. Persécuté sous I'Empirc , i1 est
revenu avee des sentiments tres-favorables a la Bcstauration :
peu apeu il s'en éloigue ; partisau exagéré des idócs du xvu- sie-
ele, i\ a concu haine pour le clergé, auquel pourtaut il dut les
études de sa jeunesse. Commo on He le traite pas peut-étre arce
toute la considération qu'il mérito ,B se jette tete baisséc dans
le parti libéral , et ses píeces s'emprcigncnt d'unc perite eouleur
d'oppositiou : n'est-ce pas d'ailleurs la modc ? te succes ne
vient-il pas a tout ce qui est hostile au Gouvcmcment ! La
Filie d' Honncur n'est pas autre chose qu'une déclarnation centre
les classes supérieures qu'il cst de coutume alors d'attaquer.
Rien de plus faux ét de plus singuliercrnent ant i-historique que
le caractere que LU. Duval a donné ~l la princcsse des Ursins :
qni reeonnaitrait id la pensée de Louis XIV? lU. Dela-
vigne a également touehé la comedie avec une discrétion poli-
tique dont il faut lui savoir gré; ses études sont toujours sé-
rieuses; son J!.'cole des Vieillards n'a ricn cmpruuté aux cir-
constanees; c'est une simple comedie d'observatiou parfaite-
tement appliquée aux l1UCUl'S de la Iamille , une physiologie du
mariage, non point railleusc conuue Moliere savait les conccvoír,
mais écrite eomme la lamentable histoire d'un vicillard h011W!te
homme qui eherehe le bonheur dans une uuion disproportiounéc
d'áge et d'habitude. Ici ~I. Delavigne dut son succés au remar-
quable talent déployé dans le développcmcut de ses caracteres:
tout est hien, la scene marche, les pcrsonuagcs restent avec
leur empreinte de tristesse , de ridicule ou de jovialité! Dans
les Comédiens~ 1\1. Delavigue pénetre encere un vice et un pré-
jugé de la soeiété; il Ya de la verve et de la gaité dans ccue
piece ; s'il recourt quelquefois au moyen vulgaire des allusions
politiques , quand il s'abandoune ~l son talcut , iI observe , il
écrit bien; la Priuccsse AIIJ'/lic est U11 peu le' gcure histo-
rique tel que ;.\1. Duval l'a essayó tout réccnnncnt dans la
Princesse des CJ'Ú/ls. La comedie fuit une moindre part ~l
la politique; on se permct quelqucs allusions , on s'empreint de
la phraséologie contemporaine; on combat ce qu'on appellc




PP,j.:r.TS. - CHAPITRE rv, 363
les pníjugés des classes supérieurcs , on place toujours les ver-
tus, les désiutéresscmcnts dans la bourgeoisie; la noblesse est
insultéc , mépriséc, dans les vers de la comédie. Toutefois on
sort un peu de cct le voie de révolte dans laquelle la tragédie est
enuauéen t> •


Tclle est cctte tcndance d'agitation, qu'on la voit apparaitre
méme ~I I'Opéra. Quelle dilférence de tcmps depuis la paci-
fique Vesta/e avec ses voiles déchirés jusqu'a Guillaume Tell
et la Mueue de Portici rctentissant des hymnes de liberté! On
cxaminera plus tan} dans ce Iivre la question de l'art scénique
et musical; comhicn n'est-il pas curieux de voir un Gou-
verncmcnt subvcntionucr un théátro pour faire féter a la
face du peuple connne cnscignement, la révolte et la sé-
dition ? il n'est pas une strophe qui ne soit une máxime contre
l' esprit d'ordre et d'obéissance ; le patriotisme s'y exalte, tantót
dans l'air libre de la montagne , tantót dans la sédition de
:Uazanjdlo qui soulévc les bras nervcux des Lazzaroni sur le
sol brülaut de Portici, El ccci montrc le petit esprit de l'homme
qui dirigcait les spcctaclcs royaux : taudis qu'il s'occupait de ré-
formes ridicules, dans les mreurs de l'opéra , illaissait librement
se dévcloppcr sur la scone les príncipes subversifs de l'ordre
mouarchiquc ; on accourt de tous cótés pour apprendre com-
ment sur la place publique, on peut renverser un Gouver-
nement : partout des hymnes de révolte, des especes de Marseil-
laisc sous des cxpressious nouvelles et dans des scenes déguisées
a peine par le costume de montagnard ou les vétements en lam-
beaux du lazzaroni : n'y a-t-il pas ressemblance entre cet aveu-
glemcnt de la royauté ct l'illusion de la classe noble du XVIIlC sie-
ele applaudissant laMOI,t de César ct le Bnuus de Voltaire?
on croit cela des jcux d'esprit, une maniere de braver le danger;
un Couverncment se dit fort paree qu'il pcrmet tout; mais cette
éducation 11 la maniere de Guillaunie Tell et de J/azaniello,
semée dans les classes inféricurcs, croit-on qu'ellc ne portera pas
sesfruits? Est-ce en vain (fu'on parle d'indépendance et d'égalité
an peuplc, et qn'on luí 1'(')1("1(' les chants de la Suisse libre OH des




364 HISTüIRE DE LA RESTAURATION.
Napolitains révoltés ?Quand on out mis la liberté romaine partout,
la révolution de '1789 éclata. Un Gouverucment doit s'oceuper
attentivement du théátre, paree que e'est l' enseignement le plus
suivi par le peuplc, il Yfait son éducation. On pourrait suivre l'his-
toire des pouvoirs par les théátrcs : les maximes qui y sont dé-
hitées passent dans les masses et devicnnent la source des faits
et des actes de la société elle-mérne.


Cette tendance , vous la rctrouvez sur la scene pacifique de
l'Opéra-Comique : la période est non moins curieuse ¿r parcourir
depuis Joconde , si brillaut de monarehie, avcc ses pages,
ses sénéchaux , jusqu'a Jllll:mtiel!o, qui est encere la révolte
mise en scenc. L'Empcreur, qui voulait fondcr une grande
dictature, savait bien l'impulsion qu'on devait donner an
théátre ;tout y était chevaleresque , on )' refaisait le moven-ñge
au profit des nouvcaux grauds vassaux ; on laissait Jocondc
parcourir le monde, ct Jcan de Paris ravir par ses ma-
nieres de fils de France , la princesse de Navarre : tous ces
poémes étaicnt remplis de bellos maximos ¿I l'usagc des nou-
veaux courtisans et de la grandeur des priuces , h ce point
que plus d'une dame de la eour impérialc se croyait au
moins la princesse de Navarre annoncée par le sénéchal.
Hicn n'était plus inoffcnsif (Ine.toutes ces rouladcs d'amour , si
remarquablernent applaudies , méme quand le canon des alliés
s'approch« , et que París est a la voille de capituler. A ce mo-
ment, la socíété cst si monarchiquc , qu'on souleve les masses ,
non pas avcc les idées de liberté, mais avcc l'oriñammc de St. -De-
nis. Le Trioinphc de Trajan exprime la pensée de l'Fmpire en
sa force et toute la sollicitude que met Napoléon h inculquer des
maximes d'ordre et de monarchie dans l'esprit des masses: l'ori-
flamme est le dernior cri mouarchique de l'organisation impé-
riale. Auxpremicrs temps de la Hestauration, on S'OCClIpC égalc-
ment a révcillcr quelques sympathies monarchiqucs ; le nom de
Henri IVvicnt se placer 8011S la plumc des faiseurs d'opéras qui le
travaillent ct l'exploitent ; le hon Jlcnri cst partout, a la hataille
d'JHY comme chez 1(' mcunier '1 irhnnrl. Pen h 1)('\1 on s'érarte




pn[.;(;/s. - CHAPlTRE Ir. 365
de eette dírection ; la scene est encore livrée aux faiseurs de ré-
voltes, et tandis que l'Académie Boyalede Musique joue la Muette
de Portici, J'Opéra-Comique représenre Jl1azanieL!o ~. OH a tclle-
ment besoin d'apprendre au peuple la meilleure voie pour s'insur-
gel'; on est si impatient de lui voir manier les armes sur la place
publique, qu'on lui dit en couplets : comment on se groupe,
comment on chasse des troupes, comment on renverse un Gou-
veruement en quelques journées. Ce peuple ne 1'oublie pas, cal'
dans les journées de juillet il va piller les magasins des théátres
et saisir la carabine du montagnard ou l'escopette du lazzaroni,
pour combattre aussi d'autres troupes ; et ces cnseignements
étaicnt Iargemcnt payés par les maius de la Liste civile; ce qui
était, comme on le voit, d'une tres-grande habileté.


Le Vaudecille ~ sous la Rcstauration , se partage en plusieurs
périodes , comme il embrasse plusieurs genres; ainsi que toutes
les puissances qui triomphent, il se divise, se heurte et se
dissout. Le Gouvernement des Bourbons réchauffe et grandit
considérablement le Yaudcville , c'est l'époque de son triomphe;
il devient une passion , une fureur , et trois théátres se fondent
comme addition a ce genre de petites phrases et de petits cou-
plets: le Gsnnnase, les Nouccautés et le Palais-Royal. L'Empire,
époque d'engouement pour l' Opera - Comiquc , n'est plus :
on abandonne les Elleviou et les Martín a


o


la province; au
vaudevillc appartieut la supériorité ; grivois el populaire , il
avait fait fureur sous le Consulat, et le grave archi-chancelier
Cambacéres avait sa loge aux YanOétes. l\laintenaI1t un genre tout
nouveau apparait ; c'est I'an de gráce 1817, l'armée de la Loire
est Iicenciée, le champ d'asile est en prospectus; des lors on se
jette sur les douleurs de l'armée , sur les plaintes et les doléances
des temps de gloire ; on fait le Solda: labourcur, le guerrier
devenu pacifique qui OU\TC ses vétements pour montrer la croix
d'honneur el ses blessurcs ; on chante les champs de bataille ,
on ne voit que vieilles moustaches et cicatrices; on met en
vaudevilles les articles du Constitutiouncl , et l'ennu yeuse COl1l-
pilat ion dos ri('(oiJ'f's ('/ COJlfln/{ rs, I n homme el 'un remar-




366 mSTOIRE DE LA RESTAURATION.
quable esprit, 1\1. Scribe, s'empara de cet engouement de la
société, exploitant ce genre jusqu'a ce qu'il l'eüt épuisé. Cefut
lui qui inventa les colonels a moustachcs blandes et brunes :
toujours un vieux soldat, la croix sur la poitrine , la figure cica-
trisée, et si triste que vraiment c'était a en pleurer. Si les
soldats de l'Empire étaient comme cela, ils devaicnt étre gens
insupportables; s'ils avaient des mines si terribles, des yeux si
a fleur de tete, la société francaise a beaucoup gagné en ne
vivant plus sous la" puissance de telles physionomies. Heureuse-
ment 1\1. Scribe les lit tous généreux, désintéressés ; c'étaient des
braves qui auraient tout sacrifié pour l'honneur, la famille el
la civilité; ils étaient bons péres , cultivatcurs Iaborieux , bons
fils, de véritables épitaphes; vraiment, qu'ils étaient beaux sous
la chaumiere , la beche en main; y avait-il quelque chose de
plus spirituel que eette odeur de soupe aux choux qui se repan-
dait sur le théátre des Varictcs dans le Soldar labourcur ~ de
maniere adonner des nausées aux jeunes Iemmes? et cependant
ce fut en partie a ceue soupe aux choux que Iut dú le succes
de la piéce, Quand les colonels et les soldats furcut épuisés ,
M. Scrihe se tourna vers la bauque ; alors ce furenl les Iemmes
de notaire , d'avoué , de hanquier , qu'il mit en scene , toutcs
tres-sensibles, avee ces airs de bonne compagnie que chacun
leur sait bien. Ce fut une petite guerre ~m faubourg Saint-Ger-
main, qui a de si mauvaises manieres, u'est-cc pas? On ne
parla que de millions , un cadeau de quclques ccnt mille franes
n'était rien ; une dot pour étre convenable devait donner au
moins 50 a 60 000 livres de rentes. 1\1. Scribe íit fureur sur les
planches du théátre 'protégé par 1\IIllC la duchcsse de Berri ; on
insulta la noblesse, et l\ladame était HI; on ne parla que de la
grandeur de l'industrie , de la générosité des hanquicrs , du bon
ton des notaires, et des vertus des manufactnriers, Puis vint
un troisierne genre, et ici la gloil'c de M. Scrihc fut partagée
par 1\1. Aneelot; dans le vaudcville historique , l'époque de
Louis XV fut exploitée avcc une indecente fausseté ; jc ne puis
el ire si c'est amour de la vérité historique , mais j'ai toujours




PHÉr.JS. - r.HAPITRE IV. 367
professé le plus proíond mépris pour ces Mémoires immondes ,
publiés á la fin de la Restauration sur Louis XIV el Louis X V,
les Jicmoircs de Saiut-Sinum avaient mis en goüt les révélations
et les commérages; Saint-Simon , esprit médisant s'était comme
chargé de voir les petites ehoses dans un grand régne, lUais Saint-
Simonau moinsavait touehé Yersailles; eourtisan assidu il avait en
I'honneur et le honheur d'assister aux fastes de Louis XIV;
il avait médit e0I11111e un méeontent et un frondeur, Que dire
de ces faux Mémoires sur Louis XV, sur ~1"lú de Pompadour ,
sur Mm" Du Barry, dont on fut alors inondé ? On exploita l'his-
toire, on deprava les idées de vérité , et ce fut a l'aide de ces
tristes immoudices, au moycn de ces scandaleuses publications,
que 1'0n voulut rcprésenter au théátre le régne de Louis XIV el
de Louis XV; on ne rougit pas de se poser en Louis-le-Grand
8tH' la scene l Quel comedien assez insolcnt pouvait prendre la
harettc de Riehelieu et la robe rouge du cardinal ñlazariu !


La piece qui commcnca cette série de scandaleux vaudevilles ,
fut Jlal'ic Jliff/lOI, gracieuse d' esprit avec de charmants couplets,
des situations neuves , attaehantes , et des ce moment la lice
íut ouverte : le gellre Pompadour dominant sur la sceue , on v


oJ


traína indécemment le eordon bleu, l'habit pailletté des cour-
tisans, et avee cela des escrocs , des filIes publiques: Marion
])('/01'111(' prepara la mise en sceue de M'"'' Du Barry et de
;\1 111(' de Pompadour : dans cette dépravation complete des études
historiques l tout dut contribuer a I'reuvre de démolition des
vicilles idées; le vaudevillc politique apparait et se développe
dans tout l'csprit de ses allusions. En général l ríen de moins
intelligent que la censure; elle apercoit les ehoses grossiere-
ment sensibles a tous les yeux , elle ne voit pas les impressions
pcrnicieuscs qui se cachcnt avec esprit et rongent insensiblemcnt
le pouvoir couune une cssencccorrosivo. te vaudeville politique se
gurda des allusions trop sensibles: dans la Triloqic de M. de
Ilougemont , sur l'ancicn nígime la révolution et l'Empire l la
vieille société fut vivemcnt auaquée. JI. Jlazeres avait fait jouer
les Trois Qual'liCl's aux Francais , 1\1. de Hougemont donna les




368 IUSTOIRE DE LA RESTAUTIATION.
Trois cpoques , avcc des allusious saisissantes ; chaque partí
pouvait s'y reconnaitre, et les choses en vinrent ~\ ce point que
les représentations furent suspendues,


Dans cette succession de picces qui se dévorent les unes les
autres, on put néanmoins remarquer la monotonie des idées ,
et le peu de variété des moycns: on dépensa prodigieusement
d'esprit a tourner sur les mémes pensées : prenez les vaudcvilles
de MM. Scrihe , Ancelot et de Rougemont, les grauds faiseurs
sous la Restauration; ce sont toujours les mérnes formes, les
mémes répétítions , le méme cliquetis de phrases retentissantes;
il n'y a pas d'iutrigue, seulement lesdétails varient ct se nuancent;
la forme seule est mobile; les vaudevilles alors resscinblent un
peu: a ces petites découpures que les marchandcs de modos et
les couturiéres conservent chez elles, et qu' elles habillent suc-
cessivement du bonnet ou de la robe au dernier goüt; 1 apetite
gravure reste la méme ; seulement la forme du chapeau est
un peu changée; et la taille de la robe se modifico Dans le
vaudeville sentimental n'étaient-co pas toujours des amoureux,
jeunes officiers qui oífraient Ieur fortune et leur vie aux tilles
de banquier en robe de satin? Toutcfois quelques joycux vaude-
villistes gardaient mémoire des couplets du caveau , et de la
grosse gaité de l'époque de l'Empire; MM. Desaugiers, Merle,
Dumersan , conservaient les allures du vaudeville grivois, obser-
vateur des mreurs et des ridicules ; l'école des Jocrísscs n'érait
point épuiséc, C'étaient de joyeux compagnons que ces vaude-
villistess'égayant dans le rire fou, comme d'autresdans leslarmes:
ils avaient conservé de l'Empirc, ce goút de vin de Champagno,
cette maniere de plaisanter qui chassait la tristesse et lespleurs ;
les vaudevillistes vers la finde la Hestauration, lcur faisaient l'eflet
rl'autcurs a mauvais estomac qui ne comprcnnent ni la dil1dc
trufTée du DfJlCI' de J/adeloJl .. ni la niaiserie d<' Jocrisse,' ni la
grosse gaité de Jc [ais lIU'S Farccs , 011 bien des AJlyl({ises ¡JoU/'
BiFe.. toutcs spirituclles b(~t~scs; ils se moquaicnt des successeurs
de 1\1. Bouilly, et (les cnfants de FOUt!101l la rielle1lsc : Ir,
grnrr nouveau était-il antro chos(' Qll'IiIH) rnutinuatiou d<' l'école




PRÉcrs. - CHAPITRE IY. 369
larmoyante ? L'époque n'était plus a la gaité ; on tapissait de
noir toutes les scenes , on était aux airs páles , aux cheveux épars,
aux jeunes filies qui se mouraient d'arnour et de la poitrine :
sourire autrement que de mélancolie était de la mauvaise com-
pagnie, et lU. Seribc dédaignait sa premiere et jeune galté qui
donnait l' OUI'S el {e Paclui.


A toutcs les époques les romans et les mémoires avaient ali-
menté la scéue. Dcpuis 18140n était inondé de mémoires ,
mémoires généraux ou personncls qui se rattaehaient al'histoire
ou a la politique; il est raro qu'on ne soit toujours tenté de se
donner. une importance dans le mouvement des aífaires ; les mé-
moires sont comme le dcrnier degré de l'individualisme ; iI Y a
loujours un peu d'orgueil ase produirc en scene. La collection de
)1. Petitot avait parfaitcment réussi , sur les temps de la vieille
monarehie ; érudit consciencieux , grand rechercheur de faits et
de dates, M. Petitot avait donné ason entreprise une portée
plus considérable crup celle méme d'un simple eollecteur de mé-
moires, Dans des préfaces et des notes parfaitement bien
Iaitcs , lU. Petitot s'était surtout appliqué a constater et a suivre
l'authenticité des mémoires , la premiere condition de tout do-
cument historique. l\l. Barriere et l\I. Berville avaient fait le
méme lravail sur la révolution francaise ; leurs imitateurs cher-
chércnt des suecos plus faciles ; on publia d'abord Saint-Simon,
mémoires authcntiques sans doute , mais les plus légerement
COlHjUS, el les plus futilement mensongers sur les anecdotes de
cour ; par ce moyen on prit aplaisir de rabaisser le grand regne
de Louis XIV; au lieu de voir la magnifique v.olonté qui reuma
le monde par ses actes , on n'apercut plus qu'un roi plein de
Iaiblcsse et de vanité , et Saint-Simon nous désenchanta sur la
grande époque , il decolora Versailles el ses féeriques jardins ,
ji enleva les gloires de la patrie. Des faussaircs bien plus cou-
pables , je le répl~le, vinrent cnsuite puhlier des mémoires
sur la Itégencc , sur Louis XV et sur Louis XVI; l'abbé
de Soulavie n'avait-il pas d{~.i~l assez fait de tort a la vérité
I'n alrérant les Iaits , en invrntant des anecdotes? el il fut




310 Hl5TOIRE DE LA RESTAURATION.
triste de voir avec quel mépris on avait traité l'histoire. Ce fut
une speculation dép\orah\e que celle (les mémoires sur la
cour de Louis XV; on en supposa de JUIIlO de Pompadour,
de MillO Du Barry , on Iit parler aux courtisans les plus (lé-
licats un langage d' ordure et de halles; ct cepcndant ces spé-
culations eurent un grand succes ; elles se liaicnt au projet de
démolir la Restauration, en .lui enlevant ce prestigc d'honneur
ct de gloire de la vieillemonarchie. Les mémoires sur la révolu-
tion fraucaise furent généralement authcntiques : l'éditcur les
recucillit avec soin; mais l'entreprise était faite dans l'esprit d'un
parti , on cut parfaitement souci rl'éiaguer ou de commcntrr


. toutes les publications favorables ~I la monarchie. II n 'y cut de
faveur et d'enthousíasme que pour les Girondins; ~I. Bervillc ,
homme d' esprit et de style , rédigea des notices parfaitement
faites sur les personnages priucipaux de ce grand drame , el
cornrne il appartenait Iargement aux opinions libérales , il pul se
livrer a tout son entratncmcnt pour les démocrates ; on ne
pensa done plus qu'a MillO Holand , ~t ses idées males et républi-
caines, et si ses mémoires n' étaient pas Iaux matéricllemcnt ,
l'esprit qui présidait a leur rédaction et aux commentaires était
assez partial pour étre mcusouger: 01', l'on remarquera que daus
ce mouvement d'idées , il n' cst pas une sculc publication qui
n'ait une tendauce prononcée vers la révoluiion et la démocratic ;
certes, nuI ne nie que ce mouvcmcnt de peuple en 17t-\9 ne
produisit d'héroíques résultats ; mais la vieille monarchic n'avait-
elle pas eu ses gloires , ses conquütes , gloires et conquétes
plus durables, cal' elles avaient produit, dans l'espaee de
quelques siecles , la réunion de sept provinces ala France ; elle
n'avait pas passé commc un torrent! Eh bien! ~t l'aide de ces
mémoires , la géuération se fit les plus fausses , les plus absurdos
idees sur les époques , les faits et les honunes du vieux régime;
quand on n'appartenait pas ~I la révolution , on n'était pas un
homme supérieur. On ne dala l'histoire de Frailee que de la prise
de la Rastille au dela il u'y cut que Iaiblcssc ct corruption,


A la spéculation vint se joinrlre l'amour-propre et l'individua-




PHÉCIS. - CHAPITRE ¡Y. 371.
lismc , chacun voulut publicr des mémoires , il est si doux de se
glorifier dans sa proprc personne ; un sentiment d'orgueil
nous saisit lorsque nous melous notre histoire a celle des per-
sonnages supérieurs de notre époque, Le Consulat et l'Empire
furent choisiset dévorés : il venait de paraitre le lIfémol'ial de
Saini c-HClhlC par lU. Las Cases; certes , je place haut le ca-
ractére et le dévoucment de lU. Las Cases, vieux gentilhomme
qui suivit avcc une íidélité antique le prince auquel iI s'était
dévoué , et la postérité lui en ticndra compre. ñlais serait-il
juste, d'attribuer ;. Napoléon 1011L('s les pensées , tous les juge-
ments que M. de Las Cases lui fait porter sur les hommes, sur
les événemcnts mémorablcs de l'histoire ; je crois a l'active , a
I'exccllente mémoire de lU. de Las Cases, mais l'esprit de parti
ne s'était-il pas melé 11 cette appréciation sur les faits et les hom-
mes? et ceux qui connaissent l'Empereur dans ses pensées de
gouvcrnement, peuvcnt-ils ajouter foi 11 des appréciations ve-
nues apres coup , et qui certainerneut n'ont jamais été dictées
par le géniedu pouvoir et de l'administration? Il est 11 croire que
par entraincmcnt M. de Las Cases donna souvent 11 Napoléon ses
propres idées , el qu'il mit ainsi ce que j'appellerai son pam-
phlet sous le vatronage de la tete vuissante qui avait si fortement
régi les dcstinées de la France. Les mémoires, ou, pour parler
cxactcmcnt, les notes de lU. de lUontgaillard, furent ernpreintes
d'un esprit bien plus déplorable encore; la médisance n'avait
jamáis inventé ríen de plus froidcment menteur , de plus inexact,
ct pourtant il s'agissait d'une époque toute recente , et spéciale-
ment de la Iíévolutiou et de l'Empire, M. de l\Iontgaillard ne
s'épargnait aucune calomnie eontre Louis XVI, ses frercs , et
méme contrc le priuce qui régnait alors sur la Frunce. Melé 11
quelqnes negociar ious subalternes, lU. de lUontgaillard avait la
science supurficiellc des choses , plus déplorahle que l'ignorance
meme ; quaud on 11(' sait rien , on n'est pas assez hardi pour in-
veuter ~ mais quaud on sait un pcu , on a l'art de contourner les
Iaits , d'nrrangcr les anccdotcs de maniere a donner a ses livres
ces scml.Iants de vérité qui pcuvcnt tromper le vulgaire , et le




372 HISTOIRE pE .LA RESTAURATlON.
vulgaire forme la masse. Puis vinrent les J1lcmoil'cs tic 111. tic
Bourrienne -' homme d'esprit , de talent et d'alfaircs , qui
avait écrit quelques volumes avec inteIligenee. M. de Bour-
rienne , en passant a travers les événemcnts et les hommes ,
avait connu le secret de beaucoup de négociations. :\lais ce qui
aurait formé quelques volumes précis el serrés , la spéculation
l'alIongea, l'arrangea pour en faire des masses : dix volumes
parurent , et eertainement tous ne furent pas l'ceuvre de M. de
Bourrienne; ils furent arrangés , coupés , développés par des
gens d'esprit aux gages du Iibraire ; quelques notes devinrcnt de
longs chapitres OU l'on cousut des anecdotes piquantes el des
faits puisés f;a et la. Au reste il ya dans les JJ{'moires de JI. de
Bourrienne un sentiment de vérité qu'on ne rctrouve pas dans
cette masse de volumes alors publíés, C'est a peu pres de
cette méme fabrication de l'active et habilc maison Ladvocat
que sortirent les .Mcmoil'cs de la Coutemporaine -'o on spécula
une foiseneore sur le scandale; c'érait honteux ~\ voir qu'uue
femme de vie équivoque venant avouer ses amours , ses attache-
ments, sa vie bizarro et aventurcuse a travers les camps :
elle avait vu les tcmps de l'Empire ; témoin d'immcnses
batailles, aux jours de gloire et de splendcur , elle rappelait ses
intimités avee qoelques-uns des grands donneurs de coups de
sabre, et cela plaisait ~\ cette époque : le succes fut aussi grand
que celui des ñlémoires de M. de Bourrieunc. Quand 011 retrouvc
aujourd'hui ces livres de fabrication, on ne peut s'empéchcr
d'un sourire de pitió pour des travaux qui ne paraisscnt qu'uu
tour d'esprit , tant ils sont vides d'idées et de faits; OIl lit une
page, il n'y a rien; une autre, il n'y a ricn cncorc ; mais on cite
beaucoup de noms propres : il Ya un cliquctis de sommairespour
aboutir aquelques révélations d'antichambre ; on apprend quel-
ques lazzis qui se disaient dans les camps SOtlS le Consulat et
l'Empire. Certainement on devait s'attendre ade plus curieuses
révélations dans les Mémoires du général Savary ; chef de la
gendarmerie , ministre de la pollee pendant longtemps, initié ~I
tous ces mysteres el'État, il aurait pu enscigncr a la générntion




iv,


PHÉCLS. - CHAPlTRE Ir. 3i3
le véritahle motif des mesures les plus énergiques prises par
l'Empcrcur. Eh hicn ! il Ya encere du vide dans l'ceuvre du gé-
néral Savary ; c'est une pleine et cntiere justification du gouver-
nement imperial ; on dirait le régime le plus doux , le plus paci-
fique, le plus saint, le plus paternel : « les prisons d' État, Yin-
cennes, mais c'était plaisir 11 y aller ; la gendannerie , mais elle
était composée de gens si inoflensifs , aussi naívement innocents
que les moines d'unc abbaye ; le duc d'Enghien avait été fusillé
par erreur, le roi d'Espague cnlevé pour lui remire service; les
prisons du Temple ct de I'Ahhaye, mais on y était cornme des cha-
noines! )) Ou le général SavaryII 'avait ricn vu, et ceci arrive quel-
qucfois aux esprits médiorrcs 011 aveuglés, plus ils sont prochcs ,
moins ils voient ; ou hien il ne voulut rien dire. Alorson était aux
contre-vérités sur l'Empire ; chacun publiait ses mémoires , ses
révélations militaires ou administratives ; 11 entendre les uns ,
Napoléon n'avait jamáis voulu la guerre, c'étaít un ange de paix;
toujours malgré lui , il avait pris les armes; s'il avait conquis le
monde c'était pour faire plaisir aux souverains ; l'occupation de la
Prusse avait été bien doucc, l'Allemagne n'avait qu'a se louer de
notre admiuistration ; l' Italie avait largernent gagnéanos droits-
réunis; si on l'avait dépouilléede ses monuments, de ses tableaux :
c'était pour lui remire hommage, et l'enthousiasme pour l'Em-
pereur vint ~I ce poiut que toutcs les fois que l'on n'exaltait pas
ce génie on était sur d'étrc accusé , menacé , comme si l'on avait
'~)\)\'\'\\\.\.\'i> \\\\ cX\\\\~ \\\\hl\c. :\i.\1':'i. C\U:llKl )L (l~ S6\!,ul' \luMi.a.. son
récit sur la caiupagne de 1812, on ne l'attaqua pas commeunc
déclamation pompeusc , avcc l'ambition d'un style retentissant ,
on nc se borna IXlS sculemcnt a des critiques ameres, iI fallut
que le général mil I'épée 11 la main, paree qu'il avait cnlevé
quelque chose au prestige de gloire, aux mensonges que l'école
impérialisle voulait propager en l'honncur de Xapoléon ; désor-
mais il ne Iut plus possihle de dire la véritó sur l'époque impé-
rialesans s'attirer de mauvaises aílaires.


Il parut pourtant un livre qui , en prcnant le titre de illé-
moircs de Eouclic, excita vivcment la curiosité, cela devait étre ;


32




374 BISTOIRE DE LA RESTAURATION.
empreints d'une intelligence peu commune deschoses, et méme
d'un talent rcmarquable de rédaction, ils ne formaient que deux
volumes, résumé plus largcment substantiel quc tous les livres
qu'on avait jusque-la publiés; évidcmment Fouché n'avait point


. écrit ces pages, ils ne les avait ni dictées , ni memo inspirées;
mais l'écrivaiu qui était chargé d'exprimer ses pensées devait
l'avoir connu et étudié profondémcnt; au moinsc'était une tete
politique habituée aécrire sans illusion avec le dcrnier mot des
événements ; il prit parfaitcment la maniere de Fouché , cette
sorte de cynisme désabusé sur les gloires .ct sur les hommes ,
cette raison froide et droite qui va sans croyance au fond des évé-
nements. La doctrine de la nécessité fut posée ; Fouché se pré-
senta comme la main habile qui préparait un dénouement ,
comme le grand moqueur des partís qui contestaient son pou-
voir, comme l'homme de Gouvernement qui marchait a ses fins
par tous les moyens utiles, sans s'enquérir de la morale et des
principes généraux de la politique, Tandis qu' on élevait un culte
a l'Empereur, les 'Iémoires de Fouché nous le prósentérent avec
ses faiblesses, ses cntrainements, les causes qui avaient preparé
sa chute, les mobiles qui l'avaient fait puissaut , et conunent il
avait cessé de I'étre ; il défroqua tous ces rois , toutes ces prin-
cesses éphéméres, Tandis que les Impérialistes, faiseurs de l\Ié-
moires, parlaient des rois de Naplcs, de Westphalie et d'Es-
pagne de la race des Bonaparte, des grandes duchesscsde Toscane
ou de Piombino , les :\H'moires de Fouché nous faisaient voir le
rlulcule de ces l\lajestés, les íonds de police qui les íaisaient
vivre , et les pensées intimes de tous ces coryphées de théátre ;
et e'est en quoi ces Mérnoires sont instructiís ~ on avait tant
barbouíllé de rouge et d'or ces héros de Franconí, qu'il était
bon de les voir a UU. Le déluge de ces )Iémoires sur l'Empíre
éclata surtout depuis la mort de Xapoléon jusqu'á la chute de
la Hestauration : il u'y cut persoune qui n'eút ses révélations
prétes ; les valets de chamhrc , les harbiers , les apothicaires ;
on nous initia dans la maniere dont Napoléon mettait ses bas de
soie , sa cravatte : on ne se contenta pas de HOUS dire son exis-




PRÉC\S. - ClIAPITRE IV. 375
tence glorieuse des camps , sa forte vie de Gouv('rnement;
l'adulation était si grande! on n'aurait pas fait pour l ..ouis XIV,
lors méme qu'il y avait encore le grand prestige de la royauté ,
ce qu'on fit pour la vie privée de Napoléon : c'est qu'il y avait
dans les eourtisans bourgeois beaucoup plus de petites eboses
que dans lesgentilshommes; au cceur de la bourgeoisie deux sen-
timents se licnt ; OH elle est bien jalouse des supériorités et alors
elle se révolte ; ou hicn elle s'agenouille platement ; elle n'a ja-
mais ce noble sentiment des gentilshnmrnes , qui les faisait obéir
respectueusement tout en gardant la diguité d'eux-mémes,


Cette ragc de iUéllloires gagna les Ienuncs ; :Umc de Cenlis, qui
avait tant écrit, 11 'hesita pas II publier ses Souvenirs; la gloire
de Corinnc l'importunait; mais il y avait une grande différence
entre Mme de Staél et MIIIC de Genlis; c'est que :\L'"C de Staiil ,
qui ne publia jamais de :\lémoires, posa néanmoins l'emprcinte
de sa personualité dans toutes ses reunes; partout elle se ré-
vele avec ses [antes, ses grandcurs , ses vicissitudes. Corinne,
c'est )[mc de Slal'l; dans Dclphinc, dans ses Cousidcrations
Sil)' la Rdvolwiou [rancaisc , c'est encere elle; partout elle se
montro avec énergie. On jette comme ehose naturelle l'empreinte
de soi sur tontes ses ceuvres, on aimc adirc ses donleurs intimes,
ses froissemcnts de l'ñmc : ~[mc de Cenlis est la vieille con-
tense, qui s'cxprime sur ello-memo presque avec autant d'im-
portunité que l'hOllllllC (fui parlcrait toujours de Iui daus un sa-
Ion; c'est une voix nasillarde et chevrottante qui , au son mo-
notone du rouet , vous rappeIl~ toujours sa jeunesse et ses
conquétes d'autrefois, On lut Jlllle de Genlis paree que dans tous
les )Iémoires, quels qu'ils soient, il Ya toujours une empreinte
des événemcnts , et ou aime 1, voir un aeteur des grandes scenes
eomme un témoignage de l'époque, Alors a l' Abbaye-aux-
Bois , en Iutto avec les agitations du présent , tout acoté de
WllC Ilécamicr, vivaít une Icmme rl'csprit , autrcfois jeune et
brillante; '1'11" JUIlOt avait traversé le Consular et I'Empire ;
elle préparait déja les ~l émoires de celle que l'Empereur appe-
Jait la gouvemeuse de Paris , íemme hien néo et que la Révo-




376 HISTOIRE DE I.A HESTAURATION.
Iution avait jetée a coté'd'un oflicier brave , dévoué , mais d'un
esprit ordinaíre. ;\1'"e Junot avait admiré l'Empereur, tout en
conservant la vengeance coquette d'une femme; elle l'avait
adoré tant que Napoléon araír fait attenrion ;1 eHe; ¿I mesure
que la disgráce l'en separe, elle s'aigrit ; il y a dans ses ~lémoires
un caquet fort agréable; on les trouve longs; jc le nie ; j'aime
ces longueurs , ces développemcnts qui se rattachent a rien ,
dans la bouche d'une [emrne , et qui pourtant nous font connai-
tre une époque, Quand on a lu les ,'lémoires de W"e Junot, tout
adrniratrice qu'ellc est de l'Empirc, on prend une triste opinión de
ce temps ; c'est le livre qui, en nous montrant les plus perites cho-
ses, a le plus abaissé les évéuements de cene époque, Wue Junot
nous peint si drólement les grands seigneurs et l'aristocratie de
ce temps, le cérémonial étiqueté, que l'on prend tout ce monde
en pitié ; on ne peut tenir son sérieux en écoutant les récits sur ce
qu'on appelait alors Jliulame -'Iere et les reines de Hollande ,
d'Espagne et de Naples. Oui, le bronze de 1\apoléon n' est plus aussi
marqué a l'antique lorsqu'on a lu les lUémojres de W"" Junot.


Avec ces )Iémoires qui cxcitcnt l'iutérét , il Ya aussi beau-
coup de romans , et je dois rapidement parle!' de ce genre de
littérature , qui prit un si grand dévoloppemcnt sous la Restau-
ration. A la fin de l'Empirc on vivait sous l' cmprcinte de l'esprit
romancsque; l'innocente JUm" CottÜl faisait encere le bonhcur
des jeunes femmes qui voulaient éparguer Icor honneur en ser-
vant leur sensibilité ; lU"1C Cottin n'était plus, mais elle avait laissé
le caractere de Malek-Adhel. il allait si parfaitement a ceue
génération hatailleuse qui enlevait les princesses et épousait
les filIes de rois! On était dans le ravisscmeut des amours de
JHIl" de La Yalliere , des loisirs de i\l"le de ~laintenon, sorte de
littérature a l'usage du pensionnat de JUIlIt· Campan. Si le Direc-
toire avait vu le tendre et philauthropique Duorav-Dumcsnil vous
raconter les aventures de YictoJ', l'Fn(tllll d" la FOJ'(~t, ou nous
dire la douleur du Petit Orpkclin du Humean , ou les Aventures
tlu Pclerin blanc, l'Empire se formula dans des conditions plus
monarchiques ; on n' out plus ([lH' des prinrcsses sur la s('("nr ,




rnÉcls. - CHAPITRE 1Y. 377
et les souvcnirs de Louis XIV dominerent la société : on tradui-
sait les romans anglais , ceux surtout d' Anne Radcliff, vivant


.de spectn s dans les J/yst ércs ti' Utlolphc, ou dans le Cháteau des
Pyrcnces, aventures terribles qui faisaient frissonner le soir au
coin du feu, lorsque la neige froide fouettait· les car-
reaux, la génération irupie pouvait lire Pigault-Lebrun , der-
nier débris de l'école sensualiste, qui avait corrompu le
xvnr siécle. A cüté de ces romans innocents ou pervers,
niais ou corrompus, le livre de l\Illle de Staél avait fait
une vive et profonde impression : dans Corinnc , c'était une in-
trigue romanesque méléea un imposant tableau de I'Italie, ainsi
qu'on voit ces épisodes d'un combar de chcvalerieque le peintre
détache sur un coin de sa toile pour en faire ressortir l'hannonie
et en varier le dessin, Ainsi íut l'Alafa dans le Génie du Chris-
iianismc, Ceci sortait des romans vulgaires cal' c'était une
espece de poéme en prose dans la plus noble langue : que
comparer a 1\1. de Cháteaubriand et qui pouvait égaler ces vives
et grandes couleurs? Toute la littérature romanesque pálissait
devant ces ceuvres de la plus haute littérature. Dans Adolphc ,
on aimait 11 voir desccndre lU. de Constant des hauteurs politi-
ques pour peindre les vives sensations d'un jeune homme qui
avait suhi la tempéte des passions humaines. 1\1. de Constant
s'était peint lui-méme comme 1\1me de Staél, et comme tout ce qui
a quelqne portée d'avenir ; on veut laisser trace de soi, on im-
prime sa mélaucolie 11 ses reuvres , ses tristesses 11 ses souvenirs.
C'estune étude psychologique, petit poéme, simple épisode, OÚ
l'homme se revele tout entier ; les faits marchent sans encom-
hremcnt , ils se lient les uns les autrcs sans se heurter.


Cette personnalité intime marque les ceuvres de l'Empire et
le commcncement deJa Restauration jusqu'au moment oú un
genre nouveau s'annoncc avec une grande popularité , j'entends
parler des romans de Walter-Scott. Lne telle célébrité
s'explique plus qu'on ne croit par la politique présente et tient aux
grandes scenes qu'on a sous les yeux. "alter-Scott est un jaco-
hite , devenu tory parro qu'il n'y a plus (]r Stnarts, Au moment




378 mSTOIRE DE LA RESTAUHATIO~.
oü les Bourbons reviennent sur leur vieux tróne , toute cette
histoire mélancolique des Stuarts prend une nouvelle vie, une
l.mmanquable actualité; "-alter-Seott a étudié l' Angleterre des
guerres chiles; il a vu les opinions, l'entrainante mobilitéde la
fortune ; depuis l'époque de Cromwell jusqu'aux derniers trou-
hles de l' Écosse , tout a été recueilli comme une légende. On
traduit done "Talter-Scott avec autant d'entralnemcnt que les
poésiesde lord Byron, et son esprit bientñt pénétra la littérature
francaise. Lorsqu'une impulsion est donnée, iI Ya toujours un
troupeau qui vient aprés l'homme de génie; l'histoire avait subi
les mensonges des lUémoires, maintenant elle fut eondamnée a
la plaie des romans historiques : on cut ceux de .I\l. d'Arlin-
court, qui puisa dans l'histoire de Fraucc ce Solitaire , qui
voyaít tout, entendait tout; il Yavait de la verve , du talent et
un eertaiu cachet mystérieux. On reproduisait sur le théátre
l'Étranqere , le Renégat .. qui s'agitaient avec tous les ressorts
de mélodrame. Le travail si iutéressant de l\J. de Vigny sur
Cinq-Mars .. supposait de fortes études sur le temps de Riche-
lieu; tout ce qui se rattache ¿l un grand fait d'histoire,
mi se produisent les personnages importants d'une époque , ex-
cite naturellement un vif et puissant intérét. Ilichelieu , Cinq-
l\lars, Louis XIn, jouaient un role actif, dominant , dans le
roman de lU. de Vigny, et il était impossible de les mettre
plus habilement en scéne. Le tort de 1\1. de" Vigny fut d'avoir
fait Richelicu ridiculeurent vindicatif : il nc pénétra pas assez
dans la pensée de cette ceuvre immense d'une monarchie qui
se forme. Quand on veut construiré un fort gouvernement
il faut hriser les entraves et marcher droit ason but , par l'exé-
cution de Cinq-ñlars , Richelieu hrisait les rapports coupabIes
des gentilshommes avec I'Espagnc , l'ennemie des Bourbons :
comment arréter le duel si ce n'est par la mort? comment
réprimer les habitudes et les priviléges de conjuration assu-
rés a la noblesse si ce n' est par la mort ?


Aquelques moisdu rernarquahle roman deCinq-l\lars, il parut,
sous le titre bizarre de tlu-dtrc de Clara Ga zul , une suite de




rfiÉcIS. - CIIAPITRE IV. 379
scenes parfaitement dcssinées, M. !\Iérimée était incontesta-
blement un honuue d'esprit aux formes dramatíques ; il avait
cette íutclligencc parfaite du dialogue qui appartient a si peu
de personnes, el ce jet de stylc qui se révele au plus haut point
dans la Chronique de Charles IX et la Jacquerie : je doiscette jus-
tice alU. lUérimée, que le premier, avecune exactepénétration, il
avait parfaitement compris le caractére de la Ligue et de la Saint-
Barthélemy. l\.l. l\1érimée fait encore des concessions al'époque, il
n'est pas sur de ses sources, il travaille en romancier aimagina-
tion; mais l'inteIligence des temps ji la posséde au ,plus haut
point, On ne trouvait pas cet esprit chez lU. Vitet; ses BaJ'J'i-
cades avaient plus le caractere d'un pamphlet politique que
d'une <curre d'art el d'histoire. l\l. Vitet appartenait a ce que
j'appellerai la littérature d'allusions, pauvre littérature qui passe
avec les clrconstances , el qui consistearecueillir certains faits ,
pour les appliquer a un desscin actuel el politiqueo lU. Vitet
fut done pour les scenes historiques ce que !\l. Arrnand Carrel
était pour I'histoire. JI resta journaliste de l'opposition, vou-
Iant apprendrc aux géuérations le moyen d'amonceler les troncs
d'arhres sous le pied des chevaux et de dépaver les rues agitées
par l'émeute. Le Lascaris de l\I. Villemain est une étude en-
tiere sur la Crece du moyen-áge ; lU. VilIemain ne peut pas se
séparer de lui-méme ; esprit d'étude alors mérne qu'il fait une
ceuvre politique, il fonille un sujet; et si cette méthode enleve
un peu de popularité a la forme, il reste au fond une belIe
ceuvre d'histoire, et la ehose qui les distingue de l'esprit de partí,
c'est qu'en faisant des livres de circonstance , lU. ViJlemain pas
plus que lU. Guizot n'ont pu se séparer de cette grande éduca-
tion de lcur premiere vie,


Si le genre 'Yalter Seott domine lc roman historique , la litté-
rature allemande , les ceuvres de Coéthe , de Schiller, et les
contes d'Hoífmann , créent ehez nous le genre fantastique : et le
premier que je trouvc dans ectte voie que Cazotte avait si bien
préparéc , c'est 1\1. Ch. Nodier ; évidemment l\I. Nodier n'a pas
créé un seul caractere , ses types sont en AlIemagne, et Sf'S




380 HISTüIRE DE I.A UESTAUUATION.
réves , ses cauchemars, ses petites ceuvrcs Iautastiques, ne
peuvent égaler ni la hardiesse ni les admirables réverics
d'Hoffmann. 1\1. Nodier avant tout spirituel contenr, narre avcc
gráce , et se fait lire avec une entrainante facilité; c'est l'époque
de son travail que la Restauration : il produit beaueoup; il veut
joindre les études d'imagination au matériel de la langue, il
prend les deux extrémités, le fantastique et le littéral ; les far-
fadets et les adverbes ; curieux de vieux livres , peut-étre avec
unpeu (le préoccupation , il añectait une grande science de
linguistique; il imita Habelais , comme il imita Iloffmann. C'est
1\1. Nodier qui créa la préface marchande et fort spirituelle que
le libraire Ladvocat mit en vogue. _\ la dcrniére époque de la
Restauration, on se jeta dans les fantaisies ; iI parut ce petit Iivre
de l' Ane mort et de la Fenune quillotinéc qui commenca la ré-
putation de 1\'1. J . .Janin; ce titre fit fortune, et le livre spiri-
tuellement écrit , plut comme quelque chose qui ressemblait a
l'abbé Prévost. 11 y a certaine limite que les gens de talent se
tracent dans leurs bizarreries; MM. Nodier et Janin les avaient
posées: mais apres eux vinrent une multitudc d'écrivains de
troisiéme ordre qui chercherent la popularité dans l'cxtraordi-
naire. llien d'important ne fut produit ; on vívait d'imitations.En
Franee, l'esprit a certaines conditions, notrc langne a des qualités
propres; nous pouvons étre clairs , iutéressants , en restant tou-
jours nous-mémes ; mais lorsque nous VOUIOllS nous jeter dans
l'excentrique comme les Anglais, dans l(~ mysticisme comme
les Allemands, nous ne gagnons ricn ; nos habitudes ne sont
point aptes i\ ces formes : est-ce un bien, un mal, jc l'ignorc ,
mais notre plume ne trace que des faits simples et droits.
Le Buq-Jarqal de M. Hugo, a-t-il le méme charme que la
Notro-Dame de Paris , qui n'appartient point ala Hestauration?
Bug-Jm'gal se rattachc aune question politique , comrue Le der-
nicr jOllJ' d'un condainnc , aune o-uvre morale : quelle diffé-
rence dans la forme, cambien il y a d'études et de concentra-
tions sur soi-méme dans l'examcn de ces douleurs intimes d'un
condamné jusqn'a I'h('1I1'(, fatale ; c'est 1lIH' (-111(1(' profonde , la-




PHÍ':CIS. - CHAPITRE IV. 381
mentahle; tablean terrihle , mais parfaítement observé; iI n'y
a pas de plaidoyer plus éloquent pour I'aholition de la peine de
mnrt ; nul raisonnement ne pout égaler cet épouvantable récit
d'angoisse qui ressemble au tablean que fait le Dante de la dou-
lenr d'I golin.


Si I'on suivait la marche de l'esprit en France , J'on remar-
querait quelque chose de curieuscment remarquable , e'est que
tous les genres de littérature ont des affiliations el les écri-
vains des successeurs. Sculemcnt tout se modifie en raison des
circonstances dans lesquelles se trouve I~ socíété , et par exemple
pour ne citcr (]ue 1<' roniau populaírc , cst-ce que l\l. Paul de
Kock n'est pas le successeur de la maniere et des formes de
l\l. Pigault Lebrun ? Seulement le premier venait au temps cy-
nique de la Bévolution francaise , sous le Consulat et J'Empire;
il Yavait alors des beaux csprits qui se Iaisaient gloire d'impiété ;
héritiers fanfarons du :x \ IIl" siecle, ils en élevaient haut les
doctrines et en défcndaient les mauvaiscs mreurs ; Pigault Le-
brun devint comme l'exprcssion de ces grossieres licences , de


,


ces gros mots contre le prétre , de cesplaisanteries immondes. Il
n'en fut pas ainsi de !\l. Paul de Koek; avee un tact parfait, il vit
que le temps était changé , l'impiété importunait, on avait une
eertaine pudeur daus la dissolution meme , on ne s'affichait
pas: lU. Paul de Koek prit done le cóté ridicule des classes qui
s'étaient mises en relief', le ménage de portiere , l'élévation
inoule des idécs qui enlcvait les basses classes pour les jeter
dans les conditious supérieures; et tout en amusant par des ta-
bleaux vrais et remplís de vivantes images, 1\1. Paul de Kock
donnait une leconremarquable , il prenait en pitié et en ridicule
ces prétentious grotesques ; sans étre cynique , le romancier
réveilla millc idées un peu sensuelles , mais toujours plaisantes
ct gaies ; il put se Iaire lire sans rougir, j] fut dans les mains de
tous sans cnnuyer ; et ccla , ríen que par l'esprit d'obser-
vation el un laisscr-aller de dialogue. On voit commencer a
peine alors des romancicrs qui depuis. ont développé leurs
.O)I1UPS rirhes et abondantes : et l'on ne r encontre encere ,IÜ




382 HISTülRE DE f,A RESTAURATION.
M. Eugéne Sue , ni MIIIe Dudevanr , ni M. Frédéric Soulié qui
se vouaít a l'art dramatique , ni M. Alphonse Kan. M. Sue,
a peine écrivait quclques articles dans les revues, et M. Honoré
de Balzac , l'homme saillant parrni eux tous , avait encore sa
premiere maniere de romaucicr : travnilleur infatigable, il avaít
déja heaueoup produit, sous un pscudonyme , avant de
se jeter dans ses remarquables ohservations des mceurs de la so-
eiété ; eette premie re forme était un peu celle des romanciers
historiques; M. de Balzac avait exploité les donjons des
cháteaux , les aventures romancsqucs : il laissa cetro routine
pour une voie tonte d'observatíon et de philosophie; il falJait
passer atravers une révolution politique pour créer de nouvelles
moeurs, de nouveaux ridicules , afin de les mettre en scéne avec
une eertaine grandeur et une entiere vérité.


L' étude des mceurs se faisait aux deruiers temps de la Restaura-
tion par la publication des proverbcs ; comme c'était un genre sans
prétention, on s'y livrait avec plus de facilité, connne hdes petits
jeux de soeiété; :\1. Théodorc Leclercq excella dans eet art de
mettre en relief les ridicules , les perites momrs de la cam-
pagne ou des salons de la Chausséc (L\ ntin. Tout le monde
u'ose se hasarder au théátrc ; il Y a une habitude de la
scéne , le mécanisme vulgaire d'une piéce auquel on n'aime
pas s'astreindre; il faut prodigieusemeut d'esprit pour les
petites scenes qui se tienncnt renferruócs dans le court espace
d'une feuille , et lU. Leclercq possédait I'art recherché de se
faire jouer.dans un salon et de senil' d'aliment a tous les fai-
seurs de vaudevilles, 11 devint de mode d'écrire des proverbes
et de faire reposer une piece sur un mot, sur une petite pensée,
sur un léger incident ; M. Scribe employa cet esprit infini , ce
clinquant de mots et de phrascs , cet art de délieatement tou-
cher une situation; ses pieces ne furent que des proverbes plus
ou moins agrandis, 011 dialogua heaucoup 11 la fin de la Hestaura-
'ion; on mil en scene l'histoiro el mém« la politique; les Soirées
(le ~Yellilly ne furent qu'un pamphlct et ccpcndant chaqué soirée
Nait une potite scene qui pouvait senil' au lhéfttre : g,rands ot




putcrs..- CHAPITllE rro 383
petits s'en mélérent. Il n'y eut pas jnsqu'a un joyeux compagnon
du nom de llomieu qui ne Iit des proverbes.


La véritable époque de la critique Iittéraire , fut l'Empire ; el
cela s'explique parfaitemeut. Si la vive curiosité s'appliquait aux
grandes choses accomplies par I'Empercur, il n'y avait pas pour
la classe moyenne cet aliment de petites curiosités qui résulte
généralement de I'examen et de la critique politique ; on se füt
gardé d'oser méme médire d'un acte du Pouvoir ; chaqué fonc-
tionnaire était a I'abri sous l'égide du Gouvernemeut. Des 101's
pour capter la curiosité , on fnt obligé de recourir a la critique
littéraire ; lorsqu'une piéce était représentée sur la scéne, 101's--
qu'uu livre paraissait , il était livré a la discussiou , non point
dans une méchante annonce ou dans quelques articles de com-
plaisauce , mais il paraissait une succession d'articles aussi ·cu-
rieux , aussi étendus que le livre mérne, Le nom de 1\1. Geotrroy
avait conquis autant de célébrité que celui de 1\1. de Cháteau-
hriand : c'est qu'il y avait dans ce critique une grande supério-
rité , un admirable instinct du vrai avec toutes les passions d'un
petit esprit haineux du XYllI" siecle, Les revues étaient sans
retentisscrnent ; le vieux Jf('}'CllJ'C seul avait le privilége de
quelques articles remarquablement écrits par MM. de Chá-
teaubriand , de Bonald ou de Fontanes , critiques éminents
eux-mérnes : il n'était pas de haut littérateur qui ne fit le
feuilleton : Chénicr, Lebrun , Ginguené ; et comme tous appar-
tenaient ades opinions diverses , il se forma déja ces écoles de
critique qui accablerent impitoyablemcnt les écrivains d'une
autre coterie. L'examen passionné du Genio du Christia-
uisnic et de Yltinerairc de Paris á Jérnsalem rnontra jusqu'a
quel point la jalousic aigre et fanatique peut aller : 1\1. de Chá-
teaubriand fut grossiércmcnt injurié; la critique fut injuste,
atrocement accrhe; le talent fut nié , tourné en ridicule ; 1\1. de
Cháteaubriand fut traité en enncmi; on ne lui pardonna rien ,
ni la nouveauté de ses idées , ni la puissance colorée de son style ;
on osa dire qu'il ne savait pas le francais et qu'iln'était jamais
allé aJérusalem. Geoffroy fut aussi injusto pour les productions




3Sl¡ HI5TülHE DE LA nESTAUHATlON.
philosophiques ; les attaquant sans pitié , il les flétrit comme mal
concues et déplorablement exécutées : Yoltaire n'avait pas méme
d'esprit! GeoITroy ne vit pas la ltcstauration qu'il aurait saluée
de ses transports. Une renomméc de critique s'était déja accrue
acoté de la sienne , e'était celle d' Hoffrnaun , non poiut le fan-
tastique eníaut de I'A\\emagne, mais eet hommc íort savant, fort
original qui pareourait toute l' échelle des merites littéraires
dans des articles remarquablerueut faits, quoíque avec une partía-
lité haineuse, HoITmann fut l'éminent critique de la Itestaura-
tiou , dans le sens puremcnt Iiuéraire : iJ fut aussi acerhe , aussi
homme de coterie que J\I. Geofrroy. c\ ses cótés , on doit placer
1\1. de Féletz, esprit sage, modéré , avcc une profonde érudi-
tion , mais peu d'élévation de pensée, d'un styleclair et mediocre,
et 1\1. Auger élégant prosateur. Chaqué fois qu'il s'agissait de
critique politique , on voyait apparaltre des noms politiques eux-
mémes : ainsi JI. Fiévée cxaminait parfaitement un livre d'écono-
mie, de finances ou d'administration , toujours avcc l' esprit caus-
tique, mordant des coteries. M. Fiévéc s'était fait certaines idées
sur la politique et l'aclministration, et il ne souffrait pas qu'elles
fussent contrariées ; il Y avait choz Iui un dédaiu , une supério-
rité qui semblaient proscrire toutes les productions en dehors de
lui-méme ; ü peine admcttaitil commc talcnt ~I. de Bonald,
1\1. de Cháteaubtiand ou M. de Fontancs. Dans le partí opposé ,
comme critiques, on ponvait eomptcr l\Ul. Jay ct Tissot, tous
deux appartcnant ~I l'école des vicux classiqucs; J\I. Tissot ,
successeur de Delille , au collége de France , avait cette
langue monotone et élégante qui marche dans certaincs li-
mites et no se hasarde jamáis en dehors. .\1. Jay avait un sryle
pur et net qui se rcsseutait de Iortes études : sa critique
sans éclat, arce peu d'idées élcvées gardait prédilectiou POUl'
le x\ni" siecle, ce qui faussait SQuycnt ses appréciations. ¡\u
milicu de ces deux camps on pouvait placer JI. Auger, faiseur
de notices hiographiques , esprit plein de détails et de netteté.
Cette habitudc de notices dévcloppées devint générale dans la litté-
raturc : en écrivant la vic d'un poétc , d'un homme qui avait




1'IÜ:C1S. - CIIAPlTRE 1Y. 385
marqué dans les leurcs ou dans les arts , on s'éteuditsur tout un
gcnre , on passa en revue toute la littératurc d'uue époque, et
sous ee rapport 1\1. ~\uger Iut un véritable modele ,dalÍs un
genre de littérature qui dcmaudait peu de travail.: Les biogra-
phies raisonnées deviurent a la mode , la grande collection de
l\I. "lichaud fournit des aliments a ehaeun : a l'occasion d'un
poéte on lit une théoric sur la poésie; les articles Shakspeare ,
Coéthe , VoItaire, Byron , devinrent des grandes theses d'école
dans la Bloqraphic unicerscllo ~ et c'est dans cette vaste compi-
lation qu'il faut rechcrcher la marche de la critique littéraire
pcndaut la Bestauration. SOllS ce point de vue d'appréciation
sérieuse , il faut placer plus haut que tous 1\1. Villemain; son
cours de Iittérature cst plus qu'une ceuvre : c'est un monument
qui a hrisé le sceptre de Laharpe. Le talent de M. Villemain était
de faire sortir les questions des idées vulgaires pour les porter
dans des considérations géuérnles qui se rattachaient ~l la marche
de l'csprit Irumain. Hans eeUe partie de haut examen, 1\1. Ville-
main était éminenunent remarquable; comme il était capable de
faire , il était hautcment apte abien juger, eondition essentielle ,
cal' le role seulemcnt de critique fausse le jugerncnt , étouffe les
larges idées; on se pénetre trop de I'idée que la mission d'un
critique est de donncr des coups de férulc ou de prodiguer
l'éloge : appartient-on a un parti , on loue tout ce qui vous
touche, on hlárnc arucreruent ce qui y est opposé, et cela rétrécit
natureIlement les Iacultés de I'esprit et du rreur.


La Restauration vil naltre les rcvues et les journaux littéraires ;
le Jlel'Clll'c avait survécu aux temps de l'Empire; mais comme
tous ses rédacteurs étaient passés dans la politique active, son
éclat tombait , et pcndaut quclque temps on ne parla que des
deux nouvcaux rccueils qui s'occupaient non-seulement de po-
litique , mais de Iittératnrc et de plrilosophie , la llillCl'l'C et le
Conscrrat cur. C'cst qu'a coté de la politique , il Y a toujours
une étudc littérairc qui s'y rattache ; il ne faut pas croire que
l'on puisse séparer facilcmen t les branches diverses de l'activité
lunnaiuc : il ~. aUlle corrélation intime entre les travaux


1\. 33




386 mSTOIRE DE LA RESTAUHATION.
de l'esprit, L'école littéraire de la Millcl'l'c fut purement
classique. MM. Étienne et Jay étaient les représentants de
l'école du xvrn- siecle et de I'Empire et ceux qui se posaient
ainsi eomme novateurs politiques étaient tres-arriérés en lit-
térature; iIsse disaient conservateurs des saines doctrines, et tout
en révolutionnant la mouarchie de Louis XIV, ils prétendaieut
perpétuer la pureté de sa languc. Le Couscrrateur, qu'on accu-
sait .d'étre si arriéré dans les doctrines politiques , avait au con-
traire de grandes hardiesses littéraires; le xvIH" siécleétait attaquó
non-seulement dans sa pensée mais encore dans ses formes; !\l. de
Cháteaubriand , M. de Bonald, allaient aussi loin en philosophie
qu'en politique; c'était l'école de 1\1. de "laistrc, et certainemeut
il y avait une supériorité incontestée pour les formes de style :
dans la Jllinel've, jamais de fortes, de grandes idées, une criti-
que froide , un examen réfléchi et sans couleur; dans le Con-
seroateur au contraire, les tciutes étaient vives et chaudes
cornme les tableaux de Girodet. Cesrevues , quoique politiques ,
ne purent se continuer en face de la presse quotidienne. Le
temps était si passionné qu'il n'y avait pasde place pour les dis-
cussions littéraires ; elles cesserent de paraitre au milieu méme
de la Restauration. Alors on essayaune autre forme qui eut plus
de succes : on était engoué de l'Angleterre, de sa littérat ure , de
sa critique méme ; les revues anglaises, si graves, si conscien-
cieusement écrites, tiraient ades nombres d'abonnés immenses ,
et pourquoi cela? C'est qu'il existe en Angleterre une aristo-
cratie qui a des loisirs, et une fortunc pour acheter des livres; en
Franee la vie active déborde tout, et ron ne sait pas dépenser,
Le nouveau recueil n'était pas une revue aproprement parler ; il
n'y avait ni esprit critique, ni examen; e'était une traduction
ou un extrait des morceaux les plus remarquables qui avaíent
paru daus les journaux anglais; aussi portá-t-il le litre de Becue
Britannique. Le succés en fut considérahle, cal'elle faisait con-
naltre les fragments de tout ce que l'Augleterre produit de litté-
rature, d'art et d'industrie. En méme temps, l'opinion catholiquc
essayait deux reunes capitales pour la polémique et les scieuccs




PR(~ClS. - CHAPITRE IV. 387
philosophiques : la premíere prenait le titre de Mémoria! Ca-
tholioue, sous la direction de lU. O'Mahonv ; le talent érninern-
ment remarquable de 1\1. de Lamennais se déployait la avec
vigueur , pour désoler l'épiscopat gallican. 1\1. de Lamennais
n'avait poiut encoró ces velléités de démocratie; c'était le prétre
convaincu , intolérant , qui trouvait la loi du sacrilége trop
douce, et les prohibitions légales des corporations reJigieuses, un
attentat a la liberté. Rien de comparable ala mále beauté de
style de 1\1. de Lamonnais ; l'auteur de l'indifférence religieuse
se retrouvait avec toute la puissance de son talent; lui seul
était le rédacteur éminent; M. le comte O'ñlahony était un
homme d'esprit et d'irnagination , toujours plein de eolere.
Le second recueil portait encore le nom de Ctuhoiique , dans
un cercle plus large et plus scientifique; catholicisme sigui-
fiait l'universalité , et 1'1. d'Eckstein était un des hommes les
plus remarquables d'étude, Son but était de faire sortir la polé-
mique sur les sciences et les arts des conditions étroites dans
Iesquclles on I'avait placée. La science, pour lui, venait d'un
principe connuun , d'une regle immuable, et il la recherchait
dans les mythes anciens et dans la religion révélée, lU. d'Ecks-
teiu n'était pas toujours clair; sa pensée apparaissait nuageuse,
mais il y avait une grande portée de généralisation. Ces deux
recueils , quoique rédigés avec un talent incontestable, tombé-
rent d'cux-mémes ; il n'y avaít pas suffisamment de lecteurs,


Les esprits actifs ct sérieux ne se découragerent pas ; a une
cntreprise tombée' succédait un nouvel effort; et comme généra-
lement la philosophie nouvelle ne se croyait pas représentée dans
les sciences , dans les lettres , il Yeut 11 la fin de la Itestauration
\\~~ \\:\\\o.\\"\\:'5})\)\.w i\)1'~U~T e\ é\a'o\lT úes revues en Yrance. 11 )'
a tant d'esprits qui ont besoin (le manufacturer leurs idées!
On essava la Berue de Paris , collection élégante qui devait
s'adresser aux fcmmes et a la portion aristocratique de la
société; ce n'était pas une revue a propremeut parler, mais
ce que les Anglais appellcut un Magazine. 1lI. Véron, qui l'avait
fonMc , s'assoc\l\ \O\.\\C la. \\uératnre en íaveur, ('\blen\M\' 01\ Vl\ ,




388 HISTOIRE DE LA HESTAURATlüN.
non point des critiques sur des livres , mais des piéces entiércs
de poésie , d'histoire, des nouvelles et des proverhcs sans
aueune tendance, sans aucune forme ou préoccupation poli-
tiques; on voulait attirer l'attention en dehors des vifs débats
de la polémique. Ainsi ne fut pas le but de la Bcruc Frau-
caisc et de la Gazcttc Liuérairc , fondées presquc égaleruent
~\ la rnéme époque : une école se formulait, et eette éeole se
rattachait cssentiellement a la politique ; les doctrinaires vou-
laient avoir un organe , non pas éphéméro ni futile comme un
journal, mais une expression séricusc, un de ces recueils danslcs-
quels on peut établir et dévclopper une théorie d'histoire , de
morale ou de philosophie, et telle fut la mission de la Ilevue
francaise. Dans la Gazcuc Liucrairc on lit concurrence ¿l la.,
Beoue de Paris ; on y publiait done des fragments détachés
d'ouvragcs , des moreeaux de littératurc ct d'histoire, mais avec
une teIle partialité d'esprit, que nul ne pouvait se faire illusion
sur les tendanees de I'eeuvre , exclusivemcnt doctrinaire et libé-
raleo Enfin la fondation du Globc fut la dcruiere formule de
l'éeole nouvelle , qUÍ se présentait eomme critique et philoso-
phique. On ne pouvait contester le mérito des honunes qui se
réunissaient dans une communautó de dessein; ils devaient
devenir une force paree qu'ils se constituaient en coterie; les
intelligenees .qui se soutiennent bien pcuvcnt arriver haut
cal' elles ne voient rien en dehors d'elles aH'C une pensée íor-
tement soutenue. C'est daus cetro écolc du Glohc que com-
menee a se former un critique d'un genre particulier et d'un
esprit hors ligne, M. de Sainte-Beuve; il est rernarquable
que ce soit un concours d'aeadémie qui mette en relicf une
intelligenee hardie qui va contempler de face les produetions
et la langue classique du grand siecle, 1\1. de Saiute-Bcuve
avait beaucoup étudié la littérature depuis Francois JeT jus-
qu'a Louis XIV. Cette étude n'était pas devenue ehez lui une
simple fantaisie ; il s'était passionné pour elle a ce point d'en
adopter les formes de langagc el les n\gles de versiíication dans les
poésies de Joseph Delorme. M. de Sainte-Beuve avait gardé les




PIlÉCIS. - f.HAPITRE ¡Y. 389 .
traditions prrsque du moyen áge : il Yavait de la mélancolie , un
sentiment intime noblerncnt exprimé , qui aIlait aux idées nou-
velles de la génération. Tout ü coup M. de Sainte-Beuve appa-
rait en critique littérairc avcc des examcns et des études fort
étendues; il porte la main sur les statues de CorneilIe, Ha-.
cine, Boileau; c'était hardi , et 1\1. de Sainte-Bouve y dépensa
un talent distingué. On exagera ses pensées en le jugeant; mais
en quoi il fut remarquablement vrai , ce fut quand iI réhahilita
une école trop méconnue par les poétes et admirateurs du siecle
de Louis XIV. N'avait-on pas été tres-injusto cnvers Mlle de
Scudérv et sur les écrivaínsquí avaient précédé les ceuvres com-
passées de la grande période? Boileau avait exercé son esprit
satyrique avec une partialité étroite ; et si M. Saintc-Beuve
s'était rircouscrit dans cette pensée juste, il n'aurait pas soulevé
contre lui une trop vive réaction; en général, il faut marcher
lentement a une idée et ne pas heurter les préjngés.


.Aux derniers jours de la Restauration, on voit que la
vieille critique s'cn va; il arrive des jeunes hommes avec
d'autres opinions, en dehors méme des doctrines du Globc ,
ils se placent SOllS la direction des journalistes d'expérience sur
un terrain moins absolu, Ici 1\1. Philarete-Chasles , d'une
science incontestéc , d'un certain instinct littéraire , et qui
se rapetisse sous l'influcncc des idées du XYllI" siécle : était-
ce tradition de collégc, était-ce engouement pour le libéra-
lisme'? lU. Philaretc-Chasles voyait mal les questious de réforme ,
de protestantisme, el cela limitait I'horizon de son point de
vue. 1\1. Saint-Marc Girardin, avec un esprit plus éminent ,
conservait les idees et les formes uuiversitaires ; s'il savait mal
fairc un livrc , il écrivait parfaitement un article de journal ,
travail bien différent : le journalisme exige un esprit vif , saillant,
une iruprovisation active ; un Iivre appelle une grande somme
d'attcntion , des idées largos et gónéralisécs. Le feuilleton avait
égalcmcnt un successour Ü Geoílroy, fin, spirituel , et d'un
style hrillant , Iacilc, )1. .J ules Janin; il avait commencé a
fuin- dI' la politiquc , puis il vint s'ahritr-r dans 11' feuilleton , sa




390 mSTOlRE HE LA HESTAlJl1ATlON.
demente d'or et de cristal; il avait écrit son premier livre aH'C
un rare bonheur de mots , et un esprit rcmarquaole d'ohserva-
tion; dans le feuilleton il se montra d'une maniere aussi spiri-
tuelle. ñlais tel est le défaut du style brillan té que, lorsqu'il
est périodique , il devient essentiellement mono tone ; les mémes
formes de phrases se répetcnt , les mémes figures reviennent ; on
sait d'avance le trait , la formule de la pensée. Rien de plus
semblable a lui-méme que le stylo léger , et plus il est futile ,
plus il devient saisissable, c'est un petit carilIon argentin qui
se répéte comme I'horloge de la Samaritaine, ou bien comme
ces airs de montres a musique qui viennent achaque heure
jouer les mérnes notes pour les répéter encore le Iendcmain,


Au reste, dans ce rapide tablean de l'époque littéraire de la
Restauration, on a dú remarquer un fait considerable , immense ;
e'est le travail intellectuel qui partout s'opere dans la génération
avec l'indicible amour de produire , ct la ferme volonté de
grandir l'intelligence: la presse libre a ouvert de nouvelles car-
rieres, la tribune rcteutit , el si la pensée politique a trouvé
sa représentation, la pensée littéraire a aussi ses organes puhlics:
l'époque de la Restauration est un temps de travail qui brise
et remplace l'engouement pour le x VIIL" siecle ; cette litté-
rature n'est plus assez neuve pour les jcuncs hommcs , ils ap-
pellent les innovations ; des tentativos se font de toutes parts ,
au théátre dans le drame , dans la poésic , dans le vaudeville ,
dans la critique. Ces essais plus ou moius hcureux, sup-
posent toujours un labeur ferrne , une destinée d'avenir ; 01',
une époque d'étude n'est jamais perdue pour l'humanité; il
peut y avoir des errcurs répanducs; mais Dieu n'a pas mis
l'intelligence dans l'homme pour prorluirc toujours le mal, ct
au milieu de la décadcuce des doctrines , il surgit toujours une
loi d'ordre qui preserve la société.




CHAPITRE V.


I.ES .\RTS, LES SCIENCES, LE COMMERCF. I:T L'I~DUSTRIE
PENDANT LA RESTAURATION.


La pciulnre - Les écoles en 1R11. - David. - Gérard.-- Gros. - Girodet.
- Vernct. - Paul Delarorhe. - L'écnle nouvelle. - 'I'eudauce SOllS
la ltestauratiou. - La caricature. - Dessius politiques, - La sculpture,
-Architectllrc. - 1\1 ouumeuts pul¡lics.- La stutuaire , - La musique.-
Fiu de I'école de Gr(~lry et de Méhul.- Nicolo,-Spontíui,- Doieldieu._
Iuflucuce des écoles allemnnde et italieune , - Auber.- 'I'riomphe de Ros-
siui, - Acudí'mie des Beaux-Arts, - 'I'héütrcs el artistes. - Les sciouccs,
- Mouvcrncut iuip ri ruc <i la géologie. - Systeme de Cuvier . - Les
terrains sllpcrJ)(J,(:s. - La cr éatiou progressi\·c. -l\'1odifieation des idées
de Laplaee. - !tuíll? successi ve du matérialisme. - Les sciences ~'ap­
plicatiou. - l'rcmicrs essais de chcrnins de fer et la vapellr. - Les
colouisatious. - Le comrnerce. - Ilcvclcpperueut qu'il prend . SOIlS la
Hrstaurnt ion , - A lcxtéricur. - Systcme dn crédit puhlic. - Couíiauce
el hanque, - Meil leur e rél'arlitiou de l'imllot. - Développemeut de
I'Industrie , -. Des mauufacturcs . - Applicatiou des machines a vapeur.
- Primes et ruconrag('llIeuts - Exposiriou. - Industrie. - Débonché,
- ]::tat de louvricr. - Comllleut la Restauration a laissé le paYi.


LA période de seize ans qu'emhrasse la Restauration fut non-
seulemcntunc époque de travail littéraire avec des résultats écla-
tants, mais encore un tcmps d'intelligencc et d'activité pour les
heaux-arts et la scicnce : faut-il en attribuer la cause aux Bour-
hons, dignes héritiers des rois protecteurs de tout ce qui illustrait
11'11I' I'h:~ll(' en mémoirede LouisXIV ; 011 bien al'action pacifique




392 HISTOIRE DE I.A RESTAURATlON.
de .ces époques de paix publique 011 les intelligcnces peuvent se
déployer dans les grandes voies? Tant il y a que je ne pense pas
qu'il se trouve dans l'histoire de Franco une période de seize ans
aussi fertile en capacités de toute espece, NOllS sommes trop ou-
blieux du temps passé, trop ingrats peut-étre pour tout ce qui est
fini; nos préoccupations actuclles nous perrnettcnt rarement de
jeter un regard attentif sur la fécondité intelligente de la Ilestau-
ration; la Iégereté de nos habitudes, la rapidité de nos émotions
qui se succédent et se presscnt , nous empéchent de comparer
les faits pour éclairer les jugements de l'histoire. Il y cut alors
une collection d'artistes du premicr ordre; quelques-uns sun i-
vent encore, et pour ceux qui ne sont plus, pourquoi ne rappel-
lerions-nous pas leurs noms ala reconnaissance publique dans ce
fatal nécrologue qu'emportent les siecles,


Chaque époque dans les arts est marquée par une commune
direction ; un homme apparait qui remue la foule et la eonduit
esclave derriere son chal' ; David avait fait cette école académiquc
éprise des arts de la Grece , et qui pulsa daus le sentimcnt répu-
blie;in l'attrait , la préoccupatiou de l'antique. Cependant a la fin
de l'Empire David vieillissait , il n'était plus le mémc ; eette ame
de feu avait fini avcc la Hépubliqne; David, premier peintrc de
l'Empereur , baron ou comte, que sais-je? ne faisait plus que
des images, et le tableau du Sacre n'est plus qu'une galerie mé-
diocre de portraits, Gérard et Gros, ses- éleves les plus chéris ,
continuaient son école avec la préoccupation de l'Empereur.
l ..ebrun et Yan-áleulen suivaient Louis XIV dans ses conquétes ,
Gros et Gérard aeeompagnaient Napoléon pour reproduire ses
batailles. Toutes les grandes toiles d'alors retracent les champs
de morts, et lesépisodesde la paix et de la guerreo Gérard, en con-
servant les principes de l'école, avait une maniere largo d'cnvi-
sager un sujet , une entente mcrveillcusc des pcrsounages, I'art de
lesgrouper comme dans labataille (/'..iusta/it.:. Gros avaitfait des
études plus profondes d'académie : il suit David pour les poses,
ponr le nu ; successivement iI se poétise jusqu'a sa rnagnifique
coupo!e de Saintc-Ccueviove , qui ost sa serondr hcll.. maniere.




puU:rs. - (:IIAPITRE Y. ~93
Je n'aime pas rl'ailleurs ces peintres de circonstance quelque
talent qu'ils aient; ceux qui trnvaillent pour les passions con-
temporaines , s'crnpreignent de je ne sais quoi de médiocre ;
hommcs de géuic quelquefois , ils s'ahaissent 11 faire des bulle-
tins de carnpagne. Girodct me parait le pcintre de la Restaura-
tion; iI futpour la peiuture , sous l'Empire , ce que J\l. de Chá-
reaubriand avait été pour la littérature : un esprit solitaire qul
avait travaillé daos les régious du beau sans adorer la puis-
sance; il aimait les idécs vagues, la poésie dans les conceptions ;
il croyait que l'art devait s'abstenir des chosesmatérielles et que
les díeux se nourrissaient d'ambroisie.\insi, dans la Golatée ~
une des grandes ceuvrcs de Girodet , et qui orna le premier sa-
Ion de la Ilcstauratiou , la poésie est magnifique; j'aime cesta-
bleaux simples qu'une bello imagination inspire; cette touche
mélancoliquc qui fait qu'avec un seul personnage 00 pousse 11
une indiciblcréveric. CeB(:/i.wll1·C, o-uvrcde Cérard, qu'un enfant
conduit: ces tahleaux desBardeset d'Ossian; cette simpleGalatée,
si hellc, et palpitante sous le ciscau! Combien ces émotions soli-
taires ne sont-ellcs pas préférables 11 ces masses de personnages
qui s'agitcnt et se meuvcnt dans un tableau de bataille! Ces
masses de chair ne m'ont jamáis inspiré une seule peusée, et
I'école flamande seule a corrigé cetro vulgarité par les épisodes
qui dominent et absorbent les vifs engagements de cavalerie.


IU. Horaco Yernet suivitdans l'art la memovoie que 1\1. Casimir
Delavigne dans la poésie; il se fit le peintre des circonstances ;
rapide comme les événemcnts , il se mit a leur service. M. De-
lavigne, dans ses J1lcsscnic71llcs ~ avait deploré les grands dés-
astros de l'armée franraise ; M. Horace Vernet se mit 11 peindre
les soldats malheureux , des soldats, puis encare des soldats, des
chevaux , puis encoré des chevaux; iI fit tout pour la popula-
rité; sortc de Constitntionnel pour la peinture, 1\1. Paul Dela-
roche vient a la seconde périodc (lela Restauration, l'époque {le
Walter-Scott et des sujets d'histoire : on fait des romans sur
les vieux temps , sur les époques finies; l\I. Paul Delaroche
donne a tous ses tahleanx Cf'ttr teintr en vogue ; il prond lessu-




391, nrsrouu: DE LA nESTAURATlO:\.
jets dramatiques , il les rcnd avec une grande' cxpression :
Cronuuelt en [ace du ccrcueil de Cluirlcs 1'1' et J canne Cm!!,
tout cela marque une haute étude des snjets, une ambition
d'imiter Van- Dyck dans ses beaux portraits. Qnand l' école
romantique arrive , quand il se fait dans la littérature une
réaction contre le genre classique , alors vicnnent les rondes
de sabbat , les fcmmcs amaigries et échevelécs , une nature
presque hideusc. Si au moins il y avait du génie religieux
comme au moycn age, du grotcsqne comme dans l'école fla-
mande, du faire ct de la jovcuscté comme dans les tableaux de
Callot, on pourrait pardonner l'étraugc , le' Iantastique ; e'cst une
région vaste pour les arts; mais non, c'est complótement hi-
deux; ce sont des masses de chair longucs , qui croulent et
s'affaissent les unes sur les autres.


Au milieu de ces essais informes de Bellanger, et des cro-
quis plus calmes, plus étudiés de Johannot ou de Devéria, il
parut un admirable chcf-d'rcuvro qui révélait une grande des-
tinée presque aussitót éteinte. Au salon de 1827 , on vit suspen-
du aux galeries du Louvre le Betour de la [étc de la J1ladone de
L'Are -' prés de Naples ; cette toile révélait l'aruour de l'antique
le plus calme, le plus parfait; Léopold Ilohert , cal' le tableau
venait de lui, s'était inspiré des rayons si purs de l'horizon dans
la campagne de Rome; on aurait dit une íéte de Bacchus ; les
taureaux pacifiques, cornme Paul Potter savait les peiudro , l'o-il
fixe, les comes abaissées , tralnaient un vasto chal' sur lequel se
groupaient des femmes aux formes de Bacchautes, des hommes au
honnet phrygien comme dans les bas-relicfs de la, illaBorghese;
la toile était simple et bien entendue: Léopold Itobert avait déja
considérablement prodnit; l'activité c'cst le génie; ici c'était un
Briqand dans Les 1JlOlltagnes, les Pclcriucs J'(,(,lles Ú la porte d'uu
couuent par L'abbcsse-' une filie d'Tsclua (lit rCJ/(le:-I'OlIS, les dcu»
Balqneuscs de St i-Donato, I'J-lCJ'l1IIÚ' de St, -'l·co/as. Dansce
salon de 1827 tous ces tablcaux parurent en masso el produisircnt
nn étonnement qne la jalousic pul it 1\(';11(' ótouffcr ; la critique.
I)OUI' le granel artiste est un '('1' rongeur : f(1l(, d<' grandes intcl-




I'HÉCIS. -- CIlAPlTRE Y. 395
ligeuccs n'a-t-ollepas tuées ; cst-cc qu'on s'imagine ({U'un artiste
n'a pas la révélation intime de ses défauts , de sa décadence , de
sa vieillcssc et de sa ruine? En méme temps, lU. Steuben expo-
sait son tablean du [cune Pierre-Ic-Grand, ct ces toiles de che-
valet quí représentaicnt la Prcuuerc cntrecuc de J. -J. Bousseau ct
de Jladmne de V(lJ'ells, et Niuon de Lcnclos donuant sa biblio-
1héqllC ú Voluiirc. Souvcnir cher 11 la philosophie du XVIlIC sieclc,
Fragonard exposait quelques tableaux d'histoire ; l'écolc de Gué-
rin se rcproduisait dans les tabJeaux rcpréseutant les souveuirs
de la Grece et de Ilome , tandis que le jeunc lU. Scheffcr s'in-
spirait daus IPs traits contemporaius; M. Schefler osa faire schis-
me; sa premierc ct grande toile fut le tableau des Fcnunes Sou-
liotes, tirées de l'horrihle histoire de ALi Pachá de Janina; ce
n'était qu'un groupe de Ienuncs échevelées, souffrantes, miséra-
bies, mais tout y respirait ce ton chaud de l'école moderne, el
la pcnséc de sentir, souffrir et inourir.


.l!es U'U\Tes capitales résultereut pourtant de ce grand eoneours
de maitres: quelques tablcaux travcrseront les áges avec l'em-
preinte de I'école de la Hestauration ; la tendance des sujets reli-
gieux connuencc 11 se révéler ; on devait trouver la une poésie
iucessante et uouvelle. Ces sujets portent a l'áme ; la politique
passe , les idées morales restent; la renommée des conquérants
s'éteint et le christianisme traversera les temps paree qu'il
a compris el dominé le cceur humain. Ici se trouve toujours
le graud avantagc de reproduirc les snjcts pieux, A ectte période
surtout , les idécs politiques inspirercut la caricature; l'esprit de
moquerie était ancien sans doute en Francc , mais eet esprit de
railleri« qui s'emparait des personnages d'une époque pour les
jeter en páture aux passions politiques , emprunté aux meeurs
de l' Angletcrrc, prit sous la Ilestauratiou une grande extension.
Si l'on parcourt encere aujourd'hui avcc joycuseté les gravurcs
moqueuses sur la ligue, cxpressiou la plus vraie de ce temps ,
dans un siccle pcut-étrc Oll rccherchcra les caricatures de la
Restauration, on y yerra la luttc au crayón ~\ coté de la lutte a
la plumo ; la lithographie avait donué un grand moyeu de repro-




396 IllSTÜlHE DE LA UESTAU nATlO¡\,.
duire toutes les imagcs ; on s'cn servir el on en abusa..wcc ceja
vinrent les petits dessins de mreurs qui rcproduisent les formes,
les costumes de la société. Ccci passe et se succede avec une
teIle rapidité qu'il n'y a rien de plus disgracieux que ces modes
eneore si pres de nous; ces petits sujets n'ont pas vingt ans
de date, et la forme en parait horriblement ridicule , la coupe
des robes et des chapeaux est si extraordinaire qu'on nc peut
pas s'imaginer que de jeunes femmes les aient portés ü moins
de se poser en caricatures. Je voudrais seulemcnt que l'on vil
la coupe des habits en 1819, les cliapcaux a la Bolivar, les
pans des habits eflilés venant jusqu'aux talons , le corsage aux
aisseJIes et le col sur la Buque, des bottes pointues arce des épc-
rons de 2 pieds de longueur; les femmes avaient des espéces
de casques sur la tete, les guimpes relevées conune les fraises
d'Henri IV, des robes festonuécs venant au-dessous du mollet,
et cela avcc d'énormes bottines qui les Iaisaient ressembler ades
vivaudiéres ; et pourtaut telle était la mode il y a viugt ans,


La sculpture , art si ingrat, quaud onla sépare des monuments
publics, fit également quelques progrcs sous la Ilestauration ~
achaque époque nouvellc il faut des nionumcnts , des ares de
triomphe et des cénotaphes ; les gouverueuicnts qui se succedent
ont besoin de laisscr mémoire d'eux-mémes. La Ilestauration
coutinuant les travaux de l'Empire , concut quelques mo-
numents élevés a sa propre destinée ; la Bourse s'éleva res-
plendissante , les rues monurueutalcs de la Paix et de Rivoli
furent achevées avec l'immcnsc bátimcnt du Ministere des
Finauces ; on continua la Madelaiue , le Pauthéon , le palaisdes
Condé, la Chambre des Députés. Dans cettc administration dc
París si vigilante, on s'occupa surtout des halles, des abattoirs,
des fontaines, ct l'éclairage au gaz vint donncr ~l l'inuncnse
capitule l'aspcct d'une civilisation avancée. Dans la premierc
période de la Restauration , on s'éprit d'unc triste rage de démo-
lition centre les vicux monumcnts , les ch<1Ll'JlIX , les tours sei-
gneurialcs ; on lit se rcnouvclcr le \ andalisme des comités, En
'17t'9, sous pretexte de frllPIH'l' la kudalit('" OH avait brúlé les




PRÉCI5. - CHAPlTRE Y. 397
titres, déchiré les blasons,et fait une guerre inexplicable atous les
souvenirs de la patrie. Au moyen des déclamations du vieux libé-
ralisme, on tenta de renouveler cette guerre aux beaux-arts; il se
forma une bande de spéculateurs, qui achetaient et démolissaient
les vieux manoirs pour en retirer les pierres , et les faire servir
ades constructions nouvelIes. On vit alors, chose triste a dire ,
les cháteaux les plus antiques , les vieilles tours crénelées, tom-
hersous les marteaux de la Bande Noire , ainsi appelée parce
que rien n'était comparable a cette rage qui démolissait le
passé. En vain l'esprit de la Restauration voulut s'y opposer, 011
ne l'osa pas, car une opinion l'aurait accusée de vouloir réveiller
les traditions de la féodalité expirante. A la fin, l'amour des
arts indigné fit tout seul cette résistance morale a l' esprit de
destruction ; on défendit comme des chroniques de pierre, les
vieux créneaux, les tours suspendues aux rochers, ainsi qu'ou
en voit sur les bords du Rhin, le pays des légendes. On ne lit
plus la guerre aux cháteaux ; les romans de Walter-Scott aidé-
rent beaucoup les arts. L'esprit de I'histoire sauva les tradi-
tions des vieux temps. Le goüt se porta vers le moyen-áge ; la
statuaire des lors abaudonna la forme rornaine et antique
pour l'étudc de l'art gothique. Si quelques artistes conser-
vaient encoro des contours males et sérieux , le plus grand
nombre copia les vieilles statues des cathédrales ; on allongea
les formes, 011 fit des anges avec des couronnes d'étoiles au
front, avec des ailes longues, des robes longues, des cheveux
longs, des traits longs; on fit une nature a part qui n'était ni
dans les cieux ni sur la tcrre; nature de convention, pas méme
calquée sur les monuments du moyen-ñge : oú trouvait-on ces
figures étiques , ces statues poitrinaires tnéme dans les vieilles
cathédrales? la statuaire élégante sous le ciseau de l\I. Pradier
s'occupait a mignarder quelques jeunes femmes aux douces
formes, aux suavescoutours. 1\1. Cortot modelaitses ceuvres; tandis
que le jeuue David maintcnait les traditions males et antiques de
ses convicrions républicaines , ,1. Lcrnoiue ciselait sa statue de
l'Es¡Jénlllce ct 'l. Lcmairc sa jcuuc (ille tctuuu uu popilion.


1v. 34




398 mSTOIRE DE LA RESTAURATlO~.
1\1. Bosio, fut le véritable sculpteur ele la Restauration, elle luí
confia les plus belles eeuvres,en l' cntourant d'honueurs ; M. Bosio
fut pour la sculpture ce que Gros et Gérard étaient pour la pein-
ture; sespremiers temps s'étaient passés sous l'Empire , 011 peut
dire que son talent finit avec les Bourbons.


Si la peinture et la sculpture produisirent des~m res capitales
sous la Restauration, la musique apparut alee non moins d'éclat,
et Rossini ne fut-il pas son génie'? L'Empire avait vu finir l'école
de Grétry; Gossee ct lUéhul Iui-mémc n'avaient pas dépassé
le eonsulat; et comme David pour la peinture, on aurait dit que
la grandeur de leur pensée d'artistc avait Iini avec la Répuhli-
que; aux derniers temps de Napoléou , on ne parlait que de la
musique de Spontini et de Nieolo; l'un avait fait la Vcstale ,
Fernand Cortez .. larges ceuvres , l'autre les jolis opéras comí-
ques de Joconde et de Jean de Paris. Quand on voulait ele la
musique grave et solennelle , il fallait s'adresser a Spontini;
Nicolo était pour les airs faciles , les gracicuses compositions,
et eertainement la scintillante partition de Joconde révélait un
art remarquable. Nicolo, avec son imagination si chaude , mou-
rut jeune en plein travail, Alors on marche vers une ere nou-
velle : on s'éprend d'abord de Chérubiní , compositeur plcin
d'élan et d'études; mais ni Spontini, ni l'ingénieux Nieolo, ni
Chérubini n'appartiennent a la Restauration; ils la précedent
el ne produisent plus den. Ses véritahles compositeurs sont Boiel-
dieu , Aubert et Rossini, artistes choisis dans la période des
Bourbons. Boi'eldieu, intelligencc si vive, si mélancolique ala
fois .. n'ose pas la musique italienne tout entiere ; il est francais
avant tout, il veut plaire , saisir ; ses airs, tous chantants ,
deviennent populaires : Boleldieu a goüt pour les sujets histo-
riques, c'est l'époque de 'Valter-Scott; il aime les vieux chanrs,
le récit des mervcilleuses aventures el des halladcs ; s'il a été
gai, oriental en reproduisant le Calife de Bagdild., il devient
presque une légende du moycn-ñge dans la Dame Blanche. Voici
maintenant les DCIl:¡: IVuus qui sout conuuc son tcstamcnt mu-
sical; on lui dirqu'il s'aIl'aihIi1, (111'il n'a plus de talcnt, et Bolcklicu




PRÍ':r.TS. - CHAPITRE v. 399
meurt comme plus tard Nourrit sons les coups de la critique.
Auber cst le compositeur qni se rapproche le plus de Boi'eldieu
arce une tcndance aux airs plus fuelles et aux vaudevilles; il
Iait pour la musique ce que iU. Scribe accomplit pour le théátre ;
ses partitions pétillcnt d'esprit , il en met partout , prodigieu-
sement; Auher commence quand Boíeldieu fiuit; ce n'est pas
une continuation, c'est quelque chose apart, comme les vau-
rlevilles et les comedies de 1\1. Seribe. Vous voudriez envain le
romparer au grave Lesueur , au gai Berton, au maestro Paér ,
ce n'est pas eux et c'est un peu d'cux tOI1S.


Ilossini , qui est , je le n~pNe, le génie musical de la Ilestaura-
tion, a trop d'esprit pour se faire cxclusivement italien ; il connait
le fort ct le faihle de cctte école, fort ennuyeuse au fond quand
on la laisse dans sa savante monotonie. Rossini sait qu'il doit
parlcr ~\ une géuératlon gaie, spirituelle , étrangere eneore aux
grandes harmouics (le l'école allemande; il emprunte done tout
a la Iois a la musique francaise , ~\ la composition italienne , ce
qu'elles peuvrnt avoir de plus doux et de plus suave pour le
reproduirc avec son esprit dans de grandes compositions; il s'es-
saie dans ious les genrcs , illes parcourt arce une supériorité in-
contestable depuis la Ga:2(( Ladra jusqu'a Guillauuie Tell. A
ses cótés marche CaraITa, qui reste italien , napolitain dans
tout son type; Ilossini sait bien qu'il doit franciser son style
holouais ; son esprit prodigieux se fócoude h mesure qu'on le
met au défi; on lui dit qu'il n'ose le savant , le grandíose , et
il jette Cuillaume TeB. L'époque de la Ilestauration fut le
triomphe de la musiquo , ct cela s'explique; indépcndamment
des goúts pcrsounels pcut-útrc de l\l"lP la duchesse de Berry ,
la ruusique est un art csscutiellcmcnt d'élite qui s'applique
spécialemcnt anx classcs élevécs el qui appelle leur incessante
auention, Les grandes compositions en musique ne sont com-
prises que par les sociétés élégantcs , c'ost un loisir pour le
granel monde, une prétcn[iOll pour le petit qui vcut toujours sin-
g('''' Ayer. l'esprit de Ilossini 011 prit goüt pour le théátre italien;
alors vinrcnt les artistes d'élit« ~ tous dans leur jeuncsse el la vi-




/¡/}f) RIJJ'OlHE DE u sssrussrto«
gueur de leur talent. La troupe italienne fut formée par le soin
spécial de la maison du Roi; ces grands artistes qui nous émeu-
vent encare aujourd'hui avec la puissance de leur voix , La-
hlache , Tamburini , ces chanteurs qui font encare l'admiration
dan s leur áge mur, furent fixés en France par la munificence
de Charles X. La liste des cantatrices embrasse une langue et
brillante série depuis l\lme Catalani !usC\u'a ~lme Pasta. Ce {ut le
temps de Nourrit qui succéda a la voix chevrotante de Lainé;
Nourrit , que la mort impitoyable enleva a ce monde musical,
sa poésie, sa 'de. ;\insi les bcaux arts eureut leur époque, et
dans eette académie méme qui les représente , on remarque une
collection d'hornmes érninents; il Ya eertainement des noms in-
connus, des mérites qui ne sont pas justifiés et avec cela un es-
prit de coterie dominante; l'institution en elle-meme est mau-
vaise; grouper les heaux arts dans un meme corps, Iaire iuger
le mérito d'un peintre par un musicien , d'un musicien par un
sculpteur , e'est évidemment fausser la tendance des arts , c'est
donner une trop large voie a l'intrigue. Ensuite la jalousie des
eorps perpétue les anciennes traditions contre les jeunes écoles ;
la pensée de l'académie des Beaux-Arts n'appartenait point
a la Ilestauration , elle venait de cette orgueilleuse eréation de
l'Institu t, espéce d'encyclopédie permanente avec ses défauts et
sa prétention d'universalité, Au tcmps des arts modestes , jJ y
avait une académie de peinture , une autre de musique, de
':'lcu\p\ure, {\' ard1itecture , et ces compagnies ne se r~unissaient
que dans les circonstances rares; l'uuivcrsalité en toutes choses
c'est la faiblesse , la coníusion ou le désordre.


De quelque maniere que l'on juge politiquement la Restaura-
tion , on ne peut nier la main secourable qu'elle tendit a tous les
arts, Anx derniers temps la Liste civile se montra magnifique, elle
cncourageait tout; elle agrandit le Conservatoire, idéerépublicaine
encore ct pen féconde : quels artistes de premier ordre sont sortis
d~ Conservatoirc? le Conservatoire est pour les arts ce que l'École
polytechniquc est pour le génie; une institution qui ptodui! une
muhitude detalents secondaircs, mais aucune grande intelligenro.




PRÉr.IS. - CHAPITRE v, liOl
Presque tous les grands eompositeurs, depuis Grétry jusqu'á
Rossini, sortaient des cathédrales , des organistes, des enfants de
chceur, desétudessolitaires. Dans le Conservatoire au contraire,
combien de sujets obscurs et d'ambitions mensongeres; cela ré-
pandit le goüt de la musique dans les basses classes ; qui ne re-
vait de mettre son fils ou sa filIe au Conservatoire, et les spiri-
tuels romans de M. Paul de Kock révélerent plus d'une fois
cette plaie musicale qui faisait trouver un piano dans la loge
de ehaque portier.


La Restauration trouva les théátres dans un état splen-
dide ; le goüt de l' Empereur pour la tragédie et pour la
haute comédie avait enfanté des artistes : quand la protee-
tion est grande, les talents se développent. Talma sous les
Bourbons , était devenu presque un homme politique ; républi-
eain de principe , dévoué a l'Empereur par reeonnaissanee, il
ne s'attacha jamais a la Ilestauration , et pourtant la maison
du Roi protégea en lui l'aeteur dignement célebre. On doit
remarquer qu'avec cette intelligence qui appartenait aux grands
artistes, Talma s'était modifié avee les progrés de l'éeole mo-
derne ; il avait compris la transition du classique au romantique.
Dans Charles VI est-ille meme que dans Ciuna ? Il étudie le
moyen-áge , nos propres annales : Talma n'est pas seulement
un eomédien, c'est un érudit , un poéte ; son époque brillante
fut la Restauration, eomme cellc de JWI" Mars ; leur talent
avait aequis la perfection. Sous l'Empereur, Talma était trop
resté médaille antique, il se modifie ¡. l'époque oú la tragédie
et le drame se modifient également. Mlle Mars, la violette des
Cent-Jours , n'était plus assez jeune pour étudier eneore, elle
n'était point assez avancéc dans la vio pour se retirer de la
scene. Aux Francais brillent a leurs cótés Lafont, lUlles Bour-
going, Georges, Duchesnois , dans la comédie , les Baptiste ,
les Armand, Samson ot l\Ionrose; je ne crois pas qu'il y ait
d'époque oú les Franrais aient brillé d'un plus vif éclat ; depuis
ils ont été Irappés de mort , et cela s'explique , c'est que chaque
geure trouvo ses représentants : Ü la tragédie , 11 la haute comé-




402 HISTOIRE DE LA RESTAURATIO;\f.
die, il fallait des artistes de grande spéciulité ; quand la tragédie
fit place au drame , on vil s'élever des talcnts qui en reproduisi-
rent les nuances Bocage et MIli" Dorval.


A l'Opéra-Comique , sorte de succursale de l'Opéra pour la
province , se montrent des actcurs rcmarquahles ; Elleviou ,
ñlartin, Thénard , Mllle Boulanger. Au Gymnase, OÚ il faut un
mélange de sentimental, un lannoicment ~I la maniere de Mari-
vaux , on vit Gonthicr, Perlet , Mlle Jcnnv-Vcrtpré et la petit«
Léontine Fay , qui sclon l'cxpression spirituclle resta fixéc a
I'áge de dix ans pcndant dix-hnit ans ; puis le conunencement
de MlIe Déjazet. Le gcnre franchemcut comiquc , alimenté par
de spirituels auteurs de vaudcvilles , ~HI. Dósaugiers ,
Merle , Dumersan , Brazier , 'l'héaulon , ~lde::;YilIe el Srrihe
lui-méme , étaieut mis en action par les acteurs de premier
ordre ; Brunet était daus sa voguc , et apres avoir rcprésenté
les Jocrisses , il commcncait cetLe serie de roles comiqucs
dans lesquels il fut aidé par Ycruet , Vcruet , l' admirable acteur
qui avait eréé les róles les plus houflons et les plus pmhótiqucs.
Donnons aussi quelqucs souvenirs ~I PoIhiel' , dont I'iunucns«
popularité devint europécnne ; Odrv a coté de Pothirr , tout
cela formait un ensemble de grossc gal1é <tu 'on ne rctrouvcra
peut-étre plus. Ces gcnres I~I s'cu vont ; ~I cliaquc tcmps son
caractere , a chaque génération sa vogue. Le Yaudcville s'épui-
sait a force de produire ; 11 Ya des dIOS('S qui Ilnisscnt el il le
faut bien, car les idées se renouvcllcut ; il en cst des arts connnc
des artistcs eux-muucs , ils \ ieillisscut ; la décadcnce est la
peine de la gloire et du plaisir. Voyez une jeunc artiste feté<',
honorée , brillante, elle cst entouréc de tous les enivrements :
mais que Dieu lui fera paycr cher tout cela, <]L111nd les rieles
viendront et que ses traits scront moins purs et sa \ ojs flétrie,
Le chátimcnt de la bcauté c'cst la vjejllrsse ('/ la laj<1eur; b c11a-
timeut de l'esprit , ce sont les donlcurs iuliuies ot poígnantcs
de l'intelligcnce qui s'étcint ; JI Iaut bien qu'il y ait des com-
pcnsatious dans ce ruondc , Diou II POSl' le systeme d'égalité
inflexible: que sontdevcuues C('8 brillantes actrices de l'Opéra ;




PBÍ':CIS. - CHAPITRE Y. 403
avez-vous rcncontré quelquefois j\llle Bigottini, papillon Iéger
il y a vingt-ciuq ans ct aujonrd'hui les rides au front; je
m'imagine qu'il doit étrc bien triste pour Mlle J\lars de se
résigner a l'ohscurité des amitiés vieillies; quand on a été
env.ée, éhlouie toute une vie , et qu'on se réveille dans la
réalité de l'üge ~ alors que de douleurs , que de déchirements l


Un travail spécial sur le progres des sciences sous la Restau....
ration , demauderait un immense développement; un rapide
aper~'u ne peut toucher que les superficies, Des résultats consi-
dérablcs pourtant furent ohtcnus pendan! cette période de seize
annécs ; le prr-micr de tOIlS, ce Iut le re tour des sciences natu-
renes vers une concordance incontestable avec les traditions
rcligieuscs, Sous ce point de vue , il faut placer en premiere
ligno les travaux de M. euvier.· Ton t le XVIIIe siecle avait été
préoccupé d'une scule pensée, dérnolir l'écriture par la géologie.
Boulanger , Bulfon lui-méme avaient étahli des théories sur la
formation de la terre Iort en arriere des sciences exactes el
surtout des cxpériences par les faits, Il se fit pendant la Restau-
ration un travail tout OppOS(~, et les intelligences les plus émi-
nentcs se miren! ala lete. En astrouomie 1\1. de Laplace détruísit
dans des ouvragcs de son agc avancé une partió des doctrines
que jcune honnne il avait empruntéesau siecle oú il était né,
}J. Cm ir-r , daus la g('ologie, établit sa théorie sur les temps an-
t('di!mic])s, sur la formation succcssive de la terre qui se rap-
proche de la théogoníc de ~loi·sc. Si l'on peut dire que pour les
SCiCllCCS cxactes, les matl\(;maliljlles el la physique , le XIX" sieclo
nc fit qlle continuer le xvrn- ; iI n'en fut pas ainsi de la géo-
désic et de la connaissance des terrains superposés, science tout
entiere renouvelée : ainsi on étahlit parfaiternent la succession
des (1Ire8, on ne se divisa plus que sur la théorie des volcans et
des eaux; tous reconnurcnt qu'un cataclysme immense avait
hrisé cetro planetc, ainsi que ñloise le raconte; on cessa de dire
la matiere élcrnelle , on ne différa plus que sur la cause agis-
sanle , on ne railla plus commo Voltaircsur les coquilles trouvées
:\ la creto des montagncs I('s plus élevées, Nul ne douta désormais




404 HISTOIRE DE LA RESTAURATION.
que les eaux n'eussent envahi cet hémisphere et que l'océan n'eut
ouvert ses grandes cataractes. L'application de la vapeur comme
syterne général, la création des chemins de Ier , comme voie et
moyen habituel de communication appartiennent également au
temps de la Restauration. Le ministére de la marine fit construire
des vaisseaux de guerre, se mouvant par cct agcnt actif, les ma-
nufactures employérent les machines et le Gouvernement favo-
risa le chemin de fer de St. -Étienne comme essaipour accomplir
des grandes lignes; ce que l'Empire avait dédaigné , la Restau-
ration l'accepta et l'on vit des 1817 un petit navire avapeur sur
la Seine. Toutes les sciences eurent leurs capacites spéciales ,
aprés M. de Laplace , l'astronomie compta M. Arago aussi amou-
reux de renommée que 1\1. de Laplace était d'une modeste ob-
scurité. L'Europe salua 1\1. Cauchycomme un des mathématiciens
les plus distingués; apres l\l. Cuvier la géologie compra quelques
hommes éminents avec trop d'esprit de systeme peut-étre ;
dans les sciences, ce dont il faut se garder, ce sont les exagéra-
tions, une idée bonne peut fournir mille fausses conséquences, et
les idées de lU. Cuvier furcnt forcées. On vit SOllS laRestauration
toute une théorie établie sur la population des astres , et cela fut
présenté sérieusement al'Acadérnie des sciences. CetteAcadémie,
par un trop grand désir de publicité s'était vulgarisée ; elle ne de-
venaít ni plus ni moins qu'une Chambre de Députésoú l'on disser-
tait sans cesse pour se faire mentionner ensnite dans lesjournaux.
Est-ce que Newton , Euler appelaient une tribuno permanente
pour chacune de leurs grandes conceptions? ils travaillaient, écri-
vaient , et se livraient aux expériences pratiques. .


I..a seule publicité utile dans les scieuces , e'est lorsqu'elles
sont appliquées aux arts ou au connnerce , aux grandes amé-
Iioratíons agricoles ou manufacturieres , el la Hestauration fit
beaucoup pour agrandir l'éducation industrielle. L'école des
Al'ts-et-iUétiers fnt sa création, puis elle acheva la grande ligne
de canaux ; la loí de 1821 pennít a I'administratiou des ponts-
et - chaussées de suivrc le plan de canalisation tracé SOllS
Louis XV par 1'1. d(' 1\IaclI<l11I1. J(' ne 1)('118e pas ql1r l'Europo




PRf~CIS. - CHAPITRE Y. 405
pút présenter une réunion d'hommes plus forts, plus spé-
ciaux, plus émincnts que I'Académie des Sciences; en géo-
métrie, c'étaieut l\1M. Legendre , La Croix, Biot; pour la
mécanique , l\1M. de Prony et Cauchy; pour I'astronomie,
MM. de Cassini, de Bouvard et l\1athicu; pour la physique,
MM. Gay Lussac, Poisson; pour la chimie , Ml\l. Thénard
Chevreul et Darcet; pour la minéralogie, Jlll\'l. Cordier et
Brongnart; pour la botaniquc, MM. J ussieu, de l\1irbel, de
Saint-Hilaire ; il n'y avait pas jusqu'a I'agriculture et la zoologie
qui n'eussent leur tete de science et lcnr vénérable représen-
tant.


Aux dcrnicrs temps de l'Empire le commerce était tombé
en l'état le plus deplorable: les transactions .étaient complé-
tement suspendues; dans les jours mémes de sa splendeur ,
Napoléon avait mal comprís les idées de banque, d'échange et
d'industrie ; il forcait les rapports de peuple a peuple sans
jamais ricn laisser a la liberté, a la puissante concurrence :
quel pouvait étre le commerec extérieur , lorsque nul navire
ne sortait du port sans devenir la proie des croisiéres an-
glaises? le cabotage méme était interdit; les revenus des
douanes ne 'comptalent pas un cinquieme de ce qu'elles rap-
portent aujourd'hui , "et pourtant ce systeme s'étendait jus-
qu'a Hambourg; ji y avait des villes complétement ruinées,
Bordeaux, l\1arseille, le lIavre, et ce Iut merveille lorsque les
Bourbons revinrent avce la paix , de voir se rouvrir les ports ct
toutes les richcsscs du monde s'y réunir. Dans un pa~'s aussi
civilisé que la France, avec des mceursaussi avancées, une inva-
sion passe et ne ruine pas; dans les années 1814 et 1815 il ré-
sulte de la balance commerciale que les revenus de París dou-
blérent ; Paris vit grandir sa splendeur, les marehands réaliserent
des sommes énormes , car les alliés laissérent plus en Franco
qu'ils n'emporterent, et tel est l'effet du mouvementde la banque
que le numéraire ne diminua pas malgré les contributions de
guerreo Il suffit de consulter le taux dn change sur Ham-




ll06 HlSTOIRE DE LA RESTAURATION.
hourg, Londres, Arnstcrdam, la balance reste prcsque ioujours
favorable a la France. Ce qui s'explique : en méme temps que
les contrihutions étaient levées, les emprunts étaient pris par les
maisons de hanquo étrangeres, les Iloppe d'Amstcrdam, les Bar-
ring de Londres, d'oú iI s'ensuivait fIne les mémes sommes que
la contribution nons cnlev ait rcveuaicnt par ]'cmpruut ; ces
transactions multipliées dounerent de la vie i\ toutes les opéra-
tions flnanciercs, A mesure d'unc plus active circulation , iI se
rattache au numéraire une valeur tonjours rcnouvclée aussi :
n'est-íl pas une branchc d'iudnstrie (luí nc se ressentit de la
douhlc influeuce de la paix , el du rctnur des Bourbons ; les
grandes fortunes pour les tissus, pour l'cxploitntio» des Iers, pour
les eolonies, furent faites alors ; la bijouterie , les articles P:ris
trouverent partout des déhouchés Iaciles ; le temps müme des
splendeurs pour la librairic cst de cettc époquc. Dans les années
les plus fatales, le nombre des Iaill itcs uc s' éleva pas ida moitié
de ce qu'il est aujourd'hui ; la somnie totale des béuéfices
opérés dans ces 16 annécs est inimaginable; tout dcvint une
source de conuuerce , m0mr les rriscs de Iaminc qui surcó-
dercnt ~\ 1815.


L'accroisscment fut progressif ct considérahlc ; c'est a la Res-
tauration que la banquc doit sagrande consistancc et son activité
politique ; Napoléon nc comprcnait pas les hanquicrs et le eré-
dit , qu'il coníondait avcc l'agiotagc, Les Ionds que les Bourbous
prircnt a [¡;) Ir., ils les laisscrcn t ü 11'1 Ir., el le dernier taux du
3 pour lOO Iut a 86 fr. ; cela icnait non-sculcment ~l la sécurité
qu'inspirait le Gomernement, mais eneore b. la honne foi de ses
transactions. Des ce momcnt on se précccupa de tous les intóréts
commerciaux : le ministre de l'intéricur crea aupres de lui des
conseils de commcrce ct de manuíacturcs ; il dut y avoir tous les
cinq ans des cxpositiunspubliques pour lesproduits de l'industrie,
on récompeusa magnifiqucmcnt [out ce que I'industrie faisait
pour le pays; sous l'Empirc on ne connaissait pas les industriels,
ce nom devint honorable sous la Itcstauration. Des reglements de




PHÉCIS. - CHAPITRE Y. ft07
políce nrganiserent en corporations les bouchers, les boulangers;
Bercy dcviut uue ville arce ses Iranchises ct son entrepñt ; l\Iar-
seillc, le Harre, Bordcaux furent resplendissautes de prospérité,
et comme dernier actc on ajouta Alger au systéme colonial. Et
pourtant le commerce ne fut point reconnaissant pour la Res-
tauration : les patentés a 300 fr. menacerent le plus souvent
la légitimité; et cela tcnait ~l de petites jalousies. Dans la po-
litique le pouvoir ne doit pas seulement s'occuper des intéréts ,
mais encorc prendre soiu des vanités : on avait fait accroire
au commcrce qne les Bourbons n'avaicnt de protection que pour
la noblcsse et les prétres , et que ce qu'on faisait pour le com-
merco arrivait par un mouvemcnt naturel en dehors de la Res-
tauration. Générnlcment une popnlation est d'autant plus difficilc
acouduire qu' elle est riche et opulcnte ; si les électeurs a300 fr,
avaient craint pour nos relations commerciales, pour la rupture
de la paix , pour l'ordrc ct leur fortune, ils n'auraient point
fait autanr d'oppositiou : mais ils étaient pleins de sécurité , leur
avenir graudissait ; des Ion; il n'cst pas étonnant que le com-
mercant se préoccupát de vanités et de politique lorsqu'il
n'avait pas ~l craindre les temps d'orage : la fortune est un
peu insolente, et surtout ingrato, D'oú il résulta que la classe
marchando eut le loisir de faire la part de ses jalousies ; elle
ne pardonna jamais ni la supériorité intellectuelle, ni la
supériorité de naissance. Il lui fallait un gouvernernent tout
entier a elle, avec ses mceurs, ses habitudes, et sur.- lequel
elle püt compter. Cettc circonstance , jointe aux fautes im-
menses de la Restauration , explique le phénomene d'une
prospérité inouio parmi les populations et leur mécontentement
iucessammcnt renouvelé, D'aillcurs les doctrines corruptrices
étaient descendues dans la classe des ouvriers ; la société élevée
reveuait aux idécs religieuses , les ouvriers avaient adopté les
principes du xHJI e siecle ; la Restauration en vain cherchait a
les moraliser en lcur dounaut de l'lustruction , en les rendant
rcligieux , en les corporaut , mais ces príncipes maladroitement




408 llISTOIRE DE LA. RESTAURATlON.
appliqués étaient dénoncés comme une tyrannie ; l'ouvricr con-
serva done son indépendance souvent désordonnée.


Tout en faisant de grands prospectus dans ses lois , la Bestau-
ration cut le malheur de faire tres-peu pour la classe qui s'était
rattachée spécialement aelle, la propriété; elle parla incessam-
ment du clergé, de ses tendances pour l'aristocratie : elle com-
promit l'une et l'autre de ces classes. Au moment done oú s'ae-
complit cette vil' de la Itestanratiou , il est curieux de faire
l'inventaire du bien et du mal qu'elle a fait au pays ; il est in-
contestable que l'époque ne Iut pas sans grandeur, en examinant
surtout le pays deux fois envahis accablé sous les ealamités de
toute espece, Le Gouvcrnement fit beaucoup pour la prospérité
de la France, si bien qu'illa laissa dans une magnifique splen-
deur. Ce qui détruisit successivement toutes ces ceuvres, ce fu-
rent les doctrines qui grondérent autour de lui; les Bourbons
n'avaient pas assez de force pour reconstituer l'ancieune Franee,
ils se servirent des formules administratives de l'Empire , de ses
pensées et de ses hommes; ils voulurent se coucher dans le lit
gigantesque de Napoléon , trop grand pour Ieur taille ; au lieu
de s'appuyer sur la popularité capricieuse, bourgeoise et mar-
chande de Paris, ils auraient dú chercher leur force dans la
propriété fonciére et la provincc, Voyez aussi quelles doctrines
retentissent autour d'eux ; ce qui se publie en politique , c'est
la destruction de toute pensée de gouvernement , de force ct
d'unit~; les écoles royalistes et libérales le hattent également en
breche; en phiJosophie, comme dans l'enseignement, ce sont
les doctrines qui appellent les générations aune indépendance
d'esprit et de discussion ; dans l'histoire, on ne parle plus que
de la révolution de 1688 ; on exalte la République et I'Empire ;
dan s la littérature , sur le théñtre , on ne représente que des
scenes de révolte , de barricades et d'émotions; les arts eux-
mémes reproduisent en chantant la révolte des Grccs, le triom-
phe de Guillaume Tell et la turbulenee des lazzaronis sous l.\Ia-
zaniello, Et vous voulez qu'un gouverncmcnt résiste h tant de




l'HÉClS. .- CHAPUllE V. 409
causes de ruine; il ne pouvait se sauver que par l'énergie ou les
concessions ; l'ónergie devait le conduire aquelques-unes de ces
grandesmesures, qui vinrent ala tete de Richelieu aprés la Ligue,
el aNapoléon apres la Révolution francaise et en avait-illa force?
les conccssions devaient étre franches et larges, saos arriére
penséc. Aussi l'reuvrc la plus admirable des hommes politiques de
la Ilestauration , fut d'avoir concilié un momeot des príncipes si
opposés , l'habilcté de 1.\1. de Talleyrand, le ministere de 1.\1. de
Richelicu nous avait reconcilies avec l'Europe; la politique de
l\DI. de Martignac et de La Ferronayc voulait ralier les partís
autour de la grande couronue des Bourbons, Vieu sans doute qui
a d'autrcs desscins ne l'a pas permis !


FJN nu TOME QUATIuimE El' ])Ell.\IER.


i
~.


IV.






\


TADLE DES I\IATIERES.


CnAPITRE XXIn.


Deruiere arlmiuist ra tion de AL de Yillt'le jllsflll'il l'a\'éllc·
ncmcut de l\f. de l\Ial'ligllae 1S27-1828. .• .' Pnge 1


CUAPITRE XXIV.


Le ministcre de]\f. de Marlign,\{'. J.lII\'iel' 182ft Aoílt
1R2D.


CnAPITRE XXY.


J\Iinist{'.l'C de M. dc Polignac. Aoul 1829. Juillel 1830 .. 191


PRÉCIS.


Précis dcs dol'll'ines po]ilifflu's, de la plrilosophie , el des
nrts , pcmlnut la Bcslanl'atioíl , 2[)[)


Cn.\PITRE pnEmER.


Les doctriucs poliliqlle'i pClI<lanlla Reslanralion 2;)9


CIIAPtTllE n.


La philosophie, la morale , I'liisloil'c, I'économie pol itiquc
pen!"'n\ b \\\~s\aura' io n , ..,..... . '2.87




412 TATILE DES MATTimES.


CIIAPITRE IIJ.


J ' A ] , • 1'U' '1' 1" ¡ I li~ cac cnue , mverst .. , enseJgllelllC'II P") le.


CIIAPITRE ] y .


Pngc 312


Y,a Iiuérnturc sous la Rcslalll'a\io\1 , , ~27


Les arts , lcs scienccs , le couunerce el I'jlldusfr;e IWlldnnt
la Restauration , .•. 391




nES J[ 1.T r i,~ REs,


TOME PREMIEH.


CHA PITn E PllEMIEn.


TE:'\T.\TlYES DES ROY.\ LI.'TE:' ]'OUII PIIÉI'ARER L\ RESTAURATIO\'.


:Prcmierc lláiodc.)
L'émigrnüon. - La conlitiun . - 1,:1 Vcnd ée. - Les Prínccs dans


l'érnigratiun . - Les üoyallstcs apl'l's 11' U thcrmidor. - Quiberon
el l'lk-Hicl!. -Les agen!s ú I'illlóriellr.-Avéncrncnl de Louis XVIII
el de SOIl conscil. -- Oll'res Faltes ú Pichcgru. - }\('gocialions a vec
Barras. - Les BO)'illisles au 1~ hrumnir c. - Farnillc royale ú
l\Iíllall.- (;::or,(cs, Píeh:'grn el Morcal!. - Louis X VIIl pendan!
l'Ernpirc - Hal'lwcll. - li8:)-181:.' .. " , .. , P. 1 ú SO.


CilAPITHE 11.


( Deu.riinne páiuilc.)
AlTaisselllent de l' Empíre, -- P.e\Ci's de :\allilléol1. -_. Ii ésistancc des


I'oills 111J\iliqlll's. - Ih"illilr('(ll's 11e LOllis XVIII. ._- nJull('·scing.'.-
Promcssrs. _.. Congl'l's de C¡¡:ll il ion. -- \l{'marc!tes pour pl'l'pal'CI'
la nl~slalll'alí¡¡lI ... 1)¡"IlI;J1lstr.II;OllS I'OY;11islcs ú Trnycs , ú Bor-
dCilllx'-Tcntali\c";;'l Paris. - Lnjolll'll(~edl\ :31 marso -181:1-1814 .
........................ " P.81;',1\?




TAnLE C(.:NARAIE DES 'IAnimES.


CHAPITn E III.


ACCO:\IPLISSDIE~T DE LA RESTAUI\ATION.


L'empercur Alcxandrc dans le salen de M. de Tullr-yrnnd. -- Conté-
rcnccs pour la Itcstnuratiuu. - Dcclarútion coutrc BOllaparlc.-
Le Sénat Conservateur. - 1~lablissrllJelJt d'uu g();\ycrnclIlcllt provi-
soire. -- Compositlon d'un premie!' miulsterc. - Dúrhénnce de l'Ern-
pereur. - Adhésion du corps lógisJalif. - L'Ernpercur Ú Fontaine-
bleau, --l\Iarie-Lonise ú Bluis, - Conf'ércnres pour la régenee. -
Abdicalion de l'Empcrcur. - 'l'ra vail du Sénat pour la Constitution.
- Louis XVIII proclamé. - Artion <1<' la prc-sc. - Acles du gou-
vernernent provisolrc. - Le comte dArtols llcutcuant-gcncral du
royaume. - Ses prcmiers actes, -- Louis X VLl l jtl~lJU'Ú Saint-Ouen.
- Conférences pour la dcclaraüon qui pr(~cl'ue la Charle. - Avril
181 ti , • • • • • • • • • . • • • • • • • • • • • • • • . • • . • • •• . ••• o • •• P. 113 á 16·3.


CHAPITn E 1V.


LE GOUVEI\~E~EXT DE LA I\ESTAUI\ATIO~ E~ 1Rl1.


La maison du Roi. - Le l\Iillís!l'·rc. - Le Gouverncment. - Confé-
rences pour la Charle. - Coustitution des Charnbrcs. - La prcmiúre
Charnhre des Palrs. - La Ch.unbrc des Il('[luU·s. - tes adrcssesv-e-
La prcsse, - Négociatlons diplornatiqncs pour le traité de París.-
la Farniile royalc. - La Cour, - París el les départcrnents. - Les
1ravaux léglslatifs . -- l\1ai-Ol'l.obre 181\ .. , ..... o • •• P. 1nj f¡ 2 ¡:l.


CflA PlTPd~ V.


LF. CONGRES DE "11\:'\:'>E; DÉllAI\QTTEl\lENT DE nO:'lAP,\RTE.


Sltuatlon des Souverains a Viennc. - Les Ministres. - Position de la
Franco. - Plt;nipotcntiail'cs. - DaIs e/ pIJi~irs. - Confél'ellccs.-
Intéréts de la Prussc, - de l'Autriche. -- r.&;;lement des indcmnités.
- Divisíons. - Qucstion de la Saxe , - de la Polognc. - Naples el
Mural. -- Optu íons en Frn nce "UI' le Congrios de Vicnnc. - Faut<'s
du ministerc. - Premicr mouvement pntrioto ct ímpérlallstc.v--
Murat et Napoléon. - Déharq uemr ut 1111 ¡.rolft~ .luan. - Gouverne-
ment ro~ül. - i'I\('surcS. - C1USCS du s\lc(°~s de HOI\l\\)l\rlc. - Dl~llart
de Lou¡s XVITl.-Seplelll/Jrc /Fi/!¡.·-!U"rs tsi: ..... o P. ~¡¡ i12!lli.




T AnLE r.f;'-"ímAtE DES l\IATIERES.


CHAPITRE VI.


MaUVE~IE:'IT VERS UNE SECONDE RESTAURATI0N PENDANT LES CENT-JOURS.


Nouvelle expérience des révolutlons, - tes popuJalions de la Frunce.
- Louis XVIII á Lille, - Le l\1idi et le duc d'Augoulémc. - Bor-
deaux et :\Iadame. - Louis XVIII á Gand. - M. de 'Iulleyrand a
Vicnne. - l'révoyanccs d'une nouvellc Bcstnuration. - Examen des
Ccnl-Jours par les I'.oyalistcs. - Imposslbllité de durée, - La Cour
de Gand, - Itapports des Bourhons aHC París. - Instinct de la
chute de Bonapartc. - Liaison avcc le partí patriote. --Les Bourbons
aprés Waterlon, - ",Iarche des alliés, - Fouché el Louis XVIII.-
Le duc de \VelJinglon melé aux combinaísons ministérielles.-
Arrivée de l\I. de Talleyrand á Mons. ~ Forrnation du nouveau
ministcre. - Louis XVIII a Arnonville, - Avril a Juil1el 1815•
. , •..•.........................•.... _. • • . . . •. P. 2!J7 a 3;11.


CHAPITRE VIL


PREl\IIEn ~I1NISTjCRE nE LA SECO;,\DIt RESTAURATION.


La France, les Partis , Ic Gouvernement aprés les Cent-Jours.-
Adminislration du ministerc Talleyrand. - Sa séparation d'avec
les Itoyalistes, - Divisions avcc le duc d'Angouléme, - Liste de
proscriptlon. - Fouché. - La Chambre des Pairs. - Mlnistere de
la guerreo - Dissolution de l'arrnée de la .Loirc. - Le créditv--«
M. Louis. -- Convocatlon des Députés. - Epuration. - Itapports
de Fouché. - N{~gücialions Ú(' l\I. de Tallcyrand avec les Alliés.-
Impuissance d'aboutir ú un lraité. -- Situation des Alliés a París . .......,
Exigcnccs. - Motiís qlJi amóncut la dissolution du mínistére de
]\1. de 'I'alleyrand. - Louis X VIII et le prcmier ministre. - Juillct
Ú Septernbre 181[, ......•....•....•.....•....... P. 332 á 370.


CHAPLTRE VIII.


PRDIIER 1I1I;>lISÚ:RE DU DUC DE RICJlELIEU. - RÉACTlüNS ROYALISTF.S.


Silualion difficile du mlnistérc Ta\lryrand. -- Sa démissioll.-Compo-
sition du minlstére Itichcli eu. -- Influencc russe. - Les Ministres.
- ;\1. Decnzcs. -l\l. de Vaublanc. -- Le général Clarke. - tlat de
la Ilrcssc. - Des salons de París. - Des Provinces. - Occupation




416 TARtE Gí~Ní':RAU: DES M ATlimES.
des armées alllées. - Massacres du l\¡idi. - Mnrsellle. - Avlgnou.
- Début de la Chambre de 1St:,. - Sa composltion. - La Charuhrc
des Pairs, - Protcstation. - Projet d'adrcssc. - ~('gocialion un duc
de Richelieu avec les alliés. - La Salnte-Alllancc. - Protocole du
2 octobre,~ Partage et indcmnités. - Slgnaturc du traite. - H{'or-
ganisatlon de l' Europe - Scptembrc et octohre )S1i. P. :1S0 Ú 'fe'¡ 2.


CHAPITRE IX.


L\ ~'RANCE nr t'EUROPE A J.A FI:-¡ nI' 181;).


La Cour, - Louis XVIH. -- Le comte d'Artols, - Les durs d'Angou-
léme et de Berri. - L'admlnlstrnüon, - La pollee. - Les l\Jinis(r('s.
- 1\1. de Vaublanc. - Le général Clarkc. - 1\1. Dcrnzes. - La
session de 1815. - Esprit de la Chambrc, -- Projets de Iui, - 1\111-
nistie , - Les Cours prévótales, - La Chambrc des Pairs. -~. Proces
politiques. - 1\1. de la Bédoyére. -l\I. de Lavaleltc - Le maréchal
Ncy. - Siluation de I'Europe Ú la fin de Istr,. - Scplcmbrc á
décembrc 1S15 " P. !I'I;~ a ;JI \.




TOME SECOND.


CHAPlTHE X.


mvrsroxs DU ~1I:"¡STEnE 1lE ". DE r.ICIIELIEU AVEC LA CIUl\lBHE DES nÉPUTÉs.


Modération de M. de Itielu-licu. -- flesoin de repos el d'ordre. - Hninc
de la Charnlrrc coutr« M. de Marhois. -- M. Dccazes. - l'I. de Vau-
hlauc, - La !oi d'auuustic. - Ce que veulent les Itoyalistes. - Ce
que concede le ministcro. -lkbals dcvant Ia Chamhre des Députés.
- Devant la Chambrc des Palrs. -- Situation des partís en Frunce.
- Les Patrlotcs. - Les Iionaparflstes. - Les Coustituttonnelsv-«
Les Itovalistcs. -OrganisaLioll sous ;U. le cornte d'Artois -Syslcm('
électoral. - Projct d e M. Laill(\. - Id ée roynlistc, ~ Administration
publíquc.i--, Les COUI'S [Jrl'\IHales,-Juslice. - Intérlcur. - Guerre.
- Marine. -Palier. -\lJ'ail'es étruugér cs. - te budget de JHI(;.
- La Cour.- L1 Fil/llillc rnyale. - Dernicrs acles de la Chambre.
-.J:lll\'ierillllili lRffi , P. J ú 10H.


ClIAl'!Ti\E XI.


:\lollificaliun du ministcre. '- M. Lainé dans le Conscil. - Ascendant
de M. n('('azrs.-l\Iollycnl('lllrl~,oll:liannail'c ú (~rcnoble. - Conspi-
raí iun des I'alriole o•.-- Mesures sévcrcs de la Itcstauratlon. - In-
quietudes. -- i\Iol,ilcs qui cuuatncut vers un systémc de modération.
- Happr;chcllH'llt :I\C(' la rninoritú de la Chamhre. -l\J. Dccazes.
-- ;\L Mol(',. - ]\J. Pasqnicr. - Actlon de l'Étrnnger, -1\1. Pozzo di
J1orgo. -- Z,I('lIloirc, sur la dlssolutio n de la Chambre. - Ordonnance
OU ,1¡ scptcmt.rc. - ñlcsurcs de rigucur conu-e les noyalisLes.--
1\f('~rno:l'i' de 1.1:lli, X VIII. _. Siluat iun de l'Éuangcr. - Le parlcmcut
de ¡'.\IJ~letl'rr('. - E\pliraliol1s 5[11' le d cr nicr Lraílt\ de paix.-
Ol'gani,al:on dr' la I''';(gll('. - Esprit nouvcau el! Prusse. -- Tcudunce
de,; (; lIlÍll:·' -- ,fuill ;i'~('iI/I'U"ll'e /'~lfí P lO!) ti l/;S.




la18 rxnr.e (;í·:)\"tnrH.E DhS :\L\TlimES.


CHAPlTRE XIT.


GOUVRr.NE~IE:'\T DE LA RESTAURATIO:'I APRleS L'ORDO'-'\:'\l\:.'iCE JlU [) SEPTDInRE.


Les électlons de ISIG - Le Conscil des ministres - Adrníuistration
intérleure. - Flnunces. - Cucrre. -- La Charnhre de ISJG. - ¡,es
Députés, - Les Pnirsv--Nanu-uvrcs du royalismc centre le miuísterc.
- La loi d'élcctlon du [) févricr. - La cour, les opiniuns , les salons.
- Les lois d'cxccption. - Manque de subsistanccs. - Les trouhles
t1ans les départcments Ijar la disettc. - Progrrs de l'adrninistratlon.
- Concordat, - Opératious Iiuuuricrcs, -- Iiudgct. - Fin de la
SCSSiOfl. - Septcrnbrc 181G.-.Juill 1817 P. lGD a250.


nÉVELOPPDIENT DU srsTblE LIlIÚRAL DE LA HEST:\URATION.


;\lodifJcalion du rninist(·re.·- ~1. l\Iolé ú la marine, - Le maréchal
Gouvion-Saint-Cyr Ú la Gucrre, - Négociatiou pour les créances
des alliés. -I.asessioll de 1817. -- i':Latdcs opiníons. - E~prit publlc.
- Préparntifs de la scssion. - Débals. - Vote de crédit pour la
délivrance du territoire. - Aduiiuistralion puhlique. - Congrcs
d'Aix-Ia-Chapclle. - Juillct ISl7.0elobre 1818•.... P. 2tJl ú :\'14.


CIIAPITBE XIV.


CHUTE nu CABI:'\ET R1CIlELlEU. - LE MI:'\\STERE DE~SOJ.I.E.


Les électious de tRIS. - Tendance ré voluüouuuire. - Op(\ralions
ñnanciércs. - Itetraitc de l\I. Corvclto. - iU. Huy ministre. - Ou-
verturc de la session. - Démission de ;\1. de nidll~li('lI. - tnfluence
de ..\1. Decazes. - Acccptation de ;\1. Ircssollc. - CalJiuet de la
gauc\H'. - Session de 1R18. - Couclusion. - l'ropusiLion de l\I. Bar-
thélcmy centre la loi des élcctions. - l'romctlou de l'airs ..- Adrni-
nistraüon puliliqu c. - Fin 11(' la r('.lrlii;ll. -- Les journaux. - L'opi-
Ilion publi:¡lI('.~-Le parti rova listc. --II\(lllil"lilt!e dl·I'Emullc. - La
scssiou de IRln. - Situntiuu di! pouvoir, - .\(~l'cssil(~ dé moúifier la
tcndauce des affulrcs. - ~Iai ISj,".-()('luhre I~i\) .. 1'. :1'.:) Úíí~.




TAr,LE (iÉNÉBALE DES MAnimES.


CHAl'lTRE XV.


I'nÉSlIJE'iCE IlU CO:'íSEIL VE :\1. DEC\ZES.


[tI ~,


Situation du pcuvoir. - ASIlCcL dc l'Europe. - Dérnissiou de JI. Des-
solle. - Changerncut pruposé par .1\1. Decazes iJ. la loi des électlons.
- Appul des dortriunirns. - Itapprochcmcnt arce M. Pasquicr.-
Dissolutiou du ruluisterc Dcssollc. - Présidcnce de 1\1. Decazes. -
Expulsión dc l'abhé Grégoirc. - l'étilion sur la loi élecLoralc.-
Projet doctrlnalre. - Assassinn t de M, le duc de Berrl. - Nouvclle
crlse mlnistériclle. - Chute de M. Decazes. - Septcmbre 1S1!)-
Février 18:20 ....•..........•.........•......... P.H3 á 445.




rÜJIE rnois: ~~.\IE.


CH\.PITnE x VI.


• SECOND l\IlNISTEnF. DU nuc DE RICIIELIEU .lÜS(~U',\ L.\ LO! LES ÜECTIOXS.
Caractére de la secunde adruinlsu-atlon du duc de Hicl1elícll. - Luis


d'cxeeption. - Liberté lndiv íducllc. --- .Iouruaux. - FS]l:'i1 de révo-
lutiou en Europc. -- ,'¡O!lH'IIlellt en Espagne. - H('uclion des Cahi-
nets. ~ Eñ'crvescence des í:coles. - Ikllunl'iatiulI un gouvcrncrnent
ueculle par 1\1. l\Iadier de Muntjau , - Dúbuts de la loi (j'elc('lioll. -
La tribune. - Trouhlcs du ruols de juiu, -l\épl'essiulI. - Amcnde-
I1Ien1 Camillc-Jurdau, - Bouin. - Vule. -- Couspirutlon militairc.
-- Férricl'.-Aoúl 1820..•....... , .................• P. 1 á 48.


CllAPlTltE XVII.


llETOUR AU\: IlJÉES ET ,\U Goü\'Ell.\E'IE.\T IlOL\LISTES.


Naissancc de :\1. le duc de Bordcaux. -- Irnpulsiou el force que doune
cet évéuemcnt aux Iioyalistcs. - l\l\ICliuIl de l' Europc. - Congres
de Troppau. -- Mesures centre Nuplcs. - Les Autríchicus en Jtalie.
-- Iuterveution. - Les csprits en Frailee. - i;pur:llioll de l'armée.
- Appel aux. électeurs. - Députés des peüts el grands collégcs.-
Atuhassade de l\l. de Cllúlellubriund. - .'D1. de Yilléle el Corbiere
dans le Couseil, - Scssion de 1R2l. - Prcmicre dissidcnce uvec les
l\.oyalistes. - Loi muuicipalc.v- Fausse attitudc des Lihéruux. - Fin
de la session. -. Scptetubrc 18.20.-Juín 1821, P.j(J it 87.


CIIAPITltE XVIlI.


~OU\ELLE I\Ui'TU,E .\\EC LES I\O\.\L\STES. - C.\LSE!JU :IIISISTERE
DE ~1. DE VILLléLE.


Le cabinet ltichelleu aprcs la scssiun de 1:1!O - Conspiration. -
Jugement de la consphatiou tnil itu irv. ~ i';lat de I'opinion. - Le
cougres de Layharh. - Napies. - Le Piéfllonl. -- 'lriomphe de cabi-
nct , - :Uurl de j\apolélJlI. -··-lJapli:'lIlc du duc de UOl'lll'au\. - force




de l'opinion royallstc. - Ouvcrturc de la session. ~ ülscusslon de
l'adresse. - Yote centre ce ministerc. -l\ctraite du eabinetHichc-
licu. - Seplernbrc 1820. -Décembre J821 , . . •. r. 88 á J28.


CllAPlTllE XIX.


FOR~IATIO:'l ET I'REmEIlS AcrES DU l\lINISTERE DE M. DE \ILLELE.
Personuel du eabinet Villelc. - 1\11\1. de l\Iontmorency. - l'eyronnet.


_ Contre-opposition. - Bureaux. - Session de J822. - Projels du
nouvrau mlnistére. - Cornmenecment de]U. de Jlartignac. - Soclétéf
secretes. - Conspiration. - Carbonarisrne. - Mesures de rigueur.
- Les sergents de la Itochelle. - Situation des partís. - Nouvelles
élections.~ Itclationsú l'extérieurv-e- Hisloire du cougres de Véronc.
- Ilésolution de l'Europe. ~ Décernbre J821.-Novembre 182:>·
'. , •.••••.••• , •.•.•..• , ••••••••• , ., ••.•••• , ••• 1), J.2U a JU;.>.


CHAPITH.E XX.


DInSIO:'lS DANS LE l\IINISTEnE VILLELE. - Al'FAIRES D'E5P,\G:'lE.


Itetour de 1\1. de l\Iontmorency du congres de Vérone. - Sa déruissiou.
- Entrée de 1\1. de Chñtcaubriund au Conscil. - l\1ouvemcnt roya-
liste pour la gucrrc d'Espagne, - Négoeiations á Madrid et ú París.
Prépa ratifs militaires. -Administra tion ministérlcll e. - Les subsides.
- Attitude de la Chambre. ,- Expulsion de M. Manuel. - ta Cour.
- L'utlrninistration. - Les partís. - La campagne d'Espagnc.-
te parleuient anglals et la Chambre des Pairs.- Dívisions profondcs
entre le ministére et la contrc-opposition roya liste. - Succés de la
cause royallste. - Délivrance de Ferdinand VIL -Novembre 18'l2.-
Octobre 1823 •..... , .•. , ••...... , ......• , ......• P. 1V3 a28/.


CHAPITHE XXI.


, "
MI:'iISTERE flE ~J. IlE nLLELE .JL'SIJlJ A L.\ MORT DE LOUIS x \IIJ.


Adrniuistrution publique. ~ Dissolution de la Charnbre. ~ Élcctions
générales. - Caudidats et Dépntés. - Esprit dc la Charnbre de J8:2 ¡.
- Discussions de politlque. - La Septcunalité. - La conversion
drs rentes. ~ Séparutiuu de .VI. de Chútcauhrlaud. - Son remplace-


n. 36




TAnLE ti Él\ ímALE DES MATlimES.
ment aux añuires étrangéres. - La scssion. - Dissension dans le
mínístere. - ~L de Damas et l\1. de Chahrol. - Mesures pour
corrornpre el éteindre la presse. - La censure. - Organisalion du
Couseil d'Élal. - Dépérissernent , agonic el morL de Louis XVIII.-
Septernbre 182:3. Octobre 1H.2't .. ". '" •..•.... ' ... 1'.282 a 35\,


CHAPlTRE XXII .


.-\VÉNEMENT DE ellARLES X.


Pupularité des prernicrs acles de Charles X. ~ La Famil1e royalc. -
Abolition de la censure, - La piété royale. - Organisation des
[ésuites - Acles de l'administratiou. - Préparatifs de ia session, -
Indemnités des émigrés. - Loi sur le. sacrilége. - Sur les eomrnu-
nautés de femmes. - Mesures flnnncleres de la sesslon. - Le Sacre.
- Réaelions centre les [ésuites. - 1\1. de Montlosier. - Rigueur
centre la presse. - ÉmulIcipalion de Sainl-Domingue. - Colonies
espagnoles. - Mort de l'empereur Alexandre. - Essais de lois aristo-
cratlques. - Le droil d'alnesse. - La pétition de l\I. de Montlosíer
centre les [ésultes. - Seplembre 182L-Juin lS2/j ... , P. 355 a1&5.




TOME QUATRIEME.


CllAPITr.E XXIII.


DRRNIEnF. Alll\llNISTRATION DE 1\1. DE YILLEU: JUSQU'A L'A\'É:'IEl\IENT
DE ~l. DE l\L\RTIG~AC.


La polltique étrangerc. - Question de la Grecc.~Confércnces avec
1\1. Canning. - Esprit nouvcau dc la díplornatie. - l\Iouvemcnt
contre la presse, - La loi de M. de Peyronnet. - AlLitudc de la
Chamhre. - Pétilion de M dc l\Ionllosier.~ Résistance. - Aeadé-
mil' franeaise. - Licenciement de la garde nalionale. - Dévelop-
perneut de la question grecque. - Traité du G juillet. - Derniero
sessíon de 1\1. de vílléle. - La censure. ~ Dlssolution dc la Chambrc.
~ltlcclions.-Tumultcset révoltes. - Premier essal des harricades.
- Chute du ministére de 1\1. de Villéle. - 18:27.-1828... P. 1 it 72.


CHAPITRE XXIV.


LE MINISTElIE DE 1\1. DE l\IARTIGNAC.


Situation du mlnistere de 1\1. de l\Iartignac vis-a-vis la Cour et la
Chamhre des Députés, -. Prerniere combinaison de majorité.-
L'adresse. - Itctraite de MM. de Chabrol et Frayssinous. - Loi sur
les listes electorales - Sur la presse, - Esprit des journaux. -
AO'aircs étrangércs. - La Gréce, - La Bussic. - La Porte. - Expó-
dition de :\Iorée. - Emprunt ......... Ordonnance conlrc les jésnitcs.-
-. Lols de flnances. ~Mémoire du conseil a Charles X. -- Changc-
mcut dans le personnel adminislratif. -1\1. de Poliguac ú Parls. -
l'réparalifs de la session , - Lois municipales el <ll~JlaI'tcmenlalcs.­
Iutriguc contre le min istére Marlignac. - Cause de la dissolution de
re ministerc. -. .lan vlor IS~8.-AoÜl 1~'2n ....•....... P. 73 i.t tno.




'12/1 TATH.F r.f:;\ímAU: DES MATlimES.·


CHAPITRE XX V.


)1I:"ISTl~:RE DE 1\1. DE I'OLlGi'lAC.


Cornposition du Cubinct . - ;\1. de la Bourdonnavc. - De Bourrnont.
. .


- Agilation du pays. - Opposition. ~ Préparatífs tic la session.-
Ouverture des Charnbres.~ Adresse. - Díscussiou. ~ Prorogation.
Mérnniro du Cahlnct, - Affaire diplomatlque. - Qucstlon d'Alger.
-~f;lf'ctions de 18aO. - La royauté acculée, - Avis divcrs. - Pré-
parntifs des ordonnances.-Conscil des ministres. - Ordonnances dc
j 11 i 11 et. - Aout 18'!! 1. - .Jui 1I et 18:30.. , . . . . • . . . . . . . .. P. 1n1 it ~ [)'1.


rl\í~ClS.
DES nOCTm~ES POUTIQCES 1 DE LA PHlLOSOPHTE 1


DE LA UTTt:RATl"HE El' DES ARTS t


J>E\DAyr 1..\ I1ESTArnATIO\.


CIUI'ITHE PHEl\lIEH.


I.ES nOCTRPiES FOLlTIQl'F.S FF.:\'DA;'iT LA IIF.STHJlL\TIO:\'.


i~lal des I~coles politiques en 180. - Les impérialistes. - Dlctature
militalre - Puissance administralive.-1\léfianre des assernblées. -:-
Ernprunt aux vieux mouarchistes. - Les partisans des idées de 178fl
el de 17n l. ~ 1\1. de Constant. - .'Imc de Stael. - Ce qu'on appelalt
les ídéologistes. -MM. ;\Iaine de Biran, - ltoyer-Collard, -- Camillc
Jordán. - Jarobins disperses ou assouplís. - 1<;co/e de la Charle de
l81!t. - IMe anglaisc. - GOllverTlement représentuüf. - Les wya ..
listes purs. - Lutte entre le partí provincial el la centrallsationv-c-
ñévcil des idees révolutionnaircs. - Fusion des Impérialistes et des
Jacohins dans les Cent-Jours. - :\ollvelle apparition des masses.
- Les fédl'I'(·s. - Triomphe des dortriuos du rovallsmo pllr.-




',25
Commencement inaperru de I'opposition consütutionnelle. - Les
doctrlnalrcs. - Les Impériallstcs libéraux. - r;i~cole politique el
le \'ouvcrncmcnl. -. Haine qu'cllc inspire. - Origine et príncipe
des sociétés. - Parlage de tribune sur )'économie polltlquev -«
Dlscussiou des budgets. - Les aüal res étrangéres. - Dérnolition des
doctrines gouvernementales. - l.'tcole conspiratrice. - Les carbo-
nari. -- te partí polilique aux atluires de 1816 a 18~O. - Les doc-
trlnaircs unís aux libéraux. -Le gouvernement des Royalistcs. -
Les politlques dans I'opposilion. - Confusion de prlacipes et de
doctrines. - Le mlnlstere Martignac. -. Démolilion de tout principe
par la presse. - Derniére lulte des monarchistes purs. - Chute de
la Restauration. -. Difficul!és que crécnt au gouvernernent nouveau
les doctrines libérales .. , .. , , , P• .259 a 286.


CHAPITnE H.


LA PIIlLOSOPlIl"E, U MORALF., L'II1STOIRE, L'Éco~omE POUTII~UR
I'ENDANT lA RESTAUIIATION.


10). la Phiicsopbie, - Les dernlers temps de l'Empire, - École
Écossaíse. - 1\1. Boyer-Collard. - Philosophie comparée par 1\1. de
Gérando, -. Méthode des lycées. -. l\Iépris de Napoléon pour la
science ídéologiste, - 1\1. de Frayssinous, - Origine de la phi-
losophie transcendante. -. L'Allemagne, -. l\Uf, Cousin, - De
Bonald, -- L'abbé de Lamennals. - Comrnencerncnt de l'École
du Globe, -1\11\1. .JoulTroy, - Damiron, - Lherminler, -Aforal ....
- Publication de mauvais Iivres, - Renouvellcrnent des éditions
du xvus siecle, - Tentativo pour séparer la ruorale de la reli-
gion. --:.. Haine contre les prétres, - .2". Histoire, - Tendaoce
qu'on veut luí imprlmer, -1\01. Lacrctelle, - Sismoodi,-Micbaud.
- Pamphlets, - Esprit de partí. - Publications de M. Guizot.
- Résumés hlstoriques. - La Itcvolution par MM. Thiers el
i\lignel. - Livres de 1\1. Thierry, - De J\1. Dulaure, - Essal
historique de 1\1. Armand Carrel. - Publicatlons des duos de
R01ltgogne. - Esprit plus sérieux des études, - 3°. i'conomie
polilújuc. - La démolltion du systérne de l'Empire, - École de
\\l ••1. B, Say. - Théorle de l'lndustriallsme. - Statlstlque. _
Abus, - i~cole de M. Dupin, - La religlon et l'industrie par .l\l. de
Saint-Slmon. -- Th¡\oric de i\J. Fourricr .. '" .• ,... 1',287 á ;111.




TARJ.": (~¡::~¡':RHE DES 'fATlimr.s.


CHAPITRE nr.


, ~, "
r. ACADEMIE, L UNIVEnSITE, L ENSEIGNEMENT PUBLICo


Académie francaíse. - Sa composition. - Son esprit. - Tendanee
politlque. o-..-, Académie des inseriptions. - Travaux. - Esprit de
coterie, -l\U1. de Rémusat, - Salnt-Martln, - Raoul-Roehelle.-
Le [ournal l' Uniccrscl, - Universlté, - Conseil royal d'instructlon
publique. -MM. de Fontanes, - Royer-Collard, - Lainé,-l'rays-
sinous, - Corbiére, - Le collégc de Frunce. - Suspensión de
1\1. Tissot. - La Faculté des le/tres. - Cours de MM. Villemain, -
Guizol,-Cousin. - École Normalev--e Sou esprit. - Sa dissolutlon,
- Les inspecteurs généraux de l'Université. - Les écoles de Droit
et de Médccínc. - École Polytcchnique. - Les colléges royaux. -
Leur esprit. - Les écoles prlmaires, - Enselgnemcnt mutuel. -
Les freres des écoles chrétlcnncs. - Les établlsscments en dehors de
l'Université. - Les Jésultcs, - Salnt-Achcul, - l\Ionlrouge. - tes
petits séminaires. ---:- Liberté d'cnseignemenl. - Itéprcssion. -]\[ou·
vement d'Iutolérancc. - Travaux d'úrudition et d'études. - "Fonda-
tion de l'École de Charles. - Les collcetlons hlstoríques. - Impul-
sion vers les choses sérleuses. - Guñt el institution Iittératrcv--,
I.~ socíété des bons livres, - Des bonnes études. - Écoles parle-
mentnlres. r' •••••••••.••••••••••••••••• P. 31 ~ il 33H.


CHAPITRF. IV.


LA LITTÉRATUHE SOliS I"A RESTAURATION.


caracterc généraux de la llttérature aux derniers ternps de I'Emplre.
- La grande école toute d'opposition. _. M. de CháleauhriJIH1.-
~lme de Stael. - l\l~1. Beujumin-Consluru , - De Sismondi,-
C,hénier, - Glnguené. - Littératurc impériale, - .l\ll\l. de Fon-
tanes, - Encnne, - Jouy, - Luce de Lancival, - Jay, - Andricux.
_ Origine dcmi-politique des classiqucs el des rornantiques. - Gou-
vcrnernent el opposilion. - Inñucnce de l' Allemagne ct de l' Angle-
terre. - l ", PO~:SIE. - Poésio pollüquc. - Odrs el vers pour la
Rcsl;\IIralion. - Désaugicrs. - uppcsitlon. - ñtcssénicnncs (le
;\1. Caslmlr Df'Iavigne. - Clmnsous de 'L de Isérangcr. - Prcrflirr~




TABtE (~ÉNÉRALE DES MATJEUES. 4'27
essais de ,'l. Victor Hugo. -1\1M. Baríhélcmy et l\1éry. - Odes. -
Poémes épiq ues. - 20. TRAGÉDIE. - Caractére sous I'Empire.-
;\Iodificalion q u'e\le éprouvc depuis les i'(ats de Blois de M. Bay-
nouard , [usqu'aux V(Jpl'es Siciliennes· de 1\1. Delavlgnev -«
~L\I. Ancelot. - Jouy, - Briffuut, - Lebrun, - 3°. DRAMES.-
Caractére de l'école modcrnc. - Développement du drame depuls
l~douard en Écosse de 1\1. Duval. - Confusion du drame et du
mélodrame. - Bemarquable talcnl de MM. Ducange et de Pixéri-
court. - Naissance du drame pur. - Les trois représentants de la
[cune école. - 1\1M. Alexandre Dumas, - Alfred de Vigny,-
Victor Hugo. - 4°. L~ COMÉDIE. -MM. Duval, - Étiennc, - Dela-
vignc, - Picardo - Les vaudcv illistcs..- Origine et développement
de ce genre, - lIabilcLé de la mise en scene. - Pleces des petils
théátres. - Inl1uence sur la société. - 5°. RO~IANS. - Derulers
débris du systerne de ;\lm e Cottiu. - Mme de Stael et M. de Cháteau-
briand. -Adolplw de .I\I. de Constaut, - Comrnencernent du genre
de Sir Walter-Scott. - Les fantaisics d'Hoffrnan. - Influence
sur la soclété francaísc. - Inondalion des romans á la facon de
Walter-Soott. - Genre frant¡ais. - "1111 e de Genlis.- MM. de Balzac,
-- Pan! de Kock. - (jo. CRITIQUE LITTÉRAIRE. - Revues en Francev--;
Articles de [ouruaux -La critique du temps de l'Empire.- GeofTroy.
-Critique sous la Restauration. - HofTman. - Auger. - Tissot.--
Développement de I'esprit de critique. - Examen de M. de Sainte-
Beuve. - Recherche et afTectation de la littérature du XVII· slecle, -
Quels ont été les résultats lluéraires de la Reslauration? P. 337 a3Do.


CHAPITRE V.


LES ARTS, LES SCIENCES, LE COi\IMERCE ET L'INDUSTRIE
PENDANT LA RESTAURATION.


La peinturc. - Les écoles en 1811. - David. - Géral'd. - Gros. -
Girodet, - Vernet. - Paul Delaroche, - L'école nouvelle. -
Tendance sous la Restauration. - La caricature. - Dessins politi-
queso ~ La sculpturc. - Architecture. -- Monumenls publics. -- La
statuairc. - La musique. - Fin de I'écolc de Gl'élry el de Méhlll.-
Nicolo,-Spontini, - EOieldicu.-lnl1uence des écoles allcmande et
iLalienlle.- Auber.·- Triomphe de Itossiui. - Académic des Beaux-
,\.I'ts. - Theátrcs ct artistes. -1,es scíences. - ñlouvemen t imprimé Ú
la géologle. - Systémo de Cuvic r ....~ Les tcrruíus superposés. - La




ll28 T AnI.E tai.Ním.ALE l)ES 'll\'rlf.l\\!..S.
eréatlon progresslve. -lUodHkalion des idées de Laplace. - Ituine
suecessive du matérlallsme, - Les sclcnces d'applícation. - Pre
miers essals de chemin de fel' eL de la vapeur. - Les colonisations.



- Le commerce, - Développement qu'il prend sous la Bestauratlon
a I'ertérieur, - Systéme du crédit publíc. - Confiance et banquc.
- l\leilleure réparlition de l'impót. - Développement de l'lndustrie.
- Des manufactures. - Application des machines a vapeur.-
Primes et encouragements, - Erpositlon.~ Industrie. - Débouchés.
- État de l'ouvrier. - Comment la ltestauratlon a laissé le
pays ••....•......•............................ P. a91 a409


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